Pierre Aubenque - La Métaphysique Dans La Culture Grecque Classique
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LA METAPHYSIQUE
DANS LA CULTURE GRECQUE CLASSIQUE
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autre : ?II n'y a pas de metaphysique pour les Grecs ?, puisque les Grecs ne
pouvaient connaitre comme quelque chose d'etabli, d'institue et transmis
par une tradition, une forme de pensee qui etait en train de naitre en eux, au
sein meme de leur culture, mais en quelque sorte dans leur dos et parfois
contre leur gre, en tout cas sans la participation active et consciente de la
comme on sait, un produit tardif issu de l'ordre des ecrits d'Aristote dans
nieres. Si importante soit-elle, elle n'est qu'une philosophic seconde, qui doit
etre depassee vers une philosophic plus haute, une philosophic premiere. La
immense... C'est l'une des plus grandes qualites des Hellenes que de ne pou
voir traduire en reflexion ce qu'ils ont de meilleur en eux. Autrement dit, ils
sont nai'fs : c'est un mot qui resume la simplicite et la profondeur. Ils ont en
eux quelque chose de l'ceuvre d'art. ?j L'art grec est sans doute, plus que la
philosophic grecque, l'expression de la culture grecque : alors que les philo
sophies vivent dans l'ombre des ecoles, ou ils developpent des doctrines
? esoteriques ?, e'est-a-dire non destinees au grand public, l'art s'etale en
Grece sur la place publique ; il est le lieu et l'occasion des grandes fetes pan
helleniques que sont les Panathenees, les jeux Pythiques ou Olympiques ; il
fait l'objet d'une veneration generale. Or l'art est la manifestation, le laisser
apparaitre des belles formes, des belles apparences. Le Beau est pour les
Grecs ce que Hegel nommera ? der sinnliche Schein?, a la fois l'apparence sen
sible et la lumiere qui irradie du sensible. Hegel aura seulement le tort
d'ajouter, parce qu'il est penetre de plus de vingt siecles de metaphysique:
? der sinnliche Schein der Idee ?, ?l'apparaitre sensible de l'Idee?. Pour les Grecs,
ce qui se manifeste dans la beaute de l'ceuvre d'art n'est pas autre chose que
la belle apparence. La belle apparence n'a pas besoin d'un genitif possessif:
elle n'appartient qu'a elle-meme, ne renvoie qu'a elle-meme. Ueidos, Yidea,
c'est ce qui se montre, se manifeste, et non pas, comme le soutiendront les
metaphysiciens, ce qui se dissimule derriere les phenomenes. Pour le dire
1. F. Nietzsche, La naissance de la philosophie a I'epoque de la tragedie grecque, trad. G. Bian
quis, p. 17.
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cente dont elle serait la condition, le philosophe est renie par ceux-la memes
qu'il avait pour ambition d'eclairer et de liberer. Si le philosophe s'avisait de
redescendre dans le monde des ombres ou sa vision serait d'abord troublee,
? ne preterait-il pas a rire, ne dirait-on pas a son propos que, pour etre monte la
haut, il en est revenu les yeux gates et qu'il ne vaut meme pas la peine d'es
sayer d'y monter; et celui qui s'aviserait de les delier et de les emmener la-haut,
celui-la, s'ils pouvaient s'en emparer et le tuer, ne le tueraient-ils pas ? ?1.
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Le grec possede une capacite, qu'il partage avec certaines langues, mais
non avec toutes, de substantiver des abstractions et de pouvoir ainsi faire
d'un adjectif exprimant par exemple une qualite non seulement le predicat
d'un sujet concret, mais le sujet d'une proposition meta-empirique. Cette
il y a des langues plus capables que d'autres de focaliser l'attention sur des
notions susceptibles de determinations formelles en dehors meme de l'expe
rience. En ce sens precis, le grec est bien une langue metaphysique.
Une autre propriete de la langue grecque, qu'elle partage avec les autres
langues indo-europeennes, est l'existence d'un verbe unique pour exercer la
fonction syntaxique de copule. Dans une analyse celebre, le linguiste Benve
niste montre que ?la structure linguistique du grec predisposait la notion
d'etre a une vocation philosophique ?. II note les emplois tout a fait singu
liers du verbe etre, qui le font ? susceptible aussi bien d'enoncer l'existence
d'une ? notion qui enveloppe tout?, est ?la condition de tous les predi
cats ?3, sorte de condition transcendantale de possibility, et qui est l'etre.
tion d'une langue philosophique en Grece, cf. Bruno Snell, Die alten Griechen und wir,
Gottingen, 1962, p. 42, 48-52.
2. E. Benveniste, Problemes de linguistiquegenerate, Paris, Gallimard, 1966, p. 73, 193.
3. Ibid, p. 70.
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taxiques que semantiques ont resulte pour Fessentiel de l'absence d'une copule explicite
comme einai, esse, etre, dans la plupart des langues autres qu'indo-europeennes.
2. Cf. Marcel Detienne, Les maitres de verite dans la Grece archaique, Paris, Maspero, 1967.
3. Cf. Jean-Pierre Vernant, Les origines de lapenseegrecqtte, Paris, Maspero, 1962, chap. IV
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