Blyton Enid Histoires Des Ciseaux D'argent

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HISTOIRES
DES CISEAUX DARGENT
par Enid BLYTON
C'EST fte la maison quand vient Mlle
Lonie, la couturire. Sans qu'elle cesse de
mesurer, de tailler, de tirer le fil, elle raconte de
bien belles histoires.
Histoires d'enfants sages et d'enfants
mchants, qu'elle a connus peut-tre au cours de
sa longue vie.
Histoires de fes et de lutins aussi... Ceux-l,
srement Mlle Lonie ne les a jamais vus! Mais
elle a de beaux ciseaux d'argent qui ne la quittent
jamais, qu'elle ne prte personne, et qui
tranchent si facilement l'toffe... Ce sont des
ciseaux magiques, pensent les enfants. Ce sont
eux, sans doute, qui, la nuit, jouent avec les lutins
et racontent ensuite leurs aventures Mlle
Lonie...

Ce livre porte le label MINIROSE, c'est--dire qu'il


intresse les enfants ds qu'ils savent lire, et qu'il peut
aussi bien leur tre lu haute voix.

DU MME AUTEUR
dans la mme srie

dans la Bibliothque Rose


1. Bonjour les Amis !
2. Histoire de la lune bleue
3. Histoires de la boite de couleurs
4. Histoires de la cabane outils
5. Histoires de la maison de poupes
6. Histoires de la pipe en terre
7. Histoires de la ruche miel
8. Histoires de la veille Horloge
9. Histoires des ciseaux d'argent
10.
Histoires des quatre Saisons
11.
Histoires des trois loups de mer
12.
Histoires du bout du banc
13.
Histoires du cheval bascule
14.
Histoires du coffre jouets
15.
Histoires du coin du feu
16.
Histoires du fauteuil bascule
17.
Histoires du grenier de grand-mre
18.
Histoires du marchand de sable
19.
Histoires du sac malices
20.
Histoires du sapin de nol

ENID BLYTON

HISTOIRES
DES CISEAUX
DARGENT
ILLUSTRATIONS DE PATRICE HARISPE

HACHETTE

TABLE
Prologue

1.Nestor le chien de Mr. Pingre


2.Stphanie l'tourdie
3.La plume magique
4.Le petit laitier
5.Une petite fille timide
6.Une surprise pour Jean-Franois
7.Cinq fois cinq
8.La veille de nol

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MLLE LEONIE, la couturire, vient


passer la journe la maison un mercredi
sur deux. C'est elle qui fait les robes de
Catherine et de Sophie, c'est elle qui
raccommode les culottes et les chaussettes de
Thierry. Elle dit qu'il est un brise-fer.
Mlle Lonie est trs vieille. Maman dit
mme qu'elle a quarante ans. Elle a des
cheveux gris et s'habille toujours en noir.
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En arrivant, la premire chose qu'elle fait


ds qu'elle a enlev son manteau c'est de
suspendre sa ceinture la longue chane
laquelle sont attachs ses ciseaux d'argent.
Ces ciseaux d'argent sont le trsor de
Mlle Lonie, Us brillent toujours d'un vif
clat, et si elle laisse les enfants jouer avec
son mtre de couturire, son tui lunettes,
et son d, elle ne leur permet jamais de
toucher ses ciseaux!
Le jour o vient Mlle Lonie, Catherine,
Sophie et Thierry invitent leurs petits amis,
Brigitte, Agns, Patrick, Jean-Claude et
Ccile. Ils viennent couter les belles
histoires que leur raconte Mlle Lonie
pendant que les ciseaux d'argent, crac-crac
... courent dans les toffes qui se
transformeront en jolies robes ou en beaux
pantalons. Ce sont des ciseaux magiques!
Pensent, Catherine, Sophie, Thierry et leurs
amis.
Mlle Lonie sait une quantit d'histoires.

Au cours de sa longue vie, elle a connu


beaucoup de petits garons et de petites filles,
sages, turbulents, dsobissants, tourdis,
mais elle n'a srement jamais rencontr de
fes et de lutins. Ces fes et ces lutins ce sont
les amis de ses ciseaux d'argent. Ils jouent
avec eux la nuit et le lendemain racontent
Mlle Lonie les aventures de ces petits tres
invisibles et charmants.

CHAPITRE PREMIER
Nestor, le chien de Mr. Pingre
IL GELAIT pierre fendre, et Nestor, le
vieux chien de M. Pingre, tait trs
malheureux. M. Pingre ne lui permettait pas de
coucher dans la maison, il tait oblig de
dormir dehors. Nestor aurait accept sans se
plaindre

s'il avait pu se protger du froid dans le


tonneau qui lui servait de niche. Hlas! Ce
n'tait pas le cas.
Seuls, quelques brins de paille le
garnissaient, et puis, sans y faire attention, M.
Pingre l'avait tourn vers le nord. Le pauvre
Nestor grelottait toute la nuit. Il ne pouvait
mme pas aller se blottir sous une haie parce
qu'il tait attach!
Ne pourrais-je pas avoir un peu plus de
paille, mon matre? gmissait-il le matin
quand M. Pingre sortait de sa maison.
Mais si certaines personnes savent
comprendre le langage des chiens, M. Pingre
n'tait pas de celles-l. Il n'apportait donc pas
de paille son vieux chien Nestor.
Le temps devint encore plus froid, l'eau de
Nestor gela dans l'cuelle. Nestor n'y
comprenait rien. Pourquoi son eau avait-elle
chang tout coup? Pourquoi tait-elle
devenue si dure et si

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froide qu'il ne pouvait plus la laper?


Donnez-moi de la vraie eau, s'il vous
plat, mon matre , supplia-t-il, mais son
matre ne comprit pas que son eau s'tait
transforme en un bloc de glace.
Un jour, il oublia de donner manger
Nestor. Le chien attendait toujours avec
impatience sa pte chaude de midi qui
rchauffait ses vieux os. Gnralement, quand
il avait lch son cuelle, il se sentait mieux et
plus heureux pendant quelques heures.
Mais ce jour-l, pas de pte! M. Pingre
l'avait oublie... Les jappements de Nestor ne
servirent rien. Le chien eut beau gmir, son
matre ne comprit pas. La vieille dame, sa
voisine, lui jeta un os par-dessus la haie.
Nestor le rongea toute la journe, mais il tait
toujours aussi affam.
Cette nuit-l fut encore plus froide que les
prcdentes. Le vent du nord soufflait avec
violence et pntrait dans

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le tonneau du vieux chien. Nestor se


pelotonna tout au fond et essaya de rassembler
quelques vieux brins de paille. Mais il avait si
froid, si faim, si soif, qu'il ne put dormir.
Il tremblait tellement que son tonneau
remuait et craquait. Une petite fe qui se
rendait une soire entendit ce drle de bruit
et vint voir ce qui se passait.
Nestor, pourquoi secoues-tu ta niche si
fort? demanda-t-elle. Quel tapage! On l'entend
de trs loin!
Je ne le fais pas exprs, rpondit
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le vieux chien, heureux de trouver


quelqu'un qui connaissait son langage, je ne
peux pas m'en empcher. J'ai si froid que je
grelotte et c'est pour cela que je secoue ma
niche. Oooh! Je suis gel!
La fe entra dans le tonneau.
II fait l-dedans aussi froid que dehors!
dclara-t-elle, et elle mit la main sur la tte de
Nestor. Oh ! pauvre chien, on croirait toucher
un bloc de glace!
J'ai faim aussi, gmit Nestor. Je rve de
pte chaude, de pain, d'os ronger. Et puis,
j'ai soif! Je ne sais pas ce qui est arriv mon
eau. Elle est devenue dure et froide.

Elle s'est transforme en glace,


expliqua la petite fe. Nestor, je ne peux pas
supporter que tu sois si malheureux. Je ne le
peux pas! O est ton matre?
Au lit, je suppose, rpondit Nestor
en frissonnant de plus belle. Il ne comprend
pas le langage des chiens.

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Je lui ai dit, je ne sais combien de fois, que


j'avais froid, faim et soif. Je serais un peu
mieux s'il avait tourn mon tonneau du ct o
il y a moins de vent.
Je vais m'en occuper, dit la fe. Je
m'appelle Perce-Neige. Je suis invite une
soire, j'y cours. Ds que j'arriverai, je parlerai
de toi mes amies. Nous reviendrons
ensemble et nous changerons ta niche de
place. Attends-moi. Dans cinq minutes je serai
de retour.
Elle partit en courant sous le clair de lune
glac. Ses amies l'attendaient au fond d'une
petite grotte creuse dans un rocher, et elle se
dpcha de leur raconter les malheurs de
Nestor. Saisies de piti, toutes les fes
dcidrent de lui porter secours.
Guides par Perce-Neige, elles arrivrent
dans la cour de M. Pingre, emmitoufles dans
leurs manteaux bien chauds aux capuchons
multicolores, jaunes, bleus, rouges et verts.

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C'tait difficile pour de si petites fes de


dplacer le lourd tonneau bien que Nestor en
ft sorti, mais elles y arrivrent enfin. Il fut
tourn d'un autre ct. Nestor y rentra et
dclara qu'il sentait beaucoup moins le vent.
Maintenant nous allons chercher de la
paille, de l'eau et de quoi manger ,
dclarrent les fes.

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Mais malgr tous leurs efforts, elles ne


trouvrent pas un brin de paille, l'eau des
mares tait gele, et il n'y avait rien non plus
qui pt servir de nourriture un chien.
Tristement elles retournrent prs de Nestor.
Tant pis! soupira le bon chien. J'ai un
peu moins froid maintenant que le vent ne
souffle plus dans ma niche.
Entrons dans la maison, proposa la fe
Jonquille ses compagnes. Il y a srement des
couvertures et nous dcouvrirons de quoi boire
et de quoi manger pour Nestor!
Elles entrrent dans la maison qui n'tait
pas ferme clef car, avec un bon gardien
comme Nestor, M. Pingre ne craignait pas les
voleurs. Le matre du logis tait couch dans
son lit et ronflait si fort qu'il n'entendit pas les
cris des fes. Perce-Neige s'amusa le pincer
avec ses petits ongles, mais il ne sentit rien.
Que son visage a l'air mchant! dit-elle
aux autres. Il n'est pas du tout sympathique.

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Quel malheur que ce pauvre Nestor ait un


si mauvais maitre! Regardez cet dredon pais
qu'il a sur lui, et il ne donne mme pas une
poigne de paille son chien!
Prenons son dredon! s'cria la fe
Coquelicot. Vite, mes surs, tirons-le jusqu'
Nestor!
L'dredon tait pais et grand, et les fes
petites et menues, mais enfin il glissa terre. A
force de tirer et de pousser, les fes le
transportrent devant la niche de Nestor.
Voil! Voil! crirent-elles, et

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elles en envelopprent le chien qui


grelottait
Jamais je n'ai t si bien ! dclara Nestor
en se blottissant dans la douce toffe remplie
de duvet Comme c'est moelleux et chaud !
Les fes retournrent dans la maison
chercher de l'eau. Mais elles ne purent tourner
les robinets trop durs pour leurs petits doigts.
Elles ouvrirent le buffet et y trouvrent une
cruche de lait crmeux.

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Voil qui fera l'affaire , dcida Perce-Neige.


En s'y mettant plusieurs, elles russirent
porter la lourde cruche jusqu' la niche et
vidrent le lait dans lcuelle puis invitrent
Nestor venir boire.
Jamais je n'ai rien bu de meilleur !
soupira-t-il. Du lait! Mon matre ne m'en
donne jamais!
Les fes oublirent de rapporter la cruche
sa place. Elles retournrent au buffet afin d'y
chercher quelque chose manger.
II y a un pt! s'cria Perce-Neige. Et un
os de gigot avec encore beaucoup de viande
autour. Portons-les Nestor. Il sera bien
content!
S'il tut content! Il tait plus que content! Il
pouvait peine en croire ses yeux. En trois
bouches, il avala tout le pt, puis il attaqua
les restes de gigot
Que c'est bon! que c'est bon! disait-il.
Excusez-moi de parler la

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bouche pleine mais je ne peux pas m'en


empcher ! C'est si bon!
Un coq se mit chanter dans la ferme
voisine.
II nous faut partir! s'crirent les petites
fes. Au revoir, Nestor. A la nuit prochaine!
nous reviendrons voir si tu as manger et
boire. Nous ne t'oublierons pas!
Elles s'enfuirent, laissant Nestor en train de
ronger l'os du gigot Repu, le chien retourna se
blottir dans l'dredon moelleux, il s'endormit
aussitt, depuis des semaines, il n'avait eu si
chaud!
Or, les fes avaient laiss grande ouverte la
porte de la maison, ainsi que celle de la
chambre de M. Pingre. Le vent s'engouffrait
l'intrieur et M. Pingre qui n'avait plus son
dredon eut bientt froid.
Si froid qu'il cessa de ronfler et s'veilla. Il
pensa que son dredon avait gliss. Il s'assit et
alluma sa lampe car il ne faisait pas encore
jour, mais il ne le trouva pas...

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Pourtant, mon dredon est srement


tomb par terre! se dit-il
Mais il eut beau le chercher, l'dredon
resta introuvable.
O peut-il bien tre? murmura M.
Pingre. Brrr! Qu'il fait froid! D'o vient ce
vent glac?
Il dcida d'aller sa cuisine pour se faire
chauffer un peu de lait Quand il l'aurait bu, il
se sentirait mieux. Et un morceau de pt ne
lui ferait pas de mal.

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Quelle surprise de trouver la porte d'entre


grande ouverte!
Des voleurs sont-ils venus prendre mon
dredon? se demanda-t-il. Mais Nestor aurait
aboy. Qu'il fait froid! Vite, un bol de lait
chaud! O est cette cruche?
Mais la cruche de lait avait disparu comme
l'dredon! Et le pt aussi! De mme que le
gigot! M. Pingre chercha partout, tonn et
constern.
Des voleurs! Ils ont emport mon
dredon, ma cruche de lait, mes provisions! Et
ce chien qui ne m'a pas averti! Que vais-je
faire? Si je me recouche, j'aurai froid, et pour
djeuner je n'aurai qu'une miche de pain!
II ne pouvait que s'allonger sur son lit,
mourant de froid, de faim et de soif. Il enfila
son vieux pardessus mas n'eut gure plus
chaud. Alors le souvenir de son vieux chien lui
revint la mmoire.
Nestor, lui, n'avait pas de vieux pardessus;
et pas mme une poigne de paille !

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Et comme le vent devait tre froid dans la


cour, cette nuit
M. Pingre fut sur le point de descendre
pour appeler Nestor, mais il ne le fit pas.
Le matin, cependant, il alla dans la cour.
Imaginez sa surprise quand il vit le vieux
chien blotti dans son dredon!
Et prs de la niche, il aperut la cruche
vide, le plat qui avait contenu le pt et ct
l'os demi rong de son gigot.
M. Pingre resta clou sur place. Il

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rflchit Ce n'tait pas des voleurs qui


taient venus dans la nuit. Ce n'tait pas
Nestor qui avait pris l'dredon, le lait, le pt
et le reste de gigot puisqu'il tait enchan. Ce
n'tait pas non plus le gendarme du village, il
aurait rveill M. Pingre et lui aurait dit de
s'occuper un peu mieux de son chien.
Et quelqu'un avait dplac la niche pour
qu'elle ft l'abri du vent. M. Pingre se sentit
trs mal l'aise.
Qui tait entr dans sa maison la nuit et
avait pris son dredon, son lait, son pt et son
gigot pour les donner son chien? H eut honte
en se rappelant que Nestor n'avait pas de paille
et qu'il avait oubli de lui donner a manger et
boire.
II faut que je reprenne mon dredon,
expliqua-t-il Nestor. Je n'en ai pas d'autre.
II l'emporta mais il dtacha Nestor pour
que le chien pt courir o bon lui semblait

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Quand Nestor revint, l'eau de son cuelle


avait t change et une bonne pte chaude
avec de la viande et des os l'attendait
Reconnaissant, Nestor remua la queue et lcha
la main de M. Pingre. Comme tous les chiens,
il oubliait trs vite le mal qu'on lui avait fait
Nestor eut une autre surprise lorsqu'il entra
dans sa niche, elle tait remplie de paille
chaude.
C'est encore mieux qu'un dredon!
pensa-t-il, et il se fit un lit douillet dans cette
paille dore qui sentait bon.
Nestor, dit M. Pingre son vieux chien.
Nestor, coute-moi. Je ne sais pas qui fa donn
mon dredon, mon lait et mes provisions, la
nuit dernire, sans doute des fes ou des
lutins? Dis-leur que ce ne sera plus ncessaire,
parce que j'ai honte de t'avoir oubli et que
cela ne m'arrivera jamais plus. Tu comprends,
mon vieux chien?

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Bien sr, Nestor comprenait. Il remua


nergiquement la queue, lcha de nouveau la
main de son matre et aboya trs fort. Et cette
fois M. Pingre comprit le langage du chien et
sourit, ce qui ne lui arrivait pas souvent.
La fe Perce-Neige et ses amies turent bien
contentes quand elles s'en vinrent aux
nouvelles la nuit suivante et trouvrent Nestor
si bien install

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CHAPITRE II
Stphanie l'tourdie
OH! MON DIEU! J'ai oubli s'criait tout
le temps Stphanie, et elle ajoutait : Je
suis dsole. Je voulais me rappeler mais j-ai
pens autre chose.
Ce n'tait pas qu'elle et mauvaise
mmoire, mais Stphanie tait si tourdie

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die qu'elle ne pouvait fixer longtemps son


esprit sur le mme sujet. Tout le monde la
grondait Maman la grondait parce que
Stphanie avait gard plusieurs jours dans la
poche de son manteau les enveloppes timbres
qu'elle devait mettre dans la botte aux lettres.
Papa la grondait parce qu'elle avait oubli de
fermer la porte du jardin et qu'on avait vol la
bche toute neuve. Tante Jeanne la grondait
parce qu'elle l'avait charge de dire maman
qu'elle l'attendait jeudi aprs-midi et que
Stphanie avait oubli de transmettre le
message.
Et l'cole, sa matresse la grondait parce
que Stphanie oubliait sans cesse d'apporter
ses livres ou ses cahiers. Stphanie, quoi
pensez-vous donc? Quelle tourdie vous tes!
Un jour vous oublierez de vous habiller le
matin, de djeuner et de venir l'cole.
Stphanie avait huit ans. Bientt elle en
aurait neuf.

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Je voudrais inviter mes petites amies


pour mon anniversaire. Tu veux bien, maman?
demanda-t-elle sa mre. Mais quel jour estce dj? J'ai oubli la date!
Quelle tourdie! gmit Mme D-four.
Cest le 5 mars. Bien sr, tu peux inviter tes
petites amies!
D y aura un beau gteau?
Oui, promit sa mre. Et une belle
glace! Et quand tu auras neuf ans, Stphanie,
j'espre que tu seras moins tourdie et que tu
n'oublieras plus rien du tout!
Stphanie ne parlait plus que de son
anniversaire.
J'aurai un grand gteau avec neuf
bougies ross et une glace, disait-elle. J invite
toutes les petites filles de nia classe!
Le lendemain sa mre commena les
prparatifs.
J'aurai assez de travail mettre le
couvert, et prparer les jeux, dcida-t-elle.

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Nous commanderons tout chez le ptissier.


Voyons, combien serez-vous? demanda-t-elle
Stphanie.

Dix-huit, rpondit la petite fille.


Maman, peux-tu demander au ptissier de
dcorer mon gteau avec des violettes et des
ross en sucre? Et la glace pourrait-elle tre
la vanille et la fraise? Et j'aimerais bien
avoir aussi des biscuits au chocolat, des
meringues et des macarons.
Bien sr. Je vais faire la commande au
ptissier par crit et lui dire exactement ce
que je veux. Je lui demanderai de tout
livrer quatre heures, l'heure du goter.
Elle crivit donc pour commander le
gteau, la glace, les biscuits au chocolat, les
meringues et les macarons. Mme Dufour mit
la commande dans une enveloppe.
Tu la porteras toi-mme chez le ptissier.

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Un gteau avec des violettes et des ross


en sucre.
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Tu passes devant en allant l'cole, tu la


lui donneras. Je ne te donne pas d'argent. Je
paierai quand on apportera les gteaux et la
glace. Cette fois tu n'oublieras pas la
commission!
Oh non, maman! s'cria Stphanie.
Elle prit la lettre. Il pleuvait. Elle enfila
son impermable. Elle mit l'enveloppe dans sa
poche et partit.
Une de ses petites voisines, Janine Brun,
l'attendait devant la porte de son jardin. Elle
l'appela.
Stphanie, viens voir mes petits chats! Ils
sont si mignons! Je t'en donnerai un quand ils
seront plus grands. Ce sera ton cadeau
d'anniversaire.
Stphanie entra dans le hangar. Il y faisait
trs chaud, elle enleva son impermable et le
posa sur une pile de sacs, puis elle se pencha
sur les quatre petits chats pour choisir celui
qu'elle prfrait. Il y en avait un blanc, un noir

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et blanc, un tigr, le quatrime tait tout


noir. Elle les caressa puis Janine fit remarquer
que c'tait l'heure de l'cole.
Partons vite! s'cria Stphanie. Tiens le
soleil brille! Courons, sinon nous arriverons en
retard l'cole!
Et dans sa hte, elle oublia, bien sr, son
impermable dans le hangar de Janine, et dans
la poche se trouvait la commande pour le
goter d'anniversaire! Toute sa joie d'avoir
bientt un petit chat, Stphanie n'y pensa plus.
Le mercredi suivant tait le jour de son
anniversaire. Que de cadeaux elle reut! Des
livres, des jouets, des robes
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pour sa poupe. Mme Dufour avait pass


la matine prparer la table pour le goter.
Elle avait sorti du buffet ses plus jolies
assiettes et pris dans son armoire une nappe et
dix-huit serviettes ross. Stphanie l'aidait de
son mieux et se rjouissait d'avance de son
beau goter d'anniversaire.
Mais quatre heures et quart, quand
tout fut prt, le ptissier n'tait

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pas encore venu avec le gteau


d'anniversaire, la glace et les petits fours!
C'est extraordinaire! dit Mme D-four. Si
dans quelques minutes le ptissier n'est pas l,
j'envoie Marie la ptisserie.* C'est ce
qu'elle fit pendant que les enfants
commenaient par les petits sandwiches
qu'elle avait prpars.
Au bout d'un moment, Marie revint trs
tonne.
Le ptissier regrette beaucoup, annonat-elle, mais il n'a pas reu la commande! Et il
ne lui reste presque rien dans son magasin, car
demain c'est son jour de fermeture. Pour dixhuit personnes, il n'avait plus que des brioches.
Je les ai prises.
Stphanie fondit en larmes.
Maman! Un anniversaire sans gteau et
sans bougies, c'est affreux! Je ne pourrai pas
souffler mes bougies. Cet horrible ptissier a
oubli!
Mme Dufour, elle aussi, tait trs
contrarie.

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Pourtant j'ai bien crit la commande, j'en


suis sre. Oui, c'tait la semaine dernire, je
me rappelle. Qu'ai-je fait de la lettre? Ah! oui.
Je te l'ai donne pour que tu la remettes au
ptissier en allant l'cole, Stphanie.
Stphanie aussi se souvenait
Oui, c'est vrai. Alors pourquoi le
ptissier n'a-t-il pas fait le gteau et la glace?
Lui as-tu remis la lettre luimme?
Stphanie fit un effort pour rassembler ses
souvenirs.
II pleuvait Je l'ai mise dans la poche de
mon impermable. Mais je l'ai srement
donne au ptissier. Je n'aurais pas pu oublier
mon gteau d'anniversaire et ma glace!
O
est
ton
impermable?
demanda sa mre. Va le chercher.
Mais on ne put trouver nulle part
l'impermable.

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Janine qui venait d'arriver poussa une


exclamation.
Stphanie! Tu te rappelles le jour o tu es
venue voir mes petits chats? n pleuvait. Tu
avais ton impermable. Tu ne l'aurais pas
laiss dans notre hangar, par hasard?
Bien
sr
que
non!
protesta
Stphanie indigne. Je ne suis pas si tourdie.
Mais si, tu Tes, dclara sa mre. Marie,
courez chez Mme Brun et demandez-lui si
Stphanie n'aurait pas

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oubli son impermable dans le hangar.


Marie revint bientt avec l'impermable sur
son bras. Mme Dufour plongea la main dans la
poche et en retira une lettre. Elle regarda
l'adresse et reconnut sa commande au ptissier.
Elle ouvrit l'enveloppe. Oui, elle contenait la
lettre qui demandait au ptissier un beau
gteau d'anniversaire orn de violettes et de
ross en sucre avec neuf bougies, une glace
la fraise et la vanille, des meringues, des
macarons et des biscuits au chocolat...
Tu vois, Stphanie, c'est bien ta faute si tu
n'as pas de gteau d'anniversaire et de glace.
Tes amies et toi, vous vous contenterez de
sandwiches et de brioches.
Pas de gteau d'anniversaire! s'crirent
les enfants. Pas de glace! Oh! Stphanie,
comment peux-tu tre si tourdie?
Ce ne fut pas un goter trs gai

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parce que Stphanie pleura tout le temps. Ses


petites amies partirent de bonne heure,
dsappointes et de mauvaise humeur.
Stphanie s'assit dans un coin et sanglota.
Pauvre Stphanie! dit Mme D-four. Tu
auras toujours des ennuis si tu ne te guris pas
de ton tourderie.
Quel triste anniversaire! Stphanie ne
l'oubliera pas de sitt et je suis sre que ce
souvenir la gurira de son tourderie.

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CHAPITRE III
La plume magique
UN JOUR, Casimir se promenait dans les rues
de son village quand il vit une jolie plume
bleue sur le trottoir. Elle tait borde de rouge
et plut beaucoup Casimir.
C'est juste ce qu'il me faut pour

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mettre mon chapeau , pensa-t-il.


Il ramassa la plume et la piqua sur le bord
de son chapeau de feutre. Trs fier de lui, il
continua son chemin en sifflotant. Il ne savait
pas encore que cette plume tait une plume
magique qui exauait tous les souhaits!
Il passa devant la petite ptisserie de Mre
Gourmandinet. La grosse dame mettait
justement dans sa vitrine un plateau de
brioches qui sortaient du four. Ces brioches
toutes dores sentaient bien bon! Casimir
s'arrta net pour les regarder et l'eau lui vint
la bouche.
Je voudrais bien en avoir une! se dit-il.
Bien entendu, puisqu'il avait cette plume
magique son chapeau, son souhait fut
exauc! Il sentit quelque chose de chaud
.contre lui. Un peu effray, il plongea la main
dans sa poche pour voir ce que c'tait.
Il y trouva une brioche toute
chaude !

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Quelle agrable surprise! Casimir la prit et


la regarda.
Je ne sais pas d'o tu viens, toi, mais je
sais o tu vas aller! dit-il, et il mordit dans la
brioche.
Ae! elle tait encore si chaude qu'elle
lui brla la langue! Il poussa un hurlement et
Mre Gourmandin et leva la tte. Que vit-elle?
Casimir qui mangeait une de ses brioches!
Oui, on ne pouvait pas en douter. Elle fit un
rapide calcul : elle avait mis sur son plateau
vingt-quatre brioches, il y en avait bien une de
moins. Oh ! ce Casimir !
Elle sortit en courant de sa petite boutique
et l'arracha des doigts de Casimir. Il fut surpris
et fort mcontent d'tre priv de la brioche
dore dont il allait se rgaler. La mre
Gourmandin et jeta la brioche dans le ruisseau
et la pitina.
Voleur! cria-t-elle! Mauvais garnement!
Voler une de mes brioches et la manger sous
mon nez!

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Je ne l'ai pas vole! protesta Casimir. Je


vous souhaite de cuire dans votre four avec
vos gteaux, vieille sorcire!
Casimir avait toujours la plume magique
son chapeau et, en un clin d'il, Mre
Gourmandinet se trouva dans sa cuisine,
recroqueville dans le four brlant o cuisait
une autre fourne de brioches.

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Quels hurlements elle poussait! ses cris,


M. Onsime, son plus proche voisin, accourut
et la sortit aussitt du four.
Vous vouliez vous faire cuire? demandat-il. Pourquoi vous mettre dans votre four?
Pouah! Vous sentez le roussi.
C'est ce garnement de Casimir! gmit
Mre Gourmandinet en se htant de retourner
dans la rue. Il a souhait que j'aille cuire dans
mon four et j'y ai t jete. D a srement un
charme magique qui exauce ses souhaits. H
faut vite le lui enlever avant qu'il nous fasse du
mal tous.
Mre Gourmandinet et M. Onsime
fondirent sur Casimir, le saisirent par les
paules et le secourent de toutes leurs forces.
O est ton charme magique? crirent-ils.
Donne-le-nous immdiatement.
Et ils le secourent de plus belle. Les dents
de Casimir claquaient et il tait pris de vertige.

44

Je n'ai pas de charme magique,


protestait-il. Je n'en ai pas. Je n'en ai pas.
Lchez-moi. Ne me secouez pas avec vos
grosses mains ! Je voudrais que vous n'en ayez
plus et qu' leur place vous poussent des pattes
d'animaux!
Aussitt Mre Gourmandinet et M.
Onsime lchrent Casimir et, au lieu de
mains, ils avaient des pattes. Le souhait de
Casimir s'tait ralis. Tous les trois
regardaient les pattes sans en croire leurs yeux.

45

Mes souhaits sont exaucs! cria enfin


Casimir. Je ne sais ni pourquoi ni comment,
mais ils sont exaucs. Je suis puissant. Je suis
un personnage important ! Gare vous!
Souhaite que nous ayons de
nouveau des mains, se lamenta la pauvre
mre Gourmandinet. Comment pourrais-je
faire des gteaux avec des pattes? Souhaite
seulement que nos mains nous soient rendues,
gentil petit Casimir!
Bien sr que non! rpondit
Casimir. C'est bien fait pour vous. Les gens
me disent toujours des choses dsagrables,
me traitent toujours de mauvais garnement! Eh
bien, je vais me venger et bien m'amuser!
Ne vaudrait-il pas mieux pardonner et
oublier, et ne te souvenir que des gentillesses
qu'on a eues pour toi? proposa M. Onsime.
Quand on le peut, il faut faire du bien, non du
mal. Souviens-t'en, sinon tu ten repentiras!

46

Bah! s'cria Casimir. Vous dites cela


parce que vous voulez que je vous rende vos
mains. Mais je m'en garderai bien. Tiens! Voil
M. Svre. Que de coups de rgle il m'a
donns sur les doigts! Ah! nous allons bien
rire!
M. Svre s'approchait. C'tait le matre
d'cole du village, un vieil homme trs savant,
et redout des lves paresseux. Casimir
poussa un grand cri.
Bonjour, monsieur Svre. Je souhaite
qu'une grosse rgle vous poursuive et vous
oblige courir.
Aussitt une grosse rgle fit son apparition
derrire M. Svre et, pan! le frappa trs fort
M. Svre hurla et se mit a courir. La .rgle le
suivit, et quand elle le rattrapait, pan! elle le
frappait de nouveau.
Casimir sautait de joie.
Maintenant je souhaite qu'un fouet siffle
autour de sa tte! s'cria-t-il.
Le fouet arriva. Entre l fouet qui

47

sifflait autour de sa tte et la rgle qui le


poursuivait, M. Svre tait vraiment trs
malheureux.
Mre Ptronille et Pre Anselme, attirs
par le tapage, vinrent voir ce qui se passait.
Casimir les accueillit avec de bruyantes
clameurs.
Vous m'avez grond l'autre jour. Vous
allez me le payer! Parce que c'est dimanche,
vous avez vos plus beaux habits. Je souhaite
que vous soyez tremps jusqu'aux os.
Et il se mit pleuvoir sur Mre Ptronille
et Pre Anselme stupfaits.

48

En une minute, ils furent tremps


jusqu'aux os. C'tait un spectacle ahurissant,
car le ciel tait bleu et l'averse ne tombait que
sur eux, et avanait avec eux quand ils se
dplaaient
Bientt le bruit se rpandit que Casimir
possdait un charme magique et s'en servait
Tous les villageois accoururent pour jouir du
spectacle. Quand ils virent les pattes de Mre
Gourmandinet et de M. Onsime, M. Svre
poursuivi par la rgle et le fouet, Mre
Ptronille et Pre Anselme sous l'averse, ils
furent effrays.
Mets fin ces mauvaises plaisanteries,
Casimir, ordonna M. Prosper, le gendarme.
Comment oses-tu te conduire ainsi? Je vais te
mener la gendarmerie et t'enfermer en
prison.
Casimir se tordit de rire.
Je te souhaite que trois autres gendarmes
vous arrtent et vous enferment dans votre
prison.
Trois gendarmes apparurent aussitt

49

et posrent leurs grosses mains sur les


paules de M. Prosper indign. Il se dbattit et
leur chappa. Les trois gendarmes se mirent
sa poursuite. Casimir 'riait tant que des larmes
coulaient sur ses joues.
Les villageois avaient de plus en plus
peur.. Casimir possdait srement un charme
magique et s'en servait pour faire du mal. On
ne savait jusqu'o il pourrait aller...

50

Un un, ils s'clipsrent, craignant


Casimir et les mauvais tours que ce garnement
pourrait leur jouer. Casimir les vit partir et se
rjouit de la frayeur qu'il inspirait.
Revenez! cria-t-il, et une ide
merveilleuse lui vint l'esprit Revenez! Je
vais vous dire quelque chose. Je suis tirs
puissant. Je peux avoir tout ce que je veux. Je
suis le personnage le plus puissant de ce
village. Je serai votre roi.
Tu n'es pas digne d'tre roi, protesta
M. Svre qui cherchait viter le fouet qui
sifflait autour de sa tte. Un roi doit tre bon
pour ses sujets et les combler de bienfaits. Tu
ne penses qu' jouer de mauvais tours. Tu ne
seras pas roi.

Que six rgles se mettent sa


poursuite! s'cria Casimir furieux. Ah! les
voici! Ceux qui restaient gardrent le
silence. Casimir se rengorgeait et se pavanait
dans la rue.

51

Je suis votre roi! rptait-il. H me faut un


grand carrosse dor, tir par douze chevaux
noirs. Tel est mon souhait!
Une seconde plus tard, le carrosse dor
tait l, splendide, tincelant, avec un attelage
de douze chevaux noirs. Casimir y monta et
s'assit
Je souhaite un cocher et deux laquais ,
dit-il.
Il y eut un cocher sur le sige et deux
laquais derrire le carrosse.
Et maintenant, je souhaite un palais tout
en or avec mille fentres , continua Casimir.
l'bahissement des spectateurs, un beau
palais s'leva sur la colline, ses mille fentres
resplendissaient au soleil. Casimir poussa un
cri de joie.
Vous voyez! C'est ma maison. Et je suis
votre roi. Saluez votre roi! Inclinez-vous tous
jusqu' terre ou je vous transforme en
crapauds!
Tous, l'exception de M. Svre,

52

salurent trs bas. Seul M. Svre resta


droit, et la rgle lui donna un bon coup sur les
mollets. Casimir menaa du doigt M. Svre
qui venait d'apercevoir la plume sur le chapeau
de son ancien lve.
Oui, il n'y a pas le moindre doute, pensa
le matre d'cole. C'est une plume magique qui
exauce les souhaits. Mais Casimir sait-il d'o
vient son pouvoir?
Pan! Une des rgles le frappa. Il fit un
bond.
Eh l-bas, vous? cria Casimir, le doigt
tendu vers M. Svre. Saluez! Entendezvous?
M. Svre tait un homme intelligent et
une ide lui vint
Tu n'es pas roi tant que tu n'as pas un
manteau de pourpre et d'hermine et une
couronne d'or, dclara-t-il. O est ta couronne?
Je l'aurai bientt, rpliqua Casimir. Je
souhaite un habit de velours, un manteau de
pourpre et d'hermine, une couronne d'or!

53

Sa vieille veste s'envola et il fut revtu de


velours, de pourpre et d'hermine. Son vieux
chapeau s'envola et il eut sur sa tte une
couronne d'or.
Maintenant, je suis votre roi, cria
Casimir M. Svre. Saluez-moi!
M. Svre ne salua pas. Il regarda le
chapeau qui s'envolait avec la plume magique,
et devina ce qui allait se passer. Casimir
perdrait son pouvoir.
54

Quelle surprise dsagrable pour lui!


Si vous ne saluez pas tout de suite, vous
aurez des oreilles d'ne, cria Casimir fou de
rage en tendant de nouveau le doigt vers M.
Svre. Je souhaite que vous ayez deux
longues oreilles d'ne!
Mais ce souhait ne fut pas exauc. Et
soudain tout changea. Le palais resplendissant
sur la colline se perdit dans la brume, les mille
fentres disparurent. Le beauf|carrosse d'or
devint invisible et Casimir se trouva assis par
terre. Les chevaux piaffrent, hennirent, et il
n'y eut leur place que douze petites fourmis
qui se htaient de regagner, leur fourmilire.
Plus de cocher en livre, plus de laquais! plus
de chteau!
Mre Gourmandinet et M. Onsime
avaient de nouveau des mains. Les vtements
de Mre Ptronille et de Pre Anselme taient
secs. Les trois gendarmes qui poursuivaient M.
Prosper

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s'taient vanouis comme des ombres au


soleil.
Veste de velours, manteau de pourpre et
d'hermine, couronne d'or n'taient plus qu'un
souvenir. Mais les vieux vtements n'taient
pas revenus, ni le chapeau avec la plume
magique. Casimir grelottait dans sa chemise
rapice. Il ne savait que penser. La plume
avait disparu et ses souhaits n'taient plus
exaucs. H avait perdu tout son pouvoir.
O donc est pass mon charme magique?
soupira le malheureux Casimir. Il ne me reste
rien.
Mais quelque chose restait. La lourde rgle
qui avait poursuivi M. Svre n'avait pas
disparu. Elle quitta le matre d'cole, et
s'acharna contre Casimir. Pan! un coup sur la
tte! Pan! un coup sur le dos!
Assez! Assez! cria Casimir en se
sauvant.
Mais la rgle le suivit Et les

56

villageois se tordaient de rire en voyant


bondir Casimir chaque fois qu'elle le frappait.
II aurait pu souhaiter mille bonnes
choses, pensa M. Svre. Si j'avais trouv cette
plume magique, que d'heureux j'aurais faits!
Mais la plume magique avait disparu.

57

CHAPITRE IV
Le petit laitier
M BERTRAND, le pre de Frdric, avait
six vaches. Il vendait leur lait et gagnait bien
sa vie. Il avait aussi une carriole aux roues
rouges tire par un cheval noir nomm Sultan.
Tous les matins il portait au village le lait de
ses vaches.

58

Quand il n'allait pas l'cole, Frdric, qui


avait dix ans, accompagnait son pre. C'tait
lui qui versait le lait dans le pot ou la casserole
que tendaient la jeune Mme Dment, M.
Martin, la vieille Mme Thomas et les autres.
Frdric connaissait tous les clients de son
pre. Il leur disait bonjour en souriant et les
gens taient contents de le voir, car c'tait un
petit garon aimable et gai.
Il n'tait pas le seul accompagner M.
Bertrand dans la jolie carriole aux roues
rouges. Pataud, le jeune chien de berger,
apprciait aussi beaucoup ces petites
promenades matinales. C'tait le chien de
Frdric. Il tait lourd, maladroit, mais
affectueux et toujours prt jouer. Son jeune
matre ne pouvait se passer de lui.
Un jour, Frdric fabriqua une petite
carriole avec une grande caisse. M. Bertrand y
adapta de vieilles roues et il cloua une planche
pour y poser les

59

cruches de lait. C'tait, bien entendu, des


bouteilles remplies d'eau, M. Bertrand n'aurait
pas voulu prter les cruches dont il se servait!
Frdric tait en mme temps le cheval et
le laitier.
Je trotte et je galope comme Sultan,
expliquait-il Pataud. Je fais la tourne du lait
Tu entends le bruit que font mes sabots.
Maintenant je m'arrte chez la vieille Mme
Thomas. Maintenant je suis le laitier. Bonjour,

60

madame
Thomas,
un
demi-litre
aujourd'hui? Un litre? Je parie que vous voulez
faire une crme. Voici. Il fait beau, n'est-ce
pas? Merci. demain.
Et il reprenait les brancards de la petite
carriole et redevenait Sultan. Pataud le
regardait avec admiration. Quel bonheur
d'avoir un petit matre si amusant!
Un jour, Pataud eut une ide. Pourquoi ne
serait-il pas le cheval? Ne pouvait-il tirer la
carriole la place de Frdric? Bien sr que si!
Alors Frdric serait seulement le laitier. Il
marcherait ct de la carriole au lieu d'tre
tantt cheval et tantt laitier.
Et lorsque Frdric voulut commencer
jouer son jeu prfr, Pataud courut se placer
entre les brancards. En le voyant, Frdric
poussa un cri.
Pataud! Tu es le chien le plus intelligent
du monde. Tu veux tre le cheval, n'est-ce pas?
Bon, tu seras Sultan. Je vais aller chercher une
corde

61

et tatteler convenablement. Moi, je


tiendrai les rnes.
Quelques instants plus tard, Pataud tait
attach la carriole, son matre et lui faisaient
le tour du jardin en s'arrtant de temps en
temps.
Monsieur Martin, combien de lait
voulez-vous aujourd'hui? Au revoir, demain.
Madame Dumont, je regrette, je n'ai pas de
crme aujourd'hui. Demain j'aurai des ufs
tout frais pondus.

62

C'tait un jeu trs amusant. Frdric et


Pataud ne s'en lassaient jamais. Chaque fois
qu'ils montaient dans la vraie carriole, tous les
deux observaient les gestes de M. Bertrand et
gravaient ses paroles dans leur esprit pour bien
jouer le jeu.
Un jour, au dbut des vacances de Nol, un
accident malheureux se produisit. Il avait gel
pendant la nuit les routes taient couvertes de
verglas, Sultan glissa et tomba. Le laitier sauta
terre et courut l'aider se relever. Dans ses
efforts pour se redresser, le cheval lui envoya
un coup de pied sur la chevill.
Le pauvre homme eut si mal qu'il poussa
un cri et perdit l'quilibre. Des passants vinrent
son secours. M. Bertrand souffrait beaucoup
et Sultan tait bless lui aussi, il ne put
ramener son matre la maison.

63

J'irai livrer le lait dans ma petite carriole..


64

Quelle malchance! s'cria Mme


Bertrand quand on transporta son mari chez lui
et que Sultan eut regagn son curie aprs
avoir boit tout le long du chemin.
Heureusement tu avais termin la tourne.
Mais demain que ferons-nous ?
J'irai peut-tre mieux demain, Sultan
aussi, dit M. Bertrand en s'allongeant sur son
lit. Frdric t'aidera traire les vaches. C'est
un courageux petit gars. Occupe toi de Sultan.
Fais venir le vtrinaire.
Le vtrinaire dclara que le cheval devait
se reposer pendant une huitaine de jours, sinon
il resterait boiteux jusqu' la fin de ses jours.
Quant M. Bertrand, le mdecin vint le voir et
dcrta que le laitier ne devait pas bouger
pendant au moins une semaine s'il ne voulait
pas risquer de graves complications.
Qu'allons-nous faire? demanda Mme
Bertrand Frdric. Je pourrais

65

livrer le lait moi-mme si Sultan n'tait pas


bless. Mais je ne peux pas porter les cruches
toute seule, elles sont trop lourdes. Et puis, je
n'ai jamais fait la tourne et je ne connais pas
les clients.
Frdric avait les yeux fixs sur sa mre, et
son cur se mit battre trs fort. Une ide
merveilleuse lui venait l'esprit.
Maman! s'cria-t-il. Je t'aiderai traire
les vaches, papa m'a appris. Et j'irai livrer le
lait dans ma petite carriole.

66

Frdric, ne dis pas de btises! protesta


Mme Bertrand. Tu ne peux pas faire tout seul
la tourne du lait. Tu ne peux pas traner cette
carriole avec les cruches pleines. Ce serait trop
lourd !
C'est Pataud qui la tirera, expliqua
Frdric. Je l'y attelle souvent. Il fait semblant
d'tre un cheval et cela l'amuse beaucoup. Tu
l'as bien vu jouer avec moi, n'est-ce pas?
Quelles ides tu peux avoir!
s'exclama sa mre en riant. Et tu crois que tu
pourrais transporter ces lourdes cruches de lait
dans ta petite carriole?
Pas toutes, reconnut Frdric. Je ferai
plusieurs voyages.
Mais tu ne sais pas quelles maisons
ton pre s'arrte pour livrer le lait.
Bien sr que si. J'ai souvent
accompagn papa et je connais tous les clients.
Je ne vois pas pourquoi tu ne russirais
pas, aprs tout, fit remarquer

67

Mme Bertrand. Tu peux toujours essayer.


Tu serviras ceux de nos clients qui ont le plus
besoin de lait. Mme Tellier par exemple, avec
ses cinq enfants. Que leur donnerait-elle pour
leur djeuner? Nous sommes les seuls
vendre du lait dans son quartier. Et la vieille
Mme Thomas qui ne peut pas se dplacer. Et
M. Arthur qui a une maladie d'estomac et ne
boit que du lait. Ceux-l, nous ne pouvons pas
les abandonner.
Frdric tait au comble de la joie, n
courut annoncer la grande nouvelle Pataud.
.
68

Pataud, figure-toi que nous allons faire


pour de bon la tourne du lait! cria-t-il. Qu'en
dis-tu?
Pataud remua la queue, fit un petit bond et
jappa. Il tait toujours content quand il voyait
Frdric heureux.
Le lendemain matin, Mme Bertrand et
Frdric se mirent en devoir de traire les
vaches. Le lait fut vers dans les cruches
brillantes. Puis Frdric alla chercher sa
carriole et y plaa les cruches pleines. Il ne put
en mettre que quatre. Mais cela n'avait pas
d'importance. Il reviendrait en chercher
d'autres quand celles-ci seraient vides.
. Puis il attela Pataud la carriole de bois.
Le chien tait enchant d'tre un vrai cheval et
de transporter de vraies cruches de lait au lieu
de bouteilles pleines d'eau.
Au revoir, maman, tout l'heure , cria
Frdric.
Et les voil partis. Pataud sortit de la cour
de la ferme et Frdric marchait

69

ct de lui en criant Hue! Hue!


comme s'il conduisait un vrai cheval.
Ils s'arrtrent chez Mme Dumont. Elle
ouvrit la porte et poussa une exclamation de
surprise.
Je croyais qu'il n'y aurait pas de lait ce
matin, dit-elle. J'ai appris l'accident qui est
arriv ton pre. Tu es un garon courageux,
Frdric. Et tu as ta petite carriole et ton
cheval. Je prendrai un litre de lait aujourd'hui.
Voici l'argent. Dis ta maman que je la flicite
d'avoir un fils si ingnieux et si complaisant.
Frdric rougit de plaisir. Il mit l'argent
dans le petit sac de cuir que lui avait donn sa
mre. Puis il alla chez Mme Tellier. Elle
l'attendait avec anxit.
Que je suis contente de te voir, Frdric!
dit-elle. J'avais peur de ne pas avoir de lait
pour mes enfants, ce matin. Quel gentil garon
tu es! Odile, Alain, Ginette, Franois, Michel,
venez voir le

70

bel attelage de Frdric. Et apportez la


botte de biscuits pour le cheval et son
conducteur!
Les enfants accoururent. Us poussrent des
cris de joie la vue de la carriole et de Pataud.
Ce fut qui le caresserait. Le gros chien
croqua son biscuit en remuant la queue si fort
qu'il faillit faire tomber la botte de biscuits que
Ginette tendait Frdric. Le jeune garon
remercia, reut l'argent du lait et reprit son
chemin.

71

Il fit le tour de tous les clients, il les


connaissait tous et n'en oublia pas un seul.
Trois fois il retourna la ferme' pour prendre
des cruches pleines. Quand il eut tout vendu, il
donna sa mre le sac de cuir qui maintenant
pesait trs lourd. Elle compta les pices de
monnaie.
C'est bien le compte, approuva-t-elle. Je
ne savais pas que tu tais si raisonnable et si
ingnieux, Frdric. Et ce Pataud, c'est un
trsor! Je vais lui donner une bonne pte et
un gros os.
Pataud se rgala et rongea son os avec
satisfaction. En attendant le djeuner, Frdric
eut une tranche de pain d'pice et une tablette
de chocolat. Il monta dans la chambre de M.
Bertrand et lui raconta sa matine.
Merci, Frdric. Tu nous as bien aids.
J'avais peur de perdre tout le lait de cette
semaine et de mcontenter nos clients. Grce
toi et Pataud,

72

Mon accident n'aura pas de consquences


fcheuses.
Frdric et Pataud travaillrent toute la
semaine pendant que M. Bertrand et Sultan se
reposaient. Enfin le laitier et le cheval turent
compltement remis. Le lundi suivant, le
cheval fut attel la vritable carriole aux
roues rouges et M. Bertrand recommena
distribuer lui-mme son lait tandis que
Frdric reprenait le chemin de l'cole.

73

C'est moins amusant que la tourne avec


Pataud, dclara-t-il sa mre quand il revint
quatre heures.

Tu peux tre mon petit


commissionnaire, rpondit Mme Bertrand en
riant. Il faut que j'achte des cadeaux pour un
petit garon que je connais. Veux-tu aller les
choisir? Attelle Pataud la carriole, il
rapportera les paquets. Je veux que tu achtes
une botte de chocolats, un sac de berlingots,
un beau cerf-volant, un jeu de patience, puis tu
bras chez le libraire et tu choisiras un livre
d'histoires. C'est pour un garon de ton ge.
Voici l'argent.
Pour qui sont tous ces cadeaux?
demanda Frdric intrigu. Pour un de mes
cousins qui va fter son anniversaire?
Non, rpondit sa mre. Tout est pour
toi. Ton papa et moi, nous te sommes trs
reconnaissants de ton aide. Tu as bien gagn
une rcompense. Oh! j'oubliais. Achte une
balle neuve pour Pataud. Partez vite tous les
deux.

74

En un clin d'il, Frdric attela Pataud, et


tous les deux s'en allrent gaiement. Frdric
passa d'abord chez le confiseur et c'est en
croquant un gros berlingot que le chien et son
petit matre allrent au bazar choisir le cerfvolant et la balle, puis chez le libraire pour
acheter le livre dont Frdric avait envie
depuis longtemps.
C'taient des cadeaux bien mrits!

75

CHAPITRE V
Une petite fille timide
MARTINE tait une petite fille timide, si
timide qu'elle ne parvenait pas rpondre
Oui, madame , Non, madame , Merci,
madame quand les amies de sa maman
s'adressaient elle, et mme lorsqu'on lui
76

demandait si elle, aimait les gteaux, ou


quels bonbons elle prfrait, elle restait
muette.
Vous pensez peut-tre qu'elle tait stupide,
parce que vous avez la chance de ne pas tre
timide. Martine aurait bien voulu avoir plus de
courage, mais, quand elle se trouvait devant
quelqu'un qu'elle ne voyait pas tous les jours,
sa langue restait colle son palais.
Un jour, Martine alla se promener avec sa
tante Annie. Elles marchrent longtemps dans
les prs, puis sa tante Annie s'assit, le dos
appuy contre le tronc d'un pommier, pour
travailler sa broderie.
Va cueillir des fleurs, il y en a beaucoup
dans ce pr , conseilla-t-elle.
Martine s'loigna, fit un gros bouquet de
bleuets et de coquelicots et revint le montrer
sa tante.
Mais tante Annie s'tait endormie. Martine
ne voulut pas la rveiller. Elle posa son
bouquet sur l'herbe et se

77

promena dans le pr. Soudain, derrire un


grand buisson d'aubpines, elle aperut douze
personnages trs petits, pas plus grands que
ses poupes, vtus d'habits de couleurs vives et
de forme trange.
Ils marchaient, riaient et parlaient entre
eux, ils avaient de petites voix aigus qui
rappelaient le gazouillis des oiseaux.
Martine s'arrta pour les regarder. Ce
devait tre des lutins et des fes, pensa-t-elle.
Ils la virent leur tour et lui sourirent.

78

Bonjour, dit une petite fe habille de


ros. Comment f appelles-tu?
Bien entendu, Martine tait trop timide
pour rpondre. Elle rougit et ne dit rien.
Nous allons au goter d'anniversaire de
notre amie la fe Coccinelle, annona une
autre fe en robe jaune. Veux-tu voir le cadeau
que je lui apporte?
Martine mourait d'envie de voir le cadeau
qu'une fe avait choisi pour l'anniversaire
d'une autre. Qu'est-ce que cela pouvait bien
tre? Mais sa langue resta immobile dans sa
bouche.
Veux-tu nous accompagner? proposa un
lutin coiff d'un petit chapeau vert. Coccinelle
serait contente de faire ta connaissance.
Martine n'aurait pas demand mieux.
Pensez un peu! Goter avec des fes et des
lutins ! Mais elle ne rpondit pas. Etonns,
fes et lutins se mirent parler entre eux.

79

Elle ne parle pas! Elle ne dit pas un mot!


Crois-tu qu'elle ait une langue?
La pauvre petite fille! Elle ne peut pas
parler. Elle a pourtant l'air si gentille! Que
pouvons-nous faire pour elle?
As-tu une langue, petite fille? insista
la premire fe.
Martine ne rpondit pas davantage. Elle
avait tort, n'est-ce pas?
Fes et lutins se consultrent.
Nous ne pouvons pas lui donner une
langue. Elle est si grande! Il nous est
impossible d'atteindre sa bouche, constata une
fe en agitant son charpe carlate.
Regardez ses souliers! s'cria un lutin
habill de violet. Ce sont de jolis souliers
blancs, leurs bouts sont arrondis comme des
langues. Nous pouvons leur donner le don de
la parole. Alors, quand on posera des
questions cette petite fille, ce seront ses
souliers

80

qui rpondront sa place! Cela changera


tout!
Avant que Martine et eu le temps de l'en
empcher, la fe en jaune avait frott avec un
baume magique le bout de ses souliers.
Peux-tu parler maintenant, petite fille?
Et la grande surprise de Martine, une
voix monta de ses souliers, une drle de voix.
Oui merci, je peux parler, merci.
La petite fille eut si peur qu'elle

81

s'enfuit aussitt. Elle courut vers sa tante


qui ouvrit les yeux.
Tu es toute ple. Qu'as-tu? demanda
tante Annie.
Martine ne voulut pas raconter son
aventure avec les fes et les lutins et resta
muette. Mais ses souliers prirent la parole.
Je n'ai rien, tante Annie. J'ai couru un
peu vite, c'est tout.
Sa voix tonna sa tante.
Quelle drle de voix tu as! fit-elle
remarquer. Es-tu enroue? Tu as peut-tre pris
froid. Rentrons vite.
Elles retournrent la maison. Maman
recevait des amies et Martine fut appele au
salon.
Ah! voici Martine! s'cria Mme Simon.
Comment vas-tu, Martine?
Intimide, Martine ne pouvait prononcer
un mot. Mais ses souliers rpondirent
gaiement sa place.
Je vais trs bien, merci.

82

Quelle petite fille bien leve! Mais que


sa voix est rauque!
fit remarquer Mme
Lebrun. Et comment vont tes poupes?
Ma poupe Angle a une angine, Rosette
la rougeole, Delphine est tombe et elle s'est
fait mal la jambe. Je lui ai mis un pansement.
Rien de tout cela n'tait vrai et Martine avait
honte des histoires que dbitaient ses souliers
qui devenaient de plus en plus bavards.
La voix de Martine semble venir de trs
bas, on dirait qu'elle sort de ses souliers, dclara
Mme Delcourt.

83

Que vas-tu manger pour ton goter,


Martine?
Des choux la crme, des
brioches, des clairs au chocolat, plusieurs
glaces la fraise, rpondirent les souliers.
Martine, ne dis pas de btises! protesta
sa mre trs fche. Tu sais bien que tu
auras simplement une tartine de confiture. Va
la chercher la cuisine.
Ensuite,
monte
dans
ta chambre. J'aime que tu rpondes
quand on t'interroge, mais il ne faut pas
raconter d'histoires ridicules.
Martine tait furieuse contre ses souliers.
Elle alla prendre sa tartine la cuisine. Mlle
Lonie, la lingre, tait en train de goter. Elle
aimait bien Martine qui elle faisait de Jolies
robes.
O tes-vous alle vous promener avec
votre tante Annie? demanda-t-elle.
Martine tait trop timide pour rpondre,
mais ses souliers s'en chargrent.

84

Ils se mirent encore raconter n'importe


quoi !
Nous sommes alles jusqu' la ville, nous
nous sommes promenes sur les boulevards en
regardant les magasins, puis nous sommes
revenues par le bord du lac.
Allons donc ! s'cria Mlle Lonie. Il y
a des kilomtres. C'est beaucoup trop pour de
petites jambes comme les vtres.
Voyons, Martine, dit la tante Annie
qui entrait. Tu sais trs bien que nous avons
t nous promener dans les prs de la ferme
voisine. Pourquoi mens-tu ?
Martine se sentait de plus en plus fche
contre ses souliers qui racontaient maintenant
des mensonges.
La prochaine fois que quelqu'un
m'adressera la parole, je rpondrai avant eux,
se promit-elle. Comme cela, ils ne pourront
pas dbiter des stupidits.

85

Qu'as-tu mang pour ton goter?


demanda Mme Simon qu'elle rencontra en
sortant de la cuisine.
Une tartine de gele de groseille, se
hta de rpondre Martine sans laisser ses
souliers le temps de parler.
Bien rpondu, Martine, dit tante Annie.
Tiens! prends un bonbon!
Martine fut trs contente. Elle regarda ses
souliers et leur fit une petite grimace.

Martine sait srement une petite posie,


reprit Mme Simon. Voudrait-elle me la rciter?
86

Elle en a appris une l'cole, expliqua


tante Annie. Mais elle ne veut pas nous la
rciter, elle est si timide!
Martine pensa que mieux valait s'excuter
sans laisser ses souliers le temps d'inventer
une histoire abracadabrante. Elle ouvrit la
bouche et rcita la comptine sans une faute :
C'est demain dimanche
La fte ma tante,
qui balaie ses planches
Y trouv une orange,
l'pluche, la mange,
Oh! La vilaine gourmande!
Tante Annie tait stupfaite. Quand Martine
eut fini, Mme Simon applaudit.
Bravo! s'cria-t-elle. Je n'aurais jamais
cru que tu avais si bonne

mmoire. Pour te rcompenser, demain je


t'apporterai un trs joli livre.

87

Un livre pour elle! Quelle joie! Martine


pensa que c'tait une bonne ide de rpondre
quand elle tait interroge et de se montrer
polie et bien leve. C'tait agrable d'tre
rcompense par des bonbons et des cadeaux.
Elle ne permettrait pas ses souliers de dire un
mot de plus.
Et elle tint parole. A toutes les questions,
Martine se htait de rpondre, et bientt on ne
put plus l'accuser de timidit. On cessa de lui
faire des reproches. Tout le monde flicitait sa
mre d'avoir une petite fille si gentille et si
bien leve. Elle tait comble de bonbons et
de cadeaux.
Que j'tais sotte d'tre si timide, pensaitelle. C'est bien plus facile de parler. Je ne serai
plus timide et mes souliers n'auront plus
jamais l'occasion de dire un mot.
Ce fut vrai et ils taient de si

mauvaise humeur qu'ils pincrent trs fort


les pieds de Martine. Sa maman dcida de lui

88

en acheter une nouvelle paire, parce que


Martine avait grandi.
Nous les donnerons la petite nice de
Mlle Lonie, qui n'a que cinq ans. Ils sont
encore presque neufs.
Ginette, la petite nice de Mlle Lonie,
n'tait pas du tout timide, et les souliers
perdirent l'usage de la parole.

89

CHAPITRE VI
Une surprise pour Jean-Franois
JEAN-FRANOIS aimait la lecture. Il
avait toujours le nez dans un livre et trouvait
qu'il n'en avait pas assez dans sa
bibliothque...
Vraiment,
disait
sa
mre,
en
quelques heures tu dvores deux cents pages,
Jean-Franois.

90

Pour que tu sois content, il te faudrait un


livre aussi gros qu'un dictionnaire !
Il me faudrait un livre qui ne soit jamais
fini, dclara Jean-Franois. Tous les autres
sont vite lus.
Jean-Franois n'avait pas assez d'argent
pour aller souvent chez le libraire. A Nol, ses
parents et sa marraine lui donnaient des
livres. .Son parrain, ses oncles et ses tantes
prfraient les trennes utiles un cartable,
un stylo ou un pantalon Jean-Franois
faisait la grimace. Mme les bottes de
chocolats ne lui faisaient pas grand plaisir.
Pour avoir assez lire, Jean-Franois se
mit emprunter des livres ses camarades.
Prte-moi L'Ile au Trsor, demanda-t-il
Eric. Je ne l'ai pas encore lu.
A Marie-Claude, il demanda plusieurs
volumes du Clan des Sept, et elle les lui prta.
Puis il emprunta Les Trois Mousquetaires

91

Pierre et deux livres sur la nature Christophe.


Mais ces livres, il ne les rendait jamais.
D'abord, il oublia de les rendre, puis quand il
vit son tagre se remplir rapidement, il n'eut
plus le courage de se sparer de ces ouvrages
qu'il relisait souvent. Il les garda donc. Quand
ses camarades les rclamaient, il rpondait
qu'il les avait rendus depuis longtemps, ce qui
tait un gros mensonge.
Et tout ce que possdaient les autres lui
faisait envie. A Stphane, il emprunta un
ballon, Lucette un plumier. Antoine lui prta
son jeu de patience et Valrie sa gomme
neuve. Il ne rendit aucun de ces objets.
Stphane, Eric, Lucette, Antoine, Valrie,
Christophe et Pierre n'taient pas du tout
contents.
Or, une nuit, il se passa quelque chose
d'extraordinaire. Jean-Franois crut d'accord
que c'tait un rve.
Rveill en sursaut, il s'assit sur son lit,

92

croyant avoir entendu du bruit. On parlait


srement dans la chambre, du ct o il
rangeait ses jouets et ses livres.
Il sortit de son lit et tendit l'oreille. Oui, il
entendait des voix.
Ce n'est pas juste, dclara une de ces
voix. Je n'appartiens pas Jean-Franois.
J'appartiens Marie-Claude.
Moi aussi, dit une autre voix.
Et moi, Eric! s'cria une
troisime. J'ai encore son nom sur ma premire
page. Il m'aimait beaucoup et

93

il me relisait sans cesse. Et maintenant


Jean-Franois m'a pris sur son tagre. Je
n'aime pas Jean-Franois. Il ne prend pas bien
soin de moi. Il me laisse traner sur la pelouse
et il corne mes pages pour voir o il en est de
sa lecture. C'est une horrible chose pour un
livre
Nous appartenons Christophe, dirent
deux voix en mme temps. Nous tions un
cadeau de sa grand-mre pour son
anniversaire. Christophe tenait beaucoup
nous. Maintenant je suis oblig de rester ici,
et je sais que Christophe a deux places vides
dans sa petite bibliothque. Et il a besoin de
nous puisqu'il veut tre botaniste quand il sera
grand.
Partons, proposrent plusieurs voix.
Pourquoi resterions-nous ici? Descendons
l'escalier et allons la cuisine. Il y a toujours
une fentre ouverte cause du chat. Venez. Ne
restons pas une minute de plus ici. Etre des
livres

94

emprunts, ce n'est pas une situation!


Mon Dieu ! pensa Jean-Franois un peu
effray. Ce sont les livres qui parlent, qui
aurait pu croire une chose pareille!
Les livres se mirent en route, passrent sur
les pieds de Jean-Franois sans faire attention
lui, s'approchrent de la porte, la poussrent
et sortirent en se bousculant Jean-Franois
tait trop effray pour essayer de les retenir ou
pour due un mot. Ils glissrent le long de
l'escalier, traversrent le vestibule et entrrent
dans la cuisine o la fentre tait ouverte.
Puis ce fut le silence. Jean-Franois, qui
tremblait de tous ses membres, retourna se
coucher. Au bout d'un moment il s'endormit Le
lendemain matin, son rveil, il clata de rire.
Maman, annona-t-il sa mre en
djeunant J'ai fait un drle de rve cette nuit
J'ai rv que mes livres quittaient l'tagre,
descendaient

l'escalier et sortaient de la maison.


95

C'est un rve bizarre en effet ,


approuva sa mre.
Mais quand Jean-Franois remonta dans sa
chambre pour y prendre son cartable, il
s'aperut que son tagre de livres tait
dgarnie. Il n'y restait que les ouvrages qui lui
appartenaient. Les autres avaient disparu !
Jean-Franois se laissa tomber sur une
chaise, ses genoux flageolaient. Ce n'tait donc
pas un rve. Les livres taient partis. Les livres
qu'il avait emprunts s'taient rebells et
l'avaient quitt. Ils taient retourns chez leurs
lgitimes propritaires.
Humili et dsorient, Jean-Franois ne
savait que faire. Soudain ses yeux tombrent
sur le ballon de Stphane, sur le plumier de
Lucette, le jeu de patience d'Antoine, la
gomme de Valrie qui n'tait plus tout fait
neuve. Et

96

Ils glissrent le long de l'escalier


97

s'ils imitaient les livres! Ils partiraient


peut-tre en plein jour! Tout le monde les
verrait. Quelle honte pour Jean-Franois !
Il devint trs rouge. Il prit le ballon et
rassembla tous ces objets qui n'taient pas lui
et les mit dans son cartable. Pendant la
rcration, il les rendit ses camarades.
Excusez-moi de les avoir gards si
longtemps, dit-il, sans trouver de prtexte pour
expliquer ce retard.
Merci, rpondirent les
enfants
surpris. Nous pensions que tu voulais les
garder.
Et que nous ne les reverrions jamais
plus, ajouta Stphane.
Merci de m'avoir renvoy Le Clan
des Sept, Jean-Franois!
s'cria MarieClaude. J'ai trouv les livres sur mon tagre
ce matin!
Jean-Franois fut stupfait. Ainsi les livres
avaient russi grimper sur l'tagre de MarieClaude pour remplir

98

les places vides! L'Ile au Trsor d'Eric, Les


Trois Mousquetaires de Pierre et les livres de
Christophe avaient galement regagn les
tagres de leurs propritaires.
Si j'emprunte de nouveau quelque chose,
je le rendrai aussitt, pensa Jean-Franois. Je
ne m'exposerai plus pareille aventure!
Et il a tenu parole.

99

CHAPITRE VII
Cinq fois cinq
LE PETIT BLAISE n'avait pas pass une
bonne matine l'cole : le matre M. Timothy
s'tait mis fort en colre contre lui parce que
Biaise ne savait pas encore que cinq fois cinq
font vingt-cinq !

100

Cinq fois cinq font vingt-six , disait-il.


M. Timothy frappa sur son bureau avec sa
rgle.
Tu me l'as dj dit hier, Biaise.
Maintenant donne-moi la bonne rponse,
combien font cinq fois cinq?
Je suis sr que cela fait vingt-six,
rpondit Biaise avec obstination. J'en suis
certain!
Ecoute, Biaise, reprit M. Timothy.
Prends vingt-six crayons dans cette bote.
Vingt-six. Tu les as compts? Bien.
Maintenant, Biaise, si tu as raison et si cinq
fois cinq font vingt-six, tu pourras faire cinq
jolis petits tas de cinq crayons avec ces vingtsix. Il ne doit pas t'en rester.
Ce sera facile, dclara Biaise.
Si tu russis, tu seras le premier de la
classe, promit M. Timothy. Et c'est une place
que tu n'as encore jamais eue. Mais si tu ne
peux pas y arriver, j'aurai deux mots te dire!

101

Blaise se mit faire des tas de cinq


crayons. Il en fit cinq et constata qu'il lui
restait un crayon. Il recommena et, bien
entendu, malgr tous ses efforts, il ne pouvait
mettre les vingt-six crayons dans les cinq tas
de cinq. Il en avait toujours un de trop.
Tu vois! s'cria M. Timothy. Qu'est-ce
que je tavais dit? Cinq fois cinq font vingtcinq, pas vingt-six. Viens ici et tends ta main.
Pauvre Biaise! Il reut vingt-cinq coups de
rgle sur les doigts. C'tait une faon pnible
d'apprendre que cinq fois cinq font vingt-cinq.
Quand la cloche sonna, il sortit en pleurant de
l'cole.
Il retourna chez lui pour djeuner et, sur
son chemin, il trouva une petite roulotte rouge.
Ses larmes cessrent de couler. Qui habitait l?
Le matin, cette roulotte n'tait pas cet
endroit. Elle venait donc d'arriver.
Biaise monta les marches. La porte tait
ouverte, il n'y avait personne

102

l'intrieur. Sur les tagres s'alignaient des


flacons remplis de liquides de toutes les
couleurs.
Des breuvages magiques, pensa Biaise. Il
va falloir que je lise les tiquettes.
II tait en train de les dchiffrer quand
quelqu'un monta les marches et referma
bruyamment la porte. Biaise se retourna.
Il vit une petite femme aux yeux verts
tincelants.
Qui t'a permis d'entrer? demanda-t-elle.
Je suis la sorcire Gribiche et je n'aime pas les
curieux. Comment t'appelles-tu ?
Je m'appelle Biaise et je suis entr par
hasard, rpondit Biaise effray. Laissez-moi
partir. Ma mre a des charmes magiques trs
puissants. Si vous me gardiez ici, elle
prononcerait quelques mots et votre roulotte
disparatrait comme une fume disperse par
le vent.

103

Je n'ai pas peur d'elle, rpliqua


Gribiche. Je suis la sorcire la plus habile du
monde. Je peux faire tout ce que je yeux. Tu
vois ces flacons? Ils contiennent toute la
magie de la terre.
Ma mre est plus puissante que vous,
protesta Biaise tremblant de tous ses membres.
Si elle tait l, elle vous le prouverait. Je vais
aller la chercher.
Je te le dfends! Tu ne reviendrais pas
Demande-moi de me transformer, de prendre
une autre forme, celle que tu voudras. Tu
ne peux me demande? un prodige que je ne
puisse accompli!
Je suis sr que vous ne pourriez pas
devenir un chien, dit Biaise. Ce serait trop
difficile.
II se trompait. Une seconde plus tard la
sorcire avait disparu et Biaise avait devant lui
un gros bouledogue qui grondait qui le
menaait de ses crocs pointus.
Transformez-vous maintenant en
tomate !

104

se hta de crier Biaise qui pensait qu'une


tomate n'aurait pas l'air si froce. Aussitt une
grosse tomate ronde et rouge fut sur le
plancher de la roulotte. Biaise en perdit le
souffle!
La sorcire reprit sa forme.
Tu me plais, dit-elle Biaise. Je vais te
garder avec moi. Tu tireras la roulotte quand le
cheval sera fatigu.
Non, non, protesta Biaise. Je ne veux
pas. Je connais quelque chose que vous ne
pourrez pas faire, j'en suis sr.
Trs bien, j'accepte le dfi, dclara
la sorcire. Demande-moi ce que tu veux!

Avez-vous
vingt-six
crayons?
demanda Biaise.
Bien sr que non, rpondit
Gribiche. Que veux-tu que je fasse de
crayons? Je ne sais pas crire !

Des pommes de terre feront


l'affaire, je suppose , reprit Biaise.
Il avait vu sur la table un panier

105

plein de lgumes et il compta vingt-six


pommes de terre.
Vous voyez ces pommes de terre, dit-il
la sorcire. Cherchez faire cinq tas de cinq.
Je parie que vous n'y arriverez pas.
Un bb en serait capable , protesta
Gribiche.
Elle se hta de faire cinq tas de cinq
pommes de terre. Bien entendu, il en resta une.

106

Il ne faut pas qu'il y en ait une de trop,


dit Biaise. Ce n'est pas permis. Vous devez
avoir des tas de cinq pommes de terre, pas une
en plus !
La sorcire essaya comme Biaise avait fait
l'cole avec des crayons. Ne pouvant russir,
elle tricha et fit quatre tas de cinq et un de six.
Mais Biaise la surveillait de prs.
Vous tes une tricheuse! fit-il remarquer.
Vous dites que vous tes la sorcire la plus
habile du monde, allons donc! Je suis sr que
tous ces flacons ne contiennent que de l'eau
avec un peu de couleur! Je vais dire tout le
village que vous n'tes pas assez intelligente
pour...
Hors d'ici! cria Gribiche au comble de
la fureur. Va-t-en! Tu m'as jou un tour que je
ne comprends pas. File ou je vide un de mes
flacons sur ta tte et je te transforme en
hibou!
Biaise ne se le fit pas dire deux fois. La
sorcire le chassait!

107

C'tait tout ce qu'il dsirait! En un clin


d'il, il fut au bas des marches, prit sa course
et ne s'arrta que lorsqu'il fut en scurit dans
sa maison.
Heureusement que M. Timothy lui avait
prouv que cinq fois cinq ne peuvent foire
vingt-six! Il n'en voulait plus au matre de lui
avoir donn vingt-cinq coups de rgle sur les
doigts et il comprenait qu'il est toujours de
s'instruire.

108

CHAPITRE VIII
La veille de Nol
LA VEILLE de Nol, le Pre Nol
somnolait dans son grand fauteuil aprs le
djeuner. La nuit suivante serait mouvemente
et fatigante, car, dans son traneau attel de
quatre rennes, son quipage habituel, il devrait

109

parcourir la terre entire pour distribuer


des jouets aux enfants sages. Pour s'y prparer
il avait droit un peu de repos.
Soudain on frappa la porte.
Qui est l? J'ai demand qu'on ne me
drange pas , cria le Pre Nol rveill en
sursaut.
Un garon d'curie entra en coup de vent.
Pre Nol, vos rennes sont malades,
annona-t-il. Us toussent en perdre le
souffle. Il faudra que vous remettiez plus
tard la veille de Nol.
Ne dis pas de btises t protesta le Pre
Nol en se levant d'un bond. On ne peut pas
remettre plus tard la veille de Nol. Je vais
aller voir les rennes.
Mais au premier coup d'il, il se tendit
compte que les rennes n'taient pas en tat de
tirer son traneau. Ils tenaient peine debout et
toussaient fendre l'me. Le Pre Nol fut
constern.

110

Que vais-je faire? Je ne peux pas


dcevoir des millions d'enfants.
Louez un hlicoptre, conseilla le
garon d'curie. Il se posera facilement sur le
toit des maisons.
Le Pre Nol secoua la tte.
Un hlicoptre? Pourquoi pas un avion
supersonique? Je n'aime pas ces inventions
modernes. Je suis vieux jeu, moi, et je respecte
la tradition. Il me faut absolument des rennes
pour tirer mon traneau. O vais-je en trouver?
J'en ai vu au jardin d'Acclimatation,
dclara le garon d'curie qui frictionnait un
renne. Pas si beaux que les ntres, bien sr,
mais ils pourraient faire l'affaire. Il va falloir,
demander l'autorisation au gardien.
Je vais la lui demander, dcida le Pre
Nol. Appelle-le au tlphone.
Grand fut ltonnement de Prosper, le
gardien des rennes au jardin d'Acclimatation,
quand le Pre Nol lui dit son nom au
tlphone et le pria de lui

111

prter quatre rennes pendant la nuit de


Nol.
Allez vous promener I grommela Prosper
qui ne croyait pas au Pre Nol. Je n'aime pas
ce genre de plaisanterie.
Le Pre Nol se mit en colre.
Comment vous appelez-vous? demandat-il. Prosper, n'est-ce pas? Attendez une
minute. Je vais consulter mon registre. Oui, j'y
suis. Voici votre nom. Il y a vingt-cinq ans,
vous tiez un petit garon et vous habitiez une
maisonnette nomme Le Nid aux Lilas.
C'est exact?

112

Oui, c'est exact, rpondit le


gardien stupfait.
Une anne pour Nol, vous aviez envie
d'un garage avec beaucoup de petites voitures.
Vous m'avez crit une lettre pour me le
demander, continua le Pre Nol. Comme vous
tiez un enfant sage, j'ai exauc votre vu. Le
matin de Nol vous avez trouv le garage avec
beaucoup de petites voitures dans votre
chemine et des bonbons dans vos
souliers. Vous ne vous rappelez pas?
Maintenant croirez-vous au Pre Nol et me
prterez-vous vos rennes, oui ou non?
Oui, monsieur le Pre Nol! rpondit
le gardien. Il tait si ahuri qu'il se sentait prt
prter tous les animaux du jardin
d'Acclimatation, y compris les lphants et les
lions, mais le Pre Nol n'en demandait pas
tant.
Ecoutez-moi bien, reprit le Pre Nol.
Allez chercher vos rennes. Murmurez un mot
leur oreille Annimaloslipatamalikaro .

113

Vous avez saisi? Rptez-le bien. C'est


une formule magique dont tous les rennes
connaissent la signification. J'enverrai un
messager avec une peinture spciale pour leurs
sabots.
Une peinture spciale? rpta le
gardien.
Oui, expliqua le Pre Nol, pour qu'ils
puissent galoper dans les airs.

114

Je vous les renverrai ds que j'aurai fini


ma tourne.
II raccrocha et poussa un soupir de
satisfaction.
Ouf! a y est! O est Pip? Envoie-le
vite au jardin d'Acclimatation avec la peinture
pour les sabots des rennes.
Deux heures plus tard, quatre magnifiques
rennes franchirent au galop dans les airs la
distance qui sparait le jardin d'Acclimatation
du chteau du Pre Nol. Prosper les avait
bien bichonns et avait mme astiqu leurs
bois avec de la cire emprunte sa femme. Il
avait l'impression de rver en murmurant la
formule magique leurs oreilles, mais quand
les rennes l'entendirent, ils se mirent galoper
dans les airs. Prosper ne se tint plus de joie!
Je raconterai cette aventure mon petit
garon, pensa-t-il. Fanfan croira peut-tre que
j'invente mais je lui

115

affirmerai que j'ai vu partir les rennes de


mes propres yeux.
Les jouets taient dj dans le sac du Pre
Nol. Comme tous les ans, ils gmissaient et
se 'plaignaient d'tre trop serrs, mais le Pre
Nol n'coutait pas leurs jrmiades. Sans une
minute de retard, il monta dans les airs, son
traneau tir par les quatre rennes du jardin
d'Acclimatation. Les clochettes du traneau
tintaient gaiement. Et le Pre Nol donnait des
ordres.
Ho! Pas si vite! Vous allez nous heurter
aux nuages. Arrtez-vous ce toit couvert de
neige l-bas.
116

Les rennes obirent Ils taient contents et


fiers car c'tait la premire fois depuis
longtemps qu'ils avaient la permission de
galoper. Dociles, ils coutaient les conseils du
Pre Nol. Il ne leur arriva qu'un seul petit
accident ; l'un d'eux passa son sabot travers
la vitre d'une lucarne et la cassa. Les rennes du
Pre Nol n'auraient jamais fait une faute
pareille. Ils taient trop bien dresss.
Tant pis! s'cria le Pre Nol. Je vais
mettre un attirail de vitrier dans le soulier du
petit garon qui habite cette maison. Cela
l'amusera beaucoup. Ho! Ho! Votre gardien
vous a fait manger trop de lichens en prvision
de votre voyage!
Pas un seul enfant ne fut oubli, et le Pre
Nol fit sa tourne en un temps record parce
que les rennes taient pleins de zle et de
bonne volont. Enfin ils ramenrent le Pre
Nol son chteau. Il descendit du traneau,

117

fatigu, son sac vide. H caressa les rennes


et donna chacun une musette pleine de
lichens dlicieusement tendres.
Hol, Pip ! appela-t-il. Ramne-les au
jardin d'Acclimatation quand ils auront mang
et que tu les auras frictionns. Ce sont de
bonnes btes. Leur gardien peut tre fier d'eux.
Arrte-toi en passant devant la maison de
Prosper et glisse ce jouet dans la chemine
pour qu'il tombe dans les souliers de son petit
garon. Je n'y ai pas pens tout l'heure.
II tendit son serviteur un petit traneau en
bois tran par des rennes avec, sur le sige, un
petit personnage habill en Pre Nol.
N'oublie pas d'enlever la peinture de
leurs sabots ! recommanda-t-. Je ne voudrais
pas que ces rennes s'lvent tout coup dans
le ciel au jardin d'Acclimatation. Mais je
suppose que le directeur gagnerait beaucoup
d'argent en permettant aux enfants de prendre

118

des baptmes de l'air. Va vite ramener les


rennes au jardin d'Acclimatation. Pip obit
aux ordres de son matre, et avant de retourner
au chteau il glissa dans la chemine du
gardien le joli cadeau destin son petit
garon.

119

Enid Blyton

120

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