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LE CRI PRIMAL
Thrapie primale : Traitement pour la gurison de la
nvrose
D r ARTHUR J ANOV
LE CRI PRIMAL Thrapie primale : Traitement pour la gurison de la nvrose
Traduit de lamricain par J eanne Etor et France Daunic Adaptation du langage primal par France Daunic
FLAMMARION
Titre de ldition originale : THE PRIMAL SCREAM Editeur original : G. P. Putnams Sons, Inc., New York 1970, Arthur J anov Pour la traduction franaise : 1975, Flammarion ISBN 2-08-081032-4
A mes patients qui ont t assez rels pour reconnatre quils taient malades et pour chercher mettre un terme leur lutte, et la jeunesse, espoir rel de l'humanit.
Table des Matires
Prface ........................................................................... 7 introduction .................................................................. 14 Prsentation du probleme ............................................. 19 La nvrose .................................................................... 23 La souffrance ............................................................... 51 Souffrance et mmoire ................................................. 61 Nature de la tension ..................................................... 70 Le systeme de dfenses ................................................ 85 Nature du sentiment ................................................... 102 Le traitement .............................................................. 123 La respiration, la voix et le cri ................................... 194 Nvrose et maladie psychosomatique ........................ 206 Quest-ce qutre normal ? ......................................... 229 Le patient apres la thrapie primale ........................... 255 La thorie primale et les autres approches thrapeutiques ............................................................ 352 Insight et transfert en psychothrapie ........................ 409 Sommeil, rves et symboles ....................................... 480 Nature de lamour ...................................................... 500 Sexualit, homosexualit et bisexualit ..................... 515 Les origines de la peur et de la colre ........................ 589 Drogues et dpendances ............................................. 641 La psychose : avec ou sans drogue ............................ 688 Conclusions ................................................................ 702
PREFACE
Depuis la dcouverte du cri primal en 1967 et la pu- blication en 1970 par le docteur A. J anov de ses impli- cations en psychothrapie dans le livre The Primal Scream, la thorie primale sest considrablement affi- ne et approfondie et la thrapie primale est certaine- ment la thrapie la plus recherche tant aux Etats-Unis que dans le reste du monde. Le Laboratoire de Recherches de la Fondation Pri- male Los Angeles, grce un programme extensif dtudes entreprises en liaison avec le Laboratoire de Recherches Neurologiques de lUniversit de Californie U.C.L.A., a corrobor les dcouvertes fondamentales du docteur J anov. Lobservation, pendant des annes, de centaines de cas de nvroses et de psychoses, la cons- tance des rsultats au niveau de lobservation du com- portement, au niveau neurologique ou simplement m- dical, ont permis la formulation dune thorie mainte- nant trs complte et ltablissement dun systme th- rapeutique hautement scientifique. Lorsquil crivit The Primal Scream, le docteur J anov dcida de sadresser au grand public gnralement plus rceptif que les milieux professionnels qui ont souvent tendance rsister aux changements et sen tenir aux mthodes traditionnelles. Lenthousiasme du public amricain pour le livre le porta en quelques mois en tte de la liste des best-sellers. Le mme phnomne se produisit en Allemagne, en Scandinavie, en Amrique latine, en Australie, et les patients commencrent arriver de tous les pays du monde. La raison en est que la thorie primale touche une fibre relle chez ceux qui souffrent et que la grande simplicit de son expos la met la porte de tous. LAmrique est le pays au monde le plus intress par les problmes psychologiques et leurs solutions. La psychothrapie fait partie des murs et la statistique dmontre que tout Amricain a personnellement t trait un moment de sa vie ou est lami ou le parent de quelquun ayant suivi un traitement psychothrapeu- tique. Cest aussi aux U.S.A. que les thories psycholo- giques sont le plus avances et les recherches neurolo- giques le plus pousses. Pourtant la situation gnrale dans le domaine mental y est plutt chaotique cause du manque dune thrapie systmatique, universelle, prvisible et vidente. Selon le docteur J anov, la plus grande affliction de lhumanit aprs la maladie mentale est la faon dont on la soigne . En thrapie primale, nombreux sont les patients qui avaient abandonn tout espoir de gurison aprs cinq ou dix ans de psychanalyse, ou aprs avoir essay sans succs quatre ou cinq thrapies diffrentes et quelque- fois plus. Pour ces patients, qui pouvaient souvent ana- lyser les raisons de lchec des diffrents traitements quils avaient entrepris, le bien-fond de la thorie pri- male sembla vident. Le succs foudroyant de la thra- pie primale est la fois d au fait que les Amricains sont trs conscients de lutilit de la psychothrapie et la dception gnrale en face du manque defficacit des thrapies existantes. Le docteur J anov explique pourquoi les maladies mentales prsentent tant de facettes et pourquoi il rgne tant dincertitude et de ttonnement quant leur traite- ment. La cause unique des dsordres mentaux crant un nombre infini de symptmes nayant jamais t dcouverte, la psychologie moderne soccupait tou- jours de soigner les symptmes sans jamais atteindre la cause ! La thrapie primale a enfin dcouvert la cause profonde de nos maux psychologiques et en a dduit le traitement. La cause profonde est ce dont le docteur J anov traite dans Le Cri primal. Le titre Le Cri primal met laccent sur ce cri qui cho- qua profondment le docteur J anov la premire fois quil lentendit, car il rvlait une intensit de souf- france psychologique jamais souponne chez ltre humain du fait mme que cette souffrance demeure au niveau inconscient. Mais le cri en soi nest quun aspect mineur de la thrapie primale. On a appel la thrapie primale Scream Therapy la thrapie du cri et de nombreuses coles sim- plistes de pseudo-thrapie en dcoulent, qui ne tiennent compte que du cri ou dautres aspects fragmentaires de la thorie primale, rejoignant par-l mme la plthore des thrapies fragmentaires. La thrapie primale est plus quun cri. Le cri nest ni le but de la thrapie, ni la th- rapie en soi. Ainsi que lcrit le docteur J anov : Ce nest pas le cri qui est notre but mais la souffrance que nous cherchons atteindre . Lorsque celle-ci, enfouie au niveau inconscient, atteint la conscience et que la connexion se fait, elle est quelquefois si dvastatrice que le patient pousse un cri dagonie, souvent le signe prcurseur dun primal encore plus profond. Plus le patient redescend en lui-mme et fait lexprience pour la premire fois compltement de son pass, plus linconscient devient conscient. Les souffrances de son enfance et souvent de sa naissance ou de sa vie intra-utrine jusqualors enfouies sont mises au jour par lexprience extraordinaire du primal. Le primal est un phnomne totalement naturel, nutilisant aucun moyen artificiel tel que lhypnose, les drogues ou des manipulations diverses. Avoir un primal, cest revivre totalement un traumatisme physique ou psychologique un niveau psychobiologique. Le doc- teur J anov a dcouvert les dynamiques scientifiques de notre monde interne et a mis au point une thrapie qui dcoule naturellement de la comprhension de ces dy- namiques : bloquer les dfenses et stopper le djoue- ment (acting-out) de la souffrance. Car cest l lessence mme de la nvrose : Djouer inconsciem- ment par son comportement une souffrance que lon ne peut ressentir . En gnral, les nvross ne ressentent pas directement la souffrance primale, mais lprouvent sous forme de tension. En dautres termes, la thrapie consiste amener le patient ne pas viter ce qui lui fait mal, laider progressivement le ressentir pour len librer et le librer des comportements symboliques qui en dcoulent, et de la tension qui en rsulte. La thrapie primale ne peut se classer dans aucune catgorie de thrapie connue. Elle est compltement rvolutionnaire dans sa conception et dans ses mthodes. Elle allie le traitement individuel et une thrapie de groupe trs diffrente des sances de groupe gnralement prati- ques. Aprs plusieurs mois de traitement, les patients peuvent saider mutuellement et en rgle gnrale nont plus besoin dun thrapeute professionnel; les vieux patients ont leurs primals de faon spontane sans quune intervention soit ncessaire. Faire des primals devient une faon de vivre. Les premiers mois dagonie profonde et presque constante passs, la cadence des primals sespace, le patient descend dans sa souffrance plus facilement et plus rapidement il a de moins en moins de dfenses. Sa vie change souvent radicalement. Il peut commencer vivre de faon saine, il se passe de drogues, dalcool, de cigarettes, de mdicaments, il n'a plus dinsomnies, de cauchemars, de dpressions, de problmes psychologiques divers, de perversions bi- zarres ni dexistence dcousue. Il peut enfin profiter de la vie et de ce quelle lui offre. Les symboles perdent leur sens. Sa vie devient relle, parce quil devient rel. Parce quil ressent sa souffrance denfant et se libre petit petit de lemprise du pass, de ses ramifications et de ses prolongements, il vit dans le prsent. Le docteur J anov dcouvrit en 1973 lexistence confirme depuis par les plus rcentes tudes neurolo- giques de trois niveaux de conscience correspondant nos stades de dveloppement et la structure neuro- physiologique de notre cerveau. Un primal change en fait la structure profonde de notre cerveau en brisant le circuit nvrotique jusque-l tabli et en permettant pour la premire fois depuis son blocage la libre circulation de la rponse psychologique relle de lindividu un vnement donn. Les comptes rendus des recherches et des rcentes d- couvertes dans le domaine primal sont consigns dans la revue scientifique trimestrielle The Journal of Primal Therapy, publi par le Primal Institute de Los Angeles, et dans le dernier livre du docteur J anov Primal Man (en cours de publication). Depuis 1970, le docteur J anov a aussi publi successivement The Anatomy of Mental Illness (Lanatomie de la maladie mentale) expliquant les fondements physiologiques des troubles psycholo- giques, puis The Primal Rvolution (La rvolution pri- male) qui traite des implications de la thrapie primale dans de nombreux cas de comportements, notamment celui de lhomosexuel, du drogu, du psychotique. Son dernier livre, The Feeling Child, traite de la faon dviter le dveloppement de la nvrose chez lenfant. De tous les livres du docteur J anov, Le Cri primal est cependant le plus important et le plus excitant. Cest la description originale dune dcouverte extraordinaire ouvrant une re nouvelle de logique, de gurison des maladies mentales et de comprhension des motivations les plus profondes de ltre humain. Le Cri primal est sans doute lun des livres les plus importants dans lhistoire de la psychologie car, pour la premire fois, la nature de la nvrose est rvle ainsi que son traitement et sa gurison. La dcouverte de la thrapie primale est un vnement capital pour ceux qui souffrent et pour lhumanit entire. France Daunic.
INTRODUCTION
DECOUVERTE DE LA SOUFFRANCE PRIMALE
J ai entendu il y a quelques annes un cri qui devait modifier le cours de ma carrire et changer la vie de mes patients. Ce que jai entendu changera peut-tre aussi la nature de la psychothrapie telle quon la con- nat maintenant un cri sinistre qui a jailli du fond des entrailles dun jeune homme qui tait couch par terre, au cours dune sance de thrapie. J e ne saurais le com- parer quau hurlement de quelquun quon assassine. Ce livre est consacr ce cri et ce quil nous rvle des aspects les plus secrets de la nvrose. J appellerai le jeune homme Danny Wilson; ctait un tudiant de vingt-deux- ans, ni psychotique, ni ce quon appelle hystrique, mais pauvre, calme, particulirement sensible et renferm sur lui-mme. Pendant un moment creux, au cours de la sance de groupe, il nous parla dun certain Ortiz, un acteur qui se produisait lpoque sur les scnes londoniennes, lang comme un nourrisson et buvant des biberons de lait. Tout au long de son nu- mro, il appelait de toutes ses forces : Papa ! maman ! papa ! maman ! . A la fin, il vomissait et on distribuait des sacs en matire plastique aux spectateurs, qui taient invits en faire autant. Danny avait lair tellement fascin par cette scne que cela mincita essayer quelque chose qui, bien qulmentaire, ne mtait pas venu lesprit jusque-l. J e demandai Danny dappeler papa, maman . Il refusa, prtendant quil ne voyait pas quel sens pourrait avoir un comportement aussi infantile. A dire vrai, je ne le voyais pas non plus. Mais, jinsistai et il finit par cder. Ds ses premiers appels, il manifesta un trouble profond. Tout coup, il se mit se tordre sur le sol. Il avait une respiration rapide et spasmodique et criait comme involontairement papa, maman , dune voix perante. Il avait lair dtre dans un tat comateux ou sous hypnose. Peu peu, les contorsions prirent un aspect convulsif, et il finit par pousser ce cri dagonie, qui fit trembler les murs de mon cabinet. Le tout navait dur que quelques minutes et ni Danny, ni moi, ne com- prenions ce qui stait pass. Aprs coup, il ne put rien dire dautre que : J y suis arriv, je ne sais pas ce que cest, mais je peux sentir. Ce qui tait arriv Danny ma laiss perplexe pen- dant des mois et des mois. J avais pratiqu la thrapie conventionnelle pendant dix-sept ans en tant que psy- chiatre dans un service social et en tant que psycho- logue. J avais t form dans un hpital psychiatrique o lon pratiquait les mthodes freudiennes et dans un organisme soccupant danciens combattants o lon tait beaucoup moins freudien. J avais fait partie pen- dant plusieurs annes de lquipe de la section psychia- trique du Childrens Hospital de Los Angeles. Mais, de toute ma carrire, jamais je navais observ quoi que ce soit de comparable ce cri. Comme ce soir-l javais enregistr la sance de groupe, jai maintes fois cout la bande, dans les mois qui suivirent, pour essayer de comprendre ce qui stait pass, mais toujours en vain. Cependant, jeus bientt loccasion den apprendre plus. Un homme dune trentaine dannes que jappellerai Gary Hillard me parlait avec beaucoup dmotion de la manire dont ses parents lavaient toujours critiqu, ne lavaient jamais aim et, dune faon gnrale, lui avaient gch la vie. J e le pressai de les appeler. Il refu- sa, disant quil savait quils ne laimaient pas et quil ne voyait donc pas quoi cela pourrait servir. J e lui demandai de se prter mon caprice. Sans grande con- viction, il se mit appeler ses parents. J observai bientt que sa respiration devenait plus rapide et plus profonde. Ses appels devinrent involontaires, il se mit se tordre en mouvements quasi convulsifs et finit par pousser un hurlement. J tais aussi branl que lui. Ce que javais pris pour un phnomne accidentel, pour la raction idiosyncra- sique dun patient isol, venait de se rpter dune faon presque identique. Aprs coup, quand Gary se fut calm, il fut submerg par toute une srie dinsights. Il me dit que toute sa vie semblait brusquement stre mise en place. Cet homme, dordinaire sans trop de finesse, se transforma sous mes yeux pratiquement en un autre tre humain. Son esprit savivait, tous ses sens sveillaient, il semblait se com- prendre. La similitude des ractions de ces deux patients tait telle que jcoutai avec encore plus dattention les bandes enregistres de leurs sances respectives. J essayai de dterminer prcisment quels facteurs et quelles techniques elles avaient en commun qui provo- quaient les ractions du cri. Peu peu, je commenai entrevoir un sens. Au cours des mois qui suivirent, jessayai diverses modifications et mthodes en deman- dant au patient dappeler ses parents. Chaque fois, il y eut les mmes rsultats dramatiques. J en suis venu considrer ce cri comme la manifes- tation des souffrances essentielles et universelles qui existent chez tous les nvrotiques. J e les appelle souf- frances primales parce quelles sont les blessures origi- nelles de la petite enfance sur lesquelles se btit plus tard la nvrose. J affirme que ces souffrances existent chez tout nvros chaque minute de son existence, quelle que soit la forme que prenne sa nvrose. Souvent il ne les ressent pas consciemment parce quelles sont diffuses et affectent le systme tout entier, se manifes- tant au niveau des organes, des muscles, du systme circulatoire, du systme lymphatique et, enfin, du com- portement. La thrapie primale a pour objet llimination de ces souffrances. Elle est rvolutionnaire parce quelle im- plique la destruction du systme nvrotique par un bou- leversement violent. Selon moi, cest le seul moyen de gurir la nvrose. La thorie primale est le rsultat de mes observations quant aux raisons pour lesquelles des changements spcifiques se produisent. J e tiens souligner que ma thorie na pas prcd lexprience clinique. En obser- vant Danny et Gary se tordre sur le sol dans les affres de la souffrance primale, je ne savais vraiment pas com- ment jappellerais ce phnomne. La thorie sest per- fectionne et approfondie grce aux tmoignages suc- cessifs des patients guris de leur nvrose. Ce livre est une invitation ltude de la rvolution quils ont dclenche.
CHAPITRE 1
PRESENTATION DU PROBLEME
Une thorie est la signification que nous donnons un droulement dtermin de la ralit que nous avons observ. Plus la thorie est proche de cette ralit, plus elle est valable. Une thorie est valable lorsquelle nous permet de faire des prdictions parce quelle est con- forme nos observations. Depuis Freud, nous avons t obligs de nous appuyer sur des thories tablies a posteriori; cest--dire que nous nous sommes servis de nos systmes thoriques pour expliquer ce qui sest pass. Comme les donnes observer sont devenues plus complexes, nos observa- tions nous ont conduits dans un labyrinthe dcoles et de systmes thoriques diffrents. Aujourdhui, la psycho- thrapie est fragmente, divise en spcialisations. On dirait que la nvrose a pris tellement de formes diverses au cours des cinquante dernires annes, que non seu- lement le mot de gurison nest plus prononc par les psychologues, mais la notion de nvrose mme a t dcompose en une multitude de domaines. Cest ainsi quon a crit des livres sur la sensation, la perception, lapprentissage, la connaissance, etc., mais pas un seul qui soit consacr ce quil faut faire pour gurir la n- vrose. La nvrose semble tre tout ce que nimporte quel thoricien pense quelle est phobie, dpression, symptme psychosomatique, inadaptation, indcision, etc. Depuis Freud, les psychologues se proccupent des symptmes, non des causes. Il nous manque une sorte de structure unifie offrant des directives concrtes quant la faon de traiter les malades, chaque instant de la thrapie. Avant de dcouvrir ce qui allait devenir la thorie primale, je savais grosso modo ce que jattendais de mes malades. Cependant, le manque de continuit dune sance lautre me gnait, comme en sont gns cer- tains de mes collgues. J avais limpression de faire du rafistolage. Ds quapparaissait une faille dans le sys- tme de dfenses de mon patient, je my prcipitais. Un jour janalysais peut-tre un rve, un autre jour je pous- sais le malade la libre association dides, une semaine aprs je concentrais lattention sur des vnements pas- ss, tandis que dautres fois je maintenais le malade dans le prsent. Comme beaucoup de mes collgues, jtais boulever- s par la complexit des problmes que pose un malade qui souffre. La possibilit de prvoir exactement ce qui allait se passer, clef de vote de toute approche tho- rique valable, cdait souvent le pas une espce de foi inspire. Mon credo muet tait : Avec suffisamment dinsights, le patient finira bien, tt ou tard, par se con- natre assez pour dominer son comportement nvro- tique. Mais maintenant, je ne crois plus que la nvrose ait grand-chose voir avec la connaissance en soi ni avec celle quon a delle. La nvrose est une maladie du sentiment. En son centre, il y a la rpression du sentiment et sa transmuta- tion en un large ventail de comportements nvrotiques. Cest lincroyable varit des symptmes nvrotiques qui vont des insomnies aux perversions sexuelles, qui nous a induits penser quil existait diverses catgories de nvroses. Mais des symptmes diffrents ne cor- respondent pas des entits pathologiques diffrentes; toutes les nvroses ont la mme origine spcifique et ragissent au mme traitement spcifique. Si gnial quil ait t, Freud nous a lgu deux notions fort malheureuses que nous avons prises pour paroles dEvangile. La premire est quil ny aurait pas de point de dpart de la nvrose en dautres termes, tout tre humain natrait nvros. La seconde est que lindividu qui a le systme de dfenses le plus fort, serait ncessai- rement celui qui fonctionne le mieux dans la socit. La thorie primale part du principe qu la naissance, tout tre humain est lui-mme, quon ne nat pas psy- chotique ou nvrotique. On nat, un point cest tout. La thrapie primale consiste dmanteler les causes de tension, le systme de dfenses, et la nvrose. Ainsi elle montre que les gens les plus sains sont ceux qui nont pas de dfenses. Tout ce qui contribue renforcer le systme de dfenses aggrave la nvrose. Cest un processus qui enferme la tension nvrotique dans des couches de mcanismes de dfense, ce qui peut avoir pour consquence que le sujet fonctionne mieux ext- rieurement, alors quil est ravag par la tension interne. J e ne me console pas en disant que nous vivons dans une poque de nvrose (ou dangoisse) et quil est nor- mal que les gens soient nvross. J e prtends quil existe quelque chose au-del dun fonctionnement amlior sur le plan social, quelque chose au-del dun soulagement des symptmes et dune comprhension plus profonde de ses propres motivations. Il existe un tat tout fait diffrent de ce que nous concevons habituellement, une vie sans tension, exempte de dfenses, o lindividu est entirement lui- mme, connaissant des sentiments profonds et une unit intrieure. La thrapie primale permet daccder cet tat. Les gens deviennent eux-mmes et restent eux- mmes. Cela ne veut pas dire quaprs une thrapie primale, le malade ne sera plus jamais perturb ou malheureux. Cela veut simplement dire que, quoi quil doive affron- ter, il considrera toujours ses problmes de faon ra- liste, et dans le prsent. Il ne cachera plus la ralit sous des faux-semblants et ne souffrira plus dune tension ou de phobies chroniques et inexplicables. La thrapie primale a t applique avec succs de nombreuses formes de nvrose, y compris lhronomanie. Les sances sont lies les unes aux autres et, la plupart du temps, le thrapeute primal est en mesure de prdire lvolution de son patient. Cette der- nire affirmation est dune importance capitale car si nous pouvons gurir la nvrose dune faon systma- tique et ordonne, nous arriverons sans doute aussi dterminer les facteurs qui permettront de la prvenir.
CHAPITRE 2
LA NEVROSE
Lhomme est une crature de besoin. Nous naissons tous avec des besoins et la plupart dentre nous meurent aprs une vie de lutte sans avoir satisfait bon nombre de ces besoins. Pourtant ces besoins nont rien dexcessif tre nourri, au chaud et au sec, grandir et se dvelop- per son propre rythme, tre pris dans les bras et cares- s, et tre stimul. Ces besoins primals reprsentent le cur de la ralit du nourrisson. Le processus nvro- tique senclenche quand, pendant un certain temps, ils ne sont pas satisfaits. Le nouveau-n ne sait pas quil faudrait quon le prenne dans les bras quand il pleure ou quil ne devrait pas tre sevr trop tt, mais si ses be- soins restent insatisfaits, il souffre. Au dbut, lenfant fait tout ce qui est en son pouvoir pour obtenir la satisfaction de ses besoins. Il tend les bras pour quon le prenne, pleure quand il a faim et gigote dans tous les sens pour faire reconnatre ses be- soins. Sils restent insatisfaits pendant un certain temps, si on ne le prend pas, si on ne le change pas et si on ne lui donne pas manger, il souffrira continuellement jusqu' ce quil arrive faire quelque chose pour que ses parents satisfassent son besoin, ou jusqu ce quil touffe sa souffrance en touffant le besoin. Si la souf- france est trop forte, lenfant peut mourir : cest ce que montrent diverses tudes faites sur les enfants de lAssistance. Comme le nourrisson ne peut pas lui-mme remdier sa faim (il ne peut pas aller chercher quelque chose dans le rfrigrateur), pas plus quil ne peut trouver des substituts son besoin daffection, en consquence, il doit sparer ses sensations (faim, besoin dtre pris dans les bras) de sa conscience. Cette sparation entre le moi et ses besoins et ses sentiments est une manuvre ins- tinctive pour couper court une souffrance insuppor- table. Cest ce que nous appelons le clivage. Lorganisme se scinde afin de protger sa continuit. Cela ne signifie pas pour autant que les besoins insatis- faits disparaissent. Bien au contraire, ils se maintiennent tout au long de la vie : cest leur force qui oriente les intrts du sujet et cre les motivations ncessaires leur satisfaction. Mais, du fait de la souffrance, les be- soins ont t supprims au niveau de la conscience, de sorte que lindividu doit rechercher des satisfactions de remplacement. Autrement dit, il doit rechercher la satis- faction de ses besoins de faon symbolique. Le sujet qui on na pas permis de sexprimer dans son enfance risque plus tard de toujours vouloir se faire entendre et comprendre tout prix. Non seulement les besoins insatisfaits, qui persistent jusqu devenir intolrables, sont spars de la cons- cience, mais les sensations correspondantes sont reloca- lises dans des domaines o il est plus facile de les dominer ou de les soulager. Ainsi des sentiments peu- vent tre soulags par la miction, plus tard par lactivit sexuelle, ou contrls par la suppression de la respira- tion profonde. Lenfant frustr apprend dguiser ses besoins et les transformer en besoins symboliques. Adulte, il ne ressentira plus le besoin de tter le sein de sa mre, besoin qui lui est rest dun sevrage trop brusque et prcoce, mais il fumera sans arrt. Son be- soin de fumer sera un besoin symbolique et la poursuite de satisfactions symboliques est lessence mme de la nvrose. La nvrose est un comportement symbolique de d- fense contre une souffrance psychobiologique exces- sive, et elle se perptue car des satisfactions symbo- liques ne peuvent satisfaire des besoins rels. Pour que les besoins rels soient satisfaits, ils doivent tre ressen- tis et prouvs. Malheureusement, du fait de la souf- france, ils ont t profondment enfouis. Lorsquils sont ainsi enfouis, lorganisme est en tat dalerte permanent. Cet tat dalerte est la tension. Cest elle qui pousse le petit enfant, et plus tard ladulte, la satisfaction de ses besoins par tous les moyens possibles. Cet tat dalerte est ncessaire pour assurer la survie du nourrisson : sil devait renoncer lespoir de voir ses besoins satisfaits, il pourrait mourir. Lorganisme veut vivre tout prix et le prix de la survie, cest en gnral la nvrose qui touffe les besoins physiques et les sentiments insatis- faits, parce quils causent une souffrance trop profonde pour que le sujet puisse y rsister. Tout ce qui est naturel est un besoin rel par exemple grandir et se dvelopper son propre rythme. Pour lenfant, cela veut dire, ntre pas sevr trop vite, ntre pas forc marcher ou parler trop tt, ntre pas oblig dattraper une balle avant quil nait un systme nerveux assez dvelopp pour pouvoir le faire sans effort particulier. Les besoins nvrotiques ne sont pas naturels ils proviennent de linsatisfaction des be- soins rels. On ne vient pas au monde avec le besoin de sentendre louer, mais un enfant qui voit ses efforts rels constamment dnigrs, pratiquement ds sa naissance, et qui on fait sentir que rien de ce quil fera ne sera jamais assez bien pour obtenir lamour de ses parents, dveloppera un besoin insatiable de louanges. De mme, un enfant peut rprimer son besoin de sexprimer sil na personne pour lcouter, mais il peut en rsulter plus tard un besoin de parler sans arrt. Un enfant quon aime est un enfant dont les besoins naturels sont satisfaits. Lamour supprime sa souffrance. Lenfant qui nest pas aim souffre parce quil est frus- tr. Lenfant aim nprouve pas le besoin dtre lou, car il na pas t dnigr. Il est estim pour ce qu'il est et non pour ce quil peut faire pour satisfaire les besoins de ses parents. Lenfant aim ne deviendra pas un adulte aux besoins sexuels insatiables. Il a t tenu et caress par ses parents et nprouve pas la ncessit de recourir la sexualit pour satisfaire ce besoin de son plus jeune ge. Les besoins rels vont de lintrieur vers lextrieur, et non linverse. Le besoin dtre tenu dans les bras et caress, fait partie du besoin dtre stimul. La peau est notre organe sensoriel le plus tendu et elle rclame au moins autant de stimulation que les autres organes des sens. Le manque de stimulation au cours du premier ge peut avoir des consquences dsastreuses. Sans stimulation, certains organes peuvent commencer satrophier. Inversement, comme la bien montr Krech 1 , une stimulation adquate leur permet de grandir et de se dvelopper. Une stimulation physique et men- tale constante est indispensable. Tant que des besoins restent inassouvis, ils supplan- tent toute autre activit humaine. Ce nest qu partir du moment o ses besoins sont satisfaits que lenfant est en mesure de ressentir. Il fait alors lexprience de son corps et du monde qui lentoure. Quand ses besoins ne sont pas satisfaits, lenfant ne ressent que de la tension, qui est le sentiment dconnect de la conscience. Sans cette connexion indispensable, le nvros ne res- sent pas. La nvrose est la maladie du sentiment. La nvrose ne commence pas ds linstant o lenfant rprime ses sentiments pour la premire fois, mais on peut dire que cest ce moment-l que commence le processus nvrotique. Lenfant se forme par tapes. A chaque besoin refoul, chaque frustration, lenfant se ferme un peu plus sur lui-mme. Mais il arrive un jour o un seuil critique est atteint, o lenfant est essentiel- lement ferm sur lui-mme, o il est davantage irrel que rel et, ce moment-l, on peut dire quil a bascul dans la nvrose. A partir de ce jour, il vit selon un sys- tme de double moi : le moi rel et le moi irrel. Le moi rel reprsente les sentiments et les besoins rels de lorganisme. Le moi irrel est la couverture de ces sen- timents, cest la faade quexigent les parents nvro- tiques pour satisfaire leurs propres besoins. Un pre ou une mre qui a besoin de se sentir respect parce quil a toujours t humili par ses propres parents, exigera de
1 D. Krech, E. Bennett, M. Diamond et M. Rosenzweig, Chemical and Anatomical Plasticity of Brain , Science, vol. 146 (30 octobre 1964), pp. 610-619. ses enfants quils soient respectueux jusqu lobsquiosit, quils ne lui rpondent pas et ne lui opposent jamais de refus. Un pre ou une mre infantile exigera de son enfant quil soit adulte longtemps avant quil ny soit prt pour queux-mmes puissent con- tinuer tre le bb dont on soccupe. Les exigences qui rendent lenfant irrel, sont rare- ment explicites. Cela nempche que pour lenfant, la satisfaction de leurs besoins devient une obligation implicite. Lenfant nat dans le contexte des besoins de ses parents et il commence lutter pour les satisfaire presque ds sa naissance. On le poussera sourire (afin de paratre heureux), faire areu, areu... , dire au revoir de la main, plus tard sasseoir et marcher, enfin, faire des efforts incessants pour que ses parents puissent avoir un enfant prcoce . Plus lenfant gran- dit, plus ce quon lui demande devient compliqu. Il faut quil ait de bonnes notes, quil soit serviable, quil fasse sa part de travaux dans la maison, quil soit sage et peu exigeant, quil ne parle pas trop, quil ne dise que des choses pertinentes, quil soit sportif. Il fera tout, sauf tre lui-mme. Cette multitude de relations qui stablissent entre les parents et lenfant et o sont d- vis ses besoins naturels, ses besoins primals, signifie que celui-ci souffre. Elle signifie quil ne peut la fois tre ce quil est et tre aim. Ce sont ces souffrances profondes que jappelle souffrances primales. Les souf- frances primales sont les besoins et les sentiments r- prims ou nis par la conscience. Ils sont douloureux parce quon ne leur a pas permis de sexprimer ou dtre satisfaits. Ces souffrances se rsument toutes de la mme manire : J e ne suis pas aim, et je nai aucun espoir de ltre en tant moi-mme. Chaque fois quun enfant nest pas pris dans les bras quand il en a besoin, chaque fois quon le fait taire, chaque fois quil est ridiculis, ignor ou pouss au-del des limites de ses capacits, on ajoute son rservoir de souffrances primales. Chaque fois quon ajoute ce rservoir, on rend lenfant plus irrel et plus nvrotique. Au fur et mesure que les assauts contre le systme rel se multiplient, ils commencent craser la person- nalit relle. Il arrive un jour o un vnement qui nest pas forcment traumatisant en lui-mme par exemple le fait de confier pour la centime fois lenfant un baby-sitter fait pencher la balance en faveur de lirralit, et lenfant devient nvrotique. J appelle cet vnement la scne primale majeure. Cest le moment de la vie du petit enfant o toutes les humiliations, toutes les privations et tous les refus quil a d endurer sadditionnent pour trouver un dbut de prise de cons- cience se rsumant ceci : J e nai aucun espoir dtre aim pour ce que je suis. Cest ce moment-l que lenfant, pour se dfendre contre ce savoir catastro- phique, se coupe de ses sentiments et glisse doucement dans la nvrose. Ce savoir nest pas conscient. Lenfant commence simplement se comporter lgard de ses parents et plus tard lgard des autres, comme ils lattendent de lui. Il dit ce quils disent et fait ce quils font. Il adopte un comportement irrel cest--dire un comportement qui est en dsaccord avec la ralit de ses propres besoins et de ses propres dsirs. Trs rapide- ment ce comportement nvrotique devient automatique. La nvrose implique un clivage, une scission entre lindividu et ses propres sentiments. Plus lenfant subit dassauts de la part de ses parents, plus le gouffre se creuse entre le rel et lirrel. Lenfant commence parler et se mouvoir comme on le lui prescrit, cesse de toucher son corps aux endroits dfendus (cesse littra- lement de se sentir), il apprend ne plus tre exubrant ou triste, etc. La fragilit de lenfant rend cependant le clivage ncessaire. Cest le rflexe (cest--dire la faon automatique) qua lorganisme pour lempcher de devenir fou. La nvrose est donc la dfense contre une ralit catastrophique, visant protger le dveloppe- ment et lintgrit psychophysique de lorganisme. La nvrose implique quun individu est ce quil nest pas afin dobtenir quelque chose qui nexiste pas. Si lamour de ses parents existait, lenfant serait ce quil est; car aimer, cest laisser lautre tre ce quil est. Par consquent, la nvrose peut tre engendre par des v- nements qui nont rien de particulirement traumatisant en eux-mmes. Elle peut natre de la simple obligation faite lenfant de ponctuer toutes ses phrases de sil vous plat et de merci , ce qui doit prouver la bonne ducation des parents. Elle peut aussi natre de linterdiction qui lui est faite de pleurer ou de se plaindre quand il est malheureux. A cause de leur propre anxit, les parents peuvent se prcipiter pour apaiser le moindre sanglot. Pour prouver quils sont respects, cest la colre quils interdiront Une petite fille sage ne pique pas de crise de rage, un gentil petit garon ne rpond pas ! On peut aussi provoquer la nvrose en forant lenfant se produire , par exemple rciter des pomes devant des invits, ou rsoudre des pro- blmes abstraits. Quoi que ce soit que lon attende de lui, lenfant sen fait vite une juste ide; il faut jouer un rle sinon ! Etre ce quils veulent sinon pas damour, ou ce qui passe pour de lamour, une approba- tion, un sourire, un clin dil. Peu peu, le rle quil joue domine la vie de lenfant : il la passe excuter des rites et formuler des incantations au service de ses parents et de leurs exigences. Cest de la terrible dsesprance de ntre jamais aim que nat le clivage. Lenfant doit nier la constatation que, quoi quil fasse, ses besoins ne seront jamais satis- faits. Il ne peut vivre en sachant que personne ne sintresse lui ou quon le mprise. Il lui est intol- rable de savoir quil ny a aucun moyen de rendre son pre moins critique, ou sa mre plus gentille. Il na quune faon de se dfendre : se crer des besoins de substitution, des besoins nvrotiques. Prenons lexemple de lenfant qui est perptuellement dnigr par ses parents. En classe, il bavardera conti- nuellement (ce qui lui vaudra les rprimandes des matres), dans la cour de rcration, il se vantera sans arrt (et salinera ainsi les autres enfants). Adulte, il risque davoir un besoin incoercible de chercher une satisfaction aussi manifestement symbolique (pour lobservateur) que la meilleure table dans un restaurant de luxe ! Le fait dobtenir la table en question ne supprime pas son besoin de se sentir important; sinon, pourquoi joue- rait-il la mme comdie chaque fois quil va au restau- rant ? Coup dun besoin authentique qui est inconscient (celui dtre reconnu en tant qutre humain qui a de la valeur), le sujet donne un sens sa vie en se faisant saluer par son nom par les matres dhtel des restau- rants la mode. Lenfant nat donc avec des besoins biologiques rels que, pour une raison ou pour une autre, ses parents ne satisfont pas 1 . Il se peut que certains parents ne voient tout simplement pas les besoins de leur enfant, ou alors que, par souci de ne point commettre derreur, ils sui- vent les conseils de quelque vnrable spcialiste de lducation, ne prennent lenfant dans leurs bras qu heure fixe, le nourrissent en fonction dun horaire dont la prcision ferait la fiert dune compagnie arienne, lui imposent un sevrage strictement programm et lui apprennent le plus tt possible tre propre. Nanmoins je ne crois pas que lignorance ou le zle mthodique suffisent expliquer la prodigieuse rcolte de nvroses qua produite lhumanit depuis le dbut de son histoire. La raison principale pour laquelle les en- fants deviennent nvrotiques est, mon avis, le fait que leurs parents sont trop accapars par la lutte quils m- nent contre leurs propres besoins infantiles insatisfaits. Cest ainsi quune femme peut concevoir un enfant afin de pouvoir se faire dorloter comme un bb ce dont elle a en ralit prouv le besoin toute sa vie. Aussi longtemps quelle est au centre de lattention, elle est relativement heureuse. Mais, aprs laccouchement, elle risque de sombrer dans une dpression profonde. La
1 De nombreux parents font lerreur de ne pas prendre leur enfant assez souvent dans leurs bras, de peur de le gter . Mais cest exactement ce quils font en l'ignorant car plus tard, ils seront submer- gs par les exigences insatiables de lenfant qui recherche des substi- tuts symboliques jusquau jour o leur colre explosera, ce qui aura des consquences aussi invitables que terribles. grossesse servait son besoin et navait rien voir avec la venue au monde dun nouvel tre humain. Lenfant risque mme de souffrir davoir, en naissant, priv sa mre du seul moment de sa vie o elle obtenait que les autres soccupent delle. Comme elle nest pas prte la maternit, elle naura peut-tre pas de lait, et elle fera souffrir son enfant des mmes privations dont elle- mme a peut-tre souffert. Voil comment liniquit des pres est punie sur les enfants en un cycle apparemment sans fin. J e dsigne par le terme de lutte , les tentatives que fait lenfant pour plaire ses parents. La lutte dbute avec les parents et slargit ensuite au monde tout entier. Elle stend au-del des limites de la famille parce que lindividu apporte avec lui ses besoins frustrs partout o il va, et ces besoins doivent tre djous. Il cherchera des substituts ses parents avec qui il jouera son drame nvrotique, ou il transformera pratiquement tout le monde (y compris ses propres enfants) en des images parentales qui satisferont ses besoins. Un pre qui a toujours t empch de parler, fera de ses enfants ses auditeurs attentifs. Ces derniers, leur tour contraints toujours couter, auront le besoin refoul dtre couts par quelquun, et il se pourrait bien que ce soit leurs enfants eux. Le lieu de la lutte passe du besoin rel au besoin n- vrotique, du corps lesprit, car les besoins psycholo- giques surviennent quand les besoins fondamentaux sont dnis. Mais les besoins psychologiques ne sont pas des besoins rels. En fait, il ny a pas de besoins purement psychologiques. Les besoins psychologiques sont des besoins nvrotiques car ils ne sont pas au ser- vice des exigences relles de lorganisme. Lhomme, par exemple, qui doit avoir la meilleure table au restau- rant pour se sentir important, le fait sous lemprise dun besoin qui sest dvelopp parce quil ntait pas aim et que les efforts quil faisait taient soit ignors, soit rprims. Peut-tre a-t-il besoin dtre appel par son nom par le matre dhtel parce que toute son enfance, il na entendu parler de lui-mme quen termes gnraux mon fils. Autrement dit, il a subi une sorte de ds- humanisation de la part de ses parents, et il cherche de faon symbolique obtenir une raction humaine de la part des autres. Sil avait t trait par ses parents comme un tre humain unique, ce prtendu besoin de se sentir important ne serait pas apparu. Le nvros met simplement de nouvelles tiquettes (besoin de se sentir important) sur danciens besoins inconscients (besoin dtre aim et apprci). Avec le temps, il en vient croire que ces nouvelles tiquettes correspondent des sentiments rels et quil faut obtenir ce quelles recou- vrent. La fascination quexerce sur nous la vue de notre nom sur une enseigne lumineuse ou sur une page imprime nest quun signe parmi dautres qui rvle combien la plupart dentre nous ont souffert de ntre pas reconnus en tant quindividus. Ces succs, mme sils sont rels, reprsentent la qute symbolique de lamour parental. La lutte consiste plaire un public. La lutte empche lenfant de sentir son dsespoir. Elle consiste se surmener, bcher pour obtenir de bonnes notes, jouer la comdie. La lutte, cest lespoir du nvros darriver se faire aimer. Au lieu dtre lui- mme, il lutte pour devenir une autre version de lui- mme. Tt ou tard, lenfant finit par croire que cette nouvelle version est rellement lui. La comdie nest plus joue consciemment et dlibrment, elle devient un comportement automatique et inconscient. Elle est nvrotique.
Les scnes primales
Il y a deux sortes de scnes primales : les majeures et les mineures. La scne primale majeure est lvnement particulier le plus bouleversant de la vie de lenfant. Cest un moment de solitude glaciale, cosmique, la plus amre de toutes les rvlations. Cest le moment o il commence dcouvrir quil nest pas aim pour ce quil est et quil ne le sera jamais. Avant cette scne primale majeure, lenfant a fait dinnombrables expriences mineures les scnes primales mineures au cours desquelles il a t ridicu- lis, rejet, nglig, humili, pouss se produire . Arrive un jour o tous ces vnements nfastes com- mencent prendre un sens aux yeux de lenfant. Un vnement dcisif semble alors rsumer le sens de toutes ces expriences passes en une seule constata- tion : Ils ne maiment pas tel que je suis. Cette prise de conscience est catastrophique. Lenfant la nie et lensevelit au plus profond de lui-mme. Cest la lutte du moi irrel qui prend sa place. A partir de ce moment, toutes les expriences de lenfant sont amorties par cette faade, de sorte que lenfant souvent ne sait plus quil souffre. Sa lutte couvre sa souffrance. Certains malades arrivent se souvenir dune scne dcisive qui a t la somme de toutes les scnes mi- neures antrieures. Pour dautres, il ny a eu quune lente et monotone accumulation de lgers traumatismes, chacun insignifiant en soi, mais qui ont fini par provo- quer un dchirement majeur. Que celui-ci se soit produit de faon dramatique au cours dune scne primale ma- jeure, ou quil soit simplement le rsultat dune accumu- lation de scnes mineures, un jour arrive o lenfant devient plus irrel que rel. Le clivage qui se produit au cours de la scne primale majeure marque la fin de lexistence de lenfant en tant qutre entier et en accord avec lui-mme. En gnral, la scne primale majeure se produit entre cinq et sept ans. Cest lge o lenfant apprend gn- raliser partir de son exprience concrte. Cest lpoque o il commence comprendre la signification de tous les vnements diffrents quil a vcus jusque- l. Dun point de vue objectif, la scne primale majeure nest pas forcment traumatisante. Ce nest pas nces- sairement un accident de la route ou une catastrophe arienne. Cest plutt une brusque comprhension, une vision fugitive et terrifiante de la vrit qui frappe lenfant pendant un vnement qui peut tre banal en soi. Par exemple, un malade se souvient davoir appel sa mre, un jour, quand il tait petit, et au lieu de sa mre, ce fut son pre, dont il avait peur, qui tait venu. A ce moment-l, il sut : Ma mre ne viendra jamais quand je lappelle. La raison en tait que les nom- breuses fois o, aprs stre couch, il appelait sa mre pour quelle lui apporte un verre deau, elle ne venait jamais. Ctait toujours son pre qui venait. Un jour, il comprit que sa mre ne viendrait jamais quand il avait besoin delle. Il tait dchir parce que le dsir de voir sa mre faisait venir son pre quil redoutait et qui le rprimandait pour avoir appel; ainsi, dsirer ctait obtenir ce quil ne dsirait pas. Il nappela plus jamais sa mre, prtendant quil navait pas besoin delle jusquau jour o, dans mon cabinet, il appela sa maman en criant de douleur. Les scnes mineures sont simplement les petits v- nements qui frappent le moi rel des critiques, des humiliations jusqu ce quun jour, lors de la scne majeure, ce moi rel craque sous la charge. Il est possible que la scne primale majeure survienne au cours des premiers mois de la vie. Cest ce qui arrive quand le jeune enfant vit une exprience en elle-mme si dvastatrice quil ne peut sen dfendre et doit se couper de cette ralit. Dans ce cas, il se produit une rupture irrparable qui dure jusqu ce que lexprience soit revcue dans toute son intensit. On peut prendre pour exemple le fait dtre arrach ses parents et mis en orphelinat ds les premiers mois de la vie. Les scnes primales cl sont dune importance capi- tale, car elles reprsentent des centaines dautres exp- riences dont chacune a apport de la souffrance. Cest pour cette raison que, quand les patients revivent ces scnes en thrapie primale, un flot de souvenirs qui leur sont associs remontent en mme temps. Tous ces v- nements sont lis par un mme sentiment (par exemple : Il ny a personne pour maider ). Examinons quelques exemples de scnes primales. Tout dabord celle de Nick. Elle se situe juste aprs la fin de la Deuxime Guerre mondiale; Nick avait six ans et son pre venait dtre dmobilis. Depuis Pearl Har- bor, ctait le premier Nol que la famille passait runie au grand complet, et lon se prparait bien le fter. Nick attendait ce jour avec toute limpatience dun petit garon. Il avait achet une cravate pour son pre, lavait enveloppe de son mieux et y avait attach une carte quil avait rdige tout seul. A 2 heures de laprs-midi, tous les paquets avaient t ouverts, except celui que Nick avait destin son pre. A 3 heures, tout le monde se rgalait de la dinde farcie, sauf Nick. Son pre avait compltement ignor son cadeau. Quelquun finit par lapercevoir au pied de larbre et lapporta dans la salle manger. Nick raconte lui- mme : Mon pre tait sol, et ds quil a vu ce ca- deau, il sest mis faire le pitre : Eh bien, quest-ce que a peut bien tre ? Peut-tre une auto ? ou un ba- teau ? quest-ce que vous en pensez ? Non. Cest un avion. Le paquet est mal fait, mais je suis sr que cest un avion. Tout le monde riait. J aurais voulu me ca- cher sous la table. J avais honte de lui avoir fait un ca- deau. Il continuait, poussant la plaisanterie jusquau bout. Ivre, il tait impitoyable. Il prtendait ne pas sa- voir de qui pouvait bien tre le paquet, alors que javais mis pour papa sur ma carte (et je suis enfant unique). Quand enfin il se dcida louvrir, il vint vers moi et dit en me bavant dessus : Lumire de ma vie, des deux cent dix cravates que jai dans ma garde-robe, celle-ci sera dornavant et tout jamais ma prfre, etc. Des idioties de ce genre. Il me couvrait de ridi- cule. Quand il dit au moins pour la cinquime fois Tu naurais pas d gaspiller ton argent pour ton pauvre vieux papa , je ny tins plus, je quittai la table en me disant : Nom de Dieu, tu as raison, je naurais pas d . Dun point de vue objectif, dans un monde dont la bombe atomique, les camps de concentration et le gno- cide sont le lot quotidien, il ne sest pas pass grand- chose cet aprs-midi-l. Pourtant, cet incident a contri- bu largement comme la goutte qui fait dborder le vase condamner un homme un quart de sicle de troubles nerveux, daberrations sexuelles et de priodes de profonde dpression. Pour Nick, cette cravate de Nol symbolisait ce quil ressentait : Quoi que je fasse, papa, rien ne sera jamais assez bien pour que tu maimes. La scne primale fait converger des centaines et mme des milliers dincidents qui pour lenfant signi- fient le dsespoir. A partir du jour o elle a lieu, les sentiments rels mobilisent le moi irrel de telle faon que lenfant ne reconnat plus bon nombre de ses senti- ments. (Cest ainsi qu lge de la pubert, Nick dgui- sa son besoin dun pre affectueux et le remplaa par des fantasmes homosexuels.) En outre, le moi irrel rprime ces mmes sentiments rels, de sorte quils ne peuvent tre connects et finalement rsolus. ( Objec- tivement , Nick nprouvait que du mpris pour son pre qui tait alcoolique.) La scne primale majeure est un bond qualitatif dans la nvrose. J usqu ce jour de Nol 1946, Nick avait t tendu. A partir de ce jour, sa tension ne sest pas vanouie, pas plus que ses besoins et ses sentiments refouls nont disparu. Ils sont rests en lui, cods dans son cerveau sous forme de souvenirs refouls qui pntraient tout son organisme, le maintenant dans un tat de tension. Cette tension lempchait dtre conscient de son com- portement et le forait lutter pour obtenir une satisfac- tion symbolique de son besoin (par lhomosexualit). Par consquent, il est vident quau cur de la lutte du nvros il y a l'espoir lespoir de voir son com- portement lui apporter le rconfort et lamour. Cepen- dant cet espoir est ncessairement irrel puisquil le contraint dessayer dobtenir par la lutte quelque chose qui nexiste pas : des parents qui ressentent. Le nvros essaie de faire de tous les tres quil rencontre dans le monde, des parents affectueux, chaleureux, qui sintressent lui. Si ses propres parents avaient relle- ment t bons et sensibles, la lutte serait inutile. Aprs la crise de la scne primale majeure, il se pro- duit dans le cours de la vie familiale des milliers dautres incidents nfastes. Chacun deux approfondit le gouffre et aggrave la nvrose, chacun deux rend lenfant plus irrel. Pour un autre de mes patients, la scne primale ma- jeure avait t plus dramatique : Peter avait quatre ans et son pre lui administrait sou- vent des fesses pour la moindre vtille. Il les recevait en se disant quil devait avoir fait quelque chose de terrible pour les mriter et il continuait son bonhomme de chemin. Un jour quil tait en voiture avec sa mre, ils eurent un accident, qui abma compltement la voi- ture. A leur arrive la maison, le pre les attendait, furieux. Sa premire remarque fut : Comment as-tu pu tre aussi idiote ! Encore sous le coup de laccident, la mre de Peter fondit en larmes, ce qui ne fit quexasprer son mari. Il la frappa et la ft tomber. En hurlant, le petit garon se prcipita sur son pre et lui agrippa le bras qui tait dj lev pour frapper encore. Son pre lempoigna, le secoua rudement et lenvoya contre le mur. A cet instant Peter comprit que son pre tait capable de le tuer, sil le provoquait. A partir de ce jour, le petit garon dut surveiller tous ses faits et gestes quand il tait en prsence de son pre. Son enfance fut une poque terrifiante, car il tait conti- nuellement occup apaiser son pre. Cependant il avait sa mre, vers qui il pouvait se tourner. Mais elle ne put supporter longtemps la brutalit de son mari et se mit boire, tel point quelle dut tre interne. Le jour o on lemmena, Peter comprit que ctait la fin . Ctait effectivement la fin de son existence en tant qutre humain normal et en accord avec lui-mme. Au cours des vingt annes qui suivirent, il eut un compor- tement symbolique lgard de tous ceux quil rencon- tra. Le sentiment quil djouait et qui empoisonnait tous les aspects de sa vie tait : J e ten prie, papa, ne me fais pas mal ! Voici encore un exemple dun dbut de nvrose en tant que manire dtre, et il semble tout fait anodin. Pourtant, pour Anne, ce fut la scne primale majeure. Anne avait six ans. Un jour, elle fut surprise par la pluie. Une voisine la trouva tremblante et trempe jusquaux os. Elle lemmena chez elle et la fit se r- chauffer devant un grand feu de bois, tout en la cajolant. Tout coup, Anne se sentit toute drle , bizarre et, sans dire un mot, elle sortit de cette maison et se prcipita chez elle sous la pluie. Arrive dans sa chambre, elle sanglota pendant prs dune heure. Sa mre vint voir ce qui lui arrivait, mais lenfant ne savait que dire. Elle se sentait simplement mal laise. Plus tard, elle essuya ses larmes et descendit la cuisine pour aider sa mre prparer le dner. Voil tout ce en quoi consista sa scne primale ma- jeure. Pourtant, elle fut plus traumatisante quune svre correction, parce quelle ne put tre intgre et com- prise. Avant le jour de lorage, Anne avait reu des fesses pour stre salie, avoir dit des gros mots, ou avoir soule- v sa jupe le genre de choses qui arrivent la plupart dentre nous. Chaque fois, elle avait limpression davoir fait quelque chose de mal, demandait pardon respectueusement et continuait vivre sa faon. Mais elle assimilait compltement ce qui se passait. Le jour de lorage cependant, elle navait pas commis de faute, elle navait pas demander pardon, et elle ne pouvait se raccrocher rien pour comprendre ce quelle ressentait. La gentillesse de cette voisine avait mis en vidence le vide de son existence. Elle avait entrevu fugitivement ce quelle navait jamais eu chez elle : du temps quon lui consacrait, de la gentillesse, du rconfort, et, tout simplement, un peu dhumanit. Elle se rendit compte alors que jamais elle ne pourrait tre ce quelle tait si elle voulait que sa mre laime. Elle stait prcipite la maison afin dtouffer par ses larmes cette prise de conscience avant den subir tout limpact, avant de ressentir la force dvastatrice de ce jamais. Aprs avoir pleur, quand la fillette redescendit pour aider maman, sa vie relle cessa. Extrieurement, elle devint polie, gentille et serviable. Intrieurement, la tension saccumulait. Elle essayait de vaincre son dsarroi en aidant cons- tamment sa mre qui tait malade la plupart du temps. Elle soffrait soccuper de son petit frre. Elle luttait, sa tension augmentait, et sa nvrose saggravait. En ralit, elle navait aucune envie de soccuper de son petit frre, elle aurait voulu quon soccupe delle et quon la cajole; elle navait pas envie de faire la vais- selle, elle avait envie daller samuser. Mais elle cdait aux dsirs de Maman et refoulait les siens. Elle passait sa vie essayer de transformer sa mre en cette gentille voisine qui lui avait offert de lamour sans rien demander en change. La lutte lempchait de ressentir et de reconnatre que sa mre ne deviendrait jamais la personne affectueuse dont elle avait besoin. La petite fille tait prise au pige. Si elle avait cess de jouer la petite fille soumise et bien leve, elle aurait dclench le ressentiment de sa mre davoir tre une mre. En tant soumise, Anne avait trouv un moyen dviter dtre totalement reje- te : elle laissait sa mre jouer les petites filles, tandis quelle adoptait le rle de sa mre. Cest cause de lespoir irrel 1 quelle assumait cette charge. Elle esp- rait quun jour elle obtiendrait quelque chose, et ainsi elle luttait pour lamour imaginaire de sa mre, mais tout ce quelle obtenait, ntait jamais quune vaisselle de plus faire. La scne primale est donc un vnement qui nest pas vcu dans sa totalit. Il reste dconnect et non rsolu. Cela ne signifie pas quil y ait un seul moment dans notre vie qui produise la nvrose, mais que ce moment
1 Cet espoir est en grande partie inconscient et en gnral, il n'est mme pas ressenti. Il esl djou dans la lutte. la scne primale majeure dtermine une fois pour toutes une voie et que chaque nouveau traumatisme approfondit le gouffre entre le moi rel et le moi irrel. La scne primale majeure est le moment o laccumulation de petites blessures, de manifestations de rejet et de refoulements, se fige pour former une nouvelle manire dtre la nvrose. Cest le moment o lenfant commence comprendre que pour sen sortir, il doit renoncer une partie de lui-mme. Cette constatation, trop pnible pour tre supporte, ne de- vient jamais entirement consciente de sorte que lenfant commence agir de faon nvrotique sans avoir la moindre ide de ce qui sest pass en lui. Nous avons vu que certaines scnes primales peuvent tre dramatiques, dautres ne le sont pas ncessairement. Il suffit quune mre dise : Si jamais tu refais a, je ne veux plus te voir. Ce nest pas la scne en elle-mme, mais la signification quelle a pour lenfant qui lui donne son caractre dvastateur. Une menace appa- remment lgre ou une petite fesse peuvent subjecti- vement tre aussi traumatisantes que le fait dtre en- voy lorphelinat.
Le moi rel et le moi irrel
Bien que je parle toujours du moi rel et du moi irrel, il ne faut pas oublier que ce sont les deux aspects dun mme moi. Le moi rel est le vrai moi, que nous tions avant de dcouvrir que ce moi ntait pas acceptable pour nos parents. Nous naissons rels. Etre rel n'est pas quelque chose que nous essayons de devenir. La coquille que nous construisons autour du moi rel est ce que les Freudiens appelleraient le systme de dfenses. Mais les Freudiens estiment quun systme de dfenses est indispensable ltre humain et quun individu sain et bien intgr est ncessairement muni dun puissant systme de dfenses. Pour ma part, je considre que lindividu normal est totalement d- pourvu de dfenses et na pas de moi irrel. Plus son systme de dfenses est puissant, plus lindividu est malade cest--dire irrel. Les yogi qui marchent sur des charbons ardents ou dorment sur des lits de clous, offrent une illustration parfaite de la suppression littrale du moi rel et de sa sensibilit. J e vois tous les jours dans la pratique de mon mtier, des malades qui ont russi, pour se protger de leur souffrance, se couper compltement de leurs sentiments et qui ne ressentent pas plus leurs souf- frances psychologiques que le yogi ne ressent la douleur physique. De temps en temps, il se peut que le nvros entrevoie fugitivement son moi rel. Une maladie ou des vacances lui laissent peu doccasions dexercer sa lutte et il se trouve ramen lui-mme. Cela peut provoquer des symptmes psychiatriques le sujet se sent soudain dpersonnalis , tranger lui-mme, comme sil avait simplement fait semblant de vivre. Cette dper- sonnalisation marque souvent le dbut de la ralit, mais comme le nvros prend son irralit pour sa ralit, il finit par ressentir son moi rel comme une force tran- gre. En gnral, il se retire dans son irralit habituelle, et se remet bien vite dans sa peau , il se sent de nou- veau lui-mme. Sil pouvait faire un pas de plus et pour- suivre sa dmarche jusquau bout, il sentirait la ralit de son irralit, et je crois quil pourrait redevenir rel. Chez le nvros, le moi rel qui ressent est donc en- foui avec la souffrance originelle; cest pourquoi il doit ressentir cette souffrance afin de se librer. Le fait de ressentir cette souffrance dtruit le moi irrel, de la mme manire que le fait de lavoir nie, la cr. Comme le moi irrel est un systme superpos, le corps semble le rejeter comme il rejetterait nimporte quel lment tranger. La tendance va toujours vers le moi rel. Quand des parents nvrotiques empchent un enfant dtre rel, il choisit des chemins tortueux cest--dire nvrotiques pour atteindre la ralit. La nvrose nest rien dautre que le moyen irrel par lequel nous essayons dtre rels. Cest le systme irrel qui dforme le corps et entrave son dveloppement et sa croissance. Il rprime lactivit du systme endocrinien qui est un systme rel ou au contraire le stimule lexcs. Il provoque une fatigue excessive de divers organes vulnrables, ce qui donne lieu des pannes priodiques. Bref, le systme irrel est un systme total, ce nest pas simplement un com- portement qui se manifeste ici ou l. Etre nvros veut dire quon nest pas entirement rel : par consquent, rien en nous ne fonctionne normalement et sans accroc. Les manifestations de la nvrose sont aussi infinies que celles de la normalit. Elle est dans tout ce que nous faisons. Le nvros a un moyen de briser la surface de ses luttes symboliques pour plonger dans les souffrances qui le motivent; cest la thrapie primale. Cest lattaque systmatique du moi irrel qui finit par produire une nouvelle manire dtre, la normalit, tout comme les attaques portes lorigine au moi rel, avaient produit une nouvelle manire dtre, la nvrose. Cest la souf- france qui conduit la nvrose et cest par la souffrance que lon en sort.
Rcapitulation
La thorie primale dfinit la nvrose comme la syn- thse de J eux moi , ou de deux systmes, qui sont en conflit. Le systme irrel a pour fonction de supprimer le systme rel, mais comme les besoins rels ne peu- vent tre limins, le conflit nen finit pas. Lorsque ces besoins essaient dtre satisfaits, ils sont transforms par le systme irrel de sorte quils ne peuvent plus trouver quune satisfaction symbolique. Pour que lenfant ne soit pas vaincu par la souffrance, il faut que ses senti- ments rels, qui sont devenus trop douloureux parce quils nont pas t satisfaits, soient rprims. Mais, paradoxalement, les besoins ne peuvent pas tre satis- faits tant quils ne sont pas ressentis. Si lon considre que ces besoins et ces sentiments re- fouls reprsentent une nergie qui fait fonctionner lorganisme, on constate que le nvros ressemble beau- coup une machine dont le moteur serait toujours en marche. Rien de tout ce quil peut faire nest capable darrter ce moteur, tant que ses besoins et ses senti- ments ne sont pas ressentis dans toutes leurs affres exac- tement pour ce quils sont. Autrement dit, il faut que le systme irrel soit renvers pour que le systme rel puisse sexprimer. Un exemple trs simple peut claircir ce problme, lexemple dun enfant qui na pas le droit de pleurer quand il est petit. O vont toutes ces larmes ? Chez certains individus, elles se transforment en sinusites ou en coulement dans le pharynx (ces symptmes dispa- raissent lorsquen thrapie primale, le sujet pleure de toutes les fibres de son corps). Chez dautres, cette tris- tesse refoule se retrouve dans laffaissement de la commissure des lvres ou dans la mlancolie de lexpression. De toute faon, le besoin rel nest jamais ressenti parce quil est djou de faon symbolique. Cest prcisment ce comportement symbolique qui empche le sujet de ressentir son besoin et de le r- soudre finalement. Ainsi, le nvros continue se refu- ser la satisfaction de ses besoins rels. Le systme irrel transforme des besoins rels en be- soins pathologiques. Un malade peut se gaver de nourri- ture pour ne pas sentir le vide de son existence. La nour- riture devient le symbole de lamour. La boulimie est donc un exemple de djouement. Une fois que les besoins rels ont t pervertis et transforms en besoins nvrotiques, ils ne peuvent plus tre satisfaits. Autrement dit, une fois que sest produit le clivage essentiel lors de la scne primale majeure, deux moi sont crs et se trouvent dans un conflit dialectique permanent. Le moi irrel empche le besoin rel de se manifester et dobtenir satisfaction. Cest pourquoi laffection et lamour que pourra apporter lenfant plus tard un de ses matres namliorera que lgrement la situation : lenfant ne souffrira pas pen- dant que son matre soccupera de lui et sera gentil avec lui. Mais le comportement du matre ne peut remdier au clivage qui a t produit par les privations imposes du matin au soir pendant les premires annes cruciales de la vie par des parents tout-puissants. Une fois que le clivage a eu lieu, le fait dtre embrass par un matre peut tre douloureux pour lenfant, car il souffre alors de ce quil na jamais eu. Les souffrances primales sont dconnectes de la conscience, car en tre conscient signifie une intolrable souffrance. Lenfant fait lexprience de la souffrance primale quand il ne peut tre lui-mme. La tension nat lorsque les souffrances sont dconnectes de la cons- cience. Elle reprsente la souffrance diffuse, la pression des sentiments nis et dconnects qui demandent tre librs. Cest la tension qui produit lhomme daffaires acharn, le toxicomane, l'homosexuel; chacun deux souffre sa manire, mais il choisit un style de vie, autrement dit une personnalit , pour tenter de r- duire et si possible dtouffer sa souffrance. Des trois exemples que je viens de citer, cest souvent le toxico- mane qui est le plus honnte; en gnral, il sait quil souffre. Les souffrances primales sont des besoins primals non rsolus. La tension est la faon de sentir ces besoins coups de la conscience. Au niveau mental, la tension se traduit par lincohrence, la confusion, le manque de mmoire, et au niveau physique par une contraction musculaire et des troubles viscraux. La tension est le signe caractristique de la nvrose. Cest elle qui pousse le sujet la rsoudre. Mais il ne peut y avoir de solution tant quil na pas ressenti cest--dire vcu cons- ciemment sa souffrance primale. La lutte nvrotique est sans fin parce que les besoins de lenfance restent non rsolus. La lutte est une perp- tuelle tentative pour empcher lorganisme davoir des besoins. Cest cependant cette lutte qui empche le sujet de ressentir la grande souffrance du besoin rel, et darriver par l le rsoudre. Une femme pourra passer entre les bras de dizaines damants sans jamais rsoudre le besoin de lamour de ses parents. Un professeur pour- ra donner des cours des milliers dtudiants et nan- moins prouver un besoin dsespr dtre cout et compris par ses parents besoin inconscient qui le poussera faire toujours davantage de cours. La lutte napporte jamais de satisfaction, prcisment parce quelle est symbolique et non relle. Tout besoin rel ou tout sentiment rprim qui d- coule de la relation qua eu le sujet dans son enfance avec son pre ou avec sa mre, doit tre djou symbo- liquement, tant quil ne sadresse pas eux. La thrapie primale a pour objet daider le sujet devenir rel, en atteignant, par-del le comportement symbolique, ses sentiments rels. Cela revient aider le malade dsirer ce dont il a besoin. Le tout petit enfant qui se dveloppe normalement, dsire ce dont il a besoin parce quil res- sent ses besoins. Lorsquil devient nvros, ses dsirs et ses besoins se sparent (parce quil ne peut avoir ce dont il a besoin), de sorte quil se met dsirer ce dont il na pas besoin. Chez ladulte, cela peut se manifester par un besoin excessif dalcool, de drogue, de vtements ou dargent. Le sujet poursuit ces objets pour soulager la tension cre par des besoins rels non reconnus. Mais il ny aura jamais assez dalcool, de drogue, de vtements ou dargent pour combler le vide.
CHAPITRE 3
LA SOUFFRANCE
Pour bien comprendre la thorie primale et la thrapie primale, il est indispensable de connatre la raction de lorganisme humain la souffrance. J e tiens indiquer brivement quelques recherches scientifiques qui mont aid formuler ma thorie. Dans ses recherches sur la contraction et sur la dilata- tion de la pupille en rponse certains stimuli, E. H. Hess 1 a constat que la pupille se dilate sous leffet dun stimulus agrable, tandis quelle se contracte sous leffet dun stimulus dsagrable. Lorsquon montrait aux sujets sur lesquels a t faite lexprience, des scnes de torture, leurs pupilles se contractaient; de mme, quand on leur demandait de se remmorer ces scnes pnibles, on provoquait une contraction involontaire et automa- tique de la pupille. J e pense que le mme phnomne, mais gnralis lensemble de lorganisme, se produit chez lenfant qui se voit affront des scnes pnibles. Devant la souffrance, lorganisme tout entier a un mou- vement de recul auquel participent les organes des sens, les processus crbraux, le systme musculaire, etc., ainsi que lont dmontr les expriences de Hess. J affirme que le fait de se dtourner dune grande souffrance est un rflexe humain qui se manifeste aussi
1 E. H. Hess et J . M. Polt, Pupil Size in Relation to Interest Value of Visual Stimuli , Science, vol. 132 (1960), pp. 349-350. bien quand il sagit de retirer les doigts dun fourneau brlant, ou de dtourner les yeux devant une scne par- ticulirement horrible dun film dpouvante, que quand il sagit de dissimuler son moi des penses et des sen- timents douloureux. J e crois que ce principe de la rac- tion la souffrance est essentiel pour le dveloppement de la nvrose. Lors de la scne primale, lorganisme de lenfant se ferme une prise de conscience totale et la repousse dans linconscient, de la mme manire que sous leffet dune souffrance physique excessive, le plus solide dentre nous perd conscience. La souffrance primale est une souffrance non ressentie et, vue sous cet angle, la nvrose peut tre considre comme un rflexe : la raction instantane de lorganisme tout entier la souf- france. T. X. Barker a fait des tests physiologiques sur des su- jets placs sous hypnose 1 . Ces sujets apparemment veills taient avertis sous hypnose quils ne ressenti- raient rien alors quon leur infligerait des stimuli dou- loureux; ils rapportaient par la suite navoir rien ressenti bien que toutes les mesures effectues aient indiqu que physiquement, ils avaient ragi la douleur. Au cours dautres expriences, on a pu enregistrer des modifica- tions du trac des encphalogrammes sur des sujets placs sous hypnose qui rapportaient navoir rien res- senti de la douleur qui leur avaient t inflige. Du point de vue de la thorie primale, cela semblerait indiquer que le corps et le cerveau ragissent constam-
1 T. X. Barker et J . Coules, Electrical Skin Conductance and Galvan- ic Skin Response During Hypnosis , International Journal of Clini- cal and Experimental Hypnosis, vol. 7 (1959), pp. 79-92. ment la souffrance, mme quand lindividu ne se rend pas compte quil souffre. Les mesures physiologiques rvlent que lorganisme du sujet continue ragir aux stimuli douloureux, mme aprs labsorption danalgsiques. Autrement dit, la raction physique la souffrance et la prise de conscience de la souffrance peuvent tre deux phnomnes distincts. Puisque lorganisme se ferme une douleur intol- rable, il a besoin de quelque chose pour cacher et rpri- mer les souffrances primales. Cest la nvrose qui as- sume cette fonction. Elle distrait le sujet de la souf- france et le dirige vers lespoir, cest--dire vers ce quil peut faire pour satisfaire ses besoins. Comme le nvros a tant de besoins la fois pressants et insatisfaits, ses facults perceptives et cognitives doivent tre dtour- nes de la ralit. Le blocage de la souffrance est une notion capitale dans ma thorie, car je crois que la facult de ressentir est un tout, qui met en jeu lorganisme entier, et si nous bloquons des sentiments aussi importants que les souf- frances primales, nous mettons obstacle notre capacit de ressentir quoi que ce soit. Les sentiments primals sont comparables un rser- voir gant dans lequel nous puisons. La nvrose est le couvercle de ce rservoir. Elle sert rprimer presque tous les sentiments, aussi bien le plaisir que la douleur. Cest pourquoi les malades sont unanimes dclarer aprs la thrapie, quils sont nouveau capables de ressentir . Ils disent que cest la premire fois depuis leur enfance, quils ressentent rellement du plaisir. Cette notion dun rservoir de souffrances primales lintrieur du nvros va au-del de la simple mta- phore. Les malades lvoquent souvent eux-mmes sous une forme ou sous une autre (ce dpotoir de souffrances quils portent lintrieur deux-mmes). Par exemple, chaque fois que lenfant est battu par son pre, son sen- timent est : Papa, je ten prie, sois gentil avec moi, sil te plat, ne me fais pas si peur ! Mais, pour une foule de raisons, lenfant ne le dit pas. En gnral, il est telle- ment prisonnier de la lutte quil na pas conscience de ses sentiments; mais, mme sil sen rendait compte, une pareille franchise ( Papa, tu me fais peur ), repr- senterait une telle menace pour le pre quelle risquerait fort de rapporter lenfant une correction encore plus violente. Cest pourquoi lenfant djoue ce quil ne peut pas dire en tant plus circonspect, en sexcusant davan- tage, en tant plus effac, mieux lev et plus poli. Les souffrances primales sont emmagasines une par une en couches superposes de tension qui cherchent se librer. Elles ne peuvent tre libres quen tant connectes leur origine. Il nest pas ncessaire que le sujet revive et connecte un un tous les incidents, mais il faut quil ressente le sentiment gnral qui a t la base de nombreuses expriences quil a vcues. Dans lexemple que nous venons de voir, quand le sentiment est rattach au pre, le sujet sera bombard de toute une srie de souvenirs successifs (emmagasins dans le rservoir ) o lenfant a eu peur de son pre. Cela prouve bien lexistence de scnes primales cl, cest-- dite de scnes qui sont reprsentatives des nombreuses expriences dont chacune est relie au sentiment central. Le processus primal vide mthodiquement le rservoir de souffrances. Quand ce rservoir est vide, jestime que le malade est rel, quil est guri. Toute souffrance primale implique le besoin sous- jacent de survivre. Tout jeune, lenfant fait ce quil a faire pour plaire ses parents. Un malade exprimait cela ainsi : J e me suis cart de moi-mme. J ai tu le petit J immy parce quil tait brutal, turbulent et exubrant et quils voulaient un petit garon docile et bien lev. Si je voulais survivre, avec des parents dingues comme les miens, il me fallait me dbarrasser du petit J immy. J ai tu mon meilleur ami. Ctait un march de dupes, mais je navais pas le choix ! Comme nous tions lorigine des tres entiers, notre moi rel fait constamment pression pour remonter la surface et tablir ces connexions. Sil ny avait pas en nous un besoin inhrent dtre entiers, le moi rel pour- rait tre mis de ct pour de bon, il reposerait tranquil- lement au fin fond de nous-mmes et ne tenterait jamais de venir simmiscer dans notre comportement. Le mo- teur de la nvrose est le besoin de redevenir entier, le besoin de retrouver le moi naturel. Le moi irrel est lobstacle, lennemi qui doit finalement tre dtruit. Le thrapeute primal doit fournir un effort consid- rable pour contraindre lorganisme se replonger dans les souffrances de lenfance. Si fort que soit le dsir de gurir du patient, il rsiste toujours quand il sagit de ressentir les sentiments qui font mal. En fait, la plupart des malades ont peur de devenir fous quand ils sont sur le point de ressentir ces souffrances. De notre point de vue, laspect le plus significatif de la souffrance primale rside dans le fait quelle reste emprisonne lintrieur de nous-mmes, aussi intacte et aussi intense quau jour o elle a commenc dexister. Elle nest en rien altre par les circonstances de la vie et par les expriences du malade, quelles quelles soient. Des malades de quarante-cinq ans revivent ces exp- riences (qui se sont droules quarante ans auparavant) dans toute leur intensit dvastatrice, comme sils les vivaient pour la premire fois. Dailleurs, je crois que cest effectivement ce quils font. Ils nont jamais fait lexprience entire de leur souffrance; elle navait jamais t compltement vcue et avait t dissimule avant que son impact total nait pu tre ressenti. Mais cette souffrance est terriblement patiente. Chaque jour de notre vie, elle se rappelle nous par des moyens divers et fort subtils. Il est rare quelle se mette crier pour rclamer sa libration. Ce qui est plus frquent, cest que la souffrance de- vienne bien imbrique dans la personnalit, de sorte quelle nest ni ressentie ni reconnue. Le systme nvro- tique djoue alors la souffrance. Ce mcanisme est automatique, car il faut que la souf- france trouve un exutoire, que celui-ci soit reconnu ou non. Ce peut tre le sourire perptuel qui demande : Soyez gentils avec moi , ou le trouble physique qui insiste : Occupez-vous de moi , ou encore un com- portement turbulent et bruyant, ou le dsir de briller en socit, qui semble toujours dire : Papa, fais attention moi. Quelle que soit la situation dun homme dans la vie, que son systme de dfenses soit fruste ou trs labor, si lon gratte un peu la surface, sous la couche de vernis, on trouve un enfant meurtri. J e tiens souligner que lexprience de la souffrance primale ne consiste pas seulement connatre, mais tre cette souffrance. Tout homme est une entit psy- chophysique et je crois que toute approche qui divise cette unit est voue lchec. Les cliniques dittiques, les cliniques de rducation de la parole, et mme les cliniques psycho-thrapeutiques travaillent suivant des mthodes qui isolent les symptmes et les traitent ind- pendamment de lensemble du systme. Or, la nvrose nest ni une maladie affective, ni une maladie mentale, elle est les deux. Pour redevenir entier, il est ncessaire de ressentir et de reconnatre le clivage et de crier la connexion qui rendra son unit lindividu. Plus le clivage est ressenti intensment, plus lexprience de runification est intense et essentielle. Selon la thorie primale, toutes les souffrances pr- sentes qui sont excessives ou qui ne correspondent pas la ralit, se rattachent au rservoir de souffrances pri- males. Lexistence de ce rservoir explique pourquoi un sentiment pnible dure bien au-del du temps qui cor- respondrait une critique ou un ennui normalement sans grande importance. Nous avons sans doute tous parmi nos relations un de ces tres hostiles ou craintifs, qui sans raison apparente, semble sveiller tous les matins aussi hostile ou crain- tif. Do viennent ces sentiments quil retrouve tous les jours ? A mon avis, ils sont tirs du rservoir de senti- ments primals. Tout ce qui produit une brche dans la faade irrelle, touche ce rservoir et provoque une pousse ascen- dante de souffrance. J avais par exemple une malade dont la mre critiquait toujours lapparence extrieure. Un jour, un ami lui dit en passant que ses jolis yeux bleus ne semblaient pas aller avec ses cheveux de jais. Cette remarque apparemment anodine fit renatre en elle le sentiment dtre rejete, et elle avait beau savoir que son ami navait pas voulu lui faire de la peine, elle ne pouvait se dbarrasser de son sentiment. Parler de cet incident rcent en thrapie tait un moyen de laider atteindre sa souffrance. Ressentir cette souffrance pri- male est ce que jappelle avoir ou faire un primal. Il peut arriver que lon vous fasse une foule de com- pliments au cours dune soire, mais il suffit dune toute petite critique pour que ces compliments paraissent ngligeables, parce quelle fait remonter en vous le sentiment que vous avez eu toute votre vie dtre sans valeur, de ntre pas la hauteur ou de navoir jamais t dsir, etc. Souvent les nvross sont attirs par les critiqueurs, parce quils peuvent alors lutter symboli- quement avec des substituts de leurs parents pour es- sayer darriver triompher de la critique. Cest le mme processus dynamique qui poussera quelquun se lier une personne froide et distante, pour pouvoir ( travers elle), vaincre la froideur de ses parents. Cest lessence mme de la lutte nvrotique recrer la situation ori- ginelle de lenfance pour essayer de la rsoudre, pouser un homme faible pour essayer de le rendre fort, ou pouser un homme fort et le harceler sans piti de faon ce quil devienne faible et sans ressort. Pourquoi les gens pousent-ils symboliquement leur pre ou leur mre ? Pour les rendre rels et affectueux. Comme cela est impossible, on peut uniquement garantir que la lutte se poursuivra. On peut ce point poser la question suivante : Comment savez-vous que le nvros souffre vraiment dune grande douleur ? J e rpondrai que chez tous les patients que jai vus, quel quait t le diagnostic psy- chiatrique, la souffrance est remonte la surface ds que les dfenses ont t brises. La souffrance est tou- jours prsente, mais elle est diffuse dans tout lorganisme et se traduit par un tat gnral de tension. On me posera alors une seconde question : Com- ment savez-vous que le sujet ne ragit pas tout simple- ment la souffrance que lui impose le thrapeute ? Dabord, le thrapeute nimpose pas une souffrance. Lattaque du systme de dfenses permet au patient de ressentir son moi, ses besoins, ses dsirs et ses souf- frances. Ensuite, une fois que la plus grande partie de la barrire pense-sentiments est dtruite, les sentiments jaillissent constamment et de faon spontane. Enfin, la souffrance ramne immdiatement le patient sa propre existence et ne se concentre presque jamais sur le thra- peute. J e ne sais par quelle curieuse dmarche de lesprit, on en est venu croire que ce sont les tres qui supportent le mieux la souffrance qui ont le plus de valeur et qui sont les plus forts. Celui qui sait souffrir en silence, est un homme , quelquun qui peut encaisser . Pour- tant, cest lindividu irrel qui supporte le mieux . Parce quil est immunis contre la souffrance. On dirait vraiment quon veut donner celui qui souffre le mieux, qui se renie le plus, la mdaille du Club des Nvross ! On dirait que la civilisation occidentale a tabli une relation directe entre la vertu et le reniement de soi, non seulement dans la vie religieuse o le renoncement est exalt, mais aussi dans la vie de tous les jours o lhomme travaille dur pour nourrir sa famille et meurt prmaturment des suites de son sacrifice. Celui qui na jamais eut le temps de se consacrer lui-mme et qui a fait abngation de lui-mme, finit par se sacrifier au sens littral du terme. Cest dans ce sens seulement que je crois pouvoir dire que lirralit tue.
CHAPITRE 4
SOUFFRANCE ET MEMOIRE
Lors du premier clivage nvrotique, il semble quil se produise galement un clivage au niveau de la mmoire. Il y a des souvenirs rels qui sont mis en rserve avec la souffrance, et des souvenirs lis au systme irrel. Le systme irrel joue le rle dcran, il filtre ou bloque les souvenirs qui conduiraient la souffrance. A chaque nouvelle scne primale, le jeune enfant se voit contraint doblitrer une fraction plus importante de son exp- rience vcue, de sorte que chaque grande souffrance primale est entoure de tout un groupe dassociations qui sont bannies du niveau de la pleine conscience. Plus le traumatisme est profond, plus il risque daffecter certains aspects de la mmoire. Selon lhypothse primale, ces souvenirs refouls sont emmagasins avec la souffrance et ils sont ractivs quand la souffrance est ressentie. En thrapie primale, les malades sont toujours surpris de la faon dont la thrapie fait sauter les digues de la mmoire. J ai connu le cas dune femme qui commena la thrapie en revi- vant des expriences qui dataient de ses six mois, et qui, les jours suivants, revcut son existence anne aprs anne, jusqu ce quelle ait remont le cours de sa vie. A chaque sance, sa mmoire slargissait beaucoup, mais elle ne dpassait jamais lge dans lequel elle stait situe le jour de la sance en question. Ainsi, le jour o elle se souvint quon lavait laisse seule dans son lit denfant, elle se souvint aussi de la maison o elle habitait cette poque-l, de la faon dont ses grands-parents venaient jouer avec elle, et de son frre qui la pinait alors quelle tait sans dfense. La mmoire est troitement lie la souffrance. Le sujet tend toujours oublier les souvenirs trop doulou- reux pour tre intgrs et accepts par la conscience. Cest pourquoi le nvros aura toujours des souvenirs incomplets dans certaines zones dangereuses. Voici quelques exemples de sances o les patients ont revcu des scnes primales. Premire scne. Une institutrice de trente-cinq ans la revit avec une agitation croissante. Elle est dans un fauteuil roulant. On la pousse le long du couloir. Il fait sombre. On la met sur le lit. Elle est seule. Cest pou- vantable... Oooh ! (A ce moment, elle se recroqueville sur elle-mme, comme si elle avait reu un coup au ventre.) Mon Dieu, on me met au lit pour trois ans; je ne peux pas le supporter ! J e ne peux pas le suppor- ter ! Elle retrouva le souvenir de cette scne au cours du quatrime mois de thrapie. Ce jour-l, elle tait agite en arrivant, sans savoir pourquoi. Son trouble augmen- tait au fur et mesure quelle parlait et quelle ressen- tait : elle commena son rcit la troisime personne : Elle est dans un fauteuil roulant ! Elle se recroque- villa brusquement lorsquelle passa de la troisime per- sonne, elle , la premire personne, je , du moi divis au moi unifi. En disant : J e ne peux pas le supporter , elle hurlait et se tordait de douleur. Tout cela se rapportait au jour o on avait dcouvert quelle souffrait dun rhumatisme cardiaque et quelle devrait rester au lit pendant trois ans; elle avait alors cinq ans. Ctait une exprience si tragique quelle dut sen dta- cher pour la rendre tolrable; partir de ce jour, elle se vit vivre comme si elle tait deux personnes. Ctait comme si elle disait : Ce nest pas moi que cela arrive, cest elle. (Ainsi que nous lavons indiqu prcdemment, les parents ne sont pas toujours directement impliqus dans les scnes primales. Mais je crois que si les parents sont gentils et sils aiment leur enfant, il ny aura pas en lui de clivage nvrotique, quel que soit le traumatisme. J ai le souvenir dune femme qui se rappelait les bombes qui tombaient sur son orphelinat la frontire entre lItalie et la Yougoslavie. Le sentiment principal demeurait toujours : Maman, jai peur, o es-tu ? Reviens me protger, je ten prie ! Aprs son primal, elle expli- quait que pour elle, la guerre avait t terrifiante, parce quelle navait personne pour lui expliquer ce qui se passait, personne pour la protger et lui donner une impression de scurit. Elle ne pouvait, son ge, sou- tenir toute seule une telle tension.) J usquau jour de son primal, la scne dcrite par la femme au rhumatisme cardiaque, navait t quun souvenir brumeux. Elle se rappelait quelle avait colori des albums, bu du lait au lit, etc., mais rien de trs net : la souffrance avait emport avec elle, au fond dun royaume enfoui, les souvenirs plus profonds. Aprs avoir revcu cette scne, elle dit quelle sentait les muscles de ses jambes et les os de ses pieds. Elle com- prit soudain pourquoi elle avait toute sa vie vit mme le dsir dune activit physique. Elle avait en effet atro- phi non seulement tout dsir conscient, mais aussi les membres qui devaient excuter ses dsirs instinctifs de courir et de jouer. Il fallut quatre mois de thrapie pour faire remonter ce souvenir. Mais, ce moment-l, il survint presque automatiquement comme si le corps tait maintenant prpar supporter une plus grande souffrance et ca- pable de rsister son impact. Le souvenir stait re- constitu en remontant le cours du temps. Dabord il y avait eu le souvenir dans le cadre du clivage : elle se dcrivait et parlait de ce qui lui tait arriv la troisime personne. Ensuite la malade se souvenait de fragments, de certains dtails : le fauteuil roulant pouss tout le long du couloir, le fait dtre porte au lit, etc. Ces sou- venirs fragmentaires avaient fus comme des ptards en chane jusquau moment unique, total, de lexplosion o elle revcut le clivage lui-mme (o le elle devint je ) et o elle redevint une. Deuxime scne. Une jeune femme de vingt-trois ans eut au cours de la deuxime semaine de thrapie le sou- venir suivant : J avais sept ans. On memmena voir ma mre dans un hpital ou quelque chose comme a. J e vois son peignoir bleu, et les draps blancs et raides; je vois ses cheveux bouriffs, comme si elle ntait pas coiffe. J e massieds sur le lit... je ne sais pas... cest tout ce dont je me souviens. J e la pousse vers le sen- timent, je lui demande de regarder. Elle poursuit : J e crois que jtais assise ct de maman. J e la regarde... Oooh ! Ses yeux ! ses yeux ! Elle ne sait pas qui je suis. Elle est folle ! Maman est folle ! Ce souvenir ouvrit une grande brche. La patiente avait toujours cru quelle avait rv que sa mre avait tent de la tuer, mais elle se souvint plus tard que, dans un moment de dpression nerveuse, sa mre avait effec- tivement essay de tuer ses enfants. Immdiatement, son souvenir slargit. Elle sut que ctait dans un hpital psychiatrique quon avait mis sa mre. Elle stait tou- jours souvenue de certains aspects fragmentaires de la scne : la visite lhpital, la monte dans lascenseur, etc., mais jamais elle ne stait souvenue davoir relle- ment vu sa mre et davoir pris conscience de son vri- table tat. Les clivages quavaient provoqus ces scnes peuvent tre compars des tats amnsiques, pas aussi com- plets ni aussi dramatiques que les cas dont on entend parler, mais si la situation est totalement inacceptable, comme par exemple le viol par le pre (cest un cas que nous avons eu parmi nos malades), il peut y avoir de larges zones o la souffrance oblitre un ou deux ans avant ou aprs lvnement en question. Parfois, lhypnose est capable de ressusciter quelques-uns de ces vieux souvenirs en annihilant le facteur souffrance; mais je ne crois pas que lhypnose puisse atteindre les do- maines et les souvenirs o la souffrance lemporte sur tout. La malade qui, un trs jeune ge, avait t viole par son pre na pu retrouver ce souvenir quau bout dune trentaine de sances de thrapie primale et encore ny est-elle parvenue que par tapes. Un jeune homme de vingt-sept ans se remmorait en thrapie son enfance lorsquil tomba sur un souvenir quil avait compltement oubli : celui davoir t heur- t un jour par une balanoire. Il y avait une nette dispro- portion entre ce souvenir et la souffrance quil ressentit ce moment-l. Il revcut les choses dans lordre sui- vant : J e ne sais pas pourquoi je me sens si mal. Il y a une balanoire et elle va me heurter. Elle massomme littralement. Oh ! il faut quil y ait autre chose. O est maman ? Maman, maman ! Cest a, personne nest venu, personne nest jamais venu. J tais toujours seul et personne ne se souciait de savoir o jtais. Oooh ! maman, maman, occupe-toi de moi, je ten prie ! Il dit que sil avait oubli tout ce qui stait pass alors cet endroit, cest quil navait jamais voulu se rendre compte quel point il tait seul et rejet : Cest comme a que jai oubli toute cette histoire de balan- oire ! Le souvenir davoir t heurt par une balan- oire ntait pas important en lui-mme; le sens de lvnement tait catastrophique, et cest ce sens, savoir que personne ne se souciait de lui, quil niait et djouait toute sa vie par des tentatives dobtenir quon se soucie de lui. Quand il fut prt affronter le fait que sa mre, dont il se croyait aim, ne se souciait pas le moins du monde de lui et ne sen tait jamais soucie, le souvenir de la balanoire devint conscient, total et rel. Les souvenirs du nvros tiennent souvent du rve et il arrive que le patient ait autant de difficults se sou- venir de sa petite enfance qu se rappeler certains de ses rves. J e crois que pour que le sujet ait un souvenir concret, il faut une exprience concrte cest--dire que le sujet doit tre engag entirement dans son exp- rience et ne pas en tre coup par la peur ou lagitation. J ai vu des patients qui avaient travers la vie en igno- rant peu prs compltement ce qui se passait autour deux. Ils se plaignent souvent de navoir pas vcu leur vie. Cest leur moi irrel que tout arrivait. Ils allaient travers la vie sans tre jamais tout fait l . Dhabitude, ils vivaient labri dune sorte de barrire qui amortissait limpact de leurs expriences et ne lais- sait passer que ce qui tait agrable. Au fur et mesure que le malade, au cours de la thrapie primale, ouvre des brches dans cette barrire, il dcouvre le vrai sens de ses expriences et de ses comportements, mouss jusque-l par la souffrance. J e pense que les souvenirs sont refouls dans la me- sure o ils sont lcho dlments ressemblant aux souf- frances des scnes primales cl. Si une insulte dans le prsent fait renatre une blessure ancienne et refoule par exemple, se sentir stupide celle-ci peut rester oublie ou revenir la mmoire de faon vague. Lintensit du souvenir dpendra du degr de similitude qui existe entre la situation et le sentiment nouveaux et la souffrance ancienne. La notion selon laquelle la mmoire irrelle prend naissance lors de la scne primale majeure initiale, comporte de nombreuses implications. Par exemple, un nvros peut avoir une mmoire phnomnale de dates, de lieux et de faits historiques, mme en ce qui concerne sa propre vie, et pourtant cette mmoire ne lui sert peut- tre qu tayer la faade irrelle qui dit : Regardez comme je suis brillant et instruit. Cela nempche pas quen profondeur, sa mmoire puisse tre totalement bloque. La mmoire du moi irrel est slective et les souvenirs restent vivants pour soulager la tension et renforcer lego . Cela veut dire que ce quon appelle une bonne mmoire nest souvent, pour le nvros, quun moyen de dfense contre une mmoire relle. Le cas suivant pourra aider clarifier la relation entre la souffrance et la mmoire. Une jeune femme, dune vingtaine dannes, faisait de bons progrs en thrapie : elle avait fait deux primals et avait beaucoup dinsights. A la fin de la deuxime semaine, elle eut un grave acci- dent de voiture. Elle eut de nombreuses fractures et on diagnostiqua une commotion crbrale. Lorsquelle reprit connaissance, elle navait aucun souvenir de laccident. Ses mdecins doutaient quelle en retrouve jamais le souvenir et ils lui dirent que si ce souvenir ne revenait pas dans les semaines suivantes, il tait vrai- semblable quelle ne le retrouverait jamais. Au bout de plusieurs semaines, elle tait suffisamment remise pour reprendre sa thrapie. Avant la premire sance, elle commena souffrir de crampes destomac et, pendant trois jours, elle ne put aller la selle. A la suite dun primal qui se rapportait une des grandes souffrances de sa petite enfance, elle fut automatique- ment et sans directives amene sa souffrance la plus rcente : son accident de voiture. Sans effort conscient de mmoire, elle revcut tout le traumatisme dans tous les dtails, du dbut jusqu la fin. Elle vit la voiture venir sur elle, entendit le choc, sentit le coup sur son crne, et poussa le cri pouvantable quelle navait pu pousser sur le moment. Elle put parler de tous les dtails de laccident, sans la moindre imprcision de la pense. Cet exemple montre bien que les effets physiques dune commotion crbrale ne sont peut-tre pas seuls responsables dune perte de mmoire; la souffrance qui laccompagne peut contribuer lenfouissement dun vnement catastrophique. Si cette hypothse est juste, il sera possible, dans le cas de traumatismes graves tels que le viol, de faire faire un primal un sujet pour quil retrouve le souvenir de lvnement. J e ne crois pas quun nvros puisse avoir une m- moire complte tant quil a des souffrances primales. Il semble quaprs la thrapie primale, la mmoire samliore considrablement, et la plupart des patients remontent sans difficult jusquaux premiers mois de leur vie en retrouvant un souvenir aprs lautre. Cest comme si lexprience de la souffrance primale faisait clater les barrires de la mmoire.
CHAPITRE 5
NATURE DE LA TENSION
En termes primals, il ny a pas de nvrose sans ten- sion. J entends par l non pas la tension naturelle dont chacun dentre nous a besoin pour agir, mais une ten- sion anormale, qui na pas sa place chez ltre psycho- logiquement normal. Cette tension qui nest pas natu- relle est chronique chez le nvros, elle reprsente la pression des besoins et des sentiments nis ou non rso- lus. Quand je parlerai de tension, cest toujours de la tension nvrotique quil sera question. Au lieu de res- sentir des sentiments rels, le nvros ressent divers degrs de tension. En gnral, il se sent bien lorsquil est moins tendu, et lorsque la tension augmente, il se sent mal. Ce que le nvros cherche obtenir par son comportement est de se sentir mieux. Do vient la tension et quelle est sa fonction ? J e pense que la tension, en tant que partie de la nvrose, est un mcanisme de survie qui pousse lorganisme vers la satisfaction de ses besoins ou le protge, lempchant de ressentir des sentiments dsastreux. Dans les deux cas, elle essaie de maintenir lintgrit et la survie de lorganisme. Lorsque, par exemple, nous ne recevons pas de nourriture, la tension, en slevant, nous pousse chercher des aliments pour satisfaire notre besoin. Si nous ne sommes pas pris dans les bras ou stimuls, le besoin nous incite laction. Si on laisse un besoin insatisfait persister chez l'enfant pendant ses premiers mois et ses premires annes, cette insatisfaction finit par devenir douloureuse et intolrable; pour supprimer la souffrance, le besoin est supprim et demeure sous forme de tension. Cette tension se maintiendra jusqu ce que le besoin soit connect avec la conscience et rsolu. Il en est de mme dun mouvement quon r- prime (ne cours pas, reste tranquille sur ta chaise, etc.); il restera sous forme de tension jusqu ce quil soit connect et rsolu. En rsum : tout refoulement dcisif dun sentiment ou dun mouvement dans les premiers temps de la vie, devient un besoin jusqu ce quil soit ressenti, exprim et par l mme, rsolu. Cest la peur qui maintient la dconnexion. La peur donne lalerte ds que la souffrance (le besoin ou le sentiment qui la provoquerait) approche de la cons- cience. Elle fait entrer en action le systme de dfenses qui fait appel toutes les manuvres susceptibles de tenir le besoin lcart. La peur est une raction auto- matique qui fait partie des mcanismes de survie. Elle prpare lorganisme parer au coup, de la mme ma- nire quon se contracte avant de recevoir une piqre. Si le systme ne russit pas se protger de la souffrance, la peur devient consciente, et cest lanxit. En gnral, la peur non plus nest pas ressentie consciemment; elle fait partie du rservoir de tension. Lanxit est la peur que lon ressent mais que lon nidentifie pas exactement. Elle nat quand le systme de dfenses est affaibli et quil laisse le sentiment re- dout sapprocher du niveau de la conscience. Comme ce sentiment nest pas connect, lanxit reste souvent indfinie. Elle est toujours fonde sur la peur de ntre pas aim. La plupart dentre nous se dfendent de lanxit en adoptant un type de personnalit qui leur vite de sentir quel point ils ne sont pas aims. La personnalit est un moyen de protection. Elle a pour fonction de satisfaire les besoins de lenfant. Au- trement dit, il essaiera dtre ce qu ils veulent pour qu il puisse enfin tre aim. Cest en essayant dtre eux quil engendre la tension. Etre soi-mme llimine. Etre soi-mme, cest tre entier, corps et es- prit tant connects. Prenons par exemple un petit gar- on qui a besoin que son pre le prenne dans ses bras et dont le pre pense quentre hommes , on ne sembrasse pas. Lenfant, pour essayer dtre un homme aux yeux de son pre, refoule son besoin et adopte un comportement bourru. Cette personnalit bourrue fait natre la tension et la fixe la fois. Lorsque cet enfant grandit, il a un ulcre et est envoy en psychothrapie. Aprs les premires sances de thrapie, je le traite de pdale. Maintenant il est anxieux. J ai dcouvert son point faible autrement dit, jai mis le doigt sur le besoin quil a refoul et qui a pu se transformer en ten- dances homosexuelles latentes. Il se met peut-tre en colre cause de mes paroles, mais cette colre nest quun moyen de dissimuler sa blessure relle une dfense pour ne pas ressentir son besoin rel. Sa colre est une faon de dcharger sa tension. Au dpart il a adopt ce comportement bourru pour obtenir lamour de son pre, mais cette motivation est enfouie depuis long- temps. Lui interdire dtre bourru, cest lui faire voir quil na jamais t ni aim, ni accept cest le con- fronter avec le dsespoir primal. Tout comportement prsent fond sur des sentiments nis dans le pass (inconscients) est un comportement symbolique. Cest--dire que le sujet essaie travers sa conduite prsente, de satisfaire un besoin ancien. Tout comportement prsent fond sur ces besoins incons- cients est ce que jappelle un djouement . Cest en ce sens qu'on peut dire que la personnalit est le d- jouement du nvros. La faon dont il se tient, dont il marche, dont il regarde sont des attitudes par lesquelles il ragit des sentiments anciens enfouis. Seule la connexion peut mettre un terme la tension chronique du nvros. Dautres activits peuvent soula- ger momentanment la tension, mais elles ne la rsol- vent pas. J e ne crois pas quil y ait une tension fonda- mentale inne ou une anxit fondamentale chez ltre humain. Ce sont des lments qui se dveloppent partir de conditions nvrotiques de lenfance. Tout n- vros est tendu, quil en soit conscient ou non. Nvrose nest pas synonyme de dfenses. Le terme de nvrose est plus large et il indique la manire dont sont organises les dfenses du sujet; les divers types de nvrose correspondent simplement aux divers types de structures de dfense que lon peut rencontrer. Comme le nvros peut utiliser toutes sortes de dfenses dans sa vie quotidienne, il ne peut y avoir de type pur. En gn- ral, le nvros choisit un style (par exemple : intellectuel outrance) auquel, pour plus de commodit, nous met- tons ltiquette dune certaine catgorie de nvrose. Toute nvrose suppose lexistence dun systme irrel qui convertit les sentiments rels en tension. Pour la plupart, les sentiments et les besoins humains sont assez semblables. Ce qui est plus compliqu, cest la faon dont nous nous en dfendons. Mais il ny a aucune rai- son de sarrter ces complications si lon peut at- teindre ce quelles cachent. Tant que les souffrances primales demeurent, le n- vros sen dfend par la tension. Sa personnalit est la faon plus ou moins quilibre quil a trouve pour sen dfendre. Enlever ses souffrances, cest lui enlever sa personnalit. Transposons cela en termes dnergie. La loi de la conservation de lnergie nous dit que lnergie ne se perd pas, elle peut seulement tre transforme. J e consi- dre les sentiments primals originels comme tant es- sentiellement une nergie neurochimique qui est trans- forme en nergie mcanique ou cintique, crant un mouvement physique constant, ou une pression interne. La thrapie primale a pour but de retransformer cette nergie pour lui faire reprendre sa forme originelle et supprimer ainsi la force intrieure qui contraint le sujet laction compulsive. Cest ce sentiment de pression qui est la raison pour laquelle tant de nvross se sentent agits ou nerveux, pourquoi ils ne peuvent rester en place, pourquoi ils doivent constamment faire quelque chose. Il ne faut pas oublier que la tension est un ph- nomne qui implique le corps entier. Chaque nouveau sentiment bloqu ou chaque besoin insatisfait ajoute son poids la pression intrieure qui affecte le systme tout entier. Il est possible de se dbarrasser de la tension de faon mcanique en jouant au tennis, au handball, en cou- rant, etc. En fait, la plupart de ceux qui vivent sur leurs nerfs , usent leur tension. Mais il ny a aucun moyen dliminer les sentiments primals, par cons- quent, la tension semble tre perptuelle. J e comparerais les gens qui passent leur vie essayer de se dbarrasser de leur tension, aux poulets dcapits qui continuent courir. En un certain sens, le nvros est lui aussi dca- pit tant quil narrive pas connecter les actions de son corps avec les raisons spcifiques de ces actions. Grce lampleur des ractions physiques la ten- sion, il existe de nombreux moyens de la mesurer. Le chercheur E. J acobson dfinit la tension en termes de contraction musculaire 1 . Pour lui, la tension prpare le corps une sorte de locomotion (la fuite) et il en rsulte un raccourcissement des fibres musculaires. Les modifi- cations dont ces fibres sont le sige, entranent une augmentation de la tension lectrique, ou du voltage, que lon peut mesurer avec un appareil lectronique : llectromyographe. Mais cet appareil est encore trop imprcis pour mesurer les changements minimes qui se produisent dans les fibres musculaires. J acobson tablit nanmoins que la tension affecte tout notre systme musculaire, fatiguant lorganisme aussi bien quand il est veill que pendant son sommeil. Cela explique pour- quoi le nvros est souvent plus fatigu au rveil quil ne ltait quand il sest couch. La tension est non seulement un phnomne qui af- fecte lorganisme tout entier, mais elle a galement tendance se concentrer dans les zones les plus vuln-
1 E. Jacobson, Electrophysiology of Mental Activities , American Journal of Psychology, vol. 44 (1932), pp. 627-694; Variation of Blood Pressure with Skeletal Muscle Tension and Relaxation , Annals of International Medecine, vol. 13 (1940), p. 1619; The Affects and their Pleasure-Unpleasure Qualities in Relation to Psychic Discharge Processes , dans R. M. Loewenstein, d., Drives, Affects and Behavior (New York, International Universities Press, 1953). rables. Au cours de ses recherches, Malmo a montr que la plupart dentre nous prsentent des zones-cibles qui, sous leffet du stress, sont le sige dune augmenta- tion de tension 1 . Par exemple, chez un sujet souffrant dune douleur chronique dans la partie gauche de la nuque, on enregis- trera dans une situation prouvante une tension bien plus forte dans cette partie que dans la partie droite. Bien que la tension soit toujours la pression intrieure qui rsulte des sentiments dnis, elle se manifeste dif- fremment chez chaque individu. Un tremblement, des nuds lestomac, une raideur des muscles du sque- lette, une oppression sur la poitrine, des grincements de dents, des malaises, un sentiment de malheur imminent, des nauses, la gorge serre ou les jambes en coton sont des expressions diverses de la tension. Cest la tension qui entretient un mouvement incessant des lvres, con- tracte les muscles des mchoires, fait battre continuel- lement des paupires, cogner le cur, semballer lesprit, taper du pied, et rend le regard incapable de se fixer. Il ny a pas lieu dinsister. La tension est insup- portable et elle se manifeste de faons trs diverses. Nous sommes si nombreux vivre dans un perptuel tat de tension que nous en sommes venus croire que cela faisait tout simplement partie de la nature humaine. J e suis persuad que tel nest pas le cas. Malheureuse- ment, bon nombre de thories psychologiques sont ce- pendant fondes sur le caractre invitable de la tension. Par exemple, la thorie freudienne pose lexistence
1 R. B. Malmo, dans A. Bachrach, d., Experimental Foundations of Clinical Psychology (New York, Basic Books, 1962), p. 146. dune anxit fondamentale autour de laquelle nous devons organiser notre systme de dfenses, si nous voulons garder notre sant. J e crois que cette anxit est uniquement fonction de lirralit du sujet. On a fait, sur des animaux aussi bien que sur les tres humains, un certain nombre dexpriences dans les- quelles une sonnerie retentissait chaque fois que les sujets recevaient une lgre dcharge lectrique. Au bout dun certain temps, la sonnerie elle seule produi- sait le mme sentiment anticip dun danger et un ni- veau lev dactivation physique. Ce genre dexprience conditionne le sujet redouter quelque chose qui nor- malement na absolument rien de redoutable (une son- nerie). Inversement, on peut dconditionner le sujet en associant le stimulus inoffensif (la sonnerie), une rcompense ou une situation qui ne comporte pas de choc. La thrapie primale traite, elle aussi, le choc. Ce choc est souvent une prise de conscience prcoce qui, si elle tait totalement ressentie, serait catastrophique. Le choc est rprim et produit sa suite un comportement tendu, qui se poursuit pendant des annes aprs que le danger est pass. Un enfant de six ans que ses parents mpri- sent (cest une attitude qui est rarement manifeste ou- vertement, mais lenfant la sent) court un grand danger aussi bien sur le plan physique que sur le plan psycho- logique; mais ladulte de trente-six ans qui comprend maintenant que ses parents le mprisaient ne court plus le moindre danger mme si son comportement dadulte a t en majeure partie dtermin par la peur dtre mpris. Pour comprendre pourquoi un individu ragit encore au bout de trente ans une prise de conscience traumati- sante, il ne faut pas oublier que lenfant est grand ou- vert. Il est sans dfenses, ce qui veut dire quil peroit les choses en les ressentant directement. Ce quil peroit dans les premiers mois ou les premires annes de sa vie peut tre trop dur supporter. Il se met couvert en dveloppant des symptmes pathologiques ou en en- gourdissant ses sens, mais la douloureuse vrit est l et elle attend dtre ressentie. J e citerai le cas dun patient qui, deux ans et demi, perut quel point le visage de ses parents tait sans vie. Il commena comprendre que lexistence de tous ceux qui lentouraient et la sienne propre taient absolument dnues de vie. Il ne ressentit pas cela entirement mais commena avoir de lasthme. Il ne put ressentir cette absence de vie que bien plus tard, lorsquil en fut labri. Car cette ab- sence de vie signifiait qu'il devait tre mort lui aussi afin de pouvoir continuer vivre avec ses parents. Il fallut de nombreux primals pour quil arrive ressentir ce sentiment dans sa totalit. Ressentir cette mort le ramena la vie. Le choc psychologique originel engendrait la peur; et la peur transformait le sentiment en une tension vague et gnralise. Chez ce patient, lanxit ntait pas cons- ciente. Il adoptait inconsciemment un comportement sans vie pour viter lanxit. Ses mouvements sans vie et son visage impassible taient les moyens quil avait trouvs pour coexister avec ses parents. Tant quil tait mort , il tait tendu, mais non anxieux. Cest la n- cessit dagir de faon vivante qui faisait natre en lui lanxit. Dans la plupart des cas, la nvrose (le d- jouement) fixe la tension de sorte que le nvros ne sait mme pas quil est tendu 1 . La distinction entre la peur et lanxit est une question de contexte, non de physiolo- gie. Le processus physiologique de la peur peut tre identique celui de lanxit, mais dans le cas de la peur, le sujet ragit la situation prsente, tandis que dans celui de lanxit, il ragit au pass comme sil tait le prsent. Cest en gnral au moment o la ten- sion devient anxit ressentie, quil vient en psychoth- rapie. La peur relle est le sentiment que notre vie est en danger. Elle survient sans tension et sans engourdisse- ment des sens ou de lesprit. La peur relle prpare lorganisme affronter le danger qui le menace. La peur primale engourdit, parce quelle est une panique catas- trophique; et elle ne disparat pas parce que la souf- france primale (le Ils ne maiment pas ) subsiste. Cela signifie que lancienne menace demeure jusque dans le prsent, transformant la peur en anxit. Lanxit est lancienne peur non connecte parce que la connexion aurait reprsent une souffrance catastro- phique. (Nous reprendrons cela en dtail dans le cha- pitre consacr la peur.) La raction devant un camion
1 Il est vraisemblable quau tout dbut de sa vie, lenfant ne sait pas distinguer entre la douleur physique et la douleur affective parce que son niveau dintelligence conceptuelle nest pas encore assez lev pour pouvoir faire de subtiles distinctions entre une blessure psycho- logique et une blessure physique. Quand il arrive distinguer ces deux catgories, il a peut-tre recouvert ses souffrances primales par la nvrose. Par exemple, un trs jeune enfant ne sait probablement pas quon lhumilie, il se sent simplement mal laise quand ses parents lui disent certaines choses dune certaine faon. Il ressent alors une souffrance indiffrencie. Ce ne sera peut-tre que bien plus tard, en thrapie primale, qu'il ressentira nouveau ces vagues douleurs et qu'il sera en mesure d'en concevoir la signification. qui nous fonce dessus, cest la peur; le sentiment quun camion pourrait nous foncer dessus, cest lanxit. Le bb et un jeune enfant ressentent la peur directe- ment, et se comportent en accord avec leurs sentiments. Mais, au fur et mesure quil grandit, des parents n- vrotiques peuvent critiquer mme le fait quil montre sa peur ( Cesse de pleurer; tu sais bien quil ny a pas de quoi avoir peur ! ), de sorte que la peur est nie et va rejoindre le rservoir de souffrances primales sous la forme dun surcrot de tension. Cette peur refoule si- gnifie que le sujet ne peut pas ragir ses sentiments de faon directe et approprie. Il devra inventer des sup- ports sa peur (les Noirs, les activistes, etc.) pour fixer ses sentiments et soulager sa tension. Cest en forant le nvros ressentir ses peurs pri- males au lieu de les djouer, quon peut l'aider com- prendre les sentiments qui le terrorisent. Cest en le faisant plonger dans sa peur et en le conduisant au-del, quon le conduit ses souffrances primales. Une tude publie par Martin Seligman dans Psycho- logy Today (juin 1969), est consacre cette notion de choc dans la petite enfance. Seligman dcrit une exp- rience faite par R. L. Solomon : on mettait un harnais des chiens et on leur envoyait des dcharges lectriques. On mettait ensuite les mmes chiens dans des cages deux compartiments o ils taient censs apprendre chapper la secousse en sautant tout simplement une barrire trs basse qui sparait la partie o ils recevaient les dcharges, de celle o ils nen recevaient pas. On a dcouvert que, quand un chien recevait une dcharge alors quil tait immobilis par son harnais de sorte quil ne pouvait pas chapper, il se passait quelque chose de bizarre : au cours des sances suivantes, alors qu'il avait toute libert de sauter par-dessus la barrire, le chien restait dans la partie o il recevait des dcharges, et ce, jusqu ce quon len sorte de force. En revanche, les chiens qui ntaient pas attachs (donc pas rduits limpuissance), lorsquils recevaient les premires d- charges, apprenaient trs rapidement sauter pour se librer. A bien des gards, le jeune enfant est mis dans le harnais dune situation traumatisante laquelle il ne peut chapper et dans laquelle il est aussi impuissant que ces chiens attachs. Lui non plus ne peut rien faire dappropri pour chapper une incessante souffrance et bien souvent, mme plus tard, il lui est impossible dapprendre les comportements quil faut adopter pour viter quon lui fasse mal. Si aucune raction dont un enfant est capable ne change quoi que ce soit sa situa- tion, il na souvent pas grand-chose dautre faire que de se fermer intrieurement, de rester aussi passif de- vant la souffrance que ces chiens attachs qui ne pou- vaient pas chapper au premier choc important de leur vie. Lexprience de Solomon dmontre que si les chiens ont reu ces premires dcharges dans une situa- tion d'o ils pouvaient schapper (faire quelque chose pour remdier leur situation fcheuse), ils apprenaient normalement chapper aux dcharges quand on leur infligeait nouveau des chocs tout en leur permettant de ragir librement. Seligman fait remarquer que quand un enfant pleure parce quil a faim et quil ny a personne autour de lui pour lui donner manger, ses pleurs de- viennent une raction inutile, qui sera abandonne avec le temps pour la simple raison quelle sest avre im- puissante modifier une situation douloureuse ou in- confortable. La thorie primale affirme que la souf- france continuelle de ne rien obtenir, de ne voir jamais satisfaits ses besoins de tout petit enfant, pousse le sujet touffer la raction jusqu ce quil revienne son enfance et ose pleurer comme le nourrisson quil a t. Tant quelles ne sont pas ressenties (je veux dire v- cues dans leur intgralit ), les souffrances primales ont des effets permanents. Cest--dire quon ne peut pas les extirper de lorganisme par des mthodes de conditionnement. Par consquent, que lon punisse ou rcompense leurs manifestations extrieures (tabac, alcool, drogue, etc.), on ne change rien ces souffrances elles-mmes. Tant quelles ne sont pas ressenties enti- rement, elles exigent des exutoires nvrotiques dune sorte ou dune autre. Le nvros adopte un comportement symbolique ir- rel pour soulager sa tension. Cest ainsi quil aura une activit sexuelle compulsive afin de se sentir aim, sans jamais reconnatre quenfant, il ne se sentait pas aim. Bien que la tension se manifeste dans lorganisme tout entier, il semble quelle se concentre souvent sur un organe particulier : lestomac. On dirait que la contrac- tion des muscles de lestomac (et de la rgion abdomi- nale en gnral) est le calmant interne du nvros. Cest une dcouverte que Wilhelm Reich a faite il y a des dizaines dannes 1 . Une grande partie des mthodes thrapeutiques quil a tablies au dbut de sa carrire ont pour but la relaxation de la rgion abdominale.
1 Wilhelm Reich, The Discovery of the Orgone (New York, Noonday Press, 1948). Pour presque tous les nvross, lestomac est le foyer de la tension. Le langage courant en tmoigne avec des expressions du style : Il ma fait ravaler ce que je disais , je ne lai pas aval , a ma pris aux tripes , il a de lestomac , etc. Il est vident que quand il est question de ravaler ses mots, il ne sagit pas dune expression purement symbolique. Il semblerait que les mots sont littralement avals et renferms dans lestomac du nvros qui se sent nou . Dans la plupart des cas, avant dentrer en thrapie primale, le malade ne se rend pas compte de la quantit de tension quil a au niveau de lestomac, jusqu ce que nous commencions la librer. Au cours de la thrapie primale, nous voyons souvent la tension quitter lestomac et se frayer un chemin vers le haut. Le patient fait successivement tat dune barre quil ressent au niveau de la poitrine, dun nud qui lui serre la gorge, dune douleur dans la mchoire, dun grincement de dents et puis, une fois que les mots essentiels ont t prononcs, tout cela disparat. J hsite dire : On voit la tension remonter de lestomac la bouche , cependant nous avons des en- registrements vido de ce phnomne. Les sentiments qui commencent monter font frmir et trembler toute la rgion abdominale. Cest comme sils taient arrachs ltau abdominal dans lequel ils taient enserrs. Ils remontent le long du corps et schappent de la bouche sous la forme du cri primal. A ce moment-l, les pa- tients disent que pour la premire fois, ils sentent leur estomac dbloqu. J usque-l, il tait engorg par la tension, qui empchait la digestion complte de la nour- riture. Toutefois, la tension ne provoque pas toujours une in- capacit de manger. Il peut se passer le contraire le malade touffe ses sentiments sous des quantits daliments. Dans ce cas, on assiste un double phno- mne une tension ascendante et descendante. Il y a mouvement ascendant de la tension quand le systme de dfenses du malade est affaibli et que ses sentiments approchent de sa conscience. Cette tension ascendante (lanxit) rend souvent difficile labsorption de nourri- ture. Inversement, la tension descendante permet au nvros de tenir ses sentiments en chec en mangeant de sorte que la tension ne devient pas anxit. En rgle gnrale, les personnes vraiment obses ont de profondes souffrances dissimules. Les couches de graisse constituent en quelque sorte un rempart isolant autour delles cest la tension descendante.
CHAPITRE 6
LE SYSTEME DE DEFENSES
On retrouve la notion de systme de dfenses dans de nombreuses thories psychologiques, commencer par celle de Freud. La thorie primale affirme que toute dfense relve dun systme nvrotique et quil nest pas de dfense saine . La croyance selon laquelle il y aurait des dfenses saines est fonde sur la supposition quil existe une angoisse fondamentale qui doit tre tenue en chec et qui serait inhrente la nature hu- maine. Cette notion dangoisse fondamentale chez le sujet normal nest pas partage par la thorie primale. Nous y reviendrons ultrieurement en dtail. Enfin, le dernier point par lequel, en ce domaine, la thorie pri- male se diffrencie des autres thories psychologiques, rside dans le fait quelle considre les dfenses comme des phnomnes psychobiologiques et non simplement comme une activit mentale. Ainsi la constriction dun vaisseau sanguin peut aussi bien tre une dfense quun bavardage compulsif 1 .
1 Dans son livre, Le Moi et les mcanismes de dfense (P.U.F.), Anna Freud crit : Les efforts que fait le moi de lenfant pour viter la souffrance en rsistant aux impressions qui lui viennent de lextrieur, relvent de la psychologie normale (c'est moi qui souligne). Ils peu- vent avoir des consquences considrables sur la formation de son moi et de son caractre, mais ils ne sont en rien pathognes. (C'est encore moi qui souligne.) En termes primals, une dfense est un ensemble de comportements qui fonctionnent pour bloquer les senti- ments primals. Lorsque les muscles de labdomen se contractent automatiquement, lorsque lindividu ravale un sentiment, lorsque des tics parcourent le visage dans une situation de stress, le corps refrne le sentiment. Il y a des dfenses involontaires et des dfenses vo- lontaires. Les dfenses involontaires sont les ractions automatiques du corps et de lesprit la souffrance primale fantasmes, nursie, gorge serre, cligne- ments dyeux, crispations musculaires. Ce sont en gn- ral ces dfenses-l que le sujet utilise en premier lieu. Ce sont les dfenses innes de lenfant. Par exemple, la contraction des muscles de lappareil respiratoire affec- tera le timbre de la voix. Le processus de contraction et la voix noue qui en rsulte, finissent par sintgrer certains aspects de la personnalit du sujet. De cette faon, la personnalit se construit partir des dfenses et en fait partie intgrante. Les dfenses involontaires sont de deux types : celles qui augmentent la tension, et celles qui la relchent. La contraction des muscles de lestomac retient les senti- ments et il en rsulte une augmentation de tension. En revanche, le fait duriner au lit (quand les dfenses conscientes sont affaiblies) est un relchement involon- taire de la tension. Il existe dautres formes de relche- ment involontaire, par exemple le fait de grincer des dents, de soupirer, davoir des cauchemars, (nous y reviendrons plus loin). Les dfenses volontaires entrent en jeu quand les d- fenses involontaires savrent insuffisantes. Fumer, boire, se droguer et trop manger sont des exemples de dfenses volontaires. Le sujet peut cesser den user par un effort de volont. Les dfenses volontaires servent soulager un excs de tension un mot dsagrable de la part du garon dun restaurant peut suffire entamer la faade avenante du nvros et crer en lui le besoin de boire. Mais, quelles soient volontaires ou involon- taires, les dfenses on toujours pour but le blocage des sentiments rels. Les dfenses sont continuellement en action, nuit et jour. Un garon effmin ne redevient pas brusquement viril quand il dort. Son caractre effmin est un ph- nomne psychophysiologique qui ne change pas, quil dorme ou quil soit veill, cest un trait qui fait partie de son organisme. Cela veut dire quun comportement non naturel devient la norme parce que le sujet ne peut pas ressentir ses inclinations naturelles. Tant quil na pas retrouv son moi naturel, il est incapable de mar- cher, de parler ou de se comporter dune autre faon. En gros, les dfenses correspondent ce que les pa- rents exigent de lenfant. Un enfant peut parler conti- nuellement en utilisant de grands mots, alors qu'un autre fait semblant dtre sot. Tous deux ragissent ce quils sentent que leurs parents attendent deux, tous deux touffent certains aspects deux-mmes. Les dfenses entrent en action en tant que mcanisme dadaptation afin que lorganisme continue fonction- ner. En ce sens, on peut considrer la nvrose comme un aspect des mcanismes dadaptation inns que nous possdons tous. Cest justement parce que la nvrose fait partie des mcanismes dadaptation quon ne peut pas la supprimer coup dlectrochocs. Il faut dmante- ler en bon ordre les dfenses petit petit, jusqu ce que le sujet soit en mesure de sen passer totalement. Dans les premiers mois et dans les premires annes de sa vie, lenfant se ferme sur lui-mme parce quen gnral, il na pas le choix. Les parents refouls qui veulent un enfant poli et trs soumis, ne tolreront pas longtemps un enfant bavard et exubrant. Ils le rpri- manderont ou le battront jusqu ce quil renonce ce genre de comportement. Par consquent, pour survivre, lenfant doit condamner mort toute une partie de lui- mme. Il faut quil joue le jeu de ses parents, pas le sien. Le mme type de comportement peut tre provoqu par des parents qui font trop pour lenfant, de sorte quil na jamais deffort faire lui-mme. Il est touff par leur gentillesse. Si la faade irrelle ne suffit pas, si elle narrive pas provoquer une raction humaine de la part des parents, lenfant se voit contraint davoir recours des dfenses plus radicales. Pour ne pas leur dplaire, ou pour les rendre chaleureux et gentils, il peut touffer toute sa personnalit. Il parlera de faon compass, comme un ordinateur; son esprit se rtrcit, ses yeux ne sont plus que des fentes; bref, il se dshumanise pour essayer de rendre ses parents humains. Il peut aller jusqu se transformer compltement pour eux cest ainsi quon voit un garon devenir une fille . La notion de raction totale est une notion essentielle. Le besoin damour nest pas simplement quelque chose de crbral que lon peut modifier en modifiant les ides de quelquun. Il pntre tout le systme et dforme aussi bien le corps que lesprit. Cest cette distorsion qui est le systme de dfenses. Si la personnalit ne suffit pas juguler la tension, on assiste lapparition de symptmes. Lenfant se mas- turbe, se suce le pouce, se ronge les ongles, ou urine au lit. Ce sont des moyens supplmentaires de soulage- ment. Trop souvent, les parents, croyant tort aider lenfant, essaient de lui faire passer ces habitudes qui sont les exutoires de la tension; ce faisant, ils compli- quent le problme en contraignant lenfant chercher des moyens encore plus cachs. Un malade ma dit quil lchait perptuellement des vents parce que ses parents croyaient quil avait des troubles digestifs. Pter tait la seule chose quils acceptaient, parce quils taient persuads que ctait involontaire. Un petit enfant ne peut pas comprendre que ce sont ses parents qui ont des difficults. Il ne sait pas que leurs problmes existent indpendamment de tout ce quil peut faire. Il ne sait pas que ce nest pas sa tche lui de faire cesser leurs querelles, de les rendre heureux, libres, ou quoi que ce soit. Il fait ce quil peut pour arri- ver vivre. Sil est ridiculis presque ds sa naissance, il en vient croire quil y a effectivement quelque chose qui ne va pas en lui. Il fera tout ce quil pourra pour plaire ses parents, mais, malheureusement, ce quon attend de lui reste vague et indfini, parce que ses pa- rents, eux-mmes, ne savent que faire pour tre libres et heureux. Comme ses parents ne laident pas se sentir mieux, lenfant en est remis lui-mme. Il mange tout ce qui lui tombe sous la main, suce son pouce quand on ne le regarde pas, se masturbe, et plus tard se drogue pour soulager la souffrance que personne ne la aid apaiser. Il nest plus simplement nvros, la nvrose est sa faon dtre. Le toxicomane est lexemple type du sujet qui a pui- s toutes ses dfenses intrieures. En gnral, il a touf- f en lui-mme tant de sentiments quil est presque devenu apathique. Comme il narrive pas se dfendre comme le font les autres nvross, il tablit une relation directe avec la piqre : souffrance... piqre... soulage- ment. Si lon supprime la piqre, la souffrance est l. Le pnis joue le mme rle pour lhomosexuel. Il repr- sente, lui aussi, le soulagement de la tension. Une con- nexion extrieure sest tablie la place de la connexion intrieure qui na jamais t faite. Quelle que soit la douleur que comporte la piqre ou la pratique des rapports homosexuels, le sentiment sym- bolique que ressent le sujet est un sentiment de plaisir, ou plus exactement, de soulagement. La douleur phy- sique relle, la douleur ressentie par le moi rel, est filtre par le systme de dfenses qui linterprte comme du plaisir. Les divers moyens de dfense que peut adopter le n- vros ont t classs par les hommes du mtier en cat- gories auxquelles correspondent des diagnostics spci- fiques. J e tiens cependant souligner nouveau que le systme de dfenses nest important que dans la mesure o il masque la souffrance. La seule chose qui compte dans loptique de la thorie primale, cest la souffrance. Tout ce que vit le nvros doit se frayer un chemin travers le labyrinthe de ses dfenses, o ce qui arrive nest pas vu, est mal interprt ou exagr. Le mme processus de distorsion se produit au niveau de son activit physique, de sorte quil est finalement incapable de comprendre les changements que subit son propre organisme. Il est alors plac dans une situation bizarre, puisqu'il doit sadresser un tranger (psychothrapeute professionnel) pour lui demander de laider com- prendre ce quil ressent lintrieur de lui-mme. Le degr dlaboration du systme de dfenses d- pend de la situation familiale de lenfant. Avec des parents brutaux, la dfense est directe et en surface. Quand les relations familiales sont plus subtiles, le sys- tme de dfenses devient galement plus subtil. Ce sont les sujets qui ont superpos des couches de dfenses intellectuelles raffines (ceux qui ont cherch refuge dans leur tte ) qui sont les plus difficiles gurir. Les intellectuels ont principalement eu recours aux mthodes de la psychothrapie conventionnelle, mais toute mthode qui fait encore appel leur intel- lect , ne fait quaggraver leur problme. Il y a des dizaines dannes que Reich a expliqu ce qutaient les dfenses physiques : On peut dire que toute raideur musculaire porte en elle-mme lhistoire et la signification de ses origines. Par consquent, il nest pas ncessaire de dduire partir de rves ou dassociations dides quelle a t lvolution de la cuirasse musculaire; cette cuirasse est plutt la forme sous laquelle lexprience de lenfance continue exis- ter et nuire 1 . Reich a expliqu que la rigidit musculaire nest pas seulement le rsultat dun refoulement mais quelle constitue la partie la plus essentielle du processus de refoulement . Il a fait remarquer que ce dernier est un processus dialectique par lequel le corps non seulement se tend sous leffet de la nvrose, mais perptue la n-
1 Wilhelm Reich, op. cit. vrose par la tension musculaire. Il na pas indiqu clai- rement ce qui, pendant des annes, entretient la tension dans le corps, mais il tait persuad que la nvrose pou- vait tre influence de faon dcisive par certains exer- cices ou certaines techniques destins rduire la ten- sion musculaire, plus particulirement la tension abdo- minale. Selon la thorie primale, les besoins et les sentiments bloqus existent pratiquement ds la naissance et la plupart du temps avant que le sujet soit en mesure den parler. Lenfant que ses parents ne prennent pas assez dans leurs bras, dans les tout premiers mois de sa vie, ne sait pas consciemment ce qui lui manque, nanmoins, il souffre. Il souffre dans tout son corps, car cest l quest situ le besoin. Celui-ci nest donc pas simplement quelque chose de mental, emmagasin dans un coin du cerveau. Il est cod dans toutes les fibres du corps o il exerce une force perptuelle la recherche de sa satis- faction. Cette force est ressentie sous forme de tension. On peut dire que le corps se souvient de ses besoins et de ses frustrations, exactement comme le cerveau. Pour se librer de sa tension, il faut que le sujet ressente les besoins qui sont au cur mme de cette tension, cest--dire dans tout son organisme, parce quils sont effectivement diffus dans tout lorganisme. Ils se trou- vent dans les muscles, dans les organes, et dans le sys- tme circulatoire. Il ne suffit pas de connatre simplement ses besoins et ses sentiments inconscients. La psychothrapie moderne est en grande partie fonde sur lhypothse selon la- quelle il suffit, pour transformer quelquun, de lui faire prendre conscience de ses sentiments inconscients. J e vois les choses diffremment : pour moi, la conscience est le rsultat dun processus par lequel le sujet ressent ses besoins dans tout son organisme, et cest le fait de ressentir, non seulement de connatre ses besoins, qui transforme le sujet. A mon avis, le fait de connatre nos besoins ne nous en dbarrasse pas. Nous avons sous- estim lampleur des frustrations que lenfant subit dans les premiers mois de sa vie, et limportance quelles ont pour le restant de sa vie. Les disciples de Reich recon- naissent quune grande partie des choses qui ont affaire nos sentiments ne peuvent tre exprimes verbalement et ils essaient de traiter physiquement les sentiments refouls par des manipulations corporelles. Le but de la thrapie primale est de connecter les be- soins du corps avec les souvenirs emmagasins dans linconscient, afin de redonner au sujet son unit. Les thrapies par la danse, le yoga, les thrapies du mouve- ment et les exercices destins librer le corps de la tension, ne seront daucun secours, car ces tensions (frustrations et blocages inconscients du jeune ge) sont inextricablement mles aux souvenirs primals et for- ment avec eux des vnements qui affectent lorganisme entier. Les thrapies qui encouragent linsight divisent lindividu dune certaine manire, et les thrapies corpo- relles le divisent dune autre faon. Il nous faut une mthode globale unissant simultanment corps et esprit. Il nest pas possible de chasser jamais, par des massages, les souvenirs qui ont raidi une paule, alors que ces souvenirs innervent cette paule au-dessous du niveau de la conscience. La faon dont nous nous dveloppons peut nous aider comprendre cela. Le petit enfant nest gure capable de penser dans labstrait ou de raisonner sur sa situation fcheuse. Il ne peut pas transformer ses besoins en fan- tasmes particuliers ou les djouer de faon symbolique tant quil est si petit. Il faut que son corps fabrique ses dfenses. Pour lui, il nest pas question que lesprit contrle le corps; dans les premiers mois de sa vie, ses facults mentales ne sont pas assez dveloppes pour cela. Ce qui semblerait plutt se produire, cest que certains enfants ont se dfendre physiquement, presque ds leur naissance J ai le souvenir dune malade qui tait dans un orphe- linat o il ny avait pratiquement personne pour soccuper delle. Lors des primals quelle fit un stade assez avanc de la thrapie, elle se revit dans son ber- ceau lorphelinat et elle se souvint davoir pleur long- temps, sans que personne ne vnt. Elle revcut alors ce quelle avait fait ce moment-l. Elle avait environ huit mois. Aprs avoir pleur un certain temps elle stait assise dans son berceau, avait regard autour delle et voyant quil ny avait personne, elle sentit son corps sengourdir et se laissa envahir par le sommeil. Cela devint bientt une habitude. Elle sveillait toujours mal laise, commenait pleurer, puis se refermait sur elle-mme et sallongeait nouveau, engourdie. Durant les deux premires annes quelle passa lorphelinat, cet engourdissement devint automatique. Plus tard, quand elle eut quitt lhpital, elle sengourdissait chaque fois quelle se sentait mal laise ou quelle avait peur. Elle disait : Ctait comme si je maspirais en moi-mme, pour mhbter. J touffais tout ce quil y avait de vivant en moi, de sorte que jtais moiti endormie mme quand je me dplaais. De nom- breuses tudes qui ont t faites sur les enfants de lAssistance publique font dailleurs tat chez eux de cette apathie et de cette absence de vie. J e crois quil leur faut touffer en eux-mmes toute vie et crer cette barrire pour survivre. Ce qui se passait chez cette femme lorphelinat tait le rsultat dun systme de protection que son corps faisait entrer en jeu. Cette dfense physique qui devait durer toute une vie, stait dveloppe parce quelle avait subi le traumatisme et le clivage de son moi avant le dveloppement de son intellect et de ses possibilits de dfenses intellectuelles. J e ne crois pas que tous les exercices du monde auraient pu, par la suite, assouplir et activer son systme musculaire. Aprs la thrapie, pen- dant laquelle elle avait revcu ces traumatismes de lenfance qui avaient raidi son systme musculaire, le privant de toute libert, elle se sentit libre et l- gre . Pour la premire fois elle pouvait danser sans contrainte, sans ce sentiment de lourdeur et dabsence de vie dont elle avait toujours t afflige. Elle vint la vie en ressentant son manque de vie. Nous avons eu rcemment en thrapie primale un hal- trophile. Il avait la passion de regarder son corps. Ce quil voyait dans le miroir, ctait un bel difice de tension. Il regardait son systme de dfenses et essayait de le construire physiquement le tout pour viter de se sentir faible et sans protection. Son attitude incons- ciente tant la suivante : Il ny a personne qui me protge. Il faut que je sois trs fort pour pouvoir me protger moi-mme. Le symbolisme tait : Si je me comporte comme un homme et si jai lair dun homme, je serai un homme. En thrapie primale, il commena avoir les sentiments du petit garon faible et sans protection quil tait. Il fallut lui faire cesser la pratique de lhaltrophilie cest--dire lui enlever assez de sa protection pour quil ressente cette faiblesse. Le traitement de la nvrose doit toujours sadresser au systme tout entier. Nous autres thrapeutes avons pass des dizaines dannes nous adresser la faade irrelle de nos patients, croyant que nous arriverions les con- vaincre de renoncer aux besoins et aux souffrances qui lont cre. Mais aucune puissance au monde ne peut faire cela. On pourrait se demander : Mais quest-ce que cela peut bien faire ? Si je me sens bien, nest-ce pas ce qui importe ? Est-ce quil faut renoncer ce que je ressens maintenant parce que quelqu'un peut imaginer un tat plus idal ? De toute vidence, il faut rpondre non. Mais je pense que beaucoup de gens, les homosexuels par exemple; finissent par saccommoder de leur mala- die parce quils sont sincrement convaincus de navoir pas dalternative. Bien que la plupart des nvross ne soient pas heureux, ils ne souffrent que dun vague malaise tant que leur systme de dfenses fonctionne. Mais il faudrait quils sachent quil y a une alternative, un tat dtre au-del de ce quils peuvent imaginer prsentement. Peut-tre un nvros a-t-il pris du L.S.D. une certaine poque de sa vie et a-t-il eu des senti- ments et des sensations sublimes. Peut-tre les a-t-il attribus la drogue. J e suis dun autre avis. Les drogues ne ressentent rien, ce sont les gens qui ressen- tent ! Cest--dire que les sens non nvross ressentent, et je crois que le plus grand apport de la thrapie pri- male est de permettre aux gens dprouver leurs propres sentiments.
Rcapitulation
Les comportements nvrotiques sont les moyens idio- syncrasiques que chacun dentre nous trouve pour sou- lager sa tension. Ce nest pas en modifiant ou en sup- primant certains comportements de surface que lon peut agir sur la nvrose. Le dveloppement de bonnes habitudes (par exemple : ne pas trop manger) de- mande toujours un effort au nvros, car il essaie de noyer sa souffrance primale. La nvrose cest la souffrance fige. Dans le cours de la vie quotidienne, nous souffrons souvent et nous nous en remettons; mais la souffrance primale na pas de fin, parce quelle nest pas ressentie. Nanmoins, on peut souvent la lire sur le visage des nvross, cest elle qui dforme, tire et tord leurs traits. Bien quen gnral le nvros nait pas conscience de ses maux, cest une pave sur le plan nerveux. Que ce soit le mdecin qui court dune salle dhpital lautre ou la dame qui se plaint toujours vaguement de quelque chose, le nvros est en gnral trop proccup dtre lui-mme pour se rendre compte quil ne lest pas. A son origine, la nvrose est un moyen quemploie lenfant pour apaiser des parents nvrotiques, en niant ou en cachant certains sentiments, dans lespoir quils finiront par laimer. Peu importe le nombre des annes de dception qui passent, lespoir est ternel. Il doit ltre parce que les besoins le sont. Ce sont eux qui poussent le sujet croire en des ides irrationnelles et adopter des comportements irrationnels, parce que la vrit rationnelle est si douloureuse. Tant que le sujet na pas ressenti totalement ses souffrances, il ne peut pas renoncer lespoir. En thrapie primale, le sujet ressent le dsespoir de son enfance, et dtruit par-l mme lespoir irrel qui est le fondement de la lutte nvrotique. Quand la nvrose dbute-t-elle ? A nimporte quel moment de lenfance un an, cinq ans, dix ans. Ce quil importe de savoir, cest quelle a un commence- ment cest le moment o lenfant se spare de son moi rel et commence mener une double existence. Cela veut-il dire quune seule scne ou un seul vne- ment rend lindividu nvros ? De toute vidence, non. La scne majeure dterminante nest que le point culmi- nant de relations parents-enfant nfastes, qui ont dur pendant des annes. Beaucoup denfants se ferment vers six ou sept ans parce que cest ce moment-l quils sont en mesure de comprendre ce qui se passe dans leur vie. Le clivage a lieu, et nul effort conscient ne peut rtablir lunit (dtruire la tension nvrotique). Il peut arriver, quand le traumatisme est grave et que ce qui sest pass antrieurement le justifie, que la n- vrose commence un an. De toute vidence, chez bien des sujets le clivage se situe avant six ou sept ans, puisque les bgues que jai traits disent que leurs diffi- cults dlocution datent de lpoque o ils ont com- menc parler cest--dire entre deux et trois ans. Dautres situent le clivage dfinitif douze ans. Un malade ma dit que jusqu lge de treize ans, il arrivait sen sortir assez bien. Cest alors que ses parents avaient divorc et que son pre stait remari. On avait exig de lui quil considre la femme de son pre comme sa mre et quil lappelle maman . Au lieu de faire face la perte de sa vritable mre, il stait ferm sur lui-mme. Pourquoi est-ce que la nvrose dbute si tt et non pendant ladolescence par exemple ? Parce que cest dans les premiers mois et dans les premires annes de sa vie que lenfant est compltement impuissant et quil dpend entirement de ses parents. Pour lui, ils sont le monde. Ce quils font le met sur une certaine voie, dont, trs vite, le cours ne peut plus tre modifi et qui dtermine lattitude quil aura son tour devant la vie et le monde. Lorsquil entre lcole, lenfant est en gnral d- connect et nvros, et sa nvrose a une influence sur la faon dont il se comporte vis--vis de ses matres et de ses camarades. Un enfant qui est devenu une pierre , qui a t rendu timide et obsquieux par des parents autoritaires, aura tendance avoir le mme comporte- ment avec les autres. Le clivage ne survient en gnral pas comme un grand coup, un vnement pareil un cataclysme. Un jour, lenfant devient simplement plus irrel que rel. Si cela survient avant ladolescence, cest quen rgle gnrale, si l'enfant pouvait atteindre ladolescence sans nvrose, il trouverait alors dautres soutiens : lamour dune petite amie, ou la comprhen- sion dun professeur, qui lui permettraient de supporter la pression et le trouble quil rencontre dans sa famille. En gnral, quand il atteint ladolescence, le sujet a dj dvelopp une personnalit nvrotique que de tels ap- puis ne peuvent plus dtruire, tout au plus attnuer tem- porairement. Pourquoi est-ce que le fait de ntre pas admis dans un club, de redoubler une classe, ou dtre abandonn par un amant, ne provoque-t-il pas une n- vrose ? Parce que des vnements isols, mme quand ils surviennent la maison, ne produisent pas de rac- tions assez violentes pour provoquer un clivage. Lenfant normal qui est rejet par un professeur en attri- bue les raisons au professeur qui a des problmes, son propre travail insatisfaisant, ou sa mauvaise conduite... il ressent cela et ne se coupe pas de ce quil ressent. Dans loptique de la thrapie primale, un traumatisme nest pas un vnement douloureux, du style de lexclusion dune association scolaire. Le traumatisme, cest ce qui nest pas prouv. Cest une raction si violente et si accablante quune partie de lvnement se trouve rejete par la conscience. Lenfant qui pleure dans les bras de sa mre qui le console parce quil se sent rejet par les autres, est dans une situation tout fait diffrente de celui qui se rend compte quil est ha par sa mre et na personne vers qui se tourner avec ses sentiments. Tous les conseils de famille ultrieurs sont impuissants rparer cela. Lenfant peut comprendre plus tard pourquoi sa mre la rejet, mais cette com- prhension ne modifie en rien les besoins frustrs de son jeune ge. La scne primale signifie-t-elle que lon est nvros partir de ce moment et tout jamais ? Elle reprsente le bond qualitatif, le passage un nouvel tat : la nvrose. A partir de ce moment-l, tout ce quon pourra lui ac- corder damour, de rconfort et dattention ne dtruira pas la nvrose. Elle saggravera chaque nouveau traumatisme et chaque nouvelle frustration inflige par les parents. Si lenfant voyait soudain apparatre, lge de huit ans par exemple, un pre ou une mre qui laime, il nen resterait pas moins quil faudrait faire disparatre les dommages quil aurait subis auparavant. Larrive de ce pre ou de cette mre reprsenterait une aide, bien videmment, puisquelle naggraverait pas sa nvrose, mais elle ne peut la dtruire. Seule la souf- france peut le faire le fait de ressentir les souffrances qui ont exig quune partie du moi rel soit cache.
CHAPITRE 7
NATURE DU SENTIMENT
Lexigence principale du corps est de se sentir. Nous commenons ressentir lorsque les besoins de notre tout jeune ge sont satisfaits, lorsque lon nous prend dans les bras, que lon nous embrasse, lorsquon nous permet de nous exprimer et de bouger librement, et que nous pouvons nous dvelopper un rythme naturel. Quand ses besoins fondamentaux sont satisfaits, lenfant est prt ressentir tout ce qui, chaque jour, se prsente lui. Mais, sils ne sont pas satisfaits, ces besoins lemportent sur tout le reste et empchent lenfant de ressentir le prsent. Cest ainsi que pour le nvros, le prsent nest quun mcanisme de dclenchement qui ravive danciens besoins et danciennes souffrances et qui pousse le sujet essayer de les rsoudre. Il y a deux raisons pour lesquelles les besoins et les sentiments du pass sont inconscients : souvent le sen- timent sest dvelopp avant que lenfant ne dispose de concepts, de sorte quil ne lidentifie pas. (Par exemple : le nourrisson ne sait pas quil ne devrait pas tre sevr trop tt.) Ensuite, mme si ces sentiments taient identi- fiables avant la scne primale majeure, ils ont peut-tre t continuellement rprims par des parents nvross, de sorte quavec le temps, lenfant finit par ne plus savoir ce quil ressent. Si un enfant na pas le droit de pleurer, soit cause de lexcs de sollicitude de parents qui ne peuvent pas supporter de le voir triste un seul instant, soit cause de parents qui le tournent en dri- sion et le traitent de bb , il ne faut pas bien long- temps pour qu'il ne sache mme plus quil a envie de pleurer. En effet, il se peut que lui aussi, plus tard, m- prise les larmes comme une faiblesse. La rpression du sentiment nest pas ncessairement le fait direct des parents. Le refoulement peut se pro- duire dans la petite enfance, alors que lenfant est en- core trop jeune pour composer avec ses sentiments et se faire une faade . Le simple fait de navoir jamais prs de lui un pre ou une mre qui le prenne dans ses bras, peut crer chez lenfant une telle souffrance que pour la supprimer, il supprime le besoin. Il cesse de ressentir ce besoin. Nanmoins, ce dernier persiste, minute aprs minute, anne aprs anne. Il demeure fixe et infantile parce que cest effectivement un besoin in- fantile. Le nvros ne peut pas avoir de sentiments adultes, alors quil est encore importun par les besoins de son enfance. Plus tard, il aura, par exemple, une activit sexuelle compulsive, non pas cause de senti- ments sexuels rels, mais cause du besoin trs ancien dtre tenu dans les bras et dtre aim. Ce nest quaprs avoir ressenti ces besoins anciens pour ce quils sont, quil pourra ressentir la vritable sexualit qui est trs diffrente de lide que le nvros sen fait. Dans le cas de cette activit sexuelle compulsive, le nvros djoue un besoin trs ancien, quil na peut-tre jamais identifi sur le plan conceptuel. Il peut mettre une nouvelle tiquette sur son besoin (besoin sexuel), mais en ralit, il sagit toujours du besoin dtre pris dans les bras. Lorsque ce fait frappa un de mes malades au cours de lacte sexuel, son rection (son sentiment sexuel symbolique) cessa et il demanda alors sa femme de le tenir tout simplement dans ses bras. Lors- quil interrompit lacte sexuel, cet homme ressentit vraiment. (Sa femme napprcia pas particulirement cet insight...) Il avait compris son besoin rel et cess de le djouer sur le plan symbolique. Nous voyons ainsi que le sentiment est une sensation passe sur le plan conceptuel, cest--dire correctement conceptualise. Une sensation de creux lestomac peut correspondre au sentiment du vide de lexistence; le nvros trans- forme ce sentiment en sensation de faim. La nvrose masque les sensations douloureuses du corps, empchant ainsi le sujet de les reconnatre pour ce quelles sont ( Ils ne maiment pas ), de sorte que le sujet souffre perptuellement. Il cherche se soulager dune manire ou dune autre (dans lexemple prc- dent, par la sexualit), mais la sensation ne peut tre apaise que lorsquelle est correctement connecte et quelle devient un sentiment 1 .
1 Sentiment n'est pas synonyme d'motion. L'motion peut tre l'ex- pression du sentiment la manifestation extrieure du sentiment. Les vritables sentiments soulvent peu dmotion. Quand un sujet montre beaucoup d'motion, il vit les manifestations extrieures du sentiment, sans le sentiment lui-mme. Malheureusement, beaucoup de nvross prennent lmotion pour un signe du sentiment, et si quelqu'un n'est pas dmonstratif et na pas de ractions exagres, ils ont tendance croire que cette personne ne ressent pas vraiment. Ainsi les parents nvross sont rarement contents dun simple merci pour les ca- deaux qu'ils font, il leur faut de grandes dmonstrations de joie pour tre srs que le cadeau est apprci. Cest de cette faon trs subtile quon empche lenfant dtre lui-mme et de ragir naturellement; on le force exagrer ses ractions parce qu'une attitude naturelle est trop souvent prise par les parents pour un signe de rejet. Les souffrances primales sont les sensations de la souffrance. En thrapie elles deviennent des sentiments grce la connexion avec les traumatismes spcifiques qui sont leur origine. Seule la connexion change une sensation de souffrance en un vritable sentiment. In- versement, la coupure entre la pense et le contenu du sentiment, qui sest produite tt dans la vie, provoque continuellement des sensations douloureuses maux de tte, allergies, douleurs dorsales, etc. Elles persistent parce quelles nont pas t connectes. Cest comme si le sentiment douloureux tait coup de la pense ( J e suis seul, il ny a personne qui me comprenne ) et prenait une vie indpendante lintrieur de lorganisme, se manifestant ici et l sous forme de maux et de souffrances divers. Une fois ressentie, la souffrance na plus rien de dou- loureux, et le nvros est en mesure de ressentir. Tout ce qui engendre de vrais sentiments chez le nvros doit crer de la souffrance. Tout sentiment qui se veut pro- fond, sil ne fait pas natre la souffrance, nest quun pseudo-sentiment un djouement non connect. Aprs un certain temps de thrapie, de nombreux pa- tients rapportent que lacte sexuel dclenche souvent un primal involontaire. Lun deux expliquait ce phno- mne de la faon suivante : Avant la thrapie, javais toutes sortes de sentiments refouls dont je me librais par lactivit sexuelle. J e croyais que jtais trs port l-dessus. J e pouvais le faire tout le temps. Maintenant, je sais que ce dsir sexuel trs marqu tait lexpression de tous ces autres sentiments qui cherchaient schapper par nimporte quel moyen. J e les faisais jaillir par mon pnis. Rien dtonnant ce que lorgasme ait souvent t doulou- reux pour moi. J e pensais que ctait normal. J e jouis- sais trop vite parce que tous ces autres sentiments ca- chs exeraient une telle pression pour tre librs que je ne pouvais les dominer. Au dbut de ma vie, cela avait pris une autre forme : je faisais pipi au lit. Mais ce ntait pas le contrle de moi que je devais apprendre, ni dans un cas, ni dans l'autre. J avais besoin de ressentir tous ces sentiments refouls pour me dbarrasser ainsi de cette pression horrible et continuelle. Quand il neut plus la possibilit de dguiser ses an- ciens sentiments en besoins sexuels, il fut beaucoup moins port sur le sexe et son dsir sexuel diminua notablement. Cette mme pression aurait tout aussi bien pu produire (dans dautres conditions) un besoin cons- tant de parler dutiliser la bouche comme exutoire de la tension. Dans ce cas, le sujet ne parle pas par envie de parler, cest la tension qui le fait parler. On sent la diff- rence, car on se dsintresse facilement de ce que dit quelquun qui parle sans arrt pour satisfaire un ancien besoin intrieur, alors quil est difficile de ntre pas intress par quelquun qui sent vraiment ce quil dit. Le bavard nvrotique ne sadresse personne; il sadresse son besoin (en ralit, ses parents). L encore, nous voyons le paradoxe. Le sujet ne peut sempcher de parler parce que personne ne la jamais cout, et son discours nvrotique lui aline les autres, ce qui ne fait quaugmenter son besoin (et sa compulsion) de parler toujours plus. Il ne peut ressentir ce quil dit tant que son vieux besoin le fait parler. Et cela ne changera pas tant quil naura pas ressenti la grande souffrance qui correspond ce besoin. Tant que le nvros ne ressent rien rellement, il est prisonnier de ses sensations. Il cherchera ou bien des sensations agrables pour attnuer celles qui sont dou- loureuses et inconscientes, ou bien il souffrira de ces sensations douloureuses dans son corps, croyant quil souffre dun mal physique rel. Ceux qui boivent de lalcool pour dfaire le nud quils sentent au creux de lestomac, vitent peut-tre un mal plus srieux (par exemple, un ulcre). Ceux qui nont pas beaucoup dexutoires symboliques pour soulager leur souffrance intrieure, sont peut-tre condamns souffrir de dou- leurs physiques. Le nvros qui ne boit pas dalcool peut utiliser dautres moyens pour se soulager, des anal- gsiques, par exemple. Mais tout cela revient au mme, car tous les sentiments refouls sont par dfinition dou- loureux. Par consquent, que le nvros prenne plaisir labsence de pesanteur en plonge sous-marine, aux couleurs dune peinture, leuphorie de lalcool ou au soulagement que lui procure un cachet, il est toujours en train dchanger une sensation (douloureuse) contre une autre. Tant quil ne connecte pas la raideur de sa nuque qui bien vite devient une douleur avec le senti- ment plus profond, il passe sa vie substituer une sensa- tion une autre. La substitution dune sensation une autre, voil ce que cache en grande partie toute activit compulsive, notamment lactivit sexuelle. Lorgasme devient pour le nvros un narcotique, un sdatif. Si on lui interdit ce comportement symbolique, (le sdatif), lorganisme souffre. Pourquoi le nvros est-il prisonnier de ses sensa- tions ? Parce que personne na reconnu ses sentiments. Les enfants ont droit certaines douleurs permises. Ils peuvent avoir mal au ventre, par exemple, mais les douleurs affectives, la tristesse par exemple, leurs sont interdites. Cest ainsi que lenfant doit avoir recours aux souffrances vers lesquelles on loriente; il adopte un comportement symbolique alors que tout ce quil essaie de dire ses parents, cest : J e suis triste . Pour illustrer ce que je viens de dire, je ferai appel un incident tir de la vie dun de mes malades. Un jeune homme se marie. A la rception, un homme dun certain ge, un vieil ami, le serre dans ses bras et lembrasse en lui souhaitant beaucoup de bonheur. Le jeune mari est alors saisi dune profonde tristesse et fond en larmes en treignant cet ami. Il ne comprend rien ce qui lui ar- rive. La thorie primale propose comme explication que laccolade de ce vieil ami a raviv chez ce patient une ancienne souffrance. Ce malade rapportait navoir ja- mais eu un pre tendre qui laurait pris dans ses bras ou lui aurait souhait dtre heureux, quelquun qui se serait souci de lui et se serait rjoui sincrement de le voir heureux. Ce jeune homme transportait en lui cet immense vide sans jamais le ressentir, jusquau jour o un geste chaleureux dclencha sa souffrance. Ce quil ressentit alors ntait quun fragment dun sentiment global qui, sil lavait ressenti dans sa totalit, laurait inond dune souffrance bien plus profonde encore que la tristesse quil prouva cet instant-l. Certes, il a reu ce jour-l de la chaleur, mais cela ne changera rien cette souffrance tant quil ne pourra pas sallonger, ressentir son sentiment en entier et, ce qui est plus important encore, comprendre intellectuellement sa blessure. Sa lutte avait commenc le jour o il avait entrevu pour la premire fois quil naurait jamais un pre chaleureux. Il avait commenc adopter un com- portement indpendant, comme sil navait rellement pas besoin de laffection de son pre. Tant quil avait pu viter tout signe daffection (ce dont il avait en rali- t besoin) il avait vit la souffrance. Mais la ten- dresse soudaine de ce vieil homme lavait pris au d- pourvu, dans un moment dmotion o il tait particu- lirement vulnrable, celui de son mariage. Une autre malade parlait de ce qui stait pass en elle, en ces termes : Ctait comme si javais trac un cercle autour de cette image de moi dont on ne voulait pas, pour quon ne la voie pas, quon ne lentende pas, et quelle soit relgue dans loubli. Mais ctaient tous mes propres sentiments que je chassais en mme temps que la douleur de ntre pas aime. Avec eux, je perdais aussi lamour, la force, et le dsir. J e nexistais plus. Quand je me retournais pour chercher ce moi, je ne trouvais que le vide, le nant. Leur haine et le fait dtre rejete par eux mavait enlev la vie. La ralit, pour moi, ctait ressentir la ralit du mpris quils portaient mon moi. Quand le nvros se dgage de sa souffrance, il cesse, mon avis, de ressentir dune faon complte. Mais tant quil ne ressent pas nouveau compltement, il ne sait pas quil ne ressent pas. Il est donc impossible de con- vaincre un nvros quil ne ressent pas. La seule chose qui peut le convaincre, cest le fait de ressentir nou- veau. J usque-l, le nvros peut toujours rpondre quil a rcemment vu une squence tragique au cinma et quelle la mu aux larmes. J ai bien ressenti quelque chose , dira-t-il. Mais en ralit, il na pas ressenti sa propre tristesse et cest pour cette raison quon ne peut pas considrer son motion comme un sentiment com- plet. Sil avait tabli une relation exacte entre cette scne de cinma et sa propre vie, il aurait pu faire un primal dans la salle. Effectivement, beaucoup de pri- mals sont dclenchs lorsque le malade raconte une scne de film qui la fait pleurer. Nanmoins, le senti- ment ressenti lors du spectacle, et celui qui est ressenti plus tard dans mon cabinet, sont deux phnomnes bien distincts. Les larmes que le nvros verse au cinma sont un fragment de son pass refoul. Elles sont en gnral davantage le rsultat dune libration dmotions que llargissement vers des sentiments primals complets. Cest ce processus de libration qui contribue ce que le sentiment complet ne soit pas ressenti. Il fait avorter le sentiment, le falsifie et attnue ainsi la souffrance. La mme explication sapplique au sujet qui a fr- quemment de violents accs de colre. Il ne fait pas de doute quil ressent et exprime de la colre. Mais tant que cette colre, qui explose tous les jours de faon fragmentaire contre les cibles apparentes, nest pas ressentie et connecte avec son contexte initial, on ne peut pas dire quelle soit ressentie au sens primal. Prenons le sujet qui se met en colre ds quon le fait attendre, si peu que ce soit. Cet adulte ne serait-il pas justement lenfant que ses parents ont toujours fait at- tendre ? Plus tard dans sa vie tout ce qui rappelle le peu dattention que lui accordaient ses parents, peut dclen- cher en lui une colre, qui est largement hors de propor- tion avec ses motifs apparents. Malheureusement, le manque dattention de la part dautres personnes conti- nuera dclencher la colre, jusqu ce quil soit en mesure de ressentir le contexte rel o ont pris nais- sance ses sentiments de colre initiaux. J usque-l, sa colre ne peut tre considre comme un sentiment rel, car elle ne sadresse qu des cibles symboliques qui ne sont pas les causes relles de la colre. Ces clats ne sont par consquent que des actes symboliques nvrotiques. A mon avis, les sentiments obissent au principe du tout ou rien. Tout ce qui provoque un sentiment fera quil sera ressenti dans tout le corps. Chez le nvros cependant, lrotisme ne produit souvent que des sensa- tions localises dans les parties gnitales, au lieu de vritables sentiments sexuels qui engagent tout le corps, de la tte aux pieds. Cest le caractre fragmentaire des sensations du nvros qui explique son rire trangl, ses ternuements touffs, et son parler qui a lair de scouler de sa bouche sans que le reste du visage y participe le moins du monde. Ces caractristiques ne se retrouvent pas chez tous les nvross, mais le processus de fragmentation sexprime toujours sous une forme ou sous une autre. Il y a un certain nombre dexpressions o entre le mot sentiment alors qu mon avis, il ne sagit pas du tout de sentiments. On parle par exemple de sentiment de culpabilit . Un nvros dira : J e suis malade davoir menti, je me sens terriblement coupable. Pour ma part, je considre le sentiment de culpabilit comme une fuite devant le sentiment (la souffrance), car il met en action les mcanismes destins soulager la tension. Une personne saine qui a fait quelque chose de mal, ressent tout ce que cela implique et essaie de rparer les choses. J e crois que la culpabilit nest rien de plus que la peur de perdre lamour des parents. Au cours dun pri- mal, un patient disait quil tait furieux contre son pre parce que celui-ci lavait abandonn alors quil tait tout petit. Il dit qu'il avait limpression davoir un lion en colre au fond de ses entrailles et dans sa bouche, un petit chaton tout tremblant. Cest parce quil se sentait coupable, ajouta-t-il, quil ne pouvait hurler sa colre. Quand il identifia ce quil ressentait rellement, il d- couvrit quil hsitait dire ses quatre vrits son pre, une fois pour toutes, de peur quil ne revienne plus jamais. Cet exemple montre bien que le sentiment de culpabilit est la raction du sujet devant la peur. On parle souvent de la dpression comme dun senti- ment. Aprs la thrapie primale, les malades nont plus de dpressions. Ils prouvent des sentiments de tristesse loccasion de tel ou tel vnement, mais ces senti- ments sont toujours en relation avec une situation spci- fique. Daprs ce que jai pu observer, la dpression est un masque que met le sujet sur des sentiments trs pro- fonds et trs douloureux quil ne peut pas connecter. En effet, certains nvross prfreraient se tuer plutt que ressentir ces sentiments. La dpression est un tat dme proche des sentiments primals, mais qui est ressenti sous forme de sensations physiques dsa- grables ( J e suis plat , J ai le cafard , J ai un norme poids sur la poitrine , J ai le cur serr , etc.), parce que la connexion avec la source initiale nest pas tablie. La connexion transforme les tats dme en sentiments, et cest pour cette raison quaprs la thra- pie, les malades nont plus d tats dme mais seu- lement des sentiments. Quand on mesure la dpression laide dun lectromyographe, on enregistre un niveau de tension trs lev, ce qui prouve bien que la dpres- sion est un sentiment dconnect. Le docteur Frederick Snyder du National Institute of Mental Health a enregis- tr rcemment la courbe de sommeil des malades at- teints de dpression. Il a constat quils commencent rver pratiquement ds quils sendorment, et quils ont un sommeil raccourci et fragment. En outre, ils ont tendance dormir moins que les autres, ce qui est en- core un indice de la tension inhrente toute dpres- sion 1 . Les vnements les plus insignifiants peuvent dclen- cher une dpression. J e citerai lexemple dune malade quittant trs tt une soire parce quelle se sentait d- prime. Personne ne lui avait parl ou navait sembl suffisamment intress pour venir sasseoir ct delle. Cette dpression dura plusieurs jours, et il devint clair quil ne sagissait plus dune raction cette soi- re. Cette dernire avait de toute vidence dclench un ancien sentiment enfoui, savoir que ses parents ne staient jamais assez intresss elle pour venir sasseoir ct delle et parler avec elle. Aprs un pri- mal au cours duquel elle les supplia de venir lui parler, sa dpression disparut. Certaines personnes chappent leur dpression en courant les magasins, ou en faisant des projets pour un rendez-vous ou une rception, mais la dpression reste aux aguets, en attendant que ces
1 G. B. Whatmore, Tension Factors in Schizophrenia and Depression , dans E. J acobson, d., Tension in Medicine (Springfield, III., Charles Thomas, 1967). activits se terminent. Elle continuera harceler le sujet tant quil naura pas ressenti les sentiments rels qui loppressent. Il y a dautres pseudo-sentiments. Voici un exemple du sentiment de rejet. Au cours dune sance de forma- tion, je reprochai au rapport crit par un jeune psycho- logue dtre inexact. Il commena se dfendre par un flot darguments : Vous ne lavez pas compris dans le sens o je lentendais, en outre ce rapport est inache- v , etc. Quand je lui demandai ce quil ressentait, il me rpondit : J e me sens rejet. En ralit, il prou- vait un sentiment trs ancien; celui dtre rejet par son pre. ( Rien de ce que je pourrais faire, ne suffit pour obtenir ton amour. ) Nanmoins, pour viter de ressen- tir cette souffrance dans sa totalit, il construisait un cran dexplications fumeuses et dexcuses pour se protger du sentiment primal. Ce nest pas linexactitude de son rapport quil discutait; ces erreurs signifiaient pour lui quil ne valait rien et quil ne serait jamais aim. Le sentiment naissant dtre rejet ntait cependant pas ressenti compltement. Il dclenchait plutt un comportement propre le dissimuler. Ce que le jeune psychologue faisait en ralit, ctait dissimuler le sentiment ancien quavait raviv la cri- tique prsente. En soi, le fait davoir crit un rapport imparfait ntait pas douloureux au point de justifier tant de dngations et d'excuses. Il sexcusait propos de son rapport pour carter la souffrance primale. Il com- menait bien ressentir quelque chose il se sentait rejet ce vieux sentiment rel, mais il dissimulait ce sentiment : cest pour cette raison que je dis que le n- vros ne ressent pas pleinement. Il est coup de son enfance et des sentiments de son enfance, de sorte quil ne peut faire lexprience du sentiment entier. A lge adulte, chaque nouvelle critique, chaque nouvelle humi- liation fait surgir en lui des bribes de la souffrance an- cienne. Mais se sentir rellement rejet, cest se tordre de douleur au cours dun primal cest se sentir tota- lement seul et non dsir comme ltait lenfant. Une fois que cette exprience-l est faite, il ny a plus de sentiment dtre rejet , il ny a plus que les senti- ments quveille le moment prsent. Un homme quune femme traitera de haut au cours d'une runion, dira : J e ne lui suis pas sympathique , ou Elle nest vrai- ment pas abordable aujourdhui , mais il ne se sentira pas rejet au sens nvrotique du terme. Cela veut dire que dans son pass, le sujet ne sest pas senti rejet, de sorte quun tel comportement ne le bouleversera pas pour toute une journe. La honte est encore un pseudo-sentiment. Prenons par exemple ladulte qui pleure, puis qui en a honte. Ce quil ressent en ralit, cest quil naura pas lapprobation des autres pour cette marque de fai- blesse . Il essaie de dissimuler son comportement en sexcusant pour sa mauvaise tenue ( J ai tellement honte ), le tout pour viter de sentir quon ne laime pas. Dans ce sens, on peut dire que cest le moi irrel qui, ayant adopt le systme de valeurs des parents (puis de la socit), tient en chec le moi rel. La fiert correspond au triomphe du moi irrel. Cest la ngation dun sentiment. Cest une manire de dsi- gner quelque chose, une attitude qui, mme si souvent le sujet ne sen rend pas compte, a fait leur fiert. Cest lexploit ralis pour eux. Les gens qui ont des senti- ments n'ont pas besoin de prouesses pour ressentir. Ce que doit faire le nvros pour se sentir fier varie en fonction de son ge. A deux ans, il ne se salit plus, trente ans, il tue un lphant. Le mme besoin peut tre lorigine de ces deux comportements car il est cons- tant. En grandissant, nous construisons, en cercles con- centriques, des dfenses de plus en plus puissantes au- tour du besoin jusqu ce que nous soyons perdus dans un ddale dactivits symboliques. Quand le nvros croit prouver des sentiments ex- traordinaires dans une situation quelconque de sa vie prsente, lintensit de ce quil ressent est due au poids quajoute le rservoir de souffrances primales. Une fois que ce rservoir a t vid mthodiquement, en thrapie primale, le sujet dcouvre quel point ses sentiments sont peu intenses. Quand ses vtements sont mal net- toys la teinturerie, il peut en tre ennuy, mais non furieux. Dbarrass de son rservoir de souffrances primales, le sujet dcouvrira aussi que les sentiments humains sont peu nombreux. Libr de la honte, de la culpabilit, du sentiment dtre rejet et de tous les autres pseudo-sentiments, il comprendra quils ntaient tous que des synonymes du profond sentiment primal dissimul : le sentiment de ntre pas aim. Mme quand le nvros croit connatre une motion trs intense, par exemple en thrapie conventionnelle de groupe, il ne se fait pas la moindre ide de la gamme et de la puissance extraordinaire des sentiments nvro- tiques refouls. Les pleurs et les sanglots que lon voit en thrapie de groupe conventionnelle ne sont que dinfimes manifestations de ce gigantesque volcan int- rieur, encore endormi, que forment les milliers de sen- timents refouls et dexpriences accumules qui cher- chent se librer. La thrapie primale fait entrer en activit ce volcan par tapes. Une fois que ces refoule- ments sont ressentis, ces grandes profondeurs motion- nelles que lon sest habitu attendre chez lhomme, nexistent plus. La conception primale du sentiment est peu prs aux antipodes de ce que le profane entend sous ce terme. En gnral, les gens terriblement motifs djouent des sentiments refouls de leur pass et ne ressentent pas le prsent. Les gens normaux, dlivrs des refoulements passs, ne ressentent que le prsent, et ce prsent est loin dtre aussi inconsistant que lmotivit du nvros, parce quil nest pas charg dune force rprime. Ainsi, le nvros clate dun rire explosif parce quune explosion a effectivement lieu en lui. Ou il peut tre incapable dun rire spontan parce quil est toujours retenu par une sorte de tristesse qui est en lui. Dans le premier cas, il a dissimul un sentiment rel et la dvi en rire, dans le second, le rire (aussi bien que la tristesse) a peut-tre t rprim par un sujet qui a lamin toutes ses motions. Ce que le profane a lhabitude de considrer comme un sentiment rel, nest souvent quune violente raction la souffrance colre, peur, jalousie, fiert, etc. En thrapie conventionnelle, la position mme du ma- lade, assis en face du thrapeute, semble faire obstacle la possibilit de ressentir ces sentiments de faon aussi bouleversante. En outre, ces sentiments ne sont pas le rsultat dune espce de confrontation thrapeutique entre le mdecin et son malade. La seule confrontation qui ait lieu en thrapie primale, cest la confrontation entre le moi rel et le moi irrel. Le fait est que le nvros est un tre qui ressent tota- lement mais ses sentiments sont verrouills par la ten- sion. Il est constamment habit par cette foule de vieux sentiments non rsolus qui demandent une connexion finale et qui se manifestent sous forme de tension. Pour redevenir capable de ressentir pleinement, le nvros doit retourner en arrir et tre ce quil na pas t. Ain- si, il peut sessayer dans certains types de thrapie de groupe, des contacts physiques et des embrassades et croire quil rompt les barrires qui le sparent des autres et quil fait lexprience de la chaleur humaine. Mais il ny a, pour une personne qui ne ressent rien, aucun moyen davoir le sentiment des autres, aussi nombreux que soient les contacts physiques. On apprend d'abord se sentir soi-mme, ensuite, on peut avoir le sentiment des autres. On peut imaginer quun sujet bloqu passe une journe entire en contact physique avec quelquun dautre, sans rien ressentir. Rien nest pas tout fait exact il ressentira son ancienne souffrance, celle de navoir pas connu de chaleur physique dans son en- fance, seulement il ne saura pas que cest cela quil ressent. Pour moi, tre sensuel, cest avoir tous ses sens ouverts aux stimulis extrieurs. Si cette condition nest pas remplie, nous trouvons des cas comme celui de la femme frigide qui couche avec quantit dhommes et qui, malgr tout, ne ressent rien. Le point dcisif, cest que les barrires ne sont gnra- lement pas entre les gens sinon de faon indirecte elles sont intrieures. La barrire, le bouclier ou la membrane derrire laquelle vivent tant de nvross est le produit de milliers dexpriences au cours des- quelles sentiment et raction ont t refouls. A chaque nouveau refoulement, cette barrire sest paissie. On ne peut la briser dun seul coup de faon spectaculaire. Le seul moyen est de revenir en arrire et de ressentir une une toutes les souffrances majeures qui ont t refou- les, jusqu ce quau terme de ce processus deffritement, il ny ait un jour plus de barrire du tout plus de moi irrel pour filtrer et embrumer lexprience vivante. Ainsi, plus on est proche de soi- mme, plus on peut tre proche des autres. Des moyens symboliques de dtruire ces barrires que les gens ont riges en eux, ne peuvent pas rsoudre des sentiments rels. Il est une technique trs populaire qui consiste former un cercle et faire entrer quelquun au milieu. Ce dernier apprend briser le cercle des autres qui se tiennent au coude coude. J e suppose que thoriquement, cet acte doit lui apprendre tre libre. On essaie souvent de lexpliquer en disant quil apprend se librer par lui-mme. On dirait vraiment quil sagit de magie : Si jobis ce rite, je rsoudrai mes pro- blmes rels. J e suppose que ce rite est cens per- mettre au sujet de se sentir vritablement libre. Mais tant quil na pas ressenti ce qui lemprisonne vraiment, je pense que ce type de rite ne peut quaggraver la n- vrose en encourageant un djouement symbolique. J e ne vois pas de diffrence entre cette technique et lattitude du nvros qui saute en parachute pour se sentir libre. J e suis persuad que le rite symbolique apporte un sou- lagement momentan de la tension, mais cest peine sil gratigne le systme de dfenses. Tout cela revient dire que les actes du nvros, quels quils soient, ne peuvent dtruire la nvrose. Le nvros peut toucher sans rien sentir, couter sans rien entendre, voir sans percevoir. Il peut se livrer des exercices destins dvelopper la perception, tels les contacts physiques pour dvelopper son sens du toucher. Mais ce nest que quand il sera en mesure de ressentir ces exp- riences quil saisira leur signification; or, ce moment- l, il n'aura plus besoin de techniques dexpansion de la perception pour arriver ressentir. La conception primale du sentiment diffre consid- rablement de celle des autres thories psychologiques. Le fait de tenir fermement la main de quelquun au cours dune sance o lon enseigne les techniques dexpansion de la perception, ne serait normalement quune exprience de chaleur entre deux personnes. Pour le nvros, un tel geste cre une tincelle, mais il nenflamme pas rellement les puissants besoins pri- mals, qui nont pas de nom mais qui font souvent que le sujet se sent matraqu . Pourquoi ? Parce que, ce qui est un simple geste daffection tout naturel, une sensa- tion agrable, tombe dans le contexte profondment motionnel dune enfance nglige et strile, ce qui ajoute une rsonance et une puissance extraordinaires lexprience en question. Comme cette puissance nest pas saisie intellectuellement, elle tend rester une exp- rience isole o le sujet sera submerg par lmotion ou connatra dineffables sensations mystiques quil consi- drera comme un sommet de la sensibilit. En thrapie primale, on enflamme non seulement le rservoir de puissance o sont emmagasins les sentiments, mais on relie ces sentiments en les faisant passer au plan concep- tuel. Par la suite, les expriences que vit le patient peu- vent tre ce quelles sont, un simple contact, et non ce quen fait un pass dabandon. Nous voyons ici com- bien sont exagres les ractions du nvros, si elles sont cres par des besoins insatisfaits. J e crois quil y a diffrents niveaux de dfenses plus exactement des couches de dfenses qui permettent au sujet dtre plus proche que dautres de ses senti- ments. Cela dpend de la structure familiale, du milieu cultu- rel, aussi bien que de la constitution gnrale du sujet. Il est des familles o tout sentiment est interdit, dautres o la sexualit est permise mais o la colre est pros- crite. Mais, dune faon gnrale, les parents nvross sont anti-sentiments; et lon peut prvoir daprs ce quils ont d touffer en eux-mmes pour survivre, ce quils essaieront dtouffer chez leurs enfants. Souvent ce processus de rpression nest pas dlibr. Il peut se manifester dans la manire dont on fait taire lenfant ds quil devient exubrant, dans un regard ds que lenfant se plaint ou ronchonne, dans la gne quand les enfants parlent de la sexualit ou quune fille se montre nue dans son bain. Ce peut tre le Pas denfantillages ! du pre qui se moque des peurs de son fils ou de la tristesse de sa fille; ce peut tre la mre qui a t telle- ment malmene par la vie quelle ne peut supporter ou permettre que sa fille exprime son dsarroi et son besoin de protection. Ce sont les Que je ne tentende plus jamais dire a ! Ne tarrte pas lchec, pense la russite, mon fils , ou Quest-ce que tu as, poule mouille, tu ne peux pas encaisser a ? Cest ce que lon trouve dans les milliers dexpriences de la vie quotidienne o lon interdit aux enfants dtre de mau- vaise humeur, de critiquer, dtre fous de joie ou de piquer une colre. Cela peut aussi prendre une forme plus dramatique, quand il ny a personne qui lenfant puisse dire ce quil ressent une mre qui travaille, un pre ou une mre trop malade pour laider ou lcouter, ou un pre trop proccup de gagner le pain du mnage pour avoir le temps de lui prter attention. Tout cela a un mme rsultat le vrai moi bless est enfoui par la souffrance. J e crois que dans le domaine de la psychologie, la confusion rgne depuis toujours quant savoir ce qui arrive aux sentiments du nvros. Certains affirment que le nvros na jamais compltement dvelopp la capa- cit de ressentir. Dautres croient que les sentiments de lenfance sont ensevelis tout jamais et ne peuvent tre ressuscits. J e soutiens que la capacit de ressentir ne peut tre irrvocablement atteinte. En effet, le nvros semble tre un primal ambulant, en ce sens qu'il trans- porte avec lui ses sentiments chaque instant de sa journe. Ils se manifestent par sa tension artrielle le- ve, ses allergies, ses maux de tte, la contraction des muscles du squelette, la crispation de ses mchoires, le plissement de ses yeux, sa mine sombre, le timbre de sa voix, sa dmarche. Ce que nous avons t incapables de faire jusquici, cest de retrouver ces sentiments frag- mentaires dans leurs exutoires symptomatiques et de reconstituer partir de ces fragments un sentiment com- plet et clair. J e crois que pour retrouver ces sentiments, il faut uti- liser la mthode de la thrapie primale que je vais d- crire au prochain chapitre.
CHAPITRE 8
LE TRAITEMENT
En gnral, les malades qui veulent entrer en thrapie primale savent davance quil ne sagit pas dun traite- ment classique. Avant de rencontrer un patient ventuel, nous lui demandons de nous envoyer son curriculum vitae. Sil semble apte suivre le traitement, (cest-- dire, sil na pas de troubles crbraux dorigine orga- nique et pas de psychose svre), il est convoqu pour un entretien dont le rsultat ainsi que les renseignements fournis par le curriculum vitae sont soumis au comit des thrapeutes, pour tre discuts. Le sujet est alors admis ou refus. Si le patient est admis, nous lui demandons ventuel- lement de plus amples informations crites. Il est invit subir un examen mdical complet auprs de notre directeur mdical; en outre, nous lui demandons fr- quemment daccepter dtre la fois patient et sujet de recherche. Sil accepte, on fait tout au long du traite- ment des analyses compltes de sang et durine et on tudie ses lectro-encphalogrammes. Dans certains cas, on effectue aussi des tests psychologiques. A la suite de son admission le patient reoit un dos- sier. Ce dernier comprend une liste dinstructions suivre pendant tout le traitement. Il est essentiel que le malade suive ces instructions la lettre, qui interdisent notamment lusage du tabac, de lalcool, de tranquilli- sants et danalgsiques. Le dossier comprend quelque- fois galement un questionnaire de recherches et il in- dique dans leurs grandes lignes les rsultats que le pa- tient peut attendre de la thrapie. Le malade est averti quil aura trois semaines de th- rapie individuelle au cours desquelles il sera vu tous les jours aussi longtemps quil le faudra. Par la suite, il aura des sances de groupe qui ne relvent pas vraiment de la thrapie de groupe, mais constituent plutt des primals faits au milieu dun groupe . Pendant les trois semaines de thrapie individuelle, le patient est pri de ne pas travailler, de ne pas assister des cours, et de navoir aucune autre occupation, car il aura besoin de toute son nergie pour le traitement. En outre, il sera trop boule- vers pour pouvoir travailler, et il nen aura pas le dsir. Pendant ces trois semaines, le thrapeute naura que lui comme patient en thrapie individuelle. Il lui accordera par consquent tous les jours, tout le temps dont il aura besoin : seuls les sentiments du malade dterminent la fin de chaque sance. En gnral, les sances durent entre deux et trois heures; il est rare quun malade ait besoin de moins de deux heures ou de plus de trois heures et demie. Le cot global dune thrapie primale est de loin infrieur celui dune psychanalyse. Vingt-quatre heures avant le dbut de la thrapie, le malade est isol dans une chambre dhtel quil est pri de ne pas quitter avant lheure de la sance, le lende- main. Au cours de ces vingt-quatre heures, il ne doit ni lire, ni regarder la tlvision, ni donner des coups de tlphone. Il lui est permis dcrire. Si nous avons des raisons de penser que cest un malade qui a un systme de dfense particulirement puissant, nous lui deman- dons de ne pas se coucher de la nuit. Cest un procd que nous utilisons quelquefois au cours des deux pre- mires semaines de thrapie individuelle. Lisolement et le manque de sommeil sont des tech- niques importantes, qui amnent souvent le patient au bord dun primal. Lisolement a pour but de priver le patient de tous les exutoires habituels de sa tension, tandis que linterdiction de dormir vise affaiblir les dfenses qui lui restent : il a moins de ressources pour combattre ses sentiments. Le but est dempcher le patient dtre distrait de lui-mme. Un patient ma dit : Au beau milieu de la nuit, jai commenc faire des appuis-avant. Chaque fois que je marrtais et que je regardais par la fentre de lhtel, je fondais en larmes sans savoir pourquoi. Une malade fut prise de panique et me tlphona minuit; elle voulait tre rassure parce quelle croyait quelle devenait folle. Souvent, la soli- tude conduit le nvros au dsespoir. Pour beaucoup de malades, cette nuit dans la chambre dhtel, cest la premire fois depuis des annes quils se retrouvent compltement seuls, sans rien faire dautre que rflchir sur eux-mmes. Ils ne peuvent aller nulle part et ils nont pas de quoi soccuper. Il ny a aucune occasion de djouer lirralit. Faire veiller le patient toute la nuit a une fonction importante : cela lempche de djouer son irralit dans ses rves. Le manque de sommeil contri- bue lmiettement des dfenses, en partie parce que le simple fait dtre fatigu rend le sujet moins apte jouer son rle, mais surtout parce que, priv de ses rves, il na aucun moyen de soulager sa tension. En coupant court ce comportement symbolique que le sujet soit veill ou endormi nous rapprochons lindividu de ses sentiments. En outre, de nombreuses tudes ont tabli que lisolement en lui-mme abaissait le seuil de la souffrance.
La premire sance
Quand le patient arrive, il souffre. Il ne fume pas, il na pas pris de tranquillisants, il est fatigu et rempli dapprhension. Il nest pas trs sr de ce qui lattend. Il se peut quon le fasse attendre cinq dix minutes au- del de lheure du rendez-vous pour faire monter encore la tension. Le cabinet insonoris est plong dans la p- nombre, il ny a pas de tlphone. Le patient est allong sur le divan. Il est pri davoir les jambes et les bras carts car je veux que le corps se trouve dans une posi- tion aussi dsarme que possible. J ai compris limportance que pouvait avoir la position du corps en observant en prison les nouveaux dtenus; la plupart du temps, ils passent les premiers jours les jambes croises, les bras entourant labdomen, le haut du corps pench sur les genoux, comme pour se protger de leur solitude, de leur dsespoir et de leur souffrance. A partir de ce moment-l, le droulement des vnements varie en fonction du patient. J e donne ici un exemple type. Le patient parle de sa tension, de ses problmes, de son impuissance, de ses maux de tte, de sa dpression et de son malheur en gnral. Il dira par exemple : A quoi bon tout cela ? ou Tous les gens sont compl- tement dtraqus, il ne reste personne , ou encore J en ai marre dtre seul ! J e narrive pas me faire des amis et quand jen ai, jen ai vite assez deux ! Ce qui compte, cest que le patient est malheureux et quil souffre. Sil est trs tendu et effray, je lui demande de se laisser envahir par ce sentiment. Sil est pris de pa- nique, je le pousse appeler son pre et sa mre pour leur demander de laide. Il peut arriver que cela pro- duise un sentiment douloureux, ds le premier quart dheure de la premire sance. J e demande au patient de parler de son enfance. Il dit quil ne se souvient pas de grand-chose. J e le pousse dire le peu dont il se sou- vient. Il commence alors parler de son enfance. Au fur et mesure quil parle, je rcolte des rensei- gnements. Le patient dvoile son systme de dfenses de deux manires. Dabord par la faon dont il parle. Il peut intellectualiser, ne montrer pratiquement aucun sentiment, utiliser des formules abstraites et dune faon gnrale, se comporter comme sil tait le spectateur de sa propre vie plutt que celui qui la vcue. Comme il utilise sa personnalit , (son moi irrel) pour dcrire sa vie, nous sommes trs attentifs ce que dit ce moi. Le malade prudent qui est vasif et lude les questions du thrapeute en les modifiant veut dire par l : Ne me faites plus mal, je ne sentirai rien tant que vous me ferez mal. En parlant, le malade nous renseigne aussi sur le comportement quil avait chez lui : Quand il disait a, je la fermais dhabitude , Pour rien au monde je ne voulais lui donner le plaisir de savoir quil mavait fait mal , ou Ma mre tait tellement bb quil me fallait prendre les choses en mains et que ctait plutt moi la mre ! , ou Mon pre passait son temps maccuser, il fallait que jaie la rplique rapide ! , ou J e ne pou- vais jamais avoir raison , ou encore Il ny avait pas la moindre affection . On encourage alors le malade se replonger dans une de ces situations de lenfance qui semblent avoir veill en lui des sentiments profonds. J tais assis l, et je le regardais battre mon frre et oh... je me sens tendu, je ne sais pas ce que cest... A nouveau, on encourage le patient se laisser aller son sentiment. Il se peut quil ne parvienne pas le dfinir, ou bien il dira : J e crois que je commenais sentir quil pourrait bien marriver la mme chose si je rpondais comme mon frre... ooh... jai lestomac serr. Est-ce que javais peur ? Le patient commence tressaillir un peu. Il remue bras et jambes. Il bat des paupires et plisse le front. Il soupire ou grince des dents. J e le presse : Res- sentez cela ! Maintenez-vous dans ce sentiment ! Il arrive quil rponde : Cest fini, le sentiment a dispa- ru. Ce processus dattaque et de dfense peut se pour- suivre pendant des heures ou des jours. Le patient pourra alors dire : J e me sens tout raide. Il faut croire que javais vraiment peur du vieux. A ce moment-l, quand je vois quil est plong dans son sentiment et quil sy cramponne, je lui demande de respirer profondment partir du ventre. J e dis : Ou- vrez la bouche aussi grand que possible et restez comme a ! Maintenant tirez, tirez ce sentiment du fond de votre ventre. Le malade commence respirer profon- dment, dabord en frmissant, puis en tremblant. Quand cette respiration semble tre automatique, je le presse : Dites papa que vous avez peur. J e ne dirai rien du tout cette espce de salaud , rpond-il. J insiste : Dites-le, dites-le. En gnral, au cours de cette premire sance, le patient narrive pas le dire, aussi simple que cela paraisse. Si nanmoins, il russit le sortir dans un cri, ce dernier sera dhabitude suivi dun torrent de larmes et dun haltement qui lui re- tourne lestomac. Immdiatement aprs, le patient se mettra parler du type de personne qutait son pre. Il y a de grandes chances pour quil ait un certain nombre dinsights en parlant. Cette raction initiale est appele un pr-primal . Les pr-primals peuvent se poursuivre pendant plusieurs jours, parfois mme une semaine. Il sagit essentielle- ment dun processus deffritement qui a pour but d ouvrir le malade et de le prparer renoncer son systme de dfenses. Personne nest dispos se laisser faire demble. Ce nest qu contrecur et par tapes que lorganisme renonce sa nvrose. Au bout dune quinzaine de minutes, le patient est de nouveau calme et recommence son bavardage habi- tuel qui nimplique aucune communication relle : cest sa faon de parler, qui est dnue de tout sentiment. A nouveau, il est conduit vers une situation particulire- ment pnible de son pass. Le thrapeute attaque le systme de dfenses du patient partout o il apparat. Par exemple, si le malade parle trs doucement, il est pri de parler haut. Sil a lattitude dun intellectuel, on dnonce son intellectualisme partout o il se manifeste. Le patient qui est loin de ses sentiments, qui vit dans sa tte , met en gnral plusieurs jours avant de pou- voir arriver un pr-primal. Nous nen continuons pas moins chaque sance ly pousser. Pour lintellectuel, la premire sance peut fort bien ressembler une sance de thrapie conventionnelle : discussion, histoire, questions, clarifications. En aucun cas on ne discute dides. Nous ne cdons pas au dsir de beaucoup de patients qui voudraient parler de la thorie primale et de sa valeur. On essaie tous les jours dagrandir la brche que lon a ouverte dans le systme de dfenses jusqu ce que le patient ne puisse plus se dfendre. Les premiers jours de thrapie semblent cor- respondre aux premires annes de la vie du patient, avant la scne primale qui la ferm sur lui-mme. Il revit des vnements isols qui lui reviennent par bribes et par morceaux. Quand tous ces fragments sassemblent en un tout significatif, le patient a un pri- mal. Quelle que soit la faade que le malade prsente, quil se montre brillant, humble, poli, obsquieux, hostile ou thtral, on lui interdit cette attitude pour arriver lui faire dpasser son systme de dfenses et atteindre son sentiment. Sil remonte les genoux, ou sil tourne la tte, il est pri de rester totalement allong. Sil part dun rire nerveux ou bille au moment o le sentiment monte, on le lui fait remarquer sur un ton dimpatience. Sil essaie de changer de sujet, on len empche. Il peut aussi arri- ver quil avale littralement son sentiment, ce qui est le cas de beaucoup de patients qui avalent effectivement leur salive chaque fois quun sentiment commence monter. Cest lune des raisons pour lesquelles on de- mande au malade de garder la bouche ouverte. Tandis que le malade parle dun autre vnement de son enfance, nous continuons guetter les signes dun sentiment. Il se peut que sa voix tremble un peu, comme sous lassaut de la tension. Nous demandons nouveau au patient de respirer profondment et de se laisser aller son sentiment. Cette fois, peut-tre une ou deux heures plus tard, le patient est branl. Il ne sait pas ce quil ressent, il se sent simplement tendu et contract cest--dire raidi contre le sentiment. J e lui demande de le faire monter en respirant profondment. Il jure quil ne sait pas identifier le sentiment en question. Il a la gorge noue et il a limpression davoir la poitrine ser- re dans un tau. Il commence suffoquer et il a des haut-le-cur. Il dit : J e vais vomir. J e lui dis que cest un sentiment qui monte et quil ne vomira pas. J e le pousse dire ce quil ressent, mme quand il ne le sait pas. Il commence former un mot et se met se dbattre et se tordre de souffrance. J e le presse de le laisser sortir et il continue essayer de dire quelque chose. Enfin, le cri jaillit : Papa, sois gentil , Ma- man, au secours ! ou un cri de haine : J e vous hais, je vous hais. Ce cri est le cri primal. Il schappe en haltements saccads, sous la pression dannes et dannes de refoulement et de ngation du sentiment. Souvent ce nest quun appel : Maman ou Papa . Ces simples mots provoquent des torrents de souffrance, parce que de nombreuses mamans ne permettent mme pas leurs enfants de les appeler autrement que Mre 1 . Le fait de se laisser aller et dtre ce petit enfant qui a besoin dune maman , contribue librer tous ces sentiments accumuls. Le cri est la fois un cri de souffrance et un cri de li- bration par lequel le systme de dfenses du patient souvre de faon dramatique. Il provient de la pression cre par le fait que le moi rel a t retenu prisonnier,
1 N.D.T. : Usage beaucoup plus frquent aux Etats-Unis quen France o il a pratiquement disparu. parfois pendant des dizaines dannes. Cest en grande partie un acte involontaire. Ce cri est ressenti dans le corps tout entier. Beaucoup le dcrivent comme un clair fracassant qui semble briser toutes les dfenses inconscientes du corps. J e reviendrai plus en dtail sur le cri et sur sa signification dans un chapitre suivant. Pour linstant, il suffit de noter que le cri primal est la fois la cause et la consquence de leffondrement du systme de dfenses. Au cours de la premire sance, je me borne quelque- fois faire parler le patient uniquement ses parents. Sil me parlait d'eux il prendrait automatiquement du recul par rapport ses sentiments, ce serait comme nimporte quelle conversation entre deux adultes. Ainsi, par exemple, le patient peut dire : J e me souviens, papa, du temps o tu mapprenais nager et o tu mengueulais parce que javais peur de mettre la tte sous leau. Finalement, tu my as plong de force. A ce moment-l, il peut, furieux, se tourner vers moi pour dire : Vous imaginez, cet idiot, maintenir la tte sous leau un enfant de six ans ? J e rponds : Dites-lui ce que vous ressentez. Et cest ce quil fait; il dbite toute une tirade, et il crie de peur exactement comme lenfant de six ans quil tait. Cela le conduit dautres associations et il est maintenant plong dans un certain sentiment. Il commence raconter comment son pre a voulu lui apprendre un tas dautres choses et quel point il avait toujours peur. Une fois, il y avait ce grand cheval, et je ne savais pas monter cheval, mais il me fit monter quand mme, le cheval semballa et partit au galop, le matre de mange nous attrapa et arrta le cheval. Mon pre ne dit pas un mot. J e lui demande nouveau de dire son pre ce quil ressent. Ses associa- tions le font peut-tre sattarder aux leons quil a re- ues dans sa vie ou aux situations redoutables dans lesquelles son pre lui interdisait davoir peur. Ou bien, il se peut quil passe brusquement sa mre : Pour- quoi nest-elle jamais intervenue ? Elle tait tellement faible. Elle ne me protgeait jamais de lui. De lui- mme, le patient, qui commence apprendre la m- thode, sadresse elle : Maman, aide-moi, jai besoin daide. J ai peur ! Cela peut le conduire des senti- ments plus profonds encore, des sanglots, des larmes et une contraction abdominale. Il peut avoir dautres souvenirs du temps o elle ne le protgeait pas contre le monstre , dautres prises de conscience du carac- tre puril et craintif de sa mre, de sa trop grande fai- blesse qui lempchait de laider, etc. Au bout de deux ou trois heures, le patient est extnu et cest fini pour la journe. Il regagne sa chambre dhtel. Il sait quil peut tou- jours me joindre par tlphone sil a besoin de moi et au cours de la premire semaine, il peut mme, sil le d- sire, revenir pour une autre sance dans le courant de la journe, si son angoisse est trop profonde. Passe la premire semaine, le cas se prsente moins souvent. Il na toujours pas le droit de regarder la tlvision ni daller au cinma. II nen a du reste pas envie parce quil est absorb par lui-mme.
Deuxime jour
Le malade arrive dbordant dinsights. J ai limpression que ma tte explose , dit-il, jai compris tant de choses hier soir, que je nai presque pas dormi et que je nai mme pas faim. Le peu de temps o jai dormi, je nai pas cesser de rver. Il y a tant de choses qui remontent quil attaque tout de suite. Il voque des souvenirs quil savait oublis et parle dautres situations douloureuses quil navait pas mentionnes le premier jour. Il peut arriver que ds les dix premires minutes de la sance, il pleure tout en parlant alternativement de ses souvenirs et de ce quil a compris. Il semble plong dans une profonde souffrance, cependant, il dira ce que disent presque tous les patients : Il me tardait telle- ment de revenir. De nouveau, nous attaquons le sys- tme de dfenses. Nous ne permettons pas au malade de scarter du sujet si nous souponnons quil veut viter quelque chose. Il na pas non plus le droit de sasseoir ni de bavarder . Nous voici replongs dans un souvenir douloureux : Un jour, ma mre memmena faire des courses avec elle et deux de ses amies; elle mavait mis un magnifique nud dans les cheveux et leur dit : Vous ne trouvez pas quil ferait une jolie petite fille ? Imbcile, je suis un garon ! hurle-t-il. En- suite, il parle de tout ce que faisait sa mre pour le rendre effmin. Dautres souvenirs, prises de cons- cience et sentiments qui la concernent. Puis il discute de son pass, de ce qui la fit telle quelle tait, pourquoi elle avait pous un homme si effmin. Puis il en vient un autre souvenir. J e partais au service militaire et en membrassant, elle glissa sa langue dans ma bouche. Vous imaginez, ma propre mre ! Mon Dieu ! Cest toujours moi quelle dsirait au lieu de mon pre. Ma- man, laisse-moi tranquille, laisse-moi seul, je suis ton fils ! Puis il dira peut-tre : Maintenant je com- prends pourquoi elle en avait toujours contre mes petites amies, elle me voulait pour elle toute seule. Dieu, que cest dgotant ! Maintenant je me souviens du jour o nous avons fait un pique-nique et o elle et moi nous nous sommes sauvs et cachs de mon pre. Elle mit sa tte sur mes genoux. J e me sentais tout drle. Une sorte de nause. Eh oui, ma mre voulait me sduire. J e me suis senti mal et jai vomi sans savoir pourquoi. Mainte- nant je sais. Elle me montait contre mon pre, le seul tre convenable dans ma vie ! Salope, salope ! A ce moment-l, le patient se roule par terre, se tord et halte. J e la hais, hais, hais, ooh ! Il crie quil voudrait la tuer. J e lui dis : Dites-le-lui. Il se met frapper le sol dans une colre quil ne contrle plus et qui peut durer quinze ou vingt minutes. Finalement, elle sapaise. Il est extnu, trop fatigu pour parler encore, et cest la fin de la deuxime sance.
Troisime jour
Le patient a perdu ses dfenses. Quelquefois, il se met pleurer ds quil entre dans le cabinet. Il arrive que je le trouve dans la salle dattente, par terre, en train de sangloter. Il gmit : J e ne peux pas supporter toute cette souffrance. Cest trop. J e narrive pas lire parce que je suis envahi de souvenirs et que je comprends tant de choses. Combien de temps cela va-t-il durer ? Nous nous remettons voquer des sentiments : J e me sou- viens dun jour o papa tait furieux contre moi, parce que je ne voulais pas faire ce que demandait ma mre. J e navais que huit ans. J e lui ai dit de la boucler. Il ma dit de bien prendre garde ne plus jamais lui dire a. J e lai rpt. Il a attrap le balai et men a menac. J e me suis sauv. Il ma poursuivi, ma rattrap et a commenc me frapper. Mon Dieu ! il va me tuer ! Papa me hait ! Il voudrait se dbarrasser de moi ! Arrte, papa, ar- rte ! A ce moment-l, le malade est submerg par son sentiment. Il a roul du divan sur le sol et hurle, avec des mouvements convulsifs de labdomen, que son pre va le tuer. Il touffe et transpire en essayant de crier, mais le cri ne veut pas sortir. Il continue suffoquer et strangler en criant quil va mourir. Finalement : J e serai gentil, papa, je ne dirai plus de gros mots. Et il nen dit plus. Il est devenu un bon petit garon. Ce que vient de vivre le patient est un primal. Une exprience totale du sentiment et de la pense, venue du pass. Le tout se passe en quelques minutes qui paraissent ex- traordinairement douloureuses. Le malade na pas parl de ses sentiments, il les a ressentis. Un primal est une exprience qui submerge ltre tout entier. Le malade est presque inconscient de lendroit o il se trouve ce moment. Pendant les deux premiers jours de thrapie, il a vcu ce que jappelle des pr- primals. Ce sont des sentiments importants de son pass, mais qui ne le submergent pas encore entirement. Cela ne veut pas dire qu'il soit impossible quun primal com- plet se produise au cours de la premire sance, mais en rgle gnrale, cest rare. Quelquefois il se passe des semaines avant quun primal complet ait lieu. Lorsquil survient, il semble briser la barrire pense-sentiment, de sorte que le sujet souvre toutes sortes de senti- ments et commence avoir des primals spontanment, en dehors de la thrapie. A partir de ce moment-l, le malade est en voie de gurison. Au fur et mesure que les jours passent, il a toutes chances davoir des expriences de plus en plus pro- fondes, jusquau jour o lquilibre prcaire entre le moi rel et le moi irrel penche au profit du moi rel, ce qui permet au malade de faire la pleine exprience de son sentiment. A partir de l, le patient est submerg par des expriences douloureuses de son pass, et il fera des primals en grand nombre pendant plusieurs mois. Cela ne veut pas dire pour autant que le sujet sera devenu entirement rel. Chaque primal rduit le domaine du moi irrel et largit celui du moi rel. Quand les souf- frances essentielles auront t ressenties, il ny aura plus de moi irrel et nous pourrons dire que le sujet est normal . Notre tche consiste faire remonter les souffrances pour faire du malade une personne relle qui ressent.
Aprs le troisime jour
Au cours des trois semaines suivantes, le traitement suit dans une large mesure le processus que nous venons de dcrire. Il y a des creux, o le patient ne semble pas ressentir grand-chose, tre sec . Il peut simplement se trouver dans une priode o il est rfractaire, parce que lorganisme se repose des journes de souffrance. Lorganisme est un excellent rgulateur de souffrance et nous sommes trs attentifs ne pas infliger un malade une souffrance excessive, quand il est dans une telle priode. Quelquefois, le malade refuse simplement de faire face ses sentiments, car son systme de dfenses r- siste toujours. Alors, bien quen rgle gnrale, le ma- lade quitte la chambre dhtel au bout de la premire semaine 1 , il peut arriver que nous lui demandions dy retourner et de veiller encore toute la nuit, lobjectif tant toujours laffaiblissement du systme de dfenses. Certains malades estiment que chaque jour de thrapie les dpouille dune couche de dfenses. Ce processus samplifie de lui-mme parce que toute souffrance res- sentie permet au malade den supporter davantage. Chaque primal semble faire surgir de nouveaux souve- nirs ensevelis qui eux-mmes conduisent de nouveaux primals. Au fur et mesure que les dfenses se brisent, les primals successifs peuvent de plus en plus englober lorganisme entier. Mais le corps ne supporte quune certaine quantit de souffrance la fois; par consquent, si le patient nest pas soumis une pression excessive, les primals ont lieu des intervalles rguliers et en toute scurit. Si lon contraint un patient ressentir plus de choses quil nen peut supporter, on aboutira simple- ment le faire nouveau se refermer sur lui-mme. En gnral, au fur et mesure que les jours passent, le malade remonte, avec chaque primal, plus loin dans son enfance. Il est courant de lentendre prendre la voix de lge quil revit le zzaiement, le parler du tout jeune enfant, et quelquefois mme les pleurs du nourrisson. Cest lobservation de tous ces lments qui ma con- duit comprendre le rapport quil y a entre la souffrance
1 N.D.T. A lheure actuelle, les malades passent la totalit de leurs trois semaines de thrapie individuelle dans un motel. et la mmoire; en effet, une fois que la souffrance est limine, les souvenirs des malades qui ont t en thra- pie primale, remontent jusquaux tout premiers mois de leur vie. Ces observations mont aussi conduit com- prendre lnorme importance des trois premires annes de la vie. Ce nest pas une dcouverte nouvelle, Freud la dit ds le dbut de ce sicle. Mais la nature du trau- matisme est presque insaisissable : ce peut tre le simple fait de ntre pas chang et dtre abandonn dans son berceau, le fait dtre mani sans douceur, dtre nglig et de pleurer pendant des heures et des heures sans que personne soccupe de vous, le fait dtre expos aux voix perantes des parents qui troublent la tranquillit de lenfant, de ntre pas nourri au sein, ou si on lest, dtre sevr non de faon naturelle mais selon un pro- gramme prcis. Le traumatisme peut aussi rsulter dune naissance difficile ce qui nous conduit reconsidrer les travaux dOtto Rank qui, ds le dbut de ce sicle, parlait du traumatisme de la naissance. Mais Rank pensait que la naissance en elle-mme (le fait de quitter la chaleur et la scurit du ventre de la mre) tait traumatisante, tandis que selon moi, seules les naissances difficiles sont traumatisantes. La naissance est un processus naturel et je ne crois pas que quoi que ce soit de naturel puisse tre traumatisant. J ai assist au primal dune femme qui tait roule en boule, gargouillait et stouffait presque en crachant du liquide; tout coup, elle sest tire, vagissant comme un nouveau-n. Aprs le primal, elle sentit quelle ve- nait de revivre sa naissance qui avait t particulire- ment difficile et au cours de laquelle elle avait effecti- vement failli tre touffe par les liquides. Un autre malade revcut sa naissance qui avait t extrmement longue le travail avait dur une vingtaine dheures. Aprs avoir senti combien il avait d lutter pour venir au monde, il comprit que sa lutte avait commenc sa naissance et navait jamais cess depuis. On aurait dit que ma mre voulait me rendre la vie dure ds le d- part ! disait-il. J ai assist un autre primal qui ma beaucoup appris ce sujet. Il sagissait dune femme qui avait toujours le sentiment dtre mal laise et malheureuse, sans savoir pourquoi. Elle se plaignait de ne pouvoir pleurer. Sou- dain, elle revcut une exprience et des larmes jaillirent de ses yeux; cette exprience tait une opration qui avait t faite sur son canal lacrymal, alors quelle avait un an, pour remdier une obturation qui stait pro- duite aprs la naissance. Cette femme avait la trentaine et pouvait pleurer; pourtant, lorsquelle revivait dans mon cabinet des vnements antrieurs cette opra- tion, elle tait incapable de verser une larme. Ceci montre bien que le traumatisme existe, mme avant lacquisition du langage. Ce nest pas simplement la faon dont le pre ou la mre crient quand ils sadressent lenfant qui provoque la nvrose; il semble que le traumatisme sinscrive dans le systme nerveux et que lorganisme tout entier en garde la mmoire. Le corps sait quil est traumatis, mme quand cela ne saccompagne daucune prise de conscience. Et ici en- core, il ne suffit pas que le sujet ait connaissance de ce qui lui arrive; si ces vnements ont t traumatisants, il faut quil les revive et en refasse lexprience complte pour mettre un terme l'effet quils continuent dexercer sur lorganisme. En gnral, partir de la deuxime semaine de traite- ment, les primals sont presque quotidiens. Chaque sujet a un type spcifique de primals. Certains ont besoin de parler pour arriver au sentiment, dautres partent dune sensation physique inexplicable sur le moment, mais quils relient ensuite un souvenir. J uste avant la con- nexion dcisive, qui est si douloureuse, certains patients sagrippent au divan, dautres se tiennent le ventre, dautres encore tournent la tte sans arrt, claquent des dents ou transpirent abondamment. Sous leffet de la souffrance, certains patients se plient en deux, dautres se recroquevillent dans un coin du divan, et dautres encore tombent du divan et se roulent par terre en mou- vements convulsifs. Mme pour un mme sujet, il ny a pas deux primals semblables. Ils peuvent tre sous le signe de la colre et de la violence, de la peur, du silence ou de la tristesse. Mais, quelque forme que prenne le primal, le traitement vise les sentiments anciens non rsolus. Il est difficile dexprimer avec des mots combien de faons diffrentes il peut y avoir de ressentir un senti- ment. Une malade qui avait t en thrapie convention- nelle, disait quelle y avait beaucoup pleur, mais que cela avait t une exprience tout fait diffrence de celle dun primal. Auparavant, elle pleurait pour soula- ger sa souffrance et pour se sentir mieux, pour protger son moi bless. Maintenant, cest la souffrance qui la fait pleurer et ces sentiments sont beaucoup plus in- tenses et la submergent entirement. Elle disait quau cours dun primal, elle pouvait sentir ses pleurs jusquau bout des orteils. En thrapie, les patients apprennent vite comment ac- cder leurs sentiments. Un malade raconte par exemple un rve de la nuit prcdente, parle comme sil le vivait linstant, ressent sa peur et son impuissance, perd rapidement la matrise de lui-mme et relie le sen- timent son origine. Le fait de perdre compltement le contrle de soi permet d'tablir la connexion, car le contrle de soi quivaut presque toujours la rpression du moi rel. Le patient dsire cette souffrance parce quil sait quelle est le seul moyen de le sortir de la nvrose. Cest mon moi qui souffre , disait un patient et si jarrive sentir mon moi, cest tout ce que je veux. Au bout dun certain temps, le rle du thrapeute se rduit garder le silence. Quand le malade est plong dans un sentiment, il retourne l-bas , il revit son exprience retrouve les odeurs, entend les bruits, et passe par les processus physiques qui ont eu lieu ce moment lointain de son pass et ont t bloqus alors. Un patient quon aimait parce quil se retenait si bien et ne se mouillait presque jamais lge de un an et demi, souffrit durant son primal du mme besoin terrible duriner dont il avait souffert tout petit. Il ne faut pas oublier que le patient est entirement replong dans une situation du pass et que toute intervention du thra- peute dans le prsent risque de len faire sortir. Si on laisse agir le sentiment, il ramnera le patient ses ori- gines; cela ne peut se faire si le thrapeute discute le sentiment avec son patient. Un primal possde un certain nombre de caractris- tiques. En premier lieu, le vocabulaire. Si le sujet utilise un vocabulaire de petit enfant, ce qui est le plus souvent le cas, cest quil est effectivement plong dans un pri- mal. Un docteur en philosophie dit par exemple au cours dun primal : Papa, moi peur ! Pour moi, ctait le signe quil ne jouait pas la comdie. En revanche, si un patient crie des injures du style de Papa, tu es un sa- laud ! , il y a toutes chances pour quil ne fasse quun pr-primal. Les primals ont une autre caractristique : le fait de ressentir des fragments toujours plus grands de la petite enfance et de lenfance, produit plus de maturit. Cela sexplique par le fait quen liminant le pass de lorganisme du sujet, on lui permet dtre rellement adulte, au lieu de jouer ladulte . En rsum, il devient ce quil est. Un patient plong dans un primal crie et pleure souvent avec une voix de bb de un an, et lorsquil en sort, il a une voix nouvelle, plus grave et mieux timbre, au lieu de la voix fluette et infantile quil avait avant le traitement. Quand un patient a revcu son pass au cours dun primal, il a tendance perdre la notion du temps. Cer- tains disent : Il me semble quil y a des annes que je suis entr dans ce cabinet ce matin. Quand je demande au patient de dire approximativement combien de temps il croit avoir pass dans mon bureau, il nest pas rare quil rponde : Une trentaine dannes, je suppose . Il semble que dans les minutes ou les heures quil passe dans son environnement dantan, il ne vive plus le temps prsent. Les patients eux-mmes dcrivent ces primals comme un coma conscient. Bien quils puissent sen sortir nimporte quel moment sils le dsirent, ils prfrent continuer. Ils savent o ils sont et ce qui se passe, mais durant un primal, ils revivent leur pass et en sont com- pltement submergs. En fait, ils ont toujours t sub- mergs par leur pass, mais ils le djouaient au lieu de le ressentir. Mme leurs rves avaient gnralement pour objet le pass. Le primal remet le pass. Le primal remet le pass sa place, permettant au patient de vivre enfin dans le prsent.
Le cri primal
Le cri primal nest pas un cri pour le cri. Ce nest pas non plus un moyen de soulager la tension. Lorsquil est provoqu par des sentiments profonds et dvastateurs, je crois que cest un agent curatif bien plus quun agent de dtente. De toute faon, ce nest pas le cri en lui-mme qui est curatif, cest la souffrance. Le cri nest quune expression de la souffrance. La souffrance est lagent curatif parce quelle signifie que le sujet ressent nou- veau. Au moment mme o le patient ressent la douleur, la souffrance disparat. Si le nvros a eu mal, cest que son corps a t constamment branch sur la souffrance. Cest la tension de lapprhension qui lui a fait mal. Le vritable cri primal ne peut tre mconnu. Cest un cri profond et involontaire qui ressemble un rle. Lorsque le thrapeute dtruit brusquement une partie de ses dfenses et que le patient se trouve tout coup nu dans sa souffrance, il crie parce quil est entirement expos sa vrit. Le cri est la raction la plus frquente cette soudaine vulnrabilit la souffrance, mais ce nest ni lunique ni la constante raction possible. Il y a des sujets qui geignent, gmissent, se tordent ou se dbattent dans tous les sens. Le rsultat est le mme; ce qui sexprime quand le sujet crie, cest un sentiment unique qui est peut-tre la base de milliers dexpriences antrieures : Papa, ne me fais plus mal ! ou Maman, jai peur. Quelquefois, pour commencer, le malade a juste besoin de crier. Il crie pour les centaines de fois o on la fait taire, o on la ridiculis, humili, ou battu. Il crie aujourdhui parce quil a souvent t bless sans avoir droit au luxe de saigner ! Cest comme si quelquun lavait continuelle- ment piqu avec une petite aiguille, sans quil ait une seule fois pu crier Ae !
La rsistance
La thrapie primale ne se droule pas toujours aussi facilement que jai l'air de le dire. Les dfenses elles- mmes sont une rsistance au sentiment. Par cons- quent, tant quil subsiste une partie quelconque du sys- tme de dfenses, il y a toujours une rsistance. Beau- coup de patients refusent dappeler leurs parents. Quel- quefois ils ont derrire eux des annes de psychanalyse et ils dclarent : Ecoutez, je sais quoi men tenir depuis des annes; je sais comment ils sont, et ce que vous me demandez na pas de sens. J e leur fais remar- quer quils ne peuvent pas le savoir, tant quils ne les ont pas appels. Dautres patients sont gns par cet exercice puril . Un jeune psychologue ma dit : Vous ne trouvez pas que cest un peu simpliste ? Pourtant, le fait de savoir intellectuellement que lon na pas t aim, est une exprience dissocie, cest une semi-exprience laquelle le corps ne prend pas part. Demander dtre aim cest une tout autre affaire. La lutte nvrotique a commenc parce que lenfant ne pou- vait plus en toute scurit demander dtre aim; cette demande entranait le fait dtre rejet et de souffrir. Comme la lutte est la manire symbolique continuelle de demander dtre aim, le fait de ramener le sujet la question directe : Maman, je ten prie, aime-moi , cest repousser la lutte et mettre nu la souffrance. Quelquefois, la rsistance est physique. On demande au malade de respirer et il le fait lenvers. Il semble repousser lair vers le bas au lieu de pousser vers le haut et dexhaler. On rencontre souvent cette incapacit dexhaler chez les nvross, surtout chez ceux qui ont t rprims et qui ont toujours d tout retenir en eux- mmes. Il semble que la rsistance physique soit auto- matique. La gorge se serre, le corps se plie en deux, le malade roule sur lui-mme et se met en boule le tout pour couper court au sentiment. Il ne faut jamais oublier que, si douloureuse que soit la nvrose, jamais personne ne sallonge simplement sur le divan pour sen dfaire. Si le patient persiste dans sa respiration superficielle, il peut arriver que jappuie sur son abdomen. Mais il est rare que ce soit ncessaire. En aucun cas, il ne faudrait le faire avant que le patient ne soit solidement accroch un sentiment, car ce nest pas la respiration quon recherche, mais le sentiment.
Le primal symbolique
Toute souffrance excessive tant, semble-t-il, automa- tiquement coupe par notre systme, jappellerai ce qui semble se passer dans les premiers jours de thrapie, le primal symbolique. Cest particulirement vrai pour des personnes dun certain ge qui ont des dfenses renfor- ces. Il se peut que le ct physique de la souffrance soit veill tout de suite, mais le malade narrive pas faire la connexion mentale. A la place, il sentira une terrible douleur dans le dos (symbole de quelquun quil avait toujours sur le dos ) ou il sera brusquement paralys localement, (symbole de son impuissance), ou encore il sentira un poids sur ses paules (symbole du fardeau quil a port). Le symbolisme varie. Un patient eut le ct gauche paralys pendant une demi-heure; ds quil commena tablir les connexions, il dit : Cest tout ce poids mort que toute ma vie jai d traner avec moi. Lorsque le thrapeute primal empche le comporte- ment symbolique du patient, on dirait que la nvrose se retire sur la ligne de dfense suivante : le symbolisme du corps autrement dit, les troubles psychosoma- tiques. Nous constatons une fois de plus que la douleur physique est le rsultat de la souffrance mentale de lenfance, et que quand cette souffrance est ressentie, les troubles physiques disparaissent. En dbut de thrapie primale, presque tous les ma- lades souffrent de troubles psychosomatiques, mme quand leur tat de sant tait relativement bon aupara- vant. Aprs son premier primal important, un patient eut la diarrhe. Il me dit : Les choses sortent de moi, avant mme que je puisse savoir ce quelles sont ! Une fois quil eut compris et ressenti ce quelles taient, il neut plus de diarrhe. Quand des sentiments essentiels sont bloqus, la souffrance semble se retourner dabord contre certaines parties du corps. Cest ce qui nous in- dique la souffrance est en train de remonter. Ds que les connexions sont faites, les troubles psychosomatiques disparaissent rapidement. Au cours de son second pr-primal, un patient se sen- tit littralement dchir. Il avait les poings serrs, les bras tendus, raides et tremblants. Il suffisait de lobserver pour voir quil tait tir des deux cts. Pour- tant, ctait un comportement symbolique indiquant quil se sentait (et quil tait effectivement) scind en deux, mais incapable dtablir la connexion avec les causes du clivage. Plus tard, il sentit ce qui stait pass. Il revivait une scne de lpoque du divorce de ses pa- rents. Il ressentait combien il dsirait aller avec son pre, mais sans oser le ressentir de peur de dplaire sa mre... Il sentait combien il hassait sa mre mais quil fallait touffer ce sentiment parce quil tait oblig de vivre avec elle et quil allait dpendre exclusivement delle... Il ressentait sa colre lgard de son pre qui le quittait, mais il fallait la dissimuler pour tre sr quil revienne le voir... Toutes ces contradictions se manifes- taient par un tiraillement physique. Elles se manifes- taient physiquement parce quil nosait pas les ressentir directement. Les sentiments taient alors inscrits dans son systme musculaire en termes de leur valeur symbo- lique; il tait rellement dchir par ces sentiments op- poss parce que les sentiments sont des choses relles, physiques. Pour rsoudre le dchirement, il dut retour- ner en arrire et ressentir sparment tous les lments de cette contradiction. Il ne suffisait pas de savoir quil tait en conflit cause du divorce. La thorie primale explique un cas comme celui-l par le fait que les souvenirs refouls, cest--dire les v- nements trop douloureux pour que le sujet les regarde en face, sont emmagasins dans le cerveau au-dessous du niveau de la conscience, et quils envoient des mes- sages lorganisme. Cest ainsi que le dsir jamais exprim de rendre ses coups un pre tyrannique, se manifestera par la contraction des muscles dun bras. Au cours dun de ses premiers primals, le malade, en se souvenant davoir t battu par son pre, ressentira cette contraction dans les muscles du bras, mais sans savoir lexpliquer. Plus tard, il arrivera relier cette crispation musculaire au contexte de son origine (colre, dsir de battre) et elle finira par disparatre. J ai eu un malade qui grinait continuellement des dents. Ctait un comportement automatique et incons- cient qui se poursuivait jour et nuit (pendant son som- meil). Il commena repenser au moment o son pre navait pas tenu sa promesse de lemmener un match de base-ball, et il se mit inconsciemment grincer des dents avec fureur. Dans sa famille, il tait interdit dexprimer sa colre. Dans mon cabinet il put enfin crier sa rage et le grincement de dents cessa. Lincident du match de base-ball navait pas dclench lui seul le grincement de dents. Ce souvenir particulirement frap- pant reprsentait et dclenchait simplement toute la colre du patient pour les innombrables promesses non tenues, sans quil ait jamais eu le droit de se plaindre. Nous voyons tous autour de nous des comportements symboliques, mais probablement, nous ne leur donnons pas ce nom. Lenfant qui fait lcole buissonnire, agit impulsivement. En fait, il djoue vraisemblablement une libert quil ne peut ressentir. Ce nest peut-tre pas le moins du monde lcole qui lemprisonne, mais de vieux sentiments. En ressentant ces sentiments, il se librera du besoin de djouer sa libert en quittant lcole. Un bon ducateur ou un thrapeute comprhen- sif pourrait arriver convaincre lenfant de se compor- ter mieux lcole, en lui dmontrant la ncessit dtre responsable; mais le besoin qui le pousse tre libre demeurera, provoquant un comportement symbolique et souvent asocial. Le stade symbolique est une ncessit en thrapie primale. Le malade ressent une partie du sentiment parce que le ressentir en entier est trop douloureux. Le corps se ferme alors provisoirement sur lui-mme et le patient djoue (ou joue) la partie qui reste. Ce djoue- ment nest pas forcment spcifique. Il peut se limiter une tension assez vague, qui permet au sujet de garder intacte une partie de son ancienne personnalit. Ce stade symbolique doit se drouler sans prcipita- tion. Lorganisme affronte la souffrance petites doses, il continuera ainsi, de faon ordonne, et au fur et mesure que plus de sentiment est ressenti, le symbo- lisme diminue. Ce processus se reflte aussi dans les rves du malade o le symbolisme va dcroissant. Au fur et mesure que le patient quitte le stade sym- bolique pour entrer plus directement dans ses senti- ments, il porte de moins en moins dintrt tout ce qui est symbolique. Il semble que le symbolisme soit un phnomne total et, malheureusement, bien des nvro- ss passent toute leur vie dans ce pays imaginaire tota- lement symbolique. Le sujet a de furieux maux de tte qui trahissent sa colre, et bien que ces maux de tte se rptent pendant des annes, il les comprend rare- ment. A la suite dun primal particulirement violent, un malade sexprimait ainsi : J e crois que toute cette pression dans ma tte, ctait des sentiments de colre qui ne pouvaient pas sortir et qui saccrochaient mes sensations physiques. Ctait comme si javais d four- rer mme mes ides dans une case qui tait dj pleine craquer. La partie la plus pnible de la thrapie primale semble tre la premire semaine. Le patient est angoiss et malheureux et demande en gnral : Mon Dieu, quand est-ce que tout cela va finir ? Il ny a quune semaine que cela dure et cela me semble toute une vie ! Il est plong dans un grand tourment. Un patient ma dit : On dirait que ds que je suis entr ici, vous mavez attrap par les pieds, que vous mavez mis la tte en bas, et que vous avez fait sortir tout ce quil y avait en moi. Le patient se sent plus tendu quil ne la jamais t parce quil a moins de dfenses nvrotiques contre les sentiments qui sont en train de monter la surface. Une fois que son systme de dfenses est compltement bris, ses besoins prennent un caractre tellement urgent que le thrapeute doit tre constamment disponible pour lui. A la fin de la troisime semaine, la plus grande partie du travail de dmantlement du systme de dfenses est effectue. Cependant, le patient nest pas encore guri. Il a encore beaucoup de tension rsiduelle des senti- ments anciens et des souffrances qui nont pas encore surgi ou qui, pour une raison ou pour une autre, nont pas t ravivs. Comme il est coteux et inutile de gar- der le malade en thrapie individuelle, il est plac dans un groupe post-primal. Il peut arriver quil ait encore besoin loccasion dune sance individuelle, mais le plus gros du travail se fait dsormais en thrapie de groupe. Quand je dis que la majeure partie du travail est faite au bout des trois premires semaines, je veux dire que ds ce moment-l, on remarque des modifications sen- sibles de la personnalit du patient et des symptmes quil prsente. Quand je pratiquais la thrapie conven- tionnelle, il me fallait trois semaines, uniquement pour arriver faire lanamnse du patient et pour procder toute une srie de tests psychologiques. En thrapie primale, dans le mme laps de temps, nous observons des changements comme une baisse de tension specta- culaire (et dfinitive), chez un malade qui, toute sa vie, a souffert dhypertension. Il y a une modification de la faon de parler du patient, du timbre de sa voix, de son expression des visages morts deviennent expres- sifs et vivants. Les ides du sujet se modifient du tout au tout dans cette brve priode et ce, sans la moindre discussion avec le thrapeute. Cela sexplique par le fait quun systme irrel saccompagne ncessairement dides irrelles. Le vrai but est, bien entendu, de briser les dfenses dans les trois premires semaines. Et cest en gnral ce qui se produit. Le sujet ne peut pratiquement pas parler sans une profonde motion de choses importantes. Mme sa faon de marcher change surtout chez les hommes effmins. Beaucoup de ces modifications sont dcrites en dtail dans les rapports rdigs par mes pa- tients.
Variations dans les types de primals
Les primals peuvent prendre des aspects trs divers. J ai eu par exemple une malade qui commena ses pri- mals par ce qui parut tre sa naissance. Le premier jour de thrapie, elle se roula en boule, se mit contracter son corps, puis se dtendre; elle dit quelle sentait de lair froid contre son corps, enfin elle poussa un vagis- sement comme un nouveau-n. Elle navait alors pas la moindre ide de ce qui se passait en elle, et disait que ctait un processus totalement involontaire. Dautres patients ne remontent jamais aussi loin. Une malade qui navait pas de souvenirs antrieurs ses dix ans, com- mena par vivre des expriences qui dataient de ses quatorze ans, ensuite, elle descendit le cours des ans, jusqu ce quelle retrouvt le souvenir dune scne terrible qui avait caus le clivage dfinitif lge de dix ans. Mais par la suite, elle eut des primals qui remon- taient de plus en plus loin dans son pass et elle arriva lge de trois ans o elle ressentit ltat pur , le besoin dtre aime de ses parents. Elle dit ensuite que cela avait t le plus douloureux de ses primals res- sentir ce besoin physique, ctait ressentir la souffrance constante cause par quelque chose qui navait jamais t satisfait. Au cours de ce primal, elle navait pas parl, ctait une exprience totalement intrieure au cours de laquelle elle se roulait en boule, gmissait, se tordait, serrait les poings et grinait des dents. Les primals varient en fonction de lge o sest pro- duit le clivage, et de lintensit de la souffrance. Cer- tains patients peuvent aller directement la scne pri- male majeure o sest produit le clivage, pour dautres, cela prend des mois. Certains disent quils ne retrouvent jamais une scne spcifique et il semble quil y ait eu pour eux plusieurs scnes qui aient t galement res- ponsables de leur nvrose. Si le clivage a lieu tt et si la souffrance est intense, il peut arriver que le malade revive une scne particulire plusieurs fois. Par exemple, il ny a pas longtemps, un malade sest souve- nu quon lavait laiss seul pendant plusieurs semaines dans un petit lit dhpital, lge de neuf mois. Ses parents ne pouvaient pas venir le voir parce quil tait atteint dune maladie contagieuse. Le lendemain, il revint sur cette scne et se souvint quil tait dans une sorte dhpital; ensuite, il vit le visage de sa mre, et finalement, il vit ses parents sen aller et sentit son abandon. Le djouement nvrotique de toute sa vie avait consist chercher quelquun, rcemment une petite amie, qui saccrocher, et tout faire pour quelle ne le quitte pas. Il ne se rendait pas compte du tout quen grande partie, ce comportement tait fond sur un v- nement qui avait eu lieu dans sa petite enfance. En fait, il navait pas le moindre souvenir de cette exprience. A la premire sance, il tait arriv dans un tat de grande tension parce que sa dernire petite amie lavait quitt. Cest en senfonant dans ce quil ressentait quil fut ramen cette scne de lhpital. Tandis quil la revi- vait, il pleurait exactement comme un bb. Il fit plu- sieurs primals o il ne parlait pas. A la fin du dernier primal de cette srie, il poussa un cri perant pour que ses parents reviennent, ce que, dans son lit denfant lhpital, pour une raison ou pour une autre, il navait pas os faire. En gnral, il est facile de reconnatre le moment o le malade sort dun primal. Il ouvre les yeux et bat des paupires, comme sil sortait dune espce de coma. Quelquefois, cest moins spectaculaire; il ny a quun changement dans son timbre de voix qui redevient adulte, ce qui montre que le malade a quitt les senti- ments de lenfance. Ce qui est toujours surprenant, cest la manire dont la tension se rinstalle quand lorganisme a eu assez de souffrance pour la journe. Aprs avoir ressenti une souffrance trs intense, le ma- lade se sentira inexplicablement tendu et dira quil ne se souvient plus de rien. Ou alors il se sentira complte- ment dtendu, sil a ressenti un sentiment dans sa totali- t. Quand le malade sort tendu dun primal, nous savons quil na pas ressenti lintgralit de son sentiment. La tension rsiduelle que lon observe aprs un primal est la preuve vidente que la nvrose a t notre premire amie et notre bienfaitrice. Elle a pris le dessus et elle nous a protgs quand la vie devenait trop douloureuse pour tre supportable, et cest elle qui prend le dessus et rend le malade tendu quand il a eu assez de souffrance pour la journe. Il y a des priodes o les primals sont de caractre es- sentiellement physique. Vers la fin de la thrapie, un malade eut un primal o son corps commena se tordre de droite et de gauche et prendre les positions les plus bizarres. Il tait couch sur le ventre, les jambes replies vers le dos et la tte renverse, en arc de cercle. Cette attitude involontaire dura environ une heure. Puis il se mit debout, tout droit et dit que la douleur qui presque toute sa vie lui avait fait courber le dos avait disparu. Il dcrivit ce qui stait pass de la faon sui- vante : J e crois quil ny avait pas que mon esprit qui tait tordu, mais aussi mon corps. J ai eu limpression quil passait par toute une srie dtapes o il tait dabord tout tordu (ce que jtais effectivement) et puis il com- menait automatiquement se remettre daplomb. J uste avant cette scne, jtais en train de me dire que je de- venais fou. Il y a eu un dclic qui sest fait dans ma tte et cest alors que cette scne physique a commenc. J e crois que ce qui sest pass, cest que mon esprit a enfin abandonn la lutte et toute cette irralit (une manire de laisser mon corps se morceler) et alors mon corps a enfin pu redevenir rel et tre en accord avec lui-mme. Maintenant, je me tiens droit, je marche de faon dcon- tracte, je suis un homme diffrent. J amais je navais pu croiser mes jambes comme je le fais maintenant, et, si bizarre que cela paraisse, cest la premire fois de ma vie que je peux vraiment tourner la tte. Tout ce que je peux dire, cest que non seulement mon esprit tait dans une camisole de force, avec des ides troites, mais que mon corps tait galement enferm dans une espce de moule, une matrice qui mimposait une forme trange. Nous sommes tous tellement habitus observer la gamme normale des motions quil est difficile de donner une ide de la puissance norme des primals. Leur intensit et la gamme des sentiments quils refl- tent dfient toute description, de mme que leur im- mense varit et leur caractre souvent trange. Nous nous contenterons de dire que quand un sentiment peut plonger un individu dans un tat convulsif et provoquer des cris dchirants, il tmoigne de lnorme pression laquelle est constamment soumis le nvros. Ce qui est stupfiant, cest que tant de nvross ne peuvent pas la ressentir directement; la place, ils se sentent la poitrine oppresse, le ventre ballonn, ou la tte prte exploser. Le processus primal conduit le patient dans un monde qui est rarement vu, sinon jamais, mme dans les cabi- nets des psychothrapeutes. Et il est encore plus rare quil soit compris. Ce nest pas une fuite hystrique et fortuite, mais une expdition systmatique et organise que l'homme entreprend pas pas en lui-mme. Quand le malade arrive enfin ce sentiment catastrophique du jeune ge qui consiste savoir quil na jamais t aim, quil a t ha, ou quil na jamais t compris cette rvlation de la solitude fondamentale il comprend parfaitement pourquoi il sest ferm, et quun petit en- fant ne pouvait supporter un tel sentiment et continuer vivre. En observant ces malades au paroxysme de la souffrance, quand ils atteignent ce sentiment, on d- couvre les profondeurs de la sensibilit humaine. Dans toutes mes annes de thrapie conventionnelle, je nai jamais vu et mme jamais compris la nature relle du sentiment. Bien sr, jai vu beaucoup de pleurs et de souffrances, mais il y a un monde entre une crise de larmes et une exprience primale. Voici comment un malade dcrivait ses expriences primales : Dans un primal, le sentiment qui est associ un vnement de lenfance survenu aprs le clivage, fait partie du moi rel; or, ce moi rel ne peut tre totale- ment ressenti si lon ne remonte pas la priode qui a prcd le clivage. Cest pourquoi il est si important en thrapie primale de revivre les scnes ou les expriences de lenfance. Elles aident ressentir des fragments du moi rel, en associant la souffrance des incidents sp- cifiques, jusqu ce quon arrive tre vritablement lessence de ce moi rel. Prenons un exemple : si je fais un primal propos de ma mre qui me repousse, je dirai vraisemblablement : Maman, ne me repousse pas ! Le sentiment ltat pur que je ressens ce moment-l est inexprimable. Ce sentiment est mon moi rel, et la signification relle de ce que je dis est : Maman, je me sens mal, sil te plat, enlve-moi cette souffrance , ce qui est une dfense pour ne pas tre ce sentiment. A force dassocier ce sentiment des incidents spci- fiques, je crois que le patient finira par tre entirement ce sentiment et vivra son essence, ce qui ne lui est arriv quune fois auparavant, juste avant le clivage. A ce moment-l, il ny a plus rien dire, plus de connexions faire. On est soi-mme. Pour moi, cest ce que ce dpouillement total a fait. J e ne peux esprer exprimer par des mots ce que jai ressenti dans cette exprience; et le fait que je ne le puisse pas, montre bien encore une fois que cela ne peut sexprimer avec des mots... Lintensit des souffrances primales est presque im- possible dcrire. En observant les malades au cours de leurs primals, on est convaincu quils souffrent la tor- ture. J en tais si convaincu que lide de demander un patient si cela faisait mal, ne mest venue quau bout de plusieurs mois dexercice de la thrapie. A ma grande surprise, les malades disaient que, malgr tous ces cris, ces gmissements et les mouvements convulsifs, la souffrance ne leur faisait pas mal ! Lun deux expri- mait cela ainsi : Ce nest pas comme si vous vous tiez fait une cou- pure la main et disiez en la regardant : Oh, l l, ma main me fait mal ! Au cours dun primal, vous ne vous demandez mme pas si cela fait mal. On se sent seule- ment partout dans un tat pitoyable, mais cela ne fait pas mal. Ou s'il fallait dire quelque chose, on pourrait dire que cest une douleur agrable, parce que cest un soulagement extraordinaire que dtre enfin capable de ressentir quelque chose ! Ce quil voulait dire, je crois, cest quau cours dun primal, on ne rflchit pas ce que lon fait, on nassimile pas ce qui se passe, on ne raisonne pas le besoin, pour ainsi dire. Il ny a quun moi qui, pour la premire fois depuis lenfance, sengage dans quelque chose. Le sujet est le sentiment. Sil peut ainsi arriver sengager totalement dans le processus de ressentir, cest peut-tre en partie parce quil nest pas assis, raide, dans un fauteuil en train dessayer de retrouver ses sou- venirs. Tout son corps est engag dans le processus, de mme que le jeune enfant y tait totalement engag, avant de se refermer sur lui-mme. Les malades se sou- viennent de la manire dont ils exprimaient leur colre quand ils taient tout petits : couchs par terre, donnant des coups de pieds, battant des bras, et hurlant. Ils taient totalement pris , et si vous demandiez lenfant qui vient de piquer une colre, sil a eu mal (en admettant quil puisse comprendre la question), il est fort peu vraisemblable quil rponde oui . Voici la description dun autre primal qui survint vers la fin de la thrapie; je la cite ici car elle peut aider comprendre ce phnomne de souffrance non doulou- reuse : J e crois que la meilleure faon de dcrire cette exp- rience, est de dire que je ntais pas conscient du senti- ment et de ses connexions. J e crois quen fait, je ntais conscient de rien. J tais simplement ma souffrance, et il ntait point besoin de connexion (rien de spar qui dirait tu as mal ). Il fallait simplement que mon tre accepte lexprience et quil ne sen coupe pas, comme il lavait fait quand jtais devenu nvrotique. Cette exprience, ctait tre mon moi rel. La signification essentielle de lexprience de la souf- france primale est que les sentiments, en eux-mmes, ne font pas mal. Cest le fait de se tendre pour leur rsister qui est douloureux. Cela ne veut pas dire quil ny ait pas de sentiments dsagrables, mais quand on les res- sent pour ce qu'ils sont, ils ne sont pas transforms en souffrance. La tristesse en elle-mme ne fait pas mal. Mais si lon est priv de sa tristesse, si lon na pas le droit de sentir son malheur, alors on souffre. Par cons- quent, le sentiment est lantithse de la souffrance. Le principe dialectique de la thrapie primale est le sui- vant : plus on ressent de souffrance, moins on a mal. On ne peut pas rellement blesser les sentiments dune personne normale, mais on peut blesser un nvros, en ravivant ses sentiments refouls.
Lexprience de groupe
Les groupes de thrapie post-primale se runissent plusieurs fois par semaine, pour des sances de trois quatre heures. Le groupe se compose de patients qui ont termin leur thrapie primale individuelle. Il a pour fonction essentielle de provoquer chez ses membres de nouveaux primals. Latmosphre motionnelle est favo- rable. Le primal dun malade peut en dclencher un chez plusieurs autres membres du groupe. Il nest pas rare que se produisent simultanment des dizaines de primals, car les malades, qui sont maintenant sans d- fenses, sont entrans par la souffrance qui les entoure. Quand plusieurs primals dbutent en mme temps, on pourrait se croire dans une maison de fous. Les seuls ne pas tre affects par ce chaos sont ceux qui ont leur primal. Ils ne remarquent mme pas ce que font les autres. Il nest pas rare que lon assiste cinquante primals au cours dune seule sance de groupe qui dure trois heures. Comme tout le processus primal est bouleversant (cest le moins quon puisse dire), le groupe a galement une autre fonction : il rconforte les patients qui ont la possibilit de se rencontrer et de connatre dautres personnes qui suivent la thrapie. Cette thrapie de groupe stend sur plusieurs mois, selon les patients. Comme dans mes longues annes de thrapie conven- tionnelle jai pratiqu la thrapie de groupe, je tiens souligner ici que la thrapie de groupe est tout fait diffrente de la thrapie primale. Les malades qui ont pratiqu dautres thrapies de groupe, allant des sances marathon aux groupes danalyse, le constatent gale- ment. Dans le groupe de thrapie primale, il y a fort peu dinteraction. On ny trouve presque rien du ici et maintenant et du donnant donnant de la thrapie de groupe conventionnelle. Les malades se posent peu de questions sur leurs motivations respectives, et nchangent pas leurs insights. Il est galement rare quils manifestent entre eux de la colre ou de la peur. Lattention se concentre lintrieur. Quand un sujet passe son temps regarder les autres et observer leurs ractions, cest un signe vident que dans ce moment prcis, il ne ressent rien. Il y a bien des raisons tout cela, mais je crois que lune des principales est que la thrapie primale nest pas un processus daction rci- proque. Cest un processus qui fait ressentir des senti- ments personnels et o les insights affluent presque sans arrt, lorsquune souffrance a t ressentie en profon- deur. (Voir chapitre consacr linsight.) La seconde diffrence rside dans le fait que les ma- lades comprennent que les ractions excessives quils observent en groupe (quelle que soit la forme quelles prennent), sont lies des expriences anciennes. En troisime lieu, quand le patient est en thrapie de groupe, il est sans dfenses. Les patients entrent dans le groupe et ont immdiatement des primals parce quils ne peuvent plus retenir les sentiments quils refoulaient auparavant. Ils nont besoin de personne pour les y encourager. Ils sont, pour ainsi dire, une seule masse de sentiments. Ainsi que je lai dj indiqu, il est trs frquent que si un malade dit : J e ne pouvais jamais dire que javais peur , il veille des sentiments simi- laires chez ceux qui lentourent. Trois heures, cest court pour une sance de groupe primal. Aprs un primal fait en groupe un primal dure en moyenne une heure ou deux le patient reste couch l pendant une heure environ, tablissant silen- cieusement les connexions pendant que dautres primals se poursuivent. Il semble que ce qui arrive aux uns ne drange en rien les autres qui sont plongs dans leurs sentiments et dans leurs souvenirs. A la fin de chaque sance de groupe, les participants parlent de ce qui leur est arriv. Ils discutent par exemple de la faon dont un sentiment spcifique, ressenti lors de leur primal, avait produit dans le temps un comportement nvrotique particulier.
Sur le chemin de la gurison
Au bout dun an de thrapie de groupe, ou davantage, le malade continue faire des primals, mais en gnral, il est en mesure daccder ses sentiments chez lui, sans laide dun thrapeute. Il ny a plus en lui de d- fenses puissantes susceptibles de lui cacher ses senti- ments et de le pousser au djouement. Le malade na plus de comportement symbolique. Il peut continuer venir en sance de groupe, mais moins souvent, ou bien abandonner le groupe et poursuivre son traitement tout seul. Le fait quil quitte le groupe ne signifie pas quil soit guri, pas plus que le fait de rester signifie forc- ment que sa nvrose prdomine encore. Le groupe est tout simplement un lieu o il peut venir pour ressentir ses sentiments. Il y a une priode dcisive, qui se situe gnralement au bout de dix-huit mois, o la majeure partie des com- portements nvrotiques disparaissent. Cen est fini du besoin de fumer ou de boire. Mme sil le voulait, le malade ne pourrait plus adopter un comportement irrel. Il ne peut plus retrouver ses anciens maux de tte parce que ces maux de tte faisaient partie de ce qui se passait quand les sentiments taient bloqus. A cette poque, le malade a trs peu de dfenses, de sorte que le caf ou lalcool ont sur lui un tout autre effet qu'auparavant : il suffit de deux tasses de caf pour quil se sente surexcit et dun verre de vin pour quil commence avoir la tte qui tourne. Il peroit immdiatement lcret de la fu- me de cigarette. Il ne peut plus se livrer un djoue- ment sexuel (sexualit compulsive) parce quil ny a plus en lui danciennes pulsions qui ont t bloques et dnies dans le domaine sexuel. Il na plus le dsir de trop manger, parce quil ntouffe pas ses sentiments avec des aliments. Ces amliorations se maintiennent-elles dans le temps ? Oui. J usquici on na pas vu le comportement irrel, y compris des symptmes physiques, rapparatre chez les patients qui ont termin la thrapie. Comment pourrait-il en tre autrement ? Le malade est devenu lui- mme et pour reprendre un comportement irrel, il fau- drait quil redevienne un autre. Les vnements de la vie dun adulte ne peuvent pas produire le clivage qui s- pare un individu en deux. Cela se produit chez les tout jeunes enfants, parce quils sont si fragiles et que leur vie dpend un tel point de leurs parents. Bon gr, mal gr, il faut quils deviennent ce que leurs parents exi- gent. Ladulte est rarement plac dans de pareilles con- ditions. Nul ne peut faire dun adulte rel quelquun dirrel. Il ne sengagera pas dans une lutte contre un patron born ou contre une situation de travail impos- sible. J e tiens cependant souligner que le patient qui achve la thrapie ne vit pas dans lextase ni mme le bonheur. Le bonheur nest pas lobjectif de la thrapie. Il se peut qu la fin du traitement, le patient ait encore beaucoup de souffrances ressentir, parce quil y a derrire lui toute une vie de souffrances non ressenties. Par consquent, aprs la thrapie, il connatra aussi des moments de dtresse, mais comme la dit un patient : Au moins, cest une dtresse relle, qui dune manire ou dune autre finira un jour. Le fait que le patient soit guri ne signifie pas nces- sairement que ses intrts changent; beaucoup de pa- tients dcouvrent quils peuvent reprendre leurs activits antrieures mais avec un sentiment tout fait diffrent. Etre guri , cest ressentir ce qui se passe dans le prsent. Le patient sait quand il ressent enfin ses senti- ments dans leur intgralit, car ce moment-l, il na plus de tension rsiduelle et il est compltement dten- du. Rien ne provoque la tension. Il peut tre troubl par certains vnements, et se sentir troubl, mais jamais tendu. Pour beaucoup de patients, le traitement dure peu prs un an, mais pour certains, il peut durer deux ans environ. Tout dpend de la profondeur de leur nvrose au dpart il faut savoir quel degr de refoulement et dinconscience ils en taient arrivs avant dentrer en traitement. Quel que soit le nombre de primals que fait le sujet, sil reste en lui dimportants sentiments blo- qus, ils provoquent perptuellement un djouement symbolique, jusqu ce quils soient ressentis et rsolus. Retournant luniversit au bout de trois mois de trai- tement, un malade constata quil ne comprenait plus rien ses cours. Il se trouvait stupide et commenait effectivement passer pour tel, car il ne comprenait mme pas les choses les plus simples dites par le profes- seur. Il vint une sance de groupe et raconta quun assistant lavait tourn en drision parce quil navait pas compris quelque chose dans un sujet dexamen. En parlant, il se laissa aller ce quil ressentait et dit : Explique-le-moi, papa, donne-moi un peu de temps. Son pre le ridiculisait toujours quand il ne comprenait pas quelque chose immdiatement. De ce fait, il avait toujours fait tout ce quil pouvait pour saisir immdia- tement, afin de faire plaisir son pre et dviter la souffrance. Ctait un sentiment simple mais qui avait des inci- dences trs profondes. La souffrance rsidait dans le fait quil se sentait stupide et essayait de dissimuler cela en comprenant rapidement. Comme il entrait dans son troisime mois de thrapie, cette dfense qui consistait tout saisir rapidement, commenait se dmanteler, et il se comportait de faon stupide. Cette stupidit voulait dire : Explique-moi. Il devait continuer se compor- ter stupidement jusqu ce quil ait ressenti la source de cette stupidit.
Rcapitulation
J e crois quon ne peut gurir la nvrose quen lliminant par la force et par la violence : la force de sentiments et de besoins refouls pendant des annes, et la violence quil faut pour les arracher un systme irrel. De mme que le sujet devient nvros en se fermant progressivement sur lui-mme, il ne peut gurir quen souvrant progressivement. Comme la souffrance inter- dit un retour trop rapide ces sentiments primals, il faut que le nvros les ressente pas pas. Tant quil ne les a pas tous ressentis, il est probable quil aura recours un djouement. La thrapie primale est pour ainsi dire le processus nvrotique lenvers. Dans la vie du jeune enfant, chaque jour apporte une nouvelle souffrance qui le fait se fermer un peu plus sur lui-mme, jusqu ce quil devienne nvros. En thrapie primale, le patient revit toutes ces souffrances et souvre au fur et mesure, jusqu ce quil soit guri. Une seule souffrance ne suffit pas provoquer la nvrose, et un seul primal ne suffit pas rendre un malade normal. Cest laccumulation de souffrances et le fait de les ressentir qui finalement changent la quantit en des qualits nou- velles et qui font du sujet un malade, ou un homme normal. J e crois que dans la mesure o le malade suit le traitement jusqu'au bout, la thrapie primale lui assure la gurison. Une fois que la plus grande partie de son sys- tme de dfenses est dtruite, le nvros na pas dautre solution que de gurir. Sa gurison est invitable peu prs comme il est invitable que le jeune enfant qui vit dans un milieu traumatisant o il est constamment r- prim; oblitre son moi rel et se btisse un solide sys- tme de dfenses : lissue nest pas douteuse. Que lon retire lenfant de ce milieu avant que ne survienne le clivage dfinitif, et toute nvrose grave peut tre vite. Que lon retire le malade du milieu thrapeutique avant quil ait rpar le clivage, et sa gurison nest plus ga- rantie. Pourquoi la nvrose de la petite enfance ne peut-elle tre limine par des parents ou des matres rellement affectueux ? Bon nombre de patients ont vcu leur ado- lescence aux cts de beaux-pres ou de belles-mres avec qui ils sentendaient trs bien et qui taient souvent affectueux et chaleureux, et pourtant ces sujets ont eu besoin de thrapie plus tard. Ces gentils beaux-parents nont jamais t capables de faire disparatre des affec- tions telles que le bgaiement, les tics, les allergies, etc. Les orthophonistes nont pas russi gurir les troubles du langage. Le fait de quitter le milieu familial la fin de ladolescence et de trouver des amis et amies vri- tables et aimants, na jamais suffi dtruire la tension et des symptmes chroniques comme le psoriasis (que la thrapie primale semble dailleurs tre capable de gu- rir). Si la gentillesse, lamour et lintrt pouvaient gu- rir la nvrose, la psychothrapie pratique par des thra- peutes chaleureux aurait d venir bout de bien des nvroses; or, je ne pense pas que ce soit le cas. Ni les apaisements, ni le raisonnement, ni les me- naces, ni lamour, ne peuvent faire disparatre une n- vrose. Cest un processus pathologique qui semble en- gloutir tout sur son passage. On peut alimenter la n- vrose coup dinsights, elle les absorbe allgrement et continue sa route. On peut fermer un exutoire nvro- tique aprs lautre, mais ce ne sera jamais que pour en dcouvrir dautres, mieux dissimuls. On peut soulager la nvrose avec un mdicament aprs lautre, mais ds que les mdicaments seront supprims, elle rapparatra toujours aussi vigoureuse. En effet, elle salimente une des sources dnergie les plus puissantes qui soient le besoin dtre aim et dtre rel aussi bien sur le plan physique que mental. Ayant bien appris la prudence scientifique, je me rends compte quel point tout ce que jcris peut sem- bler extraordinaire et mme fantastique . Il se peut que certains lecteurs dsirent limiter la thrapie primale en prtendant quelle nest applicable qu certaines catgories de nvroses. Pourtant, elle est valable pour toutes les nvroses et sans doute mme, ainsi que nous le verrons plus loin, pour la psychose. Les malades que jai dabord traits en thrapie conventionnelle navaient jamais rien vcu de semblable un primal. Aprs avoir dcouvert la thrapie primale, jai demand quelques- uns de mes anciens patients de se laisser traiter par la nouvelle mthode, et nous navons pas manqu de mettre nu leur souffrance. Aprs nous tre occups pendant des annes de leur faade rationnelle, il nous semblait incroyable quelle puisse cacher encore tant de sentiments inexplors. Cependant, on arrive comprendre la nvrose quand on pense aux milliers de fois o lenfant se voit interdire un comportement rel. En fait, cest un miracle de la nature humaine que le moi rel attende toujours dtre ressenti; on dirait que le systme, de lui-mme, exige la ralit. En thrapie primale, le patient est un alli. Sa souf- france attend depuis de longues annes et en gnral, elle veut faire surface. Il semble que les comportements compulsifs ne soient que la recherche inconsciente du sujet pour trouver la bonne connexion de sorte que la souffrance puisse sortir. Quand loccasion se prsente, rien ne peut arrter ce processus, et je crois que cest ce qui explique que nous russissions gurir des catgo- ries si diverses de nvroses. Chez certains nvross, la thrapie primale provoque des ractions ambivalentes, selon la profondeur o ils ont enfoui leur souffrance. Quand ils en sont proches, il semble quils soient immdiatement attirs par elle, parce quils ont le sentiment dtre sur le bon chemin. Mais quand ils sont loin de leurs sentiments, il arrive quils considrent la mthode comme primaire, nave et simpliste. Le nvros qui a d se dformer complte- ment pour obtenir quelque chose de valable de ses pa- rents, risque de trouver quune thrapie qui ne comporte pas de lutte trs prolonge et trs pnible qui stendrait sur des annes, ne peut pas valoir grand-chose. Cependant, la thrapie primale peut paratre si simple que je me vois contraint de faire une mise en garde : NUL NE DOIT SESSAYER A LA PRATIQUE DE LA THRAPIE PRIMALE SANS AVOIR REU UNE FORMATION COMPLTE A CET EFFET. Les rsultats risqueraient dtre dsastreux. Il y a un groupe de psychologues qui sont en formation depuis maintenant plusieurs annes 1 . J e pense, aussi bien que les membres du groupe eux-mmes, quils nont pas encore la matrise totale ni des principes fon- damentaux de la thorie, ni de la technique primale. Si jinsiste sur ce point, cest pour bien montrer le danger que pourrait comporter la pratique de la thrapie primale par un personnel non form. Bien que je ne donne pratiquement pas de dtails dans ce livre sur la technique primale, je tiens prciser que ce nest pas une mthode qui sen remet au hasard. Elle
1 N.D.T. Depuis la publication de ce livre, l'institut Primal de Los Angeles a form une quipe importante de thrapeutes primals. obit un programme bien tabli. Il y a des objectifs prcis atteindre dans les trois premires semaines, et des rsultats qui doivent tre obtenus dun mois lautre. Nous savons de quelle faon le malade mangera et dormira au cours de la thrapie, et ce que cela signi- fie. Dans des conditions thrapeutiques donnes, le traitement de diffrentes personnes suit presque exacte- ment le mme cours. Cest une thrapeutique qui demande de la part du malade beaucoup de confiance dans son thrapeute. Si le thrapeute nest pas rel, le traitement ne russira pas. Sil est rel, les malades le sentiront. Beaucoup dentre nous sont tout prts laisser un chirurgien ouvrir leur corps aprs une simple poigne de main, il ny a donc rien dtonnant ce quun malade laisse un thrapeute primal couper dans sa souffrance, peu aprs leur pre- mire rencontre. La fin de la nvrose ressemble beaucoup son dbut. Ce nest pas un grand boum , un dernier grand clair introspectif ou une motion bouleversante. Cest un jour comme tous les autres, o le malade a ressenti un senti- ment nouveau qui le tenait encore soud son pass. Voici comment un patient dcrivait la fin de sa nvrose : J e ne sais pas ce que jattendais de tout cela. Il faut croire que jattendais quil se passe quelque chose de spectaculaire pour compenser toutes ces annes de mal- heur. Peut-tre que jattendais de devenir mon fantasme nvrotique un tre trs particulier qui serait enfin aim et apprci. Il semble quil ny ait rien dautre que moi-mme... Et ce moi nest pas nvros.
Kathy
Les pages suivantes sont extraites du journal qua tenu pendant plusieurs semaines de thrapie, une malade de vingt-cinq ans. Il est publi pour donner au lecteur une ide de ce que ressent le patient durant le traitement, jour aprs jour. Cette malade tait entre en thrapie parce quelle avait des hallucinations effrayantes la suite d'un voyage angoissant quelle avait fait aprs avoir pris du L.S.D. Ces hallucinations avaient persist pendant des mois. Actuellement, elle a termin la thra- pie, et tous ses symptmes ont disparu. Elle se considre comme un tre nouveau. Voici un compte rendu de mes cinq premires se- maines de thrapie primale. Exception faite de quelques modifications qui y ont t apportes pour des besoins de clart, mes notes sont prsentes exactement comme je les ai rdiges lissue de chaque sance. J usqu dix ans, jai vcu avec ma mre, mon pre, ma sur ane et mon oncle. Ensuite, mes parents ont divorc et, jusqu seize ans, jai vcu avec ma mre, ma sur et une autre femme. J e me suis marie et jai divorc au bout de deux ans, javais alors vingt-trois ans. J ai pass quatre ans luniversit, mais sans obte- nir de diplme. J ai vingt-cinq ans. Peu avant dentrer en thrapie, jai commenc davoir des hallucinations visuelles, je voyais des couteaux et des lames de rasoir qui sapprochaient de mon visage. Quand je conduisais, jtais prise de panique, imaginant que des voitures allaient entrer en collision avec la mienne. Dans ces fantasmes, je ne laissais jamais les couteaux arriver jusqu mon visage, mais javais peur de me blesser pour de bon. J ai dcid que javais be- soin daide.
Mercredi
Pour commencer, il faut que jessaie de me souvenir de mon enfance. J e suis bouleverse parce que je maperois que je nai presque pas de souvenirs. J e me souviens de mtre sentie rejete et abandonne lcole de filles o ma sur et moi avions t envoyes quand maman avait fait une dpression nerveuse. J e devais avoir quatre ans et je me souviens que jtais assise par terre et que je nen finissais pas de pleurer. J e me souviens de la maison de W , ctait une maison sombre, jy ai vcu jusqu lge de cinq ans. J e rentrais la maison de D , en me demandant si maman serait l. Elle ma racont quen rentrant, elle mavait trouve assise, en train de faire brler des allumettes. J e mentais beaucoup, je volais des choses quand jtais invite, je dcoupais la lingerie de ma sur, et aujourdhui, pour la premire fois, jai vu un lien entre tout cela. J e trichais avec mon pre et ma mre parce quils ne me donnaient pas ce dont javais besoin parce queux-mmes tri- chaient avec moi. Ils ntaient pas l pour moi, ils ntaient pas rels. Ils faisaient semblant que tout allait bien et ce ntait pas vrai, que nous formions une vri- table famille et ce ntait pas vrai. Et moi aussi, je fai- sais semblant. Voil pourquoi, dans mon souvenir, mon enfance mest toujours apparue heureuse je faisais semblant dtre une petite fille heureuse parce que je ne pouvais pas regarder la situation relle en face. J e me souviens davoir vu mon pre pleurer, D .A cette poque et aprs la sparation, il montrait combien il tait triste il avait toujours lair malheureux. Le soir o je suis revenue du camp de vacances, javais dix ans, juste avant que je dcouvre quils voulaient se spa- rer, il ma dit quil maimait, il avait lair malheureux, il voulait renforcer notre lien, avant la rupture. Mais ma- man ne sest pas laisse impressionner. Elle prtendait que javais besoin delle. J e me sentais perdue. Il y avait quelque chose qui ntait pas rel peut-tre que rien ne ltait. J e ne leur ai pas dit ce que jprouvais. J ai tout enfoui en moi, et puis jai fait brler des allumettes. Vers la fin de la sance, je me sentais faible et prise de vertige. J e suis revenue encore un peu sur mon en- fance mais tout est si dcousu et incohrent. Com- ment se fait-il que jaie si peu de souvenirs ? On dirait que je ny tais pas vraiment.
Jeudi
Aujourdhui, le dbut a t difficile je luttais pour retrouver des souvenirs qui ne sont pas l. J ai commen- c tre prise de panique pourquoi est-ce que je ne peux pas me souvenir ? J e suis perdue; dabord je me suis sentie perdue en tant quadulte, puis comme enfant. J ai essay dappeler maman. Cela me paraissait irrel. Puis jai appel, je lai sentie qui me tenait. Mais cela ne mapportait pas de consolation, je sentais seulement ma solitude avant quelle narrive. J ai commenc me rendre compte que je remuais les mains. J avais limpression dtre un bb dans mon berceau, remuant les mains. J e me sentais seule. J 'tais rellement plonge dans lobscurit de la maison de W , l o tait mon berceau. J tais un petit bb tout seul. J e voulais ma maman, mais je ne pouvais pas lappeler. Alors je me suis rendu compte que mme quand jtais bb, je ne lavais pas appele. J tais allonge, jtais calme et jai senti la tristesse de tout cela, et jai pleur. Ensuite, je me suis sentie glace et je me suis mise dans la position du ftus pour avoir chaud. Soudain, jai eu limpression de faire une chute dans lespace. J e flottais, jtais terri- fie. J avais peur de tomber, de me heurter quelque chose, et de me blesser. J tais toujours roule en boule et mon corps a commenc se contracter et se d- tendre alternativement. J e navais plus conscience de ce qui marrivait, mais je sentais que javais peur et que je luttais et jai cri. Enfin, jai senti que je me faufilais travers un passage troit. J e sentais quil y avait des parois autour de moi. J avais peur de me blesser en forant le passage, mais lorsque je suis sortie, jai com- pris que je venais de natre et que je mtais pas fait mal. J tais sortie et jai senti de lair froid autour de moi. Mon corps sest tir un peu. J e me sentais puise et heureuse. J tais ne ! J avais limpression que dans le ventre de ma mre, javais conscience de tout alors que je naurais d me rendre compte de rien. Comme si je vivais un vnement qui aurait d se passer alors que je dormais. J anov a dit que jtais reste contracte pendant un quart dheure, moi, il semblait que cela navait dur que quelques minutes. Cest fantastique. J ai reconnu toutes mes peurs des prcipices, de la chute, de locan. J ai regard par la fentre puis jai inspect le cabinet. J e vois tout sous un jour nouveau, cest comme si on avait enlev une pellicule qui recou- vrait tout. Lorsque jai quitt le cabinet, je me sentais merveilleusement bien. Ce soir, en coutant de la musique, je me suis mise pleurer. J ai senti quel point mon pre tait triste quel point ils taient tous deux malheureux et quelle petite fille triste jai t. J ai essay de me reprsenter maman. J e lai vue assise au piano, mais son visage se transformait toujours en une figure dpouvante de bande dessine. J essaie de la voir comme elle est main- tenant mais je vois toujours ce visage triste et malade quelle avait il y a vingt ans. J e me sens bouleverse car je me rends compte pour la premire fois combien elle tait malade et pitoyable.
Vendredi
J e commence par regarder ma mre au piano, comme je lai vue hier soir, et aujourdhui encore son visage se transforme en figure dpouvante. J e narrive pas retenir limage pour la regarder. Puis, je lai vue comme elle tait quand elle avait une trentaine dannes. Elle ne pouvait pas regarder les gens en face, elle tait pani- que, paranoaque. J e crie : Elle est folle . J e pleure et je pleure. Elle est folle et irrelle. Un masque. Quand jtais petite, elle ntait pas l pour moi, parce quelle tait folle. Il lui a fallu courir continuellement, lpoque et maintenant, pour ne pas devenir folle. Cest de devoir toujours rester la maison avec ma sur et moi qui a d la rendre folle. Pauvre maman. Brusque- ment, je suis redevenue petite et je regardais ma famille. Papa est triste, maman est folle et elle a peur, ma sur est en colre et chacun dentre nous est seul. J essayais darranger les choses en excutant des danses sauvages et en faisant toujours le pitre. J tais dconcer- te, bien trop petite pour comprendre la situation et pour laccepter. Ils taient pitoyables et effrayants, et napportaient aucune aide une petite fille. J e sentais la folie de ma mre. J e comprends sa faon de faire sem- blant. Elle pense que si elle adopte un comportement normal , si elle fait des choses normales , tout ira bien. Cest tout ce que sa thrapie a fait pour elle. J ai galement pleur pour ma sur qui essayait aussi darranger les choses en faisant semblant et en jouant un rle.
Samedi
Toujours pas de souvenirs denfance. J ai donc parl de mes voyages au L.S.D. Les deux premiers taient joyeux, extatiques, mystiques, totalement irrels et trs visuels. Au cours des trois mois qui ont spar le deu- xime voyage du troisime, je me suis mise pren- dre beaucoup damphtamines et de la cocane. La troi- sime fois que jai pris du L.S.D., jai t trs malheu- reuse et je voulais que cela me fasse me sentir mieux. J avais peur den prendre toute seule mais je lai fait quand mme. Les deux premires heures ont t sem- blables celles des autres voyages . J ai eu la visite de quelques amis, mais ils ne sont pas rests longtemps, et quand ils sont partis, je me suis sentie angoisse. J ai essay de me souvenir pourquoi javais eu peur den prendre toute seule, mais je membrouillais. J e ne savais plus ce qutait le L.S.D., je ne me souvenais plus de rien de rel. Les hallucinations devenaient effrayantes et accablantes. Les minutes paraissaient interminables, le temps se dsagrgeait. Mon esprit ne fonctionnait plus. J e ne savais plus qui jtais. J e navais plus aucun point de repre. J tais folle, je sentais que jamais plus je ne retournerais au monde rel. Terrifie, jai dcouvert que je pouvais encore me servir du tlphone, et jai appel ma sur et lui ai demand de venir. J ai t tellement soulage dentendre sa voix relle , que quand elle est arrive, javais quelque peu retrouv mes esprits. Le reste du voyage fut alternativement drle et triste, mais je savais que je ne serais plus jamais la mme aprs avoir senti cette folie. Trois semaines plus tard, trois semaines pendant lesquelles javais pris beaucoup de Mthdrine et de codine, je me suis veille un matin profondment dprime. J ai pass toute la jour- ne allonge sur la plage, jai attrap un coup de soleil et je me sentais toujours terriblement dprime. J e suis alle voir ma mre, et jai pleur hystriquement, en suffoquant. Elle ma donn un tranquillisant qui ma fait dormir. Quand je me suis veille, je pleurais toujours, et je souffrais dhyperventilation. Le lendemain elle ma conduite linstitut neuropsychiatrique de lUniversit de Californie Los Angeles. L, jai eu un entretien avec le spcialiste du L.S.D. qui ma assur que je ntais pas vraiment malade et que je ne faisais que ragir aux diverses drogues que javais prises et au L.S.D. Daprs lui, il suffisait que je cesse den prendre et que je mne une vie normale pour que tout rentre dans lordre. Il ma prescrit assez de Mellril pour as- sommer un buf et il ma dit de reprendre mon travail le plus tt possible et de marranger pour ntre jamais seule. Tout ce quil ma conseill ma loigne encore plus de mes sentiments rels, ctait maider les dissi- muler nouveau, juste au moment o ils taient sur le point dtre mis nu et ressentis. J e suis reste dans un tat de profonde dpression pendant environ un mois, je pleurais, je dormais, et je souffrais toujours dhyperventilation. A la fin, je me suis reprise un peu, jai repouss mes sentiments, et jai pu reprendre mon activit.
Au cours de la sance daujourdhui, jai compris que jtais devenue folle parce que je ne pouvais pas affron- ter le sentiment de solitude que le L.S.D. avait dmas- qu. Mes fantasmes rcents, ces couteaux et ces lames de rasoir qui me viennent dessus, y sont rattachs. Si je les laissais vraiment arriver jusqu moi, ils me dchire- raient et libreraient mes sentiments. Cette peur que jai de me blesser est la mme que la peur de mexposer la souffrance qui est enfouie en moi, et de la ressentir. J e commence sentir toute la tristesse et toute la souf- france quil y a en moi. Il y a enfoui en moi vingt-cinq ans de peur, de souffrance et de solitude. J e me rends compte que suffoquer nest quune manire de lutter pour retenir les sentiments quand ils commencent monter, comme ils le faisaient quand jai pris du L.S.D. J e pleure, je nen finis pas de pleurer. On dirait que cela ne sarrtera jamais. J e sens la souffrance dans ma tte qui est bourre de choses. J e voudrais arriver vomir tout cela. J e suis seule et jai peur. J e me rends compte que si, au cours des deux pre- miers voyages au L.S.D., et dans dautres occasions, je nai pas souffert de solitude, cest uniquement parce que je suis arrive dissimuler si bien mes sentiments. J e prtendais que tout allait bien (exactement comme je le faisais dans mon enfance) parce que je ne pouvais pas supporter de me sentir seule et impuissante. Mme au- jourdhui, aprs cette sance, je prtends ne rien ressen- tir parce que je ne peux pas supporter de me sentir mis- rable et seule toute la journe. J enfouis toujours mes sentiments, sauf au cours des sances.
Mardi
Aujourdhui, ds le dbut, javais des sentiments puis- sants dans le ventre. Ils sont sortis du fond des entrailles en cris saccads et inarticuls. A la fin, jai compris que jtais terrifie parce que jtais seule; papa et maman ntaient pas l. J e ne pouvais men tirer toute seule, jtais trop petite. J ai vu ma mre telle quelle tait quand elle est sortie de lhpital psychiatrique, alors que javais quatre ans, et telle quelle est aujourdhui : ave- nante et prtendant toujours tre gaie, mais tout cela nest quun masque. Puis, jai compris pourquoi il me rpugne de la voir montrer son corps, sa laideur, cest que je suis comme elle, tout est dissimul mes senti- ments et ma peur sont recouverts dun masque. Voil pourquoi javais reconnu sa souffrance quand jtais petite, mais mme cette poque-l, je ne pouvais pas y faire face. J ai de grosses jambes, parce que jai toujours repouss mes sentiments vers le bas, exactement comme elle. J ai de gros seins parce que je jouais ladulte. Maintenant, je sens la tension dans tout mon corps et je voudrais men dfaire. J e me laisse aller cette tension, et je sens que cest de la souffrance. Toute ma tension provient de la souffrance que je ne ressens pas. Mainte- nant, je la ressens et je pleure. J ai dcouvert galement aujourdhui que le souci que jai du bien-tre de ma sur, nest quun souci de moi- mme dguis, car elle a djou la souffrance et la dou- leur que jai gardes enfermes en moi.
Mercredi
Quand je suis arrive ce matin, javais lestomac re- tourn et jtais nerveuse et excite. Tout ce que jaurais pu dire semblait faux, je me suis donc plonge dans le sentiment. J tais petite et jtais couche dans mon berceau. J ai lev les yeux et jai vu maman seule avec moi. Elle avait lair malheureuse, terrifie et folle. J tais horrifie, et je sentais moi-mme tout ce que je voyais sur son visage. Mme quand jtais bb, je la voyais telle quelle tait. Ctait trop douloureux. J tais trop petite pour tre oblige de voir a. Ce ntait pas juste. J e ne pouvais pas le supporter. Voil pourquoi il mavait fallu refouler mes sentiments ds le dbut. Un petit bb, oblig de voir que sa mre est folle et im- puissante. Ensuite, jai essay de me souvenir de papa. J e suis devenue plus petite, tout en me sentant relativement plus grande (comme quand jai de la fivre). J tais toute petite, dans mon berceau ( premire vue, on au- rait dit un incubateur parce quil y avait un couvercle de plastique au-dessus de moi). J e ne voyais que lobscurit et je sentais que javais besoin que mon pre me prenne dans ses bras. Puis, je lai vu debout, bien au- dessus de moi. Ctait une statue qui me regardait. J e ne parvenais pas arriver jusqu lui. J e lappelais douce- ment, mais il ne mentendait pas, il ne mentendait tout simplement pas. Quest-ce qui tarrive, papa ? J e ne pouvais pas bouger, je ne pouvais plus crier. Ensuite, jai vu ma mre ct de lui. Ils taient tous les deux des statues de cire, des coquilles vides qui me regar- daient, mais ne me voyaient pas et ne ressentaient rien. Puis, il y a eu ma sur ma droite, un sourire feint sur les lvres, elle avanait les mains dans mon petit lit pour me pincer. J aurais voulu quils partent tous ils taient horribles et irrels. Ctait effrayant. J ai ferm les yeux et je me suis couche sur le ct gauche, esp- rant quils penseraient que je dormais et quils sen iraient. J ai eu une enfance horrible et effrayante ds le d- part, mais je me le suis cach. J ai serr les dents sur le sentiment et il est toujours enserr.
Jeudi
Aujourdhui encore, ds le dbut, javais le ventre tout tendu. J e suis devenue un bb, je ressentais un besoin trs puissant, mais il ny avait pas de mots. J ai essay d'appeler maman, mais en vain. Ensuite, je lai vue, mais je navais pas envie quelle me prenne parce quelle avait lair folle. J e voulais que ni elle, ni papa ne soient fous et quils ne soient pas en cire. J e me sentais triste parce que je ne pouvais simplement ressentir le besoin sans prouver dabord le besoin de les voir chan- ger. J e les suppliais de ne pas tre fous, et ctait un sentiment trs rel. Ensuite, jai senti la fureur que dis- simulait cette ralit. J e leur ai cri : J avais besoin de vous, et vous ne mavez t daucun secours vous tiez bien trop fous ! Qui voudrait, quand elle appelle ses parents, voir arriver deux fous ? J e croyais que cette fureur allait durer jamais, mais un seul cri et tout sem- blait sorti. J ai t triste toute la journe et toute la nuit qui ont suivi cette sance, je me sentais trompe et prisonnire de mon moi de bb malheureux.
Vendredi
J tais petite et jai senti le besoin de papa et de ma- man. J avais peur et terriblement froid. J tais couche l, paralyse et transie de peur quils ne soccupent pas de moi, quils ne me prennent pas. J e ne pouvais pas appeler parce que je ne pouvais toujours pas supporter de les regarder. Quand jai enfin cri pour les appeler et que jai pouss un cri de bb du fond du ventre, je me suis fait mal loreille gauche. Peut-tre quelle sest ouverte, parce que jai senti que le cri sortait par loreille. Ctait un vritable cri de bb, jai eu limpression que ctait un blement quand jai cri. Tandis que jtais tendue l, glace, jai senti combien javais le ventre serr, contract contre le sentiment. Aujourdhui encore, jai les muscles abdominaux durs comme du bois.
Lundi
Tout le week-end et ce matin, jai eu mal au ventre, des crampes destomac et des maux de tte. J ai encore ce sentiment de creux lestomac que jai toujours eu (et qui ma toujours rappel le pass). J ai essay de me laisser aller ce sentiment la tte me tourne (comme quand on est drogu ou quon a la fivre). La sensation que tout tourne en rond, avec une sorte de glissement vers lextrieur. J ai eu limpression que mon bras gauche tait paralys, comme si quelquun labaissait de force en comprimant les muscles. J ai cri : Lche- moi, lche-moi ! , mais ce ntait pas a. Soudain, mon tourdissement a pris une autre forme : ctait comme si quelquun balanait trop fort mon landau, comme pour me faire peur. Ma raison disait que ce devait tre ma sur, mais aprs, jai vu ma mre, le visage grimaant. Mais cela non plus ne semblait pas tre tout fait a. J ai senti de nouveau mon bras. J avais la nause. Mes parents me tenaient, ils me tordaient le bras et me fai- saient peur. J ai hurl et jai enfin dgag mon bras. Immdiatement jy ai senti un afflux de sensations. Mais jtais terrifie et sens dessus dessous. J e ne com- prenais pas ce qui stait pass. J ai fini par crier : J e ne comprends pas , et cette fois, ctait a. J e devais avoir cinq ans et jtais consterne et trouble par mes parents. Ils ne soccupaient pas de moi. Tout ce quils faisaient me troublait ou me faisait mal. Ils taient fous et ils me rendaient folle. J e les hassais tout en ayant besoin deux. Ils ne maimaient pas. J e devenais folle force dessayer de comprendre ce qui se passait. Et je djouais cette folie par les danses dchanes et les grimaces pour dissimuler ce que je ressentais. J 'tais trop petite pour comprendre, mais je comprenais plus que lorsque javais t un bb. Ctait terriblement douloureux. J avais toujours la tte prise, le nez et les oreilles bouchs, la gorge noue ctait toute cette merde et tout le dsarroi qui staient accumuls en moi. J ai pouss encore quelques cris de bb et je me suis sentie un peu mieux. Quand je me suis redresse jai fredonn tout naturellement, presque inconsciemment, une chanson enfantine. Peut-tre voulais-je que ce soit aussi simple que a.
Mardi
J e me suis immdiatement sentie petite. J tais comme paralyse, debout la porte entre la salle man- ger et la cuisine et je regardais dans le salon. Papa et maman sont l, puis ne sont pas l, ils sont transparents. J ai besoin deux mais je ne peux pas les appeler. J e suis paralyse entre le dsir que jaie deux et la peur de leur irralit. J tais seule, trs seule. J e prtendais que je navais pas besoin deux. J e ne leur ai jamais rien de- mand. J e nai mme jamais demand papa de maider couper ma viande alors que ma sur le lui demandait. Aujourdhui, jai cri : Papa, o es-tu ? J e ne te vois nulle part dans la maison. Ensuite, jai senti que je voulais parler ma mre, jaurais voulu lui dire que javais mal la tte. J ai fini par le faire, et ctait trs rel. J e lui ai aussi cri : J avais besoin de toi , ce qui est devenu : J ai besoin de toi . J ai senti que mme quand toutes les lampes taient allumes, la maison avait toujours lair vide et sombre. J tais petite et seule, et je prtendais tre grande et indpendante. En ralit, mme quand ils taient l, ils ntaient jamais l pour moi. J e me sentais floue. Pourquoi ne vous tes-vous pas occups de moi ? Mme si javais hurl et tap des pieds, ils ne mauraient pas entendue ni vue.
Mercredi
Ce matin, jtais angoisse. J ai commenc par me souvenir plus nettement de la maison de D . Ensuite, je me suis sentie petite jtais sur la porte de derrire, et javais peur devant cette maison vide. J e ne pouvais pas respirer; javais le sentiment que je ne pouvais pas marcher dans la maison, mais jai continu me repr- senter toutes les pices du rez-de-chausse. Enfin, je me suis mise parcourir la maison et je me suis mme souvenue de ce quil y avait dans les placards. J avais rellement peur daller au premier tage, peur de dcou- vrir quelque horrible secret qui aurait t la cause de mon angoisse. J e me suis force monter lescalier, marche par marche. J ai regard dans la chambre de mon oncle, il ny avait rien. Puis jai travers le corridor pour aller la chambre de mes parents, javais le cur battant. A la porte jai perdu courage en voyant que la chambre tait vide et en comprenant que ctait tout. J avais peur parce que la maison tait vide; il ny avait personne pour moi, jtais seule. J e me suis sentie plus triste que jamais. J e me suis rendu compte qu lpoque, je navais jamais fait le tour de la maison. J e ne pouvais pas affronter seule la peur et la souffrance. Cest pourquoi je suis alle masseoir devant la tlvi- sion et je dissimulais ce que je ressentais sous la colre. J e faisais brler des allumettes pour dcharger ma co- lre, de sorte que quand maman arrivait, je pouvais faire semblant que tout allait trs bien. Intrieurement, je ragissais comme un bb, mais dans mon comporte- ment extrieur, je nen laissais rien paratre.
Jeudi
J ai pass toute la nuit dans une sorte de panique je ne pouvais pas respirer, javais lestomac nou, comme par des crampes. Ce matin, je ne pouvais pas avoir de sance, alors jai dcid dessayer dy arriver toute seule. J e voyais toujours la maison de... o nous habi- tions quand javais dix ans. J ai regard dans la chambre de mes parents, et jai ressenti de la violence, de la co- lre je me reprsentais une dispute, mais ce ntait pas rel. J ai fini par me retrouver dans ma chambre. J e me suis souvenue du soir o jtais revenue du camp de vacances et o javais compris que quelque chose nallait pas. Le lendemain, j'avais demand ma mre sils avaient jamais envisag de divorcer. Ce soir-l, je croyais les avoir entendus se disputer au premier, alors que jtais dans ma chambre. J e me rappelais mon pre, me disant quil maimait tandis que je prenais mon bain; il avait lair triste, me faisant comprendre par son ex- pression que tout nallait pas bien. J ai pleur. Au- jourdhui, jai d pleurer de souffrance pendant deux heures. Ce soir-l, je compris quon allait en finir avec les faux-semblants, que sous peu ce serait invitable. Il ny avait pas de famille. Il fallait que je reconnaisse que nous ntions pas une vraie famille, que nous ne lavions jamais t et que, pendant dix ans, nous navions fait que nous jouer la comdie. J tais terrifie je ne serais pas capable de regarder les choses en face. J aurais voulu les supplier, je criais : Non, non, non ! Toute la souffrance que javais cache quand jtais toute petite, il mavait fallu la dissimuler nou- veau ce soir-l. Maman aurait pu tout arranger si elle avait continu faire semblant, nous aurions tous pu continuer jouer la comdie. Ctait horrible, ctait la fin du monde, la fin de notre monde hypocrite.
Vendredi
Toujours mal lestomac et la tte. Hier, je ne suis pas arrive me dbarrasser de tout. J ai tout repris la sance daujourdhui. Tout ce qui restait, ctait les cris que je navais pas os pousser chez moi. J ai cri non un bon nombre de fois, et me suis sentie soula- ge.
Lundi
J ai souffert encore la plus grande partie de la journe. En sance, je me suis plonge dans ma peur dtre seule, en essayant datteindre la terreur. Mais la terreur est dans lattente. Une fois que jai ressenti la solitude au lieu de la repousser, je me suis sentie tout simplement seule et triste. Ce ntait pas agrable, mais ctait sup- portable. J e me suis concentre sur le martlement que je ressentais dans mon estomac et je lai fait monter dans ma tte, mais je narrivais toujours pas identifier le sentiment. J e me suis mise pleurer trs fort, en poussant des cris qui partaient du fond de lestomac pour essayer de faire sortir le sentiment. J ai cri ma- man : J ai besoin de toi; jai peur; occupe-toi de moi. Cela na servi rien. J ai eu peur. J e ny arrivais pas. J avais le nez bouch, je suffoquais. J e ne pouvais pas dire ce que je ressentais; les choses tournaient en rond dans ma tte, je membrouillais et je devenais folle. Ctait comme pendant le voyage au L.D.S. : jessayais dexprimer quelque chose de simple avec des mots, mais ctait quelque chose que je ne pouvais pas affronter. J e cherchais des rponses avec acharnement, jessayais de me reprsenter clairement les choses, jtais gagne par la colre. J ai fini par renoncer, je suis rentre lhtel, remplie de peur et de confusion.
Mardi
J ai dcid de revenir sur le primal pour voir ce que je navais pas pu regarder en face tous mes amis et les besoins que javais ressentis, navaient pas t connec- ts. J e suis revenue sur le lendemain du soir o jtais rentre du camp de vacances. J tais en voiture avec maman, nous allions Glendale. J e lui ai demand sils avaient jamais envisag de divorcer. Avant mme quelle rponde, je me suis sentie glace, je flottais, je ntais plus dans la voiture, jtais tourdie, je tombais. J ai compris que jtais en train de prendre du recul pour viter de revivre cette scne. J e me suis contrainte y revenir. J tais de nouveau dans la voiture, je regardais ma mre. J e lui ai pos la mme question. Une fois de plus, jai senti un martlement dans mon estomac. Elle a rpondu : Oui . J e me suis effondre, ctait comme un grand coup dans lestomac impossible. Elle avait rpondu oui . J e me suis sentie pousse contre la porte, ils me poussaient dehors, elle, en tout cas. Enfin, jai t frappe comme javais t frappe alors : Elle ne maime pas. Si elle maimait, elle naurait pas dit oui elle me mentirait, elle me protgerait, elle reste- rait irrelle, pour moi. J avais besoin quelle dise non. Voil le sentiment que je navais pas pu affronter. A vingt-cinq ans, javais prfr devenir folle, plutt que daffronter cela dix ans, et javais senti probablement toute ma vie que ma mre ne maimait pas.
Samedi
J ai commenc par pleurer. J ai vu notre maison de la rue O o nous avons habit aprs le divorce. Ma chambre je suis couche sur le lit, je me sens telle- ment seule. J ai pleur et cri pour appeler maman. J e ne pouvais pas supporter de me sentir tellement seule. Ctait encore le sentiment quelle ne maimait pas, sinon elle naurait pas divorc cest ce qui a fait scrouler le fantasme.
Mercredi
J ai commenc la sance avec des battements dans le ventre et la gorge noue. J ai vu la maison de la rue B . Le couloir entre ma chambre et la cuisine. J ai par- couru la maison en cherchant quelque chose. J ai vu ma mre et ma sur divers endroits, mais elles taient immobiles, comme des statues. J avais besoin delles pour quelque chose, mais je ne pouvais pas lobtenir. J tais coupe delles, seule. J avais rellement besoin dtre avec quelquun, maman, javais besoin daffection. J avais besoin quelle maime. J avais mal, mal aux bras et la tte. Puis, je me suis sentie paraly- se comme un bb. Ctait les deux seules faons que je connaissais dobtenir de lamour. J e les ai vus tous les trois dans le salon. Leurs yeux exprimaient la maladie, la peur. J e voulais fermer la porte, comme je le faisais toujours. J allais dans ma chambre, ou alors, je me rfu- giais dans la lecture. J ai ralis que toute ma vie, javais connect amour et souffrance et que javais t un petit enfant impuissant, cest pourquoi je ne suis jamais tombe amoureuse sans que lamour comporte cette lutte avec la souffrance. Et le besoin demprunter de largent papa et maman, il fallait que je leur sou- tire quelque chose. Quand jai voulu leur demander de maimer, ma bouche tait glace. Mais la fin, je suis arrive demander leur amour, encore et toujours.
Jeudi
J avais la gorge tellement noue ce matin quen en- trant, je ne pouvais mme pas parler. J e sentais toute la souffrance de mon enfance comme un grand coup dans lestomac. J ai cri : Maman, pourquoi est-ce que tu ne maimes pas ? J e ten prie, aime-moi ! J ai senti que je voulais quelle soccupe de moi et quelle me protge; aprs jai cri : Maman, je ten prie, ne me fais pas mal ! Et jai rpt a je ne sais combien de fois. Tous ces appels nont servi rien; l-dessus, jai cri : Tu me fais mal, je suis malade, tu me rends malade. J e me suis mise sur le ct, javais la nause, jai dit : Tu ne peux pas maider ? J e me suis laisse aller ce sentiment terrorise dtre seule et de sentir la souffrance. En respirant profondment, je suis arrive faire remonter cela en partie de mes entrailles. J tais simplement plus triste encore, jai senti en moi une tristesse et une terreur plus profondes que tout ce que javais vcu jusquici. J ai pleur encore un peu. Puis javais des dmangeai- sons par tout le corps, javais le ventre contract, mais intrieurement jtais plus calme. Quand je me suis redresse, je me suis touch le visage, et la sensation tait diffrente, comme si je navais jamais encore senti quelque chose sous ma peau mon masque denfant glac de terreur stait dchir.
Vendredi
Le sentiment est toujours dans mon ventre et dans ma gorge. Enfin, aujourdhui, jai vraiment senti la souf- france et la solitude. Mais je nai pas pu faire la con- nexion. Do vient cette souffrance immense ? J e narrive pas la faire sortir. J en suis arrive la sentir tout le temps, mme en dehors des sances. Mais je sens que je dois la faire sortir.
Samedi
Le sentiment est l, dans le groupe. Enfin un cri invo- lontaire jaillit. J e pleure, je pleure et enfin, je dis : J e savais depuis toujours que ma mre ntait pas l pour moi. J e savais quelle ne pouvait rien changer ma solitude. J ai t provisoirement soulage que cela soit sorti enfin. Mais tout nest pas encore sorti. Ce nest toujours quun fragment de la souffrance.
CHAPITRE 9
LA RESPIRATION, LA VOIX ET LE CRI
Freud pensait que les rves taient la route royale de linconscient . Sil est une route royale , ce serait plutt celle de la respiration profonde. Dans certains cas, les techniques de respiration profonde font partie des mthodes qui contribuent librer lnorme puis- sance de la souffrance dans le corps. Un travail de recherche effectu il y aura bientt un quart de sicle sur une ventuelle corrlation entre la respiration et le malaise psychologique, aboutit des conclusions positives 1 . A des sujets qui devaient penser des choses agrables, lon demanda brusquement linverse. On observa quun grand nombre dentre eux se mettaient respirer profondment. Plus rcemment, une tude sur le problme de lhyperoxygnation recon- nut lexistence dun lien profond entre lanxit et les troubles du systme respiratoire. On constata mme, au cours de tests dhyperoxygnation qui consistaient presser avec la paume de la main sur le bas de la cage thoracique du sujet pour obtenir une expiration absolu- ment complte, que, dans la quasi-totalit des cas, il en rsultait une dtente motionnelle accompagne de
1 J . E. Finesinger, The Effect of Pleasant and Unpleasant Ideas on the Respiratory Pattern in Psychonevrotic Patients , American Jour- nal of Psychiatry, vol. 100 (1944), p. 659. pleurs et de la rvlation dvnements passs impor- tants 1 . Wilhelm Reich estimait que linhibition respiratoire allait de pair avec linhibition des sentiments : De toute vidence , crivait-il, linhibition respiratoire est le mcanisme physiologique de la suppression et de la rpression de lmotion; par consquent, cest le mcanisme de base de la nvrose 2 . Daprs Reich, chez les nvross, les troubles respiratoires proviennent de la tension abdominale qui entrane le sujet, sous leffet de la peur, retenir son souffle. Cest pourquoi la technique de la respiration profonde est utilise en thrapie primale pour conduire le patient plus prs de ses propres sentiments. Beaucoup de pa- tients dclarent aprs le traitement que leur respiration a chang; ce nest quaprs avoir commenc respirer profondment quils se rendent compte quel point leur respiration tait superficielle auparavant. Ils disent que quand ils respirent maintenant, ils sentent lair des- cendre au plus profond deux-mmes . Dans le con- texte primal, cela signifie que, dans le cours de leur vie quotidienne, ils ne plongent pas dans leur souf- france, ce qui laisse penser que la respiration superfi- cielle a, entre autres fonctions, celle dempcher la souf- france profonde de monter. La respiration normale devrait tre instinctive la chose la plus naturelle du monde cependant, parmi tous les nvross que jai pu observer, rares sont ceux
1 B. I. Lewis. Hyperventilation Syndromes; Clinical and Physiologi- cal Evaluation , California Medecine, vol. 91 (1959), p. 121. 2 Reich, op. cit. qui respiraient correctement. En effet, pour eux, la res- piration est un moyen de rprimer le sentiment; autre- ment dit, le mode de respiration fait partie du systme non naturel. La respiration du nvros est lillustration de la suppression du systme rel au profit dun systme irrel : aprs leur primals, les patients respirent profon- dment et normalement. Comme le nvros utilise la respiration pour refouler sa souffrance, il nest pas rare quon laide soulever le couvercle de la rpression en le contraignant respirer profondment. Il en rsulte la libration dune force explosive qui restait jusque-l diffuse au sein de lorganisme et se manifeste par une lvation de la ten- sion artrielle, une monte de temprature, un tremble- ment des mains ou dautres symptmes du mme ordre. Les techniques respiratoires primales sont la voie royale qui conduit la souffrance librant des souve- nirs en cours de route. A ce titre, elles peuvent tre qualifies de sentier vers linconscient . On serait tent de minimiser limportance de lexprience primale en la considrant comme une simple rpercussion du syndrome de lhyperoxygnation (en respirant plus profondment que ne lexige lorganisme, on provoque une oxygnation plus forte et une rduction de la proportion de gaz car- bonique dans le sang). Mais ce serait ne pas tenir compte de deux facteurs essentiels. Tout dabord, des tudes ont dmontr que ressentir une douleur ou un malaise suffit approfondir le mouvement respiratoire phnomne maintes fois constat scientifiquement, mais jamais expliqu. Pour ma part, jestime que la thrapie primale explique la relation qui existe entre la souffrance et lamplitude de la respiration. En second lieu, dans la plupart des cas, lhyperoxygnation saccompagne dtourdissements et de vertiges, ce qui nest pas le cas lors dun primal. J e ne pense pas que les techniques respiratoires aient en elles-mmes quelque pouvoir intrinsque sur la n- vrose. Tout au plus servent-elles, comme un soupir, relcher temporairement la tension, et, sous ce rapport, elles doivent tre considres comme une dfense, au mme titre que les autres agents de relaxation. La plupart du temps, ces techniques ne sont plus n- cessaires ou sont rarement utilises au-del des premiers jours de thrapie. Il ne faut pas oublier que notre objec- tif est la souffrance et que lutilisation des techniques respiratoires nest que lun des nombreux moyens que nous employons pour latteindre. La respiration et la voix, qui vont toujours de pair, sont de toute apparence de bons rvlateurs de la n- vrose. Il nest pas rare de voir dans les missions de tlvision des invits qui sont incapables de prendre leur souffle pour parler. Cela peut tre imput un dsir de prsenter une image deux-mmes qui nest pas en ac- cord avec leur personnalit relle. Le patient qui arrive considrablement tendu notre premire sance est souvent dans un tat analogue. Souvent il est terrifi, haletant, se passe la langue sur les lvres et avale sa salive frquemment. Ds que la thrapeute commence attaquer son sys- tme de dfenses, le haltement saccentue. La souf- france, qui semble monter du nud de lestomac, ne peut pas dpasser le niveau de la poitrine (o le malade se sent pris comme dans un tau). La respiration pro- fonde commence miner cette barrire. Le malade est alors pri dexercer une pousse ascen- dante tout en disant Aaa... . Ds que le Aaa... accroche le sentiment montant, le patient est abandonn lui-mme. La force qui vient du plus profond de lui- mme, trouvant une issue, exerce automatiquement une pousse vers le haut et le patient entre dans une phase que jappellerai respiration conflictuelle. Cest ce stade que va se situer la perce essentielle; le malade est sur le point de passer dun tat o prvaut lirrel, un tat o cest le rel qui prdomine. La respiration conflictuelle napparat habituellement qu la suite dun certain nombre de primals, juste avant la connexion majeure qui unifie la personne et inonde le patient de sentiments et de rvlations sur lui-mme. La respiration conflictuelle est un stade involontaire du primal o le patient est pris dun haltement profond qui a quelque chose danimal; la respiration devient de plus en plus profonde et de plus en plus forte pour finir par ressembler, par moments, un bruit de locomotive. Le patient est souvent trop accapar par son propre sentiment pour se rendre compte de la manire dont il respire. Il semble que la respiration conflictuelle soit le rsultat de la lutte entre la pousse ascendante des sen- timents rprims et les forces de la nvrose qui les re- foulent. Ce phnomne peut durer de quinze vingt minutes pendant lesquelles le malade a lair dtre pris dans une course la mort o le moindre souffle dair lui est prcieux. En temps ordinaire, le patient svanouirait. Une fois que la respiration a trouv son propre rythme, le thrapeute na pratiquement plus qu obser- ver. La respiration conflictuelle est un signe pathognomo- nique de lamorce du primal. Les malades rapportent quils se sentent impuissants devant le dferlement de la souffrance. Pourtant, ils sentent confusment quil ne tiendrait qu eux de cesser lexprience; toutefois, on ne connat aucun patient qui ait interrompu un primal ce stade. Lorsque la respiration gagne en ampleur et en profon- deur, lobservateur sent que le moment crucial nest plus qu quelques secondes ou quelques minutes. Lestomac du patient est pris de tremblements, sa poi- trine palpite, il tourne la tte gauche et droite, tend et dtend les jambes, stouffe et semble en gnral tre pouss dans les derniers retranchements de sa fuite perdue devant la souffrance. Soudain, dans une grande convulsion, il semble que la connexion soit tablie; cest alors que jaillit le cri primal. Aussitt, la respiration devient profonde et facile; un patient dclara : Cest cette respiration qui ma redonn la vie. Les malades disent alors se sentir frais, lavs et purs . Aprs ltablissement de la connexion, lair circule sans effort, nous sommes loin de la respiration saccade et sporadique du dbut de la sance. Un malade tu- diant, particulirement sportif, dit navoir jamais rien ressenti de semblable cette respiration complte, mme aprs avoir couru un quinze cents mtres. Le cri a plusieurs effets secondaires. Des malades qui nont jamais os piper mot dans leur vie familiale, se sentent brusquement gagns par un sentiment de puis- sance. Le cri en lui-mme semble tre une exprience libratrice. Il suffit dcouter lenregistrement sur ma- gntophone dun primal pour percevoir les modifica- tions de respiration qui accompagnent les divers stades de lexprience. Le bruit respiratoire est rvlateur : un malade qui veut conserver partiellement ses dfenses ne peut adopter une respiration qui engage tout son tre. Il peut arriver, trs exceptionnellement, que le malade simule le cri. Il semble sortir du haut des poumons et prend alors presque toujours la forme dun cri perant. Ce cri artificiel semble tre le prolongement de lespoir irrel. Puisque le cri primal marque la fin de la lutte, il na gure de chances dtre pouss par quelquun qui est encore engag dans cette lutte. Bien que nous parlions souvent de sentiments pro- fonds , nous prcisons rarement quel niveau ils se situent. A mon avis, les sentiments profonds sont ceux qui impliquent lorganisme entier et tout particu- lirement la rgion de lestomac et du diaphragme. Certains sujets ont trs tt limpression que leurs parents ne souhaitent pas les voir exubrants et rellement vi- vants; en consquence, ils shabituent vite vivre en retenant leur souffle de peur de dire ou de faire quelque chose de mal, dtre trop bruyants, trop turbulents ou de rire trop fort. Tt ou tard cette peur transforme le senti- ment en phnomnes tels que gorge serre, poitrine oppresse ou estomac nou. Ce processus de refoule- ment a un effet sur la voix qui a tendance devenir aigu : cest une voix qui nest pas lie au corps dans son entier. Souvent le discours du nvros fait penser la poupe du ventriloque la bouche excute des mouvements mcaniques, en quelque sorte dshumaniss et appa- remment dnus de tout lien avec lensemble du sys- tme. Parce quelle repose sur une couche de tension et non sur un solide fonds de sentiments, la voix tendue est souvent chevrotante. La bouche supporte aussi les consquences de la n- vrose. Il nest pas rare, aprs le traitement, que les patients saperoivent de la disparition dune certaine tension quils ressentaient au niveau des lvres. Une malade sest rendu compte aprs son primal, que ctait la pre- mire fois depuis des annes quelle sentait sa lvre suprieure. Elle rapporta que cette lvre avait toujours t comme engourdie, peut-tre , ajoutait-elle, parce que jai grandi dans une famille nourrie de cli- chs du style : il faut serrer les dents. Ce que je vou- drais suggrer, cest que notre corps tout entier semble reflter la souffrance. La colre, par exemple, fait en gnral rentrer les lvres qui ne forment plus quune ligne trs mince; si la colre persiste, la position des lvres se maintient galement. Les primals sont suivis non seulement dune dtente du visage et des mchoires, mais aussi la voix baisse dun ton. Cest sans doute lun des signes les plus vi- dents et les plus spectaculaires qui distinguent le malade qui a subi la thrapie. Des femmes qui avaient une petite voix et une locution enfantine se retrouvent aprs la cure avec une voix plus profonde et bien pose; leur discours a pris de ltoffe. Le discours du nvros manque souvent de nuances car il reflte un tat de tension perptuel. Un patient dclare : J avais toujours un dbit prcipit, je parlais avec une voix de tte. J e ne ressentais rien en parlant. La tension interne faisait jaillir de moi les mots par bribes saccades. Maintenant, je me sens parler. Quand on parle de torrent de mots , on emploie sans aucun doute la tournure qui traduit le mieux le fait que, chez le nvros, le discours est lexutoire de la tension. Un patient qui avait toujours eu une petite voix expli- quait aprs son primal : J e crois que chez moi, tout tait petit. J avais bien limpression quil y avait quelque part ma porte une voix forte, mais je navais jamais le courage de men servir ! Un autre malade, qui auparavant parlait du nez, dcla- rait : Toute ma vie jai cru que javais quelque chose au nez; aujourd'hui, il parat que ctait une faon de me plaindre et que je ne men rendais pas compte. Au lieu dtre ouvert et direct, je filtrais tous mes sentiments par les narines. Un indice du fait que le discours est un fidle miroir du moi, peut tre trouv dans le fait que nous prouvons souvent de lanxit quand nous nous imaginons dots de la voix de quelquun dautre (privs de notre manire de parler qui est notre moyen de dfense). Cest pour- quoi il marrive parfois en thrapie de groupe de de- mander aux patients dchanger leurs voix afin de dimi- nuer leurs dfenses. J e considre effectivement le discours du nvros comme un mcanisme de dfense. Une voix tnue peut djouer par des phrases inaudibles la crainte dattirer trop lattention et ce nest par consquent quun moyen de rprimer un cri. Quand le thrapeute oblige un patient ralentir son locution et lui demande de faire des efforts pour parler, cest un mcanisme de dfense quil tente de rompre. Tant que la rserve des sentiments refouls nest pas puise, ils colorent et faonnent tous les mots que prononce le nvros et la structure mme de sa bouche. Au cours des premires heures o le patient sexprime, cest son systme de dfenses que nous en- tendons. Ici, du moins, le vhicule du message consti- tue le message lui-mme . Mais je pense que le discours nest que lun des as- pects de lensemble des mcanismes de dfense de la personne. Daprs mon exprience, un langage puril, correspond une immaturit sur le plan sexuel et souvent sur le plan du dveloppement physique (qui reste celui dune petite fille ou dun petit garon). Daprs ce qui prcde, il est clair que si lon dcouvre un problme sur un plan, il faut sattendre le voir ressurgir ailleurs : ce qui interdit au patient lacquisition dune voix pleine, lempchera aussi daccder lorgasme complet. Voici un exemple : un jeune garon est constamment critiqu pour ses actes et ses paroles, il lui est aussi interdit de rpondre et de manifester sa colre. Cette colre refoule subsiste et se grave dans ses traits au cours de la croissance. Plus tard, il a des enfants son tour. Toutes ses paroles sont empreintes de colre et constituent une perptuelle et sourde menac lgard de son enfant. Ce dernier dguise tous les aspects de son propre comportement de peur de dclencher le volcan de colre du pre; son parler est assourdi, ses gestes sont triqus et craintifs. Cette contrainte risque daffecter tous les processus physiques, peut-tre mme la crois- sance. La peur de dire quelque chose quil ne fallait pas et de provoquer ainsi une explosion de colre paternelle peut entraner chez lenfant des problmes dlocution. En effet il examine chaque mot en fonction du danger quil reprsente. Par consquent, il peut commencer balbutier et bgayer. Un ancien bgue expliquait son problme de la ma- nire suivante : Mon bgaiement reprsentait en fait la lutte. Tout se passait comme si le non-moi parlait pour empcher le moi rel de se manifester. Depuis que javais appris parler, javais toujours eu peser soi- gneusement mes mots. A la fin, jen tais venu repro- duire exactement les penses et les paroles de mes pa- rents. J e disais ce quils souhaitaient entendre. Ctait comme si javais t attach eux par la bouche. Tant que le moi rel ne disait pas ce quil prouvait vraiment, jai pu mentendre avec eux. Ce malade ne bgayait jamais au cours dun primal quand il tait son moi rel. Le bgaiement apparat comme la preuve vidente du conflit qui se joue entre les deux moi et des symptmes quil engendre. Ces primals o le malade ne bgayait pas, montrent aussi comment le sentiment limine les symptmes de la nvrose. Au cours dune sance de thrapie de groupe, alors que ce malade dcrivait ses symptmes, une autre pa- tiente fit remarquer que tandis quil restait attach ses parents par la bouche , elle le restait en tant frigide. En dautres termes, elle voulait dire que le foyer de la lutte se situe l o lenfant le localise en grandissant. Pour une femme qui voudrait rester parfaite et pure aux yeux de ses parents, la lutte (la rpression des senti- ments) peut se situer au niveau des organes sexuels. Dans dautres cas, comme nous lavons vu, cela peut tre la bouche. De toute faon, si lenfant adopte les attitudes de ses parents et ragit par rapport elles et non par rapport ses propres sentiments, il faut sattendre ce que son organisme ne connaisse pas un fonctionnement rel et harmonieux. Le discours est un processus cratif qui consiste produire chaque instant quelque chose qui jusque-l nexistait pas. Le nvros, au fur et mesure quil parle, recre son pass le sujet normal cre un prsent perp- tuellement nouveau.
CHAPITRE 10
NEVROSE ET MALADIE PSYCHOSOMATIQUE
Tous les comportements du nvros sont essentielle- ment motivs par son tat de tension. Comme son acti- vation sinscrit dans un systme irrel, il ny a pas de feedback dans le systme qui vienne indiquer au sujet quand il devra sarrter. Les muscles restent contracts, les glandes continuent secrter des hormones, le cer- veau est maintenu en alerte le tout pour se prmunir contre un danger qui nexiste plus. J ohn Lacey et ses collaborateurs ont procd une exprience qui nous renseigne mieux sur les mca- nismes mis en jeu dans les ractions du corps au stress 1 . Leur tude porte sur lacclration et le ralentissement du rythme cardiaque sous leffet du stress. On a constat que le rythme cardiaque ralentit quand le sujet est atten- tif et ouvert au monde qui lentoure cest--dire, quand il est prt accepter ce qui se passe autour de lui. Le rythme cardiaque sacclre quand le sujet est sous leffet de la douleur ou quand il dsire refuser ce qui se passe. Les chercheurs qui ont procd cette tude pensent quil devient plus rapide afin de mobiliser par avance lorganisme contre limpact de la douleur. En
1 J ohn I. Lacey, Psychophysiological Approaches to the Evaluation of Psychotherapeutic Process and Outcome , dans E. A. Rubenstein et N. B. Parloff. d., Research and Psychotherapy (Washington, D. C., American Psychological Association National Publishing Co., 1959). outre, la douleur entrane une augmentation de la ten- sion artrielle 1 . Limportance de cette tude rside dans la constata- tion que ce nest peut-tre pas la douleur qui, elle seule, provoquerait lacclration du rythme cardiaque mais le besoin de la rejeter. Si lhypothse de lexistence de la souffrance primale est juste, il sensuit que lorganisme et tout particulirement le cur, souf- frent des efforts quils font pour rejeter cette souffrance. Cela aiderait expliquer la prsence frquente de syn- dromes du rythme cardiaque et de la pression artrielle que lon peut constater ds le jeune ge chez beaucoup dentre nous. Notre corps fait simplement des heures supplmentaires , il combat des ennemis quil ne voit et ne sent pas. En tant que muscle, le cur ne peut que ragir de la mme manire que le reste de notre systme musculaire. La tension, en tant quexprience du corps entier, doit ravager lorganisme entier en attaquant en premier lieu les organes constitutionnellement affaiblis. Il faut croire que danne en anne, ce stress use , puisque ceux qui nen sont pas victimes vivent sensiblement plus longtemps que leurs homologues nvross. Le symptme qui se dveloppe dpend dun certain nombre de facteurs : par exemple, ce que le patrimoine culturel de lindividu lui fait considrer comme accep-
1 Dans le numro de fvrier 1969 de American Psychologist, Ernest R. Hilgard rend compte de ses recherches sur la douleur et la tension artrielle ( Pain as Puzzle ). Il crit : Lorsque les conditions de stress, qui normalement entranent aussi bien la douleur qu'une aug- mentation de la tension artrielle, ne provoquent pas cet accroissement de la tension, on peut supposer qu'il ny a pas de douleur. table aux Etats-Unis, les maux de tte et les ulcres sont des symptmes auxquels on sattend . Mais la localisation de la rgion ou de l'organe atteint, revt une signification symbolique plus importante. En gnral, le nvros ne peut ou nose pas voir ses pro- blmes, de sorte que le message du sentiment apparat sous forme symbolique : la myopie, par exemple, ou lasthme qui se dveloppe chez lenfant quon ne laisse mme pas respirer librement. (A lapproche des senti- ments primals essentiels, un patient tait repris par les crises dasthme quil avait eues dans son enfance.) De terribles maux de tte sont les symboles directs du clivage nvrotique du moi. Ils sont en grande partie dus au fait que le sujet prouve des sentiments dun certain ordre et est forc dagir dune autre faon. Un malade me disait : Mon esprit a honte de ce que mon corps ressent. Le nvros a alors recours laspirine ou autres anal- gsiques, sans comprendre que la souffrance dont il sagit est la souffrance primale. Les maux de tte re- viennent toujours parce que la souffrance primale ne disparat pas. Un patient sexprimait de la faon sui- vante : J e disais toujours : Maman, ma tte me tue ! , sans savoir ce que je disais. Ma tte tuait en effet mon moi. Il fallait que je fasse comme si mes senti- ments nexistaient pas; je les enfouissais donc dans un coin de ma tte, jusqu ce quelle semblt vouloir cla- ter. Beaucoup dentre nous perdent leur temps sacharner contre de fausses souffrances, prendre des antispasmodiques ou des mdicaments dcontractants ou encore des tranquillisants, sefforant en vain de chasser des maux qui ne sont que lexpression sympto- matique de relles souffrances intrieures. Ces douleurs symptomatiques se sont fray un passage travers le systme de dfenses pour nous mettre en alerte, mais ce systme de dfenses est tel que, seule, la douleur locali- se un point prcis de lorganisme affleure au niveau de la conscience, de sorte que le malade continue ignorer la cause de son mal. Lors dun rcent congrs de lAcademy of Science de New York, plusieurs savants ont mis lhypothse quil existe un lien entre les motions et le cancer. Clauss Bahnson, psychiatre du J efferson Medical College, a dclar : Les malades prdisposs au cancer sont sou- vent ceux qui refoulent leurs motions. Il a constat que parmi les gens confronts une tragdie person- nelle, les individus prdisposs au cancer ont tendance canaliser leurs ractions motionnelles par le systme nerveux. Cette raction entrane son tour un dsqui- libre hormonal et joue par consquent un certain rle dans la gense du cancer. Bahnson a galement soulign que les cancreux sont en gnral des sujets qui ont avec leurs parents des rapports insatisfaisants, arides et mcaniques 1 . Bahnson explique cela par le fait que ces parents ne pouvant ou ne voulant pas tablir de relations motionnelles avec leurs enfants, ces derniers shabituaient rprimer leurs sentiments au lieu de les exprimer. Ces hypothses semblent corrobores par un certain nombre d'autres dcouvertes exposes au cours de ce mme congrs. W. A. Greene, de lUniversit de Ro-
1 Claus Bahnson, Proceedings , New York Academy of Science (printemps 1968). chester, a constat chez les cancreux une forte propen- sion au sentiment de dsespoir et dimpuissance 1 . (Notons en passant le fait intressant que chez les Sioux connus pour donner libre cours leurs motions, on nenregistre presque pas de cancers.) Un grand nombre douvrages de psychologie sont consacrs la mdecine psychosomatique. Dans ce domaine, on doit beaucoup Franz Alexander pour son livre sur la signification des maladies psychosoma- tiques 2 . Mon intention nest pas de passer en revue toutes les maladies psychosomatiques et dexaminer leur signification. J e me contenterai de noter que bien des maladies courantes considres jusquici comme strictement physiques doivent tre interprtes sous laspect dun corps atteint, imbriqu dans sa totalit dans un systme malade qui, dans des conditions par ailleurs normales, fonctionne tonnamment bien et de faon saine. Tant que lenfant est petit et que son organisme est fort, il peut apparemment rsister une tension consid- rable. Mais aprs des annes dtat de tension chro- nique, les organes vulnrables ont tendance cder. Pour avoir la libert de devenir vraiment ladulte que lon est, aussi bien physiquement que mentalement, il faut tre prt lge adulte et libr de son enfance. Par consquent, la maturit est aussi bien la maturit des membres et des organes que celle de lesprit. (Le dve- loppement de la personnalit est la croissance de la
1 W. A. Greene, Proceedings , New York Academy of Science (printemps 1968). 2 Franz Alexander, Psychosomatic Medicine (New York, Norton, 1950). personne tout entire.) Une patiente qui tait trs petite se mit grandir la suite dun primal, au cours duquel elle avait dcouvert pourquoi elle tait petite. J e res- tais petite pour que mon pre noublie pas que jtais toujours sa petite fille qui avait besoin quil soccupe delle. Si jtais devenue grande (cest, du moins, ce que je pensais), il ne se serait jamais rendu compte que jtais toujours son bb. J amais, dans le cadre des thrapeutiques conventionnelles, il ne ma t donn dobserver de pareils rsultats. Les recherches dun pdiatre de linstitut J ohns Hop- kins, Robert Blizzard, sont rcemment venues confirmer lexistence dun rapport entre le statut mental de lindividu et sa croissance. Au cours dune confrence faite le 22 septembre 1969 Los Angeles devant la Childrens Division Of County U.S.C. Medical Center, il a dclar : Beaucoup de pdiatres considrent comme absolument ridicule la thorie selon laquelle le psychisme de lenfant dterminerait sa croissance. Mais ils ont tort. Le docteur Blizzard a observ ce sujet que dans bien des cas, chez les enfants de six ans qui avaient la taille denfants de trois ans, le taux dhormones de croissance tait bien infrieur ce quil aurait d tre. Il fait remarquer que des enfants petits retirs dun milieu familial trs insatisfaisant se mettent grandir rapidement, mme quand ils sont confis un orphelinat. En quatre ou cinq jours, ils se mettent produire la quantit voulue dhormones de croissance et certains vont jusqu grandir de vingt-cinq centimtres en une anne. Ds quils sont replacs dans leur milieu dorigine, ces enfants cessent nouveau de grandir. Si lon examine de plus prs les foyers dans lesquels ils vivaient, on dcouvre quils souffraient dun grand manque daffection. Dans certains cas, les mres recon- naissaient har leurs enfants. Daprs le docteur Bliz- zard, il ny a quun moyen de soigner les enfants ch- tifs : les changer de milieu. Pour les adultes, je propose- rais la thrapie primale. La pratique de la mdecine psychosomatique pose souvent au mdecin des problmes embarrassants, car dune part, il est frquent que le malade nait pas cons- cience de son tat de tension, et, dautre part, il arrive que rien dans sa situation prsente ne laisse supposer ce qui a pu tre lorigine de ses troubles. Ainsi, la maladie qui se dclare brusquement na sou- vent pas de cause psychologique apparente. On ne peut en trouver meilleure illustration que lhomme trs actif qui finit par avoir un premier accident cardiaque. Son mdecin peut croire que cela provient du surmenage et lui dire : A partir de maintenant, vous feriez mieux de prendre votre temps, de vous dtendre et de rduire un peu votre activit. Mais ce nouveau comportement risque justement de prcipiter les choses et de provoquer un deuxime infarctus; en effet, linactivit est quiva- lente la destruction du systme de dfenses, elle con- tribue augmenter la tension et accentuer la pression interne, de sorte que la deuxime attaque provient non plus dun excs, mais dune insuffisance de travail. Plus exactement, elle survient parce que le malade est brus- quement priv de ce qui lui servait dexutoire de la tension. On peut se demander si les dcs prcoces que lon enregistre juste aprs la mise la retraite, ne sont pas imputables cette suppression brusque de la dfense que constitue le travail. Le mdecin peut avancer que les divers troubles pour lesquels on le consulte ne sont pas psychosomatiques puisquil ny a pas trace de traumatisme motionnel. Il nen reste pas moins que le symptme quil observe peut rsulter dune accumulation de tension. La surveil- lance priodique de la tension peut aider comprendre et prvenir bien des maladies. Une hypertension cons- tante peut indiquer, entre autres, un dsquilibre hormo- nal et les maladies qui sensuivent. Plusieurs malades qui souffraient dhypothyrodie, ont observ un chan- gement de leur tat la suite de la thrapie primale. Cessant de prendre leurs remdes, ils nprouvaient plus aucun des effets quils avaient ressentis auparavant lorsquils avaient arrt les mdicaments. J e crois quil faut considrer la nvrose comme un facteur intervenant dans presque toutes les maladies. Tout sujet qui bloque un sentiment, rprime un aspect de sa physiologie. J e nai pas souvent vu de nvross jouissant dune pleine sant physique. Par exemple, des tudes rcentes ont permis de constater que plus un individu est anxieux, plus il est expos aux virus. J e crois que le temps nest pas loin o il ny aura plus de scission entre la mdecine du corps et celle de lesprit. Cest cette scission qui a conduit la mdecine traiter les symptmes physiques tandis que la psychiatrie sattache aux symptmes mentaux sans que lon com- prenne compltement que ces symptmes sont les mani- festations du conflit qui se joue au sein du systme psy- chobiologique. En termes primals, il ny a gure de diffrence entre un symptme mental, tel quune pho- bie, et un symptme physique, tel quun mal de tte. Le symptme nest que la faon idiosyncrasique dont le malade rsout son conflit. Se spcialiser dans le traite- ment des symptmes revient ne soigner que des frag- ments dindividu. Il ne faut jamais oublier quun symp- tme est toujours imbriqu dans tout un systme. Vou- loir soigner un ulcre ou une dpression indpendam- ment de ce systme, cest ngliger les origines de la maladie. Cela ne veut pas dire quil ne faut pas traiter les symptmes, mais simplement que le soulagement quon apporte ainsi nest quun expdient provisoire.
Disparition des symptmes
La thrapie primale nest certes pas la seule mthode qui fait disparatre des symptmes (tics, ulcres, frigidi- t, migraines, perversions sexuelles, etc.). Mais il faut noter une diffrence importante : en thrapie primale, ce sont habituellement les symptmes qui disparaissent en dernier. Cela contraste avec mon exprience en thrapie conventionnelle o jtais parfois capable dliminer les symptmes assez rapidement. Cest sans doute parce quen aidant le patient vivre et soccuper pleinement, le praticien conventionnel offre assez dissues lexcs de tension du malade pour que ses symptmes diminuent. En thrapie primale, tout exutoire tant supprim, il est trs possible que les symptmes commencent par saggraver car la dmarche thrapeutique prive le malade de beaucoup de ses d- fenses mineures. Tant que le moi irrel na pas totale- ment disparu et que subsiste le clivage du moi, le symp- tme demeure. Sa disparition survient peu prs au moment o le patient termine le traitement. Cette persistance du symptme sexplique fort bien. Dabord ce symptme prenons par exemple la bou- limie est gnralement depuis des annes le centre de la vie du malade et lexutoire principal de la tension nvrotique. Si le symptme est souvent llment qui disparat le dernier, cest quil sest, dans la plupart des cas, manifest trs tt. Les tics et les allergies apparais- sent souvent avant cinq ans et le bgaiement peut appa- ratre ds lacquisition du langage, vers deux ou trois ans. Le symptme est la faon dont le petit enfant rsout le clivage du moi. Il ne faut pas prendre les symptmes physiques tels que la constipation, le bgaiement et les tics comme de simples mauvaises habitudes dont il faudrait librer lorganisme. Ce sont des ractions involontaires au clivage (o le sentiment est dconnect de la pense) qui exerce sur le corps une pression indpendante de toute volont et de toute conscience. Le symptme nat de cette pression. Le refoulement dune pense relle (pendant mental de la sensation physique) peut donner naissance un symptme dordre mental (une ide ir- relle ou, sous une forme plus grave, une phobie). La rpression du phnomne physique qui correspond la pense relle (la douloureuse pense primale) peut pro- duire des symptmes physiques (flatulence, qui tt ou tard peut devenir ulcre ou colite). Il est essentiel de bien comprendre que les symptmes saggravent en fonction de la force et de la persistance de la pression. Au dpart, la pression mentale provoque des ides irrelles ou des phobies. Peu peu, elle peut provoquer des hallucinations plus ou moins graves. Cest laboutissement du dveloppement dides ir- relles datant de la petite enfance. Au fur et mesure que les sentiments rprims se multiplient, ils exercent une pression plus forte et obligent lesprit se tortiller dans des contorsions de plus en plus complexes. En mme temps, ils psent de plus en plus lourdement sur les organes vulnrables qui aident drainer une partie de la tension. Si un organe cde finalement, la tension aura tendance tre canalise vers lui. Si cela ne sufft pas la rduire, dautres systmes organiques seront affects. Cest ainsi que lon peut rencontrer (cest le cas dun de mes malades), dabord un coulement dans le pharynx, puis de graves allergies, ensuite de lasthme, des ulcres, etc. J e voudrais mettre laccent sur lunit de tous les symptmes nvrotiques, quils soient physiques ou psychologiques. Un sentiment bloqu peut produire une accumulation de tension qui sattaquera finalement la paroi gastrique ou bien ce mme sentiment peut tre djou de faon masochiste ce qui aboutira une mani- festation de cette mme souffrance. Dans les deux cas, la souffrance est exprime de faon concrte et une fois quelle est relle, on peut y remdier. Contre les douleurs on prend des cachets; quant au comportement masochiste, il a un commencement et une fin. Dans les deux cas, on assiste une localisation nouvelle de la souffrance qui devient quelque chose de concret, quelque chose quon peut contrler. Les dou- leurs physiques sont des symptmes involontaires de la souffrance, tandis que le comportement masochiste est un symptme volontaire. Ce sont des phnomnes qui paraissent diffrents mais ce ne sont, en ralit, que des expressions diffrentes de sentiments bloqus. Le sadisme est une autre varit du mme phnomne dans laquelle le malade, pour ne pas ressentir sa souf- france, linflige un tiers. Le sujet battra sa femme alors quen ralit il voudrait battre sa mre, et, un niveau plus profond, il voudrait battre sa mre parce quil souffre davoir manqu damour. Toute une dynamique trs complexe prside la d- termination des manifestations symptomatiques. (Les symptmes psychosomatiques reprsentent le compor- tement irrel.) Elles dcoulent, soit des circonstances de la vie, soit de la constitution du sujet. Mais on ne com- prendra aucun symptme (masochisme ou troubles psychosomatiques) sans partir du principe que cest un comportement relocalis . Cest le point de conver- gence o le sujet tente de situer les sources apparentes de la souffrance. Mon mari est mchant , dit une patiente, sil ne buvait pas ou sil ne me battait pas, notre vie serait dif- frente ; ou bien : Si seulement jarrivais me dbar- rasser de ces maux de tte, je me porterais trs bien... En gnral, aucune de ces affirmations ne correspond la ralit. La vie ne serait pas diffrente. Ces comporte- ments sinscrivent dans le mode dexistence des sujets, ils servent un but : ils tiennent distance la souffrance. Parce quils tiennent lcart la souffrance, les symp- tmes sont des dfenses. La raison pour laquelle en thrapie primale, les symptmes disparaissent souvent en dernier lieu, rside dans le fait que le systme de dfenses qui s'est constitu la suite de la scne primale majeure est une entit stable qui fonctionne sur le prin- cipe du tout ou rien. Si le patient ressent toujours des souffrances aigus, mme vers la fin de la thrapie, il est frquent de le voir manifester dabord ses symptmes les plus anciens. Lorsque finalement, il ressent pleine- ment ce qui a provoqu le clivage, il y a toutes chances pour que les symptmes ne rapparaissent plus jamais. On comprendra mieux ce processus en observant son droulement en sens inverse. Lorsquun jeune enfant subit le clivage lors de la scne primale majeure, lexcs de tension non rsolue trouve un exutoire le symp- tme. Ce dernier prend en main le sentiment et r- sout le conflit de faon irrelle. Si lon ne soigne que les symptmes, on ne soigne que lirralit : quil sagisse de symptmes physiques ou mentaux, cest une tche qui na pas de fin. Cest pourquoi la psychanalyse des symptmes dure si longtemps. Barker et ses collaborateurs ont effectu des re- cherches sur la formation du symptme 1 . Au dpart, ils avaient remarqu que des symptmes tels que lasthme, les ulcres et lhypertension saggravaient au cours des examens sous amytal. (Lamytal est un barbiturique que lon utilise comme sdatif ou comme hypnotique.) Sous amytal, le malade parle plus facilement, on dirait que cette drogue rduit quelque peu les inhibitions acquises (la faade irrelle). La question pose implicitement par ltude de Barker tait la suivante : Pourquoi ltat saggraverait-il (renforcement des symptmes) quand le sujet est moins inhib ? Dans le cours de leurs re- cherches sur les crises et lpilepsie chez des malades
1 W. Barker et S. Wolf, Experimental Production of Grand Mal Seizure During the Hypnoidal State Induced by Sodium Amytal , American Journal of Medical Science, vol. 214 (1947), p. 600. sous amytal, Barker et ses collaborateurs dcrivent la scne suivante 1 : Le patient (qui a dj eu des crises dpilepsie) est as- sis dans un fauteuil demi inclin, les lectrodes de llectro-encphalographe sont places sur son crne. La semaine a t dure , dit-il, marque par de nom- breuses discussions avec sa femme et sa mre. On lui donne de lamytal raison de 9,72 cg la minute pen- dant trois minutes. Au dbut de linjection, on observe un stade transitoire de relaxation. Ensuite, il montre une tension accrue. A la question : Que se passe-t-il ? , il rpond : M-m-ma-mre... . Il grimace, grogne et parle de sa mre de faon plutt dcousue. Il a lair tantt dtre en colre, tantt de souffrir. Les remarques concernant sa mre sont entrecoupes de Oh... Oh... Oh ! gmissants. A la question : Pourquoi est-ce que votre mre vous embte ? , il rpond : J e voudrais lempoigner. J e la t-t-tuerais... Elle est mchante... Elle membte tout le temps, tout le temps, tout le temps. Il donne limpression de rprimer peine une grande fureur. Cest ma mre qui a tu mon pre, poursuit-il, un jour, je la tuerai. Elle me rend fou. Il ferme les poings, les porte son front; il ne semble plus capable ni de matriser sa colre, ni de lexprimer (cest moi qui sou- ligne). Tout coup, il devient ple et pousse un cri bref, trangl. Ensuite, pris dune violente crispation des muscles, il se raidit, il grimace, il a le dos courb, les bras fermement croiss sur la poitrine, les jambes ten- dues et raides. A la suite de ce spasme, il passe par une
1 W. Barker, Brain Storms (New York, Grove Press. 1968), pp. 105- 106. srie de contractions et de relaxations caractristiques des convulsions graves. Au cours des deux minutes que dure la crise, llectro-encphalogramme traduit de graves convulsions. Une crise dpilepsie avait fait avorter le rveil par lhypnose de ses ractions l'gard de sa mre (cest moi qui souligne). Les observateurs taient dautant plus tonns que lamytal est connu pour ses proprits anticonvulsives. Ils en ont conclu que la crise avait t provoque par le conflit entre la colre incoercible et les interdits de la conscience. J e citerai encore Barker, car ce quil dit est en accord avec le principe primal : Cela vient confirmer la for- mulation de Freud... Vue sous cet angle, une crise con- vulsive abaisse le niveau de dcharge qui, dune mani- festation significative, passe une activit neuromuscu- laire sans signification et sans rapport personnel. En fait, cela revient dire que les sentiments bloqus produisent un solide difice de tension qui seffondre au cours dun accs convulsif la crise dpilepsie. Sil ne dcrivait pas une attaque prcise, jaurais cru quil parlait de ce qui se passe en thrapie primale. Il est vident quun seul sentiment bloqu dans la vie de quelquun ne suffit pas produire le syndrome de lpilepsie, pas plus quil ne produit des ulcres, le b- gaiement ou de lasthme. Mais quand des sentiments ont t rprims pendant des annes, il en rsulte une accu- mulation de tension qui excde ce que lorganisme est en mesure de supporter. Ce sont les organes ou les rgions les plus vulnrables qui seront touchs. Chez un sujet enclin aux allergies, laccumulation de tension peut se traduire par de lasthme; chez un sujet port aux troubles mentaux, ce sera par des crises dpilepsie. Que se serait-il pass si lon avait press le malade de crier ce quil ressentait ? J e pense que lexpression de son sentiment aurait coup court la naissance dun symptme (la rsolution du conflit). Le blocage du sentiment donne naissance une activit neuromusculaire diffuse la tension. Toutefois, il devrait tre vident que le fait dexprimer ses sentiments une fois, naurait vit que cette crise particulire; le sujet serait nanmoins rest pileptique et, si la pression tait assez forte, il aurait eu de nouveau des symptmes. Ce nest quaprs avoir limin tous ses refoulements antrieurs que lon pourrait dire quil est prdispos lpilepsie, mais non pileptique. Cest exactement comme tre port aux allergies sans en avoir. Barker poursuit : Avec le docteur Herbert S. Ripley, jai examin un autre patient. Au dbut de lhypnose, le malade se mit revivre spontanment une srie dvnements particuli- rement traumatisants (chargs de pulsions dagressivit, de sentiments de culpabilit ou dimpuissance); il pas- sait dun pisode lautre en remontant le cours du temps. On aurait dit quil dployait dans le temps, notre seule intention, tout un ensemble complexe dexpriences lourdes de signification et relies entre elles. La faon abractive de toute cette srie dexpriences semblait communiquer ce quhabituellement il ne pouvait exprimer que par des convulsions. Ici, Barker nonce presque mot pour mot lhypothse de la thrapie primale. En fait, ce malade a fait une exprience primale la suite dune hypnose qui anantit le contrle de la cons- cience. A propos de ce cas, Barker indique que le fait de revivre des situations au contenu fortement motionnel a vit une crise dpilepsie. Cela revient dire quinversement, des sentiments intenses rests inexpri- ms provoquent des crises. De nombreux sujets accu- mulent la tension, certains finissent par avoir des ul- cres, dautres des crises dpilepsie. Le problme r- side dans la tension et non dans la manire dont elle se libre. Des descriptions de Barker, je conclus que lhypnose et lamytal affaiblissent le moi irrel et son systme de dfenses, de sorte que les sentiments pri- mals, jusque-l retenus par la faade, surgissent. Un hypnotiseur de mtier peut modifier cette faade et transformer lindividu en quelque chose ou quelqu'un dautre, mais dans ses expriences, Barker sest conten- t de faire une brche dans la faade. Cela montre une fois de plus comment la dtente vacances, retraite ou courte maladie peut tre dangereuse pour certains nvross, une menace pour tout leur systme physique. Cela explique galement pourquoi tant de nvross nosent pas se dtendre : pour eux, se dtendre revient se laisser submerger et risquer la mort. Mais les travaux de Barker disent autre chose encore : les symptmes sont ncessaires lconomie psychique et physique de lindividu. Ils rsolvent le conflit. Elimi- ner les symptmes sans en liminer la cause, cest expo- ser les patients des effets pires provenant de la tension accumule. Barker rend compte ensuite de lexamen dun enfant de dix ans. Ce garon avait t persuad par sa mre dviter tout prix de se battre. On lui demande au cours dun lectro-encphalogramme : Que ressentais- tu quand il te fallait tendre lautre joue, alors que cela signifiait tre ross ou prendre la fuite ? J e ne vou- lais pas quils me prennent pour un lche, mais ma mre aurait t trs mcontente et maurait donn mauvaise conscience si je mtais battu... Barker dcrit ensuite ltat de tension de lenfant qui poursuit : J e ne pou- vais pas me mettre en colre contre ma mre. Cest ma mre, cest elle qui ma n. Llectro-encphalogramme refltait un tat de ten- sion qui ressemblait fort celui que lon enregistre au cours dune faible crise dpilepsie. Barker en conclut : Sans llectro-encphalogramme on naurait proba- blement pas souponn une composante pileptique dans cette erreur de langage apparemment banale. Cela tablit quil y a un lien entre toutes les crises pilep- tiques ou non pileptiques (cest moi qui souligne). Bref, les sentiments bloqus peuvent provoquer des convulsions (au moins au niveau du cerveau). Cela signifie que sous leffet dun bouleversement, le cerveau peut avoir des convulsions qui ne se manifestent pas au niveau du corps. Elles peuvent donner naissance un comportement nvrotique et des symptmes qui ont la mme origine que les crises dpilepsie (daprs Barker, mme la flatulence peut tre une crise). Etant donn que beaucoup de bouleversements ont pour suite des con- vulsions au niveau du cerveau, on peut se demander si un symptme tel que le bgaiement ne serait pas un quivalent de lpilepsie. Le bgaiement ne serait-il pas lpilepsie de la bouche ? Barker dmontre que les troubles du langage et les sentiments qui en sont la cause, crent une tension qui se transmet au cerveau. On peut se demander quels effets peut avoir ce phnomne sil se poursuit des an- nes durant. Il est important de noter propos de ltude de Barker que, si lon se contentait dexaminer les seuls lectro-encphalogrammes, on en dduirait que des symptmes dpilepsie ou de bgaiement, par exemple, sont causs par des irrgularits des ondes du cerveau. Mais si lon approfondit la recherche, on saperoit que ces irrgularits proviennent de laccumulation de sen- timents bloqus. Il faut toujours faire attention de ne pas confondre la cause dune maladie et les phnomnes que nous mesurons. Ainsi, si lon dcouvre des anomalies dans la compo- sition chimique du sang et de lurine des schizophrnes, il ne faut pas ncessairement en dduire que ces anoma- lies provoquent la schizophrnie. Dans son remarquable ouvrage, Barker montre que beaucoup de troubles du comportement vont de pair avec les troubles de fonctionnement du cerveau et que ces deux types de phnomnes proviennent peut-tre du refoulement des sentiments et de la tension qui en d- coule. Ce fardeau embarrasse (pour reprendre son propre terme) le cerveau et excde les capacits de son fonctionnement normal. En termes primals, cela signifie que le fonctionnement du cerveau se drgle ds linstant o il arrive quelque chose qui dpasse nos capacits dassimilation cest le cas lors des scnes primales. On peut rsumer tout cela en disant que si lon se trouve plac dans une situation o lon ne peut tre soi- mme, on nchappe pas cette situation et lon se trouve pris dans un processus qui na pas de fin. Elle s'intriorise sous forme de tension qui pntre au cer- veau dont le fonctionnement se trouve perturb. Cela peut se traduire par des troubles intellectuels, des troubles dlocution, des crises dpilepsie, ou simple- ment par un quelconque comportement symbolique, tel que lhyperactivit. Le symptme nvrotique est la solution idiosyncra- sique de la lutte intrieure. Dans ce sens, le style, cest lhomme. Cest pourquoi le symptme ne peut pas rev- tir une signification universelle, il na de signification quen fonction dun individu donn. Ainsi, grincer des dents peut avoir une multitude de significations diff- rentes. Pour une de mes malades, ctait une manire de se rattacher la vie de justesse (expression qui se dit en anglais par la peau de mes dents ). Pour un autre, ctait lexpression dune colre refoule. En revanche, un symptme donn ne peut avoir chez un malade don- n quune seule signification celle quil a pour lui et pour lui seul. Il est par consquent impossible de dire sil y a un type de sujets qui grincent des dents et que le fait de grincer des dents est signe de passivit, de manque dindpendance, dagressivit ou de quelquautre sentiment latent. De mme, il est impos- sible dtablir des dfinitions universelles, seul le pa- tient est en mesure dexpliquer le sens de son symp- tme. Il est des symptmes de nvrose que lon na pas lhabitude de considrer comme tels par exemple, le fait dtre petit. En rgle gnrale, il ne vient pas lide de quelquun daller voir un psychologue parce quil se trouve trop petit. Cependant, on dcouvre aprs la thrapie que le malade tait retard, non seulement dans son dveloppement mental, mais aussi physique- ment. On constate quil a grandi et on peut en infrer que sa petite taille tait en effet un symptme, la solu- tion idiosyncrasique des contradictions intrieures qui le torturaient. Au cours de ces deux dernires annes, je nai pas eu connaissance de la rapparition du moindre symptme chez les malades qui avaient suivi une thrapie primale complte. J e ne pourrais pas en dire autant de mes an- nes dactivit en tant que psychothrapeute conven- tionnel. Pourquoi ? A mon avis, parce que cest la ten- sion qui provoque les symptmes. Ils ne rapparaissent pas parce quil ny a plus de souffrance primale qui produise de la tension. Il ny a plus de clivage entre corps et esprit. Bref, il ny a plus rien qui reste enfoui et qui exerce une pression sur lorganisme. J e pourrais faire une liste interminable de tous les symptmes que la thrapeutique primale a limins, des douleurs menstruelles lasthme. Mais cela tendrait la faire passer pour une panace et la dconsidrer en tant que mthode srieuse. Comme me la dit un col- lgue : Si au moins vous me parliez de vos checs, de quelques symptmes qui nont jamais disparu, jaurais moins de difficults accepter vos prtentions exorbi- tantes. Pourtant, si le principe selon lequel tous les symptmes dcoulent de la souffrance primale est exact, il est normal que la thrapie primale en vienne toujours bout. Il se peut que le patient qui sort dune thrapie pri- male, dbarrass de toute tension et de tout symptme, apparaisse un peu comme le surhomme. Mais en ralit, cest le nvros qui tente dtre un surhomme en man- geant deux fois trop, en travaillant deux fois trop et en employant deux fois trop dnergie pour souffrir deux fois trop.
Rcapitulation
Tout homme porte en lui-mme sa vrit. Pour le n- vros, ces vrits sont les souffrances primales. Un mensonge de lesprit signifie une souffrance pour le corps. Lesprit du nvros a beau affirmer que tout va bien, son corps dit la vrit. Les troubles psychosoma- tiques sont la vrit du corps. Avec le temps, il nous faudra probablement modifier lide que nous nous faisons du fonctionnement normal. Une malade qui est infirmire a enregistr au sein dun groupe la tension et le rythme cardiaque des autres membres du groupe : ces donnes restaient toujours infrieures la moyenne. De nombreux patients ont not une baisse permanente de leur temprature. Pour certains, elle se situait toujours aux alentours de 36. En gnral, aprs le traitement, les sujets sont en excellente sant, ce que je ne saurais expliquer que par labsence dune tension chronique. En effet, quand le nvros nest pas victime dune v- ritable maladie rsultant de sa tension chronique, il risque de cder lexpdient qui lui sert dexutoire : tabac, boulimie, calmants et alcool rclament tous leur tribut. Mme avec laide de telles habitudes, destines relcher la tension, le nvros narrive pas toujours viter les troubles psychosomatiques. Le systme nvro- tique est comme un immense vaisseau dbordant de symptmes. Cest nous quil incombe de les rduire autant que nous le pouvons. Mais il est vident que cest dabord la tension quil faut liminer. Nous ne sommes en mesure de le faire que si nous comprenons bien que la tension nvrotique nest pas normale et na pas sa place dans un organisme en bonne sant. Les symp- tmes rsultent de la lutte de lorganisme contre le moi, du conflit entre le moi irrel et le moi rel. Le rtablis- sement durable de la sant physique et mentale suppose llimination de toute tension.
CHAPITRE 11
QUEST-CE QUETRE NORMAL ?
Le but de la thrapie primale est de faire du malade une personne relle. Les tres normaux sont, par dfini- tion, rels. A la suite de la thrapie primale, les malades le deviennent. Mais il leur reste des cicatrices. Ils ont t maintes fois blesss et nul ne peut effacer leur souve- nirs; on peut tout au plus les dsamorcer de sorte quils nont plus la force qui a contraint le nvros adopter un comportement symbolique. Etant donn les frustra- tions dont souffre le nvros, il ne faut pas sattendre ce que la thrapie primale fasse de lui un individu com- pltement satisfait. Nvros, il luttait pour atteindre cette plnitude future. La thrapie le rend apte satis- faire les besoins quil ressent dans le prsent. Par individu normal , jentends un individu exempt de toute dfense, de toute tension et de toute lutte int- rieure. Ma conception de ce qui est normal na rien voir avec les normes statiques, les moyennes, le degr dadaptation sociale, la conformit ou la non- conformit. Pour lindividu lui-mme, il y a des com- portements dune varit aussi infinie quil y a dhommes sur la terre. Lindividu normal est lui-mme. Le rle de la thrapie primale est de permettre au ma- lade non de devenir quelquun , mais de devenir lui- mme. J exposerai ma conception de ltat normal par oppo- sition ltat de nvrose. Puis, je tracerai un portrait du malade aprs le traitement; ses sentiments, ses activits et le type de relations quil noue. Lindividu normal est dtendu parce quil est satisfait. Le nvros, dont les besoins ne sont pas satisfaits, doit chercher des raisons apparentes son insatisfaction. Cela lempche den voir les raisons relles. Ainsi il rve de changer de mtier, de passer de nouveaux exa- mens, de dmnager ou de changer de matresse. En se concentrant sur les cts dsagrables de son travail ou sur sa msentente avec sa femme, il espre liminer son malaise fondamental. J ai le souvenir dun patient qui tait arriv un jour en maugrant contre le tour que prenaient les vnements politiques dans le pays. Il tait obsd par le dsir dmigrer. Ce quil disait de latmosphre politique correspondait assez bien la ralit. Toutefois, la d- couverte des origines relles de son mcontentement, sans changer son opinion sur la situation politique, mit un terme son obsession. Son sentiment tait : Pour moi, il ny a pas de vrai foyer. Il nen avait jamais eu. Mauvais foyer, mauvaise patrie; il rvait daller ailleurs pour trouver ce foyer. Comme il nest pas rellement l o il est, le nvros ne peut jamais tre durablement heureux. Il utilise le prsent pour dominer le pass. Cest ainsi quil achte une maison et lamnage et quand cest fait, il en dsire- ra une autre. Ou bien, il prendra une nouvelle matresse pour labandonner aprs lavoir conquise . Pour le nvros, cest la lutte et non son issue qui est essentielle. Aussi est-il frquent quil nachve pas ce quil a entrepris. Il justifie les tches inacheves par le fait quil est trs occup. En ralit, il est trs occup parce quil ne termine jamais rien. Il est douloureux de finir quelque chose et de se retrouver quand mme insa- tisfait ! Cest pourquoi les derniers mois de travail avant un examen suprieur sont souvent si pnibles. Cest aussi la raison pour laquelle certains individus ne peu- vent pas se contenter davoir de largent sur leur compte en banque. Ds quils se sont acquitts dune dette, ils empruntent nouveau pour poursuivre la lutte. Cest quil leur serait intolrable de se dire : J e suis arriv, jai de largent la banque et je suis toujours malheu- reux. La lutte permet dluder cette constatation. Par- mi les femmes nvroses, rares sont celles qui se lvent de bonne heure et viennent bout du travail de mnage. Si elles y parvenaient, elles seraient obliges de faire face au vide de leur existence. Pour lviter, elles gar- dent toujours une ou deux pices en dsordre : cest une manire de maintenir la lutte. Elles peuvent ainsi envi- sager avec plaisir le moment o la maison sera installe ou nettoye, et cela les empche de se demander : Et maintenant ? une fois que toutes les petites besognes sont accomplies. Lindividu normal, qui na pas besoin de lutter et qui na pas besoin dobstacles sur son chemin lobligeant continuer la lutte, peut sattaquer des tches. Le n- vros, en remettant plus tard le moment de ressentir sa souffrance, remet aussi plus tard une grande partie du reste de sa vie. En effet, son existence commence vri- tablement quand il sent cette souffrance. J usque-l, il doit se drober pour chapper, non seu- lement sa souffrance, mais tout ce qui est dsa- grable. Cette fuite constante devant son moi rel ex- plique sa tendance linstabilit sinon physique, du moins mentale. Il ne peut tenir en place, son esprit est perptuellement occup de ce quil va faire. Cette agita- tion le poursuit jusque dans son sommeil : il se dbat et transpire; cela va quelquefois jusqu lempcher tota- lement de dormir quand il est obsd par des soucis et des affaires non rgles. Lindividu normal est entirement prsent, il na pas mis de ct, en rserve, une partie de lui-mme, et cest pourquoi il peut accorder tout son intrt. Trop souvent, le nvros est un tourbillon de distractions, ses yeux semblent, comme son esprit, passer constamment dun objet lautre, incapables de se fixer longuement sur quoi que ce soit. Evidemment, lindividu normal ne connat pas de cli- vage. Autrement dit, il ne vous serre pas la main en regardant ailleurs. Il est capable dcouter, ce qui est rare dans une socit nvrotique. Le nvros nentend vraiment que ce quil veut entendre; la plupart du temps, il est en train de rflchir ce quil va dire. En rgle gnrale, ce quil entend naura de valeur que dans la mesure o cela se rapporte lui dune manire ou dune autre. Il est incapable dobjectivit et ne saurait appr- cier ce qui est en dehors de lui (y compris ses propres enfants). Les sujets de conversation du nvros sortent rarement du cadre de ses expriences personnelles ( J ai dit que... , Il ma rpondu que... ) parce quil centre tout son intrt sur son moi et que ce moi est frustr. Lindividu normal sintresse lui-mme dune ma- nire diffrente. Il nest pas ncessaire que tout au monde se rapporte lui, mais il est capable de se situer par rapport au monde. Il nutilise pas lunivers qui l'en- toure pour dissimuler celui quil porte en lui. Lindividu normal ne se sent pas solitaire, il se sent seul et ce sentiment-l na rien voir avec ce que res- sent le nvros. Cest un sentiment isol, exempt de peur et de panique. Chez le nvros, le sentiment de solitude est le refus dtre seul, le besoin dtre avec les autres pour chapper latroce sentiment primal dtre rejet et rellement seul presque tout au long de sa vie. Les inventeurs de lauto-radio ont bien compris la soli- tude du nvros en crant des remdes contre la souf- france, des dfenses offertes gratuitement qui vitent au nvros de ressentir son isolement. Pour lindividu nor- mal, ces appareils constituent souvent une intrusion dans son domaine priv. Lindividu normal est rel et on le sent dans sa faon de ragir. Au contraire, le nvros ne connat pas de juste milieu, il ragit trop fort ou pas assez; depuis quil a dcouvert que ses ractions relles ntaient pas ac- ceptables, il a t forc de ragir dune faon artificielle ou de prtendre quil ne ragit pas du tout. Par exemple : une malade qui avait invit une amie, elle- mme nvrose, pour lui montrer son nouvel apparte- ment, lui demande ses impressions. Oh, je voudrais que mon tapis fasse aussi bien que le tien. Elle ne voyait la pice quen fonction de ses propres besoins et sa rponse tait caractristique du comportement nvro- tique. Il arrive aussi que devant une plaisanterie, le nvros, au lieu den percevoir lhumour et den rire, ne sache que surenchrir. Chaque fois quun individu doit identifier au lieu de ressentir, nous assistons ce type de ractions inad- quates. Lindividu normal ne ragit pas de faon appro- prie parce quil essaie de produire un certain effet ou parce quil a appris un certain nombre de rgles, mais parce quil sent ce qui est appropri. Autrement dit, pour tre un bon pre ou une bonne mre, il na pas besoin de se plonger sans cesse dans des manuels lusage des parents. Il a un comportement naturel qui permet ses enfants dtre naturels. Parce que lindividu normal ne doit pas dissimuler le sentiment dtre inimportant, il na pas besoin de lutter pour tre trait comme quelquun de spcial par les garons de restaurant ou le personnel htelier, alors que le nvros y passe souvent le plus clair de son temps. Le besoin du nvros consiste en partie sentourer de gens pour ne pas se sentir seul ou devenir membre de clubs pour dissimuler le sentiment de navoir jamais appartenu une vraie famille. Pour lindividu normal, toute cette lutte incessante nexiste pas. En parlant de la lutte du nvros, je repense une r- clame de whisky qui disait : Cest une petite rcom- pense pour vous ddommager de toute les annes que vous avez passes lutter pour accder votre situation actuelle. La lutte du nvros est une lutte artificielle. Cest ain- si quune femme passera des annes faire les magasins en qute de bonnes affaires sans tre jamais tout fait contente de ce quelle achte. Elle na probablement pas tort. Si elle avait obtenu sans lutte laffection de ses parents, les bonnes affaires nauraient peut-tre pas tant dimportance. Cette course aux soldes est la nvrose amricaine par excellence. Cest un peu comme les remdes amaigrissants : cela vous fait obtenir quelque chose de merveilleux sans grand effort, exactement comme le whisky. Ce qui fait tout le charme des bonnes affaires, cest la lutte. Plus elle est serre, plus on en apprcie le prix, sauf que ce nest pas l le prix que lindividu dsire obtenir par la grande lutte de toute sa vie. Ce nest quun pitre substitut, parce que des an- nes de lutte dont lenjeu tait lamour des parents, ont t vaines. La course aux soldes est semblable la vie du nvros auprs de ses parents, la diffrence que dans le premier cas, il finit par obtenir quelque chose que souvent il na pas dsir. Il est difficile bien des nvross dentrer dans un magasin et de payer le prix normal, parce que cela re- vient ntre pas un cas particulier . Nimporte qui peut payer le prix normal, et si cest votre cas, vous ressemblez tout le monde. Lindividu normal ne sacharne pas poursuivre les bonnes affaires : il fait tout ce quil peut pour se faciliter la vie, non pour la rendre complique. Le comportement nvrotique lgard de largent est assez semblable au prcdent. Un malade mexpliquait quavant la thrapie, il tait incapable de garder de largent sur son compte en banque, parce que cela aurait signifi quil tait au terme de sa lutte. Cet homme cherchait perptuellement chapper un sentiment de non-valeur quil tenait de lenfance. Il avait espr (in- consciemment) que largent lui donnerait un sentiment de valeur. Mais, bien entendu, il narrivait jamais avoir assez dargent pour cela. Quand il en avait, sa vie ne devenait pas plus supportable car il se sentait tou- jours sans valeur et il prouvait donc le besoin den accumuler toujours davantage. Lindividu normal nutilise pas son argent titre sym- bolique, pour satisfaire des besoins passs. Il a cons- cience de sa valeur, parce quil a eu des parents nor- maux qui lapprciaient tel quil tait. Il est tout naturel que largent soit la proccupation essentielle de beau- coup de nvross; en effet ils se sentent par dfinition sans valeur, ils nont jamais t estims pour ce quils taient. Ntant pas capables de ressentir leurs besoins rels, ils cherchent toujours avoir plus quil ne leur faut. Dautres nvross ne peuvent pas dpenser largent. Leur lutte a probablement pour but de se sentir labri et en scurit. Mais ni dans ce cas ni dans le prcdent, ce nest largent qui peut donner un individu non scu- ris un sentiment de scurit. Cette catgorie de nvro- ss remet toujours la vie au lendemain. Un jour, quand tout ira bien, je prendrai des vacances. Il ne vit jamais, il se cramponne un fantasme qui lui suggre qu un jour la vie sera diffrente. Ce fantasme est en liaison troite avec la souffrance et cest ce qui explique que tant dindividus ont tendance, dans bien des domaines, vivre au futur. Lindividu normal, par contre, vit dans le rel et dans le prsent. Il na pas de vieilles souffrances qui le tirent en arrire et qui lobligent atermoyer. Il ne connat pas le besoin de fantasmes parce quil a des sentiments rels. Lindividu normal est stable. Il est content dtre l o il est et nprouve pas le besoin dimaginer que la vie relle serait ailleurs . Une patiente sexpliquait ainsi : J e me regardais dans le miroir et jtais terrifie la vue de mes rides. J allais desthticien en esthticien, jessayais des lotions spciales et comme cela navait aucun effet, je me fis faire un lifting. J e fuyais perdu- ment devant le sentiment que ma jeunesse tait finie et que je naurais jamais loccasion dobtenir ce dont la petite fille au fond de moi avait besoin. La vue de mes rides et de mes quelques cheveux blancs minterdisait jamais desprer que je pourrais redevenir petite et ma fuite nen finissait pas. J allais des soires, je sortais sans cesse. J e mefforais dtre attrayante, dtre in . La fuite tait comme une seconde nature; je ne pouvais marrter. Lindividu normal peut accepter son ge parce quil vit dans le prsent et a consciemment vcu sa jeunesse. Il n'essaie pas quotidiennement de rcuprer quelque chose quil a perdu des dizaines dannes auparavant. Il nest ni excessivement proccup de lavenir, ni conti- nuellement tourn vers le pass, parce quil ne vit pas un moment qui n'existe pas. Pour reprendre la formule de McLuhan, chez le n- vros, la personnalit est le message . La personnali- t du nvros est dforme par le sens du message quil doit transmettre. Cest ainsi que le laconisme dun indi- vidu peut vouloir dire : Papa, parle-moi, dlie-moi la langue ; lindividu maladroit, mal organis dit : Ma- man, je suis perdu, dirige-moi ; lair chagrin veut dire : Maman, demande-moi ce qui me fait mal , et le d- pressif demande peut-tre : Ne me donnez pas de coups de pied quand je suis terre. La personnalit de lindividu normal nest pas dfor- me parce quil nessaie pas de dire quoi que ce soit de faon indirecte. Sans de vieux besoins, les gens sont simplement ce quils sont. J e ne saurais expliquer cela autrement quen disant que lindividu normal sans fa- ade psychologique vit et laisse vivre. J ai dj fait remarquer que le corps fait partie de la personnalit entire, de sorte que le nvros a souvent lair nvro- s : il aura les lvres fines, serres, qui font barrage tous les mots inacceptables, des yeux rtrcis inca- pables de voir tout ce qui se passe , comme me le disait un malade, des lvres aux commissures tombantes force de regrets non rsolus et inexprims, ou des m- choires serres dans une colre perptuelle. Par tout son organisme, le nvros exprime le message de linconscient. Chez lindividu normal, qui, lui, na pas de message transmettre, on peut sattendre, toutes choses gales dailleurs, trouver un corps bien propor- tionn. Les transformations physiques que jai pu obser- ver chez certains patients la suite de la thrapie pri- male, me font penser que bien des choses que nous croyons congnitales sont en fait des effets de la n- vrose. Lindividu normal sait samuser. Le nombre de nvro- ss susceptibles den faire autant sans laide de stimu- lants artificiels, tels que lalcool, est tonnamment petit. Comme le disait un patient : Lamusement mine lespoir. J e marrangeais toujours pour voir le mauvais ct des choses. Quand toute la journe se passait bien, je piquais tout coup une crise de mauvaise humeur et je dclenchais une dispute. J e ne pouvais supporter une suite ininterrompue de jours agrables, cela me plon- geait dans linquitude comme si javais toujours une pe de Damocls suspendue au-dessus de la tte. R- trospectivement, je me rends compte que si javais ac- cept dtre heureux, jaurais renonc la lutte pour avoir de bons parents. Si javais accept le bonheur de tout cur, et si javais rellement joui de la vie, jaurais d renoncer voir mes malheurs reconnus. Le nvros ne cherche pas le bonheur dans le prsent, il veut quil le compense pour ce qui a t. On peut en dire autant de laffection. Lindividu normal en jouit sans rserve. Mais pour le nvros, cela reviendrait dire ses pa- rents : J e nai plus besoin de vous. J ai trouv quelquun qui maime. Or, le nvros a beaucoup de difficults admettre quil ne sera jamais le petit garon ou la petite fille qui va recevoir de ses parents tout ce qui lui manquait. Lattitude dun patient qui est venu me voir aprs Nol illustre bien ce qui distingue la raction de lindividu normal de celle du nvros. Il arriva en me disant quil avait eu des cadeaux par milliers . Pour remplir le grand vide de toute sa vie, il prouvait le besoin de sexprimer avec une exagration abusive. On lit partout quil faut confier certaines petites tches ou certains travaux aux enfants pour leur apprendre le sens des responsabilits. On pousse ainsi lenfant gagner de largent mme quand ce nest pas une nces- sit. Quand un enfant est invit par son petit voisin aller jouer, la premire question qui vient la bouche des parents cest : Est-ce que tu as fini tout ce que tu avais faire ? On dirait que les parents ont peur que sils laissent leurs enfants faire ce quils veulent, ces derniers ne fassent jamais ce quils doivent . En consquence, ils mettent obstacle tous les dsirs de lenfant jusqu ce que lenfant commence avoir peur de ses dsirs et les vite peu peu. Plus tard, cela donne un adulte qui ne peut jamais agir spontanment sans tre harcel par la question : Quest-ce que je devrais faire avant ? Un patient ma dit : Quand je mamusais un soir quelque part, et quon minvitait pour le lendemain, ma mre mettait immdiatement le hol sous prtexte que ctait trop la fois ! elle voulait dire trop de divertissement. Elle avait sans doute peur que jpuise mon lot de plaisirs sans payer mon tribut de devoirs ! A cet gard, la vie de lindividu normal est beaucoup moins difficile. Il ne se retient pas de profiter du mo- ment qui passe, et ne place pas ses enfants dans une situation de lutte, de sorte quils nont aucun sentiment de culpabilit quand ils agissent librement et spontan- ment. Pour le nvros, rien nest jamais tout fait comme il faut, parce quaux yeux de ses parents, il ntait jamais comme il faut. Cest tout un art de ne jamais dire un mot dapprobation un enfant, une phrase qui lui signifie quil est bien tel quil est, et pourtant un patient aprs lautre rapporte quil ne se souvient pas davoir jamais entendu pareil mot. Bien au contraire, les parents nvro- ss expriment tout instant leur souffrance, parce que cette souffrance est constamment prsente. Le fait davoir t critiqu toute sa vie peut avoir des consquences diverses. Par exemple, il est des nvross qui lon ne peut offrir un cadeau sans quils y trouvent quelque chose redire ou qui voient toujours le mauvais ct des choses parce quon a jamais vu en eux que leurs dfauts. Quand le nvros lit le journal, il lit les mauvaises nouvelles : ce qui a mal tourn, qui dautre est malheureux ou qui a fait quelque chose de mal. Dans une socit nvrotique, o chacun projette son malheur lextrieur pour se rendre la vie supportable, nouvelles est synonyme de mauvaises nouvelles. Lindividu nor- mal ne se dlecte pas du malheur des autres. Il le ressent et dsire faire quelque chose pour y remdier. Quand on essaie de combler le vide dun nvros, il faut se souvenir que cest un gouffre sans fond. Le n- vros peut avoir besoin de cadeaux fort coteux pour compenser des annes de vide et de manque damour. Mais aucun cadeau ny pourrait suffire, quel que soit son prix; toutes les fourrures de la terre ne pourraient rchauffer un tre qui a toujours eu froid. Mme quand le nvros atteint un objectif quil a longtemps poursuivi, il nest pas satisfait. Un de mes patients obtint finalement un doctorat de philosophie et sombra ce moment-l dans une dpression profonde. Il avait cru quaprs huit ans de travail acharn, ce docto- rat lui apporterait quelque chose, mais il navait toujours pas le sentiment dtre aim ou considr. Il mexpliqua que lobtention de ce doctorat tait en quelque sorte lultime miracle, or, il ne ressentait rien. Lindividu normal nespre rien des vnements extrieurs, cest pourquoi il peut laisser les choses telles quelles sont. Pour le nvros, la dception est le corollaire de lespoir. En dissimulant la ralit, lespoir condamne souvent le sujet souffrir de son attente irraliste. Par exemple, en allant au rveillon de Nol, le nvros court une vritable dception, sil sattend au cours de cette soire se sentir dsir et aim. Lindividu normal est en bonne sant. Il na pas be- soin de courir dun mdecin lautre pour dire quil a mal parce quil navait jamais pu le dire ses parents. Comme rien ne le pousse tre irrel, comme nul sys- tme symbolique ne le contraint un tat dagitation et de fatigue, il est non seulement plus sain mais beaucoup plus nergique. Il emploie cette nergie laccomplissement des tches relles et non lutter pour obtenir limpossible. Enfin, lindividu normal sait quand il se sent bien. Un patient ma dit : J e nai mme ja- mais su si je me sentais bien, tant jtais tranger mes sentiments. Quand on me demandait comment jallais et que je ne me sentais pas mal, il me fallait en dduire que je devais me sentir bien puisque telle tait lalternative. Lindividu normal ne place pas les autres en situation de lutte. Il comprend quun enfant doit tre aim sans avoir mriter cet amour. Par consquent, il ne con- traint pas ses enfants lutter pour quoi que ce soit. Paradoxalement, il semble que ces enfants russissent trs bien, contrairement au principe selon lequel la ren- contre prcoce des difficults forme le caractre et arme un enfant pour lexistence. Certains nvross ne se rendent jamais compte quils nauraient rien d avoir faire pour tre aims de leurs parents. Ils ont lutt si longtemps pour tre aims quils ne peuvent imaginer quon les aime tout simplement parce quils existent. Le conditionnement qui apprend lenfant quil doit faire quelque chose pour tre apprci, commence presque ds la naissance. On chatouille le bb pour en obtenir un sourire (il faut avoir lair heureux !). Un peu plus tard, on lui demande de faire au revoir de la main, de danser devant ses grands-parents ou de dire tel ou tel mot, le tout sans se soucier de son humeur ce moment- l. Presque tout ce que fait le petit enfant est destin satisfaire la volont de quelquun dautre. Le besoin quprouvent les parents et les grands-parents dobtenir constamment une raction qui leur soit destine, semble tre une consquence du peu de ractions quils ont pu obtenir de leurs propres parents. Si lon compare le portrait de lindividu normal et ce- lui du nvros, on stonne que ce dernier puisse vivre si longtemps. Sil existait un principe cl du comportement rel, il pourrait snoncer comme suit : la ralit sentoure de ralit de la mme manire que lirralit recherche lirralit. Les individus rels ou normaux ne nouent pas de relations durables avec les nvross, et linverse est galement vrai. Lindividu normal ne supporte pas le manque dauthenticit. Il ne se rsout pas flatter le nvros et le dorloter ou se prter ses caprices pour lapaiser. De mme, il ne se laissera ni charmer, ni tromper, ni gouverner par le nvros de sorte que les relations seront difficiles, sauf si quelquun est assez direct. Lindividu normal ne se laisse pas prendre dans une lutte qui nest pas la sienne. Un patient rapportait quil avait lhabitude de finir les phrases de sa femme. Elle commenait sa phrase tout en lui lanant un regard suppliant, et il intervenait immdiatement pour finir sa place. Ctait une raction automatique et inconsciente. Quant au nvros, il ne poursuit habituellement pas les relations qui ne servent pas les besoins de sa n- vrose. Il a des exigences spciales. Il a tendance re- chercher les individus qui partagent son genre dides et dattitudes irrelles. Cest pourquoi on observe souvent une parfaite homognit de pense entre le nvros et ses amis propos de la politique, d'conomie, de per- sonnes ou de phnomnes sociaux en gnral. Ce que je voudrais montrer, cest que le comportement irrel est tout un ensemble. Le nvros doit viter la ralit jusqu ce quil soit prt faire face la sienne. J usque- l, il se cre un cocon confortable mais irrel, avec le travail quil fait, les journaux quil lit et les amis quil a. Sur le plan social, le degr dirralit du nvros d- pend jusqu un certain point de la mesure dans laquelle il doit se renier. Un homme qui na jamais t aim par son pre aura peut-tre des ides homosexuelles. Cer- tains reconnaissent ces ides et les acceptent; dautres peuvent les nier et ventuellement, ils nadmettront mme pas quelles existent dans leurs rves diurnes ou nocturnes. Chez ces derniers, la frustration est plus profonde. Ils en arriveront tre dgots par la seule vue dhomosexuels, et demanderont des lois contre eux. Dans la socit, ils demanderont labrogation de tout droit pour les homosexuels le tout parce quils vou- draient un pre et ne peuvent le dire. Il se peut que ces mmes hommes aient si peur de leur faiblesse quils en viennent la mpriser. Non contents de toujours chercher agir de faon nergique et indpendante, ils demanderont que soient votes des lois contre les tire- au-flanc de la socit ou tout autre groupe dindividus incapables de se faire la force du poignet . Autre- ment dit, la rpression de ses propres besoins est sou- vent synonyme du refus de reconnatre les besoins des autres. Pour modifier la philosophie sociale de certains n- vross, cest tout leur systme psychique et physique quil faudrait modifier. Les nvross croient ce quils sont obligs de croire pour rendre la vie supportable. Les dissuader de leurs croyances fondamentales revien- drait les faire renoncer leur constitution mme. Lindividu normal na pas dintrt exploiter les autres. Rien de ce quil attend des hommes nest irra- liste. Le nvros, qui est sans dfense devant sa souf- france, prouve souvent le besoin dexploiter les autres pour ressentir une importance quil est incapable de ressentir autrement. Il se comporte ainsi pour se mettre couvert. Il a besoin des autres pour sentendre dire du bien de lui-mme, de ses enfants, de sa maison ou de ses vtements. Lindividu qui nest pas normal ne peut rien donner de lui-mme puisque son moi est enferm en lui-mme. Le nvros peut feindre de sintresser aux autres et se convaincre quil le fait, mais tant que son moi nest pas arriv ressentir et sexprimer entirement, il ne peut pas se proccuper rellement de quoi que ce soit. Tant que le moi rel est touff par la peur et la tension, tant quil a des besoins inassouvis et dsesprs, il ne peut rien donner. Lindividu normal ne sentoure pas dune foule damis pour ne pas se sentir seul au monde. Ses amis ne sont ni ses trophes, ni sa proprit. Aprs le traitement primal, les malades rapportent quils sentendent avec dautres personnes relles, quelle que soit leur personna- lit. Ils affirment que les tres rels sont ouverts, hon- ntes, peu exigeants, que les idiosyncrasies ne semblent pas constituer une menace. Lindividu normal nprouve pas le besoin davoir, sur son carnet de rendez-vous, tous les samedis soirs pris des mois lavance, pour sentir quil est apprci des autres. Un mdecin normal na pas besoin davoir une salle dattente comble pour se sentir ncessaire. Dans ce dernier cas, largument est double sens. En effet, un nvros peut devenir angoiss sil est le seul patient dans la salle dattente dun docteur et peut passer immdiatement. Comme il naura pas lutt pendant quanxieux, il attendait, il se dira que son mdecin est moins bon que celui chez qui il y a toujours une heure dattente. Lindividu normal qui agit de faon raliste, est en gnral lheure, parce quil vit dans le temps prsent et non dans une sorte de temps provenant du pass. Cela veut dire quil ne prend pas le temps pour un symbole qui lui permettrait de ressentir quelque chose quil ne peut pas ressentir autrement. Ainsi, il ne sera pas en retard pour se donner de limportance et ne pas se sentir rejet, comme cest le cas chez le nvros. Le fait dtre en retard peut, par exemple, tre une manire de garder vivant un espoir irrel. Cest une autre faon qua le nvros de tricher avec lexistence. Il arrive faire en sorte que son affairement ne lui laisse jamais le temps de sentir; il est toujours en mouvement, sous leffet dune pression quil croit extrieure et qui, en ralit, vient du fond de lui-mme. Nombreux sont les nvross qui organisent leur vie de manire navoir jamais de loisirs. Ils font des projets l'infini (pour tuer le temps) afin de navoir jamais un instant pour ressentir ou pour rflchir. En un rien de temps, ils ont plus doccupations que la journe ne compte dheures, de sorte quils finissent toujours par tre en retard. Ainsi que nous lavons dj signal, il existe des pseudo-sentiments que lhomme normal ne connat pas. J e veux dire que lindividu normal ne saurait tre ni jaloux, ni accabl de sentiments de culpabilit. Il se contente de ce quil est, nenvie pas les autres, ne dsire pas ce quils dsirent et ne cherche pas avoir ce quils ont. Cest une autre manire de dire quil laisse les autres femmes, enfants et amis tre eux-mmes. Il ne vit pas travers leurs succs. Il ne s'empresse pas deffacer toutes les marques de bonheur quils donnent. Lindividu normal ne se sent pas alin, car seule la souffrance produit lalination dune partie du moi; (c'est peut-tre l'alination du moi qui permet aux diri- geants de parler si facilement de tuer. Coups de leur propre humanit, ils ne doivent pas tre capables de comprendre celle des autres. Il est vident que pour celui qui ne ressent pas rellement la vie, la mort nest pas un bien grand drame. En ce sens, la mort intrieure rend la mort effective des autres moins relle et moins horrible.) Lindividu normal semble percevoir le rythme de la vie des autres. Il use de tact, non par hypocrisie pro- fonde, mais parce quil peroit la souffrance des autres. Il ressent quel degr de ralit les autres sont capables de ressentir. Lindividu normal est sensible au vrai sens du terme. Non seulement il est mentalement ouvert aux besoins et aux pulsions des autres, il a aussi une sensibilit de tout lorganisme qui fait que son corps et son esprit sont directement touchs par des stimuli. J e tiens faire la distinction entre la sensibilit mentale du nvros et la sensibilit ouverte de lindividu normal. J insiste sur ce point car il y a beaucoup de nvross qui ont une per- ception aigu et percent bien jour les personnes de leur entourage. Mais je crois quils ne peuvent pas sentir les situations dans lesquelles ils se trouvent parce quen mme temps, leur comportement est le djouement de sentiments frustrs. Cest ainsi quun homme brillant se lancera dans un expos philosophique au cours dun dner, profondment conscient de la nature de ses audi- teurs, mais ne se rendant absolument pas compte quil accapare toute la conversation. Il est trop occup ext- rioriser son besoin dattirer lattention et de se sentir important. Voil pourquoi il est essentiel pour un thra- peute, non seulement de savoir pntrer la personnalit des autres, mais dtre lui-mme normal. Sil ne lest pas, il satisfera dans son rapport avec ses malades un de ses propres besoins (par exemple, le besoin de se sentir ncessaire), contrebalanant ainsi tout le bien que sa comprhension pourrait apporter. Lindividu normal renonce se rjouir par avance , pour combler le vide du prsent. Un patient a racont : J e faisais toujours le mme raisonnement : je me di- sais que je ne voudrais pas tre riche parce que les riches sont certainement malheureux. Ils peuvent avoir tout ce quils veulent et, par consquent, ils nesprent plus rien. Maintenant, je me rends compte que si lon peut se rjouir de tout ce que lon a chaque moment, on na plus besoin de vivre dans lattente. Lindividu normal ne confond pas espoir et projets. Il peut avoir des plans davenir mais il ne les grossit pas au point de navoir plus de prsent. On dirait que certains nvross repoussent tout dans le futur, si bien quils ne peuvent plus jamais prouver un vrai plaisir dans le prsent. Selon moi, cela vient de la petite en- fance; cette poque de sa vie, lenfant comprend que, sil avait fait exactement ce quil ddirait et men sa vie comme il lentendait, il aurait t rejet et peut-tre abandonn par ses parents qui entendaient que les choses soient faites selon leur faon eux. Lenfant a d remettre ses dsirs plus tard, esprant quil pourrait tre heureux aprs . Cela explique en grande partie lide que se font beaucoup denfants : J e serai heu- reux quand je serai grand. On dirait que certains n- vross conservent ce schma de raisonnement jusque dans lge adulte. Lindividu normal qui a renonc lespoir irrel et sa lutte pour plaire, peut vivre comme il lui plat. Le nvros dsire , tandis que lindividu normal a besoin . Si le nvros dsire ce dont il a rellement besoin, il souffre; pour viter cette souffrance, il est oblig de dsirer des substituts quelque chose daccessible. Lindividu normal a des besoins simples, parce quil dsire ce dont il a besoin et non des substi- tuts symboliques. Le nvros dsirera une cigarette, un verre de whisky, du prestige, de la puissance, des di- plmes ou une voiture de course. Le tout pour recouvrir sa souffrance et ne pas ressentir le vide de son exis- tence, sa non-valeur, son impuissance, etc. Lindividu normal na rien recouvrir, nul vide combler. La vie semble conspirer contre le nvros. Il dsire tout parce quil a reu si peu. Mais comme il a d d- former sa personnalit dtranges faons pour obtenir dinfimes satisfactions, il devient le genre de personne dont les autres se dtournent. Ses exigences exagres, son manque dindpendance et son narcissisme devien- nent insupportables pour les autres. Lindividu normal, en revanche, qui ne cherche pas dans tout rapport social la compensation dannes dindiffrence est souvent recherch et pris comme exemple. Le nvros prend toujours. On a beau faire beau- coup pour lui, cest insuffisant parce que ses besoins doivent tre satisfaits toujours et encore jusqu ce quils soient proprement connects et rsolus, ce que dhabitude, seule la thrapie primale est capable de faire. Lindividu normal agit selon les tu dois et non se- lon les tu devrais . La thorie primale comprend le comportement du nvros comme labdication des be- soins personnels par dfrence aux besoins et aux dsirs des parents. Ceux-ci deviennent les tu devrais pour lenfant. Un mauvais enfant est un enfant qui naccomplit pas ses devrais . Le petit enfant qui essaie dtre gentil pour se faire aimer, essaie de r- pondre ce que ses parents attendent de lui. Il le fait avec lespoir implicite quils finiront par rpondre ses besoins par exemple : quils le prendront dans leurs bras. Mais quelque effort quil fasse, lenfant ne peut jamais satisfaire les besoins de ses parents. Ainsi, nous arrivons la situation o lenfant essaie sans arrt de satisfaire ses parents, de les rendre heureux et contents. Mais il ne fera jamais assez, aucun enfant ne peut com- penser le malheur de ses parents. Les devrais de lenfant correspondent aux besoins des parents; sil ne sy conforme pas, il doit renoncer lespoir dobtenir lamour des parents. Lenfant nvros devient si profondment prisonnier de ses devrais tre sage, poli, et serviable quil perd de vue ses propres besoins. En consquence, il se met dsirer ce dont il na pas besoin. Souvent, cest dune manire trs subtile que les pa- rents drobent ses besoins leur enfant. On voit des parents nvrotiques rpter leurs enfants : Tu devrais tre content; cesse de te plaindre, regarde tout ce que nous faisons pour toi. Nous tavons tout donn. Sou- vent lenfant se laisse convaincre. Il regarde autour de lui et voit quil est entour de biens matriels. Il en dduit quil a ce quil souhaite, et il ne sait mme plus quil a dsesprment besoin dautre chose dtre aim. Ce quil y a de tragique dans ces devrais , cest quen sy conformant, lenfant imagine que sil fait exactement ce que veulent ses parents, ces derniers finiront un jour par dverser sur lui toute une pluie damour. Mais comme de leur ct, les parents ont be- soin de quelque chose quil ne pourra jamais leur appor- ter, ce jour ne vient jamais. Lenfant qui agit en fonction de ses devrais nagit pas en fonction de ses sentiments. De sorte que sil met de lespoir dans ce comportement, il y met aussi de la colre la colre davoir faire quelque chose quil ne ressent pas. Ayant pass toute sa vie faire ce quil navait pas envie de faire, le nvros prouve parfois des difficults faire ce quil doit faire. Au contraire, lindividu normal fait ce quil doit faire parce quil agit en fonction de la ralit. Le nvros vit souvent dans lindcision parce quil est partag entre ses besoins rprims et ses devrais . Lindividu normal dcide par lui-mme; il ressent son moi et sait ce qui lui convient. Le nvros laisse aux autres le soin de dterminer ses devrais . Que devrais-je choisir au menu ? de- mande-t-il. Cest ainsi quil organise sa vie de manire ce que les autres lui fournissent continuellement des devrais ; il ne se permet jamais dagir en fonction de ses sentiments. Cette simple question : Que devrais-je choisir ? est souvent le signe de la torpeur du nvros. Cest une manire de dire : J e nai aucun dsir, aucun sentiment : je ne vis pas, vivez ma vie ma place. Lindividu normal ne cherche pas le sens de la vie, car la signification de toute chose dpend du sentiment. Plus on ressent profondment sa vie la vie lintrieur de soi plus elle a de sens. Le nvros qui a d se fermer ds un trs jeune ge une ralit catastro- phique, poursuit consciemment ou inconsciemment cette recherche. Il cherchera le sens de la vie dans le travail ou dans le voyage, et si son systme de dfenses fonctionne bien, il imaginera que sa vie a un sens. Dautres nvross ont le sentiment que quelque chose leur manque et se mettent en qute dun sens. On les verra rejoindre un guru, se mettre tudier la philoso- phie, se plonger dans la religion ou des cultes, le tout dans le seul but de dcouvrir un sens qui est porte de la main. Le nvros doit poursuivre cette qute parce que le sens rel signifie la souffrance qui doit tre vite. Cest alors que la qute elle-mme devient le sens de sa vie; puisque le nvros ne peut pas ressentir pleinement sa propre vie, il doit trouver son sens travers dautres hommes ou des choses qui lui sont extrieures. Il le trouvera quelquefois dans le talent et les succs de ses enfants ou de ses petits-enfants, dans un poste important ou dans des transactions de grande envergure. Cest quand ces lments extrieurs lui sont enlevs que le nvros souffre. Cest alors quil commencera se de- mander : A quoi bon ? Aprs tout, quest-ce que cela signifie... Lindividu normal vit en lui-mme et na pas le sen- timent que quelque chose lui manque, il est entier. Le nvros souffre ds quil interrompt sa lutte, car il lui manque en effet une part de lui-mme. Un patient lexprimait de la faon suivante : J ai un travail fasci- nant, malheureusement, il ne mintresse pas. Pour lui, ce travail navait pas de sens. Incapable de ressentir la pleine signification de son existence, le nvros se voit souvent contraint dinventer une vie au superlatif ou une vie future un endroit o se droulerait la vie relle. Il est oblig dimaginer que le vritable sens et le but de lexistence doivent se trouver quelque part. Il se figure que les savants pourront trouver ce secret pour lui, alors que lui seul en est capable. Lindividu normal dcouvre son propre corps et nprouve pas le besoin dimaginer un endroit particulier o la vraie vie a lieu. Si le nvros sadresse la psychothrapie, cest parce quil espre implicitement quelle laidera trouver une vie plus charge de sens. Cela aussi devient une longue qute. Lindividu normal a fait une dcouverte simple : le sens de la vie nest pas quelque chose quon dcouvre, mais quon ressent. Il ne passe donc pas ses dimanches courir de sminaire en sminaire pour apprendre lart de vivre, de trouver le bonheur, etc. On trouve une bonne illustration de la qute du nvro- s dans le comportement dun malade qui avait t tu- diant en philosophie : J aimais la philo parce que je ntais jamais oblig dtre sr de quelque chose. J e ne me suis jamais rendu compte combien je dsirais cet tat dincertitude. De toute faon, je ntais pas capable de ressentir ce qui tait vrai dans la vie, de sorte que lincertitude me convenait parfaitement. J e cherchais dans les cieux et dans les brumes de lintellect une sorte de supersignification le tout pour ne pas avoir faire face lide que toutes les annes que javais consa- cres aux disputes familiales navaient pas de sens. Ctait absurde. Trouver un sens chez Descartes et Spi- noza tait un palliatif agrable. Lindividu normal ne cherche pas donner un sens particulier aux occasions spciales comme Nol et le J our de lAn (la saison primale, comme disait un pa- tient). Le nvros est souvent dprim pendant les ftes, parce que les runions de famille ne lui donnent pas le sentiment dtre aim ou de possder une vraie et cha- leureuse famille. Lindividu normal nprouve pas le besoin de faire de la vie ce quelle nest pas. Il na pas besoin des grandes qutes philosophiques. Il sait quil est vivant, un point cest tout. J e pourrais consacrer toute la fin du prsent ouvrage dcrire le comportement normal. Ce qui est normal, cest tout simplement ce que font habituellement les gens normaux ce nest pas passer sa vie creuser des gouffres insondables pour sefforcer ensuite den sortir.
CHAPITRE 12
LE PATIENT APRES LA THERAPIE PRIMALE
Le malade qui suit la thrapie primale nest pas dun type particulier. Il a en gnral entre vingt et un et cin- quante ans, et le plus souvent, aux alentours de vingt- cinq ans. Les professions de ces patients vont de lancien moine aux professions librales de toutes sortes, y compris beaucoup de psychologues et dartistes. Alors que la thrapeutique conventionnelle russit mieux chez les sujets ayant fait au moins des tudes secondaires, la thrapeutique primale russit tout aussi bien chez les sujets qui nont rien dintellectuel. Les malades ont des substrats religieux diffrents, vien- nent de toutes les rgions des Etats-Unis et du monde et ont des fonds de civilisation diffrents. La majeure partie de mes malades ont dj t soigns par la psychanalyse, la thrapie rationnelle, la Gestalt- thrapie, lanalyse existentielle ou la thrapie dinspiration Reichienne. A lexception des mthodes de Reich, toutes ces coles utilisent des techniques cen- tres sur lutilisation de lintrospection. La plupart des patients sont clibataires, mais un cer- tain nombre dentre eux sont maris ou divorcs. Cet lment joue un rle important. Les patients qui ont une famille et ne sont plus trs jeunes sont plus difficiles soigner. En effet, ils sont dans la plupart des cas dj enracins dans lirrel, soit quils aient choisi une pouse, elle-mme nvrotique, soit quils aient pris un travail irrel ou choisi des amis irrels. Bref, cest un type de patient qui doit abandonner beaucoup de choses afin de devenir rel. Peu de gens sont prts cela quand ils ont atteint quarante ou cinquante ans. Quand une personne dun certain ge, marie depuis dix ou vingt ans avec un nvros, devient relle, son partenaire qui ne suit pas la thrapie risque de vouloir saboter cette tentative, ce qui rend le traitement pnible et difficile pour le patient. Le malade idal pour une thrapie pri- male est peut-tre le clibataire relativement jeune qui na pas dintrt se maintenir dans lirralit. Toute- fois, nombreux sont les patients dge moyen, mais desprit ouvert, chez qui la thrapie a trs bien russi. Il est significatif que fort peu de patients aient une ide de ce qui va leur arriver; cest pourquoi il semble que nos rsultats soient moins modifis par des opinions prcon- ues. Bien que les techniques dapproche de la thrapie primale soient rvolutionnaires, elles ne dsorientent presque jamais le patient. De quelque milieu quil soit issu, il semble quil en ait une comprhension imm- diate. Observons le patient au sortir de la thrapie. Com- ment est-il ? Il vit dune faon diffrente. Cela signifie souvent quil change de mtier. Beaucoup de sujets se trouvent physiquement incapables de poursuivre des tches irrelles : par exemple, ils ne peuvent pas retrou- ver le baratin du reprsentant de commerce ou soccuper de toute la paperasserie inutile quimposent certains mtiers. Deux hommes chargs des prisonniers en liber- t surveille, dcouvrirent quil leur tait impossible de continuer exercer cette surveillance au lieu de leur apporter laide dont ils avaient rellement besoin pour ne pas rcidiver. En attendant dtre forms la pratique de la thrapie primale, deux psychologues prfrrent prendre un travail subalterne plutt que de poursuivre des tudes dans un domaine de la psychologie quils tenaient pour irrel. Lun deux avait t conseiller conjugal et se refusa reprendre son mtier o il ne traitait que le comportement superficiel de ses clients. Un producteur de films de tlvision abandonna son travail pour crire enfin une uvre personnelle. Un ouvrier dcida de faire des tudes, considrant quune carte dtudiant rapporte davantage quune carte de travail . Pourtant, il navait aucune illusion sur ce quil allait entreprendre en facult. Une enseignante dut changer dtablissement parce quelle ne supportait plus de travailler avec un proviseur nvros. Pour les autres coles de psychothrapie, lun des cri- tres habituels de normalit est le fonctionnement . On considre comme normal lindividu efficace et pro- ductif. La conception primale est diffrente. Aprs le traitement primal, le sujet nest plus dispos ne saccorder aucun rpit. En termes de thrapie primale, le nvros stimule son moi sans arrt afin de se sentir utile, accept ou aim. On exige de ceux qui veulent pratiquer la thrapie primale quils subissent dabord le traite- ment. Aprs, ils ne sont plus disposs faire trente quarante heures de sances. Ils ont compris que trop souvent, le nvros tire son identit de ses fonctions, non de ses sentiments. Cest ainsi quun sujet pourra tre prsident directeur gnral et avoir de multiples titres et dexcellentes qualits de travail et dorganisation, tout en tant bien malade. Au sortir de la thrapie, une malade sexpliquait comme suit : Moi- mme et tout autour de moi devait tre bien organis pour que je ne ressente pas le dsordre profond qui rgnait en moi. Si je navais pas t continuellement en train dagir ou dchafauder des projets, je me serais effondre. Elle avait pris ses fonctions pour sa vie relle. Il nest pas rare que des malades se rendent compte, aprs la thrapie, que beaucoup de ce quils croyaient avoir faire, ntait pas aussi urgent que cela. Ainsi le dimanche devient le jour o ils jouent avec les enfants au lieu de le passer nettoyer le garage. Une malade sexprimait ainsi : Maintenant que je sais que je ne possde rien dautre au monde que moi-mme, je ne passe plus ma vie me tracasser pour eux . J ai lintention dtre gentille avec moi-mme et de me d- tendre. Aprs le traitement, le patient, tant moins pouss ( trouver de lapprciation et de lamour), agit moins en fonction de sa lutte. Il peut se consacrer davantage la satisfaction de son moi et devient ainsi capable dapporter un amour rel sa femme et ses enfants. Aprs la thrapie, le sujet est gnralement moins ac- tif mais il ne sapplique qu des tches relles, de sorte quil apporte la socit une contribution bnfique. Les enseignants, par exemple, exigent beaucoup moins de leurs lves tout en leur apportant beaucoup plus. Ils laissent leurs lves sexprimer et sefforcent de leur apprendre les choses qui sont importantes pour leur vie relle (dans la mesure o le systme dducation actuel le permet). Ces patients ne vendent plus aux gens des choses dont ils nont pas besoin. Un malade, dcorateur de thtre, conserva son mtier parce que son travail construire quelque chose tait quelque chose de rel pour lui. Mais il sarrta dans la mesure du possible de faire des heures supplmentaires, afin dtre avec sa famille. Il ntait plus pouss par lenvie dacheter toujours plus de gadgets et il sarrta de jouer de sorte quil pouvait employer son argent plus judicieusement. Il me rapporta que largent quil conomisait sur la bire suffisait lui seul assurer des vacances tous les ans. Ce problme de la motivation est un problme essen- tiel, parce que les motivations nvrotiques tiennent une place incroyable en ce monde. Un malade disait que si lon pouvait utiliser lnergie que renferme le nvros, on pourrait faire marcher des trains. J ai le souvenir dun patient qui, aprs lun de ses derniers primals, resta couch sur le sol prs dune heure sans pouvoir seulement soulever la tte. Il tait nettoyeur de piscines et avait travaill dur toute sa vie (il avait coutume de saluer ses amis en disant toujours au boulot ? ce qui est typiquement nvrotique). Toutes ses motivations nvrotiques tant dtruites, il tait inca- pable de faire le moindre mouvement. Il prit de longues vacances au sortir de la thrapie et dcouvrit son re- tour quil ne pouvait plus nettoyer seize piscines par jour comme dans le pass. Il trouvait miraculeux quil en et jamais t capable. Sa nvrose lui avait toujours dissimul son degr rel de fatigue. Il prit un aide, ga- gna moins dargent, mais mena une vie plus heureuse. Trop de nvross produisent afin de se sentir impor- tants, au lieu de faire ce qui leur importe personnelle- ment. Aprs le traitement, un psychologue cessa de passer sa vie faire des sries de confrences pour des socits savantes. Il reconnut quil ne dployait pas une telle activit dans le but de rester en contact avec ses collgues, mais pour avoir un plus grand prestige. Mais ce sont sans doute les modifications dordre physique qui sont les plus spectaculaires. Cest que la thrapie primale nest pas une simple approche intros- pective, mais une thrapie psychophysique. Par exemple, un tiers des femmes qui avaient une poitrine relativement petite constatrent que leurs seins staient dvelopps : elles stonnrent de devoir acheter des soutiens-gorge dune taille plus grande. Le mari dune malade qui tait venue de loin pour se faire soigner, crut, quand elle retourna chez elle aprs quelques se- maines, quelle stait fait faire des piqres dhormones. Le phnomne que rapportaient ces malades a, dans tous les cas, t vrifi par les mesures effectues par leur mdecin habituel. Les malades constatrent dautres phnomnes cor- respondant aux manifestations physiologiques normales de ladulte. Deux garons dune vingtaine dannes virent pousser leur barbe pour la premire fois de leur vie. Plusieurs autres rapportrent que leur transpiration avait pour la premire fois une odeur. Plusieurs malades notrent un dveloppement de leurs mains et de leurs pieds. Ces phnomnes ne relvent pas de la suggestion car le malade ne reoit aucune indication quant aux rsultats auxquels il peut sattendre. On peut citer le cas dune malade qui ne remarqua le dveloppement de ses mains quau moment o elle essaya une nouvelle paire de gants et o elle s'aperut quil lui fallait une taille suprieure. Tant que des recherches physiologiques nont pas t faites, on ne peut qumettre des hypothses pour tenter dexpliquer ces phnomnes. Lun de mes collgues, biochimiste, dclare que ces manifestations peuvent, en grande partie, tre imputes des modifications des scrtions hormonales, qui auraient leur tour des r- percussions sur les mcanismes du codage gntique dans les cellules. Il pose comme hypothse que la r- pression du systme et laltration prcoce de la scr- tion hormonale auraient empch le droulement dun des phnomnes gntiques habituels, de sorte que la pousse de la barbe, par exemple, ne se serait pas pro- duite lge o elle aurait d normalement se produire. Daprs ce biochimiste, la thrapie primale entrane- rait une modification de l'interaction des divers facteurs qui interviennent dans le systme hormonal dans son ensemble, alors que de simples injections dhormones ne pourraient suffire produire ces changements. Les primals ractivent, sans doute, le processus de croissance. Mais il faut attendre les rsultats des re- cherches physiologiques pour avoir une explication exacte des phnomnes que nous avons observs. Il convient toutefois de signaler propos des modifi- cations que toutes les femmes qui souffraient de dou- leurs prmenstruelles ou avaient des rgles irrgulires, ont vu leur problme rsolu par la thrapie primale. Des femmes auparavant frigides et pour qui les rap- ports sexuels taient douloureux, constatrent que la lubrification de leur vagin seffectuait bien, parfois mme sans provocation sexuelle vidente. Une malade fut mme trouble par ce quelle appelait son perptuel apptit sexuel. Ctait la premire fois de sa vie quelle connaissait le dsir sexuel; jusque-l, elle considrait les rapports sexuels comme un devoir, quelque chose que seul son mari dsirait. Les malades observrent les modifications les plus di- verses sur le plan de lquilibre, par exemple. Un malade dcrivait ce qui lui arrivait auparavant de la faon suivante : Auparavant, chaque pas que je faisais tait soigneusement prvu et contrl... alors quaujourdhui quand javance un pied, je ne sais abso- lument pas ni o ni comment il va atterrir. Le trottoir est rest le mme, mais jai limpression de faire une exp- rience totalement nouvelle. J e me sens relch et jai conscience tout instant du moindre mouvement de mon corps, je ne suis plus un robot. Certains malades observent un bouleversement com- plet de la coordination de leurs mouvements que ce soit pour courir, attraper un ballon ou le lancer. Un joueur de tennis qui faisait des tournois, dcouvrit quil triomphait dadversaires qui lavaient toujours battu plates coutures. Cela peut en partie sexpliquer par la disparition de toute tension llimination du clivage intrieur qui empchait certaines parties de son corps de fonctionner en coordination avec son systme respira- toire. Cest au cours dun primal quil sentit enfin sa respiration se mettre au diapason du rythme de tout son corps. Les primals ne donnent pas de sensations plus in- tenses, ils produisent des sensations relles qui semblent plus intenses du fait du processus dengourdissement qui les a prcdes (de mme toute sensation qui est plus que relle, est ncessairement irrelle). La ten- sion engourdit lappareil sensoriel de sorte que la n- vrose atteint non seulement le comportement du sujet mais aussi son got et son odorat. Cest ainsi que cer- tains nvross mettent beaucoup dpices dans leurs aliments afin de leur trouver du got. Un malade rendait compte de cette volution de la fa- on suivante : J e ne mangeais jamais parce que javais faim, et je nai jamais rellement senti le got de ce que je mangeais. Lautre soir, jai mang un steak grill et jai dcouvert que le got du charbon de bois mtait insupportable. Il y a des annes que jen mangeais, mais je n'en avais jamais peru le got. Quand les processus vitaux sont engourdis, la vie elle-mme devient fade. Les primals ne produisent pas de nouvelles sensations dun type particulier, ils permettent seulement au sujet de ressentir pleinement ses facults sensorielles latentes. Plusieurs patients qui portaient des lunettes, dcouvri- rent aprs le traitement quils nen avaient plus besoin. Cet accroissement du niveau sensoriel rend le sujet particulirement alerte. Il peroit avec un sens aigu la moindre variation dune voix ou dune mlodie. Une patiente dcrivait sa thrapie primale de la ma- nire suivante : Toute ma vie avait t pour ainsi dire dcentre . Les primals furent linstrument qui me permit de lui redonner un centre. Maintenant, tout est bien clair. J e suis sensible des odeurs dont je ne soup- onnais mme pas lexistence. J e me suis rendu compte que mon mari a une odeur corporelle qui mest fort dsagrable. J usque-l ma vie tait simplement grise. Maintenant, les couleurs se sont veilles pour moi. Souvent, on observe galement des changements de temprature. Une patiente sexprimait ainsi : Cest comme si javais eu froid toute ma vie sans me rendre compte que ctait ma vie qui tait glaciale. Effecti- vement, quand elle ressentit quel point le cadre de son enfance avait t vide et froid, elle fut secoue pendant une demi-heure de tremblements convulsifs et se sentit pour la premire fois rchauffe , parce quelle res- sentait. Il ne faut pas prendre cela uniquement au sens figur; de nombreuses expriences ont montr que les vaisseaux sanguins ont tendance se contracter lapproche de la douleur, ce qui laisse penser quils se contractent aussi pour se dfendre de la souffrance pri- male. Alors que beaucoup de patients prouvent cette sensa- tion de froid (et sont froids au toucher) juste avant de ressentir une souffrance primale, des nvross particu- lirement vulnrables sur le plan vasculaire peuvent opposer la souffrance une raction diffrente. Leur dynamique interne leur procure une perptuelle sensa- tion de chaleur. Comme le disait un patient : J tais toujours en bullition. J e veux dire que jtais furieux. J tais toujours bouillant de rage. Il ragissait par la colre, non par la peur. Dans loptique de la thrapie primale, le fait que beaucoup de nvross soient constamment recroquevil- ls contre le froid est un processus symbolique, la fois dans la manire dont ils se dfendent du froid et dans la mthode quils emploient pour se donner chaud. Inver- sement, le fait de navoir jamais besoin de shabiller chaudement peut ntre quune sorte de dmonstration : J e nai pas besoin de chaleur, je nai besoin de rien et de personne. Dans ce dernier cas, on est en prsence des sujets les plus durs et les plus indpendants qui agissent en niant absolument leurs besoins; les recon- natre serait leurs yeux une marque de faiblesse. Aprs la thrapie, le malade est dans limpossibilit physiologique de se maintenir dans lirralit. Il ne peut plus se couvrir de tricots, si la temprature ne lexige pas, parce que son organisme lui ferait vite savoir qu'il est surchauff. Lirralit affecte tout le systme. La faon dont on ragit, par la peur ou par la colre, se rvle dans les ractions chimiques du corps. Par exemple : en sparant dans deux groupes de malades, ceux qui laissent libre cours leur colre et ceux qui la retiennent, on a dcouvert des diffrences dans le taux et la qualit des hormones quils scrtaient. Ceux qui refusaient leur colre avaient une plus forte tendance scrter une hormone appele noradrnaline, produite par la mdullo-surrnale, tandis que les autres scr- taient simplement ladrnaline. (Ce nest pas pour rien que les biochimistes appellent parfois la noradrnaline, lhormone incomplte 1 .) Considrons maintenant le sujet la lumire de ph- nomnes non physiques. Lorsque jai demand lun de mes malades, qui tait tudiant, quels changements il avait nots, il me rpon- dit : J e me fiche royalement de savoir si les Twins du Minnesota gagneront la coupe cette anne. Ce ntait pas une remarque en lair. Avant la thrapie, il avait t, comme il le disait lui-mme, un fana du baseball . Il
1 J e renvoie le lecteur aux ouvrages de Hans Selge sur les hormones et le stress, en particulier The Stress of Life (New York, McGraw-Hill, 1950). savait le nom de presque tous les joueurs de la ligue, leur porte moyenne de tir, quel joueur avait t cd quelle quipe, etc. Chez lui, cet intrt passionn tait un comportement symbolique. Il navait jamais fait partie de quoi que ce soit, mais en sachant par cur les noms et les moyennes, il pouvait avoir lillusion de participer. De plus, il sidentifiait aux Twins et nourris- sait lespoir inconscient de devenir un vainqueur par leur intermdiaire, pour se dissimuler que tout au long de sa vie, il avait toujours perdu. Une fois quil eut rsolu ses problmes personnels dune manire relle, il neut plus besoin dexutoire symbolique. Il y a une diffrence entre sintresser une quipe et vivre littra- lement travers elle. Un autre malade tait passionn de football. Aprs ses primals, il prit exactement conscience de la lutte qui se jouait sur le terrain et ds quil eut limin sa propre lutte intrieure, il sintressa beaucoup moins au foot- ball. Un autre patient qui auparavant aimait lopra devint fanatique de rock and roll : a a du nerf, a fait vibrer tout le corps, disait-il, maintenant que je me sens vivant, je ne peux plus supporter ces agonies de lart lyrique ! Pour moi, le rock est la clbration de la vie. On note galement la suite de la thrapie, des modi- fications considrables des capacits intellectuelles du malade. Un patient disait : Si javais t malin quand jtais petit, jaurais compris quils me hassaient, et jen serais mort. Il me fallait tre stupide pour survivre. J e dbranchais tout simplement une partie de mon cerveau. J ai remarqu que beaucoup de jeunes enfants ont un regard brillant et vif, puis il se passe quelque chose qui les change. Selon moi, ils reoivent le message primal et ils se refusent lentendre. Pour les malades dont nous parlons, les tudes de- viennent tout coup plus faciles; ils ont compris quelles comportent une part de jeu, des exercices obli- gatoires auxquels ils se soumettent sans la moindre anxit. Ils peuvent sexprimer clairement parce quils ont en- fin formul ce quils nont pas os dire de toute leur vie. Ils ont une comprhension aigu super-droite , disent-ils. Cela se traduit aussi physiquement : ils se tiennent droit au lieu de marcher vots. Les remarques des malades que nous allons citer mon- trent bien quil ny a pas une forme unique de compor- tement normal. La premire expliquait : Maintenant je peux faire des visites sans avoir peur. Pour la premire fois de ma vie, jai plaisir tre sociable. Lautre, en revanche, disait : Maintenant, je peux rester la mai- son et lire. Auparavant, jtais toujours en train de cou- rir, je ne pouvais rester une minute en place. Au- jourdhui jaime rester seule. Aprs la thrapie, le malade prend plaisir ses moindres activits. Il se rjouit de faire ce quil fait linstant o il le fait. Que devient la crativit de ces patients ? Est-ce quelle se perd en mme temps que la nvrose ? Non. Personne ne perd la facult de peindre ou de composer de la musique. Ce qui change, cest la nature de luvre dart cre. Il ne faut pas oublier que limagination du nvros sattache la reprsentation symbolique de ce qui est inconscient. Autrement dit, le nvros rvle ce quil est par des moyens indirects, abstraits. Le contenu de son art correspond lamalgame particulier de sen- timents et de penses qui se forme en lui pour viter la souffrance. De toute vidence, si le blocage par la souf- france nexiste plus, ce contenu va changer. Chez le nvros, la cration artistique est un moyen dviter de reconnatre ses sentiments, ou plutt de les ressentir. La perspective artistique se modifie aprs la thrapie : il voit et entend de manire diffrente. La nvrose nest pas une condition de la crativit. Quen est-il des rapports du malade avec les autres ? A la fin de la thrapie, une femme alla dner au restau- rant avec son mari, qui navait pas suivi le traitement. Le moment venu de commander, elle ne le laissa pas choisir sa place. Pire ! Elle refusa le vin quil avait choisi et commanda le cru quelle aimait. Furieux, il quitta la table, il y eut une scne o il laccusa de le chtrer . Il criait : Tu ne me laisses plus jouer mon rle dhomme. Tu essaies de menlever ma virilit. Mais tout ce quelle avait fait, ctait dabandonner le rle de sycophante dont son mari avait besoin afin de se sentir viril, pour reprendre son existence dindividu dot de ses propres droits. Il est bon de noter que les couples maris dont les deux partenaires ont suivi la thrapie, ont tendance rester unis. Ils nprouvent plus le dsir nvrotique de quelquun dautre, parce quils ont reconnu leurs vri- tables besoins. Ils nont tout simplement aucune raison de ne pas sentendre. Ils nont plus lun pour lautre dexigences irrelles parce quils ont retrouv leur per- sonnalit relle. Chacun deux devient un tre apte la vie, heureux de vivre et de laisser vivre. Aprs la thrapie, les malades ne tolrent plus le com- portement irrel, de sorte quils vitent beaucoup de leurs anciens amis. Ils se runissent entre eux et les mariages lintrieur du groupe ne sont pas rares. Ils nouent des amitis qui ne sont pas possessives et vo- luent dans une atmosphre de dtente. Cette dtente se manifeste sur leur visage. Ils nont plus les yeux apeurs ou les lvres crispes, plus rien du masque qui leur servait dissimuler leurs sentiments. Leur visage nest plus une simple faade et ainsi ils ont lair naturel. Ils dcouvrent quils nont pas besoin dautant dargent quauparavant. Ils mangent moins, sortent moins et mnent une vie plus raisonnable. Les passionns de lecture, en particulier ceux qui dvoraient des romans, lisent beaucoup moins. Une malade expliquait que son got pour la fiction littraire provenait du fait quelle y trouvait une sorte dexistence par personne interpose; cest un besoin quaprs la thrapie elle ne ressentait plus. Ces sujets mnent aprs la thrapie une vie moins strictement rglemente : ils mangent quand ils ont faim, achtent des vtements quand ils en ont rellement besoin, ont des rapports sexuels, non parce quils sont tendus, mais parce quils en ont rellement envie; cest- -dire qu'ils en ont peut-tre moins souvent mais quils en retirent une plus grande jouissance. Presque tous les anciens malades coutent de la mu- sique plus souvent quils ne le faisaient avant la thra- pie. Quand jai demand quelques-uns de ces anciens malades ce quils faisaient la plupart du temps, ils mont rpondu : On est ensemble, on se dtend et lon coute de la musique. Pour beaucoup dentre eux, le seul fait de pouvoir rester ensemble sans faire des projets pour savoir o aller aprs, constituait un vnement. Peut-on dire que leur vie soit devenue monotone ? Daprs les critres de la nvrose, oui. Mais il ne faut pas oublier que ce que le nvros juge excitant, cest lexcitation qui vient de la tension. Autrement dit, le nvros est dans un perptuel tat dexcitation et il or- ganise souvent sa vie en consquence. Il est incapable de rester tranquille, de sorte quil chafaude des plans qui ont lair excitant et ne sont en ralit que les exu- toires de sa tension. En fait, le nvros se contraint une activit toujours plus fbrile pour arriver finalement ressentir quelque chose. Il fait du vol voile ou de la plonge sous-marine, entreprend des voyages, sort beaucoup et se sent en forme dans le moment o il est actif, mais ds que son activit cesse, il est repris par son tat de tension. Lactivit ne lintresse que dans la mesure o elle lui permet de trouver un exutoire la tension, ce que le nvros considre souvent comme le plaisir suprme. En un sens, aprs la thrapie primale, le malade est un autre homme. Par exemple, il nest jamais de mauvaise humeur. Les humeurs sont des degrs de la tension, de vieux sentiments tiquets, non conceptualiss. Au sortir de la thrapie, le malade nest ni trop exalt, ni exagrment dprim. Il prouve simplement des senti- ments et en a pleinement conscience. Toute sa personne semble dire : J e suis ce que je suis et vous pouvez tre ce que vous tes. On a beaucoup de peine regarder dans les yeux une personne irrelle, on a limpression de sadresser quelquun qui nest pas l. Au contraire, on na pas la moindre difficult communiquer avec les sujets qui ont suivi la thrapie primale, parce quon sent quon sadresse une personne relle. Aprs la thrapie, le malade a de sa solitude un senti- ment nouveau. Un ancien malade dont le traitement est fini depuis deux ans, sexprime ainsi : Seul ? J e le suis depuis toujours, mais cela ne me drange plus. Avant la thrapie, jtais rellement seul. Il ny avait que mon fantme (Dieu) et moi. Maintenant, lui a disparu, mais je mai moi-mme. Dans ce sens, jai de la compagnie une compagnie relle et je suppose que personne dentre nous ne peut esprer plus. Bien sr, ma femme et mes amis existent, mais ils font partie du monde ext- rieur et leur existence ne saurait avoir mes yeux le mme degr de ralit que la mienne. Aprs la thrapie, le sujet na plus besoin dalcool pour tre sociable et samuser avec les autres (comme cest le cas de beaucoup de nvross). Cest un individu conscient qui na pas de raison de chercher touffer cette conscience; les choses sont bien, telles quelles sont. Il est profondment soulag dtre libr de ses an- ciennes contraintes. Il est ravi de ne plus avoir dallergies, de maux de tte, de douleurs dans le dos ou dautres symptmes du mme type. Il est vraiment matre de sa vie. J ai dj voqu les problmes de travail. Il est vrai que beaucoup de malades changent de mtier au sortir de la thrapie. Un patient sexpliquait ainsi : J avais pris lhabitude de vivre pour mon travail, maintenant, je vis pour moi. En gnral, ils cherchent un travail qui leur plaise, sans se proccuper des perspectives de car- rire quil offre. Un de mes malades aurait prfr tre cordonnier plutt que de gravir lchelle hirarchique dune compagnie dassurances. Il aimait travailler de ses mains, mais comme il avait hrit de son milieu familial des aspirations de petit bureaucrate, il ne pouvait se rsoudre un mtier manuel. Pendant quil tait la recherche dun travail, il me dit que pour la premire fois de sa vie, il trouvait trs dtendant dtre sans em- ploi. Aprs la thrapie, le sujet renonce aux excs de travail et aux aspirations intellectuelles irralistes. On peut interprter cela comme une raction contre notre socit o lon exalte le sacrifice de soi. Cependant, toutes les professions ne sont pas abandonnes. Un tudiant pour- suivit des tudes de dentiste, et certains enseignants reprirent leur activit, alors que dautres y renoncrent. Tout dpend du rle que les motivations du nvros ont initialement jou dans le choix de la carrire en ques- tion. Cette absence de zle excessif par rapport aux pro- blmes de travail et de carrire peut tre impute un autre facteur encore : pendant des annes, parfois mme des dcennies, le nvros a t physiquement et intellec- tuellement harcel par ses problmes. Il lui faut du temps pour se reprendre. Il a besoin dune priode de convalescence pour se remettre, non seulement de sa nvrose, mais aussi de la thrapie qui est une exprience difficile. Le fait de devenir tout coup normal, aprs avoir vcu des annes dans un tat irrel, constitue un bouleversement total. Il faut du temps pour en jouir pleinement.
Rapports avec les parents
Ce que la thrapie primale modifie pratiquement tou- jours, cest le rapport du sujet avec ses parents. Ds linstant o leur fils ou leur fille, quel que soit son ge, cesse de lutter pour obtenir leur amour, les parents commencent lutter pour obtenir le sien. Plus le com- portement de leur rejeton est normal, plus les parents se dsesprent. Il ne faut pas oublier que lenfant nvros est une dfense pour ses parents. Il servait apaiser leur souffrance. Il tait le repoussoir qui leur donnait le sen- timent quon se souciait deux. Cest lui quils dni- graient pour se donner une supriorit. Ctait elle, la fille attentionne, qui soccupait de sa mre. Quand les parents nont plus de coups de tlphone, de visites ou de lettres attendre de leurs enfants, ils commencent ressentir leur propre souffrance, le vide de leur vie et leur propre insatisfaction. Alors ils entreprennent une lutte pour que leur enfant redevienne ce quil tait initia- lement. Car en ralit, cest le pre ou la mre nvro- tique qui est le petit enfant ayant besoin de conseils, de tendresse et de tout ce quil na pas obtenu de ses propres parents. Comment se fait-il que lenfant devienne le symptme nvrotique de ses parents ? Pourquoi les parents ne sen prennent-ils pas dautres ? Comme lenfant est le plus dnu de dfenses, les parents ont moins besoin dutiliser leur propre systme de dfenses son gard. Autrement dit, le pre ou la mre est davantage enclin dcharger ses vieux sentiments rprims sur un enfant qui na aucun pouvoir, et ne peut en aucune manire le menacer. J e crois que le meilleur moyen de connatre un individu est de regarder quels rapports il entretient avec ses enfants. Ceux qui ont souffert dans leur enfance, parce quon leur donnait le sentiment dtre sans valeur et davoir presque toujours tort, tenteront tous les jours de leur vie de parents de se donner limpression quils ont raison en donnant tort leur enfant et de se donner de limportance en faisant sentir leur enfant son manque dimportance. Ou bien, ils adopteront une attitude diffrente, mais tout aussi malencontreuse, en poussant lenfant se donner de limportance de ma- nire se sentir eux-mmes importants. Que ce soit par dacerbes critiques ou par de fermes conseils, les pa- rents essaient dutiliser un enfant sans dfense pour satisfaire leurs propres besoins frustrs. Ce processus aboutit ce que lenfant perde de vue soit coup de ses propres besoins dans le dsir pressant de satis- faire ceux de ses parents. Les parents de malades ayant suivi la thrapie primale vivent souvent des priodes dramatiques. La plupart du temps ils se fchent, font une dpression ou tombent malades. La mre dune jeune femme dune vingtaine d'annes tomba gravement malade et dut tre hospitali- se pour un mal dont on ne put jamais trouver le dia- gnostic. Ce mal disparut de lui-mme ds que sa fille fut son chevet. La mre dun jeune homme qui, avant la thrapie, tait plutt effmin, sirrita de son agressivit et lui demanda tout haut : Mais quest-il donc arriv mon gentil garon ? La mre dune autre malade fit une grave dpression parce que sa fille dcida de ne plus lui rendre visite toutes les semaines et daller faire ses tudes ailleurs. Cette mre avait toujours vcu travers sa fille et lide de se retrouver seule au monde lui tait insupportable. Aprs la thrapie, le sujet a beaucoup de difficults tolrer lirralit de ses parents et dans la majorit des cas, il a tendance sloigner deux pour viter un con- flit inluctable. Les parents nvrotiques ne se proccu- pent pas de savoir ce que sont rellement leurs enfants; ils leur attribuent une personnalit en fonction de ce dont ils ont besoin pour apaiser leur propre souffrance. Un patient ma dclar : J tais un orphelin avec pa- rents. Ctaient les parents dun moi artificiel quils avaient invent, et personne ne se souciait de mon moi rel. Les difficults commencent au cours du primal, quand le malade dcouvre ses dsirs rels, qui en gnral ne correspondent malheureusement pas aux dsirs de ses parents. Cest une priode dramatique et difficile aussi bien pour le malade que pour ses parents. Le malade ne devient pas dlibrment cruel. Il ne cherche pas mettre ses parents devant leurs fautes. Cela signifierait quil espre encore les voir reconnatre leurs torts et devenir des parents affectueux; or, il ne faut pas sy attendre. Le malade ne cherche plus changer ce quils sont. Il va avoir une vie indpendante, et personne dentre nous ne peut esprer davantage. J ai le souvenir dune malade qui avait toujours servi dintermdiaire entre son pre et sa mre qui se querellaient constam- ment. Lorsquelle abandonna cette charge de mdiateur, elle constata quils sentendaient pour la premire fois. Il peut arriver que lenfant soit valoris aux yeux de ses parents du fait quils ont lutter pour obtenir son affection. Tant que lenfant tait considr comme allant de soi, on ne lui accordait aucune valeur. Mais quand, la suite de la thrapie, il devient une personne relle et indpendante, il voit ses parents se mettre lui tlpho- ner ou lui rendre visite plus souvent. Les parents ne se rendent pas compte que cest en les laissant vivre leur propre vie, bonne ou mauvaise, que leur enfant, qui a peut-tre dj atteint la quarantaine, leur accorde un amour vritable. Avant la thrapie, les parents mesu- raient lamour filial quantitativement : combien dinvitations, combien de coups de tlphone, combien de cadeaux et quel en tait le prix ? Quand lenfant ne soccupe plus de quantit, mais offre la qualit du sen- timent, les parents nvrotiques ne savent pas comment ragir, parce que les sentiments de leur enfant nont jamais compt pour eux. Sil le dsire, le malade est en mesure aprs la thra- pie, de nouer avec ses parents une relation de lutte. Une fois quil peut saccepter lui-mme, il peut accepter ses parents. Il se rend compte que le fait dtre oblig un comportement nvrotique est une condamnation vie et que personne ne le choisit volontairement. Il a une com- prhension profonde de la souffrance de ses parents cause de sa propre exprience. Il sait queux aussi ont t des victimes. Le rle de parents est un rle difficile. Les parents doivent former lenfant en fonction de lui-mme et non en fonction de leurs propres besoins. Ce sont les besoins insatisfaits du pre ou de la mre qui dtermineront sils seront capables dtre des parents cratifs. Peu importe quils soient psychologues ou psychiatres, sils cachent encore au fond deux-mmes ces besoins insatisfaits, lenfant souffrira. Plus son pre ou sa mre auront d faire defforts pour touffer leur personnalit afin de se concilier leurs propres parents, plus lenfant souffrira. Ce que les parents voient dans leur enfant, ce sont leurs propres besoins et lespoir de les satisfaire. Lenfant nest pas pris en considration pour ce quil est. Ce phnomne dbute avec le prnom qui est donn la naissance : appeler un enfant Perceval , cest placer en lui certains espoirs. Il arrive aussi que les parents soient des gens fort bienveillants qui sefforcent de leur mieux, mais qui, malgr tout, ne peuvent sempcher du fait de leurs besoins anciens, dtre perptuellement sur le dos de leurs enfants. Une malade fit un primal de ce genre et scria ladresse de sa mre : Cesse de parler ! J e veux avoir lesprit en repos et penser par moi-mme. Elle avait une mre qui parlait tant quelle ne la laissait pas avoir ses propres penses. Ds quil y avait un instant de silence, si court ft-il, et que lenfant avait lair pensif, la mre lui demandait quoi elle pensait. Etant donn que le pre ou la mre nvrotique reporte ses propres besoins sur son enfant, lenfant qui souffrira le plus sera celui dont les parents ont les besoins les plus importants. Le pre (ou la mre) qui a laction la plus destructive nest pas lexcentrique cingl , mais celui (celle) qui a des ambitions pour son enfant. En effet, ces aspirations empcheront lenfant dtre lui-mme et il sera pleinement occup satisfaire les besoins de ses parents. Les parents qui dtruisent lenfant sont ceux avec qui il doit marchander : J e ferai ceci si tu fais cela. Cest un amour sous condition, et la condition de lamour est que lenfant devienne nvros. Aprs la thrapie, le malade souffrira encore, surtout de la violence et du mal quil voit tout autour de lui, mais il ne sera plus nvrotique. Il sera affect par tout ce qui lui arrive sans que, pour autant, ses expriences provoquent en lui un clivage. Bref, au lieu de ragir par la tension, il ragira par le sentiment. Ce sera un tre humain vulnrable et directement affect par tous les stimuli quil rencontre mais il ne se laissera jamais submerger par eux, parce quil disposera toujours de son moi rel. J e crois quil va construire un monde nouveau un monde rel qui apporte des solutions aux pro- blmes rels de ses habitants.
GARY
Nous exposons en dtail le cas de Gary pour montrer la thrapie primale luvre. Nanmoins, le texte de son journal a d tre court pour des questions de place. Au dbut du traitement, Gary avait une nette tendance la paranoa. Au cours de la premire sance de groupe, il eut une dispute avec un autre membre du groupe : il tait persuad que celui-ci et moi-mme avions conspir contre lui pour quil se sente exclu. Il dissimula cette impression dexclusion par la colre. En mettant fin cette colre, nous le conduismes sa souffrance relle, le dtournant ainsi de la paranoa. J appelais Gary le bagarreur des rues parce quil avait pass la majeure partie de son adolescence se battre sur le pav. Main- tenant il ne peut plus se mettre en colre . Ce chan- gement se reflte sur son visage et dans sa manire de parler. La premire fois que je lai vu, il avait lair dun dur . Aujourdhui son apparence et sa faon de parler sont, caractrises par la douceur. Avant la thrapie, il avait les paules votes, ce qui entranait un problme de colonne vertbrale. Aujourdhui ce problme a dispa- ru, et il se tient droit.
25 fvrier
Aujourdhui, jai explos, pour la premire fois. J ai eu limpression que ma poitrine sallgeait dun norme poids et que je ntais que dbordement. Tout schappait de moi en vagues, jets et torrents... et je ne me souviens pas davoir quelque moment que ce soit, prouv lenvie consciente de retenir tout cela. J e ne suis pas sr de me sentir purg de toute faon ce nest probablement pas le mot qui convient mais je me sens plus lger, un peu moins accabl, un peu moins mal laise. Aprs, je me suis senti vid, priv de toute nergie, moins hostile. Sans colre envers qui que ce soit. Il me semble que ce dbordement sest dclench de lui-mme; en tout cas, je ne me souviens pas de ce que jai pu faire ou de ce que J anov a fait pour lamorcer. Mais je suis sr que ce truc maudit voulait se dclencher depuis dix-huit ans et que je lai toujours rprim. Et aujourdhui, jtais pris dans ce flot, emport comme on lest par un orgasme, pressurant au maximum chaque instant que je remplissais de cris de colre, de lamenta- tions, de gmissements, de sanglots, dinjures et de hurlements. J e vomissais des choses que je croyais avoir acceptes une fois pour toutes et loignes de mon es- prit depuis bien longtemps; maintenant je sais que je navais fait que les emmagasiner au fond de mes en- trailles et que tout au long de ces annes, elles mavaient rong intrieurement. J ai dit des choses que javais eu envie de dire des milliers de fois auparavant, mais que chaque fois, javais refoules violemment. Ce soir, je ressens quelque peu cette solitude et cette souffrance que javais essay dcarter. Maintenant jai compris que la souffrance est un phnomne physique et que lorsque lon est contraint de la mettre au jour, on strangle parce que cest tellement curant de la re- vivre. Au bout de tant dannes, la souffrance que jai accumule en moi doit tre pourrie, putrfie et veni- meuse, mais je sais quil faut que je lextirpe de moi si je veux avoir une chance de mener, pour changer, une existence convenable. J prouve toujours des difficults tre seul avec moi-mme. Aujourdhui, jai somnol de midi une heure, puis je suis rest seul avec moi-mme jusquau dner. J e ne peux toujours pas arriver ressentir vrai- ment les choses : je me retrouve toujours en train de me creuser la tte pour trouver de quoi occuper mon esprit, un fragment de pome ou un refrain de chanson. J e crois que je continue lutter contre moi-mme pour viter de ressentir des sentiments. Le plus difficile est de rester seul, je crois que je suis en train de comprendre que ma compagnie est fort ennuyeuse. La fin de laprs-midi na pas t trop pnible. J e suis rest presque tout le temps allong sur le dos; jessayais de revivre tout ce que jai vcu aujourdhui, mais je ny arrivais pas. J ai rejoint le groupe dans la soire, je suis arriv avec dix minutes de retard et J anov ma enguir- land en disant : J e ne parle pas de lheure telle que lentend le nvros. J e ny avais jamais pens de cette faon-l. Avec le groupe, ctait autre chose; maintenant je sais quel point je suis malade parce que jai vu tous ces gens qui n'avaient ni peur ni honte de sallonger par terre et de faire leur truc. Un type a fini par me nouer les tripes et je me sentais lutter pniblement au fond de mes entrailles, mais je ne pouvais rien sortir. En mme temps, je ne suis pas sr que quelquun l-bas ait fait monter quelque chose en moi. J ai de plus en plus cons- cience que je lutte contre moi-mme pour ne rien res- sentir je sens mes entrailles noues, et cen est une preuve suffisante. De retour lhtel, jai essay davoir tout seul un primal. J e nai pas pu, jai vers quelques larmes, cest tout. J ai essay de recrer les conditions qui mauraient permis den avoir un je ny suis pas arriv. J e savais que je souffrais cause du terrible nud que je sentais dans mon ventre, un vritable nud cette fois. J ai essay le truc qui consiste crier : Pa- pa rien. Finalement, un peu plus tard, je me suis masturb et je me suis senti mieux. A tel point que jai refait la mme chose environ une heure aprs. Puis jai encore essay un primal mais sans y arriver, je me sen- tais toujours nou, mais moins fort. Tout cela a dur de 10 heures environ minuit et demi.
26 fvrier
Cest la troisime nuit que je dors mal, je ne rve pas mais je me tourne et me retourne dans mon lit. J e me suis rveill un certain nombre de fois : 2 heures, 6 h 45 et 8 h 15, sans rveille-matin. J e me suis lev 8 h 30. Un petit djeuner lger, cout Bolro une fois, tap ce journal, et je vais rester seul avec moi-mme, jusqu la sance daujourdhui qui est fixe midi. Aujourdhui le primal a t pouvantable. J ai t stu- pfait de voir combien de souffrance javais accumul en moi. Cest ce quil y a dextraordinaire dans cette mthode : vous nen revenez pas de la quantit de poi- son que vous avez pu emmagasiner dans votre corps. Pour ma part, je crois que ce que je fais actuellement consiste crier : Allez vous faire foutre un tas de gens, de toutes mes forces et le plus mchamment pos- sible. J e ne pouvais pas faire a dans mon enfance, parce que jtais sans dfense. Une autre qualit de la thrapie primale cest quelle fait dcouvrir que les sentiments, la souffrance, sont des phnomnes phy- siques : ils sont l, dans vos tripes o ils vous dchirent, entre vos omoplates, dans votre poitrine. Quand vous ouvrez la bouche pour respirer, vous avez des haut-le- cur, la souffrance donne la nause. J e ne pouvais marrter de pester contre mon vieux ou contre ma stu- pide vieille. Puis contre les gosses; je suis content soulag de leur avoir cri tout ce que je leur ai cri. J e suis tellement malade que cela me dgote. J e suis rellement un malade mental. Il faut que je men sorte. Aprs un lger repas de midi, jai pris la voiture pour aller au bord de la mer. J ai d aller la plage des cen- taines de fois, mais aujourdhui, il y avait juste moi et la plage, ensemble et seuls. J ai fait trois ou quatre kilo- mtres pied, fouillant parmi les coquillages et les mor- ceaux de bois chous l, enfonant les pieds dans les mottes froides du sable humide. Le plus formidable tait le vent, un vent dont les rafales traversaient mon man- teau et ma peau, jusquaux os. Ctait patant de respi- rer cet air qui me durcissait les joues. J e ne saurais dire pourquoi, mais aujourdhui, sur cette plage, je me sen- tais rellement vivant, comme cela ne mtait pas arriv depuis bien longtemps. J e me sentais pleinement vivant. Le ct solitaire de lexprience nest plus aussi p- nible. J e dcouvre que je peux rester assis seul plus longtemps, sans mnerver, et je peux passer davantage de temps mintresser ce qui se passe dans mon corps. J e nai plus besoin de bquilles comme la radio ou les livres. Mais je narrive toujours pas passer des heures et des heures ainsi. Ce soir, je vais encore rester seul. J espre que je vais pouvoir dormir, mais en fait, il vaut peut-tre mieux que ce soit encore une nuit gche; cest le seul moyen que jaie de massurer pour la suite de bonnes nuits. J e viens de me rendre compte que mon vocabulaire devient obscne quand je memporte, mais ce nest pas cela qui est intressant, ce qui vaut la peine dtre not, cest que je me mets parler langlais des faubourgs que je parlais autrefois, les interjections bizarres, les frag- ments de questions-rponses et les mots dargot. Tout se passe comme si je choisissais dlibrment le langage dont je sais quils le comprendront. J e crois aussi que je parle un langage vritablement rel pas besoin de chercher le terme propre, le mot qui est prt sortir de mes entrailles doit tre le mot juste. J e viens de penser quelque chose qui me parat si- gnificatif : quand je fais un primal o mon vieux ou ma vieille joue un rle, je donne des coups de poing en lair et je les dirige directement contre leur visage; mais aujourdhui, o il sagissait de mes frres, je ne me souviens pas de lavoir fait. J ai donn des coups de poing dans le divan tant que jai pu, mais je pense quil est significatif que je ne les ai pas dirigs vers eux. De mme, si je me souviens bien, je ne leur ai pas lanc dinsultes. Il y a autre chose qui me tracasse : quand je veux expliquer clairement quelque chose lintention du vieux, jai tendance me donner des coups nom- breux et violents. J e ne me fais pas mal, mais cela mennuie en quelque sorte de voir que je me bats, et pourquoi donc ? Cest sans doute parce que je me sens coupable; jai un tel sentiment de culpabilit que je me suis vu cherchant des excuses pour mes parents, es- sayant dexpliquer ce quils sont. Mais quoi quils soient ou aient t, J anov a raison de dire quils mont fait mal, et cette ralit est suffisante. J e le sais parce que je porte en moi la souffrance.
27 fvrier
La nuit dernire na pas t mauvaise du tout. J ai dormi dun bon et profond sommeil. J e ne sais pas si cest bon ou mauvais pour la thrapie. J ai t seul pen- dant un peu plus de quatre heures daffile et elles sont passes relativement facilement. J ai essay plusieurs reprises davoir un primal, mais je nai rien pu sortir que des larmes. A mon avis, la sance daujourdhui sest bien passe. J e nai pas t aussi violent que ces trois derniers jours. Mais j'ai tout de mme cri, donn des coups de poing en lair et gesticul dans tous les sens. Il semble que depuis deux jours jarrive mieux faire des connexions. J e ne sais pas si je suis cens le faire, mais jai remarqu que je parviens, ayant compris une chose quelconque, la relier tout ce qui sy rapporte. Pas de crises de larmes aujourdhui; mes sentiments ne me portaient pas pleurer. Quand je dis sentiments , je veux parler de la pression physique qui vit en moi. J e dis vit , parce que si je me laisse aller cette pres- sion et la laisse semparer de moi, elle schappe de moi comme un torrent jaillissant immdiatement dans un rythme rapide. J amais plus je ne mettrai en doute ou en question le fait que les sentiments sont des phnomnes physiques rels qui se produisent en moi et se manifes- tent lextrieur si je me permets de les ressentir et si je les laisse sortir. Fait trange : quand jai ressenti un sentiment un certain nombre de fois, il mabandonne en quelque sorte. Par exemple, aujourdhui je nai pas prouv le besoin de pleurer de solitude, alors que ces deux derniers jours ce sentiment-l dchanait des crises de larmes. Aujourdhui, je me suis content den parler. J e ne sais trop comment interprter cela. On peut envi- sager deux significations : ou bien 1) je bloquais ce sentiment, ce dont je doute, parce que J anov sen serait aperu; ou bien 2) le sentiment et moi nous pouvons vivre ensemble sans que jaie en pleurer, si cela veut dire quelque chose. J e veux dire la chose suivante : prenez par exemple une femme qui doit assumer le sentiment de perdre un sein parce quelle a un cancer, elle en pleure sans fin, en prouve un dsespoir profond, puis subit lopration; mais elle peut vivre avec la dou- leur de la perte ds quelle a compris ou ressenti la dou- leur. J e crois que cela tient debout. Ce quil y a eu de moche aujourdhui, cest quil ma fallu avouer que javais menti J anov. J ai ressenti une douleur larrire du crne et derrire les oreilles. J anov ma dit que ctait une pense non ressentie . Nom de Dieu, ctait vrai; la pense en question tait la cons- cience davoir menti et de le cacher et la douleur prove- nait du fait que je ne ressentais pas le sentiment, bref jtais malade. J e finis par avouer que javais dormi chez moi au lieu de dormir lhtel et la douleur disparut presque immdiatement (deux ou trois minutes aprs avoir dit la vrit). Bien sr, par l jai rendu ma thrapie plus difficile. J e lai fait cause de largent pour conomiser comme mon pre. Mais sil savre quen dpit de tous mes efforts dsesprs pour ne pas ressembler mon pre je lui ressemble par dautres traits encore que ceux que je connais dj, je vais vraiment tre en rogne contre moi-mme pour mtre laiss gagner par le mal ce point-l. Ce quil y a dextraordinaire en thrapie primale, cest que lon ne peut pas mentir au thrapeute; plus exactement, on peut lui mentir, mais ensuite on se torture jusqu lui avouer la vrit. On finit par ne plus avoir envie de mentir. Cela sera vraiment une bonne chose pour moi car jai presque toute ma vie t un menteur habile et je voudrais vraiment que cela cesse. Aujourdhui, je suis rest seul de 1 h 45 5 h 30 et de 6 heures minuit. a na pas t trop pnible, mais peut-tre aussi ne fais-je pas assez defforts, parce quil me semble que la thrapie devrait comporter davantage de douleurs et de souffrances. Mais cest peut-tre jus- tement ce qui ne va pas chez moi, jai sans doute limpression que je devrais me punir de quelque chose.
1 er mars
Samedi matin, jai t plutt irrit et susceptible la sance de groupe. Le premier type qui a fait un primal a fait natre en moi beaucoup danxit jai eu brus- quement l'estomac serr, la gorge sche et tout mon corps cherchait la dtente. Quand J anov ma fait signe, jai pris mon tour avec plus de soulagement que de peur. J ai fait du mieux que j'ai pu, mais je ne sais pas ce que cela valait. Ctait une exprience fantastique ! J e veux dire que ctait la premire fois de ma vie que jentendais tant de gmissements, de hurlements et de lamentations, et rien de tout cela ne ma terrifi. J e sem- blais en faire partie, jen tais, un point cest tout. Les cris dune personne dclenchaient ceux dune autre, et ds que tout semblait se calmer un peu, quelquun dautre sy mettait et tout recommenait. Finalement tout se calma sans quun signal ait t donn, cela sem- blait trouver une conclusion naturelle. Cest encore un trait unique de la thrapie primale : le thrapeute ne seffondre pas au moindre cri ou au moindre gmisse- ment de son malade, au contraire, il les encourage. On voit J anov passer dlicatement par-dessus ces corps prostrs, sadressant gentiment lun, puis lautre, tandis quautour de lui les malades pleurent et crient leur souffrance. J e ne sais pas ce qui ma retenu dclater de rire devant un pareil spectacle ctait simplement trop irrel ! Cest alors quil mest venu lesprit que ctait ma vie ma vie conditionne qui mavait fait considrer ce genre de choses comme ir- relles. En fait il ny a rien de plus rel que ces manifes- tations de la souffrance humaine profonde. Il ny avait que toute mon ducation stupide qui disait non, on ne pleure pas quand on souffre, on dissimule sa souffrance comme un bon petit crtin . Ainsi, ctait rel. Aprs, je me sentis purg, propre et fatigu. J e ntais pas par- mi ceux qui avaient pleur le plus, mais javais pleur davantage que dautres mais mme cela na gure dimportance. J e suis all la plage et comme je voulais me faire plaisir, jai achet des palourdes et des coquilles Saint- J acques. Le type qui les vendait parlait comme un mou- lin paroles et nen finissait pas. Du moins, jai eu limpression quil nen finissait pas, mais cela na peut- tre dur que quelques minutes. Toujours est-il que je me sentais devenir impatient et nerveux, je me sentais impuissant, j'avais la gorge serre et mal au ventre. Tout ce que je voulais, ctait sortir et retourner sur le sable au bord de leau, pour sentir lodeur de la mare et re- garder les vagues me caresser les orteils. J ai mme envisag un moment de le planter l, au beau milieu dune phrase en lui laissant les coquillages bien enve- lopps, que je navais pas encore pays. Mais je ne lai pas fait. J avais envie rellement de moffrir moi et Susan, ma femme, quelque chose de bon pour changer. Aprs le dner, je suis all dans le salon pour quelques heures, il ne sest pas pass grand-chose, mais je me sentais assez dtendu. J ai regard Les Fraises Sauvages et jai pleur. J e ntais pas prpar cela, a me venait comme a. J e crois que cest le rapport de lhomme avec son pre (le mdecin) qui a dclench quelque chose en moi et le mdecin lui-mme, inca- pable de ressentir et touffant le sentiment chez son fils, a galement rveill des sentiments en moi. J e me suis couch 2 heures, aprs tre rest dans le salon un cer- tain temps.
3 mars
Dbut de la deuxime semaine de thrapie indivi- duelle. Les cinq dernires nuits (except la nuit de ven- dredi samedi), jai dormi dun sommeil que rien na troubl. Cependant, il y a quelque chose de chang. Avant le dbut de la thrapie et trs longtemps avant (cela me parat des annes), javais en quelque sorte un sommeil de drogu : cest--dire que je dormais non seulement comme une souche, mais quil tait aussi dur de me rveiller quune souche. J e crois que jutilisais le sommeil pour fuir ma souffrance et mes problmes. Cest surtout au cours des derniers six mois que le sommeil ma servi de refuge. Mais maintenant, jai un sommeil sain, qui me repose vraiment et je suis vite veill et le fait de sortir du lit ne me parat pas une torture. Autre chose : admettons que je vive encore une tren- taine dannes et que je continue fumer, au rythme o je le fais actuellement (un paquet et demi par jour), jaurai dpens environ 6 000 dollars (24 000 30 000 francs). Mme si le traitement me cote quelques mil- liers de dollars, jaurai conomis mon argent et ma sant parce que jaurai appris marrter de fumer. J e me suis dailleurs dj arrt et il se peut mme que je vive encore plus dune trentaine dannes. La sance daujourdhui a t assez bien. J e dirais presque agrable , mais ce que je veux dire, cest que je sais que je fais quelque chose qui doit maider re- trouver ma sant mentale. Il y a quelque chose dtrange propos de ma famille : joscille leur gard entre la haine et la tristesse, puis la piti, le mpris et la colre, puis je me mets les dfendre, puis les har de nou- veau, etc. Cela tait et est toujours trs troublant. Main- tenant je sais quils sont ce quils sont et ce quils ont toujours t. On ne pourra jamais rien y changer. Rien ne pourra jamais effacer la souffrance et la peine quils mont causes. A ce sujet, jai dcouvert quelque chose de nouveau : moi aussi je leur ai fait du mal, peut-tre pas dune faon aussi profonde et aussi nfaste, mais je leur en ai fait aussi. Mais, pour moi, ctait lorigine une attitude dfensive qui nest devenue offensive que par la suite. Cest eux qui ont commenc minfliger la souffrance, loppression, la solitude. Et ce quil en r- sulte aujourdhui, cest simplement la tristesse, un grand gchis, une tragdie. Maintenant je ressens la tragdie terriblement triste des tres qui vivent ensemble dans un espace restreint et qui se font rciproquement si mal quil en reste des cicatrices. Maintenant, je sens quel point tout cela est profondment triste. J e veux dire que jen pleure de grosses larmes qui ne sont pas des larmes damertume mais de simples larmes de pure tristesse. Ce nest plus ma jeunesse perdue ou ce qui aurait pu ou d tre que je pleure, comme je le faisais la se- maine dernire. J e pleure simplement parce que je res- sens la terrible tragdie humaine, le gchis et la douleur. Aujourdhui, jai tlphon mes parents. Au dbut, quand mon pre a rpondu je navais plus de voix. J ai fini par pouvoir parler et je suis un peu tonn davoir pu mentretenir avec cet homme avec autant de facilit. Avec ma mre, ce ntait pas tout fait pareil. J e lui ai dit dans le courant de la conversation que javais une dpression. Elle ne mentendait pas, cest--dire quelle a appris ne pas mentendre et quelle ne voulait pas entendre a. J e ne sais pas ce qui se passe dans sa tte, cest quelque chose du style mon petit enfant ne peut pas seffondrer... . Puis je lui ai clairement expliqu que je mtais effondr aussi bien physiquement que mentalement, ce moment-l elle montra ce quon pourrait appeler de lintrt, sans toutefois salarmer. Elle reprit ses ternelles expressions de bonne femme du genre tu ne peux pas continuer en faire toujours plus que ton corps nen peut supporter , je dis toujours arrivera ce qui arrivera , ou bien il te faut prendre soin de toi . Dune faon gnrale, on ne peut dire que a ait t trs satisfaisant. J ai pass la fin de laprs-midi seul, me dtendre. Susan ne se sentait pas trs bien ce matin de sorte que javais dcid de faire le dner. J ai prpar du riz au curry, des coquillages et de la salade. Les palourdes taient excellentes; je commenais les prparer juste quand elle arrivait, de sorte quon a pu les regarder ensemble souvrir la vapeur. J ai fait un tas de plaisan- teries idiotes, imaginant que les coquillages taient de vritables personnes, quelles taient horribles, etc. J ai fait le fou un bon moment, et pour la premire fois de- puis bien longtemps, je me suis senti insouciant et lesprit foltre. J ai pass la fin de la soire seul.
4 mars
Au cours de la sance daujourdhui, jai t trs trou- bl en cherchant ce que je ressentais rellement lgard de mes parents. J e ressens la douleur de la souf- france, la souffrance de la souffrance, et la souffrance de la tristesse. Maintenant je peux sentir quel point le drame humain, tout ce gchis, est triste rellement triste. J e crois quhier jaurais voulu que ma mre mani- feste un intrt pour moi. J e sais que si mon fils mavait tlphon en me disant quil avait eu une crise de d- pression, jaurais t prt faire nimporte quoi, tout ce quil aurait voulu. Cest ce moment-l que jai ressenti quelque chose pour ma mre, quelque chose qui me disait quelle ne savait plus avoir de sentiments ni comment ragir. En partie, je me faisais des reproches ce sujet, me disant que dans le pass, bien souvent, javais repouss son affection, que ses conseils ne me semblaient pas dun grand poids, et que la plupart du temps ils me paraissaient ridicules. J tais troubl, je ne savais plus qui parler et en quels termes. Tout ce que je ressentais, ctait limmense tristesse de tout ce d- sordre. J ai oubli de mentionner quaprs avoir tlphon ma mre, hier, javais appel mon frre, Ted. Avec lui la conversation ressembla pendant une ou deux minutes un dialogue de fous. J e racontais Ted ce quil en tait de la thrapie et o je voulais en arriver. Il fut tonn. Il me demanda en particulier pourquoi jy allais. J e lui expliquai combien jtais malheureux et quel point je me sentais un rat. Il ne me comprenait pas. J e lui dis de se souvenir de mon attitude Brooklyn, quand je le battais, que je les perscutais, lui, Bill et tous les autres, et que jtais cruel, irritable, entt, mchant. Sa rponse me stupfia. Il dit : Mais tous les frres font a. Tous les jeunes y passent. Il tait incapable de comprendre le problme important ce que a signifie davoir vivre avec toute cette souffrance non ressentie, leffet que cela a sur le corps et lesprit dun homme. J e le lui fis remarquer. Il me rpondit que chaque fois quil se sentait merdeux, il pensait toujours quil avait de la chance de ne pas se trouver dans une situation encore pire. J e suppose quainsi il croit faire disparatre ses problmes, mais jai de gros doutes. Il est probable quil avale sa souffrance comme tant dautres et quil conti- nue vivre avec cette souffrance non ressentie. Il pour- suivit en me faisant remarquer que nous avions tous deux, ainsi que tous les membres de notre famille, de la chance de ne pas tre dans une situation encore pire; il me dit que nous avions la chance de navoir pas perdu nos parents dans un incendie ou dans un accident de voiture. Pendant un moment, il me fit vraiment penser que jtais en train de mapitoyer sur moi-mme. Mais ensuite, je me rendis compte de ceci : ce qui est rel, est rel, et la souffrance qui rsulte du fait quon a t bles- s est relle et le processus qui consiste sen dfendre mentalement ou se protger contre toute souffrance supplmentaire, en ne ressentant rien, est aussi rel. Et cest cette ralit que jtais prcisment en train de combattre. Par consquent, il ne mest daucune utilit de penser que je suis heureux en comparant mon mal- heur un malheur thorique et abstrait. Cela naide pas ressentir. Penser non pas ressentir que les choses pourraient tre pires, nest rien de plus quun jeu de lesprit. Autrement dit, ce que fait mon frre ou ce quil dit quil fait revient une sorte danesthsie : pour ne pas ressentir sa souffrance, il invente quelque chose quoi il peut rflchir. Si tous ceux qui souffrent pouvaient tout simplement allger leur souffrance en imaginant que les choses pourraient tre pires, ce serait fantastique, mais a ne marche pas comme a. Pour liminer la souffrance de son organisme, il faut la res- sentir, la revivre ou ventuellement la vivre pour la premire fois. En tout cas, au cours de la sance jai parl de cette conversation J anov. En ce moment mme, jai tou- jours cette terrible confusion dans mon esprit. J ai commenc prouver la douleur, cette mme douleur que jai peut-tre dj ressentie des milliers de fois. Cest quelque chose qui vibre en moi et qui me harcle. En gnral, elle se manifeste quand je suis en tat de perturbation, dirritabilit, de mauvaise humeur ou dindcision. Autrement dit, cest quand quelque chose me tracasse ou que jai une dcision prendre et que je ne peux apparemment, pas faire le ncessaire. A ce moment-l, je ressens cette douleur dans ma tte et ce nest pas la douleur elle-mme, mais lide que jen ai provoqu la manifestation, qui me plonge dans un tat dagitation profonde, au point que jen viens crier, vouloir tout prix me faire entendre, taper sur quelque chose, etc. En gnral, je men dbarrasse en laissant exploser mon malaise, puis je mallonge pour me d- tendre et rcuprer. Aujourdhui, quand jai ressenti la douleur, je suis devenu irrit, maussade, nerv; lagitation a gagn tout mon corps je me suis mis trembler spasmodiquement. Disons que je me sentais comme pris dans une sorte de cocon lastique et que jusais de mes bras, de mes poings, et de tout mon corps pour tenter den sortir. J e voulais voir clair ou prendre une dcision au sujet de cet tat de confusion lgard de mes parents. Mon agitation croissait, et quand J anov me demanda de dsigner le sentiment que je ressentais, je dis nervosit , parce que je pensais, je sentais, que ctait le mot qui convenait le mieux pour dsigner la fois irritabilit, mauvaise humeur, panique lgre, frus- tration, souffrance et douleur. Il dit alors torture . Et ce foutu mot tait bien le plus adquat. J tais tortur par moi-mme, par mes penses, par mes sentiments et par la douleur. Au bout dune minute tout au plus, la douleur disparut de ma tte. Laprs-midi, je suis all voir Ted. Il est sans travail, il se sent perdu, il est effectivement perdu. Cest tout ce que je peux dire. J e laime beaucoup mais actuellement, je ne peux pratiquement rien pour lui. Ce dont il aurait besoin, cest dun subside pour sa famille, mais je ne peux pas le lui donner. J e suis rest presque tout le temps lcouter et cest lui qui a parl presque tout le temps. Il tait compltement dans le cirage, ne sachant pas comment sy prendre, cherchant un travail dans une station service : Parce que cest le seul boulot que je sache faire. J e ne comprends pas ce quil lui arrive pour quil ait des vises si courtes. Est-ce quil na au- cune ambition ? J e crois quil est compltement foutu. On ne peut en prouver que du chagrin. Dans la soire, jai rflchi au fait que jai limpression de ne pas faire de progrs. J e veux dire que jai arrt ces hurlements fous furieux; maintenant il me semble que a ne progresse pas assez vite. J anov ma dit nouveau que ctait l ma maladie, de toujours vouloir faire les choses bien, dessayer toujours dexceller, de bien faire absolument tout ce que je fais. Mais que diable, quest-ce que jai prouver ?
5 mars
Aujourdhui cela a vraiment t trop terrifiant, trop terrible. J ai commenc par parler de fantasmes homo- sexuels, de la visite que jai faite mon frre hier. Nom de Dieu, quest-ce qui cloche chez moi ? J e ne suis pas son pre et je nai aucune raison dagir comme si je ltais cest morbide. De toute faon, je voulais en venir ces histoires dhomosexualit parce que je soup- onnais (je savais, je sentais) que jtais victime de cette chose insense, comme beaucoup dautres Amricains. J e voulais savoir exactement, au fond de mes tripes, o jen tais, une fois pour toutes. Cest de la foutaise de dire que tout homme est n dun homme et dune femme et que par consquent, il porte fatalement en lui une part de fminit qui lui est hrditairement transmise. Cest ce fatalement qui est de la foutaise, a na rien voir avec le problme. J en suis sr. Terrifiant, il ny a pas dautre mot. Si lon mavait demand ce que je pensais de ma premire sance de thrapie primale, jaurais dit quelle mavait terrifi . Mais aprs ce qui sest pass aujourdhui, le premier jour me parat peine effrayant, parce quaujourdhui, jai vu et senti la terreur. Donc, je me suis lanc sur ce sujet, et cela ma conduit un tat dagitation et quand J anov ma dit de nommer mon sentiment, jai dit : Il dit peur . Cest littralement ainsi que a sest pass, je veux dire que ce nest pas moi qui ai dit peur , cest la PEUR qui a dit peur . Est-ce que a parat fou ? Ce ne lest pas. En thrapie primale, le sentiment rel semble se nommer lui-mme, vous ne faites que mettre les lvres dans la position voulue et vous laissez le mot venir du fond de vos entrailles, travers les cordes vo- cales, et il sort par la bouche. Le sentiment se nomme lui-mme, il est ce que je dis. Le mot, qui est le senti- ment lui-mme, jaillit des entrailles ( la condition quon ne len empche pas) et se dsigne lui-mme. Cest rellement ainsi. En dautres termes, il est impos- sible en thrapie primale, de mentir sans le savoir. Bien sr, on peut mentir si lon veut, mais on sent que lon a menti et il faudra que cela vienne la surface. Hier jai fait exactement la mme exprience avec le mot /chose/souffrance haine . HAINE a jailli de ma bouche. Bon. J ai continu. Au bout dun moment, jai dit : Peur je suis un pd. Ctait incroyable car ce ne sont que des mots, mais je ne savais pas moi-mme exactement ce que javais voulu dire. Cela pouvait tre : 1) Peur ? J e suis un pd, comme si je madressais en quelque sorte la peur elle-mme. Ou cela pouvait tre : 2) Peur dtre un pd, o jomettais le trs important jai . Puis J anov ma ordonn de dire mon pre que jtais un pd. Mais peu prs ce moment-l, tout a ma chapp. J e parie que javais une telle frousse que je fuyais tous les sentiments que je sentais se former dans mes tripes. J ai pass la demi-heure suivante me tortu- rer. J e pleurais et criais et ctait en effet rel. Mais ce qui est tonnant cest que aprs chaque primal, javais en quelque sorte la gueule de bois, la conscience et le sentiment que ce que javais fait ntait pas ce que jaurais d faire. Ctait absolument fantastique. Mon moi me disait que je ne venais pas d'avoir un vritable primal, et que la grande preuve que je devais affronter tait encore venir. A un moment donn, jai eu limpression den tre trs proche, si proche que jai eu un haut-le-cur et que jai cru que jallais vomir. J e crois que jai fait trois faux primals avant que mon corps ne me fasse clairement parvenir le message que tout cela tait de la frime et que je ne descendais pas jusquau niveau rel, l o a se passait rellement. Alors jai t pris de panique. J ai pens, tout au moins dit, que je devenais fou. Mais maintenant, je sais pour- quoi je lai dit : cest parce que je narrivais pas com- battre le moi qui me disait quil y avait encore quelque chose qui attendait que je laffronte. En dautres termes, je ne pouvais chapper ce que me disait mon moi et cela me rendait de plus en plus agit. J anov ne cessait de me dire : Abandonnez la lutte. J e suppose quil vou- lait dire que je devais renoncer combattre ce que je savais devoir ressentir. Mais je ne voulais, ou ne pou- vais pas abandonner la lutte. J tais vraiment terrifi. Ce qui me terrifiait pour autant que je puisse en donner une approximation ctait lide tapie en moi que jtais un homosexuel. Dans mon esprit, je me voyais dans les bras de mon pre et je my plaisais. Puis je levais la tte, je voyais un visage dhomme et jtais cur. Ce sont les mots honte , dgot , rpul- sion qui me venaient aux lvres. J e ne sais ce qui ma si compltement dmont. Il se peut que ce soit la cons- cience de jouir du contact dun corps mle, ou le fait den prouver du plaisir. Cela aurait pu tre le sentiment dans mes tripes qui ressemblait au dsir urgent djaculer, car je ressentais encore dans ma bite lenvie dsespre de pisser. J anov a dit que je ne devais pas, parce que cest une manire de me dbarrasser de mes sentiments, par la pisse; comme je veux lui faire con- fiance, je me suis retenu et cela ma rendu trs agit. Cela aurait aussi pu tre le sentiment lbauche dun sentiment dtre comme un objet sexuel, impuissant et pareil une femme. J e crois que cela est trs proche de ce que je ressentais : je commenais sentir que jprouvais du plaisir me sentir comme un objet sexuel fminin tout en hassant ce sentiment cause du dgot, de la honte et de la haine; je ne supportais pas lide outrageante dtre utilis de la sorte. J e relis linstant la phrase prcdente car jai prouv une sorte de rpul- sion en la tapant, au point que je nai plus su ce que je tapais. Et maintenant je vois que jtais agit en cri- vant. Bon, je sais au moins ce qui mattend. Cest l que nous allons , a dit J anov. Vers ce qui est vraiment terrifiant. Mais il sest pass quelque chose dextraordinaire. A un moment donn aujourdhui, alors que jtais sous lemprise de la peur ou de langoisse ou de leffroi, jai commenc sentir le fonctionnement interne de mon organisme, surtout dans la rgion du cur, de lestomac, du ventre et du bas ventre. Vraiment fantastique. J e sentais des scrtions, je sentais les -coups dune sorte de machine pistons, je percevais aussi les mouvements de haut en bas dautre chose. J e sentais du rythme, du mouvement, du calme. Mais ce qui est vraiment excep- tionnel, cest que je ressentais ces choses comme si elles se passaient sur diffrents plans lintrieur de mon organisme; J anov jai parl de couches , mais maintenant je comprends que je sentais le fonctionne- ment dun appareil situ au-dessus dun autre qui lui- mme faisait autre chose. J e ne saurais dsigner les organes que je ressentais, mais je sentais nettement le mouvement, le rythme et une sorte de coordination harmonieuse en moi. Les niveaux ou couches , dont je parle, seraient en gros disposs ainsi : lune verticale et plaque mon dos, lautre verticale et au centre de mon corps, la troisime, parallle aux deux autres et juste sous ma peau : cest par consquent la premire. Prodigieux. La deuxime chose aujourdhui tait que jai relle- ment perdu les pdales; jai hurl que jtais en train de devenir une fille, une mijaure . Par la suite, je suis tomb dans un tat lthargique, comme sil ny avait plus de lutte en moi.
6 mars
J ai pass toute la nuit dernire debout, jai mis le r- veil sonner toutes les demi-heures, afin de ne pas dormir plus dune demi-heure si je mendormais. Il devait tre environ 6 h 30 quand je me suis endormi. J ai rv que je flirtais ou que javais des rapports amoureux avec une femme qui ressemblait plus une trane ou une prostitue qu tout autre chose. Elle avait un con gigantesque que je tenais entre mes mains et que je manipulais et pressais. J avais limpression de tenir une grosse ponge. Puis je la tenais contre le bout de ma verge et la frottais probablement contre moi; ce moment-l, je me suis veill ou demi veill; javais jacul dans mon pantalon et je me sentais, comme toujours, sens dessus dessous. Aujourdhui, jai parl de ce rve J anov, il ma de- mand si mon attitude envers les femmes tait telle que je les considrais toutes comme un tas de cons. J ai dit non, mais dans la suite de la conversation, jai parl de ma mre comme dune connasse et je me suis souvenu que jemployais volontiers ce terme propos de Susan ou de sa mre, et que la veille, je lavais employ dans mon journal. Cela doit bien vouloir dire quelque chose. La sance daujourdhui na pas t aussi terrifiante que je le prvoyais. Ctait comme si je ne pouvais pas des- cendre profondment en moi aujourdhui je ne pou- vais pas crier. J uste quelques larmes. Cela ma troubl car je pensais que cela signifiait que je ne progressais pas. J ai dit J anov que je ne fumais plus et que je nen prouvais plus le besoin (peut-tre encore un tout petit peu quelquefois), que je nai plus lestomac retourn quand ma femme fait quelque chose qui mirrite ou me dsole. J e ne suis plus immdiatement prt intervenir et me bagarrer avec Susan pour nimporte quelle fou- taise. J e vois maintenant notre rapport dune faon dif- frente. Quant la famille, jarrive rester avec eux et les couter sans tre impatient ou intolrant; je nai plus envie de me disputer; cest comme si mes membres taient incapables de se raidir et de devenir agressifs. Il est naturellement ridicule de dire que je ne fais aucun progrs. J ai cess de faire des choses que jai faites pendant des annes; il a suffi de neuf sances pour obte- nir ce rsultat. De plus, il faut noter toutes les petites modifications, les rvaluations mineures et les chan- gements qui samorcent en moi dans de multiples do- maines. J e serais fou de ne pas croire que je machemine vers la gurison. Cela me conduit penser que le malade se complat croire quil est toujours malade, mme quand il est en train de devenir rel et de gurir, parce quil dsire penser quil est toujours malade.
7 mars
La sance daujourdhui a t formidable, tout sim- plement formidable. J e ne me souviens plus comment jai atteint le sentiment rel, mais je sais que jai dabord pass prs dune heure des choses qui ne semblaient rien produire en moi. J ai fini par accder au sentiment de solitude, disolement. Il mest venu lesprit que les philosophes, les existentialistes et tous les autres ne savaient pas de quoi ils parlaient quand ils essayaient de dcrire la solitude. Nul besoin de tous les mots polysyllabiques dont ils se servent. En dernire analyse, cest de la foutaise. J ai donc commenc approfondir ce sentiment. J 'avais les yeux ferms et cest alors quil sest produit quelque chose de vraiment formidable. J e me suis vu, petit garon de cinq ou six ans, prs de la coiffeuse de ma mre, je levais les yeux vers elle tandis quelle regardait dans le miroir; elle portait un soutien-gorge do dbordaient ses seins et serrait les lacets de son corset. J e ne pouvais la quitter des yeux. Puis je grandissais. Ce processus ressemblait beaucoup la technique dont se servait Walt Disney pour montrer comment pousse une fleur : lacclr. Autrement dit, je me voyais grandir physiquement, cest--dire avoir en un tournemain la taille dun adolescent. Puis je mettais ma main ma hanche droite et je semblais lespace dune minute dire des choses insolentes ma mre. Ensuite, je mattaquais ses nichons. Non tellement pour les sucer, je frottais plutt mon visage contre eux, les passais sur tout mon visage, mais surtout sur mes yeux. Ctait ahurissant; J anov me dit de demander au garon ce quil faisait. J e nobtins pas de rponse. J e lui criai : Mais quest-ce que tu fais donc ? dun ton incrdule. Quon imagine donc : se frotter les yeux avec des nichons ! Il ne rpondit pas et continua encore quelques minutes. J e me mis parler dautre chose, mais de temps autre, je jetais un coup dil au garon pour voir ce quil faisait. Autant dire que pratiquement il existait dans un coin de la pice et quil y faisait ce quil faisait. Mais pour moi, il tait terriblement loin, et je jetais des coups dil de derrire mes paupires closes pour voir ce quil faisait (je le voyais videm- ment avec les yeux de lesprit). Ensuite, le jeune garon se rtrcit de nouveau pour retrouver sa taille denfant. Il tait assis en tailleur, le dos rond, ses petites mains devant son visage, alors que jaillissaient de lui des flots ou des torrents de larmes. Il versait littrale- ment des torrents et des annes de larmes. Alors, jai parl J anov de quelque chose qui sest produit des centaines de fois au cours de mon existence. Quand javais sommeil, je voyais apparatre dans mon esprit des mots dnus de sens que je pouvais lire dans ma tte. Mais comme ils taient inintelligibles et diffi- ciles dire, je ne pouvais pas les prononcer. J avais essay une fois de raconter cela par crit dans The Bald Mucky-bullyfoo et dexpliquer combien ctait amusant. Il pouvait y avoir des mots comme smlplgh, oxwyong, ou hmply. J anov me demanda quels mots je voyais. J e lui rpondis quils taient derrire une sorte dcran ou de rideau comme les rideaux de thtre. Il me dit dcarter ce rideau et de dcrire ce que je voyais. J e me souviens davoir eu des apprhensions et des difficults le faire. J e finis par voir quelques mots et jessayai de les prononcer. Puis je vis une lgende apparatre au- dessus du petit garon accroupi, un peu comme on en voyait aux premiers temps du cinma muet o une femme faisait fonctionner des rouleaux imprims indi- quant au public ce qui se passait sur lcran. Linscription pour le garon disait : J e n-nai r-rien. Ctait ce quil me rpondit quand je lui demandai ce quil avait, pourquoi il pleurait si fort. J e n-nai ri- rien , voil tout ce quil pouvait bgayer dire sangloter. Bbgayerdire. Bbgayerdire. Bbgayer- sangloter. Bbgayersangloter. Tout au long de cette exprience, javais limpression dtre dans un tat de clairvoyance et de sensibilit aigus . J e veux dire que tout en sachant que je me trouvais dans le cabinet de J anov, je voyais et entendais tout ce qui se passait derrire mes paupires, dans le thtre de mon imagination. Ctait une scne trs sym- bolique mais je la comprenais vraiment. Pendant un moment, je dcrivais ce qui se passait lenfant qui versait des torrents de larmes. A ce moment, je pleurai moi aussi, compltement . Puis J anov me demanda : Que voyez-vous dautre ? Et ce fut remarquable. J e voyais ma vieille Nightingale Street bourre de monde, mais je voyais les gens comme les aurait vus une cam- ra, partir de la taille seulement. Ctait comme si je voyais un film de ma rue pleine de monde, ils avan- aient au coude coude par ranges de douze. Tous taient silencieux, imperturbables, sombres et fatigus; aucun deux ne faisait attention aux autres. Alors je compris pourquoi le petit garon navait jamais rien. Il navait jamais reu damour cest ce que je ressen- tais. Il navait jamais reu damour parce que personne ni son pre, ni sa mre navait le temps. Les gens marchaient tous cte cte et signoraient mutuelle- ment, le monde allait trop vite et le petit garon nobtenait jamais rien. J anov me dit de lexpliquer au petit garon pour le consoler. J tendis mon bras droit pour lui donner de petites tapes sur le dos, les paules et la tte en lui disant quil fallait prendre les choses telles quelles sont, quil ne fallait pas quil essaie de com- prendre pourquoi il ne recevait pas damour il nen recevait pas, un point cest tout. Il fallait tcher de faire quelque chose de bien de son existence; aimer une fille et vivre avec elle cet amour, et des choses de ce genre. Pendant une ou deux minutes, je parlais dautre chose J anov. Puis tout coup, lenfant se mit debout et courut vers moi, furieux. Pour courir, il courait. Il semblait courir travers les annes. J e fus pris de peur je ne sais pas pourquoi. J e me mis hurler : Ne tapproche pas, ne tapproche pas de moi, ne tapproche pas. J e donnais des coups de pieds en lair et mettais les mains en avant pour tenter de le repousser. Mais il sapprochait. J e me souviens que J anov me disait : Abandonnez la lutte, abandonnez la lutte. J e mobstinais dire non. J tais en panique et il tait sur moi. Tout coup, il disparut. Il tait presque sur moi, il rentrait en moi et puis il avait disparu. J ouvris les yeux et demandai au comble de la surprise : O est-il ? Il a disparu. J anov me dit de le chercher. J e le fis, je parcourais toute la pice du regard. J e lui dis o je lavais vu pour la dernire fois. J anov me rpondit que lenfant tait en moi. Au fond de mes tripes, je le savais, mais je ne voulais pas le croire. J e fermais les yeux et jessayais de reconstituer toute la scne et de revoir lenfant. J essayais de toutes mes forces, mais, bien entendu, je ny arrivais pas. J e savais o tait pass lenfant et je savais qui il tait. Alors je me mis pleu- rer de tout mon cur. J avais vu ma vie tale sous mes yeux, peut-tre de faon symbolique, mais nanmoins ctait ma vie, cela ne faisait aucun doute. J tais allong, je me sentais vide et mme un peu heureux. Purg et heureux. J acceptais tout ce qui tait arriv il ne me restait rien dautre faire parce que ctait rel. J e crois que ce primal tait un pas dans la direction que je devrais prendre avec tous mes primals. Ctait une torture; mais il devait en tre ainsi. J e restais avec une impression dallgement et de dtente. Cest comme si je mtais dcharg dun fardeau terriblement lourd et douloureux, et maintenant, je me sens un peu plus lger, plus libre. Pourtant, aujourdhui je suis encore rong par le doute, car je pense que je nai pas encore affront les choses terribles que jai abordes mercredi et jeudi. Tout cela tourne autour de la peur de lhomosexualit et jai en quelque sorte limpression que jai vit daller au fond des choses. J ai pass ensuite un certain temps la plage, jai fait une ou deux courses et je suis rentr la maison. Susan ne me parlait pas, ce qui ne ma pas troubl. J e vois de plus en plus clairement quelle est malade. Ce qui me perturbe le plus, cest lgosme avec lequel elle me tourmente alors qu'elle sait pertinemment que toute cette histoire de thrapie primale est terriblement importante pour moi. Malgr cela, elle fait tout ce quelle peut pour me contrarier.
10 mars
La sance daujourdhui a t trs importante. J ai eu, une fois de plus, ce que J anov appelle dune expression extraordinairement juste un coma conscient . Ven- dredi je parlais d tat , de transe , de clair- voyance et de sensibilit aigus , ou de thtre de lesprit . Mais, bien entendu coma conscient est le terme qui convient le mieux. J ai commenc par vouloir raconter tout ce qui stait pass hier. J avais de la peine faire jaillir des sentiments rels. J e commenais tre afflig de ce sentiment dirritation et de mauvaise hu- meur crispante. J e ne pouvais rien exprimer. Ctait un perptuel chec. J e gardai ensuite le silence pendant un long moment. Ensuite, je commenai percevoir le sens de ce qui se passait. Dabord, je savais que la colre cachait une souf- france que je ne voulais pas ressentir. La colre et le djouement sont des tactiques de diversion, que nous employons pour empcher que napparaisse la sensation relle de la souffrance profonde. En dautres termes, les gens se proccupent tellement de combattre leur colre ou leur acting-out quils chappent la contrainte dprouver leur souffrance relle. Cest quelque chose que lon apprend au cours de la thrapie primale, car on en fait lexprience sur le divan et si lon veut vraiment gurir, il ne faut pas chercher fuir le senti- ment/souffrance. J e savais donc que javais bloqu un sentiment. J e ne savais ni pourquoi ni comment. J tais tendu. Et tout coup je compris pourquoi et comment. J eus besoin de pisser. Cest alors que je compris la vrit. J e nprouvais le besoin de pisser que comme moyen dviter ce que je ressentais. Etant donn la quantit de liquide que javais bu au cours des douze dernires heures, je ne pouvais pas avoir rellement besoin de pisser, dailleurs javais dj piss au moins cinq fois. J e ne faisais natre en moi le besoin de pisser que pour chapper une souffrance non ressentie qui me nouait les tripes. J e voulais faire sortir cette souf- france par mon pnis, en dautres termes au lieu de la faire monter, je la poussais vers le bas pour men dbar- rasser. Ctait tellement facile comprendre que jtais tonn de ne pas lavoir compris plus tt. En mme temps je commenais comprendre un certain nombre dautres choses : le fait que beaucoup de gens, tmoi- gnant ainsi de lintrt pour ma sant, mavaient de- mand tout au long de ma vie pourquoi jurinais si sou- vent; dautres mavaient flicit du bon fonctionnement de ma vessie. Foutaise, tout a ! En pissant, je chassais toutes les souffrances et les peines de mon existence. En mme temps, il se passa autre chose. Quand jessayais, la bouche grande ouverte, de faire monter le sentiment, en respirant profondment, je mtouffais puis je fabriquais une petite toux de bronchite. Pour- tant je savais pertinemment que je navais pas de raison de tousser ainsi, puisque je navais pas fum une bouf- fe depuis quinze jours. Cette maudite toux bronchitique tait par consquent encore une tactique de diversion, que mon organisme pratiquait pour dtourner mon at- tention de la ncessit de sentir ma souffrance. J tais compltement ahuri. Etendu l, tranquille, javais dcouvert tout cela et je commenais maintenant tablir des liens entre toutes ces choses significatives. 1) Il y a la souffrance. 2) J e veux viter de la ressentir. 3) Car ressentir est synonyme de douleur. 4) Mon corps cre de toutes pices le besoin de pisser en tant que tactique de diversion. 5) Ainsi je concentre toutes mes forces retenir mon urine. 6) Maintenant, je suis inca- pable demployer mes forces pour maider ressentir mon sentiment rel car elles sont mobilises par la r- tention de lurine qui serait prte couler de mon pnis si je relchais mes forces; et aprs tout je ne peux pas pisser sur le divan de J anov. 7) J e fabrique une pe- tite toux, juste pour tre sr que toutes mes forces sont dtournes. 8) Maintenant, il faut que je me concentre pour me retenir de pisser et de tousser et je nai plus de force pour ressentir mon sentiment, car il faudrait que je relche ma vessie et je ne peux pas faire cela. Par con- squent, je me suis protg de mon sentiment en faisant un pige de mon corps. J e restais tendu l, sidr par cette dcouverte. J e me souviens alors davoir eu, cinq minutes aupara- vant, ce sentiment dirritation et de mauvaise humeur. Maintenant, je me souviens de mtre tir pour me librer de lemprise de lirritation, mais en ralit, je ne faisais que mtablir en elle, faisant le calme en moi. Il y a des annes, des annes que je me leurre ainsi. Bien entendu, chaque fois que je faisais a, je regagnais mon calme. Mais aujourdhui, je savais que ce calme ntait pas d au fait que javais ressenti la souffrance, mais que je mtais en quelque sorte anesthsi pour ne pas la ressentir. J tais toujours tendu et je nen revenais pas davoir fait une telle dcouverte sur moi-mme. J e pas- sai un long moment dans cet tat une vingtaine de minutes peut-tre puis le sentiment rel rapparut peu peu et cette fois, je my laissai aller. Ce sentiment disait solitude . Dites-le ma- man , demandait J anov. J e le fis, mais elle semblait incapable dy changer quoi que ce soit. Elle se tenait l, lair triste et la tte baisse, les bras pendant le long du corps. Dans mon coma conscient, je la voyais. Cela dura une minute ou deux. Puis elle commena sloigner lentement. J e la suivis pour voir ce qui allait arriver, et je lui criai : Attends, ne pars pas. Arrte, reviens. J e maperus que je tendais les mains en suppliant. Mais elle continua de sloigner et de disparatre lentement, puis je ne la vis plus. Ensuite, tout aussi lentement, commena sapprocher de moi une autre silhouette, mais avec une terrible lenteur. J e finis par distinguer quelle ressemblait Susan et sa mre, puis seulement Susan. J e pris peur et je hurlai : Napproche pas ! Elle vint tout droit sur moi et ma mre fut galement l. J e respirai trs fort pendant une minute pour retrouver mon calme aprs la peur que mavait caus la vue de ma femme surgissant de lendroit o ma mre avait disparu. J e devrais signaler ici que ds que le sentiment eut merg, environ cinq minutes auparavant, javais explo- s et cri ces mots qui semblaient sortir du plus profond de moi : Pas lamour ! un besoin morbide jai pous ma mre. J e rptai ces mots un certain nombre de fois, ensuite je neus videmment pas de peine saisir la signification de ce que je voyais. Le thtre de mon esprit extriorisait pour moi le fait que javais pous ma mre sous les traits dune autre femme. Ctait bien entendu quelque chose de terrifiant. Mais je ne me dbarrasserais pas de ce sentiment en pissant. Dailleurs, une fois que vous tes entr dans cet tat de coma conscient, tout ce que vous souhaitez cest den faire pleinement lexprience; en effet, vous nen avez plus rien craindre, puisque vous y tes dores et dj entr. Ce qui est dur, cest justement dy ENTRER. Bon, je me retrouve donc avec ma femme et ma mre cte cte, me disant pour mon bien ou se disant lune lautre pour leur bien, combien chacune delles est merveilleuse et combien elles ont de laffection pour moi.
14 mars
Aujourdhui vendredi, tout a t simplement in- croyable. J e ne sais pas moi-mme dans quelle mesure je crois rellement ce qui sest pass, mais il faut au moins que jen rende compte sur le papier. Tout dabord, jai parl J anov de laprs-midi et de la soire dhier. Cela avait t parfait, car jai pass environ sept heures couter de la musique classique des rhapso- dies tziganes, roumaines et hongroises, des sonates dEnesco, des concertos et des symphonies. J e me per- dais entirement dans chacun des morceaux. De temps en temps, je me levais pour me mettre danser ou faire le tour de la pice en cadence, quelquefois, jimitais aussi la musique je me faisais orchestre. J e vivais des instants incomparables, enferm dans la dimension du son et de la musique. Il ny avait plus rien dautre. De temps en temps, je pleurais : quand je me rendis compte que la thrapie primale individuelle sachverait ven- dredi, ou quand je commenai me sentir vraiment seul dans cette pice, rien quavec la musique pour compa- gnie ou encore quand je ressentis le dsir dappeler quelquun tout en sachant quil ny avait strictement personne qui jaurais voulu tlphoner. J e me sentais lger, presque en extase. Puis Susan rentra, elle appor- tait avec elle une atmosphre morne et triste. L-dessus, joscillai entre des sentiments contradictoires : colre, mpris, solitude, irritation, isolement, humour, gosme et cafard. J e ressentais son arrive comme une intrusion hostile; avec elle dans la maison, les choses ntaient tout simplement plus les mmes. Quand elle fut cou- che, je restai seul avec moi-mme, dans lobscurit, je rflchis Century City , finalement je regardai la tlvision une mission de J oey Bishop et J ohnny Car- son, puis une partie du Gangster, un film de 1947 envi- ron, avec Barry Sullivan comme vedette. Ctait un film inhabituel en ce sens quil montrait la dtrioration dun individu cest--dire un individu dtruit par le crime (le mal). Oui, ctait bien. J eus une nuit trs agite. J ai eu de plus en plus de comas symboliques et maintenant jai des rves du mme type. Celui-l tait fantastique. J tais dans une immense salle, quelque chose comme une salle de bal o se droulait une soire. Ctait un truc dimensions multiples : il y en avait au moins cinq, sur trois ou quatre plans diffrents. Les gens taient la fois lintrieur, lextrieur, perpendiculaires, parallles, les uns avec, sur, contre les autres, en grand nombre. Ctait compltement dingue ! Il ny a pas de mots pour dcrire une chose pareille et ceux que jai choisis sem- blent dtruire la scne que jai voulu dpeindre. Les tres dans cette salle taient trangers. Il y avait un nombre infini dtres portant des costumes bizarres (ou peut-tre ils taient vraiment faits comme a). Une per- sonne tait une cible ambulante, avec un centre entour de cercles noirs et blancs, une autre reprsentait un lapin avec une queue qui pendait mollement, une autre un personnage de tlvision; il y avait aussi quelque chose qui ressemblait un bloc de bton (une tte carre ), un type dcharn et boutonneux lair pervers, une fille qui tait dfigure parce quelle avait reu de lacide sur le visage, et ainsi de suite. J e voyais un monde absolu- ment dlirant. J y avais pens au cours de la nuit de mercredi. J e mtais demand quel point il allait tre difficile de retourner dans un univers de maladie et dabsurdit, un monde de bouffonneries. Ce nest pas eux que je considrais comme des non-adapts, mais moi-mme, parce que jtais plus rel queux. Dailleurs cette salle tait remplie de toutes les extravagances de la tlvision, du cinma, des annonces publicitaires (comme cette fille avec une petite jupe courte dans laquelle elle avait fait un trou la hauteur du sexe; les hommes allaient vers elle, y mettaient des pailles et y buvaient). Me voil donc au beau milieu de tout ce dlire qui est plus que symbolique. J e suis couch dans/sur/ lintrieur dun lit bizarre et un homme habill en nabab ou en prince indien est couch mes cts. Il porte un habit prcieux couvert de bijoux et un turban scintillant de joyaux. Quelque chose roule sur moi, une forme; je me tourne vers le gars et lui demande; Qui est-ce ? , il rpond : Cest... J e ne sais plus sil a dit un nom prcis, mais jai eu limpression que ctait un nom fminin. Pour en tre sr, je tendis les mains vers lendroit o devaient se trouver les seins, et rencontrai effectivement un tton ferme et charnu. J assaillis alors cette crature qui me rappelait lune des lourdes femmes de Brueghel, une femme vtue dune espce de pyjama de flanelle jaune. Elle/la chose tait comme un grand ours en peluche femelle. J e pris son con entre mes mains et le frottai contre mon pnis, puis je mveillai en sursaut, encore en train djaculer. J e sortis du lit pensant que je mtais rveill trop tard et que javais manqu le rendez-vous avec J anov, mais il ntait que 6 h 20 du matin. Quand jai racont tout cela J anov, il a essay de me faire ressentir quelque chose, de me faire revenir sur ce thme de labandon et de la solitude. J e mefforais tant que je pouvais de ressentir le moindre sentiment, mais je n'aboutissais rien. J e sais par exprience que j'tais en train de lutter contre moi-mme; cependant mon sys- tme de dfense est si perfectionn et si subtil quil mest toujours difficile de men rendre compte. Mais voil que a y tait je veux dire que jentrevis la vrit. J e criai : Arrte de tousser, arrte de tousser , je continuai ainsi mexhorter ne plus utiliser cette maudite toux comme moyen dchapper au sentiment. Cela fit son effet; et jeus accs un peu de ralit. Cette histoire de solitude tait toujours l, je la ruminais en quelque sorte dans mon esprit. Du plus profond de mon organisme, je commenais percevoir de lointains signaux qui me prouvaient quil y avait quelque chose ressentir quelque chose dnorme et quune fois de plus, jusais dun subterfuge pour men dfendre. Cela dura un moment, je me tordais dans tous les sens, je me perdais en lutte et gmissements. J e finis par me laisser balayer ou submerger par le sentiment comme le suggrait J anov. J e prfre cette expression sy plonger , parce quelle est plus image et quelle laisse libre cours mon imagination de sorte que je me sens rellement submerg . J e ressentis une douleur aigu au cur, dans la tte et dans la mastode gauche. Ces douleurs alternrent pendant presque toute la sance. En mme temps, javais mal au ventre. J essayais de faire monter un sentiment et je crus que jallais vomir sur tout le divan et le plancher. Mainte- nant je savais vraiment quil sagissait dun sentiment mauvais. J e parlais de sexe parce que tous les signes et tous les mots qui se prsentaient mes yeux semblaient axs sur le thme sexuel. J e parlais de Sylvia : comme a avait t bien et comme a avait mal tourn pour moi; et je parlais de mon pass sexuel en gnral, disant que je faisais pas bien lamour ou pas assez bien. J e parlais du fait que je donnais ma femme une exprience sexuelle naturelle, puis je vis apparatre les mots adore... moi... adorer ou quelque chose de ce genre. J e narrivais pas faire de connexions. J tais sr daborder quelque chose dimportant et je commenais macharner mais je narrivais pas faire les rapprochements et les con- nexions; jessayais en vain, je ne faisais que des digres- sions. J e me souvenais de tous les couples maris que javais connus et je voyais dans mon esprit tous ceux o la femme tait la plus forte et dominait son pauvre mari. J e mtendis un peu sur ce sujet gnral, puis je passai au couple de mes parents et, ce propos, je dis que dans leur union mon pre tait toujours le chef. J e le voyais dans le rle quadoptent beaucoup de cyniques; avoir tout le temps une femme enceinte quon laisse pieds nus. En dautres termes, une femme est de la merde. J e parlai ensuite de ma propre attitude lgard des femmes. Mais je continuai avoir les pires difficults tablir un lien entre les choses. J anov mamena donc parler ma mre parce que jvoquais ma vie avec elle. J e comprenais qu'en un sens, elle mavait asexu ou plus exactement dvirilis en me traitant comme une petite fille, en disant que jtais si joli que jaurais d tre une fille, en memmenant dans les toilettes des femmes dans les grands magasins, etc. J anov dit : Dites-le-lui. J e madressai elle, lui demandant pourquoi elle mavait trait ainsi et elle me rpondit tout coup quelle voulait son pre (ce fut sa propre rponse). Elle sassit, les jambes croises, la tte baisse, se donnant des coups de poing dans le ventre et elle pleurait en rptant : J e veux mon papa, je veux mon papa. J tais si agit que je finis par crier : Il est mort... et quelques autres remarques acerbes. Elle commena alors sloigner. J e lui criai de revenir. Ensuite elle rencontra mon pre une certaine distance de l. Elle appelait encore son pre, croyant que ctait lui, tandis que mon pre com- menait la dshabiller; puis il la coucha et la prit. Ce spectacle me retournait lestomac, je ne voulais pas regarder; javais eu limpression dentendre jusquau bruit de leurs organes, ctait comme le bruit dun pis- ton qui se serait enfonc dans de la farine humide. Cela dura en tout cas un certain temps et je le relatais J a- nov. (En dautres termes, le vieux avait saut ma mre bien avant de lpouser peut-tre des annes aupara- vant. Elle avait presque trente ans quand elle lpousa. Cela semble indiquer quelle devait tre une mochet guette par le clibat et que sa seule chance de se faire pouser, ctait de se faire engrosser. Cest ce que je suppose.) A ce moment-l, il arriva quelque chose dtonnant. J e me vis dans son ventre pendant la conception. Au- trement dit, ainsi que je le hurlais J anov, on tait en train de me fabriquer. J e me remettais de cette image, lorsque je vis mes vieux descendant Barbary Avenue, et des gens qui les saluaient, des messieurs, qui soule- vaient leur chapeau lintention de ma mre. Ensuite je vis ma mre disant je ne le veux pas... . Elle parlait du bb quelle portait. Le vieux dit quils se marie- raient. J e les vois se marier dans un appartement. J e le raconte J anov. A la scne suivante, elle est dans un hpital, elle accouche. Seulement, ce maudit bb, cest moi. J e suis poustoufl, ahuri. Cest absolument in- croyable. Encore maintenant, je ne sais pas si jtais perdu dans des fantasmes, des hallucinations ou si j'tais dans un coma conscient. J espre que cest la dernire hypothse qui est la bonne. Elle crie, elle hurle. Le m- decin me tient en lair. Comment est-ce que je sais que cest moi ? Dabord, cest le vagin de ma mre et ses cuisses charnues et je viens juste de sortir delle. Ensuite je suis n avec le cordon ombilical autour du cou. Ma- man hurle : Meurs... je ne le veux pas... quil meure... dans une sorte de crise dhystrie. Le mde- cin crie : Il strangle... cest un bb bleu... ou des conneries de ce genre. Tout cela est effectivement vrai ! A ce point je constate ma stupfaction quaujourdhui je suis en fait retourn au jour un. Dans ce qui sest pass aujourdhui, je ne saurais dire exacte- ment ce qui relevait du fantasme, dune imagination surexcite ou du coma conscient. Tout ce que je peux dire, cest que daprs les autres expriences de coma conscient que jai pu faire, je crois quaujourdhui, jen ai fait un. A une ou deux reprises, jai eu conscience pendant un moment de lintrusion dune autre rali- t . J e dis une autre ralit parce que le coma cons- cient reprsente ltat de la ralit dans laquelle je me trouve ce moment-l. Pratiquement, jy suis rel. Ce- pendant il suffit dun a va. Gary svre et imp- rieux pour me faire revenir dans lautre ralit . J ai commenc sentir lintrusion de cette autre ralit, quand, sur le divan, je commenai lutter pour ma vie; quelque chose me disait alors que ctait le divan du cabinet du docteur J anov. J ai fait des digressions ici parce que ce que jai vcu aujourdhui ma beaucoup troubl. Sil est vrai que lesprit peut se souvenir de lui- mme avant mme la vie consciente, nous avons dcou- vert quelque chose de formidable. En tout cas, je me mis lutter frntiquement pour vivre. J e me souviens que je tendais les bras vers le plafond. J mettais des sons comme un nouveau-n : waa-aa-aa... maaaaa... ghaaa-haaa . Des cris de ce genre. J e criai J anov que je mtranglais, javais toutes les peines du monde former sur mes lvres tous les mots que jaurais voulu dire aux mdecins pour leur prouver que jtais bien vivant. Enfin jtais n, je respi- rais. Oh ! je me souviens aussi quon me tenait par les chevilles, la tte en bas. Puis le calme menveloppa et je ris en disant : J y suis arriv, jy suis arriv..., je suis vivant. J avais de la peine respirer puis je me calmai. J essayai ensuite de connecter tous ces lments. J e me voyais clairement comme un enfant dsir/non dsir et comme le fils/pre de ma mre. Puis je vis des images de mon enfance ses cts. J e dois dire que ces images, je men souviens maintenant que jcris, sont de vri- tables photographies de ma mre et de moi, que ma mre a encore. J e me vis grandir dans une seule direc- tion. Prcdemment, au cours dun autre coma cons- cient, je mtais vu grandir verticalement , mais aujourdhui, je poussais lhorizontale. J e me voyais passer dun mose un petit berceau, puis un petit lit pour finir dans un lit immense (hollywoodien). Eton- nant ! En tout cas, dans une des scnes, ma mre jouait avec mon pnis; elle le manipulait exactement comme un petit jouet. J e hurlais en demandant pourquoi elle me prenait pour un jouet. Et cela me conduisit reconnatre que cest effectivement ainsi quelle me considrait. Dans une autre scne, je suis dans mon lit et jentends des femmes parler et rire en jouant aux cartes dans une autre pice. J e vais mme jusqu me montrer moi- mme cette pice du doigt tout en parlant. Elles parlent de leurs fils, comment elles les traitent et jouent avec eux. De l elles en viennent, je ne sais comment, des plaisanteries affriolantes sur la manire dont elles jouent avec leur ququette, puis elles tablissent un lien entre cette petite plaisanterie et leur mari. Elles prennent vraiment plaisir tre oses . J entends des bribes de phrase comme : Toi aussi, Bella ?... mon Sam... mon Solly... Lune delles cest ma mre, je men rends compte maintenant lance aussi une plaisanterie, di- sant quelle le fait galement, mais que cest trop petit ou quelque chose comme a. Elle fait allusion moi mais linstant je ne saurais retrouver son expres- sion exacte. Quelque chose comme elle le ferait si elle pouvait le trouver... En tout cas cela me fait revenir lesprit une image de J eux de Nuit , ce film o une mre humilie son enfant en lexcitant au point quil est en rection et commence se masturber sous les draps; cest ce moment-l quelle le dcouvre, le montre tout le monde, le traite de tous les noms, le frappe sur les mains et labandonne. Ensuite, je me souviens de la mme scne entre ma mre et moi : elle me frappe sur les poignets en disant : Ne fais pas a. Gary , sur ce ton qui est spcial aux femmes juives un accent gut- tural, mi-rprobateur, mi-plaintif. J e suis incapable de me rappeler si cette scne a vraiment eu lieu entre nous : si ce nest pas le cas, je ne comprends pas comment jai pu la voir dans mon coma conscient. Cest peu prs ce moment-l que je sortis un peu de ce coma et restais en quelque sorte stupfait de tout ce qui venait de se passer, sans parler de lpuisement que je ressentais. Il y avait encore des tas dlments isols. J en conclus quil me faudrait descendre encore plus loin et dire ses quatre vrits ma mre, si je vou- lais arriver la puissance sexuelle. Mais je ne sais pas, je crois quil ny a jamais eu dhommes autour de moi qui auraient pu provoquer en moi une mulation posi- tive; il ny avait que le vieux qui mapprenait bien assez de conneries pour me dmolir et un tas de pauvres types dans le voisinage, esclaves du boulot qui taient loin de me donner lexemple. J e repense tout coup, bien que cela nait pas sa place ici, que tout fait au dbut de la sance daujourdhui, javais parl de mes proccupa- tions avec les femmes et de ces rves que je faisais souvent au sujet de ma tante. J e rvais quelle avait un con immense et que jy tais englouti la tte la premire et que ses normes cuisses me tenaient prisonnier, je rvais que je voyais son con mont sur une paire de jambes, et me courir aprs ! Ou bien je rvais que je me prcipitais dans son con recouvert dune culotte rose et que je me frottais le visage contre son sexe... Assez ! Voil, ctait tout. J e restai avec un got fade dans la bouche et la gorge sche tout cela tait curant et il en restait encore beaucoup l do a venait.
CHOIX DE QUELQUES CONNEXIONS ETABLIES EN THERAPIE PRIMALE
15 mai
Le 7 et le 8 mai, aux alentours de 10 heures du soir, je me suis senti vivant. J ai senti mon existence entire. J e lai sentie trop brivement, cinq secondes environ. Pour rendre compte approximativement de lexprience en question, il faudrait dire que ctait la fois stimulant, savoureux, puisant et lectrisant. J e ne suis mme pas sr que notre langage comporte le vocabulaire quil faudrait; en effet, on se demande comment une socit dindividus qui ne ressentent rien rellement par rapport ce que nous appelons ressentir pourrait laborer un vocabulaire qui sapplique adquatement ce quelle ne connat pas. J e sentais au moment mme o je dcrivais mon exprience, quelle ne pouvait tre exprime en termes appropris. A ce propos, il me vient lesprit un certain nombre de rflexions : est-ce que le problme rside dans le fait que nous navons pas en- core le langage pour exprimer nos sentiments, ou est-ce quil ny a pas de problme du tout, puisquil est tout fait possible que le sentiment constitue un domaine indpendant que de simples mots ne pourraient suffire traduire, dfiant les mots crs par lhomme ? Pour moi, lexprience de me sentir moi-mme na pas t uniquement intrieure. Elle a t totale, ltre total. J tais allong par terre et javais eu quelques sensations prliminaires de la descente en moi-mme quand je me rendis compte brusquement que ma co- lonne vertbrale me donnait une impression nouvelle. J e mappliquai bien saisir ce que je ressentais jusqu pouvoir dire que je la sentais en quelque sorte verticale. Mais quest-ce que cest ? me demanda J anov. J e me sens droit , rpondis-je. Puis je fondis en larmes. J e pleurais dmerveillement de mtre senti droit (bien dune seule pice) pour la deuxime fois de ma vie. Car je commenais faire une connexion et je me souvenais que je mtais senti droit ou bien entier une seule fois et ctait trs exactement au moment de ma naissance. Rien dtonnant ce que je naie pas connu de mots pour exprimer ce que je ressentais je navais ressenti cela quune seule fois et il y avait quelque vingt-sept ans de cela. Il ma suffi dun bref paragraphe pour dcrire te sentiment de conscience entire, mais il ma fallu deux mois de thrapie pour y accder. Il ma fallu des heures et des heures de confrontation angoissante avec moi- mme, de djouement, de folie, de larmes et de mal aux tripes. En tout cas, pour moi ce sentiment dtre entier reve- nait sentir exactement o tait ma place dans lunivers. J ouvris toutes les vannes. Par exemple, je pris imm- diatement conscience de la solidit et de la force de mon pelvis. Autrement dit, je sentais mon corps, mon moi. J e sentais encore ma colonne vertbrale bien droite. Voil ce que je veux dire quand je dis que le fait de sentir est une exprience complte. J e suis convaincu prsent que la vritable sant est lunion complte de ce qui est mental, physique et motionnel. Le moi qui ressent permet de tout ressentir. Il est vraisemblable que lhomme qui sent tout, pourrait dvelopper un septime sens de lui-mme. Imaginez un peu quelles seraient les possibilits de cette nouvelle espce dtre dots de ce sens et capables de diagnostiquer leurs propres mala- dies. Si jtais en pleine sant, je naurais plus les moindres troubles psychosomatiques ou psychonvro- tiques. J e serais en mesure de sentir le dveloppement dune tumeur, par exemple, dans mes viscres ou dans mon cerveau. J e pourrais probablement sentir la dtrio- ration de ma paroi stomacale avant que ne se dclare lulcre. Dun autre ct, ces maladies nauraient peut- tre aucune prise sur moi, si jtais en bonne sant et bien entier. On pourrait spculer linfini. Ce qui est lamentable cest de constater que mes parents ont bousill toutes mes chances de jamais appartenir cette espce dindividus, comme leurs parents en avaient fait autant pour eux et ainsi de suite en remontant dans le pass. Victimes de lignorance, nous faisons notre tour, par ignorance, des victimes. Pour sentir le vritable drame de la condition humaine, il faut dabord sentir son propre moi, le potentiel gch de son tre, il faut sentir la douleur de sa propre insignifiance et prendre cons- cience de ce que nous autres hommes aurions pu tre. Ce mme soir, mon existence entire ma transport dans un tat o jai eu un instant la vision de ce que pourrait tre lespce si nous tions tous sains. Lexaltation de ce sentiment ntait pas moins surpre- nant pour mon systme entier que le sentiment de me sentir droit. En jetant un regard sur cette page, je cons- tate que le vocabulaire en est plutt recherch et labo- r. Ce nest pas que je choisisse mes mots, jen suis en fait incapable. Ce qui marrive, cest que je ressens juste linstant lexcitation stimulante et exaltante de me sentir moi-moi-moi. J ai vu que lesprance de vie stendrait peut-tre jusqu cent cinquante ans. J ai vu la disparition de la maladie et lespce humaine concentrant tous ses efforts scientifiques sur llimination des maladies de l'envi- ronnement et des maladies qui en dcoulent. J e me suis vu libr de tout le bordel que jai dans la tte, et faisant de mon cerveau ce quoi il est destin. Sans la pression des penses non ressenties, sans lencombrement du pass, mon esprit pouvait se dvelopper. La vision de cette grandeur humaine, confronte au sentiment de mon propre nant mon drame ma fait pleurer. Lintellectualisme est la maldiction de lhumanit. J ai senti que ma propre poursuite acharne de la connais- sance pendant tant dannes, mavait conduit para- doxalement men loigner. Car aujourdhui, je sais quil nest quune sorte de connaissance : la connais- sance de soi : savoir o jen suis : entier : droit. Dans les quelques secondes o je me suis senti moi-mme, jai senti ma beaut, ma quasi-majest, mon tre, ma gran- deur. Cest sans nul doute, lamour de moi. Ce nest quaprs avoir eu ce sentiment dtre entier, de plni- tude absolue, que lon peut en venir lamour de lautre. Aprs jaurai de lamour donner. Ds que je me possde entirement, que je peux maimer entire- ment, je peux aimer une femme et des enfants. Pour moi, lamour cest donner et avoir la grce de recevoir, non pas dsirer et prendre. Prendre, cest pour moi maintenant tendre les bras pour drober. Recevoir, cest la simple aptitude recevoir, sans dsir nvrotique. Ainsi, recevoir de lamour mettrait immdiatement fin un amour sous condition, toute contrainte qui oblige les enfants distraire leurs parents et se produire pour eux. Recevoir, cest simplement accepter des autres ce quils sont en mesure de donner, sans valuation ni jugement ni comparaison. Autrement dit, on en aurait fini avec la dception de ne pas recevoir assez. Chacun saurait o il en est et laisserait les autres tre ce quils sont, en prenant soin dviter ceux qui pourraient lui faire du tort. Cest vrai; il faut que lindividu sain vite les personnes malades parce que les malades peuvent le dmolir avec leurs besoins morbides. Du de ne pas obtenir lamour de son pre, un chef dentreprise mettra la porte un ouvrier en bonne sant, un proche parent fera du mal un tre sain parce que ce dernier naura pas voulu se plier ses caprices de malade. Ce nest pas tout. Une connexion trs importante pour moi ma per- mis dtablir un rapport entre moi et mes parents, le mucus, la morve, la respiration, la vie, la pisse, la toux, les touffements, les maladies aussi bien mentales que physiques. Au cours des deux derniers mois, mes pri- mals se rapportaient ces lments qui taient tantt isols, tantt runis plusieurs. Et cette nuit, je suis arriver rassembler tout a. Cette connexion, la fois complexe et pourtant dune tonnante simplicit, sest faite quand jai ressenti tout ce qui en faisait partie; jai alors compris ce que signifiait la connexion. J e toussais et faisais remonter une salive paisse qui mtouffait. J avais aussi limpression que je devrais me moucher jusqu balayer mon foutu nez, tellement il me semblait bouch. En fait, mon nez tait compltement dgag, et ce que je sentais, ctait le conduit nasal aboutissant ma tte qui tait obstru et ctait ma tte qui tait bour- re de saloperies. Ce nest quen me laissant aller enti- rement un sentiment dtouffement et dtranglement qui me secouait toute la poitrine que je pus arriver nommer le sentiment. Maman ! , ctait ce mot qui sortait de ma bouche. J e crachais en toussant tout le tas de merde qui mavait suffoqu ma vie entire. Cest de la merde que je crachais. Pour moi, ce mot merde reprsente le fait davoir toujours t rejet, ignor, brutalis, engueul, dsorient, battu, lacr par les discours de mes parents ! Tout cela a un got horrible et laisse un sentiment curant. La merde de ma mre tait concentre dans mes tripes. J e pouvais ressentir maintenant la signification du fait que javais toujours souffert de la toux. Toute ma vie, javais t touff par cette merde qui voulait remonter. En venant au monde, javais besoin damour; on mavait donn de la merde telle que je lai dfinie et cela avait dur presque toute ma vie. Au- jourdhui, je sentais toute cette merde lintrieur de moi. Il faut aussi signaler que cette nuit, jai commenc ds le dbut par me laisser aller. Cest trs important. J usque-l javais tenu mon corps sous la contrainte autrement dit rigide, raide, cest--dire non ressentant. Maintenant, je librais mon corps, je relchais mon contrle sur mon pnis, mon ventre, ma poitrine. J e navais jamais pris exactement conscience du contrle que jexerais sur moi-mme. Une fois en mesure de descendre au plus profond de ce que je ressentais, je my laissais aller. La raison principale pour laquelle toute ma vie je me suis tenu raide et fig, est la volont de ne rien laisser chapper de mes ouvertures secrtes. Ce rien tait tous les sentiments transforms en dchets. Maintenant que je mtais laiss aller et que rien ne sortait de moi, je sentais simplement toute cette merde accumule en moi. Le petit toussotement que javais pratiqu depuis des annes, tait le moyen de ravaler la merde qui me remontait la gorge. Mainte- nant je sentais tout mon systme de contrle : toussote- ment, reniflement et raideur. J avais mis au point tout ce systme perfectionn destin me rendre impermable et rigide, pour viter de souffrir et de sentir. Cette nuit pour la premire fois de ma vie en ralit, la seconde tout se dbloquait en moi, tout souvrait. Comme je nusais plus toute mon nergie et ma force rester ri- gide, jarrivais ressentir toute la merde qui tait en moi. Ctait, bien entendu, une vritable torture.
16 mai
Il me devient de plus en plus vident quau fur et mesure que les jours passent et que je me sens appro- cher de la sant, les autres ont de plus en plus tendance penser quil y a chez moi quelque chose qui ne va pas. Le style et les couleurs de mes vtements ne me res- semblent plus, dit ma femme. Ce nest pas le Gary que je connais , dit-elle. La mme chose mest arrive la fin dun primal particulirement bouleversant; la tension et la contrainte des sentiments non prouvs avaient disparu de mon visage, et comme ma peau stait dten- due, javais rajeuni ! Ds le lendemain, les gens ont commenc me demander si quelque chose nallait pas, si jtais malade. Ce qui me parat le plus vident, cest que les gens ont un besoin obsessionnel de toujours savoir exactement o en sont les autres cest du moins ce quils aiment croire. Cest ce qui rend aises les relations inter-personnelles en admettant quil y en ait dans notre socit. Les gens ont lair de pouvoir sentendre parce quils assemblent des bribes dinformation sur le caractre, les faits et gestes dune personne, de manire sen faire une sorte dimage. Mais que la personne en question se mette faire quelque chose qui nentre pas dans le cadre de ce quils ont prvu, et elle passe pour avoir chang ! En fait, elle sest contente de laisser transparatre un peu son moi rel.
17 mai
Des connexions ont commenc stablir. La pre- mire chose que jai ressentie, cest une forte douleur aux tripes. Un cri voulait natre en moi (Gary le bb, le Gary rel voulait venir au monde) mais apparemment je ne pouvais pas arriver rassembler toutes les parties de moi-mme pour pousser ce cri faire trembler toute la terre. Tout ce que jarrivais produire, ctait une sorte de vagissement. Sentant la fois toute la force que d- ployait le systme, et la puissance du cri qui voulait monter, mais que je navais pas limmense nergie de pousser, je sentis la connexion et je compris que ctait moi qui choisissais dtre malade. Il suffisait dun grand cri puissant qui irait chercher la vie au fond de mes poumons pour que je devienne rellement vivant, pour que je naisse. J e me dbattis avec cela pendant un temps qui me parut trs long. J e finis par me lever et par aller dans la pice voisine pour tre seul. Ce dsir dtre seul, de ne pas tre drang, tait lune des raisons qui me poussaient me lever. Lautre raison tait que javais limpression dentendre la conversation des autres avec une clart nouvelle, presque cristalline. J e ne faisais encore remonter rien que des filets de sa- live paisse et de matire muqueuse. J en tais plein, jen avais plein la tte, plein le nez, plein les tripes. Ctait la merde familire que je mtais habitu res- sentir la semaine dernire. Une connexion semblait indiquer quil me fallait me dbarrasser de cette norme masse de merde avant de pouvoir natre. Il me fallait la sentir avant de pouvoir la faire remonter de mes tripes ma gorge et ma bouche. Ressentir le poids de cette merde, ctait ressentir le dsir de mon pre et de ma mre. Or, le dsir de son pre et de sa mre signifie tre malade. La maladie que je pouvais ressentir maintenant, ntait pas seulement dtre fou, mais aussi le sentiment physique dtre malade dans tout mon corps, et dtre capable de sentir au fond de ma gorge quelque chose qui avait un got rpugnant morbide. Tout coup jai senti mon moi tout entier rassembler toute son nergie pour se changer en un gigantesque cri qui semblait se former en mon centre de gravit, au creux de lestomac. Mon corps semblait se contracter pour rassembler ses forces, et lorsque le cri mbranla, mon corps fut pli en deux. J e poussais ainsi plusieurs cris de suite, qui faisaient tous remonter le dsir maladif de mon pre et de ma mre sous la forme dune salive (dun mucus) paisse et gluante. La douleur dans tout mon corps tait violente et lavait t depuis longtemps. J e continuai ainsi appeler mon pre et ma mre du plus profond de moi-mme, et chaque fois que jarrivais faire monter un de ces cris, je ressentais la mme ma- ladie rpugnante; ce sentiment dtre rejet qui rend malade, ce dsir sans espoir et inutile qui rend malade, le fait de ntre jamais remarqu, cout ou regard qui rend malade, ce dsespoir qui rend malade. Autant de choses que je naurais jamais pu ressentir sinon elles mauraient rendu fou tout jamais. Un peu plus tard, je sentis en moi la formation dun autre cri. Il rassemblait de la force et de la puissance dans mon ventre, mais quand je le laissai me secouer, jeus limpression que tout ne sortait pas; je narrivais pas faire remonter entirement cet appel de Gary. La mme matire mu- queuse remontait, mais cette fois, elle donnait limpression dtre limpide, propre. Puis au moment o je sentis le liquide dans mes mains, je sentis que le cri retombait au fond de moi. J avais limpression que ce cri tait comme un uf, ou plutt comme un jaune duf isol. J essayais dsesprment de faire jaillir ce cri parce que jeus lide que ctait la vie mme. Sans espoir ce moment-l, car jtais compltement ext- nu. J ai dormi environ trois heures puis je suis all la sance de groupe. J tais vann, mais il y avait toujours ce cri qui se reformait petits intervalles et voulait sor- tir. Chaque fois que je descendais en moi-mme et que je criais, je ressentais un soupon de soulagement dans mes entrailles. En outre, la terrible force du cri avait compltement libr tous les passages obstrus dans mes oreilles et dans mon nez. De toute faon, il sagit pour moi maintenant daller la recherche de moi- mme, de natre et de lutter pour ma propre vie. Tout ce que jai ressenti depuis la nuit dernire montre combien je suis malade. Les primals dtachent bribe par bribe la maladie incruste. Dans la nuit de vendredi et dans la matine de samedi, jai rellement senti labme de ma stupidit et de ma maladie. Il ne me restait plus quun cri franchir pour avancer dun pas vers la gurison et je narrivais pas le pousser. La grande maladie qui ma fait pleurer aprs, ctait le drame de savoir quil tait en mon pouvoir de gurir et quau lieu de cela, je prfrais rester malade. Maintenant, je vais mettre le paquet ! Mon instinct et mon dsir de gurir sont devenus plus aigus depuis ma dernire exprience. Quelquun qui serait en bonne sant prendrait plaisir venir ces sances du mardi et du samedi, mais moi, je voudrais en sortir, bon Dieu de bon Dieu, le plus tt possible.
20 mai
La sance de groupe de mardi soir a t excellente pour moi parce quelle a t particulirement doulou- reuse. Ctait la suite de ce que je navais pas termin samedi matin et qui depuis stait accumul en moi. Le cri appelant ma mre a jailli de ma gorge tout au long de la sance. J ai ressenti dans mes tripes une amre dcep- tion et le vide que ma mre navait jamais rempli par ce dont javais besoin. J e sais que je suis n avec des be- soins totaux et quand jai t rejet pour la premire fois, jai t dmoli pour la vie. La nuit dernire, mes cris et mes pleurs ont atteint une profondeur nouvelle. J e veux dire que jai senti le cri monter du fond de mes tripes tortures, du centre de moi-mme. Mon cri avait aussi un son diffrent, ctait la voix dun petit garon videmment. Ce sentiment ma fait verser des pleurs de moins en moins contrls : je prenais conscience que je ntais quun petit garon, un vritable enfant. Tout cela fait mal rellement trs mal et il semble quil ny ait rien dautre faire que de le ressentir. Mais jai t content davoir atteint ce niveau plus profond, parce que cela ma permis de sentir rellement la torture de ce dsir morbide.
24 mai
Cette journe a t trs importante parce que jai pu approfondir encore mon cri. Aujourdhui les cris taient incontrlables, ils venaient du centre de moi-mme et me secouaient entirement. J e crois que cest vraiment la premire fois que je me laisse aller ressentir limmense dsir de lamour paternel et le douloureux vide qui rsulte de son manque. J ai parcouru mardi le mme chemin quand je dsirais lamour de ma mre et que je ne lobtenais jamais. Les cris taient plus pro- fonds quils ne lavaient jamais t. Parce que la merde de mon pre est concentre dans ma tte, mon nez sest vid tout seul, comme un geyser. Toutes les larmes qui mavaient t interdites, toutes les larmes que javais fait rentrer dans ma tte en reniflant durant toutes ces annes, taient dbusques, dloges et autorises couler. Pour ma mre, le mal se situe dans mes tripes, de sorte que, quand je le ressens, je suis pris dune toux violente qui fait remonter toutes les glaires et toute la bile que j'ai toujours ravales afin de ne pas laisser mon- ter ce sentiment. Mais mes larmes daujourdhui !... Ctait comme si je navais jamais rellement pleur de toute ma vie. De temps en temps, jai remarqu que je pleurais au- jourdhui comme je pleurais souvent lorsque jtais enfant. J entendais mon chagrin rel, la vraie profon- deur de lamertume davoir t priv et le dsespoir du vide. Ctait pour mon pre que je versais ces larmes, ces pleurs qui suppliaient et qui avouaient que jai be- soin de lui. Finalement, aprs avoir retrouv un certain degr de calme et de paix, jai t capable de rester tendu et de laisser les choses se remettre en place delles-mmes. Vendredi dernier, jai rellement t projet dans une phase nouvelle du sentiment et de lexprience. La phase deux est une phase o lintensit est plus grande, la conscience plus claire, la douleur et la souffrance plus aigus, le sens ou linstinct poussant la gurison plus prononc, la perception de sa propre maladie plus fine, la fatigue plus gnrale, le souci de ne pas se laisser prendre la folie des autres plus vigilant, enfin, le plai- sir de rester seul plus marqu. J e crois que la phase deux nest que la reprise de ce qui sest pass jusque-l, avec une profondeur, une dimension, une ampleur accrues. Tous ces facteurs conjugus font que lon se sent plus mal que jamais.
1er juin
Cette histoire de dsirer une cigarette est un bon truc : cela me suffit pour savoir quil y a des sentiments que je cherche rprimer. Maintenant, je me mets en colre, jai envie de briser quelque chose encore une de ces simagres qui servent ne pas sentir. En fait, ce quil y a rellement en cet instant, cest un cri gigantesque. Il est aussi grand que mon corps et aussi fort quil mest possible de le faire. Ce cri, cest moi, et les larmes qui voudraient couler sont les larmes que jai accumules pendant des annes et des annes. La raison prcise pour laquelle je voudrais crier ou pleurer en cet instant, je ne saurais la dire. Mais jai un sentiment ou une sensation de faiblesse, dimpuissance, de faillibilit. Au cours de ces derniers quinze jours, jai fait des rves bizarres. Non seulement ce sont des rves quil est difficile de se rappeler ou de reconstruire, mais je ne suis mme pas sr quil sy soit pass quelque chose. En fait, durant cette quinzaine, tout mon sommeil a eu quelque chose dinquitant. Ctait comme si jtais la fois veill et conscient de dormir tout en tant endormi et sachant que jtais endormi. Cest compltement dingue. Une ou deux fois, je me suis veill, je crois, en demandant suis-je veill ? . Cest dans cette dimen- sion de lexprience que jai dormi. Maintenant, je pleure parce que je me sens encore plus dingue en cri- vant cela. Mais rellement, on dirait que le sommeil est pour moi une exprience dimensionnelle dans laquelle un nouveau sens, quelque chose comme un indfinis- sable septime sens, est luvre. Il se passe lintrieur de ce sens des choses bien tranges. La m- moire ne retient rien. Par deux fois, jai fait lexprience davoir conscience dtre endormi. Autrement dit, je crois que quelque chose dans le cerveau peut-tre encore cet indfinis- sable septime sens est en action pendant le sommeil. J e ne rvais pas que jtais endormi. J'tais endormi et ctait comme si jtais veill lintrieur de moi tan- dis que le moi extrieur dormait dans son lit.
2 juin
Aujourdhui je me suis senti pris dans un mouvement, le mouvement et le rythme dun sentiment que je ne pouvais pas dsigner. Enfin, au bout de trente quarante minutes, il a fait surface. Ctait quelque chose comme un dsir, non pas un dsir particulier, juste le fait de dsirer. J avais limpression quil tait entirement concentr dans ma bouche. Finalement, ce dsir cda la place un appel. J ai brusquement senti le besoin im- mdiat dappeler mes parents et dappeler sans arrt. Cet appel tait quelque chose de puissant comme si ma vie mme dpendait du fait que je sois entendu. J e sen- tais mes cris monter du plus profond de moi-mme et pourtant, pas la moindre satisfaction. Dans cette fraction de seconde du nant, en mme temps que je vivais ce sentiment de nant, jeus pleinement conscience que jtais entendu. En fait, il semblait que dans cette frac- tion de seconde mon corps avait dj ressenti le vide tandis que mon esprit devait passer par trois hypothses pour faire une connexion. 1) Ou bien je ne pouvais pas tre entendu, 2) ou bien je navais pas t entendu, 3) ou encore, javais t entendu. Cette troisime hypothse produisit immdiatement la connexion. Javais t en- tendu, mais ils ne voulaient pas mcouter parce que je leur importais trop peu. J e dis leur , parce qu ce stade du primal, le dsir semblait tre tourn aussi bien vers mon pre que vers ma mre. Limpact de cette prise de conscience entire sentiment total que je ressentais au fond de mes tripes et connexion mentale provoqua en moi une crise de larmes dsespres. Les larmes coulaient delles-mmes et simultanment, mon nez se dgageait et je pouvais respirer. A un mo- ment donn, je mentendis hurler. Pour moi, cest la seule faon de pleurer rellement : quand cest tout mon tre qui pleure. Mes lvres, ou plus exactement ma bouche, sem- blaient se mettre en mouvement delles-mmes. J e sen- tais un besoin urgent de sucer, sucer rellement. Cela mtait trs difficile parce quil me semblait que ma conscience intervenait ou sinterposait pour mettre un doute : Etait-ce vraiment ce besoin-l que je ressen- tais ? Exhort par J anov, je commenai sucer, je laissai ma bouche faire ce quelle avait envie de faire. Au fond de mes tripes, je me sentais mal laise. Cest tout simplement ma mre que je voulais, ou plus exac- tement ses seins. Et la douleur dans mon ventre tait la douleur habituelle que jprouve chaque fois que je me permets de ressentir ce besoin, ce dsir delle le vide. Cela me faisait pleurer. Ensuite, ma bouche formula une question : Pourquoi est-ce que tu ne toccupais pas de moi ? J avais dj ressenti cette vertigineuse impres- sion dabandon, elle ne soccupait pas de moi, cest-- dire quelle ne me donnait pas le sein, quelle ne me prenait pas assez souvent dans ses bras, quelle ne me tenait pas assez souvent contre sa poitrine ! Cest l la partie essentielle et la signification principale de lexprience : assez souvent, je suis sr que ma mre soccupait de moi, selon son temprament, mais non selon la totalit de mes besoins de petit enfant. Et ce soir, je me suis laiss aller sentir un autre aspect de ce fait dtre rejet elle ne se souciait pas de mes pleurs, autrement dit, elle ne voulait pas mentendre pleurer. Cette question se formait en silence dans ma bouche et jouvrais la bouche de toutes mes forces. J e ne pouvais ni voir ni comprendre, je criais en silence : Pourquoi est-ce que tu ne tes pas occupe de moi ? , me rendant compte, prsent, que le dsir qui, une heure aupara- vant, allait indiffremment mon pre ou ma mre, tait maintenant ax sur elle. Ctait tout simplement le bout de son sein rebondi que je voulais pouvoir presser entre mes lvres avides et entre mes gencives encore sans dents. Ce soir, et ctait sans doute la deuxime fois seulement de ma vie, je ressentis ce dsir affam. (J e lavais ressenti pour la premire fois il y a vingt-six ans, lorsque je le rprimai.) Tous les lments dune prise de conscience parfaite me permettant de savoir exactement o jen tais, sassemblaient en quelque sorte ce moment-l. La signification de mon primal ma frapp dans le dos. Ctait littralement comme si elle jaillissait de mes tripes, venait frapper larrire de mon crne et me sortait par la bouche; jai cri : J e ne peux pas parler. De toute vidence, mon dsir stait exprim en silence parce quil datait dun ge o je ne pouvais pas encore lexprimer par le langage, o je navais pas encore appris parler. Plus tard, alors que je savais parler, javais dj rprim ce sentiment et jtais si dboussol en ce qui concernait lamour que je ne pouvais pas le demander. Il me fallut sentir lhorreur davoir cri en silence en tant que nourrisson pour de- mander de lamour, avant de pouvoir trouver un sens mon propre dsir. Cest ce qui a fait tout sauter. J ai senti ce soir ce que je navais jamais pu me per- mettre de ressentir en tant que nourrisson : le vide d- vastateur qui tait la seule rponse toutes mes plaintes, mes vagissements, mes larmes et mon authentique chagrin de nourrisson. A cela est venu sajouter le fait que javais conscience quils mentendaient mais quils ne se souciaient pas assez de moi pour moffrir lamour que je demandais, en particulier celui de ma mre dont je ressentais le manque si cruellement ce soir. Peu aprs, alors que jtais encore tendu l, je me rendis compte quel point ma vie aurait pu tre diff- rente si mes besoins de nourrisson avaient t satisfaits. Si elle mavait tenu contre sa poitrine et si elle mavait serr dans ses bras chaque fois que mon corps avait besoin deux...
8 juin
J ai laiss tout mon corps se mobiliser dans ses parties les plus loignes afin quil se runisse en un seul cri tonitruant, un hurlement, des pleurs. J avais dj fait cela bien des fois, mais bien sr, je navais jamais t entendu. Si je le faisais une nouvelle fois samedi, ctait pour ne laisser subsister aucun doute quant au fait que javais cri assez fort pour tre entendu. Cest pourquoi jai cri si longtemps, si profondment. Le fait dtre oblig de reconnatre que jtais entendu mais quils ne se souciaient pas de moi maurait forc me sentir seul; or cest ce sentiment que jessayais dviter. De mme, le fait de sentir que je pouvais abandonner la lutte pour recevoir quelque chose, simplement arrter la lutte au- rait signifi que javais prendre conscience du fait catastrophique que jtais toujours trs seul et quil ny avait jamais rien eu que jeusse pu obtenir. Si je renon- ais lutter pour obtenir lamour de mes parents, je me sentais seul, je reconnaissais sans rserve quil ny avait absolument rien obtenir, quil ny avait jamais rien eu et que je mtais laiss leurrer me dcarcasser toute la vie pour obtenir quelque chose que tout simplement ils navaient pas de lamour. Mais jessayais nanmoins. Dabord dans une doulou- reuse supplication auprs de ma mre puis auprs de mon pre. Rien. Avec ma mre, jai cru un moment que jallais me mettre pisser quelques gouttes. Puis il me vint lesprit que ce serait peut-tre du sperme et ctait lvidence mme. Encore une fois javais ressenti le dsir que javais delle avec mon corps dhomme de vingt-six ans et ce besoin s'tait dvelopp en mme temps que mes instincts sexuels. Voil pourquoi je suis impuissant, mon pnis est esclave de ma mre : dans mon dsir insens dobtenir son amour, jai tout engag dans la lutte, y compris mon sexe. Depuis deux heures, je vis quelque chose dextrmement trange. J e sais que jai pris froid, mais je ne ressens pas la maladie. Autrement dit, je me sens plein de vitalit et dentrain et pas du tout affaibli. Cest comme sil y avait un autre moi qui avait pris froid et le moi rel tait l, prenant plaisir couter de la musique et taper son journal. Cela ne mtait jamais arriv, sauf trs passagrement, hier. Tout se passe comme si je navais plus aucune raison de mettre un accent particu- lier sur ma maladie, parce quil ny a pas de maman pour se pencher sur moi. Par consquent, je peux aussi bien me borner tre malade uniquement dans la me- sure o mon corps se sent affaibli. Mon esprit, pour ainsi dire mon moi vivant, na pas besoin dtre malade uniquement parce que mon corps souffre dun lger refroidissement. Bien sr, je suis encore malade; mais je dois dire que les deux fois o jai eu un primal, ma temprature a accus une chute assez spectaculaire (je suis pass la premire fois de 386 37 et la deuxime fois de 377 37). J e suis convaincu que tous ces re- froidissements, ces grippes, ces virus de toutes sortes que jai toujours attraps, nauraient pas t si graves si javais t aim ma naissance... J e me rends compte quon ne peut pas tre en bonne sant moiti . On se porte bien ou on est encore marqu de traces de nvrose. Quant aux dfenses, je pensais, moi aussi, quil me fallait en avoir quelques- unes. Maintenant cela na aucune importance. Personne ne peut me blesser sauf physiquement. J e nai donc pas besoin de dfenses. Apparemment, certaines gens trou- vent les hommes en gnral oppressants. Ce nest pas tout fait mon sentiment. J e trouve beaucoup de choses que les gens font, intolrables, mais aussi trs tristes. Peut-tre que le petit nombre de gens qui disent cela sont en bien meilleure sant que moi, et je penserai peut-tre comme eux quand jen arriverai au stade o ils en sont; mais pour linstant, je men tire bien dans la rue. J en ai fini avec la vie sociale outrance : depuis le dbut de ma thrapie, ma vie sociale sest limite aller six fois au cinma, une fois au thtre, une fois au res- taurant, trois fois chez de vieux amis et trois fois chez mes parents. J ai des contacts de moins en moins fr- quents. Notre note de tlphone nest mme plus que la moiti, peut-tre le tiers de ce quelle a t. La nouveaut, cest que je nai plus tellement besoin des autres. En mme temps, je nprouve plus de diffi- cult tre simplement gentil et dtendu. Cela ne mtait jamais arriv de ma vie. Extrieurement, j'tais le dur, le gars qui ne sen laisse pas conter, etc. Mainte- nant je souris tout naturellement aux gens que je con- nais, jarrive sans peine dire des choses simples, comme bonjour... J ai eu un aperu du drame de lexistence, du drame de ma propre famille, o nous vivons physiquement proches les uns des autres, mais si immensment loigns par les motions, spars les uns des autres par labsence de tout sentiment. Cette tris- tesse profonde sest transforme en moi en une sorte de douceur. J aime tre tendre. De toute faon, pour moi, tel que je me vois au- jourdhui, il ny a pas de retour. Les gens peuvent dire ce quils voudront, que la passion de la sant totale est aussi ridicule que la folie totale; moi, je veux voir par moi-mme. J e me suis donn moi-mme mes propres ulcres en tant compltement fou; si la bonne sant saccompagne aussi dulcres, jaurai galement les miens propres. Il ny a pas de retour vers le pass pour moi, car je ne veux pas redevenir le tricheur morose, capricieux, indcis, instable, sombre, hypocrite, agres- sif, simulateur, peureux, superficiel et creux que jai t. Et avec a les cigarettes, les troubles psychonvrotiques, excs de sommeil, excs de poids. Au diable la folie; je ne veux pas marrter. Au diable les dfenses .
14 juin
Aujourdhui sachve ma seizime semaine de thra- pie primale. J e ne sais pas ce que cela veut dire exacte- ment, mais je constate combien je suis dtendu et com- bien ce sentiment a t inhabituel tout au long de ma vie. Mardi soir, je ne suis arriv rien. Et maintenant, en y repensant la lumire de l'exprience daujourdhui, je crois que ce soir-l, jessayais de refaire un ancien pri- mal, nimporte lequel, juste pour avoir un primal. En dpit des troubles physiques dus mon refroidissement, jai pass une trs bonne semaine. Mon moi men- tal/motionnel ne reconnat pas le refroidissement, il ny a que le moi malade, irrel, qui en ait souffert. Donc la majeure partie de la semaine dernire et de cette se- maine-ci a t bonne.
15 juin
Comme le jour de la fte des mres le mois dernier, la fte des pres ma fait ressentir la mme douleur dchi- rante quant ma tragdie et celle de ma famille. J ai simplement laiss passer inaperue la fte des mres et je fais la mme chose pour la fte des pres. Cela ne signifie rien. Si je cherchais toujours prendre ma re- vanche, je pourrais croire que jagis au nom de la justice idale : ils mont dup ds le dbut, et maintenant, je leur rgle leur compte. Mais cela est compltement cingl, leur rgler leur compte ou leur rendre la monnaie de la pice , cela n'existe pas. Il ny a tout simplement rien, cest ce que je ressens et cest ce qui me fait mal. Ce qui rend le drame encore plus aigu, cest de voir que les vieux font tout ce quils peuvent pour me rete- nir. Depuis que je suis mari, ils nont pas cess de me prodiguer de plus en plus de cadeaux pour que je ne leur chappe pas, comme un papillon fix une planche par des pingles. Dabord, il y avait la formule de ma mre : Noublie jamais que tu as toujours un foyer ici. Puis cest lobligation quils se sont faite de mcrire toutes les semaines pendant la priode o jtais dans le Peace Corps, alors quils ne mavaient jamais crit le moindre mot de tout le temps o jtais parti camper ou parti dans un autre Etat ou en Europe. Puis, il y a eu les ca- deaux, 10 dollars pour mon anniversaire, autant pour lanniversaire de Susan, puis pour l'anniversaire de notre mariage, enfin 50 dollars pour pendre la crmaillre. Merde ! Dans leur esprit, tout cela nest quune manire de me montrer lamour et lintrt qu leur avis ils mont toujours tmoigns toute leur vie. Cest pourquoi ils ne peuvent comprendre que depuis trois mois je ne leur ai pas tlphon, ni rendu visite. Ils voudraient sans doute que je me sente coupable. Mais il est trop tard pour a, comme pour beaucoup dautres choses. Il mest impossible de me sentir cou- pable maintenant que jai lutt avec ces vieilles histoires dans le cabinet de J anov pendant des heures et pendant de nombreuses autres heures dchirantes dans le secret de mon esprit malade. Ce que je ressens, ce que jai d ressentir si je veux gurir, cest le vide qui tait la r- compense de tout mon dsir dsespr dobtenir lamour de mes parents. Maintenant, jai assez progres- s pour comprendre ce que je suis et ce que sont mes sentiments. Pour comprendre, il suffit de ressentir et de faire des connexions. Ainsi, quand il sagit dun jour comme celui daujourdhui, o tous les enfants, jeunes et vieux, ho- norent leurs parents, je dois reconnatre que cela na aucun sens. Pour moi, cela reviendrait persister dune manire absurde dans mon besoin nvrotique de lamour de mon pre et de ma mre. Ce serait recom- mencer la lutte pour lobtenir. Cest inutile. J e ne peux ni honorer ni respecter mes parents. J e les prends pour ce quils ont toujours t : sans affection et indiffrents. Mais je comprends aussi que ce quils ont vcu dans leur enfance a fait d'eux des victimes exactement comme ils en ont faite une de moi. Ils taient incons- cients, stupides, dnus de toute clairvoyance. J e ne peux donc pas leur en vouloir. J e ne peux pas les har. Aprs tout, je ne peux pas les blmer pour ce qui sest pass depuis le jour o jai eu cette vraie prise de cons- cience car depuis, cest moi qui ai la responsabilit de ma sant. Mais des jours comme celui-ci sont tristes parce quils me rappellent le grand mensonge que lon ma fait, moi, mes frres et surs et toute lhumanit. Il ny a tout simplement rien, rien du tout. J e suis heureux davoir la libert de sentir ce nant. Car si jtais encore profondment malade, je lutterais pour dcouvrir un sens, je lutterais pour obtenir de lapprobation pour ma pit filiale qui apporte des ca- deaux; je lutterais pour obtenir lamour qui na jamais exist pour moi, je lutterais pour rester malade. Navoir jamais obtenu de l'amour nest pas trs agrable. Un point cest tout.
12 juillet
Aujourdhui sachve la vingtime semaine de thra- pie. J e ne suis pas dhumeur tirer des conclusions sur moi-mme ou crire quelque chose qui pourrait res- sembler une auto-apologie, mais il y a un certain nombre de choses importantes que je voudrais dire propos de moi-mme. Il y a vingt semaines, jtais un moment de ma vie o je me sentais foutu. J ai dit au dbut de ce journal en quoi consistaient mes difficults et ma folie. Aujourdhui, si je mobserve et ressens o jen suis, jarrive au bilan suivant : 1. J e me suis presque compltement dbarrass de tout comportement compulsif. J e ne fume plus. Ma tendance manger lexcs sest considrablement attnue et je ne mange plus entre les repas. J e ne me suis jamais rong les ongles et je nai jamais bu trop dalcool de sorte que de ce ct-l, il ny a pas eu de problme. Toutefois, jai supprim le vin de mes repas et maintenant que je pourrais boire en toute libert, je ne le fais pas. Auparavant, je me plaisais penser que jtais raffin ou quelque chose comme a, parce que je buvais du vin aux repas. 2. J e suis rarement agressif. Auparavant, jtais agres- sif envers tous ceux avec qui jentrais en contact : que ce soient les agents de la circulation, les enseignants, les mdecins, les gardiens de parking, les pompistes, les serveuses de restaurant, etc. A dix-neuf ans, les rixes taient lordre du jour et elles ont continu pisodi- quement pendant un ou deux ans. J e mappliquais regarder tout le monde avec mpris et employer un langage de charretier pour lancer nimporte quoi la tte de nimporte qui, la moindre provocation. Main- tenant et ce rsultat a t atteint au bout de deux semaines de thrapie dj je suis la douceur mme. J e nai mme pas honte demployer ce terme pour parler de moi. J e suis tout simplement affable. Mon travail me met en contact avec des adultes qui se battent toujours avec dautres et qui prennent plaisir employer un lan- gage grossier ou provocant, et cela ne matteint pas. Pour moi, cest trs beau. J e reste totalement extrieur aux disputes. 3. J e ne suis que trs rarement de mauvaise humeur, uniquement quand je refoule ce que je ressens. J e le suis si rarement que je ne me souviens plus quand je lai t pour la dernire fois. Alors que, par le pass, je ltais continuellement. Au lever, jtais dj sombre et em- merd : la plupart du temps, je restais morose toute la journe. Exceptionnellement, il marrivait de passer une journe sereine. Maintenant je suis la plupart du temps quilibr et en gnral serein. Ce nest pas quelque chose de fabriqu ou de rflchi cest ainsi, un point cest tout. Dhabitude, je mveille sans rveille-matin et je souris spontanment ma femme. J e dis bonjour aux gens que je connais et je souris mme certains. Pour les autres, cest peut-tre quelque chose de naturel, mais pour ma femme et moi, cest nouveau et merveil- leux. 4. Dans mes activits quotidiennes, je suis extrme- ment efficace et productif, non pas rentable , qui ne sapplique quaux machines. Autrement dit, comme je nai plus dans la tte et dans les tripes ce poids qui mobligeait tre fou, je peux aller travailler et faire le boulot dune journe de huit heures en cinq heures et demie ou en six heures et demie. J e me lve plus tard si jen ai envie ou je rentre chez moi plus tt si cela me chante. J occupe un poste important, et dans ce do- maine, je suis le seul de toute la rgion pouvoir faire le travail que je fais. Ce quil y a de particulier, cest que quasiment personne ne comprend ce que je fais. Mais jai perdu la manie nvrotique de courir partout pour expliquer aux gens (aux parents) ce que je fais afin dobtenir leur approbation. Quils comprennent ou pas, cest leur affaire. Ma comptence stend aussi dautres domaines, je suis devenu plus habile faire de petites rparations droite et gauche, donner un avis prcis quand on me le demande, arranger les choses en quelque sorte. 5. Ma vie est bien ordonne, quilibre (cest le con- traire de bien organise ). Cela peut sembler tre le contraire de la vie, mais il nen est rien, bien ordon- ne , cela me garantit une vie dont je peux jouir et le temps ncessaire pour le faire. Il y avait toujours dans mes affaires, une proportion extraordinaire de gchis, je ne faisais que des btises : je ne moccupais pas des choses, de rgler les factures, de payer les contraven- tions, etc. Maintenant, je perds moins de temps et dnergie en moccupant tout simplement de tout ce dont il faut que je moccupe. Cest vraiment une sorte de conservation de moi-mme, parce que je vaux quelque chose mes propres yeux, et parce que je suis en vie et que je suis heureux de ltre, je suis heureux de prendre soin de moi, ce qui revient chercher faire tout ce quil faut avec un minimum defforts et de sueur. 6. J ai bien souvent des ractions plus naturelle- ment intelligentes. Cela peut paratre vaniteux; pour- tant alors que dans le temps javais pens que jtais malin, maintenant et depuis deux mois, je suis mon intelligence. Par consquent, je nai plus besoin de me remplir la tte dinformations sur un sujet particulier sauf sil mintresse, ce qui en gnral nest pas le cas. J e parle de lintelligence en tant que facult de savoir ce qui se passe en moi, o jen suis. Quand je sens cela, je possde une sorte dintelligence naturelle. En fait, mes lectures se sont rduites trois livres au cours des vingt dernires semaines trois romans, trs agrables. Au- paravant, jtais connu pour la voracit avec laquelle je dvorais les bouquins. Il ntait pas rare que javale trois quatre livres dans la semaine. J ai la facult, naturelle ou acquise, de lire bien et vite, tout en comprenant par- faitement ce que je lis. Maintenant, je ne lis plus. 7. Sur le plan social, je nai aucune activit, jaime tre seul avec moi-mme. J avais lhabitude de marranger toujours pour avoir quelque chose faire et je considrais le fait dtre seul comme la marque dun pauvre type. Maintenant, cest exactement linverse. Seul, je le suis, je lai toujours t, je le serai toujours et le sentiment que je suis libre dtre seul est merveilleux. Au fur et mesure que je poursuis la thrapie, ma soli- tude devient de plus en plus pure. J e veux dire quil y a deux mois, jentendais par tre seul, lire un livre seul, tre couch seul sur un divan ou me promener seul. Maintenant, cest devenu tre purement et simplement seul, autrement dit, ne faire absolument rien, seul. Cela signifie pouvoir rester allong seul sur un divan sans faire marcher le tourne-disque. Seul veut dire seul, et cest exquis. 8. J e jouis dune sant physique parfaite parce que je suis relativement exempt de tension. Les troubles phy- siques et les maladies faisaient toujours partie de moi- mme. J e comptais avoir et javais effectivement cinq ou six refroidissements ou bronchites par an. De- puis janvier, je nai eu quun refroidissement. Depuis des annes, javais cinq six violents maux de tte par semaine. Maintenant, depuis le dbut de la thrapie, jai peut-tre eu mal la tte une fois toutes les trois se- maines, et alors il suffit que je mtende et que je res- sente ce que cest pour que le mal disparaisse immdia- tement sans laisser nulle trace. J e souffrais galement de constantes aigreurs destomac vraiment constantes. J e nen ai pratiquement plus, lexception de trs l- gres brlures quand je bois un jus dorange ou de to- mate, etc. J e ne prends plus de pastilles pour aider la digestion alors que jen consommais un demi-tube par jour. 9. En gnral, jai lesprit vif, je vois les choses de manire beaucoup plus claire. Cela pourrait tre une consquence de ce que jai dit au paragraphe 6. J e veux dire que jai, la plupart du temps une conscience aigu de ce qui se droule autour de moi. J e pressens les dan- gers et les conversations dautrui, etc. Car, quand je me sens moi-mme, je suis capable de prvoir, presque comme un voyant. Cela ne signifie pas que je passe mon temps des machinations ou imaginer des choses du genre : Aha ! je sais ce quil va dire... donc moi je dirai a et a... a veut simplement dire que je sais que je sens ce qui se passe. 10. J e suis un homme sensible et (par opposition au dur que jtais) jaime les choses dlicates. J e nai jamais t comme a, rien ne mavait jamais paru dli- cat. Maintenant, je prends rellement plaisir soigner les fleurs, les regarder pousser, jaime entendre les rires denfants dans les rues. J aime caresser les chiens. J e navais pratiquement jamais rien prouv qui res- semble du respect pour la vie, en dehors de la vie humaine. J usqu lge de vingt-cinq ans, par exemple, je navais jamais tenu un petit chat dans mes bras. J ai perdu beaucoup de choses faisant partie du moi irrel qui avait t brutalis et je permets au moi rel dmerger. 11. La vie nest pas une lutte. J amais auparavant, je navais pu ressentir cette vrit. Pour moi, la vie ou vivre nest pas gagner un combat ou une bataille, cest renoncer combattre, arrter la lutte. Ds que je com- mence lutter (pour ne pas vouloir tre le bb), jai de nouvelles difficults. Tout ce que je dois faire, cest tre et, en dpit de ses hauts et de ses bas, la vie pourrait tre ternellement belle. Voil peu prs ce que je voulais crire. Il se peut que jaie crit des choses qui mriteraient plus ample approfondissement. Tout ce que je sais, cest que je le comprends entirement. J e me suis permis dcrire sans complexe, je me suis tout simplement couch nu sur ces pages : si je pue, je pue. Si je suis moche, je suis moche... Cette manire de se dshabiller na toutefois t quune premire tape et si jai encore lair quelque peu irrel, cest que je le suis sans doute encore un peu. Mais sil me reste encore un certain degr dirralit, il y a maintenant dans ma vie un sentiment nouveau, le sentiment inluctable que la fin de toute irralit sera atteinte. Il ny a aucun moyen de rfuter mon affirma- tion que la thrapie primale ma sauv la vie, mais je nai pas non plus le moyen de le prouver aux autres. De toute faon, la question des preuves est sans importance. Il me suffit de savoir que ma vie a chang pour le mieux, car elle est devenue et devient de jour en jour plus relle lentement mais srement. Et je sais quelle est plus relle parce que plus je prends cons- cience de ce quil y a de mauvais, de pourri, de laid et de dsespr, plus je me sens bon, pur, en accord avec moi-mme, et beau et aimant. Nulle part ailleurs que dans cette thrapeutique, on ne peut parler plus propos de dialectique.
CHAPITRE 13
LA THEORIE PRIMALE ET LES AUTRES APPROCHES THERAPEUTIQUES
La thorie primale est une structure conceptuelle la- bore pour expliquer un phnomne qui sest produit dans mon cabinet. A mon avis, cest une thorie spci- fique et non une simple prolongation ou variante dune thorie dj existante. Cependant, certains aspects de la thrapie primale se retrouvent dans dautres formes dapproches psychologiques. J e me propose, dans le prsent chapitre, de comparer la thrapie primale cer- taines de ces autres techniques. Mon but nest pas de prsenter une tude complte des autres mthodes, mais dexaminer certains points thoriques et certaines tech- niques dun usage courant. J accorderai une place parti- culire aux concepts dinsight et de transfert qui jouent un rle important dans un grand nombre de thrapies.
Les coles freudiennes ou psychanalytiques
Sur certains points, la thrapie primale rejoint les premires thories de Freud. Cest Freud qui, le pre- mier, a soulign limportance quont les expriences de la petite enfance pour la formation de la nvrose et il fut galement le premier tablir la relation entre le refou- lement des sentiments et le dsordre mental. Cest en- core Freud qui mit systmatiquement laccent sur lintrospection et sur linfluence des processus internes quant au comportement extrieur. Son explication des systmes de dfenses a apport une contribution essen- tielle la psychologie. Malheureusement, en voulant amliorer les dcouvertes de Freud, les no-Freudiens ont dplac laccent de la petite enfance au fonctionne- ment du moi dans le prsent. En fait, ce que les no- Freudiens ont considr comme un progrs reprsente aux yeux de la thrapie primale une rgression. Tout au long de ses exposs, Freud a soulign que lanalyse sattachait aux manifestations drives de linconscient, y compris la libre association, et lanalyse des rves. J e pense que lon peut atteindre linconscient directement, sans lintermdiaire de matriaux drivs. En fait, il semble que lexamen de ces manifestations drives ne fasse que prolonger inutilement le traite- ment. En thrapie primale, lapproche est directe, ce qui permet de rduire considrablement la dure du traite- ment. Lorsque lanalyste pousse le patient analyser ses associations mentales ou ses rves pendant quil est tendu sur le divan, il fait exactement ce qui lempche dentrer en confrontation directe avec ses sentiments. Un rve peut par exemple rvler que le patient nourrit une hostilit inconsciente rencontre de sa mre ou de la peur envers son pre. Ces sentiments sont mis en vidence par le thrapeute. Mais ce que le thrapeute ne fait pas, mon avis, cest permettre au patient de se laisser submerger par sa colre et de la crier sans rete- nue. Dans le schma freudien, cela serait considr comme un comportement conduisant une dsintgra- tion. J e pense au contraire que cest une conduite qui mne lintgration, permettant aux sentiments incons- cients de rintgrer le systme de la conscience. J e ne crois pas que lanalyse sous quelque forme quelle soit pratique soit une mthode valable. Etre analys , ma expliqu un patient, cest tre agi . Toute ma vie, jai t agi, ce quil me faut, cest faire lexprience par moi-mme. J e voudrais prciser clairement ce que jentends par analyse freudienne de manifestations drives. Repre- nons le paradigme de la thrapie primale. Il y a un be- soin ou un sentiment que le sujet ne peut pas ou quil nose pas ressentir. Ce sentiment, ou ce besoin, est blo- qu et ce qui merge est quelque chose de symbolique une pense ou un comportement de substitution. Lanalyse des matriaux drivs est lanalyse de ce domaine symbolique; il est invitable quelle sgare dans un ddale interminable de symboles : rves, hallu- cinations, fausses valeurs, illusions, etc. Graphiquement, on pourrait reprsenter cela ainsi :
bloc de souffrance illusions sentiment / valeurs et philosophies fausses besoin rves hallucinations Essayons de transposer cela en termes simples. Nous avons tout coup une faim terrible; le symbole qui apparat au niveau de la conscience est la pense dune nourriture quelque chose susceptible de satisfaire ce besoin. Lesprit prsente automatiquement lorganisme des symboles adquats de sorte que les besoins peuvent tre satisfaits directement et que la survie soit assure. Mais supposons quil soit interdit de penser nourriture . Le sujet doit alors, m par la peur ou la douleur, substituer une autre pense une pense symbolique. Il doit faire arriver au niveau de la cons- cience un substitut irrel parce que son besoin rel est toujours l, mais bloqu. Il en est de mme du besoin damour. Lenfant a be- soin quon le tienne et quon lui parle, mais il apprend vite quil ne sera pas aim. Le besoin est en lui et doit tre satisfait dune manire ou dune autre. Lenfant a par consquent recours des substituts. Or, tout substi- tut est ncessairement symbolique puisquil nest pas rel. Le besoin qui est bloqu apparatra sous forme symbolique dans les rves, les illusions, les hallucina- tions, les pulsions de domination, etc. Toutes ces mani- festations symboliques sont drives du sentiment du besoin. Dans certains cas, quand toutes les autres voies lui sont interdites, le sujet essaie de tuer ce sentiment coup dalcool ou de drogue. Mais, mme lusage de lalcool ou de la drogue nest quun comportement symbolique provenant du besoin. Sattaquer lalcoolisme ou la toxicomanie sans tenir compte de ce besoin, cest comme s'occuper des rves sans soccuper des besoins de lorganisme. J e prtends quil est inutile de sattacher ces mani- festations symboliques drives et que cest cette d- marche qui fait que la psychanalyse est un traitement aussi interminable et douloureux. Il est temps de plon- ger travers les symboles, darriver au besoin, de r- duire la dure de la thrapie (parfois de plusieurs an- nes) et de gurir. Ce qui implique essentiellement que les tests projec- tifs (tel que le Rorschach, les tests de personnalit, etc.) devraient tre superflus sauf dans quelques rares cas. Les tests projectifs sont des tests de projections symbo- liques. Linterprtation que fait le psychologue de la projection, dpend de ses positions thoriques. Il y verra des choses diffrentes, selon quil sera de lcole de J ung, de celle de Freud, ou de celle de Adler. Tout cela est un jeu de devinettes mme si nous essayons pendant des annes de vrifier la justesse de nos tests; car on cherche en dduire les sentiments dun autre tre hu- main alors que le patient seul est en mesure de les con- natre. Lune des diffrences essentielles qui sparent la th- rapie freudienne de la thrapie primale est la conception du systme de dfenses. Dans loptique de lanalyse freudienne, lexistence du systme de dfenses est n- cessaire et saine. On ne verra donc jamais un psychana- lyste freudien chercher pntrer les structures de d- fense pour les faire clater et librer totalement les sen- timents inconscients. Au lieu de cela, les quelques sen- timents qui se manifestent, sont incorpors, expliqus et finalement compris dans le cadre de la thorie freu- dienne. De cette faon la signification du sentiment est extraite dun lment entirement personnel, pour tre transpose sur le plan abstrait en une donne concep- tuelle. Cest pourquoi il ny a pas dinterprtation en thorie primale. Le sentiment qui merge contient sa propre signification. La thrapie primale affirme quun systme de d- fenses, sain nexiste pas. Les systmes de dfenses constituent la maladie. Cela ne veut pas dire que la psychanalyse nest pas la recherche des sentiments. Mais en gnral, ce ne sont pas des sentiments primals, ceux qui peuvent mettre le patient dans un tat convul- sif. Si un malade prsentait en psychanalyse freudienne ce genre dhystrie , ce phnomne serait considr comme un effondrement de son systme de dfenses et lon prendrait immdiatement toutes les mesures nces- saires la reconstitution de ce systme au lieu de pous- ser le sujet encore plus profondment dans son hyst- rie . Les Freudiens pensent quil y a en nous des ins- tincts de destruction et dagressivit quil convient de freiner et de contrebalancer si lon veut que le sujet fonctionne dans la vie sociale. Pour un thrapeute freudien qui travaille dans le cadre de ces principes, il serait impensable de lcher la bride ces forces de destruction . Au contraire, le thrapeute primal voque ces sentiments justement pour que le systme de dfenses seffondre. A cet gard, la thorie freudienne et la thorie primale sont antithtiques. Les Freudiens aident le malade garder un certain contrle de manire ce que le moi dfensif (irrel) soit prserv, alors que le thrapeute primal veut dtruire ce moi irrel pour librer le moi rel, dpourvu de dfenses. J . Michaels rsume ainsi le point de vue psychanaly- tique : La mdecine abandonne peu peu le mythe de lindividu normal... nous sommes tous plus ou moins nvross. La doctrine fondamentale de la psychanalyse affirme que le conflit est lessence de la vie et la renon- ciation au monde des instincts, le prix de lhomme civi- lis 1 . J . Michaels paraphrase ensuite Alexandre Pope en di- sant : Etre nvros, cest tre humain. De son ct, Levine estime que la normalit... nexiste pas 2 . Pour la thrapie primale, ltat normal est ltat naturel et ltat anormal est une perversion et une distorsion de cet tat naturel o le sujet est libre de toute tension et de toute anxit. Nous sommes l au cur de la diffrence. La psychanalyse requiert lexistence dun systme de dfenses parce quelle pose a priori une anxit fonda- mentale contre laquelle il faut se dfendre. Mais la tho- rie primale ne reconnaissant pas lexistence de cette anxit fondamentale (ou dinstincts de destruction quil faudrait rprimer), elle ne reconnat pas la ncessit dun systme de dfenses.
Wilhelm Reich
Reich crivait en 1942 : La nvrose nest en aucune manire uniquement lexpression dun quilibre psy- chique perturb, elle est lexpression dune perturbation chronique de lquilibre vgtatif et de la mobilit natu- relle 3 . Reich explique quune contraction musculaire nest pas une simple consquence de la rpression, mais
1 J oseph J. Michaels, Character Structure and Character Disorders , dans Silviano Arieti, d., American Handbook of Psychiatry (New York, Basic Books, 1959). 2 Maurice Levine, Psychotherapy in Medical Practice (New York, Macmillan, 1942). 3 Reich, op. cit., pp. 266-267. quelle constitue lessentiel du processus de rpression : Tous les patients sans exception rapportent quils ont connu des priodes dans leur enfance o ils ont appris rprimer leurs sentiments de haine, danxit ou damour par certaines pratiques (retenir leur souffle, contracter les muscles abdominaux, etc.) qui ont in- fluenc le fonctionnement de leur systme vgtatif. Reich souligne ainsi que la nvrose nest pas simple- ment un phnomne psychique mais aussi un phno- mne biophysique. Ce quil faut noter dans sa conception, cest quil pen- sait quil pouvait y avoir une approche physique de cette structure biophysique. (On peut) viter lapproche dtourne des troubles par le biais des manifestations psychiques et les atteindre directement partir de lattitude physique. Si lon procde ainsi, le sentiment refoul rapparat avant le souvenir correspondant. Cest ainsi que beaucoup de disciples de Reich proc- dent surtout certaines manipulations physiques pour soulager la tension physique. Un patient, qui avait t trait ainsi, reconnaissait que ces exercices soulageaient souvent la tension, mais comme ils ntaient pas ac- compagns dune connexion mentale, ils ne semblaient pas avoir un effet durable. Il reste que la thorie de Reich a apport des lments essentiels quant aux aspects physiques de la nvrose. Plus tard, Reich a repris une grande partie de sa thorie pour en faire un schma sexuel quelque peu extravagant qui la discrdit auprs de certains milieux scienti- fiques. Mais ce penchant pour la sexualit mis part, Reich est trs proche des conceptions primales. On pense la perte de la spontanit chez lenfant, premier symptme et symptme essentiel de la rpression sexuelle dfinitive; le phnomne se produit lge de quatre ou cinq ans. Cette perte de la spontanit est toujours ressentie dabord comme une impression de mourir ou dtre emmur . Plus tard ce sentiment dtre mort sera cach en partie par un comporte- ment psychique de compensation, telles une hilarit superficielle ou une sociabilit sans contact vritable. J e pense que Reich voque en ces termes le dbut de la nvrose. Le sentiment de mourir , le comportement qui le dissimule par une dfense, etc., cest ce que jimpute la scne primale. Mme lge o intervient ce dbut est identique. Par la suite, Reich sest concentr principalement sur la tension abdominale : Le traitement de la tension abdominale a revtu une telle importance dans nos tra- vaux, quil me parat aujourdhui incomprhensible que lon ait pu obtenir la gurison ne serait-ce que par- tielle de certains cas de nvrose, sans connatre la symptomatologie du plexus solaire. Il explique plus loin comment la contraction de labdomen provoque la respiration courte et comment, lorsquon a peur, on retient son souffle laide de ltau des muscles abdo- minaux. Pour Reich, la rduction de lamplitude respiratoire entrane une rduction de labsorption doxygne, une rduction de lnergie de lorganisme et par consquent, disait-il, un abaissement de la tension. J e ne suis pas tout fait sr que les choses se passent ainsi, mais je crois malgr tout que nous ne devrions pas ignorer les observations pertinentes et essentielles que Reich a faites sur la relation entre la respiration et la nvrose. La premire fois que je vois un patient, jessaie automati- quement de dterminer comment est pose sa voix et comment il respire. Si je cite Reich, cest que je pense quavec le temps, la psychothrapie a eu tendance ngliger le corps et son rle dans la nvrose. Parce que la nvrose est sou- vent un phnomne dsincarn (une rupture avec le corps) nous lavons traite comme si elle ntait en effet quun processus mental. Cest ainsi quen thrapie de conditionnement, on met laccent sur lassociation d'ides et en thrapie rationnelle sur le raisonnement par substitution. J e crois cependant que les Reichiens daujourdhui se trompent dans le sens inverse en ngli- geant les phnomnes mentaux force de vouloir limi- ner la tension physique. Dans loptique primale, lorganisme est considr comme une unit psychophy- sique. Toute approche qui se veut durable et vraiment efficace doit tenir compte de cette unit. J e ferai par consquent rencontre des diffrentes techniques telles que les thrapies du mouvement (qui font appel la nage, la danse et au toucher) destines librer lorganisme, les mmes objections qu la thrapie de Reich. J e dirais pour ma part que toute ap- proche exclusivement physique ne fait quentretenir le processus nvrotique dans la mesure o cest une tech- nique dsincarne qui nglige des connexions men- tales, ou du moins ne les met pas en vidence, et qui traite le corps comme une entit indpendante de lesprit. J e ne crois pas quil soit possible de librer rellement et dfinitivement lorganisme tant quil reste des souffrances primales profondment enfouies qui provoquent une tension constante, aussi bien physique que mentale. J e considrerais mme une telle tentative comme un comportement symbolique. On comprendra ce que jentends par symbolique si je rapporte un exemple cit ailleurs, dans lequel on place le sujet au centre dun cercle form de personnes qui se donnent le bras, en lui demandant de se librer . J e pense que lon ne peut pas librer lesprit de sou- venirs douloureux qui sont prsents dans tout le sys- tme, en faisant des exercices destins rendre le corps plus souple et plus harmonieux. Ces souvenirs, qui sont actifs un niveau subconscient, continuent envoyer des impulsions tout lorganisme, pour le prvenir du danger ; daprs moi ce danger subsistera tant quil na pas t ressenti et rsolu. Cest alors quune vritable dtente sera instaure et les exercices phy- siques peuvent ce moment tre utiles et dune efficaci- t durable. J e ferai exactement les mmes objections aux approches qui esprent librer lesprit en le diri- geant vers les penses saines . On peut ignorer les souvenirs primals et les remplacer par des penses heureuses , mais cela ne supprime pas la souffrance. Dans le schma primal, la connexion est non seulement souhaitable, mais essentielle. Dans ltude de la nvrose, il faut toujours avoir lesprit son tiologie : quest-ce qui fait quun individu est tendu, anne aprs anne, sans rmission : lhabitude ? une raction conditionne au monde qui lentoure ?... Peut-tre, mais je crois que le problme est beaucoup plus complexe. La tension indique lactivit dun systme qui cherche satisfaire les besoins de lorganisme. Ce systme est tout le moins inefficace, puisquil emploie toujours des moyens inadquats, sans jamais comprendre compltement quils ne pourront jamais satisfaire les besoins. Cest un rseau complexe quil faut traiter tout entier et non par lments isols comme on le fait pour les bras et les jambes dans la thrapeutique par la danse, pour le langage dans les thrapeutiques par la parole, ou pour un nez pris, dans les thrapeutiques antiallergiques. Une tte prise par exemple nest souvent que le rsultat de la concentra- tion, dans une rgion particulire, de la pression qui pse sur tout lorganisme. Cest par consquent cette pression quil faut traiter si lon ne veut pas que le sujet soit condamn se moucher constamment toute sa vie pour allger la pression lintrieur de sa tte.
Ecole behavioriste ou du conditionnement
Les techniques de conditionnement sont de plus en plus apprcies chez les thrapeutes, surtout dans les hpitaux psychiatriques et dans lenseignement de la psychiatrie. Sans entrer dans limmense domaine des ouvrages qui ont t crits ce sujet, je voudrais exami- ner ici quelques-unes des affirmations fondamentales sur lesquelles repose cette approche. Lun des principes fondamentaux consiste dire que les problmes psy- chiques rsultent des mauvaises conditions dans les- quelles sest faite lducation. La nvrose viendrait des dfauts de lducation. Ainsi, pour des raisons de r- compense ou de punition, le nvros a appris un certain nombre dhabitudes ou de ractions mal adaptes ou inappropries. Ces habitudes subsistent et avec le temps, elles ont tendance se durcir. Dans son livre Condition Reflex Therapy, Andrew Salter crit : Linadaptation rsulte dun mauvais conditionnement et la psychoth- rapie est un reconditionnement. Les problmes de lindividu sont le rsultat de ses expriences sociales et en changeant la forme de ses relations sociales, nous changeons sa personnalit. Notre rle nest pas de don- ner au sujet une reconnaissance structure de son pass par la mthode de linterrogatoire mais bien plutt de lui fournir une connaissance rflexe de son avenir par ses habitudes. La position que Salter dfinit ici correspond appa- remment loptique gnrale de beaucoup dcoles ayant adopt cette mthode, bien quelles diffrent entre elles de nombreux gards. Leur thse principale est que le sujet apprend tre heureux en prenant des habi- tudes psychiques, de mme quil a appris tre malheu- reux. Cette approche ne sattache quau comportement dans lensemble. Un comportement bien adapt, effi- cace et productif est considr comme un critre de sant psychique. J ai dj parl du comportement et je rpterai ici quil ne dit pas grand-chose de ce que le sujet ressent ou sil ressent quelque chose. Des patients qui ont eu un comportement efficace pour ce qui est de leur statut social et professionnel ou de leurs revenus, rapportent quils ont toujours eu limpression dtre morts et que tout ce quils faisaient leur paraissait dnu de sens, une simple routine. Il se peut que leur comportement ait t mcanis au tout dbut de leur vie par deux machines spcialises dans le conditionnement (les parents), qui rcompensaient le comportement n- vrotique et punissaient le bon comportement; mais la souffrance qui en a rsult, ne peut pas, mon avis, tre supprime en modifiant lorientation des symp- tmes ou le comportement extrieur. Elle ne disparatra pas si lon change simplement lexutoire. On trouve dans les ouvrages beaucoup dexemples de thrapie du conditionnement. On a fait par exemple, dans un hpital psychiatrique, lexprience suivante sur des alcooliques : on installe un bar, et chaque fois quun malade boit une gorge dalcool, il reoit une dcharge lectrique qui, sans tre dangereuse, est douloureuse... Lintensit du courant augmente jusqu ce que le ma- lade crache lalcool dans un bassin dispos l cet effet; ce moment-l, le courant est coup. Cest ce quon appelle le conditionnement instrumental. Le principe consiste associer un mauvais comportement , que lon veut liminer, un stimulus dsagrable, de sorte que lon chasse cette habitude indsirable en la rendant dsagrable. Une autre variante de conditionnement ngatif con- siste montrer une srie de cartes un groupe dhomosexuels; certaines de ces cartes reprsentent des nus masculins. Chaque fois quune de ces cartes appa- rat, le sujet reoit une dcharge. On espre que la vue de ces nus prendra alors un caractre assez douloureux et dsagrable pour dtourner le sujet de lhomosexualit. Une exprience de conditionnement positif a t faite en Angleterre sur des pdrastes. On les faisait se masturber jusqu ljaculation; ce mo- ment, on appuyait sur un bouton qui faisait apparatre une photo de femme nue. L encore on espre obtenir que le plaisir sexuel soit associ la femme et liminer ainsi les tendances homosexuelles antrieures. Ces expriences reposent sur lhypothse selon la- quelle on peut apprendre de nouvelles habitudes grce des associations agrables ou dsagrables. Alors quil parat assez raisonnable de penser que les sujets auront tendance choisir les comportements assortis dune rcompense et liminer ceux qui ne le sont pas, on oublie le dynamisme inhrent une habitude nvro- tique. Dans le cas de lhomosexualit, par exemple, ce traitement nglige compltement le terrible manque damour et le grand besoin dtre tenu et caress; au lieu de cela, il force le patient, coup de punitions, renon- cer son besoin. Autrement dit, lexpression de ce be- soin est enfonce encore plus profondment dans le subconscient, ce qui entrane une aggravation de la nvrose... On ne peut pas liminer un besoin par le con- ditionnement parce que cest le besoin qui est rel, et je crois quil trouvera toujours de nouveaux exutoires quand les anciens seront ferms. J e crois que les tech- niques de conditionnement auront pour rsultat un sur- crot de tension et lapparition, par la suite, dautres symptmes, qui peuvent tre plus graves encore. J e ne pense pas quon soigne la maladie en gurissant les symptmes. Pour soigner la nvrose, il faut sattaquer aux besoins; les techniques de conditionne- ment ne soignent gnralement pas la tension en tant que telle. La thrapie primale est aussi loigne des mthodes de conditionnement que de presque toutes les autres approches. En thrapie primale, on ne considre pas les peurs du sujet comme des entits, on considre que cest lui qui les cre. La thrapie primale sattache aux phnomnes in- ternes tandis que les techniques de conditionnement sattachent au comportement extrieur. En consquence, une peur quprouve le malade dans le prsent ne sera pas examine en thrapie primale comme un phno- mne en soi mais comme le rsultat de tout un processus historique. Dans le traitement dune phobie, la thorie primale considre que le sentiment (dans lexemple choisi : la peur) est toujours rel mais que le contexte est symbolique. Par exemple, dans le vertige, ce nest pas vraiment du vide que le sujet a peur, mais de quelque chose dautre, quil ne comprend pas. En thra- pie du conditionnement, on examinerait le symptme : la peur des prcipices dans son ensemble et lon tente- rait dobtenir que le sujet soit plus dtendu dans les situations de ce genre. La thrapie primale cherche tablir la bonne connexion avec la peur. J e crois que cest cette connexion qui limine la peur en gnral et le besoin de se concentrer sur des substituts. Le principe implicite de certaines techniques de con- ditionnement est le suivant : on considre que lindividu est plus ou moins une machine dont le comportement peut tre dtermin positivement ou ngativement par des interventions extrieures sans que la conscience intervienne. Il semble que ce soit de cette philosophie que dcoulent lentranement militaire et les mthodes dducation autoritaire. On affirme que la nvrose peut tre modifie durablement, mme quand lindividu na pas la moindre ide de ce qui lui a fait adopter un com- portement irrationnel ou de ce qui pourrait le lui faire abandonner. Mis part mon dsaccord pour des raisons psychologiques, je minquite de la prolifration et de lacceptation gnrale des techniques de conditionne- ment actuelles. Cette manire de voir les individus comme des units que lon peut manuvrer sa guise fait partie dun certain esprit du temps (Zeitgeist), partie de la dshumanisation de lhomme dans laquelle ses sentiments, ses buts et son intellect ne sont que des considrations secondaires dans la tentative de produire et dobtenir des rsultats. J e crois que le traitement m- canique des tres humains fait partie des maux du sicle et que ce phnomne na pas t pour rien dans la nais- sance de la nvrose. J e crains que la psychologie ne soit absorbe ou englobe dans cette tendance gnrale de la socit la mcanisation o les effets symptomatiques quils soient sociaux (contestation tudiante par exemple) ou individuels sont limins par des tech- niques punitives sans que personne pose jamais la ques- tion dcisive de leur pourquoi . Pour comprendre les symptmes, il faut en examiner les causes. Il n faut jamais oublier que tout tre humain a une histoire. La difficult vient peut-tre du fait que les techniques de conditionnement ont t utilises avec succs sur les animaux et quon a extrapol sur les hommes. Mais les hommes ne sont pas des animaux. J e crois que la thorie du conditionnement a jou un rle important dans lhistoire de lducation et de la psychologie, notamment dans le domaine de lapprentissage et de lducation. Il est certain quil existe des conditions particulires qui favorisent ou entravent lacquisition du savoir et une thorie ce sujet peut tre utile; la faon dont les gens apprennent, dans quelles conditions et quel ge sont des domaines dignes dexploration. Mais je ne crois pas quon puisse venir bout de la complexit du processus nvrotique laide du modle de lapprentissage. Les besoins sont aussi bien physiques que mentaux et je ne vois pas comment on peut prtendre soigner la nvrose en ngli- geant les besoins. Pour moi, la nvrose est un processus entirement psychophysique alors que lapprentissage est un processus avant tout mental. Or il nest pas pos- sible quune intervention au seul niveau mental suffise modifier qualitativement le systme psychophysique.
L'cole rationnelle (the Rational School)
Cest Albert Ellis que nous devons la thorie rcente de lapproche rationnelle. On ne classe gnralement pas cette thrapie parmi les thories behavioristes, pour- tant, certaines de ses techniques sont similaires. Par exemple, un thrapeute de lcole rationnelle pourra conseiller un homosexuel dessayer de parvenir un comportement htrosexuel en se rptant un certain nombre de formules du style : J aime les femmes, je nen ai pas peur, jaime le sexe... Ici encore, cest le comportement qui compte et lon espre quen associant le comportement souhaitable aux associations men- tales correspondantes, on changera les habitudes. Lcole rationnelle considre essentiellement que le nvros se dit des choses errones. Cest--dire quil se rpte inconsciemment des phrases qui le conduisent un comportement inadapt ou irrationnel. On croit que quand le malade prend conscience de ces formules erro- nes et en adopte de plus rationnelles, son comporte- ment se modifie en consquence. Albert Ellis crivait rcemment dans une brochure :
Les mthodes de linstitut Rationnel reposent sur la conviction que lindividu peut apprendre vivre ration- nellement en prenant conscience du fait que son com- portement et ses motions autodestructeurs proviennent de ses propres conceptions illogiques. Il fait lacquisition de ces ides par un processus biosocial , les intriorise et ne cesse par la suite de se les rpter. Le thrapeute aide le patient mettre en doute ces ides autodestructrices en employant des techniques modi- fiant le comportement. Daprs moi, ce nest pas parce quils ont des concep- tions illogiques que les gens mnent une vie irration- nelle. Ils ont un comportement irrationnel parce quil leur a t interdit au tout dbut de leur vie davoir un comportement rationnel, en accord avec leurs senti- ments. J e considre lhomme comme un tre foncire- ment rationnel. Sil cre des conceptions illogiques, cest pour expliquer ou pour rationaliser son com- portement nvrotique. En niant sa propre vrit, lindividu se contraint btir tout un rseau de non- vrits. Agir selon ses vritables sentiments est, parat- il, une entreprise essentiellement rationnelle et quand les patients, aprs la thrapie primale, arrivent enfin sentir la vrit, ils sont capables dadopter des vues ration- nelles dans bien des domaines de lexistence, sans grandes discussions intellectuelles. Pourquoi n'ont-ils pas compris auparavant ? Parce que la rpression des sentiments signifie la rpression de la perception et de la comprhension. Cest le refoulement qui rend nces- saires des croyances qui ne sont que des substituts et donc fausses. Ellis parle dmotions autodestructrices ; cest une notion que lon retrouve dans de nombreuses thories. J e ne crois pas quil existe des motions qui dtruisent le moi. Cest plutt le refoulement de ces sentiments du moi qui est destructeur. Les sentiments ne peuvent pas dtruire le moi, ils en font partie. Ce que lon considre souvent comme une motion destructrice la colre est le rsultat dune souffrance refoule. Cest labsence de sentiments qui dtruit le moi, et cest labsence de sentiments qui permet la destruction des autres et de leur moi. Sil est exact que le nvros adopte un comportement irrationnel parce quil se rpte des maximes errones, comment se fait-il alors que beaucoup dentre nous se rptent des maximes justes sans changer pour autant ? Le fumeur se dit bien que 70 % des fumeurs meurent dun cancer des poumons mais il continue fumer un paquet de cigarettes par jour. Lalcoolique peut se rp- ter tous les jours que lalcool dtruit le foie et nan- moins boire son litre. Lhomosexuel se dira quen rali- t il aime les femmes mais il continuera avoir des rapports sexuels avec des hommes. Sil hait les femmes, il les hait. Cette haine na rien de rationnel; cest la gnralisation dun vieux sentiment primal profond- ment enfoui et qui ne pourra changer avant quil ne soit ressenti et rsolu. La haine quprouve un homosexuel pour les femmes peut dcouler des relations dtestables que pendant des annes il a eues avec sa mre. Place dans son contexte, cette haine tait peut-tre rationnelle. Pousser un homosexuel qui a prouv une haine fonda- mentale pour sa mre se dire quil aime les femmes encouragerait, selon moi, sa simulation et par cons- quent perptuerait la nvrose. Une de mes malades qui avait suivi une thrapie ra- tionnelle, disait : J e me rappelle quun jour, jai dit au mdecin que jtais bouleverse parce que mon ami mavait quitte. Il ma rpondu que mon attitude tait irrationnelle et quil me fallait me dire que je pouvais trs bien vivre sans lui et que je navais pas besoin damour pour continuer vivre. Cela avait un certain relent de Christian Science . Il me fallait prtendre ressentir ce que je ne ressentais pas. Peu importe ce que je me disais, je ne pouvais pas me convaincre vraiment que jtais capable de vivre sans mon ami. Maintenant, je sais pourquoi. J ai ressenti ce que javais toujours cherch en cet ami un pre attentif. J e crois que la thrapie primale et la thrapie ration- nelle se distinguent essentiellement par le rle que lon impute la philosophie du malade dans la nvrose. Pour Ellis, lindividu agit en fonction dune philosophie pro- fonde mais inconsciente quil faut rendre consciente. La thorie primale affirme que lon adopte des philosophies en fonction de lattitude quon a lgard de sa souf- france. Autrement dit, une personne qui est franche avec elle-mme aura tendance adopter des ides, des atti- tudes et une philosophie franches.
La Reality therapy
Le reproche fondamental que jadresse toutes les thrapeutiques axes sur le prsent concerne le fait quelles ngligent lhistoire du patient. Elles ne veulent mme pas savoir que le comportement nvrotique a une histoire. La Reality therapy est trs rpandue de nos jours pour deux raisons. La premire cest quelle est simpliste et quelle attire en consquence tous ceux qui ne veulent pas sembarrasser dinvestigations approfon- dies. La seconde plus importante cest quelle sinsre parfaitement dans la culture la mode ce fameux Zeitgeist (esprit du temps) qui, selon moi, pro- duit les nvroses et qui prne les concepts de laction et de la responsabilit. Cest le genre reprenons-nous et faisons quelque chose sans se soucier de ce que lon prouve. Ce que lon souligne, cest la ncessit dagir en homme responsable. Mais cette responsabilit semble toujours sexercer envers quelquun ou quelque chose dautre, jamais envers soi-mme. A mon avis la Reality therapy vite la ralit celle du malade. Elle veut que le patient approche un univers qui nest pas le sien et, dans la plupart des cas, ne peut pas ltre tant quil ne ressent pas les raisons qui lui font adopter un certain comportement. J e rapporte ici le rcit dune patiente qui fait claire- ment ressortir la diffrence entre la thrapie primale et la Reality therapy. Il y a trois ans et demi, comme jtais au bord dune dpression nerveuse, jentrepris de me soigner par la Reality therapy. J avais lu Reality therapy et jen avais tir la conclusion que la nvrose sinstalle quand des besoins fondamentaux de lindividu demeurent insatis- faits. Daprs lauteur, ces besoins sont : aimer, tre aim et sentir que nous avons de la valeur pour nous et pour les autres. Pour avoir de la valeur, disait-il, il faut avoir un niveau de comportement satisfaisant. Nous y arrivons en agissant avec droiture, avec ralisme et en toute responsabilit. Cela me convenait car javais tou- jours agi en fonction de ces trois critres et jen con- cluais que je pourrais facilement me rtablir. A vingt- deux ans, jtais professeur danglais dans un lyce et javais une situation sociale que tout le monde consid- rait comme trs convenable. Mais o mtais-je four- voye, pourquoi tais-je en train de me disloquer ? J e pensais que la Reality therapy maiderait dcouvrir mes erreurs. Au cours des sances, je parlais des relations dplo- rables que javais aussi bien avec mon ami quavec mes parents et, plus gnralement, de mon dgot de lexistence. Mon thrapeute, assis dans un grand fau- teuil de cuir, derrire son imposant bureau et toujours la cigarette la bouche, maccordait toute son attention. Mes problmes semblaient simples rsoudre : il suffi- sait que je trouve quelquun qui sintresse moi et me donne le sentiment de ma valeur. Dans tout cela, il tait implicite que le sentiment de ma valeur devait venir non pas de moi-mme, mais de lextrieur. A la fin de chaque sance, le mdecin me deman- dait : Bon, maintenant quallez-vous faire pour am- liorer votre tat ? J e donnais timidement les rponses que je croyais tre les bonnes : je tcherais de ne plus voir mon ami, je serais plus gentille avec mes parents, je mefforcerais de mintresser davantage mon travail... Rtrospectivement, je me rends compte que je ne faisais que parfaire ce vernis demand par la socit que javais entretenu toute ma vie et qui dissimulait un moi trs malheureux. J e savais ce quon attendait que je rponde et je jouais le jeu des rapports thrapeute-malade avec une apparente impassibilit. J avais toujours t une excellente lve et la thrapie ntait quun exercice de plus que japprenais bien faire. En dpit des bonnes notes que jobtenais en th- rapie javais les flicitations du thrapeute je dcouvrais quil tait beaucoup plus difficile de changer rellement que den prendre la rsolution. Incapable de tenir les bonnes rsolutions hebdomadaires de Nou- vel An, je conclus que je ne faisais pas de progrs et jarrtai le traitement. Deux mois plus tard, jpousai mon ami; aprs six mois, qui furent une amre dcep- tion pour tous deux, nous nous sparmes. J e retournai alors chez mon thrapeute, pensant que si jen tais arrive ce dsastre, cest que je navais pas suivi ses conseils. Nous dcidmes que je quitterais dfiniti- vement mon mari, que je prendrais un nouveau travail et commencerais une vie nouvelle en qute de quelquun qui maimerait rellement. Effectivement, je changeai de travail et fus momentanment distraite de mes pro- blmes. Cependant, au bout de trois semaines, javais rejoint mon mari. Alors, jai commenc le traner mes sances de thrapie (jen avais fait une condition de notre rconciliation) et nous passions toute lheure nous engueuler. Cette attitude qui consistait rduire mutuellement notre tension, convainquit le thrapeute que nous devrions suivre chacun un traitement indivi- duel. Ainsi fut fait et peu aprs, nous russmes tablir entre nous une atmosphre semblable au calme qui rgne juste avant ou juste aprs une grande tempte. Pour ce qui est de la dsaffection entre mes parents et moi, je finis par convaincre ma mre de venir avec moi en thrapie. Ce fut notre seule et unique sance commune : elle passa lheure entire vocifrer et se plaindre que je navais pas la moindre reconnaissance, que javais t une gentille petite fille , quelle souf- frait et se sentait rejete . Le thrapeute proposa doublier le pass et damliorer le prsent. Bien que mes parents aient continu ne pas me comprendre, me critiquer, et rester distants, nous tablmes sur le plan social des rapports offrant une faade conve- nable . J e dis au thrapeute que javais rtabli des rela- tions avec mes parents : mission accomplie. A ce stade-l, dans loptique de la Reality therapy, mes besoins fondamentaux taient satisfaits. J arrivais me convaincre que mes parents et mon mari maimaient, en dpit de limpression de vide et de d- sespoir qui me torturait toujours. J e croyais ou plutt je savais maintenant que javais de la valeur parce que javais un travail et que mon mari avait galement un poste important. Nous agissions tous deux avec droi- ture, ralisme et en toute responsabilit . Cependant, il ny avait pas de bonheur rel, pas de satisfaction authen- tique et pas de paix. Nous avions uniquement russi mettre un couvercle hermtique sur le dsordre qui faisait rage en chacun de nous. A la fin de la cure, nous tions capables de nous dbrouiller et de fonction- ner . Un an aprs, je passai la suite de mon mari en th- rapie primale. Cela avait t une anne de querelles violentes, damertume et de dsespoir et javais plu- sieurs reprises envisag de me suicider. La Reality the- rapy mavait simplement appris modifier mon comportement, mais je ne mtais en aucune faon d- barrasse de la source de mes misres. De toute vi- dence, cette thrapie navait fait que retarder la confron- tation invitable entre moi et mon mal profond. Au- jourdhui, je ressens mes anciennes souffrances, je machemine vers la gurison, non vers un soulagement purement passager. Les diffrences qui sparent ces deux formes de th- rapie mapparaissent trs clairement. Tandis quen Rea- lity therapy, je passais une heure faire de lintellectualisme et du verbiage bref, de la foutaise en thrapie primale, je passe tout le temps quil me faut ressentir ma souffrance. Plus je ressens de souf- france, moins il en reste en moi. J e comprends mainte- nant que je nai pas besoin de conseils extrieurs mais que cest le fait de ressentir ma souffrance qui maidera. Les conseils extrieurs me forcent simplement me conformer un modle de comportement, qui mest impos sans tenir compte de ce que je suis et de ce que je ressens. Cest le modle dune socit nvrotique, et malheureusement en Reality therapy, le but est de sy conformer, bref, dagir avec droiture, ralisme et en toute responsabilit . Par consquent, comble dironie, la Reality therapy me maintenait dans lirralit, puisque jtais complice du processus qui my plon- geait. Au contraire, en thrapie primale, jenlve avec violence les couches du moi irrel, la faade, le masque dimpassibilit. On ne cherche pas vous rendre ca- pable de vous dbrouiller ou de fonctionner , il y a juste la dmolition du moi irrel jusqu ce que je devienne un tre humain qui ressent pleinement. La Reality therapy prtend que les besoins humains fondamentaux peuvent tre satisfaits par nimporte quelle personne ou personnes. Cela maurait maintenue dans une nvrose ternelle puisque ctait mencourager chercher quelque chose dintrouvable, tant donn que ctait lamour de mes parents dont javais besoin. La thrapie primale va au cur du problme : seuls mes parents auraient pu satisfaire ces besoins de petit enfant. Dsormais, je nattends plus de mon mari quil comble les vides que mon pre a laisss en moi. Quand je serai gurie, jaurai acquis la libert de laisser mon mari tre lui-mme et je saurai laimer pour ce quil est sans cher- cher en lui un substitut de mon pre. Quand jtais en Reality therapy, ma nvrose se trouvait aggrave parce que le thrapeute devenait le substitut de mon pre. Il tait gentil, bon, attentif, et il mcoutait comme mon pre ne la jamais fait. En fin de compte, je dpendais du thrapeute au lieu de dpendre de moi-mme. De cette faon, la thrapie aurait pu se prolonger linfini sans accomplir jamais le moindre progrs. J e ne trouve pas juste le principe de la Reality therapy, selon lequel le patient, sil a le sentiment de sa valeur en face du thrapeute, aura galement ce senti- ment dans le cadre des autres relations humaines. En thrapie primale, jai gard mes distances avec mon thrapeute : je ne sens que moi, ma solitude et la certi- tude que personne ne peut me prendre en charge, sauf moi-mme. La thrapie primale moblige affronter ce qui ma rendue malade, elle ne se proccupe pas de mapprendre restructurer mon comportement nvrotique. La Reality therapy me demandait de me dtacher de mon pass et de le considrer comme nayant aucune importance pour le prsent. Au contraire, la thorie primale recon- nat quon ne peut liminer le pass par un oubli intel- lectuel. Il faut voquer le pass, sen souvenir, et, ce qui est essentiel pour le traitement, le ressentir pour tre libre davoir un prsent. Pour la premire fois de ma vie, jespre que le vide en moi va tre combl et que lpaisse couche de souffrance qui menveloppe, sera enleve.
La mditation transcendantale
Lance par les yogis indiens comme Maharishi Maheshi Yogi, la mditation transcendantale connat une grande vogue chez les tudiants et les artistes. La mditation consiste rpter un mantram (une formule du sanskrit qui exprime une relation spcifique entre lindividu et son dieu; par exemple : Dieu, aie piti de moi ) en concentrant toute son attention sur limage du dieu et en faisant abstraction de toute autre proccupa- tion intrieure ou extrieure. Cette mthode comporte aussi des exercices respiratoires, de sorte quen gnral, au sommet de la transcendance , la respiration du sujet est peine perceptible. Le tout se droule parmi les fleurs, les draperies et les parfums dencens. Le but est darriver ne faire quun avec le dieu, datteindre la relaxation complte qui est une forme de batitude. La mditation a pour but la transcendance du moi temporel afin datteindre le moi spirituel et par-l la ralisation complte du moi. Vivekananda, fondateur de lordre de Ramakrishna, dcrit les objectifs de la mditation de la faon sui- vante : La mditation est le meilleur moyen darriver la vie spirituelle. Cest par la mditation que nous nous dpouillons de toutes les donnes matrielles et que nous sentons notre nature divine. Moins nous pensons notre corps, mieux cela vaut. Car cest le corps qui nous tire vers le bas. Cest lattachement, lidentification qui nous rend malheureux. J e vous donne le secret : Il faut penser que nous sommes lEsprit et non le corps et que tout lunivers, avec tout ce qui sy passe, avec tout le bien et tout le mal, nest quune suite de tableaux, de scnes peintes sur une toile dont nous sommes t- moins 1 . La seule faon dont je puisse caractriser la mdita- tion, est de lappeler un antiprimal. La mditation exige le dtachement au lieu de la connexion, labngation de soi plutt que le sentiment du moi, et elle croit que le clivage du corps et de lesprit est ncessaire. Cest une forme de solipsisme puisque rien nexiste rellement sauf sous forme dune peinture sur toile. Cela ne veut pas dire que les gens ne puissent faire usage de la mditation en tant que moyen de dtente. Lun de mes patients, qui avait longtemps t moine Vedanta, rapportait quil avait rpt son mantram et pratiqu la mditation transcendantale pendant douze ans et quil avait souvent atteint un tat de batitude. Mais le rsultat final de toute cette batitude fut une dpression complte qui ncessitait un traitement. Cela mrite sans doute quelque explication. J e crois que ltat de batitude provient du fait quon supprime totalement son moi, quon sabandonne un phantasme (divinit)
1 Swami Vivekananda, Works (Advaita Ashrama, 1946). vol. 27, p. 37. quon cre soi-mme, quon se confond avec ce produit de limagination et quon perd toute ralit. Cest un tat de totale irralit, un peu comme une psychose que lon aurait institutionnalise dans la socit. Si par exemple un patient venait nous dire quil sest uni Dieu, que Dieu et lui ne font quun, nous le souponne- rions de draisonner. Mais quand toute une thologie spcifique vient sanctionner un processus de ce type, on a tendance perdre de vue son caractre irrationnel. Il ne faut pas oublier que lon peut mditer tous les jours sans que le besoin de mditer diminue. Dune manire quelconque, le dmon de la tension surgit nouveau chaque jour et doit tre chass par la mdita- tion. Il semblerait que les rites, les fleurs et les draperies soient les signes extrieurs labors de la relaxation car il nest pas besoin de rites pour se dtendre. En fait, ils sont bien souvent une indication que lindividu doit lutter pour se relaxer, alors quil suffit dtre soi-mme. J e ne crois pas que par des signes extrieurs, on arrive tre soi-mme : on est soi-mme, cest tout.
L'existentialisme
Un autre courant de la psychologie moderne est lexistentialisme. Cest une approche qui cherche diminuer quelque peu limportance que les Freudiens attribuent aux expriences de la petite enfance, tout en offrant une structure plus dynamique que les thrapeu- tiques de conditionnement. Les psychologues existentia- listes mettent laccent sur le ici et maintenant . La psychologie existentialiste se proccupe de lEtre. On ne peut pas vraiment parler de lexistentialisme comme dune vritable thrapeutique, car peu dhypothses vrifiables ont t mises et il ny a pas non plus une tentative mthodologique visant mettre au point une approche bien organise. Lexistentialisme est plutt une doctrine caractre trs philosophique qui tire sa force des crits de Sartre, de Binswanger et de Heideg- ger. Actuellement, cest Abraham Maslow qui est un des chefs de la file du mouvement. Il joue avec Carl Rogers un rle considrable dans la pense contemporaine en psychologie 1 . Tous deux croient lexistence dune pulsion vers la sant psychique quils appellent rali- sation du moi (self actualisation). Pour Maslow, cet instinct est indfinissable et seules les observations permettent de conclure quil existe. Maslow voit la nvrose en termes de dficience; pour lui, le nvros est lindividu qui na pas tout ce quil lui faudrait pour se raliser : Il y a en chaque homme deux systmes de forces contradictoires. Lun sattache la scurit et des attitudes dfensives nes de la peur, il tend vers la r- gression, il a peur de grandir, peur de lindpendance, de la libert et de lisolement. Lautre systme de forces pousse lhomme vers lintgrit du moi, vers lassurance face au monde extrieur et, simultanment, vers
1 C. R. Rogers, A Therapists View of Personal Gifts (Wallingford, Pa., Pendle Hill, 1960); On Becoming a Person (Boston, Houghton Mifflin, 1961). lacceptation du moi inconscient, le plus rel et le plus profond 1 . De mon ct, je vois lintgrit du moi comme quelque chose qui nous est inn mais je suis daccord avec Maslow pour reconnatre quil y a en nous un be- soin dtre entier ou rel cest--dire dtre ce que nous sommes. En revanche, je ne crois pas quil y ait en nous quelque chose comme une force fondamentale de rgression et de nvrose une telle force napparat que quand il nous est interdit dtre nous-mmes. J e ne crois pas que la peur, en particulier la peur de grandir, soit une composante fondamentale de ltre humain. Pour Maslow, la nvrose est le conflit fondamental entre les forces dfensives et les forces de dveloppe- ment. Il voit les tendances de croissance comme exis- tentielles et ancres dans la nature la plus profonde de ltre humain . Dans leur besoin danalyser lhomme en termes de lutte, beaucoup de thories postulent que son comportement est une perptuelle dialectique entre lments positifs et ngatifs. Cest ainsi que Maslow voit le besoin de scurit comme un besoin prpond- rant, plus fondamentalement indispensable que la rali- sation du moi . Avant que lindividu prennent des risques et sexprime, il faut quil satisfasse ses besoins de scurit les plus puissants. La situation conflictuelle devient le paradigme du dveloppement. Pour ma part, je ne vois pas le conflit comme quelque chose de fon- damental et dintrieur. J e penserais plutt que la n- vrose rsulte des pressions exerces de lextrieur contre les tendances naturelles de dveloppement de
1 Abraham Maslow, Toward a Psychology of Being (Princeton, Van Nostrand, 1962), pp. 150-167. lorganisme. Il ne me semble pas que lon puisse prou- ver lexistence dun besoin de scurit ou dune peur fondamentale de lindpendance et de la libert. Ce sont des traits que lon retrouve dans la conduite de beau- coup de nvross, mais il faut tre prudent avant dimputer ces comportements quelque facteur gn- tique ou constitutionnel. Sur certains points, la position de Maslow est sem- blable celle de Freud, car tous deux pensent quil y a une anxit fondamentale dont il faut venir bout. Ma- slow appelle le besoin de vaincre lanxit un besoin de scurit. Mais ce nest pas en plaant de telles tiquettes quil rend sa conception de lhomme moins dmono- logique . Cela provient peut-tre du fait que les tho- ries psychologiques se btissent sur lobservation des nvross dont on sait quils ne sont jamais court de dmons abattre. Ce ne sont pas des besoins de dficience qui font que nous restons immatures et nvrotiques, mais le manque de satisfaction de nos besoins rels. De toute faon, je ne vois pas comment il pourrait y avoir des besoins spciaux qui ne nous occupent que partiellement. Tout besoin est total. Si nos besoins ne sont pas satisfaits, cest nous qui sommes dficients. Le patient de Maslow qui ralise son moi connat lexprience des sommets une de ces expriences hors du temps et de lespace o le moi est transcend et o le sujet atteint presque le Nirvana. Les ouvrages de psychologie existentialiste foisonnent de considrations sur ce genre dexpriences : ce sont des phnomnes assez tentants. Beaucoup dentre nous aimeraient trans- cender la mdiocrit et la tristesse de notre existence quotidienne. Mais ce que Maslow nexplique pas clai- rement, cest comment on peut accder une telle exp- rience et en quoi elle consiste exactement. Cest plutt une exprience mystique. Comme les exemples prcis manquent dans luvre de Maslow, je mappuie sur les descriptions que mont faites deux de mes patients qui avaient t en thrapie de groupe dinspiration existen- tialiste. Le premier tait dans un tat de dpression de- puis plusieurs jours; en fin de semaine, un ami tait venu linviter une excursion en montagne. Aprs une rude escalade, le malade en question stait senti exul- ter. Cest ce quil appelait sans vouloir faire de jeu de mots une exprience des sommets . Que stait-il pass ? Il stait dbarrass de sa dpression ! Il avait fait appel une dfense. Mais je doute quil ait trans- cend les sentiments rels impliqus dans sa dpression. Il les avait simplement mis lcart pour un temps. Pour le second, lexprience stait produite au cours dun marathon nu. Il passait de mains en mains, et tous les membres du groupe le clinaient et le caressaient. Tout coup, il avait senti tout son corps envahi de cha- leur. Cest ce quil appelait un instant de communion avec lhumanit . Qutait-ce en ralit ? Il recevait enfin ce dont il avait besoin : un peu de chaleur humaine et des caresses. Mais ce ntait quune exprience pas- sagre, non connecte avec la profonde souffrance ne du besoin quil avait prouv toute sa vie. Ces attou- chements de groupe apaisaient la douleur de sa tension et lui permettaient ainsi de transcender le rel. Mais son Nirvana tait irrel. A mon avis, les nvross sont cou- tumiers de ce phnomne de transcendance; ils ne font jamais rien dautre que transcender le moi rel qui res- sent. Quelque Nirvana quils croient atteindre, ce ne peut tre quun tat irrel car cest dune descente dans le moi rel qui ressent, quils ont besoin. Il semble que la qute de ces expriences des som- mets ne soit bien souvent quune nouvelle forme de lutte que le sujet entreprend pour dcouvrir quelque chose dexceptionnel dans une existence par ailleurs monotone et morne. Cela fait partie de ses espoirs ir- rels. Quand il est donn un moi rel de spanouir, quand les parents lont accept ds le dbut, je ne vois pas pourquoi on chercherait le transcender. Un patient qui termine la thrapie primale nvoque jamais des exp- riences du type de celles dont parle Maslow. Tous les sommets ont t aplanis car sa nvrose ne le pousse plus, ni entrer en euphorie, ni sombrer dans les gouffres du dsespoir. Le seul fait dtre totalement soi-mme est un senti- ment impressionnant. Les psychologues existentialistes essaient de laisser de ct les pulsions fondamentales de lanxit et les forces instinctuelles et de se concentrer sur les processus de la ralisation du moi ces pulsions qui nous con- duisent vers la sant. Rollo May et ses associs expli- quent en partie cette position existentialiste en disant : Ce qui caractrise le nvros, cest que son existence est assombrie, couverte de nuages... quelle ne donne pas dassise ses actes. La psychologie existentialiste veut que le patient fasse lexprience que son existence est relle 1 . La thrapie primale na pas dautre objec- tif. Mais le langage existentialiste mme obscurcit la ralit dont il sagit. Quest-ce quon entend exactement par existence ? Quest-ce quune existence assom- brie ? Pour lexistentialiste, lengagement est un facteur es- sentiel. Lobjectif du thrapeute est daider le patient sextirper du vide existentiel pour sengager dans quelque chose de positif, qui aille de lavant. La psycho- logie existentialiste affirme que lon tire de lengagement le sens du moi. Mais pour pouvoir enga- ger son moi, il faut que ce moi existe. Le nvros est coup de la plupart de ses actes, par consquent il va de soi quil ne peut pas sengager entirement dans quoi que ce soit. Un homme daffaires entirement engag dans son travail fait en gnral agir son moi irrel et, sil sentait ce quil est en train de faire, il ne serait selon toute vraisemblance pas aussi entirement engag dans son affaire ! Sur le plan clinique, la position existentialiste res- semble la position rationaliste. Un homosexuel est cens venir lhtrosexualit en sengageant dans un comportement htrosexuel. Mais je ne crois pas que la nvrose se cantonne au niveau des actes; cest au niveau de ce quest lindividu quelle se situe. Un sujet peut avoir de multiples relations htrosexuelles et rester homosexuel parce quil ressent toujours le besoin de lamour dun individu de son sexe. Aucun acte ne peut effacer ce besoin. Cest l o se trompe l'homosexuel latent qui essaie de chasser ses tendances homo-
1 Rollo May, Ernest Angel et Henri Ellenberger, Existence (New York, Basic Books, 1960). sexuelles (jusqu nier son besoin de lamour parental) en passant dune relation htrosexuelle lautre le tout en vain. On peut navoir jamais de rapports homo- sexuels et se sentir tout fait homosexuel (voir chap. 17). Le nvros peut toujours adopter une nouvelle faon dagir, mais cela ne modifiera gure sa nvrose. Les psychologues existentialistes sattachent surtout aux engagements de lindividu, son comportement actuel et sa philosophie. J e ne crois pas que lon puisse changer son Etre par des discussions. Pour moi, Etre signifie Ressentir . Chez les nvross, la discussion est souvent quelque chose qui se situe au- dessus des sentiments. Elle retient le sujet au niveau mental de sorte quil nest pas en mesure de ressentir son Etre vritable. En sociologie, on appelle rapprochement leffort de certaines thories pour sunir dautres afin de con- solider leur position. Cest ainsi que lon voit des tho- riciens freudiens faire entrer leurs principes dans le cadre dune thorie de lapprentissage pour donner plus de poids la leur. On rencontre galement le phno- mne inverse : les thoriciens de lapprentissage sefforcent de confrer leur approche un caractre plus dynamique en insrant les concepts plus dynamiques de Freud dans leur schma de lapprentissage. Cepen- dant, cette rconciliation de thories est en gnral plus apparente que relle et conduit ltablissement de vrits statistiques plutt que biologiques. J e veux dire quen expliquant Freud par dautres thories, ou en expliquant les thories de lapprentissage par des prin- cipes dynamiques, on ne fait que rpter toujours les mmes choses en les prsentant sous un jour plus agrable. J e ne crois pas quil soit utile de parler de la peur de la castration en termes dattrait/rpulsion, si cette peur nexiste pas. Si lon examine lvolution de la psychologie depuis le dbut du sicle, on constate que laccent a dabord t mis sur la petite enfance et sur lintrospection. Les be- havioristes ou thoriciens de lapprentissage ont au contraire vit lintrospection et la petite enfance pour sattacher au comportement. Il y a eu ensuite les tenta- tives des no-Freudiens qui ont voulu mettre la thorie de Freud au got du jour en mettant laccent sur lanalyse du moi, se concentrant sur les manuvres dfensives du patient dans le prsent. Malgr toutes les modifications des thories de Freud qui semblent si progressistes, on dirait que cest encore le Freud des dbuts qui est le plus proche de la thorie primale, car il concentre toute son attention sur le pass et lucide les problmes prsents grce lexploration de la petite enfance. La thorie primale est trs loigne du behaviorisme. Le behaviorisme cherche isoler le symptme et ten- ter de conditionner ou de dconditionner un comporte- ment irrel. Cette mthode sattache des manifesta- tions irrelles plutt qu des causes; par consquent, elle ne peut pas provoquer de modifications relles. La thorie primale ne considre lhomme ni comme une compilation dhabitudes, ni comme un amoncelle- ment de dfenses contre les instincts et les dmons int- rieurs. Quand le sujet peut faire lexprience de ses dsirs et de ses besoins primals sans crainte de perdre lamour quon lui porte, il, peut faire lexprience de son Etre . Sil nen a pas la possibilit, il est, pour utiliser le concept existentialiste, un non-Etre . J e ne crois pas quaucune sorte deffort, la sublimation ou la compensation, puissent transformer un non-Etre nvrotique en un tre qui ressent. Afin dtre ce quil est, il faut que le nvros retourne en arrire et ressente ce quil tait avant de cesser d Etre . Comme le disait un patient, pour tre ce que lon est, il faut tre ce que lon ntait pas . Le contentement ou le bonheur, qui sont souvent le but de la psychothrapie, ne sont pas le rsultat dune accumulation dclairs introspectifs, ce ne sont pas non plus des mlopes quon chante ou des mantrams quon rpte, pas plus quils ne rsultent de lacquisition dhabitudes positives . J e crois que si le traitement doit conduire le patient se sentir heureux, ce sentiment ne peut tre obtenu que si le patient dcouvre enfin son moi rel. Le bonheur atteint par le moi irrel ne pourra jamais tre quirrel. Le bonheur rel signifie donc que le malheur pass a t rsolu et limin. Un certain nombre de thrapeutes mont rapport avoir assist occasionnellement des primals, particu- lirement au cours de sances de groupe marathon (sances qui durent toute la nuit). En gnral ils ont t considrs comme des manifestations dhystrie et lon sest prcipit pour apaiser et calmer le sentiment au lieu de laider spanouir. S'ils avaient eu connais- sance de la thrapie primale pour se guider, ces crises dhystrie se seraient rvles charges de signification. Le but des sances marathon est en gnral constructif et, chose curieuse, bien des thrapeutes oublient leurs thories quand ils participent de telles sances. Dans la plupart des cas, ils essaient de fatiguer le sys- tme de dfenses du malade et ils y russissent quelque- fois. Mais sils nont aucune notion de ce qui sy passe, le marathon tourne souvent un exercice dpuisement o les malades explosent, seffondrent, pleurent, de- viennent familiers et intimes mais ntablissent pas ces connexions primales fondamentales qui pourraient faire du marathon une exprience durable. Lune des variantes de la sance marathon qui se r- pand rapidement, est le marathon nu. Aujourdhui, beaucoup dorganisations professionnelles de psycho- logues ont, lorsquelles tiennent des sminaires, un spcialiste de ces techniques. Le marathon nu est une sance de groupe normale o tous les participants sont nus. Il met laccent sur le ct sensuel et se droule souvent en partie dans une piscine o les participants peuvent se livrer des attouchements et des caresses, de sorte que chacun peut avoir la sensation de com- muniquer avec lautre . Lobjectif vis est daider les gens se dbarrasser de tous les lments artificiels qui les sparent, dliminer toute honte du corps et de rap- procher les individus. Cette mthode fait partie de la conception plus gnrale selon laquelle, travers cer- taines pratiques, on peut apprendre sentir, tre sen- sible et sensuel, et accepter son corps. Il est possible que ces pratiques constituent des interludes agrables au cours dune vie monotone, mais je ne crois pas quelles puissent augmenter la capacit de sentir de lindividu. Ce nest pas parce que cest une exprience sensuelle que cest un traitement thrapeutique. J e voudrais souligner une fois de plus que lon nacquiert pas le sentiment des autres. On apprend dabord se sentir soi-mme, puis on sent que lon sent les autres. Ainsi, un individu dont les sentiments sont bloqus pourra toucher et ressentir un autre longueur de journe sans jamais faire lexprience de ressentir. Etre sensuel veut dire quon est ouvert ses propres sens. Sil en tait autrement, les femmes frigides qui se livrent constamment des attouchements et des ca- resses finiraient pas tre combles. Mais il nest que trop frquent quelles rendent compte dun besoin con- tinuel de caresses et dune inaptitude aussi continuelle ressentir quoi que ce soit. Il convient dtablir claire- ment la diffrence quil y a entre adopter des pratiques et faire une exprience intrieure; pour rapprocher les gens les uns des autres, il faut dabord les rapprocher deux-mmes, de leur moi qui ressent. Cest en dtrui- sant les barrires intrieures qui font obstacle au senti- ment que lon vient bout des barrires entre les indivi- dus. On prtend que le fait de dpouiller les gens de leurs vtements diminue en quelque sorte leurs dfenses lgard des autres. Mais rptons : les dfenses lgard des autres sont avant tout des dfenses lgard du moi, de sorte que les vtements, quon les porte ou quon les quitte, nont pas grand rle jouer. J e ne vois pas com- ment des processus intrieurs qui se sont dvelopps tout au long dune vie pourraient tre modifis par un simple changement de costume. On dirait que pour certains, il se produit un phnomne magique et que si lon se livre certaines pratiques sans pantalon ou sans robe, les barrires intrieures qui ont persist pendant des annes scrouleront. J e me suis attard sur cette question afin de bien faire la distinction entre une exprience intrieure et une exprience extrieure. Si lon ntablit pas cette distinc- tion, on peut imaginer des individus couchs par terre, se tordant dans tous les sens en hurlant et qui ont lillusion davoir un primal. Il ne faut jamais oublier que seuls les comportements qui dcoulent directement des sentiments prouvs peuvent entraner des modifica- tions fondamentales de lindividu. Le courant doit aller de lintrieur vers lextrieur, sinon le sujet peut se livrer toutes sortes de manifestations, mener une lutte terrible, et pourtant ne pas changer dun iota le senti- ment qui est la base. On peut se montrer nu tout en se sentant protg et se montrer habill en se sentant tota- lement dpouill de dfenses. Une fois que la barrire qui fait obstacle aux sentiments est anantie, les stimuli extrieurs pntrent tout le systme. A ce moment-l, les exercices destins cultiver lexpansion de la per- ception, qui consistent faire marcher les gens sur de lherbe frache afin dlargir lexprience de leur sen- sualit, peuvent prendre une signification vritable. Une signification relle quil fait bon marcher sur de lherbe frache et non quelque supra-signification mystique.
Le psychodrame
Le psychodrame est une technique trs utilise en th- rapie de groupe par les thrapeutes des tendances les plus diverses. Pour caractriser le psychodrame je dirais que cest un jeu de comme si . Le patient prend le rle que lui attribue le thrapeute et fait comme si il tait quelquun dautre, ou lui-mme, dans une situation particulire, par exemple, en train de rpondre son chef. Le patient peut aussi prendre le rle de sa mre, celui de son pre, de son frre ou de son professeur. Mais, bien entendu, il nest aucune de ces personnes, de sorte quil doit jouer un rle et essayer davoir les sen- timents de quelqu'un dautre alors que souvent il nest mme pas encore capable de se rendre compte de ses propres sentiments. Le psychodrame a une certaine utilit limite, par exemple, en thrapie traditionnelle, quand on veut d- tendre un groupe; mais, en gnral, ce nest quune manire doffrir un sujet qui joue son propre rle de- puis des annes, un rle irrel de plus. Dans ce cas, le jeu est mis en scne par le thrapeute. Pour ma part, jestime que le nvros na que trop souvent t con- traint de jouer un rle et de noyer ses sentiments dans une sorte de pice dpouvante, crite, mise en scne et pitrement ralise par ses parents. Le psychodrame repose sur le principe magique et fal- lacieux selon lequel, si le sujet arrive parler librement un personnage de mre au cours dun jeu, il sera aussi capable de le faire dans la vie relle. On suppose que le rle adopt se perptuera et que lindividu sera dfiniti- vement plus agressif, plus capable de sexprimer, etc. Mais le sujet qui joue ce rle nest pas rel; comment pourrait-il alors apporter de rels changements sa personnalit et son existence ? Tout ce quil peut faire, cest apprendre tre plus nvrotique en affinant ses talents dacteur, de sorte quil joue en fonction dun rle et non dun sentiment. Il arrive quun patient se laisse prendre par son rle au sein du psychodrame et perdre le contrle de lui- mme. Mais en gnral on linterrompt de sorte que lexprience du sentiment est avorte. J e nai jamais vu dans un psychodrame un malade autoris se rouler par terre et perdre, dans son rle , tout contrle de lui- mme. En gnral les patients ont conscience de jouer un rle. Ils sont encore des adultes en train de faire comme si ... En thrapie primale, le malade ne joue pas un rle. Il est le petit enfant ayant perdu tout con- trle. Tout cela pour dire que le nvros est sa nvrose. Ce nest pas en modifiant la faade, en remaniant les symp- tmes, en offrant des diversions symboliques, aussi bien physiques que mentales et en enseignant des rles artifi- ciels dans des situations artificielles quon sattaque lorigine des difficults. Le regroupement des dfenses peut continuer indfiniment et ne sarrtera pas tant que le malade ne se sent pas lui-mme. Tant quil na pas le sentiment de sa souffrance, on pourra essayer tout ce quon voudra, rien ne sera efficace pas plus le psy- chodrame, que lanalyse des rves, les techniques dexpansion de la perception, la mditation ou la psy- chanalyse. Il nest pas possible de passer en revue toutes les coles de psychologie, de mme quil est impossible de rpondre toutes les questions que soulve la thrapie primale. On peut, par exemple, se demander si cest une forme dhypnose. En fait, cest tout le contraire bien que lon puisse trouver des points communs entre la nvrose et lhypnose. La nvrose apparat quand les parents demandent lenfant de renier son moi et ses senti- ments, pour devenir la personnalit qui rpond leurs besoins. De mme, dans lhypnose, une autorit forte et rassurante endort le moi rel, qui ressent, pour inculquer au sujet une autre identit . Le sujet hypnotis aban- donne son moi cette autorit exactement comme lenfant labandonne ses parents pour devenir ce quils souhaitent. Lhypnose agit sur la faade irrelle du moi. Cest ainsi quun sujet qui ne ressent pas et joue dans la vie le rle de professeur pourra tre transform sur la scne en Fernandel. Lhypnose peut russir cause du clivage interne qui existe lorigine chez le patient. A partir du moment o un individu ne ressent pas, on peut en faire peu prs nimporte quoi. Inversement je ne crois pas quune fois quun individu est totalement lui- mme, il puisse tre transform en qui que ce soit dautre, quon puisse lui laver le cerveau, ou lhypnotiser. Ce nest pas par hasard que quand on atteint les ni- veaux plus profonds de lhypnose, on ne ressent plus une piqre dpingle. Cest un test que lon fait souvent pour voir si le sujet est rellement hypnotis. Pour moi, cela vient corroborer le principe de la thrapie primale, selon lequel, dans lhypnose comme dans la nvrose, le moi rel, qui ressent, a t endormi. La nvrose nest donc quune forme universelle dhypnose de longue dure. Sinon, comment pourrait-on expliquer le fait que le nvros est ravag de souffrances dont il reste in- conscient ? Dans certains cas lhypnose provoque pro- bablement un tat quasi psychotique. Quelle diffrence y a-t-il entre le sujet qui devient Fernandel, sans mme savoir quil est Fernandel et sans avoir quelque autre forme de conscience que ce soit, et le sujet qui, dans un hpital psychiatrique, se prend pour Napolon ? Dans la nvrose, la psychose et lhypnose, nous avons affaire au clivage qui se produit par rapport au sentiment et au fait quune identit irrelle est impose au sujet. Les parents nvross imposent leurs enfants ce genre didentits ou de rles, inconsciemment, alors que lhypnotiseur le fait dlibrment. Il peut le faire parce que certains individus sont dsireux et mme anxieux de sabandonner un autre afin dtre un enfant ou un sujet apprci. Cest ce besoin dtre un sujet loyal qui a contribu faire des nazis des individus prts tuer pour la patrie. La thrapie primale est linverse de lhypnose car elle cherche enraciner lindividu dans ses propres senti- ments sans plus se proccuper de ce que les autres at- tendent quil soit. Quand lindividu est totalement pris dans son prsent, il est peu vraisemblable quon puisse lendormir en partie et entraner ce qui reste dans un change didentits . Un individu rel ne pourrait pas tre transform en nazi; pas plus quil ne pourrait deve- nir Napolon ou Fernandel. Un individu rel ne peut tre que lui-mme. Beaucoup de nvross expliquent, quand ils ont fini la thrapie, quils taient auparavant dans une sorte de transe. Comme domins par leur pass, ils se rendaient peine compte de ce qui se passait dans leur vie. Une malade dcrivait cet tat comme un perptuel tat dengourdissement. Elle tait ce quelle pensait que les autres voulaient quelle soit, juste pour arriver vivre. Nest-ce pas aussi le cas du sujet plac sous hypnose ? J e serai ce que tu veux que je sois (papa).
Laura
La diffrence entre la thrapie primale et dautres th- rapies est mise en vidence par Laura, qui en a essay plusieurs. Laura, dont jvoque brivement le cas par ailleurs, a donn une description excellente et particuli- rement vivante dun primal, qui montre bien comment tout le systme psychophysiologique y est engag. J ai commenc la thrapie primale quatre semaines avant mon trentime anniversaire et la poursuis depuis maintenant dix semaines. Pour moi, la valeur de cette mthode ne fait pas le moindre doute. J e suis lexemple vivant de lchec des thrapies con- ventionnelles, puisque au bout de sept annes de traite- ments plus ou moins rguliers par des mthodes thra- peutiques de base et trois psychiatres diffrents, je suis arrive en thrapie primale incapable mme de ressentir. Autrement dit, sept annes de traitement navaient mme pas dtruit la premire barrire qui mempchait de gurir (cest--dire faire de moi une personne relle capable de ressentir). Nous perdrions beaucoup de temps si je voulais mattarder ici sur ma colre lide du temps perdu (pour les mdecins et pour moi-mme) et de largent gaspill (pour moi seule) au cours de ces sept ans. Lanne dernire, avec mon dernier thrapeute (adepte de lcole existentialiste), je suis arrive la seule conclusion valable de ces sept annes : jai senti que jtais au bord dune exprience essentielle mais que je ne pouvais pas la ressentir. J ai cru que jallais devenir folle et que jallais faire sur moi-mme des dcouvertes pouvantables. Maintenant, je comprends que ce que jtais sur le point de sentir, tait le fait de sentir ! J e ne saurais faire ici la liste de toutes les diffrences qui sparent la thrapie primale des thrapies que jai connues par le pass. La thrapie primale est efficace. Ce nest pas en vous permettant de vous sentir mieux ou de fonctionner mieux, quelle vous aide. Il est trs facile de bien fonctionner, mais cela ne signi- fie pas ncessairement quon se sent ou quon se porte bien. J e sais que la plupart des gens ne sont pas daccord avec ce jugement. Mais pour moi, et pour bien dautres dont je sais quils fonctionnent parfaitement, je peux affirmer honntement que le fait de fonctionner nest pas un signe de sant. Dans mon cas, cela indiquait seulement : 1) que javais appris trs tt que jtais cense jouer un rle pour obtenir quon maime, 2) que jy croyais (si jarrivais seulement me comporter comme il fallait, je serais aime), 3) que javais un be- soin suffisamment profond dtre aime pour continuer jouer ce rle mme quand jen tais puise et que je nen avais pas envie, et 4) que javais trouv une excel- lente manire de me leurrer (par ex. si jarrive fonc- tionner si bien, c'est que je ne suis pas tellement ma- lade ). Il y a environ trois ans, jai pris quatre-vingt-dix cachets de somnifres pour me suicider. Avant de les prendre, javais fait le mnage dans toute la maison, chang les draps de lit, pris une douche et je mtais lav les cheveux. J avais parfaitement fait mon travail et jtais une femme dintrieur accomplie jusquau mo- ment mme o mon esprit tait compltement coup de mes sentiments, o jtais le plus profondment malade. Il y a encore autre chose qui ma toujours gne et je ne suis pas la seule dans les thrapeutiques qui aident le patient se sentir mieux et fonctionner mieux. Si effectivement mes parents ne mont pas ai- me, et cest le cas, si je suis rellement seule, ce qui est encore vrai, et si le monde nest quun univers de fa- mines et de combats, ce qui est vident, on se demande pourquoi il faudrait que moi, je me sente mieux ? Pre- nons par exemple la Rational therapy. J ai vu un jour le docteur K (qui pratiquait cette forme de psychothrapie) pour une sance prive. A ce moment-l je le croyais trs brillant surtout parce quil tait dur avec moi. J e me souviens dune partie de notre conversation. J e disais : J e ny tiens plus. J e voudrais que mon ami vienne me voir sans que jaie besoin de le lui demander. Le doc- teur K me rpondit : Nest-ce pas l un sentiment bien ridicule et irrationnel ? Qui vous croyez-vous pour esti- mer quil devrait vous appeler ? Si vous voulez le voir, pourquoi ne lui tlphonez-vous pas vous-mme ? Apparemment il ny a rien dillogique dans sa re- marque. Mais, ce qui est irrel, cest son opinion selon laquelle en changeant ses penses, on modifie ses sen- timents. En thrapie primale, cest uniquement par la voie du sentiment (et non par la rflexion intellectuelle) que jai appris que le fond de tout mon problme tait le besoin dtre aime par ma mre et par mon pre, besoin rest inassouvi. Le besoin de leur amour est le besoin fonda- mental. Sils mavaient aime, ils mauraient laisse tre ce que je suis et ils mauraient donn ce dont javais besoin. Comme ils taient tous deux de vritables gosses et malades eux-mmes, ils ne pouvaient me don- ner que ce quils souhaitaient donner et non ce dont javais besoin. Et comme ils ntaient pas entirement eux-mmes, ils exigeaient de moi que je joue un rle pour eux, au lieu dtre tout simplement moi-mme. Vers cinq ans, jai cess dtre une personne relle avec des sentiments rels. Il devenait vident que je ne pour- rais obtenir ce dont javais besoin en tant simplement moi-mme; je cessai donc de ressentir et commenai jouer un rle. Cest l qua dbut ma maladie. A partir de ce moment-l, tout ce que jai fait a toujours t de plus en plus loign de ce que jtais rellement et de ce dont javais rellement besoin. Plus je mloignais de mes sentiments rels, plus je devenais malade. J ai ap- pris jouer un rle afin de survivre, afin de ne pas res- sentir la souffrance que me causait le fait de ne pas recevoir ce dont javais besoin leur amour. Ce nest pas en modifiant les symptmes ou les mani- festations de ce besoin que lon gurit. Le docteur K aurait aim que jagisse bien et en accord avec la ralit, mais il ne semblait pas comprendre que cela ne faisait pas de moi une personne relle et saine. Cest pourquoi, en minterdisant ce que je ressentais dans le moment, il me privait de toute chance de gurison. Il pouvait bien alors me demander comment je comptais me dbarras- ser de ce dsir irrationnel dtre appele par mon ami. Ds que jai ressenti le besoin rel, non pas une fois, mais aussi profondment et autant de fois que n- cessaire pour quil disparaisse, le comportement nvro- tique sest effac, puisquil ne faisait que masquer le besoin rel. Cela peut paratre miraculeux et moi-mme jai eu cette impression, mais en fait, cest trs rel. Peu peu, au fur et mesure que je ressens davantage, je djoue de moins en moins mes sentiments. Plus je me permets au cours des sances de ressentir en moi le bb qui a besoin de lamour de ses parents, plus je me libre de ce besoin, plus je deviens libre dtre adulte, soli- taire, indpendante, libre de prendre plaisir la compa- gnie des autres en les laissant tre ce quils sont, libre de savoir que je nobtiendrai jamais de mes parents ce dont javais besoin et que personne ne pourra remplir ce vide. Bien dautres diffrences sparent la thrapie primale de la plupart des thrapies pratiques lheure actuelle. Il y a bien entendu les diffrences de mthode. Une autre diffrence importante qui a de toute vidence jou un grand rle pour moi, est celle qui existe entre les divers thrapeutes. Le transfert qui se fait du pre et/ou de la mre sur le thrapeute, se fait de lui-mme, puisque le besoin de la mre ou du pre na jamais t satisfait. Le thrapeute na donc pas besoin de se com- porter comme un pre ou comme une mre pour mener le patient ces sentiments-l. Au contraire, agir comme un bon pre ou comme une bonne mre, comme un mauvais pre ou comme une mauvaise mre, au lieu dtre une personne relle, revient infliger au patient le mme faux-semblant quil a toujours obtenu de ses parents. Par consquent, le thrapeute doit tre rel lgard de son patient. Cest dans ce cas seulement quil nacceptera pas les faux-semblants et les mensonges du patient. Mon premier psychiatre tait une femme trs gentille et trs comprhensive. Elle essayait de me faire com- prendre ce que mon comportement avait de ngatif . Elle voulait maider trouver un sens une vie fami- liale qui nen avait aucun. J avais seize ans, je nallais lcole quun jour sur deux, mes parents taient divor- cs, mon pre essayait de me faire rafistoler son ma- riage, ma mre vivait avec une femme, et ma sur et moi vivions chez ma mre. Moi, je trouvais cela absurde et je suis heureuse de dire aujourdhui que javais rai- son. Mon plus grand rconfort est de savoir que la lutte que jai mene contre linsanit de tout ce qui mentourait est la seule chose qui mait fait conserver ma raison (cest la seule chose qui maintenait un lien partiel avec mes sentiments rels). Mais tous ces thra- peutes mauraient conduite au massacre comme un agneau docile, et chacun deux, comme ma famille, aggravait mon manque de confiance dans mes senti- ments vritables, (les seuls qui auraient pu me sauver), aggravant ainsi mon profond dsarroi. J e sentais que tous ceux qui mentouraient taient fous, et les autres prtendaient que ctait moi qui tais folle. Ils disaient que jtais une mchante fille et quil me fallait, comme jtais une enfant, me soumettre et accepter tous les faux-semblants dont ils mabreuvaient et dont ils voulaient faire ma ralit. Ctait le fait du moment, mais ce ntait pas la ralit. Par chance, le noyau de ralit quil y avait en moi mes sentiments et mes besoins rels ne disparut pas. La petite fille qui navait pas encore cinq ans une petite fille relle qui connaissait sa propre vrit et aspirait la vrit et des sentiments rels autour delle navait pas t anan- tie. Cette thrapeute ne se doutait pas le moins du monde que si seulement elle avait atteint en moi cette petite fille, elle serait arrive un rsultat. Mon second thrapeute me fit passer plus de deux ans parler de mon mari. Il essayait souvent de me faire parler de moi-mme, mais sans aucun succs. J e nai jamais vraiment pleur devant un de mes thrapeutes. J arrivais souvent en retard aux sances. Les trois thra- peutes successifs savaient tous que ctait la manifesta- tion symbolique de quelque chose de plus profond, mais, se considrant comme des substituts de mes pa- rents, ils se contentaient de me le reprocher et den discuter. Pendant sept ans, rgulirement, jarrivais en retard aux sances. En thrapie primale, je suis arrive en retard une seule fois. Arthur J anov me dit quil ne maccorderait pas une sance de plus si jarrivais encore une fois en retard. En se comportant ainsi, ce n'est pas le rle du bon pre que J anov voulait prendre, bien que je souhaite que mon pre ait agi de la sorte. Il nemployait pas simplement une bonne mthode, quoique ce ft la bonne puisquelle tait efficace. Il tait rel mon gard. Et ce quil y avait de plus important, il ne me donnait pas ce que je voulais (son approbation), mais, ce qui est bien plus essentiel : il me donnait ce dont javais besoin. Il est honteux quaucun de mes thrapeutes prcdents nait peru ce besoin pourtant simple. Au contraire, ils me laissaient, jusque dans leur cabinet, continuer adopter des comportements symboliques, jouer un rle, dire et faire tout ce qui me servait dissimuler mes besoins rels. Ils faisaient ce que je voulais. Ils me laissaient parler btons rompus de choses insigni- fiantes, alors que javais besoin deux afin dtre calme, relle, sans rle jouer. Ils maidaient dissimuler mes sentiments, les cacher dans le rle que je jouais vis-- vis deux, mes mre et pre. Si, en parlant de la thrapie primale, jinsiste sur ce qui la distingue des autres, cest quen tant que malade, cest la chose qui ma le plus frappe. J ai t stupfaite quaprs tant de confusion, les choses puissent devenir aussi simples en quelques semaines de thrapie primale. Il semble quaujourdhui beaucoup de psychiatres se rendent compte que leurs patients ne gurissent pas et il y a une multitude dides et dapproches nouvelles. Dans la thrapie existentialiste, trs en vogue actuelle- ment, dans les sances de groupe et les groupes mara- thon, les malades sont encourags sexprimer plus librement quils ne lont jamais fait. Sur le moment, ils en tirent une impression de grand soulagement. Cest peut-tre la premire fois quils se mettent pleurer en public, quils expriment librement leurs penses se- crtes. Ils manifestent leur peur, leur colre, leur souf- france, leur peine, leur joie, etc. J e parle ici en connais- sance de cause car jai particip une sance marathon qui a dur tout un week-end et laquelle prenaient part seize malades et deux thrapeutes. A cette poque-l, jen tais mon troisime psychiatre et cest alors que jai senti que jtais proche dune exprience essentielle. Cest pourquoi jai connu un immense soulagement au cours de ce marathon, et je lai considr comme une exprience trs valable; cependant, il ny avait personne qui st nous diriger vers le cur mme de nos senti- ments, personne pour nous faire remonter au besoin dont dcoulent toutes ces peurs, toutes ces colres, toutes ces joies et toutes ces peines que nous ressen- tions. Il faut signaler un autre aspect dangereux de ces nou- velles techniques : laccent y est mis sur laffection entre les membres du groupe, leur interaction, leur in- terdpendance et le fait quils se rconfortent mutuelle- ment. Tout ce rconfort contribue seulement dissimu- ler le besoin rel, et aussi longtemps que la consolation quoffrent les autres se substitue au besoin rel, on ne ressent pas ce besoin. Souvent, ces marathons apportent leur soutien aux comportements symboliques les plus flagrants qui prennent la place du sentiment (au sein du mariage, de lamiti, du travail, de la famille, etc.). En thrapie primale, ds mon premier primal, jai su que je ressentais la vrit, que jtais seule, et que rien de ce que jobtiendrais des autres ne pourrait satisfaire mon besoin fondamental. Une fois que jai ressenti le besoin rel, plus aucun substitut ne fait laffaire. Le primal est un sentiment profond qui exprime nos besoins les plus profonds. J e nai jamais rien prouv de semblable auparavant, sinon peut-tre lorgasme. Beau- coup de femmes pleurent aprs lorgasme; cela marrivait souvent. J e comprends aujourdhui pourquoi. Cest au moment de lorgasme que jtais le plus proche du sentiment de mon besoin rel. Aprs un primal, je constate que jai eu des scrtions vaginales importantes bien que je ne ressente pas de contractions du vagin au cours du primal. En fait, jusquici, ce sont toutes les scrtions de mon corps qui saccentuent au cours de mes primals. On dirait que toute ma souffrance scoule. J ai les yeux qui pleurent, le nez qui coule, de ma bouche ouverte coule de la salive, je sue par tous les pores de ma peau et jai des scrtions vaginales. Cer- tains primals sont plus librateurs que dautres. Mon corps semble savoir ce que je peux supporter et dose la souffrance quil laisse sortir. Si je ne suis pas prte ressentir le sentiment qui se prsente, je lutte contre lui et il sort peu de chose; il arrive que je pleure et en gn- ral je crie haute voix ce que je crois ressentir. Mais le plus grand soulagement se produit lorsque tous les con- trles svanouissent; ce moment-l, on ne pense plus rien. J e me demande encore comment cela peut arri- ver, car ce nest pas moi qui le provoque. Et aprs coup, je suis incapable dexpliquer comment cela sest pass, mais je suis toujours heureuse que ce soit arriv. J e ne sens plus la moindre lutte, cest le plus grand soulage- ment que jaie jamais prouv, les mots, les sanglots et les bruits schappent de moi sans que jaie le moindre contrle sur eux. Il ny a pas la moindre pense, rien que le sentiment. Tout ce qui jaillit de moi me surprend dans la mesure o je ne suis pas matresse de la direc- tion que va prendre le primal, et pourtant cela ne me surprend pas dans la mesure o je sens que cest la vri- t, le besoin rel, la rponse relle tout le dsordre que jai accumul par-dessus ce besoin. Il est triste de penser que jai pass une si grande par- tie de ma vie lutter contre le sentiment, alors que la lutte est une torture et le sentiment un soulagement. Mais cest aussi une souffrance. Cest un soulagement dabandonner la lutte au bout de vingt-cinq ans mais cest une souffrance de sentir, de comprendre que le besoin ne pourra jamais tre satisfait, seulement res- senti. La lutte ma empche de ressentir cette souf- france, la souffrance de savoir que je suis seule et que je ne peux pas faire de mes parents des personnes relles ou qui maiment je ne peux que ressentir mon be- soin. Comme je lai dj dit, mes primals ne revtent pas toujours la mme intensit. Ceux qui sont les plus lib- rateurs ont t trs simples et trs directs. Le premier est survenu en sance individuelle, au cours de la premire priode de thrapie intensive qui a dur trois semaines. J ai commenc par sentir que javais froid. J ai toujours eu trs froid. J ai toujours eu les mains et les pieds ge- ls, et jai toujours t incapable davoir chaud, mme quand tous ceux qui mentouraient se trouvaient bien. Etendue sur le divan, javais froid, je claquais des dents, et je mentourais de mes bras. J anov m'a demand alors de sentir rellement le froid en moi et avant mme de men rendre compte (tout au moins sans savoir com- ment jy tais arrive), je me retrouvai couche sur le ct comme un bb, recroqueville sur moi-mme, en train de sangloter je veux maman... . J e ne sais pas combien de temps cela a dur. J e nen tais pas ma- tresse. J ai pass une bonne partie de ma vie pleurer, mais sans que cela mapporte le moindre soulagement. Ces sanglots avaient un accent nouveau pour moi, et je les ressentais comme plus rels que tout ce que javais pu connatre auparavant. La souffrance tait la plus douce de toutes les souffrances que jaie jamais connues. J ai toujours jou les petites filles : comme celui dune petite fille, mon pied droit tait toujours tourn en dedans , comme si cela devait me protger. Ds que je me suis sentie un bb, mon pied droit, qui tait tourn vers lintrieur, sest redress. J anov a vu quand cela sest produit; aprs, jai regard mes pieds et jai constat quils taient tous les deux dresss bien droit. Aprs le primal, je suis reste tendue un certain temps. Cest une exprience assez prouvante et pendant un bon moment, je ne pouvais rien faire ni dire. Aussi loin que remontent mes souvenirs, ctait la premire fois que mes mains taient chaudes. Et depuis, elles le sont presque tout le temps.
CHAPITRE 14
INSIGHT ET TRANSFERT EN PSYCHOTHERAPIE
Nature de l'insight
En 1961, Nicolas Hobbs, prsident de lAmerican Psychological Association a fait un discours sur les causes damlioration en psychothrapie . Les ques- tions que pose Hobbs sur le rle de linsight revtent une importance toute particulire, car linsight joue un rle essentiel dans ce que jappellerai la thrapie con- ventionnelle. Quelles que soient leurs convictions tho- riques, la plupart des thrapeutes hormis les behavio- ristes qui utilisent linsight, pensent que si le patient peut comprendre le pourquoi de ses actes, il tend presque invitablement abandonner son comportement nvrotique et irrationnel. Hobbs exprime de linquitude, car il arrive souvent que des malades qui ont une excellente comprhension de leurs actes, ne progressent pas. Beaucoup dentre nous sont de son avis. Hobbs commence remettre en question lefficacit de cette technique. Il cite des exemples o des modifications ont t obtenues sans faire appel linsight : la thrapie du jeu pour les en- fants, les thrapies du mouvement et le psychodrame. Il signale que des thrapeutes dobdience thorique diff- rente pratiquent des techniques introspectives varies, mais dune efficacit quivalente, indiquant un pourcen- tage analogue de succs. Il se demande si dans ces th- rapies, le malade nadopte pas tout simplement le sys- tme personnel dinterprtation du thrapeute. On dirait, ajoute-t-il, que le thrapeute na pas besoin davoir raison, il lui suffit dtre convaincant 1 . Hobbs pose la question suivante : Comment toutes ces interprtations diffrentes peuvent-elles toutes tre justes ? Y en a-t-il mme une seule de juste ? Hobbs dfinit ainsi linsight : Cest une affirmation quun patient fait propos de lui-mme et qui concorde avec lide que le thrapeute se fait de lui. A ce degr de scepticisme, Hobbs abandonne linsight comme un exercice plutt strile et il passe lexamen des facteurs qui, selon lui, entranent une relle amlioration de ltat du malade. Il cite comme facteurs essentiels, la chaleur humaine, la comprhension et le fait dcouter attenti- vement, autrement dit, la relation patient-thrapeute. Hobbs termine son expos comme suit : Il ny a pas dinsights vritables, il ny a que des insights plus ou moins utiles. Quest-ce que linsight thrapeutique ? J e crois que cest lexplication du comportement irrel. Le vritable insight nest rien de plus que la souffrance, retourne comme un gant. Linsight est le cur de la souffrance, tout ce que le sujet doit dissimuler pour ne pas avoir faire face la vrit. Ainsi, librer la souffrance, cest librer la vrit. Cela implique non seulement quil y a, comme le dit Hobbs, des prises de conscience simple-
1 Nicholas Hobbs, Sources of Gain in Psychotherapy , American Psychologist (novembre 1962), p. 741. ment utiles , mais quil y a des vrits spcifiques prcises pour chaque individu. Prenons un exemple. Une malade en thrapie primale parle de son pre quelle considre comme un homme foncirement affectueux; elle raconte comment sa mre la mal trait, comme il paraissait faible. Elle poursuit ses commentaires ce sujet en disant avec une expres- sion de dgot : J aurais voulu quil soit capable de lui faire front. J e lui dis alors de crier papa, sois fort pour moi ! . Elle a un primal trs mouvant, montrant comment son pre a dsespr de sa famille, sest re- ferm sur lui-mme, vaincu et bris. Ctait lui le bb, incapable daider sa fille qui avait besoin dtre prot- ge de cette mre odieuse. Quand elle comprend que son pre ne laimait pas rellement, et quil ne pouvait pas laider, parce que lui-mme avait besoin daide, elle est assaillie dune srie dinsights : Cest pour a que jai pous un homme aussi faible, jessayais de faire de lui un pre fort ! Cest pour a que je pleure quand mon fils membrasse ! Cest pour a que les hommes qui se laissent tourner en drision par leur femme me rpu- gnent ! Cest pour a, c'est pour a !... Tous ces cest pour a taient ses insights. Ce sont les explications des innombrables faons dont elle cher- chait dissimuler sa souffrance. Les sentiments refouls provoquaient tous ces com- portements. Le fait de ressentir ces sentiments les a rendus comprhensibles. Ces insights ne sont pas le simple fruit dune discus- sion, ils jaillissent de tout un systme bien structur de sorte quils sont laboutissement dun sentiment totale- ment prouv. Les malades parlent de dferlement dinsights, qui sont de nature presque involontaire. Comme la dit un patient, il y a des insights que lon ressent jusquau bout des orteils . La souffrance refou- le de cette malade de navoir personne qui la pro- tge de sa dtestable mre tait la raison de son comportement irrel ultrieur. Librer la souffrance, cest faire apparatre les raisons du comportement. Ces raisons sont les insights. Une fois la souffrance ressen- tie, il est presque impossible de ne pas tre submerg dinsights. En effet, un seul sentiment refoul suffit provoquer une multitude de comportements nvrotiques. Voici un autre exemple : un malade dcrit la colre irrationnelle quil prouve lgard de sa femme et de ses enfants. Nom de Dieu, ils ne me fichent jamais la paix ! Il ne se passe pas une minute sans quils me de- mandent quelque chose et je nai pas un instant moi ! Il affirme avec exaspration quil ne peut jamais tre tranquille. J e lui demande sil avait la mme im- pression chez lui, avec ses parents. Et comment ! rplique-t-il, je me souviens que mon pre venait dans ma chambre et me lanait des regards souponneux quand jtais en train de me reposer ou dcouter de la musique parce que je ne moccupais pas quelque chose dutile. Nom de Dieu, je deviens furieux quand je pense comment il me talonnait constamment. Pas une fois il ne sest assis pour me parler. Il ne faisait que gueuler ses ordres. J e dis : Ressentez cela, laissez ce sentiment monter en vous et vous submerger. Peu de temps aprs, le sentiment fait surface et je demande : Quauriez-vous voulu lui dire dans ces moments-l ? Oh, croyez-moi, jaurais dit cette espce de con de... Dites-le-lui maintenant ! L-dessus le malade dbite toute une srie dpithtes sur son salaud de pre, mais bientt cela fait place un sentiment beaucoup plus profond : Papa, sil te plat, assieds-toi ct de moi. Pour une fois, sois gentil avec moi. Dis- moi quelque chose de gentil, sil te plat. J e ne veux pas tre en colre contre toi, papa, je veux taimer. Oh pa- pa ! A ce stade, le malade clate en sanglots, il est ravag par la souffrance. Cest alors que surviennent ses insights : Voil pourquoi jempruntais toujours de largent, que ce soit lui ou dautres ! J e voulais que quelquun soccupe de moi. Cest pour cela que je nai jamais voulu aider ma femme ! Cest aux exigences de mon pre que je ragissais. Cest pour cela que je me mettais en colre quand les gosses me demandaient de les aider. Puis le malade, toujours en larmes, sadresse nouveau son pre en criant : Papa, si seulement tu savais combien jai pu me sentir seul attendre que tu aies un geste affectueux ! Si une seule fois tu avais pu me prendre dans tes bras en rentrant la maison ! Cest pour a que quand mon patron me dit un mot gentil, je me sens fondre. Cest pour a que jai lestomac nou ds quil a un regard critique ! Ces exemples montrent bien quel point souffrance et dmarche introspective sont lies. L'insight est en fait la composante mentale de la souffrance. Cet homme a senti les besoins rels que cachait sa colre et cela lui a permis de comprendre tous les actes dits irrationnels provoqus par ces besoins. En thrapie primale, les malades ne savent pas quils font de lintrospection. Ce nest pas quelque chose part. Quand le malade dit ses sentiments ses parents, il se trouve dans la situation donne correspondante. Il ne regarde pas ses sentiments de loin. Ce nest pas je les hassais pour telle ou telle raison ; cest je vous hais pour ce que vous me faites ! Bref, il ny a pas de cli- vage du moi, pas de moi parlant dun autre moi. Le processus primal est unique et constitue une unit en soi. Cest rellement le petit enfant qui dans mon cabi- net exprime des vrits, ce nest pas ladulte qui ex- plique lenfant quil a t. A mon avis, il y a une diff- rence norme entre le fait de parler de ses sentiments avec un mdecin et de parler directement ses parents comme on le fait en thrapie primale. Quand on parle ses parents, il ny a pas de clivage du moi, mais seule- ment un moi totalement submerg par le pass. Quand le malade dit : Docteur, je crois que jai fait cela parce que je me sentais comme un petit enfant , il y a une sparation entre le je qui donne lexplication et le moi qui est expliqu. Ainsi, en thrapie conven- tionnelle, le fait d'expliquer aide maintenir la nvrose en maintenant le clivage du moi. Dans ce cas, aussi correcte que soit lexplication, la nvrose saggrave. En thrapie primale, le thrapeute nest pas l pour donner des explications. Souvent les explications sont la maladie, surtout dans les classes moyennes o lenfant est tenu dexpliquer ses moindres gestes. Dans ces fa- milles les parents ont toujours des raisonnements trs labors pour tout ce quils font, y compris les raisons pour punir leurs enfants et ils leur imposent ce moule. Les enfants de la classe ouvrire ont quelquefois plus de chance. Le pre rentre la maison avec quelques bires dans le nez, il bat ses enfants pour se librer , et la vie continue. Tout se passe au grand jour et il ny a pas de grands raisonnements qui plongent lenfant dans la confusion. Ce nest pas par hasard que pour les patients issus de la classe ouvrire, la thrapie primale est en gnral moins longue. Ils ne se proccupent pas trop danalyser leur pre. Il leur suffit de lengueuler pour tous les coups quils ont reus sans raison. Par consquent, jestime que la mthode explicative de la psychothrapie conventionnelle peut aggraver la nvrose du patient. Il me semble quelle laide simple- ment schmatiser son comportement irrationnel en fonction dune thorie ou dune autre, se donner lillusion daller mieux parce quil comprend , alors quelle fait de lui ce que jappelle un nvros intgr sur le plan psychologique . En thrapie convention- nelle, la comprhension nest quune nouvelle couverture de la souffrance. De nos jours, lun des plus grands maux de lhumanit est, aprs la maladie mentale, la manire dont celle-ci est soigne. Les ma- lades nont pas besoin dexpliquer leurs sentiments et de les noyer sous un flot de paroles, ils ont besoin de les ressentir. Ds que lon scarte des sentiments du malade pour entrer dans le domaine de linterprtation thrapeutique, on peut pratiquement affirmer nimporte quoi. Le pa- tient qui ne peut ressentir est perdu. Il est contraint daccepter les interprtations que les autres lui donnent puisquil ne peut faire lexprience de sa propre vrit. De plus, linterprtation thorique du thrapeute peut trs bien tre lexpression de ses propres sentiments refouls, subtilement symboliss en des termes tho- riques. Cest ainsi quil trouvera peut-tre dans ce que dit le malade, des contenus agressifs ou sexuels qui font davantage partie des problmes du thrapeute que de ceux du malade. Il peut aussi arriver que linterprtation du thrapeute nait rien voir avec les sentiments de quiconque et quelle soit tire dune thorie trouve dans un livre crit il y a des dizaines dannes. Le thra- peute a peut-tre t attir par cette thorie cause de ses propres sentiments rprims et il la adopte pour lappliquer dautres. Tant que le sentiment reste bloqu, le malade et le thrapeute ne peuvent que conjecturer ce quil y a der- rire cette barrire. Ce que le thrapeute suppose est appel thorie. Quand le patient fait lexprience que cette thorie sapplique son propre cas, il passe pour guri . Pour ma part, je pense que linsight ne doit jamais prcder la souffrance et cest pourquoi jestime que le travail du thrapeute est daider le malade li- miner la muraille qui spare la pense du sentiment, de manire ce quil puisse faire ses propres connexions. Sinon, le thrapeute doit expliquer les choses au patient des annes durant, et souvent le malade na gure dautre chose dire que : Oh, oui, docteur, je vois... En gnral, tout ce quil voit, cest lexcellence de son mdecin. Mais peut-tre avons-nous contempl linsight par le mauvais ct de la lorgnette. En effet, il se peut que linsight ne soit pas la cause mais la consquence du changement. Cela parat vident ds que lon considre que linsight est le rsultat de la connexion tablie entre la pense et le sentiment, appliqu un comportement dtermin. Ici encore, le terme cl est la connexion , car il est possible davoir un pseudo-insight, davoir une comprhension mentale, mais sans faire une connexion et donc sans changer. Sans ressentir sa souffrance, le nvros ne peut avoir de vritable insight. On pourrait dire que linsight est le rsultat mental de la souffrance ressentie. La souffrance est indissolublement lie linsight. Tant que le processus de linsight se produit lintrieur dun systme nvrotique o la souffrance empche linsight de pntrer (et donc de changer) le systme tout entier, je doute que lon puisse esprer des modifi- cations profondes et durables du comportement. Tant que le blocage de la souffrance existe, linsight ne constitue quune exprience fragmentaire et dconnec- te de plus. La barrire de la souffrance garde linsight prisonnier de lesprit, le rendant-incapable de faire beaucoup de bien lensemble de lorganisme. J e comparerais le processus de l'insight en thrapie conventionnelle un rapport ministriel soumis au gou- vernement et analysant le systme conomique. Comme linsight, le rapport est incorpor au systme, mais il est si bien enregistr et class quil na pas le moindre im- pact sur lensemble. Voil pourquoi jestime que, quand on veut renverser un systme irrel qui fonctionne mal, on ne sengage pas dans un dialogue avec ce systme. Il faut sattendre en gnral ce que le systme continue ragir de manire irrationnelle quelle que soit la prci- sion de linsight, ou la qualit de lanalyse. Tant que rien ne survient pour dtruire le systme irrel, il rduira en miettes et absorbera la vrit. De toute faon, les malades naiment pas que les ex- plications leur viennent de lextrieur. Comme me le disait lun dentre eux : Ma nvrose est mon invention moi, comment un autre pourrait-il mieux lexpliquer que moi ? Renoncer la tentative de dire au malade la vrit sur lui-mme est un grand soulagement pour tout le monde, pour ne rien dire du fait que cest aussi bien plus hon- nte. La plupart des thrapies conventionnelles partent du principe que le mdecin va aider le malade trouver sa vrit. Mais si les nvross ntaient pas contraints de se mentir toute leur vie, on pourrait fort bien se passer de spcialistes en vrits psychologiques. Il me parait plus efficace de dpouiller lindividu du mensonge dans lequel il vit, afin de permettre la vrit de surgir. Il y a des diffrences essentielles entre le rle de linsight en thrapie conventionnelle et en thrapie pri- male. En thrapie conventionnelle, le mdecin considre gnralement un aspect de la conduite nvrotique du patient et il en infre ce quil cache de rel (la cause inconsciente). Il concentre son attention sur le compor- tement irrel. En thrapie primale, le malade ne parle du comportement irrel qu'aprs avoir ressenti ce qui est inconscient. En thrapie conventionnelle, linsight de- vient une fin en soi, et lon suppose quune accumula- tion dinsights entranera un changement. De plus, linsight est unidimensionnel. Il ne concerne en gnral quun seul aspect du comportement et son unique moti- vation. En thrapie primale, une souffrance profonde peut, elle seule, conduire plusieurs heures dinsights directs. Et le plus important est que ces prises de cons- cience primales convulsent souvent le systme entier. Elles mettent en jeu lorganisme tout entier et produi- sent un changement total. Si en thrapie primale, les insights provoquent un tat convulsif, cest quune per- sonne connecte (dont lesprit est connect au corps) ne peut avoir des penses douloureuses sans avoir des ractions physiques douloureuses. De mme, le sujet ne peut ressentir une souffrance physique au cours dun primal sans la connecter la conscience. Il peut mme arriver qu'un malade, qui fait des progrs en thrapie primale, raconte en fin de traitement une histoire quil a dj raconte au dbut et quil ait une raction physique bien plus violente que la premire fois. La thrapie conventionnelle soccupe en gnral des donnes connues du comportement. En thrapie pri- male, tout est inconnu jusqu ce quon le ressente. Un malade dcrivait cette diffrence de la faon suivante : Cest comme sil y avait en moi une grosse tumeur de souffrance. Attachs cette tumeur il y avait des fila- ments emmls qui mtranglaient. Ma thrapie prc- dente semblait sattacher dmler ces filaments pour atteindre le cur mme du mal, mais nous ny sommes jamais parvenus. Ici, jai eu limpression que lon enle- vait la tumeur tout entire et que tout a repris sa place dun seul coup. Beaucoup de patients ont cette impression que tout reprend sa place . Cest aussi bien vrai sur le plan phy- sique que sur le plan intellectuel. Comme la dit un patient : Mon esprit maintenait mon corps lcart. J e crois que si tout mon organisme avait fonctionn har- monieusement, jaurais totalement ressenti mon horrible souffrance. J e lui ai dabord abandonn mon esprit, puis mon corps. Si je dis donc que linsight mental fait partie, en th- rapie primale, dun changement de tout lorganisme, il en rsulte une perception plus aigu et une coordination physique amliore. Un patient, qui avait les paules lgrement votes, dcrivait ce processus global comme suit : Quand il ny a pas de connexion, le corps et lesprit ne font pas preuve de droiture lun envers lautre et je crois que cela se manifeste toujours aussi bien au niveau mental que physique. Dans mon cas, ce manque de droiture me faisait rentrer la poitrine, probablement pour me raidir contre la souffrance qui montait den bas, et pour me protger encore davantage, il me faisait rame- ner les paules autour de la poitrine. Il tirait ma bouche qui formait une ligne droite et jen tais venu loucher. Quand, au cours dun primal, jai tabli la connexion, non seulement jai pris conscience de tout cela, mais mon attitude sest redresse automatiquement. J e ne mtais mme pas aperu de ce changement jusqu ce que ma femme me lait fait remarquer. Ce quil y a de bizarre, cest que tout cela est involontaire : je veux dire que je nessaie pas de me tenir droit simplement je suis droit avec moi-mme et le corps ne fait que suivre le mouvement. Revenons un instant Hobbs. Il met laccent sur la chaleur humaine du thrapeute plus encore que sur sa comptence en matire dinsight. J e dirai que la chaleur humaine na pas grand rapport avec linsight car la thrapie primale nest pas une thorie fonde sur les relations humaines. Tout ce que le malade apprendra est dj en lui et non entre le thrapeute et lui. Il ny a pas de rducation, rien que le patient ait apprendre dun thrapeute. J e ne crois pas que lon puisse enseigner la facult dinsight, pas plus que lon peut apprendre ressentir. Cest le sentiment lui-mme qui enseigne . Sil ny a pas de sentiment profond, la chaleur du thra- peute est au meilleur des cas un rle quil joue. Mais mme si cela devait marcher , je ne vois pas com- ment sa gentillesse pourrait rparer totalement des an- nes de grave refoulement nvrotique.
Rcapitulation
La personne mme qui la thrapie conventionnelle de linsight pourrait rendre quelque service, est gnra- lement celle qui nen profite pas, cest--dire le malade qui na pas lart de manier les mots, louvrier qui a du mal sexprimer. Cest lui, le patient, qui a le plus be- soin dapprendre formuler ce quil pense et ressent, mais hlas, lui reste hors jeu. Cest le malade issu de la classe moyenne, lui qui a les moyens de payer la thra- pie et qui sait comprendre un systme dinsight bas sur la parole, cest lui qui tire le plus grand profit de la thrapie. Cependant, le badinage introspectif entre ce malade et le thrapeute, est surtout une lutte avec le systme de dfenses, une rencontre purement intellec- tuelle. Le malade incapable de sexprimer nest jamais en mesure dentrer dans ce domaine et de jouer ce jeu. Il faut quil seffondre compltement pour quon le soigne. Le traitement quil recevait et reoit toujours est dcrit dans un livre qui a pour titre Social Class and Mental Illness ( Classes sociales et maladies men- tales ) 1 . Cest un traitement qui consiste en moins de paroles et en plus daction : lectrochocs, chimiothra- pie, ergothrapie, etc. On se demande quelle est la va-
1 A. B. Hollingshead et F. C. Redlich, Social Class and Mental Illness (New York, Wiley, 1958). leur scientifique dune mthode qui ne sapplique qu certaines classes sociales. Il est permis de penser quune science du comportement humain ne devrait pas ngli- ger la grande majorit de lhumanit. Il y a eu un si grand nombre de techniques de linsight, chacune correspondant une approche diff- rente, que lon finit par avoir limpression quil est pos- sible danalyser le comportement humain en fonction de nimporte quel cadre de rfrence. Pour ma part, je crois quil existe une seule ralit, un seul ensemble de vri- ts spcifiques pour chacun dentre nous et que lon ne peut en faire nimporte quelle interprtation.
Le transfert
Le phnomne de transfert joue un rle essentiel dans beaucoup de thrapies, en particulier dans les mthodes analytiques. Le transfert est lun des concepts cl de la thrapie freudienne pour dsigner les attitudes et les comportements irrationnels que le patient adopte lgard de son thrapeute. On suppose que le malade projette sur le thrapeute la plupart des anciens senti- ments irrationnels quil a eu lgard de ses parents. Lobjectif de la thrapie progressive est de briser le transfert cest--dire de faire comprendre au patient comment la relation fondamentale enfants-parents sest perptue, et sest dplace sur dautres personnes, en particulier sur le docteur. On espre que la comprhen- sion de ces processus irrationnels stendra tous les domaines de la vie du malade et quil sera alors capable dadopter un comportement rationnel dans tous ses rapports. J e ne crois pas que le transfert soit un phnomne en soi, indpendant de lensemble du comportement nvro- tique. Le malade qui a, par rapport lui-mme, un com- portement symbolique, adoptera, selon toute vraisem- blance, un comportement du mme type lgard de son thrapeute. Etant donn que la relation entre le patient et son analyste est trs intense et quelle se poursuit long- temps, il est facile dexaminer la nvrose du patient, telle quelle se manifeste dans cette relation. De plus, la nvrose peut se trouver intensifie parce que, comme les parents, le mdecin est une autorit. La question est de savoir ce que le thrapeute fait du comportement nvrotique en question (le transfert). Sil procure son patient des insights au sujet de la manire dont ce dernier se comporte dans son cabinet, je pense que les problmes soulevs seront exactement les mmes que dans les autres techniques de linsight. Cest--dire que le malade absorbera linsight et continuera tre nvros, mme sil agit de manire plus pose, moins impulsive, moins peureuse ou moins agressive lgard du thrapeute. En thrapie primale, on ne soccupe pas du transfert. Le thrapeute se con- sacre faire sentir au patient le besoin quil a de ses parents. En fait, la relation patient-thrapeute est tota- lement ignore . Passer du temps analyser le trans- fert me semblerait engager la discussion dun compor- tement driv, dplac et symbolique alors quil sagit de sattaquer au besoin fondamental. La thrapie primale interdit tout transfert et nadmet aucun genre de comportement nvrotique parce quil signifie que le malade ne ressent pas, il djoue ses sen- timents; ce nest quun acting-out. Nous obligeons le patient tre direct. Au lieu de lui permettre de se sou- mettre ou de raisonner, nous lui demandons de se jeter par terre en criant directement ses parents aimez- moi, aimez-moi ! En gnral, cette mthode rend superflue toute discussion quant aux sentiments que le malade pourrait prouver lgard de son mdecin. Il parat vident que si le malade projette sur le mdecin des sentiments quil prouve encore lgard de ses parents, ces sentiments projets et dplacs ne sont vraiment pas importants. Ce qui est important, ce sont ces sentiments trs anciens lgard des parents. Le fait de les ressentir liminera le transfert et la nvrose. Le sujet qui a des souffrances primales attend de son thrapeute un soulagement. Il dsire que le mdecin soit un bon pre ou une bonne mre. En gnral, son com- portement sera dessayer de faire du thrapeute le bon parent, exactement comme il lavait fait avec ses parents qui ne laimaient pas. Mais il se peut que le thrapeute soit justement ce parent bon, affectueux, attentif, prt couter que le malade a toujours dsir. Dans ce cas, la nvrose prospre . Elle empche le malade de ressen- tir ce quil na pas obtenu de ses parents. Il ne faut pas oublier que le patient vient en gnral demander de laide parce que, dans la vie courante, son comporte- ment symbolique ne lui procure pas ce dont il a besoin. Il vient dans lespoir que dans le cabinet du mdecin, il russira peut-tre mieux. Si le thrapeute se montre serviable, chaleureux et prt prodiguer des conseils, il encourage le transfert positif . Comme je crois que le transfert est la nvrose mme, je pense que tout ce que lon fait qui ne consiste pas aider le malade ressentir sa souffrance, lui rend un mauvais service. Il arrive souvent que des malades tombent amou- reux de leur thrapeute parce que ce dernier offre quelque chose quils ont inconsciemment cherch obtenir par leur comportement nvrotique. Peu importe laspect extrieur du mdecin; il est une autorit, il est gentil et il coute. Rien dtonnant ce que des malades qui, toute leur vie, ont manqu de tout, restent en trai- tement pendant des annes une fois quils ont trouv ce bon pre ou cette bonne mre. Les malades sont tout prts jouer le jeu thrapeutique pendant des annes avec force insights et explications uniquement pour rester en contact avec ce thrapeute sensible, chaleu- reux, qui sintresse tout. A mon avis, ce que le patient dsire le moins, cest parler du transfert. Il veut se lover bien au chaud dans la relation entre lanalyste et lanalys. Il parlera peut-tre du transfert, parce quil le doit au thrapeute, mais je crois que cela cache le dsir de pouvoir rester allong, sans dire un mot, sans avoir expliquer un seul aspect de son comportement baign de bienveillance et de comprhension. En thrapie primale, le rle du thrapeute est datteindre ces sentiments sous-jacents. Cela veut dire quil coupe court toute manifestation de transfert quil soit positif ou ngatif parce que tout cela est du comportement symbolique. On demandera : Mais que se passe-t-il si le thrapeute a rellement quelque chose qui plat ou qui dplat ? J e rpondrai que le thra- peute nest pas l pour parler avec le malade de leur rapport, ni pour plaire ni pour dplaire. Il soccupe de la souffrance du patient, un point cest tout. Si le thra- peute a, de son ct, des attitudes manifestant un contre-transfert (conduites irrationnelles que le m- decin projette sur le malade) et si cela influe sur sa rela- tion avec le malade, je dirais que le thrapeute na pas ressenti sa propre souffrance et quil ne devrait pas pratiquer la thrapie primale. Le contre-transfert nest pas admis en thrapie primale parce que cela veut dire que le thrapeute est toujours nvros. Or, un nvros ne peut pas pratiquer la thrapie primale. On ninsistera jamais assez sur le point que tout com- portement symbolique provoque la suppression des sentiments. Le contre-transfert est le mme comporte- ment symbolique visant tre aim que le thrapeute adopte lgard de son patient. Cela va videmment aggraver ltat du patient, parce quon attend de lui certaines choses. Il doit agir de faon calmer la souf- france du thrapeute et par consquent, il doit tre irrel et manquer de sincrit vis--vis de lui-mme. Prenons lexemple du thrapeute qui se considre comme gentil, chaleureux et particulirement sensible. Il embrasse son malade afflig et en larmes et le console coup de l, l... cest fini; je suis l, les choses vont sarranger, vous allez voir... . J e pense que cette ma- nire de se substituer aux parents aboutit la suppres- sion des sentiments et empcher le malade dprouver toute la souffrance quil doit ressentir pour en venir bout. Cela vite bien entendu au malade de se sentir seul, sans personne pour le consoler, ce qui est le cas de beaucoup de nvross. Ces consolations thrapeutiques provoquent cependant une exprience plus en surface; de cette faon le thrapeute chaleureux finit par faire partie de la lutte du malade. Au lieu de forcer le malade se sentir seul et isol, il laide fuir son sentiment. Or, cest prcisment ce sentiment qui dclenche la lutte et cest ce sentiment qui, une fois ressenti, y mettra fin. Si le thrapeute embrasse son patient pour le consoler, cest peut-tre quil a perdu de vue ce que devait tre son rle. Il cherche sans le savoir tre le bon pre au lieu dtre ce quil est (le thrapeute). Encore une fois, le but est de tirer le malade de sa lutte et non pas dy prendre part. Sil arrive en thrapie primale que le thrapeute tienne la main ou la tte de son malade, cest en gnral pour laider ressentir plus intensment quelque chose de particulier propos de ses parents. Ce geste survient quand le malade ressent ce quil na pas reu de ses parents et ce moment le contraste avec le thrapeute chaleureux accrot la souffrance. Dans loptique primale, la raison pour laquelle lanalyse du transfert ne peut russir, consiste dans le fait que le patient transfre son espoir irrel sur le m- decin au lieu de ressentir son dsespoir. Lorsque en fait, le patient reoit du thrapeute ce dont il croit avoir be- soin, la situation vis--vis de sa nvrose peut alors tre vraiment sans espoir. En glissant du dsir rel dun bon pre ou dune bonne mre au dsir dtre aim et res- pect par le thrapeute, le malade a suivi sa dmarche habituelle il a trouv une lutte de substitution. A mon avis, lexprience mme de la psychothrapie conventionnelle sert souvent maintenir le patient dans sa nvrose. Le patient vient chercher de laide et il la trouve en la personne dun thrapeute comprhensif et plein de compassion. Dans le moment mme o il ex- plique quel point il manque dindpendance, et com- ment il a toujours eu besoin dtre guid, ce sentiment est fauss par le fait que quelquun est l pour lcouter et laider. Dans ce sens, le malade adopte encore dans le cadre de la relation thrapeutique, un comportement symbolique, alors quil devrait sentir quil na jamais t aid par ses parents. Un nouvel espoir daide est investi de faon nvrotique dans la thrapie. Cest la tentative de satisfaire des besoins qui force le nvros faire des autres, y compris du thrapeute, ce quils ne sont pas. Il est incapable de laisser les autres tre ce quils sont, tant que lui-mme nest pas ce quil est. Une fois quil est lui-mme, il ny a plus de transfert de besoins passes sur le prsent.
Tom
Tom a trente-cinq ans, il est professeur dhistoire et il est divorc. Il a eu ce que je considre comme une du- cation typiquement amricaine. Apparemment, il navait rien dun nvros. Il se dbrouillait bien, avait le sens de ses responsabilits et tait un bon pre, mais il avait le sentiment quil manquait quelque chose sa vie. Il tait toujours en qute de quelque chose. Il avait fait partie de nombreux groupes thrapeutiques et consacr beaucoup de temps des techniques dexpansion de la perception. Il y apprenait beaucoup sur les autres mais aucun de ses propres problmes ne sen trouva modifi. En aucun sens du terme il ntait ce quon a coutume dappeler un nvros (bien que jaie appris plus tard que la nuit il grinait si fort des dents quil avait d se faire faire un appareil spcial pour la bouche). Il tait poli et respectueux, sintressait aux affaires de son pays, il avait des amis, aimait ses enfants, les emmenait en voyage et extrieurement, il semblait heureux. Il faisait tout ce quil fallait faire, mais il avait le sentiment de ne rien tirer de lexistence. La vie lui paraissait vide. Avant dentrer en thrapie, il se considrait comme un intellectuel. Il tait compltement absorb par lhistoire des ides et des systmes philosophiques et pouvait citer mot pour mot les penses brillantes dhommes clbres; mais il ne savait pas mettre ses connaissances au service de sa propre vie afin de la vivre plus intelligemment. Lintellectualisme agit souvent comme un processus mental de rpression, tout comme la cuirasse du corps est un processus de rpression physique. En termes primals, lintelligence est la facult de penser ce que lon ressent et vice-versa. Tom tait professeur de lyce, mais de son propre aveu, il ntait pas fin . Etre fin, cest avoir la libert de voir les choses telles quelles sont , ma-t-il dit, mais mes sentiments taient trop douloureux pour me le permettre. En trois semaines, le systme de valeurs de Tom sest modifi radicalement. Pour comprendre un changement aussi rapide, on ne doit pas oublier quen thrapie pri- male, pour la premire fois depuis lenfance, lesprit du malade est assailli dides qui lui viennent des senti- ments profonds quil revit. Par consquent, lesprit nchafaude plus des systmes de valeurs pour dissimu- ler la souffrance, et quand lesprit ne sert plus suppri- mer des sentiments, on devient rel. Les vieilles valeurs et les vieilles ides seffondrent parce que ctaient ds le dpart des structures fausses. Tom n'avait jamais t autoris avoir ses propres penses et ses propres sen- timents. Ds labord, il avait accept les positions de ses parents et celles de lEglise. Il aurait t vain de passer en revue une une ses ides et de lui montrer ce quelles pouvaient avoir derron ou dirrationnel. Le fait de mettre son esprit en accord avec ses sentiments rendait ces irrationalits superflues. En fin daprs-midi, la veille de mon entre en thra- pie, je me suis install dans un tranquille petit htel de Beverly Hills. J e suis rest dans ma chambre jusquau lendemain matin o je lai quitte pour me rendre au cabinet du docteur J anov. Me trouver seul dans cette pice minuscule, sans rien faire ni personne qui parler, me mit dans lembarras. Il ny avait rien autour de moi. Moi, seul. Ni le prsent ni son cadre monotone et limit ne mintressaient vraiment. J e navais pas la moindre ide de ce qui mattendait en thrapie. Lavenir mtait totalement inconnu. Tout ce que javais, tait mon pass. Bientt, tous les vnements importants de ma vie et tous les tres qui avaient tenu une grande place dans mon exis- tence commencrent sortir des murs de cette chambre dhtel. A ma grande surprise, ces souvenirs et ces re- flets taient extraordinairement vivants et pourtant trangement irrels : jaurais voulu me proccuper de chacun au fur et mesure quil apparaissait, mais je ny arrivais pas. Quelque chose semblait me retenir. Pour- quoi ? On aurait dit que je regardais ma vie de trs loin travers un puissant tlescope. Cette incapacit de me sentir concern me troublait. J e commenais sentir que probablement je ne prenais pas tout cela aussi au srieux que je laurais d. Naurais-je pas d souffrir ? J essayais de trouver quelques explications, pour tre finalement oblig de reconnatre que je ny arrivais pas. J e ne pouvais que me livrer des spculations. J e suis all me coucher.
Lundi
Le traitement a dbut de la faon habituelle (jai dj t plusieurs fois en thrapie). J e suis entr dans le cabi- net et on ma dit de me coucher sur un grand divan noir, plac le long dun mur. Puis on ma demand dexpliquer pourquoi javais dcid dentrer en thrapie. Depuis deux ans, je ntais plus du tout satisfait de mon travail. J envisageais srieusement de quitter lenseignement. En amour, je navais pas trouv le bon- heur que je cherchais. J e mtais mari puis javais eu deux liaisons. J tais au milieu de toutes ces explica- tions lorsque J anov ma interrompu en disant : Ce ne sont pas du tout les raisons pour lesquelles vous tes ici. Vous tes ici parce que vous tes un perdant. Peu im- porte le travail que vous faites : vous serez toujours malheureux. Vous vivez dans lchec. Dun seul coup, jtais perc vif. Il ny avait plus besoin dautres ex- plications. Ensuite, il a demand des renseignements sur mon pre. Mon pre avait un poste dans une entreprise de transports. Il tait aim de tout le monde parce que ctait un homme trs gentil et trs serviable. Mais comme pre, il ne valait pas grand-chose. Il passait le plus clair de son temps au bureau. Il rentrait rarement avant sept heures du soir et souvent, pas avant huit ou neuf heures. Il ntait ni coureur ni buveur, il restait simplement au bureau pour travailler. Quand il rentrait, il mangeait, puis sasseyait sur le divan et sendormait. Par ailleurs, il bricolait dans la maison et il coutait les matchs de football la radio. En dehors de a, il ny a pas grand-chose dire. Nous ne faisions jamais rien ensemble. Au lyce, je jouais au basket et au base ball mais il ne venait jamais me voir jouer. Une seule fois, mes parents taient venus voir un match de base-ball. J tais si mu que je ratai un coup facile ds le dbut du jeu. Quelques minutes plus tard, je vis la voiture de mes parents quitter le parking du stade. Vous pouvez imagi- ner quels taient mes sentiments ! Puis, je fus pris par surprise. J anov me dit de deman- der de laide mon pre. J e ne comprenais pas ce quil voulait mais je me suis mis le faire. Aprs avoir de- mand de laide plusieurs fois, j'ai dit J anov que cela me paraissait tout fait inutile, car je savais que mon pre ne maccorderait pas daide. J anov na pas insist, et nous sommes passs autre chose. Il ma demand de dcrire la vie la maison, quand jtais gosse. J ai commenc parler du programme . Le programme tait un ensemble de directives tantt simples, tantt complexes, qui taient dictes pour mon dification et pour mon bien-tre, par des puissances extrieures et inconnues. Il se faisait connatre par lintermdiaire de la famille, de lEglise et de lcole. Comme ma mre tait la seule qui se faisait entendre la maison, et que la maison tait la premire institution laquelle je mtais senti li, jen tais venu associer troitement ma mre lide de programme . A la maison, le programme tait rappel mon attention par des critiques, remarques reproches, remontrances et blmes incessants. Quand je sortais pour mamuser, je pouvais me salir mais il ne fallait pas que je me salisse trop. On attendait de moi que je me comporte en bon petit catholique cest--dire, respecter mes ans, obir, et fuir toute pense malsaine. Notre maison tait pratiquement un domaine protg . Elle tait remplie de meubles et dobjets anciens, de sorte que je mentendais continuellement dire de faire attention ne pas casser quelque chose . Inviter des camarades pour jouer avec moi tait pour ainsi dire exclu. Dabord, je ne pouvais en inviter plus dun ou deux sinon ma mre snervait et sirritait. Ensuite, quand on jouait dans la maison, on se sentait comme en libert surveil- le. Elle nous avait constamment lil; il ne fallait pas courir, il ne fallait pas faire de bruit, il ne fallait rien heurter. Par consquent, si je voulais vraiment mamuser ou tre avec mes camarades, il fallait que je men aille plus jtais loin, mieux a valait ! Ma famille tait une bonne famille catholique. J allais bien entendu lcole dans une institution catholique. Douze annes durant, jai eu pour professeurs des reli- gieuses. Pour compliquer les choses, ma mre avait deux surs cadettes qui taient entres dans lordre des surs qui enseignaient dans mon cole, de sorte que toutes les nonnes connaissaient ma mre. J avais limpression dune gigantesque conspiration. Ds que je ntais plus un bon petit catholique, on me tombait des- sus de tous les cts. J e ne savais rellement plus o sarrtait la famille et o commenait lEglise ou lcole. Tout cela, ctait le programme. A la fin de cette explication, J anov ma demand comment javais ragi ce mode de vie que lon mavait impos. J etant une allumette dans un rservoir dessence, il naurait pas fait mieux ! J explosai en une diatribe incendiaire. Les flammes s'levaient et sattaquaient au programme, ce qui me donnait une profonde satisfaction de colre. J e voulais rduire en cendres ce programme. J e hurlai plusieurs reprises : Saloperie de programme, saloperie ! saloperie ! salo- perie ! et comme les flammes commenaient mourir, jai conclu avec le calme d'une colre blanche : Et saloperie de pre et de mre, vous qui tiez les reprsen- tants officiels du programme ! J e suis rest un moment couch en silence en atten- dant que ce feu mabandonne, puis J anov ma demand de parler de mon frre, Bill. J e lui ai dit que nous navions jamais eu de relations trs troites. Il avait trois ans de plus que moi, et il naimait pas avoir son petit frre sur les talons. Comme il tait malheureusement incapable denvisager notre relation en dautres termes, il me repoussait parce que jtais trop petit. Il ny a eu quune brve priode aux alentours de mes seize ans, pendant laquelle nous avons fait un certain, nombre de choses ensemble et o nous nous comprenions un peu. J e me souviens que nous allions voir des films de cow- boys, nous moquant ensemble du scnario et nous rga- lant des bagarres. Aprs le film, nous allions prendre une bire quelque part. Mais ces occasions taient rares et cette priode dentente fut brve. En grandissant, je me fis une autre image de Bill. J e trouvais quil tait teint. Il moussait ma joie de vivre et le dsir dentreprendre des choses avec lui, sestompait. Apparemment, ctait toujours moi qui faisais des b- tises ou crais des ennuis dune manire ou dune autre. Et quand mon pre et ma mre me tombaient dessus, Bill tait toujours avec eux. J amais je nai eu le senti- ment que je pouvais me tourner vers lui quand javais des ennuis. Cela me mettait en colre et me blessait profondment. J e me sentais dautant plus seul. Aussi, quand il avait des ennuis, ce qui ne lui arrivait pas sou- vent, je me sentais mieux beaucoup moins seul. Bill tait le genre de gosse qui fait des tours spectaculaires et risqus pour attirer lattention des copains et se faire aimer deux. J e me souviens dun jour o il roulait bicyclette sur le parapet dun pont de chemin de fer dune trentaine de mtres de haut, qui traverse la rivire, au sud de la ville. Un faux mouvement, et il se tuait. J e lai regard du bout du pont, jusqu ce quil commence traverser, aprs, je nai plus pu le supporter. J e pensais quil tait fou de tenter des choses pareilles et je le lui disais. Mais cela ne semblait pas faire le moindre effet. Une autre fois, il me donna loccasion de me sentir vraiment mieux . Il tait parti au bal avec un certain nombre damis qui lavaient dfi de boire un casier entier de bire. Pour Bill, il nen fallait pas plus; et il se mit descendre vingt-quatre bouteilles de bire. Ils lont ramen la maison compltement noir. Pour aggraver les choses, pendant quil trbuchait dans lescalier pour monter la maison, ils taient tous assis dans la voiture, en train de chanter sur lair de Good night, Ladies : Bonne nuit, Billy, il est temps de se sparer ! Mon pre et ma mre taient mortifis : quest-ce que les voisins allaient penser ! J avais peur de les voir dans une telle fureur contre lui. Mais, au fond de moi, je ressentais une satisfaction relle voir Bill tomber de son pidestal de juste. J esprais que le fait dtre tomb de son pidestal le rapprocherait de moi; mais il nen fut rien. Vous tiez un enfant trs seul , a remarqu J anov. J ai dit : Cest vrai. Il ny avait vraiment personne dans la maison vers qui je puisse me tourner. Ctait devenu si insup- portable que je finissais par sortir dans le seul but de mchapper. Quand jtais gosse, jallais dans les bois pour jouer. J e rencontrais dautres enfants avec qui mamuser nimporte lesquels et quelquefois, jaimais sortir tout seul. Quand nous partions nombreux, nous jouions la guerre, nous faisions des randonnes et nous explorions les alentours. J e crois que je connaissais les moindres recoins de ces bois. Nous descendions le long de la rivire jusquaux chutes : un petit affluent qui, de vingt-cinq mtres de haut, se jetait dans la ri- vire. On se baignait dans la rivire et on se balanait sur des plantes grimpantes. Quelquefois on allait voler dans les champs des pommes de terre et du mas, on les enveloppait de boue prise au bord de la rivire, et on les faisait cuire sur un lit de pierres chaudes. On apportait une ou deux botes de haricots et de viande de porc et pour dessert on chapardait une ou deux pastques ou on prenait des fruits dans un verger. Quelquefois on p- chait, on chassait des serpents ou des marmottes, tout ce quon pouvait trouver. On cueillait les baies et les as- perges sauvages qui poussaient le long des voies ferres. En automne, nous allions dans la campagne pour man- ger des papayes sauvages. J e me souviens quun jour javais emmen un autre gosse pour lui montrer les papayes parce quil ne savait pas ce que ctait. Il en a tant mang quil en a vomi. Moi, jai trouv a drle. Adolescent, je sortais beaucoup pour jouer au ballon. J e jouais au ballon longueur de jours, au base-ball, au basket-ball et au football, selon la saison. J e jouais trs bien et quel que ft le jeu, les autres me voulaient tou- jours dans leur quipe. Ctait un sentiment trs rcon- fortant. J amais auparavant, je ne mtais ainsi senti dsir. Plus tard encore, je partais pour sortir le soir. J aillais dans les bistrots et dans les bals. Quelquefois je me contentais de descendre en ville pour parler avec qui je trouvais. Plus je grandissais, moins je restais la mai- son. Dans ma dernire anne de lyce, pas une fois je nai rapport un livre la maison pour travailler le soir. Il fallait que je sorte. J tais toujours dehors. Finale- ment, je suis parti pour aller luniversit. A partir de ce moment, jai pass trs peu de temps la maison. Quand je me suis arrt de parler, J anov ma fait re- marquer que javais t trs passif et trs accommodant dans mes rapports avec mes parents. Ctait vrai et jen ai convenu. Puis, il ma demand si je me sentais parfois femme ou si javais des fantasmes homosexuels. Il po- sait ces questions dune faon qui me paraissait sour- noise, insinuante. J ai rpondu non ses deux questions, mais la scne ma irrit et je me sentais mal l'aise. J anov na pas insist sur ces questions, mais il est re- venu sur le programme. J e me suis nerv et jai eu envie duriner. J e lui ai demand les toilettes, mais il ne voulait pas que jy aille. Il disait : Vous allez vacuer vos sentiments en pissant. J e me suis retenu. Mais au bout dun moment, je nai plus pu attendre. Il ma dit que si jamais je sortais pour pisser, il nous faudrait nous arrter. J tais furieux parce que je sentais quil essayait de me manipuler. J e suis all pisser. Quand je suis reve- nu, la porte tait ferme clef. J ai frapp. Il na pas ouvert. Cela ma mis en rogne et jai tap la porte si fort que les murs en tremblaient. Pourquoi avez-vous fait a ? lui ai-je demand quand il a ouvert la porte. Le visage impassible, il ma rpondu : Parce que je ne voulais pas que quelquun dautre entre. Cette rponse ma coup le sifflet et je nai su dire que merde . J e suis retourn mallonger sur le divan et nous sommes repartis pour une demi-heure de plus. Rentr chez moi, je me suis mis en colre lide dtre un rat. Le terme semblait exact. J e me deman- dais mme si j'aurais d avoir des fantasmes homo- sexuels. J e navais jamais t attir par les hommes. Puis jai commenc ressentir de la colre contre J a- nov : avant le dbut du traitement, il mavait tlphon pour me dire quil nous faudrait repousser notre sance dun jour, parce quil avait une laryngite . J e lui en voulais profondment cause de ses insinuations sur lhomosexualit. Il mavait provoqu avec son histoire de porte ferme clef. Tous ces problmes me tracas- saient et jai fini par dcider que jirais le voir demain dans lintention daller au fond de ces plaisanteries.
Mardi
J e suis arriv 10 heures moins 10. La porte tait ferme clef. J avais envie dtre seul pour me concen- trer sur ma colre, je suis donc all aux toilettes et jai attendu l, jusqu 10 heures. Quand je suis revenu, la porte tait ouverte. J e suis entr, J anov ma demand pourquoi jtais en retard. J ai regard ma montre, il tait 10 heures 03. J e lui ai rpondu que jtais venu plus tt, mais que la porte tait ferme. Il ma dit de mallonger. J e lui ai rpondu que je ne voulais pas, que je voulais le regarder dans les yeux et quon parle face face. Il a fait claquer ses doigts et ma dit de mallonger parce que nous tions en train de perdre du temps. Ce claquement de doigts ne fit que durcir ma rsolution davoir un tte--tte avec lui. J tais tout engourdi et tourdi de colre et au lieu de lui obir, je suis all droit la chaise qui tait en face de lui, et je lui ai dit quil y avait un certain nombre de choses que je voulais mettre au point. J ai dit ce que javais dire propos du jeu quil jouait avec moi. Puis je lui ai dit que jen avais assez dtre manipul et que je voulais dire sur lheure ce que je ressentais. Il ma dit que je jouais la comdie. Il ma nouveau demand daller mallonger. Cette fois, je lui ai obi, mais avec des sentiments trs miti- gs. Nous avons commenc par ma colre. J e lui ai dit que derrire la colre que jprouvais contre lui, il y avait la colre que jprouvais contre moi-mme pour tre un rat. Il ma demand ce que je ressentais. J ai rpondu : J ai la poitrine oppresse et les entrailles me brlent. Il ma dit de demander mon pre de maider me dbarrasser de cela. Il ma fait respirer profondment, en gardant la bouche grande ouverte. Cette respiration semblait me transporter dans une autre vie, mais le fait de demander mon pre de maider navait pas le moindre effet. J ai dit J anov que mon pre ne maiderait pas. Il ma demand quelle impression cela me faisait. Limpression dtre seul, dtre exclu. J e me sentais triste. Il ma encore fait respirer profond- ment et ma dit de faire sortir la souffrance. Cette fois, la respiration ma vraiment puis. J e me suis mis me tordre de souffrance. Lestomac me brlait, et javais limpression quon mcrasait la poitrine. Il ma dit de continuer faire sortir la souffrance et de demander mon pre de maider. J e me suis mis taper de toutes mes forces sur le divan et hurler pour demander mon pre de maider, jusqu ce que je sois puis. J e me suis repos un moment, puis J anov ma deman- d de dire ce que javais sorti. Pendant un moment, jtais tellement sous le coup de lexprience que jtais incapable dexpliquer ce que ctait. J ai fini par recon- natre le sentiment de culpabilit, la peur dtre moi- mme et la frustration de ne pas tre capable dtre moi- mme. Soudain, jai compris pourquoi il me fallait de- mander mon pre de maider. J avais t trs intrigu par cette tactique et maintenant jtais impatient de tout sortir. J ai dit J anov quil ne me paraissait plus inutile de demander de laide mon pre. Car javais compris que cest au pre qui tait lintrieur de moi que je parlais le pre que je dsirais. J ai expliqu : Il sagit darriver ce que ce pre maccepte tel que je suis et maide sortir ce sentiment dtre seul et ex- clu. Il ma demand ce que je devais faire maintenant. J ai dit quil me fallait tout dabord apprendre ressentir ce pre en moi. Sentir quoi cela ressemblait. Il me fallait ressentir comme on ressent un beau tir au golf ou un bon rythme de danse, et plus tard, apprendre lutiliser. Puis je lui ai dit combien il tait bon de sentir quon avait un pre un pre qui se souciait de vous et pou- vait vous aider. Ctait un sentiment si agrable que jai ri et pleur pendant un long moment. Quand jai t de nouveau en mesure de parler, je lui ai dit depuis combien de temps je mtais senti seul et exclu. J e me suis souvenu dun Nol o je mtais senti infiniment seul. J e me revoyais assis sous larbre de Nol et regardant tristement la lumire bleue de la crche aprs quils meurent dit que le Pre Nol nexistait pas. Ils mavaient expliqu que Bill tait trop grand pour y croire encore et quils savaient que a ne me ferait rien. En un sens, ils avaient raison parce que je savais depuis un certain temps que le Pre Nol ntait quune fiction et cette histoire de cadeaux ntait pas importante. Mais la manire dont ils me lavaient dit, enlevait tout amour au jour de Nol, or, ctait le seul jour o javais limpression den recevoir rellement un peu. Tout ce que je souhaitais pour Nol, ctait un pre et une mre rels qui maimeraient, prendraient soin de moi, maideraient et me dfendraient tel que jtais. Cette anne-l, Nol, je fus un enfant trs triste et trs seul.
Mercredi
Aujourdhui, J anov ma fait me coucher par terre. J ai pass cette sance comme je devais passer toutes les sances suivantes par terre. Il ma demand ce que javais fait depuis hier. J e lui ai dit que javais t trs fatigu, que je ltais toujours et que javais pass tout ce temps me reposer. Ds le premier jour, jai tabli une routine. Aprs la sance, je rentre, je djeune, je me repose une heure ou deux, jcris mes notes sur la sance avec J anov, je rflchis ce propos, je dne, jcris mes rflexions, je trane encore une heure et puis je vais au lit. J e trouve quen me concentrant exclusi- vement sur la thrapie, je peux multiplier les insights et me souvenir de beaucoup dexpriences et dvnements du pass qui me sont utiles. Mais hier, je me suis senti si fatigu que je nai rien pu faire en de- hors de prendre des notes sur la sance du matin. J e suis rest allong, comme un mort. Trois vnements me sont revenus lesprit et je les ai raconts. J e me suis dabord souvenu dun jour o mon pre nous avait emmens Bill, mon cousin et moi, voir un match de base ball Cincinnati. J avais environ cinq ans. J tais tellement pat par tout ce que je voyais, que jen avais le tournis. Quand nous fmes arrivs au parc des sports, mes yeux ne quittrent plus le terrain. A la fin de la partie, mon pre nous fit passer par la grille de milieu de terrain, et je me retournai pour jeter un dernier regard sur ce terrain. J aurais voulu rester l toute la nuit, tout jamais. Quand je me tournai enfin, mon pre et les deux autres avaient disparu. Pris de panique, je me suis mis brailler. Autour de moi, les gens sagitrent et en un rien de temps mon pre, mon frre et mon cousin furent l pour me rcuprer. Puis, nous prmes un bus pour regagner la gare, et javais un irrsistible besoin de faire pipi. J e le dis mon pre mais il rpondit qu'il ne pouvait rien y faire et que je navais qu pisser dans mon pantalon. Cela me soula- gea beaucoup mais jai encore le souvenir trs vif de linconfort de ce pantalon de laine tout mouill et qui grattait. Le second incident date de mes premires annes dcole. Quelquefois, quand je rentrais de lcole, je trouvais la porte de la maison ferme. J e masseyais alors sur les marches de la porte de derrire; furieux, je cognais contre la porte et je pleurais en criant ma mre de me laisser rentrer. Une des voisines finissait par venir me dire que ma mre ntait pas la maison. Alors je masseyais et jattendais quelle revienne. Le troisime vnement stait produit un dimanche soir, alors que javais environ huit ans. Nous navions pas de voiture. J e ne partais en voiture que quand ma grand-mre et mon grand-pre nous emmenaient quelque part. Un dimanche soir, jtais chez les voisins den face, quand ils passrent nous prendre pour aller dabord au cimetire, puis faire un tour en ville. Mon pre et ma mre leur avaient dit de ne pas mattendre et ils dmarraient juste quand jarrivai. J e courus aussi vite que je pouvais et hurlai de toute la force de mes pou- mons, mais en vain; la voiture passa le coin de la rue et disparut. J anov ma demand pourquoi ces souvenirs mtaient revenus. J ai rpondu : Parce que ctaient des mo- ments o jtais seul et exclu. Il ma demand ce que je ressentais. J ai dit que cela me serrait lestomac et la poitrine. Il ma fait essayer de le faire monter et sortir par la respiration, comme hier. Mais jtais trop puis pour y arriver. J e suis rest un long moment sans mou- vement. Quand enfin jai boug, il ma demand ce qui nallait pas. J e lui ai dit que javais mal au dos. Il ma dit que ce ntait pas une douleur physique. Il ma dit de ne pas bouger, de ressentir simplement. J e lui ai dit que a me rappelait le programme : Ne tassieds pas sur cette chaise, sale comme tu es ! Enlve tes souliers ! Ne touche pas ca ! J e suis rest longtemps l, et dans mon dos, je sentais le programme. J ai fini par dire : Vous savez, javais quand mme trouv un moyen de ne pas me sentir ex- clu. Ctait daider les gens, de faire des choses pour eux. Un jour, mon grand-pre mavait trouv dans la rue, un morceau de papier entre les dents alors que deux gars coupaient le papier en deux avec des lanires de fouets de deux mtres de long. Il mavait ordonn de marrter. Il ne comprenait pas pourquoi je faisais a. J anov est intervenu : Il se sentait concern, nest-ce pas ? J ai rpondu : Oui, il se sentait vraiment con- cern. Dites-le-lui , m'a dit J anov. Cest ainsi que jai dit mon grand-pre combien il se sentait concern, combien ctait important pour moi et combien javais souffert quand il tait mort parce quil tait peu prs tout ce que javais. Puis, jai vers des torrents de larmes, jamais je navais pleur de la sorte, mme pas le jour o il tait mort qui avait pourtant t le plus triste jour de mon enfance. Aprs cette crise de larmes jai parl J anov de mon grand-pre. J e lui ai dit comment il mavait appris des tas de choses et comment il me laissait toujours le re- garder quoi quil ft et comment il mexpliquait tout ce quil faisait et puis me permettait de my essayer mon tour. A la fin de la sance, J anov a fait une remarque qui ma surpris et troubl. Il a dit que je le faisais penser un pquenaud du Middle West. J ai dit que cela avait quelque chose de pjoratif. Ce nest pas un juge- ment , a-t-il dit, mais je nai pas compris pourquoi il lavait dit. En y rflchissant plus tard, dans ma chambre, je me suis dit que ce devait tre une manire de me dire : Vous tes rellement un rat. Aujourdhui a t le jour le plus pnible. Hier, jtais en colre, je commenais me soucier de moi-mme et prendre ma propre dfense. Aujourdhui, jtais de nouveau par terre un gosse piaillant, exclu de tout. J tais, comme la dit J anov, comme un petit enfant le nez coll la vitrine, essayant dsesprment dentrer dans la vie . J ai limpression que jai un trs long chemin parcourir. J ai fait un trs grand effort et pour- tant on dirait que je nai pas fait encore beaucoup de progrs. J ai commenc rflchir sur le fait que jtais un rat un exclu. J ai toujours eu ce sentiment-l, toutes les poques de ma vie. J e ne sais pas comment on peut se sentir autrement. J ai bti toute une thique autour de ce sentiment. J ai limpression que recommencer tout apprendre zro est une tche monumentale et je ne sais pas comment je vais my prendre.
Jeudi
Aujourdhui nous avons commenc par mon dcoura- gement lorsque je me suis rendu compte que tout mon mode de vie avait t construit sur lide que jtais un rat et que javais un si long chemin faire pour arriver tout reconstruire sur de nouvelles bases. J ai rapport J anov les rflexions que mavait inspires sa remarque que jtais un pquenaud du Middle West; ctait mon avis une autre manire de me traiter de rat. Il en est convenu. Puis il ma demand de parler comme un paysan du Middle West. J ai rpondu que je ne pouvais pas me mettre le faire pour le plaisir, ce ne serait quune d- marche de lesprit. Il me fallait entrer dans ce sentiment. J anov a demand : Que voulez-vous dire ? J e veux dire quil me faut plonger dans le sentiment que jprouvais hier lgard de grand-pre. J anov a de- mand : Etes-vous all son enterrement ? Bien sr. J anov ma demand den parler. Alors je lui ai tout racont : je lui ai dit que tout le temps de la maladie de grand-pre, javais habit chez eux et aid grand- mre, jai racont comment il tait mort, la veille, les funrailles. Avez-vous beaucoup pleur ? a demand J anov. Non, jai pleur un peu le premier jour et un peu quand ils lont mis en terre. J essayais de me comporter comme un homme, comme on dit. J avais treize ans. Est-ce que vous avez fait vos adieux grand-pre quand ils lont mis en terre ? Non, pas avec tous ces gens autour. Il aurait fallu quils memmnent. Dites adieu grand-pre, dites-lui tout ce quil reprsente pour vous. Et jai dit adieu grand-pre avec tout lamour et tous les sentiments de mon corps. J ai parl grand-pre en pleurant, jusqu ce quil ne reste plus rien. J e lui ai dit combien je laimais parce quil se souciait de moi, quil mapprenait faire des choses et quil me prenait sous son aile. J e lui ai dit combien jaimais apprendre et savoir faire les choses moi-mme pour lui prouver que tous ses soins et tout son amour navaient pas t per- dus. J e lui ai dit combien je dsirais quil comprenne, en me voyant mloigner au fur et mesure que je grandis- sais, mais quil me fallait aller de lavant sur le nouveau chemin et abandonner le vieux. Il faut que javance, grand-pre, il faut que javance ! J e lai dit dinnombrables fois en pleurant. Il faut que javance, grand-pre, comprends, sil te plat ! J e ten supplie ! Tu nas pas chou, grand-pre. Il faut que jaille de lavant. Adieu, grand-pre. Adieu ! Et jai pleur pa- reil une rivire la fonte des neiges au printemps. Comme je pleure maintenant que je tape ces notes et comme jai pleur quand je les ai crites pour la pre- mire fois. Puis J anov ma demand de dire mon pre combien j'aurais voulu quil soit comme grand-pre. Et je lai fait. J e lui ai tout dit. J e lui ai dit combien javais envie quon me dsire et prenne soin de moi, comme le faisait grand-pre. Puis jai racont J anov que papa et maman ne dsiraient pas ma naissance et que papa avait dit quil avait envie de rabattre la fentre guillotine sur sa verge afin de la couper quand il avait dcouvert que ma mre tait enceinte de moi. Puis jai dit : Papa, tu sais ce que je dsire vraiment ? J e voudrais que tu dsires vri- tablement tout le tremblement, le baisage et tout ce qui va avec car cest de a quil sagit, papa. J e voudrais que tu dsires vraiment maman, que tu la baises comme il faut et que tu me dsires galement. Car cest a le vrai moi, papa : je suis davantage que simplement moi. J e suis la vie ! Et tu dois la dsirer, papa, tu dois la dsi- rer rellement ! Ensuite jai parl de ma mre qui se comportait comme si elle navait jamais connu le plaisir ne vou- lait pas le connatre toujours en train de rler, tou- jours nerve. Et jai de nouveau ressenti cette douleur dans le dos que javais ressentie la veille. J anov ma fait rester couch un moment pour la ressentir. Il ne cessait de rpter Quest-ce que vous ressentez ? J ai fini par rpondre : a me creuse les reins, comme si je me tendais contre quelque chose. Contre quoi ? Contre le fait dtre exclu, isol. Cest comme quand on marche pieds nus sur des pierres trs pointues. Il faut faire attention tout le temps, tre tendu, sinon, on se fait mal. Alors J anov ma dit de dire ma mre quelle me fai- sait mal. J e ny suis pas all par quatre chemins. J ai cri de toutes mes forces pour lui dire de sarrter parce quelle me faisait mal. Elle tait toujours l rler. Arrte ! Fous-moi la paix ! Quand jai eu fini de hurler, il ma fallu aller pisser. Quand je suis revenu, J anov ma dit quil tait surpris de me voir apprendre si vite. Il ma dit que je faisais vraiment du bon travail. Cela ma fait du bien parce que ce matin, quand jai commenc, je me sentais vraiment trs loin de la sortie du tunnel. Quand je suis rentr chez moi, jai pens dire J anov pourquoi javais toujours chou. J avais t programm pour a. La raison : en me considrant comme un rat, je nai plus me faire du souci si je suis toujours exclu. J e me suis retir moi- mme du jeu avant quils aient loccasion de men ex- clure.
Vendredi
Aujourdhui jai particip ma premire sance de groupe. Pendant un moment, je me suis content de regarder. Puis je me suis couch par terre pour faire une fois de plus mes adieux grand-pre. Vers la fin, jai eu limpression quil comprenait que nous devions suivre des chemins diffrents il entrait dans la mort, et moi dans lge dhomme. J e sentais que bien qutant obli- gs de suivre des chemins diffrents, nous tions main- tenant trs proches lun de lautre. Ctait comme si je mtais senti proche de la terre ou comme si javais t au lit avec mon amie sans tre le moins du monde tendu. J anov ma dit de me laisser aller ce sentiment, je lai fait dans la mesure o je le pouvais, avec tous ces pleurs et tous ces cris autour de moi. J e ntais pas habitu cela, mais je my ferai. Quand tout le monde sest relev, on sest mis par- ler. J anov ma prsent au groupe. J ai dit que javais le sentiment que je nen savais vraiment pas assez pour apporter ma contribution. J e leur ai dit quen mveillant, ce matin, javais su quil fallait que je marrte de baiser, parce que ce ntait quun moyen dvacuer mes sentiments. J anov sest tourn vers moi et ma dit que je navais pas tellement lair dun baiseur. Il tait lgrement tonn que jaie eu un tas de femmes. Il a ajout que ce comportement ne me servait qu dissimuler une homosexualit latente. Cette remarque ma terrass. En rentrant chez moi, javais un mal de tte me faire clater le crne. J tais trop boulevers pour pouvoir manger quoi que ce soit. Tout ce que jai pu faire, cest me coucher par terre. J e sentais que si je devais tre un pd toute la vie, je me foutais de vivre. J e voulais me dbarrasser de la pdale. J e suis retourn en arrire, et jai essay de reconnatre tous les sentiments homo- sexuels. J e souffrais tellement quil ma fallu appeler J anov. Il tait Santa Barbara. J e voulais faire un primal et je lui ai demand comment je pourrais y arriver seul. Il ma dit que a ne marcherait pas mais il ma donn les numros de tlphone dautres personnes qui pourraient soccuper de moi. J e lui ai dit que je voulais savoir si je pouvais me dbarrasser de la tapette. Aucun pro- blme , ma-t-il rpondu. J ai pleur de soulagement et je lui ai dit que je pourrais attendre lundi pour le primal.
Lundi
Ce matin, nous avons eu beaucoup de peine com- mencer. Afin de pouvoir passer la journe aprs le coup de tlphone J anov, javais bloqu mes sentiments. J anov voulait savoir ce qui stait pass samedi. J ai essay de lui en rendre compte du mieux que je pouvais mais a se passait dans la tte et je ne pouvais plus me plonger dans le sentiment. Bon, quest-ce que vous ressentez maintenant ? a demand J anov. J e lai en- gueul immdiatement et je lui ai lanc en pleurant : Pourquoi est-ce que vous ntiez pas l samedi, quand javais besoin de vous ? Cest dgueulasse ce que vous avez fait ! Vous mavez mis cette histoire de tapette sur le dos et puis vous tes parti ! Vous saviez pertinem- ment le genre de raction que cela produirait. Il ma dit de me recoucher et de ne pas men faire, quon y arriverait dune autre faon. Il ma dit de parler de ma vie. J e lui ai racont comment jtais tomb amoureux de Betty, je lui ai parl de mes rapports avec Louise et de mon mariage avec Phyllis. Il en est venu au truc de la femme plus ge que moi et voulait savoir comment a avait t avec Vi. A la fin du rcit de mes relations avec Betty, la partie la plus traumatisante, jai eu envie de pisser. J avais senti cette envie se former au fur et mesure que je parlais delle. J e lai dit J anov. Il ma dit de ressentir cette envie et de ne pas bouger un muscle. Auparavant, quand javais tendu les bras sur le sol, ils staient engourdis. Il ma demand sils taient trop longs. J ai dit : Non, mais ils sont tout engourdis ce matin, je ne sais pas quoi en faire. Il ma dit de ne pas bouger et de me contenter de ressentir ce qui se passait. J e suis donc rest tendu l. Bientt, jai senti dans les entrailles un gonflement qui montait. La ten- sion montait tant que bientt mes bras et mes jambes se sont mis battre le sol et jai commenc remuer la tte dans tous les sens. J tais un bb dans son berceau. J e le sentais. Mes mains se crispaient comme celles dun petit bb quand il pleure. Ma bouche se contractait comme si je cherchais tirer quelque chose dun bibe- ron vide. J e ne disais rien et je ne criais pas. Simple- ment, je gigotais violemment et jessayais de reprendre ma respiration. A la fin jtais si fatigu que je me suis arrt et suis rest l, immobile. Puis, consciemment et lentement, jai rpt tous les mouvements et les con- tractions de ma bouche et de mes mains pour tre sr que je men souvenais bien. A la fin du primal, javais lesprit tout embrum, et je ne sais pas exactement ce qui sest pass. Ctait peu prs comme a : J anov a dit : Vous naviez pas le droit de la toucher, nest-ce pas ? J ai saisi ma verge et jai dit : Non, je recevais chaque fois une tape. J e me frappais la main en racontant J anov comment cela se passait. Il a dit : Vous naviez pas le droit davoir un pnis, nest-ce pas ? J ai dit : Non. Alors je me suis assis et je me suis caress le pnis. J e suis all de- vant le miroir, jai baiss mon pantalon et je me suis caress le pnis en disant mon pre et ma mre que tout tait bien. J ai dit J anov que je ne pouvais, avoir un pnis quen secret, quand je me masturbais; pourtant, jaurais voulu quil fasse partie de toute ma vie. Vous le saviez, nest-ce pas ? ma-t-il dit. Oui ! je le sa- vais ! et cest pour a quils avaient peur. Ils savaient que jtais au courant et ils taient presss de tout ren- fermer bien vite. Et cest comme a que vous tes devenu une bonne petite tapette. Eh oui. Ctait un sentiment extraordinaire de me caresser et de dire mon pre et ma mre que jen avais le droit. Partout, dans la philosophie, dans la religion, dans le travail et Dieu sait encore o, javais cherch ce senti- ment et aujourdhui je lai trouv dans mon pnis. J a- nov, vous tes formidable. Cest merveilleux , ai-je dit. Rentr chez moi, jai pass le plus clair de mon temps me caresser le pnis et dire mon pre et ma mre que ctait bien. En sortant du cabinet de J anov, jai crois dans le corridor un homme dun certain ge, lair cossu. Dabord, jai eu mon sentiment habituel, un sen- timent de gne et de honte secrte la vue dun tranger qui avait lair plus imposant que moi. Puis jai senti que javais un pnis et que tout tait en ordre; immdiate- ment, mon attitude a chang. J e me suis brusquement senti laise, en accord avec moi-mme et sans hostilit son gard. J amais je navais eu ce sentiment. La mme chose mest arriv en croisant quelques femmes dans le supermarch. J e nai plus le mme pass. Il me faut retourner sur mon pass et le reconstituer entirement pour le mettre en harmonie avec ce que japprends maintenant. Il me faut le faire afin dobtenir de la continuit dans ma vie. Sans continuit, je ne puis arriver un changement dans lordre. En thrapie, je cherche mexprimer de plus en plus sans utiliser les rgles de la logique habituelle et le lan- gage structur, les phrases entires, relies les unes aux autres, etc. Car je bousille tout si jessaie la fois de ressentir la ralit et denfermer cette exprience dans un schma de pense et dans des structures linguis- tiques.
Mardi
Aujourdhui, J anov a essay de me faire pleurer comme un petit bb. J e ny ai pas russi. J y suis arriv pendant un tout petit moment, mais aprs jai chou. J ai gigot par terre pendant trois heures et demi. J ai essay de retrouver le sentiment par lenvie de pisser. Mais ctait une impasse, un pige. Si jallais pisser, je ne pourrais pas pleurer parce quen pissant, jvacuerais mes sentiments. Inversement, si jarrivais pleurer, mes muscles se relcheraient et je pisserais partout. Leffort a nanmoins produit quelques insights. Leur valeur sest rvle tre immense. J ai ressenti la colre quprouvait ma mre en me regardant gigoter et pleurer dans mon berceau. J e ne pouvais y faire face. J e me cachais pour ne pas le voir. J ai senti ce que ctait que de ne jamais recevoir assez de lait et de manger de lair. J e lisais l'absence damour sur leurs visages. J e voulais me cacher sous le divan pour ne pas voir leur expression glaciale. J e me suis donc gliss sous le divan en criant J anov : Quest-ce que vous voulez savoir ? J ai commenc parler comme un bb, la bouche toute tordue. Y veut pas me laisser crier ! J ai senti quel point mon pre tait loign de moi comme sil appa- raissait pour dire : J aiderai prendre soin de toi, mais ne tattends pas ce que je sois ton pre. J ai senti quil me cachait toujours son pnis et quil ne me per- mettait jamais de le voir nu. Ma mre non plus, je ne lai jamais vue nue. A la fin de cette scne, jtais totalement puis trop puis mme pour en crire le compte rendu com- plet. Ceci est tout ce que jai pu faire. Quelquefois, quand jtais tout petit, je me cachais sous le lit ou derrire le divan. J aimais cela parce que jy tais tout seul et que ma mre ne pouvait pas me voir. J e me sentais bien et libre quand on ne me voyait pas. Aujourdhui, sous le divan, jai fait la mme chose. J e men souviens maintenant. J avais oubli tout a. J en avais assez de voir sa colre. Cest pour a que je me cachais l o je trouvais la solitude, le calme et lamour. En thrapie, jai un comportement trs caractristique. J e pars en flche. Puis quelque chose se met clocher. J e semble avoir besoin den faire une grosse affaire, je lutte beaucoup et jessuie des checs. Puis je reviens rellement sur moi-mme jusqu ce que je redevienne un petit garon dsarm. J e ne comprends pas ce qui marrive. Tout ce que je vois cest que mon attention a t dtourne de ce que je fais et dirige vers autre chose.
Mercredi
Aujourdhui, jai encore pass la sance me tordre sur le sol. J ai compris combien javais eu une ducation rigide. Mon corps na jamais eu le droit de faire ce quil voulait. Il tait emprisonn dans une camisole de force. J e navais pas le droit de donner des coups de pied, de gigoter et de me rouler dans tous les sens. J e ne pouvais pas jouer avec ma mre. J amais je nai eu le droit de la tter. Il semble quun grand nombre de mes dsirs et de mes besoins mtaient dnis. Aujourdhui, jai appris jouer et me rouler par terre. Mais il y a eu toujours le mme jeu avec cette envie de pisser. Et nous navons pas fait ce que nous aurions d faire depuis le dbut de la semaine : revenir cette peur de la pdale que javais prouve samedi dernier.
Jeudi
Aujourd'hui, jai ressenti ma peur, cette peur de la p- drastie. Ce ntait pas comme samedi o jtais rentr avec un mal de tte tuant, mais je my suis plong assez profondment pour ressentir ce que ctait. J tais sur le sol et je retrouvais le bb que jai t. J ai retrouv le bb et ma mre, mais aprs, je me suis troubl. J e ne savais pas si je devais me mettre en colre ou reprendre ce personnage de bb gigotant par terre. J appelle maintenant cette seconde attitude ma crise de bb. Puis jai de nouveau eu envie de pisser. Cette fois, je me suis mis en colre. J ai t comme un volcan dchan. J e tapais les coussins les uns contre les autres pour me librer du contrle que ma mre exerait sur mon corps. J ai hurl et jai pest contre la pression que je sentais dans mon ventre, lui disant que je voulais tre matre de mon ventre ! Cela a dur assez longtemps jusqu ce qu mon grand tonnement, je sente que jtais effectivement devenu matre de mon ventre. Lenvie de pisser a dispa- ru. Cest par la colre que je me suis rendu matre de mon corps ! Par la violence, jai obtenu ce qui mappartient de droit mon corps.
Vendredi
Aujourdhui nous sommes revenus sur mon pre et ma mre et sur les rapports que javais avec eux dans mon enfance. J ai dit J anov que mon pre tait pour ainsi dire totalement ferm, que le peu de rapports que javais, je les avais avec ma mre, comment, en fait, je navais personne, combien jtais seul et dsempar au lyce, sans personne pour me guider ou me conseiller, comment jen tais venu pouser quelquun daussi teint que Phyllis. Puis nous avons parl de mon scepticisme lgard de lenseignement. Cela se rsumait au fait que ctait un programme respectable, sr, bourgeois, sans risques, et je voulais envoyer le programme au diable. J ai dit J anov que javais peur parce que je ne savais pas quoi le nouveau moi allait ressembler, et que jhsitais abandonner le seul moi que je connaisse. Puis jai com- pris quil me fallait me dtourner de ce moi, que je le veuille ou non, parce que si je gardais le programme, je gardais aussi le pd, et je nen veux plus ! Il ma demand ce que javais tir de ces deux se- maines. J ai rpondu que javais retrouv mon pass et mon corps . Il ma demand ce que je voulais faire. J ai rpondu que je voulais apprendre aux gens avoir une conscience individuelle et une conscience politique. Quand je suis rentr, jtais au comble de lexcitation. Le dsir urgent de faire quelque chose de ma vie, quelque chose de sens, me tenait. J e me rendais compte que ni les femmes, ni le tabac, ni lalcool, ni largent, ni la drogue ne pourraient servir de substituts.
Samedi
Aujourdhui, la sance de groupe a de nouveau com- menc avec tout le monde par terre. Quand plusieurs malades se sont mis appeler leur mre en pleurant, je me suis mis en colre parce que je ne pouvais pas re- tourner au pass, car il ny avait rien. J anov ma vu assis dans mon coin et ma dit de me coucher par terre. J ai commenc frapper le sol, jtais dans une fureur aveugle. Puis jai hurl de colre : J e suis furieux, pourquoi y me laissent pas pleurer ? J e veux ma vie. J anov est venu ct de moi, je lui ai dit que je mtais coup de tout pendant vingt ans et quil tait trs diffi- cile de retourner mon pre et ma mre. J ai dit : J e peux pleurer pour grand-pre parce quil se souciait de moi et quil maidait. Il a rpondu : Dites-leur que vous voulez revenir. Alors je leur ai dit que je voulais revenir eux tel que jtais et que je voulais quils se soucient de moi comme grand-pre. Pendant un petit moment jai sanglot sans retenue. Puis jai parl J anov de loncle Mac et comment grand-pre lavait rejet avec mpris parce quil voulait devenir musicien, combien Mac hassait grand-pre et quil stait tu par la boisson. Exactement comme vous vous tes tu , a dit J anov. Mais au moins, Mac semblait savoir ce quil voulait. Moi, je ne le sais pas encore. Non , ajouta- t-il, ils vous ont bousill . J e me suis plong dans mon sentiment concernant Mac, mon oncle favori et lidole de mon enfance, puis dans celui de mon lent suicide, dans ce que mon pre et ma mre avaient fait. J ai senti une immense souffrance dans ma tte et dans mes tripes. Puis jai eu ma crise de bb qui se dmne. Quand jen suis sorti, ils taient tous en train de me regarder. Ils ont dit que ma colre leur avait fait peur. J e leur ai dit tous comment javais essay toute la semaine de laisser la peur prendre possession de mon corps. Une femme ma fait remarquer que quand la souffrance tait monte, je ntais pas rest immobile mais que jtais entr dans ma crise de bb. Ctait une remarque judicieuse. Dautant que ma mthode ne mar- chait pas. Au cur de la crise, je ne ressens quune motion aveugle. J usqu ce que je me calme, tout le reste disparat. Il y a fort peu de chances pour que je passe jamais dune colre aveugle une peur paraly- sante. En rentrant, je me suis aperu que javais mal aux reins, comme quelquun qui travaille un bon coup un jour, aprs une longue priode dinactivit. La douleur se situait au mme endroit que quand je reste couch immobile sur le sol ! Aujourdhui, je suis alle une soire. Ctait la pre- mire fois depuis deux semaines que javais un contact social. J e navais pas envie de boire ou de fumer, mais javais envie de baiser et de faire une ou deux botes. J e me sentais bien un autre moi-mme, un tre nouveau. Plus vivant. On aurait dit que cette vitalit tait irradiante, elle se rpandait autour de moi, sur les autres. J ai rencontr une ravissante blonde qui sappelle Frances. J ai aussi fait la connaissance dEileen, une brune assez piquante qui portait une longue robe trs dcollete et des bijoux en or. Mais je me sentais plus attir par Frances parce quelle avait un corps dont elle se servait merveilleusement bien. J e lai regarde danser pendant un long moment. Puis jai essay de danser avec elle mais a ne marchait pas trs bien. J ai retrouv lancien manque dassurance, leffacement, le sentiment dtre un pd. J ai remarqu que bon nombre de gens avaient lair dprouver des sentiments analogues. Ils ntaient pas laise dans leurs corps, ils ntaient laise dans rien. Baiser Frances la fin de la soire, c'tait bon, mais jaurais voulu quelle ne se donne pas tant de mal faire travailler sa tte. Tu es un vrai homme... et tout un tas de foutaises. Ce matin jai senti que jaurais d faire quelque chose ce sujet, dire par exemple : Dtends-toi, ne force rien. Laisse ton corps commander ta tte. Alors tu pourras te passer de toutes ces foutaises. Dimanche jai dormi. En mveillant, jai peru une vague clart, un peu comme on voit la lumire laube avant de voir le soleil. Par intermittences, javais dj eu cette impression, au cours des jours prcdents. Cela mavait fait peur. On aurait dit que ctait un sentiment effroyable et que cette manire de sinsinuer tait une faon de me prparer le supporter. J ai eu limpression que ce jour ntait pas loin et quil fallait que je my prpare.
Lundi
Ce que jai appris aujourdhui doit tre expos dune manire gnrale, parce que cest dordre tellement physique. J ai racont J anov tout ce qui stait pass pendant le week-end. J e lui ai dit que je me sentais toujours exclu la maison et que mme grand-pre, sil avait vcu, se serait retourn contre moi, parce quil tait de lancienne cole. Il aurait t contre moi, exactement comme il tait contre Mac. J anov ma dit alors de leur dire adieu tous grand-pre, mon pre et ma mre. J e leur ai dit tous quil me fallait aller de lavant, que je les aimais mais que je ne voulais pas tre prisonnier de leur faon de vivre eux. J e leur ai dit de ne pas sen faire, que je ne prendrais pas le chemin quavait pris Mac. L-dessus, jai eu besoin de pisser. J anov ma dit de le faire monter au lieu de le pousser vers le bas. Cest ce que jai fait. J ai exerc une pousse ascendante avec ma respiration, ma voix, mon pnis, mes mains, mon estomac, mon dos et mes jambes. J ai senti la pression se rduire progressivement jusquau point o mon esprit a pu lcher et o mon corps a pu prendre la relve. Cela sest produit quand jai eu une impression de bien-tre dans mon pnis et quand les mouvements de mon corps ont t coordonns ma respiration. A ce moment, je me suis rendu compte que depuis des annes, ils ntaient pas synchrones. La raison en tait que je ne respirais pas bien. En inspirant, je me remplissais le ventre dair, et jexpirais mal. A mi-chemin de labdomen, les deux courants se heurtaient. La partie infrieure de mon abdomen tait bloque. Toute activit gnitale tait coupe du rythme de ma respiration. En plongeant plus profondment, jai appris les mou- vements que jaurais voulu faire dans le berceau sans en tre capable et que javais remplac par ma crise de bb. J ai senti dans mon ventre un mouvement ondula- toire qui tait en accord avec le rythme de ma respira- tion et celui de ma voix, ctait trs agrable. J avais une sensation trs agrable dans mon pnis et les mou- vements de mon corps taient rythms comme quand on baise, seulement, jtais sur le dos. J e me sentais tout dun coup lav de toutes mes colres et de toutes mes frustrations. J e ne suis pas arriv tout sortir au- jourdhui. J avais toujours les extrmits raides. Mais elles y parviendront leur tour.
Mardi
Aujourdhui, il ne sest pas pass grand-chose. J tais trop fatigu par la longue et puisante sance dhier. J anov sen est rendu compte et on a lev la sance au bout dune demi-heure. Quand je suis rentr, jai sombr dans une crise de cafard.
Mercredi
J ai dit J anov que je voulais mattaquer ce cafard. Enfoncez-vous dedans , a-t-il dit. J y suis all tout droit. J e me suis dit que je ne valais rien, que je perdais mon temps et mon argent en thrapie, et qu la fin, rien naurait chang. Puis je me suis lament sur le fait que je ne serais jamais rien dautre quun professeur de lyce. J ai expliqu plein de tristesse que jtais inca- pable de reprendre des tudes suprieures, je nai pas dargent, je suis trop vieux et je ne suis pas assez dou. J ai aussi dit que je navais pas le droit de parler de sujets tels que l'uvre de Sir J ames Frazer ou la mytho- logie. Pour rsumer le tout, je me suis plaint en disant que les choses ne changeraient jamais, que jtais vrai- ment dsempar et que ce ntait mme pas la peine dessayer dy faire quelque chose. J anov ma dit de me laisser encore plus profondment aller ce sentiment. J e lui ai dit que je menfonais dans un trou noir o jtais plong dans lobscurit, seul et abandonn de tous. Il ma dit de demander mon pre et ma mre de maider. J e les ai appels, mais cela ne ma pas fait grand-chose. J ai dit J anov que mon pre ne pouvait pas maider parce quil tait compltement teint et ferm. Il ma dit de respirer profondment et de menfoncer encore davantage dans mon sentiment. J e lai fait et jai commenc avoir mal au ventre. J ai dit J anov que je navais confiance en personne, l, dans ce trou. J e veux tre seul. Quand il y a des gens autour de moi, lorsque je suis dans ce profond trou noir, je mnerve. J e suis agac parce que je ne sais pas ce quils vont me faire. Puis, jai dcrit comment jallais me cacher derrire le divan quand jtais petit. J avais aussi coutume de me cacher dans une armoire toute noire et dans le grand placard de la chambre de mes parents o on mettait les chaussures. J aimais les en- droits sombres et isols o je pouvais tre seul. J anov ma dit de respirer profondment et de menfoncer en- core dans ce que je ressentais. J e lui ai dit que le petit bb se noyait, quil coulait. J avais le vertige, jtais en train de sombrer. J anov ma demand dappeler ma mre l'aide. J e lai fait. Elle se contentait de rester plante l. Puis J anov ma dit de laisser le bb se noyer. J ai senti un poids norme sur ma poitrine. J avais de plus en plus de peine respirer. J anov ma dit dinterrompre ma respiration et de laisser le bb se noyer. J e lai fait. Sans un mot, sans une larme. Aussi froidement que ma mre. Mais rtrospectivement, il me semble que le bb ne sest pas noy. Il a simplement disparu du champ de ma conscience. Ensuite, J anov ma dit de raconter le peu de fois o mon pre et ma mre staient montrs chaleureux mon gard. J e lui ai dit que javais vu de vraies larmes dans les yeux de ma mre quand, enfant, javais eu une grave pneumonie qui mettait ma vie en danger. J ai aussi racont que quelquefois, mon pre nous emmenait la gare pour voir arriver le train. On restait l un mo- ment parler avec le chef de gare, lemploy des postes, le type des messageries, le chauffeur de taxi, avec tous les gens qui se trouvaient par l. Quand jtais petit, javais chaque soir juste avant de mendormir un fan- tasme propos de larrive du train. J tais au milieu des rails, attendant, quil entre en gare. J e le voyais venir du fond de lhorizon. Les minces rubans de fume se changeaient en colonnes paisses au fur et mesure quil approchait. J uste au moment o la puissante ma- chine noire fondait sur moi, je sombrais dans le som- meil. J avais limpression que quand le train tait arriv, je pouvais me reposer. J ai dit J anov que je sentais quil y avait un rapport entre ce fantasme et le fait de me cacher dans le placard. Dans les deux cas, la scne se droulait dans lobscurit. J tais toujours seul. Finale- ment je me sentais toujours seul et envelopp de cha- leur. J e nai pas pu me souvenir davoir t caress et cajo- l, malgr tous mes efforts de me rappeler un contact physique chaleureux de la part de mes parents. Mais je me souviens davoir fait une sieste sur le divan, blotti contre ma mre. J e me souviens aussi davoir lev la main pour toucher la barbe de mon pre. J e me souviens de lavoir regard se raser et davoir senti la lotion ca- pillaire dont il se servait. Il me chantait toujours une petite comptine et il riait. J avais presque peur de tou- cher mon pre.
Jeudi
J ai dit J anov combien jtais dsol davoir laiss le bb se noyer hier, sans seulement verser une larme. Si cela avait t le bb de quelquun dautre, jen aurais t compltement boulevers , ai-je conclu. J ai expliqu J anov quil mtait toujours trs diffi- cile de recevoir des flicitations quand je faisais quelque chose de bien. J e frmissais secrtement de fiert en voyant mon nom sur les pages sportives des journaux, mais quand quelquun men parlait, jtais plong dans le plus profond embarras. Il stait pass la mme chose quand les gens avaient dcouvert que jallais For- dham 1 . J aurais prfr quils nen sachent rien du tout. Quoi que je fasse, je ne me permettais pas den tre fier. Ctait une sorte de punition que je minfligeais de peur de devenir vaniteux. J anov ma demand pourquoi. J e lui ai dit : J e ne voulais pas tre diffrent des autres. Le succs aurait largi le gouffre qui me sparait de mon pre et de tous les autres. Et en ce qui me concer- nait, je le trouvais dj assez grand. J e faisais donc comme mon pre, je mtais condamn veiller la piti des autres. J e suis longtemps rest tendu : je parlais de mon pauvre pre et je pensais lui. Tout coup, je me suis rendu compte de ce que jtais en train de faire. J e me suis cri : Mon Dieu ! Quy a-t-il ? a demand J anov. J ai dit : J e suis en train de mapitoyer sur mon pre parce quil ntait pas un bon pre pour moi. Mais quen est-il de moi ? Et toute la piti que lui tmoi- gnaient les gens ne lui servait rien. Bon, continue, papa, reste comme tu es ! Cela na plus dimportance. Cest ton problme, et si tu ny peux rien, cest ton affaire. Continue et reste comme tu es. Pour moi, a ne
1 Universit catholique Bronx (New York). change plus rien. Il est trop tard maintenant. Adieu, papa : cest trs triste de dire adieu ! Tu navais pas de mauvaises intentions. Mais il faut que jaille de lavant. En rentrant, jai djeun, puis jai fait la sieste. En mveillant, jai eu le sentiment que jtais en train de faire des tudes suprieures en psychologie. J en ai pleur de joie.
Vendredi
Nous avons pris un jour de repos et jai emmen mon fils, Fred, se baigner au lac Gregory. Nous nous sommes bien amuss, mais jtais tendu. Nous tions couchs au milieu du lac, sur un aquaplane. J e ne suis pas arriv me laisser aller compltement. J e pensais mon enfance quand je voulais ma mre et quelle ntait pas l. Il ny avait pas seulement son absence physique, mais aussi une absence de cur. Son cur froid, bard dacier, qui repoussait tout le monde ds quil tait question daimer.
Samedi, sance de groupe
J ai t subjugu par le sentiment du bb qui de- mande sa mre. Le rve o jai tellement peur tourne autour de cela. Cest ce qui va venir, ce a quoi je me suis prpar. J ai essay de my plonger aujourd'hui mais je ne suis pas all bien loin. Puis jai fait ce que je faisais chaque fois que ma mre me rejetait. J ai fait une crise de bb et jai vacu mes sentiments en pissant.
Lundi
Aujourdhui, jai repens ma mre. J ai ressenti une partie de ce que jai souffert dtre toujours rejet, m- pris, et toujours si isol. J ai t pris de colre. J ai hurl, jai hurl que je hassais tout et que je hassais ma mre pour tout ce quelle me faisait. Puis jai pleur amrement sur tout ce qui tait perdu. J ai tendu les bras vers ma mre, ils sont tombs dans le vide. J ai pleur pour appeler ma mre et mes pleurs sont tombs dans le vide. J ai dit J anov combien jenviais les enfants qui taient apprcis et considrs par leurs parents. J ai dit ma mre quil fallait toujours se comporter comme elle lentendait si lon ne voulait pas tre condamn par elle. J avais un sentiment de tristesse et dinfinie soli- tude.
Mardi
Comment vous sentez-vous ? ma demand J anov ds le dbut. Aujourdhui, jai le cafard. Com- ment a ? Hier, ctait trs triste de se sentir si seul et si abandonn. J e me suis toujours senti plus proche de ma grand-mre que de ma propre mre. Parlez-moi delle. Oh ! ctait une femme mer- veilleuse. Elle tait patiente et comprhensive. Elle ntait pas toujours sur mon dos comme ma mre. Quand javais des problmes, jallais toujours vers elle. Elle mcoutait et elle me soutenait. Quand jtais ma- lade lcole, jallais voir ma grand-mre parce que je savais quelle ne se mettrait pas en colre contre moi et quelle me soignerait. Elle me prparait un bouillon chaud ou une infusion de sassafras. Elle sinterrompait mme dans son travail pour soccuper de moi. Aprs la mort de grand-pre, elle alla habiter dans un appartement. J allais la voir et je lui rendais les services que je pouvais, parce que je savais quelle naimait pas tre seule et elle tait si gentille avec moi que je voulais faire tout ce que je pouvais pour elle. Aprs avoir fait une chute et stre cass le col du fmur, elle dmna- gea pour habiter en face de lglise afin de navoir que la rue traverser pour aller la messe. Ctait prs de lcole, et je passais tous les jours la voir pour savoir si tout allait bien. Sil y avait quelque chose qui nallait pas, je men occupais. J aimais vraiment ma grand- mre. J aurais voulu tre l quand elle tait morte. Dites-lui adieu maintenant. Alors, jai dit adieu ma grand-mre. J ai pleur comme javais pleur pour grand-pre presque aussi fort. J e lui ai dit tout ce quelle avait t pour moi. J e lai remercie davoir t si bonne et si gentille avec moi. J e lui ai dit quelle aurait toujours une place en moi, que tout le restant de mes jours, je la garderais tout prs de moi. J e lui ai dit combien je dsirais la prendre dans mes bras et la serrer bien fort. J e lui ai dit que ctait bon douvrir mon cur et de pleurer parce quelle mritait tout lamour et toute laffection que je pouvais lui donner. Cest facile de pleurer grand-pre et grand-mre, ai-je dit, mais cest difficile de pleurer mon pre et ma mre. Maintenant, a dit J anov, faites pleurer le bb qui appelle sa mre, faites-le pleurer pour lappeler. J ai appel. J ai pleur sans un mot, parce quhier, couch sur le divan chez moi, je mtais aperu que les mots mcartaient de la grande peur, du grand senti- ment. Cette fois, jai appel avec des cris suppliants mais inarticuls, puis le sentiment ma inond comme une averse printanire. Ctait le sentiment ltat pur, sans mots, sans images de mon grand-pre, de mon pre, de ma grand-mre ou de ma mre. Ctait le be- soin ltat pur. J ai pleur de tout mon corps. Tout mon corps a pleur de besoin, secou de profonds san- glots et les larmes jaillissaient comme le sang dune blessure ouverte. Une fois mes pleurs apaiss, je nageais dans le bon- heur. J anov ma demand pourquoi. J ai dit : Parce que je me sens entier. Que voulez-vous dire ? On peut lexpliquer de diverses manires. Mainte- nant, je peux remonter le cours de tous mes sentiments (ce que jentendais par tre n) sans qu'ils se heurtent. J e nai pas besoin den carter certains pour viter quils se heurtent. J e suis en possession de toute la gamme de mes sentiments. J e possde le bb que jai t et je vais prendre bien soin de lui. J e prendrai sa dfense et je le soutiendrai quand il en aura besoin. Mon histoire de- vient le prsent. Toute la journe, je me suis senti comme une jeune pousse qui vient peine de sortir de terre. Tout me touchait avec tendresse. J e sentais rouler en moi des vagues de sentiments. Le soir, en sance de groupe, une jeune femme a pleur cause de la souf- france que lui causait la vie. Nous en sommes venus parler de ce que nous, qui sommes passs en thrapie primale, nous ferions dans ce monde barbare. J tais au bord dun primal mais je ne savais pas comment y arri- ver. J e ne voulais pas prendre un faux dpart qui aurait tout ruin. J aurais voulu lui dire avec mon cur que moi aussi je ressentais la souffrance, mais que je voulais vivre parce quil y a de la chaleur et de la joie quand nous sommes capables dassumer la souffrance que nous ressentons en nous. La souffrance, comme toutes les autres expriences de la vie, est passagre. Si nous apprenons lassumer, nous aimer et nous prendre en charge, la souffrance, si elle est authentique, nous conduira lamour, la chaleur et la joie, en dpit de tout ce qui se passe dans ce monde barbare. Car la souf- france nest pas dans le monde, elle est dans notre corps, o nous pouvons nous en occuper. Et ainsi tout est bien. Vivre devient un problme rel qui ne nous conduit vers la mort que si nous tenons la souffrance lcart. J e nai rien dit de tout cela parce que cela naurait servi strictement rien. Nous parlons tous trop, mme quand ce que nous disons a une certaine valeur. J e suis donc rentr et jai crit tout cela. Mais javais limpression dtre sorti de cette sance les mains vides, parce que je navais pas trouv ma propre voie pour faire un primal, alors que jtais si profondment mu. Maintenant, je deviens entier. J e suis mon corps. J e suis une grande symphonie de sentiments riches et di- vers; chacun parcourt mon corps de faon harmonieuse et ils se compltent les uns les autres. Mon sexe, ma structure physique, mon nergie, ma colre, ma peur, mon ardeur, ma tristesse et ma joie sont autant dlments dont chacun a son temps et sa texture il y a des textures dans le temps et chacun en son temps et sa manire, sert les besoins des autres. Maintenant, je deviens entier, je suis ma propre origine. J e suis mon propre pre. J e suis ma propre mre. J e suis mon corps. J e suis ce que je ressens.
Mercredi
Ce matin, jai de nouveau pleur de besoin, de pur be- soin. J coutais ladagio du quatuor en la mineur de Beethoven, jtais au milieu de la salle manger et je pleurais avec la musique (jamais je nai entendu un morceau qui voque un tel degr la douleur physique la plus intense), exactement comme hier en sance, javais laiss pleurer le bb. Il ny avait pas de mots, pas dimages. Il y avait du chagrin et de la souffrance ltat pur dans la musique et je pleurais cause du cha- grin et de la souffrance qui taient en moi.
Jeudi
J e me suis mis travailler sur mes notes. J en suis ar- riv la page 45 : pas de mre, tristesse et solitude. J ai repens mon projet daller chez moi. Est-ce que jai envie de voir quelquun dautre que mon pre et ma mre ? Non. J y vais pour la thrapie, non pour mamuser. Oh si ! je voudrais voir tante Millie et oncle Les. Millie tait si gentille avec moi quand jtais ado- lescent. Les aussi. J e voudrais les remercier comme jai remerci grand-pre et grand-mre parce que jtais triste et seul et quils mont aid. Quel orphelin je fai- sais, un orphelin avec des parents ! Me voil projet dans le sentiment de souffrance primale. Bang ! Me voil dans un primal triste et solitaire. Bang ! Voil ce qutait le primal en la mineur : tristesse et solitude. Bang ! Me voil de nouveau rel.
Vendredi
Premier jour depuis dimanche o je nai pas fait de primal. Mais je sens quil y en a un qui approche. Ce matin j'ai pens cette visite chez moi et jai imagin quelles seraient leurs ractions. Pas de travail. Cheveux longs. Vivant la dure. J e voyais dici ma mre jouer lair de Nous nous faisons du souci . Puis jai pens en moi-mme : Tu sais ce que tu me fais avec ton nous nous faisons du souci , maman ? Cela me place part. Cela fait de moi un cas spcial. Il y a quelque chose qui ne va pas en moi. Cest ta faon de faire que quelque chose naille pas en moi, afin que tu puisses continuer dominer. S'il y a quelque chose qui ne va pas en moi, lattention ne se concentre pas sur toi. Tu sais ce que cela ma fait, maman ? Cela a fait de moi un marginal. Un petit orphelin solitaire avec des parents ! Ainsi, jai compris combien jai peur de sortir de mon enveloppe bourgeoise. J ai peur que mon pre et ma mre ne mabandonnent et mexcluent. J ai peur. Cest la grande peur. Le petit garon solitaire et triste.
Lundi Vendredi
J e suis retourn Woodsville pour voir mes parents. Ctait la premire fois que jy revenais depuis une dizaine dannes. Cette visite a confirm tout ce que la thrapie ma fait dcouvrir. Ils mont fait toute une histoire parce quils allaient tre interviews pour le film 1 . Leur rticence navait rien voir avec moi ou avec mon pass, pourtant c'est tout ce dont on leur de- mandait de parler. Ma mre a essay de me tracasser parce que javais divorc, parce que javais quitt lEglise catholique et que je ne travaillais pas. J ai at- tendu pour voir ce que ferait mon pre. Rien, comme lhabitude. Il la laisse parler. Alors moi, jai mis un terme ses reproches. Tout cela faisait mal : les tracas- series, lapathie caractristique de mon pre, la colre par laquelle jai mis fin aux vexations. Puis ma mre a essay de me coller ltiquette de fou , et l, jai vraiment explos. Aprs, les choses se sont arranges extrieurement, mais au fond, rien na chang. Le soir, je suis sorti, juste pour les quitter un moment. En sortant de la maison, jai eu ce mme sentiment dtre un or- phelin que javais connu si bien dans mes solitaires promenades dadolescent. J ai commenc me deman- der comment javais russi supporter tout cela quand jtais jeune. J e suis all voir la vieille gare, la rivire, les bois, et le grand pont. J ai retrouv tous les sentiments du jeune garon qui cherchait refuge dans la nature. J e suis rest un moment sur le pont et jai pleur sur le garon qui lpoque ne pouvait pas se permettre de ressentir toute la souffrance. Alors je suis rest l sur le pont et jai pleur et je lai laiss la ressentir maintenant mainte- nant que cest pass. J tais rempli de reconnaissance et daffection pour ces lieux qui avaient donn ce jeune
1 Allusion au documentaire que l'on fait sur le traitement de Tom. garon une ide de ce dont il avait si profondment besoin. J e suis redescendu pour aller voir mon oncle et ma tante. J e leur ai racont toute la thrapie parce que je savais quils sy intresseraient et quils me compren- draient. Ctait merveilleux de les retrouver. Ctait bon de leur dire tout ce quils reprsentaient pour moi, de leur dire tout ce quils avaient fait pour moi quand jtais adolescent. Ils en taient heureux. Toute la soi- re, des ondes de chaleur enveloppaient la pice. J e suis all au cimetire pour voir les tombes de grand-pre et de grand-mre. J e me suis agenouill entre leurs tombes et je leur ai dit tout ce que je leur avais dj dit en thrapie. J e suis rest agenouill longtemps, pleurer et parler grand-pre et grand-mre. Puis, quand mes pleurs se sont calms, je suis rest agenouill l, en silence. J e navais jamais vu la tombe de grand- mre. Vingt-deux annes taient passes depuis le jour o jtais venu ici pour lenterrement de grand-pre. Pour moi, ctait hier. Loncle Mac tait aussi enterr l. Cette tombe non plus je ne lavais jamais vue. Devant sa tombe je nai pu dire que mon pauvre oncle Mac . Puis je suis all sur celles de grand-pre et de grand- mre, jai touch un long moment la pierre tombale. Et je suis parti. Ce retour chez mes parents ma rapproch de la cha- leur que je dsire sentir, car il a confirm la ralit de ma souffrance et celle de la thrapie. Maintenant, le seul problme est de traverser la souffrance. La chaleur est de lautre ct. Maintenant je sais o est lamour et o est la chaleur humaine de lautre ct de la souf- france. Il faut que je la traverse. Lexprience que jai faite de la souffrance suffit dj mavoir fait com- prendre cela. Maintenant je nai plus besoin de compter constamment sur mon ancienne faon de rechercher lamour et la chaleur humaine. Auparavant, je marrangeais pour ne pas exploiter toutes mes capacits, pour inspirer la piti (javais pris tort la piti pour lamour et la chaleur humaine). Auparavant, je voulais que les autres sapitoient sur moi. J e voulais quils com- pensent le manque daffection et damour que minfligeaient mes parents, le manque de cet amour dont javais si terriblement besoin. J e me diminuais jusqu me comporter de faon imprvisible. J esprais alors que quelquun viendrait qui aurait piti de moi (ma mre) et qui maccorderait aide et soutien (mon pre).
Conclusions
Au bout de trois semaines de traitement, on observe plusieurs profonds changements. Dabord, avant la thrapie, je fumais environ trois pa- quets de cigarettes par jour. Non seulement je me suis arrt de fumer mais je nen ai plus le moindre dsir. Deuximement, avant la thrapie, je buvais pas mal. J allais plusieurs fois par semaine dans les bars. J e ne buvais jamais au point dtre sol mais quatre ou cinq whiskies ne me faisaient pas peur. J e nai plus envie de poursuivre cette habitude. Troisimement, mon activit sexuelle sest considra- blement ralentie. Avant le traitement javais des rap- ports au moins trois fois par semaine. La thrapie a commenc il y a un mois et demi et je nai eu de rap- ports que trois fois. Pour ce qui est des deux premires modifications, je suis sr quelles sont dfinitives, mais en ce qui concerne mes sentiments quant ma vie sexuelle, je ne vois pas encore clair. Avant la thrapie, je couchais avec de nombreuses femmes. Il tait rare que je couche avec la mme femme plus dune fois dans la mme semaine. Avoir des femmes, ctait un moyen de me dissimuler ma souffrance profonde la souf- france dtre exclu, dtre un rat. On ne peut pas rus- sir tre un rat si lon regarde les choses en face, on doit prendre la fuite. Il faut avoir une couverture pour se dissimuler la honte dtre un rat. Pour moi, cette couverture, ctaient les femmes. J e ne ressens plus le besoin de continuer ainsi. Mais mes dsirs rels, il faut encore que je les dcouvre. Peut-tre que je naurai plus besoin que dune seule femme ou dun petit nombre je ne sais pas. Quatrimement, je nai plus de problmes dinsomnie. J e nai plus de maux de tte non plus. Cinquimement, ma tension a considrablement dimi- nu. Il en reste encore mais je sens quelle dcrot. Siximement, les rapports que jai avec les autres se modifient. (Cest le changement le plus subtil, il se fait progressivement et est difficile dcrire.) J e nai plus limpression dtre domin et passif le sentiment dtre pd, comme je lavais avant dentrer en thrapie. J e ne lai plus aussi intensment et je ne lai plus aussi frquemment. Quelquefois jai du mal distinguer le sentiment dtre pd de celui dtre simplement dsar- m devant les gens qui maiment. (J e nai pas lhabitude didentifier les deux sentiments.) Mais maintenant, jarrive gnralement faire la distinction grce mon sens de la solitude. Dans le sentiment dtre un pd, je ne me sens pas seul. J e sens une prsence inquitante qui se profile dans lombre du prsent. Lorsque jai le sentiment dimpuissance, je me sens trs seul, mais cela nest pas douloureux, cest plus ou moins excitant, selon les circonstances. J e suis plus distant dans mes rapports avec les autres, mais cette distance semble une manire dapprofondir mon aptitude lintimit. Cest encore quelque chose dinachev et de nouveau pour moi, mais je crois que cest une excitante promesse pour lavenir. Pour linstant je nen suis quintrigu. Dans mes relations avec les autres, et mme quand je suis seul, je sens lindescriptible et profonde douleur de tout cet amour perdu, dont javais si terriblement besoin quand jtais enfant et que je nai pas reu. Quelquefois cest un sentiment si violent que je suis presque paraly- s. Cest encore le sentiment qui domine en moi. La plupart du temps, je suis trs craintif ou au bord des larmes. Aux yeux de la plupart des gens, je peux pa- ratre triste. J e suis sr que mes amis qui ne sont pas au courant se demandent secrtement quels bienfaits la thrapie a pu mapporter. Enfin, toute lorientation de mon existence est en train de subir une immense transformation. Bien sr, ce pro- cessus est encore inachev mais on peut esquisser cer- taines modifications. Dabord, je ne suis plus domin par le besoin dtre reconnu sur le plan professionnel, de mme que je nprouve plus le besoin dtre aim dune ou de plu- sieurs femmes. Honntement, je ne peux pas dire pour le moment que ces besoins aient t remplacs par autre chose. Dans une certaine mesure je me sens un peu dans les limbes, dans une espce de no-mans-land. Mais cela ne me dconcerte pas particulirement parce que je sens quelque chose de nouveau natre en moi. Il serait prma- tur den parler maintenant, cependant je sens que cest l, et que a grandit. J e sens que le changement le plus radical est intervenu dans mon systme de valeurs. J ai de plus en plus cons- cience que la dynamique de mon organisme est en train de mettre au point de nouvelles valeurs. Ce nest pas mon intellect qui dirige ce processus, cest mon corps. Mon intellect joue un certain rle mais cest un rle secondaire. La meilleure faon de le dcrire, est de dire que mon intellect, plus quil ne prend part au processus, observe et enregistre ce qui sest pass, un peu comme la science moderne a observ la structure et la dyna- mique de latome pour laborer ensuite les notions abs- traites de protons, neutrons, lectrons, et le reste, pour rendre compte de ses observations. Ce que jaffirme, cest que les concepts de valeur et les ides par lesquelles nous essayons de diriger notre comportement et nos expriences nont pas propre- ment parler leur origine dans la pense. Si lon dfinit notre exprience en fonction dides cest le rsultat dune maladie qui nous coupe des processus organiques de notre environnement, aussi bien que de ceux qui nous sont propres. On rpte des expressions absurdes du style lesprit doit dominer la matire ou savoir se matriser , mais toutes ces remarques dnotent un pro- fond clivage dans notre vision de lexistence; et ce cli- vage nous coupe aussi bien du monde extrieur que de nous-mmes. Pour parler en termes positifs, jaffirme que les con- cepts de valeur et les ides en fonction desquels nous souhaitons organiser notre vie, ont leur origine directe dans lexprience que lorganisme a de lui-mme. Ils expriment les exigences de lorganisme en vue dune vie saine, ce qui revient dire quils expriment nos dsirs rels. Les ides participent et elles jouent un rle important. Mais ce quil faut comprendre cest que les ides dcoulent de lexprience. Par exemple, je nlabore pas dabord une pense sur la ncessit dtre avec un groupe de personnes pour aller les rejoindre ensuite. En tout premier lieu, je fais lexprience de ma propre solitude. Puis jlabore une pense ce sujet. Par nature, cette ide double lexprience en quelque sorte, elle la photographie. Cest ce qui me permet de reconnatre lexprience, de la mettre en relation avec dautres expriences, et finalement dagir en cons- quence. Pour moi, ce processus est dune importance capitale. Cela signifie que mes valeurs et mes buts, ce que lhomme a toujours considr comme tant ce quil y a de plus sacr dans la vie, ont en ralit leur source dans la structure organique de mon tre. Cest pourquoi il serait dcidment malsain si je permettais mon intel- lect ou celui dautres gens, des autorits publiques ou un systme philosophique qui prtend dtenir la vrit , dassumer ce processus dlaboration des va- leurs.
CHAPITRE 15
SOMMEIL, REVES ET SYMBOLES
Ds que le petit enfant nie la ralit catastrophique au moment de la scne primale, il cesse dtre entirement rel et sengage dans une voie qui le conduit vers une irralit toujours plus grande. Ce processus est dtermi- n jour aprs jour par des parents qui ne laissent pas lenfant tre lui-mme, et exigent quil se conforme une image quils ont invente et qui reprsente tout ce quils attendent. Il sera selon les cas le bon petit gar- on , le clown ou limbcile heureux . Etre un moi symbolique reprsente un travail plein temps. Lobligation de se dfendre contre le moi rel simpose jour et nuit. Le jour, cest lacting-out symbo- lique; la nuit, ce sont les rves symboliques qui, jusque dans le sommeil, protgent lindividu de ses sentiments rels. Par exemple, lenfant qui grandit dans le dsir de satisfaire une mre exigeante, se montre serviable, sou- rit ds quelle le regarde, lui parle de faon hsitante, agit de manire se faire bien voir, offre des excuses presque pour tout ce quil fait, bref il adopte des com- portements divers qui dcoulent tous dun mme dsir inconscient; Sois gentille avec moi, maman; je ferai tout ce que tu voudras, si tu es gentille. Chacune de ses attitudes renvoie de manire symbolique ce senti- ment central. Comme la nuit le besoin ne se modifie pas ni ne dis- parat, il donne lieu un djouement au cours du rve, encore sous forme symbolique. Le rve essaiera peut- tre damadouer un monstre ou daccomplir quelque chose dimpossible sans jamais y arriver tout fait. La tche symbolique impossible est en ralit la tentative dobtenir la gentillesse de la mre. Par consquent, le premier point retenir est que les rves ne sont que le prolongement de la conduite du sujet veill et non des phnomnes diffrents. Cest la lutte symbolique de la nuit la nvrose de la nuit. Il parat raisonnable de penser quun nvros qui est n- vros quand il va se coucher ne gurit pas pendant la nuit pour se rveiller de nouveau nvros le lendemain matin. Inversement, les personnes relles ne font pas plus, pendant la nuit, de rves irrels, quils nadoptent, le jour, des comportements irrels. Le deuxime point retenir est que seules les per- sonnes symboliques font des rves symboliques. Il ma fallu pratiquer la thrapie primale pendant plusieurs mois avant de mapercevoir quau fur et mesure que la thrapie avanait, les malades faisaient des rves de plus en plus rels. A la fin du traitement, les gens devenaient ce quils taient non seulement le jour, mais gale- ment la nuit et dans les rves : la mre tait la mre, les enfants taient des enfants, et New York tait New York. De plus, leurs rves se situaient dans le prsent et non dans le pass comme beaucoup de rves nvro- tiques. Ceci est logique puisque les symboles sont crs pour masquer les anciens sentiments de lenfance. Ils sont, une tentative de venir bout du pass. Lindividu normal sest dbarrass de son pass. Il vit jour et nuit dans le prsent. Lindividu qui se sent dpourvu dimportance, ne peut pas conclure des affaires importantes pendant la nuit pour se dissimuler ce sentiment. Ses rves se chargeront de le faire. Il rvera dtre flicit pour ses succs au cours dune runion en son honneur. Ce rve et le fait de conclure effectivement des affaires importantes dans la journe sont deux aspects du sentiment non ressenti. En thrapie primale, si le patient rapporte un rve de ce genre, on le contraint se plonger en plein cur de ce sentiment. Il ressentira le sentiment douloureux qui lui fait adopter ces conduites symboliques dhomme impor- tant dans ses rves et dans la journe. Le troisime point, et le plus important, retenir propos des rves symboliques, cest qu'ils servent protger la sant mentale du malade. Cest une concep- tion oppose celle de Freud qui prtend que les rves sont faits pour prserver le sommeil et permettre le repos. Si nous pouvons comprendre que le moi irrel (le moi qui transforme les sentiments dangereux en sym- boles) prserve notre sant mentale et notre nvrose, nous pouvons comprendre que les rves symboliques ont une importance capitale. Sinon on ferait pendant le sommeil des primals bouleversants. Il arrive que des sentiments rels affleurent, mme pendant le sommeil. Les symboles oniriques habituels ne retiennent plus le sentiment et il en rsulte un cau- chemar. Le cauchemar est le sentiment primal qui perce les dfenses nvrotiques. Le rveur symbolise un autre niveau un niveau psychotique. Ses dragons et ses monstres sont ce que jappellerais des symboles psycho- tiques. Les cauchemars sont donc une folie nocturne. Cest pourquoi cest un tel soulagement de se rveiller et de se retrouver dans le monde rel. Le sentiment ressenti dans le cauchemar nous ramne la conscience de sorte que nous pouvons rester inconscients du senti- ment que ce cauchemar recelait, de la mme faon que les mcanismes de dfenses permettent au nvros de rendre, durant la journe, ses penses et ses sentiments inconscients. Si lon transpose sur le plan physique, on constate que certains dentre nous svanouissent (de- viennent inconscients) sous le coup dune intense dou- leur physique. Un primal est le prolongement logique et la conclu- sion dun cauchemar. Cest ce sentiment de cauchemar, cette terreur, sans la dissimulation symbolique. Le sujet qui fait des cauchemars est proche de son primal. En fait, il prouve la plus grande partie de la terreur, mme aprs son rveil. Son cur bat trs fort, ses muscles sont raidis, il ne lui manque que de faire la connexion pour avoir un primal. La souffrance len empche. Si un thrapeute primal tait prsent cet instant-l, le sujet pntrerait bien dans ses primals et serait en bonne voie pour devenir rel. Un cauchemar ou un mauvais rve qui revient prio- diquement est un sentiment primal qui persiste et qui doit tre symbolis pendant des annes selon presque le mme schma. On peut rver rgulirement dtre atta- qu par un ennemi, davoir un revolver qui senraye et dchapper de justesse. Le sentiment contenu dans ce rve est que personne nest l pour apporter de laide. Souvent le sujet na pas conscience que quelquun de- vrait laider. Il est tout seul dans son rve, de mme quil a toujours t seul dans le monde se dbattre contre des difficults insurmontables. Il faut quil crie : A laide . Il y a des rveurs qui essaient de crier : A laide , mais rien ne sort. Il y a cela une bonne raison. Ce cri est le cri primal, et le fait quil ne jaillit pas est une mesure de protection. Voici un exemple : au cours dune sance, une malade dcrivait son rve de la nuit prc- dente : J tais attaque et quelque chose mavait accu- le dans un coin de ma chambre. J essayais dchapper et je courais chez mes voisins o je voulais appeler la police. J e composais constamment un faux numro de sorte quil mtait impossible de la joindre. J e la fis se replonger dans ce rve et le raconter une nouvelle fois. Elle refusait avec obstination. Pour une raison ou pour une autre, ctait trop effrayant. J e persistai. Quand elle raconta comment elle avait couru chez ses voisins, jintervins en disant : Appelez le bon numro ; elle hurla alors quelle ne pouvait pas. J e la harcelai encore. Elle finit par former le numro exact et poussa un cri primal horrible : Au secours . Elle cria pendant dix minutes en se roulant par terre et en se dbattant. Depuis vingt ans, chacun de ses actes avait t un cri laide parce quelle navait jamais pu lobtenir de ses parents. Elle avait t tellement occupe les aider quelle ne pouvait ressentir son propre besoin daide. Pourquoi navait-elle pas cri pendant son rve ? A cause de lespoir. Si elle avait cri et que personne ne soit venu, tout aurait t perdu elle aurait t con- trainte de sentir son extrme dsarroi et le fait que ja- mais personne ne laiderait. Tant quelle navait pas cri elle tait labri de cette vrit. Le jour o elle cria dans mon cabinet, elle sentit tous ces sentiments horribles dabandon et de dsespoir. Par consquent, le fait de ne pas crier lui faisait poursuivre la lutte (et garder lespoir). Cela lui permettait aussi de masquer ses sen- timents. Le cri pera la couche irrelle et contribua la mettre sur la voie de la ralit. Beaucoup de nvross sont si bien couvert quils ne sont jamais prs de crier pendant leurs rves. En fait, ils se souviennent peine de leurs rves, tant les sentiments et les symboles sont profondment enfouis. Mais les nvross sont des cris ambulants ! Il y a des formes de cris trs labores. Lobsquiosit est un cri qui rclame la gentillesse, le fait dtre bavard, un cri qui rclame de lattention. Daprs tout ce qui prcde, il apparat que la nvrose nest pas une simple inadaptation sociale. On ne peut juger de la prsence de la nvrose ou de son absence, selon le critre de la russite professionnelle dun indi- vidu. Un individu qui fonctionne bien dans la journe, peut avoir dans son sommeil des cauchemars qui sont des tmoignages loquents de sa nvrose. Cest pour- quoi les chelles qui prtendent mesurer la nvrose partir du degr dadaptation sociale de lindividu, nont aucune valeur puisquelles ne prennent en considration que les comportements diurnes. Les symboles des rves permettent gnralement de mesurer la profondeur de la souffrance, la rsistance du systme de dfenses, et la distance qui spare des senti- ments. Plus il y a de souffrance profonde, plus il y a de chances pour que les symboles soient complexes. De mme, plus il y a de souffrance, plus il y a de lutte dans les rves : passer sous des cltures, sextraire dun tun- nel, escalader des pentes abruptes, etc. Si les sentiments mergent dans le rve malgr les symboles, on peut supposer que le sujet a un systme de dfenses faible et quil est proche de ses sentiments rels. Il sagit alors en rgle gnrale dun cas facile pour la thorie primale et le sujet a une bonne chance de devenir rapidement rel (guri). En revanche, il y a quelque chose de suspect quand un nvros fait des rves agrables. Par exemple : le rve priodique de voler et de se sentir libre. Cette agrable sensation de flotter et dtre libre peut cacher une terrible contraction. Au lieu de rver quil est Pro- mthe enchan, ce qui correspondrait mieux la rali- t et indiquerait que le sujet est prs de ses sentiments de constriction, ses rves de libert dnotent une rup- ture, la sparation de son moi rel ligot. Un rve o il tenterait de dnouer les liens qui lenserrent, indiquerait quil est plus proche de ses sentiments rels. De quelle faon exactement un symbole indique-t-il un sentiment ? Examinons quelques exemples. Quand un enfant refoule ses besoins de bb et sefforce dagir en adulte pour faire plaisir ses parents avec leurs be- soins infantiles, il peut rver quil est servi par une ar- me de domestiques. Un enfant qui assiste quotidien- nement aux discussions de ses parents sur largent du mnage, qui doit travailler pour gagner son argent de poche, et qui se voit constamment donner quelque chose faire pour quil soit occup, peut rver quil svanouit et quil est emmen en ambulance dans un hpital o il na absolument plus rien faire. Il le rvera sans mme savoir ce quil ressent, cest--dire : Arrtez-vous, laissez-moi me reposer et prendre mon temps . Son systme essaie de lui indiquer ses propres besoins en termes symboliques. Nous devons prter une attention particulire ces symboles. Les rves symboliques (aussi bien que les hallucina- tions symboliques aprs absorption de drogues, ou toute autre conduite symbolique) se maintiennent tant que la souffrance existe. Ils constituent dexcellents indices, non seulement du degr de la nvrose, mais aussi des progrs du traitement. En gnral, les patients ne peu- vent pas tricher sur la signification symbolique de leurs rves parce quils ne connaissent pas la signification des symboles. Mme sils la connaissaient, ils ne savent habituellement pas valuer la complexit du symbole et le mettre en corrlation avec la nvrose. Le sujet qui prtend quil se sent bien mieux et quil fonctionne bien, mais qui rapporte par la suite un rve hautement symbo- lique, ne se porte probablement pas aussi bien quil le croit. Les sentiments prouvs lintrieur du rve corres- pondent ce que le sujet a de plus rel. Il est tentant de les considrer comme trangers au sujet sous prtexte quils surgissent dans le contexte dun rve tellement irrel. Evidemment, il ny a pas de nazis qui nous pour- chassent, ni de fusils pour nous tirer dessus, mais la peur qui a rendu ncessaire cette fabulation nocturne est parfaitement relle. Sinon, elle ne nous rveillerait cer- tainement pas. Cest sa peur relle qui pousse le sujet habiller sa terreur duniformes nazis, de mme que cest sa peur relle qui fait croire un paranoaque quau coin des rues, les gens conspirent contre lui. Incapables de res- sentir leur sentiment rel, le rveur et le paranoaque doivent projeter leur peur sur quelque chose dapparent. Le dlire du paranoaque et le rve symbolique sont la tentative de rendre rationnel (de redonner un fonde- ment) un sentiment inexplicable : J ai peur, parce que les nazis me poursuivent. La diffrence entre le dlire et le rve nvrotique con- siste dans le fait que le paranoaque vit son rve pendant le jour. Il prend ses symboles pour des ralits. Le n- vrotique sait que ses symboles (par exemple des nazis) sont irrels. Si quelquun entre dans le cabinet du psy- chothrapeute en disant que les nazis le poursuivent, ou douterait de sa sant mentale. Sil ajoute ctait un rve... , le diagnostique change. Beaucoup de nvross font frquemment des cauche- mars. Il mest apparu que dans un certain sens, alors que dans leur sommeil leur systme de dfenses est affaibli, ils frisent sans cesse la folie. Rien dtonnant ce quils aient peur du sommeil. Il semble cependant que ces cauchemars drainent assez de tension pour les empcher dtre fous durant le jour. Mais le sujet dont la souf- france est trop grande ne peut souvent cantonner sa folie dans le sommeil. Lexamen dun cauchemar nous permet de voir que le comportement dans le sommeil et le comportement diurne ne sont que des prolongements lun de lautre. Hier, alors que je pensais que tout allait bien, le direc- teur de lcole ma fait appeler propos dune rclama- tion faite par la mre dun de mes lves. Tout en sa- chant quelle avait la manie des rclamations et que celle-l ntait pas justifie, jen fus quand mme proc- cupe. Cela a dur toute la journe sans que jarrive y remdier. J e ne comprenais pas ce qui marrivait; jallai me coucher dans un tat dextrme tension. Et voici ce que jai rv : J e conduis sur une route sinueuse et troite. Tout dun coup une autre voiture me heurte de ct, juste au moment o je croyais tre hors de danger. J e russis continuer de rouler, mais jentre dans un tunnel troit avec une suite de tournants en pingle cheveux. A chaque tournant, je heurte la paroi. Ctait comme le tunnel de la terreur; je heurtais la paroi conti- nuellement. Tout dun coup, en regardant par la fentre je vois que je suis suivie par une femme-motard qui mobserve et attend pour me coller une contravention. J e ne puis lui chapper. Elle est derrire et elle me re- garde heurter sans arrt la paroi. J e suis absolument terrifie. Brusquement je mveille avec un grand sou- lagement; je suis sortie du tunnel. J e suis soulage de savoir que tout cela nest pas vrai. Mais cest vrai. Le sentiment qui est la source de tout cauchemar est toujours vrai. Ce qui nest pas vrai, cest le schma mental que la malade construit partir de son sentiment. J e la fis se replacer dans le rve et le raconter une nouvelle fois, avec un masque devant les yeux pour quelle le revive vraiment. La mme panique commena monter. J e lui dis de se plonger dans cette terreur, de se laisser submerger par elle. Elle fut vite bouleverse et sagita en tous sens sur le divan. Elle se mit parler de son enfance. Quand jtais petite, je pouvais rester sage des heures entires, mais la longue je faisais invitablement quelque chose de travers et cela provoquait une catastrophe chez ma mre. Elle racon- ta alors un incident qui stait produit dans son enfance : elle avait accompli impeccablement toutes ses tches, lav la vaisselle, nettoy la maison, etc., mais sans le faire exprs, elle avait fait tomber quelques gouttes de parfum sur un meuble. Sa mre, furieuse, lenvoya dans sa chambre. Elle en fut dprime, car elle stait donn beaucoup de mal. Elle en revint brusquement son rve : Oh, je comprends maintenant. Heurter les pa- rois, ctait exactement comme ne jamais arriver, mal- gr tous mes efforts, faire que les choses aillent bien la maison. Cette mre-flic a toujours t l attendre sans rpit que je commette la faute invitable. Peu im- portait que je sois sage, il y avait toujours quelque chose qui me guettait (exactement comme dans mon rve) et qui venait tout gcher. Puis, elle mit tout cela en rela- tion avec ce qui stait pass lcole, o, juste au mo- ment o elle pensait faire si bien son mtier, il avait fallu que quelquun vienne tout dtruire. Tout a, cest la mme chose, dit-elle, lcole, le rve toute ma vie. A ce moment prcis, elle ressentit rellement la douleur de toutes ces annes et cria : Ne te fche pas, maman, je ne suis pas mchante; ne me gche pas la vie ! Elle revivait la fois lcole, son rve, et sa vie, dans un seul sentiment terrible : la terreur quelle prouvait lgard de sa mre qui avait paralys sa vie et avait fini par en enlever toute la sve. Ce qui stait pass lcole avait dclench le rve. Dans les deux cas, le sentiment tait inconscient. Il est tonnant de penser que jusque dans notre sommeil notre systme nous protge des sentiments qui nous mena- cent, mais notre organisme est une merveille. Le cau- chemar tait la reprsentation allgorique directe de ce qui stait pass lcole o dabord tout allait trs bien, et puis allait mal et o tout tait gch. Comment lorganisme sait-il produire un rve allgorique aussi parfait, alors que le cerveau ou du moins une partie du cerveau est compltement inconscient du senti- ment sous-jacent ? J e crois que ces processus de symbo- lisation du systme irrel sont des mcanismes incons- cients, automatiques et ncessaires afin de protger lorganisme. Le cauchemar de cette malade tait le prolongement de la terreur quelle avait prouve lcole et qui stait manifeste sous forme de tension. Le sentiment avait fait natre un rve afin de venir bout de cette terreur et, si possible, de la rsoudre. Peut-tre pouvait- elle chapper au flic dans son rve ? Non. Les nvross ny arrivent jamais. Pourquoi ? Pourquoi cette femme ne peut-elle chapper au flic de son rve ? Parce que les sentiments rels de toute une vie retiennent le flic dans le rve. Le flic tait le symbole de la peur de la malade. Elle faisait aussi des cauchemars propos dune ou- vreuse de cinma qui la surprenait rgulirement alors quelle tait en train dentrer sans ticket. Quelle que ft son habilet, louvreuse lattrapait toujours, car elle ne pouvait lui chapper tant quelle navait pas rsolu (res- senti) sa terreur. J e crois que cela explique pourquoi, dans nos cau- chemars, nous ne pouvons nous chapper, pourquoi nous nous sentons des jambes de plomb quand nous essayons de courir pour fuir un ennemi, pourquoi nous sommes poursuivis sans fin. Nous sommes poursuivis par des sentiments primals sans fin, jusqu ce quils trouvent une fin dans la ralit, dans un primal. Nous sommes condamns avoir des cauchemars tant que ces sentiments ne sont pas rsolus. Toute thrapeutique qui dclare un malade guri alors quil a encore des cau- chemars na pas rsolu ces sentiments refouls et na par consquent pas atteint les fondements de la conduite symbolique nvrotique. Dans le cas de ce professeur, on constate quelle se rveillait automatiquement ds linstant o le sentiment contenu dans le rve devenait trop fort pour tre suppor- table. Cest ce que je veux dire en affirmant quelle cherchait rester inconsciente dun sentiment intol- rable. Dconnecter la conscience et le comportement nvrotique qui en rsulte semble tre un rflexe. La malade se rveillait pour reconstituer son systme de dfenses. J amais elle ne stait rendu compte jusque-l quelle avait une telle peur de sa mre. Elle ne lavait jamais su parce quelle stait tellement occupe tre la bonne petite fille de sa maman. En tant gentille et docile, elle vitait sa peur (la peur consciente) de sa mre. Le mme mcanisme de dfense fonctionnait gnralement bien lcole, parce quelle tait un pro- fesseur mticuleux, avec des tableaux bien propres, des livres bien rangs et de la discipline. Ses dfenses com- mencrent scrouler lorsque quelquun de lextrieur fit une rclamation. Un cauchemar nest donc pas la peur de quelque chose dans un rve; dans notre exemple, ce nest pas la peur des flics. La raction de ma malade tait tout fait hors de proportion avec celle quelle aurait d norma- lement avoir devant un flic lattendant pour lui mettre un procs-verbal. Elle ragissait quelque chose de vrai une vie entire dhorreur et de peur. De mme, elle avait ragi beaucoup trop violemment la plainte de la mre dlve. Cette rclamation et le rve taient un symbole des sentiments de lenfance. Aprs son primal, elle dclara : Ressentir la terreur de la nuit ma aide comprendre la terreur de chaque jour. Son cauchemar tant diurne que nocturne tait fini. Le fait de ressentir la terreur ou des souffrances pri- males quelles quelles soient, les fait disparatre tout jamais, prcisment parce quelles sont ressenties. Une fois ressenties et connectes, cen est fini. Il est logique que les nvross aient un sommeil trou- bl troubl par des sentiments rels. La mme souf- france qui les fait agir pendant le jour, les contraint crer des personnages fictifs qui les gardent occups la nuit. Rien dtonnant ce que le nvros se lve sou- vent plus fatigu quil ne sest couch la veille ! Il a dploy une grande activit durant la nuit pour se garder de ses sentiments. Ce que font les personnages de son rve par exemple : entreprendre une escalade produit en lui durant son sommeil des ractions muscu- laires, de sorte qu certains gards, il passe rellement une bonne partie de la nuit escalader. Le pauvre n- vros ne se repose pratiquement jamais. Il se rveille fatigu et est presque incapable dassumer sa journe; ceci produit son tour davantage danxit et de pro- blmes qui se glissent de nouveau dans son sommeil et les troubles recommencent. Examinons quelques rves pour nous faire une ide de leur caractre symbolique. J e suis dans la maison que jhabite actuellement et mon pre me rend visite. Nous sommes au premier tage. Il membrasse sur le front, je tombe et je mouvre le genou. La blessure saggrave et je vois ma mre qui fait des reproches mon pre cause de sa mala- dresse. Dans ce rve, les personnages sont rels, mais la si- tuation ne lest pas. Cest le sens de la situation qui est symbolique. Dans son rve, le sentiment du patient est le suivant : J ai sans doute toujours su dune manire ou dune autre quaccepter laffection de mon pre si- gnifiait pour moi un clivage. On aurait dit que javais conclu un pacte avec ma mre pour humilier mon pre. J e crois que je le faisais en partie pour que ma mre maime. J e pense quaimer mon pre impliquait que je devais abandonner lespoir dtre aim par ma mre. Le deuxime rve a eu lieu un mois aprs le premier primal. J e suis en train de nettoyer quelque chose avec J a- nov. J ai des coupures ou des cicatrices sur les mains, mais elles sont recouvertes dune couche de cire. J e dis J anov que je ne peux pas bouger les mains parce quelles sont enfles. Il dit que si. J essaie de mettre du mercurochrome sur les coupures, mais je ny arrive pas. La cire ne labsorbe pas. J e comprends que les coupures sont les symboles de blessures qui mempchent encore dtre totalement moi-mme. J e comprends que je ne peux plus lviter. J enlve la cire et je me sers de mes mains. Nous constatons ici la diminution du symbolisme avec la conscience lintrieur du rve de la significa- tion du symbole. Il semble quil y ait un mlange de conscience et dinconscience. Bien que plong dans le sommeil, le patient sait que sa lutte est irrelle et il la rectifie. On peut sattendre ce que sous peu, peut-tre dans quelques mois, toute trace de la lutte aura disparu. Les rves seront alors aussi clairs et directs que le com- portement diurne. Examinons un dernier rve : J e suis dans la cour en train de travailler avec mon pre. Ma mre nous appelle sur un ton dirritation, pour aller table. Le repas est triste. Tout est touff, silen- cieux, mort. Mon pre essaie de faire une plaisanterie, et ma grand-mre part dun horrible rire qui dcouvre son dentier. Ma mre regarde ma grand-mre avec une ex- pression despoir. J e vois que la mre de ma mre est elle aussi incapable daimer. Soudain jai une rvla- tion; je vois la famille telle quelle est : une coquille vide. Tout est lugubre, sans vie. J e me mets pleurer, mexcuse et menfuis dans la cuisine. Les plats sont prts, mais personne ne fait un effort pour les servir. Mes pleurs redoublent. Ils sont tous trop morts pour faire le moindre effort. Ma mre demande : Est-ce quil pleurait ? Mon pre dit non . J e cours au premier, ferme ma porte clef et cherche un bout de papier pour crire ce rve. J e sais que cest important. En bas, jentends mon pre jouer Down upon the Swanee River. J e pleure, je pense quil ny a pas de foyer pour moi, nulle part. Il y a trs peu de symbolisme dans ce rve. La situa- tion est immdiate et les sentiments du rve refltent exactement les sentiments que le sujet prouve lgard de lui-mme et de sa vie. Son rve sexplique de lui- mme et le patient le comprend au moment mme o il le fait. Il ny a pas de labyrinthe de symboles traver- ser. Il semble que le rveur ait ressenti le vide et lartifice de sa propre vie et galement la manire dont son pre essayait de dissimuler ses sentiments rels.
Rcapitulation
Si un sujet na pas un moi tourment, sil a une rela- tion directe avec ses sentiments, je ne vois pas pourquoi il les exprimerait par des symboles. Des patients qui ont termin la thrapie primale ne font pas de rves symbo- liques, de la mme manire quils nont pas dhallucinations symboliques sous leffet du L.S.D. car il ny a pas de souffrance et par consquent, pas de besoin de la dissimuler par des symboles. Les petites contrarits de tous les jours ne ravivent pas danciennes douleurs qui se glisseraient dans les rves dune personne normale, parce quil ny a pas de dou- leurs non rsolues pour venir se mler au prsent. Il est vident que, de mme quil ny a pas de symp- tme signification universelle, il ny a pas de symbole universel. Le symbole dcoule dun sentiment spci- fique de lindividu. Il se pourrait que deux personnes fassent le mme rve, mais ce rve aurait des significa- tions trs diffrentes. Aprs la thrapie primale, les patients ont besoin de moins de sommeil, et ils constatent quils dorment mieux. Ils rapportent galement quils rvent moins. Comme le disait un patient : Maintenant, je vais au lit et je dors au lieu de passer la nuit rver. J e rapporte brivement ici les propos que mes patients tiennent aprs la thrapie propos de leur sommeil et de leurs rves. Ils affirment indpendamment les uns des autres que le sommeil trs profond est dans la plupart des cas un sommeil nvrotique, dans lequel, pour se dfendre contre les symboles nvrotiques, le malade dort comme une bche . Ils pensent que le sommeil trs profond correspond un refoulement total et un systme de dfenses sans faille. Un patient lexprimait ainsi : J e dormais toujours comme si javais envelopp ma conscience dans une couverture paisse. Maintenant je dors sous un voile lger. Il estime que ce sommeil profond do il sortait souvent plus fatigu que dun sommeil plus lger correspondait son tat de profonde inconscience (de lui-mme et du reste du monde) pen- dant le jour. Il constate quil avait toujours pris le som- meil pour un tat dinconscience alors quil le voit maintenant comme un tat de repos. La plupart des patients parlent de super-conscience . Bref, plus rien nest inconscient. Il se peut, dit un patient, que nous ayons t habi- tus faire un clivage profond entre sommeil et tat de veille. On se demande si la bipolarit sommeil-veille ne nous a pas empchs de voir que ce ntaient que deux aspects dun mme tat dtre et non deux entits distinctes qui nauraient quun rapport en quelque sorte mystique. Avec toutes leurs luttes diurnes, les Amricains trou- vent encore le moyen davoir un sommeil troubl. Daprs un sondage 1 il y a plus dun tiers de la popula- tion qui ne dort pas bien. Vingt-cinq pour cent des sujets qui entrent dans cette catgorie, se sentent trop puiss le matin pour se lever. Du mme sondage, il ressort que plus de la moiti de la population se sent parfois seule et dprime et 23 % avouent quils se sentent perturbs sur le plan motionnel . Travailler dur les libre de
1 Louis Harris, dans Los Angeles Times, 19 novembre 1968. certains sentiments, engueuler les enfants aide un peu plus, les cigarettes et lalcool drainent encore davantage, et malgr tout il y a encore le besoin de tranquillisants et de somnifres. Dans une intressante tude 1 qui a t prsente par un membre de lquipe de recherches de luniversit de Californie, Los Angeles, lors dune confrence sur la physiologie du cerveau, on a remarqu que les sujets qui cessent de fumer rvent plus et avec plus dintensit. Cela confirme lhypothse de la thrapie primale sur les rves et leur rle dexcutoires de la tension. Quand les moyens qui drainent habituellement la tension sont supprims, les rves ont une charge double. Inverse- ment, des recherches faites sur le sommeil ont montr que les sujets qui utilisent des somnifres rvent moins quils ne le feraient sans mdicaments. Mais le fait que la libration dans le rve nest pas permise, a pour effet de rendre ces sujets plus irritables et plus dprims et daugmenter leur besoin dautres relaxateurs de tension, comme des cigarettes. Bref, le systme nvrotique trouve toujours une issue. Quand le sujet qui ne rvait pas assez du fait quil prenait des somnifres cesse den prendre, il se met rver beaucoup plus quil ne le ferait normalement. Et ses rves sont bien plus bouleversants. On ne peut pas chasser une nvrose avec des drogues. On peut lattnuer pendant un certain temps, mais par la suite le nvros en paie le prix. J e veux dire que les tranquilli- sants pris dans la journe ne font que repousser la d- pression profonde ou leffondrement total qui survien-
1 Los Angeles Times, 16 septembre 1969. dra invitablement ds que les drogues seront suppri- mes. Les implications de ce que javance ne se limitent pas aux phnomnes du rve et du sommeil. J e dis que les remdes chimiques, autour desquels on a fait tant de bruit, nont pas une grande influence long terme, sur lvolution de la maladie mentale. Ils ne font quaider au refoulement du moi rel, provoquant une augmenta- tion de la tension intrieure et une aggravation de la nvrose. Ils jouent le mme rle que les techniques de conditionnement qui contribuent supprimer les mau- vaises conduites par de petites dcharges lectriques. Nest-ce pas ce que font les parents dune faon nave, non thorique, et le rsultat nest-il pas une nvrose plus profonde ? Il y a par exemple des tudes qui montrent quil y a davantage daccidents cardiaques qui survien- nent dans le sommeil qu ltat de veille. Peut-tre y a- t-il cela de bonnes raisons physiologiques. Mais on peut se demander si lutilisation des tranquillisants pen- dant la journe ne produit pas une accumulation si im- portante de tension vacuer par les rves, que le sujet qui nest pas solide sur le plan cardiaque, ne peut y rsister. Les nvross ont un sommeil troubl parce quils sont constamment tenus en alerte par la souffrance primale, et cet tat dalerte est le contraire du sommeil. Utiliser des tranquillisants et des somnifres, cest comme mettre un couvercle bien ferm sur une casserole qui bout grand feu. Finalement, une partie de lorganisme, sinon lorganisme tout entier, va cder.
CHAPITRE 16
NATURE DE LAMOUR
Il y a bien longtemps que lon se penche sur la notion damour; il sera peut-tre utile de lenvisager dans loptique de la thrapie primale. Par dfinition, lamour signifie tre ouvert aux senti- ments, libre de les ressentir et accorder aux autres la mme libert. Cest leur permettre de se dvelopper et de sexprimer, selon leur propre nature. Ce qui importe avant tout, cest dtre soi-mme et de laisser les autres tre ce quils sont naturellement. Selon la dfinition de la thorie primale, lamour cest laisser l'autre tre ce quil est. Cela ne peut se faire que- quand les besoins sont satisfaits. La dfinition de lamour implique lexistence dune relation relle entre gens qui saiment. Aprs tout, rien nempche de laisser lautre tre ce quil est en lignorant, or, la rponse lautre est une partie int- grante de lamour. Il ne faut pas oublier que pour laisser lautre tre rellement ce quil est, il faut rpondre ses besoins. Tel doit tre le rle de parents qui aiment leurs enfants. Plus tard, les besoins satisfaire seront moins nombreux et lamour peut devenir un vritable change. Malheureusement, chez le nvros, lamour consiste en la satisfaction de ses besoins irrels qui prennent la forme de dsirs. Il signifie des cadeaux, des coups de tlphone perptuels ou toutes sortes de preuves dun dvouement absolu. Le nvros a limpression de ntre pas aim quand ses besoins nvrotiques ne sont pas remplis. Quel meilleur exemple cela que celui de lhomosexuel qui souffre de labandon de son amant ? Lamour est un sentiment. Il est prsent aussi bien quand on parle ou quand on boit une tasse de caf en- semble que pendant les rapports sexuels. Si le sentiment nest pas prsent (sil est bloqu ou dissimul), le nvro- s fera tout cela sans la moindre trace damour. Au contraire, il sucera quelquun (comme disent mes malades), afin dobtenir quelque chose pour combler le vide intrieur. Dans les premiers temps de la vie, lamour reprsente la satisfaction des besoins primals. Dans ses premiers mois et dans ses premires annes, cela consiste pren- dre souvent lenfant dans les bras et le caresser beau- coup. Lenfant ne connat pas le mot amour pour dsigner son besoin dtre tenu, mais il souffre quand il en est priv. Le contact physique est indispensable pour lenfant. Sans lui, lamour ne peut pas tre dmontr. Il ne suffit pas lenfant de savoir quil est aim dune faon ou dune autre par un pre ou une mre peu ex- pansifs, il lui faut le sentir. Si ce besoin nest pas satis- fait, lenfant nest pas aim, quelles que soient les grandes protestations verbales quon puisse lui faire. Le pre qui travaille tellement quil ne voit gure ses en- fants, peut se justifier en disant quil travaille pour eux, mais quand il na pas de contact avec eux, quand il ne se donne pas eux, nous devons supposer quil travaille pour se librer lui-mme. Si lenfant a besoin de la pr- sence du pre ou de la mre et quils soient toujours absents pour leur travail, les besoins de lenfant restent insatisfaits. Les bbs levs dans des institutions o il y a peu daffection ou dattention individuelle, dveloppent une personnalit sans relief, mousse. Il y a en eux une sorte dapathie, un manque de vie quils gardent jusque dans lge adulte. Automatiquement, ces enfants font tout ce qui les protge du manque damour : ils se ren- dent insensibles toute souffrance supplmentaire. Ils se replient sur eux-mmes et se ferment. Des tudes effectues sur des chiens levs sans con- tact physique avec dautres chiens ou avec des hommes ont montr quils restaient tout jamais instables et immatures. Adultes, ils devenaient froids et durs , dpourvus dactivit sexuelle pour la plupart, et inca- pables de rpondre laffection. Quelle quait t par la suite laffection quon leur portait, elle semblait inca- pable de modifier leur tat. Les mmes rsultats ont t observs chez des singes levs dans lisolement. Dans les expriences dHarlow qui sont maintenant devenues clbres, les singes taient diviss en trois groupes : les premiers taient levs dans lisolement le plus complet, ceux du second groupe avaient pour mres des poupes de chiffon, les derniers des mres faites de fil de fer et de longues pointes 1 . Harlow a constat que ctaient les singes levs dans lisolement qui avaient le plus souffert. Ils semblaient incapables aussi bien de donner que de recevoir de laffection. Ceux qui avaient eu pour mre des poupes
1 Harry F. Harlow, Love in Infant Monkeys , Scientific American, vol. 200, n 6 (juin 1959), pp. 68-74. de chiffon semblaient sen tirer aussi bien que ceux qui taient levs avec leur mre relle. Ils mangeaient autant, ntaient pas plus peureux, ils taient plus so- ciables et davantage prts explorer un environnement nouveau. Harlow met ainsi laccent sur limportance du contact physique. Le singe qui avait pu se blottir contre une poupe de chiffon lui tait aussi attach quil laurait t une mre relle. On peut en conclure que, dans les premiers mois de la vie, lamour est essentiel- lement le toucher et un contact physique chaleureux. Un bb non-aim est celui quon ne touche pas assez. On comprend limportance des caresses dans les pre- miers mois de la vie surtout quand on considre que depuis des dizaines dannes, beaucoup de nos enfants ont t levs le livre la main . Au lieu de ragir en fonction de leurs sentiments, les parents ont ragi en fonction de tout un systme de rgles. Ils ont nourri lenfant selon les horaires rigides au lieu de lui donner manger quand il hurlait de faim, et ils ne lont pas pris dans leurs bras quand il pleurait, de peur de le gter . Au cours de toute cette priode, les pdiatres se sont laisss influencer par les thories des premiers psycho- logues behavioristes qui semblaient davis quen ne choyant pas lenfant et en ne l aimant pas chaque fois quil pleurait, on le prparait mieux affronter un univers dur et froid. On constate aujourdhui quil ny a pas de meilleure prparation la vie que les caresses et les contacts physiques que les parents peuvent prodiguer leurs enfants. Toutefois, ce nest pas seulement lacte qui compte mais galement le sentiment qui linspire. Un pre ou une mre tendus, nerveux, qui manient le bb sans douceur et avec brusquerie, le font souffrir; mais le fait de soccuper de lenfant, mme si lon sen occupe mal, ne peut jamais provoquer en lui de dom- mages absolus et irrmdiables. Le bb sait quand il est mouill, quand il a faim, quand il est fatigu et quand il souffre. On peut dire que quand il est physiquement laise, le bb fait lexprience de lamour. Lamour est ce qui supprime la souffrance. Lenfant aim, cest lenfant qui a le droit dexplorer ttons, de pousser des cris, de sucer son pouce, et dattraper sa mre. Sil ne peut faire tout cela, sil nest pas tenu dans les bras, si lon ne lui parle pas, lenfant est mal laise et tendu. On pourrait dire quamour et souffrance sont deux entits radicalement opposes. Lamour renforce le moi, la souffrance le supprime. Le contact physique, les caresses ne sont pas tout. Si lenfant na pas la possibilit dexprimer ses sentiments et doit fermer une partie de lui-mme, les caresses ne lempcheront pas de ne pas se sentir aim. J amais je ne mettrai assez laccent sur limportance de la libert dexpression chez lenfant, car cest un facteur qui peut tre dterminant pour le reste de ses jours. Ce nest pas avec quelques baisers et des protestations damour du style tu sais bien que nous taimons... que lon peut en compenser le manque. Comme la facult de sentir est un tout, je ne crois pas quil soit possible dinterdire certains sentiments tout en supposant que dautres puissent sexprimer totalement; quoi que lenfant nvrotique ressente plus tard, tout aura tendance tre estomp et mouss. Si lon refuse un enfant lexpression de la colre, sa capacit de se sentir aim ou heureux en souffrira invitablement. Aucune affection ultrieure une situation nouvelle, une foule de gens qui vous aiment autour de vous ne pourra annuler ces manques des tout premiers temps, moins que le sujet ne les revive en prouvant le senti- ment originel quil avait refoul. Le nvros passe la plus grande partie de sa vie adulte essayer de cou- vrir sa souffrance avec de nouvelles aventures amou- reuses. Paradoxalement, plus il a daventures, moins il parat probable quil prouve un sentiment; la qute peut tre infinie car pour se sentir aim, il faudrait quil res- sente dabord dans toute son intensit la vieille souf- france que lui a caus le manque damour. Etant donn que lamour suppose le sentiment du moi, il ne peut venir de quelquun dautre. Quand quelquun dit avec toi je me sens rellement femme ou avec toi, je me sens aim , cela signifie en gnral que la personne ne peut pas ressentir et quelle a besoin de manifestations ou de symboles extrieurs pour se con- vaincre dtre aim . Lamour ne consiste pas don- ner quelque chose quelquun comme on remplirait un rservoir vide. Inversement, on ne peut pas vider quelquun damour, pas plus quon ne peut le vider de sentiments. Ce nest pas quelque chose de divisible que lon pourrait donner ou prendre par petits morceaux et on ne peut pas non plus tablir des catgories spci- fiques et parler dun amour dune plus ou moins grande maturit. Le sujet qui, de longue date, souffre dune nvrose, peut jurer un amour ternel, mais quand le sentiment est bloqu, les serments risquent de ne pas avoir grand poids. En outre, ces affirmations ne sont souvent que des supplications dguises pour obtenir la satisfaction de besoins imprieux. Les individus qui ressentent, prouvent rarement le besoin daffirmations verbales. Les sujets incapables de ressentir semblent en avoir un besoin constant. Ce que le nvros cherche dans lamour cest le moi qui na jamais eu le droit dexister. Il cherche le parte- naire spcifique qui puisse l'amener sentir. Il aura tendance appeler amour ce qui lui a manqu et ce dont le manque la empch dtre entier. Dans certains cas, il a besoin de contacts physiques et il essaiera de fabri- quer de lamour partir des rapports sexuels cest faire lamour . Parfois, il cherche quelquun qui le protge, dans dautres cas encore, il a besoin quon lui parle et quon le comprenne. Le dilemme du nvros consiste dans le fait qualors que lamour nest rien de plus que la libre expression du moi, il a dans son enfance d renoncer son moi qui ressent afin de se sentir aim par ses parents. Par dfini- tion, il a besoin de croire quil est aim ou quil le sera un jour, sinon, il ne poursuivrait pas la lutte nvrotique. Autrement dit, pareil au troisime groupe de singes dHarlow, lenfant nvros garde par la lutte lillusion dtre aim, afin dviter de comprendre quil ny a que du fil de fer et des pointes. Si lenfant devait six ans faire face la vrit et labsence despoir, il est douteux quil sengage dans la lutte. Quelle soit implicite ou explicite, cest la pro- messe damour qui maintient lenfant dans lespoir au lieu de le confronter la ralit de sa vie. Il peut passer toute son existence esprer quelque chose qui non seulement nexiste pas, mais encore na jamais exist lamour de ses parents. Il fera le clown pour distraire ses parents, lrudit pour les impressionner, ou le malade pour attirer leur attention. Cette comdie mme empche lamour car lenfant dissimule ce que seraient son comportement et ses sentiments rels. Daprs mes observations, le nvros recre plus tard dans sa vie, la situation de son enfance, o il tait priv damour, afin de jouer la mme pice avec une fin quil espre pleine damour. Il npouse pas une image de sa mre uniquement parce quil dsire sa mre; il dsire une mre qui laime mais il naborde pas lamour de faon directe. Il faut dabord quil satisfasse un rituel. Il choisira par exemple une personne froide, comme sa mre, et sefforcera den tirer un peu de chaleur. Si cest une femme, elle choisira un homme rude et grossier, comme son pre, et elle essayera den faire quelquun de gentil et de doux. Cest une forme dacting-out sym- bolique. Si le sujet se trouvait engag avec une personne qui laime vraiment, il serait forc de labandonner parce quil serait toujours rong par ce vieux sentiment de ntre pas aim. Autrement dit, le fait de trouver une personne chaleureuse empcherait la lutte symbolique de rsoudre les sentiments anciens. Dans ce sens, le fait de trouver dans le prsent de lamour et de la chaleur signifie quon ressent la souffrance de ne pas obtenir lamour recherch dans le pass. Mme dans ses rves, le nvros cre cette lutte. Il voit des obstacles sur la route vers ltre aim. Il se voit escaladant des montagnes, traversant des labyrinthes sans jamais atteindre les rivages de lAmour . Ses propres sentiments lui ayant t interdits, le n- vros croit souvent quil trouvera lamour quelque part ailleurs, avec quelquun dautre. Il comprend rarement que lamour est en lui-mme. J e crois que sa qute fr- ntique est la tentative datteindre son moi. Mais le problme, cest quen gnral, il ne sait comment sy prendre. Il na pas le moyen daccder ses propres sentiments. Dans cette optique, en recherchant lamour, lindividu ne fait que rechercher ses sentiments, son tre . Le dsespoir, la poursuite perptuelle et lerrance sont souvent la tentative de trouver ce quelquun de particulier qui permettra au sujet de res- sentir quelque chose. Malheureusement, seule la souf- france en est capable. Cest ainsi que lon voit de drou- ler sans fin le mme scnario celui dun film de troi- sime catgorie, avec un texte monotone, des acteurs de mauvaise qualit, sans happy end. J e crois que la lutte nest instaure que pour que le su- jet obtienne, serait-ce sous forme de substitut, lamour de petit garon ou de petite fille dont il a eu besoin dans son enfance et quil na jamais obtenu. Il ne cherche pas lamour adulte dans le prsent. Mme quand cet amour lui est offert, le sujet semble le refuser, par dfrence pour la lutte. Dans la thorie primale, la notion damour se concentre donc sur le fait quil est la recherche de ce qui a manqu au sujet, peut-tre des dizaines dannes auparavant. Le nvros appellera amour tout ce qui est susceptible de satisfaire ses besoins. Cest peut-tre pour cette raison quil y a tant de dfinitions diffrentes de lamour il y a tant de besoins diffrents. Malheureusement, mme si les parents du nvros pouvaient brusquement se mtamorphoser en personnes aimantes et pleines de comprhension, rien ne serait chang. Le nvros ne peut pas se servir de cet amour dans la suite de sa vie, parce que cet amour ne serait quun substitut de ce qui sest pass entre lenfant et ses parents sans amour. Le sentiment de ntre pas aim lemporte toujours. Le petit enfant malheureux essaie, par son comporte- ment nvrotique, son agressivit, ses maladies et ses checs, de dire ses parents aimez-moi pour que je ne sois pas oblig de vivre dans mon mensonge . Comme nous lavons dj vu, le mensonge est un pacte incons- cient entre lenfant et ses parents, par lequel lenfant accepte de ntre pas ce quil est rellement pour tre ce quils attendent. Il accepte de satisfaire leurs besoins dans lespoir quils finiront par satisfaire les siens et quil naura plus besoin de mentir. Mais tant quil main- tient le mensonge, la politesse, la dpendance, lempressement ou lindpendance, etc., les parents, aussi bien que lenfant, sont convaincus quil y a un amour rciproque. Lenfant ne met pas fin au mensonge par crainte de ne plus tre aim. Fait trange, quand il se produit dans le courant de la vie quelque chose qui re- met en question le mensonge, le sujet a tendance se sentir priv damour. Contrairement certains autres thrapeutes, le thrapeute primal ne participe pas au mensonge et ne le permet pas, de sorte que le patient na dautre recours que de ne plus se sentir aim. En rgle gnrale, le nvros nest pas lucide. Il en vient penser que lamour est ce que ses parents qui ne laimaient pas lui donnaient. Si ses parents sem- blaient toujours se faire du souci pour lui, il essayera de provoquer la mme attitude, par des checs ou des ma- ladies. En provoquant des ractions analogues celles de ses parents, le nvros sarrange pour perptuer le mythe de lamour. Il est souvent tellement occup par la lutte pour maintenir ce mythe quil ne ressent pas son malheur. Il peut par exemple commencer sa thrapie en disant : Mes parents ntaient pas parfaits; personne ne lest. Mais, leur manire particulire ils maimaient. J e crois que cette manire particulire faisait de lenfant quelque chose de particulier : un n- vros. Il continuera : Mon pre tenait beaucoup la discipline, il ne montrait pas son affection, mais nous savions quil nous aimait ! En traduisant, cela veut dire peu prs : Mon pre avait la manie de la perfec- tion, ne disait jamais un mot dloge, ne montrait jamais la moindre chaleur, mais tant que nous nous soumet- tions ses ordres, nous pouvions nous dire quil nous aimait. Peu importe dailleurs ce que lon se dit. Le moi rel qui nest pas aim, le sent. Quand en thrapie on force un patient qui a fait ce genre de dclaration, appeler son pre pour quil le prenne dans ses bras, il souffre. Tout ce quil pensait tre vrai, seffondre de- vant la souffrance. Une jeune femme bien leve disait : Ma mre tait simplement un peu vieux jeu pour tout ce qui concernait les bonnes manires et ltiquette, mais elle nous aimait tout de mme. Quand elle cria quelle voulait la liber- t, elle prouva la douleur quelle avait toujours eue, mais jamais ressentie. Nous en concluons que ce nest quau moment o les gens ressentent leurs propres be- soins quils russissent, peut-tre pour la premire fois, savoir ce quest lamour et ce quil nest pas. Une malade affirmait quelle tait aime de ses pa- rents, qui taient tous deux expansifs. Elle soutenait que ses problmes venaient de son mari. Au cours de la deuxime semaine de traitement, elle accda au senti- ment rel : elle revcut une scne o elle avait t mon- tre en exemple sa sur parce quelle tait gentille et bien leve. J amais de sa vie, elle navait senti quelle ntait pas aime, car elle tait devenue la bonne petite fille. Ses parents lui prodiguaient de laide, des cadeaux, de laffection, la seule condition dtre une bonne petite fille . Comme elle acceptait ce rle et ntait pas elle-mme, elle navait jamais senti quelle ntait pas aime. Nanmoins, elle ressentait une souffrance pri- male. Cette souffrance ne pouvait surgir, quau moment o je ne lui permettais plus dtre la gentille fille quelle avait toujours t. Cest encore un exemple de la conception primale selon laquelle aimer, cest laisser l'autre tre ce qu'il est. Cette malade avait apparemment tout ce quelle voulait sauf le droit dtre elle-mme. Elle ntait pas aime. Prenons un autre exemple pour bien mettre les choses au clair : une jeune femme avait une mre qui tait constamment avec elle, jouait avec elle, la prenait dans ses bras; elle ne la battait jamais. Pourtant, cette mre tait une enfant qui ntait pas assez forte pour laisser sa fille tre la petite fille. Il fallait que la fille soit adulte et forte, quelle protge sa mre faible. En dpit de tout ce que la mre faisait pour sa fille, elle ne laimait pas, puisquelle ne pouvait pas la laisser tre ce quelle tait : faible et petite. Les enfants se soumettent et se sacrifient pour se dis- simuler leur sentiment de ntre pas aims. Les parents font parfois la mme chose pour dissimuler le fait quils ne ressentent rien lgard de leurs enfants. Ils offrent des preuves damour leurs enfants : Regarde tout ce que je fais pour toi ! mais cela veut dire en gnral : Pourquoi ne fais-tu pas, ton tour, quelque chose pour moi ? La renonciation au moi semble faire partie de lthique judo-chrtienne selon laquelle nous nous rendons une divinit au nom de lamour. (Comme me le disait un patient : J ai renonc moi pour gagner lamour de ma mre; comme a ne marchait pas avec elle, jai essay avec mon pre, et comme a ne mar- chait pas non plus, jai essay avec Dieu. ) Le nvros a tendance tendre ce processus, de sorte quil com- mence mesurer lamour en fonction de ce quon lui sacrifie. Ce nest pas par hasard que quand un enfant est aim, il ne se pose pas de question au sujet de lamour. En gnral, il nprouve pas le besoin de se dfinir lamour et de se demander si ses parents laiment. Il na pas besoin de mots parce quil a le sentiment. J e pense que ceux qui ont besoin de coller ltiquette amour certaines choses, sont ceux qui ne sont pas aims. Dans ce cas, on dirait quil ny a pas assez de mots, daffirmations et de preuves pour combler le vide de lenfance. Aux parents qui veulent viter de voir leurs enfants sengager dans la lutte nvrotique pour obtenir lamour, je conseillerais de se laisser aller la libre expression de leurs sentiments, larmes, colre ou joie, et de laisser leurs enfants dire ce quils ont envie de dire et de la faon dont ils le dsirent. Cest--dire quil faut leur permettre de se plaindre, dtre bruyants et exubrants, de critiquer et dtre insolents. Bref, il faut permettre aux enfants ce que lon permet nimporte quel autre tre humain. Il faut que lenfant ait le droit de sexprimer parce que ses sentiments lui appartiennent; en revanche, il na pas le droit de casser les meubles ou la vaisselle parce que cela appartient toute la famille. Mais lenfant est rarement destructeur sur le plan phy- sique quand il a le droit de se manifester verbalement. Quand on prcise quun enfant est en droit de ressen- tir et que lon exige quil contrle ses sentiments, on porte dj atteinte sa facult de sentir. Il y a toute chance pour que lenfant, qui a droit une totale spon- tanit dans ses sentiments, devienne le genre denfants qui va spontanment embrasser ses parents. De cette faon, les parents seront aussi aims. Beaucoup trop dentre nous ne voient dans les enfants que des excu- tants dordres, incapables dtre spontanment affec- tueux. Dans un foyer de nvross, lamour prend la forme dun rite. Il y a le devoir daffection, le baiser de bonjour et dadieu dnu de toute spontanit, la rpri- mande quand lenfant ne remplit pas son devoir. Par consquent, le nvros obtient le plus souvent de son enfant un comportement dnu de sentiment alors que lenfant pourrait, sil en avait la libert, lui apporter beaucoup plus. Pourquoi la qute de lamour est-elle si universelle ? Parce quelle correspond la qute du moi qui na ja- mais pu exister. Plus prcisment, cest la recherche de la personne qui vous laissera tre vous-mme. Comme la plupart dentre nous ont d ignorer ou refouler leurs sentiments, nous finissons par agir sans ressentir. J e crois que les mariages prcoces et les amours de courte dure dcoulent de la frustration et du dsespoir dtre oblig de sentir travers les autres. La qute est infinie parce que la plupart des gens ne savent pas ce quils cherchent. La perte dun amant ne pourrait rarement avoir des consquences aussi dramatiques quune tentative de suicide, si elle ne refltait pas une perte bien plus an- cienne et bien plus profonde, datant de lenfance. Quand le nvros sent enfin quil nest pas aim, il prpare la voie pour se sentir aim. Ressentir la souf- france, cest dcouvrir la ralit du corps et de ses sen- timents or, il ne peut y avoir amour sans sentiment.
CHAPITRE 17
SEXUALITE, HOMOSEXUALITE ET BISEXUALITE
La thorie primale distingue lacte sexuel de lexprience sexuelle. L acte comprend toutes les attitudes du sujet au cours des jeux amoureux et des rapports sexuels. Lexprience est la signification de lacte. Lexprience que le nvros fait de lacte peut tre tout fait diffrente de lacte en lui-mme. Ainsi, un acte htrosexuel peut tre vcu en tant quexprience homosexuelle avec des fantasmes homo- sexuels. Et un rapport entre deux homosexuels, dont lun joue le rle de la femme, peut tre vcu comme un rapport htrosexuel. Pour ma part jestime quil faut dfinir la nature de lacte en fonction de lexprience subjective quen fait le sujet, distinction qui se rvlera importante quand on en vient discuter le traitement des troubles sexuels et des perversions. On peut trouver des sujets qui accomplissent tous les rites physiques de lacte sans prouver la moindre sen- sation sexuelle, ainsi quen tmoignent dinnombrables femmes frigides. Ce qui donne lacte sexuel sa signifi- cation, cest la conscience intgrale de la situation tout entire, et cest leffort que fait le nvros pour en tirer une valeur symbolique qui la fausse. Daprs lhypothse primale, les besoins insatisfaits et les sentiments refouls de la petite enfance rapparais- sent plus tard sous forme symbolique. Pour ce qui est de lacte sexuel, le nvros le ressent habituellement par le biais de limagination comme la satisfaction de ses besoins. Prenons plusieurs exemples. Un malade g de trente ans souffrait dimpuissance. Son rection cessait ds quil pntrait sa femme. Il avait grandi avec une mre froide, exigeante et hargneuse, qui ne lui accordait pas la moindre chaleur et lui donnait continuellement des ordres. Incapable de comprendre quil mritait la cha- leur de quelquun, il niait tout besoin de chaleur ou ne le reconnaissait pas. Il pousa une femme agressive et exigeante comme sa mre, mais qui se chargeait de diriger sa vie et lui permettait dtre passif. Au moment de la pntrer, il ntait plus question pour lui de rapport sexuel avec une femme : il tait le petit garon aim symboliquement par la mre. Cet aspect symbolique de lacte empchait quil pt fonctionner en tant quadulte. Cet homme avait ni (navait pas reconnu) son besoin de chaleur dans sa plus jeune enfance et il cherchait cette affection maternelle auprs dautres femmes. Les femmes taient pour lui des symboles de lamour ma- ternel et lacte sexuel avait avec elles un caractre sym- bolique; cest ce qui lempchait de se drouler norma- lement. Il est vident que si les femmes ntaient que des femelles adultes, il ny aurait pas de troubles du fonctionnement sexuel; les problmes naissent du fait quelles sont devenues des symboles de la mre. Comme tout systme dorganes, les organes sexuels fonctionnent dune faon relle quand le sujet est rel et de faon irrelle quand le sujet est irrel. Tout acte de nvros met en jeu un double systme : le systme rel avec ses frustrations et ses besoins, et le systme irrel qui essaie de satisfaire de faon symbo- lique ces besoins gnralement inconscients. Cest ainsi que le moi irrel a apparemment des rapports sexuels adultes, tandis que lenfant qui est en lui cherche tre aim. Le nvros doit inconsciemment faire des parte- naires des images de ses parents (personnes irrelles) parce quil cherche toujours lamour qui lui a manqu dans son enfance. Il ny a rien dtonnant, de ce fait, ce que le sujet soit impuissant ou trahi par son corps dune manire ou dune autre. Prenons un autre exemple : un malade ne pouvait en- trer en rection que quand sa femme, qui tait trs belle, se mettait lui parler dautres hommes avec qui elle aurait aim coucher. Les descriptions dtailles du pnis dautres hommes le stimulaient et il tait sexuellement excit en pensant aux organes sexuels masculins. Dans loptique primale, sa relation avec sa femme tait essen- tiellement de caractre homosexuel. Le rapport ne stablissait pas avec elle mais avec un besoin trs an- cien quil avait refoul et qui rapparaissait sous forme symbolique dans lobsession des organes sexuels. Cet homme avait eu un pre faible et incapable qui ne lui parlait jamais et lembrassait encore moins. Sil voulait quelque chose, il fallait quil sadresse sa mre, qui son tour demandait au pre. Autrement dit, ce nest qu travers sa mre quil pouvait atteindre son pre; et cest pratiquement ce quil faisait dans lacte sexuel. Le be- soin de son pre tait toujours prsent, mais ayant t refoul, il rapparaissait sous la forme symbolique du pnis. Dans lacte sexuel, le rapport stablissait donc avec le symbole de lamour du pre et non avec sa femme. Pour quil devienne rellement htrosexuel, il fallait quil se dbarrasse dabord du besoin de son pre. Un dernier exemple : une malade simagine quau cours des rapports sexuels, elle est domine et prise contre son gr. Lexprience de lacte tait celle dun enfant dsarm, dune victime plutt que dune parte- naire galit. Cette femme avait eu un pre brutal et sadique qui la traitait de pute alors quelle tait ado- lescente. Il lui interdisait de sortir avec des garons et la tournait en drision quand elle se maquillait. Elle avait refoul son besoin de lamour paternel, mais dans les rapports sexuels, elle faisait nouveau delle-mme une victime dsarme (de son pre) pour arriver ressentir quelque chose. Dans chacun de ces exemples, lacte sexuel est un symbole, une tentative de rsoudre des besoins trs anciens. Le sujet na pas le sentiment de la situation dans laquelle il se trouve, parce quil se rfre une situation imaginaire. Ainsi pour certaines femmes, lacte peut signifier lamour, pour certains hommes, la virilit, la puissance ou la vengeance. Limagination au cours des rapports sexuels sert recrer la lutte parent-enfant de la petite enfance. Mais lacte sexuel se distingue par un trait essentiel : le sujet y obtient ce quil a toujours pens obtenir au terme de toute une vie de lutte; il est embrass, caress, aim, et autoris sentir. Le nvros sarrange symboliquement pour que sa lutte finisse bien en lui donnant un dnouement imaginaire qui naurait jamais pu tre le dnouement rel. Comme le disait une malade : Les fantasmes que je poursuivais au cours des rapports sexuels montrent bien que je vi- vais avec mon esprit au lieu de vivre avec mon corps. J tais mme incapable de sentir ce qui se passait en dessous de ma ceinture ! Quand le sujet arrive ressentir son besoin initial, le fantasme ne sert plus rien. Lorsque lhomme impuis- sant de notre premier exemple ressentit son besoin dune mre prvenante, gentille et affectueuse il neut plus besoin de chercher des substituts. Sa femme ne reprsenta plus ses yeux une mre, partir du moment o il eut ressenti ce qutait rellement ma mre. Son problme disparut parce quil tait li un acte symbo- lique qui navait rien voir avec ce qui se passait entre sa femme et lui. Il en va de mme pour le malade qui avait besoin quon lui dcrive de gros pnis. Une fois quil eut ressenti quel point il avait souffert dtre priv dun pre, il put se passer du symbole tangible de son pre. Ces exemples montrent bien que pour le nvros, les rapports sexuels sont des rapports symboliques dans lesquels le sujet ne voit presque jamais son parte- naire. Le fait de les accomplir dans lobscurit en ac- crot encore la valeur symbolique. Le fantasme peut ntre pas conscient; le nvros peut sadresser son partenaire comme son pre ou sa mre sans se rendre compte quil vit son fantasme. Tant quon prouve des souffrances primales, on ne peut pas tre pleinement htrosexuel. Si, par exemple, une fillette dsire lamour de son pre, elle essaiera plus tard davoir de nombreux rapports avec des hommes pour lobtenir sous forme symbolique; mais il y a toute chance pour quelle ait des problmes de frigidit, dans la mesure o, tandis que le moi irrel fait lamour avec des hommes, le moi du systme rel ne cherche incons- ciemment rien dautre qu tre tenu et se sentir aim (par le pre). Lexprience nest pas sexuelle; cest une exprience infantile o le sujet tente de rsoudre ces frustrations passes. Comme le disait une malade qui tait frigide : J e crois quau lieu de me bourrer daliments, je me bourrais de pnis en essayant de me sentir remplie damour; je nen avais jamais assez pour me sentir aime. Elle ajoutait : J e crois que mainte- nant je comprends pourquoi je narrivais jamais res- sentir quoi que ce soit pendant les rapports; si je mtais rellement laisse aller pour ressentir quelque chose, jaurais ressenti toute la souffrance de ntre pas aime. J aurais ressenti ce que je cherchais trouver dans le sexe. Ce sont mes illusions qui men empchaient. Le problme sexuel se complique quand on se trouve en prsence dun jeune garon qui prouve la fois un grand besoin de sa mre et de son pre. Dans les rap- ports sexuels avec les femmes, il se conduit comme un petit garon et laisse sa partenaire (symbole de la mre) prendre linitiative alors que simultanment il poursuit des fantasmes homosexuels. Il en ira de mme dune femme prive dans son enfance damour maternel. Tant que ce besoin nest pas satisfait, il entravera invitable- ment toutes ses relations htrosexuelles. Les besoins du pass sont plus forts que le prsent. On ne stonne gure quil y ait tant de femmes frigides quand on a vu, comme moi, le nombre de femmes en qui continue vivre le petit enfant quelles ont t. Elles ont besoin de la gentillesse dun pre et sont irrites et dues lorsquun homme souhaite des rapports sexuels adultes au lieu de leur offrir dabord un amour paternel. Si lon comprend quil y a en elles une petite fille ef- fraye, qui a peur de son pre (et des hommes), il de- vient vident quelles auront de grandes difficults nouer des relations sexuelles sincres, faciles et enri- chissantes. Les petites filles nont pas de rapports sexuels adultes.
Amour et sexualit
Nombre de femmes dclarent je ne peux coucher quavec quelquun que jaime . Chez les femmes n- vrotiques cela peut signifier : Pour jouir des sensations naturelles de mon corps, il me faut persuader mon esprit que cela reprsente plus que ce nest. Pour que je puisse ressentir, il faut que je sois aime. Une fois de plus, cest lexpression inconsciente du besoin damour comme condition pralable de la facult de sentir. Le sujet qui a t aim au tout dbut de sa vie nprouve pas le besoin de chercher lamour dans la sexualit; pour lui, le sexe peut tre ce quil est : un rapport intime entre deux individus attirs lun par lautre. Cela signifie-t-il que la sexualit est quelque chose de tout fait distinct de lamour ? Pas ncessai- rement. Lindividu normal ne passe pas sa vie cher- cher de tous cts des gens avec qui coucher. Il cherche partager son moi (et par consquent son corps) avec une personne pour qui il a de laffection. Mais il ne pose pas en pralable cette relation quelque conception mystique de lamour. Le rapport sexuel sera la cons- quence naturelle dune relation comme une autre. Il na pas besoin dtre justifi par lamour. Une nvrose qui a refoul ses sentiments, natteindra probablement pas la jouissance sexuelle complte, quelles que soient ses ides sur ce qui se passe dans des relations amoureuses. En revanche, la femme normale nprouve pas le besoin de confrer au sexe une valeur particulire. Elle ne sera pas tributaire dun concept tel que lamour; elle naura pas besoin de sentendre dire je taime pour jouir de son moi physique. Lenfant qui na jamais obtenu lamour de ses parents risque de sexciter beaucoup lide des rapports sexuels parce quil croit quil y trouvera finalement la satisfaction de ses besoins. De lmergence de tous ces besoins trs anciens, il rsultera une trs grande impa- tience, lincapacit de prendre le temps dutiliser des contraceptifs. Une grossesse non dsire peut tre la consquence malheureuse de cette impulsion dsespre de satisfaire des besoins dsesprs. Mais ds que le sujet a ressenti le besoin de lamour parental, toute lexacerbation quil mettait dans la sexualit semble svanouir. Le rapport sexuel devient une agrable ex- prience parmi dautres. Etre aim de ses parents au dbut de la vie est la seule protection contre un dvergondage ultrieur. Trop de filles frustres se laissent prendre lillusion dtre aimes quand elles ont des rapports sexuels avant vingt ans, parce quelles ont besoin de le croire. Il est tragique de penser que cest souvent la premire chaleur et la premire affection physique quil leur soit donn de connatre. Il ny a vritable amour que lorsquun garon et une fille sacceptent lun lautre pour ce quils sont, et par consquent, acceptent leur corps. Le nvros se sert du corps de lautre pour satisfaire danciens besoins. Cela rend impossible toute relation dchange rciproque. Il nest que trop frquent que le garon nvros ntablisse une relation quavec un seul aspect de sa partenaire, le ct sexuel; il ne la reconnat pas comme une personne part entire. Ce clivage entre la femme, objet sexuel, et la personne dans son entier a t appel le complexe de la Vierge/prostitue. La jeune fille sage na pas de corps (pas de sexe) et la sexualit est rserve aux mau- vaises filles. Une femme normale na pas besoin de discours pour se laisser sduire. Elle aura des rapports sexuels quand la relation le demande. Combien les conseillers conju- gaux ne voient-ils pas de femmes qui affirment aimer leur mari, mais qui ne ressentent rien au cours des rap- ports sexuels ! La femme frigide est incapable daimer parce quelle est incapable de se donner entirement. On ne peut aimer que quand on est sexuellement panoui. On pourra ergoter sur ce que je viens de dire et me ci- ter de nombreux nvross qui semblent prendre un trs grand plaisir au sexe. Mais ces mmes nvross sont dans un tat de grande tension quils rotisent mentale- ment et baptisent sexe , sans y mettre davantage de contenu quils nen mettraient dans un ternuement vigoureux. J e nen veux pour preuve que le fait que la majorit des patients qui perdent leur tension dans les premires semaines de traitement, voient en mme temps leurs pulsions sexuelles diminuer provisoirement. Dans certains cas, elles disparaissent compltement pendant quelques semaines. En outre, aussi bien des hommes que des femmes qui pensaient quils taient trs ports sur le sexe, dclarent quils navaient aucune ide de ce qutait un vritable sentiment sexuel avant davoir rappris sentir grce la thrapie primale. Surtout des femmes qui prtendaient ne pas tre frigides constatent quelles ont des orgasmes tout fait diff- rents aprs la thrapie : en gnral, cest une exprience plus pleine, plus convulsive. Un malade lexprimait de la faon suivante : Autrefois, lorgasme ntait quun jet de liquide qui schappait de mon pnis, maintenant, cest tout mon corps qui y participe. Tout le corps peut participer lorsque chaque par- celle des rpressions antrieures (chaque ngation du moi) a t revcue et rsolue. Ces refoulements ne sont pas ncessairement dordre sexuel; le corps ne fait pas de distinction entre ses ngations. Rprimer une partie du moi qui ressent, signifie rprimer la sexualit.
Frigidit et impuissance
Daprs les observations que jai pu faire au cours des dernires quinze annes, la frigidit et limpuissance sont extrmement rpandues. Cela vaut surtout pour la frigidit. J entends par frigidit lincapacit dprouver un sen- timent sexuel dans toute sa plnitude. Cela correspond en gnral lincapacit datteindre lorgasme. Les rpercussions de la frigidit sur le comportement des femmes varient en fonction de leur personnalit. Cer- taines se lancent dans des rapports de hasard, esprant tomber ainsi sur lhomme qui pourra leur faire atteindre la jouissance. Celles qui ont eu un problme dans leur rapport avec leur mre peuvent simplement ignorer la sexualit. Ce quelles ressentent en adoptant cette atti- tude, est peut-tre lespoir dobtenir lamour de leur mre en conservant ainsi honneur et dignit. Beaucoup de femmes frigides ne peuvent atteindre lorgasme quen se masturbant. Cest un bon exemple de rfrence ses propres besoins et non un parte- naire. Il sagit souvent de femmes qui se sont mastur- bes ds leur pubert en poursuivant toujours les mmes fantasmes. Dans ces cas, le pnis nest quun symbole de menace, de dshonneur, dagression etc. et elles lvitent cause de cette signification (habituellement inconsciente). En voici un exemple : une femme est leve par une mre prude qui labreuve de mythes sur la sexualit, les hommes et la bonne moralit. Elle entend des choses du genre : Les hommes ne sont que des btes, ils cher- chent toujours la mme chose. Ils vous prennent et puis ils vous plaquent. En plus de ces paroles, il y a une preuve sous forme dun pre brutal. La jeune fille en vient croire ce que dit sa mre. Elle se refuse toute exprience sexuelle avant le mariage, et dcouvre ce moment-l quelle est frigide. Elle dit au mdecin que son vagin est comme anesthsi. Selon moi, elle na plus de sensations sexuelles au niveau du vagin. Elle ny ressent que la peur qui dcoule de la rpression du sen- timent sexuel. Ce nest pas ncessairement une peur consciente; mais nayant pas de pre qui sadresser et dpendant uniquement de la mre pour obtenir les miettes daffection quelle pouvait recueillir la mai- son, la malade en question a pris lhabitude dassocier la sexualit libre la perte de tout espoir de gagner lapprobation maternelle. De ce fait, elle a littralement renonc une part de son moi ressentant pour lamour de sa mre. En parlant au figur, on peut dire que son vagin ap- partenait sa mre. Le fait de ne rien ressentir tait une manire de prsenter sa mre limage dune fille sage , dont celle-ci pouvait tre fire. Comme un assez grand nombre de mes malades, une fois quelle eut renonc tout espoir dobtenir lamour parental, elle connut une abondance de nouvelles sensations vagi- nales. Pourquoi le fait de ressentir limpossibilit dobtenir lamour de sa mre rendit-il cette femme libre de sentir son vagin ? Cest quelle essayait jusque-l de trouver cet amour dans tous les rapports sexuels en tant la fille sage (cest--dire la femme frigide, non sexuelle) que voulait sa mre. La mre ne pouvait aimer quune fille sage . En renonant cet amour, elle se librait de la lutte quelle menait pour lobtenir symbo- liquement travers son vagin frigide. Une malade, une fois acheve la thrapie primale, expliquait ainsi la frigidit dont elle avait souffert : J ai t leve dans une famille trs religieuse o on ne parlait jamais de sexe. De temps en temps on faisait allusion des femmes de mauvaise vie et des amours de rencontre assez pour minculquer la peur du sexe. Plus tard, pour pouvoir accepter les sensations de mon corps, il me fallait au cours de lacte sexuel imaginer que jtais quelquun dautre. Il arrivait souvent que mon esprit refuse absolument ce que mon corps ressentait et il chafaudait alors des scnes de viol. Cest alors, et seu- lement ce moment-l, que je parvenais avoir des sensations sexuelles. Une autre malade avait besoin dimaginer quune autre femme pratiquait avec elle le cunnilingus. Elle pousa un homme effmin qui avait une prfrence pour ce type de rapports, ce qui facilita le travail de son imagination. Rappelons encore une fois que, dans loptique primale, le fantasme la sensation au cours de lacte est une tentative de satisfaire les besoins rels dtre aim et embrass par la mre. La satisfac- tion de ces besoins cre la capacit davoir des sensa- tions sexuelles et (finalement) htrosexuelles. Mais des fantasmes irrels sont impuissants satisfaire des be- soins rels, de sorte que le comportement symbolique prend un caractre rptitif et compulsif. Quand le mari de cette femme essayait de la pntrer avec son pnis, elle devenait totalement frigide et les rapports taient extrmement douloureux. Dans son langage inimi- table, son corps lui disait quil y avait en elle de la souf- france. Cependant, il ne faut pas toujours imputer la frigidit une mauvaise ducation sexuelle ou des expriences malheureuses dans ce domaine. Beaucoup de jeunes filles sont si renfermes que lon peut prvoir quelles seront frigides. Une jeune fille qui se ferme toute sensation (telle que le got de la nourriture) se retrouve- ra plus tard en toute probabilit ferme toute sensation sexuelle. Autrement dit, dans un domaine quon lui a appris considrer comme interdit, il lui faudra une stimulation trs forte pour quelle ressente quelque chose. J e crois que cest la raison pour laquelle la frigi- dit est un problme si rpandu. Une femme dont les sentiments sont rprims, est fatalement frigide dans une certaine mesure. Il est rare quune femme, ayant suivi la thrapie primale, nait pas des sensations sexuelles toutes diffrentes, mme si elle na pas com- menc la thrapie pour un problme de cet ordre. Pour donner au lecteur une ide de la complexit du problme de la frigidit, je cite ici les paroles dune femme frigide aprs un mois de thrapie primale. Cette thrapie ma appris comment mon corps con- tribuait bloquer mes sentiments. J tais frigide, par consquent, je me disais que la contraction de mon vagin devait tre ma manire de me dfendre contre un sentiment en rapport avec lui. J e rentrais la maison aprs une sance de groupe, jenlevais ma culotte, et, de mes deux mains, forais mon vagin souvrir large- ment. Puis, je me laissais aller ressentir tout ce qui pouvait se prsenter. A mon grand tonnement, un sou- venir me revint en mmoire, accompagn dune douleur dans la rgion du vagin. J tais sur la table langer, ma mre me changeait sans douceur et me pinait le vagin en passant. J e me souvins que quand elle me langeait, elle me pinait toujours le vagin. J e sentis mon vagin se refermer pour se dfendre de cette douleur. Le lende- main, jeus pour la premire fois un rapport avec mon mari qui ne fut pas douloureux. Cest l le point que Wilhelm Reich a soulign : le corps forme un systme de dfenses. Toutefois, cette femme aurait pu ouvrir manuellement son vagin pen- dant des jours et des jours sans obtenir le moindre rsul- tat, si elle navait dj ressenti de nombreuses souf- frances primales qui avaient prpar le chemin ce souvenir. Ce qui est essentiel, cest la connexion quelle tablissait, ce nest pas la manipulation de son vagin. Louverture manuelle de son vagin la aide disloquer une dfense spcifique, de la mme manire que la relaxation de labdomen par les techniques de respira- tion profonde peut aider le sentiment remonter. Cette histoire me fait penser ce qui est arriv un impuissant. Au cours dun de ses primals, il fut pouss se laisser aller au fantasme qui leffrayait le plus : linceste avec sa mre. Au cours de ce fantasme, il se souvint que sa mre lavait abandonn seul, lcole maternelle. Il se sentit mal et ce moment se mit re- vivre cette scne pnible. Pour se sentir moins mal, il se mit jouer avec son pnis. Durant le primal, il tablit la connexion entre le sentiment de sa solitude, souhaitant la prsence de sa mre, et le fait de jouer avec son pnis. Il voulait quelle vienne pour quil se sente mieux et moins seul. Plus tard, cela se transforma en un fantasme o il dsirait des rapports sexuels avec sa mre. En grandissant, il eut peur de ces fantasmes. Pour une rai- son inconnue de lui, ils se changrent en fantasmes homosexuels qui se poursuivirent jusqu lge adulte. Au cours de ce primal, il sentit enfin que cela signifiait Naie pas peur, maman, ce nest pas toi que je dsire, ce sont des hommes. Cet homme avait souffert de fantasmes homosexuels pendant des annes cause dun vnement qui stait produit lcole maternelle. De toute vidence, cet incident navait pas, lui seul, amen le tournant, mais tout petit, il avait t nglig et laiss seul si souvent que cet vnement eut une importance cruciale. Ses fantasmes homosexuels, si pnibles et dsagrables quils aient t, servaient cacher quelque chose de bien plus intolrable : des sentiments incestueux lgard de sa mre. Beaucoup de femmes frigides (et dhommes impuis- sants) constatent que les rapports sexuels leur sont plus faciles quand ils ont un peu bu. Cest parce que lalcool mousse la souffrance primale et rduit le besoin du moi irrel de contrler le corps. Il ne faut pas oublier que le besoin du systme irrel consiste tenir en chec la souffrance. Lorsque la souffrance est rduite ou endor- mie, le besoin de contrle est moindre. Et lorsque le contrle est moins svre, le corps peut se laisser aller davantage. Que signifie laisser aller ? Moins de contrle mental sur ce que ressent le corps. Malheureusement lalcool mousse aussi les sensations au cours de lacte sexuel de sorte que lexprience nest pas aussi enrichis- sante quelle pourrait ltre. La sexualit consiste sentir son corps et non le contrler. Si ce corps retient danciens sentiments, se laisser aller signifie quon libre ces sentiments. Ainsi, on voit des femmes devenir au lit de vritables tigresses, griffant, gratignant et mordant, et simaginer quelles sont sexuellement passionnes. Il sagit bien de passion, mais pas de passion sexuelle. Cest une rage rprime qui rapparat lorsque le corps commence ressentir. Une fois de plus, nous constatons que le sentiment se prsente toujours sous la forme du tout-ou-rien. Sentir quelque chose cest tout sentir. Il se peut que pour le nvros le sexe soit moiti violence et sans doute nest-ce pas un hasard si les publicits cinmatogra- phiques juxtaposent le sexe et la violence. Mais dautres sentiments que la violence peuvent tre rprims. Cer- taines femmes pleurent aprs lorgasme et cest une tristesse refoule quelles expriment. Quels que soient les sentiments rprims, le sujet ne peut ressentir plei- nement sa sexualit, tant que tous les sentiments nvro- tiques empoisonnants ne sont pas- limins. La frigidit nest pas seulement un problme de sen- timents sexuels. Cest un problme de sentiments tout court. Etre libre de ressentir, cest tre libre sur le plan sexuel. Etre refoul, cest tre refoul sexuellement, mme si apparemment le sujet fonctionne normalement sur ce plan. Quand une personne se prsente en thrapie primale et dclare quelle na quun problme dordre sexuel, on saperoit bien vite quelle a dautres craintes et dautres refoulements. Inversement, on peut supposer que le sujet qui vient pour dautres problmes a gale- ment des problmes sexuels. Il nest pas de problme qui ne concerne quune partie de nous. Toutes ces par- ties sont lies et interdpendantes. En thrapie conventionnelle, jaidais des femmes comprendre le puritanisme de leur attitude sexuelle et je donnais des conseils quant des techniques sexuelles, mais cela a rarement servi grand-chose. En thrapie primale, le fait de ressentir la souffrance semble r- soudre les problmes sexuels, sans discussions tech- niques. Ce nest pas par des raisonnements, semble-t-il, que lon peut atteindre le vagin. Le nvros a un rservoir de souffrances qui emp- chent des connaissances nouvelles damener le corps sentir. La connaissance dans le domaine sexuel restera bloque au niveau mental tant que le corps ne sera pas libr. J ai trait il y a des annes une femme de mdecin qui avait lhabitude de quitter furtivement son domicile pour aller faire lamour avec cinq ou six partenaires successifs dans un camp de travail du Civilian Conser- vation Corps, proche de chez elle. Elle cherchait lhomme qui pourrait lui rvler la jouissance. Mais en ralit, personne ne le pouvait, parce quelle sy tait compltement ferme. Personne, si ce nest elle-mme, ne pouvait la librer. Elle tait intelligente et savait que ses excursions au camp de travail taient vaines et dan- gereuses; je lui avais expliqu le sens rel de ce quelle faisait, mais rien ne larrtait. Elle avait des besoins qui la harcelaient sans relche. Le fait de connatre le dan- ger et de comprendre pourquoi elle agissait ainsi ne pouvait pas larrter parce que ces besoins ne cessaient pas. Elle voulait ressentir. J e pense que lon a tort de croire que grce une du- cation sexuelle librale, on puisse changer dattitude lgard de la sexualit et rsoudre par-l ses problmes sexuels. Quelle que soit lducation que lon reoit et la libert sexuelle laquelle on accde, les troubles sexuels persisteront jusqu ce que ces nouvelles atti- tudes se dveloppent partir du corps et de ses sensa- tions. Il ne faut pas ngliger, dans lexamen des problmes sexuels, limportance de facteurs de civilisation; la suj- tion gnrale de la femme lide selon laquelle elle est au monde pour assurer le bonheur de lhomme a donn naissance certaines notions spcifiques comme par exemple la psychologie de la femme . Lide que la femme est faite pour rendre lhomme heureux im- plique que lhomme est suprieur et que la femme doit vivre pour lui. Cest de nouveau de la nvrose pure. Nul tre ne peut vivre pour ou travers quelquun dautre sans tre malade cest malheureusement ainsi que beaucoup dhommes souhaitent voir leur femme. Or, nul ne peut imposer un sentiment autrui, mme pas le bonheur. Laffaire de tout tre humain est de vivre. Le nvros croit que la femme ne sexcite que plon- ge dans une atmosphre romantique lumire tami- se, paroles appropries et alcool. Ainsi, au lieu den venir au fait, cest--dire au sexe, on met en scne toute une lutte au cours de laquelle la femme est sduite. Une femme qui na pas besoin de tout ce travail de sduc- tion, qui ne cache pas ses dsirs sexuels, passe trop souvent pour immorale. Cela tient en partie au fait que les hommes qui ne sont pas trs virils, ont limpression quen se montrant agressifs avec les femmes en les conqurant sexuellement ils deviendront en quelque sorte de vrais hommes. La domination dune femme ne confre pas plus de virilit un homme que la domina- tion dun enfant ne confre dimportance un adulte. Dans une socit non divise, non nvrose, il ny au- ra pas ce clivage entre hommes et femmes. Ils seront gaux, ayant les mmes besoins et les mmes senti- ments. Il ny aura pas dun ct une psychologie de lhomme, et de lautre une psychologie de la femme, parce que ce serait une psychologie de clivage.
Perversions
Dans certains cas, le sujet ne peut se contenter de fan- tasmes mentaux au cours de lacte sexuel. Un homme peut mettre une robe, se maquiller et partir dans la rue tout en sachant toujours quil est un homme. Mais sil met une robe et croit vraiment tre une fille, il a fait un pas important sur le chemin symbolique de lirralit. Les pressions intrieures peuvent atteindre de telles proportions quun homme ne simagine pas seulement quil est battu pendant lacte mais quil a rellement besoin dtre flagell afin datteindre lorgasme. La perversion implique que le poids des refoulements passs est devenu trop grand pour que lindividu puisse en venir bout selon ses mthodes habituelles de sorte quau moment du rite, il est prcipit dans un compor- tement presque entirement symbolique, peut-tre dans un tat momentanment quasi psychotique. J ai connu un homme qui avait besoin dtre attach et battu par une femme pour entrer en rection. Bien que ce rite et un certain nombre daspects psychologiques, il semblait essentiellement dcouler de ses rapports avec une mre sadique qui le battait et le maltraitait conti- nuellement. Le malade semble avoir recr lancien rapport mre-fils dune faon presque littrale, avec le mme espoir inconscient quil avait eu des annes aupa- ravant lespoir de trouver, sil avait t assez battu, du rpit, du plaisir et de la gentillesse. Ce rite masochiste tait un drame bien dfini symboli- sant une foule dexpriences passes, que le sujet es- sayait de rsoudre par cette substitution. Au cur de tout cela, il y avait lespoir espoir que quelquun voit sa souffrance et y mette un terme. On dirait quil faut du vrai sang et de vraies meurtrissures pour que certains parents souponnent tant soit peu que leurs enfants ont besoin daide. Certains enfants dramatisent en volant des voitures, dautres, en devenant pyromanes, dautres en se faisant battre. Le rituel invent par le pervers peut tre considr comme le prolongement du rite incons- cient auquel le nvros obit dans toutes ses expriences diurnes. Dans son rite gnralis, il adoptera par exemple une attitude dhomme battu et vaincu comme pour dire : Ne me faites plus mal, je suis dj par terre. Le nvros non pervers semble adopter un rite plus gnralis au lieu dun rite invent. Un malade qui tait exhibitionniste tentait de dcrire sa perversion de la faon suivante : Cest comme quand vous tes trop jeune pour y voir clair et que quelquun vous bourre le crne systmatiquement. Ma mre dtestait les hommes, elle tait peut-tre gouine. J e crois que jessayais dtre une fille pour elle. Finale- ment, jprouvais le besoin de montrer mon pnis des femmes inconnues au coin des rues pour prouver que je ntais pas une fille. Il fallait que je sois bien malade pour tre oblig de faire a. Mari et ayant des en- fants, cet homme possdait toutes les preuves de sa virilit. Cela ne semblait compter pour rien, il tait forc de continuer accomplir ce rite, jusqu ce quil ft retourn au pass et et revcu les origines du rite et toutes les distorsions quil stait infliges pour obtenir de sa mre un mot gentil. Cet homme avait beau savoir ce qui se passait en lui, il tait pouss son acte par une force incontrlable. Cet exemple peut nous aider comprendre le mca- nisme de limpulsivit en gnral. Le dsir rel de cet homme dtre vraiment un homme se manifestait en dpit de la faon dont ses terribles expriences lavaient modifi. Le but de son acte tait donc dtre ce quil tait rel. Il semble que tout ce que peut se dire le sujet sur ce quil doit ou ne doit pas faire, nait gure dimportance partir du moment o son moi rel a t rprim et fait pression pour tre libr. A mon avis, limpulsivit est dclenche par la tension, par des sen- timents anciens qui font de lacte impulsif un acte irra- tionnel. Le sujet impulsif nagit pas pouss par des sen- timents, il agit pouss par des sentiments quil a refou- ls. Lacte impulsif est loppos de lacte spontan qui est fond sur des sentiments rels. La conduite sponta- ne a moins de chances dtre irrationnelle, si rapide que soit la raction, car cest la raction dune personne relle des conditions relles. Il semble quil ny ait quun moyen dliminer les perversions, cest de ressentir et dexprimer le message que dissimule lacte rituel. Par exemple, si lexhibitionniste, en montrant son pnis, dsirait dire maman, laisse-moi tre un garon , il faudra quil ressente toutes les faons dont on lui interdisait dtre ce garon. Chaque souvenir retrouv, autrement dit, chaque nouveau primal, dtruira une parcelle du rituel exhibitionniste jusqu ce quil ne reste plus dimpulsions. A chaque scne quil revit, il revoit com- ment sa mre lempchait dtre un garon ( Ne touche pas ton pnis, ne fais pas lamour avec les filles , en lui laissant des cheveux longs et boucls, en lui interdi- sant de faire du sport, etc.). Chacun de ces incidents au cours desquels sa mre lempchait dtre ce quil tait (un garon) contribuait faire natre la perversion jusqu ce quelle ft extriorise. De la mme manire, chaque fois quune de ces scnes est revcue, la perver- sion est dmantele aussi mthodiquement et aussi s- rement quelle a t construite. Au cours dun primal, par exemple, un exhibitionniste a tenu son pnis en criant : Maman, ce nest pas sale. Il est bien. Cest moi que je tiens. Laisse-moi me sentir. Lexhibitionnisme de cet homme avait, comme toute perversion, une signification relle. Il essayait dtre rel en montrant son pnis ce qui tait videmment un moyen irrel. Bien que toute sa vie on ait voulu faire de lui une fille, le besoin dtre ce quil tait stait maintenu quoique dune faon dforme. En thrapie primale, le traitement des perversions est facile parce quelles sont dun symbolisme trs clair. Ce sont en fait des primals ramasss . En gnral, elles rvlent le besoin de faon directe, sans quil soit nces- saire de se livrer des ttonnements. Il suffit darrter un rituel, et la pression norme qui le commandait se transforme immdiatement en un primal, et tablit les connexions quil faut.
Lenny
Lenny est un psychologue diplm de vingt-six ans. Bien quil ait fait pendant des annes des tudes de psychologie et de comportement anormal et quil ait mis ses connaissances en application dans le service pour lequel il travaille, cela ne la pas aid le moins du monde dominer ses propres problmes preuve dramatique que le savoir seul ne suffit pas pour venir bout dune nvrose. Quand Lenny se livrait son rite, il tait dans un autre monde o tout ce quil avait appris sur le comportement tait oubli. Son cas peut nous aider comprendre le phnomne gnral de la perver- sion et, plus particulirement, le comportement impul- sif. J e suis entr en traitement aprs avoir t arrt pour avoir montr mon sexe et mtre masturb en public. A la maison, je me sentais toujours pouss me mastur- ber, mais cela ne semblait pas soulager toute ma ten- sion. J e pris lhabitude de le faire au coin des rues ou dans la voiture, prs darrts dautobus o il y avait beaucoup de femmes. Ds que je me trouvais longtemps seul chez moi, il fallait que je sorte pour me masturber. Il mtait tout simplement impossible de me matriser, je devins un exhibitionniste invtr. Quand dautres prennent une cigarette ou un verre pour diminuer leur tension, moi, je prenais mon pnis. J e ne savais quune chose, cest que, quand je me trou- vais seul, je me sentais mal, et que javais envie de me sentir bien. Mais avec le temps, les fantasmes de femmes que je poursuivais en me masturbant chez moi, taient devenus insuffisants, eu gard la nature de ma maladie. Tous les symptmes que je prsentais avant la thrapie taient dordre physique asthme, ulcres, troubles du sinus, coulement dans le pharinx, et pelli- cules chroniques ils ont tous disparu. J tais toujours orient vers mon corps. Il me semblait constamment que je devais faire quelque chose de physique. Quand les fantasmes de mon esprit pendant la masturbation ne me suffirent plus, je compris que mon tat saggravait. Mais je ne savais que faire. Il fallait que je voie lexpression de visages de femmes, de femmes relles, vivantes. J e marchais dans la rue la recherche dune femme dont je pourrais observer le visage en me masturbant. Quelque- fois je prenais ma voiture et je marrtais proximit de lune delles. Au moment de lorgasme, je fixais son visage il me fallait tre sr quelle me voyait. En quelque sorte, je transposais mon fantasme dans la vie. Aprs lorgasme, je me sentais extraordinairement soulag, comme si on mavait enlev un grand poids. J e me sentais libre et je partais pour aller travailler, aider les autres, comme si rien ne stait pass. Mais ce ntait quune question de temps jusqu ce que je recom- mence. Ce qui avait commenc comme une petite incartade de temps en temps, finit par devenir une occupation plein temps. J y passais quatre ou cinq heures par jour, je navais plus rien dautre en tte. J e savais que je de- venais fou, parce quune partie de moi-mme savait combien tout cela tait dment alors que lautre partie ne pouvait sempcher de le faire. En fait mon esprit se dtachait tout simplement de mon corps. J e veux dire que je faisais avec mon corps des choses dont mon esprit navait mme pas cons- cience. Au cours de mes rites exhibitionnistes, une sorte de brume menveloppait. J e savais bien vaguement o jtais, mais en mme temps jtais dans le brouillard. On aurait dit que mes impulsions venaient de quelque chose dextrieur ma conscience. J essayais de lutter : il y allait de mon mtier et de ma situation. Quand limpulsion me prenait, jessayais de la nier, mais ctait impossible. Mon esprit conscient sem- blait se dcomposer. La compulsion en moi augmentait de jour en jour, et je ne savais absolument pas pourquoi. La confusion mentale remplaait la pense rationnelle de sorte que mme en travaillant, je narrivais plus penser logiquement. J avais toujours limpression quil y avait en moi deux personnes. J tais lacteur et le spectateur. Au cours de ces accs, je ne savais plus distinguer le bien du mal. Ctait comme un tat damnsie passagre o lon part au hasard pour aller tuer cinq personnes. J tais simplement lautre personne inconsciente qui obissait ses instincts. Maintenant, aprs la thrapie, je sais que je serais vite devenu fou. J e perdais de plus en plus le contrle de moi. Ma raison sen allait. J e suis sr quun jour jaurais fini par ne plus sortir du brouillard, et cela aurait t la fin. J e crois que cela aurait voulu dire que mon corps se serait compltement spar de mon esprit, et quils auraient alors agi chacun de son ct. En tant que nvros, jtais incapable de ressentir ce qui provoquait mon comportement impulsif. Ctait trop douloureux. La souffrance montait ds que je me trou- vais seul, et je marrangeais pour la djouer. Pendant le traitement, quand la souffrance surgissait, je la ressen- tais. Cest l la distinction entre sentir et djouer que la thrapie primale ma si bien fait comprendre. En thrapie, je permettais limpulsion de se saisir de moi. Au lieu de me sparer du sentiment et de me mas- turber, je laissais enfin mon esprit rejoindre mon corps, et cela mamena un certain nombre de vrits assez pouvantables. J e me souviens de mon premier primal : en arrivant, javais mon impulsion. En allant la sance je faillis chercher une femme dans la rue. Le thrapeute me dit de me laisser aller cette impulsion. J entrai en rection et jtais terriblement excit. J tais sr que jallais avoir un orgasme. Au sommet de lexcitation, je me mis crier : Non, non, non ! Puis je vis un vi- sage de femme. Dieu ! ctait ma mre. J e hurlai : Maman, je souffre, je souffre ! Puis je criai : Ne me laisse pas seul, papa me tuera. J e navais jamais pu lui dire quel point javais peur de mon pre. J e com- pris aussitt que si jexhibais mon pnis devant une femme inconnue, ctait pour quelle voie mon visage distordu par lorgasme (la peur et la souffrance) et re- connaisse que javais besoin de protection. Mais ctait ma mre qui aurait d savoir que javais peur. Mais telle quelle tait, je navais en quelque sorte jamais os lui en parler. Elle tait elle-mme trop malade pour que jose lui dire que javais besoin daide. Cest pourquoi je le disais dune faon passablement folle prs des arrts dautobus. La force qui me poussait tout cela tait la peur de mon pre et le besoin dtre protg par ma mre. Une fois que jtablis la connexion de toutes ces pressions indfinies avec ce quelles taient rellement, je neus plus besoin de les djouer. En fait, il ny avait plus de pression, il ny avait plus que la souffrance. Avant la thrapie, mon esprit et mon corps nallaient jamais ensemble. J e ne comprendrai jamais comment jai pu men sortir lcole. Aujourdhui encore, jai des difficults dorthographe et de lecture. En revanche jtais dou pour le sport et pour tout ce qui tait brico- lage, plomberie, lectricit, etc. Il fallait que je sois stupide, car lorsque je fis preuve dintelligence et tablis la connexion mentale avec toute cette pression int- rieure qui me poussait dans les rues, je me dbattis dans le cabinet du docteur J anov comme un poisson sur le sable. Ces sentiments taient une source dnergie. J e sais aujourdhui que si lon mavait supprim cet acting- out, si je navais pu sortir de prison sous caution aprs avoir t arrt, je serais devenu fou. J e mexhibais parce que ctait le seul moyen que javais instinctive- ment trouv pour tenir distance mes sentiments. Rester tranquille, sans rien faire, maurait fait clater le cer- veau. Si fou que cela paraisse, mme aprs avoir t arrt, sachant dans quels ennuis je me trouvais, je continuais sortir pour me masturber dans la rue devant des femmes, alors que jattendais mon procs. J e navais pas le choix. Avant la thrapie, javais toujours pens que j'tais trs port sur la sexualit un chaud lapin comme je disais toujours. Mais maintenant, jai transform ces convulsions de lorgasme en convulsions primales et mon instinct sexuel est bien moins fort. Cest le phno- mne inverse de ce qui se passait auparavant. Aupara- vant, je transformais mes primals en convulsions sexuelles parce que je ne pouvais pas ressentir la souf- france. A mon avis, la perversion est quelque chose de trs asexu. J e me masturbais, mais en ralit, je ne faisais que demander de laide. Ctait ma manire de crier au secours . Ce que je faisais ne correspondait pas un instinct sexuel naturel, ctait la perversion dun autre sentiment. Beaucoup dentre nous ont des tendances perverses diverses. Les hommes daffaires pervertissent leur besoin damour en concluant de grands marchs. Pour moi, cette perversion de mes sentiments seffectuait avec mon pnis. Tout ce que je voulais ctait que ma mre voie ma souffrance et quelle me donne enfin ce qui mavait manqu dans mon enfance.
Jim
J ai vingt-deux ans et je suis n en Alabama. J habite aujourdhui Los Angeles, la ville qui, entre toutes, ma toujours paru symboliser tout ce qui est impersonnel, indiffrent, grossier, sale, superficiel, prtentieux, tendu et dsespr. La seule pense de Los Angeles ou le fait de my trouver a toujours failli me faire sentir quel point ma propre vie tait impersonnelle, froide et superficielle. Maintenant, cest uniquement une ville sale et crispe qui ne me fait rien ressentir du tout. Mon pre tait officier de carrire dans larme de lair. Il tait n dans une petite ville de l'Indiana et tait galement pasteur de lEglise presbytrienne. Ma mre est originaire du Mississippi. J e nai jamais eu un foyer. Mes premiers souvenirs remontent mes quatre ans quand jai fait une fugue. Nous tions au J apon o mon pre tait en garnison. Par la suite, nous avons dmnag tous les deux ou trois ans, toujours dans la vieille Oldsmobile qui tait deve- nue le thtre des scnes de mnage, aussi bien devant les cactus de lArizona que devant les totems le long de lautoroute Alcan (Alaska-Canada). La voiture, ctait aussi lendroit dont je ne pouvais pas mchapper quand ma mre dcidait de me battre avec un tuyau de caout- chouc lorsque je me conduisais mal. J avais fini par enfouir le tuyau en question dans la poubelle de la salle de bains dun motel de Denver. Tous ces voyages auraient pu tre amusants pour un enfant; ils ltaient dailleurs quelquefois, bien que sur le plan familial, nous nayons jamais connu un instant de bonheur. Tout servait de prtexte des querelles, des disputes. Quil se soit agi du motel o on allait sarrter, du programme de TV choisir, ou de lendroit o on allait faire halte pour manger, tout donnait lieu des chamailleries. Il en allait de mme pour mes choix per- sonnels : savoir ce que je devais porter comme vte- ments, qui je devais prendre comme ami, quand je de- vais aller au lit, comment je devais me tenir table, etc. Ma mre tait toujours l, me dire ce qui, ses yeux, tait le mieux, avec une lgre inflexion dans la voix qui disait : Tu fais ce que tu veux si tu ne te soucies pas de moi. Nom de Dieu ! Elle avait trouv l une excellente mthode pour me faire faire ce quelle vou- lait, et pour me forcer tre ce quelle voulait que je sois. Vous voyez, jtais naturellement attach ma mre (et mon pre) davantage qu quiconque. Par consquent, quand elle disait quelle ne croyait pas que je laimais, cela voulait aussi dire quil ny avait aucune raison pour que nous poursuivions nos rapports. Cest-- dire quelle non plus ne maimerait plus moins que je ne sois et ne fasse ce quelle voulait. Ctait un march dgueulasse, mais un enfant nest pas en mesure de se dfendre. Cest ainsi quavant tout, ma moindre dci- sion devait avoir laccord de ma mre. Si elle n'aimait pas ce que jaimais, il me fallait tout simplement dcou- vrir comment dissimuler mes sentiments et comment faire et tre ce quelle dsirait. Ma mre naime pas les hommes, plus exactement, les hommes qui ont des couilles. Par consquent, il ne fal- lait surtout pas que je sois un homme, en dpit du fait que, comme tout mle, je suis n dot dun pnis, mme sil tait petit. Il ne sest du reste jamais dvelopp entirement. Pas encore. Dans sa haine de la virilit, exprime constam- ment avec opinitret, jour aprs jour, elle ma avec succs lev comme un travesti. Trs tt, javais peru le message. Maman ne maime pas (naime pas que je sois moi-mme). Elle maime quand je suis ce quelle veut. En dehors de la sexualit, on na pas grand- chose transformer quand on a cinq, six ou sept ans; on na pas de grandes opinions, pas de thories philoso- phiques on na que soi-mme. De sorte que... A ct de cet aspect de mon ducation qui existait ds le dbut et continuait dexister, il y avait aussi le spectre terrifiant du divorce de mes parents que jai senti planer au-dessus de moi pendant vingt-deux ans. (Ils divorcent actuellement, alors que je finis la thrapie. Ils se sont affronts pendant longtemps.) Quand javais sept ans, nous vivions au Texas mon pre est rentr un soir aprs avoir un peu trop bu. Daprs ma mre il avait bu plus quun peu , et elle a commenc se mettre en colre, crier et finalement le battre. Tout dun coup cest elle qui sest laisse tomber sur le sol, en sanglo- tant quelle nallait pas se laisser battre de la sorte et quelle allait demander le divorce. Terrifi, jassistais toute la scne. Ni lun ni lautre ne semblait remarquer ma prsence. J essayai mme de les sparer en me met- tant entre eux, en les prenant par la taille et en les sup- pliant darrter, de sembrasser et de se rconcilier. J tais assez grand pour savoir peu prs ce que signi- fiait le mot divorce : ctait la sparation. J avais une trouille pouvantable. J ai demand : Maman, quest-ce que vous allez faire de moi ? Elle a rpondu : J e ne sais pas , et elle sest mise faire sa valise. A ce moment-l, ni mon pre, ni elle ne se souciaient le moins du monde de moi. J e faisais le tour de la maison avec mon cheval en pe- luche, en murmurant : Quest-ce qui va marriver ? Quest-ce qui va marriver... Depuis ce jour, jusqu celui o je suis entr en thrapie primale, je me suis toujours tran ainsi en murmurant. Quand je revins de lcole le lendemain, aprs mtre demand toute la journe avec qui jirais (ma mre videmment), je dcouvris que tout tait rentr dans lordre (compltement dingue). Mon pre ne le ferait plus (pauvre type !) et ma mre nallait pas partir. La mme scne se reproduisit un nombre incroyable de fois au cours des quinze annes qui suivirent; jattendais toujours avec effroi la sparation qui ne survenait jamais mais qui menaait toujours. J e nai pas beaucoup parl de mon pre parce que mon pre ntait pas trs prsent. Il mest arriv de le har parce quil nempchait pas ma mre de me d- truire. Mais je lai aussi aim profondment, dans les rares moments o nous tions ensemble. Mon pre et moi, nous aurions voulu nous aimer, mais nous avions peur de laisser paratre nos sentiments parce que cela nous aurait fait trop souffrir. Quand on est nvros et quon a une famille comme la mienne, il faut faire attention de garder ses sentiments distance. On reste froid avec la famille. A lextrieur on joue le garon nergique et indpendant. Les travestis ne sont mme pas aussi in que les simples homo- sexuels. Il y a une diffrence. Ainsi jai t un enfant trs actif et solitaire. J avais tellement peur des filles que je nai jamais embrass une fille avant ma deuxime anne duniversit; encore ntait-ce quau treizime rendez-vous. De plus, elle tait plus ge que moi, ce qui nest pas surprenant. J e me masturbais pas mal et cela me calmait un peu, mais il fallait que je fasse attention parce que ma mre tait toujours l pour mattraper. Elle naimait pas que je touche ma verge. A la fin de ma deuxime anne dtudes, jai dcou- vert non seulement qu force de me disputer avec ma mre jtais devenu trs habile manier les mots et les ides, mais aussi que j'tais trs dou pour la course. A la fin de ma troisime anne, jemportais toutes les comptitions et je commenais sortir avec des filles. A la fin de ma quatrime anne, jtais nouveau cham- pion, charg du discours de remise des diplmes, pre- mier prix dloquence de tout lEtat, journaliste et radi- cal tous crins. J tais malheureux. Il y avait dj longtemps que javais pris lhabitude, quand ma mre tait sortie, de mettre ses vtements soutien-gorge, bas, slip, etc. djouant mon fantasme selon lequel ma mre finirait par maimer si jarrivais tre ce quelle voulait. Ctait un march merdique, cest le moins quon puisse dire, et ce ntait certainement pas un bon moyen de me sentir laise avec ma queue ! A luniversit, je refoulais ce genre dactivits. J e gardais le fantasme dans mon esprit et je me contentais de me masturber comme tous les autres. Mais le travail tait si lourd et latmosphre si accablante que la mas- turbation savra vite impuissante me soulager. J e ne sortais gure avec des filles. J e continuais faire de lathltisme mais ctait si difficile concilier avec les tudes, si astreignant et, dans le fond, si malsain, que cela naidait pas beaucoup soulager la tension. Cepen- dant, les relations que je me faisais dans le sport me permirent dtre reu dans une bonne association dtudiants et je pus aborder lanne suivante en me raccrochant quelque chose. Les notes ne me servaient rien, elles taient moyennes. Pas de prestige, pas dgards, rien qui met empch de me sentir seul et insignifiant. A la fin de ma deuxime anne, je devins militant. Lentraneur de lquipe se rvla tre un sectaire. Il avait foutu un tudiant tranger dehors pour la seule raison quil avait des cheveux longs et une coupe la Beatles. Une dception de plus. J e fus mdiateur. J tais tendu, malheureux, dgot de lathltisme et de toutes les foutaises que lon voulait me faire ingurgiter. Cet t-l, pour la premire fois de ma vie, je sortais rgulirement avec une fille. Ctait la premire per- sonne avec qui je me laissais aller ressentir quelque chose. Mais je narrivais jamais parler de baiser, mme quand nous tions au lit et quelle tenait mon pnis entre ses mains. J e voulais quune fille me fasse sentir mon sexe, mais je voulais le sentir en toute scuri- t et elle me le permettait. Ctait des relations ora- geuses. Nous avons lutt de toutes nos forces pendant six mois pour essayer de donner nos rapports, o cha- cun aidait lautre se dcharger de sa tension, une es- pce de stabilit. Malheureusement, elle me laissa tom- ber raide. J e navais rien quoi me raccrocher et jtais sur le point de devenir fou. J avais une telle frousse que je quittai luniversit et commenai crire un journal la Kierkegaard, dans le style de Bob Dylan, de Ken Kesey, et de tant dautres... J tais dans un tel tat de tension que le seul moyen de ne pas perdre la raison semblait tre dcrire sur les mythes, sur la conscience existentielle et le destin mi-tragique, mi-hroque des petites gens. J essayais de refouler la souffrance et jy parvenais bien. Cest cette poque-l que jai dcouvert que per- sonne navait le droit de mordonner de tuer quelquun dautre. Ctait trs simple. Mais force de me deman- der ce qui allait advenir de moi, jtais pass ct des choses les plus simples aussi bien que de mes senti- ments. Cette simple notion mexalta tel point que jen fis une sorte danti-dogme. J e travaillai dans lopposition en Arizona et tentai de dcouvrir comment arriver la synthse de la politique et de lart. Devais-je aller en prison pour refus du service militaire ou mexpatrier pour crire mes grands livres et mourir trente-neuf ans ? comment faire les deux ? Ctaient de grandes questions qui dissimulaient de grands senti- ments. A propos de mon pre et de ma mre. J avais besoin de me sentir de la valeur (ma mre), besoin daider les autres cesser de se disputer (ma mre et mon pre), besoin de trouver un foyer de paix, de sim- plicit et de dure (nous tous), besoin dtre fort et effi- cace (mon pre); et ainsi de suite. J e renvoyai mon livret militaire, mais de faon non agressive. J allais crire et faire des tudes jusqu ce quon vienne marrter pour me mettre en prison. Le tout, passivement. Le premier jour de la thrapie, je dis J anov que jaurais voulu dire mon pre daller se faire foutre quand il mavait refus largent pour me faire soigner. Arthur a demand : Vraiment ? J ai rpondu : Eh bien, jaurais aussi aim quil me vienne en aide. Demandez-le-lui. Par tlphone ? Demandez-le-lui, ici mme. J allais le faire mais ma gorge se noua. J e ne veux pas le faire et vous savez trs bien que je ne le veux pas. Demandez-lui. J e le fis et tout ce que je sais cest que je me tordais sur le divan et que je criais pour demander mon pre de maider, en ressentant dans mon esprit et dans mon corps la colre que javais rprime depuis tant dannes. Quand, mon nergie puise, je commenai me dtendre, jai senti des fourmis dans mes mains comme si la circulation avait t coupe et comme si elles sveillaient . Dans le cabinet, les couleurs taient plus brillantes, comme sur un fond dherbe, et il ny avait plus la sparation surraliste entre temps et espace. J e sentais mes entrailles. Et tout cela ntait que le dbut. Cela suffisait pour un premier jour. J e suis sorti tout exalt. Mais ds laprs-midi, je me suis senti dans un tat dgueulasse. Maintenant que la barrire de tension seffondrait, dautres sentiments commenaient re- monter. ATTENTION ! QUEST-CE QUI VA SE PASSER ? Le jour suivant jai voulu aller au devant du primal et provoquer les vnements. Ce qui a t ma faon de ne pas ressentir. Cinq jours de suite, jai tournicot autour, jusqu ce quenfin, au cours de la sance de groupe, la tension en moi ait atteint un tel degr quelle a clat toute seule, de nouveau propos de mon pre. J e vou- lais quil maide. Le jour suivant, jai pleur, pleur profondment. J avais t si perdu toute ma vie, per- sonne ne mavait jamais vraiment cout, et surtout, javais fait des efforts si grands pour accomplir quelque chose qui rendrait mon pre et ma mre heureux de sorte quils puissent maimer. Des parents malheureux nont pas le temps de laisser leurs gosses tre eux- mmes. Lamour exige une attention non goste. Depuis ce temps, je suis pass par un sentiment aprs lautre. Il y a de la colre, de la solitude, de la tristesse et un certain nombre de sensations trs subtiles : cha- leur, parfums, froid, got ou impressions du toucher quil faut relier au souvenir auquel elles appartiennent. Cest un processus qui consiste remettre lesprit enti- rement en contact avec le corps. Il faut ressentir tous les sentiments refouls de sorte quil ny ait plus rien quon ait peur de ressentir. Cest la fois infernal et merveil- leux. Certains sentiments sont remonts facilement, pour dautres, il a fallu des jours et des jours avant que la tension lche. J ai pass trois semaines o jai cru deve- nir fou, exactement comme quand mon amie mavait plaqu. J e me coupais totalement de mon sentiment en PENSANT ce qui allait madvenir. J arrivais presque voir linvisible cran qui sparait mon corps du monde extrieur. Il s'paississait. J e supposais quun sentiment important tait sur le point de remonter. Entendu, jallais laider sortir. Foutaise ! Ctait une manire trs subtile de ne pas ressentir, de contrler, danticiper et de diriger. Un matin, dans le cabinet de J anov, je parlais mon pre et ma mre, je revivais la scne primale o pour la premire fois, je demandais : Quest-ce qui va marriver ? Ne divorcez pas. En le disant je ressentais la peur, comme un enfant de sept ans. A la fin, lcran disparaissait. J e me dtendis. J 'al- lais laisser les choses aller leur train. Plus tard, je devais menfoncer plus loin dans ce sentiment et lcran dispa- raissait de plus en plus. Maintenant, chaque fois que jai un sentiment primal, je peux me permettre de ressentir le prsent un peu plus. Lcran a t dtruit. Ce que je commence ressentir la suite de la thra- pie primale, cest tout simplement mon moi. Au dbut je me sentais plus fort, dune faon nvrotique. Pour la premire fois de ma vie, jobtenais un peu de libert de ressentir et mes espoirs et mes rves sen trouvaient revigors. Mais les espoirs et les rves sont les symp- tmes de sentiments refouls. Ce sont les mots abstraits que nous utilisons pour dissimuler notre BESOIN. Quand le BESOIN est entirement ressenti, il ny a plus dESPOIR de le satisfaire. On se contente de vivre. Plus le moindre besoin dutopie politique ou de succs artistique. La russite ou lchec n'existent pas. Il ny a que vous. Moi. J e nai plus besoin dtre un ternel rat tragique pour que quelquun me prenne dans ses bras ou me cajole ou mcoute comme mon pre et ma mre ne lont jamais fait. Pour moi, ce nest pas encore compltement fini. J ai encore un peu besoin de mon pre et de ma mre. Il reste encore du BESOIN ressentir. Mais jen ai presque fini avec mon pre, et ma mre ne reste que partielle- ment. J e fais encore de temps en temps un rve o je suis surpris nu dans les toilettes pour dames dun su- permarch alors que je suis en rection. J e ne sais pas o me cacher et je voudrais arriver jouir si seulement une femme ou ma mre avait la gentillesse de me laisser faire. Cest le djouement mental, dans mon sommeil, de ce que je voudrais ressentir rellement. Cependant, jai dj normment chang. Ma voix a baiss de presque une octave, parce que je ne suis plus dconnect de mon estomac. J entends ce que me disent les gens sans le leur faire rpter. J e nprouve plus le besoin de passer des heures palabrer avec mes amis malades sur ce qui se passe dans le monde. J ai perdu prs de dix kilos sans effort parce que je ne mange plus pour viter de sentir que mon estomac tait vide et seul comme tout le reste. J e ne fume plus un paquet de Ca- mel par jour comme javais lhabitude de le faire depuis que javais abandonn lathltisme. J e leur trouve prsent un got atroce. Lalcool ne supprime plus mes inhibitions, il mengourdit. LES ALIMENTS ONT DU GOUT. Les objets rels ne sont plus des symboles susceptibles de dclencher des avalanches de penses et des accumu- lations de tensions. Les flics sont simplement des flics, pas mon pre. (J e ne les en aime pas mieux, mais je nprouve plus de colre contre eux.) Locan est locan, non plus le PRE et la MRE DE LA VIE, je ne prends plus un miroir bris pour le symbole de lart irlandais, etc. Les seins ne sont rien dautre que des seins. Et un con nest presque rien dautre quun con. Ils sont loin dtre les symboles quils reprsentaient auparavant et bientt, ils ne seront vraiment rien de plus que ce quils sont. Mon tat sest assez amlior et je RESSENS assez pour reconnatre ce qui est REL; cela ne ressemble rien de ce que j'attendais et a toujours en quelque sorte t MOI. La thrapie a pour rsultat que tout devient littral. Largent me parat comique parce que ce ne sont que des petits bouts de mtal que nous portons sur nous et que nous changeons contre des choses. J ai limpression que toutes ces choses irrelles nont plus aucun rapport avec ma vie. Cest comme si les mots ne reprsentaient plus rien, il ny a plus que le sentiment. J ai limpression que le monde dans lequel je vis est une scne de thtre pop une illusion. J e crois que tout le monde joue un match qui nest pas le bon, mais personne ne sen aperoit parce que tout le monde est trop pris par le jeu. a mennuie mme den parler, dailleurs, qui sen soucie ? J ai enfin chang du tout au tout. Le travesti appartient au pass. Toute ma vie, je me suis entendu dire que ma sant mentale tait de la folie et jen venais le croire. Aujourdhui, jai compris que cest eux qui sont fous et que cest moi qui suis sain desprit.
Homosexualit
Lacte homosexuel nest pas un acte sexuel. Il se fonde sur le reniement de la sexualit relle et constitue le djouement symbolique dun besoin damour par le moyen du sexe. Une personne vraiment sexuelle est htrosexuelle. Lhomosexuel rotise dhabitude son besoin, de sorte quil parat en gnral trs port sur la sexualit. Priv de sa dose sexuelle, de son parte- naire, il se comporte comme un drogu en priode de manque; sans son partenaire, il est plong dans la souf- france qui est toujours prsente mais qui est draine par lactivit sexuelle. Le but recherch nest cependant pas le sexe, cest lamour. En rgle gnrale, lhomosexuel est le plus tendu de tous les nvross, car cest lui qui a t oblig de se sparer le plus profondment de son moi rel. La ten- sion peut le pousser boire, se droguer, ou une acti- vit sexuelle compulsive, sans que ces exutoires lui suffisent. Parmi les homosexuels que jai pu voir, beau- coup se plaignent de troubles psychosomatiques. La violence que lon observe en eux rsulte de leur renie- ment deux-mmes. Le sujet qui ne peut tre ce quil est, vit dans un tat de colre. J e qualifierai dhomosexualit tout acte qui est vcu comme sil tait pratiqu par deux personnes du mme sexe. Si un homme fait lamour avec une femme tout en tant compltement absorb par des fantasmes concer- nant des hommes, il vit daprs moi une exprience homosexuelle. Ce nest pas le comportement extrieur qui compte, mais ltat desprit dans lequel on se trouve. Lorsque le sujet fait rellement lamour avec un parte- naire du mme sexe, cela signifie quil sest engag plus avant dans le comportement symbolique : il ny a pas de clivage en lui, il ny a pas de fragment de lui-mme qui le force garder un comportement htrosexuel; il a renonc lutter et il est devenu plus compltement ce quil nest pas. Il y a des hommes et des femmes qui font des ma- riages homosexuels sans le reconnatre. Un homme effmin choisit une femme trs masculine il prfre- ra, comme me le disait un patient, tre dessous quand il fait lamour, expliquant quil est mieux comme a sans se rendre compte le moins du monde quen vrit, il fait lamour avec un homme. Il y a un systme spcial de radar qui fait que ces gens se rencontrent. Lhomme qui prouve le besoin inconscient dtre aim par son pre, et qui na pas le courage dadmettre ses pulsions homosexuelles sera attir par une femme virile. Il sattachera aux cts masculins de son caractre, de sorte que cest elle qui sera le bricoleur de la maison, elle qui grera le budget familial, conduira la voiture, etc. Limportant cest quun nvros peut faire de nimporte qui ce quil veut. Cest ainsi quun homme peut dans son esprit transformer une femme en homme, de la mme manire quil fait dun policier son pre ou dune institutrice, sa mre. Le besoin lemporte sur tout. Le sujet qui doit avoir des fantasmes pendant lacte sexuel est plus proche de ses sentiments que celui qui vit ses fantasmes. Le fantasme suppose au moins la conscience intellectuelle dun besoin plus exacte- ment, la conscience dun symbole de ce besoin. Le sujet qui vit ses fantasmes, supprime aussi bien le besoin que ses symboles. Daprs mes observations, lhomosexualit peut d- couler de toutes sortes de facteurs lintrieur dune famille. Le garon homosexuel peut avoir un pre faible aussi bien quun pre tyrannique ou pas de pre du tout. Ce qui est dterminant, cest que lenfant prouve le besoin davoir un pre qui laime. Il nest pas ncessaire de sattarder sur les relations spcifiques que lenfant entretenait; ce quil faut atteindre, cest le besoin. Cest le besoin qui est djou dans lhomosexualit. Beaucoup dpend de lenfant lui-mme. Sil a une nature sportive, il peut devenir le dur que dsire le pre. Sil est faible et manque de coordination, il peut tre rejet compltement parce quil ne rpond pas aux besoins du pre. Si la mre est un peu plus chaleureuse, le garon tablit peut-tre des rapports plus troits avec elle; si elle est froide, lenfant essayera dsesprment de res- sembler son pre. Lhomosexualit nest pas le produit dune structure familiale spcifique. Lenfant qui a un pre brutal et ivrogne peut devenir hostile tout lment masculin. Mais dans la mme situation, un autre enfant dcidera de devenir lhomme comme il faut que son pre ntait pas. La fille dune mre qui hait les hommes, peut elle aussi les har. Le fait davoir une mre odieuse peut lui faire prendre les femmes en horreur. Il nest pas de formule qui soit res- ponsable dune nvrose spcifique. Il faut comprendre comment lenfant a ragi intrieurement ce qui lui arrivait. Le comportement qui en rsulte chez lenfant nest dhabitude pas le fruit dune dcision consciemment labore; cest une lente accumulation dexpriences qui le dforment afin de faire de lui une image propre satisfaire les besoins refouls de ses parents. Sur le plan pratique, cela veut dire quil faut qu'il soit ce que ses parents ont besoin quil soit, pour leur rendre (et pour se rendre) provisoirement la vie possible. Si la mre ne supporte pas lagressivit et croit que les hommes sont des animaux qui ne pensent quau sexe, elle fera vite sentir lenfant, par son attitude et par son comporte- ment, quil ne faut tre ni agressif ni port sur la sexua- lit. Comme le jeune enfant ne peut pas savoir que son pre est un sadique ou que sa mre hait les hommes parce quelle est lesbienne, il en vient croire que tout ce quil fait spontanment est mal. Il refoule de plus en plus ses tendances naturelles et se retrouve la fin com- pltement inverti. Beaucoup dhomosexuels semblent ne pas com- prendre quelque chose qui est pourtant vident : le fait quils sont en qute de substituts. Beaucoup font lapologie de lamour homosexuel et le considrent comme le seul amour vritable, en citant lexemple des Grecs pour appuyer leur thorie. Mais cest un amour irrel fait par des personnes irrelles. Si lhomosexuel poursuit sa qute sexuelle avec un acharnement si in- tense, cest quil a besoin de se sentir enfin aim et de mettre un terme la tension qui le ronge. Un ancien homosexuel me disait : Aprs chaque nouveau rapport, je me sentais lgrement insatisfait sans jamais savoir pourquoi. J e croyais que ctait un autre pnis que je dsirais, plus il serait gros, mieux ce serait jusquau jour o je lavais. Puis il me fallait encore davantage. Cest quand jai ressenti le besoin de mon pre que jai compris que ce ntait pas un pnis que je dsirais. J e crois que je suis devenu une pdale dclare parce que je navais jamais pu crier pour appe- ler ce salaud. Ce patient constatait que le comporte- ment quil avait adopt au dbut de son adolescence, tait un cri continuel pour demander ce qui ne venait jamais laide de ses parents. Un autre patient dont les parents taient intrieure- ment morts et tout fait dpourvus de sentiments, disait : Maintenant je sais pourquoi jtais tellement acharn sucer des gars. J e crois que jessayais littra- lement de sucer la vie de quelquun. Aprs la thrapie primale, tous les homosexuels (hommes ou femmes) saccordent reconnatre que leurs relations homo- sexuelles ntaient quune manire de dire : Maman, (ou papa), aime-moi. Si lon admet que dans la plupart des cas, lhomosexualit est lexpression de ce besoin de lamour parental, on peut dire que le but de lhomosexualit est lhtrosexualit. J e ne crois pas quil sagisse l dune simple clause de style. Cela veut dire que toute nvrose a pour objet la suppression de la souffrance, pour que lindividu puiss devenir une per- sonne relle capable de ressentir. Quand la souffrance a disparu, lhomosexualit devrait avoir disparu en mme temps, et cest ce qui se passe. Ce que nous venons de dire montre aussi que ce nest pas le nombre dactes htrosexuels qui peut remdier lhomosexualit tant que cette souffrance nest pas res- sentie. Ce nest pas en faisant lamour avec des dou- zaines de femmes quun homme peut, mon avis, faire disparatre le besoin dsespr davoir un homme pour pre. Autrement dit, tous les baisers et toutes les ca- resses du monde, donns dans le prsent, soit par des hommes soit par des femmes, ne peuvent modifier une dviation sexuelle. Ce que lhomosexuel prouve quand une femme lembrasse, est quelque chose de symbolique cest lamour de son pre. Ces baisers ne satisfont pas le besoin rel, pas plus du reste que ne le feraient les bai- sers dun homme. Les baisers et les caresses dune femme peuvent mme approfondir des tendances homo- sexuelles de lhomme en recouvrant provisoirement le besoin du pre. La chaleur de laffection fminine lempche de ressentir sa souffrance, or cest justement ce quil faudrait pour quil devienne htrosexuel. Lhomosexuel aurait-il besoin dun homme sil avait t pleinement aim par sa mre au dbut de sa vie ? J e ne le crois pas. Il a besoin de lamour dun homme parce que ses deux parents lont priv damour cha- cun sa manire. Il recherche lamour dautres hommes parce quil a, pour de multiples raisons, t engag dans la lutte, par un pre qui ne laimait pas. J e crois que mme larrive soudaine dun pre prodi- gieusement aimant quand lenfant arrive la pubert, ne modifierait pas grand-chose. Si dans les annes prc- dentes, cet enfant a t oblig de renier son moi et ses besoins afin de pouvoir vivre avec, par exemple, un pre sadique, le beau-pre affectueux qui arrivera plus tard ne sera pas en mesure deffacer le pass. Autrement dit, mme plac dans un foyer o il est aim, lenfant doit ressentir ses souffrances initiales. Ce point se vrifie dans dautres domaines que lhomosexualit. Les ma- lades dont les parents se sont adoucis avec les an- nes, narrivent pas se dfaire de la tension et de la nvrose quont provoques en eux les premires bles- sures. Le pass vient toujours faire obstacle au prsent. Si le sujet pouvait pleinement ressentir lamour quon lui porte dans le prsent, cela signifierait quil est ca- pable de ressentir pleinement. Mais pour le nvros, ressentir pleinement, cest ressentir dabord toute sa souffrance, car cest elle qui surgit quand il commence ressentir. Ce nest quaprs avoir ressenti sa souffrance quil peut accepter lamour quon lui porte dans le pr- sent. Aussi longtemps quexistent de vieux reniements, ils obligeront le sujet un comportement symbolique d- form et perverti. Par exemple, il est des mariages ho- mosexuels qui durent des annes. Les deux partenaires semblent satisfaits et pris, mais il y a nanmoins un niveau lev de tension et de lhomosexualit (nvrose). Pourquoi ? Parce que des amants homosexuels se satis- font de faon symbolique et non relle. Gnralement, ils cherchent obtenir lun de lautre, lamour du pre. Ds quils ressentent ce besoin rel, la qute symbolique cesse 1 . Lhomosexualit nest pas une maladie spciale; cest seulement un moyen diffrent de satisfaire des besoins insatisfaits et souvent refouls. Quant aller le droit chemin sans rsoudre la n- vrose, cela ne fait quaggraver le mensonge; cest pr- tendre renoncer au besoin de lamour paternel; or nul ne peut le faire tant que ce besoin rel existe. Le seul moyen de se dbarrasser de ce besoin cest de le ressen- tir.
Identit et homosexualit
Le sujet qui ne peut pas tre ce quil est rellement, sera oblig de chercher son identit. Il est condamn ne jamais la trouver puisque cette identit est simple- ment le moi rel, le moi qui ressent, qui na jamais eu le droit de sexprimer. Par consquent, chercher son iden- tit est une entreprise nvrotique, poursuivie par des gens qui ne ressentent pas et qui en gnral ont besoin de trouver quelque chose ou quelquun de lextrieur pour se faire dire ce quils sont intrieurement. Ainsi,
1 Les mariages homosexuels sont habituellement fragiles justement parce que ce sont des accommodements symboliques qui ne peuvent pas satisfaire durablement les partenaires. aprs la thrapie primale, le malade est labri de toute crise didentit. Comme il ressent, il na aucune raison de se demander qui il est rellement. La thorie primale affirme quun enfant nprouve le besoin de copier, consciemment ou inconsciemment, le comportement, les idaux, les attitudes et les particulari- ts des autres, que quand il ne lui est pas permis dtre lui-mme. Un enfant lev par des parents normaux ne sidentifie pas eux. Les parents ne le dsirent pas. Au contraire, il aura des qualits bien lui. Pour clarifier ce que nous venons de dire, on peut se poser la question suivante : Est-ce quun garon n dans un milieu o il ny aurait que des femmes devien- drait effmin ? J e ne le crois pas. Sil est aim et si on lui permet dtre lui-mme, je crois quil doit con- server son caractre masculin. Mais le mme enfant lev par des femmes nvrotiques aurait toute chance de devenir effmin. Les gens qui se dbattent pour savoir qui ils sont, y sont forcs parce quils ont t contraints dtre quelquun dautre afin dobtenir ce qui leur semblait tre lamour de leurs parents. Toutes les faons dont ils ont t obligs de jouer un rle au lieu dtre, ont ten- dance brouiller leur prtendue identit. On ne peut sidentifier quavec soi-mme. Le sujet qui nest pas lui- mme est contraint de se chercher. Une femme ma dit un jour : Lan dernier, je suis alle en Europe pour me trouver moi-mme; mais je ny tais pas. La conception primale de lidentit implique quune mre ou un pre seuls, sil/elle est un tre humain affec- tueux, peut lever avec succs un enfant fille ou garon. Une femme peut lever seule un petit garon qui grandira pour devenir un homme rel, sans quil ait besoin de modle masculin ou de substitut du pre sur lequel calquer sa conduite. Il arrive quune mre main- tienne son union avec un homme froid ou brutal parce quelle croit que son enfant a besoin de pre et que sans lui, il ne se dvelopperait pas normalement sur le plan sexuel. Il est plus probable que lenfant deviendra eff- min en vivant avec un tel pre que sans pre du tout. J e ne crois pas que sur le plan pathologique il y ait une diffrence essentielle entre un garon qui essaie de sidentifier lhomme ultra-viril et celui qui sidentifie une femme. Dans un couple de pdrastes, le jules et la gonzesse ne se diffrencient pas par lintensit de leur souffrance, mais par la manire dont ils cherchent y chapper. Quand le jules se fait tatouer, circule sur dnormes motos, se laisse pousser la barbe ou se met pratiquer lhaltrophilie, cest quil ne se sent toujours pas lui-mme et quil doit sidentifier limage quil se fait de la virilit. Il cherche probable- ment encore lamour du pre et essaie de diffrentes manires de ressembler lhomme rel que son pre dsirait. La gonzesse a peut-tre renonc lamour du pre et essay dimiter les manires et les intrts de sa mre. Bien quil nait pas t aim par son pre, 1 homme du couple peut tre attir par les hommes et prfre leur compagnie, ressemblant alors beaucoup lhomosexuel effmin. Il ne se sent pas plus viril que son partenaire et sa situation est pire parce quil doit faire des efforts beaucoup plus grands pour cultiver lapparence. Il y a ainsi une foule dhommes et de femmes qui, faute de sentir ce quils sont, se donnent dune manire moins vidente les attributs de la personnalit quils voudraient avoir. Lhomme arborera une imposante moustache, portera des bottes et des vtements solides, tandis que la femme, pour tenter de prouver sa fminit, portera des robes trs dcolletes ou des pantalons ser- rs. Le besoin mme de donner de soi une image peut tre un indice de sentiments intrieurs tout fait contraires et ces sentiments enfouis saccompagnent souvent aussi de troubles sexuels. Mon exprience cli- nique ma appris que malgr une bonne faade virile, la tentative dtre un vrai mle est souvent trahie par de limpuissance, des fantasmes ou des craintes homo- sexuels. La lutte , comme me lexpliquait un patient qui auparavant portait la barbe, consistait conserver ma barbe assez longtemps pour me sentir un homme de sorte que par la suite je nen aurais plus besoin. A ce moment-l, je ne le comprenais pas, mais aujourdhui, jai compris.
Bisexualit et homosexualit latente
Depuis Freud, un certain nombre dcoles psycholo- giques partent du principe que lhomme est fondamenta- lement bisexuel. Chacun dentre nous serait en partie htrosexuel, en partie homosexuel. Ce serait le rle dun systme de dfenses bien constitu que de suppri- mer les tendances homosexuelles latentes pour per- mettre ltablissement de relations htrosexuelles nor- males. Toujours selon ces thories, lhomosexualit des adolescents serait normale, jusqu lpoque o le jeune homme atteint le stade dit gnital de son dvelop- pement. Selon certaines de ces thories, les rves homo- sexuels doivent galement tre considrs comme fai- sant partie du fonctionnement normal. Je ne crois pas qu'il s'agisse de bisexualit, mais bien plutt de nvrose. Un si grand nombre dentre nous ont t privs aussi bien de lamour de leur pre que de celui de leur mre, quil existe souvent un besoin persistant damour, aussi bien dun sexe que de lautre. Ce besoin semble si uni- versel que la tentation est grande de considrer la bi- sexualit comme un phnomne gnral. J e ne pense pas quil y ait une tendance homosexuelle fondamentale et gntique chez lhomme. Sil en tait ainsi, le malade guri aurait toujours des besoins homo- sexuels, or ce nest pas le cas. Aprs la thrapie primale, les malades qui ont t des homosexuels latents ou ma- nifestes, nont plus ni penchants, ni fantasmes, ni rves homosexuels. A en juger daprs la conformation des organes sexuels de lhomme et de la femme, il semble que lhomme normalement constitu ne puisse tre quhtrosexuel. Si lon considre que le rapport htro- sexuel est la source mme de la vie, il semble difficile de trouver un fondement logique la thse de la bi- sexualit inne. Un patient me dcrivait ainsi son exprience : Au travail, jtais excit par les gars autour de moi. Quand un type se penchait, javais toutes les peines du monde me retenir de regarder son cul. Quand mon patron me parlait et quil tait tout prs de moi, jentendais peine ce quil disait parce que je ne pouvais dtourner les yeux de ses lvres en pensant ce que je ressentirais si je lembrassais. J e croyais que tout le monde tait un peu homosexuel, je repoussais donc ces penses pour mappliquer ne penser quaux filles. Cet homme avait un immense besoin dtre caress et embrass par son pre. Mais il ntait pas conscient de ce besoin parce quil hassait son pre qui avait quitt le foyer familial alors que lenfant avait dix ans. On pourrait dire qu lpoque, ses besoins homosexuels latents taient ce quil y avait de plus rel en lui et son comportement htrosexuel, ce quil y avait de moins rel, il faisait simplement semblant de ne pas avoir de dsirs homo- sexuels. Ce quil y a de latent chez le nvros, ce sont les besoins rests insatisfaits. Une fois ressentis pleinement; ils nexistent plus, ni ltat latent, ni autrement. Par exemple, si une jeune fille a t prive au dbut de sa vie de la chaleur et des caresses de sa mre, on peut dire quelle a le besoin latent de lamour dune femme. Si elle est sduite plus tard par une autre femme qui lui apporte cette affection, ses tendances latentes sont trans- formes en un comportement manifeste. Par consquent, lhomosexualit latente ne se distingue de lhomosexualit manifeste que par l'acte, non par le besoin. Ce qui empche beaucoup dhomosexuels la- tents de passer lacte, cest la peur, la rprobation sociale, les croyances religieuses, etc. Il se peut aussi quau moment critique, personne ne se prsente pour sduire la fille aux tendances homosexuelles latentes; dans ce cas, ces tendances restent ltat latent. Il arrive que le sujet reconnaisse ces tendances latentes, mais il arrive aussi quil nen prenne absolument pas cons- cience et quil soit fort occup les djouer au lieu de les ressentir. Si le sujet vit dans un milieu violemment hostile lhomosexualit, comme les familles profon- dment religieuses, il y a toutes chances pour quil ne prenne pas conscience de ses tendances latentes. Le besoin reste cach, et cre une tension intrieure trs forte. Ce concept de latence est important pour comprendre certaines conduites comme la toxicomanie et lalcoolisme, o les tendances homosexuelles latentes sont prsentes dans une proportion exceptionnellement forte, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Il est presque invitable que le refoulement de ces ten- dances cre un dsir puissant dun moyen quelconque de soulagement physique, comme lalcool. Lhomosexuel dclar a au moins cd a ses besoins apparents et trouve de temps en temps ce quil appelle lamour. En ce sens, il est en accord avec son irralit. De toute vidence, lalcoolique et le toxicomane paient un prix lev pour ne vouloir reconnatre aucun de leurs besoins. Le besoin dobtenir lamour dune personne appartenant au mme sexe, peut tre aussi fort chez lhomosexuel dclar que chez celui qui garde ses ten- dances ltat latent. Ce nest pas en prtendant que ce besoin nexiste pas quon le modifie. Une personne comme la femme que nous venons de citer exprimera le besoin de sa mre en devenant membre dassociations fminines, dun club questre, en ayant des amies in- times et en buvant sec, le tout sans prendre conscience de son besoin. Le paradoxe de lalcoolique rside dans le fait quil considre son penchant pour la boisson comme un cri- tre de sa virilit. La boisson dissimule encore davan- tage son besoin jusqu ce quil atteigne finalement le point o il ne ressent pas de souffrance . Cest alors, lorsquil ne ressent plus la peur, quil peut enfin faire ce quil a quelquefois dsir pendant des annes : prendre un autre homme par la taille et lembrasser. On pourrait dire que ce qui spare lhomosexuel d- clar de lhomosexuel latent, cest que le second a subi un lavage de cerveau jusqu ce quil ait t dress se comporter comme un homme (ou une femme, selon le cas). Ses penses ont t modifies, de sorte quelles ne correspondent plus ce quil ressent intrieurement. Il en arrive croire au mensonge dans lequel il vit. Mais il semble quon ne puisse liminer les sentiments latents comme lon limine les ides. Il a beau penser navoir pas besoin de chaleur et daffection, lalcoolique a be- soin de tirer quelque chaleur de sa bouteille jusqu ce quil arrive relcher le nud au fond de ses entrailles et ressentir une chaleur intrieure pendant un petit laps de temps. Il peut quitter son domicile tous les soirs pour aller dans une station anti-souffrance (un bar) sans jamais se rendre compte quil souffre. Mais si on le prive mme de cet exutoire symbolique on risque daggraver sa nvrose. J e crois que si nous pouvions reconnatre pour ce quelles sont les tendances latentes qui habitent bon nombre dentre nous le besoin de lamour dun pre ou dune mre et non une perversion bizarre nous pourrions avancer beaucoup dans la rsolution de cer- tains problmes sociaux importants dont souffre notre monde.
Rcapitulation
J e crois quil est essentiel de considrer les dviations sexuelles comme faisant partie dune nvrose totale, et non comme un comportement spcial et bizarre, dtach de la personnalit dans son ensemble. Mais je ne crois pas quon ait besoin dun spcialiste de lhomosexualit pour soigner le sujet, pas plus quon a besoin dun sp- cialiste pour traiter les autres fuites devant la souffrance. Il ne sagit pas, pour soigner lhomosexualit, de donner au sujet un comportement dhomme ou de femme. Il sagit, mon avis, de provoquer un comportement rel. Nous avons peut-tre essay de faire usage de catgories dabstractions, sans voir que nous avons simplement soign des gens qui ont trouv des moyens diffrents dchapper leur souffrance. Beaucoup de nvross ne se sont pas faits soigner en psychothrapie parce que nous autres psychothrapeutes avons eu tendance considrer lhomosexualit comme une sorte de maladie spciale que lon ne pouvait pas soigner sans avoir des connaissances spciales. Pour ma part, je ne considre pas que lhomosexualit soit diff- rente de nimporte quelle autre forme de nvrose, sauf par le degr pathologique. Ce qui veut dire que si lon est capable de gurir une nvrose, on devrait tre ca- pable de les gurir toutes. De multiples approches psychothrapeutiques ont t envisages pour le traitement des dviations sexuelles. Comme la thrapie conventionnelle choue, lon sest souvent content daider lhomosexuel accepter son mal et sen accommoder. Lune des mthodes actuel- lement en faveur chez les thrapeutes est la mthode du conditionnement. Lune dentre elles consiste, comme nous lavons dj dit, prsenter des pdrastes des photos dhommes nus en leur envoyant simultanment une lgre dcharge lectrique. Il faut supposer que le but vis est le dconditionnement (appel aversion ) de lhomosexualit. Une autre mthode consiste en- courager lhomosexuel se lancer dans des rapports htrosexuels en lui faisant se rpter quil na pas peur de lautre sexe. Il arrive aussi que lon pousse le sujet imaginer des relations htrosexuelles pendant quon lencourage se dtendre. Comme il arrive que par les mthodes de condition- nement on modifie certaines dviations sexuelles, on a dans certains cas une impression de gurison. Cela ne fait que compliquer la notion que lon peut avoir de la gurison. Ici elle ne concerne que le comportement extrieur. Si lon observe ce qui se passe en dessous, et si lon value le degr de tension qui reste lev, on peut tre amen constater que lon a seulement modifi les habitudes sexuelles du sujet pour quil soit davantage en accord avec le systme de valeurs du thrapeute. Il vaut mieux soigner lhomosexuel latent avant quil ait connu le plaisir du rapport homosexuel dclar. Une fois quil a dcouvert cette satisfaction de substitution, il est davantage port croire quil a dcouvert ce quil dsire rellement et il est moins dispos demander de laide. Toutefois, mme sil devait avoir pratiqu lhomosexualit pendant plusieurs annes, je crois que lon peut arriver le gurir. Le moment o il est le plus probable quil viendra se faire soigner, cest quand il aura perdu son partenaire sa dose sexuelle. Priv de son partenaire, il souffre. Il peut se mettre boire, partir en croisire, changer de ville le tout pour fuir la terrible souffrance qui le poursuit comme son ombre. Au moment o lhomosexuel interrompt sa fuite et res- sent effectivement sa souffrance, je crois quil peut tre guri. J ai constat que des conduites homosexuelles qui duraient depuis des annes avaient disparu au contact de la ralit. Lhomosexuel est un moi symbolique, sans fondement rel. Il svanouit avec la souffrance parce quil na dabord t quun fantasme. J e ne crois pas que le tout jeune enfant fasse la diff- rence entre lamour quil reoit dun homme et celui quil reoit dune femme. Il a besoin de chaleur hu- maine et non pas des caresses particulires dune femme ou des embrassades dun homme. La nvrose nat, selon moi, de la prsence de quelquun qui devrait donner de lamour et qui nen donne pas. Cest la lutte pour en faire une personne qui donne de lamour, qui, daprs moi, fait natre des dviations de toutes sortes. Si lenfant pouvait toujours tre spontan dans ses d- monstrations daffection et dans ses rapports densemble avec ses parents, je crois quil ny aurait pas de dviations.
Elisabeth
Quand jai connu Elisabeth, elle tait lesbienne. Elle avait lair et la dmarche dun homme. Elle se droguait la Mthdrine. Elle a compltement fait volte-face et, aujourdhui, elle travaille comme assistante sociale, soccupant plus spcialement danciens drogus et ai- dant ainsi ceux dont elle a si bien connu le sort. La solu- tion quelle a trouve au problme de sa frigidit peut sappliquer de nombreuses autres femmes qui souf- frent du mme mal. J e mappelle Elisabeth. J e suis ne dans le Sud et j'ai un frre jumeau; jai actuellement vingt-six ans. J ai galement une sur qui a un an et demi de moins que moi. Mon pre enseigne lengineering et ma mre a fait une foule de petits mtiers, pour joindre les deux bouts. Le premier souvenir que jai de quelque chose qui nallait pas en moi date de mes quatre ans et demi. J tais allergique pratiquement tout : la poussire, les plumes, les fleurs, les fourrures, et les fculents. J avais six ans quand nous sommes alls habiter en Californie. Cest cette poque que jai commenc voler de la monnaie sur la commode de mon pre pour aller acheter des sucreries la boutique du coin. Quelquefois, jextorquais ma sur son argent de poche. J e me bour- rais alors littralement de bonbons. Pendant mes premires annes dcole, je passais le plus clair de mon temps regarder par la fentre; je faisais abstraction du monde qui mentourait, o il ne marrivait jamais rien. J e fuyais dans un univers imagi- naire o je pouvais faire arriver des choses; par exemple, jimaginais un prince qui me poursuivait dans la fort; il finissait par mattraper et me prenait dans ses bras puissants et chauds. A sept ans, mes parents menvoyrent voir un psy- chiatre pendant quelque temps. A lpoque, ma mre disait que ctait parce que je lui disais tout le temps : Maman, tu ne maimes pas . Des annes aprs, elle ma rvl que ctait aussi parce que je volais de la petite monnaie chez mon amie. Le psychiatre dclara que javais un trs grand besoin dtre aime et que jtais capable dun attachement trs profond. En classe, mon professeur de dessin encouragea mes activits artistiques. J adorais peindre des Indiens Hopi. J utilisais toujours des oranges vifs, des bleus turquoise et des nuances de pourpre. Sur la plupart de mes des- sins, il y avait une femme Hopi tenant un bb dans ses bras. J amais je narrivais donner une expression aux visages. La peinture tait la seule chose que jaimais vraiment faire. Comme javais obtenu quelques prix, mes parents menvoyrent dans une cole de dessin. Ctait touffant. On voulait mapprendre les formes et les lignes. On menlevait la seule libert que javais jamais eue. Mes parents croyaient que javais un vri- table talent de crateur. Elle a des mains de fe ! disaient-ils. Ce ntait plus un amusement, mais un pnible devoir. Mes mains devenaient raides. Elles ne faisaient plus ce que je voulais. J e sentais qu'il fallait que je sois parfaite si je voulais quils fassent attention moi. Mes parents passaient la plus grande partie de leurs loisirs bricoler dans la maison. Il fallait que nous, les enfants assumions trs tt certaines responsabilits. Il y avait toujours tant de travail faire que certains amis de la famille appelaient notre maison la maison du travail . Chacun recevait sa part de corve et nous tions toujours en train de chercher un moyen dchapper au travail. Il marrivait bien de sortir pour mamuser mais ctait toujours avec un profond senti- ment de culpabilit parce quil y avait toujours quelque chose que javais laiss inachev et quil faudrait faire en rentrant. J e ne rangeais jamais ma chambre. Elle tait froide et dans un dsordre inimaginable, un dsordre criant : cest ce dsordre qui criait ma place. Pendant mon adolescence, javais le nombre habituel damis, filles et garons. En fait, je passais plus de temps avec des filles quavec des garons. A lcole, javais toujours le bguin des filles les plus en vogue. Ma meilleure amie, Roberta, tait superbe et trs froide. Nous vivions dans une sorte de perptuelle com- ptition. Nous jouions tre des femmes . Nous nous confectionnions des robes sexy. Nous portions des sou- tiens-gorge rembourrs de mousse et nous tions tou- jours en train dessayer quelque nouvelle mthode mira- culeuse pour nous dvelopper la poitrine. Nos seins trop petits nous taient une humiliation partage. Nous sor- tions deux couples, nous faisions des surprises-parties ensemble et nous nous solions de compagnie. Nous nous aimions tout en nous hassant. A lcole on nous appelait les Gold Dust Twins . Mes parents esti- maient que ces relations avec Roberta ne me valaient rien. A quinze ans, jallai passer un an dans lEst parce que ma mre ne venait pas bout de moi. Stacy, une fille trs populaire dans lcole, me prit sous son aile. Nous devnmes des amies intimes. Plus tard, nos rela- tions prirent un tour particulier grce des lettres et de brves visites que nous nous rendions. Quand je revins de lEst, mes parents avaient dcid de me placer dans un autre tablissement secondaire, dans lespoir que mon amiti pour Roberta steindrait. Ce fut en effet le cas. Mais je me nouai damiti avec J anet. Nous passions la majeure partie du temps nous perdre dans des lucubrations intellectuelles. Chacune trouvait lautre brillante. Nous avions rponse tout. Elle mappelait son alter ego . En gnral, je mattachais conqurir les gars les moins faciles , puis, je les plaquais. A dix-sept ans, je me suis fait dpuceler parce que ctait la chose faire. J e nai rien ressenti. Cependant, aprs mavoir poursui- vie et finalement prise, cest lui qui me plaqua. J eus rellement limpression quon stait servi de moi. Mais je fis de mon mieux pour camoufler ma blessure. A dix- huit ans, jtais malheureuse et perdue dans le plus complet dsarroi. Rien ne me satisfaisait jamais vrita- blement. Il semblait bien que je dsirais quelque chose, sans savoir quoi, ni o le trouver. La crise se dclencha une nuit, o je me prcipitai dans la chambre de mes parents et leur demandai la permission daller voir un psychiatre. Pendant six mois, jen vis un toutes les se- maines. Lautre jour, jai retrouv la liste de tout ce dont je voulais lui parler et que javais tablie une nuit.
Lintrt que je porte la smantique Le fait que je me sens comme une amibe Bonheur ? Lenvie de hurler Les professeurs ne maiment pas Lenvie de dvorer apathie Analyser les gens Les garons plus gs les hommes Mon gocentrisme Ma haine de la socit.
Rien ne changea vraiment, sauf que javais trouv quelquun qui mcoutait. Mon pre tait aussi en trai- tement chez un psychiatre. Le rsultat fut que mes pa- rents divorcrent. J en fus profondment affecte. J e ne pouvais pas y croire. Mon pre se remaria. J allais alors luniversit du Midwest o mon pre devait enseigner pendant un an. L, je trouvai une autre meilleure amie . Bonnie et moi tions insparables. Elle tait si douce, si thre, et pour moi, elle semblait une incarna- tion de la posie. Nous nous adorions. Cette fois, quand je regagnai la Californie, les choses allaient de mal en pis. J e filais un mauvais coton. Ma mre stait remarie et ils navaient pas envie que jhabite chez eux. Ma sur qui stait marie et avait un enfant, maccueillit. A cette poque-l, javais cess de sortir avec des garons. Quand je couchais avec lun dentre eux, je ne ressentais jamais rien; en outre, je mintressais de plus en plus aux gouines. Ainsi, le jour, je mhabillais de faon sobre et je travaillais dans une banque, tandis que la nuit, je me montrais sous mon vrai jour et me joignais la clientle lesbienne de la bote locale. Pourtant je narrivais pas non plus me laisser aller compltement avec les femmes. J e voyais depuis longtemps une gouine, Mary, qui avait exactement la mme carnation que ma mre. Nous nous pelotions beaucoup, mais je ne laissais jamais rien se passer au- dessous de la taille. En fait, je ne pouvais faire lamour ni avec les hommes ni avec les femmes. J e le dis la femme de mon pre qui tait ma seule vritable amie. Elle en parla mon pre et ils memmenrent chez le docteur J anov dans une ville voisine. J e me souviens de notre premier entretien. A toutes ses questions, je r- pondais je ne sais pas . On dcida que je dmnage- rais pour venir habiter la mme ville que lui et que jentreprendrais une thrapie intensive. Cela marcha assez bien. J arrivais tenir un emploi. J e cessai davoir des relations avec des femmes, je sor- tais avec des hommes, seulement ils taient en gnral beaucoup plus gs que moi. Il y avait entre autres un professeur de philosophie, ancien pasteur, qui avait une cinquantaine dannes. J e faisais lamour avec lui, tout en sortant avec son fils qui avait vingt ans. J e crus que jallais assez bien et je revins minstaller Los Angeles. J e passai quelques mois chez ma mre et mon beau- pre, puis je trouvai un travail et minstallai dans mon propre appartement. Presque tous les dimanches soir, javais une crise de larmes. J avais toujours limpression de ntre pas prte pour le lundi. Il me semble que ja- mais je ne pourrais faire ce que javais faire pendant le week-end. J e passais mon temps courir droite et gauche, chez ma sur ou chez des amis. Lune de mes meilleures amies tait Hildie, une fille que je connais- sais depuis mes six ans. Avec elle, je faisais ma dose priodique de stabilit; javais aussi un boy-friend platonique : Raymond. On faisait du stop, on parcou- rait la rgion, on allait au restaurant et on allait au cin- ma ensemble. Pour moi, tout rapport sexuel tait exclu. Physiquement, il ne mattirait absolument pas. J e vis encore un psychiatre pendant six mois. Lui seul parlait et prchait. J e ne pouvais presque pas ouvrir la bouche. a ne marchait pas, un point cest tout. Quand jappris que le docteur J anov tait revenu Los Angeles, je dcidai de le consulter nouveau. J entrai donc en th- rapie de groupe. J e prenais rgulirement des mdicaments. Le mde- cin me les avait prescrits pour maigrir quand javais dix- sept ans; jen prenais une ampoule par jour, cinq jours par semaine, et pendant le week-end, je faisais la bombe tant que je pouvais. J e dis au docteur J anov : J e prends des mdicaments pour ne pas me sentir vivre... Avec les mdicaments, je ressens moins... J e suis si sensible lexistence que je ne peux pas la supporter. Il me faut des mdicaments pour attnuer la vie. Avec les mdi- caments, je me sens morte. La musique est trop forte. J e suis comme dans une coquille. Ctait comme si tous les matins je me disais : J e ne vivrai pas cette journe, mais je la passerai. Avec ces mdicaments, je russis- sais maintenir mon poids tout en mempiffrant, quand cela me prenait, et viter de sentir ce qui marrivait. Il y avait sept ans que cela durait. Un matin je compris que sans le mdicament, je ne passerais pas la journe. J tais son esclave; jtais toxicomane. J e savais que J anov travaillait sur cette ide nouvelle de thrapie pri- male. Sentant quil pouvait rellement me venir en aide, jabandonnai les mdicaments. Quelques semaines plus tard, je cessai de fumer. J e vis J anov plusieurs reprises en sances individuelles et javais limpression quil me prparait quelque chose. Laprs-midi du 17 septembre 1967 jcrivais : AI- DEZ-MOI A RESSENTIR LA SOUFFRANCE, J E SUIS TELLE- MENT MALADE DE NE RIEN RESSENTIR DU TOUT... J E SUIS SURE QUE LA SOUFFRANCE, AU MOINS, ME FERA SAVOIR QUE J E SUIS VIVANTE... PARCE QUE J E ME SENS RELLE- MENT MORTE... Ce soir-l, en sance de groupe, je racontai quelque chose qui mtait arriv quelques jours auparavant; tandis que Raymond me massait le cou et les paules, je mtais souvenue combien il mavait manqu dtre tenue dans les bras par mon pre ou par ma mre. Le docteur me demanda de me lancer dans un petit psycho- drame avec Steve, lun des membres du groupe. J e me couchai par terre, sur le ventre. Steve commena me raconter une histoire pour mendormir, en me frottant les paules. J aurais voulu me relaxer et y prendre plai- sir, mais je me crispais. Quand il se mit me caresser les cheveux et la nuque, lexcitation me gagna, mais jeus peur et tentai de me dgager. Comme il continuait me caresser doucement les cheveux et la nuque, ma tension augmenta. Alors, je fixai mon attention sur les mains de Steve et tout coup ce furent les mains de mon pre. J e mcriai : Mon Dieu, ce sont les mains de mon pre... J e suis dans un lit avec des draps tout froisss. J tais dans ce lit, et je me sentais si petite que je navais plus que six mois, et celui qui me cares- sait, ctait mon pre... J tais excite au point de croire que jallais avoir un orgasme... Puis, ses mains me quit- trent et je perdis le contrle de moi-mme je com- menai sombrer en moi-mme... J tais aspire lintrieur de moi-mme... J e tombais, je tombais... J avais limpression que cette chute nen finirait ja- mais... Il y avait des clairs blancs et rouges et des grondements et des mugissements... J explosai en mille morceaux... J e savais que jallais mourir... Cen tait fini de moi... J e me sentais lectrocute.. Enfin, au fond de moi-mme, je trouvai la force de crier... Tandis que je criais, javais vaguement conscience de me rouler et de me tordre par terre... J e renversai quelque chose... Puis je marrtai de rouler pour dire que je voulais lorgasme... Une fois de plus, je sombrai en moi-mme, je me sentis encore lectrocute et je hurlai en me rou- lant toujours sur le sol... Ensuite, je me retournai sur le dos et je sentis un souffle dair frais meffleurer. J ouvris les yeux et je regardai autour de moi... Puis je dis fort calmement : J tais la souffrance. J tais vivante; javais survcu; javais bris la coquille dure, maintenant, jtais en moi-mme. J ai compris plus tard que ctait l ma scne primale. Quand jtais bb ou mme plus tard, on ne me tenait pratiquement jamais. Mon pre affirme, cependant, quil avait lhabitude de me cajoler et caresser beaucoup quand jtais toute petite. Cest ce moment-l juste- ment que je mtais ferme. On ne me tenait jamais, sauf quand mon pre me cajolait et me caressait comme si javais t une femme. J tais assez mue pour savoir qu'ils taient l mais pas assez tenue dans les bras pour savoir que moi aussi, jy tais. Latroce souffrance, ctait le besoin dtre tenue afin de pouvoir survivre. Au lieu de cela, mon pre me tourmentait en mexcitant pour mabandonner ensuite. Bb, on a be- soin dtre tenu beaucoup pour savoir o lon com- mence et o commence le monde extrieur. J e mtais ferme parce que si jtais reste l ressentir, jaurais explos en mille morceaux. Au lieu de cela, je me spa- rai en deux. A partir de ce jour, je vcus dans un tat de tension perptuelle. Mais je mtais si bien ferme tout que je ne le sentais mme pas. J e devins le symbole de ce que jtais trop petite pour ressentir jtais en miettes. Le lendemain, jtais hypersensible. Mes jambes taient encore crispes et jeus de la peine me tenir debout. J avais pleinement conscience du monde qui mentourait. J e dsirais parler et marcher plus lente- ment. La grande vague tait passe. Il ny avait rien dire et aucun endroit o aller. A certains moments, jtais comme tourdie par tout cela, puis, ctait limmense regret davoir perdu la lutte. Toute ma vie avait t une lutte pour obtenir lamour de mes parents, lutte djoue travers mes amies. Tout cela tait une immense duperie. A lhpital, o je devais rpondre au tlphone et fixer des rendez-vous pour de vieilles dames criardes, le travail me devint intolrable. J e le quittai. Le premier primal qui revtit pour moi un sens rel fut celui o jessayai de revenir en arrire et de ressentir cette premire souffrance, mais o je ne trouvai que la souffrance du nant. Effectivement, ma vie tait vide, je navais jamais rien eu. J e navais fait que donner le change. Pour viter de ressentir ma mort intrieure, je mtais donn un rle. Aujourdhui notez comme je suis bien vivante il me serait impossible dimposer mon visage ce masque grimaant. Pour la premire fois de ma vie, je me sentais vivre. J e commenai noter les modifications que jobservais. Tout devenait rel. Les couleurs taient vives, les paysages ressemblaient des tableaux. J e ne voyais plus le monde au travers dun tlescope. Mes oreilles taient trs sensibles et je ne supportais pas lexcs de bruit. Mes mains pendaient, relches, puisquelles navaient plus rien quoi se raccrocher. Quelle libration ! jtais rellement libre. J crivis : J e commence fleurir. Aujourdhui, je commence sortir de mon cocon ! J aime natre... il y a tant apprendre avant tout, que le prsent est le pr- sent. Hier est pass, demain nest pas encore au- jourdhui, cest aujourdhui. J avais limpression davoir cinq ans. Dtre toute neuve. J crivis : Main- tenant, je peux avaler, parce que ma gorge est relie moi-mme. J e commenai faire dautres primals. J ai senti que mon corps tait froid. Il tait devenu froid force dattendre de la chaleur de ma mre et de mon pre. Aprs ce primal, ma circulation sest nettement amlio- re. Pour la premire fois de ma vie, javais les mains et les pieds roses et chauds. J ai fait beaucoup de primals o je dsirais mon pre ou ma mre. J anov me disait de les appeler et, tandis que jappelais, le sentiment menvahissait je sentais combien je les dsirais et puis le fait quils ne venaient pas. En fait jai gard ce sentiment du dsir que javais deux, jusqu la fin du traitement. Chaque fois, je ressentais ce besoin un niveau un peu plus profond, plus vaste et plus rel. Une fois ressenti ce dont javais rellement besoin, il ntait plus ncessaire que je me bourre de nourriture pour combler le vide de mon besoin insatisfait. Voil pour- quoi il me fallait tant mempiffrer, je ntais jamais rassasie, parce que, en ralit, ce ntait pas la nourri- ture que je dsirais rellement. Comme je ne sentais pas mon estomac, je ne sentais pas non plus quand il tait plein. Dans cette forme de thrapie, il y a un certain nombre de rves qui se ralisent . Quand je me goin- frais, je rvais toujours de pouvoir rester mince sans effort. J e naurais jamais cru que je puisse sortir du cercle vicieux rgime bombance etc. Mainte- nant je mange ce que je veux quand je veux et jai une silhouette agrable. J tais frigide. J aimais les baisers et les caresses mais, au niveau du vagin, je ne ressentais jamais rien. Pendant un certain temps, au cours de la thrapie, je sortais avec un type rellement ardent, mais tout se droulait selon le schma habituel. Quand nous faisions lamour, je ne savais pas me laisser aller; pourtant jaurais terriblement voulu arriver lorgasme. J anov me dit : Vous confondez le sexe et lamour; ce nest pas le sexe que vous recherchez, cest encore lamour de votre pre. Ctait vrai. Ce besoin de mon pre remon- tait du bout de mes orteils. J e me rservais pour mon pre, je me plongeais dans une froideur totale pour lui. Puis il y eut ce jaillissement chaud dans mon vagin. Deux jours plus tard, un autre de mes rves se ralisa : jeus un orgasme total. Ctait merveilleux. J e sentais jusquaux moindres cellules de son organisme. Ctait dlicieux. Quand ce fut fini, je me suis sentie en accord avec moi-mme et avec lunivers. J amais je navais connu pareille srnit. J e sais maintenant que si je navais pas ressenti ce sentiment cl, qui ma ouvert le vagin, je serais reste frigide pour le restant de mes jours. Toutes les explications de ma frigidit que mavait donnes la thrapie conventionnelle navaient pas russi men faire ressentir la raison. J aurais pour- suivi mon djouement avec Raymond, sans sexe. Mon pre et Raymond se ressemblaient beaucoup intellec- tuels, mais pas sensuels pour deux sous. La seule diff- rence, cest que jarrivais comprendre Raymond, alors que je navais jamais compris mon pre. Raymond sintressait beaucoup moi, mon pre trs peu. Ray- mond me lisait mme des histoires comme mon pre lavait fait quand jtais petite. Raymond tait un pre qui donnait. Il satisfaisait mes besoins, il ne me deman- dait pas de satisfaire les siens. J avais toujours vcu dans la crainte de mon pre, tant il mavait paru tranger quand j'tais enfant. Il tait toujours plong dans ses livres, sauf quand il bricolait. Tout ce que je savais de lui, cest qu'il ne fallait pas le dranger. Il mtait dautant plus difficile de renoncer lui que fondamenta- lement, cest un homme bon. Cest un homme trs hu- main en principe ! J ai eu quelques primals trs violents. Une fois jai eu le sentiment horrible davoir t assassine par mes parents. Eux-mmes taient morts et ils ne pouvaient me laisser vivre. Une autre fois, jai eu le sentiment davoir t lesclave de mes parents. Ces sentiments bouillaient au plus profond de moi-mme et jaillissaient de mes entrailles en me faisant pousser des cris saccads. Puis je ressentis aussi des colres terribles contre ma mre. Elle ne me permettait pas de dsirer son amour. Elle ne jouait jamais avec moi. Pourtant, javais terriblement besoin de son amour. J oue avec moi, sil te plat, sois relle, sil te plat. Elle ne comprenait jamais. Sil te plat, sois une personne sensible, je ten prie, aime-moi, je ten supplie, prends-moi dans tes bras. Maintenant je sentais pourquoi javais choisi les amies que javais. J avais essay de me faire aimer delles, parce que javais enseveli les sentiments que jprouvais pour ma mre. J avais le sentiment intime dtre si moche que javais besoin de mentourer de filles splendides. Au lieu de reconnatre que je ne me sentais pas la hauteur de ma mre, je mtais lance dans une violente comp- tition avec Roberta, qui tait belle, froide et vaniteuse comme ma mre. J anet attendait de moi que je sois prvenante avec elle, comme le demandait ma mre. Elle me suait, exactement comme ma mre, mais au contraire de ma mre, elle au moins, elle me parlait. Hildie, ctait la bonne mre, elle tait vive et intelli- gente, cest elle que javais prfre. Elle mcoutait pendant des heures et elle essayait de me consoler et de maider quand jtais dprime. Evidemment, jamais je navais t satisfaite parce quaucune dentre elles ntait ma mre. Comme je ne me sentais toujours pas fminine, je me tournais vers des femmes qui ltaient moins. Cest ainsi que javais eu des relations avec des gouines. Avec Stacy et Mary, je me sentais totalement femme . Ctaient des femmes qui me voulaient femme et me laissaient ltre. Ma mre tait dhabitude trs froide mon gard, sauf quand elle avait bu quelques verres. Alors elle me caressait, et membrassait dune faon si rotique que cela me rpugnait. J tais encore en thra- pie primale quand elle me tlphona une nuit 2 heures et demie. J e dis : All et la voix de ma mre rpon- dit : J e taime et tu me manques terriblement. Stup- faite, je raccrochai sans dire un mot. Le lendemain, je compris ce quil en est de lhomosexualit fminine. Ma mre me relanait pour obtenir que je laime, elle ! La mre veut que sa fille laime ma mre ne mavait jamais permis de me sentir jolie et fminine, elle ne mavait pas laiss tre une petite fille, elle cherchait faire de moi sa mre elle tait incapable de maimer, mais elle voulait que je laime. Ainsi, lhomosexualit fminine veut dire que la fille refuse dtre rejete par sa mre et se tourne vers une autre femme en lui disant : J e taimerai, si tu maimes. Cest alors le dbut dun djouement symbolique. Ce qui distingue la lesbienne qui joue le rle de lhomme, de sa partenaire, cest le degr de fminit auquel elle a renonc. Celle qui garde le rle de la femme lutte encore pour rester femme . Lautre va jusqu dire quelle est prte renoncer ce qui lui reste de fminit pour devenir un homme aux yeux de sa partenaire (sa mre). Lune de mes amies, lesbienne et psychotique, a crit un pome en prose intitul : Les tres fragiles . On ne peut mieux ex- primer le saphisme.
Voici la source du cyanure.
Voici la fontaine o viennent boire les gares pour apaiser leur soif et elles croient que leur qute sachve... et pourtant, dans la bouche souille, le nectar devient acide. La rose svapore et le bouton se des- sche sur sa tige ou la fleur est cueillie et jete aussi- tt. La violette devient une plante de serre une plante qui vit en pot perdant sa discrtion du fond des bois, elle se pare de lclat des villes. Voici la source voici les limbes du liquide et le liquide, ce sont des larmes et la fontaine est creuse dans labme de vies brises. Nous chantons lamour et nous rvons du premier amour. Nous voyons en rve ces yeux dont la profondeur semblait infinie et limpide comme celle dun calme lac. Nous sentons une fois de plus le tremblement, lappel de ces lvres que nous avions peur de toucher et le frisson. Et nous cher- chons sans rpit le frisson du premier amour... Maintenant nous sommes dures et brillantes et cassantes : nous le masque radieux, le rire clair et insouciant les poignes de mains indiffrentes et les larmes qui sensuivent. Les annes senvolent rapide- ment et nous sommes les gens qui bavardent Enter- rs, nos rves de jeunesse ! Pour certaines dentre nous, la source sest tarie, il nen reste que des cristaux de sels amers. On les oublie jusqu ce quun coup de poi- gnard habile vienne rouvrir la blessure ancienne et que le sel nous brle... Oui, nous sommes les lesbiennes : vives, intelligentes et fragiles ! Vers la fin de la thrapie, jai pris du L.S.D. J ai commenc ressentir quelque chose de trs profond puis je me suis envole : senvoler ainsi, cest vraiment se couper de ce que lon ressent et partir la drive avec son esprit. J ai cru devenir folle. Ctait purement et simplement lenfer ! J e me sentais comme dans la pice de Sartre, Huis- Clos , je ne retrouvais plus la porte qui donnait sur la ralit. Le lendemain, je voulais me suicider. J e ne vou- lais pas rellement me tuer, mais pour la premire fois de ma vie, je me sentais terriblement seule et terrible- ment effraye. J e ne pouvais plus rien tirer du monde. J avais peur de me sentir compltement seule, parce que cela pouvait me dtruire, mais je craignais aussi davoir une raction impulsive et de me tuer si jestimais que ce sentiment de solitude mtait impossible supporter. Ainsi, je me sentais seule degr par degr. Pendant des semaines, javais limpression dtre folle. J e ne distinguais plus ce qui tait rel de ce qui ne ltait pas. Un soir, en sance de groupe, je me retrouvai couche sur le sol, tout mon corps possd dun im- mense besoin. Au plus profond de moi-mme, jentendais les vagissements dun bb. J e sentais que javais deux jours. En dehors de lorgasme, je navais jamais rien ressenti daussi total. Ensuite, jeus des priodes de vertige. Ce dsquilibre persista jusqu ce que je retourne en arrire et ressente mon besoin enti- rement. Au cours de la thrapie primale, des modifications physiques que jespre dfinitives se sont opres en moi. J e nai plus dallergies. Ma peau est plus douce et je nai plus le moindre problme dacn. Mes seins se sont dvelopps et les mamelons sont plus gros. Enfin mes muscles se sont dtendus. Cela valait-il la peine ? Est-ce que je me sens relle- ment diffrente de ce que jtais avant le traitement ? Cest le jour et la nuit ! Simplement, je ne savais pas que jtais morte jusqu ce que je me sente vivante. Maintenant que je suis vivante, ma vie est sans but. J e suis entre en thrapie pour trouver une nouvelle image de moi, et je nai dcouvert que moi-mme. Une chose est sre : la ralit ne doit pas.
CHAPITRE 18
LES ORIGINES DE LA PEUR ET DE LA COLERE
La colre
Un des mythes concernant les hommes veut que sous un extrieur placide, nous cachions un vritable volcan de fureur et de violence que seule la socit arriverait contenir. Quand le systme social connat une dfail- lance, la violence inne de lhomme fait ruption, et il en rsulte guerres et holocaustes. Cependant, je suis constamment frapp de voir combien les gens sont non agressifs et peu violents quand leur faade soi-disant civilise tombe. En thrapie primale, le patient, qui est tout fait dsarm et sans dfenses, nest pas en colre. Il ny a pas de fureur. Cest peut-tre le processus de civilisation mme qui rend les hommes si peu civiliss entre eux quil en rsulte des ractions de frustration et dhostilit. Etre civilis signifie trop souvent dominer ses sentiments et ce contrle peut provoquer une rage intrieure. J e crois que le colreux est le sujet qui nest pas aim celui qui na pu tre ce quil tait rellement. En gnral, il est en colre contre ses parents parce quils ne lont pas laiss tre lui-mme, et en colre contre lui- mme parce quil continue renier son moi. Mais cest le besoin qui est fondamental, la colre est leffet se- condaire. Elle survient quand le besoin nest pas satis- fait, lorsque nous considrons le processus primal, nous constatons quil se droule, avec une rigueur presque mathmatique. Les premiers primals ont souvent pour sujet la colre. Dans la seconde srie, il sagit de la souffrance et dans la troisime, du besoin damour. Le besoin et la non-satisfaction de ce besoin causent en gnral la plus violente douleur. Le processus primal se droule comme la vie, mais en sens inverse. Dans la vie, il y a eu dabord le besoin damour, puis la douleur de ne pas lobtenir, enfin, la colre, pour attnuer la dou- leur. Le nvros perd souvent tout souvenir de la pre- mire et de la deuxime tape, de sorte quil se retrouve habit dune inexplicable colre. Mais la colre est, tout comme la dpression, une raction la souffrance et non un trait fondamental du caractre de lhomme. Il est quelquefois plus facile au jeune enfant de ressentir de la colre que de supporter lhorrible sentiment de solitude et dabandon quelle cache, de sorte quil prtend que son sentiment de ntre pas aim et dtre seul est quelque chose dautre : de la haine. Mais il est rare quen thrapie primale le patient ne manifeste que de la haine lgard de ses parents. Il dira plutt : Aimez- moi, je vous en prie; pourquoi ne maimez-vous pas ? Aimez-moi, salauds ! Lorsquil est devenu adulte, le nvros a tendance penser quil nprouve que de la haine, mais en thrapie, il dcouvre que cette haine nest quune couverture de plus sous laquelle il dissimule le besoin. Une fois le besoin ressenti, il ny a plus gure de colre. Dans les sances de groupe en thrapie primale, on nobserve presque jamais entre les participants lhostilit que lon trouve quelquefois en thrapie de groupe conventionnelle. Il ny a pas non plus de colre contre le thrapeute. Il ny a quune trs grande souf- france. Daprs la thorie primale, la colre est toujours diri- ge contre quelquun qui en veut votre vie. Il ne faut pas oublier que dans un sens les parents nvrotiques tuent inconsciemment leurs enfants; ils tuent le moi rel de leurs rejetons; la mort psychophysique est un proces- sus rel par lequel on extirpe de lenfant toute vie. Il en rsulte de la colre de la part de lenfant : J e vous hais parce que vous ne me laissez pas vivre. Etre quelquun dautre que soi-mme cest tre mort. Quand le nvros rprime son besoin damour pour ne plus sentir que la colre, il peut essayer de sen dchar- ger jour aprs jour sur des objets symboliques : sa femme, ses enfants ou ses employs. Comme il ntablit pas la bonne connexion entre la colre et son origine, il continuera sen dcharger de manire irrelle. Un patient, par exemple, homme habituellement courtois et mesur, fut horrifi par ce quil venait de faire sa femme : il lui avait crach la figure. Pourquoi ? Parce quelle navait pas voulu le croire alors quil lui disait o il tait all un matin. En thrapie primale, il ressentit la colre furieuse quil prouvait contre ses parents qui navaient jamais voulu le croire. Malheureusement, des annes aprs, sa colre sest dverse sur sa femme. Il suffit de rendre la colre relle pour quelle dispa- raisse. J usque-l, une multitude dexplosions de colre diriges contre des gens dans le prsent, seront des faux- semblants et par consquent irrelles . Bien videm- ment, il est aussi une colre relle qui ne vient pas du pass. La colre que vous prouvez un jour parce quun garagiste a bcl la rparation de votre voiture est tout fait justifie; mais le sujet qui a des accs de colre quotidiens, irraisonns, est domin par son pass. Cela signifie que le nvros est toujours sur le point de res- sentir dans le prsent ce quil a refoul dans le pass. Ce qui na pas t rsolu dans lenfance sinfiltrera dans presque tout ce que le sujet fait plus tard dans sa vie, jusqu ce que ce soit rsolu. J estime que la distinction entre colre relle et colre symbolique est importante. Un exemple me permettra mieux dexpliquer pourquoi. Une jeune enseignante toujours souriante et avenante vint me consulter parce quelle tait dans un tat de tension musculaire constante. Au cours de sa seconde visite, elle parla de son pre qui la critiquait toujours, se moquait delle, faisait des plaisanteries ses dpens et la tournait en ridicule. Elle piqua tout dun coup une violente colre et donna des coups de poing dans le coussin du divan, pendant plus de cinq minutes. Aprs, elle se sentit dtendue et me dit quelle naurait jamais cru quil y et en elle tant de colre. Cependant, la tension musculaire persistait. Au cours de la cinquime sance, elle reparla des injustices pas- ses, et les sentiments commencrent remonter nou- veau. Mais cette fois, je ne la laissai pas donner des coups de poing dans le coussin, je la pressai de dire ce que ctait. Elle se mit trembler de faon violente et incontrlable tout en exprimant sa haine : comment elle allait les trangler, battre son pre mort pour tout le mal quil lui avait fait, sans jamais la laisser se dfendre, comment elle allait tuer sa mre coups de couteau pour avoir laiss faire son pre, etc. Elle hurlait tout cela, tout en gmissant, en se tordant, en se tenant le ventre; elle avait perdu tout contrle delle-mme. Au point culminant de cette exprience, elle cria : Main- tenant jai compris, j ai enfin compris jai toujours crisp mes muscles pour me retenir de les attaquer , puis elle reprit ses violences verbales. De toute sa vie, elle ne se souvenait pas avoir jamais lev la voix. Il fallait toujours parler doucement, car dans une maison aussi distingue que celle de ses pa- rents, les jeunes filles devaient se conduire comme il faut. Aprs ce dernier primal, elle dclara que pour la premire fois de sa vie, elle se sentait dtendue et im- prvisible. Tout au long de ces annes, elle stait ac- croche son moi irrel pour empcher ses parents de la rejeter tout fait, si jamais elle stait laisse aller pour devenir son moi rel. Pour cette malade, la thrapie devait ncessairement passer par diffrentes tapes. Dabord, il y avait en elle une tension diffuse et vague qui, toute sa vie, lavait tenue noue. Dans son premier primal il sagissait de dpasser cette tension et de ressentir la part physique de la colre, de prendre conscience du fait quelle tait en colre. Plus tard, elle donnait des coups de poing dans le coussin parce quelle navait pas encore tabli la con- nexion mentale. Ce comportement tait un djouement symbolique. La colre tait ressentie mais non dirige (cest ce qui se passe pour toutes les colres qui persis- tent). De toute vidence, elle ntait pas en colre contre le coussin; le coussin tait un objet symbolique de sa colre, de la mme manire que certains enfants sont les souffre-douleur de leurs parents colreux. Malheureu- sement, dans le cas de lenfant dsarm et sans dfense, les parents trouvent gnralement une faute quelconque pour justifier leur colre. Avec le temps, et en butte de telles mthodes, lenfant finit par donner ses parents de bonnes raisons dtre en colre. Une fois que cette femme eut tabli la connexion es- sentielle, sa colre disparut, de mme que, cela va sans dire, la crispation chronique de ses muscles qui lavait fait souffrir presque toute sa vie. Elle aurait pu venir pendant des jours et des annes pour donner des coups de poing dans ce coussin sans modifier cette colre. Il est probable quelle en aurait tir un soulagement tem- poraire, mais la colre serait rapparue au bout dun certain temps. Dans la thrapie quelle avait suivie auparavant, elle avait t encourage dcharger son hostilit sur les autres membres du groupe thrapeutique. Elle sentait quelle progressait et quelle prenait de lassurance, mais elle demeurait contracte et avait toujours mal dans les paules. Cest que sa colre relle de petite fille persistait. Peu importe que lon se comporte en adulte en thrapie ou dans la vie; tant que lon ne ressent pas le petit enfant , le comportement quon adopte ne peut avoir que peu dincidence sur la maturi- t. A mon avis, tout ce qui se passe, cest que le moi rel, dsarm et passif, prtend prendre de lassurance, surtout dans latmosphre de scurit que donne la th- rapie de groupe. En thrapie, la bonne petite fille exprime sa colre exactement comme une bonne petite fille la rprime quand elle est la maison. Ces deux comportements font encore partie de la lutte pour tre aim. Cela expliquerait aussi pourquoi le patient qui fait des dmonstrations dagressivit en sance de groupe est souvent peu capable de saffirmer dans la vie courante. La diffrence entre la colre relle et la colre irrelle ou symbolique est importante, car je crois que, faute de cette distinction, on a t conduit en pratique thrapeu- tique un certain nombre derreurs. Dans les psychoth- rapies des enfants, on passe par exemple beaucoup de temps leur faire pratiquer le punching-ball. Pour les adultes, il y a ce quon appelle des cliniques de com- bat , o des poux sont placs dans une pice pour apprendre sattaquer et se dfendre au cours de leurs disputes. Tout cela est symbolique et par consquent ne peut mon avis rien rsoudre rellement. La patiente que je viens dvoquer, se mettait en colre contre les membres de son groupe, mais en fait, sa colre ntait pas dirige contre eux. Les choses quils faisaient rani- maient en elle son ancienne colre. Quand ils lignoraient, la critiquaient, linterrompaient ou la r- primaient, la colre furieuse quelle prouvait lgard de ses parents tait dclenche mais sans quelle st quil sagissait l dun sentiment ancien. La violence de sa colre contre les membres du groupe, une fois expri- me en paroles, tait en fait dmesure et irrationnelle. Cest un peu comme quand on lit dans les journaux quune femme a assassin son mari parce quil refusait de sortir la poubelle : en vrit, cest un lment du pass qui a dclench la violence. Cela peut aussi aider expliquer pourquoi certains parents ont peur de fesser leurs enfants pour une vtille. Ils sappuient sur le fait que leur conception de lducation leur interdit de les fesser, alors quen ralit, cest eux qui sont terrifis sans vouloir ladmettre lide quune petite faute de leurs enfants pourrait dchaner tout ce quil y a en eux de violence latente. Il est possible que lexistence des cliniques de com- bat et des mthodes o lon incite les malades ex- primer leur hostilit en thrapie de groupe, repose sur le fait que lon considre la colre et la violence comme des manifestations naturelles qui ont besoin, de temps en temps, dun exutoire. Freud appelle cela linstinct dagression . Il est trs tentant pour les psychologues de croire ce prtendu instinct, parce que nous voyons effectivement beaucoup dagressivit chez nos patients. Nous voyons la violence et pas grand-chose dautre parce que nous ne forons pas le patient aller plus avant dans son sentiment, dans son besoin. Ce que nous voyons, cest ce qui recouvre le besoin cest--dire la raction de frustration au besoin. Comme nous croyons lexistence dun instinct dagression, nous avons souvent pass beaucoup de temps au cours de nos thrapeutiques aider le malade manier son agressivit cest--dire la contr- ler . J e crois quil faut faire linverse. Nous devons ressentir entirement la colre pour arriver lliminer. Le sujet qui sent son moi au lieu de djouer symboli- quement ses sentiments, ne risque gure dagir sous le coup de limpulsivit ou de lagressivit. La dialectique de la colre est la mme que celle de la souffrance : ds quelle est ressentie, elle disparat, tant quelle nest pas ressentie, elle attend dtre ressentie. Lide de contrle de soi implique le concept de clivage nvrotique du moi. Cest le clivage qui est dan- gereux parce quil signifie que les sentiments refouls doivent tre domins. Cest pourquoi un sujet dsin- volte, spontan, qui ne se matrise pas, est le moins expos des agressions intrieures. J e tiens souligner encore une fois que le sujet spon- tan est le sujet qui ressent, tandis que limpulsif agit sous la pression des sentiments refouls. Par cons- quent, cest limpulsif qui adopte facilement un compor- tement symbolique agressif et qui a besoin dun con- trle. On a pris peu peu lhabitude de considrer limpulsif comme un individu libre et anarchique, ou- bliant quil nexprime pas le moins du monde, comme il semblerait, la libert ou lanarchie, mais quil est pri- sonnier de sentiments prcis trs anciens quil djoue dune faon dtermine. Il est des sujets qui piquent tous les jours des crises de rage sans jamais se rendre compte quils sont colreux. Ils sont en gnral capables darranger les choses de manire justifier leur colre prsente de sorte quils nont pas besoin de ressentir son origine. Si le nvros ne trouve rien pour justifier sa colre, on peut tre sr quil trouvera le moyen de mal interprter quelque chose dinoffensif afin de pouvoir donner libre cours sa colre dbordante. Dans la majorit des cas, une mauvaise interprtation semble indiquer un besoin re- foul et nest pas simplement une question de sman- tique. Les raisons qui excitent la colre du nvrotique d- pendent de la situation qui a t lorigine de sa souf- france. Une malade, par exemple, se mettait en colre parce que ses enfants ne laidaient jamais dans les tra- vaux mnagers. Elle les battait svrement parce quils laissaient traner des choses de tous cts. Ce quelle ressentait, en fait, tait jai tant travaill et personne ne semble sen soucier ou reconnatre mes efforts . Ctait un sentiment quelle prouvait rencontre de sa mre qui lui avait fait faire le mnage partir de lge de huit ans. Un autre malade entrait en fureur ds quon le faisait attendre. Chaque fois quil demandait son pre de jouer avec lui, il sentendait rpondre : Tout lheure, pour le moment, jai faire. Ce tout lheure narrivait jamais, mais la colre sinstallait. Le problme est souvent que lenfant est frustr et rendu furieux sans quil ne lui soit mme permis de montrer ses sentiments de sorte quil en est rduit trouver, pour se librer, des solutions de remplacement rixes lcole, maux de tte, allergies, etc. Cest ainsi que lenfant est dpouill de ses besoins et ensuite dpouill une nouvelle fois des sentiments quil prouve parce que ses besoins ne sont pas satisfaits. Il est donc deux fois perdant. Le comble, cest que, si lenfant en colre fait mauvais visage, il risque de se faire dire : Mais voyons, souris ! Quest- ce que tu as faire cette tte-l ? A ce moment-l, il est trois fois frustr et il se retire plus encore en lui- mme pour dissimuler ce quil ressent. Ce refoulement profond de la colre peut provoquer de lhypertension. Chez les patients qui tendent une tension leve, on note souvent une chute de tension aprs les primals o ils revivent leur colre. Si lon considre quune tension croissante saccumule lintrieur de lorganisme jusqu avoir des rpercus- sions sur tout le systme circulatoire, on comprend aisment la violence des ractions que le sujet peut avoir, une fois toutes les barrires limines. Inverse- ment, laugmentation de la tension sexplique si des refoulements sont constamment imposs. Dans la civilisation amricaine daujourdhui, il y a un abme entre lthique familiale et lthique sociale. A la maison, le bon petit garon est celui qui ne se montre jamais insolent ou en colre contre ses parents, alors que dans la socit le bon petit garon est celui qui tue pour sa patrie. Lun devient la condition de lautre; le mme garon rprimera ses sentiments et exterminera les autres, afin dtre un bon petit gar- on . La colre est souvent seme par les parents qui voient dans leurs enfants des tres qui les privent de leur propre vie. Les parents qui nont jamais eu la chance dtre libres et heureux, supportent mal de stre maris jeunes et de devoir se sacrifier pendant des annes pour des bbs et des enfants exigeants. Lenfant en souffre souvent. Il lui faut payer le seul fait dtre vivant, parce que son existence constitue la ngation de la libert de ses parents. Lenfant en est puni assez tt. Il ne lui est pas permis de montrer ses dsirs (appels exi- gences ), de se plaindre, de crier ou de se faire en- tendre. Pour gagner son droit la vie, il faudra quil excute une foule dordres. Tous les jours de sa vie, il sera dress se dbrouiller tout seul, ne pas demander daide et finalement assumer les charges et les respon- sabilits de ses parents. Il sentira ds son plus jeune ge quil est un obstacle et tentera dsesprment dexpier un crime quil na pas commis. Il grandira trop vite, prendra trop sur lui pour amadouer des parents qui le hassent sans raison. Un malade, dont la naissance avait contraint ses parents se marier alors quils navaient pas vingt ans, ma dit un jour : J ai pass ma vie chercher pourquoi mon existence tait un chaos. Toutes ces critiques et ces laus que lon faisait propos du moindre de mes actes ! J ai fini par faire des tudes de philosophie pour trouver une raison la vie je veux dire pour cacher le fait quil ny avait pas de fondement rationnel ce qui se passait chez nous. Il y a si peu de colre aprs la thrapie primale parce que, mon avis, la colre est lenvers de lespoir. Cette colre cache lespoir de transformer les parents en per- sonnes convenables, dotes de sentiments. Par exemple, certains de mes patients, du temps o jexerais en th- rapie traditionnelle, s'imaginaient quils iraient trouver leurs parents pour leur mettre sous les yeux toutes les blessures quils leur avaient infliges. Mais cette con- frontation impliquait lespoir de voir leurs parents re- connatre quel point ils staient mal conduits et deve- nir des tres nouveaux et pleins damour. En thrapie primale, je considre la colre qui reste chez un malade comme un signe de nvrose. Dabord parce que la colre implique un espoir irrel. Ensuite parce quelle signifie que le petit enfant dsire encore ses parents et ne sest pas dtach deux. Il ny a pas de colre adulte si le patient est en effet devenu un adulte rel, pour la mme raison quil ne se mettrait pas en colre contre les pitreries nvrotiques de nimporte quelle personne quil rencontre. Devenu adulte, il ver- rait la nvrose de ses parents objectivement. (Lobjectivit est labsence de sentiments inconscients qui poussent le sujet dtourner la ralit de sa souf- france pour lorienter vers la satisfaction de ses be- soins.) Ses parents ne seraient plus ses yeux que deux autres adultes affligs de nvroses. Le sujet nest en colre contre ses parents que quand il dsire les voir changer et devenir ce dont il a besoin. Une fois les be- soins ressentis et disparus, la colre a galement dispa- ru. Ce quon trouve chez les patients qui ont suivi la th- rapie primale, cest le sentiment dchirant davoir gch leur enfance. En mme temps, ils sont profondment soulags de sentir que la lutte quils ont mene toute leur vie est acheve. Ces patients ne cherchent pas se venger de leur pass; ce qui les intresse bien davan- tage, cest de mener leur vie dans le prsent.
La jalousie
La jalousie est un autre aspect de la colre. Elle aussi provient du sentiment dun manque damour parental. Comme lenfant ne doit pas se montrer directement hostile ses parents, il a tendance se retourner contre ses frres et surs. Mais en gnral, lenfant nest pas rellement en colre contre ses frres et surs. Ceux-ci ne sont que les symboles sur lesquels sa haine se con- centre. Pourquoi un enfant est-il si colreux et si jaloux ? Peut-tre parce quil a trs tt reu de ses parents la notion selon laquelle lamour est quelque chose qui nexiste quen quantit limite et qui spuise vite. Les parents disent par exemple : Regarde ton frre, il a fini tout ce quil avait dans son assiette (une qualit qui ne ma jamais paru vidente). Cest lui qui aura la plus grosse part de gteau. Ou bien : Regarde ta sur, elle a rang toute sa chambre, ainsi elle va pouvoir aller au cinma. Lenfant conoit lamour comme un ca- deau trs spcial, puisquil voit trs vite quon lui en donne quand il a t bien gentil et jamais quand il est dsobissant. La jalousie signifie que lenfant a le sentiment de ne pas recevoir sa part. Ce sentiment im- plique quil y ait des parts. Cette notion existe dans les familles de nvross o les parents ne donnent pas gn- reusement mais ont tendance tout distribuer sous condition . Les enfants ne peuvent rien obtenir sans lutte. Ils luttent, comme les clientes dun grand magasin quand il y a des soldes. Lenfant peut se mettre en co- lre contre dautres personnes parce quelles semblent menacer sa part. Etre compltement aim signifie ne pas tre jaloux. Selon moi, lenfant nest pas naturellement jaloux, pas plus quil nest naturellement colreux. Il se retourne contre ses frres et surs, mais ce sont les parents qui le plus souvent exigent, critiquent et lui refusent ce dont il a besoin. Ce sont les parents qui ont tendance sirriter et manifester de limpatience devant un comportement enfantin et qui favorisent peut-tre un enfant aux dpens dun autre. Ce que les parents nvross voient quand ils regardent leurs enfants, cest un espoir : limage de ce dont ils ont besoin (respect, adulation, etc.). Ils tablis- sent des relations avec un symbole et non avec leur enfant. Lenfant qui reoit ce qui passe pour de lamour est celui qui se rapproche le plus de cette image et par consquent, celui qui devient un nvros symbolique et non une personne qui est uniquement anime de senti- ments qui lui sont propres. Cest lenfant ainsi favoris qui, en gnral, est entirement dtruit et cest pourtant lui qui souvent fonctionne assez bien dans la vie. Le rebelle, celui qui a refus de sadapter et de se sou- mettre, peut ne jamais sen sortir dans la vie, tout en tant bien plus proche dun tre humain rel que son frre ou que sa sur qui fonctionnent bien. Le pauvre enfant qui est le favori est souvent battu par lautre et il passe sa jeunesse payer pour un crime commis par ses parents. Parce quil est ce dont ses pa- rents ont besoin, il subira tous les sarcasmes et toutes les agaceries de son frre ou de sa sur. En un sens, la jalousie qui se manifeste dans ce cas-l est le moyen quemploie lenfant dfavoris pour avoir sa part : si seulement il peut faire tort au prfr et sen dbarras- ser, sil arrive souligner ce quil fait de mal, peut-tre arrivera-t-il se faire aimer un peu plus. La jalousie de lenfant je veux ma part se pour- suit dans la vie adulte. Lenfant jaloux, ignor par ses parents, grandit et son tour met des enfants au monde quil ridiculisera et punira quand ils rclameront lattention de leur mre. Les enfants devront payer pour avoir dtourn lattention de leur mre au dtriment du pre. Ce comportement, dict par la jalousie, se pour- suit, mon avis, jusqu ce que le sujet trouve le vrai contexte de sa colre et le ressente entirement. A partir de ce moment-l, ses enfants nauront plus souffrir du fait que leur pre a t nglig dans sa propre enfance. Ce sont souvent ces enfants jaloux qui donnent plus tard ces adultes imbus dun tel esprit de comptition quils veulent toujours avoir plus que les autres et ne saccommodent jamais des dfauts de leur enfant parce quil leur faut ce quil y a de mieux . Le jeune enfant nest pas seulement en colre parce quil nest pas aim, il est aussi frustr parce quil ne peut donner damour personne. Si seulement ils avaient su combien javais leur donner , gmissait un patient : J ai fini par tout donner mon chien. En outre, ils prouvent de lamertume parce quils nont mme jamais t autoriss demander lamour dont ils avaient besoin. Chez moi, ctait un crime davoir besoin de quelque chose , disait un patient. J e sentais trs bien que si javais dit : Papa, prends-moi dans tes bras , il aurait ridiculis ce besoin en me disant que jtais une vraie fille. Quant ceux qui croient que la jalousie et lhostilit sont des instincts inhrents la nature humaine, je ne peux que leur signaler que les rves des malades au sortir dune thrapie primale, aussi bien, dailleurs, que leur comportement diurne, sont dnus de toute trace de colre ou de jalousie. Or, sils taient capables de ma- triser leur colre pendant la journe, on sattendrait ce quelle se manifeste au cours de la nuit quand le con- trle se relche. Apparemment, ce nest pas le cas. Tout cela nous permet davancer que le concept dun rser- voir dinstincts dagression est erron; sil est un ins- tinct , cest celui dtre aim autrement dit, dtre soi-mme.
La peur
A dix ans, mon fils se mit brusquement avoir des peurs nocturnes dont je ne comprenais pas la raison. Il avait peur quil y ait quelquun dans le placard. Ce ph- nomne durait depuis un mois quand je me dcidai essayer dclaircir la chose. Un soir quil allait au lit en me demandant de laisser la radio et la lumire allumes, je lui fis faire un primal. J e le fis se plonger dans ce sentiment deffroi et sen laisser submerger. Il se mit trembler et sa voix devint aigu, spectrale . Il rptait sans cesse Papa, je ne veux pas le faire, papa, a me fait trop peur. J insistai. Comme il senfonait dans sa terreur, je le pressai de crier son sentiment. Il dit enfin : Papa, il ny a pas de mots, maman me retient par mes langes et elle essaie de me clouer avec une pingle ou quelque chose comme a. Il tait terrifi lide dtre immobilis et se sentait compltement sans dfense. Il dit : Tu sais, je nai jamais eu le sentiment que lhomme dans le placard allait me tuer avec un revolver ou quelque chose comme a; javais le sentiment quil allait me retenir et mtrangler. Quest-ce qui avait dclench tout cela ? Un aprs-midi, juste avant le dbut de ces peurs nocturnes, javais lutt avec lui et je lavais plaqu au sol par les paules. Cela navait apparemment rien de traumatisant et nous lavions tous deux oubli jusquau jour de ce primal. Au cours de ce primal, sa mmoire retourna directement un vnement qui stait produit alors quil avait huit mois. Il se souvenait de la forme et de la couleur de sa table langer. Ctait aprs son bain et il gigotait dans tous les sens, alors que ma femme essayait de le langer; finalement, exaspre et furieuse, elle limmobilisa fermement. Cette exp- rience lavait effray. Dans loptique primale, une peur actuelle, persistante, mais apparemment irrationnelle, est en gnral la mani- festation dune peur plus ancienne et souvent plus pro- fonde. Cest une peur de ce temps-l, et non de mainte- nant, de sorte quessayer de persuader quelquun de sortir dune phobie irrationnelle, telle que la peur que ressentait mon fils, reviendrait essayer de lui faire abandonner un souvenir. La peur de mon fils persistait, mon avis, parce que des sentiments de dtresse, qui le submergeaient lpoque et qui taient tout-puissants, taient associs ce souvenir. La raison de la persistance dune phobie est quelle salimente au rservoir primal de la peur. Pour revenir un thme dj voqu : les peurs nvrotiques sont des peurs symboliques. Sans aide, le sujet est incapable datteindre sa peur relle, de sorte quil se fixe sur des substituts. Cest ainsi quil aura, par exemple, peur des ascenseurs, des caves, de laltitude, des chiens, des prises de courant ou de la foule, alors quen ralit sa peur provient du pass. On pourrait dire que les peurs actuelles sont, comme les rves, une tentative de rendre rationnels des sentiments gnraliss qui existent depuis trs longtemps et qui, dans le contexte du prsent, sont irrationnels. Toutefois, il ne sagit pas seulement de rendre ration- nels dans le prsent des sentiments anciens. Il sagit de contrler ces peurs et den venir bout de manire sym- bolique. Le nvros doit croire dune manire ou dune autre que, sil garde le contrle des choses et sil les laisse en sommeil, il naura plus avoir peur. Il vite alors ce quil redoute ou ce quil croit redouter : il vite laltitude et ne prend plus lavion. Il arrive souvent ainsi contrler ses peurs, en les iso- lant et en les compartimentant. Mais sil vient tre en contact troit avec lobjet apparent de sa peur, sil se trouve par exemple sur un balcon lev avec une balus- trade basse, cest sa peur relle qui se manifeste, symbo- lise par la situation prsente. Sur ce balcon, le nvros nprouve pas une simple peur du vide; en ralit, il a peur de ne plus tre matre de sentiments qui risquent de le dtruire. La peur actuelle qui contient parfois un noyau rai- sonnable, comme la peur de prendre lavion aide souvent le nvros se dissimuler le fait quil est sim- plement dune nature peureuse. Sil tait contraint de ressentir continuellement sa peur, la vie lui deviendrait intolrable. J e crois que deux facteurs essentiels dterminent le choix dune peur irrelle (phobie). Le premier est un incident qui se produit effectivement dans le prsent et provoque un traumatisme rel, comme un accident de voiture ou une mauvaise chute du haut dun toit... Chez le nvros qui subit une telle exprience, la peur de conduire ou la peur du vide peut se prolonger au-del de toute raison; elle peut durer toute une vie. Souvent, le nvros tend toute une catgorie dexpriences, qui nont rien voir avec sa peur origi- nelle, ce qui se rapporte une seule exprience relle. Cest ainsi que le sujet qui est tomb dun toit vitera peut-tre dornavant les balcons levs bien que les deux choses naient aucun rapport. De cette faon, la peur du nvros ne peut aller quen slargissant, puisquun incident isol a ouvert le rservoir de souf- frances primales. Il en va de mme pour le nvros qui, ayant eu des rapports dsagrables avec sa mre, tend cette exprience toutes les femmes. Ces gnralisa- tions se produisent parce que le sujet na pas ragi aux sentiments originels et ne les a pas rsolus en tant que tels. Le deuxime facteur qui dtermine la phobie est la va- leur symbolique de la peur prsente. Le sujet qui nest jamais tomb dun toit et qui na jamais eu daccident de voiture, est nanmoins forc de fixer sa peur sur quelque chose. Il choisira en gnral quelque chose qui symbolise sa peur relle. Le sujet qui a eu le sentiment dtre cras par ses parents aura peur dtre enferm dans des espaces restreints, par exemple, dans un ascen- seur bond de monde. Celui qui sest senti nglig et laiss labandon par ses parents, aura peur des vastes tendues o il pourrait sgarer et se sentir perdu (cest- -dire retrouver son sentiment originel dtre perdu). Dailleurs, le mme sujet pousera peut-tre quelquun qui le prendra en charge et dirigera sa vie, de sorte quil pourra poursuivre son comportement symbolique sans se sentir perdu et laiss labandon. Ce point est mon avis particulirement important, parce que la peur n- vrotique fait partie du systme nvrotique dans son ensemble et nest pas un lment isol. Par consquent, si lon ne traite que la peur bien spcifique, sans la re- placer dans le contexte du systme tout entier, on ne fait que perptuer le caractre fragmentaire du systme nvrotique et dtourner le sujet de la cause relle. On ma rcemment envoy une malade parce quelle avait une peur excessive des insectes, non pas de nimporte quels insectes, mais des grandes araignes noires. Nous navons pas attaqu cette phobie demble, mais au bout de quelques semaines de traitement, elle se mit parler de ce quelle prouvait lgard de son pre. Elle dcouvrit combien elle en avait presque tou- jours eu peur. Elle se souvenait en particulier dune scne au cours de laquelle il stait jet sur elle pour une vtille il avait des ractions tout fait imprvisibles. En revivant cette scne, elle tait tout entire submerge par la peur de son pre et lui criait : Papa, ne me fais plus peur ! Ce sentiment en fit natre un autre : Papa, laisse-moi avoir peur ! Il stait tellement moqu de ses sentiments quelle finissait par craindre de manifes- ter sa peur. Cela amena un autre sentiment trs intense, celui davoir t terrifie, tout au long de son enfance, par les yeux et par laspect de son pre. Plus tard, elle ressentit une certaine confusion et prouva presque simultanment deux sentiments. Le premier se manifes- tait par ce cri : Papa, ne me touche pas ; et le second, par celui-ci : Tiens-moi, touche-moi pour que je ne me sente pas si seule dans cette obscurit. Ces sentiments profonds surgirent pendant que les souvenirs quelle avait de lui se prcipitaient. Ds quelle put crier la peur quelle avait de son pre, elle eut toute une srie dinsights : Maintenant, je comprends tout. J avais toujours peur, mais cette peur tait si subtile et semblait tellement injustifie. Un jour, jai vu cette norme arai- gne noire dans la salle de bains. J ai hurl et je me suis enfuie. Javais enfin pu crier ma peur. J e mtais trouv une raison. Ma peur tait toujours relle. Mais je la mettais en relation avec quelque chose qui ne ltait pas. Un incident fortuit lui avait permis de canaliser ses peurs latentes et de les concentrer sur un objet spci- fique. La thrapie primale rtablit la relation de sa peur sa source : Cest de toi que jai peur, papa ! Les malades qui sont en thrapie primale prouvent une vague anxit quand leur systme de dfenses est attaqu. Quand jinterdis un officier du corps des Marines de jurer pendant les sances, il se sentit menac dans sa pose dhomme fort . Cela lamena souponner le fait quil tait un petit garon qui souf- frait. Il ne savait pas exactement ce quil craignait, sauf quil avait peur (se sentait sans dfense) quand il ne pouvait pas jurer. Lanxit du nvros est la peur de rester sans dfense devant la souffrance primale. La conduite nvrotique sert masquer la douleur. Mais cest le moi rel qui a t rejet, maltrait et humili, de sorte quil ny a rien dtonnant ce que la peur appa- raisse lorsque le moi rel surgit. Le malade dont je viens de parler tait issu dune famille de Marines . Son pre et ses frres taient aussi des Marines . Pour simposer dans cette famille, il fallait tre dur, indpen- dant et froid. Il lui tait intolrable de sentir quil tait un petit pleurnichard, ayant besoin dtre tenu par son pre. Le besoin enfoui provoqua une perptuelle ten- sion. Lorsque son systme de dfenses qui recouvrait son besoin rel se trouva affaibli, la tension se mua en anxit. J ai connu le cas inverse dun homme qui prenait peur ds quil devait saffirmer avec une certaine agressivit. Cette peur tait : Si je me mets en fureur, je ne pourrai plus tre le gentil fils de ma maman. Ainsi, chaque fois quil se mettait en colre, il se mettait trembler de peur sans savoir pourquoi. La peur est un moyen de survivre. Non seulement elle nous fait nous carter quand nous voyons quelque chose nous tomber dessus, elle permet aussi lenfant de vivre en lempchant de ressentir ces sentiments catastro- phiques du dbut de son existence, qui pourraient le faire renoncer la vie. La peur aide produire la n- vrose afin de nous protger de la catastrophe. Les gens qui ne peuvent pas continuer tre nvrotiques, devien- nent souvent craintifs ou angoisss. Lorsquen thrapie primale, nous privons les malades de leur comportement symbolique, ils se sentent plus mal. De la mme manire que tout nvros doit prouver de la colre parce quil nest pas aim, il doit tre habit par la peur. Certains nient leur peur, dautres la projet- tent dans des phobies, dautres, enfin, la djouent par des contre-phobies . La peur indique lapproche de la souffrance primale. On le voit clairement lorsque aprs laffaiblissement dune dfense, la peur surgit en mme temps que la souffrance primale. La peur du nvros est la peur de devoir renoncer au mensonge qui a constitu la vie du sujet. Toute attaque du mensonge fait natre la peur, parce que le mensonge contient lespoir. Si une fille essaie dtre un garon aux yeux de son pre, si elle essaie dtre trs bonne en gymnastique pour lui faire plaisir et quelle choue, elle connat lanxit parce que son moi rel affleure. Si un garon veut passer pour le petit garon bien lev de sa maman , il est plong dans lanxit quand sa mre se moque de son langage de garon, en le qualifiant de cru et de vulgaire . Un malade expliquait ce phno- mne comme suit : J ai toujours eu peur que, si je faisais ce que je voulais et si je disais ce que je pensais, mes parents ne veuillent plus de moi. J e devais tre ce quils attendaient de moi. Si je cessais de vivre leur vie leur place (de vivre le mensonge), je serais abandonn ou totalement rejet. Ctait terrifiant pour moi. J tais terrifi de moi-mme. En thrapie primale, la peur du patient atteint son sommet au moment o tout son jeu nvrotique est sur le point dtre termin. Notre rle est dvoquer ces peurs de sorte que nous puissions le pousser au-del et le faire pntrer dans ses sentiments rels. Il a peur dtre rel; cest pourquoi il est nvros. Le lien qui existe entre la peur et la souffrance est im- portant. On se fait une faade pour ne pas tre bless. Si quelquun est exactement ce quil est, il ne peut pas tre bless et na nulle raison dtre anxieux. La fonction de la peur, relle ou irrelle, est de nous protger de la souffrance. La seule faon de venir bout de la peur cest de ressentir la souffrance. Aussi longtemps que la souffrance nest pas ressentie, la peur demeure.
Contre-phobies
Une contre-phobie, cest lattitude qui consiste aller au-devant de ce que lon craint le plus. Par exemple, le sujet qui a peur du vide se mettra faire du parachu- tisme pour prouver quil nen a pas peur. Lactivit contre-phobique ne peut tre que constante et compulsive, puisque le sujet essaie de nier une peur relle par une activit symbolique. J e considre la contre-phobie comme une forme plus grave de la n- vrose, puisque les sentiments rels sont enfouis si pro- fondment en lui quils contraignent le sujet un d- jouement total. La contre-phobie indique par consquent un refoulement plus complet. J ai vu en thrapie un parachutiste qui avait une peur excessive de la mort. A chaque saut, disait-il, je me dis Voil que jai frl la mort et ce ntait pas si terrible que a . Chacun de ses sauts tait une tentative de vaincre sa peur incons- ciente. Cette activit tait compulsive parce que, chaque jour de sa vie, la peur relle rapparaissait et il lui fallait chaque fois se prouver quelle nexistait pas vraiment. Stant cass une jambe lors dun saut, il fut profond- ment soulag de navoir plus rpondre tous les jours la question : Ai-je peur ? Tout acte qui va lencontre dun sentiment de peur relle peut tre considr comme une contre-phobie. La sexualit en est un bon exemple. Beaucoup dhommes ont peur du sexe, et pourtant ils sont attirs par lui de faon compulsive, de peur de ne pas tre de vrais hommes . Cela sapplique tout particulirement aux hommes qui ont des tendances homosexuelles latentes. Pour prouver au monde que ces tendances nexistent pas, ils essaient de conqurir toutes les filles quils voient, ne parlent avec les femmes que de sexe, ne taris- sent pas de plaisanterie sur les pds (ce qui consti- tue notre contre-phobie favorite), et se bagarrent fr- quemment. Ou bien ils se marient, ont beaucoup denfants plus il y a de garons, plus ils sont contents pour prouver leur virilit. Dans la plupart des cas, lactivit et les conversations sexuelles compulsives sont des comportements de contre-phobie. La peur peut se formuler ainsi : J e ne le fais pas aussi souvent que les autres (et ainsi : J e vais tre oblig de reconnatre que je ne suis pas un homme ). Chez la plupart des nvross, la colre est une mani- festation de contre-phobie. Cest une raction la peur. Une mre bat son enfant parce quil se jette devant une voiture en marche; la mre, terrifie, se met en colre. Dans la majorit des cas, la colre est le refus de la peur. Un homme ne montre pas sa peur (ce ne serait pas viril), il montre de la colre un trait de caractre plus masculin. Combien y a-t-il dhommes qui non seule- ment diraient quils ont peur, mais iraient jusqu la manifester ? Pour expliquer les origines de la contre-phobie nous allons prendre le cas dun enfant de cinq ans qui monte en courant lescalier pour aller retrouver son pre. Pa- pa, papa, o es-tu ? crie-t-il en arrivant la chambre de son pre. Il ouvre la porte et voit son pre en train de faire sa valise. J e men vais pour un certain temps , dit le pre, tu vas vivre seul avec ta mre. Lide de ne plus jamais revoir son pre peut tre catastrophique. Que va faire lenfant habit par un sentiment aussi ef- frayant ? Comme il na aucun endroit o sen librer, personne pour laider comprendre ce qui lui arrive, la peur est enfouie. Plus tard, pour se dbarrasser de la tension qui le ronge mais qui reste vague, engendre par la peur refoule, il crera artificiellement des situations dans lesquelles il a peur. Il sera torero, ou pilotera des voitures de courses toutes activits qui justifient une peur latente. Il aura enfin trouv quelque chose quoi il peut attribuer sa peur. Il voudra bien admettre quil a peur dans ces situations-l qui ne sont que les substituts de la situation relle, le fait quil naura jamais plus de pre. Un malade se souvient dtre tomb dans une piscine et davoir failli se noyer. En sortant, il fut contraint par son pre de retourner dans leau immdiatement pour conjurer sa peur; son pre lui imposait un comportement contre-phobique. La contre-phobie est un trait de caractre gnral. Agir contre un certain genre de sentiments signifie sou- vent agir contre diffrents genres de sentiments. La socit, elle non plus, nest pas pour rien dans le com- portement contre-phobique. On ne cesse de nous rpter tous les jours comment vaincre notre peur, surmonter nos frustrations, nous librer de nos insuffisances. Tout ce que nous avons faire, cest liminer nos sentiments. Mais ces sentiments constituent notre vie. On ne peut pas la fois vaincre la vie et la vivre. Finalement, cette formule peut mme tre prise dans sa signification litt- rale, car je crois que les personnes affliges de contre- phobies, ceux qui ont si profondment refoul leurs sentiments de la vie, arriveront finalement touffer la vie dune manire ou dune autre. La contre-phobie entretient la peur. Nier la peur signi- fie quon doit la combattre toute une vie, sous une forme symbolique. Le sujet qui a des phobies, reconnat au moins quil a peur. Cest une marche gravie sur le chemin de la gurison.
Les peurs de l'enfant
Les peurs de lenfant se produisent en gnral la nuit, quand il est seul dans son lit. Un enfant peut avoir le courage de sauter dun plongeoir trs lev et pourtant avoir une peur panique de lobscurit. Cest en partie parce qu ce moment-l, il est tout seul avec lui-mme. La peur que ressent lenfant est du mme genre que celle du patient que nous isolons dans une chambre dhtel au dbut de la thrapie primale : cest la peur du moi . Il arrive frquemment que lenfant nie sa peur en la projetant lextrieur et en prtendant quil a peur des voleurs. Il fixe son esprit sur des causes apparentes le bruissement dune feuille, le bruit dune porte de garage, une ombre sur le mur chaque bruit et chaque ombre sert justifier une peur latente. Il faut que les parents prennent soin de ne pas priver lenfant de ses peurs. Il est facile de dire : Il ny a pas de quoi avoir peur. Il ny a personne dans le placard. Ne sois pas un bb. J e ne te laisserai pas la lumire allu- me. Arrte ces stupidits. Par une telle attitude, on ne fait que refouler la peur dans linconscient et elle risque de se manifester par la suite sous forme dnursie ou dautres maux, dordre physique. Si les parents narrivent pas comprendre pourquoi leur enfant a peur, il vaut mieux le choyer de toutes les faons, plutt que de rprimer cette peur. Beaucoup dentre nous ont souffert de peurs noc- turnes durant lenfance et, pour la plupart, nous ne sommes jamais arrivs nous en dfaire. Nous avons toujours peur du croque-mitaine, mais au lieu de croire quil y en a un dans le placard, nous nous mettons redouter quelque vague conspiration de la part de tel ou tel groupe ou de telle ou telle nation. Lobjet de la peur apparente change, mais il est sans importance. Nous avons besoin dun croque-mitaine, sous quelque forme que ce soit, tant que nous ne sommes pas guris. Pour- quoi le fait dtre seul dans le noir fait-il natre une pareille peur ? Le sujet commence se rendre compte quil est proche du sommeil, et cela signifie que ses dfenses vont tre affaiblies et laisser passer tous les dmons qui ont t tenus lcart pendant la journe. Le fait de se sentir seul nest pas effrayant en soi. Mais le nvros qui fuit son moi ou sen dfend, a peur. Il doit allumer la radio et la tlvision pour ne pas se sentir seul. Etre seul signifie autre chose pour le nvros que pour lindividu normal. Etre seul , cest ressentir le manque de protection, de soutien et damour de la part des parents, et cest contre cela quil lui faut se dfendre. Les peurs de lenfant sont exacerbes, par exemple, quand les parents sortent pour la soire; cest dans ces moments-l que la peur de la mort peut surgir et tre associe au sommeil, car pour un jeune enfant, le fait dtre laiss sans protection peut signifier la mort.
Rcapitulation
Comme toute phobie a une signification symbolique, et par consquent entirement subjective, on ne peut lui attribuer une signification universelle. Deux sujets peu- vent avoir la mme phobie, pour des raisons totalement diffrentes. La peur du vide peut se fonder chez lun sur la crainte de sentir quil ne repose pas sur le sol (quil nest pas soutenu), tandis que chez lautre, elle est en relation avec la peur de sauter. On pourrait passer une vie entire tudier les diverses significations des pho- bies. Mais il faut se concentrer avant tout sur ce qui est rel la peur relle. Si lon parvient rendre la peur relle, on rend toute phobie superflue. En ce qui concerne la peur, lhypothse primale semble tre vrifie par le fait quune fois ressentie la peur relle, les phobies disparaissent pour ne jamais rapparatre sous quelque forme que ce soit. J e tiens souligner que ce nest pas en sattaquant au caractre irrationnel dun comportement prsent que lon peut y remdier; ni la logique ni les faits ne peuvent persuader le sujet dabandonner une conduite irrationnelle. Chez lindividu normal, les circonstances de la vie ne provo- quent pas de comportement irrationnel. Le fondement de la phobie (peur primale) est quelque chose de rel, c'est le contexte actuel qui rend la phobie irrationnelle. Il serait tentant de croire qu'il y a toujours moyen daider quelquun rsoudre son problme. Toute la thorie selon laquelle il faut aider les nvross en leur donnant des conseils et des brochures prsentant des faits (par exemple que la Mthdrine dtruit les tissus du foie...) me parat peu judicieuse. Linformation n'est pas sans valeur, mais la grande force qui contraint un comportement irrationnel est la force primale. Ce ne sont pas quelques petits faits dissmins ici et l qui peuvent faire obstacle au raz de mare primal. Il ne servira pas grand-chose de conseiller un homme dtre gentil avec sa femme et ses enfants, si le sujet en question a en lui des annes et des annes de fureur rprime qui attendent dtre lches et rsolues. Il ne faut pas oublier que nous navons pas affaire la peur ou la colre elles-mmes, nous avons affaire des gens qui ont peur. Lessence de la thrapie primale est daider les gens revivre les grandes peurs de leurs plus jeunes annes de sorte quils peuvent ressentir sans peur leur existence actuelle.
Kim
Le germe de ma nvrose remonte mes premires an- nes. Le thme qui revient perptuellement tout au long de ces annes est lincapacit de mes parents de me manifester leur amour autrement que par la distribution de cadeaux. J e ne me souviens pas dune seule fois o, enfant, jaurais t tenue dans les bras de mon pre ou de ma mre. Et malgr tout, je nai jamais pu admettre que mes parents ne maimaient pas. Au lieu de ressentir ou mme de considrer les implications et les cons- quences de ce manque damour, je me sentais laide et irrite. Mais comment est-ce que je sais que mes parents ne mont jamais aime et ne maimeront jamais ? Il ny a pas si longtemps, ma mre ma racont ( peu prs sur le ton sur lequel elle maurait racont une partie de baseball) comment cela stait pass lorsque mon pre mavait vue pour la premire fois, son retour de la Deuxime Guerre. Il avait dit ma mre de me rveiller, avait constat que je ressemblais nimporte quel autre bb et avait quitt la pice. Au dire de ma mre, je mtais alors mise pleurer pendant des heures. Evi- demment, je nai pas gard le souvenir de cette scne, mais ce que je sais, cest que pendant peu prs une anne aprs ce soir-l, je me livrais toutes les nuits au mme rite : je me mettais quatre pattes pour me co- gner la tte contre le montant de mon petit lit. J e crois que javais peur dtre abandonne. Par le bruit de ma tte contre mon lit, je voulais rappeler mon existence mes parents, qui dormaient dans la pice voisine. Autre chose qui rvle ce manque damour : mon pre ne cachait pas le moins du monde quil aurait voulu avoir un garon. Il taquinait ma mre parce quelle avait t incapable de faire un garon. J avais toujours les cheveux coups trs court; ds que je rentrais de lcole, il fallait que je mette des blue-jeans et un T-shirt. Plus tard, le dimanche, je buvais de la bire en regardant les matchs de football avec mon pre. Sil voulait un gar- on, je serais ce garon pour obtenir son amour. Enfin, il y eut un incident au cours duquel mon pre me dclara clairement quil ne pouvait pas maimer telle que jtais cest--dire que pour conqurir son amour, il me faudrait me transformer en quelquun dautre. A la suite dune discussion que javais eue avec lui au tlphone alors que jtais interne, mon pre mcrivit une lettre de conciliation dans laquelle il me disait de ne pas men faire au sujet de notre dsac- cord. Il me demandait de revenir passer lt la maison pour que nous puissions crer ensemble une nouvelle version de Kim qui soit acceptable pour tous deux, je prsume. Lamour qui mtait donn prenait la forme dinterdictions absurdes et dune discipline rigide que lon mimposait pour mon bien . Il fallait que je supplie pour quon maccorde ce que la plupart des autres enfants ont habituellement la permission de faire : passer la nuit chez des camarades, inviter une amie, veiller un peu au-del de lheure habituelle du coucher, etc. Au rveil, je me trouvais tous les matins avec une liste de dix choses faire avant de partir (je suis con- vaincue que ma mre prenait sur ses heures de sommeil pour arriver composer ces listes). A force dinterdits, je devins une enfant nerveuse et irritable, si je nobissais pas, je recevais une fesse quand jtais petite et lorsque je fus plus ge, ils se mirent me gifler ou minterdire de sortir pendant un mois. Ladministration de la sentence saccompagnait gnra- lement de force cris. J e me souviens que plusieurs fois mon pre entra dans ma chambre aprs la bataille, et me demanda pourquoi jtais si dsagrable et si malheu- reuse alors que javais tout ce que je pouvais souhaiter. Que me manquait-il donc ? J e ne pouvais jamais lui donner de rponse, sa question me laissait interdite. Il semblait en effet que javais tout. Il ne mest jamais venu lesprit de lui dire que ce que je dsirais relle- ment, ctait quil maime et quil me montre son amour. On aurait dit que javais cess de dsirer tout haut. Lui demander de maimer, ctait mexposer un refus. A ce moment-l, il maurait fallu admettre et ressentir quel point javais besoin de lui et combien je souffrais de ne pas lavoir. Au lieu de cela, jenfouissais ce besoin sous une colre solitaire assez imprcise mais violente. Mais aux questions de mon pre, je ne rpon- dais jamais rien. II faut signaler un dernier lment concernant mes premires annes, cest le ton gnral des rapports dans la famille. Il y avait toujours une dispute, et jy tais toujours implique. Il sagissait de dire la chose qui blesserait ladversaire (pour moi, ctait le plus souvent ma mre et ma sur) le plus profondment et en son point le plus vulnrable. Comme on sexerait conti- nuellement, cet art devenait presque un rflexe r- flexe que chacun dentre nous exerait contre les autres. Ce genre daltercations se terminait gnralement par un affrontement violent entre ma sur et moi ou une bonne gifle que je recevais de mon pre. J e me souviens dune dispute entre ma mre et moi lorsque javais douze ans et o ma mre dit mon pre : Bob, cest elle qui part, ou cest moi. J offris de partir. Comme ce genre de discussions ntait pas accidentel, jappris toujours me protger et adopter une attitude agressive ou sarcas- tique pour ne pas montrer quel point je souffrais et par consquent pour tre moins vulnrable lavenir. De plus, cette dfense agressive ou sarcastique me permet- tait souvent de ne pas ressentir du tout la souffrance sous-jacente. Le manque damour est le dnominateur commun de tout ce que je viens de dire un manque que je nai jamais pu ni admettre ni mme ressentir et quil me fallait dissimuler par de multiples dfenses. J appelle dfense le processus qui consiste se couper de tout sentiment par tous les moyens possibles pour viter de ressentir lnorme souffrance de navoir jamais t aime. Ce fait de couper nest pas une dcision consciente. Il semblerait plutt que ce soit un rflexe du corps qui veut protger son intgrit. Cela nous ramne au moment o je commenais me cogner la tte contre mon lit. A partir de cette poque (jusqu la thrapie), ma vie na t quun cycle toujours recommenc. Dans ce cycle de dfenses, la force agissante est le fait de ntre pas aime. Il ny avait pas eu de progrs; seul variait le degr de raffinement des dfenses que jadoptais pour couvrir mon dsir et mon besoin dtre aime. Une de ces dfenses qui faisait partie intgrante de moi-mme depuis lge de quatre ans, consiste con- tracter des maladies chroniques. Alors que javais quatre ans, mon pre me punit en me lanant comme un ballon de football sur la couchette suprieure de mon lit. J ai gard le souvenir vivant de ma peur quand il me lana en lair et quand je me sentis retomber, moiti sur le lit, moiti contre le mur. Peu de temps aprs, jeus une ruption, incomprhensible et rebelle tout traitement, dnormes furoncles. Ils apparaissaient sans raison apparente et cette affection dura deux ans. J e crois que cette infection comme tant dautres (acn depuis lge de dix ans, mycose aux pieds, infections vaginales) rsultait dune peur inexprime et qui ntait que partiellement ressentie. Le jour o je fus jete sur mon lit, je compris que sil le voulait, mon pre pouvait me blesser grivement et mme me tuer. Il fallait que je me transforme pour lui faire plaisir et apaiser par avance ses colres ventuelles. J e me souviens davoir jou des jeux dimagination avec ma sur. Nous voulions toujours tre toutes les deux le type (dans les jeux, nous tions toutes les deux toujours des hommes) qui est bless en voulant secourir les autres. Ctait le personnage qui obtenait amour et attention. Ce dsir dtre choye et aime pouvait tre manifeste symboliquement dans ces jeux, mais jamais exprim devant nos parents. Cela serait revenu courir le risque dun refus. Seulement quand jtais malade, mes parents sem- blaient sintresser moi de faon positive (par opposi- tion au fait de mimposer des restrictions pour mon bien ). Cela explique pourquoi je fus constamment malade durant ma premire anne luniversit, o jtais loin de mes parents. J e crois que jessayais de dire mes parents de faon indirecte que lavais encore besoin deux et que je voulais quils soccupent de moi Le fait que je devenais quelquun de trs froid tait une autre dfense. Do quelle me vnt, je repoussais toute chaleur comme quelque chose qui maffaiblissait ou me limitait. Pour moi, lamour ne reprsentait que des restrictions. De plus, si javais montr lamour que je portais mes parents ou, par extension, quelquun dautre, je serais devenue vulnrable leurs attaques. Et plus important encore : le fait daccepter laffection de quelquun naurait fait que me rappeler toutes ces an- nes o javais t prive daffection de la part de ceux dont je lattendais le plus. Il maurait fallu ressentir toute cette souffrance. Le fait davoir t rejete par mes parents et tout par- ticulirement par mon pre, eut de profondes rpercus- sions sur toutes mes relations avec les hommes. J usqu seize ans, je rivalisais avec les garons aussi bien sur le plan intellectuel que sur le plan physique. J e me tenais comme eux, parlais comme eux, et possdais leur habi- let athltique. Plus tard, je fis de tous les hommes le rservoir o jessayais de puiser lamour que je navais jamais obtenu de mon pre. Il sagissait ici dun dua- lisme esprit-corps. J e choisissais toujours des hommes grands, athltiques et muscls. Mais en mme temps ils devaient avoir un niveau intellectuel infrieur au mien. Il fallait que je sois en mesure de les dominer et de res- ter matre de nos relations. J e pouvais recevoir tout lamour physique qui mavait t refus sans tre men- talement engage. J e neus jamais prendre le risque dtre rejete comme je lavais t par mon pre. Le rsultat fut que jeus toute une srie damants passagers. A lpoque, je ne comprenais pas quelle force irrsis- tible me poussait coucher avec le premier venu, pour- vu quil ressemblt Monsieur Muscle. Cette faon de vivre trouva fin lorsquun ami avec qui javais par hasard tabli des relations un peu plus pro- fondes, me rejeta. J e meffondrai. A partir de ce mo- ment-l, les seuls hommes dans la compagnie desquels je me sentais laise, taient des pdrastes, des asexus ou de vieux amis. J e passais aussi de plus en plus de temps avec des lesbiennes. Bien que je naie jamais eu de comportement symbolique de lesbienne, javais sou- vent limpression que je ltais. (Pendant le premier mois de thrapie, jai mis une robe dans le seul but davoir lair plus fminine.) J eus la mme poque une infection vaginale qui mempcha de coucher avec qui que ce soit. J avais essay dtre un garon mais je navais pas russi obtenir lamour de mon pre. Puis je prtendis tre une femme, pour tre aime par nimporte qui. Et je finis par tre asexue. Lcole fut ma principale dfense contre le sentiment de ntre pas aime. Cette dfense tait troitement lie lespoir que je pourrais obliger mes parents maimer. A lcole, je russissais parfaitement : jobtenais les meilleures notes et toutes les distinctions. J esprais obtenir lapprobation de mes parents en leur prouvant que dautres mapprciaient. Leffort intellectuel me servait doublement : ctait le moyen par lequel jesprais paratre assez extraordinaire mes parents pour quils maiment; ctait aussi le moyen qui me permettait de tenir ma souffrance dis- tance. Enfant, ds que je me sentais malheureuse, je prenais le premier livre qui me tombait sous la main et je my plongeais. Il marrivait de ressentir ma souf- france et de pleurer quand il arrivait quelque chose de trs triste ou de trs heureux un personnage qui je pouvais midentifier. A luniversit, jtudiais avec avidit lhistoire de la civilisation europenne et plus particulirement celle de lAllemagne. Mes parents avaient toujours nourri une haine quelque peu aveugle mon avis contre lAllemagne. Laversion quils me tmoignaient me semblait galement dpour- vue de raison. J e cherchais dcouvrir o lAllemagne stait fourvoye; peut-tre arriverais-je ainsi com- prendre ce que javais fait pour perdre lamour de mes parents. LAllemagne, avec son dsordre et sa confusion lintrieur, avait toujours cherch tre puissante et influente au-del de ses frontires. Moi qui ntais que dsordre et souffrance non ressentie lintrieur, je cherchais toujours maffirmer devant qui voulait bien mcouter et prouver la vivacit de mon esprit. Au moment o je commenai mes tudes spcialises, javais perdu lillusion selon laquelle le succs scolaire me ferait gagner lamour de mes parents. En outre, les tudes mennuyaient et je ne mimposais plus la disci- pline ncessaire pour bien travailler. Il me fallut alors de nouvelles dfenses contre la souffrance qui montait en moi. J e les trouvai dans la drogue. J avais fum de la marijuana pendant quelques annes luniversit. J e dcouvris que, si malheureuse que je me sente, un peu dherbe , me permettait de me sentir mieux. J avais aussi plaisir prendre du L.S.D. En dehors des moments o une scne malheureuse de mon enfance surgissait sans avertissement, mes voyages taient agrables. J eus des hallucinations et un moment donn, je perdis compltement la notion de moi-mme. Perdre son moi, aprs tout, cest ne plus savoir qui lon est. J avais reni toute ma souffrance et cette perte du moi tait bien si- gnificative de mon tat. Maintenant que jai ressenti ma souffrance et que jai renonc la lutte pour obtenir lamour de mes parents, je nai plus ni hallucinations ni perte didentit. Quand je partis pour luniversit de New York, ni le L.S.D., ni lherbe ne suffisaient plus contenir ma souf- france lintrieur de moi. Il marrivait souvent dclater brusquement en sanglots. Il fallait trouver un moyen danantir la souffrance, dadoucir la solitude et le dsespoir que je ressentais New York. J e commen- ai prendre de la Bthdrine pour me remonter le moral et de lhrone pour arriver dormir. Mais mme ces drogues ne suffisaient pas. La dpression physique et mentale tait invitable. J e quittai New York et meffondrai compltement. Deux mois plus tard, jentrais en thrapie primale. J e le fis parce que toutes mes dfenses seffondraient et que je ntais plus matresse de moi. Mon esprit ne mtait plus daucune aide. J e ne comprenais pas pourquoi, alors que javais analys mon cas dune manire si ap- profondie, tout nallait pas bien. La thrapie primale mapprit que le sentiment de ntre pas aime de mes parents navait jamais t rsolu et que le cycle de d- pressions et de rtablissements, laide de substituts et de nouvelles dfenses pour dissimuler mon besoin, navait jamais pu tre interrompu parce que je fuyais ma souffrance au lieu de la ressentir. La premire tape de la thrapie consista faire cla- ter le peu quil me restait dun systme de dfenses qui smiettait dj. La seule absence de drogue et de ciga- rettes fit augmenter ma tension au point que je tremblais de tout mon corps. J avais vcu seule dans une grande ville o je ne connaissais personne, mais il me fallut lisolement quexigent les trois premires semaines de thrapie, pour que je me sente vraiment compltement seule. J avais toujours pens que jtais seule parce que je choisissais de ltre et que si je ne lavais pas dsir, je ne laurais pas t. Maintenant, il mapparaissait que javais t seule toute ma vie et que tout au long de ces annes, je navais souhait quune seule chose : faire partie de quelque chose (la famille) ou plus exactement de quelquun (mes parents). J e comprenais qu'aupara- vant, quand jtais seule, je pouvais toujours sentir quelquun qui me regardait agir et qui pntrait mes penses. Maintenant, je crois que cette prsence indfi- nissable tait lespoir de voir mes parents se soucier de moi. Maintenant, je sens et je sais que je suis totalement seule. Une fois mes dfenses les plus videntes dtruites, mon esprit fut submerg de rminiscences du pass. Toutes me rendaient triste mme les plus heureuses, parce quil y en avait si peu. J e commenais revivre des scnes de mon pass. J e me replaais dans le con- texte dune scne donne et jen refaisais lexprience cette fois-ci, sans mes dfenses en exprimant sans restriction tout ce que je ressentais. Au cours des premiers mois de thrapie, la plupart de mes primals taient axs sur le fait que javais froid. Ds que je mallongeais, je me mettais trembler de tout mon corps, je claquais des dents, javais les mains et les pieds qui devenaient bleus. J ai eu des primals qui duraient jusqu deux heures, durant lesquels je ne fai- sais que trembler. Au dbut, je considrais le froid que je ressentais comme provoqu par un phnomne ext- rieur : le temps, quelquun ou quelque chose de dsa- grable mavait donn froid. Puis je compris que le froid (la nvrose) tait en moi non pas seulement la surface de ma peau, mais lintrieur de mon corps tout entier. Il fallait dtruire ces couches de glace nvro- tiques qui recouvraient la souffrance provoque par le fait que mes parents ne maimaient pas, avant de pou- voir revivre les expriences douloureuses quelles ca- chaient. Quand le tremblement avait peu prs cess, je me trouvais absolument sans dfense. Souvent, quand je voyais mes parents, je pleurais au moindre signe de dsapprobation de leur part. Un soir, jallai voir La Mouette de Tchkov. Pendant la scne o le fils supplie sa mre de ne pas le quitter, je sentis une vague de sen- timents violents monter de mes entrailles. Sachant que je ne pouvais faire un primal au thtre, jessayai de chasser ce sentiment; je mvanouis et dus tre vacue. Une fois que des souffrances si profondment en- fouies se librent, il est impossible de les arrter. Si lon interdit ces sentiments de faire surface, on aboutit souvent la confusion la plus complte. Chez moi, cela se manifeste souvent par des discours incohrents et par une sorte daphasie. Un soir, je parlais avec cinq membres de mon groupe thrapeutique. J e ne compre- nais absolument rien de ce qui se disait. J e discernais des mots isols, mais organiss en phrases, je ne leur trouvais aucun sens. J e pouvais peine parler. J avais limpression de ntre pas entirement prsente; une partie de mon esprit tait ailleurs. Ce que jessayais de dire navait pas de sens. La confusion rsultant de labsence de communication me coupait de tous ceux qui taient dans la pice : ctait le symbole de ma soli- tude. Ds que jen pris conscience, je fis un primal au cours duquel je suppliai mes parents de ne pas me lais- ser toute seule. La confusion se dissipa. Une autre fois, la confusion provoque par mon refus de laisser sortir un sentiment qui surgissait, me fit brus- quement perdre toute orientation spatiale. Mon ami tait en colre contre moi et, bien que nous ayons des invits, il tint le manifester. J e commenais sentir que jallais bientt tre compltement rejete. J allais me retrouver toute seule. J e coupai court ce sentiment et essayai de jouer la parfaite matresse de maison. Puis je me retournai et allai donner droit contre le mur de ma propre cuisine. J eus une norme bosse sur le front pen- dant un bon moment. Ds que je laissai le sentiment dtre rejete par mon ami clater au grand jour, et que je le mis en relation avec la souffrance bien plus grande dtre rejete par mon pre, je retrouvai un discours cohrent et la coordination de mes mouvements. Lors- que la rupture dfinitive arriva, ce fut relativement sans douleur puisque j'tais rejete seulement par un ami et non par mon pre. La grande perce est survenue au bout de cinq mois de thrapie. J e participais une sance de groupe et je sentis tout coup que mes yeux naccommodaient plus et je crus que jallais mvanouir. J avais souvent cette impression avec un primal violent. Ensuite, je me re- trouvai allonge sur le divan, criant plus fort que je ne lavais jamais fait. Au dbut, ctaient juste des cris, puis : Papa, maman, emmenez-moi la maison, sil vous plat; je voudrais retourner la maison, sil vous plat. Papa, maman, je vous aime. Puis ce furent des cris encore plus forts. Pendant ce temps-l je navais pas conscience de mon corps. Tout mon tre tait concentr dans cette voix qui criait. J e devenais ma souffrance. J e disais ce que, pour aussi loin que remontent mes souve- nirs, javais toujours eu envie de dire. J e navais jamais pu le dire mes parents de peur quils repoussent ouver- tement mon amour et ma personne. Mais maintenant que je navais plus de dfenses, les mots jaillissaient simplement de ma bouche. Pour la premire fois de ma vie, jtais entirement sans dfenses, entirement d- pourvue de contrle. Ce fut le tournant dcisif de ma thrapie. Au cours des trois mois suivants, je suppliais mes pa- rents dans tous mes primals de ne pas me faire souffrir. J e leur avais dit que je les aimais, jtais sans d- fenses et par consquent entirement vulnrable ma souffrance. Au cours dun primal, je hurlai de toutes mes forces : Papa, arrte de me faire mal ! A mentendre, on aurait cru quon massassinait. J avais certainement limpression que ctait exactement cela. Et au fait, ctait bien vrai. J avais effectivement tu mon moi rel pour devenir une personne irrelle, dabord, pour me donner une chance de gagner lamour de mes parents, plus tard, pour dissimuler la souffrance de navoir jamais reu lamour que je dsirais et dont javais si terriblement besoin. Plusieurs fois par jour, je sentais la souffrance monter en moi par vagues puis- santes. Souvent, il me fallait quitter ma classe parce que jtais au bord des larmes. Toutes les nuits, je rvais des scnes o mes parents me repoussaient et allaient mme jusqu me har. Tous les matins au rveil, javais en- core des sanglots dans la gorge. J avais beaucoup de mal sortir du lit et cest tout juste si jarrivais donner mes cours pendant la semaine. On aurait dit que je ne pourrais jamais assurer mon travail sous lemprise de ces vagues de souffrance dont je croyais quelles dure- raient tout jamais. Il y a maintenant neuf mois que je suis en thrapie primale. J e ne suis plus la mme plus exactement, je suis enfin moi-mme, avec ma propre personnalit. Mes troubles psychosomatiques commencent disparatre. Ma circulation sest amliore, jai moins froid aux pieds et aux mains et jen ai fini avec la tension dont je pensais devoir maccommoder pour le restant de mes jours. Bien que jaie eu, une certaine poque, une vie sexuelle intense, javais t frigide avant, pendant et aprs cette priode. J e navais jamais pu me permettre de ressentir quoi que ce soit, pas mme le plaisir sexuel. Si javais ressenti quelque chose, il maurait fallu res- sentir toute la souffrance qui tait refoule en moi. Maintenant, je constate que, quand jessaie de retarder lmergence dun sentiment ou de ltouffer dune faon quelconque, ma frigidit rapparat. Quand je regarde en face le sentiment qui surgit cest--dire quand je sens mon moi je ne suis plus frigide. J e nai plus besoin de drogues pour me garder aussi loin que possible du fait que je suis seule (que je l'ai toujours t) et quil ny a personne qui maime ou qui se proccupe de moi. J e ne peux pas la fois sentir et prendre de la drogue. J ai appris quil me fallait ressen- tir ma souffrance (au lieu de ltouffer sous des drogues) pour en tre tout jamais dbarrasse. Du jour o jai su faire face ma souffrance au lieu de la fuir, la drogue ne ma plus servi rien. Par consquent, jai cess den prendre. J e sens et je comprends que mes parents ne mont pas aime et ne maimeront jamais telle que je suis. J ai choisi dtre moi-mme au lieu dessayer (consciemment ou inconsciemment) de devi- ner ce quils dsirent en change de leur amour. J e suis libre.
Le suicide
La tentative de suicide survient, selon moi, quand tous les moyens par lesquels lindividu a essay de suppri- mer la souffrance, se sont avrs vains. Quand la n- vrose ne suffit pas apaiser la souffrance, le malade peut tre contraint davoir recours des mesures plus radicales. Si paradoxal que cela paraisse, le suicide est le dernier refuge de lespoir pour le nvros qui est dtermin tre irrel jusquau bout. J ai eu en thrapie primale une jeune femme de vingt- neuf ans qui avait fait une tentative de suicide plusieurs mois avant dentrer en traitement. Son amant lavait quitte pour une autre femme. Elle lavait suppli, adju- r et finalement menac, le tout sans rsultat. Elle tait alors rentre chez elle, avait fait le mnage, pris une douche, mis une chemise de nuit propre et pris quatre- vingt-dix comprims de somnifres. Elle les avait comp- ts mthodiquement six par six, se sentant totalement trangre ce quelle tait en train de faire. Elle disait : J e me sentais trangement dtache de tout cela comme si ce ntait pas moi que cela arrivait. Ce nest que quand je sentis ma respiration se ralentir que je pris peur, que jappelai mon ami et lui demandai de faire venir un mdecin. Quand son amant lavait quitte, cette femme avait eu le sentiment de ntre pas aime. Alors quelle stait peut-tre persuade quelle voulait se tuer cause de ce qui venait juste de lui arriver, il semble que la souf- france prsente ait raviv le sentiment de ntre pas aime, sentiment quelle avait depuis des annes. Quand il lavait quitte, disait-elle, elle avait retrouv limpression de vide quelle avait ressentie quand elle tait enfant. Rejete par ses parents, elle avait fini par se sentir laide et indigne dtre aime; elle tait persuade davoir de graves dfauts pour quon la nglige de la sorte. Elle se servait de son amant pour dissimuler ce pnible sentiment. Mais quand il la quitta, il voyait quil tait impossible de combler le vide quavait cr le fait davoir t rejete toute sa vie elle fut force de retrouver ces sentiments de dsespoir et de rejet. Elle avait essay de se tuer, avant dprouver le plein impact de ces sentiments. Le dtachement que rapporte souvent ceux qui ont tent de se suicider, confirme lhypothse primale selon laquelle le suicide est un acte dissoci du moi, dont le but est rarement la destruction irrmdiable du sujet. Cest une tentative de prserver le moi en effaant la souffrance que la nvrose ne peut plus cacher. Cette malade navait jamais pens quelle allait mourir; je nen veux pour preuve que son appel laide ds quelle sentit que la mort tait imminente. Il est vident que le nvros tente de se tuer symboliquement de mme que tout ce quil fait, est symbolique. Certains sont prts aller jusquau bout afin de conserver la nvrose intacte. Comme me la dit un malade : Le suicide nest pas tellement irrationnel si lon pense que toute nvrose est une lutte pour garder ce que lon ne dsire pas. La nvrose est un suicide psychologique. Celui qui a donn sa vie en partie ou entirement (ses sentiments) pour tre aim de ses parents, na pas un grand pas de plus faire pour se tuer au sens littral du terme. Quand la nvrose choue, le sujet envisage le suicide. Beaucoup de nvross semblent prfrer la mort la vie quils mnent. J e ne crois pas que ce soit rellement un besoin urgent de mourir qui provoque le suicide, je crois que cest plutt le sentiment de ne savoir quel autre moyen trouver pour allger la souffrance. Le sujet ne sait plus quelle lutte mener. Il lui faut soit trouver une nouvelle lutte, qui lui apporte un soulagement pro- visoire, soit mettre fin toute lutte, en thrapie primale. Il ne faut pas oublier que la nvrose sauve et tue la fois. Elle empche le moi rel de se dsintgrer davan- tage, mais, ce faisant, elle lenterre. Lenfant grandit alors en se raccrochant un moi irrel qui, paradoxale- ment, lui arrache la vie. Pour mieux comprendre, il suffit denvisager ce ph- nomne comme une progression. Lenfant essaie dabord dtre aim tel quil est. Sil choue, il essaie de se faire aimer en tant quelquun dautre. Mais, quand cet autre (le moi irrel) ne reoit rien de ce qui pourrait ressembler de lamour, il y a deux possibilits. Si le sujet est jeune, ce peut tre la psychose. Sil est plus g, ce peut tre le suicide. Le suicide reprsente lespoir. Cest un comportement symbolique destin supprimer le sentiment de dses- poir qui surgit. Cest trs souvent une tentative dsesp- re dviter le sentiment atroce que personne sur cette terre ne se soucie vraiment de vous. Au moment mme o, par son acte, le sujet est en train de dire je re- nonce , il dit aussi : J e vous forcerai vous soucier de moi, mme si cest mon dernier acte de dsespoir. Il arrive que la tentative produise leffet dsir. Les gens commencent donner des coups de tlphone, la famille propose son aide, tout le monde semble regretter de navoir pas compris quel degr de dsespoir le sujet tait parvenu. Mais quand les visites des amis cessent, quand la famille repart, le candidat au suicide se re- trouve seul avec un moi quil prfre dtruire plutt que de ressentir. En gnral, la tentative de suicide est lacte dun indi- vidu qui a vcu lextrieur de lui-mme et travers les autres (parce quil lui a t interdit de vivre lintrieur de ses propres dsirs et sentiments). Ils sont devenus le sens de sa vie et sil les perd, sa vie na plus de sens. Les individus qui sont ports au suicide ont souvent mis le centre de leur vie lextrieur deux-mmes. Ils sont forts dans la mesure o les autres les soutiennent et ne font bonne figure que dans la mesure o lapprobation des autres le leur permet. Un jeune homme qui suivait la thrapie primale, rap- portait lagitation croissante de sa mre, avec laquelle il vivait. Plus son propre tat samliorait, plus elle tait dprime. Ce patient avait consacr la plus grande partie de sa vie sa mre qui tait gnralement trop malade pour faire grand-chose et qui souffrait toujours plus ou moins vaguement de quelque maladie. Au fur et me- sure quil gagnait son indpendance, elle senfonait dans le dsespoir. Il projetait de quitter la maison pour aller vivre de son ct. A ce moment-l, sa mre essaya de lacheter en lui offrant une nouvelle voiture, puis elle le supplia, le menaa et tomba malade. Tous les moyens ayant chou, elle fit une vague tentative de suicide avec des somnifres; mais elle appela une amie la minute mme o elle les prenait, de sorte quelle ne courut pas de vritable danger. La mre de ce malade ne concevait pas quelle devait prendre sa propre vie en charge. Elle tait spare de son mari depuis de longues annes et essayait de faire de son fils un second mari. Ds les premires annes de mariage, elle avait manipul tout le monde de faon pouvoir adopter le comportement symbolique dun enfant incapable dindpendance exactement ce que sa propre mre avait fait son gard. A cinquante ans, elle essayait encore dtre le bb quon ne lui avait jamais permis dtre. Elle tait prte se suicider pour continuer jouer ce rle. Cest le bb en elle qui sen- tait videmment quil ne pouvait plus vivre sans per- sonne sur qui sappuyer. Il y a, bien sr, des tentatives de suicide srieuses qui russissent. Dans ces cas-l, il se peut que le sujet souffre dune perturbation mentale si grave quil ne peut plus distinguer le rel de lirrel. Mais, mme ce stade-l, au plus profond de son esprit malade, le sujet peut encore nourrir lespoir que sa mort les forcera finalement comprendre et sentir. Si lon examine de prs la haine de soi et les tenta- tives dauto-destruction qui en rsultent, on saperoit que cest en vrit le moi irrel qui est ha. Le suicide tant en grande partie un acte irrel, il faut supposer quil est commis par le moi irrel. Il semble que la ques- tion du suicide se pose quand ni le moi rel ni le moi irrel ne sont aims. A mon avis, il faut aider le sujet qui est sur le point de tenter un suicide ressentir le moi quil veut dtruire, ressentir dans toute sa force la formule si personne ne maime, je veux mourir . Une fois quil sent que le moi non aim ne menace pas rel- lement la suite de son existence, il y a toutes chances pour quil nait plus envie de le dtruire. En gnral, on ne fait quaider le candidat au suicide, avant ou aprs sa tentative, dissimuler le sentiment mme quil tait sur le point de ressentir. Il arrive quil atterrisse dans une Crisis clinic o lon fait tout ce que lon peut pour raccommoder les choses, rassurer les malades et leur permettre de poursuivre leurs activits. Souvent on prescrit des drogues pour soulager le pa- tient, ce qui lloigne encore plus de ses sentiments. Pourtant, ce sont ces sentiments qui doivent tre ressen- tis pour que le comportement irrationnel du moi irrel puisse tre limin. Selon moi, le danger vient du moi irrel, du moi qui dtermine le djouement et qui semble tre renforc par la mthode pratique dans ces cli- niques. J e pense que tant que le sujet est soutenu par un thrapeute, les risques de suicide sont minimes. Mais quand le patient quitte son thrapeute, quest-ce qui peut faire croire quil nest plus hant par lauto-destruction et prt au suicide ? Sil na pas senti la torture du petit enfant non aim et dsespr quil y a en lui, il le tuera peut-tre sans le vouloir. Dans les Crisis clinics , on sapplique renforcer temporairement les mthodes qu'emploie le dsespr pour arriver vivre, sil ne peut pas y parvenir de la faon habituelle. Mais nest-ce pas justement cette faon habituelle quil faut supprimer au lieu de la consolider ? Renforcer un systme de dfenses, cest mon avis faire uvre de dshumanisation, car cela re- vient couper le malade de ses sentiments les plus pro- fonds. Il y a naturellement des considrations pratiques : on avancera quon na pas le temps de faire ce que les Crisis Clinics ralisent rapidement. Mais que dire si le sujet ne veut pas changer radicalement ? A mon avis, chaque individu a le droit dtre irrel, mais il devrait au moins tre inform que lon peut vivre autrement que de tentative de suicide en tentative de suicide. Il faut aussi envisager sur le plan social le problme que constitue un individu suicidaire qui se promne en toute libert dans la rue. Derrire un volant, il peut, dans son dsir den finir, provoquer dautres morts que la sienne. Il est probable quun individu qui fait peu de cas de sa propre vie, naccorde pas grande valeur celle dautrui. A ce propos, il peut tre intressant de mentionner que les malades qui ont suivi la thrapie primale, nenvisagent pas le suicide. Ils apprennent connatre leur valeur et ne pensent mme pas prendre de risques avec leur vie. Ils apprennent que le moi rel est un bon moi et quil ny a pas de raison de lui porter atteinte. Il peut paratre absurde de dire que le but du suicide est la vie, mais tout ce que jai pu observer sur les tenta- tives de suicide, rend toute autre conclusion difficile. Il y a bien entendu des exceptions, comme le malade chronique mais en gnral, la tentative de suicide nest quune prire nvrotique de plus pour tre aim. En ce sens, tenter de mourir est crier pour demander vivre.
CHAPITRE 19
DROGUES ET DEPENDANCES
Dithylamide de lacide lysergique (L.S.D.-25)
Pour beaucoup de jeunes gens, le L.S.D. (appel aussi acide) est devenu un mode de vie. Ses effets semblent si profonds et cependant si mystiques que cest devenu un vritable culte, une Weltanschauung . Ses adeptes chroniques lappellent le grand voyage travers lespace intrieur , tandis que dautres parlent de voyage au cur de la ralit . J e crois que le L.S.D. est un voyage vers la ralit, dans la mesure o il stimule dintenses sentiments rels. Mais le nvros fait de cette ralit ce quil fait de la ralit en gnral : il la transforme en quelque chose de symbolique. On ne peut gure mettre en doute que le L.S.D. sti- mule les sentiments; on en a la preuve clinique. On a rcemment donn du L.S.D. des singes, qui furent ensuite tus et autopsis. On constata que le L.S.D. stait surtout concentr dans les rgions crbrales dont on sait quelles sont le sige de la sensibilit. Lusage du L.S.D. pose un problme : il rend artifi- ciellement lindividu rceptif plus de ralit que son systme nvrotique nen peut supporter et cela fait natre en lui un cauchemar diurne : une psychose. La raison dtre du systme de dfenses est de maintenir lintgrit de lorganisme. Le L.S.D. dtruit le systme de dfenses et cela a de si graves consquences que les drogus au L.S.D. remplissent les hpitaux psychia- triques un peu partout. En gnral, quand leffet de la drogue sattnue, le sujet rcupre son systme nvro- tique de dfenses. Mais, dans certains cas o ce dernier tait faible lorigine, ce nest pas possible. Cest la puissance du systme de dfenses et la quan- tit de L.S.D. que le sujet a prise, qui dterminent en grande partie ses ractions. Il peut arriver, et il arrive effectivement, quun individu ayant un systme de d- fenses renforc, nait pas la moindre raction la drogue. En revanche, la suppression artificielle dun systme de dfenses faible chez un sujet qui a un im- mense rservoir de souffrances primales provoquera une stimulation dune intensit accablante. Si le L.S.D. a t qualifi de drogue qui largit la conscience (psychdlique), cest en raison de la fuite symbolique. La stimulation des sentiments provoque un jaillissement didation symbolique et cest ce que lon prend souvent pour un largissement de la conscience. Ce quil faut comprendre, cest que cette exaltation est un moyen de dfense. Le psychotique maniaque, dans sa fuite devant les sentiments, offre un excellent exemple de la modification de la conscience avec son dborde- ment dides. Les maniaques que jai soigns et dont certains possdaient des dons intellectuels brillants, ont parfois crit durant leur priode dexcitation des pages et des pages. J en ai connu un qui a crit lquivalent dun livre en lespace de trois ou quatre semaines. La psychose se distingue de la nvrose par le degr et la complexit de la symbolisation. Dans la symbolisa- tion du nvros, la ralit tient encore une grande place. Dans la psychose, ce contact avec la ralit peut tre perdu; le sujet est entirement pris dans son symbolisme et est incapable de faire la distinction entre le symbole (voix dans les murs, par exemple), et la ralit. Le pro- cessus de dtrioration se poursuivant, le sujet en arrive ne plus savoir qui il est, ni o il en est, ni en quelle anne il vit. Les effets du L.S.D. semblent confirmer lune des principales hypothses primales : savoir que la n- vrose commence par nous loigner de la ralit de nos sentiments et que si ces sentiments taient pleinement ressentis tt dans la vie, ils pourraient conduire la folie. Stimuler brusquement et artificiellement tous les anciens sentiments primals par lusage dune drogue, revient crer les mmes conditions qui conduisent la folie. Dans les premires annes de recherches sur le L.S.D. on en parlait comme dun agent psychomimtique. On sen servait pour ltude de la psychose. Au dbut, on ne se faisait pas trop de souci; puisque la drogue tait cen- se produire la psychose, cette dernire devait dispa- ratre avec la suppression de la drogue. Mais lenthousiasme diminua quand on constata que, dans certains cas, la psychose subsistait mme aprs la sup- pression de la drogue. Par consquent, le L.S.D. fut interdit aussi bien dans la plupart des domaines de la recherche que pour lusage gnral. J e crois que le L.S.D. ne produit pas seulement un semblant de psychose, mais dclenche une folie relle, mme si celle-ci nest souvent que passagre. Par ail- leurs, je ne crois pas que la drogue ait la proprit in- trinsque de provoquer des ractions bizarres, sauf dans la mesure o elle stimule plus de sentiments que le sujet nen peut assimiler. Il y a quelques mois, une jeune femme ma t en- voye en thrapie primale; elle avait vingt et un ans et avait t diagnostique dans un hpital psychiatrique comme schizophrne aprs absorption de L.S.D. . Elle avait pris une dose considrable de L.S.D. aprs avoir fum plusieurs cigarettes de marijuana. Au cours du voyage provoqu par le L.S.D., elle tait entre dans un tat de panique. Quand leffet de la drogue sattnua, elle constata quelle tait comme envo- te . A certains moments, elle avait limpression quon la soulevait de sa chaise et quon lemmenait; dautres, elle fixait dsesprment une ampoule lectrique ou une lampe, sans jamais tre sre que ce quelle voyait tait vraiment l. Elle fut envoye en observation dans un hpital neu- ro-psychiatrique, mise sous tranquillisants et renvoye chez elle au bout dune semaine. Ces accs dirralit persistrent cependant et, au bout de quelques semaines, elle entra en traitement chez moi. J e provoquai imm- diatement un primal, o elle commena sans incitation ni directives revivre lexprience de son voyage au L.S.D. Elle dit : Tout sent la merde. Il y a de la merde sur les murs. Mon Dieu, il y en a partout. J en ai sur moi et je ne peux pas lenlever. (A ce moment-l, elle essaya de se brosser, mais je la poussai sentir ce que ctait.) Oh... je deviens folle. Qui suis-je ? qui suis- je ? (J e la forai garder ce sentiment : Restez-en l, ressentez-le. ) Ah... cest moi, je suis de la merde, de la merde ! A ce moment-l, elle se mit pleurer et donna libre cours toute une srie dinsights en disant quel point elle stait toujours sentie un tas de merde (sans jamais le reconnatre). Elle parla de sa famille, une famille tombe dans le besoin, qui se composait dun pre qui buvait et dune mre maltraite quil battait. Elle disait quel point elle se sentait de la racaille . Elle n'avait jamais essay de ragir tant elle se sentait comme un tas de merde indigne de recevoir quoi que ce soit de qui que ce soit . Elle avait recouvert ses sentiments et ses origines dun vernis de culture pseudo- intellectuelle que le L.S.D. avait videmment fait sauter. Au moment o elle allait ressentir la ralit je suis un tas de merde elle avait dcroch (pour fuir ses sentiments) et elle avait eu des hallucinations et vu de la merde sur le mur. Elle avait rendu irrelle la ralit qui montait en elle, afin de survivre. Un autre cas de psychose ne provenait absolument pas de la drogue. Il sagissait dune malade qui, lge de sept ans, la suite du divorce de ses parents, avait t envoye dans un internat. Son pre partait dans une autre ville et sa mre devait travailler. On avait promis la petite fille que sa mre viendrait souvent la voir. Elle ne le fit pas. Ses visites sespacrent et parfois, elle arrivait sole, parfois avec un amant, et elle finit par ne plus venir du tout. Au dbut, elle crivait pour expliquer pourquoi elle ne pouvait pas venir, mais, trs vite, il ny eut plus aucune lettre. La fillette commena ressentir la ralit de son abandon. Elle se mit fuir tout contact social et pour touffer son sentiment dabandon, elle inventa un compagnon imaginaire qui tait toujours avec elle. Avec le temps, ce compagnon se mit lui parler et lui dire des choses tranges. Il lui disait quil y avait des gens qui lui taient hostiles et qui cher- chaient lisoler de tout le monde. Peu peu, elle senfona dans une psychose pour se protger dune ralit accablante. Dans les deux cas que je viens de citer, cest la ralit qui, mon avis, crait lirralit : ces deux malades avaient sombr dans la folie pour viter de rester saines desprit et de reconnatre la vrit. Autrement dit, pour ne pas avoir saisir la vrit entire, elles clataient en morceaux. Confront cette vrit lors de la scne primale, le sujet cre un systme de rechange qui laide dissimu- ler la ralit. Ce systme a pour mission de fragmenter la vrit et de la symboliser ensuite, ce qui permet lenfant nvrotique de djouer ses sentiments sans en prendre conscience. Le sujet commence jouer un rle. Mais si la ralit reprend le dessus, soit parce quun vnement est accablant, soit parce quune drogue comme le L.S.D. ne permet pas au sujet de jouer son rle, la psychose se profile. Le L.S.D. ne laisse gure au sujet la possibilit de se livrer son djouement habi- tuel. Il lui est par exemple impossible deffectuer des travaux dcriture : les sentiments sont trop violents et trop immdiats. Ils doivent tre symboliss mentalement (par des illusions bizarres) ou physiquement (par des troubles qui peuvent aller de lincapacit de lever un bras labsence complte de coordination). Dans le cas de troubles physiques bizarres, on peut dire que le sujet a transpos sa psychose sur le plan physique . Cela revient dire quil sagit du mme clivage interne ou de la mme dissociation que dans la psychose. Une ancienne psychotique ma parl de ce clivage de la faon suivante : Ctait terrifiant de sentir ce corps devenir le mien de voir mon moi de petite fille qui essayait de comprendre le mouvement de ses pieds et de ses jambes. Mon corps avait toujours agi de faon ind- pendante comme quelque chose qui navait rien voir avec moi. Peut-tre que si le schizophrne est si souvent obsd par son corps, cest parce quil lui est profond- ment tranger. Peut-tre faut-il que le corps soit relle- ment spar de la conscience pour chapper la souf- france. La dformation secrte de la signification de ce qui se passe autour de nous est, je suppose, ce processus automatique qui provoque une sparation si profonde entre le corps et les sentiments. Un autre exemple de transposition physique des sen- timents est fourni par un malade qui avait pris du L.S.D. dix reprises au cours de lanne qui avait prcd son entre en thrapie. Entre autres choses, il ressentait au cours de chaque voyage un bourdonnement persis- tant lintrieur de sa bouche. Cette sensation se pro- duisait galement au cours de ses primals, et il com- mena sucer son pouce sans raison apparente. Le bourdonnement persista cependant jusqu ce quil comprt que ce ntait pas son pouce mais le sein de sa mre quil dsirait sucer. Une fois ce sentiment ressenti, le bourdonnement cessa. Cet homme avait t sevr brutalement dans les pre- miers mois de sa vie parce que sa mre suivait la lettre les conseils dun manuel de puriculture. Il avait beau fumer deux paquets de cigarettes par jour et tirer vigou- reusement sur sa cigarette, il eut des difficults croire quil souffrait encore du besoin ancien de sucer le sein de sa mre. Cependant, daussi loin quil sen sou- vienne, il avait toujours eu une sensation bizarre dans la bouche. Il avait si bien cach ses sentiments quil nen avait approch que sous leffet dune drogue puissante; et mme ce moment-l, il narrivait pas atteindre compltement le sentiment. Mais la preuve est faite : le processus de symbolisation sinstaure pour protger lorganisme lorsque les sentiments sont extrmement douloureux. J ai eu en thrapie primale une vingtaine de patients qui avaient pris du L.S.D. avant de commencer le trai- tement, certains en avaient pris plusieurs fois. Quand la thrapie primale en tait ses dbuts, plusieurs patients prenaient, mon insu, du L.S.D. pendant le traitement. Ils mont dit plus tard quils croyaient que le L.S.D. acclrerait leur thrapie. (Comme je lai dj indiqu, toutes les drogues, et mme laspirine, sont proscrites pendant le traitement; en outre, on donne maintenant au patient des instructions crites pour tre sr que ce qui a pu se produire avec le L.S.D., avant que nous fassions preuve de vigilance, ne se reproduise plus.) Nanmoins, lexprience quont faite environ sept patients en pre- nant du L.S.D. durant le traitement a t prcieuse puisquelle a permis de mieux comprendre les ractions psychologiques produites par le L.S.D. Ces malades, qui avaient des souffrances trs anciennes, taient assaillis directement par les sentiments qui leur restaient et sa- vaient immdiatement tablir la connexion avec leur origine. Les sentiments ntaient nullement symboliss; ils surgissaient et taient ressentis successivement. Dans certains cas, ces souffrances continuaient pendant deux ou trois heures, par libre association dides. Deux malades qui avaient pris du L.S.D. au bout du troisime et du quatrime mois de thrapie eurent piso- diquement des ractions symboliques. Le premier com- mena avoir des hallucinations; il voyait sur la boise- rie des murs des gens qui se faisaient des choses bi- zarres. Intrigu par cette pice joue sur le mur, il com- prit tout coup : J e me crais un spectacle extrieur afin de ntre pas contraint de ressentir ce qui se passait en moi. Cette exhibition contenait en effet beaucoup de mes propres sentiments, en particulier de la colre. J e crois que jessayais de me convaincre que toutes ces luttes mtaient extrieures et navaient rien voir avec moi. Il ajoutait : Ds que je compris que ces senti- ments taient les miens, je me laissai aller pour les res- sentir jusquau bout, et mon petit thtre sur le mur disparut. Il est vraisemblable cependant quavant la thrapie primale, il serait rest dans ses hallucinations pendant des jours et des semaines, jusqu ce que tous les effets de la drogue aient disparu. Quoi quil en soit, le symbolisme fut de courte dure et conduisit le malade ses sentiments parce quil ny avait pas de systme de dfenses solide susceptible de maintenir le processus de dissociation. Lautre malade avait pris du L.S.D. au cours du qua- trime mois de thrapie. Il simaginait que les gens se montraient particulirement durs a son gard, que per- sonne dans la pice ntait gentil et que tout le monde voulait le faire souffrir pour une raison ou pour une autre. Il sentit ses mains enfler et devenir molles, puis, il eut un sentiment qui lui fit dire : Sois tendre avec moi, papa. Lenflure et la mollesse de ses mains disparurent en mme temps que lillusion que les gens conspiraient pour se montrer cruels envers lui. Il est douteux quil et pu tablir cette connexion simple, sil y avait eu encore en lui beaucoup de souffrance bloquant ses sen- timents. Des sept patients qui avaient pris du L.S.D. aprs plu- sieurs mois de thrapie, la plupart en avaient fait usage auparavant : il nest pas surprenant quils aient tous dit avoir fait des voyages symboliques avant le traite- ment. Lun dentre eux rapportait quau cours dun prcdent voyage , ses mains staient trouves para- lyses, tandis quun autre stait pendant des heures roul par terre, en proie des terribles crampes destomac. Un troisime avait vu des vers sortir de ses pieds et de son nez, et un quatrime avait vu son sque- lette en se regardant dans une glace. Rtrospectivement, ils taient tonns de constater quel point le corps semble symboliser automatiquement la souffrance. Dans chacun de ces cas le symbole correspondait un senti- ment spcifique non ressenti. Celui qui voyait des vers rvlait quel point il se sentait sale, visqueux et laid; au cours du primal, il revcut ces sentiments dans le contexte qui les avait produits. Celui qui avait eu les mains paralyses, ressentit plus tard son impuissance profonde et son immobilit et comprit ce qui les provo- quait. Celui qui avait eu des crampes destomac (encore une souffrance symbolique) sentit quil tait en train daccoucher sous leffet du L.S.D. Mais mme ce sen- timent prouv sous leffet de la drogue, ne suffit pas supprimer ses crampes; je crois que la souffrance ne cesse pas avant dtre ressentie en tant que souffrance primale. Les malades qui approchaient de la fin du traitement, ntaient pratiquement pas affects par la drogue. Ils ne constataient que des modifications mineures de leurs facults perceptives et sensitives. Ils navaient pas dillusions, pas dhallucinations et pas de sentiment de perte didentit. Leurs voyages ntaient ni mys- tiques ni merveilleux seuls des sentiments rels sur- gissaient. Ces observations ont une importance consid- rable car elles viennent confirmer l'hypothse primale concernant la maladie mentale et la souffrance primale. En labsence de souffrance primale grave, mme une stimulation intense (stress) ne conduit pas la maladie mentale. Daprs toutes mes observations, chez le sujet normal, le L.S.D. n'est pas un hallucinogne. Ce nest pas non plus une drogue psychomimtique sauf pour les sujets affligs de souffrances primales. Mais le L.S.D. ne permet pas dtablir des connexions solides. Or, seule la connexion entrane des modifica- tions durables. Il y a plusieurs raisons cette impossibi- lit : la plus importante est que la connexion signifie lexprience de la souffrance primale. Sous L.S.D., le sujet peut prouver un sentiment et ntre pas sr, cinq minutes plus tard, de lavoir rellement prouv. Le drogu vogue dun sentiment fugitif lautre, sans que jamais aucun sentiment isol ne soit solidement ancr dans la conscience. La pleine conscience est cependant indispensable lexprience complte dun sentiment, sinon il sagit dune foule de sensations que certains prennent pour des sentiments. Un patient expliquait ce phnomne de la faon suivante : Le primal est plus sr que le L.S.D. Quand on a un sentiment au cours dun primal, il peut durer une heure et puis on peut le rattacher ce que lon a vcu, savoir pourquoi on a fait ceci ou cela, choisi tel ou tel ami, etc. Avec le L.S.D., jtais continuellement pouss en avant. J e ne pouvais pas me concentrer assez longtemps sur un sujet donn. La drogue produisait tant dimpulsions la fois quun sentiment naissant en amenait un autre en un enchane- ment interminable, jusqu me donner limpression de devenir fou. En fait, il disait tout simplement que les drogues obscurcissent la conscience; mme le L.S.D. qui est cens largir la conscience, produit un tat de stupeur. Un autre malade qui avait galement pris du L.S.D. expliquait ce propos : Tout en sachant que javais prouv un sentiment sous leffet du L.S.D., je me retournais aprs coup vers mon ami pour lui deman- der : Est-ce que jai vraiment dit a, ou est-ce que je mimagine seulement lavoir dit ? Autrement dit, il ne savait pas avec certitude ce qui tait rel, mme si ses paroles et ses sentiments avaient t trs rels. La drogue affaiblit le plein impact de la ralit. Aucun des sujets qui avaient pris du L.S.D. avant de commencer la thrapie primale, na dit avoir jamais atteint ses sentiments primals fondamentaux au moyen de la drogue. Lhorrible sentiment dabandon, ressenti durant un primal, le sentiment de solitude associ au souvenir davoir t laiss seul dans son berceau, na par exemple jamais t ressenti avec la drogue. Trop de choses se passent sous linfluence du L.S.D. pour que le sujet puisse revenir pas pas sur ses plus anciens sou- venirs douloureux, et mme sous l'effet de la drogue, les vraies souffrances primales traumatisantes napparaissent que sous forme de symboles. Le L.S.D. ne permet donc pas quait lieu le processus spcifique de dcodage, par lequel certains sentiments sont relis des souvenirs dtermins, puis rsolus. Le malade qui avait une espce de bourdonnement dans la bouche fit une dizaine de voyages sous L.S.D., sans jamais comprendre la signification relle de ce bour- donnement, il fallut un primal pour tablir la connexion correcte. Cela ne veut pas dire que le L.S.D. ne provoque pas de nombreux insights que le sujet ne connatrait pas dans des conditions normales. Mais ces insights conti- nuent tre fragmentaires et se situent dans un systme nvrotique. Tout se passe comme si les terribles dou- leurs physiques que de nombreuses personnes prouvent sous leffet du L.S.D., et les insights quelles ont plus tard durant le mme voyage , ne se rattachaient ja- mais les unes aux autres. La souffrance primale sinterpose et les tient spars. Laffirmation selon laquelle le L.S.D. nest pas fata- lement gnrateur de psychose chez lindividu normal, mrite peut-tre quelque claircissement. J e suppose que si lon donnait un sujet assez de L.S.D., cela pro- voquerait une telle plthore de stimuli au niveau du cerveau quil sensuivrait une dsorientation totale et une psychose passagre. Mais, ce qui est capital, cest que chez le sujet normal, cet tat ne se prolongerait pas au-del des effets de la drogue, alors que chez le nvro- s, il peut devenir permanent. J e ne saurais souligner assez le danger que reprsente lusage du L.S.D. pour le nvros. Un seul voyage , mme sil ne produit pas de psychose, peut branler assez le systme de dfenses du sujet pour le rendre plus tard vulnrable dans des situations qui normalement ne lauraient pas affect. Il est des voyages baptiss bummers 1 exp- riences effrayantes ou dprimantes ou les deux la fois. Le sujet est par exemple envahi par la peur de monstres, ou il se voit envahi daraignes qui lui parcourent le corps. Ces sujets peuvent tre tirs de ces voyages pnibles au moyen de tranquillisants tels que la chlor- promazine. On utilise aussi beaucoup les tranquillisants dans les hpitaux psychiatriques pour soigner les hallu- cinations. J e crois que ce quon tranquillise dans ces cas est la souffrance primale et lon rduit ainsi le be- soin de symbolisation. Le tranquillisant semble apaiser lagitation du patient et lui donner une chance de se remettre autrement dit, de dissimuler nouveau la souffrance et de retrouver ainsi sa nvrose. Tout compte fait, le bummer est un voyage dans lequel le sujet frle dangereusement sa souffrance primale. Il arrive que le premier voyage au L.S.D. ne soit pas un bummer parce que le systme de dfenses est encore en action. Mais plusieurs voyages semblent constituer un assaut contre le systme de dfenses et alors les troubles commencent, car sil y a souffrance primale, le voyage ne peut tre que douloureux. Rien dtonnant ce quaprs un bummer le sujet nait plus envie de prendre du L.S.D., pourtant, cest justement lui qui semble tre prs du point o il peut redevenir rel. Il sarrte avant; peut-tre peroit-il que ralit et irralit vont de pair plus on approche, plus on doit fuir. Tout fait la fin de leur traitement, beau-
1 Bummers signifie peu prs exprience dsagrable . Dans le cas dun voyage au L.S.D., cela signifie un mauvais voyage coup de patients ont limpression quils deviennent fous lorsquils sont sur le point de se dpouiller de leurs derniers lambeaux de dfenses contre le sentiment total de solitude et de dsespoir qui a toujours t latent en eux. Ce nest peut-tre pas un hasard si nous avons obtenu de bons rsultats avec des malades qui ont fait plusieurs voyages douloureux avant dentrer en thrapie. J e me mfie de ceux qui nont connu que des voyages merveilleux, car cela veut dire que le cli- vage est si profond que mme une drogue puissante ne peut laffecter. Dans certains cas, le sujet qui est loign de ses sentiments, prendra du L.S.D. ou de la marijuana (ou les deux) diffrentes reprises, m inconsciemment par lespoir implicite que ces drogues lui feront con- natre le sentiment. Chaque fois cependant, il fait un voyage nvrotique o il se trouve dans un jardin paradisiaque, dans une verte fort ou dans un palais aztque. En lui-mme, le contenu du voyage symbo- lique nest pas dune importance capitale, sauf dans la mesure o cest une rfrence indirecte la souffrance sous-jacente. Il ne faut pas oublier que chez le nvros, le voyage agrable doit ncessairement tre irrel, puisque stimuler les sentiments dun nvros laide dune drogue revient stimuler la souffrance. Le sujet qui fait un voyage agrable ou mystique, se com- porte exactement comme le nvros dbordant de ten- sion et plong dans un pseudo-bonheur sans lusage de drogues; il se cre de jolis tableaux pour se dissimuler ce qui se passe dans son corps et dans les recoins de son esprit.
Lhrone
Le L.S.D. est lune des rares drogues qui stimulent les sentiments. Beaucoup dautres les moussent. Dans ce second genre, lhrone est lune des plus puissantes. Lhrone est appele la rescousse quand la nvrose ne peut pas supprimer la souffrance. La nvrose est le nar- cotique interne du sujet qui ne se drogue pas. Le sujet qui se drogue lhrone a en gnral puis les dfenses quil utilisait jusque-l pour soulager sa tension. Il lui faut chercher de laide ailleurs faire appel la piqre. Daprs mes observations, les h- ronomanes se divisent gnralement en deux catgo- ries. La majorit dentre eux sont apathiques, lthar- giques et compltement mins par la tension. Il leur faut engourdir la moindre parcelle deux-mmes pour touf- fer leur souffrance. Les autres sont maniaques, hyperac- tifs, toujours en train de courir. Les deux catgories ont trouv des moyens diffrents pour venir bout dune souffrance terrible. Tous utilisent la drogue lorsque leur systme de dfenses ne suffit plus drainer assez de tension. Certains nvross se sentent mieux avec de la marijuana (voir p. 666) mais cest une drogue bien trop faible pour la souffrance de lhronomane. Il arrive que le sujet qui a recours lhrone, commence par se dro- guer la marijuana mais passe des drogues plus fortes quand avec la marijuana il natteint pas son but. Dautres, dont le systme de dfenses fonctionne encore en partie, essaient la marijuana et la trouvent suffisante. En tout cas, ce nest pas la marijuana qui conduit lutilisation de lhrone, mais la souffrance primale. Cependant la souffrance seule ne peut suffire expli- quer lusage de la drogue. Le milieu joue un rle impor- tant. Le sujet instable qui grandit Harlem, au cur du royaume du jazz o lusage de la drogue est monnaie courante, en vient rapidement utiliser de lhrone. En revanche, le sujet qui a grandi dans une ferme du Mon- tana, se tournera plutt vers lalcool et les querelles divrognes pour soulager sa tension. Dans les deux cas, la dynamique interne des deux individus peut tre la mme, seuls les exutoires diffrent. Le niveau lev de tension fait gnralement du toxi- comane un individu toujours en mouvement; il na ja- mais pu sattacher assez longtemps une tche pour la mener bien et cette longue suite dchecs na fait quaggraver ses problmes. Si la thrapie convention- nelle choue dans le traitement des toxicomanes, cest en partie parce quils sont en gnral incapables de rester assis assez longtemps pour que sinstaure le labo- rieux processus de linsight. Nous savons que la plupart des toxicomanes ne sont pas trs ports la sexualit. La raison en est simple. Aucun individu, lorsquil est plong dans la souffrance quelle soit physique ou psychologique ne sintresse beaucoup la sexualit. Les analgsiques suppriment les sentiments et augmentent ainsi lasexualit. Ressentir la souffrance cest tre capable de ressentir tous les autres sentiments; de mme, supprimer la souffrance revient supprimer tout autre sentiment et la sexualit est une des premires victimes. Pour bien voir la relation entre lhomosexualit la- tente et la drogue, en particulier chez les femmes, il suffit de faire un tour dans les pavillons de dsintoxica- tion des hpitaux. Beaucoup dentre elles sont les- biennes ou ont des antcdents de tendances homo- sexuelles refoules. Une toxicomane expliquait ainsi son cas : J e nai jamais rellement dsir un homme, mais jai continu faire lamour avec eux pour ne pas ressentir quel point jtais gouine. Maintenant, je sais que cest dune mre que javais besoin. Plus je faisais lamour avec des hommes, plus jtais bouleverse et rvolte. Il me fallait la drogue pour men sortir J en ai eu de moins en moins besoin depuis que jai eu des rapports avec des lesbiennes en prison. En se forant faire lamour avec des hommes, cette femme niait ses sentiments (le besoin de sa mre). Tant quelle niait tous ses besoins, elle ne pouvait videm- ment pas se passer de drogue. Lorsquelle trouva des exutoires de substitution son besoin de drogue diminua. En prison, prive de drogues susceptibles de supprimer ses sentiments, elle sadonna lhomosexualit dcla- re. Une fois quelle eut ressenti au cours dun primal le besoin quelle avait de sa mre, elle neut plus besoin de drogues, ni de rapports homosexuels. Ceux qui ont besoin des amphtamines (appeles speeders par leurs utilisateurs) et ceux qui deman- dent des downers 1 (narcotiques et barbituriques) ne se diffrencient que par lorientation de la tension. Ceux dont la tension est profondment enfouie, semblent avoir besoin de quelque chose qui les fasse souvrir, tandis que ceux qui sont dj ouverts et qui sentent la tension monter, semblent avoir besoin de quelque
1 Ces deux termes ont t adopts tels quels en psychiatrie franaise. Ils signifient littralement acclrateurs et dclrateurs ce qui correspond excitants-tranquillisants. N.D.T chose qui les aide la rprimer. Il arrive que le mme sujet utilise alternativement les deux : quand sa tension sort , il prend quelque chose pour se calmer, et plus sa tension est contenue, plus il a de nouveau besoin dexcitants; ainsi, le cycle se poursuit... J e cite ici un extrait de la lettre que ma adresse un toxicomane avant dentrer en traitement. Quand je lis que lhrone tue la souffrance je repense au nombre infini de fois o lon ma dit que lhrone tait un voyage mortel... un lent suicide. Mais ce nest que rcemment que jai pris conscience de son caractre vraiment meurtrier. J ai observ dautres toxicomanes, sans espoir, sans travail, sans intrts, sans famille, je les ai vus dans un perptuel tat dapathie, aux frontires de la vie et de la mort, mais jai toujours eu le sentiment que, pour moi, la drogue ntait quune dangereuse manire de pratiquer illgalement la mde- cine. J e ne cherchais qu attnuer lanxit qui remplis- sait mon existence... prendre un raccourci pour acc- der cet tat parfait de bien-tre exempt de souffrance. Ctait un moyen dtre la hauteur pour faire mon numro, de me concentrer sur mon travail et de faire ce quil y avait faire. Tout ce que je voulais, ctait traverser la vie sans avoir souffrir ce que souffrent tous les hommes, de tout temps. Toute ma vie, jai menti pour chapper la punition et la souffrance. A lcole, jai eu recours des expdients, sans travailler, faisant lcole buisson- nire, ne vivant jamais tout fait dans la ralit. La seule chose quenfant, j'aie vraiment russie, ce fut de jouer au magicien, et on dirait que depuis, je nai pas cess dtre lafft de la magie. Tout petit dj, je suis pass matre en semi-vrits. Ce ntait pas difficile faire parce que dans ma famille, personne ne sest ja- mais souci de ce qui se passait rellement. Vers le milieu de ma troisime anne universitaire, ce qui devait arriver, arriva. J e me ltais coul douce sans jamais faire defforts. Il mavait dj fallu une bonne dose de bluff pour aller jusque-l. J e quittai luniversit pour entrer dans une affaire; javais de grandes ides mais pas beaucoup de connaissances. J empruntai pas mal dargent et, inutile de le dire, le tout fut dvor en un rien de temps. J e trouvai un poste ailleurs, mais je fus mis la porte. A partir de ce moment-l, tout com- mena me retomber dessus et il ntait plus question de resquiller. J essayais de voler de largent ma femme, mais je fus vite priv de ressources. Puis, jai trouv la drogue... C'tait nouveau le camouflage idal. Avec a, je navais plus besoin de faire face quoi que ce soit. J e trouvais le monde magnifique. Pas besoin dadmettre mes checs, jchafaudais simple- ment de nouveaux plans, plus beaux encore. J e me mis hanter les botes de Harlem. On mavait parl de lhrone et je savais que ctait dangereux; cest pour- quoi je commenai simplement par linhaler. Du ton- nerre ! Incroyable ! Tout sapaisait, plus de chagrin, plus de craintes, plus de dgot de la vie que je menais, plus rien. Lhrone, ctait une assurance de bien-tre, de paix et de calme vie, ce que vous voudrez. Ctait juste ce quil me fallait. Au cours des neuf premiers mois, je neus pas besoin den prendre sous forme de piqres. J e navais plus dapptit sexuel, je foutais en lair tout largent quil nous restait et les choses allaient de plus en plus mal. J e consultai un psychiatre et jarrivai ne pas me droguer pendant un certain temps, jarrivai mme trouver du travail. J e me disais alors que je mtais bien tir dun an et demi dhrone et jtais rellement heureux. J e fumais toujours de lherbe mais je croyais que a faisait partie de la vie sociale daujourdhui. Mon travail et tout le reste marchait fort bien. Mais il ny eut bientt plus de travail et je ne mtais pas prpar faire autre chose. J e dcidai dcrire, mais je ne le fis pas. Au fur et mesure que les semaines passaient, je sentais nouveau la peur me gagner. J e dcouvris quun invit qui passait le week- end chez nous, tait toxicomane et quil avait de la drogue sur lui. Pour la premire fois depuis presque deux ans, je me fis une piqre. Comme auparavant, je me sentis vraiment bien. Cette fois, je commenai direc- tement par des piqres intraveineuses, pensant que je resterais matre des vnements. J e partis pour la Cali- fornie dans lespoir que cela changerait les choses et maintenant je suis esclave de cette bonne vieille hrone de Californie. Pendant les deux dernires annes, jai arrt au moins trente fois. Mais je ne peux rellement plus men passer sauf en de rares occasions o je peux me procurer de la Dolophine et du Percodan. J e trouve que la douleur que je ressens les quatre ou cinq premiers jours o je suis sans drogue ressemble celle qui sempare de moi quand je me suis abstenu pendant des semaines. Cest une douleur qui menserre et qui me fait sentir que je ne peux pas continuer sans drogue. J us quau mois dernier, je ne pensais mme pas que je vou- drais marrter... J e me sentais si mal et plong dans une si grande souffrance ds le matin, au rveil, que, pour la premire fois de ma vie, jai compris comment on pou- vait arriver au suicide. Mais je ne veux pas mourir; je veux vivre. Il faut que je cesse de me droguer; jai trop de raisons de vivre. La drogue nest pas une solution. La drogue arrte ma souffrance mais elle apporte la sienne propre. La drogue est de la foutaise. Il doit bien y avoir une autre faon de vivre. Au secours. Une demi-heure aprs lavoir crite, lauteur de cette lettre sortait pour se piquer 1 . Cela semblerait indiquer que ni la connaissance prcise des dangers que com- porte lhrone, ni un dsir dsespr de sarrter ne font le poids quand un tre souffre. Priv dhrone, le sujet vit quelque chose qui res- semble un primal. Lauteur de cette lettre crut en effet au moment o il fit son premier primal, quil souffrait de manque : crampes destomac, sueurs, tremblements et souffrance. J e suis persuad que les premiers symptmes qui se manifestent lors de la suppression de lhrone sont physiologiques. Toutefois, les hrono- manes qui ont fait des primals sont persuads que la plus grande partie du syndrome du manque est un pri- mal. Ce qui confre tant dintensit la toxicomanie, est apparemment le rservoir de souffrances primales. Si lon considre lhrone comme une dfense, on com- prend sans peine que le sujet ait un primal ds que cette dfense est supprime. Comme lhrone, la thrapie primale tue la souf- france en forant le toxicomane la ressentir. Daprs ce que jai pu voir, le toxicomane est plus facile soi-
1 Il est intressant de noter que certains toxicomanes emploient le terme stoned = ptrifi pour dcrire leur tat. Cela indique que le sujet dsire ne ressentir plus rien. Pour un toxicomane, le fait de sentir semble tre intolrable. gner que bien des nvross qui ont construit un rseau labor de dfenses quil faut dmanteler. Le traitement du toxicomane est rapide et ne ttonne pas. Il y a cependant une diffrence importante dans la th- rapie lorsquil sagit dun toxicomane. Dans les deux premiers mois de traitement, ce dernier doit tre surveil- l de trs prs. Il arrive que des patients, qui ont bris la barrire des sentiments, retrouvent, dans des conditions particulires de stress, leurs symptmes ils ont nouveau des migraines ou de lasthme. Or, quand un drogu retourne son symptme, les rsultats sont ca- tastrophiques. Toutes ses promesses de ne pas se dro- guer ou de le dire lorsquil le fait, ne valent strictement rien. J ai fait enfermer un toxicomane dans sa chambre pendant les premiers jours de traitement parce quen gnral, les cliniques nadmettent pas les drogus. Mme gard vingt-quatre heures sur vingt-quatre, il sarrangea pour enlever les gonds de la porte et tenta de sortir pour aller se piquer. Il ny a pas plus ingnieux quun drogu qui veut sa dose. Si lon arrive passer le cap des premiers temps de traitement, on est peu prs sauv. Mais en thrapie primale, je conseillerais tout de mme de dix quinze semaines disolement total.
Rcapitulation
Quelques-uns des traitements actuels de la toxicoma- nie prconisent la manire forte. On fait honte au toxi- comane, on le traite dimbcile, on lui enjoint de se montrer adulte, dtre un homme. J e ne suis pas pour ce genre de mthode car je pense que beaucoup de toxico- manes ont eu une existence assez pnible en elle-mme sans quon vienne y ajouter la rprobation sociale. Il est possible que, dans certaines formes de cure de dsin- toxication en groupe, la pression du groupe aide le toxi- comane changer de comportement, mais cette pression ne peut certainement pas atteindre le profond besoin damour qui lhabite. Tant que la souffrance existe, toutes les menaces, toutes les punitions du monde ne serviront rien. Quand la souffrance primale a disparu, il ne sera plus ncessaire de vituprer ou de supplier un toxicomane pour quil renonce son comportement. J e ne crois pas non plus quil soit efficace de forcer le toxicomane se comporter comme un adulte . Beau- coup dentre eux ont t forcs dtre adultes avant mme davoir pu tre des enfants. Ce dont ils ont be- soin, cest de cet enfant qui souffre au lieu de jouer ladulte. Selon moi, la pression sociale et les menaces augmentent lauto-protection, au lieu de la diminuer. Beaucoup de toxicomanes sont arms pour vivre dans un monde hostile; en revanche, ils ne savent pas se dfendre contre la douceur. Les gens ne se font pas tous les jours de leur vie des piqres dans les bras parce quils sont faibles ou stu- pides. Ils sont malades, ils souffrent dun mal aussi profond, aussi rel et aussi douloureux que la plupart des maladies dites physiques. Lusage de la drogue nest en gnral pas un choix fait la lgre; il est la cons- quence inluctable lorsquun corps qui souffre cherche dcouvrir un sens trouver un soulagement sa maladie. Essayer de faire de la morale et de convaincre quelquun dabandonner sa maladie, reviendrait vou- loir lui faire passer sa souffrance primale par des pa- roles. Traiter un toxicomane de stupide sans lentourer de gens qui prennent soin de lui et le com- prennent ou sans lui offrir un milieu qui lui garantit une certaine protection contre le monde qui lui fait mal, revient mon avis assurer la prochaine piqre. Aux Etats-Unis, les centres de dsintoxication privs et locaux affichent dexcellents rsultats un pourcen- tage lev de toxicomanes qui depuis des annes ont renonc la drogue et qui ont retrouv une vie conju- gale et professionnelle normale; ils ont sans aucun doute de meilleurs rsultats que les tablissements fdraux qui enregistrent 80 90 % de rechutes. Certes je crois quil est important que le toxicomane renonce avant tout aux drogues les plus dangereuses; en tout cas, si lon peut obtenir ce rsultat, cest dj une bonne chose. Mais je ne considre pas le fait de renoncer la drogue comme synonyme de gurison. Pour moi, un toxico- mane qui se droguait lhrone et qui, dans un centre de dsintoxication, renonce lhrone pour des drogues moins nocives comme le caf et les cigarettes (privs de lhrone, ils se mettent tous en consommer norm- ment), est toujours un toxicomane : un niveau lev de tension nattend que le moment o il faiblira. Tant quil peut travailler dur, fumer pour liminer sa souffrance et quil est soutenu par son entourage, il arrive se passer de drogue pendant des annes et peut-tre pour toujours. Mais le moindre changement dans ces exutoires peut faire remonter la souffrance (qui est toujours l) et pro- voquer une rechute. La dure pendant laquelle le sujet arrive se passer de drogue ne semble pas tre un indice quant sa prdispo- sition la rechute. Bien entour, un sujet au niveau de tension lev ne rechutera peut-tre jamais. En re- vanche, un sujet moins tendu mais rejet la rue peut se remettre immdiatement la drogue. Presque tous les jours, je reois des coups de tlphone dhommes ou de femmes qui ont t en prison pendant des annes et se sont drogus ds leur sortie. Tout cela en dpit du pro- gramme de psychothrapie intensive qui a t mis au point pour les toxicomanes dans les prisons de Califor- nie. Les instituts de dsintoxication qui fleurissent actuelle ment dans tout le pays ont eu le grand mrite de sauver certains sujets du phnomne physiologique de la toxi- comanie pour leur permettre de mener une vie sociale normale, mais je ne peux mempcher de penser que ce nest quune approche messianique de la question. Le toxicomane est pris en charge par des gens bien qui ont des ides bien arrtes sur ce qui est le bien et le mal. Dans leur optique, il est peut-tre logique de consi- drer le toxicomane comme un imbcile plutt que comme un malade, mais si la toxicomanie est une mala- die, il convient den trouver les causes et de pousser lanalyse bien au-del du comportement de surface.
La marijuana
La marijuana a des effets diffrents de ceux de lhrone. Lhrone diminue ou supprime la souf- france et elle anesthsie le sujet contre les sentiments douloureux. Les effets de la marijuana sur le sujet qui en consomme dpendent de trois facteurs : (1) la quanti- t quil fume; (2) la solidit de son systme de dfenses et (3) la quantit de souffrance primale quelle tient lcart. Avec une dose assez forte de marijuana, on peut obtenir une raction semblable celle que provoque le L.S.D., comportant des illusions et des hallucinations. Ce genre de raction se produit quand il y a une grande quantit de souffrance latente demandant une fuite sym- bolique, ou quand le sujet a un systme de dfenses particulirement fragile. Par exemple, il nest pas rare que le sujet qui a dj pris du L.S.D., soit mis passagrement (et quelquefois assez durablement) dans le mme tat psychotique par la marijuana. Le premier voyage provoqu par le L.S.D. a branl le systme de dfenses et a rapproch le sujet de sa souffrance, lusage ultrieur de marijuana peut suffire faire scrouler tout le systme nvrotique. Cest pourquoi lusage continu de L.S.D. et de marijua- na est dangereux. Une malade qui avait pris du L.S.D. puis fum de la marijuana, fut prise dune peur obses- sionnelle dtre coupe en deux par une lame de rasoir. Cela donna naissance la peur dtre retenue prison- nire par le lit dans lequel elle dormait. Si ces symboles taient devenus compulsifs et obsdants, cest que son systme de dfenses qui la protgeait de la peur, avait t affaibli par lusage des drogues. Il n'aurait pas fallu longtemps pour que ces peurs deviennent si fortes que dautres ractions symboliques savrent ncessaires et que le sujet finisse par seffondrer compltement. En gnral, la marijuana a des effets agrables parce quelle ne fait quinflchir le systme de dfenses sans lbranler profondment, comme le fait une forte dose de L.S.D. Par consquent, les premiers voyages sont euphoriques ou mystiques. Par la suite, les choses saggravent et deviennent moins agrables. Les malades qui ont supprim en thrapie primale leur systme de dfenses ne supportent pas la marijuana. J ai le souvenir dun tudiant qui, vers la fin de la thrapie, se vit offrir une cigarette de marijuana; il en tira contrecur quatre ou cinq bouffes. En lespace de quelques minutes, il se retrouva dans sa chambre en train de faire un primal. Il en fut trs tonn parce quavant la thrapie, il avait rgulirement us de la marijuana et pouvait facilement en fumer deux cigarettes, aprs quoi il se sentait seule- ment relch et pouffant de rire . Tout tait chang parce quil ne disposait plus dun solide systme de dfenses. Il est possible que le nvros moyen , qui fume de la marijuana pour la premire fois, puisse en fumer une assez grande quantit et ne souffrir que de dsordres physiologiques palpitations, tourdissements. Dautres ont des ractions dsagrables danxit. Mais la raction dun sujet donn une drogue donne, ne dpend pas exclusivement de la composition chimique de cette drogue. En ce qui concerne la marijuana, le sujet bien protg peut, la premire fois quil en fume, voir son systme de dfenses assez affaibli pour que la souffrance monte, mais pas assez pour tre rellement menac il en rsulte des sentiments danxit devant de nouvelles et tranges sensations. Il en va de mme dune drogue qui nous est bien plus familire, la cafine le stimulant que contient le caf. En gnral, il ne vous viendrait pas lide de penser que nous nous droguons la cafine, pourtant, nom- breux sont ceux qui ont de vritables difficults fonctionner sans avoir bu leur caf du matin. Le sujet dont les ractions sont considrablement mous- ses, comme lhronomane, peut facilement boire dix tasses de caf sans effet notable. En revanche, chez le sujet qui a termin sa thrapie primale, une tasse ou deux suffisent provoquer une profonde agitation. Ils ont presque tous renonc au caf; sans lintervention dun systme de dfenses, tout agent chimique a une action directe et puissante sur lorganisme. Il est par consquent clair que le systme de dfenses dtermine dans une large mesure notre raction la drogue. Cest lui qui filtre, amortit ou bloque les stimuli extrieurs ou intrieurs. Dans ce processus, les ractions internes et externes sont interdpendantes. Ainsi, on ne peut pas dfendre le moi intrieur et tre direct dans sa vie extrieure; inversement, on ne peut tre rel sur le plan psychologique sans subir les effets directs et vio- lents de drogues comme la cafine ou la marijuana. Etre irrel signifie que le systme dans sa totalit est irrel, tre rel signifie tre rel dans tout son systme. J e crois que beaucoup de ceux qui fument de la mari- juana cherchent tre rels, mais ils sy prennent de faon irrelle. En un sens planer est quelque chose de symbolique. Cela signifie quon agit comme si lon tait libr et libre. Mais une libration relle suppose que lon ressente son moi tourment, non quon le libre passagrement, par la drogue, de loppression exerce par le systme irrel. Ce qui diffrencie le vritable hronomane de celui qui fume de la marijuana, cest que lherbe nest pas la seule dfense ou la dfense cl de celui qui en use. Le fumeur de marijuana dispose dautres dfenses qui laident vivre, malgr sa tension. Lhronomane par contre a puis ses dfenses. Lhrone est la seule qui lui reste et il en a besoin pour vivre. En gnral, le fu- meur de marijuana est beaucoup moins refoul (a moins de souffrance) que lhronomane. La marijuana aide lever la rpression de sorte que le fumeur a souvent limpression dun veil de tous ses sens; il peroit les nuances dun disque et il voit les couleurs exquises dun tableau. Ce processus d'veil de tous les sens provoque galement des insights ce qui nest pas le cas de lhrone. Un patient racontait comme suit un voyage quil avait fait sous leffet de la marijuana, avant davoir ses primals : En planant, jai eu soudain le souvenir de mes parents qui se moquaient de ma faon de prononcer le mot sky (ciel) quand jtais petit. Ils me le faisaient dire quand il y avait des visites. J e devais continuellement chanter Brille, brille petite toile et ils stouffaient de rire. Lherbe me fit com- prendre que depuis ce temps-l, jai toujours eu peur de parler devant des gens. Cet insight provenait dun souvenir refoul que la ma- rijuana permit de rendre conscient. La scne avait t pnible et normalement, le patient ne sen serait pas souvenu. Une fois rendue consciente, il fut possible de relier le comportement prsent la souffrance passe. Cest cela linsight. Si le mme souvenir avait fait sur- face au court dun primal, la souffrance aurait peut-tre t une vritable torture mais les insights auraient t plus riches et plus complets sur le plan physique. Tout le monde sait que beaucoup de jeunes gens sont aujourdhui attirs par la marijuana. Pour une raison ou pour une autre, la socit a dcid que pour rsoudre le problme, il fallait interdire la drogue au lieu de sup- primer les causes pour lesquelles on la prend. Mais le plus souvent, la marijuana est bonne prendre pour le nvros parce quil est bon de ressentir quelque chose. Il semble que la marijuana ait, une petite chelle, le mme effet que le L.S.D. elle stimule les sentiments. Beaucoup de jeunes gens ne connaissant en vrit aucun autre moyen que la drogue daccder leurs sentiments. Les expriences de la petite enfance leur ont fait cou- per le contact et maintenant il leur faut quelque chose qui les remette en marche la drogue. La question nest pas de savoir ce qui les remet en marche, mais ce qui leur fait couper . Chez beaucoup de sujets, la marijuana et lmergence des sentiments entranent un renforcement des dfenses. Le sujet rit gorge dploye (parce quil peut sentir, mme si ce nest pas le sentiment rel) ou mange avec voracit. Leffet de la drogue est essentiellement de faire rentrer le sujet dans son propre corps. Par exemple, ce rire irrpressible est pour beaucoup de nvross une exprience physique bien plus complte que le rire sans drogue. Aprs la thrapie primale, cependant, les sujets sont nouveau en pleine possession de leur corps et nont plus besoin ni de marijuana ni dautres drogues, ce qui me parat encore la meilleure solution.
Sally
Lorsque Sally vint me voir pour la premire fois, on avait tabli lhpital psychiatrique local le diagnostic de psychotique par suite dusage de L.S.D. . Son effondrement final avait t provoqu par un voyage au L.S.D., suivi de fortes doses de marijuana. Son trai- tement fut trs rapide, ce qui est souvent le cas des ma- lades qui sont au bout du rouleau. J ai vingt et un ans. Lenfance que jai vcue dans ma famille a t une perptuelle lutte. Mes parents se disputaient et se querellaient sans arrt et ont fait de moi une boule de nerfs. De plus, jai pass mes quatre pre- mires annes dcole dans une institution catholique, ce qui a t pour moi un vritable dsastre. J e me sou- viens de plusieurs incidents pnibles parce que je ntais pas aime et que les surs me punissaient constamment. La punition consistait en gnral recopier dix fois la leon de catchisme pendant la rcration, alors que les autres enfants samusaient; cela me donnait limpression de mloigner de Dieu et non de men rapprocher, dautant que je ne savais jamais exactement pourquoi jtais punie. J e manifestais ma dtresse en faisant pipi sous mon bureau et en me nettoyant le nez pour manger la morve. Personne ne me voyait et personne ne maidait. J e me souviens fort bien davoir t terrible- ment seule cette poque et il men est rest une peur de la solitude qui persiste encore aujourdhui. Comme la maison la vie tait aussi dgueulasse qu lcole, je me rabattais sur la seule chose qui mempchait de devenir folle : le chant. A lcole, sur- tout entre treize et quinze ans, cela me fit bien voir. Ds les premires classes de lcole catholique, javais une trs bonne voix. Le dimanche, jtais dans la chorale de lglise et le jour de la saint Patrick je chantais lcole une petite chanson sur lIrlande. Quand jtais seule, la maison, je vivais dans un monde de thtre. J imaginais des films pour moi toute seule, dont jtais la vedette, portant les costumes les plus somptueux quon puisse imaginer, et chaque nouvelle reprsenta- tion me valait une rcompense. Si javais vu cette poque-l ma vie telle quelle tait cest--dire de la merde je serais devenue folle, mais grce mon imagination, elle tait belle. J tais contente de me jouer la comdie toute seule et persuade qu'un jour je serais une grande cantatrice et une vedette de cinma. J e me souviens davoir eu parfois de petits pincements de souffrance quand je chantais ou que je montais une pice pour moi toute seule, parce que je me disais : Ce nest pas vrai, ce nest quun rve. Quelquefois, je meffondrais et je pleurais pendant des heures parce que je ntais quune petite fille et que je voulais raliser mon rve, devenir quelquun, car en ralit je ntais personne vraiment personne toute mon identit tait dans mon avenir. Et cet avenir ne devait jamais arriver parce que je le repoussais toujours, je ne voulais pas dcouvrir que si jamais jatteignais cet avenir, je ne connatrais pas le succs. O pouvais-je aller alors pour devenir quelquun ? Cest pourquoi je ne suis jamais sortie de mon rle de petite fille et de mes rves de thtre et doprette : jamais je ne suis entre dans la ralit. J 'ai continu curer mon nez et manger ce que jen tirais, jai continu crier : Aidez-moi, aidez-moi devenir adulte . Mais personne ne pouvait plus maider parce que javais grandi et que je lanais ces appels laide en secret. Mme si les autres lavaient voulu, ils n'auraient pas pu maider, et, au fond de moi- mme, je vous le garantis, je ne souhaitais pas relle- ment leur aide. Cest bizarre dtre nvrose : on grandit, on apprend de plus en plus de choses, on en comprend de plus en plus; souvent, on adopte mme un comportement beau- coup plus adulte parce quon lattend de vous. Mais en soi, on porte cette petite fille qui veut quon la caresse, quon laime, quon laide et quon la protge. Pour obtenir ce dont on a besoin amour, protection, etc. on mne intrieurement une lutte constante entre ce que lon est cens tre (un adulte) et ce que lon veut tre on voudrait avoir grandi en mme temps que son corps et que sa conscience, mais il y a quelque chose, une partie de soi-mme qui semble morte. J e suis entre en thrapie au mois de janvier. J y suis entre par suite dvnements qui staient produits huit mois auparavant. J avais pris du L.S.D. J en avais pris plusieurs fois sans graves consquences. Cest la der- nire dose qui dclencha ce que jappellerai ma folie. Mon ami et moi, nous avions pris chacun une double dose de L.S.D. J tais de mauvaise humeur, parce que ce soir-l, jaurais voulu aller avec lui une soire o il y avait certains de mes anciens collgues de travail. Il refusa et cest comme a que nous avons pris ce L.S.D. Nous avons fini par atterrir dans une autre soire. Il y avait l des gens qui staient drogus, dautres pas. Il y avait un gars qui faisait de magnifiques boucles doreilles et je demandai mon ami de men acheter une paire. J e me sentais mieux, jusquau moment o le L.S.D. commena faire son effet. Tous mes sens se sont exacerbs. J e sentais ma propre odeur, lodeur de mon corps. J ai regard autour de moi pour voir si les autres la sentaient aussi. Apparemment, personne ne sen rendait compte. J ai couru la salle de bains, jai attrap un savon et ai commenc me laver les bras et les aisselles pour essayer de me dfaire de cette odeur. J e me sentais horriblement sale, de la merde. J e ne pou- vais pas me dfaire de cette odeur. En sortant de la salle de bains, je suis alle dire mon ami quil y avait quelque chose qui nallait pas. Nous sommes sortis pour parler. Tout coup jai eu ce quon pourrait appeler une attaque. Ctait comme si javais perdu lesprit pendant quelques minutes et quand jai repris un peu conscience, je savais que javais t ailleurs, mais jignorais o, et je fus frappe de terreur lide que cela pourrait marriver de nouveau et que peut-tre la prochaine fois, je nen reviendrais pas. Ce phnomne sest rpt sans discontinuer pendant environ sept heures. Chaque fois, je me demandais si jen sortirais jamais. J e ne dcou- vrais rien de rel. Ctait une succession dabsences totales et de terreur profonde : jtais convaincue que jtais devenue compltement folle. Au bout de ces sept heures, je commenai me re- mettre un peu. J e navais plus dattaques mais jtais toujours agite et remplie de peur. J essayai de dormir, mais, de peur, je ne pouvais res- ter les yeux ferms. On aurait dit que ma tte avait cla- t et que les morceaux ne voulaient plus se remettre en place. Au bout de quelques jours, jtais redevenue normale. Ce nest que deux mois plus tard que jai commenc ressentir les effets secondaires du L.S.D. Cela a com- menc par un cauchemar. J e mveillai en hurlant parce que je croyais que je devenais folle. Tout mon corps tait possd de terreur. Comme je ne pouvais plus dormir, je rveillai mon ami qui vivait avec moi, et il essaya de me rassurer. Mais je ne voulais pas tre rassu- re, je voulais savoir ce qui nallait pas; il fallait que je le sache. Ce jour-l, et les mois qui suivirent, ce fut l'enfer. J tais persuade dtre folle. Il y avait dans mon esprit des ides qui ne pouvaient relever que de la folie. Dabord, je ne comprenais pas comment je pouvais avoir une pareille peur sans objet. Il y avait deux mois que je navais plus pris de L.S.D., pourquoi donc me sentais-je vingt-quatre heures sur vingt-quatre comme si jtais sous leffet de la drogue ? Il est pratiquement impossible dessayer dexpliquer toutes les petites penses qui contribuaient me rendre folle, tout ce quon peut dire, cest que toutes mes d- fenses taient compltement dtruites. J e veux dire par l, que je navais plus aucun moyen de penser logique- ment. J e narrivais pas admettre quun mur est un mur et une chaise, une chaise. J e navais plus du tout le sen- timent de moi-mme. Mon esprit tait tellement bloqu que je navais plus de corps et que je ne ressentais rien dautre que la peur. J avais constamment peur. J 'avais limpression dtre enferme dans mon esprit comme dans une prison et le seul moyen den sortir tait la chambre gaz. J e navais pas le moindre espoir de sur- vivre cette crise. En mme temps, il se passait autour de moi des choses dont je ne me souciais pas le moins du monde. Mon ami, avec qui je vivais, faisait du trafic de drogue. Il tait sans travail, je nen avais pas non plus, mais nous avions beaucoup dargent qui lui venait de ce tra- fic. Il y avait constamment chez nous une foule damis chevelus qui venaient se ravitailler; il y avait toujours de grandes quantits de drogue dans notre appartement. Ctait le paradis des toxicomanes. Rien de tout cela ne minquitait parce que cela me laissait vraiment indiff- rente. J e navais rellement plus conscience de ce qui se passait autour de moi. Pendant tout ce temps-l, je ne me droguais absolument pas et je nen avais pas envie. Tout ce qui mimportait, ctait mon esprit : pourquoi il avait des absences, et pourquoi je ne pouvais pas accep- ter de prendre une ampoule lectrique pour une ampoule lectrique. A mes propres yeux, jtais folle et ma peur terrible venait de la conscience que javais dtre folle et je voulais tre sre que je finirais ainsi. J e prfrais devenir folle plutt que daccepter la ralit toute simple et de reconnatre quune ampoule lectrique tait une ampoule lectrique. A ce moment-l, jaurais t mre pour un primal, mais malheureusement, cette thrapie navait pas encore t dcouverte. Lorsque je suis entre en thrapie parce que jtais totalement dsespre, les choses ont chang, mais de faon compltement diffrente de ce qui se passe maintenant. Cest alors que jai appris renforcer mes dfenses. Au lieu davoir peur tout le temps, javais seulement peur la plupart du temps. J avais construit en moi un systme de dfenses pour me dtacher de tout a. Quand je sentais la peur, je me trouvais de bonnes raisons pour me dire quelle nexistait pas rellement, que je navais pas peur du tout et que tout cela ntait quune banale tincelle de L.S.D. (en admettant que lon puisse savoir ce que cest). J avais aussi quelquun sur qui mappuyer, quelquun dont jtais sr quil connais- sait la bonne rponse : mon thrapeute. Sil mavait dit que la lune tait un fromage, je laurais cru car il savait tout ce qui concerne lesprit et il ny avait aucune raison davoir peur. J avais une entire confiance en cet homme dont javais fait dans mon esprit un dieu, un pre et un protecteur de ma sant mentale. Quand notre groupe commena dcouvrir certaines choses au sujet de la souffrance primale, quelque chose de puissant en moi (mon moi) souhaita en faire l'exp- rience, parce que tout en madaptant la vie, jtais malheureuse. J e ne savais pas ce que je voulais faire ou tre. Mon premier primal a t dclench par une dci- sion. J avais dcid dpouser mon ami. La situation avait chang : il avait un bon travail, qui navait abso- lument rien voir avec la drogue, et javais galement trouv du travail. Nous commencions ressembler au jeune couple moyen. Aprs avoir pris cette dcision, je racontais, un soir, en sance de groupe, je ne sais quelles sottises, je disais combien jtais heureuse, quand tout coup je minterrompis, jetai un profond regard en moi-mme et compris que ce ntait pas a du tout. Ce ntait pas a qui allait rendre ma vie heureuse. J e mallongeai sur le sol et commenai respirer pro- fondment par le ventre. Cette respiration fut suivie de cris de colre. J e me sentais dgueulasse. J e me sentais plus sale que de la merde. J e massis et je me souviens que les autres membres du groupe me posaient des questions et que je leur rpondais. J e ne saurais me souvenir de mes rponses, mais tout le monde avait lair content et ils disaient : a y est, vous y tes arrive, vous y tes arrive . Tout ce qui me proccupait cest que jtais dgueulasse parce que toute ma vie, je mtais menti. Toute ma vie navait t quune plaisan- terie malsaine dnue de sens. J e ntais rien. Ce fut ma premire perce vers la ralit. Aprs ce primal, jen ai eu plusieurs autres. Chacun liminait une des principales blessures que javais en- fermes en moi.
Il tait bien plus facile de renoncer lespoir dtre aim par mon pre plutt que par ma mre, parce que mon pre avait toujours t plus rel. Mon pre avait une situation, la mme depuis une trentaine dannes, mais il buvait normment. Quand mes parents se dis- putaient, ce qui arrivait pratiquement tous les jours, jtais toujours du ct de ma mre, comme mon frre et mes surs. Ma pauvre maman, ctait elle qui souffrait toujours. Il fallait quelle supporte dtre battue, traite de pute et quelle voie ses enfants vivre cet enfer parce quelle voulait maintenir la famille. Il mtait plus facile de renoncer mon pre parce que jai su toute ma vie ce quil tait : un foutu bon rien. Avec ma mre, ctait une autre histoire J tais con- vaincue quelle maimait profondment, et elle en sera convaincue toute sa vie, de sorte quil tait difficile de renoncer lespoir dun amour dont javais toujours cru quil existait tout en sachant que ce ntait pas vrai. Cest au cours dun des derniers primals que jai re- nonc lespoir dtre aime delle. J tais couche par terre et je criais; jai senti la douleur au fond de mon ventre. Ma mre est sortie de moi par ces mots : Ma- man, maman, pourquoi est-ce que tu ne maimes pas ? J ai hurl cela sans discontinuer. J e savais que ctait la vrit et je comprenais que toute ma vie, javais lutt pour son amour plus que pour tout autre amour, parce quelle tait la promesse de lamour. En paroles, elle disait maimer. J e savais que si jtais une gentille petite fille, un jour, jobtiendrais peut-tre son amour rel. Mais ce ntait pas mon genre dtre une gentille petite fille. Parfois, javais envie dentrer dans de furieuses colres contre les gens, javais envie de leur dire mon dsaccord, mais je ne le faisais pas parce que je sentais que je perdrais leur amour. Aprs chaque primal, ma voix baissait dun ton. A un moment donn, elle devient une vritable basse. J avais toujours eu un registre lev, une voix fine et douce. Aujourdhui, elle sest pose et jai une voix naturelle, relle. Aprs chaque primal, javais limpression que ma vi- sion samliorait. J e voyais plus de choses parce que je navais plus peur de regarder la lumire. Mes ides taient bien plus claires. J e pouvais parler aux gens et me faire comprendre. J tais confiante lors- que javais quelque chose dire parce que ctait moi- mme qui parlait. Auparavant, javais de la peine mexpliquer. Il y avait en moi deux tre qui se combat- taient. J e finissais toujours par dire quelque chose tout en sentant que tout ce que je disais tait faux. Maintenant, il ny a plus de lutte dans ma vie, parce que ce qui arrive, arrive. Mais je ne suis plus sans in- fluence sur ce qui arrive, parce que je fais ce que jai envie de faire. J ai trouv le bonheur parce que jai compris que nous vivions dans un monde irrel, peupl essentiellement de personnages irrels. Cest ce que devraient comprendre les gens quand ils ne sont pas malades; on ne peut pas influencer la vie des autres, mme quand elle met la ntre en danger; alors, pourquoi se faire du souci pour ce quils font ? Sil y a un moyen de se protger et de protger les autres, il faut lemployer, sinon, on sabstient. Aussi irrel que soit le monde, jy ai trouv ma ralit et ma propre ralit suffit le rendre rel parce que cest la mienne.
La boulimie
Si je place la boulimie dans le chapitre sur la drogue, cest que le sujet qui a continuellement besoin de man- ger utilise la nourriture comme agent de dtente, peu prs comme une injection priodique dun tranquilli- sant. Le boulimique mange rarement par faim. Il mange sous lemprise dune pulsion irrsistible qui se fait en gnral sentir ds quil se retrouve seul avec lui-mme pour un certain temps. La courbe de graisse que produit sa boulimie semble former un vritable isolant qui le protge de la souffrance. Cest pourquoi, en thrapie primale, les obses sont souvent des sujets difficiles traiter. J ai parl prcdemment de ce qui distingue tension ascendante et tension descendante. La distinction appa- rat avec une particulire clart dans le traitement des gens trop gros ou des obses. Beaucoup dentre eux, quand ils commencent la thrapie, ne sont pas particu- lirement anxieux. Leur souffrance a t endormie par tout ce quils ont pu avaler drogues, alcool, nourri- ture. En mangeant, ils touffaient le moi rel les sentiments rels qui sont prts jaillir ds quils ne sont pas protgs par de la nourriture. Cest l la tension descendante. Elle nest en gnral pas ressentie en tant que telle, cest plutt une impression de vide qui se dguise en faim. Une malade sexpliquait ainsi : J employais la nourriture pour liminer en mangeant la tension qui me rongeait. Toute ma vie consistait attendre le repas suivant. J e trouvais si peu de chose dans ma famille que la nourriture devait me tenir lieu de tout. Cest la seule chose agrable que ma mre mait jamais donne. Cette malade mangeait pour ne pas ressentir combien tait dsagrable la vie dans sa fa- mille. La tension ascendante est celle qui se manifeste chez le boulimique priv de son moyen de dfense pendant un certain temps. Au cours de la premire semaine de thrapie, par exemple, le malade qui na pas le droit de manger beaucoup alors que simultanment son systme de dfenses est affaibli par le thrapeute, est plong dans lanxit. Il se met rver comme il ne la jamais fait, il ne tient plus en place et bientt il ne pourrait plus manger mme sil le voulait. Cest que ses sentiments remontent et quils sont si puissants quils entravent lingestion. Il perd beaucoup de poids sans le moindre effort au cours des trois premires semaines de traite- ment. Le sujet qui mange plus quil ne faut, nabsorbe pas rellement de la nourriture mais quelque chose de sym- bolique. Certains malades parlent de remplir leur vide intrieur pour ne pas tre contraints de ressentir le vide de toute une existence. Dautres pensent que cest en- core le petit enfant frustr en eux qui a gard des be- soins oraux quil faut satisfaire. Comme me la dit un patient : J e mange pour ce petit enfant frustr. Cependant, le fait de trop manger nest pas la simple satisfaction de vagues besoins, psychologiques dordre oral. Toute personne grassouillette doit sa condition une conjoncture particulire. Lun mangera trop parce quil a t priv du sein de sa mre, un autre parce que les repas taient la seule satisfaction de son enfance II est bien des mobiles qui peuvent faire du sujet un bou- limique. Ce quil ne faut jamais perdre de vue, cest que le fait de manger (tout comme une sexualit compulsive) et lexutoire des besoins les plus divers. Le sujet mange pour apaiser une souffrance qui na rien voir avec un manque de nourriture subi dans la petite enfance; cest pourquoi il est bien souvent inutile de traiter la boulimie comme un problme strictement alimentaire. Le sujet peut choisir la nourriture pour apaiser sa souffrance au lieu de la drogue ou de lalcool, en fonction du milieu dans lequel il a grandi milieu dans lequel on mettait laccent sur la nourriture, alors quon avait de profondes prventions vis--vis de lalcool. Le nvros a de faux dsirs. Appliquer une thrapeutique ces pseudo-dsirs, cest ne pas traiter les besoins rels. Par exemple, jai vu en thrapie une malade qui disait quelle avait brusquement recommenc trop manger au cours de la semaine prcdente. Elle avait eu le rve suivant : Ma mre plane dans le ciel, un couteau de boucherie la main, prte fondre sur moi. J e suis terrifie et essaie de menfuir. J e prtends ne pas tre moi juste un vilain monstre mais en vain. Elle est sur le point d'attaquer lorsque je me rveille. J e la fais se replonger dans le sentiment du rve pendant quelle le raconte, comme si elle le rvait maintenant. Elle revit sa terreur, puis voit la situation dans son ensemble : sa mre tait trs possessive lgard de son pre. Elle voulait toujours tre la jeune femme dlure et affrio- lante qui attirerait et retiendrait lattention de son mari. Trs tt dans sa vie, la malade commena sentir que sa mre ne souhaitait pas la voir devenir jolie et attrayante. Pour couper court la jalousie de sa mre, la jeune fille tait devenue grosse et devait le rester la majeure partie de sa vie. Elle avait saisi que sa mre la voyait comme une rivale et son cri primal fut : Ne te mets pas en colre, maman, je ne cherche pas te prendre papa. Elle djouait ce sentiment par lobsit. En tant grosse et laide, elle refoulait la crainte quelle avait de sa mre et au moment o ce sentiment menaait de faire surface, au cours de la semaine prcdente, elle stait remise manger trop pour ltouffer nouveau. Une belle sil- houette menaait donc son existence. Elle se dfendait par la difformit et il ny avait ni traitement antrieur ni rgime qui puissent supprimer cet excdent de poids, tant que les sentiments profonds ntaient pas ressentis. Aprs ce primal, cette malade se souvint dune poque de son enfance o elle avait t active et pleine dallant. Puis, elle stait rendu compte que sa mre au fond ne souhaitait pas la voir vive et quelle avait com- menc presque mthodiquement chasser toute vie de sa fille. Lenfant y avait consenti et bientt elle refoula et enfouit tout en elle-mme laide de la nourriture. Aprs le primal, elle perdit du poids sans effort. Lexemple de ce seul primal montre bien la complexi- t des problmes dobsit. Il est des femmes qui ont peur dtre attirantes cause de lactivit sexuelle que cela risque dentraner. Dautres mangent parce quelles ont de la nourriture leur disposition mais pas damour. Certains nvross mangent pour viter de sentir que personne ne les comblera jamais. Ils se remplissent pour ne pas se sentir vides. Nayant pas reu ce dont ils avaient besoin dans leur enfance, ils en sont venus croire que cest de la nourriture quils dsirent. Une patiente expliquait sa boulimie de la faon suivante : J e nai jamais vcu dans mon corps parce quil y avait en lui trop de souffrance dtre inassouvi. Cest ainsi que je vivais avec ma tte tout en gavant mon corps pour faire taire la souffrance qui me rongeait. Il y a un clbre axiome disant que tout homme gras cache en lui un maigre. Cest une autre manire de dire que toute personne irrelle renferme une personne r- elle. Le sujet gras prsente littralement au monde une faade irrelle symptme dun moi irrel qui cherche protger et isoler le moi rel. J ai dcouvert que plus laspect physique du nvros est normal, plus il est proche de sa ralit et de sa souffrance. Cest pourquoi la premire chose faire dans le traitement primal dun sujet boulimique est de laffamer afin de dtruire la faade irrelle. Pendant cette priode, le patient doit tre surveill presque daussi prs que le toxicomane parce que sa faade dhomme gras tait indispensable son dguisement psychophysique. Il sera tent de tricher avec nimporte quel rgime, exactement comme le toxi- comane qui essayera de se piquer lorsque nous com- menons dmanteler son systme de dfenses. Le boulimique risque de rechuter tant quil na pas ressenti la plupart de ses besoins rels. Un patient ma dit : Si je maigris et que la vie ne mapparaisse pas plus agrable que quand jtais gros, je perdrai relle- ment tout espoir. Tant que jtais gros, javais lespoir de devenir mince. Mieux que cela, je pouvais me dire que ctait mon aspect qui me faisait rejeter par la soci- t et non mon vritable moi. Lespoir que le sujet place dans lobsit varie selon les cas. Une jeune femme attendait le jour o elle serait devenue si grosse que sa mre serait oblige de reconnatre finalement quil y avait quelque chose qui nallait pas et lui propo- serait de laide. Un autre patient ma dit quil avait be- soin davoir toujours quelque chose quil pouvait at- tendre avec plaisir, et ctait la nourriture, car, en dehors des repas, sa vie tait compltement strile. Un besoin compulsif na pas grand-chose voir avec son objet en lui-mme (ici la nourriture). Se dbarrasser de ces be- soins anciens est la seule faon de mettre fin un app- tit vorace. Dans un ouvrage sur lobsit, un mdecin bien connu a crit que le malade doit tre duqu se nourrir cor- rectement. Il insiste pour que le sujet apprenne la teneur en calories de tout ce quil mange et mme alors, pour- suit-il tristement, le malade devra se surveiller tout le restant de ses jours. J ai beaucoup de patients qui con- naissent par cur la valeur en calories de chaque ali- ment, mais cela ne les empche pas de courir au rfrig- rateur toutes les nuits, avec toutes ces statistiques dan- sant dans leur tte. En fait, lalacrit avec laquelle ils se jettent sur tous les nouveaux rgimes quon prconise, ces faons de maigrir sans douleur, est bien la preuve de leur espoir irrel. Tant que le boulimique peut se proccuper de nourri- ture et de rgimes, il nest pas contraint de faire face ce qui va rellement mal. Cest pourquoi toute approche partielle du problme de lobsit est voue lchec. Ceux qui veulent traiter le mal par des rgimes, des cachets, des piqres et des techniques spciales, ne soignent que le corps; quant lapproche exclusivement psychologique, elle pche par linverse. A longue chance, seule lapproche psychophysiolo- gique peut russir. Effectivement, un collgue qui fait partie dune quipe de ditticiens, ma dit que le pour- centage de rechutes parmi leurs malades est peu prs gal celui que lon enregistre pour les cures de dsin- toxication.
CHAPITRE 20
LA PSYCHOSE : AVEC OU SANS DROGUE
La pratique ma conduit penser quil nest pas de processus psychotique latent, pas de bizarrerie se- crte relgue dans ce quAldous Huxley appelle les antipodes de lesprit . Tout nvros cache au plus profond de lui-mme une ralit douloureuse une sant mentale (si cette ralit est ressentie). Dans cette optique, la folie est une dfense contre cette ralit cra- sante. Les gens deviennent fous pour ne pas ressentir leur vrit. Il sagit l dun refus de beaucoup de tho- ries psychologiques selon lesquelles lhomme est par essence irrationnel, refrn uniquement par la socit. A mes yeux, irrationalit, rves, hallucinations et illusions ne sont que des protections destines prserver notre scurit et notre capacit de fonctionner. Quant la gravit de la psychose, si le moi na pas eu cinq ou six ans pour se consolider, avant que ne se pro- duise son clivage, on peut sattendre, ainsi que lindique la thorie de Freud, un moi ou un ego faible, comme disent les Freudiens. Si lenfant continue tre priv de soutien et damour, sil ne lui est pas donn dexutoires pour ses blessures douloureuses, ces assauts supplmen- taires contre un moi dj affaibli auront pour rsultat la constitution dun moi irrel vigoureux qui protge lenfant dsarm. A partir de ce moment-l, le moi irrel domine, il protge lenfant mais en lentranant dans la psychose. Cest la prdominance du moi irrel (le moi qui ne ressent pas) qui explique l'apathie que lon ob- serve chez les nvross fortement refouls et chez les psychotiques : cest ce quon appelle le dficit daffect. On peut dire quils sont presque littralement plus morts que vifs. Par consquent, la psychose est lapprofondissement du clivage nvrotique du moi, approfondissement qui fait natre une nouvelle qualit dexistence. Cest dans la paranoa que le clivage ressort le mieux, car le sujet y est incapable de maintenir la dissociation lintrieur de lui-mme et dutiliser son corps comme dfense. Le paranoaque projette ses sentiments lextrieur de lui- mme, prtant ses penses aux autres, imaginant quils sont en train de conspirer contre lui ou de contrler ses penses. Bien que le contenu de la paranoa soit diffrent pour chaque individu, le processus demeure le mme : il sagit de protger le sujet contre une souffrance intol- rable. Par exemple, le sujet qui ne peut supporter de ressentir sa terrible solitude, invente un personnage qui le surveille continuellement. Les penses de ce person- nage imaginaire symbolisent les sentiments du malade. Un paranoaque pensera par exemple quune serveuse de restaurant pense du mal de lui. Ce sujet a peut-tre eu des parents qui toute son enfance ont pens du mal de lui, de sorte quil a appris tre sur ses gardes afin de se dfendre de leurs coups psychologiques. Cette prudence peut continuer jusquau point o il attend une blessure, mme l o elle nexiste pas; cest ainsi que les rminis- cences du pass qui viennent en surimpression sur le prsent, donnent un caractre bizarre ses ractions prsentes. Le caractre bizarre provient de lincapacit de distinguer le pass du prsent et ce qui se passe en lui de ce qui se passe en dehors de lui. Il ny a rien de terriblement illogique sattendre souffrir, quand dans son enfance, on a continuellement t maltrait. Le paranoaque ignore que cest en fonc- tion de souvenirs quil ragit. Son illusion pathologique est relle : cest la projection sur le monde extrieur de souvenirs refouls, la souffrance faite ralit. Voit-il de la vermine sortir des murs ? Seulement si cela a une signification intrieure. Quel que soit le contexte de sa paranoa, le sujet voit ou entend en gnral dans le monde extrieur des choses qui soulageront sa souffrance intrieure. Il faut que la souffrance soit trs intense pour contraindre le malade mettre une telle distance entre lui-mme et ses senti- ments. Les hallucinations du paranoaque mettent sou- vent en jeu une force explosive : il imaginera que quelquun na qu appuyer sur un bouton pour lui faire littralement exploser la tte. Mais cette force nest autre que celle de ses propres sentiments que pour des raisons de scurit, il place l'extrieur de lui-mme pour se protger du danger interne. Le paranoaque ne perd pas totalement le contact avec ses sentiments. Ses hallucinations possdent du moins une certaine cohrence, ce qui nest pas le cas des psy- chotiques les plus gravement atteints, qui semblent baragouiner et nmettent que quelque chose dinforme. Dans lensemble, le paranoaque peut encore tablir des contacts. Il parlera du prix des tomates ou connatra les rsultats des championnats de base-ball. Sa bizarre- rie se dcouvre peut-tre seulement si lon touche au domaine du moi cach. Pour parler en termes de thra- pie primale, quand les sentiments rels sont dclenchs, le systme irrel doit intervenir prcipitamment pour les changer en symboles. Un paranoaque qui est parfaite- ment capable de suivre un jeu de base-ball, sera brus- quement pris dangoisse lors dune simple transaction avec un marchand de glace, parce quil se figurera que le marchand complote secrtement contre lui pour lui nuire. J e crois que le paranoaque imagine toujours des conspirations caches au lieu dune menace ouverte, parce que cela correspond obscurment ses propres sentiments secrets et inconnus. Une fois le secret projet lextrieur , il peut centrer sa dfiance sur quelque chose de prcis. Ce processus est le mme que chez le nvros, la diffrence que la phobie de celui-ci, ce sur quoi il concentre sa peur, est un peu plus plausible. Afin de comprendre pleinement les illusions patholo- giques et les hallucinations, il faut saisir ce quest la profondeur de la peur primale une terreur que nous ne voyons presque jamais, parce que nous la contrlons la plupart du temps. Dans la majorit des cas, nous la contrlons en lenrobant de notions rconfortantes. Prenons un exemple courant : la croyance en lau-del pour rendre la mort moins dfinitive et moins irrvo- cable. Il ne viendrait lide de personne de considrer la croyance en lau-del comme un phnomne de psy- chose parce que cette ide est une institution sociale. Mais en serait-il ainsi sil ny avait quune minorit de gens pour y croire ? Cette croyance irrationnelle, irra- tionnelle parce quelle nest fonde sur rien qui puisse tre prouv, peut tre adopte par une personne mi- nemment rationnelle par ailleurs, mais cause de la peur primale, elle est contrainte de crer tout un tissu dirrationalits pour tenir en chec ses sentiments. Pour concilier lincompatibilit apparente de notions ration- nelles et de notions irrationnelles qui coexistent en elle, elle sera contrainte de dvelopper une notion irration- nelle supplmentaire savoir quil y a en chacun de nous, un ct obscur et irrationnel qui dfie toute explication logique. Toute cette superstructure idologique pour viter de ressentir le sentiment rel ! La bizarrerie du raisonnement (illusion pathologique) ou de la perception (hallucination) dpend de la profon- deur de la terreur. Plus la peur est profonde, plus le raisonnement qui doit la cacher est forc . Aussi longtemps que les sentiments peuvent tre traduits en penses, lesprit peut rester ordonn et matre de lui- mme. Mais, si pour une raison ou une autre, le sujet narrive plus ordonner ou organiser ses sentiments, il approche de sa terreur. Il y a en tout psychotique une souffrance terrible parce que ni son moi rel ni son moi irrel nont t accepts. Ds le dbut de sa vie, il na eu dautre res- source que de se retirer du monde. Sil me fallait dfinir dune phrase ce qui diffrencie le psychotique du nvro- s, je dirais que le nvros a trouv un moyen de se sentir laise dans le monde (sa faade le sauve), tandis que rien ne peut faire que le psychotique se sente laise rien na march . La paranoa nat quand, sous leffet du stress, le moi irrel ne peut plus tre maintenu et se dsintgre. Cela arrive quand lesprit nest plus matre de ce que le corps ressent. A ce moment-l, le psychisme du sujet se re- constitue un autre niveau, un niveau psychotique. Comme la dit un patient : On devient fou quand on ne peut plus faire fonctionner sa nvrose. Le fait que le paranoaque parle souvent tout seul et se fasse ses propres rponses, indique le clivage dont jai parl prcdemment : cest un moi qui sadresse lautre. Le nvros est en gnral capable de garder ce dialogue dans son esprit. Le psychotique na pas cette chance. On comprendra mieux ce processus la lumire du commentaire que faisait un ancien paranoaque : Trs tt dans ma vie, jai cess dcouter les men- songes de mes parents, jai commenc nentendre que lorsque je le voulais. Mon oreille sest littralement ferme tout ce qui tait extrieur, tel point que jai cru un moment que je devenais sourd. Il na pas fallu longtemps pour que je nentende plus que les produits de mon imagination des voix. A la suite du primal, jai retrouv loue. J ai dcouvert que je ne pouvais plus entendre les choses telles quelles taient relle- ment dans mon enfance, je ne les entendais que telles que je devais les crer. La dialectique de la paranoa est la mme que celle de nimporte quel comportement irrel : plus on approche de la vrit douloureuse, plus loin on doit fuir. Il y a ainsi des distances variables par rapport la ralit : cela va de la mauvaise interprtation de ce que lon voit jusqu la vision de ce qui nest pas. Dans loptique primale, plus le sujet est proche de ses sentiments, plus il sera proche de la ralit extrieure et mieux il com- prendra la psychologie des autres et les phnomnes sociaux. Plus la ralit intrieure est bloque, plus la perception sociale est vague. Dans sa fuite dsespre devant sa propre vrit, le paranoaque se voit ainsi contraint de modifier souvent de faon bizarre la ralit extrieure. Un contact authentique avec la ralit est toujours un processus interne : le systme de dfenses est instaur contre le monde intrieur et non contre le monde ext- rieur. Ce nest pas des autres que le schizophrne a peur, ce sont les autres qui dclenchent en lui la peur de ses propres sentiments. Combien de patients nai-je pas vus qui, aprs leur primal, ont touch leur visage ou un objet quelconque en disant quils avaient limpression de toucher la ralit (la ralit extrieure) pour la premire fois. Les projections du paranoaque sont pour nous des in- dices de ce que renferme le rservoir de souffrances primales. Mais, mon avis, ce nest pas en analysant ces projections symboliques, en entrant dans le systme hallucinatoire du malade, en entrant dans son jeu ou en essayant de le persuader de quitter ses ides irrelles, que lon peut arriver des rsultats positifs. Ce nest pas avec des discours que lon peut tirer le paranoaque pas plus que tout autre malade de sa souffrance. Tant que des catgories de psychoses (catatonie, schi- zophrnie, psychose maniaco-dpressive et paranoa) nont pas une incidence matrielle sur le genre de trai- tements quon leur applique, le diagnostic est pratique- ment sans importance. Le sujet qui na pas perdu la capacit dtablir des rapports interpersonnels peut en gnral tre trait. La notion que la nvrose et la psychose sont des sys- tmes de dfenses est capitale. Un moment critique arrive lorsque des sentiments sont veills : le sujet peut soit les ressentir, soit les refouler et devenir ainsi malade mental. Le jeune enfant refoule ses sentiments son moi rel et devient quelquun dautre, celui que ses parents attendent quil soit. Sa nvrose est une dfense Ladulte qui refoule ses sentiments primals, peut aussi seffondrer et devenir quelquun dautre; seulement ce quelquun dautre naura peut-tre absolument rien voir avec la ralit il sera Napolon, Mussolini ou le pape. La dpression nerveuse correspond un primal qui se droulerait sans thrapeute primal. Le sujet com- mence ressentir les sentiments primals et, terroris, se rfugie dans une enclave irrelle de lesprit. Un primal est ce mme effondrement des dfenses librant les sentiments. Si le jeune enfant avait eu quelquun vers qui se tour- ner avec ses sentiments primals, quelquun qui ait pu laider comprendre ce quil ressentait, qui ait pu le soutenir, il est trs vraisemblable quil naurait pas eu besoin de clivage et ne serait pas devenu ce quil nest pas. De mme, un adulte qui a quelquun prs de lui qui laide ressentir et comprendre ses sentiments, qui le soutienne tout au long de ce processus, na pas besoin de clivage qui mne la psychose. Il ne peut seffondrer quen lui-mme, ce qui signifie sant, et non maladie. Voici le compte rendu du traitement dune psycho- tique de trente-cinq ans, qui dlirait et avait des halluci- nations elle entendait une voix qui lui parlait et diri- geait sa vie. J usqu' prsent, elle a fait, au cours de douze mois de thrapie, plus de soixante primals (o elle tait prise de convulsions, se laissait tomber du divan, allait se cacher sous la table, etc.), et rien ne laisse penser quil y aura rechute. Ses rves sont rels et elle nentend plus la voix quelle avait entendu pendant des annes. Cette malade a eu une vie qui dfie toute description. Elle avait t sauvagement viole et presque assassine lge de trois ans et demi par son pre qui tait ivrogne et sadique. Le clivage semblait dater de ce viol dont le souvenir ne lui revint quau bout dune vingtaine de primals. Une fois que la mmoire commena revenir, elle ne put revivre chaque primal quun aspect isol de ce traumatisme. Il fallut une vingtaine de primals de plus pour retrouver dans sa totalit cette seule exp- rience bouleversante. Lorsque le clivage survint lge de trois ans et demi, deux moi se dvelopprent. Au fur et mesure que les annes passaient, elle tait de plus en plus dirige par une voix qui lui disait ce quelle devait faire. Ctait la voix du moi rel qui la maintenait en vie. Elle devait dire plus tard : Cest cette voix qui ma permis de men sortir. De ses moi spars elle dit au- jourdhui : Est-ce que jtais folle parce que jentendais mon moi spar chanter dans une fort comme un Indien ? Est-ce que jtais folle de croire que cette voix me disait comment agir et ce quil me fallait voir ou ne pas voir ? J e pense quil faut rpondre par laffirmative. J amais je ne pouvais voir la ralit qui mentourait parce que je vivais dans la souffrance. J e fuyais toutes les situations qui me paraissaient un tant soit peu effrayantes, de peur quelles ramnent toutes ces horreurs anciennes. J e crois que je vivais dans la folie parce que je ne pouvais pas la sentir. J e nai jamais os comprendre ou mme me rap- peler ce qui stait pass. De peur de me dtruire, jtais force de projeter mes sentiments de peur sur le monde extrieur sur les autres. J e crois que ma folie tait cause par un excs de souffrance et sous ma folie, il y avait la souffrance r- elle que je ne pouvais pas supporter. Maintenant je sais que je refoulais tous mes sentiments pour tre sre dviter la souffrance. La diffrence entre moi et les autres tait peut-tre le fait que je voyais mes sentiments dans tous ceux qui mentouraient, alors quils ne fai- saient que djouer leurs propres sentiments. Puisque tout ce qui mentourait quand jai grandi tait de la folie, tais-je folle parce que je refusais de voir les choses telles quelles taient ? Peut-on appeler folie le dsir de survivre tout prix, si cela signifie mourir int- rieurement pour quune partie de vous puisse vivre ? Si javais ressenti lhorreur dans laquelle je vivais sans tre protge par un univers imaginaire, si javais compris quil ny avait personne pour mcouter si javais dit la vrit, je crois que je ne men serais jamais sortie. De toute vidence, pour cette patiente, la folie tait une dfense contre la sant mentale. Ctait une exp- rience accablante que de vivre avec une mre qui lui imposait un pre sadique et fou, une mre qui, comme elle lavait souponn trs tt, ne se souciait pas delle, ne soccupait pas delle quand elle tait malade et aurait peut-tre mme souhait la voir mourir. La fillette navait personne vers qui se tourner. Elle ma dit plus tard : Ce quil est tellement impossible dadmettre, cest de se savoir tant mprise, pour la seule raison que je vivais sous leur toit. J essayais dtre gentille, calme et obissante, pensant toujours quil fallait bien que les torts soient de mon ct pour que je sois traite de la sorte. J tais petite, je ne pouvais pas savoir quils taient tous rellement fous. J essayais dtre sage afin de comprendre la haine que ma mre me portait. J e croyais quelle me faisait rester avec mon pre parce que je ntais pas gentille. J e me disais que ctait peut- tre moi qui rendais mon pre ainsi. Lorsquelle ressentit la ralit de son irralit (sa psy- chose), ce fut le commencement de la fin de la souf- france. Depuis lenfance, elle avait toujours souffert dune espce de bourdonnement dans sa tte; elle com- prit au cours dun de ses derniers primals que ctaient tous ces cris qui staient accumuls depuis son enfance. Vers la fin de la thrapie, elle crivait : J e crois que cest un miracle que jaie survcu et que je sois en vie maintenant. J accde un degr dhumanit que les autres ont sans doute toute leur vie. Mon moi est entier, mais je le sens fragile. J ai tellement peur dtre nou- veau spare. A propos de ce clivage, elle sexprimait de la faon suivante : J e voyais mon moi spar et je lentendais spar- ment, car il navait jamais le droit de sexprimer. Il fallait que je suive cette voix, que je lcoute, javais peur de quitter ce monde pour entrer dans un univers que je pensais fou. Elle me parlait de la beaut relle, des couleurs et des harmonies relles. Elle disait que la grisaille et cette qute dillusions provenaient de ce que je ne lui obissais pas. Elle me disait que je ne hassais personne parce que la haine ntait jamais relle, seule- ment la peur dtre blesse. Ctait la peur et tout venait de lattente de la souffrance. Elle me disait que la ralit tait amour parce que ce nest que dans la ralit que lon pouvait vraiment com- prendre et accepter les autres. Elle me disait que jtais humaine et que ctait tout ce que je pouvais jamais tre; maintenant, je la crois. Maintenant, ce sont les gens irrels qui me font peur parce quils ont tendance sutiliser les uns les autres, pour provoquer, apaiser ou refouler le sentiment de ntre pas aim. Peut-tre quen thrapie conventionnelle, on aurait essay de me faire voir ces sentiments dune manire pour ainsi dire artifi- cielle. Mais cela naurait pas march parce que je sais aujourdhui quil faut sentir les besoins avant de pou- voir faire face au fait quils nont pas t satisfaits. Au cours des primals, cette malade se sentait devenir folle et commenait avoir des hallucinations ds quelle approchait du sentiment quelle navait jamais t et ne serait jamais aime par sa mre, quelle naurait jamais un pre comprhensif qui lui parlerait et couterait ses problmes, et quelle ne serait jamais caresse et berce, quoi quelle fasse. Le tout tait de laider a ressentir les causes de son clivage, de la faire pntrer dans cette galerie dhorreurs do elle stait enfuie des annes auparavant et de la plonger dans les tourments les plus douloureux afin quelle retrouve son moi entier. Cette dmarche doit se faire petits pas afin que le corps puisse sen accommoder, sinon le senti- ment ne sera pas ressenti. La peur et la souffrance se liguent pour carter le sentiment et maintenir le clivage du moi. Cet exemple montre bien quen thrapie primale, le processus de renversement dune psychose est similaire au traitement de la nvrose. Cependant, le psychotique se distingue du nvros par la quantit norme de souf- frances sous-jacentes et par la fragilit de son moi rel. Le psychotique a en lui tant de souffrance que son traitement peut demander deux trois fois plus de temps que celui du nvros. De plus, durant la thrapie, il faut surveiller ses conditions de vie pour tre sr quil ne subit pas de stress extrieur. Mais jusquici, notre exp- rience justifie un optimisme prudent quant aux chances de gurison puisque le traitement du psychotique ne diffre pas de celui du nvros. Il sagit de faire ressen- tir au patient les sentiments qui ont caus le clivage pour quil nait plus transformer la ralit en irralit afin de pouvoir vivre. Pour citer encore une fois ma patiente qui a t psy- chotique : J ignore encore beaucoup de choses, je suis encore tellement faonne par la contrainte, mais mes sentiments disaient la vrit. Ma psychose cache la vanit de lespoir, la terrible solitude et le fait de ntre pas aime. Si un autre malade mental peut ressentir ces sentiments, les cris seront forcs de sortir de son corps comme ils sont sortis du mien. Ce soir, dans le silence et dans lobscurit de la solitude, jai senti que dans cha- cun de mes actes, dans tout ce que jentends et dans tout ce que je vois, je suis en train de devenir un tre humain unique. Le monde devient magnifique parce que je deviens ce que les gens esprent de Dieu : lamour, sans souffrance, immuable. Dans les Psaumes il est crit : J entrerai dans la val- le de lombre de la mort, sans en redouter aucun mal ! J e sais que cette valle se trouve l o jai com- menc il y a si longtemps, o je crois que quelquun maimerait; je croyais que Dieu maimait, mais en mme temps, je sentais quil ntait que dans mon es- prit. Aujourdhui je sens poindre une nouvelle ralit.
CHAPITRE 21
CONCLUSIONS
J e suis tout tonne de dcouvrir que le langage de mes sentiments et le langage de mon intellect ont dit la mme chose de faon diffrente. Quelle illustration de la scission entre corps et esprit, sentiments et pense... Etre incapable de comprendre parce quon ne ressent pas, tre incapable de ressentir parce quon ne com- prend pas la peur de linconnu. Barbara (une patiente)
La thrapie primale est essentiellement une mthode dialectique par laquelle lindividu gagne en maturit au fur et mesure quil ressent ses besoins de lenfance, gagne en chaleur en ressentant sa froideur, devient fort en ressentant sa faiblesse, se transporte entirement dans le prsent en ressentant le pass, et revient la vie en ressentant la mort du systme irrel. Cest linverse de la nvrose o lon a peur et joue au courageux, o lon ressent peu et fait limportant et o lon djoue conti- nuellement le pass dans le prsent. J e crois que la thrapeutique primale est efficace parce quelle donne au patient loccasion de ressentir ce quil a dguis sous les comportements symboliques les plus divers tout; au long de sa vie. Il na plus jouer ladulte matre de lui, il peut enfin tre ce quon lui a toujours interdit dtre, dire voix haute ce quil na jamais os murmurer. Selon moi, la maladie, cest le reniement des sentiments et le remde, cest de les res- sentir. Le systme irrel tait indispensable au petit enfant, mais plus tard, il nous touffe et nous dforme. Il ne permet ni repos, ni sommeil sans terreur et sans tension. Cest le systme irrel qui doit administrer des tranquil- lisants au systme rel afin dempcher son cri dans un moment dinattention. Cest ce systme irrel qui bourre le systme rel daliments dont il na pas envie et quil ne peut pas digrer. Cest encore le systme irrel qui trane le systme rel de travaux en projets, dans un cycle infernal. Dune faon mthodique, il tue littrale- ment le sujet petit feu. En attendant, il sacquitte gn- ralement bien de sa tche : il carte la souffrance en couvrant le moi qui ressent, dun bouclier tel que plus rien ne traverse. J usqu la mort, on fait alors semblant de vivre toujours avec le sentiment dsesprant que le temps passe et que lon na pas encore commenc vivre. Tant quil subsiste la moindre parcelle du systme ir- rel, il restera vigoureux et rprimera le systme rel. Il est un tout dans tous les sens du terme, et si jinsiste tant sur ce point, cest quil y a tant de thrapeutiques s- rieuses qui ne traitent que des aspects fragmentaires de la nvrose, croyant quil sagit dentits indpendantes, sans rapport avec un systme. Cest pourquoi il existe des cliniques de dsintoxication pour fumeurs, alcoo- liques et toxicomanes, des instituts damaigrissement, des cliniques o lon soigne les phobies par lhypnose, o lon pratique le conditionnement de symptmes au moyen de chocs ou de rcompenses, des thrapies du mouvement et la mditation. La thrapie primale affirme que le systme tout entier doit tre limin. Tant quon ne le fait pas, on verra toujours des pres denfants dlinquants jurer, dans des tablissements o les parents viennent consulter, de bien se comporter lgard de leur fils, de passer plus de temps avec lui et de ne plus le critiquer. Ils le feront... pendant six mois environ, jusqu ce quils soient repris par la nvrose. On verra des obses perdre des kilos dans des cliniques dittiques, pour les reprendre en quelques mois. Le nvros arrive quelquefois se re- faire une faade (pour lobse, on peut prendre la for- mule en son sens littral) pour un temps; mais, long terme, cest la nvrose qui lemporte. Toute la thrapie primale est centre sur le sentiment. Il ne sagit pas seulement du sentiment prsent mais aussi de ces sentiments anciens qui nous empchent de ressentir le prsent. Notre but est de faire ressentir le sentiment, chose que le nvros a laiss derrire lui mais qui fait irruption dans sa vie de chaque instant; le senti- ment qui dit : Papa, soit gentil ! Maman, jai besoin de toi. Ce sont ces sentiments primals qui viennent en surim- pression sur la vie de tous les jours et font natre un malaise latent. Ce sont eux qui provoquent les cauche- mars, les mariages trop htifs (on pouse la lutte), pro- duisent des impulsions perverties toutes-puissantes. Ce sont ces sentiments que soixante ou soixante-dix ans de vie laissent intacts. La thrapie consiste exclusivement les ressentir. Le nvros vit dans une curieuse contradiction. Il est pris au pige de son pass en mme temps quil est sans pass. Il en est coup par la souffrance primale. Ainsi il doit jour aprs jour djouer sa propre histoire. Cest la raison pour laquelle il ne change pas beaucoup au cours de sa vie. Il est pratiquement quarante ans ce quil tait douze se frayant un chemin travers sa lutte, se livrant ses rites nvrotiques, exprimant sa nvrose par chaque parole, trouvant toujours de nouvelles occa- sions de recrer la situation quil a connue dans son enfance. Le sujet normal a une histoire, son moi a une conti- nuit que la souffrance na pas interrompue. Il est enti- rement en possession de lui-mme. Comme le nvros est retenu par son pass, son dveloppement aussi bien physique que mental en souffre souvent. Ni le corps ni lesprit ne se dveloppent rgulirement de sorte quon peut voir des retards de croissance. Une fois la raison du retard carte, on observe lapparition de la barbe chez des hommes adultes, un comportement sexuel normal, et toutes les preuves incontestables de changements psychophysiques complets que jai dj dcrits. Beaucoup de thories psychologiques traitent du dveloppement de lindividu, mais je me demande sil sagit rellement du dveloppement de la personne entire. La baisse spectaculaire de la tension artrielle, les modifications de temprature et le ralentissement du rythme cardiaque, mont convaincu que les patients qui ont suivi la thrapie primale, non seulement mneront une vie plus saine, mais aussi quils vivront plus long- temps. Toutes les autres raisons de redevenir rel mises part, je crois que lirralit tue. On dirait vraiment quelle dchire le corps, elle supprime la scrtion de certaines hormones, elle en stipule dautres lexcs, elle met lesprit aux abois et maintient le corps dans son collier de misre. Etre rel, cest tre dtendu plus de dpressions, plus de phobies, plus danxit. Fini la tension chro- nique et avec elle, la drogue, lalcool, la boulimie, les cigarettes et le surmenage. Etre rel, cest navoir plus besoin de comportements symboliques. Etre rel, cest tre capable de produire sans tous les blocages qui affligent tant de crateurs; cest nouer des relations o nul nest exploit de sorte que finalement le moule peut tre bris et que nous pouvons mettre au monde des tres nouveaux, capables dtre vraiment contents. Etre rel, cest trouver la satisfaction de ses propres besoins et savoir satisfaire ceux des autres. La notion fondamentale, cest le besoin. Lenfant a des besoins. Cest avec les besoins quil tablit une relation ds le dbut de sa vie. On peut luder un besoin, le refouler, le ridiculiser ou lignorer, mais tout cela est vain et ne modifie pas dun iota le besoin. Cest ainsi que le besoin fondamental frustr peut se transformer plus tard en besoin de boire ou davoir des rapports sexuels ou de manger, mais le besoin rel est toujours l et cest lui qui rend ces besoins de substitution aussi compulsifs et tenaces. Voil lobjet de la thrapie pri- male : ressentir le besoin. On est en droit de penser que dans une socit nor- male, o les besoins rels seraient reconnus et satisfaits, on devrait rencontrer peu de comportements irration- nels. On naurait pas besoin dune telle multitude de lois et de rglements (de tu dois ) car les gens normaux comprendraient la ncessit de ralentir ou de sarrter un carrefour et ils nprouveraient pas le besoin de con- duire dangereusement. Ils respecteraient les droits des autres et ne verraient pas le moindre intrt supprimer la vie dautrui. Le refoulement des sentiments et des besoins exige une bonne dose de matrise de soi. Quand le sujet ne se fie pas son systme rel, il faut quil examine et vrifie un un tous les aspects de son comportement pour arri- ver sen rendre matre. Cette matrise est ncessaire pour rprimer le systme rel. Mais la maladie exige ses symptmes. Ainsi, le contrle que le sujet exerce ici ou l se traduit par lapparition dun nouveau symptme ailleurs. Un contrle total cre une telle pression interne que le systme lui-mme seffondre ou explose. Dans une socit irrelle, ceux qui montrent le moins de sentiments passent pour des modles, tandis que ceux qui en expriment beaucoup sont souvent taxs dhystrie ou dhypermotivit. On dirait le monde lenvers. Mais dans un milieu irrel, limpassibilit passe pour saine, et la passion pour suspecte. Ce prin- cipe a t gnralis de telle sorte que, dans notre soci- t, on entrane mme ceux qui doivent gurir, les psy- chologues et les psychiatres, ne pas montrer dmotion. On fait deux les miroirs impassibles des sentiments des autres, alors quils devraient en tre les dynamiques pourvoyeurs. Lenfant qui commence par tre lev par des parents qui refusent tout contact affec- tif, dont le quotidien est fait de hros de cinma laco- niques et denseignants qui sont le plus souvent lincarnation mme de limpassibilit, doit finalement aller demander de laide un thrapeute froid. La thrapie primale insiste sur le fait que les mesures rformatrices que lon prend en thrapie convention- nelle ne servent qu modifier la faade tout en gardant la nvrose intacte. A mes yeux, les thrapeutiques labo- rieuses et interminables de linsight maintiennent le patient dans le processus de la gurison (plus exacte- ment la lutte pour la gurison), sans quil narrive ja- mais tre guri ! A mon avis, la thrapie conventionnelle a t accepte par les intellectuels de la bourgeoisie parce que cest en gros une approche de bon ton qui peut stimuler les sen- timents, mais ne risque pas de remettre en question les structures fondamentales. Trop souvent, les mthodes thrapeutiques qui sappuient essentiellement sur lexplication, nont eu pour effet que daggraver sans le vouloir la maladie des intellectuels qui consiste vou- loir tout expliquer et tout comprendre. Toute la psychothrapie conventionnelle est base sur le principe selon lequel le sujet arrive comprendre ses sentiments et ses besoins inconscients, et change en les rendant conscients. Dans loptique de la thrapie pri- male, la prise de conscience est le rsultat du fait de ressentir; arriver connatre les besoins ne rsout rien. Cela vient du fait que les besoins (et toutes les expres- sions refoules, quelles soient physiques ou verbales, deviennent des besoins jusqu leur rsolution) ne sont pas enferms dans une capsule dans le cerveau. Il faut quils soient ressentis par lorganisme tout entier parce quils imprgnent lorganisme tout entier. Sil nen tait pas ainsi, il ny aurait pas de symptmes psychosoma- tiques. Sil est exact que la tension est le besoin primal dconnect et que cette tension se retrouve dans tout le systme, il est vident que le besoin existe tous les niveaux de lorganisme. Sinon, il nous faudrait conclure que les besoins sont consigns dans un recoin du cer- veau et quil suffirait pour soigner la nvrose de rendre conscient ce qui est inconscient. De plus, les besoins ne doivent pas seulement tre res- sentis par tout le corps, mais ils doivent tre revcus tels qu'ils ont t. Si ladulte arrive, en thrapie primale, se dbarrasser de ses besoins, cest quils datent de lenfance et quune fois rsolus, ils ne reprsentent plus rien de rel pour ladulte. J ai eu un patient qui, enfant, tait le bon petit garon de sa maman , parce quil ne faisait pas pipi dans sa culotte. Il avait grandi en urinant rarement. Pendant la thrapie, il urinait presque toutes les heures, jusquau jour o il arriva revivre ces pre- miers temps o il avait eu besoin duriner mais stait retenu pour gagner lamour de sa mre. Une fois revcu, ce besoin disparut dfinitivement. Bien que le monde daujourdhui connaisse dindescriptibles tragdies, le sens de lhorreur semble insuffisant. Cest peut-tre cause de la nvrose que nous laissons de telles atrocits se poursuivre, chacun de nous se dmenant pour fuir sa propre horreur. Cest pourquoi les parents nvross ne peuvent pas voir lhorreur de ce quils font leurs enfants, pourquoi ils ne peuvent comprendre quils sont en train de tuer un tre humain petit feu. Ils ne voient mme pas cet tre humain. Le rsultat sur le plan social de ce mcanisme de refoulement gnralis est analogue ce qui se passe dans lindividu ladoption dun comportement qui nest pas en accord avec la ralit. Cest ce qui permet que beaucoup dentre nous subissent des lavages de cerveau : nous ne voyons et nentendons que ce qui soulage notre souffrance, et nous privons notre corps de la facult de sentir. Lorsquun systme irrel ne peut satisfaire les be- soins, il doit offrir lespoir et la lutte comme substituts. Cest ainsi que le sujet consent renoncer ses besoins rels afin de poursuivre des valeurs symboliques puissance, prestige, succs et russite sociale. Mais ces satisfactions symboliques sont toujours insuffisantes parce que le besoin demeure. Bon nombre de psychologues et de psychiatres ont abandonn les diverses coles de psychothrapie et ne se rclament plus ni de Freud ni de J ung, prfrant adopter une position clectique. Mais ce quon ne semble pas voir, cest que lclectisme nest souvent quun solipsisme lenvers, o peu prs tout peut tre vrai parce que rien ne lest. Selon moi, lclectisme est une dfense contre la croyance en une ralit unique; il nourrit lillusion que nous sommes ouverts toutes les conceptions. J e crois que la psychologie sest coupe des sentiments des patients individuels et quelle a cha- faud des hypothses sur certains types de comporte- ment, a aprs des expriences faites sur les animaux ou des thories labores il y a des dizaines dannes. Sou- vent, ces abstractions thoriques ne se sont gure rv- les plus aptes expliquer et prvoir les processus psychologiques que lanalyse que fait le patient de son propre comportement. Peut-tre ne devrions-nous pas nous attendre ce que les psychologues soient diffrents des autres hommes. Les thories quils adoptent sont simplement des vues subtiles sur lhomme et son univers. Il faut que ces ides soient en accord avec lensemble des conceptions du psychologue cest--dire quelles doivent aider renforcer le systme de dfenses et tenir la souffrance (la vrit) distance. Ainsi, moins que le psychologue ne soit pratiquement dpourvu de dfenses, il est peu vraisemblable quil adoptera une mthode fonde sur labsence de dfenses et sur la libration de la souf- france. Essayer de persuader un psychologue dot de solides dfenses dadopter une thorie nouvelle sur les individus, reviendrait peu prs essayer de persuader un patient dabandonner ses ides irrelles et sa souf- france. J usquici, la psychothrapie a dans lensemble t fonde sur linterprtation. Cela supposerait que les psychologues soient les dtenteurs dun ensemble parti- culier de vrits sur lexistence humaine. Non seulement je ne pense pas quil existe de telles vrits universelles, mais je ne pense mme pas quil y ait des vrits spci- fiques quun individu puisse transmettre un autre. A mon avis, les problmes psychologiques ne peuvent tre rsolus que de lintrieur vers lextrieur, jamais en sens inverse. Nul ne peut expliquer un autre quelle est la signification de ses actes. Par consquent, toutes les thrapeutiques fondes sur la discussion ou sur lexplication, sont voues lchec sur ce point. Lorsque le patient est capable de ressentir, je suis per- suad que tous les graphiques, les schmas, les dia- grammes et les listes que nous avons tablis afin de comprendre le comportement humain, seront inutiles, car ils ne sont pas plus que la symbolisation dactions symboliques. J e propose que nous renoncions lanalyse et au traitement de ce qui est irrel pour aller droit ce qui est rel. J e trouve regrettable que les psychologues aient pass autant de temps affiner leurs descriptions du compor- tement humain (de tous les manges et de tous les trucs), croyant quun tel fignolage en donnerait la cl. Mais dcrire nest pas expliquer. Si dtaille que soit la description, elle ne donne pas le pourquoi , elle ne nous rapproche pas dun pas de la rponse. Maintenant que le lecteur en est arriv l, il doit se demander qui est en mesure dexercer correctement la thrapie primale. Lexprience que nous avons faite dans notre Institut de formation de thrapeutes, nous a prouv que seule la personne qui a subi la thrapie, peut la pratiquer. La raison en est simple : le meilleur moyen de comprendre les mthodes et leurs effets est dobserver sur soi-mme le processus complet. En outre, et cest plus important encore, le thrapeute ne pourrait pas effectuer de travail efficace sur ses patients sil y avait en lui une quantit importante de souffrance bloque. Quelquun qui na pas un psychisme sain, risque dexercer un contrle trop grand et dloigner le patient du lieu de sa souffrance. Ou, sil rprime sa propre souffrance, il hsitera peut-tre juste au moment o le patient a besoin quon le pousse pour arriver un primal. Le thrapeute primal nvrotique qui joue lexpert , bombardera le patient dinsights et de vo- cabulaire technique. Sil cherche se faire aimer, il sera incapable dattaquer le systme de dfenses du patient. Quoi quil fasse, il ne doit pas priver le patient de ses sentiments. Or, cest un travers dans lequel on tombe facilement; jai moi-mme le souvenir davoir dit, dans les premiers temps de ma pratique en thrapie primale, un jeune homme qui se lamentait sur ce que sa vie avait de tragique : Mais voyons, vous navez que vingt ans; vous avez toute la vie devant vous. J e le privais de son besoin de ressentir la tragdie des vingt ans quil venait de vivre. Le thrapeute primal ne doit pas avoir de dfenses. Il doit faire jaillir de ses patients une souffrance faire frmir et il ne peut le faire sil ne sest pas dbarrass de toute dfense contre sa propre souffrance. Sil a des dfenses, il sera automatiquement tent de calmer et de rassurer son patient juste au moment o il devrait faire le contraire. De toute faon, je ne crois pas que le pa- tient cherche vraiment se faire consoler. Il a besoin de quelquun qui lui permette dtre ce quil est mme si cela quivaut lui permettre dtre malheureux. Un thrapeute irrel contraindrait involontairement son patient accepter son irralit. Son prestige et sa position reprsentent aux yeux du patient la ralit; mme si pendant des mois, le thrapeute parle peine au cours du traitement, le patient accepte cette attitude impntrable comme une pratique habituelle. Si le th- rapeute est froid et distant, le malade lutte pour obtenir un peu de chaleur, si le thrapeute adopte une attitude de supriorit intellectuelle, cela implique que le patient adopte une attitude dfrente vis--vis de cette intelli- gence. Le patient ne devrait pas tre oblig dadopter une attitude particulire vis--vis de son thrapeute; il ne doit jamais avoir le sentiment que le thrapeute a des besoins que lui, le patient, doit satisfaire, consciemment ou inconsciemment. Que dire des qualifications professionnelles requises pour un thrapeute primal ? Il doit avoir assez de con- naissances en physiologie et en neurologie pour ne pas traiter un trouble crbral organique comme un trouble psychologique. Il doit avoir le sens de la dmarche scientifique et savoir ce quest une preuve. Il doit ap- prendre renoncer toutes spculations abstraites sur ce qui se passe dans son malade, mais tre assez ouvert pour permettre au patient de lui dire ce qui est rel. Il doit tre la fois sensible et perceptif. Cela suppose videmment quil ait ressenti toute sa souffrance. Cela le rend automatiquement apte comprendre les autres. Sensible au rythme de sa propre vie, il dclra si celle des autres est dphase. Il peut ressentir, par cons- quent, il saura quand les autres ne ressentent pas. En rsum, il doit avoir des qualits que beaucoup dentre nous ont perdues dans leurs premires annes de vie : il doit tre direct, rceptif, bon et chaleureux. J e ne crois pas quun nvros (une personne qui ne ressent pas, aussi grandes que soient ses connaissances thoriques), puisse vraiment aider un malade nvros. Si le thrapeute bloque ses propres sentiments, il ne peut savoir si le malade refoule les siens ou les exprime. Par dfinition, le nvros ne vit pas dans le prsent. Le th- rapeute primal doit tre avec son malade seconde aprs seconde. Il doit sentir la monte du sentiment et savoir comment lencourager. Il ne peut le faire sil est tou- jours en train dchafauder des explications labores pour son patient. Cest le degr de ralit du thrapeute qui dtermine le degr de ralit auquel le patient peut accder, de mme que le degr dirralit des parents dtermine en une large mesure le degr de ralit que leur enfant pourra atteindre. Cest non seulement ce que fait le thrapeute qui importe, mais ce quil est ! La thrapeutique primale comporte un certain nombre de techniques, mais entre les mains dun nvros, elles perdent toute valeur, mme si cette personne a une con- naissance approfondie de la physiologie, de la sociolo- gie et des thories psychologiques. Le thrapeute primal nest pas en prsence dun pa- tient analyser qui prsente des dfaillances de son superego ou dun malade existentiel qui passe par une crise, bref, il na pas affaire des catgories ou des types thoriques. Nous savons que le malade qui vient en thrapie, a en gnral un comportement irrel. Nous ne croyons pas ncessaire de mettre une tiquette sur son type de comportement et den faire autre chose par exemple : identification psychosexuelle insuffi- sante. Le thrapeute primal ne soigne pas une conduite compulsive ou hystrique, il traite un sujet qui dguise ses sentiments dune certaine manire. La forme que prend ce dguisement ne lintresse quaccessoirement, ce qui lui importe, cest la ralit sous-jacente. Ce qui est fcheux, cest que le nvros a pass toute sa vie commettre des actes irrels et il fait probable- ment de mme dans le choix de son thrapeute. Il choi- sit des pseudo-psychothrapies et des pseudo- psychothrapeutes de manire faire semblant de gu- rir, sans ressentir la souffrance dont il sait souvent au plus profond de lui-mme qu'elle lui est ncessaire pour gurir rellement. Trop souvent, la thrapie ne se dis- tingue pas du reste de sa vie elle est le symbole de quelque chose de rel, mais non la chose relle elle- mme. Il participe peut-tre des analyses de rves ou entre dans des groupes thrapeutiques organiss par des profanes. Trop souvent encore, le nvros qui passe sa vie se prcipiter dune chose lautre, choisit des formes expditives de thrapie sminaires de week- end, cures de six semaines o lon apprend les tech- niques dexpansion de la perception ou de formation de la conscience de soi. La plupart du temps, tous ces pro- grammes visent faire du malade un nouvel individu alors que tout le problme est, selon moi, de faire de lui ce quil est rellement. La sparation de lentre et de la sortie du cabinet du thrapeute est un hritage des premiers temps de la psychanalyse. Le fait que les patients ne se rencontrent pas et quil ny ait pas de pendule dans le cabinet, a peut-tre contribu faire de la thrapie quelque chose de fantomatique qui donne au patient limpression que les maladies du psychisme ont quelque chose de honteux quil faut tenir secret. Il arrive souvent que le malade quitte le cabinet du thrapeute les yeux rougis et quelque peu chevel, mais je ne vois pas pourquoi il faudrait dissimuler cette ralit aux autres patients. Si le malade sort irrit ou dprim, pourquoi le cacher ? En fait, les malades disent souvent que le fait de voir les autres quitter le cabinet bouleverss, les aident. De cette faon ils apprennent que derrire cette porte close, on les aidera ressentir au lieu de les en dissuader. On peut se demander pourquoi les malades qui sont en thrapie conventionnelle ne font pas spontanment des primals. Lune des principales raisons est sans doute quun thrapeute conventionnel, surcharg de travail, consacre rarement assez de temps un seul malade pour lamener faire lexprience de ses sentiments pro- fonds. Souvent, quand le malade serait juste sur le point darriver quelque chose dessentiel, les cinquante minutes de sance sont coules et il doit partir. Dans une socit o le temps est de largent , il est souvent difficile de trouver quelquun qui ait le temps de faire son travail fond. En thrapie primale, les patients sont unanimes noter combien il est reposant de savoir quils sont le seul patient en thrapie individuelle pen- dant une priode de trois semaines et que ce sont uni- quement leurs sentiments qui dterminent la fin de la sance. Le temps nest pas la seule considration. Si un v- nement inhabituel, comme le dbut dun primal, devait survenir en thrapie conventionnelle, le thrapeute t- cherait dans la plupart des cas de faire entrer le phno- mne dans le cadre de ses thories prconues, au lieu de laisser la nature suivre son cours. Le thrapeute pri- mal doit tre prt perdre le contrle de soi, presque autant que son malade. Il doit tre dispos laisser se produire des vnements dont il na pas lexplication immdiate. De plus, il nest pas probable que cet v- nement inhabituel se situe dans le cadre de la psycho- thrapie, qui ne concerne que lesprit du patient. (Quon pense au simple fait que le patient est couch sur le sol au lieu dtre assis sur une chaise). De son ct, le th- rapeute doit tre prt se dplacer, quitter son fau- teuil. Si le thrapeute pouvait cesser dessayer de com- prendre son malade, il aurait peut-tre le temps de faire une dcouverte importante, savoir quil n'y a rien comprendre. Le malade, qui ressent sa souffrance, arrivera sans aucune aide trouver ses propres explica- tions. Trop dentre nous, psychothrapeutes de mtier, ont un intrt avoir raison, prouver que nos thories sont justes et nous avons tenu la bride trop serre nos patients. J e ne veux pas dire que la thorie nait aucune importance; nous provoquons jour aprs jour des pri- mals parce que nous sommes guids par une thorie. Mais une thorie devrait dcouler de lobservation. J e crois quil pourrait y avoir sous peu une rvolution complte dans le traitement des troubles psycholo- giques. Le traitement relativement court qui caractrise la thrapie primale, me fait penser quil ny a pas de raison pour que nous vivions plus longtemps dans une poque danxit. Comme nous avons besoin de la coopration et de laide des gens de mtier qui soccupent de la sant mentale, je me vois dans lobligation de leur adresser une mise en garde : il faut se mfier de la tendance vouloir incorporer la thrapie primale des thories que les thrapeutes connaissent depuis des annes. Se servir dune terminologie ancienne pour expliquer les primals ou comparer la thrapie primale quelque chose qui a t dit il y a des dizaines dannes, cest sengager dans la lutte nvrotique qui consiste confrer un sens ancien quelque chose de nouveau. Bien que la thrapie pri- male ait des similitudes avec de nombreuses autres approches thrapeutiques, je demande quon lexamine en elle-mme. Evidemment je crois quil y a une vrit, une ralit. Le fait que les rsultats de la technique primale se lais- sent prdire, me pousse penser que le principe de la souffrance est lune des vrits essentielles qui rgit le comportement humain. De toute vidence, il y a tout un ensemble de lois qui rgissent le comportement humain, tout particulirement les processus nvrotiques, et qui sont tout aussi prcises que les lois physiques. Il ny a pas trente-six mille explications de la pesanteur, il ny a pas non plus trente-six mille manires dexpliquer la nvrose. J e ne vois pas comment il peut y avoir une multitude de thories psychologiques qui seraient toutes galement valides et apporteraient toutes leur contribu- tion la cause de la vrit. Si une thorie est valable, et je crois que les notions primales le sont, les autres ne le sont pas. Quand je dis que la nvrose est le djouement de sentiments cachs et quon peut liminer la nvrose en dcouvrant ces sentiments, et quand effectivement on assiste invariablement llimination du djouement nvrotique lorsquon dcouvre ces sentiments, je dis que mes hypothses sont vrifies. J e crois que si lon a labor tant dapproches psychologiques de la nvrose, cest que lon na pas mis au point des thories qui pr- disent les rsultats. Le fait quil nexiste pas une infinit de possibilits pour expliquer le comportement peut dplaire certains. Il est dans la tradition de la pense librale de croire quil y a toujours plusieurs aspects dune mme ques- tion et que nul ne peut tre le dtenteur exclusif de la vrit. Cependant, il ne viendrait pas lide de ces mmes personnes de mettre en question les lois phy- siques qui leur permettent davoir de llectricit chez eux. Ils aimeraient pourtant croire que lhomme est trop complexe pour tre gouvern par des lois scientifiques. Accepter une rponse, cest renoncer la lutte pour dcouvrir la vrit. Nous semblons plus laise dans la lutte. Certains dentre nous prfrent le royaume imaginaire du nvrotique o lon considre que rien ne peut jamais tre absolument vrai, pour viter davoir reconnatre des vrits intrieures qui sont infiniment douloureuses. Le nvros a un intrt personnel nier la vrit et cest cela quil ne faut pas perdre de vue quand on affirme quune vrit a t dcouverte. Trouver la vrit, cest trouver la libert. Cest liminer la libert de choix n- vrotique qui nest quune anarchie systmatise. Le nvros qui veut tre libre de voir tous les aspects des choses, a souvent peine croire quil peut accder direc- tement la vrit non la mienne, mais la sienne. Il lui suffit de partir la dcouverte de lui-mme, terre bien plus proche que les Indes. La science est la qute de la vrit, ce qui nexclut pas quon la trouve. Les sciences humaines se sont trop souvent contentes de vrits statistiques au lieu de chercher des vrits humaines; nous avons accumul des cas pour prouver ce que nous avanons alors que, selon moi, la vrit scientifique repose sur le fait que le rsultat peut tre prdit. Il faut que la gurison ait lieu, il ne suffit pas de construire des raisonnements thoriques pour expliquer a posteriori pourquoi ltat dun malade sest amlior au cours de telle ou telle thrapie.
Il faut encore faire, et nous ferons, de multiples re- cherches sur la thorie primale et la thrapie qui en dcoule. Toutefois, les rsultats que nous avons obtenus jusquici sont assez prometteurs pour me convaincre que la thrapie primale aura des effets durables parce quelle consiste exclusivement faire du sujet ce quil est dj, ni plus, ni moins. Ds que cela se produit, le sujet ne peut plus se rfugier dans son irralit, mme sil le voulait. Rechuter aprs une thrapie primale serait quivalent perdre les centimtres que lon a gagns, perdre la barbe qui a finalement pouss ou voir sa poitrine se rduire aux proportions quelle avait avant la thrapie ce sont des vnements peu probables qui nous rappellent avec insistance que nous ne soignons pas une maladie mentale, mais une maladie psychophy- siologique. Mon plus grand espoir est de voir des hommes de m- tier prendre en considration cette approche rvolution- naire de la nvrose et reconnatre peut-tre que presque un sicle de psychothrapie a pass sans gagner vrai- ment du terrain sur la maladie mentale. J e crois quil faut nous rendre compte que les mthodes de rafistolage employes pour renverser un systme irrel, ne sont pas efficaces et ne lont jamais t vraiment. Au nvros qui souffre et qui considre peut-tre que la thrapie primale est trop accablante ou trop difficile subir, je dirais simplement que la tche herculenne consiste tre ce quon nest pas. Le plus facile est dtre soi-mme.
La thrapie primale nest exerce quau Primal Insti- tute de Los Angeles, Californie. Elle peut tre dange- reuse si elle est pratique par des personnes n'ayant pas reu de formation cet effet, quelle que soit leur exp- rience professionnelle antrieure. Le terme de thrapie primale est une marque dpose et il ne doit tre utilis que par les praticiens qui sont en liaison avec le Primal Institute; de mme, le terme primal ne doit pas tre associ un mot ou une expression pouvant sous- entendre thrapie ou consultation. Les techniques utilises en thrapie primale sont complexes et leur pratique demande une formation intensive. Elles ne doivent pas tre utilises par des amateurs.