Deux siècles d'enseignement français à New York
Par Flatau Ross Jane
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À propos de ce livre électronique
Flatau Ross Jane
Jane Flatau Ross is an educator with over 40 years' experience in the field of international education, including a long career at the Lycée Français de New York. She is the founder and President of the French Heritage Language Program, an organization that provides French language instruction and support to Francophone immigrants in the United States.
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Aperçu du livre
Deux siècles d'enseignement français à New York - Flatau Ross Jane
Dédicace
À mon mari, Alfred Ross, et à mes enfants, Adrian et Caroline, dont l’enthousiasme sans limite et l’appui constant m’ont donné la force de mener à bien ce projet, à mes parents, ma sœur et mon frère qui sont depuis toujours source d’inspiration.
Ce qu’ils en ont pensé
Jane Ross raconte merveilleusement l’histoire du Lycée Français de New York et son analyse est d’autant plus pénétrante qu’elle a pu puiser dans son expérience de trente ans d’enseignement à l’école. Mais elle ne fait pas que cela. Elle éclaire ce que cette histoire révèle de la diplomatie culturelle de la France, des relations franco-américaines et des défis auxquels les éducateurs sont confrontés pour adapter l’idée française de l’éducation à des temps nouveaux et des endroits divers du monde. Ce livre représente une importante contribution aux recherches sur l’éducation internationale et sur l’apprentissage à deux langues ; il ajoute une dimension nouvelle et fascinante à l’histoire de la ville de New York.
—Herrick Chapman, Professeur d’Histoire et d’Études Françaises, New York University
La manière dont Jane Ross retrace les deux cents ans de l’histoire des écoles françaises à New York en fait un chapitre fascinant et singulier de l’histoire de l’enseignement bilingue. Comme Ross le montre, les écoles de New York ont le même objectif que d’autres programmes du même type, c’est-à-dire apporter à leurs élèves un vrai bilinguisme et une vraie compréhension des deux cultures, mais elles sont aussi uniques en leur genre, le gouvernement français exerçant un contrôle étroit sur ces écoles pour en faire de véritables antennes de l’éducation française à l’étranger. Tous ceux qui s’intéressent à l’éducation bilingue et biculturelle trouveront ce récit fascinant.
—James W. Fraser, Professeur d’Histoire et d’Éducation, New York University
L’éducation a toujours joué un rôle majeur dans la constitution de l’identité française. Que se passe-t-il lorsque cette éducation française devient internationale ? Sa connaissance approfondie de l’enseignement français à New York permet à Jane Ross de s’appuyer sur cette étude de cas pour retracer l’histoire fascinante et toujours en évolution du rôle de l’éducation comme instrument majeur du soft power de la France. Une lecture obligatoire pour qui s’intéresse au soft power de la France.
—Jean-Marie Guéhenno, Diplomate Ancien Sous-Secrétaire Général aux Nations Unies
Le gouvernement français maintient plus de 490 écoles francophones dans le monde entier, dont la plus célèbre est le Lycée Français de New York. Jane Ross y a enseigné pendant trente ans. Il en résulte une passionnante histoire de l’enseignement français à New York : une combinaison parfaite entre expérience personnelle et étude universitaire.
—Robert O. Paxton, Professeur d’Histoire émérite, Columbia University
Le livre si engageant de Jane Ross nous fait redécouvrir une dimension un peu méconnue du rayonnement de la France par l’éducation aux États-Unis. Une lecture incontournable pour qui cherche à comprendre les ambitions culturelles de la France dans le monde d’aujourd’hui.
—Alice L. Conklin, Professeur d’Histoire, Ohio State University
Jane Ross nous propose, dans un style attachant, le fruit d’un habile travail de recherche qui expose clairement les enjeux de 200 ans d’enseignement français dans la ville de New York ; elle nous permet de mieux comprendre l’histoire de la France, les relations franco-américaines et nous fait aussi découvrir les initiatives d’enseignement international ̶ y compris des programmes de plus en plus urgents de langue héritage ̶ qui vont pouvoir créer des citoyens véritablement interculturels.
—Kimberly Potowski, Professeur de linguistique et d’études hispaniques, University of Illinois à Chicago
En mêlant récit personnel, étude historique et recherche universitaire, Jane Ross attire notre attention sur la manière dont les écoles françaises à l’étranger accomplissent depuis le XIXe siècle un important travail culturel, toujours en évolution, pour la nation française. Son analyse est aussi riche que complexe : en effet, dans des écoles comme le Lycée Français de New York, l’expérience de l’enseignement n’est ni à sens unique ni même uniquement bilingue ; les élèves américains apprennent le français ; à côté d’eux, les élèves français apprennent l’anglais ; enfin, les élèves qui parlent d’autres langues que le français ou l’anglais apprennent les deux langues. Ross nous offre un excellent historique de la mission de l’enseignement français à l’étranger depuis deux cents ans ̶ préserver les diverses articulations culturelles et politiques de l’identité française ̶ et réussit en même temps à démêler la complexité et les diverses strates de l’éducation globale
telle qu’elle se vit aujourd’hui dans les classes des établissements français à l’étranger. Pour qui a fait ses études entre deux langues, pour qui s’est intéressé à la France, à son héritage, à sa culture, et pour quelqu’un qui croit passionnément au pouvoir transformateur de l’éducation internationale, « Deux siècles d’enseignement français à New York : le rôle des écoles dans la diplomatie culturelle » est un livre incontournable.
—Celeste Schenck, Présidente, The American University of Paris
AVANT-PROPOS
De la French identité à la Global Education
Quelle heureuse idée, Jane Flatau Ross a eu d’évoquer en tête de sa belle recherche, l’image de son ancêtre français Henri Chapiers qui, à l’âge de 14 ans, rejoignit la troupe de Lafayette, ce Français parti avec bravoure au secours des insurgés américains ; il se disait chirurgien ! Plus obscure, on distingue derrière lui sa mère, sage-femme, qui savait lire et écrire. Henri est resté ensuite dans la jeune république. Voilà cette tradition familiale qui a nourri l’imaginaire de l’auteure et inspiré sa vocation d’enseignante, comme sa volonté d’explorer deux siècles d’enseignement du français à New York afin d’en comprendre l’importance et le sens.
Un fil directeur concret
D’entrée de jeu apparaît le premier intérêt de l’ouvrage, le lien étroit qui unit la chercheuse à son objet de recherche, lien affirmé ensuite tout au long de son livre et qui en constitue ainsi le fil directeur : d’abord jeune étudiante américaine à Grenoble, découvrant l’enseignement français au lycée Stendhal puis remplaçante au lycée français de New York, prélude à une longue carrière de 30 ans dans cet établissement où elle occupera différentes fonctions. En particulier, en 1998, elle participe directement à la mise en place au lycée de l’option internationale du Bac (OIB). Elle va quitter le lycée en 2002, pour s’engager avec passion dans une aventure au départ peu importante, le French Heritage Language Program. Sa présence discrète mais efficace et attentive au sein de cette association sera dans la continuité de son passé familial et contribue à donner à son récit un caractère vivant et concret, tout en nourrissant son questionnement de chercheuse.
Cette implication personnelle n’empêche pas Jane de prendre la distance nécessaire, ne serait-ce que par la variété des sources utilisées, les archives les plus classiques, comme le recours systématique aux entretiens avec une variété d’interlocuteurs aussi bien américains que français, révélant une fois de plus intérêt de « l’oral history ». Jane Flatau Ross a ainsi articulé une analyse de cas à une problématique d’ensemble, parfaitement exprimée dans le sous-titre du livre le rôle des écoles dans la diplomatie culturelle. Ses allers-retours permanents entre les études de terrain et la vision institutionnelle est aussi un des autres points forts de ce travail.
Le paradoxe du système scolaire français
Jane rappelle, d’abord, l’originalité de l’enseignement français à l’étranger par rapport à ses homologues d’autres pays développés : il n’est pas seulement réservé aux expatriés pour permettre à leurs enfants de suivre ensuite le cursus français mais il est un des moyens privilégiés de défendre et développer la culture et la langue française. En fait c’est une arme diplomatique (Soft power) pour cela il est largement ouvert aux autochtones, comme à d’autres étrangers séduits par la culture française. Au total, très rares sont les établissements où les Français sont majoritaires.
Mais pour mettre en valeur cette réalité, l’auteure bouscule les idées reçues et ce n’est pas l’un des moindres intérêts de ce travail. L’image habituellement retenue de l’enseignement français est sa verticalité avec au sommet le rôle majeur du ministère de l’Éducation nationale, et liée à cette verticalité, l’uniformité et la simplicité, à la fois force et faiblesse du système. Or, tout au long de son livre Jane révèle la diversité et la complexité du système scolaire français à l’étranger. Un grand nombre d’établissements, sinon la majorité sont des établissements privés, avec un board indépendant des autorités françaises.
La première structuration de cet enseignement se fait sous l’égide d’une institution, la Mission laïque française, elle aussi indépendante du pouvoir, même si de fait il existe des liens informels. Plus surprenant encore, cette mission est créée dans le contexte colonial à Madagascar où l’autorité militaire est fortement présente, avec pour objectif de développer l’enseignement scolaire républicain face à l’enseignement confessionnel des diverses communautés missionnaires. Cette Mission laïque sait se transformer au Moyen-Orient concurrençant l’enseignement catholique, autre vecteur de l’influence française, puis arrive aux États-Unis et dans l’ensemble du monde avec une faculté d’adaptation au contexte local qui est une de ses priorités.
L’Agence de l’Enseignement Français à l’Étranger (AEFE) directement gérée en France par le ministère des Affaires étrangères comprend trois types d’établissements aux statuts bien différents, en gestion directe, conventionnée ou homologuée. Cette variété contredit l’image de l’uniformité du système.
Le sommet de cette démonstration et le comble du paradoxe, se trouve évidemment sur le territoire central de l’enquête de l’auteur, New York avec sa floraison d’établissements dont aucun n’est géré par l’autorité française. Le plus ancien, l’Economical School apparaît si bien implanté alors qu’il est une des origines du public School new-yorkais ; son créateur est un royaliste alors que Napoléon gouverne la France ! Quant au point principal d’observation de Jane, le Lycée Français de New York où elle a été actrice plus de 30 ans, les tensions avec le représentant officiel de l’État français sont nombreuses, et pourtant cela ne l’empêche pas d’apparaître aux yeux de beaucoup, comme la citadelle
of French culture in New York City, pour reprendre l’expression de l’auteure ! L’illustration la plus forte de cette tendance est fournie par l’américaine, Marie Stella Lorch, d’origine italienne, fondatrice de l’Institut italien de l’Université de la Columbia et dont les enfants sont Italo-américain. Elle raconte à Jane Ross My daughters looked out the window and they said, ‘The Loire this morning is in bad shape,’ but it happened to be the Hudson. They didn’t even know that we lived in New York !
C’est dire à quel point dans cette ville stratégique de New York, cet établissement indépendant joue un rôle majeur dans l’influence culturelle française. Mais ce n’est pas aussi simple que cela et le travail de Jane va bien au-delà du rôle de l’enseignement français à l’étranger dans la diplomatie française : le sous-titre de l’ouvrage est réducteur ; il n’exprime pas la totalité de la démonstration. La fille de Marie Stella n’est pas devenue française, malgré sa passion pour la Loire et son identification à la France. Pleinement américaine tout autant ouverte au monde, devenue adulte elle occupe une fonction significative à New York. Le mélange des trois groupes d’élèves dans l’établissement conduit de fait à un métissage culturel, si forte que soit l’empreinte scolaire française. Quelques réponses faites à Jane attestent de cette véritable double culture française et américaine ; certaines vont même plus loin, en parlant d’une véritable Global Éducation.
Ce qui était implicite au XXe siècle, devient explicite au XXIe siècle : en d’autres termes, l’auteur montre comment la volonté de donner une éducation franco-américaine et au-delà, plus largement une Global Education, tout en sauvegardant l’identité française, conduit à la fois à des mutations dans l’organisation du lycée et à l’adoption de l’OIB créé par les autorités françaises.
Des pistes pour le futur
Une dernière remarque : à la fin de sa conclusion, Jane cite le rapport de la Cour des Comptes signalant que l’Enseignement français à l’étranger est à la croisée des chemins : The French government must be willing to make bold choices and major adaptations in order to
blow new life into the network of French schools around the world
. Précisément une partie des réponses ne se trouvent-elles pas dans le chapitre précédent, avec le French Heritage Language Program, déjà en application dans plusieurs quartiers de New York et déjà bien soutenu par l’Ambassade de France. Ces écoles atteignent tout d’abord de nouveaux publics, que les réseaux traditionnels n’ont jamais touchés et ne pourront jamais atteindre. Plus profondément encore se développe dans ces classes une pédagogie qui cherche la meilleure articulation entre le modèle français et le modèle américain, comme le dit fort bien l’auteur : The school seeks to blend the rigorous standards of learning that are characteristic of the French educational system with American approaches that value individuality and critical thinking.
Puis-je me permettre d’évoquer, un souvenir personnel : nous avons eu la chance, mon épouse et moi, de visiter une première classe ouverte et nous avons été frappés par l’agilité des élèves, passant d’une langue à l’autre avec un plaisir évident, comme s’il s’agissait d’un jeu. Je me souviens encore de ce parent d’élève, chauffeur de taxi haïtien si fier de voir son fils se débrouillant si bien en anglais, tout en améliorant sa langue d’origine.
Voilà pourquoi il faut souhaiter que ce livre rencontre des lecteurs attentifs des deux côtés de l’Atlantique et même au-delà, car ce type d’école qui participe de la bilingue révolution est un des moyens de lutter efficacement contre l’enfermement, générateur d’intolérance et de violence. Au moment où le ministère français de l’Éducation nationale crée en France l’Établissement public local international, nul doute que cette réflexion, même si le contexte est différent, puisse être un vecteur d’exemplarité. Elle montrera que loin d’affaiblir le sentiment d’appartenance nationale, ce type d’établissement au contraire le renforce, tout en préparant les élèves aux impératives nécessités du dialogue entre les cultures.
—Philippe Joutard
Paris, France – octobre 2019
Remerciements
Ce livre a vu le jour grâce au soutien et aux encouragements de nombreuses personnes qui ont donné de leur temps et partagé avec moi leur savoir et qui m’ont apporté aide et inspiration.
Le Professeur Philip Hosay, mon directeur de thèse, m’a servi de mentor et guidée tout au long de mes études de doctorat à New York University, et m’a aidée à délimiter le champ de recherche le plus utile pour mon travail. J’ai aussi bénéficié du savoir et des conseils du professeur James Fraser et du professeur Herrick Chapman qui m’ont guidée dans mon exploration de l’histoire de l’enseignement en France et aux États-Unis. Quant aux professeurs Dana Burde et René Arcilla, j’ai pu profiter de leurs encouragements et de leurs conseils tout au long de mon travail jusqu’à ma proposition de thèse.
Je voudrais aussi remercier les nombreux autres collègues, amis et membres de ma famille qui ont joué un rôle essentiel dans ma recherche et auxquels je suis énormément reconnaissante : le professeur Philippe Joutard, ainsi que Geneviève Joutard, qui ont suivi mon travail depuis les débuts, m’ouvrant de nouvelles perspectives, m’offrant des contacts ; Joel et Denise Vallat, qui m’ont fait part de leur expérience à New York et en France.
Mes remerciements vont aussi aux nombreux membres de la communauté élargie du Lycée, anciens élèves, membres du Conseil, enseignants et parents qui m’ont éclairée sur l’école en acceptant de répondre à mon enquête ou qui m’ont accordé des entretiens, et surtout à Sean Lynch, Stéphane Haimo, Joelle Reilly, Robert Pine, Mira Schor, au professeur Maristella Lorch, Don Zivkovic, Michele Moss et Jean-Marie Guéhenno.
Je voudrais aussi exprimer mes remerciements chaleureux à Fabrice Jaumont, qui m’a accompagnée tout au long de ce travail et enfin, un grand merci à Jack Klemplay pour sa relecture méticuleuse.
CHAPITRE I
Introduction
J’ai découvert mes liens avec la France lorsque j’avais environ dix ans. Nous fêtions Noel et mon père avait fait un cadeau surprise extraordinaire à ma mère : il s’agissait d’un tableau, un portrait de sa grand-mère paternelle, Mary Chapeze. Il avait réussi à le retrouver dans un héritage au Tennessee et l’avait fait envoyer chez nous au Connecticut. Ce portrait, qui avait occupé une place d’honneur dans la maison où ma mère avait grandi, se trouverait désormais accroché au-dessus de la cheminée durant toute mon enfance. Ce joli tableau était l’œuvre d’un artiste itinérant du Kentucky et avait été peint au milieu du XIXe siècle, lorsque Mary Chapeze avait 17 ou 18 ans. Ma mère ne l’avait rencontrée qu’une fois lorsqu’elle avait 4 ans et sa grand-mère déjà plus de 85 ans. Pourtant, elle représentait un lien avec les générations précédentes ; elle faisait partie d’un récit familial que ma mère avait entendu et qui disait qu’un de nos ancêtres, peut-être un Huguenot, avait débarqué sur les côtes américaines avec La Fayette.
Sans autre document que ce portrait, ma mère avait entrepris des recherches sur cet ancêtre français. Elle avait écrit à des cousins éloignés, consulté des sites de généalogie dans l’internet, puis était allée en France consulter les archives pendant de longues heures : peu à peu, les faits s’accumulaient. C’est ainsi que nous avons appris que, effectivement, l’arrière-grand-père de Mary Chapeze, le docteur Henri Chapiers, originaire de Nevers, s’était enrôlé, à l’âge de 14 ans, à bord d’un navire avec le Marquis de La Fayette. Peut-être était-il protestant ; en tout cas, il savait lire et écrire et, comme sa mère était sage-femme, il avait acquis suffisamment de connaissances médicales pour être engagé malgré son jeune âge comme chirurgien du régiment. Au bout d’un certain temps, il s’était fait appeler Henry Chapeze. C’est dans une notice biographique datée de 1897, consacrée à son fils Benjamin, que l’on trouve tracé, en quelques lignes pleines de ferveur patriotique, un résumé de la vie d’Henry Chapeze :
Son père, le docteur Henry Chapeze, qui était né en France, était venu en Amérique avec le Marquis de La Fayette, poussé par l’esprit et par l’amour de la liberté, pour mettre son glaive et ses talents au service des colonies dans leur combat pour l’indépendance ; il servit comme chirurgien dans l’armée américaine.
Ce portrait de mon ancêtre français ne pouvait que m’enchanter. Il avait ensuite, comme beaucoup d’autres soldats de La Fayette, décidé de rester en Amérique et s’était installé dans le territoire du Kentucky peu de temps avant qu’il ne soit incorporé au nouveau pays et en devienne le quinzième état. Que de questions j’aurais voulu pouvoir lui poser ! Mais, vu le peu de documents sur sa vie, elles resteraient sans réponse. J’aurais voulu lui demander par exemple comment il avait appris l’anglais ; l’avait-il appris avec la jeune fille irlandaise qui était devenue sa femme à New York (ils avaient divorcé par la suite) ? Parlait-il français avec ses deux fils ? À Bardstown dans le Kentucky où il s’était installé, sa maison et son cabinet avaient acquis au fil des années une certaine renommée. Cette maison deviendrait un hôtel, un restaurant ou une auberge. Quant à lui, on l’appelait souvent l’éminent docteur parisien
(rien n’atteste qu’il ait séjourné à Paris), ce qui montre qu’il avait conservé une identité française même s’il n’était jamais retourné en France. Aurait-il mis ses enfants dans une école française s’il y en avait eu ?
Lorsque, après avoir enseigné dans une école française et travaillé avec des enseignants français pendant plus de trente ans, j’ai formé le projet d’écrire ce livre, il y avait une question que je me posais souvent : que pouvait signifier être français
lorsque les liens avec la France étaient éloignés dans le temps ou dans l’espace ? Or, en explorant le réseau des écoles françaises à l’étranger, y compris celle où j’avais travaillé avec bonheur toutes ces années, j’ai découvert que ces écoles ne servaient pas qu’à maintenir des liens à l’intérieur des familles d’expatriés, mais aussi que l’État français et les gouvernements successifs avaient au fil des années pris une part active dans le soutien de l’enseignement français afin de promouvoir le maintien d’une identité
française. De plus, au-delà des intérêts des seules familles françaises, l’État, en soutenant ces écoles, cherche à promouvoir la langue française et la culture française en les ouvrant à une large communauté internationale. Mon ancêtre français n’aurait jamais pu imaginer combien de voies allaient s’ouvrir dans les deux siècles qui suivirent son arrivée dans les vastes étendues du Kentucky à ceux qui désiraient rester français tout en devenant américain. De fait, le gouvernement français n’a cessé de soutenir les écoles françaises à l’étranger aussi bien que l’enseignement du français dans le monde entier.
À l’automne 2017, lors de son premier voyage en Afrique après son investiture au printemps de la même année, le président Emanuel Macron s’est adressé à un groupe d’élèves, à Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. La tournée africaine qui débutait au Burkina et le mènerait ensuite au Ghana et en Côte d’Ivoire, allait permettre au président français de présenter sa vision pour l’avenir de l’Afrique ainsi que d’aborder les grandes questions auxquelles est confronté le continent africain, dont la réduction de l’émigration, le combat contre le terrorisme et la défense des droits de l’homme. Mais Macron avait aussi choisi ce moment pour affirmer sa détermination à faire de la langue française la première langue d’Afrique et peut-être même du monde. (Macron, Discours à Ouagadougou). ¹ Tout en évoquant les multiples variantes du français parlé dans le monde, il avait insisté sur le caractère universel de la langue française et sa qualité de ciment
unissant les pays francophones entre eux :
Il y a bien longtemps que cette langue française, notre langue, n’est plus uniquement française. Elle a parcouru le monde entier et elle est ce qui nous unit. Notre langue française, c’est une chance pour nous et notre langue a un avenir, ça n’est pas simplement un patrimoine à protéger et cet avenir se joue pour beaucoup en Afrique, ici.
Son avenir, son rayonnement, son attractivité n’appartient plus