Enjeux humains et psychosociaux du travail
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À propos de ce livre électronique
Ce collectif propose des réflexions issues de recherches effectuées au Québec, au Canada et en Belgique touchant la santé psychologique en contexte professionnel (de la prévention au retour au travail), la gestion en situation d’urgence, la violence et les dysfonctions sociales ainsi que certaines réalités des femmes au travail. Il s’adresse à toute personne qui agit en prévention ou en intervention relative à la santé psychologique en emploi, de même qu’aux chercheurs, décideurs, étudiants et intervenants qui préconisent un milieu de travail et un maintien en emploi sains.
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Avis sur Enjeux humains et psychosociaux du travail
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Aperçu du livre
Enjeux humains et psychosociaux du travail - Jacinthe Douesnard
Introduction
Jacinthe Douesnard¹
Le rapport qu’entretiennent les personnes avec leur travail n’est pas neutre. Source de réalisation personnelle ou lieu de consolidation de l’identité (de Gaulejac, 2011), le travail peut également être, parfois, source de souffrance, d’atteintes physiques et psychologiques (de Gaulejac, 2011; Dejours, 2013; Thébaud-Mony et al., 2015). En sus des conséquences individuelles qu’auront ces atteintes physiques et psychologiques s’ajoutent des répercussions sociales et organisationnelles. Par exemple, l’Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi et de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST) révèle que le travail est lié, de façon directe ou indirecte, à près de 60% des absences pour raison de santé psychologique (Vézina et al., 2011). Depuis quelques décennies, il est reconnu par la communauté scientifique internationale qu’au-delà des raisons personnelles et des prédispositions individuelles, l’étiologie des atteintes psychologiques comprend également la façon dont est organisé (ou désorganisé) le travail (Mercure et Vultur, 2010). Ces enjeux humains et psychosociaux sont d’ailleurs maintenant priorisés par certains organismes subventionnaires et inscrits dans les priorités d’action de différentes organisations, notamment en regard des préoccupations relatives à la saine gestion, au bien-être au travail, au sain maintien en emploi et à la diminution des absences liées aux problèmes de santé psychologique. En outre, certaines universités intègrent dorénavant dans leurs programmes des notions liées à ces enjeux humains et psychosociaux du travail. Ce faisant, les futurs gestionnaires et professionnels sociaux et de la santé, ainsi que les intervenants en santé et sécurité du travail, développent alors une nouvelle façon de penser le travail et ses dimensions humaines, considérant ainsi dans leurs pratiques l’incidence du travail sur les membres des organisations.
Le présent ouvrage s’inscrit dans cette mouvance, en complémentarité avec les manuels abordant les théories classiques relatives aux aspects humains des organisations (modèles de gestion d’équipes, de motivation au travail, de communication, de leadership, etc.) et de gestion des ressources humaines (processus de sélection, de rétribution, de répartition des tâches, d’évaluation, etc.). Dans ce livre, il est proposé d’aborder d’un point de vue pluriel différentes thématiques afin de circonscrire les contours actuels de certains enjeux humains et psychosociaux du travail. En ce sens, il est souhaité que cette publication apporte une contribution aux réflexions concernant le rôle de l’organisation du travail sur le maintien en emploi de ses acteurs. Plus précisément, elle vise une compréhension pluridisciplinaire des processus organisationnels qui concourent, d’une part, au mieux-être au travail, mais également, d’autre part, à la désinsertion/réinsertion des travailleurs.
Cet ouvrage propose des réflexions issues de différentes recherches effectuées au Québec, au Canada et en Belgique, mais aussi des réflexions intégratrices liées à l’évolution de la place accordée aux enjeux humains et psychosociaux dans l’appareil légal du travail et dans certains processus organisationnels. Structuré en quatre parties comprenant chacune deux chapitres, ce livre s’adresse à toute personne qui agit en prévention ou en intervention relative à la santé psychologique au travail, de même qu’aux chercheurs, décideurs ainsi qu’aux étudiants et aux intervenants qui souhaitent favoriser un sain maintien en emploi des travailleurs.
La première partie, intitulée «Enjeux de la santé psychologique au travail: de la prévention au retour au travail», regroupe deux chapitres qui cernent l’évolution de la place de la santé psychologique dans le domaine de la santé et de la sécurité du travail, ainsi que l’évolution des pratiques en matière de retour au travail à la suite d’une absence liée à un problème de santé psychologique. De fait, depuis quelques années, le spectre de la santé et de la sécurité du travail intègre dorénavant des préoccupations de prévention primaire, secondaire et tertiaire en lien avec la santé psychologique des travailleurs, que ce soit par la détermination des facteurs de risque organisationnels, par le développement des connaissances pour agir sur les prévalences des atteintes psychologiques et les interventions lorsque les atteintes sont confirmées, ou par des processus et des réflexions au sujet des programmes de retour au travail.
Plus précisément, le premier chapitre de ce livre fait état des origines de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) ainsi que des réformes et transformations qu’elle a subies au cours des dernières années. L’auteur, qui a participé de près à ces travaux et réflexions concernant la santé au travail, rend accessible aux lecteurs la compréhension de la genèse et de l’évolution de cette loi ainsi que les enjeux actuels qui y sont associés, rappelant que les défis liés à la santé psychologique au travail sont certes des enjeux organisationnels, mais également des enjeux de santé publique.
Quant au chapitre 2, il offre au lecteur une perspective globale sur les pratiques de retour au travail à la suite d’un problème de santé psychologique. Après avoir exposé les enjeux du rapport entre le travail et la santé psychologique, l’auteure propose un récapitulatif des mesures de retour au travail qu’elle a développées au cours des dernières années, qui permettent d’agir sur cette problématique multifactorielle, et ce, sur de multiples plans. Ces éléments cernent notamment les défis rencontrés par les gestionnaires et proposent des pistes de réflexion afin que le retour au travail soit plus durable et plus cohérent.
La deuxième partie du livre regroupe deux chapitres autour du thème de l’«Organisation du travail et santé psychologique en situation d’urgence». Sera abordée la réalité des intervenants qui doivent faire face à de nombreux risques d’atteinte à leur santé psychologique, entre autres dus au fait qu’ils sont en contact quotidien avec de la souffrance humaine. En effet, certains métiers et professions comportent des risques particuliers liés aux situations d’urgence civile, sociale, de crises et de tragédies. Les intervenants d’urgence et les travailleurs du domaine de la santé et des services sociaux font d’ailleurs l’objet d’études dans plusieurs pays, en vue de déterminer non seulement les facteurs de risque auxquels ils sont confrontés, mais aussi la façon dont est organisé leur travail, laquelle peut avoir un effet sur le maintien ou la détérioration de leur état de santé psychologique.
Par conséquent, le chapitre 3 présente les résultats d’une étude effectuée auprès de pompiers volontaires du Québec, étude qui s’appuie sur les conclusions d’une recherche effectuée précédemment au sujet des pompiers professionnels québécois. Ainsi, après avoir présenté les défis liés à ce métier, les auteures mettent en lumière la façon dont certaines stratégies managériales rendent possible l’élaboration d’un collectif de travail, lequel permet alors aux travailleurs de tenir dans un métier comprenant de nombreux risques d’atteinte à leur santé psychologique.
Enfin, le chapitre 4 aborde la réalité du rapport au travail des intervenants sociaux québécois et belges, qui agissent auprès des citoyens lors de tragédies ou de catastrophes sociales. Étant exposés à la détresse humaine, ces travailleurs vivent des effets négatifs liés à leur travail; par contre, on y met en évidence dans ce chapitre une certaine ambivalence puisqu’ils ressortent parfois grandis de leurs expériences. Il sera notamment question de la façon dont est organisé leur travail et des éléments qui leur permettent de se tenir à une extrémité ou à l’autre du spectre de la santé psychologique.
Abordant un enjeu d’actualité, la partie suivante s’intitule «Violence et dysfonctions sociales au travail». Fréquemment, les comportements violents et les dysfonctions sociales au travail font les manchettes dans les médias et concernent de plus en plus la réalité de nombreuses organisations. Malgré le fait que différentes lois balisent les comportements de harcèlement psychologique au travail, plusieurs études font état de milieux de travail dont le tissu social est particulièrement dégradé. Cette problématique est perceptible au-delà des frontières; le Bureau international du travail (BIT) publiait d’ailleurs en 2016 un document phare traitant du stress, de la violence et des risques psychosociaux associés au travail. Ainsi, afin de mettre en place des programmes de prévention et d’intervention adéquats, il est essentiel de faire le point sur les différentes manifestations et leur vocable, de même que sur les causes de ces phénomènes.
Pour ce faire, les auteurs du chapitre 5 proposent tout d’abord une définition intégratrice des comportements antisociaux au travail. Puis, une classification des conduites antisociales mettra en lumière le fait que ces manifestations se distinguent essentiellement selon leurs visées et leurs formes. Enfin, un tour d’horizon des causes et des implications liées à ces phénomènes permettra au lecteur d’obtenir un portrait nuancé et englobant afin d’orienter les avenues d’interventions qui y sont associées.
Au chapitre 6, la théorie du traitement social est mise de l’avant afin d’explorer les liens entre les phénomènes de groupe et l’émergence de la violence. Pour ce faire, les auteurs présentent des réflexions sur la genèse et l’évolution de la violence commise par plusieurs membres d’un groupe. Préalablement, des clarifications liées aux comportements dysfonctionnels au travail, pouvant susciter de la confusion, seront explicitées (p. ex. bullying, ostracisme, agression, etc.).
Enfin, dans la dernière partie du livre, intitulée «Regard sur la réalité des femmes au travail», une attention pragmatique et épistémologique est portée sur la réalité spécifique des travailleuses. La présence des femmes sur le marché du travail est un enjeu qui a suscité, et qui suscite encore aujourd’hui, beaucoup d’intérêt, d’attention et d’efforts, et qui a résulté en un accroissement des femmes dans diverses sphères du marché du travail. Par contre, bien qu’il soit possible de constater une augmentation de la présence des femmes dans les métiers non traditionnels ou encore, dans des postes d’encadrement, cette réalité n’est pas exempte de défis, tant pour celles qui vivent ces réalités du travail au quotidien que pour les chercheurs dont les axes de recherche portent sur ce sujet.
À ce propos, les auteures du chapitre 7 proposent une réflexion sur les épistémologies utilisées dans la recherche auprès des femmes cadres. Après avoir présenté une vue d’ensemble de la situation des femmes cadres en tant que sujet de recherche au cours des dernières années, les auteures comparent certaines épistémologies féministes utilisées dans la production de connaissances relatives aux femmes gestionnaires. Mettant de l’avant les forces et les limites liées à chacune de ces épistémologies féministes, le chapitre propose des perspectives de développement pour ce type de recherche.
Enfin, le chapitre 8, qui clôt cet ouvrage, aborde la réalité des femmes pompières canadiennes. Après avoir brossé un portrait de l’historique de la représentativité des femmes dans le domaine des incendies au Canada, les auteures présentent les résultats d’une recherche pancanadienne menée auprès de plus d’une centaine de pompières. Il est ainsi possible d’en cerner les défis et enjeux auxquels elles sont confrontées, en plus d’avoir accès à des suggestions de pistes d’interventions et de mise en oeuvre de politiques afin d’encadrer leur intégration dans ce milieu de travail traditionnellement masculin.
En somme, des chapitres de ce livre émerge un contenu au regard croisé, tant sur les recherches évolutives et que sur les pratiques innovantes concernant les enjeux humains et psychosociaux du travail, en apportant une contribution à l’élaboration d’une cartographie des lieux et à l’émergence de nouvelles voies de réflexion ou d’intervention liées à ces enjeux de santé organisationnelle et de santé publique.
Références
DE GAULEJAC, V. (2011). Travail, les raisons de la colère, Paris, Éditions du Seuil.
DE JOURS, C. (2008). Travail, usure mentale, Paris, Bayard.
DE JOURS, C. (2013). «Effets de la désorganisation des collectifs sur le lien… à la tâche et à l’organisation», Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, (2), 11-18.
MERCURE, D., et VULTUR, M. (2010). La signification du travail. Nouveau modèle productif et ethos du travail au Québec, Québec, Presses de l’Université Laval.
THÉBAUD-MONY, A., DAVEZIES, P., VOGEL, L., et VOLKOFF, S. (2015). Les risques du travail. Pour ne pas perdre sa vie à la gagner, Paris, La Découverte.
VÉZINA, M., ST-ARNAUD, L., STOCK, S., LIPPEL, K., et FUNES, A. (2011). «Santé mentale», dans Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi, de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST), Québec, Institut national de santé publique du Québec et Institut de la statistique du Québec – Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et sécurité du travail, chapitre 9.
1Ph. D., psychologue organisationnelle et professeure, Université du Québec à Chicoutimi; [email protected].
PARTIE 1 /
ENJEUX DE LA SANTÉ PSYCHOLOGIQUE AU TRAVAIL
De la prévention au retour au travail
CHAPITRE 1 /
Ancrages politiques et théoriques de la Loi sur la santé et la sécurité du travail au Québec
Michel Vézina¹
À l’heure où il est question de modifier la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) du Québec pour supposément la moderniser, il m’est apparu important de revoir un peu les origines de cette réforme et d’analyser les raisons profondes qui ont pu contribuer aux difficultés de son application en santé psychologique au travail. L’idée sous-jacente est d’en arriver à bien comprendre les fondements de cette loi pour mieux pouvoir déterminer ce qui doit être changé et ce qu’il est essentiel de préserver pour ne pas, comme on dit communément, «jeter le bébé avec l’eau du bain».
1.1 /Ancrages des politiques de la réforme québécoise en santé et sécurité du travail
Le 18 juin 1975, au plus fort de la grève des travailleurs de l’amiante, un décret du gouvernement du Québec créa le Comité d’étude sur la salubrité dans l’industrie de l’amiante, présidé alors par le juge René Beaudry, et dont le rapport, en octobre 1976, allait être à l’origine d’une vaste réforme en santé et sécurité du travail au Québec.
En plus du conflit de l’amiante, plusieurs autres incidents touchant la santé des travailleurs ont été à l’époque fortement médiatisés et ont contribué à sensibiliser l’opinion publique sur les lacunes de la prévention en santé et sécurité du travail au Québec. Ce fut le cas, par exemple, en janvier 1975, dans l’est de Montréal, à l’usine d’électrolyse de la Canadian Copper Refiners, où une quinzaine de travailleurs furent intoxiqués à l’arsine. Des travailleurs ont aussi été intoxiqués au plomb dans une usine de récupération de piles dans l’est de Montréal. Ces situations ont amené le docteur Paul Landry, qui agissait à titre de chef du Département de santé communautaire (DSC) de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont², à intervenir pour protéger la santé de ces travailleurs en vertu des pouvoirs que lui conférait le décret de 1975. Ce décret désignait les 32 chefs de DSC du Québec comme MÉDECIN-HYGIÉNISTE, en vertu de la Loi sur les établissements industriels et commerciaux. Leurs pouvoirs étaient alors ceux d’un enquêteur qui pouvait pénétrer dans toute manufacture ou installation industrielle pour vérifier l’application des normes de salubrité et d’hygiène prescrites par réglementation. L’optique dans laquelle travaillaient les médecins-hygiénistes en était une de santé publique, c’est-à-dire qu’ils devaient, au même titre qu’un inspecteur, s’assurer que les conditions générales d’hygiène rencontrées dans l’environnement des travailleurs n’engendrent pas de maladies professionnelles, sans pour autant devoir, comme le faisaient les médecins d’entreprises à l’époque, examiner cliniquement chacun des travailleurs.
Ce contexte nous permet de mieux comprendre la décision du juge Beaudry de proposer des mécanismes et des structures de prévention en santé au travail qui ne s’appliquent pas uniquement aux travailleurs de l’amiante, mais à l’ensemble des travailleurs du Québec. Même si cette décision outrepassait son mandat, elle s’imposait également en raison du fait qu’il était impensable de proposer un système de surveillance de la santé des travailleurs qui soit limité à l’amiante lorsque, par exemple, dans une entreprise, les travailleurs étaient aussi exposés à d’autres agents agresseurs très toxiques.
À la demande d’un des trois membres du Comité d’étude sur la salubrité dans l’industrie de l’amiante, le docteur Gilles Lagacé, chef du DSC de l’Hôpital Saint-Joseph de Trois-Rivières, je fus sollicité, à titre de médecin en formation en santé publique et en santé au travail à l’Université Harvard, pour proposer des recommandations concernant les responsabilités en matière de programme de surveillance de la santé des travailleurs exposés à un agent agresseur tel que l’amiante. Ces recommandations ont été reprises pour l’essentiel dans le deuxième volume du rapport de la Commission Beaudry (Comité d’étude sur la salubrité dans l’industrie de l’amiante, 1976, p. 397).
Dans ce rapport, les membres de la Commission constatent d’abord l’existence de profondes divergences entre les parties intéressées concernant leurs perceptions de ce qu’était la santé au travail et de leurs responsabilités à cet égard. Ils font également état de déficiences importantes et d’imprécisions dans l’élaboration et l’application d’un programme de santé au travail. De façon plus précise, on souligne le manque d’information en ce qui concerne notamment le nombre de travailleurs exposés à l’amiante, les industries utilisant ou manipulant l’amiante ou encore les critères de détection précoce d’une altération à la santé résultant d’une exposition à l’amiante, dans le but de soustraire de façon préventive le travailleur à cette exposition. Le manque de formation de la profession médicale en santé au travail est également mentionné, principalement en ce qui concerne l’approche d’une «population à risque» exposée à un agent agresseur, de même que le manque de multidisciplinarité dans les équipes chargées de la salubrité du milieu et de la santé au travail. On y souligne enfin le manque d’information sur les effets sur la santé des agents agresseurs, tels que le plomb, le mercure, les solvants, le bruit, etc., qui sont présents en grande quantité dans différents milieux de travail.
Quant aux problèmes liés à la situation de la surveillance de la santé des travailleurs, la Commission relève des lacunes importantes tant au niveau local, régional que provincial.
Sur le plan local, on souligne que le travail exécuté par le médecin d’entreprise peut être qualifié d’inapproprié et d’influencé par la partie patronale.
La pratique médicale y est qualifiée d’inappropriée parce qu’on a transposé en milieu industriel un type de pratique similaire à celui rencontré en cabinet privé, c’est-à-dire une pratique médicale centrée sur une approche individuelle qui vise à déceler un problème de santé chez un individu. Cette approche est différente d’une approche de masse ou de santé publique qui vise à cibler une population exposée à des facteurs de risque de problèmes de santé dans le but d’intervenir pour prévenir l’apparition d’un problème de santé chez plusieurs travailleurs.
Quant à l’influence de la partie patronale sur le travail du médecin, la Commission mentionne que cette perception est associée au fait que le médecin d’entreprise est embauché et payé par l’employeur et qu’en l’absence d’une structure de surveillance extérieure et surtout de réglementation, il n’est pas surprenant de constater que cette situation amène une baisse importante de la crédibilité du médecin d’entreprise auprès des travailleurs. Ce constat est aussi mentionné comme étant associé au manque d’intégration du médecin d’entreprise au réseau public de distribution de soins et au manque de participation des travailleurs aux décisions touchant les programmes de surveillance de la santé au travail.
Sur le plan régional, la Commission reconnaît l’intérêt de l’attribution, en 1975, aux chefs des DSC, des pouvoirs de cerner les problèmes de santé dans les industries et d’élaborer un programme de santé au travail, et de s’assurer de son application, en lien avec leur mandat général de santé publique. Elle mentionne, par ailleurs, que plusieurs facteurs ont concouru à ce que les DSC aient été dans l’impossibilité de remplir adéquatement leurs mandats en santé au travail, dont le manque de ressources, la multitude des autres mandats de santé publique des DSC, de même que l’absence, au niveau central, de soutien et d’expertise en santé au travail.
Enfin, sur le plan provincial, on mentionne que pratiquement aucune responsabilité en prévention n’y est clairement définie.
Au chapitre des propositions suggérées pour corriger la situation, la Commission recommande notamment, sur le plan local, que chaque travailleur soit informé de la nature des agents agresseurs auxquels il est exposé et des moyens de prévenir les atteintes à la santé reliées à ces expositions. En ce qui concerne la santé au travail, on recommande que soit encouragée la participation des travailleurs à la promotion de la santé et à la prévention des maladies professionnelles. On souligne également l’importance d’une approche collective qui a pour but la détection précoce, dans une population, de toute altération à la santé causée par un agent agresseur présent dans le milieu de travail.
Sur le plan régional, la Commission est d’avis que le DSC soit l’organisme régional responsable de la santé au travail. Les fonctions du DSC consistent, notamment, en collaboration avec les entreprises concernées, à:
•dresser et maintenir à jour la liste des agents agresseurs rencontrés dans les entreprises de son territoire et des travailleurs qui y sont exposés;
•voir à ce que chaque travailleur exposé à un agent agresseur soit soumis à une surveillance adéquate de sa santé;
•établir des priorités régionales en rapport avec l’information et la surveillance de la santé des travailleurs;
•fournir aux petites entreprises les ressources nécessaires pour rencontrer les obligations prévues par des règlements;
•faire cesser une opération qui met en danger la vie ou la santé des travailleurs ou à retirer du travail un employé exposé à subir les effets nocifs d’un agent agresseur, sans que le travailleur en soit pénalisé d’aucune façon.
Sur le plan provincial, la commission fait état de la nécessité d’une approche globale et intégrée dans la surveillance de la santé des travailleurs. De plus, «considérant que la question de la salubrité du milieu de travail est d’abord un problème de santé, la Commission recommande la création d’une régie de la santé au travail, rattachée au ministère des Affaires sociales (MAS)» (Comité d’étude sur la salubrité dans l’industrie de l’amiante, 1976, p. 373). Cette recommandation s’appuyait aussi sur la nécessité qu’il n’y ait pas de médecine dite parallèle au Québec, mais une seule médecine insérée dans le cadre de la santé publique à travers les responsabilités des DSC.
À la fin de son rapport, la Commission émet le souhait que travailleurs et employeur puissent «fusionner» leurs responsabilités respectives dans un régime d’autosurveillance de l’entreprise. En s’appuyant sur des approches qui ont fait leurs preuves en Suède et en Allemagne, notamment, elle suggère la création d’un mécanisme paritaire d’autosurveillance de la salubrité du milieu de travail, en souhaitant que ce puisse être une occasion de dialogue et de coparticipation en vue d’une prise de responsabilité conjointe pour résoudre le problème relatif à la salubrité du milieu de travail. «La Commission exprime également le vœu que cette occasion de dialogue
aboutisse à une concertation permanente où le compromis ne sera jamais le résultat du calcul des intérêts économiques, mais confirmera la réussite d’une entreprise de justice sociale» (Comité d’étude sur la salubrité dans l’industrie de l’amiante, 1976, p. 377).
***
En octobre 1976, la Commission Beaudry dépose son rapport au ministre du Travail du gouvernement libéral au pouvoir à l’époque; ce dernier l’accueille de façon plutôt frileuse. De son côté, le Parti québécois, dirigé par René Lévesque, est à ce point enthousiaste face aux propositions du rapport Beaudry qu’il promet, s’il est porté au pouvoir, de les appliquer.
On connaît la suite…
1.2 /Ancrages théoriques de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST)
Porté au pouvoir le 15 novembre 1976, le gouvernement du parti québécois crée un super-ministère du Développement social et Pierre Marois en est désigné le responsable. Le 2 mars 1977, le conseil des ministres lui confie la responsabilité de préparer un livre blanc suivi d’une loi-cadre traitant de la santé, de la sécurité et du bien-être des travailleurs. Les 23 et 31 mars suivants, des réunions de travail sont convoquées par le cabinet du ministre d’État au développement social pour échanger, entre autres, sur les principes généraux, les objectifs et le contenu du dossier de la santé, de la sécurité et du bien-être des travailleurs. J’ai participé à ces discussions, de même qu’entre autres, Jean Rochon et Gilles Thériault, du Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval, et Jean-Pierre Bélanger, chef de cabinet du ministre d’État au développement social, Pierre Marois. Fait à noter, ce document souligne l’importance d’adopter une définition de la santé, de la sécurité et du bien-être des travailleurs relevant du modèle de santé publique, où il est dit que le milieu de travail ne doit pas représenter un endroit nocif pour les travailleurs en étant, par exemple, cause de maladies ou d’accidents. Le document suggère également, au chapitre de la prise en considération des acquis, d’éviter les extrêmes, c’est-à-dire soit de tout changer, soit de ne rien changer, admettant que, même si des transformations s’avéraient nécessaires, la prudence s’imposait. Cette ébauche de document a été remise aux membres du Groupe de travail interministériel chargé de conseiller le ministre sur le livre blanc et la loi-cadre à élaborer. Ce groupe était composé de représentants des ministères et organismes impliqués en santé et sécurité du travail à l’époque, soit:
•le ministère des Affaires sociales (santé au travail);
•le ministère du Travail et de la Main-d’œuvre (inspection du travail);
•le Service de protection de l’environnement (hygiène industrielle³);
•le ministère des Richesses naturelles (inspection des mines);
•le ministère de l’Industrie et du Commerce; et
•la Commission des accidents de travail (CAT) (indemnisation).
J’ai eu la chance de participer aux travaux de ce groupe à titre de conseiller du ministère des Affaires sociales.
Dès le début des travaux de ce groupe de travail et à la suite de mon implication dans la rédaction du rapport Beaudry, il m’est apparu important de préciser plus en détail les éléments d’une démarche ou le contenu d’une approche de santé publique en santé au travail. Ces précisions sont contenues dans un document qui a été publié dans plusieurs revues et présenté dans plusieurs rencontres scientifiques (Vézina, 1978). Ce document prend appui sur la définition classique de la santé publique donnée par Winslow en 1920, à savoir: «L’art et la science de prévenir la maladie, de prolonger la vie et de promouvoir la santé et l’efficacité par un effort organisé de la collectivité» (Winslow, 1920). En lien avec cet effort organisé de la collectivité, le document faisait état d’un autre principe important, soit celui énoncé à l’époque par Jean Rochon indiquant que «dans toute intervention visant l’amélioration de la santé d’une collectivité, il faut prévoir une implication active de cette même collectivité, principalement dans la définition de ses problèmes de santé et dans le choix des moyens pour améliorer son niveau de santé» (Rochon, 1976). Les stratégies d’intervention en santé publique ou en santé communautaire y sont par la suite présentées, à savoir: l’analyse des problèmes de santé d’une population donnée, la programmation d’activités visant l’amélioration de la santé de cette population, la coordination des ressources nécessaires à la réalisation de ces activités et l’évaluation de l’effet de ces activités sur l’état de santé de la population choisie. Dans un deuxième temps, les implications pratiques de cette méthodologie de base sont appliquées à la détermination des éléments d’un programme de santé au travail. Ainsi, en s’appuyant sur la définition de la médecine du travail donnée par le comité mixte OIT/OMS⁴, les éléments d’un programme de santé au travail sont présentés dans l’ordre prioritaire suivant: l’approche de prévention (primaire); l’approche ergonomique et psychosociale; et l’approche promotion-santé⁵. Comme on peut facilement l’imaginer, cette perspective de santé publique impliquait un changement important d’attitude et de philosophie dans l’approche des problèmes de santé des travailleurs, car les services de médecine du travail d’alors n’étaient pas familiarisés avec une approche centrée sur le milieu de travail, une approche de population à risque et une approche de participation (Vézina, 1981). Cette approche implique, par exemple, la mise sur pied d’un système de surveillance médico-environnementale (Vézina et Turcotte, 1984), lequel doit, en principe, considérer les risques psychosociaux (RPS) du travail.
Les travaux du