Sémiramis au pays de Dounia
Par Zoubida Berrahou
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À propos de ce livre électronique
Politique, économie et sociologie s’entremêlent dans son esprit. Traversée également par le souffle de la jeunesse, elle ne résiste pas aux appels des fougues sentimentales en vivant pleinement ses états d’âmes amoureux. À ceux-là, aucune politique dans son pays n’apporterait de réponse.
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Aperçu du livre
Sémiramis au pays de Dounia - Zoubida Berrahou
Sémiramis au pays de Dounia
Zoubida Berrahou
Sémiramis au pays de Dounia
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2022
ISBN : 978-2-312-12896-2
À Nawel
« Tout ce qui peut être imaginé est réel »
Picasso, peintre surréaliste
« Suffit-il de se persuader intensément qu’une chose existe pour qu’elle soit ? En des siècles d’imagination, la conviction profonde a déplacé des montagnes »
William Blake, poète romantique
PREMIÈRE PARTIE :
1992
Oran, le 15 septembre 1992
Tel l’athlète en fin de compétition, la chaleur se relâche enfin. Si oublier la canicule éprouvante du mois précédent me fait du bien, le bonheur que me procure encore, le souvenir de la toute fraîche championne olympique algérienne du 1500m à Barcelone n’a pas son égal. Comment, en plus de cet exploit, ne pas se remémorer le magnifique short et les bras dénudés de l’athlète féminine algérienne dont les images ont, depuis le 08 août fait le tour de la planète, alors qu’au même moment, les libertés vestimentaires des femmes de mon pays sont menacées.
Assise à la véranda de la maison familiale, Dounia relit ces quelques notes écrites hier sur son carnet personnel. Les récents jeux olympiques ne cessent de lui procurer une joie frétillante. En s’identifiant aux distinguées Heike Henkel, la championne Olympique allemande du saut en hauteur et la française Marie-José Pérec, la médaillée d’or du 400m, son imagination l’entrainait sur la piste de Dounia, l’Algérienne jouant dans la cour des grandes et ramenant un trophée dans ces disciplines. Il y a quelques années, elle avait excellé au lycée dans le saut en hauteur avec des performances dépassant de loin toutes ses copines et tenant même tête aux garçons de sa classe.
Aujourd’hui encore, il lui arrive de se projeter en championne internationale, sauf que son potentiel sportif restera en dormance. Pourquoi ?
Parce que dans son pays, les filles comme elle, ne font pas dans la carrière sportive, elles étudient, puis c’est tout. Et pourtant, la jeune lycéenne aurait pu faire un exploit si sa famille l’avait encouragée à se perfectionner dans le saut en hauteur ou se consacrer sérieusement au basket, voire même au volley-ball. Mais les siens ne pouvaient s’y aventurer. La défaillance des structures sportives chargées de cette mission, ne donnait guère aux gamines studieuses de la classe moyenne, la possibilité d’en faire un choix personnel. Un échec scolaire restant le seul recours et encore ! En rejoignant Heike et Marie-Josée sur la première place du podium olympique, la reine algérienne du 1500m à Barcelone est venue prendre la revanche de toutes les algériennes dont le talent sportif restera ignoré.
L’inconnu
Voici que l’expression du visage de Dounia se dénue de toute euphorie. Elle n’a plus l’air d’être plongée dans son imaginaire sportif. Il transparaitrait même qu’elle soit tout bonnement ailleurs avec une envie de vide dans sa tête.
Elle reprend son calepin et lit pêle-mêle ses dernières notes
… L’Algérie chemine vers l’inconnu. Cela a commencé par l’invraisemblable émergence en 1989 d’un parti anticonstitutionnel (religieux) qui a raflé le 21 juin 1990 les élections municipales avec une technique de fraude rappelant le pillage d’étalages. Et que dire du scrutin législatif du 26 décembre 1991 qui a failli semer le chaos tout comme son précédent report à cause d’une insurrection civile menée par des individus semblant s’être échappés de l’âge des cavernes. Résultat : un état de siège décrété, la démission du gouvernement et l’emprisonnement des 2 illuminés à la tête de ce non-parti.
… Je n’arrive plus à comprendre ce qui se passe dans mon pays et surtout à la capitale puisque depuis Oran, le quotidien demeure encore plus ou moins tranquille. Les évènements d’octobre 88 ont débouché malgré leur tragédie sur le projet étatique de l’instauration de la démocratie. J’ai participé timidement avec quelques amis à des marches citoyennes en scandant « Algérie libre et démocratique ». L’effervescence à la fac était telle qu’on y parlait parti politique, tendance idéologique et théories du développement économique. Certes l’apparition de plus en plus criarde d’étudiants en kamis, barbe hirsute et regard noir avait semé le trouble dans l’enceinte universitaire, mais personne n’avait présagé la déferlante religieuse. Dans ma grande naïveté, j’avais considéré cet habillement et apparence physique comme la manifestation d’une crise existentielle chez une jeunesse qui se cherchait, comparable au mouvement punk ou gothique !
À présent, l’actualité me démontre chaque jour que ce n’est pas une rébellion de jeunesse avec son versant fécond dans l’art et la création comme cela s’était vu dans les pays développés. Ces jeunes habillés par la mort veulent la semer partout en commençant par tuer leur apparence physique avant de l’imposer par la force aux autres.
… Jamais je n’oublierai cette première fois où j’ai fait mon devoir citoyen. Voter à 20 ans et mourir, il s’en est fallu de peu pour que ça devienne une citation célèbre ! Des élections législatives remportées haut la main par le parti anticonstitutionnel en procédant à une fraude légale puisque contrôlant l’administration des collectivités locales. Si j’ai zappé le scrutin communal c’est parce que j’entendais dire autour de moi que depuis 1962, le pouvoir en place avec son parti historique le FLN gagnait toutes les élections, même si en parallèle il était désigné comme le réceptacle de la prédation et des échecs du pays.
Cette première leçon fatale en matière d’hécatombe électorale m’a précipitée au bureau de vote pour ce crucial second rendez-vous afin de sauver ce qui pouvait encore l’être. La réputation légendaire des tenants du pouvoir à programmer les résultats des élections avant leur déroulement a encore une fois endormi le bon sens des algériens. Avec un fort taux d’abstention, le résultat législatif a été un coup de massue, à la fois à la démocratie tuée dans l’œuf et à la dictature endémique. Menacée sérieusement par une théocratie avec laquelle les décideurs institutionnels ont joué à un jeu pervers pensant l’arnaquer, le verdict biaisé des urnes appelant à un second tour pour les départager a été le scénario inattendu.
J’ai donné ma voix à un parti démocratique, moderne et progressiste, le RCD. Mais j’ai été dégoutée de voir ce dernier inexistant dans les résultats du scrutin. Je réalise que tout ceci n’est qu’énorme mise en scène, que le peuple n’est pas assez nourri du ventre pour choisir ces victuailles de la modernité que sont la démocratie et le suffrage universel. Ajouté à cela, un système de non gouvernance ne pensant qu’à nourrir son compte en banque pour son unique survie.
… En moins d’une année, les évènements se sont accélérés en Algérie. Un président démissionné en janvier 1992, le second tour des législatives annulé également puisque les échappés de l’asile « des fous de dieu » étaient à deux doigts d’être aux commandes du pays. Une structure collégiale a été créée pour remplacer le poste de chef de l’Etat. HCE, CNC et FIS sont devenus les acronymes de la fantomatique République Algérienne qui se prétend en plus démocratique. Le premier assassinat survenu en mars 1992 à Alger a vite refroidi les ardeurs démocratiques des plus naïfs.
… Ces évènements se concentrant surtout dans la capitale me parviennent via la télévision ou la presse écrite. Pour moi Alger est devenu un autre pays par rapport à Oran. Est-ce ma position sociale de privilégiée qui me fait ressentir les choses ainsi. Je sollicite sans cesse mon père pour des explications, il a souvent de bonnes réponses mais il ne me satisfait pas. Je cherche à comprendre l’état d’urgence proclamé en février 1992, la dissolution tardive du parti-anomalie et à la fin l’assassinat en direct du président du HCE, ce héro (Mohamed Boudiaf) historique épargné par la guerre de libération, voilà qu’il a subi le même sort que celui de Lincoln. Tout ceci est la preuve qu’il manque encore des vérités à connaître.
Sélim ou Réda
A presque sept-heures du soir, Dounia qui n’a pas vu s’écouler le temps depuis son retour à la maison, demeure toujours assise sur le sofa à une place de la véranda. Il y a un an, cet espace n’était encore qu’un grand balcon. Après quelques travaux effectués par de simples artisans, le lieu a été transformé en une agréable véranda en fer forgé. L’aluminium très en vogue alors pour construire ce genre de structure n’a pas fait déroger le père de Dounia du classique acier, ce matériau noble qui a su tout comme la pierre et le bois traverser le temps.
La jeune-femme à la silhouette frêle et les cheveux souvent attachés en queue de cheval n’est pas arrivée pas à chasser de sa tête la phrase à l’origine de son malaise actuelle, des paroles prononcées par Sélim à son encontre. Même si entre temps, Ilias son jeune frère, venu comme à son habitude lui parler, la trouvant morose, lui a préféré la télévision beaucoup plus joyeuse alors qu’en temps normal ils s’amusaient beaucoup ensemble.
Dounia, certes préoccupée par son pays, est également traversée par le souffle de la jeunesse. Vivre pleinement ses états d’âmes amoureux est le défi du quotidien. A ceux-là, aucune politique en Algérie n’apporterait de réponse. Note-t-elle sur son carnet avant de poser ceci :
Je ne comprends pas pourquoi Sélim m’a dit : « j’en ai marre de cette situation Dounia, laisse-moi tranquille… ». Voilà ce qu’elle écrit pour le moment comme réplique à son incompréhension muette. Est-ce parce qu’il est plus âgé que moi que je l’ennuie à présent ! Pourtant j’ai souvent soulevé ce point avec lui. Je me remémore très bien une ancienne discussion datant du début de notre rencontre, il y’a plus de huit mois.
Elle feuillète les précédentes pages de son livret et lit :
Écoute Sélim, ce n’est pas tant le nombre d’années qui font une personne mais ce qui se passe dans sa tête, et même si à 23ans je suis encore loin de tes 35 ans, je pense avoir appris assez de choses, pour te tenir tête, je ne me sens nullement dépassée…
A cette phrase, il a répliqué avec la célèbre citation de Corneille dans le Cid « Je suis jeune, il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années. » C’est à travers ce type d’échanges littéraires du quotidien, que cette rencontre est en train de bouleverser en quelque sorte ma vie.
Puis elle change de feuillet :
Telle une nouvelle héroïne cornélienne, je viens de cesser toute relation avec Réda, mon petit-ami durant presque 1an. Bien que secoué intérieurement, Réda a très bien su le dissimuler car il redoutait depuis longtemps l’arrivée de cet instant fatidique.
Réda s’est toujours senti largement dépassé par les aspirations culturelles et sociales auxquelles je m’identifie, et nous l’avons compris tous les deux bien assez tôt. Parfois il me disait maudire sa famille qui l’a élevé ainsi indécis entre la modernité et les traditions pesantes. Ce qui nous a réunis ? Sans doute le hasard, je l’ai connu à un moment de ma vie où je ne cherchais pas trop à focaliser sur mes doutes et comme tout garçon séduisant, il a été le candidat idéal.
Quoique préparé à la fin imminente de notre idylle, Réda pour ne pas y renoncer facilement, m’a dit le jour même : « pourquoi te presser à prendre une décision pareille, je pense que ça pourrait marcher entre nous deux. Même si on diverge sur plusieurs choses, avec le temps on apprendra à changer, il faut… ». Ne voulant pas entendre davantage, je l’ai promptement interrompu : « Je ne vois pas à quoi tu veux en venir Réda, il y’a des signes qui ne trompent pas, ce n’est ni une question de temps, ni quoi que ce soit, la vie est faite ainsi. C’est vrai qu’au début c’était bien entre nous, on s’amusait bien, l’effet de la nouveauté, on avait des choses à se dire… mais on n’a pas les mêmes rêves, on ne voit pas les choses de la même façon, il faut se rendre à l’évidence… ».
Pris de court, mon copain a compris alors qu’il ne pourrait rien faire de plus. Ma décision prise, il me connaissait largement sur ce point. Même si je sais aussi que son bon sens n’a pas manqué de lui suggérer un concurrent à l’origine de cette rupture, il n’a pourtant pas osé me le dire. À quoi bon se montrer jaloux alors que je ne voulais plus de lui.
On s’est donc quittés ainsi. Réda cachant ses sentiments. Je sais qu’il m’aimait. Par contre à partir de cet évènement, je me suis enfin libérée d’un poids gênant. Je me sentais beaucoup mieux. J’ai toujours eu horreur de l’insatisfaction relationnelle. Ce ressenti bien pesant avant l’entrée de Sélim dans ma vie ; je le mettais toujours sur le compte de ma nature exigeante. Seulement et fait important, après ma rencontre avec celui qui allait devenir mon futur petit-ami, j’ai fini par comprendre ce qu’il fallait admettre en prenant courage et raison de mon acte de rupture.
… Sélim est un peu moins grand que Réda. D’ailleurs, ils sont de parfaits opposés. Le second est blond et plus jeune, il a 26ans. Le premier a des cheveux châtains avec des reflets roux sur sa barbe taillée à la Jésus comme il aime souvent le répéter. Ils ont en commun, une apparence toujours bien soignée. Par contre Sélim a fait renaître une autre Dounia en moi, ranimant d’autres envies, donnant réalité à tous mes élans et me libérant intérieurement. Toutes ces sensations fortes absorbées dans les livres me parvenaient enfin dans mon réel. Par ailleurs, et étrangement, toutes nos rencontres étaient dues au hasard, jusqu’au jour où nous avons décidé de dépasser le cadre des rendez-vous fortuits.
Au début, notre relation n’en était pas une en fait, le courant passait entre nous, notre attirance était totale mais chacun demeurait dans son camp. Chaque fois que je rencontrais Sélim par pure coïncidence, on se donnait rendez-vous pour le jour suivant.
Ensemble, nous discutons de tout. Les barrières tombent, les tabous s’évanouissent. L’homme plus mûr, adore nos échanges. Moi je m’emporte, je me démêle, mais je ne perds jamais le fil conducteur de mes idées.
Sélim sait si bien faire étalage de ses connaissances et de ses expériences accumulées. Il doit dominer facilement la plupart de ses discussions avec les gens. Mais je sens qu’avec moi, l’impression de perdre tout cela l’inquiète. Est-il tombé sur un adversaire de taille ? N’ayant jamais pensé à la question sous cet angle-là et ne l’envisageant pas non plus de cette façon, même si sa misogynie refoulée face à moi reste contrôlée, je pense qu’il n’admet pas le fait que j’arrive plusieurs fois à semer le doute dans ses propos. Je ne sais pas si je le séduis plus avec le choix du mot