La Porteuse: Roman contemporain
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À propos de ce livre électronique
Emilie, étudiante à Paris, part à la recherche de sa mère porteuse en Californie où elle disparait sans laisser de trace. La piste criminelle se dessine au fur et à mesure que surgissent des secrets profondément enfouis. Des secrets si lourds que pour les partager, ceux qui les détiennent attendent le "moment venu"… ce moment particulier qu'ils ne cessent de repousser. Qui arrivera trop tard, ou peut-être jamais !
Un roman qui entraîne le lecteur dans une enquête palpitante !
EXTRAIT
J'ai eu du mal à imaginer mon berceau dans une lointaine fabrique de bébés. C'est là pourtant que je naquis. Le 16 janvier 1997, en Californie. Au sein d'une de ces florissantes cliniques de Los Angeles spécialisées dans la maternité de substitution. Ma nationalité américaine ne m'a jamais posé de problème. Rien à voir avec les Roms, le Kosovo et Leonarda, contre l'expulsion de laquelle j'avais manifesté avec ma classe de seconde. Avoir vu le jour au même endroit que Marilyn Monroe constitua même un atout de charme. Nous avions toutes son portrait par Andy Warhol dans notre chambre.
Maman était infirmière à l'hôpital de Guéret. Née dans la Creuse comme mon grand-père Joseph, le papa Jo -c'est ainsi que nous l'appelions le plus souvent- qui nous a transmis le nom de Dauphin. J'écrivais parfois mon prénom, Émilie, avec un y au bout. Pour renforcer le mystère. Faire moins couleur locale au collège Martin Nadaud.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Catherine Lison-Croze est née en 1947 à Châteauroux. Pendant quarante ans, elle a exercé la profession d'avocate et mené bien des combats contre les discriminations, faisant sienne la phrase de Paul Eluard "Chacun est l'ombre de tous".
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Aperçu du livre
La Porteuse - Catherine Lison-Croze
l'entretien.
Santa Monica
ville côtière qui à l'Est jouxte Los Angeles et s'ouvre à l'Ouest sur le Pacifique,
dimanche 26 février 2012
Tiffany Peterson regardait en boucle sur ABC News le reportage sur la mort d'un jeune noir de 17 ans, Trayvon Martin, tué par un des voisins du quartier où résidait l'amie de son père, à Sanford. La chaîne parlait d'un coup de feu mortel à bout portant, en pleine poitrine, alors que le garçon avait dans les mains un paquet de bonbons et le soda qu'il venait d'acheter à l'épicerie.
En revenant de son travail vers 20 heures, Amanda Peterson trouva sa fille en larmes. Elle s'assit à ses côtés dans le canapé face au poste de télévision, se gardant de lui poser la question rituelle de savoir si ses devoirs étaient faits. Elle n'insista pas non plus pour qu'elle mette le couvert. Pour une fois, un paquet de chips et des biscuits feraient l'affaire.
Le tireur avait tout de suite affirmé avoir agi en état de légitime défense. Agglutinés sous la pluie, les journalistes attendaient sa sortie du commissariat, meublant le temps avec les hypothèses qu'ils échafaudaient, pour les abandonner tout aussitôt et en élaborer de nouvelles. L'interview de la petite amie de Trayvon Martin, qui se trouvait au téléphone avec lui juste avant qu'il soit abattu, défilait en bandeau sous les images.
Il a dit qu'un homme le surveillait, alors il a mis sa capuche. Je lui ai demandé de courir, il a dit qu'il allait marcher vite. Je lui ai dit de courir mais il a dit qu'il n'allait pas courir.
Trayvon a demandé : Pourquoi est-ce que vous me suivez ? L'homme a répondu : Qu'est-ce que tu fais là ?
Pour la jeune fille, Trayvon avait dû ensuite être poussé car elle avait entendu son kit mains libres tomber sur le sol.
Le tireur, Georges Zimmerman, était présenté comme un homme âgé de 29 ans qui s'était auto-proclamé vigile à la suite d'une série de cambriolages commis à proximité de chez lui. En effectuant sa ronde, il avait remarqué un type louche et appelé le bureau du shérif pour le signaler.
Zimmerman était ressorti du commissariat environ cinq heures après sans être inculpé.
Tiffany et sa maman demeurèrent abasourdies par cette décision, pour elles prématurée. C'était la même histoire qui se répétait, celle d'un homme armé qui avait décidé de tirer sur un autre qui ne l'était pas. Et la victime, était encore noire. Tiff, la fin de la ségrégation, ce n'est pas aujourd'hui mais pour demain, tes enfants la verront
, dit doucement Amanda en prenant sa fille dans ses bras.
Les rassemblements à Los Angeles comme dans l'Amérique toute entière, Tiffany Peterson ne les oublierait jamais. A 15 ans, avec ses camarades de sophomore à la Santa Monica High Scool, la célèbre Samohi, elle s'était immergée, enivrée jusqu'à épuisement dans les manifestations de protestation. Pendant de longues heures, elle avait levé les bras en l'air en scandant Justice for Trayvon ! revêtue comme des milliers de jeunes d'un sweat-capuche identique à celui que portait Trayvon Martin le jour du drame. Elle avait inlassablement brandi sa photo. Elle ne put retenir ses larmes quand le président Obama déclara que s'il avait un fils, il ressemblerait à Trayvon.
Même si avec Obama et Condoleezza Rice, les américains s'habituaient à être représentés par des noirs dans les plus hautes charges de l’État, pour Tiffany et ses camarades, le racisme ordinaire infestait toujours l'Amérique. Le premier amendement de la constitution selon lequel aucune loi ne pouvait restreindre la liberté d'expression, autorisait la manifestation de n'importe quelle opinion. Le Ku Klux Klan ne s'en privait pas d'ailleurs. Il disposait d'un site internet officiel et vendait des T-shirts à l'effigie d'hommes encapuchonnés et de croix en flammes. Les néo-nazis pouvaient eux aussi défiler en toute tranquillité dans les rues en arborant leurs brassards rouges.
Depuis plusieurs années, Amanda Peterson travaillait à la Los Angeles Detective Agency, plus connue sous le nom de Coleman et Perez Agency, du nom de son fondateur et de son successeur. A 44 ans, elle pouvait se flatter de se trouver parmi les rares détectives de Los Angeles à bénéficier de la confiance de la police locale, souvent croisée au tribunal dans le cadre de son travail. Au commissariat de Wilshire Boulevard, tous les policiers la connaissaient bien et l'appréciaient pour son opiniâtreté dans la recherche des mauvais payeurs de pensions alimentaires. Sa spécialité. Grâce aux policiers, Amanda avait pu entendre la bande-son de la conversation de Zimmerman avec l'agent en poste à Sanford. Elle en fit la relation à Tiffany.
L'homme a d'abord indiqué : On dirait qu'il prépare un coup, qu'il a pris de la drogue ou un truc dans le genre.
Est-il noir ou latino ? Que porte-t-il ? lui a demandé l'officier. On dirait qu'il est noir et il porte un sweat à capuche sombre, il a un truc dans les mains, je ne sais pas trop ce que c'est. Il me regarde.
Amanda avait entendu l'officier conseiller à l'homme de rester à l'écart et de laisser la police intervenir.
Mais ce dernier est malgré tout revenu à la charge. Il a ajouté : ces salauds, ils échappent toujours au système. Il a ensuite lâché une insulte, audible malgré la mauvaise qualité de la bande-son : Putains de nègres !
Un mois et demi plus tard, le procureur du Comté de Séminole décida de poursuivre Georges Zimmerman pour meurtre. Tiffany perçut tout le poids qu'avait pu représenter l'opinion publique dans sa décision, fière d'avoir elle-même contribué à un tel revirement.
A la satisfaction de voir le meurtrier poursuivi, succéda le sentiment d'une profonde injustice devant la décision d'acquittement rendue en juillet 2013. Tiffany manifesta de nouveau sa colère. Une colère plus réfléchie, tournée vers la nécessité d'abolir les règles permettant à tout citoyen américain d'exprimer son racisme en toute impunité et d'utiliser librement des armes à feu, comme le permettait le deuxième amendement de la constitution. C'est sur ce texte que s'appuyait le lobby de la National Rifle Association (la NRA), pour contester en permanence devant les tribunaux les lois restrictives de l'auto-défense adoptées par beaucoup d'États, à l'image de la Californie.
Au sein de l'association Women Against Gun Violence, Amanda Peterson combattait elle aussi le commerce des armes à feu. Elle défendait les femmes qui en étaient si souvent victimes en cas de conflit conjugal. Amanda déplora que le jury qui avait absous Zimmerman ait été composé de six femmes.
Tiffany lui fit remarquer que la difficulté ne tenait pas au sexe des porteurs d'armes, même s'ils les brandissaient comme les bannières de leur domination phallique. En reprenant la formule favorite de sa maman, avec ses irrésistibles accents d'indignation, elle avait déclenché leur fou rire inextinguible.
Après le verdict, le témoignage de la seule femme non blanche du jury donna raison à Tiffany. Une infirmière auxiliaire de trente-six ans dévoila dans une interview donnée à Good Morning America, qu'au début des délibérations, elle était convaincue de la culpabilité de Zimmerman mais qu'au deuxième jour, après neuf heures de discussion, elle avait réalisé que la loi en vigueur en Floride ne permettait pas de le condamner.
Tiffany recevait de nombreux messages l'invitant à se rendre dans des rassemblements où elle retrouvait des milliers de jeunes, porteurs comme elle de leur emblématique sweat-capuche. Rapidement encadrés par un nombre impressionnant de policiers, ils se voyaient refoulés au moment où ils approchaient des lieux symboliques, choisis pour donner du sens à leur protestation.
Avec sa meilleure amie Linda May, Tiffany se retrouva coincée avec elle au milieu d'un cortège qui se dirigeait vers la Cour Supérieure de Californie. Les deux jeunes filles assistèrent impuissantes à des scènes de violence. Les policiers s'employaient à disperser les manifestants à coups de pieds, de poings et de matraque. Tiffany aperçut ce jour-là dans la foule non loin d'elle, Antonio Perez, le patron de l'agence où travaillait sa mère. Elle se demanda s'il s'agissait d'un hasard.
Cette fois, j'en voulus à Étienne. Terriblement. Ses confidences au docteur Brody sur ma petite enfance et son rôle de père de substitution me déresponsabilisaient complètement. Au moment précis où le gynéco, armé de son avocat, refusait de répondre à mes questions. En me prenant de plus pour une idiote.
Je fus bien résolue à régler son compte à mon premier papa. A ne plus jamais le revoir. Non seulement il m'avait pourri l'existence avec sa question stupide à mamie bleue sur ma vraie mère, mais je ressentais comme un viol son immixtion dans ma vie. De quel droit y pénétrait-il, surtout après cette longue parenthèse où nous n'avions pas eu le moindre échange ? Car contrairement à mes deux derniers papas, tout lien avec Étienne avait cessé depuis cinq ans au moins.
Avant de couper définitivement les ponts, je repensai à mes premières années avec lui. Aux feux d'artifice sur ses épaules, où tremblante et exaltée je m'accrochais à son cou. Aux sapins de Noël, patiemment décorés avec lui dans le moindre détail. Pour maman, un apprentissage de la méticulosité, à l'origine du perfectionnisme très tôt détecté chez moi. Impossible aussi d'oublier les crêpes-chocolat à gogo et les histoires du soir, où Étienne se transformait en chasseur de cauchemars.
Et je flanchai.
Comment en vouloir à ce papa qui n'avait pas su tenir sa langue ? A en croire mamie bleue, cela ne datait d'ailleurs pas d'hier.
Si au moins Étienne s'abstenait d'interférer dans mes projets !
Il m'en fit la promesse et jura qu'il ne se consacrerait plus désormais qu'à son travail. Je n'avais pas très bien compris en quoi consistait son super job
quand il m'en avait parlé le jour des obsèques de maman. Étienne s'était noyé dans les détails et les formules alambiquées en essayant de me décrire un de ces métiers émergents dans les nouvelles technologies de l'information et de la communication. Un métier non encore officiellement répertorié, qui consistait à booster les start-up en les coachant au sein de l'écosystème numérique. L'hermétisme de la définition m'avait intérieurement fait sourire. Et incitée à ne pas chercher à en savoir davantage !
J'avais eu le cœur serré en découvrant les chaussures élimées et le manteau bouloché de mon papa. Un manteau bleu marine, d'une autre époque et trop étroit pour lui. Sans doute l'avait-il emprunté pour l'occasion. Au Secours catholique ou une autre association de ce type. Franck, mon troisième papa, avait habilement éludé la question de savoir comment il avait retrouvé Étienne pour le prévenir du décès de maman.
Los Angeles
3 avril 2017, 8 heures 30
Le taxi me déposa devant Parents heureux. Fouler les trottoirs de la ville qui me faisait rêver me rendit étrangement légère dans l'effervescence matinale, aussi grande qu'à Paris, marquée par ce même pas pressé des gens soucieux d'arriver à l'heure au travail. Je me sentais en pleine forme malgré la fatigue résiduelle due au décalage horaire. Le soleil était déjà chaud et je me félicitai d'avoir enfilé une veste légère sur ma robe en