Le Roman Historique a l'Epoque Romantique - Essai sur l'Influence de Walter Scott
Par Louis Maigron
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Le Roman Historique a l'Epoque Romantique - Essai sur l'Influence de Walter Scott - Louis Maigron
Louis Maigron
Le Roman Historique a l'Epoque Romantique - Essai sur l'Influence de Walter Scott
EAN 8596547453253
DigiCat, 2022
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Table des matières
LIVRE PREMIER
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
LIVRE II
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
LIVRE III
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CHAPITRE III
CHAPITRE IV
CHAPITRE V
CHAPITRE VI
LIVRE IV
CHAPITRE PREMIER
CHAPITRE II
CONCLUSION
AVERTISSEMENT
Cette nouvelle édition ne diffère pas essentiellement de la précédente, et elle en reproduit les idées générales sans importantes modifications.
La principale de ces idées, c'est que, dans notre littérature, la fortune du roman historique est indissolublement liée à celle du romantisme lui-même. Impossible avant le XIXe siècle, il ne triomphe à partir de 1820 que pour disparaître presque immédiatement après 1830. La vogue en fut un moment prodigieuse: elle fut plus éphémère encore. De ce problème d'histoire littéraire et d'esthétique, bien digne, semble-t-il, de piquer la curiosité, l'objet des pages qui suivent est d'essayer une solution.
Nous y maintenons deux points encore sur lesquels on nous permettra d'attirer la réflexion du lecteur.
La Chronique de Charles IX a ici la place d'honneur, et nous la mettons délibérément au-dessus de Notre-Dame de Paris. Non qu'il s'agisse de préférer le talent, très distingué sans doute, mais d'assez faible envergure, de Mérimée, au génie prestigieux de Victor Hugo. C'est de tout autre chose qu'il est question. La Chronique a un mérite, incontestable, qui est d'être un excellent roman historique, c'est-à-dire de tirer tout son intérêt de son exactitude, de sa fidélité à reproduire des moeurs historiques. Et l'on ne prétend certes pas que ce genre de vérité soit absent de Notre-Dame de Paris; mais enfin, s'il y a de l'histoire dans l'oeuvre de Victor Hugo, il y a peut-être plus encore de poésie, de fantaisie, d'imagination: toutes choses intéressantes, fort précieuses même, qu'il sera prudent néanmoins de ne pas étaler avec trop de complaisance dans un roman historique, parce qu'elles le gâteront infailliblement, qui gâtent en effet Notre-Dame de Paris, et qui expliquent ainsi que, dans l'évolution de notre genre, c'est l'oeuvre diligente du prosateur exact, et non celle du prodigieux poète, qui représente le degré le plus voisin de la perfection.
De même, nous persistons à croire que, si Augustin Thierry doit beaucoup à Chateaubriand, il se pourrait qu'il fut encore plus redevable à Walter Scott. Bien loin d'être téméraire et inattendue, l'assertion, croyons-nous, ne doit paraître que très simple et très naturelle à quiconque voudra bien prendre la peine d'y regarder d'un peu près,—et sans jamais perdre de vue que des influences étrangères se sont exercées alors sur notre littérature, avec continuité et profondeur. Il serait par trop fâcheux du reste que l'application d'une méthode particulière ne fit pas rencontrer de temps à autre quelque modeste trouvaille.
Contrairement à la formule, nous aurions pu écrire: «Nouvelle édition, revue et considérablement… diminuée.» La nécessité de réduire la rédaction primitive a supprimé beaucoup de pages; elle en a écourté d'autres: et c'est sans doute un avantage. Mais elle a aussi fait disparaître, ou à peu près, toutes les notes. Le livre a ainsi l'air d'être privé de ses appuis, pour ne pas dire de ses fondements: et c'est peut-être un inconvénient sérieux. Mais enfin on a droit de rappeler que ces fondements existent; et le lecteur scrupuleux saura toujours où retrouver preuves et justifications.
Clermont-Ferrand, décembre 1911.
* * * * *
LIVRE PREMIER
Table des matières
LE ROMAN HISTORIQUE AVANT LE ROMANTISME
S'il est indiscutable que le vrai roman historique est une conquête du XIXe siècle, il n'en est pas moins certain que les Vigny et les Mérimée, les Balzac et les Hugo ont eu des précurseurs dans notre littérature, et que, avec toutes les différences qui peuvent d'ailleurs les en séparer, leurs ancêtres restent bien, non pas seulement les Courtilz de Sandras et les Prevost, mais même les La Calprenède et les Scudéry. Les uns ont écrit, ou plutôt ils ont cru écrire, des romans historiques: leurs héros ne sont jamais que des personnages illustres; il n'y a qu'une toile de fond à leurs scènes, et c'est toujours l'histoire; la plus ordinaire enfin de leurs prétentions est de ne rien avancer qu'ils ne puissent soutenir d'irréfutables témoignages,—chose après tout fort naturelle, personne n'ayant le ton plus affirmatif que le plus effronté menteur. Mais, pour ridicule que soit la mascarade, il est remarquable que tous ces «romanistes», comme les appelait Bayle, obéissent d'instinct à une des lois du roman historique, qui est de ne point prendre ses personnages dans une réalité trop voisine, et donc en général assez peu poétique. Or, reculer leurs scènes jusqu'aux temps mal éclairés du moyen âge, les transporter même jusqu'aux époques fabuleuses de la légende romaine, c'était donner à leurs oeuvres l'espèce d'attrait que devaient dégager plus tard et pour d'autres lecteurs Notre-Dame de Paris ou la Chronique de Charles IX, Quentin Durward ou Ivanhoe.
Avec des ambitions plus modestes, d'autres réalisent moins mal, quoique sans le savoir, la formule du roman historique moderne, et se rapprochent d'autant plus du but qu'ils semblent moins y tendre. Au lieu d'introduire l'histoire dès les premières pages, avec ostentation et fracas, ils la dissimulent au contraire, la glissent à l'ombre et comme à couvert de leurs aventures tragiques ou plaisantes, nous ôtant ainsi, et fort habilement, la tentation et même le droit d'être exigeants et sévères pour des figures reléguées à l'arrière-plan. En même temps, par le choix des époques et des personnages, ils s'astreignent à plus d'exactitude et de fidélité. Désormais, plus de Pharamond, de Clélie ou d'Horatius Coclès, personnages fabuleux ou légendaires, plus poétiques que vrais et dont il est impossible de vérifier le vrai caractère; mais Louis XIII et Mazarin, la cour des Stuarts ou celle de Saint-Germain, c'est-à-dire l'histoire d'hier ou même l'histoire présente, et dont chaque lecteur peut immédiatement éprouver le degré d'exactitude ou de fausseté. Par là s'insinuait dans le roman un certain respect de la vérité historique, et le genre apprenait à se préserver des travestissements grotesques qui, en discréditant sa fortune, pouvaient le compromettre et le déshonorer à tout jamais.
Enfin, à l'aurore même du XIXe siècle, et quelques années avant que Walter Scott exécutât ses romans historiques d'après les règles que devaient s'efforcer d'observer chez nous ses premiers imitateurs, Chateaubriand, dans les Natchez, les Martyrs et le Dernier Abencerage, découvrait ou appliquait mieux que tout autre un des éléments essentiels du genre: la couleur locale. Le roman historique avait à peu près tous ses organes. Il ne fallait plus qu'un souffle pour tout animer; il vint, et ce fut d'Angleterre.
Ainsi envisagée, l'histoire du roman historique avant le romantisme prend un intérêt véritable, et l'on arrive à oublier l'insignifiance et l'insipidité des oeuvres, quand on ne s'attache qu'à suivre à travers elles la lente organisation d'un genre nouveau.
CHAPITRE PREMIER
Table des matières
Le courant idéaliste[1].
Le XVIIe siècle, où tant de choses se sont organisées, les grands genres littéraires et la monarchie absolue, devait assister aussi aux tentatives d'organisation d'un genre remis en faveur par l'Astrée, vers 1610: le roman. Comme il ne savait pas encore quel devait être son objet, il hésita longtemps, tâtonna, eut des aventures. Il fut pastoral avec l'Astrée et la Carithée, exotique et fantastique avec Polexandre, satirique et picaresque avec Francion et le Berger extravagant; et ainsi ballotté de tous côtés, jouet de tous les vents, c'est-à-dire de toutes les fantaisies des auteurs, avec l'Ariane[2] de Desmarets de Saint-Sorlin (1632), il toucha enfin à l'histoire. Le goût public aidant[3], ce fut bientôt la forme de roman qui prévalut. Cassandre est de 1642, Cléopâtre de 1648,Artamène ou le Grand Cyrus de 1649,Clélie de 1656, et Faramond de 1661. Or, comme chacune de ces oeuvres a un nombre fort respectable de volumes[4] et que, s'il fallait déjà du temps pour les lire, il en fallait sans doute bien plus encore pour les composer, on peut dire que pendant plus d'un quart de siècle la production en fut continue. De cette union du roman et de l'histoire, il ne pouvait malheureusement rien sortir.
[Note 1: Comme il est essentiel de fixer et de préciser le sens d'un terme d'autant qu'il est plus flottant et plus vague, nous appelons (faute d'un mot plus clair et surtout plus simple) idéalistes les écrivains qui altèrent systématiquement l'histoire, moins soucieux de la décrire dans sa réalité que d'après l'idée plus ou moins fausse qu'ils ont pu s'en faire.]
[Note 2: Ariane est une contemporaine de Néron, et non la soeur de Phèdre: il ne faudrait pas s'y tromper.]
[Note 3: Dans l'édition précédente, nous avons dit les principales raisons de cet engouement.]
[Note 4: Les romans de Cassandre, d'Artamène et de Clélie en ont 10 chacun; Cléopâtre en a 12, 48 livres et 4153 pages.]
Si le roman historique n'est pas l'histoire, il n'en est pas moins vrai que les destinées de l'un sont intimement liées à celles de l'autre et que des progrès ou de l'intelligence de celle-ci dépendent les mérites ou les défauts de celui-là. Or, quelle idée se fait-on de l'histoire au XVIIe et au XVIIIe siècle? On connaît, il est vrai, avec assez d'exactitude les faits et les successions de faits de quelques époques. On sait, par exemple, que Cyrus fut un grand roi, que Néron incendia une partie de Rome, que Richard Coeur-de-Lion fut retenu prisonnier en Autriche à son retour de Palestine et qu'il y eut sous Charles VII une héroïne du nom de Jeanne d'Arc. Mais quelles étaient les moeurs de ces époques, leur façon de sentir et de penser, leur âme enfin,—ce qui est justement la seule matière possible du roman historique,—c'est ce qu'il semble difficile d'avoir ignoré d'une ignorance plus profonde. Vous pouvez parcourir Mézeray, pour ne citer que l'historien le plus estimé du XVIIe siècle, et le seul précisément que l'école descriptive des Chateaubriand et des Augustin Thierry ait un peu épargné: vous ne rencontrerez aucun de ces traits pénétrants qui révèlent chez les hommes des temps passés des âmes différentes des nôtres. Certaines de ses descriptions ne manquent pourtant pas d'exactitude. Il parle, dans son Histoire de France avant Clovis, de framées et de francisques; il montre ces guerriers primitifs chassant «aux Elans, aux Wisens et aux Urochs», dans une phrase dont il semble que le rythme n'ait pas échappé à Chateaubriand. Mais, sans compter que l'Avant-Clovis est de 1682 et par conséquent postérieur aux romans de Mlle de Scudéry et de La Calprenède, ce commencement de vérité pittoresque s'arrête à l'extérieur. Le dedans, l'âme, reste toujours hors de ses prises. Il ne vient même pas à la pensée de l'historien de se demander si ces dehors barbares peuvent cacher autre chose qu'une âme de barbare. Il n'y avait cependant qu'un pas à faire: on ne mit guère qu'un siècle et demi à le franchir.
En attendant, avec une insouciance et une sécurité vraiment admirables, on fait subir aux moeurs des temps passés le travestissement le plus ridicule. Encore s'il s'était contenté de les ignorer! Mais le siècle, avec une complaisance visible, les façonne à son image et à sa ressemblance. Par un scrupule dont on ne saurait trop le louer, Mézeray, dans sa Galerie des rois de France, a fait laisser en blanc les médaillons de «Faramond» (qu'il appelle aussi «Waramond»), de Clodion, de Mérovée et de Childéric. Mais il écrit sans sourciller que Childéric était «d'humeur amoureuse et d'agréable entretien parmi les Dames»; et au-dessous du portrait d'Hilmetrude, femme de Charlemagne, il laissera graver:
Ce visage charmant, dont l'extrême beauté
Vainquit un Roy vainqueur des plus superbes Testes,
Fait assez voir qu'Amour, par qui tout est dompté,
Sur les conquerans mesme establit ses conquestes.
Étonnez-vous après cela que les romanciers se soient fait le moindre scrupule de donner «L'air et l'esprit français à l'antique Italie»; que, malgré leurs noms, Alexandre et Cyrus, Brutus et Constance jargonnent à l'envi en d'interminables conversations de métaphysique sentimentale, comme des habitués des Samedis de Mlle de Scudéry; que Solon, Socrate, Jules César, Bussy d'Amboise, Alcibiade et tous les autres n'expédient et ne reçoivent que billets galants, ne tiennent que doucereux et fades propos; que les Croisades ne soient envisagées que par rapport aux amours d'un Théophile ou d'une Sophie; qu'une Jeanne d'Arc soit obligée de «décourager» un Baudricourt qui la poursuit de ses déclarations:
Dormez, adorable Bergère,
Fermez ces yeux qui causent tous mes maux.
Je ne veux point troubler leur tranquile repos,
Et tout plein de désirs sans être téméraire,
Un seul de vos regards, un seul mot moins sévère,
Récompenseront mes travaux;
que l'unique souci enfin de «Faramond» soit de fléchir la rigueur de la cruelle Rosemonde! Et demandez-vous d'ailleurs où ce pauvre La Calprenède aurait bien pu prendre la couleur locale de son Faramond!
À les entendre tous cependant, et qu'ils aient nom Scudéry, La Calprenède, Mlle de Villandon ou MMmes de Genlis et Simons-Candeille, les scrupules du plus exact historien n'égaleraient point leurs scrupules; ils n'avancent rien qu'ils ne soient capables de soutenir des preuves les plus authentiques; batailles et traités de paix, expéditions et négociations diplomatiques, depuis les événements les plus importants jusqu'aux faits les plus minimes, tout a été discuté, contrôlé, vérifié; tout a été puisé aux bonnes sources; tout est historique, comme ils disent. Il faut se défier de leurs préfaces, de leurs postfaces, et de toutes leurs notes explicatives et justificatives. N'est-il donc pas assez visible que, de vraisemblance et de fidélité, il ne saurait être question? que, «sous des noms romains», c'est «notre portrait», c'est-à-dire celui de leurs contemporains, qu'ils tracent? et que ce n'est par conséquent pas la société des temps passés, mais celle qu'ils avaient sous les yeux, dont ils s'appliquent à reproduire l'image? Malgré toutes les apparences, on s'acheminait si peu vers le roman historique qu'on lui tournait exactement le dos.
D'autant—et le nouvel abus est tout aussi grave—d'autant que l'histoire n'est souvent pour eux tous, surtout pour elles toutes, qu'«un voile ingénieux, un prétexte» à couvrir les plus ridicules et les plus plates inventions. L'étiquette:historique a été mise aux premiers feuillets, il suffit; le romancier, le coeur léger et débarrassé de tout scrupule, court à son vrai sujet, c'est-à-dire à une intrigue d'ordinaire étrangement compliquée et encore plus invraisemblable. Au surplus est-il parfaitement inutile de s'arrêter plus longtemps à prouver l'évidence même. Autant vaudrait s'attacher à démontrer que Florian n'a écrit Gonzalve de Cordoue que pour respecter l'histoire, et que les lettres adressées de tous les coins du monde—il y en a même une d'«un Anglais de la Caroline»!—à Marmontel, au sujet de_Bélisaire_, n'ont d'autre objet que de le féliciter de la vérité historique de son oeuvre!
Il est sans doute plus intéressant, pour faire voir quelles racines profondes avait poussées le mal, de le montrer infectant le commencement même du XIXe siècle, c'est-à-dire l'époque du succès européen de Walter Scott. Comme une épidémie qui, malgré toutes les précautions et en dépit de toutes les mesures, va toujours se propageant, et, sans faire d'aussi effrayants ravages qu'à ses débuts, frappe toujours quelques victimes, la contagion du roman pseudo-historique continue de sévir, malgré les glorieux exemples venus d'outre-Manche. Il fut donné à Mme de Genlis de voir la lumière, mais la lumière ne l'éclaira point. Elle connut Walter Scott et elle défendit contre lui sa conception surannée du roman historique par des raisons singulièrement faibles et malheureuses, et par des ouvrages plus faibles et plus malheureux encore.
Veut-elle nous décrire par exemple les horreurs d'un siège, elle dira comme au temps de d'Urfé ou de Mme Durand: «Les cornemuses devinrent muettes; on n'entendit plus que le bruit des armes et des trompettes belliqueuses. Les jeunes filles redoutaient de rencontrer ces militaires épars dans les champs trop souvent dévastés par eux! mais, émues et curieuses, elles se cachaient pour les voir, et elles admiraient en secret leur bonne mine, l'assurance et