Le Corbusier Politique
Le Corbusier Politique
Le Corbusier Politique
une politique de larchitecture Avant-propos et propos pour aprs En 2005, lcrivain Daniel de Roulet, lors dun sjour Vichy revenait sur les pas de Le Corbusier pour tenter de mieux comprendre ce qui stait pass au dbut des annes quarante, quand cette sous-prfecture auvergnate est devenue capitale de ltat franais1 . Aprs avoir pris conscience des grandes difficults prciser nombre de ses amis il fut mme trait de fouille-merde par lun dentre eux qui tait le vrai Le Corbusier pendant ces annes-l, en loccurrence celles de Vichy, notre crivain ne fut pas davantage rassur lorsquil comprit que lapprciation du personnage par ses contemporains tait toujours positive, lorsquil apprit galement que, enfin, le billet de la Banque nationale suisse sur lequel se trouve le portrait aux grosses lunettes du Corbu allait tre remplac par un autre sans plus aucune effigie ou rfrence personnelle2 . Il comprit que, de fait, Le Corbusier bnficiait toujours soixante-cinq ans aprs sa longue rsidence Vichy dun statut tout son honneur, irrprochable mme, parce quil fut et restait prcisment larchitecte le plus connu au monde, le plus reconnu, le plus apprci, mme si ces projets urbains et architecturaux, ses ralisations galement, furent souvent lobjet de trs vifs dbats. Il tait toujours celui par qui larchitecture tait en fin de compte la mieux reprsente. Daniel de Roulet sest donc lui-mme rendu Vichy pour tenter de mieux apprcier lattitude de celui qui fut invit la radio dtat, la radio de ltat franais. la prsidence du conseil, se rjouit alors Le Corbusier, ladjoint au chef de cabinet du Marchal me dit : votre heure est venue Jai parl la Radio dtat 12h30 (Radio jeunesse) dans quelques jours vous entendrez [la lettre est adresse sa mre] la radio un discours du Marchal, ce sera propos de ce qui vient de se passer3. ce moment-l, prcisment, lors de son sjour Vichy, Le Corbusier a cinquante-trois ans. Mais aprs dix-sept mois et demi de prsence Vichy (du 15 janvier 1941 au 1er juillet 1942), il quitte finalement la ville et les siens en ces termes : Jai fait mes adieux Vichy, aux gens qui mont aid, apprci ma tnacit enrage. Adieux pleins dune amiti rconfortante, dune confiance dans lavenir Pour finir : tout cet effort sera paul par une organisation dhommes que je suis autoris rassembler sur un plan bien catgorique, pour former un vritable milieu actif4. Plus loin, il appelle de ses vux, souligne De Roulet, lordre nouveau : Hitler, clame Le Corbusier, peut couronner sa vie par une uvre grandiose : lamnagement de lEurope. Et tout a sur fond dun vieil
1. Daniel de Roulet, Sur les traces du Corbusier, un voyage Vichy , in Tracs, n 20, octobre 2005, p. 32. 2. Ibidem. 3. Lettre cite par Daniel de Roulet et parue dans Le Corbusier, Choix de lettres, slection, introduction et notes de Jean Jenger, Ble, Birkhaser, 2002. 4. Ibidem. 1
antismitisme. Parlant de la Chaux-de-Fonds, sa ville natale, Le Corbusier avait crit en juin 1914 : Le petit juif sera bien un jour domin (je dis petit juif, parce quici ils commandent, ils ptaradent et font la roue et que leurs papas ont peu prs absorb toute lindustrie locale)5 . Toujours en avance sur son temps, et ds 1913, Le Corbusier vomissait dj sa haine : Ces Juifs, cauteleux au fond de leur race, attendent6. Plus tard, exactement le 1er octobre 1940, deux jours avant le vote du statut des juifs, dans une lettre sa mre, il crit : Les juifs passent un sale moment. Jen suis parfois contrit. Mais il apparat que leur soif aveugle de largent avait pourri le pays. Le Corbusier, humaniste Aprs ces quelques propos maintenant connus de tous, ou peu prs, on comprendra dautant plus mal les difficults de certains apprcier Le Corbusier sa juste valeur, linstar des propos de Roland Castro mis en ligne sur son site personnel7. Dune certaine faon, par la teneur de ses propres propos, Roland Castro nous renseigne aussi sur les liens quentretiennent nombre darchitectes avec le Pre fondateur de la Horde de ces mmes architectes. Donc, selon Castro, Le Corbusier na pas rencontr Freud . Ce qui est, bien sr, historiquement exact. Et, quon le sache, Castro non plus na pas rencontr Le Corbusier, ni Freud dailleurs. Mais cela nempche pas notre ex-prsidentiable (candidat malheureux en 2007) de proposer une lecture bien lui de cette poque, soit de la priode de Vichy qui, on le sait, est reste si longtemps refoule. Il y a, avance ainsi bien imprudemment Roland Castro, lhistoire de son adhsion une socit de gymnastique prfasciste [on est dj l dans lapproximation historique]. Il y a dautres histoires de rencontre avec le despotisme, dont celle, honteuse, avec Ptain. Mais ce procs-l, affirme R. Castro, ne sert rien [sic] au regard des faits dans luvre et dans la pense de cet immense artiste, faits qui tous prouvent quil na pour le moins rien compris ce qui aujourdhui nimbe notre modernit dmocratique, le discours analytique. Ainsi, la grande erreur commise par Le Corbusier naurait pas t dordre politique mais dordre analytique. Son erreur, son unique erreur, mais fatale erreur aura t de ne pas avoir rencontr les Surralistes, Freud, et bien sr lInconscient Roland Castro qui a, lui, longtemps cherch au moyen du moelleux divan retrouver le fil de sa vie politique (rappelons-le lui, il fut en boucle : stalinien tendance italienne, maoste tendance spontex , socialiste tendance Mitterrand, et actuellement et nouveau no- stalinien), ne se pose bien sr pas la question de savoir quoi serait d ce rat pour le moins funeste chez Le Corbusier. Selon Castro, l immense artiste na tout simplement pas vu ce qui est difficilement visible, car au pays du livre, le visible est majoritairement censur . Roland Castro na donc pas vu la censure se dplace du Corbu Castro , lui aussi, lui non plus, chez l immense artiste , cette volont dune
5. Cit par Daniel de Roulet, lettre extraite de : Jean Jenger, Choix de lettres, op. cit. Pour la dernire citation de Le Corbusier, se reporter Le Corbusier, Lettres Auguste Perret (dition tablie, prsente et annote par Marie-Jeanne Dumont), Paris, Le Linteau, 2002, p. 104. 6. Ibidem, p. 85. 7. www.castrodenissof.com (consult en avril 2006). 2
destruction
programme
de
la
ville
ancienne,
de
ses
rues,
de
son
histoire
par
le
moyen
de
ses
propres
et
sinistres
projets
explicitement
annoncs
et
thoriss
dans
la
plupart
de
ses
livres.
Roland
Castro
ne
peut
voir,
lui
effectivement,
que
pour
Le
Corbusier,
la
ville
venir
la
ville
radieuse
a
succomb
au
procs
de
rationalisation
technique
le
plus
dur
et
le
plus
puissant
ne
laissant
aucune
place
une
quelconque
potique,
ni
au
sublime,
ni
des
structures
plastiques
non
uniformises,
et
encore
moins
une
transcendance
esthtique.
La
rencontre
qui
na
pas
eu
lieu
nest
donc
pas
si
lon
peut
dire
le
fruit
du
hasard.
La
rponse
est
beaucoup
plus
simple
mais
sans
doute
impossible
pour
beaucoup
darchitectes
dont
R.
Castro.
Elle
ne
pouvait
tout
simplement
avoir
lieu
entre
un
Le
Corbusier
perclus
dhyginisme,
da
priori
idologiques
(son
antismitisme
avr,
son
pro-vichysme
avr,
son
pro-hitlrisme
avr)
et
la
pointe
avance
des
opposants
directs
ces
idologies
de
la
barbarie
montante
:
Freud,
les
Surralistes.
Roland
Castro
regrette
que
la
rencontre
nait
pas
eu
lieu
;
nous,
nous
dirions
quelle
ne
devait
pas
avoir
lieu,
quelle
ne
pouvait
avoir
lieu
et
mme
quelle
ne
devait
pas
avoir
lieu.
Ranimer
la
flamme
dun
soldat
mal
connu
de
la
Rvolution
Architecturale
Des
antcdents
idologiques
lointains
la
fin
des
annes
soixante-dix,
les
revues
Architectes8
et
Architecture
Mouvement
Continuit
(AMC)9
consacrrent
plusieurs
reprises
des
dossiers
sur
la
vie
ou
plus
exactement
sur
les
vies
de
Le
Corbusier.
Grce
ces
revues,
nous
lapprenions
avec
intrt,
Le
Corbusier
avait
ainsi
eu
nous
disait-on
plusieurs
vies,
diffrentes
conceptions
de
larchitecture
et
de
lurbanisme,
et
mme
diverses
opinions
sur
le
monde.
Et
cette
dmonstration
se
faisait
grce,
encore
une
fois,
la
mise
en
place
organise
dune
chronologie
efficace
privilgiant
les
annes
dites
de
jeunesse.
La
question
que
je
pose
est
alors
la
suivante
:
pourquoi
ces
revues
se
sont-elles
intresses
aux
seules
premires
annes
de
lactivit
de
larchitecte,
soit
les
annes
1910-1934
?
Une
rponse
nous
est
donne
par
Jacques
Lucan.
Revenir
donc
au
Le
Corbusier
des
annes
vingt
signifierait,
pour
nous,
questionner
une
production
o,
dune
part,
les
objectifs
des
projets
se
transforment,
et
o,
dautre
part,
ces
projets
jouent
sur,
et
jouent
de
la
transformation
de
leur
espace
dinscription.
Quadvient-il
alors,
sinon
lmergence
dun
travail
architectural
qui
rpond
dune
situation
o
tous
les
termes
sont
dplacs
ou
placs,
recomposs
ou
composs,
redfinis
ou
dfinis.
Cette
situation
peut
tre
dite
nouvelle,
et
il
nappartient
pas
au
seul
Le
Corbusier
de
lavoir
engendre
comme
beaucoup
voudraient
trop
facilement
le
faire
croire
ce
qui
les
ddommagerait
de
se
poser
dautres
questions
sur
leurs
pratiques
habituelles
(cest--dire
sur
leurs
pratiques
8.
Architectes,
mensuel
dinformation
du
conseil
rgional
de
lle-de-France
de
lOrdre
des
Architectes,
n
99,
juin-juillet
1979.
9.
Architecture
Mouvement
Continuit,
n
49,
numro
spcial
Le
Corbusier,
septembre
1979.
3
portes sur lhabitude). Lexamen de la production de Le Corbusier permet dapprhender en acte un travail architectural qui jamais ne dposera ses armes Et sil est une demande qui restera soutenue, nest-ce pas celle qui trouve forme dans des btiments tellement fascinants quils affirment encore larchitecture comme art10. Nous y voil enfin ! Prcisons que nous navons omis aucun mot, ni aucune ponctuation dans cet ditorial quelque peu emberlificot, entortill, et bien pompeux pour in fine ne pas dire grand chose. Nous avons bien compris, par contre, que ranimer la flamme de la tombe de ce soldat mal connu de la Rvolution Architecturale, ctait en quelque sorte montrer le bon chemin aux jeunes gnrations vers lArt Suprieur. Aussi, tous les moyens taient-ils mis en uvre pour faire connatre la pense et les productions de Le Corbusier par : un effort pdagogique en profondeur vers les enseignements des coles darchitecture ; la rdition de ses principaux crits qui sont publis dans des formats de poche (par exemple Champs chez Flammarion) ; le rtablissement dune vrit sur certains faits et actes peu glorieux de son existence. Or justement, les actes, les faits et gestes du personnage sont l pour nous convaincre que Le Corbusier na jamais cach ses penchants pour lautorit, lordre, la famille et les valeurs morales traditionnelles , comme lexprime dlicatement Jacques Lucan dans un propos qui se veut lnifiant11. Le Corbusier a beaucoup trop publi darticles et de livres et ctoy tant dhommes politiques pour que des pans entiers de ses positions idologiques et politiques disparaissent, quelles soient oublies , ngliges, voire dlibrment biffes. La thse dAMC qui est de partir de lide, plutt partage, selon laquelle Le Corbusier eut plusieurs vies, et par consquent plusieurs conceptions de lexistence, elles-mmes orientes et donc influenant tant ses options politiques que ses conceptions architecturales et urbaines, ne tient pas debout. On est ici face la thse , use jusqu la corde, non seulement de la discontinuit dans les uvres et dans la vie mmes de Le Corbusier, mais galement de la coupure, de la csure, voire de la diffrence dans leur essences mmes entre les uvres et la vie de larchitecte. Bref, pour justifier linjustifiable, on martle le thme dune rupture dans les processus de la cration des uvres et dans lexistence du personnage et entre le personnage et les uvres. On accrdite, par exemple, lide dun Le Corbusier dabord tent par le fascisme italien, puis se ralliant au Front Populaire, aprs stre entich de lURSS. Bref, on nous prsente un Le Corbusier ballott ( son insu, de son plein gr ?) entre les courants politiques souvent extrmistes de droite ou de gauche. Est-ce l une bonne analyse ? Est-ce en effet la bonne faon de procder pour comprendre luvre et le personnage ? Lanalyse, selon nous, devrait au contraire conduire considrer lattitude dun Le Corbusier capable de passer dun extrme lautre sans sourciller, capable de volte-face, de retournements aussi rapides quefficaces. Mais il faudrait aussi tenter de comprendre la capacit danalyse de ceux qui nont rien vu, qui nont rien dit non plus tant sur le personnage que
sur ses uvres, tant sur lunit des uvres et du personnage. Or, il y a bien une unit qui signifie tout autant, contradiction, opposition, transformation en son contraire que nous voudrions mettre au jour propos de Le Corbusier. Et ce sont des contradictions bien relles qui peuvent survenir et disparatre en tant que la ralit est prcisment une totalisation de contradictions multiples et dpendantes lune de lautre, des contradictions fortement hirarchises, dont quelques-unes sont principales et la plupart secondaires, et qui peuvent elles-mmes disparatre ou reparatre en tant que contradiction principale. Autrement dit, les contradictions sont mouvantes et nacquirent pas le mme poids dans les processus spculatifs et les processus de construction. Dans son tude politico-historique, lun des rdacteurs de la revue AMC se montrait mme particulirement audacieux dans la contre-vrit. Deux exemples. Dbut 1932, soutient Tilo Hilpert, lun des rdacteurs pourtant historien, se tient Francfort un congrs, comptant plus de 100 participants, qui prtend prparer, comme contribution un rapprochement franco-allemand, llaboration dune charte de la jeune Europe. Philippe Lamour [membre du comit de rdaction de la revue Plans avec Lagardelle, Pierrefeu, Winter et Le Corbusier] y conduit la dlgation franaise. Le gouvernement italien y a envoy un observateur, mais presque tous les groupes de gauche allemands, en dehors des grands partis ouvriers, en ont fait autant. Le porte-parole de la dlgation allemande est Richard Schapper, quon retrouve comme rdacteur de la revue Le National Socialiste, organe du Front Noir. Les participants sont membres dun groupe qui stait form en 1931 autour dOtto Strasser aprs que celui-ci ait t exclu du NSDAP, en juillet 1930, en mme temps que dautres reprsentants dune gauche nationale- socialiste12. Cette analyse nest pas tout fait exacte ou plutt complte puisque lauteur oublie de signaler que participaient galement ce congrs crypto-nazi des membres du Parti communiste allemand alors en pleine lutte contre les sociaux- fascistes , entendez les sociaux-dmocrates, appliquant le dernier tournant politique de la IIIe Internationale tombe dfinitivement aux mains des staliniens. Premier oubli . Ensuite le mme rdacteur, Tilo Hilpert, nous faisait suivre litinraire de Le Corbusier dans les milieux fascistes en ayant le culot de nous le prsenter, certes lami des reprsentants de la peste brune en France, mais somme toute trs dgag des problmes politiciens. Les vritables dcisions, conclut Tilo Hilpert, restent encore prendre ; partir de 1935, Le Corbusier est amen collaborer avec le Front Populaire13. Or, sur ce point prcis dune collaboration plus ou moins troite voire publique entre Le Corbusier et les reprsentants du Front populaire, nous navons retrouv nulle part trace dune participation ou dune association plus ou moins directe ou indirecte avec le Front Populaire, si ce nest quelques rencontres avec Jean Zay (dcembre 1937), Lon Blum (janvier 1938), M. Frossard, ministre des Travaux publics
12. Thilo Hilpert, Le lieu de la ville radieuse , in AMC, op. cit., p. 96. 13. Ibidem, p. 96. 5
(mai 1938) et enfin Maurice Thorez14. Au bout de ces rencontres, jamais rien ne sest dcid sur le plan des projets architecturaux ou urbains. En revanche, nous pouvons montrer la proximit permanente de Le Corbusier avec les ides fascisantes sinon fascistes et mme nazies, et ceci avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Il faut ainsi rappeler, par exemple, quil adhre au Faisceau en 192615, la premire organisation franaise dextrme droite, fonde la mme anne par Georges Valois. Le Corbusier a 39 ans. Puis il participe part entire et avec sa fougue habituelle diverses revues. Dabord dans le journal du mme Valois, Le Nouveau Sicle16, o lon trouve galement des articles de son bon ami le Dr Pierre Winter, celui-l mme qui prfacera lun des tomes de ses uvres compltes (1934-1938) et qui nous prsente Le Corbusier comme un bloc sans une faille . Ensuite, ds son premier numro, il devient membre de la revue Plans qui connut un certain succs dans les annes trente. Cette revue dverse flot continu les thmes-force qui faisaient alors le fonds de commerce de l esprit nouveau de lextrme droite de lpoque, cest--dire la rgnrescence de lindividu, linvitation laction, lobsession de la dcadence, un certain refus des principes de la dmocratie et du libralisme, un anti-marxisme et un anti-capitalisme conjugus qui expriment un refus de tout matrialisme , la volont de dpasser les idologies conventionnelles, la recherche dune synthse entre le nationalisme et une certaine forme de socialisme dans un appel combin au proltariat et la bourgeoisie Telles sont alors les positions dominantes de la revue Plans qui prne un tat syndical et corporatif. De mme, cette revue accorde une bonne place lide de la rgnration morale de la socit dans son ensemble et au sauvetage de la civilisation en danger. Elle met en avant un vitalisme forcen, la vision dun nationalisme organique fort caractre biologique. Elle dnonce lerreur que constitue la lutte de classes. Elle prconise enfin le sport outrance Un fascisme bon teint. Autrement dit, Tilo Hilpert tente de nous faire croire en une rdemption de Le Corbusier grce son suppos intrt pour le Front populaire alors quil nen a rien t du tout. Le Corbusier a t de faon continue du dbut des annes 20 jusqu la fin de la Seconde Guerre mondiale proche de lextrme droite, parfois fascisante, voire fasciste. Lapolitisme de Le Corbusier Le comit de rdaction de la revue Plans est compos de Philippe Lamour (rdacteur en chef), Hubert Lagardelle, Le Corbusier, Franois de Pierrefeu (co-auteur avec celui-ci dun livre intitul La Maison des hommes) et de Pierre Winter. Pour se faire une petite
14. Cf. larticle de Gilles Ragot, Paris : des plans pour la capitale, 1925-1961 , in Le Corbusier, une encyclopdie, Paris, Centre Georges Pompidou, 1987, p. 293. 15. Cf. Raymond Lasierra et Jean Plumyne, Les Fascismes franais, Paris, ditions du Seuil, 1963, p. 10. 16. Ce quotidien cessera de paratre le 1er avril 1928. Pierre Winter, Pour le Grand Paris : la Ville moderne (16 mai 1926) ; Les animateurs : Le Corbusier (9 janvier 1927). 6
ide de la prose planiste, quelques citations extraites de cette revue. Du bon Dr Winter, par exemple, cet extrait qui est paru dans le n 13 de mars 1932 : Pour sortir de la confusion, il nous faut rechercher et retrouver lhomme rel, lhomme nu qui travaille et lutte pour vivre sous la lumire crue du soleil, lhomme face aux lments. Nous ne devons plus le voir sous le dguisement du citoyen ou du tcheron salari. Il nous faut lever ce manteau trompeur dun galitarisme dmocratique de faade et retrouver derrire dillusoires droits, les erreurs qui divisent les hommes en classes ennemies. Le manuvre aux mains sales, fier de ses mains sales, le petit intellectuel triqu, fier des travaux de son cerveau et mprisant tout travail manuel, sont trangers lun lautre. Pour mmoire, rappelons quHubert Lagardelle, lun des membres du comit de rdaction de la revue Plans, avant la Premire Guerre mondiale, avait t dans son Mouvement socialiste, le porte-parole des syndicalistes hostiles au parlementarisme. Il avait ouvert ses colonnes aux principaux rvolutionnaires europens anti- parlementaires et prsent un grand thoricien du syndicalisme un grand praticien : Georges Sorel Benito Mussolini. Ayant suivi le Duce sur la route du corporatisme nationaliste, il fut appel en janvier 1933 Rome par Henri de Jouvenel, comme conseiller de lambassade pour les questions sociales ; il y restera jusquen 1940. Il prend la suite de Belin le portefeuille du Travail en avril 194217 . Quant Philippe Lamour, il fut prsident du Faisceau universitaire. Bref, des amitis bien particulires et toujours beaucoup dhumanisme Mais revenons-en Le Corbusier. Voici, par exemple, ce quil crivait en 1939 dans un livre paru depuis dans une collection de poche, Sur les quatre routes : Depuis 1933, trs vive raction nationale contre toutes les influences extrieures, contre celles aussi qui sentaient quelque chose de trs particulier, dont lodeur tait vritablement nausabonde [sic] peintures berlinoises dentre deux lumires, morbides, interlopes, mritant en fait lexcommunication. Dans ce svre bouleversement, une lueur de bien : Hitler rclame des matriaux sains et souhaite par ce retour aux traditions [sic], retrouver la robuste sant qui peut se dcouvrir en toute race quelle quelle soit. Car Berlin avait mis au monde une architecture inquitante dun modernisme affich, autant que ce terme peut, loccasion, contenir de penses hassables. Et Hitler nen voulait pas []. Hitler, mobilisant les jeunesses pour le travail, vient dachever de splendides autostrades qui sont certainement les plus belles, qui vont dest en ouest, pour des transports rapides. Dj Mussolini lavait devanc par son autostrade Modane- Trieste et, auparavant encore Primo de Rivera avait, pour la premire fois dans la gographie de la pninsule, entour lEspagne dune magistrale voie automobile. Celle-ci dailleurs, mon point de vue, servit de lit la rvolution espagnole qui renversa Primo. Pauvre Primo en effet ! Un peu plus loin, Le Corbusier est sduit par l art italien et il le dit nettement : LItalie a mis au monde un style fasciste vivant et
17. Robert O. Paxton, La France de Vichy 1940-1944, Paris, ditions du Seuil, 1974, p. 260. 7
sduisant
[sic]18.
Ce
qui
ne
lempche
pas
la
fin
de
ce
livre
de
nous
assner
ce
propos
:
Je
nai
jamais
fait
de
politique,
tant
pris
entirement
dans
le
torrent
de
lurbanisme
;
les
politiques
sont
incohrentes
dans
lurbanisme
[].
La
politique
est
de
la
discussion
;
lurbanisme,
de
laction
en
prparation.
Je
ne
suis
pas
partisan
de
faire
voter
par
la
masse
sur
des
questions
dont
la
dcision
appartient
aux
chefs
[sic]19.
Le
Corbusier,
un
grand
dmocrate
Autre
imprcision
de
la
part
du
mme
rdacteur
lorsquil
prtendait
que
Le
Corbusier
aurait
disparu
du
comit
de
rdaction
de
la
revue
Plans.
Ce
qui
est
faux.
Il
ny
a
tout
simplement
plus
de
comit
de
rdaction
dans
la
nouvelle
srie
de
la
revue
Plans
Le
Corbusier,
par
contre,
continue
y
crire
des
articles,
ct
dauteurs
trs
anodins
politiquement
parlant
comme
celui-ci.
En
rsum,
conclut
Georges
Roux,
lun
de
ses
auteurs,
ldifice
social
du
fascisme
est
une
construction
vraiment
remarquable
[sic],
imprgne
dun
esprit
trs
moderne,
mritant
la
curiosit
sympathique
de
tous
les
hommes
de
bonne
volont,
mais
elle
est
entache
de
proccupations
politiques
et
marque
par
un
souci
de
rgime
[].
LItalie
nest
plus
un
pays
du
capitalisme
pur,
comme
lest
reste
notre
France,
mais
elle
est
dj
devenue
un
pays
du
capitalisme
surveill20.
Les
amitis
si
particulires
de
lHumaniste
Pendant
la
guerre
39-45,
Le
Corbusier
continue
publier
avec
des
fascistes
notoires,
son
ami
Pierrefeu,
notamment.
On
peut
lire
dans
louvrage
crit
en
collaboration
avec
Le
Corbusier
La
Maison
des
hommes
une
prose
pour
le
moins
ambigu
:
Par
la
rptition
de
leurs
branlements,
elles
la
[personne
humaine]
dsarticulent
et
la
dsagrgent,
avant
de
la
rduire
en
poussire
et
de
la
jeter
au
nant.
Il
sagit
ici
de
lalcool,
des
excitants,
des
danses
syncopes
empruntes
aux
ngres,
rves
artificiels,
mordant
sur
la
veille
de
lesprit
et
sur
son
pouvoir
de
veiller21.
Enfin
lautodidacte,
si
violemment
anti- acadmique,
tenait
ce
langage
pour
le
moins
align
sur
lordre
:
Un
jalon
vient
dtre
pos
sur
la
premire
de
ces
voies
(voies
des
institutions
et
celles
des
coles)
par
la
cration
de
lOrdre
des
Architectes,
le
26
janvier
1941.
Un
cadre
dautorits
responsables
enferme
dsormais
cette
poussire
denfants
perdus
qui
dessinaient
jusquici
les
logis
de
France.
Mais
tout
reste
faire
dans
lintrieur
de
ce
cadre,
commencer
par
le
statut
de
larchitecte,
qui
dfinira
ses
prrogatives
et
ses
devoirs,
en
juste
quilibre
les
uns
par
rapport
aux
autres.
Code
indispensable,
non
pas
seulement
pour
prparer
ltat-major
de
larme
des
constructeurs
[sic]
qui
doit
refaire
notre
domaine
bti,
mais
aussi,
et
immdiatement,
pour
rtablir
la
dignit
de
la
profession
en
larrachant
lemprise
de
toutes
les
combinaisons
organises,
et,
notamment,
18.
Le
Corbusier,
Sur
les
quatre
routes,
Paris,
Denol
Gonthier,
1970,
p.
165-167.
19.
Ibidem,
p.
280.
20.
Plans,
n
11,
janvier
1932,
p.
3.
21.
Franois
de
Pierrefeu
et
Le
Corbusier,
La
Maison
des
hommes
[1942],
Paris,
Plon,
1953,
p.
36.
8
lEntreprise
gnrale
du
Btiment,
ce
march
noir
de
larchitecture22
.
LOrdre,
toujours
lOrdre
Il
faut
galement
rappeler
que
vivement
attir
par
lordre
vichyssois
(voire
le
tout
dbut
de
notre
article),
il
tentera
par
tous
les
moyens
de
se
faire
reconnatre
par
le
Marchal
Ptain
;
ce
dernier
lui
confiera
dailleurs
une
mission
en
Algrie
(llaboration
du
plan
durbanisme
de
la
ville
dAlger).
Toujours
cette
poque,
il
continue
beaucoup
crire
et
il
participe
ldition
commune
de
Architecture
et
urbanisme
avec
Charles
Trochu,
le
Dr
Pierre
Winter
et
Paul
Boulard
en
1942,
numro
spcial
des
Cahiers
Franais23,
o
lon
retrouve
la
fine
fleur
des
crivains
aux
ordres
de
Vichy
et
de
loccupant
nazi
:
Antoine
Blondin,
Michel
Mohrt,
Drieu
La
Rochelle,
etc.
La
collection
de
ces
Cahiers
Franais
avait
pour
but
:
1.
De
prparer
et
daccomplir
dans
les
consciences
la
Rvolution
Nationale
dfinie
par
le
Marchal
Ptain
;
2.
De
travailler
au
rtablissement
de
lUnit
Franaise,
premire
condition
du
salut
de
notre
Patrie
;
3.
De
dceler,
de
regrouper
et
de
faire
communier
entre
elles
les
jeunes
volonts
franaises
qui
nosent
ou
croient
ne
pouvoir
encore
sexprimer.
Vaste
programme
Larticle
de
Le
Corbusier
est
intitul
:
Il
faut
reconsidrer
lhexagone
France
dans
lequel
larchitecte
estime
que
seul
un
urbanisme
nouveau
pourra
crer
les
lieux
et
les
locaux
prolongeant
utilement
le
logis
pour
former
des
corps
et
des
esprits
vivants
et
allgres
.
Cest
cette
mme
poque,
en
aot
1942,
quil
revient
Paris
et
contrairement
la
lgende
tenace
qui
veut
le
laisser
lcart
de
toute
vie
publique
et
politique,
cest
prcisment
cette
poque
donc,
quil
collabore
entre
autres
avec
ce
fameux
Charles
Trochu
qui
ntait
ni
plus
ni
moins
que
le
secrtaire
gnral
du
mouvement
dextrme
droite
et
collaborationniste
Front
National
et
aussi
prsident
du
conseil
municipal
de
Paris
(occup
par
les
nazis).
lpoque,
Trochu
tait
membre
de
lassociation
des
blesss
du
6
fvrier,
organisation
dont
le
prsident
est
le
sinistre
Louis
Darquier
de
Pellepoix,
lhomme
fort
du
rgime
surtout
lorsquil
devient
commissaire
aux
questions
juives
(1942-1944).
Bonapartiste,
appartenant
au
Jeunesses
Patriotes,
Trochu
nen
tait
pas
moins
lami
de
Georges
Gaudy
(membre
de
lAction
franaise)
et,
ds
ce
moment,
il
se
lia
avec
les
partisans
de
Maurras
Le
Front
National
englobait
les
Jeunesses
Patriotes,
la
Solidarit
Franaise,
la
Fdration
des
Contribuables,
la
Ligue
des
Chefs
de
Section
Si
lAction
Franaise,
que
sa
politique
royaliste
rendait
officiellement
inacceptable,
ne
sintgrait
pas
ouvertement
au
Front
National,
ils
restaient
troitement
en
relation,
organisant
des
runions
communes,
et
le
Front
considrait
Maurras
comme
son
chef
doctrinaire.
Le
Front
National
devait
servir
dorgane
de
coordination
de
tous
les
mouvements
dextrme
droite
au
cours
des
annes
de
lavant-guerre24.
Que
du
beau
monde
et
de
drles
damitis
de
la
part
de
celui
qui
se
prsente,
et
que
lon
prsente
aujourdhui
encore,
comme
un
si
grand
humaniste
Il
faut
encore
revenir
sur
ce
bon
Dr
Pierre
Winter,
un
ami
trs
proche
du
Corbu
avec
qui
22.
Ibidem,
p.
166
sq.
23.
dition
Suredit.
24.
Eugen
Weber,
LAction
Franaise,
Paris,
Fayard,
1985,
p.
388.
9
il
pratiquait
le
football
ou
le
basket
rgulirement
et
ce
pour
la
raison
quil
fut
un
dfenseur
acharn
de
larchitecte
et
aussi
parce
quil
comprenait
la
profonde
unit,
de
son
propre
point
de
vue
un
point
de
vue
qui
ntait
pas
diffrent
de
celui
du
Corbu
,
de
lurbanisme,
du
sport
et
de
la
mdecine.
Dans
un
article
rdig
fin
1940
et
publi
dans
les
Archives
Hospitalires,
n
11-12
de
1942,
il
est
de
fait
question
dans
la
grande
tradition
vichyste
et
fascisante
de
revenir
(mythe
de
lorigine)
aux
grandes
lois
qui
dirigent
la
vie
des
hommes
sur
la
plante,
la
vie
proche,
la
vie
naturelle
,
de
retrouver
les
lois
lmentaires,
les
lois
naturelles
de
la
vie,
les
rythmes
cosmiques
qui
conditionnent
notre
quilibre
organique
et
auxquels
il
faut
absolument
obir
.
La
seule
condition
defficacit
restant
une
mdecine
nouvelle
:
Nous
voulons
parler
de
celle
qui
va
prendre
en
main
la
sant
de
la
France,
celle
qui,
avec
laide
de
lurbanisme,
de
la
culture
physique
et
du
sport,
va
enfin
trouver
sa
vritable
efficacit.
Dans
un
article
intitul
Travail,
culture
physique
et
sports
publi
dans
la
revue
mensuelle
de
lducation
gnrale
et
des
sports
ptainiste,
Stades
(n
3,
mars
1944),
le
bon
Dr
Winter
reprendra
nouveaux
frais
cette
thmatique
du
sport.
Il
est
ce
moment
prcis
Inspecteur
Gnral
du
Travail
et
toujours
lami
proche
de
Le
Corbusier.
Cet
article
est
construit
sur
lide
centrale
du
sport
en
tant
que
lien
entre
les
ouvriers
et
les
patrons.
Un
lien
qui
permettrait
la
lutte
de
classes
de
ne
pas
trop
se
dvelopper
Sur
les
conseils
de
Le
Corbusier,
il
dveloppe
galement
lide
que
le
gouvernement
franais
(de
Ptain)
doit
difier
des
logis
sains
partout,
et
ces
logis,
groups
en
zones
dhabitation,
ne
se
conoivent
pas
sans
les
divers
prolongements
indispensables
la
Sant,
dont
ceux
permettant
les
loisirs
physiques
et
les
sports
sont
parmi
les
plus
importants25
.
La
profonde
unit
entre
larchitecture,
la
thmatique
thorique
et
le
personnage
On
pourrait
multiplier
les
citations
de
Le
Corbusier
et
de
nombre
de
ses
amis
qui
toutes
contredisent
les
propos
habilement
bienveillants
et
subtilement
doss
des
journalistes
dAMC
et
de
ceux
qui
les
suivront
dans
cette
voie
:
ceux
dun
Le
Corbusier
prtendument
apolitique
et
dgag
de
toutes
les
idologies,
de
gauche
comme
de
droite.
Jamais,
dailleurs,
aucun
historien
franais,
seulement
soucieux
de
vrit,
na
parl
avec
franchise
des
positions
politiques
relles
de
Le
Corbusier
exprims
tant
dans
ses
crits
que
dans
son
parcours
darchitecte.
Et
pourtant
il
existe
un
nombre
important
darticles,
de
livres
et
de
numros
spciaux
de
revues
consacrs
larchitecte.
Or,
cest
prcisment
l
que
rside
la
supercherie,
voire
la
manipulation
historique
dAMC.
En
choisissant
la
priode
de
sa
vie
en
apparence
la
plus
floue
,
AMC
russit
la
gageure
deffacer
les
25.
Pour
une
critique
de
lhyginisme
des
milieux
professionnels
de
lurbanisme
et
de
lamnagement
qui,
soucieux
de
combattre
les
taudis
et
la
criminalit,
finissent
parfois
par
grer
une
sgrgation
spatiale
travers
des
politiques
de
peuplement
qui
peuvent
avouer
clairement
leurs
objectifs
et
qui
confinent
parfois
des
formes
de
racisme,
se
reporter
larticle
de
Jean-Pierre
Frey,
Prolgomnes
une
histoire
des
concepts
de
morphologie
urbaine
et
de
morphologie
sociale
,
in
Luci
K.
Morisset
et
Luc
Noppen,
Les
Identits
urbaines,
chos
de
Montral,
Qubec,
d.
Nota
Bene,
2003,
p.
19-35.
10
vritables
positions
politiques
de
Le
Corbusier
en
semblant
cautriser
une
plaie
ouverte.
AMC
exorcise
ainsi
les
annes
louches
en
portant
le
feu
l
o
cela
semblerait
faire
mal.
Mais
le
fer
est
blanc.
Cest
dans
un
livre
dune
dition
italienne
paru
il
y
a
quelques
annes
que
lon
peut
trouver
de
nouvelles
prcisions
fort
utiles
sur
les
conceptions
politiques
de
Le
Corbusier.
Son
auteur
prcise
ainsi
certains
points.
On
trouve
P.
Lamour,
pass
comme
Le
Corbusier
travers
lexprience
du
Faisceau
de
G.
Valois,
H.
Lagardelle,
thoricien
dune
recomposition
corporative
de
ltat,
P.
Winter,
dj
animateur
du
Parti
Fasciste
Rvolutionnaire,
et
F.
de
Pierrefeu26
qui,
plus
tard,
au
temps
de
Vichy,
en
1942,
signera
avec
Le
Corbusier,
La
Maison
des
hommes.
On
ne
pourra
que
constater
que
la
recherche
et
lanalyse
historique
se
situe
plutt
du
ct
transalpin
quen
France.
On
peut
mme
complter
cette
affirmation
en
pointant
quil
y
a
une
immense
tache
aveugle
dans
lhistoriographie
franaise
de
Le
Corbusier
en
particulier
pour
les
priodes
correspondant
aux
annes
20-40
et
la
Seconde
Guerre
mondiale.
Il
y
a
de
gros
trous
dans
les
archives
de
la
Fondation
Le
Corbusier.
O
se
trouvent
ses
carnets
crits
de
1936
1945
?
Pourquoi
les
archives
de
Jean
Nicolas,
architecte,
membre
influent
de
Parti
communiste,
figure
trs
proche
de
Le
Corbusier
ne
sont-elles
toujours
pas
accessibles
?
Autrement
dit,
cette
tentative,
entre
autres
celles
dAMC
mais
qui
ne
fut
pas
la
seule,
de
rhabilitation
dune
priode
pour
le
moins
obscure,
permettrait
de
laisser
par
ailleurs
de
ct
laprs-Seconde
Guerre
mondiale.
En
apparence,
Le
Corbusier
semble
en
effet
stre
assagi
.
La
guerre
lui
a
permis
de
travailler
thoriquement
au
calme
et
davantage
encore
ses
conceptions
de
larchitecture
et
de
lurbanisme.
Il
est
alors
trs
curieux
de
voir
monter
en
pingle,
et
de
quelle
faon,
la
priode
de
lavant-guerre
pour
mieux
laisser
tomber
laprs-guerre
qui,
du
point
de
vue
thorico-politique,
est
pourtant
plus
riche,
et
tout
aussi
idologiquement
marque
dans
les
thmes
exposs.
Certes,
la
phrasologie
fascisante,
sinon
fasciste,
nest
plus
affiche
comme
auparavant.
Et
cela
se
comprend
aisment.
Elle
est
en
revanche
toujours
prsente
sous
dautres
formules
plus
soft
ou
plus
enrobes
:
le
statut
dun
urbanisme
total
comprendre
totalitaire
,
la
place
du
sport
omniprsente
lextrieur
des
btiments
sur
des
terrains
amnags
cet
effet
comme
lintrieur
de
ces
mmes
btiments
dans
des
salles
ad
hoc,
les
rfrences
permanentes
la
biologie,
la
formalisation
gomtrico-arithmtique
dun
corps
unique,
vigoureux
et
musculeux,
son
axiomatisation
maximale
chargeant
lespace
de
ses
proportions
artificielles.
Tout
cet
attirail
matriel
et
politique
est
dans
la
continuit
dune
thmatique
dj
prsente
avant
la
guerre,
et
dsormais
dautant
mieux
aboutie,
aprs
la
guerre27.
26.
Roberto
Gabetti
et
Carlo
Olmo,
Le
Corbusier
e
lesprit
nouveau
,
Turin,
Einaudi,
1975,
p.
45
sq.
Se
reporter
galement
louvrage
de
Francesco
Tentori,
Vita
e
Opere
di
Le
Corbusier,
Rome,
Laterza,
1979,
p.
61.
27.
Je
mexplique
:
le
fait
sport
a
profondment
pntr
lme
contemporaine
;
il
contient
des
lments
divers
bien
faits
pour
capter
lintrt
:
la
bellicit
dabord,
la
performance,
le
match
;
la
force,
la
dcision,
la
souplesse
et
la
rapidit
;
lintervention
individuelle
et
la
collaboration
en
quipe
;
une
discipline
librement
consentie.
Autant
de
valeurs
profondment
humaines
surgies
au
moment
o
lasservissement
au
travail
11
Notre propos on laura maintenant compris est de soutenir quil y a une unit dialectique profonde entre les positions politiques de Le Corbusier, ds ses premiers pas dans la vie sociale, et son uvre tant crite que matriellement projete, tout comme il y a unit entre ses crits et projets et sa conception trs politique du dveloppement de lexistence sociale et politique de chacun en socit. Mieux, nous parlons dune unit politique permanente et indissociable entre sa production littraire et sa production architecturale. Cependant, il serait inutile de cacher les contradictions relles entre telles ou telles productions intellectuelles, celles crites par exemple, et matrielles, voire des contradictions lintrieur dun mme champ dexercice. De mme, il ne sagira pas de prononcer le mot de fascisme pour la villa Savoye ou Chandigarh, ce qui serait bien sr ridicule. Il ne sagira pas non plus de tracer un trait dgalit ou didentifier, ou encore de calquer telle ou telle prise de position extraite dun texte sur telle ou telle ralisation construite. Textes, positions politiques, projets, ralisations nont pas, bien entendu, le mme statut dans la production gnrale ; ils nont pas la mme fonction ; et ils nont pas le mme sens. Ils sont chaque fois contextualiser. En revanche, nous parlons dun projet dexistence cher Le Corbusier et sur lequel on a fait et fait encore le plus grand contresens historique et thorique28. linstar de La Ville Radieuse ( cet ouvrage , dixit Le Corbusier, est ddi lAUTORIT, Paris, mai 1933 ) qui nest certes quun livre mais aussi et surtout un manifeste pour un type dexistence bien dfinie dans lurbanisme venir, et qui est, en ce sens, le brviaire thorique et pratique, pens et construit, anticip et projet dune vision totalitaire dun monde construire par la mise en ordre disciplinaire des corps dans une architecture et un urbanisme dun ordre implacable. La Ville Radieuse si chre Le Corbusier est complte par Le Modulor, ouvrage thorique ou plus exactement prtention thorique, affirmant un corps unique (mle), dgageant les grandes lignes de conduite dun urbanisme et dune architecture uniformiss et unidimensionnels. Et on pourrait multiplier les exemples Mondanits relles et projets criminels Le quarantime anniversaire de la mort de Le Corbusier (1965) avait permis tout au long de lanne 2005 de dcouvrir, dans de nombreuses et diverses publications parues cette occasion, des propos le plus souvent dithyrambiques tenus il y a vingt ans et que lon avait peut-tre oublis ou que certains, par contre, navaient pas pu connatre. lpoque, en 1985, un flot ininterrompu et presque draisonnable de livres stait
de la machine avait dompt, cras, dsarticul, dnaturalis la bte humaine : tout ce qui est au fond de la nature humaine, le primordial, avait t bafou. Le Corbusier, La Ville Radieuse, op. cit., p. 66. 28. Franoise Choay en est la spcialiste patente. Dans son ouvrage intitul La Rgle et le modle (Paris, ditions du Seuil, 1980), elle veut prciser quelle a elle-mme mis en vidence la dissociation qui existe entre luvre btie et luvre crite de Le Corbusier (p. 18). On ne peut mieux dire. 12
dvers
dans
les
librairies
pour
fter
notre
hraut.
Souvenirs,
anecdotes,
tranches
dhistoire
finement
dcoupes,
etc.,
la
plupart
de
ces
ouvrages
nous
prsentaient
Le
Corbusier
comme
un
dmiurge,
le
Pre
de
la
Horde
des
Architectes,
celui
par
qui
larchitecture
tait
en
quelque
sorte
reprsente
pour
une
bonne
premire
moiti
du
XXe
sicle.
On
se
rappellera,
entre
autres,
louvrage
encyclopdique
du
Centre
Georges-Pompidou29,
mis
en
uvre
par
Jacques
Lucan,
et
qui
voulut,
par
ordre
alphabtique,
nous
faire
pntrer
dans
lunivers
corbusen
de
A
X
(pour
cette
dernire
lettre,
deux
dessins
joliment
rotiques
lencre).
Lentreprise
ditoriale,
pour
le
moins
consquente,
venait
en
contrepoint
dune
grande
exposition
qui
dura
plusieurs
mois
Le
Tout-Paris
pouvait
alors
prendre
la
mesure
des
projets
de
larchitecte
et
pour
certains
quidams
se
pmer
daise
en
se
penchant
sur
le
Plan
Voisin
qui
devait
dtruire
lensemble
du
quartier
historique
du
Marais
et
mme
au-del,
l
o
prcisment
slvera
Beaubourg
(le
Centre
Georges-Pompidou)
au
dbut
des
annes
soixante-dix.
Le
Niagara
de
la
production
ditoriale
se
dversa
dailleurs
sans
trop
de
remous
ni
dcume
derrire
ce
catalogue
o
les
spcialistes
patents,
ou
autoproclams,
sen
donnrent
cur
joie
dans
lapproche
complaisante
du
Matre.
Au
dtour
de
quelque
article,
sur
le
versant
histoire,
on
eut
droit
de
lgres
touches
un
peu
iconoclastes
mais
point
trop,
par
exemple,
le
passage
de
Le
Corbusier
par
Vichy30
Et
encore
sans
plus
La
tonalit
gnrale
des
textes
tait
pose,
retenue
et
mme
plutt
respectueuse,
sans
trop
de
violences
ou
de
chocs
par
trop
visibles
et
difficiles
accepter
pour
la
gnration
nouvelle
des
architectes
de
laprs- guerre
ou
plutt
de
laprs-68,
avide
de
dcouvrir
et
daccepter
sinon
de
comprendre
comment
et
pourquoi
stait
ralis
un
tel
consensus
autour
du
personnage.
Mais
le
tour
de
force
ditorial
et
principal
de
louvrage
fut
surtout
de
dissocier
le
personnage
de
son
uvre.
On
dissocia
systmatiquement
ses
nombreuses
initiatives
politiques,
ses
rseaux
29.
Le
Corbusier,
une
encyclopdie
(sous
la
direction
de
Jacques
Lucan),
op.
cit.
30.
Larticle
de
Rmi
Baudou,
Lattitude
de
Le
Corbusier
pendant
la
guerre
,
in
Le
Corbusier,
une
encyclopdie,
op.
cit.,
p.
455-459,
est
de
ce
point
de
vue
exemplaire
sinon
accablant
de
cette
capacit
modrer
voire
excuser
les
positions
politiques
pro-fascistes
et
pro-vichystes
de
son
hraut.
Selon
R.
Baudou,
Le
Corbusier
serait,
lors
de
son
arrive
Vichy,
ignorant
[de]
la
gopolitique
locale
comme
il
quittera
Vichy
par
lassitude
plus
que
par
conviction
.
Mais
au
fait
pourquoi
donc
est-il
parti
sinstaller
Vichy
?
Pourquoi
est-il
rest
sur
place
un
an
et
demi
?
Chez
lhistorien
Rmi
Baudou,
on
constatera
surtout
sous
couvert
dobjectivit
historiographique
une
grande
fascination
pour
larchitecte
et
son
architecture
qui
constitue
de
fait
un
a
priori
idologique
si
puissant
quelle
lempche
de
penser
lhistoire
singulire
de
Le
Corbusier
comme
elle
lempche
danalyser
son
architecture.
partir
de
lexemple
de
R.
Baudou,
et
de
manire
plus
gnrale,
on
pourrait
approfondir
une
analyse
du
rapport
complexe
entre
chercheur
et
objet
de
recherche.
Dans
le
courant
ouvert
par
Georges
Devereux,
il
est
possible
de
dire
que
si
tout
objet
dtude
qui
renvoie
une
construction
thorique
est
une
appropriation
par
le
chercheur
dune
ralit
quil
cherche
lucider,
dcrire,
comprendre,
etc.,
cette
construction
puise
dans
les
fantasmes
et
les
angoisses
propres
du
chercheur.
Ce
qui
signifie
que
le
chercheur
projette
ses
dsirs,
ambitions,
etc.,
au
travers
dune
recherche
et
sur
son
terrain.
En
retour,
toute
analyse,
toute
recherche
pratique
sur
un
objet
est
aussi
une
exprience
pratique
sur
le
chercheur
dont
les
angoisses
et
les
manuvres
de
parade
tout
autant
que
la
stratgie
de
recherche,
la
perception
des
donnes
et
la
dcision
dans
lanalyse
peuvent
jeter
plus
de
lumire
sur
la
nature
du
comportement
en
gnral
du
chercheur
que
ne
le
peut
lobservation
dun
objet.
Le
renversement
est
complet
quand
on
aura
compris
que
ltude
dun
sujet
se
dplace
vers
ltude
de
lobservateur
(le
chercheur)
et
donc
permet
laccs
lessence
de
la
situation
dobservation.
13
damitis
politico-professionnels,
ses
liens
politico-syndicaux
de
ses
conceptions
architecturalo-urbaines.
Autrement
dit,
on
chercha
prsenter,
dun
ct,
un
Corbu
humaniste
et
ne
recherchant
que
le
bonheur
de
ses
concitoyens
;
et,
dun
autre
ct,
on
fit
au
mieux
pour
mettre
en
lumire
luvre-reflet
de
ce
grand
humaniste.
Or,
cest
prcisment
l
tout
lenjeu
dune
critique
de
larchitecture/urbanisme
de
Le
Corbusier.
O
se
situe
lunit
entre
son
idologie,
ses
projets
et
ses
ralisations
?
Lidologie
fascisante
du
bonhomme
se
serait-elle
dploye
(subrepticement
?)
dans
son
architecture/urbanisme
?
Et
comment
?
Sous
quelle
forme
?
Y
a-t-il
une
diffrence,
une
coupure,
un
foss
entre
son
architecture,
ses
crits
et
ses
prises
de
position
thoriques.
lpoque,
seul
notre
ouvrage
il
y
a
presque
trente
ans31
avait
tent
de
montrer
comment
le
savoir-faire,
certes
inou
de
larchitecte,
avait
t
mis
au
profit
dune
vision
totalitaire
du
monde.
Notre
ouvrage
avait
alors
tent
de
montrer
la
profonde
unit
entre
des
aspirations
permanentes
et
irrsistibles
lordre32,
des
conceptions
idologiques
extrmes
sur
la
socit
et
des
ralisations
pour
la
plupart
elles-mmes
conues
dans
cet
esprit.
On
me
le
reprocha
beaucoup
;
on
me
le
fit
savoir
et
je
fus
mme
interdit
de
catalogue
Beaubourg,
et
pendant
de
trop
nombreuses
annes
berufsverbote
dans
les
coles
darchitecture
qui
ne
devaient,
bien
sr,
pas
tre
contamines
LIntouchable
tait
cependant
touch
l
o
il
semblait
tre
le
moins
vulnrable
:
prcisment
dans
son
architecture.
La
nouvelle
critique
Vingt
ans
aprs,
la
critique,
ou
ce
qui
tente
dy
ressembler,
procde
diffremment
:
plutt
par
petites
touches
sensibles,
presque
dlicates
:
ici
Le
Corbusier
et
la
nature,
l
Le
Corbusier
et
le
livre,
un
peu
plus
loin
Le
Corbusier
et
la
peinture,
voire
les
arts
plastiques,
plus
loin
encore
Ronchamp
Tout
cela
est
souvent
bien
trait,
et
souvent
dune
qualit
scientifique
rigoureuse.
lexception
de
louvrage
people
de
Jean-Louis
Cohen33,
trs
opportuniste
sur
le
fond,
et
qui
se
veut
une
fresque
complte
et
finalement
logieuse
de
larchitecte
et
de
son
architecture,
tout
en
relativisant
ses
accointances
politiques
toujours
extrmes
et
en
minimisant
on
peut
le
dire
certains
dtails
de
31.
Marc
Perelman,
Urbs
ex
machina,
Le
Corbusier
(le
courant
froid
de
larchitecture),
Paris-Lagrasse,
Les
ditions
de
la
Passion/Verdier,
1986.
32.
Lobjet
de
notre
croisade
architecture
et
urbanisme
est
de
mettre
le
monde
en
ordre.
Croisades
ou
le
crpuscule
des
acadmies,
Paris,
Les
ditions
Crs
et
Cie,
1933,
p.
25.
Larchitecture
est
une
mise
en
ordre.
Quand
les
cathdrales
taient
blanches
[1937],
Paris,
Denol
Gonthier,
1977,
p.
133.
33.
Jean-Louis
Cohen,
Le
Corbusier,
la
plante
comme
chantier,
Paris,
Textuel,
2005.
Dans
son
dition
date
du
28-29
aot
2005
et
sous
la
plume
de
Grgoire
Allix,
Le
Monde
consacra
fait
rarissime
une
pleine
page
Le
Corbusier
pour
mieux
introduire
louvrage
de
J.-L.
Cohen.
Le
propos
du
pigiste
redoublait
celui
du
critique
(
Je
navais
pas
lintention,
expliquait
ce
dernier
dans
cet
article,
dcrire
une
biographie
ou
une
hagiographie
de
Le
Corbusier.
Mais
jai
toujours
trouv
fascinantes
ses
contradictions
)
en
ce
quil
reconnaissait
une
ligne
politique
sinueuse
larchitecte.
Il
est
vrai
que
la
Fondation
Le
Corbusier
avait
entrouvert
quelques
annes
auparavant
ses
archives
permettant
de
mettre
au
jour,
entre
autres,
les
propos
ouvertement
antismites
de
son
hraut.
14
lhistoire,
la
plupart
des
livres
rcemment
parus
ne
permirent
pas
vraiment
dapprcier
le
bonhomme
et
son
architecture.
Car
la
question
essentielle
est
pour
nous
de
cet
ordre.
Elle
est
de
savoir
sil
y
a
un
lien
substantiel,
un
rapport
direct
ou
plus
indirect
entre
Le
Corbusier
et
son
uvre
projete
et/ou
crite
?
Larchitecture
a-t-elle
un
moment
ou
un
autre
voir
avec
les
positions
politiques
mme
sinueuses
de
son
auteur34
?
En
quoi
larchitecture
et
larchitecte
forment-ils
une
unit,
mme
et
surtout
si
cette
unit
est
faite
de
contradictions
apparentes
ou
plus
ou
moins
mystrieuses
?
Revoyons
ce
quen
disent
certains
critiques
.
Philippe
Duboy,
namour
permanent
du
Corbu,
recommenait
une
crise
devenue
rcurrente
dhystrie
fervente
envers
son
idole
dans
un
vibrant
plaidoyer,
on
ne
peut
plus
confus,
en
faveur
de
larchitecte.
Le
Corbusier
fasciste
?,
questionnait-il
ingnument.
Rien
de
plus
absurde
quun
Giraudoux
fasciste,
comme
laffirme
le
cinaste
Chris
Marker
en
1952.
Cest
Giraudoux
que
lon
doit,
en
1943,
le
discours
liminaire
de
La
Charte
dAthnes
du
groupe
CIAM-France
(Le
Corbusier).
Car
comment
expliquer
la
collaboration
de
Le
Corbusier
un
manifeste
communiste
pour
lEncyclopdie
de
la
Renaissance
franaise
ou
sa
participation
avec
Charles
Bettelheim
et
Gilles
Martinet
une
rflexion
sur
la
crise
franaise35.
Nous
voil
bien
avanc
et
surtout
dans
le
plus
grande
confusion
chez
un
critique
qui
ne
fait
pas
vraiment
preuve
dun
grand
intrt
et
dune
grande
connaissance
pour
lhistoire.
Rappelons-lui
lhistoire
:
1.
Giraudoux
a
t
attir
par
le
fascisme
au
tout
dbut
des
heures
sombres.
Voici
ce
quil
crivait
dans
Pleins
pouvoirs
qui
date
de
1939
:
Sont
entrs
chez
nous,
par
une
infiltration
dont
jai
essay
en
vain
de
trouver
le
secret,
des
centaines
de
mille
askenazis,
chapps
des
ghettos
polonais
ou
roumains
[],
qui
liminent
nos
compatriotes,
tout
en
dtruisant
leurs
usages
professionnels
et
leurs
traditions,
de
tous
les
mtiers
du
petit
artisanat
[]
et,
entasss
par
dizaines
dans
des
chambres,
chappent
toute
investigation
du
recensement,
du
fisc
et
du
travail.
Tous
ces
migrs
[]
apportent
l
o
ils
passent
l
peu
prs,
laction
clandestine,
la
concussion,
la
corruption,
et
sont
des
menaces
constantes
lesprit
de
prcision,
de
bonne
foi,
de
perfection
qui
tait
celui
de
lartisanat
franais.
Horde
qui
sarrange
pour
tre
dchue
de
ses
droits
nationaux
et
braver
ainsi
toutes
les
expulsions,
et
que
sa
constitution
physique,
prcaire
et
anormale,
amne
par
milliers
dans
nos
hpitaux
quelle
encombre.
(p.
65-66)
Le
pays
ne
sera
sauv
que
provisoirement
par
les
seules
frontires
armes
;
il
ne
peut
ltre
dfinitivement
que
par
la
race
franaise,
et
nous
sommes
pleinement
daccord
avec
Hitler
pour
proclamer
quune
politique
natteint
sa
forme
suprieure
que
si
elle
est
raciale,
car
ctait
aussi
la
pense
de
Colbert
ou
de
Richelieu.
(p.
76)
Rappelons
que
Daladier,
le
Prsident
radical
du
Conseil,
nomma
Jean
Giraudoux
quelques
semaines
aprs
la
publication
de
cet
ouvrage
antismite
au
Commissariat
lInformation36.
Jean
34.
Le
Corbusier
affirmait
dans
La
Ville
radieuse,
op.
cit.,
page
de
titre
:
Les
plans
ne
sont
pas
de
la
politique.
Les
plans
sont
le
monument
rationnel
et
lyrique
dress
au
centre
des
contingences.
35.
Philippe
Duboy,
Le
Corbusier
revient
,
in
LArchitecture
dAujourdhui,
n
369,
mars-avril
2007.
36.
Cf.
Michal
R.
Marrus
et
Robert
O.
Paxton,
Vichy
et
les
juifs,
Paris,
Le
livre
de
poche,
1990,
p.
83-85.
15
Giraudoux
se
pronona
galement
pour
un
ministre
de
la
race
.
Finalement,
plaignons
ce
pauvre
Philippe
Dubo.
Et
laissons-nous
porter
par
un
sentiment
de
compassion
pour
ce
critique
2.
Que
Le
Corbusier
ait
t,
aprs
la
guerre,
rhabilit,
rcupr
et
mme
promu
il
fut
le
prsident
de
la
Commission
durbanisme
du
Front
national
des
architectes,
issu
de
la
Rsistance
ne
nous
tonne
pas.
Ce
fut
le
cas
pour
nombre
de
personnalits
politiques,
artistiques
et
autres
qui
prirent
beaucoup
de
plaisir
avec
lOccupant.
Rappelons
que
sous
sa
forme
institutionnelle,
lpuration
sexera
surtout
sur
les
personnalits
politiques
les
plus
connues
et
les
plus
compromises.
Par
exemple,
les
Verdicts
de
la
Haute
Cour
de
Justice,
aprs
guerre,
indiquent
que
trs
peu
de
personnalits
pourtant
trs
lies
lOccupant
ou
Vichy
furent
condamnes
mort
et
pas
toujours
excutes
telles
Marcel
Dat,
Abel
Bonnard,
Joseph
Darnand,
Fernand
de
Brinon,
Darquier
de
Pellepoix,
etc.
;
les
autres
furent
acquittes,
condamnes
quelques
annes
de
prison
et,
pour
nombre
dentre
elles,
les
poursuites
furent
arrtes
quelques
annes
aprs
la
Libration.
Combien,
de
plus
ou
moins
collabos
,
furent-ils
laisss
en
paix37
?
videmment,
la
plupart.
Ces
derniers
passrent
entre
les
mailles
du
filet
comme
si
de
rien
ntait
;
ils
furent
rhabilits,
rintgrs
;
on
passa
lponge.
Rien
dtonnant
donc
ce
que
lon
retrouve
le
nom
de
Le
Corbusier,
juste
aprs
la
guerre,
dans
des
revues
tenues
par
les
communistes
de
lpoque
et
o
se
trouvent
aussi
danciens
surralistes38.
Rien
dtonnant
non
plus
ce
quEugne
Claudius-Petit,
ancien
rsistant,
engag
dans
le
mouvement
Franc-Tireur,
ministre
de
la
Reconstruction
et
de
lUrbanisme
(1948)
absolve
son
hraut,
tente
et
russisse
de
renouer
les
liens
avec
Pierre
Jeanneret,
le
cousin
du
Corbu,
qui
fut,
lui,
un
ancien
et
authentique
rsistant,
et
quil
devienne
mme
son
matre
douvrage
ds
1945
sachant
pertinemment
que
Le
Corbusier
avait
habit
presque
un
an
et
demi
Vichy
37.
Cf.
louvrage
de
Peter
Novick,
Lpuration
franaise,
1944-1949,
Paris,
Balland,
1985.
Se
pencher
aussi
avec
attention
sur
louvrage
trs
document
de
Laurence
Bertrand-Dorlac,
Histoire
de
lart,
Paris
1940- 1944,
Ordre
national
Traditions
et
Modernits,
Paris,
Publications
de
la
Sorbonne,
1986.
Lauteur
de
cet
ouvrage
indique
que
Jean
Giraudoux
proposa
dans
la
revue
Comdia
(hebdomadaire
des
spectacles,
des
lettres
et
des
arts),
un
rapprochement
entre
lart
et
le
sport
(p.
82).
Lcrivain
voulait
constater
alors,
avec
une
grande
subtilit,
que
les
peuples
qui
ont
le
pourcentage
le
plus
considrable
de
revues
dart
sont
ceux
qui
comptent
le
pourcentage
le
plus
fort
de
gymnastes
:
lAllemagne
et
la
Finlande
(5
juillet
1941)
Cette
revue
qui
reparat
en
juin
1941
tait
anime
entre
autres
par
Jean
Anouilh,
Jean-Louis
Barrault,
Andr
Derain,
Drieu
La
Rochelle,
Serge
Lifar,
Auguste
Perret,
etc.
Le
Corbusier
a
publi
une
interview
dans
la
revue
collaborationniste
Le
Rouge
et
le
bleu
(revue
de
la
pense
socialiste
franaise),
n
42
du
15
aot
1942
intitul
La
cit
de
demain
.
Pour
mmoire,
cette
revue
avait
t
fonde
par
le
socialiste
Charles
Spinasse
(ancien
ministre
de
lconomie
nationale
puis
du
Budget
sous
le
Front
populaire)
avec
lautorisation
de
la
censure
allemande
et
le
soutien
dOtto
Abetz.
Son
premier
numro
parat
le
1er
novembre
1941
et
son
dernier
numro
(n
43)
le
22
aot
1942,
dfinitivement
interdit
par
les
autorits
allemandes.
Parmi
les
collaborateurs
(ou
les
collaborationnistes)
de
cette
revue,
rappelons
les
noms
de
:
Hubert
Lagardelle
(ministre
du
travail
sous
Vichy),
Anatole
de
Monzie,
le
dessinateur
Moisan
(que
lon
retrouve
au
Canard
enchain
partir
de
1956),
Paul
Rassinier
(futur
ngationniste)
Dans
son
numro
37,
en
date
du
11
juillet
1942,
on
pouvait
dcouvrir
une
publicit
pour
le
cinma
Csar
qui
projetait
alors
Le
pril
juif
dans
sa
version
intgrale,
un
document
sensationnel
prcisait-on
38.
Cf.
par
exemple
La
Crise
franaise,
essais
de
C.
Bettelheim,
G.
Martinet,
P.
Naville,
P.
Besseignet,
Le
Corbusier,
J.
Hardy,
Paris,
ditions
du
Pavois,
1945.
16
Le
mystre
de
cette
rhabilitation
de
Le
Corbusier
ou
de
cet
oubli
du
pass
dun
individu
au
pass
vichyste
ne
se
trouve
pas
dans
la
mmoire
dfaillante
ou
la
mconnaissance
dune
ralit
historique
peu
prs
connue
mme
sil
y
a
encore
quelques
petits
trous
dans
cette
histoire.
Lexplication
est
peut-tre
l
:
il
fallait,
au
moment
de
la
Libration,
sauver
la
Nation
en
passant
lponge
sur
Vichy
;
il
fallait
clipser
Vichy
pour
que
les
lites
intellectuelles
ne
soient
surtout
pas
associes
cette
histoire
dsastreuse
laquelle
pourtant
elles
avaient
pour
la
plupart
particip
depuis
les
annes
trente
et
dont
Le
Corbusier
fut
lun
des
acteurs39.
Par
ailleurs,
lide
selon
laquelle
larchitecture
na
rien
voir
avec
la
politique
tait
depuis
longtemps
bien
incruste
dans
les
consciences
non-claires
de
nombre
dintellectuels
et
de
politiques.
Devant
larchitecture
ou
plus
exactement
autour
de
sa
possible
intellection
en
termes
danalyses
thoriques
se
sont
en
effet
constitues
une
paisse
crote
dignorance
ou
encore
une
gangue
charnue
et
pesante
didologies
confuses
qui
semblent
la
rendre
inaccessibles
la
conscience
critique.
Larchitecture
semble
toujours
se
maintenir
dans
lapolitisme
;
elle
baigne
dans
les
eaux
calmes
de
la
neutralit
,
et
elle
se
situe
enfin
dans
le
registre
dune
toujours
possible
utilisation
par
les
uns
et
par
les
autres.
Jamais,
ou
trop
rarement,
larchitecture
est
analyse
pour
le
projet
de
socit
quelle
rend
visible
par
ses
processus
mmes.
Coupures
pistmologiques
et
continuit
dialectique
Pour
nous
rsumer
et
prendre
rebours
les
arguments
des
preux
dfenseurs
du
Corbu,
de
ses
thurifraires
patents,
nous
voudrions
affirmer
nouveau
que
:
1.
Rgulirement,
il
est
affirm
que
chez
Le
Corbusier,
sa
vie,
son
uvre,
ses
projets,
ses
crits,
etc.,
nont
jamais
constitu
quune
suite
de
moments
diffrents
les
uns
des
autres,
dlments
sans
grande
ligne
directrice.
Quil
y
a,
par
exemple,
un
avant
la
guerre
et
un
aprs
la
guerre
(la
seconde)
;
un
avant
et
aprs
la
Villa
Savoye
;
un
avant
et
un
aprs
le
Modulor,
et
mme
un
avant
et
un
aprs
sa
mort.
Il
y
aurait
aussi
dun
ct
les
propos
sur
larchitecture
(les
livres)
et
de
lautre
les
difices
eux-mmes
(les
ralisations,
les
projets)
;
dun
autre
ct
le
pamphltaire
parfois
trs
proche
des
thmatiques
fascistes
et
de
lautre
lhumaniste
au
grand
cur,
le
protagoniste
clair
du
Mouvement
moderne
,
bref
:
dun
ct
et
de
lautre
,
avant
et
aprs
,
etc.
toutes
ces
idalisations,
illusions,
fantasmes,
il
faut
au
contraire
rpondre
par
la
comprhension
et
lanalyse
dialectiques
de
la
profonde
unit
de
la
thmatique
gnrale
de
Le
Corbusier,
par
la
cohrence
permanente
et
structurelle
dun
projet
de
socit
et
mme
de
vie
entirement
39.
Cf.
Zeev
Sternhell,
Ni
Droite,
ni
gauche,
Paris,
ditions
Complexe,
1987.
Se
reporter
la
Prface
la
nouvelle
dition
,
p.
9-28.
galement
:
Pierre
Assouline,
Lpuration
des
intellectuels,
Paris,
ditions
Complexe,
1985.
Pourtant
de
Gaulle
avait
tout
fait
pour
minimiser
le
phnomne.
Il
y
allait
du
prestige
de
la
France.
Il
ne
fallait
pas
que
ltranger
eut
le
sentiment
que
lintelligence
franaise
stait
prostitue
ou
quelle
avait
trahi
en
bloc.
Dans
ses
Mmoires
de
guerre
il
accorde
deux
fois
plus
de
place
lAcadmie
franaise
qu
lpuration
des
crivains.
(p.
83)
17
vou
lordre
tabli
:
La
leon
de
lhistoire,
cest
un
ordre
de
marche40
,
la
constitution
dune
me
sereine
dans
un
corps
sain41
.
Or,
unit
signifie,
par
exemple,
que
le
projet
architectural,
les
ralisations
elles-mmes
peuvent
certes
tre
traverss
par
des
contradictions
apparentes,
relles,
imaginaires,
symboliques,
fantasmatiques,
comme
on
voudra.
Mais,
au-del
de
ces
contradictions
et
avec
elles
ou
plutt
par
elles,
cest
laffirmation
dune
uvre-systme
en
tant
que
totalit
concrte
o
se
concentrent
et
sentrechoquent
les
contradictions
multiples
et
non-identiques.
Totalit
ne
signifie
donc
pas
la
somme
de
tous
les
projets,
leur
accumulation
ou
leur
agrgation,
voire
leur
succession
dans
une
parfaite
harmonie
linaire,
sans
heurts,
sans
paradoxe,
sans
contradictions.
Elle
signifie
que
la
ralit,
et
il
en
est
ainsi
chez
Le
Corbusier,
est
un
ensemble
structur
et
soumis
la
dialectique.
Les
ouvrages
dont
les
titres
suivent
sinscrivent
eux-mmes
dans
une
dialectique
spcifique
:
Vers
une
architecture
anticipe
La
Ville
Radieuse,
Le
Modulor
reprend
Quand
les
cathdrales
taient
blanches
et
prpare
Manire
de
penser
lurbanisme.
Tous
ces
crits
participent
galement
et
de
plain-pied
des
ralisations
et
des
projets
architecturaux
et
urbains.
Ce
qui
signifie,
par
exemple,
que
les
livres
ne
sont
pas
annexes
au
projet
architectural
;
ils
ne
constituent
pas
la
marge
ou
la
priphrie
des
projets
darchitecture
;
ils
ne
sont
pas
non
plus
que
lillustration
de
ces
mmes
projets
et
ralisations42.
Projets
architecturaux,
crits,
manifestes,
plans
urbains,
etc.,
se
renvoient
les
uns
les
autres,
se
compltent,
peuvent
se
contredire
,
se
rappellent
et
sinterpellent,
se
dpassent
dans
une
nouvelle
unit
;
les
derniers
renvoient
aux
premiers
et
ceux-ci
annoncent
ceux-l.
Autrement
dit,
toute
luvre- systme
de
Le
Corbusier
se
dploie
par
les
contradictions
car
la
totalit
sans
les
contradictions
est
vide
et
inerte,
et
les
contradictions
sans
la
totalit
sont
vides
et
arbitraires43.
Par
consquent,
ceux-l
mmes
parmi
les
adulateurs,
adorateurs
et
autres
caudataires
qui
recourent
aux
coupures
pistmologiques,
phases
en
soi,
squences
bloques
sur
elles-mmes,
ignorant
larticulation
plastique-formelle,
thorique-pratique
entre
les
uvres
abandonnent
de
fait
toute
problmatique
critique
et
ne
dgagent
aucun
des
ressorts
essentiels
qui
constituent
la
structure
matrielle
efficiente
et
la
porte
phylogntique
de
larchitecture
et
de
lurbanisme
de
Le
Corbusier
qui
formait,
pour
lui
aussi
dailleurs,
un
tout
indissociable.
Ceux-l
versent
et
se
complaisent
alors
dans
le
marigot
des
concepts
creux,
ptrifis
;
ils
errent
dans
le
cimetire
des
catgories
mortes.
Ils
ne
voient
rien
dune
totalit
organique
duvres
composes
de
diffrences,
doppositions,
de
contradictions,
dhtrognit.
Or,
cest
bien
lunit
des
uvres
et
lunit
dans
les
uvres,
de
mme
que
lunit
entre
les
uvres
(les
crits
et
larchitecture
40.
Le
Corbusier,
La
Ville
radieuse,
op.
cit.,
p.
155.
41.
Ibidem,
p.
143.
42.
Lire
sur
ce
thme
louvrage
de
Catherine
de
Smet,
Vers
une
architecture
du
livre,
Le
Corbusier
:
dition
et
mise
en
pages
1912-1965,
Baden,
Lars
Mller
Publishers,
2007.
La
question
que
pose
lauteur
de
louvrage
est
donc
celle
quelle
reprend
de
Le
Corbusier
lui-mme
:
Une
grande
part
du
travail
cratif
de
LC
sest
labore
dans
ses
livres
(p.
12).
43.
Cf.
Theodor
W.
Adorno,
Dialectique
ngative,
Paris,
Payot,
1978
;
Karel
Kosik,
La
Dialectique
du
concret,
Paris-Lagrasse,
Les
ditions
de
la
Passion/Verdier,
1988
;
Jean-Marie
Brohm,
Les
Principes
de
la
dialectique,
Paris-Lagrasse,
Les
ditions
de
la
Passion/Verdier,
2004.
18
et/ou lurbanisme) qui dominent les contradictions relles de ces uvres. 2. Nous avons pu entendre dans quelques lieux appropris que nos analyses tendaient tout nier, rejeter Le Corbusier en bloc. Mme si lide de bloc nous plat assez, relativement lindividu, quant tout rejeter, nous avons pris soin de bien nommer ce que nous critiquions en articulant entre eux les lments de cette critique. Pour le dire rapidement, si nous avons fait ntre une thorie critique des choses existantes et en loccurrence de larchitecture-urbanisme de Le Corbusier, il faut encore savoir quil sagit dune critique dans le cadre dune ngation dtermine de ces choses . Nous ne critiquons pas tout chez Le Corbusier, nous ne rejetons pas tout non plus. Son analyse assez prcise du manque dhygine dans la ville est retenir parmi dautres critiques. Nous montrons en revanche quen tant que totalit concrte structure, luvre-systme de Le Corbusier est l indfectiblement associe une visualisation totalitaire de la vie, une compulsion rptitive de lide de machine (humaine, architecturale, etc.), linquitant projet dun urbanisme de la raret visuelle, au froid alignement de blocs ddifices standardiss et unidimensionnels, une pseudo-soumission la nature ( les lois de la nature sont. Inutile de les critiquer44 ) 3. Nous passerons sur laspect ractionnaire du Corbu lgard des femmes sans doute d une cuirasse caractrielle nvrotique ( libert fminine, libration = idal = illusion La femme son foyer, ses enfants, cela reprsente moins doffre de main- duvre. Cela promet moins de chmage45 ). L nest pas encore lessentiel. Mais au fait, les thurifraires du Matre ont-ils, eux, jamais relev cette position ? Ce quil faut comprendre avant tout, cest la puissante force, limpact majeur de tous ces thmes que nous venons dvoquer, trimbals pendant des annes et surtout mis en uvre par des disciples souvent plus violents que leur matre. Le valet identifi au matre est souvent pire que lui Encore une fois, et linverse dune pseudo-analyse il faut comprendre Corbu dans son temps ou encore replacer luvre dans le contexte de son poque , etc. , nous prfrons envisager le systme corbusen non pas comme un simple reflet de la socit mais aussi comme un projet, cest--dire une activit, une force matrielle, une cration, une production dexistence et de quotidien. Car Le Corbusier ne fut pas que le miroir de la socit de son temps, il fut surtout lexpression vivante et donc dangereuse de ces temps-l, lindividu-projet, le sujet-projet cristallisant en sa personne le sombre devenir de la ville, lanticipateur qui a projet avec un savoir-faire certes inou une existence soumise un bhmoth urbain monstrueux.