« Anaximandre » : différence entre les versions

Contenu supprimé Contenu ajouté
CielProfond (discuter | contributions)
m Correction du nom de la ville dans son nom
Eskivor (discuter | contributions)
mAucun résumé des modifications
 
(15 versions intermédiaires par 12 utilisateurs non affichées)
Ligne 2 :
{{En-tête label|AdQ|année=2007}}
{{Infobox Philosophe
| nom = Anaximandre de Milet
| image =
| taille image = 200
[[Fichier:Anaximander.jpg|thumb|left|140px | légende = [[Raphaël (peintre)|Raphaël]], ''[[l'École d'Athènes]]'', personnage à gauche de [[Pythagore]], peut être Anaximandre<ref>Voir [https://web.archive.org/web/20050909073733/http://www.mlahanas.de/Greeks/SchoolAthens2.htm ''YheThe School of Athens, Who is Who ?''].</ref>.]]
| légende =
| date de naissance = vers -610 av. J-C
| lieu de naissance = [[Milet]]
| date de décès = vers -546 av. J.-C
| région = Philosophe occidental
| époque = [[Antiquité]]
| tradition philosophique = [[École milésienne]]
| principaux intérêts = [[Astronomie]], [[physique]], [[géométrie]], [[géographie]]
| idées remarquables = [[apeiron]]
| influencé par = [[Thalès]]
| a influencé = [[Anaximène]], [[Anaxagore]], [[Pythagore]], [[Xénophane]], [[Martin Heidegger]]
| œuvres principales = ''Sur la nature''
}}
 
'''Anaximandre de Milet''' en {{lang-grc|Ἀναξίμανδρος}} / {{Langue|grc-Latn|''Anaxímandros''}}) (vers [[610 – vers 546 av. J.-C.]] – vers 546) est un [[philosophe]] et savant grec [[présocratiques|présocratique]]. On suppose qu'il succéda à [[Thalès]] comme maître de l'[[école milésienne]], et il aurait eu [[Xénophane]], [[Pythagore]] et [[Anaximène]] parmi ses élèves.
 
Anaximandre est le premier Grec connu à avoir tenté de décrire et expliquer l'origine et l'organisation de tous les aspects du monde d'un point de vue que l'on qualifie rétrospectivement de [[Science|scientifique]]<ref>{{sfn|Kirk, G.S. et J.E.|Raven, ''The Presocratic Philosophers'', |Schofiled|1984|loc=Chapitre III, Cambridge University Press, 1957.</ref>}}. Nombre de philosophes et commentateurs contemporains estiment pour cette raison que les théories d'Anaximandre représentent une étape essentielle et révolutionnaire de l'[[histoire des sciences]]<ref>Entre autres : Popper, ''Conjectures and Refutations: The Growth of Scientific Knowledge'' ; {{harvsp|Barnes, ''The Presocratic Philosophers, Vol. I: Thales to Zeno'', |1982}}.</ref>.
 
Anaximandre passe également pour le premier philosophe à avoir consigné ses travaux par écrit, mais seules quelques phrases sont parvenues jusqu'à nous. Les témoignages antiques permettent de se faire une idée de leur nature et de leur étendue, qui couvre la [[philosophie]], l'[[astronomie]], la [[physique]], la [[biologie]], la [[géométrie]] et la [[géographie]].
 
== Biographie ==
 
[[Fichier:Anaximander.jpg|thumb|left|140px|[[Raphaël (peintre)|Raphaël]], ''[[l'École d'Athènes]]'', personnage à gauche de [[Pythagore]], peut être Anaximandre<ref>Voir [https://web.archive.org/web/20050909073733/http://www.mlahanas.de/Greeks/SchoolAthens2.htm ''Yhe School of Athens, Who is Who ?''].</ref>.]]
 
Anaximandre, fils de Praxiadès, est né à [[Milet]] durant la troisième année de la {{42e}} [[olympiade]] (610 {{av JC}})<ref name="Réfutation">[[Hippolyte de Rome]], ''Réfutation de toutes les hérésies'' (I, 5)</ref>. Selon [[Apollodore d'Athènes]], il était âgé de soixante-quatre ans dans la seconde année de la {{58e|olympiade}} ([[-547|547]]-546 {{av JC}}) et il mourut peu de temps après. Il aurait ainsi connu son apogée aux environs de l’époque de [[Polycrate de Samos|Polycrate]], tyran de [[Samos]] (538-522 {{av JC}})<ref>Dans ses ''Chroniques'', tel que rapporté par {{DioVie}} (II, 2).</ref>. Compatriote et élève de [[Thalès]], il semble également qu’il fut l'un de ses parents (selon la ''[[Souda]]''). La mort d’Anaximandre serait contemporaine de la naissance d’[[Héraclite]]<ref>''Histoire de la philosophie'', article « Les Présocratiques » par [[Clémence Ramnoux]], Tome I : {{p.|414}} (1969).</ref>.
 
Dans ses ''Discours''<ref>''Discours'', 36.</ref>, [[Thémistios]] mentionne qu’Anaximandre aurait été {{Citation|le premier des Grecs connus à publier un ouvrage écrit sur la nature}} et, par ce fait même, ses documents auraient été parmi les premiers textes grecs écrits en [[prose]]{{sfn |Vernant, ''Les origines de la pensée grecque'' |1981|p=115, |loc=« en choisissant d’écrire en prose, il consomme la rupture avec le style poétique »}}{{,}}<ref>Pour cette thèse, on se réfère à la bibliographie donnée par Christoph Riedweg dans ''Pythagoras hinterliess keine einzige Schrift - ein Irrtum? : Anmerkungen zu einer alten Streitfrage'' in Museum Helveticum 57 (1997), {{p.|65-92}}, [http://biblio.uzh.ch/F/?func=find-c&ccl_term=SYS%3D373434 lien vers l'article].</ref>.
 
Il n'existe pourtant aucune mention de ses textes avant Aristote, et, pour cette raison, l'on suppose parfois<ref>W.K.C. {{sfn|Guthrie, ''A History of Greek Philosophy I, The Earlier Presocratics and the Pythagoreans'', |1962|loc=III, C, § 1, Cambridge University Press 1962.</ref>}} que, du temps de [[Platon]], sa philosophie était tombée dans l’oubli ; c'est Aristote qui l'aurait redécouverte, et c’est à [[Aristote]], à [[Théophraste]] et à quelques [[doxographe]]s que l’on doit les fragments qui nous restent. [[Théophraste]] a écrit qu'Anaximandre est le premier à nommer {{citation|Monde}} l'Univers<ref>[[Strabon]] : 27, 1, 1 et [[Diogène Laërce]] (VIII, 1).</ref>.
 
Les ''[[Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres]]''<ref>II, 2.</ref> de [[Diogène Laërce]] rapportent qu'ayant appris que les enfants se moquaient de lui quand il chantait, il aurait répondu qu'il lui faudrait alors apprendre à mieux chanter, pour les enfants.
 
D’après [[Claude Élien|Élien]], les Milésiens l’auraient chargé de diriger une colonie vers [[Apollonie du Pont]], sur la côte [[thrace]] du [[Mer Noire|Pont-Euxin]], ce qui laisse penser qu’il fut un citoyen d’une certaine notoriété. En effet, les ''Histoires variées''<ref>III, 17.</ref> expliquent que les philosophes laissaient parfois le confort de leurs pensées pour s’occuper d’affaires politiques. Il est donc fort probable qu'il y fut envoyé à titre de législateur pour y apporter une constitution ou encore pour y maintenir le pouvoir par Milet.
 
== Idées ==
=== L'Origine de toutes choses ===
 
Les premiers philosophes grecs cherchaient l'origine ou principe des choses. Anaximandre aurait été le premier philosophe à employer le terme grec {{grec ancien|[[wikt:ἀρχή|ἀρχή]]}} / ''[[Arkhè|arkhế]]'' pour désigner l'objet de cette recherche<ref>W.K.C. {{sfn|Guthrie, ''A History of Greek Philosophy I, The Earlier Presocratics and the Pythagoreans'', |1962|loc=III, C, §2, Cambridge University Press 1962.</ref>}}. Celui-ci signifiait jusqu'alors le « commencement », l'« origine » ; à partir d'Anaximandre, il ne s'agit plus seulement d'un point dans le temps, mais d'une origine perpétuelle, qui engendre continuellement ce qui est.
 
Ce principe des choses est pour Anaximandre l’{{grec ancien|[[wikt:ἄπειρον|ἄπειρον]]}} / ''[[Apeiron|ápeiron]]'' (« infini » ou « illimité »). [[Hippolyte de Rome]] (I, 5), et plus tard [[Simplicius de Cilicie|Simplicius]] attribuent à Anaximandre la paternité de ce mot pour désigner le principe originel.
 
==== L{{'}}''apeiron'' ====
En suivant et résumant les témoignages qui nous sont parvenus, on peut dire qu'Anaximandre concevait l'''apeiron'' comme la [[Substance_(philosophie)|substance]] ou principe originel<ref>D'après l'interprétation de Simplicius, ''Phys''. 150.22, par W.K.C. {{harvsp|Guthrie, ''A History of Greek Philosophy I, The Earlier Presocratics and the Pythagoreans'', |1962|loc=III, C, §2, Cambridge University Press 1962}}.</ref>, source, réceptacle de tout, éternel et indestructible, la cause complète de la génération et de la destruction de tout<ref>Opinion réfutée par le {{PPlOpi}} (I, 3).</ref>. Pour Anaximandre, le principe des choses n’est rien de déterminé, il n'est pas un des éléments, comme c'était le cas chez Thalès. Pas plus qu'il ne s'agit de quelque chose d’intermédiaire entre l’air et l’eau, ou l'air et le feu, plus dense que l'air et le feu et plus subtil que l'eau et la terre<ref>{{AriGC}}, II, 5.</ref>.
 
Le [[raisonnement]] sous-jacent à cette conception d'Anaximandre du principe de toutes choses semble pouvoir être reconstitué de la manière suivante<ref>D'après CONCHE, {{p.sfn|Conche|1991|p=127}}. {{,}}<ref>Voir également BARNES, {{harvsp|Barnes|1982|loc=§ III}}, pour une formulation comparable.</ref> : tout ce qui devient a un commencement, une fin, en bref des limites spatio-temporelles ; ce qui a un commencement et une fin ne peut être la [[cause]] éternelle de tous les êtres. Donc seul ce qui est illimité et indéterminé peut être une cause universelle, indestructible et permanente.
 
==== Difficultés d'interprétation ====
Le terme ''apeiron'' a donné lieu à de nombreuses interprétations, depuis Aristote jusqu'à aujourd’hui. Les différentes [[traduction]]s possibles du mot grec (en français par exemple : infini, indéfini, indéterminé, illimité) illustrent les incertitudes liées à cette notion. Si l'ensemble des commentateurs s'accordent sur quelques traits généraux, les discussions de détail ne permettent pas de décider de manière certaine de ce que voulait dire Anaximandre.
 
Pour expliquer cette impossibilité de déterminer la pensée exacte d'Anaximandre, certains commentateurs soulignent que les sources ne sont pas seulement rares : elles ne sont pas cohérentes, et un témoignage peut même se contredire lui-même, comme si les anciens lecteurs d'Anaximandre éprouvaient de la difficulté à le comprendre<ref>WISNIEWSKI.</ref>{{sfn|Wisniewski|1957|p=47-55}}. Quelques commentateurs avancent à ce sujet que c'est peut-être finalement la pensée même d'Anaximandre qui est intrinsèquement incertaine et confuse, et que cette partie [[métaphysique]] de son œuvre est loin d'avoir la même valeur que ses contributions [[scientifique]]s<ref name{{sfn|Barnes|1982|loc="BARNES, § II">BARNES, § II.</ref>}}.
 
==== Étymologie ====
Ligne 59 ⟶ 58 :
L'[[étymologie]] du mot [[grec (langue)|grec]] ''apeiron'' est elle-même sujette à discussions. Ces discussions sont particulièrement importantes dans la mesure où il s'agit d'une part de savoir comment le mot était utilisé du [[temps]] d'Anaximandre, et d'autre part de comprendre l'usage spécifique qu'en fait Anaximandre.
 
Selon l'étymologie la plus courante, ''apeiron'' vient de ''peras'', la limite, auquel est joint le [[Préfixe (linguistique)|préfixe]] privatif « a- ». L’''apeiron'' serait donc ce qui est privé de limites, par exemple de limites dans l'espace ou dans le temps<ref name{{sfn|Barnes|1982|loc="BARNES, § II"/>}}.
[[Fichier:Hvar&Brac.JPG|thumb|La mer est ''apeiron'' pour un Grec ancien : on peut parcourir son immensité, sans parvenir à en atteindre les limites.]]
Selon une autre étymologie, ''apeiron'' vient de ''peraô'', traverser, parcourir, et signifierait donc « ce que l'on ne peut traverser »<ref name{{sfn|Barnes|1982|loc="BARNES, § II"/>}}. Il n'y a pas obligatoirement dans ce cas une idée d'absence de limites : est ''apeiron'' ce qui peut se parcourir, mais qui est par exemple trop vaste pour qu'on en puisse découvrir le terme.
 
L'utilisation de ce mot et de mots de la même famille chez d'autres auteurs grecs précédant Anaximandre nous éclaire sur cette seconde étymologie. Ainsi, chez [[Homère]], la mer est-elle ''apeiron'' ; autrement dit, la mer est vaste, et donne l'impression d'une grandeur qu'un homme ne peut parcourir d'un bout à l'autre, ce qui est le cas également de l'immensité sans fin de la [[Terre]]. La mer et la Terre n'en sont pas moins des réalités limitées<ref>CONCHE, 1991, {{p.sfn|Conche|1991|p=70-73}}.</ref>. Dans le même ordre d'idées, le mot peut qualifier des [[sphère]]s et des [[cercle]]s que l'on peut parcourir sans parvenir jamais à une fin.
 
==== L’''apeiron'' est illimité ====
Ligne 69 ⟶ 68 :
Conformément à la première étymologie du mot, l’''apeiron'' ne possède pas de limites. Cette absence de limites peut être comprise de manière quantitative et/ou qualitative.
 
Selon une interprétation quantitative de la notion de limite, cela peut signifier deux choses : qu'il n'a pas de contours précis et qu'il est immense, c'est-à-dire qu'il est infini en grandeur, spatialement. Ainsi, pour [[Abel Rey]], il s'agit d'un « flou indéfiniment plastique, et immense en même temps<ref>Cité dans CONCHE, 1991, {{sfn|Conche|1991|p.|=64}}.</ref> ». Pour Kahn, de manière semblable, c'est « une masse immense et inépuisable, qui s'étend à l'infini de tout côté. […] L'Illimité est ce que nous appelons l'espace infini<ref>KAHN, 1960, {{sfn|Kahn|1960|p.|=233}}.</ref> ». Dans cette dernière interprétation, on peut noter que l'espace et la [[Matière (philosophie)|matière]] sont conçus conjointement.
 
Cette compréhension quantitative de l’''apeiron'' est cependant jugée insuffisante<ref>CONCHE, 1991, {{p.sfn|Conche|1991|p=64}}.</ref>, dans la mesure où elle ne tiendrait pas compte de l'illimitation qualitative de l'''apeiron'', c'est-à-dire de son indétermination déjà perceptible dans l'idée qu'il n'a pas de contours.
 
==== L’''apeiron'' est indéterminé ====
 
Selon une interprétation qualitative de la notion de limite, l’''apeiron'' est dépourvu de limites internes, et non pas seulement de contours c'est-à-dire de limites externes<ref>CONCHE, 1991, {{sfn|Conche|1991|p.|=63}}.</ref>. Il n'y a pas en lui de distinctions telles que celles qui existent entre des objets de différentes natures, et il ne peut ressembler à rien de déterminé, comme les éléments. Il n'y a donc rien qui le définirait et il n'est d'aucune sorte ou genre<ref>KIRK, G.S. et RAVEN, J.E., 1957.</ref>{{sfn|Kirk|Raven|Schofiled|1984}}.
 
==== L’''apeiron'' est inengendré ====
 
En tant que principe de tout, l'''apeiron'' ne peut provenir de rien, c'est-à-dire qu'il n'a pas lui-même de principe et qu'il est inengendré. Il n'a donc pas non plus de commencement, qui serait une limite temporelle, et il n'a pas de fin pour la même raison<ref>CONCHE, 1991, {{sfn|Conche|1991|p.|=84}} ; GUTHRIE{{, }}{{sfn|Guthrie|1962.</ref>}}. Il est de ce fait qualifié d'immortel et d'impérissable, d'éternel et sans âge, ce qui souligne son caractère originel : l’''apeiron'' existe de tout temps, son existence est permanente<ref name="GUTHRIE, {{sfn|Guthrie|1962">GUTHRIE, 1962.</ref>}}.
 
==== L’''apeiron'' est cause génératrice ====
Ligne 85 ⟶ 84 :
Inengendré et éternel, l'''apeiron'' est la [[cause]] permanente de toutes les autres choses, de leur naissance comme de leur destruction. Se pose alors ici la question de savoir comment Anaximandre concevait la relation entre le principe et les choses dont il est le principe, question qui soulève deux [[problème]]s : l’''apeiron'' est-il immanent au devenir ou distinct de lui ? Comment l’''apeiron'' engendre-t-il les choses ?
 
Deux solutions très différentes ont été proposées pour résoudre le premier problème : la première solution possible, dont on trouve l'origine chez [[Aristote]]<ref>WATERFIELD, 2000, {{sfn|Waterfield|2000|p.|=5}}.</ref>, consiste à dire que l’''apeiron'' est un mélange des opposés et qu'il est donc [[immanent]] au devenir, qu'il en est la [[Matière (philosophie)|matière]]<ref name="CONCHE, 1991">CONCHE, 1991, {{sfn|Conche|1991|p.|=90}}.</ref>. Cette interprétation est soutenue au {{s|XX}} par Guthrie<ref name="GUTHRIE, {{sfn|Guthrie|1962"/>}} pour qui l'''apeiron'' n'a pas de qualités propres (selon l'idée que le principe est qualitativement indéfini), mais contient en lui toutes les qualités qui se sépareront de lui par la suite et qui formeront le devenir. Cette interprétation est soutenue également par Abel Rey et Kahn, cités dans une section précédente, pour qui l’''apeiron'' est une quantité de matière informe et illimitée.
 
Toutefois, plusieurs commentateurs<ref>Par exemple WATERFIELD, {{sfn|Waterfield|2000}}{{, ''Ibid.'' Voir également CONCHE.</ref>}}{{sfn|Conche|1991}} proposent une deuxième solution, en soutenant que l’''apeiron'' doit se distinguer intrinsèquement de ce qu'il produit : il n'est rien de matériel, ne contient pas littéralement ce qu'il produit, car, n'étant pas qualitativement défini, il n'en est pas composé. Il n'est donc ni un mélange ni un intermédiaire entre les éléments<ref>Thèse défendue par CONCHE, 1991, {{sfn|Conche|1991|p.|=87}} et sq.</ref>}}, et il ne sera pas plus l'espace infini que la [[Matière (philosophie)|matière]], de même qu'il n'existera pas dans le temps, puisqu'il est l'origine de toutes ces choses. Selon cette interprétation, puisque l'''apeiron'' est une cause génératrice, on ne saurait le confondre avec un quelconque substrat matériel.
 
Cette dernière interprétation conduit au second problème : si l’''apeiron'' n'est rien de matériel, comment Anaximandre peut-il en faire une cause génératrice des choses ? En tant que tel, ce principe ne peut faire en effet l'objet d'une connaissance déterminée<ref name="CONCHE, {{sfn|Conche|1991"/>|p=90}} ; comment dans ce cas pourrait-il être un principe d'explication de ce qui est ? C'est la description de la formation de l'univers, c'est-à-dire la [[cosmologie]], qui va permettre de voir plus en détail ce qu'il en est de ce problème de l'engendrement des choses.
 
=== Description du monde ===
Ligne 107 ⟶ 106 :
Selon Anaximandre, l'Univers tire son origine de la séparation des contraires de la matière primordiale. Le processus par lequel la substance originaire s'est différenciée est chez lui une sorte de tourbillon, en {{lang-grc|δίνη}} / ''dinê'', semblable à ceux qu'on observe dans un cours d'eau ; ce tourbillon a opéré un processus de séparation et de triage<ref>John Dillon, ''L'Être et les régions de l'Être'', dans ''Le savoir grec'', sous la direction de [[Jacques Brunschwig]] et Geoffrey E. R. Lloyd, Flammarion, 1996, {{p.|91-92}}.</ref>. Ainsi, le chaud se déplaça vers le haut, se séparant du froid, et ensuite le sec se sépara de l'humide. De la dessiccation d'une matière humide, peut-être terreuse, naissent des vivants, l'Homme étant le produit final d'une évolution à partir d'animaux aquatiques. Il soutenait également que toute chose qui meurt retourne à l’élément dont elle est issue (''apeiron''). La seule citation d'Anaximandre qui nous soit parvenue porte sur ce sujet. Elle a été rapportée par Simplicius et décrit les changements équilibrés et réciproques des éléments :
 
{{Début citation bloc}}Ce d’où il y a génération des entités, en cela aussi se produit leur destruction, selon la nécessité, car elles se rendent les unes aux autres justice et réparation de leur injustice, selon l’assignation du Temps<ref group="note">[[Simplicius de Cilicie|Simplicius]], ''Commentaire sur la physique d’Aristote'' (24, 13) :
:« {{grec ancien|Ἀναξίμανδρος [...] λέγει δ' αὐτὴν μήτε ὕδωρ μήτε ἄλλο τι τῶν καλουμένων εἶναι στοιχείων, ἀλλ' ἑτέραν τινὰ φύσιν ἄπειρον, ἐξ ἧς ἅπαντας γίνεσθαι τοὺς οὐρανοὺς καὶ τοὺς ἐν αὐτοῖς κόσμους· ἐξ ὧν δὲ ἡ γένεσίς ἐστι τοῖς οὖσι, καὶ τὴν φθορὰν εἰς ταῦτα γίνεσθαι κατὰ τὸ χρεών· διδόναι γὰρ αὐτὰ δίκην καὶ τίσιν ἀλλήλοις τῆς ἀδικίας κατὰ τὴν τοῦ χρόνου τάξιν, ποιητικωτέροις οὕτως ὀνόμασιν αὐτὰ λέγων. δῆλον δὲ ὅτι τὴν εἰς ἄλληλα μεταβολὴν τῶν τεττάρων στοιχείων οὗτος θεασάμενος οὐκ ἠξίωσεν ἕν τι τούτων ὑποκείμενον ποιῆσαι, ἀλλά τι ἄλλο παρὰ ταῦτα· οὗτος δὲ οὐκ ἀλλοιουμένου τοῦ στοιχείου τὴν γένεσιν ποιεῖ, ἀλλ' ἀποκρινομένων τῶν ἐναντίων διὰ τῆς αἰδίου κινήσεως.}} »</ref>.{{Fin citation bloc}}
 
Ce fragment textuel, décrivant le grand mouvement à l'œuvre dans l'univers, curieusement n'est pas sans rappeler en partie les propos d'[[Héraclite]]<ref group="note">Héraclite 80 DK : ''il{{Citation|Il faut savoir que la guerre est ce qui est commun et qu'elle est éprise de justice, '''ainsi toutes choses sont engendrées et rendues nécessaires par la discorde''' ''}}</ref>. Cette similitude syntaxique lointaine semble indiquer la volonté de décrire le Monde par une prose mêlée de tours poétiques, vaguement prophétique.
 
La ponctuation n'existe pas en [[grec ancien]] et les citations se fondent habituellement sur le contexte. Il est donc souvent difficile d'en déterminer le début et la fin. On considère néanmoins généralement qu'il ne s'agit pas là de l'interprétation de Simplicius, mais bien, comme il l'écrit, des « termes quelque peu poétiques » d'Anaximandre. D'après ce fragment, une part de la régularité et de l'équilibre de l'alternance présente dans la nature (été et hiver, peut-être) était attribuée à la Justice, non pas la justice de Zeus, mais une relation interne entre les puissances en lutte entre elles. Anaximandre donnait ainsi à la {{grec ancien|Δίκη}}, [[Dikê]], la valeur d'une loi constitutive du cosmos.
Ligne 118 ⟶ 117 :
===== Représentation de l'univers =====
 
[[Fichier:Perspective de l'Univers d'Anaximander.png|thumb|350px|Schémas du modèle de l’univers d’Anaximandre : à gauche, le jour en [[été]] ; à droite, la nuit en [[hiver]].]]Anaximandre fut le premier à concevoir un modèle [[mécanique (science)|mécanique]] du [[Monde (univers)|monde]]. Il représente l'univers comme étant comme un grand tourbillon. La [[Terre]] flotte en équilibre, immobile au centre de l’infini, sans être soutenue par quoi que ce soit<ref name="Réfutation"/>. Elle demeure « au même endroit à cause de son indifférence » : il expliquait en effet l'immobilité de la Terre au milieu du cosmos par la symétrie de la position qu'elle y occupe qui ne lui donne aucune raison de se déplacer d'un côté plutôt que d'un autre<ref group="note">Anaximandre faisait ainsi une application frappante du principe de [[raison suffisante]] qui répond à la question : {{Citation|Pourquoi cet objet (ou ce lieu, ou ce temps) particulier plutôt qu'un autre ?}}.</ref>, point de vue considéré comme étant ingénieux, mais faux par [[Aristote]] dans son traité ''[[Du ciel]]'' (II, 13). Sa forme curieuse est celle d’un cylindre<ref>Une colonne de pierre, raconte [[Aetius (doxographe)|Aetius]], dans ''Doctrines'' (III, 7, 1), ou semblable à une pierre en forme de colonne, selon le [[Pseudo-Plutarque]] (III, 10).</ref> dont la hauteur est le tiers de son diamètre. La partie plane du dessus forme le monde habitable entouré d’une masse océanique circulaire. Un tel modèle cylindrique permettait de concevoir que les astres aient pu passer en dessous. Cette représentation est novatrice par rapport à l'explication de Thalès d’un monde qui flotte sur l’eau.
 
La thèse d'Anaximandre que la Terre est suspendue dans le ciel, sans aucun support, est considérée comme la première révolution cosmologique et un point de naissance de la pensée scientifique<ref>[[Carlo Rovelli]], ''Anaximandre de Milet, ou la naissance de la pensée scientifique'', Dunod, Paris, 2009.</ref>{{,}}<ref>Daniel W. Graham, ''Explaining the Cosmos : The Ionian Tradition of Scientific Philosophy'', Princeton, NJ: Princeton University Press, 2006.</ref>. [[Karl Popper]] a appelé cette idée {{Citation|l'une des idées les plus audacieuses, les plus révolutionnaires, les plus prodigieuses de toute l'histoire de la pensée humaine}}, car elle ouvre la voie à [[Aristarque de Samos|Aristarque]] et [[Copernic]], et anticipe dans une certaine mesure [[Isaac Newton|Newton]]<ref>Karl Popper, ''Conjectures and Refutations : The Growth of Scientific Knowledge'', New York : Routledge, 1998, {{p.}}186.</ref>.
 
À l'origine, après la séparation du chaud et du froid, se forma une boule de flamme qui entoura la Terre comme l'écorce d’un arbre. Cette boule se déchira pour former le reste de l'Univers. Celui-ci ressemblait à un système de roues creuses concentriques emplies de feu et aux parois percées d’une bouche, comme le trou d’une flûte. De la même taille que la terre, le [[Soleil]] était donc le feu que l’on voyait à travers un trou sur la roue la plus éloignée et une éclipse correspondait à la fermeture de ce trou. Le diamètre de la roue solaire égalait vingt-sept fois celui de la Terre (ou vingt-huit, selon les sources<ref>Dans ''Réfutation'', Hippolyte affirme plutôt que le cercle du soleil était vingt-sept fois plus grand que la lune.</ref>) et celui de la [[Lune]] dont le feu était moins intense, dix-huit fois (ou encore dix-neuf). Son trou avait la capacité de changer sa forme, expliquant ainsi les phases lunaires. Les [[étoile]]s et les [[planète]]s, plus rapprochées<ref>[[Aetius (doxographe)|Aetius]], ''Doctrines'', II, 15, 6.</ref>, étaient conçues sur le même modèle<ref group="note">La majeure partie du modèle de l'univers d’Anaximandre nous provient des ''Opinions des philosophes'' du Pseudo-Plutarque (II, 20-28) :
:{{Citation bloc|[Le Soleil] est un cercle vingt-huit fois aussi grand comme la terre, ayant le tour semblable à celui d’une roue de chariot plein de feu, auquel en certain endroit il y a une bouche, par laquelle il montre son feu, comme par le trou d’une flûte. […] le Soleil est égal à la terre, mais que le cercle sur lequel il a sa respiration et sur lequel il est porté, est vingt-sept fois aussi grand que toute la terre. […] [L’éclipse] c’est quand la bouche par où sort la chaleur du feu est close. […] [La lune] c’est un cercle dix-neuf fois aussi grand que toute la terre, tout plein de feu, comme celui du Soleil.}}</ref>.
 
Ligne 142 ⟶ 141 :
 
{{Citation bloc|Anaximandre de Milet estimait que de l’eau et de la terre réchauffées étaient sortis soit des poissons, soit des animaux tout à fait semblables aux poissons. C’est au sein de ces animaux qu’ont été formés les hommes et que les embryons ont été retenus prisonniers jusqu’à l’âge de la puberté ; alors seulement, après que ces animaux eurent éclaté, en sortirent des hommes et des femmes désormais aptes à se nourrir.|''Sur le jour natal'', IV, 7. Traduction de J. Mangeart, Paris, 1843.}}
 
[[Fichier:Jonas-und-der-Wal.jpg|thumb]]
[[Fichier:Jonas-und-der-Wal.jpg|thumb|Jonas recraché par la baleine. Enluminure allemande du Moyen Âge.]]
Il avança aussi l'idée selon laquelle les hommes avaient dû passer une partie de cette transition dans la bouche de gros poissons pour se protéger du climat jusqu’à ce qu’ils puissent regagner l’air libre et perdre leurs écailles<ref>[[Plutarque]] mentionne également cette théorie d’Anaximandre selon laquelle les humains naissaient à l’intérieur des poissons, se nourrissant tels des requins, et, lorsqu’ils étaient en mesure de se défendre, étaient rejetés sur le rivage pour vivre sur la terre ferme.</ref>.
 
Il avança aussi l'idée selon laquelle les hommes avaient dû passer une partie de cette transition dans la bouche de gros poissons pour se protéger du climat jusqu’à ce qu’ils puissent regagner l’air libre et perdre leurs écailles<ref group="note">[[Plutarque]] mentionne également cette théorie d’Anaximandre selon laquelle les humains naissaient à l’intérieur des poissons, se nourrissant tels des requins, et, lorsqu’ils étaient en mesure de se défendre, étaient rejetés sur le rivage pour vivre sur la terre ferme.</ref>.
 
Ces conceptions pré-darwiniennes peuvent paraître étranges au regard des connaissances et des méthodes scientifiques modernes car elles proposent des systèmes d'explication très complets de l'univers au moyen d'hypothèses audacieuses et difficiles à vérifier. Elles témoignent toutefois de la naissance d'un phénomène que l'on a parfois appelé le « miracle grec » : certains hommes se mettent à tenter d'expliquer la nature du monde non par le recours au mythe ou à la religion, mais par des principes « matériels ». On pourrait dire qu'il s'agit déjà là du principe fondamental de la pensée scientifique, même si les méthodes de la recherche se sont considérablement transformées depuis lors.
Ligne 150 ⟶ 151 :
 
Anaximandre expliquait des phénomènes, tels que le [[tonnerre]] et les [[foudre|éclairs]], par l'intervention des éléments et non par des causes divines<ref>Pseudo-Plutarque (III, 3) :
:{{Citation bloc|Anaximandre tient, que tout cela se fait par le vent, pour ce que quand il advient qu’il est enfermé dedans une nuée épaisse, alors par sa subtilité et légèreté la rupture fait le bruit : et la divulsion, à cause de la noirceur de la nuée, cause la lumière}}
.</ref>. Le tonnerre serait le son produit par le choc de nuages sous l’action du vent, la force du son étant proportionnelle à celle du choc. S'il tonne sans qu'il éclaire, c'est parce que le vent est trop faible pour produire une flamme, mais assez fort pour produire un son. L'éclair, quant à lui, serait une secousse d'air qui se disperse et tombe en permettant à un feu peu actif de se dégager et la foudre, le résultat d’un courant d’air plus violent et dense<ref>D’après {{SénQN}}, II, 18.</ref>.
 
Il considérait que la mer était ce qui restait de l’humidité originelle<ref>Pseudo-Plutarque (III, 16).</ref>. Selon lui, la terre avait autrefois été entourée d’une masse humide dont l’évaporation d’une partie sous l’effet du soleil causa les vents et même la rotation des astres, comme si ceux-ci devaient aux vapeurs et aux exhalaisons marines leur mouvement en tentant de suivre les endroits où elles sont plus abondantes<ref group="note">Il est donc probable qu’en observant la lune et les marées, Anaximandre crut que ces dernières étaient la cause et non l’effet du mouvement de cet astre.</ref>. Pour lui, la terre s'asséchait lentement et l'eau ne subsistait que dans les régions les plus profondes, qui elles aussi seraient un jour sèches. Si l'on se fie aux ''Météorologiques'' (II, 3) d'Aristote, [[Démocrite]] partageait aussi cette opinion. De manière analogue, Anaximandre expliquait la pluie comme un produit de l’humidité pompée de la terre par le soleil<ref name="Réfutation"/>.
 
== Activités scientifiques ==
Ligne 160 ⟶ 162 :
[[Fichier:Anaximander world map-fr.svg|thumb|280px|Reconstitution hypothétique de la carte du monde d’Anaximandre<ref>D'après John Mansley Robinson, ''An Introduction to Early Greek Philosophy'', Houghton and Mifflin, 1968 {{ISBN|0395053161}}.</ref>.]]
 
[[Strabon]] et [[Agathémère]], deux géographes grecs très postérieurs à Anaximandre, affirment au début de leurs ouvrages sur la géographie que, selon [[Ératosthène]], Anaximandre avait été la première personne à publier une carte du monde<ref>"{{Citation|Ératosthène ajoute qu'Anaximandre publia la première Carte géographique."}} Strabon, ''Géographie'', Liv.I, Chap. 1, 11.</ref>. [[Hécatée de Milet|Hécatée]] se serait inspiré de son dessin pour en produire une plus précise. Strabon considère Anaximandre et [[Hécatée de Milet|Hécatée]] comme les deux premiers géographes après [[Homère]]<ref>"{{Citation|Pour le moment, ce qui a été dit doit suffire à établir qu'Homère a été bien réellement le père de la géographie. Quant aux successeurs qu'il a eus dans cette science, c'étaient, comme chacun sait, des hommes d'un mérite éminent et familiarisés avec les études philosophiques : les deux qu'Ératosthène nomme immédiatement après lui sont Anaximandre, qui fut le disciple et le compatriote de Thalès, et Hécatée de Milet."}} Strabon, ''Géographie'', Liv.I, Chap. 1, 11</ref>.
 
Il est certain qu’à cette époque, des cartes locales avaient déjà fait leur apparition, notamment en [[Égypte]], en [[Lydie]], au [[Moyen-Orient]] et à [[Babylone]]. Elles indiquaient des routes, des villes, des frontières ou des formations géologiques. L’innovation d’Anaximandre est d’avoir dessiné une représentation de l’ensemble de la terre habitée par les hommes, ({{lang-grc|οἰκουμένη}}, l’''[[œkoumène]]''), distincte de la Terre comme entité cosmologique, et telle que les Grecs la connaissaient à cette époque.
Ligne 169 ⟶ 171 :
# Par intérêt philosophique : le seul fait de pouvoir offrir une représentation de l’''œkoumène'' pour le bénéfice du savoir en justifie la démarche.
 
Cependant, autant que nous puissions en juger, cette carte d'Anaximandre n'était pas destinée aux voyageurs ni aux expéditions de colonisation ; et elle frappa l'imagination des géographes ultérieurs qui insistèrent sur l'audace démiurgique de son créateur<ref group="note">Même dans l'[[Athènes]] classique, en 423 av. J.-C., une carte de la Terre et des instruments d'astronomie et de géométrie sont encore présentés par [[Aristophane]], dans ''[[Les Nuées]]'' (vers 200 à 217), comme des gadgets abstraits, inutiles à la Cité et associés à la spéculation pure sans retombées politiques.</ref>; surtout, Anaximandre n'était pas un géographe mais un « physicien » au sens grec du terme, c'est-à-dire un philosophe prenant pour objet de sa spéculation la {{grec ancien|φύσις}} / ''physis'', la nature comme substance primordiale d'où toutes choses sont issues et comme processus de venue à l'être. Son projet était donc d'élaborer un modèle visuel de la Terre en liaison avec des hypothèses cosmologiques et des phénomènes météorologiques, le dessin venant en complément d'un traité ''Sur la nature'' qui apportait un ensemble de savoirs connexes<ref>Christian Jacob, ''Géographie'', dans ''Le savoir grec'', sous la direction de [[Jacques Brunschwig]] et Geoffrey E.R. Lloyd, Flammarion, 1996, {{p.|338-344}}, {{ISBN|2-08-210370-6}}.</ref>.
 
Anaximandre, étant sûrement conscient de la convexité de la mer, aurait peut-être reproduit sa carte sur une surface métallique légèrement bombée. Le centre ou « nombril » du monde ({{grec ancien|ὀμφαλός γῆς}} / {{Langue|grc-Latn|''omphalós gẽs''}}) aurait pu être [[Delphes]], du moins le fut-il à une certaine époque. Mais au temps d'Anaximandre, il est fort probable que celui-ci se situe près de Milet. Dans tous les cas, la [[mer Égée]] se trouvait près de ce centre, bordée par trois continents, eux-mêmes au milieu de l’océan et isolés, tels des îles, par la mer et les cours d'eau. L’[[Europe]] était limitée au sud par la [[Mer Méditerranée|Méditerranée]] et séparée de l'[[Asie]] par le [[Mer Noire|Pont-Euxin]] (la mer Noire), par le [[Mer d'Azov|lac Méotide]] (la mer d'Azov) et plus loin à l'Est, par le [[Phase (fleuve)|Phase]] aujourd’hui [[Rioni]] ou le [[Don (fleuve)|Tanais]] qui auraient bien pu se jeter dans l'océan. Le [[Nil]], quant à lui, s'y jetait au sud, séparant ainsi la [[Libye]] (qui à l'époque désignait le continent [[Afrique|africain]]) de l’Asie.
Ligne 187 ⟶ 189 :
Dans son œuvre philosophique ''De la divination''<ref>I, 50, 112.</ref>, [[Cicéron]] raconte qu’Anaximandre aurait pressé les habitants de [[Lacédémone]] d’abandonner leur ville et leurs maisons pour passer la nuit dans la campagne avec leurs armes parce qu’un séisme se préparait. La ville s’est effectivement effondrée alors qu’un sommet du [[Taygète (montagnes)|Taygète]] s’est fendu comme la poupe d’un navire. [[Pline l'Ancien]] fait lui aussi mention de cette anecdote<ref>II, 81.</ref> en suggérant qu'il s'agissait d'une « inspiration admirable », à la différence de [[Cicéron]] qui se gardait bien d'attribuer cette prédiction à de la divination.
 
Nous n'avons aucune certitude sur la véracité de cette anecdote. Pour Guthrie<ref>{{sfn|Guthrie, ''A History of Greek Philosophy I, The Earlier Presocratics and the Pythagoreans'', |1962|loc=III, C, § 1.</ref>}}, elle n'a rien d'invraisemblable s'il est vrai que les animaux sentent l'arrivée d'un séisme et changent de comportements : un observateur de la nature comme Anaximandre, dans une région où les tremblements de terre sont très fréquents, pourrait avoir remarqué ce phénomène.
 
== Interprétations contemporaines ==
Ligne 204 ⟶ 206 :
* ''La Sphère'' ({{grec ancien|Σφαῖρα}} / {{Langue|grc-Latn|''Sphaĩra''}}).
 
Thémistios fait également mention de l’œuvre ''Sur la nature''. Il ne s’agit pas nécessairement de titres de livres : la ''Souda'' aurait bien pu ne faire référence qu’aux sujets abordés par son œuvre<ref>W.K.C. {{sfn|Guthrie, ''A History of Greek Philosophy I, The Earlier Presocratics and the Pythagoreans'', |1962|loc=III, C, § 1, [[Cambridge University Press]] 1962.</ref>}}. Cette liste est d’ailleurs incomplète puisque la ''Souda'' termine son énumération par {{grec ancien|ἄλλα τινά}}, suggérant donc « d'autres œuvres ».
 
== Honneur ==
L'[[astéroïde]] {{PM1|6006|Anaximandre}} [[éponymie|porte son nom]].
 
== Notes et références ==
=== Notes ===
{{Références|groupe="note"}}
=== Références ===
{{Références}}
 
Ligne 249 ⟶ 257 :
=== Recueils ===
* [[Hermann Diels]] (Hrsg. und Übers.), ''Die Fragmente der Vorsokratiker. Griechisch und deutsch''. Band 1. Herausgegeben von [[Walther Kranz]]. 4. Auflage, (Abdruck der 3. mit Nachträgen), Weidmann, Berlin 1922
* {{Ouvrage|auteur1=[[Marcel Conche]]|titre=Anaximandre, ''Fragments et témoignages'',|champ libre=texte grec, traduction, introduction et commentaire par |lieu=Paris|éditeur=[[Marcel Conche]], Presses universitaires de France, Paris, |PUF]]|année=1991 {{ISBN|isbn=2130437850}}.
* [[Giorgio Colli]], ''Sagesse grecque : Épiménide, Phérécyde, Thalès, Anaximandre'', tome 2, Éclat éd., 1992 {{ISBN|2905372532}}.
* [[Jean-Paul Dumont (philosophe)|Jean-Paul Dumont]], ''Les Présocratiques'', Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1988 {{ISBN|2070111393}}.
Ligne 255 ⟶ 263 :
=== Études ===
* {{Article|langue=fr|auteur1=[[Daniel Babut]]|titre=Le divin et les dieux dans la pensée d’Anaximandre|périodique=Revue des Études Grecques|volume=85|numéro=404-405|date=1972|pages=1-32|lire en ligne=https://www.persee.fr/doc/reg_0035-2039_1972_num_85_404_3982|consulté le= 2 avril 2020|id=db}}.
* {{Ouvrage|langue=en}} |auteur1=Jonathan Barnes, ''|titre=The Presocratic Philosophers, Vol. I: Thales to Zeno'', |lieu=New York : |éditeur=Routledge, |année=1982.}}
* {{Article|langue=fr|auteur1=[[Marcel De Corte]]|titre=Mythe et philosophie chez Anaximandre|périodique=Laval théologique et philosophique|volume=14|numéro=1|date=1958|pages=9-29|lire en ligne=https://id.erudit.org/iderudit/1019959ar|consulté le= 31 mars 2020|id=dc}}.
* {{en}} Dirk L. Couprie, Robert Hahn et Gerard Naddaf, ''Anaximander in context: new studies in the origins of Greek philosophy'', Albany : State University of New York Press, 2003 {{ISBN|0791455386}}.
* {{en}} Ouvrage|nom=Guthrie|prénom=W. K. C. Guthrie, ''|langue=en|titre=A History of Greek Philosophy I, The Earlier Presocratics and the Pythagoreans'', |lieu=Cambridge : |éditeur=Cambridge University Press, |année=1962.}}
* {{Chapitre|auteur1= [[Martin Heidegger]]|titre chapitre=[[La Parole d'Anaximandre]]|titre ouvrage= Chemins qui ne mènent nulle part|traduction=Wolfgang Brokmeier|éditeur=Gallimard|collection=Tel|année=1986|pages totales = 461|isbn= 978-2-07070562-7|passage= 387-449}}.
* Abel Jeannière, ''Les Présocratiques: l’Aurore de la pensée grecque'', Paris : Le Seuil, coll. « Écrivains de toujours », Paris, 1996 {{ISBN|2020255138}}.
* {{en}} Ouvrage|nom=Kahn|prénom=C. H. Kahn, ''|langue=en|titre=Anaximander and the Origins of Greek Cosmology'', |lieu=New York : |éditeur=Columbia University Pres, Press|année=1960.}}
* {{en}} Ouvrage|nom1=Kirk|prénom1=G. S. Kirk, |nom2=Raven|prénom2=J. E. Raven et |nom3=Schofiled|prénom3=M. Schofiled, ''|langue=en|titre=The Presocratic Philosophers'', |lieu=Cambridge|éditeur=Cambridge University Press, |année=1984 (deuxième|numéro édition).=2}}
* Robert Lahaye, ''La Philosophie ionienne. L’École de Milet'', Paris : Cèdre, 1966.
* [[Gérard Legrand]], ''Les Présocratiques'', Paris : Bordas, Bordas, coll. « Pour connaître », 1987 {{ISBN|2040162968}}.
Ligne 269 ⟶ 277 :
* [[Bertrand Russell]], ''Histoire de la philosophie occidentale en relations avec les événements politiques et sociaux de l’Antiquité jusqu’à nos jours'', Paris : Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1953.
* [[Michel Serres]], ''Les Origines de la géometrie'', Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2011.
* {{Ouvrage|auteur1=[[Jean-Pierre Vernant]]|titre=Les origines de la pensée grecque|lieu=Paris|éditeur=[[Presses universitaires de France|PUF]]|année=1981|isbn=|lire en ligne=https://archive.org/details/lesoriginesdelap0000vern/mode/2up|id=Vernant, ''Les origines de la pensée grecque''}}
* {{Ouvrage|auteur1=Robin Waterfield|titre=The First Philosophers: The Presocratics and Sophists|lieu=Oxford|éditeur=Oxford University Press|année=2000}}
* {{Article|auteur=Bohdan Wisniewski|lire en ligne=http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/reg_0035-2039_1957_num_70_329_3473|titre=Sur la signification de l’''apeiron'' d'Anaximandre|périodique=[[Revue des études grecques]]|tome=70|numéro=329-330|date=janvier-juin 1957|pages=47-55}}.
 
=== Articles connexes ===
Ligne 280 ⟶ 289 :
 
=== Liens externes ===
* [https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-science-cqfd/anaximandre-savant-gardiste-1611535 « Anaximandre : savant-gardiste »], ''La Science, CQFD'', France Culture, 24 janvier 2024.
* {{mul|grc}}{{|fr}}{{|en}} [http://philoctetes.free.fr/unianaximandre.htm ''Philoctetes'' — Anaximandre : fragments]
* [http://www.canal-u.tv/video/cerimes/comment_est_nee_la_science_anaximandre_premier_scientifique.9518 ''Comment est née la science ? Anaximandre, premier scientifique''], conférence donnée à l'Institut d'Astrophysique de Paris, le {{1er}} février 2011, par [[Carlo Rovelli]]
* {{en}} [http://www.iep.utm.edu/a/anaximan.htm ''Internet Encyclopedia of Philosophy'' — Anaximander], article de Dirk Couprie
Ligne 305 ⟶ 315 :
[[Catégorie:Astronome du VIe siècle av. J.-C.]]
[[Catégorie:Géographe du VIe siècle av. J.-C.]]
[[Catégorie:Mononyme de philosophe]]
[[Catégorie:Éponyme d'un objet céleste]]
Ce document provient de « https://fr.wikipedia.org/wiki/Anaximandre ».