Clement Marot - Oeuvres Poetiques

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Œuvres poétiques

Clément Marot
Les Opuscules

L'enfer de Clément Marot de Cahors en Quercy

L'enfer de Clément Marot de Cahors en Quercy, Valet de chambre du Roy: composé en la prison de L'Aigle de
Chartres: et par luy envoyé à ses Amys
Comme douleurs de nouvel amassées
Font souvenir des lyesses passées:
Ainsi plaisir de nouvel amassé
Faict souvenir du mal, qui est passé.
Je dy cecy, mes treschers Freres, pource
Que l'amytié, la chere non rebourse,
Les passetemps, et consolations,
Que je reçoy par visitations
En la prison claire; et nette de Chartres,
Me font recors des tenebreuses chartres,
Du grand chagrin, et recueil ord, et laid,
Que je trouvay dedans le Chastellet.
Si ne croy pas, qu'il y ait chose au monde,
Qui mieulx ressemble ung Enfer tresimmunde:
Je dy Enfer, et Enfer puis bien dire:
Si l'allez veoir, encor' le voyrrez pire.
Aller helas! ne vous y vueillez mettre:
J'ayme trop mieulx le vous descrire en metre,
Que pour le veoir auclun de vous soit mys
En telle peine. Escoutez doncq' Amys.
Bien avez leu, sans qu'il s'en faille ung A,
Comme je fus par l'instinct de Luna
Mené au lieu plus mal sentant, que soulphre,
Par cinq, ou six ministres de ce gouffre:
Dont le plus gros jusques là me transporte.
Si rencontray Cerberus à la porte:
Lequel dressa ses troys testes en hault,
A tout le moins une, qui troys en vault.
Lors de travers me voit ce Chien poulsif,
Puis m'a ouvert ung huys gros, et massif:
Duquel l'entrée est si estroicte, et basse,
Que pour entrer faillut que me courbasse.
Mais ains, que feusse entré au gouffre noir,
Je veoy à part ung aultre vieil manoir
Tout plein de gens, de bruyt, et de tumulte:
Parquoy avec ma Guyde je consulte,
En luy disant: Dy moy, s'il t'en souvient,
D'où, et de qui, et pourquoy ce bruyt vient.
Si me respond: Sans croyre le rebours,
Saiche, qu'icy sont d'Enfer les fauxbourgs,
Où bien souvent s'eslieve ceste feste:
Laquelle sort plus rude, que tempeste,
De l'estomach de ces gens, que tu voys:
Qui sans cesser se rompent teste, et voix
Pour appoincter faulx, et chetifs Humains,
Qui ont debatz, et debatz ont heu maints.
Hault devant eulx le grand Minos se sied,
Qui sur leurs dicts ses sentences assied.
C'est luy, qui juge, ou condamne, ou deffend,
Ou taire faict, quand la teste luy fend.
Là les plus grands les plus petitz destruisent:
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Là les petitz peu, ou poinct, aux grands nuisent:
Là trouve l'on façon de prolonger
Ce, qui se doibt, et se peult abreger:
Là sans argent paouvreté n'a raison:
Là se destruict maincte bonne maison:
Là biens sans cause en causes se despendent:
Là les causeurs les causes s'entrevendent:
Là en public on manifeste, et dict
La maulvaistié de ce monde mauldict,
Qui ne sçauroit soubs bonne conscience
Vivre deux jours en paix, et patience:
Dont j'ay grand'joye avecques ces mordants.
Et tant plus sont les hommes discordants,
Plus à discord esmouvons leurs courages
Pour le proffict, qui vient de leurs dommages:
Car s'on vivoit en paix, comme est mestier,
Rien ne vauldroit de ce lieu le mestier:
Pource qu'il est de soy si anormal,
Qu'il fault expres, qu'il commence par mal,
Et que quelcun à quelcque aultre mefface,
Avant que nul jamais proffict en face.
Brief en ce lieu ne gaignerions deux pommes,
Si ce n'estoit la maulvaistié des hommes.
Mais par Pluton le Dieu, que doibs nommer,
Mourir de faim ne sçaurions, ne chommer:
Car tant de gens, qui en ce parc s'assaillent,
Asses, et trop de besongne nous taillent:
Asses pour nous, quand les biens nous en viennent:
Et trop pour eulx, quand pauvres en deviennent.
Ce nonobstant, ô nouveau prisonnier,
Il est besoing de pres les manier:
Il est besoing (croy moy) et par leur faulte
Que dessus eulx on tienne la main haulte:
Ou aultrement les bons bonté fuyroient,
Et les maulvais en empirant iroient.
Encor (pour vray) mettre on n'y peult tel'ordre,
Que tousjours l'ung l'aultre ne vueille mordre:
Dont raison veult, qu'ainsi on les embarre,
Et qu'entre deux soit mys distance, et barre;
Comme aux Chevaulx, en l'estable hargneux.
Minos le Juge est de cela soigneux,
Qui devant luy, pour entendre le cas,
Faict deschiffrer telz noysifz altercas
Par ces crieurs: dont l'ung soubstient tout droict
Droict contre tort: l'aultre tort contre droict:
Et bien souvent par cautelle: subtille
Tort bien mené rend bon droict inutille.
Prends y esgard, et entends leurs propos:
Tu ne veis oncq' si differents suppostz.
Approche toy pour de plus pres le veoir,
Regarde bien: je te fais assçavoir,
Que ce mordant, que l'on oyt si fort bruyre,
De corps, et biens veult son prochain destruire.
Ce grand criart, qui tant la gueulle tort,
Pour le grand gaing tient du riche le tort.
Ce bon vieillart (sans prendre or, ou argent)
Maintient le droict de mainte paovre gent.
Celluy, qui parle illec sans s'esclatter,
Le Juge assis veult corrompre, et flatter.
Et cestuy là, qui sa teste descoeuvre,
En playderie a faict ung grand chef d'oeuvre:
Car il a tout destruict son parentage,
Dont il est craint, et prisé davantage:
Et bien heureux celluy se peult tenir,
Duquel y veult la cause soubstenir.
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Amys, voylà quelcque peu des menées,
Qui aux faulxbourgs d'Enfer sont demenées
Par noz grands Loups ravissants, et famys,
Qui ayment plus cent soulz, que leurs amys:
Et dont pour vray le moindre, et le plus neuf
Trouveroit bien à tondre sur un oeuf.
Mais puis que tant de curiosité
Te meut à veoir la sumptuosité
De noz manoirs: ce, que tu ne veis oncques,
Te feray veoir. Or saches, Amy, doncques,
Qu'en cestuy parc, où ton regard espends,
Une maniere il y a de Serpents,
Qui de petits viennent grands, et felons,
Non point vollants: mais traynants, et bien longs:
Et ne sont pas pourtant Couleuvres froydes,
Ne verds Lezards, ne Dragons forts, et roydes:
Et ne sont pas Cocodrilles infaicts,
Ne Scorpions tortuz, et contrefaicts:
Ce ne sont pas Vipereaulx furieux,
Ne Basilicz tuants les gens des yeulx:
Ce ne sont pas mortiferes Aspics,
Mais ce sont bien Serpents, qui vallent pis.
Ce sont Serpents enflés, envenimés,
Mordants, mauldicts, ardants, et animés,
Jectants ung feu, qu'à peine on peult estaindre,
Et en piquant dangereux à l'attaindre.
Car qui en est picqué, ou offensé,
En fin demeure chetif, ou insensé:
C'est la nature, au Serpent plein d'exces,
Qui par son nom est appelé Proces.
Tel est son nom, qui est de mort une umbre:
Regarde ung peu, en voylà ung grand nombre
De gros, de grands, de moyens, et de gresles,
Plus mal faisants, que tempestes, ne gresles.
Celuy, qui jecte ainsi feu à planté,
Veult enflammer quelcque grand' parenté:
Celluy, qui tire ainsi hors sa languete,
Destruira brief quelcun, s'il ne s'en guete:
Celluy, qui siffle, et a les dents si drues,
Mordra quelqu'ung, qui en courra les rues:
Et ce froid là, qui lentement se traine,
Par son venin a bien sceu mettre hayne
Entre la mere, et les maulvais enfants:
Car Serpents froids sont les plus eschauffantz.
Et de tous ceulx, qui en ce parc habitent,
Les nouveaulx nays, qui s'enflent, et despitent,
Sont plus subjects à engendrer icy,
Que les plus vieulx. Voyre et qu'il soyt ainsi,
Ce vieil Serpent sera tantost crevé,
Combien qu'il ait mainct lignage grevé.
Et cestuy là plus antique, qu'ung Roc,
Pour reposer s'est pendu à ung croc.
Mais ce petit plus mordant, qu'une Loupve,
Dix grands Serpents dessoubs sa pance couve:
Dessoubs sa pance il en couve dix grands,
Qui quelcque jour seront plus denigrants
Honneurs, et biens, que cil, qui les couva:
Et pour ung seul, qui meurt, ou qui s'en va,
En viennent sept. Dont ne fault t'estonner:
Car pour du cas la preuve te donner,
Tu doibs sçavoir, qu'yssues sont ces bestes
Du grand Serpent Hydra, qui heut sept testes:
Contre lequel Hercules combattoit,
Et quand de luy une teste abbatoit,
Pour une morte en revenoit sept vives.
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Ainsi est il de ces bestes noysifves:
Ceste nature ilz tiennent de la race
Du grand Hydra, qui au profond de Thrace,
Où il n'y a, que guerres, et contens,
Les engendra des l'eage, et des le temps
Du faulx Cayn. Et si tu quiers raison,
Pourquoy Proces sont si fort en saison:
Scaiche, que c'est faulte de charité
Entre Chrestiens. Et à la verité,
Comment l'auront dedans leur cueur fichée,
Quand par tout est si froydement preschée?
A escouter vos Prescheurs, bien souvent,
Charité n'est, que donner au Convent.
Pas ne diront, combien Proces differe
Au vray chrestien, qui de touts se dict frere.
Pas ne diront, qu'impossible leur semble
D'estre Chrestien, et playdeur tout ensemble.
Ainçoys seront eulx mesmes à playder
Les plus ardentz. Et à bien regarder,
Vous ne vallez de guere mieulx au Monde,
Qu'en nostre Enfer, où toute horreur abonde.
Doncques, Amy, ne t'esbahys, comment
Sergents, Proces, vivent si longuement:
Car bien nourriz sont du laict de la Lysse,
Qui nommée est du Monde la malice:
Tousjours les a la Loupve entretenuz,
Et pres du cueur de son ventre tenuz.
Mais si ne veulx je à ses faicts contredire:
Car c'est ma vie. Or plus ne t'en veulx dire:
Passe cest huys barré de puissant fer.
A tant se teut le Ministre d'Enfer,
De qui les mots vouluntiers escoutoye:
Poinct ne me laisse, ains me tient, et costoye,
Tant qu'il m'eust mys (pour mieulx estre à couvert)
Dedans le lieu par Cerberus ouvert,
Où plusieurs cas me furent ramentus:
Car lors allay devant Rhadamantus
Par ung degré fort vieil, obscur, et salle.
Pour abreger: je trouve en une salle
Rhadamantus (Juge assis à son aise)
Plus enflammé, qu'une ardente fournaise,
Les yeulx ouverts, les oreilles biens grandes,
Fier en parler, cauteleux en demandes,
Rebarbatif, quand son cueur il descharge:
Brief, digne d'estre aux Enfers en sa charge.
Là devant luy vient maincte Ame dampnée:
Et quand il dict, telle me soyt menée,
A ce seul mot ung gros marteau carré
Frappe tel coup contre ung portal barré,
Qu'il fait crousler les tours du lieu infame.
Lors à ce bruict, là bas n'y a paouvre Ame,
Qui ne fremisse, et de frayeur ne tremble,
Ainsi qu'au vent fueille de Chesne, ou Tremble:
Car la plus seure a bien craincte, et grand' peur
De se trouver devant tel attrapeur.
Mais ung Ministre appelle, et nomme celle,
Que veult le Juge. Adoncques s'avance elle,
Et s'y en va tremblant, morne, et pallie.
Des qu'il la voyt, il mitigue, et pallie
Son parler aigre: et en faincte doulceur
Luy dict ainsi. Vien çà, fais moy tout seur,
Je te supply, d'ung tel crime, et forfaict.
Je croyrois bien, que tu ne l'as poinct faict,
Car ton maintien n'est, que des plus gaillards:
Mais je veulx bien congnoistre ces paillards,
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Qui avec toy feirent si chaulde esmorche.
Dy hardyment: as tu peur, qu'on t'escorche?
Quand tu diras, qui a faict le peché,
Plus tost seras de noz mains despeché.
Dequoy te sert la bouche tant fermée,
Fors de tenir ta personne enfermée?
Si tu dys vray, je te jure, et promects
Par le hault Ciel, où je n'iray jamais,
Que des Enfers sortiras les brisées,
Pour t'en aller aux beaulx champs Elysées,
Où liberté faict vivre les esprits,
Qui de compter verité ont appris.
Vault il pas mieulx, doncques, que tu la comptes,
Que d'endurer mille peines, et hontes?
Certes si faict. Aussi je ne croy mye,
Que soys menteur: car ta phizionomie
Ne le dict poinct: et de maulvais affaire
Seroit celluy, qui te vouldroit meffaire.
Dy moy, n'ais peur. Touts ces mots allechantz
Font souvenir de l'Oyselleur des champs,
Qui doulcement faict chanter son sublet,
Pour prendre au bric l'oyseau nyce, et foyblet,
Lequel languist, ou meurt à la pippée:
Ainsi en est la paouvre Ame grippée.
Si tel' doulceur luy faict rien confesser,
Rhadamantus la faict pendre, ou fesser:
Mais si la langue elle refraind, et mord,
Souventesfoys eschappe peine, et mort.
Ce nonobstant, si tost qu'il vient à veoir,
Que par doulceur il ne la peult avoir,
Aulcunesfoys encontre elle il s'irrite,
Et de ce pas selon le demerite,
Qu'il sent en elle, il vous la faict plonger
Au fonds d'Enfer: où luy faict alonger
Veines, et nerfs: et par tourments s'efforce
A esprouver, s'elle dira par force
Ce, que doulceur n'a sceu d'elle tirer.
O chers Amys, j'en ay veu martyrer,
Tant que pitié m'en mettoit en esmoy.
Parquoy vous pry de plaindre avecques moy
Les Innocents, qui en telz lieux damnables
Tiennent souvent la place des coulpables.
Et vous enfants suyvantz maulvaise vie
Retirez vous: ayez au cueur envye
De vivre aultant en façon estimée,
Qu'avez vescu en façon deprimée.
Quand le bon trein ung peu esprouverez,
Plus doulx, que l'aultre en fin le trouverez:
Si que par bien le mal sera vaincu,
Et du regret d'avoir si mal vescu
Devant les yeulx vous viendra honte honneste,
Et n'en hairrez cil, qui vous admoneste:
Pource qu'alors ayants discretion
Vous vous voyrrez hors la subjection
Des Infernaulx, et de leurs entrefaictes:
Car pour les bons les Loix ne sont point faictes.
Venons au point. Ce Juge tant divers
Un fier regard me jecta de travers,
Tenant ung port trop plus cruel, que brave:
Et d'ung accent imperatif, et grave,
Me demandant ma naissance, et mon nom,
Et mon estat: Juge de grand renom,
Responds je alors, à bon droict tu poursuys,
Que je te dye orendroit, qui je suys:
Car incongneu suis des Umbres iniques,
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Incongneu suis des Ames Plutoniques,
Et de touts ceulx de ceste obscure voye,
Où (pour certain) jamais entré n'avoie:
Mais bien congneu suis des Umbres Celiques,
Bien congneu suis des [Ames] Angeliques,
Et de touts ceulx de la tresclaire voye,
Où Juppiter les desvoyés avoye:
Bien me congneut, et bien me guerdonna,
Lors qu'à sa Soeur Pallas il me donna:
Je dy Pallas la si sage, et si belle:
Bien me congnoist la prudente Cybelle,
Mere du grand Juppiter amyable.
Quant à Luna, diverse, et variable,
Trop me congnoist son faulx cueur odieux.
En la mer suis congneu des plus haultz Dieux,
Jusqu'aux Tritons, et jusqu'aux Nereïdes:
En terre aussi des Faunes, et Hymnides
Congneu je suis. Congneu je suis d'Orphée,
De mainte Nymphe, et mainte noble Fée:
Du gentil Pan, qui les flustes manie:
D'Eglé, qui danse au son de l'harmonie,
Quand elle voyt les Satyres suyvants:
De Galathée, et de touts les [Sylvans],
Jusqu'à Tityre, et ses brebis camuses:
Mais par sus tout suis congneu des neuf Muses,
Et d'Apollo, Mercure, et touts leurs filz,
En vraye amour, et science conficts.
Ce sont ceulx là (Juge) qui en briefs jours
Me mettront hors de tes obscurs sejours,
Et qui pour vray de mon ennuy se deulent.
Mais puis qu'envie, et ma fortune veulent,
Que congneu sois, et saisy de tes laqs,
Sçaiche de vray, puis que demandé l'as,
Que mon droict nom je ne te veulx poinct taire:
Si t'advertis, qu'il est à toy contraire,
Comme eaue limpide au plus sec element:
Car tu es rude, et mon nom est Clement:
Et pour monstrer, qu'à grand tort on me triste,
Clement n'est poinct le nom de Lutheriste:
Ains est le nom (à bien l'interpreter)
Du plus contraire ennemy de Luther:
C'est le sainct nom du Pape, qui accolle
Les chiens d'Enfer (s'il luy plaist) d'une estolle.
Le crains tu poinct? C'est celluy qui afferme,
Qu'il ouvre Enfer, quand il veult, et le ferme:
Celluy, qui peult en feu chaud martyrer
Cent mille esprits, ou les en retirer.
Quant au surnom, aussi vray qu'Evangille,
Il tire à cil du Poëte Vergille,
Jadis cheri de Mecenas à Romme:
Maro s'appelle, et Marot je me nomme,
Marot je suis, et Maro ne suis pas,
Il n'en fut oncq depuis le sien trespas:
Mais puis qu'avons ung vray Mecenas ores,
Quelcque Maro nous pourrons veoir encores.
Et d'aultre part (dont noz jours sont heureux)
Le beau verger des lettres plantureux
Nous reproduict ses fleurs, et grands jonchées
Par cy devant flaistries, et seichées
Par le froid vent d'ignorance, et sa tourbe,
Qui hault sçavoir persecute, et destourbe:
Et qui de cueur est si dure, ou si tendre,
Que verité ne veult, ou peult entendre.
O Roy heureux, soubs lequel sont entrés
(Presque perys) les lettres, et Lettrés!
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Entends apres (quant au poinct de mon estre)
Que vers Midy les haults Dieux m'ont faict naistre:
Où le Soleil non trop excessif est:
Parquoy la terre avec honneur s'y vest
De mille fruicts, de mainte fleur, et plante:
Bacchus aussi sa bonne vigne y plante
Par art subtil sur montaignes pierreuses
Rendants liqueurs fortes, et savoureuses.
Mainte fontaine y murmure, et undoye,
Et en touts temps le Laurier y verdoye
Pres de la vigne: ainsi comme dessus
Le double mont des Muses Parnassus:
Dont s'esbahyst la mienne fantasie,
Que plus d'Espritz de noble Poësie
N'en sont yssuz. Au lieu, que je declaire,
Le fleuve Lot coule son eaue peu claire,
Qui maints rochiers traverse, et environne,
Pour s'aller joindre au droict fil de Garonne.
A brief parler, c'est Cahors en Quercy,
Que je laissay pour venir querre icy
Mille malheurs: ausquelz ma destinée
M'avoit submis. Car une matinée
N'ayant dix ans en France fuz mené:
Là, où depuis me-suis tant pourmené,
Que j'oubliay ma langue maternelle,
Et grossement apprins la paternelle
Langue Françoyse es grands Courts estimée:
Laquelle en fin quelcque peu s'est limée,
Suyvant le Roy Françoys premier du nom,
Dont le sçavoir excede le renom.
C'est le seul bien, que j'ay acquis en France
Depuis vingt ans en labeur, et souffrance.
Fortune m'a entre mille malheurs
Donné ce bien des mondaines valeurs.
Que dy je las? O parolle soubdaine!
C'est don de Dieu, non point valeur mondaine:
Rien n'ay acquis des valeurs de ce Monde,
Qu'une maistresse, en qui gist, et abonde
Plus de sçavoir parlant, et escripvant,
Qu'en aultre femme en ce Monde vivant.
C'est du franc Lys l'yssue Marguerite,
Grande sur terre, envers le Ciel petite:
C'est la Princesse à l'esprit inspiré,
Au cueur esleu, qui de Dieu est tiré
Mieulx (et m'en croys) que le festu de l'Ambre:
Et d'elle suis l'humble Valet de chambre.
C'est mon estat, ô Juge Plutonique:
Le Roy des francs, dont elle est Soeur unique,
M'a faict ce bien: et quelcque jour viendra,
Que la Soeur mesme au Frere me rendra.
Or suis je loing de ma Dame, et Princesse,
Et pres d'ennuy, d'infortune, et destresse:
Or suis je loing de sa tresclaire face.
S'elle fust pres (ô cruel) ton audace
Pas ne se feust mise en effort de prendre
Son serviteur, qu'on n'a point veu mesprendre:
Mais tu voys bien (dont je lamente, et pleure)
Qu'elle s'en va (helas), et je demeure
Avec Pluton, et Charon nautonnier:
Elle va veoir ung plus grand prisonnier.
Sa noble mere ores elle accompaigne
Pour retirer nostre Roy hors d'Espaigne,
Que je souhaitte en ceste compaignie
Avec ta layde et obscure mesgnie:
Car ta prison liberté luy seroit,
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Et, comme CHRIST, les Ames poulseroit
Hors des Enfers, sans t'en laisser une Umbre:
En ton advis, seroys je poinct du nombre?
S'ainsi estoit, et la mere, et la fille
Retourneroient, sans qu'Espaigne, et Castille
D'elles receust les filz au lieu du pere.
Mais quand je pense à si grand impropere,
Qu'est il besoing, que soye en liberté,
Puis, qu'en prison mon Roy est arresté?
Qu'est de besoing, qu'ores je soys sans peine,
Puis que d'ennuy ma maistresse est si pleine?
Ainsi (peu pres) au Juge devisay:
Et en parlant ung Griffon j'advisay,
Qui de sa croche, et ravissante pate
Escripvoit là l'an, le jour, et la dathe
De ma prison: et ce, qui pouvoit duyre
A leur propos, pour me fascher, et nuyre:
Et ne sceut oncq' bien orthographier
Ce, qui servoit à me justifier.
Certes, Amys, qui cherchez mon recours,
La coustume est des Infernalles Courts,
Si quelcque Esprit de gentille nature
Vient là dedans tesmoigner d'adventure
Aulcuns propos, ou moyens, ou manieres
Justifiantz les Ames prisonnieres,
Il ne sera des Juges escouté,
Mais lourdement de son dict reboutté:
Et escouter on ne refusera
L'esprit maling, qui les accusera.
Si que celluy, qui plus fera d'encombres
Par ses rapports aux malheureuses Umbres,
Plus recepvra de recueil, et pecunes:
Et si tant peult en accuser aulcunes,
Qu'elles en soyent pendues, ou bruslées,
Les Infernaulx feront saults, et hullées,
Chaisnes de fer, et crochets sonneront,
Et de grand' joye ensemble tonneront
En faisant feu de flamme sulphurée
Pour la nouvelle ouyr tant malheurée.
Le Griffon doncq' en son Livre doubla
De mes propos ce, que bon luy sembla:
Puis se leva Rhadamantus du siege,
Qui remener me feit au bas colliege
Des malheureux par la voye, où je vins.
Si les trouvay à milliers, et à vingts:
Et avec eulx feis ung temps demourance,
Fasché d'ennuy, consolé d'esperance.
Fin de l'Enfer.

Eglogue au Roy

Soubs les noms de Pan, et Robin


Ung Pastoureau, qui Robin s'appelloit,
Tout à part soy n'agueres s'en alloit
Parmy fousteaulx (arbres, qui font umbraige)
Et là tout seul faisoit de grand couraige
Hault retentir les boys, et l'air serain,
Chantant ainsi: O Pan Dieu souverain,
Qui de garder ne fuz oncq paresseux
Parcs, et brebis, et les maistres d'iceulx,
Et remects sus touts gentilz pastoureaulx,
Quand ilz n'ont prés, ne loges, ne taureaulx,
Je te supply (si oncq en ces bas estres
Daignas ouyr chansonnettes champestres)
Escoute ung peu, de ton vert cabinet,
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le chant rural du petit Robinet.
Sur le printemps de ma jeunesse folle,
Je ressembloys l'Arondelle, qui volle
Puis çà, puis là: l'eage me conduysoit
Sans peur, ne soing, où le cueur me disoit.
En la forest (sans la crainte des Loups)
Je m'en alloys souvent cueillir le houx,
Pour faire gluz à prendre oyseaulx ramaiges,
Touts differents de chants, et de plumaiges:
Ou me souloys (pour les prendre) entremectre
A faire brics, ou caiges pour les mectre.
Ou transnouoys les rivieres profondes,
Ou r'enforçoys sur le genoil les fondes.
Puis d'en tirer droict, et loing j'apprenoys
Pour chasser Loups, et abbattre des noix.
O quantes foys aux arbres grimpé j'ay
Pour desnicher ou la Pie, ou le Geay,
Ou pour jecter des fruictz jà meurs, et beaulx
A mes compaings, qui tendoyent leurs chappeaulx.
Aulcunesfoys aux montaignes alloye,
Aulcunesfoys aux fosses devalloye,
Pour trouver là les griffes des Fouynes,
Des Herissons, ou des blanches Hermines:
Ou pas à pas le long des buyssonnetz
Alloys cherchant les nids des Chardonnetz,
Ou des Serins, des Pinsons, ou Lynottes.
Desjà pourtant je faisoys quelcques nottes
De chant rusticque, et dessoubs les Ormeaulx
Quasi enfant sonnoys des Chalumeaulx.
Si ne sçauroys bien dire, ne penser,
Qui m'enseigna si tost d'y commencer,
Ou la nature aux Muses inclinée,
Ou ma fortune, en cela destinée
A te servir: si ce ne fut l'ung d'eulx,
Je suis certain, que ce furent touts deux.
Ce, que voyant le bon Janot mon pere,
Voulut gaiger à Jacquet son compere,
Contre ung Veau gras, deux Aignelletz bessons,
Que quelcque jour je feroys des Chansons
A ta louange (ô Pan Dieu tressacré)
Voyre Chansons, qui te viendroyent à gré.
Et me souvient, que bien souvent aux Festes
En regardant de loing paistre noz bestes,
Il me souloit une leçon donner,
Pour doulcement la Musette entonner,
Ou à dicter quelcque Chanson ruralle
Pour la chanter en mode pastoralle.
Aussi le soir, que les trouppeaulx espars
Estoyent serrés, et remis en leurs parcs,
Le bon vieillard apres moy travailloit,
Et à la lampe assez tard me veilloit,
Ainsi que font leurs Sansonnetz, ou Pyes
Aupres du feu bergeres accropyes.
Bien est il vray, que ce luy estoit peine:
Mais de plaisir elle estoit si fort pleine,
Qu'en ce faisant sembloit au bon berger,
Qu'il arrousoit en son petit verger
Quelcque jeune ente, ou que teter faisoit
L'aigneau, qui plus en son parc luy plaisoit:
Et le labeur, qu'apres moy il mist tant,
Certes c'estoit affin qu'en l'imitant,
A l'advenir je chantasse le los
De toy (ô Pan) qui augmentas son clos,
Qui conservas de ses prés la verdure,
Et qui gardas son trouppeau de froydure.
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Pan (disoit il) c'est le Dieu triumphant
Sur les pasteurs, c'est celluy (mon enfant)
Qui le premier les roseaulx pertuysa,
Et d'en former des flustes s'advisa:
Il daigne bien luy mesme peine prendre
D'user de l'art, que je te veulx apprendre.
Apprends le donc, affin que montz, et boys,
Rocz, et Estangs, apprennent soubz ta voix
A rechanter le hault nom apres toy
De ce grand Dieu, que tant je ramentoy:
Car c'est celluy, par qui foisonnera
Ton champ, ta vigne, et qui te donnera
Plaisante loge entre sacrés ruisseaulx
Encourtinés de flairants arbrisseaulx.
Là d'ung costé auras la grand' closture
De saulx espais: où pour prendre pasture
Mouches à miel la fleur succer yront,
Et d'ung doulx bruyt souvent t'endormyront:
Mesmes alors, que ta fluste champestre
Par trop chanter lasse sentiras estre.
Puis tost apres sur le prochain bosquet
T'esveillera la Pie en son caquet:
T'esveillera aussi la Colombelle,
Pour rechanter encores de plus belle.
Ainsi soigneux de mon bien me parloit
Le bon Janot, et il ne m'en challoit:
Car soucy lors n'avoys en mon courage
D'aulcun bestail, ne d'aulcun pasturage.
Quand printemps fault, et l'esté comparoist,
Adoncques l'herbe en forme, et force croist.
Aussi quand hors du printemps j'euz esté,
Et que mes jours vindrent en leur esté,
Me creust le sens, mais non pas le soucy:
Si emploiay l'esprit, le corps aussi
Aux choses plus à tel eage sortables,
A charpenter loges de boys portables,
A les rouler de l'ung en l'aultre lieu,
A y semer la jonchée au milieu,
A radouber treilles, buyssons, et hayes,
A proprement entrelasser les clayes,
Pour les parcquetz des ouailles fermer,
Ou à tissir (pour fourmaiges former)
Paniers d'osiere, et ficelles de jonc,
Dont je souloys (car je l'aimoys adonc)
Faire present à Heleine la blonde.
J'apprins les noms des quatre parts du monde,
J'apprins les noms des ventz, qui de là sortent,
Leurs qualités, et quels temps ilz apportent:
Dont les oyseaulx saiges devins des champs
M'advertissoyent par leurs volz, et leurs chants.
J'apprins aussi allant aux pasturages
A eviter les dangereux herbages,
Et à congnoistre, et guerir plusieurs maulx,
Qui quelquefoys gastoyent les animaulx
De noz pastiz: mais par sus toutes choses
D'aultant, que plus plaisent les blanches Roses,
Que l'Aubespin, plus j'aymois à sonner
De la musette, et la feis resonner
En tous les tons, et chantz de Bucolicques,
En chantz piteux, en chantz melancolicques,
Si qu'à mes plainctz ung jour les Oreades,
Faunes, Silvans, Satyres, et Driades,
En m'escoutant jectarent larmes d'yeulx:
Si feirent bien les plus souverains Dieux,
Si feit Margot bergiere, qui tant vault:
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Mais d'ung tel pleur esbahyr ne se fault,
Car je faisoys chanter à ma Musette
La mort (helas) la mort de Loysette,
Qui maintenant au ciel prend ses esbats
A veoir encor ses trouppeaulx icy bas.
Une aultresfoys pour l'Amour de l'Amye,
A touts venants pendy la challemyé,
Et ce jour là, à grand peine on sçavoit,
Lequel des deux gaigné le prix avoit,
Ou de Merlin, ou de moy: dont à l'heure
Thony s'en vint sur le pré grand' alleure
Nous accorder, et aorna deux Houlettes
D'une longueur de force violettes:
Puis nous en feit present, pour son plaisir:
Mais à Merlin je baillay à choysir.
Et penses tu (ô Pan Dieu debonnaire)
Que l'exercice, et labeur ordinaire,
Que pour sonner du Flajolet je pris,
Feust seullement pour emporter le pris?
Non: mais affin que si bien j'en apprinsse,
Que toy, qui es des Pastoureaulx le Prince,
Prinsses plaisir à mon chant escouter,
Comme à ouyr la marine flotter
Contre la rive, ou des Roches haultaines
Ouyr tomber contre val les Fontaines.
Certainement c'estoit le plus grand soing,
Que j'eusse alors, et en prends à tesmoing
Le blond Phebus, qui me voyt, et regarde,
Si l'espesseur de ce boys ne l'engarde:
Et qui m'a veu traverser maint Rochier,
Et maint torrent pour de toy approcher.
Or m'ont les Dieux celestes, et terrestres
Tant faict heureux: mesmement les silvestres,
Qu'en gré tu prins mes petits sons rusticques,
Et exaulças mes Hymnes, et Cantiques,
Me permectant les chanter en ton Temple,
Là où encor l'ymage je contemple
De ta haulteur, qui en l'une main porte
De dur Cormier Houlette riche, et forte:
Et l'aultre tient Chalemelle fournye
De sept tuyaulx, faictz selon l'armonye
Des cieulx, où sont les sept Dieux clers, et haulx,
Et denotants les sept Artz liberaulx,
Qui sont escriptz dedans ta teste saincte
Toute de Pin bien couronnée, et ceincte.
Ainsi, et doncq' en l'esté de mes jours
Plus me plaisoit aux Champestres sejours
Avoir faict chose (ô Pan) qui t'aggreast,
Ou qui l'oreille ung peu te recreast,
Qu'avoir aultant de Moutons, que Tityre
Et plus (cent foys) me plaisoit d'ouyr dire,
Pan faict bon oeil à Robin le berger,
Que veoir chez nous trois cents boeufs heberger:
Car soucy lors n'avoys en mon courage,
D'aulcun bestail, ne d'aulcun pasturage.
Mais maintenant, que je suis en l'autonne,
Ne sçay quel soing inusité m'estonne,
De tel' façon, que de chanter la veine
Devient en moy non point lasse, ne vaine,
Ains triste, et lente, et certes bien souvent
Couché sur l'herbe, à la frescheur du vent,
Voy ma musette à ung arbre pendue
Se plaindre à moy, qu'oysifve l'ay rendue:
Dont tout à coup mon desir se resveille,
Qui de chanter voulant faire merveille,
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Trouve ce soing devant ses yeulx planté,
Lequel le rend morne, et espouvanté:
Car tant est soing basanné, laid, et pasle,
Qu'à son regard la Muse pastoralle,
Voyre la Muse heroyque, et hardye,
En ung moment se trouve refroidye,
Et devant luy vont fuyant toutes deux,
Comme brebis devant ung loup hydeux.
J'oy d'aultre part le Pyvert jargonner,
Siffler l'Escouffle, et le Buttor tonner,
Voy l'Estourneau, le Heron, et l'Aronde
Estrangement voller tout à la ronde,
M'advertissants de la froide venue
Du triste Yver, qui la terre desnue.
D'aultre costé, j'oy la Bise arriver,
Qui en soufflant me prononce l'yver:
Dont mes trouppeaulx cela craignants, et pis,
Touts en ung tas se tiennent accropis:
Et diroit on, à les ouyr beller,
Qu'avecques moy te veulent appeller
A leur secours, et qu'ilz ont congnoissance,
Que tu les as nourrys des leur naissance.
Je ne quiers pas (ô bonté souveraine)
Deux mile arpents de pastis en Touraine,
Ne mille boeufz errants par les herbis
Des montz d'Auvergne, ou aultant de brebis.
Il me suffit, que mon troupeau preserves
Des Loups, des Ours, des Lyons, des Loucerves,
Et moy du froid, car l'yver, qui s'appreste,
A commencé à neiger sur ma teste.
Lors à chanter plus soing ne me nuyra,
Ains devant moy plus viste s'enfuyra,
Que devant luy ne vont fuyant les Muses,
Quand il voyrra, que de faveur tu m'uses.
Lors ma Musette à ung chesne pendue,
Par moy sera promptement descendue,
Et chanteray l'yver à seureté
Plus hault (et cler) que ne feis oncq l'esté.
Lors en science, en musique, et en son,
Ung de mes vers vauldra une chanson,
Une chanson, une eglogue rustique,
Et une eglogue, une oeuvre bucolique.
Que diray plus? vienne ce, qui pourra.
Plus tost le Rosne encontremont courra,
Plus tost seront haultes Forestz sans branches,
Les Cygnes noirs, et les Corneilles blanches,
Que je t'oublie (ô Pan de grand renom)
Ne que je cesse à louer ton hault nom
Sus mes brebis, trouppeau petit, et maigre,
Autour de moy saultez de cueur allaigre,
Car desjà Pan, de sa verte maison,
M'a faict ce bien d'ouyr mon oraison.
Fin de l'Eglogue

Dialogue nouveau, fort joyeulx

Composé par Clement Marot


Le premier commence en chantant:
Mon cueur est tout endormy,
Resveille moy belle.
Mon cueur est tout endormy,
Resveille le my.
Le second
He, compaignon.
Premier
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He, mon amy,
Comment te va?
Second
Par le corps bieu (beau Sire)
Je ne te le daigneroys dire
Sans t'accoller. Cà ceste eschine,
De l'autre bras, que je t'eschine
De fine force d'accollades.
Premier
Et puis?
Second
Et puis?
Premier
Rondeaulx, ballades,
Chansons, dixains, propos menuz,
Compte moy, qu'ilz sont devenuz,
Se faict il rien plus de nouveau?
Second
Si faict: mais j'en ay le cerveau
Si rompu, et si alteré,
Qu'en effect j'ay deliberé
De ne m'y rompre plus la teste.
Premier
Pourquoy cela?
Second
Que tu es beste!
Ne sçais tu pas bien, qu'il y a
Plus d'ung an, qu'amour me lya
Dedans les prisons de m'amye?
Premier
Est ce encor de Berthelemye
La blondelette?
Second
Et qui donc?
Ne sçais tu pas, que je n'euz oncq
D'elle plaisir, ny ung seul bien?
Premier
Nenny vrayement je n'en sçay rien:
Mais si tu m'en eusses parlé,
Ton affaire en fust mieulx allé.
Croy moy, que de tenir les choses
D'amours si couvertes, et closes,
Il n'en vient, que peine, et regret.
Vray est, qu'il fault estre secret:
Et seroit l'homme bien coquart,
Qui vouldroit appeller ung quart:
Mais en effect il fault ung tiers.
Demande à touts ces vieilz routiers,
Qui ont esté vrays Amoureux.
Second
Si est ung tiers bien dangereux,
S'il n'est Amy Dieu sçayt combien.
Premier
He mon Amy, choisis le bien:
Et quand tu l'auras bien choysi,
Si ton cueur se trouve saisi
De quelcque ennuyeuse tristesse,
Ou bien d'une grande lyesse,
A l'amy te deschargeras.
Sçays tu bien comment t'allegeras?
Tout ainsi par le sang sainct George,
Comme si tu rendoys ta gorge
Le jour d'ung caresme prenant.
Second
Il vault donc mieulx des maintenant
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Que je t'en compte tout du long:
N'est ce pas bien dict?
Premier
Or la doncq'!
Mais pource, que je suis des vieulx
En cas d'Amours, il vaudra mieulx
Que les demandes je te face,
Combien, de qui, en quelle place,
Des refuz, des parolles franches,
Des circonstances, et des branches,
Et des rameaulx: car les ay touts
Apprins de mes compaignons doulx,
Allant avec eulx à la messe:
Or viens çà, compte moy, quand est ce,
Que premierement tu l'aymois.
Second
Il y a plus de seize moys,
Voyre vingt, sans avoir jouy.
Premier
L'aymes tu encores?
Second
Ouy.
Premier
Tu es ung fol. Or de par Dieu,
Comment doibs je dire? en quel lieu
Fut premier ta pensée esprise
De son Amour?
Second
En une eglise:
Là commençay mes passions.
Premier
Voylà de mes devotions.
Et quel jour fut ce?
Second
Par sainct Jacques,
Ce fut le propre jour de Pasques.
(A bon jour bonne oeuvre.)
Premier
Et comment?
Tu venoys lors tout freschement
De confesse, et de recevoir.
Second
Il est vray: mais tu doibs sçavoir,
Que tousjours à ces grandes journées
Les femmes sont mieulx attournées,
Qu'aux aultres jours: et cela tente.
O mon Dieu, qu'elle estoit contente
De sa personne ce jour là!
Avecques la grâce, qu'elle a,
Elle vous avoit ung corset
D'ung fin bleu, lassé d'ung lasset
Jaulne, qu'elle avoit faict expres.
Elle vous avoit puis apres,
Mancherons d'escarlatte verte,
Robbe de pers large, et ouverte,
(J'entends à l'endroit des tetins),
Chausses noyres, petits patins,
Linge blanc, ceincture houppée,
Le chapperon faict en poupée,
Les cheveulx en passefillon,
Et l'oeil gay en esmerillon,
Soupple, et droicte comme une gaulle.
En effect, sainct Françoys de Paule,
Et le plus sainct Italien
Eust esté prins en son lien,
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S'à la veoir se fust amusé.
Premier
Je te tiens doncq pour excusé
Pour ce jour là: que fuz tu?
Second
Pris.
Premier
Quel visaige as tu d'elle?
Second
Gris.
Premier
Ne te ryt elle jamais?
Second
Point.
Premier
Que veulx tu estre à elle?
Second
Joinct.
Premier
Par mariage, ou aultrement,
Lequel veulx tu?
Second
Par mon serment
Touts deux sont bons, et si ne sçay:
Je l'aymerois mieulx à l'essay,
Avant qu'entrer en mariage.
Premier
Touche là, tu as bon couraige,
Et si n'es point trop desgouté.
Tu l'auras, et d'aultre costé
On m'a dit, qu'elle est amyable,
Comme ung mouton.
Second
Elle est le Diable.
C'est par sa teste, que j'endure:
Elle est par le corps bien plus dure
Que n'est le pommeau d'une dague.
Premier
C'est signe, qu'elle est bonne bague,
Compaignon.
Second
Voicy ung mocqueur:
J'entends dure parmy le cueur:
Car quant au corps n'y touche mye.
Des que je l'appelle m'amye:
Vostre amye n'est pas si noyre,
Faict elle. Vous ne sçauriez croyre,
Comme elle est prompte à me desdire
Du tout.
Premier
Ainsi.
Second
Laissez moy dire.
Si tost, que je la veulx toucher,
Ou seullement m'en approcher,
C'est peine, je n'ay nul credit:
Et sçays tu bien, qu'elle me dit,
Ung fascheux, et vous, c'est tout ung:
Vous estes le plus importun,
Que jamais je veis. En effect
J'en vouldroys estre jà deffect,
Et m'en croy.
Premier
Que tu es belistre!
Et n'as tu pas ton franc arbitre
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Pour sortir, dont tu es entré?
Second
Arbitre? c'est bien arbitré:
Je le veulx bien, mais je ne puis.
Bien ung An l'ay laissée, et puis
J'ay parlé aux Egyptiennes;
Et aux sorcieres anciennes,
D'y chercher jusque au dernier poinct
Le moyen de ne l'aymer point:
Mais je ne m'en puis descoffrer
D'y penser, que c'est ung Enfer,
Dont jamais je ne sortiray.
Premier
Par mon âme je te diray:
Puis qu'il n'est pas en ta puissance
De la laisser, sa jouyssance
Te seroit une grande recepte.
Second
Ha jouyssance! Je l'accepte:
Amenez la moy!
Premier
Non: attends.
Mais affin, que ne perdons temps,
Compte moy icy par les menuz
Les moyens, que tu as tenuz
Pour parvenir à ton affaire.
Second
J'ay faict tout ce, qu'on sçauroit faire:
J'ay souspiré, j'ay faict des crys,
J'ay envoyé de beaulx escripts,
J'ay dansé, et ay faict gambades,
Je luy ay tant donné d'oeillades,
Que mes yeulx en sont touts lassés.
Premier
Encores n'est ce pas assez.
Second
J'ay chanté le Diable m'emporte,
Des nuicts cent foys devant sa porte,
Dont n'en veulx prendre qu'à tesmoings
Trois potz à pisser pour le moins,
Que sur ma teste on a cassés.
Premier
Encores n'est ce pas assez.
Second
Quand elle venoit au moustier,
Je l'attendois au benoistier
Pour luy donner de l'eaue beniste:
Mais elle s'enfuyoit plus viste,
Que Lievres, quand ilz sont chassés.
Premier
Encores n'est ce pas assez.
Second
Je luy ay dit, qu'elle estoit belle,
J'ay baisé la paix apres elle,
Je luy ay donné fruictz nouveaulx
Acheptés en la place aux veaulx,
Disant, que c'estoit de mon creu,
Je ne sçay, si elle l'a creu.
Et puis tant de boucquetz, et roses:
Brief, elle a mis toutes ces choses
Au ranc des pechés effacés.
Premier
Encores n'est ce pas assez.
Il failloit estre diligent
De luy donner.
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Second
Quoy?
Premier
De l'argent.
Quelcque chaisne d'or bien pesante,
Quelcque Esmeraulde bien luysante,
Quelcque patenostres de pois,
Tout soubdain cela seroit poix,
Et en le prenant el' s'oblige.
Second
El' n'en prendroit jamais, te dis je:
Car c'est une femme d'honneur.
Premier
Mai tu es ung maulvais donneur,
Je le voy tres bien.
Second
Non suis point:
Mais croy, qu'elle n'en prendroit point,
En y eust il plein troys barilz.
Premier
Mon amy elle est de Paris,
Ne t'y fie, car c'est ung lieu
Le plus gluant.
Second
Par le corps bieu
Tu me comptes de grands matieres!
Premier
Quand les petites vilotieres
Trouvent quelcque hardy amant,
Qui vueille mectre ung dyamant
Devant leurs yeulx riants, et vers,
Coac, elles tombent à l'envers.
Tu rys, mauldit soit il, qui erre:
C'est la grand' vertu de la pierre,
Qui esbloyst ainsi les yeulx.
Telz dons, telz presents servent mieulx,
Que beaulté, sçavoir, ne prieres:
Ilz endorment les chambrieres,
Ilz ouvrent les portes fermées,
Comme s'elles estoyent charmées:
Ilz font aveugles ceulx, qui voyent,
Et taire les chiens, qui aboyent:
Ne me croys tu pas?
Second
Si fais si.
Mais de la tienne Dieu mercy
Compaignon tu ne m'en dys rien.
Premier
Et que veulx tu? el' m'ayme bien,
Je n'ay, que faire de m'en plaindre.
Second
Il est vray: mais si peult on faindre
Aulcunesfoys une amytié,
Qui n'est pas si grand' la moytié,
Comme on la demonstre par signes.
Premier
Ouy bien, quant aux femmes fines:
Mais la mienne en si grand' jeunesse
Ne sçauroit avoir grand' finesse:
Ce n'est, qu'ung enfant.
Second
De quel eage?
Premier
De quatorze ans.
Second
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Ho voylà rage:
Elle commence de bonne heure.
Premier
Tant mieulx: elle en sera plus seure,
Car avec le temps on s'affine.
Second
Ouy elle en sera plus fine.
N'est ce pas cela?
Premier
Que d'esmoy!
Entends, que son amour en moy
Croistra tousjours avec les ans.
Second
Ne faisons pas tant des plaisants:
Par tout il y a decepvance.
De quoy la congnoys tu?
Premier
D'enfance,
D'enfance tout premierement,
La veoys ordinairement:
Car nous estions prochains voysins.
L'esté luy donnoys des raisins,
Des pommes, des prunes, des poires,
Des pois vertz, des cerises noires,
Du pain beneïst, du pain d'espice,
Des eschauldés, de la reclisse,
Du bon succre, et de la dragée.
Et quand elle fut plus eagée,
Je luy donnoys de beaulx boucquetz,
Ung tas de petits afficquetz,
Qui n'estoyent pas de grand'valeur:
Quelcque ceinture de couleur
Au temps, que le Landit venoit.
Encor de moy rien ne prenoit,
Que devant sa mere, ou son pere,
Disant, que c'estoit vitupere
De prendre rien sans congé d'eulx.
D'huy à ung bon An, ou à deux,
Luy donneray et corps, et biens,
Pour les mesler avec les siens,
Et à son gré en disposer.
Second
Tu l'aymes doncq' pour l'espouser?
Premier
Ouy, car je sçay seurement,
Que ceulx, qui ayment aultrement,
Sont volontiers touts marmiteux:
L'ung est fasché, l'aultre est piteux,
L'ung brusle, et ard, l'aultre est transy:
Qu'ay je que faire d'estre ainsi?
Ainsi comme j'ayme m'amye,
Cinq, six, sept heures, et demye
L'entretiendray, voyre dix ans,
Sans avoir peur des mesdisants,
Et sans danger de ma personne.
Second
Corps bieu, ta raison est tres bonne:
Car d'une bonne intention
Ne vient doubte, ne passion.
Mais compaignon, je te demande,
Quelle est la matiere plus grande
Qu'elle t'a offerte desjà?
Premier
Ma foy je ne mentiray jà,
Je n'ose toucher son teton:
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Mais je la prends par le menton,
Et tout premierement la baise.
Second
Ventre sainct Gris, que tu es aise,
Compaignon d'amours.
Premier
Par ce corps,
Quand il fault, que j'aille dehors,
Si tost qu'elle en est advertie,
Et que c'est loing, ma departie
La faict pleurer, comme ung oignon.
Second
Je puiss mourir, compaignon,
Je croy, que tu es plus heureux
Cent foys, que tu n'es amoureux.
O le grand aise, en quoy tu vis!
Mais pourquoy est ce, à ton advis,
Que la mienne m'est si estrange,
Et qu'elle prise, moins, que fange,
Ma peine, et moy, et mon prochas?
Premier
C'est signe, que tu ne couchas
Encores jamais avec elle.
Second
Corps bieu, tu me la bailles belle:
J'en devineroys bien aultant.
Or si poursuyvray je pourtant
La chasse, que j'ay entreprinse:
Car tant plus on tarde à la prinse,
Tant plus doulx en est le repos.
Premier
Une chanson avec propos
N'auroit point trop maulvaise grâce:
Disons la.
Second
La dirons nous grasse
De mesme le jour?
Premier
Rien quelconques:
Honneur par tout. Commençons doncques.
Second
Languir me fais? Content desir?
Premier
A telles ne prend point plaisir,
Elles sentent trop leurs clamours.
Second
Disons donc, Puis qu'en amours:
Tu la dys assez vouluntiers.
Premier
Il est vray, mais il fault un tiers,
Car elle est composée à troys.
Ung quidam
Messieurs, s'il vous plaist, que j'y soys:
Je serviray d'enfant de cueur,
Car je la sçay toute par cueur,
Il ne s'en fault pas une notte.
Second
Bien venu par saincte penotte,
Soys mignon le bien arrivé.
Premier
Luy siet il bien d'estre privé!
Chantez vous clair?
Quidam
Comme layton:
Baillez moy seullement le ton,
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Et vous voyrrez, si je l'entends.
Puis qu'en amours a si beau passetemps.
FIN.

Sermon très utile et salutaire du bon pasteur et du mauvais

Prins et extraict du .X. chapitre de sainct Jehan. Composé et mis en rithme françoise par Clement Marot.
Veu et recongneu des Theologiens.
Psalm. 104.
Psalme et chanson je chanteray à un seul Dieu, tant que seray
Pres de Paris, vostre grande cité,
Sire, je fus le Karesme incité
D'aller aux champs entendre le propos
Du bon pasteur aymant l'aise et repos
De ses brebis, lequel paist mesmement
Le sien bestail par bon nourrissement.
Lors un j'en vys sur un tertre monté,
Que charitable amour avoit dompté,
Songneusement gardant son petit nombre
Qui là estoit tappi à terre en l'ombre,
Et le paissoit de l'escripture saincte,
Disant ainsi par parolle non faincte:
Petit tropeau, vous n'avez donc plus cure
D'estre repeu de l'humaine pasture,
Ayant ouy la joyeuse nouvelle
De ce pain vif qui rend l'âme immortelle,
Du hault du ciel icy bas descendue
Pour estre à tous les humains espandue,
Qui vous a faict ce hault bien et cest heur
D'ouyr la voix de vostre bon pasteur,
Qui est entré dedans la bergerie
Pour le salut de la brebis perie,
La restaurant de si doulx pasturage
Que d'un maulvais; il faict un bon courage.
C'est luy qui est verité, vie, et voye,
Où nul vivant ne s'esgare ou fourvoye.
C'est la clarté qui le monde illumine,
Que nulle nuict ne tenebre extermine.
C'est luy qui est l'eau vifve et souveraine
Qui dans le cueur faict sourdre une fontaine
Saillant du ciel, d'un goust tant bon et souef
Que qui en boit il n'aura jamais soif.
A luy avez esté tirez du pere,
Pour aller veoir ce pasteur vostre frere,
Ne plus ne moins que si fussiez l'eslite
Qu'il a voulu choisir et sans merite:
Que de luy seul des le commencement,
Quand par son mot il fist le firmament.
Il a bien dict, je congnois mes ouailles,
Et elles moy, et ouvrent les oreilles
Pour escouter ma divine parolle
Qui n'est en rien menteuse ne frivolle.
C'est luy qui a baillé pour vous sa vie
Tant il a eu de vous sauver envie,
Et a rompu vostre captivité
En vous donnant franchise et liberté.
C'est le pasteur de vous si fort jaloux
Que ne serez prins ne ravis des loups.
Et que plus est, luy tant bon, tant honneste,
A tout nombré le poil de vostre teste,
Et n'en cherra un sans la volunté
De Dieu son pere: ainsi l'a racompté.
C'est luy qui a publié son edict
(Au moins ainsi que l'Evangile dict)
Que chascun voyse à luy de prime face
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Quand on vouldra obtenir quelque grâce,
Tant soit indigne, et remply de malice,
Et il aura pardon du malefice
Ainsi comme eut le povre enfant prodigue,
Qui de la chair ayant suivy la ligue
Fut prevenu de son pere et receu
Benignement des qu'il l'eut apperceu.
Il crie apres, je vous fais asçavoir
Que nul ne peut acces au pere avoir
Sinon par moy, et si ne povez rien
Faire sans moy, tant soit petit de bien
Pour vous sauver, et croyez à mon dire:
Car vous sans moy estes tous enfans d'ire.
Escoutez donc le pasteur debonnaire
Puis qu'il nous est tant doulx et salutaire:
Car Dieu commande expres de l'escouter
Et autres espritz contraires rebouter.
O charité, ô bonté indicible!
Te comparer à aultre est impossible.
Où est l'amy que tant bon on reclame
Qui pour l'amy voulsist bailler son âme?
Où est l'amy soit il vif, soit il mort,
Qui à l'amy baille vie pour mort?
Où est le Roy qui vueille conceder
Grâce, où nully ne vient interceder,
Et promettant que tout criminel homme
Humilié s'adresse à luy comme
Seroit celluy qui a bien merité
Quelque grand bien pour sa dexterité?
Las trop peu s'en fault qu'il se vueille cacher,
Mais quoi, il vient ses ennemys chercher
Pour les saulver lors qu'ilz luy font oultraige,
Ainsi qu'avons de sainct Pol tesmoignage,
Qui fut receu vaisseau d'election
Faisant des sainctz la persecution.
Tu ne cherchois rien moins, Samaritaine,
Que ton salut allant à la fontaine:
Et toutesfois par luy tu fus cherchée,
Dont ta grand soif fut d'eaue vifve estanchée.
Mais que diray dont tel amour procede
Qui les amours de tous humains excede?
Seroit ce point pour la laine ou toison
Que luy rendez tous les ans à foison?
Seroit ce point pour quelque bonne chose
Venant de nous en vostre cueur enclose?
Certes nenny, car en cela vous estes
(Il est certain) toutes indignes bestes:
Et tout ainsi immundes et crasseuses
Comme le drap des femmes menstrueuses.
Puis que telle est vers luy vostre excellence,
Ce n'est cela donc qui meut sa clemence
A vous aimer, mais sa seulle bonté
Qui a la terre et le ciel surmonté,
Ce qu'ignorez, si mal estes instruictes.
Povres brebis, on vous a bien seduictes,
Car seullement il est icy venu
Pour le tropeau en peché detenu.
Doncq nul n'aura part au grand benefice
Qu'il nous a quis, s'il dict estre sans vice.
L'homme dispos, qui est sain et entier,
Du medecin n'a besoing ne mestier:
Et seroit sot cil qui juste estre pense,
De demander pardon de son offense.
Parquoy ne fault nullement s'excuser
Mais envers luy noz delictz accuser,
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Comme celluy qui dict la Patenostre
Qui lors confesse estes pecheurs tous oultre:
Las n'entre pas, dict David humblement,
Contre ton serf, Seigneur, en jugement:
Car je suis seur et bien edifié
Que nul ne peult estre justifié
Si tu te veulx monstrer accusateur,
Toy estant juste, et tout homme un menteur:
Car Dieu a tout conclus dessoubz peché,
Dont a voulu estre en croix attaché,
En declarant sa grand' misericorde:
Donc malheureux est qui ne s'y accorde.
Or pour purger ces oeuvres vicieux
Trouve l'on point un unguent precieux,
Ou aultre cas faict de mouche à miel,
Ou ne sçay quel basme artificiel?
Non, que le sang du sauveur Jesu Christ;
Qui a esté pour vous laver prescript
Et immolé, tendant en croix ses mains,
Monstrant porter les pechez des humains.
Se vend il point tant aux grandz qu'aux petitz?
Non, mais le donne à un chascun gratis
Celuy qui a pleinement satisfaict
Pour le peché que point il n'avoit faict:
Et n'y avoit remede qui valut
Que celuy là pour nous donner salut.
Par aultre nom, tant soit il estimé,
L'homme ne peult jamais estre saulvé.
Se le salut fust venu d'aultre lieu,
Mort pour neant seroit le filz de Dieu.
Sainct Pol ce point clairement nous descouvre
En assentant qu'il ne vient de nostre oeuvre
Mais de la foy qui l'homme justifie,
Tant soit meschant, quand en Dieu se confie,
Soy deffiant de soy et sa vertu,
Que en luy fault estimer ung festu:
Car ayant faict tout, selon l'Evangile
Dictes, je suis serviteur inutile.
Parlant de foy, j'entens de la foy vifve,
Laquelle n'est vers son prochain oisive,
Qui vient de Dieu par grâce, et en pur don,
Et non de nous, faisant l'arbre estre bon
Qui par l'ardeur d'icelle flourira,
Et son bon fruict en son temps produira:
Car l'omme en foy ressemble à son ouvraige,
L'arbre planté à l'orée d'ung rivaige
Qui son bon fruict produict en la saison.
Aussi David faisant comparaison,
Dit que jamais ses fueilles ne perissent,
Et tous ses fruictz prosperement nourrissent:
Donc est besoing que l'arbre et sa racine
Soit rendu bon par la grâce divine,
Premierement qu'il puisse aulcuns fruictz faire
Qui suffisantz soyent pour à Dieu complaire:
Parquoy il est escript dedans la Bible
Que plaire à Dieu sans foy est impossible:
Car le bon fruict quel qu'il soit n'a la force
Faire bon l'arbre en sefve ou en escorce:
Mais du bon fruict on dict en verité
Cest arbre est bon qui tel fruict a porté.
L'arbre maulvais produire ne sçauroit
Que maulvais fruict. Qui aultrement diroit
Seroit menteur et seducteur inique,
Dieu nous le dict en lieu bien autentique.
Doncques, brebis, par ceste vifve foy
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Duictes serez à parfaire la loy,
Qui est aymer Dieu d'un amour extresme,
Et son prochain ainsi comme soy mesme:
Car lors l'esprit comme d'ung instrument
Propre usera de vous utilement,
En dechassant le violent effort
Hors de son cueur, où il avoit son fort,
Qui s'enfuyra esperdu et confus,
Par le plus fort esprit en vous infus.
D'icelluy seul vient nostre suffisance,
Sans luy de vous le bien n'est qu'apparance
Exterieure, et fard hypocritique:
Comme un sepulchre orné en lieu publique,
Qui par dehors monstre quelque beaulté,
Mais le dedans n'est qu'immundicité.
Par ceste foy vous estes tous faictz dieux
Et filz de Dieu et heritiers des cieulx.
Par ceste Foy enfans d'adoption,
Jadis enfans de malediction.
C'est le Herault qui nous a annoncé
Que Dieu avoit de tout poinct renoncé
De se venger contre nous de l'injure
Que luy avoit faict nostre âme parjure,
Et qu'il avoit esté mediateur
Tant qu'il estoit d'ennemy amateur.
Par ceste foy à Dieu feront offrande
D'un cueur contrit, car tel il le demande,
Qui est le lieu où veult estre honnoré,
En verité et esprit adoré.
Dieu qui a faict miraculeusement
Le monde, et tout universellement,
Veu que du ciel, et terre, il est Seigneur,
Voire et selon son vouloir gouverneur,
Point il n'habite en temples faictz des mains,
Et reveré n'est par mains des humains,
Tout est par luy et par tout d'une essence,
N'ayant besoing de rien, ou indigence,
Il ne fault donc à aulcun simulacre
Accomparer l'esprit divin et sacre.
Par ceste Foy vifve le juste vit,
Lequel des mains de Dieu nul ne ravit,
Et luy tombé confondu ne sera,
Mais la faveur de Dieu le levera.
Par foy, de Dieu vous estes le sainct temple
Qui doibt monstrer à chascun bon exemple,
Et prier Dieu sans aulcune fainctise
Pour les seigneurs et pasteurs de l'eglise,
Les honorant ainsi qu'il appartient,
Et que de Dieu l'escripture contient.
Par ceste foy les bien heureux fideles
Sont tous armez, non point d'armes charnelles
Qu'on peult forger, mais de Dieu trespuissantes
Et tout ainsi que le soleil luisantes,
Pour abismer tout esperit et haultesse
Qui fierement contre les cieulx se dresse,
Pour fouldroier ces geans temeraires,
De Dieu vivant superbes adversaires,
Qui montz sur montz s'efforcent cumuler,
Pour par leur force en paradis aller,
En desdaignant la guide et saufconduict
Qui est la foy, dont fault estre conduict.
Pour ceste foy serez persecutez,
Hays du monde, à mort executez,
Ainsi que fut vostre pasteur et maistre,
Puis que voulez en sa prairie paistre.
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Tel est des siens le mercq et le vray signe,
Duquel ne fut et n'est le monde digne.
Ceulx qui feront de vous telle injustice
Penseront faire à Dieu vray sacrifice:
Mais en estant de son dire recors,
Vous ne craindrez ceulx qui tuent les corps,
Trop bien celuy qui tue corps et âme,
Laquelle n'est icy en dangier d'âme.
Et recepvans tel persecution,
Esperez la remuneration
Qui est au ciel tresgrande et copieuse,
Par quoy sera vostre âme bien heureuse.
Par ceste foy nul n'aura fantasie
Suyvir le monde, ou secte, ou heresie,
Qui est à Dieu abhomination:
Ains vous l'aurez en detestation.
Car suyvre fault la reigle et loy de Christ
Ainsi qu'il te l'a baillée par escript,
Sans quelque part nullement decliner,
Qui ne vouldroit se perdre ou ruiner.
Par foy on voit l'opinion damnée
Que charité qui est bien ordonnée
Commence à soy: car Charité ne quiert
Ce qui est sien, mais plustost el' requiert
Perdre son bien pour l'aultruy augmenter.
Oyez vous point Moyse lamenter,
Et supplier à Dieu d'un ardant zele
Pour le delict de son peuple infidele,
En desirant plustost estre damné
Que fut à mort le peuple condamné,
Si Jesu Christ l'eust ainsi ordonné,
Il n'eust sa mort pour vous abandonné,
Et de Cephas n'eust blasmé la priere
Quand il luy dist, Va, faulx sathan, arriere.
Ne dist il pas en nous donnant la forme
Qu'eussions amour à la sienne conforme,
Dont pour les siens sainct Pol d'elle embrasé
Estre voulut anathematisé.
Par ceste foy Empereurs, Roys, et Princes,
Visiteront leurs pays, et provinces,
Pour empescher que le povre pupille
Grevé ne soit, ne la vefve debille:
Et que le sang de l'humaine innocence
Pour qui l'esprit demande à Dieu vengeance
Ne soit au glaive exposé et submis
Par faulx tesmoings et de Dieu ennemys.
En ceste foy l'homme se humiliera
Et à chascun seigneur obeira.
Premier au Roy comme au plus excellent,
Puis aux seigneurs tout à l'equipollent:
Car à chascun fault rendre son honneur,
Soit Roy, ou Duc, ou Prince, ou Gouverneur.
Ce sont ceulx là que Dieu a envoyés
Pour reprimer les maulvais desvoyés,
Non pour les bons, sinon pour leur louange.
Consequemment ne trouveront estrange
De bien payer leur tribut loyaulment,
Comme de Dieu est le commandement.
Et qui resiste au Roy et sa puissance,
Resiste à Dieu et à son ordonnance:
Car le Roy est d'ordonnance divine
Qui veult que tout vers luy s'encline.
Ceste foy là nous asseure et enhorte
Comme la mort est de vie la porte.
Celle qui eut sur tous humains victoire
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N'est maintenant qu'une porte de gloire:
D'autant que mort estoit nostre ennemye,
D'autant elle est tresdesirable amye.
Mort n'occist plus, mais elle nous faict vivre
Et de prison en liberté nous livre.
Heureuse mort, ton dard n'est que la clef
Pour aller veoir Jesu Christ nostre chef.
Sans mort cy bas tousjours demourerions,
Sans mort jamais joye ou plaisir n'aurions:
Sans mort ne peult veoir son espoux l'espouse,
Qui est de luy, non sans raison, jalouse.
Benoiste mort (ainsi te fault nommer)
Nul de debvroit souffrir les mortz blasmer
Le doulx effect de ton urgent office,
Lequel nous est necessaire et propice.
Les mortz ce sont les tenebres du monde,
Esquelles tant d'obscurité habonde
Qu'elles n'ont sceu la lumiere comprendre
Pour le chemin de leur salut entendre.
Painctres françoys, advisez à ce poinct
Quand à la mort ne me la paindez poinct
Comme on souloit ainsi laide et hideuse,
Mais faictes la plus belle, et gratieuse,
Que ne fut onc ou Heleine ou Lucresse,
Affin qu'elle ait des amoureux oppresse.
Brief, tirez la qu'il ne luy faille rien,
Puis que par elle avons un si grand bien,
Il est raison que mort nous semble belle
Puis que par mort avons vie eternelle
Et que son nom, qui sembloit estre horreur
A un chascun, fust pape ou empereur,
Soit maintenant nom de toute asseurance
A ceulx qui ont en Dieu vraye esperance.
Puis luy baillez en sa main dextre un dard
Si bien pourtraict de vostre excellent art,
Qu'il semble à l'oeil par bonne perspective
Estre d'amour une flesche neifve:
Non qu'elle cause aux navrez tant d'amer
Que celle là qui faict la chair aymer:
Et qu'elle n'ayt ne cherme, ne poyson,
Mais un unguent qui porte guerison
De tous les maulx, esquelz dame Nature
A obligé toute sa geniture:
Aussy qu'elle a puissance de dissouldre
Et transmuer nostre prison en pouldre,
Que nul vivant ne se ose vanter
De soy povoir de son dard exempter.
Ne la montez sur ung char arrogante,
Comme elle estoit des humains triumphante.
Mais paindez la que triumpher nous face,
Nous faisant veoir Jesu Christ face à face.
Voy là de quoy ses ouailles paissoit
Le bon pasteur, voire les engressoit
Au veu de l'oeil spirituellement,
Tant que n'avoyent faim, ne soif nullement,
Et recepvoyent don d'immortalité
Participant à la divinité.
D'aultres j'en vis faisantz les charemistes,
Par le dehors aussi simples qu'hermites.
Mais je me doubte, et à ma fantaisie,
Que là estoit cachée hypocrisie:
Et me sembloit, ou j'ay bien maulvais yeulx,
Que leur esprit estoit seditieux.
Ilz nourrisoyent leurs grans tropeaux de songes,
D'ergos, d'utrums, de quarez, de mensonges,
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Et de cela ils faisoyent du pain bis
Que bien aimoyent leurs seduictes brebis,
Mais de maigreur estoient enlangourées,
Plus en bevoient, plus estoient alterées,
Plus en mengeoient, plus en vouloyent menger,
Et l'âme et corps estoient en grand dangier:
Et ne sçauroyent ennemis estrangiers
Pires les traicter, que faisoient les bergiers,
Qui soubz couleur de longues oraisons
Le plus souvent devoroient leurs toisons,
Et croy, si mieulx de pres les advisez,
Que verrez loups en brebis desguisez.
Ilz ont laissé l'huis salubre et à dextre
Et sont entrez au thoict par la fenestre.
Ilz ont laissé le paist qui ne perit,
Pour cestuy là qui à l'instant perit.
Ilz ont laissé l'eaue de fontaine vifve
Pour boire eaue de fontaine chetive.
Ilz ont laissé la vraye olive et franche,
Pour s'appuyer sur une morte branche
Ilz ont receu vaine philosophie,
Qui tellement les hommes magnifie
Que tout l'honneur de Dieu est obscurcy,
Et le hault mur d'ergotis endurci,
En mesprisant celle qui tout en somme
Donne louenge à Dieu, et non à l'homme,
Sinon qu'il est plus vain que vanité,
Et qu'il auroit plus de legiereté
S'il estoit mis au poix de la balance.
Tout son sçavoir, sans foy c'est ignorance:
Cuydant saige estre, il est fol devenu.
Combien qu'il fust en hault lieu parvenu,
Ce qui luy est prudence tant pollye
N'est riens vers Dieu qu'ignorance et follie.
Des saiges, Dieu la saigesse reprouve,
Et des petitz l'humilité approuve,
Ausquelz il a ses secretz revelez,
Qu'il a cachez aux saiges et celez,
Car son esprit point ne reposera
Que sur celuy qui humble et doulx sera.
Les saiges ont leur Dieu crucifié
Et son parler divin falsifié.
Tous les haulz faictz des sept saiges de Grece,
Et de Brutus, lequel vengea Lucresse,
De Publius, et de Pamphilius,
De Marc Cathon, censeur, et Tullius,
De tous les Grecz, et de tous les Romains
Qui ont tenu le monde soubz leurs mains,
Sont inutiles comme estant faictz sans foy,
Mais pour leur gloire, et pour l'amour de soy.
Sainct Pol estant de son dire croiable
Dict, j'ay vescu des hommes incoulpable
Jouxte la loy, n'ayant de CHRIST notice:
Et quand il fut certain que la justice
Venoit de foy, de luy soy deffiant,
Ces oeuvres là il reputa fiens
Qui luy sembloient au paravant si belles:
Mais ce n'estoient que vaines estincelles.
Pourquoy cela? faictes estoient sans foy,
Mais pour sa gloire, et pour l'amour de soy.
Prions donc Dieu que Françoys nostre Roy,
L'un des esleuz, fermement je le croy,
Puisse regner au ciel, et en la terre
Bien longuement, sans jamais avoir guerre.
Mais s'aulcuns sont de son bien envieux,
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Qu'il soit sur tous princes victorieux,
Voyans messieurs ses beaulx nobles enfans
Par leurs vertus au monde triumphantz,
Et qu'avec eulx de paradis herite
La precieuse et noble Marguerite.
La foy sera la clarté, je me vante,
Comme aux sages estoit l'Estoile ardante,
Pour les conduyre en leur bonne querelle,
Et en la fin ayent vie eternelle.
Priant aussi Dieu pour noz souverains,
En n'oubliant les deux princes Lorrains,
Consequemment, le bon conseil royal,
Les haultz seigneurs, grand maistre et admiral,
Que Dieu leur donne heureuse et telle vie
Comme ilz auroyent de souhaiter envie.
FIN

Les Epistres

I
L'Epistre de Barquin
Dieu tout puissant en repos te maintienne
De par delà, gentille âme chrestienne.
Si en mes vers ores je ramentoy
Le trop honteulx et dur trespas de toy,
Certainement ce n'est point t'offencer,
Ainçois plus tost pour ta joye avancer:
Car le record du passé qui tourmente
Du temps serain le grand plaisir augmente.
Puys, de jadis la vie tant honneste
Et amytié m'incite, et admoneste
De te mander ce que de toy fut dict
Apres que mort eust faict ce grand credit
De te gecter hors de ce corps charnel
Pour t'en aller en repos eternel.
Au paravant on m'a bien annoncé.
Comment jadis il te fut prononcé
Mourir par feu, dont depuis peu de temps
Tu feuz absoulz, ainsi comme j'entens.
Mais sur le champ, et sur cause nouvelle,
Nouvelle peine, helas! on te revelle,
Te condemnant en amende honnorable
Et à languir en prison pardurable.
Puis tellement ton cas on demena
Que ton appel à la mort te mena:
Et quand deseur tu fleschiz les genoulx,
Disant ainsi: Jhesus, sauveur de nous,
Tu as pour moy souffert la mort tresdure,
C'est bien raison que pour toy je l'endure.
Et là dessus prononças maint beau traict
Consolatif, de l'Evangille extraict,
Qui tant de foy et d'espoir lors te livre
Qu'allant mourir te sembloit aller vivre.
Lors le bourreau, la main sur toy boutée,
A de ton col la chesne d'or ostée,
Et en son lieu subit sa propre main
Mit le cordeau cruel et inhumain,
Non pas cruel, mais plustost gracieulx,
Car par luy es hors du val soucieulx
De ce vil monde. Adonc on te desplace
De la prison, et t'en vas en la place
Où ce dur peuple on voit souvent courir
Pour voir son frere estrangler, et mourir,
Et en est aise, et si ne scet pourquoy:
Et s'on atainct quelqu'un qui ayt de quoy,
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Tous font tel chere à sa mort qui aproche,
Comme allans veoir ung jeu de la bazoche:
Dames y vont, hommes chambres leur louent,
Et là Dieu scet les beaulx jeulx qui s'y jouent:
Ce temps pendant que confesser on faict
Le pauvre corps, qu'on va rendre deffaict.
Croy, cher amy, qu'on ne feit pas telle feste
Quand tu nasquis, que quand ta mort fut preste.
Las! tu mourus comme herese en publicque,
Plain toutesfoys de la foy catholicque,
Sans soustenir contre la loy de Dieu
Ung seul propos. Qu'ainsi soit, sur le lieu,
Apres ta mort, Merlin, ton confesseur,
Crya tout hault: Peuple, je te fays seur
Que cent ans a, or ainsi le maintien,
Il ne mourut homme meilleur chrestien.
Et sans cella, mon frere en Jhesus Crist,
N'eusse voulu t'envoyer cest escript:
Car il n'affiert christiane presye
Louer aucun qui meurt en heresie.
Si rendz à Dieu louenges immortelles
De ta grand mort. On blasme les morts telles:
Mais je supply ceulx de ton parentaige
Ne le voulloir prendre au desadvantaige
De leur honneur, et penser en eulx mesmes
Que ceulx qui ont eternelz dyadesmes
Lassus au ciel ont bien passé le pas
D'infame, dur et publicque trespas:
Infame, dis je, quant au monde esgaré,
Onquel tel homme en son lict bien paré
Pourra mourir, et avoir couverture
En terre saincte, et riche sepulture,
En grand danger peult estre de descendre
Plus bas que ceulx par bourreaulx mys en cendre.

II
Epistre en laquelle Margot se lieve sur le Maistre Argot, Pour tancer, comme une insensée, le gros Hector qui l'a
laissée
Mercy Dieu, gentil pannetier,
A il fallu te nettier
Pour chose que je t'ay donnée?
Je ne me suis habandonnée
A d'aultre qu'à toy pour le faire.
Laquelle chose de cest affaire
Je te promectz, par la croix Dieu,
Sans me venter en aucun lieu,
Que j'en ay esté bien requise
De gens de Court, et gens d'Eglise.
Mais quant ilz me venoient guetter,
Et à ma porte mugueter,
Je leur disoys en preude-femme:
Hay avant, vous fâchez la dame.
Et s'ilz me tenoient longs caquetz,
Je repliquoys: Petitz muguetz,
Vous bravillonnez de cela:
C'est à l'autre huys, pissez plus là.
Et s'ilz tenoient rude façon,
Je respondoys: du son, du son,
Monsieur du brave, Moigne moigne,
Voire dea. Et quant à ma troigne
L'on venoit m'appeler ribaulde:
Je cryois par Monsieur sainct Claude,
Le bon sainct, dont j'ay faict les pas,
Vous mentez, je ne le suis pas:
Effacez cela ou l'ostez!
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En mectant les mains aux costez,
Je disois en voix esclatante,
Il n'y en a q'un qui me hante.
A la chasse, et vous advancez.
Ce n'est pas ce que vous pensez.
J'aymeroys mieulx tumber en l'eau,
Ou sur la poincte d'ung cousteau,
Et perdre encores ung escu,
Que faire mon Amy coquu.
Ce corps, croix Dieu, ce corps, ce corps,
C'est pour luy, dedans et dehors.
Allez, allez, Tara tara,
Jamais homme n'y montera,
C'est celuy qui aux champs me meine,
Et qui me taille par sepmaine
Ce qu'il me fault. Il m'a vestuë,
Et s'il m'a quelque foiz batuë,
C'est tout ung: Dieu me gard de mal,
Et de morsure de cheval.
Or sus, meschant, voys tu pas bien
Comment ton honneur, et le mien,
J'ay bien gardé? En fuz je chiche?
J'en suis bien maintenant plus riche!
Mon honneur est bien accoustré!
En effect, tu n'as pas montré,
Villain, que tu es Gentil-homme,
Car j'eusse couru jusqu'à Romme
Pour te cercher, comme dit l'autre.
Et toutesfoiz ton corps se veaultre
Maintenant pres d'une autre fille.
Ne suis pas aussi gentille?
Suis trop large ne trop creuse?
T'ay je donné bosse chancreuse,
Mal de vit, goutte, ne bouton?
Villain, tu en seras mouton,
Et t'en feray porter la corne:
Car tout le jour, et sur la sorne,
La croix Dieu, je le feray tant,
Et tant et tant, et si trestant
A tout le monde et un chascun,
Que mes deux trous n'en seront q'un.
J'y ay desjà bien commencé.
Et quant j'ay bien partout pensé,
Je n'en puis mieulx estre vengée.
A Dieu meschant, tu m'as laissée.

III
Epistre presentée à la Royne de Navarre par Madame Ysabeau et deux autres damoyselles habillées en
Amazones en une mommerie
Penthazillée, Royne des Amazones, à Marguerite, Royne de Navarre
J'ay entendu, tres illustre compaigne,
Que contre toy se sont mys en campaigne
Les haulx quantons du lac pharisien:
Par quoy soudain du camp Elisien
J'ay faict sortir troys de mes damoyselles,
Pour te monstrer le plus grand de mes zelles,
Qui est d'oyr nouvelles briefvement
De la defaicte et prompt definement
De ceste race inutille et contraire
A ce bon Christ, lequel me vint retraire
Hors des enfers, lorsqu'il y descendit,
Et à repos en ce lieu me rendict.
C'est luy pour vray, tant liberal et large,
Qui m'a donné expressement la charge
De depescher ces troys nymphes armées,
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Que Dieu son pere a faictes et formées.
L'une est Fealle, l'autre c'est Charité,
L'autre Esperance. O noble Margueritte,
Veulx tu sçavoir que la moindre feroit
En ung besoing? Tout ung camp deferoit.
Mais vraye amour de si pres les assemble
Que fault tousjours qu'elles voysent ensemble.
Or les reçoy, car en effaict ce sont
Celle qui tant de force et puissance ont
Que n'est maling qui ne fuie ou se rende.
J'eusse bien mys au camp toute ma bande:
Mais ces troys cy, croy moy, sont assez fortes
Pour des enfers rompre les doubles portes.
Regarde donc de ces petitz humains
Qu'elles feront, s'ilz tumbent en leurs mains:
Heureux seront, tant elles sont prisées.
Faict et escript aux beaulx champs Elisées.
Suscription
Lettres, prenez le chemin seur
Devers Marguerite, ma soeur.

IV
Marot arrivé à Ferrare escript à Madame la Duchesse
En traversant ton pays plantureux,
Fertile en biens, en Dame bienheureux,
Et bien semé de peuple obeissant,
Le tien Marot (fille de Roy puissant)
S'est enhardy, voire et a protesté
De saluer ta noble Majesté
Ains que passer tout oultre tes limites:
Estant certain que, si bien tu limites
Du salueur la vraye intention,
Tu n'y verras brin de presomption.
Car estimant que par ung bruit qui sonne
Tu sçais mon nom sans savoir ma personne:
Et que jadis fut serviteur mon pere
De ta mere Anne, en son regne prospere:
Croyant aussy, que tu sçais que d'enfance
Nourry je suis en la maison de France,
De qui tu es royale geniture:
Cela pensant, n'a crainct mon escripture
Que ta grandeur la vueille reffuser.
Mais quel besoin est il de m'excuser?
Les oyselletz des champs en leurs langaiges
Vont saluant les buissons et bocaiges
Par où ilz vont: quant le navire arrive
Aupres du havre, il salue la rive
Avec le son du canon racourcy.
Ma Muse doncq passant ceste Court cy,
Faict elle mal saluant toy, Princesse?
Toy, à qui rit ce beau pays sans cesse,
Toy, qui de race aymes toute vertu,
Et qui en as le cueur tant bien vestu:
Toy, dessoubz qui florissent ces grans plaines,
De biens et gens si couvertes, et plaines.
Toy, qui leurs cueurs a sceu gagner tres bien,
Toy, qui de Dieu recongnois tout ce bien.
Salut à toy doncques tres humblement,
Humble salut, par ton humble Clement,
Par ton Marot, le Poete Gallique,
Qui s'en vient veoir le pays italique
Pour quelque temps: si entre cy et là
Te peult sevrir ma plume, si elle a
Sçavoir qui plaise à ta Majesté haulte,
Croy que plustost l'eau du Pau fera faulte
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A contre val ses undes escouler,
Que ceste plume à s'estendre et voler
Là où le vent de tes commandemens
La poulsera: mesmes les Eslemens
Lairront plustost leur nature ordonnée:
Car l'Eternel me l'a (certes donnée)
Pour en louer premierement son nom:
Puis pour servir les Prince de renom
Et exalter les Princesses d'honneur
Qui, au plus hault de fortune, et bon heur,
S'humilier de cueur sont coustumieres,
Auquel beau rang tu marche des premieres.

V
Aultre Epistre de Marot qui mandoit aux Damoiselles
Trescheres soeurs, joinctes par charité,
Le nom des vrays amans de verité
Sonne tant mal aux oreilles de ceulx
Qui de l'oyr sont plus que paresseux,
Qu'en plusieurs lieux de ce fol monde icy
On ne les veult oyr ne veoir aussy.
Les ungs souvent par poyne on persecute,
D'aultres, helas, par mort on execute,
Les ungs souvent chassés de leur pays,
Les aultres sont abhorrés et hays
De leurs parents. Pour tout cella, mes dames,
Flechir ne fault: plustost doibt en vos âmes
Croistre la foy, voire à chascun qui l'a,
Considerant que Jesus pour cella
Nous accomplit ses parolles escriptes:
Car tous ces maulx et poynes que j'ay dictes
Promist aux siens par son nom precieulx:
Mais leur loyer certes est grant es cieulx,
Et pour apprendre aux aultres à souffrir,
Droit à la croix premier se vint offrir.
Au serviteur n'est [pas] besoing qu'il faille
Se repouser, quand le maistre travaille.
Il a premier vertié descouverte,
Aussi premier la poyne il a soufferte:
Et tous ceulx là qui comme luy diront,
Poyne aujourd'uy comme luy souffriront.
Mais la chair seule endure ceste poyne,
Car l'âme franche est de foy toute pleine
Et de liesse en ce corps tant ravye
Par ferme espoir de la segonde vie,
Que les bruleurs, juges et deputés,
Sont mille fois plus que eulx persecutés
Par la collere ardante de laquelle
Mettent à mort l'innocente sequelle
Du grant Seigneur, qui çà bas tout avise
Et se rit d'eulx, et de leur entreprise.
Certes, mes soeurs, ce torment viollent,
Est de Jesus le triomphe excellent:
Vous pouvez bien escripre, dire ou chanter,
Vous pouvez bien hardyment vous vanter
Qu'avant mourir vous avez veu sur terre
Christ triompher, puys qu'on luy faict la guerre:
Guerre je dis, car à chascune fois
Que luy tout seul veult eslever sa voix,
Les hommes lors de nature menteurs,
Jaloux des loix dont ils sont inventeurs,
Luy courent sus, cuydant par façon telle
Faire mourir une chose immortelle.
En verité, filles de Dieu aymées,
De tant de croix que j'ay icy nommées,
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Le seigneur Dieu m'en a plusieurs offertes
Que je n'ay pas comme devois souffertes:
Et de rechief me convyent recepvoir
Par son sainct nom le mal de ne vous veoir:
Car, par le bruyt que j'ay, mes soeurs benignes,
D'estre contraire aux humaines doctrines,
On a de moy oppynion mauvaise
En vostre court, qui m'est ung dur malaise:
Lequel a faict, comme pouvez penser,
Que d'aller là ne ose menacer:
Dont à mon Dieu toute gloire je donne,
Puys que le mal vient de cause si bonne:
Le suppliant, pour ma lettre fynir,
Vouloir tousjours augmenter et tenir
La foy en vous, que j'estime deux roses
Entre buissons et espines encloses.

VI
Epistre au Roy, du temps de son exil à Ferrare
Je pense bien, que ta magnificence,
Souverain Roy, croyra, que mon absence
Vient par sentir la coulpe, qui me poingt
D'aulcun meffaict: mais ce n'est pas le poinct.
Je ne me sens du nombre des coulpables:
Mais je sçay tant de juges corrompables
Dedans Paris, que par pecune prinse,
Ou par amys, ou par leur entreprinse,
Ou en faveur, et charité piteuse
De quelcque belle humble solliciteuse,
Ilz saulveront la vie orde, et immunde
Du plus meschant, et criminel du monde:
Et au rebours, par faulte de pecune,
Ou de support, ou par quelcque rancune,
Aux innocents ilz sont tant inhumains
Que content suis ne tomber en leurs mains.
Non pas, que touts je les mecte en ung compte:
Mais la grand' part la meilleure surmonte.
Et tel merite y estre authorisé,
Dont le conseil n'est ouy, ne prisé.
Suyvant propos, trop me sont ennemys
Pour leur Enfer, que par escript j'ay mys,
Où quelcque peu de leurs tours je descoeuvre:
Là me veult on grand mal pour petit oeuvre.
Mais je leur suis encor plus odieux,
Dont je l'osay lire devant les yeulx
Tant clair voyants de ta majesté haulte,
Qui a pouvoir de refformer leur faulte.
Brief, par effect, voyre par foys diverses
Ont declairé leurs vouluntés perverses
Encontre moy: mesmes ung jour ilz vindrent
A moy malade, et prisonnier me tindrent,
Faisant arrest sus ung homme arresté
Au lict de mort: et m'eussent pis traicté,
Si ce ne fust ta grand' bonté, qui à ce
Donna bon ordre avant, que t'en priasse,
Leur commandant de laisser choses telles:
Dont je te rends grâces tres immortelles.
Aultant comme eulx, sans cause, qui soit bonne,
Me veult de mal l'ignorante Sorbonne:
Bien ignorante elle est, d'estre ennemye
De la trilingue, et noble Academie
Qu'as erigée. Il est tout manifeste,
Que là dedans contre ton vueil celeste
Est deffendu, qu'on ne voyse allegant
Hebrieu, ny Grec, ny Latin elegant:
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Disant, que c'est langaige d'Hereticques.
O paovres gens de sçavoir touts ethicques!
Bien faictes vray ce proverbe courant,
Science n'a hayneux, que l'ignorant.
Certes, ô Roy, si le profond des cueurs
On veult sonder de ces Sorboniqueurs,
Trouvé sera, que de toy ilz se deulent.
Comment douloir? Mais que grand mal te veulent,
Dont tu as faict les Lettres, et les Arts
Plus reluysants, que du temps des Cesars:
Car leurs abus voyt on en façon telle.
C'est toy, qui as allumé la chandelle,
Par qui maint oeil voyt mainte verité,
Qui soubs espesse, et noyre obscurité,
A faict tant d'ans icy bas demeurance.
Et qu'est il rien plus obscur, qu'ignorance?
Eulx, et leur court en absence, et en face,
Par plusieurs foys m'ont usé de menace:
Dont la plus doulce estoit en criminel.
M'executer. Que pleust à l'Eternel,
Pour le grand bien du peuple desolé,
Que leur desir de mon sang fust saoulé,
Et tant d'abus, dont ilz se sont munys,
Fussent à clair descouverts, et punys.
O quatre foys, et cinq foys bien heureuse
La mort, tant soit cruelle, et rigoreuse,
Qui feroit seulle ung million de vies
Soubs telz abus n'estre plus asservies!
Or à ce coup il est bien evident,
Que dessus moy ont une vieille dent,
Quand ne pouvant crime sur moy prouver,
Ont tres bien quis, et tres bien sceu trouver
Pour me fascher briefve expedition,
En te donnant maulvaise impression
De moy ton serf, pour apres à leur aise
Mieulx mectre à fin leur voulunté maulvaise:
Et pour ce faire ilz n'ont certes heu honte
Faire courir de moy vers toy maint compte,
Avecques bruyt plein de propos menteurs,
Desquelz ilz sont les premiers inventeurs.
De Lutheriste ilz m'ont donné le nom:
Qu'à droict ce soit, je leur responds, que non.
Luther pour moy des cieulx n'est descendu,
Luther en Croix n'a pas esté pendu
Pour mes pechés: et tout bien advisé,
Au nom de luy ne suis point baptizé:
Baptizé suis au nom, qui tant bien sonne,
Qu'au son de luy le Pere eternel donne
Ce, que l'on quiert: le seul nom soubs les cieulx
En, et par qui ce monde vicieulx
Peult estre sauf. Le nom tant fort puissant
Qu'il a rendu tout genoil fleschissant,
Soit infernal, soit celeste, ou humain:
Le nom, par qui du seigneur Dieu la main
M'a preservé de ces grands loups rabis,
Qui m'espioyent dessoubs peaulx de brebis.
O seigneur Dieu, permectez moy de croyre,
Que reservé m'avez à vostre gloyre.
Serpents tortus, et monstres contrefaicts
Certes sont bien à vostre gloyre faicts:
Puis que n'avez voulu doncq' condescendre,
Que ma chair vile ayt esté mise en cendre,
Faictes au moins tant, que seray vivant,
Que vostre honneur soit ma plume escripvant:
Et si ce corps avez predestiné
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A estre ung jour par flamme terminé,
Que ce ne soit au moins pour cause folle:
Aincoys pour vous, et pour vostre parolle:
Et vous supply, Pere, que le tourment
Ne luy soit pas donné si vehement,
Que l'âme vienne à mectre en oubliance
Vous, en qui seul gist toute sa fiance:
Si que je puisse avant, que d'assoupir,
Vous invocquer, jusqu'au dernier souspir.
Que dys je? Où suis je? O noble Roy Françoys,
Pardonne moy, car ailleurs je pensoys.
Pour revenir doncques à mon propos,
Radamanthus avecques ses supposts
Dedans Paris, combien que fusse à Bloys,
Encontre moy faict ses premiers exploicts,
En saysissant de ses mains violentes
Toutes mes grands richesses excellentes,
Et beaulx thresors d'avarice delivres:
C'est assçavoir mes papiers, et mes livres,
Et mes labeurs. Et Juge sacrilege,
Qui t'a donné ne loy, ne privilege
D'aller toucher, et faire tes massacres
Au cabinet des sainctes Muses sacres?
Bien est il vray, que livres de deffense
On y trouva: mais cela n'est offense
A ung Poëte, à qui on doibt lascher
La bride longue, et rien ne luy cacher,
Soit d'art magicq, nygromance, ou caballe.
Et n'est doctrine escripte, ne verballe,
Qu'ung vray Poëte au chef ne deust avoir,
Pour faire bien d'escrire son debvoir.
Sçavoir le mal est souvent proffitable,
Mais en user est tousjours evitable:
Et d'aultre part, que me nuist de tout lire?
Le grand donneur m' donné sens d'eslire
En ces livrets tout cela, qui accorde
Aux sainctz escripts de grâce, et de concorde:
Et de jecter tout cela, qui differe
Du sacré sens, quand pres on le confere.
Car l'escripture est la touche, où l'on treuve
Le plus hault Or. Et qui veult faire espreuve
D'or, quel qu'il soit, il le convient toucher
A ceste pierre, et bien pres l'approcher
De l'Or exquis, qui tant se faict paroistre,
Que bas, ou hault tout aultre faict congnoistre.
Le juge doncq' affecté se monstra
En mon endroict, quand des premiers oultra
Moy, qui estoys absent, et loing des villes:
Où certains folz feirent choses trop viles,
Et de scandalle, helas au grand ennuy,
Au detriment, et à la mort d'aultruy.
Ce que sachant, pour me justifier,
En ta bonté je m'osay tant fier,
Que hors de Bloys partys pour à toy, Sire,
Me presenter. Mais quelcun me vint dire,
Si tu y vas, amy, tu n'es pas sage:
Car tu pourroys avoir maulvais visage
De ton Seigneur. Lors comme le Nocher,
Qui pour fuyr le peril d'ung rocher
En pleine mer se destourne tout court:
Ainsi pour vray m'escartay de la court:
Craignant trouver le peril de durté,
Où je n'euz oncq, fors doulceur, et seurté.
Puis je sçavoys, sans que de faict l'apprinsse,
Qu'à ung subject l'oeil obscur de son Prince
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Est bien la chose en la terre habitable
La plus à craindre, et la moins souhaitable.
Si m'en allay evitant ce dangier
Non en pays, non à Prince estrangier,
Non point usant de fugitif destour,
Mais pour servir l'aultre Roy à mon tour,
Mon second Maistre, et ta soeur son espouse,
A qui je fuz des ans a quatre, et douze,
De ta main noble heureusement donné.
Puis tost apres, Royal chef couronné,
Sachant plusieurs de vie trop meilleure,
Que je ne suys, estre bruslés à l'heure
Si durement, que mainte nation
En est tombée en admiration,
J'abandonnay sans avoir commys crime
L'ingrate France, ingrate ingratissime
A son Poëte: et en le delaissant,
Fort grand regret ne vint mon cueur blessant.
Tu ments Marot, grand regret tu sentys,
Quand tu pensas à tes Enfants petits.
En fin passay les grands froides montaignes,
Et vins entrer aux Lombardes campaignes:
Puis en l'Itale, où Dieu qui me guydoit,
Dressa mes pas au lieu, où residoit
De ton clair sang une Princesse humaine,
Ta belle soeur, et cousine germaine,
Fille du Roy tant craint, et renommé,
Pere du peuple aux Chroniques nommé.
En sa Duché de Ferrare venu,
M'a retiré de grâce, et retenu,
Pource que bien luy plaist mon escripture,
Et pour aultant que suys ta nourriture.
Parquoy, ô Sire, estant avecques elle,
Conclure puis d'ung franc cueur, et vray zelle,
Qu'à moy ton serf ne peult estre donné
Reproche aulcun, que t'aye abandonné,
En protestant, si je perds ton service,
Qu'il vient plus tost de malheur, que de vice.

VII
Epistre du Coq en l'Asne, envoyée à Lyon Jamet de Sansay en Poictou
Puis que respondre ne me veulx,
Je ne te prendray aux cheveulx,
Lyon: mais sans plus te semondre,
Moy mesmes je me veulx respondre
Et seray le prebstre Martin.
Ce Grec, cest Hebreu, ce Latin,
Ont descouvert le pot aux roses.
Mon Dieu, que nous voyrrons de choses,
Si nous vivons l'eage d'ung veau.
Et puis, que dict on de nouveau?
Quand par[t] le Roy? aurons nous guerre?
O la belle piece de terre!
Il la fault joindre avec la mienne.
Mais pourtant la Bohemienne
Porte tousjours ung chapperon.
Ne donnez jamais l'esperon
A cheval, qui vouluntiers trotte.
Dont vient cela, que je me frotte
Aux coursiers, et suis tousjours rat?
Ilz escument, comme ung Verrat
En pleine chaiere, ces Cagots,
Et ne preschent, que des fagots
Contre ces paovres Hereticques.
Non pas, que j'oste les practiques
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Des vieilles, qui ont si bon cueur.
Car comme dict le grand mocqueur,
Elles tiennent bien leur partie.
C'est une dure departie
D'une teste, et d'ung eschafault:
Et grand pitié, quand beaulté fault
A cul de bonne voulunté.
Puis vous sçavez, Pater sancté,
Que vostre grand pouvoir s'efface.
Mais que voulez vous, que j'y face?
Mes financiers sont touts perys:
Et n'est bourreau, que de Paris,
Ny long proces, que dudict lieu.
Si ne feis je jamais l'Adieu,
Qui parle de la Pauthonniere.
Vray est, qu'elle fut buyssonniere,
L'escolle de ceulx de Pavie.
Fy de l'honneur, vive la vie,
Vive l'amour, vivent les Dames.
Toutesfoys, Lyon, si les âmes
Ne s'en vont plus en Purgatoyre,
On ne me sçauroit faire à croyre,
Que le Pape y gaigne beaulcoup.
A la Campaigne, acoup acoup,
Hau Cappitaine pinse maille:
Le Roy n'entend point, que merdaille
Tienne le renc des vieilz routiers.
Et puis dictes, que les moustiers
Ne servent point aux Amoureux.
Bonne macquerelle pour eulx
Est umbre de devotion.
C'est une bonne caution,
Que Monsieur de la Moriniere.
En ce temps là vint la maniere
De se paindre avecques des farts.
Sire, ce disent ces Capharts,
Si vous ne bruslez ces mastins,
Vous serez ung de ces matins
Sans tribut, taille, ne truage.
Qui Diable feit le coquage
Des Parisiens l'aultre Esté?
Pour le moins, si j'y eusse esté,
On eust dict, que [c']eust esté moy.
Touche là: je suis en esmoy
Des froids amys, que j'ay en France:
Mais je trouve, que c'est oultrance,
Que l'ung a trop, et l'aultre rien.
Est il vray, que ce vieil marrien
Marche encores dessus espines,
Et que les jeunes tant pouppines
Vendent leur chair cher, comme cresme?
S'il est vray, adieu le Caresme,
Au Concile, qui se fera:
Mais Romme tandis bouffera
Des chevreaulx à la chardonnette.
Attachez moy une sonnette
Sur le front d'ung Moyne crotté,
Une oreille à chasque costé
Du capuchon de sa caboche,
Voylà ung sot de la Bazoche
Aussi bien painct, qu'il est possible:
De sorte, qu'on feroit ung crible
De touts les trous, qui s'abandonnent
A ceulx, qui les richesses donnent.
J'ay flux, contreflux, carte amont.
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Dieu pardoint au paovre Vermont,
Il chantoit bien la basse contre:
Et les marys la malencontre,
Quand les femmes font le dessus.
Assçavoir mon, si les bossus
Seront touts droicts en l'aultre monde?
Je le dy, pource qu'on se fonde
Trop sus Venus, et sus les vins.
Parquoy je ne veulx qu'aux Devins
Personne sa fiance mecte.
Or çà: le Livre de flammette,
Formosum pastor, Scelestine,
Tout cela est bonne doctrine,
Il n'y a rien de deffendu.
Icy gira, s'il n'est pendu,
Ou si en la mer il ne tombe,
Monsieur, qui a dressé sa tombe
Avant, que d'estre trespassé.
Fault il pour ung verre cassé
Perdre pour vingt ans de service?
Non, Monsieur, non: ce n'est pas vice,
Que simple fornication.
J'en feray la probation
Par une cotte vyolette,
Que donna la teste follette,
Aultrement le Dieu des proces.
Au moyen de quoy trop d'exces
Sont engendrés de trop de festes.
En effect, [c']estoyent de grands bestes,
Que les Regents du temps jadis:
Jamais je n'entre en Paradis,
S'ilz ne m'ont perdu ma jeunesse.
Mais comment se porte l'Asnesse
Que tu sçays, de Jerusalem?
S'elle veult mordre, garde l'en:
Elle parle, comme de cyre.
Vous dictes vray de cela, Syre:
Une estrille, une Faulx, ung Veau,
C'est à dire estrille fauveau,
En bon rebus de Picardie.
Lyon, veulx tu, que je te dye?
Je me trouve dispost des levres:
Et d'aultres bestes, que les Chevres,
Portent barbe grise au menton.
Je ne dy pas, que Melancthon
Ne declaire au Roy son advis:
Mais de disputer vis à vis,
Noz maistres n'y veulent entendre.
Combien que la jeunesse tendre
Soit par tout assez mal apprinse.
Tu ne sçays pas: Thunis est prinse:
Triboulet a freres et soeurs:
Les Angloys s'en vont bons danseurs:
Les Allemants tiennent mesure.
On ne preste plus à usure:
Mais tant, qu'on veult, à interest.
A propos de Perceforest,
Lyt on plus Artus, et Gauvain?
Il a prins l'Evangile en vain
Le punays, et s'en est faict riche:
Et puis s'efforce mectre en friche
La vigne, et ses petits bourgeons.
Tout beau: je vous pry, ne bougeons.
Vous dictes, que ce fut Jeudy:
Non fais non. Voicy, que je dy.
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Je dy, qu'il n'est point question
De dire, J'allion, J'estion,
Ny se renda, ny je frappy
Tesmoing le Conte de Carpy,
Qui se feit Moyne apres sa mort.
Laisse moy là, qui rit, et mord:
Et demande au petit Roger,
Si ceulx, que l'on feit desloger
Hors des Villes, cryoient campos.
Vrayement puis qu'il vient à propos,
Je vous en veulx faire le compte.
Elle n'osent dire Viconte,
Vigueur, vicourt, ny villevé:
Leur petit bec seroit grevé,
En danger d'estre trop fendues.
On dict, que les Nonains rendues
Donnent gentilment la verolle.
D'estre brullé pour la parolle,
Je te pry ne soys point couart:
Mais pour la foy de Billouart,
Laisse mourir ces Sorbonistes.
Raison: la glose des Legistes
Lourdement gaste ce beau texte.
Pour ceste cause je proteste,
Que l'Antechrist succombera:
Au moins, que de brief tombera
Sur Babylonne quelcque orage.
Marguerite de franc courage
N'a plus ses beaulx yeulx esblouys.
Dieu gard la fille au Roy Loys,
Qui me reçoit, quand on me chasse.
Voulez preferer la chasse
Au vol du Milan suspendu?
Si Dieu ne l'avoit deffendu,
Et je fusse en mon advertin,
Je donroys quinze à l'Aretin,
Et si gaigneroys la partie.
La Court en sera advertie
D'ung tas de gros Asnes, ou yvres,
Qui font imprimer leurs sots Livres,
Pour acquerir bruyt d'estre Veaulx.
A Fleury sont les bons naveaulx,
Les richesses en ces Prelats.
Et puis c'est tout: je suis tant las,
Que quatorze archiers de la garde
Me battroyent à la halebarde.
Quant au Palays, tousjours il grippe:
Adieu vous dy, comme une trippe.

VIII
Au Roy, nouvellement sorty de maladie
Par Jesuchrist, je rendz à Dieu, son pere,
Grâces, ô Roy, de ta santé prospere.
Prospere dy, non pour toy seullement,
Mais pour tous ceulx qui generallement
Sont soubz ta main. O comme malmenée
Fut de ton mal la Princesse Renée!
O la grant joye aussy qu'elle receut
Quand ta santé par Marc Anthoine sceut!
N'y eut celluy des siens qui des à l'heure
Ne monstra bien sa joye interieure.
Mesmes l'enfant qu'encor au ventre elle a
De grand plaisir là dedans sautella,
Sentant desjà que tu es de sa mere
Le fort appuy contre fortune amere.
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Et de ma part, j'en ay de grant lyesse
Faict cest escript, qui prendra hardiesse
Te supplier par humble remonstrance:
Si j'ay perdu l'oser aller en France,
Si j'ay perdu le moyen favorable
De plus entrer en ta chambre honnorable,
Si j'ay perdu (à grant tort toutesfoys)
L'heur de parler avec toy quelque foys,
Si je n'oy plus ta divine eloquence
Tenir propos de haulte consequence,
Dont je tiroys tousjours quelque sçavoir,
Si j'ay perdu jusques à plus ne veoir
Soir et matin de mon Prince la face,
Que je ne perde au moins ta bonne grâce.
Mes ennemys (Roy d'honneur couronné)
Disent partout que m'as habandonné.
Ilz vont disant que nul jour de ma vye
Ne te prendra de bien me faire envie,
Et desirans que povreté m'accable,
Parlent de toy comme d'un implacable.
Le Roy l'a bien (ce disent ilz) aymé,
Mais c'en est fait, pour luy tout est rymé.
O Sire donq, renverse leurs langaiges:
Vueilles permettre (en despit d'eulx) mes gaiges
Passer les montz, et jusqu'icy venir,
Pour à l'estude ung temps m'entretenir
Soubz Celius, de qui tant on aprent.
Et si desir apres cela te prent
De m'appeler en la terre gallique,
Tu trouveras ceste langue italique
Passablement dessus la mienne entée,
Et la latine en moy plus augmentée,
Si que l'exil, qu'ilz pensent si nuysant,
M'aura rendu plus apte, et plus duysant
A te servir myeulx à ta fantasie,
Non seullement en l'art de poesie,
Ains en affaire, en temps de paix ou guerre,
Soit pres de toy, soit en estrange terre.
Je ne suis pas si laid comme ilz me font:
Myré me suis au cler ruysseau profont
De Verité, et à ce qu'il me semble,
A Turc ne Juif en rien je ne ressemble.
Je suis Chrestien, pour tel me veulx offrir,
Voire plus prest à peine et mort souffrir
Pour mon vray Dieu et pour mon Roy, j'en jure,
Qu'eulx une simple et bien petite injure:
Ce que croiras, Sire, je t'en supplye,
T'advertissant, ains que ma lettre plye,
Combien qu'encor je te tien pour mon maistre,
Qu'il est en toy de jamais rien ne m'estre,
Mais il n'est pas certes, en ma puissance,
De n'estre tien en toute obeissance.

IX
Epistre perdue au jeu contre Madame de Ponts
Dame de Ponts, Nymphe de Parthenay,
Pardonne moy si ceste Carte n'ay
Paincte de fleurs, à Mynerve duisantes
Et pour ton sens contenter suffisantes:
Ma Muse est bien pour satisfaire habile
Aucuns espritz: mais trop se sent debile
Pour toy, qui as lettres, et bon sçavoir,
Autant ou plus que Femme puisse avoir:
Avecques oeil pour veoir subit les faultes,
Et discerner choses basses des haultes.
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Bien est il vray que ton cueur sçait user
D'une bonté de faultes excuser,
Et de donner aux oeuvres bien dictées
(En temps et lieu) louenges meritées.
Mais je sens bien que l'heure est advenuë
Qu'en cest escript de promesse tenuë
Plus de besoing de ton excuse auray,
Que de bon loz meriter ne sçauray.
Et me suis veu (il n'en fault point mentir)
D'avoir promis prest à me repentir:
Car des qu'en main la plume je vins mettre,
A peine sceu forger le premier metre.
Et commançay à dire et à penser:
Presumptueulx, que veulx tu commancer?
Fault il qu'à honte acquerir tu t'amuses,
D'escrire ainsy à l'une des neuf Muses?
Ce neantmoins pour promesse tenir
Ne me suis sceu d'escrire contenir.
Mais t'escrivant, ô noble Esprit bien né,
Trouvé me suis tout ainsi estonné
Qu'ung villageois, simple et pusillanime,
Qui parle en craincte à ung Roy magnanime.
D'autre costé, pour mon epistre orner,
Je ne sçavoys quel propos enfourner.
De te parler de science latine,
D'en deviser pres de toy ne suis digne.
Te deviser des amoureux soulas,
C'est temps perdu, tu aymes trop Pallas.
Chanter la guerre, et des armes la mode,
A ton mary la chose est plus commode.
De tes vertus bien blasonner et paindre,
Tayre vault mieulx que n'y povoir attaindre.
Parquoy à droit, devant toy je m'accuse
Que cecy n'est Epistre, mais excuse,
Cecy (pour vray) n'a merité le tiltre
D'Envoy, de Lay, d'Elegie, n'Epistre.
Mais s'il te plaist, nonobstant sa basseur,
Le recevoir en gré, soubz la doulceur
Qui est en toy par naïve coustume,
J'estimeray avoir faict ung volume.
Reçoy le donc en gré, je te supplye.
Et l'ayant leu, ne le perds, mais le plye
Pour le garder: au moins quant ce viendra.
Que seray mort, de moy te souviendra.
Et si d'icy à grant temps et long eage
Du tien Clement se tient aucun langaige
Là où seras, par maniere de rire
Aux assistans pourra compter, et dire
(Qui ne sera pour moy un petit heur)
Comment jadis fuz bien ton serviteur:
Et pour tesmoing de ce que leur diras,
Ce mien escript, sur l'heure produiras,
En leur disant: Quant Marot m'escrivoit
Ces vers icy, à Ferrare il vivoit,
Là où j'estoys. Et lors à grant oultrance
Le paovre gars estoit banny de France,
Pour le pourchas d'aucuns ayant envye
Dequoy Vertu perpetuoit sa vye.
Dont il trouvoit sa perte et son soucy
Moins ennuyeux. Leur compteras aussy
Comment durant ceste myenne destresse
Tous deux servions une mesme maistresse,
Fille de France, et duchesse Renée,
Au gré de qui semble que tu soys née.
Mille autres cas, mille autres bons propos,
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Quant seras vieille, et chez toy en repos,
Dire pourras de moy à l'advenir,
S'il t'en souvient. Et pour t'en souvenir,
De bon cueur laisse à la tienne excellence
Ceste escripture, où j'impose silence.

X
Epistre à Madame de Soubize partant de Ferrare pour s'en venir en France
Le clair soleil sur les champs puisse luyre,
Dame prudente, et te vueille conduire
Jusques au pied de ta noble maison.
Il est certain que plustost oraison
Pour ta demeure à Dieu je vouldroys faire:
Mais puis que luy, et le temps, et l'affaire,
Veulent tous troys que ta bonté desplace,
Monts et torrents te puissent faire place.
Dieu tout au long de ton allée entiere
Soit en ta voye, et dedans ta lictiere:
Voire en ton cueur, à celle fin, Madame,
Que tout d'un train te garde corps et âme.
Or t'en va quand, et où il te plaira:
Plus iras loing, plus nous en desplaira.
Et quant à moy, tu peulx estre asseurée,
Tant que j'auray en ce monde durée,
Que seray tien: non point seulement pource
Que long temps a tu fus premiere source
Du bon recueil à mon pere vivant,
Quant à la court du Roy fut arrivant,
Où tu estoys adoncq la mieulx aymée
D'Anne, par tout Royne tant renommée.
Ne seullement pour autant que tu feiz
Mesmes recueil dernierement au filz
En ce pays: tellement que ta grâce
Semble estre encline à ma petite race.
Mais pour autant que d'instinct de nature
Toy et les tiens aymez litterature,
Sçavoir exquis, vertus qui le ciel percent,
Artz liberaulx, et ceulx qui s'y exercent,
Cela (pour vray) fait que tresgrandement
Je te revere en mon entendement.
Or adieu doncq, noble dame qui uses
D'honnesteté tousjours envers les Muses.
Adieu par qui les Muses desolées
Souventesfoys ont esté consolées.
Adieu qui veoyr ne les peult en souffrance.
Adieu la main qui de Flandres en France
Tyra jadis Jan le Maire Belgeoys,
Qui l'âme avoit d'Homere le Gregeoys.
Retirez vous, neige et temps pluvieux,
De l'ennuyer ne soyez envieux.
Vien le temps doulx, retire toy la Bize,
Ne fasche point Madame de Soubize:
Assez elle a de fascheuse destresse,
D'abandonner sa dame, et sa maistresse.
Assez elle a d'ennuy à son depart.
Assez aussy elle nous en depart.
Mais puis qu'il plaist à Dieu qu'il soit ainsy,
Fault prendre en gré. Sept ans a qu'es icy,
Dame tresnoble, et trente, ou à peu pres,
Que servie as et mere et fille apres.
C'est bien raison que maintenant disposes
De ta maison, et que tu y reposes
Avecques Dieu le surplus de ton eage:
Ce te sera quasi nouveau mesnage,
Apres tant d'ans: donc t'y transporteras,
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Et avec toy honneur emporteras.
Avecques toy emporteras honneur,
De tes travaulx principal guerdonneur.
Et nous en brief sçaurons en ton absence
Dequoy servoit par deçà ta presence.

XI
A Mademoiselle Renée de Parthenay partant de Ferrare pour aller en France
Où allez vous, noble nymphe Renée?
Nous avez vous tant de joye amenée,
Venant icy, pour d'un fascheux retour
Nous contrister? Cela n'est pas le tour
Qu'a merité nostre amour ferme et ronde,
Et fors que vous en croyons tout le monde.
Où allez vous, cueur en bonté parfaict?
Où allez vous, que vous avons nous faict?
Voulez vous bien laisser ceste Princesse
Et ses ennuys, qui n'ont ne fin ne cesse?
Elle qui jeune enfant de grand renom
Publicquement vous donna son beau nom,
Lors qu'avec Dieu vous feistes alliance,
Luy prometant n'avoir qu'en luy fiance.
Las vostre cueur comment penser osa
D'abandonner celle qui tant vous a
Porté d'amour et traitée en doulceur,
Non en fillolle, ains comme fille ou seur,
Voulant tousjours tel' personne loyalle
Pres de la sienne excellente et royalle.
Ha, Parthenay, ne partez pas encores:
Tardez un peu: je vous adverty qu'ores
Les Alpes sont plus plaines de froidures
Qu'à l'aultre foys, et à passer plus dures.
Parmy ces monts sont les bestes cruelles,
Et les souldardz plus cruelz cent fois qu'elles.
Là le verglas, là les neiges habondent,
Et tellement les torrentz s'y desbondent,
Qu'il n'y a cueur, à les veoir devaller,
Qui ne s'effraye. Où voulez vous aller?
Nostre advis est que ne devez partir,
Ains vostre mere expres en divertir:
Ou la laisser traverser montz et vaulx,
Car mieulx que vous sçait porter les travaulx.
Si la suyvez, chacun en se truffant
Dira de vous: Mais voyez cest enfant
Qui veult courir encor apres sa mere.
D'autres diront: La grant angoisse amere
D'ardant desir qu'elle a qu'on la marie
Luy fait vouloir qu'en France on la charie.
Ainsy diront les gens, si deslogez.
Mais au rebours, si d'icy ne bougez,
Chacun dira: C'est bien la moins fascheuse,
La moins ingrate et la plus vertueuse
Qu'on vit jamais. Ha, noble Damoiselle,
Onques vivant, tant fust de mauvais zele,
Sur vous ne sceut ung seul blasme penser.
Voudriez vous bien y faire commancer?
Comment cecy? Vous faictes voz apprestz,
On trousse tout, vos coffres sont jà prestz?
C'est fait, c'est fait, noz persuasions
En vostre endroit ne sont qu'illusions.
Noz pleurs sont vains, de ce Marot la Muse
N'a plus de force, et pour neant s'amuse
A vous prier, joinctes mains, à genoulx.
Parquoy adieu vous disons, maulgré nous
Adieu beaulté qui tous les jours s'habille
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Du mieulx seant acoustrement de fille,
C'est assavoir de doulce grâce, et bonne:
Adieu qui mieulx s'en coiffe que personne.
Adieu esprit d'intelligence vive,
Adieu le cueur plein de bonté naifve,
Qui au ruisseau des sciences se baigne:
Adieu le cueur, qui tous les autres gaigne.
Fille partez, femme vous trouverons
Quant d'avanture en France arriverons.
Mais du mary l'amour pourtant ne face
Que celle là que nous portons s'efface.

XII
A Madame de Ferrare
Il y aura (royalle geniture)
Tantost ung an, que par humble escripture
Te saluay, arrivant en ce lieu,
Mais maintenant me fault te dire adieu.
Non que je soys lassé de ton service,
Non que de toy faveur et benefice
N'ay receu plus que n'ay merité:
Trop aise suis: mais à la verité
L'esprit de Dieu me conseille et enhorte
Que hors d'icy plustost que tard je sorte.
Ne voys tu pas comment Dieu eternel
Par ung courroux de zelle paternel
M'en veult chasser? Penses tu que l'oultraige
Que Ferraroys mal nobles de couraige
M'ont fait de nuyct, armez couardement,
Ne soit à moy ung admonestement
Du seigneur Dieu pour desloger d'icy?
Certes, encor quand ne seroit ainsy,
Mon cueur qui ayme estre franc et delivre
Ne pourroit plus parmy telles gens vivre.
Si n'ay je nerf qui à se venger tende,
Mais je veulx bien que la Ferrare entende
Que ses manans à leur grand vitupere
Se sont ruez dessus l'enfant d'un pere
Qui des meschans fait vengeance condigne
Jusqu'à la tierce et la quarte origine.
Donques à luy j'en laisse le venger,
Et seullement loing d'eulx me veulx renger.
Parquoy, Princesse, ouvre moy de ta grâce
De mon congé le chemin et la trace,
Affin que voyse en ville ou en pays
Où les Françoys ne sont ainsy hays,
Et où meschantz, si aucuns y en a,
Sont chastiez. Mais quel vent te mena,
Princesse illustre, icy user ta vie!
A ce que voy, France avoit grant envye
Que son beau lys, de taches exempté,
Fust au milieu des espines planté.
Ce que pourtant as en gré sans te plaindre.
Mais vraye amour vient ma Muse contraindre
D'ainsy parler. Je dy amour venant
D'un cueur françoys, lequel se souvenant
Que tu me feiz en ton parc demourer
Lors que les loups me vouloient devorer,
A proposé en pseaulmes et cantiques
Rememorer les nouveaux et antiques
Dons du Seigneur, ses grâces et bienfaictz,
Et mesmement ceulx que par toy m'a faictz,
Desquels en moy le souvenir sans cesse
Gravé sera. Ne pense pas, Princesse,
Ne pense pas que jamais je t'oublye.
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Il est bien vray que c'est chose establye
De metre à fin le desir qui me poingt:
Mais pour cela je ne te laisse point.
Quant habiter au bout du monde iray,
Du bout du monde encor te serviray.
Ne les haultz montz eslevez à oultrance,
Que l'on a mys entre toy et la France,
Ne terre plaine en largeur estendue,
Ne la grant mer, tant loing soit espandue,
Ne me pourront de toy si esgarer,
Que mon service en puissent separer.

XIII
Epistre envoyée de Venize à Madame la Duchesse de Ferrare par Clement Marot
Après avoir par mainctz jours visité
Ceste fameuse et antique cité,
Où tant d'honneur en pompe sumptueuse
T'a esté faict, Princesse vertueuse,
J'y ay trouvé que sa fondation
Est chose estrange et d'admiration.
Quant au surplus, ce qui en est surmonte
Ce que loing d'elle au mieulx on en racompte:
Et n'est possible à citadin mieulx faire
Pour à ce corps et à l'oeil satisfaire.
Que pleust à Dieu, ma tresillustre Dame,
Qu'autant soigneux ilz fussent de leur âme.
Certes leurs faictz quasi font assavoir
Qu'une âme au corps ilz ne cuydent avoir:
Ou s'ilz en ont, leur fantasie est telle,
Qu'elle est ainsy comme le corps mortelle.
Dont il s'ensuyt qu'ilz n'eslevent leurs yeulx
Plus hault ne loing que ces terrestres lieux,
Et que jamais espoir ne les convye
Au grand festin de l'eternelle vie.
Advient aussy que de l'amour du proche
Jamais leur cueur partial ne s'aproche:
Et si quelqu'un de l'offenser se garde,
Crainte de peine et force l'en retarde.
Mais où pourra trouver siege ne lieu
L'amour du proche où l'on n'ayme point Dieu?
Et comment peult prendre racine et croistre
L'amour de Dieu, sans premier le congnoistre?
J'ay des enfance entendu affermer
Qu'il est besoing congnoistre avant qu'aymer.
Les signes clers, qui dehors apparoissent
Pour tesmoigner que Dieu point ne congnoissent:
C'est qu'en esprit n'adorent nullement
Luy, qui est seul esprit totallement,
Ains par haulx chantz, par pompes et par mynes,
Qui est (mon Dieu) ce que tu abhomines.
Et sont encor les pouvres citoyens
Pleins de l'erreur de leurs peres payens.
Temples marbrins y font et y adorent
Images peinctz, qu'à grandz despens ilz dorent:
Et à leurs pieds, helas, sont gemissans
Les pouvres nudz, palles et languissans.
Ce sont, ce sont telles ymaiges vives
Qui de ces grans despenses excessives
Estre debv[r]oient aournées et parées,
Et de nos yeulx les autres separées.
Car l'Eternel les vives recommande.
Et de fuir les mortes nous commande.
Ne convient il en reprendre qu'iceulx?
Helas, Madame, ilz ne sont pas tous seulz:
De ceste erreur tant creue et foisonnée
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La Chrestienté est toute empoisonnée.
Non toute, non: Le Seigneur regardant
D'oeil de pitié ce monde caphardant,
S'est faict congnoistre à une grand partie,
Qui à luy seul est ores convertie.
O Seigneur Dieu, faictz que le demourant
Ne voyse pas les pierres adorant!
C'est ung abus d'ydollastres sorty,
Entre Chrestiens plusieurs foys amorty,
Et remys sus tousjours par l'avarice
De la paillarde et grande meretrice,
Avec qui ont faict fornication
Les roys de terre, et dont la potion
Du vin public de son calice immonde
A si longtemps enyvré tout le monde.
Au residu, affin que ceste carte
De son propos commancé ne s'escarte,
Savoir te faiz, Princesse, que deçà
Onques rommain empereur ne dressa
Ordre publicq, s'il est bien regardé,
Plus grand, plus rond, plus beau, ne myeulx gardé.
Ce sont, pour vray, grands et saiges mondains,
Meurs en conseil, d'executer soudains:
Et ne voy rien en toutes leurs pollices
De superflu, que pompes et delices.
Tant en sont plains, que d'eulx peu d'oeuvres sortent
Sentans celuy duquel le nom ilz portent.
D'avoir le nom de Chrestien ont prins cure,
Puis sont vivans à la loy d'Epicure,
Faisans yeulx, nez et oreilles jouyr
De ce qu'on peult veoir, sentir et ouyr,
Au gré des sens, et traictent ce corps comme
Si là gisoit le dernier bien de l'homme.
Mesmes parmy tant de plaisirs menus,
Trop plus qu'ailleurs y triumphe Venus.
Venus y est certes plu reverée
Qu'au temps des Grecs, en l'isle Cytherée:
Car mesme reng de reputation,
De liberté et d'estimation,
Y tient la femme esventée et publique,
Comme la chaste, honnorable et pudique.
Et sont enclins (ce disent) à aymer
Venus, d'autant qu'elle est née de mer,
Et que sur mer ilz ont naissance prise,
Disant aussy qu'ilz ont basty Venise
En mer, qui est de Venus l'heritage,
Et que pourtant ilz luy doivent hommage.
Voulà comment ce qui est deffendu
Est par deçà permis et espandu.
Si t'escriroys, Princesse, bien encores
Des Juifz, des Turcs, des Arabes et Mores,
Qu'on voit icy par trouppes chascun jour:
Quel en est l'air, quel en est le sejour:
De leurs palays et maisons autenticques,
De leurs chevaulx de bronze tres anticques,
De l'arcenal, chose digne de poix,
De leurs canaulx, de leurs mulles de boys,
Des murs salez dont leur cité est close,
De leur grant place, et de maincte autre chose.
Mais j'auroys peur de t'ennuyer, et puis
Tu l'as mieulx veu que escripre ne le puis.
Je t'escriroys aussy plus amplement
Du sage duc, et generalement
Des beaulx vieillardz: mais ma Dame et maistresse,
Tu les congnois, si font ilz ta haultesse.
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Ilz savent bien que tu es, sans mentir,
Fille d'ung roy qui leur a faict sentir
Le grand pouvoir de son fort bras vainqueur,
Et la noblesse et bonté de son cueur.
Parquoy clorray ma lettre mal aornée,
Te suppliant, Princesse deux foys née,
Te souvenir, tandis qu'icy me tien,
De cestuy là que retiras pour tien
Quand il fuyoit la fureur serpentine
Des ennemys de la belle Christine.

XIV
Du coq à l'asne faict à Venise par ledict Marot le dernier jour de juillet MVCXXXVI
De mon coq à l'asne dernier,
Lyon, ce malheureux asnier,
Fol, foliant, imprudent, indiscret,
Et moins sçavant qu'ung docteur en decret,
Ha, ha, dist il, c'est grand oultraige
De parler de tel personnaige
Que moy. En est il ung au monde
Et qui tant de sçavoir habonde?
Et je responds: ouy, ouy vrayment,
Et n'y fust autre que Clement.
Le latin, le grec et hebreu
Luy sont langaiges tenebreux.
Mais en françoys de Heurepoix,
Et beaulx escuz d'or et de poix,
En quelque latin de marmite,
Par nostre dame, je le quicte,
Pour vray il est le plus sçavant:
C'est raison qu'il voyse devant.
Quant de sa proposition
Touchant la fornication,
Il vauldroit mieulx la trouver bonne,
Qu'y besongner comme en Sorbonne.
Mais le maquart ne se contente,
Et dit au gendre de sa tente,
S'il nous peult quelque jour avoir,
Il employra tout son pouvoir
De nous faire brusler tous vifz.
De ma part, je n'en suis d'advis
Et n'y sçauroys prendre plaisir.
Toutesfoys, s'il en a desir,
Quand il sera prest qu'il me mande,
Et si j'y voys, que l'on me pende.
Tu diras, mon amy Lyon,
Pour moy quelque fidelium,
Ou quelque creux de profundis
Pour me tirer en paradis.
Mais si trouvez qu'il soit ainsi,
Qu'au partir de ce monde icy
Nous soyons saulvez ou dampnez,
Ne dictes riens et me donnez
Ce petit mot en epitaphe,
Mais que soubz mon corps on le graphe:
Cy pend ce fol qui s'est rendu
A Paris pour estre pendu.
Quant de celluy qui s'est fasché.
Que me suis à luy ataché,
C'est ung meschant, faulx et flateur,
Insigne dissimulateur,
Et vindicatif à oultrance:
Mais je ne veulx que Lyon pense
Que voulsisse de luy mentir:
Parquoy ne me puys repentir
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D'en avoir dit ce qui est vray:
Et si me poingt, je descouvray
De plus grans cas qu'il a commis.
Qu'il ne face plus d'ennemys:
Il en a trop qui vivent bien.
Lors seray son amy, combien
Qu'il ne l'ayt en rien merité,
Le traistre plain de vanité.
Mais Dieu vueille que l'on oublye
Ce que souffrons pour sa follye.
Je suis trop loing pour le luy dire,
Qui me contrainct de le rescripre.
Et si dit plus en dupplicant,
Pareillement et quant et quant,
Que savant est, il est bien pris:
Car encor qu'il en soit repris
De tous, mesme de sa voysine,
Dont le mary faict bonne myne,
Il n'est possible qu'il s'en garde.
Chacun jour, quand il se regarde,
Il est tout certain qu'il se veoyt:
Je suis despit qu'il n'y pourveoit:
Mais il est bon entendre icy
J'en suys en merveilleux soucy.
Est ce de luy que j'ay escript?
Nenny non, c'est de l'antecrist.
Ce n'est pas luy, et si ne sçay,
Il en a faict son coup d'essay.
Nommez moy celluy qui s'en doubte!
Par mon nyda, je n'y veoys goutte!
Est ce point Juda ou Symon?
Non est, si est, c'est il, c'est mon!
Or me croyez, c'est Barrabas:
Prenez le, mectez le à bas!
Quel bruict, quelle pitié, quelle honte!
Voylà ce qu'on nous en racompte.
Venez çà, que respondes vous
A ce qu'il vous dit? Bran pour vous!
Je le congnoys, c'est ung grand prebstre.
Vous faillez, il le vouldroit estre,
Pourveu qu'il en eust acroché
Quelque abbaye ou evesché.
Mais, sans bonnet, sa teste nue
Est pour la mistre bien menue.
N'en parlez plus, parbieu c'est il,
Tout ce qu'il sçayt n'est que babil:
Je n'en pourroys plus tant souffrir,
Voy cy que je luy vueil offrir:
Luy bailler mon art et ma muse,
Pour en user comme j'en use,
En me resignant son office,
Car je sçay qu'elle m'est propice.
Faictes, si povez, qu'il s'y range:
Je suis trescontant de l'eschange.
L'estat est bon pour les affaires
De nous et noz petitz confreres.
Si de mon art ne peult chevir,
Voycy dont il pourra servir:
On m'a promis qu'il a renom
De salpestre et pouldre à canon
Avoir muni tout son cerveau:
Faictes deux tappons de naveau,
Et les luy mectez en la bouche.
Et puis apres que l'on le couche
Tout de son long: et en l'oreille,
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Tout doulcement qu'il ne s'esveille
Gectez y pouldre pour l'emorche,
Et gardez bien qu'on ne l'escorche,
Car ung homme bien empesché
Seroit d'ung renard escorché.
Et cela faict qu'on le repute
Pour servir d'une haquebute.
Jamais homme n'en parla mieulx:
Les tappons sortiront des yeulx
Et feront ung merveilleux bruict:
Et si la fouldre les conduict,
Ilz fraperont tous deux d'ung coup.
Cela leur servira beaucoup
Pour deschasser leurs ennemys:
Car s'ilz ne sont fort endormyz,
Tel canon leur donnera craincte.
Pleust à Dieu qu'il feust à la poincte
Du premier choc, ce gros marault,
Qui a crié sur nous harault
Et nous a chassé du pays.
Nous estions assez esbahys,
Lyon, il t'en peult souvenir:
Il n'estoit temps de revenir,
Il failloit chercher seureté
Du paouvre Clement arresté,
Qui surprins estoit à Bordeaulx
Par vingt ou quarante bedeaulx
Des sergens dudict parlement.
Je diz que je n'estoys Clement
Ne Marot, mais ung bon Guillaume
Qui, pour le prouffict du Royaume,
Portoys en grande dilligence
Paquet et lettres de creance.
Je n'avoys encores souppé,
Mais si tost que fuz eschappé
Je m'en allay ung peu plus loing,
Et, parbieu, il en estoit besoing:
Car pour ung tel paouvre souldart
Que Clement, qui n'est point pendart,
N'y fut faict plus grande poursuicte.
J'avoys chacun jour à ma suicte
Gens de pied et gens de cheval:
Et lors je prins le vent d'aval,
Et sur petitz chevaulx legiers
Je me mis hors de tous dangiers,
J'entends pourveu que je me tienne
Là où je suis en bonne estraine.
Si nous feussions demourez là,
Tel y estoit qui n'en parla
Jamais, depuis que j'en partis.
Ilz ont esté si bien rotys
Qu'ilz sont tous convertiz en cendre.
Or jamais ne vous laissez prendre
S'il est possible de fouyr:
Car tousjours on vous peult ouyr
Tout à loysir et sans collere.
Mais en fureur de telle affaire
Il vault mieulx s'excuser d'absence
Qu'estre bruslé en sa presence.
Des nouvelles de par deçà:
L'autre jour quand il trespassa
L'empereur, il ne l'estoit pas,
Et n'avoit pas passé le pas
Pour dire qu'il fust trespassé.
Il est bien vray qu'il est passé
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De l'Ytalye en la Prouvence.
Les Françoys crient: vive France!
Les Espaignols: vive l'empire!
Il n'y a pas pour tous à rire.
Le plus hardy n'est sans terreur.
N'est ce pas ung trop grand erreur,
Pour des biens qui ne sont que terre,
D'exciter si horrible guerre?
Les gensdarmes sont furieux,
Chocquans au visaige et aux yeulx.
Il ne fault qu'une telle lorgne
Pour faire ung gentilhomme borgne:
Il ne fault qu'un traict d'arbaleste;
Passant au travers de la teste,
Pour estonner ung bon cerveau.
J'aymeroys autant estre ung veau
Qui va droict à la boucherie,
Qu'aller à telle tuyerie.
C'est assez d'ung petit boullet,
Qui poingt ung souldart au collet,
Pour empescher de jamais boire.
Fy, fy, de mourir pour la gloire,
Ou pour se faire grand seigneur
D'aller mourir au lict d'honneur,
D'un gros canon parmy le corps,
Qui passe tout oultre dehors.
Par ma foy, je ne vouldroys point
Qu'on gallast ainsi mon pourpoint,
Et la livrée du cappitaine.
Hau, compaignon, levez l'enseigne:
Celuy qui la portoit est bas!
Sangbieu, voilà de beaulx esbas!
Voilà comment on se gouverne
Dedans une bonne taverne.
J'oseroys entrer hardyment,
Mais où l'on frappe nullement:
C'est ainsy que Clement devise,
Vivant en paix dedans Venise.

XV
Au Roy
Oultre le mal que je sens, treshault Prince,
De plus ne veoir la gallique province
Et d'estre icy par exil oppressé,
Je doubte et crains que, moy aiant laissé
L'air de Ferrare, il ne te soit advis
Que j'ay les sens d'inconstance ravis,
Et qu'en ton cueur n'entre une impression
Que de vaguer je fais profession,
Sans en ung lieu povoir longtemps durer,
Ne la doulceur de mon aise endurer,
Ce qui n'est pas: je n'y ay fait oultrance,
N'aucun forfait, fors que je suis de France.
Mais quant j'y vins, certes je ne pensoys
Que ce fust crime illec d'estre Françoys.
Voilà le mal: voilà la forfaicture
Qui m'a faict prendre ailleurs mon adventure.
Si plus y a, que je soys rebouté
De tout l'espoir que j'ay en ta bonté.
Rien que le vray, Sire, je ne revelle,
Et le regret à tesmoing j'en appelle
Qu'eurent de moy, sans que gloire me donne,
Les serviteurs et la dame tant bonne
Qui maintesfoys à rompre travailla
Le departir que Dieu me conseilla.
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Mais quel besoin est il que je proteste
Tant de raisons? De ce trouppeau la reste,
Sans toy, bien tost paistre apres moy viendra,
Car au pasteur pour le moins ne tiendra.
Et lors sauras, si tu ne le sçais point,
Que pas ne suis la mousche qui le poingt.
Je dy cecy craignant que je n'acqueste
Plus fort ton yre et perde ma Requeste,
Qui est non pas de servir ta Grandeur
Comme souloys (ce seroit trop grant heur),
Ains qu'il te plaise ung congé me donner
De pour six mois en France retourner,
A celle fin qu'ordre donner je voise
A ce qui plus de loing que pres me poise.
O que je n'ay le cheval Pegasus,
Plus hault volant que le mont Parnasus,
Ou les dragons avec lesquelz Medée
Est de la tour de Corinthe evadée.
De Dedalus ou Perseus les esles
Vouldroys avoir, il ne m'en chault lesquelles!
Bien tost vers France alors voleteroys,
Et sur les lieux plaisans m'arresteroys,
Pendant en l'air, planant comme ung gerfault:
Si te verroyt peult estre de là hault
Chassant aux boys: contempleroys la France,
Contempleroys Loyre, qui des enfance
Fut mon sejour, et verroys mes amys,
Dont les ungs m'ont en oublyance mys,
Les autres non: puis à l'autre volée
Regarderoys la maison desolée
De mon petit et povre parentage,
Qui sustenté estoit de l'advantage
Que j'eus de toy. Mais pourquoy metz je avant,
Sot que je suis, tous ces souhaictz d'enfant,
Qui viennent moins quand plus on les desire.
Et toy seul est de me donner, O Sire,
Esles au dos, voire cheval volant.
Parle sans plus, et dy en le voulant
Que je retourne au rang acoustumé:
Soudain seray d'esles tout emplumé.
Non qu'à present si grant requeste face,
Peu de respect auroit devant ta face
Ce mien escript, si encor continue
Le tien courroux: mais s'il se diminue
Je ne dis pas que lors toute ma force
De t'en prier humblement ne s'efforce.
O Roy Françoys, tout ce monde charnel,
Que feroit il, si tousjours l'Eternel
Estoit esmeu? Ne voyons nous souvent,
Apres qu'il a par tonnerre et par vent
Espovanté ce miserable monde,
Qu'en fin s'appaise, et rend l'air cler et munde?
Pour ceste cause icy bas chascun homme
A juste droit roy et pere le nomme.
Toy donq, qui es du pays roy et pere,
Feras ainsy, et ainsy je l'espere.
Certes souvent, ayant vaincu en place
Ton ennemy, tu luy as bien fait grâce,
Grâce, pour vray, laquelle il ne t'eust faicte
Si dessus toy fust tumbé la deffaicte.
Tel a couché encontre toy la lance,
Que tu as fait plein d'honneur et chevance.
Moy donq, qui n'ay en nulz assaulx, n'alarmes
Encontre toy jamais porté les armes,
Et n'ay en rien ton ennemy servy,
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Auray moins que ceulx là desservy?
Dieu, qui les cueurs jusqu'aux fons congnoist bien,
Sçait quelle ardeur a eu tousjours le mien
A ta haulteur. Il sçait combien de foys
J'ay vers le ciel pour toy levé ma voix,
Et de quel cueur à mes enfans petiz
J'ai enseigné (qu'à peine parloient ilz)
Comment pour toy prier ilz le devoient,
Entrans au lict, et quant ilz se levoient.
A quel propos allegueray mes vers
Qui de ton nom sont plains en lieux divers,
Comme clerons de ta gloire immortelle
Et vrays tesmoings de mon naturel zelle.
Il est bien vray, que pour ton loz chanter,
On ne le peult (tant est grant) augmenter.
Mais Dieu, de qui la gloire est indicible,
Prent bien à gré que l'homme (à son possible)
Loue ses faictz, et ne tient à despris
Que pour subject de quelque oeuvre il est pris.
Certes, ung moys avant que ma fortune
Me feist savoir ma retraicte importune,
Je proposoys en mon entendement
(Mais Dieu en disposé autrement)
De te prier, Sire, sçais tu de quoy?
De me donner ung lieu plaisant et coy,
Où à repos peust ma Muse habiter,
Et là tes faitz et tes vertuz dicter,
Voire, et combien que ta grandeur merite,
Non que Marot, mais Maro la recite.
Ma nef legiere osoit bien presumer
De faire voille en ceste haulte mer.
Or suis je bien au loing de mon propos:
A peine auray plaisant lieu de repoz
En France, helas, quand cil qui la manye
D'en approcher les bornes me denye:
A peine auray en ces terres loingtaines
Veine à chanter tes louenges haultaines,
Estant assez empesché jours et nuictz
A deplorer mes pertes et ennuys.
Voylà comment suis traicté: mais au fort
(Oultre que j'ay en Dieu mon reconfort)
Je me consolle en pensant que ma peine,
Quelque rigueur de quoy elle soit pleine,
Ne vient de rapt, de meurtre ou trahyson,
Ne par infame aucune mesprison,
Et que le cas plus grief que j'ay commis,
C'est qu'en courroux, sans y penser, t'ay mis.
A ce courroux soudain pour moy print cesse
Maincte faveur de prince et de princesse:
Et en ta court chascun (selon l'usaige)
Sagement sceut en suyvre ton visaige.
Quant la maison caduque et ancienne
Commence à tendre à la ruine sienne,
On voit tousjours que tout le fais d'icelle
Se vient jecter du costé qui chancelle.
J'ay fait l'essay de la comparaison,
Et d'ainsy faire ilz ont tous eu raison:
Car qui pourroit m'aymer d'amour ouverte,
Voyant à l'oeil contre moy descouverte
L'ire du Roy? Certainement depuis
A peine aymé moy mesme je me suis.
Non que par là j'entre en desasseurance,
Mais au rebours par là j'ay esperance,
Quand ton cueur hault ung peu s'adoulcira,
Que tout le monde adonques me rira.
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J'ay cest espoir, et ung plus grant encores,
Maulgré l'exil où je suis vivant ores.
J'espere veoir ma liberté premiere:
Apres noyr temps vient souvent la lumiere:
Tel arbre fut de fouldre endommagé,
Qu'on voit de fruict encores tout chargé.
Pourtant, si j'ay de ta puissance, Sire,
Esté touché, cela n'est pas à dire
Que celle main qui m'a voulu ferir
Ne vueille bien quelque jour me guerir.
J'ay tant au cueur ceste esperance empraincte,
Qu'on ne pourroit l'en tirer par contraincte.
J'espereray quand tu le deffendrois.
Il est bien vray qu'ailleurs, en tous endrois,
T'obeiray, mais en cestuy seul poinct
En hazart suis de ne t'obeyr point:
Et ne m'en fault (soit bien, soit mal) reprendre.
A ta bonté seullement s'en fault prendre,
Qui tousjours vient me donner bon confort
En me disant: espere, espere fort.
Or, ce pendant que l'esperance plaine
De doulx penser me tiendra en alaine,
Je te supply par iceulx troys enfans
Que puisses veoir conquereurs triumphans,
Par leurs deux seurs, tes filles tresaymées,
En qui Dieu a tant de grâces semées,
Par la seur tienne, et ma maistresse et dame,
Qui en vertus, sans prejudice d'âme,
Pareille n'a: par ta querelle juste
En ceste guerre, et par ce bras robuste
Que l'on a veu en lieu se hazarder
Où l'ennemy n'osa onq regarder,
Te plaise, Roy, à ton humble Clement,
A ton Marot, pour six moys seulement,
La France ouvrir, que ses enfans il voye,
Et qu'à leur cas et au sien il pourvoye.

XVI
Au tresvertueux prince, Françoys, Daulphin de France
En mon vivant n'apres ma mort avec,
Prince royal, je n'entrouvry le bec
Pour vous prier: or devinez qui est ce
Qui maintenant en prent la hardiesse?
Marot bany, Marot mis à requoy,
C'est luy sans autre. Et sçavez vous pourquoy
Ce qu'il demande a voulu vous escrire?
C'est pour autant qu'il ne l'ose aller dire.
Voylà le poinct: il ne fault point mentir
Que l'air de Frace, il n'ose aller sentir:
Mais s'il avoit sa demande impetrée,
Jambe ne teste il n'a si empestrée,
Qu'il n'y volast. En vous parlant ainsy,
Plusieurs diront que je m'ennuye icy,
Et pensera quelque caffart pellé
Que je demande à estre rappellé.
Non, Monseigneur, ce que demander j'ose
Des quatre pars n'est pas si grande chose.
Ce que je quiers, et que de vous j'espere,
C'est qu'il vous plaise au Roy, vostre cher pere,
Parler pour moy, si bien qu'il soit induict
A me donner le petit saufconduict
De demy an, qui la bride me lasche,
Ou de six moys, si demy an luy fasche.
Non pour aller visiter mes chasteaulx,
Mais bien pour veoir les petis maroteaux,
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Et donner ordre à ung faiz qui me poise.
Affin aussy que dire adieu je voyse
A mes amys, à mes compaignons vieulx,
Car vous savez (si fais je encores myeulx)
Que la poursuyte et fureur de l'affaire
Ne me donna jamais temps de ce faire.
Aussy affin qu'encor ung coup j'accolle
La Court du Roy, ma maistresse d'escolle.
Si je voys là, mille bonnetz ostez,
Mille bons jours viendront de tous costez.
Tant de dieugardz, tant qui m'embrasseront,
Tant de salutz qui d'or point ne seront.
Puis (ce dira quelque langue friande),
Et puis Marot, est ce une grande viande
Qu'estre de France eslongné, et bany?
Pardieu, Monsieur (ce diray je), nenny.
Lors des cheres et des grans accollées
Prendray les bons, laisseray les vollées.
Adieu Messieurs, adieu donq mon mignon.
Et cela fait, verrez le compaignon
Bien desloger, car mon terme failly,
Je ne craindray synon d'estre assailly
Et empaulmé: mais si le Roy vouloit
Me retenir ainsy comme il souloit,
Je ne dy pas qu'en gré: je ne le prinse,
Et puis il fault obeir à son prince.
Il le feroit s'il sçavoit bien comment
Depuis ung peu je parle sagement,
Car ces Lombars avec qui je chemine
M'ont fort apris à faire bonne myne,
A ung seul brin de Dieu ne deviser,
A parler froid, et à poltroniser.
Dessus ung mot une heure je m'arreste
S'on parle à moy, je respondz de la teste.
Mais je vous pry mon saufconduict ayons,
Et de cela point ne nous esmayons.
Assez aurons espace d'en parler,
Si une foys vers vous je puis aller.
Conclusion: royalle geniture,
Ce que je quiers n'est riens qu'une escripture
Que chascun jour on baille aux ennemys
On la peult bien octroyer aux amys.
Et ne fault jà qu'on ferme la campaigne
Plustost à moy qu'à quelque Jehan d'Espaigne,
Car quoy que né de Paris je ne soys,
Point je ne laisse à estre bon Françoys.
Et si de moy (comme j'espere) on pense,
J'ay entrepris faire pour recompense.
Ung oevre exquis, si ma Muse s'enflamme,
Qui maulgré temps, maulgré fer, maulgré flamme,
Et maulgré mort, fera vivre sans fin
Le Roy Françoys, et son noble Daulphin.

XVII
A la Royne de Navarre
Par devers qui prendront mes vers leur course,
Synon vers toy, d'eloquence la source,
Qui les entens sans les falloir gloser,
Et qui en sçais de meilleurs composer?
A qui diray ma doulleur ordinaire,
Synon à toy, Princesse debonnaire,
Qui m'a nourry, et souvent secouru,
Avant qu'avoir devers toy recouru?
A qui diray le regret qui entame
Mon cueur de fraiz, synon à toy, ma Dame,
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Que j'ay trouvée en ma premiere oppresse
(Par dit et fait) plus mere que maistresse?
O noble fleur, si advouez nous sommes
Tirer de Dieu comparaison aux hommes,
Alloit jamais David, roy, à recours,
Fors à celluy qui luy promist secours?
Alloit jamais Israel à refuge,
Quand contre luy couroit nouveau deluge,
Fors à celluy qui aux premiers dangers
L'avoit tiré d'entre les estrangiers?
Je ne dy pas que bras et cueur ensemble
Ne leve à Dieu: mais en effect il semble
Que je ne doy avoir confort de luy.
Synon par toy, quand il me vient ennuy.
Or en ay ung, qui dedans mon cerveau
Est lourdement imprimé de nouveau.
Tu sçais comment, par parolles mutines
Des envieux aux langues serpentines,
Je fus contrainct (bien t'en peult souvenir)
Par devers toy en franchise venir,
Puis tout à coup, helas, t'abandonner
Soubz le conseil qu'il te pleust me donner:
Si me traictas (ains que partir) de sorte
Qu'il n'est besoing que de ma plume sorte
Ce qui en fut, craignant apprecier
Mon loz en lieu de te remercier.
O gentil cueur de Princesse royalle,
O plaine d'heur la famille loyalle
Qui vit soubz toy! Ainsy fut mon depart,
Ayant aux yeulx les larmes d'une part,
D'autre costé, une doubte, une craincte,
Qui en chemin dedans moy fut empraincte
Pour la fureur des envyeulx meschans,
Qui lors estoyent en queste sur les champs.
Lors comme ung cerf eschappé des dentées
Qu'il a des chiens jà experimentées,
Puis les sentant de bien loing aboyer,
Se mect encor à courre et tournoyer
En si grant peur que desjà il pense estre
Saisi aux flans, à dextre et à senestre,
Par quoy ne cesse à transnouer maretz,
Saulter buissons, circuir grans forestz,
Tant qu'en lieu soit où nul chien ne l'offense:
Ainsy passay Languedoc et Prouvence.
En telles peurs, et semblables travaulx
Passa ton serf torrentz, et montz et vaulx:
Puis se saulva en la terre italique,
Dedans le fort d'une dame gallique
Qui le receut: dont la remercias
Bien tost apres. Las, je ne sçay si as
Ores de moy souvenances semblables,
Je croy que si: mais ces espoventables
Doubtes et peurs, non encores tollues,
M'en ont causé tout plain de superflues,
Qui me font craindre où craindre je ne doy.
Donq trop de peur m'excusera vers toy.
L'homme subject à nauffrages terribles
Crainct toutes eaues, fussent elles paisibles:
Souvent aux champs la brebis apperçoit
Ung chien de loing, et cuyde que ce soit
Ung loup cruel: si se prend à courir
Et fuyt celluy qui la peult secourir.
Ainsy actainct de calamitez toutes,
Je ne conçoy en moy que peurs, et doubtes,
Tant qu'advis m'est, que ceulx là qui ont soing
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De mon prouffit me faillent au besoing.
Et, qui pis est, crains que ma destinée
Suive son train, tant est acheminée:
Car chiens du Pau, de relais et renfort,
Sont jà venus eslancer de son fort
Ton povre serf, qui en l'estang sallé
Venitien jecter s'en est allé,
Où les mastins ne le laisront longtemps,
Car clabauder d'icy je les entens.
Ainsy osté m'ont la joye feconde
Et le repos que ma Dame seconde
M'avoit donnés: osté m'ont ceste aisance,
Oultre son vueil, et à ma desplaisance:
Et maintenant, tout ce que faire puys
Sont pleurs, et plains, et ne sçay qui je suis,
Fors seullement une plante esbranchée,
Laquelle fut lourdement arrachée
De ton jardin fertile et fructueux
Par turbillons, et ventz impetueux
Qui m'ont poulsé par sus les grans montaignes
Jusqu'à la mer qui est joincte aux campaignes
De l'Itallye, où j'ay plus de douleurs
Que n'a la terre au printemps de couleurs.
En ceste mer n'a point tant d'animaulx
Qu'en moy d'ennuys: mais le grant de mes maulx
Et le dernier, est de sentir en l'âme
Quel douleur c'est perdre deux foys sa dame.
Aucunesfoys je dy: la nuict viendra,
Je dormiray, lors ne m'en souviendra:
Le dormir est contre le soucy une
Grant medecine, à ung chascun commune.
Mais en dormant viennent m'espovanter
Songes divers, et me representer
Aupres du vif de mon malheur l'ymaige,
Et mes espritz veillent à mon dommaige,
Si qu'advis m'est, ou que huissiers ou sergens
De me chercher sont promptz et diligens,
Ou qu'enserré suis en murs et barreaux,
Ou qu'on me livre innocent aux bourreaux.
Quelque foys suis trompé d'un plus beau songe,
Et m'est advis que me voy, sans mensonge,
Autour de toy, Royne tres honorée,
Comme souloye, en ta chambre parée,
Ou que me faiz chanter en divers sons
Pseaulmes divins, car ce sont tes chansons,
Ou qu'avec vous, mes amys singuliers,
Je me consolle en propos familiers.
Ainsy ayant senty à la legere
Ceste lyesse, et joye mensongere,
Pis que devant je me trouve empiré
Du souvenir de mon bien desiré:
Et en ce point, soit que le cler jour luyse,
Soit que la nuict à repos nous induise,
Je vy en peine: et fus ainsy traicté
Des lors qu'amour eust mon cueur arresté
A la Vertu, à la Belle sans si,
Et a duré mon mal jusques icy:
Tousjours les siens en la mortelle vie
Seront subjectz aux ayguillons d'envye.
Ha, noble fleur, ne te souvient il point
Qu'à mon depart, dont le record me poingt,
Tu me promis de bouche, et d'escripture
Te souvenir de moy, ta nourriture.
Or est il temps que de ce je te somme,
Ains que le fais de mes ennuys m'assomme.
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De France, helas, suis bany desollé,
Non pour avoir aucun marchant vollé,
Non pour avoir par trop soudaine main
Tainct et rougi l'espée en sang humain,
Non pour avoir sur mer esté corsaire,
Non pour avoir adverty l'adversaire
Contre mon Roy, ne pour faulx tesmoigner,
Ne faulcement or ou argent congner:
Tous ceulx qui sont de Vertu amoureux
Ne tombent pas en cas si malheureux
Puisque suis donq bany pour ma Deesse,
Je te supply, toy qui es ma Princesse,
Me desbanir: ung chascun, pour tout seur,
Trouve tousjours ne sçay quelle doulceur
En son pays, qui ne luy veult permectre
De le povoir en oubliance mectre.
Ulixes sage, au moins estimé tel,
Fit bien jadis refus d'estre immortel
Pour retourner en sa maison petite,
Et du regret de mort se disoit quitte
Si l'air eust pu de son pays humer,
Et veu de loing son vilage fumer.
Est il qu'en France ung plus plaisant sejour?
Et toutesfoys nous voyons chascun jour
Que l'Alemant et le Grec s'en retyre
Pour habitter son pays, qui est pire.
Sauvages ours, et lions furieux
De retourner mesmes sont curieux
En leur caverne. Estes vous esbahys,
Faulx mesdisans, si j'aspire au pays,
Là où j'ay prins nourriture et croissance,
Où j'ay enfans, compaignons, congnoissance,
Là où mes vers, cà et là espandus,
Sont des petis et des grans entendus,
Où je vivoys sans peine, et sans destresse,
Et où tu es, ma dame, et ma maistresse?
Si te prometz, quant voy ma destinée
Si asprement à travaulx inclinée,
Que mon espoir, et toute sa vertu
Est tout à coup de grant craincte abatu:
Puis quant je pense à la bonté humaine
De ce grand Roy dont tu es seur germaine,
Et que c'est luy qui tout fasché devient
Quant de rigueur user il luy convient,
Lors mon espoir abatu se releve,
Et me promect que l'ennuy qui me greve
Tost prendra fin par le moyen de toy.
En fin d'escript, je le te ramentoy,
Te suppliant te prendre à ma fortune
Si de propos tristes je te importune:
Aussy ayant cest escript visité,
Si quelque mot s'y trouve inusité,
Pardonne moy: c'est mon stile qui change,
Par trop oyr parler langage estrange,
Et ne fera que tousjours empirer
S'il ne te plaist d'icy me retirer.

XVIII
Epistre à Lyon Jamet, M.D. XXXVI, par Clement Marot
Puis que sçais le rebellion,
Je ne t'en mande rien, Lyon:
Et de quoy diable sert redicte?
Or ça, la saincte chattemitte,
Ainsy que l'on dict par deçà,
A faict feu puis ung mois en çà.
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Quel bruict en ont faict noz prescheurs,
Ces grands ordinaires pecheurs?
Font ilz tousjours les gens absoulz
Par force d'escuz, ou de soubz,
Dont, non pas Dieu, mais l'argent regne?
Qui vouldroit mettre bride et resne
Au grand cheval d'ambition,
Point n'y auroit sedition.
En danger que ces gros asniers
Soient du lignage des musniers,
Ayant du sac, bled, et farine
Toute couverte leur narine.
Ostant la febve du gasteau,
Si en leur vin mectoient de l'eau,
Ceulx de Sorbonne enluminez
Si rouge n'auroient pas leurs nez.
Et puis, la belle Doctorie!
Il n'est pas prins, Andry Dorie:
Barberousse a peur qu'il ne vole.
L'Aigle ne craint la Mirandolle.
Maint ennemy se rend nostre hoste,
Combien que Gennes dans sa coste
Costoye ung perilleux fatras.
Ce fut par pierres et plastras
Qu'en espoir d'avoir recompense
Dammartin eut crevé sa pense.
Et quand les gens on veoit hoster,
On recule pour mieulx saulter.
Nanso est routier, et trop fin.
Dieu pardoint au françois Daulphin.
On dict qu'il fut empoisonné.
Et qu'il avoit assaisonné
[Le brevaige]? On dict qu'un Messere
A chanter messe est necessaire.
Je ne sçay pas comme il entend:
Qui ne luy en donne, il en prend.
Que du grief feu de sainct Anthoine
Soit ars le Cardinal Lemoyne,
Ennemy des Basochiens.
Les pouvres vouldroient estre chiens,
J'entens à l'heure que l'on repaist:
Ribon ribaine, s'il nous plaist:
Il fauldra de brief rendre compte.
C'est tout ung si on se mesconte:
Mais qu'au point on [sache] descendre.
Qu'on est penault le jour des cendres,
Quand il souvient du mardi gras!
Moindre est le dur travail des bras
Que de chanter par les couvents.
O de chemise les doulx vents,
Desquelz la laine est si tres forte
Qu'à damnation elle emporte
Maintz [moulles] de chappes et mytres.
Le fourmage couvert de mytes
Et d'ordure est tousjours meilleur.
Encores n'est sceu le malheur
Qui doibt venir de ceste guerre.
Montegent tient il tousjours serre?
J'ay grant peur qu'il ne soit moisy
Avec son compagnon Boisy
Sans le cheval de Pacquolet.
Ont ils tousjours le bas colet,
Monstrant leur tetasses ridées,
Nos vieilles mules desbridées,
Qui sont par chevaucher souvent
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Fendues du cul jusqu'au devant?
S'il est vray, [et] que là s'avance
Le vieil vidaze de Provence,
Vrayment ell' sont bien eschancrées,
Noz poupinettes tant sucrées:
Et le mary autour furonne
J'ay entendu que dans Peronne
Florenges a faict feu et raige,
Tellement que d'un grand couraige
Sont devenuz les Percherons,
Expers fourreurs de mancherons.
Les Alemans font la devise.
Selon le poix bransle Venise.
L'Anglois entend bien la raison.
Les gouttes viennent en saison
Quand la verolle a faict son cours,
Sy de la Lune le discours
Tenoit du Soleil le party,
Nostre astrologue auroit menty:
Car il n'est pas pressé dans Nyce.
Il tranche du bigot et nyce
Ce punais lecteur bustarin.
Le grand Turc, et chef tartarin
N'est pas homme de grand colere.
Les mers sont par la grand galere
De leurs cours discontinuez.
Mais il est cheut tant de nuez
Que demandoient les alouettes.
Il ne fut onc tant de chouettes,
Et nuict et jour peuvent voler.
La roue defend de voller
Qui n'aura au costé des aisles.
Et puis comment, les Damoyselles
Fardent leur bas comme leur trongne?
Au diamant n'a point de rongne,
Car c'est une pierre trop vive.
[Vive qui peult, qui vive vive!]
N'est ce pas tousjours leurs deviz?
Les Suisses sont de cest avis,
Et du vendredi ilz ont peur.
Minos pourroit estre trompeur,
Comme Eacus, et Radamas.
En France, je ne voys d'amas.
Ne delaisse point le noyeau!
Qui est plus cher, ou le hoyeau,
Les pelles, hottes, ou les pictz?
Gardez [vous des tirans aspicz]
Qui pour l'hyver sont jà fourrez.
Prelatz seront bien rembourrez
Si Germanie a ung Concile.
On dict qu'il est creu en Cecile,
L'esprit droict comme une lignole.
L'admiral debvoit prendre Dole,
Qui est en la Franche Comté:
Et Chambery est revolté.
De nuict, au soir, se faict la brigue
Avec une petite ligue.
La balene sera tost prinse.
Aussi, de peur d'estre reprinse,
L'acouchée de Quatre Livre
S'en est fuye aux champs à delivre.
Car quand le Roy est en courroux
Il n'espargne blanc, noir ne roux.
On ente en carré le rouveau.
Encor le financier nouveau
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Tiendra la longue non large S.
Aussi celuy qui croit largesse
Estre en aucuns, est bien jenain,
Sinon au sexe feminin.
Par faulx tolle Jesus est mort
Vendredi, dont Pilate mord
Ses levres: mais il n'est pas temps.
Sainct Jehan, ainsy comme j'entens,
Les Gentils ont tant prochassé
Que celluy qui estoit chassé
Et de ses Estats suspendu,
A esté pour son sus pendu.
Il y en eut bien d'endossez.
Il n'est oeuvre que de fossez
Dont remparée est Babylonne.
[Le beau livret de] Maguelonne
[On le lit plus que] l'Evangile.
Le Grec, ainsy que dict Virgile,
Nomme Avernon le trou d'enfer.
Et on en voit plusieurs danser
Sans son, tabour, fleute et chanson.
C'est ung travaillant eschanson.
Le Roy luy en est fort tenu
Que d'avarice est fort chenu.
Et qui n'aura les couillons chaux
Des cantharides artichaulx?
Et la mignonnette d'entrée!
Ilz sont de chaude rencontrée,
Bigotz, cagotz, godz et magodz,
Fagotz, escargotz et margotz.
Par Dieu, ce n'est que tout haras,
Joinct Hesdin, et apres Arras.
On aura à vil pris la serge,
J'entens que la baguage on charge
Pour en Henault venir charger.
En eau basse on ne peult nager:
C'est pourquoy fault trouver deniers.
Il ne sera pas des derniers.
Le marquis nouveau delivray.
Sire, tandis que je vivray,
M'employray en vostre service:
Car si le fruict du benefice
Tomboit en la main des marchans,
Et gens de bien, et les meschantz
Ont tout gaigné à la guerite.
Dieu gard la franche Marguerite,
Fleur du blanc lis inseparable.
C'est ung grand mal irreparable
Mectre tant d'âmes en danger.
On s'ennuye d'un pain manger.
A Venise je faictz prouesse.
Il ne vault rien, qui n'a richesse.
Qui est meschant est bien venu.
Qui scet mentir est retenu.
Il n'est de bruict que Triboulet.
Et de nourrice sans du laict.
Qui sçait flater est en credit.
Erasme est mort, et on m'a dict
Qu'on joue tousjours des gigoteaux.
A Dieu jusques aux blancs manteaux.

XIX
A Monseigneur le Cardinal de Tournon estant à Lyon
Puis que du Roy la bonté merveilleuse
En France veult ne m'estre perilleuse:
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Puis que je suis de retourner mandé,
Puis qu'il luy plaist, puis qu'il a commandé,
Et que ce bien procede de sa grâce,
Ne t'esbahys si j'ay suivy la trace,
Noble seigneur, pour en France tyrer,
Où longtemps a je ne fais qu'aspirer.
Le marinier qui prent terre, et s'arreste
Pour la fureur de l'orage, et tempeste,
Desancre alors que les cieulx sont amys.
Le chevaucheur, qui à couvert s'est mis,
Laissant passer ou la gresle, ou la pluye,
Des que de loing voit qu'Aquilon essuye
Le ciel moillé, il entre en grant plaisir,
Desloge, et tire au lieu de son desir.
Certes ainsy, Monseigneur redoubté,
Si tost que j'euz mon retour escouté,
Et que je vy la grant nue essuyer
Qui en venant me povoit ennuyer,
Mon premier poinct ce fut de louer Dieu,
Et le second de desloger du lieu,
Là où j'estoys, pour au pays venir
Dont je n'ay sceu perdre le souvenir.
Nature a pris sur nous ceste puissance
De nous tirer au lieu de la naissance.
Mesmes long temps les bestes ne sejournent
Hors de leurs creux, sans qu'elles y retournent.
Brief, du desir qu'à la patrie avoye,
Je n'ay trouvé rien de dur en la voye,
Ains m'ont semblé ces grans roches haultaines
Preaux herbuz, et les torrentz fontaines:
Bise, verglas, neiges et la froidure
Ne m'ont semblé que printemps, et verdure.
Si qu'à Dieu rends grâces ung milion,
Dont j'ay attainct le gracieux Lion,
Où j'esperoys à l'arrivée transmectre
Au Roy Françoys humble salut en mettre:
Conclud estoit. Mais puisqu'il en est hors,
A qui le puis je et doy adresser, fors
A Toy, qui tiens, par prudence loyalle,
Icy le lieu de haulteur royalle?
S'il est ainsy que la puissance qu'as,
Toute s'estande en grans et petis cas,
La raison veult donques que maintenant
De ce salut, tu sois son lieutenant.
Et puis, je suis à cela confermé,
Pource qu'amy tu es, et bien aymé
De l'assemblée aux Muses tressacrées,
Et qu'à Phebus en escrivant agrées.
Humblement donq, sur ce je te salue
Hoir de Turnus, plain de haulte value.
Dieu gard aussy d'infecte adversité
L'air amoureux de la noble cité:
Dieu soubz, son Roy la maintienne eternelle,
Dieu gard tous ceulx qui habitent en elle.
Dieu gard la Saulne au port bien fructueux,
Et son mary, le Rosne impetueux,
Qui puis ung peu se demonstre si fier,
Que l'ennemy ne s'y osa fier:
Et dont naguere, en dilligence prompte,
S'est retiré Cesar, avecques honte.
Si vous supplie, ô Fleuves Immortelz,
Et toy, Prelat, dont il est peu de telz,
Et toy, cité fameuse, et de hault pris,
De ne vouloir contemner par mespris,
Ains recevoir tout amyablement
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L'humble Dieu gard de vostre humble Clement.

XX
Les Adieux de Marot à la ville de Lyon
Adieu Lyon, qui ne mors point,
Lyon plus doulx que cent pucelles,
Synon quant l'ennemy te poingt:
Alors ta fureur point ne celles.
Adieu aussy à toutes celles
Qui embellisent ton sejour.
Adieu, faces cleres et belles,
Adieu vous dy, comme le jour.
Adieu, cité de grant valeur
Et citoyens que j'ayme bien.
Dieu vous doint la fortune et l'heur
Meilleur que n'a esté le myen.
J'ay de vous receu tant de bien,
Tant d'honneur, et tant de bonté,
Que voulentiers diroys combien,
Mais il ne peult estre compté.
Adieu, les vieillardz bien heureux,
Plus ne faisans l'amour aux dames:
Toutesfoys tousjours amoureux
De vertu qui repaist voz âmes:
Pour fuir reproches, et blasmes,
De composer ay entrepris
Des Epitaphes sur voz lames,
Si je ne suis le premier pris.
Adieu, enfans plains de savoir,
Dont mort l'homme ne desherite:
Si bien souvent me vinstes veoir,
Cela ne vient de mon merite.
Grant mercy, ma Muse petite,
C'est par vous, et n'en suis marry.
Pour belle femme l'on visite
A tous les coups ung laid mary.
Adieu la Saulne, et son mignon,
Le Rhosne, qui court de vistesse,
Tu t'en vas droict en Avignon:
Vers Paris je prens mon adresse.
Je diroys: Adieu, ma maistresse,
Mais le cas viendroit mieulx à point
Si je disoys: Adieu jeunesse,
Car la barbe grise me poingt.
Va Lyon, que Dieu te gouverne:
Assez longtemps s'est esbatu
Le petit chien en ta caverne,
Que devant toy on a batu.
Finablement, pour sa vertu,
Adieu des foys ung milion
A Turnus, de rouge vestu,
Gouverneur de ce grand Lyon.

XXI
Le Dieu Gard de Marot à la Court
Vienne la Mort, quand bon luy semblera,
Moins que jamais mon cueur en tremblera,
Puis que de Dieu je reçoy ceste grâce
De veoir encor de mon seigneur la face.
Ha mal parlants, ennemys de vertu,
Totallement me disiez devestu
De ce grand bien: vostre cueur endurcy
Ne congneut oncq ne pitié, ne mercy.
Pourtant avez semblable à vous pensé
Le plus doulx Roy, qui fut oncq offensé.
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C'est luy, c'est luy, France Royne sacrée,
C'est luy qui veult que mon oeil se recrée,
Comme souloit; en vostre doulx regard.
Or je vous voy (France) que Dieu vous gard.
Depuis le temps, que je ne vous ay veue,
Vous me semblez bien amendée, et creuë,
Que Dieu vous croisse encores plus prospere.
Dieu gard Françoys (vostre cher filz, et pere),
Le plus puissant en armes, et science,
Dont ayez heu encore experience.
Dieu gard la Royne Alienor d'Aultriche,
D'honneur, de sens, et de vertus tant riche.
Dieu gard du dard mortifere, et hydeux
Les filz du Roy. Dieu nous les gard touts deux.
O que mon cueur est plein de dueil, et d'ire,
De ce, que plus les troys je ne puis dire!
Dieu gard leur soeur, la Margueritte pleine
De dons exquis. Ha Royne Magdaleine,
Vous nous lairrez: bien vous puis, ce me semble,
Dire Dieu gard, et adieu tout ensemble.
Pour abreger, Dieu gard le noble reste
Du Royal sang, origine celeste.
Dieu gard touts ceulx qui pour la France veillent,
Et pour son bien combattent, et conseillent.
Dieu gard la Court des Dames, où abonde
Toute la fleur, et l'eliste du monde.
Dieu gard enfin toute la fleur de lys,
Lyme, et rabot des hommes mal pollys.
Or sus avant mon cueur, et vous mes yeulx,
Touts d'ung accord dressez vous vers les cieulx,
Pour gloyre rendre au pasteur debonnaire
D'avoir remis en son parc ordinaire
Ceste brebis esloignée en souffrance.
Remerciez ce noble Roy de France,
Roy plus esmeu vers moy de pitié juste,
Que ne fut pas envers Ovide Auguste.
Car d'adoulcir son exil le pria,
Ce qu'accordé Auguste ne luy a.
Non que je vueille (Ovide) me vanter
D'avoir mieulx sceu, que ta muse chanter.
Trop plus que moy tu as de vehemence
Pour esmouvoir à mercy, et clemence:
Mais assez bon persuadeur me tien
Ayant ung Prince humain plus, que le tien.
Si tu me vaincz en l'art tant aggreable,
Je te surmonte en fortune amyable:
Car quand banny aux Gettes tu estoys
Ruysseaulx de pleurs sur ton papier jectoys
En escripvant sans espoir de retour:
Et je me voy mieulx que jamais, autour
De ce grand Roy, ce pendant qu'as esté
Pres de Cesar à Romme en liberté,
D'amour chantant, parlant de ta Corynne.
Quant est de moy, je ne veulx chanter hymne
Que de mon Roy: ses gestes reluysants
Me fourniront d'arguments suffisants.
Qui veult d'amour deviser, si devise:
Là est mon but. Mais quand je me ravise,
Doibs je finir l'Elegie presente
Sans qu'ung Dieu gard encore je presente?
Non, mais à qui? Puis que Françoys pardonne
Tant, et si bien, qu'à touts exemple il donne,
Je dys Dieu gard à touts mes ennemys
D'aussi bon cueur, qu'à mes plus chers amys.
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XXII
Epistre faicte par Marot
Bien doy louer la divine puissance
Qui de ta noble, et digne cognoissance,
Nymphe de pris, m'a de grâce estrené.
Assez long temps y a que je suis né,
Mais je n'ay veu passer encor année
Qui à l'entrée feust si bien fortunée
Que ceste icy, j'entendz en mon endroict:
Car liberté, qui sans cause, et sans droict
M'avoit esté par malings deffendue,
Ce nouvel an par le roy m'est rendue.
Ce nouvel an, maulgré mes ennemys,
J'ay eu le bien de revoir mes amys,
De visiter ma natale province,
Et de rentrer en grâce de mon prince.
J'ay eu ce bien, et Dieu l'a voulu croistre,
Car il m'a faict en mesmes temps cognoistre
Une doulceur assize en belle face,
Qui la beaulté des plus belles efface
D'ung regard chaste où n'habite nul vice,
Ung rond parler, sans fard, sans artiffice,
Si beau, si bon, que qui cent ans l'ourroit,
Jà de cent ans fascher ne s'en pourroit:
Ung vif esprit, ung sçavoir qui m'estonne,
Et, par sus tout, une grâce tant bonne,
Soit à se taire, ou soit en devisant,
Que je vouldrois estre assez souffisant
Pour en papiers escripre son merite
Ainsi qu'elle est dedans mon cueur escripte.
Tous ces beaulx dons, et mille davantaige,
Sont en ung corps né de hault parentaige,
Et de grandeur tant droicte, et bien formée,
Que faicte semble exprez pour estre aymée
D'hommes et dieux. O que ne suys je prince,
A celle fin que l'audace je prinsse
Te presenter mon service petit,
Qui sur honneur fonde son appetit.
Mais pourquoy prince? une montaigne basse
Souvent la haulte en delices surpasse:
Les roziers bas, les petitz oliviers
Delectent plus que ces grandz chesnes fiers:
Et à nager en eau basse l'on treuve
Moins de danger qu'en celle d'ung grand fleuve.
Aussi jadiz deesses adourées
D'hommes mortelz se sont enamourées:
Le jeune Athis feust aymé de Cibelle,
Endymion, de Diane la belle:
Pour Adonis, Venus tant s'abbayssa
Que les haultz cieulx pour la terre layssa.
Mais qu'est besoing citer vieilles histoires
Quant à chascun les neufves sont notoires?
L'heureux Helain, dont la Muse est tant fine,
Ne feust il pas aymé de la daulphine,
Qui se disoit bien heureuse d'avoir
Baisé la bouche en qui tant de sçavoir
Se descouvroit? Je sçay bien que je suys
Homme en effect qui souldoier ne puys
Gens et chevaulx: ne sur mer dresser guerre
Pour m'en aller une Helene conquerre.
Si de fortune avoys tel' force acquise,
Ou je mourrois, ou brief t'auroys conquise,
Pour librement avec tel personnaige
En joye user le surplus de mon aage.
Donc si de faict ne suys prince ou vainqueur,
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Au moins le suys je en vouloir, et en cueur:
Et mon renom en aultant de provinces
Est despendu comme celluy des princes.
S'ils vainquent gens en faict d'armes divers,
Je les surmonte en beaulx escriptz, et vers:
S'ilz ont tresor, j'ay en tresor des choses
Qui ne sont point en leurs coffres encloses:
S'ilz sont puissantz, j'ay la puissance telle
Que faire puis ma maistresse immortelle.
Ce que pourtant je ne dys par vantance,
Ne pour plustost tirer ton accointance,
Mais seullement pour une ardante envye
Qu'ay de te faire entendre qu'en ma vie
De rencontrer au monde ne m'advynt
Femme qui tant à mon gré me convynt,
Ne qui tant eust ceste puyssance sienne
D'assubjectir l'obeissance myenne.

XXIII
L'Adieu envoyé aux Dames de Court, au moys d'octobre mil cinq cents trente sept
Adieu la Court, adieu les Dames,
Adieu les filles, et les femmes,
Adieu vous dy, pour quelcque temps,
Adieu voz plaisants passetemps,
Adieu le bal, adieu la dance,
Adieu mesure, adieu cadence,
Tabourins, Haultboys, et Violons,
Puis qu'à la guerre nous allons.
Adieu doncq' les belles, adieu,
Adieu Cupido vostre Dieu,
Adieu ses flesches, et flambeaulx,
Adieu voz serviteurs tant beaulx,
Tant pollys, et tant dameretz:
O comment vous les traicterez
Ceux, qui vous servent à ceste heure!
Or adieu quiconque demeure,
Adieu Jacquais, et le valet,
Adieu la torche, et le mulet,
Adieu Monsieur, qui se retire,
Navré de l'amoureux martyre,
Qui la nuict sans dormir sera,
Mais en ses amours pensera.
Adieu le bon jour du matin,
Et le blanc, et le dur Tetin
De la belle, qui n'est pas preste:
Adieu ung aultre, qui s'enqueste
S'il est jour ou non là dedans:
Adieu les signes evidents,
Que l'ung est trop mieulx retenu
Que l'aultre n'est le bien venu:
Adieu, qui n'est aymé de nulle,
Et ne sert que tenir la Mulle:
Adieu festes, adieu bancquetz,
Adieu devises, et caquetz,
Où plus y a de beau langage
Que de serviette d'ouvrage:
Et moins de vraye affection,
Que de dissimulation
Adieu les regards gracieux,
Messagiers des cueurs soucieux:
Adieu les profondes pensées,
Satisfaictes, ou offensées:
Adieu les armonieux sons
De rondeaulx, dixains, et chansons:
Adieu piteux departement,
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Adieu regretz, adieu tourment,
Adieu la lettre, adieu le paige,
Adieu la Court, et l'equipaige:
Adieu l'amytié si loyalle,
Qu'on la pourroit dire Royalle,
Estant gardée en ferme Foy
Par ferme cueur digne de Roy:
Mais adieu peu d'amour semblable,
Et beaucoup plus de variable:
Adieu, celle qui se contente,
De qui l'honnesteté presente,
Et les vertus, dont elle herite,
Recompensent bien son merite:
Adieu les deux proches parentes,
Pleines de grâces apparentes,
Dontl'une a ce, qu'elle pretend,
Et l'aultre non ce, qu'elle attend:
Adieu les cueurs unys ensemble,
A qui l'on faict tort (ce me semble)
Qu'on ne donne fin amyable
A leur fermeté si louable:
Adieu cil, qui pretend au poinct
A veoir ung, qui ne pense poinct,
Et qui reffus ne feroyt mye
D'estre sa femme en lieu d'amye:
Adieu, à qui gueres ne chault
D'armer son tainct contre le chault,
Car elle sçait tres bien l'usage
De changer souvent son visage:
Adieu amyable aultant qu'elle,
Celle, que maistresse j'appelle:
Adieu l'esperance ennuyeuse,
Où vit la belle, et gracieuse,
Qui par ses secrettes douleurs
En a prins les palles couleurs:
Adieu l'aultre nouvelle palle,
De qui la santé gist au masle:
Adieu la triste, que la mort
Cent foys le jour poinct, et remort.
Or adieu m'amye, la derniere,
En vertus, et beaulté premiere:
Je vous pry me rendre à present
Le cueur, dont je vous feis present,
Pour en la guerre, où il fault estre,
En faire service à mon maistre.
Or quand de vous se souviendra,
L'aiguillon d'honneur l'espoindra
Aux armes, et vertueux faict.
Et s'il en sortoit quelcque effect
Digne d'une louange entiere,
Vous en seriez seulle heritiere,
De vostre cueur, dont vous souvienne.
Car si Dieu veult, que je revienne,
Je le rendray en ce beau lieu.
Or je fais fin à mon adieu.

XXIV
Le Valet de Marot contre Sagon.
Frippelippes, Secrétaire de Clément Marot, à Françoys Sagon, secrétaire de l'Abbé de Sainct Evroul.
Par mon âme il est grand' foyson,
Grand' année, et grande saison
De bestes, qu'on deust mener paistre,
Qui regimbent contre mon maistre.
Je ne voy point qu'ung sainct Gelais,
Ung Heroët, ung Rabelais,
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Ung Brodeau, ung Seve, ung Chappuy,
Voysent escripvant contre luy.
Ne Papillon pas ne le poinct,
Ne Thenot ne le tenne point.
Mais (bien) ung tas de jeunes veaulx,
Ung tas de rimasseurs nouveaulx,
Qui cuydent eslever leur nom,
Blasmant les hommes de renom.
Et leur semble, qu'en ce faisant
Par la ville on yra disant,
Puis qu'à Marot ceulx cy s'attachent,
Il n'est possible, qu'ilz n'en sachent.
Et (veu les faultes infinies
Dont leurs Epistres sont fournies)
Il convient de deux choses l'une:
Ou qu'ilz sont troublés de la Lune,
Ou qu'ilz cuydent, qu'en jugement
Le monde (comme eulx) est jument.
De là vient, que les paovres bestes
(Apres s'estre rompu les testes)
Pour le bon bruyt d'aultruy briser,
Eulx mesmes se font despriser:
Si que mon maistre sans mesdire
Avecques David peult bien dire:
'Or sont tombés les malheureux
En la fosse faicte par eulx.
Leur pied mesme s'est venu prendre
Au filé, qu'ilz ont voulu tendre.'
Car il ne fault pour leur respondre
D'aultres escriptz à les confondre
Que ceulx là mesmes qu'ilz ont faictz,
Tant sont grossiers, et imparfaictz,
Imparfaictz en sens, et mesures,
En vocables, et en cesures,
Au jugement des plus fameux,
Non pas des ignorants, comme eulx.
L'ung est un vieulx resveur Normand
Si goulu, friant, et gourmand
De la peau du paovre Latin,
Qu'il l'escorche comme ung mastin.
L'aultre ung Huet de sotte grâce,
Lequel voulut voler la place
De l'absent: mais le demandeur
Eust affaire à ung entendeur.
O le Huet en bel arroy
Pour entrer en chambre de Roy.
Ce Huet, et Sagon se jouent:
Par escript, l'ung l'aultre se louent,
Et semblent (tant ilz s'entreflattent)
Deux vieulx Asnes, qui s'entregrattent.
Or des bestes, que j'ay susdictes,
Sagon, tu n'es des plus petites:
Combien que Sagon soit ung mot,
Et le nom d'ung petit marmot.
Et saches, qu'entre tant de choses
Sottement en tes dictz encloses,
Ce vilain mot de concluer
M'a faict d'ahan le front suer.
Au reste de tes escriptures,
Il ne fault vingt, ne cent ratures
Pour les corriger. Combien doncq?
Seullement une tout du long.
Aussi Monsieur en tient tel compte,
Que de donner il auroit honte
Contre ta rude Cornemuse
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Sa doulce Lyre: et puis sa Muse
Parmy les Princes allaictée,
Ne veult point estre valetée.
Hercules feit il nulz efforts
Sinon encontre les plus forts?
Pensez qu'à Ambres bien sierroit,
Ou à Canis, qui les voyrroit
Combattre en ordre, et equipaige,
L'ung ung valet, et l'aultre ung paige.
J'ay pour toy trop de resistance:
Encor ay je peur, qu'il me tance
Dont je t'escry: car il sçait bien
Que trop pour toy je sçay de bien.
Vray est il qu'il avoit ung valet
Qui s'appelloit Nihil valet,
A qui comparer on t'eust peu:
Toutesfoys il estoit ung peu
Plus plaisant à voir, que tu n'es:
Mais non pas du tout si punes.
Il avoit bien tes yeulx de Rane,
Et si estoit filz d'ung Marrane,
Comme tu es. Au demeurant:
Ainsi vedel, et ignorant,
Sinon qu'il sçavoit mieulx limer
Les vers, qu'il faisoit imprimer.
Tu penses que c'est cestuy là
Qui au lict de Monsieur alla,
Et feit de sa bourse mitaine.
Et va, va: ta fiebvre quartaine!
Comparer ne t'y veulx, ne doy:
Il valoit mieulx cent foys, que toy:
Mais vien çà, qui t'a meu à dire
Mal de mon maistre en si grand' ire?
Vrayement il me vient souvenir,
Qu'ung jour vers luy te vey venir
Pour ung chant Royal luy monstrer,
Et le prias de l'accoustrer,
Car il ne valoit pas ung oeuf.
Quand il l'eust refaict tout de neuf,
A Rouen en gaignas (paovre homme)
D'argent quelcque petite somme,
Qui bien à propos te survint,
Pour la verolle, qui te vint.
Mair pour une sueur, quand j'y pense,
Tu en rends froyde recompense.
Il semble (pourtant) en ton Livre,
Qu'en le faisant tu fusses yvre:
Car tu ne sceuz tant marmonner,
Qu'ung nom tu luy sceusses donner.
Si n'a il couplet, vers, n'Epistre,
Qui vaille seullement le tiltre.
Dont ne soys glorieux, ne rogue:
Car tu le grippas au prologue
De l'Adolescence à mon maistre:
Et qu'on lise à dextre, ou senestre,
On trouvera (bien je le sçay)
Ce petit mot de coup d'essay,
Ou coups d'essay, que je ne mente.
O la sotie vehemente!
A peine sera jamais crainct
Le combattant, qui est contrainct
D'emprunter, quand vient aux alarmes,
De son adversaire les armes.
Ha Rustre, tu ne pensoys pas,
Que jamais il deust faire ung pas
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Dedans la France: tu pensoys
Sans pitié ce bon Roy Françoys,
Et le paignoys en ton cerveau
Aussi Tigre, que tu es Veau.
C'est pourquoy les cornes dressas:
Et quand tes escriptz addressas
Au Roy tant excellent Poëte,
Il me souvint d'une Chouette
Devant le Rossignol chantant,
Ou d'ung oyson se presentant
Devant le Cygne pour chanter.
Je ne veulx flatter, ne vanter:
Mais certes Monsieur auroit honte
De t'allouer dedans le compte
De ses plus jeunes apprentys:
Venez, ses disciples gentilz,
Combattre ceste lourderie:
Venez son mignon Borderie,
Grand espoir des Muses haultaines:
Rochier, faictes saillir Fontaines:
Lavez touts deux aux Veaulx les testes:
Lyon (qui n'es pas Roy des bestes:
Car Sagon l'est), sus, hault la pate,
Que du premier coup on l'abbate.
Sus Gallopin, qu'on le gallope.
Redressons cest Asne, qui choppe,
Qu'il sente de touts la poincture:
Et nous aurons Bonadventure,
A mon advis assez sçavant
Pour le faire tirer avant.
Vien Brodeau, le puisné son filz,
Qui si tres bien le contrefeis
Au huictain des freres Mineurs,
Que plus de cent beaulx devineurs
Dirent que c'estoit Marot mesme:
Tesmoing le Griffon d'Angoulesme,
Qui respondit argent en pouppe,
En lieu d'yvre, comme une souppe.
Venez doncq' ses nobles enfants,
Dignes de chappeaulx triumphants
De vert Laurier, faictes merveilles
Contre Sagon digne d'oreilles
A chapperon. Non, ne bougez,
Pour le vaincre rien ne forgez:
Laissez cest honneur, et estime,
A la Dame Anne Philethime,
De qui Sagon pourroit apprendre,
Si la peine elle daignoit prendre
De l'enseigner. Trembles tu point
Coquin, quand tu oys en ce poinct
Hucher tant d'espritz, dont le moindre
Sçait mieulx que toy louer, et poindre?
Je laisse ung tas d'yvrongneries,
Qui sont en tes rithmasseries,
Comme de tes quatre raisons,
Aussi fortes que quatre Oysons:
De ses deux soeurs Savoysiennes,
Que tu cuydois Parisiennes:
Et de mainte aultre grand' follie,
Dont il n'a grand' melancolie.
Mais certes il se deult gramment
De t'ouyr irreveramment
Parler d'une telle Princesse,
Que de Ferrare la Duchesse,
Tant bonne, tant sage, et benigne.
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O quantes foys en sa cuysine
Ton dos a esté souhaitté
Pour y estre bien fouetté!
Dont (peult estre) elle eust faict deffence,
Tant bien pardonne, à qui l'offense.
Mais moy je ne me puis garder
De t'en battre, et te nazarder.
Ta meschanceté m'y convie,
Et m'en fault passer mon envie.
Zon dessus l'oeil, zon sur le groin,
Zon sur le dos du Sagoüyn,
Zon sus l'Asne de Balaan.
Ha vilain, vous petez d'ahan,
Le feu sainct Anthoine vous arde!
Cà, ce nez, que je le nazarde,
Pour t'apprendre, avecques deux doigts,
A porter honneur, où tu doibs.
Enflez vilain, que je me joue:
Sus, apres, tournez l'aultre joue:
Vous cryez? Je vous feray taire,
Par Dieu, Monsieur le secretaire
De beurre frays. Hou le mastin!
Pleust à Dieu, que quelcque matin
Tu vinsses à te revenger:
L'abbé seroit en grand danger
De veoir par maniere de rire
Monsieur mon Maistre luy escripre,
Et d'estre de luy mieulx traicté,
Que de moy tu ne l'as esté:
Car il sçait tout, et sçait comment
Te feis expres commandement
De t'en aller mectre en besongne
Pour composer ton coup d'yvrongne:
Ce que luy accordas, pourveu
Qu'en apres tu seroys pourveu
De la cure de Soligny.
Quant à celle de Sotigny,
Long temps a par election
Tu en prins la possession.
Que je donne au Diable la beste:
Il me faict rompre icy la teste
A ses merites collauder,
Et les bras à le pelauder:
Et si ne vault pas le tabut.
Mieulx vault donc icy mectre but,
T'advisant, Sot, t'advisant, Veau,
T'advisant, valeur d'ung naveau,
Que tu ne te veis recevoir
Oncques tant d'honneur, que d'avoir
Receu une Epistre à oultrance
D'ung valet du Maro de France.
Et crains, d'une part, qu'on t'en prise:
Puis (d'avoir tant de peine prise)
J'ay peur, qu'il me soit reproché
Qu'ung Asne mort j'ay escorché.
FIN

XXV
Epistre à Sagon et à la Hueterie, par M. Charles Fontaine, mal attribuée par cy devant à Marot
Quand j'ay bien leu ces livres nouvelletz,
Ces chants Royaulx, Epistres, Rondeletz,
Mis en avant par noz deux Secretaires,
Qui en rithmant traictent plusieurs affaires,
Je leur escrys par moyen de plaisir,
Et de ce faire ay bien prins le loysir:
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Car raison veult, que je les advertisse,
Qu'ilz n'ont pas heu du Poëte notice,
Qui dit qu'on doibt garder ses vers neuf ans,
Pour ce qu'on doibt craindre flottes, et vents,
Lors qu'on transporte, et qu'on mect en lumiere
Des escripvants leur ouvrage premiere:
Laquelle il fault reveoir diligemment,
Et de plusieurs avoir le jugement.
Celluy est sot, qui son imparfaict oeuvre
A toutes gens impudemment descoeuvre.
Plusieurs sçavans disent, qui sont ces veaulx,
Qui à rithmer se rompent les cerveaulx?
Il semble à veoir, quand leur rithme on entonne,
Que tout par tout là où on l'oyt, il tonne.
Tout leur escript est rude, estrange, obscur,
Tant l'ung, que l'aultre, et en sa veine dur.
Il est bien vray, que cest art d'escripture
Est bien seant, quand on l'a de nature:
Ce qu'on congnoist à la facilité,
Et ne court point sans grande verité
Ce commun dit: on ne faict rien, qui serve,
Quand on le faict bon gré maulgré Minerve.
Ce que les gens d'esprit, et de sçavoir
Facillement peuvent appercevoir.
On voyt tant bien une oeuvre, qui sent l'huille,
Ou esventée, et seiche comme tuyle.
Il est facille à discerner les vers,
Qui n'ont point vie, et gisent à l'envers:
Il est facille, on le sent à la trace,
Quand aulcuns vers viennent de bonne race.
Je ne veulx pas pourtant les abbaisser,
A celle fin de mon style haulser:
Car je congnoys la petite science,
Que Dieu me donne, et prens en patience:
Mais seullement je veulx mectre en avant
Le jugement de maint homme sçavant,
Et de plusieurs, qui leur maistre seroyent,
Quand en cest art leur plume addresseroyent.
Je ne veulx donc trencher du parangon
Pour me monstrer ennemy de Sagon.
Je ne pretends ne plaid, ne huterie
Avec Sagon, ne La Hueterie:
Ce nonobstant, s'ilz en veulent à moy,
Je n'en seray (ce croy je) en grant esmoy:
Car je voy bien, à peu pres, que leur veine
Est ung petit trop debile, et trop vaine
Pour bien jouer. Cela tresbien je sçay
A veoir sans plus leur paovre coup d'essay.
Si dessus moy, leur cholere s'allume,
Là Dieu mercy nous avons encre, et plume,
Pour leur respondre ung peu plus sagement,
Qu'ilz n'ont escript touts deux premierement.
Que bien, que mal, selon noz fantasies
Nous escripvons souvent des Poësies:
Si ne suffist d'escripre maint blason,
Mais ilz s'ennuyent garder rithme, et raison.
Rithme, et raison, ainsi comme il me semble,
Doibvent tousjours estre logés ensemble.
L'homme rassis doibt son cas disposer
De longue main, premier que d'exposer
Son escripture, et ses petits ouvrages
Dessoubz les yeulx de tant de personnages:
Dont plusieurs n'ont mys en jeu leurs volumes,
Combien qu'ilz soyent faicts d'excellentes plumes.
Tant moins doibt on faire ung oeuvre imprimer,
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Où il y a grandement à limer:
Il fault souvent y approcher la lime,
Avant qu'il soit permys, que l'on imprime:
Car les sçavants disent, bren du rithmeur,
Pareillement merde pour l'imprimeur,
Lequel nous vient cy rompre les cervelles
De ses traictés non vallants deux groiselles.
Tiltres haultains ne nous font qu'abuser,
A celle fin, qu'on y voyse muser,
Il n'y a point de plaisir en leur muse
Non plus, qu'au son de vieille cornemuse.
Je n'eusse pas pensé, que de six ans
On eust peu veoir de si sotz Courtisans,
Qui eussent heu la plume si legiere,
Qu'elle auroit peur de demourer derriere.
On jugeroit, que ces compositeurs
Sont aussi tost Poëtes, qu'Orateurs.
O Courtisans, vostre veine petite,
Pour bons rithmeurs va ung petit trop viste:
Non faict, que dys je? Ains pour le faire court,
Il fault ainsi avoir bruyt en la court:
Ung bon rithmeur, qui tant d'experience,
Que de nature, il ayt ceste science.
En second poinct, il ne doibt tant errer,
Qu'il n'ayt pouvoir de sa main temperer
A ce que par quelcque maniere lasche
Dessus aultruy ses aguillons ne lasche
Effrenement, l'assaillant le premier.
O le beau faict, que l'on doibt premier!
Je ne vey oncq, depuis que suis en vie,
Escripre plus d'ardeur, gloire, et envie:
Certes l'escript le plus à detester,
C'est par rancueur mesdire, et contester:
Celluy, lequel aguise ainsi son style,
Doibt à bon droict estre appellé Zoille.
Tu monstres bien ta male affection,
A l'affligé donnant affliction.
Ce n'est pas là, ce n'est pas là la voye,
Qui gens d'esprit à bon renom convoye.
Communement de tel commencement
On n'en voyt pas fort bon advancement.
S'en est bien loing, il y a trop à dire,
Qu'on vienne à bien par blasmer, et mesdire:
Certes avant, qu'il soyt jamais dix ans,
On monstrera au doigt les mesdisans.
Desjà on dict, de La Hueterie,
Et de Sagon, ce n'est que flaterie:
A l'entour d'eulx de cent pas on la sent:
Je l'ay desjà bien ouy dire à cent.
Sage n'est pas celluy qui se soulace
A dire mal, pensant acquerir grâce:
Et mesmement, qui dict mal de celluy
Qui ne s'en doubte, et est bien loing de luy:
Dont il pretend avoir le lieu, et gaiges:
Mais beau temps vient apres pluye, et oraiges.
Facillement, et sans prendre grand soing,
On dict du mal de celluy qui est loing,
Que l'on pourroit avoir en reverence
Pour son sçavoir, quand il est en presence.
Quand telles gens se cuydent advancer,
Lors on les voyt tant plus desadvancer.
Il ne fault pas par moyen deshonneste
Penser venir à quelcque fin honneste.
Et qu'y a il plus loing d'honnesteté,
Que de mesdire avec une aspreté?
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Voylà comment pour le moins (à ce compte)
De vostre faict ne peult sortir que honte
Et deshonneur, si vous n'estes comptés
Pour gens qui estes desjà touts eshontés.
Je m'esbahys comment tu as peu estre
Si aveuglé, de te prendre à ton maistre;
Vous en deussiez touts deux mourir de dueil
On le congnoist et au doigt, et à l'oeil:
D'aultant s'en fault, que la vostre Marotte
Ne luy ressemble: elle est trop jeune, et sotte.
Ung peu plus tost vous voulustes frotter
De l'ensuyvir pour contremarotter.
L'ung va rithmant la fere contre affaire,
Et l'aultre aussi frere contre desplaire:
L'aultre par trop les oreilles m'offense;
Quand pour allume a voulu dire accense:
L'aultre redict moyctié, et amytié,
En douze vers, et moins de la moyctié:
L'aultre descript apres, Dieu sçait comment,
Ung chascun Ciel, et chascun Element:
L'Astronomie, aussi l'Astrologie,
Vous la diriez estre par eulx regie:
Mectre, et remectre, aussi cueurs, et obscurs,
Ce sont beaulx motz: mais en rithme ilz sont durs.
Et puis on veult pour aggreable avoir
Oeuvre tant sot, et mal plaisant à veoir!
Tantost apres, vingt et deux si arrivent,
Qui pas à pas l'ung et l'aultre s'ensuyvent.
Puis Sagon fonde, en docteur Arcadique,
Quatre raisons, sans texte Evangelique:
Aussi plusieurs personnages divers
Onques n'ont peu m'exposer ces deux vers:
Ton mal penser mect bien loing ta pensée,
Pres du soucy de ton âme offensée.
Pres, et bien loing, s'entresuyvent tres mal.
Aussi sent il troubler l'esprit vital,
Et cela vient de trop d'audace prinse,
Qui de plusieurs pourroit estre reprinse.
Ce nonobstant par telle folle audace
Nul d'eulx ne quiert, que d'estre mys en grâce:
Ce qui leur est chose plus qu'impossible,
Que s'il m'estoit par bon loysir possible,
J'auroys assez, pour esmouvoir maints cueurs,
Des sotz propos de ces Rethoriqueurs.
Ne sçay si bons la commune les clame:
Mais je sçay bien que tout sçavant les blasme.
Voylà que c'est: noz compositions
Veullent regner par noz affections.
Je n'ay loysir plus avant m'entremectre,
Mieulx me vauldroit entreprendre aultre metre,
Où l'on pourroit cueillir quelcque bon fruict,
Car je ne veulx, comme eulx, acquerir bruyt.
Mais je sçauroys vouluntiers quel homme est ce
Qui m'asseurast en sa foy, et promesse,
Qui auroit peu tirer ung seul proffit
De ces traictés, que l'ung, et l'aultre feit,
Tant froids vers Dieu, vers le monde, et l'eglise:
Tant seullement chascun d'eulx temporise,
A celle fin d'obtenir quelcque don:
Leur stile est doulx, voyre comme ung chardon.
Ce nonobstant cuydent en ceste sorte
Que de l'honneur, et proffit, il en sorte.
Homme ne doibt s'entremectre en quelcque art,
Duquel jamais n'entendit bien le quart.
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XXVI
Epistre à son amy, en abhorrant folle amour, par Clement Marot
J'ay tousjours sceu par le conseil des sages
Et practiqué avec ceux de grands aages,
Et veu aussi par une experience
Qu'Amour de soy n'est que folle esperance,
Qui faict changer le sens [en] frenaisie,
Et la raison en vaine fantasie,
Aux travaillans donne la continue,
Et aux repos l'accroist, et diminue,
Aux tourmentez la donne plus legiere,
Et aux contens la donne toute entiere:
Car les tourmens à ceux qu'Amour attire
Sont doux plaisirs, et aux contens martyre.
Voy donc combien, amy, tu es deceu
De cest Amour sans t'en estre apperceu,
Qui soubz couleur d'un esperé remede
A tirer cueur, corps, et âme procede.
Premierement le plaisir que tu prens
Est de souffrir, et ainsi l'entreprens,
Car sans souffrir Amour n'est pas parfaict,
Et sans pouvoir ne vient on à l'effaict:
Et quand l'on a eu le fruict de l'attente,
Et qu'on parvient au point de son entente,
Le temps de soy faict le tout oublier,
Et bien souvent cause le publier.
Je ne dy pas qu'il t'en advienne ainsi
Et ne juge que tu preignes soucy:
Mais respondz moy: qu'est ce que tu attens
De ceste Amour, ou l'ennuy, ou le temps?
Si c'est l'ennuy, le temps long te sera,
Si c'est le temps, l'ennuy si te tuera.
Ainsi de mort ne te puis guarantir,
Ou pour le moins que tu vives martir.
Doncques Amour ne peult estre propice,
Puis que du temps faict une mort prolixe.
Qu'est ce qu'Amour? voy qu'en dit Saingelays,
Petrarque aussi, et plusieurs hommes lais,
Prebstres et clercs, et gens de tous estophes,
Hebreux, et Grecz, Latins, et philosophes:
Ceux là en ont bien dict par leurs sentences
Que de grands maulx petites recompenses.
Je ne dy pas qu'Amour ne soit bon homme,
Bon filz, bon fol, sage, bon gentilhomme,
Hardy, [couard], honteux, audacieux,
Fier, humble, fin, simple, fallacieux,
Malade, et sain, aigre, et doux, fantasticque,
Palle, sanguin, joyeux, melencolique,
Chault, froid, et sec, fascheux, plaisant, estrange,
Diable cornu: en forme d'un [b]el Ange,
Amy secret, et ennemy publicque,
Tresdoulx parle[u]r en faincte Rethoricque,
Grand, et petit, jeune, et vieil tout ensemble,
Foible, et puissant, à qui nul ne ressemble.
C'est ung marchant, qui à bon marché preste,
Mais au payer c'est une [caulte] beste,
Car son credit est d'une telle attente
Qu'il n'est celuy qui ne s'en mescontente.
Doncques, amy qui aymes amour suyvre,
Pense le mal qui vient de le poursuyvre,
Et voy le bien qu'on a de le laisser.
En y pensant ne te pourras blesser,
Mais bien plus tost d'une playe guerir,
Qui te pourroit par temps faire mourir.
Ce que je dy vient de l'affection
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Et la pitié qu'ay de ta passion,
Voyant du tout la raison estre absente
Par folle Amour, qui en toy est presente.
Croistre je voy d'ung costé ta douleur,
Et amoindrir, d'ung aultre, ta couleur,
Qui monstre assez le nombre de ta peine
Et le sejour de la fievre cartaine,
Qui demourra, si ton mal ne s'escarte,
En continue, ou bien en double quarte.
Parquoy mieulx vault tost en sortir blessé
Que tard de mort en venir offensé.
Qu'est ce qu'Amour, sinon doulce amertume,
Tournant bon droict en mauvaise coustume,
Alienant le sens de la raison,
Voysin suspect, et certaine prison,
Qui, soubz couleur d'une esperance folle,
Ses favorez mort, destaint; et affolle,
En attendant le pretendu plaisir
Dont mal vient tost, et le bien à loysir?
Encores plus, car le bien, quand il vient,
Ce n'est qu'ennuy, quand apres en souvient.
Le bien que j'euz une fois de m'amye
En peu de temps tourna en infamie,
Car en Amour fut si tresmalheureuse,
Apres l'effaict, que de moy fut jaleuse,
Moy d'elle aussi, tant qu'au lieu de le taire,
Chascun congneut nostre secret affaire:
Elle par trop avoit d'affection,
Moy, d'autre part, peu de discretion,
Comme aux aymans Cupido les yeux bende,
Sans y penser nous benda de sa bende,
Et desbendez quand nous fusmes tous deux,
Veysmes l'erreur d'Amour, dont je me deulx.
Finis

XXVII
Au Roy pour luy recommander Papillon, Poëte François estant malade
Me pourmenant dedans le parc des Muses,
(Prince sans qui elles seroient confuses)
Je rencontray, sur un pré abbatu,
Ton papillon, sans force, ne vertu.
Je l'ay trouvé encor avec ses aisles,
Mais sans voler, comme s'il fust sans elles,
Luy, qui tendant à son Roy consoler,
Pour ton plaisir soloit si bien voler,
Qu'i[l] surpassoit le vol des Alouettes.
Roy des François, c'est l'un de tes Poëtes,
Papillon painct de toutes les couleurs
De Poësie, et d'autant de douleurs.
L'autr' hier le vy aussi sec, aussi palle
Comme sont ceulx qu'au sepulchre on devalle.
Lors de la couche où il estoit gisant
Je m'aprochay, en amy luy disant
Ce que j'ay peu pour luy donner courage
De briefvement eschapper cest orage.
Et luy offrant tout ce que Dieu a mis
En mon pouvoir pour ayder mes amis,
Dont il est l'un, tant pour l'amour du stile
Et du sçavoir de sa Muse gentile,
Que pour autant qu'en sa plume, en santé,
A ta louange il a tousjours chanté.
M'ayant ouy, un bien peu sejourna:
Puis l'oeil terny, triste vers moy tourna:
Sa seiche main dedans la mienne a mise,
Et d'une voix fort debile, et souzmise
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M'a respondu: cher amy esprouvé,
Le plus grand mal qu'en mes maux j'ay trouvé,
C'est un desir qui sans fin m'importune
D'escrire au Roy la fascheuse fortune
Qui en ce point malade m'a rendu:
Mais je ne puis, car il m'est deffendu
Du medecin, qui à ma plume ordonne
Ung long repos, qui long travail me donne.
Amy trescher (ce luy respondz je alors)
De quoy te plains? jette ce soing dehors:
Car sans ta peine adviendra ton desir,
Si onques Muse à l'autre fit plaisir.
Certes la tienne est du Roy escoutée:
Mais de luy n'est la nostre reboutée.
Courage donc: Marot s'enhardira
D'escrire au Roy, et ton cas luy dira.
Que pleust à dieu que ton mal si pervers
Se peust guerir par rimes, et par vers,
Ou qu'en moy fut tout ce qui est duisant
A divertir cela, qui t'est nuisant.
Ces motz finiz, plus de cent et cent fois
Me mercias. Lors de là je m'en voys
Au mont Pernase escrire ceste lettre,
Pour tesmoignage à ta bonté transmettre
Que Papillon tenoit en main la plume,
Et de tes faictz faisoit un beau volume,
Quand maladie extreme luy a fait
Son oeuvre empris demourer imparfaict:
Et puis l'ouvrier a mis en tel decours
Qu'il a besoin de ton Royal secours.
C'est tout cela que mon escript desire
Te faire entendre, ayant cet espoir, Sire,
Que ne diras en moy presumption,
Quand de mon cueur sçauras l'intention,
Qui de nully ne peult estre reprise,
Puis qu'amitié a causé l'entreprise.
Si Theseus (ainsi comme l'on dit)
Pour Pirithée aux Enfers descendit,
Pour quoy ne puy je en Parnase monter,
Pour d'un amy le malheur te compter?
Et si Pluton, contre l'inimitié
Qu'il leur portoit, loua leur amitié,
Doy je penser, que ton cueur tant humain
Trouve mauvais si je preste la main
A un amy, veu mesmes que nous sommes,
Et luy, et moy, du nombre de tes hommes?
Je croy plustost qu'à l'un gré tu sçauras,
Et que pitié de l'autre tu auras.

XXVIII
Epistre du Coq à l'Asne faict par Lyon Jamet en l'an mil v° quarente et ung
Je te veulx escripre à ce coup
Qu'en Piedmont il y a beaucoup
D'asnesses de Hierusalem.
Que Dieu leur envoye mal an:
L'argent du Roy leur vient sans peine.
Et puis on faict ung cappitaine
Maintenant en sortant de paige:
Il faict bon estre du lignaige
De Lancellot, ou de Gauvain.
Si maintient on pour tout certain
Qu'il n'est bon beurre que de Vanvres.
A Savyllan nous avons Ambres,
Qui tire autre chose que paille.
Ung cousteau, qui des deux pars taille,
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Est convenable pour la trippe.
Mais qu'est devenu Frippelippe?
Les Sagoints sont ilz tous mors?
Il est besoing de roides mors
Aux bestes qui ont forte bouche.
Oncques on ne veit male mouche
Qui fut loyalle: asses mouchez.
Les corps bossus sont fort marchez:
C'est affin qu'on les recongnoisse.
La consolacion de Boece
Est bonne à qui a tout perdu.
Nous avons beaucoup atendu
De faire general concille,
De peur de perdre la cocquille
Que Constantin donna au pape.
Garde ton bien, qu'on ne l'atrappe,
De peur du feu de ses fagotz:
Car, comme disent les cagotz:
Donnez, il vous sera donné.
Mais tout le monde est estonné
Qu'ils prennent, et ne donnent rien.
Celuy qui a le plus de bien,
C'est celuy à qui moins il couste.
Jamais la taupe ne veoit goute:
Ses yeulx sont trop couverts de terre.
Rien ne se dict de l'Angleterre,
Et si a faict le pet à Romme:
Mais si c'estoit quelque pauvre homme
Il seroit tout vif escorché.
Nez d'argent n'est jamais mouché:
Voylà pourquoy chascun se tayse.
Puis la femme de la hardayse
Preste son bas à tout venant.
Toutesfois on dict maintenant
Qu'elle en a si souvent usé,
Qu'il est si vieil, et si usé,
Qu'on ne la veult plus chevaucher.
Le plomb commence à estre cher
En ce païs, et par toute France.
Je croy qu'à Romme on a souffrance:
Il n'en vient pas comme il soulloit.
Au temps passé ce qui soulloit
En ce temps cy ne soule plus.
Sainct Pié est devenu perclus,
Comme l'on dict, d'ung de ses bras.
Tel faict souvent le fierabras,
Qui ne vault pas une grenoille.
De porter au costé quenoille,
La loy des femmes le deffend.
Robbe, cotte, et chemise on fend:
Mais la fente est boutonnée.
Ceste loy ne fut ordonnée
Sinon pour les fumelles jeunes.
Sy ne fault il oster les jeusnes,
Car les prescheurs mourroient de fain.
Liberalité a pris fin:
Les dons de maintenant sont cours.
Il se trouve plus de secours
A son amy, qu'à son parent.
Faveur, et richesse ont leur cours.
Le cas est clair, et apparent:
Il n'est maintenant que faveur.
Le riche est crainct, et a honneur:
Le pauvre est toujours en diffame.
Combien peult une belle femme,
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L'experience en faict la preuve.
Le bon ouvrier faict la bonne oeuvre.
Chacun portera son fardeau.
Qui veult faire le bon fart d'eau,
Qu'il preigne naffles, et lavande.
Il n'est besoing que l'on demande
La verité aux gens d'eglise:
Vray est que chacun la desguyse
Selon qu'il en pense prouffict.
Clement trop grandement meffict
Quand il souffleta la bourgeoyse:
Le soufflet ne valut la noise:
Car le guichet en fut passé.
Roussin qui est trop harassé
Ne peult longtemps servir son maistre.
Si faict il bon soy recognoistre,
Sans presumer de sa personne.
Assez de promesse se donne:
De tenir l'usaige ne court.
Et puis, qui mesdict d'une court
De Parlement, par trop blaspheme.
Mars ne sera plus en Karesme,
Si les Allemans on veult croyre:
Car c'est ung cas assez notoire
Que les trespassez sont tous mors.
Toutesfois en sommes records,
Pour le prouffict qu'il nous en vient.
Jamais l'ingrat ne se souvient
De celuy là, qui bien luy faict.
Que dictes vous? Est ce bien faict
De ne vouloir se confesser?
C'est trop frapper sans se blesser.
Il n'est que la vieille doctrine,
S'elle faict fumer la cuysine,
Et la nouvelle estainct le feu.
Dieu veuille pardonner à feu
Frere André, qui si bien preschoit:
Car presque tousjours il taschoit
De parvenir à ce butin.
On ne faict compte de latin:
Le Grec, et Hebreu sont en bruyt.
Le feu à qui va de nuict nuict:
Chemise de maille vault mieulx.
Et puis l'on veoit les Clunyeulx
Courrir comme gens desconfictz.
Ilz ont mangé le crucifix,
Et le mangeassent jusqu'aux os.
Et si quelqu'un en tient propos,
Il est pillé comme verjust.
Trop mieulx vauldroit s'y tenir just,
Que de monter en si hault lieu:
Laquelle chose, de par Dieu,
L'on descend plus tost qu'on ne veult.
De faire plus que l'on ne peult,
Jesuchrist nous l'a deffendu.
Et d'estre apres moyne rendu,
Que sert cela à nostre foy?
Nous serons saulvés toy, et moy,
Si de la foy fesons les euvres.
Veulx tu que je les mette en preuves?
Monseigneur, je te preuve ainsi,
Igitur dont veult tout cecy.
C'est ung abus trop manifeste
Que d'alleguer glose sans texte,
Comme font les moynes crottez.
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Tous asnes ne sont pas bastez,
Et n'ont trestous grandes aureilles.
Nous sommes au temps des merveilles:
D'Antechrist est ung million,
Et toutesfois nous ne voyon
Aaron, ne Helye prescher.
Ung chascun veult garder sa cher.
Dieu pardoint aux chrestiens mors:
Souffrir ne peuvent plus les corps
Quant l'âme en est dehors partie.
Je m'en rapporte à l'Italye,
Qui faict ung sainct de Billouart.
C'est à grant peine qu'ung couart
Puisse estre jamais vaillant homme.
Tel jure foy de gentilhomme
Qui n'en eut oncques la creance.
Qui peseroit à la balance
Chascun, iceulx qui sont en hault
Feroient soubdain en bas le sault,
Et ceulx d'en bas yroient amont.
Nous avons gaigné le Piedmont,
Une partie à tout le moins:
Si est ce qu'il couste du moins
Trop plus beaucoup qu'il n'en reçoit.
Et, comme chascun apperçoit,
Le droict vault mieulx que le bossu.
Sire, je m'en suis apperceu:
Il est ainsi que vous le dictes:
Ceulx là qui font les chatemites
Sont dangereulx, n'en doubtez pas.
Il faict bon sarcher son repas
A qui n'a pas d'argent en bource.
Voluntiers monsieur se courrousse
S'on luy demande ce qu'il doibt.
Tel a beaulx yeulx, qui rien ne veoit.
Il s'emprunte assez, mais à rendre
A peine l'on y veult entendre,
Non plus qu'à lire l'Evangille.
Plus vault maintenant une fille
Qu'au temps passé mille garsons:
L'on chevauche assez sans arçons
Toute beste qui est coiffée.
Du temps de Cybille la fée,
Ou de celluy de Perceval,
Sergens à pied, et à cheval,
N'estoient larrons comme ils sont ores.
Et toutesfois ces gros pecores
D'advocats ou de lieutenantz
Leurs grands larcins sont soustenans:
Tous chantres tiennent leur partie.
Si la court en est advertie,
Reformer doibt ce grand abus.
Mais qu'en a dict de Cornibus?
Sermons, ce ne sont que parolles.
Il se veoit plus de testes folles
Qu'il ne faict pas de sages bestes.
De quoy proufitent tant de festes
Où l'on ne faict qu'offenser Dieu?
Maintenant ne se trouve lieu
Où la foy ne soit bien petite:
Et puis tout le monde medite
De soy ayser, comme l'on dict.
Paradis nous fust interdict,
Si le filz de Dieu n'eust prins cher.
C'est grand abus souffrir prescher
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Ces asnes, qui ne font que braire.
Souventesfoys se faict bon taire:
Mais au besoing parler moult vault.
Pour mieulx saillir reculer fault.
Fureur de Prince est fort à craindre:
Car ses ongles peuvent attaindre
Du midy à la transmontanne.
Souventesfoys la court s'estonne
De voyager en tant de lieux.
Partout y a chemins aux cyeulx:
Mais tout le monde n'y va pas,
Si par vertu n'est prins le pas.
Quel vice empesche qu'il ne regne?
Faveur a maintenant son regne.
En la façon du temps qui court,
Il faict mauvais suyvre la court
Qui n'a argent en gybeciere.
Cecy fut escript à Buffiere.
Du temps qu'il feit ses fausses bulles,
Les asnes chevauchoyent les mulles.
C'est de quoy vont tant de proces.
Garde toy bien d'avoir proces,
Tant soit ta cause juste, et bonne:
Car Justice veult qu'on luy donne:
Aultrement ignore le droict.
Je feray fin à cest endroict,
Te suppliant, mon cappitaine,
Que tu veuilles prendre la peine
A ces vers mesmes me rescripre
Tout ce que j'ay laissé à dire.

XXIX
Epistre du Coq à l'Asne à Lyon
Tu scez bien, mon amy Lyon,
Que long temps y a que de Lyon
Je n'euz de toy nulles nouvelles:
Ce ne sont pas les Cent Nouvelles
Que je demande de Boccasse.
Il est fol, qui le col se casse,
S'il n'en a deux comme le veau.
Et d'alleguer ung cas nouveau,
La question n'en est plus bonne.
Pourquoy? notre mere Sorbonne
Faict à tous veaulx avoir deux testes:
Et s'ilz sont sottes comme bestes,
Il fault aprendre les passaiges:
Ung trois foys fol vault ung vray saige.
Or je te demande comment?
Si tu bois plus en Allemant,
Tu n'en seras que plus prisé.
Ung homme n'est pas desprisé,
Laisser la ville pour les champs.
Par tout ont affaire marchans
Pour subvenir à ceste vye.
Quant d'aller je n'ay nulle envye,
Attendz moy, le pas je n'y voys.
Ne parles point en genesvoys,
Que la fumée ne t'aveugle.
Pas ne s'en plainct le pouvre aveugle:
De la blancque est tout revestu.
Il faict mauvais estre testu
Et avoir la teste trop aigre.
L'on faict chandelle de vinaigre,
Fine moustarde de cotton,
Car de porter ung hocqueton,
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C'est l'estat de monsieur l'archer.
L'on faict la pauvre gent marcher
A grandz coups renforcez de taille,
Tant que pour faire la bataille
Il ne fault espargner sa vye.
Voisins ont l'un sur l'autre envye,
Tesmoingz l'Escosse, et l'Angleterre.
Las, il n'eust pas mis pied à terre,
Neptunus, qui vogua sur mer.
Le morceau estoit bien amer,
Mais de cueur c'est clamé bany
Devant Lama hazabthany.
Ne parlez point de l'Evangille,
Si vous n'avez la langue agille
Pour Sorbonner, la bonne myne.
Car l'on dict qu'on scent sa farine,
Si l'on ne scet son Pathelin.
Le voyaige sainct Mathelin
Gaignera beaucoup de chandelle,
S'il a les folz, et leur sequelle.
D'Orleans le secritain
A prins or, argent, et estain
Pour amener la secretaine.
L'abbesse de la Magdelaine
Deviendra grosse par despit.
Celuy a ung gentil respit
Qui de la mort peult eschapper.
Il n'est que ribaulx pour frapper,
Quant la bataille est en ung coing.
Si tu m'escoutes de grand soing,
Je te veulx bien ung compte dire,
A la charge de point ne rire:
C'est la grant cotte au petit foye,
Qui sur Notre Dame de joye
A dict par advisation
Que c'estoit abusation
Des miracles qu'elle faisoit.
Je croy si chacun se taisoit
Qu'on n'orroit pas gueres de bruict.
En moynes y a tout deduict,
En dames consolation,
Car de parler d'affliction
C'est à gens qui n'ont point d'argent.
Quand il y a quelque corps gent
Qui vefve soit pour la sepmaine,
Messieurs y feront leur neufvaine,
Tant que le mary est absent.
Ma dame a bien joué au cent:
Elle est toute lasse du flux.
Quant les picques n'en peuvent plus,
Il fault cartes d'un cueur massif.
Ung vieil roussin devient poussif
Qui n'a souvent litiere fresche.
L'on a mis guilles en la craische
Pour veoir son vif entendement.
De mal est aussi innocent
Que Judas de la mort Jhesus.
Pour aller au trosne lassus,
Que fera l'âme pecheresse?
Je croy qu'el[le] est en grand distresse
Que son miroir est deffendu.
L'anthecrist n'est plus attendu:
Nous l'avons, gardons qu'il eschappe.
Baisez la pantoufle du pappe
En disant votre patenostre:
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Vous serez sainct comme ung apostre,
Si du chapeau avez saisine:
Car au dedans de la cuysine
Qui bon le trouve, bon le boyt:
Et qui monte plus hault qu'il ne doibt,
Il veoit ung clocher de plus loing.
A Paris a l'âne son groing,
La louve aussi, et ses louvetons,
De peur qu'on ne vienne aux sermons
Par le passaige sainct Landry.
Ung cueur est bien souvent meurdry
S'il est attainct de damoiselles:
Car d'estre si longtemps pucelles,
C'est ung mal pis que d'enfanter.
Quant tu vouldras ouyr chanter
Ung duo à quatre parties,
Voy comment les voix sont loties
Pour l'ung et l'autre supporter.
Il est deffendu de porter
Livres de la saincte escripture:
Cela fera que la friture
Sera fort chere ce Karesme.
Tu payeras tes beurre, et cresme,
Pour estre dict bon filz de vache.
Ne souffre jamais qu'on attache
Ta langue pour avoir bien dict,
Car l'inquisiteur a credit
De nous chanter de profundis.
Lyon, entendz ce que je dictz,
Tu apprendras beaucoup soubz moy:
Par bieu, tu serois en esmoy
Qu'il[s] vouldront chauffer ta nature:
Car quant à moy je n'ay froidure
Qui ait besoing d'une bourrée:
J'ay nature assez alterée
Sans me chauffer par ce poinct là:
Je ne boys que trop sans cela.
Aussi ce n'est pas de merveilles
Si je prens bonnet à oreilles:
Je crains trop le froit aux tallons.
L'on faict filer à recullons
La verité par les cordiers,
En faisant pour les Cordeliers
Leur saincture de penitance.
Elle faict avoir abstinence
De faire la beste à deux dos.
Or ung beau gros membre sans os
Faict pecher femmes par envye.
Perpignan eust peur de sa vye
De veoir en champs dames marcher.
C'est ung plaisir que chevaucher
A ung qui a belle monture.
N'est ce pas belle nourriture
Que d'advocatz, et procureurs?
Les sergens sont hardiz preneurs,
Sans desrober sur le commun.
Battre femme, et panier: tout ung,
L'on n'en rapporte que le manche.
Si l'on regarde la grand manche,
S'el[le] est de veloux, ou satin,
Tu voirras bien quelque matin
Ouvrir la bouche pour bailler.
Il nous fault beaucoup travailler,
Quand il jure, le gentilhomme.
Les meusniers ne vont plus à Romme
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Querre pardons à pochettées:
Parolles sont bien acheptées,
Qui les dict sans y prendre garde.
J'ay obtins une saulvegarde.
De ne porter escu de poidz.
Car pour jouer de ses haulxboys,
Il fault parler à noz prelatz.
Il n'est plaisir que de soulas,
Ne courroux que d'homme colere.
Aux biens y a tousjours querelle.
Les uns ont tout, les autres, rien:
Mais si tu veulx avoir du bien,
L'on veoid assez de benefices.
En cloistre n'y a si novice
Qui ne voulsist estre prieur.
C'est pour cela que le crieur
Veult tousjours boire du bon vin.
Et s'il perd la fleur du raisin,
Il perd la teste, [et] sens, et loy.
Que dict on du nouvel alloy,
Ceste belle monnoye du Perche?
Celuy qui noise par tout cerche
A tout le nez esgratigné.
L'on ne prend plus du resigné
Sinon à beau jeu, bel argent.
Romme ne vient plus à l'argent
Pour emporter tous noz pechez.
Ilz estoient par trop empeschez
De convertir le plomb en or.
Religion, c'est ung tresor,
mais il y fault souvent jeusner.
Le cas est estrange à mener
Pour ces freres qui sont si palles.
Les livres qui viennent de Basle
Ne sont pas au droict poinct marchez:
Tant que noz peres sont faschez
Qu'on ne faict leur commendement.
D'aller deux à deux sainctement,
C'est l'ordonnance sainct Françoys.
mais decymes vont troys à troys:
C'est marcher royallement.
L'agneau vict bien povrement
Et est tous les jours à notre huys.
Les emprunctz serviront au pis
Pour la mykaresme à cheval.
Quant les gens sont par mont, et val,
Ung champ est planté seurement.
C'est ung tres bon amendement
Par maladie estre refaict:
Car ung homme qui n'a rien faict,
N'a que faire d'estre en prison.
Il vit long temps, ce vieil Grison,
La moictié plus, qu'on ne pensoit:
Mais il se taist, quoy qu'il en soit.
Ce grand aigle qui faict le sour:
Je ne sçay s'il fera son tour
Contre gens engrossez de froid;
Car celuy qui dict, faict, et croit,
C'est pour aller en paradis.
Il n'est crotte que de Paris,
Ne verolle que de Rouen.
Aussi vient de tel cordouen
Le pourpoinct fermant à boutons.
Là n'y a de si fors bastons,
Que poinctes n'en soient rebouchées.
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Mes fenestres sont bien bouchées
Pour me garder du froit qui vient.
Si de nouveau cas te survient,
Il te plaira me le mander.
A toy me veulx recommander
Pour tousjours estre en ta memoire.
Adieu te diz, je m'en voys boyre.

XXX
Coq a L'Asne / 1542 / Marot
Amy, pour ung peu t'esjoyr
Et l'ennuy de ce temps fouyr,
Je prens la plume pour t'escripre:
Car il n'est tousjours bon de dire
La verité de ce qu'on sçayt
Ung homme, qui de bien hault chet,
A bien grand peine mort eschappe.
Las, que nous avons un sainct pappe!
Il est bon comme le bon jour.
Fera il tousjours son sejour
Dedans Romme avec ses delices?
Et pour entretenir ses vices,
Fault il qu'on souffre tant de maulx?
Il assemble des cardinaulx
Pour semer quelque zizannie:
Que soit pour toy, je te le nye,
Car il ne vault pas ung oignon.
C'est ung tres beau lieu qu'Avignon
Pour faire ung siege apostolique:
Là, on trouveroit la pratique
D'arrester les deniers de France.
L'empereur est en grant souffrance
Pour la perte de son armée.
Si dieu eust voullu ceste année,
Il eust eu sur les Turcs victoire:
C'est une chose qu'il fault croire,
Car nous sommes subjectz aux roys.
N'estudies plus tant de loix:
Contente toy de l'ordonnance.
Veulx tu que bien tost l'on t'advance?
Oublye d'estre homme de bien.
En court on ne faict rien pour rien.
Et pour faire vaquer offices,
Il fault jecter entre les cuysses
D'une mulle mal asseurée,
Ou d'un mullet, une fuzée:
Et voylà mon conseiller mort.
Il me semble qu'on faict grant tort
A ce Gentil, qu'on ne le pend.
Je croy qu'un seul point le deffend:
C'est qu'il veult enrichir le roy.
Ce bon seigneur de Villeroy
Est magnifique, et liberal.
On dit que monsieur l'Amiral
Saulte fort bien de bas en hault.
Tousjours fault fouyr ung assault,
Car c'est ung dangereulx affaire.
Messieurs apprennent à portraire,
Ils sçavent desjà bien noircir.
On veoit trop souvent amortir
Par fard le tain des damoiselles.
Aussi l'on veoit peu de pucelles
Qui puissent longuement vivre en court.
Comme l'on trouve proces court
Aux grans jours, pour avoir l'amende.
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Pensez vous que c'est peine grande
De servir sans mettre en danger?
J'estoys tousjours prest de changer,
Quand on me l'apprinst à l'escolle.
Le chancelier a la verolle:
A Paris sont force coquuz.
D'où vient que n'y a plus d'escuz
A la bourse du populaire?
Ung Controlleur, ou commissaire,
Faisan[t] quelque gros paiement,
Demeure bien riche aysement.
J'entendz: avec les cappitaines,
Marot a de plus doulces veynes
Que Maison Neuve, ou Sainct Gelays.
C'est plaisir d'aller au palais
Avec ces masques triumphans.
De folz, d'yvrongnes, et d'enfans
Gardez vous, le proverbe est tel.
Que ne viens tu, Charles Martel,
Pour deffendre ces advocatz.
Vous me faschez, à bas, à bas,
Ce dit Madame la Regente.
C'est une chose fort plaisante,
Que d'enrichir par ces asnesses.
A Noel, on oyt trop de messes,
On fait de terribles discours.
Les femmes changeront leurs tours
Quand elles ne seront vollaiges.
Lors que gouverneront les saiges,
En tel temps il fera bon vivre.
Je ne leuz jamais en nul livre
Qu'une femme deust gouverner.
C'est ung grant mal de tant donner
A ceulx qui ne l'ont merité:
De là vient la necessité
Pour emprunctz faire acroistre taille.
Par ma foy, ceste gendarmaille
Ne vault rien qu'à piller les champs.
Il sera beaucoup de meschans
Puisque justice est meprisée.
Tousjours une putain ruzée
A sa main a plusieurs amys:
Car si quelqu'un est dehors mis,
Ung autre se mect en son lieu.
Tout le monde croit bien en dieu,
On le jure souventesfois.
L'invention de saincte croix,
C'est une feste fort requise.
Celuy qui la sert, je t'advise
Qu'il est partout le bien venu.
Qu'est il de nouveau survenu?
Le roy nagueres un beau cerf prist:
Tousjours quelque mauvais esprit
En l'aureille du prince souffle:
A tous les diables le marouffle
Qui faict tant de nouveaulx edictz.
Il est bien chaste en faictz et dictz
Le Cardinal dont je me tays.
Mais quoy? Qu'esse? Sera il paix?
On s'appreste fort pour la guerre.
C'est follye engager sa terre
Pour en aquerir des nouvelles.
N'est ce pas estre sans cervelle
Prendre l'incertain pour le seur?
Je le veys mol, je le veys dur,
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Puys je le veys royde estendu:
Mais au gibet n'est pas pendu.
C'est ung beau jeu sans vilanye.
Or Fortune, quoy qu'on en dye,
C'est une beste redoubtable.
On ne parle du Connestable
Non plus, que s'il fust trespassé.
Il a de l'or bien amassé
Monsieur le sot que l'on croit saige.
C'est ung merveilleux advantaige
Quand ung asne oultraige ung sçavant.
On veoyt avenir bien souvent
Que faveur triumphe de droit
Par le conseil qu'on nomme estroit:
C'est pour le present le plus large.
Pleust à dieu que j'eusse la charge
De refformer ceste discorde.
Sçavez vous que je vouldroys mordre?
Dessus Guillaume Langevyn:
Il nous a donné de son vin,
Qui semble bon, et ne vault rien.
Ne serait ce pas ung grand bien
Qu'on ne rongnast plus la monnoye,
Car c'est la plus facille voye,
Pour d'ung grand forfaict s'excuser,
Qu'ung sien compaignon accuser,
Qui a son secret revellé.
Il est bruict qu'on a rappellé
Le conte Guillaume Allement
Qui a par Bayaud, son serment,
Dit que plus ne desrobera:
Or nous verrons qu'il en sera,
Car prendre argent ce n'est pas mal,
Ce dit Monsieur de Longueval.
Si quelque cas nouveau survient,
Tu le sçauras, s'il m'en souvient.

XXXI
Au Roy. Pour la Bazoche
Pour implorer vostre digne puissance,
Devers vous, Syre, en toute obeyssance
Bazochiens à ce coup sont venuz
Vous supplier d'ouyr par les menuz
Les poinctz, et traictz de nostre Comedie.
Et s'il y a rien qui picque ou mesdie,
A vostre gré l'aigreur adoulcirons.
Mais à quel juge est ce, que nous irons
Si n'est à vous? qui de toute science
Avez certaine et vraye experience,
Et qui tout seul d'authorité povez
Nous dire: Enfans, Je veulx que vous jouez.
O Syre, donc, plaise vous nous permettre
Sur le theâtre, à ce coup, nous mettre,
En conservant noz libertez et droitcts,
Comme jadis feirent les autres Roys.
Si vous tiendra pour pere la Bazoche,
Qui ose bien vous dire sans reproche,
Que de tant plus son regne fleurira,
Vostre Paris tant plus resplendira.

XXXII
Epistre de Madame la Daulphine escripvant à Madame Marguerite
Vous vous pourrez esmerveiller, Madame,
Dont si soubdain, sans aveoir apris d'âme,
Je me suis mise à composer en vers,
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Veu que dormy n'ay soubz les umbres vers
De Pernasus, ny beu en la fontaine
Où puiser fault science si haultaine.
Peut estre aulcuns n'en seront esbahys,
Et vous diront que je suis du pays
Où, de tout temps, les neuf Muses habitent.
Elles, pour vray, à rimer ne m'invitent:
Le grand desir d'envelopper et mectre
Mes durs regretz en moins fascheuse lectre,
Et que je sçay que de nature aymez
Le son plaisant des vers qui sont rimez,
C'est ce qui m'a, et si ne sçay comment,
Fait devenir poëte en ung moment.
C'est que l'amour, qu'ay à vous indicible,
M'a faict trouver bien aysé l'impossible.
Hellas, tous ceulx qui à rimer se peinent,
Les arguments de plaisir entreprenent:
Mais pour monstrer ce que faire je sçay,
Me fault escripre en ce mien coup d'essay
L'ennuy que j'ay d'estre loing demourée
De vous, ma Dame treshonnourée,
Sans qui esbatz ne me semblent qu'ennuys,
Et que les jours ne me semblent que nuytz.
Aucunesfois, avecques habit noyr,
Je me pourmaine en ce noble manoir,
Lequel plus grant qu'il ne souloit me semble,
N'y voyant plus la compaignie ensemble.
Aucunesfois, au jardin m'en allant,
Tout à part moy, à luy je voys parlant,
Car vous diriez, tant il croit qu'il m'agrée,
Qu'il est marry qu'en luy ne me recrée.
Jardin royal, ce dy je, ta verdure,
Tes fruitz, tes fleurs, tout ce qu'art et nature
T'a peu donner, n'a ores la puissance
De me donner ung brin d'esjoyssance:
Si tu veulx donc qu'autre chere je fasse,
Rendz moy la fleur qui les tiennes efface,
Rendz moy la noble, et franche Marguerite,
Rendz moy aussi de noblesse l'eslite,
Mon cher espoux, qu'elle et moy soulions voir
Sur grans chevaulx, et faire son devoir
A les picquer sur tes allées grandes:
Lors me verras, ainsi que me demandes.
En ce temps là, pour plaisir les picquoit,
Et sans dangier aux armes s'aplicquoit.
Mais maintenant, pour le bien de la France,
Et pour honneur, prent armes à oultrance.
Que Dieu luy doint, apres tout debatu,
Fortune esgalle à sa grande vertu.
Sur ce, m'en vois à ma chambre ou ma salle,
Lieux desolés: on n'y chante ny balle.
Là, devisant, à mes gens je m'adresse,
Aussi faschez (quasi) que leur maistresse.
Tandis parfois devers nous se transporte
Poste ou lacquais, qui nouvelles apporte:
Mes lectres prens avec extresme joye,
Mais tout à coup j'ay si grand peur que j'oye
En les lisant quelque mal advenu,
Qu'entre ayse et poyne est mon cueur detenu.
Quant j'ay tout leu, et que rien je n'y treuve
De mal venu, advis m'est que j'espreuve
L'aize de ceulx qui ont faict leur voyage
Dessus la mer sans avoir eu orage.
O plus heureux que Mercure, celluy
Qui, des matin, ou plus tost, aujourd'huy
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Me viendroit dire, en riant de vray zelle:
"Ma Dame vient", ou "allez devers elle"!
Et plus heureux, celluy qui viendroit dire:
"Henry vaincqueur en France se retire".
Soubz cest espoir, en grans devotions,
Journellement faisons provisions.
Processions, regretz, deul, et soucy
Sont les esbatz que nous prenons icy,
En attendant la fortune prospere
Des filz aymés; et de l'honnouré pere.

Chants divers

I
Avant naissance, du troiziesme enfant de Madame, Madame La Duchesse de Ferrare
Petit enffant, quelque sois, fille ou filz,
Parfais le temps de tes neuf mois prefix
Heureusement: puys sors du Royal ventre,
Et de ce monde en la grand lumiere entre.
Entre sans cry, viens sans peur en lumiere.
Viens sans donner destresse coustumiere
A la Mere humble, en qui Dieu t'a fait naistre.
Puys d'ung doulx ris commance à la congnoistre.
Apres que fait luy aura congnoissance,
Prens peu à peu nourriture et croissance:
Tant qu'à demy tu commances à parler,
Et tout seullet, en tripignant aller
Sur les carreaux de ta maison prospere,
Au passe-temps de ta Mere et ton Pere:
Qui de t'y veoir ung de ces jours pretendent
Avec ton Frere, et ta Soeur qui t'atendent.
Viens hardiment, car quant grandet seras,
Et qu'à entendre ung peu commanceras,
Tu trouveras ung siecle pour aprendre
En peu de temps ce qu'enffant peut comprendre.
Viens hardiment, car ayant plus grand aage,
Tu trouveras encores d'avantage.
Tu trouveras la guerre commancée
Contre ignorance et sa trouppe insensée,
Et au rebours, Vertu mise en avant,
Qui te rendra personnage sçavant
Et tous beaulx artz, tant soyent ilz difficiles,
Tant par moyens que par lettres faciles.
Puys je suys seur, et on le congnoistra,
Qu'à ta naissance avecques toy naistra
Esprit docile, et cueur sans tache amere,
Si tu tiens rien du costé de la Mere.
Viens hardiment, et ne crains que Saturne,
En biens mondains te puisse estre importune:
Car tu naistras, non ainsi paovre et mince
Comme moy (las), mais Enffant d'ung grand Prince.
Viens sain et sauf, tu peulx estre asseuré
Qu'à ta naissance il n'y aura pleuré,
A la façon des Thraces lamentans
Leurs nouveaux nez, et en grant dueil chantans
L'ennuy, le mal, et la peine asservie
Qu'il leur failloit souffrir en ceste vie.
Mais tu auras (que Dieu ce bien te face)
Le vray moyen qui tout ennuy efface,
Et fait qu'au monde angoisse on ne craint point,
Ne la mort mesme, alors qu'elle nous poingt
Ce vray moien plain de joye feconde,
C'est ferme espoir de la vie seconde,
Par JESU CHRIST, vainqueur et triumphant
De ceste mort. Viens donc, petit Enffant:
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Viens escouter verité revellée,
Qui tant de jours nous a esté cellée.
Viens escouter, pour âmes resjoir,
Ce que caphardz veullent garder d'oyr.
Viens veoir, viens veoir la beste sans raison,
Grand ennemy de ta noble maison.
Viens tost la veoir à tout sa triple creste,
Non cheute encor, mais de tomber bien preste.
Viens veoir de Crist le regne commancé,
Et son honneur par tourmens avancé
O siecle d'or le plus fin que l'on treuve,
Dont la bonté dedans le feu s'espreuve.
O bien heureulx tous ceulx qui le congnoissent,
Et encor plus ceulx qui aujourd'huy naissent.
Je te dirois encor cent mille choses
Qui sont en terre, autour du ciel encloses,
Belles à l'oeil, et doulces à penser:
Mais j'aurois peur de ta Mere offenser:
Et que de veoir, et d'y penser tu prinsses
Si grant desir, qu'avant le terme tu vinsses.
Parquoy (enffant) quelque sois, fille ou filz,
Parfais le temps de tes neuf mois prefix
Heureusement: puis sors du Royal ventre,
Et de ce monde en la grant lumiere entre.

II
Complaincte à la Royne de Navarre du maltraictement de Madame de Ferrare par le Duc, son Mary
Plaigne les mortz qui plaindre les vouldra:
Tant que vivray, mon cueur se resouldra
A plaindre ceulx que douleur assauldra
En ceste vye.
O fleur que j'ay la premiere servie,
Tu metz chascun hors de peine asservie:
Et toy, tu as peine non desservie,
Bien je le sçay.
De mille ennuys tu en as faict l'essay:
Mais puis le temps que banny te laissay
Sans te laisser, à servir m'adressay
Une princesse
Qui plus que toy d'avoir ennuy ne cesse.
O Dieu du ciel, n'auray je une maistresse
Avant mourir, qui son cueur de destresse
Puisse exempter?
N'est pas ma Muse aussy propre à chanter
Ung doulx repos qui les peult contenter,
Qu'ung dur travail qui les vient tormenter
Ou une oultrance?
Ha Marguerite, escoute la souffrance
Du noble cueur de Renée de France:
Puis, comme seur, plus fort que d'esperance
Consolle la.
Tu sçais comment hors son pays alla,
Et que parens et amys laissa là:
Mais tu ne sçais quel traictement elle a
En terre estrange.
De cent couleurs en une heure elle change.
A ses repas poires d'angoisse mange.
Et en son vin de larmes fait melange,
Tout par ennuy:
Ennuy receu du costé de celluy
Qui estre deust sa joye et son appuy:
Ennuy plus grief que s'il venoit d'aultruy,
Et plus à craindre.
Las, et ne veoyt ceulx à qui se veult plaindre.
Son oeil royal si loing ne peult actaindre.
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Et puis les montz, pour ce bien luy estaindre,
Sont entredeux.
Peu d'amys a quiconques est loing d'eulx.
Le Roy ton frere, et toy et tes nepveux
Estes les sainctz où elle faict ses veux
A chascune heure.
De France n'a nul grant qui la sequeure:
Et des petiz qui sont en sa demeure
Son mary veult, sans qu'un seul demeure,
Les rebouter.
Car rien qu'elle ayme il ne sçauroit gouster:
C'est la geline à qui on veult oster
Tous ses poussins, et scorpions bouter
Dessoubz son esle.
C'est la perdris qu'on veult en la tonnelle
Faire tomber. Mais que ne pense en elle
Le Roy, de qui la bonté fraternelle
Tant invoquons?
Vouldroit il bien à bailleurs de boucons
Bailler luy mesme en garde ses flascons?
Frans et loyaulx autour d'elle vacquons:
C'est son decore.
Mais ce fascheux ingrat, et pire encore,
Vouldroit reduyre en petite seignore
La fleur de lis que tout le monde honore
D'affection.
Helas, s'il fait tant de profession
D'honneur, de loz, de reputtation,
Pourquoy le train de nostre nation
Veult il deffaire?
Faulte d'amour l'esguillonne à ce faire,
Que luy engendre ung desir de desplaire
A celle là qui prent pour luy complaire
Merveilleux soing.
Paris, tenant par force Helaine au loing,
Feit qu'elle n'eut de reconfort besoing:
Son traictement estoit ung vray tesmoing
D'amitié clere.
Helas, fault il que bonté se declaire
Plustost au cueur d'un forceur adultere
Qu'en ung mary? Sçais tu pourquoy austere
Luy est ainsy?
Il vouldroit bien à la dame sans si
Oster la force et le vouloir aussy
De secourir Françoys passans icy:
C'est leur refuge.
Bien je le sçay: à la bonne heure y fu je.
Il vouldroit bien, si mon sens est bon juge,
Par quelque grant et dangereux deluge
Plus luy ravir.
Il vouldroit bien jusques là l'asservir,
Que d'un seul poinct ne peust au roy servir,
Et luy a faict, pour de cela chevir,
Mille vacarmes.
O Roy Françoys, elle porte tes armes,
Voyre, et à toy s'adressent telz alarmes,
Dont le plus doulx ne pourroit pas sans larmes
Estre desduict.
Et ne peult l'aultre à raison estre induit.
Par cil honneur où France l'a conduit,
Ne par enfans que tant beaulx luy produit
Par maincte année.
Ne la bonté de la noble Renée
Ne la doulceur qui avec elle est née,
Ne les vertus qui l'ont environnée
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N'y ont povoir.
J'auroys plustost entrepris d'esmouvoir,
Comme Orpheus, en l'infernal manoir
Caron le dur, voire Pluton le noir
Et chien Cerbere.
O donques Roy, son cousin, frere, et pere,
Arreste court l'entreprise impropere:
Et toy Princesse, en qui tant elle espere,
Mectz y la main.
Ung parentaige aultre que le germain
Y doit mouvoir ton cueur doulx et humain:
Si n'y pensez, mourra quelque demain,
Seche et ternie.
Et en mon cueur, si secours on luy nye,
Veu la façon comment on la manye,
Diray qu'elle est de la France banye
Autant que moy,
Qui suis icy en angoisseux esmoy,
En actendant secours promis de toy
Par tes beaulx vers, cela je ramentoy
Avecques gloire.
Et bien souvent, à part moy, ne puis croire
Que ta main noble ayt eu de moy memoire
Jusqu'à daigner me estre consolatoire
Par ses escriptz,
Qui pour jamais en mon cueur sont inscriptz.
Plus ne sont leuz: leur doulceur de hault pris
Et zelle ardant me les eurent apris
En peu d'espace.
Et aussytost que desespoir menace
Mes yeulx de plus ne veoir ta clere face,
Lors force m'est que de ta lettre face
Mon escusson.
Si la prononce en forme de chanson,
Plustost en ung, plustost en autre son,
Puis hault, puis bas, et en ceste façon
Je me consolle,
Si que mon cueur de grant liesse volle,
Rememorant ta royalle parolle,
Qui me promect de m'effacer du roolle
Des dechassez.
Or sont delà les plus grans feuz passez.
Rien n'ay mesfaict. Au Roy doulceur abonde.
Tu es sa seur. Ces choses sont assez
Pour rappeler le plus bany du monde.

III
Les Cantiques de la paix.
Cantique de la Chrestienté sur la veuë de l'Empereur, et du Roy au voyage de Nice
Approche toy Charles (tant loing tu soys)
Du magnanime, et puissant Roy Françoys:
Approche toy Françoys (tant loing soys tu)
De Charles plein de prudence, et vertu:
Non pour touts deux en bataille vous joindre,
Ne par fureur de voz lances vous poindre,
Mais pour tirer la Paix tant desirée,
Du ciel tres hault, là où s'est retirée.
Si Mars cruel vous en feistes descendre,
Ne pouvez vous le faire condescendre
A s'en aller, pour çà bas donner lieu
A Paix la belle, humble fille de Dieu?
Certainement si vous deux ne le faictes,
Du monde sont vaines les entrefaictes.
Recevez la, Princes chevaleureux,
Pour faire nous (voyre vous) bien heureux:
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Ce vous sera trop plus d'honneur, et gloyre,
Qu'avoir chascun quelcque grosse vyctoire.
Recevez la, car si vous la fuyez,
Elle dira que serez ennuyez
De voz repos, et que portez envie
A la doulceur de votre heureuse vie.
Si pitié doncq (ô Princes triumphants)
Vous ne prenez des peuples vos enfants,
(Dont reciter l'estat calamiteux
Seroit ung cas trop long, et trop piteux)
Si d'eulx n'avez commiseration,
A tout le moins ayez compassion
Du noble sang et de France, et d'Espaigne,
Dedans lequel ce cruel Mars se baigne.
Mars cy devant souloit taindre ses dards
Dedans le sang de voz simples souldards:
Mais maintenant (ô Dieu quel dur esclandre)
Plaisir ne prend fors à celluy espandre
Des nobles chefz, meritants diadesmes:
Et si respand souvent le vostre mesmes
Faisant servir les haults Princes de butte
Au vil souldard tirant de Hacquebutte:
Si que de Mars ne sont plus les Trophées
Fors enrichis d'armes bien estoffées:
Plus ilz ne sont garnis, et decorés,
Que de harnoys bien pollys, et dorés,
Qui disent bien: la despouille nous sommes
De grands Seigneurs, et de vertueux hommes.
O quantz, et quelz de voz plus favorys
Sont (puis dix ans) en la guerre perys!
O quantz encor en voyrrez desvyer,
Si à ce coup Paix n'y vient obvier!
Que pensez vous? cherchez vous les moyens
De voz malheurs, nobles Princes Troyens?
Jà pour tenir ou voz droictz, ou voz tortz,
Sont ruez jus voz plus vaillants Hectors.
Gardez qu'en fin je, qui suis vostre Troye,
Du puissant Grec ne devienne la proye.
Estimez vous, que ce grand Eternel
Ne voye bien du manoir supernel
Les grands desbats d'une, et d'aultre partie?
Ne sçavez vous, qu'ung bon pere chastie
Plus tost les siens, que les desdvouez?
Si maintenant faictes ce, que povez,
Paix descendra, portant en main l'Olive,
Laurier en teste, en face couleur vifve,
Tousjours riant, clere comme le jour,
Pour venir faire en mes terres sejour.
Et Mars souillé tout de sang, et de pouldre,
Deslogera plus soubdain, que la fouldre:
Car il n'est cueur (tant soit gros) qui ne tremble,
Si voz vouloirs on sent unys ensemble.
Vienne sur champs Mars avec son armée
Vous presenter la bataille termée,
Il la perdra. Ainsi doncques unys,
Et de pitié Paternelle munys,
Vous eslirez quelque bien heuré lieu,
Là où viendra de vous deux au milieu
Pallas sans plus. Pallas (à sa venue)
Vous couvrira d'une celeste nue,
Pour empescher, que les malings trompeurs
D'heureuse Paix trop malheureux rompeurs
Ne puissent veoir les moyens, que tiendrez
Alors qu'au poinct tant desiré viendrez:
Si qu'ilz seront tout à coup esbahys,
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Que sur le soir l'ung, et l'aultre pays
Reluyra tout de beaulx feuz de liesse,
Pour le retour de Paix noble Deesse:
Et que rendray (sans que Mars m'en retarde)
Grâces au Ciel: ô mon Dieu, qu'il me tarde!
Approche toy Charles (tant loing tu soys)
Du magnanime, et puissant Roy Françoys:
Approche toy Françoys (tant loing soys tu)
De Charles plein de prudence, et vertu.

IV
A la Royne d'Hongrie venue en France, Salut
Quand toute France aura faict son debvoir
De ta haultesse en joye recevoir
(Chaste Diane ennemye d'oyseuse,
Et d'honnorable exercice amoureuse)
Je (de ma part) le plus petit de touts
M'enhardiray humble salut, et doulx
Te presenter, non en voix, et parolle,
Qui parmy l'air avec le vent s'envolle:
Mais par escript, qui contre le temps dure,
Autant, ou plus, que fer, ou pierre dure:
Je dy escript faict des Muses sacrées,
Qui sçavent bien, qu'à lire te recrées.
Escript (pour vray) que s'il n'est immortel,
Le tien Marot le desire estre tel,
Pour saluer par Epistre immortelle
Celle, de qui la renommée est telle.
O combien fut le peuple resjouy
D'Espaigne, et France, apres avoir ouy
Qu'icy venoys! Cela nous est ung signe
(Ce disoyent ilz) que l'amour s'enracine
Es cueurs Royaulx: cela est ung presaige,
Que Dieu nous veult monstrer son doulx visaige:
Et que la paix dedans Nice traictée,
Est une paix pour jamais arrestée.
L'arc, qui est painct de cent couleurs aux cieulx,
Quand on le voyt, ne demonstre pas mieulx
Signe de pluye en temps sec attendue,
Ne la verdure au printemps espendue
Parmy les champs, si bien ne monstre point
Que les beaulx fruictz viendront tost, et appoint,
Comme ta veue en France signifie,
Que pour jamais la paix se fortifie.
Arriere donc, Royne Panthasilée,
Maintenant est ta gloyre anichilée:
Car devant Troye allas pour guerroyer,
Marie vient pour guerre fouldroyer.
Ainsi disoit France, et Espaigne aussi,
Des que l'on sceut, que de venir icy
Te proposas: et creut leur joye, apres
Que pour partir ilz veirent tes apprestz.
Puis quant tu fuz esbranlée, et partie,
Leur plaisir creut d'une grande partie,
Et te voyant toute venue en çà,
A redoubler leur joye commença.
Laquelle joye en eulx n'ay apperceue
Tant seullement, mais sentie, et conceue
Dedans mon cueur, tesmoing l'escript present
Plein de lyesse, et de tristesse exempt.
T'advertissant, que quand paix ne seroit,
Jà pour cela France ne laisseroit
A desirer ta venue honnorée,
Pour les vertus, dont tu es decorée:
Combien (pourtant) que peuples, et provinces
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Sont de nature enclins à aymer Princes,
Qui comme toy sont amys de concorde,
Et ennemys de guerre, et de discorde,
Ce qui plus tost entre aux cueurs feminins
(D'aultant qu'ilz sont doulx, piteux, et begnins)
Que ceulx des Roys, qui pour honneur acquerre
Sont inclinés à prouesse, et à guerre.
Doncques Saba, Royne prudente, et meure,
Qui a laissé ton peuple, et ta demeure,
Pour venir veoir en riche, et noble arroy,
Le Salomon de France, nostre Roy,
Je te supply par la grande lyesse
Du bien de paix, si j'ay prins hardiesse,
De bienveigner une Dame si haulte,
Ne l'estimer presumption, ne faulte,
En imitant le grand Prince des Anges,
Lequel reçoit aussi tost les louanges
Du plus petit, que du plus hault monté,
Quand le cueur est plein d'ardante bonté.

V
Cantique sur l'entrée de l'Empereur à Paris
Or est Cesar, qui tant d'honneur acquit,
Encor ung coup en ce beau monde né:
Or est Cesar, qui les Gaules conquit,
Encor ung coup en Gaule retourné,
De legions non point environné
Pour guerroyer: mais plein d'amour nayfve:
Non point au vent l'Aigle noir couronné,
Non point en main le glaive, mais l'olive.
Françoys, et luy viennent droict de la rive
De Loyre, à Seine, affin de Paris veoir:
Et avec eulx guerre meinent captive,
Qui à discord les souloit esmouvoir.
L'ung (pour au faict de ses pays pourveoir)
Passe par icy, sans peur ne deffiance:
L'aultre de cueur trop hault pour decevoir,
Luy donne Loy de commander en France:
Si que l'on est en dispute, et doubtance,
Qui a le plus de hault loz merité,
Ou de Cesar la grande confiance,
Ou de Françoys la grand' fidelité.
O Roys unys, plus que d'affinité,
Bien heureuse est la gent, qui n'est point morte,
Sans veoir premier vostre ferme unité,
Qui le repos de tant de monde porte.
Vien doncq' Cesar, et une paix apporte
Perpetuelle entre nous, et les tiens.
Haulse (Paris) haulse bien hault ta porte:
Car entrer veult le plus grand des Chrestiens.

VI
Marot à l'Empereur
Si la faveur du Ciel, à ton passaige
En France faict de grands biens ung presaige,
Aussi promet croistre l'heur, qui te suyt,
Cesar Auguste, à l'effect qui s'ensuyt.
Ta [confiance] en la fidélité
Du Roy (ton frere) et son humanité
T'ont faict en France acquerir en ung moys,
Dedans troys jours sans souldards, et harnoys,
Plus que Cesar des Gaules acquereur,
Et le premier des Romains Empereur,
N'avoit conquis en huict ou neuf années,
Accompaigné de Legions armées:
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Car des Françoys assubjectys par force
En leur pays ne conquist, que l'escorce.
Mais tu as heu par ung don liberal
De leurs francz cueurs ung acquest general.
Et pour garder ce que tu as acquis,
Aulcune force y tenir n'est requis,
Mais seullement une paix bien fermée
Par alliance, en amour confermée:
Dont adviendra ferme tranquillité,
Et soubz la foy catholique unité.
Paix, qui tiendra les Provinces ouvertes,
Et peuplera les regions desertes,
Des Roys unys la force assemblera,
Dont le surplus du monde tremblera.
Paix, qui fera la vifve Salamandre,
Apres son faict mortel estainct en cendre,
Nourrir au feu, d'une vie immortelle:
A l'Aigle aussi, quand le vol de son aesle
Plus ne pourra sur la terre s'estendre
Pour voller plus oultre, si fera fendre
Touts les neuf cieulx jusqu'au lieu Angelicque,
Promys à ceulx, qui ayment paix publicque.

VII
France à l'Empereur. A son arrivée. Par M. Hugues Salel, mal attribuée par cy devant à Marot
Si ce bas munde, et toute sa rondeur
Est embelly par la claire splendeur
Du seul renom qui court en ta personne,
Que doy je faire? ayant receu tant d'heur,
De veoir à l'oeil la haultesse et grandeur
De ta sacrée et Auguste couronne?
Sera ce assez que j'en dresse, et ordonne
Arc triumphant, Pyramide, et Colonne,
Pour vray record à la posterité?
Suffira il, Cesar, que je m'adonne
A te louer, tant que tout lieu resonne
Ta grand' vertu, et ma prosperité?
Non: car je voy ta magnanimité
De si peu joincte à la divinité,
Que si je veulx parfaire chose telle,
Je fay grand tort à l'immortalité,
Qui en louant ceste benignité
Se pense rendre encor plus immortelle.

VIII
L'Adieu de France à l'Empereur
Adieu Cesar, Prince bien fortuné,
De vray honneur par vertu couronné:
Adieu le chef de la noble toison,
Au departir de la propre maison,
Dont le bon duc ton grand ayeul fut né.
Quand je t'auray cent foys adieu donné,
Et à grand dueil des yeulx abandonné,
Le cueur fera pour toy son oraison
A Dieu.
Le suppliant, qu'ung jour jà ordonné
Te voye icy, des tiens environné:
J'entends des tiens, qui sont miens par raison.
Or j'attendray ceste heureuse saison
En grand desir que tu soys retourné.
Adieu Cesar.

IX
Le Cantique de la Royne, sur la maladie, et convalescence du Roy
S'esbahit on, si je suis esplorée?
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S'esbahit on, si suis descolorée,
Voyant celluy, qui m'a tant honnorée,
Estre à la mort?
O seigneur Dieu, tire son pied du bort
D'obscure tumbe: ou bien (pour mon support)
Avecques luy fais moy passer le port
Du mortel fleuve.
Donne à touts deux en ung jour tumbe neufve,
A celle fin qu'en deux mortz ne s'esmeuve
Qu'ung dueil funebre, et que France n'espreuve
Dueil apres dueil.
Ne soit (helas) ce mien larmoyant oeil
Si malheureux, que de veoir au cercueil
Jecter celluy qui en si doulx accueil
M'a couronnée,
Qui m'a sur chef la couronne donnée,
La plus d'honneur, et gloyre environnée,
Dont aujourd'huy l'Europe soit aornée.
O tout puissant,
Si pitié n'as de mon cueur languissant,
Si pitié n'as du bon Roy perissant,
Aye pitié du peuple gémissant
Par ta clemence.
Laisse meurir la Royalle semence,
Sans que voyons l'extreme decadence
Du pere, estant au sommet de prudence
Pour dominer.
As tu basty pour apres ruyner?
As tu voulu planter, et jardiner,
Pour ton labeur parfaict exterminer?
O quelle perte!
Si elle advient, soit la terre couverte
D'air tenebreux, plus ne soit l'herbe verte:
Soit toute bouche ou muette, ou ouverte
Pour faire crys.
Soyent de regretz touts volumes escriptz,
Tragicques soyent touts escripvants espritz:
Et rien ne soit celle qui a le pris
D'estre nommée
Femme d'ung Roy de si grand' renommée:
Rien plus ne soit, que pouldre consummée,
Pouldre avec luy (toutesfoys) inhumée:
Ce bien j'auray.
Ainsi tousjours sa compaigne seray,
A son costé sans fin reposeray,
Et de langueur n'experimenteray
La longue peine.
Mais pourquoy suis je ainsi de douleur pleine?
Est esperance en moy ou morte, ou vaine?
Le tout puissant par son bonté humaine
Le guerira.
Mon cueur bien tost de lyesse emplira,
Car mon Seigneur encor ne perira,
Ains par longs jours son peuple regira:
C'est ma fiance.
Croistra ses faictz, pays, et alliance:
Puis ayant tout fondé sur asseurance,
Ira plein d'ans prendre demeurance
Là hault es cieulx.
Qu'est ce mes gens? pourquoy torchez voz yeulx?
Quel nouveau pleur, quel maintien soucieux
Faict on encor? vien mon Dieu gracieux,
Haste toy, Sire.
J'entends que mort mon amy veult occire,
Sa force fond ainsi qu'au feu la cyre,
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Dont tout bon cueur barbe et cheveulx descire,
Faisant regretz.
Semblent Troyens de nuict surprins des Grecz,
Semblent Rommains voyants (oultre leurs grés)
Cesar occis par traistres indiscretz.
Ha Dieu mon pere!
S'il est ainsi, qu'à ta Loy j'obtempere,
De mon Seigneur les angoisses tempere,
En me faisant ainsi qu'en toy j'espere
A ceste foys.
Or a mon Dieu d'en hault ouy ma voix,
Et mys à fin l'espoir, qu'en luy j'avoys:
Sus, suyvez moy, au Temple je m'en voys
Luy rendre graces.
Ostez ce noir, ostez moy ces prefaces
Chantants des mortz, ostez ces tristes faces:
Il n'est pas temps que ce grand dueil tu faces
Pays heureux.
Le ciel n'a pas été si rigoreux
De s'enrichir pour paovre, et langoreux
Te veoir çà bas: ton thresor valeureux
Il te redonne.
Vy doncques France encor soubz sa couronne,
Qui le chef meur, et prudent environne:
Tandis la fleur de jeunesse fleuronne,
Pour faire fruict.
Soit l'Ocean calme, sans vent, sans bruyt:
Seiché aux champs soit toute herbe qui nuyt,
Comme le jour soit luysante la nuict,
Tout dueil se taise.
Ne pleurons plus, si ce n'est de grand'aise,
Puis qu'envers nous l'ire de Dieu s'appaise,
Tant nous aymant, que de mortel' mesaise
Tirer le Roy.
Escripvez touts (Poëtes) cest effroy,
Et le hault bien, dont Dieu nous faict octroy:
Vous n'y fauldrez, et ainsi je le croy.
Ha paovres Muses,
S'il fust pery, vous estiez bien camuses!
Doncques (enfants) descripvez les confuses,
Voyant celluy, où elles sont infuses,
Esvanouyr.
Puis tost apres, faictes les resjouyr,
Quand on leur faict les nouvelles ouyr
De la santé, dont Dieu le faict jouyr,
Tant desirée,
Faictes Pallas pasle, et fort descirée,
Mars tout marry, sa personne empirée,
En appellant d'Atropos trop irée,
Comme d'abus.
Puis tout à coup chantez, comme Phebus
Luy mesmes va par les preaux herbus
Herbes cueillir, fleurs, et boutons barbus,
Fueille, et racine,
Pour faire au Roy l'heureuse medecine,
Prinse dessoubz tant benivole signe,
Que nous verrons son chef blanc, comme ung Cigne,
A l'advenir.
Cela chanté, vous fauldra souvenir,
De faire Mars tout joyeulx devenir,
Et à Pallas la couleur revenir,
Non plus marrie.
Faictes que tout pleure fort, et puis rie,
Ainsi que moy vostre Dame cherie:
Certes souvent de grande fascherie
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Grand plaisir vient.
Ainsi ferez, et mieulx, s'il en souvient:
Mais à la fin de vostre oeuvre accomplye,
Avecques moy conclurre vous convient,
Que jamais Dieu ceulx qui l'ayment n'oublye.

X
Cantique sur la maladie de s'Amie
Dieu, qui vouluz le plus hault ciel laisser,
Et ta haultesse en la terre abbaisser,
Là où santé donnas à maints, et maintes,
Vueilles ouyr de toutes mes complaintes
Une sans plus. Vueilles donner santé
A celle là, par qui suis tourmenté.
Ta saincte voix en l'Evangile crie,
Que tout vivant pour ses ennemys prie:
Guerys doncq celle (ô medecin parfaict)
Qui m'est contraire, et malade me faict.
Helas Seigneur: il semble, tant est belle,
Que plaisir prins à la composer telle.
Ne souffre pas advenir cest oultrage,
Que maladie efface ton ouvrage.
Son embonpoinct commence à se passer,
Jà ce beau traict se prent à effacer,
Et ces beaulx yeulx, clers et resplendissants,
Qui m'ont navré, deviennent languissants.
Il est bien vray que ceste grand' beauté
A desservy pour sa grand' cruaulté
Punition. Mais, Sire, à l'advenir
Elle pourra plus doulce devenir.
Pardonne luy, et fais que maladie
N'ayt point l'honneur de la faire enlaydie.
Assez à temps viendra vieillesse palle,
Qui de ce faire a charge principalle:
Et cependant si tu la maintiens saine,
Ceulx qui voyrront sa beaulté souveraine
Beneiront toy, et ta fille Nature,
D'avoir formé si belle creature:
Et de ma part feray ung beau Cantique,
Qui chantera le miracle autentique
Que faict auras, admirable à chascun,
D'en guerir deux en n'en guerissant qu'ung.
Non que pour moy je leve au Ciel la face,
Ne que pour moy priere je te face:
Car je te doy supplier pour son bien,
Et je la doy requerir pour le mien.

Les épigrammes
divisez en quatre livres
Stephanus Doletus in Clements Maroti
Epigrammata
Suaves lepôres, et Facetias suaves,
Argutias suaves Ovidij suavis,
Catulli'que, Tibulli'que, Properti'que tenelli
Non est, cur aliunde aut accersas, aut quaeras.
Illa omnia affatim suggerent Clementis
Maroti Epigrammata. Delicias vora tantas.

Le premier livre

I
A Messire Jehan de Laval, Chevalier, Seigneur de Chasteaubriant
Ce livre mien d'Epigrammes te donne,
Prince Breton, et le te presentant
Present te fays meilleur, que la personne
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De l'Ouvrier mesme, et fut il mieulx chantant:
Car mort ne va les oeuvres abbatant:
Et mortel est cestuy là, qui les dicte.
Puis tien je suis des jours a tant, et tant:
De m'y donner, ne seroit que redicte.

II
De Barbe, et de Jacquette
Quand je voy Barbe en habit bien duysant,
Qui l'estomach blanc, et poly descoeuvre,
Je la compare au Dyamant luysant,
Fort bien taillé, mis de mesmes en oeuvre.
Mais quand je voy Jacquette, qui se coeuvre
Le dur Tetin, le Corps de bonne prise
D'ung simple Gris accoustrement de Frise,
Adonc je dy pour la beauté d'icelle,
Ton habit Gris est une cendre Grise
Couvrant ung Feu, qui tousjours estincelle.
III
De Dame Jane Gaillarde Lyonnoise
C'est ung grand cas veoir le Mont Pelyon,
Ou d'avoir veu les ruines de Troye:
Mais qui ne voyt la Ville de Lyon,
Aulcun plaisir à ses yeulx il n'octroye:
Non qu'en Lyon si grand plaisir je croye,
Mais bien en une estant dedans sa garde:
Car de la veoir d'Esprit ainsi gaillarde,
C'est bien plus veu, que de veoir Ilyon:
Et de ce Siecle ung miracle, regarde,
Pource qu'elle est seulle entre ung million.

IV
De ma Dame la Duchesse d'Alençon
Ma Maistresse est de si haulte valeur,
Qu'elle a le corps droit, beau, chaste, et pudique:
Son cueur constant n'est pour heur, ou malheur,
Jamais trop gay, ne trop melancolique.
Elle a au chef ung Esprit Angelique,
Le plus subtil, qui onc aux Cieulx volla.
O grand' merveille: l'on peult veoir par cela
Que je suis Serf d'ung Monstre fort estrange:
Monstre je dy, car pour tout vray elle a
Corps femenin, cueur d'homme, et teste d'Ange.

V
A Ysabeau
Qui en amour veult sa jeunesse esbattre,
Vertus luy sont propres en dicts, et faicts:
Mais il ne fault, qu'ung vent pour les abattre,
Si Fermeté ne soustient bien le faix.
Ceste vertu, et ses servants parfaicts
Portent le noir, qui ne se peult destaindre.
Et qui l'amour premiere laisse estaindre,
Le noir habit n'est digne de porter.
Tout homme doibt ceste vertu attaindre:
Si femme y fault, elle est à supporter.

VI
Du jour des Innocents
Treschere soeur, si je sçavoys où couche
Vostre personne au jour des Innocents,
De bon matin j'yrois à vostre couche
Veoir ce gent corps, que j'ayme entre cinq cents:
Adonc ma main (veu l'ardeur que je sens)
Ne se pourroit bonnement contenter
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Sans vous toucher, tenir, taster, tenter:
Et si quelcun survenoit d'adventure,
Semblant feroys de vous innocenter:
Seroit ce pas honneste couverture?

VII
D'ung Songe
La nuict passée, en mon lict je songeoye
Qu'entre mes bras vous tenoys nu à nu:
Mais au resveil se rabaissa la joye
De mon desir en dormant advenu.
Adonc je suis vers Apollo venu
Luy demander qu'adviendroit de mon songe:
Lors luy, jaloux de toy, longuement songe:
Puis me respond: tel bien ne peulx avoir.
Helas m'amour, fais luy dire mensonge:
Si confondras d'Apollo le sçavoir.

VIII
Du moys de May, et d'Anne
May, qui portoit robbe reverdissante,
De fleurs semée, ung jour se mist en place,
Et quand m'Amye il veit tant fleurissante,
De grand despit rougist sa verde face,
En me disant, tu cuydes, qu'elle efface
(A mon advis) les fleurs, qui de moy yssent
Je luy responds, toutes tes fleurs perissent,
Incontinent qu'yver les vient toucher,
Mais en tout temps de ma Dame fleurissent
Les grands vertus, que mort ne peult seicher.

IX
D'ung baiser reffusé
La nuict passée à moy s'est amusé
Le Dieu d'Amours (au moins je le songeoye)
Lequel me dist, paovre Amant reffusé
D'ung seul baiser, prens reconfort, et joye.
Ta maistresse est de doulceur la montjoye:
Dont (comme croy) son reffus cessera:
Ha, dys je, Amour, ne sçay quand ce sera.
Le meilleur est, que bien tost me retire:
Avec sa Dame à peine couchera,
Qui par priere ung seul baiser n'en tire.

X
Des Statues de Barbe, et de Jacquette
Vers Alexandrins
Advint à Orleans, qu'en tant de mille Dames
Une, et une aultre avec nasquirent belles femmes.
Pour d'ung tant nouveau cas saulver marques insignes,
On leur a estably deux Estatues marbrines:
Mais on s'enquiert pourquoy furent, et sont encore
Mises au Temple aux sainctz: et maint la cause ignore.
Je dy, qu'on ne doyt mectre ailleurs, qu'en sainct sejour
Celles, à qui se font prieres nuict, et jour.
Mais quelle durté est soubz vos peaulx tant doulcettes?
Maint Amant vous requiert, respondez femelettes:
Et les sainctz absents oyent des priants les langages,
Nonobstant qu'addressés ilz soyent à leurs ymages:
Mais en parlant à vous, n'entendez noz parolles,
Non plus, que si parlions à voz sourdes ydoles.

XI
De la Rose envoyée pour Estreines
La belle Rose à Venus consacrée
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L'oeil, et le sens de grand plaisir pourvoyt.
Si vous diray, Dame, qui tant m'aggrée,
Raison pourquoy de rouges on en voyt:
Ung jour Venus son Adonis suyvoit
Parmy jardins pleins d'espines, et branches,
Les pieds touts nudz, et les deux bras sans manches.
Dont d'ung Rosier l'espine luy meffeit:
Or estoyent lors toutes Roses blanches,
Mais de son sang de vermeilles en feit.
De ceste Rose ay jà faict mon proffit
Vous estreinant, car plus qu'à aultre chose
Vostre visage, en doulceur tout confict,
Semble à la fresche, et vermeillette Rose.

XII
De ma Damoyselle du Pin
L'arbre du Pin touts les aultres surpasse,
Car il ne croist jamais en terre basse,
Mais sur haults monts sa racine se forme,
Qui en croyssant prend si tres belle forme,
Que par forestz, ou aulcun aultre endroit,
On ne sçauroit trouver arbre plus droit.
Qui touchera son escorce polie,
Pour ce jour là n'aura melancolie:
Au chef du Pin sont fueilles verdoyantes,
Et à son pied Fontaines undoyantes.
Son boys est bon ou couppé, ou entier:
S'il est couppé hors de son beau sentier,
On en fera ou Navire, ou Gallée
Pour naviguer dessus la Mer salée:
Et s'on le laisse en la terre croyssant,
Il deviendra fertile, et fleurissant,
Et produyra une tresbelle Pomme,
Pour substanter le triste cueur de l'homme.
Par ainsi donc en terre, et sur la Mer,
Tout noble cueur le Pin doibt estimer.

XIII
De ma Damoyselle de la Chapelle
Vers Alexandrins
La Chapelle, qui est bastie, et consacrée
Pour le lieu d'oraison, à Dieu plaist, et aggrée:
De Contrebas, et Hault la Chapelle fournie,
Avec Taille, et Dessus, est tres belle armonie:
La Chapelle, où se font eaues odoriferentes,
Donne par ses liqueurs guerisons differentes:
Mais toy Chapelle vive, estant de beauté pleine,
Tu ne fais, que donner à tes serviteurs peine.

XIV
Du Roy
Vers Alexandrins
Celluy qui dit ta grâce, eloquence, et sçavoir
N'estre plus grands qu'humains, de pres ne t'a peu veoir:
Et à qui ton parler ne sent divinité,
De termes, et propos n'entend la gravité.
De l'Empire du Monde est ta presence digne,
Et ta voix ne dit chose humaine, mais divine.
Combien doncques diray l'Ame pleine de grâce,
Si oultre les Mortelz tu as parolle, et face?

XV
Pour Estreiner une Damoyselle
Damoyselle, que j'ayme bien,
Je te donne pour la pareille
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Tes Estreines d'ung petit Chien,
Qui n'est pas plus grand, que l'Oreille.
Il jappe, il mord, il faict merveille,
Et va desjà tout seul troys pas:
C'est pour toy que je l'appareille,
Excepté que je ne l'ay pas.

XVI
A Lynote la Lingere mesdisante
Lynote
Bigote
Marmote
Qui couldz,
Ta note
Tant sote
Gringote
De nous.
Les Poulz,
Les Loupz,
Les Clouz
Te puissent ronger soubz la Cote
Trestous
Tes Trouz
Ordouz,
Les Cuisses, le Ventre, et la Motte.

XVII
Abel, à Marot
Poëtiser contre vous je ne veulx,
Mais comme l'ung des Enfants, ou Nepveux
De Poësie, ayants desir d'entendre,
Vers vous je veulx mon entendement tendre.
Marot à Abel
Poëtiser trop mieulx que moy sçavez,
Et, pour certain, meilleure grâce avez,
A ce que voy, que n'ont plusieurs, et maints,
Qui pour cest Art mectent la plume en main

XVIII
A Maistre Grenoille, Poëte ignorant
Bien ressembles à la Grenoille,
Non pas que tu soys aquatique:
Mais comme en l'eau elle barbouille,
Si fays tu en l'Art Poëtique.

XIX
A ung nommé Charon, qu'il convie à soupper
Mets voyle au vent, single vers nous Charon,
Car on t'attend: puis quand seras en Tente,
Tant et plus boy bonum vinum charum
Qu'aurons pour vray: doncques (sans longue attente)
Tente tes piedz à si decente sente
Sans te fascher, mais en soys content, tant
Qu'en ce faisant nous le soyons aultant.

XX
Au Roy
Plaise au Roy nostre Sire
De commander, et dire,
Qu'ung bel acquit on baille
A Marot, qui n'a maille:
Lequel acquit dira
(au moins on y lira)
Telle, ou semblable chose:
Mais ce sera en Prose.
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Thresorier, on entend,
Que vous payez (content)
Marot, n'y faillez pas,
Des le jour du trespas
De Jehan Marot son pere.
Ainsi (Sire) j'espere,
Qu'au moyen d'ung acquit
Cil, qui paovre nasquit,
Riche se trouvera,
Tant qu'argent durera.

XXI
A Monsieur le grand Maistre pour estre mis en l'estat
Quand par Acquits les gaiges on assigne,
On est d'ennuy tout malade, et fasché,
Mais à ce mal ne fault grand medecine,
Tant seullement fault estre bien couché:
Non pas en lict, n'en linge bien seiché,
Mais en l'estat du noble Roy Chrestien.
Long temps y a que debout je me tien,
Noble Seigneur: prenez doncques envie
De me coucher à ce coup si tresbien,
Que relever ne puisse de ma vie.

XXII
Le dixain de May, qui fut ord, et de Febvrier, qui luy feit tort
L'an vingt, et sept, Febvrier le froidureux
Eut la saison plus claire, et disposée
Que Mars, n'Apvril. Brief, il fut si heureux
Qu'il priva May de sa Dame Rosée:
Dont May tristé a la Terre arrosée
De mille pleurs, ayant perdu s'Amye,
Tant que l'on dit, que pleuré il n'a mye,
Mais que grand' pluye hors de ses yeulx bouta.
Las, j'en jectay une fois, et demye
Trop plus que luy, quand m'Amye on m'osta.

XXIII
Du depart de s'Amye
Elle s'en va de moy la mieulx aymée,
Elle s'en va (certes) et si demeure
Dedans mon cueur tellement imprimée,
Qu'elle y sera jusques à ce, qu'il meure.
Voyse où vouldra, d'elle mon cueur s'asseure:
Et s'asseurant n'est melancolieux:
Mais l'oeil veult mal à l'espace des lieux,
De rendre ainsi sa liesse loingtaine:
Or Adieu doncq le plaisir de mes yeulx,
Et de mon cueur l'asseurance certaine.

XXIV
D'Anne, qui luy jecta de la Neige
Anne (par jeu) me jecta de la Neige,
Que je cuidoys froide certainement:
Mais c'estoit feu: l'experience en ay je,
Car embrasé je fuz soubdainement.
Puis que le feu loge secrettement
Dedans la Neige, où trouveray je place
Pour n'ardre point? Anne, ta seulle grâce
Estaindre peult le feu que je sens bien,
Non point par eau, par neige, ne par glace,
Mais par sentir un feu pareil au mien.

XXV
A Anne
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Si jamais fut ung Paradis en terre,
Là où tu es, là est il sans mentir:
Mais tel pourroit en toy Paradis querre,
Qui ne viendroit fors à peine sentir:
Non toutesfoys qu'il s'en doibt repentir,
Car heureux est qui souffre pour tel bien.
Doncques celluy que tu aymerois bien,
Et qui receu seroit en si bel estre,
Que seroit il? Certes je n'en sçay rien,
Fors qu'il seroit ce que je vouldroys estre.

XXVI
De la Venus de Marbre presentée au Roy
Ceste Deesse avec sa ronde Pomme,
Prince Royal des aultres le plus digne,
N'est point Venus, et Venus ne se nomme.
Jà n'en desplaise à la langue latine:
C'est du hault ciel quelcque vertu divine
Qui de sa main t'offre la Pomme ronde,
Te promectant tout l'Empire du monde
Ains que mourir. O quel Marbre taillé!
Bien peu s'en fault, qu'il ne dye, et responde
Que mieulx encor te doibt estre baillé.

XXVII
La mesme Venus de Marbre dict en Vers Alexandrins
Seigneurs, je suis Venus: je vous dy celle mesme
Qui la Pomme emporta, pour sa beaulté surprême:
Mais tant ravie suis de si haulte louange
Que viande, et liqueur je ne boy, et ne mange.
Doncq' ne vous estonnez, si morte semble, et royde:
Sans Ceres, et Bacchus tousjours Venus est froyde.

XXVIII
Une Dame à ung, qui luy donna sa Pourtraicture
Tu m'as donné au vif ta face paincte,
Paincte pour vray de main d'excellent homme:
Si l'ay je mieulx dedans mon cueur empraincte
D'ung aultre ouvrier, qui Cupido se nomme.
De ton present heureuse me renomme:
Mais plus heureuse, Amy, je seroys bien,
Si en ton cueur j'estoys empraincte comme
Tu es emprainct, et gravé sur le mien.

XXIX
Estreines envoyées avec ung Present de couleur blanche
Present present de couleur de Colombe
Va où mon cueur s'est le plus addonné:
Va doulcement, et doulcement y tombe,
Mais au parler ne te monstre estonné.
Dy, que tu es pour Foy bien ordonné:
Dy oultreplus (car je te l'abandonne)
Que le Seigneur, à qui tu es donné,
N'a Foy semblable à celle qui te donne

XXX
Sur la devise: Non ce, que je pense
Tant est l'amour de vous en moy empraincte,
De voz desirs je suis tant desireux,
Et de desplaire au cueur ay telle craincte,
Que plus à moy ne suis: dont suis heureux.
A d'autre sainct ne s'addressent mes voeux,
Tousjours voulant (de peur de faire offense)
Ce que voulez, et non ce que je veulx:
Ce que pensez, et non ce que je pense.
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XXXI
A Anne
Incontinent que je te vey venue,
Tu me semblas le cler Soleil des cieulx,
Qui sa lumiere a longtemps retenue:
Puis se faict veoir luysant, et gracieux.
Mais ton depart me semble une grand' nue,
Qui se vient mectre au devant de mes yeulx:
Pas n'eusse creu, que de joye advenue
Fut advenu regret si ennuieux.

XXXII
Pour Estreines
Une assez suffisante Estreine
Trouver pour vous je ne sçauroys:
Mais vous pouvez estre certaine,
Que vous l'auriez, quand je l'auroys.
Et lors qu'asseuré je seroys
D'estre receu selon mon zelle,
Moy mesme je me donneroys
Du tout à vous ma Damoyselle.

XXXIII
Pour Estreines
Ces quatre vers à te saluer tendent:
Ces quatre vers à toy me recommandent:
Ces quatre vers sont les Estreines tiennes:
Ces quatre vers te demandent les miennes.

XXXIV
De la Statue de Venus endormye
Qui dort icy? le fault il demander?
Venus y dort, qui vous peult commander.
Ne l'esveillez, elle ne vous nuyra.
Si l'esveillez, croyrez qu'elle ouvrira
Ses deux beaulx yeulx, pour les vostres bander.

XXXV
De Martin, et Alix
Martin menoit son Pourceau au marché
Avec Alix: qui en la plaine grande
Pria Martin de luy faire le peché
De l'ung sur l'aultre. Et Martin luy demande:
Et qui tiendroit nostre Pourceau, friande?
Qui? dist Alix: bon remede il y a.
Lors son Pourceau à sa jambe lya:
Puis Martin jusche, et lourdement engaine.
Le Porc eut peur, et Alix s'escria,
Serre Martin, nostre Pourceau m'entraîne.

XXXVI
A Monsieur Braillon Medecin
C'est ung espoir d'entiere guerison,
Puis que santé en moy desjà s'imprime.
Vray est qu'Yver foyble, froid, et grison
Nuist à Nature, et sa vertu reprime:
Mais si voulez, si aurez vous l'estime
De me guerir sans la neufve saison:
Parquoy, Monsieur, je vous supply en rithme
Me venir veoir, pour parler en raison.

XXXVII
Response aux Vers latins, que luy avoit envoyés Monsieur Akakia Medecin
Tes vers exquis, Seigneur Akakia,
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Meritent mieulx de Maro le renom,
Que ne font ceulx de ton Amy, qui a
Avec Maro confinité de nom.
Tes vers pour vray semblent coups de Canon:
Et resonance aux miens est si petite,
Qu'aux tiens ne sont à comparer, sinon
Du bon vouloir, que ta plume recite.

XXXVIII
A Monsieur Le Coq, qui luy promettoit guerison
Le chant du Coq la nuict point ne prononce,
Ains le retour de la lumiere absconse:
Dont sa nature il fault que noble on tienne.
Or t'es monstré vray Coq en ta response,
Car ton hault chant rien obscur ne m'anonce,
Mais santé vive, en quoy Dieu te maintienne.

XXXIX
Au dict Coq
Si le franc Coq liberal de nature
N'est empesché avec sa Gelinotte,
Luy plaise entendre au chant, que je luy notte,
Et visiter la triste creature,
Qui en sa chambre a faict ceste escripture,
Mieulx enfermé qu'en sa cage Lynotte.

XL
A Monsieur l'Amy, Medecin
Amy de nom, de pensée, et de faict,
Qu'ay je meffaict, que vers moy ne prens voye?
Grâces à Dieu, tu es dru, et refaict:
Moy plus deffaict, que ceulx que morts on faict:
Mort en effect, si Dieu toy ne m'envoye,
Brief ne pourvoye au mal, qui me desvoye.
Que je te voye, à demy suis guery:
Et sans te veoir, à demy suis pery.

XLI
A Pierre Vuyard
Ce meschant Corps demande guerison,
Mon frere cher: et l'Esprit, au contraire,
Le veult laisser, comme une orde Prison:
L'ung tend au monde, et l'aultre à s'en distraire.
C'est grand' pitié que de les ouyr braire.
Ha (dit le Corps) fault il mourir ainsi?
Ha (dit l'Esprit) fault il languir icy?
Va (dit le Corps) mieulx que toy je soubhaitte:
Va (dit l'Esprit) tu faulx, et moy aussi:
Du Seigneur Dieu la voulunté soit faicte.

XLII
Au Roy
Plaise au Roy ne reffuser point,
Ou donner, lequel qu'il vouldra,
A Morot cent escuz appoinct:
Et il promect qu'en son pourpoinct,
Pour les garder, ne les couldra.
Monsieur le Legat l'absouldra
Pour plus dignement recevoir,
J'entends s'il veult faire debvoir
De sceller l'acquit à l'Espergne:
Mais s'il est dur à y pourveoir,
Croyez qu'il aura grand pouvoir
S'il me faict bien dire d'Auvergne.
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XLIII
Du Lieutenant criminel de Paris, et de Samblançay
Lors que Maillart Juge d'Enfer menoit
A Montfaulcon Samblançay l'âme rendre,
A vostre advis, lequel des deux tenoit
Meilleur maintien? Pour le vous faire entendre,
Maillart sembloit homme qui mort va prendre:
Et Samblançay fut si ferme vieillart,
Que l'on cuydoit (pour vray) qu'il menast pendre
A Montfaulcon: le Lieutenant Maillart.

XLIV
D'une Espousée
L'Espousé la premiere nuict
Asseuroit sa femme farouche:
Mordez moy (dit il), s'il vous cuyct,
Voylà mon doigt en vostre bouche.
Elle y consent, il s'escarmouche,
Et apres qu'il l'eut deshousée,
Or ça (dit il) tendre rousée,
Vous ay je faict du mal ainsi?
Adoncq' respondit l'Espousée,
Je ne vous ay pas mors aussi.

XLV
A celluy, qui devant le Roy dit que ce mot, Viser (dont Marot USA) n'estoit bon langage
Regarder est tres bon langage:
Viser est plus agu du tiers:
De dire qu'il n'est usage,
J'en croy touts les Arbalestiers.
Je demanderoys vouluntiers,
Comme on diroit plus proprement,
Ung de ces deux Hacquebutiers
Par mal viser fault lourdement.
Je dy (à parler rondement)
Qu'il fault, que ce mot y pourvoye,
Et ne se peult dire aultrement:
Qui est tout le pis, que j'y voye.
Celluy, qui ne vise à la voye,
Par où il va, fault, et s'abuse:
Mais point ne fault, ne se forvoye
Celluy, qui du terme ainsi use.
Doncques, Amy, ne le recuse:
Car quand au pis on le prendroit,
User on en peult soubs la ruse
De Metaphore en maint endroit.
Viser du Latin vient tout droit:
Visée en est une lisiere:
Et par ailleurs viser fauldroit,
Pour bien m'attaindre à la visiere.

XLVI
De l'Abbé, et de son Valet
Monsieur l'Abbé, et monsieur son Valet
Sont faictz esgaulx touts deux comme de cire:
L'ung est grand fol, l'aultre ung petit folet:
L'ung veult railler, l'aultre gaudir, et rire:
L'ung boit du bon: l'aultre ne boit du pire:
Mais ung debat au soir entre eulx s'esmeut,
Car maistre Abbé toute la nuict ne veult
Estre sans vin, que sans secours ne meure:
Et son valet jamais dormir ne peult
Tandis qu'au pot une goute en demeure.

XLVII
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De Frere Thibault
Frere Thibault sejourné, gros, et gras,
Tiroit de nuict une garse en chemise
Par le treillys de sa chambre: où le bras
Elle passa, puis la teste y a mise,
Puis tout le sein: mais elle fut bien prise,
Car son fessier y passer ne sceut onc:
Par la morbieu (ce dict le Moyne adonc)
Il ne me chault de bras, tetin, ne teste:
Passez le cul, ou vous retirez donc:
Je ne sçauroys (sans luy) vous faire feste.

XLVIII
Au Duc d'Orleans, touchant ung Greffier, qui usa de ce mot: Argent en Pouppe
Prince, ce Griffon, qui me gronde,
Semble à Jouan, qui se mordoit.
Que voulez vous, que luy responde?
C'est la plus grand' pitié du monde,
Excuser plus tost on le doibt:
Car quand ainsi son feu jectoit,
Et qu'il disoit argent en Pouppe,
Le paovre homme se mescomptoit,
Et vouloit dire, qu'il estoit
Tousjours yvre, comme une souppe.

XLIX
De Dolet, sur ses Commentaires de la langue Latine
Le noble esprit de Cicero Rommain
Voyant çà bas maint cerveau foible, et tendre,
Trop maigrement avoir mys plume en main
Pour de ses dicts la force faire entendre,
Laissa le ciel, en terre se vint rendre,
Au corps entra de Dolet, tellement
Que luy sans aultre à nous se faict comprendre,
Et n'a changé que de nom seullement.

L
A ung quidem
Veulx tu sçavoir, à quelle fin
Je t'ay mys hors des oeuvres miennes?
Je l'ay faict tout expres, affin
Que tu me mectes hors des tiennes.

LI
A Benest
Benest, quand ne te congnoissoye,
Ung sage homme je te pensoye:
Mais, quand j'ay veu ce qui en est,
Je trouve, que tu es Benest.

LII
Du rys de ma Damoyselle d'Allebret
Elle a tresbien ceste gorge d'Albastre,
Ce doulx parler, ce cler tainct, ces beaulx yeulx:
Mais en effect ce petit rys follastre
C'est (à mon gré) ce qui luy sied le mieulx:
Elle en pourroit les chemins, et les lieux
Où elle passe, à plaisir inciter:
Et si ennuy me venoit contrister,
Tant que par mort fust ma vie abbatue,
Il ne fauldroit, pour me resusciter,
Que ce rys là, duquel elle me tue.

LIII
Des cinq poincts en Amours
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Fleur de quinze ans (si Dieu vous saulve, et gard)
J'ay en Amours trouvé cinq poincts expres.
Premierement, il y a le regard,
Puis le devis, et le baiser apres,
L'atouchement le baiser suyt de pres,
Et touts ceulx là tendent au dernier poinct:
Qui est, et quoy? je ne le diray point:
Mais s'il vous plaist en ma chambre vous rendre,
Je me mectray vouluntiers en pourpoinct,
Voyre tout nud, pour les vous faire apprendre.

LIV
D'Anne, à ce propos
Ouïr parler de ma Dame, et maistresse,
M'est plus de bien, que toutes aultres veoir:
Veoir son maintien, ce m'est plus de liesse
Que bon propos des aultres recevoir:
Avecques elle ung bon propos avoir,
M'est plus grand heur, que baiser une Heleine,
Et ne croy pas, si j'avoys son alaine,
(J'entends sa bouche à mon commandement)
Que ceulx, qui ont leur jouyssance pleine,
N'eussent despit de mon contentement.

LV
A Selva, et à Heroet
Demandez vous, qui me faict glorieux?
Heleine a dict (et j'en ay bien memoyre)
Que de nous troys elle m'aymoit le mieulx:
Voylà pourquoy j'ay tant d'aise, et de gloyre.
Vous me direz qu'il est assez notoyre
Qu'elle se mocque, et que je suis deceu:
Je le sçay bien, mais point ne le veulx croyre:
Car je perdroys l'aise, que j'ai receu.

LVI
D'Heleine de Tournon
Au moys de May, que l'on saignoit la belle,
Je vins ainsi son medecin reprendre:
Luy tires tu sa chaleur naturelle?
Trop froyde elle est, bien me l'a faict apprendre.
Tais toy (dist il) content je te voys rendre.
J'oste le sang, qui la faict rigoreuse,
Pour prendre humeur en amours vigoreuse
Selon ce Moys, qui chasse tout esmoy:
Ce qui fut faict, et devint amoureuse:
Mais le pis est, que ce n'est pas de moy.

LVII
De Phebus, et Diane
Le cler Phebus donne la vie, et l'aise
Par son baiser tant digne, et precieux:
Et mort devient ce, que Diane baise.
O dur baiser, rude, et mal gracieux!
Tu fais venir ung desir soucieux
De mieulx avoir, dont souvent on desvie:
Mais qui pourroit parvenir à ce mieulx,
Il n'est si mort, qui ne revint en vie.

LVIII
De Diane
Hommes experts, vous dictes par science,
Que Diane est en baisant beaulcoup pire
Que n'est la Mort: mais par experience
De ce vous veulx, et vous puis contredire:
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Car quand sa bouche en la mienne souspire,
Toute vigueur dedans mon cueur s'assemble.
Vous resvez donc, ou certes il fault dire,
Qu'en la baisant, mourir vivre me semble.

LIX
Epigramme faict par une sçavant Damoyselle
Ung fascheux corps vestu d'ung satin gras,
Ung satin gras doublé d'ung fascheux corps,
Ung lourd marcher, ung branlement de bras,
Ung sot parler, avec ung museau tors
Contrefaisant le gracieux, alors
Qu'il pense mieulx d'amours faire butin,
Que dessert il? d'estre jecté dehors,
Et l'envoyer desgresser son satin.

LX
Marot à ladicte Damoyselle
Ung lourd vestu de satin est icy
Suyvant la Court (sans propos) à la trace,
De bonne gresse est son satin farcy,
Et tout son corps plein de maulvaise grâce.
Quant à la grâce, à peine qu'on l'efface,
Car il sent trop son escolier Latin:
Quant à la gresse, il l'a soir, et matin
(Comme je croy) en troys ans amassée:
Mais baillez luy douze aulnes de satin,
Voylà sa robbe en ung jour degressée.

LXI
De Blanche de Tournon
Dedans le clos d'ung Jardin fleurissant,
Entre aultres fleurs voy une Rose blanche,
Que je seroys sur toutes choysissant,
Si de choysir j'avoys liberté franche:
Dieu gard sans fin le Rozier, et la branche,
Dont est sortye une tant belle Rose:
Dieu gard la main, qui pour croistre l'arrose:
Dieu gard aussi le tresexcellent Clos:
Dieu fasse en moy la sienne Amour enclose,
A peine d'estre en son Amour enclos.

LXII
A Ysabeau
Quand j'escriroys, que je t'ay bien aymée,
Et que tu m'as sur touts aultres aymé,
Tu n'en seroys femme desestimée,
Tant peu me sens homme desestimé.
Petrarcque a bien sa maistresse nommée
Sans amoindrir sa bonne renommée:
Doncq' si je suis son Disciple estimé,
Craindre ne fault, que tu en soys blasmée.
D'Anne j'escry, plus noble, et mieulx famée,
Sans que son los en soyt point deprimé.

LXIII
De Diane
Estre Phebus bien souvent je desire,
Non pour congnoistre herbes divinement,
Car la douleur, qui mon cueur veult occire,
Ne se guerist par herbe aulcunement:
Non pour avoir ma place au firmament,
Car en la terre habite mon plaisir:
Non pour son arc encontre Amour saisir,
Car à mon Roy ne veulx estre rebelle:
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Estre Phebus seullement j'ay desir,
Pour estre aymé de Diane la belle.

LXIV
D'ung importun
Bren, laissez moy, ce disoit une
A ung sot, qui luy desplaisoit.
Ce lourdault tousjours l'importune,
Puis j'ouy, qu'elle luy disoit:
La plus grosse beste qui soyt,
Monsieur, comme est ce, qu'on l'appelle?
Ung Elephant, ma Damoyselle:
Me semble, qu'on le nomme ainsi.
Pour Dieu, Elephant (ce dict elle)
Va t'en doncq', laisse moy icy.

LXV
De Diane
L'Enfant n'a plus son arc estrange,
Dont il blessoit d'hommes et cueurs, et testes:
Avec celluy de Diane a faict change,
Dont elle alloit aux champs faire les questes.
Ilz ont changé, n'en faictes plus d'enquestes:
Et si on dict, à quoy les congnoys tu?
Je voy, qu'Amour chasse souvent aux bestes,
Et qu'elle attainct les hommes de vertu.

LXVI
A ma Damoyselle de la Greliere
Mes yeulx sont bons (Greliere) et ne voy rien,
Car je n'ay plus la presence de celle,
Voyant laquelle au monde voy tout bien:
Et voyant tout, je ne voy rien sans elle.
A ce propos souvent (ma Damoyselle)
Quand vous voyez mes yeulx de pleurs lavez,
Me venez dire, Amy, qu'est ce qu'avez?
Mais le disant vous parlez mal apoinct,
Et m'est advis, que plus tost vous devez
Me demandez, qu'est ce, que n'avez point?

LXVII
De ma Damoyselle de la Fontaine
En grand travail, plein d'Amour j'ay passé
Les montz tresfroids au partir d'Aquitaine:
Mais leur froideur n'a de mon cueur chassé
La grand' ardeur de mon Amour certaine:
Quant au travail, bien je vous acertaine,
Qu'incessamment y seray exposé,
Jusques à tant qu'aupres de la Fontaine
(A mon desir) je me soys reposé.

LXVIII
A Coridon
La mesdisante ne fault croyre,
Corydon, Amy gracieux:
Ja la congnoys, c'est une noyre,
Noyre faicte en despit des cieulx:
Si elle eust (pour la paindre mieulx)
Au bec une prune saulvage,
On diroit, qu'elle auroit troys yeulx,
Ou bien troys prunes au visage.

LXIX
D'Ouy, et Nenny
Ung doulx Nenny, avec ung doulx soubzrire
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Est tant honneste, il le vous fault apprendre:
Quant est d'Ouy, si veniez à le dire,
D'avoir trop dict je vouldroys vous reprendre:
Non que je soys ennuyé d'entreprendre
D'avoir le fruict, dont le desir me poingt:
Mais je vouldroys, qu'en me le laissant prendre,
Vous me disiez, non, vous ne l'aurez point.

LXX
Des blancs Manteaulx
Les blancs Manteaulx en leur convent
Ont faict rampar de longues selles,
Pour nuyre à ceulx qui vont souvent
Faire la court aux Damoyselles.
Quand marys gardent leurs fumelles,
Ilz ont droit, je m'en tais tout coy.
Mais ces Cagotz sont jaloux d'elles:
Je sçauroys vouluntiers pourquoy.

LXXI
D'entretenir Damoyselles
Je ne sçauroys entretien appeller
Le deviser, qui aulcun fruict n'apporte:
C'est le vray vent, qui tost se pert en l'aer,
Ou l'eau, qui royde en aval se transporte.
L'oyseau gentil, sur le poing je le porte,
Apres luy crie, à luy souvent j'entends,
Car de son vol rend mes esprits contents.
O donc Amour, bel oyseau par les aesles,
Apporte proye, et donne passetemps,
Ou entretien (tout seul) Damoyselles.

LXXII
D'ung poursuyvant en amours
Je sens en moy une flamme nouvelle,
Laquelle vient d'une cause excellente,
Qui touts les jours me dit, et me revelle,
Que demourer doy personne dolente.
O Amour plein de force violente,
Pourquoy as tu mon tourment entrepris?
Approchez vous, belle, qui m'avez pris:
Amour cruel vostre amy veult occire,
Et gaignera la bataille, et le pris,
Si ne m'armez du bien, que je desire.

LXXIII
A celle, qui souhaitta Marot aussi amoureux d'elle, qu'ung sien Amy
Estre de vous (aultant que l'aultre) esprins
Me seroit gloyre, aymant en lieu si hault:
De l'aultre part, il m'en seroit mal prins,
Quand d'y attaindre en moy gist le deffault.
J'ay dict depuis (cent foys, ou peu s'en fault)
O cueur, qui veulx mon malaise, et mon bien:
Je t'ayme assez, ne souhaitte combien:
Et si tu dys, que pareil d'amytié
Ne suis à l'aultre: helas, je le sçay bien,
Car j'ayme plus, mais c'est de la moytié.

LXXIV
Du partement d'Anne
Où allez vous, Anne? que je le sache,
Et m'enseignez, avant que de partir,
Comment feray, affin que mon oeil cache
Le dur regret du cueur triste, et martir.
Je sçay comment, point ne fault m'advertir:
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Vous le prendrez ce cueur, je le vous livre:
L'emporterez, pour le rendre delivre
Du dueil, qu'auroit loing de vous en ce lieu:
Et pour aultant, qu'on ne peult sans cueur vivre,
Me laisserez le vostre: et puis Adieu.

LXXV
De ma Dame Ysabeau de Navarre
Qui cuyderoit desguiser Ysabeau
D'ung simple habit, ce seroit grand' simplesse:
Car au visage a je ne sçay quoy de beau,
Qui faict juger tousjours, qu'elle est Princesse:
Soit en habit de chambriere, ou maistresse,
Soit en drap d'Or entier, ou decouppé,
Soit son gent corps de toille enveloppé,
Tousjours sera sa beaulté maintenue:
Mais il semble (ou je suis bien trompé)
Qu'elle seroit plus belle toute nue.

LXXVI
Pour une Dame, qui donna une teste de mort en devise
Puis que noz cueurs ne sont qu'ung poinct lié,
Et que d'amour naifvement extreme
Je t'ay (amy) ce present dedié,
Je ne croy point, qu'il ne soit prins de mesme:
Tu y verras une mort triste, et blesme,
Qui ne s'entend te melencolier:
C'est que l'amour, qui noz cueurs faict lier,
Jusqu'à la mort sera continuelle:
Et si la mort ne faict rien oublier,
De mon costé sera perpetuelle.

LXXVII
A la femme de Thomas Sevin
La mignone de mon amy,
Bien fort à vous me recommande:
Vous n'estes pas femme à demy,
Hastez vous de devenir grande,
Grande par tout, car il demande
Entrer en la cité d'Amours,
Se plaignant, qu'il n'est qu'aux faulxbourgs.
Peu de marys ainsi se deulent,
Mais vont disant (tout au rebours)
Qu'ilz y entrent plus, qu'ilz ne veulent.

LXXVIII
A ses Disciples
Enfants, oyez une leçon:
Nostre langue a ceste façon,
Que le terme, qui va devant,
Vouluntiers regist le suyvant:
Les vieulx exemples je suyvray
Pour le mieulx: car, à dire vray,
La chanson fut bien ordonnée,
Qui dit: M'amour vous ay donnée:
Et du bateau est estonné,
Qui dit: M'amour vous ay donné.
Voylà la force, que possede
Le feminin, quand il precede.
Or prouveray par bons tesmoings,
Que tous pluriers n'en font pas moins:
Il fault dire en termes parfaicts,
Dieu en ce monde nous a faicts:
Fault dire en parolles parfaictes,
Dieu en ce monde les a faictes.
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Et ne fault point dire (en effect)
Dieu en ce monde les a faict:
Ne nous a faict pareillement:
Mais nous a faicts tout rondement.
L'Italien (dont la faconde
Passe les vulgaires du monde)
Son langage a ainsi basty
En disant: Dio noi a fatti.
Parquoy (quand me suis advisé)
Ou mes juges ont mal visé,
Ou en cela n'ont grand' science,
Ou ilz ont dure conscience.

LXXIX
Du beau Tetin
Tetin refect, plus blanc, qu'ung oeuf,
Tetin de satin blanc tout neuf,
Tetin, qui fays honte à la Rose,
Tetin plus beau, que nulle chose,
Tetin dur, non pas tetin voyre,
Mais petite boule d'Ivoyre,
Au milieu duquel est assise
Une Fraize, ou une Cerise,
Que nul ne voit, ne touche aussi,
Mais je gage, qu'il est ainsi:
Tetin doncq au petit bout rouge,
Tetin, qui jamais ne se bouge,
Soit pour venir, soit pour aller,
Soit pour courir, soit pour baller:
Tetin gauche, Tetin mignon,
Toujours loing de son compaignon,
Tetin, qui porte tesmoignage
Du demeurant du personnage,
Quand on te voit, il vient à maints
Une envie dedans les mains
De te taster, de te tenir:
Mais il se fault bien contenir
D'en approcher, bon gré ma vie,
Car il viendroit une autre envie.
O Tetin ne grand, ne petit,
Tetin meur, Tetin d'appetit,
Tetin, qui nuict, et jour criez,
Mariez moy tost, mariez,
Tetin, qui t'enfles, et repoulses
Ton gorgerin de deux bons poulses,
A bon droict heureux on dira
Celluy, qui de laict t'emplira,
Faisant d'ung Tetin de pucelle
Tetin de femme entiere, et belle.

LXXX
Du laid Tetin
Tetin, qui n'as rien, que la peau,
Tetin flac, Tetin de drappeau,
Grand' Tetine, longue Tetasse,
Tetin, doy je dire bezasse?
Tetin au grand vilain bout noir,
Comme celluy d'ung entonnoir,
Tetin, qui brimballe à touts coups
Sans estre esbranlé, ne secoux,
Bien se peult vanter, qui te taste;
D'avoir mys la main à la paste:
Tetin grillé, Tetin pendant,
Tetin flestry, Tetin rendant
Vilaine bourbe en lieu de laict,
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Le Diable te feit bien si laid:
Tetin pour trippe reputé,
Tetin, ce cuydé je, emprunté,
Ou desrobé en quelcque sorte
De quelque vieille Chievre morte:
Tetin propre pour en Enfer
Nourrir l'enfant de Lucifer:
Tetin boyau long d'une gaule,
Tetasse à jecter sur l'espaule
Pour faire (tout bien compassé)
Ung chapperon du temps passé,
Quand on te voyt, il vient à maints
Une envye dedans les mains
De te prendre avec des gans doubles
Pour en donner cinq, ou six couples
De soufflets sur le nez de celle
Qui te cache soubs son esselle.
Va grand villain Tetin puant,
Tu founiroys bien en suant
De civettes, et de parfuns
Pour faire cent mille deffunctz.
Tetin de laydeur despiteuse,
Tetin, dont Nature est honteuse,
Tetin des vilains le plus brave,
Tetin, dont le bout toujours bave,
Tetin faict de poix, et de glus:
Bren ma plume, n'en parlez plus,
Laisez le là, ventre sainct George,
Vous me feriez rendre ma gorge.
Fin du premier Livre.

Le second livre des Epigrammes dedié à Anne

I
A Anne
Anne, ma soeur, sur ces maints Epigrammes
Jecte tes yeulx doulcement regardants:
Et en lisant, si d'amour ne t'enflammes,
A tout le moins ne mesprises les flammes,
Qui pour t'amour luysent icy dedans.

II
A Merlin de Sainct Gelais
Ta lettre (Merlin) me propose
Qu'ung gros sot en rithme compose
Des vers, par lesquelz il me poingt:
Tien toy seur, qu'en rithme, n'en prose,
Celluy n'escript aulcune chose
Duquel l'ouvrage on ne lit point.

III
A soymesmes
Si tu n'es prins, tu te pourroys bien prendre,
Cuydant louer ceste Laure invincible:
Laisse tout là, que veulx tu entreprendre?
Veulx tu monter un Roc inaccessible?
Son noble sang, et sa grâce indicible,
Ceste doulceur, qui d'aymer sçait contraindre,
Et ses vertus, que mort ne peult estaindre,
Sont du pouvoir de Dieu si grands tesmoings,
Que tu ne peulx à sa louange attaindre,
A son amour (helas) encores moins.

IV
De la Royne de Navarre
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Entre aultres dons de grâces immortelles
Ma Dame escript si hault, et doulcement,
Que je m'estonne, en voyant choses telles,
Qu'on n'en reçoit plus d'esbahyssement.
Puis quand je l'oy parler si sagement,
Et que je voy sa plume travailler,
Je tourne bride, et m'esbahy, comment
On est si sot de s'en esmerveiller.

V
A Françoys Daulphin de France
Celluy, qui a ce Dixain composé,
Enfant Royal, en qui vertu s'imprime,
Et qui à vous presenter l'a osé,
C'est ung Clement, ung Marot, ung qui rithme:
Voicy l'ouvrier, l'art, la forge, et la lime:
Si vous sentez n'en estre importuné,
Vous pouvez bien (Prince tresfortuné)
Vous en servir à dextre, et à senestre,
Car vostre estoit avant que fussiez né:
Or devinez maintenant qu'il peult estre?

VI
Pour ma Damoyselle de Talard, au Roy
D'amour entiere, et tout à bonne fin,
Sire, il te plaist troys Poissons bien aymer:
Premierement, le bien heureux Daulphin:
Et le Chabot, qui noue en ta grant mer:
Puis ta Grenouille. Ainsi t'a pleu nommer
L'humble Talard, dont envie en gasouille,
Disant que c'est ung Poisson, qui l'eaue souille,
Et qui chantant a la voix mal sereine:
Mais j'ayme mieulx du Roy estre Grenouille,
Qu'estre (en effect) d'ung aultre la Sereine.

VII
Estreines à Anne
Ce nouvel an pour Estreines vous donne
Mon cueur blessé d'une nouvelle playe:
Contrainct y suis, Amour ainsi l'ordonne,
En qui ung cas bien contraire j'essaye:
Car ce cueur là, c'est ma richesse vraye,
Le demeurant n'est rien où je me fonde:
Et fault donner le meilleur bien, que j'aye,
Si j'ay vouloir d'estre riche en ce monde.

VIII
De l'Amour chaste
Amoureux suis, et Venus estonnée
De mon amour, là où son feu deffault:
Car ma Dame est à l'honneur tant donnée,
Tant est bien chaste, et conditionnée,
Et tant cherchant le bien, qui point ne fault,
Que de l'aymer aultrement, qu'il ne fault,
Seroit ung cas pas trop dur, et amer:
Elle est (pourtant) bien belle, et si le vault,
Mais quand je sens son cueur si chaste, et hault,
Je l'ayme tant, que je ne l'ose aymer.

IX
Epigramme, qu'il perdit contre Heleine de Tournon
Pour ung Dixain, que gaignastes mardy,
Cela n'est rien, je ne m'en fais que rire:
Et fus tres aise, alors que le perdy,
Car aussi bien je vouloys vous escrire:
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Et ne sçavoys bonnement, que vous dire,
Qui est assez pour se taire tout coy.
Or vous payez, je vous baille dequoy
D'aussi bon cueur, que si je le donnoye:
Que pleust à dieu, que ceulx, à qui je doy,
Fussent contents de semblable monnoye.

X
La Royne de Navarre respond à Marot, pour Tournon
Si ceulx, à qui debvez, comme vous dictes,
Vous congnoissoient, comme je vous congnoys,
Quicte seriez des debtes, que vous feistes,
Le temps passé, tant grandes, que petites:
En leur payant ung Dixain toutesfoys
Tel que le vostre, qui vault mieulx mille foys,
Que l'argent deu par vous en conscience:
Car estimer on peult l'argent au poix,
Mais on ne peult (et j'en donne ma voix)
Assez priser vostre belle science.

XI
Replicque de Marot à la Royne de Navarre
Mes creanciers, qui de dixains n'ont cure,
Ont leu le vostre: et sur ce leur ay dict,
Sire Michel, sire Bonaventure,
La soeur du Roy a pour moy faict ce dict:
Lors eulx cuydants, que fusse en grand credit,
M'ont appelé Monsieur à cry, et cor:
Et m'a valu vostre escript aultant qu'or:
Car promys ont non seullement d'attendre,
Mais d'en prester (foy de marchant) encor:
Et j'ay promys (foy de Clement) d'en prendre.

XII
Du Roy, et de Laure
O Laure, Laure, il t'a esté besoing
D'aymer l'honneur, et d'estre vertueuse,
Car Françoys Roy (sans cela) n'eust prins soing
De t'honorer de tumbe sumptueuse,
Ne d'employer sa dextre valeureuse
A par escript ta louange coucher:
Mais il l'a faict pour aultant qu'amoureuse
Tu as esté de ce qu'il tient plus cher.

XIII
Contre les Jaloux
De ceulx, qui tant de mon bien se tourmentent,
J'ay d'une part grande compassion:
Puis me font rire, en voyant qu'ilz augmentent
Dedans m'amye ung feu d'affection:
Ung feu, lequel par leur invention
Cuydent estaindre. O la paouvre cautelle!
Ilz sont plus loing de leur intention,
Qu'ilz ne vouldroyent que je fusse loing d'elle.

XIV
A une Dame touchant ung faulx rapporteur
Qui peche plus, luy qui es esventeur,
Que j'ay de toy le bien tant souhaittable:
Ou toy, qui fais qu'il est tousjours menteur,
Et si le peulx faire homme veritable?
Voyre, qui peulx d'une oeuvre charitable
En guerir troys, y mectant ton estude.
Luy de mensonge inique, et detestable:
Moy de langueur: et toy d'ingratitude.
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XV
Au nom d'une Dame, qui donna la devise d'ung Noeud à ung Gentilhomme
Le Noeud jadis tant fort à desnouer
Fut en ung coup d'Alexandre trenché:
Et celluy Noeud, que t'ay voulu vouer,
Peu à peu l'as à moytié destaché:
Mais tu n'as sceu (et n'en soys pas fasché)
L'aultre moytié desnouer, ne parfaire
Ton oeuvre empris: là ne sçauroyent rien faire
Doigts, tant soyent forts, ne glaive plein d'esclandre.
O gentil Noeud, pour te rompre, et deffaire,
La seulle mort sera ton Alexandre.

XVI
A deux Soeurs Lyonnoises
Puis que vers vous les soeurs Damoyselles
Il ne m'est possible d'aller,
Sus Dixain, courez devers elles,
Au lieu de moy vous fault parler:
Dictes leur, que me mectre à l'aer
Je n'ose, dont me poise fort,
Et que pour faire mon effort
D'aller visiter leurs personnes,
Je me souhaitte estre aussi fort
Comme elles sont belles, et bonnes.

XVII
A une Amye
Si le loysir tu as avec l'envie
De me reveoir, ô ma joye esperée,
Je te rendray bon compte de ma vie,
Depuis qu'à toy parlay l'aultre serée:
Ce soir fut court, mais c'est chose asseurée
Que tu m'en peulx donner ung par pitié,
Lequel seroit de plus longue durée,
Et sembleroit plus court de la moytié.

XVIII
A Renée
Amour vous a (des le jour, que fus né)
De mon service ordinaire estrenée:
Et si ne fus de vous oncq' estrené
Que de rigueur soubs parolle obstinée:
Si vous supply, noble Nymphe Renée,
Ce nouvel an parler nouveau langage,
Et tou ainsi, qu'on voyt changer d'année,
Vouloir changer envers moy de courage.

XIX
Estreines
Je ne sçay pas, quelles Estreines
Plus excellentes vous vouldriez,
Que les grâces tant souveraines
Des dons à vous appropriez:
Mais je sçay, que quand vous auriez
Cela, que sent vostre presence,
Sans point de faulte vous seriez
Quelcque Princesse d'excellence.

XX
Estreines à Jane Faye
Pour Estreines je vous enhorte
Fuyr d'Amour la cruaulté:
Mais si vous n'estiez la plus forte,
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Je vous estreine en privaulté
D'ung Amy plein de loyaulté,
Loyaulté ronde, et mesurée
Au compas de vostre beaulté,
Mais qui soyt de plus grand' durée.

XXI
Estreines à Estienne Dolet
Apres avoir estrené Damoyselles,
Amy Dolet, je te veulx estrener:
Present te fays de la plus fine d'elles,
Qui sache bien à son gré te mener,
Afin d'ouyr ta Muse resonner
Les Passions, qu'Amour aux siens ordonne.
Ce doulx tourment je t'ay voulu donner
Affin qu'à touts ung grand plaisir je donne.

XXII
De ma Damoyselle de la Roue
Painctres experts vostre façon commune
Changer vous fault plus tost huy, que demain:
Ne paignez plus une Roue à Fortune,
Elle a d'Amour pris le dard inhumain:
Amour aussi a pris la Roue en main,
Et des mortelz par ce moyen se joue.
O l'homme heureux, qui de l'enfant humain
Sera poulsé au dessus de la Roue!

XXIII
Pour une mommerie de deux Hermites
Le premier Hermite
Sçavez vous la raison, pourquoy
Hors du monde je me retire
En ung Hermitage à recoy?
Sans faulte je vous le veulx dire.
Celle, que tant j'ayme, et desire,
En lieu de me reconforter,
Tousjours le cul arriere tire.
Le Diable la puisse emporter.
L'aultre Hermite
Je m'en voys tout vestu de gris
En ung boys, là je me confine:
Au monde aussi bien j'amegris,
M'amye est trop dure, ou trop fine:
Là vivray d'eau, et de racine,
Mais pour mon âme il ne m'en chault,
Cela me fera medecine
Contre mon mal, qui est trop chault.

XXIV
A la bouche de Diane
Bouche de Coral precieux,
Qui à baiser semblez semondre:
Bouche, qui d'ung cueur gracieux
Sçavez tant bien dire, et respondre,
Respondez moy, doibt mon cueur fondre
Devant vous, comme au feu la cyre?
Voulez bien celluy occire,
Qui crainct vous estre desplaisant?
Ha bouche, que tant je desire,
Dictes nenny, en me baisant.

XXV
De ma Damoyselle de la Roue
L'aultre jour aux champs tout fasché
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Vey ung Volleur se lamentant,
Dessus une Roue attaché:
Si luy ay dict en m'arrestant,
Ton mal (paovre homme) est bien distant
Du tourment, qui mon cueur empestre:
Car tu meurs sus la roue estant,
Et je meurs, que je n'y puis estre.

XXVI
A une, qui faisoit la longue
Quand je vous ayme ardantement,
Vostre beaulté toute aultre efface:
Quand je vous ayme froidement
Vostre beaulté fond, comme glace.
Hastez vous de me faire grâce,
Sans trop user de cruaulté,
Car si mon amytié se passe,
A Dieu command vostre beaulté.

XXVII
A une, qui luy feit chere par maniere d'Acquict
Ne vous forcez de me cherer,
Chere ne quiert point violence:
Mes vers vous veulent reverer,
Non obliger vostre excellence:
Si mon amour, et ma science
En vostre endroit n'ont sceu valoir,
C'est à moy d'avoir patience,
Et à vous de ne vous chaloir.

XXVIII
De Cupido, et de sa Dame
Amour trouva celle, qui m'est amere:
Et j'y estoys, j'en sçay bien mieulx le compte.
Bon jour (dict il) bonjour Venus ma mere.
Puis tout à coup, il voyt, qu'il se mescompte:
Dont la couleur au visage luy monte
D'avoir failly: honteux Dieu sçait combien.
Non, non, Amour (ce dys je) n'ayez honte:
Plus cler voyants que vous s'y trompent bien.

XXIX
De sa mere par alliance
Si mon poil noir en blanc se tainct,
Comment seroit ce de vieillesse?
Ma mere est en fleur de jeunesse,
Et n'est au monde ung si beau tainct,
Car le sien touts aultres estainct:
De la veoir faictes moy la grâce,
Mais ne contemplez trop sa face,
Que d'aymer n'entriez en esmoy,
Et que sa rigueur ne vous fasse
Vieillir de langueur, comme moy.

XXX
De la Duché d'Estempes
Ce plaisant Val, que l'on nommoit Tempé,
Dont mainte hystoire est encor embellye,
Arrousé d'eaues, si doulx, si attrempé,
Sachez, que plus il n'est en Thessallye.
Juppiter Roy, qui les cueurs gaigne, et lye,
L'a de Thessalle en France remué,
Et quelcque peu son nom propre mué:
Car pour Tempé, veult qu'Estempes s'appelle:
Ainsi luy plaist, ainsi l'a situé,
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Pour y loger de France la plus belle.

XXXI
Du Passereau de Maupas
Las il est mort (pleurez le Damoyselles)
Le Passereau de la jeune Maupas:
Ung aultre oyseau, qui n'a plumes qu'aux aesles,
L'a devoré: le congnoissez vous pas?
C'est ce fascheux Amour, qui sans compas
Avecques luy se jectoit au giron
De la pucelle, et volloit environ,
Pour l'enflamber, et tenir en destresse:
Mais par despit tua le Passeron,
Quand il ne sceut rien faire à la maistresse.

XXXII
Pour Monsieur de la Rochepot, qui gagea contre la Royne, que le Roy coucheroit avecques elle
Or çà vous avez veu le Roy,
Ay je gaigné, dictes ma Dame?
Toute seulle je vous en croy,
Sans le rapport de luy, ne d'âme.
Vray est, qu'au propos que j'entame,
Le Roy serviroyt bien d'ung tiers:
Vous estes deux tesmoings entiers,
Car l'une est Dame, et l'aultre Maistre:
Mais j'en croiroys plus vouluntiers
Ung enfant, qui viendroit de naistre.

XXXIII
La Royne de Navarre, en faveur d'une Damoyselle
Il pensoit bien brusler son chaste cueur
Par doulx regardz, par souspirs tresardants,
Par ung parler, qui faict Amour vainqueur,
Par long servir, par signes evidents,
Mais il trouva une froideur dedans,
Qui touts ses traicts convertissoyt en glace:
Et qui pis est, par une doulce audace
L'oeil chaste d'elle le regarda si fort,
Que sa froideur à travers son cueur passe,
Et mist son feu, Amour, et luy à mort.

XXXIV
Response de Marot, pour le Gentilhomme
Ce seroit trop, que la belle esmouvoir.
Le paovre Amant n'y a pensé, ne pense:
Parler à elle, et la serivir, et veoir
Luy sont assez d'heureuse recompense,
En confessant (noble fleur d'excellence)
Qu'elle l'a bien mys à mort voyrement:
Mais son amour, et son feu vehement
Chasteté d'oeil ne les pourroit estaindre:
Car tant plus vit la Dame chastement,
De tant plus croist le desir d'y attaindre.

XXXV
A une Dame pour l'aller veoir
Endormez bien Argus, qui a tant d'yeulx,
Et faictes tant, que danger se retire:
Duysants ne sont (mais par trop ennuyeulx)
A qui aller vers sa dame desire.
Là vous pourray de bouche à loysir dire
Ce dont l'escript ung mot n'ose parler.
Qu'en dictes vous, ma Dame, y doibs je aller?
Non, j'y courray, mes emprinses sont telles:
Comment courir? J'y pourray bien voller:
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Car j'ay d'Amour avecques moy les aesles.

XXXVI
De Charles Duc d'Orleans
Nature estant en esmoy de forger
Ou Fille, ou Filz, conceut finablement
Charles si beau, si beau pour abreger,
Qu'estre faict Fille il cuyda propement:
Mais s'il avoit à son commandement
Quelcque Fillette aultant, comme luy belle,
Il y auroit à craindre grandement
Que trouvé fust plus Masle, que Femelle.

XXXVII
A une Dame eagée, et prudente
Ne pensez point, que ne soyez aymable:
Vostre eage est tant de grâces guerdonné,
Qu'à touts les coups ung Printemps estimable
Pour vostre Yver seroit abandonné:
Je ne suis point Paris Juge estonné
Qui faveur feit à beaulté qui s'efface:
Par moy le pris à Pallas est donné,
De qui on voit l'ymage en vostre face.

XXXVIII
A Anne
Anne ma Soeur, d'où me vient le songer,
Qui toute nuict par devers vous me maine?
Quel nouvel Hoste est venu se loger
Dedans mon cueur, et tousjours s'y pourmaine?
Certes je croy (et ma foy n'est point vaine)
Que c'est ung dieu: me vient il consoller?
Ha, c'est Amour, je le sens bien voller.
Anne, ma Soeur, vous l'avez faict mon Hoste,
Et le sera (me deust il affoller)
Si celle là, qui l'y mist, ne l'en oste.

XXXIX
De Marguerite d'Alençon, sa Soeur d'alliance
Ung chascun, qui me faict requeste
D'avoir Oeuvres de ma façon,
Voyse tout chercher en la teste
De Marguerite d'Alençon.
Je ne fays Dixain, ne Chanson,
Chant royal, Ballade, n'Espistre,
Qu'en sa teste elle n'enregistre
Fidelement, correct, et seur:
Ce sera mon petit registre,
Elle n'aura plus nom ma Soeur.

XL
De sa Dame, et de soymesme
Des que m'Amye est ung jour sans me veoir,
Elle me dict, que j'en ay tardé quatre:
Tardant deux jours, elle dict ne m'avoir
Veu de quatorze, et n'en veult rien rabatre:
Mais pour l'ardeur de mon Amour abatre,
De ne la veoir j'ay raison apparente.
Voyez, Amants, nostre Amour differente:
Languir la fays, quand suis loing de ses yeulx:
Mourir me faict, quand je la voy presente.
Jugez lequel vous semble aymer le mieulx.

XLI
De Jane, Princesse de Navarre
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Bien soyt venue au pres de Pere, et Mere
Leur Fille unique, et le chef d'OEuvre d'eulx:
Elle nous trouve en doulceur trop amere,
Voyants ung Roy mal sain (las) voyre deux:
Elle nous trouve ung oeil, qui est piteux,
L'aultre qui rit à sa noble venue:
Et comme on voyt souvent l'obscure Nue
Clere à moytié par celestes rayons,
Ainsi nous est demy joye advenue:
Dieu doint qu'en brief entiere nous l'ayons.

XLII
De ma Damoyselle du Brueil
Jeune Beaulté, bon Esprit, bonne grâce,
Cent foys le jour je m'esbahy, comment
Touts troys avez en ung corps trouvé place
Si à propos, et si parfaictement.
Celle, à qui Dieu faict ce bon traictement,
Doibt bien aymer le jour de sa naissance:
Et moy le soir, qui fut commencement
De prendre à elle honneste congnoissance.

XLIII
Du Conte de Lanyvolare
Le vertueux Conte Lanyvolare
Italien, droict à l'assault alla
Troys foys navré: son bon sens ne s'esgare,
Troys foys remonte, et troys foys devala,
Mais sa Fortune en fin l'arresta là.
O gentil cueur (quand bien je te contemple)
Digne de Mars estre eslevé au Temple:
Tu as vivant servy France aux dangiers,
Et après mort sers encores d'exemple
De loyauté aux Souldards estrangiers.

XLIV
D'Albert Joueur de Luz du Roy
Quand Orpheus reviendroit d'Elisée,
Du ciel Phebus plus qu'Orpheus expert,
Jà ne seroit leur Musicque prisée
Pour le jour d'huy, tant que elle d'Albert:
L'honneur d'aisnesse est à eulx, comme appert:
Mais de l'honneur de bien plaire à l'ouyr,
Je dy, qu'Albert par droict en doibt jouyr,
Et qu'ung Ouvrier plus exquis n'eust sceu naistre
Pour ung tel Roy, que Françoys, resjouyr,
Ne pour l'Ouvrier ung plus excellent maistre.

XLV
D'Anne
Lors que je voy en ordre la Brunette
Jeune, en bon poinct, de la ligne des Dieux,
Et que sa voix, ses doigtz, et l'Espinette
Meinent ung bruyt doulx, et melodieux,
J'ay du plaisir et d'oreilles, et d'yeulx
Plus que les sainctz en leur gloire immortelle:
Et aultant qu'eulx, je deviens glorieux,
Des que je pense estre ung peu aymé d'elle.

XLVI
Pour ma dame d'Orsonvilliers, au Roy de Navarre
J'ay joué rondement,
Sire, ne vous desplaise:
Vous m'avez finement
Couppé la queue, et raise:
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Et puis, que je m'en taise?
Jamais ne se feroit.
Mais seriez vous bien aise,
Qui la vous coupperoit?

XLVII
Responce pour le Roy de Navarre à ma Dame d'Orsonvilliers
Si la queue ay couppée
Au jeu si nettement,
Point ne vous ay trompée,
J'ay joué rondement.
Aussi honnestement
Faisons marché qui tienne:
Pour jouer finement
Je vous preste la myenne.

XLVIII
A sa commere
Pardonnez moy ma commere m'Amye,
Si devers vous bien tost ne puis aller,
Au bon vouloir certes il ne tient mye,
Car pour souvent avecques vous parler
De Paradis je vouldroys devaller.
Que voulez vous? la fortune à present
Ne me permect de service estre exempt:
Mais maulgré elle, en brief temps, qui trop dure,
Vous revoirray, et si m'aurez present
Ce temps pendant de cueur, et d'escripture.

XLIX
A Monsieur de Juilly
L'argent par termes recueilly
Peu de proffit souvent ameine:
Parquoy Monseigneur de Juilly,
Qui sçavez le vent, qui me meine,
Plaise vous ne prendre la peine
De diviser si peu de bien:
Car ma Boëte n'est pas si pleine,
Que cinq cents francs n'y entrent bien.

L
Il convie troys Poëtes à disner
Demain, que Sol veult le jour dominer,
Vien Boyssoné, Villas, et la Perriere,
Je vous convie avec moy à disner,
Ne rejectez ma semonce en arriere:
Car en disnant, Phebus par la Verriere
(Sans la briser) viendra veoir ses Supposts,
Et donnera saveur à noz propos,
En les faisant dedans noz bouches naistre:
Fy du repas, qui en paix, et repos
Ne sçait l'esprit (avec le corps) repaistre.

LI
Du Sire de Montmorency, Connestable de France
Meur en conseil, en armes redoubtable,
Montmorency à toute vertu né,
En verité, tu es faict Connestable
Et par merite, et par Ciel fortuné:
Dieu doint, qu'en brief du glaive à toy donné
Tu fasses tant par prouesse, et bon heur,
Que cestuy là, qui en fut le donneur,
Par ton service ayt aultant de puissance
Sur tout le monde (en triumphe, et honneur)
Comme il t'en a donné dessus la France.
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LII
Du Baiser
Ce franc Baiser, ce Bayser amyable,
Tant bien donné, tant bien receu aussi,
Qu'il estoit doulx! O beaulté admirable!
Baisez moy doncq cent foys le jour ainsi,
Me recevant dessoubs vostre mercy
Pour tout jamais: ou vous pourrez bien dire,
Qu'en me donnant ung Baiser adoulcy,
M'aurez donné perpetuel martyre.

LIII
Epigramme de Salmonius mys de Latin en Françoys. Au Roy
Ainsi qu'ung jour au grand Palays tes yeulx
Veirent dressés les Simulachres vieulx
Des roys Françoys (Roy d'entre eulx l'excellence)
Nombrer vouluz touts par ordre, et sequence
Les tiens Ayeulx, qui ont de main en main
Baillé le Sceptre à Prince tant humain:
Mais quand le lieu vuide tu vins à veoir,
Lequel s'attend de ton ymage avoir,
Voyez (dys tu) la place à moy promise,
Quand ceste chair au Tumbeau sera mise.
Or je demande, en tenant ce propos,
Fus tu esmeu de la peur d'Atropos?
Non: car tu as, maulgré mort, asseurance
Qu'entre les Dieux sera ta demeurance.

LIV
A Anne
Puis qu'il vous plaist entendre, ma pensée,
Vous la sçaurez, gentil cueur gracieux:
Mais je vous pry, ne soyez offensée,
Si en pensant suis trop audacieux.
Je pense en vous, et au fallacieux
Enfant Amour, qui par trop sottement
A fait mon cueur aymer si haultement,
Si haultement (helas) que de ma peine
N'ose esperer ung brin d'allegement,
Quelcque doulceur de quoy vous soyez pleine.

LV
A Jane
Vostre bouche petite, et belle,
Et de gracieux entretien,
Puis ung peu son maistre m'appelle,
Et l'alliance je retien,
Car ce m'est honneur, et grand bien:
Mais quand vous me prinstes pour maistre,
Que ne disiez vous aussi bien,
Vostre maistresse je veulx estre?

LVI
A la Royne de Navarre
Nous fusmes, sommes, et serons
Mort, et Malice, et Innocence:
Le Pas de Mort nous passerons,
Malice est tousjours en presence,
Dieu en nostre premiere essence
Nous voulut d'innocence orner.
O la Mort pleine d'excellence,
Qui nous y fera retourner!

LVII
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A Anne, du jour de Saincte Anne
Puis que vous portez le nom d'Anne,
Il ne faut point faire la beste,
Des aujourd'huy je vous condamne
A solenniser vostre feste:
Ou aultrement tenez vous preste
De veoir vostre nom à neant:
Aussi pour vous trop doulx il sonne,
Veu la rigueur de la personne:
Ung dur nom vous est mieulx seant.

LVII
Des Cerfz en rut, et des Amoureux
Les cerfz en rut pour les Bisches se battent,
Les Amoureux pour les Dames combattent,
Ung mesme effect engendre leurs discords:
Les Cerfz en rut d'amour brament, et crient,
Les Amoureux gemissent, pleurent, prient,
Eulx, et les cerfz feroyent de beaulx accords:
Amants sont Cerfz à deux pieds soubs ung corps,
Ceulx cy à quatre: et pour venir aux testes,
Il ne s'en fault, que ramures, et cors,
Que vous Amants ne soyez aussi bestes.

LIX
A Maurice Sceve, Lyonnois
En m'oyant chanter quelcque foys
Tu te plainds, qu'estre je ne daigne
Musicien, et que ma voix
Merite bien que l'on m'enseigne,
Voyre, que la peine je preigne
D'apprendre: ut, re, my, fa, sol, la.
Que Diable veulx tu que j'appreigne?
Je ne boy que trop sans cela.

LX
Au Poëte Borbonius
L'enfant Amour n'est pas si petit Dieu,
Qu'ung Paradis il n'ayt soubs sa puissance,
Ung Purgatoire aussi pour son milieu,
Et ung Enfer plein d'horrible nuysance:
Son Paradis, c'est quand la jouyssance
Aux poursuyvants par grâce il abandonne:
Son Purgatoire est alors, qu'il ordonne
Paistre noz cueurs d'ung espoir incertain:
Et son Enfer, c'est à l'heure qu'il donne
Le voller bas, et le vouloir haultain.

LXI
Il salue Anne
Dieu te gard, doulce, amyable Calandre,
Dont le chant faict joyeulx les ennuyés:
Ton dur depart me feit larmes espandre,
Ton doulx reveoir m'a les yeulx essuyés:
Dieu gard le cueur, sur qui sont appuyés
Touts mes desirs. Dieu gard l'oeil tant adextre,
Là où Amour a ses traictz estuyés:
Dieu gard, sans qui gardé je ne puis estre.

LXII
Dialogue de Luy, et de sa Muse
Marot
Muse, dy moy, pourquoy à ma maistresse
Tu n'as sceu dire Adieu à son depart.
La Muse
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Pource, que lors je mouruz de destresse,
Et que d'ung mort ung mot jamais ne part.
Marot
Muse, dy moy, comment doncques Dieu gard
Tu luy peulx dire ainsi par Mort ravie.
La Muse
Va paovre Sot, son celeste regard
(La revoyant) m'a redonné la vie.

LXIII
D'une Dame de Normandie
Ung jour la Dame, en qui si fort je pense,
Me dict ung mot de moy tant estimé,
Que je ne puis en faire recompense,
Fors de l'avoir en mon cueur imprimé:
Me dict avec ung ris accoustumé,
Je croy qu'il fault qu'à t'aymer je parvienne:
Je luy responds, garde n'ay, qu'il m'advienne
Ung si grand bien: et si ose affermer,
Que je debvroys craindre, que cela vienne,
Car j'ayme trop, quand on me veult aymer.

LXIV
Response faicte par ladicte Dame
Le peu d'Amour, qui donne lieu à crainte,
Perdre vous faict le tant desiré bien:
Car par cela (Amy) je suis contraincte
De revocquer le premier propos mien:
Ne vous plaignez doncq', si vous n'avez rien,
Ou si pour bien, mal on vous faict avoir:
Car qui pour bien, pense mal recevoir,
Indigne il est d'avoir ung seul bon tour,
Voyre de plus sa maistresse ne veoir,
Puis que la peur triumphe de l'Amour.

LXV
Replicque de Marot à ladicte Dame
Je n'ay pas dict, que je crains d'estre aymé,
J'ay dict sans plus, que je debvroys le craindre,
De peur d'entrer en feu trop allumé:
Mais mon desir ce debvoir vient estaindre,
Car je vouldroys à ton Amour attaindre,
Et tant t'aymer, que j'en fusse en tourment:
Qui ne sçayt doncq' Amour bendé bien paindre,
Me vienne veoir, il apprendra comment.

LXVI
D'Anne
Jamais je ne confesseroys,
Qu'Amour d'Anne ne m'a sceu poindre:
Je l'ayme, mais trop l'aymerois,
Quand son cueur au mien vouldroit joindre.
Si mon mal quiers, m'Amour n'est moindre,
Ne moins prisé le Dieu, qui volle:
Si je suis fol, Amour m'affolle,
Et vouldroys, tant j'ay d'amytié,
Qu'aultant que moy elle fust folle,
Pour estre plus fol la moytié.

LXVII
Au Roy de Navarre
Mon second Roy, j'ay une Haquenée
D'assez bon poil, mais vieille comme moy:
A tout le moins long temps a, qu'elle est née,
Dont elle est foible, et son maistre en esmoy:
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La paovre beste (aux signes, que je voy)
Dict, qu'à grand' peine ira jusqu'à Narbonne:
Si vous voulez en donner une bonne,
Sçavez comment Marot l'acceptera?
D'aussi bon cueur, comme la sienne il donne
Au fin premier, qui la demandera.

LXVIII
Du retour du Roy de Navarre
Laissons ennuy, maison de Marguerite,
Nostre Roy s'est devers nous transporte:
Quand il s'en va, son aller, nous despite,
Quand il revient, chascun est conforté:
Or vueille Dieu, s'il a rien apporté
Pour l'an nouveau à nostre souveraine,
Que soyt ung Filz, duquel soyt si tost pleine,
Qu'au mesme an pour nous puisse estre né,
A celle fin, que d'une seulle estreine
On puisse veoir tout ung peuple estreiné.

LXIX
De ma Dame de Laval en Daulphiné
A l'approcher de la nouvelle année,
Nouvelle ardeur de composer m'a pris,
Non de la paix, ne de treve donnée:
Mais de Laval noble Dame de pris:
Sur ceste ardeur crainte d'estre repris
M'a dict, Marot, tays toy pour ton debvoir:
Car pour ce faire il te fauldroit avoir
Aultant de mains, aultant d'Espritz, et d'âmes,
Qu'il est de gens d'estime, et de sçavoir
Touts estimants Laval entre les Dames.

LXX
De l'entrée des Roy, et Royne de Navarre à Cahors
Prenons le cas, Cahors, que tu me doibves
Aultant, que doibt à son Maro Mantue:
De toy ne veulx, sinon que tu reçoyves
Mon second Roy d'ung cueur, qui s'esvertue,
Et que tu soys plus gaye, et mieulx vestue
Qu'aux aultres jours: car son Espouse humaine
Y vient aussi, que ton Marot t'ameine,
Lequel tu as filé, faict, et tissu:
Ces deux trop plus d'honneur te feront pleine
D'entrer en toy, que moy d'en estre yssu.

LXXI
Pour le May planté par les Imprimeurs de Lyon devant le Logis du Seigneur Trivulse
Au ciel n'y a ne Planette, ne Signe,
Qui si à poinct sceust gouverner l'Année,
Comme est Lyon la Cité gouvernée
Par toy, Trivulse, homme cler, et insigne.
Cela disons pour ta vertu condigne,
Et pour la joye entre nous demenée,
Dont tu nous as la liberté donnée,
La liberté des Thresors le plus digne.
Heureux Vieillard, les gros Tabours tonnants,
Le May planté, et les Fiffres sonnants
En vont louant toy, et ta noble race.
Or pense doncq, que sont noz vouluntés,
Veu, qu'il n'est rien, jusqu'aux arbres plantés,
Qui ne t'en loue, et ne t'en rende grâce.

LXXII
A ma Dame de Pons
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Vous avez droit de dire sur mon âme,
Que le Bosquet ne vous pleust oncq si fort,
Car des qu'il a senty venir sa Dame
Pour prendre en luy sejour, et reconfort,
D'estre aggreable a mys tout son effort,
Et a vestu sa verte robbe neufve.
De ce sejour le Pau tout fier se treuve,
Les Rossignolz s'en tiennent angelicques,
Et trouverez (pour en faire la preuve)
Qu'au departir seront melencolicques.

LXXIII
A Rénée de Partenay
Quand vous oyez, que ma Muse resonne
En ce Bosquet, qu'oyseaulx font resonner,
Vous vous plaignez, que rien je ne vous donne,
Et je me plainds, que je n'ay que donner,
Sinon ung cueur tout prest à s'addonner
A vos plaisirs. Je vous en fais doncq offre:
C'est le thresor le meilleur de mon coffre:
Servez vous en, si desir en avez.
Mais quel besoin est il, que je vous offre
Ce, que gaigner d'ung chascun vous sçavez?

LXXIV
Du moys de May, et d'Anne
Moys amoureux, moys vestu de verdure,
Moys, qui tant bien les cueurs fais esjouyr,
Comment pourras (veu l'ennuy, que j'endure)
Faire le mien de lyesse jouyr?
Ne prés, ne champs, ne Rossignolz ouyr
N'y ont pouvoir: quoy donc? je te diray:
Tant seullement fais Anne resjouyr,
Incontinent je me resjouiray.

LXXV
De son feu, et de celluy, qui se print au Bosquet de Ferrare
Puis qu'au milieu de l'eaue d'ung puissant fleuve
Le vert Bosquet par feu est consumé:
Pourquoy mon cueur en cendre ne se treuve
Au feu sans eaue, que tu m'as allumé?
Le cueur est sec, le feu bien enflammé:
Mais la rigueur (Anne) dont tu es pleine,
Le veoir souffrir a tousjours mieulx aymé,
Que par la mort mectre fin à sa peine.

LXXVI
Au Roy
Tandis, que j'estoys par chemin,
L'estat sans moy print sa closture:
Mais (Sire) ung peu de Parchemin
M'en pourra faire l'ouverture:
Puis le Thresorier dit, et jure,
Si du Parchemin puis avoir,
Qu'il m'en fera par son sçavoir
De l'Or: c'est une grand' praticque:
Et ne l'ay encores sceu veoir
Dans les fourneaux du Magnificque.

LXXVII
A maistre Guillaume Preudhomme, Thresorier de l'Espergne
Va tost Dixain solliciter la somme,
J'en ay besoing: pourquoy crains, et t'amuses?
Tu as affaire à ung deux foys Preudhomme,
Grand amateur d'Apollo, et des Muses:
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Affin (pourtant) que de s'amour n'abuses,
Parle humblement, que mon zelle apperçoyve,
Et qu'en lisant, quelque plaisir conçoyve.
Mais de quoy sert tant d'admonnestement?
Fais seullement, que si bien te reçoyve,
Que recevoir je puisse promptement.

LXXVIII
Response à deux jeunes hommes, qui escripvoyent à sa louange
Adolescents, qui la peine avez prise
De m'enrichir de loz non merité,
Pour en louant dire bien verité,
Laissez moy là: et louez moy Loyse.
C'est le doulx feu, dont ma Muse est esprise,
C'est de mes vers le droit but limité:
Haulsez la doncq en toute extremité:
Car bien prisé me sens, quand on la prise.
Et n'enquerez, dequoy louer la fault:
Rien qu'amytié en elle ne deffault:
J'y ay trouvé amytié à redire.
Mais au surplus escripvez hardiment
Ce, que vouldrez: faillir aulcunement
Vous ne sçauriez, sinon de trop peu dire.

LXXIX
D'une mal mariée
Fille, qui prends fascheux mary,
Ce disoit Alix à Colette,
Aura tousjours le cueur marry,
Et mieulx vauldroit mourir seullette.
Il est vray, dict sa soeur doulcette:
Mais contre ung fascheux endormy,
La vraye, et certaine recepte
Ce seroit de faire ung amy.

LXXX
A une, qui portoit le Bleu pour ses couleurs
Tant que le bleu aura nom loyauté,
Si on m'en croyt, il vous sera osté:
J'entends osté, sans jamais le vous rendre.
Mais quand voyrrez conclud, et arresté,
Que bleu sera nommé legiereté,
Vous le pourrez à l'heure bien reprendre.

LXXXI
A Cravan, sien Amy malade
Amy Cravan, on t'a faict le rapport
Depuis ung peu, que j'estoys trespassé:
Je prie à Dieu, que le Diable m'emport,
S'il en est rien, ne si j'y ay pensé.
Quelcque ennemy a ce bruyt avancé,
Et quelcque amy m'a dict, que mal tu te portes.
Ce sont deux bruyts de differentes sortes.
Las, l'ung dict vray: c'est ung bruyt bien maussade.
Quant à celluy, qui a faict l'ambassade
De mon trespas, croy moy qu'il ment, et mort:
Que pleust à Dieu que tu fusses malade
Ne plus, ne moins, qu'à present je suis mort.

LXXXII
Saincte Marthe à Marot, idem
Il fut un bruyt, ô Marot, qu'estois mort,
Et ce faulx bruyt un menteur asseura:
L'un d'un costé se plaignoit de la mort,
Faisant regret qui longuement dura.
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L'aultre par vers piteux la deplora,
Jectant souspirs de dur gemissement.
Moy de grand dueil plorant amerement,
Duquel estoit ma triste âme saisie:
Las, dis je, mort est nostre amy Clement,
Morte doncq' est Françoyse poësie.

LXXXIII
A Anne
Puis que les vers, que pour toy je compose
T'ont fait tancer, Anne ma soeur, m'amye,
C'est bien raison que ma main se repose.
Ce que je fais: ma plume est endormye,
Ancre, papier, la main pasle, et blesmye
Reposent touts par ton commandement:
Mais mon esprit reposer ne peult mye,
Tant tu me l'as travaillé grandement.
Pardonne doncq à mes vers le tourment
Qu'ilz t'ont donné: et (ainsi que je pense)
Ilz te feront vivre eternellement:
Demandes tu plus belle recompense?
Fin du second livre.

Le troisième livre

I
Sur la devise de Jan le Maire de Belges, laquelle est: De peu assez
DE PEU ASSEZ a cil, qui se contente:
De prou n'a riens celluy, qui n'est content.
Estre content de peu est une rente
Qui vault aultant qu'or, ny argent contant.
Ce n'est pas tout s'esjouir en comptant
Force ducatz, si le desir ne cesse.
Qui en desir temperé est constant,
Il peut dire, qu'il a vraye richesse.
Contentement passe richesse

II
Distique
Peu de Villons en bon savoir,
Trop de Villons pour decevoir.

III
Au Roy, nostre souverain
Si en Villon on treuve encor à dire,
S'il n'est reduict ainsi qu'ay pretendu,
A moy tout seul en soyt le blasme (Sire)
Qui plus y ay travaillé qu'entendu.
Et s'il est mieulx en son ordre estendu
Que paravant, de sorte qu'on l'en prise,
Le gré à vous en doibt estre rendu,
Qui fustes seul cause de l'entreprise.

IV
Dizain sur le dict d'ung Theologien
De la Sorbonne ung docteur amoureux
Disoit ung jour à sa dame rebelle:
Ainsi que font tous aultres langoreux,
Je ne peux rien meriter de vous, belle.
Puis nous prescha que la vie eternelle
Nous meritons par oeuvres, et par dictz:
Arguo sic, si magister Lourdis
De sa Catin meriter ne peult rien,
Ergo ne peult meriter Paradis:
Car pour le moins Paradis la vault bien.
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V
Huictain
Le Roy, aymant la decoration
De son Paris, entre aultres biens ordonne
Qu'on y batisse avec proportion:
Et pour ce faire, argent, et conseil donne.
Maison de ville y construict belle, et bonne,
Les lieux publics devise tous nouveaulx,
Entre lesquelz au meillieu de Sorbonne
Doibt, ce dict on, faire la place aux veaux.

VI
Remede contre la peste
Recipe assis sur ung banc,
De Meance le bon jambon
Avec la pinte de bon vin blanc
Ou de claret, mais qu'il soit bon.
Boire souvent de grand Randon,
Le doz au feu, le ventre à table,
Avant partir de la maison,
Cest opiate est prouffitable.
A vostre disner userez
De viandes creuses et legieres,
Beuf ne mouton ne mangerez,
Car ce sont trop dures matieres,
Connils, Perdrys soubz les poppieres,
Passerez aussi Perdriaulx,
Fuyez vyeulx oyseaulx de Riviere,
Et mangez force faisandeaulx.
Ne dormez point apres disner,
Car le dormir est dangereulx,
Et quand en viendra au souper,
Beuvez des vins delicieulx,
Puis apres, entre deux lincieux,
Allez reposer vostre teste:
Continuez ung an ou deux,
De trois mois ne mourrez de peste.

VII
A Geoffroy Brulart
Nostre maistre Geoffroy Brulart
Qui sçavez la science, et l'art
De guerir les gens de tous maulx,
Icy est l'ung de voz feaulx
Qui de colique brusle, et art.
Je ne mange poisson ne lard,
Non que craigne le papelart,
Mais mon mal me faict trop d'assaulx.
Nostre maistre,
Venez donc plus tost que tart,
Et n'oubliez pas le broillart
De voz receptes à monceaulx,
Et payé serez en Royaulx,
Car vous estes saige vieillart,
Nostre maistre.

VIII
Ce que aulcuns Theologiens plaquerent à Paris, quand Beda fut forbanny, voulans esmouvoir le peuple à sedition
contre le Roy
Au feu, au feu, ceste heresie
Qui jour et nuyct trop nous blesse:
Doys tu souffrir qu'elle moleste
Saincte Escripture et ses esdictz?
Veulx tu bannyr science parfaicte
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Pour soustenir Lutheriens mesdictz?
Crains tu dieu qu'il le permecte
Toy et tes biens qui sont fleuris
Face perir?
Paris, Paris, fleur de noblesse,
Soustien la loy de toy qu'on blesse,
Ou aultrement fouldre et tempeste
Cherra sus toy, je t'en advertys.
Prions tous le roy de gloire
Qu'il confunde ces hereticques mauldictz,
Affin qu'il n'en soyt plus memoyre,
Non plus que des aulx pourriz.
Au feu, au feu, c'est le repaire,
Faictz en justice, dieu l'a permys.

IX
Responce de Clement Marot à l'escripteau icy dessus
En l'eau, en l'eau, ces folz seditieux,
Lesquelz, en lieu des divines parolles,
Preschent au peuple ung tas de monopoles
Pour esmouvoir debatz contentieux.
Le Roy leur est ung peu trop gratieux:
Que n'ha il mys à bas ces testes folles
En l'eau.
Ilz ayment tant les vins delicieux
Qu'on peult nommer cabaretz leurs escholles
Mais refroidir fauldroit leurs chauldes colles,
Par rebours de ce qu'ilz ayment myeulx,
En l'eau.

X
Dizain à ce propos
Au feu, en l'eau, en l'air ou en la terre,
Soient pris et mis ces folz predicateurs,
Qui vont preschant sedition, et guerre,
Entre le peuple et les bons precepteurs.
Ilz ont esté trop long temps seducteurs,
Et mis le monde en trouble, et desarroy.
Mais Dieu de grâce ha voulu, que le Roy
Aye entendu leur sophistic parler,
Qui les fera punir selon la loy,
Au feu, en l'air, en la terre, ou en l'air.

XI
Sur Juppiter ex alto
Tous les sermens que femme peult jurer
A son amy quand elle est accusée,
Tous les propos que jeunesse abusée
Presente au cueur doubteux pour l'asseurer,
Ont ilz puissance à faire meme durer
Et divertir mon malheureux soucy?
Non: car j'ay veu son mary murmurer
Souvent de moy qu'elle juroit ainsi.

XII
Dicton en ryme croisée
Sus, quatre vers, partez en haste
De par Marot dire à levrault,
Si la mort ne l'a mys en paste,
Qu'il le veult veoir, car il le vault.

XIII
Robinet à Marot
Pres de ton cueur plus dur que dyamant
Je suis logé, trescher amy Clement.
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Comme si j'eusse la haulte mer passée,
Suys eslongné de ta bonne pensée:
Veu que tu es mon voisin de si pres,
Je m'esbahys si ne fays tes apprestz
Pour de promesse te venir acquicter:
Si quicté m'as, me convient te quicter.
Marot à Robinet
Tu es logé au cabinet
De mon cueur, amy Robinet,
T'advisant que point ne te quicte:
Mais puis qu'il fault que je m'acquite,
A ce soir me trouveras prest.
Ce pendant faiz doncques apprest
De vin sur la langue trotant,
Et de soif pour boire d'autant.

XIV
Dizain
Veu que suys né en povreté amere,
Moult haultement apparenté me voy:
Car une Royne excellente est ma mere:
Loué soit Dieu, duquel vient cest envoy.
D'un mesme pain vivons en bonne foy,
Voyre, et combien que je luy obtempere,
Son frere suys du costé du grand pere.
Que dictes vous, dois je vivre en esmoy?
Allez caphars de rage et de vipere,
Elle n'est pas votre seur comme à moy!

XV
Au grant Maistre
Il pleut au Roy, l'ung de ces jours passez,
De commander que j'eusse de l'argent.
Advis me fut que c'estoit bien assez
Et que n'estoys desjà plus indigent.
A pourchasser n'ay esté negligent,
Et toutesfois je ne suis satisfaict.
Le Roy le veult, c'est raison qu'il soit faict:
Il vous plaira doncq commander par lectre
Que son vouloir sortisse son effect,
Et vous ferez ung oeuvre de grant maistre.

XVI
Epigramme par manière de dialogue pour madamoiselle d'Huban
Qu'esse qu'Huban? c'est beaulté naturelle
Et grand vertu en forme corporelle.
Qu'esse qu'Huban? du Seigneur un chef d'oeuvre
Mys icy bas, lequel il nous descoeuvre.
Qu'esse qu'Huban? c'est un jardin et clost
Où tout sçavoir veritable est enclost.
Qu'esse qu'Huban? affin que le vous dye
Tout en un mot, c'est la cyclopedie
Et de tous artz liberaulx le registre
Que le Seigneur a voulu faire, et tistre,
Pour nous monstrer sa vertu planctureuse.
Voilà que c'est qu'Huban, la bien heureuse:
Heureuse dy, quar il n'est femme au monde
En qui vertu plus qu'en icelle habonde.

XVII
A Madame de Ferrare
Quant la vertu congneut que la fortune
Me conseilloit d'abandonner la France,
Elle me dit: cherche terre opportune
Pour mon recueil, et pour ton asseurance.
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Incontinent, dame, j'euz esperance
Qu'il feroit bon devers toy se retraire,
Qui tous enfans de vertu veulx attraire
Pour decorer ta maison sumptueuse,
Et qui plaisir ne prendrois à ce faire,
Si tu n'estoys toy mesme vertueuse.

XVIII
De Marot sorty du service de la Royne de Navarre et entré en icelluy de Madame de Ferrare
Mes amys, j'ay changé ma dame,
Une autre a dessus moy puissance:
Née deux foys de nom, et d'âme,
Enfant de Roy par sa naissance,
Enfant du ciel par congnoissance
De celluy qui la saulvera:
De sorte quant l'autre saura
Comment je l'ay telle choysie,
Je suis tout seur qu'elle en aura
Plus d'aise que de jalousie.

XIX
Sonnet à Madame de Ferrare
Me souvenant de tes grâces divines,
Suis en douleur, princesse, à ton absence:
Et si languy quant suis en ta presence,
Voyant ce lys au milieu des espines.
O la doulceur des doulceurs feminines!
O cueur sans fiel! ô race d'excellence!
O dur mary remply de violence,
Qui s'endurcist pres des choses benignes.
Si seras tu de la main soustenue
De l'Eternel; comme chere tenue,
Et tes nuysans auront honte, et reproche.
Courage, doncq: en l'air je voy la nue
Qui çà, et là s'escarte, et diminue,
Pour faire place au beau temps, qui s'approche.

XX
Au Roy
Plaise au Roy me faire payer
Deux ans d'absence de mes gaiges,
Tant seullement pour essayer,
Apres que l'on s'est veu rayer,
Combien sont doulx les arreraiges.
J'en chasseray tous les oraiges
Qui loing de vous m'ont faict nager,
Et sauray gré à mes contraires,
Qui, cuydans troubler mes affaires,
M'auront fait si bon mesnager.

XXI
A la ville de Paris
Paris, tu m'as fait mainctz alarmes,
Jusqu'à me poursuivre à la mort.
Je n'ay que blasonné tes armes:
Ung ver, quant on le presse, il mord.
Encor la coulpe m'en remord.
Ne sçay de toy qu'il en sera:
Mais de nous deux le dyable emport
Celluy qui recommencera.

XXII
Au Roy, pour estrenes
Ce nouvel an, Françoys, où grâce abonde,
M'a fait present de plaine liberté:
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Il m'a ouvert pour estrene le monde
Dont l'occident deux ans clos m'a esté.
Et pourtant j'ay d'estrener protesté
Le monde ouvert, et mon Roy valeureux.
Je donne au roy ce monde plantureux:
Je donne au monde ung tel prince d'eslite,
Affin que l'un vive en paix bien heureux,
Et que l'autre ayt l'estrene qu'il merite.

XXIII
De la prise du Chasteau de Hedin
C'est à Françoys en armes tressavant
De faire prendre aux ennemys carriere,
C'est à Françoys de marcher plus avant,
C'est à Cesar de retourner arriere:
Car mieulx que luy Françoys rompt la barriere,
Laquelle nuyst à plus oultre entreprendre.
Va donc Cesar, va patience prendre:
Prendre ne peulx aussy bien ung fort lieu.
Tu rends Hedin: nous ne voulons entendre
A rendre rien, synon grâces à Dieu.

XXIV
Sonnet de la difference du Roy et de l'Empereur
L'un s'est veu pris, non plusieurs fois, mais une,
En plain conflict, faisant aspres effortz.
L'autre deux foys n'a eu courage, fors
Fuyr de nuyct, sans craindre honte aucune.
L'un fut en camp, exemple de fortune,
L'autre ung patron de vrays actes tres ords.
L'un par sa prise a perdu des tresors,
L'autre l'honneur, trop plus cher que pecune.
L'un a fort bras: du pied l'autre est expert.
L'un veult user de puissance en appert:
L'autre en secret maulx infiniz conspire.
Quant tout est dit (pour ce qu'il vault, et sert):
D'estre chez luy à croppir il dessert,
Et cestuy cy deust manier l'empire.

XXV
Sur la devise de l'empereur, plus oultre
La devise de l'empereur
D'ambition le fait noter,
Et si est foible conquereur
Pour ceulx à qui se veult frotter
Son "plus oultre" luy fault oster,
Si aultrement ne s'en acoustre:
Car qui reculle doit porter
"Plus arriere", non pas "plus oultre".

XXVI
Contre Sagon
Si je fais parler ung vallet,
Sagon fera parler ung page:
Si je pains le premier fueillet,
Sagon painct la premiere page:
Si je postille mon ouvraige,
Sagon tout ainsy vouldra faire.
Quant tout est dit, veu son affaire,
Je trouve que le babouyn
Ne fait rien, sinon contrefaire,
Comme vray singe, ou sagouyn.

XXVII
Cinquain
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Janeton a du teton,
Et Cathin a du tetin,
Martin de la tetine,
Et Oudette de la tette,
Thomasse de la tetasse.

XXVIII
Pour le Perron de Monseigneur le Daulphin, au tourney des Chevaliers errans, pres Chatelerault. en l'An I54I
Icy est le Perron,
D'amour loyalle, et bonne:
Ou maint coup d'esperon
Et de glaive se donne.
Ung Chevalier Royal
Y a dressé sa tente:
Et sert de cueur loyal
Une Dame excellente.
Dont le nom gracieux
N'est jà besoing d'escrire:
Il est escript aux cieulx,
Et de nuyct se peult lire.
Cest endroict, et forest,
Nul Chevalier ne passe,
Sans confesser qu'elle est
Des Dames l'oultrepasse.
S'il en doubte, ou debat,
Point ne fault qu'il presume
S'en aller sans combat.
C'est du lieu la coustume.

XXIX
Pour le Perron de Monseigneur d'Orleans
Voicy le Val des constans amoureux,
Où tient le parc l'Amant chevalereux,
Qui n'ayma onc, n'ayme, et n'aymera qu'une.
D'icy passer n'aura licence aucune
Nul Chevalier, tant soit preux, et vaillant,
Si Ferme amour est en luy deffaillant.
S'il est loyal, et veult que tel se treuve,
Il luy convient lever, pour son espreuve
Ce Marbre noir: et si pour luy trop poise,
Chercher ailleurs son advanture voise.

XXX
Quatre epigrammes du mesme autheur faictz pour les Perrons de la forest de Chasteleraud, au tournoy et
triumphe de la reception du duc de Cleves

I
Pour le Perron de Monsieur de Vendosme
Tous chevaliers de queste avantureuse,
Qui de venir au sejour vous hastez,
Où loyauté tient sa cour plantureuse,
Et y depart ses guerdons souhaitez,
Ne passez outre, et si vous arestez:
Jouster vous fault, et monstrer la vaillance
Qui est en vous, et d'espée et de lance,
Ou franchement que vous me consentez
Que celle à qui j'ay voué mon service
Non seulement n'a macule ne vice,
Ne rien en elle, ou tout honneur n'abonde,
Mais est la plus parfaite de ce monde.

II
Pour le Perron de Monsieur d'Anguien dont la superscription estoit telle: pour le Perron d'un chevalier qui ne se
nomme point
Le Chevalier sans peur, et sans reproche,
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Se tient icy: qu'aucun ne s'en aproche,
S'il n'est en point de jouster à oultrance
Pour soustenir la plusbelle de France.
Qui de passer aura cueur, ou envie,
Conte de mort peu face, et moins de vie.

III
Pour le Perron de Monsieur de Nevers
Vous chevaliers errans, qui desirez honneur,
Voyez le mien Perron où maintiens loyauté
De tous parfaitz amans, et soustiens le bon heur
De celle qui conserve en vertu sa beauté:
Parquoy je veux blasmer de grand' desloyauté
Celuy qui ne vouldra donner ceste asseurance,
Qu'au demourant du monde on peult trouver bonté
Qu'on deust autant priser que sa moindre science.

IV
Pour le Perron de Monsieur d'Aumale qui estoit semé des lettres L et F
C'est pour la souvenance d'une
Que je porte ceste devise,
Disant que nulle est souz la Lune
Où tant de valeur soit comprise.
A bon droit telle je la prise,
Et de tous doit estre estimée
Qu'il n'en est point, tant soit exquise,
Qui soit si digne d'estre aymée.
Si quelqu'un d'audace importune
Le contraire me veult debatre,
Fault qu'il essaye la fortune
Avecques moy de se combatre.

XXXI
De Monsieur du Val, Tresorier de l'espargne
Toy noble esprit qui veulx chercher les Muses,
En Parnasus (croy moy) tu monteras:
De les trouver sur le mont tu t'amuses,
Dont, si m'en croys, au Val t'arresteras:
Là d'Helicon la fontaine verras,
Et les neuf soeurs Muses bien entendues,
Qui, puis un peu (ainsi le trouveras)
Du Mont Parnase, au Val sont descendues.

XXXII
Responce de du Val
Toy noble esprit, qui vouldras t'arrester
Et aucun Val, pour les neuf Muses veoir,
Et tous tes sens de nature apprester,
Pour aucun fruict de leur science avoir,
Ne pense pas un tel bien recevoir
D'un Val en friche, où ces Soeurs ont trouvé
Nouveau Vassal: mais s'il est abreuvé
De la liqueur qui par Marot distille
De Parnasus, lors sera esprouvé
Combien tel Mont peult un Val faire utile.

XXXIV
De Madame de l'Estrange
Celle qui porte un front cler et serain,
Semblant un Ciel, où deux Planetes luysent:
En entretien, grâce, et port souverain,
Les autres passe autant qu'argent l'erain,
Et tous ces poinctz à l'honorer m'induysent.
Les escrivains qui ses vertus deduysent
La nomment tous ma Dame de l'Estrange:
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Mais veu la forme, et la beauté qu'elle a,
Je vous supply, compaignons, nommez la
Doresnavant ma Dame qui est Ange.

XXXV
A l'Empereur
Lors que (Cesar) Paris il te pleut veoir,
Et que pour toy la Ville estoit ornée,
Un jour devant il ne feit que pleuvoir,
Et l'endemain claire fut la journée:
Si donc faveur du Ciel te fut donnée,
Cela, Cesar, ne nous est admirable:
Car le Ciel est, comme par destinée,
Tout coustumier de t'estre favorable.

XXXVI
De Viscontin, et de la Calendre du Roy
Incontinent que Viscontin mourut,
Son âme entra au corps d'une Calendre:
Puis de plein vol vers le Roy s'en courut,
Encor un coup son service reprendre:
Et pour mieulx faire à son maistre comprendre
Que c'est luy mesme, et qu'il est revenu,
Comme on l'ouyt parler gros, et menu,
Contrefaisant d'hommes geste et faconde,
Ores qu'il est Calendre devenu,
Il contrefaict tous les Oyseaulx du monde.

XXXVII
D'un gros Prieur
Un gros Prieur son petit fils baisoit,
Et mignardoit au matin en sa couche,
Tandis rostir sa Perdrix on faisoit:
Se leve, crache, esmeutit, et se mouche:
La Perdrix vire: Au sel de broque en bouche
La devora, bien sçavoit la science:
Puis quand il eut prins sur sa conscience
Broc de vin blanc, du meilleur qu'on eslise:
Mon Dieu, dit il, donne moy patience,
Qu'on a de maulx, pour servir saincte Eglise!

XXXVIII
De la Ville de Lyon
On dira ce que l'on voudra
Du Lyon, et de sa cruauté:
Tousjours, ou le sens me fauldra,
J'estimeray sa privaulté:
J'ay trouvé plus d'honnesteté,
Et de noblesse en ce Lyon,
Que n'ay pour avoir frequenté
D'autres bestes un million.

XXXIX
A une, dont il ne povoit oster son cueur
Puis qu'il convient pour le pardon gaingner
De tous pechez faire confession,
Et pour d'enfer l'esprit esloingner
Avoir au cueur ferme contrition,
Je te supply fais satisfa[c]tion
Du povre cueur qu'en peine tu retiens,
Ou si le veulx en ta possession,
Confesse donc mes pechez et les tiens.

XL
A Pierre Marrel, le merciant d'un Cousteau
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Ton vieil Cousteau, Pierre Marrel, rouillé,
Semble ton Vit, jà retraict et mouillé:
Et le Fourreau tant laid où tu l'engaines,
C'est que tousjours a aymé vieilles Gaines:
Quant à la corde à quoy il est lyé,
C'est qu'attaché seras, et maryé:
Au Manche aussi de Corne congnoit on
Que tu seras cornu comme un Mouton:
Voylà le sens, voylà la prophetie
De ton Cousteau, dont je te remercie.
XLI
De Alix, et de Martin
Martin estoit dedans un boys taillis
Avec Alix, qui par bonne maniere
Dit à Martin: le long de ces Pallis
T'amye Alix d'amour te faict priere:
Martin dit lors, s'il venoit par derriere
Quelque lourdault, ce seroit grand vergongne:
Du cul (dit elle) vous ferez signe: Arriere,
Passez chemin, laissez faire besongne.

XLII
D'un Cheval, et d'une Dame
Si j'ay comptant un beau Cheval payé,
Il m'est permis de dire qu'il est mien:
Qu'il ha beau trot, que je l'ay essayé:
En ce faisant cela me faict grand bien.
Donques si j'ay payé comptant et bien
Celle qui tant soubz moy le cul leva,
Il m'est permis de vous dire combien
Elle me couste, et quel emble elle a.

XLIII
D'une Dame desirant veoir Marot
Ains que me veoir en lisant mes escripts
Elle m'ayma, puis voulut veoir ma face.
Si m'a veu noyr, et par la barbe gris,
Mais pour cela ne suis moins en sa grâce.
O gentil cueur, Nymphe de bonne race,
Raison avez: car ce corps jà grison
Ce n'est pas moy, ce n'est que ma prison.
Et aux escripts dont lecture vous feistes,
Vostre bel oeil (à parler par raison)
Me veit trop mieulx, qu'à l'heure que me veistes.

XLIV
A une Dame de Lyon
Sus lettres faictes la petite à la brunette Marguerite
Si le loysir tu as, avec l'envie
De faire un tour icy pres seulement,
Je te rendray bon compte de ma vie,
Depuis le soir qu'euz à toy parlement:
Ce soir fut court: mais je sçay seurement
Que tu en peulx donner un par pitié,
Qui dureroit dix fois plus longuement,
Et sembleroit plus court de la moytié.

XLV
Responce par ladicte Dame
Lettres saluez humblement, de Maro le seul filz Clement
Quant tu vouldras, le loysir et l'envie
Dont me requiers sera bien tost venue,
Et de plaisir seray toute ravie
Lors me voyant de toy entretenue:
Le souvenir de ta grâce congneue
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Du soir auquel j'euz à toy parlement,
Souvent me faict par amour continue
A voir desir de recommencement.

XLVI
A Monsieur Crassus, qui luy vouloit amasser deux mil escuz
Cesse, Crassus, de fortune contraindre,
Qui grand tresor ne veult m'estre ordonné:
Suffise toy qu'elle ne peult estaindre
Ce nom, ce bruit, que vertu m'a donné.
C'est à Françoys, ce grand Roy couronné
A m'enrichir. Quant aux escus deux mille
Que m'assembler ne trouves difficile
D'autant d'amys, en vérité je tien
Qu'il n'y a chose au Monde plus facile,
Si tous avoient semblable cueur au tien.

XLVII
D'un mauvais Poete
Sans fin (paovre sot) tu t'amuses
A vouloir complaire aux Neuf muses:
Mais tu es si lourd, et si neuf,
Que tu en fasches plus de neuf.

XLVIII
Mommerie de quatre jeunes Damoyselles, faicte de Madame de Rohan à Alençon
La premiere portant des esles
Prenez en gré, Princesse, les bons zelles
De l'entreprise aux quarte damoyselles:
Dont je me tien des plus petites l'une.
Mais toutefois entendez par ces esles
Qu'à ung besoin pour vous, avecques elles,
J'entreprendroys voller jusqu'à la Lune.
La premiere vestuë de blanc
Pour resjouyr vostre innocent,
Avons prins habit d'innocence.
Vous pourriez dire qu'il ne sent
Rien encor de resjouyssance.
Mais (Madame) s'il a puissance
De sentir mal quand mal avez:
Pourquoy n'aura il jouyssance
Des plaisirs que vous recevez?
La seconde portant des esles
Madame, [c]es esles icy
Ne monstrent faulte de soucy,
Ne trop de jeunesse frivolle.
Elles vous declarent pour moy
Que quand vous estes hors d'esmoy,
Je voy, je vien, mon cueur s'envolle.
La seconde vestuë de blanc
L'habit est blanc, le cueur noir ne fut oncques,
Prenez en bien (noble Princesse) doncques
Ce passetemps de nostre invention:
Car n'en deplaise à la melancholie,
Soy resjouyr n'est peché ny follye,
Sinon à gent de malle intention.
Pour la jeune.
Recevez en gré la boursette,
Ouvrée de mainte couleur:
Voluntiers en don de fillette
On ne regarde en la valeur.
J'auray grand plaisir, avecq' heur,
S'il est prins de volunté bonne.
Car je le donne de bon cueur,
Et le cueur mesme je vous donne.
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Pour l'aisnée
C'est ung don faict d'un cueur pour vous tout né,
C'est de la main à vous toute adonnée:
Brief c'est ung don lequel vous est donné
De celle là que l'on vous a donné:
Voyre donné d'Amour bien ordonnée:
Parquoy mieux prins sera comme je pense.
Si le don plaist, me voylà guerdonnée:
Amour ne veult meilleure recompense.

XLIX
D'Ysabeau
Ysabeau, ceste fine mousche,
Clavier (tu entens bien Clément)
Je sçay que tu sçayz qu'elle est lousche,
Mais je te veulx dire comment:
Elle l'est si horriblement,
Et de ses yeux si mal s'acoustre,
Qu'il vauldroit mieulx, par mon serment,
Qu'elle feust aveugle tout oultre.

L
Huictain
J'ay une lettre entre toutes eslite.
J'ayme ung pais, et ayme une chanson:
N est la lettre, en mon cueur bien escripte,
Et le païs est celuy d'Alençon.
La chanson est (sans en dire le son):
Alegez moy, doulce, plaisant brunette.
Elle se chante à la vieille façon:
Mais c'est tout ung, la brunette est jeunette.

LI
Dixain
Une dame du temps passé
Vey n'agueres entretenuë
D'ung vieil gentilhomme cassé
Qui avoit la barbe chenuë:
Alors la souhaytastes nuë
Entre ses braz: mais puis qu'il tremble,
Et puis que morte elle resemble,
Monsieur, si pitié vous remord,
Ne les faictes coucher ensemble,
De peur qu'ilz n'engendrent la Mort.

LII
Du retour de Tallart à la Court
Puis que voyons à la Court revenuë
Tallard, la fille à nulle autre seconde,
Confesser fault, par sa seule venue,
Qu[e] les Espritz reviennent en ce monde:
Car rien qu'Esprit n'est la petite blonde.
Esprit qui point aux autres ne ressemble,
Veu que de peur, s'ilz reviennent, on tremble.
Mais cestuy cy n'espovente ne nuyt.
O esprit donc, bon feroit, ce me semble,
Avecques toy rabaster toute nuict.

LIII
Huictain
Plus ne suis ce que j'ay esté,
Et ne le sçaurois jamais estre.
Mon beau printemps, et mon esté,
Ont faict le sault par la fenestre.
Amour, tu as esté mon maistre,
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Je t'ay servy sur tous les Dieux.
O, si je povois deux fois naistre,
Comment je te serviroys mieulx!

LIV
Responce au huictain precedent
Ne menez plus tel desconfort,
Jeunes ans sont petites pertes.
Vostre eage est plus meur, et plus fort,
Que ces jeunesses mal expertes.
Boutons serrez, Roses ouvertes,
Se passent trop legierement.
Mais du Rosier les fueilles vertes
Durent beaucoup plus longuement.

LV
Sur le mesme propos
Pourquoy voulez tant durer,
Ou renaistre en florissant eage?
Pour aymer, et pour endurer,
Y trouvez vous tant d'advantage?
Certes, celuy n'est pas bien sage,
Qui quiert deux fois estre frappé,
Et veult repasser ung passage
Dont il est à peine eschappé.

LVI
A Anne
Le cler Soleil par sa presence efface,
Et faict fuyr les tenebreuses nuyctz.
Ainsi pour moy (Anne) devant ta face
S'en vont fuyant mes langoureux ennuictz.
Quant je te voy, je suis bien d'autre sorte.
Dont vient cela? savoir je ne le puis,
Si n'est d'Amour, Anne, que je te porte.

LVII
Dizain
Malheureux suis, ou à malheureux maistre,
Qui tant de fois sur moy a desiré
Qu'aupres de luy sa Deesse peust estre,
Par qui long temps Amour l'a martyré.
Or elle y est. Mais ce Dieu a tiré
Dedans son cueur autre flesche nouvelle.
Mon maistre (helas) voyez chose cruelle:
Car d'un costé vostre desir m'advient,
De l'autre non. Car je porte avec elle
Ung autre amy qui vostre place tient.

LVIII
Dizain au Roy, envoyé de Savoye. 1543
Lorsque la peur aux talons met des esles,
L'homme ne sçait où s'en fuyr, ne courre:
Si en Enfer il sçait quelques nouvelles
De sa seurté, au fin font il se fourre:
Puis peu à peu sa peur vient à escourre,
Ailleurs s'en va. Syre, j'ay faict ainsi:
Et vous requiers de permettre qu'icy,
A seurté, service je vous face.
Puny assez, je seray en soucy
De ne plus voir vostre Royalle face.

LIX
A ung jeune Escolier docte, griefvement malade
Charles, mon fils, prenez courage,
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Le beau temps vient apres l'orage,
Apres maladie santé.
Dieu a trop bien en vous planté
Pour perdre ainsi son labourage.

LX
Epigramme à la louange du Roy
Si mon Seigneur, mon Prince, et plus que Pere,
Qui des François FRANCOYS premier se nomme,
N'estoit point Roy de sa France prospere,
Ne Prince avec, mais simple Gentil-homme:
J'irois avant dix fois par delà Rome,
Que j'en suis loing, cercher son accointance,
Pour sa vertu qui plus fort le couronne
Que sa forune et Royalle prestance.
Mais souhaiter cas de telle importance
Seroit vouloir mon bien particulier,
A luy dommage, et tort faict à la France,
Qui a besoing d'ung Roy tant singulier.

LXI
Contre l'inique. A Antoine du Moulin, Masconnois, et Claude Galland
Fuyez, fuyez (ce conseil je vous donne)
Fuyez le fol qui à tout mal s'adonne,
Et dont la mere en mal jour fut enceinte.
Fuyez l'infame, inhumaine personne,
De qui le nom si mal cymbale et sonne
Qu'abhorré est de toute oreille sainte.
Fuyez celuy qui, sans honte ne crainte,
Compte tout hault ses vices hors d'usance,
Et en faict gloire (et y prend sa plaisance):
Qui s'aymera, ne le frequente donq.
O malheureux, de perverse naissance:
Bienheureux est qui fuit ta congnoissance,
Et plus heureux, qui ne te congneut onq.

LXII
A Marot, de Galland
Pour l'interest de mon premier Dizain,
Par ce second, rien autre ne demande
Que recevoir un quatrain ou sizain
Forgé par vous. Si je fais ma demande,
En jugement j'en auray telle amende,
Que le tarder vous sera dommageable.
A mon advis, il n'est pas raisonnable
Que pour tel cas en proces l'on procede:
Pource vous pri' faire change semblable
Que feit Glaucus avec Diomede.

LXIII
Response par Clement Marot à maistre Claude Galland
Quand devers moy tes escritz sont venuz,
Gentil d'esprit, et Galland de nature,
Je les ay prins de la main de Venus
Comme forgez, et livrez par Mercure.
J'ay reveré doucement ta facture,
Et ce qu'as sceu de ton sens inventer.
Or tu te peux en mon endroit vanter
Que de rythmer tu triomphes, et fais rage
Et mon esprit s'en doit bien contenter,
Veu que content serois du seul message.

LXIV
Audit Galland
Pensant en moy trouver l'or souverain
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De rimasser, bien coucher, bien escrire,
Tu trouveras ce qu'est plus bas qu'erain,
Si bon vouloir pour or ne peult souffire.
Certes, c'est toy qui ne peux esconduire
Les beaux thresors des Muses, et des Dieux:
Tes vers latins font resonner les cieux,
Et en rythmant ce que ta plume couche,
Sera veu or luysant et precieux,
Si l'on en croit à ma naïve touche.

LXV
Dizain, sur le Thucydide de Claude de Seyssel
Voyez l'histoire (ô vous, nobles espritz)
Par laquelle est toute aultre precellée,
Avec la fleur, le fruict y est compris
D'antiquité, toute renouvellée,
Qui par trop d'ans vous eust esté celée,
Si le franc Roy ne vous en eust fait part.
Riches sont ceulx à qui leur Roy depart
Plus beaulx tresors qu'argent à grosses sommes:
Et bien merite avoir histoire apart
Qui telle histoire offre aux yeulx de ses hommes.

LXVI
Sur l'Esleu Macault, translateur des apophthegmes, tant Grecz que Latin. Aux Lecteurs
Si sçavoir veulx les rencontres plaisantes
Des saiges vieulx, faittes en devysant,
O tu, qui n'as lettres à ce duysantes,
Grâces ne peulx rendre assez suffisantes
Au tien Macault, ce gentil traduysant.
Car en ta langue orras (icy Lysant)
Mille bons motz propres à oindre, et poindre,
Ditz par les Grecz, et Latins. T'advisant,
Si bonne grâce eurent en bien disant,
Qu'en escryvant Macault ne l'a pas moindre.

LXVII
Du mesme, aux Lecteurs
Des bons propoz cy dedans contenuz,
Rends à Plutarque (ô Grec) ung grand mercy.
Soyez (Latins) à Erasme tenuz,
Qui vous a tout traduit et esclercy.
Tous les Françoys en doivent faire ainsi
Au translateur. Car en ce livre aprenent
De bon sçavoir autant, quant à cecy,
Que les Latins, et les Grecz en comprenent.

LXVIII
Au Roy, pour estre remis en son estat
Si le Roy seul, sans aucun y commettre,
Met tout l'estat de sa maison à poinct:
Le cueur me dict que luy, qui m'y fit mettre,
M'y remettra, et ne m'ostera point.
Crainte d'obli pourtant au cueur me poingt,
Combien qu'il ayt la memoire excellente:
Et n'ay pas tort. Car si je perds ce poinct,
A Dieu command le plus beau de ma rente.
Or doncques soit sa majesté contente
De m'y laisser en mon premier arroy,
Soit de sa chambre, ou sa loge, ou sa tente,
Ce m'est tout un, mais que je sois au Roy.

LXIX
De Frere Thibaud
Frere Thibaut, pour souper en quaresme,
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Fait tous les jours sa Lamproye rostir,
Et puys, avec une couleur fort blesme,
En plaine chaire il nous vient avertir
Qu'il jeusne bien, pour sa chair amortir,
Tout le quaresme en grand devotion,
Et qu'autre chose il n'a, sans point mentir,
Qu'une rostie à sa colacion.

LXX
De l'an 1544.
Le cours du ciel qui domine icy bas
Semble vouloir, par estime commune,
Cest an present demonstrer maints debatz,
Faisant changer la couleur de la Lune,
Et du Soleil la vertu clere en brune.
Il semble aussi par monstres orgueilleux
Signifier cest an fort perilleux:
Mais il dev[r]oit, faisant tousjours de mesme,
Et rendant l'an encor' plus merveilleux,
Nous envoyer eclipse de quaresme.

LXXI
D'un usurier, pris du Latin
Un usurier à la teste pelée
D'un petit blanc acheta un cordeau
Pour s'estrangler, si par froide gelée
Le beau bourgeon de la vigne nouveau
N'estoit gasté. Apres ravine d'eau,
Selon son vueil, la gelée survint:
Dont fut joyeux: mais comme il s'en revint
En sa maison, se trouva esperdu
Voyant l'argent de son licol perdu
Sans profiter: sçavez vous bien qu'il fit?
Ayant regret de son blanc, s'est pendu
Pour mettre mieulx son licol à profit.

LXXII
D'un advocat Jouant contre sa femme, et de son clerc
Un advocat jouoit contre sa femme
Pour un baiser, que nommer n'oserois.
Le jeu dist tant et si bien à la Dame
Que dessus luy gaigna des baisers troys.
Or ça, dist elle (amy), à ceste fois
Jouons le tout pendant qu'estes assis.
Quoy, respond il, le tout, ce seroient six,
Qui fourniroit à un si gros payement?
Alors son clerc de bon entendement
Luy dist, ayant de sa perte pityé,
Ayez bon cueur, monsieur,certainement
Je suys content d'en estre de la moytié.

LXXIII
Du Lieutenant de B.
Un lieutenant vuidoit plus voluntiers
Flacons de vin, tasses, verres, bouteilles,
Qu'il ne voyoit procez, sacz ou papiers
De contreditz, ou cautelles pareilles:
Et je luy diz: Teste digne d'oreilles
De Pampre verd, pourquoy as fantasie
Plus à t'emplir de vin, et malvoysie,
Qu'en bien jugeant aquerir los, et gloire?
D'espices (dist la face cramoysie)
Friant je suis, qui me causent le boyre.

LXXIV
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D'un Moyne et d'une vieille
Le Moyne un jour jouant sus la riviere
Trouva la vieille en lavant ses drapeaux,
Qui luy monstra de sa cuisse heronniere
Un feu ardant où joignoient les deux peaux.
Le Moyne eut cueur, leve ses oripeaux:
Il prend son chose, et puis, s'aprochant d'elle,
Vieille, dist il, allumez ma chandelle!
La vieille lors, luy voulant donner bon,
Tourne son cul, et respond par cautelle:
Aprochez vous, et souflez au charbon.

LXXV
D'un orgueilleux emprisonné pris du Latin
T'esbahys tu dont point on ne souspire
Et qu'on rit tant? qui se tiendroit de rire?
De voir par force à present estre doux
L'amy de nul, et l'ennemy de tous.

LXXVI
D'Annette et Marguerite, mal attribuée par cy devant à Marot
Ces jours passez, je fus chez la Normande,
Où je trouvay Annette et Marguerite.
Annette est grasse en bon poinct, belle et grande,
L'autre est plus jeune, et beaucoup plus petite.
Annette assez m'embrace, et solicite:
Mais Marguerite eut de moy son plaisir.
La grande en fut, ce croy je, bien despite:
Mais de deux maux le moindre on doit choisir.

LXXVII
A une vieille, pris sur ce vers: non gaudet veteri sanguine mollis amor
Veux tu, vieille ridée, entendre
Pourquoy je ne te puis aymer?
Amour, l'enfant mol, jeune, et tendre,
Tousjours le vieil sang trouve amer.
Le vin nouveau fait animer
Plus l'esprit que vieille boisson,
Et puis l'on n'oit bien estimer
Que jeune chair, et vieux poisson.
LXXVIII
Du Tetin de Cataut
Celuy qui dit bon ton tetin
N'est mensonger, mais veritable:
Car je t'asseure, ma Catin,
Qu'il m'est tresbon, et agreable.
Il est tel, et si profitable
Que si du nez hurtoit quelqu'un,
Contre iceluy (sans nulle fable)
Il ne se feroit mal aucun.

LXXIX
De Messire Jan confessant Janne la simple
Messire Jan, confesseur de fillettes,
Confessoit Janne, assez belle, et jolye,
Qui, pour avoir de belles oreillettes,
Avec un moyne avoit fait la folie.
Entre autres points, messire Jan n'oublye
A remonstrer cest horible forfait:
Las, disoit il, m'amye qu'as tu fait?
Regarde bien le poinct où je me fonde:
Cet homme, alors qu'il fut Moyne parfait,
Perdit la veuë, et mourut quant au monde.
N'a tu point peur que la terre ne fonde
D'avoir couché avec un homme mort?
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De cueur contrit, Janne ses levres mord:
Mort, ce dist elle, enda, je n'en croy rien.
Je l'ay veu vif depuis ne sçay combien,
Mesmes alors qu'il eut à moy affaire:
Il me bransloit, et baisoit aussi bien
En homme vif comme vous pourriez faire.

LXXX
D'un Cordelier
Un Cordelier d'une assez bonne mise
Avoit gaigné à je ne sçay quel jeu
Chausses, pourpoint, et la belle chemise.
En cest estat son hostesse l'a veu,
Qui luy a dit: vous rompez vostre veu.
Non, non, respond ce gracieux records,
Je l'ay gaigné au travail de mon corps,
Chausses, chemise, et pourpoint pourfilé.
Puis dist (tirant son grand tribard dehors):
Ce beau fuzeau a tout fait et filé.

LXXXI
D'un amoureux et de s'amye
L'autre jour un amant disoit
A sa maistresse, en basse voix,
Que chascun coup qu'il luy faisoit
Luy coustoit deux escuz, ou troys:
Elle y contredist. Toutesfois,
Ne pouvant le cas denier,
Luy dist: faites le tant de foys
Qu'il ne vous couste qu'un denier.

LXXXII
A une Dame de Piemont, qui refusa six escuz de Marot pour coucher avec elle et en vouloit avoir dix
Ma dame, je vous remercie
De m'avoir esté si rebourse.
Pensez vous que je m'en soucye,
Ne que tant soit peu m'en courrousse?
Nanny, non. Et pourquoy? et pour-ce
Que six escuz sauvez m'avez,
Qui sont aussi bien en ma bourse,
Que dans le trou que vous sçavez.

LXXXIII
Du petit Pierre et de son proces en matiere de mariage
Le petit Pierre eut du juge option
D'estre conjoint avec sa Damoyselle,
Ou de soufrir la condamnation
D'excommunie, et censure eternelle:
Mais mieux ayma, sans dire j'en appelle,
Excommunie et censure eslire,
Que d'espouser une telle femelle,
Pire trop plus qu'on ne pourroit escrire.

LXXXIV
De Nanny
Nanny desplaist, et cause grand soucy
Quand il est dit à l'amy rudement:
Mais quand il est de deux yeux adoucy
Pareilz à ceux qui causent mon tourment,
S'il ne raporte entier contentement,
Si monstre il bien que la langue pressée
Ne respond pas le plus communement
De ce qu'on dit avecques la pensée.

LXXXV
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D'un Ouy
Un ouy mal acompagné
Ma triste langue profera,
Quand mon cueur, du corps eslongné,
Du tout à vous se retira.
Lors à ma langue demoura
Ce seul mot, comme triste, ouy.
Mais si mon cueur plus resjouy
Avoit sur vous ce point gaigné,
Croyez que dirois un ouy
Qui seroit mieux acompagné.

LXXXVI
Les souhaitz d'un Chanoine
Pour tous souhaitz ne desire en ce monde
Fors que santé, et tousjours mile escuz.
Si les avois, je veux que l'on me tonde,
Si visites oncq tant faire de coquz.
Et à ces culz frapez tost, à ces culz,
Donnez dedans qu'il semble que tout fonde:
Mais en suyvant la compagne à Bachus,
Ne noyez pas, car la mer est profonde.

LXXXVII
De Robin et Catin
Un jour d'yver, Robin tout esperdu
Vint à Catin presenter sa requeste
Pour desgeler son chose morfondu,
Qui ne pouvoit quasi lever la teste.
Incontinent Catin fut toute preste.
Robin aussi prend courage, et s'acroche.
On se remue, on se joue, on se hoche:
Puys quand ce vint au naturel devoir,
Ha, dist Catin, le grand desgel s'approche.
Voyre, dist il: car il s'en va pleuvoir.

LXXXVIII
A Anne
L'heur ou malheur de vostre cognoissance
Est si douteux en mon entendement,
Que je ne sçay s'il est en la puissance
De mon esprit en faire jugement:
Car, si c'est heur, je sçay certainement
Qu'un bien est mal quand il n'est point durable.
Si c'est malheur, ce m'est contentement
De l'endurer pour chose si louable.

LXXXIX
D'une, qui alla voir les beaux peres
Une Catin, sans frapper à la porte
Des Cordeliers, jusqu'en la court entra.
Long temps apres on atend qu'elle sorte:
Mais au sortir on ne la rencontra.
Or au portier cecy on remonstra,
Lequel juroit jamais ne l'avoir veuë.
Sans arguer le pro, ou le contra,
A vostre avis, qu'est elle devenuë?

XC
D'un escolier, et d'une fillete
Comme un escolier se jouoit
Avec une belle pucelle,
Pour luy plaire, bien fort louoit
Sa grâce, et beauté naturelle,
Les tetons mignards de la belle,
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Et son petit cas, qui tant vaut.
Ha monsieur, adoncq' ce dist elle,
Dieu y mette ce qu'il y faut.

XCI
De sa maistresse
Quand je voy ma maistresse,
Le cler soleil me luyt.
S'ailleurs mon cueur s'adresse,
Ce m'est obscure nuit.
Et croy que sans chandelle
A son lit à minuyt
Je verroys avec elle.

XCII
Du jeu d'Amours
Pour un seul coup, sans y faire retour,
C'est proprement d'un malade le tour.
Deux bonnes fois à son ayse le faire,
C'est d'homme sain suffisant ordinaire.
L'homme galland donne jusqu'à trois fois,
Quatre le Moyne, et cinq aucunesfois.
Six et sept fois, ce n'est point le mestier
D'homme d'honneur, c'est pour un mulletier.

XCIII
Aux Lecteurs, sur ung livre proposant remedes contre la peste
Ceux qui attaintz estoyent de Pestilence
Du medecin ont requis la presence,
Et il respond: Chiers freres, et amys,
Si Dieu avoit en moy le povoir mys
De servir tous, de bon cueur le feroye:
Mais advis m'est que par trop mesferoye
De frequenter ceux de peste frappez,
Et puis ceux là qui n'en sont attrapez.
Pourtant vous donne et conseille de prendre
Ce present livre, auquel pourrez apprendre
Remede maint pour la Peste eviter,
Et servir ceux que Dieu vient visiter.
Faictes que çà, et là, ce livre coure,
Et qu'en ma place au besoing vous secoure.
Ainsi aura chascun en sa maison
Ung medecin, qui en ceste saison
Par bon conseil leurs demandes souldra
A peu de coust à l'heure qu'on vouldra.
Et cil qui mieux le sçaura lire, et veoir,
Plus de service en pourra recevoir.

XCIV
Huictain à M. Malingre
L'Epistre, et l'Epigramme
M'ont pleu en les lisant,
Et sont pleins de la flamme
D'Apollo, clair luysant.
De responce vous faire,
Fault que vous me quittés,
Pour celuy mesme affaire
Dont me sollicités.

XCV
Dizain, au mesme
Je ne suis pas tout seul qui s'esmerveille
De ton savoir, bonté, croix et constance,
Et des sermons, où grandement traveille:
Mais aussi font les plus sages de France,
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Et à bon droit, car tu es l'excellence
Et le premier des Jacobins de Bloys,
Qui tous estatz à Jesus assemblois
Par tes sermons et ta vie angelique:
En quoy faisant, à saint Paul resemblois
Cent fois plus qu'à saint Dominique.

XCVI
A Madame de la Barme, pres de Necy en Genevois
Adieu ce bel oeil tant humain,
Bouche de bon propos armée,
D'ivoyre la gorge, et la main,
Taille sur toutes bien formée.
Adieu, douceur tant estimée,
Vertu à l'Ambre ressemblant:
Adieu, de celuy mieux aymée
Qui moins en monstra de semblant.

XCVII
Salutation du camp de Monsieur d'Anguien à Sirisolle
Soit en ce camp paix pour mieux faire guerre.
Dieu doint au chef suite de son bon heur,
Aux chevaliers desir de loz acquerre,
Aux piëtons proufit joint à l'honneur,
Tout aux despens, et au grand deshonneur
De l'ennemy. S'il se jette en la plaine,
Soit son cueur bas, son entreprise vaine,
Pouvoir en vous de le vaincre et tuer,
Et à Marot occasion et veine
De par escrit voz noms perpetuer.

XCVIII
Clement Marot, aux amateurs de la saincte Escripture
Bien peu d'enfans on treuve qui ne gardent
Le testament que leur pere a laissé,
Et qui dedans de bien pres ne regardent
Pour veoir comment il l'a faict, et dressé.
O vous, enfans, à qui est adressé
Ce Testament de Dieu, nostre bon pere,
Affin qu'à l'oeil son vouloir vous appere,
Voulez vous point le lire voulentiers?
C'est pour le moins, et plus de vous j'espere,
Comme de vrays celestes heritiers.

XCIX
Dizain, ou non, de Marot
Madame, est il pas deshonneste
De m'avoir mis dedans le poing
Son chose gros comme la teste,
Disant qu'il me faisoit besoin?
J'eusse voulu estre bien loin,
Tant j'estois en grand[e] destresse.
Alors luy respond la maistresse:
Ne celez rien, et dites tout.
Ce grand vilain me fit, quoy? qu'est ce?
Loger cela de quoy l'on fout.
Fin du troisiesme livre.

Le quatriesme livre
Epigrammes à l'imitation de Martial

I
Ad Caesarem, lib. VIII. 53.
Magna licet totiens tribuas, majora daturus
Dona, ducum victor, victor et ipse tui:
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Diligeris populo non propter praemia, Caesar,
Propter te populus praemia, Caesar, amat.
Au Roy
Quoy que souvent tu faces d'un franc cueur
Dons bien sentans ta Royaulté supresme,
D'en faire encor' bien t'attens, ô vainqueur
Des cueurs de tous, et vainqueur de toy mesme.
Chascun pour vray, te porte amour extresme,
Non pour tes dons advenir ou presens:
Mais au rebours, ROY, l'honneur d'Angoulesme,
Pour ton amour on ayme tes presens.

II
Ad Lucium Julium, Lib. I. I52.
Saepe mihi dicis, Luci charissime Iuli,
Scribe aliquid magnum: desidiosus homo es.
Ocia da nobis: sed qualia fecerat olim
Moecenas Flacco, Virgilioque suo.
Condere victuras temptem per saecula curas?
Et nomen flammis eripuisse meum?
In steriles nolunt campos iuga ferre invenci:
Pingue solum lassat, sed juvat ipse labor.
A Monsieur Castellanus, Evesque de Tulles
Tu dis (Prelat) Marot est paresseux,
De luy ne puis quelque grand oeuvre veoir.
Fay tant qu'il ayt biens semblables à ceulx
Que Mecenas à Maro feit avoir,
Ou moins encor: lors fera son devoir
D'escrire vers en grand nombre et hault style.
Le laboureur sur la terre infertile
Ne picque boeuf, ne charrue ne meine.
Bien est il vray que champ gras et utile
Donne travail, mais plaisante est la peine.

III
De Catella Publi. lib. I. I54.
Issa est passere nequior Catulli,
Issa est purior osculo columbae,
Issa est blandior omnibus puellis,
Issa est carior Indicis lapillis,
Issa est deliciae catella Publi.
Hanc tu, si queritur, loqui putabis:
Sentit tristitiamque gaudiumque.
Collo nexa cubat capitque somnos:
Ut suspiria nulla sentiantur.
Et desiderio coacta ventris,
Gutta pallia non fefellit ulla:
Sed blando pede suscitat, toroque
Deponi monet, et rogat lavari:
Castae tantus inest pudor Catellae.
Ignorat Venerem: nec invenimus
Dignum tam tenera virum puella.
Hanc ne lux rapiat suprema totam,
Picta Publius exprimit tabella:
In qua tam similem videbis Issam,
Ut sit tam similis sibi nec ipsa.
Issam denique pone cum tabella:
Aut utranque putabis esse veram,
Aut ultranque putabis esse pictam.
De la Chienne de la Royne Elienor
Mignonne est trop plus affectée,
Plus fretillant, moins arrestée
Que le passeron de Maupas.
Cinquante pucelles n'ont pas
La mignardie si friande.
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Mignonne nasquit aussi grande
Quasi comme vous la voyez.
Mignonne vault (et m'en croyez)
Ung petit tresor: aussi est ce
Le passetemps et la lyesse
De la Royne, à qui si fort plaist
Que de sa belle main la paist.
Mignonne est sa petite chienne:
Et la Royne est la dame sienne.
Qui l'orroit plaindre aucunesfois,
On gaigeroit que c'est la voix
De quelque dolente personne,
Et a bien cest esprit Mignonne
De sentir plaisir et esmoy
Aussi bien comme vous et moy.
La Royne, en sa couche parée,
Luy a sa place preparée.
Et dort la petite follastre
Dessus la gorge d'alebastre
De sa Dame, si doucement
Qu'on ne l'oyt souffler nullement.
Et si pisser veult d'aventure,
Ne gaste draps ny couverture:
Mais sa maistresse gratte, gratte,
Avecques sa flateuse patte:
L'advertissant qu'on la descende,
Qu'on l'essuye, et puis qu'on la rende
En sa place, tant est honneste
Et nette la petite beste.
Le jeu d'Amours n'a esprouvé:
Car encores n'avons trouvé
Ung mary digne de se prendre
A une pucelle si tendre.
Or afin que du tout ne meure,
Quand de mourir viendra son heure,
Sa maistresse, en ung beau tableau,
L'a faict paindre à Fontaynebleau,
Plus semblable à elle ce semble
Qu'elle mesme ne se resemble.
Et qui Mignonne approchera
De sa paincture, il pensera
Que toutes deux vivent sans faincte:
Ou bien que l'une et l'autre est paincte.

IV
Ad seipsum, lib. X. 47.
Vitam quae faciunt beatiorem,
Jucundissime MARTIALIS, haec sunt:
Res non parta labore, sed relicta:
Non ingratus ager, focus perennis,
Lis numquam, toga rara, mens quieta,
Vires ingenuae, salubre corpus,
Prudens simplicitas, pares amici,
Convictus facilis, sine arte mensa,
Nox non ebria, sed soluta curis,
Non tristis torus, attamen pudicus:
Somnus, qui faciat breves tenebras:
Quod sis, esse velis, nihilque malis:
Summum nec metuas diem nec optes.
De soy mesmes
Marot, voicy (si tu le veulx sçavoir)
Qui fait à l'homme heureuse vie avoir:
Successions, non biens acquis à peine,
Feu en tout temps, maison plaisante, et saine,
Jamais proces, les membres bien dispos,
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Et au dedans, ung esprit à repos,
[Contraire à nul, n'avoir aucuns contraires,
Peu se mesler des publiques affaires,]
Saige simplesse, amys à soy pareilz,
Table ordinaire, et sans grans appareilz,
Facilement avec toutes gens vivre,
Nuict sans nul soing, n'estre pas pourtant yvre,
Femme joyeuse, et chaste neantmoins,
Dormir, qui faict que la nuict dure moins,
Plus hault qu'on n'est ne vouloir poinct attaindre,
Ne desirer la Mort, ny ne la craindre:
Voyla, MAROT, si tu le veulx sçavoir,
Qui faict à l'homme heureuse vie avoir.

V
De sua puella, VII. I3.
Accidit infandum nostrae scelus, Aule, puellae:
Amisit lusus, deliciasque suas:
Non quales teneri ploravit amica Catulli
Lesbia, nequitiis passeris orba sui,
Vel Stellae cantata meo quas flevis Ianthis,
Cujus in Elysio nigra columba volat.
Lux mea non capitur nugis nec amoribus istis,
Nec dominae pectus talia damna movent.
Bis denos puerum numerantem perdidit annos,
Mentula cui nondum sesquipedalis erat.
De la tristesse de s'amye
C'est grant pitié de m'amye qui a
Perdu ses jeux, son passetemps, sa feste,
Non ung moyneau, ainsi que Lesbia,
N'ung petit Chien, Bellette ou autre beste:
A jeux si sotz mon tendron ne s'arreste:
Ces pertes là ne luy sont malfaisans.
Vrays amoureux, soyez en desplaisans,
Elle a perdu, helas, depuis septembre,
Ung jeune amy, beau, de vingt deux ans,
N'ayant encor'pied et demy de membre.

VI
Ad fabulam ambitiosam, in laude. I, 32.
Bella es, novimus, et puella, verum est,
Et dives, quis enim potest negare?
Sed dum te nimium, Fabulla, laudas,
Nec dives, neque bella, nec puella es.
D'une qui se vante
Vous estes belle, en bonne foy.
Ceulx qui disent que non, sont bestes.
Vous estes riche, je le voy,
Qu'est il besoin d'en faire enquestes?
Vous estes bien des plus honnestes:
Et qui le nye est bien rebelle.
Mais quand vous vous louez, vous n'estes
Honneste, ne riche, ne belle.

VII
Ad Aemilianum, lib. V. I22.
Semper pauper eris, si pauper es, Aemiliane:
Dantur opes nullis nunc, nisi divitibus.
A Anthoine
Si tu es paouvre, Anthoine, tu es bien
En grand dangier d'estre paovre sans cesse:
Car aujourd'huy on ne donne plus rien,
Sinon à ceulx qui ont force richesse.

VIII
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In Candidum, lib. V. 73.
Praedia solus habes, et solus, Candide, nummos:
Aurea solus habes, Myrrhina solus habes:
Massica solus habes, et Opimi Caecuba solus;
Et cor solus habes, solus et ingenium.
Omnia solus habes, hoc me puto velle negare:
Uxorem sed habes, Candide, cum populo.
De Jehan Jehan
Tu as tout seul, Jehan Jehan, vignes et prez.
Tu as tout seul ton cueur et ta pecune.
Tu as tout seul deux logis dyaprez,
Là où vivant ne pretend chose aucune.
Tu as tout seul le fruict de ta fortune.
Tu as tout seul ton boire, et ton repas.
Tu as tout seul toutes choses fors une:
C'est que tout seul ta femme tu n'as pas.

IX
In Posthumum, II. 67.
Occurris quocunque loco mihi, Posthume, clamas
Protinus, et prima est haec tua vox, Quid agis?
Hoc, si me decies una conveneris hora,
Dicis: habes puto tu, Posthume, nil quod agas.
A Hilaire
Des que tu viens là où je suis
(Hilaire) c'est ta façon folle
De me dire tousjours: "Et puis
Que fais tu?" voylà tout ton roolle.
Cent fois le jour, ceste parolle
Tu me dictz, j'en suis tout batu.
Quand tout sera bien debatu,
Je cuyde, par mon âme, Hilaire,
Qu'avecques ton beau "Que fais tu?"
Tu n'as rien toy mesme que faire.

X
In Callistratum, lib. V. I3.
Sum (fateor) semperque fui, Callistrate, pauper:
Sed non obscurus, nec male notus aeques.
Sed toto legor orbe frequens: et dicitur "Hic est",
Quodque cinis paucis, hoc mihi vita dedit.
At tua centenis incumbunt tecta columnis,
Et libertinas arca flagella opes:
Magnaque Niliacae seruit tibi gleba Syenes,
Tondet et innumeros Gallica Parma greges.
Hoc ego, tuque sumus: sed quod sum non potes esse:
Tu quod es, è populo quilibet esse potest.
Dizain
Riche ne suis, certe, je le confesse,
Bien né pourtant, et nourry noblement:
Mais je suis leu du peuple et gentillesse
Par tout le monde. Et, dit on, c'est Clement.
Maintz vivront peu, moy eternellement.
Et toy, tu as rez, fontaines et puyz,
Boys, champs, chasteaux, rentes et gros appuyz.
C'est de nous deux la difference et l'estre:
Mais tu ne peulx estre ce que je suis:
Ce que tu es, ung chascun le peult estre.

XI
In Lesbiam, lib. VI. 23.
Stare jubes semper nostrum tibi, Lesbia, penem:
Crede mihi, non est mentula, quod digitus.
Tu licet et manibus, et vocibus instes,
Contra te facies imperiosa tua est.
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A une Layde
Tousjours vouldriez que je l'eusse tout droit,
Ma layderon: et vous semble, je gage,
Que j'en puis faire ainsi comme du doigt.
Vous avez beau le flatter du langage,
Voyre des mains: ce diable de visage
Desgoute tout, et à vous mesme nuyt.
Parquoy devriez (si vous estiez bien sage)
Ne me cercher seulement que de nuyt.

XII
Ad Sabidium, lib. I. 89.
Non amo te, Sabidi: nec possum dicere quare:
Hoc tantum possum dicere, non amo te.
A Jehan
Jehan, je ne t'ayme point, beau syre,
Et ne sçay quelle mousche me poinct:
Ne pourquoy c'est, je ne puis dire,
Sinon que je ne t'ayme point.

XIII
Ad Flaccum, lib. I. 66.
Litigat, et podagra Diodorus, Flacce, laborat.
Sed nil patrono porrigit: haec chiragra est.
D'ung Abbé
L'abbé a ung proces à Romme,
Et la goutte aux piedz, le pauvre homme.
Mais l'advocat s'est plaint à maints,
Que rien au poing il ne luy boute:
Cela n'est as aux piedz la goutte:
C'est bien plus tost la goutte aux mains.

XIV
Ad Naevolum Causidicum, lib. I. 65.
Cum clament omnes, loqueris tu, Naevole, semper:
Et te patronum, causidicumque putas.
Hac ratione potest nemo non esse disertus.
Ecce, tacent omnes: Naevole, dic aliquid.
D'ung Advocat ignorant
Tu veulx que bruyt d'Avocat on te donne,
Et de sçavant: mais jamais au Parquet
Tu ne diz mot, sinon quand le caquet
Des grans criars les escoutans estonne.
A faire ainsi, je ne sache personne
Qui ne puisse estre homme docte à le veoir.
Or maintenant qu'un seul mot on ne sonne,
Dy quelque chose, oyons ce beau savoir.
Aultrement
Quand d'ung chascun la voix bruyt et resonne
En plein parquet, onc homme ne parla
Plus tost que toy, et si semble par là
Que le renom d'Advocat on te donne.
A faire ainsi etc.

XV
De Gellia, lib. I. 90.
Amissum non flet cum sola est Gellia, patrem,
Si quis adest, jussae prosiliunt lachrymae.
Non luget, quisquis laudari, Gellia, quaerit.
Ille dolet vere, qui sine teste dolet.
D'Alix
Jamais Alix son feu mary ne pleure
Tout à par soy, tant est de bonne sorte.
Et devant gens, il semble que sur l'heure
De ses deux yeulx une fontaine sorte.
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De faire ainsi (Alix) si te deporte,
Ce n'est point dueil, quand louenge on en veult:
Mais le vray dueil, sçayz tu bien qui le porte,
C'est cestuy là qui sans tesmoings se deult.

XVI
Ad Cinnam, lib. V. 58.
Cum voco te dominum, nolo tibi, Cinna, placere.
Saepe etiam servum sic resaluto meum.
A Roullet
Quand Monsieur je te dy, Roullet,
Le te dy je, paouvre follet,
Pour te plaire, ou pour ta valuë?
Je t'advise que mon valet
Bien souvent ainsi je saluë.
Au Mesme. Huictain
Roullet, quand Monsieur je te nomme,
Tu deviens fier, cela est laid.
Le faiz je pour plaire à tel homme?
Si tu le crois, tu es aussi foullet.
Monsieur je ne te dy, Roullet,
Pour cela, ne pour ta vallue:
J'en dy autant à mon varlet
Bien souvent quand je le saluë.

XVII
Ad Gelliam, lib. V. 30.
Si quando leporem mittis mihi, Gellia, dicis:
"Formosus septem, Marce, diebus eris."
Si non derides, si uerum, lux mea, narras:
Edisti nunquam, Gellia, tu leporem.
A Ysabeau
Ysabeau, Lundy m'envoyastes
Ung Lievre, et ung propos nouveau:
Car d'en menger vous me priastes,
En me voulant mettre au cerveau
Que par sept jours je seroys beau.
Resvez vous, avez vous la fievre?
Si cela est vray, Ysabeau,
Vous ne mengeastes jamais lievre.

XVIII
Ad Lycorim, lib. VI. 40.
Foemina praeferri potuit tibi nulla, Lycori:
Praeferri Glycerae foemina nulla potest.
Haec erit hoc, quod tu: tu non potes esse, quod baec est.
Tempora quid faciunt? hanc volo, te volui.
De Cathin et Jane
Jadis, Cathin, tu estoys l'oultrepasse:
Jane à present toutes les aultres passe.
Et pour donner l'arrest d'entre vous deux,
Elle sera ce de quoy tu te deulz:
Tu ne seras jamais de sa valuë.
Que faict le temps? Il fait que je la veulx,
Et que je t'ay aultrefoys bien vouluë.

XIX
Ad Aeliam, lib. I. 76.
Si memini, fuerant tibi quattuor, Aelia, dentes:
Expulit una duos tussis, et una duos.
Jam secura potes totis tussire diebus:
Nil istic quod agat, tertia tussis habet.
D'une vieille
S'il m'en souvient, vieille au regard hydeux
De quattre dentz je vous ay veu mascher:
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Mais une toux dehors vous en mist deux,
Une autre toux deux vous en feist cracher.
Or povez bien toussir sans vous fascher,
Car ces deux toux y ont mis si bon ordre,
Que si la tierce y veult rien arracher,
Non plus que vous n'y trouvera que mordre.

XX
De Philone, lib. V. 48
Numquam se coenasse domi Philo jurat, et hoc est:
Non coenat, quando nemo vocavit eum.
De Macé Longis
Ce prodigue Macé Longis
Faict grant serment qu'en son logis
Il ne souppa jour de sa vie.
Si vous n'entendez bien ce poinct,
C'est à dire, il ne souppe point,
Si quelque aultre ne le convie.
Autrement.
C'est à dire, sans me coupper,
Qu'il se va coucher sans soupper,
Quand personne ne le convie.

XXI
De Lesbia, lib. II. 63.
Lesbia se jurat, gratis numquam esse fututam.
Verum est. Cum futui vult, numerare solet.
De Macée
Macée me veult faire acroyre
Que requise est de mainte gent:
Plus enviellist, plus a de gloire,
Et jure comme ung vieil sergent
Qu'on n'embrasse pas son corps gent
Pour neant: et dit vray Macée:
Car tousjours elle baille argent,
Quand elle veult estre embrassée.

XXII
De Paula, lib. X. 8.
Nubere Paula cupit nobis, ego ducere Paulam
Nolo: anus est. Mallem, si magis esset anus.
De Pauline
Pauline est riche, et me veult bien
Pour mary: Je n'en feray rien,
Car tant vieille est que j'en ay honte.
S'elle estoit plus vieille du tiers,
Je la prendrois plus voulentiers:
Car depesche en seroit plus prompte.

XXIII
De Lino, lib. I. 43.
Dimidium donare Lino, quam credere totum,
Qui mavult: mavult perdere dimidium.
D'ung mauvais rendeur
Cil qui mieux ayme par pitié
Te faire don de la moictié,
Que prester le tout rondement,
Il n'est point trop mal gracieux.
Mais c'est signe qu'il ayme mieux
Perdre la moictié seulement.

XXIV
De Formica Electro inclusa, VI. I5.
Dum Phaethontaea formica vagatur in umbra,
Implicuit tenuem succina gutta feram.
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Sic modo quae fuerat vita contempta manente,
Funeribus facta est nunc pretiosa suis.
De la Formis enclose en de l'Ambre
Dessoubz l'Arbre où l'Ambre degoute
La petite Formis alla:
Sur elle en tumba une goutte,
Qui tout à coup se congela:
Dont la Formis demoura là,
Au milieu de l'Ambre enfermée.
Ainsi la beste deprisée,
Et peu prisée quand elle vivoit,
Est à sa mort fort estimée,
Quand si beau sepulchre on luy voit.

XXV
In Sutorem, lib. IX. 75.
Dentibus antiquas solitus producere pelles,
Et mordere luto putre, vetusque solum:
Praenestina tenes defuncti rura patroni,
In quibus indignor si tibi cella fuit:
Rumpis et ardenti madidus crystalla Falerno,
Et pruris domini cum Ganymede tui.
At me litterulas stulti docuere parentes:
Quid cum Grammaticis, Rhetoribusque mihi?
Frange leves calamos, et scinde, Thalia, libellos:
Si dare sutori calceus ista potest.
Du Savetier
Toy qui tirois aux dentz vieilles savattes,
De ton feu maistre, or possedes et tiens
Rentes, maisons, et meubles jusques aux nattes:
A son trespas, il les ordonna tiens.
Avec sa fille, en repoz t'entretiens.
Et mes parents, pour me faire Escollier,
M'ont faict tirer bien vingt ans au collier.
Qu'en ay je mieulx? Romps la plume et le livre,
Calliope, puis que le vieux soullier
Donne si bien au Savetier à vivre.

XXVI
In Paulam, lib. IX. 6.
Nubere vis Prisco: non miror, Paula: sapisti.
Ducere te non vult Priscus: ille sapit.
De Martin, et de Catin
Catin veult espouser Martin,
C'est faict en tres fine femelle:
Martin ne veult point de Catin,
Je le trouve aussi fin comme elle.

XXVII
In Lentinum, lib. V. 90.
Mentiris juvenem tinctis, Laetine, capillis,
Tam subito coruus, qui modo cycnus erat.
Non omnes fallis: scit te Proserpina canum:
Personam capiti detrahet illa tuo.
A Geoffroy Bruslard
Tu painctz ta barbe, amy Bruslard, c'est signe
Que tu vouldrois pour jeune estre tenu:
Mais on t'a veu n'agueres estre un Cigne,
Puis tout à coup un Corbeau devenu:
Encor le pis qui te soit advenu,
C'est que la Mort, plus que toy fine et sage,
Congnoit assez que tu es tout chenu,
Et t'ostera ce masque du visage.

XXVIII
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Ad Litianum, scriptores unde, I. 29.
Verona docti syllabas amat vatis:
Marone felix Mantua est:
Censetur Apona Livio suo tellus,
Stellaque, nec Flacco minus:
Apollodoro plaudit imbrifer Nilus:
Nasone Paeligni sonant:
Duosque Senecas, unicumque Lucanum
Facunda loquitur Corduba:
Gaudent jocosae Canio suo Gades,
Emerita Deciano meo:
Te, Liciane, glorabitur nostra,
Nec me tacebit Bilbilis.
Des Poëtes Françoys, à Salel
De Jan de Meun s'enfle le cours de Loire.
En Maistre Alain, Normandie prend gloire
Et plainct encor mon arbre paternel.
Octovian rend Cognac eternel.
De Moulinet, de Jan le Maire et Georges,
Ceulx de Haynaut chantent à pleines gorges.
Villon, Cretin, ont Paris decoré.
Les deux Grebans ont Le Mans honoré.
Nantes la Brette, en Meschinot se baigne.
De Coquillart s'esjouyst la Champaigne.
Quercy, Salel, de toy se vantera,
Et (comme croy) de moy ne se taira.

XXIX
In Detractorem, Lib. V. 6I.
Adlatres licet usque nos, et usque
Et gannitibus improbis lacessas,
Certum est banc tibi pernegare famam,
Olim quam petis in meis libellis
Qualiscumque legaris ut per orbem.
Nam te cur aliquis sciat fuisse?
Ignotus pereas, miser necesse est.
A Estienne Dolet
Tant que voudras, jette feu et fumée,
Mesdy de moy à tort et à travers:
Si n'auras tu jamais la renommée
Que, de long temps, tu cherches par mes vers:
Et nonobstant tes gros tomes divers,
Sans bruit morras, cela est arresté:
Car quel besoin est il, homme pervers,
Que l'on te sçache avoir jamais esté?

XXX
De Sertorio, lib. III. 37.
Rem peragit nullam, Sertorius, inchoat omnes
Hunc ego, cum futuit, non puto perficere.
D'un Lymosin
C'est grand cas que nostre voysin
Tousjours quelque besongne entame,
Dont ne peult, ce gros Lymosin,
Sortir qu'à sa honte et diffame.
Au reste, je croy, sur mon âme,
Tant il est lours et endormy,
Que quand il besongne sa femme
Il ne luy fait rien qu'à demy.

XXXI
Ad Martialem, lib. V. 2I.
Si tecum mihi, care Martialis,
Securis liceat frui diebus,
Si disponere tempus otiosum
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Et verae pariter vacare vitae:
Nec nos atria nec domos potentum
Nec litis tetricas forumque triste
Nossemus nec imagines superbas:
Sed gestatio, fabulae, libelli,
Campus, porticus, umbra, Virgo, thermae,
Haec essent loca semper, hi labores.
Nunc vivit necuter sibi, bonosque
Soles effugere atque abire sentit,
Qui nobis pereunt et inputantur.
Quisquam vivere cum sciat, moratur?
A F. Rabelais
S'on nous laissoit noz jourz en paix user,
Du temps present à plaisir disposer,
Et librement vivre comme il faut vivre,
Palays et Cours ne nous faudroit plus suyvre,
Plaids, ne proces, ne les riches maisons
Avec leur gloire et enfumez blasons:
Mais sous belle ombre, en chambre et galeries,
Nous promenans, livres et railleries,
Dames et bains seroient le passetemps,
Lieux et labeurs de noz espritz contens.
Là maintenant à nous point ne vivons,
Et le bon temps perir pour nous sçavons
Et s'en voller, sans remedes quelconques:
Puys qu'on le sçait, que ne vit l'on bien donques?

XXXII
In Faustum, lib. II. 65.
Nescio tam multis quid scribas, Fauste, puellis,
Hoc scio, quod scribit nulla puella tibi.
Du Curé. Imitation
Au curé, ainsi comme il dit,
Plaisent toutes belles femelles,
Et ont envers luy grand credit
Tant Bourgeoyses, que Damoyselles.
Si luy plaisent les femmes belles
Autant qu'il dit, je n'en sçay rien:
Mais une chose sçay je bien:
Qu'il ne plaist à pas une d'elles.

XXXIII
Doctorum Licini celeberrime Sura virorum,
Cuius prisca grauis lingua reduxit avos,
Redderis (heu, quanto fatorum munere!) nobis
Gustata Lethes paene remissus aqua.
Perdiderant iam uota metum securaque flebat
Tristites lacrimis iamque peractus eras:
Non tulit inuidiam taciti regnator Auerni
Et ruptas Fatis reddidit ipse colus.
Scis igitur quantas hominum mors falsa querelas
Mouerit frueris posteritate tua.
Viue uelut rapto fugitiuaque gaudia carpe:
Perdiderit nullum uita reuersa diem.
De la convalescence du Roy. 1537
Roy des Françoys, FRANCOYS, premier du nom,
Dont les vertus passent le grand renom,
Et qui en FRANCE, en leur entier ramaines
Tous les beaulx artz, et sciences Romaines.
O de quel grant benefice estendu,
De Dieu sur nous, à nos il t'a rendu!
Qui pour acces de Fievre longue et grosse,
Avoys desjà le pied dedans la fosse!
Jà te ploroit FRANCE de cueur et d'oeil:
Jà pour certain, elle portoit le dueil.
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Mais mort, qui feit de toy si grans aproches,
Jamais ne sceut endurer noz reproches,
Et t'a rendu par grant despit à nous,
Dont devant Dieu nous ployons les genoulz.
Ainsi tu scez combien par faulx alarmes,
La mort a faict, pour toy, jecter des larmes.
Et si te peux venter, en verité,
De succeder à ta posterité,
Et d'estre Roy apres ton successeur,
Car jà pour Roy le tenions pour tout seur.
Vy donc, FRANCOYS, ainsy que d'une vie
D'entre les mains des trois Parques ravie.
Prens les plaisirs et biens qui s'en volloient,
Et qui de toi desrober se voulloient.
Que Dieu te doint venir tout bellement
Au dernier point naturel: tellement
Que de la vie en ce point retournée,
Ne puisse[s] perdre une seulle journée.
Fin du quatriesme livre des Epigrammes

Les Estreines de Marot

I
A la Royne
Au ciel ma Dame je crye,
Et Dieu prie,
Vous faire veoir au printemps
Frere, et mary si contents
Que tout rye.

II
A ma Dame la Daulphine
A ma Dame la Daulphine
Rien n'assigne:
Elle a ce, qu'il faut avoir,
Mais je la vouldroys bien veoir
En gesine.

III
A ma Dame Marguerite
A la noble Marguerite,
Fleur d'eslite,
Je luy donne aussi grand heur
Que sa grâce, et sa grandeur
Le merite.

IV
A ma Dame la Princesse de Navarre
La Mignonne des deux Roys,
Je vouldroys
Qu'eussiez ung beau petit Frere,
Et deux ans de vostre Mere,
Voyre troys.

V
A ma Dame de Nevers
La Duchesse de Nevers
Aux yeulx verts,
Pour l'esprit, qui est en elle,
Aura louange eternelle
Par mes vers.

VI
A ma Dame de Montpensier
Vostre beaulté mainte foys
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Où je voys,
Haultement j'oy couronner:
Que vous puis je lors donner
Que ma voix?

VII
A ma Dame d'Estampes
Sans prejudice à personne,
Je vous donne
La pomme d'or de beaulté,
Et de ferme loyaulté
La couronne.

VIII
A elle encores
Vous reprendrez, je l'affie
Sur la vie,
Le tainct, que vous a osté
La Déesse de beaulté
Par envie.

IX
A la Contesse de Vertuz
Veu ceste belle jeunesse,
Et noblesse,
Dont vos Espritz sont vestuz,
Deux foys serez de Vertuz
La Contesse.

X
A ma Dame l'Admiralle
La doulce beaulté bien née
Estrenée
Puissions veoir avant l'esté
Mieulx, qu'elle ne l'a esté
L'aultre année.

XI
A ma Dame la Grand' Seneschalle
Que voulez vous, Diane bonne,
Que vous donne?
Vous n'eustes, comme j'entens,
Jamais tant d'heur au printemps
Qu'en automne.

XII
A ma Dame de Canaples
Noz yeulx de veoir ne sont las
Soubz Athlas
Plusieurs Déesses en grâce:
Dont Canaples tient la place
De Pallas.

XIII
A ma Dame de l'Estrange
A la beaulté de l'Estrange,
Face d'Ange,
Je donne longue vigueur:
Pourveu que son gentil cueur
Ne se change.
XIV
A Miolans l'aisnée
Miolans l'aisnée est bien,
Et de rien
Ne doibt estre mal contente,
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Pourveu que la longue attente
Vienne à bien.
XV
A Miolans la jeune
A Miolans la puisnée,
Ceste année
Luy doint sur l'esté luysant
Ce, qui seroit bien duysant
A l'aisnée.
XVI
A Bonneval
Sa fleur durer ne pourra,
Et mourra:
Mais ceste grâce, laquelle
La faict tousjours trouver belle,
Demourra.
XVII
A Chastagneraye
Garde toy de descocher,
Jeune Archer,
Pour à son cueur faire bresche:
Car elle feroit la flesche
Reboucher.
XVIII
A Torcy
Damoyselle de Torcy,
Cest An cy
Telle estreine vous desire,
Qu'ung bon coup vous puissiez dire
Grand mercy.
XIX
A Douartis
Cent nobles, et bons partiz
Douartis,
Vostre amour pourchasseront,
Quand de vostre amour seront
Advertiz.
XX
A Cardelan
C'est bon pays, que Bretaigne
Sans montaigne:
Mais je croy, qu'elle vouldroit
Tenir le chemin tout droict
D'Allemaigne.
XXI
A ma Dame de Bressuyre
S'on veult changer vostre nom
De renom
A ung meilleur, ou pareil,
Ne vueillez de mon conseil
Dire non.
XXII
A ma Damoyselle de Macy
Soubz vos attours bien fournys,
D'or garnys,
A Venus vous ressemblez:
Soubz le bonnet me semblez
Adonis.
XXIII
A ma Damoyselle de Duras
Belle, quand la foy juras
A Duras,
Tu fuz tresbien estreinée:
Bien doulx avant ton aisnée
L'enduras.
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XXIV
A Telligny
Montreul monstre clerement,
Seurement,
Qu'en beau corps grâce rassise
C'est la pierre en l'or assise
Proprement.
XXV
A Ryeulx
Damoyselle de Ryeulx,
En maintz lieux
L'embonpoinct se pert, et gaste:
Je suis d'advis, qu'on se haste
Pour le mieulx.
XXVI
A Davaugour
Nature, ouvriere sacrée
Qui tout crée,
En vostre brun a bousté
Je ne sçay quoy de beaulté
Qui aggrée.
XXVII
A Helly
Dixhuyct ans je vous donne,
Belle, et bonne:
Mais à vostre sens rassis
Trente cinq, ou trente six,
J'en ordonne.
XXVIII
A la Chapelle
J'estreine de nom de belle
La Chapelle:
Voyre quelcque brun qu'elle ayt,
S'on dit, qu'elle ayt rien de layd,
J'en appelle.
XXIX
A Brazay.
En sa doulceur feminine
Tant benigne
Rigueur pourroit estre enclose:
Car tousjours avec la rose
Croist l'espine.
XXX
A Memillon
Si quelcun pour son estreine
Vous emmeine,
Je vous donne, ou à peu pres,
Au bout de neuf moys apres
Pance pleine.
XXXI
A Lursinge
Je puisse devenir Singe,
Si Lursinge
N'a la sorte, et n'en mens poinct,
D'estre blanche, et en bon poinct,
Soubz le linge.
XXXII
A Lucresse
Cest An vous fasse maistresse
Sans destresse
D'amy aussi gracieux
Que fut Tarquin furieux
A Lucresse.
XXXIII
A Bye
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Voz grâces en faict, et dict
Ont credit
De plaire Dieu sçayt combien:
Ceulx, qui s'y congnoissent bien
Le m'ont dit.
XXXIV
A la Baulme
Bien doibt la Baulme advouer
Et louer
L'an, lequel luy appareille
Sur le vert bille pareille.
Pour jouer
XXXV
A Saintan
De response bien certaine
Et soubdaine
Vous donne le doctrinal,
Pour respondre au Cardinal
De Lorraine.
XXXVI
A Brueil l'aisnée
Je donne à Brueil aux doulx yeulx
Gracieux,
Par sa grâce bien sçavoir
Celle des hommes avoir,
Et des Dieux.
XXXVII
A Brueil la Jeune
Si vous n'estes en poinct
Bien appoinct,
Quelcque jour engresserez:
Et alors vous le serez,
Serez point?
XXXVIII
A d'Aubeterre
Aubeterre amour ressemble,
Ce me semble.
Petite veue ont touts deux:
Et toutesfoys chascun d'eulx
Les cueurs emble.
XXXIX
A la Tour
Pour estreines de la Tour,
Qui d'atour
Nuptial la coifferoit,
Je pense, qu'on luy feroit
Ung bon tour.
XL
A Orsonvillier
Si Dieu, qui vous composa,
N'y posa
Beaulté en tout compassée,
En Esprit recompensée
Bien vous a.
XLI
A ma Dame du Gauguier
Je vous donne en conscience
La science
De porter le faix, et somme
D'une vertu, qui se nomme
Patience.
XLII
A elle mesmes
Pour vostre estreine, qui vaille,
Je vous baille
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Tant d'esbats, et passetemps,
Que de celluy, que j'entends,
Ne vous chaille.
XLIII
A ma Dame de Bernay, dicte Sainct Pol
Vostre mary a fortune
Opportune:
Si de jour ne veult marcher,
Il aura beau chevaulcher
Sur la brune.
Fin des Estreines

Le cymetière

I
Complainte de Monsieur le Général, Guillaume Preudhomme
Unique filz de Preudhomme, dont l'âme
Ces jours passez soubz la funebre lame
Laissa le corps, escoute un peu comment
Celle du mien s'en vint en un moment
Bien tost apres en mon lict m'apparoistre,
Et les secretz qu'elle me feit congnoistre.
Filz (ce dit elle) en noz champs Elisées
N'a pas long temps par les droictes brisées
Est devers nous un Esprit arrivé,
Discret, gentil, amyable, et privé,
Qui deschargé de son terrestre corps,
Et plus n'estant de ce monde records,
S'en vint trouver au plus beau du pourpris
Les immortelz et fleurissans Esprits
Des renommez vieulx Poëtes Galliques,
Qui en accords plus divins qu'Angeliques,
Tout à l'entour des Lauriers tousjours vers,
Alloient chantant à l'envy maintz beaulx vers.
Luy là venu, ilz cesserent leurs chants,
Et il leur dit: O l'eslite des champs
Elisiens! Espritz en verité
Par dessus tous remplys de Deité:
Je ne suis point Esprit de Poësie,
Mais je suis tel, qu'amour et fantasie
J'avois en vous et en vostre vertu,
Estant encor de chair et d'os vestu.
Et delaissant le monde terrien,
Je quictay tout, et si n'apportay rien
Que les beaulx Vers de voz celestes veines,
Qui en mes soingz, mes labeurs, et mes peines
Me soulageoient, tout par cueur les disant,
Avec amys ou Princes devisant:
Parmy les quelz alors en toute gloire,
De voz haultz noms il estoit faict memoire.
Or donc Espritz pleins de bonté nayve,
Souffrez qu'icy avecques vous je vive,
Puis que vescu avez au cabinet
De ma memoire. Adonques Molinet
Aux Vers fleuris, le grave Chastellain,
Le bien disant en rithme et prose, Alain,
Les deux Grebans au bien resonnant stile,
Octovian à la veine gentile,
Le bon Cretin aux Vers equivoqué,
Ton Jean le Maire entre eulx hault colloqué,
Et moy ton pere en joye le receusmes,
Car quasi tous de luy congnoissance eusmes.
Heureux Esprit (ce luy va Cretin dire)
Quelle raison plus tost vers nous te tire,
Que par devers tant d'espritz excellens
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Qui sont icy, jadis tous opulens,
A toy pareilz, et Conseilliers royaulx,
Desquelz tu fuz, voyre de plus loyaulx?
Il luy respond: O âme debonnaire,
Penser me fais au labeur ordinaire
Que j'eu au monde: et parmy eulx estant
J'y penserois encores tant, et tant,
Que le record de ces solicitudes
Me priveroit des grans beatitudes
Qui sont ceans. Je cherche les delices
Qui aux espritz sont duysans et propices.
Je cherche joye, et repos, et sçavoir,
Où les peult on mieulx qu'entre vous avoir?
Or soit ma joye en ce poinct acomplie.
Et par sus tout, Cretin, je te supplie
De me monstrer, en ces beaulx champs floris,
Nostre Ennius, Guillaume de Loris,
Qui du Romant acquit si grand renom,
Duquel aussi nous deux portons le nom,
Dont mieulx je l'ayme. Adonc Cretin le mene
Par un sentier odorant et amene,
Au bout duquel, soubz un Rosier plaisant,
Peult veoir de loing Loris encor faisant
Tout à part soy ses regretz et clamours
Apres sa Rose. O puissance d'amours!
Là parvenuz, Cretin, qui le plainct fort,
Luy dit: Loris, Amour te doint confort,
Laisse tes plainctz. Voicy une noble Ame,
Qui evitant d'ignorance le blasme,
Fut en son temps le copieux registre
Des beaulx escriptz, que jadis sceurent tistre
Les bons facteurs du Gallique Hemisphere,
Desquelz tu es le bon ancien pere.
Si eusses veu comment, sans peine prendre,
En sa memoire il les sçavoit comprendre,
Puis de quel' grâce, et avec quel plaisir
Les recitoit en lieu, temps, et loisir:
Non moins aymé eusses le Reciteur
Que l'oeuvre mesme, ou le Compositeur.
C'est le plaisir où il se delectoit,
Quand du Roy Franc servant fidele estoit,
Et general des argenteuses formes,
Là où du Nord prindrent le nom les hommes.
C'est le second de qui les mains loyales
Seules ont eu des finances Royales
Gouvernement. Or les a il laissées,
Mieulx qu'avant luy en ordre bien dressées:
Et au sortir du corps, jà d'aage plein,
Cler, pur, et net, s'en vint en ce beau plain
Chercher repos en la troupe immortelle
De nous, qui tous luy devons amour telle
Que luy à nous. Au nom du tout Puissant,
Bien venu soit l'Esprit resplendissant,
Respond Loris. D'un nom sommes tous trois.
Pour la mornifle encor un j'en vouldrois
Avecques nous. De sa bouche, à grand' peine
Fut hors ce mot, qu'ilz veirent en la plaine
Venir plus cler que nul Ruby ballay,
L'esprit du preux Guillaume du Bellay,
Tant travaillé des guerres Piedmontoises,
Qu'à peine eust sceu encor aller deux toises:
Si se vint mettre avec eulx à repos,
Larmes laissant à Souldars et supposts:
Laissant en France et en Piedmont ennuy,
Mais non laissant homme semblable à luy.
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Bien tost apres, allans d'accord tous quatre
Par les Preaux tousjours herbuz s'esbatre,
Du mesme nom deux Espritz rencontrerent:
L'un Bissipat, que neuf soeurs allaicterent,
L'autre Budé, qui la Palme conquit
Sur les sçavans du Siecle où il vesquit.
Bienheureuse est, ô Clement, ta naissance,
Qui de luy euz privée congnoissance.
Au demourant nostre Gaulle, ainsi comme
Nous a compté l'Esprit du grand Preudhomme,
De maint Poëte ores est decorée:
Mais entre tous, de trois moult honorée,
Dont tu es l'un, Sainct Gelais Angelique,
Et Heroet, à la plume Heroique:
Maulgré le temps voz escriptz dureront,
Tant que Françoys les hommes parleront.
Ainsi le dit l'âme, de frais venue,
A qui, sans fin, est la troupe tenue
De Parnasus, veu qu'en mortelle vie
Aymée l'a, et en l'autre suyvie.
Poëtes, donc, qui en terre vivez,
Le loz, le bruit, de Preudhomme escrivez
En chascun genre et espece de Metre:
Et escrivans, n'oubliez pas à mettre
Qu'au riche estat où il e conduysoit,
Autant sur tous sa vertu reluysoit,
Comme Aurora est luysante et decore
Sur toute Estoille, ou Phebus sur Aurore.
Aurore adonc à la face vermeille
Sortit du Ciel, et sur ce je m'esveille.
La plume prins, me meis à rithmoyer
Ma vision, affin de l'envoyer
A toy, du vray Preudhomme filz unique.
Reçoy la donc, je la te communique
Comme au plus proche, esperant que ce Val,
Plus grand d'esprit, qu'en armes Perceval,
Et dont ta soeur à bon jour fut pourveuë,
Aura l'honneur de la seconde veuë.
Et si mes vers te plaisent (comme pense)
De toy ne veulx, pour toute recompense,
Fors qu'en vertuz sois ton Pere ensuivant,
Si qu'on le voye encor, en toy, vivant.

II
Epitaphe de Monsieur le General Preud'homme
Cy dessoubz prend son dernier somme
Le prudent Guillaume Preud'homme,
De Normandie General,
A qui Dieu fut tant liberal,
Qu'il luy donna user sa vie
Sans peur, sans blasme, sans envie,
Et mourut (voyez quel bonheur)
Plein d'ans, plein de biens, plein d'honneur.

III
Epitaphe de feu Madame de Maintenon
Cy gist l'espouse au Mary venerable,
Jehan Cotereau, seigneur de Maintenon,
Femme jadis prudente, et honorable,
De nom Marie, et Thurin de surnom,
Qui de beaulté à bon droit eut renom,
Et de vertu, à la beaulté bien duyte.
L'une par temps l'a laissée, l'autre non:
Car apres Mort, jusqu'au Ciel l'a conduicte.
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IV
D'elle mesmes
Cy gist qui fut de Maintenon la Dame,
Belle de corps, encor' plus belle d'âme,
Pour les haulx dons qu'elle eut du grant donneur.
Cy gist, qui fut exemplaire d'honneur
En ses beaulx ans pour toute femme exquise
Ayant beaulté desirée et requise,
Si que ses ans jeunes tant decorez
Rendirent fort ses vieux jours honorez.
Ainsi vesquit, ainsi mourut Marie,
Qui des Thurins ennoblit l'armoyrie.

V
De la Fille de Vaugourt
Vaugourt, parmy sa domestique bande,
Voyant sa fille Augustine, jà grande,
S'attendoit bien de bref ung Gendre avoir:
Et enfants d'elle aggreables à voyr,
Qui luy rendroient sa vieillesse contente.
Or a perdu sa fille, et son attente,
Et luy a prins la Mort, par ung trespas,
Ce qu'il avoit, et ce qu'il n'avoit pas.

VI
Epitaphe de Monsieur de Langey
Arreste toy, Lisant:
Cy dessouz est gisant,
Dont le cueur dolent j'ay,
Ce renommé Langey
Qui son pareil n'eut pas,
Et duquel au trespas
Jetterent pleurs et larmes
Les Lettres, et les Armes.

VII
Epitaphe de feu Messire Artus Gouffier, grand maistre de France, pris du Grec de Lascaris
Patroclus fut d'Achilles regretté,
Ephestion l'a d'Alexandre esté,
Qui l'estimoit amy comme soymesme.
Le roy Françoy (de leurs oeuvres supremes
Imitateur) plaind Artus de Boysy,
Qui merita d'estre par luy choysy
Pour mieux aymé. Dieu luy doint lieu celeste,
Et ne luy soit la tumbe si moleste,
Que le cler nom de Boysy, et d'Artus,
Ne vive autant que vivent les vertuz.

VIII
Epitaphe de Philipe, mere du dit seigneur grand maistre, pris du Graec de Cinerius
Souz ceste tumbe cy
Gist de Montmorancy
Philipe, noble Dame,
Belle de corps et d'âme,
Qui de Dieu tant receut
Qu'en son ventre conceut
Grans seigneurs magnifiques,
Et dames heroïques:
Si que des enfans d'elle
La vertu immortelle
Par haut los precieux
S'estent jusqu'aux cieux.
Passans, ne plorez point,
Plorer ne vient à poinct
De ceste Dame bonne:
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Plustost faut qu'on s'estonne
De son si grand bonheur
Accompagné d'honneur.

IX
Dixain de Lyon Jamet, à Marot, quelque temps apres qu'il eut veu le grand epitaphe d'Alix:
Cy gist qui est une grand'perte, en culetis, etc.
Dedans Paris bien fort l'on te menace
D'avoir escrit Alix si treslubrique,
Qu'il n'y a cul, fust il ferré à glace,
Qui ne glissast sur lit, pavé ou brique:
Ce n'est raison que ta plume s'aplique
A exercer ton style en tel langage,
Qui, sans mentir, aux dames fait outrage.
Car le sujet de si trespres leur touche,
Qu'il n'y a celle, y compris la plus sage,
A qui soubdain l'eau n'en vint à la bouche.

X
De Martin
Cy gist, pour Alix contenter,
Martin, qui souloit plus que dix
A la rengette culeter
Par champaignes, boys, et taillis.
Prie Dieu, toy qui cecy lys,
Mettre l'âme du trespassé
En quelque lieu bien loing d'Alix,
Afin qu'il repose In pace.

XI
Epitaphe nouveau, du mesme, par C.M.
Cy gist Martin, qui pour saouller Alix,
Tant culleta qu'il en perdit la vie:
Car sans cesser, ou sus bancz, ou sus litz,
Elle voulut en passer son envie.
Il esgouta toute son eau de vie,
Puis se voulut restaurer de couliz:
Mais la vigueur des tourdions joliz
Qu'avoit Alix inventez à son ayse,
Ses roydes nerfz rendit tant amolliz,
Qu'il fut martyr: dont toy, qui cecy lis,
Va, si tu veulx que ton culleter plaise,
Baiser sa tumbe au plus pres de Senlis,
Alors pourras culleter plus que seize.

XII
Epitaphe d'Erasme, pris du Latin: Magnus Erasmus in hoc tumulo est, etc.
Le grand Erasme icy repose:
Quiconques n'en sçait autre chose,
Aussi peu qu'une taupe il void,
Aussi peu qu'une pierre il oyt.

XIII
Epitaphe de messire Jan Olivier, Evesque d'Angiers, pris du Latin: Inquiris, hopes, qui siem, etc. Traduit, ainsi
qu'on dit, par C.M.
Vers Alexandrins
Te veux-tu enquerir, viateur, qui je suis?
J'ay autresfois esté: mais plus estre ne puis.
Me veux-tu demander que je fais? Je pourris
En la terre, où les vers de ma chair je nourris.
T'enquiers-tu plus avant? Je fuz, s'il le faut dire,
Nommé Jan Olivier, de tous pecheurs le pire.
Tu demandes encor' de ma nativité.
Le lieu, c'estoit Paris, la tresnoble cité.
Quant aux degrez d'honneur, où vivant je parvins,
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Des Abez fus le chef, Prelat des Angevins.
La bible et livres saints je mis peine d'entendre.
Que reste il au cercueil? Des oz, et de la cendre.
Mais tu diras: Où est l'esprit? Dessus ce point
Cesse à m'interroger: car il n'appartient point
Aux hommes enquerir des secretz des hauts dieux.
Cela, certes, les rend vers le ciel odieux.
Sur ce avoir il sufit fiance et la foy telles
Que les loyaux defunctz ont âmes immortelles,
Et leurs espritz seront dormans jusques à lors
Qu'ilz ressusciteront avec leurs propres corps
Trop plus beaulx que devant, celestes asseurez
De vivre à tout jamais avec les biens heurez.
Tu sçais ce que je fuz: mais pource que ne puis
Pour le lieu tenebreux où de present je suis
Te recognoistre, amy, pour le moins, d'une chose
Prier te veux: Cognoys toy mesmes et propose
Souhaiter pour tous mortz, d'une volunté pure,
La vraye et seule paix, laquelle à toujours dure.

XIV
Epitaphe de feu Clement Marot, dit le Maro de France, par M.G.
Ma naissance fut de Cahors,
France me nourrit en sa court,
La Savoye retient mon corps,
Mon nom par tout le monde court.

XV
Autre par Monsieur du Val, Evesque de Séez
Pourquoy le corps du Poëte de France
Sans Epitaphe est cy tant demouré?
Ayant plusieurs de sa noble science
Les uns instruit, les autres decoré,
La raison est: chacun a diferé
D'en composer, craignant luy faire tort
Et trop peu dire: Aussi qu'apres sa mort
Tant est cogneu Marot et pres et loing
Par ses escritz (où nulle mort ne mord)
Qu'il n'a point d'autre Epitaphe besoing.

XVI
Autre, par Saint Romard
Ce Marot mort vit plus qu'il ne vivoit,
Et si est mort sans que plus il revive.
Vif par ses vers, que vivant escrivoit:
Mort, ne laissant vif qui si bien escrive.
Mais s'il avient qu'on l'exprime et ensuyve,
Pour une mort, triple vie il aura:
Vif au tiers ciel où pour jamais sera,
Vif entre nous par memoire eternelle,
Mais bien plus vif, quand d'une veinne telle
Si possible est, autre plume escrira.

XVII
Epitaphe de Clement Marot, par Malingre
Veulx tu sçavoir pourquoy c'est qu'a ravy
Clement Marot Atropos inhumaine?
C'est pour des Dieux l'inviter au convy,
Et luy changer en soulas toute peine:
Car de son art, et de sa langue pleine
De doulx parler, ont esté amoureux.
Par ce moyen, l'ont tiré sus les cieulx,
Où boit nectar, le brevage immortel:
Et là luy font un accueil gratieux,
Car avec eux n'en eurent onc un tel.
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XVIII
Autre, du mesme
Va où tu peulx, car en la fin mourras
Là où tu doibs, par divine ordonnance.
Clement Marot de ce tesmoing auras,
Qui en maintz lieux alla à sa plaisance,
Un jour joyeux, et l'autre en desplaisance,
Suyvant la Court de Franceoys puissant Roy:
Mais Atropos le tient en tel desroy,
Qu'il ne peult plus servir au Roy son maistre,
Car son esprit est en tres doulx arroy
Là sus au ciel, où Dieu nous vueille mettre.

XIX
Autre, d'Estienne Jodelle
Quercy, la Cour, Piemont, l'univers,
Me fit, me tint, m'enterra, me connut,
Quercy mon los, la Cour tout mon temps eut,
Piemont mes os, et l'univers mes vers.
Fin du Cymetiere.

Les Oeuvres translatez


De Latin en Françoys par
Clement Marot
Dont le contenu s'ensuict.
C'est assçavoir:
Le premier Livre de la Metamorphose d'Ovide.
Le second Livre de la Metamorphose d'Ovide, de nouveau adjousté.
Six Sonnetz de Petrarque.
L'histoire de Leander et de Hero.
Trois Colloques d'Erasme.
Cinquante Psaumes de David, dont les trente (par cy devant imprimés) ont esté reveuz, et corrigez par l'Autheur,
ceste presente Année.

Le premier Livre de la metamorphose d'Ovide


Stephanus Doletus in Librum Primum Metamorphoseos Ovidii
Gallicvm Factum à Clemente Maroto
Mirum fuit, quae narrat Ouidius, corpora
Alia in alia tam mirificè
Mutata: sed nihilo minus mirum est, Librum
Ovidij tam mirificè
Versum ingenio Maroti, ut aequet Gallico
Sermone sermonem Latium:
Aequet? superest potius Poëtam principem
Longè omnium Versu facili,
Venaque diuite, seu canat Amoris iocos,
Seu quidpiam aliud gravius.
Au tresillustre, et treschrestien Roy des Françoys, premier de ce nom, Clem. Marot de Cahors en Quercy,
treshumble salut, et deuë obeissance
Long temps avant, que vostre liberalité Royalle m'eust faict successeur de l'estat de mon pere, le mien plus
affectionné (et non petit) desir avoit tous jours esté (Sire) de pouvoir faire oeuvre en mon labeur Poëtique, qui tant
vous aggreast, que par là je peusse devenir (au fort) le moindre de voz domesticques. Et pource faire, mis en
avant (comme pour mon Roy) tout ce, que je peus, et tant importunay les Muses, qu'elles (en fin) offrirent à ma
plume inventions nouvelles, et antiques, luy donnant le choys ou de tourner en nostre langue aulcune chose de la
Latine, ou d'escrire oeuvre nouvelle par cy devant non jamais veuë. Lors je consideray, qu'à prince de hault Esprit
hautes choses affierent: et tant ne me fiay en mes propres inventions, que pour vous trop basses ne les sentisse.
Parquoy (les laissant reposer) jectay l'oeil sur les livres Latins: dont la gravité des sentences, et le plaisir de la
lecture (si peu, que j'y comprins) m'ont esprins mes Esprits, mené ma main, et amusé ma Muse. Que dy je,
amusée? Mais incitée à renouveller (pour vous en faire l'offre) l'une des plus Latines antiquités, et des plus
antiques Latinités. Entre lesquelles celle de la Metamorphose d'Ovide me sembla la plus belle, tant pour la grande
doulceur du stile, que pour le grand nombre des propos tombants de l'ung en l'aultre par lyaisons si artificielles,
qu'il semble, que tout ne soit, qu'ung. Et toutesfoys aiséement (et peult estre, point) ne se trouvera Livre, qui tant
de diversités de choses racompte. Parquoy (Sire) si la nature en la diversité se resjouyst, là ne se debvra elle
melencolier. Pour ces raisons, et aultres maintes, deliberay mectre la main à la besongne: et de tout mon pouvoir
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suyvre, et contrefaire la veine du noble Poëte Ovide: pour mieulx faire entendre; et sçavoir à ceulx, qui n'ont la
langue Latine, de quelle sorte il escripvoyt: et quelle difference peult estre entre les Anciens, et les Modernes.
Oultre plus, tel lit en maint passage les noms d'Apollo, Daphné, Pyramus, et Tisbée, qui a l'Histoyre aussi loing de
l'esprit, que les noms pres de la bouche: ce que pas ainsi n'yroit, si en facille vulgaire estoit mise ceste belle
Metamorphose. Laquelle aux Poëtes vulgaires, et aux Painctres seroit tresproffitable: et aussi decoration grande
en nostre langue: veu mesmement, que l'arrogance Grecque l'a bien voulu mectre en la sienne. Or est ainsi, que
Metamorphose est une diction Grecque, vulgairement signifiant transformation. Et a voulu Ovide ainsi intituler son
Livre, contenant quinze Volumes, pource qu'en icelluy il transforme les ungs en arbres, les aultres en pierres, les
aultres en bestes, et les aultres en aultres formes. Et pour ceste mesme cause, je me suis pensé trop entreprendre
de vouloir transmuer celluy, qui les aultres transmue. Et apres j'ay contrepensé, que double louange peult venir de
transmuer ung transmueur, comme d'assaillir ung assailleur, de tromper ung trompeur, et mocquer ung mocqueur.
Mais pour rendre l'oeuvre presentable à si grande majesté, fauldroit premierement, que vostre plus que humaine
puissance transmuast la Muse de Marot en celle de Maro. Toutesfoys telle qu'elle est, soubs la confiance de vostre
accoustumé bon recueil, elle a (par maniere d'essay) traduict, et parachevé de ses quinze Livres le premier: dont
au Chasteau d'Amboyse vous en pleut ouyr, quelcque commencement. Si l'Eschantillon vous plaist, par temps
aurez la Piece entiere: car la plume, du petit ouvrier ne desire voller, sinon là, où le vent de vostre royalle bouche
la vouldra poulser. Et à tant me tairay. Ovide veut parler.
L'intention du Poete
Ardant desir d'escrire ung hault Ouvrage
M'a vifvement incité la courage
A reciter maintes choses formées
En aultres Corps touts nouveaulx transformées.
Dieux souverains, qui tout faire sçavez,
Puis qu'en ce poinct changées les avez,
Donnez faveur à mon commencement,
Et deduysez mes propos doulcement,
A commencer depuis le premier naistre
du Monde rond, jusqu'au temps de mon estre.
Chaos mué en quatre Elemens
Avant la Mer, la Terre, et le grand Oeuvre
Du Ciel treshault, qui toutes choses coeuvre,
Il y avoit en tout ce Monde enorme
Tant seullement de Nature une forme,
Dicte Chaos, ung monceau amassé
Gros, grand, et lourd, nullement compassé.
Brief, ce n'estoit qu'une pesanteur vile
Sans aulcun art, une masse immobile:
Là, où gisoyent les semences encloses,
Desquelles sont produictes toutes choses:
Qui lors estoyent ensemble mal couplées,
Et l'une en l'aultre en grand discord troublées.
Aulcun Soleil encores au bas Monde
N'eslargissoyt lumiere claire, et munde:
La Lune aussi ne se renouvelloit,
Et ramener ses cornes ne souloit
Par chascun moys. La terre compassée
En l'air espars ne pendoit balancée
Soubs son droit poix. La grand' fille immortelle
De l'Ocean, Amphitrite la belle,
N'estendoit pas ses bras marins encores
Aux longues fins de la terre, ainsi qu'ores:
Et quelcque part où fust la terre, illec
Estoit le feu, l'air, et la mer avec.
Ainsi pour lors estoit la terre instable,
L'air sans clarté, la mer non navigable,
Rien n'avoit forme, office, ne puissance:
Ainçoys faisoit l'ung aux aultres nuysance,
Car froid au chauld menoit guerre, et discords:
Sec à l'humide, et le tout en ung corps.
Avec le dur le mol se combattoit:
Et le pesant le legier debattoit.
Mais Dieu, qui est la nature excellente,
Appaisa bien leur noyse violente:
Car terre adoncq du Ciel desempara,
De terre aussi les eaues il separa,
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Et mist à part, pour mieulx faire leur paix,
Le Ciel tout pur d'avecques l'air espais.
Puis quand il eut desmelés, et hors mys
De l'orde masse iceulx quatre ennemys,
Il va lyer en concorde paisible
Chascun à part, en sa place duysible.
Le feu sans poix du Ciel courbe, et tout rond,
Fut à monter naturellement prompt,
Et occupa le degré plus haultain.
L'air le suyvit, qui n'en est pas lointain,
Ains du cler feu approche grandement
D'agilité, de lieu semblablement.
En espoisseur la terre les surpasse,
Et emporta la matiere plus crasse
Du lourd monceau: dont en bas s'avalla
Par pesanteur. Puis la mer s'en alla
Aux derniers lieux sa demourance querre
Environnant de tous costés la terre.
En tel' façon (quiconques ayt esté
Celluy des Dieux) quand il eut projecté
Ce grand ouvrage (et en membres dressée
La grosse masse en ce point despecée)
Il arrondit, et feit la terre au moule,
Forme, et façon d'une bien grande boule,
A celle fin qu'en son poix juste, et droict,
Esgalle fust par ung chascun endroit.
Puis çà, et là les grands mers espendit,
Et par grands ventz enflées les rendit,
Leur commandant faire flotter leur unde
Tout à l'entour des fins de terre ronde:
Parmy laquelle adjousta grands estangs,
Lacz, et marestz, et fontaines sortants:
Et puis de bors, et rives tournoyantes,
Ceinctures feit aux rivieres courantes,
Qui d'une part en la terre se boyvent:
Aultres plusieurs en la mer se reçoyvent.
Et là au lieu de rives, et de bors,
Ne batent plus, que grands havres, et ports.
Aux champs apres commanda de s'estendre:
Et aux forestz, rameaulx, et fueilles prendre:
Ung chascun val en pendant feit baisser,
Et contre hault les montaignes dresser.
La Terre divisée en cinq zones, comme le Ciel
Et tout ainsi que l'ouvrier advisé
Feit le hault ciel par cercle divisé,
Deux à la dextre, et sur senestre deux,
Dont le cinquiesme est le plus ardant d'eulx,
Par tel' façon, et en semblable nombre,
Il divisa terre pesante, et sombre:
Et en cela le hault ciel ne l'excede,
Car comme luy cinq Regions possede,
Dont la moyenne habiter on ne peult
Par le grand chault, qui en elle se meut:
Puis elle en a deux couvertes de neige:
Et au milieu de ces deux est le siege
De deux encor, que Dieu, qui tout ouvroit,
Amodera par chault meslé de froit.
Sur tout cela, l'air il voulut renger:
Lequel d'aultant comme il est plus leger
Que terre, et l'eau, d'aultant est il pesant
Plus que le feu tant subtil, et luysant.
En celluy Air les nuës, et nuées
Commanda estre ensemble situées,
Et le Tonnerre, et tempestes soubdaines
Espouventants les pensées humaines:
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Semblablement avec la fouldre ardante
Les ventz causant froidure morfondante.
A iceulx ventz Dieu n'a permis d'aller
Confusement par la voye de l'aer:
Et nonobstant, que chascun d'eulx exerce
Ses soufflemens en region diverse,
Encor à peine on peult (quand s'esvertuent)
Y resister, qu'ilz ne rompent, et ruent
Le monde jus par bouffemens austeres:
Tant terrible est la discorde des freres.
Les Regions des quatre Vents
Le vent Eurus tout premier s'en volla
Vers Orient, et occuper alla
Nabathe, et Perse, et les monts, qui s'eslevent
Soubs les rayons, qui au matin se levent.
Zephyrus fut soubs. Vesper resident,
Pres des ruisseaulx tiedys de l'Occident.
Boreas froid envahyt la partie
Septentrionne, avecques la Scithie.
Et vers Midy, qui est tout au contraire,
Auster moyteux jecta pluye ordinaire.
Sur tout cela, que j'ay cy declairé,
Le grand ouvrier mist le Ciel etheré,
Cler, pur, sans poix, et qui ne tient en rien
De l'espesseur, et brouas terrien.
A peine avoit touts ces oeuvres haultains
Ainsi assis en lieux seurs, et certains,
Que tout autour du Ciel, claires, et nettes,
Vont commencer à luyre les planettes,
Qui de tous temps pressées, et tachées,
Soubs celle masse avoyent esté cachées.
Aussi affin que region aulcune
Vuyde ne fust d'animaulx à chascune
Propres, et duictz, les estoilles, et signes,
Et des haultz Dieux les formes tresinsignes
Tindrent le Ciel. Les poissons netz, et beaulx,
Eurent en part (pour leur manoir) les eaux.
La terre apres print les bestes saulvages,
Et l'air subtil oyseaulx de touts plumages.
L'origine de l'homme, et comment Prometheus le feit de terre
La trop plus saincte, et noble Creature
Capable de plus hault sens par nature,
Et qui sur tout pouvoir avoit puissance,
Restoit encor. Or print l'homme naissance,
Où l'ouvrier grand de touts biens origine
Le composa de semence divine.
Où terre adonc (qui estoit separée
Tout freschement de la part etherée)
Retint en soy semence supernelle
Du ciel, qui print sa facture avec elle:
Laquelle apres Prometheus mesla
En eaue de fleuve, et puis formée l'a
Au propre ymage, et semblable effigie
Des Dieux, par qui toute chose est regie.
Et neantmoins, que tout aultre animal
Jecte tousjours son regard principal
Encontre bas, Dieu à l'homme a donné
La face haulte, et luy a ordonné
De regarder l'excellence des cieulx,
Et d'eslever aux estoilles ses yeulx.
La terre doncq n'agueres desnuée
D'art, et d'ymage ainsi fut transmuée,
Et se couvrit d'hommes d'elle venuz,
Qui luy estoyent nouveaulx, et incongneuz.
Description des quatre Eages. Et premierement de l'eage doré
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L'eage doré sur touts resplendissant,
Fut le premier au monde fleurissant:
Auquel chascun sans correcteur, et loy,
De son bon gré gardoit justice, et foy.
En peine, et peur aulcun ne souloit vivre:
Loix menaçants ne se gravoyent en cuyvre
Fiché en murs: paovres gens sans refuge
Ne redoubtoyent la face de leur juge:
Mais en seurté se sçavoyent accointer,
Sans qu'il faillust juge à les appointer.
L'arbre du Pin charpenté, et fendu,
N'estoit encor des haultz monts descendu
Sur les grands eaux, pour flotter, et nager,
Et en pays estrange voyager.
Hommes mortelz ne congnoissoient à l'heure
Fors seullement le lieu de leur demeure.
Fossés profonds, et murs de grands efforts
N'environnoyent encor villes, et forts.
Trompes, clerons d'Aerain droit, ou tortu,
L'armet, la lance, et le glaive poinctu
N'estoit encor. Sans usage, et alarmes
De chevaliers, de pietons, et gensd'armes,
Les gens alors seurement en touts cas
Accomplissoyent leurs plaisirs delicats.
La terre aussi, non froissée, et serve
(Par homme aulcun) du soc de la charrue,
Donnoit de soy touts biens à grand' planté:
Sans qu'on y eust ne semé, ne planté:
Et les vivants, contents de la pasture
Produicte alors sans labeur, ne culture,
Cueilloyent le fruict des saulvages Pommiers,
Fraises aux montz, les cormes aux Cormiers,
Pareillment les meures, qui sont joinctes
Contre buyssons pleins d'espineuses poinctes,
Avec le gland, qui leur tomboit à gré
Du large Chesne à Juppiter sacré.
Printemps le verd regnoit incessamment,
Et Zephyrus souspirant doulcement
Souefves rendoit par tiedes alenées
Les belles fleurs sans semence bien nées.
Terre portoit les fruicts tost, et à poinct,
Sans cultiver. Le champ, sans estre point
Renouvellé, par tout devenoit blanc
Par force espis plein de grain bel, et franc,
Prests à cueillir. Fleuves de laicts couloyent,
Fleuves de vin aussi couler souloyent,
Et le doulx miel, dont lors chascun goustoit,
Des arbres verds tout jaulne desgoustoit.
L'Eage d'Argent
Puis quand Saturne hors du beau Regne mys,
Fut au profond des Tenebres transmys,
Soubs Juppiter estoit l'humaine Gent:
Et en ce temps survint l'Eage d'Argent,
Qui est plus bas, que l'Or tres souverain,
Aussi plus hault, et riche, que l'Aerain.
Ce Juppiter abbaissa la vertu
Du beau Printemps, qui tousjours avoit heu
Son cours entier, et soubs luy fut l'Année
En quatre parts reduicte, et ordonnée,
En froid Yver, et en Esté, qui tonne,
En court Printemps, et variable Autonne.
Lors commença blanche, et vifve splendeur
Reluyre en l'Air espris de seiche ardeur.
D'aultre costé survint la Glace froyde,
Par Vents d'Yver pendue, estraincte, et royde.
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Lors on se print à mucer soubs maisons:
Maysons estoyent Cavernes, et Cloisons,
Arbres espais, fresche Ramée à force,
Et verds Osiers joincts avecques Escorce.
Lors de Ceres les bons grains secourables
Soubs longs Seillons de terre labourables
Sont enterrés: et furent Boeufz puissants
Pressés du joug, au labeur mugissants.
L'Eage d'Aerain
Apres cestuy troisiesme succeda
L'eage d'Aerain, qui les deux exceda.
D'engin maulvais, et plus audacieux
Aux armes fut, non pourtant vicieux.
L'Eage de Fer
Le dernier est de Fer, dur, et rouillé:
Où tout soubdain chascun vice brouillé
Se vint fourrer, comme en l'eage total
Accomparé au plus meschant Metal.
Honneste Honte, et Verité certaine
Avecques Foy prindrent fuyte loingtaine:
Au lieu desquelz entrarent Flaterie,
Deception, Trahyson, Menterie,
Et folle Amour, Desir, et Violence
D'acquerir gloyre, et mondaine opulence.
Telle avarice adoncq le plus souvent
Pour praticquer mectoit Voyles au vent,
Lors mal congneu du Nautonnier, et maistre:
Et mainte Nef, dont le boys souloit estre
Planté debout sur montaignes cornues,
Nageoit, saultoit par vagues incongneues
Mesme la terre (avant aussi commune
Que la clarté du Soleil, Air, et Lune)
Fut divisée en bornes, et partis
Par mesureurs fins, caultz, et deceptifs.
Ne seullement humaines creatures
Chercharent bleds, et aultres nourritures:
Mais jusqu'au fond des entrailles allarent
De terre basse, où prindrent, et fouillarent
Les grands thresors, et les richesses vaines,
Qu'elle cachoit en ses profondes veines:
Comme Metaulx, et pierres de valeurs,
Incitements à tous maulx, et malheurs.
Jà hors de terre estoit le Fer nuysant
Avecques l'Or trop plus que Fer cuysant:
Lors Guerre sort, qui par ces deux Metaulx
Faict des combats inhumains, et brutaulx,
Et casse, et rompt de main sanguinolente
Armes clicquants soubs force violente.
On vit desjà de ce qu'on emble, et oste:
Chés l'hostelier n'est point asseuré l'hoste:
Ne le beaupere avecques le sien gendre:
Petite amour entre freres s'engendre:
Le mary s'offre à la mort de sa femme:
Femme au mary faict semblable diffame:
Par mal talent les marastres terribles
Meslent souvent venins froids, et horribles:
Le filz, affin qu'en biens mondains prospere,
Souhaitte mort (avant ses jours) son pere.
Dame pitié gist vaincue, et oultrée:
Justice aussi la noble vierge Astrée,
Seulle, et derniere apres touts Dieux sublimes,
Terre laissa taincte de sang, et crimes.
Le sang des geants transmué en homme cruelz
Aussi affin que le Ciel etheré
Ne fust de soy plus, que terre, asseuré,
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Les fiers Geants (comme on dit) affectarent
Regner aux cieulx, et contremont dressarent
(Pour y monter) mainte montaigne mise
L'une sur l'aultre. Adoncques par transmise
Fouldre du ciel, l'omnipotent facteur
Du mont Olympe abbatit la haulteur:
Et desbrisa en ruyne fort grosse
Pellion mont assis sur celluy d'Osse.
Quand par son poix ces corps faulx, et cruelz
Furent gisants desrompuz, et tués,
La terre fut mouillée en façon telle
De moult de sang de Geants enfants d'elle,
Que (comme on dit) trempée s'enyvra,
Puis en ce sang tout chault âme livra:
Et pour garder enseigne de la race
En feit des corps portant humaine face
Mais ceste gent fut aspre, et despiteuse,
Blasmant les Dieux, de meurdres convoiteuse:
Si qu'à la veoir, bien l'eussiez devinée
Du cruel sang des Geants estre née.
Cecy voyant des haultz cieulx Juppiter
Crie, gemyt, se prend à despiter,
Et sur le champs par luy fust allegué
Ung aultre faict, non encor divulgué,
Des banquetz pleins d'horreur espouventable,
Que Lycaon preparoit à sa table:
Dont en son cueur ire va concevoir
Telle, qu'ung Roy (comme luy) peult avoir:
Et son conseil appella haultement,
Dont les mandés vindrent subitement.
Description du Cercle laicté
Or d'icy bas, là sus au lieu celeste
Est une voye aux humains manifeste,
Semblable à laict, dont laictée on l'appelle,
Aisée à veoir, pour sa blancheur tant belle:
Et par icelle est le chemin des Dieux
Pour droit aller au throsne radieux
Du grand Tonnant, et sa maison Royalle.
En ce lieu blanc, des nobles Dieux la salle
Fut frequentée alors par tout son estre
A huys ouverts sur dextre, et à senestre.
Les moindres Dieux en divers lieux s'assirent,
Et les puissants leurs riches sieges mirent
Vers le hault bout: brief, telle est ceste place,
Que se j'avoys de tout dire l'audace,
Je ne craindroys dire, que c'est là mesme
Qu'est du hault ciel le grand palays supresme.
Doncq quand les Dieux furent en ordre assis
Aux sieges bas faictz de marbres massifz,
Juppiter mys au plus hault lieu de gloire,
Et appuyé sur son sceptre d'yvoire
(Comme indigné) par troys foys, voyre quatre,
De son grand chef feit bransler, et debatre
l'horrible poil: duquel par son pouvoir
Feit terre, et mer, et estoilles mouvoir.
Puis tout despit devant touts il desbouche
En tel' façon son indignée bouche.
Harengue de Juppiter aux aultres Dieux, en laquelle il racompte, comment il transforma Lycaon en loup
Je ne fus oncq pour le regne mondain
Plus triste en cueur de l'orage soubdain,
Auquel Geants, qui ont serpentins piedz,
Furent touts prestz, quand fusmes espiez,
De tendre, et mectre au ciel recreatif
Chascun cent bras, pour le rendre captif.
Car neantmoins que l'ennemy fust tant
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Cruel, et fier, celle guerre pourtant
Ne dependoit que d'une seulle suyte,
Et d'une ligne en fin par moy destruicte:
Mais maintenant, en toute voye, et trasse
Par où la mer le monde entier embrasse,
Perdre, et tuer me fault (pour son injure)
Le mortel genre: et qu'ainsi soit, j'en jure
Des bas enfers les eaux noyres, et creuse,
Coulants soubs terre aux forestz tenebreuses:
Quoy que devant fault toute chose vraye
Bien esprouver: mais l'incurable playe
Par glaive fault tousjours coupper à haste,
Que la part saine elle n'infecte, et gaste.
J'ay en forestz, et sur fleuves antiques
Mes Demidieux, et mes Faunes rustiques,
Satyres gays, Nymphes nobles compaignes,
Et mes Silvains residents aux montaignes,
Lesquelz d'aultant que ne les sentons dignes
D'avoir encor les gloyres celestines,
Souffrons (au moins) que seurement, et bien,
Ilz puissent vivre en terre, que du mien
Leur ay donnée. O dieux intercesseurs,
Les pensez vous en bas estre assez seurs,
Quand Lycaon, noté de felonnie,
A conspiré mortelle vilanie
Encontre moy, qui par puissance eterne
La fouldre, et vous çà hault tiens, et gouverne?
Lors touts ensemble en fremissant murmurent,
Et Juppiter (d'ardant desir, qu'ilz eurent)
Vont suppliant, qu'en leurs mains vueille mectre
Cil, qui osa telles choses commectre.
Ainsi au temps que la cruelle main
D'aulcuns voulut ternir le nom Rommain
Tendant au sang Cesarien espandre,
Pour la terreur d'ung tant subit esclandre
Fut l'humain genre asprement estonné,
Et tout le monde à horreur addonné.
Et la pitié des tiens (ô preux Auguste)
Ne te fut pas moins aggreable, et juste,
Que ceste cy à Juppiter insigne:
Lequel apres avoir par voix, et signe
Refrainct leur bruyt, chascun d'eulx feit silence.
Le bruyt cessé par la grave excellence
Du hault regent, de rechef tout despit
D'ung tel propos le silence rompit.
Les peines a (ne vous chaille) souffertes:
Mais quoy qu'il ayt receu telles dessertes,
Si vous diray je en resolution,
Quel est le crime, et la punition.
De ce dur temps l'infamie à merveilles
Venoit souvent jusques à noz oreilles:
Lequel rapport desirant estre faulx
Subit descends des Cieulx luysants, et haults,
Et circuy le terrestre dommaine,
Estant vray Dieu dessoubz figure humaine.
Fort long seroit vous dire (ô Dieux sublimes)
Combien par tout il fut trouvé de crimes:
Car l'infamie, et le bruyt plein d'opprobre
Bien moindre fut, que la verité propre.
De Menalus traversay les passages
Craints pour les trous des grands bestes saulvages,
Et les haults Pins du froid mont Lyceus,
Et Cillene. Quand cele passé heus,
Du Roy d'Archade es lieux me viens renger,
Et en sa Court dangereuse à loger
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Entre tout droict, au poinct que la serée
Tire la nuict d'ung peu de jour parée.
Par signes lors monstray, que j'estoys Dieu
Venu en terre, et le Peuple du lieu
A m'adorer jà commence, et m'invocque:
Mais Lycaon (d'entrée) raille, et mocque
Leurs doulx priers, en disant: par un grief
Et cler peril, j'esprouveray de brief
Si mortel est ce Dieu cy, qu'on redoubte,
Et n'en sera la verité en doubte.
Puis quand seroys la nuict en pesant somme,
A me tuer s'appreste ce faulx homme
De mort subite: icelle experience
De verité luy plaist d'impatience.
Et non content est de si griefve coulpe,
Mais d'ung Poignal la gorge il ouvre, et couppe
A ung, qui là fut en hostage mys
De par les gens de Molosse transmys.
Et l'une part des membres de ce corps
Va faire cuyre ainsi à demy morts
En eaue bouillant, rendant l'aultre partie
Sus ardant feu, de gros charbons rostie:
Lesquelz sur table ensemble mect, et pose:
Dont par grand feu, qui vengea telle chose,
Sur le Seigneur tombay la maculée
Orde maison, digne d'estre bruslée.
Adonc s'enfuyt troublé de peur terrible:
Et aussi tost, qu'il sentit l'air paisible
Des champs, et boys, de hurler luy fut force,
Car pour neant à parler il s'efforce.
Son museau prend la fureur du premier,
Et du desir de meurtres coustumier,
Sur les aigneaulx or en use, et jouyt,
Et de veoir sang encores s'esjouyt.
Ses vestemens poil de beste devindrent,
Et ses deux bras façon de cuisses prindrent
Il fut faict Loup, et la marcque conforme
Retient encor de sa premiere forme:
Tel poil vieillard, et tel frayeur de vis
Encores a: semblables yeulx touts vifs
Ardent en luy. Brief, tel' figure porte
De cruaulté, comme en premiere sorte.
Parachevement de la Harengue de Juppiter avec la description du Deluge
Or est tombé ung manoir en ruine,
Mais ung manoir tout seul n'a esté digne
D'estre pery: par tout, où paroist terre,
Regne Erinnys aymant peché, et guerre.
Et si diriez, que touts ilz ont juré
De maintenir vice desmesuré.
Touts doncques soyent par peine meritée
Punys acoup, c'est sentence arrestée:
Alors de bouche aulcuns des Dieux approuvent
L'arrest donné par Juppiter, et mouvent
Plus son courroux. Les aultres rien ne dirent
Mais (sans parler) par signe y consentirent[.]
Ce neantmoins du genre humain la perte
A touts ensemble est douleur tresapperte:
Et demander vont à Juppiter, quelle
Forme adviendra sur la terre, apres qu'elle
Sera privée ainsi d'hommes mortelz,
Qui portera l'encens sur les Autelz,
Et si la terre aux bestes veult bailler
Pour la destruire, et du tout despouiller.
Alors deffend Juppiter, et commande
A ung chascun, qui tel' chose demande,
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De n'avoir peur, disant, qu'à ce besoing
De toute chose il a cure, et soing,
Et leur promect lignée non semblable
Au premier peuple en naissance admirable.
Soubdain devoit pour mectre humains en pouldre
Par toute terre espandre ardante fouldre:
Mais il craignit, que du ciel la facture
Par tant de feuz ne conceut d'adventure
Quelcque grand' flamme, et que soubdainement
Bruslé ne fust tout le hault firmament.
Puis luy souvint, qu'il est predestiné
Qu'advenir doibt ung temps determiné,
Que mer, que terre, et la maison prisée
Du ciel luysant ardra toute embrasée,
Et qu'on doibt veoir le tresgrand edifice
Du monde rond en labeur, et supplice.
Lors on cacha les dardz de feu chargés
Des propres mains des Cyclopes forgés,
Et d'une peine au feu toute contraire
Luy plaist user: car soubs eaues veult deffaire
Le mortel genre, et sur les terres toutes
De tout le ciel jecter pluyes, et goutes.
Incontinent aux cavernes d'Eole
Enclost le vent Aquilon, qui tost volle:
Semblablement en ces fosses estuye
Touts vents chassants la nue apportant pluye:
Et seullement mist Notus hors d'icelles.
Lors Notus volle avec ses moytes aesles,
Son vis terrible est couvert ceste foys
D'obscurité noyre, comme la poix:
Par force d'eaues sa barbe poyse toute,
De ses cheveulx touts chenuz eaue degoute,
Dessus son front moyteurs coulent, et filent
Son sein par tout, et ses plumes distillent.
Puis quand il eut çà, et là nues mainctes
Pendants en l'air dedans sa main estrainctes,
Gros bruyt se faict, esclers en terre abondent,
Et du hault ciel pluyes espesses fondent.
Iris aussi de Juno messagere
Vestant couleurs de façon estrangere
Tire, et conçoit grandes eaues, et menues,
En apportant nourrissement aux nues,
Dont renversés sont les bleds à oultrance,
Morts sont, et vains les voeuz, et l'esperance
Des laboureurs, et fut perdu adonc
Tout le labeur de l'an, qui est si long.
Encor (pour vray) l'ire ouverte, et patente
De Juppiter ne fut assez contente
Des grandes eaues, que de son ciel jecta:
Mais Neptunus son frere s'appresta
De promptement à son ayde envoyer
Grand renfort d'eaues pour le monde noyer,
Et à l'instant touts ses Fleuves il mande:
Lesquelz entrés dedans la maison grande
De leur Seigneur, en brief dire leur vient.
Pour le present user ne nous convient
De long propos: voz forces descouvrez,
Ainsi le fault, et voz maisons ouvrez:
Puis en ostant voz obstacles, et bondes,
Laschez la bride à voz eaues furibondes.
Ce commandé, s'en revont à grands courses:
Touts les ruisseaulx l'entrée de leurs sourses
Laschent à plein, et d'ung cours effrené
Tout à l'entour des grands mers ont tourné.
Neptune adoncq' de son Sceptre massif
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Frappa la terre, et du coup excessif
Elle trembla, si que du mouvement
Elle feit voye aux eaues appertement.
Si vont courant touts fleuves espandus
Parmy les champs ouverts, et estendus,
En ravissant avec le fruict les arbres,
Bestes, humains, maisons, palays de marbres,
Sans espargner Temples painctz, et dorés,
Ne leurs grands Dieux sacrés, et adorés.
Et s'ainsi est, qu'aulcun logis debout.
Soit demouré en resistant du tout
A si grand mal, toutesfoys l'eaue plus haulte
Coeuvre le fest, et par dessus luy saulte.
Que diray plus? grandes tours submergées
Cachées sont soubs les eaues desgorgées:
Et n'y avoit (tant soit peu) d'apparence,
Qu'entre la mer, et terre eust difference.
Tout estoit mer, en la mer, qui tout baigne,
N'a aulcuns borts. L'ung pour se saulver gaigne
Quelcque hault mont. L'aultre tout destourbé
Se siet dedans ung navire courbé:
Et droit au lieu il tire l'aviron,
Où labouroit nagueres environ.
L'ung sur les bleds conduyt nefz, et bateaulx,
Ou sur le hault des villes, et chasteaulx,
Qui sont noyés. L'aultre sur les grands Ormes
Prend à la main poissons de maintes formes.
L'ancre de mer se fiche au pré tout vert:
Fortune ainsi l'a voulu, et souffert.
Bateaulx courbés couvrent les beaulx vignobles
Gisants soubz l'eau, et plusieurs terres nobles:
Et au lieu propre, où Chevres, et Moutons
Broustoyent nagueres herbes, fleurs, et boutons,
Là maintenant Balaines monstrueuses
Posent leurs corps. Les Nymphes vertueuses
Regnants en mer, et belles Nereides
S'estonnent fort de veoir soubs eaues liquides
Forestz, maisons, villages, et cités.
Par les Daulphins les boys sont habités,
Et en courant parmy les haultz rameaulx
Hurtent maint tronc agité des grands eaux.
Entre Brebis nagent Loups ravissants:
La mer soustient les roux Lyons puissants:
Tigres legers porte l'eau undoyante:
De rien ne sert la force fouldroyante
Au dur Sanglier: ne les jambes agiles
Au Cerf ravy par les undes mobiles.
Et quand l'Oyseau vagant a bien cherché
Terres, ou arbre, où puisse estre branché,
A la fin tombe en la mer amassée,
Tant a du vol chascune aesle lassée.
Jà de la mer la fureur à grands brasses
Avoit couvert et mottes, et tarrasses:
Vagues aussi, qui de nouveau flotoyent,
Les haultz sommets des montaignes batoyent.
Brief, la pluspart gist engloutie, et morte
Dedans la mer. Ceulx, que la mer n'emporte,
Le long jeusner de tel' façon les mine,
Qu'à la parfin tombent morts de famine.
Or separés sont les champs tresantiques
Aoniens d'avecques les Attiques
De par Phocis, terre grasse, j'entends,
Quand terre estoit: mais en icelluy temps
La plus grand' part n'estoit que mer comblée,
Et ung grand champ d'eaue subit assemblée.
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En ce pays Parnassus le hault mont
Tendant au ciel se dresse contre mont
A double croppe, et les nues surpasse
De sa haulteur. Sur ceste haulte place
(Pource que mer couvroit le demourant)
Deucalion aborda tout courant
En une nef, qui grande n'estoit mye,
Avec Pyrrha sa compaigne, et amye,
Les Dieux du mont, et Nymphes Corycides
Là adoroyent, priants à leurs subsides,
Themys disant les choses advenir,
Qui lors souloit des oracles tenir
Le temple Sainct: oncques ne fut vivant
Meilleur, que luy, ne de plus ensuyvant
Vraye equité, et n'eut oncq au monde âme,
Plus honnorant les Dieux, qu'icelle Dame.
Quand Juppiter veit par l'eaue continue.
Que terre estoit ung estang devenue,
Et ne rester de tant de milliers d'hommes
Maintenant qu'ung sur la terre, où nous sommes,
Et ne rester de tant de femmes, qu'une:
Voyant aussi, que sans malice aulcune
Touts deux estoyent, et touts deux amateurs
De son Sainct nom, et vrays adorateurs:
Cela voyant, les nues, qui tant plurent,
Rompt, et separe. Et quand les pluyes furent
Par Aquilon chassées en maints lieux,
Aux cieulx la terre, à la terre les cieulx
Il va monstrer: aussi l'ire, et tempeste
De la marine illec plus ne s'arreste.
Puis Neptunus sur la mer president,
En mectant jus son grand spectre, et trident
Les eaues appaise, et huche sans chommer
Le verd Triton flotant dessus la mer,
Le dos couvert de pourpre faicte expres
Sans artifice: et luy commande apres
Souffler dedans la resonnant buccine,
Et rappeller, apres avoir faict signe,
Fleuves, et flots. Lors Triton prend, et charge
Sa trompe creuse entortillée en large,
Et qui du bas vers le hault croist ainsi
Qu'ung turbillon: laquelle trompe aussi
Apres qu'elle a prins aer tout au milieu
De la grand mer, chascun rivage, et lieu
Gisant soubs l'ung, et soubs l'aultre soleil,
Elle remplit de son bruyt non pareil.
Laquelle aussi, quand elle fut joignante
Contre la bouche à Triton degoutante,
Pour la moyteur de sa barbe chargée,
Et qu'en soufflant la retraicte enchargée
Elle eut sonnée, par tout fut entendue
Des eaues de terre, et de mer estendue,
Tant que les eaux, qui l'ouyrent corner,
Contraignit lors toutes s'en retourner.
Desjà la mer prend borts, et rives neufves,
Chascun canal se remplit de ses fleuves,
Fleuves on voyt baisser, et departir,
Et hors de l'eau les montaignes sortir:
Terre s'esleve, et les cieulx, qui paroissent,
Croissent ainsi, comme les eaues decroissent.
Longs jours apres, boys, et forestz mouillées
Manifestoyent leurs testes despouillées
De fueille, et fruict: au lieu de quoy retindrent
Les gras lymons, qui aux branches se prindrent:
Restably fut tout pays despourveu:
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Lequel estant par Deucalion veu
Large, et ouvert, et que terrestre voye
Mise en desert faisoit silence coye,
La larme à l'oeil adonc il souspira,
Parlant ainsi à sa femme Pyrrha.
Oraison de Deucalion à Pyrrha sa femme
O chere Espouse, ô ma soeur honnorée,
O femme seulle au monde demourée,
Que commun sang, puis parente germaine,
Puis mariage ont joincte à moy prochaine,
Et à present joincte à moy de rechef
Par ce peril, et dangereux meschef
De toute terre, et pays evident
De l'Orient, et de tout l'Occident,
Nous deux seullets sommes tourbe du monde:
Le residu possede mer profonde:
Et n'est encor la fiance, et durée
De nostre vie assez bien asseurée:
Et d'aultre part les nues, qui cy hantent,
Nostre pensée asprement espouventent.
Si par fortune eschappée sans moy
Fusses des eaulx, quel courage or en toy
Fust demeuré? O chetive, et dolente,
Comme eusses tu tel' crainte violente
Seulle souffert? qui te fust consoleur,
Pour supporter maintenant ta douleur?
Certes croy moy, si l'eaue t'avoyt ravye,
Je te suyvroys, et l'eau auroit ma vie.
Que pleust aux Dieu, qu'ung si grand pouvoir j'eusse
Que par les arts de mon pere je peusse
Renouveller toute gent consommée,
Et mectre esprit dedans terre formée.
Le genre humain reste en nous deux: et pource
Doibt en nous deux prendre fin, ou resource,
Et des humains demourons la semblance:
Telle a esté des haults Dieux l'ordonnance.
Apres ces motz, apres pleur, et crier,
Bon leur sembla devotement prier
Themis celeste, et soubs divins miracles
Chercher secours en ses sacrés oracles.
Lors n'ont tardé: touts deux s'en vont aux undes
De Cephysis, non bien cleres, et mundes
Encor du tout: mais bien jà retirées
Au droict vaisseau, duquel s'estoyent tirées.
Et quand jecté eurent de l'eau benie
Sur leurs habits en grand' ceremonie,
Et sur leurs chefz, ilz prindrent leur addresse
Droict vers le Temple à la sacrée Déesse,
Dont les sommetz, et voultes se gastoyent
De layde mousse. Et les autelz estoyent
Sans sacrifice. Et les Lampes estainctes.
Puis quand du Temple ont les marches attainctes,
Ung chascun d'eulx s'encline contre terre,
Et tout craintif baise la froide pierre,
Disant ainsi: Si en tristes saisons
Les Dieux vaincuz par justes oraisons
Sont amollys: et si courroux, et ire
Fleschist en eulx, helas vueilles nous dire,
Dame Themis, par quel art, ou sçavoir,
Reparable est la perte, que peulx veoir
De nostre genre: et aux choses noyées
Tes aydes soyent par doulceur octroyées.
Adonc s'esmeut ce divin simulacre,
Et leur respond: Partez du Temple sacre,
Couvrez vos chefz en devotions sainctes,
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Et desliez voz robbes, qui sont ceinctes:
Apres jectez souvent par sur le dos
De vostre antique, et grand' mere les os.
Lors esbahys demeurent longuement,
Et puis Pyrrha parlant premierement
Rompt le silence, et d'obeir refuse
Aux motz, et dicts, dont celle Déesse use,
En la priant (avec craintive face)
Devotement, qu'en ce pardon luy fasse:
Et d'offenser craint de sa mere l'âme,
Jectant ses os, et de luy faire blasme.
Tandis entre eulx revolvent, et remirent
Les motz obscurs de l'Oracle, qu'ouyrent
Soubs couverture ambigue donné.
Deucalion (comme moins estonné)
R'asseure apres, et doulcement consolle
La femme simple, avec telle parolle:
Croy moy, Pyrrha, que les Dieux pour nous veillent:
Ilz sont touts bons, et jamais ne conseillent
Rien de maulvais, et si trop fort je n'erre,
Nostre grand' mere antique, c'est la terre.
Ses ossements (selon le mien recors)
Les pierres sont, qu'elle a dedans son corps:
Et commandé nous est de les lancer
Derriere nous. Combien qu'en bon penser
Pyrrha fut meuë à cause de l'augure,
Que son mary bien expose, et figure,
Ce nonobstant, son espoir est doubteux,
Et moult encor se deffient touts deux
De cest oracle: en apres vont disant,
Mais que nuyra l'espreuve ce faisant?
Sur ce s'en vont du Temple, où s'humilient,
Couvrent leurs chefz, et leurs robbes deslient,
Et derriere eulx (à toutes adventures)
Comme on leur dit, jectent les pierres dures.
Les pierres converties en hommes, et femmes
Les pierres lors vindrent à delaisser
Leur dureté, et rudesse abaisser,
A s'amollir, et en amollissant
Figure humaine en elles fut yssant:
Mais qui croyra, que ce soit verité,
Si pour tesmoing n'en est l'antiquité?
Bien tost apres, que croissance leur vint,
Et que nature en icelles devint
Plus doulce, et tendre, aulcune forme d'homme
On y peult veoir, non pas entiere, comme
Celle de nous, mais ainsi, qu'esbauchée
D'ung marbre dur, non assez bien touchée:
Et ressembloit du tout à ces ymages
Mal rabotés, et rudes en ouvrages.
Ce neantmoins des pierres la partie
Qui fut terreuse, ou molle, et amoytie
D'aulcun humeur, elle fut transformée
En chair, et sang d'homme, ou femme formée:
Ce qui est dur, et point ne fleschissoyt,
En ossement tout se convertissoyt:
Ce qui estoit veine de pierre à l'heure,
Fut veine d'homme, et soubs son nom demeure.
Si qu'en brief temps les pierres amassées,
Qui par les mains de l'homme sont lancées,
Des hommes ont (par le pouvoir des Dieux)
Prins la figure en corps, en face, et yeulx:
Aussi du ject de la femme esgarée
La femme fut refaicte, et reparée.
Et de là vient, que sommes (comme appert)
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Un genre dur, aux gros labeurs expert:
Et bien donnons entiere congnoissance,
D'où nous sortons, et de quelle naissance.
La terre transformée en diverses figures d'Animaulx
Quand l'humeur vieille alors des eaues laissée
Fut par l'ardeur du cler Soleil pressée
D'eschauffoison, et que paludz, et fanges
Furent enflés soubs ces chaleurs estranges,
Terre engendra touts aultres animaulx
De son vueil propre en formes inegaulx.
Pareillement les semences des choses
(Concepvants fruict, nourries, et encloses
En terre grasse à produire propice,
Comme au giron de leur mere, et nourrice)
Vindrent à croistre, et demourance y tindrent
Si longuement, qu'aulcune forme prindrent.
Qu'il soit ainsi, quand l'eaue du Nil, qui court
Par sept tuyaulx, a delaissé tout court
Les champs mouillés, et chascun sien ruisseau
Rendu dedans son antique vaisseau:
Apres aussi, que le lymon tout frays
Est eschauffé du Soleil, et ses rays,
Les Paysans plusieurs animaulx trouvent
Faicts, et créés de motes, où se couvent:
Et en peult on en elles veoir assez
Qui seullement ne sont, que commencés
Pour le brief temps de leur tout nouveau naistre.
Semblablement d'aultres y voyt on estre
Touts imparfaicts, qui à demy sont nés,
D'espaule, teste, ou jambes trançonnés:
Et du corps mesme imparfaict l'une part
Bien souvent vit: l'aultre est terre sans art.
Certes apres qu'humeur de froid esprinse,
Et chaleur aspre ont attrempance prinse,
Produisants sont, et conçoyvent, et portent,
Et de ces deux toutes les choses sortent.
Et quoy, que feu à l'eaue contraire soit,
Humide chault toutes choses conçoit:
Et par ainsi concorde discordante
A geniture est apte, et concordante.
La mort du serpent Phyton, dont vindrent les jeuz nommés les Phyties
Doncques apres, que la terre mouillée,
Et du nouveau deluge fort souillée,
Vint à sentir de rechef le grand chault
De l'air prochain, et du Soleil treshault,
Elle mist hors cent mille especes siennes:
Et d'une part les formes anciennes
Restitua jadis mortes des eaux:
De l'aultre part feit monstres touts nouveaux
O grand Phyton, monstre horrible, et infect,
Terre vouldroit (certes) ne t'avoir faict:
Mais toutesfoys elle (dont [s]e repent)
T'engendra lors: ô incongneu serpent
Au peuple neuf! aussi crainte donnoys,
Tant large lieu de montaigne tenoys.
Or Apollo tenant (pour faire alarmes)
L'arc, et la flesche, et qui de telles armes
Par cy devant n'usoit jamais, que contre.
Chevres fuyants, ou Dains: à sa rencontre,
Ce gros serpent rua mort estendu
Par coups noyrcis du venin espandu,
Soubs tant de traicts tirés à tel' secousse,
Que toute vuyde en fut quasi sa trousse.
Et puis affin, que vieil temps advenir
Ne sceust du faict la memoire te[r]nir,
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Il establit sacrés jeuz, et esbats
Solennisés par triumphants combats,
Phyties dicts du nom du grand Phyton
Serpent vaincu: pour cela les feit on.
En celluy pris quiconque jeune enfant
A lucte, à course, ou à char triumphant
Estoit vainqueur, par honneur singulier,
Prenoit chappeau de fueilles de meslier,
Car le Laurier encores ne regnoit,
Et en ce temps Phebus environnoit
Sa blonde teste à long poil bien seante
De chascun arbre, et fueille verdoyante.
Daphné transformée en Laurier, avec description des Sagettes de Cupido
L'Amour premiere au cueur de Phebus née
Ce fut Daphné, fille au fleuve Penée:
Laquelle Amour d'aulcun cas d'adventure
Ne luy survint: mais de l'ire, et poincture
De Cupido. Phebus tout glorieux
D'avoir vaincu le serpent furieux,
Veit Cupido, qui de corde nerveuse
Bendoit son arc de corne sumptueuse:
Si luy a dit, dy moy, pourquoy tu portes
(Enfant lascif) ces riches armes fortes?
Ce noble port, qui sur ton col s'assiet,
Mieulx en escharpe à mes espaules siet,
Qui bien en sçay donner playes certaines
Aux ennemys, aux bestes inhumaines:
Qui puis ung peu par sagettes sans nombre
Ay rué jus le serpent plein d'encombre
Phyton l'enflé, dont la mortelle panse
Fouloit de terre incredible distance.
Tien toy content d'esmouvoir en clamours
Par ton brandon ne sçay quelles Amours:
Et desormais n'approprie à toymesmes
Ainsi à tort noz louanges supresmes.
Lors luy respond de Venus le filz cher,
Fiche ton arc, ce qu'il pourra ficher,
O Dieu Phebus, le mien te fichera:
Ainsi ton bruyt du mien est, et sera
Moindre d'aultant, que bestes en tout lieu
Plus foibles sont, et plus basses, qu'ung Dieu.
Ainsi disoit: et quand en ses vollées
Eut tranché l'air des aesles esbranlées,
Il se planta prompt, et legier dessus
L'obscur sommet du hault mont Parnassus,
Et de sa trousse (où mect ses dards pervers)
Tira deux traictz d'ouvrages touts divers:
L'ung chasse Amour, et l'aultre Amour crée:
Tout doré est celluy, qui la procrée,
Et a ferrure ague, clere, et coincte:
Cil, qui la chasse, est rebouché de poincte,
Et a du plomb tout confict en amer
Soubs l'empennon. Cupido Dieu d'aymer
Ficha ce traict, qui est de mercy vuyde,
Contre Daphné la nymphe Peneyde,
Et du doré les os il traversa
Du blond Phebus, et au cueur le blessa.
Subitement l'ung ayme, et l'aultre non,
Ains va fuyant d'amoureuse le nom,
Et jusqu'aux trous des boys chasser venoit:
Brief, la despouille aux bestes, que prenoit,
C'estoit sa grand' joye quotidiane,
En imitant la pucelle Diane.
D'ung seul bandeau ses cheveulx mal en ordre
Serroit au chef, sans les lyer, ne tordre.
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Plusieurs l'ont quise à l'espouser tendants,
Mais tousjours feit reffus aux demandants.
Sans vouloir homme, et du plaisir exempte,
Va par les boys, qui n'ont chemin, ne sente,
Et ne luy chault sçavoir, que c'est de nopces,
N'aussi d'ung tas d'amoureuses negoces.
Son pere aussi luy a dit maintesfoys,
Ma chere fille, ung gendre tu me doibs:
Et luy a dit (cent foys blasmant ses voeuz)
Tu me doibs, fille, enfants, et beaulx nepveuz.
Elle abhorrant mariage aussi fort
Que si ce fust ung crime vil, et ord,
Entremesloit parmy sa face blonde
Une rougeur honteuse, et vereconde:
Puis en flatant son pere desolé,
Et le tenant doulcement accollé:
Mon trescher pere (helas ce disoit elle)
Fays moy ce bien, que j'use d'eternelle
Virginité. Juppiter immortel
Feit bien jadis à Diane ung don tel.
Lors (ô Daphné) vray est, qu'à ta demande
Ton pere entend: mais ceste beaulté grande
A ton vouloir ne donne aulcun adveu,
Et ta forme est repugnante à ton voeu.
Phebus, qui tant la veit bien composée,
L'ayme tousjours, la souhaitte espousée:
Ce qu'il souhaitte, espere, quoy que soit,
Mais son oracle à la fin le deçoit.
Et tout ainsi, que le chaulme sec ard,
Quand on a mys les espys à l'escart:
Comme buissons ardent par nuict obscure
D'aulcuns brandons, qu'ung passant d'adventure
(en s'esclerant) a approchés trop pres
D'iceulx buissons, ou les y laisse apres
Qu'il voit le jour: ainsi Phebus en flamme
S'en va reduit, et d'Amour, qui l'enflamme,
Par tout son coeur se brusle, et se destruict,
Et en espoir nourrist Amour, sans fruict.
Au long du col de Daphné voyt pendus
Ses cheveulx blonds, meslés, et espendus.
O Dieux (dit il) si peignée elle estoit,
Que pourroit ce estre? En apres s'arrestoit
A contempler ses estincellants yeulx,
Qui ressembloient deux estoilles des cieulx.
Sa bouche voyt petite par compas,
Dont le seul veoir ne le satisfaict pas:
Prise ses mains, aussi blanches, que lys:
Prise ses doigts: prise ses bras polys:
Semblablement ses espaules charnues,
Plus qu'à demy descouvertes, et nues.
S'il y a rien caché dessoubs l'habit,
Meilleur le pense: elle court plus subit
Que vent legier, et ne prend pied la belle
Aux dicts de cil, qui en ce poinct l'appelle.
Priere de Phebus à Daphné
Je te pry Nymphe arreste ung peu tes pas.
Comme ennemy apres toy ne cours pas:
Nymphe demeure: ainsi la brebiette
S'enfuyt du Loup: et la Bische foyblette
Du fort Lyon: ainsi les colombelles
Vont fuyant l'Aigle avec fremissants aesles:
Ainsi chascun de ses haineux prend fuyte,
Mais vray amour est cause de ma suyte.
O que je crainds, que tombes, et qu'espines
Poignent tes pieds, et tes jambes non dignes
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D'avoir blesseure! ô pour moy grand malheur,
Si j'estoys cause (en rien) de ta douleur!
Là où tu vas, sont lieux fascheux, et bestes:
Je te supply (non pas, que tu t'arrestes
Du tout sur pied) mais cours plus lentement,
Je te suivray aussi plus doulcement.
Enquiers (au moins) à qui tu plais amye.
D'une montaigne habitant ne suis mye,
Ne Pastoureau: point ne garde, et fais paistre
Trouppeaulx icy, comme ung vilain champestre.
Tu ne sçais point (sotte), tu ne sçais point,
Qui est celluy, que tu fuys en ce point:
Pource me fuys. La puissante isle Clare,
Delphe, Tenede, et aussi de Patare
Le grand Palays me sert, et obtempere:
Juppiter est mon geniteur, et Pere:
Tout ce, qui est, sera, et a esté,
Aux hommes est par moy manifesté.
Par moy encor maint beau vers Poëtique
Accorde au son des cordes de Musique:
Et ma sagette est pour vray bien certaine:
Mais une aultre est trop plus seure, et soubdaine,
Laquelle a faict playe en mon triste cueur,
Dont n'avoit onc amour esté vainqueur.
Medecine est de mon invention,
Et si suis dit par toute nation
Dieu de secours: et la grande puissance
Des herbes est soubs mon obeissance.
O moy chetif, ô moy trop miserable,
De ce, qu'amour n'est par herbes curable,
Et que les arts, qui ung chascun conservent,
A leur Seigneur ne proffitent, ne servent!
Alors Daphné craintifve se retire
Loing de Phebus, qui vouloit encor dire
Maints aultres motz, et laissa sur ces faicts
Avecques luy ses propos imparfaicts.
Lors en fuyant moult gente se monstroit:
Le vent par coups ses membres descouvroit,
Et volleter faisoit ses vestements,
Qui resistoyent contre les soufflements:
Puis l'air subtil repoulsoit en arriere
Ses beaulx cheveulx espanduz par derriere:
Dont sa fuyte a sa beaulté augmentée.
Mais le Dieu plein de jeunesse tentée
Plus endurer ne peult à ce besoing,
Perdre, et jecter son beau parler au loing:
Ains comme amour l'admoneste, et poursuyt,
D'ung pas legier les trasses d'elle suyt.
Et tout ainsi, que le Levrier agile,
Quand il a veu le Lievre moins habile
En ung champ vague, et qu'au pied l'ung conclud
Gaigner sa proye, et l'aultre son salut,
Le chien legier de pres le semble jöindre,
Et pense bien jà le tenir, et poindre:
Puis de ses dents (ouvrant sa gueule gloute)
Rase ses pieds: lors le Lievre est en doubte,
S'il est point prins: ceste morsure eschappe,
Et de la dent, qui coup sur coup le happe,
Il se desmesle, et fuyt tout estonné.
Ainsi est il de Phebus, et Daphné:
Espoir le rend fort legier à la suyte,
Crainte la rend fort legiere à la fuyte:
Mais le suyvant, qui des aesles d'amours
Est soulagé, va de plus soubdain cours,
Sans point donner de repos; ne d'arrest
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A la fuyante: et si prochain il est
De ses talons, que jà de son alaine
Ses beaulx cheveulx touts espars il alaine.
Quand de Daphné la force fut estaincte,
Pasle devint: lors vaincue, et attaincte
Par le travail d'une si longue course,
Va regarder de Peneus la sourse,
Disant: Mon Pere, ayde à mon cueur tant las,
Si puissance est en vous, fleuves, et lacs.
Puis dit: O terre, or me perds, et efface
En transmuant ma figure, et ma face,
Par qui trop plais: ou la transgloutis vifve,
Elle, qui est de mon ennuy motifve.
Ceste priere ainsi finie à peine,
Grand' pasmoyson luy surprend membre, et veine.
De son cueur fut la subtile toillette
Tournée en tendre escorce verdelette:
En fueilles lors croissent ses cheveulx beaulx:
Et ses deux bras en branches, et rameaulx:
Le pied, qui fut tant prompt avec la plante,
En tige morne, et racine se plante.
D'ung arbre entier son chef la haulteur a,
Et sa verdeur (sans plus) luy demeura:
Parquoy Phebus l'arbre ayma desadonc.
Et quand eut mys sa dextre sur le tronc,
Encor sentoit le cueur de la pucelle
Se demener soubs l'escorce nouvelle.
En embrassant aussi ses rameaulx verds,
Comme eut bien faict ses membres descouverts:
Il baise l'arbre, et tout ce nonobstant,
A ses baisers l'arbre va resistant.
Au quel Phebus a dit: Puis qu'impossible
Est que tu soys mon espouse sensible,
Certainement mon arbre approprié
Seras du tout, et à moy dedié.
O verd Laurier tousjours t'aura ma harpe,
Ma clere teste, et ma trousse en escharpe:
Et si seras des Capitaines gloyre
Tous resjouys, quand triumphe, et victoyre
Chanteront hault les cleres voix, et trompes:
Et qu'on voyrra les grands, et longues pompes
Au Capitolle[s] aux consacrés pousteaulx,
Seras debout devant les grands porteaulx
Fealle garde, et au loz de ton regne
Entrelassé seras autour du Chesne:
Et tout ainsi, que mon beau chef doré
Est tousjours jeune, et de poil decoré,
Vueilles aussi porter en chascun eage
Perpetuel honneur de verd fueillage.
Ces mots finis, le Laurier s'y consent
En ses rameaulx, qui sont faictz de recent:
Et si sembloit bransler en sorte honneste
Sa sommité, comme on bransle la teste.
Description du beau lieu Tempé, et comment Yo fut transformée en vache blanche, et baillée en garde à Argus
En Thessallie une haulte forest
Par tout enclost ung val, qui encor est
Nommé Tempé, temperé fleurissant:
Parmy lequel Peneus fleuve yssant
Du fons du pied de Pindus grand' montaigne
D'eaues escumants le pays tourne, et baigne,
D'ung roide cours les nues embrumées
Va conduisant, qui petites fumées
Semblent jecter: et va si roidement
Contre les rocz, que du redondement
Les boys arrouse: et de son bruyt, qui sonne,
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Les lieux plus loing, que ses voisins, estonne.
Là la Maison: là le siege l'on treuve,
Et lieu secret de Peneus grand fleuve:
Là comme Roy residant en ses terres,
En sa caverne estant faicte de pierres
Gardoit justice aux undes là courantes:
Pareillement aux Nymphes demourantes
En celles eaux. Premier sont là venuz
Touts les prochains fleuves à luy tenuz,
Non bien sachants, si chere luy feront,
Ou pour sa fille ilz le consoleront,
Que perdue a: Sperche y vint à propos
Pourtant Peupliers, Enyphe sans repos,
Le doulx Amphrise, et le vieil Apidain,
Avec Eas: d'aultres fleuves soubdain
Y sont venuz, qui, de quelcque costé
Où soyent portés d'impetuosité,
En la mer font leurs undes retourner,
Quand lassés sont de courir, et tourner.
Le fleuve Inache à par soy tout fasché
Seul est absent, et au profond caché
De son grand creux: l'eaue par larmes augmente,
Et tout chetif sa fille Yo lamente
Comme perdue: il ne sçait, si en vie
Elle est au monde, ou aux enfers ravie:
Mais pour aultant que point ne l'apperçoit
En aulcun lieu, cuide qu'elle ne soit
En aulcun lieu, et craint en ses Esprits
Que pirement encores luy soit pris.
Or quelcque foys Juppiter eternel
La veit venir du fleuve paternel,
Si luy a dit: O vierge bien formée,
De Juppiter tresdigne d'estre aymée,
Et qui doibs faire ung jour par grand delict
Je ne sçay qui bienheureux en ton lict:
Ce temps pendant, que le Soleil treshault
Est au milieu du monde ardant, et chault,
Vien à l'umbrage en ce boys de grand' monstre,
Ou en cestuy: et touts deux les luy monstre.
Et si tu craints entrer seullette aux creuses
Fosses, et trouz des bestes dangereuses,
Croy, qu'à seurté iras d'orenavant
Soubs les secrets des forestz moy devant,
Qui suis ung Dieu, non point des moindres Dieux,
Mais qui en main le grand sceptre des cieulx
Tiens, et possede, et qui darde, et envoye
La fouldre esparse en mainte place, et voye.
Ne me fuy point: or fuyoit elle fort,
Et jà de Lerne avoit par son effort
Oultrepassé les pastiz, et les plains,
Et les beaulx champs Lircées d'arbres pleins,
Quand Juppiter couvrit terre estendue
D'obscurité parmy l'air espandue,
Retint la fuyte à Yo jeune d'eage,
Et par ardeur ravit son pucellage.
Ce temps pendant, Juno, des Courts haultaines
Regard[e] en bas au milieu des grands plaines:
Si s'esbahit, dont les nues subites
Soubs le jour cler avoyent aux bas limites
Faict, et formé la face de la nuict,
Et bien jugea, que d'aulcun fleuve induict
A grands moyteurs ne sont faictes ces nues,
Ne de l'humeur de terre en l'air venues.
Puis çà, et là regarde d'oeil marry
Où estre peult Juppiter son mary,
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Comme sachant les emblées secrettes
Du sien espoux tant de foys en cachettes
D'elle surprins: et apres qu'apperceu
Ne l'a au ciel: Ou mon cueur est deceu
(Dit elle alors) ou je suis offensée.
Puis du hault ciel soubdainement baissée
Se plante en terre, et commande aux nuées
Loing s'en aller d'obscurité desnuées.
Mais Juppiter, qui bon temps se donnoit,
Preveoyt bien que sa femme venoit
Et jà avoit de Yo fille d'Inache
Mué la forme en une blanche vache
Belle de corps, comme Yo fut en vis.
Adonc Juno (quoy que ce fust envis)
En estima la forme, et le poil beau,
Et si s'enquiert, à qui, de quel trouppeau,
Et d'où elle est, comme non congnoissant
La verité. Juppiter Dieu puissant
Dit (en mentant) qu'elle est née de terre,
A celle fin que l'on cesse d'enquerre,
S'il l'a point faicte: et lors Juno la grande
Icelle vache en pur don luy demande.
Que pourra il or faire, ou devenir?
C'est cruaulté, ses amours forbannyr.
Ne luy donnant, la faict soupeçonner:
Honte en apres l'incite à luy donner.
Puis Amour est à l'en divertir prompte.
Et en effect Amour eust vaincu honte:
Mais si la vache (ung don, qui peu montoit)
Eust reffusée à celle qui estoit
Sa femme, et soeur, sembler eust peu adoncques
Visiblement, que vache ne fust oncques.
Quand Juno eut en don son ennemye,
Du premier coup elle ne laisse mye
Toute sa peur, et craignit grandement
Que Juppiter luy print furtivement,
Jusques à tant, qu'es mains d'Argus l'eust mise,
Filz d'Aristot, pour en garde estre prise.
Or tout le chef avoit cestuy Argus
Environné de cent yeulx bien agus,
Qui deux à deux à leur tour sommeillants
Prenoyent repos: touts les aultres veillants
Gardoyent Yo, et en faisant bon guet
Demouroyent touts arrestés en aguet:
En quelcque lieu, où fust Yo la belle,
Incessamment regardoit devers elle.
Devant ses yeulx Yo tousjours il voyt,
Quoy que sa face ailleurs tournée avoit.
Quand le jour luyst il souffre qu'elle paisse:
Quand le Soleil est soubs la terre espaisse,
L'enferme, et clost: et d'ung rude chevestre
Lye son col, qui n'a merité d'estre
Ainsi traicté: de fueille d'arbre dure,
Et d'herbe amere elle prend sa pasture:
Puis la paovrette en lieu de molle couche
Toute la nuict dessus la terre couche,
N'ayant tousjours de la paille, qu'à peine,
Et boyt de l'eau de bourbier toute pleine.
Quand elle aussi, qui si fort se douloit,
Devers Argus ses bras tendre vouloit,
S'humiliant, las la doulcette, et tendre,
N'a aulcun bras, qu'à Argus puisse tendre:
Et s'efforçant lamenter de sa gorge
Ung cry de Vache, et mugissant desgorge,
Tant que du son en crainte se bouta,
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Et de sa voix propre s'espouventa.
Apres s'en vint aux rives de son Pere
Le fleuve Inache, où en soulas prospere
Souloit jouer souvent avec pucelles.
Et quand en l'eaue veit ses cornes nouvelles,
Eut grand peur, et de la crainte extreme
S'effarouchoit, et se fuyoit soy mesme.
Ignorants sont les Naiades encore:
Voyre Inachus le fleuve mesme ignore
Qui elle soit: mais pour les rendre seurs,
Suyvoit son Pere, et si suyvoit ses soeurs:
Estre touchée assez elle souffroit,
Et à iceulx (touts esbahys) s'offroit.
Le bon vieillard Inachus à jonchées
Luy presenta des herbes arrachées.
Soubdain ses mains elle luy vint lescher,
Baisant la paulme à son Pere trescher,
Et retenir onc ses larmes ne sceust:
Et s'orendroit de parler la grâce eust,
Elle eust requis secours, et ayde aulcune,
Et recité son nom, et sa fortune.
En lieu de motz, la lettre, qu'imprima
Son pied en terre, adoncques exprima
Parfaictement, et mist en descouvrance
Du corps mué la triste demonstrance.
O moy chetif (cria lors esperdu
Son pere Inache, et aux cornes pendu,
Aussi au col de la Vache luysante
En son poil blanc, et en dueil gemissante)
O moy chetif (dist il par plusieurs foys)
N'est ce pas toy, ma fille, que je voys
Cherchant par tout? Or est chose esprouvée
Qu'en te trouvant, je ne t'ay point trouvée.
Et mes douleurs plus, que devant sont grandes:
Las tu te tays, et aux miennes demandes
Tu ne rends point responses reciproques:
Tant seullement aigres souspirs evoques
Du cueur profond: et ce que faire peulx,
A mon parler mugis, comme les Boeufz.
Las je paovret ignorant tout ce mal,
Te preparoys cierge, et lict nuptial:
D'ung gendre fut l'espoir premier de moy,
Et le second de veoir enfants de toy.
Or d'ung trouppeau mary te fault avoir,
Et d'ung trouppeau lignée concepvoir:
Et n'est possible à moy, que finir fasse
Tant de douleurs par mort, qui tout efface:
Ains estre Dieu, ce m'est nuysante chose,
Et de la mort la porte, qui m'est close,
Prolonge, et faict le mien regret durable
En eage, et temps eterne, et perdurable.
Comme Inachus disoit son desconfort,
Argus se leve, et en le poulsant fort,
Maine par force en pasturages maints
La paovre fille arrachée des mains
De son cher Pere: et puis occupe, et gaigne
Legerement le hault d'une montaigne
Assez loingtaine, où se sied, et acule,
Et la seant, en toutes parts specule.
Lors Juppiter Roy de touts les celestes
Plus endurer ne peult tant de molestes
A celle Yo, du bon Pherone extraicte.
Si appella son filz, qu'une parfaicte
Clere Pleiade eut en enfantement:
Mercure eut nom: luy feit commandement
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D'occire Argus. Si ne demoura gueres
Mercure à prendre aux pieds aesles legieres:
En main puissante aussi sa verge preste
D'endormir gens, et son chappeau en teste.
Tantost apres que celluy Dieu Mercure
Eut disposé tout cela par grand' cure,
Du hault manoir de son Pere saulta
Jusques en terre, où son chappeau osta:
Semblablement des aesles se desnue,
Et seullement sa verge a retenue.
D'icelle verge (en s'en allant) convoye
Brebis en trouppe à travers champs sans voye,
Comme ung Pasteur chantant de chalumeaulx
Faicts, et construicts de pailles, ou roseaulx.
Argus vacher de Juno tout esprins,
Du son de l'art nouvellement apprins,
Luy dit ainsi: quiconques soys, approche:
Tu pourras bien te seoir sur ceste Roche
Avecques moy. En aultre lieu du monde
L'herbe n'est point (pour certain) plus feconde
Pour le bestail: tu voys aussi l'umbrage
Bon aux Pasteurs en cestuy pasturage.
Mercure adoncq s'assit aupres d'Argus,
Tint, et passa en propos, et argus,
Le jour coulant, parlant de plusieurs poincts:
Et en chantant de ses chalumeaulx joincts
L'ung avec l'aultre, à surmonter il tasche
Les yeulx d'Argus gardants Yo la vache:
Et toutesfoys Argus vaincre s'efforce
Le doulx sommeil amollissant sa force.
Voyre, et combien, que jusques au demy
De touts ses yeulx se trouvast endormy,
Ce nonobstant veille de l'aultre part:
S'enquiert aussi pourquoy, et par quel art
Trouvée fut la fluste, dont chantoit,
Car puis ung peu inventée elle estoit.
Syringue convertie en roseau, la mort d'Argus, et ses yeulx mys sur la queuë du Paon
Lors dit Mercure. Aux monts gelés d'Arcade
En Nonacris sur toute Hamadriade
Une Naiade y eut tresrenommée:
Syringue estoit par les Nymphes nommée.
Non une foys, mais par diverses tires
Avoit mocqué grand nombre de Satyres
Qui la suyvoient, et touts les Dieux avecques
Du boys umbreux, et champ fertil d'illecques.
En venerie, et virginal' noblesse
Elle ensuyvoit Diane la Déesse
De l'Isle Ortige: et accoustrée, et ceincte
A la façon de ceste noble saincte,
Maints eust deceu: et pour Diane aussi,
Prendre on l'eust peu, ne fust, que ceste cy
Avoit ung Arc de corne decoré,
Et ceste là en avoit ung doré:
Encor ainsi maintes gens decevoyt.
Or le Dieu Pan ung jour venir la voyt
Du mont Lycée, et ayant sur sa teste
Chappeau de Pin, luy feit telle requeste.
O noble Nymphe, obtempere au plaisir
D'ung Dieu, qui a grand vouloir, et desir
De t'espouser. Brief, mainte aultre adventure
Restoit encor à dire par Mercure,
C'est assçavoir (tel' priere ennuyante
Mise à despris) La Nymphe estre fuyante
Par boys espaiz, tant que de grand randon
Vint jusqu'au bort du sablonneux Ladon,
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Fleuve arresté: et comment à la suyte,
Lors que les eaues empescharent sa fuyte,
Ses cleres soeurs pria illecques pres
De la muer: aussi comment apres
Que Pan cuyda Syringue par luy prise,
En lieu du corps de la Nymphe requise,
Tint en ses mains des cannes, et roseaux
Croissants au tour des paludz, et des eaux.
Comment aussi, quand dedans anhela,
Le vent esmeu dedans ces cannes là
Y feit ung son delicat en voix faincte
Semblable à cil d'ung cueur, qui faict sa plaincte.
Et comment Pan surpris du son predict,
Et du doulx art tout nouveau luy a dit:
Cestuy parler, et chant, en qui te deulx,
Sera commun tousjours entre nous deux.
Aussi comment, pour eternel renom,
Deslors retint, et donna le droit nom
De la pucelle à ces flustes rurales,
Joinctes de cyre en grandeur inegalles.
Ainsi (pour vray) que Mercure debvoit
Dire telz mots, les yeulx d'Argus il voit
Touts succumber, et sa lumiere forte
De grand sommeil enveloppée, et morte.
Soubdain sa voix refraignit, et cessa,
Et puis d'Argus le dormir renforça,
Adoulcissant de la verge charmée
Les yeulx foiblets de sa teste assommée.
Lors tout subit d'ung glaive renversé
Baissant le chef, en dormant l'a blessé
Au propre endroit, auquel est joincte, et proche
La teste au col: puis du hault de la roche
Le jecte à val: et le mont hault, et droit
Souille du sang. Ainsi es orendroit
Gisant par terre, ô Argus, qui vivoys,
Et la clarté, qu'en cent yeulx tu avoys,
Est or estaincte: et la seulle obscurté
De mort surprent cent yeulx, et leur clarté.
Adonc Juno prent ces yeulx, et les fiche
Dessus la Plume au Paon son oyseau riche,
Et luy emplit toute la queue d'yeulx
Clers, et luysants comme estoilles des cieulx.
Yo vache retourne en forme humaine
Soubdain Juno en ire ardante brusle,
Et du courroux le temps ne dissimule:
Car Erynnis la Déesse de rage
Mist au devant des yeulx, et du courage
D'icelle Yo: et cacha l'insensée
Maint aiguillon secret en sa pensée,
Espouventant par rage furibonde
La paovre Yo fuyant par tout le monde.
O fleuve Nil! en grand labeur, et plaindre
Tu luy restoys le dernier à attaindre:
Auquel pourtant à la fin elle arrive,
Et en posant tout au bout de la rive
Ses deux genoulx, se veaultra en la place:
Et en levant sa telle quelle face
Vers le hault ciel, renversant en arriere
Son col de vache en piteuse priere,
En larmes d'oeil, et en gemissements,
Et en plaintifz, et gros mugissements
Elle sembloit à Juppiter crier
Et de ses maulx fin final' luy prier.
Lors Juppiter de ses deux bras embrasse
Sa femme au col, la priant, que de grâce
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Vueille de Yo finablement finir
La grande peine. Et quant à l'advenir,
De moy (dist il) toute crainte demects:
Car ceste cy ne te sera jamais
Cause de dueil. Et aux Stygieux fleuves
Commanda ouyr cestuy serment pour preuves.
Quand Juno eut appaisé sa poincture,
Yo reprint sa premiere stature,
Et faicte fut ce, que devant estoit.
Du corps s'enfuyt le poil, qu'elle vestoit:
Lors luy decroist des cornes la grandeur:
Moindre devient de ses yeulx la rondeur:
Gueulle, et museau plus petits luy deviennent:
Espaules, bras, et les mains luy reviennent:
L'ongle de vache en nouveaux piedz, et mains,
Fut divisée en cinq ongles humains.
Brief, rien n'y eut de la vache sur elle,
Fors seullement la blancheur naturelle.
Et tout debout fut la Nymphe plantée,
Du cheminer de deux piedz contentée:
N'osant parler, que de la gorge n'ysse
Mugissement, comme d'une junisse.
Et avec crainte essayoit à redire
Ce qu'aultresfoys elle avoit bien sceu dire.
Le debat de Phaeton, et d'Epaphus
Or maintenant en Déesse honnorée
Elle est du peuple en Egypte adorée.
Parquoy en elle Epaphus on pourpense
Estre engendré de la noble semence
De Juppiter: et brief, en lieux certains
Cestuy Epaphe a ses temples haultains
Faictz à l'honneur de son pere, et de luy.
Or en ce temps vray est, qu'à icelluy
Estoit esgal de cueur, d'eage, et puissance
Ung, qui avoit du Soleil prins naissance
Dict Phaeton, qui jadis devisant
De ses grands faicts, et honneur non faisant
A Epaphus, en gloire se mectoit,
Dont le Soleil son propre pere estoit.
Ce qu'Epaphus ne peult pas bonnement
Lors endurer, et luy dit plainement
O paovre sot, tu mectz foy, et credit
A tout cela, que ta mere te dit:
Et te tiens fier, et louanges retiens
D'ung pere fainct, qui (pour vray) ne t'est riens.
Lors Phaeton rougit d'ouyr ce dire,
Et refraignit de vergongne son ire.
Puis s'en courut à Clymene sa mere
Luy rapporter l'injure tant amere,
Et si luy dit. Chere mere, au surplus
Cela dequoy tu te doibs douloir plus,
C'est que rien n'ay replicqué sur l'injure:
Car quant à moy je suis de ma nature
Doulx, et courtoys: et l'aultre insupportant
Et oultrageux: mais j'ay honte (pourtant)
Dont tel opprobre on m'a peu imputer,
Et que sur champ ne l'ay sceu confuter.
Dont si créé suis de ligne celeste,
Monstre à present le signe manifeste
D'ung genre tel tant digne, et precieux,
En maintenant, que je suis des haultz cieulx.
Ces motz finys, ses deux bras advança,
Et de sa mere au col les enlassa,
La suppliant par son chef tant chery,
Et par celluy de Merops son mary,
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Et en l'honneur des nopces de ses soeurs,
De luy donner signes certains, et seurs
De son vray Pere. En effect à grand' peine
Sçait on, lequel a plus esmeu Clymene,
Ou le prier par son filz proposé,
Ou le despit du reproche imposé.
Les bras au ciel lors tendit, et leva,
Et regardant le Soleil, elle va
Dire ces motz: Par la lumiere saincte
Des luysants rays environnée, et ceincte,
Qui nous voyt bien, et qui entend noz voix,
Je jure, filz, que ce Soleil, que voys,
Et qui le monde illumine, et tempere,
T'a engendré, et que c'est ton vray Pere.
Si menterie en mes propos je mects,
Je me consents, qu'il face, que jamais
Je ne le voye, et que ceste lumiere
Soit maintenant à mes yeulx la derniere.
Or tu n'as pas grand' affaire à congnoistre
La demourance à ton Pere, et son estre:
Car la maison, dont il se leve, et part,
Est fort voysine à nostre terre, et part.
Si aller là tu desires, et quiers,
Pars de ceste heure, et à luy t'en enquiers.
Quand Phaeton de sa mere eut ouy
Ung tel propos, soubdain fut resjouy,
Tressault de joye, et se promect soy mesmes
Les plus haultz dons des regions supresmes.
Brief, son pays d'Ethiope il traverse,
Et les Indoys, gisants soubs la diverse
Chaleur du Ciel: et promptement de là
En la maison de son cler Pere alla.
FIN DU PREMIER LIVRE

Le second Livre de la métamorphose d'Ovide


Translaté par Clement Marot
Le grand Palays, où Phebus habitoit
Hault eslevé sur colomnes estoit,
Tout luysant d'Or, et d'Escarboucles fines,
Qui du cler feu en splendeur sont affines:
De blanc Yvoire estoit la couverture,
Le grand Portail fut à double ouverture
De fin argent espandant mille rays:
Moult sumptueux estoit, et de grands frays.
Mais la façon les estoffes surpasse,
Car Mulciber, des Fevres l'oultrepasse,
Y entailla de la mer la claire unde,
Qui tournoyoit la terre ferme, et ronde,
Et y grava des terres le grand tour
Avec le ciel, qui se courbe à l'entour.
En ceste mer, les Dieux marins veoyt on,
C'est assçavoir le resonnant Triton,
Puis Protheus, qui se transforme ainsi
Comme il luy plaist, et Egeon aussi,
Lequel estrainct parmy les undes pleines
De ses grands bras les gros doz des Baleines,
Doris aussi, et ses filles ensemble,
Dont l'une part en la mer nouer semble,
L'aultre seant en quelcque Isle, ou Rocher,
Ses verts cheveulx semble faire seicher,
L'aultre au vif semble estre sur ung poisson,
Visages n'ont toutes d'une façon,
Non pas aussi trop differents à veoir,
Mais comme il fault entre soeurs les avoir.
La terre apres, qui là estoit emprainte,
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Hommes portoit, fleuves, et ville mainte.
Bestes, forestz, Nymphes illec cherchants
Leur demourance, et aultres Dieux des champs:
Puis là dessus estoit fort bien gravée
Du ciel luysant la figure eslevée,
Et y avoit dessus la porte dextre
Six signes clairs, et six à la senestre.
En la maison, que j'ay cy racomptée,
Vint Phaeton par une grand' montée,
Et de prinsault devant les yeulx se boute
Du Pere sien, dont il estoit en doubte:
Si se tient loing, car de plus pres estant
N'eust peu souffrir clarté, qui luysoit tant.
Le clair Phebus à la barbe dorée,
Robbe portant de pourpre coulorée,
Seoit en Throsne à sa haulteur duysant,
Garny de mainte Esmeraulde luysant.
Au tour de luy sont en ce beau sejour
L'an, et le moys, les siecles, et le jour:
Les heures là tiennent aussi leurs places,
Toute de reng, par esgalles espaces:
Là est debout Printemps le nouveau né,
Qui d'ung chappeau de fleurs est couronné.
Là est sur pieds l'Esté nud, sans chemise,
D'espics de bled la couronne au chef mise,
Autumne aussi, qui les membres tachés
Avoit par tout de raisins escachés,
Avec Yver, qui tremble, et qui frissonne,
Et dont le poil tout chenu herissonne.
Au milieu d'eulx Phebus son siege avoit.
Lors de ses yeulx dont toute chose voit,
Veit ce jeune homme estonné à merveilles
De veoir là hault choses si nompareilles.
Si luy a dit à chef de temps ainsi:
Que cherches tu en ce Palays icy,
O Phaeton, enfant tres recevable
De moy ton Pere, et non desadvouable?
Que cherches tu? O Lumiere publicque
(Ce respond il), Phebus mon Pere unicque,
S'il est ainsi, que tu veuilles que j'use
De ce nom là, sans ce que j'en abuse,
Et s'il est vray, que ma mere, qui faict
Tant de serments, ne couvre son meffaict
Soubs couleur faulse. En te monstrant vray Pere,
Fais moy ung don par lequel il appere
Que je suis tien, et hors de ma pensée
Soit je te pry, ceste doubte chassée.
Ces motz finys, Phebus, qui l'escouta,
Ses clairs rayons estincellants osta
D'entour du chef, et luy commande apres
De s'approcher hardyment de plus pres.
Puis l'accolla, disant: en verité,
Mon cher enfant, tu n'as point merité
Que te renonce, et Clymene a produict
Vray, naturel, et legitime fruict
S'il en fut oncq: or sans aultres tesmoings,
A celle fin que tu en doubtes moins,
Demande ung don tel que tu le vouldras,
Tien toy certain, que de moy ne fauldras
A l'obtenir. O grand serment des Dieux!
Paluds d'Enfer, incongneuz à mes yeulx,
Soyez presents à ce que j'ay promys.
A peine avoit à fin son propos mys,
Que Phaeton d'une ardeur jeune, et grande,
Le chariot de son Pere demande,
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Avec la charge, et le gouvernement
De ses chevaulx pour ung jour seullement.
Dont tout à coup Phebus se repentit
D'avoir juré, et du grief qu'il sentit
Son chef luysant secoua plusieurs foys,
Disant: Mon filz, ma parolle, et ma voix
Trop de leger s'accorda à la tienne.
Que pleust aux Dieux que la promesse mienne
Retinse encor: Je confesse ce poinct,
Que ce seul don ne t'accorderoys point.
Or est besoing de ton propos changer,
Car ton desir est plein de grand danger,
O Phaeton, ton sens peu raisonnable
Quiert ung hault don, voyre mal convenable
A ceste force, encor si peu virile,
Et à cest eage encor si puerile.
Tu es mortel, et subject à trespas,
Ce que tu quiers mortel certes n'est pas,
Ainçoys te dy qu'il y a plus d'affaire
Qu'il n'est permys aux Dieux d'en pouvoir faire.
Brief, tu ne sçays, que tu vas affectant:
Les aultres Dieux auront du pouvoir tant
Qu'il leur plaira. Mais celluy seul je suis,
Qui le flambant Chariot mener puis.
Le Roy du Ciel, dont la main merveilleuse
Jecte où luy plaist la fouldre perilleuse,
Ne s'y pourroit luy mesmes habilliter:
Et qu'est il rien plus grand, que Juppiter?
Si difficile est la voye premiere,
Que mes chevaulx ont peine coustumiere
A la monter, partants au poinct du jour,
Combien qu'ilz soyent touts fraiz, et de sejour.
Le hault chemin est du ciel au milieu,
D'où bien souvent moymesmes, qui suis Dieu,
Tremble, et fremy de frayeur, et d'esmoy,
Voyant la terre, et la mer dessoubs moy.
L'aultre chemin dernier est en descente,
Et a besoing de conduicte decente:
Aussi Thetys, qui en mer me reçoit,
Toujours s'effraye, alors qu'elle apperçoit
Que je descendz, et entre en peur subite
Que je ne tombe, et ne me precipite.
Et d'aultre part du hault ciel la rondeur
Incessamment tourne de tel' roydeur,
Qu'avecques soy les estoilles il tire,
Et d'ung grand bransle impetueux les vire:
Mais j'y resiste, et la force qui dompte
Les aultres touts, jamais ne me surmonte.
Ains en allant du ciel tout au contraire
On veoyt du bas au plus hault me retraire.
Prens doncq le cas que le chariot mien
Je t'ay donné, entreprendras tu bien
Tirer devers les deux Poles, en sorte
Que la roydeur du hault ciel ne t'emporte?
Tu croys (peult estre) en tes discours debilles,
Que là hault sont forestz, temples, et villes:
Je t'adverty (affin, que ne tresbuches)
Qu'aller y fault par dangers, et embusches,
Et que passer te fault devant les formes
Des animaulx horribles, et diformes.
Doncques affin que tu tiennes la voye
Si seurement, que rien ne te desvoye;
Passer aupres des cornes conviendra
Du fier Taureau, qui contre toy viendra,
Du Sagitaire ayant l'arc en la main,
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Et du Lyon cruel, et inhumain:
Puis le chemin du Scorpion suyvras,
Qui d'ung grand tour courbe ses vilains bras.
Celluy du Cancre aussi finablement,
Qui les deux bras courbe tout aultrement.
Et n'est en toy pouvoir par nulz travaulx
Du premier coup regir mes fiers chevaulx:
Fiers, pour le feu, qui ard en leurs poictrines,
Et qui leur sort par bouches, et narines.
Certes depuis que leurs aigres courages
Sont eschauffés, tant sont folz, et volages,
Qu'à bien grand' peine ilz souffrent pour leur guide
Ma propre main, et tirent à la bride.
Doncques affin que d'ung don mortifere
Je ne t'estreine, helas, mon filz, differe.
Prens garde à toy, et refrains ton desir
Ce temps pendant que tu as le loisir.
Tu veulx affin d'avoir la congnoissance,
Comment tu as de mon sang prins naissance,
Qu'ung gaige seur en tes mains j'abandonne:
Las en craignant gaige seur je te donne,
Et ceste peur, que celer je ne puis,
Tesmoigne assez que ton pere je suis.
Jecte ung petit sur ma face tes yeulx,
Et voy mon tainct: que pleust ores aux Dieux
Que jusqu'au cueur me peusses veoir aussi,
Et là dedans comprendre mon soucy.
Au demourant voy tout ce qui abonde
En cestuy riche, et universel monde,
Et de si grands, et tant d'aultres richesses
Dont terre, et mer, et ciel font leurs largesses.
Demande m'en ce que bon tu verras:
D'estre esconduit au dangier ne cherras,
Fors, qu'en cecy je ne te diray non,
Qui n'est que peine (à bien dire son nom)
Non point honneur: ô mon enfant trescher,
Peine pour don tu viens icy chercher:
Qui te fait tant estre à mon col pendu?
Oste tes bras, flateur mal entendu.
Tu obtiendras, et t'en tiens asseuré,
Puis que les eaux d'Enfer j'en ay juré,
Ce que vouldras, tant soit la chose grande,
Mais sois au moins plus sage en ta demande.
Ainsi Phebus son filz admonnestoit,
Qui à ses dicts fort repugnant estoit
Opiniastre en son premier propos,
Et le beau char couvoyte sans repos.
Doncq, quand son pere avec peine indicible
Eut differé tant qu'il luy fut possible,
Il le mena au lieu hault, où rengé
Estoit ce char par Vulcanus forgé.
D'or fut l'aisseul, d'or luisoyent tout autour
Les deux lymons, d'or estoit le hault tour
De chasque roue, et l'ordre bel, et gent
De chascun ray, fut estoffé d'argent.
Sur les coliers, sont belles chrysolites
Mises par ordre, avec gemmes eslites,
Desquelles fut grande lumiere yssant
Pour le soleil contre resplendissant.
Et ce pendant que l'oeil, et hault couraige
De Phaeton contemploit cest ouvraige,
Aurore vint ouvrir les portes closes
De l'Orient, toutes pleines de roses:
Si vont fuyant les estoilles par routes,
Que Lucifer devant soy chasse toutes
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A grands trouppeaulx, et apres tout le reste
Sort le dernier de la maison celeste.
Lors aussi tost, que Phebus apperçoit.
Que terre, et monde à rougir commençoit,
Et qu'il eut veu, toutes pasles, et mornes,
Esvanouyr du Croissant les deux cornes,
Il va soubdain les heures appeler,
Et les chevaulx leur commande atteller,
Ce qu'elles font: et les chevaulx superbes,
Fort bien repeuz d'ambrosiennes herbes,
Hors de l'estable sont tirés, et guidés,
Et de leurs frains bien resonnants bridés.
Le Pere adoncq d'ung unguent precieux
Oingnyt le blanc visage gracieux
De son cher filz, et de tendre, et sensible,
Contre l'ardeur le rendit deffensible:
Si luy a mis les rays autour du chef,
Et les mectant redoubla de rechef
Mille souspirs, qui son prochain martyre
Pronosticquoyent, et sur ce luy va dire:
Au moins mon filz, à l'advis que ton Pere
Te veult donner, si tu peus obtempere:
Les fiers chevaulx, picquer donne toy garde,
Ains par la resne à force les retarde:
De leur gré vont: voyre, si royde, et fort,
Qu'à les tenir fault merveilleux effort.
Et ne fault pas, que d'aller t'adventures
Directement le long des cinq Arctures.
Le vray chemin, que tenir je t'encharge,
Va de travers en curvature large,
Et seullement jusqu'à l'extremité
De troys cerceaux son but est limité,
Du pole Austral, tant qu'il peult, s'esloignant,
Aussi de l'Ourse à l'Aquilon joignant.
D'aller par là, non par ailleurs t'advoue:
Tu verras bien les traces de la roue.
Et pour donner eschauffoison esgalle
A terre, et ciel, ne monte, ne devalle:
Car si ton Char en l'air hault monter laisses,
Le ciel ardras: si aussi tu l'abaisses,
Par mesme feu la terre destruyras.
Tien le moyen, à seurté tu yras.
Aussi affin que la roue qui tourne
Du costé droict ne te meine, et destourne
Au Serpent tors, et qu'au signe de l'Arc,
La gauche roue aussi point ne t'esgare,
Tien l'entredeux, ne fais destorse aulcune.
Le demourant je laisse à la fortune,
Laquelle puisse à ton secours veiller,
Et mieulx que moy te vueille conseiller.
Or ce pendant que t'ay propos tenu,
L'humide nuict parattaindre est venu
L'extremité de l'hesperide mer.
Honnestement ne pouvons plus chommer,
On me demande: et Aurore advancée
Reluyt desjà, toute obscurté chassée.
Prens ceste resne, il est temps de partir.
Ou si tu voys, que puisses divertir
Ta fantaisie, use pour ton grand bien
De mon conseil, non du Chariot mien.
Oultre, tandis qu'as d'y penser le terme,
Et que tu es encores en lieu ferme,
Sans que mal duyt tu soys encor jecté
Dessus le Char follement couvoité,
Concede moy clarté en terre espandre,
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Laquelle veoir tu puisses sans esclandre.
Lors Phaeton de corps jeune, et habile,
Saulta dedans le chariot mobile,
Sur pieds se plante, et grand plaisir prenoit
A manier la resne, qu'il tenoit:
Puis mercia son Pere plein d'ennuy,
Contre, et maulgré la voulunté de luy.
Ainsi s'en va le jeune Phaeton:
Lors Piroys, Eous, et Aethon,
Phlegon aussi, chevaulx du Soleil clair,
En hennissant de feu remplirent l'air,
Et du ciel clos les barres grands, et lées
Hurtent des pieds, lesquelles reculées
Furent soubdain par Thetys, qui encore
De son nepveu les fortunes ignore.
Doncq, quand le ciel ainsi par elle ouvert
Se fut monstré bien large, et descouvert,
Les fiers chevaulx deslogeants galloparent
Parmy les airs, et les nues coupparent,
Oultrepassants, tant fut prompt leur depart,
Le vent yssu d'icelle mesme part.
Mais trop à l'aise, et peu chargés se treuvent,
Ne, qui pis est, bien congnoistre ne peuvent
Qui les conduict, et pas ne leur pesoit
Le joug ainsi que paravant faisoit.
Ains comme danse en la mer le navire
Sans juste poix, et sur l'eau tourne, et vire
Puis çà, puis là, instable, et sans arrest,
Pource que vague, et par trop leger est:
Ainsi n'ayant l'accoustumée charge,
Ce Chariot, par le ciel hault, et large,
Saulte, et ressaulte, et l'air le poulse, et guide
Encontre mont, comme une chose vuide,
Ce que sentants les chevaulx attellés
Hors du chemin battu s'en sont allés.
Et d'ung grand cueur leurs frains vindrent à mordre
Sans plus courir selon le premier ordre.
Dont Phaeton se print à s'estonner:
Ne sçait la bride à quelle main tourner,
Ne sçait la voye, et quand il la sçauroit,
Sur les chevaulx nulle puissance auroit.
Les sept Trions touts gelés de froidure
Furent surprins de chaleur aspre, et dure,
Et se baigner pour neant ont tendu
En l'Occean, qui leur est deffendu.
La grand' Serpente au pole arctique emprainte
Morne de froid, et à nul donnant crainte,
Sentit ardeur, et du chault irritée,
Conceut en soy fureur inusitée.
On dit aussi par tout (ô Bootes)
Que moult troublé alors enfuy t'es,
Quoy que courir ne pouvoys, ne voulusses,
Et qu'empesché à ta Charrette fusses.
Doncq aussi tost que du hault des clairs Cieulx
Le miserable en bas jecta ses yeulx,
La terre veit en rondeur bien formée
Totallement dessoubs luy abismée.
Si devient pasle, et de peur promptement
Aux deux genoulx luy vint ung tremblement,
Et par si claire, et grand' resplendissance,
Obscurité print en ses yeulx naissance.
Jà vouldroit il qu'en ces lieux supernelz
N'eust oncq mené les chevaulx paternelz:
Jà se repent dont sa race a congneue,
Et plus d'avoir sa requeste obtenue:
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Jà souhaitant de Merops estre né,
Le malheureux est ainsi pourmené
Que le Navire agité des orages,
Auquel le maistre a lasché les cordages,
L'abandonnant du tout à la mercy
Des oraisons, des voeuz, des Dieux aussi.
Que fera il? Il a laissé derriere
Beaucoup de Ciel, et si en voyt arriere
Plus devant soy: il mesure, il compasse
En son cerveau et l'une, et l'aultre espace.
Aulcunesfoys vers l'Occident se tourne,
Aulcunesfoys son oeil jecte, et sejourne
Sur l'Orient, mais il est fort à craindre
Que jamais plus ne les puisse rataindre,
Car rien ne fait de ce que faire tasche,
Tant y est neuf: la bride point ne lasche,
La tenir court ne luy sert d'ung seul poinct,
Et des chevaulx les noms ne congnoist point.
Puis tout tremblant veoyt les merveilles sacres
Qui sont là sus, et les grands simulacres
De monstres fiers, qui en diverses pars
Par tout le ciel sont semés, et espars.
Là est ung lieu, où parmy ceste tourbe
Le Scorpion sa queue, et ses bras courbe
En forme d'arcs, et jusques aux manoirs
De ses voysins estend ses membres noirs.
Quand l'enfant veit la beste monstrueuse
De noir venin toute moyte, et sueuse,
Le menassant à luy de pres se joindre,
Et de sa queue aguillonnant le poindre.
Paovre de sens tellement s'estonna
Que de frayeur la bride abandonna.
Quand sur le dos les chevaulx la sentirent,
En s'ecartant parmy les airs bondirent,
Et librement d'allées, et venues,
Vont gallopant regions incongneues,
Là où leur cours impetueux les porte:
Là sans compas chascun d'eulx se transporte.
Jusques au ciel des estoilles ilz vont,
Le chariot traynent, et rouller font
A travers lieux où n'a chemin ne sente,
Plus tost vont hault, plus tost vont en descente,
Et de droit fil viennent fondre grand erre
Jusques à l'air plus prochain de la terre:
Si qu'esbahie est la Lune en sa sphere
De veoir courir les chevaulx de son frere
Dessoubs les siens, et les nues esparses
Parmy les airs fument à demy arses,
Mesme la terre au plus bas lieu assise
De flambes est (comme le reste) esprise.
Toute se fend pour l'humeur, qui tarit,
L'herbe se fene, arbre, et fueille perit:
Le champ du bled(à son dommage) baille
Au feu ardant foison de seiche paille.
Cela n'est rien les grands villes, et fortes,
Murs, et rempars bruslent jusques aux portes,
Et pour neant du feu les gens se gardent:
En cendre vont, boys, et montaignes ardent,
Tmolus en ard, le mont Athos s'enflambe,
Taurus se brusle, Oeté est tout en flambe,
Si fut Ida, pour lors seiche, et sans eaux,
Qui paravant triumphoit en ruisseaux:
Et Helicon des neuf muses aymé,
Aussi Aemus, non encor surnommé
Oeagrien, grand flambe feit Aetna,
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Car pour ung feu à ce coup deux en a:
Cynthus, Erix, Parnassus à deux testes,
Cytheron propre à celebrer les festes,
Mimas Othrys, et Dindyma s'alument,
De Rhodopé les neiges se consument,
En feu s'en va Mycalé, et Caucase,
Maulgré son froit la Scythie s'embrase,
Le grand mont d'Osse avec Pindus brusla,
Voyre Olympus plus grand que ces deux là,
Si feirent bien les grands Alpes cornues
Et Appenin, lequel soustient les nues.
Lors Phaeton va adviser le monde.
Qui flamboyoit de feu tout à la ronde,
Si que du chault grand' angoisse portoit,
Et anhelant, de sa bouche sortoit
Comme d'ung four vapeur de chaleur pleine:
Son char s'emflambe, intolerable peine
Luy ont en l'air les bluettes donné,
Et de fumée espaisse environné:
Ne sçait où va, ne où il est, et l'emmeinent
Les promptz chevaulx, où leurs plaisirs les meinent.
On tient qu'alors les Aethiopes prindrent
Tainct si hallé, que Mores ilz devindrent,
Et que du chault, qui l'humeur estancha
(Comme on la veoit) la Libye seicha,
Nymphes adoncq pleurants eschevellées
Faisoyent le dueil des sources escoullées.
La Beotie avec une soif grande.
Cherche Dircé, Argos par tout demande
Amynion sa fontaine liquide,
Ephiré quiert la source Pyrenide.
Les fleuves grands, grands de rive, et fonds,
Ne furent pas en leurs canaux profonds
Bien asseurés, mais trop plus qu'esbahis.
Au fil de l'eau a fumé Tanais,
Aussi a faict Peneus l'ancien,
Et Caycus fleuve Teutracien,
Et Ismenos riviere non dormante,
Et de Phocis le beau fleuve Erimanthe,
Et Xanthus clair, qui debvoit ardre encor,
Et Lycormas, qui est aussi blond qu'or,
Et Meander, qui va s'esbanoyant
Dedans son eau, çà et là tournoyant.
Eurotas brusle, et Melas de Mygdone,
Et Euphrates arrousant Babylone.
Thermodoon, Phasis, Ganges, Hister,
A ceste ardeur ne peurent resister.
Orontes ard, d'Alpheus les eaux vives,
Et Sperchius ardant jusques aux rives:
Et le fin or, qui en Targus se treuve,
Fondu du feu couloit comme le fleuve.
Les Cignes blancs, qui de leur melodie
Solemnisoyent les fleuves de Lydie [,]
Ardoyent avec nombre infini d'oyseaulx
Dedans Caystre au beau milieu des eaux.
Le Nil fuyt effrayé du meschef
Au bout du monde, et retira son chef
Si bien que point n'apparoist aujourd'huy:
Encor voit on sept entrées de luy
De qui les eaux s'en sont toutes allées,
Maintenant sont sept pouldreuses vallées.
Pareil malheur a les undes taries
D'Hebre, et Strymon, aux terres Ismaries,
Et des plus beaulx, qu'en Occident congnois,
Du Pau, du Rhin, du Rosne Lyonnois,
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Aussi du Tybre à qui estoit promys
Qu'à luy seroit tout le monde submys.
La terre fend, et parmy les fendaces
La grand' lueur jusqu'aux regions basses
A penetré, et si clair y raya
Que Proserpine, et Pluton s'effraya.
La mer se serre, et ce qu'on disoit mer
De sable sec, ung champ se peult nommer.
Les montz terreux, soubs l'eau profonde estants
Sont descouverts, et se manifestants.
Le nombre accreu ont des Cyclades Isles,
Aux fonds s'en vont les poissons moult debiles,
Nobles Daulphins, pour la chaleur n'osoyent
Saillir en l'air, comme devant faisoyent.
Maint boeuf de mer, et mainte grand' Baleine,
Au fond de l'eau gisent morts sur l'areine.
Doris, Nerée, et leurs filles faschées
Mesmes se sont (ainsi qu'on dit) cachées
Dessoubs l'eau tiede: Et le grand Neptunus
Tout renfrongné osa ses bras touts nudz
Troys foys hors l'eau mectre, et adventurer,
Troys foys ne sceut l'air ardant endurer.
Finablement Terre dame tressaincte
Des eaux de mer environnée, et ceincte,
Et de ruisseaux que l'infortune amere
Feit retirer au ventre de leur mere,
Va mectre hors parmy une crevace
Jusques au col sa liberalle face,
La main au front, et d'ung grand tremblement
Esbranlant tout universellement,
Plus bas ung peu s'assit, et s'avalla
Que de coustume, et puis ainsi parla.
Si tout cecy (supreme deité)
A gré te vient, et je l'ay merité,
A quel propos cesse à present ta fouldre?
Puis que finir me convient, et resouldre
Par feu cruel, viens moy du tien ferir:
Regret n'auray de telle main perir.
A peine puis dire ung mot, et sans doubte
La grand' vapeur quasi l'estouffoit toute:
Regarde moy, et entends à mes voeux,
Grillés, et ards sont desjà mes cheveux.
Flambe, et fumée aussi mes yeulx affollent,
Et sur mon chef les estincelles vollent,
Est ce l'honneur, le fruict, le benefice,
Que tu me rendz de mon fertile office?
Et pour l'ennuy, la froisseure, et l'ahan
Que j'ay de herse, et de soc d'an à an?
O Dieu des Dieux, me traictes tu ainsi
Pour mon loyer, d'administrer icy
L'herbe aux trouppeaulx, les fruictz meurs, et recens
Au genre humain, et à vous de l'encens?
Or prens encor, que merité je l'aye,
Qu'ont faict les eaux pour souffrir ceste playe?
Qu'a desservy ton bon frere Neptune?
Pourquoy la mer (qui luy est par fortune
Escheue en lot) va elle en descroissant,
De jour en jour loing du ciel s'abbaissant?
Las si l'amour de moy, et de ton cher
Frere germain, ton cueur ne vient toucher,
Vueilles au moins par pitié prendre garde
A ton clair ciel: ô Dieu puissant regarde,
Bas, et hault fume, et l'ung, et l'aultre pole.
Si tant soit peu la flambe les viole,
Voz beaulx manoirs ruyneront: helas,
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Ne voys tu point comment ahane Atlas?
A peine peult soustenir sur l'eschine
Du ciel treshault l'emflambée machine.
Si mer, si terre, et ciel s'en vont perduz,
Au vieil chaos retournons confonduz:
Retire doncq' du feu si peu de chose
Qui reste encor, et le tout mieulx dispose.
A tant se teut la terre douloureuse,
Car endurer la vapeur chaleureuse
Plus ne pouvoit, ne parler nullement,
Parquoy son chef retira promptement
Tout dedans soy, aux fosses soubsterraines,
Qui des Enfers estoyent les plus prochaines.
Lors Juppiter misericordieux
Apres avoir bien faict entendre aux Dieux,
Mesme à celluy, qui le char a donné,
Que sans secours, tout s'en va ruiné,
Droict au plus hault de la tour se retire,
D'où d'icy bas, les nues il attire,
Et de laquelle en tel endroict qu'il veult
Lance la fouldre, et le tonnerre esmeut.
Mais pour celle heure, il n'eust pas sceu, ou querre
Nues, qu'il peust attirer de la terre,
N'aulcunes eaux, que du ciel feist plouvoir.
Parquoy tonna, et de tout son pouvoir
Darda la fouldre avecques le bras dextre
Sur le nouveau charretier mal adextre,
Luy osta l'âme, et le char embrasé:
Et par le feu, a le feu appaisé.
Les fortz chevaulx, qui de peur tresbucharent,
Culebutants touts ensemble arracharent
Leurs colz des jougs, les harnoys ont laissés
Sur le chemin rompus, et despecés.
Loing d'ung costé gist le mort tombé seul,
De l'aultre gist hors des lymons l'aysseul,
Roues, et raiz, et pieces esclatées,
Du chariot au loing sont escartées:
Et Phaeton à qui les aspres feux
Faisoyent flamber les beaulx crespés cheveulx,
Cheut renversé: fortune ainsi le traicte,
Et parmy l'air fut porté longue traicte,
Comme par foys des sereins et clairs cieulx
Chet une estoille, ou cheoir semble à noz yeulx.
A la fin s'est sa cheute rencontrée
Loing de sa terre, en contraire contrée,
Où le receut le Pau, fleuve fameux,
Et luy lava son visaige fumeux.
Les Nymphes lors Nayades d'Italie
En Tumbeau faict de pierre bien polie
Le corps fumant posarent à l'envers,
Et au dessus feirent graver ces vers:
Cy Dessoubs gist Phaeton, conducteur
Du chariot de son clair geniteur.
S'on dit que mal sceut conduyre sa prise,
Si tomba il ayant faict haulte emprise.
Le pere alors miserable, et fasché,
Son larmoyant visaige avoit caché,
Voyre, et tient l'on (si croire ainsi le fault)
Que de soleil au monde y eut deffault
Ung jour entier, la flambe seullement
Du survenu cruel embrasement
Donna clarté en terre longue pose,
Et ce malheur servit de quelcque chose.
Clymene apres avoir dit par grand'ire
D'ung tel malheur ce qu'il en falloit dire,
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Hors de son sens en habit desciré
Par tout le monde a couru, et viré,
Cherchant par tout, premier le corps sans âme,
Et puis les os. En fin la bonne Dame
Trouva les os soubs dur tumbeau serrés,
Et sur rivaige estranger enterrés.
Lors sur le lieu, quasi pasmée tombe,
Et ayant leu le nom dessus la tumbe
Le marbre froit de larmes a couvert,
Et l'eschauffa de son sein descouvert.
Ses soeurs aussi les Heliades belles
Non moins pleurants, feirent des larmes d'elles,
Dons à la mort inutiles, et vains,
Et se frappants l'estomach de leurs mains,
Ont appelé, par jours, et par nuitz maintes
Leur frere cher Phaeton, qui leurs plainctes
Ne peult ouyr: puis de douleur touchées
Se sont dessus le sepulchre couchées.
Jà quatre moys ce dueil plein d'amertume
Avoyent mené à leur mode, et coustume
(Car jà la mode estoit faicte d'usage).
Des soeurs adoncq, celle qui eut plus d'eage,
Se voulant seoir dessus la terre froide,
Crie, et se plainct, que des piedz devient roide.
Vers qui taschant la seconde venir
Ses plantes sent racines devenir.
La tierce ainsi que ses cheveux taschoit
Rompre des mains, des fueilles arrachoit.
L'une se plainct, dont ses cuisses charnues
En tronc de boys tout court sont retenues.
L'aultre se plainct de quoy ses bras tant beaulx
A veue d'oeil deviennent longs rameaulx.
Et ce pendant qu'elles sont en ces peines
L'escorce vert leur croist au tour des aynes,
Des aynes monte au ventre bellement,
Au sein, aux bras, et aux mains, tellement
Que plus n'appert sinon leur bouche belle,
Qui au secours encor la mere appelle.
Mais que fera la mere martyrée,
Sinon courir là, où elle est tirée.
D'amours d'Enfants, puis deçà, puis delà,
En les baisant, si l'aisement elle a?
Ce n'est pas tout, elle a tasché adonc.
A retirer les corps hors de leur tronc,
Et pour ce faire, avecques ses mains blanches,
De tous costés rompoit les jeunes branches,
Dont il saillit dessus l'escorce verte
Gouttes de sang, comme de playe ouverte.
Chascune adonc, qui sent le mal, s'escrye:
Laissez cela ma mere je vous prie,
Laissez cela, et vos mains retirez,
Car nostre corps en l'arbre descirez.
Adieu disons: Lors l'escorce, et le boys
Couvrit leur bouche, et empescha la voix.
De ces nouveaulx arbres encor degoutte
Journellement de larmes mainte goutte,
Larmes de gomme en ambre durcissant,
Lequel le Pau, fleuve clair, et puissant,
Souvent envoye aux Dames d'Italie,
Pour le porter sur la gorge polie.
Là fut present Cygnus filz de Sthenel,
Parent sans plus du costé maternel
A Phaeton, toutesfoys son plus proche
En zele vray d'amytié sans reproche[:]
Luy doncq ayant son regne abandonné,
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(Car de Ligure estoit Roy couronné)
Avoit remply de grands clameurs plaintives
D'Eridanus les verdoyantes rives,
Et la forest, qui d'arbres, et ramées
Accreue estoyt, par les soeurs transformées,
Mesmes le fleuve en avoit retenty,
Quand le dolent sa voix d'homme a senty
Attenuer, et son chenu pelage
Se transmuer en semblable pennage,
Son col veit loing de l'estomach s'estendre:
Ses doigts rougir, et l'ung l'aultre se prendre,
Puis eut une aesle à chascun costé joincte,
Et faicte fut sa bouche ung bec sans poincte.
En fin Cygnus entierement devint
Ung oyseau blanc, auquel depuis n'advint
D'avoir au ciel, n'a Juppiter fiance,
Comment n'ayant pas mys en oubliance.
Le feu à tort sur Phaeton jecté:
Parquoy depuis a son refuge esté
Parmy estangs, et grands lacs spacieux,
Et luy fut lors le feu tant odieux,
Qu'il s'est depuis tousjours voulu retraire
En l'eau, qui est au feu toute contraire.
Tandis Phebus terny de dueil attaint,
Et aussi fort decheu de son beau taint,
Que quand il souffre eclipse bien extresme,
La clarté hait, hait le jour, et soymesme,
Pleure, et pleurant tant se despite, et deult,
Que plus au monde esclairer il ne veult.
Ma destinée a (ce dit il) assez
Eu de travaulx, par les siecles passez,
Et me repens du labeur que j'ay pris,
Labeur sans fin, sans honneur, et sans pris,
Qui vouldra voyse à cest heure conduyre
Le Chariot, qui le monde faict luyre:
Et si aulcun des Dieux ne le peult faire,
Vienne luy mesme entreprendre l'affaire:
Au moins, tandis que mes resnes tiendra,
De faire oultrage, il ne luy souviendra,
Et chommeront ses fouldres trop severes,
Dont si bien sçait priver d'enfants les Peres:
Lors sçaura il ayant experience
De mes chevaulx trop pleins d'impatience,
Que cestuy là, qui regir ne les sceut
N'avoit gagné que la mort en receut.
Comme Phebus se plaint de ses molestes,
Circuy l'ont les aultres Dieux celestes,
Le suppliant d'affection profonde
De ne laisser en tenebres le monde.
Juppiter mesme à luy bien fort s'excuse
Du feu jecté, et de prieres use:
Finablement d'une royalle audace
A la priere adjousta la menace.
Sue ce Phebus ses grands chevaulx rassemble,
Dont le plus seur de peur encores tremble,
Les bat, les frappe, en collere les broche,
Et le trespas de son filz leur reproche.
Le tout Puissant adoncq de toutes pars
A tournoyé du ciel les haultz rempars,
Pour visiter avecques providence
Si le feu a rien mys en decadence.
Puis quand il veit que de chascun quartier
Tout estoit seur, ferme, et en son entier,
Du ciel s'en vint aussi bas que nous sommes
Pour veoir la terre, et le labeur des hommes,
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Mais par sus tout il myt son estudie
A reparer son pays d'Arcadie,
Et restablir les fleuves, et ruisseaux,
Qui n'osoyent faire encor couler leurs eaux.
Herbes, et fleurs à la terre rendit,
Fueilles, et fruicts sur les arbres pendit,
Et les forestz gastées de l'ardeur
Feit revestir de nouvelle verdeur.
Tant y alla, et tant il en revint,
Qu'ardantement amoureux il devint
De Calisto, vierge qui de Nonacre
Native estoit: Ceste pucelle sacre
Pas ne faisoyt ouvrages delicats,
Parer son chef aussi n'estoit son cas,
Ains le tenoit d'ung blanc fronteau serré,
Et se ceingnoit d'ung gros tissu ferré:
Aulcunesfoys ung dard elle tenoit,
Aulcunesfoys ung arc elle prenoit:
Car elle estoit de Diane compaigne,
Et n'y eut fille en toute la montaigne
De Menalon, d'elle plus fort aymée,
Mais grand faveur passe comme fumée.
Jà le Soleil haultement eslevé
Son my chemin avoit plus qu'achevé
Quand elle entra dans ung boys, dont nul eage
N'avoit faict cheoir ne branche, ne fueillage.
Là sur ung lieu feutré d'herbe, et de mousse,
Va despouiller de l'espaule sa trousse,
Puis son bel arc bien tendu destendit,
Et dessus l'herbe à terre s'estendit
Tout de son long, de reposer contraincte,
Faisant chevet de sa trousse bien paincte.
Quand Juppiter, qui de loing la regarde,
La veit seullette, et sans aulcune garde,
Jà (ce dit il) ne sçaura mon espouse
Ce coup d'emblée, et n'en sera jalouse,
Ou si le sçait, elle aura beau s'en plaindre.
Sont les courroux des Dames tant à craindre?
En ce disant, il va prendre subit
De Diane le visaige, et l'habit,
Puis s'approcha de la vierge, en disant:
Ma chere soeur, que fais tu cy gisant?
Et en quel boys as tu cherché ta prinse?
Lors se leva la vierge bien apprinse,
Et luy respond: de cueur je te salue,
Déesse chaste, et de plus grand' value
Que Juppiter, j'en dy ce, qu'il m'en semble,
Me deust il ouyr, et veoir ensemble.
Et luy de rire, avecques joye extreme
D'ainsi se veoir preferer à soymesme,
Puis la baisa, non assez chastement,
Ne comme font vierges communement.
Et comme estoit de luy racompter preste,
Dedans quel boys avoit esté en queste,
Il l'empescha, l'embrassant ferme, et fort,
Si se declaire, usant de grand effort.
Elle de luy mect peine à se deffaire,
Aultant pour vray, que femme sçauroit faire.
Que pleust aux Dieux, Juno, que veoir la peusses,
Vers elle usé de plus grand' doulceur eusses:
Moult se debat, mais où pourroit on prendre
Fille, qui peust d'ung tel Dieu se deffendre?
Au Ciel apres victorieux il monte,
Et Calisto pleine d'ennuy, et honte,
Faisant en l'air sa complaincte, et querelle,
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En hayne print la forest macquerelle,
D'où s'en allant, tant eut le cueur saisi
Et perturbé, qu'elle oublia quasi
Ses dards, sa trousse, et son arc destendu,
Qui là estoit contre ung arbre pendu.
Sur ce voicy (avec sa chaste bande)
Venir Diane aval la forest grande
De Menalon, bien fiere en son couraige
D'avoir occis mainte beste saulvaige,
Si apperceut la Nymphe, et l'appella:
Elle l'oyant soubdain se recula,
Et de prinsault, qu'eut Diane advisé,
Craignit, que fust Juppiter desguisé.
Mais quand ses yeulx en se retournant veirent
Les Nymphes soeurs, qui leur dame suyvirent,
Elle congneut que ce n'estoyent cautelles,
Parquoy s'en vint droit en la trouppe d'elles.
O combien est mal aisé, qu'on ne face
Congnoistre aux gens son crime par la face!
Les yeulx en hault à grand' peine elle dresse,
Ne n'osoyt plus costoyer sa maistresse,
Ne cheminer en son reng la premiere,
Comme elle estoit paravant coustumiere,
Ains ne dit mot, et rougissant tesmoingne
Qu'en son honneur elle a receu vergongne:
Voyre, et ne fust que Diane est pucelle,
Juger eust peu de la couple d'icelle
En cent façons, et dit on que ses soeurs
Congneurent bien du faict les signes seurs.
Le temps coulla, et la Lune cornue
Jusqu'à neuf foys estoit jà revenue,
Quand il advint qu'au retour de la chasse
Diane estant du chault pesante, et lasse,
Entra dedans une forest ramée,
D'arbres espais à l'entour bien fermée,
Où murmurant ung clair ruisseau coulloit,
Du quel le sable au fond de l'eau roulloit.
Apres qu'elle eut de sa divine bouche
Loué le lieu, l'eaue du pied elle touche,
Puis dit ainsi: loing de nous pour le moins,
Sont à present regardeurs, et tesmoings,
Je suis d'advis (mes filles cher tenues)
Qu'en ce beau lieu nous baignons toutes nues.
A ce mot là rougit la paovre fille.
Toute la trouppe adoncq se deshabille
Fors Calisto, qui triste, et pensifve est.
Voyant cela, chascune la devest,
Et des que fut mise jus sa vesture,
Avec le corps parut sa forfaicture,
Dont plus avant en trouble, et peur elle entre,
Et comme veult des mains cacher son ventre,
Va (dit Diane) ailleurs ton corps mouiller,
Et le sacré ruisseau ne vien souiller,
Luy commandant (puis qu'elle estoit enceincte)
De s'en aller hors de la bende saincte.
Juno Déesse arrogante, et austere,
De longue main sçavoit tout ce mystere,
Et attendit l'heure propre, et le poinct
Pour s'en venger griefvement, et appoint.
Or de tarder n'avoit plus cause aulcune,
Et ce qui plus augmentoit sa rancune,
Son ennemye avoit jà faict l'enfant
Nommé Arcas, en beaulté triumphant,
Devers lequel Juno pleine de rage
Tourna ses yeulx, et son cruel courage,
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Disant ainsi: Adultere vilaine,
Encor failloit qu'eusses la pance pleine,
Et que le tort, que de toy j'ay receu,
Fust par ton fruict manifesté, et sceu,
Et que par là fust aussi tesmoigné
Le deshonneur qu'a mon mary gaigné.
Mais impunie or ne te laisseray,
Car pour jamais ta forme effaceray,
Qui trop te plaist, et qui trop fut prisée
De mon mary, garse mal advisée.
Ces motz finys, de main cruelle, et forte,
La prend au poil, et par terre la porte
Le front premier: elle la suppliant
Luy tend les bras, bien fort s'humiliant.
Ses bras adoncq, ainsi qu'ilz s'advançarent,
Ung gros poil noir à vestir commençarent,
Ses mains, ses doigts, à se courber se prindrent,
Et peu à peu crochuz ongles devindrent,
Servants de pieds pour marcher en tous lieux.
Sa bouche aussi, que le plus grand des Dieux
Baisa jadis, changea sa belle forme
En gueulle grand', rechignée, et difforme.
Aussi affin que par humble prier
Elle ne peust les couraiges plyer,
Osté luy fut le pouvoir de rien dire:
Une voix rauque, une voix pleine d'ire
Et de terreur, luy sortoit seullement
Hors du gosier espouventablement.
Mais nonobstant que du tout devint Ourse,
Son premier sens ne perdit elle pource:
Ains tesmoignant ses douleurs, et tourments
Par continuz aigres gemissements,
Elle a levé, comme font les humains,
Devers le ciel ses telles quelles mains:
Et quand ne peult son Juppiter absent
Nommer ingrat, ingrat elle le sent.
Las quantesfoys en la praerie sienne,
Et par devant sa demeure ancienne
Se pourmena, sans repos ny arrest,
N'osant coucher seullette en la forest.
Las quantesfoys, par rochers, et par boys,
Les chiens courants l'ont tenue aux abboys.
Las quantesfoyes elle, qui fut chasseuse,
Devant chasseurs fuyt toute paoureuse.
Souvent voyant mainte beste champestre
S'alloit cacher, ne se souvenant estre
Ce qu'elle estoit, si qu'en mont ne rocher
L'Ourse n'osoit des Ourses approcher,
Et voyant Loups de peur se desespere,
Combien qu'entre eulx fust Lycaon son pere.
A chef de temps survint son filz Arcas,
Né de quinze ans, ignorant tout ce cas,
Qui en allant les bestes pourchasser,
Et eslisant propre boys pour chasser,
Des que ses retz, et filet eut tendus
Aux environs du boys d'Erymantus,
Par grand hazard sus à sa mère il court,
Qui le voyant, sur pieds s'arresta court,
Comme si elle eust congnoissance bonne
De son enfant. Arcas adoncq s'estonne,
Et recula de craincte espouvanté,
Voyant l'oeil d'elle en luy tousjours planté,
Et non sachant que sa mere fust telle,
Il ne voulut plus pres s'approcher d'elle.
Lors de son dard freschement esmoulu,
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Par l'estomach enferrer l'a voulu.
Mais Juppiter, souveraine deffense,
Retint le coup, empeschant ceste offense,
Puis par le vent en l'air hault emportés,
En ung moment il les a transportés
Jusques au ciel, où il en feit deux signes
Clairs, et luysants en mansions voysines.
Juno s'enfla, des que devant ses yeulx
Veit resplendir son adversaire aux cieulx,
D'où descendant en mer s'en est venue
Devers Thetis la Déesse chenue,
Et l'Occean, touts deux pour leurs vieillesses
Moult reverés des Dieux, et des Déesses
Si ont prié Juno, qu'elle leur dit
Pourquoy venoit, laquelle respondit:
Vous demandez pourquoy si diligente
Je viens çà bas, qui du ciel suis regente.
Sçavoir vous fais, qu'une aultre maintenant
Est au clair ciel (en lieu de moy) regnant.
Et mentir veulx, si des que sera nuyct,
Vous ne voyez (qui trop au cueur me nuyt)
Deux Astres neufz, qui d'amour favorable
Ont heu n'aguere au ciel place honnorable
Droit au cerceau, dont la rondeur accolle
En petit tour des cieulx le dernier pole.
O Dieux marins est ce là pour penser
Qu'on ne vouldra Juno plus offenser?
Est par là qu'on craindra ma puissance,
Qui fais proffit, quand je porte nuysance?
O combien grande, et habile je suis!
O, que j'ay bien monstré ce que je puis!
D'estre plus femme ay gardé la traitresse,
Et maintenant elle est faicte Déesse!
Ainsi punys sont ceulx, qui me font faulte:
Voylà comment est ma puissance haulte.
Je suis d'advis que femme il la reface,
Et que de beste il luy oste la face,
Ainsi qu'il feit à Yo mugissant.
A quoy tient il, qu'en me forbannissant
Il ne l'espouse, et qu'il ne delibere
De recevoir Lycaon pour beaupere?
O puissant Dieux, si la griefve poincture
Et le mespris de vostre nourriture
Vous touche au cueur, commander vous prions,
A vostre mer, que les Septentrions
N'y entrent point, et les astres chassés,
Qui par mal faire au ciel sont advancés,
A celle fin, que l'orde concubine
Point ne se baigne en l'eaue pure marine,
Juno tresbien sa demande impetra
Des Dieux de mer, puis dedans l'air entra
En Chariot ayant lymons dorés,
Tiré par Paons bien paincts, et colorés.
Aussi bien painctz des yeulx d'Argus tué,
Comme en noir fut ton pennage mué,
Corbeau jaseur, qui avoys de coustume
Par cy devant de porter blanche plume.
Certes l'oyseau par moy ores chanté
Estoit jadis si blanc, et argenté,
Qu'esgal estoit aux colombelles coyes,
Et de blancheur rien ne debvoit aux oyes,
Qui preserver debvoyent le capitolle,
N'au Cigne avec, qui loing des eaux ne volle:
Mais tant luy feit sa langue de dommaige,
Qu'ores pour blanc il porte noir plumaige.
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Jadis n'y eut fille en toute Aemonye,
Qui fust de grâce, et beauté mieulx garnye
Que Coronis, la Nymphe Larissée,
Que Phebus eut sur toutes en pensée,
Elle étant vierge, ou elle ayant forfaict.
Mais le Corbeau s'apperceut de son faict,
Et ne sceut on jamais le divertir
D'aller Phebus son maistre en advertir:
En y allant la Corneille esvollée
(Pour sçavoir tout) apres luy est vollée,
Et aussi tost que la cause entendit
De son chemin, rondement luy a dit:
Tu vas tres mal, croy moy si tu es saige
Sans mespriser de mon bec le presaige,
Escoute ung peu ce que je fuz ung temps,
Voy ce que suis, et le pourquoy entends,
Tu trouveras que ma fidelité
M'a faict nuysance en disant verité.
Pallas ung jour par son sens, et practique,
En corbillon tissu d'ozier Attique
Avoit l'Enfant Erictone enfermé,
Lequel sans mere avoit esté formé,
Et deffendant que point on n'y regarde,
Elle bailla ce corbillon en garde
Entre les mains de troys pucelles, nées
Du Roy Cecrops, sans ce qu'acertenées
Pallas les eust de l'estrange merveille,
Qui enfermée estoit en la corbeille.
Je, qui estoys de fueilles bien cachée,
Du hault d'ung orme, où je m'estoys branchée,
Les espioys: les deux, Hers[e], et Pandrose,
Gardoyent tresbien ceste corbeille close,
Mais Aglauros, l'une de ces troys gardes
En appelant les deux aultres couardes
La defferma, si bien que l'Enfant veirent
Demy serpent: la faulte, qu'elles feirent
Je rapportay à la sage Pallas,
Qui m'en rendit si dur loyer, helas,
Que pour jamais par tout suis appellée
De Minerva la garde reculée:
Et par avoir esté mal taciturne,
Va devant moy la Cheveche nocturne.
Certes ma peine, et ma punition,
Doibt estre exemple, et admonition
A touts oyseaulx de quelconque plumaige
De ne chercher par leur langue dommaige.
Tu me diras qu'en mon premier degré
Jamais Pallas ne me prit de son gré
Ne sans l'avoir de ce bien fort requise:
Quand tu l'auras elle mesmes enquise
Point ne vouldra (quoy qu'irritée l'aye)
Nyer, ce croy je, une chose si vraye:
Car sçavoir doibs, que jadis je fuz née
Dedans Phocis, du noble Coronée,
Qui me nourrit en triumphant arroy.
Chascun le sçait, j'estoys fille de Roy,
Et maintz seigneurs (je le dys sans ventance),
Riches, et grands, cherchoyent mon accointance.
Las ma beaulté me causa dueil amer.
Car comme ung jour sur le bort de la mer
Je m'en alloys pas à pas pourmenant
Comme je fays encores maintenant,
Le Dieu des eaux me veit, et m'escria,
Et plein d'ardeur de l'aymer me pria:
Puis quand son temps, et sa doulce requeste
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Perdre sentit, la force mist en queste,
Me suyt, je fuy, j'abandonne la rive,
Et en fuyant je voy qu'en vain j'estrive,
Dont j'appellay et Dieux, et humains: somme,
Ma voix ne vint en nulle oreille d'homme,
Pallas sans plus en souvenance m'eut.
Pour une vierge, une vierge s'esmeut,
Et me donna secours, que j'attendoye.
Les bras au ciel en pleurant je tendoye:
Mes bras soubdain je vins à mescongnoistre,
Et apperceu plumes noyres y croistre.
Mes vestements despouiller je presume,
Mais je trouvay que c'estoyt desjà plume,
Dont la racine en la peau je cachoys.
Frapper des mains l'estomach nud taschoys,
Mais il estoit jà certes advenu
Que plus n'avoys ne mains, n'estomach nu:
J'alloys courant, et mes pieds ne fouloyent
Plus le sablon, ainsi comme ilz souloyent:
Ains soubslevée estoys à fleur de terre,
Puis hault en l'air je m'en vollay grand'erre,
Et de Minerve, en qui prudence abonde,
Faicte je fuz servante chaste, et munde.
Mais quel proffit m'en vient, ne quel service,
Quand Nictymene estant par son grief vice
Faicte Cheveche, a heu tant de bon heur
Qu'elle succede à mon premier honneur?
Ne sçays tu point le propos, qu'on demeine
Par tout Lesbos, de ceste Nictymeine,
Fille lascive, ayant par grief delict
Contaminé de son pere le lict[?]
Vray est qu'elle a d'oyseau receu la forme,
Mais du remors de son forfaict enorme
Craint qu'on la voye, et la lumiere fuit,
Cachant sa honte à l'umbre de la nuict.
Ou s'on la voyt touts les aultres l'agassent,
Et hors de l'air, de tous costés la chassent.
Lors le Corbeau se mocquant, respondit,
A toy sans plus puisse nuyre ton dict:
Quant est à moy, ces presages menteurs
J'ay à mespris, et touts leurs inventeurs:
Puis acheva son chemin commencé,
Et à Phebus compter s'est advancé
Que Coronis a veu en acte sale,
Couchée avec ung beau fils de Thessale.
Des que Phebus entendit que s'amye
Estoit tombée en si lourde infamye,
Du chef tomba sa couronne laurée,
Luy cheut aussi la beaulté colorée
De son clair vis, et l'archet de sa lyre:
Lors à la chaulde enflé d'une telle ire
Enfonça l'arc d'une force robuste,
Et de sa flesche inevitable, et juste,
Tout attravers à la poictrine poincte
Qui tant de fois à la sienne fut joincte.
Sentant le coup, la dolente gemit,
Le fer trenchant hors de la playe mit,
Dont en maintz lieux sa chair blanche, et polie,
De rouge sang fut trempée, et salie,
Disant: amy, bien me pouvoys deffaire,
Mais tu debvoys l'Enfant me laisser faire:
Or nous convient, puis qu'il plaist à fortune,
Presentement trespasser deux en une.
Sur ce poinct, l'âme avec le sang rendit,
Et la froideur par le corps s'espandit.
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Las de si dure aigre punition,
Receut l'amant tarde contrition,
Grand mal se veult dont le rapport ouyt,
Et dont si fort son ire l'esblouyt.
Mauldict l'oyseau, qui l'a contrainct sçavoir
Ce, qui luy faict tant de tristesse avoir.
Sa trousse hayt, et son arc, et sa main,
Avec le traict, qui trop fut inhumain.
S'amye eschauffe: et nettoyant sa playe,
Par ung secours trop tard venu, s'essaye
A surmonter la mort dure, et perverse,
Et l'art en vain de Medecine exerce:
Ce que voyant, et le feu allumer
Pour le corps ardre, et la cendre inhumer,
Point ne pleura (car il n'affiert aux Dieux
Mouiller leur face, avec larmes d'yeulx).
Mais ung soupir tira du cueur profond,
Non aultrement, ne moins grand, que les font
Ceulx, qui les boeufz avec ung maillet tuent,
Lors que le coup pour les assommer ruent:
Apres (pourtant) que sa face aymée
D'ingrate odeur Phebus eut embaumée,
Que plaincte l'eut, et embrassée avecques,
Et mis à fin l'injuste droict d'obsecques,
Pas ne souffrit sa divine clemence
Au mesme feu veoir perir sa semence,
Ainçois l'Enfant, prochain de mort amere,
Tira du feu, et du ventre à sa mere,
Puis le porta luy mesme en son giron
Dedans la fosse au Centaure Chiron.
Et le Corbeau, qui pour avoir vray dit
Pensoit avoir recompense, et credit,
Il condemna d'une cholere grande
Des blancs oyseaulx n'estre plus de la bande.
Ce temps pendant Chiron s'esjouyssoit:
Dont d'ung tel Dieu l'Enfant il nourrissoit.
L'aise qu'il a de peine le descharge,
Voyant honneur joinct avecques sa charge.
Sur ce voicy venir, eschevellée,
Sa propre fille, Ocyroe appellée,
Dont une Nymphe accoucha (comme on treuve)
Dessus le bort de l'impetueux fleuve
De Caycus: elle ne fut contente
D'avoir apprins, et mys en son entente
Du pere sien l'art de mediciner:
Ains tout son cueur mit à vaticiner.
Doncq, quand fureur de deviner l'eut prinse,
Et qu'eschauffée elle fut, et esprinse
De cest Esprit qui bouilloit dedans elle,
L'enfant petit regarda d'ung grand zelle,
Disant: Enfant, en qui vertu abonde,
Croissance prends pour l'heur de tout le monde:
Les corps mortelz, grands, moyens, et menus,
A toy seront plusieurs foys bien tenus:
Puissance auras par ta science ardue
Rendre la vie, à qui l'aura perdue,
Et des qu'auras une foys l'osé faire,
Les Dieux du ciel, despitz d'ung tel affaire,
Feront que plus faire ne le pourras,
Et par le feu de ton ayeul mourras;
Et que d'ung Dieu un corps mort sera faict,
Puis d'ung corps mort ung puissant Dieu parfaict,
Renouvellant encore ung coup ta vie,
Apres que mort l'aura de toy ravye.
Et tu Chiron, mon pere, que j'honnore,
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Qui n'es subject à mort, qui tout devore,
Ains par la loy de divin parentaige,
Faict, et creé pour durer en tout eage,
De trespasser te prendra le desir
Lors que viendra la douleur te saisir,
Que sentiras la cruelle attaincte
D'une saiette au sang de l'Idre taincte:
Et d'immortel, par les dieux tu seras
Rendu mortel, et si trespasseras.
Voulant encor prophetiser, et dire
Quelcque aultre cas, ung souspir elle tire
Du fond du cueur: et sentant peine, et dueil,
Dessus sa face espandit larmes d'oeil
Disant: helas, les choses divinées
Font advancer trop tost mes destinées.
Je sens en moy la parolle faillir,
Plus de mon corps ne peult ma voix saillir.
Mauldict soit l'art (tant peu vault, et merite)
Qui contre moy l'ire des Dieux irrite.
Las beaulcoup mieulx m'eust vallu abstenir
De tant sçavoir des choses advenir.
Jà m'est advis, que de fille la face
En moy se perd, et peu à peu s'efface:
Jà de desir, jà d'appetit suis pleine
D'herbe manger, et courir en la plaine.
Ne sçay quel Dieu en Jument me transforme,
Prendre m'en vois de mon pere la forme:
Mais pourquoy doibs je estre toute Jument?
Demy cheval mon pere est seullement.
Ainsi parlant, la Nymphe jeune, et tendre,
Sur le dernier ne pouvoit bien s'entendre,
Car de sa bouche est son parler sorty
Confusement, tost apres amorty,
Ny ne sembla de Jument sa voix faicte,
Ains de Jument quelcque voix contrefaicte,
Puis peu à peu hennit de grand courage,
Et ses deux bras marchoyent dedans l'herbage.
Chascun des doigts l'ung, à l'aultre s'assemble,
Ses ongles platz touts cinq lyés ensemble,
Feirent ung ongle espays, et endurcy,
Luy creut le col, luy creut la bouche aussi.
De son habit la plus longue partie
Fut par derriere en queue convertie,
Et ses cheveulx, vollants de toutes pars,
Devindrent crins (comme devant) espars
Dessus le col, et la face, et la voix,
Elle mua toutes deux à la foys:
Brief, tous ces cas monstrueux la tournarent
Si bien, que nom de Jument luy donnarent.
Pleurs infinys son cher pere espandit,
Et pour neant ton secours attendit
O cler Phebus: mais rompre l'ordonnance
De Juppiter n'estoit en ta puissance.
Et quand en toy eust la puissance esté,
Tu estoys lors bien ailleurs arresté,
Car par les champs Messeniens à l'heure,
Et en Elys, tu faisoys ta demeure:
C'estoit au temps que l'habit de Bergier
Et la houlette il te convint charger,
Et que portoys à la mode ruralle
De sept roseaulx la fluste pastoralle.
Or ce pendant qu'en tes Amours pensoys,
Ou bien tandis que flustoys, ou dansoys,
On dit qu'alors tes vaches mal gardées
S'estoyent aux champs Pyliens escartées,
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Et que Mercure illec les apperceut,
Qui en ung boys tresbien cacher les sceut.
Ce larrecin faict de grand artifice
D'homme vivant ne vint en la notice,
Fors d'ung vilain congneu en ce champ là,
Par son droit nom Battus on l'appella,
Qui garde estoit de l'herbeuse vallée,
Et du haras du riche Roy Nelée.
Mercure eut peur de ce vilain; par quoy
Il le tira doulcement à recoy,
Et luy a dict: Amy, quel que tu soys,
Si d'adventure icy tu appercoys
Quelcun cherchant ces boeufz esvanouys,
Dy luy que veuz tu ne les as, n'ouys:
Et pour loyer du tour que m'auras faict,
Prend ceste vache, et la bailla de faict.
L'aultre la print, et luy dit, l'ayant prinse,
Va hardyment, poursuy ton entreprinse:
Le larrecin du quel tu t'es meslé
Sera plus tost compté, et revelé
Par ceste pierre, et luy en monstra une.
Mercure encor n'y eut fiance aulcune,
Parquoy il fit de s'en aller semblant,
Et puis revint en rien ne ressemblant
De voix ne corps à sa premiere forme.
Lors au vilain appuyé contre ung orme
Va dire ainsi: Bon homme, si tu peus,
Enseigne moy où sont allés mes boeufs,
Que l'on m'a prins, ce larrecin ne cache,
Je te donray ung boeuf, et une vache.
Quand le vilain, qui promyt de sa taire,
Ouyt parler de doubler son salaire,
Je les ay veuz (dit il) qu'ilz se jectoyent
Dessoubs ces montz, et de faict y estoyent.
Adoncq se print à soubsrire Mercure,
Puis luy a dit: double vilain parjure,
Me trahys tu? m'accuses tu à moy?
Et transmua son estomach sans foy
En ung caillou, nommé Touche, ou Indice,
Qui d'accuser faict encores l'office,
Et au caillou, qui pourtant n'en peult mais,
Demourée est l'infamye à jamais.
De là s'en va ses aesles esbranlant,
De Juppiter le messager vollant:
Et hault en l'air, d'Athenes il contemple
La belle, assiette, et la ville, et le temple,
Et les jardins de proffit, et soulas,
Terre, pour vray, aggreable à Pallas.
Advint ce jour que les Vierges honnestes,
Au temple hault portarent sur leurs testes
De Minerva les sacrifices sainctz,
En beaulx paniers de fleurs couverts, et ceintz.
A leur retour, Mercure les voyant
Ne volla droict: mais ainsi tournoyant
Que le Milan, qui les pouletz regarde,
Quand il craint ceulx qui en font bonne garde,
Il tourne, il roue, et n'ose s'esloigner,
Bien s'attendant quelcque proye empoigner.
Mercure ainsi d'Athenes sur les tours
Faisoyt en l'air maints circuytz, et tours:
Et bassement sans s'esloigner volloit
Pour mieulx choysir la proye, qu'il vouloit.
D'aultant qu'Aurore est reluysante, et claire
Par sus toute aultre estoille, qui esclaire,
Et que Phebé l'est par dessus Aurore,
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La belle Hersé d'aultant, et plus encore,
Oultrepassoit ses compaignes pucelles,
Si qu'elle estoit l'honneur, et fleur d'icelles.
Mercure en l'air de la veoir s'esmerveille,
Et s'embrasoit en la sorte pareille
Que le caillou, qu'avec la fronde on tire
Qui tant plus va, plus de chaleur attire,
Et sont au cueur de Mercure advenues
Flambes ardants dessoubs les froides nues.
Ainsi esprins, son premier chemin laisse,
Descend de l'air, en la terre s'abaisse,
Sans que sa forme il change ne desguise,
Tant se fioyt en sa beaulté exquise:
Voyre à bon droit, toutesfoys par grand' cure,
Aydoit encor à sa beaulté Mercure:
Peigna son chef, sa cappe il accoustra
Si que par tout rien qu'Or ne se monstra,
Et sur l'espaule à dextre la troussée,
Affin qu'on veit en main son caducée,
Qui gens endort, et qu'à ses plantes belles
Reluyre on veist ses beaulx patins à aesles.
En la maison où demouroit Hersé,
Sur le derriere estoit son lict dressé
Entre celluy de Pandrose à la dextre,
Et cestuy là d'Aglauros à senestre:
Ceste Aglauros nota de prime face
Venir Mercure, et eut bien ceste audace
De s'enquerir du nom d'ung si grand Dieu,
Et qui l'a meu de venir en ce lieu.
Lors respondit Mercure en ceste sorte:
Celluy je suis, qui les nouvelles porte
Du pere mien: et celluy est mon pere
A qui la terre, et le ciel, obtempere:
Ne desguiser te veulx, pourquoy je vien:
Pourveu sans plus qu'à ta soeur, pour son bien,
Vueilles en brief te monstrer soeur fidelle,
Et estre tante aux enfants qu'auray d'elle:
Sçais tu que c'est? d'Hersé suis amoureux,
Las, favorise à l'amant doloreux.
Lors Aglauros vint à le regarder
Du mesmes oeil, qui ne se sceut garder
De veoir n'aguere en trop grand' hardyesse
Le clos secret de Pallas la Déesse:
Puis, pour loyer du plaisir qu'il demande,
Luy demanda de l'Or quantité grande,
Et quant et quant de desloger le somme
Jusques à tant qu'il apporte la somme.
Pallas, qui veit touts ces actes pervers,
Contre Aglauros jecta l'oeil de travers,
Et du profond de son cueur courroucé,
Si puissamment ung souspir a poulsé,
Que bransler feit l'estomach en avant,
Et son escu, qu'elle avoit au devant.
Si luy souvint du corbillon couvert,
Qu'Aglaure avoit de main prophane ouvert,
Lors qu'elle veit par desobeissance
L'enfant, lequel sans mere print naissance.
Voyt en apres qu'au celeste annonceur
Elle est ingrate, et ingrate à sa soeur,
Et que de l'or dont requeste elle fit
L'avare avoit desjà faict son proffit.
Que feit Pallas? pour punir telle vie,
Delibera de parler à Envie:
Et s'en alla tout droict en son manoir
Plastré de sang melencolicque, et noir.
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Son manoir est caché en ung bas centre,
Où le Soleil ne le vent jamais n'entre,
Triste en tout temps, en tout temps froid, et sombre,
Tousjours sans feu, tousjours plein d'obscure umbre.
Quand la Déesse au faict des armes craincte
De l'orde vieille eut la maison attaincte,
Devant l'entrée arresta court ses pas,
Car d'y entrer à elle ce n'est pas:
Et du fin bout du long boys, qu'elle porte,
De grand' vigueur donna contre la porte:
La porte s'ouvre, Envie elle apperçoit,
Qui acroupie à terre se paissoit
De gros serpents, viperes, et couleuvres,
Nourrissements de ses iniques oeuvres.
L'appercevant, destourna son bel oeil,
L'aultre se leve, avec paresse, et dueil,
Et ses serpents demy mangés laissa:
Puis, lentement, vers Pallas s'addressa,
Et la voyant armée, belle, et blonde,
De grand despit au visage luy gronde.
Sa face est blesme, et a le corps ethicque,
La rouille aux dents, aux yeulx la veue oblicque,
Toute de fiel est sa poictrine verte,
De noir venin est sa langue couverte,
Jamais ne ryt, si elle ne rencontre
Devant ses yeulx meschef, ou malencontre:
Tant a de soing, qui la picque, et resveille,
Que point ne dort, ains son oeil tousjours veille,
Pour veoir s'il vient honneur, ou bien à l'homme:
Et le voyant, se deseiche, et consomme,
Si qu'offensant ensemble est offensée,
Et son tourment se donne l'insensée:
Pallas, pourtant, quoy que ne l'aymast point,
Luy a parlé briefvement en ce poinct.
De ton noir sang empoisonne, et enchante
Du roy Cecrops ceste fille meschante
Qu'on nomme Aglaure: or va si oncq allas,
Ainsi le fault: a tant se teut Pallas,
Et repoulsant de sa picque la terre
Print à fuyr, et deslogea grand' erre.
En s'enfuyant, Envie rechignée
D'ung maulvais oeil de travers l'a guignée,
Entre ses dents murmurante, et despite
De la valleur, qui en Pallas habite.
Puis print en main son baston plein de neuz,
Entortillé d'ung lyen espineuz,
Et d'une nue obscure bien couverte,
Par où passoit renversoit l'herbe verte,
Les champs fleuris çà, et là deseichoit,
Et des pavotz les testes arrachoit,
Villes, maisons, et peuples, la vilaine
Contaminoyt de sa puante alaine.
Finablement, de Minerve va veoir
La grand' cité triumphante en sçavoir,
D'entendements, et richesses puissante,
Pleine d'esbatz, et en paix fleurissante.
Ce que voyant, Envie l'execrable
Quasi pleura n'y trouvant rien pleurable.
Mais quand d'Aglaure en la chambre se veit,
Ains que bouger, sa commission feit.
Et de sa main taincte de vieille rouille,
Premierement la poyctrine luy souille,
Puis luy emplit l'entour du cueur d'espines,
Et luy souffla jusques aux intestines
Son noir venin, qui aux os s'estendit,
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Et au milieu du poulmon s'espendit.
Et puis affin que la cause recente
De sa douleur, loing d'elle ne s'absent,
Devant ses yeulx luy mect sa soeur germaine,
Devant ses yeulx à touts coups luy ameine
Pourtraicte au vif de Mercure l'ymage,
Et de touts deux l'excellent mariage,
Faisant bien grande une chascune chose.
Dont Aglauros souffroit douleur enclose
En cueur marry, si que triste de jour,
Triste de nuict, gemissoyt sans sejour,
Fondant sur pieds d'ennuy, et mal talent,
Comme la glace au Soleil foyble, et lent:
Et de l'honneur de la bien heureuse Herse,
Ne plus ne moins ardoit la soeur perverse,
Qu'herbes de champs, qui au feu mises fument,
Et peu à peu sans flamber se consument.
Par plusieurs foys fut souhaitant la mort,
Pour ne veoir plus le bien, qui tant la mord:
Par plusieurs foys à son pere plein d'ire
Voulut en mal le cas compter, et dire.
En fin voyant Mercurius venir,
S'en va assise à la porte tenir
Pour le chasser: il l'abborde, il la flate,
Il la suplie: oste toy (dit l'ingrate),
Car de ce lieu jamais ne bougeray,
Jusques à tant que t'en deslogeray:
Et bien, dit il, suyvant ton ordonnance,
Content je suis de ceste convenance.
Mercure adoncq de sa verge charmée
Ouvrit la porte à gros verroulz fermée,
Et elle assise, en se cuydant lever,
Sentit son corps si puissamment grever,
Qu'oncques ne sceut mouvoir une joincture:
Sur pieds se mectre essaya d'adventure,
Mais ses genoulx se prindrent à roydir,
Et peu à peu ses ongles à froydir:
Consequemment perdant son sang, les veines
Luy devenoyent bien fort pasles, et vaines.
Et comme on voyt que le chancre incurable
Gaigne pays sur ung corps miserable,
Et tant s'espand, qu'aux parties gastées
Sont bien souvent les saines adjoustées:
Ainsi froideur, et mortifere glace
Print peu à peu en sa poictrine place,
Luy estouppant les conduicts de la vie,
Et le respir sans lequel on desvie.
Ny ne se mit en effort de parler,
Et ores quand s'en fust voulu mesler,
Sa voix n'avoit passage n'ouverture:
Son col, sa bouche, estoyent jà pierre dure.
Finablement assise, morte, et royde,
Ce fut de marbre une statue froyde:
Non marbre blanc: son cueur d'Envie attainct
De sang infect tout son corps avoit tainct.
Apres qu'elle eut receu punition
De sa parolle, et malle intention,
Mercurius d'Athenes se partit,
Et vers le ciel son chemin convertit.
Au ciel venu, son pere à part le huche,
Et sans vouloir luy descouvir l'embusche
De ses amours: luy dit pour abreger,
Mon trescher filz, et feal messager,
Descends là bas, va t'en, et point ne tarde,
Droict au pays, qui à gauche regarde
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Le ciel, où luyt de ta mere le signe,
C'est en Sidon, cité noble, et insigne:
Et le trouppeau royal, que tu voys paistre
Là loing, dessus la montaigne champestre,
Fais le venir sans bruyt, et sans chommer,
Là bas, au long des rives de la mer.
Ces motz finys, soubdain du hault herbage
Les boeufz chassés allarent au rivage,
Là où du Roy la fille trescherie
Jouoyt avec les filles de Tyrie.
Majesté grande, et amour mal conviennent,
Et en ung siege ensemble ne se tiennent:
Parquoy laissant son Sceptre glorieux,
Ce pere et Roy des hommes, et des Dieux,
Qui main armée a de troys feuz ensemble,
Qui d'ung clin d'oeil fait que le monde tremble,
La forme print d'ung Taureau mugissant,
Et chemina sur l'herbe verdissant
Avec les boeufz: bel estoit le possible,
Sa couleur fut de blancheur indicible,
Neige sembloit d'aulcun pied non foullée,
Ne par Auster pluvieux escoullée.
De muscles a ung gros col evident,
Sur l'estomach est sa gorge pendent,
Cornes avoit certainement petites,
Mais à les veoir, ung chascun les eust dictes
Faictes de main à bien ouvrer idoyne,
Et transluisoyent plus que pure Cassidoyne.
Le front n'avoit ridé ne redoubtable,
Ne tant soit peu la veue espouventable.
Rien, sinon paix, en la face n'avoit.
La fille au Roy, qui de bon cueur le veoit,
S'esbahit fort de ce, qu'il est si beau,
Et qu'il ne fait guerre à nul du trouppeau.
Mais quoy qu'il eust de la doulceur beaulcoup,
D'en approcher craignit du premier coup:
En fin s'approche, et fleurs, et herbe franche,
Luy apporta pres de sa gueule blanche.
Dont eut l'amant ung merveilleux plaisir,
Et attendant son esperé desir,
Baise la main de la vierge modeste,
Et peu s'en fault, qu'il ne prenne le reste.
Ores se joue à elle expressement,
Pour l'asseurer peu à peu doulcement.
Ores il faulte au milieu des prés verts,
Ores se veaultre, en l'areine à l'envers.
Puis, quand il voit qu'elle n'est plus farouche,
A elle vient: elle sans peur le touche,
Et de sa main virginalle luy orne
De fresches fleurs et l'une, et l'aultre corne.
En fin elle a tel'hardiesse prise,
Que sur le dos du Taureau s'est assise,
Sans sçavoir, las, à qui elle se frotte.
Lors, pas à pas, droit à la mer qui flotte,
Il la porta, et des qu'il y arrive,
A mis ses piedz dedans l'eau de la rive.
De là soubdain plus oultre se transporte,
Et son butin parmy la mer emporte,
La peur la prend, et regarde estonnée
Desjà de loing la rive abandonnée:
De la main dextre une des cornes tient,
De l'aultre main sur le dos se soustient,
Et ses habitz de soye, et fine toylle,
Bransloyent en l'air, et au vent feirent voylle.
Fin du second livre de la Metamorphose d'Ovide par Clement Marot.
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CLEMENT MAROT le bon François Poëte
Qui en hault vol, plus hault chant reclama,
Chantant, montant ainsi que l'aloete,
Les deux premiers d'Ovide transforma
En vers François: puys les yeulx luy ferma
Mort qui n'y mord, au moins sur ses escriptz,
Car mort n'a point pouvoir sur les espritz.

Six Sonnetz de Petrarque sur la mort de sa dame Laure, traduictz d'italien en François par Clement Marot

I
Voy che ascoltate in ryme sparse il suono
Vous qui oyez en mes rymes le son
D'iceulx souspirs, dont mon cueur nourrissoie
Lors qu'en erreur ma jeunesse passoie,
N'estant pas moy, mais bien d'autre façon:
De vains travaulx dont feis ryme et chanson,
Trouver m'attens (mais qu'on les lise et voye)
Non pitié seulle, ains excuse en la voye
Où l'on congnoist amour, ce faulx garson.
Si voy je bien maintenant et entendz
Que longtemps fus au peuple passetemps,
Dont à par moy honte le cueur me ronge:
Ainsi le fruict de mon vain exercice
C'est repentance, avec honte et notice
Que ce qui plaist au monde n'est que songe.

II
O passy sparsy, O pensier Vaghi e prompti
O pas espars, O pensées soubdaines,
O aspre ardeur, O memoir tenante,
O cueur debille, O volunté puissante,
O vous mes yeulx, non plus yeulx mais fontaines,
O branche, honneur des vainqueurs capitaines,
O seulle enseigne aux poetes duisante,
O doulce erreur, qui soubz vie cuisante
Me faict aller cherchant et montz et plaines,
O beau visage où amour met la bride
Et l'esperon, dont il me poinct et guide
Comme il luy plaist, et deffense y est vaine,
O gentilz cueurs et âmes amoureuses
S'il en fut oncq, et vous umbres paoureuses,
Arrestez vous, pour veoir quelle est ma peine.

III
Chi vuol veder quantum que puo Natura
Qui vouldra veoir tout ce que peult Nature,
Contempler vienne une qui en tous lieux
Est ung soleil, ung soleil à mes yeulx,
Voire aux ruraulx qui de vertu n'ont cure.
Et vienne tost, car mort prent (tant est dure)
Premier les bons, laissant les vicieux,
Puis ceste cy s'en va du reng des dieux:
Chose mortelle et belle bien peu dure
S'il vient à temps, verra toute beauté,
Toute vertu et meurs de royalté
Joinctz en ung corps par merveilles secret:
Alors dira que muette est ma ryme,
Et que clarté trop grande me supprime:
Mais si trop tarde aura tousjours regret.

IV
Lasciato hai morte senza sole il mondo
Mort, sans soleil tu as laissé le monde
Froid et obscur, sans arc l'aveugle archer:
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Grâces, beaultez prestes à tresbucher,
Moy desolé en angoisse profunde.
Bas et bannis sont honneur et facunde.
Seul fasché suis, seul n'ay à me fascher,
Car de vertu feiz la plante arracher:
C'est la premiere, où prendrons la seconde?
Plaindre devroient l'air, la mer et la terre
Le genre humain: qui comme anneau sans pierre
Est demeuré, ou comme ung pré sans fleurs:
Le monde l'eut sans la congnoistre à l'heure.
Je la congneuz, qui maintenant la pleure:
Sy feit le ciel, qui s'orne de mes pleurs.

V
Gli angeli eletti e lanime beate
Le premier jour que trespassa la belle,
Les purs espritz, les anges precieux,
Sainctes et sainctz, citoiens des haultz cieulx,
Tous esbahis vindrent à l'entour d'elle
Quelle clarté, quelle beaulté nouvelle
(Ce disoient ilz) apparoist à noz yeulx?
Nous n'avons veu du monde vicieux
Monter çahault encor une âme telle.
Elle, contente avoir changé demeure
Sa parangonne aux anges d'heure à heure,
Puis coup à coup derriere soy regarde
Si je la suy: il semble qu'elle attend,
Dont mon desir ailleurs qu'au ciel ne tend,
Car je l'oy bien crier que trop je tarde.

VI
Da piu begli occhi a dal piu chiaro viso
Des plus beaulx yeulx, et du plus clair visage
Qui oncques fut, et des beaulx cheveux longs,
Qui faisoient l'or et le soleil moins blondz,
Du plus doulx ris, et du plus doulx langage,
Des bras et mains qui eussent en servage
Sans se bouger mené les plus felons,
De celle qui du chef jusqu'aux tallons
Sembloit divin, plus qu'humain personnage,
Je prenois vie. Or d'elle se consollent
Le roy celeste, et ses courriers qui vollent,
Me laissant nud, aveugle en ce bas estre:
Ung seul confort attendant à mon dueil,
C'est que là hault, elle qui sçait mon vueil
M'impetrera qu'avec elle puisse estre

VII
Epitaphe de ma dame Laure
En petit lieu compris vous povez veoir
Ce qui comprend beaucoup par renommée.
Plume, labeur, la langue, le debvoir,
Furent vaincus de l'amant par l'aymée:
O gentille âme estant tant estimée,
Qui te pourra louer qu'en se taisant?
Car la parolle est tousjours reprimée
Quand le subject surmonte le disant.
FIN.

L'histoire de Leander et de Hero,


Premierement faict en Grec par Musaeus poëte tresancien: et depuis mis de Latin en François par Clement Marot
Clement Marot, aux lecteurs
A peine estoit la presente histoire hors de mes mains (lecteurs debonnaires) que je ne sçay quel avare libraire de
Paris, qui la guettoyt au passage, la trouva, et l'emporta tout ainsi qu'un Loup affamé emporte une Brebis: puis me
la va imprimer en bifferie du Palais, c'est assavoir en belle apparence de papier et de lettre, mais les vers si
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corrompus, et le sens si dessiré que vous eussiez dit que c'estoit ladicte Brebis eschappée d'entre les dentz du
Loup: et qui pis est ceulx de Poytiers, trompez sur l'exemplaire des aultres m'en ont fait autant. Quant je vy le fruict
de mes labeurs ainsi accoustré, je vous laisse à penser de quel coeur je donnay au diable monsieur le Babouyn de
Parisien, car à la verité, il sembloit qu'il eust autant pris de peine à gaster mon livre, que moy à le bien traduire. Ce
que voyant, en passant par la noble ville de Lyon, je priay maistre Sebastien Gryphius, excellent homme en l'art de
Imprimerie, d'y vouloir mectre la main, ce qu'il ha faict, et le vous ha imprimé bien correct, et sur la copie de
l'Autheur, lequel vous prie (pour vostre contentement et le sien) si en avez envie d'en lire, de vous arrester à ceulx
cy. Dieu tout puissant soit tousjours vostre garde. De Lyon ce vingtiesme jour d'Octobre M.D.XLI.
L'hystoire de Leander, et de Hero
Muse, dy moy le flambeau, qu'on feit luyre,
Pour les Amours secrettes mieulx conduyre:
Dy moy l'Amant, qui nouant en la mer,
Alloit de nuict les nopces consommer:
Et le nocturne embrassement receu,
Qui d'Aurora ne fut oncq apperceu,
Ne descouvert. Declaire moy au reste
Les murs d'Abide, et la grand' tour de Seste:
Là où Hero par Amour tant osa,
Que Leander de nuict elle espousa.
J'oy Leander desjà nouer, ce semble,
Et flamboyer le flambeau tout ensemble,
Flambeau luysant annonçant la nouvelle
De seure Amour, et qui d'Hero la belle
Toute la nuict la feste decora,
Quan le doulx fruict des nopces savoura.
Flambeau d'Amour, le signal mys expres,
Que Juppiter debvoit planter aupres
Des Astres clers, pour le hault benefice
D'avoir si bien de nuict faict son office,
Et le nommer l'estoille bien heureuse,
Favorisant toute espouse amoureuse,
Car il servit Amour en ses negoces,
Et si saulva cestuy là, qui aux nopces
Alla, et vint, par les undes souvent,
Ains que le fort, et trop malheureux vent
Se fut esmeu. Vien doncq ma Muse, affin
De me chanter le tout jusqu'à la fin:
Qu[i] telle fut, que par ung seul esclandre
Elle estaignit le flambeau, et Leandre.
Seste jadis fust ville frequentée:
Vis à vis d'elle Abide estoit plantée,
Et entredeux flottoyt l'eaue de la Mer.
En ces deux lieux Cupido Dieu d'aymer,
Tira de l'arc une mesme sagette,
Rendant d'un coup à ses flammes subjecte
Une pucelle, et ung adolescent
Nommé Leandre, aggreable entre cent:
Et l'aultre Hero, pucelle desjà meure.
Elle faisoyt en Seste sa demeure,
Luy en Abide. Et furent en leurs ans
Des deux cités les deux astres luysants,
Pareilz entre eulx. Je te supply, Lecteur,
Quand par la Mer seras navigateur,
Fais moy ce bien (si passes là autour)
De t'enquerir d'une certaine Tour,
Là où Hero (ung temps fut) demouroyt
Et des creneaulx à Leandre esclairoit.
De demander mesmement te souvienne
La Mer bruyant d'Abide l'ancienne,
Qui en son bruyt plaint encores bien fort
De Leander et l'Amour, et la mort.
Mais dont advint que Leander estant
En la cité Abidaine habitant,
Fut amoureux d'Hero jeune pucelle,
Jusques à vaincre en fin le cueur d'icelle?
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Hero jadis pleine de bonne grâce,
Née de riche, et de gentille race,
Estoit nonnain à Venus dediée,
Et se tenoit vierge, et non mariée,
En une tour dessus la mer assise,
Où ses parents bien jeune l'avoyent mise
C'estoit de vray une Venus seconde:
Mais si honteuse, et chaste, que le monde
Luy desplaisoyt, et tant s'en absenta,
Qu'oncq l'assemblée aux femmes ne henta.
Et d'advantage aux lieux jamais n'alloit
Où la jeunesse amoureuse balloyt,
Ny aux festins, ny à nopces aulcunes,
En evitant des femmes les rancunes:
Car pour raison des beaultés gracieuses,
Les femmes sont vouluntiers envieuses.
Mais humblement elle faisoit sans cesse
Voeux, et offrandes à Venus la Déesse.
Souvent aussi alloit sacrifier
A Cupido pour le pacifier:
Non moins craignant sa trousse trop amere,
Que le brandon de sa celeste mere:
Mais pour cela ne sceut finablement
Les traictz à feu eviter nullement.
Or estoyent jà les moys, et jour venus,
Que Sestiens celebroyent de Venus
La grande feste, et du bel Adonis.
Là vindrent lors les peuples infinis,
Qui habitoyent les petites, et grandes
Isles d'autour, touts y vindrent par bandes.
Du fond de Cypre, à la cerimonie
Vindrent les ungs, les aultres d'Hemonie.
Femme du monde en toute Cytherée
N'est en faubourg, ne cité demourée
N'y eut danceur, ny aultre demourant
Dessus Lyban, le mont bien odorant,
Ne Phrigien (tant aymast le sejour)
Qui ne courust veoir la feste ce jour.
Tous ceulx d'Abide aux Sestiens voysine,
Touts jouvenceaulx, qu'Amour tient en saisine,
Y sont venuz: car vouluntiers ilz vont
Là, où l'on dit que les festes se font,
Plus pour y veoir des dames les beaultés,
Que pour offrir leurs dons sur les autelz.
Dedans le Temple où se faisoit la feste,
Hero marchoit en gravité honneste,
Rendant partout de sa face amyable
Une splendeur, à touts yeulx aggreable.
Telle blancheur au visaige elle avoit
Que Cynthia, quand lever on la voit:
Car sur le hault des joues paroissoyent
Deux cercles rondz, qui ung peu rougissoyent,
Comme le fond d'une rose naifve,
Meslé de blanche, et rouge couleur vifve.
Vous eussiez dict ce corps tant bien formé
Sembler ung champ, de roses tout semé:
Car par dessus sa blancheur non pareille
La vierge estoit de membres si vermeille,
Qu'en cheminant ses habitz blancs, et longs,
Monstroyent parfoys deux roses aux tallons.
D'elle, au surplus, sortoyent bien apparentes
Grâces sans nombre, et toutes differentes.
Vray est qu'en tout troys Grâces nous sont painctes
Des Anciens: mais ce ne sont que fainctes,
Veu que d'Hero ung chascun oeil friant
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Multiplioyt cent grâces en riant:
Si que Venus (si trop ne me deçoy)
Avoit trouvé nonnain digne de soy.
Ainsi passant de beaulté toutes celles
Qu'on estimoit en son temps les plus belles,
L'humble novice à Venus bien decente
Apparoissoit une Venus recente:
Dont il advint, quand ainsi se monstra,
Qu'aux tendres cueurs des jouvenceaulx entra:
Et n'en fut ung, qui n'eut en son courage
Desir d'avoir Hero par mariage.
Chascun l'admire, et chascun la contemple,
Si qu'en allant çà, et là par le temple,
L'oeil, et le cueur, de touts ceulx qui la veirent
(Où qu'elle alla) tout le jour la suyvirent.
Et ung jeune homme entre aultres estoit là;
Qui en ce point tout esbahy parla:
J'ay plusieurs foys veu Sparte la cité,
Lacedemone ay par tout visité,
Là où on oyt, par maniere d'ebat,
Sur les beaultés chascun jour maint debat:
Mais telle fille encores n'ay je veue,
Qui soit de grâce, et beaulté si pourveue.
Peult estre aussi que Venus en ces places
A faict venir quelcune des trois Grâces.
Certes lassé de regarder je suis,
Mais de la veoir saouller je ne me puis.
Content serois d'estre en terre bouté,
Apres avoir au lict d'Hero monté.
Et Dieu du ciel estre ne vouldroys mye,
L'ayant chés moy pour espouse, et amye.
Helas, Venus, si c'est chose odieuse
Que de toucher à ta religieuse,
A tout le moins avecques moy assemble
Par mariage une, qui luy ressemble.
Ainsi disoyent maintz gracieux, et doulx.
Jeunes amants. Mais ung aultre sur touts
Taisant son mal, hors du sens se jectoit,
Pour la beaulté qui en la vierge estoit.
O Leander, qui tant souffris, si est ce
Qu'apres avoir veu la demy Déesse,
Tu ne vouloys soubs l'aiguillon d'aymer
Couvertement ta vie consommer:
Ainçoys estant à l'improviste attaint
Des traictz chargés d'ung feu qui ne s'estaint,
Tu n'eusses heu du vivre patience,
Sans de la belle avoir experience.
Aux raiz des yeulx creut le brandon plus fort
D'amour cruel, dont par le grand effort
Impetueux de la flambe invincible
Brusloit sans fin le paovre cueur passible.
Aussi beaulté excellente, et bien née,
En femme honneste, et non contaminée,
Aux hommes est plus aigue, et perçante,
Que traict vollant tiré de main puissante.
L'oeil est la voye, et quand frappé se sent,
La playe coule, et droit au cueur descent.
Si devint lors l'amant, dont je vous compte
Ravy, tremblant, tout honteux, et sans honte.
Du cueur trembla, honte le tenoit pris,
Ravy estoit en beaulté de tel pris.
Finablement Amour l'a tant dompté,
Que de honteux le rendit eshonté.
Par Amour doncq, de soy mesme cherchant
A n'avoir honte, il s'en alloit marchant
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Tout pas à pas, et print l'audace apres
De costoyer la vierge d'assez pres:
Puis de travers tourne de bonne grâce
Ses yeulx touts pleins d'amoureuse fallace:
En l'induysant par signes sans mot dire,
A desirer la chose, qu'il desire.
Incontinent qu'elle se veit aymée,
Bien ayse fut se sentant estimée,
Et plusieurs foys tout bellement baissa
Sa belle face, et puis la redressa,
Guignant de l'oeil Leander doulcement,
Qui en son cueur fut aise grandement
De ce qu'Hero son amour entendit,
Et, l'entendant, point ne se deffendit.
Doncques, tandis que son heure opportune
Il espioyt pour suivre sa fortune,
Le clair Soleil vers Occident tiroit,
Et peu à peu sa clarté retiroit,
Si que Vesper on veit de l'autre part,
Qui jà du jour tesmoignoit le depart.
Parquoy voyant le jouvenceau Leandre
De toutes parts les tenebres s'espandre,
Plus hardiment d'elle s'approcher ose,
Et luy serra es doigtz plus blancs que rose
En soupirant: et elle sans mot dire,
Comme en courroux sa main blanche retire.
Des qu'il sentit aux gestes la pensée
D'Hero en bransle, et demy eslancée,
De la tirer print tresbien l'adventure
Par l'ung des plis de sa riche vesture,
La destournant, et la menant adoncq
A l'ung des bouts du temple grand, et long:
Et elle alloit apres luy pas à pas,
Tout lentement, comme ne voulant pas.
Puis de propos feminins l'a tencé,
Disant ainsi: estes vous insensé,
Mon gentil homme? entreprenez vous bien
D'ainsi tirer une fille de bien?
Croyez qu'icy fort mal vous addressez:
Allez ailleurs, et ma robbe laissez,
Que n'esprouviez, à vostre grand dommage,
L'ire, et fureur de mon grand parentage.
Prier d'Amour est chose deffendue
Nonnain, qui s'est vierge à Venus rendue:
Et n'est loisible inventer achoison
D'aller au lict de fille de maison.
Telle parolle aux filles convenable
Tenoit Hero à l'amant bien aymable.
Et quand Leandre eut de la vierge ouy
Le doulx courroux, il fut tout resjouy,
Sentant en elle (à ceste occasion)
Les signes vrays de persuasion:
Car lors que femme à ung amant conteste,
Son contester signe d'amour atteste.
Doncques apres qu'il eut de grand' ardeur
Baisé son col blanc, et de bonne odeur,
Desir d'amour, qui l'aguillonne, et poinct,
Le feit parler à sa Dame en ce poinct.
Chere Venus, apres Venus la gente,
Noble Pallas, apres Pallas prudente,
Je parle ainsi, car trop grandement erre,
Qui t'accompare aux femmes de la terre:
Veu que tu es, à bien te visiter,
Toute semblable aux filles de Juppiter:
Bienheureux est celuy qui te planta,
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Et pleine d'heur, celle qui t'enfanta:
Si te supply, entends à mes clamours,
Et prends pitié des contrainctes d'amours:
Tu te dys fille à Venus consacrée,
Fais doncq cela, qui à Venus aggrée.
Vien vien m'amye, et d'une amour esgalle
Entrons tous deux en sa loy conjugalle:
Ce n'est pas chose aux vierges bien propice
D'administrer à Venus sacrifice.
Venus ne prent aux pucelles plaisir,
Ses vrays statuts, si tu as le desir
De les sçavoir, et ses mysteres dignes,
Ce sont anneaulx, nopces, lictz, et traictable,
Ayme la loy d'amour tant delectable,
Et me reçoy en laissant tous ces voeuz
Pour humble serf, ou mary, si tu veulx:
Serf, que pour toy Cupido a vené
A coups de traicts, poursuivy, et mené,
Usant (helas) en moy de tel effort
Que feit Mercure en Hercules le fort,
Quand le mena soubs sa verge dorée
Servir la nymphe en Lydie honnorée:
Las quant à moy, Venus au beau corsage
M'a rendu tien, non Mercure le sage.
O noble vierge, il ne fault qu'on te dye
D'Athalanta la belle d'Arcadye:
Tu sçais comment en Amour soulager
Ne vouloit pas le beau Meleager,
Pour demourer tousjours vierge obstinée:
Mais au moyen de Venus indignée
Elle devint de luy plus amoureuse
Qu'au paravant ne luy fut rigoreuse.
Pourtant, m'amye, aux choses que j'ay dictes,
Te fault renger, que Venus tu n'irrites.
Ainsi l'amant persuadoit de bouche
La belle Hero encor toute farouche,
Si que les motz tant doulx, qu'ouys elle a,
Feirent son cueur vaciller çà, et là.
La vierge adoncq muette devenue
Sa veuë en terre a longuement tenue,
Cachant sa face, en laquelle luy monte
Le sang vermeil, tesmoignage de honte.
Plus cheminant pensifve se monstroit,
Et sans besoing bien souvent accoustroit
Ses vestemens, touts signes en partie
D'une pucelle à aymer convertie.
Et silence est la promesse accordée
De toute fille, ainsi persuadée.
Or sentoit jà ceste cy les secousses
Et aguillons des amours aigres doulces,
Pource qu'en cueur si noble, et de hault pris,
Facillement le doulx feu s'estoit pris.
Puis esbahye estoit d'aultre costé
Du doulx Leandre, et de sa grand'beaulté.
Doncq ce pendant qu'en la terre ses yeulx
Elle eut fischés, Leander curieux
Et plein d'amour, de veoir n'estoit lassé
Son tendre col, qu'elle tenoit baissé,
Lequel pourtant finablement leva,
Puis, rougissant, ainsi dire elle va:
Je ne croy pas, seigneur, que le pouvoir
Tu n'eusses bien d'une roche esmouvoir
Par tes devis. Qui t'a faict si sçavant
A mectre motz deceptifs en avant?
O paovre moy, et qui t'a incité
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De venir veoir mon pays, et cité?
Si est ce en vain, que m'as propos tenu:
Car veu qu'errant tu es, et incongneu,
Et qu'en toy n'a seureté de fiance,
Comment peulx tu avoir mon alliance?
Nous ne pouvons (pour bien te l'exposer)
Publicquement tous deux nous espouser,
Pource que j'ay mes parents au contraire:
Et quand vouldroys par deçà te retraire,
En te faignant personne fugitive,
Tu ne pourroys cacher l'amour furtive,
Car en tout temps les langues sont amyes
De faulx rapport, et toutes infamyes,
Et ce que faire en secret on pretend,
En plein marché malle bouche l'entend:
Ce neantmoins, je te pry que je sache
D'où tu es né, et ton nom ne me cache.
Si quiers le mien, ne te diray de non.
Sache de vray qu'Hero est mon droict nom,
Et ma maison une tour haulte, et droicte,
Là où j'habite, en menant vie estroicte,
Sans entretien de personne vivante,
Fors seullement d'une simple servante.
Ceste grand' tour devant Seste a son estre
Sur creux rivage, auquel de ma fenestre
Me sont les flotz de la mer apparents:
Tel fut l'advis de mes rudes parents.
Aultres voysins au tour de moy ne hantent,
Ne jeunes gens point n'y dancent, ne chantent,
Mais sans cesser, et de jour, et de nuyct,
La mer venteuse à l'oreille me bruyt.
Adoncq Hero, honteuse de rechef,
Vers son manteau baissa ung peu le chef,
Et en couvrit sa face illustre, et claire,
Pensant en soy, Hero, que veulx tu faire?
De l'aultre part Leander d'ung extreme
Desir qu'il a, consulte avec soymesme
Comme il pourra devenir si heureux
De parvenir au combat amoureux.
Certes amour variable en conseil
Fait playe aux cueurs, puis baille l'appareil,
Et luy, par qui sommes tous surmontés,
Conseille ceulx qu'il a prins, et domptés.
Ainsi feit il, ainsi donna secours
A Leander, qui apres touts discours
Triste, et faisant d'ung vray amant l'office,
Va dire ung mot plein de grand artifice.
Vierge (dit il) tant peu craintif seray,
Que l'aspre mer pour toy je passeray,
Fust ce ung endroict d'innavigable gouffre,
Voyre fust l'eaue bouillante en feu, et souffre:
Je ne crains point la mer desesperée,
S'il fault aller en ta chambre parée:
Et si n'auray frayeur, en escoutant
L'horrible bruyt de la grand' mer flottant:
Ains touts les soirs mouillé sans peur, ne honte,
Nageray nud en la mer Hellesponte:
Car il y a distance assez petite
De la cité Abidaine, où j'habite,
Jusques chés toy: fais moy sans plus ce tour
De me monstrer sur le hault de la Tour
Quelcque lanterne, ou brandon flamboyant
Devers la nuict, affin qu'en le voyant
Je soys d'amour le navire sans voylle,
Ayant sur mer ton flambeau pour estoylle:
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Aussi affin qu'en le voyant ne voye
De Bootes l'occidentale voye,
Ny Orion cruel, et pluvieulx,
Ne le train sec du chariot des cieulx,
Qui de venir me pourroyent bien garder
A ce doulx port, où je veulx aborder.
Mais par sur tout (helas ma chere Dame)
Si tu ne veulx qu'à coup je perde l'âme,
Prends garde aux ventz, vueilles avoir le soing
Que trop esmeuz n'estaignent au besoing
Le cler flambeau conducteur de ma vie:
Si au surplus de sçavoir as envie
Quel est mon nom, Leander je m'appelle,
Mary d'Hero, la gracieuse, et belle.
Ainsi touts deux ordonnoyent le decret
Du mariage, entre eulx clos, et secret:
Et de garde tout l'ordre taciturne,
Servant au faict de l'amytié nocturne,
Dont le flambeau seroit seul tesmoignage,
En promectant tout d'ung mesme courage,
Elle, de faire esclairer le brandon,
Luy de se mectre en l'eaue à l'abandon.
Puis confirmants la nuict des espousailles
Par ung baiser donné en fiensailles,
Force leur fut à regret, et envis)
Se separer, et rompre leur devis:
Si s'en alla Hero en sa tour haulte,
Et Leander (affin que par sa faulte
Ne s'esgarast de nuict à son retour)
Marquoit de l'oeil le chemin de la tour,
Et navigeoit vers Abyde tendant.
Pensez en vous quantesfoys ce pendant
Ont desiré touts deux l'heure propice
D'entrer au lict d'amoureux exercice.
Or avoit jà la nuict d'eulx attendue
Sa robbe noyre en l'air toute estendue,
Et les humains rendoit par tout dormants,
Fors Leander le plus beau des amants,
Qui sur le bort de la mer pour nager
Attend pied coy le luysant messager
De ses amours, et guette de ce pas
Le luminaire, et feu de son trespas,
Lequel luy doibt monstrer par signes
Le droict chemin des nopces clandestines.
Si tost qu'Hero veit que la nuict umbreuse
Noyrcie estoit d'obscurté tenebreuse,
Soigneusement comme elle avoit promys,
A le flambeau en evidence mys,
Qui ne fut pas plus subit allumé,
Que Leander ne fut tout enflammé
Du feu d'amour, si que son cueur ravy
Et le flambeau s'allumoyent à l'envy:
Bien est il vray, qu'oyant les sons horribles
Que font en mer ces grands undes terribles,
Il eut en soy frayeur de prime face,
Mais peu à peu prenant cueur, et audace,
Pour s'asseurer parloit tout seul ainsi:
Amour est dur, la mer cruelle aussi,
Ung bien y a, ce n'est qu'eaue en la mer,
Et dedans moy ce n'est que feu d'aymer.
Sus doncq mon cueur, prends le feu de ta part,
Et ne crains l'eaue, qui en la mer s'espart:
A ce coup fault qu'en amours me secondes:
De quoy crains tu les vagues, et les undes,
O cueur d'amant? N'as tu pas congnoissance
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Que Venus print des undes sa naissance?
Et qu'elle a force, et domination
Dessus la mer, et sur l'affection
Qui nous conduict? Mys à fin ce propos,
Il despouilla ses membres bien dispos,
Et des deux mains ses habitz deliés
Autour du col a serrés, et liés:
Puis s'esloignant du bort un peu en çà,
D'ung sault de course en la mer se lança,
Tirant tousjours vers la clere lanterne:
Et tellement en la mer se gouverne
Que luy tout seul navigant vers sa Dame
Estoit la nef, son passeur, et sa rame.
Hero tandis, qui des creneaulx esclaire,
De son manteau couvroit la lampe claire,
Quand s'eslevoit quelcque nuysible vent,
Et la garda d'estaindre bien souvent,
Jusques à tant que Leander passé
Au port de Seste arriva tout lassé,
Et que la vierge, en sa Tour haulte, et forte,
Le feit monter. Mais sachez qu'à la porte
Elle embrassa d'amour, et d'aise pleine
Son cher espoux, quasi tout hors d'aleine,
Ayant encor ses blancs cheveulx mouillés,
Touts degoutants, et d'escume souillés:
Lors le mena dedans son cabinet,
Et quand son corps eut essuyé bien net,
D'huylle rosat bien odorant l'oignit,
Et de la mer la senteur estaignit.
En ung lict hault adoncques il se couche,
Et elle aupres, qui sa vermeille bouche
Ouvrit ainsi, parlant à son espoux,
Auquel encor bien fort battoit le poux:
Amy, tu as beaulcoup de travail prins,
Plus qu'aultre espoux n'en a oncq entreprins:
Amy, tu as de travail prins beaulcoup,
Assez te doibs contenter pour ung coup
De l'eaue sallée, et de l'odeur maulvaise
De la marine: or te mects à ton aise,
Et en mon sein (cher amy, qui tant vaulx)
Ensepvelys tes labeurs, et travaulx.
Leandre adoncq la centure impollue,
Qu'elle portoit, soubdain lui a tollue
D'autour du corps, et entrarent touts nuds
Aux sainctes loix de la doulce Venus.
Helas c'estoyent des nopces, mais sans dances:
C'estoit ung lict, mais lict sans accordances
D'hymnes chantés: nul Poëte on n'y vyt,
Qui du sacré mariage escripvyt:
Cierge beneit aulcun n'y fut posé,
Pour illustrer le lict de l'espousée:
Là menestriers ne sonnarent aulbades:
Là balladins ne jectarent gambades:
Chants nuptiaulx point n'y furent chantés
Par les amys, et les deux parentés:
Ainçoys à l'heure à coucher disposée
Silence feit le lict de l'espousée:
Et l'ornement, et principalle cure
De ceste feste, estoit la nuict obscure:
Si qu'Aurora, qui le monde embellit,
Ne veit jamais couché dedans ce lict
Le marié: car sans jour, et sans guyde,
Tous les matins repassoit vers Abyde,
Insatiable, et plein d'ardant desir,
De retourner au nocturne plaisir.
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Quant à Hero, pour si seurement faire
Que ses parents ne congneussent l'affaire,
Tousjours d'habit de nonnain se vestoit,
Et de jour vierge, et de nuict femme estoit.
O quantes foys le beau jour evident
Ont souhaité descendre en Occident!
Ainsi leur grande amytié conduisoyent,
Et en plaisir secret se deduisoyent.
Mais peu vescu ont en ceste maniere,
Et peu jouy de l'Amour mariniere:
Car des que vint le bruyneulx yver,
Voicy les vents touts esmeuz arriver,
Qui esbranloyent les fondements profonds
De l'eau debile: et battoyent jusqu'au fonds,
Faisant mouvoir d'orage horriblement
Toute la mer çà, et là tellement
Que les Nochers fuyants les eaux irées
Avoyent aux ports leurs voyles retirées.
Mais le fort vent, ne l'Yver, ne l'orage
N'espouventa jamais ton fort courage,
O Leander. Ains la lampe allumée
Dessus la Tour à l'heure accoustumée
Te donna cueur d'entrer en la marine
Par ce dur temps, la faulse, et la maligne.
Helas Hero de bon sens despourveuë
Debvoit l'Yver se passer de la veuë
De son Amy, sans plus faire reluire
Le brandon prest à ses plaisirs destruire.
Mais destinée à son malheur la meine,
Si faict Amour: car de son plaisir pleine,
Mit sur la Tour le flambeau, sans propos,
Non plus flambeau d'Amour, mais d'Atropos.
Or estoit nuict, quand les ventz vehements
Par merveilleux, et divers soufflements
Poussants l'ung l'aultre en mer se remuarent,
Et pesle mesle en fureur se ruarent
Sur le rivage: à celle maulvaise heure,
Le paovre amant, que faulx espoir asseure
D'aller encor aux ordinaires nopces,
Estoit porté des bruyantes, et grosses
Vagues de mer. Jà les undes ensemble
S'entrebatoyent: l'eau sallée s'assemble
Tout en ung mont: les flotz sont jusqu'aux cieulx:
La terre esmeue est des vents en touts lieux
Par leur combat: Car Boreas se vire
Contre Notus, Eurus contre Zephyre,
Si que l'orage en mer bruyante espars
Inevitable estoit de toutes pars.
Leander alors, qui maulx intolerables
Avoit souffert des undes implacables,
Prioit Venus de luy estre opportune,
Prioit Thetis, se vouoit à Neptune,
Et n'oublia de dire à Boreas,
O Aquilon, qui tant labouré as
Au faict d'Amour pour la pucelle Attique,
Entends à moy: mais nul Dieu aquatique
A son prier n'a l'oreille inclinée,
Et n'a l'Amour sceu vaicre destinée:
Car tout rompu de ceste impetueuse
Esmotion de la Mer fluctueuse,
Aux jambes eut les puissances debiles,
Ses bras mouvants devindrent immobiles,
Et en sa gorge entroit avec l'escume
Grand' quantité d'eau pleine d'amertume.
Finablement le vent par sa rudesse
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Estaindre vint la lanterne traytresse
Avec la vie, et l'ardante amytié
De Leander digne de grand'pitié.
Tandis Hero avoit ses beaulx yeulx verts
Toujours au guet, vigilants, et ouverts,
Et lors sur piedz pleurant, pensant, resvant,
La miserable en sa face levant,
Va veoir du jour la claire estoille Aurore,
Et ne voyt point son cher espoux encore.
Parquoy estant jà estainct le flambeau,
Deçà, delà, jecta son oeil tant beau
Sur le grand dos de la mer, pour sçavoir
Si son Amy navigant pourra veoir:
Mais (las) si tost qu'elle eut jecté sa veuë
Encontre bas, la paovre despourveuë
Va veoir au pied de la Tour desciré
Contre les rocs son Amy desiré.
Dont par fureur rompit son vestement
Au tour du sein: puis tout subitement,
Jectant ung cry de personne insensée,
Du hault en bas de la Tour s'est lancée.
Ainsi Hero mourut le cueur marry
D'avoir veu mort Leander son mary:
Et apres mort, qui Amants desassemble,
Se sont encor touts deux trouvés ensemble.
FIN.
LA MORT N'Y MORD.

Trois colloques d'Erasme traduictz de Latin en François par Clement Marot

I Colloque intitulé Abbatis et Eruditae


Au lecteur
Qui le sçavoir d'Erasme vouldra veoir,
Et de Marot la ryme ensemble avoir,
Lise cestuy colloque tant bien faict,
Car c'est d'Erasme de Marot le faict.
Entendz (Lecteur) que ce colloque,
Qui est d'un Abbé ignorant,
Duquel une femme se moque,
Religion ne met à neant:
Mais l'abus un peu descouvrant,
Des gens sçavants l'honneur ne touche.
Ainsi l'entends en le lisant.
Si sera morveux si se mouche.
Colloque de l'Abbé et de la femme sçavante
Interlocuteurs:
L'Abbé, et Ysabeau
L'Abbé - Quel mesnage, dame Usabeau,
Voy-je ceans?
Ysabeau - N'est-il pas beau?
L'Abbé - Je ne sçay quel beau, mais vraiment
Il ne sied pas fort proprement
A fille ne femme.
Ysabeau - Pouquoy?
L'Abbé - Pource qu'en ce lieu de requoy
Tout est plein de livres.
Ysabeau - Tant mieulx:
Et dea, vous qui estes si vieux,
Abbé nourry en seigneurie,
Veistes vous jamais librarie
Chés les grands dames?
L'Abbé - Si ay si,
Tout en beau François: mais ceux cy
Ce sont livres Latins, et Grecz.
Ysabeau - J'entends bien, ilz vous sont aigretz:
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Mais dictes moy en conscience,
N'apprend on sagesse, ou science,
Qu'en livres François seulement?
L'Abbé - Cela n'appartient nullement
Qu'à princesse de hault affaire:
Quand elles ne sçavent que faire,
Pour recreer un peu leurs âmes.
Ysabeau - Et n'appartient il qu'aux grands dames
De sçavoir, et de vivre à l'aise?
L'Abbé - Or escoutons, ne vous desplaise,
C'est mal accouplé, ce me semble,
Vivre à l'aise, et sçavoir ensemble.
Aux femmes n'appartient sçavoir,
Et est aux princesses d'avoir
Leur plaisir, et à l'aise vivre.
Ysabeau - Il fault que l'assault je vous livre.
Dictes moy, n'appartien il point
A chascun de venir au poinct
De bien vivre?
L'Abbé - Je croy qu'ouy.
Ysabeau - Et venez çà, povre esblouy,
Doy-je dire aveugle, qui est ce
Qui peult vivre en aise et liesse
Sans vivre bien?
L'Abbé - Mais je demande
Qui peult vivre en liesse grande
En vivant bien?
Ysabeau - Par ainsi doncques,
Vous approuvez tous ceux quiconques
Vivent d'une vie mauvaise,
Pourveu qu'ilz vivent à leur aise:
Ne faictes pas?
L'Abbé - Je cuyde moy,
Que ceux qui vivent sans esmoy,
Et à plaisir vivent tresbien.
Ysabeau - Mais ce tant grand plaisir, ou bien,
Vient il des choses de dehors,
Ou de l'esprit?
L'Abbé - Il ne vient, fors
De ce que je sens et saveure,
Ou que je voy.
Ysabeau - Je vous asseure
Que ne vous estes destourbé:
Et estes un subtil Abbé,
Mais un treslourdault philosophe.
Respondez moy, de quel estophe
Est le grand aise? à vostre advis,
Où le prenez vous?
L'Abbé - En convis,
A boire et dormir tant qu'on peult,
A faire tout ce que l'on veult,
En argent, honneur, tout cela.
Ysabeau - Et si dieu en ces chose là
D'adventure avoit mis science,
Et ce beau don de sapience,
En vivriez vous moins plaisamment?
L'Abbé - Qu'appelez vous premierement
Sapience? à fin qu'on le sçache.
Ysabeau - Chose dont vous ne tenez tache:
C'est à sçavoir cognoistre en somme
Que la felicité de l'homme
Ne gist fors qu'aux biens de l'esprit,
Et que tout le bien qui perit,
Comme argent, honneur, noble race,
Ne le rend (sauve vostre grâce)
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Plus heureux, ne meilleur aussi.
L'Abbé - C'est le moindre de mon soucy
Que ceste sapience.
Ysabeau - Voire:
Or ça, pourriez vous jamais croire,
Que je sens plus d'aise, et grand heur,
A lire quelque bon autheur
Moral, naturel, ou divin,
Que vous à boire de bon vin,
Ou jouer quand on a disné?
Que vous en semble, Dominé?
Ne vis-ja pas en grands esbas?
L'Abbé - Quant à moy, je n'en voy pas,
Sans mentir.
Ysabeau - Je ne m'enquiers point
Qui vous delecte, ou qui vous point,
Mais de ce qui doibt delecter.
L'Abbé - Je ne vouldrois pour alecter
Mes moines dispos et delivres
Ordinairement en ces livres:
C'est bien livré.
Ysabeau - Et mon mary,
Tant s'en fault qu'il en soit marry,
Qu'il m'en aime mille fois mieulx:
Pourquoy, en voz religieux,
Les livres doncques n'aprovez?
L'Abbé - Je les en ay tousjours trouvez
Moins obeissans la moitié,
Et si hardis que c'est pitié
A me respondre: ils me repliquent
D'un tas de decrets,qu'ilz expliquent:
De sainct Pierre et sainct Matthieu
Et de sainct Paul.
Ysabeau - Ho de par Dieu:
Vous leur commandez donc de lire
Choses qui peuvent contredire
A sainct Pierre et Paul l'Apostre?
L'Abbé - Par mon âme, sauve la vostre,
Je ne sçay quelle doctrine ilz ont,
Mais je hay les moines qui sont
Repliquans, et vouldroye n'avoir
Moine qui eust plus de sçavoir
Que j'en ay.
Ysabeau - Pour y obvier,
Il ne fault rien qu'estudier
Si bien que soyez fort sçavant.
L'Abbé - Je n'ay loisir mettre en avant
Toutes ces choses.
Ysabeau - La raison?
L'Abbé - Pour autant qu'en nulle saison
N'y puis vacquer.
Ysabeau - Quoy nostre maistre?
Ne pouvez vous vacquer à estre
Prudent, et sage?
L'Abbé - Ma foy non.
Ysabeau - Vous n'en aurez donc point le nom:
Et qui vous garde d'y entendre?
L'Abbé - Tout plain de soing, qu'il me fault prendre
Pour ma maison, faire la court,
Mon service qui n'est pas court,
Chevaulx, chiens, oyseaulx, choses telles.
Ysabeau - Ces choses là vous semblent elles
Meilleures, que devenir sage?
L'Abbé - Que voulez vous? c'est un usage
Que nous avons.
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Ysabeau - Je vous demande:
Si vous aviez vertu si grande
De muer les corps, et les testes,
De vous et voz moines en bestes,
Les feriez vous pas estre veaux,
Et vous cheval?
L'Abbé - Quels motz nouveaux!
Non vrayement.
Ysabeau - Si seroit ce bien
Pour garder qu'ilz ne fussent rien
Plus que vous, en faisant ainsi.
L'Abbé - Je n'aurois pas trop grand soucy
Quelz animaux fussent les moynes,
Ne les curés, ne les chanoines,
Pourveu qu'homme je fusse.
Ysabeau - Somme,
Vous pensez donc celuy estre homme
Qui n'est sage, et n'y veult pourvoir.
L'Abbé - Je suis, si le voulez sçavoir,
Pour moy assez sage et heureux.
Ysabeau - Sy sont bien les pourceaux pour eux
En leur qualité.
L'Abbé - Par mon âme,
Vous estes une estrange Dame,
Et me semblez une sophiste.
Ysabeau - Par ma foy, monsieur le buliste,
Ce que me semblez ne diray:
Mais bien je vous demanderay
Pourquoy mes livres faschent tant
A vostre veue.
L'Abbé - Pour autant
Que la quenoille, et le fuseau,
Sont armes de femmes.
Ysabeau - Tout beau:
La femme ne doibt elle point
Gouverner sa maison à ponct,
Instruire ses enfants?
L'Abbé - Si faict.
Ysabeau - Et pensez vous qu'un tel effect
Se puisse mener sans prudence?
L'Abbé - Nenny vrayement, comme je pense.
Ysabeau - A fin qu'adverty en soyez
Les livres que vous me voyez
Me font telle chose cognoistre.
L'Abbé - On voit tous les jours en mon cloistre
Soixante et quatre moines vivre,
Toutesfois, au diable le livre
Qu'en leur chambre encor on a veu.
Ysabeau - A ce compte, c'est bien proveu
A voz moines de bonne sorte.
L'Abbé - Quant des livres, je vous supporte,
Mais non latiner.
Ysabeau - Voicy rage:
Pourquoy?
L'Abbé - Pource que tel langage
Aux femmes n'est pas bien seant.
Ysabeau - Ne respondez point pour neant:
Raison?
L'Abbé - A tout bien regarder,
Cela sert bien peu à garder
Leur chasteté.
Ysabeau - Doncques les songes,
Les fables, et sottes mensonges
Des romans ont proprieté
De garder nostre chasteté:
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N'ont pas?
L'Abbé - Ce n'est pas tout.
Ysabeau - Là donc,
Dictes hardiment tout du long,
Sans rien obmettre.
L'Abbé - Toutes femmes
Qui craignent tomber en diffames,
En si grand danger ne seront
Des prestres, quand point ne sçauront
Parler Latin.
Ysabeau - En bonne foy
Le moindre danger que j'y voy,
C'est cestuy là: car du Latin
Vous travaillez soir et matin
A rien n'en sçavoir, dieu mercy.
L'Abbé - La commune l'estime ainsi
Que je le vous ay recité,
Par ce qu'il n'est pas usité,
Ne commun, qu'une femme ou fille
Sçaiche tant, ne qu'elle babille
Latin, ne gros, ny elegant.
Ysabeau - Pourquoy m'allez vous allegant
La commune, qui est le pire
Autheur que vous me sçauriez dire
Pour faire bien? et d'advantage,
Pourquoy m'alleguez vous l'usage,
Et la coustume qui s'oppose
Tousjours à faire bonne chose?
Aux bonnes choses conviendroit
S'accoustumer: lors adviendroit
Qu'on verroit la chose en usance,
Qui estoit hors d'accoustumance,
Ce qui estoit amer à tous,
Seroit d'un chascun trouvé doux:
Ce qui semble laid si long temps
Seroit fort beau.
L'Abbé - Je vous entends.
Ysabeau - Par vostre foy, je vous demande:
Siet il mal à une Allemande
Sçavoir François?
L'Abbé - Non.
Ysabeau - Raison quelle?
L'Abbé - Et que sçay-je, moy, à fin qu'elle
Parle aux François, ou leur responde.
Di-je pas bien?
Ysabeau - Le mieux du monde.
Pourquoy donc me venez reprendre
Si le Latin je veux apprendre,
Pour parler avec tant d'autheurs
Sages, sçavans, consolateurs,
Tant bien disans, tant bien vueillans,
Et en tout si bien conseillans
Ceux qui les lisent?
L'Abbé - Je vous jure
Que de ces livres la lecture
Diminue merveilleusement
A la femme l'entendement:
Avec ce qu'elles n'en ont gueres,
Et qu'elles sont un peu legieres
Du cerveau.
Ysabeau - De dire combien
Vous en avez, je n'en sçay rien:
Si peu que j'en ay toutesfois,
J'aimerois mieulx cent mille fois
L'user en quelque bonne estude,
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Qu'en une grande multitude
D'oraisons, sans cueur barbotées,
Qu'en jambons ou en tostées
Toutes nuictz apres qu'estes yvres.
L'Abbé - La frequentation des livres,
Pour vray engendre frenaisie.
Ysabeau - Voicy estrange fantasie,
Les propos de tous ces beuveurs
Que vous avez, buffons, baveurs,
Vous font ilz frenatique?
L'Abbé - Moy?
Mais bien me mettent hors d'esmoy,
Et d'ennuy, c'est bien le contraire.
Ysabeau - Comment donc se pourroit il faire
Que si honnestes deviseurs
Que mes livres, tant beaux diseurs,
Me feissent nuysance?
L'Abbé - On le dict.
Ysabeau - Ce qu'on en voit y contredict:
Combien des vostres voit on plus,
A qui le jeu des detz, ou flus,
Le long veiller, les beuveries,
Ont engendré des resveries,
Et des fureurs?
L'Abbé - Ma foy, ma dame,
Si ne vouldrois je point de femme
Qui de sçavoir eust le degré.
Ysabeau - Et je me sçay un tresbon gré
D'avoir un homme pour espoux
Qui est tout different à vous:
Car la science qu'ay apprise
Faict que d'advantage il me prise,
Et que je l'ayme beaucoup mieux.
L'Abbé - Quand j'y pense, je deviens vieux.
Ysabeau - A quoy?
L'Abbé - A la peine qu'on prend,
Quand les sciences on apprend.
Puis fault mourir.
Ysabeau - He, grosse teste,
Aimeriez vous mieux mourir beste,
Si demain vous passiez le pas,
Que de mourir sçavant?
L'Abbé - Non pas.
Pourveu que je n'eusse jamais.
Peine d'apprendre.
Ysabeau - Voire, mais
Sans peine au monde nul ne peult
Attaindre à rien de ce qu'il veult:
Encor tout ce qui est acquis,
Tant soit il à grand peine quis,
En mourrant il fault qu'on le lasche.
Pourquoy donc est ce qu'il vous fasche
De prendre quelque peu de peine,
Pour chose tant noble et certaine,
Et dont le fruict à l'autre vie
Nous accompaigne?
L'Abbé - J'ay envie
De dire, qu'en commun langage
Nous disons une femme sage
Folle deux fois.
Ysabeau - Certainement,
Cela se dict communement
Par les folz: mais quoy, nostre maistre?
La bien sage ne le peult estre:
Et celle qui faict son arrest
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D'estre bien sage et point ne l'est,
Est folle deux fois.
L'Abbé - Mais d'où vient
Qu'aux femmes aussi mal advient
Science, qu'un bast à un beuf?
Ysabeau - Entendez vous un bast tout neuf?
Croyez, dominé Abbaté,
Qu'au beuf sied mieux d'estre basté,
Qu'à un asne de porter mitre.
Que tient on en vostre chapitre
De la vierge mere?
L'Abbé - J'en tien,
Quant à moy, ce qu'un bon chrestien
Doibt tenir.
Ysabeau - Elle ne lisoit
Donc jamais livres?
L'Abbé - Si faisoit:
Mais sans doubte, elle ne leut oncques
En ces livres icy.
Ysabeau - En quoy doncques?
Je ne l'ay encor apprins d'âme.
L'Abbé - En ses heures de nostre Dame,
Devotement.
Ysabeau - Voicy bon homme:
Et à quel usage?
L'Abbé - De Rome,
Comme je croy.
Ysabeau - Paule, et Eustoche,
Femmes aimant Dieu, et leur proche,
Ne feurent elles pas expertes
En la saincte escripture?
L'Abbé - Certes.
Aujourd'huy nous n'en voyons point,
Au moins bien peu.
Ysabeau - Tout en ce poinct,
C'estoit jadis chose bien rare,
Que de veoir un abbé ignare:
Aujourd'huy il est si commun,
Que cent mille, aussi bien comme un,
Se trouveront: jadis les princes,
Roys, Cesars, et chefz de provinces,
N'estoyent moins exquis en sçavoir
Qu'en armes, puissance, et avoir:
Et n'est encores ceste chose
Si rare comme l'on propose:
Aux Itales, et en Espaigne,
Aujourd'huy, voir [en] Allemaigne,
Force femmes se trouveront,
Qui au plus clercs disputeront:
En Angleterre sont encore
Les filles du chancelier More:
En France tenons pour Minerve
La seur du roy, que dieu conserve:
Et aux lettres fort on y prise
Les nobles filles de Soubize:
Et si garde à vous ne prenez,
Il adviendra qu'à vostre nez
Aux escolles presideront,
En pleine esglise prescheront,
Et auront voz mitres et crosses.
L'Abbé - Dieu nous gard de pertes si grosses,
Toutefois.
Ysabeau - Que dieu vous en garde?
C'est à vous à y prendre garde:
Car si tenez tousjours ces voyes,
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A prescher se mettront les oyes
Plustost qu'elles ne vous souffrent estre
Pasteurs, sans vos brebis repaistre.
Vous voyez quel est le danger
La force du monde changer:
Son personage quitter fault
Au beau milieu de l'eschaufault,
Ou que de faict, ou de parolle,
Chascun sçache jouer son rolle.
Le temps vient, l'affaire est pressé.
L'Abbé - Quel grand diable m'a adressé
A ceste femme? en bonne foy,
Si jamais chez nous je vous voy,
Plus gracieux nous vous serons.
Ysabeau - Et comme quoy?
L'Abbé - Nous danserons,
Banqueterons, irons chasser,
Pour vous faire le temps passer,
Et si jamais vous veistes rire,
Nous rirons bien.
Ysabeau - Vrayement, beau sire,
J'ay prou de quoy rire en ce lieu,
Sans allez là.
L'Abbé - Adieu.
Ysabeau - Adieu.
FIN.

II Colloque intitulé Virgo


Au Lecteur François
Amy Lecteur, sois adverty,
Qu'au Latin n'a rien d'advantage
Que ce qui est icy verty
Par Marot, en nostre langage.
Colloque de la vierge mesprisant mariage
Interlocuteurs: Clement, et Catherine
Clement - Bien aise suis de voir la fin
Du soupper (Catherine), à fin
D'aller se pourmener ensemble:
Car, veu la saison, il me semble
Qu'il n'est chose plus delectable.
Catherine - Je vieillissois aussi à table:
Et si m'ennuyois d'estre assise.
Clement - Qu'il faict beau temps, quand je m'advise:
Voyez, voyez, tout à la ronde,
Comment le monde rit au monde,
Aussi est il en sa jeunesse.
Catherine - Vous dictes vray.
Clement - Et pour quoy est-ce
Que vostre printemps, çà et là,
Ne rit aussi?
Catherine - Pourquoy cela?
Clement - Pource que vous n'estes pas bien gaye,
A mon gré.
Catherine - Paroist-il que j'aye
Autre visage que le mien
Accoustumé?
Clement - Voulez vous bien,
Sans que vostre oeil soit esblouy,
Que je vous monstre à vous?
Catherine - Ouy.
Clement - Voyez vous bien là ceste rose,
Qui s'est toute retraicte et close
Vers le soir?
Catherine - Je la voy. Et puis:
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Vous voulez dire que je suis
Ainsi decheue?
Clement - Toute telle.
Catherine - La comparaison est plus belle
Que propre.
Clement - Si ne m'en croyez,
Mirez vous bien, et vous voyez
En ce ruisseau: mais dictes moy
Pourquoy avec si grand esmoy
Durant le souper souspiriez?
Catherine - Il ne fault que vous enqueriez
De chose qui aucunement
Ne vous touche.
Clement - Mais grandement:
Car quand vous estes en soucy,
Je suis tout fasché: qu'est cecy?
Vous souspirez encor, ma dame:
Comme il vient du profond de l'âme,
Ce souspir là!
Catherine - Sans point mentir,
J'ay qui au cueur se faict sentir:
Mais le dire n'est pas bien seur.
Clement - A moy qui vous tiens pour ma seur,
Non, non, Catherine m'amie,
N'ayez ne crainte, ne demye,
Dictes moy tout sans rien obmettre:
Car à seurté vous povez mettre
Vostre secret en ces oreilles,
Tant soit il grand.
Catherine - Voicy merveilles.
Peult estre quand vous le sçaurez,
Aucune puissance n'aurez
De m'y servir.
Clement - On vous orra.
Et qui par effect ne pourra
Vous secourir, peult estre, au fort,
Qu'on vous servira de confort
Ou de conseil.
Catherine - J'ay la pepie.
Clement - D'où vient cecy? suis je une espie?
Ou ne m'aymez vous point autant
Que vous souliez?
Catherine - Je vous hay tant
Que j'ay moins cher mon propre frere:
Et toutesfois mon cueur differe
D'en dire rien.
Clement - Vous estes fine,
Venez çà, si je le devine,
Le confesserez vous adonc?
Vous reculez, promettez donc:
Ou j'importuneray sans fin.
Catherine - C'est vous mesme qui estes fin.
Or sus, puis que promettre fault.
Clement - Tout premier, rien ne vous deffault,
Que je voy, en felicité.
Catherine - Pleust à dieu que la verité
Vous en dissiez.
Clement - Quant à vostre age,
Vous estes en la fleur, et gage:
Que le plus de voz ans ne monte
Qu'à dix et sept.
Catherine - Non.
Clement - A ce compte,
Je croy que la peur de vieillesse
Ne vous met pas en grand tristesse?
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Catherine - Nenny.
Clement - On voit de tous costez
En vous cent parfaictes beaultez,
Grands dons de dieu.
Catherine - Je vous affie,
Que ne me plains, ny glorifie
De beauté, quelle qu'elle soit.
Clement - Apres, assez on aperçoit
Que n'avez maladie aucune,
Si non qu'il y en eust quelqu'une
Qu'on ne voit point.
Catherine - Là, dieu mercy,
Je n'ay rien eu jusques icy
De mal caché.
Clement - Quant au renom,
Il n'est point mal.
Catherine - Je croy que non.
Clement - Puis vous avez, je suis records,
Un esprit digne de ce corps:
Voire tel, sur ma conscience,
Que pour moy, en toute science,
Je le vouldrois.
Catherine - S'il y en a,
Il vient de dieu, qui le donna:
Et en loue sa bonté haulte.
Clement - Au reste, vous n'avez point faulte
De ceste bonne grâce exquise,
Laquelle est tousjours tant requise
En la beaulté.
Catherine - Je vous asseure
Que je vouldrois bien estre seure
D'avoir bonnes meurs.
Clement - Au surplus,
Il n'est rien qui abaisse plus
Beaucoup de cueurs, que povre race.
Mais dieu vous a fait cette grâce
D'estre issue de bons parens,
Bien nais, riches et apparens,
Et qui vous aiment.
Catherine - Je n'en doubte.
Clement - Que diray plus? voyez qu'en toute
Ceste ville, je ne voy point
Fille qui me vient mieulx à poinct,
Ne que pour moy si tost j'esleusse,
S'il plaisoit à dieu que je l'eusse
Pour femme.
Catherine - Aussi pour espoux
Je n'en vouldrois autre que vous,
Si c'estoit à moy à choisir:
Et que j'eusse quelque desir
De mariage.
Clement - Il fault bien dire
Que le regret qui vous martyre
Soit un grand cas.
Catherine - Pour abreger,
Il n'est pas du tout si leger
Comme l'on diroit bien.
Clement - Or sus,
Si je vous metz le doigt dessus,
Ne vous en fascherez jà?
Catherine - Je vous l'ay accordé desjà:
Besongnez.
Clement - Sans mentir, je sçay,
Et de faict j'en ay faict l'essay,
Combien le mal d'amour tourmente:
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C'est vostre douleur vehemente,
Confessez, vous l'avez promis.
Catherine - Je confesse qu'amour a mis
En mon cueur l'ennuy que je porte:
Mais non pas amour de la sorte
De celle que vous entendez.
Clement - Si plus grand clerc ne me rendez,
Garde n'ay que plus en devine.
Quelle amour est-ce?
Catherine - Amour divine.
Clement - Brief, quand dix ans je penserois,
Plus deviner je ne sçaurois:
Mais vostre bouche le dira,
Ou ceste main ne partira
Jamais de la mienne.
Catherine - Quel homme:
Vous me pressez si fort, comme
S'il vous touchoit.
Clement - Or quelque chose
Qui soit en vostre cueur enclose,
Mettez la hardiment icy.
Catherine - Puis que vous m'efforcez ainsi,
Je la diray. Quasi de l'age
D'enfance me vint en courage
Une affection si tres grande.
Clement - Et de quoy?
Catherine - D'estre de la bande
Des vierges sacrées.
Clement - Comment,
D'estre moinesse?
Catherine - Justement.
Clement - Hem, c'est prendre bran pour farine.
Catherine - Que dictes vous?
Clement - Rien, Catherine,
Je toussois: dictes à loisir.
Catherine - Mes parens, à ce mien desir,
N'ont jamais faict que resister.
Clement - Et vous?
Catherine: - Et moy de persister.
Et de prieres et de larmes
Leur donnois souvent force alarmes
Pour les gaigner.
Clement - Et eux que feirent?
Catherine - Finablement, apres qu'ilz veirent
Que je ne cessois de prier,
De requerir, pleurer, crier,
Ilz s'amollirent, promettans:
Des que j'aurois dix et sept ans,
De faire à mon intention,
Pourveu que ma devotion
Continuast: or suis je au terme
Et mon vouloir est tousjours ferme.
Toutesfois parens et amis,
Contre tout ce que m'ont promis,
Me refusent cela que tant
Jour et nuict me va contristant.
Je vous ay dict ma maladie:
Si povez, faictes que je die
Que j'ay trouvé un medecin.
Clement - Vierge plus blonde qu'un bassin,
Tout premier conseillier vous veux
Que voz affections et voeux
Vous moderez: et si contente
L'on ne vous faict de vostre attente,
D'en prendre ennuy ne vous jouez:
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Mais vouez ce que vous pouvez
Pour le plus seur.
Catherine - Morte je suis,
Si je n'ay ce que je poursuis,
Voire bien tost.
Clement - Mais voirement,
D'où prinstes vous premierement
Ce mortel desir?
Catherine - Une fois
Que guere d'age je n'avois,
En un couvent on nous mena
De nonnains: on nous pourmena,
On nous monstra là toutes choses.
Ces nonnains, fresches comme roses,
Me plaisoient, et me sembloient anges.
Tout reluisoit jusques aux franges
En leur eglise: leurs preaux
Et jardins estoient si tres beaux:
Quand tout est dit, en tous les lieux
Où je voulois tourner les yeux
Tout me rioit: sur ce venoyent
Mille propos, que nous tenoyent
Ces nonnains en leur doulx langage.
J'en trouvay là deux de mon age:
Et avec qui je m'esbatois,
Du temps que petite j'estois.
De ce temps là, sans point mentir,
Commença mon cueur à sentir
Le desir d'une telle vie.
Clement - De rien condemner n'ay envie:
Si est ce qu'à toutes personnes
Toutes choses ne sont pas bonnes.
Et veu la gentille nature,
Laquelle en vous je conjecture
Tant par les meurs que par la face,
Il me semble, sauf vostre grâce,
Que devriez prendre pour espoux
Quelque beau filz, pareil à vous:
Et instituer bien et beau
Chez vous un couvent tout nouveau
Dont vous serez la mere abbesse,
Et luy l'Abbé.
Catherine - Quoy? que je laisse
Le propos de virginité?
Plustost mourir.
Clement - En verité,
Virginité grand chose vault,
Pourveu qu'elle soit comme il fault.
Mais pour cela n'est jà mestier
Qu'entriez en cloistre ne monstier,
D'où ne puissiez sortir apres.
Vous pouvez vivre vierge, au pres
De pere et mere.
Catherine - Il est ainsi.
Mais non trop seurement aussi.
Clement - Dictes vous? mais le plus souvent
Plus a seurté qu'en un couvent:
Parmy ces diables de porceaux
De moines, remplis de morceaux.
Il fault que tant de moy tenez,
Qu'ils ne sont chatrez, ne sanez,
Et tous nuds ressemblent un homme.
Tout par tout pere on les nomme:
Et, de faict, plusieurs fois advient
Que ce nom tresbien leur convient.
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Les vierges de cueur pur et munde,
Au temps passé, en lieu du monde
Plus honnestement ne vivoyent
Qu'avec leurs parens: et n'avoyent
Que l'evesque pour leur beau pere.
Mais nommez moy le monastere,
Je vous pry, que vous voulez prendre
Pour en servitude vous rendre
A jamais?
Catherine - Celuy de Tempert.
Clement - N'est ce pas celuy qui appert
Sur la montaigne, par delà
Le bois de vostre pere?
Catherine - Là.
Clement - Je cognois toute la mesnie
De leans: quelle compagnie!
Elle merite bien, pensez,
Que pour elle vous delaissez
Voz parens si bons et honnestes.
Quant au prieur, sur toutes bestes
Je la vous plevy la plus sotte:
Il y a six ans qu'il radotte
D'age, et d'ivrongnerie extreme:
Et a deux compagnons de mesme,
Frere Jehan, et frere Gervais:
Frere Jehan n'est pas trop mauvais,
Mais au reste il n'y a rien d'homme,
Fors seulement la barbe: somme,
Il n'a sçavoir ne cerveau.
Et frere Gervais est si beau,
De contenance si badine,
Que sans le froc sacré, et digne
Qui couvre tout, il troteroit
Parmy la ville, et porteroit
Le beau chaperon à oreilles,
Et les deux sonnettes pareilles,
Publiquement.
Catherine - Ilz sont tant doux.
Clement - Si les congnois-je mieux que vous.
Mais ilz sont, j'entends bien le cas,
Vers vos parens voz advocats,
Pour vous faire estre leur novice.
Catherine - Frere Jehan m'y faict du service:
Et est mon grand solliciteur,
Je le sçay bien.
Clement - Quel serviteur!
Or prenons qu'ilz soyent maintenant
Doctes, et bons à l'advenant
Pour cest affaire: des demain,
En moins que de tourner la main,
Sotz, et mauvais se trouveront:
Et telz que baillez vous seront
Vous les fault recevoir et prendre
Pour tout jamais.
Catherine - Il fault entendre
Que souvent on faict des banquetz
Chés nous, où l'on tient des caquetz
Qui m'offensent, et scandalisent:
Car tousjours les propos que disent
Ces mariez par vanité
Ne sentent pas virginité:
Et par fois, dont faschée suis,
Le baiser refuser ne puis
Honnestement.
Clement - Qui fuir veult
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Tout ce qui offenser le peult,
Quant et quant se face inhumer.
L'oreille doibt s'accoustumer
A ouyr toutes choses dire:
Prendre le bon, laisser le pire,
Pour le meilleur: et d'autre part,
Je croy que vous avez à part
Vostre chambre chés vostre pere.
Catherine - Ouy dea.
Clement - Si on delibere
De faire quelque gros banquet,
Tandis qu'ilz tiendront leur caquet,
Tenez vous en vostre chambrette,
Et en devotion secrette
Avec dieu là devisez,
Psalmodiez, priez, lisez,
Louez sa bonté eternelle.
Ainsi la maison paternelle
Ne vous fera brin de souilleure,
Mais bien vous la rendrez meilleure
Et plus nette, ma bonne seur.
Catherine - Si est-il toutesfois plus seur
Parmy les vierges se trouver.
Clement - Je ne veux certes reprouver
La compagnie chaste, et honneste,
Mais gardez bien qu'en vostre teste
Vous n'ayez une impression
De faulse imagination:
Quand un temps y aurez esté,
Et bien veu d'un chascun costé,
Peult estre que toutes les choses
Entre les murailles encloses,
Et lesquelles vos yeulz y veirent,
Ne vous riront comme elles feirent.
Toutes celles qui voiles ont,
Et m'en croyez, vierges ne sont.
Catherine - Voilà bons motz!
Clement - Bons et notables
Sont les motz qui sont veritables:
Sinon qu'à maintes du chapitre
Soit permis de prendre le tiltre
De Marie, mere pucelle:
A celle fin qu'on les appelle
Vierges apres l'enfantement.
Catherine - Vous parleriez bien autrement
Si vous vouliez.
Clement - Propos final:
Souvent tout n'est pas virginal
Parmy ces Vierges.
Catherine - Non, beau sire,
Et pourquoy?
Clement - Je le vous voys dire:
Pource que parmy ces pucelles
Se trouvent grand nombre de celles
Qui de meurs resemblent Sapho,
Plus que d'entendement.
Catherine - Ho, ho,
Quel jargon, je ne l'entends point.
Clement - Aussi l'ay je dit tout à poinct,
A fin que ne fut entendu.
Catherine - Or voilà, mon cueur est rendu
A ce desir: il fault bien dire
Que l'esprit qu'à ce me tire
Vient de dieu, puis qu'il continue
Depuis tant d'ans que m'a tenue:
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Et ne faict que croistre et m'attraire
De jour en jour.
Clement - Mais au contraire,
Cest esprit là suspect me semble:
Veu que tous voz parens ensemble
Fuyent à ce que vous desirez.
Et eussent esté inspirez,
Si vostre desir fust de dieu.
Mais la plaisance de ce lieu,
Que vous vistes petite fille,
Des nonnains la doulce babille,
Leur habit sainct, le chant d'icelles,
Leurs ceremonies tant belles,
Voilà l'esprit qui attira
Vostre cueur, et qui l'inspira:
Avec les caphardes parolles
De ces moines à testes folles,
Qui vous chevalent pour leur bien,
Et pour dringuer, ilz sçavent bien
Que vostre pere est homme large:
A soupper l'auront, à la charge
Qu'il portera du vin assez
Pour dix buveurs maistres passez:
Ou bien chés luy en iront boire.
Parquoy, si vous m'en voulez croire,
Rien contre le gré ne ferez
De pere et mere: et penserez
Que dieu veult que soubz leur puissance
Demouriez en obeissance.
Songez y bien.
Catherine - En tel affaire
C'est chose saincte de ne faire
Compte de ses parens.
Clement - Sans faincte,
Pour Jesus Christ c'est chose saincte
N'obeir à pere ne mere.
Au contraire, c'est chose amere
Les mespriser, en autre endroict:
Car un filz chretien qui vouldroit
De malle fain laisser mourir
(J'entends si le peult secourir)
Son pere idolâtre ou ethnicque,
Il seroit un vray filz inique.
Mais si vous n'avez le baptesme,
Et la mere ou le pere mesme
Vous veulent garder de le prendre,
Lors à eulx ne devez entendre:
Ou s'ilz vous vouloient mettre en teste
De faire chose deshonneste,
Alors pourriez, en verité,
Contemner leur authorité.
Mais qu'a besoin tout ce mistere
De couvent ne de monastere?
Vous avez en toute saison
Jesus Christ en vostre maison.
D'avantage, ainsi que je trouve,
Nature dict, et Dieu approuve,
Sainct Paul remonstre fort et ferme,
Et la loy humaine conferme,
Qu'enfans obeir sont tenus
Aux peres dont ilz sont venuz.
Voulez vous de dessoubz les mains
De vos parens doux et humains
Vous retirer et faire change
D'un vray pere à un pere estrange?
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Et la propre mere tant chere
Permuter à une estrangere?
Ou, pour mieulx dire, voulez vous
Pour des parens benings, et doulx,
Des maistres, et maistresses rudes?
Et acheter les servitudes,
Vous qui meritez qu'on vous serve?
Certes, charité Chrestienne
Rompt toute coustume ancienne:
D'esclaves, et serfs qu'on avoit,
Fors que les marques on en voit
Encor en quelque region.
Mais soubz nom de religion,
Ce monde fol, en son cerveau,
A trouvé un genre nouveau
De servitude: on n'y permet
Sinon ce que la reigle y met.
Quelque bien qu'on vous donne, et baille,
C'est au prouffit de la canaille.
Trois pas allez vous pourmener,
Soudain vous feront retourner,
Comme si la fuite aviez prise
Pour avoir vostre mere occise.
Et, afin qu'on congnoisse mieulx
La servitude desdictz lieux:
Il fault qu'elle soit despouillée,
La robbe des parens baillée:
Et à la mode qu'on traictoit
Jadis les serfz qu'on achetoit,
Ilz changent, qui est grand mespris,
Le nom qu'au baptesme on a pris:
De sorte que pour Pierre ou Blaise,
Fault avoir nom Jehan, ou Nicaise.
Jacqus aura des qu'il fut né
A Jesus Christ son nom donné,
Et quand cordelier se rendra,
Le nom de François il prendra.
Souldard qui laisse la livrée
Que son seigneur luy a livrée
Semble renoncer à son maistre.
Et sainct homme nous pensons estre,
Celuy qui une robbe vest,
Laquelle Jesus Christ, qui est
Seigneur de tout, point ne luy donne:
Et s'il despouille et abandonne
L'habit que d'ailleurs il a pris,
Il en sera plus fort repris
Que s'il laissoit, par griefve offense,
La blanche robbe d'innocence
Qu'il eut de Jesus Christ, son Roy
Catherine - Certes on dict, et je le croy,
Que c'est chose de grand merite,
Si quelqu'un sa liberté quitte,
Et en tel servage se boute
De son gré.
Clement - Cela vient sans doubte
De Pharisaïque doctrine:
Sainct Paul, au rebours, endoctrine
Que qui est franc s'y doibt tenir,
Sans point vouloir serf devenir:
Mais plustot qu'on se delibere
De devenir franc et libere.
Et ce qui rend plus malheureuse
Ceste servitude fascheuse,
Il vous fault servir plusieur maistres,
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Souvent grosses bestes champestres,
Bien souvent trop long temps tenuz:
Aucunesfois nouveaux venuz.
Or çà, est-il loy ny usance
Qui vous mettre hors la puissance
Eh hors des droictz de pere et mere?
Catherine - Nenny.
Clement - Et venez çà, commere,
Povez vous donc, oultre leur gré,
Vendre ou acheter champ ou pré
Qui soit de leur bien?
Catherine - Rien quelconques.
Clement - Qui vous baille ceste loy doncques
De vous livrer en main estrange?
Veu que pere et mere à ce change
Ne veulent consentir à rien.
N'estes vous pas leur propre bien
Et leur chere possession?
Catherine - La foy et la devotion
Font cesser toute loy humaine.
Clement - Le faict de la loy se demaine
Ailleurs, et principalement
Au baptesme: icy seulement
N'est question que de changer
D'accoustremens, et se ranger
Par une extraordinaire envie
A ne sçay quel genre de vie,
Qui n'est bon ne mauvais de soy.
Je suis marry quand j'apperçoy
Combien avec la liberté
Vous perdrez de commodité.
Maintenant il vous est licite,
Dedans vostre chambre petite,
Lire à part vous, estudier,
Faire oraison, psalmodier,
Quant, et autant qu'il vous plaira:
Et des qu'il vous y faschera,
Vous pouvez ouyr les cantiques,
Et hymnes ecclesiastiques:
Au service divin aller,
De Dieu en chaire ouyr parler,
Ou bien si quelque fille ou dame
Qui soit bonne de corps et d'âme
Vous trouvez, ou homme sçavant,
Ilz vous pourront mettre en avant
Cent bons propos, desquelz à l'heure
Vous pourrez devenir meilleure
Et pourrez eslire, ou chercher,
Homme qui sçache bien prescher
Jesus Christ sans capharderie.
Si une fois en moynerie
Vous entrez, perdre vous convient
Ces choses là, desquelles vient
Un grand prouffit quant à la foy.
Catherine - Mais tandis à ce que je voy,
Je ne seray point nonnain.
Clement - Non?
Et si serez, puis que ce nom
Vous plaist si fort, et audience.
Elles s'enflent d'obedience:
Et vous n'avez, vous, pas cest heur
D'obeir à vostre pasteur,
Et aux parens, comme est escript
En la reigle de Jesus Christ?
Quant à pouvreté qu'elles vouent,
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Et dont tant s'estiment, et louent,
Ne l'avez vous, quand tous voz biens,
Vos parens les ont, et vous rien?
Toutesfois les vierges vouées,
Jadis estoyent sur tout louées
Des doctes, et des sainctes gens,
De subvenir aux indigens,
Selon la fortune et l'affaire,
Ce qu'elles n'eussent pas sceu faire
Si leur bien eussent rejecté.
Au reste, quant à chasteté,
La vôtre n'empirera point
A vostre maison: par ce point
Vous voilà nonnain, autant vault.
Dictes moy que c'est que s'en fault?
Un certain voile, une chemise
Qui dessus la robbe soit mise,
En lieu que dessoubz on la porte,
Et des mines de mainte sorte,
Qui de soy ne font valoir mieulx
La personne, devant les yeulx
De Dieu, qui nostre cueur regarde?
Catherine - Vous me comptez, quand j'y prends garde,
Choses estranges et nouvelles.
Clement - Je dy choses vrayes, et belles,
Et de raison.
Catherine - Certes: si est-ce
Qu'au cueur jamais n'auray liesse,
Si sans espoir on m'interdict
Religion.
Clement - Voilà bien dict:
Promistes vous pas au Baptesme
Religion?
Catherine - Si feis.
Clement - Et mesme
Tous ceux qui soubz Jesus Christ vivent
Et ses commandements ensuyvent,
Ne sont ils point religieux?
Catherine - Si sont.
Clement - Je suis fort envieux
De sçavoir donc, comment s'appelle
Ceste religion nouvelle,
Qui rend ainsi de nul effect
Ce que loy de nature a faict,
Ce qu'enseigne la loy antique,
Et ce qu'apprend l'evangelique,
Et l'apostolque conferme.
Ce decret là, tant soit il ferme,
De dieu n'est faict, ny approuvé:
Mais par les moines controuvé.
A ce propos plusieurs se trouvent
Qui les mariages approuvent
Des jeunes gens, lesquels s'attachent
Sans que pere et mere le sçachent:
Voire malgré eulx plusieurs fois.
Raison humaine toutesfois,
Ne les loix les plus anciennes,
Ne Moïse dedans les siennes,
Ne l'evangile, ne canon,
Ne tient cela.
Catherine - Je croy que non.
Pource donc voulez proposer
Que je ne sçaurois espouser
Jesus Christ, s'il ne vient à plaire
A mes parens?
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Clement - Je vous declaire
Que desjà espousé l'avez
Quand tous par luy fusmes lavez
Au baptesme: et qui est l'espouse
Qui deux fois un mary espouse?
Il n'est question seulement
Que du lieu, de l'habilement,
Des ceremonies ensemble.
Pour cela ne fault, ce me semble,
Pere et mere ainsi mespriser.
Et puis il fault bien adviser
Qu'en voulant encor entreprendre
De Jesus Christ pour mary prendre,
A d'autre ne vous mariez.
Catherine - A les ecouter vous diriez
Qu'on ne peult plus sainctement faire,
Que ne tenir à cest affaire
Conte de parens ne tuteurs.
Clement - Priez doncques ces beaux docteurs
Qu'aux saincts escriptz ils vous en treuvent
Quelque passage: et s'ils ne peuvent,
Commandez leur de boire un voirre
Du bon vin de Beaune, ou d'Auxerre,
Ilz pourront bien faire cela.
Quand ses parens on laisse là
Infideles, pour Jesus suyvre,
Cela c'est son salut poursuyvre.
Mais ses parens Chrestiens quitter,
Pour en moyenerie habiter
(Qui est souvent, et j'en responds,
Pour les mauvais laisser les bons:)
Quelle devotion peult ce estre?
Encore ceux que le bon maistre
Jesus Christ aviot convertis
A la foy du temps des Gentilz,
Estoyent tenus par tous moyens
Servir à leur pere et parens,
Autant comme il se povoit faire,
Sans la loy Chrestienne forfaire.
Catherine - Vous tenez doncques pour mauvais
Cest ordre de vivre?
Clement - Non fais.
Mais tout ainsi qu'aux enserrées,
Et qui du tout s'y sont fourrées,
Je ne vouldrois persuader
D'en sortir hors, ne d'evader:
Ainsi, sans scrupule ny doubte,
Puis conseiller à fille toute,
Mesme de gentille nature,
De n'entrer point à l'adventure
En lieu d'où ne puisse sortir.
De ce vous puis bien advertir:
Veu mesmes que le plus souvent
Virginité en un couvent
Plustot qu'ailleurs est en danger,
Et que sans vostre habit changer,
Povez faire autant d'oeuvres bonnes
Au logis, comme font les nonnes
En leur couvent.
Catherine - Voz argumens
Sont infinis et vehemens:
Toutesfois de ce mien desir
Ne se peult mon cueur dessaisir,
Et j'en suis là.
Clement - Et bien m'amie,
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Si attirer je ne puis mie
Vostre volunté à la mienne,
A tout le moins qu'il vous souvienne
Des propos tenuz en ce lieu.
Ce temps pendant je prie à dieu
Que l'affection desireuse
Que vous avez, soit plus heureuse
Que mon conseil n'a pas esté:
De n'avoir sceu estre accepté.
Fin du Colloque.

III Colloque de la vierge repentie


Interlocuteurs: Clement, et Catherine
Clement - Catherine, à ce que j'entends,
N'a pas esté nonnain long temps.
Je m'en vois frapper à sa porte
Pour sçavoir comme tout se porte.
Hola, hau!
Catherine - Entrez!
Clement - Je vouldrois
Rencontrer en beaucoup d'endroictz
De telz portiers que cestuy cy.
Catherine - Et moy de telz heurteur aussi.
Clement - Adieu Catherine.
Catherine - Comment?
Dit on adieu premierement
Que saluer?
Clement - Je ne suis pas
En ce lieu couru le grand pas
Pour vous veoir ainsi larmoyans.
D'où vient cela que me voians
Voz yeulx ont esté espleurez?
Catherine - Mais où fuyez vous? demeurez,
Je prendray ung autre visaige.
Clement - Quel oiseau de mauvais presaige
Voy je là, qui jaze en crieur
De vieulx drappeaulx?
Catherine - C'est le prieur
De ce couvent que vous sçavez:
Je vous prie, si haste n'avez,
Ne bougez, et m'en vueillez croyre.
Ilz s'en vont achever de boyre.
Seez vous un peu ici pres.
Il s'en va tantost, et apres
Nous en deviserons tous deux
A nostre mode.
Clement - Je le veulx,
Et vous obeyray de faict:
Ce qu'à moy vous n'avez pas faict.
Or nous voicy seulletz. Là doncq,
Comptez la fable tout du long:
Elle me semblera meilleure
De vostre main.
Catherine - Je vous asseure
Qu'entre tant d'amys que congnoys,
Et que bien prudents je tenoys,
Je n'ai point eu conseil plus saige
Que de vous, le plus jeune d'aage
De toute la troupe.
Clement - Or me dictes
Comment fut ce que vous vainquistes
De voz parens l'affection.
Catherine - Tout premier, l'exhortacion
Des moynes et religieuses
Et mes requestes gracieuses
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Rengeoient ma mere à se rendre:
Mon pere n'y vouloit entendre
En sorte du monde. A la fin
Fort contre fort, fin contre fin,
Bien assailly, bien debattu,
Le bon homme fut abbatu
Et dit oy, en se sentant
Plustost forcé que consentant:
Car, en demenant ce propos
Entre les verres et les potz,
Ilz menassoient ce povre pere
De malle mort et vitupere,
S'il refusoit à Jesus Christ
Son espouze.
Clement - Est il antechrist
Plus malin que ces badins là?
Ainsi, m'amye?
Catherine - On me cela
En la maison durant troys jours.
Ce temps pendant j'avoys tousjours
Aupres de moy quatre converses,
Qui par flateries diverses
Me venoient encore inciter
De tousjours au veu persister,
Fort soigneuses et diligentes
Que mes compaignes ou parentes
Ne vinsent mon propos changer.
Elles craignoient fort ce danger,
Tandis que mon cas s'apprestoit
Et ordre au banquet on metoit,
Le jour solempnel actendant.
Clement - Et que faisiez vous ce pendant?
Le cueur, de lyesse banny,
Ne vacilloit il poinct?
Catherine - Nany.
Mais j'enduray ung si horrible
Je ne sçay quoy, qu'il n'est possible
Qu'encore ce mal je sceusse avoir
Sans mourir.
Clement - Sçauroit on sçavoir
Quelle chose c'est?
Catherine - Je n'oy goute.
Clement - Ce que vous me direz sans doubte,
C'est autant que sur l'eaue expire.
Catherine - N'yra il point plus loin?
Clement - Tant dire!
Avant que l'eussiez demandé,
Cela estoit tout accordé:
Voycy lieu et heure opportune
Pour dire tout.
Catherine - Il m'advint une
Vision horrible, et estrange.
Clement - Bref, c'estoit vostre mauvais ange
Qui en la teste vous mectoit
D'estre moynesse.
Catherine - Non estoit,
Et croy, par ma foy, mon amy,
Que c'estoit plustost l'enemy
D'enfer.
Clement - Deschiffrez moy sa forme:
Estoit il point ainsi difforme
Comme on les paint? mufle de beste,
Deux grandes cornes sur la teste,
Piedz de griffon, yeulx eraillez,
Longue queue?
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Catherine - Vous vous raillez.
Si est ce que j'aymeroys mieulx
En bone foy n'avoir point d'yeulx
Que veoir encor tel' vision.
Clement - Aviez vous pour provision,
A l'heure, voz admonesteuses?
Catherine - Neny, et jamais les flateuses
N'en sceurent rien sçavoir, combien
Qu'elles me pressoient tres bien,
Quand me trouverent, de leur dire
Pourquoy j'estoys en tel martire,
Et si troublée.
Clement - Voulez vous
Que je vous declare en deux coups
Que c'estoit?
Catherine - Ouy, si voyez
Que ce puissiez faire!
Clement - Croyez
Que ces femmes qui vous tenterent,
Tout le cerveau vous enchanterent
De leurs propos. Mais ce pendant,
Vous vous alliez tousjours rendant,
Et persistiez?
Catherine - Par ma foy, voire,
Car elles me faisoyent acroyre
Que telles choses advenoient
A plusieurs, quand ilz se donnoient
A Jesuchrist: mais si mon cueur
Estoit de l'enemy vaincueur
En ce premier assault, qu'apres
Tout yroit bien.
Clement - En quelz apprestz
E[t] pompes fustes vous menée?
Catherine - De mes joyaulx je fuz ornée,
Et me feit-on eschevell[er],
Comme si je m'en deusse aller
En tel estat propre et ydoine
Marier.
Clement - A quelque gros moyne!
Heu! que mauldict[e] soit la toux!
Catherine - A beau plain mydy, devant tous,
Depuis la maison de mon pere,
On me mena au monastere
En cest ordre.
Clement - Sainte Marie,
L'excellente bastellerye!
Et comment, à les bien louer,
Ces bouffons sçavent bien jouer
Leurs sottes farces, pour complaire
Aux yeulx du simple populaire!
Combien de jours, bon gré, mal gré,
Fustes vous en ce sainct sacré
Couvent de vierges?
Catherine - Quasi quinze.
Clement - Vous cuydastes bien estre prinse
Au tresbucher! mais venez çà:
Quelle oraison renversa
Vostre voulloir si endurcy?
Catherine - Cela ne se dit pas ainsi,
Mais estoit bien quelque grant chose.
Six jours apres que fuz enclose,
Ma mere j'envoyay querir,
Et la sceu tres bien requerir
Et plus que prier, si envye
Elle avoit de m'avoir en vye,
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Que hors de là me feist retraire:
Et elle d'aller au contraire,
M'admonestant d'avoir constance.
Mon pere vint apres, qui tanse,
Et en tansant tresbien sçavoit
Me dire que par force avoit
Vaincu les affections siennes,
Et que je vainquisse les miennes,
Sans luy acquerir ce mespris
De laisser l'ordre que j'ay pris.
Oyant cela, je leur denonce
Que s'ilz ne font aultre response,
Et ma langueur ne les remord,
Qu'ilz seront cause de ma mort,
Si qu'ainsi pour vray en yroit
Si bref on ne m'en retiroit.
Cela oy, ils s'estonnerent,
Et au logis me rammenerent
Tout droit.
Clement - O le bien que vous feistes
Quand de si bonne heure sortistes,
Avant qu'avoir fait profession
D'eternelle subgection!
Mais je ne sçay point voirement
Quelle cause si promptement
Changea vostre cueur.
Catherine - Jusqu'à ores
Personne ne l'a sceu encores:
Et de moy point ne le sçaurez.
Clement - Bien estonnée vous serez
Si je devine, et viens au point.
Catherine - Vous ne le devinerez point:
Et quand vous l'aurez devinée,
Rien n'en diray.
Clement - Quelle obstinée!
Si m'en doubté je. Et la dispense?
Catherine - Il a cousté, comme je pense,
A mon pere plus de cent livres
En superfluité de vivres,
Laquelle compter ne pourroye.
Clement - Du cuyr d'aultruy large courroye.
Quelz bouffeurs! Or, pour la pecune,
Je ne m'en soucie d'une prune,
Puis qu'estes sayne et sauve icy.
A tout le moins, apres cecy,
Quand bon conseil escouterez,
S'il vous plaist, mieulx le gousterez
Que n'avez faict.
Catherine - Je le feray,
Et, comme on dit, sage seray
Au retour des platz. On m'appelle:
Adieu vous dy.
Clement - Adieu la belle.
FIN.

Psaumes de David, translatés par Clément Marot


Psal. I04
Psalme chanson je chanteray
A un seul Dieu, tant que seray
Au treschrestien Roy de France, Françoys premier de ce nom, Clement Marot, Salut.
Jà n'est besoing, Roy, qui n'as ton pareil,
Me soucier, ne demander conseil,
A qui je doibs dedier cest ouvrage:
Car (oultre encor, qu'en toy gist mon courage)
Tant est cest oeuvre et Royal, et chrestien,
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Que de soymesme il se dict estre tien:
Qui as par droict de treschrestien le nom,
Et qui es Roy, non de moindre renom
Que cestuy là, qui meu du sainct Esprit,
A le dicter, et le chanter se prit.
Certainement la grande conference
De ta haulteur, avec sa preference
Me monstre au doigt, qu'à toy le dedier,
C'est à son poinct la chose approprier.
Car il fut Roy de prudence vestu:
Et tu es Roy tout orné de vertu.
Dieu le donna aux peuples Hebraicques,
Dieu te debvoit (ce pensé je) aux Gallicques.
Il estoit Roy des siens fort honnoré:
Tu es des tiens (peu s'en fault) adoré.
Fort bien porta ses fortunes adverses:
Fort constamment les tiennes tu renverses.
Sçavoir voulut toutes sciences bonnes:
Et qui est celle, à quoy tu ne t'adonnes?
En Dieu remist et soy, et son affaire:
Tu as tresbien le semblable sceu faire.
Il eut en fin la paix par luy requise:
Tant quise l'as, qu'en fin tu l'as acquise.
Que diray plus? vous estes les deux Roys,
Qui au milieu des Martiaulx destroits
Avez acquis nom d'immortalité:
Et qui durant paix, et tranquillité
L'avez acquis par sciences infuses,
Daignant (touts deux) tant honnorer les Muses,
Que d'employer la mesme forte dextre
Sceptre portant, et aux armes adextre,
A faire escriptz: qui si grand force ont,
Qu'en rien subjectz à la mort ilz ne sont.
O doncq' Roy, prends l'Oeuvre de David,
Oeuvre plus tost de Dieu, qui le ravit,
D'aultant que Dieu son Apollo estoit,
Qui luy en train, et sa harpe mectoit.
Le sainct Esprit estoit sa Calliope:
Son Parnasus montaigne à double croppe
Fut le sommet du hault ciel cristallin.
Finablement son ruysseau Caballin,
De grâce fut la fontaine profonde,
Où à grands traictz il beut de la claire unde:
Dont il devint Poëte en ung moment
Le plus profond dessoubs le firmament:
Car le subject, qui la plume en la main
Prendre luy feit, est bien aultre, qu'humain.
Icy n'est pas l'adventure d'Aenée,
Ne d'Achiles la vie demenée.
Fables n'y sont plaisantes, mensongieres,
Ny des mondains les amours trop legieres.
Ce n'est pas cy le Poëte escrivant
Au gré du corps, à l'Esprit estrivant.
Ses vers divins, ses chansons mesurées
Plaisent (sans plus) aux âmes bien heurées:
Pource, que là trouvent leur doulx Amant
Plus ferme, et cler, que nul vray diamant:
Et que ses faictz, sa bonté, et son pris
Y sont au long recités, et compris.
Icy sont doncq' les louanges escriptes
Du Roy des Roys, du Dieu des exercites:
Icy David le grand Prophete Hebrieu
Nous chante, et dict, quel est ce puissant Dieu,
Qui de Bergier en grand Roy l'erigea,
Et sa houlette en sceptre luy changea.
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Vous y orrez de Dieu la pure Loy
Plus cler sonner qu'argent de fin aloy:
Et y voyrrez, quelz maulx, et biens adviennent
A touts ceulx là, qui la rompent, et tiennent.
Icy sa voix sur les reprouvés tonne,
Et aux esleuz toute asseurance donne,
Estant aux ungs aussi doulx, et traictable,
Qu'aux aultres est terrible, et redoutable.
Icy oyt on l'Esprit de Dieu, qui crie
Dedans David, alors que David prie:
Et faict de luy ne plus ne moins, que faict
De sa musette ung bon joueur parfaict.
CHRIST y voyrrez (par David) figuré,
Et ce qu'il a pour noz maulx enduré:
Voyre mieulx painct (mille ans ains sa venue)
Qu'apres la chose escripte, et advenue,
Ne le paindroyent (qui est cas bien estrange)
Le tien Janet, ne le grand Michel Ange.
Qui bien y lict, à congnoistre il apprend
Soy, et celluy, qui tout voyt, et comprend:
Et si oyrra sur la harpe chanter,
Que d'estre rien, rien ne se peult vanter:
Et qu'il est tout (en ses faicts, quant au reste)
Fort admirable, icy se manifeste:
Soit par l'effect des grands signes monstrés
Aux siens estants par Pharaon oultrés:
Soit par le grand, et merveilleux chef d'oeuvre
Du ciel vousté, qui toutes choses coeuvre:
Ou par le cours, que faict l'obscure nuict:
Et le cler jour, qui par compas la suyt:
Soit par la terre en l'air espars pendue,
Ou par la mer autour d'elle espandue:
Ou par le tour, qui aux deux prend naissance:
Sur quoy il veult, qu'ayons toute puissance,
Nous apprenant à le glorifier,
Et de quel cueur nous fault en luy fier.
O gentilz cueurs, et âmes amoureuses,
S'il en fut oncq, quand serez langoreuses
D'infirmité, prison, peché, soucy,
Perte, ou opprobre, arrestez vous icy.
Espece n'est de tribulation,
Qui n'ayt icy sa consolation:
C'est ung jardin plein d'herbes, et racines,
Où de touts maulx se trouvent medecines.
Quant est de l'art aux muses reservé,
Homere Grec ne l'a mieulx observé.
Descriptions y sont propres, et belles:
D'affections il n'en est point de telles:
Et trouveras (Sire) que sa couronne,
Ne celle là, qui ton chief environne,
N'est mieulx, ne plus de gemmes entournée,
Que son oeuvre est de figures aornée.
Tu trouveras le sens en estre tel,
Qu'il rend là hault son David immortel,
Et immortel çà bas son livre, pource
Que l'Eternel en est premiere source:
Et vouluntiers toutes choses retiennent
Le naturel du lieu, dont elles viennent.
Pas ne fault doncq', qu'aupres de luy Horace
Se mecte en jeu, s'il ne veult perdre grâce:
Car par sus luy volle nostre Poëte,
Comme feroit l'Aigle sus l'Alouëte,
Soit à escripre en beaulx Lyricques vers,
Soit à toucher la Lyre en son divers.
N'a il souvent au doulx son de sa Lyre
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Bien appaisé de Dieu courroucé l'ire?
N'en a il pas souvent de ces bas lieux
Les escoutants ravy jusques aux cieulx?
Et faict cesser de Saül la manie,
Pendant le temps, que duroit l'armonie?
Si Orpheus jadis l'eust entendue,
La sienne il eust à quelcque arbre pendue:
Si Arion l'eust ouy resonner,
Plus de la sienne il n'eust voulu sonner:
Et si Phebus ung coup l'eust escoutée,
La sienne il eust en cent pieces boutée,
Au moins laissé le sonner pour l'ouyr,
Affin d'apprendre, et de se resjouyr,
En luy quictant son Laurier de bon cueur,
Comme en escriptz, et en armes vainqueur.
Or sont en l'air perdus les plaisants sons
De ceste Lyre, et non pas ses chansons:
Dieu a voulu (jusqu'icy) qu'en son Temple
Par ses beaulx vers on le serve, et contemple.
Bien il est vray (comme encore se voit)
Que la rigueur du long temps les avoit
Rendus obscurs, et durs d'intelligence.
Mais tout ainsi, qu'avec diligence
Sont esclaircis par bons esprits rusés
Les escripteaulx des vielz fragments usés:
Ainsi (ô Roy) par les divins esprits,
Qui ont soubs toy Hebrieu langaige appris,
Nous sont jectés les Psalmes en lumiere,
Clers, et au sens de la forme premiere:
Dont apres eulx (si peu, que faire sçay)
T'en ay traduict par maniere d'essay
Trente sans plus, en ton noble langaige,
Te suppliant les recevoir pour gaige
Du residu, qui jà t'est consacré,
Si les veoir touts il te venoit à gré.
FIN

Les trente premiers psalmes de David


mis en Françoys, selon la verité hebraicque, par Clement Marot, valet de chambre du Roy, et corrigés par
l'Autheur, ceste presente année

I
Pseaulme Premier, à deux versetz pour couplet à chanter
Beatus vir qui non abiit.
Argument: Ce pseaulme chante, que ceulx sont bien heureulx, qui regettans les meurs, et le conseil des maulvais,
s'adonnent à congnoistre, et mettre à effect, la Loy de Dieu: et malheureux ceulx, qui font au contraire. Chose
propre pour consoler les bons.
Qui au conseil des malings n'a esté,
Qui n'est au trac des pecheurs arresté,
Qui des mocqueurs au banc place n'a prise:
Mais nuict, et jour, la Loy contemple, et prise
De l'Eternel, et en est desireux:
Certainement cestuy là est heureux.
Et si sera semblable à l'arbrisseau
Planté au long d'ung clair courant ruisseau,
Et qui son fruict en sa saison apporte,
Duquel aussi la fueille ne chet morte:
Si qu'ung tel homme, et tout ce qu'il fera,
Tousjours heureux, et prospere sera.
Pas les pervers n'auront telles vertus:
Ainçoys seront semblables aux festus,
Et à la pouldre au gré du vent chassée.
Parquoy sera leur cause renversée
En jugement, et touts ces reprouvés
Au reng des bons ne seront point trouvés.
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Car l'Eternel les justes congnoist bien,
Et est soingneux et d'eulx, et de leur bien:
Pourtant auront felicité, qui dure.
Et pour aultant qu'il n'a ne soing ne cure
Des mal vivants, le chemin qu'ilz tiendront,
Eulx, et leurs faicts, en ruyne viendront.

II
Pseaulme Second, à deux coupletz differentz de chant, chascun couplet d'ung verset
Quare fremuerunt gentes.
Argument: Icy veoit on comment David, et son royaulme, sont vraye figure, et indubitable prophetie de Jesuchrist,
et de son regne. Pseaulme propre contre les Juifs.
Pourquoy font bruyt, et s'assemblent les gens?
Quelle follie à murmurer les meine?
Pourquoy sont tant les peuples diligens
A mectre sus une entreprise vaine?
Bandez se sont les grands Roys de la terre,
Et les Primats ont bien tant presumé
De conspirer, et vouloir faire guerre
Touts contre Dieu, et son Roy bien aymé:
Disants entre eulx desrompons, et brisons
Touts les lyens dont lyer nous pretendent:
Au loing de nous jectons, et mesprisons
Le joug, lequel mectre sur nous s'attendent.
Mais cestuy là, qui les haultz cieulx habite,
Ne s'en fera que rire de là hault.
Le Toutpuissant de leur façon despite
Se mocquera: car d'eulx il ne luy chault.
Lors s'il luy plaist, parler à eulx viendra
En son courroux (plus qu'aultre espouventable)
Et touts ensemble estonnés les rendra,
En sa faveur terrible, et redoubtable.
Roys, dira il, d'où vient ceste entreprinse?
De mon vray Roy j'ay faict election,
Je l'ay sacré, sa couronne il a prinse
Sur mon tres sainct, et hault [mont] de Sion.
Et je (qui suis le Roy, qui luy ay pleu)
Racompteray sa sentence donnée:
C'est qu'il m'a dict: Tu es mon Filz esleu,
Engendré t'ay ceste heureuse journée.
Demande moy, et pour ton heritage
Subjects à toy touts peuples je rendray:
Et ton Empire aura cest advantage,
Que jusqu'aux bords du monde l'estendray.
Verge de fer en ta main porteras,
Pour les dompter, et les tenir en serre,
Et s'il te plaist, menu les briseras,
Aussi aisé, comme ung vaisseau de terre.
Maintenant donc, ô vous et Roys, et Princes,
Plus entenduz, et sages devenez:
Juges aussi de terres, et provinces,
Instruction à ceste heure prenez.
Du Seigneur Dieu serviteurs rendez vous,
Craignez son ire, et luy vueillez complaire:
Et d'estre à luy vous resjouyssez touts,
Ayants tousjours crainte de luy desplaire.
Faictes hommaige au Filz, qu'il vous envoye,
Que courroucé ne soit amerement:
Affin aussi que de vie, et de voye,
Ne periss[i]ez trop malheureusement.
Car tout acoup son courroux rigoreux
S'embrasera, qu'on ne s'en donra garde.
O combien lors ceulx là seront heureux,
Qui se seront mys en sa saulvegarde!
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III
Pseaulme Troisieme à ung verset pour couplet à chanter
Domine, quid multiplicati sunt?
Argument: David assailly d'une grosse armée, s'estonne du commencement. Puis prend une si grande fiance en
Dieu, qu'apres l'avoir imploré il s'asseure de la victoire. Pseaulme propre pour ung chef de guerre moins bien
acompaigné que son ennemy.
O Seigneur, que de gens
A nuyre diligens:
Qui me troublent, et grievent!
Mon Dieu, que d'ennemys,
Qui aux champs se sont mys,
Et contre moy s'eslevent!
Certes plusieurs j'en voy,
Qui vont disant de moy
Sa force est abolie:
Plus ne trouve en son Dieu
Secours en aulcun lieu:
Mais c'est à eulx follie.
Car tu es mon tres seur
Bouclier, et deffenseur,
Et ma gloire esprouvée:
C'est toy, à brief parler,
Qui fais que puis aller
Hault la test levée.
J'ay crié de ma voix
Au Seigneur maintesfoys,
Luy faisant ma complaincte:
Et ne m'a repoulsé,
Mais toujours exaulcé
De sa Montaigne saincte.
Dont coucher m'en iray,
En seurté dormiray,
Sans craincte de mesgarde:
Puis me resveilleray,
Et sans peur veilleray,
Ayant Dieu pour ma garde.
Cent mil' hommes de front
Craindre ne me feront,
Encor qu'ilz l'entreprinssent,
Et que pour m'estonner,
Clorre, et environner,
De tous costés me vinssent.
Vien doncq', declaire toy
Pour moy mon Dieu, mon Roy,
Qui de buffes renverses
Mes ennemys mordants,
Et qui leur romps les dents
En leurs bouches perverses.
C'est de toy Dieu treshault,
De qui attendre fault
Vray secours, et deffense:
Car sur ton peuple estends
Tousjours en lieu, et temps,
Ta grand' beneficence.

IV
Pseaulme Quatriesme à ung verset pour couplet à chanter
Cum invocarem, exaudivit me.
Argument: En la conspiration d'Abschalom, il invocque Dieu: reprent les princes d'Israel conspirans contre luy, les
appelle à repentance: et conclud qu'il se trouve bien de se fier en Dieu. Pseaulme pour ung prince qu'on veult
deposer de son throsne.
Quand je t'invocque, helas escoute,
O Dieu de ma cause, et raison,
Mon cueur serré, au large boute,
De ta pitié ne me reboute,
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Mais exaulce mon oraison.
Jusques à quand gens inhumaines,
Ma gloire abbatre tascherez?
Jusques à quand emprinses vaines,
Sans fruict, et d'abusion pleines
Aymerez vous, et chercherez?
Sachez, puis qu'il le convient dire,
Que Dieu pour son Roy gracieux
Entre touts m'a voulu eslire:
Et si à luy crie, et souspire,
Il m'entendra de ses haults cieulx.
Tremblez doncques de telle chose,
Sans plus contre son vueil pecher:
Pensez en vous ce que propose,
Dessus voz licts, en chambre close,
Et cessez de plus me fascher.
Puis offrez juste sacrifice,
De cueur contrict, bien humblement,
Pour repentance d'ung tel vice:
Mectant au Seigneur Dieu propice
Voz fiancés entierement.
Plusieurs gens disent, qui sera ce,
Qui nous fera veoir force biens?
O Seigneur, par ta saincte grâce,
Vueilles la clarté de ta face
Eslever sur moy, et les miens.
Car plus de joye m'est donnée
Par ce moyen (ô Dieu tres hault)
Que n'ont ceulx qui ont grand' année
De froument, et bonne vinée,
D'huyles, et tout ce qu'il leur fault.
Si qu'en paix, et en seurté bonne
Coucheray, et reposeray.
Car Seigneur, ta bonté l'ordonne:
Et elle seulle espoir me donne,
Que seur, et seul regnant seray.

V
Pseaulme Cinquiesme à ung verset pour couplet à chanter
Verba mea auribus percipe.
Argument: David en exil ayant beaucoup souffert, et s'attendant souffrir d'advantaige, par les flatteurs qui estoient
autour de Saül, dresse sa priere à Dieu, puis se console, quand il pense que le Seigneur a tousjours les maulvais
en hayne, et qu'il favorise les bons. Pseaulme propre contre les calumniateurs.
Aux parolles que je veulx dire,
Plaise toy l'oreille prester,
Et à congnoistre t'arrester
Pourquoy mon cueur pense, et souspire,
Souverain Sire.
Entends à la voix tres ardante
De ma clameur mon Dieu, mon Roy,
Veu que tant seullement à toy
Ma supplication presente
J'offre, et presente.
Matin devant que jour il face,
S'il te plaist, tu m'exaulceras:
Car bien matin prié seras
De moy, levant au ciel la face,
Attendant grâce
Tu es le vray Dieu, qui meschance
N'aymes point, ne malignité:
Et avec qui (en verité)
Malfaicteurs n'auront accointance,
Ne demourance.
Jamais le fol, et temeraire
N'ose apparoir devant tes yeulx:
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Car tousjours te sont odieux
Ceulx, qui prennent plaisir à faire
Maulvais affaire.
Ta fureur pert, et extermine
Finablement touts les menteurs.
Quant aux meurtriers, et decepteurs,
Celluy qui terre, et ciel domine
Les abomine.
Mais moy, en la grand' bonté mainte,
Laquelle m'as faict savourer,
Iray encores t'adorer
En ton Temple, en ta maison saincte,
Dessoubs ta crainte.
Mon Dieu, guide moy, et convoye
Par ta bonté, que ne soys mys
Soubs la main de mes ennemys:
Et dresse devant moy ta voye,
Que ne forvoye.
Leur bouche rien de vray n'ameine,
Leur cueur est feint, faulx, et couvert,
Leur gosier ung sepulchre ouvert:
De flatterie faulse, et vaine
Leur langue est pleine.
O Dieu, monstre leur qu'ilz mesprennent:
Ce qu'ilz pensent faire deffaicts:
Chasse les, pour leurs grands meffaicts:
Car c'est contre toy qu'ilz se prennent,
Tant entreprennent!
Et que touts ceulx se resjouyssent,
Qui en toy ont espoir, et foy:
Joye auront sans fin dessoubs toy,
Avec ceulx qui ton Nom cherissent,
Et te beneissent.
Car de bien faire tu es large
A l'homme juste, ô vray Saulveur,
Et le couvres de ta faveur,
Tout ainsi comme d'une targe
Espesse, et large.

VI
Pseaulme Sixiesme, à ung verset pour couplet à chanter
Domine, ne in furore tuo arguas me.
Argument: David malade à l'extremité, a horreur de la mort, desire avant que mourir, glorifier encores le nom de
Dieu: puis tout acoup se resjouyt de sa convalescence, et de la honte de ceulx qui s'attendent à sa mort. Pseaulme
propre pour les malades.
Ne vueilles pas, ô Sire,
Me reprendre en ton ire,
Moy, qui t'ay irrité:
N'en ta fureur terrible
Me punir de l'horrible
Tourment, qu'ay merité.
Ains, Seigneur, vien estendre
Sur moy ta pitié tendre,
Car malade me sens.
Santé doncques me donne:
Car mon grand mal estonne
Touts mes os, et mes sens.
Et mon Esprit se trouble
Grandement, et au double,
En extreme soucy.
O Seigneur plein de grâce,
Jusques à quand sera ce,
Que me lairras ainsi?
Helas, Sire, retourne:
D'entour de moy destourne
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Ce merveilleux esmoy.
Certes grande est ma faulte,
Mais, par ta bonté haulte,
De mourir garde moy.
Car en la mort cruelle
Il n'est de toy nouvelle,
Memoire, ne renom.
Qui penses tu, qui die,
Qui loue,et psalmodie
En la fosse ton Nom?
Toute nuict tant travaille,
Que lict, chalit, et paille,
En pleurs je fays noyer:
Et en eau' goutte à goutte
S'en va ma couche toute,
Par si fort larmoyer.
Mon oeil pleurant sans cesse
De despit, et destresse,
En ung grand trouble est mys:
Il est envieilly d'ire,
De veoir entour moy rire
Mes plus grands ennemys.
Sus, sus, arriere iniques,
Deslogez tyranniques,
De moy touts à la foys:
Car le Dieu debonnaire
De ma plaincte ordinaire
A bien ouy la voix.
Le Seigneur en arriere
N'a point mys ma priere,
Exaulcé m'a des cieulx:
Receu a ma demande
Et ce que luy demande
Accordé m'a, et mieulx.
Doncques honteux deviennent
Et pour vaincuz se tiennent
Mes adversaires touts.
Que chascun d'eulx s'eslongne
Subit, en grand' vergongne,
Puis que Dieu m'est si doulx.

VII
Pseaulme Septiesme à ung verset pour couplet à chanter
Domine Deus meus in te speravi.
Argument: Il prie d'estre preservé de la grande persecution de Saül, mect en avant son innocence, requiert le
royaulme à luy promis, et confusion à ses adversaires. Finalement, il chante qu'ilz periront de leurs propres glaives,
et en loue Dieu. Pseaulme pour ung prince qui en guerre a le droit pour soy.
Mon Dieu, j'ay en toy esperance:
Donne moy donc saulve asseurance
De tant d'ennemys inhumains,
Et fays, que ne tombe en leurs mains:
Affin que leur chef ne me gripe,
Et ne me desrompe, et dissipe,
Ainsi qu'ung Lyon devorant,
Sans que nul me soit secourant.
Mon Dieu, sur qui je me repose,
Si j'ay commys ce qu'il propose,
Si de luy faire ay projecté,
De ma main, tour de lascheté:
Si mal pour mal j'ay voulu faire
A cest ingrat, mais au contraire,
Si faict ne luy ay tour d'Amy,
Quoy qu'à tort me soit ennemy:
Je veulx, qu'il me poursuyve en guerre,
Qu'il m'attaigne, et rue par terre,
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Soit de ma vye ruyneur,
Et mecte à neant mon honneur.
Leve toy donc, leve toy Sire
Sur mes ennemys en ton ire,
Veille pour moy, que je soys mys
Au droit, lequel tu m'a promys.
A grands trouppeaulx le peuple vienne
Autour de la Majesté tienne:
Soys pour la cause de nous deux
Hault eslevé au milieu d'eulx.
Là des peuples Dieu sera Juge.
Et alors, mon Dieu, mon refuge,
Juge moy en mon equité,
Et selon mon integrité.
La malice aux malings consomme
Et soustien le droict, et juste homme,
Toy juste Dieu, qui jusqu'au fons
Sondes les cueurs maulvais, et bons.
C'est Dieu, qui est mon asseurance,
Et mon pavoys: j'ay esperance
En luy, qui garde, et faict vainqueur
Ung chascun, qui est droict de cueur.
Dieu est le Juge veritable
De celluy qui est equitable,
Et de celluy, semblablement,
Qui l'irrite journellement.
Si celluy, qui tasche à me nuire
Ne se veult changer, et reduire,
Dieu viendra son glaive aguiser,
Et bander son arc, pour viser.
Desjà le grand Dieu des alarmes
Luy prepare mortelles armes:
Il faict dards propres, et servants
A poursuivre mes poursuivants.
Et l'aultre engendre chose vaine,
Ne conçoit que travail, et peine,
Pour enfanter (quoy qu'il en soit)
Le rebours de ce, qu'il pensoit.
A caver une grande fosse
Il met solicitude grosse:
Mais en la fosse qu'il fera
Luy mesmes il tresbuchera.
Le mal, qu'il me forge, et appreste
Retournera dessus sa teste:
Brief, je voy le mal qu'il commet
Luy descendre sur le sommet.
Dont louange au Seigneur je donne,
Pour sa Justice droicte, et bonne:
Et tant que terre hanteray,
Le nom du Treshault chanteray.

VIII
Pseaulme Huictiesme à ung verset pour couplet à chanter
Domine, Dominus noster, quam.
Argument: Avecques grande admiration, David celebre icy la merveilleuse puissance du createur de toutes choses,
et la grande bonté dont il a daigné user envers l'homme, l'ayant faict tel qu'il est. Pseaulme que toute creature
humaine devrait sçavoir et chanter.
O Nostre Dieu, et Seigneur amyable
Combien ton Nom est grand, et admirable,
Par tout ce val terrestre spacieux,
Qui ta puissance esleve sur les cieulx!
En tout se voit ta grand vertu parfaicte,
Jusqu'à la bouche aux enfants, qu'on allaicte,
Et rendz par là confuz, et abbatu
Tout ennemy, qui nie ta vertu.
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Mais quand je voy, et contemple en courage
Tes cieulx, qui sont de tes doigts hault ouvrage,
Estoilles, Lune, et signes differents,
Que tu as faictz, et assis en leurs rengs.
Adonc je dy apart moy (ainsi comme
Tout esbahy) et qu'est ce que de l'homme?
D'avoir daigné de luy te souvenir,
Et de vouloir en ton soing le tenir?
Tu l'as faict tel, que plus il ne luy reste,
Fors estre Dieu: car tu l'as, quant au reste,
Abondamment de gloire environné,
Remply de biens, et d'honneur couronné.
Regner le fays sur les oeuvres tant belles
De tes deux mains, comme Seigneur d'icelles.
Tu as de vray, sans quelque exception,
My soubs ses piedz tout en subjection:
Brebis, et Boeufz, et leur peaulx, et leurs laines,
Touts les trouppeaulx des haultz montz, et des plaines,
En general, toutes bestes cerchants
A pasturer, par les boys, et les champs:
Oyseaulx de l'air, qui vollent, et qui chantent,
Poissons de mer, ceulx qui nagent, et hantent
Par les sentiers de mer, grands, et petits,
Tu les as touts à l'homme assubjectis.
O Nostre Dieu, et Seigneur amyable,
Comme à bon droict est grand, et admirable,
L'excellent bruyt de ton Nom precieux,
Par tout ce val terrestre spacieux!

IX
Pseaulme Neufviesme à ung verset pour couplet à chanter
Confitebor tibi Domine in toto corde meo.
Argument: C'est ung chant triumphal, par lequel David rend grâces à Dieu de certaine bataille qu'il gaigna, en
laquelle mourut son principal ennemy (aulcuns estiment que ce fut Goliath): apres il magnifie la justice de Dieu, qui
venge les siens en temps et lieu. Pseaulme propre pour un chef de guerre vaincueur.
De tout mon cueur t'exalteray
Seigneur, et si racompteray
Toutes tes oeuvres nonpareilles,
Qui sont dignes de grands merveilles.
En toy je me veulx resjouyr,
D'aultre soulas ne veulx jouyr:
O Treshault, je veulx en cantique
Celebrer ton Nom autentique:
Pource que par ta grand' vertu
Mon ennemy s'enfuyt battu,
Desconfit de corps, et courage,
Au seul regard de ton visage.
Car tu m'a esté si humain,
Que tu as prins ma cause en main,
Et t'es assis, pour mon refuse,
En chaire, comme juste Juge.
Tu as deffaict mes ennemys,
Le meschant en ruyne mys:
Pour tout jamais leur renommée
Tu as estainte, et consumée.
Or çà, ennemy cault, et fin,
As tu mys ton emprinse à fin?
As tu razé noz cités belles?
Leur nom est il mort avec elles?
Non, non: le Dieu, qui est là hault,
En regne, qui jamais ne fault,
Son Throsne a dressé tout propice
Pour faire raison, et justice.
Là jugera il justement
La terre ronde entierement,
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Pesant les causes en droicture
De toute humaine creature.
Et Dieu la retraicte sera
Du paovre, qu'on pourchassera,
Voire sa retraicte opportune,
Au plus dur temps de sa fortune.
Dont ceulx, qui ton Nom congnoistront,
Leur asseurance en toy mectront:
Car Seigneur, qui à toy s'addonne,
Ta bonté point ne l'abandonne.
Chantez en exultation
Au Dieu, qui habite en Sion:
Noncez à gens de toutes guises
Ses oeuvres grandes, et exquises.
Car du sang des justes s'enquiert,
Luy en souvient, et le requiert:
Jamais la clameur il n'oublie
De l'affligé, qui le supplie.
Seigneur Dieu, ce disoys je en moy,
Voy par pitié, que j'ay d'esmoy
Par mes ennemys remplys d'ire,
Et du pas de mort me retire:
Affin qu'au milieu de l'enclos
De Sion, j'annonce ton los:
En demenant resjouyssance,
D'estre recoux par ta puissance.
Incontinent les malheureux,
Sont cheutz au piege faict par eulx:
Leur pied mesme s'est venu prendre
Au filé, qu'ilz ont osé tendre.
Ainsi est congneu l'immortel,
D'avoir faict ung jugement tel,
Que l'inique a senty l'oultrage,
Et le mal de son propre ouvrage.
Croyez, que tousjours les meschants
S'en iront à bas tresbuchants,
Et toutes ces gens insensées
Qui n'ont point Dieu en leurs pensées.
Mais l'homme paovre humilié
Ne sera jamais oublié:
Jamais de l'humble estant en peine,
L'esperance ne sera vaine.
Vien Seigneur, monstre ton effort,
Que l'homme ne soit le plus fort:
Ton pouvoir les gens venir face
En jugement devant ta face.
Seigneur Dieu, qui immortel es,
Tressaillir de crainte fay les:
Donne leur à congnoistre, comme
Nully d'entre eulx n'est rien, fors qu'homme.

X
Pseaulme Dixiesme à deux versetz pour couplet à chanter
Domine ut quid recessisti longe.
Argument: Icy les biens vivans se plaignent à Dieu que toutes manieres de meschantz regnent au monde, dont les
povres et petits sont oppressez: et y sont descriptes les meschancetez dont envers eulx usent les mal vivans.
Pseaulme propre pour le temps qui court.
Dont vient cela, Seigneur, je te supply,
Que loing de nous te tiens, les yeulx couverts?
Te caches tu, pour nous mectre en oubly?
Mesmes au temps, qui est dur, et divers?
Par leur orgueil sont ardants les pervers
A tourmenter l'humble, qui peu se prise:
Fais que sur eulx tombe leur entreprise.
Car le maling se vante, et se faict seur,
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Qu'en ses desirs n'aura aulcun deffault:
Ne prisant rien que l'avare amasseur,
Et mesprisant l'Eternel de là hault.
Tant est il fier, que de Dieu ne luy chault:
Mais tout cela, qu'il pense en sa memoyre,
C'est Dieu n'est point, et si ne le veult croyre.
Tout ce qu'il fait tend à mal sans cesser,
De sa pensée est loing ton jugement:
Tant est enflé, qu'il cuyde renverser
Ses ennemys, à souffler seullement.
En son cueur dit: D'esbranler nullement
Garde je n'ay: car je sçay qu'en nul eage
Ne peult tomber sur moy aulcun dommage.
D'ung parler feint, plein de deception,
Le faulx parjure est tousjours embouché:
Dessoubs sa langue avec oppression,
Desir de nuyre est tousjours embusché.
Semble au brigand, qui sur les champs caché,
L'innocent tue en caverne secrette,
Et qui de l'oeil paovres passants aguette.
Aussi l'inique use du tour secret
Du Lyon cault en sa taniere, helas,
Pour attraper l'homme simple, et paovret,
Et l'engloutir, quand l'a prins en ses laqs.
Il faict le doulx, le marmiteux, le las:
Mais soubs cela, par sa force perverse,
Grand' quantité de paovres gens renverse.
Et dit encor, en son cueur vicieux,
Que Dieu ne veult la souvenance avoir
De tout cela: et qu'il couvre ses yeulx,
A celle fin de jamais n'en rien veoir.
Leve toy doncq, Seigneur, pour y pourveoir:
Haulse ta main dessus, je te supplie,
Et ceulx qui sont persecutés n'oublie.
Pourquoy irrite, et contemne en ses faicts
L'homme meschant le Dieu doulx, et humain?
En son cueur dit qu'enqueste tu n'en fais:
Mais tu vois bien son meffaict inhumain,
Et voyant tout prends les causes en main.
Voylà pourquoy s'appuye le debile
Sur toy, qui es le support du pupille.
Brise la force, et le bras plein d'exces
Du malfaicteur inique, et reprouvé:
Fais de ses maulx l'enqueste, et le proces,
Plus n'en sera par toy ung seul trouvé.
Lors à jamais, Roy de touts approuvé,
Regnera Dieu: et de sa terre saincte
Sera la race aux iniques estaincte.
O Seigneur doncq, s'il te plaist tu oyrras
Ton paovre peuple, en ceste aspre saison:
Et bon courage, et espoir luy donras,
Prestant l'oreille à son humble oraison:
Qui est de faire aux plus petits raison,
Droict aux foullés: si que l'homme de terre
Ne vienne plus leur faire peur ne guerre.

XI
Pseaulme Unziesme, à deux coupletz, différents de chant, chascun couplet d'ung verset
In Domino confido.
Argument: Il se complainct de ceulx qui le chassoyent de toute la terre d'Israel. Puis chante sa confiance en Dieu,
et le jugement d'icelluy sur les bons, et sur les mauvais. Pseaulme consolatif pour ceulx qui sont en tribulation, et
mis hors de grâce de leurs seigneurs.
Veu que du tout en Dieu mon cueur s'appuye,
Je m'esbahy, comment de vostre mont,
Plustost qu'oyseau dictes que je m'enfuye.
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Vray est que l'arc les malings tendu m'ont,
Et sur la corde ont assis leurs sagettes,
Pour contre ceulx, qui de cueur justes sont,
Les descocher, jusques en leurs cachettes.
Mais on verra bien tost à neant mise
L'intention de telz malicieux,
Quel' faulte aussi a le juste commise?
Sachez que Dieu a son Palays aux cieulx:
Dessus son Throsne est l'Eternel Monarque:
Là hault assis, il voyt tout de ses yeulx,
Et son regard les humains note, et marque.
Tout il espreuve, et le juste il approuve:
Mais son cueur hayt, qui ayme extorsion,
Et l'homme en qui violence se trouve.
Pleuvoir fera feu de punition
Sur les malings, soulphre chaud, flamme ardente,
Vent fouldroyant: voylà la portion
De leur brevage, et leur paye evidente.
Car il est juste, et pource ayme justice:
Tournant tousjours par doulce affection
Vers l'homme droict son oeil doulx, et propice.

XII
Pseaulme Douziesme à ung verset pour couplet à chanter
Salvum me fac Domine.
Argument: il parle contre les flatteurs de la cour de Saül, qui par flatteries, dissimulations et arrogance, estoient
molestes à chascun, et prie Dieu y donner ordre. Pseaulme pour tout peuple vexé de gouverneurs de princes.
Donne secours, Seigneur, il en est heure,
Car d'hommes droictz sommes touts desnués:
Entre les filz des hommes, ne demeure
Ung qui ayt foy, tant sont diminués.
Certes chascun, vanité, menteries,
A son prochain dit ordinairement:
Aux levres n'a l'homme, que flatteries,
Et disant l'ung, son cueur parle aultrement.
Dieu vueille doncq ces levres blandissantes
Tout à travers, pour jamais, inciser:
Pareillement ces langues arrogantes,
Qui bravement ne font que deviser.
Qui mesmement entre eulx ce propos tiennent:
Nous serons grands par noz langues su touts,
A nous, de droict, noz levres appartiennent,
Flattons, mentons: qui est maistre sur nous?
Pour l'affligé, pour les petits, qui crient,
Dit le Seigneur, ores me leveray:
Loing les mectray des langues, qui varient,
Et de leurs laqs chascun d'eulx saulveray.
Certes de Dieu la parolle se treuve
Parolle nette, et trespure est sa voix:
Ce n'est qu'argent affiné à l'espreuve,
Argent au feu espuré par sept foys.
Toy doncq, Seigneur, ta promesse, et tes hommes,
Garde, et maintiens par ta gratuité:
Et de ces gens dont tant molestés sommes,
Delivre nous à perpetuité.
Car les malings à grands trouppes cheminent
Deçà, delà, tout est plein d'inhumains,
Lors que d'iceulx les plus meschants dominent,
Et qu'eslevés sont entre les humains.

XIII
Pseaulme Treiziesme à ung verset pour couplet à chanter
Usquequo Domine oblivisceris.
Argument: Après plusieurs batailles perdues, il se plainct, de ce que Dieu tarde tant à le secourir: puis le prie luy
donner la joye de victoire obtenue. Pseaulme pour chefz de guerre infortunez.
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Jusques à quand as estably,
Seigneur, de me mectre en oubly?
Est ce à jamais? pour combien d'eage
Destourneras tu ton visage
De moy, las, d'angoisse remply?
Jusques à quand sera mon cueur
Veillant, conseillant, praticqueur,
Et plein de soucy ordinaire?
Jusques à quand mon adversaire
Sera il dessus moy vainqueur?
Regarde moy, mon Dieu puissant,
Responds à mon cueur gemissant,
Et mes yeulx troublés illumine:
Que mortel dormir ne domine
Dessus moy quasi perissant.
Que celluy, qui guerre me faict
Ne dye point, je l'ay deffaict:
Et que touts ceulx, qui tant me troublent,
Le plaisir qu'ilz ont ne redoublent,
Par me veoir tresbucher de faict.
En toy gist tout l'espoir de moy.
Par ton secours fais que l'esmoy
De mon cueur en plaisir se change.
Lors à Dieu chanteray louange:
Car de chanter j'auray de quoy.

XIV
Pseaulme quatorziesme à ung verset pour couplet à chanter
Dixit insipiens in corde suo.
Argument: Il dit que tout est plain d'infideles et ethniques, descript leur entendement corrompu: souhaicte et predict
leur ruine et la delivrance du peuple de Dieu, par eulx devoré. Pseaulme contre les ennemis de Dieu et de ceulx
qui l'ayment.
Le fol maling en son cueur dict, et croyt,
Que Dieu n'est point: et corrompt, et renverse
Ses meurs, sa vie, horribles faicts exerce:
Pas ung tout seul ne faict rien bon ne droict,
Ny ne vouldroit.
Dieu du hault ciel a regardé icy
Sur les humains, avecques diligence,
S'il en verroit quelcun d'intelligence,
Qui d'invocquer la divine mercy
Fust en soucy.
Mais tout bien veu a trouvé que chascun
A forvoyé, tenant chemins dammables
Ensemble touts sont faicts abominables:
Et n'est celluy, qui face bien aulcun,
Non jusqu'à ung.
N'ont ilz nul sens, touts ces pernicieux,
Qui font tout mal, et jamais ne se changent?
Qui comme pain mon paovre peuple mangent,
Et d'invocquer ne sont point soucieux
Le Dieu des cieulx?
Certainement [tant] esbahys seront,
Que sur le champ ilz trembleront de craincte:
Car l'Eternel, par sa faveur tressaincte,
Tiendra pour ceulx qui droicts se trouveront,
Et l'aymeront.
Ha malheureux, vous vous estudiez
A vous mocquer de l'intention bonne,
Que l'immortel au paovre affligé donne,
Pource qu'ilz sont sur luy touts appuyés,
Et en riez.
O qui, et quand de Syon sortira
Pour Israel secours en sa souffrance?
Quand Dieu mectra son peuple à delivrance,
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De joye adoncq Israel jouyra,
Jacob rira.

XV
Pseaulme Quinziesme à ung verset pour couplet à chanter
Domine, quis habitabit.
Argument: Ce Pseulme chante de quelles meurs doivent estre ornez les vrays citoyens des cieulx. Pseaulme
propre pour inciter à bien vivre.
Qui est ce qui conversera,
O Seigneur, en ton Tabernacle?
Et qui est celluy qui sera
Si heureux, que par grâce aura
Sur ton sainct Mont seur habitacle?
Ce sera celluy droictement
Qui va rondement en besongne:
Qui ne faict rien que justement,
Et dont la bouche appertement
Verité en son cueur tesmoigne:
Qui par sa langue point ne faict
Rapport, qui loz d'aultruy efface:
Qui à son prochain ne meffaict:
Qui aussi ne souffre de faict,
Qu'opprobre à son voysin on face:
Ce sera l'homme contemnant
Les vicieux: aussi qui prise
Ceulx, qui craignent le Dieu regnant:
Ce sera l'homme bien tenant
(Fust ce à son dam) la foy promise:
Qui à usure n'entendra:
Et qui si bien justice exerce,
Que le charier ainsi vouldra,
Craindre ne fault, que jamais verse.

XVI
Pseaulme Dixneufviesme à ung verset pour couplet à chanter
Coeli enarrant gloriam Dei.
Argument: Il monstre, par le merveilleux ouvraige des cieulx, combien Dieu est puissant: loue et exalte la loy
divine: et en fin prie le seigneur qu'il le preserve de peché, affin de luy estre agreable. Pseaulme pour faire
contempler la puissance et bonté de Dieu.
Les cieulx, en chascun lieu;
La puissance de Dieu
Racomptent aux humains:
Ce grand entour espars
Nonce de toutes pars
L'ouvrage de ses mains.
Jour apres jour coulant
Du Seigneur va parlant
Par longue experience:
La nuict, suyvant la nuict,
Nous presche, et nous instruict
De sa grand'sapience.
Et n'y a nation,
Langue, prolation,
Tant soit d'estranges lieux,
Qui n'oyt bien le son,
La maniere, et façon
Du langage des cieulx.
Leur tour par tout s'estend,
Et leur propos s'entend
Jusques au bout du monde:
Dieux en eulx a posé
Palays bien composé
Au Soleil clair, et munde.
Dont il sort ainsi beau
Comme ung espoux nouveau
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De son paré pourpris:
Semble ung grand prince à veoir,
S'esgayant pout avoir
D'une course le pris.
D'ung bout des cieulx il part,
Et attaint l'aultre part
En ung jour, tant est viste:
Oultre plus, n'y a rien
En ce val terrien
Qui sa chaleur evite.
La tresentiere Loy
De Dieu souverain Roy,
Vient l'âme restaurant:
Son tesmoignage seur,
Sapience en doulceur
Monstre à l'humble ignorant.
D'icelluy Roy des Roys
Les mandements sont droicts,
Et joye au cueur assignent:
Les Commandements sainctz
De Dieu sont purs, et sains,
Et les yeulx illuminent.
L'obeissance à luy
Est ung tressainct appuy
A perpetuité:
Dieu ne faict jugement,
Qui veritablement
Ne soit plein d'equité.
Ces choses sont encor
Plus desirables qu'or,
Fust ce fin or de touche:
Et en ung cueur sans fiel,
Sont plus doulces que miel,
Ne pain de miel en bouche.
Qui servir te vouldra,
Par ces poinctz apprendra
A ne se forvoyer:
Et en les observant,
En aura le servant
Grand, et riche loyer.
Mais où se trouvera
Qui ses faultes sçaura
Nombrer, penser, ne dire?
Las de tant de pechés,
Qui me sont touts cachés,
Purge moy, trescher Sire:
Aussi des grands forfaictz
Temerairement faictz,
Soit ton serf relasché,
Qu'ilz ne regnent en moy:
Si seray hors d'esmoy,
Et net de grand peché.
Ma bouche prononcer,
Ne mon cueur rien penser
Ne puisse, qui ne plaise
A toy, mon deffendeur,
Saulveur, et amendeur
De ma vie maulvaise.

XVII
Pseaulme Vingtdeuxiesme
Deus meus respice in me, quare dereliq.
Argument: Prophetie de Jesuchrist, en laquelle David chante d'entrée sa basse et honteuse dejection: puis
l'exaltation et l'estendue de son royaulme jusques aux fins de la terre, et la perpetuelle durée d'icelluy. Pseaulme
propre pour chanter à la passion du redempteur.
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Mon Dieu, mon Dieu, pourquoy m'as tu laissé,
Loing de secours, d'ennuy tant oppressé,
Et long du cry, que je t'ay addressé
En ma complaincte?
De jour, mon Dieu, je t'invocque sans faincte,
Et toutesfoys ne respond ta voix saincte:
De nuict aussi, et n'ay, de quoy estaincte
Soit ma clameur.
Helas, tu es le Sainct, et la tremeur,
Et d'Israel le resident bonheur,
Là où t'a pleu que ton los, et honneur
On chante, et prise.
Noz Peres ont leur fiance en toy mise,
Leur confiance ilz ont sur toy assise:
Et tu les as de captifz, en franchise
Tousjours boutés.
A toy criants, d'ennuy furent ostés,
Esperé ont en tes sainctes bontés,
Et ont receu, sans estre reboutés,
Ta grâce prompte.
Mais moy, je suis ung verm, qui rien ne monte,
Et non plus homme, ains des hommes la honte:
Et plus ne sers que de fable, et de compte
Au peuple bas.
Chascun qui voit comme ainsi tu m'abas,
De moy se mocque, et y prend ses esbas:
Me font la mouë: et puis hault, et puis bas,
Hochent la teste.
Puis vont disant: Il s'appuye, et s'arreste
Du tout sur Dieu, et luy faict sa requeste:
Donc qu'il le saulve, et que secours luy preste,
S'il l'ayme tant.
Si m'as tu mys hors du ventre pourtant:
Causes d'espoir tu me fus apportant:
Des que j'estoys les mammelles tetant
De ma nourrice.
Et qui plus est, sortant de la matrice,
Me recueillit ta saincte Main tutrice,
Et te monstras estre mon Dieu propice
Des que fus né.
Ne te tien donc de moy si destourné:
Car le peril m'a de pres adjourné:
Et n'est aulcun par qui me soit donné
Secours ne grâce.
Maint gros Taureau m'environne, et menace:
Les gros Taureaux de Basan terre grasse,
Pour m'assieger m'ont suivy à la trace
En me pressant:
Et tout ainsi qu'ung Lyon ravissant,
Apres la proye en fureur rugissant,
Ilz ont ouvert dessus moy languissant
Leur gueule gloute.
Las, ma vertu comme eau' s'escoule toute,
N'ay os qui n'ayt la joincture dissoulte:
Et comme cire en moy fond goutte à goutte
Mon cueur fasché.
D'humeur je suis comme tuylle asseiché:
Mon palais est à ma langue attaché:
Tu m'as faict prest d'estre au tumbeau couché,
Reduict en cendre.
Car circuy m'ont les chiens pour me prendre:
La faulse trouppe est venue m'offendre,
Venue elle est me transpercer, et fendre
Mes piedz, et mains.
Compter je puis mes os du plus au moins:
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Ce que voyants les cruelz inhumains,
Touts resjouys me jectent regards maints,
Avec risée.
Jà ma despouille entre eulx ont divisée:
Entre eulx desjà ma robbe deposée
Ilz ont au sort hazardeux exposée,
A qui l'aura.
Seigneur, ta main donc ne s'eslongnera:
Ains par pitié secours me donnera:
Et s'il te plaist, elle se hastera,
Mon Dieu, ma force:
Saulve de glaive, et de mortelle estorce,
Mon âme, helas, que de perdre on s'efforce:
Delivre la, que du Chien ne soit morse,
Chien enragé.
Du Leonin gosier encouragé
Delivre moy: responds à l'affligé,
Qui est par grands Licornes assiegé
Des cornes d'elles.
Si compteray à mes freres fideles
Ton Nom treshault: tes vertus immortelles
Diray parmy les assemblées belles,
Parlant ainsi:
Vous craignants Dieu, confessez le sans si:
Filz de Jacob, exaltez sa Mercy:
Crains le tousjours toy d'Israel aussi,
La race entiere:
Car rebouté n'a l'humble en sa priere,
Ne destourné de luy sa Face arriere:
S'il a crié, sa bonté singuliere
L'axaulcé.
Ainsi ton los par moy sera haulsé
En grande trouppe: et mon voeu jà dressé
Rendray, devant le bon peuple amassé,
Qui te craint, Sire.
Là mangeront les paovres à suffire,
Beneira Dieu, qui Dieu craint, et desire,
O vous ceulx là, sans fin (je le puis dire)
Voz cueurs vivront.
Cela pensant, touts se convertiront
Les boutz du monde, et à Dieu serviront:
Brief, toutes gens leurs genoulx fleschiront
En ta presence.
Car ilz sçauront qu'à la divine essence
Seulle appartient Regne, et magnificence:
Dont sur les gens seras par excellence
Roy conquerant.
Gras, et repeuz te viendront adorant:
Voire le maigre à la fossé courant,
Et dont la vie est hors de restaurant,
Te donna gloire.
Puis leurs enfants à te servir, et croire
S'enclineront: et en tout territoyre
De filz en filz il sera faict memoyre
Du Toutpuissant.
Tousjours viendra quelcun d'entre eulx yssant,
Lequel au peuple à l'advenir naissant,
Ira par tout ta bonté annonçant
Sur moy notoyre.

XVIII
Pseaulme Vingtquatriesme à deux versetz pour couplet à chanter
Domini est terra, et plenitudo.
Argument: David feit ce Pseaulme pour dire quand on ameneroit l'arche où habitoit la divinité, dedans le temple
que Salomon devoit faire. Et est ledict Pseaulme propre pour chanter à la consecration d'ung nouveau temple.
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La terre au Seigneur appartient,
Tout ce qu'en sa rondeur contient,
Et ceulx qui habitent en elle.
Sur mer fondement luy donna,
L'enrichit, et l'environna
De maint riviere tresbelle.
Mais sa Montaigne est ung sainct lieu:
Qui viendra doncq au Mont de Dieu?
Qui est ce, qui là tiendra place?
L'homme de mains, et cueur lavé,
En vanités non eslevé,
Et qui n'a juré en fallace.
L'homme tel, Dieu le beneira:
Dieu son saulveur le munira
De misericorde, et clemence.
Telle est la generation
Cherchant, cherchant d'affection
Du Dieu de Jacob la presence.
Haulsez voz testes grands portaulx,
Huys eternelz, tenez vous haultz,
Si entrera le Roy de gloire.
Qui est ce Roy tant glorieux?
C'est le fort Dieu victorieux,
Le plus fort qu'en guerre on peult croire.
Haulsez voz testes grands portaulx,
Huys eternelz tenez vous haultz,
Si entrera le Roy de gloire.
Qui est ce Roy tant glorieux?
Le Dieu d'armes victorieux,
C'est luy, qui est le Roy de gloire.

XIX
Pseaulme Trentedeuxiesme à ung verset pour couplet à chanter
Beati quorum remissae sunt iniquit.
Argument: David puny par maladie, pour son peché, chante que heureux sont ceulx qui par leur couple ne tumbent
point en l'inconvenient où il est: confesse son peché: Dieu luy pardonne: enhorte les mauvais à bien vivre et
lesbons à se resjouyr. Pseaulme pour quiconques pense le mal qu'il ha, venir de son peché.
O bien heureux celluy dont les commises
Transgressions, sont par grâce remises:
Duquel aussi les iniques pechés
Devant son Dieu sont couverts, et cachés.
O combien plein de bonheur je repute
L'homme, à qui Dieu son peché point n'impute:
Et en l'Esprit duquel n'habite point
D'hypocrisie, et de fraude ung seul poinct.
Durant mon mal, soit que vinse à me taire,
Las de crier: soit que me prinse à braire,
Et à gemir tout le jour sans cesser,
Mes os n'ont faict que fondre, et s'abaisser.
Car jour et nuict ta main dure ay sentie,
Par mon peché, sur moy appesantie:
Si que l'humeur de moy ainsit traicté,
Sembloit du tout seicheresse d'esté.
Mais mo peché je t'ay declairé, Sire,
Caché ne l'ay: et n'ay sceu si tost dire,
Il fault à Dieu confesser mon meffaict,
Que ta bonté vray pardon ne m'ait faict.
Pour ceste cause, à heure propre, et bonne,
Te requerra toute saincte personne:
Et quand de maulx ung deluge courroit,
D'icelle adonc approcher ne pourroit.
C'est toy qui es mon Fort, et ma retraicte:
C'est toy qui fais qu'ennuy mal ne me traicte:
C'est toy pa qui à touts coups m'est livré
De quoy chanter, par me veoir delivré.
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Vien çà chascun, je te veulx faire entendre,
Et te monstrer la voye, où tu doibs tendre,
En ayant l'oeil droit dessus toy planté,
Pour t'addresser, comme experimenté.
Ne sois semblable au cheval, et la mule,
Qui n'ont en eulx intelligence nulle:
Pour les garder de mordre, tu refreins
Leurs dentz, et gueule, avecques mors, et freins.
L'homme endurcy sera dompté de mesmes,
Par maulx sans nombre, et par douleurs extresmes.
Mais qui en Dieu mectra tout son appuy,
Par grand' doulceur sera traité de luy.
Or ayez donc de plaisir jouyssance:
Et touts en Dieu prenez resjouyssance
Justes humains: menez joye orendroict
Chascun de vous, qui avez le cueur droict.

XX
Pseaulme Trenteseptiesme à deux versetz pour couplet à chanter
Noli aemulari in malignantibus.
Argument: Affin que les bons se s'esbahissent de veoir prosperer les mauvais, David chante que toutes choses
viendront à souhaict à ceulx qui ayment et craignent Dieu. Et que ceulx qui n'en font compte (combien qu'ilz
semblent florir pour quelque temps) seront en fin deracinez. Pseaulme pour consoler les pauvres bien vivantz.
Ne sois fasché si durant ceste vie
Souvent tu voys prosperer les meschants,
Et des malings aux biens ne porte envie:
Car en ruine à la fin tresbuschants,
Seront fauschés comme foin, en peu d'heure,
Et seicheront comme l'herbe des champs.
En Dieu te fie, à bien faire labeure:
La terre auras pour habitation,
Et jouyras de rente vraye, et seure.
En Dieu sera ta delectation:
Et des souhaitz, que ton cueur vouldra faire,
Te donnera pleine fruition.
Remects en Dieu et toy, et ton affaire,
En luy te fie: et il accomplira
Ce que tu veulx accomplir, et parfaire.
Ta preud'hommie en veue il produira,
Comme le jour, si que ta vie bonne,
Comme ung midy par tout resplendira.
Laisse Dieu faire, attends le, et ne te donne
Soucy aulcun, regret, ne desplaisir
Du prosperant, qui à fraude s'addonne.
Si dueil en as, vueilles t'en dessaisir:
Et de te joindre à eulx n'aye courage,
Pour faire mal, et suyvre leur desir:
Car il cherra sur les malins orage.
Mais ceulx qui Dieu attendront constamment,
Possederont la terre en heritage.
Le faulx fauldra si tost, et tellement,
Que quand sa place yras chercher, et querre,
N'y trouveras la trace seullement.
Mais les benings heriteront la terre,
Et y auront, sans moleste d'aultruy,
Tout le plaisir que l'homme sçauroit querre.
Il est certain que tout mal, et ennuy,
L'homme pervers au bien vivant machine,
Et par fureur grince les dents sur luy:
Mais ce pendant la majesté divine
Ryt du meschant: car de ses yeulx ouverts
Voyt bien venir le jour de sa ruine.
Tirer leur glaive on verra les pervers,
Et bander l'arc, pour l'humble, et paovre battre,
Et [touts] les bons ruer morts à l'envers:
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Mais leur cousteau sera pour les combattre,
Et percera leur cueur, tant soit il cault,
Verront leur arc aussi rompre, et abbattre.
Certes le peu de l'homme juste, vault
Mille foys mieulx, que la riche abondance
D'ung mal vivant, tant soit eslevé hault.
Car du meschant le bras, et la puissance
Seront rompuz: mais le Dieu supernel
Sera des bons tousjours la soustenance.
Il voyt, et sçait par ung soing paternel,
Les jours de ceulx qui ont vie innocente:
Et d'iceulx est l'heritage eternel.
Point ne seront frustrés de leur attente
Au maulvais temps: et si seront saoulés
Aux plus longs jours de famine dolente.
Mais les malings periront desolés:
Et n'aymants Dieu, s'en yront en fumée,
Ou deviendront comme gresse escoulés.
Leur main sera d'emprunter affamée,
Sans pouvroi rendre: et les justes auront
Dequoy monstrer charité enflammée:
Car les beneits de Dieu possederont
Finablement terre pleine de gresse:
Et les mauldicts en paovreté cherront.
Dieu touts les pas du vertueux addresse,
Et au chemin qu'il veult suyvre, et tenir,
Donne faveur, et l'unist, et le dresse.
Si de tomber ne se peult contenir,
D'estre froissé ne luy fault avoir craincte:
Car Dieu viendra la main luy soustenir.
J'ay esté jeune, et vieillesse ay attaincte,
Et n'ay point veu le juste abandonner,
Ne ses enfants mendier par contraincte:
Ains chascun jour ne faire que donner,
Prester, nourrir: et si voyt on sa race
Accroistre en heur, et en biens foisonner.
Fuy doncq le mal, suy le bien à la trace:
Et de durer à perpetuité
Le Seigneur Dieu te donnera la grâce.
Car il ne perd (tant il ayme equité)
Nul de ses bons, ilz ont garde eternelle:
Mais il destruict les filz d'iniquité.
Les biens vivants en joye solennelle
Possederont la terre, qui produyt,
Et à jamais habiteront en elle.
Du bien vivant la bouche rien n'istruict
Que sapience: et sa langue n'expose
Rien, qui ne soit tres juste, et plein de fruict:
Car en son cueur la Loy de Dieu repose.
Parquoy son pied ne sera point glissant,
Quelcque chemin que tirer il propose.
Il est bien vray, que l'inique puissant
Le juste espie: et pour à mort le mectre
Par tout le quiert comme ung loup ravissant.
Mais en sa main Dieu ne vouldra permectre
Qu'il soit submys, ne le veoir condamner,
Quand à justice il se viendra submectre.
Dieu doncq attends, vueille en luy cheminer:
Hault te mectra sur la terre seconde,
Et les malings verras exterminer.
J'ay veu l'inique enflé, et craint au monde,
Qui s'estendant grand, et hault verdissoit,
Comme ung laurier, qui en rameaulx abonde
Puis repassant par où il fleurissoit,
N'y estoit plus, et le cherchay à force:
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Mais ne le sceu trouver en lieu qui soit.
Garde de nuyre, à veoir le droict t'efforce:
Car l'homme tel en fin, pour son loyer
Aura repos, loing d'ennuy, et divorce.
Mais touts fauldront les prompts à forvoyer:
Et des nuysants tout le dernier salaire,
Sera que Dieu les viendra fouldroyer.
Que diray plus? Dieu est le salutaire
Des bien vivants: c'est celluy qui sera
Tousjours leur force au temps dur, et contraire.
Les secourant, il les delivrera:
Les delivrant, garde il en vouldra faire,
Pource qu'en luy chascun d'eulx espoir a.

XXI
Pseaulme Trentehuictiesme à ung verset pour couplet à chanter
Domine, ne in furore tuo arguas me.
Argument: David ayant la peste, ou quelque aultre hulcere en la cuisse, se plainct fort à Dieu de la vehemence de
son mal, du deffault de ses amys, de la cruaulté de ses ennemys, et implore l'ayde de Dieu. Pseaulme propre pour
tous pauvres hulcerez.
Las, en ta fureur aigue
Ne m'argue
De mon faict, Dieu tout puissant:
Ton ardeur ung peu retire,
N'en ton ire
Ne me punys languissant.
Car tes flesches descochées
Sont fischées
Bien fort en moy sans mentir:
Et as voulu (dont j'endure)
Ta main dure
Dessus moy appesantir.
Je n'ay sur moy chair ne veine
Qui soit saine,
Par l'ire en quoy je t'ay mys:
Mes os n'ont de repos ferme
Jour ne terme,
Par les maulx que j'ay commys.
Car les peines de mes faultes
Sont si haultes
Qu'elles surmontent mon chef:
Ce m'est ung faix importable
Qui m'accable,
Tant croist sur moy ce meschef.
Mes cicatrices puantes
Sont fluantes
De sang de corruption:
Las, par ma folle sottie
M'est sortie
Toute ceste infection.
Tant me faict mon mal la guerre,
Que vers terre
Suis courbé totallement:
Avec triste, et noyre mine
Je chemine
Tout en pleurs journellement.
Car mes cuisses, et mes aines
Sont jà pleines
Du mal dont suis tourmenté:
Tellement qu'en ma chair toute
N'y a goutte
D'apparence de santé.
Je, qui souloys estre habile,
Suis debile,
Cassé de corps, pieds, et mains:
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Si que de la douleur forte
Qu'au cueur porte,
Je jecte cris inhumains.
Or tout ce que je desire,
Trescher Sire,
Tu le voys clair, et ouvert:
Le souspir de ma pensée
Transpercée
Ne t'est caché ne couvert.
Le cueur me bat à oultrance:
Ma puissance
M'a delaissé tout perclus:
Et de mes yeulx la lumiere
Coustumiere,
Voyre mes yeulx, je n'ay plus.
Les plus grands amys que j'aye,
De ma playe
Sont vis à vis, sans grand soing:
Et (hors mys toutes reproches)
Mes plus proches
La regardent de bien loing.
Ceulx, qui à ma mort s'attendent,
Leurs laqs tendent:
D'aultres voulants me grever,
Mille maulx de moy recensent,
Et ne pensent
Que fraudes pour m'achever.
Et je, comme n'oyant goutte,
Les escoute.
Leur cueur ont beau descouvrir:
Je suis là, comme une souche,
Sans ma bouche
Non plus qu'ung muet ouvrir.
Je suis devenu, en somme,
Comme ung homme
Du tout sourd, et qui n'oyt point,
Et qui n'a, quand on le picque
De replicque
Dedans sa bouche ung seul poinct.
Mais avecques esperance,
L'asseurance
De ton bon secours j'attends,
Et ainsi mon Dieu, mon pere,
Que j'espere,
Tu me repondras à temps.
Je le dy, et si t'en prie
Qu'on ne rie
De mon malheureux esmoy:
Car des qu'ung peu mon pied glisse,
Leur malice
S'esjouyt du mal de moy.
Vien doncq, car je suis en voye
Qu'on me voye
Clocher trop honteusement:
Pource que la grand' destresse
Qui m'oppresse
Me poursuyt incessamment.
Las apart moy, avec honte,
Je racompte
Mon trop inique forfaict,
Je resve, je me tourmente,
Je lamente
Pour le peché que j'ay faict.
Et tandis mes adversaires,
Et contraires,
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Sont vifs, et fortifiés:
Ceulx, qui m'ont sans cause aulcune
En rancune,
Sont creuz, et multipliés.
Touts encontre moy se bandent,
Et me rendent
Pour le bien, l'iniquité:
Et de leur hayne la source,
Ce fut pource
Que je suivoye equié.
Seigneur Dieu ne m'abandonne,
Moy personne
Deschassé d'ung chascun.
Loing de moy la grâce tienne
Ne se tienne,
D'ailleurs n'ay espoir aulcun.
Vien, et approche toy doncques,
Vien, si oncques
De tes enfants te chalut:
De me secourir te haste:
Je me gaste,
Seigneur Dieu de mon salut.

XXII
Pseaulme Cinquante et uniesme
Miserere mei Deus, secundum magnam misericordiam tuam.
Argument: Apres la mort de Urie, David congnoissant son peché, demande pardon à Dieu, et qu'il luy envoie son
esperit, pour le garder de plus pescher: s'offre à instruire les autres, et prie pour Hierusalem, qui est la vraye
eglise. Pseaulme propre pour quiconques se sent griefvement avoir offensé Dieu.
Misericorde au paovre vicieux,
Dieu tout puissant, selon ta grand' clemence.
Use à ce coup de ta bonté immense,
Pour effacer mon faict pernicieux.
Lave moy, Sire, et relave bien fort,
De ma commise iniquité maulvaise:
Et du peché, qui m'a rendu si ord,
Me nettoyer d'eaue de grâce te plaise.
Car de regret mon cueur vyt en esmoy,
Congnoissant, las, ma grand' faulte presente:
Et qui pis est, mon peché se presente
Incessamment noyr, et laid devant moy.
En ta presence à toy seul j'ay forfaict:
Si qu'en donnant arrest pour me deffaire,
Jugé seras avoir justement faict,
Et vaincras ceulx qui diront du contraire.
Helas je sçay, et si l'ay tousjours sceu,
Qu'iniquité print avec moy naissance:
J'ay d'aultre part certaine congnoissance
Qu'avec peché ma mere m'a conceu.
Je sçay aussi que tu aymes de faict
Vraye equité dedans la conscience:
Ce que n'ay heu, moy à qui tu a faict
Veoir les secretz de ta grand' Sapience.
D'ysoppe doncq par toy purgé seray:
Lors me verray plus net que chose nulle.
Tu laveras ma trop noyre macule:
Lors en blancheur la neige passeray.
Tu me feras joye, et liesse ouyr,
Me revelant ma grâce enterinée:
Lors sentiray croistre, et se resjouyr
Mes os, ma force, et vertu declinée.
Tu as heu l'oeil assez sur mes forfaictz:
Destourne d'eulx ta courroucée Face:
Et te supply non seullement efface
Ce mien peché, mais touts ceulx que j'ay faictz.
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O Createur, te plaise en moy créer
Ung cueur tout pur, une vie nouvelle
Et pour encor te pouvoir aggréer,
Le vray Esprit dedans moy renouvelle.
De ton regard je ne soys reculé:
Et te supply, pour finir mon martyre,
Ton sainct Esprit de mon cueur ne retire,
Quand tu l'auras en moy renouvellé.
Redonne moy la liesse, que prit
En ton salut mon cueur jadis infirme:
Et ne m'ostant ce libre, et franc Esprit,
En icelluy pour jamais me confirme.
Lors seullement ne suivray tes sentiers,
Mais les feray aux iniques apprendre:
Si que pecheurs à toy se viendront rendre,
Et se vouldront convertir vouluntiers.
O Dieu, ô Dieu de ma salvation,
Delivre moy de ce mien sanglant vice:
Et lors ma bouche en exultation
Chantera hault ta bonté, et justice.
Ha Seigneur Dieu, ouvre mes levres doncq,
Rien bon n'en sort, quand moymesme les ouvre:
Mais si ta main pour les ouvrir y ouvre,
J'annonceray tes louanges adoncq.
Si tu vouloys sacrifice mortel,
De Boucz, et Boeufz, et compte tu en feisses,
Je l'eusse offert: mais en Temple n'Autel,
Ne te sont point plaisants telz sacrifices.
Le sacrifice aggreable, et bien pris
De l'Eternel, c'est une âme dolente,
Ung cueur submys, une âme penitente,
Ceulx là, Seigneur, ne te sont à mespris.
Traicte Sion en ta benignité,
O Seigneur Dieu: et par tout fortifie
Jerusalem ta treshumble cité,
Ses murs aussi en brief temps edifie.
Adoncq auras de cueurs bien disposés
Oblations telles que tu demandes:
Adoncq les Boeufz, ainsi que tu commandes,
Sur ton Autel seront mys, et posés.

XXIII
Pseaulme Cent troiziesme
Benedic anima mea Domino, et omnia.
Argument: Il chante les grandes et diverses bontez de Dieu envers les hommes, puis invite, et eulx, et toutes
choses créées à luy donner louenges, et gloire. Pseaulme qui enseigne à congnoistre Dieu et soy mesmes.
Sus louez Dieu mon âme en toute chose,
Et tout cela, qui dedans moy repose,
Louez son Nom tressainct, et accomply:
Presente à Dieu louanges, et services,
O toy mon âme: et tant de benefices
Qu'en as receu ne les metz en oubly:
Ains le beneis, luy qui de pleine grâce
Toutes tes grands iniquités efface,
Et te guerit de toute infirmité.
Luy, qui rachepte, et retire ta vie
D'entre les dentz de mort pleine d'envie,
T'environnant de sa benignité:
Luy, qui de biens, à souhait, et largesse,
Emplit ta bouche en faisant ta jeunesse
Renouveller, comme à l'Aigle royal.
C'est le Seigneur, qui tousjours se recorde
Rendre le droict, par sa misericorde,
Aux oppressés, tant est Juge loyal.
A Moyses, de peur qu'on ne forvoye,
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Manifester voulut sa droicte voye,
Et aux Enfantz d'Israel ses haultz faictz.
C'est le Seigneur enclin à pitié doulce,
Prompt à mercy, et qui tard se courrouce:
C'est en bonté le parfaict des parfaictz.
Il est bien vray, quand par nostre inconstance
Nous l'offensons, qu'il nous menace, et tance:
Mais point ne tient son cueur incessamment,
Selon noz maulx point ne nous faict: mais certes
Il est si doulx, que selon noz dessertes
Ne nous veult pas rendre le chastiment.
Car à chacun, qui craint luy faire faulte,
La bonté sienne il demonstre aussi haulte
Comme sont haultz sur la terre les cieulx:
Aussi loing qu'est la part Orientalle
De l'Occident, à la distance esgalle
Loing de nous met touts nos faictz vicieux.
Comme aux Enfants est piteux ung bon pere,
Ainsi (pour vray)à qui luy obtempere,
Le Seigneur est de doulce affection:
Car il congnoist dequoy sont faictz les hommes,
Il sçayt tresbien, helas, que nous ne sommes
Rien, sinon pouldre, et putrefaction.
A herbe, et foin semblent les jours de l'homme:
Par quelcque temps il fleurit, ainsi comme
La fleur des champs, qui nutriment reçoit.
Puis en sentant d'ung froid vent la venue,
Tourne à neant, tant que plus n'est congneue
Du lieu auquel n'agueres fleurissoit.
Mais la mercy de Dieu est eternelle
A qui le craint: et trouveront en elle
Les filz des filz justice, et grand' bonté:
J'entends ceulx là qui son contract observent,
Et qui sa Loy en memoyre reservent,
Pour accomplir sa saincte voulunté.
Dieu a basty (sans qui bransle, n'empire)
Son Throsne aux cieulx: et dessoubs son Empire
Touts aultres sont et submys, et ployés.
Or louez Dieu Anges de vertu grande,
Anges de luy, qui tout ce qu'il commande
Faictes si tost que parler vous l'oyez.
Beneissez Dieu tout son bel exercite,
Ministres siens, qui de son vueil licite
Executer ne fustes oncq oyseux.
Touts ses haultz faictz en chascun sien Royaulme
Beneissez Dieu: et pour clorre mon Pseaulme,
Louez le aussi mon âme avecques eulx.

XXIV
Pseaulme Cent quatriesme
Benedic anima mea Domino, Domine Deus.
Argument: C'est ung cantique beau par excellence, auquel David celebre et glorifie Dieu de la creation, et gratieux
gouvernement de toutes choses. Pseaulme pour congnoistre amplement la puissance de Dieu.
Sus, sus, mon âme, il te fault dire bien
De l'Eternel. O mon vray Dieu, combien
Ta grandeur est excellente, et notoyre!
Tu es vestu de splendeur, et de gloire:
Tu es vestu de splendeur proprement,
Ne plus ne moins que d'ung accoustrement:
Pour pavillon, qui d'ung tel Roy soit digne,
Tu tendz le ciel, ainsi qu'une courtine.
Lambrissé d'eaux est ton palais vousté,
En lieu de char sur la nue es porté:
Et les fortz ventz, qui parmy l'air souspirent,
Ton chariot, avec leurs aesles, tirent.
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Des ventz aussi diligents, et legers
Fays tes heraults, postes, et messagers:
Et fouldre, et feu, fort promptz à ton service,
Sont les sergents de ta haulte justice.
Tu a assis la terre rondement
Par contrepoys, sur son vray fondement:
Si qu'à jamais sera ferme en son estre,
Sans se mouvoir n'a dextre n'a senestre.
Au paravant, de profonde, et grand'eau
Couverte estoit, ainsi que d'ung manteau:
Et les grands eaux faisoyent toutes à l'heure
Dessus les montz leur arrest, et demeure:
Mais aussi tost que les vouluz tencer,
Bien tost les feis de partir s'advancer:
Et à ta voix, qu'on oyt tonner en terre,
Toutes de peur s'enfuyrent grand' erre.
Montaignes lors vindrent à se dresser:
Pareillement les vaulx à s'abaisser,
En se rendant droict à la propre place
Que tu leur as estably de ta grâce.
Ainsi la mer bornas, par tel compas
Que son limite elle ne pourra pas
Oultrepasser: et feis ce beau chef d'oeuvre,
Affin que plus la terre elle ne coeuvre.
Tu feis descendre aux vallées les eaux:
Sortir y feis fontaines, et ruysseaux;
Qui vont coulant, et passent, et murmurent
Entre les montz, qui les plaines emmurent.
Et c'est affin que les bestes des champs
Puissent leur soif estre là estanchants,
Beuvants à gré toutes de ces breuvaiges,
Toutes, je dy, jusqu'aux Asnes saulvaiges.
Dessus, et pres de ces ruysseaux courants,
Les oyselletz du ciel sont demourants,
Qui du milieu des fueilles, et des branches,
Font resonner leurs voix nettes, et franches.
De tes haultz lieux, par art aultre qu'humain,
Les montz pierreux arrouses de ta main:
Si que la terre est toute saoule, et pleine
Du fruict venant de ton labeur sans peine.
Car ce faisant, tu fays par montz, et vaulx
Germer le foin, pour Jumentz, et Chevaulx.
L'herbe, à servir l'humaine creature,
Luy produisant de la terre pasture:
Le vin, pour estre au cueur joye, et confort,
Le pain aussi, pour l'homme rendre fort:
Semblablement l'huile, affin qu'il en face
Plus reluysante, et joyeuse sa face.
Tes arbres vertz prennent accroissement,
O Seigneur Dieu, les Cedres mesmement
Du mont Liban, que ta bonté supresme,
Sans artifice, a plantés elle mesme.
Là font leurs nidz (car il te plaist ainsi)
Les passereaux, et les passes aussi:
De l'aultre part, sur haultz sapins besongne,
Et y bastit sa maison la Cygoigne.
Par ta bonté les montz droictz, et haultains,
Sont le refuge aux Chevres, et aux Dains:
Et aux Connilz, et Lievres, qui vont viste,
Les rochers creux sont ordonnés pour giste.
Que diray plus? la claire Lune feis,
Pour nous marquer les moys, et jours prefix:
Et le Soleil, des qu'il leve, et esclaire,
De son coucher a congnoissance claire.
Apres en l'air les tenebres espars:
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Et lors se faict la nuict de toutes pars,
Durant laquelle, aux champs sort toute beste
Hors des forestz, pour se jecter en queste.
Les Lyonceaulx mesmes lors sont yssants
Hors de leurs creux, bruyants, et rugissants
Apres la proye, affin d'avoir pasture
De toy, Seigneur, qui sçays leur nourriture:
Puis aussi tost que le Soleil faict jour,
A grands trouppeaulx revont en leur sejour:
Là où touts coys se veaultrent, et reposent,
Et en partir tout le long du jour n'osent.
Adoncques sort l'homme sans nul danger,
S'en va tout droict à son oeuvre renger,
Et au labeur, soit de champ, soit de prée,
Soit de jardin, jusques à la vesprée.
O Seigneur Dieu, que tes oeuvres divers
Sont merveilleux, par le monde univers!
O que tu as tout faict par grand' sagesse!
Brief, la terre est plein de ta largesse.
Quant à la grande, et spacieuse mer,
On ne sçauroit ne nombrer, ne nommer
Les animaulx, qui vont nageant illecques,
Moyens, petits, et de bien grands avecques.
En ceste mer, navires vont errant:
Puis la Balaine, horrible monstre, et grand,
Y as formé, qui bien à l'aise y noue,
Et à son gré par les undes se joue.
Touts animaulx à toy vont à recours,
Les yeulx au ciel: affin que le secours
De ta bonté à repaistre leur donne,
Quand le besoing, et le temps s'y addonne.
Incontinent que tu leur fays ce bien
De le donner, ilz le prennent tresbien:
Ta large main n'est pas plustost ouverte
Que de touts biens planté leur est offerte.
Des que ta Face, et tes yeulx sont tournés
Arriere d'eulx, ilz sont touts estonnés.
Si leur Esprit tu retires, ilz meurent,
Et en leur pouldre ilz revont, et demeurent.
Si ton esprit derechef tu transmetz,
En telle vie adoncques les remetz,
Que paravant: et de bestes nouvelles,
En ung moment, la terre renouvelles.
Or soit tousjours regnant, et fleurissant
La Majesté du Seigneur toutpuissant:
Plaise au Seigneur prendre resjouyssance
Aux oeuvres faictz par sa haulte puissance.
Le Seigneur dy, qui faict horriblement
Terre trembler, d'ung regard seullement:
Voire qui faict (tant peu les sache attaindre)
Les plus haultz montz d'ahan suer, et craindre.
Quant est à moy, tant que vivant seray,
Au Seigneur Dieu chanter ne cesseray:
A mon vray Dieu plein de magnificence
Psalmes feray, tant que j'auray essence.
Si le supply; qu'en propos, et en son,
Luy soit plaisante, et doulce ma chanson:
S'ainsi advient, retirez vous tristesse,
Car en Dieu seul m'esjouiray sans cesse.
De terre soyent infideles exclus,
Et les pervers, si bien qu'il n'en soit plus.
Sus, sus, mon cueur, Dieu où tout bien abonde
Te fault louer, louez le tout monde.

XXV
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Pseaulme Cent Treiziesme
Laudate pueri, Dominum.
Argument: Il invite à louer Dieu, de ce qu'il regarde, gouverne et mue toutes choses selon sa prudence, tousjours
eslevant les humbles, et restablissant les miserables. Pseaulme pour consoler les povres et les femmes steriles.
Enfants, qui le Seigneur servez,
Louez le, et son Nom eslevez,
Louez son Nom, et sa haultesse:
Soit presché, soit faict solennel
Le Nom du Seigneur eternel,
Par tout, en ce temps, et sans cesse.
D'Orient jusqu'en Occident
Doibt estre le loz evident
Du Seigneur, et sa renommée:
Sur toutes gens le Dieu des Dieux
Est exalté, et sur les cieulx
S'esleve sa gloyre estimée.
Qui est pareil à nostre Dieu,
Lequel faict sa demeure au lieu
Le plus hault, que l'on sçauroit querre?
Et puis en bas veult devaller,
Pour toutes choses speculer,
Qui se font au ciel, et en terre?
Le paovre sur terre gisant
Il esleve en l'authorisant,
Et le tire hors de la boue,
Pour le colloquer aux honneurs
Des seigneurs, j'entends des seigneurs
Du peuple, que sien il advoue.
C'est luy qui remplit à foison
De tres beaulx enfants la maison
De la femme, qui est sterile:
Et luy faict joye recevoir,
Quand d'impuissante à concepvoir,
Se voyt d'enfants mere fertile.

XXVI
Pseaulme Cent quatorziesme
In exitu Israel de Aegypto.
Argument: De la delivrance d'Israel hors d'Egypte, et succinctement, des principaulx miracles, que Dieu feit pour
cela.
Quand Israel hors d'Egypte sortit,
Et la maison de Jacob se partit
D'entre le peuple estrange:
Juda fut faict la grand' gloyre de Dieu,
Et Dieu se feit Prince du peuple Hebrieu,
Prince de grand' louange.
La mer le veit, qui s'enfuyt soubdain,
Et contremont l'eaue du fleuve Jourdain
Retourner fut contrainte.
Comme moutons montaignes ont sailly,
Et si en ont les coustaux tressailly,
Comme aigneletz en crainte.
Qu'avoys tu mer, à t'enfuyr soubdain?
Pourquoy amont l'eaue du fleuve Jourdain
Retourner fus contrainte?
Pourquoy avez monts en moutons sailly?
Pourquoy coustaux en avez tressailly,
Comme aigneletz en crainte?
Devant la face au Seigneur, qui tout peult,
Devant le Dieu de Jacob, quand il veult,
Terre trembla craintifve.
Je dy le Dieu, le Dieu convertissant
La pierre en lac, et le rocher puissant
En fontaine d'eaue vifve.
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XXVII
Pseaulme Cent quinziesme
Non nobis, Domine, non nobis, sed.
Argument: Il prie Dieu, vouloir (pour sa gloire) si bien traicter son peuple, qu'il congnoisse qu'il est le seul Dieu. Et
que les Idoles des Gentilz ne sont rien qu'ouvrages d'hommes. Pseaulme contre les Idolâtres.
Non point à nous, non point à nous, Seigneur,
Mais à ton Nom donne gloyre, et honneur,
Pour ta grand' bonté seure.
Pourquoy diroyent les gens, en se mocquant,
Où est ce Dieu, qu'ilz vont tant invocquant,
Où est il à ceste heure?
Certainement nostre Dieu tout parfaict
Reside aux cieulx: et de là hault il faict
Tout ce qu'il veult en somme.
Mais ce qu'adore une si mal gent,
Idoles sont, faictes d'or, et d'argent,
Ouvrage de main d'homme.
Bouche elles ont, sans parler ne mouvoir:
Elles ont yeulx, et ne sçauroyent rien veoir,
C'est une chose morte:
Oreilles ont, et ne sçauroyent ouyr:
Elles ont nez, et ne sçauroyent jouyr
D'odeur doulce, ne forte:
Elles ont mains, ne pouvants rien toucher:
Elles ont pieds, et ne sçavent marcher:
Gosier, et point ne crient.
Telz, et pareilz sont touts ceulx, qui les font,
Et ceulx lesquelz à leurs recours s'en vont,
Et touts ceulx qui s'y fient.
Toy Israel, arreste ton espoir
Sur le Seigneur, c'est ta force, et pouvoir,
Bouclier, et saulvegarde.
Maison d'Aaron, arreste ton espoir
Sur le Seigneur, c'est ta force, et pouvoir,
Lequel te saulve, et garde.
Qui craignez Dieu, arrestez vostre espoir
Sur tel Seigneur, car c'est vostre pouvoir,
Soubs qui l'ennemy tremble.
Le Seigneur Dieu de nous souvenir a:
Plus que jamais Israel beneira,
Les filz d'Aaron ensemble.
A touts, qui sont de l'offenser craintifs,
Grands biens a faicts, depuis les plus petits.
Jusqu'à ceulx de grand' eage.
Les biens, et dons, que pour vous faicts il a,
Il fera croistre à vous, et à ceulx là
De vostre parentage.
Car favoris estes, et bien aymés
Du grand Seigneur, qui les cieulx a formés,
Et terre confinée.
Le Seigneur s'est reservé seullement
Les cieulx pour soy: la terre entierement
Aux hommes a donnée.
O Seigneur Dieu, l'homme par mort transi
Ne dit ton loz, ne quiconques aussi
En la fosse devalle:
Mais nous vivants, par tout, où nous irons,
De bouche, et cueur le Seigneur beneirons,
Sans fin, sans intervalle.

XXVIII
Pseaulme Cent trentiesme
De profundis clamavi ad te Domine
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Argument: Affectueuse priere de celluy, qui par son peché a beaucoup d'adversitez, et toutesfois, par esperance
ferme se promect obtenir de Dieu remission de ses pechez, et delivrance de ses maulx. Pseaulme propre pour
tous ceulx qui font penitence.
Du fond de ma pensée,
Au fond de touts ennuys,
A toy s'est addressée
Ma clameur jours, et nuycts.
Entends ma voix plaintive,
Seigneur, il est saison,
Ton oreille ententive
Soit à mon oraison.
Si ta rigueur expresse
En noz pechés tu tiens,
Seigneur, Seigneur, qui est ce,
Qui demourra des tiens?
Or n'es tu point severe,
Mais propice à mercy:
C'est pourquoy on revere
Toy, et ta Loy aussi.
En Dieu je me console,
Mon âme si attend,
En sa ferme parolle
Tout mon espoir s'estend:
Mon âme à Dieu regarde
Matin, et sans sejour,
Plus matin, que la garde
Assise au poinct du jour.
Qu'Israel en Dieu fonde
Hardyment son appuy:
Car en Dieu grâce abonde,
Et secours est en luy:
C'est celluy qui sans doubte
Israel jectera
Hors d'iniquité toute,
Et le racheptera.

XXIX
Pseaulme Cent trenteseptiesme
Super flumina Babylonis.
Argument: C'est le cantique des prestres, Levites, et chantres sacrez de Hierusalem, captifz en Babylone.
Pseaulme propre pour les Chrestiens prisonniers en Turquie.
Estants assis aux rives aquaticques
De Babylon, pleurions melancholicques,
Nous souvenant du pays de Sion:
Et au milieu de l'habitation,
Où de regret tant de pleurs espandismes,
Aux saules vertz noz harpes nous pendismes.
Lors ceulx, qui là captifz nous emmenarent,
De les sonner fort nous importunarent,
Et de Syon les chansons reciter:
Las dismes nous, qui pourroit inciter
Noz tristes cueurs à chanter la louange
De nostre Dieu, en une terre estrange?
Or toutesfoys, puisse oublier ma dextre
L'art de harper, avant qu'on te voye estre
Hierusalem, hors de mon souvenir:
Ma langue puisse à mon palays tenir
Si je t'oublie, et si jamais ay joye,
Tant que premier ta delivrance j'oye.
Mais doncq Seigneur, en ta memoyre imprime
Les filz d'Edom, qui sur Hierosolyme
Crioyent au jour que l'on la destruysoit:
Souvienne toy que chascun d'eulx disoit,
A sac, à sac, qu'elle soit embrasée,
Et jusqu'au pied des fondements rasée.
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Aussi sera Babylon mise en cendre:
Et tresheureux, qui te sçaura bien rendre
Le mal dont trop de pres nous vient toucher:
Heureux celluy, qui viendra arracher
Les tiens enfants d'entre tes mains impures,
Pour les froisser contre les pierres dures.

XXX
Pseaulme Cent quarante et troisiesme
Domine exaudi orationem meam, auribus percipe.
Argument: C'est la priere qu'il feit, quand par craincte de Saül il se cacha en une fosse, où il s'attendoit d'estre pris,
dont il estoit en grande angoisse. Pseaulme propre à ceulx qui sont prisonniers pour la foy.
Seigneur Dieu, oy l'oraison mienne:
Jusqu'à tes oreilles parvienne
Mon humble supplication:
Selon la vraye mercy tienne
Responds moy en affliction.
Avec ton serviteur n'estrive;
Et en plein jugement n'arrive,
Pour ses offenses luy prouver:
Car devant toy homme qui vive,
Juste ne se pourra trouver.
Las, mon ennemy m'a faict guerre,
A prosterné ma vie en terre:
Encor ne luy est pas assez,
En obscure fosse m'enserre,
Comme ceulx, qui sont trespassés.
Dont mon âme ainsi empressée,
De douleur se trouve oppressée,
Cuydant que m'as abandonné:
J'en sens dedans moy ma pensée
Troublée, et mon cueur estonné.
En ceste fosse obscure, et noyre,
Des jours passés j'ay heu memoyre:
Là j'ay tes oeuvres medités,
Et pour confort consolatoyre,
Les faicts de tes mains recités.
Là dedans à toy je souspire,
A toy je tends mes mains, ô Sire,
Et mon âme en sa grand'clameur
A soif de toy, et te desire,
Comme seiche terre l'humeur.
Haste toy, soys moy secourable,
L'esprit me fault, de moy damnable
Ne cache ton visage beau:
Aultrement je m'en voys semblable
A ceulx qu'on devalle au tumbeau.
Fais moy doncq ouyr de bonne heure
Ta grâce, car en toy m'asseure:
Et du chemin, que tenir doy,
Donne m'en congnoissance seure,
Car j'ay levé mon cueur à toy.
O Seigneur Dieu, mon esperance,
Donne moy pleine delivrance
De mes poursuyvants ennemys,
Puis que chés toy, pour asseurance,
Je me suis à refuge mys.
Enseigne moy comme il fault faire
Pour bien ta voulunté parfaire,
Car tu es mon vray Dieu entier:
Fais que ton esprit debonnaire
Me guide, et meine au droict sentier.
O Seigneur, en qui je me fie,
Restaure moy, et vivifie,
Pour ton Nom craint, et redoubté:
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Retire de langueur ma vie,
Pour monstrer ta juste bonté.
Touts les ennemys qui m'assaillent,
Fais par ta mercy qu'ilz deffaillent:
Et rends confonduz, et destruicts
Touts ceulx qui ma vie travaillent,
Car ton humble serviteur suis.
Fin des trente premiers Psalmes, traduitz, et reveuz par Clement Marot.

Vingts psalmes nouvellement mis en Françoys, et envoyés au Roy, par Clement Marot

Psal. 9.
Chantez en exultation
Au Dieu qui habite en Sion
Clement Marot aux Dames de France, humble Salut.
Quand viendra le siecle doré,
Qu'on verra Dieu seul adoré,
Loué, chanté, comme il l'ordonne,
Sans qu'ailleurs sa gloyre l'on donne?
Quand n'auront plus ne cours ne lieu,
Les Chansons de ce petit Dieu
A qui les Painctres font des aesles?
O vous Dames, et Damoyselles,
Que Dieu feit pour estre son Temple,
Et faictes, soubz maulvais exemple,
Retentir et Chambres, et Salles
De Chansons mondaines, ou salles,
Je veulx icy vous presenter
De quoy, sans offense, chanter:
Et sachant, que point ne vous plaisent
Chansons, qui de l'amour se taisent:
Celles qu'icy presenter j'ose
Ne parlent, certes, d'aultre chose:
Ce n'est qu'amour, Amour luymesme,
Par sa sapience supresme,
Les composa, et l'homme vain
N'en a esté que l'escrivain.
Amour, duquel parlant je voys,
A faict en vous langage, et voix
Pour chanter ses haultes louanges,
Non point celles des Dieux estranges,
Qui n'ont ne pouvoir, ny aveu
De faire en vous ung seul cheveu.
L'amour dont je veulx que chantez
Ne rendra voz cueurs tourmentez
Ainsi que l'autre, mais sans doubte,
Il vous remplira l'âme toute
De ce plaisir solacieux
Que sentent les Anges aux cieulx,
Car son Esprit vous fera grâce
De venir prendre en voz cueurs place,
Et les convertir, et muer,
Faisant voz levres remuer,
Et vos doigtz, sur les Espinettes,
Pour dire sainctes Chansonnettes.
O bien heureux, qui veoir pourra
Fleurir le temps, que l'on oyrra
Le Laboureur à sa charrue,
Le Charretier parmy la rue,
Et l'Artisan en sa boutique,
Avecques ung Psalme, ou Cantique,
En son labeur se soulager:
Heureux, qui oyrra le Berger,
Et la Bergiere, au boys estants,
Faire que rochiers, et estangs,
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Apres eulx chantent la haulteur
Du sainct Nom de leur Createur.
Souffrirez vous qu'à joye telle,
Plustost que vous, Dieu les appelle?
Commencez, Dames, commencez,
Le siecle doré avancez,
En chantant d'ung cueur debonnaire
Dedans ce sainct Cancionnaire:
Affin que du monde s'en volle
Ce Dieu inconstant d'amour folle,
Place faisant à l'amyable
Vray Dieu d'amour, non variable.
Le premier jour d'Aoust.
1543.
Clement Marot au Roy
Puis que voulez que je poursuyve, ô Sire,
L'oeuvre Royal du Psaultier commencé,
Et que tout cueur aymant Dieu le desire,
D'y besongner me tien pour dispensé.
S'en sente doncq, qui vouldra, offensé:
Car ceulx à qui ung tel bien ne peult plaire
Doibvent penser, si jà ne l'ont pensé,
Qu'en vous plaisant me plaist de leur desplaire.
Le quinziesme de Mars.
1543.
Distichum
Desinite Hebraeam iam Galli discere linguam.
Discunt Hebraei Gallica verba loqui.
Estienne Pasquier, au Lecteur
Clement Marot en rendant son Autheur
De si trespres l'a suivy à la trace,
Qu'on jugeroit, tant il a bonne grâce,
Qu'il a esté luy mesme l'inventeur.

I
Pseaulme Dixhuictiesme
Diligam te Domine.
Argument: Hymne tresexcellent lequel David chanta au seigneur Dieu apres qu'il l'eut rendu paisible et victorieux
sur Saul et sur tous ses autres ennemys, prophetisant de Jesuchrist en la conclusion du pseaulme.
Je t'aymeray en toute obeyssance,
Tant que vivray, ô mon Dieu, ma puissance.
Dieu, c'est mon roc, mon rempar hault, et seur,
C'est ma rençon, c'est mon fort deffenseur,
En luy seul gist ma fiance parfaicte,
C'est mon pavoys, mes armes, ma retraicte:
Quand je l'exalte, et prie en ferme foy,
Soubdain recoux des ennemys me voy.
Dangers de mort ung jour m'environnarent,
Et grands torrents de malings m'estonnarent.
J'estoys bien pres du sepulchre venu,
Et des filés de la Mort prevenu:
Ainsi pressé, soubdain j'invocque, et prie
Le Toutpuissant, hault à mon Dieu je crie:
Mon cry au ciel jusqu'à luy penetra,
Si que ma voix en son oreille entra.
Incontinent tremblarent les Campaignes:
Les fondements des plus haultes Montaignes
Touts esbranlés, s'esmeurent grandement:
Car il estoit courroucé ardamment.
En ses naseaulx luy monta la fumée,
Feu aspre yssoit de sa bouche allumée,
Si enflambé en son couraige estoit,
Qu'ardants charbons de toutes pars jectoit.
Baissa le Ciel, de descendre print cure,
Ayant soubz piedz une brouée obscure:
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Monté estoit sur ung Esprit mouvent,
Volloit guindé sur les aeles du vent,
Et se cachoit dedans les noires Nues,
Pour Tabernacle autour de luy tendues.
En fin rendit, par sa grande clarté,
Ce gros amas de Nues escarté,
Gresles jectant, et charbons vifz en terre,
Au ciel menoit l'Eternel grand tonnerre,
L'Altitonant sa voix grosse hors mist,
Et gresle, et feu sur la terre transmist:
Lança ses Dards, rompit toutes leurs bandes,
Doubla l'esclair, leur donna frayeurs grandes.
A ta menace, et du fort vent poulsé
Par toy, Seigneur, en ce poinct courroucé,
Furent canaulx desnués de leur unde,
Et descouvertz les fondements du Monde.
Sa main d'enhault icy bas me tendit,
Et hors des eaux sain, et sauf me rendit:
Me recourut des puissants, et haulsaires
(Et plus que moy renforcés) adversaires.
A mes dangers, il preveut, et prevint:
Quand il fut temps secours de Dieu me vint,
Me mist au large, et si feit entreprise
De me garder, car il me favorise.
Or m'a rendu selon mon equité,
Et de mes mains selon la purité,
Car du Seigneur j'avoys suivy la voye,
Ne revolté mon cueur de luy n'avoye:
Ains tousjours heu devant l'oeil touts ses ditz,
Sans rejecter ung seul de ses editz.
Si qu'envers luy entier en tout affaire
Me suis monstré, me gardant de mal faire.
Or m'a rendu selon mon equité,
Et de mes mains selon la purité.
Certes, Seigneur, qui sçais telles mes oeuvres,
Au bon tresbon, pur au pur, te descoeuvres:
Tu es entier, à qui entier sera,
Et defaillant, à qui failly aura.
Les humbles vivre en ta garde tu laisses,
Et les sourcilz des braves tu rabaisses,
Aussi mon Dieu, ma Lanterne allumas,
Et esclairé en tenebres tu m'as,
Par toy donnay à travers la bataille,
Mon Dieu devant, je saultay la muraille.
C'est l'Eternel, qui entier est trouvé,
Son parler est, comme au feu, esprouvé,
C'est ung bouclier de forte resistance
Pour touts ceulx là, qui ont en luy fiance.
Mais qui est Dieu, sinon le supernel?
Ou qui est fort, si ce n'est l'Eternel?
De hardiesse, et force il m'environne,
Et seure voye à mes emprises donne:
Mes piedz à ceulx des Chevreulz faict esgaulx,
Pour monter lieux difficiles, et haultz:
Ma main par luy aux armes est apprise,
Si que du bras ung Arc d'acier je brise.
De ton secours l'escu m'a apporté,
Et m'a ta dextre au besoing supporté,
Ta grand' bonté, où mon espoir mectoye,
M'a faict plus grand encor' que je n'estoye:
Preparer vins mon chemin soubz mes pas,
Dont mes talons glissants ne furent pas:
Car ennemys sceu poursuyvre, et attaindre,
Et ne revins sans du tout les estaindre:
Durer n'on peu, tant bien les ay secoux,
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Ains à mes piedz tresbucharent de coups:
Circuy m'as de belliqueuse force,
Ployant soubz moy, qui m'envahir s'efforce,
Tu me monstras le doz des ennemys,
Et mes hayneux j'ay en ruine mys:
Ilz ont crié, n'ont heu secours quelconques,
Mesmes à Dieu, et ne les ouyt oncques,
Comme la pouldre au vent les ay rendus,
Et comme fange en la place estendus.
Delivré m'as du mutin populaire,
Et t'a pleu chef des nations me faire,
Voyre le peuple, à moy peuple incongnu,
Soubz mon renom obeir m'est venu:
Maintz estrangers par servile contraincte
M'ont faict honneur d'obeyssance faincte,
Maintz estrangers redoubtants mes effortz,
Espouventés, ont tremblé en leurs fortz.
Vive mon Dieu, à mon saulveur soit gloyre,
Exalté soit le Dieu de ma victoyre,
Qui m'a donné pouvoir de me venger,
Et qui soubz moy les peuples faict renger:
Me garentit qu'ennemys ne me grevent,
M'esleve hault sur touts ceulx qui s'eslevent
Encontre moy, me delivrant à plain
De l'homme ayant le cueur d'oultrage plein.
Pourtant, mon Dieu, parmy les gens estranges
Te beneiray, en chantant tes louanges:
Ce Dieu, je dy, qui magnificquement
Saulva son Roy, et qui unicquement
David, son oingt, traicte en grande clemence:
Traictant, de mesme, à jamais sa semence.

II
Pseaulme vingttroisiesme
Dominus regit me, et nihil
Argument: Il chante les biens et la felicité qu'il a et d'une merveilleuse fiance se promet que dieu duquel ce bien luy
vient le traictera tousjours de mesmes.
Mon Dieu me paist soubs sa puissance haulte,
C'est mon berger, de rien je n'auray faulte.
En tect bien seur, joignant les beaulx herbages,
Coucher me faict, me meine aux clairs rivages,
Traicte ma vie en doulceur treshumaine,
Et pour son Nom, par droicts sentiers me meine
Si seurement, que quand au val viendroye
D'umbre de mort, rien de mal ne craindroye,
Car avec moy tu es à chascune heure:
Puis ta houlette, et conduicte m'asseure.
Tu enrichys de vivres necessaires
Ma table, aux yeulx de touts mes adversaires.
Tu oings mon chef d'huyles, et senteurs bonnes,
Et jusqu'aux bords pleine tasse me donnes,
Voyre, et feras que ceste faveur tienne,
Tant que vivray compaignie me tienne,
Si que tousjours de faire ay esperance
En la maison du Seigneur demourance.

III
Pseaulme vingtcinquiesme
Ad te Domine levavi animam
Argument: Icy l'homme pressé de ses pechez et de la malice de ses ennemys prie le Seigneur Dieu pour soy et
generalement pour tout le peuple.
A Toy, mon Dieu, mon cueur monte,
En Toy mon espoir ay mys,
Fais que je ne tombe à honte,
Au gré de mes ennemys.
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Honte n'auront voyrement
Ceulx qui dessus toy s'appuyent,
Mais bien ceulx qui durement
Et sans cause les ennuyent.
Le chemin que tu nous dresses
Fays moy congnoistre, Seigneur,
De tes sentes, et addresses
Vueilles moy estre enseigneur.
Achemine moy au cours
De ta verité patente,
Comme Dieu de mon secours,
Où j'ay chascun jour attente.
De tes bontés te recorde,
Metz en memoyre, et estends
Ceste grand' misericorde,
Dont usé a de tout temps.
Oublye la mauvaistié
De l'orde jeunesse mienne,
De moy, selon ta pitié,
Par ta bonté te souvienne.
Dieu est bon, et veritable,
L'a esté, et le sera,
Parquoy en voye equitable
Les pecheurs raddressera.
Les humbles fera venir
A vie juste, et decente,
Aux humbles fera tenir
L'Eternel sa droicte sente.
Bonté, seurté, souvenance,
Ce sont de Dieu les sentiers,
A ceulx, qui sa convenance
Gardent bien, et vouluntiers.
Helas Seigneur tout parfaict,
Pour l'amour de ton Nom mesme,
Pardonne moy mon forfaict,
Car c'est ung forfaict extresme.
Quel homme c'est, à vray dire,
Qui en Dieu son desir a,
Du chemin qu'il doibt eslire
L'Eternel l'advertira.
A repos parmy ses biens
Vivra son cueur en grand' eage,
Puis auront les Enfants siens
La terre pour heritage.
Dieu faict son secret paroistre
A ceulx qui l'ont en honneur,
Et leur monstre, et faict congnoistre
De son contract la teneur.
Quant à moy, yeulx, et espritz
En tout temps à Dieu je tourne,
Car mes piedz, quand ilz sont pris,
Du filé tire, et destourne.
Jecte doncq sur moy ta veuë,
Prens de moy compassion,
Personne suis despourveuë,
Seulle, et en affliction.
Jà mon cueur sent empirer,
Et augmenter ses destresses,
Las, vueille moy retirer
De ces miennes grands oppresses.
Tourne à mon tourment ta face,
Voy ma peine, et mon soucy,
Et touts mes pechés efface,
Qui sont cause de cecy.
Voy mes ennemys, qui sont
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Non seullement grosse bande,
Mais qui sur moy certes ont
Hayne furieuse, et grande.
Preserve de leur embusche
Ma vie, et delivre moy,
Qu'à honte je ne tresbuche,
Puis que j'ay espoir en toy.
Que ma simple integrité
(Comme à l'ung des tiens) me serve,
Et de toute adversité
Israel tire, et conserve.

IV
Pseaulme Trentetroisiesme
Exultate justi in Domino, rectos
Argument: C'est ung bel hymne auquel le prophete invite d'entrée à celebrer le tout puissant: puis chante que tout
est plein de sa bonté, recite ses merveilles, admonneste les princes de ne se fier en leurs forces et que dieu
assiste à ceulx qui les reverent: puis invoque sa bonté.
Resveillez vous chascun fidele,
Menez en Dieu joye orendroit,
Louange est tresseante, et belle
En la bouche de l'homme droit:
Sur la doulce harpe
Pendue en escharpe
Le Seigneur louez,
De Luz, d'Espinettes,
Sainctes chansonnettes
A son Nom jouez.
Chantez de luy par melodie,
Nouveau vers, nouvelle chanson,
Et que bien on la psalmodie,
A haulte voix, et plaisant son.
Car ce que Dieu mande,
Qu'il dit et commande,
Est juste, et parfaict:
Tout ce qu'il propose,
Qu'il faict, et dispose,
A fiance est faict.
Il ayme d'amour souveraine,
Que droit regne, et justice ayt lieu:
Quand tout est dit, la terre est pleine
De la grande bonté de Dieu.
Dieu par sa Parolle
Forma chascun pole,
Et Ciel precieux,
Du vent de sa bouche
Feit ce qui attouche
Et orne les cieulx.
Il a les grands eaux amassées
En la mer, comme en ung vaisseau,
Aux abysmes les a mussées,
Comme ung thresor en ung monceau.
Que la terre toute
Ce grand Dieu redoubte,
Qui feit tout de rien:
Qu'il n'y ait personne,
Qui ne s'en estonne,
Au val terrien.
Car toute chose qu'il a dite
A esté faicte promptement,
L'obeyssance aussi subite
A esté, que le mandement.
Le conseil, l'emprise
Des gens il desbrise,
Et mect à l'envers:
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Vaines, et cassées
Il rend les pensées
Des peuples divers.
Mais la divine providence
Son conseil sçait perpetuer,
Ce que son cueur une foys pense,
Dure à jamais, sans se muer.
O gent bienheurée,
Qui, toute asseurée,
Pour son Dieu le tient:
Heureux le lignage,
Que Dieu en partage
Choysit, et retient.
Le Seigneur Eternel regarde
Icy bas du plus hault des cieulx:
Dessus les humains il prend garde,
Et les voit touts devant ses yeulx.
De son Throsne stable,
Paisible, equitable,
Ses clairs yeulx aussi
Jusqu'au fons visitent
Touts ceulx qui habitent
En ce monde icy.
Car luy seul, sans aultruy puissance,
Forma leurs cueurs, telz qu'ilz les ont:
C'est luy seul qui a congnoissance
Quelles toutes leurs oeuvres sont.
Nombre de gensd'armes,
En assaultz n'alarmes,
Ne saulvent le Roy:
Bras ny halebarde,
L'homme fort ne garde,
De mortel desroy.
Celluy se trompe, qui cuyde estre
Saulvé par cheval bon, et fort:
Ce n'est point par sa force adextre,
Que l'homme eschappe ung dur effort.
Mais l'oeil de Dieu veille
Sur ceulx, à merveille,
Qui de voulunté
Craintifz le reverent:
Qui aussi esperent
En sa grand' bonté.
Affin que leur vie il delivre,
Quand la Mort les menacera:
Et qu'il leur donne de quoy vivre
Au temps, que famine sera.
Que doncques nostre âme
L'Eternel reclame,
S'attendant à luy.
Il est nostre addresse,
Nostre forteresse,
Pavoys, et appuy.
Et par luy grand' resjouyssance
Dedans noz cueurs tousjours aurons,
Pourveu qu'en la haulte puissance
De son Nom sainct nous esperons.
Or ta bonté grande
Dessus nous s'espande,
Nostre Dieu, et Roy,
Tout ainsi qu'entente,
Espoir, et attente
Nous avons en toy.

V
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Pseaulme Trentesixiesme
Dixit injustus, ut delinquat in semetipso
Argument: Il s'esmerveille de la grand bonté de Dieu, laquelle est si espandue par tout que mesmes les mauvais
s'en sentent: puis chante que les esleuz la sentent singulierement sur tous comme par benediction et prie Dieu la
continuer plus longuement à ceulx qui le congnoissent et le garder de la violence des mauvais desquelz il predit
aussi la ruine.
Du maling les faictz vicieux
Me disent que devant ses yeulx
N'a point de Dieu la crainte:
Car tant se plaist en son erreur,
Que l'avoir en hayne, et horreur,
C'est bien force, et contraincte.
Son parler est nuysant, et fin:
Doctrine va fuyant, affin
De jamais bien ne faire.
Songe en son lict meschanceté:
Au chemin tors est arresté:
A nul mal n'est contraire.
O Seigneur, ta benignité
Touche aux cieulx, et ta verité
Dresse aux Nues la teste.
Tes jugements semblent haultz monts,
Ung abysme tes actes bons,
Tu gardes homme, et beste.
O que tes grâces nobles sont
Aux hommes, qui confiance ont
En l'ombre de tes aesles!
De tes biens saoules leurs desirs,
Et au fleuve de tes plaisirs,
Pour boyre les appelles.
Car source de vie en toy gist,
Et ta clarté nous eslargist
Ce qu'avons de lumiere.
Continue, ô Dieu tout puissant,
A tout cueur droict te congnoissant,
Ta bonté coustumiere.
Que le pied de l'homme inhumain
De moy n'approche, et que sa main
Ne m'ebranle ne greve.
C'est faict, les iniques cherront,
Et repoulsés tresbucheront;
Sans qu'ung d'eulx se releve.

VI
Pseaulme Quarantetroisiesme
Deus, Deus meus, ad te
Argument: Il prie estre delivré de ceulx qui avoient conjuré avec Absalon affin qu'il puisse à bon escient publier les
louanges de Dieu en la saincte congregation.
Revenge moy, prends la querelle
De moy, Seigneur, par ta mercy,
Contre la gent faulse, et cruelle:
De l'homme, remply de cautelle,
Et en sa malice endurcy,
Delivre moy aussi.
Las, mon Dieu, tu es ma puissance,
Pourquoy t'enfuys, me reboutant?
Pourquoy permectz qu'en desplaisance
Je chemine, soubz la nuysance
De mon adversaire, qui tant
Me va persecutant?
A ce coup ta lumière luyse,
Et ta Foy veritable tien,
Chascune d'elles me conduyse
En ton sainct Mont, et m'introduyse
Jusqu'au Tabernacle tien,
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Avecq humble maintien.
Là dedans prendray hardiesse
D'aller de Dieu jusqu'à l'autel,
Au Dieu de ma joye, et liesse,
Et sur la harpe chanteresse
Confesseray qu'il n'est Dieu tel
Que toy, Dieu immortel.
Mon cueur, pourquoy t'esbahys ores?
Pourquoy te debatz dedans moy?
Attends le Dieu que tu adores,
Car grâces luy rendray encores,
Dont il m'aura mys hors d'esmoy,
Comme mon Dieu, et Roy.

VII
Pseaulme Quarantecinquiesme
Eructavit cor meum verbum bonum
Argument: C'est le chant nuptial de Jesuchrist et de son eglise soubz la figure de Salomon et de sa principale
femme, fille de Pharaon.
Propos exquis fault que de mon cueur sorte,
Car du Roy veulx dire Chanson, de sorte
Qu'à ceste foys ma langue mieulx dira
Qu'un Scribe prompt de plume n'escrira.
Le mieulx formé tu es d'humaine race,
En ton parler gist merveilleuse grâce:
Parquoy Dieu faict que toute nation
Sans fin te loue en benediction.
O le plus fort que rencontrer on puisse,
Accoustre, et ceintz sur ta robuste cuisse
Ton glaive aigu, qui est la resplendeur,
Et l'ornement de Royalle grandeur.
Entre en ton Char, triumphe à la bonne heure
En grand honneur, puis qu'avecq toy demeure
Verité, Foy, Justice, et cueur humain,
Veoir te feras de grands choses ta main.
Tes Dards luysants, et tes Sagettes belles
Poignantes sont: les cueurs à toy rebelles
Seront au vif d'icelles transpercés,
Et dessoubz toy les peuples renversés.
O divin Roy, ton Throsne venerable
C'est un hault Throsne, à jamais perdurable:
Le Sceptre aussi de ton Regne puissant,
C'est d'equité le Sceptre fleurissant.
Iniquité tu hays, aymant justice,
Pour ces raisons, Dieu, ton Seigneur propice,
Sur tes consors t'ayant le plus à gré,
D'huyle de joye odorant t'a sacré.
De tes habits les plys ne sentent qu'Ambre,
Et Musc, et Myrrhe, en allant de ta Chambre
Hors ton Palays d'yvoire, hault et fier,
Là où chascun te vient gratifier.
Avecq toy sont filles de Roys bien nées,
De tes presents moult precieux ornées,
Et la nouvelle Espouse à ton costé,
Qui d'or d'Ophir couronne sa beaulté.
Escoute fille en beaulté nonpareille,
Entends à moy, et me preste l'oreille:
Il te convient ton peuple familier,
Et la maison de ton pere oublier.
Car nostre Roy, nostre souverain Sire,
Moult ardamment ta grand' beaulté desire
D'oresnavant ton Seigneur il sera,
Et de toy humble obeyssance aura.
Peuples de Tyr, peuples pleins de richesses,
D'honneur, et dons te feront grands largesses,
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Ce ne sera de la Fille du Roy,
Soubz manteau d'or, sinon tout noble arroy.
D'habits brodés richement atournée,
Elle sera devers le Roy menée,
Avecq le train des Vierges, la suyvants,
Et de ses plus prochaines, la servants.
Pleines de joye, et d'ennuy exemptées,
Au Roy seront ensemble presentées:
Elles, et toy, en triumphe, et bonheur,
L'yrez trouver en son Palays d'honneur.
Ne plainds doncq point de laisser pere, et mere:
Car en lieu d'eulx, mariage prospere
Te produyra beaulx, et nobles enfants,
Que tu feras par tout Roys triumphants.
Quant est de moy, à ton Nom, et ta gloyre
Feray escriptz d'eternelle memoyre,
Et par lesquelz les gens, à l'advenir,
Sans fin vouldront te chanter, et benir.

VIII
Pseaulme Quarantesixiesme
Deus noster refugium, et virtus
Argument: Les bons chantent icy quelle fiance et seureté ilz ont en tous perilz ayans Dieu pour leur garde.
Des qu'adversité nous offense,
Dieu nous est appuy, et deffense,
Au besoing l'avons esprouvé,
Et grand secours en luy trouvé:
Dont plus n'aurons crainte ne doubte,
Et deust trembler la terre toute,
Et les Montaignes abysmer
Au milieu de la haulte mer.
Voyre deussent les eaux profondes
Bruyre, escumer, enfler leurs undes,
Et par leur superbe pouvoir
Rochers, et Montaignes mouvoir.
Au temps de tourmente si fiere,
Les ruysseaux de nostre riviere
Resjouyront la grand' cité,
Lieu tressainct de la deité.
Il est certain qu'au milieu d'elle
Dieu faict sa demeure eternelle,
Rien esbranler ne la pourra,
Car Dieu prompt secours luy donra.
Trouppes de gens sur nous coururent,
Meuz contre noz Royaulmes furent,
Du bruyt des voix tout l'air fendoit,
Et soubz eulx la terre fondoit.
Mais pour nous, en ces durs alarmes,
A esté le grand Dieu des armes.
Le Dieu de Jacob, c'est ung Fort
Pour nous, encontre tout effort.
Venez, contemplez en vous mesmes
Du Seigneur les actes supresmes,
Et ces lieux terrestres voyez,
Comment il les a nettoyés.
Il a estaint cruelle guerre,
Par tout, jusqu'aux fins de la terre,
Brisé Lances, rompu les Arcs,
Et par feu les Chariotz ards.
Cessez, dit il, et congnoissance
Ayez de ma haulte puissance,
Dieu suis, j'ay exaltation
Sur toute terre, et nation.
Conclusion, le Dieu des armes
Des nostres est en touts alarmes:
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Le Dieu de Jacob, c'est ung Fort
Pour nous encontre tout effort.

IX
Pseaulme Cinquantiesme
Deus deorum dominus locutus est
Argument: Il prophetise comment Dieu debvoit appeller à soy toutes nations par l'evangille et ne demander aux
siens pour tous sacrifices sinon confession et predication de sa bonté, detestant ceulx qui se vantent d'observer sa
religion sans que leur cueur soit touché de zele ne d'amour en luy.
Le Dieu, le fort, l'Eternel parlera,
Et hault, et clair la terre appellera,
De l'Orient jusques à l'Occident.
Devers Syon Dieu clair, et evident
Apparoistra, orné de beaulté toute:
Nostre grand Dieu viendra, n'en faictes doubte,
Ayant ung feu devorant devant luy,
D'ung vehement tourbillon circuy.
Lors huchera et terre, et ciel luysant,
Pour juger là tout son peuple, en disant:
Assemblez moy mes sainctz, qui par fiance
Sacrifiants ont prins mon alliance,
(Et vous les cieulx, direz en tout endroit
Son jugement, car Dieu est Juge droit)
Entends mon peuple, et à toy parleray,
Ton Dieu je suis, rien ne te celeray:
Par moy reprins ne seras des offrandes
Qu'en sacrifice ay voulu que me rendes,
Je n'ay besoing prendre en nulle saison
Bouc de tes parcs, ne Boeuf de ta maison:
Touts animaulx des boys sont de mes biens,
Mille trouppeaulx en mille monts sont miens,
Miens je congnoys les Oyseaulx des montaignes,
Et Seigneur suis du bestail des campaignes:
Si j'avoys faim, je ne t'en diroys rien,
Car à moy est le monde, et tout son bien.
Suis je mangeur de chair de gros Taureaux?
Ou boy je le sang de Boucz, ou de Chevreaux?
A l'Eternel louange sacrifie,
Au Souverain rends tes voeux, et t'y fie:
Invocque moy, quand oppressé seras,
Lors t'aideray, puis honneur m'en feras.
Aussi dira l'Eternel au meschant,
Pourquoy va tu mes editz tant preschant,
Et prens ma Loy en ta bouche maline,
Veu que tu as en hayne discipline,
Et que mes dictz jectes, et ne reçoys?
Si ung larron d'adventure apperçoys,
Avecq luy cours: car aultant que luy vaux,
T'accompaignant de paillards, et ribaux:
Ta bouche metz à mal, et mesdisances,
Ta langue brasse et fraudes, et nuisances,
Causant assis pour ton prochain blasmer,
Et pour ton frere, ou cousin diffamer:
Tu fays ces maulx, et ce pendant que riens
Je ne t'en dy, tu m'estimes, et tiens
Semblable à toy: mais, quoy que tard le face,
T'en reprendray quelcque jour à ta face.
Or entendez cela, je vous supply,
Vous, qui mectez l'Eternel en oubly,
Que sans secours ne soyez tous deffaictz.
Sacrifiant louange, honneur me fays,
Dit le Seigneur, et qui tient ceste voye,
Doubter ne fault que mon salut ne voye.

X
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Pseaulme Septantedeuxiesme
Deus judicium tuum regi da
Argument: Il prie que le regne de Dieu advienne par Jesuchrist prophetisant l'estendue, l'equité, felicité et longue
durée d'icelluy regne, le tout soubz la figure de celluy de Salomon.
Tes jugements, Dieu veritable,
Baille au Roy pour regner,
Vueilles ta justice equitable
Au filz du Roy donner.
Il tiendra ton peuple en justice,
Chassant iniquité:
A tes paovres sera propice,
Leur gardant equité.
Les peuples verront aux montaignes
La paix croistre, et meurir,
Et par coustaux, et par campaignes,
La justice fleurir.
Ceulx du peuple, estants en destresse,
L'auront pour deffenseur:
Les paovres gardera d'oppresse,
Reboutant l'oppresseur.
Aussi ung chascun, et chascune,
O Roy, t'honnorera,
Sans fin, tant que Soleil, et Lune,
Au monde esclairera.
Il vient comme pluye agreable
Tombant sur prés fauchés,
Et comme rosée amiable
Sur les terroirs sechés:
Luy regnant, fleuriront par voye
Les bons, et gracieux
En longue paix, tant qu'on ne voye
De Lune plus aux cieulx.
De l'une mer large, et profonde
Jusques à l'aultre mer,
D'Euphrates, jusqu'au bout du monde,
Roy se fera nommer.
Ethiopes viendront grand erre
Se cliner devant luy,
Ses hayneux baiseront la terre,
A l'honneur d'icelluy.
Roys d'Isles, et de la mer creuse,
Viendront à luy presents,
Et Roys d'Arabie l'heureuse,
Pour luy faire presents.
Touts aultres Roys viendront, sans doubte,
A luy s'humilier,
Et le vouldra nation toute
Servir, et supplier.
Car delivrance il donra bonne
Au paovre à luy pleurant,
Et au chetif, qui n'a personne,
Qui luy soit secourant.
Aux calamiteux, et pleurables,
Sera doulx, et piteux,
Saulvant les vies miserables
Des paovres souffreteux.
Les gardera de violence,
Et dol pernicieux,
Ayant leur sang, par sa clemence,
Moult cher, et precieux.
Chascun vivra, l'Or Arabicque
A touts departira,
Dont, sans fin, Roy tant magnificque,
Par tout on beneira.
De peu de grains, force blé: somme,
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Les espis chascun an
Sur les monts bruyront en l'air, comme
Les arbres de Liban.
Fleurira la tourbe civile
Des bourgeoys, et marchants,
Multipliants dedans la ville,
Comme herbe par les champs.
Sans fin bruyra le Nom, et gloyre
De ce Roy nompareil,
De son renom sera memoyre
Tant qu'y aura Soleil.
Toutes nations, asseurées
Soubz Roy tant valeureux,
S'en yront vantant bienheurées,
Et le diront heureux.
Dieu, le Dieu des Israelites,
Qui sans secours d'aulcun
Faict des merveilles non petites
Soit loué de chascun.
De sa gloyre tresaccomplie
Soit loué le renom,
Soit toute la terre remplie
Du hault loz de son Nom.
Amen.

XI
Pseaulme Septanteneufviesme
Deus venerunt gentes in haereditatem tuam
Argument: Il se complainct de la calamité advenue en Hierusalem par Antichus contre lequel il demande aussi
l'ayde de Dieu.
Les gens entrés sont en ton heritage,
Ilz ont pollu, Seigneur, par leur oultrage,
Ton Temple sainct, Hierusalem destruicte,
Si qu'en monceaulx de pierres l'ont reduicte.
Ilz ont baillé les corps
De tes serviteurs morts
Aux Corbeaux, pour les paistre:
La chair des bien vivants
Aux animaulx suyvants
Boys, et plaine champestre.
Entour la ville, où fut ce dur esclandre,
Las, on a veu le sang d'iceulx espandre,
Ainsi comme eau' jectée à l'adventure,
Sans que vivant leur donnast sepulture.
Ceulx, qui noz voysins sont,
En opprobre nous ont,
Nous mocquent, nous despitent:
Ores sommes blasmés,
Et par ceulx diffamés
Qui entour nous habitent.
Helas, Seigneur, jusques à quand sera ce?
Nous tiendra tu pour jamais hors de grâce?
Ton ire ainsi embrasée, ardra elle,
Comme une grand' flambe perpetuelle?
Tes indignations
Espands sur nations
Qui n'ont ta congnoissance:
Ce mal viendroit appoint
Aux Royaulmes, qui point
N'invocquent ta puissance.
Car ceulx là ont toute presques estaincte
Du bon Jacob la posterité saincte,
Et en desert totallement tournée
La demourance à luy par toy donnée.
Las, ne nous ramentoy
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Les vieulx maulx contre toy
Perpetrés à grands sommes:
Haste toy, vienne avant
Ta bonté, nous saulvant,
Car moult affligés sommes.
Assiste nous, nostre Dieu secourable,
Pour l'honneur hault de ton Nom venerable:
Delivre nous, soys piteux, et paisible
En noz pechés, pour ta gloyre indicible.
Qu'on ne die au milieu
Des gens, où est leur Dieu?
Ains punis leurs offenses,
Vueilles de toutes pars
Des tiens le sang espars
Venger, en noz presences.
Des prisonniers le gemissement vienne
Jusques au ciel, en la presence tienne:
Les condamnés, et ceulx qui jà se meurent,
Fays que vivants par ton pouvoir demeurent.
A noz voysins aussi
En leur sein endurcy,
Sept foys vueilles leur rendre
Le blasme, et deshonneur
Que contre toy, Seigneur,
Ont osé entreprendre.
Et nous alors ton vray peuple, et tes hommes,
Et qui trouppeau de ta pasture sommes,
Te chanterons par siecles innombrables,
De filz en filz preschant tes faictz louables.

XII
Pseaulme Octantesixiesme
Inclina Domine aurem tuam, et ex
Argument: David requiert à Dieu premierement qu'il le face vivre sans peché, secondement qu'il l'asseure de ses
ennemys, luy donnant vie heureuse: puis racompte la puissance et bonté de Dieu jà manifestée et qu'il doibt
encores manifester à luy et aux autres.
Mon Dieu, preste moy l'oreille,
Par ta bonté nompareille:
Responds moy, car plus n'en puis,
Tant paovre, et affligé suis.
Garde, je te pry, ma vie,
Car de bien faire ay envie:
Mon Dieu, garde ton servant,
En l'espoir de toy vivant.
Las, de faire te recorde
Faveur, et misericorde
A moy, qui tant humblement
T'invocque journellement.
Et donne liesse à l'âme
Du serf, qui seigneur te clame,
Car mon cueur, ô Dieu des Dieux,
J'esleve à toy jusqu'aux cieulx.
A toy mon cueur se transporte,
Car tu es de bonne sorte,
Et à ceulx pleins de secours,
Qui à toy vont à recours.
Doncques la priere mienne
A tes oreilles parvienne.
Entends, car il est saison,
La voix de mon oraison.
Des qu'angoisse me tourmente,
A toy je crie, et lamente,
Pource qu'à ma triste voix
Tu responds souventesfoys.
Il n'est Dieu à toy semblable,
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Ny à toy accomparable,
Ne qui se sceust usiter
A tes oeuvres imiter.
Toute humaine creature,
Qui de toy a prins facture
Viendra te glorifier,
Et ton Nom magnifier.
Car tu es grand à merveilles,
Et fays choses nompareilles:
Aussi as tu l'honneur tel,
D'estre seul Dieu immortel.
Mon Dieu, monstre moy tes voyes,
Affin qu'aller droict me voyes,
Et sur tout, mon cueur non fainct
Puisse craindre ton Nom sainct.
Mon Seigneur Dieu, ta haultesse
Je veulx celebrer sans cesse,
Et ton sainct Nom je pretends
Glorifier en tout temps.
Car tu as à moy indigne
Monstré grand' bonté benigne,
Tirant ma vie du bort
Du bas Tumbeau de la mort.
Mon Dieu, les pervers m'assaillent,
A grands trouppes sur moy saillent,
Et cherchent à mort me veoir,
Sans à toy regard avoir.
Mais tu es Dieu pitoyable,
Prompt à mercy, et ployable,
Tardif à estre irrité,
Et de grand' fidelité.
En pitié doncq me regarde,
Baille ta force, et ta garde,
Au foyble serviteur tien,
Et ton esclave soustien.
Quelcque bon signe me donne,
Qui mes ennemys estonne,
Quand verront que toy, Saulveur,
Me presteras ta faveur.

XIII
Pseaulme Nonante et uniesme
Qui habitat in adjutorio altissimi
Argument: Le prophete chante en quelle seureté vit et de combien de maulx est exempté celluy qui d'une ferme
fiance se soubmet du tout à Dieu.
Qui en la garde du hault Dieu
Pour jamais se retire,
En umbre bonne, et en fort lieu
Retiré se peult dire.
Concluz doncq en l'entendement,
Dieu est ma garde seure,
Ma haulte tour, et fondement,
Sur lequel je m'asseure:
Car du subtil laqs des chasseurs,
Et de toute l'oultrance
Des pestiferes oppresseurs,
Te donra delivrance.
De ses plumes te couvrira,
Seur seras soubz son aesle,
Sa deffense te servira
De targe, et de rondelle,
Si que de nuict ne craindras point
Chose qui espouvante,
Ne dard ne sagette qui poingt,
De jour en l'air vollante.
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N'aulcune peste cheminant
Lors qu'en tenebres sommes,
Ne mal soubdain exterminant
En plein midy les hommes.
Quant à ta dextre il en cherroit
Mille, et mille à senestre,
Leur mal de toy n'approcheroit,
Quelcque mal que puisse estre:
Ains, sans effroy, devant tes yeulx
Tu les verras deffaire,
Regardant les pernicieux
Recevoir leur salaire.
Et tout, pour avoir dict à Dieu,
Tu es la garde mienne,
Et d'avoir mis en si hault lieu
La confiance tienne.
Malheur ne te viendra chercher,
Tien le pour chose vraye,
Et de ta maison approcher
Ne pourra nulle playe.
Car il fera commandement
A ses Anges tresdignes,
De te garder songneusement,
Quelcque part que chemines.
Par leurs mains seras soubzlevé,
Affin que d'adventure
Ton pied ne choppe, et soit grevé
Contre la pierre dure.
Sur Lyonceaux, et sur Aspics,
Sur Lyons pleins de rage,
Et sur Dragons, qui vallent pis,
Marcheras sans dommage.
Car voicy, que Dieu dict de toy
D'ardante amour m'honnore:
Garder, et secourir le doy,
Car mon Nom il adore.
S'il m'invocque, l'exaulceray:
Aussi pour le deffendre
En mal temps avecq luy seray:
A son bien veulx entendre,
Et faire de ses ans le cours
Tout à son desir croistre:
En effect, quel est mon secours
Je luy feray congnoistre.

XIV
Pseaulme Cent et uniesme
Misericordiam, et judicium cantabo
Argument: David n'estant encores roy paisible, promet à Dieu, des qu'il le sera, faire l'office d'ung bon prince, c'est
assavoir vivre sans faire tort, estre rigoreux aux mauvais et eslever les gens de bien.
Vouloir m'est prins de mectre en escripture
Psalme, parlant de bonté, et droicture,
Et si le veulx à toy, mon Dieu, chanter,
Et presenter.
Tenir je veulx la voye non nuysible,
Quand viendras tu me rendre Roy paisible?
D'ung cueur tout pur conduiray ma maison,
Avecq raison.
Rien de maulvais y veoir n'auray envie,
Car je hay trop les meschants, et leur vie,
Ung seul d'entre eulx autour de moy adjoinct
Ne sera point.
Tout cueur ayant pensée desloyalle,
Deslogera hors de ma Court Royalle,
Et le nuysant n'y sera bien venu,
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Non pas congnu.
Qui par mesdire apart son prochain greve,
Qui a cueur gros, et les sourcilz esleve,
L'ung mectray bas, l'aultre souffrir, pour vray,
Je ne pourray.
Mes yeulx seront fort diligents à querre
Les habitants fideles de la terre,
Pour estre à moy: qui droicte voye yra,
Me servira.
Qui s'estudie à user de fallace,
En ma maison point ne trouvera place:
De moy n'aura mensonger, ne baveur,
Bien, ne faveur.
Ains du pays chasseray de bonne heure
Touts les meschants, tant qu'ung seul n'y demeure,
Pour du seigneur nettoyer la cité
D'iniquité.

XV
Pseaulme Cent et septiesme
Confitemini Domino; quoniam bonus
Argument: Le Psalmiste dit que toutes afflictions viennent et s'en vont par volunté divine et allegue sur ce les perilz
et calamitez des errans aux desertz, des prisonniers, des malades et des agitez sur la mer, la requeste qu'ilz font à
Dieu, comment ilz l'obtiennent, comment ilz en rendent grâces et comment Dieu tient toutes choses en sa main et
les change comme il luy plaist.
Donnez au Seigneur gloyre,
Il est doulx, et clement,
Et sa bonté notoyre
Dure eternellement.
Ceulx qu'il a racheptés,
Qu'ilz chantent sa haultesse,
Et ceulx qu'il a jectés
Hors de la main d'oppresse.
Les ramassant ensemble
D'Orient, d'Occident,
De l'Aquilon qui tremble,
Et du Midy ardent.
Si d'aventure errants
Par les deserts se treuvent,
Demourance querants,
Et que trouver n'en peuvent:
Et si l'aspre famine
Et la soif sans liqueur
Les travaille, et leur mine
Et le corps, et le cueur:
Pourveu qu'à tel besoing
Criants, à Dieu lamentent,
Subit il les mect loing
Des maulx, qui les tourmentent.
Et droict chemin passable
Leur monstre, et faict tenir,
Pour en ville habitable
Les faire parvenir.
Lors de Dieu vont chantant
Les bontés nompareilles,
Cà, et là racomptant
Aux hommes ses merveilles.
D'avoir l'âme assouvie,
Qui de soif languissoit,
Saoulant de biens la vie,
Qui de faim perissoit.
Ceulx qui sont resserrés
En tenebres mortelles,
Enchesnés, enferrés,
Et souffrants peines telles,
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Pour avoir la Parolle
De Dieu, mise à despris,
Et tenant pour frivolle
Son conseil de hault pris,
Quand par tourments leurs cueurs
Humiliés demeurent,
Abbatuz de langueurs,
Sans que nulz les sequeurent.
Pourveu qu'à Dieu s'addressent,
L'appellants au besoing,
Touts les maulx qui les pressent,
Il les renvoye au loing.
Des prisons les mect hors,
Mortelles, et obscures,
Rompant leurs lyens forts,
Cordes, et chesnes dures.
Les bontés nompareilles
De Dieu lors vont chantant,
Cà, et là ses merveilles
Aux hommes racomptant.
D'avoir jusqu'aux courreaux
Brisé d'arain les portes,
Et de fer les barreaux
Rompu de ses mains fortes.
Les folz, qui les supplices
Sentent de leurs pechés,
Et qui sont par leurs vices
Malades, assechés,
Dont le cueur, tout repas
Et viande abhomine,
Et qui sont pres du pas
De la mort, qui les mine,
Pourveu qu'à Dieu s'addressent,
L'appellants au besoing,
Touts les maulx qui les pressent
Il les renvoye au loing.
D'un seul mot qu'[il] transmet
Leur donne santé telle,
Que du tout hors les met
De ruyne mortelle.
Les bontés nompareilles
De Dieu lors vont chantant,
Cà, et là ses merveilles
Aux hommes racomptant.
A Dieu d'ardant desir
Louange sacrifient,
Et avecq grand plaisir
Ses oeuvres magnifient.
Ceulx qui dedans gallées
Dessus la mer s'en vont,
Et en grands eaux sallées
Mainte trafficque font:
Ceux là voyent de Dieu
Les oeuvres merveilleuses,
Sur le profond milieu
Des vagues perilleuses.
Le vent, s'il luy commande,
Souffle tempestueux,
Et s'enfle en la mer grande
Le flot impetueux:
Lors montent au ciel hault,
Puis aux gouffres descendent,
Et d'effroy, peu s'en fault
Que les âmes ne rendent.
Chancellent en yvrongne,
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Troublés du branlement,
Tout leur sens les eslongne,
Perdent l'entendement.
Mais si à tel besoing
Criants, à Dieu lamentent,
Subit il les mect loing
Des maulx qui les tourmentent.
Faict au vent de tempeste
Sa fureur rabaisser,
Faict que la mer s'arreste,
Et ses undes cesser.
L'orage retiré,
Chascun joye demeine,
Et au port desiré
Le Seigneur Dieu les meine.
Les bontés nompareilles
De Dieu lors vont chantant,
Cà, et là ses merveilles
Aux hommes racomptant.
Parmy le peuple bas
Le surhaulsent en gloyre,
Et ne le taisent pas
Des grands au consistoyre.
Luy, qui les eaux profondes
En desert convertit,
Et les sources des undes
Asseche, et divertit.
Luy, qui steriles faict
Terres grasses, et belles,
Et tout pour le forfaict
Des habitants d'icelles.
Qui desertz d'humeur vuydes
Convertit en grands eaux,
Et lieux secz, et arides,
En sources, et ruisseaux.
Et qui là faict venir
Ceulx qui de faim languissent,
Lesquelz, pour s'y tenir,
Des Villes y bastissent:
Y semer champs se peinent,
Et vignes y planter,
Qui touts les ans ameinent
Fruict, pour les sustenter.
Là, les fortune en biens,
Les croist, les continue,
Et leur bestail en riens
Il ne leur diminue.
Puis descroissent de nombre,
Viennent à rarité,
Par maulx, et par encombre,
Et par sterilité.
Riches, nobles, et grands,
Mesprisés il renvoye,
Par deserts lieux errants,
Où n'a chemin, ne voye.
Et esleve, et delivre
Le paovre hors d'ennuy,
Et force gens faict vivre,
Comme ung trouppeau, soubs luy.
Ce voyant, ont aux cueurs
Les justes joye enclose,
Et de Dieu les mocqueurs
S'en vont la bouche close.
Qui a sens, et prudence,
Garde à cecy prendra:
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Lors la grande clemence
Du Seigneur entendra.

XVI
Pseaulme Cent dixiesme
Dixit Dominus Domino meo
Argument: Il chante le regne de Christ lequel commença en Sion et de là pervint jusques aux fins de la terre et
continuera jusques à ce que Christ soit adoré universellement et que de ses ennemys il ayt fait son marchepied.
L'Omnipotent à mon Seigneur, et maistre
A dit ce mot: A ma dextre te sieds,
Tant que j'auray renversé, et faict estre
Tes ennemys le scabeau de tes pieds.
Le sceptre fort de ton puissant Empire
En fin sera loing de Syon transmys
Par l'Eternel, lequel te viendra dire:
Regne au milieu de touts tes ennemys.
De son bon gré ta gent bien disposée,
Au jour tressainct de ton sacre courra:
Et aussi dru qu'au matin chet rosée,
Naistre en tes filz ta jeunesse on verra.
Car l'Eternel, sans muer de courage,
A de toy seul dit, et juré avec:
Grand Prebstre, et Roy, tu seras en tout eagé,
Ensuyvant l'ordre au bon Melchisedec.
A ton bras droict Dieu ton Seigneur, et Pere,
T'assistera aux belliqueux arroys,
Là, où pour toy, au jour de sa colere,
Rompra la teste à Princes, et à Roys.
Sur les Gentilz exercera justice,
Remplira tout de corps morts envahis,
Et frappera, pour le dernier supplice,
Le chef regnant sur beaulcoup de pays.
Puis, en passant au milieu de la plaine,
Des grands ruisseaux de sang s'abbruvera.
Par ce moyen, ayant victoire pleine,
La teste hault, tout joyeulx, levera.

XVII
Pseaulme Cent dixhuictiesme
Confitemini Domino, quoniam
Argument: C'est ung hymne par lequel David delivré de tous maulx et eslevé Roy sur tout Israel, rendit
publicquement grâces à Dieu au tabernacle de l'alliance, là où d'ung grand cueur il celebra la bonté dont il avoit
usé envers luy et là se monstre clairement figure de Jesuchrist.
Rendez à Dieu louange, et gloire,
Car il est bening, et clement.
Qui plus est, sa bonté notoire
Dure perpetuellement.
Qu'Israel ores se recorde
De chanter solennellement,
Que sa grande misericorde
Dure perpetuellement.
La maison d'Aaron ancienne
Vienne tout hault presentement
Confesser que la bonté sienne
Dure perpetuellement.
Touts ceulx qui du seigneur ont crainte,
Viennent aussi chanter comment
Sa bonte pitoyable, et saincte,
Dure perpetuellement.
Ainsi que j'estoys en destresse,
En invocquant sa Majesté,
Il m'ouyt, et de ceste presse
Me mist au large, à saulveté.
Le tout puissant, qui m'ouyt plaindre,
Mon party tousjours tenir veult,
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Qu'ay je doncq que faire de craindre
Tout ce que l'homme faire peult?
De mon costé il se retire
Avecq ceulx qui me sont amys:
Ainsi, cela que je desire
Je verray en mes ennemys.
Mieulx vault avoir en Dieu fiance
Qu'en l'homme, qui est moins que riens:
Mieulx vault avoir en Dieu fiance
Qu'aux Princes, et grands terriens.
Beaulcoup de gens, c'est chose seure,
M'assiegearent de touts costés:
Au nom de Dieu, ce dy je à l'heure,
Ilz seront par moy reboutés.
Ilz m'avoyent enclos par grand' ire,
Enclos m'avoyent touts mutinés:
Au nom de Dieu, ce vins je à dire,
Ilz seront par moy ruinés.
Ilz m'avoyent enclos comme abeilles,
Et furent, les folz, et haultains,
Au nom du grand Dieu des merveilles,
Comme feu d'espines estaïnds.
Tu as, importun adversaire,
Rudement contre moy couru,
Pour du tout tresbucher me faire,
Mais l'Eternel m'a secouru.
Le Toutpuissant, c'est ma puissance,
C'est l'argument, c'est le discours
De mes vers pleins d'esjouyssance,
C'est de luy que j'ay heu secours.
Aux maisons de mon peuple juste
On n'oyt rien que joye, et confort,
On chante, on dit, le bras robuste
Du Seigneur a faict grand effort.
De l'Eternel la main adextre
S'est eslevée à ceste foys,
Dieu a faict vertu par sa dextre,
Telle est du bon peuple la voix.
Arriere ennemys, et envie,
Car la mort point ne sentiray,
Ainçoys demoureray en vie,
Et les faicts du Seigneur diray.
Chastié m'a, je le confesse,
Chastié m'a, puny, battu,
Mais point n'a voulu sa haultesse
Que par mort je fusse abattu.
Ouvrez moy les grands portes belles
Du sainct Temple aux justes voué,
Affin que j'entre par icelles
Et que Dieu soit par moy loué.
Ces grands portes sumptueuses
Sont les portes du Seigeur Dieu:
Les justes gens, et vertueuses,
Peuvent passer tout au milieu.
Là diray ta gloyre supreme,
Là par moy seras celebré,
Car en adversité extreme
Exaulcé m'as, et delivré.
La pierre par ceulx rejectée
Qui du bastiment ont le soing,
A esté assise, et plantée
Au plus hault du principal coing.
Cela, c'est une oeuvre celeste,
Faicte, pour vray, du Dieu des dieux,
Et ung miracle manifeste,
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Lequel se presente à noz yeulx.
La voicy l'heureuse journée
Que Dieu a faicte à plein desir,
Par nous soit joye demenée,
Et prenons en elle plaisir.
Or te prions, Dieu nostre Pere,
En ta garde à ce coup nous tien,
Et en fortune si prospere
D'orenavant nous entretien.
Beneit soit qui au Nom tresdigne
Du Seigneur est venu icy:
O vous, de la maison divine,
Nous vous beneissons touts aussi.
Dieu est puissant, doulx, et propice,
Et nous donra lumiere à gré:
Lyez le boeuf du sacrifice
Aux cornes de l'autel sacré.
Tu es le seul Dieu que j'honnore,
Aussi sans fin te chanteray:
Tu es le seul Dieu que j'adore,
Aussi sans fin t'exalteray.
Rendez à Dieu louange, et gloyre,
Car il est bening, et clement.
Qui plus est, sa bonté notoyre
Dure perpetuellement.

XVIII
Pseaulme Cent Vingthuictiesme
Beati omnes, qui timent Dominum
Argument: Il dit que ceulx qui vrayment craignent et ayment Dieu sont heureux soit en public soit en privé.
Bienheureux est quiconques
Sert à Dieu vouluntiers,
Et ne se lassa oncques
De suyvre ses sentiers.
Du labeur que sçays faire
Vivras commodement,
Et yra ton affaire
Bien, et heureusement.
Quant à l'heur de ta ligne,
Ta femme en ta maison
Sera comme une vigne,
Portant fruict à foison.
Et autour de la table
Seront tes enfants beaulx,
Comme ung reng delectable
D'oliviers touts nouveaulx.
Ce sont les benefices
Dont seras jouyssant
Celluy qui, fuyant vices,
Craindra le Toutpuissant.
De Syon Dieu sublime
Te fera tant de bien,
De veoir Hierosolyme
En tes jours aller bien.
Et verras de ta race
Double posterité,
Et sur Israel grâce,
Paix, et felicité.

XIX
Pseaulme Cent trentehuictiesme
Confitebor tibi Domine in toto corde
Argument: Il celebre la bonté de Dieu qui l'avoit retiré de tous perilz et heureusement eslevé en dignité royale: puis
chante qu'il en rendra grâces à Dieu et que mesmes tous autres Roys luy en donneront louange: se promet aussi
qu'à l'advenir le secours de Dieu ne luy fauldra point.
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Il fault que de touts mes Espritz
Ton loz, et pris
J'exalte, et prise.
Devant les grands me presenter,
Pour te chanter,
J'ay faict emprise.
En ton Sainct Temple adoreray,
Celebreray
Ta renommée,
Pour l'amour de ta grand' bonté
Et feaulté
Tant estimée.
Car tu as faict ton Nom moult grand
En te monstrant
Vray en parolles:
Des que je crie, tu m'entends.
Quand il est temps
Mon cueur consoles.
Dont les Roys de chascun pays
Moult esbahys
T'ont loué, Sire,
Apres qu'ilz ont congneu que c'est
Ung vray arrest
Que de ton dire.
Et de Dieu, ainsi que je fays,
Chantent les faictz
A sa memoyre,
Confessants que du Toutpuissant
Resplendissant
Grande est la gloyre.
De veoir si bas tout ce qu'il fault
De son plus hault
Throne celeste,
Et de ce qu'estant si loingtain,
Grand, et haultain,
Se manifeste.
Si au milieu d'adversité
Suis agité,
Vif me preserves,
Sur mes ennemys inhumains
Jectes les mains,
Et me conserves.
Et parferas mon cas tout seur,
Car ta doulceur
Jamais n'abaisses:
Ce qu'une foys as commencé,
Et advancé,
Tu ne delaisses.

XX
Le Cantique de Simeon
Luc II
Nunc dimittis servum tuum Domine
Or laisses, Createur,
En paix ton serviteur
Ensuyvant ta promesse:
Puis que mes yeulx ont heu
Ce credit d'avoir veu
De ton Salut l'addresse.
Salut mys au devant
De ton peuple vivant,
Pour l'ouyr, et le croyre:
Ressourse des petitz,
Lumiere des Gentilz,
Et d'Israel la gloyre.
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Fin des vingt Psalmes derniers, traduitz par Clement Marot: comprins le Cantique de Simeon.

XXI
Les Commandements de Dieu
Exode XX
Audi Israel
Leve le cueur, ouvre l'oreille
Peuple endurcy, pour escouter
De ton Dieu la voix nompareille,
Et ses Commandements gouster.
Je suis, dit il, ton Dieu celeste,
Qui t'ay retiré hors d'esmoy
Et de servitude moleste:
Tu n'auras aultre Dieu que moy.
Tailler ne te feras ymage
De quelcque chose que ce soit.
Si honneur luy fays, et hommage,
Ton Dieu jalousie en reçoit.
En vain son Nom tant venerable
Ne jureras, car c'est mespris,
Et Dieu ne tiendra incoulpable
Qui en vain son Nom aura pris.
Six jours travaille, et au septiesme
Soys du Repos observateur,
Toy, et les tiens, car ce jour mesme
Se reposa le Createur.
Honneur à Pere, et Mere porte,
Affin de tes jours allonger,
Sur la terre, qui tout'apporte,
Là où Dieu t'a voulu loger.
D'estre meurtrier ne te hazarde,
Metz toute paillardise au loing,
Ne soys larron, donne t'en garde,
Ne soys menteur, ne faulx tesmoing.
De couvoyter point ne t'advienne
La maison, et femme d'aultruy,
Son servant, ne la beste sienne,
N'aulcune chose estant à luy.
O Dieu, ton parler d'efficace
Sonne plus clair que fin alloy.
En noz cueurs imprime la grâce
De t'obeyr selon ta Loy.
Fin des Commandements de Dieu.

XXII
Prières
Prière devant le repas
O Souverain Pasteur, et Maistre,
Regarde ce trouppeau petit,
Et de tes biens souffre le paistre,
Sans desordonné appetit,
Nourrissant petit à petit
A ce jour d'huy ta creature,
Par celluy qui pour nous vestit
Ung corps subject à nourriture.
Apres le repas
Pere Eternel, qui nous ordonnes
N'avoir soucy du lendemain,
Des biens que pour ce jour nous donnes
Te mercions de cueur humain.
Or puis qu'il t'a pleu de ta main
Donner au corps manger, et boyre,
Plaise toy du celeste pain
Paistre noz âmes à ta gloyre.
AMEN.
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A la louange de la traduction des precedens Pseaulmes
Quand David revivre voyons,
Et qu'encor aujourd'huy l'oyons
Chanter sur sa harpe main pseaume
En vers François par mainct Royaume,
A qui en dirons granmercy?
A Marot, qui feit ce bien cy.
A Dieu seul soit honneur et Gloire
I. Tim. I.
Au Roy du Ciel immortel, invisible,
Seul Dieu puissant, et incomprehensible,
Soit tout honneur, gloyre, louenge, amour,
Par les siecles des siecles sans sejour.
Ainsi soit il.

Oeuvres de Clement Marot

Les plus nouvelles et recentes


Dont le contenu s'ensuyt:
La Complaincte d'un Pastoureau Chrestien, faicte en forme d'Eglogue rustique
Le Riche en pauvreté, Joyeux en affliction et content en souffrance
Eglogue sur la Naissance du filz de Monseigneur le Daulphin
Epistre A ung sien Amy. I543
Epistre A Monsieur Pelisson, President de Savoye. I543
Epistre à Monsieur d'Anguyen, Lieutenant pour le Roy de là les Montz. I544
Sonnet
Huictain contre Mathieu Ory, inquisiteur
de la foy
Neufvain Au Roy, sur le tiers d'Ovide
Dixain de la Parole de Dieu
La Chanson de la Christine
Le Balladin
Plus autres compositions d'attribution douteuse, qui apparaissent chascune en son lieu, comme le Lecteur
descouvrira cy apres

I
La Complaincte d'un Pastoureau Chrestien, Faicte en forme d'Eglogue rustique, dressant sa plaincte à Dieu, soubz
la personne de Pan, Dieu des Bergiers
Eglogue rustique
Un Pastoureau n'agueres j'escoutois,
Qui s'en alloit complaignant par les boys,
Seul, et privé de compagnie toute,
N'ayant en luy de plaisir une goute:
Ains tellement ennuy le pourmenoit,
Que sans repos piteux cryz demenoit,
Si que sa voix (du cueur le truchement)
Donnoit à veoir et juger fermement,
Que dans l'esprit, d'où elle est messagiere,
Logeoit douleur qui point n'estoit legiere.
Lors curieux d'entendre sa complainte,
Dont sa personne estoit quasi estainte:
De le suyvre tellement je taschay,
Que pres du lieu en fin je m'approchay,
Où il estoit couché à la renverse,
Pour escouter sa complainte diverse.
Là je le veys assis pres d'une souche,
De belles fleurs ayant fait une couche:
Dessus laquelle il s'estoit estendu,
Afin qu'il fut plus soulagé rendu.
Estant ainsi comme je le descritz,
Ce pastoureau, en redoublant ses crys,
Va commencer à former de sa langue
Une piteuse et lamentable harangue:
En l'adressant à Pan, que par tout lieu
L'on va nommant des Bergiers le grand Dieu,
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Disant ainsi (si bien il m'en souvient):
O puissant Pan que chascun Bergier tient
Pour son grand Dieu, qui seul de toutes pars
Va conservant noz loges et noz parcz,
Et noz brebis estans es bergeries
Gardes si bien qu'elles ne sont peries,
Toy qui par tout gettes le tien regart,
Estendz tes yeux un petit ceste part,
Et envers moy, ton humble pastoureau,
Monstre faveur, et ton visage beau:
Car je suis tant, ô Pan, de dueil espris,
Que presque suis hors de tous mes esprits,
Si tout à coup ta clemence divine
N'use envers moy d'une grâce benigne.
Las, c'est à droit, ô Pan, que je lamente,
Pour mon ennuy, qui si fort me tourmente:
Et par raison, soit en champs ou en boys,
Je jette crys de lamentable voix,
Voyant ainsi Bergiers de toutes pars
Par faux Pasteurs deschassez et espars,
Lesquelz fuyans la peine à eux prochaine
Sont peregrins en region loingtaine:
Où le recors de leurs loges petites
Fait qu'à eux soyent liesses interdictes:
Si ce n'estoit le seul grand nom de toy
Qui les met hors de tout fascheux esmoy.
Mais quoy que soit un grand bien et plaisir
De colloquer en toy tout son desir,
Si est ce, Pan, un cas par trop estrange
Veoir pastoureaux par le pays estrange
Courir ainsi, laissans leurs maisonnettes,
Où ilz souloient par belles chansonnettes
Louer ton nom, et ta haulte excellence,
De tous leurs cueurs et humaine puissance:
De veoir aussi pastoureux par les champs
Ne faire plus que pitoyables chantz.
L'un va plaignant ses gras boeufs delaissez
Parmy les champs et moutons engraissez.
L'autre par dueil continuel regrette
D'avoir laissé sa petite logette.
L'un, que tourment poursuyt, et importune,
Va complaignant sa mauvaise fortune.
L'autre, qui est d'aigre douleur blessé,
Va souspirant de se veoir deschassé.
Si qu'on devroit avoir grande pitié,
En regardant de leur mal la moytié.
Et moy, ô Pan, qui fay ceste complainte,
Ma personne est de douleur tant attainte,
Que je ne sçay si je dois regretter
Mon dur ennuy, ou mon bien souhaiter:
Car autant m'est fascheux à recevoir
Un seul plaisir, que mon mal concevoir.
C'est à bon droit, puisque ton labourage
Je voy perdu par ce cruel orage,
Qui seulement ne nous porte grevance:
Mais (qui plus est) il destruit ta semence.
Jusques à quand, ô Pan grand et sublime,
Laisseras tu ceste gent tant infime?
Et faux pasteurs parjures et meschants,
Dessus troupeaux dominer en tes champs?
Jusques à quand, ô Pan tresdebonnaire,
Permetras-tu ceste gent nous mal faire?
Et que tousjours en ce point ilz dechassent,
Ceux qui ton loz et ta gloire pourchassent?
J'ay veu le temps, ô Pan, que je soulois
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Aller louant ton grand nom par les boys.
J'ay veu le temps que ma joyeuse Muse
Me provoquoit sur douce cornemuse
Dire tes loz, et tes bontez aussi:
Mais à present tant plein suis de soucy,
De tant d'ennuys, de travaux, et d'encombre,
Que je ne puis t'en reciter le nombre:
Tant que de dueil je laisse ma houlette,
Et en un coin je jette ma musette.
Mais dessus tout accroist ma passion,
Le dur regret que j'ay de Marion,
Qui est, ô Pan, ton humble bergerette,
Et du petit bergeret qu'elle alaicte.
O Pan, grand Dieu, j'ay solide memoire
Que quand nous deux voulions manger ou boire,
Ou que la nuict estendoit son manteau
Dessus Phebus, qui rend l'air cler et beau,
Je l'enseignois, et toute sa mesgnie,
Disant ainsi: ô chere compagnie,
Exaltons Pan, qui par vertu divine
Par tous les lieux de ce monde domine:
Et lequel fait par ses divines grâces
Que nous ayons en tous temps brebis grasses:
Lequel de nous a tousjours un tel soing
Que de noz parcz tous dangers met au loing.
Puis par souhait à Marion disois:
Pleust or à Pan que mon filz de six moys,
Ton bergeret que tu vas nourrissant,
Fust, pour porter la musette, puissant.
Certes en luy tel labeur je prendrois
Que bon joueur de fleutes le rendrois:
Ou de hault bois et musette rustique,
Pour au grand Pan faire loz, et cantique.
Voylà, ô Pan, mon unique desir,
Que je faisois en mes parcz à loisir:
Voylà l'esbat, où plaisir je prenois,
Quand à repos avec elle j'estois
Dedans le cloz, ô Pan, que m'as presté
Pour habiter en yver et esté.
Mais maintenant la chance est bien tornée,
Car j'ay laissé Marion esplorée
Dedans son parc, où l'humble pastorelle
Fait (j'en suis seur) lamentable querelle.
J'ay delaissé par les herbeux pastis
Boeuf, et Brebis, et leurs aigneaux petis,
J'ay delaissé par les champs, davantage,
Mes douze Boeufs servans au labourage.
Or de ces cas dont ton Bergier petit
Ores t'a fait le sommaire recit:
N'en y a un, à parler court, et brief,
Qui luy soit plus intolerable et grief,
Que veoir à l'oeil le trespiteux massacre
Que faux pasteurs font en ton temple sacre.
De veoir aussi les actes inhumains
Que chascun jour commetent de leurs mains
En iceluy; n'ayans aucun egard
A toy, ô Pan, qui jettes ton regard
Sur tous mortelz, et en toute saison:
Regarde tout de ta haute maison.
Las, quantesfois j'ay veu de mes deux yeux.
De ces pasteurs les faitz seditieux?
Las, quantesfois soubz saincte couverture
Aux aigneletz ont fait tort, et injure?
O quantesfois, de ma loge petite,
J'ay regardé leur cruauté maudite?
http://krimo666.mylivepage.com
Et quantesfois soubz moyen fainct, et beau,
Je les ay veu saccager le troupeau?
Duquel, ô Pan, feignent le soing avoir:
Mais leur semblant ne tend qu'à decevoir.
Ce sont renardz qui soubz simples habitz
Vont devorant les plus tendres brebis.
Ce sont des loups, qui les tropeaux seduisent
Du droit chemin, et mal les induisent.
Ce sont voleurs qui dans le toict champestre
Ne sont entrez, sinon par la fenestre:
Dont sur troupeaux, par moyens tresiniques,
Vont exerceans leurs damnables pratiques.
Certes s'il fault icy ramentevoir
La moindre part des cas que j'ay peu veoir,
J'en pourrois tant ores narrer, et dire,
Qu'un jour entier ne pourroit pas suffire
A les compter: puis ma voix rauque, et casse,
Empescheroit que bien ne les contasse.
Mais si ne puis je, ô vray Pan, mon seul Dieu,
Me contenir que ne dye en ce lieu,
Et que ma voix ne recite, et prononce
Ce dont l'esprit me vient faire semonce.
Ay-je pas veu les manieres perverses
De ces pasteurs, et traffiques diverses?
Ay-je pas veu par plus de cent journées
Leurs tours malins, et damnables menées?
Ay-je pas veu, estant au vert bosquet,
Leur dangereux, et frauduleux caquet?
Dont le tropeau à pleine veue d'oeil
Ilz decevoient, qui m'estoit un grand dueil:
Trop plus souvent que je n'eusse voulu,
J'ay veu comment ton saint temple ont polu.
Alors disois bassement à par moy:
Pan, mon grand Dieu, voit bien ce desarroy,
Et de là hault il recorde et contemple
Ce que ces gens vont faisant en son temple.
Mais quelque fois (disois je) il adviendra
Que de leurs faictz meschans luy souviendra.
Lors on verra que son bras grand, et fort,
Sur ces Pasteurs monstrera son effort.
Mais toutesfoys, dont je me donne esmoy,
Ce temps pendant (tu l'as mieux veu que moy,
Et toy tout seul es vallable tesmoing)
De leurs tropeaux ne prennent meilleur soing,
Ains comme on voit par chacun jour empirent:
Et contre toy detractent, et conspirent.
En lieu d'appast, et bonne nourriture,
Ilz vont donnant esventée pasture
A leurs tropeaux, et dont croit mon chagrin,
Leur vont donnant la paille pour le grain:
Dont le troupeau; de soy gras et alaigre,
Par tel appast devient chetif, et maigre.
Las, qui seroit le Bergier qui pourroit
Se contenir, quand telz cas il verroit?
Seroit-il pas à toy trop infidelle,
Voyant tel cas, s'il n'en faisoit querelle?
Seroit-il pas à toy traistre, et parjure,
S'il ne blasmoit le forfait, et injure,
Que vont faisant contre toy, et les tiens,
Ces faux pasteurs en ces parcz terriens?
Car de l'ennuy, qu'au maistre l'on procure,
Le bon servant la pluspart en endure.
Pastres je voy, lesquelz grand dueil en font,
Et en souspirs leu pauvre coeur en fond.
Voy mes compaings, lesquelz ont de costume
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Faire grans plains de pareille amertume.
Voy pastoureaux ensemble ramassez,
Pour pareilz cas baniz, et dechassez
De leurs rempars, de leurs cloz et logettes,
Par ces pasteurs, plus cruelz que les Gethes.
Et est ce pas, ô Pan, fureut terrible
De n'estre point aux pastoureaux loisible
Chanter de toy, et de ton divin nom,
Pour par noz chans accroistre ton renom?
Ne sont-ce pas deffenses trop estranges
De prohiber annoncer tes louanges,
Parmy les champs ou en temple sacré,
Comme je sçay que bien te vient à gré?
Las, tant ont fait ces pasteurs par leurs Loix,
Que maintenant on n'entend une voix
Qui de ton loz ose parler et bruire.
Car telz pasteurs soudain feroient destruire
Et mettre à mort cil qui entreprendroit.
Parler de toy, et mal luy en prendroit.
A ce propos ma musette pendue
Est à un croc inutile rendue.
Musette dy, laquelle au moindre son
Souloit jadis dresser une chanson,
Que je sonnoys d'un si ardent courage
Qu'à ce hault son ceux de nostre village
Saillaient plus dru, plus legier, et plus viste,
Que ne fait pas le lievre de son giste,
Quand, par veneurs, et courantes levrieres
Est poursuivy en ces larges bruyeres,
Et au rondeau auquel pastres dançoyent,
Sans y viser, promptement se lançoyent.
Et sçais-tu bien, ô Pan, leur promptitude
Vient d'un bon coeur, et de fervente estude,
Qu'ilz ont en eux pour tousjours t'honnorer,
Et avec moy ton sainct nom decorer.
Mais maintenant noz harpes, et musettes,
Noz flageoletz, et douces espinettes
Sont à repos: et plus n'y a celuy
D'entre Bergiers qui osast aujourd'huy
Une chanson sur la harpe sonner
Et en ton loz la musette entonner.
O puissant Pan, de ton hault lieu regarde
Ces cas piteux, et à venir ne tarde
Donner recours à tes simples Brebis
Et tes troupeaux errans par les herbis
De ces bas lieux, qui sans cesse t'invoquent
Et à pitié et mercy te provoquent.
Si tu entends par grâce singuliere
Mon oraison; et treshumble priere,
Que je te fais, ô Pan, je te promets
Que ce bienfaict n'oublieray jamais:
Ains mes compaings de ce j'advertiray,
Et ce grand bien par tout je publiray.
Pastres alors de chacune contrée
Feront entre eux une gaye assemblée
Pour ce grand bien, et heureuse nouvelle
Qui leur repos, et aise renouvelle:
D'autre costé, gracieuses bergieres
A te louer se monstreront legieres,
Et (qui plus est) gras boeuf[z] en brameront,
Et par plaisir brebis en besleront,
Oyseaulx du Ciel de differens plumages
T'en rendront los en leurs beaux chans ramages.
Et quant à moy, qui de ce te requiers,
Je te prometz n'estre point des derniers
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A te louer: ains soudain ma musette
Je reprendray, en quoy tant me delecte.
Car me priver de la sienne harmonie,
Ce m'est oster le seul bien de ma vie.
Est ce mal fait, puisque le bruit et son
Qui d'elle part, ne rend autre chanson
Fors que de toy? et sonner ne s'amuse
Sinon tes loz ma tendre cornemuse?
Mon flageolet à ung chesne pendu,
Sera aussi proprement despendu.
Puis d'iceluy, par mesure de doigtz,
Je jetteray un hault son par les bois,
Au bruyt duquel Nayades, et Naphées,
Delaisseront leurs sources estouppées,
Pastres aussi viendront ce son ouyr,
Pour avec moy plainement s'esjouyr.
Alors, ô Pan, le moindre et plus bas son,
Que je rendray, vaudra une chanson
Faicte à ton loz, que te presenteray:
Et d'un grand coeur au temple chanteray.
Or sus, esprit, temps est que donnes cesse
A ta douleur, et facheuse tristesse.
Langue, fay fin à ton piteux parler:
Car ce jour d'huy il me convient aller
Coucher là hault vers ceste haulte Roche.
Oultre je sens la nuict, qui fort s'approche.
Pastres je voy es prochaines prairies,
Qui leurs Brebis meinent es bergeries:
Et par les champs ne voy aucun Berger
Qui pour la nuict ne s'en voise heberger
Puis je cognoy par ce chesne tremblant
Que Pan, mon Dieu, me monstre bon semblant,
Dont à mon coeur ferme joye est rendue,
Puis qu'il a jà ma priere entendue.
FIN.

II
Le Riche en pauvreté, Joyeux en affliction et content en souffrance. Composé par Marot: et trouvé parmy ses
autres factures à Chambery
Au Lecteur
Salut
En ce petit traicté nous est demonstré (amy lecteur) que toutes les tribulations que nous avons en ce monde,
viennent par la permission de Dieu, voire luy mesme nous les envoye, afin de nous faire participans de la croix de
Jesuschrist, nostre sauveur, lequel a dit, que le serviteur n'est pas plus grand que le maistre, et veu que luy (qui
est nostre souverain pasteur et maistre) ne fut jamais en ce monde sans grieves afflictions, nous ne nous devons
pas esbahir en icelles, ains plus tost nous consoler, sçachant que par icelles Dieu nous aprend à le reclamer, et
desirer son celeste repaire, et contemner ce monde avec ses mondanitez.
J'ay prins plaisir d'ouyr les phantasies
De ceux qui sont en ce mortel repaire.
J'ay mis mon soin, un temps, aux heresies
Et faux propos du pauvre populaire.
J'ay voulu veoir la coustume de faire
De ceux qui sont trop au monde asservis.
D'autre costé j'ay eu mes sens ravis,
Pour vrayement la maniere comprendre
Des vrais heureux de tous biens assouviz:
Sans rien avoir, et qu'on ne peut reprendre.
En cest instant que tel desir me tient,
Je voy par tout sentence trop diverse
Entre mondains: l'un en public soustient
Tort contre droict: l'autre equité renverse:
L'opinion plus commune est perverse,
Et l'equitable, inutile est rendue:
La mauvaise est par force deffendue,
Et la soustient le monde en son entier
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Par grand' rigueur: mais la verité nue
Ne se rencontre en veye ne sentier.
La plus grand part de ce monde insencé,
Ayant des yeux, de ses yeux ne voit goutte:
Finablement tout dit et recensé,
Ce monde n'a de prudence une goutte:
Un bon propos souvent ramene en doute.
Un bois uny luy semble rabotteux.
En plein midy est craintif et douteux:
Car, pour certain, le jour luy est pour nuict,
Le clair Soleil luy semble tenebreux,
Et ce qui est proffitable, luy nuict.
Un autre point qui les esprits travaille
C'est, que l'on voit les mondains en plaisir,
Et en repos: sans que rien leur defaille,
Ayans tous biens à souhait et desir!
On ne les voit sur la paille gesir,
Ny faim souffrir, ny soif, en quelque temps,
Tousjours sont gays, aises et bien contens:
Tant qu'on pourroit dire, sans contredis,
(Veu leur plaisir et joyeux passetemps)
Qu'ilz sont ça bas en un vray Paradis.
Autres on voit de ceux cy separez,
Ausquelz douleur fait tousjours dure presse:
Elle les rend de plaisirs esgarez,
Et est d'iceux la rectrice et maistresse.
Ilz sont sans fin accablez de destresse:
Et sont rengez souz le cruel empire
D'aversité, qui leur travail empire,
Sans que leur mal point, ou peu, diminue.
Qui ne diroit ceux là (veu leur martire)
Les plus mauditz qui soient dessouz la nue?
Si ma sentence est pour vraye tenue,
Je dis que c'est chose tressalutaire
D'estre en ennuy, et en desconvenue:
Veu que par là à luy nous veult attraire
Dieu tout puissant, qui tant est debonnaire,
Qu'à ses enfans la pierre pour du pain
Ne donne point: mais sa benigne main
Nous eslargit ce qui est necessaire.
Qui est celuy, donques si inhumain
Qu'en tout ennuy ne loue ce bon Pere?
Si ce propos vous semble trop austere,
Je le vous veux prouver par escripture:
Dieu nous donnant Jesus Christ, nostre frere,
(Qui a le droict de primogeniture)
Induict il pas chacune creature
A porter croix: à l'exemple de luy?
Puis donc que Christ est nostre apuy,
Et premier nay, du seul Dieu qui a estre,
A tant souffert, qui est cil aujourd'huy,
Qui ne voudra ensuivre ce bon maistre?
Christ le premier, de Dieu le filz unique,
A souffert mort et dure passion.
Chacun de nous (puis que l'homme est inique)
Pourquoy n'aura (à l'imitation
De ce Seigneur) mal et affliction,
Pendant qu'il est au terrestre repaire:
Veu que Jesus, qui nous est vexillaire,
A bien pour nous souffert peine tresdure?
Le serviteur n'est de loyale affaire
Prenant esbat, quand son Seigneur endure.
Quand le Seigneur à quelque creature
Envoye un mal, ou quelque aversité:
Je dys que Dieu manifeste la cure
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Qu'il a de luy, l'ayant persecuté:
Et que par ce celuy est reputé
Estre des siens: car sainct Paul testifie
Que Jesus Christ noz membres mortifie
Afin qu'en luy soyons vivifiez:
Et qu'en ceux là apparaisse sa vie,
Les quels en luy du tout se sont fiez.
Or en Jesus nul au vray ne se fie,
Sinon celuy qui souz son bras puissant
En tous endroictz s'abjette et humilie,
Et qui de tout se va resjouyssant:
Celuy qui va le Seigneur benissant,
Pour quelque bien ou mal qui luy survienne,
Certainement est digne qu'on le tienne
(Ayant la Foy, qui seule justifie)
Estre de ceux, que ce bon Capitaine
A enrollez en son livre de vie.
Mais si quelqu'un à ceci contrarie,
En soustenant par parole importune
Que tout le bien, l'accident et l'envie,
Que nous avons, vient de dame fortune,
Et que au fort, et au foible est commune,
Affliction et dure aversité,
Luy envoyant paix et felicité:
Quant est de moy pleinement je luy nye,
Et pour monstrer que je dy verité:
De ce j'en croy le prophete Esaye.
N'ont ils pas dit Amos, et Jeremie,
Qu'il n'avaient rien en nostre humanité,
Que le Seigneur par puissance infinie
Ne l'ayt permis: et mesme suscité?
Un tout seul mal n'est pas en la Cité,
Dit le Seigneur, et à tout homme ne nuit,
Sans mon vouloir, qui çà et là conduict.
Ce que mortelz appellent mal ou bien.
Qui dira donc, qu'un seul cas fortuyt
Soit entre nous, il n'est pas bon Chrestien.
Qui ne voudra croire à ce fermement,
Je luy mettray un faict en evidence,
Qu'ilz ne pourront rejecter nullement,
(Au moins s'ils ont [pour le vray] reverence):
Joseph disoit, par certaine asseurance,
Que le Seigneur, d'un vouloir prefiny
Avoit de luy en ce point diffiny:
Pour delivrer Israel de souffrance.
Je conclu donc, Dieu qui est infiny,
Donner le mal: et puis la delivrance.
David estant en tribulation,
Pour mieux porter la peine grieve et dure,
Receut en gré la malediction
De Semey, qui ne luy sembla dure:
Et ne voulut permettre ceste injure
Estre vengée: combien qu'elle fut grande:
Disant, Seigneur, cecy tu luy commande
Pour esprouver ta pauvre creature:
Respondez moy: icy je vous demande,
Si quelque mal nous vient à l'aventure?
Puis que n'avons aucune affliction,
Mal ny ennuy, dont maint mortel s'estonne,
Sans le vouloir, et la permission
Du souverain: qui en ce point l'ordonne:
Je nommeray heureuse la personne,
Celle qui est au joug d'aversité:
Qui souffre ennuy, mal ou perplexité:
Et qui du monde est pour nule tenue:
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Car c'est un signe et marque, en verité,
Que le Seigneur pour sienne l'a esleue.
Ne soit doncq plus la personne troublée
Pour quelque mal qui luy vienne en sa vie:
S'elle se voit d'affliction comblée,
De pauvreté ou griefve maladie:
Que sa pensée au Seigneur soit ravie:
Qui de tous maulx seul la soulagera.
De ses hayneux, aussi la vengera
En certain temps: et au lieu qu'on l'opprime,
Luy mesme lors ses pleurs essuyera:
Et la tiendra en grand prix et estime.
Quand à celuy qui en tout temps s'encline
A se baigner en la mondanité,
Sans que d'icelle un seul jour il decline,
Ains va fuyant dueil et calamité:
Qui veult tousjours vivre en prosperité,
Et estre loing de tout trouble du monde,
Estre asseuré de cent pas à la ronde,
Comme muny d'un fort et bon rampart:
Je dy que tel par sa Foy peu feconde
En Jesus Christ avoit petite part.
Je sçay assez que la plus grande part
Ne goustera le dire où je me fonde:
Mais si l'on prend à Jesus Christ esgard,
On verra bien qu'il est distinct du monde.
Or si Jesus (où nostre exemple abonde)
Directement à ce monde est contraire,
Il s'ensuyvra que, pour luy bien complaire,
Il fault laisser ce monde, et tous ses biens:
Et recevoir ce que disons contraire
A nostre corps: si voulons estre siens.
Mais en ce lieu clairement je proteste,
Que je n'entens par dure affliction
Ne par bien faictz, de la maison Celeste
Et Paradis avoir fruition,
Mais je dy bien que mon affection
Envers mon Roy est tellement soubmise:
Qu'il n'y a bien, ne chose si exquise,
Que d'ung grand cueur pour luy je n'abandonne:
Puisque luy seul nous a mis en franchise,
C'est bien raison qu'à luy plaire on s'adonne.
O vous, mondains, qui vivez en delices,
Ne suyvant point de Jesus Christ l'enseigne,
Vestez Jesus, qui de laisser les vices
Et vivre bien nous enhorte et enseigne:
Faites que crainte à ce ne vous contraigne:
Ains vraye amour à l'aymer vous attire:
Lors avec moy direz qu'il n'est martyre,
Affliction, peine, ou douleur si griefve
Qui de l'aymer et suyvre vous retire,
Tant peu son faict et sa charge nous griefve.
Que direz vous, me pourrez vous blasmer
Si je vous dy, qu'au monde vicieux
N'est rien si doux, qui ne soit tresamer,
Le goustant bien, et fort pernicieux?
Quelque plaisir que nous ayons des yeulx,
Et quelque bien que du monde on reçoive,
Quelque soulas que l'esprit y conçoive:
Je dy que c'est soubz aparence belle,
(Combien qu'ainsi le monde nous deçoive)
En vaisseau d'or une poison mortelle.
Je diray plus que tribulation,
Perte de biens ou travail douloreux,
Ce que l'on dit estre vexation,
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Et qu'on maintient au monde, rigoureux,
Sont dons de Dieu tresdoux et savoureux,
A tous vivans gracieux et utiles:
Et celuy là qui les nomme inutiles,
Va ressemblant à ces pauvres malades,
Qui sont jà tant abatuz et debiles,
Qu'à leur goust trouvent bonnes viandes fades.
Par tel chemin Christ à luy nous attire,
Et en ce point aux siens se represente:
Par ce moyen du monde nous retire,
Et vrayment sa gloire nous presente:
Ainsi de tout nostre âme se contente,
Regnant desjà avec Jesus es cieux.
Vous qui vivez au monde spacieux,
Oyez ces mots: afin qu'à mon exemple
Vous sentiez Christ: et qu'en ce point ou mieux
Le puissiez veoir, comme je le contemple.
Ce mien propos monstre l'amour fervente
Que j'ay à Christ, mon espoux et mon Roy,
Et metz icy en lumiere evidente,
Estant en luy, que je n'ay point d'esmoy,
Pour quelque ennuy qui soit prochain de moy,
Quelque deffaut qui grievement me presse,
Quelque travail qui me face la presse:
Je suis tant loing d'en estre en desplaisance
Que Christ, qui est ma certaine richesse,
De toutes parts m'est en resjouyssance.
Tous mes tresors en luy seul sont compris,
Et mon plaisir gist en luy vrayement:
J'ay reputé toute chose à mespris,
Pour estre à luy conjoinct parfaitement.
Je n'auray point de mescontentement,
Pourveu qu'en moy habitant je le sente:
Car je sçay bien (si de moy ne s'absente)
Qu'en ce bas lieu n'auray aucun besoing
Respondez moy, veu ceste Foy constante,
A sçavoir mon, s'il nous [laisse] au besoing?
Certainement, si vous mettez le soing
A digerer ce que je vous racompte:
Chacun de vous me sera pour tesmoing
Combien en Dieu mon ardent zele monte:
Veu que je dy d'une affection tresprompte,
Que je ne veux suporter seulement
Ennuy, et mal, que j'ay presentement:
Et, qui plus est, pour plaire à mon Espoux,
Si à mes maux donne rengregement,
Ce me sera aggreable, et bien doux.
Ce que l'on dit ennuy communement
Est certain bien: desormais, je veux dire:
Ce qu'on ne veult au monde nullement,
Comme bien bon, pur moy le veulx eslire:
Ce que l'on voit destester et maudire,
Je dy que ce m'est benediction:
Ce que l'on loue, est malediction,
Et ne vault rien, quoy qu'il ayt belle marque.
Brief, ce monde est une deception,
Qui nous deçoit souz sa plaisante masque.
Qui vouldra donc suyvre de Christ la trace,
Il fault premier, qu'à soy mesme renonce:
Lors cognoistra du monde la fallace,
Et estre vray ce que je luy denonce.
Freres oyez, je vous prie, ma semonce:
Et retenez ce que vous ay deduit.
En ce faisant plus ne sera seduit
Aucun de vous, en la vie mondaine:
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Ains cognoistrez, qu'affliction, qui nuict
Aux devoyez: nous est chose tressaine.
Que ce fol monde hault et bas se demaine,
Et qu'à son vueil il se tourne et tempeste:
Quant est à nous, ne soit si forte peine,
Ne si dur mal qui nous griefve ou moleste:
Tout nostre esgard soit mis en lieu celeste,
Où nostre bien et vray plaisir est pris:
Là tout nostre heur et repos soit compris,
Là pleinement chacun de nous se fie,
Là quand de mort çà bas seront supris,
Nous trouverons une eternelle vie.
Pour faire fin, de rechef je vous prie,
De suyvre Christ, non en vaine apparence,
Mais ayans Foy de Charité munie.
Mettez en luy toute vostre esperance:
Ne craignez point, ô divine semence,
Si quelque mal çà bas vous vient troubler
Ains fault alors les forces redoubler
De vostre esprit, et selon le precepte,
(Si vous voulez à Jesus ressembler)
Priez qu'en tout sa volonté soit faicte.
La Mort n'y mort
FIN.

III
Eglogue sur la Naissance du Filz de Monseigneur le Daulphin, Composée par Clement Marot
Confortez moy, Muses Savoisiennes,
Le souvenir des adversitez miennes
Faictes cesser, jusques à tant que j'aye
Chanté l'Enfant dont la Gaule est si gaye:
Et permettez l'infortuné Berger
Sonner Eglogue moins leger
Que cy devant. Les Rosiers qui sont bas
Et les tailliz à tous ne plaisent pas.
Sus à ce coup chantons Forestz ramées,
Les Foretz sont des grandz Princes aymées.
Or sommes nous prochains du dernier aage
Prophetizé par Cumane, la saige:
Des siecles longs le plus grand et le chef
Commencer veult à naistre de rechef,
La vierge Astrée en brief temps reviendra,
De Saturnus le regne encor viendra:
Puis que le Ciel, lequel se renouvelle,
Nous ha pourveuz de lignée nouvelle,
Diane clere ha de là sus donné
Faveur celeste à l'Enfant nouveau né
D'Endymion: à l'Enfant voyrement,
Dessoubz lequel fauldra premierement
La Gent de Fer, et puis par tout le monde
S'eslevera la Gent d'Or pur et munde
Ce temps heureux, Françoys preux et sçavant,
Commencera dessoubz toy bien avant:
Et si l'on voit soubz Henry quelque reste
De la malice aujourd'huy manifeste,
Elle sera si foible et si estaincte
Que plus de rien la terre n'aura craincte:
Puis, quand au Ciel serez Dieulx triumphans,
Ce nouveau né, heureux sur tous enfans,
Gouvernera le monde ainsi Prospere
Par les vertuz de l'un et l'autre pere.
La terre doncq', gracieux Enfantin,
Te produira Serpolet et Plantin,
Treffe et Serfeuil, sans culture venuz,
Pour engresser tous les troupeaux menuz.
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Les Chevres lors au logis reviendront
Pleines de laict. Les Brebis ne craindront
Lyon ne loup. L'herbe qui venin porte
Et la Coleuvre aux champs demourra morte.
Et l'odorant Amome d'Assyrie
Sera commun comme herbe de prairie
Regarde, Enfant de celeste semence,
Comment desjà ce beau siecle commence:
Jà le Laurier te prepare couronne:
Jà le blanc Liz dedans ton bers fleuronne:
D'icy à peu, de haultz Princes parfaictz,
Et du grand Pere aussi les nobles faictz
Lire pourras, tandis que les louanges
Du pere tien, par nations estranges
Iront volant: et deslors pourras tu
Sçavoir combien vault honneur et vertu.
En celluy temps, steriles Montz et Pleins
Seront de Bledz et de Vignes tous pleins:
Et verra l'on les Chesnes plantureux
Par les Forestz suer miel savoureux.
Ce neantmoins des fraudes qui sont ores
Quelque relique on pourra veoir encores.
La terre encor du Soc on verra fendre,
Villes et Bourgz de muraille deffendre,
Conduyre en Mer les navires volans:
Et aura France encores des Rolands.
Mais quand les ans t'auront faict homme, fort,
Plus ne sera de guerre aucun effort:
Plus voile au vent ne fera la Gallée
Pour traffiquer dessus la Mer sallée.
Chascune terre à chascune Cité
Apportera toute commodité:
Arbre croistront d'eulx mesmes à la ligne:
Besoing n'aura plus de serpe la Vigne:
Et ostera le Laboureur champestre
Aux Boeufz le joug: plus ne feront que paistre,
La Laine plus n'aura besoing d'apprendre
A fainctement diverses couleurs prendre:
Car le Belier, en chascune saison,
De cramoysi portera la toyson,
Ou jaune, ou perse: et chascun Aignelet
Sera vestu de pourpre ou violet.
Ce sont, pour vray, choses determinées
Par l'immuable arrest des Destinées.
Commence, Enfant, d'entrer en ce bonheur:
Reçoy desjà et l'hommage et l'honneur
Du bien futur: voy la ronde machine,
Qui soubz le poix de ta grandeur s'encline,
Voy comme tout ne se peult contenir
De s'esgayer, pour le Siecle advenir.
O si tant vivre en ce monde je peusse,
Qu'avant mourir loysir de chanter j'eusse
Tes nobles faictz, ny Orpheus de Thrace,
Ny Apollo, qui Orpheus efface,
Ne me vaincroit, non pas Clio la belle,
Ny le dieu Pan, et Syringue, y fust elle.
Or vy, Enfant, vy, Enfant bienheureux;
Donne à ta mere un doulx ris amoureux:
D'un petit ris commence à la congnoistre,
Et fay les jours multiplier et croistre
De ton ayeul, le grand Berger de France,
Qui en toy voit renaistre son enfance.

IV
A ung sien Amy
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Contemple ung peu, je te prie; et regarde,
Amy parfaict, de bonne et belle garde,
Quelle vertu souveraine ont en elles
Nayvement, les Muses eternelles,
De nous avoir de vraye amour pourveuz;
L'un envers l'autre, ains que nous estre veuz:
De la doubler encor' apres la veuë,
Et de l'avoir de telle foy pourveuë:
Que franchement, et sans peur, t'ay ouvert
Le cueur de moy, tant fust clos et couvert:
Et toy à moy faict cognoistre par preuve,
Qu'amy plus franc au monde ne se treuve.
En verité, si des seurs bien apprinses,
Nous n'eussions point les sciences comprinses,
Il est certain, au moins est à penser,
Que nostre amour seroit à commancer,
Si qu'un tel bien ne me fust advenu,
Et ne me tiens aux Muses moins tenu,
Dont elles m'ont ung tel amy gaigné,
Que de m'avoir en ma langue enseigné.
Que pleust à Dieu que l'occasion j'eusse,
Qu'aupres de toy user mes jours je peusse,
Loing de tumulte, et loing des plaisirs cours,
Qui sont en ces ambitieuses Cours.
Là me plairoit mieux qu'avec Princes vivre.
Le Chien, l'Oyseau, l'Espinette et le Livre,
Le deviser, l'amour à ung besoing,
Et le Masquer seroit tout nostre soing:
Avec le Boys, d'histoires bien recors,
Et le Bouchet, rond de coeur et de corps.
Avec Gruffy, et Chables, et Ramasse,
Jeunesse en qui vertu croist, et s'amasse.
Avec Genton, propre et loyal amant,
Et Marcoussé, visaige d'Alement.
Avec Bordeaux, qui a la bouche Fresche.
Candie aussi, qui pas moins n'en depesche.
Et la Forest, faict de la riche taille.
Et sainct Cassin, qui fut à la bataille.
Sans oublier Montigny, ton aisné,
Qui pour escrire en vostre langue est né.
Sans oublier aussi Aiguebelette,
Qui saute en Chat, et gravit en Belette.
Et Rougemont, qui d'or la barbe porte.
Et Lampignam, qui l'a bien d'autre sorte.
Avec Regart, et nostre bon Capris,
Qui d'instrumens l'art a si bien apris.
Finablement d'autres quinze fois sept,
Dont la plus part lettre et armes scet.
Te jurant Dieu, que pas je ne savoye
Que si grand fruict produisoit la Savoye.
Que Dieu vous haulse en fortune prospere.
Mes chers enfans, beuvez à vostre pere.
Et si Amour au dard bien affiné
Tire Parnaus vers vous, du Daulphiné:
Je pry Bouchet, qui cognoist sa valué,
Que de ma part humblement le salué.
En telle troupe, et si plaisante vie,
A ton advis porterons nous envie
A ceulx qu'on voit si haultement jucher,
Pour mieux apres lourdement trebucher?
Doué en biens, tel fut Cresus tenu,
Qui tout à coup un Job est devenu.
Nostre voller, qui hault ne bas ne tend,
De l'entre-deux seroit tousjours content.
Car cestuy là qui hault ne bas ne volle
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Va seurement, et jamais ne s'affolle.
Au demourant: quel arrest a Fortune?
Sinon l'arrest du Vent, ou de la Lune?
Tien toy certain qu'en l'homme tout perit,
Fors seulement les biens de l'esperit.
Ne voy-tu pas, encore qu'on me voye
Privé des biens, et estatz que j'avoye,
Des vieulx amys, du païs, de leur chere,
De ceste Royne, et maistresse tant chere
Qui m'a nourry, et si sans rien me rendre,
On m'ayt tollu tout ce qui se peult prendre?
Ce neanmoins, par mont et par campaigne,
Le mien esprit me suyt, et m'acompaigne:
Malgré fascheux, j'en jouyz et en use,
Abandonné jamais ne m'a la Muse.
Aulcun n'a sceu avoir puissance là.
Le Roy portoit mon bon droict en cela.
Et tant qu'ouy, et nenny se dira,
Par l'univers le monde me lira.
Toy donc aussi, qui as savoir et veine
De la liqueur d'Helicon toute pleine,
Ecry, et faictz que mort, la faulse lisse,
Rien que le corps de toy n'ensevelisse.

V
A Monsieur Pelisson, President de Savoye. 1543
Excuse, las, President tresinsigne,
L'escrit de cil qui du faict est indigne.
Indigne est bien, quand il veult approcher,
L'honneur de cil qu'homme ne deust toucher.
Seroit ce point pour ton honneur blasmer,
Et le blasmant du tout le deprimer?
Certes nenny. Car tout homme vivant,
Ne peult aller ton honneur denigrant.
C'est toy qui es le chef et Capitaine
De tous espritz: la chose est bien certaine.
Ung Ciceron, quant à l'art d'eloquence,
Pour d'un chascun prendre benivolence.
Ung Salomon, en jugemens parfaictz,
Plein de divins, et de tous humains faictz.
Ung vray Cresus en biens et opulence,
Humble d'autant, et remply de clemence.
Ung où le Roy s'est du tout reposé,
Pour le païs qu'en main luy a posé
Regir du tout, aussi le gouverner,
Droict exercer, et le tout dominer.
Brief si j'avoys des langues plus de cent,
Et d'Apollo le savoir tant decent,
Je ne pourroys encore bien satisfaire
A declarer l'honneur qu'on te deust faire.
Doncques de moy qui suis infime et bas,
Comment pourras appaiser les debatz?
Comment seront mes esperitz delivres,
Pour en ton nom publier quelques Livres?
Car mes escriptz n'ont merité, sans faulte,
De parvenir à personne si haulte.
Quoy qu'il en soit, la doulceur des neuf Muses,
Qui en toy sont divinement infuses,
M'ont donné coeur (evitant pour ung point
Proxilité) dire ce qui me poingt.
Las (cher Seigneur) depuys troys moys en çà,
De France ay prins mon chemin par deçà,
Pour voltiger et veoir nouveau païs.
Mais à la fin mes sens tous esbahis
Si ont esté, et mesmes quand ma plume
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De son plain vol a perdu la coustume.
Je pensoys bien trouver le cas semblable
Comme à Paris: mais mon cas estoit fable,
Ainsi que voy: car icy la practique
M'a bien monstré qu'elle estoit fort eticque.
Et seroys mis quasi en desespoir,
Si ce n'estoit que j'ay ung ferme espoir
Que Medecin seras en cest endroit,
Quand ung boyteux tu feras aller droit
Par recipez, en me disant ainsi:
Pourveu tu es: ne te bouge d'icy.
Si te supply (cher Seigneur) qu'il te plaise
D'oyr mes dictz, les lisant à ton aise:
Et me pourvoir de troys motz seulement,
Qui me pourront donner allegement.
En ce faisant ma plume s'enflera,
Et mon voller du tout s'augmentera,
Pour du vouloir, aussi de la puissance
Faire devoir et deuë obeïssance,
Tant en quatrains, dixains, rondeaux, ballades,
A cil qui rend la santé aux mallades.
Te suppliant de recevoir en gré,
L'esprit de cil qui n'a cy nul degré:
Et qui tousjours demoura despourveu,
Si de par toy en cela n'est pourveu.

VI
Epistre envoyée par Clement Marot à Monsieur d'Anguyen, Lieutenant pour le Roy de là les Montz. La Mort n'y
mord. 1544.
Vertu, qui est de l'heur accompaignée,
(Prince sorty de royalle lignée),
C'est la seurté de victoire et d'honneur.
Or t'a doné le souverain doneur
Et l'un et l'autre: Il t'a doné Fortune
A ta Vertu prospere, et opportune.
Vertu, qui rien de jeunesse ne sent,
Vertu chenue, en aage adolescent:
Qui ne sera (comme je croy) trompée
De ta fortune, adverse de Pompée.
Ainsi ayant ce que Cesar avoit,
Qui est celluy, qui à l'oeil bien ne voit
Qu'impossible est qu'en armes ne l'imites?
Et que (partant) passeras ses limites?
L'Arbrisseau franc qui florist et boutone,
D'en veoir leur fruict esperance nous done.
L'effect recent de tes premiers effors
De tes haulx faitz advenir nous fait fors.
Qui puis un peu, en la plaine Campaigne,
Rompis l'armée et la gloire d'Espaigne
En fouldroyant de tes robustes mains
Nombre infiny d'Espaignolz, et Germains:
Qui de leurs corps as la terre couverte,
Et de leur sang feis rougir l'herbe verte,
Et feis fuyr, de paour plus froit que glace,
Le vieil Marquis, devant ta jeune face.
Puis r'amenas, sans faire pertes grandes,
Dedans ton ost les Martialles bandes
Et les souldardz loyaulx, et non mutins,
Souillez de sang, et riches de butins:
Qui tost apres chassa Petre Columne
De Carignan, dont merites corone
De verd Laurier. Bien la merites certes,
Veu que tu es le recouvreur des pertes:
Qu'a eu (helas) en la terre Italique
Depuis vingt ans, la nation Gallique.
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C'est luy, c'est luy, n'en soyez mal contens,
Vieulx conducteurs, qui seul, depuis le temps,
Nous ha gaigné et bataille et journée.
Couraige enfans, car la chance est tournée.
L'heur d'Hannibal, par la fatalle main
De Scipion, le jeune enfant Romain,
Feut destourné: par Prince de mesme aage,
Se tourne l'heur de Charles en dommaige.
Entrer voyons noz bones destinées,
Et prendre fin les siennes declinées.
Dessoubz Bourbon fut son heur commencé,
Dessoubz Bourbon s'en va desadvancé.
O Roy, aussi ton propre nom il porte.
Et par Françoys, Françoys en mainte sorte
Sera vangé. O Roy de grand Renom,
Bien aultre chose a de toy que le nom.
Il ha de toy la saige hardiesse.
Il ha de toy, au combat, la proesse.
Il ha de toy (Nature ainsi le veult)
Je ne sçay quoi, qui nommer ne se peult,
Dont attirer il sçayt les coeurs des hommes,
Et à bon droict souvent ton filz le nommes.
A toy donc, Roy, à toy doncques ne tienne
Qu'entre tes mains la possession tienne
De mettre en bref: soyt tousjours ta main prompte
A soustenir sa fortune, qui monte.
Et toy qui tiens aux Itales son lieu,
Palas prudente, et Mars le puissant Dieu
Te doint finir ton oeuvre commancée.
S'ainsi advient, sortez de ma pensée,
Tristes ennuictz, qui m'avez fait escrire
Vers doloureux. Arriere ceste lire
Dont je chantois l'Amour par cy devant,
Plus ne m'orrez Venus mettre en avant,
Ne de flageol soner chant Bucolique,
Ains soneray la Trompete bellique
D'un grand Virgile ou d'Homere ancien:
Pour celebrer les haults faictz d'Auguyen,
Lequel sera (contre Fortune amere)
Nostre Achiles, et Marot son Homere.
FIN.

VII
Sonnet par Marot
Voyant ces mons de veue si loingtaine,
Je les compare à mon long desplaisir:
Hault est leur chef, et hault est mon desir,
Leur pied est ferme, et ma foy est certaine.
Là maint ruysseau coulle, et mainte fontaine:
De mes deux yeulx sortent pleurs à loysir.
De grandz souspirs ne me puys dessaysir:
Et des grandz ventz leur cime est toute plaine.
Mille troppeaulx prennent là leur pasture:
Amour en moy prend vie, et nourriture.
J'ay peu d'effect et assés d'esperance:
Là, sans grand fruict, feulhes ont apparence.
Et d'eulx à moy, n'a qu'une differance,
Qu'en eulx la neige, en moy la flamme dure.

VIII
Contre Mathieu Ory, Inquisiteur de la Foy
Dolet, enquis sur le point de la foy,
Dist à Oris, qui faisoit son enqueste:
Ce que tu crois, certes point ne le croy.
Ce que je croy ne fust oncq en ta teste.
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Oris pensant l'avoir prins en fist feste,
Luy demandant: Qu'est ce que tu crois doncq?
Je croy, dist il, qu tu n'es qu'une beste,
Et si voy bien que tu ne le cruz oncq.

IX
Au Roy
Plaise au roy congé me donner
D'aller faire le tiers d'Ovide,
Et quelzques deniers ordonner
Pour l'escrire, couvrir, orner.
Apres que l'auray mis en vuyde,
Ilz serviront aussi de guyde
Pour me mener là où je veulx.
Mais au retour, comme je cuyde,
Je m'en reviendray bien sans eulx.

X
Dixain de Marot
Quant en mon nom assemblez vous serez,
Ou deux, ou trois, dit Jhesus en Mathieu,
Et que de moy voz propos dresserez,
J'en seray pres, voire tout au milieu.
Las, si je veulx ores parler de dieu,
Afin qu'il soit (comme il dict) avec moy,
On le deffend sur grand' peine d'esmoy
Ou d'estre prins, lyé poings et genoulx.
Bien doit avoir Sathan avecques soy,
Qui ne veult pas que Dieu soit avec nous.
La Mort n'y mord.

XI
La chanson de la Christine, par C.M.
Aupres du poignant buisson
Je veys la belle Christine
Disant piteuse chanson
En claire voix argentine.
Jesuchrist, mon cher espoux,
Disoit la pucelle digne,
Contre moy et contre vous
Ce faulx monde se mutine.
Ce faulx monde va disant
Qui est pour luy maulvais signe,
Qu'en vous seul n'est pas gisant
De l'âme la medecine.
L'un vous laisse pour aller
A Barbe et à Katherine,
L'autre le son vient mesler
Avec la blanche farine.
Neufves loix ont faict sortir
De leur menteuse poictryne,
Par là cuydantz amortir
Vostre celeste doctrine.
Et cil qui l'a en honneur
Et à l'exalter s'encline
Il en meurt en deshonneur
Et tout son bien on mutyne.
Pourtant le monde mourra,
Et fault que le ciel deffine,
Mais à jamais demourra
Ceste parolle divyne.
Monde mys en maulvais train
Par avarice, et rapine,
Tu prendz paille pour le grain
Et pour la rose l'espine.
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Seigneur Dieu, dont la clarté
Les aveuglez enlumyne,
Monstre à ce monde esquarté
Par où il fault qu'il chemyne.
FIN.

XII
Chant royal.
La Mort du juste, et du pescheur
N'est il fascheux ici longuement vivre?
Je dy aux bons, que rien qu'affliction
N'y trouveront: car celuy qui veult suivre
La verité, grand' persecution
Luy fault souffrir, et avoir patience:
Myeulx doncq' luy vault, en saine conscience,
Comme sainct Paul, desirer de partir
De ce vil corps, où vit certes martyr
Son âme, au Ciel avecques Dieu ravie:
Car à cestuy, pour son Dieu ressortir,
La mort est fin, et principe de vie.
O le bon gain de mort, qui nous delivre
Tout à ung coup de tribulation!
Lequel debvons diligemment poursuivre
Si nous fions en CHRIST, sans fiction
Victorieux par sa mort et puissance
De mort, d'enfer, et peché, sans doubtance,
Mort ne servant au juste que partir
L'Esprit du corps, et salut impartir:
Qui de rechef mal gré mortelle envie
Vivant revient: car, pour vous advertir,
La mort est fin, et principe de vie.
Mais aux pecheurs voulant peché ensuivre
Male est la mort, qui suit damnation:
Gardons pourtant qu'aulcun de nous ne s'ivre
D'humains plaisirs et dissolution,
Venans apres malheur et desplaisance.
Qui doncq' saige est, il face penitence,
Et d'humble cueur se vueille convertir
Sans plus pecher, ne jamais divertir:
Car mauldict est, qui de grâce desvie:
Mais à celuy qui s'en veult assortir,
La mort est fin, et principe de vie.
Prenons pourtant, sans danger, le sainct Livre
De JESUS CHRIST pour nostre instruction
Entre les mains: car, au poix de la libvre,
Un monde vault de reprobation.
Là nous oyrrons icelle Sapience,
Le Filz de Dieu, se disant la substance
Qui vivre faict et au Ciel revertir
L'homme à tousjours, sans jamais departir
Qui par telz motz doulcement nous convie
Croyre qu'aux siens, qu'il ne veult subvertir,
La mort est fin, et principe de vie.
Celle mort doncq' qui faict ainsi revivre
Apres mourir, pour resolution,
N'est qu'ung dormir que chascun doibt consuyvre,
Comme dict est en ma narration.
Corrigé soit pourtant l'accoustumance
Paignant la mort pleine de malveillance,
Tenant ung dard semblant tout neantir:
Ce qui n'est pas: car qui se sçait sortir
De Foy vers Dieu, au prochain asservie,
Au Ciel tendant, au Seigneur ressortir,
La mort est fin, et principe de vie.
Prince haultain, pour du propos sortir,
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A qui Dieu plaist, cil sa chair amortir
Estudiera par prudente partie,
Et que nul n'ait, le voulant pervertir.
La mort est fin, et principe de vie.

XIII
Dialogue Chrestien
CHRIST est il mort? Ouy certainement.
Qui l'a tué? Parfaicte charité.
L'occasion? Pour aymer ardamment.
Quoy? Nous, pecheurs, qui l'avons irrité.
De quoy sert il? Il nous a merité
Son paradis, que sans luy nullement
Nous eussions eu: mais par austerité,
Jeusner, veiller, honte, croix et tourment,
Le povre Adam damné tres justement
Il a saulvé, et sa posterité,
Luy acquerant le haultain firmament,
Dont par peché estoit desherité.
Et qui croira en ceste verité
Par foy passant sens et entendement,
Aymant d'un cueur remply de purité,
En grand' clarté congnoistra vivement
Que par Dieu seul il a son saulvement,
Sans que jamais en rien l'ait merité.

XIV
Adam et Eve
Clercz et lays, nobles et gentilz,
Sont de nous deux filles et filz,
Et n'y a point de difference,
Sinon povreté ou chevance:
S'il y a mal, il vient de nostre part:
S'il y a bien, il vient d'ond le bien part.

XV
Le Balladin et dernier oeuvre de maistre Clement Marot
Dizain
Noble Seigneur puissant et magnanime,
Il vous plaira voir ce livre en rithme
Faict par Marot bon rethoricien.
[S]'il ne vault rien, n'en faictes nulle estime.
Mais [s]'il est bon, permetez qu'on l'imprime
Pour consoler tout fidelle chrestien.
Plusieurs l'ont veu, qui l'ont trouvé tresbien:
Clers et docteurs disent qu'il n'y a rien
Qui sonne mal, mais je n'ay prins l'audace
De l'imprimer sans que de vostre bien
J'ay un congé venant de vostre grâce.
Le Balladin
Voirray je point à mon gré bien dancer?
Ne sçauroit on tenir de s'advancer
Trop ne trop peu? Voirray point la danse
Et les sonneurs, tous deux d'une accordanse?
Ne sont ilz pas de leurs instrumentz seurs?
Esse leur faulte, ou s'il tient aulx danseurs?
O instrumentz qui justement sonnez,
Balleurs esleuz qui n'estes estonnez
Pour aucun son de musicque incertaine,
Danseurs dansans soubz musique haultaine,
Dont l'armonye est tant bien mesurée
Que venir faict à cadance asseurée,
Coeurs allegez qui au dedans du corps
Branslez avant que les piedz par dehors,
Cessez la dance et la marche du bal,
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Cessez vos sons, Orpheus et Thubal,
Oyez ung peu la cause, je vous prye,
Pour quoy aini ma muse tance et crye.
Mil ans y a, Cinq centz et davantage,
Que du plus hault et noble parentaige
De l'orient une pucelle yssit
En qui le ciel toutes grâces assit.
Pour sa grandeur Christine fut nommée,
Pour sa beaulté belle fut surnommée:
Et à present encores on l'appelle
Belle Christine, ou Christine la belle.
Entre aultres dons, elle avoit veu les hommes
Du premier siecle, et si voit qui nous sommes:
Voire, et voirra des siecles advenir
Tout le dernier, sans vieille devenir.
Malgré tourmentz, malgré temps et vieilesse,
Sera tousjours en la fleur de jeunesse.
Aussi, pour vray, quand elle se desco[e]uvre,
Le monde dict: voicy ung nouvel oeuvre.
Sy elle parle, ung tas d'asnes ou veaulx
Iront disans: voicy propos nouveaulx,
Combien qu'ilz soient plus vieilz que ciel et lune
Quant à la forme, elle estoit ung peu brune,
Pour le soleil qui la descoulouroit:
Mais sa beaulté tousjours luy demouroit.
D'aucune chose elle n'eust onc souffrete,
Et sy n'avoit grand tresor la povrete.
Sa grand Richesse en tout temps et saison
C'est qu'elle estoit de fort bonne maison,
Et se vestoit, comme simple bergere,
D'acoustrementz taillez à la legere.
Mais de tous biens que femme doibt sçavoir
Elle en avoit ce qu'on en peult avoir.
On ne vit oncq chose sy peu oysive,
Oncques ne feust sy grant doulceur nayfve.
Sy d'instrumentz sonner il luy plaisoit,
Mourir vivantz et mors vivre faisoit.
Sa voix passoit le chant de la seraine,
Et de danser estoit la souveraine:
Car bras et corps, et du pied la briseure
Avec le cueur alloit tout de mesure.
Puis elle avoit une tant bonne grâce
Et ung parler de si grand efficasse.
Que la plus part de ceulx qui l'escoutoient
A la servir pour jamais se boutoient:
Et tant estoient lyez à sa cordelle
Que chascun jour mouroient pour l'amour d'elle;
Pour l'amour d'elle enduroient franchement,
Et leur sembloit peine soulaigement.
Bref pour s'amour la mort leur estoit vye.
Qu'en dictes vous, fust elle bien servie?
Or est ains qu'envie et ignorance
Ensemble font voluntiers demourance
Pour debander contre les vertueux.
A ce propos le parler fructueux
De ceste vierge et sa voix gracieuse
Parvint aux fins de terre spacieuse:
Son nom, son bruict, son effect evident
Fust sceu par tout, mesmes en occident,
Là où s'estoit une femme eslevée,
D'envie et deul quasi toute crevée
D'ouyr le bruit qui de l'aultre volloit.
Et ceste cy Symmonne s'appelloit:
Faicte sy s'est, de servante petite,
Royne des Roys, de sorte qu'elle est dicte,
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En quelques lieux là où son bruict s'espand,
La grand Symmonne ou Symmonne la grand.
Mais Jehan de l'aigle, alors qu'au firmament
Fut transporté, la nomma aultrement.
Pas en jeunesse elle n'estoit tousjours,
Comme Christine. Ançoys par chascun jours
Vieillisoit: fort vieillit et vieillira,
Et de vieillesse en brief temps perira.
Quant à la forme, elle estoit d'apparence
Admirative, et de grand preference
Aulx yeulx des gens dont elle estoit pourveue:
Mais certes ceulx qui Christine avoient veue,
Apres avoir Symmonne regardée,
Disoient tresbien: ceste cy est fardée!
Et n'en estoient pourtant trop esbahis,
Pour ce que c'est l'usaige du pays.
Des biens mondains Symmonne possedoit
Jà les troys pars. Et à l'aultre tendoit:
Et toutesfoys tant estoit couvoiteuse
Qu'incessamment se sentoit souffreteuse.
De pourpre et lin richement fust aornée,
De dyamantz et perles couronnée,
D'habitz, pour vray, avoit le corps vestu
Plus richement que l'esprit de vertu:
Car jamais femme on ne vit tant oysive,
Ne tant comme elle en orgueil excessive.
Elle jouoyt d'instrumentz dont les noms
Sont basilicq, bonbardes et canons:
Elle chantoit jour et nuict mainctes choses
Qui n'estoient pas dedans son coeur encloses:
A bien danser estoit pesante et lourde,
Hors de mesure en tant qu'elle estoit sourde,
Et pour autant que ouyr ne vouloit pas
Les instrumentz qui sonnoient par compas:
Grâce n'avoit sy non mal gratieuse:
En son parler aigre et falatieuse:
Et quand parfois usoit de doulx langaige,
Plus y mettoit de fard qu'en son visaige.
Certes aussi elle ne sçauroit dire
Que par beaulté ou grâce qui attire
Ait en sa vie ung serviteur acquis:
Ains par tresors les a gaignez et quis.
Aussi jamais n'en eust ung qui pour elle
Souffrit ung brin de peine corporelle.
Bien est il vray que fort la soutenoient
Pour les proffictz qui leur en revenoient,
Mettans à mort les servans de Christine
Quand ilz disoient elle seulle estre digne
D'estre servie: et tant continuerent
A les meurtrir qu'ilz les diminuerent,
Non de l'amour du coeur, mais bien du nombre,
Et par ainsi fust frappée d'encombre
La bergerette et ses trouppeauls espars:
Dont la simplette aux plus barbares pars
De toute Europe alla faire demeure:
Et vous laissa la grand Symmonne à l'heure
Faire ses saultz et dancer à son tour,
En attendant son desiré retour.
Symmonne ayant par temps obscur regné,
En riche pompe et orgueil effrené
Pres de mil ans, Apollo de sa grâce
Tranperça l'aer qui estoit plain de crace,
Sy qu'on veit bien la lumiere approcher.
Or se mussoit Christine en ung Rocher
Des Saxonnois, duquel saillist adoncques
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Aussi entiere et belle que fust oncques.
Les jours, les moys, les mil ans que je dis
N'avoient en rien son visaige enlaidy,
Courbé son corps, ne sa voix empirée:
Bien le monstra, car d'aimer inspirée,
Pour ramasser autres nouveaulx amantz,
Tourna ses yeulx plus clairs que diamantz
De tous costez: puis chascun appella,
Chantant [c]es vers que composez elle a:
Venez à moy, vous qui estes chargez,
Venez y tous, et jeunes et aagez:
N'allez allieurs sur paine de la vie.
Venez à moy qui d'aimer vous convie,
Et de tous poinct vous rendray soullaigez.
Sy tost qu'en l'aer sa voix fust espandue,
De peu de gens elle fust entendue
Et toutesfoys tout le monde l'oyt:
La moindre part grandement resjouit:
La plus grant part n'en eust plaisir aucun,
Car nonobstant qu'elle appellast chascun,
Sy n'a elle en cueur et en fantasie
De serviteurs trop grand troupe choisie.
Qui veult n'est pas son serviteur fidelle:
Voire, et qui veult n'est pas amoureux d'elle,
Pour ce que nul jamais ne peult l'aymer
Sy non celluy qu'il luy plaist enflamer.
Or ouyt lors Symmonne le doulx son
De ceste belle et maint aultre chanson,
Qui toutes foys luy fust sy dure et aigre
Qu'elle en devint de la moitié plus maigre,
Car il n'est riens qui tant à elle nuyse
Ne riens aussi qui sy fort la menuise.
Le doulx parler de Christine et le chant
Ne luy sont moins qu'ung gros glaive tranchant;
Et ne crois pas que sa simple parolle
L'ung de ces jours ne l'occise et affolle.
Le basilic occist les gens des yeulx,
Mais ceste cy d'ung parler gratieux
La deffera. O Dieu est il possible
Voir d'une vierge ung parler si terrible?
Loyaulx amantz qui n'allez point au change,
Fust il jamais parolle si estrange?
A vous elle est trop plus doulce que miel,
Aux desloyaulx plus amere que fiel.
Touchant son art, d'elle gente ornature,
C'est une chose admirable à nature.
Quant Cicero parloit, il est certain
Que pour le son de sa lire haultain
De simples gens passoit l'intellective.
Christine a bien une aultre traditive:
Car aulx Ruraulx barbares et non clers
Ces hault propos sont facilles et clairs,
Et à cent mil grandz philosophes braves
Ses moindres dictz sont sy obscurs et graves
Qu'ilz ne sçauroient par quel bout commencer
A les comprendre: ha, je ne puys penser,
Veu sa façon d'esloquence et faconde,
Qu'elle ayt appris à parler en ce monde.
Christine donc parmy l'Europe alloit,
Et doulcement ses amys appelloit,
Qui pour se rendre à la belle aux beaulx yeulx,
Laissoient tresors, laissoient leurs propres lieux,
Abandonnoient leurs parentz et eulx mesmes,
Sentant d'amour les aiguillons extresmes.
Divers amantz de maintes nations
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Venoient alors plains de dissentions:
Mais aussy tost qu'à elle survenoient,
N'avoient qu'un coeur duquel ils la servoient
Pour sa beaulté seullement, comme pensse,
Car mention n'estoit de recompensse.
Laissons, laissons, disoient les bons supotz,
Tous [c]es facheux et dissolutz propos:
Faisons, faisons ce qu'elle nous demande:
Coeur sans amour tousjours loyer demande.
Ayons sans plus de bien aymer le soing!
Ma dame sçait ce qu'il nous est besoing.
Tant chemina la belle qu'elle vint
Au fleuve Loyre, où des foys plus de vingt
Jecta son oeil de sur moy la premiere,
Car mes gros yeulx n'avoient propre lumiere
Pour regarder les siens premierement.
S'aproche pres et me dict seullement:
Resveille toy, il en est temps, amy:
Tu as par trop en tenebres dormy!
Resveille toy! A sy peu de parler
Je la congneuz, et sy sentois aller
Hors de mon coeur une pesante charge
De griefz tourmentz, dont me trouviz au large
Et au repos de franche liberté,
Où paravant n'avoye jamais esté.
Sy luy ay dict: o piteuse Christine,
Retournez vous en la façon pristine?
Long temps y a sy grand bien n'aquist l'on
Que de vous veoir: venez vous d'Acquillon?
Se vient encore vostre gent corps offrir
Pour les assaulx des mesdisans souffrir?
Je vous supply, sy oncques amytié
S[ceu]t esmouvoir coeur de dame à pitié,
Que me tenez à vostre bonne grâce:
S'il ne vous plaist, je ne scaist que je face
Pour l'acquerir, car en moy, pour tous poinctz,
N'a riens de bien, de bon encores moins.
Plaise vous donc me la donner en sorte
Que hors de moy jamais elle ne sorte.
En ce faisant, tous ces faulx envieux
Ne pour menace et tourmentz envieux,
Ne faulx semblant, ne danger le rebelle,
Ne me pourront separer de vous, belle.
Non pas la mort, quant devant moy seroit,
Car d'aultre aymer mon coeur s'abesseroit.
Des que Christine eust mon parler ouy,
Elle respond: mon coeur s'est resjouy
De ma brebis esgarée en la peine:
De la trouver, or oste ceste laine
Et la toison que dessus toy je treuve:
Il te convient vestir de robbe neufve:
Tu as esté des amandz de Symmonne:
Mais si tu veulx que d'aymer te semonne,
Laisser te fault tous tes vieilles coulleurs
Et pour ung bien souffrir mille douleurs.
Ne cuide aucun, tant soit bas, tant soit mince,
Ne cuide aucun, tant soit grand, tant soit prince,
Se desmeller d'ennuy, peine, et esmoy,
S'il ne veult suyvre et venir apres moy.
Sy l'art d'aimer tu as leu de bien pres,
Tu trouveras qu'il enjoinct par expres
A tout amant que des meurs il s'informe
De sa maistresse, et puis qu'il se conforme.
De moy souvent donc tu t'informeras,
Puis tes effects aulx miens conformeras:
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Et mesmement apprendras l'accordance
Et la façon de me suivre à la dance:
Car qui ne sçait avecques moy dancer,
Je ne le puis en m'amour avancer.
Dont suis d'avis qu'aquointance tu prennes
A mes amantz, et que d'iceulx apprennes.
Et que souvent tu escoutes le son
De mon hault bois, recordant sa leçon
De jour et nuit aux livres que j'ay faictz
De reverence et des simples parfaitcz.
Sy faictz ainsi, bon danseur deviendras:
Lors asseuré devers moy reviendras:
Les motz finiz, de grand' celerité
Je partys lors, et à la verité
J'estoies picqué du grand zele des zeles:
Et puis amour me portoit sur ses ailles.
Je traversay les boys où a esté
Ourson d'ung ours en enfance allecté.
Là traversay la beauté spatieuse
En la vallée humble, et delitieuse
Icy mourut
Icy l'Autheur son Epistre laissa,
Et de dicter (pourtant) ne se lassa:
Mais en chemin la mort le vint surprendre,
En luy disant: Ton esprit par deçà
De travailler (soixante ans) ne cessa,
Temps est qu'ailleurs repos il voyse prendre

Compositions inedites de Clement Marot


recemment descouvertes dans le recueil publié en I534 à Paris chez Galliot du Pré, et intitulé
Les fleurs de poesie Françoyse

I
Autre description d'amour par le prince des Poetes Françoys
Venus ayant perdu son filz vollage,
Qui s'estoit d'elle en couroux mis en fuytte,
L'alloit cherchant soucyée en courage:
Et pour plus tost abbreger sa poursuytte,
Feit publier par carrefours et places
En motz pareil[s], une cryé[e] construitte:
S'aucun me deit quelque enseigne des traces
Du fugitif qui est mon filz rebelle,
Je seray prompte à luy en rendre grâces.
Et s'il en porte asseurée nouvelle,
Venus promect luy donner pour salaire
Ung doulx baiser de sa bouche immortelle.
Mais ô passant, si tu sçays, et peulx faire
Tant qu'en mes mains bien lyé tu l'ameines,
Baiser auras, et mieulx, qu'il fauldra taire.
Doncques afin qu'en vain tu ne te peines,
Par le menu te vueil en brief dire,
Pour le congnoistre, enseignes trescertaines.
Il n'est pas blanc: mais à feu chault retire.
Yeulx a perceans, dont estincelles sortent.
Parler courtoys, et felon cueur plain d'yre.
Ses faulx propos jamais ne se rapportent
A ce qu'entend sa pensée maligne,
Et de se plaindre en nul temps se deportent.
La voix a doulce, et parolle benigne:
Mais quant courroux l'aiguillonne et tourmente,
Il monstre lors d'occulte aigreur maint signe.
Et fait sa fraude et cautelle patente
Le garçon plain de malice abusive,
Lequel n'a jeu qui cruaulté ne sente.
Crespe a le chief, et la chere lascive,
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Petites mains: dont si loing ses dardz lance,
Qu'il en passe oultre Acheron, et sa rive.
Aller tout nu le corps est son usance,
Ayant l'esprit enveloppé d'ung voille
Qui de raison luy oste congnoissance.
Comme ung Oyseau son vol prend et bat l'aesle,
Et or de l'ung, or de l'aultre s'abesche,
N'y perche ailleurs qu'en cueur d'homme ou pucelle.
Arc a petit, et dessus une flesche,
Petites flesches en poix, et en mesure,
Mais dont l'effort jusques au Ciel fait bresche.
Sur le costé luy pend de la ceincture
Une petite et bien dorée Trousse,
Où flesches sont d'angoisseuse poincture.
Dont l'inhumain quant par fois se courrouce,
Me navre aussi, qui suys sa propre Mere,
Et loingtain de toute pitié doulce.
Bref, chose en luy n'a qui ne soit amere,
Tout est cruel par nature et coustume,
Et plus à soy qu'à nul aultre est austere.
Sa dextre main qui sans tuer consume,
Ung brandon tient petit, mais si terrible
Qu'au soleil mesme ardeur plus aspre s'allume.
Si tu le prens, ne luy soit compassible:
Batz le, et le lye, et l'ameine par force,
Te monstrant cault contre son pleur faillible
S'il te soubzrit, ne t'abuse à l'escorce
De son semblant. S'il te flatte ou s'approche
Pour te baiser, sur tout fuy ceste amorce.
Son baiser nuyt, en ses levres et bouche
Mortel venin en aguet se repose
Pour infecter toute chose qu'il touche.
Et si (par cas) il te dit et propose,
Mes armes pren amy, je les te donne,
De n'y toucher fermement te dispose.
Ses dons sont faulx, nuysantz à la personne.
Qui les reçoit ses armes, fault qu'il brusle,
Cueur, moelles, oz: et en ce point guerdonne,
Et qui le monstre, et qui le dissimule.

II
Description du triumphe d'Amour sur tous les dieux par le Prince des Poetes Françoys
Amour a fait son Trophée eriger,
Marque et tesmoing de ses faictz et victoire.
Cil en qui est l'univers diriger,
Et les humains deffaillans corriger,
Y a laissé son fouldre en Nue noyre.
Là sont pendans pour servir de memoire,
Armez, escus de Mars, qui prend à gloire
Le sang espandre, et regnes affliger.
Neptune y veoit son Trident arrenger,
Et Hercules sa masse meritoire,
Phebus son arc, et sa Trousse d'yvoire
Bacchus vaisseaulx et instrumentz à boire
Y a laissez et souffert rediger.
O fol mortel, caducq et transitoire,
Voyant les dieux servir de telle histoire,
Vouldrois tu bien imaginer ou croyre
Qu'eusses povoir d'eschapper ce dangier?

III
Amour parlant de sa puissance increpe les Prestres qui entreprennent sur icelle
Puis que mon feu fait aux hommes entendre
Assez quelle est [leur foible vanité,]
Je m'esbahyz qui te fait entreprendre
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Povre Curé, pour ung petit de Cendre
Diminuer la mienne auctorité?
Si la Cendre est de la mort la memoire,
Mon feu la donne et presente et notoire:
D'autant est donc sa puissance plus forte
Que sur pensée a l'effect plus de gloire
Et feu ardant sur cendre froide et morte.

IV
Ung Cueur amoureux respond au dict Amour, et adresse ses parolles à sa dame, laquelle il estime avoir autant de
puissance que Cupido
Dame, c'est vous qui par vostre beaulté
Et bonne grâce avez faict chascun randre,
Puis contre honneur, vertu et chasteté,
Pour vostre amour maintz dangiers entreprendre
Que vous cellez: mais pour le faire entendre,
Et rabbaisser l'orgueil accoustumé,
Je merqueray vostre front de la cendre
Du feu qu'avez en maintz corps allumé.

V
Icelluy prince des poetes introduit Priapus parlant à Venus.
Le Dieu des Jardins Priapus
Tousjours plain de lubricité,
Voyant de ses yeulx corrumpuz
Venus deesse de beaulté
Ceindre l'espée à son costé
Pour mieulx plaire à son amy Mars,
Et s'accoustrer par gayeté
De l'escu pesant mille marcz,
Laisse (deit il) laisse aux Souldars,
Dame, ces glaives inhumains,
Et joue de mes Bracquemars
Qui sont plus duysans à tes mains.

VI
Le dict autheur introduysant ung amoureux declairant six visions siennes
Ung jour estant seullet à la fenestre
Vey tant de cas nouveaulx devant mes yeulx
Que de tant veoir fasché me convint estre.
Si m'apparut une Bische à main dextre
Belle pour plaire au souverain des Dieux.
[...] etc.

VII
Icelluy prince des poetes declaire de qui Cupido est heritier
Loyaulx amans, qui les durs coups sentez,
Dont le meurtrier Amour voz cueurs embroche,
Il ne fault point que vous espoventez,
Si de son arc fers en fust morne entez,
Tous emflambez, en riant il descoche:
Car il est né d'une mere, et nourry,
Dont Mars jouyt, et qui a pour mary
Le forgeron qui des deux hanches cloche.
Si donc l'enfant se delecte et solasse
En fer et feu comme en jardin fleury:
C'est ce qu'il ayme, et si le tient de race.
Sa mere apres en tous ses parentez,
Mere autre n'a, tant soit charnelle ou proche,
Que Mer gettant criz par raige augmentez,
Et augmentant flotz de ventz tourmentez,
Dont elle bat tousjours rivaige ou roche.
Or n'a la Mer, où maint homme est pery,
Pere, ny mere, ou parent tant chery,
Qu'elle cognoisse, ou estime une loche:
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Par quoy troubler de legier sens et face,
Se courroucer, et faire autruy marry,
C'est ce qu'il ayme, et si le tient de race.
Pour alleger les tormentz intentez
Par ardant feu, courroux, et fer recroche:
Pleurez, mercy demandez, lamentez
Plaintivement: car tous maulx esventez
Moindres se font par pleur, plaincte, ou reproche.
Soit donc l'oeil à plorer non tary.
Car pleur feu tue, et rompt cueur d'Esmery.
Crier mercy de pitié, yre approche,
Plaindre, à douleur allegement pourchasse:
User en fault, qui veult estre guery:
C'est ce qu'il ayme, et si le tient de race.
Amour le feu a de Vulcan noircy,
De la Mer creuse yre et courroux transsy:
Et dardz sanglans de Mars portant cuyrasse.
Veoir pleurs, ouyr plaindre, et crier mercy,
C'est ce qu'il ayme, et si le tient de race.

VIII
Le Prince des poetes à une Dame
Chascun t'oyant, ou voyant en ta grâce,
Dit que la fleur des Crettes et des Medes
N'est à louer, ny de Paris la race:
Ta beaulté fait les trouver toutes laydes.
Ton feu s'estainct de ce que le mien ard:
Te regardant, tousjours le mien s'avive,
Et le tien meurt, combien que le mien vive.
Mort ou pitié en feront le depart.
FIN.

Appendice I

I
Le Grup de Cl. M.
Grup, grup, à la ville et aux champs,
Grup, grup, sur les prestres marchands,
Grup, grup, sur ces gens de villaige!
Tu chantes tousjours quand il naige:
Aimant l'hyver de ta nature.
Va t'en au loing chercher pasture,
Va paistre en quelque bled fourment!
Grup, grup, dessus ce parlement!
Grup sus ces robbes d'escarlatte!
Prens ton espée, moy une latte,
Pour combattre Charles d'Austriche.
Ma vigne est demourée en friche.
Las, preste l'on plus à usure?
Cà, de l'argent! prens ma ceincture.
Que diable veux tu que je face?
As tu veu le grand Cicheface
Qui devore tout le royaulme?
Mort bien, ilz fleurent comme baulme
Ces courtisans nouveaux venuz.
Dames, qui tenés de Venus,
Faictes retraindre la courtine.
A tous les diables la mastine:
Elle m'a chassé de la court.
Voy Montelon comment il court:
Il ne marche que sur espines.
Comment veux tu que je decline
Oultre les metes de raison?
Sçais tu point la belle oraison,
A toy, Royne de hault parage?
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Je suis endebté que c'est rage,
Tout mon bien n'y fourniroit pas.
Tout beau, tout beau, allons le pas,
Il fault rabaisser l'ordinaire.
Sang bieu! qu'on void de luminaire,
Quand on enterre un trespassé!
Un requiescant in pace
Met des âmes en paradis.
Dieu! tant il avoit de beaux dicts
Le bon Beda qui fut chassé:
Aussi son corps fut enchassé:
Les souris n'ont garde d'y mordre.
Mort bieu! qu'il y avoit bel ordre
Quand l'Empereur vint à Paris.
Il cousta des francs plus de dix,
Voire plus de dix et un double:
Aussi il l'a rendu au double.
Ne vois tu pas la recompense?
Ventre Sainct Jean, mais quand j'y pense,
Montmorency le secondoit.
Qui monte plus hault qu'il ne doibt,
Il voit un clocher de deux lieues.
J'ay esté en maints divers lieux,
Mais Dieu doinct bonne vie au Pape.
Veux tu point achepter sa chappe?
Tu y ferois bien trois habits.
Il a un troupeau de brebys
Qui est en grand danger du loup.
Je ne m'en soucye pas d'un clou.
Le pape veult estre marchant.
Ha, tu seras bruslé, meschant:
Ton corps sent par trop la bourrée.
Une terre bien labourée
Rend tousjours le double à son maistre.
Si un jour je puis estre prebstre,
Cousin seray à Jesus Christ.
Il nomme le Pape Antechrist,
Ce malheureux Martin Luther.
Si je me mets à disputer,
Je parleray des grosses dents.
Tout est à sac: dedans, dedans!
Faictes vous gentils compagnons.
Si tu menges des champignons,
Donne toy garde du boucon!
Mais voy tu ce diable de con
Qui a tant faict de cardinaux,
Force evesques, abbez nouveaux?
Jamais un tel con ne conna:
Celui qui premier l'enconna
Le trouva con de connerie.
Tais toy follastre, qu'on ne rye
Que tu y fusses enconné!
C'est un grand con rataconné:
L'on joueroit dedans à la paulme.
Il menge le tiers du royaulme.
Pendu soit il qui le conna,
Et celle avec, qui le con a.
En enfer soit il confondu.
L'argent est en ce con fondu,
Puis le peuple le recompense.
Un con n'est pas tout ce qu'on pense:
Tel n'en a point qui en a trop.
C'est un chat qui va bien le trot
Pour bien gripper une soury.
Et puis on dit à son mary:
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As tu point vu la peronnelle?
Si tu chasses à la tonnelle,
Tu feras contre l'ordonnance.
Monsieur Poyet a faict en France
Prouffit de cent mille ducats.
Moy, estant adverty du cas,
J'y pourvoiray: qu'on s'en deporte.
Es tu dedans? Buque à la porte:
Je suis hors: qui est en ton lieu?
Mon amy, va t'en prier Dieu:
Je t'y remettray, si je puis.
Noz grands seigneurs jouent à j'en suis:
Chascun n'y faict que ces trois moys.
Encor n'est il que plume d'oy[s]
Pour escripre un proces verbal.
Vertubieu, on luy eust faict mal
S'on l'eust pendu comme une serpe.
David, qui jouoit de la herpe,
Dict à Dieu: Sum tibi soli.
Mais entre nous: noli, noli,
Beati qui faciunt Grup
Et qui custodiunt illud.
Tout ce que clerc gaigne avec penne,
Il le despend à C.O.N.,
Ce disent ces vieux macquereaux.
Deux gros ruffiens sur les carreaux
Et deux sergents, ô quel dommage!
Je m'en voy en pelerinage,
Le diable feray sur les champs.
C'est tresmal faict à ces marchands
De laisser besogner leurs femmes.
Prions Dieu pour ces pauvres âmes
Qui sont au feu de purgatoire.
Ne m'en parle plus, allons boire,
Il n'y gist qu'un bon requiem.
Qui diable feit le courtisan
De ces amoureux de Pazis?
Il en deplaist à noz mazis.
Nous sommes de bonne maison:
On le pendra, s'il est larron
Le curé de Haubervilliers.
Mais, à propos, Badovilliers
Est aux emprunts jusqu'aux aureilles.
C'est un bon manger que corneilles
A gens qui n'ont aultre viande:
Ma foy, elle en est bien friande,
Elle en a la pasle couleur.
J'ay veu que j'estois bon boulleur,
J'en crois les donneurs d'eau beniste:
Mais j'oubliois la chattemitte
Qui n'en veult point s'ils ne sont braves.
Par Dieu, tous ces crieurs de raves,
Je croy, moy, qu'ils sont maquereaux.
Et que sçais tu, tes malles eaux?
Un chacun vit de son mestier.
Qu'on me brusle ce savetier,
Il a pissé au cymitiere.
Passe devant, vieille cropiere.
Tiens tu le ranc des damoiselles?
Mais que ne faict on des escuelles
Des testes de Sainct Innocent?
On les vendroit toutes au cent
A ces gueux qui sont par les rues.
Les pensions sont abbatues:
Que feront plus noz presidens?
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Par Dieu, nous prendrons des presens,
Puisque le Roy nous est ingrat.
Gaigne le hault: au grat, au grat!
Grippeminaux, vous renifflez.
Non fais, monsieur, villain enflez.
Fault il parler de la couronne?
Or bien donc, je m'en vois à Romme
Veoir si le plomb est à marché.
Les veaux ne sont tous au marché,
Ni les coquuz au verd boccage.
On te pourroit bien mettre en cage
Pour te faire parler plus bas.
Mais n'embourre l'on plus le bas
A ces lingeres du Pallais?
Il a une emplastre au palais,
Il ne sçauroit dire Regnault.
Pense tu qu'un homme est penault
Quand il a un chappeau de roses?
Il n'estudie plus que des proses,
Ce bon pere vestu de rouge.
Tout beau, tout beau, homme, ne bouge.
Il a esté pinsé sans rire:
Il faut casser la tirelire,
L'argent du Roy ne viendra plus.
Mais vois tu ces pattepellus,
Ils tiennent Dieu dedans leur manche:
C'est raison, tu dis vray dimenche:
Ils meurent tous de la verolle.
Voire, et si perdent la parolle,
Qui nous mettra en paradis?
As tu veu ces jambons rostys
Sur l'huys du petit St. Anthoine?
Tout vis à vis, ce dict un moyne:
Bien loing, plus bas, du costé mesme,
Ung peu plus hault. Elle est bien blesme!
A cheval, qu'on n'en parle plus.
De six, de neuf, monsieur, j'ay flus.
Passe de flus, je le renvy.
Dis moy, le pauvre Sainct Ravy
Feit il son maistre Cardinal?
Quiconques en dira du mal,
Ou murmurera au contraire
De l'authorité du sainct pere,
Abismera jusqu'aux enfers.
Je m'en vois estre portefaix
Pour prester de l'argent au Roy.
Dieu gard le sieur de Villeroy:
Vray dieu, que c'est un fin varlet!
Les prisonniers du Chastelet
Font leur purgatoire en ce monde
C'est un bon baston qu'une fonde
Pour tirer une grue en l'air.
Mais quoy? Il n'en fault plus parler:
Il est en un sac à vau l'eau,
Ce president gentil et veau.
Il a des amys à la court.
Il n'y va pas, mais il y court.
Il sera prevost des marchans.
Partout y en a de meschans.
Le mortier sent tousjours les aulx.
Vieux drappeaux, çà, ces vieux drappeaux!
Cà, ces vieux devants de chemise!
Elle s'en va de lâche mise,
Ceste grand Catin, la Normande:
Pour bien danser une allemande,
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Je croy qu'elle est assez fendue:
Pourtant s'ell' n'est nonnain rendue,
Elle a deux ou trois abbayes.
Mais pour ce dont je m'esbahys,
(Veu le credit là où nous sommes)
Comment sont si osez les hommes
De renverser nostre proces?
Nous avons de l'argent assez:
Il convient proposer erreur:
Si ce malheureux Empereur
Prend alliance avec l'Anglois,
Les anguilles deviendront oys
Et brochets deviendront moutons.
Et puis dictes que les Bretons
N'auront plus ne sel ne gabelle.
On ne vendra plus de cannelle,
Puisque les vins ferment à clé.
Il sera lyé et basclé,
Pour bien le garder de saulter.
Mon Dieu, que j'ay bien veu chanter
Avec Regina coelorum
In secula seculorum.
Nous nous trouverons tous ensemble.
Dictes, monsieur, que vous en semble?
S'entrevoit on en l'autre monde?
S'il est ainsi, que l'on me tonde.
L'on y rit. A trois pas un sault:
A l'assault, paillart, à l'assault!
Mettez ces nonnains à la poincte.
As tu desjà veu la complaincte
Que feit Flamette à son amy?
Il ne l'aymoit pas à demy,
Veu le grief mal qu'il enduroit.
Si feray fin en cest endroict:
C'est assez chanté pour bien boyre.
Escript à Orleans sur Loyre,
Pres du feu, en chauffant ma fesse,
Apres avoir fringué l'hostesse.
FIN.

II
L'epistre de l'Asne au Coq, responsive à celle du Coq en l'Asne
Puis que ma plume est en sa voye,
Autant de salutz je t'envoye,
Coq, mon amy, sur tous admis,
Que puys nagueres m'as transmis,
Te remerciant de ta lettre:
Car, puis que me declaires l'estre
De par delà, comme on peult veoir,
De par deçà te fais sçavoir
Que festes clost la Sainct Hilaire,
Voylà dont vint la grant cholere:
Que Ragot n'osta son bonnet
Pour estre benict franc et net
De trois doigtz d'espois sur le timbre.
Et si n'estoit que vint le tymbre
Aux cantines du Parion,
Hespaigne avoit son orion
Pour ung quartier de recompense.
Mais ce n'est pas ce que je pense,
Car à bon pied, bon oeil, bon cueur.
Alors disoit l'equivoqueur
A sa femme, non pas sans ire,
Quant par esbat luy pensoit dire:
Mon amy doulx, equivocons.
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Qui faict cela? Et qui? Voz cons.
Que nous soyons en jalousie,
Mauldict soit tant de fantasie
Qu'on a du gorgerin meschant.
Il couste bon à maint marchant
Pour peur de monstrer le derriere.
Gare devant, arriere, arriere,
Se disent noz ventrefendu.
C'est alors qu'on a deffendu
Que l'on en veult bon gré deffenses:
Puis, pour reparer les offenses,
L'on s'en venge par Atropos.
Mais je reviens à mon propos,
Affin qu'à m'entendre ne failles.
Puis que tu es hors des murailles,
Je te veulx racompter de moy.
N'estoit qu'il y a de l'esmoy,
Plusieurs gens seroient à leur aise.
Mais que veulx tu? Quant on se baise,
C'est ung signe qu'on est bien pres.
L'on crie bien: Apres, apres,
Et cependant la proye eschappe.
C'est assez puis qu'on a la chappe:
Laisse trotter le chapperon.
Je croy que nous l'eschapperon,
Si ne demourons au passage.
Au temps qui court il n'est pas saige
Celluy qui n'a jambe de bois.
Aux chiens congnoist on les abbois,
Si l'on ne fault à bien comprendre:
Car, disent ceulx qui sçavent prendre
Tout, fors esguilles par le bout:
Femmes de plat et bois debout
Durent comme tous les grands diables.
Ceulx qui tranchent de serviables
Auront part en Rochemelon.
Qui veult trouver le bon melon,
Il luy convient sentir au cul.
Mais ung seroit desjà quocu,
S'il n'avoit son faulcon en mue.
C'est assez dict: l'on se remue
En esté, quant la place est chaulde.
Garder se fault qu'on ne s'eschaulde
Quant l'on prent le morceau trop chault.
Au pis aller, il ne m'en chault.
J'ay apprins souffler dans ma souppe.
Aussi l'on me dit: Monsieur souppe,
Au moins il est à son privé.
Sçavoir vouldrois qui t'a privé
Du grand credit envers les femmes.
Ung tas d'adieux faictz par infames
Ont rendu Paris tout crotteux.
Par son serment, je suis honteux
Quant l'on preste troux pour chevilles.
Sçavoir vouldroys si les chenilles
Ont point gastez vos cachenez.
Je m'esbahis de ces punais,
Qui frisent leurs peaulx à escaille.
Si l'on faict sonner l'anticaille,
Peu de dames la danceront:
Car quant les momons y seront,
L'on fera la dance à tastons
Maint ung pour espargner frettons
Est contrainct de souffler les orgues.
Laisse passer monsieur des Morgues:
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C'est luy qui joue du cousteau.
L'yvrongne ne sçait que couste l'eau.
Mais, par ta foy, si l'on en parle
De ceste belle fille Darle!
Et je te diray le pourquoy.
Il ne s'en fault qu'avoir de quoy
A plusieurs pour faire grand chere.
Le pris est moindre que l'enchere,
Quant dedans est le paté creux.
Est il vray que dit Songecreux
Que les femmes qui portent linge
Sont semblables à ung vieulx cinge?
Au moins les nostres par deçà:
Car fallit, peu de temps en çà,
Qu'elles ne soient tout escouées,
Depuis que sont tres bien couvées
Par ung tas de gourtz babouins,
Qui supplient pour les Thouins
De queues à telles friandes.
Laissons à part celles viandes,
Puis que les langues d'Hisopet
En ce temps ne valent ung pet.
Toutesfois puis que je m'advise
De nouvelles devers la bise,
Je t'en veulx dire pour grant chose:
Mais je ne sçay coucher en prose,
Et les vers minent trop les metres.
Les disciples sont sur les maistres,
Ainsi que disent mes sieurs.
A tous honneurs tous messieurs,
Dont j'en suis ung lievre escossois.
Aulx et oignons pour les Françoys,
Et saulce verte pour benefices.
L'on ne souhaite plus d'offices:
Aussi certes c'est temps perdu:
Car tel a du tresor pendu
Qui vient son filz pour le despendre.
Celluy n'est en rien à mesprendre
D'avoir en jouant les marmotz
Consommé son bien en deux motz
De l'ave, par simple commande.
Mais sçais tu que Mydas te mande?
Que plus ne chantes à minuyt,
Car ton chant aux mariz nuyct,
Quant par ton chant as esveillée
La dame trop en sa veillée,
Fascheuse (en ostant le linseul)
Sur le deduyt de seulle à seul:
Tesmoing le grant jaseur de Crete.
Recommande moy à ta creste:
Au regard du bec, tu l'as bon.
Escript au jeu du premier bond
Pour peur de ne faillir la chasse.
Adieu, je m'en voys à la chasse.

III
Accession d'une Epistre de Complaincte à une qu'a laissé son amy
Devant les Dieux, protecteurs de pitié,
Certains vengeurs de rompue amytié,
Devant Amour, qui sçait ta conscience
En verité, ayant pleine science
De nostre cas, et qui seul en atteste,
Des maintenant je denonce et proteste
Que si depart d'entre nous deux se faict,
Ce ne sera par aulcun mien forfaict,
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Ne par exces d'envieuse fortune,
Ne par deffault de saison opportune,
Ne par raison de lieu mal disposé,
Mais seullement fault qu'il soit imposé
A ton vouloir rigoureux et contraire
Aux lois d'Amour, piteuse et debonnaire:
Car tu sçais bien que j'ay faict mon debvoir
Pour avec toy durable amour avoir:
Et si as veu ma force esvertuer
Plus d'une foys pour la perpetuer,
Et pour ce faire employer et choisir
Touts les moyens où tu prenois plaisir,
Et me fondant es gracieux propos
Qui m'ont tollu et sommeil et repos.
Mais, ô cueur fainct, tu as eu en la bouche
Parler qui faict à tes effectz reprouche:
Tu as monstré mieulx que table pourtraicte
Comme du dire au faire a longue traicte:
Tu as voulu me guinder, et haulser,
Pour puis apres d'hault en bas me poulser:
Et pour couvrir tes espines de roses,
Pour coulorer tes entremets, tu oses,
Sans fort rougir, nommer meschanceté
De ferme amour la vraye seureté.
Tu ne crains poinct tant amour ravaller
Que sciemment cas fascheux appeller
Son plus cher bien, son thresor et le don
Lequel il garde aux amants pour guerdon.
Qui telle erreur t'a mis en fantasie?
Où as tu prins ceste neufve heresie?
Je suis deceu, et mes livres sont faulx,
Ou tu verras que lourdement tu faulx
Par les discours que orras cy manier.
En premier lieu, tu ne sçauroys nier
Que chascun art et chascune action
Dont les humains ont faict election
Ne tasche et mire qu'à une fin certaine,
Où l'on pretend felicité mondaine,
De touts vivants tant appetée et quise
Que là sur tout est leur pensée assise.
Apres te fault par force confesser
Que qui les fins vouldroit faire cesser,
Toute action et tout art devant dicte
Demoureroit ainsi comme interdicte:
N'aulcun seroit qui se mist à pener,
S'il ne pensoit sa peine à fin mener,
Et par tels cas sans doubte conviendroit
Qu'oyseux le monde et confiz deviendroit:
Dont ensuyvroit par resolution
Bien tost apres la dissolution.
Pour de quoy faire ouverture plus ample,
Donner t'en vueil en brief langaige exemple:
Les vertueux tendent à fin de gloire:
Les combatants, à triumphe et victoire.
Qui gloire oster du monde ordonneroit,
Nul à vertu jamais s'addoneroit:
Et qui vouldroit les victoires suspendre,
Qui seroient ceulx qui vouldroient armes prendre?
Nul pour certain voulentiers s'exercite
En quelque exploict, s'on luy tolt son merite.
Ainsi tu voys, quand ce lieu auroit eu,
Qu'on resteroit sans armes ne vertu.
Et en pareil sens tout aultre artifice
Tenant le monde en beaulté et police:
Car il est force oster touts les principes
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Et les meilleurs, si les fins tu dissipes.
Or ne peulx tu dire ne soustenir
Qu'amour pretende à aultre fin venir
Que seullement au bien de jouyssance,
Ne qu'elle employe aultre part sa puissance
Et tout le fond de sa capacité,
Pour en ce monde avoir felicité:
Car, tout ainsi qu'ilz sonnent ses helas,
En celle aussi commencent ses soulas.
En la voulant doncques du monde oster
(Comme tu fais) quand tu l'oses noter
De tiltre infame et de surnom immunde,
Tu veulx amour forbannir de ce monde,
Et à part toy tu penses ung monde faire
Où n'aura lieu amour pour le retraire.
O gentil monde, ô mansion tresbelle!
O d'aise pleine les habitants d'icelle,
Qui vont menant une vie admirable,
Sans amytié seure, ferme, et durable,
Et sans sçavoir que c'est du bien d'aymer.
Quant est de moy, trop me seroit amer
Et contre cueur demourer en cartier
Où amytié n'ait son cours tout entier:
Car il me semble estre moins grief dommage
Au monde oster du cler soleil l'usage,
Que estranger vraye amour cordiale,
Comme font ceulx qui la fin principale,
Tant necessaire, honnorable et utile,
Tiennent à lieu de meschanceté vile,
En ensuyvant tes obstinez devis.
Mais je crois bien que tel n'est ton advis
En cueur secret, et que ton sentement
N'est si privé de juste jugement
Qu'en une erreur sois seule aheurtée,
De touts, fors toy, mauldicte et reboutée.
Il est bien vray que tu l'as voulu dire,
Pour en ce poinct, soubs ung doulx escondire,
Honnestement de moy te despecher:
Imaginant que te pourroit fascher,
Au long aller, si te convenoit vivre
Avecques moy. Plusieurs en ont ung livre
Faict pour toy seulle, et duquel la teneur
Eust consacré ton renom et honneur,
Et pour aultant ce moyen as songé
Entre plusieurs pour me donner congé.
Puis qu'ainsi veulx, maulgré moy je l'accepte,
Sans faire plus ne mise, ne recepte
Du temps perdu, et pas en vain hastez,
Et des labeurs en ce pourchas gastez,
Dont je reçoy pour retribution
Larmes aux yeulx, au cueur affliction,
Avecq regret d'avoir faict en toy preuve,
Où miel en bouche et fiel au cueur je treuve.
Mais puis qu'il fault que ce depart je face,
A celle fin que memoire s'efface
Entierement à touts deux ensemble
Des faictz passez, raison veult, ce me semble,
Que ce que l'un a eu de l'aultre à prendre
Il soit tenu doulcement à le rendre.
Pour ce, rendz moy le cueur plein de douleur
Que me ravit ta prisée valeur,
Cueur destiné, pour consumer ses jours,
A souspirer et complaire tousjours,
Et à t'aymer en pure loyaulté,
Se n'eust esté ta grande cruaulté.
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Apres rends moy l'estat de ma franchise,
Qui par toy fut en servitude mise,
Lors que j'ouy ta bouche soubhaiter
Que fusses digne assez pour m'accointer,
En servitude à moy beaucoup plus chere
Que liberté, tant que me monstras chere
De prendre en gré mon service adonné
A te servir, sans estre guerdonné,
Fors d'amertume à ma part advenue
Pour t'avoir trop (ou bien par trop) cogneue.
Rendz moy aussi le repos bienheureux
Où sans soucy, sans ennuy langoreux,
Mon temps en ayse à part moy je passoye,
Lors qu'asseurée mes desirs compassoye,
Avant que fusse en espoir eslevé
De tes douleurs estre un jour abbrevé.
En lieu de quoy le faulx Amour m'offrit
Lasseur du corps et travail d'esperit.
Si tu as chose aultre qui soit du mien,
Je suy content que ne me rendes rien:
Bien te requiers que la vueilles brusler,
Pour à jamais la memoire aveugler
De moy, qui t'ay en joye ung temps servie,
Et maintenant me fait hayr ma vie,
Voyant à l'oeil que me tiens homme indigne
A qui soit faict tour d'amytié benigne.
Du tien je n'ay oncq emprins chose aulcune,
Sinon rigueur et rudesse importune.
Pardonne moy si tes faictz nomme ainsi:
J'aymasse mieulx les appeler mercy,
Mais je suy seur que trouveroys estrange
Que l'on mentist pour te donner louenge.
Puis que n'ay rien, rendre rien ne me fault,
Et toutesfoys pour ne causer deffault
De quelcque chose au depart de ceste heure,
Rendre je veulx tout ce qui me demeure:
Au Dieu d'amour je quicte et rend les armes,
Et ne retien de son train que les larmes,
Pour m'en servir à plorer mon malheur
Et jecter hors par mes yeulx ma chaleur,
Le suppliant que mieulx il se contente
De mez travaulx, que moy de son attente.
A Apollo je rend ses instruments,
Lucz, harpe, et lyre, et ses habillements
Appropriez à deschasser ennuyctz:
Dont je me veulx accoustrer jour et nuictz,
Prenant congé des bonnes compagnies,
Et leur quittant sons, chantz et armonies,
Invention de fureur poetique,
Parler aorné, trace de rhetorique,
Plaisants devis et joyeuses parolles.
A moy ne fault que dolentes violles,
Pour en chanter quelcques foys laiz de plaincte,
En attendant qu'ayt mort ma flamme estaincte.
Finablement je rend, comme prescript,
Aux Muses l'art de coucher par escript
Les beaulx traictez de prose mesurée
Et les façons de rithme coulorée:
Où j'ay trouvé si tres peu de secours,
Que plus ne veulx en avoir de recours.
Pour ces chansons, ballades, triolets,
Mottets, rondeaulx servant aux virelaits,
Sonnets, strambots, barzelotes, chapitres,
Lyriques vers, chants royaulx et epistres,
Où consoler mes maulx jadis souloye,
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Quand serviteur des dames m'appelloye,
Puis que je n'ay de vous que repentance,
Allez ailleurs querir vostre accointance.
Avecques moy demeurent invectives,
Pour acuser les personnes chetives
De nostre siecle, et des gens y estants,
Sur tout de fraude et dol se delectants,
Et de l'un dire et de l'aultre exploiter,
Pour de l'ennuy des simples soy hayter.
Sur lequel poinct feray fin en ce lieu
A mes escriptz, en te disant adieu.

IV
A une Malcontante, d'avoir esté sobrement louée: et se plaignant non sobrement
Pour tous les biens qui sont deçà la Mer,
Je ne vouldrois vous ny autre blasmer
Contre raison: en sorte qu'on peust dire
Que je me metz voluntiers à mesdire.
Mais si fault il que vous croyez aussi
Que je n'ay pas tant besoing, Dieu mercy,
De voz faveurs, qu'on me fist consentir,
En vous louant, de flatter, ou mentir.
Je laisse à ceulx faire ceste corvée
Qui n'ont encor' nulle amye trouvée,
Et sont contents de prendre tout en gré,
Pour en Amours avoir quelque degré.
Je laisse faire à ces Italiens,
Ou Espaignolz, tombez en voz liens,
Qui disent plus qu'oncques ilz ne penserent,
Pour avoir mieulx encores qu'ilz n'esperent.
Car le plus lourd de telles nations
Entend assez voz inclinations,
Et sçavent bien que des païs estranges
Il ne vient rien si peu cher que louanges.
Ceulx là diront que les raiz de voz yeulx
Font devenir le Soleil enuyeux:
Et que ce sont deux astres reluysans,
Tout leur bonheur et malheur produysans.
En vous voyant, ilz seront esbahis
Comme Dieu mit tel bien en ce païs:
Et beniront l'an, le ciel et l'idée,
D'où telle grâce en terre est procedée.
Ilz vous diront que d'un ris seulement,
Vous eschauffez le plus froid element.
Et que les biens, dont Arabie est pleine,
N'approchent point de vostre doulce alaine.
Ilz jureront que voz mains sont d'yvoire,
Et que la neige, au pris de vous, est noire.
Voz blanches dentz, ou plustost diamans,
Sont la prison des espritz des Amantz,
Et le coral où elles sont encloses,
Pallit le tainct des plus vermeilles Roses.
De vos cheveulx, c'est moins que la raison,
De faire d'eulx à l'or comparaison.
Ilz vous diront que vostre doulx langage,
Les coeurs humains aliene et engage:
Et que l'accueil de voz doulces manieres
Peut apaiser Mars entre ses bannieres.
Si vous touschez Espinettes ou Lucs,
Vous appaisez les subjectz d'Eolus.
Et si d'aller par les champs vous delecte,
A chascun pas croist une violette.
Brief, nostre Siecle, où vous avez vescu,
A les passez par vous seule vaincu.
Et qui sauroit tant de fables redire,
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Sans se fascher, ou sans mourir de rire?
[Ilz disent tant, que je croy que le tiers,
En escrivant, faict rougir les papiers.]
Or quant à moy, je ne saurois avoir
Sens, ne loisir, d'apprendre ce savoir:
Ne mon esprit est d'assez bonne marque
Pour suyvre ainsi Jehan de Mun, ou Petrarque.
Je diray bien, et ne mentiray point,
Que soubz les draps vous estes en bon point:
Et que peut estre, on voit mainte qui brague,
Qui beaucoup pres n'est point si bonne bague.
Mais de parler qu'estes chose divine,
On me diroit que je songe, et devine:
Car en ce corps faict de sucre et de miel,
Y a des cas trop peu dignes du Ciel.

V
Ballade, ou non de Clement Marot, contre Sagon
Je vy n'aguere un des plus beaux combatz
Qu'il est possible, et vaut bien qu'on le sçache.
Un millan vit un chat dormant en bas,
Si fond sur luy, et du poil luy arrache:
Le chat s'esveille, et au Millan s'atache
Si vivement, et l'estraint si tresfort,
Que le Millan faisant tout son effort
De s'en voller, se tint pris à la prise.
Lors me souvint d'un qui a fait le fort,
Qui sa force a par son dommage apprise.
Je laisse aux grans parler de grans debatz,
Je sçay tresbien où mon soulier me marche,
Et ne veux point que sous mon stille bas
Il soit pensé que rien de grand se cache.
Ce que j'entends n'est sinon qu'il me fasche,
Qu'en ce temps cy où nous avons renfort
D'un vif esprit, qui donne reconfort
Aux bonnes artz, que le commun desprise,
Un sot buzard le moleste à grand tort
Qui sa force a par son dommage apprise.
Pour ce coup cy son nom n'escriray pas:
Ce m'est assez qu'on l'entende à sa tache.
Mais s'en avant il fait jamais un pas,
Qu'il ne s'estonne apres si on luy lasche
Deux mille trais, dont le moindre et plus lasche
De Lycambes taint au sang noir et ord
L'ira querir jusques dedans son fort:
Pourtant, qu'il prenne avis sur l'entreprise
Du fol Millan vollant sur Chat qui dort,
Qui sa force a par son dommage apprise.
Prince, un bon cueur guere ne poind ny mord,
Mais les poignants hayt jusques à la mort,
Et l'envieux, s'il peut, nuist en surprise,
Dont ceste envie à la fin le remord,
Qui sa force a par son dommage apprise.

VI
Chant Royal, de la fortune, et biens mondains, composé par ung des amys de C. Marot
Le trespuissasnt Dieu, le Pere parfaict,
Qui tout regist, tout tempere et parfaict,
Tout sçait, tout voit, et en tout ordre a mys,
A ung festin, où à chascun part faict,
Nous invita, tant par dict que par faict,
Lors que nous tous fusmes au monde admys,
Deliberant comme ses chiers amys
Bien ceste vie, où selon sa dispence,
Bien festoyer en chere et en despence.
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C'est ceste vie, où selon sa dispence,
Vivent et sont tous homs ensemblement.
Rien n'y portons. Et luy pour recompense
Riens ne requiert par escot, fors qu'on pense
Remercier le Seigneur humblement.
En ce festin il nous fault en effect
Avoir maintien, tout ainsi qu'en est faict
Civilement, en ung banquet promis.
Laver ses mains, que rien n'y soit infect.
S'asseoir au lieu que le Paranymphe ayt
Plus bas marché, où pour luy sont commys.
Et si plus hault monter nous soit [permys,]
Obtemperer en toute diligence.
Ainsi assis, ne faire nulle urgence.
Quant au service, attendre affablement.
Des metz serviz prendre à son indigence.
Puis, en rendant grâce de l'allegeance,
Remercier le Seigneur humblement.
Ainsi convient pour eviter meffaict
Soy maintenir: car l'homme trop meffaict
Qui d'observer ceste grâce est remys.
Premierement, devant qu'on soyt refaict
Des biens de Dieu, fault que l'on soyt refaict
Et relavé, car trop sommes maulmys:
C'est par baptesme, ou par seur compromys:
Sommes esleuz à la saincte assistence.
Puis se vestir de la ferme existence
De foy, qui l'homme orne tresnoblement:
Ainsi s'asseoir, cedant sans desistence
Les lieux premiers, et là sans resistence
Remercier le Seigneur humblement.
Si tout soubdain qu'on est à table affect
L'on n'est servy, et qu'autant qu'eut Japhet
L'on n'a de biens foyzonnans comme fromys,
Pourtant ne fault en murmur putrefaict
Soy convertir, ainsi qu'est contrefaict
Par gens brutaulx, passez au gros tamys
Car foy nous dict qu'il nous sera transmys
Lassus du Ciel pour vivre à suffisance.
Mais Dieu preveoit que la soubdaine usance
De biens mondains nous nuyroit doublement:
Par ce attendons, et lorsqu'à jouyssance
Offertz seront, reste à nostre puissance
Remercier le Seigneur humblement.
Si Nemesis (qui du faict et deffaict
Use toujours) nostre repas deffaict
En desservant les metz à nous submis,
Gemir n'en fault, car l'homme trop forfaict
Qui dit que Dieu luy tiendroit nul tort faict
En repetant les biens qu'il a permys.
Mieux nous advient, ces metz et biens demys
Jà nous avoient, et nous faisoient grevance.
Et Atropos, si du convys s'avance
Nous mettre hors, ainsi que finablement
Ayons myné nostre avoir et chevance,
Suyvre la fault, et en toute observance
Remercier le Seigneur humblement.
Prince, quiconque en ceste corpulence
Humaine estant, par terrestre opulence,
Ainsi qu'ay dict, vivra: visiblement
Le verra l'on assis sans deffaillance,
Au grant banquet d'eterne precellance,
Remercier le Seigneur humblement.

VII
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Epitaphe de Marie, fille aisnée de monsieur d'Estissac, composée par le Susdict
L'âme parle
De Dieu formée, et du hault ciel yssue,
En terre vis, où je me suys tissue
Ce petit corps, traict d'Estissac et Lude.
Pure j'estoys, mais lors qu'y fuz conceue,
En tel delict je me suis apperceue
Que fut Adam, par son ingratitude.
Dont ne voulant en ceste turpitude
Long sejourner, davant terme nasquis:
Et vins au monde, où par baptesme acquis
Estre remise en premiere Innocence.
Que de rechief craignant perdre, requis
Plus tost mourir, par ce moyen exquis:
Une heure apres j'en eu[s] de Dieu dispence.
F.R.

VIII
Dizain de l'ymage de Venus armée R. F.
Vous chevalier de la basse bataille,
Canonisez de maint coup de faulcon,
Ne poussez plus du court estoc sans taille,
Ostez les getz de vostre vieulx faulcon.
Venus je suis au visaige facond,
De main d'ouvrier faicte en ce temps armée,
Mais non pourtant moins forte desarmée.
Par maintz combatz et chocz m'avez congneue,
Car bien sçavez que dans la mienne armée
Vaincu vous ay tant de foys toute nue.

IX
Rondeaux de L'Adolescence clementine du 12 decembre I534
I
Au cueur ne peult ung chascun commander,
Ne les raisons de son vueil demander
Pour les entendre à sa perfection:
Cela, pour vray, gist à l'affection,
Qui sert de luy pour nuyre ou amender.
L'oeil fourvoyé se peult contremander,
Bouche obeyr pour se recommander,
Bien que ce soit dissimulation
Au cueur.
La main se peult à tous faictz hazarder,
L'oreille ouyr, ou d'ouyr se garder:
Franche est ainsi leur occupation.
Au dedans gist toute l'affection,
Mesme d'amour, où il fault regarder
Au cueur.
II
Juges, prevostz, bourgeoys, marchans, commun,
Nobles, vilains, et vous seigneurs d'Eglise,
Amendez vous: sinon je vous advise
Que ne verrez l'an cinq cens quarante un.
Lassus aux cieulx il est bruyt que chascun
Offense Dieu, qui n'est pas bonne guise,
Juges, prevostz.
Perseverer en son mal, c'est esgrun:
Le monde faict de peché marchandise.
Bref, il fauldra que chascun se reduise
Ou des trois partz n'en demourra nesun,
Juges, prevostz.
III
Qui ses besoignes veult bien faire
Selon le temps qui present court,
Dissimuler fault, et soy taire.
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Peu parler, et faire le sourd
Est bon: car grand prouffit en sourt
[Qui ses besoignes veult bien faire.]
Le Herault ung peu contrefaire,
Mais encore est il necessaire
Estre beau parleur, et non lourd,
[Qui ses besoignes veult bien faire.]
IV
O quel erreur, par finis esperitz
Vouloir finir l'infiny, sans nul pris,
Par raison morte et mondaine apparence
Voulant comprendre en debile science
Une bonté, qui tous nous a compris.
Créé nous a en ce mondain pourpris,
Et rachepté quand nous eusmes mespris:
Et nous doubtons quelle est sa puissance:
O quel erreur.
Par Testament sa Loy nous a appris
Amour donné pour acquerir le pris.
D'heureux labeur, par foy et esperance.
Allons à luy, en nous n'ayons fiance:
Qui ne le faict en enfer est repris:
O quel erreur.
V
O Bon Jesus de Dieu eternel filz,
Qui avec luy les cieulz et monde fis,
Las prens pitié de moy, ta creature:
J'ay contre toy tant faict de forfaicture
Que tous mes sens en sont de dueil confictz.
En une croix tout ton corps fut affix,
Où par ta mort les enfers tu deffictz,
Non pour moy seul, mais pour toute nature
O Bon Jesus.
En ceste croix où tu fuz crucifix,
De paradis le chemin tu reffis,
Et d'icelluy feis à tous ouverture.
De tous delictz tu est la couverture:
Couvre les miens, et ce qu'oncques meffeis,
O Bon Jesus.
VI
Rondeau de l'honneur des Dames
Devant vos yeulx, Dames, ayez honneur,
Et si voulez parvenir à bon heur,
Ne faictes rien que ne voulez qu'on saiche:
Car il n'est feu, quelque par qu'on le caiche,
Dont il ne sorte ou fumée, ou chaleur.
Craignez un dieu, honorez un seigneur,
Faictes la sourde à tout grand blasonneur,
Et ne souffrez jamais faire ung tour lasche
Devant voz yeulx.
Donner vous fault, mais fuyez le donneur,
Car le donnant oblige le preneur,
Et gardez bien que la villaine tache
D'ingratitude en voz cueurs ne s'atache:
Car il n'en peult venir que deshonneur
Devant voz yeulx.

X
Autres rondeaux
I
Rondeau à nostre Dame
En temps obscur estoille refulgente,
Raid de soleil, aulbe du jour fulgente,
Port de salut, allectante pucelle,
Rose vernant, de Dieu mere et ancelle,
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Royne des Anges, au pecheur indulgente,
Tournez voz yeulx, maternelle regente,
Vers voz enfans, aidez à qui regente
Le parc de Dieu et sa saincte nacelle
En temps obscur.
Contre le corps d'eglise diligente
Gens sans raison, de tout bien indigente,
Et contre vous a mise sa parcelle:
Monstrez vous Mere, et qu'ayons paix par celle
Qui a pouvoir: la cause en est urgente
En temps obscur.
II
Rondeau du Guay
Oyez le guay, petit mignon,
Monsieur, Madame Pimpelotte,
Avec le clerc à la pellotte,
Non faict, si faict, par Santrignon.
Villain, vous trenchez de l'oignon,
Et ne valez pas eschalotte:
Oyez le guay, petit mignon.
Gros coquin, oste le tignon,
Si veulx avoir la bachelotte:
Drinc, Drinc a mis en eschec l'hoste.
M'amye, levez le groignon,
Oyez le guay, petit mignon.
III
Rondeau des barbiers
Povres Barbiers, bien estes morfonduz
De veoir ainsi gentilz hommes tonduz
Et porter barbe. Or advisez comment
Vous gaignerez: car, tout premierement,
Tondre et peigner ce sont cas defenduz.
De testonner on n'en parlera plus:
Gardez cizeaux et rasouers esmouluz,
Car desormais vous fault vivre aultrement,
Povres Barbiers.
J'en ay pitié: car plus comtes ne ducz
Ne peignerez, mais comme gens perduz
Vous en ires besonger chauldement
En quelque estuve, et là gaillardement
Tondre maujoinct ou raser Priapus,
Povres Barbiers.
IV
Rondeau par Clement Marot
Tous les regretz qui les cueurs tormentez,
Venez au mien, et en luy vous boutez
Pour abbreger le surplus de ma vie,
Car j'ay perdu celle qui, assouvye,
Avoit povoir cueur et corps contenter.
Venez y donc, et plus rien ne doubtez,
Car mes cinq sens sont du tout apprestez
Vous recueillir: pourtant, je vous convye,
Tous les regretz.
Si vous supply que de moy vous ostez
Joye et plaisir, lesquelz m'avoit prestez
Pour aucun temps fortune sans envye.
J'ai triste soing, qui veult que je denye:
Pource venez, et vous diligentez,
Tous les regretz.

XI
Epigrammes
I
Huictain du maintein que l'on doibt tenir à la table
Celluy qui est pour repaistre à la table
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Ne doibt tenir propos, en tous ses dictz,
Que de joye, et exultationis:
Et s'il oyt chose qui ne soit notable,
Ou contre aultruy dire cas de mespris,
Le doibt celer sicut confessionis.
David le note, ce n'est pas une fable,
Quand il descript sonus epulantis.

II
Bien heureux, qui ne doibt rien
Bien heureux, qui ne doibt riens,
Car, qu'est il plus calamiteux
A toy, Debteur, privé de biens,
Que d'estre tant de fois honteux,
Tant de fois comme marmiteux,
Froter ton front, fuyr, toy musser, reculler
Du crediteur, mentir, aussy dissimuler?
D'ung suppliant maintenant faire l'acte,
Puis maintenant prier en chere matte:
Estre appellé, à fin que t'advertisse
Publicquement, et souvent en Justice?
Avec cela, defuy, evité,
Pareillement du doigt estre noté,
Et briefvement, ne fault qu'il t'en desplaise,
N'avoir jamais en ville, ny Cité,
Tant que seras en telle anxieté,
Ny tes plaisirs, ny tes droicts, ny ton ayse.
Notes, Debteur, que telles passions
Assemblent moult d'aultres cas incommodes.
Apporte en soy pour ses afflictions
L'Argent d'aultruy, qu'on doibt par plusieurs modes.
Herodotus, qui a faict de beaulx Codes,
A ce propos, dedans son premier Livre,
A celux de Perse, pour bien les faire vivre,
Escript avoir deux maulx jadis esté:
L'ung est debvoir: l'aultre, pour verité,
C'est de mentir au Crediteur. Or pense
Que tous les cas, qu'icy je te recense,
Dont le Debteur souvent actionné,
Pour ses debtes est fort passionné,
Feront juger, je t'en veulx advertir,
Que ceulx qui doibvent, ainsi l'a ordonné
Heur, et malheur, qui n'est à touts donné,
Souventesfois sont contreinctz de mentir.

III
Huictain du debteur
Vostre obligé (Monsieur) je me confesse,
Comme de vous ayant receu grand bien.
De vous payer ne vous feray promesse:
Car ne pourrois en trouver le moyen.
Si respondant voulez, je le veulx bien:
Mon cueur respond, et se met en ostaige.
C'est mon thresor, d'aultres biens je n'ay rien,
Je vous supply le retenir pour gaige.
IV
Dixain des Turcs
Ung pellerin que les Turcs avoient pris
De ses fortunes à deux dames comptoit,
Entre aultres choses, comme ils l'avoient surpris,
Et des nouvelles merveilleuses comptoit.
L'une des dames, qui si piteux compte oyt,
Luy demanda: Mays que font ils aux femmes?
Ha, Ha, dit il, ces malheureux infames
Leur font cela, tant qu'ils les font mourir.
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Or pleust à dieu, ce dit l'autre des dames,
Que pour la foy je deusse ainsi perir.
V
Huictains de l'estable et du courtault
J'ay un joly courtault, madame,
Qui est sur le point d'enrager,
Et je voudroys bien, sur mon âme,
Trouver un lieu pour le loger.
L'on m'a dit que, pour l'heberger,
Vous avez estable propice:
S'il vous plaisoit l'en soulager,
Le courtault vous feroit service.
Mon estable pas tant ne vault
Que vostre honnesteté merite,
Mais la grand'bonté du courtault
A la vous prester fort m'incite.
N'en faictes plus doncq' de poursuytte,
Ains amenez ce galland vert
Dedans mon estable bien viste:
Vous trouverez l'huys tout ouvert.
VI
Dixain d'Alix et Martin
Un jour Martin vint Alix empoigner
En luy monstrant l'outil de son ouvraige,
Et sur le champ la voulut besongner.
Mais dit Alix, Vous me feriez oultraige,
Il est trop gros, et long à l'advantaige.
Bien, dit Martin, tout en vostre fendasse
Ne le mettray, et soubdain il l'embrasse,
Et la moytié seulement y transporte:
Ah, dit Margot, en faisant la grimace,
Mettez y tout, aussi bien je suys morte.

Appendice II

I Exposition moralle du romant de la rose

S'il est ainsi que les choses dignes de memoire pour leur proffit et utilité soyent à demeurer perpetuellement sans
estre du tout assopies par trop longue saison et labilité de temps caduc et transitoire / l'esguillon et stimulement de
juste raison et non simulée cause m'a semont et enhorté comme tuteresse de tout bien et honneur à reintegrer et
en son entier remettre le livre qui, par long temps devant ceste moderne saison, tant a esté de tous gens d'esprit
estimé, que bien l'a daigné chascun veoir et tenir au plus hault anglet de sa librairie, pour les bonnes sentences
propos et dictz naturelz et moraulx qui dedans sont mis et inserez / C'est le plaisant livre du rommant de la rose /
lequel fut poetiquement composé par deux nobles aucteurs dignes de l'estimation de tout bon sens et louable
sçavoir, maistre Jehan de Meung et maistre Guillaume de Loris. Cestuy livre present a esté au paravant par la
faulte, comme je croy, des imprimeurs, assez mal correct / ou par advanture de ceulx qui ont baillé le double pour
l'imprimer / car l'un et l'aultre peult estre cause de son incorrection. Pour laquelle chose restituer en meilleur estat
et plus expediente forme pour l'intelligence des lecteurs et auditeurs, nonobstant la foyblesse du mien pueril
entendement et indignité de rural engin, j'ay bien voulu relire ce present livre des le commencement jusques à la
fin: à laquelle chose faire fort laborieuse me suis employé et l'ay corrigé au moins mal que j'ay pu, y adjoustant les
quottations des plus principaulx notables et auctoritez venants à propos, sans le mien voluntaire consentement,
comme debvez entendre / mais comme j'ay dict, à l'instigation, priere et requeste de honnorable personne Galliot
du Pré, libraire, marchant juré en l'université de Paris / qui nouvellement l'a faict imprimer apres avoir veu sa
correction tant du maulvais et trop ancien langaige sentant son inveteré commencement et origine de parler, que
de l'imparfaicte quantité des mettres, touts quasi corrompuz. Et pour aultant on pourroit dire comme jà plusieurs
ont dict que ce livre, parlant en vain de l'estat d'amours, peult estre cause de tourner les entendements à mal et les
applicquer à choses dissolues, à cause de la persuasible matiere de fol amour dedans tout au long contenue, pour
cause que fol appetit sensuel ou sensualité, nourrisse de tout mal et marastre de vertu, est moteur d'icelluy propos
/ tout honneur saulve et premis je respons que l'intencion de l'aucteur n'est point simplement et de soy mesmes
mal fondée ne maulvaise / car bien peult estre que ledict aucteur ne gettoit pas seullement son penser et fantasie
sus le sens litteral / ains plus tost attiroit son esprit au sens allegoric et moral, comme l'un disant et entendant
l'aultre. Je ne veulx pas ce que je dy affermer / mais il me semble qu'il peult ainsi avoir faict. Et si celluy aucteur n'a
ainsi son sens reiglé et n'est entré soubz la moralle couverture, penetrant jusques à la moelle du nouveau sens
mysticque / toutesfois l'on le peult morallement exposer et en diverses sortes. Je dy doncques premierement que
par la rose qui tant est appetée de l'amant est entendu l'estat de sapience bien et justement à la rose conforme
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pour les valeurs, doulceurs et odeurs qui en elle sont / laquelle moult est à avoir difficile pour les empeschemens
entreposez / ausquelz arrester ne me veulx pour le present. Et en ceste maniere d'exposer sera la Rose figurée
par la rose papalle / qui est de troys choses composée / c'est assavoir d'or / de musc / et de basme / car vraye
sapience doibt estre d'or, signifiant l'honneur et reverence que nous debvons à Dieu le createur / de musq, à cause
de la fidelité et justice que debvons avoir à nostre prochain / et de basme quant à nous mesmes / entant que nous
debvons tenir noz ames cheres et precieuses, comme le basme pur et cher sur toutes les choses du monde.
Secondement, on peult entendre par la rose l'estat de grace, qui semblablement est à avoir difficile / nompas de la
part de celluy qui la donne / car c'est Dieu le tout puissant / mais de la partie du pecheur qui tousjours est
empesché et eslongné du collateur d'icelle grace. Ceste maniere de rose spirituelle tant bien spirant et refragant,
pouvons aux roses figurer par la vertu desquelles retourna en sa premiere forme le grand Apulée, selon qu'il est
escript au livre de l'Asne doré, quand il eut trouvé le chappelet de fleurs de rosier pendant au sistre de Ceres,
deesse des bledz / car tout ainsi que le dict Apulée qui avoit esté transmué en asne retrouva sa premiere figure
d'homme sensé et raisonnable / pareillement le pecheur humain, faict et converty en beste brute par irraisonnable
similitude, reprent son estat premier d'innocence par la grace de Dieu qui luy est conferée lors qu'il treuve le
chappelet ou couronne de roses / c'est assavoir l'estat de penitence, pendu au doulx sistre de Ceres / c'est à la
doulceur de la misericorde divine. Tiercement nous pouvons entendre par la rose la glorieuse vierge Marie, pour
ses bontez, doulceurs et perfections de grace / desquelles je me tay pour le present. Et sachez que ceste virginale
rose n'est aux heretiques facile d'avoir, et n'y eust il seullement que Malle bouche qui les empesche d'approcher de
sa bonté / car ilz ont mal d'elle parlé, voulant maculer et denigrer son honneur maternel / en disant qu'il ne la fault
saluer et appeler Mere de pitié et misericorde. C'est la blanche rose que nous trouverons en Hierico plantée,
comme dit le saige / quasi plantatio rose in Hierico. Quartement, nous pouvons par la Rose comprendre le
souverain bien infiny et la gloire d'eternelle beatitude / laquelle comme vrays amateurs de sa doulceur et amenité
perpetuelle pourrons obtenir en evitant les vices qui nous empeschent / et ayant secours des vertuz qui nous
introduiront au verger d'infinie liesse / jusques au rosier de tout bien et gloire / qui est la beatifique vision de
l'essence de Dieu. Ce rosier peult estre figuré nompas aux roses de Pestum en Ytalie qui florissent deux fois en
l'an / car c'est peu souvent / mais à la rose que presenta au saige roy Salomon la noble royne de Sabba
ethiopienne, comme nous lisons au livre de ses Probleumes et des questions qu'elle luy demanda pour resprouver
sa sapience / dont tant fut esmerveillée que son sens defailloit en elle / selon qu'il est escript au livre des Roys. Elle
print deux roses, desquelles l'une venoit de l'arbre naturellement, et l'aultre procedoit par simulation / car elle l'avoit
faicte sophisticquement et par art bien ressemblant à la rose naturelle tant elle estoit subtillement ouvrée. Voy là,
dit elle, deux roses devant vostre pacificque majesté presentes, dont l'une vrayement est naturelle / mais l'aultre
non. Pourtant dites moy, Sire, qui est la naturelle rose, monstrez la moy avec le doy. Salomon ce voyant fit
apporter aulcunes mousches à miel, pensant et considerant par la science qu'il avoit de toutes choses naturelles,
que lesdictes mouches selon leur proprieté yroient incontinent à la rose naturelle, nompas à la sophistiquée / car
telz oyseletz celestes, plaisants et mellificques desirent et appetent les doulces fleurs sur toutes choses. Parquoy il
monstra à la royne la vraye rose, la decernant de l'aultre, qui estoit faicte de senteurs contrefaisans nature. Celle
rose naturelle peult donc signifier le bien infiny et vraye gloire celeste; qui point n'est sophisticque ne decepvable
comme la gloire du monde present, qui nous deçoit entant que nous cuydons qu'elle soyt vraye / mais non est.
Doncques qui ainsi vouldroit interpreter le Rommant de la rose / je dis qu'il y trouveroit grand bien, proffit et utilité
cachez soubz l'escorce du texte, qui pas n'est à despriser / car il y a double gain / recreation d'esprit et plaisir
delectable quant au sens litteral / et utilité quant à l'intelligence morale / Fables sont faictes et inventées pour les
exposer au sens mysticque: parquoy on ne les doibt contemner. Si le grand aigle duquel parle Ezechiel quand il dit
Aquila grandis magnarum allarum plena plumis et varietate / venit ad Libanum et tullit medullam cedri, je dy que si
celluy aigle qui tant avoit estandu son volatif plumaige se fust seullement arresté sus l'escorce du cedre quand il
volla au mont du Liban, poinct n'eust trouvé la moelle de l'arbre / mais s'en fust en vain retourné et eust perdu son
vol. Semblablement si nous ne creusions plus avant que l'escorce du sens litteral, nous n'aurions que le plaisir des
fables et histoires, sans obtenir le singulier proffit de la moelle neupmatique / c'est assavoir venant par l'inspiration
du Sainct esprit quant à l'intelligence moralle. Qui ne penseroit sinon au sens litteral / encor y a il grand proffit pour
les doctrines et diverses sciences dedans contenues / car neantmoins que le principal soit un train d'amours /
toutesfoys il est tout confict de bons incidents qui dedans sont comprins et alleguez, causans maintes bonnes
disciplines. Les philosophes naturelz et moraulx y pevent apprendre / les theologiens / les astrologues / les
geometriens / les arcimistres / faiseurs de mirouers / painctres et aultres gens, naiz soubz la constellation et
influence des bons astres ayans leur aspect sur les ingenieux et autres qui desirent sçavoir toutes manieres d'arts
et sciences.
Cy fine le prologue

I Prologue

Clement Marot de Cahors, Valet de chambre du Roy, aux lecteurs S.


Entre tous les bons livres imprimez de la langue Françoyse, ne s'en veoit ung si incorrect ne si lourdement
corrompu que celluy de Villon: et m'esbahy (veu que c'est le meilleur poete Parisien qui se trouve) comment les
imprimeurs de Paris et les enfans de la ville, n'en ont eu plus grand soin. Je ne suy certes en rien son voysin: mais
pour l'amour de son gentil entendement, et en recompense de ce que je puys avoir aprins de luy en lisant ses
oeuvres, j'ay faict à icelles ce que je vouldroys estre faict aux miennes, si elles estoyent tombées en semblable
inconvenient. Tant y ay trouvé de broillerie en l'ordre des coupletz et des vers, en mesure, en langaige, en la ryme,
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et en la raison, que je ne sçay duquel je doy plus avoir pitié, ou de l'oeuvre ainsi oultrement gastée, ou de
l'ignorance de ceulx qui l'imprimerent. Et pour vous en faire preuve, me suys advisé (lecteurs) de vous mettre icy
ung des coupletz incorrectz du mal imprimé Villon, qui vous sera exemple et tesmoing d'ung grand nombre d'autres
autant broillez et gastez que luy, lequel est tel:
Or est vray qu'apres plainctz et pleurs
Et angoisseux gemissemens
Apres tristesse et douleurs
Labeurs et griefz cheminemens
Travaille mes lubres sentemens
Aguysez ronds, comme une pelote
Monstrent plus que les comments
En sens moral de Aristote.
Qui est celluy qui vouldroyt nier le sens n'en estre grandement corrompu? Ainsi pour vray l'ay trouvé aux vieilles
impressions, et encores pis aux nouvelles. Or voyez maintenant comment il a esté r'abillé, et en jugez
gratieusement:
Or est vray qu'apres plainctz et pleurs
Et angoisseux gemissemens
Apres tristesse et douleurs
Labeurs et griefz cheminemens
Travail mes lubres sentemens
Aguysa (ronds comme pelote)
Me monstrant plus que les comments
Sur le sens moral d'Aristote.
Voylà comme il me semble que l'autheur l'entendoit, et vous suffise ce petit amendement, pour vous rendre avertiz
de ce que je puys avoir amendé en mille autres passages, dont les aulcuns ont esté aysez et les autres
tresdifficiles: toutesfoys, partie avecques les vieulx imprimez, partie avecques l'ayde des bons vieillardz qui en
sçavent par cueur, et partie par deviner avecques jugement naturel, a esté reduict nostre Villon en meilleure et plus
entiere forme qu'on ne l'a veu de noz aages, et ce sans avoir touché à l'antiquité de son parler, à sa façon de
rimer, à ses meslées et longues parentheses, à la quantité de ses syllabes, ne à ses couppes, tant feminines que
masculines: esquelles choses il n'a suffisamment observé les vrayes reigles de Françoyse poesie, et ne suy
d'advis que en cela les jeunes poetes l'ensuyvent, mais bien qu'ilz cueillent ses sentences comme belles fleurs,
qu'ilz contemplent l'esprit qu'il avoit, que de luy apreignent à proprement descrire, et qu'ilz contrefacent sa veine,
mesemement celle dont il a usé en ses Ballades, qui est vrayement belle et heroique, et ne fay doubte qu'il n'eust
emporté le chappeau de laurier devant tous les poetes de son temps, s'il eust esté nourry en la court des Roys et
des Princes, là où les jugements se amendent, et les langages se polissent. Quant à l'industrie des lays qu'il feit en
ses testaments, pour suffisamment la congnoistre et entendre, il faudroit avoir esté de son temps à Paris, et avoir
congneu les lieux, les choses, et les hommes dont il parle: la memoire desquelz tant plus se passera, tant moins
se cognoistra icelle industrie de ses lays dictz. Pour ceste cause, qui vouldra faire une oeuvre de longue durée, ne
preigne son soubject sur telles choses basses et particulieres. Le reste des oeuvres de nostre Villon (hors cela) est
de tel artifice, tant plein de bonne doctrine, et tellement painct de mille belles couleurs, que le temps, qui tout
efface, jusques icy ne l'a sceu effacer. Et moins encor l'effacera ores et d'icy en avant, que les bonnes escriptures
françoises sont et seront myeulx congneues et recueillies que jamais.
Et pour ce (comme j'ay dict) que je n'ay touché à son antique façon de parler, je vous ay exposé sur la marge,
avecques les annotations, ce qui m'a semblé le plus dur à entendre, laissant le reste à voz promptes intelligences,
comme ly Roys pour le Roy: homs pour homme: compaing pour compaignon: aussi force pluriers pour singuliers,
et plusieurs aultres incongruitez dont estoit plein le langage mal limé d'icelluy temps.
Apres, quand il s'est trouvé faulte de vers entiers, j'ay prins peine de les refaire au plus pres (selon mon possible)
de l'intencion de l'autheur: et les trouverez expressement marquez de ceste marque. Affin que ceulx qui les
sauront en la sorte que Villon les feit, effacent les nouveaulx pour faire place aux vieulx.
Oultre plus, les termes et les vers qui estoyent interposez, trouverez reduictz en leurs places: les lignes trop
courtes, alongées: les trop longues, acoursies: les motz obmys, remys: les adjoustez, ostez: et les tiltres myeulx
attiltrez.
Finablement, j'ay changé l'ordre du livre: et m'a semblé plus raisonnable de le faire commencer par le petit
testament: d'aultant qu'il fut faict cinq ans avant l'aultre.
Touchant le jargon, je le laisse à corriger et exposer aux successeurs de Villon en l'art de la pinse et du croq.
Et si quelcun d'aventure veult dire que tout ne soit racoustré ainsi qu'il appartient, je luy respond desmaintenant,
que s'il estoit autant navré en sa personne, comme j'ay trouvé Villon blessé en ses oeuvres, il n'y a si expert
chirurgien qui le sceust penser sans apparence de cicatrice: et me suffira que le labeur qu'en ce j'ay employé, soit
agreable au Roy mon souverain, qui est cause et motif de ceste emprise, et de l'execution d'icelle, pour l'avoir veu
voulentiers escouter, et par tresbon jugement estimer plusieurs passages des oeuvres qui s'ensuyvent.

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