Les Fanatiques: de L'Apocalypse
Les Fanatiques: de L'Apocalypse
Les Fanatiques: de L'Apocalypse
LES FANATIQUES
DE L'APOCALYPSE
COURANTS MILLNARISTES
RVOLUTIONNAIRES DU XIEAU XVIESICLE
NORMAN COHN
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et en combien de
manires il en est
capable, et jamais il
ne peut trop tudier
l'histoire de nos
garements.
HISTOIRE DE L'ANTJjCHRIST
droite les deux tmoins Enoch et Elie prchent contre lui. Au-dessus, l'Antchrist, soutenu par des dmons, s'efforcant de voler afin de monter ainsi qu'il est
Dieu, tandis qu'un archange s'apprte l'abattre d'un coup d'pe.
NormanCOHN
LES FANATIQUES
DE L'APOCALYPSE
COURANTS MILLNARISTES
RVOLUTIONNAIRES
DU XIe AU XVIe SICLE
Traduit de l'anglais par Simone Clmendot
avec la collaboration de Michel Fuchs et Paul Rosenberg
Maquette et couverture :
NordCompo
Dpt lgal :
novembre 2011
dition originale : The
Avant-propos
8_
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tuent le sujet de notre tude. On ne compte pas les cas o les gens
se grouprent au sein de mouvements millnaristes d'une sorte
ou d'une autre, et ceci diffrentes poques de l'histoire, dans
bien des rgions et au sein de socits fort diverses du point de
vue de leurs techniques, de leurs institutions, de leurs valeurs et
de leurs croyances. Leur ton allait de l'agressivit la plus outrancire au pacifisme le plus doux. Leur but, de la spiritualit la
plus thre au matrialisme le plus vil. On ne saurait dnombrer ni les diffrentes reprsentations du Millnium ni les voies
pour y parvenir. Mais les analogies apparaissent autant que les
diffrences, et plus l'on compare les explosions du chiliasme
social militant de la deuxime moiti du Moyen ge aux mouvements totalitaires modernes, plus on est frapp par leurs ressemblances. Une tyrannie mondiale va succomber sous peu sous
les coups d'un peuple e1u guid par une e1ite infaillible et inspire. Ce conflit imminent revtira une importance incomparable
et unique, car il permettra de purifier jamais l'univers du mal
qu'il renferme et amnera l'histoire sa consommation prvue
de toute ternit. Ces chimres n'ont rien perdu de leur puissance
de fascination. Mme si les vieux symboles et les slogans d'autrefois ont t remplacs, la structure des rves fondamentaux n'a
pratiquement pas chang.
L'heure semble propice l'tude des lointains indices des troubles que nous vivons. Si une telle enqute ne peut prtendre jeter
une lumire apprciable sur le fonctionnement d'un tat totalitaire solidement tabli, elle contribue sans conteste clarifier la
psychologie et la sociologie des mouvements totalitaires l'apoge de leur ardeur rvolutionnaire. De ce point de vue, il ne sera
d'ailleurs pas besoin d'introduire de trop grandes distinctions
entre les deux grandes pousses totalitaires connues jusqu 'ici, le
communisme d'une part et le national-socialisme allemand de
l'autre. Nul ne songe nier l'abme qui spare l'atavisme, le
King's College
University of Durham
Newcastle upon Tyne
COHN
Chapitre 1
Introduction
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FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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26_ LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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sible dans son Dialogue avec le juif Tryphon. Son interlocuteur juif l'interroge: Croyez-vous vraiment, vous autres
chrtiens, que cette ville, Jrusalem, sera reconstruite, et
que votre peuple s'y assemblera dans la joie, sous l'gide du
Christ, assist des patriarches et des prophtes (Jus tin
Martyr, cap. LXXX, cols. 664-668). A quoi Justin rplique
que si tous les chrtiens authentiques n'en sont pas persuads, il partage, quant lui, la ferme conviction que les
saints vivront effectivement mille ans dans une Jrusalem
nouvelle, plus spacieuse et plus belle.
Proche ou lointain, le Royaume des Saints pouvait se
concevoir de diverses manires, de la plus raliste la plus
spirituelle. Le fait est que la vision de nombreux chrtiens,
mme parmi les plus cultivs, tait tonnamment matrialiste. Un exemple primitif nous en est fourni par le cas du
pre apostolique Papias (n, semble-t-il, vers 6o ap. J.-C.) qui
s'assit, peut-tre, aux pieds de l'aptre Jean6 Ce Phrygien
rudit s'attacha la conservation des versions authentiques
de l'enseignement du Christ. Bien que les prophties millnaristes qu'il attribue au Christ soient forges de toutes pices - on en trouve de nombreux quivalents dans diverses
apocalypses juives, telles que celle de Baruch- elles prsentent un intrt considrable en raison des prcisions qu'elles apportent sur les espoirs de certains chrtiens cultivs et
fervents de l're post-apostolique, sinon sur ceux du Christ
lui-mme:
Le jour viendra o surgiront des vignes munies chacune de
mille pieds ; chaque pied portera dix mille sarments et chaque
vritable sarment dix mille tiges et chaque tige dix mille grappes et chaque grappe produira vingt-cinq mtrates de vin. Et
lorsque l'un ou l'autre saint se saisira d'une grappe, une autre
s'criera: Je suis meilleure, bnis travers moi le Seigneur.
De mme le Seigneur a dit qu'un grain d'orge donnera dix
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Irne, originaire lui aussi d'Asie mineure, porta ces prophties sur la terre de Gaule vers la fin du premier sicle.
vque de Lyon et thologien mrite, il fit probablement
plus que tout autre pour enraciner les croyances chiliastiques en Occident. Les derniers chapitres de son volumineux
trait, Contre les hrsies, constituent une excellente anthologie des prophties messianiques et millnaristes contenues
dans les deux Testaments. L'extrait de Papias y figure aussi.
Pour lui, tout chrtien orthodoxe se doit de croire que ces
faits se produiront sur cette terre, la grande gloire des
Justes, vivants ou ressuscits. Il appuie cette conviction sur
des arguments qui montrent que les rves compensatoires
jouaient de son temps un rle aussi considrable que lors
du Songe de Daniel. Car, explique-t-il, il est juste que dans
cette mme cration o ils ont connu l'affliction et la peine,
et souffert toutes sortes de tribulations, ils en soient rcompenss, et que dans cette mme cration o ils furent assassins pour l'amour de Dieu, ils retrouvent la vie, et que
dans cette mme cration o ils endurrent la servitude, ils
exercent leur tour la seigneurie. Car Dieu est riche en toutes choses et toutes choses lui appartiennent. Il sied donc
que la cration, elle-mme restaure dans sa condition premire, soit place sous la loi absolue du Juste (Irne, livre v,
chap. XXXXII - XXXIV, col. 1210).
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Mais cet insens, l'Antchrist, en butte leur implacable courroux, prendra la tte d'une arme et assigera la montagne o
les Justes auront trouv refuge. Et, se voyant assigs, ils feront
appel Dieu de toute leur voix, et Dieu les entendra et leur dpchera un librateur. Alors les cieux s'ouvriront; la tempte fera
rage, et le Christ descendra, muni d'une grande puissance et
une lueur de feu le prcdera, ainsi qu'une cohorte d'anges
innombrables: cette foule de mcrants sera anantie et le sang
coulera flots ... La paix revenue et les maux supprims, le roi
juste et victorieux soumettra les vivants et les morts un jugement terrible et il asservira tous les peuples paens, placs sous
le joug des justes survivants; aux justes trpasss il accordera la
vie ternelle et il rgnera lui-mme avec eux sur cette terre et
fondera la Cit Sainte. Et ce Royaume des Justes durera mille
ans. Les toiles brilleront d'un plus vif clat ; le soleil se fera
plus splendide et la lune ne connatra pas de dclin. Alors la
pluie descendra sur la terre matin et soir comme une bndiction, et la terre produira tous ses fruits sans l'aide du labeur humain. Le miel dgouttera en abondance des rochers ; des
sources de lait et de vin jailliront. Les btes des forts cesseront
d'tre sauvages pour devenir paisibles. Les animaux ne se gorgeront plus de sang ni de chair. Car Dieu leur fournira, en
abondance, une nourriture innocente (Lactance (2), cols. 10901092, qui rsume Lactance (1) (Divinae Institutiones), livre vn,
chap. xx, XXIV, XXVI. Voir notamment XXIV, cols. 8o8-8n).
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FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
pour la premire fois en un appel aux armes, premire esquisse de l'esprit de croisade chiliastique qui devait dferler
sur l'Europe mdivale, puis notre poque. Commodianus
prtend en effet7 que le Christ ne reviendra pas suivi de la
cohorte des anges, mais la tte des descendants des dix tribus disperses d'Isral, lesquelles auront survcu en des endroits secrets, ignores du reste du monde. Ce peuple
cach, saint, suprme vit dans le cadre d'une communaut particulirement vertueuse qui ignore toute haine,
toute ruse, toute concupiscence et qui pousse l'horreur du
sang rpandu jusqu' s'affirmer vgtarien. Cette communaut bnie de Dieu se trouve hors d'atteinte de la fatigue,
de la maladie et de la mort prmature. Cette arme se hte
donc de librer Jrusalem, la mre captive. Ils viennent
avec le Roi des Cieux... la cration entire se rjouit la vue
du peuple cleste. Les montagnes s'aplatissent leur approche, les fontaines jaillissent sur le bord de leur route, les
nuages s'inclinent pour les protger du soleil. Mais ces
saints sont aussi des guerriers invincibles et farouches.
Semblables dans leur fureur des lions irrits, ils dvastent
tout sur leur passage, renversent les nations et rasent les cits par la grce de Dieu ; ils font main basse sur l'or et
l'argent et entonnent des hymnes de grce pour les faveurs
dont ils seront gratifis. L'Antchrist, saisi d'pouvante,
prend la fuite vers le nord, et va se placer la tte d'une arme d'infidles, qui comprend videmment les peuples
fabuleux de Gog et Magog, emprisonns, selon la lgende,
par Alexandre le Grand dans les terres septentrionales 8
L'Antchrist est mis en droute par les anges de Dieu et
prcipit en Enfer. Ses capitaines sont asservis au peuple
saint- sort que partageront plus tard les survivants, bien rares, du Jugement dernier. Quant au peuple saint lui-mme,
il vit tout jamais dans une Jrusalem sanctifie, immortel
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et sr d'une immortelle jeunesse, croissant et se multipliant, ignorant la chaleur et le froid, tandis qu'autour de lui
une terre perptuellement rnove prodigue abondamment
ses fruits.
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contre les chrtiens qui ont abjur leur Seigneur. Suit une
priode de paix et de joie durant laquelle l'Empire, ressoud
par ce grand chef, connat une prosprit inoue. Mais les
cohortes de Gog et de Magog surgissent et sment partout
la terreur et la dvastation, jusqu' ce que Dieu dpche un
capitaine de la troupe cleste qui les extermine en un clair.
L'empereur se rend Jrusalem pour y attendre la venue de
l'Antchrist. Lorsque survient cet vnement prodigieux,
l'empereur pose sa couronne sur la croix du Golgotha, et la
croix s'lance vers les cieux. L'empereur meurt et l'Antchrist entame son rgne. Mais, peu aprs, la croix rapparat dans les cieux, signalant la venue du Fils de l'Homme ;
le Christ lui-mme, muni de la puissance et de la gloire,
vient, chevauchant les nues, tuer l'Antchrist du souffle de
sa bouche et procder au Jugement demier14
Les circonstances politiques particulires qui avaient entran l'closion de ces prophties passrent, et leur souvenir finit par s'effacer. Mais les prophties elles-mmes ne
perdirent rien de leur pouvoir de fascination. Tout au long
du Moyen ge, l'eschatologie sibylline et l'eschatologie drive de l'Apocalypse subsistrent paralllement, s'influenant l'une l'autre, quoique la sibylline ft la plus populaire.
Les textes sibyllins exercrent en effet une influence considrable, en dpit de leur caractre peu canonique, sinon
franchement htrodoxe. En fait, mises part la Bible et les
uvres des Pres de l'glise, aucun ouvrage n'eut autant
d'influence au Moyen ge. Ces textes sont souvent l'origine des positions des principaux personnages de l'glise,
de moines et de nonnes tels que saint Bernard ou sainte
Hildegarde, dont l'avis tait tenu pour divin mme par les
papes et les empereurs. D'autre part, leur capacit d'adaptation tait infinie: constamment rdits et rinterprts en
fonction des circonstances et des proccupations de l'heure,
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nom de Dieu ou est l'objet d'un culte, et est appel s'exalter au-dessus de lui, si bien qu'il trnera dans le tabernacle
de Dieu, comme Dieu, afin de se prouver qu'il est Dieu...
(Paul, 2e Thessaloniciens, II, 4, g, cf. Apocalypse, XIII, 13-14).
Les signes et prodiges fallacieux, que le faux prophte met
en uvre par l'intermdiaire de Satan et de sa puissance,
lui permettront de subjuguer le peuple apparemment vertueux et magnanime ; il masquera avec un art consomm
sa perversit, ce qui lui permettra d'asseoir solidement sa
tyrannie. Et il lui fut donn de faire la guerre aux saints
et de les vaincre : et la puissance lui fut donne sur toutes
les races, les langues et les peuples (Apocalypse, XIII, 7).
On pouvait donc concevoir ce personnage, dsormais dsign sous le nom d'Antchrist, comme un tre humain, un
despote la fois sduisant et cruel et ce titre comme un
serviteur et un instrument de Satan. Mais jamais on ne se
le figura comme un homme pur et simple, si pervers ft-il.
Les Perses (Mazdens), qui espraient la chute du dmon
suprme Ahriman la fin des temps, et les Babyloniens,
qui imaginaient une bataille entre le Dieu suprme et le
dragon du chaos, inspirrent l'eschatologie juive et influencrent profondment l'image du Tyran des Derniers Jours.
Dj dans le Songe de Daniel, Antiochus n'est plus dpeint
seulement comme un roi froce : c'est aussi la bte cornue
qui grandit jusqu'aux lgions du ciel, prcipite terre des
lgions et des toiles et les foule aux pieds (Daniel, VIII,
10). Dans l'Apocalypse, le rle traditionnel de l'Antchrist
revient d'une part la premire bte, ce grand dragon qui
merge des flots pourvu de sept ttes et de dix cornes, et
d'autre part la seconde bte, monstre cornu qui parle
d'une voix de dragon et merge de l'abme sans fond situ
l'intrieur de la terre (Apocalypse, XI, XII, XIII).
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France, et de certaines parties de l'Allemagne centrale et mridionale, du milieu du XIIIe sicle jusqu' la Rforme; on
la retrouve ensuite en Hollande et en Westphalie. Une agitation chiliastique se produit galement, en marge de bouleversements bien plus considrables, dans la rgion de
Londres et en Bohme. A une ou deux exceptions prs, tous
les mouvements dont nous aurons parler dans cette tude,
qui n'englobe pas le domaine italien, devaient affecter une
zone plus ou moins circonscrite l'intrieur de ces limites.
Ce n'est pas l une impression tenant l'insuffisance
de nos sources : partir du XIe sicle, en effet, celles-ci ne
manquent pas ; mme pour les sicles antrieurs, quoique
plus rares, elles auraient sans doute mentionn ces mouvements s'ils avaient pris une envergure apprciable. Si tmraire que puisse tre la recherche des causes de certains
phnomnes sociaux pour une socit qui chappe l'observation directe, l'incidence du millnarisme rvolutionnaire est ici bien trop dfinie dans le temps et dans l'espace
pour tre dnue de signification. Un simple coup d'il
suffit tablir que les situations sociales, qui se retrouvent
l'arrire-plan de ces explosions rvolutionnaires, taient d'une
remarquable uniformit. Cette impression se confirme
lorsqu'on en vient tudier dans le dtail telle ou telle pousse rvolutionnaire. Les rgions o les prophties millnaristes sculaires revtent soudain une signification nouvelle,
rvolutionnaire, et connaissent un regain de vigueur, sont
celles o l'essor conomique est particulirement rapide
et se double d'une forte expansion dmographique. Cette
conjoncture caractrisait tantt une zone et tantt une autre,
le dveloppement de l'Europe mdivale tant particulirement ingal cet gard. La vie dans ces rgions diffrait considrablement de celle des rgions purement
agricoles pendant les mille annes que dura la civilisation
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des armes entre les mains des seigneurs. Le rgime seigneurial ne saurait donc se dfinir par une exploitation
anarchique et arbitraire de la main-d'uvre. Si la coutume
spcifiait les corves et les taxes dont le paysan devait s'acquitter, elle en dterminait aussi le taux. Les paysans, pour
la plupart, trouvaient l cette scurit fondamentale qui s'attache la possession hrditaire et inalinable du fermage
d'une terre.
D'autre part, les paysans jouissaient d'une position
d'autant plus forte que leur vie, tout comme celle des nobles, tait solidement enracine dans une communaut
familiale. Ce clan familial rassemblait, sous l'gide du
pre, ou, dfaut, de la mre de la branche ane, tous ceux,
hommes ou femmes, qui taient lis par un mme sang,
ainsi que leurs conjoints. Il n'tait pas rare que ce clan ft
reconnu comme titulaire de la tenure, qu'il conservait
jusqu' extinction du groupe. La famille tait mme
pot, feu et miche, et travaillait les mmes champs ouverts.
Enracine sur le mme lopin de terre depuis des gnrations, elle constituait une cellule sociale d'une cohsion remarquable, mme s'il lui arrivait d'tre dchire par
d'amres querelles. Nul doute que le paysan lui-mme n'ait
eu intrt faire partie d'un tel clan. Quelle que ft sa
dtresse, et mme s'il ne vivait plus l'intrieur du clan ,
il pouvait toujours faire appel lui sans crainte d'tre du.
Les liens du sang reprsentaient pour l'individu un appui
autant qu'une entrave9.
Le rseau de liens sociaux dans lequel le paysan se trouvait jet ds sa naissance tait si puissant et si solidement
ancr qu'il rendait impossible tout dsarroi radical. Tant
qu'on ne portait pas atteinte ce rseau, les paysans jouissaient d'une scurit matrielle relative, mais aussi d'un
certain sentiment de scurit, d'une assurance inestimable
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trouble, de terreur, ou d'enthousiasme- rvolte ou rvolution, appel la croisade, peste, interrgne ou famine-, bref
tout ce qui rompait avec la routine sociale quotidienne agissait sur eux avec une acuit particulire et suscitait des ractions singulirement violentes. Leur premier rflexe, face
cette triste condition, fut de se constituer en groupes salutistes sous l'gide d'individus d'une saintet peu commune
leurs yeux.
Ils ne faisaient ainsi que renouer avec une pratique mdivale fort commune qui connaissait un gal succs au
sein des couches sociales les plus diverses. Depuis le XIe sicle jusqu' la fin du Moyen ge, les laques ne cessrent de
crer une infinit de mouvements salutistes de tous ordres.
Il suffira, pour apprcier la ferveur et la passion apportes
par des catholiques d'obdience strictement orthodoxe de
tels mouvements, de lire le rcit de l'abb Aimo, Normand
du milieu du xne sicle. On y voit des multitudes de
croyants des deux sexes et de tous ges, dont certains nobles
de haut lignage, participer la construction d'une glise.
Groups l'intrieur de diverses communauts sous la direction soit d'un prtre soit d'un laque clbre pour sa
pit, ils s'attelaient tels des bufs des charrettes charges de matriaux de construction et les tiraient par monts
et par vaux, franchissant des rivires au besoin, jusqu'au
chantier. Lors des haltes, les chefs, sur un ton de plus en
plus frntique, adjuraient les fidles de se repentir. Ceuxci se flagellaient, versant des pleurs et suppliant la Vierge
de leur pardonner leurs pchs: Toute haine tait apaise,
toute discorde vanouie, toute dette oublie et l'union des
esprits restaure. Mais si l'un d'eux s'avisait de ne pas obir
au prtre ou de ne pas renoncer au pch, son offrande tait
prcipite hors de la charrette comme impure et il tait luimme ignominieusement expuls des saints. 26 Les atte-
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FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
plus ces masses devait naturellement trouver son couronnement dans la transformation radicale de la socit. Elles
trouvaient dans les prophties eschatologiques, hrites
d'un pass immmorial et issues du monde oubli du christianisme primitif, un mythe social parfaitement adapt
leurs besoins 27
Tel est le processus qui, aprs avoir fait sa premire apparition dans la rgion qui spare la Somme du Rhin, devait
se rpter aux sicles suivants, en Allemagne centrale et
mridionale, puis en Hollande et en Westphalie. Il se manifestait chaque fois dans des circonstances semblables :
essor dmographique, industrialisation acclre, affaiblissement ou disparition des liens sociaux traditionnels, largissement du foss entre riches et pauvres. Alors, chacune
de ces rgions, l'une aprs l'autre, voyait un sentiment collectif d'impuissance, d'angoisse et d'envie se donner libre
cours. Ces hommes prouvaient le besoin pressant de frapper l'infidle afin de redonner corps, par la souffrance inflige aussi bien que subie, ce royaume ultime o les saints,
assembls autour de la grande figure protectrice de leur
Messie, jouiraient d'une richesse, d'un confort, d'une scurit et d'une puissance ternels.
Chapitre II
Les premiers mouvements
. .
,
messianiques europeens
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FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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dclencha une campagne pour le clibat obligatoire des prtres (en un temps o les prtres maris taient lgion) et
prit des mesures nergiques contre la simonie (alors que
l'achat des offices ecclsiastiques n'avait rien d'exceptionnel). Sa campagne stimula le dsir des masses urbaines,
avides de possder pour chefs spirituels des asctes mrites. Parmi ses plus ardents disciples, les patarnes de Milan
groupaient de nombreux tisserands. Aussi, en prononant
la dchance des vques simoniaques et en invitant la population se dresser contre les prtres maris et refuser
leur ministre, Grgoire VII se faisait-il l'avocat d'ides qui,
en des temps de bouleversement social, pouvaient prendre
valeur de slogans rvolutionnaires. Dans les villes piscopales, notamment, elles pouvaient acqurir une puissance
explosive : les chapitres de cathdrales, scandaleusement
frivoles, regorgeaient d'aristocrates qui plaaient leurs propres intrts sculiers, voire ceux de leurs femmes et de
leurs enfants, bien avant leurs devoirs spirituels.
On vit bien jusqu'o pouvaient mener les exhortations de
Grgoire VII lorsqu'clata l'insurrection communale de
Cambrai en 1077. Un prtre du nom de Ramirdhus se mit
exciter la population artisanale, et surtout les tisserands,
contre le clerg dont il dnonait la frivolit, proclamant
qu'il n'accepterait jamais de recevoir l'eucharistie des mains
d'un prtre simoniaque. L'vque ayant cras cette rbellion dans le sang, fit aussitt brler comme hrtique celui
que Grgoire, de son ct, proclamait martyr. Mais Grgoire
lui-mme et t constern de voir le parti que devait tirer
de son idal, dans des circonstances semblables, le fondateur d'un mouvement rvolutionnaire qui prit naissance au
Nord-Est de l'empire vers 1110 : Tanchelm.
Il semble que Tanchelm ait dbut comme notaire la
cour de Robert II, comte de Flandres, qui le chargea mme
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rendit un singulier hommage; en 1112, lorsque l'archevque de Cologne parvint s'emparer de lui et le jeter dans
un cul-de-basse-fosse avec le prtre dfroqu qui lui servait
d'adjoint, l'vque d'Utrecht, rcemment dcd, n'avait
pas encore t remplac et, dans une lettre l'archevque,
les chanoines admirent sans difficult leur impuissance, insistant sur le fait que Tanchelm constituait depuis longtemps un danger pour l'glise d'Utrecht. Ils affirmaient que
s'il recouvrait la libert et le pouvoir de reprendre sa tche,
ils ne seraient plus en mesure de lui rsister et que le diocse serait tout jamais perdu pour l'glise.
Tanchelm parvint toutefois s'chapper et c'est seulement aprs avoir caus mainte hcatombe, prcise le
chroniqueur, qu'il fut assassin par un prtre, en 1115 6 Sa
personnalit continua de dominer la vie politique d'Anvers
pendant plus de dix ans. Une congrgation de chanoines,
spcialement runie pour la circonstance, fut incapable d'extirper son influence, et cette tche fut fmalement confie au
futur saint Norbert. Noble de haut lignage, qui avait renonc une brillante carrire la cour impriale pour errer
de par le monde en haillons, Norbert s'tait acquis une
grande rputation de faiseur de miracles, de gurisseur des
malades et des fous et de dompteur de btes sauvages. ce
titre, il parvint, non sans peine, se concilier le peuple et
lui faire oublier Tanchelm, ramenant ainsi Anvers dans le
sein de l'glise7.
Une trentaine d'annes plus tard, un mouvement semblable se constitua autour d'un autre laque, un certain Eudes
de L'toile ou Eudo de Stella8 On sait que cet hrsiarque
tait issu d'une noble famille de Loudac, en Bretagne.
C'tait, selon toute vraisemblance, un de ces cadets de famille
qui, au fur et mesure que s'instaurait le droit d'anesse, se
trouvaient privs de leur patrimoine. D'allure imposante,
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tarda pas mourir. Ses principaux disciples, faits prisonniers en mme temps que lui, refusrent sans dfaillance
de le renier et continurent de se parer des titres qu'il leur
avait dcerns. Condamns tre brls vifs comme hrtiques impnitents, ils demeurrent inflexibles jusqu'au
dernier. L'un d'eux menaa de mort ses bourreaux et ne
cessa de crier tandis qu'on le tranait au supplice: "Terre!
Ouvre-toi!" Tel est, conclut le chroniqueur, le pouvoir de
l'erreur quand elle s'est empare du cur de l'homme. 12
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d'o il tait issu, un exutoire : le pays ne cessait d'tre dvast par leurs incessants conflits. La conjoncture tait favorable, le Concile de Clermont ayant consacr tous ses soins
la trve de Dieu, procd ingnieux par lequel l'glise
s'efforait, depuis un sicle, de mettre un frein aux guerres
fodales. Outre le clerg, un grand nombre de membres
de la petite noblesse s'taient donc rendus Clermont, et
c'est eux surtout que le pape s'adressa le dernier jour du
concile.
Aux ventuels croiss, Urbain offrait des rcompenses
considrables13. Tout chevalier qui s'armerait pieusement de
la croix obtiendrait la rmission de toute peine temporelle.
S'il venait mourir au combat, tous ses pchs lui seraient
pardonns. Ces rcompenses spirituelles se doublaient
d'avantages matriels. La surpopulation ne frappait pas la
seule paysannerie : les guerres perptuelles qui mettaient
les nobles aux prises s'expliquaient, en partie, par une relle
pnurie de terres. Les cadets de famille se trouvaient entirement dmunis et n'avaient d'autre ressource que de chercher fortune. Une chronique veut qu'Urbain ait oppos
l'indigence relle de nombreux nobles leur prosprit future lorsqu'ils auraient conquis des fiefs somptueux dans
les terres du Sud14 Que cela soit vrai ou non, cette perspective emporta, sans doute, l'adhsion de plus d'un crois.
Il est clair toutefois que les prlats, les prtres et les nobles
qui entendirent l'appel d'Urbain obissaient autre chose
qu' la soif du gain, matriel ou spirituel. Pendant son sermon, l'assemble fut parcourue d'motions d'une intensit
bouleversante. Des milliers d'hommes s'crirent d'une
seule voix: Deus le volt. Se bousculant autour du pape,
se prosternant ses pieds, ils le suppliaient de les autoriser
prendre part la guerre sainte. Un cardinal tomba genoux,
et, au nom de toute l'assemble, rcita le Confiteor ; nombreux
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70- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
Lorsque, avec un dcalage d'une gnration, un moine rdigea l'appel qu'il s'imaginait avoir t prononc par Urbain
Clermont, il le fit mentionner la Cit sainte non seulement comme le lieu illustr jamais par l'Avnement du
Christ, sa Passion et son Ascension, mais aussi comme le
nombril du monde, le pays fcond entre tous, le nouveau
paradis des dlices, la cit royale situe au centre du monde,
captive maintenant, criant l'aide et aspirant sa libration24
En outre, mme pour les thologiens, Jrusalem tait une
image, un symbole de la cit cleste semblable une
gemme trs prcieuse, dont l'Apocalypse prcisait qu'elle
devait lui succder la fin des Jours. Rien d'tonnant, les
contemporains l'ont not, si dans l'esprit des gens simples
la Jrusalem terrestre avait fini par se confondre avec la
Jrusalem cleste et avait assum certains de ses traits. C'tait
une terre miraculeuse, fertile en bndictions matrielles et
spirituelles. Rien d'tonnant non plus si, lorsque les pauvres prirent le chemin de Jrusalem, les enfants s'criaient
devant chaque chteau: Est-ce ici Jrusalem?, tandis
qu'on voyait planer dans les cieux une cit mystrieuse vers
laquelle convergeaient de vastes multitudes 2 5.
Alors qu'en France, dans les Flandres et dans la valle
du Rhin, les pauvres se constituaient en bandes autonomes, en Provence, autre rgion surpeuple et d'urbanisation trs pousse, ils se rallirent en masse l'arme du
comte Raymond de Toulouse. Cette arme fut prise d'une
exaltation aussi intense que celle qui rgnait dans les hordes des prophtes. Au Nord comme au Sud, les pauperes
partant pour la croisade se considraient comme l'lite des
croiss, comme un peuple choisi par Dieu, alors que les
barons ne l'avaient pas te 6 Lorsqu' un moment crucial
du sige d'Antioche, saint Andr vint annoncer la bonne
nouvelle selon laquelle la sainte Lance tait enterre dans
-71
l'une des glises de la ville, c'est un pauvre paysan provenal qu'il apparut. Conscient de son humble condition, ce
paysan hsitait faire part de la nouvelle aux nobles ; le
saint le rassura : Dieu vous a choisi, vous les pauvres,
entre tous les peuples, comme on assemble les grains de
bl au milieu d'un champ d'orge. Car vous surpassez en
mrite et en grce tous vos prdcesseurs et tous ceux qui
vous succderont, comme l'or surpasse l'argent. 2 7
Raymond d' Aguilers, qui conte cette histoire, est le chroniqueur dont l'affinit est la plus marque avec les pauperes.
Il lui semble naturel que des croix miraculeuses apparaissent entre les omoplates des cadavres de pauvres, et lorsqu'il
parle de la plebs pauperum, c'est toujours avec le sentiment
de crainte respectueuse due aux lus du Seigneur.
Ce processus d'auto-exaltation des pauvres apparat encore
plus nettement dans les curieux rcits, o l'histoire se mle
la lgende, sur le peuple des Tafurs. Une grande partie, sinon la plupart de ceux qui s'taient engags dans la Croisade
des Pauvres, prirent en chemin, avant mme d'avoir quitt
l'Europe. Mais il en survcut assez pour constituer en Syrie
et en Palestine un corps de vagabonds - sens probable du
nom mystrieux de Tafurs. Nu-pieds, hirsutes, vtus de
haillons de bure, couverts de plaies et d'infections, vivant
d'herbes et de racines, dvorant mme l'occasion la chair
grille de leurs ennemis, les froces Tafurs ne laissaient
derrire eux qu'une terre totalement dvaste. Trop pauvres
pour s'offrir des pes ou des lances, ils maniaient le gourdin renforc d'une chape de plomb, l'pieu, le couteau, la
hache ou la pelle, la houe, la catapulte. En montant l'assaut, ils grinaient des dents comme s'ils se proposaient de
dvorer leurs ennemis morts ou vifs. Les musulmans qui
affrontaient sans crainte les barons, vivaient dans la terreur
des Tafurs, disant qu'il ne s'agissait pas de Francs mais de
72-
-73
74- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
-75
fissent main basse sur tous les paysans de telle ou telle rgion, les plaant devant ce choix : la conversion ou la mort
immdiate37. Sur quoi nos Francs s'en retournaient le
cur plein d'allgresse. La chute de Jrusalem fut suivie
d'une sanglante hcatombe. l'exception du gouverneur et
de ses gardes du corps qui, ayant soudoy leurs bourreaux,
parvinrent se faire escorter jusqu'aux portes de la ville,
tous les musulmans, hommes, femmes et enfants, furent
extermins. Dans le quartier du Temple de Salomon et dans
le temple lui-mme, les chevaux pataugeaient dans le
sang, qui leur arrivait aux jarrets, voire jusqu' la bride. Que
ce lieu ft abreuv du sang des impies, dont les blasphmes
taient si souvent monts vers Dieu, tait le signe de Son
admirable justice 38 Quant aux Juifs de Jrusalem, ils se
rfugirent dans la grande synagogue o ils furent tous brls vifs 39. Versant des larmes de joie et chantant des hymnes
de gloire, les croiss se rendirent solennellement l'glise
du Saint-Spulcre : jour nouveau, jour nouveau et
grande joie, ternelle et nouvelle allgresse! Ce jour, dont
l'avnement tait prdit par une tradition sculaire, transforme toutes nos peines et nos souffrances en indicible joie.
Ce jour tait celui de la confirmation du christianisme, de
l'anantissement des paens, du renouveau de notre foi. 40
Mais une poigne de survivants se rfugia sur la tour de la
mosque d'Al Aqsa. Le clbre crois Tancrde leur avait
promis la vie sauve contre forte ranon et leur avait confi
un de ses tendards en guise de sauf-conduit. Il ne put
qu'assister, furieux et impuissant, l'escalade du mur de la
mosque par les soldats du peuple qui dcapitrent tous les
musulmans, sans distinction d'ge ni de sexe, l'exception
de ceux qui prfrrent se prcipiter eux-mmes du haut de
la mosque41
76_
Compte tenu de ces faits, on ne s'tonnera pas que le premier massacre de Juifs se soit droul, lui aussi, pendant
la Premire Croisade42 L'arme officielle des croiss, qui
comprenait des barons et leurs cuyers, ne prit pas part
cette hcatombe qui fut exclusivement le fait de ces hordes
populaires, constitues dans le sillage des pseudo-prophtes.
Au fur et mesure que la croisade prenait consistance, la
paix s'tablit fermement de toutes parts, et les Juifs furent
aussitt pris partie dans les villes o ils s'taient tablis 43 On prtend que, ds le dbut de l'agitation qui prcda la croisade, les communauts juives de Rouen et de
plusieurs autres villes de France durent opter entre l' extermination et la conversion44 Mais les attaques les plus violentes eurent lieu dans les villes piscopales de la valle du
Rhin o, comme sur tous les grands itinraires commerciaux de l'Europe occidentale, des marchands juifs s'taient
tablis depuis des sicles. Fort utiles conomiquement, ils
n'avaient cess de jouir de la faveur spciale des archevques. Cependant, vers la fin du XIe sicle, la tension entre
les bourgeois et leurs seigneurs ecclsiastiques avait dj
suscit une atmosphre de turbulence sociale gnralise
qui devait faciliter la tche des prophtes de la croisade,
puis de Tanchelm et de ses disciples.
Au dbut du mois de mai rog6, des croiss cantonns
hors des murs de Spire rsolurent d'attaquer les Juifs dans
leur synagogue le jour du Sabbat. Leur projet n'aboutit pas,
et ils ne purent tuer qu'une douzaine de Juifs dans les
rues: l'vque, aprs avoir prt asile aux autres dans son
propre palais, fit chtier certains coupables. Worms, les
Juifs eurent moins de chance. Ils en appelrent aux bourgeois de la ville et l'vque: mais ceux-ci furent incapables
d'assurer leur protection face aux croiss qui, peine arrivs, entranrent le peuple de la ville dans un vritable po-
-77
78_
Croisade, la populace normande et picarde se mit massacrer les Juifs. Cependant, un moine dfroqu du nom de
Raoul, quittait le Hainaut pour la valle du Rhin o il invitait la population rallier la croisade, en commenant par
exterminer les Juifs. Comme au temps de la Premire
Croisade, le peuple, pouss au dsespoir par la famine, prtait Raoul, comme tous les pseudo-prophtes fortuns,
des miracles et des rvlations divines. Des foules affames
se massaient autour de lui, de mme que dans la lointaine
Bretagne, la mme poque, les foules se rangeaient sous
la bannire de l'hrsiarque Eudes de l'toile. Ce furent encore les cits piscopales, dchires par d'amers conflits
internes- Cologne, Mayence, Worms, Spire et Strasbourgqui fournirent le terrain le plus propice cette agitation antismite. Le mouvement gagna de nombreuses autres villes
de France et d'Allemagne. Comme prs d'un demi-sicle
auparavant, les Juifs cherchrent protection auprs des vques et des riches bourgeois, qui firent de leur mieux pour
les secourir. Mais les pauvres ne se laissrent pas rebuter
pour si peu. Dans plus d'une ville, on tait au bord de l'insurrection ouverte. Tout se passait comme si une nouvelle
catastrophe devait s'abattre sur les Juifs. C'est alors qu'intervint saint Bernard qui, jetant tout son poids dans la
balance, exigea avec la dernire vigueur qu'il ft mis fin
ces massacres.
Saint Bernard lui-mme, malgr son extraordinaire rputation de saint homme et de faiseur de miracles, ne parvint
pas mettre un frein la fureur populaire. Affrontant
Raoul Mayence, il lui intima l'ordre, en sa qualit d'abb,
de retourner son monastre; mais il se heurta au bas peuple, qui alla presque jusqu' prendre les armes pour dfendre son prophte47 Par la suite, les massacres de Juifs
devaient caractriser toutes les croisades populaires par op-
-79
Chapitre III
Les saints contre les cohortes
de l'Antchrist
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sus, frquent dans l'histoire des sicles suivants, joua peuttre ds la Premire Croisade.
Les pauperes sentaient que le Dernier Empereur tait
indispensable la ralisation de leurs espoirs les plus profonds, si bien qu'ils en virent l'incarnation non seulement
dans l'ombre de Charlemagne ressuscit, mais aussi parfois dans certains hommes vivants, les chefs effectifs de la
croisade9 L'ombre gigantesque de ce personnage messianique fut projete sur Godefroy de Bouillon, duc de Basse
Lorraine, puis sur un politicien obstin, Raymond de SaintGilles, comte de Toulouse et enfin sur ce chevalier normand qu'tait peut-tre le roi Tafur. Surtout, il semble clair
que l'homme qui inspira les grands massacres de Juifs dans
la valle du Rhin, Emico ou Emerich, comte de Leiningen,
s'imposa ses partisans comme l'Empereur des Derniers
Jours. Baron d'une cruaut notoire, il prtendait avoir t
incit s'armer de la croix par des visions et des rvlations
d'origine divine. Un jour, un messager du Christ lui tait
apparu et lui avait impos des stigmates, vraisemblablement le signe traditionnel de l'lection divine: la croix sur
ou entre les omoplates. On croyait que Charlemagne avait
port ce signe et que le Dernier Empereur le porterait
galement10 Emico prtendait y voir la preuve que le Christ
lui-mme le conduirait la victoire et dposerait en temps
voulu une couronne sur sa tte ; le couronnement devait
avoir lieu dans la partie de l'Italie du Sud qui tait aux
mains de l'empereur de Byzance. Quel sens donner tout
cela, sinon que ce petit baron allemand, assumant le rle
que l'vque Benzo avait vainement tent d'imposer l'empereur Henri, avait dcid d'tre l'empereur eschatologique
appel runir sous sa coupe l'Empire d'Orient et l'Empire
d'Occident, avant de diriger ses pas vers Jrusalem? En ralit l'expdition d'Emico fut des moins glorieuses. Sa horde
86_
de pauvres -Allemands, Franais, Flamands et Lorrainsn'atteignit jamais l'Asie mineure: elle fut mise en droute
par les Hongrois. Lui-mme accomplit seul le chemin du
retourn. Une atmosphre surnaturelle continua pourtant de
s'attacher lui. Plusieurs annes aprs sa mort (1117), on le
croyait encore en vie sur quelque montagne des environs de
Worms, d'o on le voyait surgir de temps autre, au cur
d'une bande arme, lgende qui incite penser que l'imagination populaire l'avait mtamorphos en un nouvel
hros endormi attendant l'heure de son retour sur terre 2
Pour ce qui est de la Deuxime Croisade, aucun doute ne
planait sur l'identit du personnage le plus apte jouer le
rle du Dernier Empereur. Aucun monarque n'avait pris
part la Premire Croisade. Mais un demi-sicle plus tard,
lorsque le pape Eugne invita les nobles se porter au secours
du roi de Jrusalem harcel par ses ennemis, Louis VII de
France rpondit son appel avec enthousiasme. l'Abbaye
royale de Saint-Denis, le jour de Nol 1145, parmi le peuple
en liesse, il fit vu de partir pour la croisade. Depuis le
dbut du sicle, de nouvelles versions de la Tiburtina
n'avaient cess de circuler: un futur roi de France rgnerait
la fois sur l'Empire d'Occident et sur celui de Byzance;
devenu Empereur des Derniers Jours, il dposerait enfin sa
couronne et sa tunique sur le Golgotha13 Naturellement,
lorsque l'enthousiasme s'empara une fois de plus des peuples d'Europe occidentale, cette prophtie fut applique
Louis VII. Au mme moment, tandis que le prophte Raoul
prchait l'extermination des Juifs, un oracle trange et secret (galement divulgu par un pseudo-prophte) soulevait
un intrt passionn. Il en ressortait que Louis recevrait les
villes de Constantinople et de Babylone avant de rgner sur
l'Empire d'Asie mineure. Alors, ajoutait l'oracle, son L se
transformera en C .Ces allusions constituent elles seules
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leurs chefs dans le cadre de cette eschatologie qui leur servait de mythe social.
Les traditions johanniques et sibyllines s'accordaient
dire que l'aube du Millnium ne pourrait se lever qu'aprs
l'limination des croyances impies. En un sens, l'idal d'un
univers exclusivement chrtien remonte au Christ luimme. Mais, sauf exception, le christianisme est rest ce
qu'il tait l'origine : une religion missionnaire qui aspire
l'limination des mcrants par la conversion. Cependant,
les hordes messianiques qui commencrent se constituer
aux XIe et xne sicles, ne virent pas pourquoi cette limination ne se raliserait pas par la liquidation physique de tous
ceux qui ne se laisseraient pas convertir17 Dans la Chanson
de Roland, la plus remarquable expression littraire de l'esprit de la Premire Croisade, cette attitude nouvelle est formule sans la moindre quivoque :
L'empereur a pris Saragosse:
par mille Franais on fait fouiller fond la ville,
les synagogues et les mahommeries.
coups de mails de for et de cognes,
ils brisent les images et toutes les idoles :
il n'y demeurera malfice ni sortilge.
Le roi croit en Dieu, il veut faire son service ;
et ses vques bnissent les eaux.
On mne les paens jusqu'au baptistre:
s'il en est un qui rsiste Charles,
le roi le fait pendre ou brler ou tuer par le for.
Li empere ad Sarraguce prise.
A mil Franceis .funt ben cercer la vile,
Les sinagoges et les mahumeries;
A mailz de for e a cuignees qu'il tindrent,
Fruissent les ymagenes e trestutes les ydeles:
_8g
Traduction J.
Chanson de Roland,
Bdier, v. 366o-367o.
Aux yeux des pauperes partant pour la croisade, l'limination des musulmans et des Juifs devait constituer le premier acte de cette ultime bataille qui, ds les premires
eschatologies juives et chrtiennes, allait tre couronne
par l'anantissement du Prince du Mal. Au-dessus de ces
hordes dsespres qui rpandaient la mort, se dressait la
silhouette de l'Antchrist. Son ombre gigantesque et terrifiante plane jusque sur les pages des chroniques. L'Antchrist
est dj ne8 ; tout moment il peut riger son trne dans
le Temple de Jrusalem. Ces visions ne manquaient pas
d'tre reprises par des membres du haut clerg. Les chroniqueurs, s'efforant de dcrire l'atmosphre des premiers
jours de la croisade, n'hsitaient pas les attribuer au
pape Urbain lui-mme. Urbain annonce Clermont que
les souffrances des croiss permettront la chrtient de refleurir Jrusalem la fin des temps, si bien que, lorsque
l'Antchrist y entamera son rgne, ce qui ne saurait tarder,
il trouvera en face de lui un nombre suffisant de combattants chrtiens. Telle est la volont de Dieu19 Un demi-sicle
plus tard, saint Bernard lui-mme, prchant la Deuxime
Croisade, tait visiblement persuad que l'heure de l'avnement de l'Antchrist tait proche et que les Sarrasins, qui
menaaient Jrusalem, n'taient rien d'autre que l'arme de
l'Antchrist, assemble pour la lutte finaleo.
go_
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marchands juifs circulaient entre l'Europe et le ProcheOrient, transportant des produits de luxe tels que les pices,
l'encens et l'ivoire sculpt. Les Juifs comptaient galement
de nombreux artisans. Rien ne prouve qu' l'origine ils
aient t l'objet d'une crainte ou d'une haine particulire.
Au contraire, Juifs et chrtiens entretenaient des rapports
harmonieux sur le plan conomique et social : les liens personnels ou commerciaux n'taient pas rares entre eux. Sur
le plan culturel, les Juifs firent beaucoup pour s'adapter aux
divers pays dans lesquels ils s'taient tablis. Ils demeuraient pourtant Juifs avant tout, refusant toute assimilation,
phnomne dcisif pour leurs descendants 22
Ce refus de l'assimilation, perptu par tant de gnrations de Juifs depuis le dbut de la diaspora au VIe sicle av.
J.-C., peut paratre trange. Mis part les Gitans, dans une
certaine mesure, il semble qu'aucun autre peuple dispers
aux quatre coins du globe, sans nationalit ni territoire propres et sans grande homognit ethnique, ait russi
maintenir contre vents et mares son intgrit culturelle.
Il est vraisemblable que la solution de cette nigme sociologique rside dans la religion juive qui enseigne ses adeptes non seulement se considrer comme le peuple lu
d'un Dieu unique et tout-puissant, ce qui est aussi le cas du
christianisme ou de l'islam, mais envisager les calamits
les plus accablantes (dfaites, dispersions, humiliations)
comme autant de signes de la faveur divine et de gages de
la future batitude dont jouira la communaut. Si les Juifs
restaient Juifs, c'est, semble-t-il, parce qu'ils avaient la
conviction absolue que la diaspora, expiation prliminaire
d'un pch collectif, n'tait qu'une preuve prludant la
venue du Messie et au retour dans une Terre sainte transfigure, mme si, le plus souvent, aprs l'effondrement de
l'tat d'Isral ils rejetrent la ralisation de ces vnements
92-
dans un avenir lointain et mal dfini. En outre, un ensemble de rites spcialement conus pour assurer la survie de
la religion juive eut pour effet de maintenir les Juifs l'cart
des autres peuples. Le mariage avec un non-Juif tait interdit. Dner avec un non-Juif devenait pratiquement impossible. La lecture mme d'un livre non juif constituait une
offense au Seigneur. Ceci suffit peut-tre expliquer pourquoi cette communaut, malgr~ des sicles de dispersion,
parvint prserver son statut de communaut distincte,
cimente par un intense sentiment de solidarit, quelque
peu hautaine vis--vis des trangers et jalousement attache
aux tabous institus dans le dessein d'accentuer et de perptuer ce particularisme. Cette tendance la conservation
et l'isolement ne suffit pas, toutefois, rendre compte de
la haine particulirement tenace qui anima la chrtient,
et elle seule, contre les Juifs plus que contre tous les autres
groupes allognes. Cette haine s'explique bien davantage
par l'image fantastique du Juif qui s'empara soudain de
l'imagination des masses nouvelles au temps des premires
croisades.
La doctrine catholique lui avait fray la voie. L'glise, qui
n'avait jamais cess d'attribuer la Synagogue une influence
nfaste, ni d'y voir une rivale dangereuse, s'tait toujours
livre une polmique vigoureuse contre le judasme. Depuis des gnrations, les fidles entendaient les prtres vituprer les Juifs, leur enttement, leur persvrance dans le
mal, et la mise mort du Christ, leur monstrueuse faute hrditaire. En outre, la tradition eschatologique associait depuis longtemps les Juifs l'Antchrist lui-mme. Ds les
ne et Ille sicles, les thologiens prdisaient que l'Antchrist
serait un Juif de la tribu de Dan. Cette ide tait devenue si
courante que mme un thologien scolastique comme saint
Thomas d'Aquin en admettait le bien-fonde3. N Babylone,
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94- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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98_ LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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le qu'elle ft la vie sculire, l'glise incarnait nanmoins une morale plus charitable et plus dsintresse, non
seulement sur le plan thorique, mais aussi, mme ses
priodes les plus mondaines, dans les faits. En un temps
qui ignorait jusqu' la notion d'avantages sociaux, les soins
prodigus aux malades et aux indigents faisaient partie pour
les moines, puis pour les frres mendiants, d'une routine
que nul n'aurait pu mettre en question, et ceci en dehors de
tout espoir de rcompenses terrestres. Dans un continent
cartel par les guerres fodales, les vques firent de leur
mieux, en prchant la Trve de Dieu et la Paix de Dieu, pour
limiter la souffrance et les dvastations. De tous temps, un
grand nombre de prtres avaient men une vie relativement
austre, et nombreux taient les prlats qui aspiraient la
saintet. Si le clerg cdait sans cesse aux charmes d'un
lche confort (c'est l une tendance commune tous les
groupes humains), il s'y trouva toujours des individus capables de remonter la pente et d'baucher quelques rformes.
La fondation de nouveaux ordres monastiques aux XIe et
XIIe sicles, les innovations de saint Franois d'Assise et de
saint Dominique au XIIIe, le mouvement concilaire au rr sicle et mme le mouvement vanglique qui prcda immdiatement la Rforme, constituent quelques exemples
parmi d'autres de la capacit de l'glise mdivale faire
face ses propres faiblesses.
A la lumire des normes de la chrtient latine, l' poque universellement admises, tout n'est pas sombre dans le
tableau offert par l'glise mdivale. Mais les millnaristes,
la fois terrifis et fascins par l'imminence de la Seconde
Venue, ne percevaient plus que les ombres et, appliquant
ces normes avec une intransigeance totale, se refusaient absolument faire la part des choses. Les hordes messianiques taient en qute de chefs dignes de leur rputation,
Chapitre IV
Dans le ressac des croisades
_113
un dcalage d'une gnration, un mouvement qui cristallisa les espoirs messianiques des masses, en dpit des
intrigues politiques qui prsidrent ses dbuts. Lorsque
les croiss s'emparrent de Constantinople en 1204, ils proclamrent Baudouin IX, comte de Flandre, empereur de
Constantinople et suzerain de tous les princes d'Occident,
fort occups se tailler de nouveaux fiefs dans l'Empire
d'Orient. Mais l'tat ainsi fond par Baudouin tait extrmement vulnrable et, moins d'un an aprs, lui-mme fut
fait prisonnier et mis mort par les Bulgares. Sa fille
Jeanne lui succda en Flandre, mais elle n'tait pas de taille
s'opposer efficacement Philippe-Auguste, politicien
capable et dcid ; elle dut abandonner aux Franais la
Flandre et le Hainaut. Leur domination y fut mal accueillie
et, la mort de Philippe-Auguste, en 1223, seule l'absence
de chef empcha un soulvement gnral d'clater. C'est
alors que reparut, sous une forme adapte aux ncessits de
l'heure, le mythe sculaire de l'Empereur assoupi. Son extraordinaire quipe avait transform Baudouin en personnage surhumain, crature fabuleuse, mi-ange, mi-dmon3.
Peu peu, sa lgende s'toffa. On chuchotait que, loin d'tre
mort, il s'acquittait encore d'une pnitence qui lui aurait t
impose par le pape. Depuis des annes, il vivait dans l' ombre, dguis en ermite ou en mendiant vagabond, mais son
expiation touchait sa fin et il reparatrait bientt dans
toute sa gloire afin de librer son peuple et sa patrie.
En 1224, un tranger traversa la rgion de Tournai, distribuant force largesses et annonant le retour imminent de
Baudouin. Quelques mois plus tard, on vit paratre, entre
Tournai et Valenciennes, un ermite mendiant qui avait du
prophte l'imposante stature, la longue chevelure et la
barbe fleurie. On suivit sa trace jusque dans une fort o on
le dcouvrit vivant sous une hutte de branchages. Le bruit
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en Bourgogne: c'tait un serf qui avait effectivement particip la croisade en tant que mnestrel, et qui s'tait par la
suite taill une solide rputation d'imposteur et de charlatan.
Dmasqu, l'imposteur s'affola et s'enfuit la nuit, cependant que les cent chevaliers de son escorte, ses fidles partisans, dus, se dispersaient. Il aurait pu conserver la vie
sauve, Louis lui ayant accord un dlai de trois jours pour
quitter le territoire franais, mais au lieu de profiter de cette
faveur, il reprit le chemin de son ancien quartier gnral de
Valenciennes. Son arrive provoqua un indescriptible tohubohu dans la ville. Les riches bourgeois tentrent de l'apprhender mais ils en furent empchs par le peuple furieux 8
En revanche, certains d'entre eux furent faits prisonniers et
gards comme otages tandis que d'autres fuyaient la cit.
Le peuple renversa la vieille administration et proclama la
Commune dans une atmosphre de liesse effrne. Le messie fut log dans la forteresse et le peuple se mit renforcer
les murailles. Valenciennes tait, en effet, sur le point de
subir le sige des Franais, lorsque le faux Baudouin perdit
nouveau son sang-froid et s'enfuit avec une somme d'argent considrable. Reconnu, il fut fait prisonnier et ignominieusement tran travers les villes qui avaient assist
son triomphe. Il fut pendu Lille sur la place du march,
sept mois environ aprs s'tre proclam pour la premire
fois comte et empereur.
Au pied de la potence, il se dcrivit comme un pauvre
diable gar par les mauvais conseils des chevaliers et des
bourgeois. Mais rien ne pouvait briser son empire sur l'imagination populaire. Les villes durent implorer leur grce
auprs du roi de France, mais le bas peuple demeura secrtement attach son prince disparu. La comtesse Jeanne
eut beau rgner avec sagesse et courage, elle continua, longtemps aprs sa mort, d'tre excre comme parricide. Au
n8_ LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
_ng
choisir tout ce qui lui plairait dans la ville. Certains s'agenouillaient devant lui, comme s'il et t le Christ
incarn. Aprs Amiens, l'arme se scinda en deux. Un de
ses groupes se dirigea vers Rouen o il eut l'occasion de disperser un synode prsid par l' archevque 20 L'autre fit
route sur PariS 21 Jacob acquit un tel ascendant sur la reine
mre, Blanche de Castille, qu'elle l'accabla de prsents et le
laissa libre d'agir sa guise. Portant un costume d'vque,
Jacob prchait en chaire et aspergeait les fidles d'eau
bnite suivant un rite trange de son invention. Cependant,
les Pastoureaux rpandus dans la ville s'en prirent au
clerg, passant de nombreux prtres au fil de l'pe et en
noyant un grand nombre dans la Seine. Les tudiants qui,
bien entendu, taient aussi des clercs, quoique dans les ordres mineurs, auraient t massacrs si le pont-levis n'avait
t lev temps.
leur dpart de Paris, les Pastoureaux se divisrent en
plusieurs bandes places chacune sous la direction d'un
matre qui bnissait la foule dans les villes ou les villages
qu'ils traversaient. Tours, les croiss s'en prirent
nouveau au clerg : les dominicains et les franciscains
notamment furent trans travers les rues et fouetts.
L'glise dominicaine fut saccage et le monastre franciscain pris d'assaut et profan. Le mpris pour les sacrements administrs par des mains indignes reparut: on
s'empara de l'hostie qu'on jeta dans la rue aprs maintes
insultes, le tout avec l'appui et l'approbation de la
populace22 Orlans se droulrent des scnes semblables. L'vque fit fermer les portes de la ville mais les bourgeois dcidrent de passer outre et firent entrer les
Pastoureaux. Jacob fit un sermon public ; un tudiant du
lieu, ayant eu l'imprudence de le contredire, fut assomm
d'un coup de hache. Les Pastoureaux se rurent vers les
maisons o les prtres s'taient rfugis et les prirent d'assaut avant d'y mettre le feu. De nombreux prtres (dont les
professeurs d'universit) et de nombreux bourgeois furent
massacrs ou prcipits dans la Loire. Le reste du clerg dut
fuir. Lorsque les Pastoureaux quittrent Orlans, l'vque,
furieux de l'accueil qui leur avait t rserv, frappa la ville
d'interdit. Les contemporains taient en effet unanimes
dire que les Pastoureaux devaient une grande part de leur
prestige leur habitude de dpouiller et de tuer les prtres.
Le clerg eut beau protester ou baucher un semblant de
rsistance, il ne trouva aucun appui auprs du peuple. On
comprend que certains prtres, observant les activits des
Pastoureaux, aient eu le sentiment que l'glise n'avait jamais
couru un tel dange~3.
Bourges, le sort des Pastoureaux commena changer.
Ici encore, les bourgeois, contrevenant aux ordres de leur
archevque, admirent dans la ville autant de Pastoureaux
qu'elle en pouvait recevoir, le reste prenant position aux
portes de la ville. Jacob prcha cette fois contre les Juifs et
envoya ses hommes dtruire la Torah. Les croiss pillrent
galement de-ci de-l, faisant main basse sur l'or et l'argent
partout o ils en trouvaient et violant toutes les femmes
qu'ils rencontraient. Si le clerg ne fut pas molest, c'est
qu'il ne se hasarda pas sortir dans la rue. Mais la reine
mre avait fini par comprendre de quoi il retournait : elle
proclama hors-la-loi tous les membres de cette croisade.
Ds l'annonce de cette nouvelle, Bourges, de nombreux
Pastoureaux dsertrent. En fin de compte, un jour que
Jacob fulminait contre les murs relches des prtres,
appelant la population se tourner contre eux, un spectateur se dressa dans la foule pour le contredire. Jacob se prcipita sur lui dague en main et le tua net. C' en tait trop :
moines, puis les nobles et les chevaliers. Alors, ayant limin toutes les autorits, ils auraient entrepris de propager
leur doctrine dans l'univers entier6
le taux des salaires et fixer les heures de travail dans les ateliers, mme dans les secteurs d'activit dont ils tiraient
directement profit. Surtout, il n'existait aucun lien traditionnel, sanctifi par la coutume immmoriale, entre ces bourgeois et les matres artisans qu'ils employaient de faon
plus ou moins sporadique, pour ne rien dire de la grande
masse des travailleurs occasionnels ni des chmeurs. Les
zones d'urbanisation trs pousse o ces oligarchies opulentes ctoyaient un proltariat extrmement mouvant,
tantt surmen, tantt rduit au chmage, toujours dsesprment pauvre, virent la naissance inluctable d'une
haine de classe d'une violence exceptionnelle7
La noblesse traditionnelle tait aussi excre que cette
aristocratie urbaine, avec laquelle elle tait souvent apparente par a~iance. La fonction traditionnelle des nobles- dfenseurs arms d'une paysannerie dsarme - perdit de son
importance avec la fin des Grandes Invasions et les restrictions apportes par le pouvoir royal aux ravages des guerres
locales. En outre, le systme fodal se dsintgrait rapidement dans les zones urbaines de forte densit. Tel mode de
vie, dont un grand propritaire foncier n'aurait pas eu rougir aux sicles prcdents, finit par sembler indcent, ds
lors que le renouveau commercial inondait les villes de produits de luxe. Les propritaires fonciers dsiraient vivre selon la mode nouvelle et souhaitaient, en rgle gnrale,
venir s'installer en ville. Mais les produits des corves et des
autres redevances, dont le taux avait souvent t dtermin
des sicles plus tt, le leur interdisait. Il leur fallait donc
gagner de l'argent, et le seul moyen d'y parvenir tait d'octroyer leur libert aux serfs contre ranon, et de les autoriser
payer un fermage pour leur tenure. Matriellement, ce
changement fut souvent favorable aux paysans. Mais leur
attitude fut essentiellement dicte par la rupture d'un lien
qui, pour lourd et opprimant qu'il et pu paratre, n'en revtait pas moins un aspect patriarcal. L'abolition progressive du servage incita les propritaires se dpouiller de
tout paternalisme : l'intrt matriel devint le seul fondement de leurs rapports avec les paysans. Ces anciens seigneurs-propritaires n'taient plus que des propritaires,
souvent tablis distance, et aussi dtests que le sont d'habitude les gens de cette espce28 D'autre part, l'effondrement du march fodal plongea de nombreux individus
dans la misre. Lorsque les propritaires -le cas n'tait pas
rare - avaient intrt rduire le nombre de leurs mtayers,
rien ne leur interdisait de les vincer sous le premier prtexte venu. Les innombrables paysans ainsi dpossds se
transformrent en autant de proltaires ruraux. Au mme
moment, de nombreux petits propritaires, ruins par leur
effort pour vivre au-dessus de leurs moyens, sombrrent
dans la masse des dpossds 29 Dans ce monde nouveau,
on trouvait, ct d'une prosprit autrefois inconcevable,
mme en rve, non seulement une grande pauvret mais
aussi une plus vive instabilit. Aussi les protestations des
pauvres taient-elles vigoureuses et frquentes. On en
trouve l'cho dans divers documents:
-Proverbes composs par les pauvres eux-mmes:
Le pauvre laboure tout le temps, souffre et travaille et
pleure. Jamais il ne rit de plein cur. Le riche rit et
chante 30 ;
- Dans les mystres qui constituaient alors le principal
moyen d'expression populaire :
Chacun devrait dtenir autant de biens qu'autrui, et
nous ne possdons rien que nous puissions dire ntre. Les
grands possdent tous les biens de la terre et les pauvres
n'ont rien que souffrance et malheur 31 ;
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FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
assis leurs mtiers aux cts des tisserands et des fileuses ?36
Ils classaient tout simplement Dives dans la cohorte de
l'Antchrist. Dans l'imagination des membres des sectes
apocalyptiques des XIIe et XIIIe sicles, les riches laques
subissaient dj la mtamorphose qui devait, bien des
sicles plus tard, aboutir l'image du Capitaliste de la mythologie communiste actuelle, tre purement dmoniaque, destructeur, cruel et libidineux, presque tout-puissant et aussi
fallacieux que l'Antchrist lui-mme37.
Dans ce contexte, on peut voir dans les dernires Croisades
du Peuple la premire tentative d'un millnarisme nouveau
en Europe, visant, quoique de faon confuse, abaisser les
puissants et exalter les pauvres. Durant le premier quart
du XIV sicle, la ferveur des croisades fut plus que jamais
le monopole des indigents. Le Royaume de Jrusalem avait
disparu et la Syrie venait d'tre vacue. La papaut avait
prfr l'aura mystique de Rome la scurit d'Avignon. Le
pouvoir, dans chaque pays, tait dtenu par des bureaucrates cyniques. Seules les masses turbulentes de la rgion situe entre la Somme et le Rhin taient encore mues par
les vieux rves eschatologiques qu'elles chargeaient d'une
amre truculence proltarienne. Il suffisait de peu de chose
pour inciter ces gens se lancer dans la tentative absolument irraliste de transformer leurs phantasmes en ralits.
En 1309, Clment V envoya les hospitaliers conqurir Rhodes
pour en faire une place forte contre les Turcs3 8 La mme
anne, une famine ravagea les Pays-Bas, la Picardie et le
nord de la valle du Rhin39 . Ce concours de circonstances suffit faire natre, dans cette rgion, une nouvelle Croisade du
Peuple. Des colonnes armes se constiturent, groupant,
outre des paysans et des artisans dmunis, des nobles qui
avaient dilapid leur fortune. (On songe aux nombreux
propritaires fonciers qui avaient fait banqueroute.) Vivant
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furent accueillis avec un enthousiasme dlirant par la population. Dans d'autres villes, les autorits elles-mmes se joignirent la population et aux croiss. Dans tout le SudOuest, de Bordeaux Albi, presque tous les Juifs furent mis
mort.
Bientt, les Pastoureaux commencrent tourner leurs
regards vers le clerg. Les Pasteurs de Dieu s'en prirent
aux prtres, ces faux bergers qui volent leur troupeau.
On leur prtait l'intention d'exproprier tous les biens du
clerg sculier et d'accaparer les monastres. Un officier du
roi, le snchal de Carcassonne, s'effora de lever une arme contre eux. Mais il se heurta aux pires difficults, car
la population unanime refusait de lui venir en aide. Dans le
Palais des Papes, Avignon, un vent de panique souffla; la
curie craignait que l'invasion de la ville par les croiss ne
ft suivie d'un massacre pouvantable. Finalement, le pape
Jean XXII excommunia les Pastoureaux et ordonna au snchal de Beaucaire de partir en campagne contre eux. Ces
mesures se rvlrent bientt efficaces. Le peuple se vit
interdire, sous peine de mort, de ravitailler les soi-disant
croiss : les villes fermrent leurs portes, et de nombreux
Pastoureaux prirent de faim. D'autres trouvrent la mort
au cours des combats qui se droulrent en divers points de
la rgion comprise entre Narbonne et Toulouse. D'autres
encore furent faits prisonniers et pendus aux arbres par
groupes de vingt ou de trente. Les poursuites et les excutions durrent prs de trois mois. Les survivants se scindrent en petits groupes qui franchirent les Pyrnes pour
tuer d'autres Juifs, jusqu'au jour o le fils du roi d'Aragon
se mit la tte d'une arme qui les dispersa. Plus
qu'aucune des croisades prcdentes, celle-ci fut ressentie
comme une menace contre la structure mme de la socit
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Chapitre V
L'empereur Frdric
comme Messie
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lit quotidienne. Ce nouvel ordre s'infiltra dans les universits en qute d'une influence qu'il n'hsita pas utiliser,
et finit mme par acqurir des biens. Mais de nombreux
franciscains refusrent d'admettre ces innovations et s'en
tinrent leur idal de pauvret absolue. Ces franciscains,
dits spirituels, constiturent un parti minoritaire, d'abord
l'intrieur, puis l'extrieur de leur ordre. Ds le milieu
du sicle, ils avaient exhum les prophties joachimites,
jusqu'alors passablement ngliges; ils les ditrent, ornes
de commentaires. Ils forgrent galement d'autres prophties qu'ils n'eurent aucun mal attribuer Joachim. Ces
apocryphes furent bientt plus clbres et plus influents
que les crits authentiques de Joachim, dont ils adaptaient
l'eschatologie de manire assimiler les franciscains spirituels l'ordre nouveau, destin remplacer l'glise de
Rome et guider l'humanit vers la gloire de l're de l'Esprit. Les vicissitudes de l'apocalyptique pseudo-joachimite
en Europe mridionale n'entrent pas dans le cadre de cette
tude: il faudrait un volume entier pour analyser l'apparition, en marge du parti spirituel, de groupes encore plus extrmistes qui finirent par donner naissance, dans l'ombre
de personnages tels que Rienzo et Fra Dolcino, un chiliasme florissant, aussi rvolutionnaire et aussi virulent que
ceux d'Europe septentrionale4 Mais, quoique originaires
d'Italie, ces prophties pseudo-joachimites inflchirent galement le cours de l'histoire allemande 5 C'est en grande partie cause d'elles que le rle du Vengeur, qui chtiera
l'glise aux Derniers Jours, rle si complaisamment assum
par des hrtiques tels que Tanchelm, Eudes de l'toile ou
le Matre de Hongrie, finit par revenir, dans l'imagination populaire, l'empereur Frdric Il.
Ds le dbut de sa carrire, bien avant que les joachimites
n'eussent song lui, Frdric tait dj porteur d' espran-
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ces eschatologiques. Les Allemands plaaient en lui les mmes espoirs que les Franais dans la dynastie captienne6
Frdric 1er (Barberousse) prit au cours de la Troisime
Croisade en 1190. Des prophties commencrent aussitt
circuler en Allemagne : un nouveau Frdric, devenu
Empereur des Derniers Jours, mnerait son terme son
uvre inacheve. Sauveur eschatologique, il librerait le
Saint-Spulcre et prparerait le Second Avnement et le
Millnium. Lorsque, trente ans plus tard, la couronne impriale chut Frdric II, petit-fils de Barberousse, ces
prophties lui furent rsolument appliques. Ainsi, pour la
premire fois, l'Empereur des Derniers Jours tait assimil
l'empereur, c'est--dire au chef effectif du complexe territorial connu en Occident sous le nom d'Empire romain,
puis de Saint-Empire romain germanique, et qui comprenait, outre l'Allemagne, la Bourgogne et la majeure partie
de l'Italie.
La carrire et la personnalit de Frdric ne pouvaient
que favoriser l'expansion d'un mythe messianique. L'intelligence de ce personnage extrmement attachant, la diversit de ses dons, sa sensualit, sa cruaut enfin, contribuaient
fasciner ses contemporains. D'autant qu'il prit effectivement part la croisade en 1229 et parvint mme reprendre Jrusalem dont il s'arrogea la couronne. Enfin et
surtout, des conflits d'une extrme pret l'opposrent plus
d'une fois la papaut. La chrtient assista ce spectacle
tonnant : l'empereur excommuni maintes reprises comme
hrtique, parjure et blasphmateur, menaant en retour de
dpouiller l'glise de ses biens, source vidente, selon lui,
de la corruption du clerg. Tout ceci contribua en faire le
hros tout dsign du chtiment de l'glise aux Derniers
Jours. Le commentaire pseudo-joachimite sur jrmie, rdig vers 1240, prdisait effectivement que Frdric pour-
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quoique parfaitement mrit et indispensable la ralisation de la Troisime re, n'en demeurait pas moins une uvre
diabolique. L'empereur tait pour eux la Bte de l'Apocalypse,
et le Saint-Empire romain germanique, Babylone, deux instruments du dmon vous la destruction. Mais on pouvait
considrer l'adversaire imprial de la papaut sous un
jour trs diffrent. En Allemagne, on continua d'attribuer
Frdric un rle salvateur, mais ce rle comprenait dsormais le chtiment de l'glise. En lui se fondaient les images
de l'Empereur des Derniers Jours et du Novus Dux de la tradition joachimite.
Dans ses efforts pour amener Frdric plus d'obissance, le Saint-Sige plaa toute l'Allemagne sous interdit,
ce qui signifiait que les sacrements indispensables ne pourraient plus y tre administrs. En consquence, suivant les
croyances communes, quiconque mourrait cette poque
serait inluctablement damn. En 1238, le populeux Duch
de Souabe, qui faisait partie du domaine imprial et soutenait les Hohenstauffen avec une vigueur remarquable, reut
la visite de prdicateurs ambulants qui proclamaient que le
clerg tait si profondment plong dans le pch qu'il
avait, de toute vidence, renonc au pouvoir d'administrer
des sacrements valables7 Quant au pape Innocent IV, sa vie
n'tait qu'un tissu d'abominations: aucun interdit, par lui
dict, n'aurait donc pu avoir le moindre poids. La vrit
tait l'apanage des prdicateurs ambulants. Eux seuls taient
qualifis pour donner l'absolution. Le pape et les vques
n'taient que des hrtiques avrs, dont il ne fallait tenir
aucun compte. Il fallait, en revanche, prier pour l'empereur
Frdric et son fils Conrad, ces justes combls de perfections. Cette propagande atteignit la ville de Hall o les arti-
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La rsurrection de Frdric
Trente-quatre ans aprs sa mort, Frdric fut l'objet d'une
rsurrection analogue celle de Baudouin, comte de Flandres.
Un chroniqueur note qu'en 1284, un ancien ermite de la rgion de Worms se faisait passer pour l'empereur et, la
mme poque, un autre mentionne qu'un personnage semblable fut escort dans Lbeck par une foule en dlire
Dans les deux cas, le pseudo-Frdric disparut ds qu'il courut le risque d'tre dmasqu. Il n'est pas sr que ce soit le
mme homme qui, en 1284, parvint tablir son trne dans
la valle du Rhin. Ce dernier semble avoir t, plutt qu'un
imposteur, un mgalomane qui se prenait vraiment pour
Frdric. Expuls de Cologne comme fou, il fut accueilli
bras ouverts dans la ville proche de Neuss qui nourrissait
une haine tenace pour l'archevque de Cologne 11 Il y tablit
sa cour. Comme Bertrand de Ray, il racontait les longues
annes de plerinage qu'il avait passes en expiation des
pchs de sa vie antrieure 2 Fort des lgendes accumules
autour de la personne de Frdric, il n'hsita pas proclamer, l'occasion, qu'il avait sjourn dans les profondeurs
de la terre3 La nouvelle se propagea jusqu'en 1talie o elle
suscita un moi tel que plusieurs villes dpchrent des ambassadeurs Neuss avec mission d'examiner l'affaire, tandis que les joachimites en concluaient intempestivement
que Frdric assumait enfin le rle d'Antchrist qu'ils lui
avaient attribue4.
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Chapitre VI
Une lite de rdempteurs
sacrificiels
comme d'un homme qu'on vient de saigner. L'un des piquants, en forme de crochet, dchirait les chairs dans lesquelles il se prenait. [Le moine] se frappa avec tant d'ardeur
que le fouet se brisa en trois et que les pointes volrent
contre le mur. Il demeura immobile et sanglant. Le spectacle qu'offrait son corps tait si pitoyable, qu'y jetant les
yeux, il songea celui du Christ bien-aim, frapp de si
horribles coups. S'apitoyant sur son propre sort, il clata en
amers sanglots, puis, s'agenouillant, nu et couvert de sang,
il pria Dieu dans l'air glacial d'effacer ses pchs et de les
soustraire son aimable vue. 3
Les gens du Moyen ge s'infligeaient ce traitement
barbare dans l'espoir d'inciter leur Dieu juste et vengeur
dtourner d'eux ses verges, leur pardonner leurs pchs
et leur pargner les chtiments plus graves qu'ils auraient
encourus dans ce monde comme dans l'autre. Mais au-del
du pardon se profilait une perspective encore plus enivrante : mme un moine orthodoxe pouvait voir dans son
corps ensanglant une image de celui du Christ. Il n'est
donc pas surprenant que les profanes qui s'adonnaient la
flagellation et se soustrayaient l'autorit ecclsiastique, se
soient souvent sentis chargs d'une mission rdemptrice
qui assurerait non seulement leur propre salut mais aussi
celui de toute l'humanit. l'instar des pauperes des croisades, les sectes hrtiques de flagellants interprtaient leur
pnitence comme une vaste Imitatio Christi collective, d'une
incomparable valeur eschatologique.
C'est dans les cits populeuses d'Italie que des processions de flagellants organiss firent pour la premire fois
leur apparition. Sitt le signal donn par un ermite de
Prouse en 1260, le mouvement s'tendit au sud jusqu'
Rome, et au nord jusqu'en Lombardie, avec une telle rapidit que les contemporains crurent une vritable pidmie
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ment selon des rgles prcises. Mises part quelques processions locales de brve dure organises par l'glise aux
Pays-Bas, il s'agissait toujours du chiffre mystique de
trente-trois jours et demi. Durant cette priode, les flagellants taient soumis une discipline rigoureuse~. Il leur
tait interdit de se baigner, de se laver, de se raser, de changer de linge et de dormir dans des lits moelleux. Leur offraiton l'hospitalit qu'ils ne pouvaient se laver les mains qu'au
moment de s'agenouiller sur les dalles en signe d'humilit.
Ils n'avaient pas le droit de converser entre eux sans l'autorisation du matre. Il leur tait surtout interdit d'avoir le
moindre rapport avec des femmes. Ils devaient se tenir
l'cart de leurs pouses et ne pouvaient tre servis table
par des femmes chez leurs htes. Un flagellant qui avait
chang ne ft-ce qu'un mot avec une femme devait se jeter
aux pieds du matre qui le battait avant de lui dire : Lvetoi par l'honneur du pur martyre et garde-toi dsormais du
pch. 22
Sitt arrivs dans une ville, les flagellants se dirigeaient
vers une glise, se formaient en cercle sur le parvis, taient
chaussures et vtements avant de revtir une sorte de jupon
qui leur descendait de la taille aux talons. Ils entamaient
alors un rite remarquablement uniforme en dpit des variantes locales. Ils dfilaient en cercle et se jetaient l'un
aprs l'autre la face contre terre, puis ils demeuraient immobiles, les bras en croix. Ceux qui venaient derrire eux
enjambaient leurs corps et leur donnaient de lgers coups
de fouet au passage. Ceux dont la conscience tait lourdement charge s'allongeaient dans des positions symboliques de leurs fautes. Le matre lui-mme enjambait leurs
corps et les frappait de son fouet en rptant sa formule
d'absolution: Lve-toi par l'honneur du pur martyre ...
Lorsque le dernier s'tait allong son tour, tous se relevaient et la flagellation commenait. Les hommes se frappaient en mesure, l'aide de lanires de cuir ornes de
piquants de fer, tout en psalmodiant des cantiques la
gloire de la Passion et de la Vierge3. Trois hommes qui se
tenaient au centre du cercle dirigeaient le chur. A certains
passages (trois fois par hymne), ils s'affalaient comme
foudroys, les bras en croix, mlant les sanglots aux prires. Le matre voluait parmi eux, leur ordonnant d'implorer Dieu de prendre tous les pcheurs en piti. Aprs un
certain laps de temps, ils se redressaient, levaient les bras
au ciel et entonnaient des hymnes. Puis ils reprenaient leur
flagellation. Si par hasard un prtre ou une femme pntraient l'intrieur du cercle, la flagellation tait considre
comme nulle et non avenue : il fallait tout reprendre du dbut. Deux sances compltes avaient lieu chaque jour en
public. Chaque nuit, une troisime se droulait dans l'intimit de leurs chambres. Ils s'acquittaient de cette tche avec
tant de ferveur que les piquants de leurs fouets se prenaient
dans leurs chairs et qu'il fallait les en arracher la main.
Leur sang claboussait les murs ; leurs corps n'taient plus
que des masses gonfles de chairs bleuies.
La population dans son ensemble se montrait fort bien
dispose leur gard. Partout, des foules immenses de
spectateurs s'attroupaient pour voir et couter les pnitents : ces rites solennels, ces atroces flagellations, ces cantiques, les seuls parat-il tre chants cette poque en
une langue accessible au vulgaire et, pour couronner le
tout, la Lettre cleste, produisaient un effet remarquable.
Toute l'assistance tait parcourue de sanglots et de gmissements. Nul ne songeait mettre en doute l'authenticit
de la lettre. Les flagellants taient considrs et se considraient eux-mmes non pas comme de simples pcheurs qui
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prophtes, des prtres dissidents ou apostats pour l'essentiel. Lorsque le pape se rsolut enfin publier une bulle
contre les flagellants, il souligna qu'il les considrait dans
leur majorit comme des nafs gars par des hrtiques
qui, eux, savaient fort bien ce qu'ils faisaient. Il ajoutait que
ces hrtiques comprenaient un grand nombre de frres et
de moines qui devaient tre arrts tout prix3 6 Un chroniqueur des Pays-Bas exprime galement l'opinion que le
but vritable de ce mouvement dirig en Allemagne par des
apostats tait de dtruire le clerg et l'glise37 Trois ans
aprs l'extinction du mouvement, l'archevque de Cologne
menaait encore d'excommunication les diacres et les prtres du bas clerg susceptibles d'y avoir tremp, moins
qu'ils ne pussent produire des tmoins pour attester leur innocence sous la foi du serment38 Ce que masquaient ces accusations se dgage clairement de l'tude des vnements
de Breslau, ville o, comme nous l'avons vu, les flagellants
ne firent pas mystre de leurs convictions joachimites. On
sait qu'ils avaient pour chef un diacre qui les incitait s'attaquer au clerg et qui fut brl comme hrtique39.
Au fur et mesure que le mouvement flagellant se transformait en un mouvement de masse messianique, son
attitude se confondit de plus en plus avec celle de ses prdcesseurs des Croisades du Peuple. Les flagellants allemands en particulier devinrent les ennemis implacables de
l'glise. Non contents de condamner le clerg, ils lui
dniaient toute autorit surnaturelle, rpudiant mme le
sacrement de l'eucharistie comme absurde et refusant de tmoigner le moindre respect lors de l'lvation de l'hostie.
Ils se firent une rgle d'interrompre les services religieux,
n'accordant de valeur qu' leurs propres rites ou hymnes.
Ils s'estimaient suprieurs au pape et au clerg: car, si les
ecclsiastiques ne pouvaient fonder leur autorit que sur la
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Bible et la tradition, eux-mmes recevaient leur enseignement en droite ligne du Saint-Esprit qui les avait dissmins aux quatre coins de l'univers. Les flagellants refusaient
absolument toute critique prononce par des clercs. Au
contraire, de mme que Tanchelm et le Matre de Hongrie,
ils proclamaient que quiconque osait les contredire devait
tre tran au bas de sa chaire et brl vif. Deux dominicains, qui eurent l'imprudence de se quereller avec un
groupe de flagellants, furent lapids ; l'un d'eux mourut,
l'autre ne dut son salut qu' la fuite. Des incidents analogues se droulrent ailleurs. Parfois les flagellants incitaient
le bas peuple lapider les prtres. Quiconque, mme l'intrieur de la confrrie, s'efforait de modrer leur fureur
contre l'glise ne le faisait qu' ses risques et prils 40 Le
pape se plaignait de ce que toutes les occasions leur fussent
bonnes pour confisquer des biens ecclsiastiques au profit
de leur confrrie de pnitents41 ; un chroniqueur franais affirme que le mouvement flagellant n'avait d'autre objectif
que la destruction totale de l'glise, la confiscation de ses
richesses et la mise mort de tous ses membres. Nous
n'avons aucune raison de croire une exagration d'une
part ou de l'autre42
Suivant une tradition dj solidement tablie, les Juifs
furent victimes des mmes perscutions que les clercs,
mais sur une toute autre chelle. Durant le grand massacre
des Juifs d'Europe qui suivit la Peste Noire, et qui ne devait
tre gal qu'au xr sicle, les flagellants jourent un rle
considrable. Les premiers massacres furent le fait d'une
population convaincue de la responsabilit des Juifs, accuss d'avoir empoisonn les puits 43 Ces massacres prirent
fin en mars 1349: peut-tre les gens finirent-ils par remarquer que les Juifs n'taient pas plus pargns que les chrtiens et que le flau frappait galement les rgions o les
leurs pires ennemis. Le pape, pour sa part, attaquait les flagellants sur ce point : La plupart d'entre eux ou leurs disciples se livrent, sous prtexte de pit, des actes cruels et
impies, versant flots le sang des Juifs que la pit chrtienne accepte et soutient. 49 Il n'est pas douteux en tous
cas qu' l'poque o les flagellants achevrent l'uvre entame lors de la panique de 1348, il ne restait plus gure de
Juifs en Allemagne ou aux Pays-Bas. Les massacres de 13481349 parachevrent la dtrioration de la condition des Juifs
commence en 1096. Jusqu' la fin du Moyen ge, les
communauts juives d'Allemagne demeurrent faibles et
pauvres et, qui plus est, condamnes la sgrgation des
ghettos.
Les flagellants se proposaient-ils galement de renverser
l'autre ennemi traditionnel incarn par Dives ? Visaient-ils,
comme d'autres hordes d'inspiration eschatologique, l'extermination des riches et des privilgis ? Le pape les accusait de voler et de tuer les laques aussi bien que les Juifs
ou les prtres; un chroniqueur spcifie qu'ils s'en prenaient de prfrence aux gens aiss 50 Il est incontestable
que, comme les Pastoureaux, ils devinrent la terreur des
grands. En France, Philippe V interdit sous peine de mort
l'auto-flagellation, ce qui lui permit d'enrayer l'extension
du mouvement au-del de la Picardie51 En Allemagne, certaines villes, comme Erfurt, fermrent leurs portes aux hordes de flagellants tandis que d'autres, Aix-la-Chapelle et
Nuremberg par exemple, promettaient la mort tout flagellant dcouvert l'intrieur de leurs murs 52 La nature des
craintes des municipalits se prcise si l'on songe l'histoire du petit mouvement flagellant qui accompagna le regain
de peste en 140053 Cette anne-l, des flagellants furent
emprisonns Vis-sur-Meuse, tandis que la ville de Tongeren leur opposait une vive rsistance, et que le comte de
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flagellants s'taient assurs une telle popularit, ils se sentaient tellement forts, qu'ils ne se cachaient pas pour inviter
le peuple lapider le clerg. Erfurt, saisie de panique, s'tait
barricade devant ces hordes de flagellants qui prenaient
position sous ses murs. Mais, lorsqu'il reprenait son
compte le titre de roi de Thuringe, Conrad Schmid ne se
contentait pas de fixer son choix sur une rgion particulirement propice son apostolat : la Thuringe avait galement jou un rle de tout premier plan dans l'laboration
des lgendes populaires qui, elles toutes, constituaient le
mythe de l'empereur Frdric venir65.
De 1314 1323, la Thuringe avait connu le rgne d'un
petit-fils de Frdric II, le margrave Frdric l'Indomptable.
Une faction le considrait cette poque comme l'hritier
naturel du titre imprial et propageait des thories favorables ses revendications, cependant qu'il devenait un hros
eschatologique pour le vulgaire. La croyance s'tait rpandue qu'il portait de naissance, entre les omoplates, le signe
miraculeux, la croix d'or lumineuse de l'Empereur des Derniers Jours. On esprait qu'il chtierait une fois pour toutes
le clerg. Aprs sa mort, son personnage se confondit peu
peu avec celui de son grand-pre maternel, l'empereur66
Le bruit courut en Thuringe qu'un mystrieux Frdric tait
assoupi l'intrieur de la montagne de Kyflhaser et reparatrait un jour dans sa gloire pour rgner sur le monde du
haut de son trne de Thuringe. Les prtentions de Conrad
Schmid au titre de roi de Thuringe faisaient donc de lui un
prtendant au rle tenu par l'empereur Frdric dans la tradition eschatologique. Telles taient bien ses intentions
lorsqu'il se dressa face au margrave, proclamant qu'il avait
son actif nombre d'exploits plus glorieux que les siens. Le
peuple lui dcerna d'emble le titre d'empereur Frdric.
Incarnant la fois Dieu et Frdric ressuscit, cet hrsiar-
_197
que jouait dj le rle qui, cent cinquante ans plus tard, devait hanter l'imagination du Rvolutionnaire du Haut-Rhin.
Quiconque souhaitait tre admis dans la secte devait
confesser tous ses pchs Conrad Schmid, subir une
flagellation de sa main et lui jurer obissance absolue.
compter de cet instant, il n'avait d'autre devoir qu'une
soumission totale au messie. Schmid enseignait que le salut
de ses disciples dpendait uniquement de leur attitude envers
lui. S'ils n'taient pas aussi doux et souples que soie entre
ses doigts, s'ils faisaient preuve de la moindre vellit d'indpendance, ils seraient abandonns au Diable qui les soumettrait maintes tortures physiques et morales. tant leur
Dieu, c'est lui qu'ils devaient adresser leurs prires, lui
dcernant le nom de Notre Pre.
Ses vritables fidles taient rcompenss. Ils pouvaient
se rjouir de savoir de science certaine qu'en eux et par eux
l'histoire humaine atteignait son vritable objectif. Les flagellants de 1349 taient les Jean-Baptiste de ces nouveaux
Jsus-Christ. la vrit, le Christ lui-mme n'tait qu'un
prcurseur. Mme s'il avait indiqu la voie du salut en se
soumettant au fouet, seuls ceux qui se flagellaient euxmmes pouvaient se vanter d'aller jusqu'au bout dans cette
voie. Les rites chrtiens taient dsormais remplacs par
d'autres, plus nobles. On reconnat ici le schma joachimite
traditionnel: cette grce tait l'apanage des seuls disciples
de Schmid. De mme que le Christ avait transform l'eau
en vin, de mme ils avaient substitu au baptme par l'eau
le baptme par le sang. Dieu avait effectivement gard pour
la fin le meilleur vin, savoir le sang rpandu par les flagellants.
Ils taient convaincus que, pendant leurs sances de flagellation, un ange au nom surprenant de Vnus veillait sur
eux. Leurs peaux, rouges de sang, semblaient des habits de
198_ LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
_199
Chapitre VII
Par-del le bien et le mal :
une lite de surhommes (1)
assuraient que ses premiers disciples avaient t des femmes, qu'il aurait sduites leur corps consentant, tout en
parant cette fornication du nom d' acte spirituel. Si l'on
tient compte de ce que nous savons de certains adeptes qui
lui succdrent, il est impossible de rejeter ces accusations
comme autant de calomnies. Trithme note, d'ailleurs, que,
bien que saint Norbert et les prmontrs eussent effectivement ananti la secte dans la rgion d'Anvers, elle rapparut et se dveloppa ailleurs. A partir du XIIe sicle, on peut
trouver des traces de ce qui devait tre connu plus tard sous
le nom d'hrsie du Libre Esprit parmi la foule de prdicateurs hrtiques et de pseudo-prophtes qui hantaient le
Nord de la France, les Pays-Bas et la valle du Rhin, rgions
surpeuples, d'urbanisation avance, constituant un milieu
propice l'closion de la ferveur messianique.
En 1157, un synode se pencha sur le cas de certains hrtiques qui se montraient actifs dans la province ecclsiastique de Reims, rgion qui englobait presque tout le Nord de
la France et les Pays-Bas 10 Ces pifres ou pi.fles, comme on les
appelait, taient des tisserands profondment misrables
qui fuyaient souvent d'un lieu l'autre sous des noms d'emprunt. Ils pntraient dans les foyers de simples gens, s'y faisaient admettre au titre de directeurs spirituels, et constituaient
ainsi des groupes de disciples. Comme Tanchelm avant eux,
ils s'assurrent la dvotion du peuple par leur apparence de
saintet. Ils poussaient l'asctisme jusqu' dnoncer le
mariage comme un tat impur. Nanmoins, et c'est ce qui
les distingue le plus nettement d'autres catgories d'hrtiques, tels les vaudois ou les cathares, ils s'attaquaient de
prfrence aux femmes afin de les sduire~. Les renseignements sont relativement plus nombreux sur un groupe de
huit laques et de trois femmes qui, quelques annes plus
tard, en 1163, quittrent les Flandres pour s'tablir dans une
Les amauriciens
Au dbut du XIIIe sicle, la doctrine du libre Esprit servit de
base un systme thologique et philosophique universel.
Cette laboration fut l'uvre d'un groupe fascinant de
clercs forms par la plus grande cole de thologie orthodoxe de la chrtient occidentale, l'Universit de Parisl'7. Le
rcit le plus dtaill les concernant est celui d'un chroniqueur allemand, le prieur de l'abbaye de Heisterbach.
Dans la ville de Paris, crit-il, fontaine de toute science et
source des crits divins, le Diable a inspir plusieurs hommes trs savants des ides trs perverses. Ils taient au
nombre de quatorze, tous curs, chapelains, diacres et acolytes de Paris ou des environs, ainsi que de villes telles que
Poitiers, Lorris, prs d'Orlans, et Troyes. Hommes minents par le savoir et l'intelligence, se lamente le mme
chroniqueur, et cette description semble, pour l'essentiel,
justifie8 Neuf d'entre eux avaient tudi la thologie
Paris et deux d'entre eux taient sexagnaires. Ils avaient
pour chef un certain Guillaume, clerc vers dans la thologie, connu sous le nom d'Auriftx, sobriquet d sa rputation d'orfvre, mais qui peut signifier qu'il se dfinissait
comme un alchimiste philosophe (les forces magiques,
sommeillant dans l'me, que ces alchimistes souhaitaient
librer, tant souvent symbolises par l'or.)
Grce aux indiscrtions de ce Guillaume et l'espionnage organis par l'vque de Paris, les hrtiques furent
dcouverts et incarcrs. Interrogs par un synode convoqu par l'archevque de Sens, trois d'entre eux abjurrent
et furent condamns la dtention perptuelle, mais les
autres proclamrent publiquement leurs hrsies et finirent
sur le bcher. Mme l'instant de leur mort, ils ne mani-
festrent pas le moindre repentir. Le commentaire du chroniqueur nous permet encore d'imaginer l'atmosphre qui
rgnait ce moment : Tandis qu'on les entranait vers
leur chtiment, il s'leva un orage si violent que personne
ne douta que l'air n'et t agit par les tres dont les mensonges avaient entran ces hommes au seuil de la mort,
dans leur profonde aberration. Cette nuit-l, celui qui avait
t leur chef frappa la porte d'une recluse. Il confessa trop
tard son erreur et dclara qu'on l'avait accueilli en grande
pompe aux Enfers o il tait condamn aux flammes ternelles.
Amaury de Bne, leur matre, avait t un brillant professeur de logique et de thologie l'Universit de Paris 9.
Il avait joui d'un grand prestige et du patronage de la cour :
parmi ses amis, il comptait un bon nombre de personnages
minents, dont le Dauphin, qui tous avaient t impressionns par ses ides. Mais, finalement, dnonc pour avoir enseign des doctrines errones, il fut condamn par le pape
et contraint d'abjurer publiquement sa foi. Il en conut un
violent dsespoir. Il s'alita peu aprs et mourut en 1206 ou
1207. Quand, deux ou trois ans plus tard, sa secte hrtique
fut dcouverte, le clerg en attribua immdiatement la responsabilit Amaury, dsignant ses disciples sous le nom
d' almariciens ou d' amauriciens. Ds avant leur excution, un
libelle intitul Contra Amaurianos circulait leur propos 20
Quelques annes plus tard, en 1215, Robert de Couron2 X, le
cardinal et lgat charg d'laborer les statuts de l'Universit,
prit soin d'interdire toute tude de l'abrg de la doctrine
de l'hrtique Amaury. Au Concile de Latran cette mme
anne, le pape Innocent III pronona son jugement dans
une bulle : Nous rprouvons et condamnons le dogme
profondment pervers de l'impie Amaury, dont l'esprit fut
si profondment aveugl par le Pre des Mensonges que sa
1
doctrine apparatra moins comme hrtique que comme dmente. 22 Au moment mme o les membres de sa secte
mouraient sur le bcher, ses ossements furent exhums et
transfrs en terre profane.
De sa doctrine on sait seulement que c'tait un panthisme
mystique qui s'inspirait fortement du no-platonisme et
notamment de l'expos le plus brillant qui en avait t fait
en Europe occidentale, le De Divisione Naturae d'Erigne 3
Ce livre, dj vieux de trois sicles et demi, n'avait jamais
t condamn comme hrtique, mais l'usage qu'en fit
Amaury entrana sa condamnation par le Concile de Sens
en 1225. On se prit galement souonner les rsums et
commentaires arabes sur Aristote dont la traduction latine
commenait circuler Paris. Le synode qui condamna les
amauriciens condamna galement ces ouvrages et Robert
de Couron mit des rserves, dans les statuts de l'universit, en 1215, sur l'opportunit de leur tude. Il est tonnant
que, lors de sa premire apparition en Europe, ce titan de
l'esprit, qui devait fournir l'infrastructure de la philosophie
mdivale orthodoxe, ait t mis l'index parce qu'on le
souponnait d'avoir inspir Amaury de Bne. En fait, rares
sont les lments de ces spculations mtaphysiques susceptibles d'expliquer la doctrine explosive dcouverte en
1209. La question demeure aussi de savoir dans quelle
mesure Amaury tait effectivement responsable de la doctrine des amauriciens.
Amaury tait philosophe de profession. Mais ses disciples, en dpit de leur formation universitaire, avaient des
proccupations toutes diffrentes. C'taient des pseudoprophtes qui ne se souciaient gure d'ides abstraites: leur
but tait d'exploiter les enthousiasmes du monde profane,
et, tout comme les autres prophtes, ils se prsentaient comme
des saints dous de pouvoirs miraculeux. De l'extrieur,
note un de leurs ennemis, leur visage et leurs discours donnent l'apparence de la pit. 24 Sans doute est-ce la raison
pour laquelle leur enseignement tait accueilli avec tant de
ferveur. De plus, ils opraient, comme tous les prdicateurs
apostoliques, dans les grands centres commerciaux. Leur
centre de ralliement se situait, semble-t-il, Troyes en
Champagne, tape essentielle, l'poque, sur la route des
Flandres Lyon. A Troyes, un chevalier, qui semble avoir
t un disciple des amauriciens, fut pris et brl en 1220.
A Lyon, l'hrsie subsista jusqu'en 1225 25 Un espion, qui
s'infiltra dans cette secte, se retrouva sur les routes en compagnie d'un certain nombre de missionnaires qui cheminaient travers la Champagne, rgion qui, comme les
Flandres, avait joui d'une paix durable grce une srie de
chefs nergiques, cette paix favorisant son tour l'accroissement de la population et l'essor industriel et commercial.
L'industrie textile prosprait dans ce carrefour commercial
o se croisaient les routes de la Mditerrane l'Allemagne,
et des Flandres l'Europe centrale et orientale6. Au XIIIe sicle, les grandes foires de Champagne jouaient un rle
essentiel du point de vue commercial. Dans cette rgion
urbaine forte densit de population, les missionnaires
allaient d'une runion secrte l'autre: aux cours de ces
sances, ils entraient en transes et avaient des visions 27 Ils
prchaient sur des textes tirs des critures, dont ils donnaient une interprtation hrtique; ainsi, nous dit-on, ils
sduisaient des foules d'innocents. La secte produisait
mme sa littrature propre l'intention des profanes. Le synode de Paris condamna en mme temps qu'Aristote, si
sotrique, plusieurs ouvrages de thologie destins exclusivement au peuple et rdigs en langue vulgaire.
Les amauriciens conservrent le panthisme de leur
matre tout en le chargeant d'un sens lourd d'affectivite8
et imaginables. Nombre d'entre eux se firent cathares, joachimites ou vaudois, certains devinrent des zlateurs de
l'hrsie du Libre Esprit. Dj vers 1230 dans l'ancien fief
de Tanchelm, Anvers, un certain Guillaume Comlis
montrait combien il tait facile d'allier l'antinomisme si
caractristique de cette secte avec le culte de la pauvret
plus ou moins volontaire38. En effet, aprs avoir renonc
son bnfice ecclsiastique pour observer les rgles de la vie
apostolique, il proclama d'une part que les moines taient
condamns sans rmission pour n'avoir pas pratiqu la
pauvret absolue, et que, d'autre part, la pauvret pratique
suivant les rgles effaait tous les pchs. Il s'ensuivait par
exemple que les pauvres pouvaient forniquer sans pch :
la lgende veut d'ailleurs que Comlis lui-mme se soit
totalement abandonn la luxure. Plus de vingt ans
aprs, les autorits ecclsiastiques s'efforaient encore d'extirper ces ides rpandues parmi la population d'Anvers. Le
peuple affirmait que tous les riches, corrompus qu'ils
taient par Avaritia, taient inluctablement damns et que
la seule possession d'un habit de rechange constituait un
obstacle au salut. C'tait pch mortel que d'inviter un riche
sa table. Il tait juste de prendre aux riches pour donner
aux pauvres. Les pauvres pour leur part se trouvaient ncessairement en un tat de grce que nulle complaisance charnelle ne pouvait entamer39.
Les premires annes du XIIIe sicle virent la cration des
deux grands ordres mendiants, dominicain et franciscain,
qui, avec la bndiction de l'glise, reprirent bien des pratiques labores contre elle par les hrtiques apostoliques.
Une lite entra dans ces ordres: ces prdicateurs errants,
vous au culte de la pauvret et de l'abngation sous toutes
ses formes, se concilirent la dvotion des masses urbaines.
la mme poque, des multitudes de citadins entrrent
personnel. D'autres qui avaient rompu toute attache, erraient de ville en ville en qute d'aumnes l'instar des bgards. Mais la plupart des bguines constiturent bientt
des communauts religieuses officieuses groupes dans
certaines maisons ou quartiers47 .
Pour l'glise, l'extension de ce mouvement de femmes
souleva un problme analogue celui des mouvements
apostoliques parallles chez les hommes. Ds la seconde
moiti du XIIIe sicle, des bguines qui mendiaient, soit
pour leur propre compte soit au profit de quelque communaut, veillrent la mfiance des autorits ecclsiastiques.
Elles furent condamnes en mme temps que les bgards
par un concile de l'Archevch de Mayence en 1259. Cette
condamnation fut renouvele en 1310. Les saints mendiants
furent excommunis, qui, par leur conduite et leur costume, se situaient l'cart des autres chrtiens : ordre fut
donn toutes les paroisses de les expulser s'ils refusaient
de s'amender. Au mme moment, on s'attacha mettre en
doute l'orthodoxie des bguines. Dans la valle du Rhin, on
interdit aux moines de leur adresser la parole, sauf l'glise
ou en prsence de tmoins. Tout moine qui pntrait dans
la maison d'une bguine serait passible d'excommunication48. Des rapports sur les abus l'intrieur de l'glise
rdigs la veille du Concile cumnique de Lyon, en
1274, font tat de plusieurs plaintes diriges contre les bguines. Un franciscain de Tournai signalait qu'en dpit de
leur manque de formation thologique, les bguines se
complaisaient dans l'tude d'ides neuves et abstruses 49 .
Elles avaient traduit en franais l'vangile dont elles interprtaient les mystres, qui leur taient matire dissertations irrvrencieuses, soit durant leurs runions, soit en
pleine rue. On vendait Paris des Bibles en langue vulgaire
pleines d'erreurs et d'hrsies. Un vque d'Allemagne de
Chapitre VIII
Par-del le bien et le mal :
une lite de surhommes (II)
La propagation du mouvement
partir de l'poque des amauriciens et de Guillaume
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FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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Vers 1402, deux aptres furent brls dans les villes hansatiques de Lbeck et de Wismar39 On ne sait rien d'autre
des Frres du Libre Esprit dans les villes de la Baltique. Cela
est-il d leur petit nombre, ou au fait que l'Inquisition allait rarement les poursuivre si loin? Il est certain, en revanche, qu'ils taient encore nombreux aux Pays-Bas. la fin
du XI~ sicle, on considrait la Hollande, de mme que le
Brabant et la valle du Rhin, comme une rgion o l'hrsie
tait particulirement bien enracine. En fondant la communaut religieuse, mais non monastique, des Frres de la
Vie commune - laquelle Thomas Kempis devait confrer un tel clat- le prdicateur Gerhard Groot visait en
particulier fournir, dans les limites de l'orthodoxie, un
exutoire aux besoins qui avaient cherch s'exprimer travers les communauts hrtiques du Libre Esprit4. Il est
possible que cette hrsie ait subsist en Hollande tout au
long du xve sicle. On a soutenu, sans trop d'invraisemblance, que le peintre Jrme Bosch appartenait la communaut des Frres du Libre Esprit et qu'un grand nombre
de ses uvres les plus belles leur tait spcialement destin ; or il est certain que Bosch peignit tous ses tableaux
Hertogenbosch (Bois-le-Duc), sa ville natale, entre 1480 et
151641.
Dans le Brabant, le clbre mystique, Ruysbroeck l' Admirable entretint de nombreux rapports avec les Frres du
Libre Esprit. La premire adepte qu'il rencontra fut une
nomme Bloemmardine, fille d'un riche ngociant de
Bruxelles42 Assise sur une chaise d'argent, cette femme
crivait de subtiles dissertations sur l'Esprit de Libert. Ses
disciples lui manifestaient une dvotion bien proche de
l'adoration. sa mort, en 1335, des foules d'infirmes vinrent
_239
toucher son corps dans l'espoir d'une gurison miraculeuse. Pendant les dernires annes de sa vie, nous dit-on,
seul Ruysbroeck fut capable de s'opposer elle. Mais, en
agissant de la sorte, il ne put s'empcher de se faire des
ennemis qui le brocardrent dans les rues4 3. Ce conflit inspira ses tout premiers crits, datant de 1335 1340, et parmi
eux son chef-d'uvre, L'ornement des noces spirituelles. Il ne
cessa d'attaquer les Frres du Libre Esprit dans chacun de
ses livres jusqu' ce que la mort l'emportt en 1381, l'ge
de quatre-vingt-huit ans. Les tmoignages de ce mystique
sur les mystiques hrtiques comptent parmi les plus
fouills et les plus pntrants que nous possdions 44
Bruxelles continua d'offrir un refuge aux Frres du
Libre Esprit. En 1410, l'vque de Cambrai nomma deux
inquisiteurs pour draciner ce que l'on appelait encore
l'hrsie de Bloemmardine ; mais ils se trouvrent
impuissants en face de l'enthousiasme populaire 45. Des
chansons contre eux fusaient dans les rues ; on ourdit
mme des attentats contre eux. Ils parvinrent cependant
dnicher un groupe d'hrtiques; et, en 1411, l'vque
fit subir un interrogatoire un moine nomm Guillaume
de Hildernissen que l'on souponnait d'tre l'un de leurs
chefs. C'tait un homme de noble extraction qui avait fait
une brillante carrire comme professeur de thologie dans
la valle du Rhin et aux Pays-Bas, et qui avait t prieur
de deux couvents diffrents. Le degr de sa complicit
n'apparaissant pas clairement, il ne fut condamn qu'
quelques annes de pnitence et de rclusion. L'enqute
rvla l'existence d'une communaut secrte de sectateurs qui se nommaient les Homines intelligentiae, l'intelligentia tant, dans la terminologie du Moyen ge, la plus
haute facult de l'me qui seule rend possible l'extase
mystique46 Cette communaut avait t fonde la suite
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DE L'APOCALYPSE
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De telles prtentions ne sont en aucune manire l' exception parmi les Frres du Libre Esprit. Un pensionnaire du
centre de Pauvret volontaire de Cologne affirme qu'il est
totalement liqufi dans l'ternit 77, et si troitement
uni Dieu que les anges ne peuvent distinguer entre Dieu
et lui. Une pensionnaire du centre de Schweidnitz soutient
qu'elle est Dieu, comme Dieu est lui-mme Dieu; tout
comme le Christ, elle est insparable de Dieu78 Le trait de
l'Ermite dit peu prs la mme chose : L'homme parfait
est Dieu... Parce qu'un tel homme est Dieu, le Saint-Esprit
tire de lui, ainsi que de Dieu, son tre essentiel... L'homme
parfait est plus qu'un tre cr... Il a atteint cette union
_253
pratique du mariage mystique qui leur permettait la promiscuit sexuelle sans pch originel. Il possdait un
got prononc pour le faste et, pour obtenir de l'argent, il
bernait les crdules au moyen de prtendues rvlations
surnaturelles. Mais il versait aux pauvres une grande partie
de l'argent ainsi obtenu. Il se comportait en tout comme un
adepte typique, encore qu'attard, du Libre Esprit. Or des
tudes psychiatriques et graphologiques, publies en 1948,
rvlent en lui un paranoaque typique, obsd par des
rves de grandeur et par la manie de la perscution ; c'tait
un homme intelligent, audaeux, dbordant de vitalit et
d'initiative; une personnalit en proie des dsirs insatiables et forcens, dployant tour tour pour les satisfaire, la
dissimulation la plus subtile et une brutalit qui lui faisait
fouler aux pieds quiconque tait plus faible que lui. C'est
une interprtation qui corrobore parfaitement tout ce que
nous savons des Frres du libre Esprit au Moyen ge, et de
leurs successeurs, les libertins spirituels.
Dans un dialogue crit aux environs de 1330 Cologne,
prinpal bastion de l'hrsie, le mystique catholique Suso
dcrit, avec une consion admirable, les qualits qui faisaient du Libre Esprit un mouvement essentiellement
anarchique 89. Il raconte que par un dimanche ensoleill,
alors qu'il tait assis, perdu dans ses mditations, une apparition incorporelle se prsenta son esprit. Suso l'interpella: D'o viens-tu? -Je viens de nulle part, rpond
l'apparition. Dis-moi, qu'es-tu?- Je ne suis pas.- Que
dsires-tu?- Je ne dsire pas. -C'est un miracle! Dismoi, quel est ton nom?- On m'appelle Force Sans Nom.
- O mne ta perspicat ? - une libert sans entraves.
-Qu'appelles-tu, dis-moi, une libert sans entraves?- C'est
quand un homme obit tous ses caprices, sans faire de
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FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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C'est galement lui qui s'rigeait en sauveur dont la mission tait d'inaugurer le Troisime et Dernier ge ; il n'tait
certainement pas le seul amalgamer des utopies aussi disparates l'origine. En 1381, un adepte d'Eichstatt proclama
qu'il tait le second Adam qui, remplaant le Christ, tait en
train d'tablir le Troisime et Dernier ge sous la forme
d'un Paradis terrestre, et destin tre enlev au ciel matriellement115. Les libertins spirituels, que Calvin dnonait,
dclaraient avoir trouv le chemin qui leur permettait de
revenir l'tat qu'avait connu Adam avant de goter l'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal ; ils ajoutaient
qu'ils vivaient dans les Derniers Jours, au cours desquels la
dispensation chrtienne allait tre remplace par une dispensation nouvelle et plus haute encore. En fait, on reconnat dans cette hrsie du Moyen ge ce mlange de
millnarisme et de primitivisme qui est devenu une des formes les plus banales du romantisme moderne. Par le culte
adamique, on recrait le Paradis perdu en mme temps
qu'on annonait le Millnium. L'innocence et la batitude
primitives taient rendues au monde par des dieux vivants
chez qui on sentait que la cration avait atteint sa perfection
et tait transcende 116 .
Si les adeptes taient seuls pouvoir jouir pleinement de
la flicit du Paradis, d'autres avaient au moins la possibilit d'y goter. Au-dessous des adeptes, ces dieux vivants, existait une catgorie plus nombreuse d'hommes et
de femmes qui taient pleinement initis au secret du Libre
Esprit. Ces gens taient eux-mmes des extatiques, mais ils
n'avaient point connu l'exprience dcisive qui transformait
en Dieu un tre humain. dfaut, ils jouissaient de la surhumanit par personnes interposes, grce aux rapports
particuliers qu'ils entretenaient avec les adeptes. On devine
aisment en quoi consistaient ces rapports. Aprs tre
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Chapitre IX
La thorie de l'tat
de nature galitaire
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FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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que tous les hommes sont frres, mais qu'ils sont libres et
gaux par nature. Le fondateur de l'Ancien Portique, Znon
lui-mme, semble avoir inaugur son enseignement par la
description d'une socit mondiale idale dans laquelle les
hommes vivraient comme un vaste troupeau de brebis paissant dans un seul pr commun. Les diffrences de race et
de loyalisme, peut-tre mme celles cres par l'tat social
et le temprament individuel, taient destines disparatre: tous les hommes allaient tre lis par une communaut totale de sentiment et par une volont commune. De
plus, la religion stocienne, qui s'inspirait largement de l'astrologie chaldenne et reposait sur le culte des astres, accorda trs tt une importance incomparable au dieu-soleil,
dont on clbrait la gnrosit, la bienveillance et, surtout,
l'quit prminentes. Certains stociens considraient
l'universelle diffusion de la lumire du soleil comme le suprme exemple de justice sociale et mme de communaut
des biens : cette ide devint rapidement, et demeura longtemps, un lieu commun de la rhtorique de l' galitarisme5
Deux uvres, qui semblent teintes d'une forte influence
stocienne, et crites l'une probablement au ne sicle av.
J.-C. et l'autre vraisemblablement au ne sicle de l're chrtienne, illustrent de la manire la plus nette l'idal galitaire
que le monde antique devait lguer au Moyen ge. Dans la
plus ancienne, nous trouvons une description de l'le des
Bienheureux, qui ne nous est parvenue que sous la forme
du rsum qu'en donne l'historien grec Diodore de Sicile
dans sa Bibliothque historique; sous cette forme, elle fut
publie et traduite comme une uvre distincte des dizaines
de fois au cours de la Renaissance. Les sept les sont consacres au soleil ; les Hliopolitains, ou hommes-soleils, y
habitent. Toute l'anne, le soleil passe chaque jour la verticale des les ; les jours sont donc toujours exactement
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violences, quoiqu'elle tende ses possessions dans des provinces entires, et qu'elle ne leur donne le nom de terres que
lorsqu'il faut plusieurs journes pour les parcourir, jamais nous
ne pourrons assez reculer nos limites pour les mener au point
d'o nous sommes partis. Quand nous aurons tout envahi,
aurons-nous beaucoup? Hlas! nous avions tout. On ne trouvait pas moins de plaisir indiquer aux autres qu' trouver soimme les productions de la nature; on n'avait jamais ni trop,
ni trop peu ; les partages se faisaient de bonne foi. Le plus fort
n'avait pas encore port la main sur le plus faible: l'avare en
cachant des trsors inutiles pour lui, n'avait pas encore priv les
autres du ncessaire: le soin des autres marchait sur la mme
ligne que le soin de soi-mme8
Mais - et ceci constitue le point central de sa thse Snque est convaincu que le vieil ordre galitaire est non
seulement perdu, mais qu'il est ncessairement perdu9 Au
cours des sicles, les hommes sont devenus vicieux ; c'est
ce qui a fait de la proprit prive, du gouvernement coercitif, de la diffrence de statut social, et mme de l' esclavage, des institutions non seulement invitables mais
ncessaires ; non seulement ces institutions dcoulent de la
corruption de la nature humaine, elles sont aussi des remdes destins la pallier. C'est sous cette forme et avec ces
restrictions, que les Pres de l'glise adoptrent la notion
de l'tat de nature galitaire et l'incorporrent la thorie
politique de l'glise.
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274- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
Bien que l'glise en ft venue possder un grand nombre de serfs, la doctrine de saint Augustin ne cessa d'incarner le point de vue orthodoxe tout au long du Moyen ge.
Il devait tre galement adopt par les hommes de loi laques. L'opinion du clbre juriste franais Beaumanoir, au
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XIIIe
276_
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Quelque cinq sicles plus tard, ce passage acquit une signification entirement nouvelle. Aux alentours de l'an 850
de notre re, le moine franais connu sous le nom de
pseudo-Isidore (parce qu'il attribuait ses uvres Isidore,
archevque de Sville) tait en train de contrefaire des dcrtales et des canons qui devaient prendre place dans la clbre compilation connue aujourd'hui sous le nom de
Fausses Dcrtales. La compilation commence par les cinq
ptres du pape Clment, qui sont toutes apocryphes, et
dont trois sont des faux invents par pseudo-Isidore luimmeo. Dans la cinquime ptre, adresse saint Jacques
et aux chrtiens de Jrusalem, pseudo-Isidore introduisit le
passage cit plus haut, mais attribu non plus un paen,
mais Clment lui-mme. Dans ce texte, le pape a recours
une citation des Actes sur la premire communaut chrtienne de Jrusalem, pour renforcer encore son argumentation:
La multitude de ceux qui avaient cru n'tait qu'un cur et
qu'une me. Nul ne disait que ses biens lui appartinssent en
propre, mais tout tait en commun entre eux... Il n'y avait
parmi eux aucun indigent : tous ceux qui possdaient des
champs ou des maisons les vendaient, apportaient le prix de ce
278_ lES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
C'est sous cette forme hybride, mi-chrtienne, mistocienne, que le fondateur du droit canon dcouvrit cette
thse. Lorsque Gratien, aux environs de nso, entreprit sa
vaste compilation, il ne douta pas un instant -pas plus
que ses contemporains- de l'authenticit des dcrtales
de pseudo-Isidore La cinquime ptre de Clment, avec
son trange profession de foi anarcho-communiste, fut
introduite dans le Decretum, ce qui lui valut une autorit
qu'elle conserva jusqu'au XVIe sicle, poque laquelle elle
tomba dans le mme discrdit que les autres dcrtales
apocryphes. Gratien, il est vrai, joint ce document des
commentaires qui tendent en rduire la porte ; mais,
par ailleurs, dans le Decretum, il en adopte pleinement
tous les points (sauf celui sur l'amour libre). Vers la fin du
Moyen ge, les docteurs en droit et en scolastique admettaient comme un lieu commun que dans son premier tat,
qui avait t aussi le meilleur, la socit n'avait jamais
connu quoi que ce ft qui ressemblt la proprit prive,
parce que tout appartenait tous 22
Aux environs de 1270, la thorie de l'tat de nature
galitaire fut introduite, pour la premire fois depuis
l'Antiquit, dans une uvre littraire. Jean de Meung,
laque curieux de tout qui vivait au centre du quartier latin Paris et tait profondment influenc par les dbats
frquents de l'universit, connaissait admirablement la
littrature latine. Dans son immense pome, Le roman de
la rose, il aborde assez longuement le problme. Aucune
uvre en langue vulgaire ne fut plus populaire dans
toute la littrature du Moyen ge : il en existe encore
1
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nourrissaient d'herbes, de fruits et de noix, ils s'abreuvaient d'eau de source, s'habillaient de peaux de btes,
ignoraient tout de l'agriculture, et vivaient dans des grottes. Pourtant la vie n'avait rien de pnible, car la terre
engendrait tout en abondance, et satisfaisait tous les be-
(V. 9561-9598.)
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Tels furent les idaux galitaires et communistes communment admis par un grand nombre d'esprits rflchis
de l'Europe mdivale. On ne saurait dire qu'aucun effort
ne fut fait pour les concrtiser. L'glise elle-mme soutint
sans dfaillance qu'une vie communautaire voue la pauvret volontaire constituait la voie la plus parfaite. Elle souligna seulement que, dans un monde corrompu, gmissant
sous les mfaits de la Chute, c'est l un idal qui ne pouvait
et qui ne devait tre poursuivi que par une lite. l'intrieur du clerg, cette attitude s'exprimait de manire institutionalise grce aux ordres monastiques. Elle sduisit
galement un grand nombre de laques, tout particulirement lorsque le renouveau du commerce entrana l'apparition de nouvelles richesses et l'essor de la civilisation
urbaine. partir du XIe sicle, on trouve, dans toutes les rgions dveloppes et populeuses d'Europe, des groupes de
laques vivant dans des communauts quasi monastiques
qui possdent tout en commun, avec ou sans la sanction de
l'glise. Pour toutes ces communauts, la description de la
premire communaut de Jrusalem que l'on trouve dans
les Actes (IV), constituait le modle que suivaient toutes ces
communauts. Cet exemple- qui, comme nous l'avons vu,
tait dj cit par pseudo-Isidore dans la lettre apocryphe de
saint Clment - acquit un prestige immense, car personne
n'tait capable d'valuer combien saint Luc avait laiss son
imagination prendre le pas sur son sens des faits historiques.
Mais, imiter cette version imaginaire de l'glise primitive
n'tait pas encore restaurer, ni mme tenter de restaurer cet
286_
Chapitre X
Le Millnium galitaire (1)
288_
Ce qui ne veut pas dire que ce mythe ait sensiblement influenc la plupart des insurgs. La plus grande partie des
paysans et des artisans des villes qui les soutenaient semblent s'tre assign presque exclusivement des objectifs
limits et ralistes. A cette poque, le lien qui unissait le seigneur et ses paysans avait dj perdu son caractre paternaliste d'autrefois. Les paysans ne voyaient pas pourquoi ils
devaient s'acquitter de servitudes et de redevances trs lourdes envers un seigneur qui n'tait plus leur protecteur. De
plus, depuis la Peste Noire, svissait une pnurie chronique
de main-d'uvre qui profitait grandement au menu peuple,
mais moins qu'il ne l'et souhait. Depuis longtemps paysans et artisans s'irritaient des restrictions lgales - notamment de celles que contenait le Statut des ouvriers- qui les
empchaient d'exploiter pleinement la force que leur confrait leur situation conomique. Le mcontentement, engendr par ces injustices permanentes, fut encore aggrav par
les bvues commises pendant la guerre contre la France
et par l'tablissement d'une capitation particulirement
lourde. Pourtant, malgr le ressentiment et la colre du menu
peuple, les buts de la rvolte, lorsqu'elle clata, taient
encore strictement pratiques. La Charte de libert octroye
par le roi Mile End (et qu'il devait annuler par la suite)
donne une ide assez prcise de ces objectifs : commutation
en fermages des rentes seigneuriales, remplacement du servage par le salariat, suppression des entraves apportes la
libert d'acheter et de vendre. Dans ce programme, pas la
moindre allusion la restauration miraculeuse et imminente d'un tat de nature galitaire. Ce qui ne veut pas dire
que personne, parmi les masses rvoltes, n'entretenait de
telles chimres.
Dans un passage clbre, Froissart cite ce que l'on suppose tre un sermon caractristique de John Bali :
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294- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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En proclamant que cette prophtie est sur le point de s'accomplir, que le temps de la moisson fi.x par Dieu est enfin
venu, le sermon somme, en fait, le menu peuple, ces sujets
du royaume, de procder cette destruction absolue des
puissances dmoniaques qui devait annoncer le Millnium.
Et dans les vers hermtiques attribus Ball - mais dont
l'authenticit, tout autant que celle des sermons, doit tre
tenue pour douteuse - le symbolisme utilis dans Pierre le
Laboureur est adapt pour transmettre le mme message
rvolutionnaire. Ici encore on peut reconnatre la mme
attente impatiente de la lutte finale entre les pauvres, cohortes de Dieu, et leurs oppresseurs, troupes de Satan. Grce
cette bataille, le monde sera purifi du pch, et en particulier des pchs tels que Avaritia et Luxuria, dont on faisait
traditionnellement l'apanage des riches; vrit mise sous clefs
sera libre ; amour fidle qui si cher tait sera rendu au
monde. C'est l'aube d'un Millnium, d'un Millnium qui va
tre non seulement le Royaume des Saints annonc dans
l'eschatologie traditionnelle, mais galement un retour
l'tat de nature originel et galitaire, un second ge d'or.
Ces vers affirment aussi avec insistance que ceci est destin
s'accomplir maintenant, sur le champ: Dieu accorde rparation, car le temps est maintenant venu. 9
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On admet gnralement que les trois grands soulvements paysans du XIV sicle - le soulvement dans les
Flandres maritimes entre 1323 et 1328, la Jacquerie de 1358
et le soulvement de 1381 en Angleterre - ne se proposaient
tous que des objectifs limits d'ordre social et politique. En
fait, cela semble moins valable pour la rvolte en Angleterre
que pour celles qui la prcdrent sur le continent. Bien
que, l aussi, la majorit des insurgs ait purement et simplement t amene formuler certaines exigences prcises
sous l'effet d'injustices prcises, il semble avr que toute
esprance et toute aspiration chiliastiques ne lui aient pas
t trangres. D'un point de vue sociologique, cela n'a rien
pour surprendre. Dans la rvolte d'Angleterre, des membres du bas clerg, et tout particulirement des apostats et
des htrodoxes du type de John Bali jourent un rle exceptionnellement important ; comme nous l'avons vu, ces
hommes taient toujours impatients d'assumer le rle de
prophtes inspirs, qui incombe la mission de guider l'humanit travers les invitables convulsions des Derniers
Jours. Du reste, c'est une particularit de cette rvolte
qu'elle fut presque autant urbaine que rurale. Pousss,
semble-t-il, par leur foi en la bienveillance et l'omnipotence
du roi, les paysans du Kent et de l'Essex marchrent sur
Londres; mais leur arrive, la populace des villes se souleva son tour, empcha que l'on fermt les portes de la
ville aux hordes qui approchaient, et fit cause commune
avec les rebelles. Incontestablement, ce fait modifia le caractre de la rvolteo.
C'est certainement juste titre que Froissart faisait remarquer que les disciples les plus fervents de John BaH se
recrutaient parmi les Londoniens envieux des riches et de
la noblesse. cette poque, il y avait Londres un proltariat semblable celui qui existait depuis longtemps dans
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les villes de France, d'Allemagne et des Pays-Bas : compagnons exclus des guildes et auxquels on interdisait de former
leurs propres organisations; manuvres, soldats et dserteurs fourbus ; population excdentaire de mendiants et de
chmeurs - en fait, toute une lie urbaine, vivant dans le
dnuement, perptuellement menace de famine, et dont les
vilains qui fuyaient la campagne accroissaient sans cesse la
masse Dans un tel milieu, o les prophtes fanatiques se
mlaient aux masses dsespres et dsorientes qui se trouvaient en marge de la socit, un bouleversement qui, de
toutes manires, branlait la structure sociale du pays, devait
immanquablement revtir une puissance cataclysmique et
provoquer des rpercussions d'une violence extrme. Dans ce
milieu, on dut effectivement avoir l'impression que tout redevenait nouveau, que toutes les normes sociales taient en
train de disparatre, que toutes les barrires s'effondraient.
On peut, en fait, suggrer que des esprances chiliastiques
taient peut-tre caches derrire certains des aspects secondaires les plus surprenants de la rvolte: l'incendie du palais
de Savoie, et la destruction de tous les trsors qu'il contenait,
par des Londoniens qui ne voulurent rien prendre pour euxmmes ; les requtes les plus videmment chimriques,
parmi celles qui furent adresses au roi Smithfield; et peuttre aussi la confession de Jack Straw (en admettant toujours
qu'il en ait bien t l'auteur) selon laquelle les magnats et
tout le clerg, l'exception de certains membres des ordres
mendiants, devaient tre extermins12
Dans une telle situation, il devait tre, sans aucun doute,
bien facile de proclamer et de croire que la voie menant
un Millnium galitaire, et mme communiste, tait grande
ouverte. C'est une situation qui devait se renouveler quelques quarante annes plus tard, et une chelle bien plus
vaste, lorsque la rvolution hussite clata en Bohme.
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298_
L'apocalypse taborite
Bien que, par sa composition ethnique et par la langue, la
prdominance slave y ft crasante, l'tat de Bohme s'tait
intgr, de nombreux sicles durant, la civilisation de
l'Europe occidentale plutt qu' celle de l'Europe orientale.
Le christianisme y tait de rite latin, et non point grec ;
politiquement, le pays faisait partie du Saint-Empire romain.
La monarchie avait t instaure en Bohme vers 1200 ;
durant la seconde moiti du XIV sicle, le roi de Bohme
porta galement la couronne allemande, puis la couronne
impriale. cette poque, la Bohme constituait la fois
le premier lectorat de l'empire et le sige de la premire
universit - celle de Prague, fonde en 1348-1349 ; elle
dominait effectivement la vie politique et culturelle de
l'Europe centrale. Elle perdit cette situation privilgie dans
les premires annes du xV sicle, lorsque le roi de Bohme,
Venceslas IV, fut chass du trne imprial et que l'universit, d'internationale qu'elle tait, devint exclusivement
tchque. Mais la mme poque, la Bohme devint le centre d'un mouvement religieux dou d'une force explosive
telle qu'il troubla profondment l'Europe tout entire pendant plusieurs dizaines d'annes.
En nulle autre partie de l'Europe, les critiques traditionnelles contre l'glise n'taient plus fondes qu'en Bohme.
Les richesses de l'glise y taient normes : la moiti des
terres tait proprit ecclsiastique ; un grand nombre de
prtres, les grands prlats en particulier, menaient des
vies rsolument mondaines, tandis que la curie ne cessait
d'intervenir dans les affaires intrieures du pays d'o,
d'ailleurs, elle tirait de trs grands bnfices financiers. Au
surplus, le sentiment national y renforait considrable-
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-303
304_
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306_ lES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
Picards, comme les appelaient les Bohmiens, avaient certainement eu d'troits rapports avec les Homines intelligentiae de Bruxelles. Ils dnonaient amrement les prlats
qui, faisant fi de l'injonction du Christ concernant la pauvret absolue, exploitaient les pauvres de manire vivre
dans le luxe et la dbauche. Ils soutenaient, en revanche,
qu'ils taient, quant eux, les instruments de l'Esprit saint
et possdaient une connaissance de la vrit aussi complte
que celle des aptres, pour ne pas dire du Christ. Et comme
ils taient convaincus que l'glise de Rome tait la Prostitue de Babylone et le pape l'Antchrist, il est clair qu'ils
avaient le sentiment de vivre la veille du Millnium ou,
comme les Homines inteUigentiae, du Troisime et Dernier
Age 8
Au dbut de 1420, l'agitation chiliastique s'tait largement rpandue. Comme toujours en pareil cas, les nouvelles apocalyptiques furent annonces par les prophtes et,
comme toujours, elles soulevrent le plus d'enthousiasme
dans les couches sociales les plus basses 19 Un certain nombre d'anciens prtres catholiques conduits par un certain
Martinek Hauska - connu aussi sous le nom de Loquis,
cause de son loquence extraordinaire - commencrent
prcher ouvertement la venue des derniers jours: ils proclamaient aux foules d'hommes et de femmes dracins et rprouvs que le temps tait venu o le mal sous toutes ses
formes devait tre aboli pour prparer le Millnium. Ils
prophtisaient qu'entre le 10 et le 14 fvrier 1420 toutes les
villes et tous les villages seraient dtruits par le feu, comme
Sodome. D'un bout l'autre de la chrtient, la colre de
Dieu s'abattrait sur tout homme qui ne s'enfuirait pas immdiatement vers les montagnes - cinq villes de Bohme,
qui taient toutes des bastions taborites.
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308_
l'homme qui empche son pe de rpandre le sang des ennemis de Dieu. Tout croyant doit se laver les mains dans
ce sang (article 31). Les prdicateurs se joignirent avec
empressement la tuerie car tout prtre peut lgitimement poursuivre, blesser et tuer les pcheurs (article 32). Les pchs qui devaient tre punis de mort
comprenaient les anciennes btes noires des pauvres, Avaritia et Luxuria; mais ils comprenaient galement et surtout toute rsistance la volont des hommes de la loi divine.
Aux yeux des taborites, leurs adversaires taient tous des pcheurs qui devaient tre extermins. Les plus extrmistes
allaient encore plus loin et affirmaient que tous ceux qui
- quel que ft leur statut - ne se joignaient pas eux pour
librer la vrit et dtruire les pcheurs, taient euxmmes membres des troupes de Satan et de l'Antchrist, et,
par consquent, tout juste bons tre anantis (article 39).
Car l'heure de la vengeance avait sonn, o l'imitation du
Christ ne signifiait plus l'imitation de sa misricorde, mais
seulement de sa colre, de sa cruaut et de son esprit de
vengeance. En tant qu' anges vengeurs de Dieu et combattants du Christ, les lus devaient tuer tous ceux, sans
exception, qui n'appartenaient pas leur communaut
(article 30).
Les taborites n'taient pas tous galement fanatiques, et
mme les plus fanatiques d'entre eux n'auraient gure pu
se conduire avec plus de sauvagerie que leurs adversaires ;
s'ils commirent des atrocits, l'arme des envahisseurs en
commit galement. Tout ce que l'on peut dire, c'est que les
taborites furent les seuls penser que le massacre ouvrait
la voie au Millnium. Dans les premiers temps de la lutte
tout au moins, les extrmistes ne doutrent pas un instant
qu'ils vivaient la consommation des temps, l'extermination de tous les maux (article 25). Ils taient pleinement
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314-
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possde rien en propre: quiconque possde une proprit prive commet un pch mortel34
Malheureusement pour leur exprience, les rvolutionnaires taborites se proccupaient tant de mise en commun
des biens, qu'ils en ngligrent totalement la ncessit de
produire. Ils semblent mme avoir cru que, comme Adam
et ve au paradis, les citoyens des nouvelles communauts
idales seraient dispenss de la ncessit de travailler. Mais
s'il n'est pas surprenant que ce premier essai de communisme appliqu ait t phmre, la manire dont il prit fin
mrite qu'on s'y arrte. Les adeptes du Libre Esprit considraient en gnral qu'ils avaient le droit de voler et de
cambrioler ; les communauts taborites appliqurent des expdients fort voisins, mais sur une chelle beaucoup plus
vaste. Quand les fonds des caisses communales furent puiss, les radicaux dclarrent que, en tant qu' hommes de la
loi de Dieu, ils avaient le droit de s'emparer de tout ce qui
appartenait aux ennemis de Dieu - entendant par l d'abord
le clerg, la noblesse et les riches en gnral, mais bientt
quiconque n'tait pas taborite3 5 Ds lors, ct des grandes
campagnes menes sous le commandement de Zizka, ou
associes elles, de nombreuses incursions eurent lieu qui
n'taient que des coups de main. Si l'on en croit les dolances
que maints taborites de la tendance modre exprimrent
leur synode, de nombreuses communauts ne songent pas
un instant gagner leur vie par le travail de leurs mains, mais
n'ont d'autre dsir que de vivre de la proprit des autres et
d'entreprendre des campagnes injustes dont le seul but est le
vol 36 Tout en dtestant les murs luxueuses des riches, de
nombreux taborites radicaux - tout comme certains adeptes
du Libre Esprit - se confectionnaient des vtements d'une
somptuosit royale qu'ils portaient sous leur tunique.
316_ LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
-317
core qu'involontairement) collabor avec l'ennemi : les taborites sanctionnaient en eux les allis des tyrans, et les
catholiques les amis des hrtiques. Quand ils se trouvaient
sous le joug des taborites, ils taient traits par leurs soidisant frres comme les plus abjects des serfs. Les
Hommes de la loi de Dieu leur arrachaient des redevances
en profrant des menaces comme celles-ci: Si tu dsobis, nous t'obligerons, avec l'aide de Dieu, par tous les
moyens et par le feu en particulier, d'excuter nos ordres.
la fin de la guerre, la paysannerie de Bohme avait t rduite une pauvret et une impuissance telles qu'elle tait
incapable de se dfendre contre la noblesse, qui tait devenue plus forte que jamais. Ds lors, il n'tait gure difficile
de lui imposer un servage encore plus lourd.
Mais l'intrieur des communauts taborites ellesmmes, l'exprience communiste et anarchiste dut tre
bien vite abandonne. La rpugnance d'une partie des intresss accomplir tout travail ne fut qu'une cause parmi
d'autres. Si les communauts abritaient des millnaristes
qui n'avaient pas une once de sens pratique, elles constituaient aussi le quartier gnral d'armes engages dans
une lutte dsespre. Les armes n'auraient pu fonctionner
sans un commandement hirarchis ; en l'occurrence,
Zizka, qui n'tait ni galitariste ni millnariste, veilla ce
que tous les postes de commandement fussent confis
des hommes issus, comme lui, de la petite noblesse. Nanmoins, la poursuite du Nouvel ge d'or ne fut pas abandonne sans lutte. Tandis qu'un nombre toujours plus grand de
taborites s'apprtait s'adapter aux exigences de l'conomie,
de la guerre et d'une stratification sociale qui ne donnait
nul signe d'effondrement, une minorit ragit avec un radicalisme encore plus violent et un millnarisme encore plus
convaincu. Tout au dbut de 1421, le prdicateur Martin
318_ LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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Kanisch- fut trs vite captur et brl par Zizka. Ses disciples lui accordrent sa mort le titre de Jsus, et acceptrent sa place un paysan qui ils donnrent le double nom
de Moise et d'Adam ; il tait cens avoir t charg du gouvernement du monde41 Il semble avoir aussi exist dans ce
groupe, comme dans beaucoup d'autres groupes messianiques, une femme qui se disait la Vierge Marie. Pour le
reste, on dit que les adamites, tout comme les adeptes du
Libre Esprit, vivaient dans un tat de communaut si absolue que non seulement personne n'y possdait rien en propre, mais que le mariage y tait considr comme un pch
pouvantable. Tandis que les taborites taient strictement
monogames, la promiscuit sexuelle semble avoir t de
rgle dans cette secte. Sur la foi de la remarque du Christ
concernant les publicains et les prostitues, les adamites
dclaraient que les gens chastes taient indignes d'entrer
dans le royaume messianique (Matthieu, XXI, 31). En outre,
aucun couple n'tait autoris avoir de rapports sexuels
sans le consentement de Moise-Adam, qui les bnissait,
disant : Allez ! Soyez fconds, multipliez, emplissez la
terre! Les membres de la secte s'adonnaient frquemment aux danses rituelles qu'ils pratiquaient nus autour
d'un feu, et qu'accompagnaient de nombreux hymnes.
vrai dire, ils semblent avoir pass une grande partie de
leur temps tout nus, ngligeant la chaleur et le froid, et se
disant dans l'tat d'innocence dont avaient joui Adam et ve
avant la chute.
l'poque o Zizka poursuivait les pikarti, ces ultraanarchistes se rfugirent sur une le de la rivire Nezarka,
entre Vesely (Weseli) et Jindrichuv Hradec (Neuhaus).
Comme les autres taborites, les adamites se considraient
comme des anges vengeurs dont la mission tait de manier
l'pe d'un bout l'autre de la terre, jusqu' ce que tous les
impurs fussent extermins. Un dluge de sang, dclaraientils, doit envahir le monde jusqu' la hauteur de la tte d'un
cheval ; en dpit de leur petit nombre, ils firent de leur
mieux pour parvenir cette fin. De leur citadelle insulaire,
ils se livraient de constantes sorties nocturnes - qu'ils
baptisaient Guerre sainte - contre les villages avoisinants ;
ces expditions permettaient leurs principes communistes, aussi bien qu' leur got de la destruction, de s'exprimer. Les adamites qui ne possdaient rien en propre,
s'emparaient de tout ce qui leur tombait sous la main. En
mme temps, ils mettaient le feu aux villages et exterminaient, par l'pe ou par le feu, tout homme, femme ou
enfant vivants qu'ils pouvaient trouver ; ils justifiaient galement ces actes l'aide d'une citation tire de la Bible:
Mais minuit un cri retentit: Voici l'poux! Sortez sa
rencontre! (Matthieu, xxv, 6.) Les prtres, qu'ils traitaient
de diables incarns, ils les gorgeaient avec un enthousiasme tout particulier.
Zizka finit par envoyer une force de quatre cents soldats
bien entrans sous le commandement d'un de ses officiers
suprieurs, pour mettre fin au dsordre. Sans se dmonter,
Mose-Adam dclara que l'ennemi allait tre frapp de ccit en plein champ de bataille, et que, mme s'il s'agissait
d'une arme, elle serait totalement impuissante, alors que
les saints, s'ils demeuraient fermes autour de lui, seraient
invulnrables. Ses disciples le crurent, se barricadrent sur
leur le et se dfendirent avec une nergie et un courage
extraordinaires, tuant un grand nombre d'assaillants. Le
21 octobre 1421, ils furent enfin crass et extermins. Sur
les ordres de Zizka, on n'pargna qu'un homme pour qu'il
donnt un compte rendu complet des doctrines et des
pratiques de ce groupe. Son tmoignage fut recueilli en
bonne et due forme et soumis l'examen de la Facult
Chapitre XI
Le Millnium galitaire (II)
Le tambourinaire de Niklashausen
En 14 34, l'arme taborite fut battue et presque anantie
Lipan, par une arme compose non de catholiques venus
de l'tranger mais d'utraquistes de Bohme; par la suite,
la puissance de l'aile taborite du mouvement hussite
dclina rapidement. Aprs la prise de la ville de Tabor
par les utraquistes en 1452, une tradition taborite cohrente ne survcut gure que dans la secte connue sous le
nom de Frres moraves. Encore n'y avait-elle qu'une
forme purement religieuse, pacifiste, apolitique et non rvolutionnaire. Pourtant, un courant souterrain de chiliasme militant dut survivre en Bohme. Dans les annes
1450 ou peu aprs 1460, deux frres appartenant une
riche et noble famille, Janko et Livin de Wirsberg, commencrent propager des prophties eschatologiques auxquelles les traditions johannique et joachimite ne restrent
pas trangres
1
324- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
-325
et simples, et non des zlotes, ils pouvaient aisment passer, aux yeux des fanatiques de Bohme, tels que les frres
Wirsberg, pour d'authentiques successeurs des chiliastes
rvolutionnaires de 1420. Sans nul doute, l'ordre nouveau
qui tait cens natre du massacre devait revtir des traits
galitaires : les membres du clerg pargns - les mendiants- ne jouiraient d'aucune proprit; les nobles abandonneraient leurs chteaux et vivraient dans les villes
comme de simples bourgeois. Les contemporains furent effectivement frapps par le fait que cette doctrine, propage
en langue vulgaire, encourageait le peuple se dresser en
une rbellion sditieuse contre ses suprieurs spirituels et
sculiers 3 et ils n'hsitrent pas la comparer la doctrine
des pikarti, qui jadis rsidaient en Bohme... et voulaient
en faire un Paradis terrestre 4
Le pre de la doctrine en question semble avoir t, non
pas un des frres Wirsberg, mais un franciscain apostat qui
croyait tre lui-mme le Sauveur sacr. Les frres taient
compltement subjugus par ce personnage et se considraient firement comme ses missaires et ses hrauts ;
Janko alla mme jusqu' se prendre pour un nouveau JeanBaptiste; il adopta le nom de Jean d'Orient. De leur quartier gnral Eger (Cheb), l'extrmit occidentale de la
Bohme, ils rpandirent au loin les prophties de leur matre, tant chez les laques que chez les franciscains de tendance spirituelle et joachimite. Ils prtendaient avoir
tant d'adeptes en Allemagne qu'en les unissant, ils pourraient rgler son affaire n'importe quel prince. C'tait l,
sans conteste, une exagration grossire; mais il est intressant de noter qu'au moment o leur doctrine pntra
Erfurt, qui tait alors une grande ville o une extrme
richesse ctoyait une extrme pauvret, le professeur le plus
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328_
affichrent une prodigalit insense et durent lever des impts toujours plus lourds pour payer leurs dettes. En 1474,
ces impts taient devenus si exorbitants que l'un des conseillers de l'vque, comparant les paysans de l'endroit un
attelage de chevaux tirant un lourd chariot, affirmait qu'il
suffirait d'un uf ajout au chariot pour empcher les chevaux de le tirer plus avant9 Aux yeux des laques, qui des
gnrations de prdicateurs hrtiques avaient enseign
que le clerg devrait vivre dans le dnuement, un tel fardeau ne pouvait paratre que monstrueux et rvoltant. Le
fait que l'vque, Rodolphe de Scherenberg, tait la fois
srieux et comptent, ne changea rien la situation. Dans
la ville et dans le diocse de Wrzburg, en 1470, il tait devenu impossible l'vque, quelles que fussent ses qualits
personnelles, de passer aux yeux des laques, et surtout des
pauvres, pour autre chose qu'un exploiteur.
En 1476 naquit Niklashausen, petit village de la valle
du Tauber, prs de Wrzburg, un mouvement qui mrite
presque le nom de Croisade populaire. La plupart des
vnements qui s'taient produits en Allemagne, aux PaysBas et dans la Valle du Rhin se rptaient maintenant en
Allemagne mridionale ; mais, cette fois, le royaume messianique n'tait plus la Jrusalem cleste : c'tait l'tat de
nature, tel que l'avaient dpeint John Bali et les taborites. Le
messie du mouvement tait un jeune homme du nom d'Hans
Bohm -nom qui laisse penser qu'il tait de descendance
bohmienne ou que le peuple l'associait aux enseignements
des hussites. C'tait un berger et, ses moments perdus,
une sorte de comdien ambulant, qui jouait du tambour et
de la flte dans les htelleries et sur les places de march
- d'o le surnom, qui lui est rest, de Tambourinaire de
Niklashausen. Or, un jour, ce garon entendit parler du franciscain italien Giovanni di Capistrano qui, trente ans aupa-
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330- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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faudra forcer les prtres abandonner leurs nombreux privilges et vivre, au jour le jour, de ce que le peuple voudra bien leur donner. L'attrait de cette revendication
populaire restait aussi grand que jamais. Trithme, le clbre abb de Sponheim, disait: Quoi de plus agrable pour
un laque que de voir le clerg tout entier priv de tous ses
privilges et droits, de toutes ses dmes et de tous ses revenus ? Car les gens du commun sont par nature avides de
nouveaut et toujours prts secouer le joug de leur matre. Et le primat d'Allemagne, l'archevque de Mayence,
vit dans le prophte de Niklashausen une force qui risquait
de porter l'glise un coup irrparable 2
Bohm finit par devenir rvolutionnaire, proclamant l'imminence du Millnium galitaire fond sur la loi de nature.
Dans le royaume venir l'usage du bois, de l'eau et des pturages, le droit de chasse et de pche, seraient la libre disposition de chacun, comme autrefois. Les tributs de toutes
sortes seraient abolis jamais. Nul loyer, nul service ne seraient dus aucun seigneur, nul impt aucun prince. Les
distinctions de rang et de statut seraient abolies et personne
n'aurait d'autorit sur autrui. Tous vivraient en frres, chacun jouissant des mmes liberts et effectuant la mme
quantit de travail. Les princes ecclsiastiques ou sculiers, les comtes et les chevaliers ne devraient possder rien
de plus que les gens du peuple ; ainsi tout le monde aurait
suffisamment de biens. Le temps viendra o seigneurs et
princes travailleront pour gagner leur pain quotidien. 13 Et
Bohm, dpassant l'chelle locale, s'attaquait au fate mme
de la Socit : L'empereur est un gredin. Le pape est inutile. C'est l'empereur qui donne aux princes, aux comtes et
aux chevaliers le droit d'imposer des taxes au peuple. Hlas !
Pauvres diables que vous tes ! 14
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332- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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taient, de venir arms, sans femmes ni enfants, le dimanche suivant; car, sur l'ordre de la Vierge, il devait leur
parler de choses graves 22 Ce qui est certain, c'est que dans
la nuit du samedi 12, une escouade de cavaliers envoys par
l'vque descendit sur Niklashausen, se saisit de Bohm et
l'emmena Wrzburg. Dans l'obscurit, les plerins ne purent protger leur prophte mais le jour suivant, un paysan
reprit le rle prophtique, dclarant que la sainte Trinit
lui tait apparue et lui avait donn un message destin aux
plerins assembls. Ils devaient marcher hardiment sur le
chteau de Wrzburg o Bohm tait incarcr. A leur approche, les murs s'crouleraient comme ceux de Jricho, les
portes s'ouvriraient d'elles-mmes et le Saint-Garon sortirait triomphant de captivit. Ce message convainquit
d'emble les plerins. Portant des centaines de cierges
immenses provenant de l'glise de Niklashausen, mais
presque sans armes, quelques milliers d'hommes, de femmes et d'enfants se mirent en marche la nuit, et arrivrent
l'aube au pied du chteau.
L'vque et le conseil municipal firent de leur mieux
pour viter toute violence. Ils envoyrent un missaire pour
tenter de raisonner les plerins; il fut chass coups de
pierres. Un second missaire fut plus heureux: les 2 ooo
plerins qui taient sujets de l'vque dsertrent et regagnrent tranquillement leurs demeures. Les autres demeurrent inflexibles, exigeant que le Saint-Garon ft libr ;
sinon, avec l'aide miraculeuse de la Vierge, ils le libreraient de force. Quelques coups de canon furent tirs par
dessus leurs ttes, mais personne ne fut bless, ce qui ne
fit que renforcer leur foi dans la protection de la Vierge ; et
ils tentrent d'enlever la cit, en criant le nom de leur sauveur. Cette fois des coups furent tirs sur la foule, suivis
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FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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des plerins continurent d'affluer, venus surtout du diocse de Wrzburg, mme aprs qu'ils eussent t menacs
d'excommunication et que l'glise et t ferme et frappe
d'interdi~7 Enfin, au dbut de 1477, elle fut dmolie par
ordre de l'archevque de Mayence 28 Mais longtemps encore
l'endroit eut ses visiteurs clandestins, surtout la nuit.
Il ne fait aucun doute que le Saint-Garon de Niklashausen
avait t exploit par des hommes infiniment plus russ
que lui. On sait que certains petits seigneurs locaux tentrent d'utiliser l'agitation populaire pour affaiblir leur suzerain, l'vque de Wrzburg, auquel ils taient depuis
longtemps opposs 29 Ils dirigrent la marche nocturne sur
Wrzburg; l'un d'eux dut, plus tard, en manire de pnitence, cder une bonne part de ses terres au chapitre de la
cathdrale3.
Plus importants encore que ces intrigants politiques sont
deux personnages qui restrent tapis dans l'ombre de cette
histoire, et sans qui le plerinage massif ne se serait peuttre jamais produit.
Ici encore les faits rappellent le soulvement des
Pastoureaux de 1320. L aussi, un berger naf eut une
apparition de la Vierge et reut d'elle un message. Mais il
fallut attendre qu'un moine apostat et un prtre dfroqu
lui eussent donn leur appui et organis la propagande
ncessaire pour qu'un mouvement de masse naqut et se
dveloppt ; et c'est sous la direction de ces deux hommes
que le mouvement devint rvolutionnaire. Bohm n'tait, lui
aussi, qu'un berger ; depuis l'enfance, on le considrait
comme simple d'esprit; avant de prcher, il n'avait jamais
pu former une phrase cohrente, et il ignora le Notre Pre
jusqu'au jour de sa mort31. S'il russit pourtant branler
des rgions entires d'Allemagne, c'est uniquement grce
au soutien qu'il reut. Le cur de Niklashausen comprit vite
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exist qu'en manuscrit presque oubli pendant une quarantaine d'annes, sortit pour la premire fois des presses peu
de temps aprs l'excution de Bohm et fut rimprime en
1480, 1484, 1490 et 1494. Rdige peu aprs la chute du
pouvoir taborite en Bohme, l'uvre tait en elle-mme un
exemple de l'influence des idaux taborites. Malgr son programme relativement modr, elle incitait aussi les pauvres
prendre l'pe pour faire valoir leurs droits sous le patronage du prtre-roi Frdric. Sous une forme beaucoup plus
violente, le mme thme rapparat dans ce Livre aux cent
chapitres crit par le Rvolutionnaire du Haut-Rhin au dbut
du xv{ sicle. Les prdictions si volumineuses contenues
dans cette trange vaticination ne sont autres que celles de
John Bali et des taborites radicaux : aprs un dernier combat sanglant contre les armes de l'Antchrist, la justice parfaite serait rtablie sur terre ; tous les hommes seraient
gaux et frres, peut-tre mme propritaires en commun
de toutes choses. Ces rves s'exprimaient ailleurs que dans
des livres: dans la rgion du Haut-Rhin apparurent des
mouvements de conspirateurs qui se donnaient pour but de
les traduire dans la ralit. Ces mouvements sont connus
sous le nom collectif de Bundschuh - terme qui dsigne un
sabot de paysan et qui quivaut l'expression sans-culottes
de la Rvolution franaise.
Leur chef tait un paysan du nom de Joss Fritz, et nombre de ses adhrents taient aussi des paysans. Mais les
pauvres des villes, certains mercenaires errants, des mendiants, etc., jourent un grand rle dans ce mouvement ; et
c'est ce qui lui donne incontestablement son caractre particulier. Il y eut bien d'autres soulvements paysans en
Allemagne du Sud cette poque, mais ils visaient seulement des rformes partielles ; seul le Bundschuh visait au
Millnium. Comme la rvolte de Niklashausen, la rvolte
340- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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Thomas Mntzer
Thomas Mntzer naquit Stolberg en Thuringe en 1488 ou
en 1489. Sa famille n'tait pas pauvre, comme on l'a souvent dit, mais jouissait d'une certaine aisance; et son pre
ne fut point pendu par un seigneur tyrannique ; il mourut
dans son lit, charg d'ans. Au moment o il parat au jour
de l'histoire, peu aprs trente ans, Mntzer ne fait figure ni
de victime ni d'ennemi de l'injustice sociale ; c'est plutt
l' ternel tudiant , tonnamment cultiv et intellectuel
passionn. D'abord licenci d'universit, puis prtre, il
mena une vie errante et agite, choisissant toujours des villes o il pouvait esprer poursuivre ses tudes. Profondment vers dans les critures, il apprit le grec et l'hbreu,
tudia la thologie et la philosophie patristique et scolastique, et se plongea aussi dans les crits des mystiques allemands. Ce ne fut pourtant jamais un pur rudit : son
apptit de lecture trahissait son dsir dsespr de rsoudre
un problme personnel. Car Mntzer tait cette poque
une me trouble, pleine de doutes sur la vrit du christianisme et mme sur l'existence de Dieu, mais une me plonge dans une qute obstine de la certitude, dans cet tat
labile qui mne si souvent la conversion41
Martin Luther, de cinq ou six ans l'an de Mntzer, s'affirmait alors comme le plus formidable ennemi que l'glise
de Rome ait jamais connu, et aussi - ne ft-ce que temporairement - comme le vritable chef de la nation allemande.
En 1517, il placarda ses thses clbres vituprant le commerce des indulgences la porte de l'glise de Wittenberg ;
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FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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plus Mntzer dans ce programme, c'tait la guerre d'extermination que les bons devaient faire aux mchants. Abandonnant Luther, il concentra ses penses et paroles sur
l'Apocalypse et sur certains incidents de l'Ancien Testament
tels que le massacre par lie des prtres de Baal, le meurtre
des fils d'Achab par Jhu et l'assassinat de Sisera endormie
par Jal. Les contemporains notrent et dplorrent le changement qui s'tait produit en lui et cette soif de sang qui
s'exprimait parfois en pures divagations 43
Les lus devaient donc prparer le chemin du Millnium
par le glaive et par l'pe. Mais qui taient les lus? Pour
Mntzer, c'taient ceux qui avaient reu le Saint-Esprit ou,
selon sa formule habituelle, le Christ vivant. Dans ses crits,
comme dans ceux des libertins spirituels, on trouve une distinction trs nette entre le Christ historique et le Christ
vivant, intrieur ou spirituel, qui est conu
comme surgissant de l'me individuelle ; et c'est lui qui
possde le pouvoir rdempteur. Pourtant, au Christ historique demeure attache une grande signification: en se soumettant la cruciftxion, il a montr le chemin du salut. Car
qui veut tre sauv doit en vrit souffrir le pire, tre purg
de toute volont propre et libr de tout ce qui le lie au
monde et aux tres crs. Il doit commencer par se soumettre de plein gr une prparation asctique ; quand il sera
capable et digne de les accueillir, Dieu lui infligera d'autres
souffrances indicibles. Ces maux, que Mntzer nomme la
Croix, peuvent comprendre la maladie, la pauvret et la perscution, qui doivent toutes tre supportes patiemment ;
mais surtout, ils comprendront d'intenses souffrances mentales, la lassitude du monde et de soi-mme, la perte de l'esprance, le dsespoir et la terreur. C'est seulement quand
ce stade est atteint, quand l'me est compltement mise
nu, que peut s'tablir la communication directe avec Dieu.
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Et les allusions bibliques qui accompagnent cette recommandation prouvent bien qu'il ne faisait qu'un avec le prophte inspir qui devait remplacer Luther dans la faveur des
princes, comme Daniel remplaa les scribes privs des lumires divines 53 Il esprait gagner ainsi une telle influence
sur les chefs du pays qu'il serait en mesure de les amener
faire les prparatifs ncessaires l'achvement du Millnium.
Comment Mntzer imaginait-il le Millnium? Question difficile et dont on a longtemps dbattu. en juger
par ses crits, il se montra bien moins intress par la
nature de la socit future que par l'extermination massive
qui devait la prcder. Il ne semble pas non plus s'tre
beaucoup souci d'amliorer les conditions de vie des
paysans qu'il ctoyait. Quelques jours aprs son sermon
aux princes, il enjoignait ses disciples de Sanger-hausen
d'obir leur Seigneur dans toutes les affaires temporelles 54
Si le Seigneur n'est pas satisfait des services et des loyers
qu'il reoit prsentement, ils doivent tre prts lui cder
leurs biens terrestres ; mais au cas o il mettrait en danger
leur bien-tre spirituel -par exemple en les empchant
d'aller Allstedt couter Mntzer-, ils doivent crier bien
haut pour que le monde entier les entende. Et lorsque
Mntzer parle de la Ligue des lus, son attitude est la
mme. Il tente de persuader le reprsentant de l'lecteur
Allstedt de se joindre la ligue, dans les termes suivants :
Si les vilains et les coquins devaient aussi s'enrler dans l'espoir
d'abuser de la ligue, il faudrait les livrer leurs tyrans ou bien,
selon la nature du dlit, les juger soi-mme. Tout particulirement, en ce qui concerne les services prescrits, il doit tre
clairement entendu dans la ligue que les membres ne doivent
pas croire qu'ils sont par l dispenss de leur d aux tyrans ...
car il est craindre que certains tres mchants ne pensent que
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nous nous sommes unis dans le seul but de poursuivre des fins
matrielles 55
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Quand Mntzer lui-mme parle de la loi de Dieu, il semble l'assimiler cette loi de nature, originelle et absolue, qui
tait cense n'avoir connu aucune distinction de proprit
ou de statut59 Cette impression est renforce par l'Histori
Thomii Mntzers, uvre reconnue tendancieuse, mais qui,
rdige une poque o l'histoire de Mntzer tait encore
frache dans la mmoire des gens, fait preuve, en gnral,
d'une grande exactitude historique. Selon cette biographie,
Mntzer, au moins dans les derniers mois de sa vie, enseignait qu'il ne devrait y avoir ni rois ni seigneurs et aussi,
partir d'un contre-sens sur Actes IV, que toutes choses
devraient tre gres en commun. Tous ces faits indiquent
bien que la confession du prophte, peu avant de mourir,
tait probablement exacte, bien qu'on la lui ait arrache
par la torture. Il reconnut en effet que le principe fondamental de sa ligue tait celui de la communaut des
biens ; qu'elle se proposait d'instaurer un tat o tous les
hommes seraient gaux et o chacun recevrait selon ses
besoins; et, enfin, qu'elle tait prte excuter tout prince
ou seigneur qui se serait oppos ces projets. Il n'y a,
somme toute, rien dans ce programme qui n'ait figur dans
celui que le Rvolutionnaire du Haut-Rhin avait esquiss,
de sa propre initiative, pour son imaginaire Confrrie de la
Croix jaune60
Quand Mntzer fit son sermon en prsence du duc Jean,
il esprait, de toute vidence, gagner sa cause les princes
de Saxe ; et quand, quelques jours plus tard, certains de ses
disciples furent expulss par leurs seigneurs - notamment
par le comte de Mansfeld - et se rfugirent Allstedt, il fit
appel aux princes pour les venger. Mais ceux-ci se drobrent, ce qui modifia son attitude. La dernire semaine de
juillet, il proclama en chaire que le temps tait venu o tous
les tyrans seraient renverss et o commencerait le rgne
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messianique 61 Ce message aurait sans doute suffi inquiter les princes ; mais, de toute manire, Luther crivait alors
sa Lettre aux princes de Saxe, o il faisait remarquer combien
l'agitation entretenue par Mntzer devenait dangereuse 62
Le rsultat ne tarda pas : Mntzer fut convoqu Weimar
pour s'expliquer devant le duc Jean. Bien que, mme ce
moment-l, on lui ait simplement demand de s'abstenir de
toute dclaration provocante tant que l'lecteur n'aurait pas
tudi l'affaire, il n'en fallait pas plus pour le lancer sur la
voie de la rvolution.
Dans le pamphlet qu'il publia alors, Le dvoilement explicite des fausses croyances du monde infidl3, Mntzer affirme
sans dtour que les princes sont inaptes jouer quelque
rle que ce soit dans l'avnement du Millnium, car ils
ont pass leur vie manger et boire bestialement ; depuis
leur plus jeune ge ils ont t levs dans le raffinement, ils
n'ont jamais connu un mauvais jour et ils ne souhaitent ni
ne veulent en accepter aucun. En vrit, ce sont les princes
et les seigneurs, les riches et les puissants qui, en prservant obstinment l'ordre tabli, s'empchent et empchent
les autres d'atteindre la vraie foi: Les incroyants puissants et obstins doivent tre jets bas de leurs siges, car
ils nuisent la sainte et authentique foi chrtienne en euxmmes et dans le monde, lorsqu'elle essaye de se montrer
dans toute sa force vritable et originelle. Encourags par
des scribes vnaux - tels que Luther - les grands font ce
qu'ils peuvent pour empcher les humbles d'atteindre la
vrit. Lis comme des ufs de crapaud par leur souci
commun de profit financier, ils harclent ce point les pauvres de leur usure et de leurs impts que ces derniers n'ont
plus le temps d'tudier et de suivre la loi de Dieu. Et pourtant, reprend Mntzer, tout cela ne justifie en rien le dsespoir ; au contraire, les excs mmes de la tyrannie qui
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opprime prsent le monde sont un signe sr de l'approche de la grande consommation. C'est prcisment parce
que Dieu envoie sa lumire au monde que certains [seigneurs] ne font que commencer de gner et de harceler, de
tondre et de raser leurs faux, de menacer tous les chrtiens, de torturer honteusement et cruellement et de mettre
mort leurs propres gens, sans compter les gens trangers
leurs terres .
Mntzer tait parvenu la mme conclusion que les
prophtes de la Rvolte des Paysans anglais et ceux de la
Rvolution hussite avant lui. Pour lui aussi, les pauvres
taient maintenant les lus en puissance, chargs d'inaugurer le Millnium galitaire. Librs des tentations d' Avaritia
et de Luxuria, les pauvres avaient au moins une chance d'atteindre cette indiffrence aux biens de ce monde qui les
rendrait aptes recevoir le message apocalyptique. C'taient
donc les pauvres qui, tandis que les riches et les puissants
seraient fauchs comme l'ivraie, durant la dernire grande
moisson, constitueraient, triomphants, la seule glise vritable : Alors ce qui est grand devra cder la place ce qui
est petit. Ah, si les pauvres paysans tant mpriss savaient
cela, quelle aide et quel rconfort pour eux ! Et pourtant,
insistait Mntzer, jusqu'alors les pauvres eux-mmes
n'taient pas aptes pntrer dans la gloire qui leur tait
rserve. Ils devaient eux aussi se dtacher de leurs dsirs
terrestres et de leurs divertissements frivoles afin de reconnatre, dans les soupirs et la prire, le caractre abject de
leur condition et leur besoin d'un nouveau chef envoy par
Dieu. Si la sainte glise doit tre rnove par l'amre
vrit, un serviteur de Dieu doit sortir de la foule dans l'esprit d'lie ... pour mettre les choses en branle. En vrit, un
grand nombre d'hommes devront tre secous, afin qu'avec
le plus grand zle possible et une ardeur passionne, ils
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354- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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qu'on en puisse juger, que dans aucune autre cit d'Allemagne cette poque - tait faite de misreux qui, en temps
de crise, se montraient toujours prts se lancer dans des
expriences rvolutionnaires. Mntzer y trouva des disciples peu nombreux mais enthousiastes. Obsd, comme
toujours, par l'imminence de la destruction des impies, il se
faisait prcder d'un crucifix rouge et d'une pe nue
lorsqu' la tte d'une bande arme, il sillonnait les rues de
la ville70 Pourtant quand la rvolte clata, la raction fut
prompte et dcisive: Mntzer, expuls une fois de plus,
reprit sa vie errante. Nuremberg, il parvint publier ses
deux pamphlets rvolutionnaires; mais ils furent immdiatement saisis par le conseil municipal et Mntzer dut quitter la ville. Aprs quelques semaines d'errance, qui le
menrent jusqu'aux frontires suisses, il fut rappel
Mhlhausen, o Pfeiffer avait russi se rtablir et qui
tait, une fois de plus, en pleine fermentation rvolutionnaire. En mars 1525, le conseil municipal fut renvers et
remplac par un nouveau conseil, lu par les bourgeois.
Mais il ne semble pas que Mntzer ait jou un rle considrable dans ces vnements ; ce qui lui permit de faire ses
preuves comme rvolutionnaire fut moins la rvolution
de Mhlhausen que le dclenchement de la Guerre des
Paysans71
Les causes de la Guerre des Paysans allemands n'ont
cess et continueront sans doute de susciter d'innombrables controverses ; mais on peut avancer quelques gnralits sans grand risque d'erreur. Il n'est pas douteux que le
contexte de cette rvolte voque plus celui de la Rvolte des
Paysans anglais que celui de la Jacquerie. Le bien-tre des
paysans allemands tait plus grand que jamais; en particulier, les paysans qui prirent partout l'initiative de l'insurrection, loin d'y tre pousss par la misre ou le dsespoir,
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FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
plans constitutionnels ; ils comprirent aussi que l'insurrection paysanne leur offrait une occasion inespre d'asseoir
leur autorit. Les princes, ou du moins un groupe de princes, veillrent ce que la rvolte se soldt par une catastrophe, la suite de combats et de massacres qui cotrent la
vie 100 ooo paysans peut-tre. Ce furent galement les
dynasties princires qui profitrent de cette rduction des
paysans, de la petite noblesse et du bas clerg une condition de dpendance sans espoir qui devait durer des sicles.
Le rle de Thomas Mntzer dans la Guerre des Paysans
en gnral peut tre facilement exagr, et l'a souvent t.
Les principaux thtres de la lutte furent les zones o le
dveloppement des nouveaux tats tait le plus avanc.
Elles se situaient toutes en Allemagne du Sud et de l'Ouest,
rgion qui avait dj connu maintes rvoltes paysannes
avant 1525; or Mntzer ne semble pas y avoir exerc la
moindre influence. La situation tait toutefois diffrente en
Thuringe qui n'avait pas connu de rvoltes paysannes avant
1525 et o, mme cette date, on ne s'attendait pas en voir
clater une. En fait, l'insurrection s'y dveloppa trs tard et
prit, de plus, une forme curieusement anarchique. Tandis
qu'au Sud et l'Ouest les paysans s'taient conduits avec
une discipline remarquable, ils formrent en Thuringe des
petites bandes, pillant et incendiant monastres et couvents.
Il est fort possible que ces excs aient t encourags, sinon
causs, par l'agitation dirige par Thomas Mntzer73.
Le noyau le plus solide de ses sectateurs tait encore
constitu par la Ligue des lus. Quelques-uns de ses disciples d'Allstedt le rejoignirent Mlhausen et l'aidrent certainement mettre sur pied une nouvelle organisation.
Mais surtout, il continua de s'appuyer sur les travailleurs
des mines de cuivre de Mansfeld, qui s'taient joints la
ligue par centaines. Ces hommes - souvent recruts
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360_
1....
aux m1neurs
Sus, sus eux, tant que le fer est chaud! Que votre pe ne
refroidisse pas ! Qu'elle ne soit pas infirme ! Frappez grands
coups sur l'enclume de Nemrod! Jetez bas leurs donjons.
Tant qu'ils vivront vous ne pourrez jamais vous dbarrasser de
la peur des hommes. On ne peut vous parler de Dieu tant qu'ils
rgnent sur vous. Sus, sus, tant qu'il fait jour. Dieu vous guide,
suivez donc, suivez !77
Cette lettre montre clairement dans quel univers chimrique vivait Thomas Mntzer. On pensait, en effet, que
Nemrod avait construit la Tour de Babel, qui fut son tour
assimile Babylone78 ; on le considrait non seulement
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362_ LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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364_ LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
disciples proches de Mntzer semblent avoir cru l'imminence de quelque miracle extraordinaire ; tout la fois bien
organiss et fanatiques, ils surent sans doute galvaniser la
masse indcise et amorphe des paysans.
Cependant les princes n'obtenant pas de rponse satisfaisante leur offre, s'impatientrent et donnrent l'ordre aux
canons de tirer. Les paysans n'taient nullement prts utiliser leur faible artillerie, ni mme s'chapper. En fait, ils
chantaient encore Viens, Esprit saint ! - comme s'ils eussent
attendu la parousie cet instant mme - quand la premire
et unique salve fut tire. Son effet fut immdiat et catastrophique : les paysans rompirent les rangs et s'enfuirent affols, tandis que la cavalerie ennemie les renversait et les
massacrait par centaines. L'arme des princes, qui ne perdit
qu'une demi-douzaine de soldats, dispersa les paysans et
prit Frankenhausen, tuant environ cinq mille paysans.
Quelques jours plus tard, Mhlhausen se rendit sans combattre: pour la punir d'avoir jou le rle qu'on lui attribuait,
on obligea la ville payer des amendes et des indemnits
trs lourdes, et on supprima son statut de ville libre85 Quant
Mntzer qui avait fui le champ de bataille, on ne tarda pas
le dcouvrir cach dans une cave Frankenhausen. Il fut
remis Ernest de Mansfeld ; aprs avoir subi la torture, il
fit une confession concernant la Ligue des lus, aprs quoi
il fut dcapit dans le camp des princes le 27 mai 1525 en
mme temps que Pfeiffer. Storch, qui semble avoir jou un
rle dans l'insurrection, trouva la mort la mme anne alors
qu'il tait en fuite 86
Le rle historique de Mntzer ne fut pas termin pour
autant. S'il est naturel que le mouvement anabaptiste, qui
devait connatre une extension considrable au cours des
annes suivantes, ait vnr sa mmoire -encore que luimme ne se soit jamais rclam de l'anabaptisme -la rsur-
-365
rection et l'apothose que connat Mntzer depuis une centaine d'annes a de quoi surprendre. En Russie aussi bien
qu'en Allemagne, depuis Engels jusqu'aux historiens communistes d'aujourd'hui, il s'est trouv des marxistes pour
transformer Mntzer en un gigantesque symbole et en faire
un hros de la lutte des classes. C'est l un point de vue
assez simpliste que les historiens non marxistes n'ont gure
de peine rfuter en soulignant la nature essentiellement
mystique des proccupations de Mntzer et son indiffrence gnrale l'gard du bien-tre matriel des pauvres.
Mais il serait galement facile d'exagrer dans l'autre sens.
En fait, Mntzer fut un prophte hant par des mythes eschatologiques qu'il essaya de traduire dans la ralit en exploitant le mcontentement social. Peut-tre est-ce, aprs tout,
une saine intuition qui a pouss les intellectuels communistes le revendiquer comme un des leurs.
Chapitre XII
Le Millnium galitaire (Ill)
368_ LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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370- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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l'ordre tabli mais ils interprtaient leurs souffrances en termes apocalyptiques, comme le dernier grand combat men
par Satan et l'Antchrist contre les saints, comme ces douleurs messianiques qui devaient annoncer le Millnium.
Bien des anabaptistes furent obsds par des visions du
Jugement dernier; ils rvaient au jour o ils se lveraient,
eux, pour renverser les puissants et pour tablir enfin le
Millnium sur terre sous l'gide d'un Christ enfin revenu.
La situation intrieure du mouvement anabaptiste ressemblait dsormais celle du mouvement hrtique des sicles
passs. La masse du mouvement anabaptiste poursuivait la
tradition de dissidence pacifique et austre qu'avaient dans
le pass reprsente les vaudois. Mais en mme temps
croissait un anabaptisme d'un autre genre, dans lequel la
tradition tout aussi ancienne du chiliasme militant trouvait
une expression nouvelle.
Le premier propagandiste de ce nouvel anabaptisme fut
un ancien disciple de Mntzer, un relieur du nom de Hans
H ut. Cet homme prtendait tre un prophte envoy par
Dieu pour annoncer qu' la Pentecte 1528, le Christ redescendrait sur terre pour remettre le glaive deux tranchants
de la Justice entre les mains des saints rebaptiss. Les saints
jugeraient alors les prtres et les pasteurs pour leur enseignement fallacieux et, surtout, les grands de ce monde pour
leurs perscutions ; les rois et les nobles seraient jets aux
fers. Enfin le Christ tablirait un Millnium qui, semble-t-il,
devait se distinguer par l'amour libre et la communaut des
biens. Hut fut captur en 1527, emprisonn Augsbourg et
tu au cours d'une tentative de fuite ; mais il avait russi
faire quelques convertis dans les villes d'Allemagne du
Sud. Des disciples de Hut furent excuts Nuremberg,
Augsburg et ailleurs; Esslingen sur le Neckar, les anabaptistes semblent, en 1528, avoir projet d'instaurer le Royaume
372- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
de Dieu par la force des armes. Chez ces millnaristes militants, l'idal de la proprit commune des biens prit un
sens rvolutionnaire et ce n'est sans doute pas sans raison
que les autorits municipales de Nuremberg avertirent
celles d'Ulm que des anabaptistes visaient renverser l'ordre tabli et abolir la proprit prive 2 Il est vrai qu'en
Allemagne du Sud, l'anabaptisme rvolutionnaire resta une
force limite et inefficace, et qu'elle fut crase en 1530.
Mais, quelques annes plus tard, elle devait rapparatre
ailleurs, en Hollande et dans l'extrme Nord-Ouest de
l'Allemagne, et cette fois avec des rsultats qui forcrent
l'attention de l'Europe.
L'Allemagne du Nord-Ouest au dbut du XVIe sicle tait
principalement compose d'un certain nombre de petits
tats ecclsiastiques, dots chacun d'un prince-vque souverain. D'habitude, ces tats taient dchirs par d'amers
conflits sociaux. Le gouvernement tait aux mains du princevque et du chapitre du diocse, qui l'lisait et contrlait
dans une large mesure sa politique. Les membres du chapitre se recrutaient exclusivement dans l'aristocratie locale
-une cotte d'armes orne d'au moins quatre quartiers tait
gnralement indispensable - et ils choisissaient souvent
l'un d'entre eux comme vque. Ce groupe d'aristocrates ecclsiastiques n'tait soumis aucun contrle suprieur ;
dans la dite rgionale, ils taient puissamment reprsents
et pouvaient toujours compter sur le soutien de la chevalerie. En consquence, ils avaient tendance gouverner dans
le seul intrt de leur propre classe et du clerg du diocse.
Dans un tat ecclsiastique, le clerg tait non seulement
trs nombreux -dans l'vch de Mnster, on comptait
quelque trente centres ecclsiastiques, dont quatre monastres, sept couvents, dix glises, une cathdrale et naturellement le chapitre lui-mme- mais aussi extrmement
-373
privilgi. Les membres du chapitre jouissaient de prbendes et de canonicats abondants. Les moines taient autoriss exercer commerce et artisanat sculiers. Surtout, le
clerg dans son ensemble tait presque entirement exempt
d'impts.
Mais la puissance du cercle clrico-aristocratique dans un
tat ecclsiastique s'tendait rarement au-del de la capitale.
Dans ces tats, comme partout, le dveloppement du commerce et de l'conomie montaire avaient confr une importance toujours croissante aux villes. Les gouvernements
taient constamment court d'argent; et, force de marchandages sur le taux des impts, les villes s'taient peu
peu assur des concessions et des privilges. Ceci tait particulirement vrai du plus grand et du plus important des
tats ecclsiastiques, l'vch de Mnster. Depuis le dbut
du xive sicle, la ville de Mnster jouissait dans une grande
mesure de l'autonomie, et le pouvoir de l'vque - qui y rsidait rarement - avait t considrablement restreint3.
Ceci ne signifie videmment pas que la population des
villes tait satisfaite des concessions qu'elle avait obtenues.
L'vque et le chapitre, d'une manire gnrale, ne jouissaient d'aucun prestige sur le plan religieux, et ce n'est gure
surprenant si l'on pense qu'ils menaient une vie luxueuse
et purement sculire ; souvent, comme Mnster dans les
annes qui suivirent 1530, l'vque n'tait qu'un seigneur
sculier qui n'avait pas mme t ordonn. En outre, les impts levs par le prince-vque taient souvent lourds, et
leur poids entier retombait sur les laques, c'est--dire sur
ceux qui tiraient de l'administration les moindres bnfices.
Enfin, un tat ecclsiastique devait verser de grandes sommes d'argent la curie romaine chaque fois qu'un nouvel
vque tait lu ; Mnster le fit trois fois de 1498 1522.
Il n'est pas surprenant que l'immunit fiscale du clerg
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expdis pour inviter les anabaptistes des villes avoisinantes venir avec leur famille Mnster. Le reste de la terre,
annonaient-ils, tait condamn la destruction avant
Pques; mais Mnster serait sauve et deviendrait la nouvelle Jrusalem. Nourriture, vtements, argent et logement,
tout serait prt pour les immigrants ds leur arrive ; mais
ils devaient apporter des armes. Cette invitation reut un
accueil chaleureux. De provinces aussi lointaines que la
Frise et le Brabant, des anabaptistes se htrent vers Mnster;
et le nombre d'arrivants finit par excder celui des migrants luthriens. Il en rsulta qu' l'lection annuelle du
conseil municipal, le 23 fvrier, une crasante majorit
d'anabaptistes fut lue, et Knipperdollinck devint l'un des
deux bourgmestres. Les jours suivants, monastres et glises furent pills ; dans un dferlement d'iconoclasme nocturne, les sculptures, les tableaux et les livres de la
cathdrale furent dtruits 11
Cependant, Jan Matthys lui-mme tait arriv; ce personnage grand et maigre longue barbe noire se rendit bientt
matre de la ville avec Bockelson. Rothmann et les autres
prdicateurs anabaptistes ne pouvaient rivaliser avec les
prophtes hollandais en matire de soutien populaire, et ils
se trouvrent bientt emports par un mouvement puissant
qu'ils ne pouvaient plus influencer ; y rsister tait hors de
question. Ils fonctionnaient simplement comme d'obissants propagandistes d'un rgime dans lequel tout le pouvoir effectif tait concentr entre les mains de Matthys et de
Bockelson. Ce rgime tait une thocratie dans laquelle
la communaut paracltique avait dvor l'tat. Et le Dieu,
que cette thocratie tait cense servir, tait Dieu le Pre
-ce Pre jaloux et exigeant qui, dans sa toute-puissance,
avait fascin l'imagination de tant de millnaristes dans le
pass. C'tait le Pre, non le Fils, que Matthys et Bockelson
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384_ LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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direction de Jan Matthys. Son premier geste fut de confisquer les biens des migrants. Toutes les reconnaissances de
dettes, les livres de comptes et les contrats trouvs dans
leurs maisons furent dtruits. Tous les vtements, la literie,
le mobilier, la quincaillerie, les armes et les stocks de nourriture furent enlevs et placs dans des dpts. Aprs avoir
pri trois jours durant, Matthys publia le nom de sept diacres choisis par Dieu pour administrer ces magasins. Les
pauvres furent invits s'adresser eux, afin de recevoir
des marchandises correspondant leurs besoins 16
Malgr la popularit de ces mesures auprs des bnficiaires, le fait qu'elles taient excutes sur l'ordre d'un
tranger arriv de frache date dans leur ville suscita le mcontentement ; un forgeron critiqua publiquement Matthys.
Le prophte le fit arrter aussitt et emmener sur la place
du march. Toute la population y fut convoque; et Matthys,
entour de gardes du corps, pronona un discours dans
lequel il dclara que le Seigneur tait outrag par les calomnies diriges contre son prophte, et qu'Il se vengerait sur
la communaut tout entire si le forgeron impie n'tait pas
arrach du corps des lus. Les rares citoyens minents qui
protestrent contre l'illgalit du procd furent eux-mmes
jets en prison et Matthys poignarda, puis fusilla le forgeron. La foule fut avertie que c'tait l un exemple mditer
et entonna un hymne avec soumission avant de se disperser17
La terreur avait commenc, et c'est dans une atmosphre
de terreur que Matthys procda la mise en place du communisme qui planait dj depuis plusieurs mois, en une
magnifique vision millnariste, dans l'imagination des anabaptistes. Une campagne de propagande fut lance par
Matthys, Rothmann et les autres prdicateurs. On annona
que les vrais chrtiens ne devaient pas possder d'argent en
propre, mais mettre leur argent en commun; il en dcou-
386_ LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
lait que tout l'argent, ainsi que les ornements d'or et d'argent, devaient tre remis aux autorits. Tout d'abord, cet
ordre rencontra une vive opposition ; certains anabaptistes
enterrrent leur argent. Matthys rpliqua en intensifiant la
terreur. Les hommes et les femmes qui ne s'taient fait baptiser qu'au moment des expulsions furent runis et informs qu' moins que le Pre ne leur pardonnt, ils devraient
prir par l'pe des justes. On les enferma ensuite dans une
glise, o ils furent laisss dans l'incertitude pendant de
longues heures : jusqu' ce qu'ils fussent compltement
dmoraliss. Enfin, Matthys pntra dans l'glise avec une
troupe d'hommes arms. Ses victimes ramprent vers lui
genoux, l'implorant, en tant que favori du Pre, d'intercder
en leur faveur. Il le fit, ou fit semblant de le faire et finit par
informer ces tres misrables et terrifis qu'il avait gagn
leur pardon et que le Pre consentait les recevoir dans la
communaut des justes. Aprs cet exercice d'intimidation,
Matthys pouvait carter toute inquitude quant au moral de
la Nouvelle Jrusalem.
La propagande contre la proprit prive de l'argent se
poursuivit pendant des semaines, accompagne la fois par
les plus allchantes promesses et par les plus abominables
menaces. On fit de la restitution de l'argent le critre du
christianisme authentique. Ceux qui ne s'inclinaient pas
taient vous l'extermination, et il semble que quelques
excutions aient eu lieu. Aprs deux mois de pression
constante, la proprit prive de l'argent fut effectivement
abolie. Dsormais l'argent n'tait utilis qu' des fins publiques impliquant des transactions avec l'extrieur - location
de mercenaires, achat de fournitures, propagande. Les artisans de la ville, au contraire, recevaient leurs salaires, non
pas en argent, mais en espces ; et il semble qu'ils n'taient
-387
plus pays par des employeurs privs mais par le gouvernement thocratique8
On prit aussi des mesures pour instaurer une proprit
communale des denres. chaque porte de la ville, on installa un rfectoire communal o les femmes de service sur
les remparts dnaient ensemble, les repas tant accompagns de lectures de l'Ancien Testament. Chacun des rfectoires tait la charge de l'un des diacres nomms par
Matthys. Le diacre tait responsable de la distribution des
rations. Il s'acquittait de cette tche en visitant les demeures
prives, en faisant la liste des denres comestibles qui s'y
trouvaient et en les rquisitionnant suivant les besoins. De
mme, on dut trouver des logements pour les multitudes
d'immigrants. On jugea d'abord suffisant de leur allouer les
monastres et les maisons appartenant aux luthriens et
aux catholiques ; mais la possession exclusive d'un logement fut considre par la suite comme un pch et les portes de toutes les maisons devaient rester ouvertes de nuit
comme de jour19
Toutes ces mesures furent videmment favorises par
l'tat de sige. Pourtant, il est certainement erron de dire
-comme on l'a fait parfois- que le communisme
Mnster se rduisit aux rquisitions rendues ncessaires
par l'tat de guerre. L'abolition du droit de possder de l'argent, la restriction concernant la nourriture et le logement,
taient conus comme des premires tapes menant un
tat o, comme le disait Rothmann, tout appartiendrait
tous et o disparatrait la distinction entre le Mien et le
Tien, ou bien, comme Bockelson le dit plus tard, toutes
choses devraient tre en commun ; il ne devrait plus y avoir
de proprit prive et nul ne devrait fournir de travail, mais
simplement faire confiance Dieu. Rothmann, aprs tout,
avait prn la communaut des biens pour l'lite, bien
388_
avant le dbut du sige ; maintenant, au service des prophtes hollandais, il exigeait que ce mme idal ft transform
en institution sociale et accept par tous. Le mlange familier de millnarisme et de primitivisme apparat trs clairement dans le passage suivant, tir du pamphlet de
propagande qu'il publia, en octobre 1534, l'intention des
communauts anabaptistes des autres villes :
Parmi nous, Dieu - qu'il reoive nos louanges et notre reconnaissance ternelles - a restaur la communaut, telle qu'elle
fut au commencement et telle qu'elle sied aux saints du Seigneur. Nous esprons que parmi nous la communaut est
vigoureuse et glorieuse et, par la grce de Dieu, qu'elle est observe avec un cur aussi pur qu' n'importe quel moment du
pass. Car, non seulement nous avons mis tous nos biens en
commun sous la vigilance d'un diacre, et nous y puisons selon
nos besoins : nous louons Dieu par l'entremise du Christ d'un
seul cur et d'un seul esprit et nous sommes impatients de
nous rendre les uns aux autres toutes sortes de services. Et, en
consquence, tout ce qui a servi les fins de la proprit goste
et prive, comme la vente et l'achat, le travail rmunr, la pratique de l'intrt et de l'usure -mme aux dpens des incroyants - ou le fait de manger et boire la sueur des pauvres
(c'est--dire de faire travailler son prochain pour s'engraisser
soi-mme) et, en vrit, tout ce qui est pch contre l'amour,
tous ces maux sont abolis parmi nous par le pouvoir de l'amour
et de la communaut. Et sachant que Dieu dsire maintenant
abolir de telles abominations, nous voudrions mourir plutt
que d'y revenir. Nous savons que de tels sacrifices plaisent au
Seigneur. Et en vrit nul chrtien, nul saint ne peut satisfaire
le Seigneur s'il ne vit point dans une telle communaut ou du
moins ne dsire de tout son cur y vivre.
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390- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
de leur ignorance en matire de culture livresque et dclaraient que c'taient les ignorants qui avaient t choisis par
Dieu pour racheter le monde. Quand ils firent le sac de la
cathdrale, ils prouvrent un plaisir particulier souiller,
dchirer et brler les livres et les manuscrits de sa vieille
bibliothque. Enfin, au milieu de mars, Matthys proscrivit
tous les livres sauf la Bible. Toutes les autres uvres, mme
celles qui figuraient dans des collections prives, devaient
tre apportes sur la place de la cathdrale et jetes dans un
grand feu de joie. Cet acte symbolisait une rupture complte avec le pass, et surtout un rejet absolu de l'hritage
intellectuel des gnrations prcdentes. En particulier,
il privait les habitants de Mnster de tout accs aux spculations thologiques depuis les Pres de l'glise, et par lmme assurait les chefs anabaptistes du monopole de
l'interprtation des critures 21
la fin de mars, Matthys avait tabli une dictature absolue; mais il mourut quelques jours plus tard. Pques,
il reut ce qu'il crut tre un ordre divin lui enjoignant de
faire une sortie la tte d'une simple poigne d'hommes.
Il partit, convaincu qu'avec l'aide du Pre, cette poigne
d'hommes repousserait l'arme assigeante et librerait la
ville; au lieu de quoi ses compagnons et lui furent littralement taills en piceS 22 Cet vnement ouvrit la voie au
jeune disciple de Matthys, Jan Bockelson, qui jusque-l
n'avait pas jou un grand rle, mais qui tait, tous
gards, en mesure de tirer parti de ce hasard et d'en profiter au maximum. Personnellement, il avait toutes les raisons d'aspirer une compensation prodigieuse, en raison
des humiliations et des checs qu'il avait subis dans sa vie.
N hors mariage, fils d'un maire de village hollandais et
d'une serve de Westphalie, il avait reu une ducation suffisante pour acqurir quelques bribes de culture livresque.
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392- lES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
pris de frnsie, il traversa la ville en courant, nu, puis sombra dans une silencieuse extase qui dura trois jours. Quand
la parole lui revint, il convoqua la population et lui annona
que Dieu lui avait rvl que l'ancienne constitution de la
ville, tant uvre humaine, devait tre remplace par une
nouvelle constitution qui serait l'uvre de Dieu. Les bourgmestres et le Conseil furent privs de leurs fonctions. leur
place, Bockelson s'intronisa lui-mme avec douze Anciens
- sur le modle de l'ancien Isral. Preuve de son habilet
politique: parmi les Anciens, il fit figurer quelques-uns des
conseillers dposs, des reprsentants des guildes, un
membre de l'aristocratie locale et quelques-uns des immigrants hollandais. Ce nouveau gouvernement se vit confrer
l'autorit en toutes matires, publiques et prives, spirituelles et matrielles, ainsi que le droit de vie et de mort sur
tous les habitants de la ville. Une nouvelle lgislation fut
institue, visant, d'une part, poursuivre le processus de
socialisation et, de l'autre, imposer une moralit svrement puritaine 26 Une lgislation du travail plus stricte fut
instaure. Les artisans, qui n'taient pas requis pour leservice militaire, devenaient des employs publics, travaillant
pour la communaut dans son ensemble sans rmunration- institution qui, naturellement, priva bientt les guildes de leur rle traditionnel et provoqua rapidement leur
disparition. Simultanment, le nouveau code prescrivait la
peine capitale non seulement pour le meurtre et le vol, mais
aussi pour le mensonge, la mdisance, l'avarice et la querelle. Surtout, c'tait un code absolument autoritaire; la
mort sanctionnerait toutes les sortes d'insubordination : des
enfants contre leurs parents, d'une femme contre son mari,
de chacun contre Dieu et Ses reprsentants, le gouvernement de Mnster. Ces dernires dispositions ne peuvent
avoir t appliques la lettre ; mais elles procurrent au
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394- LES
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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coup de l'amour libre. On se dispensa de la crmonie religieuse du mariage ; les mariages furent contracts et
dissous avec une grande facilit. Mme en faisant la part de
l'exagration dans les rcits hostiles que nous possdons, il
semble certain que les normes du comportement sexuel au
Royaume des Saints parcoururent tout le chemin qui spare
le puritanisme le plus rigoureux de la promiscuit pure et
simpl~ 9
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FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
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Le nouveau roi fit tout pour mettre l'accent sur la signification unique de son accession. Les rues et les portes de
la ville reurent de nouveaux noms ; les dimanches et jours
de fte furent abolis et les jours de la semaine furent rebaptiss suivant un systme alphabtique ; les noms mmes
des nouveau-ns taient choisis par le roi suivant un style
particulier. Quoique l'argent ne jout aucun rle Mnster,
on cra une nouvelle frappe, purement dcorative. Des
pices d'or et d'argent furent frappes d'inscriptions rsumant tout le rve millnariste, qui donnait au royaume son
sens: Le Verbe s'est fait chair et demeure avec nous,
Un Roi pour tous. Un Dieu, une Foi, un Baptme. Un
emblme spcial fut dessin pour symboliser les prtentions de Bockelson un empire absolu, spirituel et temporel, sur le monde entier : un globe, reprsentant le monde,
perc des deux pes du pouvoir spirituel et temporel (le
pape et l'empereur en avaient port chacun une) et surmont d'une croix o l'on pouvait lire: Un seul roi de justice pour tous. Le roi lui-mme portait cet emblme, sous
forme d'un pendant en or, sur une chane d'or. Ses serviteurs le portaient en insigne sur la manche, et on l'accepta
Mnster comme l'emblme du nouvel tat34
Le nouveau roi s'habillait de robes somptueuses et portait
des bagues, chanes et perons uvrs dans le mtal le plus
fin par les plus habiles artisans de la ville. On nomma des
gentilshommes d'armes et toute une suite d'officiers de
cour. Chaque fois que le roi paraissait en public, il tait
escort de sa suite, elle aussi somptueusement vtue.
Divara, l'pouse principale de Bockelson, fut proclame
reine, et disposa elle aussi d'une suite et d'une cour comme
son mari. Les autres femmes, dont aucune n'avait plus de
vingt ans, taient ses sujettes et lui devaient obissance ;
mais elles taient aussi pourvues de robes magnifiques.
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tard, en 1567, un cordonnier du nom de Jan Willemsen rassembla quelque trois cents militants, dont certains taient
des survivants de l'poque de Mnster, et instaura une
autre nouvelle Jrusalem en Westphalie, cette fois dans la
rgion de Wesel et de Clves. Ces saints pratiqurent eux
aussi la polygamie- Willemsen lui-mme, en tant que messie, avait vingt et une femmes- et pour justifier leurs pratiques, ils firent rimprimer secrtement la Restitution de
Rothmann. En outre, l'anarchisme mystique du Libre Esprit
fournit ces hommes, comme jadis aux adamites de
Bohme, un code communal. Prtendant que toutes choses
leur appartenaient de droit, ils constiturent une bande de
voleurs qui s'attaquait aux rsidences des nobles et des prtres, et finit par pratiquer le terrorisme pur et simple. En
tout, cet pisode dura une douzaine d'annes ; le messie et
ses disciples furent enfin capturs et excuts 51
Notre histoire, qui commena avec Emico de Leiningen
et le Roi Tafur , Tanchelm et Eudes de l'toile, peut se
refermer sur cette dernire image : le bcher o prit
Willemsen, Clves, en 1580.
Conclusions
-413
ficatifs. Les prophtes laboraient leur doctrine apocalyptique partir des matriaux les plus divers - le Livre de
Daniel, l'Apocalypse, les Oracles sibyllins, les spculations
de Joachim de Flore, la doctrine de l'galit naturelle- tous
repenss, rinterprts et mis la porte du peuple. Cette
doctrine tait propage parmi les masses et il en rsultait
quelque chose qui tenait la fois du mouvement rvolutionnaire et de la flambe de mystique salutiste.
Mais cette mystique salutiste se distingue des autres en
ce que le salut promis est la fois terrestre et collectif. C'est
sur cette terre que natra la Cit cleste et ses flicits couronneront non pas les tribulations de l'me individuelle,
mais les exploits piques d'un peuple lu. Et de tels mouvements rvolutionnaires se distinguent des autres par le
caractre illimit de leurs buts et de leurs promesses. L'imagination en vient ainsi confrer un conflit social une importance unique et le distingue de tous les autres conflits de
l'histoire : c'est un cataclysme dont l'univers sortira rachet
et transfigur. Or, c'est l ce qui caractrise de notre temps
les deux grands mouvements totalitaires, le communisme
et le nazisme, surtout au stade de leur naissance rvolutionnaire. Ce qui distingue ces mouvements des partis politiques europens traditionnels, c'est prcisment cette faon
de confrer des espoirs ou des conflits sociaux une signification transcendante, le mystre et la majest du
drame eschatologique. En ce sens, on peut considrer notre rcit comme un prologue aux grands soulvements rvolutionnaires de notre sicle.
Les idologues communistes et nazis ont eux-mmes
devin cette parent. Rosenberg consacra un long chapitre
de son livre, Le mythe du XJt sicle, un expos enthousiaste,
quoique peu sr, des thories mystiques allemandes du
XVIe sicle et il rendit un hommage particulier aux bgards
414_
et aux bguines ainsi qu'aux Frres du Libre Esprit. Un historien nazi s'attacha pour sa part interprter le message
du Rvolutionnaire du Haut-Rhin. Quant aux communistes, ils continuent d'enrichir de nombreux volumes le culte
de Thomas Mntzer inaugur par Engels. Mais, si dans ces
ouvrages les prophtes d'une poque rvolue apparaissent
comme de lointains prcurseurs, il est parfaitement possible de faire le raisonnement inverse et de considrer qu'en
dpit de leur utilisation des techniques les plus modernes,
le communisme et le nazisme s'inspirent de mythes profondment archaques. Tel est bien le cas. On peut montrer
(une dmonstration dtaille exigerait un autre volume)
qu' bien des gards les idologies communistes et nazies,
quelques grandes que soient leurs diffrences, doivent toutes deux beaucoup ce trs ancien corps de doctrine que
constitue la tradition apocalyptique populaire. Il est vrai
qu'au XI~ sicle cette tradition apocalyptique fut rinterprte en termes modernes. Un mode de pense franchement
et navement sumaturaliste fut peu peu remplac par une
attitude sculire et qui se prtendait mme scientifique, si
bien que les revendications autrefois formules au nom de
la volont de Dieu le furent alors au nom des fins de l'histoire. Mais l'exigence resta la mme: purifier le monde en
liminant les agents de sa corruption.
Pour ce qui est du nazisme, l'inspiration apocalyptique
saute aux yeux. Hitler fut considr par ses partisans
comme un messie qui allait renouveler toute chose ; et le
Millnium nazi - cet empire qu'il promit, dans une phrase
clbre, d'tablir pour mille ans - devait tre un empire o
(tout comme dans les rves du Rvolutionnaire du HautRhin) la race des seigneurs, la race germanique dominerait
les races infrieures, devenues leurs esclaves. Le sang
aryen, selon Rosenberg, tant la substance mme de la di-
-415
vinit, et ceux chez qui ce sang tait cens tre le plus pur
-par exemple, les SS- taient dresss se considrer
comme des surhommes ayant droit une domination absolue de la terre. Mais, avant que cet idal pt tre ralis, un
vaste combat devait tre engag - un combat l'chelle
mondiale, un combat qui dciderait de tout le sort venir
de l'humanit. Rien de plus faux que de considrer Hitler
et ses associs comme des nationalistes ordinaires ou
mme comme des racistes ordinaires. Leur imagination
tait obsde par un mythe trs spcial : ils taient convaincus que la juiverie internationale se livrait un effort
gigantesque et secret pour dominer et enfin dtruire le
monde. Et ils se voyaient vraiment comme des sauveurs dsigns par Dieu pour dlivrer l'humanit aryenne, qui seule
compte, de ce pril monstrueux. Comme l'a dit Hitler bien
des annes avant sa prise de pouvoir: Si le Juif, l'aide
de sa doctrine marxiste, conquiert les peuples de la terre, sa
couronne sera la danse macabre de l'humanit, et cette
plante sera vide nouveau de tout tre humain, tandis
qu'elle voguera travers l'ther, comme il y a des millions
d'annes ... Aussi suis-je convaincu qu'aujourd'hui j'agis en
vrit selon la volont du tout-puissant Crateur; en m'opposant au Juif, je mne le combat du Seigneur. 1
La tournure religieuse est remarquable et prend tout son
sens si on fait le lien avec un livre auquel les nazis attachaient une norme importance : les Protocoles des Sages de
Sion. Une partie de l'histoire de cet ouvrage clbre est assez bien connue. Ce pamphlet prtend contenir un plan dtaill pour l'tablissement de la domination juive sur toutes
les nations de la terre- un plan qu'un groupe mystrieux
de Juifs est cens avoir tabli et (imprudence tonnante)
consign par crit Ble en 1897. En ralit, ce pamphlet
s'est rvl tre un faux vulgaire, fabriqu de toutes pices
416_
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ouvrire dans le dernier des abmes de pauvret et de servitude. Cette image qui continue dominer la pense communiste jusqu' ce jour n'a videmment aucun rapport avec
le dveloppement vritable du capitalisme au rr sicle ; en
fait, elle tire son origine d'un trs lointain pass. La vision
communiste du capitalisme contemporain nous offre la version scularise de cette croyance trs ancienne qui veut
que l'aube du Millnium soit immdiatement prcde
d'un ge d'angoisse et de tyrannie inoues : dernier et
furieux effort des pouvoirs sataniques, rgime monstrueux
de l'Antchrist.
C'est une vision remarquablement mal adapte aux socits industrielles modernes et qui ne s'est rvle efficace
que dans des socits arrires et traditionalistes en tat
de dcomposition. Fait significatif car, bien que Lnine se
considrt lui-mme comme le plus pur des marxistes, ses
manires de penser fondamentales et son comportement
politique ont leur origine dans un monde beaucoup plus
primitif que celui de Marx. En particulier, en crant le parti
bolchvique, Lnine mit le cap sur une direction qui aurait
horrifi Marx, comme elle horrifia les socialistes, y compris
les marxistes de tous pays, y compris la Russie. Ds lors, les
communistes eurent le sentiment d'appartenir une lite
doue d'un pouvoir de vision unique quant au but de
l'histoire et charge d'un rle unique dans la ralisation
de ce but.
Ils furent amens par l se considrer comme placs
infiniment plus haut que le reste de l'humanit, y compris
le proltariat, et ils se sont conduits en consquence. Les
partis communistes peuvent bien continuer parler de la
lutte entre le proltariat et la bourgeoisie, ce qu'ils
cherchent en fait raliser, et ce qu'ils ralisent partout o
ils sont au pouvoir, c'est l'crasement de tous ceux qui
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424-
groupe autonome qui s'affermirait alors comme un mouvement de type trs particulier, pouss par un enthousiasme
dlirant n du dsespoir.
tant donn leur situation prcaire, ces gens taient susceptibles de ragir avec violence toute rupture du mode
normal et familier de l'existence. maintes reprises, on
constate que telle ou telle explosion de millnarisme rvolutionnaire se droule sur un arrire-plan catastrophique :
ainsi des pestes qui prludrent la Premire Croisade et
aux mouvements de flagellants de 1260, 1348-1349, 1391 et
1400 ; des famines qui prludrent la Premire et la
Seconde Croisade, ainsi qu'aux croisades populaires de
1309-1320, au mouvement flagellant de 1296, aux mouvements d'Eudes de l'toile et du pseudo-Baudouin; on citera
galement la hausse spectaculaire des prix qui prluda la
rvolution de Mnster. La plus forte pousse chiliastique
qui balaya la socit dans son ensemble fut suscite par le
dsastre naturel le plus gnral du Moyen ge, la Peste
Noire. Ici encore, c'est dans les couches infrieures de la
socit que l'excitation dura le plus longtemps et qu'elle
s'exprima par des massacres. On se rappelle la situation
qui, bien des sicles plus tard, devait amener Hitler au pouvoir : les dsastres conomiques de l'inflation et du chmage massif, le sentiment crasant d'impuissance, de
confusion et de dsorientation qu'ils suscitrent dans les
masses allemandes.
Les masses dracines des pauvres n'taient pas seulement branles par ces bouleversements et ces dsastres
particuliers qui affectaient directement leur situation matrielle. Ils ragissaient aussi de manire particulirement
vive au processus moins dramatique mais tout aussi inexorable qui branlait petit petit, gnration aprs gnration,
l'autorit qui avait longtemps servi de cadre la vie mdi-
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taient des mgalomanes, d'autres des imposteurs, et nombre d'entre eux les deux la fois. Mais tous possdaient un
point commun: chacun se prtendait charg de l'incomparable mission d'amener l'histoire son accomplissement
prtabli. Ces prtentions influenaient profondment les
groupes qui se constituaient autour d'eux. Car les prophtes
n'offraient pas seulement leurs disciples une occasion
d'amliorer leur sort et d'chapper des angoisses pressantes, mais aussi la perspective d'accomplir une mission Hxe
par Dieu, capitale et prodigieuse. Ils furent rapidement
envots par ce rve. Alors se constituait un groupe d'une
espce particulire, prototype d'un parti totalitaire moderne,
impitoyable et en constante fermentation, obsd par des
chimres apocalyptiques et pntr de sa propre infaillibilit; ce groupe se sentait trs loin au-dessus du reste de
l'humanit et repoussait toute prtention autre que celle inhrente sa prtendue mission. Et il arrivait parfois, bien
que ce ne ft pas toujours le cas, que ce groupe parvnt
imposer sa loi la grande masse des tres dsorients,
inquiets et apeurs.
Des promesses millnaires et illimites exprimes avec
une conviction illimite et prophtique devant un certain
nombre d'hommes dracins et dsesprs dans le cadre
d'une socit dont les normes et les liens traditionnels sont
en voie de dsintgration, telle est, semble-t-il l'origine de
ce fanatisme souterrain qui constituait une menace perptuelle pour la socit mdivale. Il n'est pas interdit de suggrer que telle est galement l'origine des gigantesques
mouvements fanatiques qui, notre poque, ont secou le
monde entier.
Notes
INTRODUCTION
r.
2.
3
4
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4326.
7
8.
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10.
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17.
18.
19.
Papias, cols. 1258-1259 Ce fragment est conserv dans Irne, cols. 12131214. Cf. Apocalypse de Baruch, XXIX, p. 498.
Commodianus (1), p. 53-61 et (2}, p. 174-180. On situe aujourd'hui
Commodianus au V plutt qu'au me sicle. Cf. Oxford Classical Dictionary, 1949, p. 222.
Ces peuples figurent dans toute l'apocalyptique mdivale. Cf. Bousset
(2), p. 113-131 et Peuckert, p. 164-171. A l'origine, dfinis comme des
habitants des rgions septentrionales, on les situa par la suite de l'autre
ct du Caucase, ce qui permettait de les assimiler plus facilement aux
hordes qui surgissaient priodiquement du fin fond de l'Asie centrale.
Cf. Ezchiel, 38-39 et Apocalypse, xx, 8-9.
Saint Augustin, Livre XX, chap. VI-XVII (vol. II). Sur la suppression des
chapitres d'Irne, cf. Gry, p. 74 et P.L., note du col. 1210 d'Irne.
Sur les sibyllines juives et chrtiennes primitives, cf. Lanchester. Voir
l'dition rcente de ces oracles par Kurfess (source originale). Le
livre VIII joua un rle essentiel dans l'volution de la tradition sibylline
en Europe au Moyen Age.
Sur le mythe de l'Empereur eschatologique au Moyen Age, voir l'tude
dsormais classique de Kampers (1). Voir aussi Bemheim, p. 63-109, et
Dempf, p. 255-256. Kampers (2) traite surtout des versions prchrtiennes du roi-sauveur.
Pour le texte latin de la Tiburtina: voir Tiburtina et aussi Sackur. (Sources Originales). Cette version date d'environ 1047. On trouvera la liste
des diffrentes versions de la Tiburtina dans Hbscher, p. 213-214.
Pour le texte de Pseudo-Methodius, en latin, voir Pseudo-Methodius et
Sackur (S.O.). Cette traduction est l'uvre d'un moine grec ou syrien
vivant Saint-Germain-des-Prs au vme sicle.
On trouvera une analyse dtaille du symbole de l'Antchrist dans
Bousset (1), p. 142-189.
Hildegarde (1), col. 713. La vision XI constitue une excellente source sur
les croyances populaires mdivales concernant l'Antchrist.
Sur l'influence de l'eschatologie sur la politique au Moyen ge, cf.
Bernheim, p. 69-101. Sur l'exploitation dynastique des Oracles sibyllins : Kampers (1), passim.
Sur l'attente de l'Antchrist au Moyen Age: Wadstein, p. 81-158, et
Preuss, notamment p. 21.
Sur le sentiment de scurit des paysans sous le rgime fodal, voir
Bloch (2), p. 72-95, 192 et (3), p. 367-428 ; Pirenne (5), p. 56-61 et (7),
p. 100-104 ; Power (2), p. 716-722 ; Thalamas, p. 145-157.
Cf. Bloch (2), p. 163-170 et (3), p. 190-220; Thalamas, p. 157-158.
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20.
21.
CHAPITRE I
LES PREMIERS MOUVEMENTS MESSIANIQUES EUROPENS
I.
434- LES
2.
5
6.
7
8.
9
10.
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
Pirenne (4), p. n6-n9, rfute de manire convaincante la thorie courante selon laquelle Tanchelm aurait t hrtique ds sa mission auprs
du Saint-Sige. Sur son expulsion de Bruges, cf. Meyer (Jacob) (Sources
originales), p. 37
Sur la reprise des affaires et la rvolution communale: Pirenne (3),
p. 134-137 et (7), p. 164-165, 187-188 ; Postan, p. 251-252. Sur les rapports entre la rvolution communale et le mouvement de Tanchelm :
Alphandry (2), p. 14 ; Pirenne (5), vol. 1, p. 365-367. Notre rcit de
l'aventure de Tanchelm s'inspire surtout de la lettre du chapitre
d'Utrecht (cf. SO) de II12. Pour des dtails complmentaires, voir Continuatio Praemonstratensis (sous la rubrique: Sigebert de Gembloux)
p. 449 ; Vita S. Norberti A (rdige vers II57-n6o ?) et Vita S. Norberti B
(n55-n64 ?) qui s'inspirent toutes deux, semble-t-il, d'une vie de
Norbert disparue. (Cf. Potthast, vol. II, p. 1494). On s'est interrog sur la
valeur de ces rcits. Philippen montre que tous ces crivains avaient intrt jeter sur Tanchelm le plus grand discrdit. Mais sa thorie, selon
laquelle toutes les sources ultrieures ne font que dmarquer la lettre du
chapitre, qui est sans valeur, est dmentie par les sources elles-mmes.
On verra, par ailleurs, que le cas de Tanchelm n'avait rien d'exceptionnel. Seules les accusations concernant les murs dissolues de
Tanchelm semblent pr-fabriques et sans doute calomnieuses. On trouvera des analyses rcentes sur Tanchelm dans Essen, Janssen (H.Q.), et
Philippen.
Lire ce sujet : Les libertins d'Anvers, lgende et histoire des lostes de
Georges Eekhoud, Aden, collection Opium du peuple, 2009 [note de
l'diteur].
Sur les prtentions de Tanchelm la divinit voir notamment Ablard,
Lib. II, col. 1056.
Sur la mort de Tanchelm: Contin, Praemonstr., loc. cit. et Meyer (J.) loc.
cit. La chronologie concernant Tanchelm est loin d'tre claire.
Sur les fondations de saint Norbert, cf. Fredericq (S.O.), vol. 1, p. 24-25 et
vol., II p. 3-6 ; Philippen, p. 256-269.
L'tude la plus complte sur Eudes de l'toile est celle de William de
Newburgh, lib. 1, cap. XIX, p. 97-98, qui reproduit certains textes
concernant les superstitions populaires son sujet. Cf. Chronicon Britannicum, p. 558; Auctarium Gemblacensis (R.H.F.), p. 273-274, et Contin,
Praemonstr., p. 454 (sous la rubrique Sigebert de Gembloux) ; Otto de
Freising, p. 81 ; Petrus Cantor, p. 229-230.
Otto de Freising, loc. cit. ; William de Newburgh, loc. cit.
Alphandry et Dupront, p. 166.
n.
12.
13.
14.
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41.
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45
46.
au dbut du xme sicle ; mais les passages concernant les Tafurs furent,
semble-t-il, rarement reproduits. On a soutenu que ces deux popes taient
dues Richard le Plerin, mais il semble peu vraisemblable qu'elles aient
t rdiges par un seul homme. la Conqute de jrusalem dcrit la croisade
du point de vue des pauvres et est plus prcieuse pour la psychologie des
croiss que pour l'histoire mme de la croisade du peuple en Orient. Des
Tafurs, elle ne retient que la lgende. la Chanson d'Antioche en donne une
analyse plus sobre, moins flatteuse, et sans doute plus vridique. Sur le mot
Tafur : trudannes que Guibert, p. 242, donne comme synonyme de
Tafurs est une variante de trutani, (vagabonds, mendiants). Dans la
Conqute (p. 72), les pauperes de l'arme provenale semblent troitement
lis aux Tafurs, et dcrits en termes semblables.
Guibert, p. 242.
Conqute, p. 163Raymond d'Aguilers, p. 249.
Conqute, p. 165-166. Cf. Anonymi Gesta Francorum, p. 204-205.
Conqute, p. 243-253.
Chanson, p. 6-7.
Conqute, p. 64-67 ; 82-83 ; 19r-r93 ; 193-195.
Anonymi Gesta, p. 162-164.
Raymond d' Aguilers, p. 300.
Ibn al-Qalanisi, p. 48.
Raymond d'Aguilers, loc. cit. Cf. Du Cange (uvres principales) sur le
sens d'exanitio.
Anonymi Gesta, p. 204-206; Conqute, p. 178-179.
D'autres attaques contre les Juifs avaient eu lieu en Espagne lors de la
croisade contre les musulmans en 1064, mais une chelle bien
moindre. Sur l'antismitisme lors des premire et deuxime croisades:
Parkes, p. 61-89.
Sigebert de Gembloux, p. 367.
Cf. Guibert (2), p. 240 ; Richard de Poitiers, p. 4rr-412.
Anonyme de Mayence-Darmstadt, p. 17r-r72 ; Eliezer bar Nathan, p. 154156 ; Salomon bar Simeon, p. 84 ; Bemold de Constance, p. 464-465.
Voir aussi pour les sources hbraques : Elbogen, Porgs et Sonne.
Mayence: Anonyme de Mayence-Darmstadt, p. 178-180; Eliezer, p. 157158; Salomon, p. 87-91; Albert d'Aix, p. 292; Annalista Saxo, p. 729.
Trves : Salomon, p. 131 et sq. ; Gesta Treverorum, Continuatio I, p. 182,
190. Metz: Salomon, p. 137. Cologne: Eliezer, p. 160-163; Salomon,
p. rr6 et sq. Regensburg (Ratisbonne): Salomon, p. 137. Prague:
Cosmas de Prague, p. 164.
-437
Cf. Ephraim bar Jacob, p. 187 et sq. ; Otto de Freising, p. 58-59 ; Annales
Herbipolenses, p. 3; Annales Rodenses, p. 718-719 (source contemporaine
favorable Raoul contre saint Bernard); Annales S. jacobi Leodiensis minores, p. 641. Voir aussi: Bernard (3) et (4) ainsi que Setton et Baldwin,
p. 472-473 (par V.G. Berry).
48. Joseph ha-Cohen, p. 24.
49 Anonyme de Mayence-Darmstadt, p. 170.
50. Guibert (2), p. 240 ; Richard de Poitiers, p. 4II.
51. Salomon, p. 88-89.
47
CHAPITRE II
LES SAINTS CONTRE LES COHORTES DE L'ANT~CHRIST
1.
2.
4
5
6.
8.
Cf. Matthieu vm, II ; Luc xm, 29 ; Marc XIV, 25 ; Luc XXII, 16. Irne,
cap. XXIII, col. 1212. Dans Baruch et Ezra, comme dans le Talmud, les
saints dneront de la chair de Behemoth ou de Lviathan.
Cf. Ekkehard d'Aura, p. 54-56 (cap II) et Marc XIII.
Adson, moine puis abb de Montier-en-Der, rdigea son ouvrage la demande de Gerberge, pouse de Louis IV (d'Outre-mer).
Kampers (1), p. 30-39.
Benzo d'Albe, p. 605, 617, 623.
Sur les Oracles sibyllins durant la Premire Croisade: Erdmann (1), p. 413
et (2), p. 276-278 ; Heisig (passim). Sur la rsurrection de Charlemagne :
Ekkehard (1), p. 120-121 (cap. XI).
Bndict, moine de Saint-Andr sur le Mont Soracte, dcrit, dans la seconde moiti du X: sicle (cols. 32-36), un plerinage massif Jrusalem
sous la direction de Charlemagne. Mais ce texte ne semble gure avoir
enrichi la lgende. Ce n'est qu'au moment de la Premire Croisade que
surgit l'histoire de la croisade arme de Charlemagne, notamment dans
la Descriptio (S.O.), un faux d aux moines de Saint-Denis et destin expliquer la prsence dans leur abbaye de la couronne d'pines et autres
reliques. Sur la propagation de cette lgende et sur sa valeur de propagande voir Rauschen, p. 14I-I47 Parmi les chroniques de la croisade,
Anonymi Gesta Francorum, p. 4 et l'Appel d'Urbain par Robert le Moine,
p. 728, sont seuls faire tat de l'itinraire suppos de Charlemagne.
Heisig, p. 52 et sq.; Kampers (1), p. 58. L'image du hros assoupi qui
attend son heure dans une grotte ou sur une montagne tait aussi commune au Moyen Age que dans les autres folklores. La survie et le retour
du roi Arthur suscitaient des espoirs fort rpandus et intenses. Quant
Frdric II Hohenstauffen, voir notre chapitre V.
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9
10.
21.
22.
23.
24.
25.
-439
Bulard (p. 225 et sq.) tablit, sur une base iconographique, que l'on
croyait mme que les Sarrasins avaient particip avec les Juifs la crucifixion.
Cf. Baron, Caro, vol. II ; Kisch ; Parkes ; Roth.
Irne, col. 1205. La rfrence Dan s'inspire de Gense XLIX, r6-q.
On trouvera une version rigoureusement antismite de la lgende de
l'Antchrist dans Hippolyte ( ?), notamment cols. : 920, 928, 944 Les
Protocoles de Sion, qui ont exerc une influence si considrable notre
poque, s'inspirent directement de la lgende de l'Antchrist. Ils figurent pour la premire fois dans an volume russe publi en 1905 sur le
thme de l'avnement imminent du rgne de l'Antchrist impos par
ses agents juifs.
Adson, p. ro6-ro7. Un dicton populaire (cit par Wadstein, p. 129,
note 3) ajoute l'inceste : Un paillard juif abominable f Connatra charnellement sa propre Hile.
Cf. Trachtenberg. Sur les tournois juifs: Burdach (3); sur le symbolisme
animal : Trachtenberg et Bulard ; sur la magie noire la synagogue :
Chanson de Roland (extrait cit ci-dessus).
35
36.
37
440-
CHAPITRE III
DANS LE RESSAC DES CROISADES
1.
16.
17.
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19.
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21.
22.
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26.
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29.
JO.
JI.
J2.
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48.
CHAPITREN
L'EMPEREUR FRD~RIC COMME MESSIE
r.
2.
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4
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10.
II.
444- lES
12.
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14.
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19.
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21.
22.
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
comment cette histoire fut modifie par l'imagination populaire est celui
de la Reimchronik d'Ottokar, vers 32 324 sq (p. 423 et sq.). Ottokar, un ancien mnestrel qui crit entre 1305 et 1320, semble s'tre inspir d'une
version populaire autrichienne marque d'une forte influence pseudojoachimite qui reconnaissait le monarque de Neuss comme le vritable
Frdric Il. Cf. Meyer (Victor); Schultheiss, p. 24-47; Voigt, p. 145 et sq.;
Winkelmann.
Continuatio Anglica (voir sous la rubrique Martin de Troppau), p. 252.
Cf. la lettre cite en note dans Vita Henrici, p. 462.
Salimbene, p. 537
31.
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50.
51.
52.
53-
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CHAPITRE V
UNE LITE DE RDEMPTEURS SACRIFICIELS
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Salimbene, p. 466.
Sur le mouvement de 1261-62 au nord des Alpes: Chronicon rhytmicum
Austriacarum, p. 363 ; Annales Mellicenses, Suites, Mellicensis, p. 509,
Zwetlensis III, p. 656 ; Sancrucensis II, p. 645 ; Annales Austriacarum,
Continuatio Praedicatorum Vindobonensium, p. 728; Ellenhard {I), p. 102
et sq. (sur les processions Strasbourg); Henry de Heimburg, p. 714;
Hermann d'Altaha, p. 402. Ce mouvement se propagea jusqu'en
Pologne et en Bohme : Annales Capituli Cracoviensis, p. 6oi ; Baszko de
Poznan, p. 74; Pulkava de Radenin, vol. III. p. 232.
9
Hbner, p. 33-92.
10. La Lettre cleste est reproduite par Closener (p. III et sq.). Bien qu'il
s'agisse ici du mouvement de 1348-1349 la lettre semble dater de 1262.
C( Hbner, p. 54 et sq.; Pfannenschmid, p. 155 et sq.
II.
Chronicon rhythmicum Austriacarum, p. 363. Baszko de Poznan dsigne
mme les flagellants sous le nom de secta rusticorum , cf. Hbner,
p. 19-20.
12. Siegfried de Balnhusin, p. 705. Le rcit de Pulkava, loc. cit., est bien plus
tardif et maill de nombreuses erreurs.
13- Annales Veterocellenses, p. 43
14. Closener, p. 104 ; et note 5
15. Coulton; Hecker; Nohl et Hoeniger.
16. Kalendarium Zwetlense, p. 692 ; Annales Austriacarum, Continuatio
Claustroneoburgensis, V, p. 736. Ces deux sources tablissent formellement que les flagellants se montraient dj actifs en Autriche avant l'arrive de la peste.
17. Lechner, p. 443 et sq., contredit par Hbner, p. 12-13.
18. Robert d' Avesbury, p. 407-408
19. Closener, p. 105 et sq. ; Muisis, p. 349, 354-355
20. Breve Chronicon Flandriae, p. 26; Muisis, p. 354-355 pourles Pays-Bas et
Chronicon S. Petri vulgo Sampetrinum Erfurtense pour Erfurt, p. 180.
21. Voir du Fayt, p. 703 et sq. ; Henry d'Herford, p. 281 ; Hugues de Reutlingen,
p. 21 et sq.; Matthieu de Neuenburg, p. 265-267; Muisis, p. 355 et sq.;
Twinger, vol. IX, p. 105 et sq.
22. Gilles van der Hoye, p. 342 ; du Fayt, p. 704 et la chronique en langue
vulgaire dans Fredericq (S.O.), vol. III, p. 15.
23. Hbner reproduit le texte de ces hymnes.
24. Henry d'Herford, p. 268.
25.
26.
27.
28.
29.
JO.
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J2.
JJ
J4
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J6.
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J8.
J9
40.
41.
42.
4J
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46.
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448_
1350) d'o est tire notre citation: Notae Colonienses, p. 365 ; Ennem et
Eckertz, vol. IV, no 314, 385. Cf. Weyden, p. r86 et sq.
47 Muisis, p. 342-343.
48. Boendaele, vol. 1, p. 588-593 : du Fayt, p. 705-707 ; on trouvera une ver-
49
50.
sr.
52.
53
54
55
56.
57
58.
59
6o.
6r.
62.
63-
64.
65.
66.
67.
68.
6g.
sion en bas allemand de Jan van der Beke dans Fredericq (S.O.), vol. I,
p. 196-197.
Clement VI, p. 471.
Ibid. et Detmar Chronik, p. 275. Cf. Werunsky, p. 300 et sq.
Muisis, p. 361 et les sources mentionnes dans Fredericq (S.O.), vol. II,
p. 20-21, n6-n7 et Kervyn de Lettenhove (2), vol. III, p. 358.
Erfurt : Chronicon S. Petri vulgo Sampetrinum, p. 180 ; Aachen : Haagen,
vol. 1, p. 277 ; Nuremberg : Lochner, p. 36.
Zantfliet, p. 358.
Breve chronicon Flandriae, p. 14; Matthieu de Neuenburg, p. 267, no 2.
Du Fayt (S.O.) et Fredericq (2).
Guillaume de Nangis, suite III, vol. II, p. 217 ; Egasse du Boulay, (S.O.),
vol. IV, p. 314.
Andr de Regensburg, p. 2II2 ; Benessius Krabice de Weitmhl, p. 516 ;
Closener, p. 120 ; Francis de Prague, p. 599 ; Froissart, vol. IV, p. 100 ;
Magdeburger SchOppenchronik, p. 206.
Annales breves Solmenses, p. 449 ; Tilemann Ehlen, p. 33 ; voir les sources
dans Fredericq (S.O.), vol. II, p. 112-rr8.
Henry de Herford, p. 282.
Magdeburger Schoppenchronik, p. 219.
Pour les Pays-Bas et notamment la rgion de Tournai: Fredericq (1);
d'Utrecht: Synode d'Utrecht, 1353; de Cologne: Synodes de Cologne,
1353 et 1357, p. 471, 485-486.
Duplessis d'Argentr (S.O.), p. 336-337. Ce mouvement avait pour chef
un certain Domenico Savi d'Ascoli.
Nous nous sommes appuy sur des documents reproduits dans Stumpf
et Forstemann, Appendice Il. Sur les documents 2 et 3 de Stumpf, on
consultera galement Schmid (1) et (2) dans S.O. ; Haupt (12) s'est attach au personnage de Schmid. Sur l'histoire de la secte: Forstemann,
p. 159-181 ; Haupt (5), p. II7 et sq. et (Il).
Chron. S. Petri vulgo Sampetrinum, p. 180.
Grauert (1) ; Kampers, (1), p. 97-109.
Pierre de Zittau, p. 424 et sq. Cf. Grauert (2), p. 703 et sq.
Haupt (5), p. n8, note.
Komer (S.O.), col. 1IIJ.
Grgoire XI (1).
-449
CHAPITRE VI
PAR-DEL LE BIEN ET LE MAL: UNE LITE DE SURHOMMES (1)
I.
2.
5
6.
7
8.
9
10.
Borst, Guiraud (vol. 1) et Runciman (1) sont loin d'tre les seuls ouvrages
importants rcemment consacrs l'tude du catharisme; il n'existe en
revanche que deux tudes exhaustives de l'hrsie du Libre Esprit :
Mosheim (2), publi en 1790 et Jundt, publi en 1875. Sur l'tat actuel
des recherches en ce domaine: Grundmann (4).
La dnomination de Libre Esprit vient de 2 Corinthiens III, 17 : O est
l'Esprit du Seigneur, l est la libert.
L'existence de l'hrsie du Libre Esprit a t mise en doute par l'minent
historien ecclsiastique Karl Mller; cf. Mller (1), p. 612 et (2) passim.
Niesel s'est attach avec succs rfuter les arguments de Mller (2).
Toutes les versions connues de Schwester Katrei contiennent de longues
interpolations de thologie catholique orthodoxe. On aura une ide de
l'original en combinant les deux versions publies. Cf. Pfeiffer, Birlinger
dans SO et Simon.
Cf. Preger (2) (S.O.).
L'exactitude des rcits catholiques est galement atteste par les documents concernant une hrsie trs proche, quoique infiniment plus
rduite, en Italie, au XIV sicle. Voir Oliger.
Voir, par exemple, Underhill, notamment p. 778.
Runciman (1), notamment p. 21-25, 28-29.
Cf. Trithmius (1), vol. 1, p. 450-452.
Synode de Reims, II57 p. 843.
450rr.
12.
1314.
15.
16.
17.
18.
Sur les rapports entre les pifres et les femmes de leur entourage, le synode dit captivas ducunt mulierculas orenatas peccatis , mais cette formule qui reprend verbatim 2 Timothe ni, 6 n'a sans doute qu'une
valeur de mtaphore. Il serait donc erron de la prendre au pied de la lettre, comme Guiraud, p. 6 par exemple.
Caesarius d'Heisterbach, p. 298-299 ; Chronica regia Coloniensis, p. 778 ;
cf. Schmidt, vol. I, p. 95-96.
Eckbert de Schonau, cols 13-16 ; cf. Schmidt, vol. II, p. 239.
Trithmius (1), loc. cit.
Trithmius (1), p. 416 et (2), p. 460-461 qui le dsigne sous le titre De sa-
1209.
19.
24.
25.
26.
27.
Jean le Teuton.
Caesarius, p. 307 (Troyes) et Stphane de Bourbon, p. 294 (Lyon).
Cf. Postan, p. 181.
Caesarius, p. 306 ; Chronica de Mailros, loc. cit. ; Haereses sectatorum
Amalrici.
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452-
52.
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55
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48.
49
50.
sr.
CHAPITRE VII
PAR-DEL LE BIEN ET LE MAL: UNE LITE DE SURHOMMES (Il)
r.
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10.
II.
12.
13.
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121.
2J. Jean de Viktring, vol. II, p. 1JO.
24. Conrad de Megenberg.
25. Cf. Haupt (1), p. 6 et sq. et (2), p. 488, qui cite un extrait de Monumenta
Boica, vol XL, p. 415-421 et vol. XV, p. 612.
26. Ibid., p. 490 et sq.
27. Errores bechardorum et begutarum, et Haupt (7).
28. Haupt (2) ; Lea, p. 412-413.
29. Ulanowski (S.O.).
JO. Synode de Magdebourg, 1261, p. 777
JI. Matilde de Magdebourg, p. 260.
J2. Gesta archiepiscoporum Magdeburgensium Continuatio I, p. 434
JJ. Ibid., p. 435 Erphurdianus Antiquitatum Variloquus, p. 134-1J5
34 Urbain V (1) ; Charles IV (1) et (2). La bulle date de 1J68 et non de 1367
J5
36.
37
38.
J9
40.
41.
42.
454-
43
44
Latomus, p. 85.
On trouvera le texte des attaques de Ruysbroek contre les Frres du Libre
Esprit dans Ruysbroek (1), p. 52-55 ; (2), p. 228-237 ; (3), p. 105 ; (4),
p. 191-192, 209-211 ; (5), p. 278-282, 297-298 ; (6), p. 3952.
45 Latomus, p. 84.
46. Errores sectae Hominum intelligentiae, et Altmeyer, p. 82-83.
47 Guillaume de Nangis, Continuatio II, vol. I, p. 379-380 ; Grandes chroniques de France, vol. V, p. 188 ; Jean des Preis, p. 141-142. Langlois (S.O.).
Lea (S.O.).
48. Ibid., p. 578, note.
49 Urbain V (2).
50. Gaguin, lib. IX, p. 89; Baronius et Raynaldus, vol XXVI, p. 240. Voir
galement Du Cange sous la rubrique Turlupini .Sur l'origine probable du nom, Spitzer.
51. Gerson (1), p. 19; (2), p. 55; (3), p. 114; (6), p. 306-307; (7), p. 369; (9),
p. 866 ; {II), p. 1435
52. L'opinion courante est que certains des hrtiques qui migrrent de
France en Savoie vers 1370 et d'autres qui furent excuts Douai en
1420 taient des Frres du Libre Esprit, mais les sources ne l'indiquent
nullement. Voir, sur le procs de Douai, Beuzart.
53 Frederichs (~.0.) ; Luther (3) et les tudes de Frederichs (1) et (2) ; et
de Rembert (p. 165 et sq.). Le livre de Eekhoud est une vie romance
de Pruystinck.
54 Calvin (1), p. 300-301, 350-351 et (2), p. 53-54.
55 Cf. Bucer ; Calvin (3).
56. Calvin (5), cols. 361-362.
57 Le chiffre de 10 ooo est avanc par Calvin (4), qui constitua le dossier le
plus important contre la secte.
58. Calvin (5) ; Farel.
59 En dehors des tudes de Mosheim (2) et de Jundt, il faudra se rfrer
celles plus brves de Adler, p. 106 et sq. ; Allier; Delacroix, p. 60-115 ;
Hahn, vol. II, p. 470 et sq. ; Hauck, p. 407-415 ; Haupt (10) ; Jones (RM),
p. 181-214 ; Lea, p. 319-413 ; McDonnel, p. 488-504 ; Mosheim (1),
p. 555-556 ; Nigg, p. 247-260 ; Preger (1), p. 207 et sq. ; Reuter, p. 240
et sq.; Vernet. Sur un mouvement semblable en Italie: Oliger; Stefano,
p. 327-344. Voir galement les commentaires passionnants de Burdach (1),
p. 588.
6o. Jean de Drckheim (1), p. 256.
61. Errores sectae Hominum intelligentiae, p. 287.
62. Albertus Magnus, articles 76, 77
63.
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81.
-455
Les mmes ides se retrouvent chez les libertins spirituels du XVIe sicle ; cf. Calvin (4), cols. 178-179 ; Farel, p. 263.
Ruysbroek (3), p. 105 ; (4), p. 191 ; (5). p. 278, qui parle en toutes lettres
de l'absorption des personnes de la Trinit.
Ruysbroek (6), p. 41 ; cf. Jean de Drckheim (1), p. 257-258 ; Calvin (4),
cols. 221, 224.
Ruysbroek (3), loc. cit. ; Jean de Drckheim (1), loc. cit. et Pfeiffer (S.O.),
p. 453
Caesarius de Heisterbach, p. 304.
Ulanowski (S.O.), p. 247.
Albertus Magnus, articles 7. 95, 96 ; Ruysbroek (1), p. 43
Preger (2) (S.O.).
Albertus Magnus, articles 22, 31, 39, 70, 93 ; Preger (r) (S.O.), article 1 ;
Jean de Drckheim (1), p. 256-257 ; Ritter (1) (S.O.), p. 156.
ean de Drckheim (1), p. 256 ; cf. Calvin (4), col. 158.
Ruysbroek (6), p. 4445
Voir par exemple Wattenbach (2) (S. O.), p. 540-541.
Ulanowski ; Schwester Katrei (notamment Birlinger, p. 20 et sq. ; Pfeiffer, p. 456 et sq. ; Wattenbach (1), p. 30 sq. ; Errores bechar-dorum. Les
observateurs ecclsiastiques furent frapps par la svrit de la formation des novices ; cf. Ruysbroek (r), (2) et (3).
Wattenbach (2), p. 540. Cette citation est faite d'une srie de rponses
aux questions de l'inquisiteur.
Ulanowski, p. 241.
Preger (2) (S.O.).
Birlinger, p. 23-24.
Ulanowski, p. 249, 242, pour les adeptes Schweidnitz ; et Albertus
Magnus, articles 19, 70, Preger (r) (S.O.), article 30, pour ceux de
Souabe.
82. Albertus Magnus, articles n, 74
83. Voir le cas de Gilles Cantor dans Errores sectae ; ou de l'ermite de Buch
von den zwei Mannen (Schmidt (2) (S.O.)); Hermann Kchener dans
Haupt (1).
84. Jean de Drckheim (1}, p. 256.
85. Ruysbroeck (6), p. 42-43.
86. Ulanowski. p. 243.
87. Preger (2) (S.O.).
88. Bruno de Jsus-Marie.
89. Suso (2), p. 352-357.
456_ lES
90.
91.
92.
93
94
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
Ibid., p. 9
97 Ibid., P 539
98. Wattenbach (r), p. 532 ; Schmidt (2) (S.O.) ; Nider, lib. III, cap. v, p. 45 ;
Albertus Magnus, articles 44, 52 et l'article 25 A dans la version corrige
de Haupt; Preger (r) (S.O.) article 27.
99 La valeur spirituelle du festin est mise en valeur par Bertold de Rohrbach,
hrtique qui fut brl Spire en 1356 ; cf. supra note 19.
roo. Wattenbach (2), p. 539
ror. Ulanowski, p. 252.
ro2. Birlinger, p. 31.
103. Nider, lib. III, cap. v.
ro4. Schmidt (2) (S.O.).
ros. Preger (S.O.).
ro6. Birlinger, p. 31 ; Pfeiffer, p. 458.
107. Wattenbach (2), p. 541.
ro8. Calvin (4), cols. 212-214 ; Hochhut, p. 189-194 Preger (r) (S.O.), article II ; Errores sectae, p. 283. Henry de Vimenburg accusait les hrtiques de professer que la fomification n'tait nullement un pch. Les
bguines de Schweidnitz et leurs compagnons affirmaient que toute rsistance des avances sexuelles tait la marque d'un esprit grossier.
109. Errores sectae, p. 282. Cf. Nider, lib. III, cap. v ; Calvin, col. r84.
IIO. Hochhut, p. r83-r85; Wappler, p. r89-192.
III. Guillaume d'Egmont, p. 643-644 ; cf. supra note rs.
II2.
II3.
II4.
II5.
II6.
Errores bechardorum.
Gerson (7), p. 306-307.
n7.
n8.
n9.
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121.
122.
123.
124.
125.
126.
-457
CHAPITRE VIII
LA THORIE DE L'TAT DE NATURE GALITAIRE
I.
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458_ LES
n.
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r6.
17.
r8.
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
vol. 1, p. 152-154 Les textes et les commentaires qui figurent dans Boas
illustrent les diverses faons qu'avaient les Pres de l'glise, au Moyen
ge, de se reprsenter l'tat de Nature.
Ambrosiaster ,col. 439
Saint Augustin, vol. II, p. 428-429 (Livre XIX, chap. xv).
Beaumanoir, p. 235, paragraphe I453
Saint Cyprien, cols. 62o-62r (para. 25).
Znon, col. 287.
Ambroise (2), col. 62.
Ambroise (r), col. 1303. Cf. Lovejoy. Il est difficile de dgager les consquences pratiques que tirait Ambroise de cette doctrine. Si, comme le
souligne le professeur Lovejoy, il recommandait la pratique de la charit
sur une chelle immense, comme remde l'ingalit, il professait galement que le dnuement, la faim et la pauvret constituent autant de
soutiens dans la qute de la Batitude (r), Livre II, chap. v.
Gratien: Decretum, pars secunda, causa XII, quaestio r, cap. II (cols. 882-
883).
19. Recognitiones, cols. 1422-1423 (lib. X, cap. v).
20. Decretales Pseudo-Isidorianae, p. 65 (cap. LXXXII).
21.
Decretum, pars prima, distinctio VIII, Gratianus.
22. Cf. Bezold (2), p. r8 et sq. ; Carlyle, vol. Il, p. 41 et sq.
23. Troeltsch, vol. 1, p. 344-345. Les documents que l'on peut invoquer
l'appui de la thse selon laquelle il existait des tendances communistes
dans les sectes autres que celles du Libre Esprit, figurent dans Beer,
notamment p. 131 et sq. Ils sont rares.
CHAPITRE IX
LE MILLNIUM GALITAIRE (I)
r.
2.
Sur les insurrections dans les Flandres et le nord de la France: voir Chapitre IV, supra, notes 43 et 44 Sur la Rvolte des Paysans en Angleterre,
les ouvrages fondamentaux sont toujours ceux d'Oman, de PetitDutaillis (2), et surtout celui de Rville, crit en collaboration avec PetitDutaillis (r). Ouvrages de vulgarisation rcents : Pagan et Hilton ; Lindsay et
Groves. Articles importants de Kriehn et de Wilkinson. Voir aussi les
chapitres ayant trait cette question dans Hugenholtz, Steel, Trevelyan,
et Burdach (2), p. I71-203. Sur l'histoire de John Ball: Froissart, vol. X,
p. 94-97; Walsingham, p. 32-34; voir galement Anonimalle Chronicle,
p. 137-138.
Walsinkham, p. 32-33- Cf. version de Gower, p. 41 (lib. I, cap. ix).
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II.
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-459
Dialogue of Dives and Pauper, The Seventh Precepte, Chap. IV, cols. 34
Master Wimbledon, cit par Owst, p. 305.
Wycliff, livre 1, Divisions 1 et 11, chapitres 3, 5. 6, 9, IO et 14, notamment.
Wycliff, p. 96. Sur la vulgarisation des commentaires de Wycliff, voir
Hugenholtz, p. 212 ; Trevelyan, p. 198 ; ainsi que Jusserand, p. 159 et sq.
Langland, vol. 1, p. 594-595 (Texte B, Passus xx, vers 271 et sq. ; Texte C,
Passus XXIII, vers 273 et sq.). Voir vol. II, p. 283, note 277.
Owst, p. 287 et sq. La traduction et le rsum de Bromyard se trouvent
aux pages 300 et sq.
Pour le texte de ces vers hermtiques, voir Knighton, Continuation,
vol. II, p. 139-140 ; Walsingham, p. 33-34.
Sur le rle jou par le bas clerg voir, par exemple, Calendar ofThe Close
RoUs, Richard II, vol. II, p. 17 ; et Hugenholtz, p. 252-253- Il semble par
ailleurs que, contrairement ce que l'on admet gnralement, le soulvement n'ait t foment ni par les frres, ni par les Pauvres Prdicateurs de Wycliff; cf. Steel, p. 66.
Froissart, vol. X, p. 97; voir galement Knighton, Continuation, vol. II,
p. 132. Sur le rle jou par les Londoniens en gnral: Hugenholtz,
p. III ; Wilkinson, notamment p. 12-20 ; sur celui jou, en particulier,
par les pauvres de Londres: Lindsay et Groves, p. II2-II4, 135; Oman,
p. 17, 68 ; et Workman, vol. Il, p. 234-235.
Sur l'incendie du palais de Savoie: Moine de Westminster, p. 2;
Walsingham, vol. 1, p. 457 Sur les requtes de Smithfield: Anonimalle
Chronicle, p. 147. Sur la confession de Jack Straw: Walsingham, p. 9-10.
L'authenticit de cette confession a souvent t mise en doute.
Hus et le mouvement hussite constituent depuis longtemps un des sujets d'tude favoris des historiens tchques, autrichiens et allemands. Bibliographie exhaustive dans Heymann ; pour une liste des ouvrages
principaux sur la question, voir Betts, notes aux pages 490-491. En anglais, l'ouvrage gnral fondamental est maintenant celui de Heymann;
Liitzow, et Krofta {I), (2) et (3), offrent d'utiles rsums. Cf. Betts qui,
dans un article, prsente l'tat de la question. Voir en allemand: Bezold
(1) (qui nous a t particulirement utile) et Palacky, notamment les parties I et 2 du vol. III. L'tude bien connue de Kautsky, qui tait tout rcemment encore la version marxiste officielle, est fort discutable. Depuis
le coup d'tat communiste de Tchcoslovaquie, plusieurs tudes ont t
faites d'un point de vue marxiste. La plus importante est celle de Graus,
ainsi que celle de Macek, toutes deux crites en tchque.
Andrew de Bomischbrod, p. 339 ; Litera de civitate Pragensi, p. 312-313.
Cf. Bezold {I), p. 36.
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Sur la structure sociale des villes: Heymann, p. 46-48; Macek, p. 2829. Sur les pauvres des villes : Graus, p. 33-70. Sur la surpopulation:
ibid., p. 112-n8. Sur l'inflation: ibid., p. 84, et Appendice I, p. 174-195
Sur la condition des paysans : Bezold {I), p. 55 et sq. ; mais cf. Heymann,
p. 42-44, qui soutient que, dans une grande mesure, les conditions de
vie de la paysannerie taient encore bonnes. Sur le proltariat rural :
Macek, p. p, 68 et sq.
Burdach (2), p. n6, 133.
L'identit et les opinions de ces Picards ont donn lieu de nombreuses
controverses. Les recherches de Bartos semblent avoir rgl la question ;
cf. Bartos (3).
Macek, p. 53 56-57.
Sur la prophtie apocalyptique: Tractatus contra errores (picardorum), articles 33-37. (Pour cette rfrence et pour les suivantes, nous suivons la
numrotation de l'dition de Dollinger). Voir galement infra la note 21.
Le Tractatus comprend une liste d'articles de foi professs par les taborites extrmistes. Ils sont d'origine utraquiste; mais les articles furent
soumis aux prdicateurs taborites lors d'une runion tenue Prague, le
10 dcembre 1420, et connue sous le nom de dbat la maison de
Zmrzlik : ils y furent tenus pour substantiellement justes. Le Tractatus
est corrobor par la version des faits donne par Lawrence de Brezova
(p. 399-408). Une version tchque contient des articles supplmentaires : voir Articuli et errores taboritarum.
Tractatus, articles 42, 43 44, 50, 51 et 53 ; cf. Lawrence de Brezova,
p. 400-401 ; Stari letopisov cesti, p. 478.
Cosmas de Prague, p. 8-9 (lib. I, cap. ni).
Chronique tchque rime (Rymovana kronika ceska), p. 8. Majestas Carolini,
para. 2, p. 68.
Tractatus, article 46 ; cf. Lawrence de Brezova, p. 400.
Stari letopisov, p. 478.
Tractatus, article 47
Jan Pribram, cit par Palacky, vol. III, 2e Partie, p. 190.
Lawrence de Brezova, p. 349, 399-400 ; Tractatus, articles 33, 34, 35
Cf. Bezold (1), p. 50.
Tractatus, article 38.
Lawrence de Brezova, p. 406.
Ibid., p. 400.
Charlier de Gerson (S.O.), p. 529 et sq.
Macek, p. 76-78 ; Palacky, vol. III, Ire Partie, p. 394, 417 ; 2e Partie,
p. 6o.
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CHAPITRE X
LE MILLNIUM GALITAIRE (Il)
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Dorsten (S.O.), p. 277-278 article 10 ad fin. ; cf. aussi KestenbergGladstein, note 190, p. 294.
Jobst d'Einsiedeln, p. 281.
Kestenberg-Gladstein, p. 257 et sq.
Peuckert, notamment p. 152 et sq. et Rohr.
Sur l'interdit concernant les flagellants d'Eichstatt: Haupt (2), p. 493Lea, p. 412-413.
Cit par Franz, p. 81.
Pour Hans Bohm et les vnements de Niklashausen, nous nous sommes inspir de quatre sources principales : les comptes rendus des chroniqueurs Pries, p. 852-854 ; Stolle, p. 380-383 ; Trithmes (1), vol. II,
p. 486-491 ; et un rapport soumis l'vque de Wrzbourg par un agent
qui avait entendu Bohm prcher (Handell Hannsen Behem: Barack
(S.O.), Document 3). On trouvera d'autres sources de renseignements
originales dans l'ouvrage de Barack (S.O.): nous suivons, dans nos rfrences, la numrotation de cette dition. La source originale qui est donne par Reuss (S.O.), mais qui ne figure pas dans l'ouvrage de Barack,
est constitue par un pome crit en langue vulgaire sur cet pisode : il
n'ajoute rien d'important ce que nous savons. Voir les tudes modernes de Barack ; Franz, p. 78-92 ; Gothein, p. 10-25 ; Peuckert, p. 263296 ; Schaffier ; Thoma.
Trithme, p. 488.
Document 7
Document 3
Ibid.
Peuckert, p. 268, 283.
Ibid., p. 254-259.
-463
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Franz, p. 408 et sq. Schiff (1) ; Carew Hunt, vol. CXXVII, p. 239-245.
Pour avoir une ide des opinions divergentes sur les causes de la Guerre
des Paysans allemands, on consultera Franz, Peuckert, Smirin et Waas.
L'interprtation que nous hasardons ici ne serait pas accepte par les
historiens marxistes ; pourtant le professeur Smirin reconnat lui-mme
-point capital- que le but ultime de Mntzer aurait t tout fait incomprhensible la grande masse des paysans.
Franz, p. 434 et sq.
Andreas, p. 309-310.
Sur le rle jou par Mntzer dans la Guerre des Paysans, il existe de profonds dsaccords: Bemmann, Boehmer (2) et Jordan ne sont pas loin de
dnier Mntzer toute influence; chez Franz, Mntzer apparat comme
le seul auteur de la guerre de Thuringe ; des marxistes comme Smirin le
prsentent comme l'idologue d'une tendance radicale qui, bien que limite une minorit, se manifesta avec une grande vigueur et bien audel de la Thuringe.
Kamnitzer (S.O.), p. 308 ; Boehmer (1), p. 17. Sur les deux mille trangers voir le rapport de Berlepsch, maire de Langensalza, cit par Carew
Hunt, vol. CCXXVII, p. 248, note 184.
Brandt (3) ; et Brie.fwechsel, p. 109-III.
Sur le sens symbolique de Nemrod, voir le passage de Sbastien Franck
cit au chapitre XII de la prsente tude ; cf. chap. XII, note 5
Meyer (C) (2), p. 120-122.
Luther (2).
Baerwald, Jordan, et plus brivement Carew Hunt, vol. CXXVII,
p. 253263.
Cf. Baerwald, p. 37.
Brandt (4), p. 78.
Brandt (1), p. 45, 48.
Carew Hunt, vol. CXXVII, p. 262.
Sur l'excution de Mntzer : Brandt (1), p. 50. Sur la mort de Storch :
Meyer (Christian) (2), p. 122.
CHAPITRE XI
LE MILLNIUM GALITAIRE (III)
I.
Les rapports entre l'anabaptisme et les sectes mdivales ont t souligns par Erkbam et par Knox, p. 122 et sq. Bien que de nombreuses
tudes aient t consacres aux diverses ramifications du mouvement,
aucune tude exhaustive d'ensemble n'existe sur l'anabaptisme. On trou-
466_ LES
2.
34
FANATIQUES DE L'APOCALYPSE
vera des aperus trs gnraux chez Bax, Heath, Smithson, et, plus brivement, chez Jones (R.M.), p. 369 et sq. ; Knox, p. II7 et sq. ; et Payne.
Sur les aspects de l'anabaptisme qui se rapportent la prsente tude, voir
Heyer ; Detmer et Krumbholtz (Introduction).
Meyer (Christian) (1); et, plus brivement, Smirin, p. 6o7-61o; Zchabitz,
p. 30-64. Sur l'anabaptisme Esslingen et Nuremberg, voir Keller, p. 46.
Cf. Keller, p. 56-76 ; Kohler, p. 539 et sq.
Kerssenbroch (en latin) et Gresbeck (en bas allemand) constituent les
sources originales les plus importantes pour l'histoire de la nouvelle
Jrusalem Mnster. Alors qu'il tait un jeune garon de quinze ans,
Kerssenbroch assista aux dbuts de la rvolution. Par la suite, il devint
un rudit distingu; et lorsqu'il se mit, dans les annes 1570, rdiger
son livre, il utilisa un grand nombre de documents datant de la rvolution, qui ont disparu depuis. Bien que ferme partisan de la cause catholique, il se montre dans l'ensemble consciencieux dans l'utilisation de ces
documents. Gresbeck, menuisier de profession, vcut Mnster pendant tout le sige et tmoigne de ce qu'il y a vu parmi le menu peuple.
Catholique hostile l'anabaptisme, ce qu'il nous dit avoir vu et entendu
emporte nanmoins la conviction. Autres sources de valeur : les rapports et les confessions rassembls par Cornlius et Niesert (S.O.) ; les
pamphlets anabaptistes, en particulier ceux de Rothmann; ainsi que
certains des pamphlets crits par des observateurs trangers. En ce qui
concerne l'Historia de Dorp, tout ce qu'elle contient de valable a t repris par Kerssenbroch. Pour une critique dtaille des sources, voir l'dition de Gresbeck par Cornelius et celle de Kerssenbroch par Detmer
(Detmer, 1); pour la bibliographie: Bahlmann. On trouvera dans LOffier
(S.O.) des extraits des sources originales traduites en allemand moderne
et prsents dans un ordre cohrent. tudes modernes : outre les tudes
gnrales sur l'anabaptisme cites plus haut, il existe un certain nombre
d'ouvrages consacrs exclusivement Mnster. Les plus complets sont
ceux de Detmer (2), de Keller, et, pour les origines du mouvement, celui
de Cornelius (1). L'tude de Blanke est plus rapide mais aussi plus rcente. En anglais: Janssen (Johannes) (traduit de l'allemand); et Pearson.
En ce qui concerne plus particulirement le rgime communisant :
voir Ritschl ; et Schubert. En dpit de toute l'attention qu'on lui a accorde, la signification de la nouvelle Jrusalem de Mnster a t gnralement sous-estime. Cela est d ce qu'on l'a considre jusqu'ici
comme un fait isol ou comme une excroissance pure et simple du mouvement anabaptiste, au lieu d'y voir l'expression vigoureuse d'une trs an-
-467
468_
26.
27.
28.
29.
30.
31.
32.
33
34
35
36.
37
38.
39
40.
41.
42.
43-
-469
44
Sur la tentative faite pour lever des mercenaires : rapport dans l.Offier
(S.O.), p. 194-19S Dans ses deux confessions, Bockelson nie la chose.
Soulvements de masse envisags: Cornelius (2) (S.O.). Sur les soulvements de Groningue: Rapports de l'vque de Mnster la Dite impriale, et du Statholder imprial l'vque, donns par Keller, p. 326
et sq. Autres soulvements: Kerssenbroch, p. 792 et sq.
4S Cit par Ritschl, p. 6o ; Kerssenbroch, p. 724 ; Sur l'attitude des anabaptistes aux Pays-Bas :Cornelius (2}.
46. Gresbeck, p. 140, 174-17S Sur la cour: Cornelius (4) (S.O.), p. 343 ;
Gres beek, p. 141; Kerssenbroch, p. 804, et cf. Detmer, note 1, p. 8os. La
famine fait rage : Gresbeck, p. 189 ; Kerssenbroch, p. 798.
47 Cornelius (6) (S.O.), p. 373 ; Kerssenbroch, p. 793, 8o3 ; rapport dans
Loffier, p. 19S Sur les amusements publics : Gres beek, p. 131 et sq., ISO
et sq., 168. Sur le sort des migrants : Cornelius (3) et (4) ; Kerssenbroch, p. 8os et sq. ; Gresbeck, p. 189.
48. Cornelius (3) et (4) ; Kerssenbroch, p. 772 et sq., 784, 820.
49 Cornelius (S) (S.O.) ; Gresbeck, p. 194-19S 200-201, 20S et sq. ; Kerssenbroch, p. 833 et sq.
so. Corvins (S.O.), p. C n.
SI. Sur Willemsen : Bouterwek, p. 343S
CONCLUSIONS
1.
2.
3
4
S
1.
Dans cette terrifiante peinture, ddie Luther, le Pape apparat pourvu d'une
queue et d'autres attributs animaux propres Satan. Les grenouilles qui sortent de
sa bouche (mles des reptiles divers) voquent la description de l'Antchrist
contenue dans l'Apocalypse (XVI, 13). Il a t assimil aussi la reprsentation de
l'Homme Sauvage. Comme l'a montr dans son essai le or Persnheimer, l'Homme
Sauvage de la dmonologie mdivale tait un monstre dou d'une puissance rotique et destructrice - un esprit de la terre primitivement rattach la famille de Pan,
des faunes, des satyres et des centaures, mais transform en un dmon effrayant.
Lorch a pourvu son Homme Sauvage d'une crosse papale qui est aussi un tronc
d'arbre semblable ceux que portaient les centaures- et un symbole phallique.
2. LE JOUR DE IA COLRE:
Albrecht Drer
Illustre l'Apocalypse, ch. VI, 9-16: ... Je vis sous l'autel les mes de ceux qui
avaient t immols cause de la parole de Dieu et cause du tmoignage qu'ils
avaient rendu ... Et voici, il y eut un grand tremblement de terre et le soleil devint
noir comme un sac de crin et la lune entire devint comme du sang ; et les toiles
du ciel tombrent sur la terre... Et les rois de la terre, les grands, les riches, les chefs
militaires, les puissants, tous les esclaves et tous les hommes libres, se cachrent
dans les cavernes et dans les rochers des montagnes ; et ils disaient aux montagnes
et aux rochers : Tombez sur nous, et cachez-nous devant la face de celui qui est
assis sur le trne, et devant la colre de l'Agneau.
3 Version mdivale du meurtre d'un jeune garon chrtien par les Juifs. C'est un
exemple frappant de la projection sur les Juifs de l'image du pre tortionnaire et
castreur.
4 LE
RICHE ET lAZARE
En haut : Le Riche festoie tandis que Lazare meurt sa porte. Un ange emporte
l'me de Lazare dans le sein d'Abraham.- Au centre: Le Riche meurt et, tir en bas
par le poids de son sac d'or, il est prcipit aux enfers par les dmons.- En bas,
droite : Avaritia, symbolise par un diable, et Luxuria, symbolise par la Femme
aux serpents.
5 (a)
(b)
1349
1349
PROCESSION DE FLAGELlANTS,
JUIFS LIVR~S AUX FLAMMES,
6.
LE TAMBOURINAIRE DE NIKlASHAUSEN
Cette fruste mais curieuse gravure sur bois semble montrer que le fait de fumer
allait de pair avec l'amour libre comme expression de l'antinomisme.
Sommaire
AVANT-PROPOS .........................
I. INTRODUCTION ......................................................................
I5
II.
4I
55
64
III.
I5
3I
55
8I
8I
87
I02
III
III
I25
472-
V.
141
141
150
15 6
171
171
185
194
203
203
213
220
231
231
245
252
265
265
272
X.
287
287
298
309
323
323
341
LE MILLNIUM GALITAIRE
(1) ................................................
XII.
-473
367
367
(Ill) ..........................................
L'anabaptisme et l'agitation sociale............................
Mnster, la nouvelle Jrusalem..................................
Le rgne messianique de Jean de Leyde .............. ......
39 6
CONCLUSIONS ............................................................................
4II
NoTES ....................................................................................
431
LE MILLNIUM GALITAIRE
381
-'-
NORD COMPO
multimtdia
Nicolas Bourgeois
4 Ni dieu ni matre, Blanqui
5 Les libertins d~nvers, George Eekhoud
-!1