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BANQUE DES MEMOIRES
Master de droit pnal et sciences pnales
Dirig par Yves Mayaud 2010
Lerreur du juge pnal
Morgane Ruellan
Sous la direction dYves Mayaud
UNIVERSITE PANTHEON-ASSAS, PARIS II Master 2 Droit pnal et Sciences pnales Anne universitaire 2009-2010 LERREUR DU JUGE PENAL
Mmoire ralis sous la direction de Monsieur le Professeur Yves MAYAUD RUELLAN Morgane Remerciements Je remercie Monsieur le Professeur Yves MAYAUD pour ses encouragements constants, sa grande disponibilit et son aide prcieuse tout au long de llaboration de ce mmoire. Je remercie Monsieur Denis SEZNEC de mavoir reue et davoir partag avec moi lhistoire de son combat. Cette rencontre a t dterminante pour mon travail et dun grand enrichissement, non seulement sur le plan de la rflexion mais aussi et surtout dun point de vue humain.
1 SOMMAIRE PARTIE I : LERREUR SUBIE Chapitre I : Lerreur sur le droit Chapitre II : Lerreur sur les faits PARTIE II : LERREUR STRATEGIQUE Chapitre I : La stratgie de la qualification Chapitre II : La stratgie de lintimidation 2
Liste des principales abrviations Bull. crim : Bulletin criminel de la Cour de cassation CA : Cour dAppel C.cass : Cour de cassation Cass.crim : Chambre criminelle de la Cour de cassation CEDH : Cour Europenne des Droits de lHomme Ch. runies : Chambres runies Comm. eur. dr. h : Commission europenne des Droits de lhomme Cons. Const : Conseil Constitutionnel Convention EDH : Convention Europenne de sauvegarde des Droits de lHomme et des liberts fondamentales CP : Code Pnal CPP : Code de Procdure Pnale CRD pn : Cour de Rvision des Dcisions pnales CSM : Conseil Suprieur de la Magistrature D : Dalloz JCP : Jurisclasseur priodique JO : Journal Officiel JORF : Journal Officiel de la Rpublique Franaise 3
Comme vous jugez, vous serez jugs Evangile de Mathieu. 4
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INTRODUCTION On nattend plus du juge quil pondre des intrts mais quil se place du point de vue des honntes gens dont il doit garantir la scurit. Quitte oublier que lobjectif du risque- zro est contradictoire avec la justice comme il lest avec la mdecine ou la pdagogie, toutes ces activits devant, elles aussi, pondrer des intrts la fois contradictoires et solidaires . Antoine Garapon et Denis Salas Rendre justice, lourde tche que celle-ci pour les hommes et les femmes qui lont accepte. Autrefois divine, la mission sest dsacralise pour devenir humaine. Humaine dans toutes ses dimensions car ds lors, elle ne peut plus rejeter ses erreurs comme des inconnues relevant de limpossible mais doit les assumer en ce quelles relvent des errements de ses reprsentants. Dfinir lerreur nest pas simple, et les multiples sens que lui attache le droit, accrditent lide de sa diversit. Ainsi, lerreur est dabord laction derrer a et l , pauvre en prcision, cette affirmation fait du juge qui la commet une sorte de vagabond dans le rassemblement de ses ides, un esprit indcis, pris entre une pense et une autre. La deuxime proposition est dj plus intressante puisque lerreur sentend maintenant de laction derrer moralement ou intellectuellement, tat dun esprit qui se trompe . Lerreur est ce stade enrichie de qualificatifs qui suggrent pour lun, une donne personnelle et subjective, pour lautre une donne abstraite et objective. En effet, la morale est bien trop relative pour en faire un dogme commun, la rflexion intellectuelle une opration de lesprit difficile apprhender. Comment alors cerner cet esprit qui se trompe ? Fausse doctrine, fausse opinion ou encore drglement dans les murs , les deux assertions suivantes ne sont pas beaucoup plus efficaces la dlimitation de cette notion, en ce quelles se rapportent des concepts fluctuants. La cinquime voie est quant elle dun certain secours puisquelle parle dune faute , dune mprise , puis donne des exemples : erreur de rdaction, erreur de calcul, faute commise dans une supputation . Ds lors les contours se font plus prcis, lerreur prend forme dans sa dimension matrielle et dans sa dimension intellectuelle. 6
Mais cest la dernire dfinition qui savre tre la plus complte et la plus proche de la dimension sensible prise par lerreur dans la pratique. Lerreur est ici une opinion contraire la vrit sur le fait ou sur le droit, qui dtermine agir . Le magistrat peut donc se tromper non seulement sur les faits qui lui sont soumis mais aussi, sur les rgles juridiques qui encadrent sa fonction. Lerreur, dabord perue comme indpendante de sa volont, donc subie et par le juge lui- mme et par le justiciable concern, est la marque tolrable dune justice pnale humaine (section premire). Lerreur, utilise comme larme dune stratgie inacceptable, est la manifestation dune justice devenue inhumaine (section seconde). SECTION 1 : LA MARQUE TOLERABLE DUNE JUSTICE PENALE HUMAINE Lerreur est un risque accept par toute socit qui renonce lassociation de lEglise et de lEtat pour diriger ses principales institutions. Cette lacisation des instances gouvernantes, lorsquelle touche la justice, implique sa remise entre les mains des hommes et non plus des idoles. Ltre humain est faillible, ltre humain est fragile, il nest pas la puissance suprieure synonyme de perfection. Chaque jour et dans la plupart des professions, des personnes prennent une mauvaise dcision sans que cette erreur ait des consquences significatives. Le juge, lui, lorsquil se trompe, engage la libert et la dignit de lhomme. Pourtant, il faut admettre que nos magistrats se trompent parfois et leur permettre de rparer. Car les erreurs, bien quelles portent en elles un danger considrable, ne sont pas toujours dfinitives. Dfaut de logique ou simple bvue, lerreur ne devient une faute rprhensible que lorsquelle est nie par son auteur. Effectivement, la dfiance du magistrat lgard de son erreur et son refus de lidentifier sont bien plus graves. Entrine, rpercute, elle sinstalle et dstabilise lidal de justice lorsquelle devient irrattrapable. A contrario, lorsque lerreur est rpare temps, elle est le signe dune humilit louable. A la lumire de sa dfinition, deux types derreurs involontaires sont distinguer, la premire portant sur le droit, la seconde sur les faits. Cette division permet une rpartition plus vidente des erreurs recenses. Ainsi, il est possible de regrouper dans la premire catgorie la fois les erreurs dites matrielles et les erreurs intellectuelles . La deuxime catgorie, quant elle, est la terre daccueil des erreurs judiciaires. Une gradation est alors observe dans la gravit des fautes commises et de leurs consquences respectives. 7
Les erreurs matrielles, anodines, sont admises sans trop de mal par la justice franaise puisquelle consent leur rparation par une procdure directe, simple et efficace. Les erreurs intellectuelles, issues dun raisonnement erron, sont des figures plus difficilement reconnues par le droit pnal. Leur preuve est moins vidente, leur rectification moins conciliante. Mais le juge nest pas ferm la critique. Des voies de recours sont ouvertes et offrent une chance, indirecte mais solide, de les supprimer. Lerreur judiciaire, bien plus globale, est gnralement le fruit dune multitude derreurs qui se croisent et sentremlent. Les consquences en sont gnralement dramatiques lorsque linnocence est voile dopacit. En effet, un coupable non reconnu vaut mieux quun innocent mconnu lorsque la libert est en jeu. Un drame dabord pour celui sur lequel elle sabat car cest une vritable tragdie dtre victime dune telle mprise. La libert tant lun des premiers biens que possde lhomme, elle na pas de prix et sa violation est toujours un chec pour une dmocratie comme la notre. Cependant, jusquen 1981 1 , ce ntait pas la libert qui se jouait et se dfaisait entre les mains du juge, mais la vie. Labolition de la peine capitale il y a bientt trente ans, au-del des nombreuses considrations morales et philosophiques qui lentourent, na pas vit que des erreurs soient nouveau ralises. Mais elle a probablement prserv la vie dun certain nombre dinnocents. Car des erreurs judiciaires sont perptres rgulirement dans notre pays et il faut seulement esprer quelles soient le moins nombreuses possible. La justice est la deuxime victime de cette gigantesque erreur, elle en ressort elle aussi affaiblie, diminue et mprise. Car la svrit du jugement rendu par le magistrat se retourne avec la mme force contre linstitution tout entire lorsquil est erron. Le discrdit jet sur lautorit judiciaire est dune telle intensit quelle peine chaque fois sen remettre. Ces dernires annes ont t dterminantes pour lappareil judiciaire et particulirement la matire pnale, la dernire grande erreur judiciaire, laffaire dite dOutreau, ayant laiss des traces indlbiles. Dsormais, la justice na pas le choix, soit elle procde une profonde remise en question de son systme et en sort grandie en restaurant la confiance perdue, soit elle se laisse noyer par les erreurs de ses magistrats. Seulement, la lutte ne se fait pas toujours avec le juge, mais parfois contre le juge.
1 Loi n81-908 du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort, JO du 10 octobre 1981 8
SECTION 2 : LA MANIFESTATION INACCEPTABLE DUNE JUSTICE INHUMAINE Lorsquen 1771, stonne Tocqueville, les Parlements sont dtruits, le mme public, qui avait eu souvent souffrir de leurs prjugs, smeut profondment en voyant leur chute 2 . La socit franaise va-t-elle de nouveau smouvoir de la chute de ses juges lheure o limpunit na plus sa place face larbitraire dnonc ? Notre juge dinstruction, hritier direct du lieutenant criminel de lAncien Rgime, se meurt aujourdhui. Lambigut de sa mission sest retourne contre lui et ses excs ont conduit sa perte. Comment douter et mettre des hypothses la fois ? Comment tre juge et partie ? Le juge dinstruction a parfois oubli la mesure quil lui fallait garder. Il a commis une erreur, et cela en toute conscience, il va donc disparatre, car il ninspire plus que la mfiance. Lerreur nest pas toujours subie par le juge qui en est lorigine, elle peut au contraire tre linstrument dun dessein machiavlique. Inadmissible, cette erreur relve dun calcul, dune stratgie honteuse destine obtenir un intrt quelconque. Le juge pnal doit servir le droit et non lavilir. Or, commettre en toute connaissance de cause une erreur au regard des rgles de droit est indniablement la plus grave des fautes du magistrat. Il devient son tour le dlinquant quil a la charge de juger. Lerreur volontaire, ou stratgique, nexiste dans aucun manuel de droit pnal ni dans la liste des infractions la loi pnale. Elle ne prend vie que dans lanalyse claire des dcisions juridictionnelles. La jurisprudence est fournie et la technique est parfois parfaitement organise, voire mme institutionnalise. Si la ruse jurisprudentielle est avalise par la loi peut-on encore parler derreur ? Indniablement, le mot convient puisque la rgle de droit est dtourne, mme si cela se fait avec le consentement de ses gardiens. A linverse, il arrive que lerreur chappe tout contrle et rsulte de la personnalit du magistrat. La qualification juridique est le premier terrain dexpression du stratagme mont par le juge pnal. Opration capitale, elle engage dabord la responsabilit pnale de la personne. Ainsi, seuls les actes prvus par la loi peuvent tre poursuivis. Ensuite, elle est dterminante du destin pnal de la personne poursuivie car la peine envisageable en dcoule. Manipuler la qualification dans une perspective fort lointaine de sa finalit, ceci par le truchement de la lettre du droit, voil une tactique jurisprudentielle dangereuse.
2 Tocqueville, Alexis de, LAncien Rgime et la Rvolution, Paris, Garnier Flammarion, 1988. 9
Lintimidation est de temps autre, malheureusement, le support honteux dune triste justice. Peu soucieux de lthique promise et de la dontologie affrente la fonction, il arrive que le juge pnal se laisse aller des comportements inquitants. Pressions, menaces, privation provisoire de libert sont alors les munitions de cette politique de la terreur. Le magistrat drive de faon houleuse aux frontires de linadmissible. Quelle que soit la voie emprunte, lerreur choisie, lerreur conue sciemment, est une mascarade qui naffaiblit pas seulement la justice, elle la dtruit. Notre juge est alors lauteur moral et matriel dun assassinat : celui de la justice pnale. Il ny a pas si longtemps, on pensait encore quil fallait cacher les erreurs parce que le spectacle de lchec nuisait lautorit de linstitution. [] Or, assumer la faillibilit de ses membres est, pour une institution, une manire de prserver son crdit Antoine Garapon et Denis Salas. 10
PREMIRE PARTIE LERREUR SUBIE Errare humanum est : voil une formule qui, bien loin de se contenter dintroduire le propos, recouvre toutes ses dimensions. Se tromper, choisir une solution qui nest pas la bonne, tre induit en erreur, le magistrat est, comme tout un chacun, expos ce risque. De la simple ngligence la faute la plus grave, lerreur du magistrat se rpercute sur linstitution judiciaire. La justice est alors la premire victime de lerreur commise par lun de ses reprsentants et cest sur ses paules que repose le rtablissement de la vrit, juridique ou factuelle. Parce quelle se doit dtre irrprochable et de prserver la confiance place en elle, la rparation des erreurs du juge lui incombe. Lerreur du juge pnal peut relever du socle juridique auquel il se reporte, pour prendre chacune de ses dcisions. Incontestable puisquelle se rfre la rgle de droit, le juge se rend ds lors responsable dune erreur sur le droit (Chapitre premier). A linverse, les faits sont parfois perus de manire errone par le magistrat. Point de dpart dune erreur plus difficile reconnatre de part sa dimension sensible et abstraite, il sagit de lerreur sur les faits (Chapitre second). 11
CHAPITRE 1 LERREUR SUR LE DROIT Le qualificatif derreur matrielle soppose lerreur intellectuelle. Il signifie que le juge a correctement pens, sil sest mal exprim. Lerreur matrielle est un lapsus, c'est--dire une discordance entre la pense du juge et lexpression dont il la revtue 3 . Lerreur sur le droit peut sanalyser sous deux formes, lerreur matrielle sentend de la simple maladresse du juge (section premire), bien moins subtile que lerreur intellectuelle, cette dernire impliquant de retracer le chemin de sa pense (section seconde). SECTION 1 : LERREUR MATERIELLE, UNE MALADRESSE FACILEMENT IDENTIFIABLE Au dernier rang des erreurs commises par le magistrat en matire pnale, lerreur matrielle sentend dune erreur de moindre gravit. Nanmoins, elle ne peut tre ignore pour autant en ce quelle entretient une incohrence de la dcision, dont la justice pnale ne doit souffrir. Simple inattention du juge, elle est priori trs facilement mise en vidence comme une tourderie (I), do un procd de rectification facilit, savoir opr par le magistrat qui en est lauteur (II). I Ltourderie du juge lpreuve de la pratique Le quotidien des affaires pnales recouvre une multitude de dcisions qui ne tendent pas toutes la perfection. Au-del des considrations morales abstraites, propres chacun, sur la solution choisie par le juge ; des petites erreurs peuvent se glisser dans les ordonnances, les jugements ou les arrts rendus par nos magistrats (A). Les consquences de ces actes manqus restent gnralement limites, condition cependant de ne pas laisser lincohrence gnre persister (B).
3 Blondet M., Procdures subsquentes devant les juridictions rpressives, JCP 1954. I. 1162. 12
A/ Lerreur dinattention et ses multiples manifestations Lerreur matrielle se prsente comme linexactitude qui se glisse par inadvertance dans lexcution dune oprationou dans la rdaction dun acteet qui appelle une simple rectification -sans nouvelle contestation- partir des donnes en gnral videntes qui permettent de redresser lerreur ou de rparer lomission 4 . Lerreur de frappe, lerreur dcriture, lerreur de rdaction constituent quelques exemples derreurs techniques, encore appeles erreurs matrielles . Ainsi, loubli du visa des infractions, sur lesquelles est fonde la condamnation dans le dispositif dun arrt, est une erreur matrielle, sil nexiste aucune incertitude sur la nature de linfraction retenue et les textes appliqus 5 . De mme, une erreur sur le nom de la personne condamne constitue une erreur matrielle Lorsquune prvenue a t condamne sous le nom dune autre personne totalement trangre par suite dune erreur purement matrielle, la juridiction ayant statu a qualit pour ordonner la rectification de lerreur ainsi commise 6 ou encore une simple erreur de calcul, comme cest le cas dans la dcision qui prvoit trois postes de dommages et intrts et donne un montant cumul qui ne correspond pas laddition de ces trois chiffres 7 . Enfin, une mention errone fait, elle aussi, partie de ces erreurs matrielles Ds lors que lintitul et le dispositif de larrt prcisent quil a t rendu en chambre du conseil en application de larticle 778 C. pr. pn., une mention incidente contenant les mots laudience publique de ce jour ne constitue quune erreur de plume manifeste, relevant de la procdure de rectification prvue par lart. 710 8 . Vaste domaine que la justice pnale nignore pas, le juge ntant pas labri dune discordance entre une dcision rendue et sa restitution crite. Loin dtre rares, elles sinsrent dans le paysage judiciaire comme les premires illustrations dune justice rendue par des hommes, donc une justice faillible. Cette ide, difficile accepter pour beaucoup, est pourtant celle qui domine lorsquil sagit de traiter de lerreur du juge, et il est ncessaire dadmettre que notre justice ne soit pas toujours la hauteur des esprances places en elle. Nanmoins, lorsque lerreur est bnigne, il faut reconnatre la mise en place de modes de rparation simples son secours, rectifiant sans trop de dommages la mauvaise solution.
4 Vocabulaire juridique Capitant publi sous la dire. de Grard Cornu, Presses Universitaires de France, 1987. 5 Cass. crim., 17 mai 1995, pourvoi n94-85.231. 6 Cass. crim., 27 fvrier 1969, Bull. crim. n103. 7 Cass. crim., 18 septembre 1995, West : Juris data n. 003383. 8 Cass. crim., 8 octobre 1984, Bull. crim. n284. 13
Lerreur matrielle peut revtir de multiples formes travers la palette de dcisions rendues en matire pnale, quil sagisse dune ordonnance, dun jugement ou dun arrt et quel que soit le degr de juridiction considr 9 . Elle soppose ainsi lerreur intellectuelle, erreur dans le raisonnement juridique qui se trouve ici exact, sa transcription tant quant elle errone. Ces erreurs sont frquentes et se justifient aisment face la charge de travail dmultiplie qui pse sur les prtoires. Dbords et presss dans leur tche, les juges rendent parfois des dcisions en contradiction sur le papier avec les paroles prononces et la solution choisie. Inattention ou ngligence, ces petites erreurs peuvent nanmoins avoir des consquences fcheuses si aucun mode de rectification nest enclench. Ltourderie du juge ne doit pas aboutir un non-sens sans issue possible. La justice a pour mission de juger les carts la loi, elle se ferait donc lcho dun paradoxe inadmissible en se refusant y remdier. Elle doit donc tre son premier juge lorsque ses membres commettent une faute et se vouloir exemplaire. B/ Lerreur dinattention et la ncessit de sa rectification Une illustration rcente de lerreur matrielle, erreur du technicien du droit quest le juge, vient lappui de cette dmonstration avec un arrt rendu par la chambre de linstruction de la cour dappel de Paris le 17 octobre 2008. Un juge des liberts et de la dtention avait rendu une ordonnance refusant llargissement dun mis en examen en dtention provisoire, c'est-- dire sa remise en libert. La chambre de linstruction statue alors en appel de la dcision et insiste avec force darguments sur la ncessit du maintien en dtention. La Cour de cassation reprendra plus tard le raisonnement des juges du fond : Attendu qu'il rsulte de l'arrt attaqu et des pices de la procdure que, statuant sur l'appel form par Jorge X... de l'ordonnance du juge des liberts et de la dtention rejetant sa demande de mise en libert, la chambre de l'instruction expose, dans les motifs de sa dcision rendue le 17 octobre 2008, que le maintien en dtention de l'intress est ncessaire pour viter tout risque de pression sur les tmoins et les victimes encore traumatises par les agressions sexuelles dnonces ; que les juges ajoutent que la dtention est l'unique moyen d'viter tout renouvellement des infractions dont le risque apparat majeur, au regard de la multiplicit des faits reprochs
9 La justice franaise compte aujourdhui trois degrs de juridictions : les dcisions de premire instance peuvent ainsi faire lobjet dun appel qui lui-mme peut tre suivi dun pourvoi en cassation. Les deux premiers degrs de juridiction ont en charge de juger le fond tandis que la Cour de cassation est exclusivement juge du droit. Depuis la loi n2000-516 du 15 juin 2000 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes, les arrts de cour dassises peuvent galement faire lobjet dun appel puis dun recours devant la Cour de cassation. 14
l'intress, de ses antcdents judiciaires et des conclusions de l'expert psychiatre ; qu'enfin, ils retiennent que la dtention est seule de nature garantir la reprsentation de Jorge X..., de nationalit argentine, qui a des attaches familiales dans son pays d'origine et n'a pas de domicile fixe en France ; que, cependant, le dispositif de l'arrt dclare l'appel bien fond et infirme l'ordonnance entreprise 10 . Dans ces conditions, le dispositif de larrt tait pour le moinssurprenant ! La dcision tait nonce en ces termes : Dclare lappel recevable, au fond le dit bien fond, infirme lordonnance entreprise , donc en opposition totale avec les motifs invoqus. En quelques mots la dcision se voit inverse et le sort de la personne juge soriente plutt son avantage. Du point de vue du droit, lerreur, une simple interversion de mots, a des consquences importantes puisque laffaire se poursuit par la libration de la personne mise en examen selon la volont du parquet gnral. Les suites de lerreur matrielle deviennent alors manifestement gnantes, une personne prsume dangereuse recouvrant la libert, au risque de commettre une nouvelle infraction. Les coupables, juges distraits de la chambre de linstruction, se voient cependant offrir une possibilit damendement par la rectification du dispositif. Le 31 octobre 2008, la chambre de linstruction de la Cour dappel de Paris procde une habile manuvre de rcriture en modifiant le dispositif nonc deux semaines plus tt par Le dit mal fond, confirme lordonnance entreprise . Voil qui est simple : lerreur est rpare ! A nouveau incarcr, le destinataire ne voit videmment pas la dcision dun trs bon il et forme un pourvoi en cassation. LAssemble plnire de la chambre criminelle de la cour de cassation se prononce le 17 fvrier 2009 par un arrt de rejet fort intressant : le dispositif dun arrt devant tre interprt par les motifs auxquels il sunit et dont il est la consquence, un dfaut de concordance entre le dispositif et les motifs, lorsque comme en lespce, il est seulement le rsultat dune erreur purement matrielle, peut tre rpar selon la procdure prvue par les articles 710 et 711 du code de procdure pnale . A travers lnonc du dispositif, deux informations tout fait essentielles : la premire, seule est prise en compte dans cette procdure et diffrencie des autres lerreur purement matrielle , la seconde, cette erreur admet rparation par le biais des articles 710 et 711 du Code de procdure pnale.
II Le retour ais du juge la logique A la simplicit de lerreur commise par le juge, correspond celle de son mcanisme de rparation. La reprise de la dcision est assure par la personne la mieux place pour cette opration, le magistrat qui en est lorigine, sans formalisme ni difficult (A). Simple et efficace, cette procdure est nanmoins encadre par des considrations plus leves, destines prmunir le justiciable contre de possibles drives (B). A/ La rectification de lerreur opre par son auteur La procdure de rectification des erreurs purement matrielles, selon lexpression consacre, sarticule donc autour de deux articles du Code de procdure pnale. Dabord, larticle 710 du code dispose Tous incidents contentieux relatifs l'excution sont ports devant le tribunal ou la cour qui a prononc la sentence ; cette juridiction peut galement procder la rectification des erreurs purement matrielles contenues dans ses dcisions. Elle statue sur les demandes de confusion de peines prsentes en application de l'article 132-4 du code pnal. En matire criminelle, la chambre de l'instruction connat des rectifications et des incidents d'excution auxquels peuvent donner lieu les arrts de la cour d'assises. Sont galement comptents pour connatre des demandes prvues par le prsent article, selon les distinctions prvues par les deux alinas prcdents, soit le tribunal ou la cour, soit la chambre de l'instruction dans le ressort duquel le condamn est dtenu. Le ministre public de la juridiction destinataire d'une demande de confusion dpose par une personne dtenue peut adresser cette requte la juridiction du lieu de dtention. Pour l'application du prsent article, sauf en matire de confusion de peine, le tribunal correctionnel est compos d'un seul magistrat exerant les pouvoirs du prsident. Il en est de mme de la chambre des appels correctionnels ou de la chambre de l'instruction, qui est compose de son seul prsident, sigeant juge unique. Ce magistrat peut toutefois, si la complexit du dossier le justifie, dcider d'office ou la demande du condamn ou du ministre public de renvoyer le jugement du dossier devant la formation collgiale de la juridiction. Le magistrat ayant ordonn ce renvoi fait alors partie de la composition de cette juridiction. La dcision de renvoi constitue une mesure d'administration judiciaire, qui n'est pas susceptible de recours . 16
Puis larticle 711 son tour Le tribunal ou la cour, sur requte du ministre public ou de la partie intresse, statue en chambre du conseil aprs avoir entendu le ministre public, le conseil de la partie s'il le demande et, s'il chet, la partie elle-mme, sous rserve des dispositions de l'article 712. Lorsque le requrant est dtenu, sa comparution devant la juridiction n'est de droit que s'il en fait la demande expresse dans sa requte. L'excution de la dcision en litige est suspendue si le tribunal ou la cour l'ordonne. Le jugement sur l'incident est signifi la requte du ministre public aux parties intresses . A cela la jurisprudence rajoute des lments dapprciation permettant danalyser les situations couvertes. Larrt rendu par la chambre criminelle de la cour de cassation dans sa formation solennelle le 17 fvrier 2009 accrdite lide dune incohrence entre motif et dispositif en tant querreur matrielle par excellence. Ainsi, lattendu de principe dispose lisiblement pour sa part le dispositif doit tre interprt par les motifs auxquels il sunit et dont il est la consquence . Cela aprs avoir vrifi cette disparit dans larrt fautif puisquil rappelle que larrt rectificatif du 31 octobre 2008 avait indiqu quil ressortait des motifs, sans aucune possibilit dquivoque, que la chambre de linstruction avait dcid de maintenir lintress en dtention provisoire . Cet arrt de la Haute Cour peut sinterprter comme un claircissement bienvenu sur une erreur difficile apprhender. Il confirme lide selon laquelle il doit exister une disproportion manifeste et sans ambigut entre la dcision prise et la dcision inscrite de telle sorte que lerreur du juge pnal est vidente et sans contestation possible. A priori, la correction est rserve aux erreurs les plus basiques, erreurs textuelles manifestement contraires la dcision prise par le ou les juges. Le dernier alina de larticle 710 du Code de procdure pnale confie donc cette mission un juge unique, quil sagisse du tribunal correctionnel, de la chambre des appels correctionnels ou de la chambre de linstruction. Il existe nanmoins deux possibilits de retrouver la collgialit : - si le magistrat le dcide doffice en raison de la complexit du dossier et en cas de demande du ministre public ou du condamn, - en matire de confusion de peine. Une porte de sortie est donc clairement ouverte au juge lorsquil commet ce type derreur pour la faire disparatre et par l mme redonner force et cohrence sa position. Il faut 17
cependant noter labsence de toute dfinition de lerreur matrielle : elle reste donc soumise un jugement dapprciation quant sa nature ; donc un certain arbitraire. Que recouvre la catgorie des erreurs matrielles ? Quelles erreurs en sont exclues et, de fait, sont prives du procd de rparation des articles 710 et 711 du Code de procdure pnale ? Jusquo est- il possible de rparer une erreur de la sorte ? B/ La correction de lerreur tempre par des intrts suprieurs Lautorit de la chose juge, principe tout fait essentiel la stabilit des dcisions judiciaires, implique certaines contraintes. Reprendre quelques mots, une phrase ou une expression qui contredisent lesprit dune dcision, est une manuvre salutaire. Toutefois, cette mesure technique ne doit pas tre prtexte rcriture de la dcision (1) sous peine de discrditer son rle particulirement utile (2). 1. Une saine limite apporte par lautorit de la chose juge Lorsque la dcision rendue est une dcision de jugement, une dcision de fond, lerreur ne peut tre corrige linfini. La premire limite supporte par la procdure de rparation touche lautorit de la chose juge. En effet, lautorit de la chose juge est un principe fondamental de notre justice pnale, qui garantit une autorit indispensable la procdure judiciaire. Ds le prononc du jugement, celui-ci bnficie de lensemble des effets attachs la dcision juridictionnelle, telle la force de vrit lgale 11 . De plus, lautorit de la chose juge est absolue en matire pnale, elle prend effet lgard de tous et pas seulement des parties. Lautorit de la chose juge est alors relier au dispositif tel quclair par les motifs qui en sont le soutien ncessaire 12 . La dcision du juge pnal, une fois rendue, est tenue pour vrai lgard de tous, dans le but dviter de juger rptition la mme situation. Par consquent, lorsquune procdure de rectification des erreurs purement matrielles est ouverte, le juge doit prendre grand soin de ne rien rajouter la dcision rendue sous peine de remettre en cause cette autorit lgitime. La procdure de correction ne doit pas se substituer une voie de recours. Un arrt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 26 juin 1984 en nonce la substance dans son attendu de principe : Il ne saurait appartenir une juridiction saisie en application de lart. 710 dajouter, sous couvert dinterprtation ou
11 Cornu Grard, Vocabulaire juridique, 7 e dition, Presses universitaires de France, Paris, 2005. 12 Cass. crim., 28 fvrier 2007, Bull. crim. n65, P.345. 18
de rectification, des dispositions nouvelles qui ne seraient pas une rparation derreurs purement matrielles 13 . Ainsi, un exemple peut tre trouv dans un arrt rendu par la mme chambre, le 7 fvrier 1996 et selon lequel Une juridiction correctionnelle na pas le pouvoir de restreindre ou daccrotre les droits quelle consacre et de modifier ainsi la chose juge. Mconnat ce principe la cour dappel qui, sous couvert dune difficult dexcution, ajoute la dcision ayant ordonn une mesure de dmolition un dlai sous astreinte quelle ne prvoyait pas 14 . Ensuite, le juge ne doit pas, par cette voie, porter atteinte au demandeur. Des arrts viennent consolider cette limite. La chambre criminelle de la Cour de cassation, le 17 dcembre 2002, refuse la mise en uvre de ce mcanisme correctif sous cet argument : Il nappartient pas une juridiction saisie en application de larticle 710 C. pr. pn. de modifier, sous le couvert dinterprtation ou de rectification, la chose juge en substituant la dcision initiale des dispositions nouvelles qui ne seraient pas la rparation derreurs matrielles. Mconnat ce principe la cour dappel qui fait droit la requte en rectification derreur matrielle prsente par le procureur de la Rpublique, tendant substituer une peine de cinq ans demprisonnement celle de cinq mois, seule mentionne dans un jugement devenu dfinitif 15 . Un second exemple vient lappui de ce frein la rparation de lerreur commise, cette fois rendue le 24 juin 2008 par la mme juridiction : Une juridiction correctionnelle saisie en application de larticle 710 C. pr. pn. dun incident contentieux relatif lexcution dune dcision na pas le pouvoir de restreindre ou daccrotre les droits quelle consacre et de modifier ainsi la chose juge. Une cour dappel ne saurait en consquence dire que la condamnation dun urologue linterdiction deffectuer pendant deux ans tout opration chirurgicale de quelque nature que ce soit doit sentendre comme celle de pratiquer tous les actes spcifiques qui lui seraient permis dans son activit durologue et particulirement les interventions manuelles ou instrumentales de quelque nature que ce soit sur lorganisme et notamment sur les parties internes 16 . Il faut donc considrer cet lment comme une atteinte lautorit de la chose juge et exclure la rectification derreur matrielle qui a pour risque de pnaliser le demandeur.
Les vices affectant la validit de la dcision ne peuvent quant eux, trouver leur salut dans la procdure des articles 710 et 711 du Code de procdure pnale. Tel est le cas par exemple dun arrt dont la minute ne comporte pas la signature du greffier. A lappui de cette affirmation, larrt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 20 novembre 2007 est citer en ce sens : Si les juridictions rpressives peuvent interprter leurs dcisions lorsque des difficults slvent sur le sens de celles-ci, il leur est interdit den restreindre ou den tendre les dispositions et de modifier ainsi la chose juge. Est ds lors carte bon droit comme se heurtant ce principe la requte prsente sur le fondement de larticle 710 C. pr. Pn. par le procureur gnral, tendant ce que soit rectifie lerreur contenue dans un prcdent arrt dont la minute ne comportait pas la signature du greffier. Selon le requrant, lerreur aurait consist dans la mention, contenue dans le dispositif, du prononc dune peine complmentaire dun mois de suspension du permis de conduire, alors que les notes daudience, qui, elles, taient signes du prsident et du greffier, mentionnaient que la prvenue avait t condamne un an de suspension de son permis de conduire. En effet, labsence de signature du greffier sur la minute affecte la validit de la dcision et ne saurait tre rpare sous le couvert dinterprtation ou de rectification suivant la procdure prvue par larticle 710 C. pr. pn. 17 . 2. Lefficacit privilgie la lgitimit La jurisprudence constante en la matire admet largement ce procd et cela de faon ancienne. La premire application de la solution date du 19 juin 1933, un arrt de la chambre criminelle de la Cour de cassation accordant la rparation de ces erreurs dtourderie par un arrt rectificatif lorsque larrt en cause, malgr son dfaut, ne laisse entrevoir aucune hsitation sur son sens et sa porte 18 . La matire pnale est proche ici du droit civil, puisque larticle 462 du Code de procdure civile nonce que les erreurs et omissions matrielles qui affectent un jugement, mme pass en force de chose juge, peuvent toujours tre rpares par la juridiction qui la rendu . Il sagit ici dune mme logique qui se justifie aisment quant sa raison dtre. Reprendre lensemble des dbats, recommencer le procs, repartir zro pour une solution probablement identique la fin, cela uniquement aux fins de corriger une erreur de forme, serait une prolongation inutile et inapproprie. Il faut saluer la procdure de rectification
prvue par la loi, car elle permet une conomie de temps et de moyens considrable sans pour autant nuire aux justiciables. Il faut accorder au juge pnal le droit de se tromper par inadvertance et sans mauvaise foi. Certes, il sagit dun professionnel confront des situations graves et dont les dcisions ont un fort impact sur la vie de ses concitoyens. Il est malheureusement impossible de rclamer une justice idyllique. Les erreurs anodines, commises sans aucune volont de porter prjudice quiconque, ne pourront tre radiques tant que les dcisions seront prises par des tres humains, des juges soumis des contraintes de temps, une surcharge permanente de travail et parfois, leur inattention. Aussi, une attnuation importante est relever, puisque larticle 711 du Code de procdure pnale nest pas applicable la rectification des ordonnances rendues par le juge des liberts et de la dtention 19 . Ce dernier nest donc pas soumis cette procdure pour la rectification des erreurs matrielles quil commet. En effet, larticle 711 vise le tribunal ou la cour , ce qui soulve galement quelques questions quant au juge dinstruction. Enfin, la procdure de rectification des erreurs matrielles se voit parfois contourne, lorsque le droit est donn au juge de sen affranchir. Un arrt issu de la chambre criminelle de la Cour de cassation, rendu le 3 juin 2003, permet lvitement de cette procdure un juge des liberts et de la dtention ayant rendu une ordonnance de placement en dtention provisoire dans laquelle stait glisse une erreur didentit. En effet, lacte portait mention de lidentit du frre du prvenu, lui aussi mis en examen dans la mme procdure. Le magistrat fut autoris rectifier lerreur sans emprunter la voie de larticle 710 du Code de procdure pnale. Cette simplification lextrme de la rparation de son erreur par le juge reste pour le moment une solution isole, et il faudra attendre pour savoir si la possibilit se gnralise ou demeure exceptionnelle. Quelques rserves peuvent quand mme tre mises lencontre de ce procd. Sans nul doute, la justice est cerne de formalits dont lutilit est parfois contestable, mais ces dmarches et cette solennit sont un signe des garanties apportes par linstitution judiciaire contre larbitraire. Lorsque le juge est autoris modifier son arrt sans tre dpendant daucune procdure, des drives sont craindre.
SECTION II : LERREUR INTELLECTUELLE, UN RAISONNEMENT MALADROIT DIFFICILEMENT APPREHENDABLE Confronte lerreur matrielle, lerreur intellectuelle se rvle dune subtilit bien suprieure. Rsultat dune rflexion errone du juge sur la rgle de droit, lerreur intellectuelle se traduit par une solution en disharmonie avec la rgle juridique qui sy rattache. La complexit de sa mise en vidence est souvent proportionnelle au rejet de sa reconnaissance, et partant, de sa rparation. Largement rpandue en matire pnale, lerreur intellectuelle du juge est de loin la plus complexe des erreurs sur le droit, en ce quelle fait appel la rigueur intellectuelle de chacun (I). Les filtres sont nombreux et superposs de manire renforcer le contrle contre de telles erreurs, mais demeurent subordonns la dcouverte de celles-ci, et par consquent, alatoires (II). I Une rgle de droit mal interprte Lerreur sur le droit que reprsente la mauvaise opration intellectuelle effectue par le magistrat revt des formes varies. La faille dans la qualification dsigne par le juge pour recouvrir une infraction pnale en est lillustration par excellence. Complexe confrontation de la gnralit du droit aux faits particuliers, la qualification appose par le juge peut tre inadquate en ce quelle ne rpond pas aux rgles thoriques qui la gouvernent. Il sagit l dune erreur intellectuelle du juge pnal (A). Outre lerreur de qualification, la logique juridique peut tre mise rude preuve par de nombreuses mprises sur son sens (B). A/ Lerreur intellectuelle et la qualification abuse Lerreur intellectuelle, par opposition lerreur matrielle, se dfinit quant elle en rfrence un mauvais raisonnement du juge, une opration intellectuelle fausse. Confront une affaire plus ou moins complexe, des faits parfois difficiles reconstituer ou la difficult dclairer le contexte dans lequel sest droule une infraction, le juge va se tromper. Il nest pas question ici non plus de mauvaise foi car lerreur intellectuelle ne suppose pas un parti prix du juge pour une solution donne. Il sagit, limage dun problme de mathmatiques, dune logique de rflexion errone. Le juge sest tourn vers une solution qui ne correspond pas la ralit, il a en quelque sorte mal tabli la liaison entre la singularit dune affaire et la 22
rigueur du droit. Contrairement lerreur matrielle, qui relve de la simple tourderie du juge, lerreur intellectuelle est plus difficile apprhender. Le droit est construit sur un ensemble de rgles destines construire une mcanique de pense. Le juge pnal sy applique chaque fois quil rend une dcision. Ainsi, dcider de linnocence ou de la culpabilit dune personne poursuivie, relier les faits commis des donnes juridiques rpertories, ncessitent une analyse stricte et labore de la situation. Le juge doit sastreindre un exercice contraignant et dlicat qui consiste interprter. Linterprtation du juge ne suit pas une ligne droite laquelle une rponse positive ou ngative suffit, elle demande un effort intellectuel parfois soutenu. Il arrive que le schma dessin par le juge ne soit pas celui qui convient. Lerreur intellectuelle est plus rare que lerreur matrielle dans le quotidien des tribunaux car les juges sont des juristes de haut niveau et la formation juridique reue a pour objet cette gymnastique intellectuelle permanente. Pour autant, tout apprentissage a ses limites et lesprit humain ne peut tre format la perfection. Lerreur de qualification est une forme derreur intellectuelle, en ce quelle rejoint la faille dans lopration danalyse requise de la part du juge. Rendre une dcision en matire pnale consiste vrifier dans un premier temps que les faits commis correspondent bien une qualification pnale, puis dans un second temps quelle qualification pnale. En effet, nul ne peut tre condamn pour des faits qui ne sont pas contraires la loi. Le juge pnal est le garant de cette premire rserve. Il lui revient donc la charge de contrler lexistence de linfraction au regard du droit. Dj, une premire erreur intellectuelle peut merger ce stade par ltablissement dun lien entre des faits et une infraction alors que ce nest pas le cas. Par exemple, un juge qui condamnerait une personne pour avoir dtruit un bien qui lui appartient, au visa de larticle 322-1 du Code pnal, soit la destruction, dtrioration, dgradation dun bien ; effectuerait une mauvaise lecture du texte de loi qui nonce en son alina premier : La destruction, la dgradation ou la dtrioration dun bien appartenant autrui est punie de deux ans demprisonnement et de 30 000 euros damende, sauf sil nen nest rsult quun dommage lger . Le mot autrui est tout fait fondamental puisque le propritaire dun bien en dtient les trois composantes : usus, abusus et fructus, donc le droit de lutiliser, den retirer les fruits et den disposer. Or, disposer dun bien signifie avoir le droit de le dtruire, le dgrader ou de le dtriorer. Par consquent, celui qui dtruit son bien ne se rend pas coupable dune infraction pnale, seule la destruction de celui dautrui pouvant faire lobjet 23
dune infraction pnale. Le magistrat opre alors une erreur dans son raisonnement intellectuel, en laissant de ct une donne tout fait fondamentale, pour aboutir des conclusions. Il sagit l dune faute que le juge na pas eu la volont de commettre, une erreur intellectuelle due une mauvaise lecture du texte de loi. Il y a ensuite un deuxime niveau derreur possible dans la qualification, plus proche cette fois du choix de lincrimination que de lexistence de linfraction pnale. Le magistrat, aprs avoir vrifi que les faits ont bien la nature dactes interdits par la loi pnale, va devoir choisir la qualification approprie. Les faits dune espce peuvent recouvrir plusieurs infractions pnales. Parfois, les incriminations vont pouvoir se cumuler ; mais il est tout aussi frquent quelles entrent en conflit les unes face aux autres et le juge doit choisir parmi cet ensemble linfraction la plus pertinente. Le concours de qualification, rel lorsque des faits distincts aboutissent des incriminations distinctes, idal lorsque des faits donnent lieu plusieurs incriminations possibles, se rsout alors lappui dun certain nombre de rgles qui viennent sappliquer. Le magistrat doit alors prendre grand soin de ne pas les ngliger pour dmler les fils de la situation. Dans le cas du concours rel, toutes les qualifications se cumulent. Dans le cas du concours idal de qualification, latteinte des valeurs sociales protges diffrentes permet de cumuler les qualifications, alors que linverse conduit au non-cumul et au choix de lincrimination correspondant lexpression pnale la plus leve 20 et la prfrence de lincrimination spciale sur celle qui est gnrale, comme le rappelle ladage specialia generalibus derogant 21 . Dans les deux cas, cest le principe du non-cumul des peines de mme nature qui prvaut, dans la limite du seuil encouru le plus lev. Le juge pnal qui confond lune des rgles de ces concours de qualifications et ne retient quune qualification alors quelle se cumulait une autre, ou encore additionne le maximum encouru de deux peines demprisonnement, commet une erreur intellectuelle indiscutable. Par exemple, lauteur dactes de violence sur la personne de son voisin et de linscription de graffitis sur le mur de ce dernier, correspond la fois la qualification de violences de larticle 222-11 du Code pnal en admettant que lincapacit totale de travail soit de plus de huit jours 22 et celle de destruction, dgradation, dtrioration dun bien larticle 322-1
20 Cons.const., 12 janvier 2002, n2001-455 DC, JO, 18 janvier. 21 Le spcial droge sur le gnral . 22 Larticle 222-11 du code pnal dispose : Les violences ayant entran une incapacit totale de travail pendant plus de huit jours sont punies de trois ans demprisonnement et de 45 000 euros damende . 24
alina 2 du Code pnal 23 . Le juge doit ici reconnatre une atteinte la personne, lintgrit physique dune part, une atteinte aux biens dautre part. Les deux qualifications doivent tre retenues. Le magistrat qui ne prend pas en compte la diffrence dans les valeurs sociales protges pourrait ne retenir que la qualification quil considre la plus grave quant sa rpression pnale, les violences, et commettre ainsi lerreur. De mme, en gardant le mme exemple et en imaginant que le juge a bien abouti au cumul, au titre des violences trois ans demprisonnement et 45 000 euros damende sont encourus, au titre du graffiti sur le mur, 3750 euros damende et du travail dintrt gnral. La peine maximale encourue par lauteur des faits correspond trois ans demprisonnement et 45 000 euros damende. Le juge qui irait au-del en dpassant le seuil le plus lev, par exemple en condamnant la personne responsable trois ans demprisonnement et 48 750 euros damende, se fourvoierait. B/ Lerreur intellectuelle et ses formes diversifies La concentration et la rigueur requises par lexercice de qualification ne doit pas faire perdre de vue au magistrat lensemble des donnes entourant linfraction pnale. Ces lments sont multiples et peuvent avoir une incidence certaine sur une dcision les laissant de ct, comme en attestent quelques illustrations. La situation de rcidive lgale exige dtre considre par le juge dans le choix de la sanction (1), de mme une circonstance aggravante ne doit pas tre confondue avec un lment constitutif (2) ou encore un fait justificatif ou une dure de prescription oublis (3). 1. Labsence de prise en compte de la situation de rcidive lgale Lerreur intellectuelle peut galement connatre son expression dans la non-prise en compte dune situation de rcidive lgale. En effet, la rcidive est un facteur gnral daggravation et peut donner lieu lapplication de peine planchers , c'est--dire un minima automatiquement prononc 24 . Certes, la condamnation dune personne tant en tat de
23 Larticle 322-1 alina 2 du code pnal dispose : Le fait de tracer des inscriptions, des signes ou des dessins, sans autorisation pralable, sur les faades, las vhicules, les voies publiques ou le mobilier urbain est puni de 3750 euros damende et dune peine de travail dintrt gnral lorsquil nen nest rsult quun dommage lger . 24 Il sagit de la loi n2007-1198 du 10 aot 2007, dite loi Dati , renforant la lutte contre la rcidive des majeurs et des mineurs. Elle met en place des peines minimales en cas de rcidive lgale, seuils que le juge peut ne pas appliquer en motivant sa dcision comme le prvoient dans leur dernier alina les articles 132-18-1 : Toutefois, la juridiction peut prononcer une peine infrieure ces seuils en considration des circonstances de l'infraction, de la personnalit de son auteur ou des garanties d'insertion ou de rinsertion prsentes par celui- ci. Lorsqu'un crime est commis une nouvelle fois en tat de rcidive lgale, la juridiction ne peut prononcer une 25
rcidive lgale peut ne pas tre plus lourde que celle dun primo-dlinquant si le juge motive sa dcision lappui darguments contre laggravation de la sanction. Nanmoins, il doit avoir connaissance de la situation de rcidive et la prendre en considration du point de vue du droit. Par consquent, le juge qui ne peroit pas la situation de rcidive lgale, commet, l encore, une erreur danalyse classer parmi les erreurs intellectuelles. 2. Une confusion malheureuse entre lment constitutif et circonstance aggravante Il arrive encore que les magistrats confondent lment constitutif et circonstance aggravante. Les articles 222-22 et 222-29 du Code pnal, les agressions sexuelles sur mineur de quinze ans, sont intressants ce titre. Larticle 222-22 du Code pnal concerne les agressions sexuelles dans leur ensemble, il dispose en son alina 1 : Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise . Larticle 222-27 prvoit la circonstance aggravante de minorit : Les agressions sexuelles autres que le viol sont punies de sept ans demprisonnement et de 100 000 euros damende lorsquelles sont imposes : 1 A un mineur de quinze ans 2 A une personne dont la particulire vulnrabilit due son ge, une maladie, une infirmit, une dficience physique ou psychique ou un tat de grossesse, est apparente ou connue de son auteur . Toute la complexit de certaines affaires dinfractions sexuelles rsulte de la preuve du dfaut de consentement du mineur lacte sexuel. En effet, il est frquent de ne pouvoir dmontrer la contrainte, la surprise, la menace ou la violence gnre chez lenfant abus sexuellement. Dans les cas dinceste notamment, le refus du mineur est parfois difficilement perceptible 25 , comme chez le trs jeune enfant, do une impasse pour parvenir la condamnation de lauteur de linfraction. Les juges confronts cet obstacle ont t tents dutiliser la
peine infrieure ces seuils que si l'accus prsente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de rinsertion et 132-19-1 du code pnal : Par dcision spcialement motive, la juridiction peut toutefois prononcer une peine d'emprisonnement d'une dure infrieure aux seuils prvus par le prsent article si le prvenu prsente des garanties exceptionnelles d'insertion ou de rinsertion . 25 La loi n2010-121 du 8 fvrier 2010 tendant inscrire linceste commis sur les mineurs dans le code pnal et amliorer la dtection et la prise en charge des victimes dactes incestueux, a pour objet une meilleure reconnaissance des cas dinceste et devrait lavenir viter de telles difficults. En effet un article 222-22-1 vient sajouter au code pnal pour faire de la minorit et de la qualit de personne ayant autorit des lments constitutifs de linfraction La contrainte prvue par larticle 222-22 peut tre physique ou morale. La contrainte morale peut rsulter de la diffrence dge existant entre une victime mineure et lauteur des faits et de lautorit de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime . 26
circonstance aggravante, la minorit de la victime, ou encore la qualit de personne ayant autorit de lauteur, comme preuve de la contrainte, et donc de labsence de consentement. Or, il y a l une grave confusion entre llment constitutif qui fait dfaut et la circonstance aggravante qui doit sappuyer contre. La circonstance aggravante devient llment constitutif contrairement aux exigences du texte de loi. Un arrt rendu le 21 octobre 1998 par la chambre criminelle de la Cour de cassation censure une telle erreur propos de la minorit : Attendu que, si les chambres d'accusation apprcient souverainement les faits dont elles sont saisies, c'est la condition qu'elles justifient leurs dcisions par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction ; Attendu que, pour renvoyer X... et Y... devant la cour d'assises, la premire, sous l'accusation de viols et agressions sexuelles aggravs, et, le second, sous l'accusation de complicit de ces infractions, la chambre d'accusation nonce que " c'est l'ge de 13 ans que, sous des motivations pseudo-pdagogiques, Z... a t encourag par son pre observer et toucher la nudit de sa belle-mre, ge de 21 ans de plus que lui ; que, feignant la tendresse et exploitant le besoin qu'ils avaient eux-mmes suscit, X... et Y... ont ensuite propos Z... des relations sexuelles ; qu'ainsi, compte tenu de son jeune ge, de son manque de discernement et du lien d'autorit existant, Z... s'est trouv dans un tat de dpendance affective caractrisant son gard la contrainte morale qui s'est maintenue tout au long des relations sexuelles, y compris au-del de la majorit " ; Mais attendu qu'en prononant ainsi, en se fondant, pour caractriser la violence, la contrainte ou la surprise, sur l'ge de la victime et la qualit d'ascendant ou de personne ayant autorit des auteurs prsums, alors que ces lments, s'ils permettent de retenir, contre ces derniers, le dlit d'atteinte sexuelle aggrave sur mineur, prvu et rprim par les articles 331 et 331-1 anciens et 227-25, 227-26 et 227-27 du Code pnal, ne constituent que des circonstances aggravantes du crime de viol ou du dlit d'agression sexuelle, la chambre d'accusation n'a pas donn de base lgale sa dcision ; D'o il suit que la cassation est galement encourue de ce chef 26 . Cest le cas galement dun arrt de la chambre criminelle du 14 novembre 2001 propos de la qualit de personne ayant autorit : Pour condamner le prvenu du chef dagressions sexuelles aggraves sur deux mineures lgard desquelles il avait autorit, la cour dappel, aprs avoir retenu la ralit des attouchements sexuels, nonce que le prvenu a agi en profitant de lignorance des victimes et en abusant de son autorit sur elles ; en prononant
26 Cass. crim., 21 octobre 1998, Bull. crim. n274. 27
ainsi, sans caractriser en quoi lignorance des victimes aurait t constitutive dun lment de violence, de contrainte, de menace ou de surprise, et alors que lautorit attribue au prvenu ne pouvait constituer quune circonstance aggravante du dlit dagression sexuelle, la cour dappel na pas justifi sa dcision 27 . Mais un arrt concernant de trs jeunes enfants, rendu par la mme chambre le 7 dcembre 2005, entrine lerreur sous ce dispositif : Justifie sa dcision la cour dappel qui, pour dclarer le prvenu coupable datteintes sexuelles avec violence, contrainte, menace ou surprise sur trois mineurs, nonce, notamment, que ltat de contrainte ou de surprise rsulte du trs jeune ge des enfants qui les rendaient incapables de raliser la nature et la gravit des actes qui leur taient imposs 28 . 3. La prescription et le fait justificatif ngligs Enfin, lorsquun dlai de prescription recouvre linfraction, ou un fait justificatif dlivre lauteur de linfraction de sa responsabilit pnale, le magistrat qui ne prend pas en considration ces lments, par un oubli du fait justificatif ou par un mauvais calcul de la prescription, se rend coupable dune erreur intellectuelle susceptible dentraner la condamnation tort de la personne en cause. II Lala dans le rtablissement de la vrit Dceler une erreur dans le raisonnement judiciaire nest pas vident et bien des failles intellectuelles donnent lieu des dcisions errones sur le plan du droit pnal. La rparation de ces erreurs est dpendante de sa dcouverte par celui qui en est victime, puis de sa rectification par un autre juge. Soumise un certain effort intellectuel, la rparation de lerreur intellectuelle est alatoire. Il faut reconnatre cependant lexistence dun systme de voies de recours complet, soucieux dune certaine efficacit. Plusieurs niveaux de juridictions se chevauchent afin dassurer un maillage serr dans la dtection des erreurs commises (A), complts par lintervention du juge europen en dernier recours (B).
A/ Des voies de recours plurielles et complmentaires Il existe au sein de la justice pnale franaise, plusieurs recours possibles contre une dcision judiciaire, destins sassurer de la rgularit de la procdure et/ou contester la qualit de la dcision rendue au fond. Lerreur intellectuelle peut se voir rpare grce eux, mais ce retour la rgularit est alatoire car ces voies de recours nont pas toutes pour seul dessein la rparation de lerreur sur le droit : - lopposition - lappel - le pourvoi en cassation. Ces voies de recours sont compltes par un recours supplmentaire au niveau europen qui savre tre lultime barrire contre les ventuelles erreurs de droit du juge pnal. 1. La rtractation par la voie de lopposition Lopposition est une voie de rtractation ouverte aux jugements rendus par dfaut 29 , c'est-- dire en labsence du prvenu ou de la partie civile, lors dune audience de jugement correctionnelle ou de police. Cette absence se doit dtre involontaire. La partie faisant opposition doit encore justifier dun intrt agir, la dcision rendue par dfaut devant lui faire grief (la relaxe du prvenu ne lui porte pas atteinte par exemple, de mme pour la partie civile le rejet du pourvoi en cassation de la personne poursuivie). Le dlai pour agir est en principe de dix jours avec un point de dpart variable suivant lintress. Lopposition doit, priori, pouvoir sexercer contre toutes les dcisions rendues par dfaut en matire correctionnelle, donc celles de premire instance mais aussi les arrts dappel ou les pourvois en cassation rendus par dfaut comme lnonce larticle 512 du Code de procdure pnale pour lappel, les articles 579 et 589 pour le pourvoi en cassation. Nanmoins, dune part la partie concerne a le choix entre faire appel ou opposition du jugement rendu par dfaut en premire instance, lopposition tant choisie doffice si les deux voies de recours sont exploites, et lappel tant irrvocable si lopposition est dclare irrecevable par le juge qui lexamine. Dautre part, la chambre criminelle de la Cour de cassation considre, et cela par une jurisprudence constante, que la dcision rendue en appel en labsence de la partie
29 La loi n2004-204 du 9 mars 2004, dite Perben II, portant adaptation de la justice aux volutions de la criminalit ayant supprim la purge de contumace, lopposition reste la seule voie de rtractation en matire correctionnelle et de police. 29
civile nest pas effective 30 . Une cour dappel sest pourtant affranchie de cette interprtation dans le cas de son vocation 31 , sans statuer sur le fond, aprs annulation dun jugement ayant mis fin la procdure 32 . Lopposition a pour finalit premire, il est vrai, de recommencer une audience laquelle la personne na pas pu tre prsente, afin quelle puisse y participer. Cependant, il faut reconnatre cette voie de recours la possibilit de rectification, de faon indirecte, dune erreur intellectuelle ventuelle. 2. La rformation soutenue par lappel et le pourvoi en cassation Les deux voies de rformation que sont lappel et le pourvoi en cassation tendent faire juger une seconde fois, en fait et en droit, une affaire pour donner une seconde chance aux plaideurs contre le risque derreur et/ou de mauvaise apprciation des premiers juges 33 . Si le premier, lappel, permet la vrification des faits et du droit, le pourvoi en cassation, quant lui, se charge du contrle du droit uniquement. Les deux voies de recours ouvrent une chance de voir lerreur de raisonnement commise par le juge corrige. Il faut tout de mme allouer plus de crdit sur ce point au recours en appel, qui se traduit par un recommencement du jugement en son ensemble, alors que la Haute Cour nest apte qu vrifier lapplication des rgles de droit, les faits tant considrs comme acquis. Lerreur intellectuelle reste une erreur de droit mais une mauvaise conception des faits peut tre le socle de lerreur rpercute sur le droit, cest pourquoi leur exclusion rduit les chances de la corriger.
30 Il sagit l dune erreur des juges du droit car larticle 512 du code de procdure pnale dispose : Les rgles dictes pour le tribunal correctionnel sont applicables devant la cour dappel sous rserve des dispositions suivantes et sapplique parfaitement larticle 425 du mme code : La partie civile rgulirement cite qui ne comparat pas ou nest pas reprsente laudience est considre comme se dsistant de sa constitution de partie civile. En ce cas et si laction publique na t mise en mouvement que par la citation directe dlivre la requte de la partie civile, le tribunal ne statue sur la dite action que sil en est requis par le ministre public ; sauf au prvenu demander au tribunal des dommages-intrts pour abus de citation directe, comme il est dit larticle 472. Le jugement constatant le dsistement prsum de la partie civile lui est signifi par envoi dhuissier, conformment aux dispositions des articles 550 et suivants. Ce jugement est assimil un jugement par dfaut, et lopposition soumise aux dispositions des articles 489 495 . 31 Lvocation dsigne le pouvoir de la cour dappel qui peut statuer la fois sur lincident et sur le fond dun jugement rform. Il sagit pour les juges dappel de mettre fin au litige en voquant des questions non tranches en premire instance en faisant exception du critre du double degr de juridiction mais qui permet un gain de temps et de moyens considrable. Du strict point de vue du droit, il y a l une erreur volontaire du juge. 32 CA Douai, 31 mai 1995. 33 Buisson Jacques et Guinchard Serge, Procdure pnale, Litec, 5 e dition, 2009, P.1179. 30
Lappel dun jugement de premire instance est ouvert tous les dlits et un peu moins largement admis en matire contraventionnelle. Il sinsre dans un dlai de dix jours soit compter du prononc du jugement (sil a t rendu de manire contradictoire) soit de sa signification (sil a t rendu par dfaut). Il peut tre interjet par toutes les parties linstance sans restriction en matire correctionnelle, et dans des conditions plus complexes en matire de police 34 . Lappel peut donc avoir pour objet de donner le droit aux parties un second regard sur le dossier de la procdure et sur le fond de laffaire 35 . Le pourvoi en cassation est un contrle de lgalit exerc par la Cour de cassation charge de contrler la lgalit des dcisions rpressives, de rectifier les erreurs de droit ventuellement commises par les premiers juges 36 . Deux sortes de pourvois peuvent tre intents, celui exerc par les parties, et le pourvoi dans lintrt de la loi form par le procureur gnral prs la Cour de cassation (ou plus rarement le procureur gnral dune cour dappel). Une condition gouverne ce recours, la dcision doit avoir t rendue en dernier ressort et ne pas tre exclue par un texte 37 . Le dlai pour se pourvoir est de cinq jours francs partir du jour o la dcision attaque a t prononce, ou partir de la signification de la dcision comme lnonce larticle 568, alina 1 du code de procdure pnale 38 . En matire dinstruction, les ordonnances du juge dinstruction peuvent, pour certaines dentre elles, faire lobjet dun appel devant la chambre de linstruction, qui statue alors comme une juridiction du second degr. Mais lappel est largement restreint et ses effets sont limits. De la mme faon, un pourvoi en cassation peut tre intent contre les arrts de la chambre de linstruction mais limit aux dcisions dfinitives, les dcisions non dfinitives pouvant encore tre contestes devant la juridiction de jugement.
34 Art. 546 CPP La facult dappeler appartient au prvenu, la personne civilement responsable, au procureur de la Rpublique, au procureur gnral et lofficier du ministre public prs le tribunal de police et la juridiction de proximit, lorsque lamende encourue est celle pour les contraventions de cinquime classe, lorsqua t prononce la peine prvue par le 1 de larticle 131-16 du code pnal ou lorsque la peine damende prononce est suprieure au maximum de lamende encourue pour les contraventions de la deuxime classe. Lorsque des dommages et intrts ont t allous, la facult dappeler appartient galement au prvenu et la personne civilement responsable. Cette facult appartient dans tous les cas la partie civile quant ses intrts civils seulement. Dans les affaires poursuivies la requte des eaux et forts, lappel est toujours possible de la part de toutes les parties, quelles que soient la nature et limportance des condamnations 35 Buisson Jacques et Guinchard Serge, op. cit., P. 1187. 36 Bor, J. et L., La cassation en matire pnale, 2 me dition, Dalloz, 2004. 37 Les mesures dadministration judiciaire en sont exclues (par exemple : mesure dordre laudience, disjonction des poursuites). 38 En droit de la presse, il sagit dun dlai de trois jours qui nest pas franc selon larticle 59 de la loi du 29 juillet 1881 sur la libert de la presse. 31
Pour une grande part des ordonnances du juge dinstruction, la rparation dune erreur intellectuelle du juge est plus difficile, voire impossible dfaut de recours ou du fait de recours trop troits. 3. La place de lerreur et son volution dans la procdure criminelle Avant la loi du 15 juin 2000 39 , lappel des arrts rendus par les cours dassises ntait pas possible. Par consquent, en cas derreur du juge, aucun espoir de rectification ntait envisager. Dsormais larticle 380-1 du code de procdure pnale prvoit : Les arrts de condamnation rendus par la cour d'assises en premier ressort peuvent faire l'objet d'un appel dans les conditions prvues par le prsent chapitre. Cet appel est port devant une autre cour d'assises dsigne par la chambre criminelle de la Cour de cassation et qui procde au rexamen de l'affaire selon les modalits et dans les conditions prvues par les chapitres II VII du prsent titre. La cour statue sans l'assistance des jurs dans les cas suivants : 1 Lorsque l'accus, renvoy devant la cour d'assises uniquement pour un dlit connexe un crime, est le seul appelant ; 2 Lorsque l'appel du ministre public d'un arrt de condamnation ou d'acquittement concerne un dlit connexe un crime et qu'il n'y a pas d'appel interjet concernant la condamnation criminelle . La loi du 4 mars 2002 40 a ensuite ouvert le recours tous les arrts rendus en premier ressort, de condamnation ou dacquittement. Sont habilits exercer un recours contre un arrt de condamnation : laccus condamn, le ministre public, les administrations publiques lorsquelles exercent laction publique ; la partie civile et la personne civilement responsable seulement quant leurs intrts civils. Pour les arrts dacquittement, seul le procureur gnral peut ouvrir cette voie de recours. Le dlai de dix jours pour interjeter un tel recours se calcule au jour de la signification de larrt. Ce recours est distinguer de lappel correctionnel en ce quil sagit plus dune seconde chance donne au condamn, la cour dassises de second ressort ntant pas suprieure hirarchiquement. En effet, les cours dassises sont constitues dun jury form par neuf jurs, citoyens tirs au sort, et dun Prsident entour de deux assesseurs, tous les trois magistrats
39 Loi n2000-516 du 15 juin 2000 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes, art. 81, applicable au 1 er janvier 2001. 40 Loi n2002-307 du 4 mars 2002 compltant la loi n2000-516 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes. 32
professionnels. La dcision rendue na pas de motivation, tant guide par lintime conviction. En effet, il est de tradition depuis la Rvolution franaise 41 que le peuple rende la justice en matire criminelle, et cela en son me et conscience, sans avoir motiver les raisons qui lont pouss pencher, lors du procs, pour la culpabilit ou linnocence. Remettre en cause cette dcision a pos des problmes vidents. En effet, comment contester lintime conviction ? Cependant, les erreurs intellectuelles npargnent pas toujours les arrts de cour dassises et le jury, assist des juges professionnels, nest pas labri de celles-ci, quelles soient commises lors de linstruction prparatoire et entrines lors du procs ou ralises par le jury et la cour eux-mmes pendant le procs. En cela, il doit tre reconnu de grandes vertus la possibilit de les rparer. La cour dassises de second ressort est alors compose de douze jurs diffrents et toujours trois magistrats professionnels nouvellement dsigns, dont le Prsident. B/ Lerreur persistante soumise au juge europen La Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales est signe le 4 novembre 1950 dans le cadre du Conseil de lEurope, ratifie par la France le 4 mai 1974. Depuis, 13 Protocoles y ont t additionns. La Cour europenne des droits de lhomme, dont le sige est Strasbourg, est lorgane juridictionnel supra-national cre en 1959 afin de veiller au respect des dispositions de la Convention par les 47 Etats parties. Elle reprsente une ultime chance pour la victime de lerreur daccder une rparation de celle-ci. Dabord, le recours devant la CEDH doit tre introduit aprs puisement de lensemble des voies de recours interne de lEtat, la Cour tant un organe subsidiaire de contrle du respect de la Convention EDH. Le parcours est donc prilleux puisque lerreur en question ne doit pas avoir t admise par les juridictions franaises. Ces recours doivent en plus tre utiles, efficaces et adquats, c'est--dire aptes rparer le manquement, relevant des autorits comptentes et offrant une chance relle au requrant dune rparation. Cette dernire condition est stricte et diminue les chances pour la victime dune erreur dobtenir sa rectification ; cependant elle est apprcie par la Cour notamment au regard de la jurisprudence antrieure. Ces conditions sont plutt favorables en France puisque la Cour a estim que le pourvoi en cassation figure parmi les voies de recours puiser en
41 Loi du 16-26 septembre 1791. 33
principe 42 . Il nest que peu damnagements la rgle, outre des allgations srieuses de torture 43 et lpuisement des voies de recours internes par laide dune association 44 . Le requrant doit obligatoirement allguer la violation dune ou plusieurs dispositions de la Convention EDH et avoir fait rfrence celles-ci, ou des dispositions nationales de mme substance, lors de lexercice des recours internes. Cela reprsente une barrire supplmentaire pour la victime de lerreur qui ne peut appeler le secours de la CEDH pour toute erreur, seules celles qui sont dans ses comptences y trouvent une coute. Le recours peut tre tatique ou individuel mais reste toujours dirig contre un Etat contractant comme le prvoit larticle 34 de la Convention EDH. Le recours individuel est assez largement ouvert puisquil peut tre exerc par une personne physique, une organisation non-gouvernementale ou un groupe de particuliers. La personne physique est la victime directe, indirecte ou potentielle et une association pouvant dfendre lintrt gnral et non lintrt propre des victimes. Un arrt de la CEDH du 27 juin 2000, Ilhan c/ Turquie, accepte le recours de la victime indirecte aux paragraphes n53 et 55 : Le requrant a du reste prcis dans sa requte qu'il se plaignait au nom de son frre, lequel, compte tenu de son tat de sant, n'tait pas en mesure de mener lui-mme la procdure. Cela dit, la Cour note que d'une manire gnrale il est prfrable qu'une requte dsigne comme requrant la personne lse et qu'une procuration soit produite qui autorise un autre membre de la famille agir au nom de l'intress. On a ainsi l'assurance que la requte est introduite avec le consentement de la victime de la violation allgue et on vite l'introduction de requtes par la voie de l'actio popularis. [] Ds lors, eu gard aux circonstances particulires de l'espce, o [la victime] peut prtendre s'tre trouv dans une situation particulirement vulnrable, la Cour juge que le requrant peut passer pour avoir valablement introduit la requte au nom de son frre . Les personnes morales sont galement largement admises agir par la CEDH. Ladmission des plaignants est donc assez large et ouvre une chance considrable de rparation dune erreur commise par un juge franais au niveau europen. Enfin, la requte doit intervenir dans les six mois qui suivent la dernire dcision interne dfinitive, dlai consquent qui savre suffisant pour permettre laction des requrants.
42 CEDH, 25 mars 1992, B. c/ France et CEDH, 23 novembre 1993, A. c/France 43 CEDH, 18 dcembre 1996, Akdivar c/ Turquie et CEDH, 28 juillet 1999, Selmouni c/ France 44 CEDH, 27 avril 2004, Gorraiz Lizarraga c/ Espagne
34
Si cette juridiction europenne reprsente indniablement un filtre de plus pour les justiciables et peut tre amene rparer lerreur de lun de nos magistrats, sa porte pour la victime reste limite. La CEDH se heurte en effet lautorit de la chose juge et ne peut donner lieu la reconnaissance de lerreur par les juridictions franaises. Elle alloue une compensation financire la victime, la satisfaction quitable, et condamne lEtat verser des dommages et intrts, mais ne peut lui imposer une nouvelle procdure au sein de ses propres juridictions. Le rsultat de cette dcision europenne savre donc limit, mme si laura de linstitution qui en est lorigine, de plus en plus puissante, exerce une pression sans comparaison sur lEtat fautif, fortement invit voluer dans les plus brefs dlais quant son comportement illgal. 35
CHAPITRE 2 LERREUR SUR LES FAITS Puisqu'ils ont os, j'oserai aussi, moi. La vrit, je la dirai, car j'ai promis de la dire, si la justice, rgulirement saisie, ne la faisait pas, pleine et entire. Mon devoir est de parler, je ne veux pas tre complice. Mes nuits seraient hantes par le spectre de l'innocent qui expie l-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu'il n'a pas commis. [] L'acte que j'accomplis ici n'est qu'un moyen rvolutionnaire pour hter l'explosion de la vrit et de la justice. Je n'ai qu'une passion, celle de la lumire, au nom de l'humanit qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflamme n'est que le cri de mon me 45 . Ces quelques mots dEmile Zola rappellent quel point la justice doit tre faite la lumire de la vrit et apprcier les faits qui lui sont soumis dans leur plus grande exactitude. Il en va de lhonneur et de lintgrit de la justice pnale mais encore plus de celui quelle condamne. Le magistrat qui commet une erreur sur les faits, une erreur judiciaire dans son acception la plus large, heurte irrmdiablement les socles de linstitution. Le devoir de probit de cette justice, appele au secours des situations les plus dramatiques ne sarrte pas viter le fracas caus par lerreur judiciaire (section premire) mais limpratif de sa rparation lorsquelle est commise (section seconde). SECTION I : LE POIDS DE LERREUR JUDICIAIRE SUR LA JUSTICE PENALE Lerreur judiciaire reprsente lerreur sur les faits par excellence, en ce quelle dforme la ralit des vnements factuels de telle sorte quun innocent prend la place dun coupable et inversement. La premire situation doit tre de loin la plus proccupante des deux car la justice ne peut supporter de salir lintgrit dun homme. Priver un innocent de sa libert est dune gravit bien suprieure celle qui consiste laisser un coupable cette mme libert. Lune des plus grandes erreurs judiciaires franaises, laffaire dite Seznec vient lappui dun tel constat (I). Elle va mme bien au-del puisquelle montre linsoutenable
45 Journal lAurore, jeudi 13 janvier 1898, Jaccuse ! Lettre au Prsident de la Rpublique, par Emile Zola, n87, P.1. 36
hypocrisie dune justice qui sest dote des instruments ouvrant une possibilit de rparer une telle erreur mais qui refuse obstinment de les mettre excution (II). Le combat contre linjustice, pouvait, effectivement, se comparer la traverse du plus monstrueux des ocans. Encore fallait-il une autre rive 46 . I Chronique dune erreur judiciaire Depuis bientt un sicle, laffaire Seznec agite la justice et tourmente les dfenseurs de cette noble institution. Symbole fort de lerreur sur les faits, elle met en relief les erreurs successives des magistrats tout au long de la procdure judiciaire. Ainsi, comme dans la plupart des erreurs judiciaires, lenqute et linstruction sont lorigine des erreurs (A) qui rebondiront et se verront confortes, voire amplifies, jusquau procs (B). A/ De lenqute bcle Laffaire Seznec rsonne encore de nos jours aux trfonds de nos consciences comme lune des plus grandes erreurs judiciaires franaises. Notre justice elle-mme ne sest toujours pas dlivre du spectre de cette terrible mprise, ni plus quelle na russi lever lopprobre qui pse sur ses paules. Les faits remontent pourtant plus de 87 ans ! Le doute qui domine ds les premires heures, le droulement des faits, au lieu de profiter laccus et de pencher pour son innocence (1) vont le desservir et causer sa perte (2). 1. Des faits exploitables La dramatique histoire de Guillaume Seznec prend date au 25 mai 1923, lorsque celui-ci accompagne son ami Pierre Quemeneur, alors conseiller gnral du Finistre, au cours dun long priple depuis la Bretagne jusqu Paris, pour se livrer un trafic de Cadillac provenant des stocks amricains de la premire guerre mondiale. Le dtail des innombrables faits qui jalonnent laffaire est fort passionnant mais il est impossible den brosser un tableau complet dans ce cadre, tant les rebondissements se succdent sans fin durant le sicle qui a suivi. De mme, il serait sans doute peu opportun ici et certainement trop long, de reconstituer le dtail des liens cres entre G.Seznec, le matre de scierie, et P.Quemeneur, le ngociant de bois, homme politique de son tat ; mme si cela revt une certaine importance pour comprendre le
46 Seznec Denis, Nous les Seznec/Toute lAffaire, Robert Laffont, 1992, 2009. 37
triste acharnement de la justice contre un homme, jug coupable sans preuve aucune. Il est donc essentiel de sattacher aux faits principaux, savoir dabord lassociation de ces deux hommes dans un commerce illgal qui leur sera fatal. P.Quemeneur, intress par une petite annonce concernant les fameuses voitures amricaines, se lance dans leur vente des sovitiques, par lintermdiaire dun amricain, Gherdy, quil doit retrouver Paris. Pour cela, il sassocie G.Seznec, la femme de ce dernier possdant des dollars-or qui reprsentent une somme considrable, et lui vend sa proprit de Traou-Nez contre largent. Bien videmment, la transaction se fera en partie par un dessous de table, la somme verse rgulirement paraissant de ce fait, drisoire. Mais le voyage naura pas le droulement attendu et les pannes se succderont tant et si bien que P.Quemeneur dcidera de finir le trajet en train partir de Dreux. G.Seznec rentrera chez lui, en Bretagne, dans les heures qui suivent, renonant ce voyage du fait du mauvais tat de la voiture et du cot des garagistes parisiens. P.Quemeneur ne donnera plus jamais aucune nouvelle et G.Seznec, accus de son assassinat, verra sa vie et celle de sa famille sur plusieurs gnrations totalement dtruite. Lerreur du juge, il faudrait mme crire lerreur des juges pour tre exact, est omniprsente tout au long de la procdure judiciaire et tous les niveaux : juge dinstruction, prsident de la cour dassises, procureur de la rpublique, juges chargs de la rvision de laffaire, des reprsentants de la magistrature tout entire ont plir de leurs fautes. Car l point de ngligence ou dinattention pardonnable du juge, il faut parler de myopie svre, voire daveuglement total. Comment, pendant prs dun sicle, des faits ont-ils pu servir la cause dune justice perdue ? 2. Des faits exploits Laffaire Seznec, cest dabord et avant tout une enqute bcle, et encore au-del, saccage. Il nest pas ici question de traiter lerreur policire, un autre sujet, mais ne pas laborder reviendrait se priver dune part dexplication capitale quant lerreur du juge pnal. Lenqute, cest le point de dpart, celle qui retrace les faits et en cherche les preuves, du moins, en ce qui concerne le cas Seznec, celle qui dessine une histoire la justice. Le dessin nest malheureusement pas toujours fidle la vrit, parfois parce que la vrit est celle qui arrange, cela en toute mauvaise fois. Une chose est certaine, lenqute est dterminante pour le juge et son orientation peut faire basculer la justicedans linjustice la plus totale. 38
Lerreur retentissante de laffaire dOutreau, sur le prtendu rseau pdophile dcouvert dans cette ville, commencera dailleurs par la conviction des autorits policires et du juge dinstruction charg de laffaire, de la culpabilit des suspects. Laffaire Seznec nen sera pas pargne, le ton tant rapidement donn. Car ce ton est au cur de la procdure lorsquil est question de faits, un visage, une parole pouvant alors suffire asseoir la conviction de tenir un coupable. Revenons laffaire Seznec. La dcouverte pendant lenqute, le 20 juin 1923, de la promesse de vente de la proprit de P.Quemeneur, Traou-Nez, faite G.Seznec, dans la valise du notable retrouve au Havre, sera rapidement tablie comme mobile idal du crime crapuleux. Cette promesse de vente estime tre un faux cr par le suspect, sera bientt dterminante pour lavenir de Guillaume Seznec. Par la suite, il sera videmment dsign comme auteur dun second faux, un tlgramme envoy du Havre. Il se serait ainsi fait passer pour sa victime prenant soin de rassurer sa famille. Puis, lenqute conduira en faire lacheteur de la machine crire ayant servi tablir les faux dans cette mme ville du Havre. Au courant de lenvoi dun chque de soixante mille francs rclam par P.Quemeneur son beau-frre, Me Pouliquen, notaire de la famille, G.Seznec essaiera bien-sr de rcuprer la somme en lieu et place de son ami Paris. De l, il ne sera pas compliqu de reconstituer les allers et venues du suspect dj coupable, de Morlaix au Havre en passant par Paris ; les tmoins ntant pas difficiles convaincre des faits quon leur expose. La dclaration dun commissaire de police propos de cette affaire est lourde de sens quant aux rpercussions de lenqute sur le destin pnal : Dans cette affaire, le travail de la police a t men nimporte comment. Or, quand une enqute est mal engage au dpart, on ne peut pratiquement plus revenir en arrire. Et le reste en ptit linstruction, le procs Quand a part de travers, a aboutit de travers 47 . Pression, intimidation, disparition des preuves, manipulations, menaces, cration de fausses preuves, faux-tmoignages et autres malversations sont les matres mots de ce dossier 48 . Nul ne songera rappeler quayant eu les mains brles dans un incendie, jamais le suspect naurait pu taper avec suffisamment de prcision sur la machine crire. Les photos anthropomtriques de Seznec seront trafiques pour correspondre la description de certains tmoins, personne ne vrifiera que lhomme, en ralit, na pas un il plus petit que lautre.
47 Seznec Denis, op. cit., P.282. 48 Plus de vingt personnes sont mortes de faon violente ou se sont volatilises pendant laffaire Seznec. 39
Les inspecteurs de police de la Sret Gnrale, corrompus, seront tous mls aux affaires les plus douteuses du sicle sans en tre inquits. Linspecteur Bonny 49 sera sans doute lhomme de main de personnalits haut places et aura raison de lhomme abattre, Seznec. Le procureur de la Rpublique, pour ce qui le concerne, nest autre que le soupirant conduit de Marie-Jeanne Seznec, la femme de linculp 50 . La justice y perdra petit petit toute raison. Guillaume Seznec lui-mme souffrira de ses erreurs, celles dune personne qui tente de crier son innocence et de la prouver. Il manquera dexactitude et confondra certains horaires ou lieux, cherchera trouver des tmoins de cette innocence et tout cela sera rapidement retourn contre lui. Or, lorsque lon na rien se reprocher, se souvient-on de chaque dtail dune journe ? Tous les professionnels de justice (magistrats, avocats, policiers) que je ctoierai au cours de ma vie massureront que, par exprience, ils constatent que les innocents ou les gens hors de cause dans les petites ou grandes affaires mentent autant que les coupables. Ils croient navement sen sortir plus rapidement, alors que bien souvent leurs petits mensonges dcouverts incitent les enquteurs, notamment dbutants, les croire coupables 51 . Quant aux tmoignages, il y en a des deux camps : charge et dcharge. Il sera dcouvert petit petit que les tmoins charge avaient pour une bonne partie des liens avec les policiers, professionnels ou privs. Leurs dires semblent avoir t fortement suggrs par les policiers, ou favoriss par loctroi de certains avantages 52 . Quant aux tmoins favorables, il ne sera pas difficile de faire douter les jurs de la moralit de lun ou de le soudoyer 53 , et surtout de transformer plus ou moins les dclarations : A partir de trois tmoignages ngatifs, on est parvenu un seul tmoignage enregistr, ni ngatif ni positif, disons indcis et qui ouvre donc le champ toutes les interprtations. Ce tour de
49 Linspecteur Pierre Bonny sera li de prs aux affaires Stavisky, lescroc suicid dans les annes 1930, et Albert Prince, chef de la section financire du parquet lui aussi suicid la veille des rvlations quil sapprtait faire quant aux illustres complices de Stavisky. Membre de la Gestapo pendant la seconde guerre mondiale, il ordonne la torture et lexcution de nombreux Juifs et rsistants. Il sera fusill le 27 dcembre 1944, et selon ce que rapporte son fils Jacques Bonny dans son livre Mon pre linspecteur Bonny (Robert Laffont, 1975) dira au mdecin lgiste avant de mourir Je regrette davoir envoy au bagne un innocent . 50 Le terme inculp correspond aujourdhui celui de mis en examen. 51 Seznec Denis, op. cit., P. 192. 52 La femme de lun des tmoins tenait un tablissement de jeux qui trangement ne connatra pas la censure de lpoque, linspecteur Bonny ayant t membre de la brigade des jeux pendant un temps. 53 Ainsi, lun des tmoins les plus importants de laffaire, ayant vu et parl au disparu aprs la date de cette disparition, Franois Le Her, sera dabord victime dune enqute de moralit monte de toutes pices et destine lui retirer toute crdibilit devant le jury dassises. Devant sa dtermination tmoigner malgr tout, une rente dinvalidit totale lui sera verse vie pour acheter son silence, alors quil tait en parfaite sant. Ce tmoin deviendra le pre de Denis Seznec et sera tu par sa femme, donc la fille de Guillaume Seznec, en 1948, acquitte car estime en tat de lgitime dfense. 40
passe-passe prfigure la manire dont seront menes la plupart des auditions de tmoins : on cartera les non trop catgoriques, on transformera le non en peut-tre , le peut- tre en certainement... 54 . Pour ce qui est des preuves, un grand nombre seront obtenues par intimidation ou tout simplement fabriques. Le juge dinstruction est alors le premier juge participer lerreur, dabord son insu, accrditant celles que lui apportent les rapports de police. Pour exemple, la recherche dun bidon dessence dont Seznec aurait fait usage, jamais retrouv mais dcrit comme tch sans plus de prcision, sera imag dune manire toute personnelle par la police puis la justice : Du sang encore frais souillait un bidon vide que Seznec abandonna La Queue-lez-Yvelines le 26 au matin chez le mcanicien Coulomb. Notons que la justice est encore plus forte que la police et la presse, car elle russi voir sur un bidon introuvable du sangencore frais ! . Mais le juge instructeur va plus loin dans lerreur, car il ne se contente pas de reprendre celles de la police, il commet de graves fautes lui aussi. Ainsi, lorsque Seznec est confront aux tmoins pour que ces derniers sassurent quil sagit de la personne dnonce, cest avec les menottes aux mains, ceci en toute illgalit. Les questions leur sont poses de cette faon Reconnaissez- vous linculp qui sest prsent vous ? , alors quil ne sagit que dun suspect, du moins si lon en croit la procdure pnale. La troisime perquisition au domicile du prvenu, capitale, puisque la machine crire, pice conviction accablante, y sera trouve ce moment l, se droule en labsence du juge dinstruction mais galement du prvenu ou des deux tmoins extrieurs aux autorits judiciaires. Cet acte est ds lors inutilisable car totalement irrgulier, cela ne perturbera pourtant pas les magistrats qui lutiliseront sans sourciller de linstruction jusquaux assises. Linstruction est close le 15 mars 1924, le rquisitoire du Procureur de la Rpublique est difiant, ce juge pnal sacharnant avec violence reprendre la thse policire en y rajoutant une extrapolation des faits destine convaincre les jurs dune culpabilit indiscutable de Seznec. Les preuves sont inventes, les procdures irrgulires confortes, le doute nexiste plus, lobjectivit a disparu. Cest ainsi que linstruction dbouche sur le procs. Pas de cadavre, pas de tmoin, pas darme du crime, aucun indice sur la faon dont il aurait t perptr, et pas daveuxmais une certitude acquise ds la premire heure ! Ah, cette intime conviction qui permet dapporter avec clat, la preuve de la culpabilit, nest-ce pas merveilleux ? [] On retrouve l le processus qui a abouti la plupart des erreurs
54 Seznec Denis, op. cit., P.130. 41
judiciaires. En effet, cette certitude si tt acquise amne les enquteurs ne suivre quune seule piste, en rejetant obstinment tout ce qui vient linfirmer et accueillant favorablement tout ce qui la conforte. Cest bien ce qui se passe dans lAffaire Seznec, nous lavons vu avec les tmoins lors de linstruction, nous en aurons confirmation au procs 55 . B/ A la dbcle du procs Le procs dassises de Guillaume Seznec se droule Quimper du 24 octobre au 4 novembre 1924. Quil sagisse des juges professionnels qui multiplient les erreurs au sein du prtoire (1) ou des jurs-citoyens qui se laissent convaincre par une histoire fausse (2), cest lerreur du juge dinstruction qui se rpercute ici, dix jours pendant laquelle la justice va oublier son nom. 1. Lerreur des magistrats professionnels Le prsident dassises, haut magistrat de la sphre judiciaire, a pour rle dassurer la bonne tenue des dbats et de tenter de discerner la vrit. Or, il se comportera pendant ce procs comme un second accusateur, au service de la socit, rle tenu normalement par le ministre public : Au cours des dbats, ce haut magistrat se montrera impitoyable, mprisant mme envers certains tmoins, mais surtout outrepassera ses droits en se comportant non pas en responsable du bon droulement des dbats, mais en accusateur, une sorte de procureur bis. Relativisons cette critique cependant : ce comportement du prsident dun tribunal est courant lpoque. De nos jours, nous souffrons encore, dans certains prtoires, de ce glissement des rles 56 . Lors de laudience, lorsquun tmoin capital prsent dans la salle se fera entendre pour contester une date avance par laccusation, celle de son mariage en loccurrence, le prsident lui-mme nutilisera pas son pouvoir discrtionnaire et estimera lincident clos. Il ne fera donc pas venir ce tmoin pourtant fort utile la barre pour sexprimer. Lavocat gnral, reprsentant du ministre public devant la cour dassises, dclarera la presse quil demanderait et obtiendrait la tte de Seznec .
55 Seznec Denis, op. cit., P.216. 56 Seznec Denis, op. cit., P. 235 et 236. 42
Les jurs, au nombre de douze en ce dbut de sicle, sont tirs au sort sur une liste qui ne comporte que des hommes, notables ou artisans, donc du mme camp que la victime, conseiller gnral du Finistre. La lecture des traits de personnalit sera la premire erreur commise lors du procs, prsentant la victime comme un homme respectable et estime, le prvenu comme un homme de mauvaise composition, impassible et peu apprci : Lorsquil sagit de parler de Quemeneur, le haut magistrat adopte un tout autre ton : - Quant M. Pierre Quemeneur, conseiller gnral du Finistre, ngociant estim, il devait son honntet comme lexcellence de ses manires, lestime gnrale dont il tait honor Aprs le dmon lange. Aprs le mercanti, le citoyen au-dessus de tout soupon. Autrement dit, lassassin et la victime. Cest cet axe que suivront les interrogatoires pour asseoir laccusation 57 . Linfluence de ce portrait dessin par le magistrat sur le jury dassises est consquente, elle est le point de dpart dun tableau dj termin avant mme que la peinture soit dpose. Les interrogatoires seront le second point soulever la critique quant lerreur du juge pnal, ceux-ci ntant pas raliss avec le respect qui simpose et la volont dclaircir des zones dombre mais au contraire de contraindre laccus causer sa propre perte. Vritables attaques du prsident dassises, il ne procde pas par interrogation mais par affirmation. Lorsque laccus sen dfend, il est pri de ne pas tre insolent ou de nier lvidence. Tout lui est reproch, sil rpond, il heurte la susceptibilit de la justice, sil se tait, il est coupable. Lavocat de laccus, jeune et peu expriment, ne dfend que rarement son client devant la lourdeur du systme, nexploite pas les failles procdurales et conseille son client de ne pas parler du trafic lorigine du priple pour viter de faire mauvaise impression. Lavocat de la partie civile 58 quant lui, va se comporter en troisime accusateur, sortant totalement de son rle sans jamais tre arrt par le prsident de la cour dassises. Les expertises autour des faux en criture, la promesse de vente et le tlgramme essentiellement, seront contredites par certains. Lorsque lavocat de laccus essaiera dapporter cet argument et la preuve des contradictions, le prsident se contentera de rpondre que la question ne parat pas avoir un quelconque rapport avec laffaire . G.Seznec sera donc rendu coupable des faux la lumire dexpertises privilgies par le juge pnal.
57 Seznec Denis, op. cit., P. 239. 58 Il se suicidera quelques annes aprs le procs, comme un certain nombre de personnes ayant contribu laccusation de Guillaume Seznec. 43
Cent quarante-huit tmoins dont quarante-trois policiers seront appels comparatre laudience, proportion tonnante de personnels des services de police qui ne manqueront pas dappuyer des preuves ou des conclusions douteuses de la part de laccusation. Cent vingt- trois tmoins seront cits par laccusation. Ces mmes tmoins exigeront pour une grande partie, devant la lenteur des dbats, soit dtre mieux rmunrs pour leur mise disposition, soit dtre interrogs immdiatement. Le prsident cdera aux menaces et dcidera dintervertir lordre de passage : il interrogera la chane, en quelques minutes pour chacun, les tmoins dcharge avant ceux de laccusation. Pourtant, les tmoins de la dfense doivent tre entendus en dernier, limage renvoye au jury par les derniers tmoignages tant celle qui reste la plus frache en mmoire. 2. Lerreur des juges-citoyens La synthse du procs, les erreurs mises bout bout, dmontre que la prsomption dinnocence a t compltement mise de ct tout au long des dbats. Alors que cest laccusation de prouver la culpabilit, il sera exig du prvenu quil dmontre son innocence. Accabl par la tenue de laudience, les fausses preuves, les faux tmoins, la connivence des magistrats et des enquteurs, laccus se trouvera accul. Le doute doit toujours profiter laccus, cette affaire en est ptrie. Au contraire, il va servir la condamnation de laccus sur un plateau. Les dlibrations du jury vont durer cinquante minutes, quatre questions leur tant poses : - G.Seznec est-il coupable davoir tu P.Quemeneur ? - A-t-il agi avec prmditation ? - Y a-t-il eu guet-apens ? - G.Seznec a-t-il commis un faux en criture prive ? Le verdict est difiant : lerreur est saisissante, les jurs rpondant trois des questions par laffirmative, dont lexistence dun guet-apens, mais rfutant la prmditation. Comment peut-on prvoir un pige sans prmditation ? Cette erreur rocambolesque va viter la condamnation mort de Guillaume Seznec. Une seconde dlibration est alors tenue, le jur qui navait pas compris le sens du mot prmditation stant affranchi de cette difficult en excluant alors le guet-apens. La peine sera fixe par les magistrats professionnels : les travaux forcs perptuit. 44
Aprs vingt-quatre annes passes au bagne, en Guyane, Seznec sera graci et reviendra en France. Sa femme, qui sest battue toute sa vie pour obtenir la rvision du procs, est morte. Sa fille, Jeanne, continuera le combat jusqu sa mort pour obtenir la rvision. Son petit-fils, Denis, a repris cette lutte et continue duvrer corps et me en ce sens. On apprendra peut-tre dans quelques annes, ou aprs sa mort, que Seznec tait innocent. Il nen sera pas moins all au bagne, mais quoi ? Dautres que lui y sont alls qui ntaient pas coupables. Et a na aucune importance, pourvu que la malignit publique soit satisfaite et que les magistrats aient de beaux avancements 59
II Le discrdit repouss par la justice Reconnatre lerreur judiciaire revient pour la justice admettre sa fragilit, ce quelle repousse violemment. Lerreur sur les faits est pourtant celle qui gnre les dgts les plus insupportables parce quelle invente un mensonge aux consquences dsastreuses. Lorsque la responsabilit de cette erreur judiciaire vient dun jury dassises, elle savre dautant plus dlicate affronter que cest lintime conviction qui dtermine son choix (A). Mais cest de loin linnocence, du moins le respect de sa prsomption, qui reste la plus difficile dmontrer (B). A/ Lintime conviction, une frontire insurmontable Ladage vox populi vox dei est-il infaillible ? 60 . Le jury dassises, comptent pour juger en matire criminelle, dcide en vertu de cette intime conviction, sans nul besoin de motiver sa dcision. Lintime conviction reste pourtant une donne abstraite, une conviction profonde, un sentiment de lhomme. Le procs dassises est destin claircir les juges citoyens quant la ralit des faits et la culpabilit ou linnocence dune personne. Il savre trs dlicat de bousculer cet idal de justice qui perptue au sein de notre droit lide dune justice rendue par le peuple et donc, infaillible. Pourtant, le jury peut se tromper, les jurs peuvent tre influencs, leur opinion peut tre fausse. Laffaire Seznec illustre de faon intressante quel point le jury peut tre influenc au cours dune audience. Les jurs nont pas accs au dossier, cest loralit des dbats qui doit faire
59 LEcole mancipe, revue pdagogique hebdomadaire de la Fdration des syndicats de lenseignement, n8 du 16 novembre 1924, article dEdouard Rothen sous le titre Justice !. 60 Valeurs actuelles du 26 octobre 1992. 45
natre chez eux une conviction en un sens ou un autre. Or, entour du crmonial de la justice, de lincontestable loyaut de ses membres, comment de simples citoyens peuvent dceler une erreur de la part de linstitution et de ses reprsentants ? Aujourdhui, certes, la foi en cette justice sest effrite et la remise en question est plus aise concevoir. Cependant, en pratique, il reste difficile pour ces jurs de ne pas croire en ce quon leur expose. A lpoque de laffaire Seznec, le jury a t manipul par la justice, qui voulait en ralit couvrir des malversations venant de lEtat lui-mme. La pice de thtre qui lui a t prsente ne ft que pure fiction, mais une fiction assortie du sceau de la justice, donc tenue pour vraie quoi quil arrive : Ce dossier recle toute la gamme de ce que lon peut faire pour donner un coup de pouce une enqute : photos antidates, perquisitions infructueuses et renouveles qui se transforment brusquement en pche miraculeuse, tmoignages dforms devenant progressivement prcis []Les tmoins opposs Seznec sont interrogs jusqu vingt fois ; ceux qui lui sont favorables sont expdis en un maigre et unique procs-verbal et on oublie de les convoquer laudience. Il faudrait aussi parler de tout un tas de manipulations, dinterprtations htives, qui font du dossier Seznec un dossier trop bien ficel , et pour tout dire, suspect 61 . Plus encore, ce mme jury est influenc par des critres aussi peu fiables que lattitude de laccus ou son facis. Guillaume Seznec en fera la douloureuse exprience : Un homme accus dun meurtre quil na pas commis, a doit tre pathtique, bris, voire implorant. Ca doit aussi exprimer visiblement le regret de la disparition, de la mort probable de son ami. En un mot, a doit paratre innocent. Or, que verront les jurs et le public ? Un homme plutt grand, un peu vot, au regard dur, qui se dfend pied pied, avec hargne souvent et orgueil toujours. En cela, mon grand-pre est semblable Dreyfus qui longtemps on reprochera sa froideur, son impassibilit, assimils de lindiffrence. Seznec (suit) les dbats de son regard si trangement vif et froid-on dirait une coule dacier 62 . Laffaire dOutreau, elle aussi, a mis en scne des personnages qui plaisent ou pas lopinion publique, qui sont suspects ou non ds leur apparition dans la salle daudience. Celui qui a des difficults sexprimer, celui qui exerce un mtier expos (labb Dominique Wiel sera condamn la peine la plus lourde de tout le prtendu rseau avant dtre innocent), celui qui semble indiffrent, a de plus grands risques dtre victime de lerreur.
61 Le Monde du 31 aot 1977. 62 Lcho de Paris du 24 octobre 1924. 46
Ainsi, les jurs ne jugent pas seulement sur ce quils entendent mais aussi sur ce quils voient. Or, le physique dune personne ou son caractre un peu frustre nen font pas pour autant un criminel. A linverse, le plus beau et le plus doux des hommes peut se rvler dune certaine dangerosit. A partir de ces prsupposs instables, lerreur peut vite atteindre lintime conviction du jury. Enfin, la presse joue un rle immense sur les jurs. Manipulation quotidienne de la socit, les juges nchappent pas son cho. Convaincus avant la justice de la culpabilit ou de linnocence dune personne, les mdias dictent la vrit ou plutt leur vrit. Le jury dassises ny est pas toujours impermable et peut pencher dun ct ou de lautre de la balance sous une telle influence. Laffaire Seznec est encore ici dun riche enseignement, les journaux tant spars en deux camps, lun tant du mme parti politique que la victime. Saffrontant ouvertement, ce dchanement de la presse va tantt mobiliser lopinion en faveur de laccus, tantt retourner contre lui la France entire. Lors du procs, la description des scnes daudience et du comportement de laccus desserviront fortement sa cause : Pendant ce soliloque, laccus change souvent dattitude, il a vraiment mauvaise mine ; son teint ravag passe alternativement du rouge brique au blanc jauntre 63 . Ce mme journal commente ainsi le tmoignage de la femme de Seznec : Sa dposition, assez mouvemente, parfois violente, mais imprcise, ne semble pas devoir servir beaucoup la cause de son mari 64 . Encore, il traduit le sentiment de culpabilit quil prouve lgard de laccus : Pour la premire fois depuis louverture de ces longs dbats, nous avons vu des pleurs mouiller les paupires de Seznec. []Il a enfin connu le prix des larmes 65 Et cest la premire fois quon sent chez laccus, crisp son banc, une lueur dmotion sincre 66 . Le pouvoir des mdias est palpable, dautant plus actuellement o la diffusion des moyens de communication, lexplosion des voies dinformation, ne peut laisser indiffrent. Le jury dassises nest pas immunis contre de tels ravages. Louverture dun second degr de juridiction en matire criminelle en 2000 a t difficile accepter pour beaucoup, en ce quelle revenait admettre que les jurs pouvaient se tromper. Juge pnal non professionnel, le jur nest pourtant pas plus labri dune erreur que son
63 LOuest-Eclair du 28 octobre 1924. 64 LOuest-Eclair du 30 octobre 1924. 65 Le Journal du 31 octobre 1924. 66 LOuest-Eclair du 31 octobre 1924. 47
homologue professionnel. La France tait alors le dernier Etat dmocratique fermer toutes voies de recours aux arrts dassises. A lheure actuelle, le sujet reste sensible et les plaidoyers pour la motivation des dcisions des cours dassises ne sont pas toujours accueillis favorablement. Nos juges, quils soient professionnels ou non, acceptent difficilement que lon contrle leurs dcisions. Tout juge pnal, quelle que soit la place qui lui est confie, peut tre tromp et peut se tromper, le jury dassises ny chappe pas. Cest ensuite tiraille entre lautorit de la chose juge et la ncessit de reconnatre lerreur que la justice se dbat. Mais sa lutte sarrte bien souvent au seuil de sa fiert. Alfred Dreyfus fut innocent le 12 juillet 1906. La Cour de cassation a annul le jugement de Rennes rendu le 22 dcembre 1894, par un arrt qui se terminait par ces mots : La Cour dit que cest par erreur et tort que cette condamnation a t prononce Cette simple phrase naura pas t dclame trs souvent dans lHistoire de France 67 . B/ Linnocence, une vrit insaisissable Quatorze demandes de rvision seront examines par la justice, toutes rejetes. Les demandes vont se heurter pendant longtemps lexigence de faire natre un doute sur la culpabilit du condamn , que la loi dite Seznec elle-mme assouplit le 23 juin 1989 par celle de faire natre un doute de nature tablir linnocence du condamn . Des faits nouveaux en ce sens, capables de renforcer ce doute ncessaire la rvision, il y en aura tout au long du sicle coul, tant laffaire est la preuve dune machination complte. Or, la famille Seznec va se heurter un mur infranchissable derrire lequel se cache la justice. Le 30 mars 2001, ce nest plus la famille du condamn mais la Chancellerie qui saisit la Commission de rvision. En effet, le petit-fils de Guillaume Seznec, Denis Seznec, nest plus autoris le faire car il nest pas un descendant direct du condamn. La justice laura pourtant entendu maintes reprises auparavant. Le 11 avril 2005, la commission de rvision des condamnations pnales accepte de rouvrir le dossier sur la reconnaissance de deux faits nouveaux : lexistence dun tmoin essentiel de laffaire rvl dclar inexistant lpoque et le rle trouble jou par linspecteur Bonny, en charge du dossier lpoque. Elle rejette ds lors de nombreux faits nouveaux susceptibles
67 Seznec Denis, op. cit., P. 546. 48
daccrditer linnocence du condamn. Nanmoins, la Cour de cassation est saisie et cest la premire fois dans lhistoire quune telle procdure souvre lgard dun mort. Les 5 et 6 octobre 2006, la chambre criminelle de la Cour de cassation est institue en tant que Cour de rvision, au sein de laquelle sigent quarante magistrats. Sont entendus le rapporteur, lavocat gnral de la Cour de cassation, Denis Seznec et ses avocats. Un vote bulletin secret suit les dlibrations. Le 14 dcembre 2006, la Cour de rvision refuse de rhabiliter la mmoire de Guillaume Seznec une courte majorit : Tout laprs-midi le procureur gnral commente point par point les faits nouveaux, et aprs un rquisitoire somme toute modr, demande le rejet de la demande : Trop dapproximations, trop dincertitudes dira-t-il. Pourtant la justice, en condamnant sur la base de lintime conviction, sest bien contente, elle, uniquement de prsomptions. En revanche, pour rviser, elle exige des preuves 68 . Insoutenable dcision qui nie lvidence, savoir en premier lieu la violation du droit. Six jurs eux-mmes avaient regrett leur verdict et demand la rvision du procs ds 1934. Les magistrats professionnels, eux, nont pas eu cette humilit et ont persvr dans lerreur. Car, si lintime conviction est si difficile remettre en cause, ce sont les principes fondamentaux du droit pnal qui justifient ici la rvision du procs. En effet, tout au long de linstruction et des dbats devant la cour dassises, les principes les plus lmentaires de justice ont t entravs. La prsomption dinnocence na trouv nulle place dans cette affaire. Le bnfice du doute a t renvers la dfaveur du condamn. Les juges ont t les premiers acteurs de ces erreurs et le temps na pas aid le reconnatre. Autre fait malheureux, cette fois fruit du hasard, laffaire dOutreau a trouv son terme en cette mme anne 2006 par la reconnaissance dune erreur judiciaire monumentale. Des annes de dtention provisoire pour des innocents, des juges accuss dabus de pouvoir et un systme judiciaire entirement remis en cause. Le retentissement de cette affaire sur lappareil judiciaire franais, ainsi que sur ses membres, a t dsastreux, tant et si bien quil est devenu impossible la justice de reconnatre une seconde erreur. Laffaire Seznec en a t lultime victime. La procdure de rvision tant si dure mettre en uvre quil ne semblait pas possible quelle naboutisse pas cette fois-ci. Linjustice du procs et son immoralit, les nombreuses erreurs des magistrats de linstruction aux assises ayant permis cette rouverture,
68 Seznec Denis, op. cit., P. 555. 49
il tait inconcevable quelle se solde par un chec. Ctait sans doute oublier que la justice refuse de perdre face et que les juges ne djugent pas leurs pairs. Dans laffaire dOutreau comme dans laffaire Seznec, un tableau que lon apprend faire lcole de la magistrature sera tabli. Il sagit, lorsque le doute assaille le juge dinstruction, de dresser deux colonnes, lune rassemblant les lments en faveur de la culpabilit, lautre la contredisant. Les colonnes crditant la culpabilit des accuss sont bien minces dans les deux dossiers : Personne ne peut aujourdhui soutenir srieusement quon dtient les preuves du crime de Seznec. Sauf la Cass, ce nid daigle de magistrats tellement suprieurs quaprs un crime judiciaire parfait ils viennent dinventer lerreur judiciaire perptuit 69 . SECTION II : LE REJET DE LERREUR JUDICIAIRE PAR LA JUSTICE PENALE Lorsque lerreur est commise, lorsque la dcision est rendue et que lautorit de la chose juge en est revtue, la preuve de son existence devient presque impossible rapporter. Presque cependant, pas impossible. La possibilit dun recours contre une telle injustice nest pas ferme, du moins dans les livres de procdure pnale, car dans lhistoire du droit pnal, la justice se borne le cloisonner (I). Parce quelle bouscule tout ldifice juridique et assombrit la perspective de scurit que souhaite renvoyer notre justice, cette dernire prfre le dni le plus total lgard de lerreur judiciaire que lhumilit la plus lmentaire par lacceptation de lerreur de lun des siens. La victime, elle, ne possde plus que le droit de sindigner (II). I Le recours contre lerreur sur les faits, un long parcours du combattant Deux procdures peuvent actuellement corriger une erreur judiciaire. Cest lunique vocation de la premire, le pourvoi en rvision. Restreinte et trs longue, cette procdure poursuit clairement le but de dcourager le plus grand nombre. Lvolution de cette voie de recours, pourtant trs favorable la victime de lerreur, se heurte encore et toujours la mauvaise foi des juges qui refusent dadmettre quils ont pu se tromper (A). La rcente introduction dune nouvelle procdure, est vecteur dun espoir certain. Conscutive la censure europenne, cette procdure aura pour but de revenir sur une dcision mise par un juge franais et
69 Le Canard enchan du 3 juillet 1996, La cour de cass invente lerreur judiciaire perptuit 50
sanctionne par son homologue europen. Si elle reprsente un progrs indniable susceptible de rparer des erreurs de fait, elle se limite la dcouverte de cette erreur dans des dlais brefs et ne remplace aucunement le pourvoi en rvision (B). A/ Lvolution favorable du pourvoi en rvision La rvision dune affaire est longue et difficile, rserve des cas tout fait extraordinaires. Jusquen 1989, il paraissait presque impossible de voir aboutir un tel recours, tant les exigences pour remettre en cause la dcision du juge, taient strictes. Dsormais, si le pourvoi en rvision est en pratique exceptionnel (1), il donne lapparence dune vritable chance didentifier lerreur commise sur le plan thorique (2). 1. Le caractre exceptionnel de sa mise en uvre Toute personne suspecte ou poursuivie est prsume innocente tant que sa culpabilit n'a pas t tablie selon larticle prliminaire du Code de procdure pnale. Mais lorsquil ne sagit plus de prsomption, lorsque la culpabilit a t retenue tort, et ce par une dcision irrvocable, comment faire renatre de ces cendres linnocence bafoue ? Laisser un coupable en libert ou condamner un innocent sont les consquences possibles dune erreur de fait, lune nayant pas le mme poids que lautre. Ainsi, lorsquune personne que lon sait coupable demeure libre, par la voie dune dcision de relaxe ou dacquittement passe en force de chose juge, lissue dune telle mprise, la ncessit de prserver la scurit juridique est suprieure la vengeance rclame par la socit. A linverse, la violation de linnocence est tout fait insupportable et se doit dtre rpare. Le pourvoi en rvision, voie de recours extraordinaire, poursuit un tel but. La procdure du pourvoi en rvision est nonce par les articles 622 626 du Code de procdure pnale, larticle 622 ayant pour objet dnoncer les cas douverture du recours : La rvision d'une dcision pnale dfinitive peut tre demande au bnfice de toute personne reconnue coupable d'un crime ou d'un dlit lorsque : 1 Aprs une condamnation pour homicide, sont reprsentes des pices propres faire natre de suffisants indices sur l'existence de la prtendue victime de l'homicide ; 51
2 Aprs une condamnation pour crime ou dlit, un nouvel arrt ou jugement a condamn pour le mme fait un autre accus ou prvenu et que, les deux condamnations ne pouvant se concilier, leur contradiction est la preuve de l'innocence de l'un ou de l'autre condamn ; 3 Un des tmoins entendus a t, postrieurement la condamnation, poursuivi et condamn pour faux tmoignage contre l'accus ou le prvenu ; le tmoin ainsi condamn ne peut pas tre entendu dans les nouveaux dbats ; 4 Aprs une condamnation, vient se produire ou se rvler un fait nouveau ou un lment inconnu de la juridiction au jour du procs, de nature faire natre un doute sur la culpabilit du condamn . Dabord, il est noter que seules les condamnations pnales intervenues en matire criminelle ou en matire correctionnelle sont concernes par la rvision. La condamnation doit tre dfinitive, donc revtir lautorit de la chose juge, sans quoi les voies de recours classiques seraient appliques. De plus, le dcs du condamn ou linexcution de la peine quelle quen soit la raison (dispense judiciaire, exemption lgale, amnistie) nempchent pas la rvision du procs. Quatre cas sont cits comme cause douverture du recours, la dernire possibilit tant en ses termes plus vagues, la plus large. Larticle 623 prvoit ensuite les personnes habilites demander ce recours, soit le Ministre de la justice ; le condamn ou son reprsentant lgal en cas dincapacit ; le conjoint, les enfants, les parents, les lgataires universels ou titre universels ou ceux qui il a en a confi la mission expresse en cas de mort ou dabsence dclare du condamn. Seuls les hritiers du premier degr peuvent agir : laction dfaut dtre aussi ternelle que la proclamation de linnocence dune personne injustement condamne reste donc possible assez longtemps 70 . Trois phases peuvent alors diviser la procdure de pourvoi en rvision, tapes dtailles par les articles 623 625 du code de procdure pnale : - Une commission ad hoc est dsigne par lassemble gnrale de la Cour de cassation. Compose de cinq magistrats de la Haute Cour, dont le prsident de la commission, membre de la chambre criminelle, et de cinq supplants nomms dans les mmes conditions ; elle a pour rle de dcider si la demande est susceptible dtre admise. Comme lnoncent les deux derniers alinas de larticle 623 : Aprs avoir procd, directement ou par commission rogatoire, toutes recherches, auditions, confrontations et vrifications utiles et recueilli les observations crites ou orales du requrant ou de son avocat et celles du ministre public, cette commission saisit la
70 Buisson Jacques et Guinchard Serge, op. cit., P.1212. 52
chambre criminelle, qui statue comme cour de rvision, des demandes qui lui paraissent pouvoir tre admises. La commission statue par une dcision motive qui n'est susceptible d'aucun recours ; cette dcision, sur demande du requrant ou de son avocat, est rendue en sance publique. La commission prend en compte, dans le cas o la requte est fonde sur le dernier alina (4) de l'article 622, l'ensemble des faits nouveaux ou lments inconnus sur lesquels ont pu s'appuyer une ou des requtes prcdemment rejetes . Pour cela, elle met en place un dbat contradictoire entre le requrant assist de son avocat et le ministre public, reprsent par le parquet gnral de la Cour de cassation. A lissue de cet entretien, elle rend sa dcision motive de saisine, ou non, de la chambre criminelle de la Cour de cassation statuant alors en Cour de rvision. Cette dcision est rendue publiquement la demande du requrant ou de son avocat. - La chambre criminelle transforme en Cour de rvision est le juge du fait, linverse de ses fonctions habituelles, bien quelle puisse dans ce cadre tout autant examiner le droit. Comme la commission de rvision, la Cour de rvision peut tout moment ordonner la suspension de lexcution de la condamnation, dans les conditions prvues par larticle 624 du Code de procdure pnale. Lorsque laffaire est en tat dtre juge, la Cour organise un dbat public au cours duquel les observations crites ou orales du requrant et de son avocat, du ministre public, de la partie civile constitue au procs en rvision ou de son avocat, si elle intervient linstance. A partir de l, deux choix souvrent elle : o Elle estime la demande mal fonde et la rejette. o Elle considre la demande lgitime et annule la condamnation prononce. Dans ce dernier cas, elle devra vrifier sil est envisageable de mener de nouveaux dbats contradictoires, auquel cas les accuss ou prvenus sont renvoys devant une juridiction de mme ordre et de mme degr, diffrente de celle par laquelle a t rendue la dcision annule. A dfaut, larticle 624 alina 3 prvoit : S'il y a impossibilit de procder de nouveaux dbats, notamment en cas d'amnistie, de dcs, de dmence, de contumace ou de dfaut d'un ou plusieurs condamns, d'irresponsabilit pnale, en cas de prescription de l'action ou de la peine, la cour de rvision, aprs l'avoir expressment constate, statue au fond en prsence des parties civiles, s'il y en a au procs, et des curateurs nomms par elle la mmoire de chacun des morts ; en ce cas, elle annule seulement celles des condamnations qui lui 53
paraissent non justifies et dcharge, s'il y a lieu, la mmoire des morts. Si l'impossibilit de procder de nouveaux dbats ne se rvle qu'aprs l'arrt de la cour de rvision annulant l'arrt ou le jugement de condamnation et prononant le renvoi, la cour, sur la rquisition du ministre public, rapporte la dsignation par elle faite de la juridiction de renvoi et statue comme il est dit l'alina prcdent . La Cour de rvision a donc, outre la mission de rtablir la vrit lgard des vivants, celle de dcharger la mmoire des morts. Enfin, si lannulation de la condamnation ne laisse trace daucun crime ou dlit, le renvoi nest pas prononc. - La dernire tape nest pas systmatique, cest celle du renvoi, sil y a lieu. La juridiction de renvoi va pouvoir statuer librement sur laffaire, nanmoins elle ne peut aggraver la condamnation initialement prononce 71 . Le pourvoi en rvision, sil aboutit, a pour premire consquence lannulation de la condamnation dun innocent, et donc le retrait de celle-ci sur le casier judiciaire de lintress comme en convient lalina 6 de larticle 625 du code de procdure pnale. Un arrt de la chambre criminelle de la Cour de cassation rendu le 27 mai 1997 72 a mme admis le retrait dune autre condamnation par la Cour de rvision, bien que les faits ne se confondent pas avec ceux qui font lobjet du recours, sil existe une disproportion manifeste entre la condamnation et la gravit des faits. Les frais engags au titre de la sanction civile (amende, dommages-intrts) dcoulant de la condamnation pnale sont rembourss. Une rparation est octroye sous deux formes possibles : des dommages-intrts, indemnit la charge de ltat qui peut exercer des recours contre dventuels responsables (partie civile, faux tmoin, dnonciateur) sont allous et le requrant peut demander la publication du jugement de rvision au titre de larticle 626 du Code de procdure pnale. 2. La conscration par la loi dune jurisprudence audacieuse Instaure par la loi du 23 juin 1989 73 dite Loi Seznec , la nouvelle procdure de pourvoi en rvision a permis de donner un caractre juridictionnel la commission, et douvrir le droit un tel recours en prsence d'un fait nouveau ou d'un lment inconnu de la juridiction au jour
71 Il sagit de la rgle de la prohibition de la reformatio in pejus , la cour ne peut aggraver le sort du prvenu ni sur la sanction pnale ni sur la condamnation civile intervenue lorigine. 72 Cass. crim., 27 mai 1997, Bull. crim. n205. 73 Loi n89-431 du 23 juin 1989 relative la rvision des condamnations pnales. 54
du procs ,"de nature faire natre un doute sur la culpabilit du condamn" et non plus seulement, selon l'ancien texte issu de la loi du 8 juin 1895, "de nature tablir l'innocence du condamn". Elle consacre ici une jurisprudence ancienne de la Cour de cassation, qui stait enhardie devant les restrictions apportes par le texte issu du Code dinstruction criminelle, ds la clbre affaire Dreyfus. Laffaire en question est celle dune erreur judiciaire retentissante, qui a secou la France sous la troisime Rpublique, le capitaine Alfred Dreyfus ayant t condamn tort, sur fond dantismitisme, au bagne perptuit pour trahison. Le vritable tratre, responsable de lespionnage et de la communication de documents militaires la puissance trangre que reprsente lAllemagne, est le commandant Ferdinand Walsin- Esterhzy, dcouvert par le chef du contre-espionnage en mars 1896. LEtat-major de larme conteste et affecte lenquteur en Afrique du Nord. La famille du colonel Dreyfus va se battre pour obtenir la reconnaissance de lerreur, notamment en russissant convaincre le prsident du Snat de lpoque, Auguste Scheurer-Kestner et du mme coup Georges Clmenceau, alors journaliste et ancien dput. Deux camps divisent alors la France, les dreyfusards qui soutiennent laccus et les anti-dreyfusards qui y sont hostiles, les raisons de lopposition ayant une dimension plus politique entre conservateur et nationaliste, que partisane. Le commandant Walsin-Esterhzy sera acquitt en janvier 1898 puis interviendra la lettre adresse au Prsident Flix Faure de lcrivain Emile Zola dans le journal LAurore , tenu par Georges Clmenceau qui trouvera lui-mme le titre Jaccuse , le 13 janvier suivant. Larrt de condamnation au bagne perptuit de 1894 sera cass. Un arrt des chambres runies, rendu le 3 juin 1899 74 , avait justifi le renvoi de laffaire laune de deux faits nouveaux ayant suscit un doute srieux sur la culpabilit de Dreyfus et conduit son innocence. Cela aboutira un nouveau conseil de guerre en 1899. Cest une fois de plus la culpabilit qui est retenue, malgr la reconnaissance de circonstances attnuantes, et la condamnation dix ans de travaux forcs. Il faudra attendre la grce du Prsident Emile Loubet qui vitera laccus dtre nouveau dport. Une nouvelle demande en rvision est forme et la Cour de cassation intervient nouveau le 12 juillet 1906, par un arrt sans renvoi des chambres runies, constatant linnocence du colonel Dreyfus. Laffaire Dreyfus marque le point de dpart de laudace de la jurisprudence en la matire, se dtachant de la difficult reprsente par ltablissement de linnocence, pour lui prfrer
74 Cass. crim., Ch. runies du 3 juin 1989, premire rvision. 55
celui du doute quant la culpabilit. Cest ici la preuve que lerreur de droit peut parfois et de manire tonnante, aboutir la rparation de lerreur de fait. En effet, lerreur volontaire de magistrats, ici par une distorsion de la lettre du texte de loi, se solde par la possibilit de rviser un procs et de corriger ainsi lerreur de fait commise. Malgr llargissement de la procdure, les statistiques autour du recours en rvision sont inquitantes. Le rapport annuel de la Cour de cassation rendu en 2000 75 tablit quelques corrlations entre le nombre de pourvois en rvision introduits devant la commission et leur issue. Ainsi, entre le 23 juin 1989 et le 31 dcembre 2000 : 1336 requtes de pourvois en rvision ont t enregistres par la Commission de rvision des condamnations pnales et seulement 26 annulations ont t prononces. Le nombre de requtes pour lanne 2000 est de 165, soit une augmentation de 48.65% par rapport lanne 1999. Selon un auteur 76 si toutes les demandes taient fondes, cela signifierait que tous les trois jours, les juridictions pnales commettraientune erreur judiciaire ! . Pour lanne 2008, la commission a t saisie de 143 requtes et a rendu 110 dcisions dirrecevabilit, 27 dcisions de rejet, quatre dcisions de saisine de la chambre criminelle. 97 requtes restaient examiner. B/ Lmergence dune surveillance europenne La loi du 15 juin 2000 77 est un texte important pour la procdure pnale franaise plusieurs titres, dont la cration dun nouveau recours, lui aussi susceptible de corriger une erreur de fait. La procdure de rexamen dune dcision pnale conscutif au prononc dun arrt de la Cour europenne des droits de lhomme a t introduite en droit franais la suite dune dcision Hakkar c/ France 78 . Le requrant avait t condamn par un arrt rendu le 8 dcembre 1989 par la cour dassises de lYonne la rclusion criminelle perptuit assortie dune priode de sret de dix-huit ans pour meurtre, tentative de meurtre, vols avec port darme et vol avec violence. Son avocat ayant t retenu devant une autre juridiction pendant laudience, Monsieur Hakkar dcida de ne pas assister au procs. Un rapport mis le 27 juin 1995 par la Commission europenne des droits de lhomme, transmis au Comit des ministres au mois daot suivant dclare : que le refus de la cour dassises de renvoyer le procs peut
75 Rapport Cour de cassation, 2000, La documentation franaise, 2001, P.592. 76 Valicourt De Sranvillers Eliane de, La preuve par lADN et lerreur judiciaire, LHarmattan, coll. Logiques juridiques, 2006, P.180. 77 Loi n2000-516 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes. 78 Comm. eur. dr. h., A. Hakkar c/ France, req. N19033/91. 56
tre considr comme ayant port atteinte lactivit essentielle de la dfense qui tait ncessaire la prparation du procs aprs avoir relev que lintress navait pas bnfici des garanties du procs quitable lors du procs ayant abouti sa condamnation vie pour meurtre dun policier, meurtre quil avait toujours ni avoir commis ; absent son procs il ntait pas reprsent par lavocat quil avait choisi et il avait dni aux deux avocats commis doffice le droit de lassister ; son avocat navait pas obtenu le renvoi de laffaire pour lui permettre dtre entendu . Ce dernier avait par la suite demand soit la tenue dun nouveau procs soit la grce du condamn. Rien ne permettait alors au sein de la procdure pnale franaise le rexamen dune dcision suite un arrt de la CEDH ou un rapport du Comit des ministres, le recours en rvision ne prvoyant pas un tel cas. La loi du 15 juin 2000 cre donc de toute pice ce nouveau recours, aux articles 626-1 627-1 du Code de procdure pnale ; en raction notamment la recommandation du Comit des ministres aux Etats parties la Convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales, en date du 19 janvier 2000, de rexaminer ou de rouvrir certaines affaires au niveau interne suite des arrts de la CEDH. Le recours est ouvert lorsquun arrt de la CEDH a reconnu la violation de la Convention EDH par une condamnation pnale, le prjudice en rsultant ne pouvant tre suffisamment rpar par la satisfaction quitable alloue par la Cour, au vu de la gravit de la violation commise. Les dcisions de toutes les juridictions sont concernes et le rexamen peut tre demand par le ministre de la Justice, le procureur gnral prs la Cour de cassation, le condamn, son reprsentant lgal en cas dincapacit, ses ayants droits en cas de dcs. La procdure dbute ici aussi par la cration dune commission ad hoc compose de sept magistrats de la Cour de cassation, dont deux juges de la chambre criminelle, lun exerant les fonctions de Prsident de la commission, dsigns par lassemble gnrale de la Haute Cour. Sept supplants sont galement nomms 79 et le ministre public est l aussi le parquet gnral prs la Cour de cassation. Le dlai pour agir est dun an compter de la dcision de la CEDH. La Commission ad hoc va, de la mme faon que dans le cas dune rvision, organiser une audience publique contradictoire entre requrant et ministre public et prendre une dcision qui nest pas susceptible de recours entre :
79 Il sagit l de lapport de la loi n2000-307 du 4 mars 2002 compltant la loi n2000-516 du 15 juin 2000 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes. 57
- le renvoi devant la Cour de cassation runie en assemble plnire si la violation sest produite lors du pourvoi en cassation, condition que le rexamen la lumire des dispositions de la Convention EDH soit utile pour la rparer, - le renvoi devant une juridiction du mme ordre et mme degr de celle qui a rendu la dcision fautive. En cas dimpossibilit de rouvrir les dbats, ce sont les mmes dispositions que celles de larticle 625 alinas 3 et 4 propos du recours en rvision, qui trouvent ici sappliquer. En 2008, six requtes ont t enregistres, deux dclares irrecevables et quatre ont donn lieu un renvoi. La procdure de rexamen semble premire vue tre une voie de rparation de lerreur de droit puisquelle se fonde sur une violation du droit europen. En effet, elle ne peut avoir lieu quen cas de violation de la Convention EDH, donc de lune des rgles de droit du texte dont la France est signataire. Pourtant, proche du recours en rvision dans son droulement, cette procdure est rellement une voie supplmentaire pour corriger une erreur de fait puisquelle ouvre droit une rouverture du procs dans son entier, si elle est porte devant une juridiction du fond. Laffaire Remli c/France du 23 avril 1996 80 en donne une illustration intressante puisquil sagissait pour la CEDH de la violation du droit au procs quitable 81 par un jury dassises dont lun des membres avait tenu des propos racistes avant laudience. La condamnation la rclusion criminelle perptuit relevait bien-sr dune erreur sur le droit, le non-respect du procs quitable, mais aussi dune erreur sur les faits, lun des jurs ayant dcid de la culpabilit de la personne juge, aveugl par un parti pris sur les faits, source derreur. La cour de rexamen nous donne un autre exemple de cette erreur de fait, que cache lerreur de droit, dans un arrt du 24 novembre 2005, dont le dispositif nonce : la CEDH ayant relev que la ralit des relations sexuelles imputes au prvenu nayant pas t conteste, toute laffaire tournait autour du consentement du plaignant, et qu la lumire des circonstances de lespce, le requrant navait pas eu une occasion suffisante et adquate de contester les dclarations de la victime sur lesquelles sa condamnation tait fonde et quen consquence il navait pas bnfici dun procs quitable 82 . Dans cet arrt encore, partir de la violation du procs quitable fonde sur la possibilit insuffisante dexpression du
80 Cour. eur. dr. h., Remli c/ France, 23 avril 1996. 81 Art. 6 1 er de la Convention EDH. 82 CRD pn., 24 novembre 2005, Bull. crim. (CRD pn.) n2. 58
condamn, les juges ont eu une vision biaise des faits qui les a amens conclure au consentement de la victime aux relations sexuelles, alors que a ntait pas le cas. Lerreur de fait trouve bien une ultime chance de rparation par lintervention de la jurisprudence europenne dans la procdure. II La victime, acteur et spectateur de lerreur sur les faits Deux victimes cohabitent au sein de lerreur judiciaire : la justice en premier lieu est la grande perdante de laffaire. Mais le condamn la suit de prs et image, dans sa dimension la plus concrte, les mandres de cette justice aveugle. La victime, son insu, joue parfois un rle dterminant dans lenchanement dfectueux de la procdure judiciaire et lerreur de jugement des magistrats, elle devient ainsi lactrice insouponne de sa propre chute (A). Et lorsque vient le moment de rparer, la justice se trouve bien dmunie aprs une bataille qui a provoqu de si lourdes pertes (B). A/ Le devoir de la victime de ne pas sautoaccuser [ ] Le criminel ressemble son crime avant de lavoir commis , dans certaines procdures judiciaires, cet avertissement peut se rvler fort utile pour comprendre comment certaines personnes innocentes se trouvent broyes par la justice sans ragir ou peine. Linstitution judiciaire a son langage, ses coutumes et ses costumes, monde part pour un grand nombre de citoyens, elle impressionne et demeure assez loin dans ses manires et ses rituels, du quotidien de la frange la moins aise de la population : Jai refait tout le chemin depuis le dbut [] ce qui ma permis de comprendre au fil des pages comment avait pu natre leffroyable malentendu dOutreau, et comment je mtais retrouv pris dans les filets dune institution judiciaire totalement ignorante de la ralit quotidienne des gens les plus pauvres, et dramatiquement claquemure dans ces pompes et ses certitudes 83 . En cela, elle reprsente un danger bien plus grand pour cette partie de la population lorsquelle y est confronte. Devant la lourdeur du systme, lincomprhension des usages, labattement et le sentiment dimpuissance peuvent alors prendre le pas sur tout lan de rsistance : Ces trente et un mois de prison mont beaucoup appris, sur ltat de notre
83 Wiel Dominique, Que Dieu ait piti de nous/mmoires, Oh ! Editions, 2006. 59
socit, sur le pouvoir des institutions, sur limpuissance dun homme seul se faire entendre. Je pense la mort en prison de Franois Mourmand, qui rptait vainement quil tait innocent. Aux larmes et aux cris de dsespoir dOdile Marcaux, que les gendarmes interrogeaient dans la pice voisine de celle o jtais moi-mme soumis leurs questions. Aux grves de la faim et aux tentatives de suicide dAlain Marcaux. A la profonde dtresse des Legrand pre et fils. A la colre et au dsarroi de Franck et Sandrine Lavier, qui avaient reconstruit une famille, et que linstitution judiciaire a balaye sans mnagement 84 . Loin du monde judiciaire et de ses codes, lindividu se retrouve dsempar face des puissants . Comment contredire un magistrat ? Comment rsister aux pressions ? Comment ne pas se sentir cras par un milieu social suprieur ? Il ne faut pas ngliger cette part de responsabilit de la victime de lerreur judiciaire. Sans dfense morale et rduite au sentiment de navoir plus aucune marge daction, elle va parfois aller dans le sens de sa culpabilit alors quelle se sait innocente. Elle se sait innocente mais elle ne se sent plus innocente et cest l que se joue le drame. Convaincre une personne quelle est lauteur dun acte quelle na pas commis nest pas si difficile et linnocence peut alors soublier dans une mise en scne qui a dj distribu les rles : Laccumulation des dtresses en vase-clos, la rupture des contacts avec le monde extrieur, si ce nest par le canal des services sociaux, aboutissent ldification dune espce de lazaret o les codes sont abolis, o lon perd petit petit la conscience de soi, de son intimit, du respect des autres et de soi-mme, de la dignit 85 . Le cercle est ainsi lanc et ne cessera de se refermer sur lui-mme mesure que la personne sabrite derrire le personnage que le juge lui a confi. Parfois il sagit seulement dobtenir un semblant de paix dans un tumulte insurmontable, linculp ayant compris que la soumission octroie une tranquillit certaine mais parfois, la personne se perd dans lhistoire et en vient croire et sapproprier ce quon lui a racont. Elle devient alors le coupable attendu, victime et auteur la fois de lerreur judiciaire : Cest a qui est incroyable avec linstitution judiciaire : lorsque vous tes pris dans les filets -je ne vais plus cesser de le vrifier-, tout ce que vous tentez pour faire valoir votre innocence se retourne contre vous. Soit vous prenez
84 Wiel Dominique, op. cit., P. 9. 85 Wiel Dominique, op. cit., P. 82. 60
docilement la posture du coupable, et votre peine, vous laisse-t-on immdiatement entendre, en sera allge, soit vous rsistez et les choses se gtent 86 . Il arrive que la personne mise en cause se rfugie dans une rsignation totale, prte accepter les pires accusations et la privation de libert pour de trs longues annes alors quelle est totalement innocente. Le manque dadaptation un univers trop diffrent du sien, le manque de soutien parfois, peut faire perdre cette personne toute trace de son identit et de la ralit. Anantie par une machine judiciaire invincible, elle se laisse glisser vers lacceptation de son sort et la fatalit. Aveux, tmoignages, reconstitutions, acquiescements, elle suit la route trace par dautres car na pas le sentiment dexister dans ce monde l. Or, lorsquon nexiste pas, il est impossible de se rvolter et de dire cest faux : Et pas une fois je nai prononc cette phrase toute simple : Je suis innocent . Je crois, en y repensant, quelle ma paru vraiment trop emphatique, grandiloquente, par rapport au ct grotesque de toutes ces accusations 87 . B/ La faiblesse de linstitution judiciaire confronte lirrparable Avant de terminer jvoque les soixante-treize annes de lutte de ma famille. Il est temps de tourner la page : une telle injustice ne peut se rparer . Mon grand-pre aura pass la moiti de sa vie au bagne. Ma grand-mre est morte dans la misre et de chagrin. Marie, leur fille ane, a tent daller soigner les lpreux en Guyane, en entrant au carmel elle est morte lge de vingt ans. Toute ma famille a t dtruite par cette injustice. Autant de vies saccages par le malheur, cela ne se rpare pas. Enfin, ma mre qui aura eu sa vie gche et qui est dcde, il y a deux ans, sans avoir eu le rconfort de voir cette injustice reconnue. Et mon frre Bernard qui . Lmotion est trop forte 88 . Lerreur du magistrat ne fait pas quune seule victime et touche aussi les proches, parfois de manire irrmdiable. Laffaire Seznec en est la triste illustration puisque cette gigantesque erreur judiciaire na pas uniquement bris la vie dun homme mais du mme coup celle de sa famille tout entire. Encore aujourdhui, cest avec beaucoup dmotion que son petit-fils livre la douleur et la souffrance des siens. Ce sont des vies consacres la recherche de la vrit et la rparation de linjustice, ce sont des luttes insenses contre linstitution judiciaire qui sont engages dans cette erreur.
Parfois, lerreur ne sera jamais accepte par son auteur et la victime ne parviendra jamais rtablir les faits dans leur vracit. Cest le cas de Guillaume Seznec, qui lon a refus doctroyer rparation de son vivant et pour lequel est refuse la rhabilitation demande par ses descendants, maintenant quil nest plus de ce monde. Lirrparable est alors rpt linfini, de sorte qu dfaut de pouvoir gurir les maux, la justice rejette mme lide de soulager les consciences. A linverse, il arrive que certaines erreurs sur les faits clatent au grand jour et donnent lieu une reconnaissance de la part de la justice. Laffaire dOutreau se situe dans une telle dmarche, la principale accusatrice stant rtracte lors de laudience. La justice doit alors samender, ce quelle peine considrablement raliser. La rparation de lerreur, lorsquelle est reconnue, a dabord pour enjeu le rtablissement de la vrit. Il est insupportable quune injustice soit commise par la justice. Les erreurs doivent tre rectifies dans leur forme solennelle et la victime de lerreur doit accder la reconnaissance de son statut. Lerreur sur les faits doit donc tre dmonte et son existence reconnue formellement par la justice : La victime dune agression dont on na pas puni le coupable, ou le condamn dans un procs en correctionnelle qui a le sentiment quil na pas eu les moyens de se dfendre partagent un mme sentiment de frustration et se rejoignent. Ils se disent scandaliss, curs, briss et ils en veulent aux juges 89 . Gnralement, des dommages et intrts sont allous la victime, seconde forme de rparation de lerreur. Certes, les solutions ne stendent pas linfini et la justice na pas vraiment dautre choix que la compensation pcuniaire. Nanmoins, lorsquune personne a t prive de sa libert pendant plusieurs annes, lorsquelle a perdu sa famille, lorsquelle a perdu sa jeunesse, lorsquelle a d laisser sa place dans la socit ; cette somme dargent reprsente-t-elle vritablement une rparation ? Il est vident quil est impossible de revenir en arrire et de tout recommencer, mais est-il rellement question de rparation ? Faut-il tout simplement admettre que le juge ne doit pas commettre certaines erreurs, sous peine de devoir vivre avec la responsabilit davoir commis lirrparable, et cela perptuit ?
89 Seznec Denis, op. cit., P.485. 62
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DEUXIME PARTIE LERREUR STRATEGIQUE Linstallation du magistrat dbute par une prestation de serment au sige de la cour dappel. Il est rgi par larticle 6 du 22 dcembre 1958, nonc en ces termes : Je jure de bien et fidlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des dlibrations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat . Un projet de loi du 13 dcembre 2006 avait souhait quil devienne Je jure de me comporter en magistrat digne et loyal, impartial, libre, intgre, diligent, respectueux de la loi, des droits de toutes les parties, du secret professionnel et du droit de rserve. Tout manquement lune de ces obligations constituerait une faute disciplinaire . Devant lindignation du corps de la magistrature tout entier, cette modification na pas abouti. Lorsque quun magistrat dtourne sciemment la technique de qualification, est-il vritablement respectueux de la loi comme il en a fait la promesse (Chapitre premier) ? Toute loyaut promise dans ce serment ne sombre-t-elle pas dans le nant lorsque le juge se livre lintimidation (Chapitre second) ? Serment, dontologie, thique : trois mots qui manquent parfois la conscience du magistrat. 64
CHAPITRE 1 LA STRATEGIE DE LA QUALIFICATION La qualification est priori, lun des premiers devoirs du juge pnal. Prendre une dcision sans en avoir dlimit ltendue au sens du droit reviendrait juger dans larbitraire puisque aucune borne ne serait plus pose. Donner une traduction juridique aux faits dune espce est la seule voie possible pour justifier limmixtion de la justice dans le quotidien des justiciables. Cette qualification obit des rgles strictes destines elles aussi se protger des risques de drive vers limpartialit. Etonnantes manuvres que sont celles des juges qui cherchent usurper ses fondements la rgle de la qualification. Probablement pas si surprenantes au regard des consquences dterminantes de celle-ci sur le destin pnal dun individu. Cest donc en toute partialit et dloyaut quune partie de nos juges du fond dtourne le droit pnal avec la complicit du lgislateur (section premire). Quant aux juges du droit, cest sous leur regard et leurs dcisions bienveillantes que le dtournement de la rgle du droit spanouit, le juge europen srigeant en dfenseur fort isol de la lettre du droit (section seconde). SECTION I : LE DETOURNEMENT DU DROIT CONFORTE User de la correctionnalisation judiciaire pour obtenir une dcision de justice sur mesure , voil une brillante ide de nos juges du fond (I) que le lgislateur na pas hsit rcompenser par une lgalisation de la pratique, de sorte que le procd repose dsormais sur une lgalit tout fait artificielle (II). I La jurisprudence mallable autour de la correctionnalisation judiciaire Faisant fi des grands principes qui garantissent force et cohrence de la matire pnale (A), le juge sest engag dans une stratgie discutable travers une technique juridique, la qualification, quil a peu peu faonne son dsir. Au gr des situations de fait rencontres, le juge parvient dformer le droit selon son bon vouloir, dans le parfait mpris de la scurit juridique indispensable la matire (B). 65
A/ Une violation manifeste des principes constitutionnels fondamentaux Qualifier pour juger ou juger pour qualifier ? Cette question plutt singulire est pourtant celle qui merge face certaines dcisions juridictionnelles tonnantes. Le rle du juge nest point de refaire la loi, le lgislateur en tant lauteur choisi, cela va dailleurs bien plus loin puisquil sagit l dune interdiction formelle qui gouverne la matire. En effet, principe nonc par Montesquieu en tant que Trias politica et repris par la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen du 26 aot 1789, la sparation des pouvoirs excutif, lgislatif et judiciaire revt forme constitutionnelle depuis lintgration du bloc de constitutionnalit par la Constitution du 4 octobre 1958. Linterdiction faite au juge de se mler de la cration de la loi est ainsi rige au sommet de la hirarchie des normes et rsonne encore sous la cinquime Rpublique de la terreur et de linjustice souleve par les arrts de rglement des juges de lAncien Rgime, alors matres dun droit arbitraire et alatoire. Larticle 5 du Code civil dispose : Il est dfendu aux juges de prononcer par voie de disposition gnrale et rglementaire sur les causes qui leur sont soumises , la rgle est claire, juger nest pas lgifrer. En revanche, le juge ne peut se contenter dutiliser des formules sans en extraire lessence, et a pour mission notamment dinterprter la loi. Or, cette restitution du droit par le magistrat nest pas chose aise et relve dun vritable devoir que larticle 4 du Code civil entend bien faire respecter Le juge qui refusera de juger, sous prtexte du silence, de lobscurit ou de linsuffisance de la loi, pourra tre poursuivi comme coupable de dni de justice . Ainsi, le juge est pris entre deux impratifs, savoir sattacher interprter des rgles de manire intelligente et vivante sans quil sagisse pour autant dune rcriture prtorienne. Or, confront la pratique quotidienne du droit au sein des juridictions, ce dilemme perptuel entre un droit la fois fidlement restitu et pourtant rajust la singularit des affaires donne parfois, et ce en toute conscience et impunit, lieu dbordement. Il faut mme aller plus loin dans le raisonnement, puisquil est dsormais question dune pratique lgalise : il sagit ici de la correctionnalisation et de la contraventionnalisation judiciaires. En effet, il est du devoir du juge de requalifier les faits pour lesquels il est saisi lorsque la qualification initialement dsigne nest pas celle qui convient. Une limite nanmoins ce devoir, le juge ne doit jamais dnaturer les faits en sortant du cadre de sa saisine, do une surveillance troite de la part de la Cour de cassation : Sil appartient aux juridictions 66
correctionnelles de modifier la qualification des faits et de substituer une qualification nouvelle celle sous laquelle ils leur taient dfrs, puis de se dclarer incomptentes si cette dernire leur apparat criminelle, cest la condition quil ne soit rien chang ni ajout aux faits de la prvention et que ceux-ci restent tels quils ont t retenus dans lacte de saisine 90 . Ainsi, seule la chambre de linstruction a le pouvoir dtendre linformation au-del de la saisine du juge dinstruction pour les faits retenus par lautorit de poursuite, il sagit l de son pouvoir de rvision, nonc larticle 202 du Code de procdure pnale en son alina premier : Elle peut, doffice ou sur rquisitions du procureur gnral, ordonner quil soit inform lgard des personnes mises en examen ou prvenus renvoys devant elle sur tous les chefs de crimes, de dlits, de contraventions, principaux ou connexes, rsultant du dossier de la procdure, qui nauraient pas t viss par lordonnance du juge dinstruction ou qui auraient t distraits par une ordonnance comportant non-lieu partiel, disjonction ou renvoi devant la juridiction correctionnelle ou de police . La drogation lgale est lautre exception au principe, tel larticle 132-16-5 du Code pnal issu de la loi n2005-1549 du 12 dcembre 2005 relative au traitement de la rcidive des infractions pnales 91 qui permet la juridiction de jugement de relever doffice ltat de rcidive lgale, mme non mentionn dans lacte de poursuite : Ltat de rcidive lgale peut tre relev doffice par la juridiction de jugement mme lorsquil nest pas mentionn dans lacte de poursuites, ds lors quau cours de laudience la personne poursuivie en a t informe et que, ds lors quau cours de laudience la personne poursuivie en a t informe et quelle a t mise en mesure dtre assiste dun avocat et de faire valoir ses observations 92 . Il en va de garanties fondamentales pour le justiciable, qui doit pouvoir prparer sa dfense utilement sans que les faits qui lui sont reprochs puissent tre sans cesse remis en cause. De ce fait les juridictions de jugement doivent respecter cette obligation qui leur incombe et prendre grand soin de ne pas outrepasser leurs possibilits. Nanmoins, il arrive que la qualification choisie soit inadquate et que le juge soit contraint de se soumettre son devoir de requalification.
90 Cass. Crim., 22 avr. 1986, Bull. Crim., n136; 23 janv. 1995. 91 JO, 13 dcembre 2005, 19152. 92 Mayaud Yves, Droit pnal gnral, PUF droit, 2007, P. 150. 67
B/ Des rgles de droit dnatures Deux voies sont distinguer, la premire et la plus classique sentend dune modification nentranant pas changement de catgorie dincrimination : ainsi dun crime dassassinat (C. pn., art. 221-3) peut-on retenir un meurtre simple (C. pn., art. 221-1), dun dlit de vol (C. pn., art. 311-1) passer une escroquerie (C. pn., art. 313-1). Dans cette premire figure, un crime, un dlit ou une contravention ne changent pas de nature malgr la modification de la qualification quils recouvrent, quil sagisse dune qualification de moindre gravit ou linverse plus grave. Mais cest prcisment la deuxime hypothse qui retient notre intrt quant lerreur sous forme de stratgie du juge. Ainsi, ce que lon appelle correctionnalisation judiciaire englobe galement le cas dun crime devenant dlit, tel le viol (C. pn., art. 222-23) redirig en agression sexuelle (C.pn., art. 222-27 ) ou linverse une contravention se muant en dlit. Il pourrait galement sagir dune criminalisation judiciaire mme si le terme nest pas employ dans le cas dun dlit, voire une contravention, re-qualifie en crime. Enfin, la contraventionnalisation judiciaire consiste substituer une contravention un crime ou un dlit. Sil peut tout fait sagir l encore dune requalification fonde, comme prcdemment, sur la ncessit de donner aux faits leur exacte porte, une toute autre dimension peut tre revtue par telle technique. Le rle du magistrat dpasse alors de bien loin la mission qui lui a t confie, en optant avant mme le procs pnal pour lindulgence ou la svrit. La qualification devient ds lors un enjeu stratgique avec pour finalit une peine plus ou moins grave dcoulant dun choix antrieur aux dbats. La sous-qualification peut avoir pour objet, dans certains cas, damoindrir la gravit des faits de lespce en leur octroyant une qualification pnale en de de leur vritable nature juridique. Si le but poursuivi est parfois louable, en ce que le droit doit sassouplir face aux situations singulires lorsque sa restitution stricte dpasse les besoins de la rpression, la manuvre est parfois utilise au contraire dans une volont de rpression facilite. Dans le premier cas, il faut rappeler le rle du droit pnal, c'est--dire la protection des valeurs fondamentales dune socit, et non loutil dune rpression automatique, sans prise en compte aucune de la sensibilit de certaines affaires. En cela, si les magistrats nont pas t remplacs par des machines et ne pourront vraisemblablement jamais ltre, cest bien en vertu de leur humanit. Rceptacles des erreurs humaines, leur fonction ne se limite pas 68
loctroi dune sanction type quel que soit le cas considr. De l, il est comprhensible que de situations particulires naissent des rponses particulires. Voil le rle alors dvolu la sous- qualification dans un premier temps, passant par des faits minimiss pour devenir dlit en lieu et place dun crime ou contravention la place du dlit. Un exemple fourni par la Cour de cassation en tmoigne : il sagit dun arrt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 22 avril 1986 93 au sujet de lexcision dune petite fille de quatre mois, maintenue par ses parents pendant lacte ralis par une spcialiste et dcde de ses blessures le lendemain. La Cour motive son arrt en ces termes : Les juges saisis de la seule prvention domission de porter secours personne en pril ne sauraient, sans ajouter aux faits de la poursuite, se dclarer incomptents au motif que serait constitu lgard des prvenus le crime de coups et blessures volontaires sur mineure de quinze ans ayant entran la mort sans intention de la donner, distinct en ses lments constitutifs du dlit prvu par lart. 63, al. 2, C. pn. (nouvel art. 223-6, al. 2) . Le raisonnement juridique strictement appliqu voudrait ici reconnatre un crime, en tant que tenir son enfant pendant quon le mutile ne peut tre quune action, et non une omission. Pourtant, les juges lui prfrent la qualification dlictuelle domission de porter secours, marque dune passivit des parents contradictoire avec le droulement des faits. Or, lexcision est une pratique qui relve de la coutume dans diffrentes rgions du monde et le droit franais sy trouve parfois confront lorsquelle sexerce sur le territoire franais ou sur un auteur ou une victime de nationalit franaise par exemple. Dans laffaire en cause, les juges ont peru la qualification criminelle comme inopportune, trop svre, face au vritable dessein des parents malgr le drame qui en est rsult. Il arrive contrario que la correctionnalisation judiciaire soit le thtre dune volont rpressive renforce de la part du juge pnal, qui compte ainsi obtenir une condamnation plus ferme lappui dune qualification moins grave sur lchelle des valeurs sociales dfendues. Un premier argument tir de la lgitime dfense, fait justificatif invoqu par la personne poursuivie, peut venir lappui de cette affirmation tonnante. Effectivement, il parat difficile premire vue denvisager une quelconque svrit du juge qui retient une qualification correctionnelle plutt que criminelleet pourtant. Un fait justificatif a pour effet de rendre irresponsable pnalement, et ce malgr la ralisation de linfraction, la personne qui le rapporte. La lgitime dfense est nonce ce titre par les
93 Cass. Crim., 22 avril 1986, Bull. crim., n136. 69
articles 112-5 et 122-6 du Code pnal comme des actes de violences justifis car effectus en riposte, pour se dfendre. Par consquent, largument tir dun tel fait justificatif se rvle incompatible avec une infraction domission. Ainsi, au lieu dappliquer une qualification criminelle de violences volontaires aggraves (C. pn. art. 222-10) un juge pourra t-il prfrer celle, dlictuelle cette fois, domission de porter secours (C. pn., art. 223-6) et par ce faire empcher toute justification tire de la lgitime dfense. Alors que lirresponsabilit pnale aurait pu tre prononce par une cour dassises saisie de linfraction de violences volontaires aggraves, le tribunal correctionnel charg de statuer sur lomission de porter secours ne pourra en aucun cas retenir une lgitime dfense fonde sur une attitude passive. A la relaxe se substitue donc une peine, certes moins importante en matire dlictuelle quen matire criminelle, mais toujours plus svre quune dcision dirresponsabilit pnale. Mais en allant plus loin, il est un adage selon lequel Le jury populaire est galant et propritaire que les juges semblent parfois fortement accrditer. Les jurs dune cour dassises sont gnralement plus clments que les magistrats professionnels, prononant une relaxe pour certains crimes plus facilement que des juges de mtier (par exemple le crime passionnel). Il semblerait alors que la tentation soit grande de temps autre pour les juges chargs de statuer sur une qualification criminelle de se dessaisir au profit de la juridiction correctionnelle. De la sorte, une affaire criminelle pourra se voir transformer en un dlit par un magistrat soucieux de voir des sanctions appliques fermement un auteur dont lamoralit de lacte lui est insupportable, craignant sans ce subterfuge lindulgence lgendaire, et souvent il faut le dire, avre, du jury. II La lgalisation contestable de la correctionnalisation judiciaire La sparation des pouvoirs sest-elle gare au sein des prtoires ? Cette question simpose au vu des facilits avec lesquelles le lgislateur dlgue son rle au magistrat. En matire de correctionnalisation judiciaire, au lieu de sopposer au juge dans sa conqute de llaboration de la loi, le pouvoir lgislatif sest laiss convaincre. En lgalisant une drive jurisprudentielle inadmissible (A), il sest dcharg de son rle au profit du juge (B). 70
A/ Le lgislateur aux devants dune erreur consolide : En outre, cette pratique jurisprudentielle sest vue rcemment conforte par la loi Perben II du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux volutions de la criminalit 94 . Un obstacle est dsormais pos aux dclarations dincomptence devant le tribunal correctionnel, consolidant ainsi la correctionnalisation judiciaire. En principe, chaque partie peut soulever lincomptence du tribunal correctionnel qui peut lui aussi la soulever doffice lorsquil sagit dune infraction criminelle, en tmoigne larticle 469 alina 1 du Code de procdure pnale : Si le fait dfr au tribunal correctionnel sous la qualification de dlit est de nature entraner une peine criminelle, le tribunal renvoie le ministre public se pourvoir ainsi quil avisera . Par consquent, la correctionnalisation judiciaire doit tre consentie la fois par le juge, le prvenu et la partie civile pour avoir lieu. En matire dinstruction, lappel de lordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel est interdit, comme lnonce larticle 186 du Code de procdure pnale. La loi Perben II du 9 mars 2004 est venue introduire larticle 186-3 du mme Code en son alina premier : La personne mise en examen et la partie civile peuvent interjeter appel des ordonnances prvues par le premier alina de larticle 179 dans le seul cas o elles estiment que les faits renvoys devant le tribunal correctionnel constituent un crime qui aurait d faire lobjet dune ordonnance de mise en accusation devant la Cour dassises . Il offre dsormais le droit la personne mise en examen et la partie civile dinterjeter appel de cette ordonnance en vue de contester une qualification correctionnelle retenue par le juge dinstruction alors que les faits revtent une nature criminelle. A cela il faut ajouter quen revanche, dfaut dappel par des parties rgulirement assistes et informes, le tribunal correctionnel ne peut plus se dessaisir au profit de la cour dassises comme le prvoit larticle 469 alina 4 du Code de procdure pnale : Lorsquil est saisi par le renvoi ordonn par le collge de linstruction ou la chambre de linstruction, le tribunal correctionnel ne peut pas faire application, doffice ou la demande des parties, des dispositions du premier alina, si la victime tait constitue partie civile et tait assiste dun avocat lorsque ce renvoi a t ordonn . Dans ces conditions, le renvoi devant la juridiction correctionnelle par la chambre
94 JO, 10 mars, P.4567. 71
de linstruction ou le juge dinstruction (normalement transform en collge de linstruction) 95
est donc lorigine dune purge de la qualification irrgulire. Seule une exception lexception, la saisine du tribunal correctionnel pour une infraction non-intentionnelle mritant une qualification criminelle, donc par nature intentionnelle : le juge retrouve alors toute facult de se dclarer incomptent en dehors de toute intervention des parties. Larticle 469 alina 4 poursuit ainsi : Toutefois, le tribunal correctionnel saisi de poursuites exerces pour un dlit non intentionnel conserve la possibilit de renvoyer le ministre public se pourvoir sil rsulte des dbats que les faits sont de nature entraner une peine criminelle parce quils ont t commis de faon intentionnelle . Cette nouvelle mesure lgislative, abstraction faite de lexception mentionne, ampute le juge du droit de se dclarer incomptent et la qualification, devoir essentiel du juge, se trouve dsormais laisse au bon vouloir des parties. Il faut nanmoins reconnatre un aspect positif cette modification, car bien que choquante sous langle de la perte des pouvoirs du juge, elle permet au mis en examen de contrer les dangers de la svrit dguise sous la correctionnalisation judiciaire et de faire valoir utilement certains moyens de dfense. Du point de vue de la victime, elle lui offre la possibilit de redonner aux faits leur vraie porte et ainsi, la peine qui sy attache. B/ Le juge pnal aux commandes dune erreur institue : La violation dlibre de la loi par ceux qui ont le devoir de lappliquer est la pire des situations possibles 96 . Peut-on parler, au terme de cet expos, derreur du juge ? En quoi la pratique nonce sous le terme large de correctionnalisation judiciaire relve-t-elle dune stratgie du magistrat ? Cela est-il acceptable au sein de notre justice soucieuse dun pouvoir judiciaire au rle dtermin ? Pratique ancienne et bien ancre dans le quotidien des juridictions, la correctionnalisation judiciaire consistait pour les juges du 19 me sicle poursuivre sous une qualification correctionnelle des faits dj jugs en tant que crime par une Cour dassises. Fort heureusement, larticle 368 du Code de procdure pnale de 1959 avait rendu la pratique
95 La rforme de la procdure pnale issue de la loi n2007-291 du 5 mars 2007 tendant renforcer lquilibre de la procdure pnale devait aboutir au remplacement du juge dinstruction seul par un collge de trois magistrats au 1 er janvier 2010. Cela nest toujours pas le cas actuellement. 96 Conte Philippe et Maistre du Chambon Patrick, Procdure pnale, 4 me dition,, Armand Colin 2002, P. 99, n128. 72
illgale car postrieure au jugement 97 . La technique a nanmoins perdur et peut consister aujourdhui oublier certaines donnes : - ainsi dune circonstance aggravante, - dun lment constitutif de linfraction ou dune de ses composantes, - du cumul de qualifications qui sattache retenir la qualification la plus basse. Quelle que soit la mthode utilise, la technique de la correctionnalisation ne peut que soulever une certaine indignation pour le juriste. La loi se trouve manipule, les rgles de droit lmentaires mises de ct pour des raisons dopportunit. Bien-sr et comme cela vient dtre dmontr, la manuvre est parfois dun bnfice certain aussi bien pour lauteur, qui encourt alors une peine infrieure, ou pour la victime, qui vite ainsi la gne occasionne par un procs dassises. Dautres raisons peuvent encore tre invoques, ainsi de lencombrement des cours dassises qui se trouveraient noyes sous des procdures criminelles ne mritant pas toujours ce traitement. Il nest cependant pas possible de considrer acceptable, au point de vue du droit, une violation manifestement dlibre de la loi. Linscurit juridique pour les justiciables est palpable, dautant plus lorsque lumire est faite sur des intentions parfois bien moins charitables, limage de la volont de faire chapper laffaire la clmence des jurs ou dviter le bnfice dun fait justificatif. Le juge devient le matre dun droit mallable, quil transforme son bon vouloir, la classification tripartite des infractions devenant ainsi poreuse. Il y a la fois une violation des rgles de fond puisque les textes dincrimination ne sont pas respects et des rgles de forme puisque la comptence des juridictions est atteinte 98 . Ces dernires sont dordre public, do la nullit de la procdure et de la dcision qui ne les respectent pas. La pratique reste illgale malgr sa lgalisation partielle. De plus, elle entrane une certaine banalisation dinfractions qualifies de crimes par le lgislateur. Le juge se trompe, commet une erreur volontaire que lon peut aller jusqu dsigner comme une faute. Car il sagit bien de cela : faonner les faits la dimension voulue. Quant au crdit accord par la loi Perben II du 9 mars 2004 99 un tel procd, cest la stupeur qui remplace aujourdhui lindignation, puisque le lgislateur lui-mme accepte dsormais de
97 Il sagirait alors dune violation du principe ne bis in idem reconnu larticle 368 du CPP et 4 du Protocole 7 de la CEDH, qui interdit de juger deux fois pour les mmes faits. 98 Larticle 231 CPP dlimite la comptence de la Cour dassises, larticle 381 CPP celle du Tribunal correctionnel et larticle 521 CPP celle du Tribunal de police et du juge de proximit. 99 Loi portant adaptation de la justice aux volutions de la criminalit, JO, 10 mars, P. 4567. 73
dlguer son rle, certes de faon masque, nanmoins avre, au juge : lerreur prend ici une place dhonneur. SECTION II : LE DETOURNEMENT DU DROIT PENAL RENFORCE La cration par les juges du fond dune qualification juridique stratgique, dangereuse pour la scurit juridique et donc, les justiciables ; sest rcemment assure le soutien de la loi. Il ne faut pas compter sur le juge du droit, pourtant le dernier rempart contre sa violation, pour briser cette dangereuse association. En effet, il procde sans hsitation la justification des erreurs des juges du fond, signe dune regrettable compromission (I). La jurisprudence europenne est alors la seule garantie contre ces manuvres illgales, mais se trouve largement insuffisante pour y remdier (II). I Lerreur entrine par la Cour de cassation La Cour de cassation devrait sriger en une instance uvrant pour le droit, non pour ceux qui le modulent leur guise. A travers la technique de la peine justifie, le juge du droit fait le choix dlibr de prserver limage du reprsentant de la justice plutt que celle de la justice elle-mme et donc, de la lgalit pnale (A). Si quelques limites sont considrer, elles sont affaiblies par le danger que reprsente le procd (B). A/ La thorie de la peine justifie ou la lgalit oublie Les hommes naissent et demeurent libres et gaux en droit proclame larticle 1 de la Dclaration des droits de lhomme et du citoyen du 26 aot 1789 de faon clatante. Au-del des textes, certaines dcisions juridictionnelles soulvent lincertitude et bousculent les idaux jusqu la question dlicate mais ncessaire : les maximes trouvent-elles toujours cho au sein des prtoires ? Le principe dgalit devant la loi, principe constitutionnel franais en accord avec les instances europennes et internationales puisquil est question dune telle affirmation tant au sein du Pacte des droits civils et politiques en son article 14 : Tous sont gaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit ce que sa cause soit entendue quitablement et publiquement par un tribunal comptent, indpendant et impartial, tabli par la loi, qui dcidera soit du bien-fond de toute accusation en matire pnale dirige 74
contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractre civil ; que de la Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales en son article 6 : Toute personne a droit ce que sa cause soit entendue quitablement, publiquement et dans un dlai raisonnable, par un tribunal indpendant et impartial, tabli par la loi, qui dcidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractre civil, soit du bien-fond de toute accusation en matire pnale. , est une garantie fondamentale pour les justiciables qui ne saurait tre nglige sans mettre en pril les fondements mme de lEtat de droit. Le Code de procdure pnale lui-mme lnonce ds larticle prliminaire, de sorte quil supervise lensemble de la procdure : La procdure pnale doit tre quitable et contradictoire et prserver lquilibre des droits des parties [] . Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mmes infractions doivent tre juges selon les mmes rgles . Or, il arrive que ce principe au sommet de la hirarchie des normes soit lobjet dune atteinte ralise par le juge et cela au plus haut niveau de juridiction puisque cest la Cour de cassation qui se trouve cette fois lauteur du forfait. Les dcisions de nos magistrats, comme cela a pu tre dvelopp prcdemment, sont loin dtre exemptes de fautes, derreurs, ou de ngligences. Celles-ci, et cest lobjet de la premire partie, peuvent tout fait se rvler non intentionnelles, dpourvues de toute recherche de rsultat, incidentes. Certes, les consquences sont rarement anodines lorsquil est question de justice, mais le magistrat, qui reste un homme sous la robe noire, nest pas infaillible. Bien plus grave est lerreur lorsque, au lieu dtre reconnue et corrige, elle est accueillie comme un accident de parcours sans retombes considrables et conforte au plus haut niveau, non plus par les juges du fond, mais par ceux du droit. La thorie de la peine justifie, dont les termes suscitent dores et dj ltonnement du lecteur, nest pas rcente, bien loin de l. La justice ne rejette jamais la souplesse, quitte dpasser de quelques centimtres le cadre qui lui est ddi, lorsque cela lui conomise temps et moyens, cela est un fait. Ainsi, ds le 30 mars 1847 100 , un arrt des Chambres runies utilise la fameuse thorie cette fin. Lide est simple mais lerreur est vidente : la Cour de cassation, la chambre criminelle pour tre prcis, dclare justifi le dispositif dun arrt de condamnation fond sur une qualification
100 Cass, 30 mars 1847, D.1847.1.168. 75
incorrecte dans la mesure o la peine prononce est la mme que celle qui aurait t choisie partir de la qualification exacte. De l, deux possibilits soffrent son apprciation : - la substitution de base lgale permet dintervertir la nouvelle qualification, en adquation aux faits de lespce, lancienne, errone, - le moyen de cassation relevant lerreur de qualification est dclar inoprant et la peine justifie au regard des infractions constates, o lorsque plusieurs infractions ont t commises, o lorsque la personne a t condamne en tant quauteur principal au lieu de complice de linfraction, o lorsque la personne a t dclare auteur dune infraction alors quelle na t que lauteur dune tentative de cette mme infraction. Quelle que soit la technique utilise, la chambre criminelle labore une stratgie la destination vidente : couvrir lerreur des juges du fond. En effet, dans chacun des cas prsents, la qualification sur laquelle a statu la cour dappel nest pas celle qui convient, elle ne recouvre donc pas la ralit des faits. Comme cela a t expos dans le dveloppement qui prcde, il est du devoir du juge de requalifier. La Cour de cassation ny chappe pas et, en tant que juge du droit ne pouvant se prononcer sur les faits, elle est lultime barrire lerreur de qualification, erreur par excellence au point de vue du droit. Le justiciable en vient donc naturellement penser quelle ne saurait tolrer une telle atteinte aux rgles juridiques. L encore, le justiciable par trop crdule se fourvoie : la plus haute juridiction franaise prfre de loin une correction discrte et juge sans incidence une remise en cause du travail effectu par un juge. Certes, des prtextes sont invoqus, parfois forts pertinents, cest encore et toujours lencombrement des prtoires qui se trouve mis en cause pour viter une cassation et un renvoi une audience ultrieure devant une autre cour dappel pour que laffaire soit rejuge laune de la nouvelle qualification. Les frais engendrs, le temps que la justice na pas, autant de motifs qui permettent la Haute Cour de saffranchir de sa mission la plus lmentaire : requalifier. 76
B/ Des limites insuffisantes lillgalit du procd : Deux limites sont relever nanmoins comme des preuves incontestables, si le juriste averti ntait pas encore convaincu, de lillgalit du procd : - en cas de rcidive retenue tort par les juges du fond comme circonstance aggravante de linfraction, la Cour de cassation doit sautocensurer comme en tmoigne lattendu de principe suivant : la constatation injustifie de ltat de rcidive a pu exercer une influence sur lapplication de la peine et prjudicier ainsi au demandeur 101 . - lorsquelle conduit la mconnaissance des rgles dordre public de comptence des juridictions pnales 102 . De ces deux cas de figures un constat simpose, la requalification entrane indniablement des rpercussions sur la condamnation, de telle sorte que le condamn naurait peut-tre pas subi les mmes retombes si la qualification avait t exacte. Ainsi, la rcidive fait lobjet dune rponse pnale renforce ces dernires annes, durcissement qui la distingue avec force dune condamnation hors tat de rcidive lgale : par consquent la prise en compte de cette donne dans la condamnation ne peut aboutir au mme traitement quen son absence. Dautre part, tre jug devant un tribunal correctionnel ou devant une cour dassises na gnralement pas la mme incidence, tant au niveau procdural quau fond : les dlais daudiencement diffrent, la mise en uvre dune instruction ou non y est attache, les conditions lies la dtention provisoire, la clmence du jury face aux magistrats professionnels ou encore les rpercussions morales sur la personne mise en cause dont les risques encourus ne sont pas similaires dune juridiction lautre. Avant la loi du 15 juin 2000 renforant la protection de la prsomption dinnocence et les droits des victimes 103
lappel des dcisions de Cour dassises ntait pas possible, do des consquences bien lourdes en cas derreur. Lerreur du juge, cette fois-ci au sommet de la hirarchie judiciaire, pour des raisons dopportunit masquant bien souvent le refus de constater la dfaillance de linstitution, marque en tout premier lieu une violation considrable lgalit exige entre les justiciables. Le principe dgalit est rompu, mis de ct sans mnagement par la Cour de cassation, juge du droit sil faut encore le rappeler. Le juge pnal dmontre une nouvelle fois, laune de la qualification, la commission derreurs en toute impunit. Cest une chane ici qui collabore
101 Cass. Crim., 29 octobre 1996, Bull. crim., n378, P.1103. 102 Cass. Crim., 1 er juillet 1997, Bull crim., n261, P.892. 103 Loi n2000-516, JORF, 16 juin 2000, n 138, P.9038. 77
cette erreur puisque, au lieu de disparatre grce lintervention de magistrats ayant pour mission essentielle de veiller au respect du droit, lerreur est reproduite et touffe. Le raisonnement se base uniquement sur lide dune peine quivalente dans le cadre des deux qualifications considres, do labsence de prjudice pour le justiciable. Or, il est vident que la qualification choisie influe sur le quantum de la peine ou encore sur sa nature. La preuve est difficilement rapportable mais le bon sens en prsume le contenu, un juge nayant pas le mme regard sur un complice ou sur lauteur principal, sur une infraction commise ou tente. Sinon, quel intrt la distinction de ces qualits en droit pnal ? Pourquoi les distinguer si une chelle, du moins morale, ne les place pas sur des barreaux diffrents dans la prise en compte de la responsabilit pnale ? La personnalisation des peines est lheure actuelle au centre de la dcision du juge, que devient-elle si la qualification est indiffrente ds lors que la peine prvue est la mme ? Ainsi le condamn se voit refuser en dfinitive la garantie lmentaire dune sanction approprie 104 . Etre condamn pour une infraction plutt quune autre peut avoir des consquences non ngligeables pour la personne, tre condamn pour plusieurs infractions au lieu dune seule, revt une gravit importante. De mme au regard du casier judiciaire, en premier lieu les infractions nont pas la mme connotation morale les unes et les autres et les juges apprcieront de manire diffrente lauteur de telle infraction plutt quune autre. Quant la rcidive, lautorit de la chose juge va produire tous ses effets comme si la qualification errone avait t linfraction commise. Parfois, la Cour de cassation a rajout dans son dispositif la mention selon laquelle son arrt ne peut servir de base lgale la prise en compte de la rcidive 105 mais comme le remarque un auteur : il sagit l dun vu pieux qui ne peut sopposer au jeu normal de lautorit de la chose juge 106 . Par consquent, linfraction retenue par erreur sera prjudiciable au condamn non seulement en elle-mme au moment de la sanction en dcoulant mais galement dans le futur et la prise en compte de la rcidive.
104 Bor Jacques, La cassation en matire pnale, LGDJ 1985, 3166. 105 Cass. Crim., 10 novembre 1899, D.1900.1.403. 106 Rassat Michle-Laure, Trait de procdure pnale, PUF 2001, 500. 78
Enfin, en matire dintrts civils, la Cour de cassation a dcid dans un arrt de la chambre criminelle du 29 novembre 1951 107 de prononcer une cassation limite aux intrts civils lorsque la condamnation est fonde sur plusieurs infractions alors que lune delles na pas t commise ; revenant alors sur un arrt du 14 mai 1915 108 en sens inverse. Nanmoins, la solution nest pas solide et des arrts introduisent un doute son gard, de telle sorte que lon pourrait hsiter en un retour la dcision de loctroi dintrts civils la victime quand bien mme lune des infractions vises dans larrt naurait pas t ralise et reconnue comme telle par la dcision de condamnation errone 109 . La Cour de cassation est alle parfois jusqu se prononcer sur le moyen contestant une infraction en dsapprouvant la solution retenue par les juges du fond, tout en appliquant la thorie de la peine justifie et donc en protgeant larrt fautif de toute cassation 110 . Outre la violation du principe dgalit, le juge pnal est l encore en contradiction avec la lgalit pnale puisse quil ne respecte pas les lments des qualifications et saffranchit du rle tout fait central qui est le sien dans le respect de la loi et de sa restitution. De surcrot, il peut tre tout fait essentiel pour une victime de voir restitue la vritable qualification pnale aux faits pour se voir reconnue dans sa douleur et son histoire. Au terme de ce dveloppement, lerreur est indiscutablement une stratgie au service du juge et de ses intrts, la qualification un vecteur particulirement intressant. Donner lerreur une place au sein du droit pnal en toute illgalit et en toute conscience nest pas acceptable. Les consquences pour le justiciable peuvent tre considrables et les motifs opportunistes discutables. Qualifier cest donner aux faits leur exacte porte juridique, or il semblerait que les juges sen tiennent parfois une obligation de moyen et non de rsultat .
107 Cass. Crim., 29 novembre 1951, Bull. crim., n327, P. 548 , voir en ce sens galement Cass. Crim., 8 octobre 1963, n271, P.567. 108 Cass. Crim., 14 mai 1915, Bull. crim, n96. 109 Cass. Crim., 21 mai 1997, Bull. crim., n193, P.625. 110 Cass. Crim., 10 avril 1997, Bull. crim., n139, P.464. 79
II Lerreur attnue par la jurisprudence europenne La requalification et ses drives, comme cela vient dtre dmontr, est gnralement apprhende sous langle du dpassement de la saisine du juge. Or, depuis un revirement de jurisprudence rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 16 mai 2001 111 en raction la sanction europenne, lexamen de la pratique doit dsormais tre envisag au regard des droits de la dfense. Le 25 mars 1999, la Cour europenne des droits de lhomme rend larrt Plissier et Sassi c. France 112 suivi de larrt Le Pen c. France du 10 mai 2001 113 par la voie desquels elle raffirme que la requalification est un procd courant qui nest pas contraire en tant que tel la Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales sauf si les circonstances dans lesquelles (il) se produit ne permettent pas laccus de connatre en dtail laccusation porte contre lui ou lempchent de prparer efficacement sa dfense . Dans cet attendu de principe, la rserve mise par la Cour la requalification est tout fait fondamentale. Elle impose dsormais aux juridictions que la personne puisse efficacement prparer sa dfense et sexprimer sur la nouvelle qualification retenue. Elle ne demande donc plus seulement au juge de ne pas sortir des faits viss par lacte de saisine. Lvolution ne se fait pas attendre puisque le 16 mai 2001 la chambre criminelle de la Cour de cassation rend un arrt en ce sens avec un attendu de principe conforme au droit europen : Sil appartient aux juges rpressifs de restituer aux faits dont ils sont saisis leur vritable qualification, cest la condition que le prvenu ait t en mesure de prsenter sa dfense sur la nouvelle qualification envisage . En lespce, une cour dappel avait procd la requalification doffice en abus de biens sociaux des faits poursuivis sous la qualification de banqueroute sans que le prvenu nait pu sexpliquer sur cette nouvelle qualification. Les juges du droit ont donc cass larrt sous ce motif du non-respect des droits de la dfense en matire de requalification. Dans la mme anne, dautres arrts ont confirm la solution et annul des requalifications pour les mmes raisons :
111 Cass. Crim., 16 mai 2001, Bull. crim., n128, p.394. 112 Requte n25444/94, CEDH 1999-II. 113 Requte n 55173/00. 80
- celui du 12 septembre 2001 114 , partir duquel la Cour de cassation a refus la requalification de lentrave aux vrifications et aux contrles du commissaire aux comptes en complicit du mme dlit, - celui du 17 octobre 2001 115 qui a annul la requalification du dlit de complicit de vol en recel de vol. La jurisprudence est donc aujourdhui bien assise et reprsente un frein supplmentaire contre le risque dune requalification abusive, errone au point de vue des rgles juridiques et procdurales. Lobservation des droits de la dfense dans le cadre dun procs quitable exig par larticle 6 1 de la Convention europenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberts fondamentales reprsente ici un minimum face toute requalification. Ainsi en particulier de la technique de la peine justifie qui mconnat des rgles fondamentales de la matire pnale et se doit dsormais, de protger la personne victime de la substitution dune nouvelle qualification lgitime par la chambre criminelle de la Cour de cassation au regard de la peine, en lui assurant de pouvoir sexprimer sur celle-ci et de prparer une dfense son encontre. Par consquent, le prvenu devra donc tre inform en temps utile et suffisant de la nouvelle qualification choisie et mis en mesure de prparer les arguments quil souhaite au regard de cette nouvelle donne. Une exception nanmoins, si la qualification substitue avait t dbattue devant les juridictions choisies et carte tort, le respect des droits de la dfense doit avoir trouv sa place en amont et ne pas se rejouer une seconde fois devant la Cour de cassation. La Cour de cassation perd incontestablement de sa toute puissance conforter lerreur des juges du fond pour viter une cassation puisquelle ne peut plus disposer sa guise des qualifications pnales en matre absolu. Elle a dsormais lobligation dintgrer ce subterfuge la personne directement concerne par la requalification, do lespoir dune transparence plus grande lgard des dcisions errones des juges du fond, et dune remise en cause venant dune des victimes de lerreur elle-mme.
114 Cass. Crim., 12 septembre 2001, Bull. crim., n177. 115 Cass . Crim., 17 octobre 2001, Bull. crim., n213. 81
CHAPITRE 2 LA STRATEGIE DE LINTIMIDATION Lintimidation, comportement de nature induire la peur afin dobtenir le rsultat attendu, est indigne de la justice pnale. Quil subisse des pressions ou quil en soit lauteur, le juge pnal rend une dcision vicie par une pratique indigne de lquit. Lintimidation du juge, manifestation de sa faiblesse, peut se solder par de graves rpercussions quant la lgalit pnale (section premire). Ainsi, la loi pnale sera meurtrie mais le juge apprendra vite la leon : Il ne faut pas toucher aux idoles, la dorure en reste aux mains 116 . Lintimidation par le juge, manifestation de sa domination, entache irrmdiablement la justice pnale de la marque de son indignit. Elle perd alors toute confiance place en son sein, et ainsi toute raison dtre (section seconde). SECTION I : LINTIMIDATION DU JUGE Le juge doit payer ! 117 cest la phrase prononce par le Ministre de lIntrieur de lpoque propos de laffaire Cremel et de lassassinat dune femme par un suspect peine libr au titre de la libration conditionnelle par un juge de lapplication des peines. Lintervention du politique au sein du judiciaire, dans un but clair dintimidation, peut avoir des rpercussions dramatiques sur la justice pnale. Ainsi de laffirmation du premier prsident de la Cour de cassation par la suite : nous ne rendons la justice que les mains tremblantes 118 , recevant une illustration exemplaire dans la trs mdiatique affaire du sang contamin (I). Mais les consquences fcheuses de ce duo malsain ne se font pas attendre, et laffaire Festina tout aussi retentissante est limage des dgts attendus car il ne faudrait pas en arriver ce que la seule proccupation des magistrats soit dviter les ennuis 119 (II).
116 Flaubert Gustave, Madame Bovary, ed. Garnier Frres, coll. Classiques Garnier, 1955, partie 3, chap. VI, P.263. 117 Ludet Daniel, A propos de la responsabilit des magistrats (Quelques rflexions sur des dclarations ministrielles), Gazette du Palais, 23-24 septembre 2005. 118 Canivet Guy, discours de rentre, Le Monde, 9 janvier 2006. 119 Lemonde Marcel, Juger sans peur, Le Monde, 8 fvrier 2006. 82
I - Laffaire du sang contamin empoisonne par le juge pnal Aprs avoir t qualifi, suivant l'avocat gnral lui-mme, de sanitaire puis de politique, le scandale devient judiciaire. Plus l'affaire est grave, plus la dcision judiciaire doit tre irrprochable, et les juges de la Cour de cassation n'ont-ils pas la mission d'y veiller plus particulirement ? 120 . Ouvrir le dbat sur une telle question, telle que formule par un minent auteur, a le mrite dintroduire la problmatique sans trop dambigut : douze ans de procdure pour aboutir un non-lieu difficilement justifi et justifiable dans une affaire o semble t-il, cest la fin qui justifie les moyens. Les faits sont connus de tous et permettent dillustrer les mandres dune justice aux dcisions dictes par un pouvoir politique pressant et puissant. La sparation des pouvoirs remonte la Rvolution franaise et sinscrit comme une valeur fondatrice de notre Rpublique. Pourtant, les juges sont-ils vritablement indpendants des politiques ? Lexcutif et le judiciaire sont- ils rellement autonomes ? Les liens entretenus par les deux institutions, en dpit dun cadre troit dfini sur papier glac, dpassent de loin ces prceptes et se trouvent parfois entremls en une danse dangereuse. Les nombreuses affaires politico-financires qui jalonnent ces dernires annes, ont eu le mrite de rvler petit petit la mainmise de la classe politique sur la justice et ses acteurs. Laffaire dite du sang contamin clate le 25 avril 1991 par la publication dans lhebdomadaire Lvnement du jeudi par la journaliste Anne-Marie Casteret de la preuve, quentre 1984 et 1985 le Centre national de transfusion sanguine (CNTS) avait en toute connaissance de cause distribu des lots de sang contamin par le virus du sida des malades hmophiles. Ds la circulaire du 20 juin 1983, le directeur de la Sant, Jacques Roux, impose dcarter des transfusions sanguines les sujets risque, notamment en prison ; et la toute premire information faisant un lien entre transfusions sanguines et virus du sida date de janvier 1984. Pourtant, par une circulaire du 13 janvier 1984, Myriam Ezratty, alors Directrice gnrale de lAdministration pnitentiaire, demande laugmentation des transfusions sanguines dans les tablissements pnitentiaires. On dcouvre alors en recherchant llimination de lhpatite B que par chauffage dextraits du plasma est obtenue linactivation du VIH (virus du sida). Or, la France na pas les capacits
suffisantes de traitement et refuse dimporter du sang de ltranger pour des raisons thiques (le bnvolat est la doctrine franaise alors que les dons du sang peuvent tre rmunrs ltranger) et de qualit (le sur-chauffage risque de dnaturer le produit). Des lots de produits contamins sont alors distribus aux hmophiles dj porteurs du virus du sida jusquen 1985. Le 1 er aot 1985, larrt du 23 juillet 1985 entre en vigueur, imposant le diagnostic systmatique des dons (dj effectus par les deux-tiers des tablissements franais) mais pas celui des lots dj constitus. Les trois fournisseurs de tests (Abbott, Pasteur et Organon-Teknika) sont mme de fournir un nombre de tests de dpistage suffisant depuis la mi-juin seulement. Jusquau 1 er octobre 1985, les lots de sang contamin, qui reprsentent une valeur de trente- quatre millions de francs, sont laisss en circulation et rembourss, et cette date, si les lots non chauffs ne sont plus rembourss, ils ne sont pour autant ni rappels ni interdits. Ces lots sont destins aux hmophiles dj contamins mme si cela reste pour le moment implicite, provoquant alors une sur-contamination des malades sropositifs. En aot 1986, un rapport du CNTS rvle la contamination dun hmophile sur deux, soit 2000 personnes, dont quelques centaines entre 1984 et 1985 du fait de la distribution des produits non chauffs et de la mise en place tardive du test de dpistage. Derrire ce drame humain se tisse une gestion politique honteuse pour des raisons financires mprisables. Ds le 23 juin 1983, le Comit des ministres du Conseil de lEurope avait fait une recommandation aux Etats membres sur la prvention de la transmission possible du VIH des donneurs contamins aux receveurs de sang ou de produits sanguins. Alors Premier Ministre, Laurent Fabius apprend le 29 avril 1985 que le test de dpistage franais (Diagnostics Pasteur) a pris du retard sur le diagnostic amricain (Abbott) et sentend suggrer quil pourra prendre une large fraction du march national condition que soit mise en place une gestion astucieuse du calendrier . Lide est simple : retarder lhomologation du test amricain pour privilgier lentre sur le march du test franais, et viter le maximum de perte financire en coulant des lots contamins auprs de malades dj sropositifs. Le 29 mai 1985, une runion des dirigeants du CNTS montre quils savent les lots distribus contamins par le VIH et que les responsables politiques en sont avertis mais dcident que lcoulement des stocks aura lieu jusqu puisement. Michel Garretta, alors dirigeant du CNTS crit le 3 juin 1985 Robert Netter, directeur du laboratoire national de la sant : La 84
probabilit de ne pas avoir de lots contamins est malheureusement trs faible puis, dans une circulaire du 26 juin 1985 aux responsables du CNTS : La distribution de produits non chauffs reste la procdure normale tant quils sont en stock . Un pianiste de jazz hmophile, Jean-Pron Garvanoff, ayant donn plusieurs concerts au domicile de Jean-Pierre Allain, adjoint de Michel Garretta, et entendu cette occasion des mdecins parler de la casse venir chez les hmophiles, donne lalerte auprs des parlementaires. En vain, puisquil en vient porter plainte contre X pour non-assistance personne en danger et dlivrance de produits toxiques. Laffaire explose ensuite par la publication le 25 avril 1991 dans lEvnement du jeudi du compte rendu interne de la runion du 29 mai 1985 entre les dirigeants du CNTS et entrane la dmission de Michel Garretta du CNTS le 3 avril 1991 avec des indemnits slevant trois millions de francs nanmoins. Lobjectif politique transparat ds lors sans quivoque possible : la contamination par un virus mortel est passe bien aprs une manne financire importante. Outre la mise en cause du Premier Ministre de lpoque, Laurent Fabius, et des principaux responsables du CNTS ; lancienne Ministre des Affaires Sociales, Georgina Dufoix, se verra reproch davoir tard la mise en uvre du dpistage systmatique et au non- remboursement des produits non chauffs (diffr au 1 er octobre 1985 alors que la circulaire datait du 23 juillet de la mme anne) pour des raisons exclusivement financires. Enfin, les trois fautes principales de laffaire sont retenues contre Edmond Herv, lancien Secrtaire dEtat la Sant : - le retard dans la gnralisation du dpistage, - labsence de slection des donneurs de sang, - linterdiction tardive des lots de sang non chauffs. Plusieurs procdures judiciaires sont distinguer dans ce scandale politique qui mit en cause non seulement les dcisionnaires politiques de lpoque mais galement les mdecins responsables des activits du CNTS et de la sant publique. Ces nombreux procs nont pas t sans incidence sur la justice pnale et leurs solutions droutantes ont sans nul doute laiss un got amer aux observateurs avertis, voire lopinion publique tout entire. Ds prsent, la justice est aux prises avec une affaire touchant les plus hautes sphres de lEtat franais et nen sortira quaffaiblie et avilie. Jean-Paul Jean, magistrat conseiller du 85
ministre des affaires sociales Claude Evin crit le 30 mars 1989 dans une note : La solidarit des diffrents responsables qui stait ralise autour du silence clate maintenant que les faits sont progressivement ports la connaissance du public . Puis le 17 novembre 1989 : Le dbat [] est en train de monter dangereusement [] Michel Garretta insiste beaucoup pour que le ministre prenne une position officielle sur ce qui sest pass en 1985 pour viter dtre seul tre expos. Il menace de mettre en cause le ministre explicitement sil nest pas soutenu. Il est vrai quil y a eu lpoque des choix politiques discutables entre mars et octobre 1985 (refus d'importer massivement les produits chauffs et de dtruire les stocks, retard sur la mise en place pour favoriser le test Pasteur) . Il crit aussi : Je pense qu'il vaut mieux pour l'instant que ce soit les sommits mdicales qui parlent sur le sujet [...]. Le ministre, lui, pourrait plutt dire : "Les experts [...] pensent qu'il tait impossible l'poque d'viter ces contaminations . Premire remarque, comment un magistrat, membre du pouvoir judiciaire, peut-il donner de tels conseils, alors que la loi pnale se trouve manifestement enfreinte ? Comment peut-il cautionner une telle violation des valeurs alors quil a prt serment de les dfendre ? Preuve supplmentaire de la puissance de la classe politique sur le monde judiciaire : le 11 juillet 1989 cest le plan vin par lequel les assureurs, l'Association franaise des hmophiles et le CNTS crent un fonds priv de cent soixante-dix millions de francs pour indemniser les hmophiles contamins condition qu'ils renoncent engager une action judiciaire. Quel message doit alors comprendre la justice ? Comment sengager dans la poursuite de dcisionnaires puissants et protgs sans tre accul davance ? Quelles erreurs ne doivent pas tre commises par les juges qui osent sattaquer une pyramide de pouvoirs imbriqus les uns dans les autres ? La lchet des futures dcisions judiciaires autour de laffaire tait-elle prvoir ? Au contraire, les magistrats pouvaient-ils lutter contre la menace politique ? Tout au long des procdures judiciaires, la qualification dempoisonnement sera rejete par les juridictions qui se prononcent successivement au profit dautres incriminations, en un mpris non avou des rgles juridiques fondamentales. Lintimidation du monde judiciaire par la classe politique dominante est palpable, principale responsable dune erreur du juge pnal sur commande de lEtat. Dabord, un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 23 octobre 1992 se prononce lgard de quatre mdecins : 86
- l'ancien directeur du CNTS, Michel Garretta, - Jean-Pierre Allain, responsable au CNTS du dpartement recherche et dveloppement jusqu'en 1986, - Jacques Roux, ancien directeur gnral de la sant, - Robert Netter, ex-directeur du laboratoire national de la sant. Michel Garretta et Jean-Pierre Allain seront condamns pour tromperie sur les qualits substantielles dun produit, respectivement quatre ans demprisonnement et 500000 francs damende et quatre ans demprisonnement avec sursis. Jacques Roux et Robert Netter, poursuivis pour non-assistance personne en danger, seront pour le premier condamn quatre ans demprisonnement avec sursis, pour le second relax. Demble, la qualification dempoisonnement est rejete sous cet attendu de principe pour le moins dconcertant : Lempoisonnement (comme les infractions de lart. 318 : nouvel art. 222-15) nest pas seulement un acte conscient, voulu, mais un acte intentionnel, c'est--dire conscient, voulu et accompli en vue dun rsultat prcisment recherch par son auteur, en lespce la mort ou latteinte lintgrit corporelle dautrui . Puis cest la cour dappel de Paris, le 13 juillet 1993 qui confirme les peines de Michel Garretta et de Jean-Pierre Allain, rduit celle de Jacques Roux trois ans de prison avec sursis et condamne Robert Netter un an de prison avec sursis. Quant la qualification dempoisonnement, elle reoit la rponse suivante : Si lon peut induire lintention homicide de la connaissance par lagent du caractre mortifre du produit quil administre autrui, cette induction nest possible que lorsque les circonstances de la cause le justifient-ainsi lexistence par exemple de rapports conflictuels entre lauteur et la victime-, ce qui nest pas le cas lorsque les faits incrimins sinscrivent dans le cadre dune relation fabricant de produit thrapeutique-mdecin-malade . La Cour de cassation, dans un arrt rendu par la chambre criminelle le 22 juin 1994 confirme la dcision des juges du fond et refuse de reconnatre lempoisonnement en absence dintention de donner la mort par un attendu de principe retentissant : elle relve doffice le moyen tir de la violation des articles 301 de lancien Code pnal (article 221-5 du Code pnal actuel) et de larticle 469 du Code de procdure pnale Ds lors que les juges correctionnels sont saisis de la prvention de tromperie sur la marchandise, dont ils ont bon droit dclar un mdecin coupable, ils ne peuvent sans ajouter cette prvention, retenir une qualification criminelle dempoisonnement comportant des lments constitutifs distincts, au regard notamment de lintention coupable essentiellement diffrente, et qui serait susceptible de poursuites spares . 87
De nouvelles poursuites sont alors engages sur la qualification criminelle dempoisonnement, laquelle se rajoutent les dlits dhomicide et blessures involontaires et domission de porter secours. En 1999, aprs cinq annes dinstruction, la juge Marie-Odile Bertella Geffroy demande le renvoi aux assises de trente personnes mises en examen. Le 4 juillet 2002, la quatrime chambre de linstruction de la cour dappel de Paris prononce un non-lieu gnral. Le 5 juin 2003, le reprsentant du ministre public estime que larrt est dune insoutenable lgret judiciaire mais se limite suggrer une cassation sans renvoi 121 . Enfin, Le 18 juin 2003, le non-lieu gnral est confirm par la Cour de cassation : Pour dire ny avoir lieu suivre contre quiconque du chef dempoisonnement , larrt retient que seuls les mdecins qui ont prescrit ladministration des produits sanguins auraient pu tre les auteurs principaux de ce crime, mais que la preuve nest pas rapporte quils aient eu connaissance du caractre ncessairement mortifre des lots du CNTS, linformation nayant t communique, de faon partielle et confidentielle, que dans le cadre du CNTS et de la Direction gnrale de la Sant, et des incertitudes rgnant encore, lpoque, dans les milieux mdicaux, quant aux consquences mortelles du sida ; les juges en dduisent que la complicit dempoisonnement ne peut tre retenue contre quiconque ; en ltat de ces apprciations procdant de son apprciation souveraine, la chambre de linstruction a justifi la dcision de non-lieu des chefs dempoisonnement et complicit ; en effet, le crime dempoisonnement ne peut tre caractris que si lauteur a agi avec lintention de donner la mort, lment moral commun lempoisonnement et aux autres crimes datteinte volontaire la vie de la personne . Lintention de donner la mort ou la redfinition du crime dempoisonnement par le juge pnal, voil une srie de dcisions bien surprenantes Larticle 221-5 du Code pnal snonce pourtant en ses termes : Le fait dattenter la vie dautrui par lemploi ou ladministration de substances de nature entraner la mort constitue un empoisonnement. Lempoisonnement est puni de trente ans de rclusion criminelle. Il est puni de la rclusion criminelle perptuit lorsquil est commis dans lune des circonstances prvues aux articles 221-2 ; 221-3 et 221-4. Les deux premiers alinas de larticle 132-23 relatif la priode de sret sont applicables linfraction prvue par le prsent article .
121 Le Monde, 7 juin 2003 88
La Cour de cassation estime quant elle, le 18 juin 2003, que Le crime dempoisonnement, prvu par les articles 301 ancien et 221-5 du Code pnal, ne peut tre caractris que si lauteur a agi avec lintention de donner la mort, lment moral lempoisonnement et aux autres crimes datteinte volontaire la vie de la personne. Justifie, ds-lors, la dcision de non-lieu des chefs dempoisonnement et de complicit la chambre de linstruction qui, aprs avoir constat que seuls pourraient tre les auteurs de ce crime les mdecins qui ont prescrit leurs patients des produits sanguins contamins par le virus du sida, nonce que la preuve nest pas rapporte quils aient la connaissance du caractre ncessairement mortifre des lots fournis par le Centre national de transfusion sanguine, et que des incertitudes rgnaient encore, lpoque, dans les milieux mdicaux, quant aux consquences mortelles du sida . Lintention de donner la mort, lment constitutif du crime dempoisonnement ou arrangement ponctuel du juge avec le droit ? Lempoisonnement, en tant quinfraction formelle, a pour essence lindiffrence au rsultat : la mort. Signe dune volont rpressive trs forte, le crime dempoisonnement est une atteinte si grave aux valeurs sociales que le lgislateur a souhait agir ds le comportement ralis, que le rsultat redout, la mort, soit atteint ou non. Au moment de ladoption du nouveau Code pnal, il a t question de la suppression de cette infraction autonome ; pourtant cest le choix de lincrimination spciale qui a perdur avec un alignement des peines sur celles de lhomicide, soit trente ans de rclusion criminelle, et la rclusion criminelle perptuit en cas de mort de la victime alors quil sagissait de la peine capitale jusquen 1981 puis de la rclusion criminelle perptuit jusquen 1994. Dans la circulaire du 14 mai 1993, le lgislateur indiquait : bien quelle ait t rnove, la dfinition de linfraction est, sur le fond, identique celle de lactuel article 301. Comme aujourdhui, il nest pas ncessaire pour que le crime soit constitu, que lempoisonnement ait caus la mort. En revanche, toute spcificit dans la rpression a t supprime. Lempoisonnement est dsormais puni des mmes peines que le meurtre 122 . Lincidence nest pas neutre, lempoisonnement est un crime particulier auquel le lgislateur veut rpondre sans attnuation aucune. De l, il faut en dduire une distinction avec le meurtre qui se ralise dans son lment matriel par lacte de tuer et dans son lment moral dune part dans la volont du comportement de tuer dautre part avec le rsultat dobtenir la mort ; alors que lempoisonnement consiste en lacte demployer ou dadministrer des substances qui ont le pouvoir de donner la mort et ne retient dans son lment moral que la volont du comportement pouvant aboutir la mort. Certes, utiliser des produits la potentialit mortelle
122 Circulaire du 14 mai 1993, 147. 89
prsume dune intention de donner la mort mais peu importe finalement, cette intention na pas tre prouve pour que le droit pnal puisse ragir lencontre du crime dempoisonnement. La distinction de linfraction formelle, lindiffrence au rsultat, ici la mort, naurait plus lieu dtre si le crime dempoisonnement se confondait avec lhomicide, infraction matrielle. Le meurtre se consomme par la mort do lintention et du comportement de tuer et du rsultat mortel, lempoisonnement se commet par lutilisation des substances mortelles, do lintention dutiliser ces produits mortifres sans ncessit dune intention de tuer en doublon. Or, lintention homicide rige par les juges dans la constitution de lempoisonnement a pour rsultat incontestable de rapprocher les deux infractions et de les faire glisser sur un mme plan. Dcider que lintention de lauteur tait daboutir la mort va au-del de ce que la loi demande pour reconnatre lempoisonnement larticle 221-5 du Code pnal, lanimus necandi exig par le juge en lespce sort de la dfinition de linfraction formelle telle que souhaite par le lgislateur. La Cour de cassation estime alors que les mdecins prescripteurs nayant pas eu suffisamment connaissance du caractre ncessairement mortifre des produits en raison des incertitudes de lpoque ce sujet, ils navaient pas lintention de tuer . Ici encore, les juges vont au- del du texte de loi en exigeant un seuil de la preuve encore plus lev, larticle 221-5 traitant de substances de nature entraner la mort et non ncessairement mortifres . Lerreur est galement dans le postulat de dpart, savoir considrer les mdecins prescripteurs comme seuls auteurs possibles. La thorie de la complicit prend ensuite le relais, le fait principal punissable nexistant pas, point de complices condamner. Pourtant, et depuis longue date 123 , la qualit dauteur mdiat est reconnue sans difficult en matire dempoisonnement et les mdecins prescripteurs auraient trs bien pu tre considrs comme des tiers de bonne foi, les dcideurs devenant alors non plus les complices mais les responsables de ladministration de telles substances. Le ministre public avait dailleurs parl des mdecins en termes de tiers passifs pour aiguiller la rponse, mais la Cour de cassation a contourn la question avec soin. En outre, le lien fait par la Cour de cassation avec lintention de donner la mort, lment moral lempoisonnement et aux autres crimes datteinte volontaire la vie de la personne est lui aussi erron. Lempoisonnement requiert un attentat et non une atteinte la vie, et la rfrence un lment moral commun entre une infraction formelle et une infraction
123 Cass. Crim., 2 juillet 1886, S. 1887, 1, P.489. 90
matrielle (car en dehors de lhomicide quelles autres atteintes la vie de la personne ?) ne se justifie pas. Dans larrt du 18 juin 2003, les juges rejettent galement les deux autres qualifications en sappuyant sur lanalyse de la chambre de linstruction. Dabord lhomicide et les blessures involontaires, niant lexistence dune faute et celle dun lien de causalit entre le dommage et la faute prsume : Lapprciation de la faute et du lien de causalit par les juges du fond tant souveraine, nencourt pas la censure, larrt qui, pour dire ny avoir lieu suivre des chefs dhomicide et blessures involontaires sur des personnes dcdes ou atteintes dune maladie la suite de ladministration de produits sanguins contamins par le virus du sida, retient que les mdecins navaient pas connaissance du caractre ncessairement mortifre des produits sanguins quils prescrivaient et que, dans lincertitude sur lexistence dun lien de causalit entre les fautes reproches aux responsables administratifs et le dommage, les manquements de ceux-ci ne peuvent tre incrimins . Ensuite, la non assistance personne en danger est exclue car les personnes mises en examen nont pu avoir conscience dun pril dune imminente gravit quelles auraient pu carter par leur intervention immdiate , re-formulation de largumentation de la chambre de linstruction, laquelle il avait suffi que les mis en cause naient pas eu conscience de ce pril. Tout au long de cet arrt la Cour de cassation approuve les juges du fond par le recours des formules laconiques par son apprciation souveraine, la chambre de linstruction a justifi [] ; constatations des juges mettant un terme au dbat. Sabstenant ainsi de rpondre aux questions de droit qui lui taient soumises, la Cour de cassation a, de fait, refus de jouer son rle. Si labsence dinstruction manquait cruellement aux poursuites criminelles lors de la prcdente procdure, cest bien le seul lment conforme en droit que cet arrt, visiblement prt tout pour viter louverture dune procdure criminelle, concde. Plus grave encore, larrt rendu par la cour dappel de Paris le 13 juillet 1993, au-del de lexigence dune intention de tuer dj fort contestable en matire dempoisonnement tait alle plus loin dans le raisonnement, en renforant la thse soutenue par une rfrence aux mobiles tout fait hors de propos. Lindiffrence aux mobiles est une rgle centrale du droit pnal gnral qui ne fait aucunement exception pour lempoisonnement. Les juges du fond viennent pourtant soutenir que si lon peut induire lintention homicide de la connaissance par lagent du caractre mortifre du produit quil administre autrui, cette induction nest 91
possible que lorsque les circonstances de la cause le justifient-ainsi lexistence par exemple de rapports conflictuels entre lauteur et la victime, ce qui nest pas le cas lorsque les faits incrimins sinscrivent dans le cadre dune relation fabricant de produit thrapeutique- mdecin-malade . Comment comprendre la rfrence ces rapports conflictuels autrement que comme des mobiles ? La Cour de cassation na pas sembl pour le moins gne de la violation de cette rgle de droit pnal gnral fondamentale en validant lapprciation des juges du fond par larrt du 22 juin 1994. Lintention est un vaste champ dinterrogations que la Bible elle-mme nentend pas investiguer, en effet on ne sonde pas les curs et les reins . Les juges saisis de laffaire du sang contamin ont semble-t-il quant eux dcids de satteler cette tche avec zle. Peut- tre trop de zle ? Quil sagisse de la premire procdure judiciaire ou de la seconde, des juges du fond, ou pire encore, des juges du droit, la mme rponse a fait cho pendant les nombreuses annes de procdure et toute condamnation fonde sur lempoisonnement sest heurte la rticence appuye des magistrats. Lors de la rforme du Code pnal, en 1992, donc au cur de laffaire, lAssemble Nationale veut supprimer lempoisonnement, ny voyant quune simple forme de meurtre, le Snat sy oppose : ce dsir de faire disparatre du champ pnal lincrimination est-il une pure concidence avec les risques encourus par certains hommes politiques impliqus dans laffaire alors pendante devant les tribunaux ? Changer le droit pour orienter le juge pourrait tre le titre de la triste pice de thtre, joue par le pouvoir politique : - Acte 1 : dfaut de lincrimination elle-mme, les peines encourues en matire dempoisonnement sont alignes sur celle du meurtre en 1994, - Acte 2 : ce qui na pas pu tre fait au niveau lgislatif sera rpar au niveau judiciaire et lempoisonnement se verra align sur le meurtre par la Cour de cassation le 22 juin 1994 puis le 18 juin 2003. Utiliser le droit au service du pouvoir, ny a-t-il pas erreur, voire errements dun juge pnal manipul ? Une chose est sre, la comdie est devenue un drame. Le 20 dcembre 1992, le Parlement dcide la mise en accusation de Laurent Fabius, Herv Edmond et de Georgina Dufoix mais le 5 fvrier 1993 la Haute Cour de justice dcide que les faits sont prescrits. Le procureur gnral va saisir une nouvelle fois le Parlement pour homicide involontaire. 92
Les 27, 29 et 30 septembre 1994, la Cour de Justice de la Rpublique (qui a remplac la Haute Cour depuis le mois de fvrier 1994) met en examen les trois anciens ministres pour complicit dempoisonnement. Le 13 mars 1997, linstruction est rouverte car sont dcouverts de nouveaux documents. Le 11 juin 1998, le Procureur demande le non-lieu pour les trois ministres mis en cause. Le 17 juillet 1998 ils sont renvoys devant la Cour de Justice de la Rpublique pour homicide involontaire et atteinte involontaire lintgrit des personnes. Le procs souvre le 9 fvrier 1999, relaxe Laurent Fabius et Georgina Dufoix le 8 mars 1999 mais condamne Herv Edmond pour deux contaminations, un manquement une obligation de scurit ou de prudence. Celui-ci sera dispens de peine car il aurait t soumis, avant jugement, des apprciations souvent excessives . Le 21 mai 1999, une plainte contre lancien Ministre de la Sant, Claude Evin, est dclare recevable mais aboutit un non-lieu de la commission dinstruction de la Cour de justice de la Rpublique. Le tribunal administratif de Paris va reconnatre la responsabilit de lEtat pour la contamination dun hmophile le 20 dcembre 1991 et lui allouer deux millions de francs dindemnisation en raison de la faute de lEtat de navoir pas interdit entre le 12 mars 1985 et le 19 octobre 1985 (priode de responsabilit avance au 22 novembre 1984 par le Conseil dtat en sa dcision du 9 avril 1993) la distribution de produits sanguins contamins. Un fonds dindemnisation public sera mis en place par la loi du 31 dcembre 1991 mais la Cour europenne des droits de lhomme interviendra malgr cela deux reprises pour la lenteur des juridictions administratives dans lindemnisation de malades hmophiles victimes de la contamination par le VIH par transfusion sanguine, le 31 mars 1992 et le 26 aot 1994. La conclusion simpose : dfaut de condamnation pnale, une indemnisation civile pour couvrir des erreurs juridiques dictes par le pouvoir politique. II - Le poison de laffaire Festina administr au juge pnal Se rendre compte quil suffit de sasseoir de lautre ct du bureau pour que se rvle brutalement une vrit invisible durant mes dix-huit annes de magistrature. [] Dcrire comment un juge dinstruction devenu substitut du Procureur de la Rpublique, pour avoir agi selon sa conscience et contre lavis de sa hirarchie, se retrouve en prison. [] Tout cela pour avoir involontairement mis mal la plus grande institution sportive, comprenez la plus 93
belle poule aux ufs dor qui sappelle le Tour de France. Pour avoir cru que les seringues pouvaient provoquer des crevaisons aux roues des vlos 124 . Voil expos en quelques mots, ceux du magistrat lui-mme, les dessous dune rponse juridique intimement lie des diktats conomiques. Laffaire dite Festina clate en 1998, un peu avant le dpart du Tour de France, grande course cycliste la renomme mondiale par le contrle du mdecin de lquipe Festina , Willy Voet, la frontire franco-belge. Dans la voiture mise disposition par la socit du tour de France cette quipe, la douane franaise dcouvre de grandes quantits de produits dopants. Les aveux du mdecin ne tardent pas puisquil dnonce un dopage organis et mdicalis au sein de lquipe. Le directeur sportif de lquipe, Bruno Roussel, reconnat les faits peu aprs ainsi quune partie des coureurs cyclistes. Le tribunal correctionnel de Lille rendra son verdict le 22 dcembre 2000. Un seul coureur sera poursuivi, Richard Virenque, pour complicit dincitation au dopage mais relax. Bruno Roussel sera condamn un an de prison avec sursis et 50 000 francs damende, Willy Voet dix mois de prison avec sursis et 30 000 francs damende. Le 5 mars 2002, la Cour dappel de Douai accorde un franc symbolique de dommages et intrts la Fdration franaise de cyclisme (FFC) et lUnion cycliste internationale (UCI) pour le prjudice subi. Nul besoin ici, linverse de laffaire prcdente, de stendre sur des faits qui nont pas dincidence directe sur la procdure. Lintrt est ailleurs et doit se lire entre les lignes Quelles consquences peut bien avoir la mise en pril dune des plus grandes institutions sportives franaises ? Dans quelles conditions le magistrat est il plac pour rendre une telle dcision ? Lerreur peut-elle lui tre vivement conseille sil souhaite continuer exercer ses fonctions dans la srnit ? A la lecture du tmoignage du juge dinstruction de laffaire Festina, Patrick Keil, on peut faire un parallle entre les aspirations du magistrat dbutant : Je mtais engag tre parfaitement sincre envers les autres et de tout dire franchement autrui sur moi-mme, sans fausse honte. Quoi quon dise de moi, quelle que soit la faon dont on me juge, de me laisser intimider par rien, de ne pas avoir honte de mon exaltation, de mon entranement, de
124 Keil Patrick, Du barreau aux barreaux-La descente aux enfers du juge de laffaire Festina, Jean-Claude Gawsewitch, 2009, P.12. 94
mes erreurs et de maintenir droite ma ligne 125 et les consquences de laffaire Festina sur sa carrire : dix ans plus tard, consquence plus ou moins directe de ses prises de position dans laffaire, le magistrat se retrouve rvoqu et la drive. Pour ma part, je pensais et je pense encore que cette affaire tait moins proccupante que lensemble des dossiers que mes collgues et moi-mme avions traiter quotidiennement. Le respect de lintgrit de la personne humaine, son inviolabilit, son intangibilit, sa protection ntaient pas en cause. Il ne sagissait pas non plus datteintes la proprit prive. Et ce, dautant plus que le dopage dans le cyclisme ntait pas une nouveaut . 126
Ce raisonnement nest vraisemblablement pas le bon, puisquil a cot sa carrire au magistrat. Le Tour de France est une course cycliste dont lhistoire est dabord une affaire dargent, puisque sa cration a pour finalit premire, en 1903, daugmenter les ventes dun journal sportif 127 et de vlos. Lintrt lucratif naura de cesse de samplifier comme en tmoignent les bnfices tirs par le Tour de France 1998, lanne de laffaire Festina. Ainsi, la socit du Tour de France a encaiss 250 millions de francs : 64% des sponsors, 25% des droits tlviss, 10% des villes et villages-tapes. Les sponsors franais et trangers qui financent les quipes ont investi entre 25 et 30 millions de francs par an. Quant aux localits traverses, la somme payer la socit du Tour de France, pour avoir lhonneur dtre choisies, slevait 780 000 francs, sans compter des travaux de voiries pour amnager lendroit. Enfin, la chane de tlvision France 2 stait acquitte de 80 millions de francs de droits pour cinq heures dantenne par jour. A ct de ces chiffres vertigineux, le dopage devient de plus en plus systmatique et les coureurs nhsitent plus le reconnatre ouvertement, dans le silence des journalistes souvent lis damiti avec les sportifs et avec le consentement tacite des organisateurs de lvnement et des pouvoirs publics. Le Gnral De Gaulle lui-mme aurait dclar : Dopage ? Quel dopage ? A-t-il oui ou non fait jouer la Marseillaise ltranger ? 128 . Des contrles anti-dopages sont mis en place ds 1966 linitiative de mdecins et des coureurs cyclistes contrls positifs des produits de dopage sont exclus du Tour ds 1968. Pour autant, les coureurs parviennent profiter des dfaillances du systme et sont parfois mme protgs par les instances internationales. Ainsi, en 1988, le coureur Pedro Delgado
125 Keil Patrick, op. cit., P. 67. 126 Keil Patrick, op. cit., P. 93. 127 Le journal en question, lAuto , est devenu lEquipe la Libration. 128 Selon Lquipe Magazine du 23 juillet 1994. 95
risque lexclusion du Tour pour avoir consomm une drogue figurant sur la liste du Comit international olympique (CIO), si lorganisation du Tour est en accord avec cette dcision, un tour de passe-passe lui permet de participer la course en toute impunit. En effet, cest lUnion cycliste internationale (UCI) qui lui accorde le feu vert en estimant que le produit en cause ne figurait pas sur sa liste. Or, un mois plus tard, il y sera inscrit. Lorsque laffaire Festina clate, le juge dinstruction charg du dossier, Patrick Keil, sera victime dinjures et de menaces et dun certain dchanement mdiatique. Il en tire les conclusions lui-mme : Laffaire [] touche une controverse plus globale, qui dpasse le seul cadre sportif. Elle convoque aux dbats une pluralit dopinions, une argumentation multiple, labsence de consensus normatif a priori et suppose une incertitude quant son issue. [] ceux qui, en reconnaissant leur part de responsabilit, malmnent les mythes du sport et de ses idoles sont considrs comme une menace . 129
Au tout dbut du Tour de France, le parquet de Lille dclarait quon ne toucherait pas au Tour ni aux coureurs, avertissement sans en tre un, ou peut tre mme instruction, que le juge na pas suivi. La voix du ministre public devait elle atteindre le juge dinstruction ? La justice est sensible aux lobbies et aux pressions en tout genre et le Tour de France est une manne financire telle que certains ne peuvent se rsoudre une quelconque gratignure de linstitution, prt alors tout pour la prserver. Ces pressions qui taient par le pass largement politiques sont dsormais, de faon grandissante, galement sociales. Ce nest plus le pouvoir politique qui simmisce subrepticement dans les affaires de la justice, mais galement les citoyens, les mdias, les corps intermdiaires, lopinion publique, par des voies dtournes, certes, mais qui convergent toutes vers ce mme objectif inavou de restreindre la libert dont pourraient jouir les magistrats 130 . Peu avant linculpation du coureur Richard Virenque, le juge dinstruction est convoqu par le Prsident de la juridiction pour un entretien plutt tonnant. En effet, le suprieur en question lui rappelle son statut dindpendance et de son droit de faire ses choix mais laisse entendre que dans quelques annes on parlerait encore de Richard Virenque . A cela sajoutent les conseils aviss, voire appuys de certains collgues et les coups de tlphone rpts de suprieurs hirarchiques insistants. Quand je parle de corruption je ne lentends ni au sens pnal ni au sens financier, mais dans une perception beaucoup plus sournoise, hypocrite, finaude : accepter dtre conciliant,
ne pas faire de vagues, ne pas choquer les sensibilits. Je ne dis pas que le magistrat se vend, mais il pense, et il est forc de penser, sa carrire. [] Ne pas faire de vagues, se montrer obissant est larme la plus rpandue 131 . Aprs sa garde vue, Willy Voet, le soigneur de lquipe Festina, est plac en dtention provisoire et le juge dinstruction dlivre une commission rogatoire au service rgional de police judiciaire (SRPJ) de Lille mais non sans hsitation : devais-je suivre lesprit de la dclaration du ministre public, garant de lordre public au sens large, qui peut dans certains cas, prendre la forme du -pas de vagues - ? 132 . Narrive t-on pas ce stade dintimidation du juge pnal aux frontires de lerreur ? Mis sur la voie de lerreur par sa hirarchie, cela de faon tout fait pernicieuse, le magistrat doit arbitrer entre la ligne de conduite dicte par les habits de justice et la menace dune carrire brise, du moins ralentie. Comment stonner dune erreur commise dans ces circonstances, combien de temps et jusquo lhomme de robe peut-il rsister ces pressions ? Le magistrat ne perd t-il pas, dans ces affaires qui dpassent la matire pnale pour rejoindre lintrt politique, tout espace de libert ? Suivirent les interpellations de Bruno Roussel, le directeur sportif, et dEric Rijckaert, mdecin de lquipe placs en dtention provisoire le 15 juillet 1998. Cela fut suivi par une dclaration la presse du parquet puis lexclusion de lquipe Festina du Tour de France par la direction de la course, le 17 juillet 1998 : Leve de boucliers, les lettres des supporters commencrent affluer, et plus lopinion publique se manifeste, plus lindpendance du magistrat se fragilise, plus les pressions augmentent. Outre celles dont jai fait tat antrieurement, il me fut demand solennellement de clore le dossier avant le prochain Tour [] jeus droit la visite du prsident du tribunal, du prsident de la cour dappel, du prsident de la chambre daccusation pour que soit fait un point sur ltat de mon cabinet 133 . Cinq coureurs admirent avoir eu recours au dopage et un couple de pharmaciens reconnurent avoir fourni des produits dopants. Lensemble des coureurs, le masseur, le directeur de lquipe avaient reconnu pendant linstruction linstauration dun dopage normatif, contrl par le mdecin et financ par un systme de caisse noire alimente par les primes et dnonaient unanimement Richard Virenque, champion de lquipe, comme leader du
131 Keil Patrick, op. cit., P. 116 et 117. 132 Keil Patrick, op. cit., P. 125. 133 Keil Patrick, op. cit., P. 126 et 127. 97
systme entendant disposer de soldats 200% de leurs moyens . Le juge dinstruction dcida donc de son inculpation. Le 14 juin 1999 le juge dinstruction signe le rquisitoire dfinitif de renvoi devant le tribunal correctionnel et maintient le coureur cycliste Richard Virenque dans les liens de la prvention. En opposition totale avec le parquet et les dclarations de celui-ci, le juge dinstruction prend linitiative de la poursuite contre une personnalit soutenue au plus haut niveau. Le dopage systmatique et gnralis, est dnonc malgr la tolrance des pouvoirs publics son gard et lavenir de la course cycliste sacralise mis en pril par un juge. Il faut pourtant nuancer laboutissement de linstruction puisque le juge na pu aller au bout de ses convictions, frein par une pratique dintimidation oppressante et permanente. Confront des barrires invisibles mais bien prsentes, il a du renoncer chercher certaines rponses et na eu dautre choix que de commettre lerreur de sarrter dans sa qute de la vrit. Cela, non par ncessit de mettre un terme une recherche qui na plus lieu dtre mais par impossibilit technique de forcer le blocage instaur par des pairs plus puissants usant de lintimidation sur le juge dinstruction comme dune arme redoutable. Patrick Keil fait cette priode une demande de mutation pour un poste de substitut du procureur de la Rpublique Saint-Denis de la Runion, poste prestigieux au sein de la magistrature. Retenu pour cette place, il apprend le 6 juillet 2000 que le Conseil suprieur de la magistrature rend un avis dfavorable avec pour motif : non opportun . Le magistrat apprend par un collgue que le veto est venu de trs haut , et comprend peu peu que le coup port sa carrire nest pas d une quelconque insuffisance dans ses comptences mais sa position dans laffaire Festina. En effet, sopposer sa hirarchie dans une affaire sensible semble tre une erreur fatale pour tout juge dsirant progresser professionnellement. Cest en tout cas la trajectoire vcue par le juge dinstruction qui dcrit ainsi les rpercussions de sa dcision : En sollicitant des avis, japprenais que mes comptences ntaient pas en jeu. Mais que prsentement, ma nomination dans une le ntait pas opportune. Alors que je creusais ce quil fallait entendre par non opportune, il fut port ma connaissance quil sagissait trs certainement de ma prise de position dans laffaire Festina. La presse mavait dcrit comme tant indpendant, comme ayant os mopposer au parquet, comme celui par qui le scandale arrive. Or, la Runion est une le, avec un rseau de presse trs important, indpendant, et le risque tait que jarrive l-bas comme une vedette. Trs mauvais pour la future hirarchie. [] Les pressions directes et indirectes que javais subies mont pouss passer au parquet. Je me disais que, quitte ne pas tre indpendant, autant que ce soit clair, 98
mais jignorais jusqu quel point 134 . Et lorsquun journaliste dsire savoir pourquoi le dossier de laffaire Festina navait pas t pouss plus loin, le juge dinstruction de lui rpondre : Le juge ne peut instruire que si le parquet lui donne son aval. Sinon cest une cause de nullit. Dans ce cas prcis, je pense que le ministre public avait souhait que laffaire reste limite 135 . Qui commet lerreur ici ? Les juges du parquet se laissent guider vers des intrts bien trangers au droit pnal et la course cycliste du Tour de France reprsente des intrts financiers visiblement prpondrants sur la loi pnale. Or, le juge dinstruction ne peut exercer pleinement son rle dans ces conditions, vou avaliser lerreur du ministre public. Le tmoignage du juge dinstruction de laffaire Festina met en relief de faon tristement vidente les diverses pressions qui poussent irrmdiablement le juge commettre des erreurs. Les sanctions drisoires des protagonistes de laffaire Festina, la relaxe du coureur contre lequel des preuves accablantes sont apportes, lintimidation du juge charg denquter sur le dopage sont limage de lerreur du (ou de certains) magistrat(s). Dans la suite du parcours de Patrick Keil il y a dautres errements, qui ont abouti sa rvocation de la magistrature aprs son incarcration. Accus principalement davoir dtourn les pices dun dossier en cours et davoir fait preuve de complaisance pour des amendes de stationnement , il est permis de douter du vritable motif des sanctions, motif qui refuse peut- tre de dire son nom. Or, le doute sest insinu et persiste, la question restant en suspend, Patrick Keil a-t-il pay le prix dune indpendance trop grande aux yeux du corps de la magistrature ? Par lintimidation, la menace, la rcompense ou la dchance promise, le juge pnal peut tre amen mconnatre son thique et cder la stratgie de ceux qui en ont intrt. Car il faut vritablement parler dune stratgie, organise et structure ; un calcul prcis en termes de risques et de bnfices au sein duquel le juge nest quun pion dplacer. Les arguments pour len convaincre ne manquent pas et sil ose rsister, la sanction tombe sans attendre, titre dexemple et de message sans quivoque pour ses confrres. La justice est ici encore au service du pouvoir et le juge plie sous le poids des pressions exerces, jusqu se briser. La rupture mne ainsi lerreur, une erreur attendue et obtenue. En dfinitive, lerreur du juge du sige est-elle de croire une vritable libert de juger ?
134 Keil Patrick, op. cit., P. 137 et 138. 135 Keil Patrick, op. cit., P. 139 et 140. 99
SECTION II : LINTIMIDATION PAR LE JUGE Lappartenance au corps de la magistrature, parce quelle suppose une thique et une humanit indispensable, exige des hommes qui la composent, la transmission de ces valeurs travers chaque dcision prise en son nom. Le manquement de lun de ses membres ses devoirs, devoirs au cur de la profession, constitue une erreur particulirement grave. Pourtant, les drapages de quelques uns de nos juges sont de plus en plus souvent dnoncs (I) sans gnrer de raction la mesure de leur gravit (II). I Le drapage du juge pnal Il ny a plus de justice, il ny a plus que des juges 136 lorsque le processus judiciaire devient lexpression de lintimidation des justiciables par le magistrat, peu soucieux dune dontologie indispensable lexercice de telles fonctions. La contrainte ne nat pas toujours des moyens mis au service du juge pour parvenir au respect des lois pnales mais de lutilisation dtourne, force, voire injustifie de ces outils judiciaires. Juger, dcider du sort dautrui, est un pouvoir immense qui implique une conscience forte, emprunte dhumanit, des limites du rle tenir. Ds lors, sont requis du magistrat une rigueur et un sens moral aigus afin de garantir la personne juge un traitement digne dun tat de droit au sein duquel la loi est la seule rfrence valable. Or, il arrive que le juge saffranchisse de cette donne et prenne quelque aisance avec ces principes de base. Hausser le ton, menacer, taper du poing, instaurer un certain chantage ou priver de libert sans motif suffisant sont autant de comportements intolrables pour notre justice pnale, qui en est pourtant rgulirement le tmoin privilgi et la premire victime. Le juge franchit alors le seuil de la plus grave des erreurs, lutilisation de sa fonction aux fins dintimidation (A) que le scandale de laffaire dite dOutreau a dnonc et pour la premire fois, amen la justice sexcuser (B).
136 Garapon Antoine et Salas Denis, Les nouvelles sorcires de Salem/leons dOutreau, Seuil, 2006. 100
A/ Lerreur orchestre par le juge pnal Larticle 144 du Code de procdure pnale dispose clairement : La dtention provisoire ne peut tre ordonne ou prolonge que s'il est dmontr, au regard des lments prcis et circonstancis rsultant de la procdure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir l'un ou plusieurs des objectifs suivants et que ceux-ci ne sauraient tre atteints en cas de placement sous contrle judiciaire ou d'assignation rsidence avec surveillance lectronique : 1 Conserver les preuves ou les indices matriels qui sont ncessaires la manifestation de la vrit ; 2 Empcher une pression sur les tmoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ; 3 Empcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices ; 4 Protger la personne mise en examen ; 5 Garantir le maintien de la personne mise en examen la disposition de la justice ; 6 Mettre fin l'infraction ou prvenir son renouvellement ; 7 Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant l'ordre public provoqu par la gravit de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du prjudice qu'elle a caus. Ce trouble ne peut rsulter du seul retentissement mdiatique de l'affaire. Toutefois, le prsent alina n'est pas applicable en matire correctionnelle . A la lumire de cet article, la dtention provisoire se conoit comme lultime recours du juge pour protger une enqute avant son terme. En effet lexpression quelle constitue lunique moyen est lindice de son caractre exceptionnel et subsidiaire. Le contrle judiciaire et lassignation rsidence sous surveillance lectronique doivent tre privilgis par le juge imprativement, et cest seulement en cas dchec ou dimpossibilit absolue de recourir ces mesures que la privation de libert totale peut intervenir. La raison est assez vidente tant la gravit de lenfermement dune personne prsume innocente parat insupportable. Ainsi, cest larticle prliminaire du Code de procdure pnale qui lnonce en son paragraphe trois : Toute personne suspecte ou poursuivie est prsume innocente tant que sa culpabilit na pas t tablie . Une personne laquelle on accorde une innocence en sursis peut nanmoins tre emprisonne par un juge, lorsquelle encourt une peine criminelle ou une peine correctionnelle dau moins trois ans demprisonnement selon larticle 143-1 du Code de procdure pnale. 101
La dtention provisoire est, au vu du danger quelle reprsente, soumise au respect de certaines conditions, sept pour tre plus prcis, alternatives : - conserver des preuves ou des indices matriels, - empcher des pressions sur les tmoins, les victimes et leur famille, - empcher la concertation avec les co-auteurs ou complices, - protger la personne mise en examen, - faire en sorte que la personne mise en examen soit la disposition de la justice, - mettre fin linfraction ou viter son renouvellement, - mettre fin au trouble exceptionnel et persistant lordre public gnr par linfraction en matire criminelle. La dtention provisoire poursuit donc des objectifs de scurit et pour la personne mise en examen, et pour les victimes, et pour lenqute elle-mme. Mais il arrive quen labsence de tels risques, le juge y fasse recours pour des raisons bien moins avouables. Quelle menace plus grande que celle de la prison pour obtenir des aveux rapidement ? Quelle procdure moins scuritaire pour la tranquillit de lenqute ? La privation de libert devient alors un outil la puissance ingale pour faire avancer une affaire et certains juges semblent user de la manuvre de faon disproportionne. B/ Le juge pnal accabl par laffaire dOutreau Laffaire dOutreau en est un symbole malheureux, les tmoignages concernant le juge dinstruction Fabrice Burgaud et lissue du procs pnal en tant lillustration accablante. Le tout dbut de laffaire dOutreau date du 25 fvrier 2000 lorsque les trois enfants dun couple, Thierry Delay et Myriam Badaoui sont placs chez des assistantes maternelles du Conseil gnral du Pas-de-Calais. Le 5 dcembre 2000, aprs les premiers tmoignages des enfants quant aux svices sexuels subis, un signalement de lAide sociale lenfance est ralis au parquet de Boulogne-sur-Mer ; suivi le 21 dcembre de la suspension du droit de visite et dhbergement. Le volet judiciaire prend date au 4 janvier 2001 par louverture de lenqute prliminaire, suivie de linformation judiciaire au cabinet du juge F. Burgaud le 22 fvrier pour viols sur mineurs de 15 ans, agressions sexuelles sur mineur de 15 ans par ascendants, corruption de mineurs de 15 ans et proxntisme aggrav. Le couple T.Delay/M.Badaoui est ds lors mis en examen et arrt. 102
Ds le 6 mars 2001, sept personnes sont arrtes, mises en examen et places en dtention provisoire : A.Grenon, D.Delplanque, T.Dausque, R.Godard, F.Mourmand, F. et S.Lavier. Une seule personne nest pas place en dtention provisoire, K.Duchauchoix. Un grand nombre denfants de ces familles sont placs en foyer. Le 20 juin 2001, dans la crainte de la dcouverte dun rseau de pdophilie international, une commission rogatoire au Service rgional de police judiciaire de Lille est dcide, puis le 20 septembre une commission rogatoire internationale devant les autorits belges. Le 14 novembre 2001, six personnes supplmentaires sont encore places en dtention provisoire, il sagit de labb D.Wiel, P .Martel, M. et Mme Marcaux, D.Legrand pre et fils. Le 10 janvier 2002, des fouilles sont entreprises dans la ville dOutreau pour retrouver le corps dune petite fille belge, partir du tmoignage de lun des accuss dnonant le viol et le meurtre de lenfant par un membre du rseau. En fvrier 2002, deux personnes sont encore incarcres en dtention provisoire, C.Godard et D.Brunet, sur de nouvelles dclarations des enfants. Le 7 aot suivant, la fin de linformation est notifie par le juge F.Burgaud, remplac par C.Lacombe en raison de sa nomination la section antiterroriste de Paris. Les deux premires mises en libert ont lieu ce moment pour C.Godard et O.Marcaux et le 17 septembre intervient le rquisitoire dfinitif du procureur de la Rpublique. Le 13 mars 2003, suit lordonnance de rglement du juge dinstruction qui dcide de la mise en accusation des personnes poursuivies hormis mesdames Godard et Marcaux qui font lobjet dun non-lieu. Le 15 octobre, les pourvois en cassation ayant t rejets, la chambre de linstruction de la cour dappel du Pas-de-Calais renvoie les accuss devant la cour dassises de Saint-Omer. Le procs dassises commence le 4 mai 2004 pour dix-sept accuss dont seulement six comparaissent libres ; la dtention provisoire aura dur trois ans pour trois personnes, deux ans pour six autres et un an pour une dernire. Un suicide aura marqu cette privation de libert provisoire , celui de F.Mourmand, dcd en dtention le 9 juin 2002. Lors du procs, M.Badaoui dclare avoir fait de fausses accusations pour treize des accuss, huit seront librs pendant le droulement du procs. Le 2 juillet 2004, le jury dassises prononce dix condamnations et sept acquittements, six personnes font appel de la dcision et comparaissent libres lors du procs dappel, le 7 novembre 2005. Le 1 er dcembre 2005, les six accuss sont acquitts. 103
Les faits parlent deux-mmes, onze personnes innocentes dtenues pendant une trois annes, un suicide, le drame de la dtention provisoire aurait-il pu tre vit ? Comment ne pas identifier dans la mesure une erreur vidente dapprciation ? Lerreur est elle vraiment justifie par limpossibilit pour le juge de faire autrement pour protger les enfants et lenqute ou bien le rsultat dplorable dun abus dautorit et une inexprience dnoncs ? Cest le 27 aot 2001 que Myriam Badaoui accuse une liste de personnes, devant le jeune juge dinstruction Fabrice Burgaud, davoir viol ses enfants. Parmi cette numration dauteurs de viols et dagressions sexuelles issue des paroles de lun des enfants du couple, Luc, figure le mari de Myriam Badaoui, pre de trois des enfants du foyer. La mthode dinterrogatoire du magistrat sera trs certainement une erreur lorigine de nombreuses arrestations et dtentions de personnes innocentes. Ainsi est rapport cette faon de procder Le magistrat nest pas seulement rest sourd aux proclamations dinnocence dune dizaine de prvenus []. Par ses questions, il a parfois sembl suggrer certains aveux mensongers. Linterrogatoire dcisif de Myriam Delay (qui va divorcer et reprendra son nom de jeune fille, Badaoui, par la suite), le 27 aot 2001, est emblmatique de cette drive : Quest- ce que la femme de lhuissier (Odile Marcaux) a fait subir aux enfants ? demande-t-il Myriam. Un peu de tout , rpond-t-elle aussitt alors quelle ne lavait jamais mise en cause auparavant. De la mme manire, le nom du prtre-ouvrier apparat dabord dans la bouche du magistrat. Qui est labb Wiel ? demande-t-il. Myriam se contente alors dune rponse vasive o elle affirme : Il na rien fait en ma prsence. Je ne savais pas quil participait . Le juge ne revient labb que dans un deuxime temps, aprs avoir voqu dautres responsabilits : tes-vous certaine quil ny a rien eu avec labb Wiel ? . Cette fois Myriam ne manque pas la perche. Si, en fait, labb Wiel participait au rseau de pdophilie. Il a fait plein de choses avec les gosses. []En fait, je me rends compte quil faut que je vous dise maintenant tous ceux qui participaient au rseau 137 . Place dans cette situation, la personne interroge par le juge va vite comprendre, ou estimer, que les questions du juge dinstruction attendent des aveux prcis, quitte pour cela prlever dans la fiction ce que la ralit na jamais comport. Faire plaisir au juge, aller dans le sens attendu puis aller plus loin dans les dnonciations pour ne pas tre la seule coupable : tout cela semble avoir t induit par le comportement dun magistrat dj convaincu de faits imaginaires. Lengrenage est de plus en plus difficile rompre et le mensonge senvenime au fur et mesure des interrogatoires et des
137 Selon Le Monde du 25 mai 2004. 104
procs-verbaux, la mre de famille tant prise entre le souci de ne pas contredire son fils Luc et le dsir de satisfaire le juge dinstruction 138 . Que le juge prte une oreille attentive au rcit de souffrances endures par des enfants dans le cadre dune instruction, indniablement, cela parat tout fait essentiel et louable. Mais lorsque cette parole dnonce nen plus finir un grand nombre de personnes, sans autre preuve que des tmoignages, le doute ne doit-il pas intervenir comme llment dquilibre dune procdure inquisitoire, donc charge mais galement dcharge. Or, le magistrat enquteur semble avoir oubli dans cette dramatique affaire cet instrument de mesure. Il use ainsi foison de questions suggestives qui ne laissent nulle place aux incertitudes. Il faut trouver des coupables et le juge a des noms, reste obtenir de la bouche de la personne interroge le prononc de ces noms et des actes dont ils sont les auteurs prsums (voire dj assurs) souffls par le magistrat instructeur. Dans un tel contexte, les aveux deviennent le moyen de pression privilgi du juge qui pousse ainsi la personne persvrer dans linvention dun rcit pour partie cr par le juge pnal lui-mme. Voil qui fait dire labb Dominique Wiel, lun des accuss : Sur le moment, je me rjouis pour Myriam quelle soit tombe sur un juge qui lcoute quand elle parle. Bien plus tard, quand je constaterai quel point le juge Burgaud lcoute, jusqu devenir lauxiliaire dvou de ses dlires, je men rjouirai moins 139 . Outre cette accrditation sans borne des faits dnoncs, le juge F.Burgaud va mener chacun des interrogatoires sans jamais vraiment regarder la personne assise en face, les yeux dtachs et lattitude mprisante comme le signe de son indiffrence au sort des accuss. Technique dintimidation ou trait de caractre du magistrat, la rponse nest pas donne, mais le comportement produit son petit effet puisque les accuss se trouvent totalement dmunis et dsempars devant un juge qui les a dj classs dans la catgorie des coupables. Le droit nest alors plus que linstrument du juge qui utilise les sances dinterrogatoires pour entendre ce quil souhaite et non tenter de trouver la vrit dans les dires de chacun. Cest le manque de bonne foi, la malhonntet intellectuelle du juge traduite dans ses gestes et ses questions qui constituent lerreur principale. Il sagit de modeler la justice son avantage, la rsolution dune affaire dans le sens qui arrange et non celui qui demande une remise en question permanente. Le juge pnal commet alors une terrible erreur, celle de linjustice.
138 Wiel Dominique, op. cit., P. 104. 139 Wiel Dominique, op. cit., P. 101. 105
Pour exemple des procds du juge dinstruction Fabrice Burgaud, une rponse de Myriam Badaoui son avocate lors de laudience dassises du 19 mai 2004 : - Comment en tes-vous arrive donner des noms de gens que parfois vous ne connaissiez mme pas ? - Par exemple, pour Mme Godard, le juge dinstruction ma demand si cette personne tait l, jai hsit, et finalement jai dit oui. Aprs a sest enchan. Pour M.Marcaux, le juge ma dit que les enfants mettaient en cause un huissier, alors jai pens Matre Terrier, ou Matre Guillaume, qui javais eu affaire. Jai donn leurs noms. Le juge ma dit : Les enfants nont pas donn ces noms, mais celui de M.Marcaux, et les enfants ne mentent pas , alors jai confirm que ctait M. Marcaux . Lors dune confrontation entre plusieurs accuss, dont le couple lorigine de laffaire, labb Dominique Wiel entonnera la Marseillaise pour protester contre le refus du juge de le confronter Myriam Badaoui seule. Le juge ne croisera jamais son regard et se contentera de signaler au mis en examen que son attitude na pas t un obstacle la ralisation de lentretien, puis de naccorder aucune attention son refus de signer, estimant la signature du greffier suffisante. Comment le magistrat peut-il rester sans raction face de telles scnes ? Pourquoi naccorde-t-il pas davantage de crdit la dtresse des personnes mises en cause ? Et, si lon sen tient au droit seul, comment peut-il se dire satisfait dune confrontation ralise dans ces conditions ? Il est difficile de comprendre pourquoi ne pas avoir accord un entretien dabord entre deux personnes puis, dans un deuxime temps, avec lensemble des accusateurs, comme cela tait demand par plusieurs accuss. Manque de temps, manque dobjectivit, sentiment de toute-puissance : la motivation du juge dinstruction est bien difficile percevoir. Organiser des confrontations trois contre un comme un pige tendu laccus qui na plus que peu de chance de faire le poids, cela nest-il pas la marque dune partialit indigne et dune erreur intolrable dans le rle du juge ? Mais encore au-del de cette indiffrence dnue de toute humanit, le magistrat jouera de son statut pour menacer les personnes interroges, ne leur laissant pas la parole pour se dfendre. Ainsi rappellera-t-il celui qui, bahi et accul devant des accusations invraisemblables, lui dira quil est fou quil risque deux ans supplmentaires pour outrage magistrat. Le tmoignage de lune des inculpes, Roselyne Godard, en dira long sur la perception du dossier par le juge qui commence lentretien par Cest le dossier du sicle. Ou vous avouez ou vous me faites perdre mon temps 140 .
140 Amiot M., Quand la justice se trompe, Tours CLD ditions, 2005, P.245. 106
Le refus systmatique dexaminer les preuves apportes par la dfense des accuss et le rejet de largumentaire des avocats qui nont eux non plus pas voix au chapitre pendant ces interrogatoires allongent encore la longue liste des erreurs ralises : Peu peu je dcouvre avec stupfaction le fonctionnement alatoire de la justice Boulogne. Alors que dans les autres juridictions les prvenus ont les photocopies des actes dresss par le juge, ici, Boulogne, non seulement je ne peux pas en avoir communication, mais les avocats eux-mmes ne peuvent en avoir une copie. Ils sont obligs dattendre que le juge sorte de son bureau pour aller les lire ! 141 . La dtention provisoire reste la mesure dintimidation la plus grave, portant atteinte la libert, droit premier et fondamental de la personne. Motive par des considrations dordre public , elle peut parfois avoir pour unique finalit non de protger un quelconque intrt mais de contraindre le prvenu des aveux. Or, il est insupportable pour la justice de cautionner de tels actes, la mesure judiciaire perdant ainsi tout sens et toute raison dtre. Comme lexige le Code de procdure pnale, la dtention provisoire nintervient quen cas dimpossibilit absolue de mettre en uvre une mesure moins coercitive, le placement sous contrle judiciaire ou sous surveillance lectronique mobile. Dans laffaire dOutreau, devant labsence de toute autre preuve que la parole denfants relaye par des adultes, devant des grves de la faim, des cris dinnocence, un suicide ; la dtention provisoire avait-elle rellement une autre destination que celle de faire payer des prsums coupables avant mme leur procs ? Un placement sous contrle judiciaire naurait-il pas t amplement suffisant ? Comment ne pas identifier ici les drives dun magistrat tout puissant emport par sa conviction inbranlable de lissue dun procs ? Le juge sest littralement substitu au jury dassises, privant cette affaire criminelle de toute instruction : Cela les acquitts dOutreau lont dit et rpt. Tous ont vcu, en outre, la dtention comme un deal inacceptable : Jai trois ans pour instruire, vous aurez vingt ans pour rflchir lance le juge dinstruction lun des mis en examen 142 . Quant aux demandes de remise en libert, rejetes les unes aprs les autres, quel est vritablement leur impact ? Lorsquune personne dtenue avant son procs multiplie les demandes, le juge a le devoir de prter une attention particulire cette manifestation de rsistance. Il est permis de douter de lincidence de ces demandes au vu des refus systmatiques donnant lillusion dune machine judiciaire indestructible et intouchable :
141 Wiel Dominique, op. cit., P. 134. 142 Garapon Antoine et Salas Denis, op. cit., P. 105. 107
Jaccepte finalement un avocat commis doffice, qui, aprs mavoir fait comprendre que mon affaire est grave , va me donner un conseil qui me servira formidablement par la suite : Il faut que vous sachiez que vous avez le droit de dposer autant de demandes de remise en libert que vous le souhaitez. Une par jour si a vous chante. Jen dposerai cent vingt-cinq au fil des neuf-cent jours de dtention qui mattendent, sans parvenir faire exploser la machine aveugle quest linstitution judiciaire mais avec la satisfaction de lui rsister, et par l de rester vivant 143 . La dmonstration des diffrents moyens dintimidation utiliss par des juges nest pas vidente mettre en lumire, do lintrt de cette affaire dite dOutreau et lappui sur les nombreux tmoignages des acquitts, puis sur le travail de la Commission parlementaire mise en place pour en relever les dysfonctionnements. Mais si le temprament dun homme suffit pour briser des vies, que dire des deux cent soixante arrts rendus par cinquante trois magistrats diffrents venus accrditer les dcisions du juge Fabrice Burgaud ? Cet argument a dailleurs fait lobjet dune lettre du prsident de la Cour dappel de Douai destine faire pression sur le prsident de la cour dassises du Pas-De-Calais Saint-Omer, pour viter un discrdit total de la justice peu aprs la reconnaissance de son mensonge par la principale accusatrice, Myriam Badaoui. Pressions exerces par le juge sur laccus, pressions exerces sur le juge par ses pairs : lerreur rebondit de faon dangereuse sur une justice aveugle. Cette affaire dOutreau, son pilogue, permet lacquittement de treize personnes, profondment atteintes par le systme judiciaire et lacharnement dun juge dinstruction. Si le magistrat en question na pas commis derreurs techniques comme il sen dfendra plus tard, il a commis lerreur dune assurance sans limite contraire toute thique. Plus grave encore, le droit et ses principes ont t malmens par le juge, vids de leur substance. Lerreur du juge pnal devient lerreur dun juge pnal ayant perdu les valeurs fondamentales de respect ; ncessaires notre quotidien, indispensables notre justice : Linstitution judiciaire maccable, me dirai-je, mais linstitution nest pas la justice. Ce ne sont que des hommes qui ont commis un hold-up sur le mot justice. Ces hommes se trompent, et un jour la justice, quils servent si mal, leur manifestera quils sont indignes delle 144 .
143 Wiel Dominique, op. cit., P. 113 et 114. 144 Wiel Dominique, op. cit., P. 55. 108
II Linexistence de garde-fous appropris Face au drapage du magistrat, la loi, loin de prvenir le danger, le provoque. Par lutilisation de termes vagues et larges, elle offre au juge pnal le terrain propice au glissement (A). Linstance disciplinaire que reprsente le Conseil suprieur de la magistrature srige alors comme lunique barrire contre le manquement du magistrat son thique. Cette barrire ne savre en ralit que trop facile franchir, puisquune solidarit marque protge les magistrats qui comparaissent devant cette formation complaisante (B). A/ Des mots au soutien de la drive Le droit possde sa force, indiscutable, incontestable. Mais, bien souvent, il mconnat les droits inalinables de la personne. Frquemment, pour le commun des mortels, les juges apparaissent comme de grands illusionnistes, de redoutables manipulateurs de syllogismes dans laquelle toute vrit se dissout et toute justice sombre 145 . Larbitraire du juge, comme cela peut transparatre parfois travers des procds dintimidation ou dhumiliation, manquement dlibr au devoir dimpartialit, peut se trouver renforcer par des textes usant dexpressions mallables et bien trop larges pour tre conformes ce que lon attend dune rgle de droit. Lintelligibilit et laccessibilit de la loi sont pourtant des objectifs de porte constitutionnelle. La protection contre le trouble lordre public, vise au septime point de larticle 144 du Code de procdure pnale, est un motif suffisant, et largement utilise par le juge qui na en ralit pas vraiment de raison assez solide pour incarcrer la personne suspecte ou poursuivie. En effet, par ses termes vagues et trs larges lordre public permet denglober lensemble des risques, voire les plus minimes dcoulant de la libert de cette personne mise en cause. En effet, il est vident quune personne risque moins de commettre une infraction ou de senfuir derrire les murs dune prison. Lordre public est un cadre ingnieux, destin permettre au juge den ouvrir les portes lorsque des situations se seraient parfaitement contentes dun placement sous contrle judiciaire ou sous surveillance lectronique mobile. En dfinitive, le droit permet au juge de commettre une erreur en toute lgitimit, se refusant fournir un cadre strict la privation de libert de personnes non encore juges, donc prsumes innocentes.
145 Keil Patrick, op. cit., P. 146. 109
Le maintien en dtention provisoire va alors pouvoir se trouver justifi dans un certain nombre de dcisions lappui darguments inadmissibles rapports la gravit dune telle mesure. La Commission denqute parlementaire ayant pour objet denquter sur les erreurs commises lors de laffaire dOutreau afin dviter leur ritration relve ainsi plusieurs dcisions. Le juge des liberts et de la dtention, le procureur ou le juge dinstruction ont dcid du maintien en dtention parce quune personne nie toute participation aux faits en dpit des charges prcises et concordantes qui existent contre elle ou encore du fait du systme de dfense adopt 146 . Ce qui fait ensuite dire aux magistrats : Remettre en libert quelquun dans ce contexte, et t considr comme un risque social majeur 147 . Pourtant ce que lordre public a fait, lordre public peut le dfaire. Ainsi, si lenfermement des pdophiles prsums avait t considr comme la seule manire dviter le trouble lordre public, cest ce mme enfermement qui devient un trouble lordre public lorsque la justice fait volte-face lgard de ces mmes personnes, alors condamnes et en attente du procs dappel. Comparaissant libres laudience en appel, faut-il considrer que des criminels prsums sont moins dangereux que des criminels condamns ? Lordre public est alors une notion bien difficile cerner, en dehors dun intrt certain pour des erreurs lgitimer. B/ Le faible relais assur par la procdure disciplinaire Les magistrats sont indpendants afin quils puissent rendre la justice sans pression ni contrainte dun quelconque suprieur hirarchique. Nanmoins, nous lavons vu, le quotidien des prtoires ne confine pas la perfection et les erreurs sont frquentes. Le Conseil suprieur de la magistrature a t inaugur par la loi du 30 aot 1883 relative lorganisation judiciaire. Plac sous la prsidence du Prsident de la Rpublique et la vice- prsidence du garde des sceaux, il se compose de seize membres au total, neuf par formation. Ces derniers sont nomms par le chef de lEtat, directement pour deux personnalits qualifies, sur proposition du bureau de la Cour de cassation pour six magistrats, sur proposition de lassemble gnrale du Conseil dEtat pour un conseiller dEtat. Six membres sur neuf sont donc des juges, une grande majorit de la formation disciplinaire, ce qui laisse
146 Rapport fait au nom de la commission denqute charge de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans laffaire dite dOutreau et de formuler des propositions pour viter leur renouvellement, juin 2006, P.249 et sq., et Rapport Conditions du traitement judiciaire dite dOutreau de lInspection gnrale des services judiciaires, mai 2006, P.105. 147 Propos des magistrats de la chambre dinstruction de Douai. Auditions du 22 fvrier 2006. 110
penser que seul un magistrat peut juger le comportement dun autre magistrat dans lexercice de ses fonctions. Comptent lgard des magistrats du sige et des magistrats du parquet, deux formations distinctes sont nanmoins prvues au sein du Conseil suivant cette appartenance. Le premier prsident de la Cour de cassation prside la formation comptente lgard du sige alors que cest le Procureur gnral prs la Cour de cassation qui prend ce rle lgard du parquet. Dans le premier cas, sont comptents pour dnoncer les faits susceptibles de poursuite : les premiers prsidents de cour dappel ou les prsidents des tribunaux suprieurs dappel; dans le second cas : les procureurs gnraux prs des cours dappel ou les procureurs de la Rpublique prs les tribunaux suprieurs dappel. Le garde des sceaux est toujours comptent pour dnoncer ces actes illgitimes et va mme jusqu prononcer la sanction aprs avis de la formation lorsquelle est mene contre un magistrat du parquet. En dehors des fonctions consultatives et de nomination, le Conseil est en charge de la procdure disciplinaire. Ainsi, chaque fois quun juge commet une faute relevant de la discipline du corps de la magistrature, cest travers cette formation et uniquement elle que le juge est en mesure dtre sanctionn. Le Conseil dEtat est juge de cassation des dcisions du Conseil suprieur de la magistrature lorsquil statue comme conseil de discipline des magistrats du sige. Il devient juge de lexcs de pouvoir des dcisions prises dans ce mme contexte par le garde des Sceaux pour les magistrats du parquet. Cela signifie clairement que les magistrats eux-mmes peuvent se tromper lorsquils jugentdautres magistrats. Une dizaine de dcisions ou davis disciplinaires sont rendus chaque anne pour les deux formations confondues. Ce chiffre trs faible est inquitant et soulve plusieurs questions. Dabord, et au vu des nombreuses erreurs que lon peut relever, quelles sont celles que le Conseil estime relever de la discipline, donc de sa comptence ? Ensuite, peut-on vritablement croire limpartialit des juges membres de la formation ? Ils peuvent avoir certaines relations avec ces collgues fautifs ou encore craindre les retombes de leurs dcisions dans leur future carrire, de sorte que leur jugement sera certainement adouci voire attnu. Enfin, ny a-t-il vraiment quune dizaine de fautes commises par des juges dignes de sanction chaque anne ? Peut-on parler dun laxisme concert et confort ? 111
Lexamen de la jurisprudence du Conseil suprieur de la magistrature est fort intressant pour comprendre les cas dintervention de cette instance disciplinaire. Les magistrats sont-ils vritablement arrts lorsquils abusent de leur pouvoir lgard des justiciables ? Une dcision du 7 octobre 1993 sanctionne un magistrat du parquet pour un abus de pouvoir : Manque aux devoirs de son tat le magistrat du parquet qui rclame avec insistance auprs de l'un de ses collgues l'ouverture d'une information judiciaire sous une qualification criminelle suprieure celle envisage l'encontre d'un suspect entretenant des liens avec sa propre fille 148 . Cette dcision montre clairement comment, usant de pressions sur un collgue, un magistrat du parquet tente de dtourner la qualification dune instruction des fins totalement trangres laffaire. A lgard des magistrats du sige, les dcisions disciplinaires relevant des erreurs de nature intimider le justiciable sont plus nombreuses, mais elles restent relativement rares et rserves aux cas les plus graves. Ainsi dune dcision du 9 janvier 1973 : A fait preuve d'une ngligence grave dans son service le juge d'instruction qui, instruisant contre une personne inculpe d'attentat la pudeur sur un mineur de moins de quinze ans, a omis deux reprises de renouveler la dtention prventive de l'inculp ainsi que le lui prescrivait l'article 139 du Code de procdure pnale 149 . Cette omission tait-elle un acte de complaisance ou une ngligence ? Quelle que soit la rponse, lerreur du magistrat aboutit la privation de libert arbitraire de linculp. Le 24 juillet 2000 : un juge dinstruction rend public des informations confidentielles en les livrant la presse, une telle attitude peut reprsenter une mesure dintimidation pour le justiciable : Faillit sa mission et ses devoirs, le magistrat qui livre la presse ses tats d'me ou ses intentions sur la conduite d'une information qui lui a t confie en rendant public un certain nombre de commentaires sur l'affaire et notamment sur l'inculp, de telles confidences ne pouvant tre admises de la part d'un juge d'instruction, lequel ne doit communiquer avec l'extrieur que par des dcisions rendues conformment aux rgles de la procdure 150 . Le 22 mars 2002 : un juge dinstruction abuse de la dtention provisoire alors quaucune raison de ne le justifie. Le justiciable doit-il comprendre que le Code de procdure pnale ne le protge en rien du juge ? Le juge souhaite t-il obtenir par ce biais des aveux ? Manque aux devoirs de son tat le magistrat instructeur qui fait preuve, dans l'exercice de ses
148 CSM, 7 octobre 1993. 149 CSM, 9 janvier 1973. 150 CSM, 24 juillet 2000. 112
fonctions, d'une ngligence certaine, qui, du fait d'une activit trs relche, laisse en souffrance l'instruction de nombreux dossiers, omet de statuer dans les dlais prescrits sur des demandes de mises en libert qui lui ont t adresses et sur des prolongations de la dtention provisoire et fait subir un inculp une dtention abusive de plusieurs mois, alors qu'en l'absence de toute diligence, il n'avait recueilli aucune charge srieuse son encontre 151 . Le 29 octobre 2004, le magistrat, juge dinstruction, commet des fautes caractrises au regard du droit en rendant des ordonnances de non-lieu sans avoir effectu aucune recherche ni pris en considration les charges qui pesaient contre certains prvenus : Commet des fautes professionnelles graves le juge d'instruction qui obtient du procureur de la Rpublique la signature de vingt-sept rquisitoires dfinitifs dans les jours qui prcdent l'installation comme prsident du mme tribunal de grande instance de ce magistrat qui lui accordait sa totale confiance, et qui rend alors vingt-sept ordonnances de non-lieu, dont certaines n'ont t prcdes d'aucun acte d'instruction et dont d'autres ont t rendues au mpris des charges paraissant tablies l'encontre des prvenus 152 . Le 16 dcembre 2004, un juge sjourne dans un htel de luxe aux frais dune personne poursuivie, sagit-il dun change de services ? : Constitue un manquement aux devoirs de son tat et un comportement contraire l'honneur le fait, pour un magistrat, d'avoir accept que les frais d'htel exposs lors d'un sjour dans un palace d'une station balnaire aient t avancs par un tiers, inculp dans une procdure pnale en cours, mme si l'intgralit de ces frais ont t rembourss 153 . Lanalyse de ces quelques dcisions soulve quelques remarques, savoir en premier lieu le faible nombre de sanctions disciplinaires prises lgard des magistrats du parquet face aux juges du sige lorsquil sagit de lintimidation des justiciables. Cette disproportion sexplique peut-tre par la libert moins importante des magistrats du parquet, soumis leur hirarchie, elle-mme rattache lexcutif. Il est alors possible denvisager quil existe un contrle plus soutenu des dcisions et des comportements de cette branche de la magistrature, ceci en amont de la formation disciplinaire que reprsente le Conseil suprieur de la magistrature.
151 CSM, 22 mars 2002. 152 CSM, 29 octobre 2004. 153 CSM, 16 dcembre 2004. 113
Nanmoins, les poursuites contre lensemble des magistrats demeurent marginales et les sanctions trs relatives, do une certaine inquitude quant lexistence dun vritable garant de larbitraire du juge pnal. En 2008, six poursuites ont t engages sue le fond des dcisions : quatre avertissements ont t prononcs lencontre des juges du sige, un seul contre un magistrat du parquet. Concernant les interdictions temporaires, deux poursuites ont t engages, une contre un juge du sige, lautre contre un magistrat du parquet : elles ont toutes deux abouti. Deux dcisions ont t prises lgard de magistrat du sige : un dplacement doffice et une mise la retraite doffice ; deux avis ont t rendus lgard de magistrats du parquet : le constat que les faits constitutifs dune faute disciplinaire sont amnistis et le retrait des fonctions de procureur de la Rpublique avec dplacement doffice 154 . Parmi le panel des sanctions disciplinaires possibles, savoir lavertissement (blme formel), la perte des droits lis lanciennet (de deux mois deux ans), lloignement ou la destitution (lexclusion de la magistrature tant rserve au cas les plus graves) et les sanctions accessoires dans les cas particuliers (transfert doffice, privation de traitement pour violation de lobligation de rsidence), peu dentre elles sont utilises. La plus lgre, lavertissement, connat quelques applications, et linterdiction dexercer est gnralement temporaire. Le Conseil suprieur de la magistrature ne se rsout des sanctions consquentes que pour des cas exceptionnellement graves. Lefficacit de cette instance disciplinaire est donc toute relative, certainement parce quil est trs difficile pour un juge, en majorit au sein du Conseil, de dsavouer lun de ses collgues. Laffaire dOutreau a totalement branl linstitution judiciaire et le Conseil suprieur de la magistrature nen nest pas sorti indemne. Laffaire dOutreau avait donn lieu une rprimande avec inscription au dossier lgard du juge dinstruction de laffaire, Fabrice Burgaud ; alors que la direction des affaires judiciaires de la chancellerie rclamait lexclusion temporaire des fonctions pour une dure maximale dun an . Pour appuyer cette dcision somme toute lgre, le Conseil estime quil sagissait de maladresses et ne constate aucun manquement disciplinaire. Il a ensuite recours au manque de moyens matriels et humains dont disposait le jeune juge et la surcharge de travail qui laccablait pour justifier lerreur judiciaire. Lerreur du juge est indniablement difficile accepter par la justice.
154 Rapport annuel dactivit du Conseil suprieur de la magistrature pour lanne 2008, La documentation franaise, septembre 2009. 114
Suite cette catastrophe judiciaire (quil est impossible de dire sans prcdent au terme de cette tude, sauf se rfrer la reconnaissance de celle-ci par la justice), les pouvoirs publics ont mis sur pied une commission denqute parlementaire le 7 dcembre 2005. Le 6 juillet 2006, celle-ci dposait son rapport, envisageant plusieurs solutions : - ltablissement dune parit au sein du Conseil suprieur de la magistrature, - llection directe des membres du Conseil, - la ncessit dune rforme de la justice en profondeur. Le 18 juillet 2007, le Prsident de la Rpublique, Nicolas Sarkozy, cre par dcret un comit de rflexion prsid par Edouard Balladur destin moderniser les institutions .Le rapport est remis le 30 octobre suivant et suggre parmi soixante dix-sept autres propositions : - de mettre la prsidence du Conseil une personnalit indpendante, - dlargir la composition du Conseil avec une minorit de magistrats, - que le garde des Sceaux ne soit plus membre de droit, - de permettre aux justiciables de saisir le Conseil titre disciplinaire. Un texte dfinitif a t vot le 21 juillet 2008, complt par une loi organique adopte en deuxime lecture par le Snat le 27 avril 2010. La mise en uvre est prvue au 1 er janvier 2011. Il retient lensemble de ces ides : - le Prsident de la Rpublique cesse den assurer la prsidence, - le garde des Sceaux ne peut plus assister aux procdures disciplinaires, - les magistrats deviennent minoritaires (au nombre de sept), - un avocat est nomm par le Conseil national des barreaux, - six personnalits qualifies, dont deux dsignes respectivement par le Prsident de la Rpublique, le Prsident du Snat et celui de lAssemble nationale, - la saisine du Conseil suprieur de la magistrature par les justiciables. La rforme est donc de taille et louverture de cette procdure aux citoyens reprsente un profond changement dans lesprit de corps qui gouverne la magistrature. Elle sattaque par l- mme lide profondment soutenue par la profession que seuls ses pairs peuvent juger un magistrat. Lvolution de la composition du Conseil suprieur de la magistrature offre lespoir dune meilleure garantie contre le risque darbitraire des juges. 115
CONCLUSION Lessentiel du mtier de magistrat cest aimer couter, essayer de comprendre et vouloir trancher. Le juge est un dcideur, pas un homme larbitraire affirm 155 . Le juge, pilier de la culture inquisitoire, est aujourdhui sur le banc des accuss. Mais la loi du Talion na plus sa place dans une dmocratie digne de ce nom. Des erreurs sont commises, des erreurs seront ternellement commises. Il est illusoire dexiger de la justice quelle soit synonyme de perfection et plus raisonnable de lui demander den approcher au plus prs. Des magistrats humains, intgres et respectueux de la loi, voil de quoi redonner ses lettres de noblesse notre droit pnal. La justice franaise souffre de ses maux et ne peut plus tolrer les erreurs inadmissibles qui naissent et grandissent en son sein. Elle risque dsormais de devenir le reflet dun rve oubli. Comment restaurer la confiance ? Dabord, lisolement du juge sur un pidestal inaccessible est son pire ennemi : le magistrat doit accepter de descendre de son sige dor. Moins de solennit dans le quotidien des prtoires pourrait rapprocher la justice de ses citoyens. Plus concrtement, cela peut se traduire par un langage moins technique, trop loign des ralits vcues par les justiciables. Mais encore, linstauration du jury en matire correctionnelle. Certes, les jurs peuvent galement se tromper mais, assists des magistrats professionnels, ils reprsentent un groupe confrontant des opinions diffrentes. Ensuite, et parce que le risque zro nexiste pas, prvoir lenregistrement systmatique des interrogatoires semble tre une solution intressante pour prvenir larbitraire. Se sachant film, et donc surveill, le juge pnal aura plus de difficult user de lintimidation pour arriver ses fins. Une trace des aveux prononcs, et des conditions dans lesquelles ces paroles ont t obtenues, sera conserve. Une fentre sera alors ouverte sur les lieux clos que sont les bureaux des juges. Par ailleurs, apprendre aux magistrats la compassion pourrait nous prserver de certains drames judiciaires. Ecouter, nuancer, douter : trois qualits qui ne sapprennent pas seulement avec lge et lexprience. La formation dlivre aux juges a t renforce par des enseignements de psychologie, mais ces derniers restent insuffisants. Le recrutement des magistrats, ax essentiellement sur lexigence de solides comptences juridiques, devrait
155 Dclaration de Pierre Drai, prsident de la Cour de cassation, dans Le Figaro du mai du 2 mai 1996 116
sappuyer davantage sur les qualits humaines des candidats. Imaginer lassistance de services psychologiques dans le quotidien des juridictions, sans en faire un relais des instances sociales, offrirait un regard extrieur au juge pnal. Enfin, une plus grande transparence des mcanismes judiciaires et des moyens lappui de la prise de dcision, serait le signe dune humilit consentie. Des runions tout au long de lenqute, un renforcement du rle de la dfense constitueraient des contre-pouvoirs efficaces. Sur les paules du juge pnal repose lquilibre des liberts individuelles. Or, sil a le droit de plier parfois sous son poids, il a lobligation de toujours se relever. 117
Et si, linstar des grandes causes de la fin du XVIII e sicle et dun Ancien Rgime finissant, nos affaires daujourdhui signalaient leur tour un virage dcisif dans lhistoire de la dmocratie et de ses institutions ? Antoine Garapon et Denis Salas 118
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TABLE DES MATIERES INTRODUCTION5 PREMI ERE PARTI E : L'ERREUR SUBIE.10 CHAPITRE 1 Lerreur sur le droit...11 Section I L'erreur matrielle, une maladresse facilement identifiable......11 I L'tourderie du juge l'preuve de la pratique11 A L'erreur d'inattention et ses multiples manifestations.12 B L'erreur d'inattention et la ncessit de sa rectification...13 II Le retour ais du juge la logique.15 A La rectification de l'erreur opre par son auteur...15 B La correction de l'erreur tempre par des intrts suprieurs17 1 - Une saine limite apporte par l'autorit de la chose juge.17 2 - L'efficacit privilgie la lgitimit.19 Section II L'erreur intellectuelle, un raisonnement maladroit difficilement apprhendable.21 I Une rgle de droit mal interprte...21 A L'erreur intellectuelle et la qualification abuse.21 B L'erreur intellectuelle et ses formes diversifies.24 1 - L'absence de prise en compte de la situation de rcidive lgale.24 2 - Une confusion malheureuse entre lment constitutif et circonstance aggravante25 3 - La prescription et le fait justificatif ngligs..27 II L'ala dans le rtablissement de la vrit...27 A Des voies de recours plurielles et complmentaires...28 1 - La rtractation par la voie de l'opposition..28 2 - La rformation soutenue par l'appel et le pourvoi en cassation.29 3 - La place de l'erreur et son volution dans la procdure criminelle31 B L'erreur persistante soumise au juge europen...32 124
CHAPITRE II L'erreur sur les faits.35 Section I Le poids de l'erreur judiciaire sur la justice pnale35 I Chronique d'une erreur judiciaire36 A De l'enqute bcle.36 1 Des faits exploitables.36 2 Des faits exploits..37 B A la dbcle du procs41 1 L'erreur des magistrats professionnels...41 2 L'erreur des juges-citoyens43 II Le discrdit repouss par la justice.44 A Lintime conviction, une frontire insurmontable..44 B Linnocence, une vrit insaisissable..47 Section II Le rejet de l'erreur judiciaire sur la justice pnale...49 I Le recours contre l'erreur sur les faits, un parcours du combattant.....49 A Lvolution favorable du pourvoi en rvision50 1 - Le caractre exceptionnel de sa mise en uvre..51 2 - La conscration par la loi d'une jurisprudence audacieuse.53 B L'mergence d'une surveillance europenne...55 II La victime, acteur et spectateur de l'erreur sur les faits.58 A Le devoir de la victime de ne pas s'autoaccuser.58 B La faiblesse de l'institution judiciaire confronte l'irrparable.60 DEUXI EME PARTI E : L'ERREUR STRATEGIQUE63 CHAPITRE I La stratgie de la qualification .64 Section I Le dtournement du droit confort64 I La jurisprudence mallable autour de la correctionnalisation judiciaire64 A Une violation manifeste des principes constitutionnels fondamentaux65 B Des rgles de droit dnatures67 II La lgalisation contestable de la correctionnalisation judiciaire69 A Le lgislateur aux devants d'une erreur consolide70 B Le juge pnal aux commandes d'une erreur institue.71 125
Section II Le dtournement du droit pnal renforc73 I L'erreur entrine par la Cour de cassation.73 A La thorie de la peine justifie ou la lgalit oublie.73 B Des limites insuffisantes l'illgalit du procd...76 II L'erreur attnue par la jurisprudence europenne.79 CHAPITRE II La stratgie de l'intimidation.81 Section I L'intimidation du juge...81 I L'affaire du sang contamin empoisonne par le juge pnal...82 II Le poison de l'affaire Festina administr au juge pnal.92 Section II L'intimidation par le juge99 I Le drapage du juge pnal...99 A L'erreur orchestre par le juge pnal.100 B Le juge pnal accabl par l'affaire d'Outreau101 II L'inesistence de garde-fous appropris108 A Des mots au soutien de la drive..108 B Le faible relais assur par la procdure disciplinaire...109 CONCLUSION.115 BIBLIOGRAPHIE...118
Procédure Pénale - Analyse de La Réforme de La Garde À Vue Du 14 Avril 2011 Par Jonathan Quiroga-Galdo (Élu Parmi Les 10 Meilleurs Articles 2011 Sur Le Site Village-Justice)