Nicolas Bautes. L'Experience Artiviste Dans Une Favela de Rio de Janeiro. 2010
Nicolas Bautes. L'Experience Artiviste Dans Une Favela de Rio de Janeiro. 2010
Nicolas Bautes. L'Experience Artiviste Dans Une Favela de Rio de Janeiro. 2010
2017 02:56
Résumé de l'article
Les figures géographiques du sujet
Volume 54, numéro 153, 2010 Dans le contexte de métropoles de plus en plus tournées vers
la valorisation de leurs singularités patrimoniales, émergent de
nouvelles formes d’interventions portées par des mouvements
URI : id.erudit.org/iderudit/1005606ar
de résistance utilisant l’art et la culture comme supports de
DOI : 10.7202/1005606ar contestation et de revendication citoyenne. Ce phénomène,
observé dans des métropoles d’espaces riches ou pauvres sans
distinction, inspire l’étude d’une initiative artistique menée
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dans la favela de Morro da Providência, à Rio de Janeiro, de
son caractère multiforme et des rapports complexes qu’elle
établit avec les lieux. Cette expérience « artiviste », par la
médiation du lieu, rendue possible par l’usage des médias et
Éditeur(s) par un jeu d’images permet-elle de faire entendre des sujets,
que ce soit l’artiste ou l’habitant ou, au contraire, doit-elle être
Département de géographie de l’Université Laval caractérisée comme éphémère, et ainsi se voir limitée dans sa
capacité de remise en cause politique ?
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Résumé
Dans le contexte de métropoles de plus en plus tournées vers la valorisation de leurs singulari-
tés patrimoniales, émergent de nouvelles formes d’interventions portées par des mouvements
de résistance utilisant l’art et la culture comme supports de contestation et de revendication
citoyenne. Ce phénomène, observé dans des métropoles d’espaces riches ou pauvres sans dis-
tinction, inspire l’étude d’une initiative artistique menée dans la favela de Morro da Providência,
à Rio de Janeiro, de son caractère multiforme et des rapports complexes qu’elle établit avec les
lieux. Cette expérience « artiviste », par la médiation du lieu, rendue possible par l’usage des
médias et par un jeu d’images permet-elle de faire entendre des sujets, que ce soit l’artiste ou
l’habitant ou, au contraire, doit-elle être caractérisée comme éphémère, et ainsi se voir limitée
dans sa capacité de remise en cause politique ?
Mots-clés
Artivisme, expérience, sujet, lieu, esthétique, favela, Rio de Janeiro.
Abstract
Emerging from a backdrop of metropolises oriented more and more towards promoting the
singularities of their heritage, are new forms of interventions, crafted by resistance movements
using art and culture to support protests and demands by city-dwellers. This phenomenon,
observed both in rich and poor spaces, is the inspiration for a study of an artistic initiative
carried out in the favela of Morro da Providência, in Rio de Janeiro, and exhibiting the multiple
forms and complex relationships it has with the places investigated. But does this “activist”
experience, mediated by the use of the press and actualized by the interplay of imagery, provide
the subject – an artist or inhabitant – with an opportunity to be heard? Or, in contrario, should
this experience be considered as an ephemeral curbing the subject’s ability to challenge politics?
Keywords
Artivism, experience, subject, place, aesthetics, favela, Rio de Janeiro.
Cahiers de géographie du Québec Volume 54, numéro 153, décembre 2010 Pages 471-498
Version originale soumise en mai 2010. Version révisée reçue en novembre 2010.
Resumen
Del contexto de metrópolis emergen nuevas formas de intervención orientadas cada vez más
hacia la valorización de sus singularidades patrimoniales. Estas son la obra de movimientos de
resistencia que utilizan el arte y la cultura como base de contestación y reivindicación ciudada-
nas. Este fenómeno, observado en las metrópolis de espacios indistintamente ricos o pobres,
inspira el estudio de una iniciativa artística realizada en la favela Morro da Providência, en Rio
de Janeiro. Se tiene en cuenta el carácter multiforme de esa iniciativa y las relaciones complejas
que ella establece con los lugares. Esta experiencia “artivista”, gracias a la mediación del lugar
lograda por los medios información y juego de imágenes, permitirá escuchar artistas y habi-
tantes o, al contrario, sería efímera y tendría capacidad limitada al cuestionamiento político?
Palabras claves
Artivismo, experiencia, sujeto, lugar, estética, favela, Rio de Janeiro.
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la situation de pauvreté ou de marginalité 4 dans laquelle se trouvent de nombreux
habitants des quartiers alentour. Sur un plan fonctionnel et économique, la zone por-
tuaire est un espace stratégique pour la métropole. Adjacente au centre financier et
de services et principale entrée de la ville, elle présente une vaste superficie (317 ha)
d’édifices souvent désaffectés, propice à une reconversion urbaine 5. Tout comme
d’autres espaces portuaires, à l’exemple de ceux de Barcelone, de Lisbonne ou, en
Amérique latine, de Puerto Madero à Buenos Aires ou de Belém dans l’État brésilien
du Pará, la reconversion est engagée au moyen de l’implantation de nouvelles acti-
vités économiques, résidentielles et touristiques. À Rio, cette initiative, portée par la
municipalité, doit compter avec la prise en considération des sentiments et, souvent,
de la réalité des problèmes de précarité de logement et d’emploi pour les habitants.
Les quartiers portuaires de Gamboa, Saúde et Santo Cristo comptent en effet parmi
ceux où les indicateurs de développement humain sont les plus faibles de la ville. La
zone compte en outre plusieurs espaces d’habitat illégal, entrepôts squattés et favelas,
considérés comme marginalisés pour le caractère irrégulier de leur occupation et pour
la forte concentration de populations issues des couches les plus modestes de la ville.
4 Parmi les travaux pionniers faisant état de la marginalité associée aux quartiers pauvres au Brésil, voir
Perlman (1976).
5 Plusieurs projets de rénovation et de reconversion de cet espace ont été définis depuis plusieurs
années à l’initiative de la municipalité de Rio. Ils se sont traduits par un « plan de revitalisation de la
zone portuaire, 2003 » (Plano de revitalização da zona portuaria).
6 Pour une présentation du projet par la municipalité de Rio, voir le site : http://www.portomaravilhario.
com.br
7 Le phénomène de violence urbaine est central pour comprendre les logiques à l’œuvre dans la ville
de Rio. À titre d’illustration, entre 1978 et 2000, 49 913 personnes ont été tuées par des armes à feu à
Rio de Janeiro, tandis que les estimations officielles affirment que les conflits en Colombie n’ont fait
que 39 000 morts entre 1964 et 2000. Les conflits au Sierra Leone ont probablement fait plus de 11 000
morts dans les années 1990, tandis que le nombre de morts par arme à feu à Rio de Janeiro s’élevait à
23 480 entre 1991 et 1999 (Dowdney, 2004 :118-119).
Ces mouvements émanant d’acteurs très divers tendent à révéler la manière dont
est envisagée la participation de certains espaces marginaux ou périphériques « aux
négociations identitaires que les médias et l’industrie culturelle mettent en scène
pour attribuer un nouveau sens à la relation centre / périphérie et aux processus
d’inclusion / exclusion » (Villaça, 2008 : 75). La valorisation d’éléments matériels
et immatériels associés au patrimoine urbain concerne en effet aussi de plus en
plus des « créativités périphériques » (Ibid.), portées par des groupes qui, à Rio, se
revendiquent comme les principaux représentants de ce que Bosi désigne comme la
« culture populaire brésilienne » (2000) 9. Certains mouvements, comme l’association
Batucada, œuvrent ainsi à la reconnaissance de la singularité culturelle des habitants
des quartiers portuaires, centraux dans l’histoire urbaine de Rio 10. C’est aussi le cas
du « Mouvement noir » (Movimento Negro) qui lutte à l’échelle locale et nationale
contre la discrimination raciale et ses effets dans l’exercice démocratique, notamment
au moyen de l’organisation, lors de la journée de la conscience noire (Consciência
Negra) célébrée le 20 novembre, d’un défilé et de concerts sur la place Maúa (quartier
de Saúde), en hommage à Zumbi dos Palmares, l’un des leaders de la lutte contre
l’esclavagisme au Brésil.
Dans un passé récent, de telles initiatives sont parvenues à la fois à rendre visibles
leurs causes au moyen de l’organisation d’événements festifs, de la création de
produits souvent issus du commerce solidaire ou d’une mobilisation, et à remettre
8 L’organisation du Forum urbain mondial, en 2010, a donné lieu à de vifs débats autour du droit à
la ville pour tous, qui figure au cœur du projet démocratique brésilien, présent notamment dans la
Constitution fédérale de 1988.
9 Bosi, qui s’est prêté à une analyse fine de la culture brésilienne, la définit ainsi : « Si par le terme
culture nous entendons un héritage de valeurs et d’objets partagé par un groupe humain d’une
relative cohésion, nous pourrions parler d’une culture savante brésilienne, centralisée dans le système
éducationnel (et principalement dans les universités), et d’une culture populaire, pour l’essentiel
illettrée, qui correspond aux mores matériels et symboliques de l’homme de la campagne, du sertão
ou de l’intérieur, et de l’homme pauvre des banlieues qui n’a pas encore été totalement assimilé par
les structures symboliques de la cité moderne. » (Bosi, 2000 : 364). Il convient néanmoins de ne pas
considérer la culture populaire comme un tout unifié ce qui, selon Bazin (2009), contribuerait à « une
vision folkloriste oscillant entre populisme et misérabilisme » définissant la culture populaire dans le
cadre d’une « chosification culturelle » (Bazin, 2009 : 27).
10 L’histoire de la zone portuaire de Rio de Janeiro montre le caractère central que ce mouvement occupe
dans la construction urbaine. Pour de plus amples détails sur ce point, voir notamment Thiessen et al.,
(2005).
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en cause des projets d’envergure 11. Néanmoins, en dépit de leur reconnaissance
officielle par les pouvoirs publics brésiliens, ces mouvements sont l’objet d’une forte
instrumentalisation par la société dominante, donnant plus lieu à une récupération
politique qu’à de véritables avancées contre la discrimination à l’œuvre en faveur des
minorités au Brésil.
11 À l’exemple de l’Association des habitants de Gamboa (Associação dos moradores do bairro da Gamboa)
ayant largement contribué en 2000 à faire annuler le projet d’implantation du musée Gugghenheim,
prévu sur l’un des quais d’arrivée des paquebots de croisière, au moyen d’un discours identitaire
virulent accusant ce projet de permettre l’accès à la culture aux seules élites urbaines et aux touristes.
12 Nous avons insisté, dans d’autres travaux (Bautès et Guiu, 2010), sur l’intérêt de l’étude des modalités
selon lesquelles divers types d’acteurs associent des attributs identitaires, expressions, pratiques,
patrimoines ou héritages, ou encore des éléments matériels ou immatériels relevant de la culture, à
des espaces urbains.
L’étude de cette action voulue résistante et de son écho à l’intérieur et autour de cette
favela de la zone portuaire de Rio engage un questionnement à plusieurs niveaux. Le
propos se déroulera en trois parties.
Se plaçant du côté de l’expérience, qui trouve sa matérialité dans une création inscrite
dans un contexte spatial spécifique, la troisième partie de notre propos analyse ces
actions dans leur capacité de transcender les représentations que d’autres sujets, ceux
qui vivent au quotidien dans cet espace ou le public spectateur proche ou lointain, ont
d’eux-mêmes et de leurs espaces de vie. Ces représentations leur apparaissent-elles
comme des possibilités inédites de médiatisation de leurs conditions, permettant en
cela d’envisager un possible relais ou une continuité ? Au contraire révèlent-elles,
comme c’est le cas des projets portés par la municipalité, une mobilisation des lieux
et des habitants de la favela à des fins de reconnaissance ? La discussion invite à
étudier la manière dont ces actions qui, au moyen d’un jeu de médiations et de mé-
diatisations, permettent d’articuler la sphère publique, les industries culturelles et les
subjectivités, et nous offrent de saisir à la fois la conflictualité des rapports sociaux
dans le champ culturel et les dimensions politiques des imaginaires individuels et
collectifs (Macé, 2006).
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Notre contribution s’appuie sur plusieurs séries d’enquêtes, effectuées entre 2005 et
2009. Ces travaux de terrain ont d’abord consisté à éprouver, par des entretiens et des
questionnaires soumis à 96 ménages de la favela, les modalités d’appropriation du
programme Favela-Bairro et du projet de « musée à ciel ouvert » mis en œuvre par la
municipalité en 2006 dans le Morro da Providência 13. La suite de ce travail a donné
lieu à trois séjours, en 2007, 2008 et 2009, au cours desquels plusieurs entretiens
exhaustifs ont été réalisés avec l’artiste JR et des habitants.
13 Pour une analyse des résultats de cette enquête, voir Bautès (2008).
14 Une partie des équipements olympiques est prévue dans la zone ouest (Zona oeste) de la ville, autour
de Jacarepagua.
15 Vaste complexe de spectacles et d’expositions autour du carnaval implanté dans la zone depuis 2006.
Il vise à rassembler les 14 écoles de samba de première division engagées dans la compétition du
carnaval de Rio, leur permettant à la fois d’abriter leurs ateliers de fabrication de chars et de médiatiser
leurs activités par l’ouverture au tourisme et la vente de produits dérivés.
16 Ce quartier a fait l’objet, en 1998, d’un projet de coopération technique entre la mairie de Rio et
le Gouvernement français (experts issus du ministère de la Culture et de l’Équipement) autour de
la récupération d’édifices patrimoniaux. Engagé pour trois ans, ce projet amorçait une réflexion
pionnière sur la conservation du patrimoine bâti dans la ville.
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d’eau et d’électricité, lutte contre les éboulements, etc.) à la récupération des éléments
matériels et immatériels de la mémoire du quartier, les habitants de la favela se voient
inscrits dans une dynamique de conservation et de mise en valeur patrimoniale qui
concerne récemment l’ensemble de la zone portuaire, soumise à un plan de revitali-
sation que préfiguraient les projets précédant (Favela-Bairro) ou suivant la création
du musée (Cimento Social 17).
Cet ensemble d’éléments contribue à rendre visible cette favela aux yeux de tous.
Provoquée non pas par des forces endogènes inscrites, comme ailleurs dans la zone
portuaire, dans une volonté de reconnaissance identitaire visant à légitimer une « créa-
tivité périphérique », la mise en exergue de la favela semble s’apparenter à ce qu’Hervé
Bazin désigne comme une chosification des espaces populaires qui « devien[nen]t
digne[s] d’intérêt lorsqu’il[s] sont réduit[s] à leur forme folklorique, c’est-à-dire quand
ils participent à une esthétisation du social comme seule trace historique sans réelle
possibilité de le[s] transformer » (Bazin, 2009 : 58).
La différence avec les initiatives jusqu’ici mises en place en faveur de la favela réside
dans le fait que l’artiste souhaite, par la création artistique, susciter une prise de
conscience des situations de marginalité et de violence que connaissent ces lieux.
Vue depuis plusieurs points de la ville, cette exposition est aussitôt très largement
diffusée dans les médias radio et télévision, non seulement à Rio mais aussi dans
tout le pays et à l’étranger. Par ce travail, JR souhaite particulièrement « souligner la
dignité des femmes qui sont fréquemment l’objet de conflits » (JR, 2010a), les enfants
servant surtout à assurer l’accompagnement des artistes-photographes. À travers des
images de femmes, JR contribue avant tout à rendre visibles pour eux-mêmes les
lieux et leurs habitants. De manière implicite, ce sont les pratiques discriminatoires
auxquelles ces femmes sont confrontées qui sont soumises à une exposition publique.
En effet, sans faire référence à l’histoire et aux traits sociaux de ces populations, leurs
regards et leurs corps évoquent les contraintes et les heurts auxquels elles sont quoti-
diennement soumises : « Au début, les habitants n’avaient pas perçu l’impact. Après,
au retour de leur travail, ils ont commencé à voir le Morro modifié et ont peu à peu
remarqué », souligne JR (2009a) dans une entrevue avec un journaliste du quotidien
brésilien O Globo.
Au regard de l’observateur, ce travail relève d’un art résistant qui tend à révéler, par
la mise en images de corps de femmes de la favela, les situations qu’elles rencontrent
dans leur vie au quotidien, confrontées à l’absence de ressources et à la difficulté de
vivre librement dans un espace marqué par de violents conflits. En cela, il fait écho
à ce que Dias et Glenadel (2004) désignent comme des « esthétiques de la cruauté ».
Si les images ne contiennent aucun élément rappelant directement la violence et
les privations de ces femmes, ces misères sont sous-jacentes ou évoquées dans les
photographies, dont on peut penser qu’elles visent à « produire un court-circuit et un
19 Pour des détails sur la démarche et les axes de la controverse entourant ce projet, voir notamment :
http:/www.desenvolvimentistas.com.br/desempregozero/2007/12/projeto-cimento-social/
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clash qui révèlent les secrets cachés par l’exhibition d’images » (Rancière, 2008 : 36).
JR précise qu’il s’agit pour lui de confronter les représentations dominantes de ces
personnes et de ces espaces, produites par les médias.
Figure 1 Cidade do Samba (Cité de la Samba), 2005
Dans la favela, l’expérience est tout autant objet d’enthousiasmes que de débats et
de controverses, de la part des personnes dont l’image est vue, diffusée, ce qui les
conduit à être eux-mêmes médiatisés, les médias cherchant l’artiste venant à leur
rencontre. La production artistique suscite ainsi discours et réactions pour tous ceux
qui, au détour de leur passage à proximité du Morro da Providência ou dans les mé-
dias, observent ces photographies comme autant d’images renouvelées de ces espaces
marginalisés. Ces jeux d’images dépassent ainsi largement la favela, pour confronter
artistes et publics, acteurs et spectateurs. Pour JR,
c’est une des seules manières de se confronter à des personnes qui n’ont pas de musées
autour d’eux […] de confronter ces portraits avec la rue », tout en mettant l’accent sur
des contextes sociaux contemporains, les femmes révélant, selon lui, « l’ensemble des
conditions de la société (JR, 2010a) 20.
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Un art contextuel ?
Une telle initiative peut être rapprochée des
peintures de la domination et de la discrimination, analysées par Rancière. Elle s’apparente
à « l’expression d’une vanité […] » (2008 : 39) qui pose l’artiste en sujet agissant dans une
« activité critique, engagée et créative dans la ville, qui utilise la ville comme terrain – pour
protester, manifester, défiler, contester et qui s’offre en spectacle en opérant par intrusion
[…] [et qui] invite à faire de l’habitant un acteur direct de l’action (Petrescu et al., 2008 : 12).
En tout cela, le travail de JR s’apparente à une forme d’art contextuel qui, selon
Ardenne, « opte pour la mise en rapport directe de l’œuvre et du réel, sans intermé-
diaire, l’œuvre s’y configurant en fonction de son espace d’émergence et des conditions
spécifiques le qualifiant » (2009 : 2). Mais ce contexte n’est pas seulement local, celui
d’un lieu unique. Il possède une dimension universelle, en ce que la création traite
de thèmes susceptibles d’être observés dans de nombreux lieux du monde et que,
justement, l’artiste investit, pour son œuvre, d’autres lieux.
C’est ce qu’il convient maintenant d’aborder en suivant l’artiste JR sur d’autres terrains
où, comme à Rio de Janeiro, son expérimentation artistique s’appuie sur des lieux
représentés avant tout pour leur pauvreté et, souvent, la criminalité qu’ils abritent.
Dans cette perspective, le cas de la favela Morro da Providência est largement trans-
cendé pour explorer à la fois ce qui est mobilisé par l’artiste « en termes d’intérêts,
de solidarités et d’orientations culturelles » (Dubet, 1995 : 177), et ce que suscitent
et partagent les lieux de l’expérience du sujet artiste. Cette réflexion engage plus
généralement une analyse de la place de l’art et des artistes dans la ville et de leur
capacité à mettre en réseau, par les œuvres, des lieux éloignés et parfois très divers.
Un réseau qui, certes, ne dépasse pas le contexte de l’œuvre et de ceux qui en sont
les spectateurs, mais qui informe sur la capacité de tels artistes à intervenir et à faire
intervenir (dans) plusieurs lieux.
Ces auteurs ont aussi examiné la capacité des artistes à inscrire leurs actions en ré-
sistance et les modalités selon lesquelles « les réalisations dans le domaine des arts
plastiques ou de paysagisme » font intervenir « le local, l’ici et maintenant […], la
dimension concrète, sensible de ces lieux » (Blanc et Lolive, 2004 : 68). Considérant
la pluralité des échelles d’action, les pratiques artistiques « mettent en regard divers
registres (du quotidien à l’économique, du commercial à l’esthétique) et formes de
pensées, du grand au petit, voire à l’ultra banal » (Ibid.).
21 http://arts.fluctuat.net/blog/41689--radicant-de-nicolas-bourriaud-l-art-a-l-ere-de-la-globalisation.
html
484 Cahiers de géographie du Québec Volume 54, numéro 153, décembre 2010
Si l’artiste JR semble pouvoir être mieux cerné par les quelques éléments de réflexion
posés, qu’en est-il de sa démarche, qu’il désigne comme relevant de l’artivisme ?
Le travail artiviste de JR n’est en aucun cas exceptionnel. Il témoigne bien d’une forme
d’action émergente qui tend à recomposer les cadres de l’intervention urbaine en
proposant de renouveler tant la figure de l’artiste que l’expérience qu’il fait des lieux.
22 Le Groupement d’intérêt public (GIP) « Institut des villes » a été créé en 2001 avec la mission de
« diffuser une culture urbaine partagée » et de se constituer en un lieu de débats et de propositions sur
les politiques urbaines. Considérant sa convention constitutive comme étant arrivée à son terme, on
l’a clôturé en février 2010.
23 La publication de l’ouvrage éponyme témoigne de l’attention croissante que revêt cette forme
d’expression artistique en France.
486 Cahiers de géographie du Québec Volume 54, numéro 153, décembre 2010
côté du mur de Jérusalem, avant de partir en Afrique, au Cambodge puis au Brésil à
la rencontre de ceux qu’il nomme « les héros anonymes » : des femmes qui, en dépit
des violences et de la misère, sont les piliers de leurs communautés. « Je souhaitais
porter un autre regard sur ces femmes, un regard plus distant que le cliché d’éternelles
victimes », dit-il dans un entretien pour l’hebdomadaire Marie-Claire en 2009.
En cela, l’intervention revêt une dimension géographique mobilisant des lieux depuis
lesquels « les aspects les plus quotidiens de l’identité collective […] sont transformés,
parce que projetés dans l’espace de tension qui les réunit aux formes les plus univer-
selles de la réflexion et de la conscience de soi et des autres » (Berdoulay, 1997 : 307).
Les images des lieux pratiqués et évoqués par l’artiste se voient ainsi produites et
alimentées par un travail de médiatisation désormais incontournable dans l’action
urbaine, publique comme privée, qui vient renforcer « la porosité des industries
culturelles » soulignée par Macé, et qui conduit à produire « des représentations où
l’hégémonie conservatrice est nécessairement travaillée par l’ambivalence, l’ambiguïté,
voire l’innovation transgressive » (2006 : 11).
Ceci est avant tout rendu possible par le double effet de l’exposition photographique
et des médias qui relaient les images.
L’artiste précise que son intérêt n’est pas la photo en elle-même, mais plutôt l’expé-
rience qui rend possible cette œuvre, « parce que l’action est bien plus intéressante
que la photo ». Les photographies de et dans la favela ne sont que la phase finale du
24 Tandis que cette habitation a été démontée et reconstruite à l’identique sur les lieux d’exposition (Rio :
Casa França-Brésil et Paris : Pavillon de l’Arsenal), une partie du financement de ces événements a
permis la construction d’un logement neuf destiné aux propriétaires, en lieu et place de leur habitation
précédente.
488 Cahiers de géographie du Québec Volume 54, numéro 153, décembre 2010
projet : « Ce qui constitue l’œuvre, c’est ce qui nous a permis de le faire, ce sont ces
femmes qui m’ont accepté » (JR, 2009c). En étant avant tout artistique, l’expérience
aide seulement à retransmettre des choses humaines :
Je ne suis pas le porte-parole de ces lieux, de tous ces gens, je tente de faire un pont entre
les médias et eux. Aussi, aussitôt l’intervention terminée, je disparais, et comme les médias
cherchent à interviewer l’artiste et que les seules personnes qu’ils peuvent interviewer
sont les personnes qui sont sur les photos, ils les rencontrent [...]. Maintenant, je suis à
Paris, je suis face à la responsabilité d’expliquer ce que je fais, mais aujourd’hui, il y a une
des femmes que nous avons fait venir, qui sera ici pendant l’exposition (Nuits Blanches,
2009, quais de l’Île Saint-Louis). […] parce qu’elle a plus de choses intéressantes à dire que
moi, parce que son histoire n’est pas construite selon les mêmes cadres de références de
vie, ni selon les mêmes cadres d’expérience. Pourquoi elle a fait ça ? Quel est son intérêt ?
Ceci est plus intéressant finalement que ma démarche, qui peut être résumée de manière
relativement simple (Ibid.).
L’ingéniosité et l’intelligence des situations, associées à une flexibilité dans les modes
d’intervention, permettent à ce type d’initiative de s’émanciper des cadres classiques
de l’action résistante. Dans l’ensemble du processus, l’artiste joue et se joue des mé-
dias, pour diffuser la cause des femmes et construire sa réputation artistique, rendant
aussi possible la valorisation économique de sa création.
Les modes de valorisation sont nombreux, captant des financements publics et privés
français et brésiliens pour l’organisation d’expositions ou de publications, jusqu’à la
vente de photographies originales dans d’importantes galeries d’art (Sotheby’s à New
York, Steve Lazarides à Londres) et celle de produits dérivés (livres, t-shirts, affiches,
etc.) vendus sur Internet http ://www.jr-art.net/). Cette valorisation positionne l’artiste
dans le rôle d’entrepreneur qui met en œuvre une dynamique économique spécifique
associant consommation et culture, à partir de ce que Villaça désigne comme la
création d’une marque basée « sur le capital corporel périphérique ». Ce phénomène
informe, selon l’auteur, sur « les liens entre consommation et culture dans le contexte
d’un capitalisme actuel orienté vers la création de styles de vie et de niches définies
par des signifiants culturels qui associent une série de produits et d’activités à une
image cohérente » (Villaça, 2008 : 76-77). Ceci tend à identifier et à inscrire dans les
schèmes économiques les éléments composites d’une culture périphérique fondée
sur un fort pouvoir de résistance et de créativité artistique. Ce phénomène est, selon
Buarque de Hollanda (2004), une des grandes nouveautés du XXIe siècle.
Aussi, la double mise en exergue médiatique et économique des lieux par la création
artistique tend à s’effectuer non pas sur leur dimension physique ou sociale, mais au
niveau des éléments censés les représenter. Ceci insère l’espace dans un processus
de subjectivation auquel participent l’artiste et les médias, mais aussi les pouvoirs
publics, tous enclins à mettre l’accent sur les caractères singuliers, marginaux ou
minoritaires des lieux. Ce sont eux qui constituent les supports de la valorisation
médiatique de la diversité culturelle. Ce que montre Villaça dans le contexte africain
où s’exerce un véritable engouement des Français pour l’art et la mode du continent
À l’exemple d’autres artivistes, la stratégie de JR est ainsi une conduite dans laquelle
l’artiste s’engage au travers d’une expérience qui, loin « d’être diluée dans le flux
continu d’une vie quotidienne faite d’interactions successives », est organisée par
des principes stables mais hétérogènes. C’est cette hétérogénéité elle-même qui
invite à parler d’expérience, l’expérience sociale étant définie par la combinaison de
plusieurs logiques d’action (Dubet, 1995 : 91). Celles-ci répondent à des besoins tout
aussi différents émanant d’un sujet à la fois artiste, citoyen et entrepreneur. En cela,
l’expérience artiviste est tout à la fois esthétique et politique. Bien qu’indéterminée,
elle contribue, dans des lieux surchargés de représentations, à donner « une place au
contexte politique et social » tout en faisant « une place inédite au spectateur qui le
rend artiste à son tour ». Cette capacité de tels artistes à potentialiser « des non-lieux,
des espaces interstitiels pour révéler des potentiels inexploités, inexplorés dans la
ville » (Blanc et Lolive, 2007 : 366), en remettant en cause leurs représentations et
en stimulant l’action d’autres sujets – des habitants de la favela et d’autres acteurs
investis dans des projets similaires – semble dès lors à éclaircir.
490 Cahiers de géographie du Québec Volume 54, numéro 153, décembre 2010
lutte contre les images et les politiques dominantes, empruntant pour cela un discours
situé à l’articulation des domaines de l’art et du politique. Selon l’artiste, la logique
médiatique sert à réinterpréter et à diffuser la cause sociale et politique par un jeu sur
les images des lieux. Constituée à partir du contexte social et spatial, elle fait grande
place à la coproduction, sollicitant la participation des habitants de la favela à toutes
les étapes de cette intervention, de la mise en place in situ des photographies à la dif-
fusion de la démarche artistique et des images qu’elle produit à l’extérieur des lieux.
Pour les femmes photographiées dans leurs lieux de vie, les réactions invitent à ex-
plorer plus avant la capacité de ces œuvres, non à générer un changement, mais à
leur donner un souffle nouveau dans leur quotidien. Pour une partie des personnes
interrogées sur place, cette initiative est bénéfique « pour la communauté, pour nos
enfants, pour nous tous. » (Maria, entretien, septembre 2009). « On redécouvre notre
morro, on montre notre univers, c’est une porte ouverte […] Tous ceux qui pensaient
que cela n’existait pas, c’est ici, regardez ! C’est nous ! » (Roberto, entretien, septembre
2008). S’il ne s’agit pas d’une véritable transformation, l’initiative invite l’expression,
au travers de regards empreints « de la souffrance et de la joie qui en ressort, marquées
dans nos yeux qui expriment la lutte des femmes pauvres du Brésil, qui est la lutte de
toutes les femmes ». « J’ai besoin que cette photo soit ici, pour que tous les habitants
du monde, ou du pays, même ceux qui passent devant ma photo se demandent qui
je suis, ce que je fais dans la vie. […] Je crois que je pourrai faire tout ce qu’un hu-
main peut faire, je garde foi en la vie, j’ai espoir », exprime une femme photographiée
sur un train en Afrique du Sud, lors d’un entretien filmé avec l’artiste. L’art a pour
objectif de susciter, chez les personnes confrontées ou participant à cette expérience
artiviste, une prise de distance par rapport à leur quotidien. Celle-ci a pour but de
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Ce type de réinterprétation du local bénéficie ainsi tantôt aux artistes eux-mêmes,
tantôt à ceux qui sont considérés comme les publics, d’un point de vue économique
comme sociopolitique (à l’intérieur et hors du lieu). Dans ce cas, il bénéficie en pre-
mier lieu à l’artiste. Cette réinterprétation n’est cependant pas sans effet local direct,
en ce que la vente de photographies et de produits dérivés a été, en l’occurrence,
partiellement réinvestie dans la création d’un centre culturel dans la favela. Ainsi,
après le départ de l’artiste, des plateformes nouvelles d’action sociale et culturelle
sont établies. Reste à savoir si, dans le temps, la dynamique ne tendra pas à s’étioler,
ce qui semble le cas deux ans après l’intervention. Comme avant, les acteurs sociaux
se trouvent face à des difficultés d’accès à des moyens humains et financiers pour
fonctionner, en dépit d’un équipement rendant possible la visibilité de l’action sociale
dans la favela. Quant à de possibles reconfigurations territoriales, entendues ici sous
la forme de sentiments d’appropriation vis-à-vis des lieux renouvelés, l’action, par son
caractère temporaire, semble avoir seulement permis de générer un enthousiasme
qui semblait largement affaibli, comme l’ont montré plusieurs visites dans la favela
dans les mois suivant l’intervention.
La protestation contre un monde désenchanté, les revendications d’authenticité, de
créativité […], la critique des inégalités et de la misère […] sont des thèmes qui seraient
intégrés par le capitalisme contemporain, offrant à leurs désirs d’autonomie et de créativité
authentique sa « flexibilité » nouvelle, son appel à l’initiative individuelle et à la « ville par
projet » (Rancière, 2008 : 40).
Le philosophe pose ici les termes d’un débat qu’il convient de poursuivre : celui qui,
observant la contribution grandissante des artistes à l’espace public, tente de clarifier
la portée de leurs expériences dans le permanent processus de construction démo-
cratique. Sans pour autant, à ce jour, dépasser l’ambiguïté de ce mode d’intervention,
par ailleurs clairement revendiquée par les artivistes eux-mêmes, l’art ne pouvant que
contribuer, au travers de la création et des lectures multiples auxquelles il invite, à
une réinterprétation du monde.
Dès lors, seule l’analyse des réseaux sociaux que les artivistes structurent et mobilisent,
de leurs conceptions de la résistance et du changement ainsi que de leur capacité à
s’insérer dans les sphères médiatiques et culturelles en modifiant les politiques de re-
présentations permet de rendre compte de la réalité multiple des expériences artivistes
et de leur possible portée politique. Reste que leur pouvoir d’action demeure dépen-
dant de la capacité des sujets à faire nombre, et à contribuer à remettre en cause les
fondements actuels de la démocratie en définissant un nouveau projet sociopolitique.
Conclusion
L’étude du travail artistique réalisé par JR dans le Morro da Providência à Rio
de Janeiro a permis de présenter et de positionner le caractère plurivoque de l’ex-
périence artiviste. Eu égard aux relations que l’artiste établit avec l’espace, celui-ci
devient le lieu d’une création aux dimensions esthétiques et aussi politiques.
L’artiste intervient avant tout au moyen d’une présence qui tend à rassembler, locale-
ment, ne fût-ce pour quelques jours, une partie des habitants de la favela. Cette pré-
sence est ainsi une rencontre humaine, dans un contexte où l’activité d’étrangers dans
la favela reste rare, en dépit de l’organisation de circuits touristiques dans certaines
Mais ces sujets spatiaux et sociaux n’apparaissent pas égaux devant l’œuvre. Il convient
en effet de noter que la nécessité de rendre cette œuvre visible conduit l’artiste à
effectuer une sélection à la fois sociale et spatiale. En effet, si de nombreuses photos
d’enfants ont été exposées sur les murs de la favela tout au long de la mise en œuvre
du travail photographique, le projet artistique et ses diverses valorisations (ouvrage,
expositions, film) intéressent spécialement les femmes. Non que cela ne se justifie pas
au regard de la position qu’elles occupent dans une société très largement dominée
par les hommes. Les souffrances de la pauvreté et du manque d’accès aux soins et
à l’éducation, les dangers du trafic de drogue ou de la violence policière, autant de
sujets abordés dans l’expérience artiviste de JR, touchent pourtant l’ensemble de la
population favelada.
En vue d’attirer l’attention des habitants et de se montrer dans des lieux fortement
contestés par des pouvoirs criminels et policiers, l’exposition occupe les parties
les plus visibles du Morro da Providência. Ce choix relève d’une sélection de lieux
d’intervention visibles de l’extérieur, des autres habitants de la ville et des médias,
l’intervention devenant ainsi un événement tant artistique que social et critique.
Dès lors, bien que les postures, les modes d’action et les ambitions diffèrent, les lo-
giques de cette intervention ne diffèrent pas des projets de réhabilitation portés par les
pouvoirs publics qui, du programme Favela-Bairro au projet Cimento Social, s’exercent
dans les lieux les plus visibles et s’engagent dans le champ de l’économie culturelle
urbaine. De fait, ni les projets urbanistiques de la municipalité ni l’intervention artis-
tique voulue contestataire n’agissent en direction des lieux les plus isolés et les plus
pauvres, à l’exemple du quartier de la Pedra Lisa qui, plus encore que l’ensemble de
la colline de la Providência, demeure un lieu oublié des politiques publiques et des
interventions sociales. Reste que c’est l’ensemble de l’espace de la favela qui figure,
dans les deux cas, au cœur du processus de création. Les lieux de la création sont à la
fois les supports matériels qui rendent celle-ci possible, la favela dans son ensemble
devenant la ressource spatiale à partir de laquelle des images et des imaginaires col-
lectifs sont nourris, la pauvreté et l’injustice jouant ici un rôle majeur dans l’intérêt
que le monde porte à cet art critique.
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moins autant que les scènes et les individus qui en constituent le décor. Dès lors, le
sujet artiste émarge sur d’autres registres qui viennent renforcer son rôle : du culturel
à l’économique, de l’esthétique au politique.
Cela témoigne d’une modalité d’intervention dans l’espace urbain qui offre de
nombreuses perspectives d’analyse : par son occupation du terrain et par son in-
vestissement, mais aussi par le fait qu’elle soumet et confronte. Par une action non
programmée, depuis les images à la fois romantiques et polémiques jusqu’aux regards
extérieurs, l’intervention revêt une dimension politique qui vient nourrir l’étude des
mouvements sociaux urbains contemporains tournés vers « la résistance, l’affirmation
de la liberté intransitive des hommes » (Revel et Negri, 2008 : 7). Peut-être même révèle
t-elle des manières de faire valoir « sa puissance d’invention subjective, sa multiplicité
singulière, sa capacité à produire, à partir des différences, du commun » (Ibid.).
Pour explorer plus loin les effets possibles de ces actions, il s’agirait de se demander
ce qui différencie l’initiative de JR – exogène – par rapport à celles d’autres types
d’artivisme – endogènes ceux-ci – conduites par des artistes issus de la favela ou
par d’autres Brésiliens comme Deise Tigrona, MV Bill ou des auteurs de la marque
Daspu. En dépit de créations artistiques et de relais institutionnels et économiques
différents, il semble possible d’observer chez ces artivistes des références et des vo-
lontés d’identification à une même culture résistante ou périphérique. Il n’en reste
pas moins vrai que l’écho de ces initiatives dans la société, à la fois aux échelles locale
et globale, reste dépendant de l’origine de leurs instigateurs. Ainsi, proche et lointain
ne peuvent pas être confondus dans ces interventions, à la fois parce que la proximité
géographique facilite les sentiments d’appropriation et les modes de diffusion de ces
expressions, et parce que les codes esthétiques et sociaux des cultures périphériques
sont nombreux et n’ont pas le même pouvoir signifiant partout. Ceci nous conduit
à douter de l’existence d’unité de sens et de destins au sein d’une prétendue culture
populaire globalisée.
Les formes artistiques de l’activisme et, avec elles, les modalités selon lesquelles elles
se mêlent à la médiaculture et à l’industrie culturelle ouvrent ainsi un large champ
d’étude à une géographie soucieuse d’analyser des formes renouvelées de mouvement
social, à l’aune des liens intimes qu’elles établissent avec les lieux, supports et miroirs
de subjectivités multiples.
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