Propos sur Yi Jing: Guide
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Aperçu du livre
Propos sur Yi Jing - Jean-Philippe Schlumberger
À PROPOS DE CETTE ÉDITION ÉLECTRONIQUE
Édition, Conversion informatique et Publication par
NUMÉRILIVRE
Cet ouvrage est réservé strictement pour votre usage personnel.
Tous droits de reproductions, de traduction et d'adaptation sont réservés pour tous pays sous quelques formes que ce soit.
Copyright Numérilivre,
Juin 2012.
ISBN 978-2-36632-000-8
Remerciements
Je remercie profondément
Rose Marie et Michel Beckers
ainsi que Daniel Cosquer
qui ont déchiffré, organisé et corrigé
tous les derniers écrits de Jean-Philippe Schlumberger
afin d'aboutir à cet ouvrage.
Je remercie également
Henri Noël Fischer
pour m'avoir aidé à le relire, le corriger et l'achever.
Roger Langellier Bellevue.
Préface
J'espère qu'on ne sera pas gêné par une certaine façon d'être sérieux sans l'être. Il n'y a là aucune intention de moquerie. Il s'agissait plutôt de contrebalancer mes propres mutations.
A ce propos : j'ai généralement économisé les « peut-être », « sans doute », « on peut craindre que » et autres précautions verbales. J'espère que chacun les rétablira là où il juge nécessaire.
Une façon de ne pas être sérieux sur des sujets qui mériteraient qu'on le soit.
Jean-Philippe Schlumberger,
fin 2005.
Cette préface, retrouvée manuscrite, au milieu de textes écrits fin 2006, n'est manifestement pas terminée. Nous nous permettons de la diffuser telle quelle.
Introduction
Sur les bords de Loire, Jean-Philippe Schlumberger vivait dans un domaine ombragé par la blanche falaise de grès, près d'une grotte, au milieu d'une centaine de plantes indigènes dont il connaissait chacune des intimités.
Il y vivait un peu retiré du monde, en anachorète souriant.
En 1987, il avait publié un premier ouvrage : « Yi King, Principes, pratique et interprétation » - Collection « Horizons spirituels » aux Éditions Dangles. Beaucoup de ses lecteurs lui écrivaient, lui posaient des questions et même l'incitaient à rédiger un deuxième livre.
En 2001, il accepta, selon son expression, « à sortir de sa thébaïde tourangelle ». Il se mit à partager ses questions et son savoir avec des groupes et des personnes intéressées par le Yi Jing, à Bruxelles, à Paris, à Nantes, à Bordeaux... La demande d'un deuxième livre se fit pressante.
Il sentait une attente. Une attente en phase avec ses propres méditations sur les fins et les moyens du Yi Jing.
Il rédigeait ces textes.
Lorsque le 2 avril 2005, il traversa le fleuve.
Son ami d'enfance, son complice, Roger Langellier Bellevue, se trouva en possession de ses archives et parmi celles-ci les documents de ce « deuxième livre ». Moralement chargé de transmettre cet héritage - en tant que légataire - il confia à moi-même et au Docteur Daniel Cosquer, le soin de les étudier.
A l'analyse, il s'avéra que ces textes sont incomplets. Ils ne constituent pas un livre proprement dit. Ce n'est pas terminé. Il manque un avant-propos, un plan général et, surtout, une finalité exprimée par écrit.
Nous avons décidé, Roger, Daniel et moi de publier ces textes et avons choisi comme titre du livre : PROPOS SUR LE YI JING.
Jean-Philippe Schlumberger écrivait sur une de ces petites machines à traitement de texte, intermédiaire entre la machine à écrire et l'ordinateur. Conclusion : il n'a pas laissé de document informatique utilisable mais quelques chemises remplies de feuilles A4, dactylographiées ou manuscrites, avec une pagination bien difficile à suivre !
Après un travail de reconstitution, j'ai retapé toutes ces pages, une à une. Avec passion.
Elles ont été relues avec soin par notre ami commun, Daniel Cosquer, familier de la pensée de Jean-Philippe et compétent en Yi Jing.
Les pages sont la transcription fidèle de celles de l'auteur, sans ajouts ni suppressions. J'ai aussi respecté la typographie (notamment dans l'usage des guillemets !).
Je me suis acquittée au mieux de ma tâche, celle-ci est dès lors achevée, je prie les lecteurs de la considérer, eux aussi, comme telle. Je ne peux donc, ni donner aucun renseignement complémentaire, ni répondre à aucune observation, si judicieuse soit-elle.
Bonne lecture et bon voyage dans « Propos sur le Yi Jing », de Jean-Philippe Schlumberger.
Rose-Marie Beckers.
PREMIÈRE PARTIE
QU'EST-CE QUE LE YI JING ?
LE YI JING
« Yi Jing » signifie « Classique du changement ». Les classiques sont les ouvrages de l'Antiquité chinoise dont l'étude était requise pour se présenter aux examens d'état par lesquels on recrutait les fonctionnaires. En Chine, cet ouvrage est également connu sous le nom de « Mutations des Zhou », ses divers éléments ayant été définis et classés une première fois au début de la dynastie royale de ce nom, au treizième siècle avant notre ère. Sous une forme proche de celle que nous connaissons, le Yi Jing existe donc depuis plus de 3.000 ans, mais les principes sur lesquels il se fonde sont bien plus anciens. Les premières traces connues des signes qui le composent sont des notations divinatoires, gravées sur des os ou des écailles de tortues à l'époque des Shang (moins 1700 à moins 1500). Elles ont certainement été précédées par des traditions orales, magiques et chamaniques, qu'il est impossible de dater avec précision.
Le livre qui nous est parvenu résulte d'une systématisation constante depuis l'Antiquité jusqu'au début de la dynastie Song - ce qui correspond à notre Moyen-âge. La forme canonique actuelle a été fixée à cette époque et n'a plus varié depuis.
Le « Classique des changements » se compose pour l'essentiel, de figures linéaires de six traits, appelés pour cette raison « hexagrammes » en Occident, accompagnées de textes qui leur ont été adjoints à diverses époques, et dont les plus anciens sont peut-être antérieurs à l'invention des figures. Les hexagrammes, au nombre de soixante-quatre, décrivent sous une forme synthétique et concentrée une série de situations types. Il est admis que l'infinité des événements particuliers peut être caractérisée par l'une ou l'autre de ces figures abstraites. Les textes suggèrent, de façon imagée, leur sens général, ainsi que les valeurs de présage issues des anciennes pratiques de divination. Des commentaires plus étendus, auxquels on accorde une source confucianiste, décrivent les origines mythiques du livre ainsi que la logique du système et la signification du changement. Cette partie comporte un certain nombre de citations attribuées à Confucius lui-même, bien qu'il n'ait probablement pas connu ni à plus forte raison utilisé le Yi Jing1.
La première fonction du Yi Jing est donc nettement oraculaire. Les cours royales de l'Antiquité chinoise font appel à des devins professionnels qui déterminent, par divers procédés, l'opportunité d'un sacrifice, d'une entreprise militaire ou politique. Sous sa forme élaborée, le vieux classique résulte de la fusion raisonnée de plusieurs méthodes divinatoires - craquelures obtenues par brûlage sur des os ou des carapaces de tortues, partage aléatoire de bâtonnets qui sont traditionnellement des tiges d'achillée, numérologie, éléments de cosmologie, etc.2 Cette diversité d'origines explique pourquoi le Yi Jing peut être considéré comme un modèle analogique de l'Univers (recréé à chaque usage par le rituel qui accompagne la consultation) et comme un manuel de philosophie pratique basée sur l'universalité du changement (Yi). La seule chose dont on peut dire qu'elle ne change ni ne changera jamais, c'est justement que tout change constamment3. Les concepteurs successifs du Yi Jing ont déterminé les lois de ce changement inéluctable : alternances d'activité et de repos, d'expansion et de retrait, mouvement continu, ce qui correspond approximativement à notre conception de l'histoire et du temps, ou cyclique comme la succession des heures de la journée, ou celle des saisons. Pour ne rien omettre, il fallait qualifier « l'absence de changement », ce qui introduit une des premières notions de relativité : un mouvement ne peut se définir que par rapport à un point de référence conçu comme immobile.
Voyons maintenant, très succinctement, comment le livre a été compris et utilisé au cours des âges.
En Chine Le Yi Jing n'a jamais cessé de nourrir la réflexion des lettrés qui en ont fait un outil de pensée spéculative ou pratique, négligeant le plus souvent l'aspect que nous qualifions de « divinatoire ». Parallèlement à cette position officielle, une utilisation magique se développe dans la religion populaire taoïste. Une double vocation - philosophique et oraculaire - fait que les éléments du Yi Jing se retrouvent à tous les niveaux de la culture chinoise. Les trois principales doctrines, Taoïsme, Confucianisme et Bouddhisme en ont fait usage, ainsi que la géomancie (feng shui), la médecine, l'astrologie, les arts martiaux et jusqu'aux usages de préparations culinaires. Cette tendance à rassembler les domaines les plus divers de la connaissance et de la vie en un système cohérent existe aussi dans nos civilisations, mais la Chine, du fait de son attachement aux sagesses anciennes, l'a pratiquée longtemps avec plus de constance.
En Occident C'est tout d'abord par l'intermédiaire des missionnaires - surtout jésuites - que le Yi Jing a été connu en Europe. On sait que le mathématicien et philosophe Leibnitz reçut, à la fin du dix-septième siècle, un schéma ordonné des soixante-quatre figures - il s'agissait sans doute de la disposition en cercle et en carré fréquemment reproduite de nos jours - et qu'il y reconnut les bases du système de calcul binaire dont il était l'inventeur4. Il y eut, au dix-neuvième siècle, diverses traductions conformes aux connaissances des érudits de l'époque. La pensée chinoise était difficile à assimiler pour ce siècle rationaliste et ces traductions modifient souvent le sens originel des textes pour les rendre cohérents selon les critères du temps. La fonction oraculaire du livre était naturellement considérée comme une superstition. La traduction du missionnaire allemand Richard Wilhelm, au début du vingtième siècle, marque un tournant. Elle est sans doute la première à inclure des commentaires d'interprétation originaux, sans doute proposés par le collaborateur chinois de Wilhelm. On y trouve souvent des notions et un vocabulaire d'inspiration chrétienne, ce qui s'explique aisément. Wilhelm était luthérien, mais les missionnaires jésuites n'avaient pas procédé autrement dans leurs lectures des classiques chinois. La version de Wilhelm fut retraduite par la suite dans la plupart des langues européennes. L'approbation du psychologue C.G. Jung, qui préfaça la première édition en langue allemande, contribua beaucoup au succès de ce livre dans la seconde moitié du XXème siècle.
A partir des années soixante, on voit se développer un intérêt nouveau pour les philosophies orientales, par suite de la diffusion du bouddhisme Zen (c'est une des conséquences paradoxales de la seconde guerre mondiale). C'est aussi vers cette époque que se diversifie, venant du Japon, la pratique des arts martiaux d'origine chinoise. Le mouvement Hippie, puis celui du New Age fleurissent aux USA, pratiquant un mélange syncrétique de toutes sortes de disciplines religieuses ou psychologiques, techniques de méditation et autres bio feed-backs. La notoriété actuelle du Yi Jing est grandement due à cette période. Des manuels de divination de qualités très diverses se sont multipliés en Amérique, et plus tardivement en Europe.
Dans le même temps, la connaissance de l'Orient s'affinait considérablement, en particulier grâce au travail d'intellectuels chinois écrivant directement dans les langues européennes. Les traductions se sont multipliées, ainsi que les études d'universitaires sinologues ou philosophes. Il est intéressant de noter que nos lettrés ont également privilégié l'aspect philosophique du Vieux Livre, alors qu'un public profane tend à s'intéresser davantage à son usage oraculaire.
*
Le Yi Jing était, pour les Chinois, l'un des ouvrages qui transmettait la sagesse des anciens. Il était admis, au moins par convention, qu'elle avait atteint une perfection inégalée à laquelle on devait tenter de revenir et qui méritait le plus grand respect. L'usage du livre s'entourait d'un certain nombre de rites. Ceux qui l'utilisaient comme oracle le supposaient porteur d'une vertu particulière issue du souffle ou « Qi »5 qui lui était propre. Pour la religion taoïste, il pouvait y avoir, entre ses lignes et ses caractères des « dragons cachés »6 qui imposaient une certaine prudence à ses utilisateurs.
Il ne faut pas se hâter de déconsidérer ces croyances comme de simples superstitions primitives. Ce sont des interprétations, conformes aux conventions de l'ancienne société chinoise, de phénomènes qu'on peut encore constater actuellement. Des coïncidences s'établissent entre la situation du consultant et les réponses de l'oracle qui ne sont pas toutes des effets de lecture. C'est ce qui avait retenu l'attention de C.J. Jung à qui revient le mérite d'avoir été l'un des premiers explorateurs de ces territoires inconnus à l'époque moderne. L'oracle du Yi Jing n'est pas le seul support possible de ces étrangetés dont l'explication exigerait une connaissance de la nature de conscience et du vivant que nous ne possédons pas encore. Ces coïncidences, que Jung nomme « synchronicités », ne sont peut-être pas ce qu'il y a de plus utile dans la pratique du Yi Jing, mais on ne peut pas non plus les ignorer. Le mieux serait de s'y habituer et de ne pas leur accorder une importance excessive. Le point de vue que j'adopte dans ce livre est que le Yi Jing est avant tout un révélateur et un support de l'intuition, une faculté généralement admise par nos psychologues, mais que j'utilise dans un sens plus étendu que dans les définitions classiques. Le Yi Jing révèle nos intuitions profondes lors d'une consultation oraculaire, mais aussi dans les lectures que nous en faisons par simple désir de connaître le système et de le comprendre. Il sert de support à cette intuition lorsque les figures et les textes éveillent en nous une imagination créatrice que nous possédons tous.
J'ai eu le plaisir, depuis une quinzaine d'années, de connaître de nombreuses personnes qui s'intéressaient au Yi Jing et le pratiquaient. Ce qui ressort de ces rencontres et de des partages qu'elles ont permis, c'est que le Yi Jing est, si je puis dire, « en pleine mutation ». La diversité des approches est très grande et l'utilisation pratique ou spéculative du vieux classique l'est également. Les définitions ne le sont pas moins, selon les penchants personnels de chacun ou les orientations des groupes d'interprétation ou de recherche. Le Yi Jing peut être vu comme un moyen de choix ou d'aide à la décision en cas d'incertitude, comme un guide pour les stratégies de l'action, une manière de comprendre de quoi sont faites les situations présentes (c'est le plus souvent ma propre option), un outil thérapeutique, une façon de prendre un recul salutaire vis-à-vis des problèmes que la vie nous pose, une pratique semi méditative pouvant rétablir des équilibres compromis, un fil d'Ariane à suivre avec prudence dans l'exploration intérieure, une incomparable réserve de matériaux pour la construction de modèles complexes (ceux de l'univers, ceux de la vie), un système de classement souple et mobile pouvant s'appliquer aux domaines de recherche les plus divers, une trame pour des expériences d'improvisation musicale, une base de spéculations métaphysiques ou simplement une façon de se regarder vivre et de mettre à jour une cohérence dans le déroulement de sa propre existence.
Cette liste ne prétend pas tout recenser. Je ne doute pas que la diversité des usages ne me réserve encore des surprises et je n'ai pas mentionné, car ce sont des domaines qui me sont un peu étrangers, les études logiques et mathématiques ni les rapprochements avec d'autres systèmes traditionnels. Ce qui me frappe dans toute cette variété, c'est qu'il s'établit très souvent un rapport intense avec le livre, que certains personnalisent avec un respect digne des Chinois d'autrefois ou une affection complice comme on peut en avoir à l'égard d'un ami. C'est un jeu et, comme tous les jeux, il sert à apprendre. Notre implication dans la recherche ou la consultation finit véritablement par faire du Yi Jing une part de nous-mêmes. Il se peut que le livre, sur son étagère, émette un flux permanent de « qi » mais il est tout à fait certain que les formes et les rapports intérieurs de l'ouvrage se mettent à vivre lorsque nous ouvrons ses pages pour y chercher ce qui nous préoccupe ou nous intéresse. L'intuition qui fait surgir le sens lors d'une lecture des formes et des textes n'est pas dans le livre, mais en nous. C'est la rencontre de cette intuition avec le système inspiré du vieux classique qui fait la richesse de la pratique.
Reste le plus important, ce qui me paraît justifier un usage sensible et attentif de ce court traité chinois. Le Yi Jing est unique en son genre. C'est un concentré de sagesse pratique, une sorte de grille de décryptage qui permet d'ordonner la complexité du monde, un système mobile dont tous les éléments sont connectés les uns aux autres, une image de l'univers qui nous implique entièrement.
Un bon utilisateur du livre n'est pas en position d'observateur. Après un temps d'apprentissage, le Yi Jing se vit de l'intérieur et la subtilité de ses concentrés de sens, de ses mouvements, des rapports mutuels qui font sa cohérence deviennent, si nous le voulons bien, une part de nous-mêmes. Cela nous vient d'autant plus naturellement que ce système nous ressemble, ou que nous lui ressemblons à un niveau tout à fait simple - celui du corps, de l'action quotidienne, autant que dans des régions plus rarement explorées de notre être.
La sagesse n'est pas une chose, un objet que l'on peut s'approprier, mais une manière de vivre. Nos philosophes nous le disent depuis longtemps. Ils nous décrivent un comportement idéal, nous proposent un cadre établi d'avance en nous recommandant de nous y conformer. C'est aussi vrai de la plupart des doctrines chinoises, mais elles furent relativisées par un sens aigu de ce qui ne peut pas se dire mais que l'expérience peut néanmoins connaître.7 L'originalité du Yi Jing, création collective de toute une culture, est qu'il nous met en mouvement mais ne nous impose rien. En définitive, nous décidons librement de ce qu'il signifie pour nous à tel moment particulier, et pourtant il y a un sens profond, non précisé, que l'intuition est capable de reconnaître au travers des signes et des images.
LE YI JING EST À TOUT LE MONDE
On ne doit pas se laisser intimider par ce que les uns et les autres disent ou écrivent au sujet du Yi Jing (y compris l'auteur de ces lignes). Le rapport personnel qui s'établit pour chacun avec le vieil oracle est unique et irremplaçable ; il évolue aussi avec le temps, à mesure qu'on acquiert une pénétration plus fine de ses contenus. Cette assimilation peut être inconsciente ou recherchée sciemment, peu importe, en fait, car ce qui compte est un changement d'attitudes et de manières de voir qui ne dépend que secondairement de la pensée ordinaire, celle qui tourne sur elle-même avec des mots, inconsciente de l'immense arrière-plan non verbal qu'elle utilise.
Le Yi Jing est à tout le monde. C'est un système de notations abstraites et de commentaires imagés, cohérent et subtil, mais à la différence d'un manuel pratique (« L'ordinateur en vingt leçons ») ou d'une notice d'appareil électrique (incompréhensible, bien que rédigée en quinze langues), l'efficacité du Yi Jing est due, pour une bonne part, à son utilisateur. Rien d'étonnant, vraiment, si l'on y pense. Il y a une automobile dans le corps et une sensibilité de la plupart des conducteurs au point que certains d'entre eux souffrent d'une éraflure comme s'il s'agissait de leur propre peau. Notre rapport avec le Yi Jing, cependant, diffère notoirement de ce genre d'identification en ce qu'il s'établit souvent dès le premier essai, pour des personnes qui ignorent totalement ce qu'est le livre et comment on s'en sert : C'est le côté « dragons cachés ». Cette particularité oblige à prendre en compte les phénomènes dits parapsychologiques. Dans le cas d'un débutant absolu, il y a des chances pour qu'il effectue son premier essai avec l'aide de quelqu'un qui a déjà pratiqué. Nos occultistes - ceux, du moins, qui utilisent encore l'ancien langage du magnétisme mesmérien - diront que le « fluide » passe par l'intermédiaire de cette autre personne. Pour ma part, je suppose un rapport « télépathique », (ce qui fait moins ancien mais n'explique rien) et je n'exclus pas la possibilité de quelque « milieu psychique » comparable à l'inconscient collectif de C.J. Jung, mais connaître ces phénomènes, y croire ou en douter, ne semble pas avoir d'effet positif ou négatif sur le rapport efficace qui s'établit avec le vieux livre. J'ai vu des personnes très sceptiques se fâcher parce qu'une réponse trop adéquate à leur question de pure convention prenait leurs convictions à rebours.
POUR UN YI JING FORMATEUR
Pourquoi ajouter un ouvrage de plus au foisonnement des publications actuelles ? C'est qu'un aspect essentiel de la pratique du vieux classique me paraît absent des exégèses comme des manuels de toutes sortes. Le Yi Jing exerce un aspect formateur, non seulement au plan des idées mais aussi sur notre manière de vivre notre propre mouvement. Il nous apprend à changer, à « entrer » dans notre changement personnel, à le « suivre » sans trop le bousculer par des interventions ou des disciplines mal adaptées ; il nous enseigne, par exemple, qu'il est des équilibres trop stables qui finissent par nous épuiser et que compensent des « porte-à-faux » générateurs de souplesse et d'éveil. Cela nous vient peu à peu, avec naturel, sans qu'il soit nécessaire de s'imposer, par conviction morale, des règles strictes qui nous paralysent plus qu'elles ne nous aident à progresser. Ce qu'on appelle la connaissance de soi change de nature. On se dit habituellement « je suis comme ceci ou comme cela, je n'y peux rien » ou « il vaudrait mieux que je sois autrement » ; cette attitude très fréquente n'est pas très