Les Mystères de Mithra Franz Cumont PDF

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The University of Connecticut
Libraries, Storrs

B 29 C 3 C
M VST E R E S DE MiTHHA
C UMO, T # l1s

1153 ODOÔlOb
11

3 ! 1
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LES MYSTERES DE MITHRA
..

DU MEME AUTEUR

Textes et monuments figurés relatifs aux mystères


de Mithra. —
Deux volumes in-4 avec 5og fi- ,

gures dans le texte, 9 planches en héliotypie et


1 carte Prix 100 fr.
:

Les religions orientales dans le paganisme romain.


— 2 e édition revue, Paris, Leroux, 1909. Prix : 5 fr.

ASTROLOGY AND RELIGION AMONG THE GREEES AND


Romans. —
New-York et Londres, Putnam, 1912.
Prix : 6 shil.
Recherches sur le manichéisme. — I. La Cosmogonie

manichéenne; IL Fragment d'une homélie de


Sévère d'Antioche (en collaboration avec M. Ku-
gener) Prix : 9 fr

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Onze volumes parus en collaboration Codices Flo-:

rentini. — Codd. Veneti. —


Codd. Mediolanenses
- Codd. Italici. —
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Codd. Parisini (2 vol.). —
Chaque volume se vend
séparément.

Studia Pontica. — IL Voyage d''exploration dans le


Pont et la Petite Arménie . . Prix : fr. 17.50.
III. Recueil des inscriptions du Pont et de l'Ar-
ménie (en collaboration avec MM. Anderson et
Grégoire) Prix : 15 fr.
LES MYSTÈRES

DE MITHRA
FRANZ CUMONT

TROISIEME EDITION
REVUE ET ANNOTÉE
CONTENANT VINGT-HUIT FIGURES ET UNE CARTE

BRUXELLES
H. LAMERTIN, LIBRAIRE-ÉDITEUR
58-02., RUE COUDENBERG

igi3
PREFACE

Ce livre n'a pas la prétention d'offrir un tableau de la

ry-, chute du paganisme. Il n'y faudra pas chercher des considé-


^ rations générales sur les causes profondes qui amenèrent le

succès des cultes orientaux en Italie; nous ne tenterons pas


d'y montrer comment leurs doctrines, ferment de dissolution

bien plus actif que les théories des philosophes, décompo-

^ sèrent les croyances nationales sur lesquelles reposaient

-~j l'Etat romain et toute la vie antique, et comment la destruc-

v tion de l'édifice qu'elles avaient désagrégé, fut achevée par

le christianisme. Nous n'entreprendrons pas d'y suivre les

phases diverses de la lutte entre l'idolâtrie et l'Église gran-

dissante. Ce vaste sujet, que nous ne désespérons pas de

pouvoir aborder un jour, n'est pas celui que nous avions à


.traiter dans cette monographie; elle ne s'occupe que d'un
_, épisode de cette révolution décisive : elle essaie de faire voir

X ^K avec toute la précision possible comment et pourquoi une


VI MYSTERES DE MIÏHRA

secte du mazdéisme faillit sous les Césars devenir la religion

prédominante de l'empire.
La civilisation hellénique ne parvint jamais à s'implanter
chez les Perses, et les Romains ne réussirent pas davantage

à se soumettre les Parthes. Le grand fait qui domine toute

l'histoire de l'Asie antérieure, c'est que le monde iranien et

le monde gréco-latin restèrent toujours rebelles à une assi-

milation réciproque, séparés par une répulsion instinctive

autant que par une hostilité héréditaire.

Toutefois, la religion des mages, qui fut la plus haute

expression du génie de l'Iran, influa à trois reprises sur la

culture occidentale. Le parsisme avait eu d'abord une action


très sensible sur la formation du judaïsme, et quelques-unes

de ses doctrines cardinales furent répandues par l'intermé-


diaire des colonies juives dans tout le bassin de la Méditer-

ranée, et se firent plus tard accepter par l'orthodoxie

catholique.

Le mazdéisme agit plus directement sur la pensée euro-


péenne, lorsque Rome eut conquis l'est de l'Asie-Mineure.

Depuis un temps immémorial des colonies de mages, émigrés


de Babylone, y vivaient obscurément et, combinant leurs
croyances traditionnelles avec les conceptions helléniques,

elles avaient élaboré peu à peu dans ces régions barbares un


culte original malgré sa complexité. On le vit, au début de

notre ère, surgir brusquement de l'ombre et s'avancer simul-

tanément dans les vallées du Danube et du Rhin et jusqu'au

cœur de l'Italie. Les peuples d'Occident sentirent fortement


,

PREFACE VII

la supériorité de la foi mazdéenne sur leurs vieilles pra-

tiques nationales, et les foules accoururent vers les autels du


dieu exotique. Mais les progrès du conquérant furent arrêtés

lorsqu'il prit contact avec le christianisme. Les deux adver-


saires reconnurent avec étonnement les similitudes qui les

rapprochaient, sans en apercevoir l'origine, et ils accusèrent

l'Esprit de mensonge d'avoir voulu parodier la sainteté de

leurs rites. Le conflit entre eux était inévitable, duel ardent,

implacable, car son enjeu était la domination du monde.

Personne ne nous en a raconté les péripéties, et notre imagi-

nation seule se représente les drames ignorés qui agitèrent

l'àme des multitudes, alors qu'elles hésitaient entre Ormuzd


et la Trinité. Nous ne connaissons que le résultat de la lutte :

le mithriacisme fut vaincu, et sans doute il devait l'être. Son


échec n'est pas dû uniquement à la supériorité de la morale
évangélique ou de la doctrine apostolique sur l'enseignement

des mystères ; il n'a pas péri seulement parce qu'il était

encombré par l'héritage onéreux d'un passé suranné, mais


aussi parce que sa liturgie et sa théologie étaient restées

trop asiatiques pour que l'esprit latin les accueillît sans répu-

gnance. Pour une raison inverse, la même guerre, engagée à

la même époque dans l'Iran entre les deux rivaux resta pour
les chrétiens sans succès, sinon sans honneur, et, dans
es états des Sassanides, le zoroastrisme ne se laissa jamais
sérieusement entamer.

Mais la défai tede Mithra n'anéantit pas sa puissance. Il

avait préparé les esprits à accepter une foi nouvelle, venue


V]II MYSTERES DE MITHRA

comme lui, des bords de l'Euphrate, et qui avec une tactique

différente reprit les hostilités. Le manichéisme apparut


comme son successeur et son continuateur. Ce fut le

suprême assaut livré par la Perse à l'Occident, assaut plus


sanglant que les autres, mais qui était condamné à se briser

finalement contre la force de résistance de l'empire chrétien.


Cette rapide esquisse mettra en lumière, je l'espère,

l'importance qu'offre l'histoire du mithriacisme. Rameau


détaché du vieux tronc mazdéen, il a conservé à beaucoup

d'égards les caractères de l'ancien culte naturaliste des


tribus iraniennes, et par comparaison il nous fait mieux
comprendre la portée, si discutée, de la réforme avestique.
D'autre part, il a, sinon inspiré, du moins contribué à préciser

certaines doctrines de l'Eglise, comme les idées relatives aux


puissances infernales et à la fin du monde. Ainsi ses origines

et son déclin concourent à nous expliquer la formation de

deux grandes religions. Au temps de sa pleine vigueur, il

exerça une influence non moins remarquable sur la société

et le gouvernement de Rome. Jamais peut-être, pas même à

l'époque des invasions musulmanes, l'Europe ne fut plus

près de devenir asiatique qu'au III e siècle de notre ère, et il

y eut un moment où le césarisme parut sur le point de se

transformer en un khalifat. On a souvent insisté sur les

ressemblances que la cour de Dioclétien offre avec celle des

Chosroès. Ce fut le culte solaire, ce furent en particulier les

théories mazdéennes, qui répandirent les idées sur lesquelles

les souverains divinisés tentèrent de fonder l'absolutisme


PREFACE IX

monarchique. La rapide diffusion des mystères persiques


dans toutes les classes de la population servit admirablement

les ambitions politiques des empereurs. Il se produisit un

débordement soudain de conceptions iraniennes et sémi-

tiques, qui faillit submerger tout ce qu'avait laborieusement


édifié le génie grec ou romain, et, quand le flot se retira, il

laissa dans la conscience populaire un sédiment épais de

croyances orientales, qui ne s'éliminèrent jamais complè-

tement.

Je crois en avoir dit assez pour indiquer en quoi le sujet

que j'ai essayé de traiter, méritait qu'on lui consacrât des

recherches approfondies. Bien que cette étude m'ait de toutes

façons entraîné beaucoup plus loin que je ne le prévoyais au

début, je ne regrette pas les années de labeur et de voyages

qu'elle m'a coûté. La besogne que j'avais entreprise ne

laissait pas d'être malaisée. D'un côté, nous ignorons jusqu'à

quel point l'Avesta et les autres livres sacrés des Parsis

représentent les idées des mazdéens d'Occident; de l'autre,

nous n'avons guère que ce commentaire pour interpréter la

masse considérable de monuments figurés qui ont été peu à


peu recueillis. Les inscriptions seules sont un guide toujours
sûr mais leur contenu est, somme toute, assez pauvre. Notre

situation est à peu près celle où nous serions s'il nous fallait

écrire l'histoire de l'Église au moyen âge en ne disposant pour

toute ressource que de la Bible hébraïque et des débris

sculptés de portails romans et gothiques. Dès lors, l'exégèse

des représentations mithriaques ne peut souvent atteindre


X MYSTERES DE M1THRA

qu'un degré plus ou moins grand de vraisemblance. Je ne


prétends pas être toujours arrivé à un déchiffrement rigou-

reusement exact de ces hiéroglyphes, et ne veux attribuer à


mes opinions que la valeur des arguments qui les soutiennent.

J'espère cependant avoir fixé avec certitude la signification

générale des images sacrées qui ornaient les cryptes

mithriaques. Quant aux détails de leur symbolisme recherché,

on peut difficilement les élucider, et il faut souvent savoir

pratiquer Yars nesciendi.

Ce petit volume reproduit les « Conclusions » qui ter-

minent le tome premier de mes Textes et monuments figurés


relatifs aux mystères de Mithra. Allégées des notes et des

renvois qui leur servent de justification, ces pages se bornent

à résumer et à coordonner ce que nous savons sur les origines

et les caractères de la religion mithriaque. Elles suffiront au

lecteur désireux de s'orienter sur la question. Les incertitudes

et les lacunes de la tradition ne permettaient pas de donner


à toutes les parties de cette reconstitution une égale solidité.

Ceux qui voudront éprouver la stabilité des bases sur

lesquelles elle repose, devront recourir aux discussions

critiques de mon « Introduction », qui ont pour but de

déterminer le sens et la valeur des documents écrits et

surtout des monuments figurés réunis dans mon recueil.

Pendant la longue préparation de cet ouvrage, j'ai dû


souvent mettre à contribution cette solidarité qui unit à

travers le monde tous les hommes de science, et j'y ai

rarement fait appel en vain. La prévenance d'amis dévoués,


PREFACE XI

dont plusieurs ne sont déjà plus, a souvent devancé


l'expression de mon désir, et m'a offert spontanément ce
que je n'eusse peut-être pas osé solliciter. J'ai essayé dans
le corps du livre complet de rendre à chacun ce qui lui

revient. Je ne veux point ici faire le dénombrement de mes


collaborateurs et en leur distribuant des remercîments
banals, sembler les payer de leur obligeance. Mais c'est avec
un sentiment de profonde gratitude que je remémore les

services qui m'ont été prodigués depuis plus de dix ans, et

qu'arrivé au terme de ma tâche, je songe à tous ceux qui

m'ont aidé à l'accomplir.

er
I Décembre 1899.
AVERTISSEMENT
DE LA TROISIÈME ÉDITION

En préparant cette troisième édition, nous nous sommes efforcé de


tenir compte, dans la mesure où un exposé succinct le permettait, des
découvertes et publications qui ont été faites depuis douze ans. Tous les
chapitres et l'appendice ont ainsi subi des modifications et reçu des
additions parfois étendues.
Pour répondre au désir exprimé par certains correspondants, nous
avons, comme dans la deuxième édition allemande, ajouté des notes
concises qui permettront de s'assurer rapidement des preuves sur les-
quelles reposent nos assertions. On trouvera ces « textes et monuments »
reproduits dans notre editio mai&rr-Ceux qui ont été trouvés ou signalés
depuis 1900, ont été brièvement enregistrés en appendice, pour autant
qu'ils nous soient connus. Ce petit livre servira ainsi en quelque mesure
de supplément à notre Corpus mithriaque. Nous avons dans le même but
introduit dans les illustrations quelques figures nouvelles, statues ou
bas-reliefs, rendus au jour récemment. La carte a été mise au point et
bon nombre de noms nouveaux ont pu y être inscrits. Nous espérons que
ce volume, quoique exigu, donnera ainsi une idée adéquate des résultats
obtenus par les recherches qui se multiplient sur le sujet dont il traite.
Au moment où jecommençais à m'occuper de celui-ci, un archéologue
d'expérience me dissuada de m'attacher à une étude aussi ingrate. Je
constate aujourd'hui avec satisfaction l'intérêt croissant que provoquent
des monuments longtemps délaissés.
C'est un devoir pour moi de remercier ici les critiques qui ont apprécié
avec une bienveillance dont je leur sais gré, mon travail sur les mystères
de Mithra, et ont bien voulu reconnaître que cette reconstitution d'unereli-
gion disparue reposait sur une interprétation objective et complète des
sources. En une matière encore obscure, il était inévitable, que certaines
divergences d'opinions se manifestassent, et mes conclusions, parfois
hardies, ont pu paraître à quelques-uns erronées sur certains points. J'ai
tenu grand compte de ces doutes dans ma revision; si je n'ai pas
toujours cru devoir modifier mon opinion, ce n'est pas faute d'avoir pesé
celle de mes contradicteurs, mais dans ce petit volume, où toute discus-
sion étendue était interdite, je ne pouvais toujours justifier ma façon de
voir. Il est scabreux, je l'avoue, de publier sans un commentaire érudit
XIV MYSTERES DE MITHRA

et détaillé un exposé qui devrait être ainsi appuyé, expliqué, tempéré,


mais j'espère que le lecteur ne sentira pas trop vivement ce défaut inévi-
table dans toute synthèse.
Je dois cependant signaler un point essentiel sur lequel mon opinion
tendrait aujourd'hui à se modifier. J'ai admis (p. 121) que les interpré-
tations astronomiques des représentations sacrées n'étaient qu'un sym-
bolisme exotérique qu'on enseignait à la foule des fidèles, tandis qu'on
réservait aux initiés parfaits la révélation des doctrines perses sur l'ori-
gine et la fin de l'homme. Maintenant j'inclinerais plutôt à penser le
contraire les légendes mazdéennes ou anatoliques furent probablement
:

les croyances dont on nourrissait la naïveté des âmes populaires, tandis


que les théories érudites des « Chaldéens » formaient la théologie des
esprits plus complètement éclairés. Ainsi, pour prendre exemple, il
semble qu'il ait subsisté dans les mystères une tradition suivant laquelle
les fidèles défunts étaient emportés, comme Mithra, sur le char du
du Soleil au-dessus de l'océan. Mais une eschatologie plus savante vou-
lait que les âmes montassent au ciel à travers les sphères planétaires,

doctrine nettement astrologique. A la vérité, il restera toujours difficile


de comprendre comment les prêtres mettaient d'accord deux systèmes
religieux qui sont en réalité inconciliables. Nous qui, sans la foi, pré-
tendons pénétrer les secrets du sanctuaire, nous nous heurterons toujours
à des difficultés qui n'arrêtaient pas les dévots d'autrefois.

Bruxelles, Janvier 1913.


TABLE DES MATIERES

Pages
PRÉFACE v

CHAPITRE PREMIER
LES ORIGINES

Mithra est un dieu indo-iranien 1. — Hypothèse d'un emprunt à


Babylone 2 . — Le M ithra
avestique 3 .

Le Mithra des Achéménides 8.
— —
Diffusion de son culte dans l'empire perse 10. Mithra et les dia-
doques 13. — Syncrétisme à l'époque alexandrine 16. — Mazdéisme en
Arménie 17 — en Asie Mineure 18. — Assimilation avec les dieux-
grecs 20. — Influence de grec 21 —
l'art de la philosophie stoï-
et

cienne 22. — Fixité de la liturgie 23. — Comment mazdéisme prit la


le

forme de mystères 25. — Arrivée de Mithra en Cilicie 28.

CHAPITRE II

LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN

Mithra ne pénètre pas dans le monde grec 31. —


Sa propagation en
Occident 33. —
Date de son arrivée en Italie 36. —
Son culte est répandu
par les soldats orientaux aux frontières 39. —
Sa diffusion en Mésie42 —
en Dacie 43 —
en Pannonie 45 —
à Carnuntum 46 —
dans le Norique 49
— en Germanie 50 —
en Belgique 55 —
en Bretagne 56 en Afrique 57— —
en Espagne 58. —
Action des vétérans 59. —
Autres facteurs La diaspora :

syrienne 61. —
Les esclaves orientaux 63. —
Propagation du mithria-
cisme dans les ports de la Méditerranée 64 —
dans la vallée du
Rhône 67. — Les esclaves l'introduisent en Italie 69 —
ainsi que dans
. —

XVI MYSTERES DE MITHRA

le Norique et en Pannonie 71. —


Les fonctionnaires d'origine ser-
vile 73. —
Causes accessoires de l'expansion du culte 75. Provinces —
dont il reste exclu 77. —
Son succès à Rome 78. — Il conquiert les
classes supérieures de la société 80. — Rapidité de son expansion 83.

CHAPITRE III

MITHRA ET LE POUVOIR IMPÉRIAL


Le mithriacisme n'a pas été persécuté 85. La condition juridique —
des collèges de fidèles 86. —
Faveur des empereurs 87. Ses causes — :

théories sur la divinité des princes 89 —


en Egypte et parmi les dia-
doques 91. — Le Hvarenô devient la Tûxq PacnAéwç 94 — et la Fortuna
Angusti 91 — Les titres de pins, felix, invictus et d'aetermis 98- — Le
feu des Césars et la couronne radiée 100. — Le Soleil et l'empereur sont
consubstantiels 101. — Deus et dominas nains 102. - Conclusion 103.

CHAPITRE IV

LA DOCTRINE DES MYSTÈRES

Impossibilité de suivre l'évolution de la théologie mithriaque 105. -

Le dieu suprême est le Temps infini 106. — Théogonie : La triade


primitive : Ciel, Océan ou Jupiter, Junon, Neptune 110.
Terre et Les —
autres dieux nés de Jupiter et de —
Junon 111. Ahriman et les démons 112.
—Cosmologie mithriaque culte des quatre Éléments 114, Allégorie du
: —
quadrige 118. —
Le Soleil et la Lune 120. — Influences chaldéennes 121.
— Les Planètes et les signes du Zodiaque 122. Les hémisphères —
célestes ou Dioscures et Atlas 125. — La Doctrine fataliste astrologie, ;

magie et superstition 126. —


Les dieux bienfaisants 127. Mithra, génie
de la lumière et médiateur, identifié à Babylone avec le Soleil 128.
Triade de Mithra, Cautès et Cautopatès 130. La légende mazdéenne — :

Naissance de Mithra 132. —


Légende de Mithra et de Sol 133. Légende —
de Mithra et du Taureau 134. —
Création des plantes et des animaux 137.
— Le genre humain menacé par une sécheresse, un déluge et une confla-
gration 138. —
Festin et ascension de Sol et de Mithra 139.— Rapports
de Mithra avec l'homme 140. —
La morale du mithriacisme 141. —
Mithra est le dieu tutélaire de ses fidèles 143. —
Sort de l'àme après la
mort 144. —
Résurrection de la chair et conflagration finale 147. Con- —
clusion 148.
TABLE DES MATIERES XVII

CHAPITRE V
LA LITURGIE, LE CLERGÉ ET LES FIDÈLES
Perte des livres sacrés du mithriacisme 153. — Fidélité au rituel
perse 154.— Les sept degrés d'initiation 155.— Origine des déguise-
ments en animaux 156. — Les Servants les Participants 158. — Les
et

Pères 159. — Cérémonies d'initiation, les sacrements Baptême, confir-


:

mation communion mithriaques 160. — Les épreuves 165. — Impres-


et
sion produite par ces cérémonies 167. — Le clergé 170. — La liturgie
quotidienne et fêtes 171. — Les sodalicia mithriaques 174. — Leurs
les
fonctionnaires leurs finances 175. — Disposition des mithréums 177.
et
Nombre restreint d'initiés 180. — Attraction qu'ils exercent 182. —
Exclusion des femmes 183.

CHAPITRE VI
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE
Tolérance du mithriacisme 184. —
Ses relations avec les cultes occi-
dentaux 186. — Isis, Jupiter Dolichénus 187. —
Son alliance avec la
Grande Mère 189. —
Le taurobole 190. —
La théologie aboutit au syn-
crétisme solaire 193. —
La dogmatique « chaldéenne » 194. —
Sa con-
formité avec la philosophie et les tendances politiques de l'empire 196.
— Effort suprême du paganisme vers le monothéisme 198 . —
Lutte des
mystères mithriaques et du christianisme 199. —
Analogie et différence
de leur propagation 200. —
Similitude de leurs doctrines 201. —
Y a-t-il
eu imitation? 204. —
Opposition de leurs tendances 207. —Décadence
du mithriacisme 209. —
Il est soutenu par les empereurs 210. —
Conver-
sion de Constantin 211. —
Restauration de Julien 212. —Une persé-
cution violente lui succède 214. —
L'aristocratie romaine reste fidèle à
Mithra 215. — Disparition de son culte 217. —
Idées qu'il a laissées;
le manichéisme est son héritier 218.

APPENDICE
Importance des monuments mithriaques dans l'art romain 221. —
Représentation de Mithra 222. —
Les dadophores 223. —
Perfection
minutieuse de certaines sculptures 223. —
Médiocrité de la plupart 224.
— Leur destination 225. —
Fabrication et transport des ex-voto

XVIII MYSTERES DE MITHRA

mithriaques 226. - Valeur des grands bas-relief pour l'étude de l'art


provincial 228. — La polychromie 228. —
L'école du Nord de la
Gaule 229. — Développement et diffusion des types sculpturaux 230.
Groupe danubien et groupe rhénan 232. —Origine des diverses repré-
sentations 233. — Le Kronos léontocéphale 234. —
Pauvreté des inno-
vations 236. — But religieux des artistes 236. — Influence sur l'art

chrétien 237.

BIBLIOGRAPHIE MITHRIAQUE
DE igOO A 1912

Ouvrages généraux 239. — Nouveaux monuments 240. — Textes


nouveaux 247.
.

TABLE DES FIGURES

Pages
Bas-rel ief d'Aquilée Front ispice
Mithra et Antiochus. Bas-relief du Nemroud-Dagh 15
Mithra tauroctone. Médaillon de Tarse . 28
3. Mithra tauroctone. Groupe du Briiish Muséum 37
4- Restauration d'un mithréum de Carnuntum 48
5. Grand bas-relief de Heddernheim 52
6. Mithra taurophore trouvé à Stockstadt 54
7 . Mithra tauroctone trouvé à Londres .... 56
8. Plan d'un mithréum d'Ostie 66
g. Mithra tauroctone. Grand bas-relief Borg-hèse . 81
io. Dédicace trouvée à Carnuntum 89
ii. Kronos mithriaque du musée des Offices. 108
12. Kronos mithriaque de Modène . 109
i3. Fragment de bas-relief trouvé à Virunum 113
14. Autel sculpté trouvé à Carnuntum 116
i5. Mithra tauroctone. Bas-relief de Sidon . 124
16 Dadophores du musée de Palerme 131
17. Fragment de Virunum
bas-relief trouvé à . 134
18. Mithra taurophore. Tasse de Lanuvium . 136
19. Grand bas-relief d'Apulum 140
20. Dédicace à Mithra Nabarzès (Sarmizégétusa) . 144
21. Communion mithriaque. Bas-relief de Konjica . 164
22. Mithréum trouvé sous l'église St-Clément . 168
23. Plan d'un mithréum trouvé à Heddernheim. 178
24. Squelette découvert dans le mithréum de Sarrebourg 216
25. Bas-relief travaillé à jour (Palerme"! .... 226
26-27 . Kronos léontocéphale de Sidon 235
.

CHAPITRE PREMIER

LES ORIGINES

A l'époque inconnue où les ancêtres des Perses


étaient encore réunis à ceux des Hindous, ils
adoraient déjà Mithra (*). Les hymnes des Védas
célèbrent son nom comme ceux de l'Avesta, et,

malgré la différence des deux systèmes théolo-


giques dont ces livres sont l'expression, le Mitra
védique et le Mithra iranien ont conservé tant de
traits semblables qu'on ne saurait douter de la
communauté de leur origine. L'une et l'autre
religion voient en lui une divinité de la lumière
invoquée avec le ciel, qui s'appelle d'un côté
Varuna, de l'autre, Ahura; au moral elles le
reconnaissent comme protecteur de la vérité et
des contrats ( 2 ), l'antagoniste du mensonge et de

(!) La bibliographie relative au culte de Mithra en Perse et dans


l'Inde est assez abondante. En dehors des traductions de l'Avesta et

spécialement de celle, accompagnée d'un commentaire, de James Dar-


mesteter (Le Zend Avesta, 3 vol., Paris, 1892-3), il faut citer surtout
Windischmann,MzY/z.ra (Abhandl. der deutschen morgenl. Gesellschaft),
Leipzig, 1857; Spiegel, Eran. Altertumskun.de, II, p. 77 s; Hillebrandt,
Varuna und Mithra, JBreslau, 1877; Darmesteter, Ormuzd et Ahriman,
Paris, 1877, p. 62 ss.; Oldenberg, Die Religion des Veda, Berlin, 1894,
p. i85
(
Suivant M. Meillet, Journal Asiatique, 1907, II, p. 143, le dieu
2
)

indo-iranien Mitra serait même simplement le contrat divinisé, la


puissance mystique et personnifiée du pacte. Mais qu'une pareille
abstraction soit primitive, est fort improbable.
MYSTERES DE MITHRA

l'erreur. Mais la poésie sacrée de l'Inde n'agardéde


lui qu'un souvenir à demi effacé. Seul un morceau
assez pâle lui est spécialement consacré. Il appa-
raît surtout incidemment dans des comparaisons
qui témoignent de sa grandeur passée. Toutefois si
sa physionomie n'est pas aussi nettement accusée
dans la littérature sanscrite que dans les écrits
zends, cette indécision de contours ne suffit pas à
dissimuler l'identité primitive de son caractère.
Suivant une théorie récente, ce dieu, que les
peuples européens ne connaissent pas, n'appar-
tiendrait pas davantage à l'ancien panthéon des
Aryas. Le couple Mithra-Varuna et les cinq autres
Adityas chantés par les Védas, de même que
Mithra-Ahura et les Amshaspands qui entourent
le Créateur suivant la conception avestique, ne
seraient autres que le soleil, la lune et les pla-
nètes, dont le culte aurait été emprunté par les
Indo-Iraniens « à un peuple voisin qui leur était
supérieur dans la connaissance du ciel étoile »
c'est-à-dire, selon toute vraisemblance, aux habi-
tants accadiens ou sémitiques de la Babylonie ( ).
l

Mais cette hypothèse hasardeuse semble contre-


dite par une découverte d'une grande portée.
Les documents cunéiformes de Cappadoce nous
ont révélé que les dieux indo-iraniens Mithra,
Varuna, Indra etNâsatija étaient adorés vers
le XIV e siècle avant notre ère par un peuple

(i) Oldenberg, Die Religion des Veda, 1894, p. i85 et Z. D. M. G., t.


L (1896), p. 43 ss. Cf. Barth, Journal des Savants, 1896, p. 3go ss. ;

Ed. Meyer, Gesch. des Altertums, I2 , p. 821, § 58i, Anm.


LES ORIGINES

voisin des Hittites, les Mitani, établis sans doute


dans le nord de la Mésopotamie ( ). Dès leur 1

première apparition dans l'histoire, nous voyons


donc les Aryens adorer Mithra, et nous pouvons
affirmer que les tribus qui conquirent l'Iran ne
cessèrent jamais de lui rendre un culte depuis
l'origine de leur puissance jusqu'à leur conversion
à l'islamisme.
Dans l'Avesta, Mithra est le génie de la lumière
2
céleste (
). Il paraît avant le lever du soleil sur les
cimes rocheuses des montagnes; durant le jour il
parcourt sur son char traîné par quatre chevaux
blancs les espaces du firmament, et, quand la nuit
tombe, éclaire encore d'une lueur indécise la
surface de la terre, « toujours en éveil, toujours
vigilant». Il n'est ni le soleil, ni la lune, ni les
étoiles, mais à l'aide de ces « mille oreilles et de
ces dix mille yeux » il surveille le monde. Mithra
entend tout, aperçoit tout, il est omniscient, nul
ne peut le tromper. Par une transition naturelle
il est devenu au moral le dieu de la vérité et de

la loyauté, celui qu'on invoque dans les serments,


qui garantit les contrats et punit les parjures.
La lumière, dissipant l'obscurité, ramène la
joie et la vie sur la terre; la chaleur, qui l'accom-
pagne, féconde la nature. Mithra est « le maître

(!) Ed. Meyer, Das erste Auftreten der Arier in der Geschichte
(Sitzb. Akad. Berlin), 1908, p. 14SS.; Kuhn's Zeitsch.f.vergl.Sprachw.,
XLII ; cf. Gesch. des Altertums, I2, zweite Hâlfte, pp. 579, 829, 837.

(
2
) C'est ce qu'a reconnu déjà Windischmann, Mithra, p. 52 ss. Ce
qui suit est emprunté à l'Avesta, et particulièrement au Yasht X, consacré
à Mithra.
MYSTERES DE MITHRA

des vastes campagnes », qu'il rend productives.


« Ildonne l'accroissement, il donne l'abondance,
ildonne les troupeaux, il donne la progéniture et
la vie. » Il épand les eaux et fait pousser les
plantes procure à celui qui l'honore, la santé
;
il

du corps, la plénitude de la richesse et une


descendance heureusement douée. Car il est le
dispensateur non seulement des avantages maté-
riels, mais aussi des qualités de l'âme. C'est l'ami
bienfaisant qui accorde, avec la prospérité, la
paix de la conscience, la sagesse et la gloire, et
fait régner la concorde entre ses fidèles. Les dévas,
qui peuplent les ténèbres, propagent sur la terre,
avec la stérilité et les souffrances, tous les vices et
toutes les impuretés. Mithra « veillant sans som-
meil, protège la création de Mazda » contre leurs
entreprises. Il combat sans relâche les esprits du
mal, et les méchants, qui les servent, éprouvent
avec eux les effets terribles de son courroux. Du
haut de sa demeure céleste, il épie ses adversaires ;

armé de toutes pièces, il fond sur eux, les disperse


et les massacre. Il désole et dépeuple les maisons
des pervers, il anéantit les tribus et les nations
qui lui sont hostiles. Par contre, il est l'allié puis-
sant de ses fidèles dans leurs expéditions guer-
rières. Les coups de leurs ennemis « manquent
leur but parce que Mithra irrité vient les recevoir»,
et il assure la victoire à ceux qui, « pieusement
instruits du Bien, l'honorent avec piété et lui
offrent en sacrifice les libations » (*).

(!) Yasht X, 3g ss., 19; cf. 8, n, 32-34-


LES ORIGINES

Ce caractère de dieu des armées, qui prédomine


en Mithra dès l'époque des Achéménides, s'est
accentué sans doute durant la période confuse où
les tribus iraniennes guerroyaient encore les unes
contre les autres mais c'est un simple dévelop-
;

pement de l'antique conception d'une lutte entre


lejour et la nuit. En général, l'image que l'Avesta
nous présente de la vieille divinité aryaque, est
semblable, nous l'avons dit, à celle que les Védas
nous dessinent en traits moins précis, et il s'ensuit
que le mazdéisme n'a pas altéré le fonds de sa
nature originelle.
Toutefois, si les hymnes zends laissent encore
transparaître la physionomie propre de l'ancien
dieu lumineux, le système zoroastrique, en adop-
tant son culte, avait singulièrement réduit son
importance. Pour entrer dans le ciel avestique,
il avait dû se soumettre à ses lois. La théologie
avait élevé Ahura-Mazda au sommet de la hiérar-
chie céleste, et désormais elle ne pouvait plus lui
reconnaître d'égal. Mithra ne fait même pas
partie des six Amshaspands qui aident le dieu
suprême à gouverner l'univers. On l'a relégué,
avec la plupart des anciennes divinités de la
nature, dans la foule des génies inférieurs, des
ya^atas créés par Mazda. On l'a mis en rapport
avec quelques-unes des abstractions déifiées, aux-
quelles les Perses avaient appris à rendre un culte.
Comme protecteur des guerriers, il a reçu pour
compagnon Verethraghna, la Victoire; comme
défenseur de la vérité, il est uni au pieux Sraosha,
MYSTERES DE MITHRA

l'Obéissance à la loi divine, à Rashnu, la Justice,


à Arshtât, la Droiture; présidant à la prospérité,
il invoqué avec Ashi-Vahuhi, la Richesse, et
est
avec Pâreîidî, l'Abondance. En compagnie de
Sraosha et de Rashnu, il protège l'âme du juste
contre les démons qui cherchent à la faire tomber
dans les enfers, et préside au jugement qui lui
permettra de passer le périlleux pont Cinvat pour
s'élever au ciel ( ). Cette croyance iranienne a
!

donné naissance à la doctrine de la rédemption


par Mithra, que nous retrouverons développée en
Occident.
En même temps son culte est soumis à un céré-
monial rigoureux, conforme à la liturgie maz-
déenne. On lui offrira en sacrifice « du petit bétail
2
et du gros bétail et des oiseaux volants ( ) ». Ces
immolations seront précédées ou accompagnées
des libations ordinaires de jus de Haoma et de la
récitation des prières rituelles, le faisceau de
baguettes (paresman) à la main. Mais avant de
pouvoir s'approcher de l'autel, le fidèle devra se
se purifier par des ablutions et des flagellations
3
répétées (
). Ces prescriptions rigoureuses rap-
pellent le baptême et les épreuves corporelles
imposées aux mystes romains^ avant l'initiation.
On avait donc fait entrer Mithra dans le système
théologique du zoroastrisme, on lui avait assigné
(!) Mon. Myst. Mithra, t. I, p. 37, cf. Nathan Sôderblom, La vie future

suivant le mazdéisme, Paris, 1901, p. 96, pass.


(
2
)
Yasht X, 119. Les sacrifices de quadrupèdes et de volatiles se
retrouvent en Occident cf. infra ch. V.
;

(
3
)
Yasht X, 120, 122, cf. 88, 137.
LES ORIGINES

une place convenable dans la hiérarchie divine,


on l'avait uni à des compagnons d'une parfaite
orthodoxie, on lui rendait un culte analogue à
celui des autres génies. Mais sa forte personnalité
ne s'était pliée qu'avec peine aux règles étroites
qui lui avaient été imposées, et l'on trouve dans
le texte sacré des traces d'une conception plus
ancienne, suivant laquelle il occupait dans le

panthéon iranien une situation beaucoup plus


élevée. Plusieurs fois il est joint à Ahura dans une
même invocation les deux dieux forment couple,
:

car la lumière céleste et le ciel lumineux sont


inséparables dans la nature. Ailleurs, s'il est dit
qu'Ahura a créé Mithra comme toutes choses, il
l'a fait aussi grand que lui-même. Mithra est bien

un yaçata, mais c'est le plus fort, le plus glorieux


des ya{atas. « Ahura-Mazda l'a établi pour garder
tout le monde mobile et veiller sur lui ( ). » C'est :

par l'entremise de ce guerrier toujours victorieux


que l'Etre suprême détruit les démons, et fait
trembler l'Esprit du mal, Ahriman, lui-même.
Rapprochons ces textes du passage célèbre où
Plutarque ( 2 ) nous expose la doctrine dualiste des
Perses Oromasdès siège dans la clarté éternelle
:

« autant au-dessus du soleil que le soleil est

distant de la terre », Ahriman règne dans la nuit


du monde inférieur, et Mithra occupe entre eux'
une position intermédiaire. Le début du Boun-

(!) Yasht X, io3. Cf. 89, 123, Voir sur ces vestiges de l'ancienne
conception Darmesteter, Ormuzd et Ahriman, p. 65 ss.
(*) Plut., De Iside et Osiride, 46-47, = M. M. M., t. II, p. 33.
MYSTERES DE MITHRA

dahish enseigne une théorie toute semblable,


(*)

seulement au lieu de Mithra, c'est l'Air (Vayu)


qui est placé entre Ormuzd et Ahriman. La con-
tradiction n'existe que dans les termes, car,
suivant les idées iraniennes, l'air est indissoluble-
ment uni à la lumière qu'il est censé supporter.
Ainsi, un dieu suprême, trônant au-dessus des
astres dans l'empyrée, où règne une sérénité per-
pétuelle au-dessous de lui, un dieu actif, son
;

émissaire, chef des armées célestes dans leur lutte


constante contre l'Esprit des ténèbres, lequel du
fond des enfers envoie ses dévas à la surface de la
terre, voilà la conception religieuse, beaucoup
plus simple que celle du zoroastrisme, qui semble
avoir été généralement admise parmi les sujets
des Achéménides.
Le rôle éminent que la religion des anciens
Perses accordait à Mithra est attesté par une
foule de preuves. Seul avec la déesse Anâhita, il
est invoqué dans les inscriptions des Artaxerxès à
2
côté d'Ahura-Mazda (
).Les Grands Rois avaient
certainement pour lui une dévotion toute spéciale,
et le regardaient comme leur protecteur particu-
lier. C'est lui qu'ils prennent à témoin de la vérité

de leurs paroles ( 3 ), c'est lui qu'ils invoquent au

(!) Boundahish I, 2-4 dans West, Pahlavi texts, I (= Sacred Books


of the East, V), 1880, p. 3 ss.

(
2
)
Weissbach et Bang, Die altpersischen Keilinschriften, i8g3
(M. M. M., t. II, p. 87 ss.).

(
Mitra est déjà invoqué dans le traité avec les Mitani {supra p. 3,
3
)

n. 1).Serments des rois de Perse par Mithra Plut., Vit.Artax., 4; Vit. :

Alex., 3 Xénoph., Oecon., 4, § 24; Cyrop., VII, 5, § 43 etc.


; ;
LES ORIGINES

moment d'engager une bataille (*). On le considé-


rait sans doute comme celui qui apportait aux
monarques la victoire : il faisait descendre sur
eux, pensait-on, cette clarté mystérieuse, le
Hvarenô, qui, selon la croyance mazdéenne, est
pour les princes, dont elle consacre l'autorité,
une garantie de succès perpétuels.
La noblesse suivait l'exemple du souverain. Le
grand nombre de noms théophores, composés avec
celui de Mithra, qui depuis la plus haute antiquité
furent portés par ses membres, prouvent que la vé-
nération pour ce dieu était générale parmi elle ( 2 ).
Mithra avait une large place dans le culte offi-
ciel. Dans le calendrier, le septième mois lui était

consacré et sans doute aussi le seizième jour de


chaque mois ( 3 ). Lors de sa fête, s'il faut en croire
Ctésias (4 ), le roi avait le privilège de faire en son
honneur de copieuses libations et d'exécuter les
danses sacrées. Certainement cette fête était
l'occasion d'un sacrifice solennel et de pompeuses
cérémonies. Les Mithrakana étaient fameux dans
toute l'Asie antérieure, et devenus le Mihragân, ils
devaient continuer jusqu'aux temps modernes à
être célébrés par la Perse musulmane au commen-
cement de l'hiver ( 5 ). La gloire de Mithra s'éten-

(!) Curt., Hist. Alex., IV, i3, § 48.

(
2
)
Nous avons réuni ces noms théophores M. M. M., t. II, pp. *]5, 464.
(
3
)
Mois et jour de Mithra : M. M. M., t. II, p. 6 ; Darmesteter,
Avesta, I, p. 34 ss. II, pp. 3oi, 327.
;

( )
4 Ctésias ap. Athen., X, 45 (M'. M. M., t. II, p. 10).

(
5
)
Strab, X. 14, § 9, p. 53o C. (M. M. M., t. II, p. 49). Inscr. d'Amo-
rion, Rev. et. gr ., II, p. 18 = M. M. M., t. II, p. 91, n° 4. Talmud,
IO MYSTÈRES DE MITHRA

dait jusqu'aux bords de la mer Egée : c'est le


seul dieu iranien dont le 720m ait été populaire
dans la Grèce ancienne (
L

), et ce fait prouverait à

combien
lui seul il était vénéré parmi les peuples
du grand empire voisin.
La religion pratiquée par le monarque et toute
l'aristocratie qui l'aidait à gouverner son vaste
ne pouvait rester confinée dans quel-
territoire,
ques provinces de ses états. Nous savons qu'Ar-
taxerxès Ochus avait fait élever des statues à la
déesse Anâhita dans ses diverses capitales, aussi
bien à Babylone, à Damas et à Sardes qu'à Suse,
2
à Ecbatane et à Persépolis ( ).
Babylone surtout,
qui était la résidence d'hiver des souverains, était
peuplée d'un nombreux clergé officiel de «mages»,
qui avaient la préséance sur les prêtres indi-
gènes ( 3 ). Les prérogatives que le protocole leur
garantissait, ne devaient pas les soustraire à l'in-
fluence de la puissante caste sacerdotale qui se
maintenait à côté d'eux. La théologie savante et
systématique des Chaldéens s'imposa au maz-
déisme primitif, qui était un ensemble de tradi-
tions plutôt qu'un corps de doctrines bien définies.
Les légendes des deux religions furent rapprochées,

Aboda Zara, n^. [M. M. M., t. II, p. 457). Cf. Hùbschmann, Artnen.
Etymologie, p. 194; Hyde, Rel. vet. Pers., p. 245 ; Darmesteter, Avesta,
t. II, p. 443.
(!) Hérod., I, i3i; Xénoph., I. c. Ctésias, l. c. Les Grecs traduisent
d'ordinaire par des équivalents les noms des dieux perses. Seul celui
de Mithra est conservé.
(
2
)
Bérose ap. Clem. Alex., Protrept., c. 5 (p. 5o, 2 Stâhlin).

(
3
)
Curt., V, 1, 22; cf. M. M. M., t. I, p. 8,-n. 5.
LES ORIGINES * x

leurs divinités identifiées, et l'astrolàtrie sémi-


tique, fruit monstrueux de longues observations
scientifiques, vint se superposer aux mythes natu-
ralistes des iraniens. Ahura-Mazda fut confondu
avec Bel, qui règne sur le ciel, Anâhita fut assi-
milée à Ishtar, qui préside à la planète Vénus, et
Mithra devint le Soleil, Shamash ( ). Celui-ci est 1

Babylonie, comme Mithra en Perse, le dieu de la


justice, comme apparaît à l'Orient, sur le
lui il

sommet des montagnes, et accomplit sa course quo-


tidienne sur un char resplendissant, comme lui
enfin, il donne la victoire aux guerriers et est le
). La transformation que les
2
protecteur des rois (

théories sémitiques firent subir aux croyances


perses fut si profonde, que bien des siècles plus
tard, à Rome, on plaçait parfois sur les bords de
3
l'Euphrate, la véritable patrie de Mithra ). Selon (
4
Ptolémée ( ), ce puissant dieu solaire était vénéré
dans toutes les contrées qui s'étendent depuis
l'Inde jusqu'à l'Assyrie.
Babylone ne fut dans la propagation du maz-
déisme qu'une étape. Très anciennement les mages
parvinrent à travers la Mésopotamie jusqu'au cœur
de P Asie-Mineure. Déjà sous les premiers Aché-
ménides, ce semble, ils s'établirent en foule en

(!) Mitra est déjà identifié avec Shamash dans un texte cunéiforme de
la bibliothèque d'Assourbanipal (R. III, 69, n p 5,1.72); cf. Jensen,
Zeitschr. fur Assyriol., II, p. ig5
'-) Jastrow, Religion Babyloniens, p. 427 et pass. ;
Knudtzon,
Gebete an den Sonnengott, i8g3, p. 79 et pass.
(3) M. M. M., t. I, p. 9.

(
4
)
Ptol., Tetrabibl ,11, 2; Procl., Paraphr. in Ptol., p. g3,éd. Allatius.
12 MYSTÈRES DE MITHRA

Arménie, où la religion indigène s'effaça peu à


peu devant celle qu'ils introduisirent, et en Cap-
padoce, où leurs pyrées brûlaient encore en grand
nombre du temps de Strabon (*). Ils essaimèrent
à une époque fort reculée jusque dans le Pont, en
Galatie et en Phrygie ( 2 ). En Lydie même, sous
les Antonins, leurs descendants chantaient encore
des hymmes barbares dans un sanctuaire dont la
fondation était attribuée à Cyrus ( 3 ). Ces commu-
nautés devaient, au moins en Cappadoce, survivre
au triomphe du christianisme et se perpétuer jus-
qu'au V e siècle de notre ère, se transmettant fidè-
lement de génération en génération leurs mœurs,
4
leurs usages et leur culte ( ).

Fait significatif, on donnait à ces colons le nom


de «maguséens» (^aYoucmîoi), qui est la transcription
exacte d'un pluriel sémitiquef), et leur langue litté-
raire et peut-être liturgique n'était pas le persan,
mais l'araméen, qui déjà sous les Achéménides ser-
vaitaux relations diplomatiques et commerciales
dans tous les pays situés à l'ouest du Tigre ( 6 ).
(i) Strab., XV, 3, i5, p. 733 C. ; cf. XI, 5ia C. ; XII, 55g C.
(
2
)
Bardesane dans Eusèbe, Praep. Evang., VI, io, 16.
(
3
)
Pausan., V, 27, 3.
(
4
)
Basile, Epist. 358 ad Epiphaniiitn ; Epiph., Adv haeres., . III, i3 ;

Cf. Priscus, fr. 3i (I, p. 342, Hist. min., Dindorf). J'ai parlé de cette
Diaspora iranienne M. M . M. , t. I, p. 9 ss., p. 16 s. et Religions orien-
tales, 2 e éd., p. 2i3 ss.

(
5
) Mcrfouaaîoi répond exactement au syriaque « magushayê »
« mages » ; cf. M. M. M., t. I. 9, n. 5.

(
6
)
C'est ce qu'a prouvé définitivement la découverte d'inscriptions
bilingues, gréco-araméennes, en Cappadoce et en Arménie. Cf. Lidz-
barski, Ephemeris fur sem. Epigr., I, p. 60 s.; III, p. 65 ss, Cumont,.
C. R. Acad. Inscr., igo5, p 99 ss. Cf. p. 14, n. 2.
LES ORIGINES l3

Rien ne montre mieux combien fut profonde


Chaldéens » sur ce mazdéisme ana-
l'action des «
tolique.
Ilsemble que la chute de l'empire de Darius
aurait dû être funeste à ces colonies disséminées
au loin et séparées désormais de la mère patrie.
En réalité, ce fut plutôt le contraire qui arriva,
et les mages trouvèrent chez les diadoques une
protection au moins aussi attentive que celle que
leur avaient accordée le Grand Roi et ses officiers.
Après le démembrement de l'empire d'Alexandre,
on vit s'établir dans le Pont, en Cappadoce, en
Arménie, en Commagène, des dynasties que des
généalogies complaisantes prétendaient rattacher
aux Achéménides. Que ces maisons fussent ou
non de race iranienne, leur origine supposée leur
faisait un devoir d'adorer les dieux de leurs an-
cêtres fictifs. Par opposition aux rois grecs de
Pergame ou d'Antioche, ils représentaient les an-
ciennes traditions en religion comme en politique,
et ils mettaient une sorte d'orgueil nobiliaire à
imiter en tout point les anciens maîtres de l'Asie.
L'aristocratie féodale qui gouvernait le pays,
appartenait aussi ou disait appartenir à l'ancienne
nation conquérante. Les chefs de clans, qui, au
moins aux confins de l'Arménie, conservèrent à
travers toutes les vicissitudes jusqu'à Justinien le
titre héréditairede «satrapes» (*), gardèrent fière-
ment aussi l'antique foi de leurs aïeux. Sans témoi-
gner aucune hostilité aux autres cultes pratiqués
(!) Daremberg-Saglio-Pottier, Diction., s. v. « Satrapa >>.
14 MYSTÈRES DE MITHRA

dans le pays, ces princes et les magnats de leur


entourage réservaient cependant des faveurs spé-
ciales aux temples des divinités mazdéennes.
Oromasdès (Ahura Mazda), Omanos (Vohumanô),
Artagnès(Verethraghna), Anaïtis(Anâhita), d'autres
encore recevaient leurs hommages ( ). Mithra sur- 1

tout était l'objet de leur prédilection ( 2 ); les mo-


narques avaient pour lui une dévotion en quelque
sorte personnelle, que révèle le nom de Mithradate
fréquent dans toutes ces familles. Evidemment
Mithra était resté pour eux, comme il l'était pour
les Artaxerxès et les Darius, le dieu qui donne au
souverain la victoire, manifestation et garantie de
l'autorité légitime.
Ce respect pour les pratiques perses, héritées
d'aïeux légendaires, cette idée que la piété est la
sauvegarde du trône et la condition de tous les
succès, s'affirment explicitement dans la pompeuse
3
inscription ( )
gravée sur le tombeau monumental
qu'Antiochus Épiphane de Commagène (69-34
I
er

av. J.-C.) se fit construire sur un éperon du Taurus,

d'où la vue s'étend au loin dans la vallée de


l'Euphrate. Un bas relief nous montre le prince
en grand costume, coiffé d'une haute tiare, tenant
son sceptre de la main gauche et serrant là droite
de Mithra, nimbé et radié, pour rappeler l'alliance

(!) Nous avons dressé la liste de ces dieux M. M. M., t. I, p. i3c- s.


(
2
)
L'inscription gréco-araméenne de Farasha (Rhodandos) en Cappa-
doce (Grégoire, C.-R. Acad. Inscr., 1908, p. 434 ss.) rappelle qu'un
stratège, qui porte un nom perse, è^âfevoe MiOprj.
3 Michel, Recueil inscr. gr., n° 735; Dittenberger, Orient Inscr.,
( )
n. 383; cf. M. M. M., t. II, p. 89, n° 1.
LES ORIGINES i5

qu'il avait contractée avec le dieu (fig. i). Seule-


ment, descendant par sa mère des Séleucides de
Syrie, se disant issu par son père de Darius,
fils d'Hystaspe, le roi de Commagène mêle les

MITHRA ET LE ROI ANTIOCHUS.

souvenirs de sa double origine, et il combine les


divinités et les rites perses et helléniques, de
même que dans sa maison le nom d'Antiochus
alterne avec celui de Mithridate.
i6 MYSTERES DE MITHRA

Pareillement, dans les contrées voisines, les


princes et les prêtres iraniens subirent à des degrés
divers l'ascendant de la civilisation grecque. Sous
les Achéménides, chacun des peuples cantonnés
entre le Pont Euxin et le Taurus avait pu con-
server, grâce à la tolérance du pouvoir central, ses
cultes locaux, comme sa langue et ses coutumes
particulières. Mais dans la grande confusion sus-
citée par l'effondrement de l'empire perse, toutes
les barrières politiques et religieuses étaient tom-
bées ; des races hétérogènes étaient entrées brus-
quement en contact, et par suite, l'Asie antérieure
traversa alors une phase de syncrétisme analogue
à celle que nous pouvons mieux observer sous
l'empire romain. Le rapprochement de toutes les
théologies de l'Orient et de toutes les philosophies
de la Grèce produisit combinaisons les plus
les
inattendues, et la concurrence entre ces croyances
diverses devint extrêmement vive. Parmi les
mages disséminés depuis l'Arménie jusqu'en
Phrygie et en Lydie, beaucoup sans doute se
départirent alors de la réserve qu'ils s'étaient
imposée jusque-là, pour se livrer à une propagande
active, et, comme les Juifs à la même époque, ils

réussirent à grouper autour d'eux une quantité de


prosélytes. Plus tard, persécutés parles empereurs
chrétiens, ils devaient, ainsi que les docteurs du
Talmud, revenir à leur exclusivisme passé et
•s'enfermer dans un rigorisme de plus en plus
l
inaccessible ( ).

(
l
) Saint Basile, /. c. [p. 12. n. 4].
LES ORIGINES 17

C'est certainement pendant la période de fermen-


tation morale et religieuse provoquée par la con-
quête macédonienne, que mithriacisme reçut le
sa forme à peu près définitive. Au moment où il
se répandit dans l'empire romain, il était forte-
ment constitué ( ). Son système dogmatique aussi
1

bien que ses traditions liturgiques doivent avoir


été fixés dès l'origine de sa diffusion. Nous ne
pouvons malheureusement déterminer avec préci-
sion ni dans quelle contrée, ni à quel moment, le
mazdéisme prit les caractères qui le distinguent
en Italie. L'ignorance où nous sommes des mou-
vements religieux qui agitèrent l'Orient à l'époque
alexandrine, l'absence presque complète de témoi-
gnages directs sur l'histoire des sectes iraniennes
pendant les trois premiers siècles avant notre ère,
sont l'obstacle principal qui s'oppose à une
connaissance sûre du développement du parsisme.
Du moins pouvons-nous réussir à dégager les fac-
teurs principaux qui ont concouru à transformer
le culte des mages d'Asie Mineure, et essayer de
montrer comment, dans les différentes régions,
des influences variables ont diversement altéré sa
nature propre.
En Arménie,
mazdéisme s'était combiné avec
le
les croyances nationales du pays et avec un élé-
ment sémitique importé de Syrie ( 2 ). Mithra était

(!) Cf. infra, ch. IV, au début.


(
2
) Gelzer, Zur armenischen
Gôtterlehre (Sitzungsb. Gesellsch.
Wiss. Leipzig), 1896, surtout p. 118. Sur le culte d'Anaïtis en Arménie,
cf. Cumont, Revue archéol., 1905, I, p 25 ss.
MYSTERES DE MITHRA

resté une des divinités principales de la théologie


syncrétique qui s'était élaborée sous cette triple
influence. Comme en Occident, les uns voyaient
en génie du feu ( ), d'autres le considéraient
lui le
J

comme identique au Soleil ( 2 ), et des légendes


étranges s'étaient attachées à son nom. On racon-
né du commerce incestueux d'Ahura-
tait qu'il était
Mazda avec mère ( 3 ), ou bien qu'une
sa propre
simple mortelle l'avait mis au monde ( 4 ). Nous
nous dispenserons d'insister sur ces mythes singu-
liers et d'autres analogues ( ). Leur caractère est
5

radicalement différent des dogmes acceptés par les


fidèles occidentaux du dieu perse. Le mélange
spécial de doctrines disparates qui constitue la
religion des Arméniens, ne semble avoir eu d'autre
rapport avec le mithriacisme qu'une communauté
•partielle d'origine.
Dans le reste de l'Asie Mineure, l'altération du
mazdéisme fut loin d'être aussi profonde qu'en
Arménie. L'opposition entre les cultes indigènes
et celui dont les adeptes se plaisaient à rappeler
l'origine iranienne, ne cessa jamais d'être sentie.
La pure doctrine dont les adorateurs du feu étaient
les dépositaires, pouvait difficilement se concilier

(!) Agathange, Hist. de Tiridate, c. 5 (M. M. M., t. II, p. 4> n. 3 ;

t . I, p. 160, n. 10).
(-) Elisée Vartabed dans Langlois, Historiens arm. ,
t. II, pp. 224,
237 (M. M. M., t. II, p. 5).

(
3
; Eznig von Kolb, Wider die Sekten, ùbers. von Schmid, Vienne,
1900, p. 109 (Cf. M. M. M., t. II, p. 3).
(
4
)
Elisée Vartabed, l. c, p. 194 (M. M. M. t. II, p. 5).

(
5
)
Ps. Plutarque, De fluviis, c. 23.
.

LES ORIGINES 19

avec les orgies célébrées en l'honneur de l'amant


de Cybèle. Toutefois pendant les longs siècles que
les mages émigrés vécurent en paix au milieu des
tribus autochtones, certains rapprochements entre
les conceptions religieuses des deux races durent
fatalement se produire. Dans le Pont, on figure
Mithra à cheval comme Mèn (*), le dieu lunaire
honoré dans toute la péninsule. Ailleurs on le revêt
des anaxyrides largement échancrées qui rappellent
la mutilation Lydie, le couple
d'Attis (
2
). En
Mithra-Anâhita est devenu Sabazius-Anaïtis ( 3 ).
D'autres divinités locales ont pu se prêter à une
identification avec le puissant ya\ata. Il semble
que les prêtres de ces pays incultes se soient
efforcés de faire de leurs dieux populaires les
équivalents de ceux que vénéraient les princes et
la noblesse; mais nous connaissons trop mal les
religions de ces contrées pour déterminer ce
qu'elles ont donné au parsisme et ce qu'elles en
ont reçu, et nous constatons une influence réci-
proque sans pouvoir en mesurer la profondeur.
Cette influence, quelque superficielle qu'on veuille
(!) Monnaies de Trapézus, Babelon et Reinach, Recueil général des

monnaies d'Asie Mineure, t. I, p. 109 ss. et pi. XV-XVI cf. M. M ; M .


,

t. II, p. 189, n° 3*«, et t. I, p. 2i3.


2 Terres cuites découvertes dans le midi de la Russie,
Mithra-Attis :
( )

M. M .M., n° 5; cf. Derewitski et von Stern, Muséum der


t. II, p. 191,
Odessa Gesellsch. fur Gesch.undAltertum.sk., t. II, 1898, pi. V et p. 10.
(
3
)
Dédicace de Koula, Sal. Reinach, Chron. d'Orient I, 1891, p. i5y.
Une curieuse inscription de Pergame (Michel, Recueil, n° 46, [IV, 5o] ;

Dittenberger, Orient, inscr., n° 33i\ nous apprend qu'au début du


II e siècle, la reine Stratonice y transporta le culte de Zeus Sabazios de
Cappadoce. Ilne peut donc s'agir du dieu thraco-phrygien, — Sur la for-
mule Nama Sebesio, voyez infra, ch. V., p. 154.
20 MYSTÈRES DE MITHRA

la supposer J ), prépara certainement l'union intime


1

qui devait se conclure en Occident entre les mys-


tères de Mithra et ceux de la Grande-Mère.
Lorsqu'à la suite de l'expédition d'Alexandre,
la civilisation grecque se répandit dans toute
l'Asie antérieure, elle s'imposa au mazdéisme jus-
qu'au fond de la Bactriane. Cependant Yiranisme
- si l'on peut se servir de ce terme n'abdiqua —
jamais en face de l'hellénisme. L'Iran propre
recouvra bientôt son autonomie morale comme
son indépendance politique, et, en général, la
force de résistance des traditions perses à une
assimilation, ailleurs facilement opérée, est l'un
des traits saillants de l'histoire des relations de
2
la Grèce avec l'Orient ( ). Toutefois les mages
d'Asie Mineure, plus rapprochés des grands foyers
de la culture occidentale, furent aussi plus vive-
ment éclairés par leur rayonnement. Sans se
laisser absorber par la religion des conquérants
étrangers, leurs cultes se combinèrent avec elle.
Pour harmoniser les croyances barbares avec les
idées helléniques on eut recours au vieux procédé
de l'identification ( 3 ). On s'attacha à démontrer
que le ciel mazdéen était peuplé des mêmes habi-
(!) M. Jean Réville (Etudes de théologie et d'hist.publ. en hommage

à la faculté de Montauban, Paris, 1901, p. 336) est disposé à accorder


une assez large part aux religions de l'Asie Mineure dans la formation
du mithriacisme mais il est impossible de la déterminer dans l'état
;

actuel de nos connaissances.

(
2
)
Nous avons développé cette idée dans nos Religions orientales,
2 e éd., p. 200 ss.

(
3
)
Nous avons dressé la liste de ces assimilations, M. M. M., t. I,

p. i3o ss.
LES ORIGINES

tants que l'Olympe Ahura-Mazda fut confondu,


:

comme Être suprême, avec Zeus; Verethraghna,


le héros victorieux, avec Héraklès; Anâhita, à qui
le taureau était consacré, devint l'Artémis Tauro-
pole, et on alla même jusqu'à localiser dans ses
temples la fable d'Oreste (
1
). Mithra, déjà con-
sidéré à Babylone comme de Shasmash, l'égal
fut naturellement associé à Hélios mais il ne lui ;

fut point subordonné, et son nom perse ne fut


jamais remplacé dans la liturgie par une traduc-
tion, comme celui des autres divinités vénérées
dans les mystères.
La synonymie qu'on prétendait établir entre
des appellations en réalité sans rapport, ne resta
pas un simple jeu de mythologues. Elle eut cette
grave conséquence que les vagues personnifica-
tions conçues par l'imagination orientale emprun-
tèrent les formes précises dont les artistes grecs
avaient revêtu les dieux olympiens. Peut-être
auparavant n'avaient-elles jamais été figurées sous
une apparence humaine, ou, s'il en existait des
images, imitées des idoles assyriennes, elles
étaient bizarres et .grossières. En prêtant aux
héros mazdéens toute la séduction de l'idéal hel-
lénique, on modifia nécessairement la conception
de leur caractère, et en atténuant leur exotisme,
on les rendit plus aisément acceptables aux Occi-
dentaux. Une des conditions indispensables au
succès de la religion étrangère dans le monde
romain fut remplie lorsque, vers le II e siècle avant
(!) Pauly-Wissowa, Realencyclop .
, s. v. « Anaïtis ».
22 MYSTÈRES DE MITHRA

notre ère, un sculpteur de l'école de Pergame com-


posa le groupe pathétique du Mithra tauroctone,
auquel une coutume générale réserva désormais
la place d'honneur dans l'abside des spelaea ( ). 1

L'art ne s'employa pas seul à adoucir ce que


ces rudes mystères pouvaient avoir de choquant
pour des esprits formés à l'école de la Grèce. La
philosophie chercha à concilier leurs doctrines
avec ses propres enseignements, ou plutôt les
prêtres asiatiques prétendirent retrouver dans
leurs traditions sacrées les théories des sectes phi-
losophiques. Aucune de ces sectes ne se prêta plus
facilement que celle du Portique à une alliance
avec la dévotion populaire, et son influence sur
la formation du mithriacisme fut profonde. Un
vieux mythe chanté par les mages est rapporté
par Dion Chrysostome ( 2 ), parce qu'on y voyait
une allégorie de la cosmologie stoïcienne, et bien
d'autres idées persiques ont été ainsi modifiées
par les conceptions panthéistes des disciples de
Zenon. Les penseurs s'habituaient de plus en plus
à chercher dans les dogmes et les usages rituels
des Orientaux les reflets obscurcis d'une antique
sagesse, et cette tendance était trop conforme aux

(!) Cf. l'appendice.


(2) Dion Chrys., Or., XXXVI, § 3g ss. <M. M. M., t. II, p. 6o;cf. t. I,
pp. 33,85 n. 3, 108, i6g, etc.) L'action du stoïcisme sur les idées religieuses
de l'Orient a été signalée déjà, notamment par ~Dieterich,Abraxas, p. 48 s.
et surtout 93, et par Kroll, De orac. Chaldaïcis, p. 68, n. 3. On peut se
demander d'autre part jusqu'à quel point cette philosophie, dont les
fondateurs sont des Asiatiques, n'a pas emprunté elle-même aux théo-
logies orientales. Certainement elle a admis l'astrologie chaldéenne
Cf. mon Astrology and Religion, 1912, p. 69, 82 sq g3. ,
LES ORIGINES 23

prétentions et à l'intérêt du clergé mazdéen pour


qu'il ne pas de tout son pouvoir ( ).
la favorisât
l

Si la spéculation philosophique, en attribuant


aux croyances des mages une portée qu'elles
n'avaient point, en transformait le caractère, elle
fut cependant au total conservatrice plutôt que
novatrice. Par là même qu'elle prêtait à des
légendes souvent puériles une signification sym-
bolique, qu'elle proposait de pratiques en appa-
rence absurdes des explications rationnelles, elles
tendait à en assurer la perpétuité. Si le fondement
théologique de la religion fut sensiblement modi-
fié, son cadre liturgique resta relativement fixe, et

l'altération du dogme se concilia avec le respect du


rite. Le formalisme superstitieux dont témoignent

les prescriptions minutieuses du Vendidad, est


certainement bien antérieur à l'époque des Sassa-
nides. Les sacrifices qu'offraient au temps de Stra-
bon les mages établis en Cappadoce, rappellent
toutes les particularités de la liturgie avestique.
C'étaient les mêmes prières psalmodiées devant
l'autel du feu en tenant le faisceau sacré (bares-
man), les mêmes oblations de lait, d'huile et de
miel, les mêmes précautions pour que l'haleine
de l'officiant ne souillât point la flamme divine (').

(!) On sous un buste de Chrysippe, découvert à Athènes, la


lit

dédicace: Tôv Xpûamirov 'AKpiaioç MiBpr) (von Prott, Athen. Mitt.,


XXVIII, p. 278), mais ^ Mithrès » est sans doute ici un nom d'homme.
(
2 Strab., XV, 3, i5, p. 733 C. Comparer les rites usités dans les tem-
)

ples lydiens d'Anâhita (Pausan., V, 27, 5), et le sacrifice offert par


Mithridate à l'imitation des rois de Perse (Appien, Mithrid., 66; cf. nos
Studia Pontica, pp. 176, 182).
24 MYSTÈRES DE MITHRA

L'inscription d'Antiochus de Commagène( 1


) révèle,
dans règlement qu'elle édicté, un souci égal de
le

fidélitéaux anciens usages iraniens. Le roi se fait


gloire d'avoir toujours honoré les dieux de ses
ancêtres suivant l'antique tradition des Perses et
des Grecs il veut que les prêtres établis dans le
;

nouveau temple portent les vêtements sacerdotaux


desmêmes Perses, et qu'ils officient conformé-
mément à la vieille coutume sacrée. Le seizième
jour de chaque mois, qui doit être particulière-
ment fêté, n'est pas seulement celui de la nais-
sance du roi, mais encore celui qui fut de tout
temps spécialement consacré à Mithra ( 2 ). Beau-
coup plus tard un autre Commagénien, Lucien de
Samosate, dans un passage où il s'inspire mani-
festement des pratiques qu'il avait appris à con-
naître dans sa patrie, tourne encore en ridicule
les purifications répétées, les interminables canti-
lènes et la longue robe médique des sectateurs de
3
Zoroastre ( ). Ailleurs il leur reproche de ne pas
même savoir le grec et de baragouiner un jargon
incompréhensible ( 4 ).
L'esprit conservateur des mages Cappadoce,
qui les attachait à leurs usages séculaires transmis
de génération en génération, ne se démentit pas
après le triomphe du christianisme, et saint Basile( 5 )
atteste encore sa persistance à la fin du IV e siècle.

(!) Cf. supra, p. 14, n. 3.


2 Cf. supra, p. 9, n. 3.
( )

(
3
)
Luc, Menipp., c. 6 ss. {M. M. M., t. II, p. 22).
(
4
)
Luc, Deor. conc, c. 9; Iup. Trag., c. 8, c. i3 (M. M. M.,ibid.).
(
5 > Basile, Epist. 238 ad Epiph. ; cf. supra p. 12, n. 4.
LES ORIGINES 25

Même en Italie, les mystères iraniens gardèrent


certainement toujours une grande partie des
formes rituelles que le mazdéisme avait adop-
tées en Asie Mineure depuis un temps immémo-
rial (*). La principale innovation consista à
substituer au persan ou à l'araméen ( 2 ), comme
langue liturgique, le grec et plus tard peut-être
le latin. Cette réforme suppose l'existence de
livres sacrés, et il est probable que dès l'époque
alexandrine, on avait consigné par écrit, de peur
qu'on n'en perdit le souvenir, les oraisons et les
cantiques qui à l'origine se transmettaient orale-
ment ). Mais cette accommodation nécessaire à
3
(

des circonstances nouvelles, n'empêchera pas le


mithriacisme de conserver jusqu'à la fin un céré-
monial essentiellement persique.
Le nom grec de « mystères » que les auteurs
appliquent à cette religion, ne doit point faire
illusion. Ce n'est pas à l'imitation des cultes hel-
léniques que ses adeptes constituèrent leurs so-
ciétés secrètes, dont la doctrine ésotérique n'était
révélée qu'à la suite d'initiations graduées. En
Perse même, les mages formaient une caste
fermée, qui paraît avoir été divisée en plusieurs
classes subordonnées ( 4 ). Ceux qui vinrent se fixer

(
x
) Cf. infra chapitre V.

(
2
)
Cf. supra p. 12.

(
L'existence de livres liturgiques est attestée pour les temples
3
)

lydiens d'Anàhita (Pausan., V. 27, 5). Au contraire, saint Basile


(cf. supra) affirme que les « maguséens » de Cappadoce n'avaient pas
de livres et se transmettaient oralement leurs traditions religieuses.
L'usage de rituels écrits en Occident est certain cf. infra, ch.V., p. i53 s.
;

4
( )
Porphyre, De Abstin., IV, 16 (M. M. M., t. II, p. 42).
26 MYSTERES DE MITHRA

au milieu de races étrangères, différentes par la


langue et les mœurs, celèrent plus jalousement
encore aux profanes leur foi héréditaire. La con-
naissance de ces arcanes leur donnait à eux-mêmes
la conscience de leur supériorité morale, et assu-
rait leur prestige sur les populations ignorantes
qui les entouraient. Il est probable que le sacer-
doce mazdéen était primitivement, en Asie Mi-
neure comme en Perse, l'apanage d'une tribu où
il se transmettait de père en fils, puis on consentit

à communiquer à des étrangers après une céré-


monie d'initiation les dogmes cachés, et ces
prosélytes furent admis peu à peu aux diverses
cérémonies du culte. La diaspora iranienne, à cet
égard comme à beaucoup d'autres, est comparable
à celle des Juifs. L'usage distingua bientôt di-
verses catégories de néophytes, qui finirent par
constituer une hiérarchie fixe. Mais la divulgation
intégrale des croyances et des pratiques sacrées
fut toujours réservée à de rares privilégiés, et cette
science mystique semblait d'autant plus précieuse
l
qu'elle restait plus occulte ( ).

Tous les rites originaux qui caractérisent le

l
1Un exemple fameux de ces initiations est celle de Néron par le
)

roi d'Arménie Tiridate (Pline, H. N., XXX, i, § 6 Magicis cenis


:

initiaverat). Aux preuves que nous avons réunies (M. M. M., t. I, p. 23g)
de l'existence de « mystères » en Orient, on peut ajouter, pensons-nous,
le témoignage de l'inscription de Farasha, où les mots éucixeutfe MiGpr]

doivent sans doute se traduire, suivant une signification fréquente de


l'aoriste, par « devint mage de Mithra » La dédicace aurait alors été

faite à l'occasion d'une initiation. Une inscription d'Amasia (Rec. des
inscr. du Pont, n° 108) mentionne un aTpaxiuuTriç eûcePt'iç, probable-
ment un myste du grade de miles, mais elle est de l'époque impériale.
LES ORIGINES 27

culte mithriaque sous les Romains, remontent


certainement à ses origines asiatiques les dégui- :

sements en animaux, usités dans certaines céré-


monies, sont une survivance d'une coutume
préhistorique autrefois très répandue et qui n'a
pas disparu de nos jours; l'habitude de consacrer
au dieu les antres des montagnes est sans doute
un héritage du temps où l'on ne construisait point
de temples les épreuves cruelles imposées aux
;

initiés rappellent les mutilations sanglantes que


perpétraient les serviteurs de Ma et de Cybèle.
De même les légendes dont Mithra est le héros,
n'ont pu être imaginées qu'à une époque de vie
pastorale. Ces antiques traditions d'une civilisa-
tion encore primitive et grossière subsistaient
dans les mystères à côté d'une théologie subtile et
d'une morale très élevée (*).
L'analyse des parties constitutives du mithria-
cisme montre, comme la coupe géologique d'un
terrain, les stratifications de cette masse composée
d'étages lentement superposés. Le fond de cette
religion, sa couche inférieure et primordiale, est
la foi de l'ancien Iran, d'où elle tire son origine.
Au-dessus de ce substratum mazdéen, s'est déposé
en Babylonie un sédiment épais de doctrines
sémitiques, puis en Asie Mineure les croyances
locales y ont ajouté quelques alluvions. Enfin,
une végétation touffue d'idées helléniques agrandi
sur ce sol fertile, et dérobe en partie à nos recher-
ches sa véritable nature.
(!) Pour ces rites, cf. infra, ch. V, p. i55 ss. pour les légendes, ch. IV,

p. i35.
28 MYSTERES DE MITHRA

Ce culte composite, où s'étaient amalgamés tant


d'éléments hétérogènes, est l'expression adéquate
de la civilisation, complexe qui florissait à l'époque
alexandrine dans l'Arménie, la Commagène, la
Cappadoce Pont ). Siet le (
1

Mithridate Eupator avait


pu réaliser ses rêves ambi-
tieux, ce parsisme hellénisé
fût sans doute devenu la
religion d'État d'un vaste
empire asiatique. Le cours
de ses destinées fut changé
par la défaite du grand
adversaire de Rome. Les
débris des armées et des
flottes pontiques, les fugi-
chassés par la guerre et
tifs

accourus de tout l'Orient,


propagèrent les mystères
iraniens chez ce peuple de
pirates qui grandissait en
FIG. 2. puissance à l'abri des mon-
MITHRA TAUROCTONE
tagnes de la Cilicie. Mithra
MÉDAILLON DE TARSE.
s'établit fortement dans
cette contrée, où Tarse l'adorait encore à la fin de

(!) En dehors des textes généraux qui prouvent l'établissement de


« maguséens
» dans ces contrées (cf. supra, p. 12), nous avons une
série depreuves particulières qui établissent l'existence d'un culte de
Mithra dans certains lieux déterminés Ce sont, en Asie Mineure et en
Commagène, les suivants : a) Arménie : Temple à Pakaïaridj (Aga-
thangelos, Hist. Tirid., c. 10 ; M. M. M., t. II, p. 4) ; b) Commagène :

Temple du Nemroud-Dagh (supra, p. 14) ; c) Cappadoce : Inscr.


LES ORIGINES 2Ç

l'Empire (*). Soutenue par sa religion guer-


(fig. 2)

rière, cetterépublique d'aventuriers osa disputer


au colosse romain la suprématie des mers. Sans
doute elle se considérait comme la nation élue
destinée à faire triompher le culte du dieu invin-
cible. Forts de sa protection, les audacienx marins
pillèrent sans crainte les sanctuaires les plus véné-
rés de la Grèce et de l'Italie, et le monde latin
entendit alors pour la première fois le nom de la
divinité barbare qui devait bientôt s'imposer à son
adoration.

de Farasha (Rhodandos) supra p. 14, n. 2) ; inscr. de Césarée


(C I. L. III, I2i35) ; inscr. de Tyane (M. M. M., t. II, p. 91, n° 3) ;

d) Pont Monnaies de Trapézus (supra,


: p. 19, n. 1) et ancien mithréum
ibid. (cf. appendice) ; inscr. d'Amasia (p. 26, n. 11; e) Phrygie : Inscr.
d'Aaiorion {supra, p 9, n. 5) ; f)Pisidie : Bas-relief d'Isbarta (cf. appen-
dice) ;
inscriptions d'Artanada et de Derbe ? (M. M. M., t. II, p. 172,
n os 049-550); cf. infra p. 35, n. 3; g) Cilicie : Médaillon de Tarse,
cf. p. 29, n. 1.

(!) ''M. M. M., t. II, p. 189, no 3,


Médaillon de bronze de Gordien III
dessin de l'exemplaire de Naples).La même pièce est reproduite par
Hill, Greek coins in the British Muséum, Lycaonia, Cilicia, 1900,
p. 2i3, n» 258, pi. XXXVIII, 4.
CHAPITRE II

LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE


ROMAIN (
l

On peut dire d'une façon générale que Mithra


resta toujours exclu du monde hellénique. Les
anciens auteurs grecs ne parlent de lui que
comme d'un dieu étranger, vénéré par les rois de
Perse. Même
durant la période alexandrine, il ne
descendit pas du plateau de l'Asie Mineure jus-
qu'aux rivages d'Ionie. Dans tous les pays que
baigne la mer Egée, une dédicace tardive du Pirée
(!) L'histoire de la propagation du mithriacisme dans l'empire romain

repose avant tout sur une quantité d'inscriptions qui nous révèlent,
souvent avec des dates précises, les lieux où le dieu perse a été adoré
et la qualité de ses fidèles. Leur témoignage est complété par celui des
monuments — temples et sculptures —
retrouvés en grand nombre
à Rome et dans certaines provinces. Nous ne pouvions songer dans ce
petit livre à citer et à discuter ces centaines de documents épigra-
phiques et archéologiques. Nous devons renvoyer pour ces preuves
détaillées à notre grand ouvrage. Nous nous bornerons ici à mentionner
quelques textes particulièrement importants ou nouvellement découverts.
Nous avons réuni en appendice la liste des principaux monuments
publiés depuis 1900.- M. Toutain a étudié récemment en détail et avec
une grande précision la diffusion du culte de Mithra dans les provinces
latines (op. cit. [appendice], pp. 144-177), mais en excluant Rome et
l'Italie de son champ d'observation. Il en est résulté, je crois, une vue

d'ensemble inadéquate ;
je ne pense pas que ses conclusions négatives
soient justifiées, et j'ai essayé de montrer pourquoi elles me paraissent
inadmissibles, Revue ht'st. des religions, t. LXVI (1912), p. 125 ss.
32 MYSTÈRES DE MITHRA

et peut-être une inscription d'Athènes ( ) rappellent l

seules son existence, et l'on chercherait en vain son


nom parmi ceux des nombreuses divinités exo-
tiques adorées à Délos au II e siècle avant notre
ère. ne pénétra dans l'Archipel que par une
Il

sorte de choc en retour, lorsqu'il eut envahi le


monde latin Des prétoriens fondent un speleum
:

dans l'île d'Andros pour le salut deSeptime Sévère


2
et de ses fils ( ). Sous l'Empire, on trouve de
même des mithréums établis dans certains ports
de la côte de Phénicie et d'Egypte, près d'Aradus,
à Sidon, à Alexandrie ( 3 ) mais ces monuments ;

isolés font ressortir davantage l'absence de tout


vestige des mystères dans l'intérieur du pays. La
découverte récente d'un temple de Mithra à
Memphis ( 4 ) paraît être l'exception qui confirme
la règle, car le génie mazdéen ne s'est probable-
ment introduit dans cette antique cité que sous les
Romains. Il n'est mentionné jusqu'ici dans aucune

(!) Pirée M. M. M., t. II, p. 469,11° 220a; Athènes cf. supra, p. 23, n. 1.
: :

M. Avezou m'a communiqué la photographie d'un monument mithri-


aque encore inédit, découvert récemment à Patras, et il suppose, non
sans vraisemblance, que le culte asiatique fut introduit dans cette
colonie par les pirates ciliciens que Pompée établit près de là, à Dymè
(cf. infra, p. 36). Il en fut de même du culte d'Attis.
2 Cf. infra appendice.
( )

(
3
)
Aradus : Renan. M. M. M., t. II,
Miss, de Phénicie, p. io3 ;

inscr. 5. — Sidon : Mithréum (cf. appendice). —


Alexandrie Socrate, :

Hist. eccl., 111,2; V, 16; Sozom., V, 7 (cf. appendice); Damascius


dans Suidas, s. v. 'Emqpdvioç. —
Philippe Berger, Le culte de Mithra
à Carthage {Revue de l'histoire des religions, LXV), 1912, p. 1 ss., a
prétendu retrouver les noms de MOpoc et d' 'AaTpovor) dans le groupe
« Mithrachastarni » d'une inscription punique, mais je ne pense pas que
cette interprétation convainque personne.
4 M. M. M., t. II,
( ) p. 520, n° 285.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 33

inscription d'Egypte ou de Syrie, et rien ne prouve


encore qu'on lui ait élevé des autels même dans
la capitale des Séleucides. Dans ces empires à
demi-orientaux, la puissante organisation du
clergé indigène et l'ardente dévotion du peuple
pour ses idoles nationales paraissent avoir arrêté
les progrès de l'intrus et paralysé son influence.
Un détail caractéristique montre que jamais le
ya\ata iranien n'a conquis de nombreux sectateurs
dans les pays helléniques ou hellénisés. L'onoma-
tologie grecque, qui fournit une série de noms
théophores rappelant la vogue dont jouirent les
divinités phrygiennes et égyptiennes, ne peut
opposer aux Ménophile et aux Métrodote, aux
Isidore et aux Sérapion, aucun Mithrîon, Mithro-
dès, Mithrodore ou Mithrophile. Tous les dérivés
de Mithra sont de formation barbare ( ). Alors que 1

la Bendis thrace, la Cybèle anatolique, le Sérapis


alexandrin, même les Baals syriens étaient
accueillis successivement avec faveur dans les
villes de la Grèce, celle-ci ne se montra jamais
hospitalière pour le dieu tutélaire de ses anciens
ennemis.
Son éloignement des grands centres de la civili-
sation antique explique l'arrivée tardive de Mithra
en Occident. On rendait à Rome un culte officiel
à la Magna Mater de Pessinonte depuis l'an 204
avant Jésus-Christ; Isis et Sérapis y firent leur
apparition au I er siècle avant notre ère, et bien

(!) Nous avons réuni ces noms théophores, M. M. M., t. II, p. 83 ss.,

p. 466.
34 MYSTÈRES DE MITHRA

auparavant ils comptaient une foule d'adorateurs


en Italie. L'Astarté carthaginoise avait un temple
dans la capitale depuis la fin des guerres puniques;
la Bellone de Cappadoce, depuis l'époque de
Sylla la dea Syria d'Hiérapolis, depuis le com-
;

mencement de l'empire (*), alors que les mystères


persiques y étaient profondément inconnus. Et
cependant ces divinités étaient celles d'un peuple
ou d'une ville tandis que le domaine de Mithra
s'étendait de l'Indus au Pont-Euxin.
Mais ce domaine était encore à l'époque
d'Auguste situé presque tout entier en dehors des
frontières de l'empire. Le plateau central de
l'Asie Mineure, qui fut longtemps rebelle à la
civilisation hellénique, resta encore plus étranger
à la culture romaine. Cette région de steppes, de
bois et de pâtures, coupée d'âpres escarpements et
soumise à un climat plus rude que celui de la
Germanie, n'attirait pas l'habitant des bords de
la Méditerranée, et les dynasties indigènes qui s'y
maintenaient encore sous les premiers Césars,
malgré la vassalité où elles étaient réduites, pro-
tégeaient son isolement séculaire. A la vérité, la
Cilicie avait été constituée en province romaine
depuis 102 avant Jésus-Christ, mais on n'occupa
à cette époque que quelques points de la côte, et
la conquête du pays ne fut complétée que près de
deux siècles plus tard. La Cappadoce fut incor-
porée seulement sous Tibère, l'ouest du Pont sous

(') Sur tous ces cultes exotiques, cf. mes Religions orientales,
2 e éd., 1909.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 35

Néron, la Commagène et la petite Arménie défini-


tivement sous Vespasien ( ). Alors seulement s'éta- 1

blirent des relations suivies et immédiates entre


ces contrées reculées et l'Occident. Les besoins de
l'administration et l'organisation de la défense,
les mutations des gouverneurs et des officiers, le
renouvellement des procurateurs et des employés
du fisc, les levées de troupes d'infanterie et de
cavalerie, l'établissement le long de la frontière
de l'Euphrate de trois légions, provoquèrent un
échange perpétuel d'hommes, de produits et
d'idées, entre ces montagnes jusque-là fermées et
les provinces européennes. Puis vinrent les grandes
expéditions de Trajan, de Lucius Vérus et de
Septime Sévère, la soumission de la Mésopotamie
et la fondation en Osrhoène et jusqu'à Ninive de
nombreuses colonies, qui formèrent comme les
anneaux d'une chaîne reliant l'Iran à la Méditer-
ranée. Ces annexions successives des Césars furent
la cause première de la diffusion de la religion
mithriaque dans le monde latin. Elle commence
à s'y répandre sous les Flaviens et s'y développe
sous les Antonins et les Sévères, de même qu'un
autre culte pratiqué à côté d'elle en Commagène,
celui de Jupiter Dolichenus, qui fit en même
temps qu'elle le tour de l'empire ( 2 ).
Suivant Plutarque ( 3 ), il est vrai, Mithra se
(!) Marquardt, Staatsverw., I 2 pp. 38o, ss. 365, 36o, 3gg, 36g.
,

(
2
)
Kan, De Iovis Dolicheni cultu, Groningue, igoi; cf. mes Religions
orientales, pp. 167 s., 217 s.

(
3
)
Plut., Vit. Pomp., 24 (M. M. M., t. II, p. 35 d). Que les mystères
mithriaques eussent en effet pénétré dans une région voisine du terri-
36 MYSTERES DE MITHRA

serait introduit beaucoup plus


en Italie. Les tôt
Romains auraient été initiés à ses mystères par
les pirates ciciliens vaincus par Pompée en 67

avant Jésus-Christ. Ce renseignement n'a rien


d'invraisemblable nous savons que la commu-
:

nauté juive établie trans Tiberim, était composée


en grande partie de descendants des captifs que
le même Pompée avait ramenés après la prise de

Jérusalem Grâce à cette circons-


(63 av. J.-C.) (*).

tance spéciale, il est donc possible que dès la fin


de la république le dieu perse ait trouvé quelques
fidèles dans la plèbe mêlée de la capitale. Mais
confondu dans la foule des confréries qui prati-
quaient des rites étrangers, le petit groupe de ses
adorateurs n'attira pas l'attention. Le ya\ata
participait au mépris dont étaient l'objet les
Asiatiques qui le vénéraient. L'action de ses sec-
tateurs sur la masse de la population était à peu
près aussi nulle que celle des sociétés bouddhiques
dans l'Europe moderne.
C'est seulement à la fin du I er siècle que Mithra
commence à faire parler de lui à Rome. Lorsque
Stace écrivait le premier chant de la Thébaïde,

toire occupé par les Pirates, c'est ce que prouve la découverte intéres-
sante d'un bas-relief à Isparta [Baris] (cf. appendice). L'opinion de
Rohde qui rattachait à ces mystères certaines inscriptions de Lycaonie
(M. M. M., t. II, 172 n° 54g ss.),en acquiert une probabilité nouvelle, bien
que Ramsay (Studies in the Eastern Roman provinces, Aberdeen,
1906, p. 278) les interprète différemment : Aéuuv et àexôç désigneraient
non les grades mithriaque de « lion » et d' « aigle » mais le lion placé
sur la tombe et le fronton du monument sépulcral.
[}) Schùrer, Gesch. des Jùdischen Volkes im Zeitalter J. C, t. IIP,
1898, p. 3o.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 37

vers 80 après Jésus-Christ, il avait déjà vu les


représentations typiques du héros tauroctone ('),
et il ressort du témoignage de Plutarque, que de
son temps (46-125 ap. J.-C.) la secte mazdéenne
jouissait déjà d'une certaine notoriété en Occi-
dent ( v ). Cette conclusion est confirmée par les
documents épigraphiques. La plus ancienne dédi-
cace à Mithra que nous possédions, est une inscrip-
tion bilingue d'un affranchi des Flaviens (69-96
ap. J.-C.) ( 3 ). Bientôt après, un groupe de marbre
lui est consacré par un esclave de T. Claudius
Livianus, qui fut préfet du prétoire sous Trajan,
en T02 (fig. 3) ( ). Le dieu invincible dut pénétrer
4

presque en même temps dans l'Italie centrale :

A Nersae, dans le pays des Eques, on a mis au


jour un texte de l'année 172, qui parle déjà d'un
mithréum « écroulé par suite de sa vétusté » ( 5 ).
L'apparition de l'envahisseur dans le nord de
l'empire est aussi à peu près simultanée. Il n'est
guère douteux que la XV légion ait importé les e

mystères à Carnuntum sur le Danube dès le début


du règne de Vespasien ( 6 ), et nous constatons que,
vers 148, ils étaient pratiqués parmi les troupes
de Germanie ( 7 ). Sous les Antonins, surtout depuis
(') Stace, Thebaide, I, 717 Persei sub rupibus antri lndignata sequi
:

torqu entem cornua Mithram.


(2) Plut., I. C.

(3) C I. L. VI, 732, cf. M. M. M., t. II, p. 468, n° 67


(
4
) C. I. L. 30728. M. M. M., t. II, p. 22S, n° 65 I, p. 245, n° 3 ; Smith,
Catal. of Sculpture Brit. Mus, t. III (1904), n° 1721.

(
5
) C I. L. IX, 4110, cf. 4109 (M. M. M., inscr i52-i53).
6 Cf. infra, p. 40.
( )

(
7
)
Dessau, Inscr. sel., 4191 ; M. M. M., inscr. 423.-
38 MYSTERES DE MITHRA

le règne de Commode, les preuves de leur pré-


sence se multiplient dans tous les pays. A la fin

FIG. 3. MITHRA TAUROCTONE.


Groupe de marbre au British-Museum.

du on les célébrait à Ostie dans quatre


II e siècle,
temples au moins ( ). l

Nous ne pouvons songer à énumérer toutes les


cités où le culte asiatique s'implanta, ni rechercher
quelles furent pour chacune d'elles les causes de
son introduction. Malgré leur abondance, les
textes épigraphiques et les monuments figurés ne
nous éclairent que très imparfaitement sur l'his-
toire locale du mithriacisme. Il nous est impos-
sible de suivre les progrès de son expansion, de

(!) M. M. M., t. II, p. 523, mon. 2g5 et inscr. 160 à e p. 240,


mon. 83 — p. 238, mon. 79-81 — p. 240, mon. 82.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 3g

distinguer les influences concurrentes des diverses


églises, d'observer l'œuvre de conversion se
la
poursuivant de ville à ville et de province à pro-
vince. Tout ce que nous pouvons faire, c'est
d'indiquer en gros traits dans quelles contrées la
foi nouvelle s'est propagée, et quels ont été, en
général, les apôtres qui l'y ont prêchée.
Le principal agent de sa diffusion est certaine-
ment l'armée. La religion mithriaque est avant
tout celle des soldats, et ce n'est pas sans motifs
qu'on avait donné aux initiés d'un certain grade
le nom de milites. Cette action de l'armée pourra
sembler peu explicable, si l'on songe que sous les
empereurs les légions étaient cantonnées dans des
camps fixes, et qu'au moins depuis Hadrien,
chacune était recrutée dans la province où elle était
placée. Mais cette règle générale souffrait de nom-
breuses exceptions. C'est ainsi que les Asiatiques
contribuèrent longtemps et dans une large mesure
à former les effectifs des troupes de Dalmatie et de
Mésie, et il en fut de même, pendant une certaine
période, de celles d'Afrique. De plus le soldat qui,
après une vingtaine d'années de services dans son
pays natal, était promu centurion, passait générale-
ment dans une place étrangère, et à mesure qu'il
franchissait les divers degrés de cette charge, on lui
assignait souvent une garnison nouvelle, de sorte
que l'ensemble des centurions d'une légion formait
« comme un microcosme de l'empire (*) ». C'était

(') Jung, Fasten der Provinz Dacien, 1894, p. xiv. Cf. Cagnat
L'armée romaine d'Afrique, 1892, p. ig3.
4° MYSTÈRES DE MITHRA

là un puissant moyen d'action, car leur position


même assurait à ces sous-officiers une influence
morale considérable sur les conscrits qu'ils étaient
appelés à instruire. En dehors de cette propa-
gande individuelle, qui nous échappe presque
complètement, les transferts provisoires ou défi-
nitifs de détachements ou même de régiments

entiers dans des forteresses ou des camps souvent


fort éloignés rapprochèrent et confondirent des
gens de toute race et de toute croyance. Enfin on
trouvait partout à côté des légionnaires, citoyens
romains, un nombre égal, sinon supérieur, à'auxilia
étrangers, qui n'avaient pas, comme les premiers, le
privilège de servir dans leur patrie. Au contraire,
on s'attachait pour prévenir les soulèvements à
éloigner ces pérégrins de leur pays d'origine.
Ainsi, sous les Flaviens, les ailes ou cohortes indi-
gènes ne formaient qu'une fraction minime des
auxiliaires qui gardaient les frontières du Rhin et
du Danube (*).
Parmi les hommes appelés du dehors pour rem-
placer les nationaux envoyés au loin, on comptait
une foule d'Asiatiques, et peut-être aucun pays
d'Orient, relativement à l'étendue de son ter-
ritoire, n'a-t-il fourni plus de recrues à Rome que
la Commagène, où mithriacisme avait jeté de
le
profondes racines. Outre des cavaliers et des
légionnaires, on leva dans cette contrée, probable-
ment dès l'époque de sa réunion à l'empire, au
(!) Mommsen, Die Conscriptionsordnung der Rômischen Kaiserzeit
(Hermès, XIX, 1884, p. 2i5 ss. = Historische Schriften, t. II, p. 98 ss.)
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 41

moins six cohortes alliées. Nombreux aussi étaient


les soldats originaires de la Cappadoce, du Pont
et de pour ne pas parler des Syriens
la Cilicie,
de toute tribu, et les Césars ne se firent pas scru-
pule d'enrôler même ces escadrons agiles de cava-
lerie parthe dont ils avaient éprouvé à leurs
dépens les qualités guerrières ( ). l

Le soldat romain était en général dévot et


même superstitieux. Les périls auxquels sa car-
rière l'exposait, lui faisaient rechercher sans cesse
la protection céleste, et un nombre incalculable
de dédicaces porte témoignage à la fois de la viva-
cité de sa foi et de la variété de ses croyances.
Les Orientaux surtout, transportés pour vingt ans
et plus dans un pays où tout leur était étranger,
conservaient pieusement le souvenir de leurs divi-
nités nationales. Dès qu'ils en trouvaient le
moyen, ils ne manquaient pas de s'assembler
pour leur offrir un culte. Ils éprouvaient le besoin
de se concilier ce Seigneur (Ba'al) dont ils avaient
appris, enfants, à redouter la colère. C'était aussi
une occasion de se réunir et, sous ces tristes
climats du nord, de se remémorer la patrie
absente. Mais leurs confréries n'étaient pas exclu-
sives ils admettaient volontiers parmi eux des
;

compagnons d'armes de toute origine, dont la


religion officielle de l'armée ne satisfaisait pas les
aspirations, et qui espéraient obtenir du dieu
pérégrin un secours plus efficace dans les combats,

(!) Cf. Cichorius dans Pauly-Wissowa, Realenc, s. v. « Cohors »


et « Ala ».
42 MYSTÈRES DE MITHRA

ou, y succombaient, un sort plus heureux


s'ils

dans l'autre vie. Puis ces néophytes transférés


dans d'autres garnisons suivant les exigences du
service ou les nécessités de la guerre, de convertis
s'y faisaient convertisseurs, et formaient autour
d'eux un nouveau noyau de prosélytes. C'est
ainsi que les mystères de Mithra, apportés en
Europe par des recrues à demi-barbares de Cap-
padoce ou de Commagène, s'y sont propagés avec
rapidité jusqu'aux confins du monde antique.
Depuis les rivages de la Mer Noire jusqu'aux
montagnes de l'Ecosse et à la lisière du Sahara,
tout le long de l'ancienne frontière romaine, les
monuments mithriaques abondent. A mesure que
la Mésie inférieure, naguère encore inexplorée,
s'ouvre davantage aux recherches archéologiques,
on y constate mieux l'expansion du culte asiatique,
ce qui n'a rien d'étonnant, puisqu'on sait que des
contingents orientaux y suppléaient à l'insuffisance
du nombre des conscrits que la province fournis-
sait. Pour ne rien dire du port de Tomi, les
légionnaires pratiquaient la religion persique à
Aegysus, à Troësmis, à Durostorum, à Prista, à
Novae, à Utum et à Œscus sur les rives du
Danube, ainsi qu'à Tropaeum Traiani, que la
découverte du monument d'Adam-Klissi a récem-
ment rendu célèbre. Dans l'intérieur du pays, il
avait pénétré à Montana et à Nicopolis, peuplée
par Trajan d'Orientaux, et dans les bourgs
de la même région. C'est sans doute de ces villes
septentrionales, que, franchissant les Balkans, il
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 43

s'était nord de la Thrace, notam-


répandu dans le

ment autour de Serdica (Sofia) et de Pantalia


(Kustendil) et jusqu'aux environs de Bessapara
et de Philippopolis dans la vallée de l'Hèbre,
grande voie de communication entre l'Asie et
l'Europe. Remontant d'autre part le cours du
Danube, il les postes d'Almum, de
prit pied dans
Ratiaria, d'Aquae, et à Viminacium, la capitale
de la Mésie supérieure, où l'on voit un vétéran lui
restaurer un temple (*), mais nous ne pouvons
savoir quelle extension il atteignit dans cette con-
trée encore mal connue ( ). La flottille de guerre
2

qui croisait sur le grand fleuve, était montée et


même commandée par des pérégrins, et elle a
sans doute propagé la religion exotique dans toutes
ses escales (
3
), comme le faisaient concurremment
les soldats dans les forts qui gardaient le passage
du fleuve.
Nous sommes mieux informés sur les circons-
tances de son introduction en Dacie. Lorsque
Trajan annexa ce royaume barbare à l'empire, le
pays, épuisé par six années de luttes opiniâtres,
n'était plus guère qu'un désert. Pour le repeupler,
l'empereur y transporta en masses, nous dit Eu-
trope ( 4 ), des colons « ex toto orbe Romano ». La
population de cette contrée était encore plus

(!) C. I. L. III, 14217 4 .

(
Pour la diffusion du culte dans les Mésies et en Thrace voyez
2
i

outre M. M. M., t. I, p. 248-9, les monuments cités infra dans l'appen-


dice. — Une inscription de Naïssus (Nisch) : C I. L. III, 14562.

(
3
)
Fiebiger, dans Pauly-Wissowa, Realenc, s. v « Classis », col. 2647.
(4) Eutrope, VIII. 6.
44 MYSTÈRES DE MITHRA

mêlée au deuxième siècle qu'aujourd'hui, où


toutes les races de l'Europe s'y coudoient et s'y
). Outre les restes des anciens Daces,
!
querellent (

on y trouvait à la fois des Illyriens et des Panno-


niens, des Galates, des Cariens et des Asiates,,
des gens d'Édesse et de Palmyre, d'autres encore,
qui tous continuaient à y pratiquer les cultes de
leur patrie. Mais aucun de ces cultes n'y prospéra
autant que les mystères de Mithra, et l'on a sujet
de s'étonner du prodigieux développement que
ceux-ci prirent pendant les cent-soixante-trois
années que dura la domination romaine dans cette
région (107 à 270 ap. J.-C.) Ils florissaient non
seulement dans la capitale de la province, Sarmi-
zégétusa, et dans les villes qui grandirent auprès
des camps, comme Potaïssa et surtout Apulum,
mais sur toute l'étendue du territoire occupé.
Alors qu'on ne peut signaler en Dacie, que je
sache, le moindre vestige d'une communauté
chrétienne, depuis la forteresse de Szamos-Ujvar r

à la frontière septentrionale, jusqu'à Romula en


Valachie, on a découvert en foule des inscriptions,
des sculptures, des autels échappés à la destruc-
tion des mithréums. Ces débris abondent surtout
au centre du pays, le long de la grande voie qui
suit la vallée du Maros, l'artère principale par
laquelle la civilisation romaine s'est répandue
dans les montagnes d'alentour. La seule colonie
d'Apulum comptait certainement quatre temples
(}) Jung, Rômer und Romanen in den Donaulàndem, 2 e éd., 1S87,.
p. 112 ss
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 45

du dieu perse, et le spelaeum de Sarmizégétusa,


fouillé récemment, renfermait encore les frag-
ments d'une cinquantaine de bas-reliefs ou
d'autres ex-voto que la piété des fidèles y avait
consacrés (
]
).

Pareillement en Pannonie, la religion iranienne


s'implanta dans les villes fortes échelonnées le
long du Danube, Rittium,Cusum,Intercisa, Aquin-
cum, Brigetio, Carnuntum,Vindobona( 2 ), et même
3
dans les bourgades de l'intérieur (
). Elle était sur-
tout puissante dans les chefs-lieux de cette double
province à Aquincum et à Carnuntum, et dans
l'une ou l'autre cité, les causes de sa grandenr se
laissent assez facilement reconnaître. La première,
où l'on célébrait au siècle les mystères au III e
moins dans cinq temples disséminés sur tout son
4
territoire ( ), était le quartier général de la legio II
Adiutrîx, qui avait été formée en 70 par Vespasien
à l'aide de marins de la flotte de Ravenne. Parmi
ces affranchis versés dans les cadres de l'armée,
5
la proportion d'Asiatiques était considérable ( ),

et il est probable que le mithriacisme a, dès le

(!) Depuis la publication de nos Monutn. Myst. Mithra (inscr.


232-3o8 mon. I36-2I2) on a fait encore en Transylvanie quelques décou-
;

vertes intéressantes, cf. infra l'appendice et C. I. L. III, 14466.


(
2
)
Nous avons réuni les monuments de Pannonie, M. M. M.,
inscr. 32o ss., mon. 220 ss. Ajouter (Rittium) C. I. L. III, i5i38,
:

I5I38 1 ;(Vindobona) 14359'28 .

(
3
)
Sur ces villes où des troupes n'étaient pas cantonnées, cf. infra,
p. 72.

(
4
)
Une
dédicace d'Aquincum remonte à l'époque de Marc Aurèle
(C. L. III 3479). Un des mithréums est antérieur à 198 (appendice). Cf.
I.

pour les autres dates M. M. M., t. I, p. 25i, n. 6.


(
5
) Gùndel, De legione II Adiutrice, Leipzig-, 1895.
46 MYSTÈRES DE MITHRA

début, compté des adeptes dans cette légion irré-


gulière. Quand celle-ci,
vers 120 après Jésus-Christ,
fut établie par Hadrien dans la Pannonie infé-
rieure, elle y apporta sans doute ce culte oriental,
auquel elle paraît être restée fidèle jusqu'à sa
disparition. La legio I Adiutrix, qui avait une
origine similaire (*), a probablement jeté de même
la semence féconde à Brigetio, lorsque, sous Tra-
jan, soncamp y fut transféré.
Nous pouvons marquer avec plus de précision
encore comment le dieu perse arriva à Carnun-
tum En 71 ou 72 après Jésus-Christ, Vespasien
:

fit réoccuper cette importante position stratégique


par la legio XV
Apollinaris ( 2 ), qui depuis huit
ou neuf ans combattait en Orient. Envoyée en 63
sur l'Euphrate pour renforcer l'armée que Cor-
bulon conduisait contre les Parthes, elle avait, de
67 à 70, pris part à la répression du soulèvement
des Juifs, et accompagné ensuite Titus à Alexan-
drie. Pendant ces guerres sanglantes, les vides
qui s'étaient produits dans ses effectifs avaient,
sans aucun doute, été comblés par des levées opé-
rées en Asie. Ce furent ces conscrits, probablement
originaires en grande partie de Cappadoce, qui,
transportés avec
anciennes classes sur le
les
Danube, y offrirent d'abord des sacrifices au dieu
iranien jusqu'alors inconnu au nord des Alpes.
On a trouvé à Carnuntum une dédicace à Mithra,
(*) Jûnemann, Delegione I Adintrice, Leipzig, 1894.
2 Vaglieri dans Ruggiero,
( ) Dizionario epigraf., I, p. 514 ss.
Pfitzner, Gesch. der Kaiserlegionen , p. 209 ss.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 47

due à un soldat de la légion Apollinaire, soldat


qui porte le nom caractéristique de Barbarus (
T
).

Les premiers adorateurs du Sol invictus lui con-


sacrèrent au bord du fleuve une grotte semi-circu-
laire,qui au troisième siècle devait être relevée
de ses ruines par un chevalier romain et dont la
haute antiquité se révèle dans sa disposition toute
?
particulière Lorsque, quelque quarante ans
( ).

après sa venue en Occident, Trajan transporta de


nouveau le quinzième corps sur l'Euphrate, le
culte perse avait déjà jeté dans la capitale de la
Pannonie supérieure de profondes racines. Non
seulement la quatorzième légion gemina Martia,
qui remplaça à demeure celle qui était retournée
en Asie, mais la dixième et la treizième geminae,
dont certains détachements furent, semble-t-il,
adjoints à la première, subirent l'attrait des mys-
tères et comptèrent dans leurs rangs des initiés.
Bientôt le premier temple ne suffit plus, et l'on en
bâtit un second, qui, fait important, est contigu à
celui du Jupiter Dolichénus de Commagène ( 3 ).
Un municipe se développant à côté du camp en
même temps que les conversions se multipliaient,
un troisième mithréum fut construit (fig. 4), proba-
blement vers la fin du II e siècle, et ses dimensions
dépassent celles de toutes les constructions ana-
logues jusqu'ici découvertes ( 4 ). Il fut, il est vrai,

(') C. I. L. III, 44 i3, cf.M. M. M., t. I, p. 253, n. 2.


(
2
) M. M. M., t. II, p. 327, mon. 225; cf. t. I, p. 253, n. 3.
(
3 M. M. M., t. II, p. 5oo, mon. 228^.

(
4
) M. M. M., t. II, p. 492, mon. 228*". Le spelaeum découvert en
1912 dans les thermes de Caracalla à Rome paraît seul être plus vaste.
MYSTERES DE MITHRA
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 49

agrandi par Dioclétien et les princes qu'il avait


associés à son pouvoir, lorsqu'en 3oj ils tinrent
une conférence à Carnuntum (*). Ils voulurent
donner ainsi un témoignage public de leur dévo-
tion à Mithra dans cette ville sainte, qui, de toutes
celles du Nord, renfermait probablement les sanc-
tuaires les plus anciens de la secte mazdéenne.
Cette place de guerre, la plus importante de
toute la région, paraît avoir été aussi le centre
religieux d'où le culte étranger rayonna dans les
bourgades des environs. Stix-Neusiedl, où il était
pratiqué depuis le milieu du II e siècle ( 2 ), n'était
qu'un bourg dépendant de la puissante cité. Mais,
plus au sud, le temple de Scarbantia fut tout au
moins enrichi par un decurio coloniae Carnunti ( 3 ).
A l'est, le territoire d'Aequinoctium a fourni une
4
dédicace à la « Pierre génitrice »
( ) et plus loin,
à Vindobona (Vienne), de la dixième
les soldats
légion 5
( )
avaient appris, sans doute de ceux du
camp voisin, à célébrer les mystères. On retrouve
jusqu'en Afrique les traces de l'influence que la
grande ville pannonienne a exercée sur le déve-
loppement du mithriacisme( 6 ).
A quelques lieues de Vienue, en franchissant la
frontière du Norique, nous rencontrons le bourg

(i) C. I. L, III, 44 i3 (cf. M. M. M., t. II, p. 491, n» 227). = Dessau,


Inscr. sel., 65g. Cet autel est reproduit infra p. 89, fig. 18.
(2) C I. L. III, 4 538 ss., M. M. M., mon. 229.

(
3
)
C. I. L. III, 4236 ; cf. M. M. M., mon. 223.

(
4
j C I. L, III, 4 5 4 3 cf. ; M. M. M., mon. 23i.
(5) C I. L. III, 143592s.
(6) C I. L. VIII, 2675 ; cf. M. M. M., t. I, p. 25 4 n. 5. ,
50 MYSTÈRES DE MITHRA

de Commagenae, dont le nom est dû vraisembla-


blement à ce qu'une ala Commagenorum y avait
ses quartiers. On ne s'étonnera donc pas qu'on y
ait mis au jour un bas-relief du dieu tauroctone ( ).
l

Toutefois dans cette province, pas plus qu'en


Rétie, l'armée ne paraît avoir pris, comme en
Pannonie, une part active à la propagation de la
religion asiatique. Une inscription tardive d'un
2
speculator legionis I Noricorum ( ) est la seule de
ces pays qui mentionne un soldat, et généralement
les monuments des mystères sont très clairsemés
dans la vallée du Danube supérieur, où les troupes
étaient concentrées. Ils ne se multiplient que sur
l'autre versant des Alpes, et l'épigraphie de cette
dernière région interdit de leur assigner une ori-
gine militaire.
Au deux Germanies, la mer-
contraire, dans les
veilleuse expansion que prit le mithriacisme est
certainement due aux puissants corps d'armée qui
défendaient un territoire toujours menacé. On y
a trouvé une dédicace d'un centurion consacré
3
Soli invicto Mithrae vers 148 après Jésus-Christ( ),
et il est vraisemblable qu'au milieu du II e siècle
ce dieu avait déjà opéré une quantité de conver-
sions dans les garnisons romaines. Tous les régi-
ments paraissent avoir été atteints par la contagion:
les légions VIII Augusta, XII Primigenia et
XXX Ulpia, les cohortes et les ailes auxiliaires

(') M. M. M., mon. 23S.


(
2
)
C I.L. III, 4 8o3.
3 Cf. supra, p. 3y, n.
( ) 7.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 5i

comme les troupes d'élite de volontaires citoyens.


Une diffusion aussi générale ne permet guère
d'apercevoir de quel côté le culte étranger s'est
glissé dans le pays. On
peut admettre cependant,
sans crainte de se tromper, que, sauf peut-être
sur certains points où il dut être transporté direc-
tement de l'Orient par les auxiliaires asiatiques,
il fut transmis aux Germains par l'intermédiaire
des garnisons du Danube ( ), et si l'on voulait :

absolument préciser son origine, ou supposerait,


non sans vraisemblance, que la huitième légion,
transférée en 70 après Jésus-Christ de la Mésie
dans la Germanie supérieure, y a pratiqué la pre-
mière une religion qui devait y devenir rapide-
ment prépondérante ( 2 ).
(
J
) Les relations entre les mithréums rhénans et danubiens sont
attestées par la découverte dans les premiers, de petits bas-reliefs pro-
venant certainement de Pannonie ou de Mésie (M. M. M., t. 1, p. 216,
n. i3; cf. infra, appendice sur l'art, et Drexel, l. c, p. 78.

(
2 M. Drexel (Das Kastell Stockstadt, 1910, p. 77 ss.) conteste cette
i

opinion en se fondant sur les différences incontestables qu'offrent dans


leur disposition et leurs motifs les monuments mithriaques du Rhin et
ceux des pays danubiens et il admet que « der Weg nach Germanien
ùber Sûdgallien fùhrte » (pp. 78, 80), Mais ceci parait improbable car
dans le midi de la Gaule, la propagation du culte n'a pas été due à des
soldats mais à des marchands, et les bas-reliefs de la vallée du Rhône
n'offrent aucune analogie avec ceux des bords du Rhin. La Germanie
a sans doute reçu la religion persique dès la fin du premier siècle, sans
passer par l'intermédiaire de Rome, d'une part, comme nous le disons,
parles auxiliaires asiatiques, de l'autre, par la legio VIII Augusta,
(M. M
M., t. I, p. 256, n. 2). Les premières communautés ont néces-
sairement dû faire venir des prêtres mazdéens capables d'officier sui-
vant la liturgie {infra p. 154), et ceux-ci apporter d'Orient les modèles
d'images sacrées qui diversement interprétés et développés dans les
Champs Décumates et sur les bords du Danube, ont déterminé la
composition des bas-reliefs des II e et III e siècles, retrouvés dans les
deux contrées.
52 MYSTERES DE MITHRA

GRAND BAS-RELIEF DE HEDDERXHEI JI.

Au centre, Mithra tauroctone avec le groupe du lion, du cratère et du


serpent (p. 117). Au-dessus, le zodiaque. Dans les écoinçons, Mithra
tirant de l'arc. Plus haut, entre des cyprès, scènes de la légende de
Mithra. Au-dessus, Mithra montant sur le char du Soleil; char dejla Lune.
Dans les quatre coins (médaillons), bustes des Vents ; à côté, bustes des
quatre Saisons ; entre elles, scènes de la légende de Mithra.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 53

L'Allemagne est en effet la contrée où l'on a


mis au jour le plus grand nombre de mithréums;
c'est elle qui nous a donné les bas-reliefs aux dimen-
sions les plus vastes et aux représentations les
plus complètes (*) (fig. 5), et certainement aucune
divinité du paganisme n'y a trouvé plus que Mithra
des zélateurs nombreux et fervents. Les Champs
Décumates, ces confins militaires de l'empire 2 ), (

et surtout les postes avancés compris entre le


cours du Mein et le rempart de la frontière ont
été merveilleusement fertiles en découvertes du
plus haut intérêt. Au nord de Francfort, près
du village de Heddernheim, l'ancienne civitas
Taunensium, on a exhumé successivement trois
temples importants ( 3 ) (fig. 6); trois autres exis-
taient à Friedberg dans la Hesse ( ), un autre
4

encore à Wiesbaden (Aquae Mattiacae), et dans


la région environnante, à mesure que se poursuit
l'exploration archéologique du Limes, se multiplie
le nombre des châteaux possédant à côté d'eux au
moins une crypte sacrée, où la garnison allait faire
ses dévotions. On connaît ceux deStockstadt(fig. 6)
et de Gross-Krotzenburg sur le Mein, d'Oberflor-
stadt sur la Nidda, de Butzbach, de Saalburg et

(!) Voir infra l'appendice sur l'art mithriaque.


(
2
) On
a retrouvé des monuments mithriaques tout le long de la vallée
du Neckar depuis Rottenburg (Sumelocenna), non loin de la source de la
rivière, jusqu'à l'embouchure de celle-ci à Mannheim, d'autre part, dans
les forts du limes wurtembourgeois (Mùrrhardt, Osterburken, etc.). Cf.
infra appendice.
(
3
)
M. M. M., mon. 25i, 204, cf. 3n.
(
4
)
Ibid., mon. 248-9. Cf Westdeiitsche Zeitschrift, XVI, 1897, Kor-
respdbl., p. 226.
54 MYSTERES DE M1THKA

d'Alteburg-Heftrich dans le Taunus( ) .Ce coin 1

enfoncé au cœur de la Germanie, cette citadelle


avancée de l'État romain, était vraiment aussi
une forteresse de la foi mazdéenne. D'autre
part, tout le long
du Rhin, depuis
Augst (Raurica)
près de Bàle jus-
qu'à Xanten (Ve-
terà), en passant
par Strasbourg,
Mayence, Neu-
wied, Bonn, Co-
logne et Dorma-
2
gen ( ), on ren-
contre une série
de monuments,
qui indiquent
comment la reli-
gion nouvelle, ga-
gnant de proche
en proche comme
une épidémie,
FIG. 6. — BAS-RELIEF TROUVÉ A STOCKSTADT
MITHRA TAUROPHORE.
s'est propagée
milieujusqu'au
des tribus barbares des Ubiens et des Bataves.
L'influence du mithriacisme parmi les troupes
massées sur la frontière rhénane peut aussi se
mesurer à son extension vers l'intérieur de la

(M M. M. M., mon. 247, 247*", 25o; cf l'appendice de ce volume.


(
2
)M. M. M., t. I, p. 257, n° 3 cf. infra appendice.
;
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 55

Gaule. Un soldat de la huitième légion consacre


un autel deo Invicto à Genève (
]

), qui se trouvait
sur la voie militaire conduisant de Germanie à la
Méditerranée, et l'on a trouvé d'autres traces du
culte oriental dans la Suisse actuelle et le Jura
français. A Sarrebourg (Pons Saravi),
au débouché
de la passe des Vosges par laquelle Strasbourg
communiquait et communique encore avec les
bassins de la Moselle et de la Seine, on a exhumé
récemment un speiaeum datant du III e siècle (
2
).

Un autre, dont le bas-relief principal, taillé dans


la roche vive, a subsisté jusqu'à nos jours, existait
à Schwarzerden entre Metz et Mayence (
3
). On
s'étonnerait que
grande ville de Trêves n'eût
la
conservé que quelques débris d'inscriptions et de
4
statues ( ), si l'importance de cette cité sous les
successeurs de Constantin n'y expliquait la dispa-
rition presque complète des monuments du paga-
nisme. Enfin, dans la vallée de la Meuse, non
loin de la route qui joignait Cologne à Bavay
(Bagacum), de curieux vestiges des mystères ont
été reconnus.
De Bavay, cette route menait vers l'ouest à
Boulogne (Gesoriacum) le port d'attache de la,

classis Britannica. Les deux statues de dadophores,


certainement exécutées sur place, qui y ont été
retrouvées ( 5 ), furent sans doute offertes au dieu
(i) C I. L. XII, 2587.
(
2
) M.M.M mon. zq&er.
,

( )
3 M. M. M., mon. 258.
(
4
)
M. M. M., mon. 2y3^> cf. mon. douteux 321 ss.;C. 1. L., XIII 3663.
(
5
)
M. M. M., mon. 274, cf. 274*".
56 MYSTERES DE MITHRA

par quelque marin ou officier étranger de la flotte.


Cette importante station maritime devait entre-
tenir des relations quotidiennes avec la grande île
opposée et surtout avec Londres, que fréquentaient
dès cette époque de nombreux marchands. L'exis-
tence d'un mithréum dans le principal entrepôt

FIG. 7. BAS-RELIEF TROUVÉ A LONDRES (mon. 267.).

Au groupe de Mithra tauroctone avec les dadophores, entouré


centre,
des douze signes du zodiaque dans les écoinçons inférieurs, bustes des
;

Vents dans les écoinçons supérieurs, Sol sur son quadrige, et Luna sur
;

un bige de taureaux. L'inscription se lit Ulfiius Silvanus factus


:

Arausione emeritus leg(ionis) II Aug(ustae) votum solvit (c.-à-d. licen-


cié à Orange).

commercial et militaire delà Bretagne n'a rien qui


doive nous surprendre (fig. 7)
( ).
En général, dans
x

aucune contrée, le culte iranien ne resta aussi

\}) Mon. 267; cf. infra l'appendice de ce volume.


LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 57

exactement que dans celle-ci confiné dans les


places fortes. En dehors d'York (Eburacum) Ç), où
se trouvait le quartier général des troupes de la
province, il ne s'est répandu qu'à l'ouest, près du
pays de Galles actuel, à Caërleon (Isca) et à
Chester (Deva) 2 ), où des camps avaient été éta-
(

blis pour contenir les peuplades des Silures et des


Ordovices, puis à son extrémité septentrionale,
le long du vallum d'Hadrien, qui protégeait le
territoire de l'empire contre les incursions des
Pietés et des Calédoniens. Toutes les « stations »
de ce rempart semblent avoir eu leur temple
mithriaque, où le commandant de place (praefectus)
donnait à ses subordonnés l'exemple de la dévo-
3
tion donc évident que le dieu asiatique
( ). Il est
s'est avancé jusque dans ces régions boréales à la
suite des armées, mais on ne peut déterminer ni
à quel moment ni avec quelles troupes il y pénétra.
On a lieu de croire cependant qu'il y était honoré
dès milieu du II e siècle, et que la Germanie ( 4 )
le
avait servi ici d'intermédiaire entre le lointain
Orient
Et penitus toto divisos orbe Britannos.

A l'autre extrémité du monde romain, les mys-


tères furent célébrés également par les soldats. Ils

(!) Mon. 274.


(
2
)
C. L. VII 99; M. M. M., mon. 268-9.
I.
3
( )
Vindobala, M. M. M. mon. 272 mon. 273 (cf.
Borcovicium,
;

appendice); Amboglanna, C. I. L. VU, 83i (inscr. 4891; Petrianae, C I.


L. VII, 889 (inscr 485, cf. 490) L/uguvallium (inscr. suppl. 458 a), etc.
;

4 Cf. supra, p. 5i ss.


( )
58 MYSTERES DE MITHRA

avaient des adeptes dans la III e légion, campée à


Lambèse, et dans
postes qui gardaient les
les
défilés de l'Aurès ou jalonnaient la lisière du
Sahara ). Cependant ils ne paraissent avoir été
(
1

aussi populaires au sud de la Méditerranée que


dans les pays du Nord, et leur propagation a pris
ici un caractère spécial. Leurs monuments, presque

tous d'époque tardive, sont dus à des officiers ou


du moins des centurions, dont beaucoup étaient
d'origine étrangère, plutôt qu'aux simples soldats
levés presque en totalité dans la contrée qu'ils
étaient chargés de défendre. Les légionnaires de
Numidie sont restés attachés à leurs dieux indi-
gènes, puniques ou berbères, et n'ont que rare-
ment adopté les croyances des compagnons avec
lesquels le métier des armes les mettait en contact.
La religion persique a donc en Afrique été prati-
quée surtout, semble-t-il, par ceux que le service
militaire y appelait du dehors, et les collèges de
fidèles se composaient en majorité, sinon d'Asia-
tiques, du moins de recrues amenées des provinces
danubiennes.
Enfin en Espagne, le pays d'Occident qui est
le plus pauvre en monuments mithriaques, la

connexité de leur présence avec celle des garnisons


(!) Presque tous les monuments mithriaques d'Afrique ont été décou-
verts dans la région méridionale, là où étaient cantonnées les troupes,
en Numidie, surtout à Lambèse, puis à Thamugadi (cf. appendice),
Mascula, Diana, etc. En Maurétanie, un bas-relief a été trouvé au village
de Timziouïn (mon. 282). En dehors de cette zone frontière, on n'a guère
constaté de traces indubitables du culte que dans deux chefs-lieux, Cirta
(Constantine) et Sétif, et dans les ports de Rusicade (Philippeville)
Icosium (Alger), etc. Nous y reviendrons plus bas, p. 67.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 59

n'est pas moins manifeste. Sur toute l'étendue de


cette vaste péninsule, où se pressaient tant de
cités populeuses, ils font presque totalement
défaut, même dans les centres urbains les plus
considérables. C'est à peine si on en peut signaler
dans la capitale de la Lusitanie et celle de la
Tarraconaise, à Emérita et à Tarragone (*). Mais
dans les vallées sauvages des Asturies et de la
Galice, dieu iranien avait un culte organisé ( 2 ).
le

On mettra immédiatement ce fait en rapport avec


le séjour prolongé d'une légion la VII* Gemina
dans cette contrée longtemps insoumise. Peut-être
les conventicules d'initiés comprenaient-ils aussi
des vétérans des cohortes espagnoles, qui, après
avoir servi comme auxiliaires sur le Rhin et le
Danube, étaient rentrés dans leurs foyers convertis
à la foi mazdéenne.
En l'armée n'a pas seulement contribué à
effet,

répandre les cultes orientaux en réunissant côte à


côte des hommes, citoyens ou pérégrins, de toutes
les parties du monde, en faisant passer sans cesse
les officiers, les centurions, ou même des corps
entiers d'une province à l'autre suivant les besoins
variables du moment, et en étendant ainsi sur
toutes les frontières un réseau de communications
perpétuelles. Leur congé obtenu, les soldats con-
tinuaient à observer dans leur retraite les pra-
tiques auxquelles ils s'étaient accoutumés sous les

(!) Mithréum à Mérida, cf. appendice, et C. I. L. II, 464; Dédicace à


Tarragone : C. I. L II, 4086.
(2) C I. L II, Suppl. 5635, 5728.
ÔO MYSTÈRES DE MITHRA

drapeaux, et ils provoquaient bientôt autour d'eux


des imitations. Souvent ils s'établissaient à proxi-
mité de leur dernière garnison, dans ces municipes
qui peu à peu avaient auprès des camps remplacé
les échoppes des vivandiers. Parfois aussi ils
élisaient domicile dans quelque grande ville de la
contrée où ils avaient servi, pour y passer avec de
vieux frères d'armes le reste de leurs jours Lyon :

compta toujours dans ses murs un nombre consi-


dérable de ces anciens légionnaires de Germa-
nie ( ), et la seule inscription mithriaque que
]

Londres nous ait fournie, a pour auteur un eme-


?
ritus des troupes de Bretagne ( ). Il arrivait aussi
que l'empereur envoyât ces soldats libérés sur un
territoire qu'il leur assignait, pour y fonder une
colonie Elusa en Aquitaine a peut-être connu la
:

religion asiatique par les vétérans du Rhin qu'y


établit Septime Sévère ( 3 ). Souvent les conscrits
que l'autorité militaire transportait aux confins
de l'empire, gardaient au cœur l'amour de leur
pays natal, avec lequel ils ne cessaient d'entretenir
des relations; mais lorsque, licenciés après vingt
ou vingt-cinq ans de factions et de combats, ils
retournaient dans leur patrie, aux dieux de leur
cité ou de leur tribu ils préféraient le protecteur
étranger qu'un compagnon de tente leur avait
appris au loin à adorer suivant des rites mysté-
rieux.

(i) C I. L. XIII, 1771-72 ; M. M. M., mon. 276.


2 Cf. supra p. 56, fig.
( ) 7.
(3) C, I. L. XIII, 5 4 2.
.

LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 6l

Toutefois, la propagation du mithriacisme dans


les villes et les campagnes des provinces inermes
est due surtout à d'autres facteurs qu'à l'armée.
Par ses conquêtes progressives en Asie, Rome
avait soumis à sa domination de nombreuses popu-
lations sémitiques. Dès que la fondation de
l'empire eut assuré la paix du monde et rendu la
sécurité au négoce, on vit ces nouveaux sujets,
profitant des aptitudes spéciales de leur race, con-
centrer peu à peu entre leurs mains le trafic du
Levant. Comme auparavant les Phéniciens et les
Carthaginois, les Syriens peuplèrent alors de leurs
colonies tous les ports de la Méditerranée ). A (
1

l'époque hellénistique, ils s'étaient établis en


grand nombre dans les centres commerciaux de la
Grèce,notamment à Délos. Une quantité de ces
marchands affluèrent maintenant à proximité de
Rome, à Pouzzoles, à Ostie. Ils semblent avoir
fait des affaires dans toutes
.les cités maritimes de

l'Occident. On
trouve en Italie, à Ravenne, à
les
Aquilée, àTergeste; à Salone, en Dalmatie, et
jusqu'à Malaga en Espagne. Leur activité mer-
cantile les entraînait même au loin dans l'intérieur
des terres, partout où ils avaient la perspective de

(!) Sur cette diaspora syrienne analogue à celle des Juifs, cf. Mommsen,
Rom. Gescli., t V2 , p. 467 ss.; Friedlânder, Sittengeschichte Roms, t. Iï s ,

p. 80 sq.; pour la période postérieure à Constantin, Scheffer-Boichorst,


Zur Gesch. der Syrer im Abendlande (Mitt. des Instituts fur ôster-
reichische Gescliichtsforscliung, VI), i883 ; Bréhier, Les colonies
d'Orientaux en Occident (Byzant. Zeitschrtft XII), igo3, p. 1 ss.;
Wolfram, Lothr. Jahrbuch fur Altertumskunde, XVII, iqo5, p. 3iS ss.
J'ai réuni un certain nombre de textes M. M. M., t. I, p. 262 ss. Leur
nombre pourrait être maintenant accru
02 MYSTÈRES DE MITHRA

réaliser quelque profit. Par la vallée du Danube


ilspénétrèrent jusqu'à Sirmium en Pannonie. En
Gaule, cette population d'Orientaux était parti-
culièrement dense ils arrivèrent par la Gironde
;

à Bordeaux, et remontèrent le Rhône jusqu'à


Lyon. Quand ils eurent occupé les rives de ce
fleuve, ils débordèrent dans tout le centre de la
province, et Trêves, la grande capitale du nord,
les attira en foule. Ils remplissaient véritablement
tout le monde romain. Les invasions des barbares
ne suffirent pas à décourager leur esprit d'entre-
prise. Sous les Mérovingiens, ils parlaient encore
leur idiome sémitique à Orléans. Pour arrêter
leur émigration, il fallut que les Sarrasins eussent
ruiné la navigation sur la Méditerranée.
Les Syriens se distinguèrent à toutes les époques
par leur ardente ferveur. Aucun peuple, pas même
les Égyptiens, ne défendit avec autant de vio-
lence ses idoles contre les chrétiens. Aussi, lors-
qu'ils fondaient une colonie, leur premier soin
était-il d'organiser leurs cultes nationaux, et la
mère-patrie leur allouait parfois des subventions
pour accomplir ce pieux devoir. C'est
les aider à
ainsi que
les divinités de Béryte, d'Héliopolis et
même de Damas ont pénétré d'abord en Italie ). (
1

Le mot Syrus avait dans l'usage courant un


sens très vague. Ce mot, abréviation à'Assyrus,
était souvent confondu avec lui, et servait à
désigner en général toutes les populations sémi-

(!) Cf. mes Religions orientales, 2 e éd., p. 463 ss.


LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 63

tiques anciennement soumises aux rois de Ninive,


jusqu'à l'Euphrate et même
au delà Ç-J. Il compre-
nait donc les sectateurs de Mithra établis dans
la vallée de ce fleuve, et à mesure que Rome
étendit ses conquêtes de ce côté, ils durent être
de plus en plus nombreux parmi les « Syriens »
qui résidaient dans les cités latines.
Cependant les marchands qui fondaient des
comptoirs en Occident, étaient en majorité les
serviteurs des Baals sémitiques, et ceux qui invo-
quaient Mithra étaient généralement des Asia-
tiques d'une condition plus humble. Les premiers
temples, que le dieu posséda dans l'ouest de
l'empire, furent certainement fréquentés surtout
par des esclaves. C'était de préférence dans les
provinces d'Orient que les mangones se fournis-
saient de leur marchandise humaine. Ils amenaient
à Rome du fond de l'Asie Mineure des troupeaux
de serfs vendus par les grands propriétaires fonciers
de la Cappadoce et du Pont, et cette population
importée avait fini, au dire d'un ancien, par
former comme des villes particulières dans la capi-
tale ( 2 ). Mais la traite ne suffisait pas à la consom-
mation croissante de l'Italie dépeuplée. A côté
d'elle, la guerre était la grande pourvoyeuse
d'hommes. Quand on voit Titus dans la seule
campagne de Judée réduire quatre-vingt-dix-sept
3
mille Juifs en esclavage ( ), l'imagination est

(!) Cf. Nôldeke, Hermès, 1S71, p. 443 sqq.

(
2
)
Athénée, I, 36, p. 20 b. ; cf. M. M. M., t. I, p. 264, n. 2.

(
3
) Josèphe, B. Iud., VI, 9, 3 ; cf. Wallon, Hist. de l'esclavage, t.. II,

1847, p. 37 sq.
64 MYSTÈRES DE MtTHRA

effrayée des foules de captifs que les luttes inces-


santes Parthes et en particulier les
avec les
conquêtes de Trajan durent jeter sur les marchés
de l'Occident.
Adjugés en masse après la victoire ou acquis en
détail par les trafiquants, ces esclaves étaient sur-
tout abondants dans les villes maritimes, jusqu'où
leur transport était peu dispendieux. Ils y intro-
duisirent, concurremment avec les marchands
syriens, les cultes orientaux (*) et en particulier
celui de Mithra. On trouve celui-ci établi dans
toute une série de ports de la Méditerranée. Nous
avons signalé plus haut (*2 ) sa présence à Sidon en
Phénicie et à Alexandrie d'Egypte. En Italie, si
Pouzzoles et ses environs, y compris Naples ( 3 ),
ont fourni relativement peu de monuments des
mystères, c'est que cette ville cessa au II e siècle
d'être le grand entrepôt où Rome se fournissait
des denrées du Levant. La colonie tyrienne de
Pouzzoles, auparavant riche et puissante, se plaint,
en 172, d'être réduite à un petit nombre de
membres (
4
). Depuis les immenses travaux exé-
cutés par Claude et Trajan à Ostie, celle-ci hérita
de la prospérité de sa rivale campanienne. Aussi
toutes les religions asiatiques y eurent-elles bien-
tôt leurs chapelles et leurs confréries de fidèles,
mais aucune d'entre elles n'y jouit d'une faveur
(!) Cf. mes Religions orient., 2 e éd., p. i56 ss.
2 Cf. supra, p. 32.
( )

(
3
)
C I. L. X, i5q (mithriaque ?) ; Kaibel, Inscr. Sic. et îtal., 891;
M. M. M., mon. 91, 95.
4
( ) Kaibel, Inscr. Sic. et Ital., 83o; Inscr. res Rom. fiert., I, 421.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 65

plus éclatante que celle du dieu iranien. Dès le

II e siècle, quatreou cinq spelaea au moins lui


étaient consacrés l'un d'eux, construit au plus
;

tard en 162, et communiquant avec les thermes


d'Antonin, était situé à l'endroit même où abor-
daient les navires d'outre mer (fig. 8) ('), et un
autre était attenant au metroon, le sanctuaire où
se célébrait le culte officiel de la Magna Mater (
2
).

Au sud, le petit bourg d'Antium (Porto d'Anzio)


3
avait suivi l'exemple de sa puissante voisine ( ), et
4
en Étrurie, Russellae (Grosseto) et Pise ( ) avaient
également fait bon accueil à la divinité mazdéenne.
A l'est de l'Italie, Aquilée se distingue par
5
le nombre de ses inscriptions mithriaques ( ).
N'était-ce pas en effet, comme aujourd'hui Trieste,
le marché où les provinces danubiennes échan-
geaient leurs produits contre ceux du midi? Pola,
à l'extrémité de l'Istrie, les îles d'Arba et de
Brattia, et les échelles de la côte Dalmate, Senia,
Iader, Salone, Narona, Épidaurum, jusqu'à
Dyrrachium en Macédoine, ont conservé des ves-
tiges plus ou moins nombreux et certains de
l'influence du dieu invincible, et jalonnent pour
ainsi dire la voie que celui-ci a suivie pour parvenir
dans la métropole commerciale de l'Adriatique ( 6 ).
On suit aussi ses progrès dans la Méditerranée

(!) M. M. M., mon. 83 cf. mon. 79, 85.


;

(
2
)
Mon. 2g5, cf. Suppl. p. 523.
(3) M. M. M., mon. 87.
( )
4 Ibid., mon. 99, 100.

( )
5 M. M. M., mon. 116-7, C. I. L. V, 763 ss. (inscr. i65, 177, 2o5, 207).

(
6
)
Nous avons réuni les témoignages M. M. M., t. I, p. 266, n. 4.
66 MYSTERES DE MITHRA
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 67

occidentale. En
Syracuse et Palerme (*) le
Sicile, ;

long du littoral africain, Oea, Carthage, Rusicade,


Icosium, Césarée ( 2 ), sur le rivage opposé d'Espa-
gne, Malaga et Tarragone ( 3 ont vu tour à tour se )

constituer, dans la plèbe confuse que la mer y avait


amenée, des associations de mithriastes, et plus au
nord, sur le golfe du Lion, la fière colonie romaine
de Narbonne ne s'était pas montrée plus exclu-
sive ( 4 ).
En Gaule surtout, la corrélation, que nous avons
reconnue, entre l'extension des mystères et celle
du trafic oriental, est frappante. Tous deux se
concentrent principalement entre les Alpes et les
Cévennes ou, pour préciser davantage, dans le
bassin du Rhône, dont le cours était une voie de
pénétration d'une importance capitale. Sextantio,
près de Montpellier, et Aix, en Provence, nous
ont donné l'épitaphe d'un pater sacrorum, l'autre
une représentation, peut-être mithriaque, du Soleil
5
sur son quadrige (
). Puis, en remontant le fleuve,

nous trouvons à Arles une statue du Kronos léon-


tocéphale honoré dans les mystères ( 6 ), à Bourg-
Saint-Andéol, près de Montélimar, une représen-
(!) Mon. 119-121.

(
2
) probablement à Carthage que Tertullien a connu, à la fin du
C'est
II e siècle, les mystères de Mithra (cf. infra, p. 82, n. 3). Oea (Tripoli),
cf. appendice; Rusicade, mon. 284; Icosium, I. L. VIII, q256; C
Cesarée, C
I. L. VIII, g322-3.

(3j C I. L. II, 5i5, 5ig.

(4) M. M. M., t. I, p. 365, no 2 8i<5«.

( )
5 C I. L. XII, 4118 et 5o3 ; M. M. M., mon. 325; Espérandieu.
Bas-reliefs de la Gaule, I, 1907, n° 94.
6
( )
M. M. M., mon. 281 ;
Espérandieu, op. cit., t. I, n» 142, cf. C I.

L.XII, 504 de Glanum.


68 MYSTÈRES DE MITHRA

tation du dieu tauroctone sculptée dans la roche


vive à côté d'une source (
l

) ; à Vaison, non loin


d'Orange, une dédicace faite à l'occasion d'une
initiation ( 2 ) à Vienne, un spelaeum d'où provient,
;

entre autres monuments, un bas-relief jusqu'ici


3
unique en son genre ( ).
Enfin à Lyon, dont les
relations avec l'Asie Mineure sont bien connues
par l'histoire du christianisme, le succès du culte
persique fut certainement considérable ( 4 ). En
amont, on constate sa présence à Genève d'une
part (
5
), à Mandeure (Epamantodurum) sur le
Doubs de l'autref
3
), et plus à l'est à Entrains (Inta-
ranum) dans la Nièvre, peut-être à St- Aubin
dans l'Indre et dans le bourg d'Alésia, célèbre par
le siège de César ( ). Une série ininterrompue de
7

sanctuaires, qui étaient sans doute en rapports


constants entre eux, reliait ainsi les bords de
la Méditerranée aux camps de la Germanie.
Sortant des cités florissantes de la vallée du
Rhône, le culte étranger se glissa même jusqu'au
fond des montagnes du Dauphiné, de la Savoie et
du Bugey. Labâtie, près de Gap, Lucey non loin
de Belley, et Vieu-en-Val-Romey ( 8 ) nous ont con-
(!) Mon. 279 Espérandieu, t. I, n° 422.
;

(2) Vaison (Vasio), C. I. L. XII, 1324.


(
3
)
Mon. 277-8; Espérandieu, t. I, n° 340.
(
4
)
Mon. 275.
(5) C. I. L. XII, 258 7 .

6 Bull. soc. antiqu. France, 1896, p. 123.


( )

(
7
)
Mithréum d'Entrains, cf. appendice et C. I. L. XIII, 1906 ;

St- Aubin et Alésia, cf. infra appendice.

(
8 Labâtie (Mons Seleucus), mon. 280 Espérandieu, op. cit., n° 325.
) ;

Lucey, C
I. L. XII, 2441. Vieu (Venetonimagus), C. I. L. XIII, 2906,

mon. 397.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 69

serve des inscriptions, des temples, des statues


consacrées par ses fidèles. Nous l'avons dit, les
marchands orientaux ne se bornèrent pas à établir
des factoreries dans les ports maritimes ou flu-

viaux. L'espoir d'un négoce plus lucratif les dissé-


mina dans les villes de l'intérieur, où la concur-
rence était moins ardente. La dispersion des
esclaves asiatiques était plus complète encore : à
peine débarqués, ils étaient répartis au hasard des
enchères dans toutes les directions, et nous les
retrouvons dans les différentes contrées, exerçant
les fonctions les plus diverses.
En Italie, pays de grandes propriétés, pays par-
semé d'antiques cités, tantôt ils allaient grossir les
armées de serfs qui exploitaient les domaines de
l'aristocratie romaine, devenaient par-
et alors ils
fois à titre d'intendants [actor, villicus) les maîtres
de ceux dont ils avaient d'abord partagé le sort mi-
sérable; tantôt ils étaient acquis par quelque muni-
cipe, et comme servi publici exécutaient les ordres
des magistrats ou entraient dans les bureaux de
l'administration. On se figure difficilement avec
quelle rapidité les religions orientales purent ainsi
pénétrer dans les régions qu'elles eussent semblé
ne jamais devoir atteindre. Une double inscrip-
tion de Nersae, au cœur de l'Apennin, nous
apprend qu'en l'an 172 de notre ère, un esclave,
caissier de la ville, y a restauré un mithréum, qui
tombait en ruines ( 1 ). A Venouse, une dédicace
grecque HXîuj MiOpa est consacrée par l'homme
c

(!) C I. L. IX, 4109-10.


70 MYSTÈRES DE MITHRA

d'affaires de quelque riche bourgeois, et son nom,


Sagaris, indique à la fois sa condition servile et
son origine asiatique ( ). On pourrait multiplier 1

les exemples. Il n'est pas douteux que ces servi-


teurs obscurs du dieu étranger n'aient été les
artisans les plus actifs de la propagation des mys-
tères non seulement dans la banlieue de Rome ou
dans les seules grandes villes, mais par toute
l'Italie de la Calabre jusqu'aux Alpes. On trouve
le culte iranien pratiqué à la fois à Grumentum,
au centre de Lucanie ( 2 ) puis, comme nous le
la ;

disions, à Venouse en Apulie, et à Nersae, dans le


pays des Eques, ainsi qu'à Aveia dans celui des
Vestins ( 3 ) ensuite en Ombrie, le long de la voie
;

Flaminienne, à Interamna, à Spolète, où l'on peut


visiter un spelaeum décoré de peintures, et à
Sentinum, où l'on a mis au jour une liste des
patrons d'un collège de mithriastes( 4 ); de même en
Etrurie, il suivit la voie Cassia, et s'établit à
Sutrium, à Bolsène, peut-être à Arrezzo et à
Florence ( 5 ). Ses traces sont moins accusées et
moins significatives au nord de l'Apennin. Elles
n'apparaissent que sporadiquement dans l'Emilie,
où le territoire de Bologne, celui de Modène et
peut être celui de Reggio nous ont seuls con-
(i) Kaibel, Inscr. Sic. et Ital., 688, cf. C I. L. IX, 4 25.
(2) C I. L. X, 204.
(3) C I. L. IX, 36o8.

(
4
)
Interamna, M. M. M., mon. 86. Sentinum, mon. 98; C I. L. XI,
5736-7. Spoletium, mon. 97; C I.L. XI, 4774.
(
5
)
Sutrium, C I. L. XI. 5735, M. M. M., mon. i58. Volsinii, mon.
104. Arretium, C I. L. XI. 1821. Florentia, mon. ioi-io3 (mais leur ori-
gine n'est pas certaine).
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 71

serve quelques morceaux intéressants ), aussi (


1

bien que dans la féconde vallée du Pô. Ici,


Milan, dont on sait la rapide prospérité sous
l'empire, paraît être le seul endroit où la religion
exotique ait joui d'une grande faveur et d'une pro-
2
tection officielle
( ).
Quelques fragments d'inscrip-
tions exhumés à Tortone, à Industria, à Novare,
ne suffisent point à prouver qu'elle ait atteint dans
3
le reste du pays une large diffusion ( ).

Il est assurément remarquable que nous ayons

recueilli un plus riche butin dans les défilés sau-


vages des Alpes que dans les plaines opulentes de
la haute Italie. A Introbbio en Val Sassina, à l'est
du lac de Corne, dans le Val Camonica, qu'arrose
l'Oglio, des autels ont été dédiés au dieu invin-
cible Mais les monuments qui lui ont été con-
(
4
).

sacrés, sont abondants surtout le long de l'Adige et


de ses affluents, à proximité de la grande voie de
communication qui, dans l'antiquité comme de nos
jours, passait par le col du Brenner ou le Puszter-
Thal, et qui conduisait sur l'autre versant en
Rétie ou dans le Norique à Trente, mithréum :

établi près d'une cascade; près de San-Zeno,


bas-reliefs exhumés dans une gorge rocheuse; à
Castello di Tuenno, fragments d'ex-voto travaillés
sur les deux faces; sur les bords de l'Eisack, dédi-

(!) Bononia, mon. 106-7. Mutina, mon. 108. Regium Lepidi, cf. infra
appendice.
(2) Mediolanum, C. I. L.V,565ç>, 57g5-6, 58g3, cf. 5 4 65, 5477; M.M.M.,
mon. 109-110.
3 C. I. L. V, 7362, 7474, 8997.
( )

( )
4 C I. L. V, 5204, 4935, cf. 4948.
72 MYSTÈRES DE MITHRA

cace à Mithra et au Soleil, et enfin à Mauls, la


célèbre plaque sculptée découverte au XVI e
siècle
et conservée maintenant au musée de Vienne ( ). l

Les progrès du mithriacisme dans cette région


montagneuse ne s'arrêtèrent pas aux frontières
de poursuivant notre chemin par la
l'Italie. Si,
vallée de la Drave, nous recherchons les vestiges
qu'il y a laissés, nous les retrouverons immédia-
tement à Téurnia (') et surtout à Virunum, la ville
la plus considérable du Norique, dans laquelle
au III e siècle deux temples au moins étaient
ouverts aux initiés. Un troisième avait été amé-
nagé non loin de là dans une grotte au milieu des
3
forêts ( ).

Cette colonie romaine avait sans doute pour


métropole religieuse Aquilée ( 4 ) dont l'importante
église essaima dans tous ces parages. Les cités qui
se développèrent le long des routes conduisant de
ce port à travers la Pannonie aux places fortes du
Danube, furent, presque sans exception, hospita-
lières au dieu étranger Émona, les Latobici, :

Néviodunum et principalement Siscia, sur le


cours de la Save; puis, vers le nord, Atrans,
Celeia, Poetovio, où deux de ses temples ont été
récemment fouillés, le reçurent avec une insigne

(!) Trente, C. I. San Zeno, M. M. M., mon, 114.


L. V, 5oi9, 5o20.
Tuenno, mon. 114; Luigi Campi, Il culto di Mitra nella Naunia
cf.

(Archivio Trentino, XXIV), 1909. Vallée de l'Eisack, C. I. L. V, 5o82,


Mauls, mon. 23g.
(2) C I. L. III, 4736, cf. 4771.
(
3) M. M. M., mon. 235-7.
4 Cf. supra, p. 63.
( )
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 73

faveur Ainsi ses fidèles qui se rendaient des


(*).

bords de l'Adriatique en Mésie d'une part ou de


l'autre à Carnuntum, étaient accueillis à toutes
leurs étapes par des coreligionnaires.
Si dans ces régions, de même qu'au midi des
Alpes, les esclaves orientaux servirent à Mithra
de missionnaires, conditions où leur propa-
les
gande cependant assez différentes.
s'exerça, furent
Ils ne se répandirent guère dans cette contrée,
ainsi qu'ils le firent dans les latifundia et les cités
italiques, comme ouvriers agricoles ou régisseurs
de riches propriétaires ou comme employés muni-
cipaux. La dépopulation ne sévissait pas ici
autant que dans les pays de vieille civilisation, et
pour cultiver les champs ou faire la police des
villes, on n'était pas obligé de recourir à la main-
d'œuvre étrangère. Ce ne sont pas les particuliers
ni les communes, c'est l'Etat qui fut ici le grand
importateur d'hommes. Les procurateurs, fonc-
tionnaires du fisc, intendants des domaines impé-
riaux, ou, comme dans le Norique, véritables
gouverneurs, avaient sous leurs ordres une foule
de collecteurs d'impôts, de commis de tout genre,
disséminés dans leur ressort, et généralement ces
subalternes n'étaient pas de naissance libre. De
même, gros entrepreneurs qui prenaient à
les
ferme produit des mines et carrières ou le ren-
le
dement des douanes, employaient dans leurs

( Les inscriptions de ces villes sont réunies. M. M. M., inscr. 23gl> is


x
) ,

349 385 ss,, 410. Cf. mon. 220, 221, 232, 236 *", 304. Deux nouveaux
ss.,

mithréums à Poetovio (Pettau), cf. infra appendice.


74 MYSTÈRES DE MITHRA

exploitations un personnel nombreux de condition


ou d'origine servile, qu'ils amenaient de l'extérieur.
De gens de cette sorte, agents de l'empereur ou
des publicains qu'il se substituait, sont ceux dont
les titres reviennent le plus souvent dans les
inscriptions mithriaques de la Pannonie et du
Norique méridionaux ( ). ]

Dans toutes les provinces, les modestes em-


ployés des services impériaux eurent une part
considérable dans la diffusion des cultes étrangers.
De même que ces salariés du pouvoir central
étaient les représentants de l'unité politique de
l'empire par opposition au particularisme régional,
de même, ils étaient les apôtres des religions uni-
verselles en face des dévotions locales. Ils for-
maient comme une seconde armée placée sous les
ordres du prince, et leur influence sur l'évolution
du paganisme fut analogue à celle de la première.
Comme en grand
les soldats, ils étaient recrutés
nombre dans pays asiatiques; comme eux,
les
ils changeaient perpétuellement de résidence à

mesure qu'ils montaient en grade, et les cadres de


leurs bureaux, comme ceux des légions, com-
prenaient des individus de toute nationalité.
Ainsi l'administration transféra de gouverne-
ment à gouvernement avec ses scribes et ses
comptables connaissance des mystères. Fait
la
caractéristique, à Césarée de Cappadoce, c'est en
fort bon latin qu'un esclave, probablement indi-

(!) Outre les textes réunis M. M. M., t. I. p. 271, n. 1, cf. C. I. L.


III, 15184 4 sqq.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 75

gène, arcarius dispensatoris Augusti, offre une


image du Soleil à Mithra (*). Dans l'intérieur de
la Dalmatie, où les monuments du dieu perse
sont assez clairsemés parce que cette province fut
de bonne heure dégarnie de légions, des employés
du fisc, des postes et des douanes ont cependant
laissé leurs noms sur plusieurs dédicaces 2
( ).
Dans
les provinces frontières surtout, les agents finan-
ciers des Césars durent être nombreux, non
seulement pour percevoir les droits d'entrée sur
les marchandises, mais parce que la plus lourde
dépense des caisses impériales étaient les frais
d'entretien des troupes. Il est donc naturel de
trouver des dispensatores, exactores, procuratores,
et d'autres titres analogues, mentionnés dans les
3
textes mithriaques de Dacie et d'Afrique ( ).

Voici donc une seconde voie par laquelle le dieu


iranien put pénétrer dans les bourgs voisins des
camps, où nous l'avons vu adoré par les soldats

(i) C. I. L. III, i2i35.


(
2
)
Le nombre des monuments de l'intérieur de la Dalmatie a aug-
menté depuis dix ans; cf. C
I. L. III, i5o85, 15087 (Arupiuin) et l'appen-

dice de ce volume; mais dans l'ensemble, on doit s'en tenir au jugement


M. Patsch (Archàol.-efiigr.Unters. zur Gesch. der Provinz Dalmatien,
1896, p. 11) « Die Zahl der bei uns dem Mithras gestifteten Inschriften
:

ist im Vergleich. zu den anderen Teilen Illyricums. keine bedeu tende.


.

Desgleichen kommen die anderen orientalischen Gottheiten in Dalma-


tien nur sehr sporadisch vor... Im Gegensatz dazu merkt man ein lân-
geres und intensiveresFesthalten an den epichorischen Kulten. Ich glaube,
man wird nicht fehl gehen,wenn man dièse Erscheinung mit den Militâr-
verhàltnissen in Verbindung bringt: Dalmatien hat seit Vespasian keine
starke legionare Besatzung und auch die hierstehende Auxiliartruppen
gehôrten Jahrhunderte lang dem Lande an. »
(
3
)
C I. L. III, 1437, 7729, Suppl. 7938, iii52, VIII, 2228, cf. ic
76 MYSTÈRES DE MITHRA

orientaux. D'une manière générale, le service de


l'intendance et des officiers provoquait le trans-
port d'esclaves publics et privés dans toutes les
garnisons, en même temps que les besoins sans
cesse renaissants de ces multitudes assemblées y
attiraient de tous côtés des négociants. D'autre
part, nous l'avons dit (*), les vétérans allaient
souvent se fixer dans les ports et dans les grandes
villes, où se rencontraient avec eux les esclaves et
les marchands. Lorsqu'on affirme que Mithra s'est
introduit de telle ou telle façon dans telle ou telle
région, cette généralisation ne peut évidemment
prétendre à une exactitude absolue. Les causes
concurrentes de l'expansion de ces mystères s'en-
tremêlent et se confondent, et l'on perdrait sa
peine à vouloir démêler fil par fil leur écheveau
embrouillé. Guidés uniquement, comme nous le
sommes trop souvent, par des inscriptions de date
incertaine, où, à côté du nom du dieu, figure sim-
plement celui d'un initié ou d'un prêtre, nous ne
pouvons déterminer dans chaque cas particulier
les circonstances qui ont servi la religion nouvelle.
Les influences passagères nous échappent presque
complètement. A l'avènement de Vespasien le
séjour prolongé en Italie des troupes syriennes,,
2
fidèles adoratrices du Soleil ( ), a-t-il eu quelque
résultat durable? L'armée conduite par Alexandre
Sévère en Germanie, et qui, au dire de Lam-

(
1
) Cf. supra, p. 60.
(2j Tac, Hist., III, 24; cf. Hérodien, IV, i5.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 77

pride (*), par ses Arméniens,


était « très puissante
ses Osrhoènes et ses Parthes » n'a-t-elle pas donné
une nouvelle impulsion à la propagande mithriaque
sur les bords du Rhin ? Aucun de ces hauts fonc-
tionnaires que Rome envoyait chaque année sur la
frontière de l'Euphrate, n'adopta-t-il les croyances
de ses administrés? Des prêtres de Cappadoce ou
du Pont ne s'embarquèrent-ils pas pour l'Orient,
à l'exemple de ceux de la déesse Syrienne ( 2 ), dans
l'espoir d'y vivre de la crédulité de la foule? Déjà
sous la république les astrologues chaldéens » «

vagabondaient sur les grand'routes de l'Italie ( 3 ),


et du temps de Juvénal les devins de Commagène
et d'Arménie débitaient leurs oracles à Rome 4 ). (

Ces moyens accessoires, tous ceux dont se sont


aidées en général les religions orientales, peuvent
avoir été mis à profit par le culte de Mithra. Mais
les agents les plus actifs de sa diffusion ont cer-
tainement été les soldats, les esclaves et les mar-
chands. En dehors des preuves de détail que nous
avons fait valoir, la présence de ses monuments
dans les places de guerre ou de commerce, dans
les contrées ou se déversait le large courant de
l'émigration asiatique, suffirait à l'établir.
Leur absence dans d'autres régions le montre
clairement aussi. Pourquoi en Asie, en Bithynie,
en Galatie, en Paphlagonie, dans des provinces

(
1
)
Lampride, Alex. Sev., c. 61 ; cf. Capitol., Vit. Maximin., c. u
( )
2 Cf. Religions orientales, 2 e éd., p. 154 ss.
(
3
)
Cat., De Agric, V, 4, cf. Riess dans Pauly-Wissowa, s. v. « Astro-
logia », col, 1816.
4
( )
Juvénal, VI, 55a.
7§ MYSTÈRES DE MITHRA

voisines de celles où ils étaient pratiqués depuis

des siècles, ne trouve-t-on aucun vestige des


mystères persiques? Parce que la production de
ces pays dépassait leur consommation, que le
commerce extérieur y était aux mains des arma-
teurs grecs, qu'ils exportaient des hommes au lieu
d'en appeler du dehors, et qu'au moins depuis
Vespasien aucune légion n'était chargée de les
défendre ou de les contenir ( ). La Grèce était
T

protégée contre l'invasion des divinités étrangères


par son orgueil national, par ce culte de son
glorieux passé qui est chez elle, sous l'empire,
le trait le plus caractéristique de l'esprit public.
Mais aussi l'absence de soldats ou d'esclaves
exotiques lui enlevait l'occasion même de déroger.
Enfin les monuments mithriaques font presque
complètement défaut dans le centre et l'ouest de
la Gaule, dans la péninsule hispanique, le sud de
la Bretagne, et ils sont rares même à l'intérieur
de la Dalmatie. Là encore aucune armée perma-
nente ne provoquait le transport d'Asiatiques, que
ne pouvait non plus y attirer aucun foyer de rayon-
nement du commerce international.
Au que n'importe quelle pro-
contraire, plus
vince, la ville de Rome a été féconde en décou-
vertes de tout genre. Nulle part ailleurs, en effet,
Mithra ne trouva réunies au même degré toutes
les conditions favorables à son succès : Rome
(!)Le rapide développement que prit le christianisme dans cette
région,notamment en Phrygie, a aussi été un obstacle au développement
des mystères persiques. Nous y reviendrons ch. VI.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN 79

avait une garnison considérable, formée de soldats


tirés de toutes les parties de l'empire, et, après
avoir obtenu Yhonesta niissio, les vétérans venaient
s'y fixer en grand nombre. Une aristocratie opu-
lente y résidait et ses palais, comme ceux de
l'empereur, étaient peuplés de milliers d'esclaves
1
orientaux ( ). C'était le siège de l'administration
centrale, dont ces mêmes esclaves remplissaient
les bureaux. Enfin, tous ceux que la misère ou
l'esprit d'aventure poussaient à aller au loin
chercher fortune, affluaient dans cette « hôtellerie
de l'univers » ( 2 ), et y introduisaient leurs mœurs
et leurs cultes. Accessoirement la présence à Rome
de principicules asiatiques, qui, otages ou réfu-
3
giés, y vivaient avec leur famille et leur suite ( ),
a pu servir d'appui à la propagande mazdéenne.
Comme la plupart des dieux pérégrins, Mithra
eut sans doute ses premiers temples au delà du
pomoerium (
4
). Beaucoup de ses monuments ont
été découverts en dehors de cette limite, notam-
ment à proximité du Camp Prétorien ; mais,
avant l'année 181 de notre ère, il avait franchi
l'enceinte sacrée et s'était établi au cœur de la

(!) La plupart des inscriptions mithriaques de Rome ont pour auteurs


des esclaves ou affranchis, soit de particuliers soit de l'empereur. Pour —
ces esclaves orientaux dans la capitale, cf. Friedlànder, Sittengesch.,
I 8, p. 3g8, III, 8 p. 142 ss.
2 Friedlànder, l. c, I
8 p. 28 sq., cf. 397 sq.
) ,
(

(
Abgar d'Osrhoène (C. I. L. VI, 1797); Artabaze d'Arménie (Ib.
3
)

1798). Le roi Tiridate initia Néron (Pline, XXX, 1, 6).


4 Nous avons dressé, M. M. M., t. I, p. 353 s., la liste des mithréums
( )

qui nous sont connus dans les différentes régions de Rome; cf. aussi
infra appendice.
8o MYSTÈRES DE MITHRA

cité. Il n'est malheureusement pas possible de


suivre pas à pas ses progrès dans la vaste métro-
pole. Les documents datés et de provenance
certaine sont trop rares pour permettre de recon-
stituer l'histoire locale de la religion persique
dans la capitale. Nous ne pouvons que constater
d'une façon générale le haut degré de splendeur
qu'elle y atteignit. Sa vogue y est attestée par une
centaine d'inscriptions, plus de soixante-quinze
morceaux de sculpture et une série de temples et
de chapelles situés dans tous les quartiers de la
ville et dans sa banlieue. Le plus célèbre à juste
titre de ces spelaea est celui qui existait encore à
la Renaissance dans une grotte du Capitole, et
dont on a tiré le grand bas-relief Borghèse actuel-
lement au Louvre (fig. 9) ( ). Il paraître remonter !

à la fin du II e siècle.
A cette époque, Mithra est sorti de la demi-
obscurité où il avait vécu jusque-là pour devenir
un des dieux favoris de l'aristocratie et de la cour.
Nous l'avons vu arriver d'Orient comme la divi-
nité méprisable d'Asiatiques émigrés ou, plus
souvent, transportés en Europe. 11 est certain
qu'il a fait ses premières conquêtes dans les
classes inférieures de la société, et c'est là un fait

considérable mithriacisme est resté longtemps


: le
la religion des humbles. Les inscriptions les plus
anciennes en témoignent éloquemment, car elles
sont dues, sans exception, à des esclaves ou d'an-

(
J
) M. M. M., mon. 6.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN

FIG. 9. GRAND BAS-RELIEF BORGHÈSE (MUSÉE DU LOUVRE)


Mithra tauroctone avec les dadophores.
Au-dessus, le Soleil et la Lune sur leurs chars.

ciens esclaves, à des soldats ou d'anciens sol-


dats (
l
). Mais on sait à quelles hautes destinées les

(
x
) Le plus ancien monument remonte à l'époque des Flaviens (69-96
ap. J.-C), (mon. n° 66, cf. supra p. 37). L'inscription VI, 3o8i8, est

de l'an 102. Au deuxième siècle les documents se multiplient. Cf. la liste


des inscriptions datées, M. M. M., II, p. 540 s.

/fZ-É-ffS"
82 MYSTÈRES DE MITHRA

affranchis pouvaient aspirer sous l'Empire, et les


filsde vétérans ou de centurions devenaient sou-
vent des bourgeois aisés. Ainsi, par une évolution
naturelle, la religion transplantée sur le sol latin
devait grandir en richesse et en puissance et
compter bientôt parmi ses sectateurs, à Rome, des
fonctionnaires influents, dans les municipes, des
augustales et des décurions. Sous les Antonins,
les littérateurs et les philosophes commencent à
s'intéresser aux dogmes et aux rites de ce culte
original. Lucien parodie spirituellement ses pra-
tiques (*), et, vers 177, Celse dans son Dis-
cours Véritable oppose ses doctrines à celles du
christianisme ( 2 ), tandis que les apologistes chré-
tiens combattent en lui un ennemi devenu redou-
table ( 3 ). Vers la même époque, un certain Pallas
lui consacra un ouvrage spécial, et plus tard,
Eubulus, un contemporain de Porphyre, publia
des « Recherches mithriaques » en plusieurs
4
livres ( ). Si ces écrits n'étaient pas perdus sans
retour, nous verrions sans doute s'y répéter les
histoires de troupes passant, officiers et soldats, à
la foi des ennemis héréditaires de l'empire, et de

(') Lucien, Menipp., c. 6 ss. Cf. Deor., concil., c. g; Iup. Trag., c. 8,

i3; M. M. M., t. II, p. 22).

(2) Origène, Contr. Cels., I, 9 (M. M. M., t. II, p. 3o).

(
3
)
Justin Mart., Apol., I. 66 ; Dial. cum Tryph., 70, 78. Un peu plus
tard Tertullien, De bapt., 5; De corona, i5; Adv. Marc, I, i3 ; De
praescr. liaeret., 40.
4
( )
Porphyre, De Antr. Nymph., c. 5; De Abstin., II, 56; IV, 16 (cf.
M. M. M., t. II, p. 3g ss. et t. I, p, 26 ss.). Cet Eubulus est très proba-
blement le philosophe platonicien cité par Porphyre, Vit. Plot., i5, 20,
qui après s'être adonné à l'astrologie, entreprit d'en réfuter les doctrines.
LA PROPAGATION DANS L'EMPIRE ROMAIN i3

grands seigneurs convertis par les serviteurs de


leur maison. Les monuments mentionnent souvent
les noms d'esclaves à côté de ceux d'hommes
libres, et ce sont parfois ceux-là qui ont le grade
le plus élevé parmi les initiés
1
( ).
Dans ces
confréries, les derniers devenaient souvent les
premiers et les premiers au moins en
les derniers,
apparence.
Un résultat capital se dégage de toutes nos
constatations de détail. C'est que l'expansion des
mystères persiques a dû s'opérer avec une rapidité
extrême. Ils révèlent presque simultanément leur
existence dans les contrées les plus distantes :

à Rome, à Carnuntum sur le Danube, dans les


Champs Décumates ( 2 ). On dirait une traînée de
poudre flambant brusquement. Ce mazdéisme
réformé a manifestement exercé sur la société du
II e siècle une attraction puissante, dont nous
ne pénétrons aujourd'hui qu'imparfaitement les
causes.
Mais à cette séduction naturelle, qui attirait les
foules aux pieds du dieu tauroctone, vint s'ajouter
un élément extrinsèque des plus efficaces la :

3
faveur impériale. Lampride ( )
nous apprend que
Commode se fit initier et prit part aux cérémonies
(!) L'album d'un conventicule mithriaque à Sentinum (C, I. L., XI,
5737; M. M. M., inscr. 167), mentionne les noms d'un esclave et de deux
affranchis publics parmi les patrons du collège, au milieu de ceux
d'ingenui. Dans le mithréum de Stix Neusiedl, on a trouvé des dédi-
caces d'esclaves à côté de celles de seviri (C. I, L., III, 4538 ss., inscr.
379 ss.), etc.

(2) Cf. supra, p. 37.


(3) Lampride, V. Commod.,c.g(M. M. M., t. II, p. 21).
84 MYSTÈRES DE MITHRA

sanglantes de la liturgie, et les inscriptions nous


prouvent que la condescendance du monarque
envers les prêtres de Mithra eut un immense
retentissement 3
( ).
Depuis ce moment, on voit les
hauts dignitaires de l'empire suivre l'exemple
du souverain et devenir des zélateurs du culte ira-
nien. Des tribuns, des préfets, des légats, plus tard
des perjectissimi et des clarissimi, sont fréquem-
ment nommés comme les auteurs de dédicaces, et
jusque tout à la fin du paganisme l'aristocratie
resta attachée à la divinité solaire qui avait long-
temps joui de la faveur des princes. Mais pour
faire comprendre la politique de ceux-ci et les
motifs de leur bienveillance, il nous faut exposer
les doctrines mithriaques sur le pouvoir souverain
et leurs rapports avec les prétentions théocra-
tiques des Césars.

(3) Cf. infra, ch. III, p. 87.


CHAPITRE III

MITHRA ET LE POUVOIR IMPÉRIAL

Grâce à l'époque relativement tardive de leur


propagation, les mystères de Mithra échappèrent
aux persécutions dont eurent à souffrir les cultes
orientaux qui les avaient précédés à Rome, et
notamment celui d'Isis. Peut-être parmi les astro-
logues ou « Chaldéens » qui sous les premiers
empereurs fureut à diverses reprises expulsés de
l'Italie( ),
quelques-uns se réclamaient-ils du dieu
!

perse, mais ces devins errants qui, en dépit de


sénatus-consultes aussi impuissants que rigoureux,
reparaissaient toujours dans la capitale, ne consti-
tuaient pas plus un clergé qu'ils ne prêchaient
une religion. Lorsqu'à la fin du premier siècle le
mithriacisme se répandit en Occident, la réserve
défiante ou même l'hostilité active qui avaient
longtemps caractérisé la politique romaine envers
les prêtres exotiques, commençaient à faire place
à une tolérance bienveillante sinon à une faveur
déclarée ("2 ). Déjà Néron avait voulu se faire initier
aux cérémonies du mazdéisme par les mages que
lui avait amenés le roi Tiridate d'Arménie, et

(') Marquardt, Staatsverwaltung, III 2 , p. g3 ; Bouché-Leclercq,


L'astrologie grecque, p. 56o sq.
2
( )
Cf. mes Religions orientales, 2 e éd., pp. 84, 126, etc.
86 MYSTÈRES DE MITHRA

celui-ci avait adoré en sa personne une émanation


1
de Mithra ( ).

Malheureusement nous n'avons pas de rensei-


gnements directs sur la condition juridique des
associations de cultores Solis Invicti Mit hrae. Aucun
texte ne nous apprend si l'existence de ces confré-
ries fut tout d'abord simplement tolérée, ou si,
ayant été reconnues par l'État, elles avaient dès
l'origine obtenu le droit de posséder et de s'admi-
nistrer. Toutefois, il est inadmissible qu'une reli-
gion qui compta toujours de nombreux adhérents
dans l'administration et dans l'armée, ait été lais-
sée longtemps par le souverain dans une situation
irrégulière. Peut-être, pour rester dans la légalité,
ces associations se constituèrent-elles en collèges
funéraires, afin de jouir des privilèges accordés à
2
ce genre de corporations ( ). Il semble cependant
un moyen plus efficace.
qu'elles aient eu recours à
Aussitôt que nous pouvons constater la présence
du culte persique en Italie, nous le trouvons
étroitement uni à celui de la Grande Mère de
Pessinonte, adoptée solennellement par le peuple
romain trois siècles auparavant. Bien plus, la

pratique sanglante du taurobole, qui fut admise


sous l'influence des croyances mazdéennes dans
la liturgie de la déesse phrygienne, fut probable-
ment dès l'époque de Marc Aurèle, encouragée

Pline, H. N., XXX, i §6; Dion Cass LXIII, 5 (p. 70 Boissevain).


(i) ,

Waltzing, Corporations professionnelles chez les Romains, I,


(
2
)

p. 141 ss.. cf. p. 44. —


Nous reparlerons ch. V (p. 181) de la question de
savoir si les sodalicia mithriaques étaient funéraires.
MITHRA ET LE POUVOIR IMPÉRIAL 87

par l'octroi d'immunités civiles ( ). Sans doute, 1

nous ignorons encore si cette association des deux


divinités avait été consacrée par une décision du
sénat ou du prince. Dans ce cas, le dieu pérégrin
aurait obtenu immédiatement droit de cité en
Italie, et serait devenu romain au même titre que
Cybèle ou la Bellone de Comane. Mais, même à
défaut d'une décision formelle des pouvoirs publics,
on a tout lieu de croire que Mithra, comme Attis
qui lui avait été assimilé, était apparié à la Magna
mater, et participait de quelque façon à la protec-
tion officielle dont celle-ci jouissait. Cependant
son clergé ne semble avoir reçu aucune dotation
régulière du trésor, bien que le fisc ou les caisses
municipales aient pu exceptionnellement lui accor-
2
der certaines subventions ( ).

A du deuxième siècle, la complaisance


la fin
plus ou moins circonspecte que les Césars avaient
témoignée aux mystères iraniens, se transforma
tout à coup en un appui effectif. Commode se fit
recevoir au nombre de leurs adeptes et participa
à leurs cérémonies secrètes ( 3 ), et la découverte de
nombreuses dédicaces pour le salut de ce prince
ou datant de son règne, nous fait entrevoir quel

(
x
) Sur les rapports du culte de la Magna Mater avec celui de Mithra,
cf. infra, ch. VI, p. 189 ss.

( )
Les dédicaces à Mithra émanent toujours de particuliers, et ne
2

sont pas faites au nom de municipalités. Les temples sont construits in


solo privato (cf. infra, p. 170). Une seule fois, à Milan (CI. L.,V57g6),
on trouve loco dato decreto decurionum, mais on lit au contraire dans
une autre inscription (Ib. 57g5), cotnparata area a republica Mediola-
nensi pecunia sua restituit.
3 Cf. supra, p. 83.
( )
MYSTERES DE MITHRA

donna à la propa-
élan cette conversion impériale
gande mithriaque. Depuis que le dernier des
Antonins eut ainsi rompu avec les vieux préjugés,
la protection de ses successeurs paraît avoir été
définitivement acquise à la religion nouvelle. Dès
les premières années du III siècle, elle
e
avait un
chapelain dans le palais des Augustes ( ), et l'on 1

voit ses fidèles faire des vœux et des offrandes en


faveur des Sévères et plus tard de Philippe. Auré-
lien, qui institua le culte officiel de Sol invictus ( 2 ),
ne pouvait éprouver que de la sympathie pour une
divinité regardée comme identique à celle qu'il
faisait adorer par ses pontifes. En l'année 307,
Dioclétien, Galère et Licinius, lors de leur entre-
vue de Carnuntum, consacrèrent d'un commun
accord un temple à Mithra Jautori imperii sui
3
(fig. 10) ( ), et le dernier païen qui ait occupé le

trône des Césars, Julien l'Apostat, fut un sectateur


fervent de ce dieu tutélaire, qu'il s'empressa de
faire adorer dans son palais de Constantinople ( 4 ).
Une faveur aussi constante de monarques aussi
divers d'esprit et de tendances ne peut être le
résultat d'une vogue passagère ou d'un engoûment
individuel. Elle doit avoir des causes plus pro-

(!) C. I. L., VI, 2271 : Sacerdos invicti Mithrae domus Augustanae.


Caracolla, ce semble, concéda, aux mithriastes un souterrain dans les
thermes qu'il fit construire à Rome, (cf. infra appendice;, comme Com-
mode l'avait probablement déjà fait aux thermes d'Ostie (C I. L. XIV,
66 — inscr. 139) cf. aussi M. M. M., t. II, p. 242 (mon. 83).
;

2 Cf. infra, ch. VI, p.


( )
i 9 5.
3 Cf. supra, p. 49,
( )
4 Cf. infra, ch. VI, fin.
( )
MITHRA ET LE POUVOIR IMPÉRIAL 89

fondes. Si les maîtres de l'empire témoignèrent


durant deux cents ans une telle prédilection à
cette religion étrangère, née chez des ennemis que
les Romains ne cessèrent de combattre ( ), ils y !

FIG. IO. PIEDESTAL TROUVE A CARNUNTUM


Dédicace de Dioclétien, Galère et Licinius.

étaient évidemment poussés par quelque raison


d'Etat. En fait, ils trouvaient dans ses doctrines
un appui pour leur politique personnelle et un
(
l
) L'origine perse du mithriacisme lui est reprochée par Firmicus
Maternus, De err. prof, relig., c. 4; cf. aussi Origène, C. Cels., VI, 22
(p. g3, 1. 2 ss. Koetschau). — Le manichéisme fut l'objet des mêmes
préventions; cf. le fameux édit de Dioclétien, Collatio Mos. et Rom.
leg., i5, 3 § 4 : De Persica adversaria nobis gente progressa.
9° MYSTÈRES DE MITHRA

soutien pour les prétentions autocratiques qu'ils


s'attachaient à imposer.
On connaît la lente évolution qui peu à peu
transforma le principat, tel que l'avait constitué
Auguste, en une monarchie de droit divin ( ). 1

L'empereur, dont en théorie l'autorité émanait de


la nation, n'était à l'origine que le premier magis-
trat de Rome. A ce titre seul, comme héritier des
tribuns et pontife suprême, il était inviolable et
revêtu d'un caractère sacré. Mais, de même que
sa puissance, d'abord légalement limitée, finit à
la suite d'empiétements successifs par aboutir à
l'absolutisme, de même, par un développement
parallèle, le prince, mandataire de la nation,
devint un représentant de Dieu sur la terre, dieu
lui-même (dominus et deus). Aussitôt après la
bataille d'Actium, on voit naître un mouvement
en opposition absolue avec la fiction démocratique
du césarisme les cités asiatiques s'empressent
:

d'élever des temples à Auguste et de lui consacrer


un culte. Parmi ces populations les souvenirs
monarchiques étaient restés vivaces. Elles ne com-
prenaient rien aux distinctions subtiles par les-
quelles, en Italie, on cherchait à s'abuser. Pour
elles, le souverain était toujours un roi (pacnXeùç)
et un dieu (0eôç) f). La métamorphose du pouvoir
impérial est le triomphe du génie oriental sur
l'esprit romain et de l'idée religieuse sur la con-
ception juridique.
(') Mommsen, Staatsrecht, II 2 p. 749
,
ss.
2
( ) Cf. notre commentaire du serment des faphlagoniens à Auguste,
Recueil des inscriptions du Pont, p. 82 sq.
MITHRA ET LE POUVOIR IMPÉRIAL 91

Plusieurs historiens ont étudié jusque dans ses


détails l'organisation de ce culte des empereurs
et mis en lumière son importance politique. Mais
peut-être n'a-t-on point aperçu aussi clairement
quel en fut le fondement théologique. Il ne suffit
point de constater qu'à une certaine époque les
princes non seulement reçurent les honneurs
divins après leur mort, mais se les firent décerner
même durant leur règne. Il faut expliquer com-
ment cettedéification d'un personnage vivant,
apothéose nouvelle aussi contraire à la saine raison
qu'à la tradition romaine, finit cependant par se
faire presque universellement accepter. La sourde
résistance de l'opinion publique fut vaincue,
quand les religions de l'Asie eurent conquis les
masses. Elles y propagèrent des dogmes qui ten-
daient à élever le monarque au-dessus du genre
humain, et si elles obtinrent la faveur des Césars
et en particulier de ceux qui aspiraient au pouvoir
absolu, c'est qu'elles leur apportaient une justifi-
cation dogmatique de leur despotisme. Au vieux
principe de la souveraineté populaire se substitua
une foi raisonnée en des influences surnaturelles.
Nous allons essayer de démontrer quelle fut la
part du mithriacisme dans cette transformation
capitale, sur laquelle nos sources historiques ne
nous renseignent qu'imparfaitement.
Des apparences spécieuses donneraient à sup-
poser que les Romains empruntèrent toutes ces
idées à l'Egypte. L'Egypte dont les institutions
ont à tant d'égards inspiré les réformes adminis-
92 MYSTÈRES DE MITHRA

tratives de l'empire (*), pouvait lui fournir aussi le


modèle achevé d'un gouvernement théocratique.
Suivant les antiques croyances de cette contrée,
non seulement la race royale tirait son origine du
Soleil-Râ, mais l'àme de chaque souverain était un
double détaché du Soleil-Horus. Tous les Pharaons
étaient donc des incarnations successives de l'astre
du jour. Ils étaient non seulement les représen-
tants de la divinité, mais des dieux vivants, vénérés
à l'égal de celui qui parcourt les cieux, et leurs
2
insignes étaient semblables aux siens ( ).

Les Achéménides, devenus les maîtres de la


vallée du Nil, et après eux les Ptolémées héri-
tèrent des hommages qu'on avait accordés aux
anciens rois, et il est certain qu'Auguste et ses
successeurs, qui respectèrent scrupuleusement
tous les usages religieux du pays comme sa con-
stitution politique, s'y laissèrent attribuer par
leurs sujets le caractère qu'une tradition trente
fois séculaire reconnaissait aux potentats de
3
l'Egypte ( ).

D'Alexandrie, où même les Grecs l'acceptaient,


cette foi théocratique se propagea au loin dans
l'empire. Les prêtres d'Isis en furent en Italie les
missionnaires écoutés. Les prosélytes qu'ils firent
dans les plus hautes classes de la société, devaient
en être imbus. Les empereurs, dont cette prédi-
cation flattait les ambitions secrètes ou avouées,
(!) Cf. Religions orientales, 2 e éd., p. 6 sq.

(
2 Moret, Le caractère religieux de la royauté pharaonique, 1902
)

(cf. Maspero, Rev. critique, igo3, p. 101).


3
( )
Lombroso, L'Egitto dei Greci e dei Romani, 1895, p. 7 ss.
3

MITHRA ET LE POUVOIR IMPÉRIAL - 9

l'encouragèrent bientôt ouvertement (*). Toutefois


si leur politique pouvait trouver avantage à la
diffusion des doctrines égyptiennes, ne parvin- ils

rent pas à les imposer en bloc. premier Depuis le


siècle ils se laissèrent appeler deus noster par leur
domesticité et leur chancellerie à demi orien-
ils n'osèrent pas alors introduire ce nom
2
tales( ) ;

dans leur titulature officielle. Dès cette époque,


certains Césars, un Caligula, un Néron, purent
rêver de jouer sur la scène du monde le rôle des
Ptolémées dans leur royaume ils purent se per- ;

suader que les dieux les plus divers revivaient en


leurs personnes ( 3 ), mais tous les Romains éclairés
s'indignaient de ces extravagances. L'esprit latin
monstrueuse créée par
s'insurgeait contre la fiction
l'imagination orientale. L'apothéose d'un prince
régnant rencontra des adversaires décidés même
beaucoup plus tard parmi les derniers païens ( ). 4

Il fallut pour la faire généralement admettre une

théorie moins grossière que celle de l'épiphanie


alexandrine. Ce fut la religion mithriaque qui la
fournit.
Les Perses, comme les Égyptiens, se proster-
naient devant leurs souverains, mais ils ne les

considéraient cependant pas comme des dieux. Si

(
x
) Religions orientales, p. 126 s.

(
2
)
Mommsen, Staatsrecht, II 3 , p. y5g Jullian, Revue de philolo-
;

gie, i8g3, p. i3i s. Domitien se fit appeler dominus et deus, mais pas
officiellement (Gsell, Règne de Domitien, i8g3, p. 52). Sur ce titre,
cf. infra, p. 102.

(
3
)
Beurlier, Le culte impérial, 1891, p. 37 ss.
(
4
)
Ammien Marcellin, XV, 1, 3.
94 MYSTÈRES DE MITHRA

l'on rendaitun culte au « démon » du roi, comme


à Romeau genius Caesaris, on ne vénérait ainsi
que l'élément divin qui réside en tout homme et
forme une partie de son âme (*). La majesté des
monarques uniquement parce qu'elle
était sacrée
leur venait d'Ahura-Mazda, dont la volonté les
avait placés sur le trône. Ils régnaient par la grâce
du Créateur du ciel et de la terre. Les Iraniens
se représentaient cette grâce comme une sorte de
feu surnaturel, d'auréole brillante, de « gloire »,
qui appartenait avant tout aux divinités, mais qui
éclairait aussi les princes et consacrait leur puis-
sance ( ? ). La Hvarenô, comme l'appelle l'Avesta,
illumine les souverains légitimes, et s'écarte des
usurpateurs comme des impies, qui perdent bien-
tôt avec sa possession la couronne et la vie. Au
contraire, ceux qui méritent de l'obtenir et de le
conserver, reçoivent en partage une prospérité
constante, une vaste renommée et la victoire sur
tous leurs ennemis.
Cette conception toute particulière des Perses
n'avait pas d'équivalent dans les autres mytho-
logies, et les peuples étrangers assimilèrent peu
exactement la Gloire mazdéenne à la Fortune :

les Sémites l'identifièrent avec leur Gad 3


( ),
les

(') La Fravashi. Sur le culte des Fravashis, cf. Darmesteter, Le Zend


Avesta, II p. 5oo sq. Les Grecs ont traduit ce nom par baî^ioiv. Le
baif.iuuv xoO PaaiX.éwç est nommé Plut., Artax., j5\ Athénée, VI, 60,
p. 252 B.

( )
2 Spiegel, Eran. Altertumskunde, II, p. 42 ss. Darmesteter, Zend
Avesta, I, p. 7; II, p. 644 s., etc.
Théologie 3
(
3
)
Baudissin dans Herzog-Hauck, Realenc. f. prot .

s. v. « Gad »; Pauly-Wissowa, Realencycl., s. v. « Gad ».


MITHRA ET LE POUVOIR IMPÉRIAL 95

Grecs traduisirent son nom par Tychè. Les


diverses dynasties qui, après la chute des Aché-
ménides, prétendirent faire remonter leur généa-
logie jusqu'à l'un des membres de l'ancienne
maison régnante, rendirent naturellement un
culte à cette Tychè spéciale dont la protection
était et la conséquence et la preuve de leur légi-
timité. On voit le Hvanerô honoré à la fois et
pour les mêmes motifs par les rois de la Cappa-
doce et du Pont et par ceux de la Bactriane ( ), !

et les Séleucides, qui dominèrent longtemps sur


l'Iran, furent regardés aussi comme les protégés
de Fortune, envoyée par le dieu suprême 2 ).
la (

Dans son inscription funéraire, Antiochus de


Commagène paraît même s'identifier avec la
déesse ( 3 ). Les idées mazdéennes sur le pouvoir
monarchique se répandirent ainsi dans l'Asie
occidentale en même temps que le mithriacisme.
Mais, comme celui-ci, elles s'étaient compli-
quées de doctrines sémitiques. La croyance que la
fatalité accorde et reprend la couronne, apparaît
déjà chez les Achéménides ( 4 ). Or, selon les Chal-
déens, le destin est nécessairement déterminé parla
révolution des cieux étoiles, et la planète radieuse
qui commande à ses compagnes, était conçue
(
x
) QDion Cass., LXIII, 5 (p. 70 Boissevain), etc.
Strab. XII, 557
(
2
)
G. 3i37, 1. 61 (= Michel, Recueil, 19
C. I. =
Dittenberger,
Or. inscr., 229). Tychè-Nicéphore cf. Babelon, Rois de Sy?-ie, d'Ar-
:

ménie, 1890, p. 248, s. v. « Fortune». —


Les monnaies parthes nous
montrent les princes Arsacides recevant la couronne des mains de Tychè;
cf. Wroth, Gr. coins Br. Mus., Parthia, p. 263.

(
3
)
Humann et Puchstein, Reise in Nord Syrien, p. 338 s.
(
4
)
Hérod., III, 64, 65; Plut., Vit. Alex., 3o.
96 MYSTÈRES DE MITHRA

comme l'astre royal par excellence (


1
). Ainsi le
Soleil invincible ("HXioç àviKirroç), identifié avec
Mithra, fut durant la période alexandrine géné-
ralement considéré comme le dispensateur du
Hvareno, qui donne la victoire. Le monarque,
sur lequel cette grâce divine descendait, était élevé
au-dessus des humains et révéré par ses sujets
à l'égal des immortels.
Aprèsla disparition des principautés asiatiques,
la vénération dont leurs dynasties avaient été
l'objet, se transporta sur les empereurs romains.
Les Orientaux saluèrent immédiatement en eux
les élus de la divinité, auxquels la Fortune des
rois avait donné la toute-puissance. A mesure que
les religions syriennes et surtout les mystères de
Mithra se propagèrent à Rome, la vieille théorie
mazdéenne, plus ou moins teintée de sémitisme,
trouva plus de défenseurs dans le monde officiel.
On la voit se manifester timidement d'abord, puis
s'affirmer de plus en plus clairement dans les '

institutions sacrées et la titulature impériale, dont


elle permet seule de pénétrer la signification.
Depuis l'époque républicaine on honorait sous
divers noms à Rome la « Fortune du peuple
romain ( 2 ) ». Ce vieux culte national s'imprégna
de bonne heure des croyances de l'Orient, où non
'seulement chaque pays mais chaque ville adorait
son Destin divinisé (Tùxn TrôXewç), déterminé au
moment de sa fondation comme celui de l'individu
(!) Cf. ma Théologie solaire, Paris, 1909, p. 6 [452] ss.

(
2
) Wissowa, Religion der Rôrner, 1902, p. 210.
MITHRA ET LE POUVOIR IMPÉRIAL 97

à sa naissance. Lorsque Plutarque (


l

) nous dit que


Tychè a quitté les Assyriens et les Perses pour
traverser l'Egypte et la Syrie et se fixer sur le
métaphore est vrai dans un autre
Palatin, cette
sens encore que celui qu'il a en vue. Aussi les
empereurs, à l'imitation de leurs prédécesseurs
asiatiques, réussirent-ils aisément à faire adorer,
à côté de cette déesse de l'Etat, celle qui veillait
sur leur propre personne. La Fortuna Augusti
2
apparaît sur les monnaies depuis Vespasien ( ), et,

de même qu'auparavant les sujets des diadoques,


ceux des Césars désormais prêteront serment par
la Fortune des princes ( ). La dévotion supersti-
3

tieuse de ceux-ci pour leur patronne était si grande


qu'au moins au II e siècle, ils avaient constamment
auprès d'eux, même pendant leur sommeil, même
en voyage, une statuette dorée de la déesse qu'ils
transmettaient en mourant à leur successeur et
qu'ils invoquaient sous le nom de Fortuna regia,
traduction de Tûxn pacnXéuuç. En effet, quand cette
sauvegarde les abandonne, ils sont voués au trépas
ou du moins aux revers et aux calamités tant ;

qu'ils la conservent, ils ne connaissent que succès


4
et prospérité ( ).

Depuis le règne de Commode, duquel date à


Rome le triomphe des cultes orientaux et en par-
(!) Plut., De fort. Roman., 4, p. 3iy F.
2
Drexler dans Roscher, Lexikon, I, col. 1524 ss -
( )

3
( )
Cass. Dion, XLIV, 6, 1; Orig., Contra Celsum, VIII, 65 (p. 281;
Koetschau), etc.
( )
4 Capitolin, Anton. Pius, 12; Marc. Anton., 7;'Spartien, Sever., 23;
cf. Ammien Marcellin, XXV, 2,4; XXX, 5,8.
98 MYSTÈRES DE MITHRA

ticulier celui des mystères mithriaques, on voit les


empereurs prendre officiellement les titres depius,
e
felix, invictus (*), qui depuis le III siècle font
'

régulièrement partie du protocole. Ces épithètes


sont inspirées par le fatalisme spécial que Rome
avait emprunté à l'Orient. Le monarque est
« pieux », car sa dévotion peut seule lui conserver
la faveur particulière que le ciel lui accorde il ;

est heureux ou plutôt fortuné (eÛTuxnç)? précisément


parce qu'il est illuminé par la Grâce divine ( 2 ),
enfin il est invincible, car la défaite des ennemis
de l'empire est le signe le plus éclatant que cette
Grâce tutélaire ne cesse pas de l'accompagner.
L'autorité légitime est donnée, non par l'hérédité
ou par un vote du sénat, mais par les dieux, et
3
elle se manifeste par la victoire ( ).
Tout ceci est conforme aux vieilles idées maz-
déennes, et l'emploi du dernier adjectif trahit de
plus l'action des théories astrologiques, qui
s'étaient mêlées au parsisme. Invictus, 'Aviioyroç,

sont les qualificatifs ordinaires des dieux sidéraux


importés d'Orient et avant tout ceux du Soleil,
qui triomphe chaque matin de la nuit ( 4 ). Les
empereurs ont évidemment choisi cette appella-

(!) Cass. Dion, LXXII, i5, 5; Lampride, V. Commodi, 10; Dessau,


Inscr. sel., 400.
(
Déjà Antiochus de Commagène dans l'inscription du Nemroud
2
)

Dagh (Michel, Recueil v35, 1. ii-i3) affirme que sa piété est la cause du
,

bonheur de son règne (eùo~é(kiav...buvd|ueuuç eùxuxoûç aîxiav ëaxovj.


3
( )
Firmic' Mat., Mathes., IV, 17, 10; Lampride, Vit. Heliogab., 34.
Mamert., Paneg. Max., 10-11, etc.
4
()
M. M. M., t. I, p. 6 ss.; Usener Sol Invictus (Rhein. Mus., LX)
igo5, p. 466 s. = Weinachtfest, 2 e éd., 1911, p. 35 1 ss.
MITHRA ET LE POUVOIR IMPÉRIAL 99

tion pour se rapprocher de la divinité céleste,


dont évoquait immédiatement l'idée. La doc-
elle
trine le sort des états comme celui des indi-
que
vidus est lié au cours des astres, avait eu pour
corollaire celle que le chef des planètes était le
maître de la Fortune des rois. C'était lui qui les
élevait sur le trône ou les en précipitait, qui leur
assurait les triomphes ou leur infligeait les désas-
tres. Sol est considéré comme le compagnon (cornes)
de l'empereur et comme son préservateur (con-
servatoi-) personnel (*). Nous avons vu que Dio-
clétien révérait en Mithra le fautor imperii sui ( 2 ).
En se donnant le surnom d' « invincibles », les
Césars proclamaient donc l'alliance intime qu'ils
avaient contractée avec le Soleil, et ils tendaient
à s'assimiler à lui. C'est la même raison qui leur
a fait prendre l'épithète plus ambitieuse encore
d' « éternels », qui, usitée depuis longtemps dans
l'usage courant, s'introduit au III e siècle dans
le formulaire officiel. Cette épithète, comme la
première, est portée surtout par les divinités
héliaques de l'Orient, dont le culte se répandit
en Italie au commencement de notre ère. Appli-
quée aux souverains, elle révèle, plus clairement
encore que la précédente, la conviction qu'étant
en communion intime avec Sol, ils sont unis à lui
par une identité de nature ( 3 ).

(!) Usener, l. c.

2 Cf. supra, p. 88.


( )

( )
3 Cumont, L'éternité des empereurs (Rev. d'hist. et de litt. relig.
t. I) 1896, p. 435 ss.
IOO MYSTÈRES DE MITHRA

Cette conviction se manifeste aussi dans les


usages de la cour. Le feu céleste qui brille éter-
nellement dans les astres toujours victorieux des
ténèbres, avait pour emblème le feu inextinguible,
qui brûlait dans le palais des Césars et qui était
porté devant eux dans les cérémonies officielles.

Ce constamment allumé était déjà pour les


foyer
rois de Perse l'image de la perpétuité de leur
pouvoir, et il passa, avec les idées mystiques dont
il était l'expression, aux diadoques, puis aux
Romains ( ). De même, la couronne radiée qu'à
l

l'imitation des Séleucides et des Ptolémées, les


empereurs prennent depuis Néron comme insigne
de leur souveraineté ( 2 ), est une preuve nouvelle
de ces tendances politico-religieuses. Symbole de
la splendeur du Soleil et des rayons qu'il darde,
elle sembait assimiler le monarque au dieu dont
3
l'éclat éblouit nos regards ( ).
Quelle relation sacrée établissait-on entre le
disque radieux qui illumine le ciel et le simulacre
humain qui le représente sur la terre ? Le zèle
loyaliste des Orientaux ne garda aucune mesure-
dans ses apothéoses. Les rois Sassanides, comme
autrefois les Pharaons, se proclamaient « frères du
Soleil et de la Lune ( 4 ) », et les Césars furent à
peu près de même considérés en Asie comme des

(') Ibid., p. 44 i ss.

(
2
)
Stephani, N imbus und Strahlenkranz (Mém. Acad. St-Pétersbourg),
185c, p. 114 [474] ss.; Beurlier, Ctdte impérial, p. 48 ss.
(
3
)
Cf. Hérodien, I, 7, 5; Mamertin, Paneg. Maxim., c. 3: « Illalux
divinurn verticem claro orbe complectens », etc.

(
4
)
Ammien Marc, XXIII, 6, 2.
MITHRA ET LE POUVOIR IMPERIAL IQI

avatars successifs d'Hélios. Certains autocrates


agréèrent leur assimilation à cette divinité, et se
firent élever des statues qui les montraient parés
de ses attributs ( ). Ils se laissèrent même adorer
1

comme des émanations de Mithra ( 2 ). Mais ces


prétentions insensées étaient repoussées par le
sobre bon sens des peuples latins. Nous l'avons
dit, on évite en Occident les affirmations aussi
absolues. On se complaît dans des métaphores;
on aime à comparer le souverain, qui gouverne le
monde habité et auquel rien de ce qui se passe
ne peut échapper, au luminaire céleste qui éclaire
l'univers et en règle les destinées. On use de pré-
férence d'expressions vagues, qui autorisent toutes
les interprétations. On reconnaît que le prince est
uni aux immortels par quelque relation de
3
parenté mais sans en préciser le caractère ( ).
Néanmoins la conception que le Soleil a l'empe-
reur sous sa garde et que des effluves surnaturels
descendent de l'un à l'autre, conduisit peu à peu
à celle de leur consubstantialité.
Or, la psychologie enseignée dans les mystères
fournissait de cette consubstantialité une explica-
tion rationnelle, et lui donnait presque un fonde-
ment scientifique. Suivant ces doctrines, les âmes
préexistent dans l'empyrée, et, lorsqu'elles s'abais-

(!) Dittenberger, Sylloge 2 , n» 365, 1. 4; Trebell. Poil., Gallien, 18;


cf. Maas, Analecta sacra, 1901, p. 11 ; Th. Preger, Konstantinos Helios
(Hermès, XXXVI, 1902), p. 457.
(2) Cass. Dion., LXIII, 5.

(
3
)
Plutarque, Ad princ. erud., 3, p. 780 F; Themistius, p. 178,
éd. Dindorf ; Origène, Contra Celsum, V, 63, etc.
MYSTERES DE MITHRA

sent vers la terre pour animer le corps où elles


vont s'enfermer, elles traversent les sphères des
planètes, et reçoivent de chacune quelques-unes
de leurs qualités ( ). Pour tous les astrologues, le
:

Soleil, nous l'avons rappelé, est la planète royale,


et c'était lui par conséquent qui donnait à ses
élus les vertus du souverain et qui les appelait à
2
régner ( ).

On aperçoit immédiatement combien ces théo-


ries étaient favorables aux prétentions des Césars.
Ils sont véritablement les maîtres par droit de
3
naissance (deus et dominus natus) ( ), car dès leur
venue au monde des astres les ont destinés au
trône ; ils sont divins, car ils ont en eux certains
éléments du Soleil, dont ils sont en quelque sorte
l'incarnation passagère. Descendus des cieux
étoiles, ilsy remonteront après leur mort pour y
vivre éternellement avec les dieux leurs égaux.
Le vulgaire allait jusqu'à se figurer que l'empe-
reur défunt, tout comme Mithra à la fin de sa
carrière, était enlevé par Hélios sur son quadrige
4
resplendissant ( ).

(!) Cf. infra ch. IV, p. 144 ss.


(
2
)
Cf. supra, p. 95 ss. ; Vettius Val., p. 1, 1. 6, éd. Kroll Julien, ;

Or. IV, p. 145 c; Epist. 76, etc.Voir aussi sur les âmes royales, Her-
mès Trismégiste dans Stobée, Ed., I, 49 (p. 407 et p. 466, Wachsm.)
(3) Le titre apparaît d'abord sur les monnaies d'Aurélien, mais avant

de devenir officielle, l'expression a dû être employée dans l'usage cou-


rant, cf., M. M. M., t. I, p. 2g5, n. 5.
4
( )
Incerti paneg. Maxim, et Const., 14 (p. 15g, 19, Baehrens). L'en-
lèvement de Constance Chlore est figuré sur un diptyque d'ivoire du
British Muséum, cf. mon article sur V Aigle funéraire des Syriens et
l'apothéose (Revue hist. des religions XLII), 1910, p, i5g ss. et Deubner,
MITHRA ET LE POUVOIR IMPERIAL io3

Ainsi la dogmatique des mystères persiques


combinait deux théories d'origine différente qui
l'une et l'autre tendaient à élever les princes au-
dessus du genre humain. D'une part, la vieille
conception mazdéenne de Hvarenô, était devenue
la « Fortune du roi » qui éclaire celui-ci d'une
grâce céleste et lui apporte la victoire. D'autre
part, l'idée que l'àme du monarque, au moment
où le destin la faisait choir ici-bas, recevait du
Soleil sa puissance dominatrice, permettait de
soutenir qu'il participait de la divinité de cette
planète et était son représentant sur la terre.
Ces croyances peuvent aujourd'hui nous sem-
bler absurdes et presque monstrueuses. Elles se
sont néanmoins imposées durant des siècles à des
millions d'hommes très divers, qu'elles réunis-
saient dans une même monarchique. Si les
foi

classes instruites, où la tradition littéraire main-


tint toujours quelques restes du vieil esprit répu-
blicain, conservaient un fonds de scepticisme, le
sentiment populaire accueillit avec complaisance
ces chimères théocratiques, et se laissa gouverner
par elles aussi longtemps que dura le paganisme.
On peut même dire qu'elles survécurent à la chute
des idoles, et que la vénération des foules aussi
bien que le cérémonial de la cour ne cessèrent
point de considérer la personne du souverain
comme d'une essence surhumaine. Aurélien avait
essayé d'instituer une religion officielle assez large

Mitt. Inst. Rom., XXVII, 1912, p. 8 s. Sur l'ascension de Mithra, voyez


infra, ch. IV. p. 139.
104 MYSTÈRES DE MITHRA

pour embrasser tous les cultes de ses Etats, et qui


aurait servi, comme chez les Perses, de justification
et du soutien à l'absolutisme impérial. Cette ten-
tative échoua grâce surtout à l'opposition irréduc-
tible des chrétiens. Mais l'alliance du trône et de
l'autel, que les Césars du III siècle avaient rêvée,
e

se réalisa sous une autre forme, et, par un étrange


retour des choses, l'Église fut appelée à soutenir
l'édifice dont elle avait ébranlé les bases. L'œuvre
que les prêtresde Sérapis, de Baal et de Mithra
avaient préparée, s'acheva sans eux et contre eux;
mais ils n'en avaient pas moins prêché les pre-
miers en Occident la divinité des rois, et avaient
été ainsi les initiateurs d'un mouvement dont les
répercussions devaient se prolonger à l'infini.
CHAPITRE IV

LA DOCTRINE DES MYSTÈRES (


!

Durant plus de mithriacisme fut


trois siècles le
pratiqué dans les provinces romaines les plus
distantes et dans les conditions les plus diverses.
Il est inadmissible que, durant cette longue
période, ses traditions sacrées soient restées im-
muables, et que les philosophies qui régnèrent
successivement sur les esprits, ou même la situa-
tion politique et sociale de l'empire, n'aient pas
exercé sur elles quelque action. Mais, si les
mystères perses se sont certainement modifiés en
Occident, l'insuffisance des documents dont nous
disposons, ne nous permet ni de suivre les phases
de leur évolution, ni de distinguer nettement les
différences locales qu'ils ont pu présenter (
2
). Tout
ce qui nous est possible, c'est d'esquisser les
grands contours des doctrines qui y étaient ensei-

(!) Ce chapitre repose en grande partie sur l'interprétation archéolo-

gique des monuments mithriaques, qui sont ici notre principale source
d'information. Nous avons donc souvent dû nous borner à renvoyer à
l'étude détaillée que nous avons faite de leurs diverses représentations
dans notre grand ouvrage. Leur signification peut en général être éta-
blie avec certitude, mais certaines explications restent néanmoins plus
ou moins hypothétiques, notamment la succession des épisodes de la
légende de Mithra; cf. infra p. i32 ss.
2 Cf. cependant infra, p. 186 ss.
( )
io6 MYSTERES DE MITHRA

gnées, en marquant par endroits les additions ou


les retouches qu'elles paraissent avoir reçues.
D'ailleurs les altérations qu'elles subirent, furent,
somme toute, superficielles. L'identité des images
et des formules hiératiques dans les temps et les
lieux les plus éloignés montre qu'avant l'époque
de son introduction dans les pays latins, ce maz-
déisme réformé avait déjà constitué sathéologie( ). 1

Contrairement à l'ancien paganisme gréco-romain,


assemblage de pratiques et de croyances sans lien
logique, le mithriacisme avait en effet une véri-
table théologie, un système dogmatique emprun-
tant à la science ses principes fondamentaux.
On semble croire en général que Mithra est le
seul dieu iranien qui ait été introduit en Occident,
et que tout ce qui dans son culte ne se rapporte
pas directement à lui, est adventice et récent.
C'est là une supposition gratuite et erronée :

Mithra fut accompagné dans ses migrations par


une grande partie du panthéon mazdéen, et si,
aux yeux des fidèles, il est le héros principal de
la religion à laquelle il a donné son nom, il n'en
est pas le dieu suprême.
Au sommet de la hiérarchie divine et à l'origine
des choses, la théologie mithriaque, héritière de
celle des mages zervanistes, dont Eudème de
Rhodes, le disciple d'Aristote, connaissait déjà la
doctrine ( 2 ), plaçait le Temps infini (Zervan

(
1
)
Cf. supra., p. i 7.

( )
2 Eudème dans Damascins, De principiis, § i25*« (p.- 322 Ruelle).
Sur ce système zervaniste, cf. M. M. M., t. I p. 18 ss. Tout récemment,
LA DOCTRINE DES MYSTÈRES 107

akarana). On l'appelait parfois Aîuuv ou Saeculum,


Kpôvoç ou Saturnus ('^mais ces désignations étaient
conventionnelles et contingentes, car il était
regardé comme ineffable, comme sans nom aussi
bien que sans sexe et sans passions. On le repré-
sentait, à l'imitation d'un prototype oriental 2 ) sous ,
(

la forme d'un monstre humain à tète de lion, le


corps entouré d'un serpent (flg. n) ( 3 ). La multi-
plicité des attributs dont on surcharge ses statues
répond à l'indétermination de son caractère. Il

porte le sceptre et le foudre comme divinité sou-


veraine, et tient souvent dans chaque main une
clef, comme maître du ciel dont il ouvre les portes.
La gueule entr'ouverte du félin découvrant ses
mâchoires formidables indique la puissance
destructive du Temps dévorant. Ses ailes symbo-
lisent la rapidité de sa course, le reptile, dont les
anneaux l'enlacent, fait allusion au cours sinueux
du soleil sur l'écliptique, les signes du zodiaque
M. Eisler (Weltenmaniel und Himmels^elt, Munich, 19 10) s'est efforcé
de démontrer que cette théologie avait influé dès le VI e siècle avant
J.-C. sur les mystères orphiques et la philosophie ionienne, mais elle
ne parait pas s'être développée même en Babylonie avant l'époque perse.
(!) M. M. M., t. I, p, 76 ss,
2 Cf. infra, appendice sur l'art mithriaoue, p. 234.
( )
3
( J
Voyez la figure 11 ci-contre {M. M, M., t. II, mon. 101, fig. 96). Com-
parer la statue de Sidon reproduite infra fig. 26, p. 235. Un important
bas-relief italien, conservé au musée de Modène, figurant le Kronos
mithriaque entouré des signes du zodiaque, a été publié par nous Revue
archéol., 1902, p. 1, ss. et pi, I (p. 109, fig. 12). Ce monument a été repro-
duit par Eisler op. cit., p. 400 ss., qui prétend démontrer qu'il représente
le dieu orphique Phanès et fut placé après coup dans un mithréum.
Cette supposition me semble inadmissible, mais il n'est pas invraisem-
blable que certaines doctrines orphiques aient passé dans les mystères
mithriaques et influé sur la composition de ce bas-relief très particulier.
io8 MYSTERES DE MIÏHKA

gravés sur son corps et les emblèmes des saisons,.


qui les accompagnent, rappellent les phénomènes-
célestes et terrestres, qui
marquent la fuite éternelle
des années. Il produit et
détruit toutes choses, il est
le maître et le conducteur
des quatre éléments qui
composent l'univers, et il

réunit virtuellement en lui


la puissance de tous les
dieux, engendrés
qu'il a
seul ( ). Parfois on l'identi-
l

2
fiait à la fatalité du Sort
( ),

d'autres fois on voyait en


lui une lumière ou un feu
primitif, et l'une et l'autre
conception permettaient de
le rapprocher de la Cause

suprême des stoïciens, cha-


leur partout répandue et
qui a tout formé, et qui,
considérée sous un autre
aspect, était la Destinée
(Ei)uap)uév)"i).

Les prêtres de Mithra


cherchaient à résoudre le

(
L
) Sur tout ceci voyez M. M. M. r
FIG. II. t. I, p. 78 ss.
KRONOS MITHRIAQUE 2 Théodore de Mopsueste, dans,
( )
DE FLORENCE Phot., Bibl., Si (I, p. 63, Bekker), cf..

M. M. M., t. I, p. 86 s.
LA DOCTRINE DES MYSTERES IO9

BAS-RELIEF DE MODEXE.

Kronos mithriaque à pieds de bouc, tenant le sceptre et le foudre, entre


les deux moitiés d'un œuf d'où s'échappent des flammes. Sur sa poitrine le
Capricorne, le Taureau et le Bélier, derrière ses épaules, le croissant
lunaire. Autour de lui, le Zodiaque; dans les coins, bustes des Vents.
MYSTERES DE MITHRA

grand problème de l'origine du monde par l'hypo-


thèse d'une série de générations successives. Le
premier principe, suivant une antique croyance,
qui se retrouve aussi dans l'Inde et en Grèce, pro-
créait un couple primordial, le Ciel et la Terre,
et celle-ci, fécondée par son frère, enfantait le
vaste Océan, égal en puissance à ses parents et
qui semble avoir formé avec eux la triade suprême
du panthéon mithriaque ( ). La relation de l
cette
triade avec Kronos ou le Temps, dont elle était
issue, n'était point nettement définie, et le Ciel
étoile,dont la révolution déterminait, croyait-on,
le cours de tous les événements, semblait parfois
se confondre avec le Destin éternel.
Ces trois divinités cosmiques étaient personni-
fiées sous d'autres noms moins transparents. Le
Ciel n'était autre qu'Oromasdès ou Jupiter, la
Terre était identique à Spenta-Armaîti ou Junon
et l'Océan s'appelait encore Apâm-Napàt ou Nep-
tune ( 2 ). De même que les théogonies grecques,
les traditions mithriaques rapportaient que Zeus
avait succédé à Kronos, le roi des premiers âges,
dans le gouvernement du monde. Les bas-reliefs
nous montre ce Saturne mazdéen remettant à son
3
fils le foudre, insigne de sa puissance souveraine( ).

Désormais Jupiter régnera avec son épouse Junon

(!) M. M. M., t. I, p. i 55 ss. On représente l'Océan sous la forme d'un


personnage barbu à demi couché sur des rochers. Cf. infra p. n3, fig. i3.

('-) M. M. M., t. I, pp..i37 s., 142.


(
3
) Notamment celui d'Osterburken (Mon. 249 e, 4") et celui de Neuen-
heim (245 d, 3°).
LA DOCTRINE DES MYSTERES

sur les autres dieux, qui tous leur doivent l'exis-


tence.
Les divinités olympiques sont nées en effet de
l'hymen du Jupiter céleste et de la Junon terrestre.
Leur fille aînée est la Fortune (Fortuna primi-
genia), qui donne à ses adorateurs tous les biens
du corps et surtout ceux de l'âme. Sa bonté
secourable l'oppose à l'Anankè, qui représente la
fatalité rigoureuse et immuable ( ). Thémis ou la 2

Loi, les Moires ou les Fata étaient d'autres per-


sonnifications du Destin, qui manifeste sous des
formes variées sa nature susceptible d'un dévelop-
pement infini. Le couple souverain a encore donné
le jour, non seulement à Neptune, qui est devenu
leur égal, mais à toute une lignée d'autres immor-
tels(
Artagnès ou Hercule dont les hymmes
2
) :

sacrés chantaient les travaux héroïques Sharèvar ;

ou Mars, qui régnait sur les métaux et soutenait


le guerrier pieux dans les combats Vulcain ou ;

Atar, le génie du feu Mercure, le messager de


;

Zeus Bacchus ou Haoma, personnification de la


;

plante qui fournissait le breuvage sacré Silvain ;

ou Drvâspa, protecteur des chevaux et de l'agri-


culture; puis Anaïtis, la déesse des eaux fécon-
dantes assimilée à Vénus et à Cybèle, et qui,
présidant à la guerre, était aussi invoquée sous le
nom de Minerve; Diane ou la Lune, qui produi-
sait le miel employé dans les purifications ;

Vanainti ou Nikè, qui donnait la victoire aux


(i) M. M. M., t. I, p. i5i ss.
(
2
) Nous avons parlé en détail de tous ces dieux. MMM I, p. 142 s.
112 MYSTERES DE MITHRA

rois; Asha ou Aretè, la Vertu parfaite, d'autres


encore. Cette foule innombrable de divinités
habitait les sommets éclatants de l'Olympe, et
nous les montrent groupées autour
les bas-reliefs
du trône de Jupiter dont elles composaient la cour
J
céleste ( ).

A ce jour lumineux,
où résident, resplendissants
de clarté, les dieux supérieurs, s'oppose un
domaine ténébreux situé dans les profondeurs de
la terre. Ahriman (Arimanius) ou Pluton, engen-
dré comme Jupiter par le Temps infini
2
( ), y règne
avec Hécate sur les monstres malfaisants produits
de leurs accouplements impurs ( 3 ).
Les démons, suppôts du roi des enfers, sont
montés à l'assaut du ciel, et ont tenté de détrôner
le successeur de Kronos. Mais ces monstres
rebelles, foudroyés comme les Géants grecs, par
le maître des dieux, ont été précipités dans les
abîmes dont ils avaient surgi (fig. i3) ( 4 ). Ils peu-
vent cependant encore en sortir, et vaguent à la
surface de la terre, pour y répandre les fléaux et
la corruption. Ces « anti-dieux » (àvriGeoi), sous le
commandement de la Puissance des ténèbres,
luttent contre les esprits célestes, envoyés ou

(!) Notamment le bas-relief d'Osterburken ( Mon. 246 c.) et de Sarre-


bourg (Mon. 273^ i°).
2
( )
Dans tous les systèmes zervanistes le Temps engendre Ormuzd et
Ahriman, cf. Théod. Mops., I. c. Eznik, Wider die Sekten, ùbers.
;

Schmid, 1900, p. 90 s.
(3) M. M. M., t. I, p. 140 s.

( ) M. M. M., t. I, 157 s.
4 Cette gigantomachie mithriaque est figurée
par exemple sur le bas-relief d'Osterburken (Mon. 246e, 5°) et sur celui
de Virunum (Mon. 2356, i°), que nous reproduisons fig. i3.
LA DOCTRINE DES MYSTERES n3

« anges » de la di-
vinité (
!
). A la fois
violents et rusés,
ils sont les auteurs
de toutes les cala-
mités qui fondent
sur le monde et
allument les pas-
sions mauvaises
dans le cœur des
hommes pour dé- ;

tourner les maux


qui les menacent,
ceux-ci doivent
apaiser les esprits
pervers en leur
offrant des sacri-

(!) Nous avons insisté


sur le caractère de cette
démonologie , expression
du dualisme perse, Reli-
gions orientales, 2 e éd.,
p. 224 ss. Sur les àvTÎGeoi,
cf. ibid. p. 386, n. 36. La
dédicace Diis angelis trou-
vée récemment à Vimina.
cium (Jahresh. Instit.
Wien, 1 905, Beiblatt, p. 6)
est probablement mithria-
que, car nous savons que
les angeli divins occu-
paient une place impor-
tante dans la théologie des
13. — MARBRE TROUVE A VIRUNUM mages (Relig. orient., p.
Zeus foudroyant les géants.
388, n. 38).
Naissance de Mithra,
près d'un dieu fluvial couché.
.

114 MYSTÈRES DE MITHRA

fices sanglants dont viennent se repaître. L'ini-


ils

tié sait aussi, par des rites appropriés et par la


vertu des incantations, les asservir à ses desseins
et les évoquer contre les ennemis dont il médite la
l
perte ( ).

Les dieux ne se confinent pas davantage dans


les sphères éthérées qui sont leur apanage. Si la
théogonie les représente groupés dans l'Olympe
autour de leur père et souverain, la cosmologie les
montre sous un autre aspect. Leur énergie remplit
le monde et ils sont les principes actifs de ses
transformations. Le feu, personnifié sous le nom
de Vulcain (2 ), est la plus élevée de ces forces natu-
relles, et on l'adore dans toutes ses manifestations,
soit qu'il brille dans les astres ou dans l'éclair,
qu'il anime les êtres vivants, provoque la crois-
sance des plantes ou se cache dans le sein de la
terre. Au fond des cryptes souterraines, il brûlait
perpétuellement sur les autels, et les fidèles redou-
taient de souiller sa pureté par des contacts sacri-
3
lèges ( ).

(!) M. M. M., t. I, p. 141 ss.

(
2
)
Représenté notamment sur le bas-relief de Sarrebourg (mon. 273^
c, 3°); cf. M. M. M., t. I, pp. So et 146.

3, § i5, p. 733 C
XV, cf. M. M. M., t. I, p. io3 ss.
3 Strab. ;
( )

M. (Archiv fur Religionsrviss., XIII, 19 10, p. 247 ss.)


Ziegler
reconstituant un passage mutilé de Firmicus Maternus (De err prof .

rel. c. 5), montre que suivant cet auteur à côté du feu masculin, assimilé
,

à Mithra, les sectateurs de celui-ci plaçaient une puissance féminine du


feu —
probablement appelée Hécate —
qui était composée de trois
déesses Athéna, Artémis, Aphrodite. Celles-ci étaient mises en rapport
:

avec les trois parties de l'âme, la raison (mens), localisée dans la tête,
la colère (ira), dans le cœur, le désir (libido), dans le foie. C'est la vieille
division de Platon voOç, Guuôç, èmSuuia transposée, et M. Ziegler
LA DOCTRINE DES MYSTERES n5

Ils pensaient naïvement que le feu et l'eau


étaient frère et sœur, et ils avaient le même res-
pect superstitieux pour l'un et pour l'autre. Ils
vénéraient à la fois l'onde salée qui remplit la mer
profonde qu'on pouvait appeler indifféremment
et
Neptune ou Océan ('), les sources qui jaillissent
des entrailles du sol, les fleuves qui courent à sa
surface et les lacs qui s'y étalent en nappes lim-
pides. Une fontaine intarissable coulait à proxi-
mité des temples (
2
), et recevait les hommages et
les offrandes des visiteurs. Cette fons perennis 3 ) (

était à la fois l'image des dons matériels et mo-


raux que la bonté inépuisable du Temps infini
répand dans l'univers, et celle du rafraîchissement
spirituel accordé aux âmes altérées dans l'éternité
bienheureuse ( 4 ).
La Terre productrice, la Terre nourricière, la
Terra mater fécondée par les eaux du ciel, occu-
pait une place aussi importante, sinon dans le

a montré les rapports de ce système compliqué avec les spéculations


des néoplatoniciens et la triade vivifiante (xpiàç £uuoy6voç) des oracles
chaldaïques.—Si cette doctrine a vraiment été celle des mystères, et n'est
pas simplement empruntée par Firmicus à quelque commentateur
néoplatonicien (Jamblique?) des croyances mithriaques, nous y trouve-
rions une preuve remarquable de l'influence exercée au IV e siècle sur
le cultepersique par la théologie ou la théosophie des derniers philo-
sophes grecs. Cf. infra p. 144 n. 4.
(!) Oceanus est figuré sur une stèle de Heddernheim (mon 253, j 4°)
et ailleurs (M. M. M., t. I, p. 98 s.) ; Neptune par exemple et à Sarre-
bourg (mon. suppl. 273^, c, 70; cf. M. M. M., t. I, p. 142 s ) Sur
le culte des Eaux, cf. ibid., p. io5 ss.

(-) C'est ce qu'ont appris de nombreuses découvertes, M. M. M., t. I.

p. 55, n. 3.

(
3
)
C I. L., III, io 4 63; i5i8 4 24 ; cf. 13276 (p. 2328 1 ?2 ).
(
4
)
M. M. M., t. I, pp. 106, 166.
n6 MYSTERES DE MITHRA
LA DOCTRINE DES MYSTERES I 1 /

rituel du moins dans la doctrine (


]

), et les quatre
Vents cardinaux, qu'on mettait en relation avec
les Saisons divinisées, étaient implorés comme des
génies tantôt bienfaisants et tantôt redoutables
(fig. i3) ( ). Non seulement on les craignait en tant
2

qu'arbitres capricieux de la température, qui


apportent le froid ou la chaleur, le calme ou la
tempête, qui humectent ou dessèchent tour à tour
l'atmosphère, font naitre la végétation du prin-
temps et flétrissent le feuillage d'automne, mais
on les adorait aussi comme des manifestations
3
diverses de l'Air, principe de toute vie ( ).

En d'autres termes, le mithriacisme divinisait


les quatre corps simples qui, suivant la physique
des anciens, composent l'univers. Un groupe allé-
gorique souvent reproduit, dans lequel un lion
représentait le feu, un serpent, un cratère, l'eau et
la terre ), Eléments
(
4
opposés
figurait la lutte des
qui s'entre-dévorent constamment et dont la
transmutation perpétuelle et les combinaisons
infiniment variables provoquent tous les phéno-
mènes de la nature (fig. 5). Le serpent se glisse
(i) M. M. M., t. I, pp.' 102 ss., i3y ss.

(
2 Les bustes des Vents occupent souvent, notamment en Allemagne
)

les coins des bas-reliefs (Heddernheim, mon. zSi, d i°, 253;'), cf. supra
p. 52, fig. 5; p. 109, fig. 12.

(
3
)
Cultes des Vents, M. M. M., t. I, pp. 91 à 97.
(
4
)
I a signification symbolique du cratère est attestée par Porphyre
{De antro N'ymph., 18), celle du lion par Tertullien (Adv. Marciun.,
I, 1 3 ; cf. Porph., De antro Nymph., 1 5j. Dieterich (Kltine Schriften,
1911, p. 260) a signalé un hymne
sur papyrus (Abraxas, pp. 5i et 97)
dont le début semble devoir être restitué Xaîpe bpdKOiv, dKuaîe \éwv, :

qpucriKai mjpàç àpxori, X a 'P e &è \euKOv ubuup. Sur le serpent et le cra-
tère, cf. Fr. Drexel, Das Kastell Faimingen, 1911, p. 94.
n8 MYSTERES DE MITHRA

parfois vers le vase,ou bien il se dresse vers lui,


en entoure la panse ou une des anses pour en
boire avidement le contenu. De son côté le lion
est parfois couché en face du reptile, qu'il se
contente d'observer, ailleurs il s'avance menaçant
vers le cratère ou y pose les deux pattes pour en
prendre possession, ou bien il s'accroupit prêt à
bondir sur son adversaire pour lui disputer sa
pâture (*).

Des hymnes d'un symbolisme étrange chan-


taient les métamorphoses que l'antithèse de ces
quatre principes produit dans le monde 2
( ).
Le
dieu suprême conduit un char attelé de quatre
coursiers, qui tournent incessamment dans un
cercle immuable. Le premier, qui porte sur son
pelage éclatant les signes des planètes et des
constellations, vigoureux et
est agile, et il par-
court avec une vélocité extrême la périphérie de
la carrière fixée. Le second, moins fort et moins
rapide, a une robe sombre dont un seul côté
s'illumine aux rayons du soleil ; le troisième

x
( )
Le groupe du cratère, du lion et du serpent caractérise les monu-
ments d'Allemagne (fig. 5, p. 52). Dans les les pays danubiens on ne
trouve que le lion et le cratère réunis (infra, p. 140, fig. 19), et l'animal
est renversé la tête en bas, pour rappeler que le feu a la propriété,
de s'élever de bas en haut, contrairement aux autres corps. Un —
bas-relief funéraire récemment découvert près d'Oedenburg et dont la
composition est inspirée par les idées eschatologiques orientales, nous
montre dans trois registres superposés les bustes des Vents, des tritons
et dauphins (Eau) et enfin des lions (Feu) cf. Jahresh. Instit.
;

Wien, XII, 1909, Beiblatt, p. 194. —


Sur le groupe et le culte des
Eléments, cf. M. M. M., t. I, p. 100 ss., et Religions orientales,
2 e éd., pp. 3o5 ; 410, n. 14.
2
( ) Dion Chrysost., Or., XXXVI, § 3g ss. (M. M. M., t. II, p. 60 ss.).
LA DOCTRINE DES MYSTÈRES HÇ
marche plus lentement encore et le quatrième
pivote sur lui-même, rongeant son frein d'acier,
tandis que ses compagnons se meuvent autour de
lui comme autour d'une borne. Le quadrige tourne
longtemps sans encombre, accomplissant réguliè-
rement sa course perpétuelle; mais à un moment
donné le souffle brûlant du premier cheval tom-
bant sur le quatrième enflamme sa crinière su-
perbe, puis son voisin, s'étant épuisé en efïorts,
l'inonde d'une sueur abondante. Enfin se passe
un phénomène plus merveilleux encore : l'appa-
rence de l'attelage se transforme, les chevaux
changent entre eux de nature de telle sorte que
la substance de tous passe au plus robuste et au
plus ardent d'entre eux, comme si un sculpteur,
ayant modelé des figurines de cire, empruntait à
l'une de quoi compléter les autres et finissait par
les fondre toutes en une seule. Alors le coursier
vainqueur de cette lutte divine, devenu tout puis-
sant par son triomphe, s'identifiait au conducteur
même du char. Le premier cheval est l'incarnation
du feu ou de l'éther, le deuxième de l'air, le troi-
sième de l'eau et le quatrième de la terre; les
accidents qui surviennent à ce dernier représentent
les incendies et les inondations qui ont désolé et
désoleront notre monde, et la victoire du premier
est l'image de la conflagration finale qui détruira
l'ordre existant des choses.
Le quadrige cosmique que mène la Cause su-
prasensible, n'a point été figuré par l'iconographie
sacrée. Celle-ci réserve à un dieu visible cet atte-
MYSTERES DE MITHRA

lage emblématique. Les sectateurs de Mithra,


comme les anciens Perses, adoraient le Soleil, qui
traversaitchaque jour sur un char les espaces du
firmament, et allait au crépuscule éteindre ses
feux dans l'océan. Lorsqu'il apparaissait sur l'ho-
rizon, sa lumière radieuse mettait en fuite les
esprits des ténèbres, et il purifiait la création, où
sa clarté ramenait la vie (
]
). C'est pourquoi on le
vénérait sous le nom d' riens 2
( ).
On rendait pa-
reillement un culte à la Lune, qui voyageait dans
les sphères supérieures sur un bige traîné par des
taureaux blancs. L'animal agricole et reproduc-
teur avait été attribué à la déesse qui présidait à
la croissance des végétaux et à la génération des
3
êtres vivants ( ).

Les Eléments n'étaient donc pas les seuls corps


naturels qui fussent déifiés dans les mystères. Les
deux luminaires, qui fécondent la nature, y étaient
vénérés, ainsi que dans le mazdéisme primitif,
mais la conception que les aryas s'en faisaient,
avait été profondément transformée sous l'in-
fluence des théories chaldéennes.
Nous l'avons dit (
4
), les vieilles croyances des

(!) M. M. M., t. I, p. i 26, n. 1; p. 128.


(
2
)
Orienti, CI. L., VI, 556, cf. 734 = 30822. —Voyez aussiPhilostrate,
V, Apollon, V, 25, et Roscher Lexikon, s. v. « Oriens ». ,

3
( )
Luna est souvent figurée avec cet attelage, par exemple sur le
bas-relief d'Osterburken (mon. 246). Ce n'est qu'à partir du II e siècle,
sous l'influence d'idées astrologico-religieuses que ce type se répand,
cf. M. M. M., t. I, p. 126 s. [Ajouter Héliodore, Aeth., X, 6; Olym-

piodore Schol. in Gorg. Platonis, éd. Jahn., p. 533 (190 P)] cf. Boll ;

dans Roscher, Lexikon, s. v. « Planeten », col. 2534, n. 1.


4 Cf. supra, p. 10 s.
( )
LA DOCTRINE DES MYSTÈRES 121

Perses avaient forcément subi à Babylone l'ascen-


dant d'une théologie en apparence scientifique, et
la plupart des dieux de l'Iran avaient été assimilés
aux astres adorés dans la vallée de l'Euphrate. Ils
empruntèrent ainsi un nouveau caractère entière-
ment différent du premier, et le même nom divin
prit alors et conserva, en Occident, une double
signification. Les mages ne réussirentpas à mettre
ces nouvelles doctrines d'accord avec leur ancienne
religion, car l'astrologie sémitique était aussi
inconciliable avec le naturalisme iranien qu'avec
le paganisme grec. Mais regardant ces contradic-
tions comme de simples différences de degré dans
la connaissance d'une vérité unique, le clergé
réserva à une élite la révélation des doctrines
mazdéennes sur l'origine et la fin de l'homme et
du monde, tandis que la foule devait se contenter
d'un symbolisme brillant et superficiel inspiré par
les spéculations des Chaldéens. Les allégories
astronomiques dérobaient à la curiosité des pro-
fanes la portée véritable des représentations
hiératiques, promesse d'une illumination
et la
complète, longtemps retardée, entretenait l'ardeur
de la foi par l'attrait fascinant du mystère ( ). 1

Les plus puissantes de ces divinités sidérales,


celles qu'on invoquait de préférence, et auxquelles
on réservait le plus d'offrandes, étaient les Pla-
nètes. Conformément aux théories astrologiques,
on leur supposait des vertus et des relations
dont souvent les raisons nous échappent. Chacune
(') M. M. M., t. I, pp. y3, i 98 ss.
122 MYSTÈRES DE MITHRA

d'elles présidait àun jour de la semaine, à chacune


était consacré un métal, chacune était mise en
rapport avec un degré d'initiation, et leur nombre
avait fait attribuer au chiffre sept une puissance
religieuse particulière (*). En descendant de l'em-
pyrée sur la terre,, les âmes, croyait-on, recevaient
d'elles successivement leurs passions et leurs qua-
2
lités fréquemment figurées sur les
( ).
Elles sont
monuments, tantôt par des symboles qui rappellent
soit les éléments dont elles sont formées, soit les
sacrifices qu'on leur offrait, tantôt sous l'aspect
des immortels qui siègent dans l'olympe grec,
Hélios, Séléné, Ares, Hermès, Zeus, Aphrodite,
Kronos ( 3 ). Seulement ces images ont ici une
valeur toute différente de celle qu'on y attache
quand elles représentent Ahura-Mazda, Zervan ou
les autres dieux du mazdéisme. On ne voit plus
en elles des personnifications du Ciel ou du Temps
infini, mais seulement les étoiles lumineuses dont
nous pouvons suivre la course errante au milieu
des constellations. Ce double système d'interpré-
tation était appliqué en particulier au Soleil,
conçu tantôt comme identique à Mithra et tantôt
comme distinct de lui. Il y a en réalité dans les
mystères deux divinités solaires, l'une iranienne
(') M. M. M., t. I, pp. 117, 120; cf. Roscher, Lexikon, s. v. «Planeten »,
col. 2831 ss. Sur le culte rendu aux Planètes, cf. ïnfra ch. V, p. 173.
2 Cf. infra p. 144 s.
( )

(
3
)
Symboles (sept mon.
autels, coutelas, bonnets phrygiens, arbres),
i3, g5, 1 M. M. M., t. I, p. u5 s. Bustes des sept divinités
35, 193 a ; cf.

planétaires p. ex. sur un bas-relief de Bologne (mon. 106). Les mêmes


divinités, en pied, dans la mosaïque d'un mithréum d'Ostie (mon. 84),
peintes à la fresque à Spolète (mon. 97).
LA DOCTRINE DES MYSTERES 123

qui est l'héritière du Hvarè perse, l'autre sémi-


tique qui est un substitut du Shamash babylo-
nien, identifié avec Mithra (*).

A côté des dieux planétaires, qui ont encore un


double caractère, des divinités purement sidérales
recevaient leur tribut d'hommages. Les douze
signes du zodiaque, qui, dans leur révolution quo-
tidienne, soumettent les êtres à leurs influences
contraires, étaient dans tous les mithréums repré-
2
sentés sous leur aspect traditionnel (fig. i5) ( ).

Chacun d'eux doute l'objet d'une véné-


était sans
ration particulière pendant le mois auquel il pré-
sidait, et on se plaisait à les grouper trois par
3
trois, suivant les Saisons ( ) auxquelles ils répon-
daient, et dont le culte était associé à celui qu'on
leur rendait. Les mithriastes semblent, en effet,

(') Cf. supra p. il.

(
2
)
En Germanie
la bande zodiacale est généralement placée au-dessus
du Mithra tauroctone et suit le bord cintré de la grotte dont la voûte
était regardée comme un symbole du firmament; cf. p. 52, fig. 5
(mon. 246 b, 247 b, 248 e, 25 1 d, cf. 253 b, note, et 97, 5°). Ailleurs elle
entoure entièrement la scène de l'immolation du taureau; cf. p. 56, fig. 7;
p. 124, fig. i5 (mon. 220, 267a). Exceptionnellement sur un monument
de Bretagne (mon. 273 d), cette bande forme une ellipse ovoïde autour de
Mithra naissant du rocher et sur un bas-relief romain autour du Kro-
nos léontocéphale (supra p. 109, fig. 12). Parfois les douze signes sont
gravés en tout ou en partie sur le même Kronos entre les replis du
serpent; cf. M. M. M., t. I, p. 109 ss.

( Les monuments qui représentent ces divinités sont relativement


3
)

rares. Le plus remarquable est la stèle de Carnuntum où les quatre


parties de l'année sont figurées par des personnages en pied, sculptés
en haut-relief (Mon. 228*»"* c =
supra p. 116, fig. 14). Elles sont repré-
sentées par quatre têtes d'enfants ou quatre bustes de jeunes gens avec
des attributs divers sur les bas-reliefs de Sidon (p. 124, fig. i5) et d'Hed-
dernheim (p. 52, fig. 5). Leurs emblèmes ornent à Ostie les ailes d'un
Kronos léontocéphale (mon. 80). Cf. M. M. M., t. 1, p. 91 ss.
124 MYSTERES DE MITHRA

avoir adoré, conformément aux doctrines de l'as-

trologie, non seulement le Temps, conçu comme


la Cause première, mais toutes ses subdivisions
Siècles, Années, Saisons, Mois, Jours et Heures,

FIG. l5. BAS-RELIEF TROUVÉ A SIDON (COLLECTION DE CLERCo).

Mithra tauroctone avec le chien, le serpent, le scorpion et le corbeau.


— Au-dessus, bustes du Soleil et deLune. Dans les coins, médaillons
la
et attributs des Saisons. Tout autour, les douze signes du zodiaque.

auxquelles on attribuait pareillement une puis-


sance divine (*).
Les signes zodiacaux n'étaient pas les seules
constellations que les prêtres eussent fait entrer
dans leur théologie. La méthode astronomique

(') Culte des subdivisions du Temps, cf. Religions orientales, z e éd.,


pp. 260, 397, n. 35; Astrology and religion, 1912, p. 107 ss.
LA DOCTRINE DES MYSTÈRES 120

d'interprétation une fois admise dans les mystères,


fut étendue sans réserve à toutes les figures pos-
ou d'animal qui ne pût
sibles. Il n'était pas d'objet
•être regardé de quelque façon comme l'image d'un

groupe stellaire. Ainsi le corbeau, le cratère, le


chien, le lion, qui entourent d'ordinaire le Mithra
tauroctone furent aisément identifiés avec les asté-
rismes du même nom ( ). Les deux hémisphères ]

célestes, qui passent alternativement au-dessus et


au-dessous de la terre, furent eux-mêmes person-
nifiés et assimilés aux Dioscuresj qui, suivant la
fable hellénique, vivent et meurent tour à tour (
2
).

La mythologie se mêlait partout à l'érudition :

les hymnes décrivaient un héros, semblable à


l'Atlas grec, qui portait sur ses épaules infatigables
le globe du firmament et dont on faisait l'inven-
teur de l'astronomie ( 3 ). Mais ces demi-dieux
étaient relégués à l'arrière-plan ; les planètes et
les signes du Zodiaque gardèrent toujours une
primauté incontestable, parce qu'eux surtout,

(i) M. M. M., t. I, p. 201.

(
Les Dioscures apparaissent des deux côtés du Kronos léontocéphale
2
)

sur un bas-relief de Vienne (mon. 277, fig. 32o) et isolés sur un fragment
d'Oberflorstadt (mon. 25o /;, fig. 247). Sur leur signification astrono-
mique, voyez Philon, De decem orac, 12 (II, 189 M) Julien, Or. IV, ;

p. 147 A; Lydus, De mensibus, IV, 17 (p. 78, Wùnsch). Cf. M. M. M.,


t. I, p. 85.
3 Atlas est figuré portant le globe céleste sur un des tableaux du
( )

bas-relief d'Osterburken (mon. 246 e 2°) en costume oriental, portant


;

un disque, sur le bas-relief de Neuenheim (mon. 245 d i°); sculpté en


haut-relief sur la grande stèle de Carnuntum (Mon. 228^" c supra =
p. 116, fig. 14). Cf. M. M. M., t. I, p. 90. — Sur l'origine de ce person-
nage, qui remonte à l'ancienne Assyrie, cf. nos Recherches sur le
maniche'isme, 1908, p. 69 ss.
T2Ô MYSTÈRES DE MITHRA

selon les astrologues, gouvernaient l'existence des


hommes et le cours des choses.
C'est la doctrine capitale que Babylone a intro-
duite dans le mazdéisme la croyance à la Fata-
:

lité, l'idéed'un Destin inéluctable qui conduit les


événements de ce monde et est lié à la révolution
des cieux étoiles. Ce Destin, identifié avec Zervan,
devient l'Etre suprême, qui a tout engendré et
régit l'univers. Le développement de celui-ci est
soumis à des lois immuables et ses diverses par-
ties sont unies par une solidarité intime. La posi-
tion des planètes, leurs relations réciproques et
leurs énergies à tout instant variables, produisent
la série des phénomènes terrestres. L'astrologie,
dont ces postulats sont les dogmes, est certaine-
ment redevable d'une partie de son succès à la
propagande mithriaque ( ), et celle-ci est donc en
l

partie responsable du triomphe en Occident de


cette pseudo-science avec son cortège d'erreurs et
de terreurs ( 2 ).
La logique rigoureuse de ses déductions assu-
rait à cette immense chimère une domination plus
complète sur les esprits réfléchis que la foi aux
puissances infernales et aux évocations, mais cette
dernière avait plus d'empire sur la crédulité popu-
laire. Le pouvoir indépendant attribué par le
mazdéisme au principe du mal permettait de jus-
tifier toutes les pratiques occultes. La nécroman-

(
1
)
On a retrouvé à Milan l'épitaphe d'un sacerdos d(ei) S(olïs)
l(nvicti) M(ithrae) studiosus astrologiae (C. I. L. V, 5796).

(
2
) Cf. Religions orientales, 2 e éd., pp. 243, 25 1 ss.
LA DOCTRINE DES MYSTÈRES 127

cie et l'oniromancie, la croyance au mauvais œil


et aux talismans, aux maléfices
et aux conjura-
tions, toutes les aberrations puériles ou néfastes
du paganisme antique se justifiaient par le rôle
assigné aux démons, intervenant sans cesse dans
les affaires humaines. On peut adresser aux mys-
tères persiques le grave reproche d'avoir excusé,
peut-être même enseigné, toutes les superstitions.
Ce n'est pas sans motif que la sagesse vulgaire
faisait du nom de mage un synonyme de magi-
cien (').

Ni conception d'une nécessité inexorable


la
poussant sans pitié le genre humain vers un but
inconnu, ni même la crainte des esprits malfai-
sants attachés à sa perte, n'ont pu attirer les foules
vers les autels des dieux mithriaques. La rigueur
de ces sombres doctrines était tempérée par la foi
en des puissances secourables, compatissant aux
souffrances des mortels. Les planètes mêmes
n'étaient point, comme dans les livres didactiques
des théoriciens de l'astrologie, des forces cos-
miques dont l'action favorable ou funeste augmen-
ou diminuait suivant les détours d'une carrière
tait
fixée de toute éternité. Elles étaient, conformé-
ment à la vieille religion chaldéenne, des divinités
qui voyaient et entendaient, se réjouissaient ou
dont on pouvait fléchir le cour-
s'affligeaient, et
roux par des prières et des
et se concilier la faveur
offrandes. Le fidèle plaçait sa confiance dans l'ap-

(!)M. M. M., t. I, p. 3oi, n. 4. Sur la magie perse, conséquence de


la démonologie dualiste, cf. Religions orientales, 2 e éd., p. 279 ss.
128 MYSTÈRES DE MITHRA

pui de protecteurs bienfaisants qui combattaient


sans trêve les puissances du mal (*).
Les hymnes qui célébraient les exploits des
dieux, ont malheureusement péri presque tout
entiers, et nous ne connaissons guère ces traditions
épiques que par les monuments qui leur servaient
d'illustration. Toutefois le caractère de cette poésie
sacrée se laisse encore reconnaître dans les débris
qui nous en sont parvenus. Ainsi les travaux de
Verethraghna, l'Hercule mazdéen, étaient chantés
en Arménie, on y disait comment il avait étouffé
les dragons et aidé Jupiter à triompher des géants
monstrueux ( 2 ), et, de même que les sectateurs de
l'Avesta, les adeptes romains du mazdéisme le com-
paraient à un sanglier belliqueux et destructeur ( 3 ).
Mais le héros qui dans ces narrations guerrières
jouait le rôle le plus considérable était Mithra.
Des hauts faits qui dans les livres du zoroastrisme
sont attribués à d'autres divinités, étaient rappor-
tés à sa personne. Il était devenu le centre d'un
(!) Cf. Religions orientales, 2 e éd., p. 267 ss. — Sur le culte des
Planètes, cf. infra ch. V, p. 173.

(
2
)
Moïse de Khorène, I, 3i; Agathange, p. 71, 1. 47 de Lagarde;
Castor dans Eusèbe, Chron., éd. Schône, p. 54. Cf. M. M. M., 1. 1, pp. 143,
157. Moïse (/. c.) dit « Sie erzâhlten im Liede dass (Vahagn) mit
:

Drachen kâmpfte undsiegte. Sehr âhnliches den Heldentaten des Hera-


kles sangen sie ùber ihn » (trad. Gelzer, Zur armenischen Gôtterlehre
p. 108). Un bas-relief, récemment trouvé à Stockstadt, nous montre un
de ces hauts faits de l'Hercule mithriaque il dompte Cerbère (Drexel,
:

Kastell Stockstadt, p. 87, n. 18 et pi. XIII, fig. 9). Comme la même


scène se retrouve sur des bas-reliefs funéraires en Germanie, il semble
qu'on mis la légende de Verethraghna-Héraklès en rapport avec la
ait
tradition mazdéenne, qui fait garder par des chiens le pont Cinvat où
doivent passer les âmes (Vendidad, Farg. i3, g cf. 19, 3o). ;

3
( )
Bas-relief de Mannheim (mon. 244) cf. M. M. M., t. I, p. 143.
;
LA DOCTRINE DES MYSTÈRES I29

cycle de légendes, qui seules expliquent la place


prépondérante qu'on lui accordait dans le culte.
C'est à cause des actions éclatantes accomplies
par lui, que ce dieu, qui n'a point dans la hiérar-
chie céleste le rang suprême, a donné son nom
aux mystères persiques répandus en Occident.
Mithra, nous l'avons vu ( ), était pour les an- :

ciens mages le dieu de la lumière, et comme la


lumière est portée par l'air, il était censé habiter la
zone mitoyenne entre le ciel et les enfers, et on lui
donnait pour ce motif le nom de neamiç ( 2 ). Afin de
marquer dans le rituel cette qualité, on lui consa-
crait le seizième jour de chaque mois, c'est-à-dire
son milieu ( 3 ). Lorsqu'il fut identifié à Shamash( 4 ),
on se souvint sans doute en lui appliquant ce nom
d' « intermédiaire », que, selon les doctrines chal-
déennes, le quatrième rang, c'est-
soleil occupait le

à-dire la position médiane, dans le chœur des sept


planètes ( 5). Mais cette situation médiane n'est pas
purement locale, on y attachait surtout une signi-
fication morale. Mithra est le « médiateur » entre
le dieu inaccessible et inconnaissable, qui règne
dans les sphères éthérées, et le genre humain, qui
s'agite ici-bas (
6
). Shamash avait déjà à Babylone
(!) Cf. supra pp. 3 ss., 8.
(2) Plut., Delside, c. 46.

( )
3 Cf. supra p. 9.

( )
4 Cf. supra p. 11.

( )
5 Cf. ma
Théologie solaire, p. [402], 6 ss.
(
6
)
Les nouveaux fragments manichéens de Tourfân l'invoquent
encore à ce Mithrasgrosser.
titre : Gôtterbote, Vermittier der Reli-
« . .

gion der auserwàhlten » (F. W. K. Mùller, Handschriftenreste ans


Turfan, II, Berlin, 1904, p. 77).
l3o MYSTÈRES DE MITHRA

des fonctions analogues, et les philosophes grecs,


eux aussi, faisaient du globe étincelant qui nous
verse sa lumière, l'image toujours présente (*) de
l'Etre invisible, dont notre raison seule conçoit
2
l'existence ( ).

C'est sous la qualité adventice de génie solaire


que Mithra a surtout été connu en Occident, et
les représentations figurées rappellent souvent ce
caractère d'emprunt. On avait coutume de le
figurer entre deux enfants portant l'un une torche
élevée, l'autre une torche abaissée, auxquels on
donnait les épithètes énigmatiques de Cautès et
Cautopatès 3 ), et qui n'étaient qu'une double
(

incarnation de sa personne (fig. 16). Ces deux


cladophores et le héros tauroctone formaient une
triade, et l'on voyait dans ce « triple Mithra ( 4 ) »
soit l'astre du jour dont le matin le coq annonce
la venue, qui à midi passe triomphant au zénith
et le soir s'inclinelanguissamment vers l'horizon,
soit le soleil qui, croissant en force, entre dans la
constellation du Taureau et marque le commen-
cement du printemps, celui dont les ardeurs vic-
torieuses fécondent la nature au cœur de l'été, et
celui qui, déjà affaibli, traverse le signe du Scor-

(!) Les inscriptions l'appellent nnnien praesens ou praesentissimum


C I. L. XIV, 3567; VII, 481; cf. C
I. G., 2635, 5 ëiucpaveaTÔTOU 6eoû
:

'HXiou.
(
2
)
Cf. M. M. M., t. I, p. 3o3 et Théologie solaire, p. 21 [467].

(
3
)
Les inscriptions prouvent que le génie qui élève sa torche s'appelait
Cautes, celui qui l'abaisse, Cautopatès (C I. L. III, 1046 1-2, 14354 3i_32 j

Drexel, K. Stockstadt, p. 83), mais l'étymologie et le sens de ces mots


restent inconnus cf. M. M. M., t. I, p. 207 ss.
;

(
4
)
Dionys. Areop., Epist. 7 toO xpiuXacricnj MiOpou..
:
LA DOCTRINE DES MYSTERES i3i

pion et annonce le retour de l'hiver ( ). A un autre !

point de vue, on regardait l'un des deux porte-


flambeau comme l'emblème de la chaleur et de la
vie, l'autre, comme celui du froid et de la mort.
Pareillement le groupe du dieu tauroctone avait

FIG. l6. STATUES DE DADOPHORES AU MUSÉE DE PALERME


(MON. I20)

été diversement expliqué à l'aide d'un symbolisme


astronomique plus ingénieux que raisonnable 2 ); (

seulement ces interprétations sidérales n'étaient

(!) Certaines statues nous montrent Cautès portant une tête de taureau,

Cautopatès, un scorpion (Mon. 140, 191, etc. Cf. M. M. M., t. I, p. 210).


2
( )
Porphyre, De antro Nytnph.,24; Lactantius Placidus, InThebaïd.
I, 717 ss.; cf. M. M. M., t. I p. 200 ss.
l32 MYSTÈRES DE MITHRA

que des jeux d'esprit avec lesquels on amusait les


néophytes avant de leur révéler les doctrines éso-
tériques qui se rattachaient à la vieille légende
iranienne de Mithra. Le récit en est perdu, mais
les bas-reliefs nous en racontent certains épisodes,
et son contenu parait avoir été à peu près le
!
suivant ( ).

lumière jaillissant du ciel, conçu comme


La
une voûte solide, était devenue, dans la mytholo-
gie des mages, Mithra naissant d'un rocher et on
2
l'appelait «le dieu sorti de la pierre» (Oeoç èic 7réTpaç)( ).
La tradition rapportait que cette « Pierre généra-
trice » ( ) dont on adorait dans les temples une
3

image, lui avait donné le jour sur les bords d'un


fleuve, à l'ombre d'un arbre sacré, et seuls des
pasteurs, cachés dans la montagne voisine, avaient

(!) L'essai de reconstitution que nous donnons ici d'après les monu-

ments figurés, n'est pas également certain dans toutes ses parties. Les
arguments plus ou moins solides sur lesquels il s'appuie, ont été exposés
en détail M. M. M., t. I, p. i5g ss.
(
2
)
Firmic. Mat., De err. prof, rel., c. 20; cf. Justin Martyr, Dial.
cum. Tryph., 70; Commodien, I, i3 : Invictus dépêtra natus; Lydus,
De mensib., IV, 3o : xôv TT6TpoYevf| MiGpav. Un monument récemment
découvert à Pettau (C I, L. III, 14354 29 ) porte, sous l'image de Mithra
sortant de la pierre, la dédicace Naturae dei, qui doit certainement se
traduire « A la naissance du dieu
: (cf. genitura, fetura, etc.). s>

L'interprétation proposée du mythe est due à Maionica (Mithras
Felsengeburt [Arch.-epigr. Mitt. Oesterr., II], 1878; cf. M. M. ,t. I, M
p. 160). Mais il se pourrait que la légende fût née seulement en Asie-
Mineure et "dérivât de la litholatrie primitive. Le récit de dieux ou héros
naissant de rochers s'y retrouve dans le culte d'Agdistis et se perpétue
dans les traditionsdu Caucase; cf. A. von Lôwis, Archiv f. Religions-
wiss., XIII (1910), p. 5og ss. Eisler, Ibid., XV (1912), p. 3o5 ss.
;

(
3
)
Les dédicaces Petrae genetrici sont nombreuses; cf. M. M. M.,
a en outre, C. L. III, 3 °.
t. II, p. 533, col. ; I. i
4 354
LA DOCTRINE DES MYSTERES i33

observé miracle de sa venue au monde (*). Ils


le
l'avaient vu se dégager de la masse rocheuse, la
tête coiffée d'un bonnet phrygien, déjà armé d'un
couteau et portant un flambeau qui avait illuminé
2
les. ténèbres ( ).
adorant l'enfant divin,
Alors,
les bergers étaient venus lui offrir les pré-
mices de leurs troupeaux et de leurs récoltes.
Mais le jeune héros était nu et exposé au vent,
qui soufflait avec violence, il s'était allé cacher
dans les branches d'un figuier, puis détachant à
l'aide de son couteau les fruits de l'arbre, il s'en
était nourri, et le dépouillant de ses feuilles il s'en
était fait des vêtements ( 3 ). Ainsi équipé pour la
lutte, il pouvait désormais se mesurer avec les
autres puissances qui peuplaient le monde mer-
veilleux où il est entré. Car, bien que des bergers
fissent déjà paître leurs troupeaux, tout ceci se
passait avant qu'il y eut des hommes sur la terre.
Le dieu contre lequel Mithra éprouva d'abord
ses forces fut le Soleil (fig. 17). Celui-ci dut rendre
hommage à la supériorité de son rival et recevoir
de lui l'investiture. Son vainqueur lui plaça sur la
(!) Interprétation d'une scène qui figure souvent sur les bas-reliefs

danubiens; cf. M. M. M., t. I. p. 162.


2
( )
Les monuments qui représentent Mithra naissant du rocher sont
très nombreux (M, M. M., t. I, p. 161, n. 4 ss.). On le voit notamment
supra p. n3, fig. i3, infra p. i4o, fig. 19.
3
( )
Ces épisodes ne sont pas clairement compréhensibles; cf. M. M. M.,
t. I, p. i63 ss. Une autre explication de la scène où Mithra est caché dans

l'arbre, est donnée par M. Dussavid (Notes de mythologie syrienne, igo3,


p. 62), qui y reconnaît la naissance du dieu. M. Toutain (Rev. hist. des
religions, 1902, p. 47) y voit le «gardien des fruits > (<pû\aî KapiTUJv) dont
parle Porphyre, De antro Nymph. i5. Ces interprétations sont très
conjecturales.
ij>4 MYSTERES DE MITHRA

tête la couronne radiée,


qu'il porta depuis ce mo-
ment durant sa course
quotidienne. Puis il le fit
relever, et, lui tendant la
main droite, il conclut
avec lui un pacte solennel
d'amitié. Dès lors, les
deux héros alliés s'entr'ai-
dèrent fidèlement dans
toutes leursentreprises(').
La plus étonnante de
ces aventures épiques fut
le duel de Mithra et du

(!) Les diverses scènes de lalégcnde


de Mithra et d'Hélios apparaissent
sur un grand nombre de monuments.
Beaucoup de détails en sont encore
incertains; cf. M. M. M., t. I,,p. 172 ss.
Des observations utiles ont été faites
par Toutain, Rev. hist. des Reli-
gions, 1902, p. 47 ss. et Dieterich,
Kleine Schriften, 191 1, p. 261 s.

Dieterich (Mitlirasliturgie, 2 e éd.


Wûnsch, pp. 76 et 225) a voulu recon-
naître dans l'objet énigmatique que
porte Mithra dans la scène de l'in-

vestiture, une omoplate de taureau


(Schulterblatt des Stieres), qui était
en Egypte le symbole de la constel-
lation de l'Ourse. Je doute beaucoup
de cette explication.— Un bas-relief FIG. 17. BAS-RELIEF TROUVE
isolé de cette scène mystérieuse a A VIRUNUM (MON. 235).
été trouvé à Stockstadt (Drexler, Au bas, scène indistincte — Mithra
tirant contre le rocher, — Mithra couron-
Kastell Stockstadt, p. 84, no 8. nant le Soleil.— Alliance de Mithra et
PI. XIII, 4). du Soleil — Mithra emporté sur le char
du Soleil, devant eux Phosphoros-Her-
mes.— Poséidon et Amphitrite (l'Océan).
— L'assemblée des dieux.
LA DOCTRINE DES MYSTERES 135

taureau, premier être vivant créé par Jupiter-


le
Oromasdès ( ). Cette fable naïve nous reporte aux
T

origines mêmes de la civilisation. Elle n'a pu naître


que chez un peuple de pasteurs et de chasseurs, où
le bétail, source de toute richesse, était devenu
l'objet d'une vénération religieuse, et pour qui la
capture d'un taureau sauvage était un fait si hono-
rable, qu'un dieu même ne paraissait pas déroger
en devenant boucanier. Le taureau indompté pais-
sait dans quelque prairie des montagnes; le héros,
recourant à un stratagème audacieux, le saisit par
les cornes et réussit à l'enfourcher ( ). Le fougueux
2

quadrupède prenant le galop eut beau emporter


son cavalier dans une course furibonde, celui-ci
quoique démonté ne lâcha pas prise il se laissa ;

traîner, suspendu aux cornes de l'animal, qui,


bientôt épuisé, dut se laisser prendre. Son vain-
queur le saisissant alors par les pattes de derrière,
l'entraîna à reculons, dans la caverne qui lui servait
de demeure, à travers une route semée d'obstacles
(fig. 18). Mithra en prit le surnom étrange de
3
« dieu voleur de bœufs » (PoukXôttoç Geôç) ( ). Cette

« Traversée » (Transitus)
4
( )
pénible du dieu tau-
rophore paraît être devenue une allégorie des
épreuves humaines. Mais, sans doute, le taureau

(
1
)
Cf. M. M. M., I, p. 169 ss. et Dieterich, Bonner Jahrbûcher,
CVIII (1902), p. 34 = Kleine Schriften, p. 262.
2 Cf. infra, p. 140, fig. 19.
( )

(
3
)
Commodien, Instr., I i3 : Vertebatque boves alienos semper in
antris, sicut Cacus. Porphyre, De antro Nytnph, 18 : BoukXôttoç Geôç :

cf. Firmicus Maternus, Deerr. prof, rel., 5 : Mûffra {3ooK\oTTÎr]ç.

(4) Transitus dei : C


I. L. III 14354 27 , 28 .
i36 MYSTERES DE MITHRA

réussit à s'échapper de sa prisonpour aller courir


la campagne ( ). Le
envoya alors le corbeau,
]
Soleil
son messager, porter à son allié l'ordre de tuer le
2
fugitif ( ). Mithra remplit à contre-cœur cette

FIG. l8. TASSE D'ARGILE TROUVÉE A LANUVIUM (MON. 89)


Mithra tauroctone et Mithra taurophore entre eux le chien
;

(cf. p. 54, fig. 6).

(') Le sens des divers tableaux qui représente la légende de Mithra


et du Taureau relativement bien fixé, ce point seul reste obscur. On
est
ne voit pas clairement comment l'immolation du taureau rattache aux
épisodes précédent de la légende; cf. M. M. M., t. I, p. 186.
2
( )
Corbeau, messager du soleil, M M M
., t. I, p. 192.
. .
LA DOCTRINE DES MYSTÈRES T-^7

mission cruelle, mais, se soumettant aux injonc-


tions du ciel, il poursuivit avec son chien agile la
bête vagabonde, réussit à l'atteindre au moment
où dans l'antre qu'elle avait quitté,
elle se réfugiait
d'une main par les naseaux, il lui
et la saisissant
enfonça de l'autre son couteau de chasse dans le
flanc.
Alors se passa un prodige extraordinaire du :

corps de la victime moribonde naquirent toutes


les herbes et les plantes salutaires, qui couvrirent
la terre de verdure. De sa moelle épinière germa
le blé, qui donne le pain, et de son sang, la
vigne, qui produit le breuvage sacré des mystères,
floraison merveilleuse que les artistes ont rap-
pelée discrètement en terminant la queue du tau-
reau par un bouquet d'épis. L'esprit malin eut
beau lancer contre l'animal agonisant ses créa-
tures immondes pour empoisonner en lui la source
de la vie; le scorpion, la fourmi, le serpent ten-
tèrent inutilement de dévorer les parties génitales
et de boire le sang du quadrupède prolifique ils :

ne purent empêcher le miracle de se poursuivre.


La semence du taureau recueillie et purifiée par
la Lune produisit toutes les espèces d'animaux
utiles, et son âme, protégée par le chien, le fidèle
compagnon de Mithra, s'éleva jusqu'aux sphères
célestes où, divinisée, elle devint, sous le nom de
Silvain, la gardienne des troupeaux. Ainsi par
l'immolation à laquelle il s'était résigné, le héros
tauroctone était devenu le créateur de tous les
êtres bienfaisants, et de la mort qu'il avait causée,
l38 MYSTÈRES DE MITHRA

était née une vie nouvelle plus riche et plus


l
féconde ( ).
Cependant le premier couple humain avait été
appelé à l'existence, et Mithra fut chargé de
veiller sur cette race privilégiée. C'est en vain que
l'Esprit des ténèbres suscita les fléaux pour la
détruire, le dieu sut toujours déjouer ses funestes
desseins. Ahriman désola d'abord les campagnes
en y provoquant une sécheresse persistante, et
leurs habitants, torturés par la soif, implorèrent
le secours de son adversaire toujours victorieux.
L'archer divin lança ses flèches contre une roche
escarpée, et il en jaillit une source d'eau vive, à
laquelle les suppliants vinrent rafraîchir leurs
gosiers altérés (
2
). Un cataclysme plus terrible
avait ensuite, disait-on, menacé toute la nature.
Un déluge universel avait dépeuplé la terre,
envahie par les flots des mers et des fleuves
débordés. Mais un homme, averti par les dieux,
avait construit une barque, et s'était sauvé avec

(!) Nous avons longuement discuté le sens qu'il faut attribuer au

Mithra tauroctone et aux animaux qui l'entourent, M. M. M., t.I, pp. 187-
198. Ce mythe procède d'ailleurs d'un rite. Le taureau était probable-
ment en Perse, comme en beaucoup d'autres pays, sacrifié chaque année
pour assurer la croissance du blé C'est ce « taureau du blé » (Kornstier)
.

qui, par une transposition mythique et une interprétation savante, est


devenu l'animal cosmogonique. C'est pourquoi sur les bas-reliefs trois
épis terminent encore sa queue (p. 137) cf. Dieterich, Kleine Schriften,
;

p. 262. Le taureau paraît avoir été toujours sacrifié à Mithra (M. M. M.,
t. I, p. 18, n° 64) comme il l'était à sa compagne la déesse Mère dans
le taurobole.
(
2
) Cf. supra, p. 134, fig. 17 et infra, p. 140, fig. 19. La scène de
l'archer est une des plus fréquemment représentées, cf. M. M. M.,
t. I, p. i65 s.
LA DOCTRINE DES MYSTÈRES l3g

son bétail dans une arche flottant sur l'étendue


des eaux. Puis c'était le feu qui avait ravagé le
monde, consumé les étables et réduit en cendre
les habitations (*) mais les créatures d'Oro- ;

masdès avaient encore échappé à ce nouveau péril,


grâce à la protection céleste, et désormais le genre
humain avait pu croître et se multiplier en paix.
La
période héroïque de l'histoire était close, et
la mission terreste de Mithra, accomplie. Dans un
repas suprême, que les initiés commémoraient
par des agapes mystiques ( 2 ), il célébra avec
Hélios et les autres compagnons de ses travaux
la fin de leurs luttes communes. Puis les dieux
remontèrent au ciel. Emporté par le Soleil sur
son quadrige radieux, Mithra franchit l'Océan,
qui ne réussit point à l'engloutir (fig. 19) ( 3 ), et
alla habiter avec les autres immortels mais du ;

haut des cieux ne devait pas cesser de protéger


il

les fidèles qui le servaient pieusement.


Ce récit mythique des origines du monde, nous
fait mieux comprendre l'importance que le dieu
tauroctone avait dans le culte, et mieux saisir ce
que les théologiens païens entendaient exprimer
par le titre de médiateur ( 4 ). Mithra est le créateur,
(') Nous ne proposons que sous réserves cette interprétation de la
-« scène de la barque et de l'étable » ; cf. M. M . M. , t. I, p. 166 ss.
2 Cf. infra p. i65.
( )

(
3
)
Les scènes du banquet et de l'ascension sont régulièrement figu-
rées sur le bord inférieur des monuments danubiens (fig 19, p. 140). On
les retrouve placées ailleurs en Allemagne (banquet Osterburken, :

Saarburg ; ascension : Neuenheim, Osterburken, Heddernheim, etc.


Cf. fig. 5, p. 52) et à Virunum (fig. 17, p. 134).
4 Cf. supra, p. 129.
( )
140 MYSTERES DE MITHRA

FIG. 19. BAS-RELIEF D'APULUM EN DACIE (MON. I92)

Au centre, Mithra tauroctone avec les deux dadophores à gauche,


;

Mithra monté sur le taureau et Mithra taurophore à droite, lion étendu


;

au-dessus d'un cratère [symboles du feU et de l'eau, p. 118]. —


Registre
supérieur Buste de Luna Mithra naissant près d'un fleuve couché
: ;
>-

berger debout et brebis taureau dans une cabane et dans une nacelle
; ;

au-dessous, sept autels; Mithra tirant de l'arc; buste de Sol. —


Registre inférieur Banquet de Mithra et de Sol Mithra montant sur
: ;

le quadrige de Sol; devant lui, l'Océan entouré d'un serpent.


LA DOCTRINE DES MYSTÈRES H 1

à qui Jupiter-Oromasdès a confié le soin d'établir


et de maintenir l'ordre dans la nature. 11 est,
pour parler le langage philosophique du temps,
le Logos émané de Dieu et participant à sa toute-
puissance (*), qui, après avoir formé le monde
comme démiurge, continue à veiller sur lui. La
défaite primitive d'Ahriman ne l'a pas réduit à
l'impuissance. La lutte du bien et du mal se
poursuit sur la terre entres les émissaires du sou-
verain de l'olympe et ceux du prince des démons ;

elle sévit dans les sphères célestes par l'opposition


des astres propices et adverses, et se répercute
dans cœur de l'homme, abrégé de l'univers.
le

La vie est une épreuve et pour en sortir victo-


rieux il faut observer la loi que la divinité elle-
même a donné aux anciens mages. Quelles obli-
gations le mithriacisme imposait-il à ses adeptes,
quels étaient ces « commandements
auxquels »
2
( )

ceux-ci devaient se soumettre pour être récom-


pensés dans l'autre monde ? Notre incertitude est
à cet égard extrême, car nous n'avons aucunement
le droit d'identifier les préceptes communiqués
dans mystères avec ceux que formule l'Avesta.
les
Toutefois il paraît certain que la morale des mages

d'Occident n'avait point fait de concessions à la


licence des cultes babyloniens et qu'elle avait
conservé l'élévation de celui des anciens Perses.

(!) Dédicaces Omnipotenti Mithrae C. I. L., X 1479; III 7779:


:

III 14080 (p. 2328 33 ). Toute-puissance des dieux asiatiques, cf. Reli-
gions orientales, 2 e éd., pp. 190, 33i, n. 3o.
2
( ) Julien, Caesares, p. 336 C : tûjv évroXujv (MîOpou).
.

I4 2 MYSTÈRES DE MITHRA

La pureté parfaite était restée pour eux le but


vers lequel l'existence du fidèle devait tendre.
Leur rituel comprenait des lustrations et des ablu-
tions répétées, qui étaient censées effacer les
souillures de l'àme(
[
). Cette cathartique était con-

forme aux traditions mazdéennes aussi bien qu'en


harmonie avec les tendances générales de l'époque.
Cédant à ces tendances, les mithriastes poussèrent
même leurs principes à l'excès, et leur idéal de
perfection inclina vers l'ascétisme. Ils tenaient
pour louables l'abstinence de certains aliments et
une continence absolue ( 2 ).
La résistance à la sensualité était un des aspects
du combat contre principe du mal. Ce combat
le
contre tous les suppôts d'Ahriman, qui, sous des
formes multiples, disputaient aux dieux l'empire
du monde, les serviteurs de Mithra devaient le
soutenir sans relâche. Leur système dualiste était
particulièrement apte à favoriser l'effort individuel
et àdévelopper l'énergie humaine. Ils ne se per-
daient point, comme d'autres sectes, dans un
mysticisme contemplatif le bien résidait pour ;

eux dans l'action. Ils prisaient la force plus que la


douceur et préféraient le courage à la mansuétude.
De leur long commerce avec les cultes barbares,

(
1
) Cf. infra, ch. V, p. 161
(
Porphyre, De Abstin., IV, 16 Tertull., De praescript. haeret. 40.
2
)
;

La continence rigoureuse de l'empereur Julien, fidèle sectateur de


Mithra. est caractéristique. '— J'ai essayé de montrer avec plus de pré-
cision {Religions orientales, 2 e éd., p. 228 ss.) comment le dualisme
mithriaque servait de fondement à une morale très pure et très

efficace.
LA DOCTRINE DES MYSTÈRES 143

il était peut-être dans leur morale un même resté


fond de cruauté. Religion de soldats, le mithria-
cisme exaltait surtout les vertus militaires.
Dans
guerre que le zélateur de la piété mène
la
sans trêve contre la malignité des démons, il est
assisté par Mithra.Mithra est la divinité secourable
que l'on n'invoque
jamais en vain, le port assuré,
l'ancre de salut des mortels dans leurs tribula-
tions, le fort compagnon qui, dans les épreuves, sou-
tient leur fragilité ( ). Il est toujours, comme chez
I

les Perses, le défenseur de la vérité et de la justice,


le protecteur de la sainteté, et l'antagoniste le plus
redoutable des puissances infernales ( 2 ). Éternelle-
ment jeune etvigoureux; il les poursuit sans merci;
« toujours éveillé, toujours vigilant », on ne peut
3
le surprendre ( ), et de ces joutes continuelles il

sort perpétuellement vainqueur. C'est l'idée qui re-


vient sans cesse dans les inscriptions, qu'expriment
le surnom perse de Nabar^es (fig, 20) ( ), les épi-
4

thètes grecques et latines d'àviKirroç, invictus, insu-


perabilis^). Comme dieu des armées, Mithra faisait
triompher ses protégés de leurs adversaires bar-
bares, et de même, dans l'ordre moral, il leur
donnait la victoire sur les instincts pervers, inspi-
(
[
) Julien, l. c. : -rreîcrua kcù ôpuov àaqpa\f| (MiGpav). — Mithra socius
C. I.L.,VII, io3g ; cf. 111,3384. Mithra cornes : Carmen adv. paganos,
v. 49. Sol cornes, cf. supra, p. 99.
2
( )
Inscription de Tyane, M. M. M., t. II, p.gi.n 3 Qew biKOÛti) MiGpa. :

Mithra sanctus, C.I.L., VI 82, 737, (=30824), 3726 (=31044), etc.


(
3
)
luvenis incorruptus C.I.L.,XIV, 66; Indeprensibïlis deus XIV,
: :

64; cf. supra, p. 4.


4 Nabarzes, victorieux, cf. infra, p. 1S4.
( )
5
(
5
)
Insuperabilis, Rome, Eph. Ep.,lV, 866. Avixr|TOç;, Invictus est
ordinaire.
i
44 MYSTERES DE MITHRA

rés par l'Esprit de mensonge, et il assurait leur


salut dans ce monde et dans l'autre ( ).
!

Comme toutes les sectes orientales, les mystères


perses mêlaient à leurs fables cosmogoniques et à
leurs spéculations théolo-
giques des idées de déli-
vrance et de rédemption ( 2 ).
Ils croyaient à la survivance
consciente de l'essence di-
vine qui réside en nous ( 3 ),
aux châtiments et aux ré-
DEO 1 compenses d'outre-tombe.
ÎPROSALAMPL1AT! Les âmes, dont la multitude
,/G N mfinie P eu P lait les nabita "

VOKVMa
's

OMNIVM c ^ es ^ u Très-Haut, descen-


PROTAS-VIMR
EIVS
(!) Julien, l. c.\ cf. Mithra salutaris :

C.I.L..XIV 3568.
2
( )
Nous avons discuté en détail les
croyances eschatologiques des mith-
riastes, M. M. M., p. 36 ss.,cf.
t. I,

p. 3og. — Sur l'eschatologie exposée


dans un papyrus magique et que
FIG. 20. — DÉDICACE A MITHRA M. Dieterich a voulu attribuer aux
NABARZÈS (VICTORIEUX) mystères de Mithra, cf. infra, ch. V,
TROUVÉE A SARMIZÉGÉTUSA p. i53.
(MON. 138) 3 Firmicus Maternus, De err. prof,
( )

rel., c. 5, dans un passage mutilé,'


affirme que les sectateurs de Mithra divisaient l'âme en trois parties,
plaçant, à la suite de Platon, la première dans la tête, la seconde dans
le cœur, la troisième dans le foie cf. l'édition récente de Ziegler
;

(1907) p. XXXV et supra p 1 14, n. 3 Cette triple division était enseignée


. .

aussi suivant Hippolyte, Philos. V, 1 § 7, dans les "Aaoupiuuv xe\eTaî.


Il est probable dans ce cas que seule la partie la plus élevée, c'est-à-dire

la raison, devait obtenir l'immortalité cf. ma Théologie solaire, p. 17


;

[463] s.; p. 27 [473] s.; Rev. hist. et litt. relig., 1912, p. 536, n. 1.
LA DOCTRINE DES MYSTÈRES H^
daient ici-bas pour animer le corps de l'homme,
soit qu'une amère nécessité les obligeât à choir
dans ce monde matériel et corrompu, soit qu'elles
s'y fussent plongées de leur propre gré pour y
venir lutter contre les démons. Lorsqu'après la
mort, le génie de la corruption se saisissait du
cadavre, et que l'âme quittait sa prison humaine,
les dévas ténébreux et les envoyés célestes se dis-
putaient sa possession. Un
jugement décidait si
elle était digne de remonter au paradis. Lors-
qu'elle était souillée par une vie impure, les émis-
saires d'Ahriman l'entraînaient dans les abîmes
infernaux, où ils lui infligeaient mille tortures, ou
peut-être, comme marque de sa déchéance, était-
elle parfois condamnée à habiter les corps d'ani-
maux immondes (*). Si au contraire ses mérites
compensaient ses fautes, elle s'élevait vers les
régions supérieures. Les cieux étaient divisés en
sept sphères attribuées chacune à une planète.
Une sorte d'échelle, composée de huit portes
superposées, dont les sept premières étaient for-
mées de sept métaux différents, rappelait symbo-
liquement dans les temples l'itinéraire à suivre
pour parvenir jusqu'à la région suprême des
étoiles fixes ( ). En effet, pour passer d'un étage
2

au suivant, il fallait chaque fois franchir une porte


gardée par un ange d'Oromasdès. Seuls les mystes
(!) Métempsycose : Porphyre, De Abstin., IV, 16; cf. M. M. M., t. 1,

P- 40.
(
2
) Origène, Contra Cels., VI, 21 (p. 92 Koetschau). Sept portes sont
dessinées dans le pavement d'un mithréum à Ostie (mon. 84, fig. 77).
Cf. M. M. M., 1. 1, p. 118.
I46 MYSTÈRES DE MITHRA

auxquels on avait appris les formules appropriées,


savaient apaiser ces gardiens inexorables. A me-
sure que l'âme traversait ces diverses zones, elle
se dépouillait, comme de vêtements, des passions
et des facultés qu'elle avait reçues en s'abaissant
vers la terre elle abandonnait à la Lune son
:

énergie vitale et nourricière, à Mercure ses pen-


chants cupides, à Vénus ses désirs erotiques,
au Soleil ses capacités intellectuelles, à Mars
son ardeur guerrière, à Jupiter ses aspirations
ambitieuses, à Saturne ses inclinations pares-
seuses. Elle était nue, débarrassée de tout vice et
de toute sensibilité, lorsqu'elle pénétrait dans le
huitième ciel pour y jouir, essence sublime, dans
l'éternelle lumière où séjournaient les dieux, d'une
1
béatitude sans fin ( ).

C'était Mithra, protecteur de la vérité, qui pré-


sidait au jugement de l'âme après le décès, c'était
lui, le médiateur, qui servait de guide à ses fidèles
dans leur ascension redoutable vers l'empyrée, il
était le père céleste qui les accueillait dans sa
demeure brillante comme des enfants revenus
d'un lointain voyage ( 2 ).

1
( )
Cette doctrine mithriaque a été rapprochée d'autres croyances
analogues et étudiée en détail par M. Bousset, Die Himmelsreise der'
Seele (Archiv f. Religionswiss., t. IV), 1901, p. 160 ss.— Nous en avons
parlé.aussi dans nos Religions orientales, 2 e éd., pp. 187, 369, n. 64, 41D
n. 25.
2
( )
Julien, Caes., p. 33g C
Sur le soleil, dieu psychopompe, cf. Reli-
gions orientales, 2 e éd., p. 368, n. 63; Dussaud, Notes de mythol.
syrienne, p. 23 ss. — On a trouvé, en 1910, dans le second mithréum
de Stockstadt une statue de Mercure portant Bacchus enfant, avec une
dédicace D(eo) i(nvicto) M(ithrae) Mercurio [ou Me?'Curioq(ue)] et une
LA DOCTRINE DES MYSTÈRES 147

La félicité réservée à des monades quintessen-


ciées dans un monde spirituel était malaisée à
concevoir, et peut-être n'avait-elle qu'un médiocre
attrait pour les intelligences vulgaires. Une autre
croyance, qui s'ajoutait à la première par une
sorte de superfétation, leur offrait la perspective
de jouissances plus matérielles. La doctrine de
l'immortalité de l'àme était complétée par celle
de la résurrection de la chair ( ). 1

La lutte entre les Principes du bien et du mal


ne doit pas continuer à perpétuité; quand les
siècles assignés à sa durée seront révolus, des
fléaux envoyés par Ahriman présageront la fin du
monde ( 2 ). Un taureau merveilleux, analogue au

autre dédicace, mise au jour antérieurement à Apt (Vaucluse), est con-


sacrée Deo Mercurio Mithrae . que nous savons
Elles confirment ce
déjà par la grande inscription du Nemroud-Dagh, c'est-à-dire l'identifi-
cation de Mithra avec Hermès (M. M. M., t. I, p. 145), mais nous voyons
maintenant que cette assimilation n'est pas exceptionnelle, ni inspirée
seulement par des théories astrologiques (Bouché Leclercq, Astrol.
grecque, p. 100, n. 5, cf. p. 439). Mithra a été confondu avec Hermès
parce qu'il est le conducteur des âmes. —
On comprend que sur la statue
dont nous parlions, on lui ait adjoint Bacchus tenant une grappe de
raisin (cf. aussi Drexel, Kastell Stockstadt, 1910, p. 86, n° 14). Le
Das
jus de la vigne est en effet un breuvage d'immortalité (infra, p. i65 ;

M. M. M., t. I, p. 146). Le dieu qui le procure aux hommes, est rap-


proché de celui qui leur ouvre le chemin du ciel. Les monuments —
fournissent ainsi l'explication du texte « dicens (Mithram) esse deutn
comitem, Bacchique magistrum » (M. M. M., t. II, p. 5a), qu'on n'avait
pas compris jusqu'ici.
(!) Tertull., De praescr. haeret., 40 : «Mithra... imaginem resur-
rectionis inducit » ; cf. M M
. . M., t. I, p. 187 s.

(
2
) Plut., De Iside, 47 (cf. M. M. M.,
Les événements t. II, p. 35).
qui selon mazdéisme marqueront la fin du monde, sont racontés dans
le

le Boundahish (ch. XXX), et Windischmann (Zoroastrische Studien,

p. 23 1 s.) a montré l'antiquité de ce récit. La tradition reçue dans les


I4§ MYSTÈRES DE MITHRA

taureau primitif, apparaîtra alors de nouveau sur


la terre, et Mithra y redescendra et ressuscitera
les hommes. Tous sortiront de leurs tombeaux,
reprendront leur ancienne apparence et se recon-
naîtront. L'humanité entière se réunira dans une
grande assemblée, et le dieu de la vérité séparera
les bons d'avec les mauvais. Puis, sacrifice
suprême, il immolera le taureau divin, il mêlera
sa graisse au vin consacré, et offrira aux justes ce
breuvage miraculeux, qui leur donnera l'immor-
talité.Alors Jupiter-Oromasdès, cédant aux prières
des bienheureux, fera tomber du ciel un feu dévo-
rant, qui anéantira tous les méchants. La défaite
de l'esprit des ténèbres sera consommée dans la :

conflagration générale, Ahriman et ses démons


impurs périront, et l'univers rénové jouira éternel-
lement d'une félicité parfaite.
Nous qui n'avons point été touchés de la grâce,
nous pourrions être déconcertés par l'incohérence
et l'absurdité de ce corps de doctrines, tel qu'il
vient d'être reconstitué. Une théologie à la fois
naïve et artificielle y combinait des mythes primi-
tifs, dont la valeur naturaliste transparaît encore,

avec un système astrologique dont l'enchaînement


rationnel ne fait qu'accuser la fausseté radicale.
Toutes les impossibilités des vieilles fables poly-
théistes y subsistaient à côté de spéculations philo-
sophiques sur l'évolution de l'univers et de la
destinée de l'homme. La discordance entre la tra-

mystères paraît avoir été analogue, sauf la substitution de Mithra au


dieu Shaoshyant et certains rapprochements avec l'éKTrûpujffiç stoïcienne.
LA DOCTRINE DES MYSTÈRES H9
dition et la réflexion y est éclatante, et elle se
double d'une antinomie entre la doctrine du fata-
lisme et celle de l'efficacité de la prière et de la
nécessité du culte (
1
). Mais cette religion, pas plus
qu'aucune autre, ne peut être jugée d'après sa
vérité métaphysique. On aurait mauvaise grâce
aujourd'hui à vouloir disséquer ce cadavre refroidi
pour constater les vices intérieurs de son orga-
nisme. Ce qui importe, c'est de comprendre com-
ment le mithriacisme vécut et grandit, et pourquoi
il conquérir l'empire du monde.
faillit

Son succès
est dû. certainement pour une grande
part à la valeur de sa morale, qui favorisait émi-
nemment l'action. A une époque de relâchement
et de désarroi, les mystes ont trouvé dans ses pré-
ceptes un stimulant et un appui. La conviction
que le fidèle faisait partie d'une milice sacrée, char-
gée de soutenir avec le principe du bien la lutte
contre la puissance du mal, était singulièrement
propre à provoquer ses pieux efforts et à le trans-
former en un zélateur ardent.
Les mystères avaient encore une puissante
action sur le sentiment en offrant un aliment à
quelques-unes des aspirations les plus élevées de
l'homme le désir de l'immortalité et l'attente
:

d'une justice finale. Les espérances d'outre-tombe


que cette religion faisait concevoir aux initiés, ont
été l'un des secrets de sa puissance en ces temps

(
!
) Cf. Revue d'histoire et de litte'r. religieuses, nouv. série, t. III
U912) p. 526 ss.
i5o MYSTERES DE MITHRA

troublés où le souci de l'au-delà inquiétait tous


les esprits.
Mais plusieurs sectes ouvraient à leurs adeptes
des perspectives aussi consolantes sur la vie future.
La force d'attraction particulière du mithriacisme
résidait dans d'autres qualités encore de son sys-
tème doctrinal. Celui-ci satisfaisait à la fois l'in-
telligence des lettréscœur des simples.
et le
L'apothéose du Temps comme Cause première,
et celle du Soleil, sa manifestation sensible, qui
entretient sur la terre la chaleur et la vie, étaient
des conceptions hautement philosophiques. Le
culte rendu aux Planètes aux Constellations
et
dont le cours déterminait événements ter-
les
restres, aux quatre Eléments, dont les combinai-
sons infinies produisaient tous les phénomènes
naturels, se réduisait en somme à l'adoration des
principes ou agents reconnus par la science
antique, et la théologie des mystères n'était à cet
égard qu'une expression religieuse de la physique
et de l'astronomie romaines ( ). L

Cette conformité théorique des dogmes révélés


avec les idées acceptées des savants pouvait séduire
les esprits cultivés, mais elle n'avait guère de prise
sur l'ignorance des âmes populaires. Par contre,
celles-ci devaient subir fortement l'impression
d'une doctrine qui déifiait toute la réalité visible
et tangible. Les dieux étaient partout, et ils se
mêlaient à tous les actes de la vie quotidienne.

(') Cf. Religions orientales, 2 e éd., p. 47, ss., p. 263; Astrology


and religion, 1912, p. 110 s.
LA DOCTRINE DES MYSTÈRES l5l

Le feu qui cuisait les aliments des fidèles et les


réchauffait, l'eau qui les désaltérait et les purifiait,
l'air même qu'ils respiraient et le jour qui les éclai-
rait, étaient l'objet de leurs hommages. Peut-être
aucune religion n'a-t-elle, autant que le mithria-
cisme, donné à ses sectateurs des occasions de
prière et des motifs de vénération. Lorsque l'initié
se rendait le soir à la grotte sacrée, cachée dans la
solitude des forêts, à chaque pas des sensations
nouvelles éveillaient dans son cœur une émotion
mystique. Les étoiles qui brillaient au ciel, le
vent qui agitait le feuillage, la source ou le torrent
qui coulaient de la montagne, la terre même qu'il
foulait aux pieds, tout yeux, et la
était divin à ses
nature entière qui l'entourait, provoquait en lui
la crainte respectueuse des forces infinies agissant
dans l'univers.
CHAPITRE V

LA LITURGIE, LE CLERGÉ
ET LES FIDÈLES

Dans toutes les religions de l'antiquité classique,


il est un côté, autrefois très apparent, le plus im-
portant peut-être pourle commun des fidèles, qui
aujourd'hui nous échappe presque complètement,
Les mystères de Mithra ne font
c'est la liturgie.
pas exception à cette règle malheureuse. Les livres
sacrés qui comprenaient les prières récitées ou
chantées pendant les offices, le rituel des initia-
tions et le cérémonial des fêtes, ont disparu pres-
que sans laisser de traces ( 1 ). Un vers corrompu
emprunté à un hymne inconnu est à peu près tout ce
2
qui a subsisté de recueils autrefois très étendus ( ).

(') Cette affirmation serait fausse si l'on pouvait admettre avec Diete-
rich qu'un morceau mystique, inséré dans un papyrus magique de Paris,
est en réalité un fragment de liturgie mithriaque. A mon avis ce
morceau n'est ni liturgique ni mithriaque J'ai exposé les raisons de mon
.

scepticisme Revue de l'instruction publique en Belgique, t. XLVII


(1904), p. 1 ss., cf. Religions orientales, 2 e éd., p. 379. Je puis d'autant
mieux me dispenser de m'étendre sur cette question, que la controverse
provoquée par la thèse de Dieterich a été résumée par M. Wùnsch, dans
la 2 e édition de la Mithrasliturgie (1909), p. 227 ss. Nous nous rallions
volontiers à sa conclusion que « eher wir hier sicher zu urteilen vermô-
gen, muss die Geschichte des Synkretismus in Aegypten viel klarer
vor uns liegen ».
2 Firmic. Mat., Deerr.prof. rel., 5 Mûffra fiooK\oTrir|ç auv\é£te
( )
:

trarpàç orfauoû.
r54 MYSTÈRES DE MITHRA

Les vieux gâthas composés en l'honneur des dieux


mazdéens avaient été traduits en grec à l'époque
alexandrine (*), et le grec resta longtemps la langue
du culte mithriaque, même en Occident. Des
mots barbares incompréhensibles aux profanes se
mêlaient au texte sacré et augmentaient la véné-
ration pour cet antique formulaire et la confiance
en son efficacité ( 2 ). Telles l'épithète de Nabar\e
3
« victorieux » appliquée à Mithra ou les invo-
( ),

cations obscures Nama, Nama Sebesio, gravées


sur nos bas-reliefs et qu'on n'a point encore élu-
cidées (
4
). Un respect scrupuleux des pratiques
traditionnelles de leur secte caractérisait les mages
d'Asie Mineure 5
( ),
et il persista, non moins
vivace, chez leurs successeurs latins. A la fin du
paganisme, ceux-ci se faisaient encore gloire
d'honorer les dieux suivant les vieux rites per-
siques, que Zoroastre passait pour avoir insti-
tués. Ces rites différenciaient profondément leur
culte de tout ceux qui étaient exercés en même
que lui à Rome, et empêchèrent qu'on en oubliât
jamais l'origine iranienne ( 6 ).
(!) Cf. supra, p. 25.
(") Sur ces noms barbares, cf. Religions orient., p. 345, n. 66.
3
( )
Nabarze ou Navarze, C. I. L. VI, 742, III, 348 1, 7g38, etc. ;

cf. M. M. M,, t. II, p. 533. Le mot vient du persan nabarza « coura-


geux, victorieux ».
(
4
)
Nama, C I. L., VI, 731; Nama sebesio, VI, 719 = 3oi8g,
Nama cunctis, XIV, 3567. Sur les significations attribuées à ces mots,
cf. M. M. M . t. I, p. 3i 4 , n. 2.

(
5
)
Cf. supra, p. 23 s.

(
6
)
lirmic. Mat., De err. pr.rel., 5: «ritu persico»; cf.Claudien,Z>e
consul. Stilich., I, 60 ; Porphyre, De antro Nymph., 5. Les mystères
mithriaques sont souvent dits uepolKà uuorr]pia (Origène, Contra
LA LITURGIE, LE CLERGE ET LES FIDELES 155

Si une heureuse fortune nous rendait un jour


quelque missel mithriaque, nous pourrions y étu-
dier ces antiques usages et assister en esprit à la
célébration des offices. Privés, comme nous le
sommes, de ce guide indispensable, nous restons
exclus du sanctuaire, et nous ne connaissons la
discipline intérieure des mystèresque par quel-
ques indiscrétions. Un texte de saint Jérôme,
confirmé par une série d'inscriptions ( ), nous l

apprend qu'il y avait sept degrés d'initiation et


que le myste (^ùcrrriç, sacratus) prenait successive-
ment les noms de Corbeau (corax), Occulte (cry-
phius), Soldat (miles), Lion
Perse (Perses), (leo),

Courrier du Soleil (heliodromus) et Père (pater).

Celsutn, VI, 21; Proclus, Comment, in R. P. Platonis, II, 345, éd.


Kroll, etc.). — Un objet en apparence insignifiant qui a été découvert
récemment dans le mithréum de Stockstadt (Drexel, Das Kaslell Stock-
stadt, 1910, p. 93, n° 56), je veux parler des débris d'un mortier (cf.
aussi M. M. M., t. II, p. 517, mon. 2j3^ er s) nous fournit, je pense, une
preuve nouvelle de la persistance du vieux rituel perse. Plutarque, De
Isid.,33(M.M.M.,t. I, p. 34), décrivant un sacrifice des mages, les montre
« pilant la plante ôuujiui » dans un mortier, et le havana, le mortier à
piler le haonia, joue un grand rôle dans la liturgie mazdéenne Darme- 1

-steter, Zend Avesta, 1. 1, p. Lxni,pp.g8,i90 s., III, p. 145 ss. pass.). Il est

probable qu'en Germanie on écrasait le raisin au lieu du haoma; cf.


p. i63, n. 2. Dans le texte de Plutarque, Lagarde a corrigé ôuuuui en
uûiXu (le moly. sorte d'ail sauvage), et il en a conclu que les mages
•de Cappadoce avaient substitué au haoma cette plante de leur pays.
Mais ôuojui, donné par tous les bons mss., est probablement une forme
-altérée de «haoma», et la correction est à rejeter; cf. Loisy, Revue
d'hist. et litt. relig., 191 2, p. 363.
(') St Jérôme, Epist . ad Laetam, 107. J'ai réuni les témoignages des
inscriptions M. M. M., t. II, p. 535, Un aTpaTiuuTnç eùaej3r)ç est nommé
-dans une inscription d'Amasia; supra p. 26, n. 1. Peut-être d'autres
cf.

titres ont-ils été usités en Orient. Porphyre, De Abstin., IV, 16, parle
de deToi koù iépaxeç (aigles et faucons); cf. Dieterich, Bonner Jahrb.,
J902, pp. 37 et 35. Voyez aussi infra p. 1 83, n. 1.
i56 MYSTERES DE MITHRA

Ces qualifications étranges n'étaient pas de simples-


épithètes sans portée pratique. En certaines occa-
sions, les officiants revêtaient des déguisements
appropriés au titre qu'on leur décernait. Nous les
voyons, sur un bas-relief, porter des têtes pos-
tiches d'animaux, de soldat et de Perse (
1
). « Les
uns battent des ailes comme les oiseaux, imitant
la voix du corbeau, les autres rugissent à la façon
des lions, dit un chrétien du IV e siècle ( 2 ); voilà
comment ceux qui s'appellent sages, sont honteu-
sement bafoués. »
Ces mascarades sacrées, dont l'écrivain ecclé-
siastique fait ressortir le côté ridicule, étaient
interprétées par les théologiens païens comme une
allusion aux signes du zodiaque, ou bien à la
métempsycose (
:J

). De telles divergences d'inter-


prétation prouvent simplement que le véritable
sens de ces travestissements n'était plus compris.
Ils sont en réalité une survivance d'usages primi-
tifs qui ont laissé des traces dans de nombreux
cultes. On retrouve les titres d'Ours, de Bœufs,
de Poulains, d'autres encore, portés par les initiés
de divers mystères en Grèce et en Asie Mineure( 4 ).
Ils remontent jusqu'à cette période de l'histoire

ou de la préhistoire où l'on se représentait les


divinités elles-mêmes sous une forme animale, et
où le fidèle, en prenant le nom et l'aspect de son
(') Voyez p. 164, fig. 21. Cf. Porph., De Abstin., IX, 16.
2 Ps. Augustin, Quaest. vet. et novi Test., (M. M. M., t. II,,
( ) 114,

p. 8); cf. infra appendice 'textes nouveaux).


(
3
)
Porphyre, De Abstin., IV, 16.
(
4
)
M. M. M., t. I, p. 3i5, n. 6.
LA LITURGIE, LE CLERGE ET LES FIDELES lS7

dieu, croyait s'identifier avec lui. Le Kronos léon-


tocéphale, devenu une incarnation du Temps
(p. 107), a été substitué aux lions qu'adoraient les
précurseurs des mithriastes, et de même, les
masques de toile et de carton dont les mystes
romains se couvraient le visage, sont des succé-
danés des peaux de bêtes que leurs devanciers
barbares revêtaient à l'origine, soit parce qu'ils
croyaient entrer ainsi en communion avec les
idoles monstrueuses qu'ils servaient, soit que,
s'enveloppant dans les dépouilles de victimes
écorchées, ils attribuassent une vertu purificatrice
à cette tunique sanglante (*).
Aux de Corbeaux, de Lions, on
titres primitifs
en avait par la suite ajouté d'autres pour arriver
au chiffre sacré de sept. Les sept degrés d'initia-
tion par lesquels le myste devait passer pour
acquérir la sagesse et la pureté parfaites, répon-
daient aux sept sphères planétaires, que l'âme
avait à traverser pour parvenir au séjour des bien-
heureux ( 2 ). Après avoir été Corbeau, on était
promu au rang d'Occulte (Kpùqpioç). Les membres
de cette classe, cachés par quelque voile, restaient
probablement invisibles du reste de l'assistance :

les montrer (pstendere) constituait un acte solen-

(
Robertson Smith, Religion of tlie Sémites, 2 e éd., pp. 86 ss., 436 ss.
1
)

On beaucoup occupé durant ces dernières années de ces déguise-


s'est
ments en animaux à propos du totémisme; cf. p. ex. Salomon Reinach,
Cultes, Mythes et Religions I, p. 20 ss Achelis, Moderne Vôlkerkunde,
;

1896, p. 436 s.; Frazer, Totemism and exogamy, 1. 1, p. 26, III, pp. 275,
3i2, etc.
2 Cf supra,
( ) p. 145 s.
.

i58 MYSTERES DE MITHRA

nel (
l
). Le Soldat de la sainte
(miles) faisait partie
milice du dieu invincible, et combattait sous ses
ordres les puissances du mal ( 2 ). La dignité de
Perse rappelait l'origine première de la religion
mazdéenne; celui qui l'avait obtenue était censé
appartenir à la race qui seule autrefois était
admise aux cérémonies sacrées 3 ), et il revêtait (

pour celles-ci le costume oriental et coiffait le


bonnet phrygien que l'on prêtait aussi à Mithra.
Celui-ci étant identifié au Soleil, ses serviteurs se
pareront de l'épithète de Courriers d'Hélios
('HXiobpô^oi) 4 Enfin les « Pères » ont été empruntés
) .
(

aux thiases grecs, où cette appellation honorifique


est fréquente pour désigner les directeurs de la
communauté 5 ). (

Dans cette septuple division des fidèles, on éta-


blissait encore certaines distinctions. On peut
6
conclure d'un passage de Porphyre ( ), que la col-
lation des trois premiers grades. n'autorisait pas
la participation aux mystères. Ces initiés, compa-
rables aux catéchumènes chrétiens, étaient les
Servants (ùirripeToûvreç). H suffisait pour entrer
(!) Ostenderunt cryfios, C. I. L.,VI, 701a.
(
2
i Cf.Harnack, Militia Christi, igo5, et Relig. orient ,Introd. p. XIV
ss. Reitzenstein, Hellenistische Mysterienreligionen, 1910, p. 66.
;

3
( )
Dieterich, Mithrasliturgie'*, p. i5i. « Der Name TTépaai muss der
Rest sein einer Anschauung innerhalb des ursprûng'lichen Mithras-
dienstes persischer Kultgenossen, die den eingeweihten Fremdling zum
Perser werden liess, wie die Juden ihre Proselyten Juden werden
hiessen ».
(
4
)
Cf. Dieterich, ibid et mon Catalogue des monum. lapid. du Cin-
quantenaire, 2 e édit. (igi3), n° i36.
5 Cf. Dieterich, l. c, p. 146 s.
( )

(
6
)
Porphyre, De Abstinentia, IV, i6.
LA LITURGIE, LE CLERGÉ ET LES FIDÈLES l5g

dans cet ordre d'avoir été admis parmi les Cor-


beaux, ainsi nommés sans doute parce que la
mythologie fait du corbeau le serviteur du Soleil^).
Seuls les mystes qui avaient reçu les Léon-
tiques devenaient Participants (neTéxovTeç), et c'est
pour ce motif que le grade de leo est mentionné
dans les inscriptions plus fréquemment que tout
autre. Enfin, au sommet de la hiérarchie étaient
placés les Pères, qui paraissent avoir présidé aux
cérémonies sacrées (pater sacrorum) et commandé
aux autres catégories de fidèles. Le chef des Pères
eux-mêmes portait le nom de Pater Patrum ( 2 ),
qu'on transforma parfois en celui de Pater patra-
3
tus ( ), pour introduire un titre sacerdotal officiel
dans une secte naturalisée romaine. Ces grands-
maîtres des adeptes conservaient jusqu'à leur mort
la direction générale du culte. Peut-être étaient-ils
placés à la tête de toutes les communautés d'une
cité. Le respect et l'amour qu'on devait éprouver
pour ces dignitaires vénérables sont marqués par
leur nom de « Père », et les mystes placés sous
leur autorité s'appelaient entre eux « Frères »,
parce que les co-initiés (consacranei) devaient se
chérir d'une affection mutuelle ( 4 ).

(!) Cf. supra, p. i36.


(*) C I. L.,VI, 749 ss.;XIV, 4 o3 ; XIII, 2906, etc. Cf. M. M. M., \. II,

p. 535.
(
3
)
C I. L.,V 5795, cf. cependant II, 5728.

(
4
)
C I. L., VI, 727; III, 3384, 3 4 i5, 3959, etc. Cf., infra, p. 201, n. 3.
Abe\cpôç était employé aussi dans les communautés judéo-païennes du
3

Théos Hypsistos (Schûrer, Sitçb. Akad. Berlin, XIII, (1897), p. 207,


[8]; Bull. corr. hell, XIII, p. 304, n° 7; cf., Dieterich, Mithrasli-
turgie-, 1909, p. 149.
i6o MYSTERES DE MITHRA

L'admission (acceptio) aux grades inférieurs


pouvait être accordée même à des enfants ( ). 1

Nous ne savons pas si l'on était obligé de demeurer


dans chacun de ces grades un temps déterminé.
Les Pères décidaient probablement quand le no-
vice était suffisamment préparé à recevoir l'initia-
tion supérieure, qu'ils conféraient en personne
2
(tradere) ( ).

Cette cérémonie d'initiation paraît avoir porté


le nom sacrement » (sacramentum) ( 3 ),
de «

à cause du serment imposé au néophyte et


qu'on rapprochait de celui que prêtait" le conscrit
enrôlé .dans l'armée. Le candidat s'engageait
avant tout à ne pas divulguer les doctrines et les
rites qui lui seraient révélés, mais on exigeait en-
core de lui d'autres vœux plus spéciaux. C'est
ainsi que le myste qui aspirait au titre de miles,
se voyait présenter sur une épée une couronne. Il
la repoussait de la main et la faisait passer sur
son épaule en disant que Mithra était sa seule
couronne ( 4 ). Désormais il n'en portait plus jamais,

(') C. I.L..VI, 75i6.


2 C. I.L., VI, 749 ss.
( )

(
3
)
De corona, i5 cf. Adv.Marcionem, I, i3. Apulée, Meta-
Tertull., ;

morph., XI, i5, fait dire de même par le prêtre d'Isis au néophyte :

« Da nornen sanctae huic militiae cuius non olim sacramento etiam ro-
gaberis ». Cf. sur l'emploi de sacramentum dans les mystères, Reitzen-
stein, Die hellenistischen Mysterienreligionen, 1910, p. 66 s.
4
( )
Tertullien, l. c. « Dicens Mithram esse coronam suam". C'est cer-
:

tainement là une phrase rituelle. La même métaphore se retrouve p. ex.


dans les « Odes de Salomon » récemment retrouvées (Harnack, Ein
jiïdisch-christliches Psalmbuch aus dem ersten Jahrhundert, Leipsig,
igio),I 1 « Der Herr ist auf meinem Haupte wie ein Kranz und nicht
:

werde ich von ihm weichen » 17, 1 « Ich bin gekront von meinem Gott,
; :
LA LITURGIE, LE CLERGÉ ET LES FIDÈLES l6l

ni dans les festins, ni même, si on lui en décer-


nait une comme récompense militaire, et il répon-
dait à celui qui la lui offrait : « Elle appartient à
mon dieu », c'est-à-dire au dieu invincible (*).

Nous connaissons aussi mal la liturgie des sept


sacrements mithriaques que les instructions dog-
matiques dont chacun d'eux était accompagné.
Nous savons cependant que, conformément aux
vieux rites iraniens, on prescrivait aux néophytes
des ablutions multipliées, sorte de baptême destiné
à laver les souillures morales ( 2 ). De même que
chez certains gnostiques, la lustration avait sans
doute des effets différents à chaque degré de l'ini-
tiation, et elle pouvait consister, suivant les cas,
soit en une simple aspersion d'eau bénite, soit en
une véritable bain, comme dans le culte d'Isis.
Tertullien rapproche aussi la confirmation de
ses coreligionnaires de la cérémonie où l'on
« signait au front le soldat ( 3 ) ». Il semble cepen-
dant que le signe ou sceau qu'on apposait, n'était
pas, comme dans la liturgie chrétienne, une
onction, mais une marque gravée au fer ardent (*),
mein lebendiger Kranz ist er»; 5, i : « Wie eine Krone ist der Herr
auf meinem Haupte » .

r Tertull., De corona, i5; cf. De praescr. haeret, 40.


( )

(
2
)
Tertull., De praescr.Expiationem delictorum de
haeret, 40 : «
lavacro repromittit » De Baptisnio, 5.
; Une fontaine coulait dans les —
temples cf. supra p. n5. On y a aussi retrouvé des sortes de béni-
;

tiers; cf. M. M. M., t. I, pp. 63 et 67.


(
3
)
Tertull., De praescr. haeret., 40 « Mithra : signât in frontibus mi-
lites suos. »

(
Grég. Naz., Adv. lui., I, 70: KCtûaetç uuaTitcdç; cf. Anrich.,
4
)

Das antike Mysterienwesen, p. 123, n. 4; Walter Dennison, Amer,


jour, of Archaeol., IX, (1905), p. 37, a réuni de nombreux exemples de
IÔ2 MYSTÈRES DE MITHRA

semblable à celle qu'on appliquait dans l'armée


aux recrues avant de les admettre au serment.
L'empreinte indélébile perpétuait le souvenir de
l'acte solennel par lequel le profès s'était engagé au
service de son dieu dans cette espèce d'ordre de
chevalerie qu'était le mithriacisme (*). Lors de la
réception parmi les Lions, c'étaient de nouvelles
purifications, mais cet animal étant l'emblème du
principe igné (p. 116), on renonçait à se servir de
l'eau, l'élément hostile au feu, et c'était du miel
que, pour le préserver de toute tache et de tout
péché, on versait sur les mains et dont on endui-
sait la langue de l'initié ( ), comme on avait cou-
2

tume de le faire aux nouveau-nés. C'était du miel


encore qui était présenté au Perse, à cause de sa
vertu préservative, nous dit Porphyre ( ) et l'on
:j

paraît avoir attaché, en effet, des propriétés mer-


veilleuses à cette substance, qu'on croyait produite
sous l'influence de la Lune. Selon les idées
antiques, elle était l'aliment des bienheureux et
son absorption par le néophyte faisait de lui l'égal
de la divinité ( 4 ).
ces tatouages religieux; cf. aussi Bousset, Hauptprobleme der Gnosis,
p. 286 ss.; Perdrizet, Revue des études anciennes, t. XII, (1910), p.236ss.,
et Dôlger, Sphragis, 1911, p. 44 ss.
(!) Cf. supra, p. 110, n. 4.

(
Porphyre, Deantr. Nymph. î5. M. Allard {Julien l'A postât, 1. 11,
2
)
,

p. a remarqué qu'après son apostasie Julien purifia ainsi ses


220),
mains, qui avaient touché le pain consacré dans la communion (Grég.
Nazianze, Or., IV, 52, ràç X 6 ÎP a Ç àcpcrfviZieTai) cf. infra,-p. 2i3, n. 3.
: ;

3
( )
Porph., De antro Nymph., c. i5 (M. M. M., t. II, p. 40).
4
( )
L'usage liturgique du miel a été élucidé récemment par Usener,
Milch und Honig (Hermès, LVII), 1902, p, 177 s. Cf. aussi l'inscription
Dessau, Inscr. sel., 4343, et M. M. M., t. I, p. 32o n. 4.
LA LITURGIE, LE CLERGÉ ET LES FIDÈLES l63

Dans l'office mazdéen, le célébrant consacrait


des pains et de l'eau qu'il mêlait au jus capiteux
du Haoma préparé par lui, et il consommait ces
aliments au cours de son sacrifice ( ). Ces antiques ]

usages s'étaient conservés dans les initiations


mithriaques seulement au Haoma, plante incon-
;

nue en Occident, on avait substitué le jus de la


vigne ( 2 ) On plaçait devant le myste un pain et
une coupe remplie d'eau, sur laquelle le prêtre
prononçait les formules sacrées. Cette oblation
du pain et de l'eau, à laquelle on mêlait sans
doute ensuite du vin, est comparée par les apolo-
gistes à la communion chrétienne ( 3 ). Comme celle-
ci, elle n'était accordée qu'après un long noviciat.
Il est probable que seuls les initiés qui avaient
atteint le grade de « Lions » y étaient admis, et
que c'est le motif qui leur faisait donner le nom
de « Participants » ( 4 ). Un curieux bas-relief, de
Dalmatie nous met sous les yeux ce repas sacré
(fig. 21) Devant deux personnages, étendus sur
:

une couche garnie de coussins, est placé un trépied


portant quatre petits pains, marqués chacun de
deux raies en croix pour pouvoir être rompus ( 5 ).
Autour d'eux, sont groupés les initiés des diffé-
(!) Darmesteter, Zend Avesta,t. I Intr.,pp. lxv, lxxvi, lxxviii et
pass.
(
2
)
M M
. . M., I, p. 146 ss. , cf supra, p. 146, n. 2; p. 154, n. 6.

(
3
)
Justin, Afiol., 166; Tertull., De Praescr. haeret., 40 : « Célébrât
(Mithra) panis oblationem ».
4 supra
( ) Cf. p. i5g.

(
5Bousset, Hauptprobleme der Gnosis, p. 307, n. 1. On rom-
)
Cf.
pait déjà les pains (draona) en Perse; cf. Darmesteter, Zend Avesta,
t- I, p. 77-
164 MYSTÈRES DE MITHRA

ni £

CJ
LA LITURGIE, LE CLERGE ET LES FIDELES 165

rents grades, et l'un d'eux, le Perse, leur présente


une corne à qu'un second rhyton est
boire, tandis
tenu à la main par l'un des convives. Ces agapes
sont évidemment la commémoration rituelle du
festinque Mithra avait célébré avec Sol avant son
ascension^). On attendait de ce banquet mystique,
surtout de l'absorption du vin consacré, des effets
surnaturels la liqueur enivrante ne donnait pas
:

seulement la vigueur du corps et la prospérité


matérielle, mais la sagesse de l'esprit; elle com-
muniquait au néophyte la force de combattre les
esprits malfaisants, bien plus, elle lui conférait,
comme à son dieu, une immortalité glorieuse (
2
).

Par mystérieuse des aliments divins, le


la vertu
fidèle était élevé au-dessus de la condition hu-
maine et assuré de prolonger au delà du terme
fatal de la mort une vie bienheureuse Q.
La collation des sacrements était accompagnée,
ou plutôt précédée d'autres rites d'un caractère
différent : c'étaient de véritables épreuves impo-
sées au candidat. Celui-ci, pour recevoir les ablu-
tions liturgiques et les mets sacrés, ne devait pas
s'y préparer seulement par une abstinence pro-

(!) Cf. supra, p. i3g. —


Sur les repas liturgiques dans les mystères,
cf. Religions orientales, 2 e éd., pp. 64, 326 n. 33, etc.
(
2
)
les vertus que les mazdéens attribuaient au Haoma
Ce sont cf. ;

Avesta, Yasna, IX, 16 (48) ss. (I, p. 90 ss., Darmesteter) Spiegel, ;

Eranische Altert., II, p. n5. Comparer Anrich, Mysterienwesen,


p. 181; Clemen, Religionsgesch Erklàrung des Neuen Testaments,
.

190g, p. 199 ss.


(
3
) C'est à cause de ces effets attendus du repas sacré que celui-ci est
représenté sur une curieuse stèle funéraire de Csâkvâr, conservée au
musée de Budapest (infra appendice). Cf., supra p. 154, n. 6 ; p . 179, n.3.
. . (

l66 MYSTÈRES DE MITHRA

longée et des austérités nombreuses; il jouait le


rôle de patient dans certaines expiations drama-
tiques, d'un caractère étrange, dont nous ne con-
naissons ni le nombre, ni la succession. Si l'on
peut en croire un écrivain chrétien du IV e siècle ), J

on bandait les yeux du néophyte, on lui attachait


les mains avec des boyaux de poulets, puis on le
faisait sauter par-dessus une fosse remplie d'eau ;

ensuite un « libérateur » s'approchait avec un


glaive et coupait ces liens dégoûtants. En d'autres
circonstances, le myste terrifié prenait part, sinon
comme acteur, du moins comme spectacteur, à un
meurtre simulé, qui à l'origine avait sans doute
). On finit par se contenter de produire
2
été réel (

une épée teinte du sang d'un homme qui avait


péri de mort violente 3 ). La cruauté de ces céré- (

monies, qui parmi les tribus guerrières du Taurus


avaient dû être de sauvages orgies, s'était atténuée
au contact de la civilisation occidentale. Elles
étaient certainement devenues plus effrayantes
que redoutables, et l'on y éprouvait le courage
moral de l'initié plutôt que son endurance phy-
sique. L'idéal qu'il devait atteindre était l'apa-
thie stoïcienne, l'absence de toute émotion
4
sensitive ( ). Les tortures atroces, les macérations

(!) Ps. August., Quaest. vet. et novi Testam., CXIV, n (p. 3o8,
Souter)
(
2
)
Lampride, V. Commodi, c. 9; cf. M. M. M., t. I, p. 69.

(
3
)
Zacharie le Scholastique, Vie de Sévère d'Antioche, éd. Kugener,
Paris, 1903, p. 42; cf., M. M. M., t. I, p. 36i.
f
4
) Nonnus Mythogr., c. 47, (M. M. M., t. II, p. 27, fr. b) : beiSeiev
aÛTÔv ôaiov kcù àucxBfi
LA LITURGIE, LE CLERGÉ ET LES FIDÈLES l<^1

impraticables auxquelles des auteurs trop crédules


ou trop inventifs condamnent les adeptes des
mystères doivent être reléguées au rang des
(*),

fables, bien que les prétendus sacrifices


aussi
humains qui auraient été perpétrés dans l'ombre
2
des cryptes sacrées" ( ).

Toutefois ne faudrait pas supposer que le


il

mithriacisme ne mît en œuvre que la fantasma-


gorie bénigne d'une sorte de franc-maçonnerie
antique. Il subsista toujours dans ses drames
liturgiques des vestiges de leur barbarie originelle,
du temps où dans les bois, au fond d'un antre
ténébreux, des corybantes enveloppés de peaux
de bêtes aspergeaient les autels de leur sang.
Dans les villes romaines les cavernes perdues dans
les montagnes furent remplacées par des souter-
rains voûtés (spelaea) d'un aspect beaucoup moins
impressionnant (fig. 22) ( 3 ). Mais même dans ces
grottes artificielles, les scènes d'initiation devaient
produire sur le néophyte une sensation profonde
Lorsqu'après avoir traversé le parvis du temple,
il descendait les degrés de la crypte, il apercevait

devant lui, dans le sanctuaire brillamment décoré


et illuminé, l'image vénérée du Mithra tauroctone
dressée dans l'abside, puis les statues monstrueuses
du Kronos léontocéphale, surchargées d'attributs,
et des symboles mystiques dont l'intelligence lui

(!) Grégoire de Nazianze, Or., IV, c. 70 (P. G., XXXV, p. 592)


Nonnus Mythogr., c. I.

(2) M. M. M., t. I, p. 69 ss.


3 Cf. infra, p. 177 s.
( )
i68 MYSTERES DE MITHRA
LA LITURGIE, LE CLERGÉ EN LES FIDÈLES l6g

était encore fermée. Des deux côtés, les assistants


agenouillés ou prosternés sur des bancs de pierre
priaient et se recueillaient dans la pénombre.
Des lampes, rangées autour du chœur, jetaient une
clarté plus vive sur les images des dieux et sur
les officiants, qui, revêtus de costumes étranges,
accueillaient le nouveau converti. Des jeux de
lumière inattendus, habilement ménagés, frap-
paient ses yeux et son esprit ( ). L'émoi sacré 1

dont il était saisi, prêtait à des simulacres en


réalité puérils des apparences formidables les ;

vains prestiges qu'on lui opposait, lui semblaient


des dangers sérieux dont son courage triomphait.
Le breuvage fermenté qu'il absorbait, surexcitait
ses sens et troublait sa raison ; il murmurait les
formules opérantes, et elles évoquaient devant son
imagination égarée des apparitions divines ( 2 ).
Dans son extase, il se croyait transporté hors
des limites du monde, et, sorti de son ravissement,
il répétait, comme le myste d'Apulée ( 3 ) « J'ai :

abordé les limites du trépas, j'ai foulé le seuil de


Proserpine, et, porté à travers tous les éléments,
je suis revenu sur la terre; au milieu de la nuit,
j'ai vu le soleil étincelant d'une pure lumière ;

j'ai approché les dieux inférieurs et les dieux

supérieurs, et je les ai adorés face à face. »


La tradition de tout ce cérémonial occulte était
(i) M. M. M.,
t. I, p. 81. Sur cette thaumaturgie, cf. aussi Ps. August.,

Quaest novi Test. CXIII, 26 (p. 3i5, 10, Souter) « In speleo ubi
vet. et , :

aliud est quam cernitur, opérante illecebrosa fallacia. »


2 Grégoire de Nazianze, Or. IV, 55.
( )
3
( )
Apulée, Metam., XI, 23 fin, à propos des mystes d'Isis.
17° MYSTÈRES DE MITHRA

soigneusement conservée par un clergé instruit


dans la science divine et distinct de toutes les caté-
gories d'initiés. Ses premiers fondateurs avaient cer-
tainement été des mages orientaux (*), mais nous
ignorons presque entièrement de quelle façon il
se recruta et s'organisa plus tard. Etait-il hérédi-
taire, nommé à vie ou choisi pour un terme fixé ?

Dans ce dernier cas, qui avait le droit de l'élire,


et quelles conditions les candidats devaient-ils
remplir ? Aucun de ces points n'est suffisamment
élucidé. Nous constatons seulement que le prêtre,
qui porte indifféremment, semble-t-il, le titre de
sacerdos ou celui à'antistes, fait souvent, mais non
toujours, partie des « Pères » (
2
). On trouvait un
desservant et parfois plusieurs dans chaque
temple. On a tout lieu de croire que dans cet
3
« ordre sacerdotal une certaine hiérarchie
( ) »,

s'était établie. Mais nous ne possédons aucune


indication spéciale sur une organisation qui a
peut-être été aussi solidement constituée que celle
des mages dans le royaume sassanide ou des
manichéens dans l'empire romain 4 ). (

(') Cf. supra, p. 154.

(
La série des inscriptions où des prêtres sont nommés, est réunie
2
)

M. M. M., t. II, pp. 535 s.; cf. Cagnat, Année épigr., igo3, n° 6.
3
( )
Ordo t-acerdotum: C I. L., VI, 2i5i.
4
( )
Un texte de Tertullien (De praescriptione haeret.,<\6) Quid ! quod :

et summum pontificem in unius nuftiis statuit ? Habet et virgines,


habet et continentes) nous avait conduit à admettre l'existence d'une
sorte de monachisme mithriaque, ce qui eût été d'autant plus remar-
quable que le mérite attaché au célibat est contraire à l'esprit du zoroas-
trisme. Mais M. Adhémar d'Alès, en rapprochant d'autres passages de
l'apologiste, a montré (Revue pratique d'apologétique, III, 1907, p. 52o),
qu'il parlede sacerdoces romains (flamen dialis, vestales) et non de
Mithra. Le sujet de la phrase est diabohts, non Mithra.
LA LITURGIE, LE CLERGÉ ET LES FIDÈLES I7 1

Le rôle du clergé était certainement plus con-


sidérable que dans les anciens cultes grecs et
romains. Le prêtre était l'intermédiaire obligé
entre les hommes et la divinité. Ses fonctions
comportaient évidemment l'administration des
sacrements et la célébration des offices. Les ins-
criptions nous apprennent en outre qu'il présidait
aux dédicaces solennelles, ou même y représentait
le fidèle concurremment avec les Pères ( ); mais ce
l

n'était là que la moindre partie du ministère qu'il


avait à exercer. Le service religieux qui lui incom-
bait, paraît avoir été fort absorbant. Il devait sans
doute qu'un feu perpétuel brûlât sur
veiller à ce
2
les autels ( ). Trois fois par jour, à l'aurore, à midi
et au crépuscule, il adressait une prière au Soleil,
en se tournant le matin vers le Levant, à midi,
vers le Sud, le soir vers le Couchant ( 3 ). La litur-
gie quotidienne se compliquait fréquemment de
sacrifices spéciaux. Le célébrant, habillé de vête-
ments sacerdotaux imités de ceux des mages ( 4 ),
immolait aux dieux supérieurs et infernaux des
victimes diverses, dont le sang était recueilli dans
une fosse ( 5 ), ou bien il leur faisait des libations

(*) Inscriptions réunies M. M. M., t. II, p. 536, col. a et col. b -.prose-

denté pâtre ou prosedente sacerdote.


2
( )
Sur le « feu inextinguible » des mages, cf. supra, pp. 23 et 114. —
Feu allumé pour rendre un culte aux astres et spécialement au Soleil :

Porphyre, De Abstin., II, 36.


(
3 M. M. M., t. I, p. 128, s. cf. Pseudo Apul., Asclep., c. 41.
)
;

4 Cf. supra, p. 24.


( )

(
5
)
Les ossements d'un grand nombre d'animaux immolés ont été
retrouvés dans les mithréums ; cf. M. M. M., t. I, p. 68 ss.; p. 63, n. 3:
p. 227, n. 9.
172 MYSTÈRES DE MITHJRA

en tenant à la main le faisceau sacré, que nous


connaissons par l'Avesta ( ). Ces offrandes non san- x

glantes étaient faites sans doute en l'honneur des


divinités célestes, tandis que les sacrifices d'êtres
animés ou du moins ceux de bêtes sauvages étaient
2
réservés aux démons ). C'est le caractère dis-
(

tinctif de cette liturgie dualiste que le culte ren-


3
dait aux esprits infernaux ). (

De longues psalmodies, des chants accompagnés


de musique, se mêlaient aux actes rituels ( 4 ). Un
moment solennel de l'office, moment marqué sans
doute par une sonnerie de clochettes ( 5 ), était celui
où l'on découvrait aux initiés l'image jusque-là
voilée du Mithra tauroctone. Dans certains tem-
ples, la plaque sculptée tournait sur elle-même,
comme nos tabernacles, et permettait de cacher
et d'exposer tour à tour les représentations qui
ornaient ses deux faces (
,j

).

(!) On a retrouvé des vases destinés aux libations; cf. M. M. M., I,.

p. 63.
— Sur l'emploi probable du faisceau sacré (baresman), cf. supra, p. 23.
(
2
)
C'est ce qui paraît ressortir d'un passage de Porphyre, De Abstin. r
II, Religions orientales, 2 e éd., p. 38g.
36; cf. Les bêtes sauvages, —
(sangliers, renards,loups), dont les ossements ont été recueillis, ne
peuvent guère avoir été sacrifiés qu'aux esprits du mal (M. M. M., t. I,
p. 69).

(
3
)
On a des dédicaces à Ahriman ; cf. M. M. M., t. I, p. i3g et
Loisy, Revue d'hist. et de litt. religieuses, 1912, p. 3g3.

(
4
)
Lucien, Necyom., c. 6. Cf. Catulle 90, 5 (Magus) Navos ut
:

accepto veneretur carminé divos, omentum in flamma fiingue lique-


faciens. — Sur les hymnes, cf. stipra, p. i53.
(
M. M. M., t. I, p. 68.
5
)

Sur un relief d'argent, trouvé à Stock-
stadt, une cloche est suspendue à la voûte du mithréum (Drexel,
Kastell Stockstadt, p. 94).
(
6
)
Bas-relief de Heddernheim (mon. 25i); de Castello di Tuenno
(mon. 114); de Konjica (cf. appendice), de Stockstadt (Drexel, op. cit
p. 82).
LA LITURGIE, LE CLERGÉ ET LES FIDÈLES 17^

Chaque jour de la semaine, la Planète à laquelle


il était consacré, était invoquée à une place déter-
minée de la crypte, et le dimanche, auquel prési-
particulièrement sanctifié ( ).
dait le Soleil, était !

Peut-être invoquait-on de même chacun des signes


du Zodiaque pendant le mois qui lui était sou-
mis 2 ). De plus, le calendrier liturgique solen-
(

nisait certaines dates par des fêtes sur lesquelles


nous sommes malheureusement fort mal rensei-
gnés. Peut-être le seizième jour, milieu du mois,
continuait-il, comme en Perse, à avoir Mithra
pour patron ( 3 ). Par contre, on n'entend jamais
parler en Occident de la célébration des Mithra-
kana, qui étaient si populaires en Asie ( 4 ). Ils
avaient sans doute été transportés au 25 décembre,
•car une coutume très générale voulait que la
renaissance du Soleil (Natalis mvicti), qui à partir
du solstice d'hiver recommençait à croître, fût
marquée par des réjouissances sacrées 5 ). Nous (

avons certaines raisons de croire que les équinoxes


étaient aussi des jours fériés, où l'on inaugurait

(!) M. M. M., t. I, p. 63, n. 8,; p. 118 ss.; cf. Dieterich, Bonner Jahr-

bùcher, CVIII (1902), p. 36 ss. —


Nous avons conservé les prières aux
planètes des Sabéens de Harran en arabe (cf. De Goeje, Nouveaux docu-
ments pour l'étude de la religion des Harraniens (Mém. du Congrès
des orientalistes de Leide) et en traduction latine (Fritz Saxl, Der
Islam, III. 1902, p. i57ss). On possède aussi des prières grecques aux
planètes (Reitzenstein, Poimandres, p. 187; Catalogus codd. astrol.,
VII, p. 4; Heeg, Die angebl. Orphischen v EpY<x koù f|uépca, 1907, p. 32).

( )
2 Cf. Commodien, Instr., I, 7,v. i5 ss.
3 Cf. supra, p. 9, p. 129.
( )

4 Cf. supra, p. 9 s.
( )
5 Cf. infra, ch. VI, p. 207.
{ )
174 MYSTERES DE MITHRA

par quelque salutation retour des Saisons divi- le

nisées. Les initiations avaient lieu de préférence


vers le début du printemps, en mars ou en avril (
1

),

à peu près à l'époque pascale où les chrétiens


admettaient pareillement les catéchumènes au
baptême. Mais sur les rites de toutes ces solen-
nités, comme en général sur tout ce qui se rattache
à l'héortologie des mystères, notre ignorance est
presque absolue.
Les communautés mithriaques n'étaient pas
seulement des confréries unies par un lien spiri-
tuel, c'étaient aussi des associations possédant une
existence juridique et jouissant du droit de pro-
priété ( 2 ). Pour gérer leurs affaires et prendre soin
de leurs intérêts temporels, elles élisaient des
fonctionnaires, qu'il ne faut confondre ni avec les
initiés, ni avec les prêtres. Les titres portés dans
les inscriptions par les membres de ces conseils
de fabrique, nous prouvent que l'organisation des
collèges d'adorateurs de Mithra ne différait pas
de celle des autres sodalicia religieux, qui était
calquée sur la constitution des municipes ou des
bourgs. Ces corporations dressaient une liste offi-
cielle de leurs affiliés, un album sacratorum ( 3 ), où
ceux-ci étaient rangés suivant l'importance de leur
dignité. Elles avaient à leur tête un conseil de
décurions ( 4 ), comité directeur désigné sans doute

(!) C. I. L., VI, 749 ss.


2 Cf. supra, p. 86.
( )

(
3
)
C I. L., XIV, 286, cf. XI, 5737 = Dessau, Inscr. sel., 4 2i5.
4 Décurions C. L., VI, 717; III, 1154 (cf.
( )
: I. 1095), 7728.
.

LA LITURGIE, LE CLERGÉ ET LES FIDÈLES 17^

dans une assemblée générale, sorte de sénat en


miniature dont les dix premiers (decem primi) ( ) l

possédaient, comme dans les cités, des privilèges


spéciaux. Elles avaient leurs maîtres (magistri)
ou présidents élus annuellement ( 2 ), leurs curateurs
(curatores), auxquels incombaient des attributions
financières ( 3 ), leurs défenseurs (defensores) ( 4 ),
chargés de servir leur cause devant la justice ou
auprès des administrations publiques, enfin des
patrons (patroni) ( 5 ), personnages considérables,
dont elles attendaient non seulement une protec-
tion efficace mais aussi des secours pécuniaires
qui leur permissent d'équilibrer leur budget.
Comme l'Etat ne leur accordait point de dota-
tion, leur aisance dépendait exclusivement de la
générosité privée. Les contributions volontaires,
revenus réguliers du collège, couvraient difficile-

ment les frais du culte, et la moindre dépense


extraordinaire était pour la caisse sociale une
lourde charge. Ces corporations de petites gens
ne pouvaient songer à construire avec leurs res-
sources modiques des temples somptueux. D'or-
dinaire elles obtenaient de quelque propriétaire
favorablement disposé un terrain où elles pussent
élever ou plutôt creuser leur chapelle ( 6 ), et un

(i) C. I. L., VI, 86.


(2) C. I, L., VI, 86, 556, 717, 2i5i
3 C. I. L., VI, 10232.
( )

(*) C. I. L., VI, 47.


(5) C. I. L., XI, 5737.
6
( )
La plupart des mithréums ont été construits insoloprivato(C.l.~L.,
XI, 5753). Ainsi le mithréum d'Osterburken :Mercatorius Castrensis in
176 MYSTÈRES DE MITHRA

autre bienfaiteur faisait les frais de la construc-


tion (
1
). Parfois un riche bourgeois mettait à la
disposition des mystes une cave où ils s'installaient
tant bien que mal ( 2 ). Si les premiers donateurs
n'avaient pas les moyens de payer la décoration
intérieure de la crypte et l'exécution des images
sacrées (
3
), d'autres Frères réunissaient la somme
nécessaire, et une inscription honorifique perpé-
tuait le souvenir de leur munificence. Trois dédi-
caces de Rome nous font assister à la fondation
d'une de ces congrégations de mithriastes ( 4 ) Un :

affranchi et un ingénu se sont cotisés pour donner


un autel de marbre, deux autres initiés en ont
consacré un second, et un esclave a également
apporté sa modeste offrande. Les protecteurs géné-
reux obtiennent, en récompense de leur libéralité,
les plus hautes dignités dans la petite église.
Grâce à eux, celle-ci se meuble peu à peu, et finit
par pouvoir se permettre un certain luxe. Le
marbre succède à la pierre commune, la sculpture
remplace le stuc et la mosaïque se substitue à la
peinture ( 5 ). Enfin, quand le premier temple tombe
suo constitua. Celui de Wiesbaden a été élevé permittente Varonio
Lupido in suo (cf. appendice). —
Cf. sur les subventions officielles,
supra, p. 87.
(!) Série de constructions mentionnées dans les inscr. : M. M. M.,
t. II, p. 536.

(
2
)
M. M. M., t. I, p. C6.

(
3
) C I. L., III, 8i63 : templum omni re instructum V, 810 ; :

speleum cum omni apparatu; VI, y38 : sacrarium suis sumptibus cum
deo a solo exornatuni, etc., cf. XIV, 61.

(
4
)
C. I. L., VI, 556, 717, 734 = 30822 (M. M. M., t. II, p. 101,
n os 47-48bis).

(5) M. M. M., t. I, p. 66.


LA LITURGIE, LE CLERGÉ ET LES FIDÈLES 177

de vétusté, la communauté enrichie est souvent à


même de le reconstruire avec une splendeur nou-
l
velle ( ).

On a retrouvé un nombre considérable de ces


édifices. Construits à l'imitation des grottes primi-
tives, ils portaient indifféremment les noms de
spelaeum, specus, parfois spelunca, antrum ou les
appellations plus générales de templum, aedes,
sacrarium ( 2 ). L'on peut se rendre un compte exact
de leur disposition traditionnelle, qui se répète
partout presque sans variation (fig. 23). Sur la voie
publique se dressait une colonnade, surmontée
3
d'un fronton (porticus) ).En franchissant le seuil (

on pénétrait d'abord dans une salle ouverte par


devant et située au niveau du sol, le pronaos
(A) ( 4 ). Ce pronaos était fermé au fond par une
porte, qui donnait accès dans une seconde salle
plus petite, sans doute Y apparatorium ou sacristie
{BC). Dans cette sacristie ou parfois directement
dans le pronaos, donnait un escalier par lequel
on descendait dans le sanctuaire proprement dit,

(!) C I. L., VI 734; XIV, 61; cf. M. M. M., t. II, p. 536 (série de
restaurations).
2
( )
M. Georg Wolff a démontré que toutes ces appellations étaient
synonymes et qu'il ne fallait pas distinguer plusieurs espèces de sanc-
tuaires mithriaques (Ueber die architektonische Beschaffenheit der
Mithrasheiligtiïmer dans Das Castell Grosskrotzenburg, Cassel, 1882,
et du même Ueber Mithrasdienst und Mithreen, Francfort, 1909). Cf.
M. M. M., t. I, p. 56 ss.

(
3
)
Les différentes parties sont énumérées C. I. L. III, 1096: cryptam
cum porticibus et apparatorio et exedra. Cf. III, 3960 : porticus et appa-
ratorium, et VI, 747.
4
( )
C. I. L XIV, , 61 : aedem cum suo pronao. Cf. M. M. M., t. I,

p. 5g.
i 78 MYSTERES DE MITHRA

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«
LA LITURGIE, LE CLERGÉ ET LES FIDÈLES 179

la crypta. Cette crypte, où l'on voyait un symbole


du monde (
1
), devait être voûtée pour imiter le
firmament. Lorsqu'on ne pouvait construire une
voûte en maçonnerie, on en donnait l'illusion par
un plafond cintré formé de volards entrelacés et
enduits de plâtre ( 2 ). En pénétrant dans cette,
crypte, on se trouvait d'abord sur une sorte de
palier occupant toute la largeur de la salle (D) ;

au delà, celle-ci se divisait en trois parties, un


couloir central fi7 ) d'une largeur moyenne de 2 m 5o,
qui était le chœur réservé aux officiants, et deux
bancs de maçonnerie s'étendant le long des murs
latéraux et dont la surface supérieure, large d'en-
viron i m 5o, est inclinée c'est là que s'agenouil-:

laient ou se couchaient les assistants pour suivre


les offices etprendre part aux repas sacrés 3 ). (

(!) Porphyre, De antro Nymph., 5.

(
2
)
Cf. la restauration d'un mithréum de Carnuntum, supra, p. 48,
fig. 4.
3
( ) J'ai
combattu autrefois l'idée exprimée par J.-B. de Rossi, que les
bancs inclinés auraient servi aux fidèles de lits triclinaires pour la célé-
bration de leurs agapes (Notes sur un temple d'Ostie, 1889, p. 18 ;

M. M. M., t. I, p. 62) La principale objection me semblait être que ces


lits étaient trop étroits (leur largeur ne dépasse pas i' u 25 à Spolète) pour

qu'un homme pût s'y étendre. Mais M. Paul Wolters me fait observer
que dans les triclinia des habitations, les lits n'étaient guère plus
larges (Mazois, Ruines de Pompe'i, I, pi. 20, II, pi. 9, 3 et pi. 35) on :

avait donc coutume de s'y placer de biais ou les jambes repliées. De


plus, continue mon correspondant, la hauteur des podia ne s'explique
que si l'on devait placer devant eux des tables chargées des aliments
sacrés, comme nous le voyons sur le bas-relief de Konjica (p. 164). Pour
s'agenouiller il aurait suffi de construire des bancs de 10-20 centimè-
tres de haut, qui n'auraient pas gâté autant l'impression architecto-
nique de l'ensemble. Ces raisons sont très sérieuses mais comme il est
;

certain qu'on accomplissait dans les spelaea beaucoup d'autres rites que
celui de la communion (initiations, etc.), je crois que les fidèles devaient
MYSTERES DE MITHRA

Au fond du temple, on ménageait d'ordinaire


une abside surélevée (absidata, exedrà) (') où se
dressait régulièrement le groupe hiératique de
Mithra tauroctone, parfois accompagné d'autres
images divines. Devant lui, étaient placés les
autels où brûlait le feu sacré.
La quantité de dons que mentionnent les textes
épigraphiques, témoigne de l'attachement des
fidèles aux confréries où ils avaient été accueillis.
C'est grâce au dévouement constant de milliers de
zélateurs que ces sociétés, cellules organiques
du grand corps religieux, ont pu vivre et se déve-
lopper. L'ordre se divisait en une multitude de
petits cercles étroitement unis, pratiquant les
mêmes rites dans les mêmes sanctuaires. L'exi-
guïté des temples où ils se réunissaient, montre
que le nombre de leurs affiliés a toujours été très
restreint. supposant même que les Participants
En
fussent seuls admis dans la crypte souterraine et
que les initiés d'un rang inférieur n'eussent accès
que dans le parvis (pronaos), il n'est guère pos-
sible que ces associations aient compté plus d'une
centaine de membres ( 2 ). Lorsque le chiffre
augmentait outre mesure, on construisait une
nouvelle chapelle, et le groupe se scindait. Dans
ces églises fermées, où tous se connaissaient et se

assister aux coucher ensuite au moment du ban-


offices agenouillés et se
quet liturgique. Si l'opinion de M. Wolters
est exacte, nous y trou-
vons une preuve de plus de l'importance attachée dans les mystères à
ce banquet, qui aurait déterminé le plan même des temples mithriaques.
(i) C. I. L., III,
7729 III, 1906. Cf. M. M. M., t. I, p. 64.
;

(2) M. M. M., t. I. p. 65.


LA LITURGIE, LE CLERGÉ ET LES FIDÈLES l8 1

secouraient, régnait l'intimité d'une grande famille.


Les distinctions tranchées d'une société aristocra-
tique s'y effaçaient l'adoption de la même foi y
;

de l'esclave l'égal, parfois le supérieur, du


faisait
décurion et du clarissime (*). Tous se soumettaient
aux mêmes règles, tous étaient conviés aux mêmes
fêtes, après leur mort, tous reposaient sans
doute dans une sépulture commune. Quoiqu'on
n'ait découvert jusqu'à ce jour aucun cimetière
mithriaque ( 2 ), les croyances spéciales de la secte
sur la vie future et ses rites si particuliers rendent
très vraisemblable que, comme la plupart des
sodalicia romains, elle a formé des collèges non
seulement religieux mais funéraires ( 3 ). Elle prati-
quait, ce semble, l'inhumation, et le plus vif désir
de ses adeptes devait être celui d'obtenir un enter-
rement à la fois honorable et religieux, une
« maison éternelle » où ils pussent attendre en

paix le jour de la résurrection. Si le nom de


frères, que se donnaient les initiés, n'étaient pas

(!) Cf. supra, p. 83.

(
2semble cependant que les tombeaux trouvés à proximité des
)
Il

mithréums de Gross Krotzenburg (M.M.M.,t.II,mon. 247 <i),de Saalburg


(cf. appendice) et de Stockstadt (Drexel, Kastell Stockstadt, p. 24) soient

ceux des fidèles inhumés près de leur sanctuaire. On trouve le même


usage dans d'autres cultes (M. M. M., t. I, p. 328, n. 8), par exemple
dans celui de Sérapis (Kaibel, Epigr., 414, 875), en Phrygie (Ramsay,
Studies in the Eastem Roman provinces, p. 273) et aussi à Cumes pour
les mystes de Bacchus (Haussoullier, Rev. de philologie, 1906, p. 141,
avec la note d'Engelmann).
(
3
)
L'épithète de salutaris que porte Mithra dans deux inscriptions
(XIV, 3568. Ephem., IV, 763), est donnée généralement aux dieux protec-
teurs de collèges funéraires, peut-être même exclusivement (Cf. C I. L.,
VI, 338; XVI, 2653).
l82 MYSTÈRES DE MITHRA

un vain mot, ils étaient tenus de se rendre mutuel-


lement au moins ce dernier devoir.
L'image très imparfaite que nous pouvons évo-
quer de la vie intérieure des conventicules mi-
thriaques, nous aide cependant à mieux pénétrer
les raisons de leur rapide multiplication. Les
humbles plébéiens, qui d'abord y entrèrent en
foule, trouvaient un secours et un réconfort dans
la fraternité de ces congrégations. En y adhérant,
ils sortaient de leur isolement et de leur abaudon

pour faire partie d'une puissante société, fortement


hiérarchisée, dont les ramifications formaient
comme un réseau serré sur toute la surface de
l'empire. En outre, les titres qui leur y étaient
conférés, satisfaisaient le désir naturel à tout
homme de remplir un certain rôle dans le monde
et de jouir de quelque considération aux yeux de
ses semblables.
A ces raisons purement profanes, se joignaient
les mobiles plus puissants de la foi. Les membres
de ces petites coteries se figuraient être les pos-
sesseurs privilégiés d'une antique sagesse, venue
du lointain Orient. Le secret dont ces arcanes
insondables étaient entourés, augmentait la véné-
ration qu'ils inspiraient Omne ignotum pro
:

magnifico est. Les initiations graduelles faisaient


toujours espérer au néophyte des vérités plus
sublimes, et les rites étranges qui les accompa-
gnaient, laissaient dans son âme naïve une im-
pression ineffaçable. On croyait trouver et, la
suggestion se transformant en réalité, on trouvait
LA LITURGIE, LE CLERGE ET LES FIDELES 183

en dans les cérémonies mystiques, un sti-


effet,

mulant et une consolation; ou se sentait purifié


de ses fautes par les ablutions rituelles, et ce
baptême allégeait la conscience du poids de
lourdes responsabilités; on sortait fortifié de ces
banquets sacrés qui contenaient la promesse d'une
vie meilleure, où les souffrances de ce monde
auraient leur compensation. L'expansion éton-
nante du mithriacisme est due en grande partie à
ces immenses illusions, qui seraient risibles si

elles n'étaient aussi profondément humaines.


Toutefois, dans la compétition des églises rivales
qui, sous les Césars, se disputaient l'empire des
âmes, une cause d'infériorité rendait la lutte iné-
gale pour la secte persique. Tandis que la plupart
des cultes orientaux accordaient aux femmes un
rôle considérable, parfois prépondérant, et trou-
vaient en elles des zélatrices ardentes, Mithra leur
interdisait la participation à ses mystères et se
privait ainsi du concours de ces propagandistes.
La rude discipline de l'ordre ne les autorisait pas
à conquérir des grades dans les cohortes sacrées,
et, comme chez les mazdéens d'Orient, elles
n'obtenaient qu'une place secondaire dans la
société des fidèles (
!
). Parmi les centaines d'in-

(
L
) L'exclusion des femmes fut de règle dans tout l'Occident; nous en
avons fourni les preuves M. M. M., t. I,un texte de
p. 33o. Toutefois
Porphyre (Deabstin., IV, femmes pouvaient recevoir
16) affirme que les
certains degrés d'initiation. Il doit s'appliquer aux communautés ou du
moins à une partie des communautés d'Orient, où, dans les cités, les
femmes participaient aussi en quelque mesure aux affaires publiques. On
a découvert récemment à Tripoli d'Afrique (Oea) le tombeau d'une lea
184 MYSTÈRES DE MITHRA

scriptions qui nous sont parvenues, aucune ne


mentionne ni une prêtresse, une initiée, ni
ni
même une donatrice. Maisune religion qui
aspirait à devenir universelle, ne pouvait refuser
la connaissance des choses divines à la moitié du
genre humain, et pour donner un aliment à la
dévotion féminine, elle contracta à Rome une
alliance qui contribua certainement à son succès.
L'histoire du mithriacisme en Occident ne pour-
rait se comprendre, si l'on faisait abstraction de
sa politique à l'égard du reste du paganisme.

(quae lea iacet), qui semble bien être une «lionne» mithriaque ; cf.
Clermont-Ganneau, Comptes rendus acad. inscr. 20 mars igo3.
(

CHAPITRE VI

MITHRA ET LES RELIGIONS


DE L'EMPIRE

Les actes des martyrs orientaux témoignent


éloquemment de l'intolérance du clergé national
dans la Perse des Sassanides, et les mages de
l'ancien empire, s'ils n'étaient pas persécuteurs,
formaient du moins une caste exclusive, peut-être
même une race privilégiée. Les prêtres de Mithra
ne firent jamais preuve d'une semblable intransi-
geance. Comme le judaïsme alexandrin, le maz-
déisme en Asie-Mineure s'était humanisé sous l'in-
fluence de la civilisation hellénique ). Transporté 1

dans un monde étranger, il dut se plier aux usages


et aux idées qui y régnaient, et la faveur avec la-
quelle il fut accueilli, l'encouragea à persévérer
dans sa politique conciliante. Les dieux iraniens,
qui escortèrent Mithra dans ses pérégrinations,
furent adorés en Occident, sous des noms grecs et
2
latins ( ) les ya\atas avestiques y revêtirent l'appa-
;

rence des immortels siégeant dans l'Olympe, et

{}) Cf. supra, p. 20 ss


2 Cf. supra, pp. 20 s. et 1 io ss.
( )
l86 MYSTÈRES DE MITHRA

montrer que, loin de témoigner


ces faits suffisent à
de aux vieilles
l'hostilité croyances gréco-romaines,
la religion asiatique chercha à s'y accommoder,
du moins en apparence. Un myste pieux pouvait,
sans renier sa foi, consacrer une dédicace à la
triade capitoline, Jupiter, Junon et Minerve (*) ;

il prenait seulement ces appellations divines dans

un sens différent de leur acception ordinaire.


S'il est vrai que défense fût faite aux initiés de

participer à d'autres mystères ( 2 ), cette ancienne


interdiction n'a pu résister longtemps aux ten-
dances syncrétiques du paganisme impérial on :

trouve au IV e siècle des « Pères des Pères »


exerçant le sacerdoce suprême dans les temples
3
les plus divers ( ).

La secte sut partout avec souplesse s'adapter


au milieu où elle devait vivre. Dans la vallée du
Danube, elle exerça sur le culte indigène une
action qui présuppose un contact prolongé entre
eux 4
( ).
Dans la région du Rhin, des divinités cel-
tiques étaient honorées dans les cryptes sacrées ou
tout au moins à côté d'elles (
5
). Le dieu perse se

0) M. M. M., mon. 71 ; C. I. L., VI, 81, 82.


('2
) Cette prohibition semble être mentionnée dans un texte, d'ailleurs
corrompu, d'Eunape (Vit. soph. Maxim., p. 475, 47, Boissonade), mais
;

elle est en contradiction avec ce que nous apprennent les inscriptions.

(
3
)
C
I. L., VI, 5oo ss 1779 ss., cf. 846. Cf. Religions orientales,
,

2 e éd., p. 304 ss.

(
4 M. M. M., mon. 328bis, t. II, p. 5j6.
)

(
5 Epona et les Matronae à Heddernheim et à Friedberg (M. M. M.,
)

t. I, p. 152). — Temple de Succelluset de Nantosvelta, à côté dumithréum

de Sarrebourg (M. M. M., mon. 273*^, t. II, p. 5ig). Toute une série —
d'images de divinités, parmi lesquelles Épona et peut-être Succellus, ont
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE 187

montra hospitalier pour tous les étrangers parmi


lesquels il s'installait, et ses temples devinrent le
lieu de rencontre de tout le panthéon païen. Sui-
vant les contrées, la théologie mazdéenne se
colora ainsi de teintes variables, dont notre vue
ne distingue plus qu'imparfaitement la dégrada-
tion, mais ces nuances dogmatiques ne diversi-
fiaient que les détails accessoires de la religion,
et ne mettait point en péril son unité fondamen-
tale. On ne voit point que ces écarts d'une doctrine
flexible aient provoqué des hérésies. Les conces-
sions qu'elle accorda étaient de pure forme. En
réalité, le mithriacisme, arrivé en Occident dans
sa pleine maturité et bientôt atteint de décrépi-
tude, ne s'assimila plus les éléments -qu'il em-
prunta à la vie ambiante. Les seules influences
qui modifièrent profondément son caractère,
furent celles qu'il subit dans sa jeunesse au milieu
des populations de l'Asie.
Les relations étroites qui unirent Mithra à
certains dieux de ce pays, n'ont pas seulement
pour cause l'affinité naturelle qui rapprochait tous
ces émigrés orientaux par opposition au paganisme
gréco-romain. La vieille hostilité religieuse des
Égyptiens et des Perses subsista même dans la
Rome des empereurs, et les mystères iraniens
semblent avoir été longtemps séparés de ceuxd'Isis

été découvertes dans le mithréumde Stockstadt (Drexel, Das Castell St.,


p. 81). Voyez aussi Jullian, Rev. des études anciennes, 1908, p. 174. —
Mais on a prétendu à tort identifier le dieu celtique Medros à Mithra ;

cf. Revue celtique, 1904, p. 47.


l88 MYSTÈRES DE MITHRA

par une rivalité sourde, sinon par une opposition


ouverte (*), jusqu'à ce que le syncrétisme triom-
phant eut considéré Mithra et Sérapis, comme deux
noms synonymes du Soleil, maître unique du
monde. Ils s'associèrent au contraire sans peine
aux cultes syriens qui avaient passé avec eux
2
d'Asie en Europe ( ). Leur enseignement, tout
imbu de théories chaldéennes, devait offrir une
grande similitude avec celui des religions sémi-
tiques. Le Jupiter Dolichénus, déjà honoré en
même temps que Mithra dans la Commagène sa
patrie, et qui resta toujours, comme lui, une divi-
nité surtout militaire, se retrouve auprès de lui
dans tous les pays d'Occident. A Carnuntum en
Pannonie, à Stockstadt en Germanie, un mithréum
et un dolichenum étaient même contigus ou voi-
sins (
3
). Le Baal, seigneur des cieux, s'était iden-
tifiéfacilement avec Oromasdès, devenu Jupiter-
Caelus, et Mithra avait pu sans trop de peine être

(!) C'est seulement à la fin du IVe siècle qu'on voit des Pères de

Mithra être en même temps prophètes d'Isis (C I. L. VI 504, 846). Les


indices qu'on pourrait invoquer pour prouver, à une époque anté-
rieure, des rapports entre les dieux égygtiens et Mithra, sont moins
certains (M. M. M., t. I, p. 332, n. 4) Toutefois, dans le mithréum .

des thermes de Caracalla (cf. appendice), on a trouvé un cippe avec


une dédicace à Zeus-Hélios-Sarapis-Mithra, qualifié de KoauoKpdxujp
àveÎKriTOç. Elle date de l'époque où Caracalla faisait construite le grand
lseum et Serapeum du Célius ; mais en réalité, les mystères d'Isis ont
été éclipsés à partir du III e siècle par la religion solaire. Cf. Reli-
gions orientales, 2 e éd., p. 127.
2 Cf. supra, pp. 35 et 63.
( )

(
3
)
M. M. M., mon. 22Sbis, n, p. 5 i ; Drexel, Das Kastell Stock-
stadt, p. 26 ss.
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE 189

assimilé au dieu solaire des Syriens (*). Les rites


même des deux liturgies paraissent n'avoir pas
été sans offrir des ressemblances ( 2 ).
De même qu'en Commagène, le mazdéisme
avait aussi en Phrygie cherchéun terrain d'entente
avec du pays. On avait reconnu dans
la religion
l'union de Mithra et d'Anàhita l'équivalent de la
liaison qui existait entre les grandes divinités in-
3
digènes, Attis et Cybèle ( ), et l'accord entre les
deux couples sacrés persista en Italie 4 ). Le plus (

ancien mithréum connu était attenant au metroon


d'Ostie; de même à Saalburg, les deux temples
5
étaient situés à quelques pas l'un de l'autre ( ),
et
l'on a tout lieude croire que le culte du dieu ira-
nien et celui de la déesse phrygienne vécurent en
communion intime surtoute l'étendue de l'empire.
Malgré la différence profonde de leur caractère,
des motifs politiques les rapprochaient. En se
conciliant les prêtres de la Magna Mater, les sec-
teurs de Mithra obtinrent l'appui d'un clergé
puissant, officiellement reconnu, et participèrent

(!) et le rapprochement des cultes sémitiques


Sur ces identifications
du mazdéisme, Religions orient., 2 e éd., pp. 218 et 384 ss.
cf.

('-) Repas sacrés dans les deux cultes (Relig. orient., 2 e édit., p. 358,
n. 37). —
On a trouvé dans un temple de J. Dolichénus un nymphaeum
pour les ablutions (C. I. L., VI, 414), etc.
3
( )
Cf. supra, pp. 8 et 19. —
Un buste de Sabazius porte une repré-
sentation de Mithra tauroctone ; cf. M. M. M., mon. 104, et pour
l'interprétation Blinkenberg, Archàologische SUidien, 1904, p. 98.

(
4
)
C I. L., V, 5465 (dédicace d'un dendrophore) ; VI, 5oo, 504, 5og
à 5n, 1675.
(
5
)
Ostie : M. M. M., t. II, pp. 418 et 523. mon. 2g5, note. Ce mithréum
est antérieur à 142 ap. J.-C Saalburg — ; cf. appendice. Le metroon
fut consacré sous Antonin le Pieux.
MYSTERES DE MIÏHRA

en quelque mesure à que lui accor- la protection


dait l'État ( ). De plus, les hommes pouvant seuls
[

prendre part aux cérémonies secrètes de la liturgie


2
persique mystères, auxquels les
( ), d'autres
femmes admises, devaient en quelque
étaient
sorte être adjoints aux premiers pour les com-
pléter. La Grande-Mère succéda ainsi à Anâhita ;

elle eut ses Maires, comme Mithra avait ses


« Pères ses initiées se donnèrent entre elles
», et

le de « Sœurs », comme les fidèles de son


nom
parèdre prenaient celui de Frères ( 3 ).
Cette alliance, féconde en résultats, fut surtout
profitable au vieux culte de Pessinonte, naturalisé
romain. La pompe bruyante de ses fêtes cachait
mal le vide de sa doctrine, qui ne suffisait plus à
satisfaire les aspirations des dévots. Sa théologie
grossière prit une élévation nouvelle, lorsqu'elle
eut adopté certaines croyances mazdéennes. On
ne peut guère douter que la pratique du tau-
robole, qui passa sous les Antonins des temples
d'Orient dans ceux de la Magna Mater, ait em-
prunté à la théologie persique les idées de purifi-
cation et d'immortalité qui s'y rattachaient. La
coutume barbare de faire couler sur un myste
couché dans une fosse, le sang d'une victime
égorgée sur un plancher à claire-voie, était proba-
blement usitée en Asie depuis une haute antiquité.
(') Cf. supra, p. 86.
2 Cf. supra, p. i83.
( )

(
3
)
Mater : C. I. L., XIV, 37, 69; Mater sacrorum, cf. M. M. M.,
t. II, p. 178, n° 58o; p. 476, n° 574 b.: Ob honorent sacri matratus. —
Sorores : C I. L., VI, 377; cf. M. M. M., t. II, p. 173, n. 553.
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE ICI

Selon une conception très répandue chez les


peuples primitifs, le sang est le siège de l'énergie
vitale, et le patient qui en inondait son corps et
en humectait sa langue, croyait faire passer en sa
personne les qualités de courage et de force de
l'animal immolé. Cette douche sacrée paraît avoir
été administrée en Cappadoce et en Arménie dans
un grand nombre de sanctuaires et en particulier
dans ceux de Ma, la grande divinité indigène, et
dans ceux de l'Anâhita iranienne. Le taureau était
consacré à toutes deux, et, suivant un rite très an-
cien, la bête sauvage était chassée et prise à l'aide
d'un lasso —
tel paraît le sens de xaupopôXiov avant —
d'être immolée à l'aide d'un épieu, arme de vénerie.
Mais sous l'influence des croyances mazdéennes
sur la vie future, on attribua au baptême sanglant
une signification plus profonde. On ne pensa plus
en s'y soumettant acquérir la force du taureau ;

ce ne fut plus le renouvellement des forces phy-


siques que la liqueur qui entretient la vie fut
censé communiquer, mais une rénovation soit
temporaire soit même perpétuelle de l'âme (').
Lorsque, sous l'Empire, le taurobole fut intro-
duit en Italie, on ne sut trop d'abord quel nom
latin donner à la déesse en l'honneur de laquelle
il était célébré. Les uns virent en elle une Vénus
2
céleste ( ) ; d'autres l'assimilèrent à Minerve à
(}) Ces pages résument les conclusions d'articles sur le taurobole
publiés dans Revue d'histoire et de littérature religieuse, t.- VI, 1901,
p. 97 ss. et Revue archéologique, 1905, I, p. 29 s. Cf. Religions orien-
tales, 2 e éd., p. 100 s.
2
( )
Cl. L. X. i5g6 : Taurobolium Veneris Caelestae.
IÇ2 MYSTERES DE MITHRA

cause de son caractère guerrier (


1
). Mais bientôt
les prêtres de Cybèle introduisirent cette céré-
monie étrangère dans leur liturgie, évidemment
avec la complicité des autorités officielles, puisque
rien dans le rituel de ce culte reconnu ne pouvait
être modifié sans l'autorisation des quindécimvirs.
On voit même les empereurs accorder des privi-
lèges à ceux qui accomplissaient pour leur salut
ce hideux sacrifice, sans qu'on découvre clairement
2
les motifs de leur faveur spéciale (
). L'efficacité
qu'on attribuait à cette purification sanglante, la
renaissance éternelle qu'on en attendait, étaient
semblables aux espérances que les mystes de
Mithra attachaient à l'immolation du taureau
mythique ( 3 ). La similitude de ces doctrines s'ex-
plique tout naturellement par l'identité de leur
origine. Le taurobole, comme beaucoup de rites
des cultes orientaux, est une survivance d'un passé
sauvage, qu'une théologie spiritualiste avait adap-
tée à ses fins morales. Fait caractéristique, les
premières immolations de ce genre que nous
voyions accomplir par le clergé de la déesse phry-
gienne, l'ont été à Ostie, où le metroon, nous

(!) Cl. L, IX i536-i"542. Dédicaces tauroboliques à la Minerva Bere-


cynthia. Ce nom insolite donné à la Grande Mère anatolique est dû à
une assimilation avec Anâhita, déesse guerrière, protectrice des rois
(M. M. M., t. I, p. 149) cf. Pauly-Wissowa, Realencyclopàdie, s. v.
« Anaïtis ». Pour le même motif la Ma cappadocienne prit l'épithète
d'àvÎKr|TOÇ, qui la rapproche de Mithra (Athen. MM. XV111 (1893)
p. 145; XXIX (1904) p. 169; Keil et von Premerstein, Reise in Lydien,
1908, p. 28 [plaine Etyrcanis]).
(
2
)
Fragtn. iuris Vatic. § 148. Cf. Revue philol., XV11 (1893), p. 196.
3 Cf. supra, pp. 137, 147.
( )
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE IÇ3

l'avons dit (
l
), était attenant à une crypte
mithriaque.
Le symbolisme des mystères voyait certaine-
ment dansla Mater Magna la Terre nourricière,
que le Ciel féconde chaque année. De même les
autres gréco-romaines qu'ils avaient
divinités
accueillies, avaient dû changer de caractère pour
entrer dans leur système dogmatique. Tantôt on
les avait identifiées avec les héros mazdéens,et des
légendes barbares célébraient alors les exploits
nouveaux qu'ils avaient accomplis ( 2 ). Tantôt on
les considérait comme les agents qui produisaient
toutes les transformations de la nature. Alors, au
centre de ce panthéon redevenu naturaliste,
comme il l'avait été à ses origines, on plaçait le
Soleil, comme
maître suprême de l'univers.
La vénération pour le Soleil, née d'un senti-
ment de reconnaissance pour ses bienfaits quoti-
diens, accrue par de son rôle
l'observation
immense dans système cosmique, était l'abou-
le
tissement logique du paganisme. Lorsque la
réflexion savante s'attacha à expliquer les tradi-
tions sacrées, reconnut dans les dieux popu-
et
laires des forces ou des éléments de la nature,
elle dut nécessairement accorder une place pré-
dominante à l'astre, dont dépend l'existence
même de notre globe. « Avant que la religion fût
arrivée à proclamer que Dieu doit être mis dans
l'absolu et l'idéal, c'est-à-dire hors du monde, un
(!) Cf. supra, p. 189.
2 Ci. supra, p. 128
( ) ss.
194 MYSTÈRES DE MITHRA

seul culte fut raisonnable et scientifique, ce fut


le culte du Soleil (
l
). » Depuis Platon et Aristote
la philosophie grecque regardait les corps célestes
comme des êtres animés et divins le stoïcisme ;

apporta de nouveaux arguments en faveur de cette


opinion; le néo-pythagorisme et le néo-platonisme
insistèrent encore davantage sur le caractère sacré
du luminaire qui était l'image toujours présente
du dieu intelligible. Ces croyances, approuvées par
les penseurs, furent largement répandues par la
littérature, et particulièrement par ces œuvres où
des fictions romanesques servaient à envelopper
un véritable enseignement théologique ('').
Mais l'adoration de l'astre du jour comme dieu
principal du paganisme ne s'inspire pas seulement
des spéculations philosophiques des Grecs; elle
se fonde sur une dogmatique spéciale, qui a pour
premiers auteurs ces prêtres astronomes de l'Orient
auxquels on conservait le vieux nom de « Chal-
déens »( 3 ). Suivant leurs doctrines, le Soleil, qui
occupe le quatrième rang dans la série des pla-
nètes ( 4 ), placé au milieu d'elles comme un roi
entouré de ses satellites (pacnXeùç "HXioç), réglait le
cours de ces astres errants et le mouvement même

(!) Renan, Lettre à Berthelot (Dialogueset fragments philosophiques),


p. 168.
(~) Par exemple le roman de Philostrate sur Apollonius de Tyane
(Réville, Religions sous les Sévères, p. 212), et les Éthiopiques d'Hélio-
dore, qui ont pour auteur un prêtre du Baal d'Émèse.
(
3
)
Nous avons exposé ces doctrines dans notre Théologie solaire du
-paganisme romain, Paris, 1909 (Extr. Me'm. sav. e'tr. Acad. Inscr.,
t. XII).
4 Cf. supra, p. 129.
(
)
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE IÇ5

des cieux. Son globe incandescent, doué d'un


pouvoir alternatif d'attraction et de répulsion,
déterminait la marche des autres corps sidéraux.
Il était le « cœur du monde » (Kapbia toû kôo^ov), qui,
par sa chaleur, animait tout ce grand organisme.
Cette théorie mécanique, où il y a comme un
pressentiment de la gravitation universelle et
du système héliocentrique, devait nécessairement
conduire à regarder le Soleil comme le dieu
suprême de l'univers. En effet, pour les astro-
logues, les révolutions combinées des étoiles déter-
minant tous les phénomènes physiques et moraux,
celui qui règle le jeu compliqué de leurs influences
deviendra l'arbitre des destins, le maître de la
nature entière. Déjà Pline le proclamait princi-
pale naturae regimen ac numen ( 1 ).
Mais ce Tout, si bien ordonné, ne pouvait,
disait-on, être conduit par une force aveugle. Le
Soleil, lumière intelligente (cpOùç voepôv), sera conçu
comme la raison directrice du monde {mens
mundi et temperatio) ( 2 ), et par une conséquence
ultérieure, cette raison universelle deviendra la
créatrice de la raison humaine, étincelle détachée
des feux cosmiques. De même que l'astre brûlant
écartait et ramenait à lui tour à tour les planètes,
de même il envoyait, croyait-on, à la naissance les
âmes dans les corps qu'elles animaient, et, après
la mort, il les faisait remonter dans son sein ( 3 ).
t
1
) Pline, H.N., II 5,§i3; cf. Cicér. ,Somn. Scip.,c.^. Macrobe,1, 17, 3.
(2) Cic, Le.
(
3
)
Censorin, De die nat., c. 8; Dracontius (infra appendice, p. 247).
Cf. Théologie solaire, p. 463 sqq.
IÇ)6 MYSTÈRES DE MITHRA

De théories astronomiques combinées avec de


vieillescroyances sémitiques, les « Chaldéens »
avaient ainsi déduit toute une doctrine reli-
gieuse. Ce panthéisme astrologique fut certaine-
ment enseigné dans les mystères de Mithra ), (
J

mais en même temps il se répandit dans le monde


latin par l'intermédiaire de théologiens, défen-
seurs de l'astrologie, dont le plus célèbre est Posi-
donius d'Apamée. Une propagande littéraire,
accueillie par les Romains avec une faveur crois-
sante, prépara les esprits à accepter la foi que
prêchaient les prêtres asiatiques, et l'action com-
binée des systèmes philosophiques et des cultes
orientaux tendit à assurer la domination incon-
testée du Sol invictus.
Si l'héliolatrie était d'accord avec les doctrines
scientifiques de l'époque, elle n'était pas moins
conforme à ses tendances politiques. Nous avons
essayé de montrer quelle connexité existait entre
l'adoration des empereurs et celle du « Soleil invin-
cible » ( 2 ). Lorsque les Césars du III e siècle se pré-
tendirent des dieux descendus du ciel sur la terre,
la revendication de leurs droits imaginaires eut
pour corollaire l'établissement d'un culte public
de la divinité dont ils se croyaient l'émanation.
Héliogabale avait réclamé pour son Baal d' Hémèse

(!) Mithra, c'est-à-dire mouvoir les planètes Claudien,


le Soleil, fait :

De consul. vaga volventem sidéra Mithram.


Stil., I (XII), 61 : —
Mithra
crée etattireles âmes: Porph.,De antro nymph. ,24; Julien, Or., IV,i72D;
Dracontius, Romulea, X, 538. Cf. supra, p. 144 ss. —
La théorie « chal-
déenne » s'est, comme ailleurs, combinée avec les traditions mazdéennes.
2 Cf. supra, p. 98 ss.
( )
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE IÇ7

la suprématie sur tout le panthéon païen (


l

). Les
excentricités et les violences de ce déséquilibré
rirent lamentablement échouer sa tentative, mais
elle répondait aux exigences du temps, et elle fut
bientôt reprise avec un meilleur succès. Aurélien
consacra, près de la voie Flaminienne, à l'est du
Champ de Mars, un édifice colossal au dieu tuté-
laire qui lui avait donné la victoire en Syrie ).
2
(

La religion d'Etat qu'il institua ne doit pas être


confondu avec le mithriacisme son temple gran- :

diose, ses cérémonies fastueuses, ses jeux qua-


driennaux, son clergé de pontifes rappel-lent les
grands sanctuaires de l'Orient et non les antres
obscurs où se célébraient les mystères ( 3 ). Néan-
moins le Sol invictus que l'empereur avait voulu
honorer avec une pompe jusqu'alors inouïe, pou-
vait être revendiqué comme leur par les fidèles de
Mithra.
La politique impériale donnait dans la religion
première place au Soleil, dont le sou-
officielle la
verain était l'émanation, de même que la planète
royale dominait les autres étoiles dans les spécu-
lations chaldéennes propagées par les mithriastes.
Des deux côtés, on tendait même à voir dans
l'astre radieux qui illumine l'univers, le dieu

(M L'importance de cette religion solaire d'Hémèse a été récemment


mise en lumière, mais avec quelque exagération, par M. von Domas-
zewski, Abhandl. zurrôm. Religion, 1909, p. 197 ss.
(
2
) Hùlsen-Jordan, Topogr. der Stadt Rom, I, 3 er teil, p. 454 sqq.;
Homo, L'Empereur Aurélien, 1904, p. i85 ss.
(
3
j M. M. M., II, p. 66, 71 s., 109 s.: cf. mon article Sol dans
Saglio-Pottier, Diction, des antiquités.
(

X98 MYSTÈRES DE MITHRA

unique, ou du moins l'image sensible du dieu


unique, et à établir dans les cieux le monothéisme
à l'imitation de la monarchie qui régnait sur la
Macrobe dans ses Saturnales expose docte-
terre.
ment que toutes les divinités se ramènent à un
seul Etre considéré sous des aspects divers, et
que les noms multiples, sous lesquels on les adore,
sont des équivalents de celui d'Hélios. Le théo-
logien qui défend cette syncrasie radicale, Vettius
Agorius Prétextât, fut non seulement un des plus
hauts dignitaires de l'empire, mais un des der-
niers chefs des mystères persiques (').
Le mithriacisme, au moins au IV e siècle, eut
donc pour objectif, en réunissant tous les dieux
et tous les mythes dans une vaste synthèse, de
fonder une religion nouvelle, qui devait être en
harmonie avec la philosophie régnante et avec la
constitution de l'empire. Cette religion aurait été
aussi éloignée du vieux mazdéisme iranien que
du paganisme gréco-romain, qui ne laissait aux
puissances sidérales qu'une place minime. Elle
eût en quelque sorte ramené l'idolâtrie à ses ori-
gines, et retrouvé, sous les mythes qui en avaient
obscurci la compréhension, la nature divinisée 2 ).
Rompant avec le principe romain de la nationalité
des cultes, elle eût établi la domination univer-
selle de Mithra, assimilé au Soleil invincible. Ses


(!) Macrobe, Sat., I, 17 ss., cf. infra p. 216 n. 1. Macrobe s'inspire
en réalité de Porphyre ou de Jamblique, qu'il parait avoir connu par
l'intermédiaire de Cornélius Labéon cf. mon article Sol, l. c.
;

2 Cf. Religions orient,, 2 e éd., p. 3o5 ss.


( )
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE 199

adhérents espéraient, en concentrant toutes les


dévotions sur un seul objet, donner à des
croyances désagrégées une cohésion nouvelle. Le
panthéisme solaire fut le dernier refuge des con-
servateurs menacés par une propagande révolu-
tionnaire qui poursuivait l'anéantissement de tout
l'ancien ordre de choses.
A l'époque où ce monothéisme païen prétendit
régner à Rome, la lutte entre les mystères
mithriaques et le christianisme avait depuis long-
temps commencé. La propagation des deux reli-
gions avait été à peu près contemporaine, et leur
expansion s'était opérée dans des conditions ana-
logues. Venues toutes deux de l'Orient, elles se
répandirent à la faveur des mêmes causes géné-
rales, l'unité politique morale de
et l'anarchie
l'empire. La diffusion de l'une et de l'autre se
produisit avec une rapidité semblable, et, au
déclin du II e siècle, elles comptaient pareillement
des adhérents dans les régions les plus lointaines
du monde romain. Les sectateurs de Mithra
auraient pu s'approprier à bon droit les hyper-
boles de Tertullien Hesterni sumus et vestra
:

omnia implevimus ..( ) Si l'on considère la quan-


l

tité de monuments que le culte persique nous a


laissés, on peut même se demander si, à l'époque
des Sévères, ses adeptes n'étaient pas plus nom-
breux que les fidèles du Christ. Une autre simili-
tude entre les deux églises opposées, c'est qu'au
début elles firent des prosélytes surtout dans les
(!) Tertull., Apolog., 3y; cf. Contra Iudaeos, 6.
200 MYSTERES DE MITHRA

classes inférieures de la société. Leur propagande


fut à l'origine essentiellement populaire; contrai-
rement à l'enseignement des écoles philoso-
phiques, elle s'adressa moins aux esprits cultivés
qu'à la foule, et fit par conséquent appel au sen-
timent plutôt qu'à la raison.
Mais à côté de ces similitudes, on remarque
dans les moyens d'action des deux adversaires
des différences considérables. Les premières con-
quêtes du christianisme furent favorisées par la
Diaspora juive, et il se répandit d'abord dans
les contrées peuplées de colonies israélites. C'est
donc surtout dans les pays baignés par la Médi-
terranée que ses communautés se développent ;

elles n'étendent guère leur champ d'action en


dehors des villes, et leur multiplication est due
pour une grande part à des missions entreprises
dans le but exprès « d'instruire les nations ». Au
contraire, l'extension du mithriacisme est due
avant tout à l'action de facteurs sociaux et poli-
tiques : importation d'esclaves, transferts de
troupes, déplacements de fonctionnaires publics.
C'est dans l'administration et dans l'armée qu'il
compte le plus de zélateurs, c'est-à-dire là où les
chrétiens restent très clairsemés à cause de leur
aversion pour le paganisme officiel. En dehors de
l'Italie, il se propage principalement le long des
frontières, et prend pied simultanément dans les
cités et dans les campagnes; il trouve ses points
d'appui les plus fermes dansles provinces danu-
biennes et en Germanie, tandis que l'Église fait
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE 201

lesprogrès les plus rapides en Asie Mineure et en


Syrie ('). Les domaines des deux puissances reli-
gieuses ne coïncidaient donc pas, et elles purent
s'étendre assez longtemps l'une et l'autre sans
entrer directement en conflit. C'est dans la vallée
du Rhône, en Afrique et surtout dans la ville de
Rome, où toutes deux étaient solidement établies,
que la concurrence était particulièrement vive au
III e siècle entre les collèges d'adorateurs de Mithra
et la société des fidèles du Christ.
La lutte entre les deux religions rivales fut
d'autant plus opiniâtre que leurs caractères étaient
plus semblables. Leurs adeptes formaient pareil-
lement des conventicules secrets, étroitement
unis, dont les membres se donnaient le nom de
« Frères »( 3). Les rites qu'ils pratiquaient, offraient
(!) Nous l'avons remarqué plus haut (p. 3i), Mithra ne pénétra jamais

dans le monde hellénique, où le christianisme grandit. M. Harnack


(Ausbreitung des Christentums) 2 t. II, p. 270 ss.; cf. Dieterich, Bonner,
,

Jahrb.,igo2,p.^i)voit dans cette exclusion du premier une cause capitale


de son infériorité « Verschlossen sich die Kulturlânder K(rr'é£oxr]v
:

dem Mithraskulte und konnte er daher keinen oder nur einen spâten
Kontakt mit dem Hellenismus gewinnen, so war er dazu verurteilt eine
kulturlose Sekte zu bleiben, d. h. ein Konventikel ». Mais en réalité les
mystères persiques tentèrent d'opposer à la culture grecque une autre
culture qui, à certains égards, lui était supérieure, celle de l'Iran. Seu-
lement si celle-ci pouvait par ses qualités morales séduire l'esprit
romain, elle était dans son ensemble trop asiatique pour que les Occi-
dentaux l'accueillissent sans répugnance. Il en fut de même du mani-
chéisme (cf. Religions orientales, p. 201 sq., 228).
2
(
On s'en convaincra immédiatement en comparant notre carte à
)

celles de Harnack (op. cit.) «Dort ist weiss was hier schwarz ist und
:

umgekehrt. »

(
3
)
Cf. supra, p. i5g. Je noterai que l'expression même de « très chers
frères » était déjà usitée parmi les sectateurs de Jupiter Dolichénus
(CIL, VI, 406 = 30748 : fratres carissimos et conlegas hon[estissimos\)
et probablement aussi dans les associations mithriaques.
202 MYSTÈRES DE MITHRA

de nombreuses analogies : les sectateursdu dieu


perse, comme les chrétiens, se purifiaient par un
baptême, recevaient d'une sorte de confirmation
la force de combattre les esprits du mal, et atten-
daient d'une communion le salut de l'âme et du
corps (*). Comme eux aussi, ils sanctifiaient le
dimanche, et fêtaient la naissance du Soleil le
25 décembre, le jour où la Noël était célébrée, au
moins depuis le IV e siècle ( 2 ). Ils prêchaient de
même une morale impérative, tenaient l'absti-
nence et la continence pour méritoires, et
mettaient au nombre des vertus principales le
renoncement et l'empire sur soi-même ( 3 ). Leurs
conceptions du monde et de la destinée de l'homme
étaient similaires: ils admettaient les uns et les
autres l'existence d'un ciel des bienheureux situé
dans les régions supérieures et d'un enfer peuplé
de démons, contenu dans les profondeurs de la
terre ( 4 ); ils plaçaient aux origines de l'histoire
un déluge ( 5 ) ils donnaient comme source à
;

leurs traditions une révélation primitive; ils


croyaient enfin à l'immortalité de l'âme et à
une rétribution future, au jugement dernier et à la
résurrection des morts dans la conflagration finale
de l'univers ( G ).
Nous avons .vu que la théologie des mystères
(
J
) Cf. supra, p. 161 ss.

{") Cf. supra, p. 173 ss. infra p. 207.


3 Cf. supra, p. 142 s.
( )

4 Cf. supra, p. 112.


( )
5 Cf. supra, p. i38.
( )
6 Cf. supra, p. 144 ss.
( )
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE 203

du Mithra
faisait « médiateur » l'équivalent du
Logos alexandrin ('). Comme lui, le Christ était
le |ueaÏTnç, l'intermédiaire entre son Père céleste et
les hommes, et, comme lui encore, il faisait partie
2
d'une trinité ( ). Ces rapprochements n'étaient
certainement pas les seuls que l'exégèse païenne
établît entre eux, et la figuredu dieu tauroctone,
se résignant à contre-cœur à immoler sa victime
pour créer et sauver le genre humain ( 3 ), avait
certainement été comparée à celle du Rédempteur
se sacrifiant pour le salut du monde.
D'autre part, les écrivains ecclésiastiques, repre-
nant une métaphore du prophète Malachie, oppo-
sent le « Soleil de justice » au « Soleil invincible»,
et consentent à voir dans le globe éblouissant, qui
éclaire hommes, un symbole du Christ,
les
« lumière du monde ». Faut-il s'étonner que la
foule des dévots n'ait pas toujours respecté les
distinctions subtiles des docteurs, et qu'obéissant
à une coutume païenne, elle ait offert à l'astre
radieux des hommages que l'orthodoxie réservait
à Dieu? Au V e siècle, non seulement des héré-
tiques mais de vrais fidèles s'inclinaient encore
vers le disque flamboyant, au moment où il se
levait sur l'horizon, et murmuraient la prière :

« Ayez pitié de nous. »


(
4

(
x
) Cf. supra, p. 129, 141.
2 Cf. supra, p. i3o.
( )

(
3
)
Cf. supra, p. i3y.
(•*) Saint Léon, Serm., XXVII, in Nativ. Dom., VII, 3 (P. L., LIV,
col. 218); Eusèbe d'Alexandrie, Or. VI, TTepi àaxpovôutjuv (P. G..
LXXXVI, col. 53). Cf. notre note sur symbole du Christ,
le Soleil,

M. M. M., I, p. 355. s , et Usener, Sol invictus, Rhein. Mus. LX,


p. 4S0 ss. (reproduit dans WeihnacJitsfest, 2 e éd., 1911, p 362 s.)
204 MYSTÈRES DE MITHRA

Les similitudes entre les deux églises ennemies


étaient telles qu'elles frappèrent tous les esprits
dans l'antiquité même. Dès le II e siècle, les philo-
sophes grecs établissaient entre les mystères per-
siques et le christianisme un parallèle qui devait
évidemment être tout à l'avantage des premiers (*).

De leur côté, les Apologistes insistent sur les-

analogies des deux religions, et les expliquent par


une contrefaçon satanique des rites les plus sacrés
de leur culte 2 ). Si les œuvres polémiques des
(

mithriastes étaient conservées, nous y verrions


sans doute la même accusation rétorquée contre
3
leurs adversaires ( ).

Nous ne pouvons nous flatter aujourd'hui de


trancher une question qui divisait les contempo-
rains, et qui restera sans doute toujours insoluble.
Nous mal les dogmes et la
connaissons' trop
du mazdéisme romain, aussi bien que le
liturgie
développement du christianisme primitif pour
déterminer quelles influences réciproques ont agi
sur leur évolution simultanée. Toutefois des res-
semblances ne supposent point nécessairement
uneimitation. Beaucoup de correspondances entre
la doctrine mithriaque et la foi catholique s'expli-

(!) Orig., Contra Celsum, VI, 21 (p. 92, Koetschau); 24 (p. 94).
Cf. M. M. M., t. I, p. 25 ss.

(
z
j
Justin le Martyr, Apol., I, 66; Dial cum Tryfih.,jo, 78; Tertull.^
De corona, i5 ; De baptismo, 5; De praescr. haeret,\\ Pseudo August.,.
Quaest vet. etnov. Test., CXIV.
(
3
) Nous savons que le clergé de la Magna Mater reprochait aux.
chrétiens d'avoir emprunté à leur culte l'idée de la rédemption par le
sang de l'Agneau pascal cf. Rev. hist. ; litt. relig., VIII, 1903, p. 423,.
et Religions orient., 2 e édit., p. 106 s.
.

MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE 205

quent par la communauté de leur origine orien-


tale ('). Certaines idées, certaines cérémonies ont
dû cependant passer de l'un des cultes dans l'autre,
mais nous soupçonnons le plus souvent ces
emprunts plutôt que nous les apercevons claire-
ment.
Il semble probable qu'on chercha à faire de la

légende du héros iranien le pendant de la vie de


Jésus, et que les disciples des mages voulurent
opposer une adoration des bergers, une cène et
une ascension mithriaques à celles des évangiles ( 2 )
On compara même la roche génératrice, qui avait
enfanté le génie de la lumière, avec la pierre iné-
branlable, emblème du Christ, sur laquelle était
bâtie l'Eglise, et jusqu'à la grotte, où le taureau
avait succombé, avec celle où Jésus serait né à
Bethléem Mais ce parallélisme forcé ne pou-
(
:i

).

vait guère aboutir qu'à une caricature ). Ce fut


4
(

f
1
) croyance à l'Esprit du mal, pour le Baptême et
C'est le cas pour la
les agapes, etc. Nous avons montré que
les milites de Mithra et la

tnilitia christi perpétuaient tous deux des conceptions qui s'étaient


développées dans l'Orient hellénistique; cf. Religions orient., Préface
p.XIVss.
2 M. M. M., I, pp. 162, 176, 17g.
( )

(
3
j Saint Justin, Dial. cutn Trj-ph., 60; cf. Prudence, Cathemerinon,
V, 1 ip. 26, Dressel).

(
4
)
Jean Ré ville (Études publiées en hommage à la faculté de
théologie de Montauban, 1901, p. 33g s.) suppose que toute la tradition de
Matthieu sur l'adoration des mages a été suggérée à l'imagination chré-
tienne par le mithnacisme, mais il reconnaît que nous n'avons aucune
preuve de cet emprunt. De même A Dieterich (Zeitschr. f. Neu-
test. Wiss., 1902. p. 1 ss. = Kleine Schriften, p. 272 ss.) a cherché,
non sans ingéniosité, à expliquer la formation du récit des rois mages,
qui serait un écho du voyage entrepris par Tiridate et ses prêtres à la
cour de Néron, et il croit que l'adoration des bergers s'est introduite
206 MYSTERES DE MITHRA

une cause grave d'infériorité pour le mazdéisme de


ne croire qu'en un rédempteur mythique. La source
intarissable d'émotions religieuses que la prédica-
tion et la passion du Dieu immolé sur la croix ont
fait jaillir, n'a point coulé pour les fidèles de Mithra.
Par contre les liturgies orthodoxes ou héré-
tiques, qui se sont fixées peu à peu durant les
premiers siècles de notre ère, purent chercher plus
d'une inspiration dans ces mystères qui, de tous-
ceux des païens, offraient avec les institutions
chrétiennes le plus d'affinités. Nous ignorons
si le rituel des sacrements et les espérances qu'on

y attachait, ont pu subir en quelque mesure l'in-


fluence des pratiques et des dogmes mazdéens ( ). L

Peut-être la coutume d'invoquer le Soleil trois


fois chaque jour, à l'aurore, à midi et au crépus-
cule, a-t-elle été reproduite dans les prières
quotidiennes de l'Église ( 2), et il paraît certain que

du mithriacisme dans la tradition chrétienne. Je ferai cependant obser-


ver que les croyances mazdéennes sur la venue au monde de Mithra
ont singulièrement varié (cf. M. M. M., t. I, p. 160 s. L'hypothèse de
>. —
Dieterich trouverait une confirmation indirecte dans l'archéologie, si,
comme veut le démontrer M. Bienkowski (De prototypo quodam Ro-
mano adorationis magorum [Eos, XVII, 1911, p. 45 ss.]), une base
sculptée de la collection Borghèse représentait ces mages arméniens
apportant des offrandes et avait servi de prototype aux monuments
chrétiens figurant l'adoration des mages. Mais cf. von Sybel, Rômische
Mitt:, XVII, 1912, p. 3u ss. île modèle imité dans l'art chrétien pri-
mitif serait une œuvre perdue du I er siècle), et aussi Clermont-Ganneau,
Recueil d'archéol. orientale, VII, p. 85.
(!) Sur les ressemblances du rituel mithriaque et du rituel chrétien;

voyez Roeses, Ueber Mithrasdienst (Progr. Stralsund), igo5, p. 26 s.;


cf. Harnack, op. cit., p. 272, n. 1.

(
Usener, Gôttemamen, p. 186, n. 27;
2
) cf. cependant Duchesne,
Origines du culte chrétien, 2 e édit., p. 431 s.
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE 207

la commémoration de la Nativité a été placée au


25 décembre parce qu'on fêtait au solstice d'hiver
le Natalis Inpicti, la renaissance du dieu invin-
cible (*). En adoptant cette date, qui était univer-
sellement marquée par des réjouissances sacrées,
l'autorité ecclésiastique purifia en quelque sorte
des usages profanes qu'elle ne pouvait supprimer.
Le seul domaine où nous puissions constater en
détail l'étendue des emprunts, est celui de l'art.
La sculpture mithriaque, plus anciennement déve-
loppée, fournit aux vieux marbriers chrétiens une
foule de modèles qu'ils adoptèrent ou adaptèrent.
Ainsi, ils s'inspirèrent du type de Mithra faisant à

coups de flèches jaillir la source d'eau vive ( 2 ) pour


créer celui de Moïse frappant de sa verge le
rocher d'Horeb. Fidèles à une tradition invété-
rée, ils reproduisent même ces figures des divinités
cosmiques, comme le Ciel ou les Vents, dont la
foi nouvelle avait proscrit l'adoration, et l'on
retrouve sur les sarcophages, dans les miniatures,
et jusque sur les portails des églises romanes des
preuves de l'influence exercée par les grandes
compositions qui ornaient les grottes sacrées ( 3 ).
Il ne faudrait point cependant s'exagérer la
valeur de ces rapprochements. Si le christianisme
et le mithriacisme offraient des ressemblances

{}) Cf. supra, p. 173; M. M. M. t.I, p. 342, n. 4.; Usener, Sol invictus

=
(RheinMus. LX,) -pp. 466, 489. Weilinachtsfest, 2 e éd., ign,p.348 ss.;
Cumont, Comptes rendus Acad. Inscr., 1911, p. 292; Vacandard, Études
de critique et d'histoire religieuse, t. III, 1912, p. 16 ss.
2
( )
Cf. supra, p. i38.
3 Cf. l'appendice de ce volume,
( ) p. 237 s.
208 MYSTERES DE MITHRA

profondes, dont les principales étaient la croyance


à la purification des âmes et l'espoir d'une résur-
rection bienheureuse, des différences non moins
essentielles les séparaient. La plus importante
était l'antithèse de leurs relations avec le paga-
nisme romain. Les mystères mazdéens cherchèrent
à le gagner par une série d'accommodements et
de compromissions; ils essayèrent de fonder le
monothéisme tout en respectant le polythéisme,
tandis que l'Église était en principe, sinon tou-
jours en pratique, l'antagoniste intransigeante de
toute idolâtrie. La première attitude était en
apparence la plus avantageuse elle donnait à la
:

religion persique une élasticité plus souple et une


plus grande faculté d'adaptation, et elle attira
vers le dieu tauroctone tous ceux qui craignaient
une rupture douloureuse avec d'antiques traditions
et avec la société contemporaine. Beaucoup durent
adopter de préférence des dogmes qui satisfai-
saient leurs aspirations vers une pureté plus par-
faite et un monde meilleur, sans les obliger à
détester la foi de leurs pères et l'Etat dont ils

étaient citoyens. Alors que l'Église grandit au


milieu des persécutions, cette politique de tran-
sactions assura au mithriacisme d'abord une large
tolérance, plus tard la faveur de l'autorité pu-
blique. Mais elle l'empêcha aussi de se libérer des
superstitions grossières ou ridicules qui compli-
quaient son rituel et sa théologie elle l'engagea,
;

malgré son austérité, dans un alliance équivoque


avec le culte orgiaque de l'amante d'Attis, et elle
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE 2 0g

l'obligea à traîner tout le poids d'un passé chimé-


rique ou odieux. Si ce mazdéisme romanisé avait
triomphé, il n'eut pas seulement assuré la perpé-
tuité de toutes les aberrations du mysticisme
païen, mais aussi celle d'une physique erronée,
sur laquelle sa dogmatique reposait. La doctrine
chrétienne, qui rompait avec le culte de la nature,
sut rester exempte de ces mélanges impurs, et
son affranchissement de toute attache compromet-
tante lui assurait une immense supériorité. Sa
valeur négative, sa lutte contre des préjugés sécu-
laires, lui ont conquis les âmes, autant que les
espérances positives qu'elle pouvait leur apporter.
Tandis qu'elle accomplissait ce prodige de triom-
pher du monde ancien malgré les lois et la police
impériale, les mystères mithriaques furent promp-
tement abolis dès que la protection de l'État se
changea en hostilité.
Ils lurent à l'apogée de leur puissance vers le
milieu du III e siècle, et il sembla un instant que
le monde dût devenir mithriaste (*). Mais les pre-
mières invasions des barbares et notamment la
perte définitive de la Dacie (275 ap. J.-C), suivie
bientôt de celle des Champs Décumates, portèrent
un coup mazdéenne, qui domi-
terrible à la secte
nait surtout à la périphérie de Yorbis Romanus.
Dans toute la Pannonie et jusqu'à Virunum, aux
frontières de l'Italie, ses temples furent saccagés 2 ).
(

I,
On a souvent répété le mot de Renan {Marc Aurèle, p. 579)
1
) :

« Si le christianisme eût été arrêté dans sa croissance par quelque mala-


die mortelle, le monde eût été mithriaste. »
( )
2 CIL, III, 4796 ; cf. M. M. M., mon. 223, note (p. 328, s.) et mon.
248 l(p. 35g).

H
2 I O MYSTÈRES DE MITHRA

Chacun des désastres de l'empire était aussi pour


le dieu invincible » une défaite qui enlevait
«

la en son secours. En revanche les


confiance
pouvoirs officiels, menacés par les progrès rapides
du christianisme, soutenaient avec une énergie
croissante l'adversaire le plus redoutable qu'ils
pussent lui opposer. Dans la débâcle universelle,
l'armée était la seule institution qui fût restée
debout, et les Césars créés par les légions devaient
nécessairement s'appuyer sur une religion pra-
tiquée surtout par les soldats. En 274, Aurélien
fondait, à côté des mystères du dieu tauroctone,
un culte public, largement doté, en l'honneur
de Sol invictus ( ). Dioclétien, dont la cour avec
l

sa hiérarchie compliquée , ses prosternations


devant le maître et sa foule d'eunuques, était
de l'aveu des contemporains une imitation de
celle des Sassanides, fut naturellement enclin
à adopter des doctrines d'origine perse, qui flat-
taient ses instincts despotiques. L'empereur et
les princes qu'il s'était associés, réunis en 307 à
Carnuntum, y restaurèrent un temple du protec-
teur céleste de leur empire reconstitué ( 2 ). Les
chrétiens allèrent jusqu'à considérer, non sans
quelque apparence de raison, le clergé mithriaque
comme l'instigateur de la grande persécution de
Galère ( 3 ). Une héliolâtrie vaguement monothéiste
parut sur le point de devenir, dans l'empire

(
x
) Cf. supra, p. 197.
2 Cf. supra, p. 88.
( )

3 Théoph., Chronogr., A. M., 5794. Cf. M. M. M.,


( ) II, p. 462.
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE 211

romain comme dans l'Iran, la religion d'État,


unique et intolérante. C'est sous la protection de
Sol que les armées de Licinius marchèrent contre
Constantin ( ). La victoire de celui-ci vint ruiner
1

les espérances que la politique de ses prédéces-


seurs avait fait concevoir aux adorateurs du Soleil.
Quoiqu'il n'ait jamais poursuivi des croyances
héréditaires dans sa famille et qu'il avait lui-

même partagées (
2
), elle cessèrent de constituer un
culte reconnu pour devenir un culte toléré. Ses
successeurs leur furent résolument hostiles. A une
défiance latente succéda une persécution ouverte.
La polémique chrétienne ne se borne plus à
ridiculiser les légendes et les pratiques des mys-
tères mazdéens, ni même à leur reprocher d'avoir
pour fondateurs les ennemis irréconciliables de
Rome ; elle réclame à grands cris la destruction
3
totale de l'idolâtrie ( ),
et ses exhortations sont
4
promptement ). Lorsqu'un rhéteur
suivies d'effet (

nous que sous Constance personne n'osait


dit
plus contempler le lever et le coucher du soleil,
(!|Usener, Sol invictus (Rhein. Mus., LX), p. 479 Weihnachts- =
fest, 2 e édit., p. 36o
s. —
Une inscription très remarquable nous apprend
que Licinius établit dans le camp de Salvosia, en Mésie, un sacrifice
annuel en l'honneur de Sol, le 18 novembre, qui était le premier jour de
l'année suivant le calendrier d'Antioche; cf. A. von Domaszewski,
Abhandl. zur rôm. Relig., 190g, p. 206 sq.
2(M. M. M. I, p. 344, n. 9, Cf. Preger, Konstantinos-Helios (Hermès,
)

XXXVI;, 1901, p. 457; Maurice, Comptes rendus Acad. Inscr., 1910,


p. 96 ss.

( )
3 Firmicus Maternus, De err. prof, relig., c. 4, 20, 28. — Firmicus,
qui était un païen et un astrologue converti, met dans ses attaques
toute l'outrance d'un homme qui doit donner des gages à son nouveau
parti.

(
4
)
Schulze, Untergang des Heidentums,t. I, 1887, p. 75.
212 MYSTERES DE MITHRA

.
que les marins eux-mêmes s'abste-
paysans et les
naient d'observer les astres, et tenaient tremblants
les yeux fixés à terre ( ), ces déclamations empha-
!

tiques sont un écho grossi des craintes qui rem-


plissaient alors tous les païens.
La proclamation de
Julien amena tout à coup
un revirement inattendu. Le philosophe porté au
trône par l'armée des Gaules, avait depuis son
2
enfance une dévotion secrète pour Hélios (
). Selon
sa conviction, ce dieu l'avait fait échapper aux
périls qui avaient menacé sa jeunesse ( ) il croyait 3
;

tenir de lui une mission sacrée, et se regardait


comme son serviteur ou plutôt comme son fils
spirituel ( 4 ). Il a consacré à ce « roi » céleste un
discours où l'ardeur de sa foi transforme par
endroits une froide dissertation théologique en un
dithyrambe enflammé 5 ) et la ferveur de sa (
,

dévotion pour l'astre qu'il adorait, ne se démentit


pas jusqu'à l'heure de sa mort ( 6 ).
Le jeune prince devait être attiré particulière-
ment vers les mystères par son penchant super-
stitieux pour le surnatuel. Avant son avènement,
peut-être même dès son adolescence, il fut intro-
duit secrètement dans un conventicule mithriaque

(!) Mamert., Grat. actio in lulian., c. 23.


2
( ) Jul. Or. IV, début.
(
3
) Jul. Or. VII, p. 227, C
(
4
) C; Caes., 336, C; Eunape, Hist.fr.,
Jul. Or. IV, p. i3o; VII, 229,
24 ; Sozom., VI.Maurice, C. R. Acad.Inscr., 1910, p. 96.
2, 11 ; cf.

(
5 Or., IV, Eiç fiaoïXéa "HX.iov. Cf. Mau„ Die Religionsphilosophie
)

Kaiser Julian's, 1908, et ma Théologie solaire, p. 2i(407)sqq.


(
6 Sozom., VI, 11 Philost., VII, 5, Malalas, p. i33 (Bonn).
) ;
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE 2l3

par le philosophe Maxime d'Ephèse ]

( ).
Les céré-
monies d'initiation eurent fortement prise sur ses
sentiments. Il se crut désormais placé sous le

patronage de Mithra dans cette vie et dans


l'autre (
2
). Aussitôt qu'il eut jeté le masque et se fut
proclamé ouvertement païen, il appela Maxime
auprès de lui, et, alors sans doute, il eut recours
à des ablutions et des purifications extraordinaires
pour effacer la souillure qu'il avait contractée en
recevant le baptême et la communion des chré-
tiens (
3
). A peine fut-il monté sur le trône, qu'il
s'empressa d'introduire le culte persique à Con-
stantinople, et il établit dans le palais même un
temple, où «tour à tour initié et initiateur», il
participait aux cérémonies occultes avec ses
intimes ( 4 ). Presque simultanément les premiers
5
tauroboles étaient accomplis à Athènes ( ).
De toutes parts les sectateurs des mages rele-
vèrent la tête. A Alexandrie, le patriarche Georges
ayant voulu construire une église sur les ruines
d'un mithréum, provoqua une émeute sanglante.
Arrêté par les magistrats, il fut arraché de sa
prison par la populace, et cruellement mis à mort
le 24 décembre 36 1, la veille du Natalis Inviçti^).

(!) Grég. Nazianze, Or. IV, 55 cf. M. M. M., t. I, p. 357-


;

(2) C; cf. Or. IV, p. i58, C; Epist., 63


Jul., Caes., p. 366, (p. 586, 5,

Hertlein).
(
3 Grég. Naz., Or. IV, 52; Sozom., V, 2, 1; cf. Allard, Julien
)

l'Apostat, II (igo3), p. 219 s.

(
4
)
Libanais, Or. XVIII, 127 (infra, appendice); Himérius, Or. VII,
p. 60 (Didot). Cf. Allard, l. c, p. 220.
(5) CIA, III, 172, 173.

(6) Socrate, Hist. eccl., III, 2; Sozom., Hist. eccl., V, 7. La date


214 MYSTERES DE MITHRA

L'empereur se contenta d'adresser à la ville de


1
Sérapis des remontrances paternelles ( ).
Mais bientôt l'Apostat périssait dans cette expé-
dition contre les Perses, où l'avaient entraîné
peut-être le secret désir de conquérir le pays qui
lui avait donné sa foi, et l'assurance qu'entre ses
hommages et ceux de ses ennemis, son dieu tuté-
laire choisirait les siens. Ainsi échoua cette courte
tentative de réaction, et le christianisme défini-
tivement vainqueur s'attacha à extirper une erreur
qui lui avait causé de si chaudes alarmes. Avant
même que les souverains eussent interdit l'exer-
cice de l'idolâtrie, leurs édits contre l'astrologie
et la magie fournirent un moyen détourné d'at-
teindre le clergé et les fidèles de Mithra( ). En
2

371, beaucoup de ceux qui s'adonnaient aux pra-


tiques occultes, furent impliqués dans un prétendu
complot et mis à mort ( 3 ). Le mystagogue Maxime
périt lui-même victime d'une accusation de ce
4
genre ( ).
Bientôt une série de constitutions impériales
frappèrent directement la secte réprouvée. Dans
les provinces, les soulèvements populaires devan-
cèrent souvent l'action des magistrats (
5
). La foule

exacte est donnée par YHistoria acephala, p. 68, édit. Maffei. Peut-être
un autre mithréum fut-il découvert en 3gi, sous le patriarchat
de Théophile; cf.Socrate, V, 16. Rufin,XI, 22, et infra appendice p. 248.

(!) Jul., Epist. 10.


(2) Cod. Theod., IX, 16; Cod. Iust., IX, 18.
(3) Zosime, IV, i3 Ammien, XXIX, 1, 2.
;

(
4
)
Eunape, Vit. soph., p. 63, Boiss.; Socrate, III, 1, 2.

( )
5 date de la destruction des temples est le plus souvent incer-
La
taine, mais les trouvailles de monnaies paraissent indiquer que la plu-
MIÏHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE 210

saccageait les temples et les livrait aux flammes


avec la complicité des autorités ( ). Les ruines des 1

mithréums attestent la violence de cette fureur


dévastatrice. A Rome même,
en 377, le préfet
Gracchus, désirant obtenir le baptême, donna des
gages de la sincérité de sa conversion en « renver-
sant, brisant, bouleversant ( 2 ) » une crypte avec
toutes les statues qu'elle contenait. Souvent, pour
soustraire au pillage leurs grottes restées inacces-
3
sibles, les prêtres en murèrent l'entrée ( ), ou bien
ils mirent à l'abri dans des cachettes sûres leurs

images sacrées ( 4 ), convaincus que l'orage qui avait


fondu sur eux était passager, et qu'après les jours
d'épreuves leur dieu ferait luire pour eux celui du
triomphe final. Par contre les chrétiens, pour
rendre désormais impropre au culte un lieu souillé
par la présence d'un cadavre, exécutaient parfois le
sacrificateur rebelle aux lois, et l'enterraient dans
5
les ruines du sanctuaire à jamais profané (fig.24)( ).
L'espoir d'une restauration se maintenait sur-
tout vivace à Rome, restée la capitale du paga-
nisme. L'aristocratie, demeurée fidèle aux tradi-
tions ancêtres, le soutenait de ses richesses et de

part d'entre eux — en dehors de la Germanie et de la Dacie — ont été


ruinés sous le règne de Gratien (367-383 ap. J.-C); cf. M. M. M.,
mon., 97, 5° (p. 257); 2i3 (p. 322); 223 g (p. 328); 237 (p. 338).
(!)Mon., 83 d ; suppl. 2286/s (p. 5oo); 273*0;- (p. 5i8).
I
2 Jérôme, Epist. 107 ad Laetam (M. M. M., t. II, p. 18J Nonne
) S* :

specurn Mithrae et oinnia portentosa simulacra subvertit, fregit,


. . .

excussit ?

(
3
)
Mon., 4 (Sidon), mon., i5, 19 (Rome).
(
4
)
Mon., 16 (Rome); cf.. mon., 246 a (Osterburken).
(
5
)
Mon., 2jSter, M. M. M. t. II, p. 5ig (Sarrebourg).
2l6 MYSTERES DE MITHRA

son prestige. Ses membres aimaient à se parer


des titres de « Père des Pères » ou de « Héraut
sacré de Mithra invincible », et multipliaient les
1
offrandes et les fondations ( ). Ils redoublèrent
envers lui de générosité, lorsque Gratien eut

FIG._ 24. SQUELETTE ENCHAINE DECOUVERT DANS LES RUINES


DU TEMPLE DE SARREBOURG.

spolié les temples de leurs biens (382 ap. J.-C).


Un grand seigneur nous raconte en mauvais vers
comment il releva une crypte splendide, construite
par son aïeul près de la voie Flaminienne, et sut

(!) CIL, VI, 5n,749ss., 1778 s., 2i5i.


5oo, 504, 5io, —
La dernière
Agorius Praetextatus, qui
inscription, datée (387), est celle de Vettius
mourut en 385 (CIL, VI, 1728) et dont Macrobe a fait l'un des inter-
locuteurs de ses Saturnales (supra, p. 198).
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE 217

se passer de toute subvention publique (*). L'usur-


pation d'Eugène parut un moment devoir amener
la résurrection attendue. Le préfet du prétoire,
Nicomachus Flavianus, accomplit de tauroboles
solennels, et renouvela dans un antre sacré les
mystères du « dieu allié » du prétendant (deum
comitem)( 2 ). Mais la victoire de Théodose (394)
vint ruiner définitivement les espérances des par-
tisans attardés des anciennes croyances.
Quelques conventicules clandestins purent
s'obstiner encore à s'assembler dans les souter-
a
rains des palais ( ) ; le culte du dieu perse put se
e
survivre au v siècle dans certains cantons perdus
des Alpes ou des Vosges ). Ainsi, l'attachement
(
J

aux mithriaques persista longtemps dans la


rites
tribu des Anauni, maîtresse d'une florissante
vallée dont un étroit défilé ferme l'orifice ( 5 ). Mais
peu à peu ses derniers fidèles abandonnèrent dans
les pays latins une religion frappée d'une
déchéance morale autant que politique. Elle se
maintint avec plus de ténacité dans l'Orient, sa
véritable patrie. Chassée du reste de l'empire,

(i) CIL, VI, 774.


(
2
)
Carmen adv. paganos, 47 ss. (Riese, Anthol. lat., I, p. 21). Cf.
infra, p. 249.
3
( )
Paulin de Noie, Poema ultim., 212 (écrit dans les dernières
années du IV e siècle). Vers 400, Prudence, Contra Symm., I, 309,
attaque encore le culte du Soleil.
(
4
)
Le mithréum de Sarrebourg ne paraît avoir été détruit qu'en 395 ;

(cf. mon., 2-]3tery, M. M. M., t. II, p. 5i8).


5
( )
\S Anaunia, où l'on a trouvé plusieurs monuments mithriaques
(supra, 72), était encore païenne en 397 (Vit. S. Sisinnii dans ,AA.
SS., 29 mai, p. 44).
2l8 MYSTÈRES DE MITHRA

elle trouva un refuge dans les contrées où elle


était née, et acheva lentement de s'y éteindre (').
Seulement les conceptions que le mithriacisme
avait répandues dans l'empire pendant plus de
trois siècles, ne devaient pas périr avec lui. Quel-
ques-unes d'entre elles, même les plus particu-
lières, comme celles relatives au monde infernal,
à l'efficacité des sacrements, à la résurrection de
la chair, étaient acceptées aussi par ses adver-
saires, et, en les propageant, il n'avait fait que
hâter leur domination universelle. Certaines de
ses pratiques sacrées subsistèrent aussi dans le
rituel des fêtes chrétiennes ou dans l'usage popu-
laire.Toutefois ses dogmes fondamentaux étaient
inconciliables avec l'orthodoxie, et ils ne purent
se maintenir qu'en dehors de celle-ci. Sa théorie
sur les actions sidérales, tour à tour condamnée
et tolérée, fut portée par l'astrologie jusqu'au
seuil des temps modernes. Mais c'est à une reli-
gion plus puissante que cette fausse science, que
les mystères persiques devaient léguer, avec leur
haine de l'Eglise, leurs idées cardinales et leur
influence sur les masses.
Le manichéisme, bien qu'il fût l'œuvre d'un
homme, et non le produit d'une longue évolution,
était uni à ces mystères par des affinités mul-
tiples.La tradition suivant laquelle ses premiers
fondateurs auraient conversé en Perse avec des

(}) Les maguséens de Cappadoce pratiquaient encore leur culte


mazdéen en 464 (Priscus, fr. 3i, t. I, p. 342, Hist. min., Dind.);
cf. M. M. M., I, p. 10.
MITHRA ET LES RELIGIONS DE L'EMPIRE 2IÇ

prêtres de Mithra peut être inexacte dans sa


(*),

forme, elle n'en exprime pas moins une vérité


profonde. L'un et l'autre culte avaient été formés
en Orient du mélange de la vieille mythologie
babylonienne avec le dualisme perse, et s'étaient
compliqués dans la suite d'éléments helléniques.
La secte de Manès se répandit dans l'empire sur-
tout durant le IV e siècle, au moment où le mithria-
cisme se mourait, et il fut appelé à recueillir sa
succession ( 2 ). Tous les mystes que la polémique
de l'Église contre le paganisme avait ébranlés
sans les convertir, furent séduits par une foi con-
ciliante, qui permettait de réunir dans une même
adoration Zoroastre et le Christ. La large diffu-
sion qu'avaient obtenue les croyances mazdéennes
teintées de chaldéisme, avait préparé les
esprits à accueillir l'hérésie; celle-ci trouva les
voies aplanies, et c'est là que réside le secret
de son expansion soudaine. Les doctrines mi-
thriaques, ainsi rénovées, devaient résister pendant
des siècles à toutes les persécutions, et, ressusci-
tant encore sous une forme nouvelle au milieu du
moyen âge, agiter de nouveau l'ancien monde
romain.
I
1
) Hegemonius, Acta Archelai, 63 (p. 91, 20, Beeson); Epiphanius,
Adv. haeres., LXVI, 3; Cyrille, Catech., VI, i3.

(
2
) Kessler, article Mani dans Herzog-Hauck, Realenc. 3
, p. 197.
De Stoop, Diffusion du manicJiéisme, 1909, p. 4 ss.
APPENDICE I (1)

L'ART MITHRIAOUE

Les monuments mithriaques, qui ont été trouvés en


nombre considérable dans les provinces d'Occident et même
en Orient, constituent un groupe homogène, dont il importe
de caractériser l'importance pour l'histoire de l'art romain.
A la vérité, leur mérite artistique est beaucoup moindre que
leur intérêt documentaire, et leur valeur principale n'est
point esthétique mais religieuse. L'époque tardive où ces
œuvres ont vu le jour, nous interdit l'espoir d'y trouver
l'expression d'une véritable puissance créatrice et d'y suivre
lesprogrès d'un développement original. Il serait cependant
peu équitable de les confondre toutes dans un commun
mépris en s'inspirant d'un atticisme étroit. A défaut de génie
inventif, l'adresse dans l'adaptation des motif anciens,
l'habiletéde main dans l'exécution, toutes les qualités de
métier dont elles témoignent parfois, peuvent suffire à les
recommandera notre attention. Quelques-uns de nos groupes
de ronde bosse et de nos bas-reliefs —
car les peintures et les
mosaïques conservées sont si peu nombreuses et si médiocres
qu'on peut s'abstenir d'en parler ( 2 ) —
tiennent un rang fort
honorable dans la foule des sculptures que la période impé-
riale nous a laissées et méritent qu'on s'y arrête un instant.

J
( )
Cet appendice est un remaniement des pages 213-220 du tome I er
de nos M. M. M.
2
( )
Fresques à Rome (M. M. M., mon. n; cf. infra, p. 241), à Spolète
(mon. 97); à Tripoli (infra, p. 246)—Mosaïques à Ostie (mon. 83a, 84^
et 293) et à Sentinum (mon. 298).
.222 MYSTERES DE MITHRA

On peut démontrer
)
que toutes nos représentations du
(
J

Mithra tauroctone, dont la figure hiératique était fixée dès


avant la propagation des mystères en Occident, sont des
répliques plus ou moins fidèles d'un type créé par un sculp-
teur de l'école de Pergame à l'imitation de la Victoire sacri-
fiant qui ornait la balustrade du temple d'Athéna Nikè sur
l'Acropole. Certains marbres découverts à Rome et à Ostie( 2 )
et qui remontent sans doute au début du II e siècle, reflètent
encore l'éclat de cette puissante composition de l'époque
hellénistique. Après une ardente poursuite, le dieu vient
d'atteindre le taureau qui s'abat. Un genou sur la croupe, un
pied sur un de ses sabots, il pèse sur lui pour le maintenir à
terre et lui empoignant d'une main les naseaux, il lui plonge
de l'autre un couteau dans le flanc. La fougue de cette scène
mouvementée fait valoir l'agilité et la vigueur du héros invin-
cible. D'autre part, la douleur de la victime qui râle mori-
bonde et dont un spasme suprême contracte les membres, le
singulier mélange d'exaltation et de regret qui altère les
traits de son meurtrier, font ressortir le côté pathétique de ce
drame sacré, et communiquent encore au spectateur une
émotion que les fidèles ont dû vivement ressentir.
Le visage du dieu ( 3 ), tel que le figurent les meilleurs
morceaux de sculpture, est celui d'un jeune homme d'une
beauté presque féminine: une abondante chevelure bouclée,
qui s'élève au-dessus du front, l'entoure comme d'une au-
réole, la tête est légèrement penchée en arrière de façon que
le regard se dirige vers le ciel, et la contraction des sourcils
etdes lèvres donne à la physionomie une étrange expression
de douleur. Tous ces caractères se retrouvent dans la célèbre
statue du Capitole où l'on reconnu un portrait idéalisé
d'Alexandre, divinisé comme 4
dieu solaire
( ).
Si on lui com-
(!) Cf. M.M.M., t. II, pp. 180 s.

(
2
)
Cf. supra, p. 37, p. 81. Nous avons donné M. Aï. M., t. II, p. 546, une
liste des monuments datés.
(3) Cf. M.M.M., t. I, p. 182.

(
4
)
Helbig, Fùhrer durch die Satnmlungen in Rom, I 3 (1912), p. 497,
no 882.
L'ART MIÏHRIAQUE !23

pare une tête d'Ostie, qui est la meilleure et l'une des


plus anciennes images de Mithra que nous possédions( l ), on
sera frappé de l'indiscutable affinité qui unit les deux œu-
vres. Parfois nos figures se rapprochent davantage d'une
autre production de la même lignée, le prétendu Alexandre
mourant des Offices ( 2 ). L'un et l'autre de ces marbres
célèbres remontent à des originaux de l'époque des dia-
doques et le second peut être attribué à un sculpteur de
Pergame. C'est dans cette école, nous le disions, que selon
toute probabilité on a imaginé l'adaptation de ce type au
Mithra tauroctone. Comme le mouvement et le pathétique
de l'ensemble de la composition, la grâce douloureuse et
presque morbide des traits du héros sont dans la manière
et dans l'esprit de ce temps et de ce pays.
Le type traditionnel des porte-flambeau ou dadophores
(p. i3i) ne se prêtait pas à l'expression des passions aussi vives.
Du moins peut-on remarquer dans les meilleurs exemplaires
le parti avantageux que l'artiste a su tirer de l'ampleur du
vêtement phrygien, et saisir les sentiments divers, espérance
et tristesse, qui se peignent sur les visages des deux jeunes
gens opposés. Nous possédons une reproduction remarquable
de ce couple divin dans les deux statues trouvées près du
Tibre, que Zoëga attribuait à l'époque d'Hadrien, et qui ont
peut-être été importées d'Orient en Italie ( 3 ). On observera
comment leur auteur a su éviter le défaut de symétrie résul-
tant de ce que ces deux personnages, destinés à se faire
pendant, avaient l'un et l'autre le manteau attaché sur
l'épaule gauche et retombant du côté droit.
Le souci du œuvres de l'époque
détail, qui caractérise les
des Antonins, se manifeste avec plus ou moins de bonheur
dans des monuments un peu plus récents. Considérez le
groupe d'Ostie, qui date du règne de Commode, ou le bas-

(
1
)
M.M.M., mon. 2g5 d, ûg. 348; cf. t. II, p. 523, %. 490.
(
2
)
Amelung, Fiïhrer durch die Antiken in Florenz, 1897, n" i5i.
(
s
) M. M. M., mon. 27, pi. II.
224 MYSTÈRES DE MITHRA

relief de la villa Albani, qui paraît contemporain du pre-


mier (*) L'artiste s'est complu à multiplier les plis des
:

vêtements, à entortiller les boucles des chevelures pour


montrer son adresse à vaincre les difficultés qu'il s'était lui-
même créées, mais ce curieux maniérisme ne rachète pas la
froideur de l'impression d'ensemble. Le succès de ce procédé
minutieux est plus heureux dans les morceaux de dimensions
réduites. Un petit marbre, trouvé récemment à Aquilée et
que reproduit notre planche du frontispice, se distinge à cet
égard par une « déconcertante habileté technique ». Les
figures délicatement fouillées se détachent presque entière-
ment du bloc massif auquel elles ne sont rattachées que par
de minces supports. C'est un morceau de bravoure, où le
sculpteur fait montre de sa virtuosité à obtenir d'une
manière cassante les mêmes effets que le ciseleur fait pro-
duire au métal ductile ( 2 ).
Mais les œuvres de cette perfection relative sont rares en
Italie et surtout en province, et il faut reconnaître que la
grande masse des monuments mithriaques est d'une déso-
lante médiocrité. Les praticiens ou tailleurs de pierre ils —
ne méritent pas d'autre nom —
auxquels ces ouvrages sont
dus, se contentaient souvent d'esquisser en quelques coups
de ciseau la scène qu'ils prétendaient reproduire. Une enlu-
minure brutale accusait ensuite certains détails. Le modelé
est parfois si sommaire que seuls les contours sont bien
marqués, comme dans les hiéroglyphes, et que le travail tient

(!) M M. M., mon. 79, fig. 67, et mon. 38, fig. 45.

( R. von Schneider (l. c, t. II, p. 488), qui reconnaît dans cette


£
)

œuvre « ein verblûffendes technisches Geschick », en rapproche les


reliefs de la base de la colonne Antonine (Brunn, Denkmâler gr. u. rôm.
Skulptur, pi. 210 6), un bas-relief du Campo-Santo de Pise (Dûtschke,
Bildwerke in Ober-Italien, I. n° 60), et le buste de Commode au Palais
des Conservateurs .{Helbig,Fuhrer, 3 e éd.,n° g3o). La même application
de la technique du métal au marbre se remarque dans deux bustes,
admirablement conservés, qui ont été découverts à Smyrne et se trou-
vent aujourd'hui au Musée du Cinquantenaire (Catal. des sculptures et
inscr. antiques, 2 e éd., 1913, n os 39-40).
L'ART MITHRIAQUE 225

autant du dessin que de ). Il suffisait, à la


la plastique (
I

vérité,d'ébaucher des représentations dont tous les fidèles


connaissaient le sens et qu'ils complétaient par l'imagination,
et notre ignorance nous fait plus vivement sentir les imper-
fections d'une facture maladroite et indécise. Néanmoins
certains petits bas-reliefs n'ont jamais étéque de vraies
caricatures, dont les personnages approchentdu grotesque,
et rappellent par leur difformité ces bonshommes de pain
d'épice qu'on vend dans nos foires.
La négligence avec laquelle ces tablettes sont exécutées a
pour excuse leur destination. Les mystes de Mithra avaient
l'habitude non seulement de les consacrer dans les temples,
mais encore d'en orner les oratoires de leurs modestes
demeures. Cet usage domestique permet d'expliquer l'énorme
quantité de ces monuments qui ont été trouvés partout où le
culte a pénétré. Pour répondre à la demande incessante qu'en
faisaient les fidèles, les ateliers de sculpture durent les exé-
cuter rapidement et en grande masse. Les auteurs de ces pro-
duits de pacotille ne songeaient qu'à satisfaire à bon marché
une clientèle de dévots, dont le sentiment artistique était peu
exigeant. Les fabricants anciens confectionnaient des cen-
taines de Mithra tauroctones semblables ( 2 ), comme nos
industriels multiplient à foison le même crucifix ou la même
Vierge. C'était l'imagerie religieuse de l'époque et elle était
aussi peu esthétique que celle d'aujourd'hui.
Ces manufactures ne se bornaient pas à façonner perpé-
tuellement des répliques d'un même type traditionnel, elles
savaient diversifier leur assortiment pour s'accommoder à
tous les goûts et à toutes les bourses. Passons en revue la
série des ex-voto recueillis dans le mithréum de Sarmizéeré-

(!) M.M.M., mon.


16, 244 etc.
2
L'absence de machines excluait naturellement une similitude
( )

absolue, mais certains de nos bas-reliefs sont certainement d'une seule


et même main ou du moins sortent du même atelier; cf. M. M. M.,
t. II, mon. 45 et 46; g3, fig. 85 et 95, fig. 87 : 192 et ig2bis [modernes ?] ;

194 et ig5.

15
226 MYSTERES DE MITHRA

tusa en Dacie ( ).
jMous y trouverons des échantillons de tous
!

les modèles que reproduisaient les ateliers deTendroit. On


évite la ronde bosse qui est trop ardue et trop dispendieuse.
Tout au plus ajoure-t-on certaines parties du marbre de
façon à dégager le groupe du dieu tauroctone. Mais quelle
variété dans ces petits bas-reliefs qu'on fixait aux parois du

FIG. 25. BAS-RELIEF TRAVAILLÉ A JOUR, MUSÉE DE PALERME (mon. I2o).

sanctuaire ! Pour un prix minime on obtiendra une tablette


carrée portant seulement l'immolation du taureau. Parfois
sa valeur est rehaussée par l'adjonction d'une sorte de pré-
delle divisée en trois ou quatre tableautins. Ailleurs la com-
position se complique d'un registre supérieur décoré de
scènes accessoires. Celles-ci envahissent enfin les bords

(i) M. M. M., t. II, n os i38-i83.


L'ART MITHRIAQUE 227

latéraux du monument et entourent des quatre côtés la


représentation principale. Puis, la fantaisie de l'ouvrier se
donnant carrière, il imaginera d'enfermer le dieu tauroctone
dans un cercle, orné des signes du zodiaque, ou dans une
couronne de feuillage il ajoutera ou il omettra des encadre-
;

ments; il s'ingéniera à donner à sa plaque sculptée des


formes nouvelles; elle sera à volonté carrée, oblongue,
cintrée, trapézoïdale, ou même ronde. Il n'est pas deux de
ces pièces dont l'aspect soit parfaitement semblable.
Si ces commerciaux d'un travail mercenaire
produits
n'ont avec que des rapports très éloignés, ils n'en four-
l'art

nissent pas moins des indications utiles sur l'industrie de la


pierre dans l'antiquité. Nous avons des preuves nombreuses
qu'une bonne partie des sculptures destinées aux cités pro-
vinciales était, sous l'Empire, exécutée à Rome (
l
). C'est
probablement le cas pour quelques-uns de nos monuments
trouvés en Gaule, et même pour deux de ceux qui ornaient
un mithréum de Londres ( 2 ). Par contre, certaines statues
découvertes dans la capitale ont pu y être importées de
l'Asie Mineure ( 3 ). Les beaux bas-reliefs de Virunum ( 4 ) y ont
pareillement été amenés du dehors, sans doute par la voie
d'Aquilée. On connaît par la passion des Quatre Couronnés
l'importance au III e siècle, des carrières de Pannonie 5 ), où (

des centaines d'ouvriers non seulement extrayaient mais


travaillaient le marbre. Ces chantiers paraissent avoir été un
centre important de fabrication d'ex-voto mithriaques. Du
moins plusieurs de ceux-ci, bien qu'exhumés dans les tem-
ples de Germanie, sont certainement originaires des bords

(!) Friedlânder, Sittengeschichte, t. III 6 p


,
280.

(
2
)
M. M. M., t. II, mon. 267 et la note p. 390; cf. infra, p. 245.
(
3
) M. M. M., t. II, mon. 235 et la note p. 338. Cf. infra, p. 23o, n. 1.

( )
4 Cf. supra, pp. u3 et 134.

(
5 Wattenbach, Passio sanct. quatuor coronat., avec des notes de
)

Benndorf et de Max Bùdinger,i87o cf. Friedlânder, op. cit., p. 282. Un


;

nouveau texte a été publié par Wattenbach, Sitzb. Akad., Berlin,


XL.VII, 1896, p. 1281 ss. Il en existe une traduction grecque encore
inédite; cf. Analecta Bollandiana, XVI, 1897, p. 337.
228 MYSTÈRES DE MITHRA

du Danube (
1
). Ces constatations jettent un jour curieux sur
le négoce des ornements d'église au temps du paganisme.
Néanmoins la majorité de nos monuments a sans aucun
doute été exécutée sur place. La chose est évidente pour
ceux qui étaient sculptés dans la paroi des rochers aplanis
— malheureusement ils sont tous fort endommagés, mais —
la certitude d'une fabrication indigène ressort pour beaucoup
d'autres encore de la nature de la pierre employée ( 2 ). D'ail-
leurs la facture de ces morceaux révèle assez clairement
qu'ils ne sont pas dus aux maîtres étrangers d'un grand cen-
tre artistique, ni même à ces sculpteurs nomades, qui par-
couraient le pays en quête d'entreprises lucratives ou
glorieuses (
3
), mais aux modestes lapicides établis dans
quelque ville voisine.
Les monuments les plus considérables sont aussi ceux
dont l'origine locale est la mieux établie, car leur transport
eût entraîné à la fois des risques multiples et des frais exa-
gérés. La collection des grands bas-reliefs mithriaques
constitue ainsi une pour l'étude
série des plus intéressantes
de l'art provincial sous l'Empire. Sans doute, pas plus que la
masse des tablettes votives, ces sculptures destinées à être
exposées dans l'abside des temples à l'adoration des fidèles,
ne sont des chefs-d'œuvre, mais on ne les a cependant pas
traitées avec le même sans gêne, et l'on sent que leurs
auteurs s'y sont appliqués à faire de leur mieux. S'ils ne
peuvent guère prouver leur originalité dans l'invention des
sujets, ils témoignent de leur ingéniosité dans l'agencement
des figures, et de leur savoir faire dans l'exécution matérielle.
Il ne faut pas oublier d'ailleurs, en jugeant ces morceaux,

que le peintre venait au secours du sculpteur, et que la


brosse pouvait achever ce que le ciseau n'avait fait qu'ébau-
cher. Sur le marbre nu ou sur la pierre enduite de stuc, on

(!) Mon. 248 c, 25 1 g (le marbre « italien » est probablement « panno-


nien »), 253 l, 260 et les notes p. 38o.
(
2
)
M. M. M., I, p. 217, n. 1.

(
3
)
Friedlânder, Sittengesch., III 6 , p. 284 ss.
L'ART MITHRIAQUE 22Q,

appliquait des tons violents : le vert, le bleu, le jaune, le


noir et toutes les nuances du rouge, étaient associés sans
discrétion. L'opposition des couleurs accusait les grands
contours et faisait saillir les parties secondaires. Souvent
même, des détails n'étaient indiqués qu'au pinceau. La
dorure rehaussait enfin certains accessoires. Dans la pé-
nombre des cryptes souterraines le relief de la sculpture eût
été presque indistinct sans une brillante polychromie. Celle-ci
dans les traditions de l'art oriental, et Lucien
était d'ailleurs
oppose déjà formes simples et gracieuses des divinités
les
helléniques à la richesse éclatante de celles importées
d'Asie (i).

Les plus remarquables de ces œuvres ont été mises au jour


dans le nord de la Gaule ou pour mieux dire sur la frontière
rhénane ce sont les grands bas-reliefs de Neuenheim,
:

d'Osterburken, de Heddernheim, de Sarrebourg( 2 ).Il semble


qu'il faille attribuer tout ce groupe de monuments à cette
intéressante école de sculpture qui florissait en Belgique au
II e et III e siècles, et dont les productions se distinguent
avantageusement de celles des ateliers du midi ( 3 ). On ne
peut jeter les yeux sur le bas-relief d'Osterburken ( 4 ), le plus
complet de la série, sans être frappé de la richesse et de
l'harmonie générale de cette vaste composition. L'impres-
sion confuse résultant de l'accumulation des personnages et
des groupes —
défaut que les monuments mithriaques par-
tagent avec beaucoup d'autres de leur époque et notam-
ment avec les sarcophages d'une composition généralement
si surchargée —
est ici tempérée par l'emploi judicieux des
filets et des encadrements. Si l'on voulait critiquer les

détails de tous ces ouvrages, il serait aisé d'y reprendre la


disproportion de quelques figures, la gaucherie de certains

(*) Lucien, Iup. trag., § 8.

(
2
)
M. M. M., mon. 245, 246, 25i d, suppl. 273^'.
(
3
) Friedlânder, Sitteng III 6 p. 276
, ,
ss. — Il y a notamment une
affinité manifeste entre nos bas-reliefs et le monument d'Igel.

(
4
)
M. M. M., t. II, mon. 246 et pi. VI.
23o MYSTERES DE MITHRA

mouvements, et parfois la raideur des attitudes et des vête-


ments, mais ces faiblesses ne doivent faire oublier ni la
délicatesse du travail dans une matière friable, ni surtout le
succès louable avec lequel a été réalisée une conception
d'une véritable grandeur. Prétendre représenter sur la
pierre non seulement mais la cosmogonie des
les divinités,
mystères et les épisodes de la légende de Mithra jusqu'à
l'immolation suprême du taureau, était une entreprise
périlleuse dont la réussite même imparfaite est déjà méri-
toire. On trouve déjà antérieurement, en particulier sur les
sarcophages, des applications du procédé qui consiste à
figurer les moments successifs d'une action dans des
tableaux superposés ( ! ), ou sur des plans parallèles, mais nous
ne pourrions citer cependant aucun monument du paga-
nisme romain qui puisse à cet égard être comparé à nos
grands bas-reliefs, et il faudra attendre, pour retrouver une
tentative analogue, les longues compositions dont les
mosaïstes chrétiens décoreront les parois des églises.
M. F. Drexel (
2
) a récemment essayé de reconstituer
avec plus de précision que je ne l'avais fait, le développe-
ment et la diffusion des types sculpturaux dont on peut
suivre la transmission dans les monuments mithriaques.
Nous pouvons distinguer à sa suite différents stades dans ce
développement.
I. Le groupe le plus simple est celui du Mithra tauroc-

tone, imité de la Victoire sacrifiant, sans aucune figure


accessoire. Sous cette forme originelle, comme sculpture de

(!) Comparer le bas-relief du musée de Naples (inv. 6683) où les

douze travaux d'Hercule sont disposés autour d'une représentation


d'Hercule et d'Omphale (Millin, Gai. Myth,. pi. CXVII, n° 4 53), abso-
lument comme les scènes accessoires sur les bas-reliefs du groupe
rhénan (p. 232). Ces tableaux superposés sont empruntés à l'art
d'Asie mineure (Wood, Ephesus, p. 222; Humann-Cichorius, Alter-.
tûmer von Hierapolis, 1898, p. 63, n os 10-11, etc.). D'autres emprunts à
l'art asiatique (figures sur les faces antérieure et latérales des autels,
etc.) sont signalés par Drexel, op. cit., p. 80 s.

2
( )
Drexel, Das Kastell Stockstadt, 1910, p. 77.
L'ART MITHRIAQUE 23l

ronde bosse, ce type est conservé dans une série d'exem-


plaires découverts à Rome et aux environs immédiats. Il

n'est guère représenté dans les provinces (


1
).

Des stades intermédiaires, où à la simple image du dieu


II.
tauroctone on ajoute soit les dadophores ( 2 ), jusque-làséparés
du groupe principal, soit les bustes de Sol et de Luna( 3 ), et où
l'ensemble est placé au milieu de rochers ( 4 ), conduisirent à la
composition du type de bas-reliefs le plus répandu. Celui-ci
montre Mithra immolant le taureau entre les deux dado-
phores, dans une grotte au-dessus de laquelle sont fixés les
images de Sol et de Luna (p. 81). On le rencontre partout où
le culte du dieu perse a pénétré, en Egypte et en Afrique,
comme dans les pays du Nord. Dans la foule des bas-reliefs
de ce type le plus général, on peut distinguer une série
qui se place entre le groupe rhénan et le groupe danubien
dont nous allons parler ( 5 ), et qui embrasse l'Italie, le
Norique et une partie de la Pannonie. Le culte a été intro-
duit ici d'Italie par la voie d'Aquilée (p. 65), et l'archéo-
logie indique cette origine 6
( ).

Nous ajouterons qu'une variante de ce type encore relati-


vement simple est celle où Mithra, dieu solaire, est entouré
seulement des signes du Zodiaque, des bustes des Vents et
des Saisons, c'est-à-dire de symboles cosmiques. Les deux
monuments les plus remarquables de ce genre ont été
découverts, chose curieuse, aux deux extrémités du monde
romain, l'un à Sidon, en Phénicie (p. 124), et l'autre à
Londres (p. 56). Mais il a sans doute été répandu au moins
dans certaines régions intermédiaires ( 7 ).
III. La composition se complique par l'adjonction de

(!) Mon. 173, 225 3., 226, 280, 284. Cf. supra,. p. 37, ûg. 3, p. 28, fig. 2.
(
2
)
Mon. 65, 217.
(
3
)
Mon. 3o.
(
4
)
Mon. 38, 119, i58.

(
5
)
Observation communiquée par M. Drexel.
(
6
)
Voy. p. ex. la note au monument 235.
(
7
)
Sidon : cf. infra p. 240; Londres : mon. 267; cf. infra p. 245. —
Cf. M. M. M. mon. 220.
232 MYSTÈRES DE MITHRA

scènes accessoires, empruntées aux légendes divines, qui


s'ajoutent parfois aux représentations cosmiques. Ces ta-
bleaux secondaires n'apparaissent que très rarement à Rome
et en Italie (mon. 3i, 114). Il faut distinguer dans cette
catégorie de monuments deux groupes, le groupe danubien
et le groupe rhénan.
Le groupe danubien est caractérisé par l'existence sous la
figure traditionnelle de Mithra tauroctone d'une sorte de
prédelle qui contient dans des encadrements cintrés trois
scènes Mithra devant le Soleil agenouillé, puis le repas
:

et l'ascension des deux alliés (p. 140). La composition la


plus primitive est conservée, ce semble, dans un monument
(n° i63), où ces groupes secondaires occupent le socle qui
supporte le dieu tauroctone, sculpté en ronde bosse. C'est une
vieille coutume de l'art grec de figurer sur le piédestal ou le
trône des statues de divinités, des reliefs qui glorifient les
hauts faits de celles-ci. Cette coutume fut probablement déjà
appliquée aux représentations de Mithra par l'école de Per-
game qui les créa (p. 222), et qui, on le sait, imite souvent
certains procédés de l'art classique, et c'est d'Asie Mineure
qu'elle dut passer dans les pays danubiens. Ce type originel
s'y compliqua bientôt par l'adjonction d'autres figures,
d'abord sur le bord supérieur de la plaque sculptée, puis
dans le champ du relief à côté du Mithra tauroctone et des
dadophores ( ). ]

Dans le groupe rhénan, les monuments sont construits de


toute autre façon. La prédelle manque entièrement. Par
contre, le groupe principal est placé sous une sorte de porte
monumentale, dont les montants et le linteau sont décorés de
Le choix et la succession
petits tableaux rectangulaires (p. 52).
de ceux-ci s'écartent fortement des scènes accessoires des
bas-reliefs danubiens. M. Drexel a rattaché avec raison cette
disposition particulière à certaines traditions orientales : les
monuments en forme de porte sont fréquents dans l'art

hellénique d'Asie Mineure. On place sous des constructions

(!) Cf. supra, p. 182.


L'ART MITHRIAQUE 233

formées de deux piliers et colonnes et d'une architrave les


statues des dieux, qui sont ainsi comme encadrées (!). Mais
peut-être aussi la porte est-elle l'entrée du temple où l'on
aperçoit la divinité. Il s'est produit dans l'art mithriaque
une assimilation de l'antre, où suivant la légende le taureau
avait été immolé, et de la grotte consacrée, où ses fidèles
l'adoraient. Puis on décore montants et linteau des représen-
tations de toute la légende sacrée, dont les épisodes étaient
souvent rappelés dans les spelaea par des sculptures indé-
pendantes. Les grands bas-reliefs rhénans offrent ainsi
comme un résumé de tout le contenu d'un mithréum.
Le groupe danubien et le groupe rhénan ne dérivent pas
l'un de l'autre ils paraissent remonter tous deux à des
:

modèles asiatiques, qui ont probablement été imités en Pan-


nonie et en Germanie dès l'époque de l'introduction du
culte mithriaque par les soldats, vers 70 ap. J.C. (
2
). Rome
et l'Italie, comme le midi de la Gaule, où la religion exotique
fut propagée par les esclaves et les marchands étrangers,
eurent un développement artistique indépendant de celui de
la frontière.
Nous ne rechercherons point ici quelle est l'origine de
chacune des diverses représentations qui apparaissent sur
nos monuments. Nous ferons cependant observer que,
malgré leur variété, on peut y distinguer deux ou même
trois classes bien tranchées. Un certain nombre de figures
ont été empruntées telles quelles aux types traditionnels de
l'art gréco-romain. Ahura-Mazda, détruisant les monstres

soulevés contre lui, est un Zeus hellénique foudroyant les

géants (p. 1Véréthraghna est transformé en un Hercule


13) ;
;

le Soleil est Hélios, l'éphèbe à longue chevelure monté sur


son quadrige. Neptune, Vénus, Diane, Mercure, Mars,
Pluton, Saturne se présentent à nous sous leur aspect ordi-
naire avec les vêtements et les attributs que nous leur con-
naissons de longue date. De même les Vents, les Saisons, les

(!) Voyez les exemples réunis par Drexel, p. 77. — Cf. supra, p. 23on. 1.
2 Cf. supra, p. 5i et la note.
( j
234 MYSTÈRES DE MITHRA

Planètes avaient été personnifiés bien avant la propagation


du mithriacisme, et celui-ci n'a fait que reproduire dans ses
temples des modèles depuis longtemps vulgarisés.
Un personnage au moins est au contraire une transfor-
mation d'un archétype asiatique c'est le Kronos léonto- :

céphale( ). Comme la plupart de ses pareils, ce monstre à


1

tête d'animal est une création de l'imagination orientale.


Sa généalogie nous ferait sans doute remonter jusqu'à la
sculpture assyrienne ( 2 ). Seulement, les artistes d'Occident
ayant à représenter un dieu étranger au panthéon grec et
n'étant entravés par aucune tradition d'école, ont laissé libre
cours à leur fantaisie. Les transformations diverses qu'ils
ont fait subir à cette figure sont motivées d'une part par des
considérations religieuses — la tendance à compliquer de
plus en plus le symbolisme de cette abstraction divinisée en
multipliant ses attributs,— de l'autre par un souci esthé-
tique — le désir de
tempérer autant que possible la mon-
struosité de ce personnage barbare et l'humaniser peu à
peu. Ils finirent même par supprimer sa tête de lion, en se
bornant à représenter cet animal à ses pieds où à placer sur
sa poitrine le masque du félin (
3
).

Le dieu léontocéphale de l'Éternité est la création la plus


originale de l'art mithriaque, et si elle est totalement
dépourvue de charme de grâce, l'étrangeté de son aspect,
et
l'accumulation suggestive de ses attributs attirent la curio-
sité et provoquent la réflexion. En dehors de cette divinité
du Temps, on ne peut établir avec certitude l'origine orien-
tale que de certains emblèmes, comme le bonnet phrygien
planté sur un bâton ou comme la sphère surmontée d'un
aigle pour figurer le Ciel ( 4 ). De même que le Mithra immo-

(M Cf. supra, p. 108 ss.


(
2
)
M. M. M. I, p. 75. M. Gehrich (2 me éd. allemande, p. XV) en
rapproche la déesse égyptienne Sekhet.
(
3
)
M. M. M., mon. 240, fig. 214, et le bas-relief de Modène, p. 109,
fig. 12, et infra p. 246 (Espagne).
(
4
) M. M. M. I, p. 197, n. 6: p. 89, n. 1.
L'ART MITHRIAQUE 235

FIG. 26-27. KRON'OS LÉONTOCÉPHALE DU MITHRÉUM DE SIDON (')

(
l
) Cf. infra, p. 240 — Quand j'ai examiné cette statue chez M. de
Clercq, il m'a montré un bouchon de marbre, qui s'appliquait exacte-
ment sur le trou de la tête, de façon à en dissimuler l'orifice et qui parait
perdu depuis.
s'être
236 MYSTERES DE MITHRA

lant le taureau, de même les autres scènes où le héros


apparaît comme acteur, ne sont sans doute pour la plupart
que des transpositions de motifs populaires à l'époque hellé-
nistique, bien que nous ne puissions toujours retrouver
l'original qu'a suivi le marbrier romain ou les éléments qu'il
a combinés dans sa composition. Du reste, la valeur arti-
stique de ces adaptions est en général des plus minces. Si
l'on compare le groupe sans vie du Mithra sortant de son
rocher ( ) au tableau animé de la .naissance d'Erichthonios,
]

telle que la représentent les peintures de vases, on verra


combien les vieux céramistes grecs ont su tirer davantage
d'un thème similaire. La pauvreté des innovations qu'offre
l'iconographie mithriaque, contraste péniblement avec
l'importance du mouvement religieux qui les a provoquées.
Nous constatons une fois de plus combien, à l'époque où
les mystères persiques se répandirent dans l'empire, la
sculpture était impuissante à se renouveler. Tandis que
pendant la période hellénistique on réussit à imaginer pour
les divinités égyptiennes des formes inédites, heureusement
appropriées à leur caractère, sous l'Empire, la plupart des
dieux mazdéens, malgré leur nature toute particulière,
durent bon gré mal gré prendre la figure et le costume des
habitants de l'Olympe, et pour quelques sujets inusités
si

on parvint à inventer des types nouveaux, ils sont d'une


déplorable banalité. La copieuse richesse héritée des géné-
rations anciennes avait énervé la puissance génératrice de
l'art, et habitué à vivre d'emprunts il était devenu incapable
de toute productivité individuelle.
Mais nous ferions tort aux adeptes du mithriacisme en
exigeant d'eux ce qu'ils n'ont point prétendu nous offrir. Le
culte qu'ils prêchaient n'était pas celui de la beauté, et
l'amour de la forme plastique leur eût sans doute paru futile,
sinon condamnable. Seule à leurs yeux, l'émotion religieuse
importait, et pour l'éveiller ils s'adressaient surtout à l'intel-

(!) Cf. supra, p. il 3, fig. 23 et p. i33, n. 2.


L'ART MITHRIAQUE 237

ligence. Malgré les emprunts nombreux qu'il fait au trésor


de types créés par la sculpture grecque, l'art mithriaque
reste asiatique dans son essence, comme les mystères dont
il est l'expression. Sa préoccupation dominante n'est point

de produire une impression esthétique, il ne veut pas charmer


mais raconter et instruire, fidèle en ceci aux traditions de
l'ancien Orient. Le fouillis de personnages et de groupes qui
se pressent sur certains bas-reliefs l
( ),
la foule des attributs
dont on surcharge le Kronos éternel ( 2 ), nous montrent
qu'un nouvel idéal est né avec une nouvelle forme de reli-
gion. Ces symboles disgracieux ou indifférents, dont nos
monuments attestent l'emploi multiplié, ne séduisaient point
par leur élégance ou leur noblesse, ils fascinaient l'esprit par
l'attrait troublant de l'inconnu, et provoquaient dans les

âmes la crainte respectueuse d'un mystère auguste.


Ainsi surtout s'explique que cet art, très raffiné, malgré
ses imperfections, ait exercé une influence durable. Il était
uni à l'art chétien par une affinité de nature, et le symbo-
lisme qu'il avait popularisé en Occident ne périt pas avec
lui. Même les figures allégoriques du cycle cosmique, que les

fidèles du dieu perse avaient reproduites à profusion, parce


que la nature tout entière était divine pour eux, furent adop-
tées par le christianisme, quoiqu'elles fussent en réalité
contraires à son esprit. Telles ces images du Ciel et de la
Terre et de l'Océan, du Soleil, de la Lune, des Planètes et
des signes du Zodiaque, des Vents, des Saisons et des Elé-
ments si fréquentes sur les sarcophages, dans les mosaïques
et les miniatures 3
( ).

Les médiocres compositions, que les artistes avaient


conçues pour les épisodes de la légende de Mithra, parurent
aussi dignes d'imitation aux siècles chrétiens, plus impuis-
sants encore que les précédents à s'affranchir des traditions

(
1
)
Cf. supra, p. 140, fig. 19.

(
2
)
Cf. supra, p. 109, fig. 12.

(
3
)
M. M. M., I,p.88, n. 3 ; g3, n. 3; 90,11. 6 ; 96, n. 9; 99, n. 3; io3 n. 3 ;

109, n. 4 112, n. 1 n3, n. 1


; : ; 122, n. 7-8 ; 126, n. i3.
238 MYSTÈRES DE MITHRA

d'atelier. Lorsque, après le triomphe de l'Église, les sculp-

teurs se virent imposer des sujets jusqu'alors inabordés, et se


trouvèrent dans l'obligation embarrassante de figurer sur la
pierre des personnages ou des récits bibliques, ils furent
heureux de pouvoir s'inspirer de représentations que les
mystères persiques avaient vulgarisées. Quelques change-
ments de costume et d'attitude transformèrent la scène
païenne en un tableau chrétien Mithra tirant de l'arc contre
:

le rocher devint un Moïse faisant jaillir l'eau de la montagne

d'Horeb (*); Sol enlevant son allié par-dessus l'Océan servit


à exprimer l'ascension d'Élie sur un char de feu ( 2 ), et
jusqu'en plein moyen âge le type du dieu tauroctone se per-
pétua dans les images de Samson déchirant le lion (
3
).

(!) M. M. M., t. I,p. 166.


(2) M. M. M., t. I, p. 178.
3
( ) M. M. M., t. II, p. 441, mon. 332 et suppl. p. 528. — Pour l'adora-
.tion des mages, cf. supra, p. 2o5, n. 4.
APPENDICE II

Nous indiquons ici les principales publications concernant

les mystères de Mithra qui ont paru depuis 1900.

OUVRAGES GÉNÉRAUX
Grill, Diepersische Mysterienreligion und das Christentum, igo3.
Roeses, Uber Mithrasdienst, Stralsund, igo5.
Dill, Roman Society from Nero to Marcus Aurelius, London, igo5,
p. 584-626.
S. Reinach, ha morale du mithraïsme dans Cidtes, mythes et reli-
gions, II (1906), p. 220 ss.
G. Wolff, Ueber Mithrasdienst und Mithrden, Frankfurt, 1909.
Glaser, Ueber die Religion des Mithras (Neue kirchl. Zeitschr.),XIX
(1908), pp. 1062-1070.
Martindale, The religion of Mithra dans Lectures on the History of
Religion, II, Londres, 19 10.
Kluge, Der Mithrakult, 191 1 (cf. Loisy, Rev. hist. lit. relig., 1912,

p. 392).
On trouvera un appendice important sur la diffusion du mithriacisme,
comparée à celle du christianisme, dans Harnack, Ausbreitung des
Christentums, II 2 p. 270 (cf. supra p. 201, n. 1). Autres parallèles
,
:

A. d'Alès, Mithriacisme et christianisme (Revue pratique dApologé-


tique), Paris,1907, p. 314 ss. (cf. supra, p. 170, n. 4). Blotzer, Das
heidnische Mysterienwesen und die Hellenisierung des Christentums
(dans Stimmen aus Maria Laach, 1906-1907). Wieland, Anklânge
der christlichen Tauflehre an die mithraische Mystagogie (dans Fest-
gabe Aloïs Knôpfler zur Vollendung des 60 Lebensjahres gewidmet,
pp. 329-348), Munich, 1907. Clemen, Religions gesch. Erklârung des
Neuen Testaments, p. 190 et passim. Henri Westphal, Mithra et le
Christ en présence du monde romain (Thèse fac. théologie protestante),
Paris, 191 1.
Nous avons parlé dans ce volume (p. i53, n. 1) de l'ouvrage de
Eine Mithrasîiturgie, 2 e édition, Wùnsch, 1910. Son article
Dieterich,
240 MYSTÈRES DE MITHRA

Die Religion des Mithras a été republié Kleine Schriften, p. 252 ss.
L'ouvrage étendu d'Eisler, Weltenmantel und Himmelszelt, Munich,
1910, contient des essais nouveaux d'interprétation de certaines repré-
sentations mithriaques et des rapprochements curieux des doctrines des
mystères avec la cosmogonie orphique (p. ex. 406 ss.). Cf. supra, p. 106,
n. 2 ; 107, n. 3.

J,
Toutain, Les Cultes païens dans l'empire romain, ire partie,
t. pp. 121-177, a consacré un chapitre au culte de Mithra et spéciale-
II,
ment à sa diffusion cf. supra, p. 3i, n. 1.
;

W. S. Phytian Adams, The problem of the mithraic grades (Journal


of Roman Studies, II, 1912, p. 52 ss.). L'auteur n'admet l'existence que
de six grades au lieu de sept et supprime celui du soldat. Mais le miles
estmentionné non seulement par saint Jérôme, par Tertullien et par Com-
modien (infra), mais encore C. I. L. XIII, 7570-1, cf. supra, p. 26, n. 1.

NOUVEAUX MONUMENTS
Nous ne donnons pas ici la liste des inscriptions découvertes depuis
ou
l'année 1900. Les latines sont reproduites dans le Corpus provisoire-
ment enregistrées dans l'Année e'pigraphique de Cagnat. — Quelques
textes grecs intéressants (Farasha, Amasia, etc.) ont été signalés dans
les notes du volume, pp. 14, n. 2 26, n. 1 28. n. 1.
; ;

Mais il a paru utile de donner ici un inventaire des principaux monu-


ments mithriaques qui ont été décrits depuis une dizaine d'années. Cette
liste complète celle des Textes et Monuments, I, p. 363 ss.

ASIE
Rhodandos (Farasha) en Cappadoce. Mithréum (?) avec inscr.
bilingue gréco-araméenne Grégoire, C.-R. Acad. Inscr., 1908, p. 434 ss.
:

Trapézus (Trébizonde). Mithréum transformé en église Cumont, :

Studia Pontica, p. 368.


Baris (Isbarta). Je dois à Miss Gertrude Bell la photographie d'un
bas-relief découvert à Isbarta, en Pisidie.
Emir-Ghazi (Lycaonie). Statuette d'un « Lion » de Mithra (?) :

Ramsay, Diary in Turkey, 1909, p. 3o8 ss. —


J'ai vu l'original à
Oxford c'est un faux moderne.
;

Sidon. Les monuments du mithréum de Saïda (M. M. M., n° 4) ont été


publiés par M. de Ridder, Marbres de la collection de Clercq, Paris,
1906, p. 52 ss.; cf. supra, p. 124, fig. i5; p. 235, fig. 26.
APPENDICE 24I

GRECE
Patras cf. supra, p. 32, n. 1.
;

Andros. T. Sauciuc, Neue Inschrift des Mithraskultes auf Andros


(Rômische Mitt., XXV), 1910, p. 263 ss. Monument découvert à
Palaeopolis en 1910 Pro sainte imp. Caesari(s) L(uci) Septitni Severi
: \

et M. Aur. Antonini Àugg. et P. Septimi Gaeta (sic) Caesari(s)


| |

M Aur(elius) Rufinus, evocatus Augg. n(ostrorum) sancto deo Invicto


. \

speleum constituit cum militibus praetorianis FI. Carino Ael(io)


| \

Messio, Aurelio Juliano. Entre 202 et 209 ap. J.-C.

ROME
Bas-relief de Mithra tauroctone découvert au Camp Prétorien et

conservé à Mannheim Cumont, Revue archéologique, 1902, I, p. 12.


:

Peinture représentant le Mithra tauroctone Bulletino communale, :

i8g5, p. 178 ss cf. Rômische Mitt., XI, p. 218. Cette peinture a déjà été
;

publiée, avec quelque inexactitude, par T(urnbull), A curions collection


of ancient paintings, Londres, 1741, pi. 9 (note de M. Drexel).
Groupe de bronze, Mithra tauroctone, au British Muséum Walters, :

Catal. ofthe bronzes in the Br. M., 1899, p. 184, n° 1017.


Un mithréum important, le plus grand qu'on connaisse, a été décou-
vert en dans des fouilles pratiquées par M. Alessio Valle dans les
1912
souterrains des Thermes de Caracalla. On y a trouvé une dédicace
curieuse à Mithra-Sarapis (cf. supra, p. 188, n. 1). Un compte rendu
provisoire de Felton a paru Giornale d'Italia. 29 août 1912, p. 3.
Une inscription trouvée dans une maison particulière de la via sacra,
en face de l'arc de Constantin, prouve l'existence en ce lieu d'un
mithréum : Hùlsen, Klio, Beitràge zur alten Geschichte, II (1902),

p. 237 = Cagnat, Année épigraphique, igo3, n. 6.

ITALIE
Ostie. Nouveau mithréum, Notizie degli Scavi, 1909, p. 17; cf.

Comptes rendus Acad. Inscr., 1909, p. i85.


Regium (Reggio) (?) Bas-relief du Kronos mithriaque dans le zodiaque
au musée de Modène Cumont, Revue archéol. 1902, I, p. 1 ss cf. Eisler,
: ;

op. cit., p. 408, et supra, p. 109, fig. 12.


Anauni. (Mon., n° 114*"). Cf. Luigi Campi, dans Archivio Trentino,
XXIV, 1909, Il culto di Mitra nella Naunia.

PAYS DANUBIENS
L'exploration archéologique des pays danubiens amène continuelle-
ment découverte de nouveaux monuments mithriaques. Il s'en trouve
la
d'inédits, notamment à Bucharest. Les notes suivantes n'ont pas la pré-
tention d'être complètes pour la Roumanie et la Serbie.

16
242 MYSTÈRES DE MITHRA

THRACE
G. Kazarow, Nouveaux monuments de Mithra en Bulgarie (Bulletin
de la Société archéologique bulgare, II, 1911, pp. 46-69), publie les bas-
reliefs suivants :

Bas-relief en marbre (h. o™97, 1. o m 95) trouvé à Torvalichavo (arrond.


de Kustendil = Pantalia).
Bas-relief en marbre (h. o m i3, 1. o m io, ép. o m oi) trouvé près de Kadin-
Most (arrond. de Kustendil).
Bas-relief en marbre (h. o m 24, 1. o m 2o) provenant de Jarlovtsi (arrond.
de Trn).
MÉSIE
Un petit bas-relief trouvé en 1909 à Akpunar, près de Tulcea
(Aegissus) est au Musée de Bucharest Mithra tauroctone dans la :

grotte; en haut, à droite et à gauche, Luna et Sol [note de M. Drexel].


Dobrusky, Matériaux d'archéologie en Bulgarie (Sbornik za
Narodni, etc., XVI), Sofia, 1899, pp. 36-45, mentionne trois bas-reliefs

trouvés à Oescus [Ghighen); cf. CIL, III, 14411-14412^ quatre àKoulé-


Mahala (arrond. de Lom), près d'ALMUM.
G. Kazarow (article cité) publie :

Un bas-relief en tuf (h. 0^61, 1. 01172, provenant d'OEscus [Ghighen).


La moitié de droite a été reproduite par Kalinka, Antike Denkmàler in
Bulgarien, Vienne, 1906, p. i36. C'est le cinquième trouvé à Ghighen.
Bas-relief en marbre, provenant du Roustchouk (Prista); cf. Revue
archéologique, 191 1, II, p. 73 ss.
Bas-relief en marbre (h. o m n5, 1. o m n) trouvé près de Souhhine-Dol
(arrond. de Sevlievo).
Bas-relief en marbre (h. 0^67, 1. o m 68) trouvé à Pleven.
Fragment de bas-relief en marbre (h. o m 2o, 1. 0^23) trouvé à Steklen
( Novae L
Bas-relief en marbre (h. o m 24, 1. 00126) de provenance inconnue, au
musée de Sofia.
Fragment de bas-relief (h. o m 3i, 1. o m 36) provenant à'Artchar
(Ratiaria).
Fragment d'une statuette en marbre (h. on>i2, 1. o m ]i) provenant
à'Artchar (Ratiaria).
Fragment d'un bas-relief en calcaire (h. o m 36, 1. 01127) provenant
(I'Utum, près de Nikopol.
Viminacium (cf. M. M. M., n° i32). Bas-relief publié Jahresh. Inst.
Wien, BeibL, 1903, p. 22, et VIII, igo5, p. 6; cf. CIL, III, 14217 4
(restauration d'un temple).
Aquav {Negotin) Bas-relief. Jahresh. Inst. Wien, BeibL, IV, 1901,
p. 75.
APPENDICE 243

DALMATIE
Particulièrement important est le mithréum de Konjica, Patsch.,
Wissensch. Mitt. aus 'Bosnien und der Hercegovina, VI, 1898, p. 34 ss;
cf.CIL, III, 14222 1 14617 et supra, p. 164, fig. 21.
,

SALONE.Deux nouveaux bas-reliefs sont entrés au musée de Spalato; cf.


Jahresh. Oesterr. Instit., XIV, 1911, Beiblatt, p. 82.
Bas-reliefs d'AEOUM (Citlak) et de Iader (Zara). Patsch, Glasnik
Zemaljskog Mnzeja, Serajevo, 1899, p. 48 ss. Le second est reproduit
aussi Fûhrer durch das K. K. Staatsmuseum in San Donato in Zara,
Vienne, 1912, n° 154 et p. 43.
Sinach. Bas-relief de Mithra tauroctone reproduit, Patsch., Die Lika
in rômischer Zeit, p. 88, et dans le Vjesnik d'Agram, VIII (igo5); p. 65
(cf. M. M. M., I, p. 365).

Cf. en général sur la province Patsch, Archàol. epigraph. Untersuch.


zur Gesch. der Provinz Dalmazien, VI, 1904 {supra, p. y5, n. 2).

DACIE
Apulum. Le prof. Albert Cserni, directeur du musée de Carlsbourg
(Gyula Fehérvar) a eu l'obligeance de m'envoyer des photographies des
sculptures mithriaques qui y sont conservées. Outre les monuments
M. M. M., n os 192^", 193, 199 et 200, qui y ont été transportés, ce musée
possède actuellement un quatrième bas-relief de Mithra tauroctone,
malheureusement très mutilé, découvert à Maros-Porto, où il servait
de banc à une maison, et un groupe de ronde bosse d'un rocher entouré
d'un serpent analogue au n° 200, mais sans Mithra.
H
A ermannstadt Musée Bruckenthal, a) trois fragments (n os i557,
,

i558) trouvés au même endroit, en 1907, et appartenant sans doute à un


seul petit bas-relief de Mithra tauroctone b) Relief très mutilé, proba-
;

blement aussi un Mithra tauroctone (n° i55g) [note de M. Drexel].

PANNONIE
Prétendu Éon mithriaque, à Agram ; cf. Reinach, Rép. de la sta-
tuaire, t. II, p. 477, n° 5, C'est en réalité un Icare, ce héros étant souvent

dans cette région placé sur les tombeaux; cf. Vjesnik, VII (igo3),
p. 229, n» 33 [note de M. Drexel].
Les monuments mithriaques d'Agram ont été reproduits Vjesnik,
VIII (i9o5j, p. 60 ss. [note de M. Drexel].
Poetovio (Pettau). M. Gurlitt y a découvert successivement deux
mithréums; cf. M. M. M., II, p 365, n° 22*"; CIL, III, i 4 34525-34
244 MYSTÈRES DE MITHRA

et 15184 3 - 24 M. Abramich publiera bientôt les monuments de cette


.

importante trouvaille; cf. aussi Abramich, Ein Mithrasrelief in Faal


bei Marburg, dans Jahresh. fur Altertumskunde, I, 1907.
Aquincum (Budapest). Mithréum, antérieur à 198 après J.-C. contenant ,

cinq autels et un second renfermant diverses sculptures Jahresh. Inst. :

Wien, 1899, Beiblatt, p. 55 s., p. 58 s.; cf. aussi Ibid., p. 54, n° 5 (bas-
relieftrouvé dans une grotte au milieu d'un bois) et CIL, III,
14343 1 - 7.

Csâkvâr, près d' Aquincum. Stèle funéraire portant l'épitaphe d'une


famille (thrace?) (C. I. L. III, i5i54) et conservée au musée de Budapest.
Entre les bustes des défunts et l'inscription on voit une scène de banquet.
De chaque côté un « Attis funéraire », tenant une torche abaissée; entre
eux, deux personnages debout près d'une table à trois pieds chargée de
mets (pains, poisson, etc.). Si ce monument n'est pas mithriaque, les
croyances qu'il exprime sont tout au moins très proches de celles des
mystères, cf supra, p. i65, n. 3. Publié —
Kuzsinszky, Archeol.
:

Ertesitô, igo3, p. 234, cf. Ibid., p. 229 Cf. Hampel, A ttnuaire Musée
National hongrois, 1905, pi. communiquée par M. Ham-
V, n. 9 [indic.
pel]. Un moulage à Rome : Catalogo délia mostra archeologica nelle
Terme di Diocleziano, 1911, p. 68.

GERMANIE
Des fouilles récentes et surtout l'exploration méthodique des stations
du Limes ont enrichi encore notre collection déjà si considérable de
monuments allemands de Mithra. Je ne cite que les publications prin-
cipales. Les inscriptions sont dans le Corpus XIII.
Les monuments du Wurtemberg ont été repris par Sixt, Die
rômischen Inschriften und Bildwerke Wùrttembergs Stuttgart, 1900, ,

ceux du grand duché de Bade (Mannheim, Neuenheim, Oster-


burken, etc.) décrits de nouveau dans Fundstâtten und Funde imGross-
herzogtum Baden, Tûbingen, 191 1 (t. II, pp. 23g, 278, 440, etc.). D'autres
ont été étudiés dans les livraisons, parues depuis 1900, de VOberger-
manisch-raetische Limes. Ainsi pour les inscriptions de Murrhardt
(M. M. M., n° 428 =
CIL XIII, 653o. Cf. Limes, I, no 44 p. n), et de ,

Bôckingen (ou Heilbronn M. M. M., n° 423; cf. Limes, X, n° 56, p. i3),


les bas-reliefs de Besigheim (mon. 242 et suppl. n 2\7.bis, cf. Limes,1

Kastell Wahlheim, VIII, n° 57, p. 8 ss.), les mithréums d'Osterburken


(mon. 246 cf. Limes, II, p. 21 ss.), d'Oberflorstadt (mon. 25o; cf. Limes
;

XVII, pp. 7ss.,2i ss.) et de Gross Krotzenburg (mon. 247, 2476/s; cf.
Limes, XX, no 23, pp. i3 ss., 29 ss.).
Zazenhausen (cf. mon. 3og). Bas-reliefs. Sixt, Fundberichte ans
Schwaben, VII (1900), p. 40.
Stockstadt. Mithréum très important, construit sans doute en
APPENDICE 245

l'année 210. Drexel, Das Kastell Stockstadt (Obergerman.-Raetische


Limes, XXXIII), 1910.
Hassloch bei Gross Gerau. Fragment d'un Eon mithriaque. Anthes,
Quartalblàtter des histor. Vereins f. Hessen, 1899, II, p. 8.
Saalburg. Mithréum actuellement restauré. La description du Kastell
Saalburg n'a pas encore paru dans la publication du Limes. Voir pro-
visoirement J acobi, Korrespdbl. West. d.Zeitschr., XXII, 1903, p. 140;
:

cf. Berl. Philol. Wochenschrift, 1904, p. 5g3, etc.; Saalburgwerk, pi.

XXII ss.

Butzbach. Kofier, Kastell Butzbach, 1894 (Obergerm. Raet. Limes,


I, n° 14 p. 20, n. 5.

Alteburg-Heftrich. Restes d'un mithréum. Jacobi, Kastell Alt. -H.,


(Obergerm. Raet. Limes, XXIII, n° 9), 1904, p. 4.
Aquae Mattiacae (Wiesbaden). Restes d'un mithréum. Ritterling,
Mitteilimgen des Vereins f. Nassau. Altertùmer, 1902-1903, p. 14 s.; cf.
Ritterling, Kastell Wiesbaden (Obergerm. Raet. Limes, XXXI, n° 3i),
1909, p. 76; CIL, XIII, 6755 ss.
A Kônigshofen, à 3 kilomètres à l'est de Strasbourg, l'ancien Vicus
Canabarum, on a découvert, en 191 1, un mithréum contenant des
sculptures et des inscriptions importantes, qui ont été transportées au
Musée d'antiquités alsaciennes de Strasbourg. Cf. le compte rendu pro-
visoire de R. Forrer, Strasburger Post, 14 décembre 1911; Keune,
Rômisch-germanisch Korresponden^blatt 1912, p. 26, n° 16.
,

J'ai suspecté à tort l'authenticité du vase de Rhein^abern avec l'inscrip-


tion Deo invicto Mythrae vassa decem, etc. (mon. 25g; cf. Westd.
Zeitschr. Korrespdblatt, igo5, p. 2i3). Dans le mithréum de Stockstadt,
on a précisément trouvé les fragments d'une dizaine de vases d'une
forme analogue (Drexel., Kastell Stockstadt, pi. X, B, 1, 8). Ils ont pro-
bablement servi aux repas sacrés (note de Drexel.).
Vetera (Xanten). Sur le mithréum découvert en 1877, à Xanten
(mon. 266), voy. maintenant Paul Steiner, Xanten (Kataloge West-
deutscher Altertumssammlungen, I), Francfort, 191 1, p. 74 ss.

BRETAGNE
Londinium (mon. n° 267). Haverfied, On a mithraic relief found in
London (Archaeologia, LX, p. 43 ss.), 1906. Cf. Journal of Roman
studies, I lign), p. i63, pi. XXII-XXIV. Un « Attis » découvert à
Londres {ibid. p. 167, fig. 28) est peut-être un dadophore mithriaque.
Borcovicum (mon. 273). Bosanquet, The roman camp at Housesteads
(Archaeologia Aeliana, XXV), Newcastle, 1904, p. 225 ss.
Les monuments trouvés en Bretagne ont été réunis par Hicks dans
Bruton, The roman fort at Manchester, 1909, p. 34 ss.
246 MYSTÈRES DE MITHRA

GAULE
L'inscription 5u (CIL, XIII, 379) a été falsifiée, et il en résulte que
« jusqu'à nouvel ordre, Mithra n'est point venu dans les Pyrénées »
(Jullian, Revue des études anciennes, 191 1, p. 3o).
Intaranum, Entrains (Nièvre). Mithréum et sculptures Bull, soc :

antiquaires France, 1904, p. 290. Espérandieu, Bas-reliefs de la Gaule,


t. III, n os 2273-9, 2282, 2287.
Alesia. Coupe avec représentation d'un Mithra tauroctone. Espéran-
dieu, C. R. Acad. Insc, 1907, p. 288. Pro Alesia, II, p.2o3,pl. XXVIII.
Le Receuil des bas-reliefs de la Gaule romaine du Comm dt Espéran-
dieu, outre des monuments auparavant connus (n° 325, Die M. M. M. = ,

n° 280 —
n° 422, Bourg-Saint-Andéol =
M. M. M., n° 279 n 142, —
Arles =
M. M. M., n° 281 —
n° 340, Vienne =
M. M. M., n° 277) et
ceux d'Entrains cités plus haut, contient un certain nombre de sculp-
tures qui pourraient être mithriaques (Dadophore Narbonne, 624 :
;

cf. 627 ss. Tète de Mithra (?) Toulouse; 1028, etc.; cf. 938. Tête de
:

Mithra(?) Arles, 2534).


: —
Plus importante est une stèle mutilée (n° 2737 ,

où est figurée la naissance de Mithra, et qui a été trouvée, dit-on,


à Saint-Aubin (Indre) dans une région où l'on ne connaissait aucun
monument de ce culte.

ESPAGNE

Emerita (Me'rida). Mithréum découvert à Mérida, Cagnat, C. R. Acad.


Inscr., nov., 1904; Paris, Bulletin hispaniqtt,e, 1904, p. 347 ; cf. Deubner,
Archiv. f. Religionsw., 1906, p. 147. — Le moulage de deux statues du
Kronos mithriaque, dont l'une porte une tête de lion sur la poitrine
(provenant de Mérida?) est exposé à Rome (Catalogo délia mostra
archeologica nelle Terme di Diocleziano, 191 1, p. 106).

AFRIQUE

Thamugadi (Timgad). Dadophore découvert à Timgad : Cumont,


Bull. soc. ant. de France, igo5, p. 255.
Oea (Tripoli). Tombes d'un « lion » et d'une « lionne » trouvées à
Tripoli : Clermont-Ganneau, C. R. Acad. Inscr., igo3, p. 357. Cf. supra,
p. i83, n. 1.
:

APPENDICE 2 47

TEXTES NOUVEAUX
Pour compléter la série des textes grecs et latins relatifs au culte de
Mithra, que nous avons cités M. M. M., t. I, p. 36i ss nous ajouterons ,

quelques passages nouveaux qui ont été publiés depuis 1900, ou qui
nous avaient précédemment échappé.
Ambrosiaster, Comm in epist. ad Ephes., V, 8 (Migne, P. L., XVII,
col. 3g6 A) « Tenebrae ignorantia sunt... Denique pagani in tenebris
:

mystica sua célébrantes in spelaeo velatis oculis Wuduntur. Ex his


christiani facti cognita veritate « filii lucis » dicuntur, quia Deus lux
est,cuius fidem in veritate suscipiunt. »
Passage parallèle à celui des Quaestiones veteris et novi Testamenti
reproduit M. M. M., t. II, p. 7. Ces Quaestiones republiées par Souter.
en 1908, sont du même auteur que le commentaire aux épîtres de Paul.
Elles contiennent, outre le texte que nous avons cité (éd. Souter, pp. 3o8,
iS ss.), une autre allusion aux mystères de Mithra (CXIIII, 26,
p. 3i5, 8)
a Inspiciatur tradita lex si quid in ea iniustum, si quid inhonestum,
si quid ridiculosum ; sic oportuit Deum innotescere, non ut in angulo
per imposturam appareret qui claudi non potest, neque in speleo, ubi
aliud est quam cernitur opérante inlecebrosa fallacia, neque ea ser-
vanda traderet, quae, propter quod inhonesta essent, in tenebris
gererentur.
Commodien (cf. t. II, p. 9). On trouve aussi une allusion au grade
mithriaque de Miles, II, 11, 9 :

Errare noli diu miles per spelaea ferarum,


comme l'avu Harnack, Militia Christi.p. 42.
Dracontius, Romulea, X, v. 53y ss. (p. 194, Vollmer).
Tune genetrix furibunda manum suspendit et ensem
Ac fatur : Sol testis avus, Sol persice Mithra,
Luna, decus noctis, Furiae, Proserpina, Pluton,
Accipe, Sol radians, animas, tu corpora, Luna,
Nutrirtienta animae.
Cf. Ibid., v. 5o3 : Ipse pias animas mittis et claudis in aevum
Orbe tuo.
Voyez sur ces textes supra, p. 195, n. 3.
Firmicus Maternus; cf. supra, p. 114, n. 3; 144, n. 3.
Julien (cf. t. II, p. 19). Asmus a réuni, Wochenschrift fur klassische
Philologie, 1904, p. 233 ss., une série de passages de l'empereur Julien
où se manifesterait l'influence des mystères de Mithra.
248 MYSTÈRES DE MITHRA

Libanius, Orat. XVIII, Epitaphios Iuliani, § 127 (II, p. 290 Fôrster) :

'Eirei bè où pdbiov uèv (3aai\eî KaG'éKdaxnv rçuépav ëSuu f3aai\eiujv

ècpUepà pabfëeiv, \umxe\.éaxaxov bè ovve\r\ç ôui\ia Geûiv, èv uéaoïç


toîç PaaiXeioiç (palais de Constantinople) îepov uèv oÎKoboueîxai xw
tï]v ripépav djovri Gew Kai uuaxnpiuuv uexéaxe xe Kai uexébwKe
uur|Geiç xe év uépei Kai uur|aaç, x^piç &è Trâai Geoîç Pwuoùç îbpûaaxo.
Voyez sur ce texte supra, p. 2i3.
Ménandre de Laodicée (ce rhéteur vécut à la fin du III e siècle),

TTepi ëTribeiKTiKUJV, (Walz, Rhetores graeci, IX, p. 33o)


c. 17 :

L'auteur énumère une série de surnoms d'Apollon, puis ajoute :

TTâaav ttôXiv Kai xdipav Kai -rràv ëGvoç biéireiç Kai KaGd-rrep tôv oûpa-
vôv Ttepixopeûeiç ëxwv Trepi aeauxôv xoùç xôpouç xwv àaxpujv, oûxai
T
Kai xr|v okouuévr|v izâoav biéireiç. MiGpav ae TTépaai Xéjovaw Qpov
AiyJTrxioi, au yàp eîç kûkXov xàç wpaç àfexç Aiôvuaov 0r|(3aîor
Ae\qpoi bè biirÀr) Trpoan.Yopia Tiuûiaiv, "ATTÔÀXuuva Kai Aiôvuaov
XéYovxeç. Trepi aè Gnpîa, Trepi aè Gudbeç, -rrapd aoû Kai ae\r|vr| xf|v
àKxîva Xaufîdvei. XaXbaîoi bè àaxpwv f|Yeuôva A-éyouaiv. Cf. sur ce texte
Reitzenstein, Poimandres, p. 281, et ma Théologie solaire, p. 454, n. 1.
Psellus cite à plusieurs reprises les mystères de Mithra :

b) Bibliotheca graeca Medii Aevi, V, p, 322, Sathas :

Ta uèv yàp "EXeuaivia Kai r\ MiGpiaKr] xe\exr) xà uèv àvexa Kai TroiuTrfi

àxexvâiç Kai ev yéXuuxi xà uuaxrjpia, r\ bè bieaxoi(3aauévr| Kai Ko\d£ouaa


uâXAov f) uuaxaYO>Yoûaa" Kai ëvavxiwç d\Xr|Â.oiç eîxeTrdÀai xà TraÎYvia.
a) Dans son pamphlet contre Michel Cérulaire, écrit en io5g, Psellus
accuse les moines de Chio d'avoir renouvelé les mystères païens,
(Bréhier, Rev. et gr., XVI, igo3, p. 387), c. 6 :

c
àbuxov Kai xô uèv âoeXjèq èKeîvo Kai uaviwbeç
YTravoiYvucriv
eïaeiaiyûvaiov xoîç xeXexdpxaiç xeipoiYWYOûuevov Trap'uiv Kai ô ixéyaç ,

ëTraiboxpiPeîxo Traxrip èm xà MiGpou uuaxripia.


Ptolémée. Le texte cité M. M. M., I,p. 36(xàv bè xoO Kpôvou MiGpav
c
'H\iov) est correct; cf. Boll, Sphaera, p. 3i3, n. 3. Il est commenté non
seulement par Proclus {M. M. M., t. II, p. 43), mais aussi par 1' « Exégète
anonyme» de la Tétrabible (éd. 155g), p. 61 TTépaai ÙTrepaépouai xàv
:

c
'H\iov ôv MiGpav àTTOKaXoOai.
Rufin, Hist.eccl., XI, 22 (p. io25, éd. Mommsen) Basilica quaedam :

publici operis vetusta et admodum Constantius


neglecta fuit, quant
douasse episcopis perfidiam suam
praedicantibus ferebatur, quae
longa incuria nihil validum praeter parietes habebat. Visunt est epis-
copo (Théophile) hanc ab imperatore deposcere... Quainque cunt
acceptant vellet excolere, reperta in loco sunt antra quaedam latentia
et terrae defossa latrociniiset sceleribus magis quant caerintoniis apta;
igitur gentiles, qui retegi criminunt suorum latebras et flagitiorum
cavernas vidèrent, non ferentes operta tôt saeculis niala et tenebris
APPENDICE 249

obtecta reserari, velut draconum calice potato insanire onines ac


palam furere coeperunt.
Ce texte raconte les mêmes événements que Socrate, V, 16, qui parle
d'un mithréum (M. M. M., I, 362). M
Bidez veut bien m'écrire à ce
sujet « Socrate tire ses renseignements de deux de ses maîtres (néo-
:

platoniens?), Ammonius et Helladius, qu'il nomme § 9. Rufin, qui a


peut-être en vue les mystères mithriaques sans les nommer, est la source
la plus notable de Sozomène, VII, i5. Sozomène combine Socrate et
Rufin, suivant son habitude, et tire des détails supplémentaires (temple
de Dionysos, etc.) d'une troisième source, peut-être Eunape. Le résumé
de Théodoret, V, 22, dérive en partie de Sozomène. »
Zénobios. Le texte reproduit M. M, M., I, p. 362, doit être rapproché
des vers orphiques cités par Théon de Smyrne, p. io5, éd. Hiller, et
c
MîGpav NÛKTa corrigé en Huepav Nûktcx. —
De fait, d'après une note
que veut bien me communiquer M. Crusius, le ms. de l'Athos des
paroemiographes donne quépav non MfGpav.
Anonymes, a) Sur les papyrus de Paris, cité t. II, p. 55 ss ci. supra ;

p. i53, n. 1 ;

b) Le Carmen adversus Flavianum vient d'être commenté par Otto


Barkowski Kônigsberg 1912) qui interprète les v. 46 ss. comme
(Diss.
faisant allusion à Sérapis et à Priape. Mais le « Soleil qu'on cherche
sous la terre » parait bien ne pouvoir être que Mithra, de même que le
deus cornes est Sol (cf. supra, p. 99; p. 146 [147] n. 2) ;

c) Un fragment sur les hérésies, écrit entre 392 et 450, qui fait suite

dans un manuscrit aux Acta Archelai d'Hégémonius (M. M. M., I, p. 45,


n. 1), contient le passage suivant (éd. Beeson, 1906, p. 98) Basilides :

quoque de hac inpietate (Cerdon, Marcion, Valentin) descendit, gui tôt


deos simulât esse, quoi dies in anno sunt, et de his quasi minutalibiis
unam summam divinitatis effi. it et appellat Mithram, siquidem iuxta
computationem Graecarum litterarum Mithras anni numerum habet.
Hi non multum a gentilitate distant et eisdem paene mysteriis inbunn-
tur, quibus a gentilibus initiatur.
Saint Jérôme (M. M. M., II, p. 19) attribue à Basilide la même doctrine.
.

INDEX ALPHABÉTIQUE

A Aphrodite,cf. Vénus

Apparatorium, 177.
Ablutions, 142, 161. Apulum, 45.
Absidata, 180. Aquilée, 65, 72, 227, 231
Acceptio, 160. Aquincum, 45.
Achéménides (pas divinisés), 92 s.; Aradus, 32.
cf. Rois. Araméen (langue), 12.
Administration, 74 s., 79. Ares, cf. Mars.
Aeternus (empereurs), 99; cf. Temps. Aretè, 112.
Afrique, 57 s., 67, 75. Aristocratie adore Mithra, 10, 13,
Ahura-Mazda, 2, 5, 7, 11, 14, 18, 21, 84, 215.
Ahriman, 112, 138, 141, 142, 145. Armée (culte dans 1'), 39, 76, 79.
Aigle, 155 n. 1. Arménie, 12 s., 17, 28 n. 1, 35.
Air, 116 ss. Arshtât, 6.
Alexandre du Capitole, 222. Art mithriaque, 221 ss. —
provincial,
Alexandrie, 32, 92, 213 ss. 228 —imité par l'art chrétien, 237.
Ame divisée en trois, 114 n. 3, 144 Artagnès, 14, 111, 128. cf. Verethra
n. 1 — préexistence, 144 — vie ghna.
future, 145 s. Artaxerxès, 8, 10.
Amshaspands, 2, 5. Artémis tauropole; 21, cf. Diane.
Anâhita (Anaïtis), 8, 10, 11, 14, 17 Atar, 111.
n. 1, 19, 23 n. 2, 25 n. 3, 111 — Atargatis, cf. dea Syria.
et Cybèle, 189. Ateliers de fabrication d'ex-votos,
Anankè, 111, cf. Fatalisme. 225 ss.
Anauni, 217. Athéna, cf. Minerve.
Andros, 32 n. 2. Athènes, 32.
Anges, 113. Atlas, 125 n. 3.
Animaux (culte des), 156 s. Attis, 19, 189, cf. Grande Mère.
Années (divinisées), 124. Aurélien, 88, 197, 210.
Anti-dieux, 113. Ascension de Mithra, 139.
Autistes, 170. Asha, 111.
Antiochus de Commagène, 14, 24, 95. Ashi Varluhi, 6.
252 MYSTERES DE MIÏHRA

Asie Mineure (culte en), 11 ss., 77 s. Char des Éléments, 118.


— exporte des statues, 227 — Chiens, 128 n. 2.

influence sur l'art, 230 n. 1, 232 s ;


Christianisme. Ressemblance avec
cf. Pergame. les mystères mithriaques, 199,
Associations, cf. Collèges. 201 ss. — Différences, 200, 208. —
Astres (culte), 11, 121 ss. Influences réciproques, 204 ss. —
Astrologie, 126. liturgiques, 206 s. — Imitation
dans l'art, 207; cf. Église.
Chrysippe, 23 n. 1.
B —
Ciel, 110. Cieux (sept), 145
Cilicie, 28, 34, 36, 41 s.
Babyloniens, 2.
Babylone, 10 s. Cimetières, 181.

Bacchus, 111, 146 n. 2. Cinvat (pont), 6, 128 n. 2.

Bactriane, 95. Clergé, 169 s.

Baresman, 23. Clochettes, 172

Bas-reliefs (valeur artistique), 225 Collèges (constitution des), 86 s.,

ss.; cf. Art. 174 ss. — nombre de membres, 180


Baptême, 161.
— funéraires, 86, 181.

Bel, 11.
Commagène, 13 s., 28 n. 1, 35, 40,

Belgique (culte en), 55 — école de 42, 50, 188.

sculpture, 229. Commandements mithriaques, 14 1.

Bellone, 34.
Commode, 38. 83, 87 s.
Bergers à la naissance de M., 132. Communion, 163 ss.,
Confirmation, 161.
Bige de la Lune, 120 n. 3.
Conflagration du monde, 148.
Boulogne, 55.
Bretagne, 56s., 78.
Constance, 211.
Constantin, 211.
Constellations, 125; cf. Zodiaque.
c Continence, 142.

Calendrier perse, 9.
Corbeau, 136, 164 — (corax), grade
155 s., 159.
Cappadoce, 12 s., 23 s., 28 n 1,
2,

34, 41, 74, 95, 218 n. 1.


Couronne radiée, 100 — du soldat,
160.
Caracalla, 88 n. 1.
Cratère, 116 s.
Carnuntum. 37, 45, 49, 8S, 210.
Crypta, 179.
Carthage, 32 n. 3.
Curatores, 175.
Cautès et Cautopatès, 130; cf. Dado-
Cybèle, 111, 189; cf. Grande Mère.
phores.
Celse, 82.
Celtiques (divinités), 186. D
Cerbère, 128 n. 2.

Césarisme (transformation du), 90. Dacie, 43, 75, 209.


Chaldéens, 10 s., 77. 85, 95, 194. Dadophores (images' 223 ; cf.

Champs Décumates, 53, 209. Cautès.


INDEX ALPHABETIQUE 253

Dalmatie, 61, 65, 75, 78. Étoiles, 125.


Danubiens (dieux), 186. Eubulus, 82 n 4.
Dea Syria, 34. Eugène, 217.
Decem primi, 175. Exedra, 180.
Décurions, 174.
Dédicaces, 171.
Defensores, 175.
Déguisements en animaux, 156. Fata, 111.
Déluge, 138. Fatalisme, 95, 108, 126; cf. Anankè,
Démons , 112 ss., 126 s., 142 s.,
Destin, Moires.
— (culte des), 172. Faucon (grade), 155 n. 1.
Destin, 108, 110, 111; cf. Fatalisme. Femmes (exclusion des 1

, 183.
Diane, 111, 114; cf. Artémis.
Feu, 18 — feu inextinguible, 23,
Dioclétien, 49, 88, 210.
100, 114, 171 —
feu féminin, 114
Dion Chrysostome, 22.
n. 1, 116 s. — ravage le monde,
Dioscures, 125.
147; cf. Conflagration.
Dolichénus (Jupiter), 35, 47, 188. Fin du monde, 147.
Drvàspa, 111. Firmicus Maternus, 211.
Fonctionnaires, 73 s., 82.
Fons perenm's, 115.
Fortuna, 95 — primigenia, 111 —
Eau, 115, 116 — usage rituel, 161, des rois, 95 s. 99 —
Augusti, 97
163. du peuple romain, 96; cf. Tychè.
Échelle symbolique, 145. Fourmi, 137.
Église et pouvoir divin des empe- Fravashi, 94.
reurs, 104; cf. Christianisme. Frères, 159 n. 4, 201 n. 3.

Egypte, 32, 33 — culte des rois, Friedberg, 53.


91 s. —
mystères égyptiens, 187. Front marqué, 161 s.

Éléments (culte des), 116.


Élie sur son char de feu, 238.
Élusa, 60.
Émérita, 59. Gad, 94 s.; cf. Fortuna.
Empereurs favorisent Mithra, 85, Galatie, 12.
87 s., 210 — divinisés, 90 —s. Galère, 88, 210.
compagnons du Soleil, 99 — assi- Gaule, 55 s., 62, 67 s., 78.
milés à lui, 101. Géants, 112.
Épona, 186 n. 5. Georges d'Alexandrie, 213.
Épreuves, 165. Germanie, 37, 50 ss. —
importation
Eschatologie, 144 s. de bas-reliefs, 227. Art mi- —
Esclaves 63 ss., 69 s., 73, 79 s. — thriaque en G., 229, 232.
obtiennent grades sacrés, 83. Gigantomachie, 112, 128.
Espagne, 58, 61, 67, 78. Gracchus, préfet de Rome, 215.
État et culte mithriaque, 86. Grades, 155 s.
— . — .

254 MYSTERES DE MITHRA

Grande Mère, 33 — unie à Mithra,


J
86, 189; cf. Cybèle.
Gratien, 214 n. 5, 216. Jour de Mithra, 9, 24. — Jours divi-
Grec (langue liturgique), 25. nisés, 124.
Grèce et Mithra, 31 s. cf. Hellénisme
;
Jugement de l'àme, 145.
— culte en Grèce, 78. Juifs, 36, 63.
Julien l'Apostat, 88, 212 s.

Jupiter, 128; cf Ahura-Mazda,Zeus,


— planète, 122, 146.
H
Hadrien, 46, 223.
K
Haoma, 111.
Kronos mithriaque, 107, 234 s ; cf.
Havana (mortier), 155.
Saturne.
Hécate, 112, 114 n. 1.

Heddernheim, 53.
Héliodore (Éthiopiques), 194 n. 2.

Heliodromus, grade, 155, 158.


Héliogabale, 196. Lambèse, 5S.
Hélios, cf. Soleil. Langue purifiée, 162.
Hellénisme, 20 s., 201 n. 1; cf. Grèce. Latin (langue liturgique ?), 25.
Hémisphères célestes, 125. Livres liturgiques, 25 n. 3, 153.
Héphaistos, cf. Vulcain. Légions syriennes, 76. — Legio I

Hercule, 21, 111. adiutrix, 46 — II adiittrix, 45 —


Hermès, cf. Mercure. III, 58 —
VII gemina, 59 — VIII
Heures, 124. Augusta, 50 s., 55 X gemina, —
Hvarè, 123. 47 —XII primigenia, 50 — XIII
Hvarenô, 9, 94. gemina, 47 XIV gemina Martia,
Hymnes, 118, 128, 153, 172. 47 — XV Apollinaris, 46 s. —
XXX Ulpia, 51.
Licinius, 88, 211.
Lion, 116 s.

Lion (grade), 155 s., 159, 162, 163 s


183 n. 1,
Immortalité, 144 s.: cf. Ame. Limes germanique, 53.
Initiations, 174. Liturgie mithriaque, cf. Rituel.
Invictus (àvÎKnTOç), surnom des Logos, 141
empereurs, 98, —
du Soleil, 9S s. Londres, 56, 60.
de Ma, 192 n. 1. Lucien, 82.
Ishtar, 11. Lune, 111, 120, 122, 146, 162.
Isis, 33, 35, 92, 187; cf. Sérapis. Lycaonie, 35, [36] n. 1
Isparta (Baris), 35 n. 1. Lydie, 12, 19.
Italie (Mithra en), 37, 61, 69 ss. Lyon, 60, 62, 68.
INDEX ALPHABETIQUE 255

M cornes, incorruptus, indeprensi-


bilis, biKaioç, sanctus, nabarzes,
Ma, 191, 192 n. 1.
invictus, insuper abilis, 143 — sa-
Macrobe, 198. lutaris, 144 — psychopompe, 146.
Mages en Perse, 25; cf. Maguséens - Mithrakana, 9
adoration des mages, 205, 238 n. 3. Mithréums, 175 ss., 180.

Magie, 114, 126 s., 214. Mithridate, 28.


Magistri, 175. Mitra hindou, 1 ss.

Magna mater, cf. Grande Mère. Moires, 111; cf. Fatalisme.


Maguséens, 12, 20. 23 s., 25 n. 3, Moïse au rocher d'Horeb, 238.
218 n. 1; cf. Mages. Mois (divinisés), 123 s. — de Mithra,
Mains purifiées, 162 n. 2. 9.

Manichéisme, 2J8. Monothéisme, 198.


Marchands syriens, 61 ss., 69. Morale, 149, 141 ss.

Marques gravées, ]61 s. Mortier, 154 n. 6.


Mars (Ares), 111, 122, 146. Mystères, 25 s.

Mater (titre sacré), 190.


Matronae, 186 n. 5.
Maxime d'Éphèse, 213, 214. N
Médros, 186 n. 5.
Memphis, 32. Nabarzes, 154.
Mèn, 19. Nantosvelta, 186 n. 5.

Mercure, 111, 122 — psychopompe, Nama sebesio, 154.


146 n. 2. Naples, 64.
Mésie (culte en), 42 s. Natalis Invicti, 173, 207, 213.
Métempsycose, 145 n. 1. Neptune, 111, 115; cf. Poséidon.
Meurtres simulés, 166 s. Néron, 26 n. 1, 84.
Miel, 111, 162. Nikè, 111 ; cf. Victoire
Milan, 71. Noms théophores, 33.
Minerve (Athénaj, 111, 114 n. 4. Norique, 49, 71 s.
Mitani, 3.
Mithra aryen, 1 ss - dieu des con-
trats, 1 n. 2 — avestique, 3 ss.
o
— dieu de la lumière, 3 s. — des
armées 5 joint à Ahura Mazda, Océan, 110, 115.
7 —à Anâhita, 8 — et Shamash, Occulte (cryphius), 155, 157.
11 — Cybèle, 86, 189
et et Mer- — Olympe, 112.
cure, 146 n. 2 —
en Arménie, 18 Omanos (Vohu Mario i, 14.
— médiateur, 129, 139 triple, 130 ôuwui = haoma, 150 n.
— sa naissance, 132 s. — et le Oreste, 21.
Soleil, 133 s. — et le Taureau, 135 Oriens, 120
— tauroctone, 137 — archer, 138 Oromasdès, 14; et. Ahura Mazda.
— omnipotens, 141 — socius, Ostie, 38, 61, 64.
2 56 MYSTERES DE MITHRA

Q
Pallas (écrivain), 82. Quadrige de Zeus, 118 s — du
Pain consacré, 163. Soleil, 119
Pannonie (culte en), 45 s., 62, 72 —
carrières de P., 227.
Pàrendî, 6
R
Participants, 159.
Patras, 32 n. 1.
Rashnu, 6.
Patrons, 175.
Repas de Mithra, 139.
Père (Mithra),] 46— grade, 155, 158 s.
Repas sacré, 163 s., 188 n. 4
— Pater patrum, 159 Pères, 171. — Résurrection, 147 s.
Pergame, 222 s., 232.
Rétie, 50, 71.
Perses, 1 ss; cf. Achéménides.
Rhin (culte sur le , 54.
Perse (grade), 155 s., 158, 165.
Rhône (vallée du), 68.
Phénicie, 32.
Rituel en Perse, 6 s. — en Asie
Philostrate, 194 n.
Phrygie, 12, 19, 28. n. 1.
2.
Mineure, 23 ss., 26 s — en Occi-
dent, 153 ss.; cf. Hymnes.
Pierre génératrice, 132.
Rois (dévotion à Mithra), 8, 14 cf. ;

Pirates ciliciens, 28, 35 s.


Achéménides, Séleucides, Empe-
Pirée, 31.
reurs.
Pisidie, 28 n. I.
Rome (Mithra à), 36, 78 ss. — fin du
Pius, felix, invictus, 98.
Planètes, 121 s , 127, 173 — sphères, paganisme, 215 s. — Exporte des
marbres, 227.
145 s., 157 — passage des âmes,
145.
Plutarque, 35, 37.
Pluton, 112.
Polychromie des bas-reliefs, 228.
Pomoerium, 79>. Sabazius, 19, 189.
Pont, 13 s., 19, 28 n. 1, 34, 41, 95. Sacerdos, 170.
Portes des cieux, 145. Sacrement (sacramentum), 160.
Portions, 177. Sacrifices sanglants, 112, 171 — s.
Poulets (boyaux de), 166. aux démons, 172 n. 2 — humains,
Pouzzoles (Puteoli), 61, 64. 167.
Prédelle des bas-reliefs, 226, 232. Saisons (culte), 123 s., 173.
Prétextât (Vettius Agorius), 198, 216 Samson déchirant le lion, 238 n. 3.
n. 1. Sanglier, 128.
Pronaos, 177. Sarrebourg. 55.
Ptolémées, 92. Saturne, 107, 146 — planète, 122;
cf. Kronos.

Scarbantia, 49.
Schwarzerden, 55.
INDEX ALPHABETIQUE 257

Scorpion, 137. T
Sculpture impériale, 224; cf. Art.
Séleucides, 95.
Tarragone, 59.
Sept (chiffre), 122.
Tarse, 28.
Sérapis, 188; cf. Isis.
Tatouages, lfil n. 4.
Serpent, 116 s., 137.
Taureau et Mithra, 135 s. — immo-
Servants, 158.
lation du T., 137 s., 191 s. — T. à
Sévères, 88; cf 196.
la fin du monde, 147 — T. de la
Shamash, 11, 21, 123, 129.
Lune, 120.
Sharêvar, 111.
Taurobole, 86, 190 s.
Sicile, 67.
Temples détruits, 209 s.. 214 ss.
Sidon,
Temps, 124 - T. infini, 107 s., 112.
32.
Siècles (divinisés), 124.
Terre 110, 115 ss. — (culte) 193.
Sodalicia, cf. Collèges.
Thaumaturgie, 169.
Sol cornes, 99 — conservator, 99 —
Thémis, 111.
invictus (culte), 196 ss.; cf. Soleil.
Théodose, 217.
Soldat {miles), grade, 155, 158, 160,
Théophores (noms), 33.
164, 240.
Thrace (culte en), 43.
Soleil, 120, 122 s., 146 — et Mithra, Tiridate, 26 n. 79 n. 3, 85.
18, 21, 133 s.- médiateur, 129 s. — 1,

Tombeaux autour des temples, 181


S. roi, 194 — cœur du monde,
Trajan, 35, 42, 43, 46, 47.
195 — Prières au S. 171 — jour du Transitus, 135.
S., 173 S. protège les
- 96 rois,
Trêves, 55, 62.
— assimilé aux empereurs, 101 — Triade, 114 n.
forme leur âme, 102 — Théologie
1.

Sol.
Tychè des 95 s.
rois, — des villes,
solaire, 193 s.; cf.
96 s.; cf Fortuna.
« Soleil de justice », 203.
Types traditionnels reproduits dans
Sorores, 190.
l'art, 233; cf. 106.
Sources, 115.
Spelaea, 167 s.

Sraosha, 5 s.

Stace, 36. V
Stigmates, 161 s.
Stoïcisme et Mithra, 22. Vallum d'Hadrien, 57.
Subventions au culte, 87. Vanainti, 111.
Succellus, 186 n. 5.
Varuna, 2.
Superstitions, 126 s.
Vayu, 8.
Syncrétisme, 186 ss.
Vespasien, 37, 45.
Syrie, 33 — cultes syriens, 62, 188
Vétérans, 59 ss., 79.
- marchands syriens, 61 ss.
Vents, 116.
Syrus (sens), 62.
Vénus (Aphrodite), 111, 114 n. 1,
122, 146.
Verethraghna, 5, 21; cf. Artagnès.
258 MYSTERES DE MITHRA

Victoire sacrifiant d'Athènes, 222;


cf. Nikè.
Vienna (Vienne), 68.
Vigne, 137.
Vin, 146 n. 2, 163, 165. Zervanistes, 106 s.

Vindobona (Vienne), 49. Zeus, 21 ; cf. Jupiter.


Virunum, 72, 227. Zodiaque, 123, 156 - (culte). 173.
Vulcain, 111, 114. Zoroastre, 8, 154.
Imprimerie J.-E. GOOSSENS, Bruxslles-Lille Paris

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