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SAINT-TROPEZ (surface vacante)

Saint-Tropez, à l’égal d’une haute altitude ou d’une exoplanète, produit sa propre atmosphère. On n’y respire pas comme ailleurs. Son air procure une ivresse quasi immédiate. Comme s’il était davantage chargé en oxygène, il gonfle les individus comme les prix et leur fait adopter des comportements inhabituels. Parfois, il les fait imploser. Chez Sénéquier, par exemple, un Perrier vaut 9 euros ; un café au lait, 7,50 euros. Un quart de la population du village a disparu ces douze dernières années mais le peu d’habitants restant jouit du privilège de vivre dans ce qui s’apparente à un centre commercial ou à un parc à thème d’ultraluxe. Le Tropézien côtoie et parfois tutoie les 0,01 % les plus riches du monde, bénéficie de la même panoplie de plaisirs qu’eux, du même décor. Pourtant, ceux-ci ont acheté les terres et les murs du village, avec le droit d’être servis. Si le Tropézien habite donc à Disneyland, il doit assumer le déguisement de Mickey Mouse.

Cette obligation n’est vraiment effective que quelques semaines par an. Même le directeur de fonds d’investissement new-yorkais Stephen Schwarzman, surnommé « king of capital » et 113e fortune mondiale, quoique l’un des résidents les plus assidus du village, ne s’installe dans sa villa Cap Sud qu’aux mois de juillet et d’août. Son amour pour Saint-Tropez n’est un secret pour personne. Même en costume cravate à Wall Street, même en smoking à la Maison-Blanche, il porte une Swatch « édition spéciale Saint-Tropez » au poignet dont l’écran est orné d’une représentation du clocher de l’église du village.

Les séjours de son voisin, l’industriel breton Vincent Bolloré (8e fortune de France), sont encore plus elliptiques car ce dernier préfère l’intimité des croisières sur son yacht Paloma à ses quatre ou cinq maisons de la très recherchée baie des Canebiers. Peut-être lui est-il impossible de les habiter toutes au même moment. Peut-être se retire-t-il dans le cabanon acquis pour une somme restée confidentielle, au sein d’une réserve naturelle, entre le cap Taillat et le cap Lardier, au lieu-dit La Bastide-Blanche, au pied du vignoble de quinze hectares dont il se trouve être l’heureux propriétaire. Le rappeur et producteur américain Sean Combs, plus connu sous les noms de Puff Daddy, Puffy, Diddy et P. Diddy, privilégie les sauts de puce d’une ou deux journées par an à Saint-Tropez, pour se rendre ensuite à Ibiza et à Mykonos. Il voyage en yacht. Il ne possède pas de villa. Ses étés s’apparentent à une tournée des stations balnéaires européennes émaillée de combats de lutte gréco-romaine féminine, dont il est amateur.

Ce Tropézien aurait pu s’appeler Mickey Mouse.

Il s’appelait Jean-Patrick Bontempi.

Au village, on l’appelait « Djinn », « le Djinn » ou « Tchin-Tchin », qui étaient à la fois les distorsions provençales de la première partie de son prénom « Jean » et une référence à son passé de noctambule. Ce soir d’hiver, à la mi-février, le Djinn ne portait pas de costume de Mickey mais une combinaison de travail verte. Il avait la soixantaine bien conservée, des tempes gris fer. Il était adossé au volet clos d’une villa de la pointe de la Rabiou dont les propriétaires étaient des Belges. Ils lui confiaient les clés en leur absence. Le Djinn y passait de temps en temps, pour le gazon et pour la haie, pour la sécurité en général. En échange de ce service, il recevait une mensualité symbolique et officieuse

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