Comme l'argile dans les mains du potier
Par Jacques Turck
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Mgr Jacques Turck, prêtre du diocèse de Nanterre a exercé son ministère pendant plusieurs années au Mexique au service de l’évangélisation des cadres et chefs d’entreprise. Fondateur de la Maison d’Église Notre- Dame-de Pentecôte dans le quartier de La Défense. Professeur de théologie sacramentaire au Séminaire Saint-Sulpice. Il fut Supérieur du Séminaire de Groupe de Formation Universitaire. Puis directeur du Conseil Famille et Société de la Conférence des évêques de France. Il a dirigé la publication du document ecclésial Repères pour une économie mondialisée (Bayard en 2005). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Eucharistie et service de l’homme (Bayard 2008) et Selon les Écritures, les sources bibliques de la pensée sociale de l’Église (Salvator 2018).
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Aperçu du livre
Comme l'argile dans les mains du potier - Jacques Turck
Jacques Turck
Comme l’argile
dans la main du potier…
Jérémie 18, 6
Prêtre, un chemin pour servir
Préface de Marguerite Léna
Remerciements
À Marguerite Léna de la communauté apostolique
Saint-François Xavier toute ma gratitude
pour l’amitié dont témoigne la rédaction
de la préface de ce livre.
Depuis si longtemps associée à la formation
de séminaristes et de prêtres,
depuis si longtemps nos routes se sont croisées
dans une grande estime mutuelle,
Marguerite Léna m’est apparue
comme celle qui porterait un regard libre
et bienveillant à ces quelques extraits
de la vie d’un prêtre.
À Sylvie Calandreau toute ma reconnaissance
pour avoir accepté de relire plusieurs
de mes manuscrits et en particulier celui-ci
pour en corriger les épreuves successives
avec une grande patience, un grand respect
et une grande intelligence des intentions
qui animaient cette approche de la vie
d’un prêtre avec lequel elle a collaboré
lorsqu’il était le pasteur de sa paroisse.
Préface
En ces temps où la figure du prêtre a été si douloureusement abîmée par le double scandale des abus de pouvoir et des abus sexuels, le livre du Père Jacques Turck apporte un souffle salutaire qui dégage cette figure de ses contrefaçons et de ses déviances pour l’ouvrir au vent du large. Son auteur a exercé son ministère dans des contextes très variés, des « ciudad perdida » du Mexique aux tours de la Défense, aussi bien auprès de personnes en situation de grande précarité que de responsables économiques et sociaux et de séminaristes. De cette « Galilée des nations » qui est la sienne, il pose sur sa mission de prêtre un regard proprement théologal. En effet, ce livre n’est pas un traité de théologie sur le sacerdoce presby téral. Né de retraites prêchées à des prêtres et nourri d’expérience vive, il vient de l’âme de son auteur et s’adresse à l’âme de ses lecteurs. Toutefois, rien de moins désincarné pour autant. Comme l’écrivait le pape François, la prière d’un apôtre est toujours « pleine de visages et de noms ». C’est aussi le cas de sa plume ! Voici donc un petit traité de « spiritualité d’un prêtre diocésain », qui s’interdit à la fois la déploration et l’idéalisation, et s’efforce de nous conduire, chapitre après chapitre, vers le secret théologal qui va de l’appel gratuit de Dieu pour une mission à son accomplissement en une fructification reçue elle aussi comme un don. De ces pages denses, j’aimerais retenir trois notes fondamentales qui sont un peu comme la « basse continue » de l’ensemble : l’insistance sur le sacrement de l’ordination sacerdotale, puis l’immersion dans la Parole de Dieu, enfin le sens aigu de l’homme dans la diversité de ses appartenances et tout particulièrement quand la misère vient blesser sa dignité.
D’abord le sacrement de l’ordination. Pour citer à nouveau le pape François, le sacerdoce n’est pas une fonction, mais une onction. Cette onction est reçue au seuil du ministère : « Nous sommes des consacrés », écrit Jacques Turck, non pour assimiler l’état sacerdotal à la vie religieuse, mais pour souligner la source d’où coule sa propre existence et qui en assure l’unité profonde. Il s’agit de se laisser consacrer par l’Esprit Saint qui rend celui qui s’y offre capable de révéler aux autres le visage de Jésus Christ : « En chaque sacrement, non seulement il se passe quelque chose mais c’est Dieu qui passe ! » Dans l’onction sacerdotale, Dieu passe pour demeurer. Ainsi, quelles que soient les défaillances humaines, le « je t’aime » du premier appel peut continuer à retentir tout au long de la vie : « Tout jaillit de cette source ». La consécration sacerdotale « ordonne » le prêtre à une double configuration : configuration à Jésus Christ qui culmine dans l’Eucharistie célébrée in persona Christi ; configuration aux hommes vers qui il est envoyé, qui culmine dans le ministère de consolation auprès des plus démunis de ses frères.
Cette inscription de toute la vie sacerdotale dans l’onction sacramentelle a de nombreuses conséquences : elle est inséparable, dans le rituel de l’ordi nation, de la promesse d’obéissance à l’évêque, « entre les mains arbitraires d’un homme, entre les mains de l’Église ». Dès lors, « pas d’itinéraire tracé, ni de plan de carrière ! » Le prêtre n’invente pas sa mission ni ne choisit ses collaborateurs : il les reçoit d’un Autre, des autres. « Demain vous pouvez m’envoyer en Chine, en Amérique latine ou dans un village de la France profonde… Que m’importe ! Le Christ m’y précède, l’Esprit m’y accompagne » ! Même s’il doit développer sans réserve tous les talents que Dieu lui a confiés à travers son histoire personnelle (« Aucun n’est appelé sans les richesses qui sont en lui »), c’est toujours « à mains nues » qu’il est envoyé, et aucun de ses dons n’est seulement pour lui. À la « culture des résultats » qui marque si fort nos sociétés, son action opposera toujours une « culture des moyens » qui se refuse à la pression indiscrète, à la séduction, pour choisir les moyens de Jésus Christ. D’où aussi le refus de toute posture de surplomb : les prêtres sont simplement médiateurs d’une rencontre, « médiateurs et rien d’autre… appelés à nous effacer pour que l‘Esprit Saint achève en ceux vers qui nous sommes envoyés ce qu’il a commencé avant notre venue ». La mort des douze premiers apôtres n’a guère laissé de trace dans l’histoire…
Une seconde note sert de basse continue au texte : la Parole de Dieu. Là aussi, le fondement en est dans le rituel de l’ordination sacerdotale : « Reçois l’Évangile du Christ que tu as mission d’annoncer. Sois attentif à croire à la Parole que tu liras, à enseigner ce que tu as cru, à vivre ce que tu auras enseigné. » Ce parcours est exactement celui auquel nous sommes invités par Jacques Turck. Il s’agit pour le prêtre – pour chacun de nous ? – d’exposer les mots du livre des Écritures au feu de la prière, de sorte que « notre parole (prenne) le goût du pain et se présente comme une nourriture pour les autres. » Sans méconnaître le rôle de l’étude scientifique des textes, l’auteur souligne combien l’intelligence de la Parole de Dieu est liée à sa réception dans le cœur du prêtre et à son incarnation effective dans la vie de ses destinataires. Il s’agit toujours de « lier le récit de ces existences humaines et le texte de l’Écriture », de les croiser sans concordisme naïf, ce qui évangélise le pasteur autant que les brebis : « C’était un livre, c’était la vie de mes frères et sœurs ».
Aussi n’est-il pas étonnant que la Parole de Dieu intervienne à toutes les pages du livre, comme une trame ininterrompue sur laquelle repose et à laquelle est renvoyée inlassablement la réflexion de Jacques Turck. Si le prêtre doit être un homme « buriné » et « labouré » par la Parole, ses propos en porteront la trace indélébile. C’est bien le cas ici. À travers les innombrables citations qui ouvrent pour nous le Livre, de la Genèse à l’Apocalypse, se poursuit ce dialogue entre Parole de Dieu et existence humaine qui est un des lieux d’Évangile accessible à tout homme, même éloigné des sacrements de l’Église. Car il s’agit pour le prêtre de déchiffrer sa propre vie et la vie de chacun comme porteuses, le plus souvent silencieusement, d’une parole de Dieu qui les éclaire et qu’elles éclairent en retour. Parmi ces références à l’Écriture, certaines sont particulièrement décisives. Ainsi Ex. 3, où le buisson qui brûle sans se consumer devant Moïse devient une figure du ministère presbytéral « qui n’épuise pas et ne s’épuise jamais », et de l’amour sacerdotal : « comme une mèche ou une braise qui ne se consume pas jusqu‘au terme du chemin de mission. » Ou encore Mt 25, qui fonde théologiquement l’identification du Christ, et donc la rencontre avec lui, en chaque affamé secouru, en chaque solitaire consolé. Mais aussi, plus généralement, l’Évangile de Jean qui nous enseigne à « demeurer » dans le Christ et les lettres de saint Paul qui dessinent en traits de feu la vie apostolique. Rendus à ce feu qui les a inspirés, les mots de la Parole « vont de théophanie en théophanie à travers les siècles ». Et ainsi, comme l’écrit Karl Rahner cité par Jacques Turck : « Ta Parole brûle avec la lampe de ma vie ».
Reste à évoquer la troisième note en laquelle se fondent les deux autres : l’attention donnée à chaque homme, chaque femme, à qui la Parole doit être annoncée et pour le salut de qui le prêtre est consacré. Chaque personne est, dit Jacques Turck, « un sanctuaire d’humanité où Dieu réside et aime se promener ». Un sanctuaire, c’est-à-dire une terre sacrée où nul ne pénètre par effraction, et devant laquelle il faut, comme Moïse au Buisson ardent, « ôter ses sandales » (pape François). « Il ne s’agit pas, écrit le Père Turck, de vivre le plus spirituellement possible notre existence humaine, mais le plus humainement possible notre vie spirituelle et notre ministère ». « Le plus humainement possible » : c’est ainsi que Jésus de Nazareth a vécu sa propre vie, et on perçoit combien la méditation de cette vie, dans les humbles limites, de la Palestine d’alors, habite la prière et la réflexion de l’auteur. Puisque Jésus Christ n’a pas fait semblant d’être homme, mais a assumé cette humanité en Fils bien-aimé du Père, le prêtre n’a pas à s’évader de sa condition humaine, à se dérober à ses obscurités et à ses luttes, mais bien à les consacrer en lui et en ceux vers qui il est envoyé.
Rien d’étonnant dès lors à ce que ce peuple auquel le prêtre est envoyé surgisse au fil des pages, non dans l’anonymat indistinct d’une foule, mais comme autant de visages. La mission est un envoi vers tous, mais tous, ce sont Jeanne et Ugo, Gabriel et Mickaël, des visages et des noms, des histoires singulières, parfois cabossées de toutes parts. Devant elles, avec elles, un prêtre éprouve tout à la fois son impuissance et la puissance de Dieu qui les travaille en sourdine : « Être là… introduire entre moi et le Seigneur le visage de chacun d’eux… En eux nous écrivons notre histoire sainte… » Ainsi l’appel initial de Dieu et le « oui » qu’il a suscité au commencement se prolongent, jour après jour, dans les multiples rencontres qui tissent la vie sacerdotale. C’est « aux divers carrefours » imprévisibles de chaque journée que l’amour sacerdotal vient peu à peu s’écrire « sur toute la largeur du cœur », selon l’expression de saint Clément de Rome, et même dilate ce cœur bien au-delà de ses frontières naturelles : « Qui ne s’expose pas au vent du large où vivent d’autres peuples en d’autres cultures… n’aura pas laissé son cœur se remplir de la pleine mesure de l’amour de Dieu pour tous les hommes. »
À être ainsi affronté de plein fouet à l’humanité commune, en lui et dans son peuple, le prêtre vit à l’état intensif le combat spirituel qui est le lot de tout chrétien. Au fil des pages, la Croix n’est jamais loin, passage douloureux et Pâque silencieuse, aussi bien dans la vie des personnes rencontrées, surtout quand elle est secouée par l’épreuve, que dans la vie de l’Église, ce vaisseau « dont les gréements se mettent à grincer lorsque le vent de l’Esprit s’engouffre dans ses voiles et qu’elle commence à sortir du port pour gagner le large ». Situé au carrefour de leur rencontre, le prêtre participe de part et d’autre au combat contre les forces de mort qui les travaillent, mais il les affronte avec la force de l’Esprit Saint qui suscite la vie et l’amour dans les lieux les plus improbables et les libertés les plus rebelles. Envoyé « au cœur de la blessure du monde » le prêtre y voit parfois surgir d’improbables naissances. Il fait alors l’expérience de cette force divine à l’œuvre en lui et en ceux à qui il a été envoyé. La Pentecôte fut une moisson, constate Jacques Turck en évoquant le récit qu’en font les Actes des apôtres. Mais au cœur de la vie sacerdotale, la moisson est une Pentecôte continuée. Et, jadis comme aujourd’hui, « la moisson est une fête ».
Comme on aimerait que beaucoup de jeunes entendent et comprennent ainsi l’appel de Dieu, et y accordent toute leur vie !
Marguerite LÉNA
Introduction
Prêtre, je suis émerveillé par la gratuité du choix de Dieu. Elle est manifeste dans le chant du psalmiste lorsqu’il évoque l’onction qu’il a reçue. Il se réjouit de ce choix qui est pour lui aussi lumineux et doux que peut l’être la présence du Saint-Esprit dont une huile parfumée est le signe. Une présence qui accompagne Jésus lorsqu’il inaugure sa première prédication dans la synagogue de Nazareth. Elle marque dès le départ le ministère du prêtre que je suis devenu. Elle touche ma personne, l’homme dans ce qu’il a de plus intérieur, de ma naissance jusqu’à l’ordination presbytérale, de l’ordination au peuple de Dieu jusqu’à ce jour. C’est cette gratuité dont je suis le témoin que j’ai voulu mettre en lumière dans ces pages.
Comme l’argile dans la main du potier (Jr 18, 6), ainsi en est-il de l’homme qui consent à se laisser façonner par le Seigneur pour devenir prêtre. Debout ! Descends dans la maison du potier : là je te ferai entendre mes paroles (v. 2). L’invitation à se laisser tomber entre les mains de Dieu pour vivre la mission qu’il entend lui confier est source de crainte mais aussi de bonheur. Là en sa maison, Ton Dieu t’a consacré d’une huile d’allégresse, comme aucun de tes compagnons (Ps 45, 8). Le psalmiste s’émerveille de la gratuité de cette invitation. Elle contraste tellement avec la fragilité qui est la sienne, qui est la nôtre. La tension entre la crainte et le bonheur sera toujours présente. Elle grandit plus encore, lorsque nous prenons conscience que Celui qui nous a pris entre ses mains devient Celui qui se livre entre les nôtres dans la célébration de l’Eucharistie. Il nous est bon alors de faire mémoire de l’onction reçue au jour de notre ordination. Elle signe la présence de l’Esprit Saint sans qui nous n’aurions pas le courage de porter la lumière de l’Évangile au milieu des violences de ce monde qui se retournent bien souvent contre nous. Lui seul donne la force de porter ce trésor confié… en des vases d’argile (2 Co 4, 7). Heureuse