Paysage Au Pluriel
Paysage Au Pluriel
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PROYECTO
FONDECYT 1120857
CAHER 9
PAYSAGE
AU PLURIEL
Pour une approche ethnologique
des paysages
Sommaire
Paysage au pluriel: pour une approche ethnologique des paysages / [av.-pr. de Claudie Voisenat et Patrice Notteghern]. Paris: d. de la Maison des sciences de i'homme, 1995. - XVI240 p. : il]. ;23 cm. - (Collection Ethnologie de la France, ISSN 07585888. Cahier ; 9).
Bibliogr. p. XV-XVI. Notes bibliogr. - ISBN 2-7351-0684-5
v II
Les auteurs
IX
Remerciements
Avant-propos par CLAUDEVOISENAT
et PATRICE
N O ~ G H E M XI
xv
Slection bibliographique rkcente
Terrains d'enqute
XVII
1
Modles et variantes
1. Ethnologie et paysage, GRARDLWCLUD
2. Modles et reprksentations du paysage en NormandieMaine, NATHALIECADIOU,
YVESLUGLNB~HL
3. L'Aubrac, du haut lieu au non-lieu touristique ?
Copyright 1995
Ministre de la Culture
Mission du Patrimoine ethnologique
Imprim en France
MARTYNE
~ R R O T ,ISABELLEMAGOS
4. Anamorphoses du Bernica. Lieu et paysage 3 l'le de la
Runion, JEAN-LUC
BONNIOL
5. Le paysage dans notre patrimoine scolaire, ALAINMAZAS
6 . K La Loire prend sa source ... >> Le site du Mont Gerbier-deJonc en Ardche, MARTINDE LA S O U D ~ R E
7. Devenir le paysage. La clart pour les Zafimaniry,
Premire de couverture
Nicolas de Stal, Gentilly, 1952 *
Peinture l'huile sur carton, 38 x 55 cm
Galerie D. Malingue, Paris
(0 ADAGP, Paris 1994)
Tous droits rservs
MAURICE
BLOCH
19
35
49
65
77
89
ll
Responsable de la collection
Christine Langlois
Mission du Patrimoine ethnologique
Ir'
-.
4
L..
7I
t3
105
115
123
VI
SOMMAIRE
Les auteurs
III
La fabrique des paysages
14. Espace rural, paysage et patrimoine. Les terrasses de Blesle
en Auvergne, BRUNO
YTHIER
15. Un village se penche sur son paysage, JACQUES
CLOAREC
16. Enqute sur un trange succs : l'analyse paysagre dans
le massif de Belledonne, JOSETE DEBROUX
17. Quelques avatars de la recherche sur le paysage,
YVESLUGINRUHL
185
195
209
219
24 1
BERGUES
MARTINE,
Ethnologue, Paris
BLOCHMAURICE,
Professeur d'anthropologie, London School of Economics, Londres
BONMOL
JEAN-LUC,
Professeur d'ethnologie, Universit Aix-Marseille In
BOUJOT
CORINNE,
Ethnologue, Paris
CADIOU
NATHALIE,
Ethnologue, Paris
CLOAREC
JACQUES,
Matre de confrences, EHESS (cole des hautes
tudes en sciences sociales), Paris
COANUS
THIERRY,Enseignant-chercheur, Laboratoire RIVES (Recherches interdisciplinaires ville-espace-socit), ENTPE (cole nationale
des travaux publics de l'tat), Lyon
DEBROUX
JOSETE, Matre de confrences, Universit Lumire, Lyon n
DUBOSLFRANOISE,
Directeur de recherche CNRS, Centre de sociologie
des arts, Paris
EPSTEIN
JUDITH,Professeur l'cole d'architecture de paysage, Universit de Montral, Qubec, Canada
FORTERAGNS,Matre de confrences, Universit d'Amiens
LENCLUD
GRARD,Directeur de recherche CNRS, Laboratoire d'anthropologie sociale, Paris
LEET BERNADETTE,
Charge de recherche au CNRS,
Musum national
d'Histoire naturelle, APSONAT (Appropriation et socialisation de la
nature), Paris
LUGINBUHL
YVES,Directeur de recherche CNRS, Laboratoire STRATES
(Stratgies temtoriales et dynamiques des espaces), Paris
MAGOSISABELLE,
Gographe, photographe, Pans
MAZASALAIN,Paysagiste, Atelier rgional de paysage et d'architecture de l'environnement de Versailles
NOITEGHEMPATRICE,Conservateur du Patrimoine, Directeur de l7comuse du Creusot-Montceau
BRROT
MARTYNE,Charge de recherche CNRS, CETSAH (Centre
d'tudes transdiscjplinaires sociologie-anthropologie-histoire), Paris
VU1
LES AUTEURS
JEAN-FRANOIS,
Matre de confrences, Universit de Bretagne
occidentale
SOUDTREMARTLN
DE LA, Charg de recherche CNRS, CETSAH (Centre
d'tudes transdisciplinaires sociologie-anthropologie-histoire), Paris
VOISENAT
CJAUDIE,Charge de mission, mission du Patrimoine ethnologique, Paris
YTH~ER
BRUNO,Ethnologue, Clermont-Ferrand
SWON
Remerciements
REMERCIEMENTS
Personne ne s'tonnera que mes remerciements les plus chaleureux aillent FRANOISE
DUBOST,
BERNADETTE
LIZETet MARTINDE LA
SOUD&RE.
FRANOISEet BERNADETTE,
qui ont accept de se livrer dans cet
ouvrage au difficile exercice de la synthse, ce qui leur revenait de
droit puisqu'elles ont inlassablement soutenu l'effort de ce travail en
commun, faisant, lors des runions, rebondir la pense des uns sur
celle des autres, nous alimentant de leurs expriences, tissant les
cohrences, avec cette intelligence la fois rigoureuse et foisonnante,
et cette dlicatesse que nous leur connaissons tous.
MARTIN,
enfin, dont j'ai pu apprcier l'indfectible et indispensable soutien, tout au long de ce programme, jusque dans la relecture
des textes des articles, travail ingrat devenu, grce lui, plaisir de
l'change intellectuel.
Avant-propos
XII
Revues
<< Au-dela du paysage moderne , Le Dbat, no 65, mai-aot 1991.
<< Crise du paysage ? D, Ethnologie franaise, t. 19, juillet-septembre
198913.
XVI
BIBLIOGRAPHE RCENTE
Terrains d'enqute
Filmographie
Jean-Loc Portron et Pierre Zucca, N Paysages , srie documentaire
en 5 parties :
1. Fos-sur-Mer
2. Bierre-ls-Semur
3. Treis Karden (Allemagne)
4. Porte de Bagnolet
5. Campello Alto (Italie)
JBA Productions/Arte, vido, 5 x 26 mn.
Jean-Loc Portron, << Enqute sur un paysage tranquille : le Mzenc
P ~ O ~ U C ~ ~ O vido,
~S/JN
33Amn.
,
JBA
Modles et variantes
Grard Lenclud
L'ethnologie et le paysage
Questions sans rponses '
1.
G. LENCLUD
La notion de paysage
Commenons par quelques rflexions triviales sur la notion de paysage et donc, ainsi qu'il est de bonne mthode, sur le terme lui-mme
et ses usages. Le mot paysage, comme il a t mille fois rpt,
exprime un concept qui renvoie, dans les emplois ordinaires du langage, (au moins) deux niveaux de ralit, logiquement distincts
mais de fait indissociables.
Il renvoie, en premier lieu, une ralit objective >> : le paysage
est d'abord, ontologiquement si je puis dire, une tendue d'espace
offerte Ci l'il mais qui, dans sa matrialit, prexiste au regard susceptible de l'embrasser. Ceci sans prjuger de la dimension de cette
tendue d'espace (21 la condition nanmoins qu'un il puisse la capturer dans son champ de vision), ni de la marque imprime par
l'homme sur cette portion de la surface terrestre (puisque l'on voque
aussi bien un paysage de dunes au Sahara ou un paysage marin vu
d'une falaise qu'un paysage agraire, infiniment travaill, ou aujourd'hui un paysage urbain, sommet de l'artifice). Un paysage peut tre
dit naturel (au sens seulement o il ne doit rien l'homme sinon et c'est capital - d'tre vu), amnag, fabriqu. Dans tous les cas, la
notion renvoie un support pour la perception. C'est sa face matrielle ou sensible : dans tout paysage, il y a un site ou un pays, des
lments constitutifs >> dont on peut faire l'analyse.
Mais il renvoie, en mme temps, une ralit K subjective B. Un
paysage, dans l'usage normal du mot, n'est constitu comme paysage
que par le regard qui s'attache lui. Pas de paysage sans observateur ;
il faut qu'un site soit w pour tre dit paysage. Un paysage n'a aucune
identit hors du mouvement d'une perception, d'une perception qui
part d'un point de vue (qui ne saurait tre, videmment, celui de Dieu
ou de la troisime personne). Le paysage est un lieu, mais un lieu
isol par le regard ; un site, mais un site contempl ; un espace, mais
un espace cadr ;un donn, mais un donn reconstruit par une analyse
visuelle ; une dcoupe du monde, mais une dcoupe signifiante. Un
L'ETHNOLOGIE ET LE PAYSAGE
3.
Jauss oppose utilement l'effet d'une uvre, restant dtermin6 par elle et subi par
qui la rqoit et la rkceptiora qui est le fait d'un destinataire actif et Libre.
La mise en forme de ces remarques rapides doit beaucoup A la notion d'enaction
cognitive mise en avant par F. Varela, E. Thompson et E. Rosch dans leur ouvrage,
L'inscription corporelle de l'esprir. 1993.
G. LENCLUD
entre eux) forment un tout dont le rsultat est que, pour cet obserateur, cette colline est un paysage.
Voil qui m'amne faire tout de suite trois remarques, un peu
ans le dsordre, quitte y revenir par la suite. La premire est celle: ds lors qu'on s'arrte sur son sens au lieu de l'utiliser au gr de
parole ou de la plume, le mot paysage est bien un mot-problme.
signale une catgorie de pense qui est culturellement, historiqueent, dtermine. Ici, en France, cette catgorie renvoie la rencontre
cessaire entre un objet du monde et sa captation par l'esprit, caption qui transforme cet objet ou, plus exactement, lui donne sa
nsistance. Rien n'autorise imaginer que la catgorie de paysage
rait ncessairement un quivalent, fonctionnant de la mme mare, dans d'autres socits et cultures. Je ne veux pas dire par l
'avant que le mot paysage ne fasse son cntre dans la langue au
vf sicle, p o u dsigner une uvre picturale reprsentant une vue
amptre ou un jardin, les habitants des provinces franaises ne
isaient pas halte devant un site et n'prouvaient pas, face ce site,
elques-uns des tats intrieurs que nous associons spontanbment
reconnaissance d'un paysage. Tout ce qu'un homme sait du
onde ou ressent face lui ne figure pas dans les entres du dictionire de sa langue. Je pense seulement qu'en l'absence de cette Cagorie les attitudes ou les sentiments face au spectacle de lieux ne
nstruisent pas I'hornologue de cette chose, n'allant nullement de
i, que nous appelons un paysage. Qui n'a pas, stockee dans ses
hiers mentaux, l'image strkotype (ou le modle) du paysagebleau (la reprsentation du paysage) et ne possde pas la capacit,
i en rsulte, de << glisser >> le concept dans la pcrception d'un morau d'espace, ne paysage pas, proprement parler, un lieu.
Ma seconde remarque est la suivante : le concept exprim par le
ot paysage dans la culture occidentale moderne, soit la promotion
un fragment du monde sensible, sous l'effet d'un regard inentaleent guid, en un signe d'un type particulier, n'est finalement qu'un
s particulier d'une formule assez geiidrale. Cet objet que nous aplons paysage n'est pas le seul qui exige, pour accder au rang de
alit, d'avoir t trait par un mil et donc recr. Certes la colline
nt j'ai parl plus haut existe bien d'une faon autonome par rapport
regard qui se pose sur elle ; iI est difficile de ne pas en faire le
ri ! Mais qui est en mesure de dire ce qu'elle est dans sa factualit
ute, non regarde, indpendamment d'un schme conceptuel fixant
nventionnellement, mais pas arbitrairement, ce qu'il y a -justement
de factuel en elle et qui serait suppos chapper l'action dfor-
L'ETHNOLOGIE ET LE PAYSAGE
mante de tout regard ? Sous quelle forme existe cette colline avant
qu'aucun il humain ne l'ait contemple ? Bien malin qui pourrait
rpondre ! 11 faut donc dire : sous aucune forme. Tout support pour
la perception est dj peru ; aucune ralit n'est l qui ne soit dj
interprte. Le schme conceptuel qui paysage la colline n'est qu'un
parmi cent autres possibles.
Retournons au problme du paysage l'occasion de notre troisime remarque. De ce qui prcde, il parat logique d'infrer que
tout espace est potentiellement paysage ou, plus exactement, pluralit
de paysages virtuels. Autant dire que rien, en soi, n'est paysage.
Supposons qu'A l'occasion d'une enqute dans un village je me pose
la question de savoir quelle est, selon une expression consacre, la
relation des habitants de ce village avec leur(s) paysage(s). E n toute
rigueur, cette question doit tre ainsi formule : quelle est la relation
entretenue par ces gens avec le rapport qu'ils ont nou avec leur
espace, tant donn que ce rapport peut parfaitement n'tre pas du
type qui produit un paysage? Maintenant si je mne l'enqute en
France, avec mes mots et une insistance quelque peu maladroite, il y
a fort parier que mes questions vont un peu perturber la relation
que ces villageois ou, plus raisonnablement, certains d'entre eux ont
avec leur espace. Personnellemenl il a suffi - me semble-t-il - que je
feuillette un numro de la revue Urbanisme pour constituer la rue de
la Chausse d'Antin en paysage, pour 1' eiicadrer >> (notamment le
pont qui relie les deux btiments des Galeries Lafayette), ce que je
n'aurais jamais eu l'ide ou, plutt, le rflexe de faire en dpit de
l'expression paysage urbain qui ne m'tait pas inconnue. Un paysage
peut donc tre une cration instantane, fruit d'un dclic, ou encore
s'laborer sur simple dcret d'autrui. Un panneau qui indique, sur le
bord de l'autoroute du Sud, la prsence d'un paysage de l'Avalonnais fabrique un paysage pour les milliers d'yeux qui l'investissent
la commande, pas pour tous. Ainsi faute d'avoir t averti que cet
espace, faisant partie de mon dcor quotidien, avait t amnag par
un paysagiste, je n'avais jamais song que ce bout de pelouse au
trac biscornu, dlimit par une grille d'vacuation des eaux, et ces
trois bouleaux, taient les lments constitutifs d'un paysage
compos. Maintenant que j'en suis prvenu, puis-je affirmer que je
superpose la reprsentation du paysage ce lieu, comme je l'ai fait
pour la rue de la Chaussee d'Antin ? A vrai dire, je n'en sais rien et
j'imagine mal qu'un enquteur puisse le dire ma place. A partir de
quels indices ? Le paysagiste propose, mon regard dispose mais je ne
suis pas trs sOr de savoir toujours en quels termes.
G. LENCLUD
L'ETHNOLOGE ET LE PAYSAGE
10
L'ETHNOLOGE ET LE PAYSAGE
G. LENCLUD
]a rfrence. Si, dans l'usage lexical, le mot paysage n'a pas besoin
d'adjectifs servant le qualifier, le langage mental n'en fait pas
]'conomie dans ses phrases intrieures. Ces adjectifs paradent, plus
ou moins notre insu, dans nos ttes.
Rcapitulons le produit de ces rflexions sommaires. L'emploi
ordinaire du mot paysage implique que l'on associe trois choses :
1) l'existence d'un support pour la perception. Inutile de prciser que
cette condition est toujours remplie ds lors, bien sr, qu'il y a perception. Mais on ne voit que ce qu'on regarde et qui est donc dj
le rsultat d'une analyse visuelle ; 2) l'existence, par consquent, d'un
sujet percevant, individuel ou collectif, dont les fichiers mentaux
contiennent la reprsentation du paysage et qui a, par l mme, la
capacit d'enfermer un morceau du monde sensible dans les limites
d'un cadre et de confrer une K signification >> d'ensemble aux lments qui sont rassembls ; 3) l'existence, dans l'appareil cognitif de
ce sujet percevant, d'une liste infiniment ouverte de proprits prototypiques prtes tre affectes tous les spectacles du monde
susceptibles d'tre embrasss par la vision et isols. A l'issue d'une
confrontation instantane avec ces proprits, ces spectacles pourront
tre dpositaires (ou non) du statut de paysage, pourvus d'une valeur
et accrochs une cimaise mentale. Ces proprits l'aune desquelles
l'il paysage ou ne paysage pas une tendue d'espace sont, l'vidence, culturellement et socialement labores.
Voil qui me conduit, tout naturellement, abandonner la notion
de paysage telle qu'elle est faonne par nos emplois du mot et
essayer de distinguer quel peut tre le statut de I'objet paysage dans
la recherche ethnologique.
Le paysage et l'ethnologie
Il convient d'admettre qu'il ne saurait y avoir d'ethnologie du ou des
paysages au sens o il y a une histoire ou une gographie des paysages. Le paysage ne rentre dans les proccupations de I'anthropologue que dans la mesure o il est enjeu de rapports sociaux, support
et rsultat d'une perception culturellement informe. Pourtant, le paysage implique l'existence d'un espace sur lequel l'il et la conscience
oprent ; cet espace a une existence, sinon une identit, antrieure
la reprsentation, paysagre ou non, que s'en font les hommes sur
lequels porte l'enqute. La description de cet espace, avant la description de la description que fournit ces hommes leur vision de cet
11
espace, avant qu'il soit tabli s'il est constitu en paysage, rentre dans
les attributions acadmiques de l'ethnologue. Chacun sait, du reste,
comment cet ethnologue qui n'est ni go-morphologue, ni pdologue,
ni phyto-sociologue, ni agronome s'acquitte de cette tche, par
exemple, dans le premier chapitre d'une monographie, intitul le
milieu D ou bien << le pays D : en transcrivant consciencieusement les
lments runis par les spcialistes de ces diverses disciplines de
faon h donner au lecteur les caractristiques etic de l'espace de vie
d'une socit. Ce sont celles livres par l'observateur scientifique,
plac en surplomb, (prtendument) hors culture, nonces du point
de vue de la troisime personne.
L'analyse ethnologique de I'espace ne dbute vraiment que
lorsque celui qui la conduit s'efforce d'accder au point de vue indigne et s'interroge sur les dterminations en fonction desquelles les
hommes tudis construisent leur espace, en le dlimitant, en I'occupant, en le meublant, en le mesurant, en le transformant, en le
diffrenciant, en le dsignant, en le pensant sous toutes ses formes et
dans tous ses aspects, en lui imprimant en somme une marque rvlatrice de leur identit. L'espace social est un espace signC mme si
le paraphe, pour cause d'histoire, est flou. Une littkrature immense
existe sur ce sujet. Mais voquer I'espace en tant qu'il est construit,
et plus particulirement les reprsentations que toute socit s'en fait,
ce n'est nullement parler de paysage, sinon en contrevenant l'usage
ordinaire du mot. On en arrive ici au problme le plus dlicat qu'affronte toute enqute ethnologique portant sur I'objet auquel rfre le
mot. Je prendrai deux exemples.
Une ethnologue, Gisle Krauskopff, a consacr un livre aux
Tham du Npal, une socit installe dans une valle de basse altitude, au pied de l'Himalaya4 (Krauskopff 1989). Un chapitre du livre
s'intitule N Les dieux et le paysage P. L'auteur y montre que les Tharu
conoivent leur espace comme un lieu gnral de communication
entre le monde des dieux et celui des hommes. Ils ont une reprsentation fondamentalement religieuse de leur espace et cette reprsentation se cristallise dans l'amnagement << objectif des sites : les
divinits et les esprits y sont partout prsents sous la forme de temples
forestiers, de sanctuaires, d'effigies, de frontires symboliques marques par des pieux ou par des socs d'araire plants dans le sol. La
distinction des types d'espace, espace domestique, espace villageois,
4.
L'auteur a plac en exergue de son ouvrage une citation de Paul Mus : Le pn%e
participe de la nature du sol, il est le sol fait homme.
12
G. LENCLUD
a Les potes sont des hommes qui refusent d'utiliser le langage (...). Ils ne songent
pas (...) nommer le monde et, par le fait, ils ne nomment rien du tout (...). Le
pote s'est retir d'un seul wup du langage-insuurnent : il a choisi une fois pour
toutes l'attitude potique qui considre les mots comme des choses et non comme
des signes.
L'ETHNOLOGIE ET LE PAYSAGE
13
utre que celle associe ce que l'espace est cens dire l'il. sans
14
L'ETHNOLOGIE ET LE PAYSAGE
G. LENCLUD
15
VI
6.
7.
Cf. le dbat : N Les socits exotiques ont-elles des paysages ? n (tudes rurales
1991.)
L e s images mentales sont prives dans la mesure o il n'y a aucun sens dire
de personnes diffkrentes qu'elles ont la mme image mentale ; peut-tre imaginentelles la mme chose mais il est impossible que leurs images mentales soient
rigoureusement identiques. (ma traduction.)
16
L'ETHNOLOGIE ET LE PAYSAGE
G.LENCLUD
17
Rfrences bibliographiques
AYC:r, A.J., 1956, The Problt?me of Knowledge, Londres, Pelican Books.
Jau:ss, H.R., 1978, Pour une esthrique de la rceplion, Paris, Gallimard.
Kra,uskopff, G., 1989, Mahres et possds. Les rites et l'ordre social chez
les Thuru (Npal), Paris, ditions du CNRS.
tre, J.P., 1948, Qu'est-ce que la littkrature ?, Paris, Gallimard.
rs socidtds exotiques ont-elles des paysages ? D, 1991, tudes rurales, De
l'agricole au paysage , no 121-124, janvier-dcembre.
val.ela, F., Thomson, E. et Rosch, E., 1993. L'inscription corporelle de l'esprit, Paris, Le Seuil.
WilLtiams, R., 1973, The Country and the City, Londres, Chatto and Windus.
2. Paysage normand
Paysage du Bas-Domfrontais, semi-bocage comprenant des parcelles de 2-3 ha,
encloses, traditionnelleinent complantes de pom.miers, et comme ici de poiriers
parfois centenaires, pouvant atteindre la dimension et le port de grands arbres,
mais dont il ne reste aujourd'hui qu'un peuplement rksiduel.
Au premier plan, la clture de fil de fer barbel a pris la place de l'ancienne haie
bocagre plante sur talus (chne pdoncul, htre, noisetier, nflier, aubpine),
dont quelques troncs coups, faisant parfois office de poteaux, constituent ici les
seuls vestiges.
Au second plan, on distingue, au repos sous l'ombrage des grands arbres, quelques
taurillons issus des troupeaux de vaches allaitantes. Depuis l'introduction des
quotas laitiers, l'&levage de jeunes bovins occupe une place prpondrante dans
l'conomie (et dans le paysage) du Domfrontais, au dtriment d'un levage laitier
qui a longtemps t l'origine de toute la richesse de l'agriculture normande.
Enfin, dernier venu d'un paysage en mutation, la culture de mas fourrager, utilise
notamment en ensilage pour l'engraissement des broutards, apparat I'amreplan. (Photo N. Cadiou, juin 1992.)
au xvme sicle - fond sur la symtrie, et le jardin irrgulier ou paysager - anglais tout d'abord puis franais, aux x m e et xrx" sicles. Ces
styles ou genres sont certes des modles de jardin, mais ils se distinguent des modles paysagers, qui constituent plutt un ensemble
de rfrences ou de schmes, c'est--dire en fait, des formes de regard
ports sur l'aspect du temtoire. Cependant, ces modles paysagers ne
se sont pas labors de faon autonome par rapport l'art des jardins.
L'apparition du terme Landskap dans la langue flamande, c'est-dire la manifestation du dsir de reprsenter l'aspect du pays ou de
l'instituer en objet de contemplation et de plaisir, est une forme de
reconnaissance d'une culture du bucolique, vision de la campagne
emprunte l'Antiquit et projete sur le temtoire hollandais. Le
paysage, tel qu'il apparat dans les toiles des matres franais des xvie
et xvne sicles, procde de la mme vision, du mme modle paysager : campagne bucolique, abondance des rcoltes, harmonie entre les
hommes et leur temtoire.
Le xvrrre sicle anglais prcise ce premier modle et en propose
un nouveau, plus labor et plus localis. Peintres et jardiniers produisent A partir de la pastorale virgilienne, le modle pastoral anglais,
o le bocage des enclosures s'efface pour cder la place des prairies
verdoyantes ponctues de bosquets d'arbres - c'est d'ailleurs, d'une
certaine manire, la vision idalise du paysage agraire produit par
la rvolution fourragre. De ce modle est issue la pelouse d'agrment
jusqu'alors ignore dans les jardins. Ces paysages agraires rpondent
de nouvelles aspirations esthtiques et certaines pratiques sociales
de la nature : la chasse cheval sans obstacle par exemple. Reproduits
l'envi par les peintres, ils sont qualifis de << picturesque P. C'est
sur la base de ce terme que se fonde un nouveau modle paysager :
le pittoresque. L'essor de ce modle accompagne le dveloppement
de la pratique du voyage dans les couches aises de la bourgeoisie
au xvirre sicle et surtout au XI? sicle. Les multiples publications de
<< Voyages pittoresques >> ou, en France, celles de la << France pittoresque >>, manifestent le succs de ce modle dans un groupe social
qui dcouvrait la campagne et ses sites, leur attribuant les caractristiques de l'tranget, de la nouveaut ou de la raret : cascades, blocs
erratiques, vallons <( charmants , glises, chteaux, etc.
La dcouverte de la montagne et du littoral au xvin"sicle, le
dveloppement de la thologie scientifique ou la curiosit des savants
l'gard du fonctionnement de l'univers introduisent un nouveau
modle qui connat, peu avant 1800, et surtout pendant toute la priode romantique, un succs considrable. Alors que l'on s'tait bti
fgic
la
De Dainville 1964, commentant Dupain de Montesson, cit par Marie-Vic OzoufMangnier 1992.
23
,uver les signes d'une reconnaissance populaire du pays. D'ailleur:;, cette priode, dans les premiers ouvrages de gographie,
cornme dans les publications de la France pittoresque , la description
des paysages et celle des coutumes locales occupent une place prDoncjrante. Il se produit ainsi, dans la seconde moiti du MX' sicle,
nouvement de vaste ampleur en faveur de la reconnaissance des
ans ou des << pays , que l'activit touristique en plein essor accomle de ses nombreux guides, comme ceux de Johanne.
La carte postale, qui va connatre un succs considrable la fin
*ettepriode, participe du mme engouement pour les rgions et
s caractres paysagers. Le paysage reste cependant encore forte-.. t li la notion de site D, de c monument historique >> et de ses
abords, ou tout au moins de bti. En dehors des chteaux et des
glises qui occupent, de loin, le devan1 de la sckne, les cartes postales
reprsentent surtout les villages: rues commerantes, places du
march, foirails, mairies, gares ou ponts rcemment construits, signes
de la modernit en marche dans les campagnes. Comme dans la
peinture, le paysage agraire, tel que les gographes se plaisent le
dcrire dans les formes de son parcellaire, de son habitat et de tout
ce qui manifeste l'inscription des activits agricoles sur le sol, semble
tre absent des reprsentations qui circulent dans la socit.
C'est dans ce courant, qui alimente galement, la fin du
xrf sicle, le dveloppement du rgionalisme et le dbat sur la dcentralisation, que le << local >> (par sa prsence implicite dans les
reprsentations iconographiques et explicite dans le champ scientifique), participe peu peu l'laboration d'un modle paysager,
ode particulier de regard port sur l'aspect des rgions ou des pays.
La construction de modles paysagers rgionaux passait par I'asmilation et la rkduction de la diversit des caractres d'un territoire
quelques images aisment reproductibles et conformes l'ide gnrale que les milieux restreints de la socit voulaient bien se faire
d'une rgion. Vision rapide qui se focalisait sur les lments dfinissant une identit du territoire. On choisissait ce qui paraissait le plus
<< typique , mme d'attirer l'il. Ainsi en a-t-il t de la Normandie, dont le modle paysager rgional tait constitu par la maison
colombages, situe dans un bocage, avec un pr-verger et, &entuellement, une mare en rfrence l'humidit. L'une des toiles de
Monet, qui reprsente prcisment cette composition, en est l'un des
exemples les plus frappants.
Ce modle rgional s'est impos la socit dans son ensemble,
sauf bien videmment aux socits locales. 11 a en effet bnfici des
24
N. CADIOUIY. LUGINBHL
4.
Le pittoresque
le premire catgorie de paysages regroupe les monuments naturels
les lieux historiques (site de la Fosse-Arthur, Roc au chien, cascade
de Mortain, site des ruines du donjon de Domfront, site de l'abbaye
de Lonlay). C'est en insistant sur la raret des sites et leur tranget
'lue les habitants et les tounstes qualifient de paysages ces lieux si
A i l-frents5.Cependant, et bien qu'ils voquent frquemment ces sites,
les; habitants s'y rendent trEs rarement. Lorsqu'ils le font, c'est pour
les; faire dcouvrir leur famille ou des amis.
Ce sont donc essentiellement les touristes qui frquentent ces
lieux. Leur attitude ressemble alors celle des collectionneurs. Ils
visitent ces sites les uns aprs les autres, comme s'il s'agissait pour
eux d'un circuit effectuer. Les seules motivations qu'ils nous aient
-'?nnes sont les suivantes : << Il faut y aller parce que c'est voir ,
I encore : << On ne peut pas partir d'ici sans avoir vu cela. >> En fait,
s lieux ne sont pas frquents, ils sont seulement dcouverts. Ainsi,
res sont les touristes qui retournent plusieurs fois sur un mme
.e6. Ils ont tendance en confondre les caractristiques physiques,
1
.
5.
6.
Le panorama
Ce modle paysager peut sembler assez proche du pittoresque. Certaines personnes ont notamment voqu des points de vue pittoresques
7.
Ce que les visiteurs apprcient par exemple dans le site paysager du donjon de
Domfront - qui est un des beaux paysages de la rgion >> le plus souvent voque -, ce n'est pas le monument lui-mme, ni son environnement, car l e site
n'est que ruine , comme le soulignent les visiteurs. Le charme paysager du lieu
rside plutt dans l'vocation des diffrents difices qui s e sont succds en cet
endroit el qui n'ont finalement rien laisse (chteau en bois consmit par Guillaume
Taivas, nouvelle construction d'Henri Fr,chapelle Saint-Symphorien dans laquelle
lonore d'Aquitaine fut baptise). Les connaissances historiques prcises in~erviennent d'ailleurs peu dans cette apprciation paysagtre : il suffit aux visiteurs
de savoir que ces personnages sont passs par l , sans situer exactement la
priode d e leur existence. De mme, c'est essentiellement le contraste entre
l'image d e c e village pauvre et recule, sans poids conomique aujourd'hui et
l'aspcct imposant de l'abbaye de Lonlay (suggraiit la puissance de ce petit
hameau autrefois) qui conf2re au site de Lonlay l'Abbaye sa dimension paysagre.
9.
Le modle rgional
e modle rgional normand, tel que nous l'avons voqu plus haut,
nstitue toujours une rEfrence paysagre. Les photographies sponnment considres, lors des entretiens, comme reprsentatives du
ysage local comportent toutes des caractristiques communes : mains colombages, vaches dans les prs, pommiers. Ce type de
ysage est d'ailleurs celui qui est le plus largement diffus par les
rtes postales, les dpliants des offices du tourisme et des syndicats
nitiative locaux ou les documentations du Parc rgional, mme si
palette paysagre propose par ces dernires est plus varie,
mprenant notamment des paysages de fort, des vues gnrales du
cage, des paysages de rivires, des paysages de cluses1 ou de
lles et des sites historiques.
Ce sont essentiellement les touristes qui mettent en avant cette
mage paysagre rgionale. Elle est pour eux reprsentative du monde
ricole et de la vie rurale, nourrie de souvenirs d'enfance la ferme,
vocations de la vie mene par leurs parents agnculteurs, ou de
flexions gnrales sur l'volution des exploitations dans leur propre
gion, sur le rle et le devenir de l'agriculture dans un pays comme
France. Finalement, pour les touristes, le paysage du modle
gional est celui d'un monde agricole authentique. Ceci permet
expliquer pourquoi cette autre variante du paysage normand,
mprenant prairies verdoyantes, chevaux et arbres fruitiers, galeent prsente dans l'chantillon de cartes postales disponibles sur la
gion, n'est pas pour eux reprsentative du paysage rgional. Ils ne
nsidrent pas en effet l'levage de chevaux comme une activit
piquement agricole : On trouve des levages de chevaux partout,
me prs des villes, a n'a plus rien d'agricole".
Ce monde rural authentique recherch dans le paysage est celui
une agriculture franaise varie, vouke la polyculture, o chaque
rcelle est susceptible d'tre exploite diffremment. Bien plus que
ralit du monde agricole, c'est finalement une certaine conception
l'agriculture qui dktermine la lecture touristique de l'espace rural.
29
12. Les photographies de Normandie comportant des villages ou des corps de ferme
sont souvent prfres toute autre forme de paysage rgional. Ces composantes
paysagres sont en effet le signe de la prsence sur le territoire de moyennes
exploitations, n de paysans qui occupent I'espace nual dans son ensemble,
\'oppos d'une agriculture desserre, o quelques exploitants se partagent
l'espace rural en laissant le reste l'abandon. La prbence de l'habitat est ici
rconfortante, permettant d'carter l'image d'une agriculture sans paysans .
Ainsi, la Lande de Gould (essentiellement constitue de fougeres aigles, de collures et d'ajoncs), prbente hors du contexte de la Normandie dans un ensemble de paysages nationaux, est-elle perue comme un beau paysage , paysage
lunaire), pour les uns, u primitif >) pour les autres. En revanche, lorsqu'elle est
situe dans son contexte, et prsente comme une photographie de la Normandie,
l'image de la Lande de Gould est aussitt rejete et interprte comme nonpaysage.
13. Extrait d'un entretien avec un jeune agriculteur de Saint-Fraimbault en novembre
1992.
MODLESPAYSAGERS EN NORMANDIE-MAINE
31
Le modle emblmatique
Pour les agriculteurs, le modle rgional cher aux touristes n'est pas
peru comme reprsentatif du paysage local. Mais curieusement, l'espace qu'ils revendiquent com.me tel, qui est la fois pour eux << un
beau paysage par excellence ,et celui qui condenserait les caractristiques locales de l'espace est lui aussi import >>.Il s'agit ici du
paysage de Bagnoles-de-l'Orne, rgion semi-bocagre, assez vallonne, comportant peu de cultures, o l'levage de chevaux est important, et o les villas et rsidences secondaires sont nombreuses.
14.
MODLESPAYSAGERS EN NORMANDE-MAINE
Ce temtoire est peru comme un paysage de haras qui reprsente la figure mme de la russite conomique et sociale, 1' image
fidle de ce qui fait vraiment la Normandie , c'est--dire un pays
prospre par excellence, qui met toutes les chances de son ct,
quelles que soient les cir~onstances'~
.
Ce paysage est associ l'poque florissante o la Normandie
tait la grande rgion pourvoyeuse en beurre et fromage de 1'Ilede-France, la vente de produits laitiers et d'alcool de pomme (complte selon les cas par celles de gnisses amouillantes et de poulains
dresss), constituant alors les fondements d'une conomie qui s'est
maintenue sans grandes transformations de 1919 1950.
11 existe actuellement trs peu de liens, qu'ils soient conomiques
ou sociaux, entre le monde agricole et le monde des haras privs qui
se sont dvelopps dans la rgion de Bagnoles-de-l'Orne. On peut
donc se demander pourquoi ce paysage de la russite est retenu
comme emblmatique du paysage local, au dtriment du paysage
des cultures qui correspond rellement aujourd'hui pour les agriculteurs 2 un mode d'exploitation rentable et permettant mme un
certain enrichissement. Contre toute attente, celui-ci est mme prsent comme une volution dangereuse pour la Normandie , les
exploitants insistant sur la perte de fertilit des sols et sur les difficults de remise en pture des parcelles retournes . En fait, ce qui
lui est reproch c'est d'tre le reflet d'une volution du monde agricole dans laquelle l'levage disparat trop nettement. Si le statut de
beau paysage est refus par les agriculteurs aux espaces de grande
culture en Normandie, c'est que les exploitants agricoles normands,
attachs leur mtier d'leveurs, rejettent le statut de simple cultivateur . Aussi, la situation des fils d'exploitants qui s'installent
dans la culture en Mayenne n'est-elle pas envie, car les btes
manquent au mtier .
Pourquoi ne pas choisir alors comme paysage emblmatique un
espace agricole o l'levage est encore florissant? Celui de la
commune de Saint-Borner, par exemple, o la production laitire est
encore trs importante. Les cultures y sont presque totalement absentes, et l'on peut y dcouvrir par endroit un bocage encore trs
maill, le remembrement et la suppression des haies intervenant essentiellement lors de la mise en culture des parcelles. Les arbres
fruitiers, essentiellement des poiriers, y sont encore trs presents, bien
15.
33
16. Extrait d'un entretien de fvner 1992, effectu auprs d'un jeune leveur de
Barenton.
17. Selon les termes d'un agriculteur de 40 ans, habitant de Saint-Fraimbault, entretien
de fvner 1992.
34
N. CADIOUIY. LUGINBHL
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Luginbhl,
L'Aubrac
Du haut lieu au non-lieu touristique ?
Haut lieu : endroit od le ciel touche la terre
R o g e r Caillois
Marc A u g
L'Aubrac est situ6 aux confins de trois dpartements (Aveyron, Lozre, Cantal)
et de trois rgions (Midi-Pyrnes, Languedoc-Roussillon, Auvergne). II constitue
la plus mridionale des zones volcaniques du Massif central. Son socle d e granites
et de schistes est faiblement incline vers l'est et le nord, mais descend en pente
forte vers le sud-ouest. Le plissement alpin a fait natre des fissures (axe sud-est!
nord-ouest) d'o se sont chappes des ruptions complexes il y a 9 6 millions
d'annes. Des cendres et des tufs s'intercalent dans une vingtaine de coules de
basalte qui ont surelev l'axe central d'o surgissent les points culminants: le
Signal de Mailhebiau (1 469 m), le Puy de Roussillon (1 408 m) et le Roc du
Cayla (1 298 m). Au quaternaire, une calotte glaciaire a empt les formes du
relief primitif. L'Aubrac prsente aujourd'hui deux aspects : au sud d e la range
des sommets qui servait de limitc aux anciennes provi.nccs (Auvergne, Gvaudan
d'une part, Rouergue d'autre part), le plateau domine de pr&sde 1 000 m la valle
du Lot, peu loigne de la ligne de fate. JI est dissqu en lanieres parallles par
des valles troites, aux pentes raides : Les Boraldes. Le versant nord, en revanche,
correspond 2 un plateau rgulier, avec des croupes peu saillantes et de larges
valles. Il passe sans transition nette h la pnplaine granitique qui s'tcnd jusqu'h
la Tmyre et A la Margeride. La partie haute du massif est dknude, mais la fort
originelle subsiste sur les pentes du versant mridional el quand l'altitude diminue.
lignes d'arbres et prairies de fauche font natre on paysage quasi bocager. (Noue
observation concenic [dans cet article], essentiellement le haut plateau.)
36
M. PERROTII. MAGOS
L'AUBRAC
37
GLC
3. L'Aubrac
L'Aubrac est situ aux confins de trois dpartements :le Cantal, la Lozre, 1'Aveyron, auxquels il donne une spcificit gographique certaine. Sur c e haut plateau
dont le socle granitique affleure entre les anciennes coules de lave, des pointes
d'orgue basaltiques surgissent a et la, tranges rescaptes de I'&re volcanique.
Cette histoire gologique ainsi que le lent et patient dboisement inaugur par la
dmerie d'Aubrac au XII' si&cleconvoquent des mises en images contrastes, qui
coexistent aujourd'hui sans heurts.
Hautes solitudes, longtemps inquitantes pour les voyageurs, l'Aubrac peut aussi
faire figure de riche terre d'klevage avec ses burons, ses pturages fertiles, o la
race aubrac des bovins qui y paissent, l'inscrit dans un registre rustique, aujourd'hui valoris. Mais cette dnudation surprenante voque aussi ce non-lieu
touristique vant par les magazines, propice crer la rupture avec la vie
quotidienne. II possde, en ce sens, cette M vertu exotique que Julien Gracq lui
attnbue plus qu' tout autre. (Photo Jacques Dubois, 1987.)
11 faut aussi, d'un point de vue sociologique, comme le souligne Andr Micoud,
des redleurs symboliques, des tmoins, des agents de la mise en circulation des
figures (Micoud 1991).
38
39
M. PERROTfI. MAGOS
L' AUBRAC
paysagers selon les types de rcits qui les mettaient en scne. Ces
motifs imposent chaque fois une vision singulire, chacune participant construire l'exemplarit du paysage, du haut lieu au nonlieu4.
... lieu d'horreur et de vastes solitudes, ce lieu couvert de forts redousombres et inhabitables, o ne crot aucun fruit, o on ne trouve aucune
no1lmture pour I'homme dans un rayon d e deux ou trois lieues. L sont les
limites de trois vchs, Rodez, Mende et Clermont. Ce lieu s'appelle Aubrac
-hies,
La
"
(duI latin Alto Bracum >> signifiant << lieu lev6 D, qui se transforma en Altc, puis Aubrac).
* .
Premier motif :
la fort originelle
L o on s'apergoit que le rcit de fondation de la dmerie d'Aubrac
est son tour fondateur d'un rcit paysager dominant : celui de la
fort disparue ...
Du haut lieu ail non-lieu, on peut, A titre exploratoire, regrouper les diffrents
rfrents attachCs chaque motif paysager:
Forr originelle : Origines, Fondation, Sauvagerie, Hostilitt, InscuritC, Animal
sacr. Lgende. Mmoire, Beaut, Attraction, Aventure.
Haut-Plareau dnud: Solitude, Dsolation, Altitude, 16vation spirituelle, Horizon, Immensit, Exotisme, Recueillement. Bout du Monde.
Subs~ruldu paysage : Aube des temps, tei-nit6, Cration du monde, Mythologie,
Mditation, Destine.
Non-lieu rourisfique : Intemporalit, Universalit, Depaysement, tranget.
41
M. PERROTII. MAGOS
L' AUBRAC
40
Deuxime motif :
le haut plateau dnud
Ce thme de la disparition de la fort va favoriser l'apparition de
catgories gographiques et esthtiques bien particulires que sont la
dnudation ou la nudit nourrissant aussi bien les textes scientifiques
que littraires.
Sur ce thme, parmi les textes scientifiques de notre corpus,
constitu en grande partie par les rsultats de la RCP << Aubrac7 ,ceux
des gographes nous intressent plus particulirement. Andr Fel,
responsable du chapitre sur le milieu naturel >> crit :
5.
6.
7.
Dans ce cadre, le cerf, comme le loup, apparaissent comme des animaux emblmatiques du sauvage .
De ce projet, n de la rencontre fortuite d'un passionn de la fort avec un proche
de la fondation Ushuaa, un premier effet concerne la chasse aux cerfs et I'tablissement d'une aire de vision. Mais les ambitions de l'association dkpassent
celles de la chasse, qui n'est qu'un premier objectif, et concernent l'Aubrac comme
entit gographque, humaine, culturelle dans un souci de protection a de
prservation de son environnement. En se souciant de l'identit, le projet consacre
aussi l'exemplarit du pays.
RCP Aubrac : Recherche cooprative sur programme. Les rsultats de ce vaste
programme de recherche ont t publis par les ditions du CNRS sous la direction
de George-Henri Rivire et Corneille Jest, 5 tomes, 1970, 71, 72, 73.
43
M. PERROTII. MAGOS
L' AUBRAC
42
Bien que les autres <<visages de l'Aubrac soient aussi mentionns, comme les Boraldes ou le paysage << quasi bocager d e la
Viadne, ce sont les hautes terres 9 qui mergent ds l'introduction,
pour que l'Aubrac atteigne ce statut d e haut lieu par excellence : le
bout du monde D . Cependant, l'Aubrac ne mritera pas la notation
trois toiles 3 qui, poux le Guide bleu, consacre la supriorit touristique d'un lieu. Deux toiles seulement lui seront concdes. Remarquons aussi que le qualificatif << hautes terres >> a t prfr Ci
celui de << plateau qui mrite seulement l'adjectif intressant
(Gritti op. cit.). Dans I'chelle de valeur touristique du Guide bleu,
la production symbolique d'un bout du monde >> ne peut, en effet,
se satisfaire d'un plateau, si << dsol >> soit-il.
Pour les habitants de l'Aubrac, la disparition de la fort est aussi
un rfrent oblig dans l'apprciation du paysage actuel. Cette disparition est sans doute le degr zro d e l'invention de l'Aubrac
comme lieu exemplaire ... avant le pturage, avant l'altitude ; elle est
en tous cas plus archaique dans la symbolique qu'elle dploie.
Troisi.me motif :
le paysage minral
Le substrat du haut plateau est un motif en lui-mme. Il en constitue
le socle (granite) d'o surgissent des pointes d'orgues basaltiques
(dykes) et affleure entre les coules d e lave (basaltes). A ce titre, il
est l'objet de mtaphores, cette fois d'ordre gologique ou psychologique, en amont de l'histoire humaine ou dans ses profondeurs
archtypales. Cette mise en image particulire de l'Aubrac partir de
son histoire minrale est surtout prsente dans le rcit potique, qu'il
s'agisse des crivains ou des rudits locaux. Lorsque Marianne
Auricoste regarde l'Aubrac, elle parle spontanment du <<grandlmentaire , d'une rencontre avec l'essentiel >>.
On devient une pierre, le ciel, la terre, les cailloux, le vent. On est
travers par tout a, on est au cur du po&me, on devient quelque chose
(France Culture, Gens d'ici D, 1" aot 1991).
<< J1d
45
M. PERROT/I. MAGOS
L' AUBRAC
Seuls les blocs erratiques ont inspir la mtaphore. Ils sont l'occasion d'une visite guide du gologue, le long d'un parcours organis
pour les touristes. Tmoins de l'rosion glaciaire, ils deviennent objet
de curiosit. On se dplace pour les contempler, ils balisent les parcours. Faux menhirs, ou faux dolmens, ils mythologisent eux seuls
le paysage.
Point d'arbre, mais des blocs couchs Ih comme des dolmens ou dresss
comme des menhirs, matkriaux abandonns disait Ajalbert, qui n'ont pu servir
lors de la cration du monde ... les engins mcaniques les soultvent et les
rassemblent pour dgager les pturages (Buffi&res 1985).
44
Ils parcourent avec une avide curiosit les cratres teints, environns
et de granit. Ils admirent ces basaltes prismatiques, offrant des colonnes
pupes en jeux d'orgues et de pilastres veins de diffrentes couleurs ; ces
nparts perpendiculaires de coules de lave, subitement arrtes dans leur
ion par la masse des eaux qui couvraient les plaines infrieures. ternels
3nument.s du combat que se Livrrent alors ces deux redoutables lments.
.-L'enthousiasme de la science peut bien faire illusion au physicien, mais cette
SC'&nede bouleversement attristera toujours le voyageur et ne lui offrira qu'un
ta1bleau d'une teinte sombre. En serait-il donc de la nature comme des empires
ii portent longtemps le deuil de leur rvolution ?
Certains magazines touristiques usent de cette particularit gologique comme d'une attraction paysagre. C'est le cas de << Cheval
magazine >> qui n'hsite pas parler de l'Aubrac comme :
m.,
d'une extravagance gologique qui donne un paysage superbement onginal compos de petites valles encaisshs, les fameuses boraldes, couvertes
de htres et de chtaigniers et de hauts plateaux sauvages tonnants de dCsolation (1990).
1
i
b
O
Combats de gants, cration ou fin du monde, l'histoire goloque dans sa version volcanique inspire des visions extrmes et
radicales. Ce paysage ne peut tre alors conjugu que sur le mode
exceptionnel.
"our les gens du lieu, le << rocher >> est voqu travers la contrainte
u'il reprsente. Pour les agriculteurs, il offre peu ou pas de prise
itaphorique et invite surtout au drochage pour librer les pturages
u les enclore de murets de pierres sches.
Cependant sa valeur mythologique ou rituelle existe bien dans
ES croix de pierre qui marquent le lieu d'une dvotion ou d'un
vnement, ou encore le point de jonction des trois dpartements de
Aveyron, du Cantal et de la Lozre, comme cette Croix des Trois
:vques P, tailie dans le basalte, et qui vient d'tre vole et remplae par une croix de ciment !
46
L' AUBRAC
M. PERROTII. MAGOS
47
M. PERROTII. MAGOS
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la Jigure tourisfique,4' partie : une mise en image de l'Aubrac :la carte
postale), rappolt pour la direction du Patrimoine ethnologique, Paris.
4
Jean-Luc Bonniol
Anamorphoses du Bernica
Lieu et paysage l'le de la Runion
Nous empruntons cette distinction in situlin visu Alain Roger. Voir en particulier
A. Roger, L e paysage occidental. Rtrospective et prospective , Le Debat, 65,
1991, pp. 14-28.
ANAMORPHOSES DU BERNlCA
ALBUM DE L A R ~ U N I I I N .
---
51
UGZ
uni P11otog.d
4. L e Bernica s a u v a g e et frique
(Clich Bibliothque nationale)
ANAMORPHOSES DU BERNICA
53
.au, les lianes et les fougres suspendues aux rochers, le vol des
;eaux . . Et sont convoques, afin de mieux rendre l'impression du
lieu, l'imagination romanesque et la tendre mlancolie ...
Dix ans aprs cette invite d'A. Billiard, l'imagination romanesque
est e:ffectivement au rendez-vous, sous la plume de George Sand, qui
pliace une partie de son roman Indiana l'le Bourbon, o elle fait
natce son hrone :
Cette le conique est fendue vers sa base sur tout son pourtour, et recle
dans son embrasure des gorges profondes o les rivires roulent leurs eaux
pures et bouillonnantes ; une de ces gorges s'appelle Bemica. C'est un lieu
pittoresque, une sorte de valle troite et profonde, cachCe entre deux mu-:Itss de rochers perpendiculaires, dont la surface est parseme de bouquets
111111.
d'art)ustes saxatiles et de touffes de fougres.
Un ruisseau coule dans la cannelure forme par la rencontre des deux
.
Au point o leur cartement cesse, il se prcipite dans des profondeurs
pans
-,yantes et forme, au lieu de sa chute, un petit bassin entour de roseaux
)uvert d'une fume humide. (Sand 1983 : 251.)
Nous retrouvons l, grce la puissance vocatrice de la romanci8rie qui ne peut que rver un lieu o elle n'est jamais alle, les
caractres fondamentaux du site : verticalit des parois, o s'accrocheiit des vgtaux (< saxatiles , eaux pures, bassin et brume ... Les
oiseaux sont galement au rendez-vous. G. Sand fait en outre du BerRicaI un lieu privilgi de fusion avec la nature, puisqu'elle y conduit
ses hros malheureux, Ralph et Indiana, l'heure ultime o ils ont
AL,.;.,)d de quitter ensemble le monde et son cortge de malheurs :
Je vais donc vous due le lieu o le suicide m'est apparu sous son aspect
plus noble et le plus solennel. C'est au bord d'un prcipice, l'le Bourbon ;
est au haut de cette cascade qui s'lance diaphane et surmonte d'un prisme
latant dans le ravin solitaire de Bernica. C'est l que nous avons pass les
us douces heures de notre enfance ; c'est l qu'ensuite j'ai pleur les chains les plus amers de la vie... C'est l que je voudrais, par une belle nuit
: nos climats, m'ensevelir sous ces eaux pures, et descendre dans la tombe
3che et fleurie qu'offre la profondeur du gouffre verdoyant... (ibid. : 3 13.)
Dans le prolongement d'Indiana, nous disposons d'une premire
reprsentation figure du Bernica, elle aussi labore sans accs direct
au lieu ; on la trouve dans un ouvrage de Lacroix, paru en 1843,
Galerie des femmes de G. Sand, en frontispice du texte. Nous y
trouvons, servant d'crin Indiana et Ralph, les cascades et l'eau
ANAMORPHOSES DU BERNICA
55
dsert :
J'aimais cette retraite jusqu' pouvoir regretter de ne pouvoir y achever
!s journes. J'enviais le sort d'un vieux noir que j'y rencontrais toujours
chant la ligne, et que j'y laissais en partant. Je le voyais, tantt debout
milieu des bassins poissonneux et plongeant demi-corps dans leurs ondes
\,&es, tantt assis sur une troite corniche du roc, au bord des prcipices,
rajustanl sa ligne. 11 savait des sentiers escarps, suspendus des hauteurs
byantes, qui le conduisaient au fond de la ravine, sans le secours ordinaire
s pirogues. Hte familier de cette solitude, elle n'avait plus de secrets pour
lui : il y circulait comme dans son propre domaine. (ibid.)
Tmoignage d'une autre apprhension de l'espace, faite d'une
grande proximit Ci une nature dont on collecte les produits ... La
bon ne socit insulaire, elle, a d'autres pratiques, comme celle de la
visiite organise. qui ncessite de recruter des hommes pour le transPO" . des pirogues : en octobre dernier , nous dit Gaudemar, j e
fus du nombre de quelques jeunes gens qui se runirent un artiste
de !Saint-Denis, leur ami commun (trs certainement Roussin), pour
visi ter avec lui le fond du Bemica ... >> C'est l'occasion d'aller au-del
A., premier bassin, et d'accder Li une autre figure du Bernica, fai.te
: sublime tristesse et d'pre solitude ... Par l sont dvoiles deux
igistres opposs dans l'apprhension de la nature runionnaise : ceii, bucolique, d'une nature tropicale riante et pleine de grces, qui
est dans le prolongement de la campagne toute proche ; et celui,
svre, voire sinistre, d'une nature pre et solitaire. Cette impression
nouvelle offre l'occasion d'un rapprochement paysager, processus
-"-urrent de la culture du paysage :
n l i i c:
Y""
56
ANAMORPHOSES DU BERNICA
J.-L. BONNIOL
Manifestement, Gaudemar se meut dans d'autres sphres idologiques que l'auteur d'lndiana, qu'il accuse d'a avoir profan le
Bernica, en y plaant la hideuse scne qui termine son roman, scne
la fois impie et burlesque, bien digne de couronner ce pome impur
de la passion insurge contre le devoir et la socit... . En bref,
l'apologie du suicide en un tel lieu ne peut tre qu'un contre-sens:
la ralit du lieu est dote d'une telle force qu'elle s'impose au
visiteur, lui revlant d'autres penskes et d'autres accents B.
La reprsentation littraire la plus clbre du Bernica est certainement celle de Leconte de Lisle, parue en 1862 dans le recueil
Posies barbares. La description doit videmment beaucoup aux souvenirs d'enfance de l'auteur qui, n & Saint-Paul en 1818, y passa sa
petite enfance ainsi qu'une large part de son adolescence. Il exploita
ses souvenirs dans deux rcits en prose, Sacatove et Murcie, publis
dans la Dmocratie pacifique en 1846 et 1847 (un passage de Sacatove contient dj une description prcise du site). Le pome restitue
tous les caractres du lieu que nous avons identifis : il est situ
entre deux parois hautes , tapisses de lianes ; la lumire, filtre,
n'y parvient que par fragments ; seules prsences : un cabri voyageur et un essaim d'oiseaux , dont les churs emplissent les
gorges ... Au-del de la simple vocation sont transmises des impressions et des motions, comme l'attestent les premiers vers du pome :
de rflchir sur
rapports entre un lieu, ancr dans sa matrialit, et la culture du
,sage, qui, du fait de sa gnralit, parat affranchie des dtermiions locales. Les valeurs, les prfrences paysagres, les images
-formes, les produits paysagers de notre imaginaire, bref tout ce
qui compose une culture paysagre , gisent en effet en chacun
d'entre nous, indpendamment de la concrtude singulire des lieux
et 1j'une ventuelle relation d'autochtonie3.
La culture du paysage des premiers dcouvreurs reste sommaire,
ne leur permettant gure que de produire des reprsentations strotYPkes & l'intention de leurs compatriotes, soucieux qu'ils sont avant
touit de brosser l'image d'un paradis terrestre inviol, d'une le
l'Eden, caractrise par la surabondance du gibier, la clart, la puret
:t l'excellence des eaux vives, la bont et la salubrit de l'air (les
nalades y retrouvant immdiatement la sant), des bois aiss p.Atrer, et une terre facile 3 mettre en valeur.
La colonisation de l'le, commence dans les annes 1660, enne une mtamorphose vgtale, par l'acclimatation de plantes vires (bl, riz, mas), permettant l'le de devenir un lieu de
frachissement pour les navires en route pour les Indes. A partir du
but du XVIII' sicle, cette mtamorphose se fait sous le signe de la
antation4,avec l'introduction du caf, suivie, tout au long du sicle,
J ~ I .d'innombrables exprimentations botaniques. Mais, contrairement
iux autres les croles, l'arrive de la canne sucre est tardive : il
faut attendre le dbut du xme sicle pour que Bourbon s'aligne sur le
modle antillais de l'habitation-sucrerie. Ce retard explique certainement que la Plantation n'ait pas russi y investir le temtoire de
manire aussi large et y dominer l'espace social de faon aussi
l,,
3.
57
4.
pas le rnonopolc... Le paysage se constitue aussi (et peut-tre surtout) pour I'tranger de passage ; comme le dit un proverbe chinois (utilement cit par un coll&gue
lors d'une rCunion des quipes de l'appel d'offres) : Une maison appartient
celui qui la regarde. Et ces regards extrieurs ne peroivent videmment pas un
espace de la mme manitre. ni ne lui donnent le mme sens, que ceux ports par
ceux qui y vivent.
La plantation, en tant que concept heuristique, a suscite une litterature surabondante. Rappelons qu'on dsigne par l une mise en valew totalitaire du temtoire,
g,nralement dans le cadre de vastes exploitations vouCes une monoculture
d'exportation. La Plantation s'accompagne gnralement d'une structure sociale
trEs rigide, du fait de la dominance de la grande propriet et de l'importance du
critre racial, dans le cadre de systkmes esclavagistes puis post-esclavagistes.
ANAMORPHOSES DU BERNICA
mprieuse que dans les les amricaines. Les Hauts sont demeurs
pendant longtemps inviols, et la nature vierge >> est toujours reste
proche, s'insinuant jusque dans les Bas par les ravines profondes
t escarpes comme le Bemica, qui interrompent les pentes cultives
omme autant d'entailles sauvages. Par l, plus encore que l'le de
France, Bourbon tait destine devenir pour les Europens l'archype de l'le tropicale sauvage...
Ds la fin du xvrrr"sicle, cette colonie lointaine de l'hmisphre
ud peut ainsi fournir des images paysagres, places sous le signe
e l'exotisme tropical et de la sauvagerie. Ces images font l'objet
'un vritable ngoce, elles sont l'une des contributions de la colonie,
l'instar des autres produits tropicaux. Dans le mme temps, la
ulture du paysage, ne en Europe, y est acclimatee, cas particulier
u mouvement d'assimilation qui caractkrise I'histoire culturelle de
le jusqu' nos jours, marque par l'imposition des modles en
rovenance de la mtropole franaise, grce au relais de l'klite locale.
endant longtemps, les expressions crites ou figures (celles dont
ous avons conserv des traces) s'inscrivant dans cette culture et se
apportant Bourbon ont t le fait de non-originaires. In fine les
eprsentations paysagres de Bourbon, lgitimes par la socit
lobale, ont pu tre incorpores par la socit locale. Les couches
ominantes (essentiellement la bourgeoisie blanche crole) vont rondre cette iinage attendue, dveloppant dans leur environnement
uotidien les signes intentionnels d'un paysage crole : la case et
a varangue, les jardins ornementaux et les arbustes d'agrment et,
u loin, les champs de canne qui ondulent au vent dans l'crin des
montagnes.. .
Dans le ngoce de l'imagerie tropicale la fin du xvrrf sicle,
es Mascareigness, qui gardent encore, on l'a vu, un air d'innocence
riginelle, inspirent une uvre tout entire dvoue la dmonstration
es harmonies naturelles : les ktudes de la nature de Bernardin de
aint-Pierre, et son roman Paul et Virginie, crits aprs son voyage
l'le de France en 1768-1771, tendent dmontrer que la nature
bit un plan divin d'harmonie, prparant les Harmonies de la
ature, dont l'dition sera posthume. La nature des les tropicales, et
es Mascareignes en particulier, constitue le meilleur exemple de ce
59
,lan, dont elles portent toujours les marques visibles ... (Joubert 1976 :
-63.) Dans le mme temps la culture du paysage commence
,planter localement, sous le signe de l'histoire naturelle et de la
jnmre. Le courant d'intrt pour I'histoire naturelle est sans doute
aux stsjours de naturalistes, dont la figure la plus significative,
,w de Saint-Vincent, faisait partie de l'expdition de dcouverte
voye dans les mers du Sud en l'an IX6. Ces visiteurs clairs
rent intresser leurs recherches un certain nombre d'habitants des
les. Bory de Saint-Vincent, qui parat tre le premier employer le
teme mme de paysage >> en ces contres, eut ainsi l'occasion de
mnconuer la planteur-botaniste bourbonnais Joseph Hubert, dont il
~s.critavec enthousiasme l'habitation de Bras Mussard. Il rencontra
[alement un autre habitant-propritaire, Patu de Rosemond, qui
adonnait la peinture des paysages7.
Ce va-et-vient entre l'imposition, par l'Europe, du paysage
,mme forme culturelle et la production d'images paysagres de l'le
l'usage du vieux continent, se poursuit au dbut du xwe sicle. On
lit alors le Bernica, que la description de Billiard, trs certainement
e par la bourgeoisie locale, a dii valoriser, promu au rang de paysage
nblmatique.
La production de Leconte de Lisle relative au paysage de Bourln est trs illustrative ?I cet gard. Certainement la lecture d'Indiana
: Sand avait dG jouer un rle dans la rvlation de la beaut et de
originalit des paysages de son le natale. Mais, ses dbuts, dans
ne volont d'puration anti-romantique, Leconte se ferma toute
ispiration personnelle. Ce n'est qu' la maturit qu'il laissa libre
3urs ses souvenirs, et se mit, s'inspirant de l'uvre de son compaiote A. Lacaussade (qui avait dj publi Les Salaziennes et Pomes
t paysages) cultiver l'exotisme tropical. Ce sont alors les sites
parmi lesquels son enfance s'est droule qui lui reviennent en mmoire, en particulier les deux ravines du Bemica et de Saint-Gilles,
qui se situaient de part et d'autre du domaine familial. C'est ?
cei
paysage intrieur qu'il puise, dans la mdiocrit de sa vie parisienne
(Estve cit par Jobit 1951 : 27), enrichissant l'imagerie tropicale
6.
7.
60
J.-L. BONNIOL
europenne, mais aussi noumssant le paysage de Bourbon, le magnifiant aux yeux des insulaires.
Dans la deuxime moiti du XIX"sicle, la Runion, sous l'emblme du thermalisme, devient la principale destination touristique de
l'ocan Indien. L e Bemica est alors un point de passage presque
oblig pour les visiteurs (une douche naturelle a mme t amnage la hauteur du premier bassin). Beaucoup de ces visiteurs
viennent de la meilleure socit mauricienne.
Mais j'ai nomm le Bernica. Le Bernica, une merveille de la nature !
Quiconque a visit Saint Paul et n'a point admir ce paysage, rendu clbre
par la description qu'en fait Georges Sand, dans Indiana,n'est pas un touriste
srieux. (Pooka 1888 : 208-211 .)
Ainsi s'exprime l'un d'entre eux, dans les annes 1880, sous le
pseudonyme de Pooka. Mais comment passer, lorsqu'on n'a pas pris
la prcaution de rserver une pirogue ? L'endroit semble peu propice
la nage : c'est ici mme, nous dit-il, que se sont noys Mme
Drouin, la femme du capitaine de vaisseau, et le jeune enseigne qui
tait all son secours... Fort heureusement, des pcheurs de cabots
sont l, tout prs, silencieux. L'un d'eux propose de servir de passeur,
en prenant le visiteur sur son dos ... Pooka peut alors poursuivre sa
visite jusqu'au Bassin Pigeons, spectacle frique, incomparable,
indescriptible. .. >>
Cet essor touristique de la Runion tmoigne de la rception des
mutations de sensibilit que connat l'Europe, en particulier de la
promotion de la Montagne (dans laquelle s'inscrit largement la
vogue du thermalisme), sous la bannire du sublime: dsormais les
hauteurs sauvages de l'le vont tre l'objet, de la part des visiteurs
comme des habitants clairs, d'une sollicitude nouvelle. Si la sensibilit se dployait jusqu'alors dans le registre bucolique, mis en
place essentiellement par Bernardin de Saint-Pierre, o les montagnes
escarpes ne jouent que le rle d'une toile de fond, on se lance
dornavant dans l'exploration des sublimes ou des belles horreurs , avec une rfrence explicite la Suisse, aux Alpes ou aux
Pyrnes. Les Explorations dans l'intrieur de l'le Bourbon, dues
la plume de L. Hry, professeur au lyce , tmoignent d'une nouvelle pratique de randonnes pdestres dans les Hauts, regroupant
touristes , guides ... et porteurs de bagages. Ces montes vers les
Hauts lvent l'me, et s'accompagnent souvent de la reconnaissance
de la grandeur divine :
ANAMORPHOSES DU BERNICA
61
intime, avec quelle humilitC profonde, l'homme, si petit devant ces gigantesques masses, proclame la majest du createur ! (HEry 1883 : 95.)
62
63
J.-L. BONNIOL
ANAMORPHOSES DU BERNICA
8.
9.
Terme technique, trbs usit la RBunion, designant le passage maonn, submersible en cas de crue, permettant le franchissement d'un talweg.
Rfrences bibliographiques
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Pooka, 1888, Choses de Bourbon, Port-Louis.
Roger, A., 1991, Le paysage occidental. Rtrospective et prospective , Le
Dbat, no 65.
Sand, G.. 1832 (lmdition),Indiana, rd. Paris, Garnier, dition annote de
P. Salomon, 1983.
Alain Mazas
1.
A. MAZAS
67
de naturalit (les deux alIcant toujours de pair) qui exprime une motivation individuelle et/ou collective qu'elle entretient en retour. Ainsi la place, expression et
ferment d'une urbanit marque chez nous par l'esprit de dCmocratie, ou, au
village, le clocher, signe encore efficace d'une convivialit marquk par l'esprit
d'galite ...
3. On rencontre aussi parfois le mot cornposanr utilis dans le mme sens.
A. MAZAS
69
,,
4.
Ces deux photographies font partie des sondages que nous avons effectues. Les
deux ont et6 majoritairement refuses comme paysages.
71
A. MAZAS
74
A. MAZAS
Le milieu est, avec le paysage, l'autre notion utilise pour initier les lves la
Rfrences bibliographiques
Les renvois aux manuels scolaires citent en premier lieu le niveau de scolarit : CP pour Cours prkparatoire, CE pour Cours lmentaire, c ~ pour
l
Cours
lmentaire 1" anne, etc. ; en second l'anne de parution sous la forme des
deux derniers chiffres ; en troisime le numro de la page d'o provient la
citation. Ainsi : (CE 1985 : 2-3) renvoie au manuel du Cours lmentaire publi.
en 1985 aux pages 2 et 3.
Berlan-Darqu, M. & Kalaora, B., 1991, Du pittoresque au "tout paysage " , De l'agricole au paysage, tudes rurales, no 121 - 124.
Berque, A., 1986, Le sauvage et l'artifice. Les Japonais devant la nature.
Paris, Gallimard.
1990, Mdiance :de milieux en paysages, Montpellier, Reclus (Diffusion
Documentation franaise, Pans).
1991, De paysage en outre-pays n, Le Dbat, no 65.
Claval, P., 1992, Champ et perspectives de la gographie culturelle , Go;
graphie et Cultures, no 1 .
Conan, M., 1991, Gnalogie du paysage , Le Dbat, no 65.
75
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Paris, Gallimard.
rajoud, M., 1994, Le paysage plusieurs, maintenant et apr-s... , Cahiers
de L'Institut d'amnagement et d'urbanisme de la rgion d'lle-de-France,
no 106.
,~by, G., 1991, Quelques notes pour une histoire de la sensibilit au paysage D, De 1 'agricole au paysage, tudes rurales, no 121- 124.
Mazas, A., 1994, L'anticipation des paysages , Cahiers de L'Institut d'am&nagement et d'urbanisme de la rgion d'ple-de- rance, no 106.
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no 17.
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Roger, A., 1991, Le paysage occidental. Rtrospective et prospective , Le
Dbat, no 65.
Martin de la Soudire
<< La Loire prend sa source ... >>
Le site du Mont Gerbier-de-Jonc en Ardche
C'est autant la cloche qui fait le lieu,
que le lieu qui fait la cloche
Proverbe qubkcois
Ethnographie de la dception
Le Gerbier, une fois que vous avez vu le tas de cailloux, on s'en lasse
vite (retrait install dans la rgion) '. Ma premire impression ?
1.
78
M. DE LA SOUD&RE
2.
3.
79
Patrimoine scolaire
,e Gerbier serait-il sans qualits, et sa notorit usurpe ? Ce ne sont
5.
Sur cette catkgone de grand site naturel , voir Andr Micoud ( 1 9 9 1 ~ ) .ainsi
que l'Environnement Magazine (1993).
On pourrait s'interroger sur le dveloppement tout rcent de la rflexion sur la
notion de haut-lieu >) dans les sciences humaines, comme en tmoigne notre
bibliographie.
8l
Topo
Quoiqu'avre, cette interprtation prsente nanmoins une insuffisance qui incite largir le raisonnement. Comme le montre a contrario la faible frquentation d'autres lieux de notre gographie scolaire
(le plateau de Langres ou celui de Millevaches par exemple), le
registre patrimonial ne suffit pas lui tout seul expliquer le succs
du Gerbier. Celui-ci recle d'autres pouvoirs de sduction. D'abord
la double nigme qui s'y attache : celle d'une tymologie (Gerbier ?
Jonc ?)6, et celle d'une localisation (quelle est la << vraie )> source ?) '.
Ensuite, la rencontre d'une srie de motifs, de topoi' : source, fleuve,
6.
7.
8.
. Une longue inscription grave sur une plaque orne I'entrCe de la ((Ferme de la
Loire qui abrite la source (la plus) officielle ( !) de la Loire. L'imaginaire
vhicul par le thme de la source en g6nral est trs puissant, comme en
tmoignent la litterature et la peinture. C'est bien sr un topos , un locus
amanus ( lieu de dlices 3). identifik comme tel depuis I'Antiquit6 au mEme titre
que les plantations, les jardins, la brise 1gre, les fleurs, le chant des oiseaux, les
fruits, la fort et la plaine arrondie en couine (Adam 1993 : 43). 11 est port A son
comble dans certaines cultures, en Inde par exemple, o dans i78tat d'Uuar
Pradesh, la source du Gange est l'objet d'un culte qui attire des milliers de
plerins, 4 200 mEtres d'altitude (renseignement transmis par une indianiste et
amie, Noelle Gmier).
La Loire n'est-elle pas, comme aiment & rappeler les cologistes, outre le plus
long, le dernier fleuve sauvage de France ?
Plus gnralement, tout fleuve exerce un trs fort attrait. En tmoigne par exemple
la srie d'articles consacrs, tout au long du mois d'a001 1993, par le journal
Libration, aux fleuves franais, ou encore la statue qui trne A Paris, dans le
square de la place Louvois !
Projet qui fut abandom4 aprs que de vigoureuses protestations se furent leves,
dont celles d'un cenain Docteur Bailly, rapportes par J.-M. Gards (1990 : 93) :
J'ai ou dire que des statuomanes rveraient d'lever, au milieu de cette solilude,
un monument symbolique des sources de la Loire... Quelle barbare pensee !...
Nous avons le droit d'exiger que les altitudes soient indemnes de sculpture...
D'ailleurs, les personnes affames de symbolisme n'ont qu' regarder autour
d'elles: la nature s'est ici charge de traduire par les lignes memes du paysage
l'humeur et la destinee du fleuve.
Tout sommet polarise le regard et l'attention. Chaque rgion a son sommet emblmatique (les Pyr6nes : le Pic du Midi d'Ossau et le Canigou ; la Provence : le
Ventoux ; l'le de la Runion : le Piton des Neiges ; etc.), mme le Nord avec son
Mont Cassel (176 m d'alt. !). Quant au volcanisme, fascinant et intrigant, il est
clbr, aussi bien par les populations locales (au Mexique par exemple, cf. JeanLouis Pemer, Mexico, la " femme blanche " et le " mont fumant " , Le Monde,
25.12.93, propos du Popocatpetl et de l'lxtaccihuati), que dans la posie (cf.
Ecuador, de H ~ MMichaux, etc.).
L'anthropologie ou la posie fournirait d'ailleurs maints exemples de ce phnomene de cohabitation des conh-aires (par exemple la neige et le feu. comme Gilbert
Durand l'crit dans Psychanalyse de la neige , 1953 : 615-639). Ainsi, propos
83
,,
Le Gerbier, super-star
iinuigue tant maintenant dnoue, l'nigme rsolue, il faut voquer
a mdiatisation dont le Gerbier est l'objet : le paradoxe de la dcepion qu'il provoque n'en est que plus flagrant.
On le sait, les raisons que le visiteur ou le touriste se donne
d'aller voir telle ou telle curiosit sont insparables de celles qu'on
lui donne, lui prescrit, voire lui intimet4.Ente sur le souvenir qui
nous reste et l'cho qui nous parvient encore de notre enfance d'coier, la notorit du Gerbier a t socialement construite, soigneusenent entretenue, puis tout rcemment r-utilise - continuit qui
:ontraste avec la relative dsaffection, par les touristes, de cet autre
aite naturel ardchois qu'est le bois de Paolive". On ne peut ici
qu'tre bref.
Chronologie : 1898 : vente d'un terrain au pied du Gerbier au syndicat
j7initiative du Velay, et construction par celui-ci, en 1904, d'un u chaletrefge ; 1920 : remplacement de l'auge en bois recueillant le premier filet
J'eau d e la Loire dans la K Ferme d e la Loire par u n bassin e n ciment ;vers
1910-1920: cession du chalet-htel au Touring Club d e France; 6 fvrier
1934 : << classement du site ; 1936 : largissement d e la route e t crkation d e
la plate forme (actuel parking) ; 1984 : projet de dfinition d'un ((primtre
sensible ; 1985 : vente d'une des deux proprits agricoles s'tendant sur
les pentes du Gerbier ( R o t t e D) (sic !) h la commune d e Saint-Martial ;
depuis 1984 : reaiisation de plusieurs &tudes paysagres (par la DRAE RhneAlpes, etc.) ; depuis 1990 : tenue d e nombreuses runions (en particulier
l'initiative du conseil gnral d e l'Ardche) en vue d e l'amnagement du
site; 1 6 juillet 1994 : inauguration de l'exposition d'ouverture au public d e
de l'eau emprisonnke dans ceriaines agates ou cenains quartz, Roger Caillois nous
dit: A coup sr une eau les habite, demeurCe pnsonnihe dans une gele de
pierre depuis le dbut de la plante. Le dsir nat alors d'apercevoir cene eau
antkrieure... eau captive... eau gblogique ... (Caillois 1971).
14. Rappelons l'analyse aussi fine que critique, et toujours d'actualitt, de Jules Gritti :
Les contenus culturels du Guide bleu , Communicalions, no 10.
15. Massif forestier se dveloppant sur des roches de calcaire ruiniforme, prs des
Vans, maintenant infiniment moins frquent qu'il y a une trentaine d ' a n n k , o
il drainait de nombreux visiteurs pour qui il tait un site n h voir absolument !
Bourlatier - Mont Gerbier-de-Jonc ( ferme-mmoire de la montagne ardchoise 3 ) h quelques kilomtres des sources de la Loire.
Fr6quentnlion dans les unnkes 1930-1960: clientle aise de Vals-lesBains (station thermale situe prs d'Aubenas), de saint-tienne, Lyon ou Le
Puy en cure d'air , ou en excursion d'une journe par autocar (Le Puy ou
Aubenas / Mont Mzenc / Gerbier 1 Lac d'lssarls 1 auberge rouge (Peyrebeilhe). Vers 1946-47 : lancement du <<baldu Gerbier , qui se tenait en
juillet.
Depuis 1960. Trs forte augmentation du nombre des visiteurs, actuellement au nombre de 200 300 000 par an environ. Diversification: la
clientle traditionnelle des familles en vacances, s'ajoute celle des randonneurs, ainsi que celle des agriculteurs et ruraux des communes environnantes.
Images d u Gerbier. Revue de presse. Leur anciennet: nombreux tmoignages de voyageurs fin xixC,dbut xx' sikcle. Abondantes et logieuses
mentions ou descriptions dans les guides touristiques rcents, la littrature
rgionale, etc. Articles dans Gto, Libration, Bonne soire, etc. Omniprsence
de la photo ou de la silhouette du Gerbier sur les supports les plus varis:
annuaire tlphonique dpartemenlal, chques du << Crdit agricole de l'Ardkche, couvertures de guides touristiques, dCpliants rgionaux, cartes postales
bien sr (avec les deux versions : thiver), etc. 16.
C'est donc un vritable matraquage publicitaire que subit le touriste. Dans ces conditions, il n'a gure le choix de ne pas faire D le
Gerbier, qui est l, incontournable, presque obsdant (cf. le randonneur cit plus haut).
la vraie
Conclusion :
nature >> du Gerbier ?
<<
Disons-le brutalement : comme d'autres lments ou zones de I'esPace rural, le Gerbier tend A se transformer en << produit ardchois,
issu de la valorisation actuelle, tant par l'administration dpartementale, les municipalits, les agents touristiques ou les commerants, de
16. Quelques citations suffisent faire sentir cette hyper-mdiatisation : Aux souvenirs
mus des premiers voyageurs (tel, au dbut du sicle, Auguste Chirac, cit par
J.-M. Gards (1990), dclarant avant de s'y rendre que la Loire tant sous tous
les rapports le plus noble et le plus potique des fleuves de France, la montagne
qui lui donne naissance doit tre la plus noble et la plus intressante de toutes ),
rpond l'insistance des actuels guides touristiques. Le mot inoubliable y apparat conune un leitmotiv. C'est l'un des plus prodigieux belvdres naturels
de notre pays , est-il crit dans le Guide de L'Ardche (1987) qui poursuit : a De
l-haut, le spectacle est inoubliable.
85
17. Certains lieux de plerinage d%oivent en tant que lieux : modestes, triquks (ainsi
le site marial de Pontmain, en Mayenne). Mais, comme l'crit Alphonse Dupront
(1990) : L a frquentation est la cration mme. Dfils processionnels de plerins, de visiteurs, de touristes [...] lentement consacrent le lieu. Sur ce Lhme,
voir Tourisnle religieux D , 1993, no 30 de la revue Les Cahiers Espaces.
LA
18.
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<.
Maurice Bloch
traduit de l'anglais par Christine Langlois*
Devenir le paysage
La clart pour lei ~ a f i m a n i r ~
.
Le paysage
PI:
90
DEVENIR LE PAYSAGE
M. BLOCH
Ricemmerit de nouvelles varits de riz sec ont 6r cultives en pays Zafimaniry de manire exprimentale, mais elles ne reprsentent pas encore un rtcl
poids conomique.
1
1
91
sur des terres presque totalement dpourvues de forts, furent autrefois des Zafimaniry, mais qu'ils sont maintenant devenus des Betsilo
2 cause de la transformation de leur environnement naturel. Ceci peut
sembler quelque peu trange ceux qui ignorent les reprsentations
de l'ethnicit mais, comme Rita Astuti le souligne trs
&irement (1995), ces conceptualisations de l'ethnicit sont plus lies
au mode de vie men par une personne donne qu' l'identit de ses
parents. Ainsi, dans un cas comme celui-ci, o le changement de
l'environnement conduit un groupe adopter le mode de vie d'un
autre groupe, en fait-il dsormais partie4.
De faon assez surprenante, les Zafimaniry ne semblent pas se
soucier de cette a d-ethnisation , bien qu'ils trouvent ce processus
us intressant et qu'ils en parlent continuellement. Ils ne semblent
ni le regretter ni tenter d'y rsister5.
Cette indiffrence se reflte galement dans la manire dont ils
peroivent le recul de la fort et l'avance de cette soite de steppe.
Quand sur le terrain, avec ma sensibilit imprgne des ides de
Rousseau et de Sibelius, renforce chaque soir par les comptes rendus
larmoyants de la BBC internationale consacrs la disparition des
forts dans le monde, j'essayais dsesprment de faire dire ceux
qui m'entouraient combien ils deploraient l'volution de leur environnement et l'extinction de toutes les espces biologiques qui en
tait la consquence directe, je n'obtenais jamais la moindre rponse.
Mme si, occasionnellement, l'un d'eux me signalait, de manire
dtache, quelques inconvnients mineurs dus la dforestation.
Un soir, assis sur un rocher, aux cts d'une fenune ge que je
connaissais bien, me laissant aller au type de conversation quelque
peu sentimentale dont elle tait friande, comme nous regardions
la fort incendie par le soleil couchant (un des rares jours oh il
ne pleuvait pas), je pensai le moment bien choisi pour lui faire
dire coinbien elle aimait la fort et regrettait sa disparition, aussi
lui en posai-je la question ... Aprs mre rflexion, elle me rpondit
4.
5.
Ceci est grandement facilit pai- le fait que les Zafimaniry et les Betsileo parlent
un langage presque identique.
Ils considrent que le climat et l'environnement affectent directement les gens par
le biais du genre des activits qu'ils conditionncnt. Ils soulignent que dans un
envirommcnt comme le leur il faut travailler trs dur, et que ce travail les forme
psychiquement et physiquement. Par contraste, ils disent que si I'on vit longtemps
dans les rCgions trks chaudes de Madagascar on devient faible, et que, si l'on n'a
pas besoin de porter, comme eux, de lourdes charges (par exemple si I'on possde
des charrettes comme les Betsilo), on s'affaiblit galement.
92
DEVENIR LE PAYSAGE
M. BLOCH
De belles vues
I
I
1
1I
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collines et des montagnes en vue et des villages et des villes qui les
ont surmontes ou les surmontent toujours. Plus les montagnes visibles sont distantes, et quelques-unes sont fort loignees du pays
Zafimaniry, plus la vue est prise. Mes compagnons prenaient un
gand plaisir montrer qu'ils savaient nommer la plupart des collines
et des villages, m'apprendre leurs noms, tester ma mmoire, et,
l'occasion, ?
me
i pousser h taler mon savoir devant un de leurs
amis qui restait mduse qu'un tranger puisse connatre de telles
choses.
Par-dessus tout, c'est la possibilit de voir claireinent qui est
souligne sans cesse. Cette apprciation ne peut se comprendre vraiment que si l'on n'oublie pas deux spcificits de l'environnement
naturel des Zafimaniry qui expliquent le manque de clart habituel
ce pays.
Tout d'abord, le terrain est la fois montagneux et bois, ce qui
empche de voir loin. La fort qui doit tre traverse pour aller d'un
village 2 l'autre, ou pour se rendre sur leurs brlis, est, par endroits,
si dense que les Zafimaniry s'y perdent souvent, et parfois mme
n'en reviennent pas.
En second lieu, la rgion est, la plupart du temps, enveloppe de
brumes, la pluie et les nuages s'accrochent la fort presque toute la
journe, rduisant la visibilit quelques mtres. Il n'est pas surprenant que les Zafimaniry dtestent et redoutent ce brouillard, et qu'ils
grommellent ds qu'ils doivent se rendre dans la fort pour la corve
de bois quotidienne, ou pour tout autre motif, grelottant dans leurs
habits minces et permables.
La clart a donc une grande valeur pour eux, la fois pour des
raisons esthtiques et parce qu'elle est associe des conditions de
vie agrables. Toutefois, dans leur culture, cette notion n'est pas
seulement lie la vue. Elle va beaucoup plus loin: ainsi, pour
exprimer son respect et son admiration un orateur qui parle, comme
un ancien doit le faire, au moyen de formules et de proverbes ancestraux, doit-on l'interrompre toutes les deux phrases en s'exclamant
admirativement K mazava , clair ! .
La valorisation de la clart par les Zafimaniry peut aussi se lire
dans le fait que leur remde le plus puissant, employ contre la plupart
des maux, est nomm Fanazava , ce qui signifie littralement << ce
qui rend clair .
Il me semble que c'est en saisissant la valeur centrale du concept
de clart, et ce qui motive l'enthousiasme pour les points de vue trs dgags, que nous pouvons partager les notions morales et esthtiques
M.BLOCH
La perception de l'environnement
proverbe le plus utilis par les Zafimaniry est : Ny tany tsy miova
ny olombelona no miova6, que l'on peut traduire ainsi : << Tandis
e la terre7 ne change pas, les tres humains vivantss changent.
Ce proverbe, comme beaucoup d'autres, peut tre une introducn utile aux concepts Zafimaniry sur les relations que les tres
mains entretiennent avec leur environnement. Il reflte une consnce constante de la fragilit et de la brivet de la vie humaine
ns un monde qui n'est pas concern par leurs problmes et qui, de
fait, les atteint aveuglment. Pour dsigner cet environnement
diffrent - la fort, le ciel, le temps qu'il fait - on se rfre
driamanitra ou Zanahary, mots que les missionnaires ont choisi
traduire par Dieu 9,mais qui, pour les Zafimaniry, reprsentent
e force diffrente de la version europenne du Dieu des chrtiens.
r Dieu n'est pas ici associ un dessein moral mais la force du
stin, qui ne rcompense ni ne punit, mais simplement vous affecte
laquelle vous ne pouvez rsister9. Dieu, dans ce sens, reprsente
paramtres extrieurs immuables, y compris la topographie, qui
us touchent de manire inexplicable.
L'environnement naturel, manifestation de Dieu, est donc un
dre permanent et indiffrent dans lequel doivent vivre des tres
mains prcaires et faibles. Toutefois, les choses ne se prsentent
s tout fait aussi mal qu'on pourrait le croire, puisque, mme si
terre ne change pas, les hommes, dans certains cas, peuvent s'y
grer de manire quasi permanente et transcender ainsi leur nature
rtelle.
Ce proverbe presente un grand nombre de variantes mais son sens reste le mme.
J'ai choisi cette version comme ttant la plus simple.
Le mot malgache rany a autant de sens possibles que le mot franais a terre .
Le mot usuel malgache pour les tres humains D. olonbelona, signifie littraiement personnes vivantes .
Le mot anjura est souvent employ pour dsigner cctte notion ; il est waduit dans
le dictionnaire par part n, sort , destine , u tour (Abinai et Malzac 1988 :
49).
DEVENIR LE PAYSAGE
95
Le mariage et la maison
:ette possibilit se ralise lorsqu'ils arrivent se reproduire rguli:ment, se rapprochant ainsi de l'immortalit. Car chaque grossesse
son terme, chaque enfant qui atteint l'ge adulte, chaque
dulte qui a des descendants, est le rsultat d'une entreprise la
tussite incertaine1'. Mais quand on arrive cumuler de tels succs,
n dpit de l'indiffrence de l'environnement cosmique, alors la vie
,,umaine commence acqurir une qualit, qui ne lui est pas intrin&que mais qu'elle peut parfois atteindre : une certaine permanence
qui peut se rapprocher de celle de la terre.
Ceci est possible car chaque famille << vivace >>, ou plutt chaque
nariage vivace , se mue en un objet permanent et durable, la
naison du couple fondateur. Russir, c'est donc transformer son maiage en trait prenne de la socit et du paysage, la maison tant la
natrialisation de ce succs.
Car on pense, et on dsigne, le mariage avant tout comme un
noyen << d'obtenir l'emplacement d'une maison pour un foyer1'>>. Et,
le mme que le mariage stabilise un couple et produit des enfants,
des petits-enfants, etc., de mme la maison de ce couple, en vieillissant, devient de plus en plus permanente car ses murs de bambous
tresss seront progressivement remplacs par de lourds et solides pans
de bois, dcors de gravures qui en clbrent le caractre prenne''.
11 s'agit d'un dveloppement tout fait naturel, car il est du devoir
des enfants, de leur petits-enfants, etc., de durcir >> la maison de
leurs ascendants et de la rendre belle en en gravant le bois. L e succs
du mariage en matire de reproduction devient un succs architectural
qui s'attache la terre, mlant ainsi aspect social et aspect matriel.
Mais la mort du couple fondateur ne met pas fin cette volution,
les descendants continuent a durcir D et embellir la maison de
leurs anctres. Ainsi, petit petit, par sa transformation mat6rielle et
par le nombre des descendants issus du couple qu'elle reprsente, leur
maison devient une << maison sacre , o les << enfants >> obtiendront
10. Cette affirmation n'est pas gratuite mais se fonde sur de nombreux lments
96
DEVENIR LE PAYSAGE
M. BLOCH
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15.
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M. BLOCH
Il existe une exception : devant les tombes les personnes F i g h font un effort pour
s e rappeler les noms de personnes.
18. A cause de l'opposition de l'glise catholique cette pratique est devenue us rare
ces dernieres annees, bien que des pratiques alternatives, ayant le mme but,
soient en train de s e dvelopper.
19. Le monument la rnmoire d'un homme tait parfois en bois, dcor de gravures
idenuques celles du pilier central des maisons. Je pense qu'il s'agit l d'une
premire tape avant l'rection d'un monument de pierre, mais je n'en suis pas
certain car il y a fort longtemps que de tels piliers de bois n'ont plus kt6 rigs.
D e manitxe assez droutante ils sont appels piemes masculines en bois .
DEVENlR LE PAYSAGE
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DEVENIR LE PAYSAGE
101
La clart et les
deux sortes de paysages
Si j'ai bien interprte les motions des Zafimaniry et leur apprhension du paysage, nous pouvons maintenant comprendre leur apparente
indiffrence devant la destruction de la fort et la cration de nouvelles rizires en terrasses.
Mise part leur valuation pratique de ce processus qui, tout
prendre, est plus positive que ngative, les Zafimaniry, ma surprise,
ont souvent fait l'loge de ces terres, o la fort a cd la place au
riz, en utilisant le mme mot mazava qu'ils emploient pour dsigner
de belles vues. En un certain sens, la raison en est vidente. Les forts
dfriches sont bien sGr plus claires, de mme que les rizires en
terrasses. Non seulement elles permettent de voir plus loin, mais,
contrairement la fort, elles n'attirent pas la brume et les nuages.
Toutefois elles reprsentent aussi autre chose (bien que je doive admettre qu'on ne m'en ait jamais tant dit). Les valles plantes de riz
tmoignent aussi de ce que l'activit humaine a finalement russi
laisser son empreinte sur une terre immuable. Elles symbolisent une
russite encore plus grande que celle des villages, en permettant
d'atteindre le but poursuivi par les anctres, sans pour autant changer
les humains en pierres, ce qui peut paratre une victoire la Pyrrhus.
102
M. BLOCH
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Agns Fortier
Le TGV et le canal
Le paysage des infrastructures de
transport prs du Creusot
Le dveloppement des infrastructures de transport amorc dans le
I
l
i
1
3.
Voir en particulier les articles de presse relatant les conflits lis au passage du
TGV en Provence, ou encore les manifestations conue I'implan~ationde lignes A
haute tension reliant les Pyrnes l'Espagne.
Cette prise de conscience mane principalement des cologistes, l'origine de
nombreuses manifestations.
Se reporter aux travaux de Bailly. Raffesrin, Reymond (1980). Jodelet (1982).
l s'agit d'un canal point de partage avec deux versants : le versant Ocan en
direction de la Loire. et le versant Mditerrane orient vers la SaGne. Le point
de partage tant inclus dans la zone d'tude.
LE TGV ET LE CANAL
Le canal
une figure emblmatique
!
1
6.
7.
8.
-.
LE TGV ET LE CANAL
A. FORTIER
Le canal est non seulement un lieu d'activits conomiques ines, mais il est aussi un espace de vie sociale et de rencontre entre
rentes cultures. Des liens de commerce mais aussi d e troc s'tasent entre les riverains du canal et les mariniers, ces nomades
quels on attribue des murs tranges. Les canalous ,ainsi baps par les gens d e terre , suscitent non seulement une grande
iance, mais sont galement l'objet de rumeurs, de lgendes, du
de leur mode d e vie singulier9. Personnages hauts en couleur, ils
leur manire contribu << faire vivre le canal, lui accorder
place centrale au sein de la localit.
Parmi les facteurs tmoignant de l'importance d e cette voie
u, il faut aussi voquer la multiplicit des toponymes, encore en
ge aujourd'hui, lis au canal du Centre. Au-del des noms de lieux
me le site des sept cluses , la route du canal , tout ce qui
attache ce lieu - difices publics, associations, domicile, etc. marqu par ce rfrent. On parle en effet d e l'cole des sept D,
la chapelle des sept , des gens des sept , par opposition
x du bourg, implants sur la rive oppose.
Dans le contexte actuel, marqu par le dclin des activits inrielles locales (bon nombre d'entreprises ont ferm leur porte
s s e s et dans les environs) et par la difficult de trouver des
lois, le canal apparat, avec le recul du temps, comme un symbole
rosprit. Il renvoie l'ge d'or de la commune. D'oh les voons, frquemment teintes de nostalgie notamment chez les plus
ens, de cette voie d'eau qui a fait longtemps la richesse du pays.
Le
un monument de
la technologie franaise
TGV,
Accuss d'we des forts en gueule . d'avoir une sympathie prononcde pour
l'alcool, et une tendance chaparder ce qu'ils trouvent sur leur passage (volaille,
etc.), les canalous s'apparentent a u x strotypes de ceux que l'on nomme les
bohemiens ou les gens du voyage.
109
,
1
t
1
Et d'ajouter :
C'est pour ainsi dire l que les rames sont nes, quoi, enfin, la partie
principale. 'O
Considr comme une grande prouesse technologique, dot de
capacits encore ingales, le TGV est aussi admir pour son esthtique, ses lignes, son desine >>.
Les teintes sont belles ,Moi, je trouve joli depuis ici (lieu de rsidence) de voir les rames qui passent. Quand je vois l'entre du pays. le
10. La tendance manifeste de la pari des Locaux s'approprier la conception du n;v
par le biais de l'entreprise locale Creusot-Loire, s'exprime galement ?I travers le
savoir et la connaissance dont chacun dispose sur cette formidable invention B.
On rivalise en quelque sorte pour tre au plus prs de cette cration. C'est le
cousin de ma femme - declare non sans fiert, un technicien EDF, la remaite qui est le pre des bogies du TGV qui ont t construites l'usine du Creusot.
Alors bien sr, il passe me voir, il m'en parle. Et puis j'ai participe aux premiers
essais...
A. FORTIER
quand y'a une rame qui passe sur le pont (...)je vois l'tang, je me dis :
anque un clairage. Je trouve que a donne un certain chic l'enviement.
LE TGV ET LE CANAL
111
On ne va pas dire qu'on ne l'entend pas, mais disons, on n'y fait plus
atten"n.
L'inverse a pu tre observ. Des familles sont venues s'implanter dans des habitations toutes proches de la ligne du TGV.
112
LE TGV ET LE CANAL
A. FORTLER
:
:
i
1
1;
'
113
14.
Jean-Franois Simon
Rurbanisation et paysage
Le cas de Plouzan
(Finistre)
Rfrences bibliographiques
est gnralement admis qu'un paysage est peru comme tel par un
observateur extrieur l'espace qu'il regarde. Le paysage serait l e
rsultat d'un regard nouveau pos sur un Ailleurs. Qu'en est-il ds
lors de la perception qu'ont de leur espace les habitants d'un lieu ?
En fait, l'existence d'un paysage plouzanen >> a d'abord pris sens
avec l'intervention de l'Autre sur l'Ici. ..
A partir des annes 1960, la commune connat une progression
dmographique sans prcdent, qui fait passer la population de 2066
habitants en 1962 11428 en 1989. De nouveaux habitants sont
arrivs en masse, imposant leur marque sur l'espace, le transformant
brutalement en << paysage .
Le paysage a chang
i
i
1.
J.-F. SIMON
RURBANISATION ET PAYSAGE
'I
1
i
I
'
8. Plouzan
photographie rend compte des principaux lments constitutifs du paysage de
uzan.
'arrire-plan, on peut observer l'espace agricole : un bocage dont le remembrent a largi les mailles. Il s'tend, sans accident, jusqu'h la ligne d'horizon, donne
la surface d'rosion du plateau du Lon. 84 agriculteurs exploitent Plouzan
50 ha de surface agricole utile, soit 61 % de la superficie communale.
premier plan, droite, on aperoit de petits immeubles. Ils fournissent la
mmune son aspect urbain le plus prononc. Leur architecture tmoigne d'une
anisation rcente. Au debut des annes 1980, les nouvelles constructions ont
par rejoindre, pour bientt totalement les englober, quelques maisons indivielles qui, quinze ans plus tt, avaient contribu au rnitagen du paysage,
pectant toutefois le bocage prexistant, comme l'attestent le talus et les arbres
cachent encore partiellement les deux pignons blancs.
re les deux plans, s'tend une zone d'habitat pavillonnaire dont l'ancrage, dans
pace et le temps, est matrialis par la prsence du clocher de l'glise de la
oisse. (Photo J.-F. Simon, 1992.)
L'espace plouzanen ne fait pas alors paysage D... La mer pourt borde au sud le territoire communal2, mais nul ne s'y arrte. Les
isons fuient le littoral expos et se rfugient dans les valles des
Le rivage plouzanen est une falaise abrupte qui constitue la rive nord du Goulet
de Brest. Du haut de cette falaise, on peut voir la rive opposke, au sud, la rade
de Brest, l'est et le large, l'ouest.
misseaux ctiers sans se soucier d'ventuelles perspectives paysagres. Quand bien mme cela serait envisageable, compte tenu de la
topographie de lieux permettant la fois de mettre la maison l'abri
des vents du nord et de l'exposer au midi, la disposition des btiments
a vite fait de limiter l'horizon.
Il faut arriver d'ailleurs pour prendre conscience de l'intrt paysager qu'offre le bord de mer : les premieres villas s'installent au
dbut du xx" sikcle, sur la falaise, face au large. Mais, pour mieux
souligner l'incongruit d'une telle dmarche, on se plat rappeler
qu'un officier allemand eut la rn&rneintention pendant l'Occupation !
Ce n'est que tardivement, en 1973 avec l'installation d'une table
d'orientation face la mer, puis en 1989, avec l'ouverture d'un sentier
ctier, dit de douaniers3, que l'on manifeste localement un int6rt
pour le site, quoique ces amnagements soient surtout faits l'usage
de l'Autre et destins Zi provoquer un regard sur 1'.4jlleurs, de l'autre
c6t de la mer.
Dans ces conditions, le regard sur l'Ici ne paraissait pouvoir
natre que de la distance prise par rapport l'espace habit. Il a t
le fait d'tudiants, de fonctionnaires, un moment loigns de leur
rgion d'origine mais dsireux d'y revenir un jour et soucieux de ne
pas perdre le contact. Dans leurs archives, de vieilles photographies
jaunies, la proccupation panoramique manifeste, en fournissent
aujourd'hui le tmoignage : la trace qu'a laisse une punaise rouille
dvoile elle seule l'intention du photographe. La vue panoramique
tait alors centre sur le clocher de l'glise paroissiale.
Et puis, brutalement, l'Autre est arriv et du mme coup l e
paysage a chang. En l'espace de cinq ans, de 1964 1969,
229 maisons destines loger une population surtout venue de Brest,
sortent de terre dans un primtre limit. Bien entendu, aucune intention ne se manifeste alors pour tenter d'intkgrer les habitations nouvelles au parcellaire existant. La ville qui s'installe la campagne lui
nie toute existence antrieure et entend au contraire lui imposer sa
marque. La politique d'amnagement suivie est celle de la table
rase >> : on commence par crer, coups de bulldozer, un vritable
glacis o sont ensuite disposs les habitations et leurs jardinets, d e
part et d'autre de rues se coupant angles droits, comme dans les
faubourgs.
3.
RURBAMSATION ET PAYSAGE
1.-F. SIMON
119
D'autres interventions sur l'espace viennent conforter ce sentiment que c'est par la volont de gens de l'extrieur que le paysage
se transforme. Ainsi en est-il par exemple des travaux d'une certaine
envergure entrepris pour canaliser l'eau courante, et plus encore, pour
remblayer les zones marcageuses, afin d'accrotre les zones constructibles. Ces oprations se font alors en contradiction avec les reprsentations locales, selon lesquelles de telles zones taient impropres
toute implantation humaine permanente.
<<
Le paysage va changer
'
6.
RURBANISATION ET PAYSAGE
Pour sensibiliser l'opinion A leur projet, les militants n'ont pas recours
aux images du pass, mais aux photographies ariennes qui, mettant
l'observateur dans une perspective inhabituelle par rapport son espace de vie, provoquent chez lui un autre regard et lui permettent de
traduire son espace en paysage.
:
1
1
121
Nombreux sont ceux qui improvisent une astuce technique pour maintenir le leur bonne hauteur : ils y ajoutent rgulirement des mottes
de terres. Les services municipaux ne sont pas en reste, qui maintiennent les talus par des <( stoppe-talus >> et autres talublocs >> en
ciment. 11 est vrai qu'il n'est pas concevable, l'heure actuelle, d e
voir la mairie se payer les services d'un << faiseur de talus , qui irait
avec sa large houe (cc la marre ), remonter, ici et l, la terre sur les
talus communaux, comme chaque paysan le faisait encore pour les
siens au lendemain de la dernire guerre.
A l'heure actuelle, on songe aussi rparer les atteintes portes
au bocage, soit par le remembrement des annes 1960, encore que sa
portee ait kt6 limiibe, soit par 17urbanisation rapide de la commune.
Des leves de terre, qui rappellent les talus nagure construits la
main, sont 6riges mkcaniquement un peu partout: dans les jardins
publics, pour cloisonner l'espace en un microbocage ; le long des rues
- dnommes <c avenues - pour servir de barrages antibruit ; ou
encore le long des routes de campagne, pour remplacer ceux qu'il a
fallu abattre lors de travaux d'largissement. Mme en zone rurale, il
arrive qu'on en construise pour sparer deux parcelles.
C'est dans ce contexte que se situent les actions menes par Paysage
pour Plowan, qui organise notamment chaque anne, depuis 1991,
sa Journe de l'arbre, en concertation avec la mairie et les services
techniques municipaux et en faisant appel toutes les bonnes volonts. L'objectif annonc, en 1993, est
la plantation de haies ou de bandes boises, dominante d'ornementaux
dans les espaces commerciaux et d'arbres et arbustes l o il est intressant
de retrouver l'aspect bocager,
J.-F. SIMON
ur le reconstituer, sont avancees. Elles sont le reflet des proccutions cologiques contemporaines que l'on n'hsite pas d'ailleurs
prter aux anciens : il est sans cesse rappel que les talus boiss
nt office de rgulateurs thermiques, qu'ils sont un frein l'rosion,
'ils constituent des milieux propices au dveloppement de microserves naturelles, etc., mme s'il est peu probable que l'on puisse
ritablement prter l'ensemble de ces prkoccupations aux btisseurs
s premiers talus. Depuis longtemps, les gographes ont fait remarer, par exemple, que les secteurs les plus vents de Bretagne, les
gions ctires et les les, en sont aussi les plus dpourvus.
11 n'empche qu'en basse Bretagne, l'heure actuelle, le bocage,
malmen par les oprations de remembrement des annes 1960,
uve aujourd'hui d'ardents dfenseurs : des articles, des ouvrages,
s vidos paraissent, des stages et des cours mme sont organiss
ur expliquer l'importance des talus et pour montrer la manire de
r construction, incitant de la sorte les nouvelles gnrations
produire les gestes des anciennes.
Au-del de l'intrt paysager et cologique reconnu au bocage,
semble donc considrer ce dernier comme un moyen, parmi
utres, de faire valoir son identit. A Brest, dans un quartier de
its immeubles rcemment construits, un talus a t reconstitu. n
rde une rue nouvellement trace, l'une des rares 2 porter un nom
ton : Rue Avel Sterenn , Rue du Vent du Nord. Le rapprochent de ces deux pratiques est significatif: le bocage est un paysage
ton !
Judith Epstein
1.
2.
J . EPSTEIN
ayant t rcemment dtruits3, le site du Puits Ricard forme aujourd'hui une friche de 30 hectares s'tendant jusqu' la gare, bante,
grise, ferme au nord par une haute colline d e remblais.
3.
Cela se fit dans le cadre d'une opration de K prverdissement dont le site a fait
l'objet de 1989 1991 ( N Requalification paysagre du site minier de la Grand'
Combe ).
125
5.
Le CC ruisseau sans nom D . le cours d'eau souterrain canalis qui passe sous la
friche industrielle au cur de la Grand'Combe, est encore l. Mais tout autour de
la ville, le creusement des galeries a depuis longtemps cass de nombreuses
sources. L'asschement du paysage et les plantations de pins, rendent tout le
pourtour de la Grand'Combe vulnrable aux feux ; des incendies se produisirent
maintes reprises ces dernires annes vers Champclauson et, plus au nord, vers
Portes.
Cette nouvelle exploitation n'a par ailleurs cr6 qu'une centaine d'emplois.
J. EPSTEIN
Les jardins
les observations que nous avons faites et dans les propos recueillis, les
ns et l'association Paysage-nafure-indusfrie
joue un rle beaucoup plus fori
'habitat et l'association Paysage-habitai-industrie.Mais comme cela a C t t
par Taurines et Cammarata (1988), le 161e de la mine dans la configuration
habitat semble avoir kt6 important dans le faonnement de la morphologie
space. Ces auteurs signaient h configuration d e l'habitat suiveur de gaie, liC la veine de charbon , et des villages organisks aussi selon les
es avec peu ou pas de cltures autour des maisons de sorte qu'on observe
illages sans limites (1988 : 3-5).
me dans d'autres lieux touchCs par la crise conomique, la description du
ge est le prtexte tvoquer un passe quasi paradisiaque. C'est I' $ge d'or
que dont il est question A plusieurs reprises dans cet ouvrage.
8. 11 s'agit d'un petit wagon qui servait recevoir le charbon et le transporter dans
les galeries.
9. Ces boiseries Ctaient issues des anciennes techniques de boisage utilises pour le
soutnement des plafonds de galeries.
10. Selon Taurines et Cammarata, dans certains cas, des btiments miniers (hangars,
ateliers, anciennes curies) taient associs au lieu d'habitat ou compltement
intgrs l'espace entourant la maison (op. cil. : 9).
128
J. EPSTEIN
''
11.
On n'a pas relev ici de tradition locale d'a habitants-paysagistes qui se considreraient comme artistes . C'est pour exprimer cene nuance que nous avons
employe ici le mot appropriation cratrice plut61 que crative >>,pourdonner
A ces pratiques un statut d'a arts de faire et non pas de crations artistiques .
12. La valeur et le poids de cette permanence du lien avec la mine sont bien exprimb
par Michel de Ceneau A propos de la perruque >> : Alors qu'il est exploit par
un pouvoir dominant, ou simplement dCniC par un discours idologique, ici l'ordre
est joud par un art. (1980 : 71 ; 68-74, La perruque. une pratique de dtournement .)
30
J. EPSTEIN
On peut mme dire que cette absence de prise est le problhme central du paysage
aujourd'hui, oil les dcisions d'amnagement rcniplacent les pratiques locales de
faonnement.
. joutons aussi que les attitudes affectjves et les registres psychosociaux du
fatalisme et du pessimisme sont incontournables dans l'analyse de paysages en
crise. Une de nos hypothse est que les reprsentations motives affectives - dont
l'importance de la mmoire et l'vocation de l'ge d'or fait partie - sont
d'autant plus importantes que les actions concrtes diminuent. Mais c'est aussi
par le biais de reprsentations motives et affectives gdnrales que les valeurs
associes aux paysages s'uniformisent. se schmatisent. Un des apports de l'enqute ethnographique est de relier ces representations aux registres des. pratiques
spcifiques chaque situation.
. Comme le disait un ancien mineur. avant, c'tait noir, il y avait de la poussire
de charbon partoui, mais on tait heureux .
Absence d'ostentation et
authenticit
L'importance de la proximit du regard, dans le marquage des jardins,
dans les promenades, dans l'observation des dtails de leur espace,
semble laisser croire que les anciens mineurs aient t et seraient
encore trangers la notion de paysage comme ensemble visuel cadr,
vu de loin, hrit de la tradition picturale. Or, mme si les vues de
prs >> semblent prdominantes, il serait simpliste de rduire leurs
formes de regard actuelles et passes ce seul registre. Comme dans
toute perception, le rapport au paysage se jouait et se joue dans une
imbrication complexe de vues proches, lointaines, d'images cadres,
mobiles, d'ambiances. C'est 1' exprience varie >> dont parle Wittgenstein (1958), la dynamique phnomnologique de la perception
dont les interactions sont aussi denses que celles du bricolage de sens
par les gestes (Epstein 1984).
Par contre, il est une caractristique qui semble spcifique cette
situation : l'absence d'ostentation dans leurs manires de parler du
site. Cette absence d'ostentation que nous avions releve dans le
marquage des jardins, se manifeste tout particulirement par une
quasi-absence de reprsentations picturales de I'espace16 et par une
16.
J . EPSTEIN
la part des Grand-Combiens, elle a suscit une srie d'actions de dCfense a cologiste de la part des habitants (non mineurs) de la v a l l b de I'Auzonnet, toute
proche.
Ce sens de I'authenticiit! oppos la mediatisation du paysage rejoint i c le critre
de l'authenticit >,
dont parle Uvi-Srrauss (1958 : 400-403).
MLNB
Rfrences bibliographiques
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Ministre de la Culture/Mission du Patrimoine ethnologique.
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Wittgenstein, L., 1958, Philosophical Investigations, Oxford, Basil Blackwell.
Thierry Coanus
10. Montagnette
norme rocher, laissC l aprs le remit des glaciers. joue le rle de <<proue
ace aux avalanches. Les lauzes ont nanmoins d tre cimentes du c6t expos,
afin d'accrotre la durabdit6 de la toiture. (Photo T. Coanus.)
Le risque naturel
et l'action des hommes
L'boulement de la Molluire est sans doute le plus clbre des accidents de terrain intervenus sur le territoire de Sainte-Foy. Ds que la
fonte des neiges permet de distinguer le sol, une large cicatrice se
rvle sur la face sud du Bec Rouge (2 515 m), sommet qui marque
136
T.COANUS
1.
3.
4.
5.
6.
qui peuvent parfois modifier grandement la configuration d'un versant, ainsi que l'action des hommes pour s'en prmunir, constituent
autant de marques, qu'un regard averti est capable d'interprter et
qui participent de la spcificit du temtoire observ.
Mais sommes-nous aussi assurs de l'objectivit de l'expos que
l'on vient de lire ? Si les vnements, les phnomnes dont il est
question ne sont gure contestables, que dire de leur mise en forme ?
L'ordre de leur prsentation, les termes utiliss, le fait mme de les
juger dignes d'intrt, constituent un fait de reprsentation. De fait,
ces lments ne peuvent tre dissocis du regard de l'observateur subjectif par dfinition, ft-il organis en fonction d'un intrt scientifique. Si tel espace fait paysage , si tel vnement dramatique ou
telle technique de protection fait risque >>, c'est qu'un randonneur,
un ingnieur ou un ... ethnologue s'est trouv 13 pour les constituer
<< en risque B, << en paysage , selon une perception singulire, certes,
mais oriente par des structures symboliques collectives7 - sans lesquelles le propos resterait, pour le lecteur. largement inintelligible.
Mais ne faut-il pas s'attendre dcouvrir plusieurs constructions
symboliques diffrentes d'un mme espace ?
Le paysage
des dfenseurs de la Nature
Au dbut des annes 80, un collectif d'associations s'est oppos la
ralisation d'un projet de barrage EDF ~ a i n t e - ~La
o ~ralisation
~.
du projet - qui finalement n'aboutira pas - supposait en effet le
noyage d'un vallon d'alpage par ailleurs presque abandonn, mais
surtout la modification d'un site rput pour son cc paysage P.
7.
8.
On ne conteste pas ici globalement le discours scientifique en tant que tel, comme
discours de vrit (meme si I'on gagne y regarder de plus prbs, l'image
de Pierre Bourdieu (cf. Bourdieu 1976),mais les usages sociaux dont il est parfois
l'instrument. Dans le cas de 1'6cologie, voir Fabiani 1985.
Dans un trbs intressant dveloppement consacrt une concepbon largie de la
notion de patrimoine , comme mcanisme d'acquisition et d e transmission de
la richesse et du pouvoir , le sociologue Yves Barel souligne l'importance de la
dimension extra-conomique du pammoine, et conclut son importance en tant
que nouveau territoire social, investi par des agents sociaux justement en mal
de temtorialisation, du fait de la dsagrgation des anciennes formes socialises
1 44
T. COANUS
ancien chemin qui zigzague au fond du dfil, sautant d'une rive l'autre
sur quatre ou cinq ponts tranges, dans un paysage Do~ileversa u possible et
vritablement fantastique (nous soulignons).
Dans un autre ouvrage, le docteur Laissus (1894, op. cit.) mentionne le village des Brvires, Tignes, sous le seul prtexte de
l'avalanche qui, en 1881, le recouvrit
presque en entier (...); les habitants ne pouvaient alors pntrer dans
leurs habitations que par des tunnels creuss sous la neige ; l'ancienne route,
aprs avoir travers un pont en pierre, passait ensuite dans un dfil appel
la Traversee des gorges, site des plus pittoresques o la nature semble avoir
entass ses plus sublimes horreurs, pour arriver sur le plateau d e Tignes,
calme et frais.
la Provence.
Ce qui constitue pour le randonneur le paysage , avec ses dimensions esthtique, scientifique ettou naturaliste, est pour le montagnard
une sorte de texte qu'il dchiffre 6 livre ouvert >>. Qu'il s'agisse
de l'avancement de la saison (en fonction de l'inclinaison des ombres,
17.
Rfrences bibliographiques
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Tarentaise, MoOtiers, Imprimerie Cane Surs, 95 p.
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in Cadoret A. (dir.), Prorection de la nature. Histoire et idologie, Paris,
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montagne. Les ralites et les images, actes du 116' congrs des socits
savantes, ditions du CTHS, pp. 21-40.
12
Martine Bergues
nos jours, la crise lie aux quotas laitiers touche l'ensemble des
producteurs, qu'ils aient opt pour la vache hollandaise ou conserv
la normande.
1.
2.
153
M. BERGUES
Un marais au naturel
C'est galement aprs-guerre que se constituent des projets de protection de la nature et de restauration de la richesse biologique des
marais, mise en valeur par la littrature naturaliste de la fin du
fl sicle. Ces initiatives font tat de la difficult de l'agriculture
occuper le marais :
L'intensification de l'amnagement n'est plus concevable ni dfendable
on analyse la somme des difficults rencontres au cur du marais. il
y a donc lieu de se tourner vers le concept de conservation de la nature.
(Hdin, Ricou, Masclet 1970.)
quand
3.
bien nourries, ce sont de belles btes, par leur couleur, leur forme, tout, et puis
ce sont de bonnes IaitiEres et bien conformes, alors les veaux ont une valeur ds
le dkpart. Alors que les hollandaises non. Leur lait est bleu car il y a trs peu de
matires grasses alors que celui des normandes est trs jaune. Et il y a des quotas
sur les matires grasses ; alors qu'est-ce-qu'il faut faire pour que les btes aient
du lait sans matires grasses ? Ils ne se rendent pas compte, c'est dbolant. Parce
que si c'est la picane, alors l, c'est fini. (Une agricultrice, 50 ans.)
B. Lizet, dans un article & paraue, explique l'mergence du gnie cologique ei
montre en quoi l'exprience des Mannevilles est innovante : elle allie notamment
rkflexion thorique, exprimentation et mise en pratique et opre une jonction
enue I'bcologie des milieux naturels et celle de l'espace agricole .
155
M. BERGUES
154
Les reprsentations que les touristes et les habitants du lieu se font du marais
pourraient tre figur= aux deux extremits d'une ligne. Entre les deux, oii
rencontre toutes sortes d e modulations selon qui parle et selon son rapport singulier 2 l'espace du marais. Aussi. ce qui vient d'tre exprim rend davantage
compte d'un modele que de la palette beaiicoup plus nuance des reprksentations.
Et il ne faudrait pas en dduire qu'elle se rksume 3 ces deux cas de figure, l'un
qui serait autochtone, l'autre allochtone. Ainsi, alors que l'agriculture est de moins
en moins reproductible au marais Vernier et que les agriculteurs se sont orientes
vers d'autres d6bouchs, alors que la vie sociale'se recompose diffremment
depuis la dernibe guerre ( l'extrieur vient au Marais - y compris la ttlvision),
alors enfin que le mode traditionnel de vie conomique, sociale, culturelle se
trouve bouleversb, le marais acquiert une dimension esthttique sans que soit pour
autant supplante. cette perception plus totale qui conjoint hommes et lieu.
Cette nouvelle dimension est mise 2 profit par les uns, qui rpondent la demande
des touristes en leur fournissant des infrastructures d'accueil, ou est utilisCe ponctucllement par les autres qui communiquent avec les gens venus de I'extdBeui- au
gr de ce support.
M. BERGUES
Paysage rserv
Assches jadis par crainte atavique, dgrades hier au nom d'une provit, les zones humides encore survivantes aujourd'hui doivent tre dele symbole vivant de la r6conciliation de l'homme avec la nature.
omte, Neveu, Jauneau 1981 : 233.)
A l'exception, notable, de la
6.
7.
commune de Marais-Vernier.
157
M. BERGUES
Le retour du sauvage
Lizet (article a paratre) explique bien la fonction de la persoiinalit mediaque des bovins cossais, qui sert l'image du Parc de Brotome, tout comme
e est outil pdagogique. Par ailleurs, sur les reprsentations des marais et la
currence des images, cf. Bergues M. et Boujot C. Reprsentations des marais
ns la littrature depuis le Moyen-Age , A paratre dans Paysages de marars,
inistre de l'Environnement.
pression d'un maraquet ge.
159
160
161
M. BERGUES
L'cossaise et la normande
<< Il n'y a pas de marais sans btes >> : la mmoire locale confond dans
une mme dure la prsence des btes" >> et celle des hommes. Et
dans cet attachement des maraquets la vache normande, il y a bien
cette dimension, essentielle entre toutes, d'une subordination des
conditions de vie la production de veaux, de lait et de crme. Les
vaches et leurs produits sont les emblmes d'une richesse qui s'oppose la prcarit de la vie au marais. Mais aujourd'hui, cette richesse
se voit doublement d i s q ~ a l i f i e:' ~d'une part, le mode de gestion des
rserves fait appel des animaux dont les qualits sont penses en
opposition celles des vaches normandes, d'autre part, les quotas sur
le lait et la matire grasse contraignent les leveurs abandonner leur
mode ancien de production. Deux modles trs diffrents, mais tous
deux extrieurs et dlocaliss, s'opposent donc aux conceptions traditionnelles de 1'6levage.
Par les endiguements successifs, par l'entretien des digues et des
fosss, par le fauchage des joncs, les maraquets ont permis l'installation du troupeau, signe de la domestication du lieu. <<Sice n'est
pas exploit, a retourne la friche . Ce tsait, qui vaut pour toutes
les zones agricoles, est particulirement marqu en milieu marcageux, o deux ou trois annes sans entretien suffisent la fermeture
de l'espace.
a devient friche quand ce n'est pas ptur >> : la vache prend
donc le relais de l'homme pour assurer le passage du sauvage au
cultiv. Cependant, s'il fait le lien entre la nature et la culture, l'aniTerme gnrique qui dsigne les vaches normandes. Les btes reprsentent le
genre animai sans qu'il soit ncessaire de les rapporter une espce prkise. Ici,
comme ailleurs en milieu agricole franais, ce terme tmoigne du lien homme/
animal.
12. Cette remarque nous est pour partie suggrke par B. Lizet.
1 1.
163
M. BERGUES
((Les gestionnaires utilisent. faute d'espbces sauvages disparues, des races domestiques considres comme archaques et pouvant, du fait de cet archasme, se
comporter pratiquement comme des animaux sauvages. (Lecomte 1987 : 60.)
15. Les vaches cossaises mettent bas seules et subviennent A leurs besoins dans des
conditions difficiles. Aussi les gestionnaires vitent-ils les apports de foin en hiver,
de mme qu'il n'y a pas d'apports de nourriture faits aux rouges-gorges, aux
sangliers, aux hCrissons .
162
14.
16. B. Lizet 1991 : 179. L'animal est agent de liaison entre mraiit traditionnelle et
nature paysage lorsque le gestion cologique utilise des races rustiques locales.
17. Porte-paysage , expression citee par B.Lizet (1991 : 179).
164
M. BERGUES
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et A la gestion d'une zone humide , thse, Universit de Rouen.
165
Corinne Boujot
168
C . BOUJOT
170
C . BOUJOT
Nature et conjoncture
Sable vaseux, calcaire, trs fin, gristre. sur le littoral de la Manche, qu'on uulise
comme engrais.
Pour le royaume de France, ce projet servira longtemps a appuyer son effort de
centralisation du pouvoir.
Institution dont la crarion, historiquement, seri la politique integrationniste du
royaume tout en offrant des privilges a la province de Bretagne.
runissant sous sa tutelle administrative les << digues et marais >> rpartis sur les fiefs de Chteauneuf, Do1 et Combourg, est l'origine
de l'entit gopolitique <<EnclavesD. Pourtant, il ne draine pas le
marais, ce qui lui est assez reproch la fin du xwlf sicle. (Og&
1776-1780.) Sa politique hydraulique orchestre la circulation de l'eau
et vise l'imgation des terres limoneuses, dj trs productives, tout
en empchant une trop grande accumulation d'eau dans la cuvette
tourbeuse, qui menacerait d'inonder les bonnes terres.
A la Rvolution, l'effondrement des structures de l'Ancien Rgime et les difficults que traverse la Rpublique naissante marque
un net affaiblissement de la pression du pouvoir central sur les marais
de Dol. Dans cette vacance momentane du pouvoir va natre le
Syndicat des digues et marais. En l'an w, les propritaires de marais
se regroupent en association syndicale pour grer l'Enclave, en reprenant leur compte les rglements de l'ex-parlement breton. D'emble, 1'Etat rpublicain leur adjoint ses reprsentants techniques:
Ponts et Chausses puis Direction dpartementale de 1'Equipement
(DDE). L'histoire de cette CO-gestionest alors une succession ininterrompue de conflits, par lesquels se dispute le contrle du territoire.
tat, jusqu'h une date rcente partisan d'une politique de drainage, tentera plusieurs reprises d'tcarter, voire d'abolir le Syndicat
des digues pour arriver ses fins. Tous les projets qu'il tablit offrent
cette particularit qu'en proposant, par exemple, de raccorder le marais h la Rance ou de driver le Couesnon, ils rompent systmatiquement avec le principe d'une circulation de l'eau en vase clos dans
l'enceinte de l'Enclave. Ils rompent donc aussi les frontires, tellement << tanches , de celle-ci. Mais l'Enclave tient ses eaux. L'association syndicale, depuis sa creation, et bien qu'elle ne soit pas
consensuelle, fait systmatiquement opposition aux projets de l'tat.
Cette opposition se laisse interprter de deux faons : d'une part, le
syndicat est dpositaire d'une logique hydraulique spcifique, qu'il
dfend. Les intrts des terres limoneuses y sont trop puissants et
majoritairement reprsents pour laisser ainsi dfaire l'unit de l7Enclave, pour laisser dissocier du Marais Blanc le Marais Noir, alors
que par lui transite une eau dont le syndicat veut absolument garder
le contrle. D'autre part, il garde le pouvoir aussi longtemps qu'il ne
cde pas la dcision hydraulique. Il reste que le Syndicat des digues,
depuis son origine, empcha que le marais ft drain. D'o vient
donc l'accusation qui le vise ?
5.
172
C. BOUJOT
174
8.
C. BOUJOT
Cit maudite des ICgendes locaies, investie par les paens, les Normands et autres
barbares, lieu de dissolution des murs et de rsistance l'autorit. Les &rudits
locaux ont longtemps discut de sa localisation geographique exacte, quelque part
aux environs de Chteauneuf.
Celle-l mme dont les savants dbattent depuis le xviif sicle.
175
- le cataclysme qui dvasta la fort de Scissy - est sans cesse ractualis. La mmoire vive continue de transmettre selon ce schma l'his-
Cette commune est partiellement enclave sur les marais, dans le Bassin de La
Bruyre.
176
C . BOUJOT
Crise du paysage
et crise d'appropriation
La rvolution agricole a opr de tels bouleversements que, dans le
paysage actuel, beaucoup se plaignent de << ne pas s'y retrouver .
Petite Hollande D pour les uns, dsert pour les autres, les Marais
Noirs semblent, dans les deux cas, tre devenus rsolument K trangers >> ceux qui l'habitent. Dans son propre systme de reprsentation, ce dcalage signifie h la socit locale qu'elle a perdu le contrle
d'elle-mme, que le gouvernement lui est t et, de fait, lui chappent
les paramtres de choix et les dcisions politiques en matire de
gestion du territoire, jusques et y compris l'chelle individuelle de
l'exploitation agricole. En voil assez pour appeler le cataclysme
naturel et, donc, induire une lecture cataclysmique de la nature.
C'est dans c e climat d'anxit (o l'urgence, pour tous, chacun
selon son intrt particulier, tait la reconqute du marais) que le
projet DRAE intervint. Il rendit patent un autre conflit d'usage latent,
tournant autour de l'appropriation/expropriation du territoire et de
l'usage de celui-ci. Il ne se laisse pas aborder simplement par le biais
des catgories ; cn la circonstance, celles de << propre et de sale
mises contribution ne fonctionnent pas sans rallier d'autres rseaux
pour se conjuguer avec << en propre D et << impropre , appropriation >> et expropriation .
L'obsession du cultivateur semble tre de nettoyer, de chasser
la crasse (vgtation indsirable). Les parcelles doivent tre
propres >> : devenues propres un usage agricole. Depuis quelque
temps, le marais est a propre >> comme jamais il ne le fut. Ce qudificatif est utilis par tous, aussi bien par ceux qui revendiquent ce
nouvel aspect que par ceux qui rcriminent. Rsultat : << Ll n'y a plus
rien, c'est le dsert. >> Par dfinition, un dsert est une zone aride et
inhabite ; or c e n'est pas l'absence de l'eau qui sert justifier le
terme de dsert, c'est l'absence de l'arbre. La perte de l'arbre semble
associe une dperdition relationnelle importante, s'articulant l'une
78
C. BOUJOT
180
C. BOUJOT
181
Rfrences bibliographiques
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III
La fabrique des paysages
Bruno Ythier
Le
1.
2.
187
B. YTHIER
186
189
B . YTHIER
188
'
5.
'
I
*;
Rduire le paysage
une partie de ses composantes
1,
,
l'intgration des btiments agricoles, la replantation de haies, la considration d'lments paysagers dans les futurs remembrements, le nettoyage
des biens de section.
Un parallle peut tre tabli avec les recommandations de la loi
paysage (Journal ofJiciel 1993) qui envisage d'inclure, dans les
plans d'occupation des sols, des lments
faisant partie du patrimoine collectif, comme par exemple, des murets
ou des terrasses agricoles, des rseaux de canaux, un bocage, des dallages
urbains remarquables, des chemins, des sentiers... (&des foncikres 1993.)
Ces textes pouiraient amener penser que le paysage est seulement constitu par c e qui dpasse du sol (des haies, des arbres), ce
qui semble prenne (des murets), c e qui structure l'espace (des chemins, un rseau de canaux). Quel est l'avenir de ces lments << faisant
partie du patrimoine collectif , que l'on dsire sauvegarder, lorsqu'ils
se retrouvent au milieu de zones en friches, boisees, ou bien de
lotissements ?
Au travers de ces diffrents exemples, tout se passe comme si
l'espace rural, institu paysage, ne possdait ni tendue, ni terre.
L'intrt est port sur quelques lkments qui structurent ou enlourent
la parcelle, sans que celle-ci soit prise en compte ; ce qui laisserait
penser que la proprit foncire est une bamre ne pas franchir.
On se rkfrera
191
8.
Zone naturelle d'intr&tcologique faunistique et floristique ; leur cartographie l'chelle nationale, s'est appuye sur des critres de raretes d'espces ;
ces documents doivent permettre la gestion des milieux les plus intressants et/
ou les plus menacs.
Le problme ne s'est pas pos lors de la crhtion du conservatoire des terrasses
de Goult dans le Vaucluse (Ambroise, Frapa, Giorgis 1989.), car sa vocation
prernire a bien t de conserver des srruciures bdries, pour la qualit6 de leur
consmiction et d'un point de vue culturel et esthtique.
ZNiEm,
92
193
B. YTHIER
'
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Jacques Cloarec
:
:
!
;
L
b
14. Un village d e la Cvenne ardchoise
Un village proche de Ribes : architectur comme lui par l'tagement des terrasses
de gr&, par les alignements des ceps de vigne ou des arbres fmitiers, il est
couronn par les anciennes chtaigneraies colonisCes par les pins. (Photo
J. Cloarec, fvrier 1990.)
Cveme ardchoise ou Vivarais cdvenol, selon que l'on met l'accent sur les
spcificits 6co-gographiques ou historiques de ce pays D qui couvre trois cantons du sud de l'Ardche, i3 la limite des dparlements du Gard et de la Lozre.
La recherche d'o est tire celte tude de cas, a t r6alise en collaboration avec
Martin de la Soudire. Elle s'est droule de juillei 1989 A octobre 1991 et a
196
J . CLOAREC
peut pas laisser vieillir la population, et puis s'il n'y avait plus que des
rsidents secondaires, je ne sais pas ce que deviendrait Ribes. O n est oblig
d'accepter que des gens nouveaux arrivent, donc construisent et s'installent,
pour qu'il y ait une activit conomique, dont les campings par exemple font
partie. Mais il faut faire en sorte que a se fasse harmonieusement.
5.
3.
4.
donn lieu un rapport-de recherche publi en 1992, intitul : (< Plateau ardchois
et Vivarais cvenol - Etude ethno-sociologique d'une mise en paysage de l'Ardche , Ministre de la Culture, mission du Pavimoine ethnologique, 2 tomes.
Nous distinguerons ici acteurs informels ,, (les habitants, agriculteurs ou non,
residenLs pernianents ou secondaires, les touristes), et acteurs institutionnels
ou u lgitimes (les lus, l'architecte des btiments de France, l'inspecteur des
sites, les tecliniciens de la direction dpartementale de l'quipement, l'expert
reprsent par le bureau d'tudes charg d'une analyse paysagre) dont le raie
sera analyst plus loin.
Les notions tcrites en italiques dans cet article, ont t labortes et dfinies
l'occasion et pour les besoins dc la recherche (cf. supra note 2).
197
6.
J. CLOAREC
Les habitants non agriculteurs sont artisans, commerants, salaris employs dans la region, ou bien retraits. Ces derniers, qu'ils
soient originaires ou non du village, sont venus s'y installer au moment de leur retraite, souvent aprs l'avoir frquent plusieurs annes
l'occasion de sjours de vacances. Quelle que soit leur profession,
un certain nombre de ces habitants ont lu ce paysage comme l'un
des lments importants de leur cadre de vie. En choisissant de venir
l'habiter, soit par l'acquisition d'une maison ancienne, soit dans la
priode plus rcente, en achetant un terrain pour faire c ~ n s t r u i r e,' ~
ils ont aussi fait le choix ou le pari de se fondre dans la communaut
villageoise.
Les rsidents secondaires ont lu le village et son paysage
comme second lieu de vie. Ils adoptent, le temps de sjours plus ou
moins longs, le mode de vie suppos ou transpos des habitants
permanents du village. Ces sjours, qui contrastent avec leur cadre et
mode de vie habituel, leur procurent le plaisir du dpaysement ,
terme tout la fois familier et trange.
Les touristes, enfin, installent en t leurs pnates pour quelques
jours ou quelques semaines. Les plus nombreux campent sur l'un des
trois campings de la commune, quelques familles louent un gte mral
ou une chambre chez l'habitant. Ils viennent principalement de la
rgion Nord-Pas-de-Calais, de Belgique, des Pays-Bas ou de la rgion parisienne. Ce paysage est dsign comme << lieu idal pour les
vacances D quelle que soit la manire dont celles-ci se droulent.
Certains privilgient le cadre naturel ou les K qualits environnementales : soleil, eaux vives, fort, montagne, espaces sauvages ,
runis en un mme lieu. D'autres, sduits la vue des terroirs bien
entretenus qui subsistent, consomment les <( produits du terroir >> et
veulent lire dans le paysage les vestiges d'une vie rurale en voie de
disparition. D'autres encore recherchent plutt << le contact >> avec les
gens du lieu et tentent, le temps des vacances d't, de se mler la
sociabilit locale.
199
1
7
!'
200
La ZPPAU OU
les vertus dmocratiques d'une
procdure administrative
Reconstructions paysagres ou
le paysage << lgitime
La prsentation par son auteur de l'tude pralable D, constitue le
point de dkpart de ce processus d'laboration collective d'une image
sociale consensuelle du paysage de Ribes. Son rle est dcisif car
c'est par rfrence 2 <<l'analyse paysagre >> expose que se sont
organiss les propos tenus, et c'est cette mme analyse << amende
par le dbat qui sera in fine inscrite dans la charte de la ZPPAU et qui
servira de rfrence lors des amnagements futurs de l'espace
communal. Le processus d'laboration - c'est-2-dire, tout la fois de
dlimitation et de dfinition - d'un paysage lgitime est donc initi
(de fait) par un acte d'imposition pralable d'un << modle paysager ,
dont il importe d'analyser la mthode d'laboration et les contenus.
L'auteur de l'tude (qui a suivi une formation initiale en histoire
de l'art), aprs avoir relev quelques lments de structuration du
paysage (le site : promontoire dcoup en escal.iers par les terrasses,
ou la qualit et 1'homogni.t architecturales du bti), propose une
analyse dite sensible , ralise selon des << itinraires jalonns de
points de vue :
sensibiliser la population au patrimoine architectural et A la qualit paysagre de Ribes et parvenir (...) 2 un consensus pour l'application des recommandations. C'est une affaire de conscience collective, c'est pourquoi nous
voulons associer un maximum d'habitants cette opration.
Ainsi, trois runions K dcentralises par c< quartiers ont t
organises qui ont runi chacune 20 B 25 habitants (soit environ
70 habitants sur les 350 que compte la commune), ce qui fut considrt!
par le maire comme un succs.
Lors de ces runions publiques - vnements qui craient une
occasion unique de dialogue et de confrontation de << points de vue
sur le paysage entre nos catgories d'acteurs: acteurs informels et
acteurs institutionnels ou lgitimesI2 - nous avons pu observer et
1
j
f
11.
20 1
J. CLOAREC
1:
1
I
1
:
Combinant les lments de structuration du paysage et la rationalisation d'une exprience sensible, l'tude aboutit la proposition
d'une cartographie des N sensibilits paysagres diffrents degrs,
selon des << axes visuels >> ou axes de M CO-visibilits. Ce sont, selon
la proposition de l'auteur de l'tude, ces << primtres de sensibilit
203
J. CLOAREC
enduit blanc, des tuiles panaches (...). Dix interventions comme celles-ci et
vous avez un coin de village qui est compltement dfigur.
202
Mais il faut que chacun regarde autour de soi, comprenne comment sont
faites les maisons de faon traditionnelle (...) parce que, nous architectes des
btiments de France, on ne pourra pas contrler tout a ; j e crois que ce sont
les gens qui sont sur place qui peuvent arriver contrler tout a, c'est pas
l'administration.
13.
!
f
f
'
'!
/
Pour parvenir un tel rsultat il fait appel la ncessaire vigilance de la mairie, c'est--dire des lus, pour qu'ils vrifient que les
demandes de permis de construire comportent un plan du terrain,
avec les relevs de niveau, les implantations existantes. Souci galement, d'impliquer les habitants, en leur demandant une collaboration
qualitative. Son << regard D d'architecte sur le paysage de la commune
privilgie 17harmonied'ensemble du patrimoine bti (volumes, valeurs
des couleurs des matriaux, la pente des toits, la qualit des revtements, etc.). Refusant d'endosser la rputation de rigidit conservatrice qu'ont ses collgues, il affiche un comportement coopratif et
pkdagogique s'exprimant dans un langage simple et parfois mme
familier, bien repu par les habitants qui l'coutent.
204
J. CLOAREC
205
206
J. CLOAREC
Mme s'il (le POS)a t labor par les instances les plus reprsentatives
de la commune et selon les mthodes les plus honntes de consultation
populaire, il sjourne encore dans la demeure obscure et lointaine de l'administration. On ne sait pas encore trs bien ce que les mots veulent dire(...).
Tout s'est trs bien pass ce niveau-l, mais on ne peut prjuger de ce qui
adviendra lorsque les rgles, les contraintes et les obligations attemront dans
le champ concret des dsirs individuels ou familiaux ".
207
Josette Debroux
1
3
i
iE
i
i
1
,/
1.
Tclle que la pratique une des divisions du CEMAGREF (Centre d'tudes du machinisme agricole, du gnie rural, des eaux et forts) de Grenoble.
21 1
J . DEBROUX
210
4.
5.
2.
3.
6.
7.
Nous n'avons retenu pour cet article que des clments d'analyse des discours de
porte-parolc agricoles, d'un salarie de la Fdration des alpages, d'un responsable
d'un groupement de communes peri-urbaines. de deux maires.
Nous n'avons retenu ici que le discours d'agents qui ont des positions d e pouvoir.
Ils ne constituent pas, bien sr. l'ensemble des positions de ceux qu'ils reprksentent.
Nous nous appuyons ici sur les discours de porte-parole agricoles.
L'analyse porte sur le discours du directeur de la FedCration des alpages.
212
J . DEBROUX
position sociale dans le champ de la production agricole. A un moment o les alpages tendent tre saturs, les terres en friche de
moyenne altitude constituent une nouvelle ressource spatiale.
Pour les lus locaux, l'usage du thme des friches dpend pour
une part de la situation de leur commune. Ainsi, pour le maire d'une
commune qui tend devenir rsidentielle, soulever le problme des
friches sert dmontrer l'incapacit des agriculteurs entretenir
l'espace . Prvoyant (et souhaitant) leur fin prochaine, il envisage la
mise en place d'un mode collectif de gestion de l'espace, cherche
encourager la construction dans les zones dj urbanises (la maison
contre la friche ), et cela au nom de l'esthtique des nouveaux
habitants . Les discours de rhabilitation symbolique des paysans,
dans lesquels on les invite tre partie prenante du jeu social,
alternent avec des discours o 011 les convie faire le deuil de
l'impossible.
En revanche, pour le maire d'une commune plus loigne de
l'agglomration grenobloise, et dont la population est essentiellement
agricole, la mise en avant des friches sert montrer le rle primordial
jou par les agriculteurs et la ncessit de les maintenir en activit.
Enfin, pour le reprsentant d'une association de communes priurbaines de Grenoble, insister sur les problmes paysagers de Belledonne constitue une manire d'affirmer que le dveloppement du
massif, la rsolution de ses problmes , passent par la politique
globale applique aux cominunes pri-urbaines. C'est une faon de
dire ceux qui ont cherch constituer une entit Belledonne (projet
qui a entran 22 communes hors de l'association de communes priurbaines) qu'ils ont chou.
Ces quelques exemples montrent bien que la mme reprsentation
d'un espace qui s'enfriche peut masquer des intrts divers et contradictoires, sans que ces contradictions soient pour autant explicites.
Ds lors comment expliquer que l'analyse paysagre telle que la
pratique le CEMAGREF' soit prsente, de faon unanime, comme le
meilleur moyen de rsoudre le problme des friches ?
8.
Centre national du. machinisme agricole, du gnie rural, des eaux et forts, le
CEMAGREF est un Etablissement public caractre scientifique et technologique
sous la tutelle des ministres de l'Enseignement supkrieur et de la Recherche, de
l'Agriculture et de la Pche. II se prksente comme u n organisme de recherche
dans les domaines de l'eau, de l'quipement pour l'agriculture et I'agro-alimentaire, de l'amnagement et de la mise en valeur du milieu mral et des ressources
naturelles. En contact permanent avec les agents conomiques et les collectivits
locales, il cherche constituer des outils adapts dans differents secteurs d'acti-
l
!
;
i
f
fi
1
213
La rhtorique paysagre
f
,(
214
paysage objectif , cern par des mthodes scientifiques . Ce paysage objectif est reprsente par des petits schmas, pour simplifier,
pour que tout le monde comprenne bien . Diffrents scnarios d'volution sont simuls. Dans une seconde phase, se situant d'un point
de vue subjectif la mthode d'analyse permet de construire le
type de paysage souhait, sa traduction en terme d'amnagement
paysager , el propose les moyens d'y parvenir.
A notre connaissance, il n'existe pas de plaquette rsumant la
dmarche. La faon de faire varie bien sr en fonction des <<demandes et de l'intrt local port l'analyse.
En fait ce qui frappe dans le discours de prsentation de l'analyse
paysagre, c'est le ton et le mlange des genres". C'est en effet sous
forme de dramatisation que le thme des paysages est abord. D'emble nos interlocuteurs parlent de disparition des paysages , phnomne associ sans transition la disparition de la biosphre, de la
nature, des espces vivantes, etc. Ces paysages, hrits d'un sicle
d'agriculture en milieu rural , qui taient cologiques , disparaissent. Ils ont bascul6 avec l're industrielle >>.
De fait, les promoteurs de l'analyse paysagre inscrivent leur
dmarche dans celle de la protection de la nature. La protection des
paysages constituant un problme public, elle va bien au-del8 des
intrts privs : On a le sentiment de se battre contre quelque chose
de trs important.
A ces rfrences cologiques se mlent des jugements esthtiques : les paysages sont moches , brouills , etc.
Ce type de presentation qui n'est pas sans rappeler celui de
l'cologie savante12, reprend un certain nombre d'vidences du discours social qui en garantissent la vracit et force l'adhsion.
J. DEBROUX
215
13.
J. DEBROUX
ganisme auquel est rattachee cette quipe, elle doit aussi lgia pratique de ceux qui dsirent intervenir dans la gestion de
e.
217
J . DEBROUX
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e la Nature.
Yves Luginbhl
;:
'
Chercheur ou acteur ?
22 1
Chercheur-producteur de paysage
Mais au fait, quelle est cette << bonne parole ? Une certaine manire
d'aborder le paysage, loigne des tudes destines protger les
paysages, hrites des pratiques du xrf sicle et voques prcdemment. Il s'agit de redonner au social sa prminence, de replacer le
paysage au cur des enjeux sociaux et politiques, d'identifier les
acteurs, d'valuer les forces qui font pression sur eux, de caractriser
leurs positions. Vaste programme, dont les conclusions ne sont pas
'.
223
Conclusion
Franoise Dubost et Bernadette Lizet
1.
F. DUBOST/B. LIZET
227
F. DUBOSTIB. LIZET
sieurs contributions portent sur cette ide des << proprits protoiques n de paysage. Mais leurs auteurs utilisent d'autres termes:
htypes, modles, rfrents, repres, normes, figures, codes, motifs
topo3. Le mot strotype, curieusement, n'apparat jamais dans
te premire partie. << Paysage de convention , dit encore Yves
ginbhl, pour qualifier ces modles qui structurent notre imagire. Plusieurs auteurs usent de l'expression K culture paysagre ,
culture de paysage >>. Rappelons la dfinition qu'en proposait
rtin de la Soudire en 1991 :
Sensibilit aux qiialitks et aux valeurs formelles de l'espace, des tenires, de l'habitat; familiarit avec une lecture de l'espace qui privilgie
mes, volumes, perspectives, couleurs, lignes de fuite, composition des
ments visuels... Noume de la tradition paysagre dans la peinture, elle ne
rsume pas, car elle rsulte aussi d'expriences individuelles de l'espace,
les de l'enfance, notamment, vacances. voyages, lectures, etc. (Erudes
!
I
1
1
!
1
Pluriel du mot grec topos, designant les genres descriptifs canoniques des manuels de rhCtorique des x\riiie et xid?? si6cles .
229
F. DUBOSTIB. LEET
230
4.
Le Mont Gerbier pose problkme cet gard. La mise au jour des mcanismes du
culte populaire dont il est l'objet rvle l'absence d'histoires du site. Martin de
la Soudire en vient ?
discuter
i
le concept de N haut-lieu P, dont la dfinition fait
la part belle au lgendaire. (Micoud 1991.)
23 1
<<Lepaysage des uns n'est pas celui des autres >> : tel est l'intitul
collectif de ces tudes, qui ont galement en commun d'avoir choisi
des temtoires en mutation comme terrains d'enqute. Mutation pour
cause de modernisation, ou l'inverse, dc dshhence. Terroirs bouleverss par de nouvelles infrastructures de transport (TGV, autoroute
et lignes haute tension cuisses, prks du Creusot), ou encore
par l'avance de la rurbanisation ( Plouzan). Friches agricoles (le
232
F. DUBOSTIB. LIZET
l'autre, des << vues proches D aux << vues lointaines , des << images
cadres >> aux << images mobiles . Cette perception ne fait pas rfrence l'art, elle joue essentiellement sur le registre affectif et ses
emblmes sont tout aussi nettement dessins que ceux des << trangers >>.Vache normande et vache cossaise : les leveurs dfendent
la premire, comme un porte-drapeau de la mise en valeur agricole,
contre la bestiole de la gestion cologique (Martine Bergues).
Marais exond et marais noy : l'espace cultiv, propre, dbarrass
de cette vgtation htrogne et indsirable que les agriculteurs
dsignent avec mpris sous le terme de << crasse D, est seul leurs
yeux possder une qualit esthtique, remarque Conne Boujot. Et
elle suggre avec force que l'actuel discours << paysager >> serait, pour
les agriculteurs du marais, le dernier avatar d'une trs ancienne situation de subordination culturelle, qui atteindrait aujourd'hui un seuil
critique. En tmoignerait la rsurgence d'un imaginaire du cataclysme
(la submersion marine), la ractivation de certains fragments de
la pense symbolique immmoriale : vocation d'une crise cologique
majeure pour penser le dsquilibre social ct culturel. La recherche
de Judith Epstein rvle un tat d'esprit comparable dans les familles
de mineurs de la Grand'Combe, qui par contre ne semblent pas disposer d'un registre symbolique pour exprimer leur sentiment pesant
d'une mort sociale annonce. On a l'impression qu'ils ont cess d'habiter un territoire dfonc par l'excavatrice de la mine ciel ouvert,
qui dktruit inexorablement les repres de la vie (villages, coins
nature D, parcours de promenade, jardins). Une vive tension les a
anims de gnration en gnration, qui les incitait compenser la
destruction globale >> du paysage par l'exploitation minire avec des
pratiques de rappropriation, de << faonnement local (jardins orns
et quips d'objets dtourns de la mine). Cette tension les a quitts.
Mais ils rsistent: aujourd'hui la sollicitatioil patrimoniale, l'exhortation de mise en valeur touristique. Ils refusent les oprations de
prverdissement D et de requalification paysagre >> dont veulent
les gratifier les amnageurs. On devine l'intensit des entretiens
mens par l'ethnologue. Le choix de faire le deuil du lieu et de son
histoire, et celui d'accepter le caractre improbable d'un futur culturellement possible s'est nonc dans l'vocation d'un ge d'or, celui
de la pleine activit de la mine souterraine.
On retrouve cette nostal~iede l'ge d'or chez les habitants de la
commune bourguignonne d'Ecuisses. Dans une zone industrielle en
perte de vitesse, le canal du Centre construit au xvrrre sicle est devenu
la figure emblmatique d'un pass prospre, le symbole de l'identit
&
235
villageoise. Mais l'tude d'Agns Fortier montre aussi l'image franchement positive qu'ils ont du TGV. Ici, et contrairement 2 ce qui
s'est pass dans le Mconnais ou en Provence, le projet n'a pas
soulev de rsistances. Le TGV est admir pour sa beaut, les riverains
font de la gare un lieu de promenade privilgi, ils affirment ne pas
tre gns par le bruit qu'il fait. Pour les gens de ce pays marqu par
l'histoire industrielle, c'est un modle de prouesse technique et un
objet de fiert, et ce d'autant que des pices majeures de la machine
- les bogies - sont fabriques dans les usines du Creusot. Centr sur
la connotation trs positive de la perception d'un cheveau de voies
de communication qui pourrait apparatre comme une nuisance, cet
article se termine toutefois sur une note mesure : arrache d e haute
lutte parmi des candidatures concurrentes l'poque hroque de la
nouvelle technologie ferroviaire, la gare du Creusot n'a pas produit
les effets de relance conomique escomptks. Et la multiplication des
implantations en province, dans des situations quivalentes, est en
passe de banaliser ce qui est encore vcu comme une innovation, une
exprience de pointe.
Dans les tudes regroupes en troisime partie, le paysage est aussi
l'enjeu de conflits entre divers groupes sociaux ou diverses catgories
d'acteurs. Mais l'accent est mis sur les projets alternatifs suscites par
la dprise agricole, sur la << mise en paysage D : agriculture << pastoraliste >> et dveloppement pri-urbain dans le massif de Belledonne ;
toui-isme << culturel >> exploitant le patrimoine architectural et paysager
dans diverses contres ( Blesle, en Auvergne ; Ribes, en Ardche ;
et enfin sur les les et les berges de la Loire).
Ces oprations concrtes fournissent l'occasion d'une description
des normes en tous genres, technico-administratives, esthtiques et/
ou scientifiques, imposes par l'tat la socit locale, ou bien,
l'intrieur mme de la socit locale, apportes par les nouveaux
habitants aux anciens. A Ribes, ce sont les retraits, les rsidents
secondaires et les touristes qui ont jou ce rle. L'outil de gestion et
la procdure utiliss servent de rvlateurs : analyses paysagres ralises l'occasion d'un plan de dveloppement local, d'une charte de
valorisation du paysage, ou d'un projet de Z P P A U ~ .
6.
ZPPAUP (et
F. DUBOSTIB. LIZET
e ces projets appartiennent des services pu, SDA'), des services privs (bureau d'tudes
architecte), des collectivits territoriales ou
ons. Ils s'appuient tous sur des rfrences sat tantt d'une lgitimit scientifique - le savoir
te - tantt d'une lgitimitk artistique. Le pay aires de sensibilit paysagre , l'architecte
moniale du bti. A Belledonne, l'quipe du
e de l'analyse paysagre, joue sur les deux diet scientifique - renforant le statut de son
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l'Inventaire, la dfinition du patrimoine s'est largie aux amnagements agraires (terrasses cultives en vignes et arbres fruitiers). Elle
se limitait auparavant aux lments pittoresques traditionnels (orgues
basaltiques, vestiges mdivaux).
Le discours -se converrit aussi (et c'est un apport original de
I'analyse ethnologique) en reprsentations concrtes. Les nouveaux
acteurs du patrimoine s'appuient sur ces mises en image, mises en
scne, pour convaincre les lus et la population. Ce sont les schmas
et les scnarios d'volution du CEMAGREF, la cartographie des
<< points noirs >> (nuisances esthtiques) et les panneaux signalant les
points de vue privilgis Blesle, ou encore les axes visuels dans
l'tude pralable de la ZPPAU. Toutes ces techniques de prsentation
et de reprksentation, dont les bureaux d'ingnierie paysagre ou culturelle se sont fait une spcialit, reposent sur ce que Bruno Ythier
nomme avec justesse les proceds mtonymiques >> (faire passer une
partie pour le tout). La scnographie ne retient que des lments
linaires (murettes, haies), ou faciles cartographier (les points
noirs , les espaces protgs), comme si le paysage ne possdait ni
etendue ni terre .
Les conclusions sont souvent pessimistes : Josette Debroux parle de
violence symbolique et Bmno Y h e r dnonce le leurre >> des interventions petite chelle, face l'ampleur de la dprise agricole. La
recherche d'un consensus n'est cependant pas impossible ; mais les
enquteurs ont sans doute privilgi la dimension du conflit. La ngociation se joue plus facilement. semble-t-il, quand il s'agit du patrimoine culturel, et notamment du patrimoine bti, que lorsque I'enjeii
est de caractre exclusivement esthetique, ou concerne la protection
de la nature. Jacques Cloarec explique ainsi qu' Ribes, par exemple,
les dbats engags l'occasion du projet de ZPPAU ont t conduits de
faon dmocratique. Ils ont mme rempli une authentique fonction
pdagogique, en conduisant 21 la reconnaissance d'un patrimoine paysager commun. Et l'expert ne russit pas forckinent imposer son
projet : une contre-expertise lui est parfois oppose. Tout code pr6tention universelle fait susgir de multiples manires de ruser avec la
norme, et la socit locale est prcisment le lieu o se ngocie le
compromis entre le gnral et le particulier. (Barel 1981 : 3-3 1.) .
Le chercheur lui-mme - en dpit de sa volont d'objectivit
scientifique - se retrouve souvent en situation d'expert, et contribue
alors l'laboration de nouveaux codes. Telle est la conclusion
d'Yves Luginbhl au termc de plusieurs tudes de terrain o il est
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Rfrences bibliographiques