« Anaximandre » : différence entre les versions
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{{En-tête label|AdQ|année=2007}}
{{Infobox Philosophe
| nom = Anaximandre de Milet
| image =
| taille image = 200
| date de naissance = vers
| lieu de naissance = [[Milet]]
| date de décès = vers
| région = Philosophe occidental
| époque = [[Antiquité]]
| tradition philosophique = [[École milésienne]]
| principaux intérêts = [[Astronomie]], [[physique]], [[géométrie]], [[géographie]]
| idées remarquables = [[apeiron]]
| influencé par = [[Thalès]]
| a influencé = [[Anaximène]], [[Anaxagore]], [[Pythagore]], [[Xénophane]], [[Martin Heidegger]]
| œuvres principales = ''Sur la nature''
}}
'''Anaximandre de Milet''' en {{lang-grc|Ἀναξίμανδρος}} / {{Langue|grc-Latn|''Anaxímandros''}}) (vers
Anaximandre est le premier Grec connu à avoir tenté de décrire et expliquer l'origine et l'organisation de tous les aspects du monde d'un point de vue que l'on qualifie rétrospectivement de [[Science|scientifique]]
Anaximandre passe également pour le premier philosophe à avoir consigné ses travaux par écrit, mais seules quelques phrases sont parvenues jusqu'à nous. Les témoignages antiques permettent de se faire une idée de leur nature et de leur étendue, qui couvre la [[philosophie]], l'[[astronomie]], la [[physique]], la [[biologie]], la [[géométrie]] et la [[géographie]].
== Biographie ==
▲[[Fichier:Anaximander.jpg|thumb|left|140px|[[Raphaël (peintre)|Raphaël]], ''[[l'École d'Athènes]]'', personnage à gauche de [[Pythagore]], peut être Anaximandre<ref>Voir [https://web.archive.org/web/20050909073733/http://www.mlahanas.de/Greeks/SchoolAthens2.htm ''Yhe School of Athens, Who is Who ?''].</ref>.]]
Anaximandre, fils de Praxiadès, est né à [[Milet]] durant la troisième année de la {{42e}} [[olympiade]] (610 {{av JC}})<ref name="Réfutation">[[Hippolyte de Rome]], ''Réfutation de toutes les hérésies'' (I, 5)</ref>. Selon [[Apollodore d'Athènes]], il était âgé de soixante-quatre ans dans la seconde année de la {{58e|olympiade}} ([[-547|547]]-546 {{av JC}}) et il mourut peu de temps après. Il aurait ainsi connu son apogée aux environs de l’époque de [[Polycrate de Samos|Polycrate]], tyran de [[Samos]] (538-522 {{av JC}})<ref>Dans ses ''Chroniques'', tel que rapporté par {{DioVie}} (II, 2).</ref>. Compatriote et élève de [[Thalès]], il semble également qu’il fut l'un de ses parents (selon la ''[[Souda]]''). La mort d’Anaximandre serait contemporaine de la naissance d’[[Héraclite]]<ref>''Histoire de la philosophie'', article « Les Présocratiques » par [[Clémence Ramnoux]], Tome I : {{p.|414}} (1969).</ref>.
Dans ses ''Discours''<ref>''Discours'', 36.</ref>, [[Thémistios]] mentionne qu’Anaximandre aurait été {{Citation|le premier des Grecs connus à publier un ouvrage écrit sur la nature}} et, par ce fait même, ses documents auraient été parmi les premiers textes grecs écrits en [[prose]]{{sfn
Il n'existe pourtant aucune mention de ses textes avant Aristote, et, pour cette raison, l'on suppose parfois
Les ''[[Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres]]''<ref>II, 2.</ref> de [[Diogène Laërce]] rapportent qu'ayant appris que les enfants se moquaient de lui quand il chantait, il aurait répondu qu'il lui faudrait alors apprendre à mieux chanter, pour les enfants.
D’après [[Claude Élien|Élien]], les Milésiens l’auraient chargé de diriger une colonie vers [[Apollonie du Pont]], sur la côte [[thrace]] du [[Mer Noire|Pont-Euxin]], ce qui laisse penser qu’il fut un citoyen d’une certaine notoriété. En effet, les ''Histoires variées''<ref>III, 17.</ref> expliquent que les philosophes laissaient parfois le confort de leurs pensées pour s’occuper d’affaires politiques. Il est donc fort probable qu'il y fut envoyé à titre de législateur pour y apporter une constitution ou encore pour y maintenir le pouvoir par Milet.
== Idées ==
=== L'Origine de toutes choses ===
Les premiers philosophes grecs cherchaient l'origine ou principe des choses. Anaximandre aurait été le premier philosophe à employer le terme grec {{grec ancien|[[wikt:ἀρχή|ἀρχή]]}} / ''[[Arkhè|arkhế]]'' pour désigner l'objet de cette recherche
Ce principe des choses est pour Anaximandre l’{{grec ancien|[[wikt:ἄπειρον|ἄπειρον]]}} / ''[[Apeiron|ápeiron]]'' (« infini » ou « illimité »). [[Hippolyte de Rome]] (I, 5), et plus tard [[Simplicius de Cilicie|Simplicius]] attribuent à Anaximandre la paternité de ce mot pour désigner le principe originel.
==== L{{'}}''apeiron'' ====
En suivant et résumant les témoignages qui nous sont parvenus, on peut dire qu'Anaximandre concevait l'''apeiron'' comme la [[Substance_(philosophie)|substance]] ou principe originel<ref>D'après l'interprétation de Simplicius, ''Phys''. 150.22, par
Le [[raisonnement]] sous-jacent à cette conception d'Anaximandre du principe de toutes choses semble pouvoir être reconstitué de la manière suivante
==== Difficultés d'interprétation ====
Le terme ''apeiron'' a donné lieu à de nombreuses interprétations, depuis Aristote jusqu'à aujourd’hui. Les différentes [[traduction]]s possibles du mot grec (en français par exemple : infini, indéfini, indéterminé, illimité) illustrent les incertitudes liées à cette notion. Si l'ensemble des commentateurs s'accordent sur quelques traits généraux, les discussions de détail ne permettent pas de décider de manière certaine de ce que voulait dire Anaximandre.
Pour expliquer cette impossibilité de déterminer la pensée exacte d'Anaximandre, certains commentateurs soulignent que les sources ne sont pas seulement rares : elles ne sont pas cohérentes, et un témoignage peut même se contredire lui-même, comme si les anciens lecteurs d'Anaximandre éprouvaient de la difficulté à le comprendre
==== Étymologie ====
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L'[[étymologie]] du mot [[grec (langue)|grec]] ''apeiron'' est elle-même sujette à discussions. Ces discussions sont particulièrement importantes dans la mesure où il s'agit d'une part de savoir comment le mot était utilisé du [[temps]] d'Anaximandre, et d'autre part de comprendre l'usage spécifique qu'en fait Anaximandre.
Selon l'étymologie la plus courante, ''apeiron'' vient de ''peras'', la limite, auquel est joint le [[Préfixe (linguistique)|préfixe]] privatif « a- ». L’''apeiron'' serait donc ce qui est privé de limites, par exemple de limites dans l'espace ou dans le temps
[[Fichier:Hvar&Brac.JPG|thumb|La mer est ''apeiron'' pour un Grec ancien : on peut parcourir son immensité, sans parvenir à en atteindre les limites.]]
Selon une autre étymologie, ''apeiron'' vient de ''peraô'', traverser, parcourir, et signifierait donc « ce que l'on ne peut traverser »
L'utilisation de ce mot et de mots de la même famille chez d'autres auteurs grecs précédant Anaximandre nous éclaire sur cette seconde étymologie. Ainsi, chez [[Homère]], la mer est-elle ''apeiron'' ; autrement dit, la mer est vaste, et donne l'impression d'une grandeur qu'un homme ne peut parcourir d'un bout à l'autre, ce qui est le cas également de l'immensité sans fin de la [[Terre]]. La mer et la Terre n'en sont pas moins des réalités limitées
==== L’''apeiron'' est illimité ====
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Conformément à la première étymologie du mot, l’''apeiron'' ne possède pas de limites. Cette absence de limites peut être comprise de manière quantitative et/ou qualitative.
Selon une interprétation quantitative de la notion de limite, cela peut signifier deux choses : qu'il n'a pas de contours précis et qu'il est immense, c'est-à-dire qu'il est infini en grandeur, spatialement. Ainsi, pour [[Abel Rey]], il s'agit d'un « flou indéfiniment plastique, et immense en même temps
Cette compréhension quantitative de l’''apeiron'' est cependant jugée insuffisante
==== L’''apeiron'' est indéterminé ====
Selon une interprétation qualitative de la notion de limite, l’''apeiron'' est dépourvu de limites internes, et non pas seulement de contours c'est-à-dire de limites externes
==== L’''apeiron'' est inengendré ====
En tant que principe de tout, l'''apeiron'' ne peut provenir de rien, c'est-à-dire qu'il n'a pas lui-même de principe et qu'il est inengendré. Il n'a donc pas non plus de commencement, qui serait une limite temporelle, et il n'a pas de fin pour la même raison
==== L’''apeiron'' est cause génératrice ====
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Inengendré et éternel, l'''apeiron'' est la [[cause]] permanente de toutes les autres choses, de leur naissance comme de leur destruction. Se pose alors ici la question de savoir comment Anaximandre concevait la relation entre le principe et les choses dont il est le principe, question qui soulève deux [[problème]]s : l’''apeiron'' est-il immanent au devenir ou distinct de lui ? Comment l’''apeiron'' engendre-t-il les choses ?
Deux solutions très différentes ont été proposées pour résoudre le premier problème : la première solution possible, dont on trouve l'origine chez [[Aristote]]
Toutefois, plusieurs commentateurs
Cette dernière interprétation conduit au second problème : si l’''apeiron'' n'est rien de matériel, comment Anaximandre peut-il en faire une cause génératrice des choses ? En tant que tel, ce principe ne peut faire en effet l'objet d'une connaissance déterminée
=== Description du monde ===
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Selon Anaximandre, l'Univers tire son origine de la séparation des contraires de la matière primordiale. Le processus par lequel la substance originaire s'est différenciée est chez lui une sorte de tourbillon, en {{lang-grc|δίνη}} / ''dinê'', semblable à ceux qu'on observe dans un cours d'eau ; ce tourbillon a opéré un processus de séparation et de triage<ref>John Dillon, ''L'Être et les régions de l'Être'', dans ''Le savoir grec'', sous la direction de [[Jacques Brunschwig]] et Geoffrey E. R. Lloyd, Flammarion, 1996, {{p.|91-92}}.</ref>. Ainsi, le chaud se déplaça vers le haut, se séparant du froid, et ensuite le sec se sépara de l'humide. De la dessiccation d'une matière humide, peut-être terreuse, naissent des vivants, l'Homme étant le produit final d'une évolution à partir d'animaux aquatiques. Il soutenait également que toute chose qui meurt retourne à l’élément dont elle est issue (''apeiron''). La seule citation d'Anaximandre qui nous soit parvenue porte sur ce sujet. Elle a été rapportée par Simplicius et décrit les changements équilibrés et réciproques des éléments :
{{Début citation bloc}}Ce d’où il y a génération des entités, en cela aussi se produit leur destruction, selon la nécessité, car elles se rendent les unes aux autres justice et réparation de leur injustice, selon l’assignation du Temps<ref group="note">[[Simplicius de Cilicie|Simplicius]], ''Commentaire sur la physique d’Aristote'' (24, 13) :
:« {{grec ancien|Ἀναξίμανδρος [...] λέγει δ' αὐτὴν μήτε ὕδωρ μήτε ἄλλο τι τῶν καλουμένων εἶναι στοιχείων, ἀλλ' ἑτέραν τινὰ φύσιν ἄπειρον, ἐξ ἧς ἅπαντας γίνεσθαι τοὺς οὐρανοὺς καὶ τοὺς ἐν αὐτοῖς κόσμους· ἐξ ὧν δὲ ἡ γένεσίς ἐστι τοῖς οὖσι, καὶ τὴν φθορὰν εἰς ταῦτα γίνεσθαι κατὰ τὸ χρεών· διδόναι γὰρ αὐτὰ δίκην καὶ τίσιν ἀλλήλοις τῆς ἀδικίας κατὰ τὴν τοῦ χρόνου τάξιν, ποιητικωτέροις οὕτως ὀνόμασιν αὐτὰ λέγων. δῆλον δὲ ὅτι τὴν εἰς ἄλληλα μεταβολὴν τῶν τεττάρων στοιχείων οὗτος θεασάμενος οὐκ ἠξίωσεν ἕν τι τούτων ὑποκείμενον ποιῆσαι, ἀλλά τι ἄλλο παρὰ ταῦτα· οὗτος δὲ οὐκ ἀλλοιουμένου τοῦ στοιχείου τὴν γένεσιν ποιεῖ, ἀλλ' ἀποκρινομένων τῶν ἐναντίων διὰ τῆς αἰδίου κινήσεως.}} »</ref>.{{Fin citation bloc}}
Ce fragment textuel, décrivant le grand mouvement à l'œuvre dans l'univers, curieusement n'est pas sans rappeler en partie les propos d'[[Héraclite]]<ref group="note">Héraclite 80 DK :
La ponctuation n'existe pas en [[grec ancien]] et les citations se fondent habituellement sur le contexte. Il est donc souvent difficile d'en déterminer le début et la fin. On considère néanmoins généralement qu'il ne s'agit pas là de l'interprétation de Simplicius, mais bien, comme il l'écrit, des « termes quelque peu poétiques » d'Anaximandre. D'après ce fragment, une part de la régularité et de l'équilibre de l'alternance présente dans la nature (été et hiver, peut-être) était attribuée à la Justice, non pas la justice de Zeus, mais une relation interne entre les puissances en lutte entre elles. Anaximandre donnait ainsi à la {{grec ancien|Δίκη}}, [[Dikê]], la valeur d'une loi constitutive du cosmos.
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===== Représentation de l'univers =====
[[Fichier:Perspective de l'Univers d'Anaximander.png|thumb|350px|Schémas du modèle de l’univers d’Anaximandre : à gauche, le jour en [[été]] ; à droite, la nuit en [[hiver]].]]Anaximandre fut le premier à concevoir un modèle [[mécanique (science)|mécanique]] du [[Monde (univers)|monde]]. Il représente l'univers comme étant comme un grand tourbillon. La [[Terre]] flotte en équilibre, immobile au centre de l’infini, sans être soutenue par quoi que ce soit<ref name="Réfutation"/>. Elle demeure « au même endroit à cause de son indifférence » : il expliquait en effet l'immobilité de la Terre au milieu du cosmos par la symétrie de la position qu'elle y occupe qui ne lui donne aucune raison de se déplacer d'un côté plutôt que d'un autre<ref group="note">Anaximandre faisait ainsi une application frappante du principe de [[raison suffisante]] qui répond à la question : {{Citation|Pourquoi cet objet (ou ce lieu, ou ce temps) particulier plutôt qu'un autre ?}}.</ref>, point de vue considéré comme étant ingénieux, mais faux par [[Aristote]] dans son traité ''[[Du ciel]]'' (II, 13). Sa forme curieuse est celle d’un cylindre<ref>Une colonne de pierre, raconte [[Aetius (doxographe)|Aetius]], dans ''Doctrines'' (III, 7, 1), ou semblable à une pierre en forme de colonne, selon le [[Pseudo-Plutarque]] (III, 10).</ref> dont la hauteur est le tiers de son diamètre. La partie plane du dessus forme le monde habitable entouré d’une masse océanique circulaire. Un tel modèle cylindrique permettait de concevoir que les astres aient pu passer en dessous. Cette représentation est novatrice par rapport à l'explication de Thalès d’un monde qui flotte sur l’eau.
La thèse d'Anaximandre que la Terre est suspendue dans le ciel, sans aucun support, est considérée comme la première révolution cosmologique et un point de naissance de la pensée scientifique<ref>[[Carlo Rovelli]], ''Anaximandre de Milet, ou la naissance de la pensée scientifique'', Dunod, Paris, 2009.</ref>{{,}}<ref>Daniel W. Graham, ''Explaining the Cosmos : The Ionian Tradition of Scientific Philosophy'', Princeton, NJ: Princeton University Press, 2006.</ref>. [[Karl Popper]] a appelé cette idée {{Citation|l'une des idées les plus audacieuses, les plus révolutionnaires, les plus prodigieuses de toute l'histoire de la pensée humaine}}, car elle ouvre la voie à [[Aristarque de Samos|Aristarque]] et [[Copernic]], et anticipe dans une certaine mesure [[Isaac Newton|Newton]]<ref>Karl Popper, ''Conjectures and Refutations : The Growth of Scientific Knowledge'', New York : Routledge, 1998, {{p.}}186.</ref>.
À l'origine, après la séparation du chaud et du froid, se forma une boule de flamme qui entoura la Terre comme l'écorce d’un arbre. Cette boule se déchira pour former le reste de l'Univers. Celui-ci ressemblait à un système de roues creuses concentriques emplies de feu et aux parois percées d’une bouche, comme le trou d’une flûte. De la même taille que la terre, le [[Soleil]] était donc le feu que l’on voyait à travers un trou sur la roue la plus éloignée et une éclipse correspondait à la fermeture de ce trou. Le diamètre de la roue solaire égalait vingt-sept fois celui de la Terre (ou vingt-huit, selon les sources<ref>Dans ''Réfutation'', Hippolyte affirme plutôt que le cercle du soleil était vingt-sept fois plus grand que la lune.</ref>) et celui de la [[Lune]] dont le feu était moins intense, dix-huit fois (ou encore dix-neuf). Son trou avait la capacité de changer sa forme, expliquant ainsi les phases lunaires. Les [[étoile]]s et les [[planète]]s, plus rapprochées<ref>[[Aetius (doxographe)|Aetius]], ''Doctrines'', II, 15, 6.</ref>, étaient conçues sur le même modèle<ref group="note">La majeure partie du modèle de l'univers d’Anaximandre nous provient des ''Opinions des philosophes'' du Pseudo-Plutarque (II, 20-28) :
:{{Citation bloc|[Le Soleil] est un cercle vingt-huit fois aussi grand comme la terre, ayant le tour semblable à celui d’une roue de chariot plein de feu, auquel en certain endroit il y a une bouche, par laquelle il montre son feu, comme par le trou d’une flûte. […] le Soleil est égal à la terre, mais que le cercle sur lequel il a sa respiration et sur lequel il est porté, est vingt-sept fois aussi grand que toute la terre. […] [L’éclipse] c’est quand la bouche par où sort la chaleur du feu est close. […] [La lune] c’est un cercle dix-neuf fois aussi grand que toute la terre, tout plein de feu, comme celui du Soleil.}}</ref>.
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{{Citation bloc|Anaximandre de Milet estimait que de l’eau et de la terre réchauffées étaient sortis soit des poissons, soit des animaux tout à fait semblables aux poissons. C’est au sein de ces animaux qu’ont été formés les hommes et que les embryons ont été retenus prisonniers jusqu’à l’âge de la puberté ; alors seulement, après que ces animaux eurent éclaté, en sortirent des hommes et des femmes désormais aptes à se nourrir.|''Sur le jour natal'', IV, 7. Traduction de J. Mangeart, Paris, 1843.}}
[[Fichier:Jonas-und-der-Wal.jpg|thumb|Jonas recraché par la baleine. Enluminure allemande du Moyen Âge.]]
Il avança aussi l'idée selon laquelle les hommes avaient dû passer une partie de cette transition dans la bouche de gros poissons pour se protéger du climat jusqu’à ce qu’ils puissent regagner l’air libre et perdre leurs écailles<ref>[[Plutarque]] mentionne également cette théorie d’Anaximandre selon laquelle les humains naissaient à l’intérieur des poissons, se nourrissant tels des requins, et, lorsqu’ils étaient en mesure de se défendre, étaient rejetés sur le rivage pour vivre sur la terre ferme.</ref>.▼
▲Il avança aussi l'idée selon laquelle les hommes avaient dû passer une partie de cette transition dans la bouche de gros poissons pour se protéger du climat jusqu’à ce qu’ils puissent regagner l’air libre et perdre leurs écailles<ref group="note">[[Plutarque]] mentionne également cette théorie d’Anaximandre selon laquelle les humains naissaient à l’intérieur des poissons, se nourrissant tels des requins, et, lorsqu’ils étaient en mesure de se défendre, étaient rejetés sur le rivage pour vivre sur la terre ferme.</ref>.
Ces conceptions pré-darwiniennes peuvent paraître étranges au regard des connaissances et des méthodes scientifiques modernes car elles proposent des systèmes d'explication très complets de l'univers au moyen d'hypothèses audacieuses et difficiles à vérifier. Elles témoignent toutefois de la naissance d'un phénomène que l'on a parfois appelé le « miracle grec » : certains hommes se mettent à tenter d'expliquer la nature du monde non par le recours au mythe ou à la religion, mais par des principes « matériels ». On pourrait dire qu'il s'agit déjà là du principe fondamental de la pensée scientifique, même si les méthodes de la recherche se sont considérablement transformées depuis lors.
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Anaximandre expliquait des phénomènes, tels que le [[tonnerre]] et les [[foudre|éclairs]], par l'intervention des éléments et non par des causes divines<ref>Pseudo-Plutarque (III, 3) :
:{{Citation bloc|Anaximandre tient, que tout cela se fait par le vent, pour ce que quand il advient qu’il est enfermé dedans une nuée épaisse, alors par sa subtilité et légèreté la rupture fait le bruit : et la divulsion, à cause de la noirceur de la nuée, cause la lumière}}
.</ref>. Le tonnerre serait le son produit par le choc de nuages sous l’action du vent, la force du son étant proportionnelle à celle du choc. S'il tonne sans qu'il éclaire, c'est parce que le vent est trop faible pour produire une flamme, mais assez fort pour produire un son. L'éclair, quant à lui, serait une secousse d'air qui se disperse et tombe en permettant à un feu peu actif de se dégager et la foudre, le résultat d’un courant d’air plus violent et dense<ref>D’après {{SénQN}}, II, 18.</ref>. Il considérait que la mer était ce qui restait de l’humidité originelle<ref>Pseudo-Plutarque (III, 16).</ref>. Selon lui, la terre avait autrefois été entourée d’une masse humide dont l’évaporation d’une partie sous l’effet du soleil causa les vents et même la rotation des astres, comme si ceux-ci devaient aux vapeurs et aux exhalaisons marines leur mouvement en tentant de suivre les endroits où elles sont plus abondantes<ref group="note">Il est donc probable qu’en observant la lune et les marées, Anaximandre crut que ces dernières étaient la cause et non l’effet du mouvement de cet astre.</ref>. Pour lui, la terre s'asséchait lentement et l'eau ne subsistait que dans les régions les plus profondes, qui elles aussi seraient un jour sèches. Si l'on se fie aux ''Météorologiques'' (II, 3) d'Aristote, [[Démocrite]] partageait aussi cette opinion. De manière analogue, Anaximandre expliquait la pluie comme un produit de l’humidité pompée de la terre par le soleil<ref name="Réfutation"/>.
== Activités scientifiques ==
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[[Fichier:Anaximander world map-fr.svg|thumb|280px|Reconstitution hypothétique de la carte du monde d’Anaximandre<ref>D'après John Mansley Robinson, ''An Introduction to Early Greek Philosophy'', Houghton and Mifflin, 1968 {{ISBN|0395053161}}.</ref>.]]
[[Strabon]] et [[Agathémère]], deux géographes grecs très postérieurs à Anaximandre, affirment au début de leurs ouvrages sur la géographie que, selon [[Ératosthène]], Anaximandre avait été la première personne à publier une carte du monde<ref>
Il est certain qu’à cette époque, des cartes locales avaient déjà fait leur apparition, notamment en [[Égypte]], en [[Lydie]], au [[Moyen-Orient]] et à [[Babylone]]. Elles indiquaient des routes, des villes, des frontières ou des formations géologiques. L’innovation d’Anaximandre est d’avoir dessiné une représentation de l’ensemble de la terre habitée par les hommes, ({{lang-grc|οἰκουμένη}}, l’''[[œkoumène]]''), distincte de la Terre comme entité cosmologique, et telle que les Grecs la connaissaient à cette époque.
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# Par intérêt philosophique : le seul fait de pouvoir offrir une représentation de l’''œkoumène'' pour le bénéfice du savoir en justifie la démarche.
Cependant, autant que nous puissions en juger, cette carte d'Anaximandre n'était pas destinée aux voyageurs ni aux expéditions de colonisation ; et elle frappa l'imagination des géographes ultérieurs qui insistèrent sur l'audace démiurgique de son créateur<ref group="note">Même dans l'[[Athènes]] classique, en 423 av. J.-C., une carte de la Terre et des instruments d'astronomie et de géométrie sont encore présentés par [[Aristophane]], dans ''[[Les Nuées]]'' (vers 200 à 217), comme des gadgets abstraits, inutiles à la Cité et associés à la spéculation pure sans retombées politiques.</ref>; surtout, Anaximandre n'était pas un géographe mais un « physicien » au sens grec du terme, c'est-à-dire un philosophe prenant pour objet de sa spéculation la {{grec ancien|φύσις}} / ''physis'', la nature comme substance primordiale d'où toutes choses sont issues et comme processus de venue à l'être. Son projet était donc d'élaborer un modèle visuel de la Terre en liaison avec des hypothèses cosmologiques et des phénomènes météorologiques, le dessin venant en complément d'un traité ''Sur la nature'' qui apportait un ensemble de savoirs connexes<ref>Christian Jacob, ''Géographie'', dans ''Le savoir grec'', sous la direction de [[Jacques Brunschwig]] et Geoffrey E.R. Lloyd, Flammarion, 1996, {{p.|338-344}}, {{ISBN|2-08-210370-6}}.</ref>.
Anaximandre, étant sûrement conscient de la convexité de la mer, aurait peut-être reproduit sa carte sur une surface métallique légèrement bombée. Le centre ou « nombril » du monde ({{grec ancien|ὀμφαλός γῆς}} / {{Langue|grc-Latn|''omphalós gẽs''}}) aurait pu être [[Delphes]], du moins le fut-il à une certaine époque. Mais au temps d'Anaximandre, il est fort probable que celui-ci se situe près de Milet. Dans tous les cas, la [[mer Égée]] se trouvait près de ce centre, bordée par trois continents, eux-mêmes au milieu de l’océan et isolés, tels des îles, par la mer et les cours d'eau. L’[[Europe]] était limitée au sud par la [[Mer Méditerranée|Méditerranée]] et séparée de l'[[Asie]] par le [[Mer Noire|Pont-Euxin]] (la mer Noire), par le [[Mer d'Azov|lac Méotide]] (la mer d'Azov) et plus loin à l'Est, par le [[Phase (fleuve)|Phase]] aujourd’hui [[Rioni]] ou le [[Don (fleuve)|Tanais]] qui auraient bien pu se jeter dans l'océan. Le [[Nil]], quant à lui, s'y jetait au sud, séparant ainsi la [[Libye]] (qui à l'époque désignait le continent [[Afrique|africain]]) de l’Asie.
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Dans son œuvre philosophique ''De la divination''<ref>I, 50, 112.</ref>, [[Cicéron]] raconte qu’Anaximandre aurait pressé les habitants de [[Lacédémone]] d’abandonner leur ville et leurs maisons pour passer la nuit dans la campagne avec leurs armes parce qu’un séisme se préparait. La ville s’est effectivement effondrée alors qu’un sommet du [[Taygète (montagnes)|Taygète]] s’est fendu comme la poupe d’un navire. [[Pline l'Ancien]] fait lui aussi mention de cette anecdote<ref>II, 81.</ref> en suggérant qu'il s'agissait d'une « inspiration admirable », à la différence de [[Cicéron]] qui se gardait bien d'attribuer cette prédiction à de la divination.
Nous n'avons aucune certitude sur la véracité de cette anecdote. Pour Guthrie
== Interprétations contemporaines ==
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* ''La Sphère'' ({{grec ancien|Σφαῖρα}} / {{Langue|grc-Latn|''Sphaĩra''}}).
Thémistios fait également mention de l’œuvre ''Sur la nature''. Il ne s’agit pas nécessairement de titres de livres : la ''Souda'' aurait bien pu ne faire référence qu’aux sujets abordés par son œuvre
== Honneur ==
L'[[astéroïde]] {{PM1|6006|Anaximandre}} [[éponymie|porte son nom]].
== Notes et références ==
=== Notes ===
{{Références|groupe="note"}}
=== Références ===
{{Références}}
Ligne 249 ⟶ 257 :
=== Recueils ===
* [[Hermann Diels]] (Hrsg. und Übers.), ''Die Fragmente der Vorsokratiker. Griechisch und deutsch''. Band 1. Herausgegeben von [[Walther Kranz]]. 4. Auflage, (Abdruck der 3. mit Nachträgen), Weidmann, Berlin 1922
* {{Ouvrage|auteur1=[[Marcel Conche]]|titre=Anaximandre,
* [[Giorgio Colli]], ''Sagesse grecque : Épiménide, Phérécyde, Thalès, Anaximandre'', tome 2, Éclat éd., 1992 {{ISBN|2905372532}}.
* [[Jean-Paul Dumont (philosophe)|Jean-Paul Dumont]], ''Les Présocratiques'', Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988 {{ISBN|2070111393}}.
Ligne 255 ⟶ 263 :
=== Études ===
* {{Article|langue=fr|auteur1=[[Daniel Babut]]|titre=Le divin et les dieux dans la pensée d’Anaximandre|périodique=Revue des Études Grecques|volume=85|numéro=404-405|date=1972|pages=1-32|lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1972_num_85_404_3982|consulté le= 2 avril 2020|id=db}}.
* {{Ouvrage|langue=en
* {{Article|langue=fr|auteur1=[[Marcel De Corte]]|titre=Mythe et philosophie chez Anaximandre|périodique=Laval théologique et philosophique|volume=14|numéro=1|date=1958|pages=9-29|lire en ligne=https://id.erudit.org/iderudit/1019959ar|consulté le= 31 mars 2020|id=dc}}.
* {{en}} Dirk L. Couprie, Robert Hahn et Gerard Naddaf, ''Anaximander in context: new studies in the origins of Greek philosophy'', Albany : State University of New York Press, 2003 {{ISBN|0791455386}}.
* {{
* {{Chapitre|auteur1= [[Martin Heidegger]]|titre chapitre=[[La Parole d'Anaximandre]]|titre ouvrage= Chemins qui ne mènent nulle part|traduction=Wolfgang Brokmeier|éditeur=Gallimard|collection=Tel|année=1986|pages totales = 461|isbn= 978-2-07070562-7|passage= 387-449}}.
* Abel Jeannière, ''Les Présocratiques: l’Aurore de la pensée grecque'', Paris : Le Seuil, coll. « Écrivains de toujours », Paris, 1996 {{ISBN|2020255138}}.
* {{
* {{
* Robert Lahaye, ''La Philosophie ionienne. L’École de Milet'', Paris : Cèdre, 1966.
* [[Gérard Legrand]], ''Les Présocratiques'', Paris : Bordas, Bordas, coll. « Pour connaître », 1987 {{ISBN|2040162968}}.
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* [[Bertrand Russell]], ''Histoire de la philosophie occidentale en relations avec les événements politiques et sociaux de l’Antiquité jusqu’à nos jours'', Paris : Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1953.
* [[Michel Serres]], ''Les Origines de la géometrie'', Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2011.
* {{Ouvrage|auteur1=[[Jean-Pierre Vernant]]|titre=Les origines de la pensée grecque|lieu=Paris|éditeur=[[Presses universitaires de France|PUF]]|année=1981|isbn=|lire en ligne=https://archive.org/details/lesoriginesdelap0000vern/mode/2up
* {{Ouvrage|auteur1=Robin Waterfield|titre=The First Philosophers: The Presocratics and Sophists|lieu=Oxford|éditeur=Oxford University Press|année=2000}}
* {{Article|auteur=Bohdan Wisniewski|lire en ligne=http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_1957_num_70_329_3473|titre=Sur la signification de l’''apeiron'' d'Anaximandre|périodique=[[Revue des études grecques]]|tome=70|numéro=329-330|date=janvier-juin 1957
=== Articles connexes ===
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=== Liens externes ===
* [https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-science-cqfd/anaximandre-savant-gardiste-1611535 « Anaximandre : savant-gardiste »], ''La Science, CQFD'', France Culture, 24 janvier 2024.
* {{mul|grc
* [http://www.canal-u.tv/video/cerimes/comment_est_nee_la_science_anaximandre_premier_scientifique.9518 ''Comment est née la science ? Anaximandre, premier scientifique''], conférence donnée à l'Institut d'Astrophysique de Paris, le {{1er}} février 2011, par [[Carlo Rovelli]]
* {{en}} [http://www.iep.utm.edu/a/anaximan.htm ''Internet Encyclopedia of Philosophy'' — Anaximander], article de Dirk Couprie
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[[Catégorie:Astronome du VIe siècle av. J.-C.]]
[[Catégorie:Géographe du VIe siècle av. J.-C.]]
[[Catégorie:Mononyme de philosophe]]
[[Catégorie:Éponyme d'un objet céleste]]
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