La notion de compétence en éducation et formation: Enjeux et problèmes
Par Bernard Rey
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À propos de ce livre électronique
Quels enjeux y a-t-il à formuler en termes de compétences ce que l’école a mission de faire acquérir ? Pourquoi cette notion a-t-elle tant de succès dans le domaine de la formation ? Quelles sont les implications de son usage dans les entreprises ?
Et avant tout, qu’est-ce qu’être compétent dans un domaine ? Quelles sont les conditions pour le devenir ? Quels rôles respectifs y jouent les savoirs et l’expérience pratique ? Y a-t-il des dispositifs pédagogiques et didactiques plus aptes que d’autres à faire acquérir des compétences ? Quelles sont celles qu’il convient de faire acquérir au cours de l’enseignement obligatoire ? Comment peut-on évaluer des compétences ?
Ce livre fait le point sur les principales recherches qui, aujourd’hui, apportent des éléments de réponse à ces questions. Il présente les différentes théorisations qui s’affrontent et fait apparaître ce qui les distingue et les raisons pour lesquelles elles divergent entre elles. Aux étudiants en Sciences de l’Education, aux enseignants et aux futurs enseignants, il apportera une synthèse claire sur les problèmes que pose cette notion. Mais il intéressera aussi les cadres scolaires, les concepteurs de formation et les acteurs engagés dans la construction de référentiels auxquels il fournira d’indispensables points de repère et des outils de réflexion.
À PROPOS DE LA COLLECTION LE POINT SUR... PÉDAGOGIE
Destinée aux étudiants en sciences de l'éducation, aux futurs enseignants et aux enseignants du terrain, de la maternelle au supérieur, cette nouvelle collection fait le point sur les recherches et les pratiques en pédagogie.
- Des synthèses précises et ancrées dans les recherches les plus récentes.
- Des thèmes classiques qui constituent des incontournables.
- Des problématiques communes aux pays de la francophonie...
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Aperçu du livre
La notion de compétence en éducation et formation - Bernard Rey
Introduction
Sommaire
1Des débats virulents
2Intention et plan de l’ouvrage
La notion de compétence paraît aujourd’hui omniprésente dans le monde de l’éducation et de la formation. Dans de nombreux pays, c’est en termes de compétences qu’on formule désormais ce qu’on attend des élèves à différents moments de leur scolarité. Des listes de compétences (des « référentiels ») se sont ajoutées aux programmes scolaires traditionnels ou, dans bien des cas, les ont remplacés.
Ainsi le Québec s’est doté d’un programme par compétences en 2000 ; la même année la Communauté francophone de Belgique a mis en place, parallèlement aux programmes, des « Socles de compétences » à atteindre à l’issue de la 8e année du cursus (élèves de 14 ans) ainsi que des listes de « compétences terminales » qui concernent la fin de l’enseignement secondaire. La France, après avoir publié, à la suite de la loi d’orientation de 1989, une liste des compétences à acquérir à l’issue de chaque cycle de l’enseignement primaire, a fixé depuis 2006, dans le « Socle commun des connaissances et compétences », ce que les élèves doivent avoir acquis à la fin du collège (c’est-à-dire à 16 ans, terme de l’obligation scolaire). Plus récemment en Suisse, les cantons Romands et le Tessin se sont accordés autour du « Plan d’Etude Romand » rédigé également en termes de compétences. On constate le même mouvement en dehors de la francophonie, ainsi qu’au niveau international. Par exemple le Parlement Européen et le Conseil de l’Union ont publié en 2006, dans une recommandation, une liste des « Compétences-clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie ».
La formation professionnelle, dans le cadre de l’enseignement secondaire ou supérieur, à caractère initial ou continu, n’a pas échappé à cette tendance et l’a même précédée. Enfin, la notion de compétence est désormais couramment utilisée dans le monde de l’entreprise à la fois pour l’identification des métiers, pour les procédures d’embauche, pour l’évaluation et la promotion.
1. Des débats virulents
Toutefois, cette hégémonie de la compétence dans les décisions organisationnelles et les textes institutionnels n’implique en aucune manière un ralliement consensuel à cette notion, ni du côté de la société, ni du côté des acteurs de terrain de l’enseignement et de la formation. Au contraire, on le sait, l’introduction des compétences pour désigner ce qui doit être acquis à l’école a donné lieu et continue à donner lieu à des débats publics virulents et à une attitude de résistance de la part de beaucoup d’enseignants (plus ou moins accusée selon les pays et généralement plus explicite et radicale de la part des enseignants du secondaire qu’auprès de ceux du primaire).
Nous n’entendons pas, dans le présent ouvrage, étudier d’une manière systématique les motifs d’opposition ni les débats auxquels la notion de compétence a donné lieu dans la majorité des pays où elle est apparue. Car ces débats diffèrent quelque peu selon les pays et prennent souvent une coloration nationale ou régionale, liée à l’histoire singulière de l’école dans le pays concerné, à la forme particulière qu’y a prise la relation entre l’école et la société, aux clivages sociaux, au degré de reconnaissance sociale dont bénéficient les enseignants, etc. Cependant, il est possible de repérer, au sein des polémiques auxquelles ont pu donner lieu l’introduction du terme compétence, quelques constantes qui se laissent rassembler autour de quatre thèmes :
1)Les partisans des compétences partent de l’idée que l’école ne peut se désintéresser de ce que tout individu doit être capable de faire dans la société d’aujourd’hui : savoir défendre ses droits, savoir prendre les bonnes décisions en matière de santé pour soi-même et ses proches, savoir utiliser les technologies informatiques, être capable de se positionner en tant que citoyen par rapport aux grands problèmes de notre société, être capable de recevoir d’une manière critique les discours ambiants (publicité, propagande, information, etc.). Ce sont donc des compétences qu’il convient de faire acquérir à l’école à côté, voire à la place des disciplines traditionnelles. Cet argument est souvent complété par une considération pédagogique : si l’on veut qu’il y ait réellement des apprentissages à l’école, il est essentiel que les élèves donnent du sens à ce qu’on leur fait apprendre. Et comment pourraient-ils percevoir ce sens mieux qu’en saisissant la fonctionnalité de ce qu’on leur fait étudier ? Or toute compétence, en tant qu’elle est la disposition que possède un individu à accomplir correctement des actions dans un domaine donné, est par nature fonctionnelle.
2)À cela, les opposants aux compétences répondent qu’en réduisant les apprentissages scolaires à des compétences utiles à la vie, on est inévitablement conduit à réduire drastiquement la place faite aux savoirs. On risque de faire acquérir des recettes pour la vie courante, dans une perspective étroitement utilitariste, et de priver les élèves de ce qui permet d’accéder réellement à l’intelligibilité du monde, c’est-à-dire les savoirs. Par exemple, lorsqu’on prend en compte l’intérêt de l’étude de la biologie pour comprendre en profondeur le fonctionnement de la nature, il serait désastreux qu’elle soit remplacée par un enseignement qui se bornerait à donner aux élèves des recommandations de diététique, d’hygiène et de précautions à l’égard des maladies transmissibles.
3)Dans le prolongement de l’argument précédent, les partisans des compétences insistent sur le fait que, compte tenu de la complexité de nos sociétés, il existe un ensemble de compétences sans lesquelles un individu ne peut pas vivre correctement. Il s’agit d’un minimum indispensable et c’est donc une exigence absolue pour l’enseignement obligatoire que de les faire acquérir par tous les élèves. D’où l’usage en Belgique et en France, du mot « socle » pour désigner le référentiel. En outre ce minimum doit constituer du même coup une culture commune susceptible d’assurer la cohésion sociale.
4)Or les opposants à la notion de compétence estiment que cette idée de bagage minimal revient à réduire les ambitions de l’école, du moins pour une partie importante des élèves. Car inévitablement se creusera un écart entre ceux qui ne possèderont que ces compétences pour se « débrouiller dans la vie » et ceux qui accéderont aux savoirs, aux voies d’excellence dans l’enseignement supérieur et aux positions sociales enviables.
5)C’est encore l’opposition entre savoir et compétence qui est au centre des débats concernant la formation professionnelle. Les défenseurs des compétences insistent sur le fait que l’acquisition de savoirs ne garantit pas celle d’une bonne compétence professionnelle et qu’il y a un écart infranchissable entre théorie et pratique. Il est donc essentiel de construire les curricula de formation, non pas sur la base des disciplines académiques, mais autour des compétences qui sont effectivement celles des professionnels et que l’on va repérer en observant ceux-ci et en dialoguant avec eux.
6)Les opposants de leur côté rétorquent qu’organiser une formation professionnelle sur la base des compétences attendues par les entreprises, c’est prendre le risque de s’aligner sur des exigences inspirées par la recherche du moindre coût. Ils estiment qu’il convient au contraire que les futurs professionnels soient formés, grâce aux savoirs, à adopter un regard critique sur les pratiques d’entreprise et les traditions du métier ainsi qu’à prendre en charge les dimensions éthiques, politiques et sociales de leur métier. En outre, lorsque la formation professionnelle est assurée par des universités ou des institutions du même type (telles que les Grandes Écoles en France), ils craignent que l’alignement de la formation sur les compétences attendues ne compromette l’autre grande mission de ces institutions qui est de produire du savoir par la recherche et de le diffuser.
7)L’intérêt que certains de ses défenseurs voient dans la notion de compétence, c’est qu’elle permet l’évaluation. Compte tenu des coûts considérables que représentent pour la collectivité les dispositifs d’enseignement et de formation, il paraît légitime de pouvoir contrôler leur efficacité. D’où l’intérêt des référentiels, qui permettent de rendre explicites et de préciser ce qu’on attend des élèves à différents moments de leur scolarité et de le faire en terme de compétences, c’est-à-dire en précisant les actes qu’ils devront être capables d’accomplir, éléments objectifs et observables.
8)Du coup, les opposants à la notion de compétence voient dans celle-ci un outil au service du culte du résultat au moindre coût. Il leur paraît inacceptable de soumettre à une rationalité purement économique l’acte éducatif, c’est-à-dire la tentative toujours singulière et incertaine pour éveiller les jeunes à une compréhension du monde et leur transmettre l’humanité.
2. Intention et plan de l’ouvrage
Nous ne chercherons ici ni à prendre parti dans ces débats ni à concilier leurs positions antagonistes. S’il arrive que nous revenions à tel ou tel des arguments qui y sont exposés, ce sera indirectement et au prix d’un détour.
Notre intention n’est pas non plus d’apporter aux enseignants et aux formateurs des conseils ou des prescriptions pour mettre en œuvre une approche par compétences. Si quelques sommaires suggestions pratiques apparaissent, ce sera en tant que conséquences de la réflexion sur la notion. Car l’objet du présent ouvrage est de porter au jour, par-delà les polémiques, les problèmes que pose cette notion de compétence et d’examiner les recherches et constructions conceptuelles qui ont tenté de les résoudre. Nous le ferons en quatre temps :
Dans le premier chapitre, nous partirons de la manière dont sont formulées les compétences dans les référentiels tant scolaires que professionnels et nous tenterons de dégager les fonctions sociales que la notion occupe dans chacun des deux domaines. Cela permettra d’apercevoir les raisons pour lesquelles elle a autant de succès aujourd’hui et pourquoi on éprouve un tel besoin d’en faire usage.
Le deuxième chapitre posera la question de savoir comment on peut être compétent et comment on peut faire acquérir des compétences. Il s’agit évidemment d’une question essentielle pour la pratique de l’enseignement et pour l’organisation des formations professionnelles ; le lecteur ne s’étonnera donc pas de constater que ce chapitre est d’une taille bien supérieure à celle des autres. On examinera les théories en présence et on présentera les résultats des recherches les plus récentes.
Le chapitre suivant sera consacré aux relations entre savoir et compétence. Nous venons de voir en quoi cette question est au cœur de polémiques auxquelles donne lieu la notion de compétence. L’examen des différentes réalités que peut recouvrir le mot « savoir » permettra d’éclaircir le type d’articulation qu’on peut leur trouver avec les compétences et, du coup, de mieux saisir comment fonctionnent ces dernières.
Nous tenterons enfin, dans le chapitre 4, de tirer les conséquences des éclaircissements précédents sur trois domaines. Nous verrons d’abord s’il est possible de préciser les dispositifs pédagogiques les plus aptes à faire acquérir des compétences. Dans un second temps, nous aborderons la question de l’évaluation des compétences. Enfin nous nous demanderons s’il est souhaitable de faire acquérir à l’école des compétences directement utiles dans la vie.
CHAPITRE 1
La compétence : un objet social controversé
Sommaire
1Les compétences dans les référentiels
2La compétence comme dispositif d’imputation
3Compétences et dérégulation dans l’entreprise
4Compétence et culture du résultat
5Les compétences à l’école et en formation
1. Les compétences dans les référentiels
Nous chercherons, dans ce premier chapitre, à comprendre les raisons de l’irruption massive de la notion de compétence dans les domaines de l’enseignement et de la formation. Il s’agira d’apercevoir les implications sociales et, jusqu’à un certain point, politiques de ce phénomène. Pour cela, rien de mieux que d’examiner les compétences qu’on trouve formulées dans les référentiels scolaires et dans ceux de la formation.
En voici quelques exemples :
Réaliser l’installation d’un réseau d’arrosage. (Référentiel du diplôme du brevet professionnel option Aménagements paysagers, Ministère de l’Agriculture et de la Pêche, 2009, France).
Être capable d’effectuer à la main, un calcul isolé sur des nombres en écriture décimale de taille raisonnable (addition, soustraction, multiplication, division). (Socle commun des connaissances et compétences, Ministère de l’Éducation nationale, 2006, France).
Remplacer les pièces d’usure courantes (ex. échappement, amortisseur, frein, batterie, etc.) (Référentiel de compétences de mécanicien réparateur des voitures particulières et véhicules utilitaires légers, Consortium de validation des compétences, 2007, Belgique).
Écrire des textes de genres différents adaptés aux situations d’énonciation (Plan d’étude Romand, Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin, 2010, Suisse).
Première remarque : les compétences se formulent sous le forme de l’indication d’une action (réaliser une installation, effectuer un calcul, remplacer une pièce, etc.) C’est là une caractéristique constante de la notion de compétence : elle est disposition à une action (que cette action soit matérielle ou intellectuelle). Et, comme nous le verrons ultérieurement, c’est ce qui entraîne la difficulté à envisager la relation entre compétence et savoir.
Mais ce qui frappe également, c’est que l’action ainsi formulée ne constitue pas la compétence, mais son résultat, autrement dit ce qu’elle rend possible. Ces formulations indiquent précisément ce que la compétence produit (l’installation d’un réseau d’arrosage, l’effectuation d’une opération arithmétique, etc.), c’est-à-dire ce qu’on appelle parfois la « performance ». La compétence elle-même, c’est le pouvoir qu’on suppose être à l’origine de cette performance et qu’on situe au sein du sujet qui l’a accomplie. Mais ces énoncés de compétences ne disent en réalité rien de la compétence. Ils se contentent de la désigner par