Canat - La Renaissance de La Grèce Antique 1820-1850 - 1911 PDF

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L'HELLENISME EN FRANCE

PENDANT LA PERIODE ROMANTIQUE

RENÉ CANAT
Docteur es lettres
Professeur au lycée de Bordeaux.

LA RENAISSANCE
DE LA

GRÈCE ANTIQUE
(1820-1850

PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET G'«
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 19

1911
Droils de traduflMflBIHMkÉ&rpductioa rcservcsi

Préface
'Hellénisme en Frange cCEgger s'arrête aux pre-
I_J mières années du XIX^ siècle. Les deux appendices
consacrés au XIX^ siècle sont assurément copieux
mais ne donnent pas un livre ni même la matière
d'un livre. Ces deux études auraient besoin d'être fon-
dues; souvent elles chevauchent lune sur Vautre. Elles
auraient besoin aussi d'être aérées. Elles sont trop
touffues, trop bourrées et V impression d'ensemble est peu
nette. Les travaux les plus importants sont noyés dans
un répertoire de noms de médiocre intérêt; certains qui
exercèrent une action décisive ne sont pas mentionnés.
Il ne semble pas, à première vue, que l'hellénisme ait
fait figure en Finance de 1820 à 1850. Le romantisme
triomphe et la curiosité, tournée vers les littératures du
Nord, dédaigne les œuvres classiques. Entre le magni-
fique mouvement de renaissance de la fin du XVI 11^ siècle
et le retour à l'art grec de 1850, entre Chénier et

Leconte de Liste, on dirait que l'hellénisme ne compte


plus chez nous pendant une trentaine d'années.
Si c'était pourtant une illusion? Je ne crois guère aux
*
révolutions littéraires. J'ai essayé de montrer ailleurs

1. R. Canat, De la Solitude morale chez les Romantiques et les


Parnassiens (Hachette et G'").
VI PRÉFACE

que sur certaines questions le Parnasse prolongeait le

romantisme et qu'il existait un lien très étroit entre ces

deux formes de littérature personnelle. Le retour à


V art grec de 1850 n'aurait-il pas été lui aussi préparé
par la génération précédente? Il m'a paru intéressant de
le rechercher.
Mais la question n'est pas simple ou plutôt il g a deux
questions.
Il y a d'ahord une résurrection — par la critique et

l'érudition — de cette Grèce que l'on crogait connaître


et que l'on ne connaissait pas. On croyait la connaître
mais on Rome. Le concours heureux
la confondait avec

de plusieurs circonstances dissipa cette confusion. Et ce


fut vraiment la révélation d'une Grèce toute nouvelle^
pour les érudits d'abord et aussi pour ce public mon-
dain et lettré qui fait l'opinion. C'est ce que j'appelle
La Renaissance de la Grèce antique et c'est l'objet du
présent ouvrage.
Mais d'autre part il était inévitable que cette renais-
sance agît sur le mouvement littéraire de 1820 à 1850.
Que fut cette action? Quelques auteurs qui se tenaient
en dehors du romantisme imitèrent l'art grec par réac-
tion contre le romantisme et ceci déjà est intéressant.

Voici qui davantage. Le romantisme lui-même fut


l'est

gagné par lesprit nouveau. Il fut annexé à l'hellénisme


dans ce qu'il avait d'excellent^ pendant que tombaient
ses parties caduques. Cette question sera étudiée dans
un autre ouvrage Le Romantisme et la Grèce antique.
Assurément deux livres se tiennent mais leur objet
les

est assez différent et chacun d'eux a son unité. Le pre-

mier définit cette atmosphère d'hellénisme dont le roman-


tisme sera baigné. On ne s'étonnera pas de ne pas y
PREFACE II

trouver certains noms ou certaines questions qui semble-


raient devoir y figurer. Ils m'ont paru mieux à leur
place ailleurs.
Je me suis reporté avec plaisir, pour toute celle
période,aux journaux savants ou mondains ainsi qu'aux
ouvrages de vulgarisation où se lisent le mieux les senti-
ments d'une époque. J'aurais voulu faire une plus large
part à certaines citations qui ont toute la saveur de
l'inédit. Du moins ai-je relevé ce qui m'a paru le plus
remarquable. Pour le reste, J'ai donné les références.

On trouvera dans chacun des chapitres, à la fin des


paragraphes, non pas une bibliographie complète qui
aurait alourdi inutilement ce livre mais l'indication
des lectures qui méritent une particulière attention.
LA RENAISSANCE
DE

I.A GRECE ANTIQUE


(1820-1850)

CHAPITRE I

CHATEAUBRIAND ET CHÉNIER
sont deux initiateurs de la renaissance hellé-
CEnique les
au xix*^ siècle. Ils sont à l'entrée de presque
toutes les avenues. Ce chapitre ne peut, forcément,
qu'indiquer les grandes lignes de leur influence. On
trouvera le détail ailleurs ^
Chateaubriand a révélé le paysage grec en des pages
immortelles. Les corneilles de- l'Acropole aux ailes
noires, lustrées, glacées de rose par les premiers reflets
du jour; les colonnes de fumée bleue et légère montant
dans 1 ombre, sur Athènes endormie, le long des flancs
deTlIymette; la transparence des nuits sur les bords de
l'Eurotas; le murmure des flots au cap Sunium; la
monuments; la silhouette nette
teinte fleur de pêcher des
et gracieuse des temples et des tombeaux sur les pro-
montoires; le chant du grillon et de la cigale dans les
plaines dévorées de soleil voilà, au hasard, quelques-
;

uns des qui illuminèrent la vieille terre classique,


traits
si mal dépeinte par les classiques. On ne devait plus

désormais en perdre la sensation. D'ailleurs Chateau-


briand, par ses causeries et par ses lettres, prolonge à

1.Surtout dans le volume qui suivra celui-ci, le Romantisme et


la Grèce antique.

d
2 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

travers le romantisme l'effet de Vulnéraire et des Martyrs.


Ambassadeur à Londres, il évoque Sunium et la grande
ombre de Platon, Il écrit à son ami Marcellus qui
revient d'Orient « La Grèce apparaît toujours comme
:

un de ces cercles éclatants qu'on aperçoit en fermant


les yeux.... Quand retrouverai-je les lauriers-roses de
lEurotas et le thym de l'Hymette? » 11 fréquente, à
l'Abbaye-au-Bois, Quinet et Lenormant qui ont fait le
voyage. Ampère et Mérimée qui espèrent bien le tenter
un jour. Le vieux pèlerin s'intéresse à ces jeunes Grecs. Il
écrit à Fun d'eux « Au delà d'Athènes, il n'y a plus rien
:

pour moi. Faites bien mes adieux au mont Hymette où


j'ai laissé des abeilles, au cap Sunium où j'ai entendu

des grillons et au Pirée où la vague venait mourir à mes


pieds dans le tombeau de Thémistocle.... Nous nous
reverrons dans quelques mois, nous espérons vos beaux
récits. Je m'attendrirai en vous écoutant comme le
voyageur qui se retourne et voit derrière lui le pays qu'il
a traversé. Mais vous n'aurez retrouvé ni une feuille des
oliviers ni un grain des raisins que j'ai vus dans l'Attique.
Je regrette jusqu'à l'herbe de mon temps je n'ai pas eu
:

la force de faire vivre une bruyère ».


Sa résurrection delà vie antique, en dépit des chicanes,
a paru aussi intéressante que la couleur de ses paysages.
Elle était nouvelle. On était habitué à une Grèce élégante
et académique accommodée au goût xviii'' siècle. C'est
Chateaubriand qui a commencé à ruiner la Grèce d'Ana-
cliarsis. Dans sa peinture de la pastorale Arcadie, il

avait évoqué des mœurs simples et naïves, ce qu'un bon


juge* appelait 1' « âme de l'antiquité ». Il avait rôvé les
anciens Grecs sur les Grecs d'aujourd'hui. Le gigot de
mouton que lui servaient ses guides sur le coin dune
grande pierre, les chansons populaires et les complaintes
des 'postillons entendues sur les routes de la Messénie
lui avaient suggéré une Grèce plus familière que la

l. Le grec Capodislria qui était alors en France et qui goûtait


hs Mc.ilyrs à ce point de vue.
CHATEAUBRIAND ET Cil E NIER 3

vieille ne Timaginait. Plus héroïque aussi, et


critique
moins amie des plaisirs. Sur les ruines de Sparte, il crie
aux échos, qui l'ont oublié, le nom de Léonidas; au
Pirée, il regarde les flots baigner le mausolée de Thémis-
tocle; du haut de l'Acropole, il songe à Démosthène. La
guerre de l'indépendance hellénique Tenthousiasme
comme la renaissance inespérée d'un glorieux passé. On
connait son rôle comme philhellène et sa célèbre Note sur
la Grèce (1825). Cette Grèce des palikares et des marins,
si naïve etsi fière, lui fait comprendre et goûter, depuis

les héros d'Homère jusquà Philopœmen, une Grèce


antique où n'avait guère pénétré l'abbé Barthélémy.
En art, il n'est pas excessif de dire que sa critique
littéraire a renouvelé l'intelligence de l'hellénisme. Il y a
un Génie de Vhellénisme dans le Génie du christianisme, ces
nombreux passages traduits d'Homère et ces aimables
commentaires sur l'antiquité qui relevèrent publique-
ment, a images du beau. Si Ion
dit sainte-Beuve, les
ne s'en avisa pas de prime abord, ce fut un peu la
faute de Chateaubriand. Lorsqu'il exaltait, souvent plus
que de raison, les œuvres modernes et chrétiennes,
n'avait-ilpas eu l'air de vouloir élever autel contre autel?
Mais la part faite à la thèse et à ses exigences, comment
oublier certains aveux où apparaissait le secret de
son cœur? « Les anciens sont plus simples, plus augustes,
plus tragiques, plus abondants et surtout plus vrais que
les modernes.... Ils ne savent travailler que l'ensemble
et négligent les ornements.... (On dirait) le groupe des
enfants de Niobé, nus, simples, pudiques, rougissants,
se tenant par la main avec un doux sourire et portant
pour seul ornement dans leurs cheveux une couronne de
Heurs. » Par une fortune singulière, et qui ne déplaisait
point à l'auteur, son Génie servit la cause de l'antiquité....
Suivez Chateaubriand à partir de 1820, lorsque se
dessine le mouvement romantique. 11 entre à la Société
Royale des Bonnes- Lettres où nous verrons que l'hellénisme
fut en honneur. Il admire la Vénus de Milo, qui vient
^

4 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

d'être découverte par Marcellus; il conseille à ses


fidèles de garder ce goût des lettres grecques qui
est devenu « une rareté dans notre pays si peu ami
de l'étude »; il apprend des épigrammes de Léonidas de
Tarente, il relit il traduit Anacréon; il para-
Homère,
phrase devant Marcellus, dans un jardin de Londres, la
Chanson de V Hirondelle il dit à Marcellus « Le descriptif
; :

des grands écrivains de l'antiquité est sans apprêt et


surtout sans longueurs. Une image, une épithète leur
suffit. Voyez Homère il ne dit qu'un mot de l'intérieur
;

du palais d'Alcinoûs et il court au verger du roi pour


en tracer la plus exacte et la plus ravissante image. C'est
la nature dans sa grâce et sa simplicité. Mais là même,
pour tous ces fruits et pour les fontaines aux emplois
divers, quelques vers suffisent, quand nos romanciers
architectes ou pépiniéristes en auraient rempli qua-
rante pages C est un souvenir d'Anacréon qui poétise
').

le dernier incident de sa vie politique. Arrêté comme


conspirateur et détenu chez le préfet de police, un
aimable homme qui déloge sa fille pour loger M. le
Vicomte, il se réveille tout joyeux dans le cabinet de
Mlle Gisquet parce qu'il se rappelle la chanson sur la
toilette dune jeune Grecque. Les Mémoires d' outre-tombe
dont il poursuit la rédaction, sont parfumés de gracieux
souvenirs de l'Anthologie. A ses amis de lAbbaye-au-
Bois il vante Hérodote, Epictète, Longus, Aristophane
surtout, « poète élégant et passé maître en atticisme ».

V Essai sur la littérature anglaise (1836) attaque vigou-


reusement le romantisme du genre
et ses défauts : l'abus
descriptif, les rêveries lyriques, l'adoration exclusive du
moyen Age et du gothique, la réforme de la langue, les
césures déplacées, le rythme brisé, l'alexandrin disloqué,
la passion pour les bancroches et les édentés, la ten-
dresse pour les plaies et les verrues, l'amour du gro-
tesque, tout ce réalisme brutal si loin de l'antique. Cha-
teaubriand est fidèle aux dieux d'Homère et aux saintes
collines, en face des barbares qui brûlent les oliviers et
CHATEAUBRIAND ET C II ENI Eli 5

les lauriers Génie de la Grèce, génie d'Homère,


: «

d'Hésiode, d'Eschyle, de Sophocle, dEuripide, de Saphô,


de Simonide, d'Alcée, trompez-nous toujours Je crois I

ferme à vos mensonges. Ce que vous dites est aussi vrai


quil est vrai que je vous ai vu assis sur le mont Hymette,
au milieu des abeilles, sous le ))ortique d'un couvent de
caloycrs vous étiez devenu chrétien, mais vous n'en
:

aviez pas moins gardé votre lyre d'or et vos ailes cou-
leur de miel où se dessinent les ruines d'Athènes ».
Dans les dernières années de sa vie, par ferveur
d'helléniste autant que par piété pour une chère
mémoire, il édite les œuvres complètes de son ami
Fontanes. Et il rappelle c|ue s'il est demeuré classique,
il le doit à Fontanes qui veillait jalousement sur la

pureté de la langue comme les dragons de la fable


gardaient les pommes d'or des Hespérides. Regrets d'un
passé d'amitié et de poésie, souvenirs des temps heureux
où les Martyrs voyaient le jour à l'ombre de la Grèce
sauvée, douce vision d'une intimité que parfumait
une commune admiration pour la beauté des chefs-
d'œuvre antiques, tout cela, par un ingénieux et délicat
symbolisme, refleurit sous une image grecque dans
l'esprit du vieillard « La jeunesse est
: une chose
charmante; elle part au commencement de la vie,
couronnée de fleurs, comme la flotte athénienne pour
aller conquérir la Sicile et les délicieuses campagnes
d'Enna. La prière est dite à haute voix par le prêtre de
Neptune; les libations sont faites avec des coupes d'or;
la foule bordant, lamer unit ses invocations à celles du
pilote; le péanchanté tandis que la voile se déploie
est
aux rayons et au souffle de l'aurore. Alcibiade, vêtu de
pourpre et beau comme l'Amour, se fait remarquer sur
les trirèmes, fier des sept chars qu'il a lancés dans la
carrière d'Olympie. Mais à peine l'île d'Alcinoûs est-
ellc passée, l'illusion s'évanouit. Alcibiade banni va
vieillir loinde sa patrie et mourir percé de flèches
sur le sein de Timandra. Les compagnons de ses
6 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

premières espérances, esclaves à Syracuse, n'ont pour


alléger le poids de leurs chaînes que quelques vers d'Eu-
ripide. Vous avez vu ma jeunesse quitter le rivage.... »
Lorsque se dessinera après 1830 le retour à l'antiquité,
lorsque les écrivains, à la suite des traducteurs et des
critiques, tenteront le chemin des hautes sources, c'est à
Chateaubriand d'abord que remontera leur curiosité pour
regarder jaillir la fontaine ^
Et aussi à Chénier dont l'hellénisme n'a été vraiment
senti et goûté qu'après 1830. Chénier, révélé en 1819, n'est
guère estimé que comme élégiaque jusqu'en 1824. Il est
l'auteur du Jeune Malade; il justifie la mélancolie du
romantisme naissant. Après 1824 et pendant plusieurs
années, on salue en lui l'artiste, l'inventeur du poème,
l'auteur de l'Aveugle, le rénovateur de la versification.
C'est à peine quelques articles signalent sa parenté
si

avec le génie grec. Lebrun mentionne, en passant, ses


idylles parfumées d'antiquité, le Conslilulionnel reconnaît
un disciple de Théocrite; Villemain, très prudent quand
il s'agit de décider si Chénier est de l'ancienne ou de la

nouvelle école poétique, Villemain se sent plus à l'aise


pour parler des « grâces naïves » du génie grec, retrou-
vées dans toute leur fraîcheur par un artiste ému et
délicat. Il arrive aussi que l'hellénisme de Chénier
s'insinue à la faveur d'autres goûts. On croit n'imiter que
lélégiaque et l'artiste et l'on prend contact, sans y
prendre garde, avec la beauté grecque. « Je ne suis pas
la rose, dit la fleur de la poésie persane, mais j'ai long-
temps habité près de la rose. » C'est le poète Lebrun qui
résume dans cette citation l'influence de Chénier, et il se

1. Chateaubriand, les Martyrs; V Itinéraire; le Génie, toute la


Deuxième partie et spécialement, I, 2; II, 2, 4; III, 6; IV, 1 et 2; V;
Essai sur la litt. angl. Deux, partie.
: — Sainte-Beuve, Chat, et son
groupe litt., passim articles divers et spécialement
; : Espoir et vœu
du mouvement littéraire (1830) et Lettre d'un vieux ami de province
(1840). —
Biré, les Dernières années de Chateaubriand. —Marcellus,
Chateaubriand, p. 28, 42, 54, 66, 69, 70, 76, 108, 130, 137, 142, 166,
175, 183, 189, 365, 459, 481.
CHATEAUBRIAND ET CIIÉMER 7

trouve que Lebrun est un des hellénistes de la Restaura-


tion que nous reconnaissons au rameau d'or. Nous sur-
prendrons assurément chez les poètes de cette génération
un air d'antiquité qui leur est venu par Chénier. Mais il
ne faut rien exagérer, et cest encore bien peu de choses
Voici cependant que Sainte-Beuve écrit du poète des
idylles : « On sent qu'il vient de la Grèce, qu'il y est né,
qu'ilen est plein ». Sainte-Beuve rapproche Chénier de
Chateaubriand, il lui fait un mérite d'avoir poursuivi « la
régénération de la poésie par l'étude approfondie de
l'antique >>, il souhaite qu'une édition classique relève les
emprunts qu'il fît aux écrivains grecs. Même son de
cloche quelques années plus tard lorsque Sainte-Beuve a
reçu de Gabriel de Chénier quelques manuscrits inédits.
Ce découvre avec surprise ce n'est pas seulement
qu'il y
le poète philosophe de l'Hermès, c'est un Chénier hellé-
niste, plus amateur de grec et plus imitateur qu'on ne
l'avait supposé, lecteur infatigable de Méléagre, de Bion
et de Théocrite, épris de mythologie et de légendes popu-
laires, toujours préoccupé de citer, de commenter, de
traduire « Il extrayait partout de la Grèce ». Et Sainte-
:

Beuve demande une fois de plus cette édition classique


qui traiterait Chénier comme un ancien et qui assurerait

1. Sur la réputation de Chénier jus(|u'en 1830 et sur le peu de

pince que tient son hellénisme, voici les articles qui m'ont paru
les plus intéressants le Lycée français, 1819, t. II (lire à ce sujet
: :

Séché, Charles Loyson et Sainte-Beuve, Port. Cont., 111). Le Con- —


servateur littéraire, 1820, I, 374 (cf. Hugo, Littérature et philosophie
mêlées; Dupuy, la Jeuncsi^e des romantiques, 29 à 35). Annales de —
la litt. et d's arts, 1823, t. X, p. 321. — La Muse française (éd. Marsan),
juillet, septembre décembre 1823 (cf. Séché, le Cénacle de la Muse
et
française, p. 73). —
Journal des Savants, nov. 1819 (article de Ray-
nouard). —
Le Constitutionnel,'^ mars, T'et 28 avril, 12 sept., G oct.
1820. —La Renommée, G sept. 1819 (article de Lebrun, inséré dnns
ses 0. Comp., IV, 353). —
Lettres champenoises, 1822, t. Vlll, p. 180G.
— Ern. Deschamps, Préface des Études françaises et étrangères. —
Sainte Beuve, Tableau... et Pensées de J. Delorme. Des Granges, —
la Presse littéraire sous la Restauration. —
Villemain,Lt7^ du XYlIl" s.,
IV, 305. —
R. de Paris, 1829, t. IX et 1830, t. XII (deux articles
curieux de Lateuche).
8 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

la gloire de Féditeur, « à bord d'un autre, à bord d'un


charmant navire divoire ». 11 espéra un moment que
Boissonade ou Labitte s'en chargerait. En attendant, il
profite d'un maladroit pamphlet pour rompre une nou-
velle lance en faveur de son cher poète; il Fappelle le

dernier et non le moins désirable des Alexandrins.


Et c'est alors que la critique demande au poète de
l'Invention les règles d'un nouvel art poétique et le secret
du rajeunissement littéraire.
Jamais on n'a tant répété qu'en ces années Sur des
: a

pensers nouveaux faisons des vers antiques ». La Muse

française avait jadis pris cette formule comme épigraphe


mais ne l'avait ni approfondie ni respectée. Musset termine
ainsi un article sur le théâtre « Pourquoi ne prendrions-
:

nous pas pour devise ce vers de Chénier qui serait vrai-


ment applicable à la renaissance de la tragédie Sur des :

pensers nouveaux..."^ » Sainte-Beuve y voit une excellente


gymnastique pour le poète « Du Bellay [dans uneépître]
:

disait de fort bonnes choses sur l'imitation des anciens et


qui rappellent notablement les idées du poème de Vlnven-
tion par A. Chénier Sur des pensers nouveaux.... C'est
:

presque toujours par la forme que se détermine le


poète. » Saint-Marc Girardin invite les poètes à suivre
l'exemple et les leçons de Chénier, à imiter la forme et
non le fond de l'art antique. Lerminier conseille de
fondre linspiration moderne pour les idées et la tradition
grecque pour le style il fait allusion à la tentative de
:

Chénier. Pontmartin s'étonne que, malgré l'autorité de


Chénier, des auteurs dramatiques écrivent des ouvrages
dont les pensers sont fort peu nouveaux et les vers pas du
tout antiques. La revue l'Artiste étend la formule de
Chénier aux arts plastiques « On peut appliquer à ces
:

arts ce que Chénier disait de la poésie Sur des pensers


:

nouveaux.... » Lenormant, critique d'art souvent délicat,


recommande la recette pour la peinture, aussi bien que
pour la sculpture « David d'Angers et P. Delaroche
:

possédaient en commun un indéfinissable mélange de


CHATEAUBRIAND ET CHENIEIi 9

l'ancien et du nouveau. Sur des pensers nouveaux... disait


pure tradition de
Ciiénicr. Ils voulaient aussi appliquer la
lart à ce monde oùforme a perdu son prestige et que
la
gouvernent des idées à peine soupçonnées par les âges
antérieurs K »
11 suffît dindiqucr le chemin et de jalonner la route.

Il y aura lieu de chercher comment la poésie et le théâtre

suivirent la leçon de Chénier.

\. Sainte-Beuve dans la R. de Paris, juillet 1829, le National du

18 janvier 1834 et la R. des D. M. du 1" février 1839 et du 1" juin


1844. Cf. aussi une lettre à D. d'Ang-ers (Jouin. D. d'A. et ses Relations
littéraires, p. 153) et diverses lettres à Boissonade {R. d'Hist. litt.
de la France, juillet 1901, p. 484).— R. de Paris, 1834, t. XI (article
curieux de Latour). —iMusset, R. des D. M., 1" nov. 1838. — Saint-
Marc Girardin, Cours de litt. drain., IV, 82. — Lerminier, R. des
D. M., 15 juin 1846.— Pontmartin, ibid., 1" avril 1849. —L'Artiste
de 1852 :Cinquième série, VIll, 66. — Lenormant, Reaux-Arts et
Voyages, 1, 250.
CHAPITRE II

DU PHILHELLÉNISME A LHELLÉNISME
I.OPPOSITION DE LA GRÈCE MODERNE ET DE LA GRÈCE ANTIQUE. = II. LE
COURS PUBLICS. = III. LES SAVANTS GRECS EN FRANCE. = IV. LES CHANT
POPULAIRES ET LE PASSÉ DE LA GRÈCE FAURIEL.
:

'
I

GHÉNiER venait à peine d'être révélé que lïnsurrection


grecque éclata (1821).
Bien des raisons expliquent l'enthousiasme de l'Europe,
de la France en particulier, pour les Grecs modernes. Il
y eut un philhellénisme mondain avec fêtes, sauteries,
quêtes à domicile, concerts de charité, expositions de
tableaux, comédies jouées au profit des palikares; un
philhellénisme religieux qui soutenait les Grecs chrétiens
contre les Turcs musulmans; un philhellénisme libéral
et voltairien qui acclamait des sujets révoltés contre
leur suzerain; un philhellénisme romantique intéressé
par le côté mystérieux de l'aventure et l'assimilation des
palikares aux carbonari. Et il y eut aussi et surtout un

philhellénisme littéraire inspiré par les souvenirs clas-


siques. Ce sont des écrivains et des artistes qui ont
soulevé la foule en faveur d'un peuple resté personne—
n'en doutait — héroïque et élégant. Le Télémaque, le
Voyage d'Anacharsis, Vltinéraire, la Grèce sauvée enflammè-
rent les cœurs. Ce que chantait Déranger dans le Voyage
imaginaire :

De vu les bords fleurir,


rilissus j'ai
J'ai sur l'Hymelte éveillé les abeilles...
DU PlIILIIELLÉNISME A L'HELLÉNISME 11

d'autres le pensaient certainement ou s'imaginaient quïls


l'avaient toujours pensé, une fois qu'ils avaient chanté
du Déranger.
On sait assez ce que la Grèce moderne gagna à ces
évocations de la Grèce antique. Mais la réciproque est-
elle vraie? Le philhellénisme, qui doit tant à l'hellénisme,
a-t-il servi Ihellénismc?
Ce n"est pas évident. Le philhellénisme ne
littéraire
mène pas loin. Cette avalanche d'épîtres, odes, Messé-
niennes, Lacédémoniennes est sans intérêt pour la
connaissance de la Grèce d'autrefois. Le décor hellé-
nique est banal et conventionnel, les grands noms
historiques amorcent les développements les plus inat-
tendus ou déclanchent la plus insupportable rhétorique.
Les Études sur l'antiquité de C. Delavigne et certaines de
ses Messéniennes évoquent parfois les aimables souvenirs
de la Grèce; mais ce sont d'heureux accidents. Généra-
lement, l'âme de l'antiquité en est absente, le paysage
même est sans relief. Delavigne nous fatigue de ses
oliviers et de ses lauriers-roses et nous disons avec lui,
mais autrement que lui « Eurotas, Eurotas, que font
:

ces lauriers-roses? » Les invocations à l'Olympe, les


souvenirs mythologiques ne changent rien aux pires
clichés du pseudo-classicisme.
Il que la Grèce moderne faisait concur-
arrivait aussi
rence à la Grèce antique et en effaçait la vision au lieu
de la prolonger. Comment songer à l'épopée homérique,
à la lutte contre les Perses, à Léonidas et à Philopœmen
quand on avait Souli, Parga, Chio, Missolonghi et les
Canaris et les Botzaris? En 1824 la régénération de la
Grèce est la question du jour. Il est entendu que son
avenir offre plus d'intérêt que son passé. De bons légiti-
mistes lui conseillent de choisir un roi qui ressemblera
à Louis XVllI.
Les romantiques opposent la Grèce des palikares et la
Grèce traditionnelle, la première toute éblouissante de
l'éclat de l'orientalisme, la seconde sans couleur et sans
12 LÀ RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

vie qui reste l'apanage du classicisme. C'est l'idée de


Hugo dans la préface des Orientales.
Le journal le Globe, fondé en 1824, est un témoin intel-
ligent des mouvements de l'opinion. 11 est philhellène,
mais hostile à l'antiquité. « Les marbres du Parthénon
ont perdu dans notre esprit quelque chose de leur
importance. » Il veut qu'on étudie la Grèce moderne sans
se laisser éblouir par le mirage du passé. Il signale à ses
lecteurs les livres publiés par des gens qui sont allés en
Grèce et qui même ont été mêlés à l'insurrection la :

Régénération de la Grèce de Pouqueville, l'Essai surlesFana-


riotes de Zallony, les Lettres sur la Grèce du colonel Stan-

hope, les Chroniques du Levant publiées chez les Didot,


les Mémoires sur la Grèce de Max. Pxaybaud, la Grèce au
printemps de 1825 par Giuseppe Pecchio, le Tableau de la

Grèce en 182b, récit du voyage de James Emerson,


traduit par Cohen, Le journal insère des articles très
précis sur la guerre, des notes sur Navarin, des extraits
du journal d'un officier de Morée. Voici encore des
études sur l'université des îles Ioniennes, sur l'instruc-
tion publique, sur les écoles normales d'Argos et
d'Athènes. Jouffroy parle des klephtes et des armatoles.
Et c'est Sainte-Beuve, nouveau venu au journal, qui pré-
sente au public les lieux les plus fameux de l'insurrection,
les îles de Samos, Candie, Hydra, Ipsara, Chio la désolée
qui était naguère Chio l'aimable : « Hors de la ville, l'île
entière semblait un jardin; sur les coteaux mûrissaient
les raisins célébrés par Horace, des plants de mûriers
chargés de vers à soie ». L'article sur Lesbos est amu-
sant. La patrie de Saphô est gravement invitée à se
réhabiliter par la guerre et à faire oublier ses galantes
histoires. C'est du symbolisme de haut goût. Le Globe prie
ses lecteurs de faire l'oubli sur le passé de la Grèce et au
besoin il les y aide K

1. Gobineau, Deux études sur la Grèce moderne. —


G. Delavigne,
Aux ruines de la Grèce païenne (admiré par Musset dans la R. des
D. M., 15 avril J836). — Sainte-Beuve, Port. Cont., V. —
Le Globe,
DU PUIUIELLENISME A V HELLÉNISME 13

Les amis de l'antiquité eurent cependant leur revanche.


La guerre de l'indépendance les obligea, pour plaider
devant les indifférences ou les inimitiés la cause de la
(irèce, à invoquer c'est-à-dire à mieux connaître son
passé d'art et dhéroïsme. Ils eurent assez de savoir pour
justifier leur admiration, assez d'habileté pour faire
dériver vers le passé la curiosité du présent.

II

En 1821 se constitue une Société des Bonnes-Lettres. Elle


est royaliste et classique, elle veut embrigader dans les
mêmes rangs les défenseurs
« de toutes les légitimités, de
toutes les vraies gloires, du sceptre de Boileau comme
de la couronne de Louis le Grand ». C'est une société
riche et mondaine les dames y sont admises. Fontanes
:

la préside à sa fondation et Chateaubriand l'année


suivante. Le bureau arrête pour chaque mois le pro-
gramme des réunions qui ont lieu trois fois par semaine,
de janvier à la fin de mai. Chaque séance comprend un
cours suivi d'une lecture. A partir de 1823 il y a des
concours pour des prix d'éloquence et de poésie. Les
publications paraissent dans l'annuaire de la Société ou
encore dans les Annales de la littérature et des arts.
Le philhellénisme est d'abord suspect à ces royalistes :

est-il possible d'admettre la révolte des Grecs contre

leur suzerain? On s'avise pourtant qu'il n'y a pas d'ana-


logie entre cette insurrection et les mouvements révolu-
tionnaires en Europe. Un orateur philhellène rapproche
habilement massacres de Chio des épisodes de la
les
Terreur. Et lorsque les Grecs, nés malins, adressent une

il sep., 30 oct., 11 nov., 28 déc. 1824; 1-9 et 26 février, mai à déc.


1825, 28 mars et 4 avril 1826. Les articles de Joullroy sont des
30 28 nov. et 10 déc. 1824, 19 et 26 fév. 1825, 16 et 19 avril 1825.
oct.,
Ceux de Sainte-Beuve 10, 16, 18 et 24 oct. 1824, 4 et
: nov., 4 déc.
1824, 13 janv. 1825 (cf. Michaut, Sainte-Beuve avant les Lundis, p. 58).
14 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

supplique au pape pour rentrer dans le giron de l'Église


catholique, leur cause est décidément gagnée auprès de
cette société bien pensante.
Mais voici bien d'autres inquiétudes. Abel Hugo a fait
un cours sur espagnole, Rémusat a parlé
la littérature
sur lorientalisme tous deux ont été fort applaudis. Que
:

devient la sainte tradition qu'on a juré de défendre? Il


faut neutraliser le poison romantique. On fait appel à
Saint-Marc Girardin pour un cours de littérature fran-
çaise. Mais pourquoi ne pas remonter jusqu'à lliellé-
nisme puisque les Grecs sont des amis? Et c'est ainsi que
Patin, pendant quatre ans, initie son brillant auditoire
aux mystères de la tragédie grecque. 11 plut beaucoup,
ilinquiéta quelquefois. La société croyait ressusciter les
leçons de l'Athénée avec un nouveau La Harpe car :

La Harpe, encore que voltairien, était bien pensant


en littérature. Mais Patin n'avait pas du tout sur la
Grèce antique les idées de La Harpe. De là des tirail-
lements et, de temps à autre, des admonestations.
Mais en somme le professeur put dire ce qu'il vou-
lait dire. 11 lança quelques idées qui firent du bruit et
du chemin.
En Sorbonne, Cousin, sincère ami des Grecs comme de
tous les peuples opprimés, lié d'ailleurs avec des philhel-
lènes de marque, se fait applaudir de la jeunesse et la
prépare à écouter ses savantes leçons sur le platonisme.
Villemain surtout porte cet art à la perfection. Son Essai
sur les romans grecs où il proclamait la science des Grecs
modernes et l'éternelle jeunesse de ce peuple béni des
dieux lui avait valu de chaudes sympathies. Une leçon du
cours de 1824 est un chef-d'œuvre de malice et de tac-
tique. Il parlait de l'Iphigénie de Racine quand tout à
coup il s'écrie « Les Iphigénies de la Grèce moderne
:

seront ces vierges chrétiennes, étouffées sous les eaux et


dont les tombes récentes mais déjà consacrées par la
piété publique sont invoquées sous le nom de Callimar-
tyres ». L'auditoire éclate en applaudissements. Villemain,
DU PHILHELLENISME A L'HELLENISME 15

qui ne veut pas avoirl'air de les prendre pour lui, con-

tinue avec une belle assurance « Vous avez donc


:

entendu en imagination ces acclamations (lui retentirent,


il y a deux mille ans, depuis le portique de Miltiade
jusqu'aux rivages du Piréel » Et il se met à lire, dans le
plus grand silence, des fragments d'Euripide. Ce bel
esprit ne manquait pas d'esprit. L'année suivante, il
donne un Lascaris, article biographique sur le savant
grec qui, après la prise de Constantinople, répandit dans
l'Occident le goût des lettres antiques. Il paraît que
Lascaris avait prophétisé l'affranchissement de sa patrie
pour le jour où le rayonnement de son génie lui suscite
rait des vengeurs. L'habileté de Villemain fut d'insinuer
que ce jour était venu et que d'ailleurs l'Europe y gagne-
rait une seconde renaissance. Il en fît la preuve dans
son Essai historique sur l'état des Grecs depuis la conquête
musulmane. C'est un livre amusant et coloré. Lisez seule-
ment le tableau d'Athènes au xviii*' siècle, les pages où il
évoque la toilette féminine, les chemises à larges man-
ches, les corsets d'étoffe de soie, les pantalons bouffants,
les robes bordées d'hermine, les bracelets et les amulettes,
les chapeaux de couleur écarlate semés de perles et
noués sous le menton, les chevelures compliquées et
poudrées, les ongles teints en rose, le bord intérieur des
paupières peint en noir. Mais la couleur locale n'égare
pas longtemps Villemain. Il nous emmène bien vite au
milieu des écoles et des universités, chez les moines du
mont Athos, dans l'île charmante de Chio, l'endroit le
plus éclairé de la Grèce. Il éveille nos sympathies pour
les Grecs modernes qui sauvèrent l'héritage de leurs
pères des mauvais génies de la nuit. Et cet héritage il
nous le décrit avec complaisance '.
C'est la tactique suivie par tous les savants grecs que
le philhellénisme avait attirés chez nous.

Des Granges, la Presse littéraire sons la Restauration, p. 194


1.

(j'yajoute plusieurs détails empruntés au journal de la Société des


B. L.). —Annales de la liit. et des arts, janvier 1821, 4 et 18 jan-
16 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

III

A du xviii° siècle était venu s'installer à Paris


la fin
Adamantios Coraï, de l'île de Chio, patriote ardent et
lettré délicat.
La Grèce était alors en pleine renaissance. Les îles
Ioniennes se glorifiaient du collège de Corfou; les écoles
de Smyrne de Cydonie attiraient de nombreux élèves,
et
rUniversité de Chio surtout, la plus richement dotée,
avait une splendeur inouïe. La vanité nationale, la
curiosité de la jeunesse pour les sciences, les voyages à
travers l'Europe et spécialement dans les villes d'Uni-
versités, le progrès du commerce, la richesse écono-
mique, l'activité des îles, les dotations d'écoles par de
généreux philanthropes avaient amené ce réveil de la
race. Dans les moindres villages, le didascalos racontait
aux enfants les gloires du passé. On jouait des scènes
patriotiques sur des théâtres improvisés. On adaptait
tant bien que mal les pièces d'Eschyle et les chants
des lyriques.
Coraï atteste solennellement en face de l'Europe la
résurrection de sa patrie. Le 6 janvier 1803, il lit à la
société parisienne des Observateurs de Vhomme un mémoire
sur « l'état actuel de la civilisation dans la Grèce ». Il

multiplie les discours, les lettres, les proclamations :

(( On a beauvous n'avez point dégénéré de vos


dire,
illustres ancêtres C'est le serment de Démosthène. Il
».

fait expédier à ses compatriotes des caisses de livres,


grâce à la générosité des frères Zosima qui prennent
tous les frais à leur compte. Il prépare l'indépendance
par l'instruction. Il applaudit à la Société des Philo-
muses organisée à Vienne par Alexandre Ypsilanti, et

vier 1825 (Le cours d'Abel Hugo est de 1821, celui de Rémusat de
1825; Saint-Marc Girardin débute en 1825 et continue en 1827-1828;
Patin parle de 1825 à 1829). —
B. Saint-Hilaire, Cousin, I, 128 et
238; 11, ^87. —
Villemain, Études de litt. fr. et étrangère. Études
d'hist. moderne, Mélanges litt., II. —
Le Globe, H
déc. 1824.
DU PIIIUIELLENISME A L'HELLENISME 17

au « Logios Hermès » ou Mercure littéraire, recueil


périodique fondé, à Vienne également, par le métropolite
Ignace de Bouchaust. 11 encourage la grande entreprise
du Kibôtos, vaste dictionnaire comprenant tous les mots
grecs anciens avec le terme correspondant en langue
moderne et vulgaire. Le
en était symbolique c'était
titre :

Yarche sacrée qui devait sauver la langue sublime des


aïeux pendant la tempête et le déluge. Coraï ne cesse de
penser aux glorieux écrivains de la Grèce antique. Il les
fait connaître en les rééditant. Il publie chez les Didot

une Bibliothèque grecque (1807-182o). Les notes sont en


grec ancien, mais les préfaces en grec vulgaire pour
faciliter la diffusion.
Et la France, qu'y gagnait-elle? P.-L. Courier disait de
Coraï et des Zosima : « Ce nest pas seulement leur
nation qu'ils gratiflent d'un don si précieux mais, chez
toute nation, tous ceux qui s'intéressent à la belle litté-

rature. » Une fois de plus, l'hospitalité faisait la fortune

de nation accueillante. Nous n'étions pas riches en


la
éditions classiques nous profitâmes de celles qu'on
:

imprimait chez nous pour les Grecs. II ne tenait qu'à


Coraï d'agir profondément sur le public parisien. On lui
offre par deux fois une chaire au collège de France. Il
refuse en s'excusant sur son humeur, ses travaux et ses
infirmités. Il écrit à un ami qu'il craint la foule et qu'il
est un sauvage. Même réserve, parfois un peu sèche, à
l'égard des corps savants. A une
lettre affectueuse de
Boissonade qui propose la candidature à l'Académie
lui
des Inscriptions, il répond par un refus laconique. Mais
il se lie avec un petit groupe de savants, Boissonade,

Chardon de la Rochette, Thurot, Barbier du Bocage,


Courier. Il discute dans ses lettres mainte question
d hellénisme. Il rédige de copieux mémoires qu'il ne
garde pas dans ses tiroirs. Il oriente vers la Grèce
antique la célèbre maison d'édition des Didot. Il avait
accepté de donner des leçons au jeune Ambroise Didot à
la condition qu'elles fussent gratuites et que le disciple

2
18 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

fût discret « Tout ce que je barbouille chez moi soit en


:

grec soit dans d'autres langues doit être sacré pour lui. »
Coraï se réservait lemploi de ses générosités. Maître et
disciple gardèrent toujours d'affectueuses relations. Mais
ils ne bavardaient pas pour des riens. Toute lettre de

Coraï à son cpO.s Atgôre soulève et discute un problème de


philologie.
Les savants grecs, installés en France, nous font pro-
fiter de leur érudition et de leurs découvertes. Mustoxidi
retrouve sur un palimpseste des fragments importants
d'Isocrate. Piccolos, médecin et philologue comme Coraï,
ancien professeur de philosophie à Corfou, fixé en France
pour des raisons de santé, traduit en grec moderne des
œuvres françaises pour instruire ses compatriotes.
Bientôt, il a lidée d une vaste enquête sur les imitations
de l'hellénisme dans notre littérature. On lui doit de
curieuses observations de détail. Il a signalé que le
célèbre vers d\indromaqae Brûlé de plus de feux que je
: «.

n'en allumai » fut pris au roman Théagène et Chariclée, la


lecture favorite de Bacine à Port-Boyal. Il a relevé aussi
les passages grecs dont Bernadin de Saint-Pierre s'ins-
pira pour Paul et Virginie.
C'est en ces années de la Bestauration que débarque
à Paris le fameux Minoïde Minas qui commença sa car-
rière par des traités de grammaire, la continua par des
chants pindariques et Tacheva par des missions savantes.
Bien vu dans le monde de la littérature et de la politique,
habile à se faufiler, intrigant et fureteur, il se fera
charger d'explorations que lui facilitent ses relations
avec le clergé grec et les moines. Villemain l'enverra au
mont Athos d'où il rapportera un précieux butin, les
fables de Babrius. Il pèse sur sa mémoire une assez
vilaine histoire de textes fabriqués qu'il aurait présentés
comme de Finédit authentique. Il est certain que l'appât
des récompenses encouragea parfois la fraude et que
certains Grecs furent par trop grecs, par exemple ce
Simonidès qui inséra dans un traité sur la peinture,
DU PUIUIELLÉNISME A L'HELLÉNISME 19

composé en 1458 par moine Dionysos, un chapitre où


le

Haicnt décrits les procédés du daguerréotype. Mais ces


supercheries ne doivent pas l'aire oublier les services
rendus.
Lorsque candide Ballanche eut terminé son Antigone,
le

il l'envoya à Marcellus avec une lettre où il disait :

(( L'Académie qui réside à Athènes ne refuserait peut-être


pas darrêter un instant ses regards sur une production
qu'elle est si naturellement appelée à juger ». Et Mar-
cellus, qui raconte l'aventure, ajoute qu'il s'en amusa
fort Le bon philosophe, déjà occupé de ses idées de
: «

palingénésie aura sans doute entrevu dans l'avenir la


renaissance d'une académie à Athènes ». Eh bien! n'en
déplaise au malicieux Marcellus, Ballanche n'était pas si
en France
ridicule. L'activité des savants grecs installés
pouvait faire illusion. Dugas-Montbel revise sa traduc-
tion de ïlliade avec les conseils de « quelques Grecs
pleins de science jetés en Europe
Le Globe, qui n'est ».

pas suspect, signale cette renaissance originale et inat-


tendue de la Grèce antique. Le cours de grec moderne,
professé par Hase à partir de 1816, retrouve la fdiation
du romaïque par rapport à la vieille langue. Les curio-
sités du philhellénisme ont servi l'hellénisme K
L'une d'elles surtout a été précieuse.

1. Sur la renaissance grecque


Marcellus, Souvenirs de V Orient et
:

Épisodes iitt. 1" avril 1843 et P^ nov. 1847


en Orient; R. des D. M.,
(articles d'Ampère et de Gh. Lévêque); R. Rleue dn 15 juin 1907
(article de Th. Reinach). —
Boissonade J. de l'Empire, 11 sept. 1808.
: —
Sur le Kibôtos Marcellus, Epis. Iitt. en Or., I, 317.
: Sur Coraï— :

Egger, Hell. en Fr., II, 393; Brunet de Presles, Notice en tète des
Lettres inédites de Coraï; voir aussi les Lettres de Coraï, ses Parerga
et ses Atakta. —
Sur les relations des Grecs et de la France, Egger,
Hell. en Fr., II, 448; Marcellus, Chateaubriand, 318; le Globe, 1" et
22 avril 1829; Ho'issonade, fragment cité; Sainte-Beuve, Port. Cont.,\
(Béranger et Piccolos); Mémoires de l'Ac. des I., t. XVIII, I, p. 148
(sur les missions de M. Minas).
20 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

IV
En 1824-25 paraissent avec un vif succès les Chants popu-
laires de la Grèce moderne.
Quelques poésies de ce genre, publiées par Pouqueville
dans un style extrêmement prétentieux, ou par certains
journaux curieux des nouveautés, avaient éveillé le goût
sans le satisfaire. Fauriel, déjà connu par son talent
d'helléniste et par ses recherches sur les poésies primi-
tives, réunit en quelques années une abondante gerbe,
avec Faide de Coraï, Piccolos, Mustoxidi et Boissonade.
11 répartit les chansons en trois catégories je cite, pour
:

chacune des divisions, la pièce qui a eu le plus de vogue.


Voici, dans les poèmes héroïques, le Tombeau du Klephte :

« Le soleil se couchait et Dimos donnait des ordres :

Vous, mes enfants, [allez chercher] de leau pour votre


repas du soir —
toi, Lamprakis, mon neveu, assieds-toi

là, près de moi —


tiens, revêts mes armes et sois capi-
taine. —
Et vous autres, mes braves, prenez mon pauvre,
mon cher sabre — coupez de verts branchages, faites-m'en
un lit pour que je me couche —
et allez quérir un confes-
seur à qui je me confesse — à qui je dise tous les péchés
que j'ai faits. —
Je fus trente ans armatole, vingt ans
klephte et maintenant ma mort est venue, je m'en vais
mourir. —
Faites mon tombeau et faites-le moi large et
haut —
que j'y puisse combattre debout et charger [mon
arme étendue] sur le côté. — Laissez à droite une fenêtre
pour que les hirondelles viennent m'annoncer le prin-
temps —
et les rossignols me chanter le bon mois de
mai. » Puis ce sont les poèmes romanesques, à la fois
mélancoliques et rudes, comme la Mère moréate « Celui :

qui veut ouïr des plaintes, de tristes lamentations, qu'il!


s'en aille dans les villes de la Morée, dans les carrefours
de la ville. [C'est là que] la mère pleure son enfant et
l'enfant sa mère. [Les femmes] sont assises à la fenêtre en
tournent l'œil vers le rivage elles gémissent comme ded
:

perdrix, s'arrachent les cheveux comme les caned


DU PIIILHELLÉNISME A L HELLÉNISME 21

[s'arrachent les plumes] et leur vêtement est noir comme


lailc du corbeau. Elles regardent les barques venir, les
navires poindre [en mer] O vous, navires, vous, chaloupes,
:

ou vous, petites barques, n'auriez-vous pas vu Jean, mon


fils Jean? —
Si nous l'avons vu, si nous l'avons rencontré,
d'où pouvons-nous le savoir? Signale-le nous et peut-être
le reconnaîtrons-nous. —
11 était grand, il était mince, il

était droit comme un cyprès et il avait au petit doigt un


bel anneau, mais plus encore brillait le doigt que Tanneau.
— Hier soir, nous l'avons vu sur le sable de la Barbarie,
des oiseaux blancs le mangeaient, des [oiseaux] noirs
l'entouraient et y avait aussi là] un oiseau, un bon
[il

oiseau qui ne voulait pas manger, mais, de ses lèvres


desséchées, [ton fils] lui disait Oiseau, bon oiseau,
:

mange des épaules d'un brave pour que ton aile


devienne grande d'une aune, la serre d'un empan, et sur
tes ailerons j'écrirai trois billets de douleur; l'un sera
pour ma pour ma
mère, l'autre sœur, le troisième, le
ma maîtresse. Ma mère lira le sien et
dernier, sera pour
ma sœur pleurera; ma sœur lira le sien et ma maîtresse
pleurera; ma maîtresse lira le sien et tout le monde
pleurera. » Enfin les chansons domestiques célèbrent les
fêtes, les mariages, les enterrements, la joie du printemps
et le retour de l'Hirondelle : « L'hirondelle est arrivée par
delà la mer blanche. Elle s'est posée, elle a chanté :

mars, mon bon mois de mars, et toi, triste février,


tout neigeux et pluvieux que tu es, sens-tu le prin-
temps? »

Plusieurs de ces romances sont mises en vers. La cri-


tique est enthousiaste, le Globe surtout triomphe. 11 les
tient donc, ces Grecs modernes, tels qu'il avait souhaité
de les connaître, débarrassés des faux ornements dont
l'imagination classique les avait embellis! Du moderne,
rien que du moderne, pour la plus grande joie du philhel-
lénisme sérieux et éclairé!
Mais Fauriel a fait précéder son recueil d'un très long
Discours préliminaire, et ce qu'il dit est tout à fait surpre-
22 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

liant. rappelle que les hellénistes ont négligé ces chants


Il

du peuple et il ajoute Ils n'ont pas seulement commis


: <(

une injustice envers la Grèce moderne. Ils ont fait quel-


que chose de plus contraire à leur prétention favorite :

ils ont renoncé à des moyens de mieux connaître la Grèce


antique ». Que veut dire cette histoire-là?
Fauriel est persuadé que le populaire c'est du primitif
qui s'est perpétué à travers les âges. Il interprète les
chants dhyménée, les lamentations funéraires, les
poèmes domestiques : il y découvre les mœurs des ancê-
tres, il retrouve l'éternelle mythologie, la croyance aux
Furies, aux Euménides, aux nymphes des sources, aux
divinités des rochers et des bois. Dans les chants de la
Grèce moderne s'exprime l'âme du passé.
Et aussi la poésie du passé. Ce dont je suis persuadé,
<(

c'est que la poésie populaire de la Grèce moderne n'est


née ni de nos jours ni dans le cours du moyen âge, c'est
qu'il n'y a point d'époque précise à laquelle on en puisse
rapporter l'origine, c'est enfin qu'elle n'est et ne peut être
qu'une suite, une continuation, une altération lente et
graduelle de l'ancienne poésie. » Cherchons donc cette
ancienne poésie. Fauriel compulse Athénée et son cata-
logue des chansons de métiers, des complaintes funé-
raires, des romances appropriées aux danses populaires.
Il relit Théocrite et « le chant des moissonneurs », les

poèmes homériques et cette chanson de l'hirondelle »,<(

entonnée par les enfants de Samos lorsqu'ils quêtaient de


porte en porte pour la fête d'Apollon. Les chants funèbres
ne remontent-ils pas à la plus haute antiquité? Dans
l'Iliade, la famille de Priam gémit sur le cadavre d'Hector ;

chez Sophocle, Electre pleure sur l'urne qui contient les


cendres de son frère. C'est aux origines d'e l'histoire que
prirent naissance les chants des pâtres dans les monta-
gnes, les romances des nourrices pour endormir les
enfants, les cantilènes des matelots pour lever et baisser
l'ancre.
Fauriel découvre ainsi dans la littérature classique des
DU PIIILIIELLENlSME A L'HELLENISME 23

Grecs une veine populaire d'une grande richesse. Il s'en


tient là. Il ne veut pas « entrer dans la tache difficile et
délicate desavoir et d'expliquer jusquà quel point et en
({uel sens la poésie classique des Grecs, telle que nous
loffrent les monuments qui nous en restent, pourrait être
qualifiée de populaire ». Mais la question est posée et les
disciples vont bientôt pénétrer sur le terrain réservé.
Fauriel avait plus d'une fois attiré leurs regards sur la
naïveté d'Homère et sur la simplicité familière d'Euripide.
La petite phrase du Discours mènera loin.
Le Globe, d'abord inquiet, est à demi converti. Il
reproche aux Chants héroïques de la Grèce, de Népomucène
Lemercier, leur manque de franchise et leurs logogriphes
académiques. Et lorsque Guiraud donne ses Chants
hellènes, dont le produit doit aller aux Grecs, le Globe
regrette qu'à force de bonnes actions on ruine le bon
goût. Il ouvre les yeux à tous ces poètes horriblement
élégants qui s'apitoient sur les Grecs massacrés et qui
les massacrent à leur façon. Et lui aussi ouvre les yeux. Il
découvre avec surprise, derrière la Grèce moderne, cette
Grèce du passé qu'il avait crue à jamais évanouie. Les
travoudiaïs lui livrent le secret de l'art et de l'âme
antiques. Pendant longtemps, on avait rêvé les Grecs
modernes d'après les Grecs d'autrefois, et voici que ces
Grecs modernes, mieux connus, ressuscitaient avec exacti-
tude la vie des aïeux. Mais alors, l'antiquité était donc
plus familière, plus sauvage, plus libre d'allures que ne
le disaient les classiques?
Sainte-Beuve a dit de Fauriel qu'il avait pour les âges
primitifs et les littératures populaires un peu de cet
amour dont Ulysse aimait sa pierreuse Ithaque. Je pren-
drai le symbole à la lettre. Dans les chants du peuple,
Fauriel a démêlé le secret de la grande poésie classique.
Et ce sont les marins d'Hydra, la légère Hydra, comme dit
la chanson, qui l'ont lancé sur la piste d'Ulysse, dans la
direction de la pierreuse Ithaque.
Le philhellénismc a royalement servi Lhellénisme. Et
24 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

je n'ai garde d'oublier, en finissant, qu'il a fait lire


Byron, et, chez Byron, tant de poésies composées à la
gloire de la Grèce antique, dans la Fiancée d'Abydos, don
Jaan et Child-Harold. Cette tendresse du poète anglais pour
le passé et le présent de la Grèce qu'il ne séparait point

a été signalée par plusieurs des poètes que sa mort à


Missolonghi inspira plus ou moins bien. Elle apparaît
dans une ode d'Ampère (1827) d'ailleurs fort ennuyeuse,
dont la dernière strophe seule a du prix. C'est Byron qui
parle :

Oui, je la reconnais, ta voix plaintive, ô Grèce;


Elle m'a rappelé les jours de ma jeunesse,
Les pensers d'un autre âge et les temps d'autrefois.
Quand tu charmais d'Harold la rêveuse tristesse,
Tes vallons résonnaient du pas de mes chevaux.
Mon corps avec amour se baignait dans tes eaux.
Oui, Grèce, je t'aimais ainsi qu'une maîtresse
Et je pleurai ton sort avec tendresse
Ainsi qu'on pleure des amours'.

1. Fauriel, Chants populaires, I, 189 et 257; Discours prélimi-


5G; II,

naire, surtout p. 8, 80, 82, 90 à 94, 97 ll.ï; Traduction de la Par-


à
Ihénéide. — Sainte-Beuve, P. Cont., IV. —
Pouqueville, Voyage dans
laGrece, I, 384; 111, 422; V, 170. —
Conslitalionnel, 1" oct. 1821. —
Ann. de la litt. et des arts de 1821, IV, 355. — J. des Sav., avril 1825.
— Le Globe. 12 et 30 oct., 2, 18 et 20 nov., 7 déc. 1824; 19 fév. 1825;
13 mai 20 août 1820; 13 mars 1829.
et —
Quinet, La Grèce moderne
(On du t. V de Téd. IVignerre). —
Sainte-Beuve Tableau..., p. 472:

(la Clianson de l'Hirondelle). —


Mme Sw-Belloc, Bonaparte et les
Grecs (Cf. Sainte-Beuve, P. Lundis, I, 135). —
Ampère, la Grèce,
Rome et Dante. —
Estève, Byron et le romantisme français. Sainte- —
Beuve, Nvx Lundi.'i V, 315.
CHAPITRE III

LES PREMIERS VOYAGEURS


1. LES GUIDES; FAUVEL. = II. POUOUEVILLE, MARCELLUS, LEBRUN, QUL>'ET
= III. RÉSULTATS POUR LA CONNAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE.

.1
LES voyageurs en Grèce vers 1820 ne sont pas très bien
renseignés sur le pays qu'ils vont visiter. Les guides
sont rares, inexacts ou incomplets. Il y eut beaucoup de
surprises et de révélations.
On lit la Description de la Grèce de Pausanias dans la tra-
duction très vieillie de l'abbé Gédoyn en attendant
celle que Clavier promet et qu'il ne se presse guère de
donner. Les Antiquités d'Athènes de Stuart et Revett conti-
nuent à paraître avec une lenteur désespérante; commen-
cées en 1762, elles n'en sont qu'au tome IV en 1816, et la
traduction définitive n'en paraîtra qu'en 1824. Le Voyage
pittoresque de la Grèce de Choiseul-Gouffîer (l*"*^ partie en
1782, 2^ partie en 1809) ne sera achevé qu'en 1822, après la
mort de l'auteur, par les bons soins de Letronne, la Pro-
vidence des œuvres inachevées. L'excellent livre de l'an-
glais Dodwell, Voyage classique et topographique en Grèce,
très documenté sur l'Attiqueetsur la région mycénienne,
est encore peu connu bien que traduit en 1818. C'est encore
Letronne qui en signale l'intérêt, en rappelant tout ce que
la connaissance de la Grèce devait déjà à quelques
œuvres anglaises, au Voyage en Grèce de Chandler, aux
Atheniensia de Wilkins, à la Topographie d'Athènes, du
colonel Leake qui avait parcouru la Grèce et l'Asie
26 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Mineure au début du xix^ siècle. Le Voyage d'Anacharsis


était également utilisé. 11 contenait une grande carte de
la Grèce, dessinée par Barbie du Bocage, que les ama-
teurs enlevaient généralement de tous les exemplaires
qui leur tombaient sous la main. Une nouvelle édition en
parut en 1821.
Mais le meilleur des guides c'était encore Fauvel.
Fauvel était un Français installé depuis 1784 à Athènes
où il gérait notre consulat, non certes pour faire de la
politique, où il ne voyait qu'abomination, mais pour tra-
vailler en paix à ses chères études dart antique et s'as-
surer au besoin un titre de protection. Personne de mieux
renseigné que lui sur Athènes, TAttique et une partie du
Péloponèse. C'était un plaisir que de frapper à sa porte.
Très obligeant, toujours prêt à faire les honneurs de sa
ville, il promenait dans Athènes le nouveau venu, ne lui

laissait pas le temps de se reposer, le hissait sur l'Acro-


pole, le ramenait à la Tour des Vents, lui montrait le
tombeau de Thémistocle et celui de l'Amazone Antiope
qu'il disait avoir retrouvés, et ne le laissait souffler un
peu que sur l'Aréopage dont il avait identifié l'emplace-
ment. C'était son grand succès, c'était là qu'il triomphait
de ce misérable Chandler et de ses ridicules conjectures,
et toujours avec la même énergie. Puis on revenait à sa
maison pour achever le tour du propriétaire. Il installait
le visiteur chez lui, à la fois par obligeance et pour être
sûr de l'avoir sous la main et de poursuivre avec lui, en
de longues causeries, une agréable promenade à travers le
monde Tout à l'entrée était un sarcophage de
grec.
marbre blanc. Des galeries garnies d'antiquités et de
moulages menaient à un cabinet de travail où s'empilaient
livres en désordre, déchi-
les objets les plus hétéroclites :

rés ou couverts de poussière, joujoux d'enfants trouvés


dans les tombeaux, ustensiles de ménage, une mâchoire
humaine avec l'obole destinée à Caron; des fragments de
marbre sur toutes les chaises; sur les tables, des
médailles, des armures rouillées, une flèche d'un Perse
LES PREMIERS VOYAGEURS 27

tué à Marathon; aux murs, une quantité incroyable de


rions où se suspendaient des bas-reliefs. En un tour de
main Fauvel déblayait un coin comme sil eût })i'ati(iué
une fouille, et il dressait contre un mur le lit de l'hôte
envoyé des dieux. Marcellus eut une peur affreuse la pre-
mière nuit qu'il y coucha; il avait à peine posé la tête sur
le traversin qu'il sentit une main se promener dans ses

cheveux c'était le bras dune statue de Vénus accroché à


;

un fil darchal et qui remuait de la secousse donnée au lit.


On se couchait tard. Sur la petite terrasse qui regardait
l'Acropole, autour de la table où fumait le café, l'amphi-
tryon prolongeait la veillée. Il racontait son arrivée à
Athènes, sa première visite au Parthénon avec Delille, sa
rencontre avec Byron sur l'Acropole, ses causeries avec
Chateaubriand qu'il avait initié aux chants populaires. Si
le visiteur était lettré, il amenait la conversation sur

Homère, et tous deux se donnaient la réplique avec des


fragments de Viliade. Et quelle joie lorsqu'une découverte
inattendue ressuscitait la Grèce des vieux âges! Les mar-
bres d'Égine étaient à peine retrouvés qu'il en possédait
les moulages et les montrait orgueilleusement à Pouque-
ville.Ce fut une soirée bénie que celle où Marcellus arriva
au Pirée avec la Vénus de Milo. La statue fut hissée sur
le pont de r^'s/a/e^ie pour être contemplée d'abord à la lueur

de la lune puis à l'éclat des flambeaux. Le vieux consul


tourna tout autour, longtemps, en silence, avec une émo-
tion qu'il avait peine à contenir et il finit par dire que la
Vénus de Médicis était dépassée. Bien qu'il s'intéressât sur-
tout à la topographie d'Athènes et aux problèmes de pure
géographie, il connaissait en tout les bons chemins et les
bonnes pistes. 11 traçait l'itinéraire de ses visiteurs, diri-
geait l'un sur Eleusis, l'autre sur Marathon, celui-ci sur
Delphes, cet autre sur Olympie et Mycènes encore très
mal connues et qu'il avait explorées. Et, avant de les
laisser partir, il feuilletait avec eux certains mémoires
qu'il avait rédigés et dont il leur donnait généreusement
les résultats pour en user à leur guise.
28 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

La guerre de l'indépendance l'obligea à quitter Athènes ;

sa maison fut démolie, son cher musée ravagé. II se retira


à Smyrne où il fut, comme par le passé, un cicérone incom-
parable pour les voyageurs. La topographie l'occupait
plus que jamais. Il vous faisait grimper sur la terrasse

de sa maison car il ne pouvait plus guère marcher,


vous montrait sur le haut d'un mont escarpé des ruines
où il reconnaissait le temple de Cybèle, et, un peu plus
bas, un tumulus qui était certainement le tombeau de
Tantale et il terminait invariablement par un petit pro-
blème qui était son triomphe, depuis qu'il avait perdu
l'Aréopage. Pourquoi Homère, né à Smyrne d'après la
tradition, fut-il appelé le Mélésigène, quand le fleuve
Mélès coule à deux heures de Smyrne, de l'autre côté du
golfe? Il jouissait un peu de votre confusion et vous prou-
vait, clair comme le ciel d'Ionie, que l'ancienne ville était
près du Mélès où Strabon lavait vue. Il causait toujours
avec science et avec verve. Il y mettait seulement un peu
plus d'humeur. Il regrettait son Athènes il s'asseyait
:

souvent à une table où se déroulait un bas-relief en cire


qu'il avait lui-même modelé et qui représentait Athènes
avant la guerre. Il se sentait vieillir, il évoquait les sou-
venirs de sa jeunesse et ce vieux voltairien avait des
attendrissements pour les abbés Barthélémy et Delille qui
avaient été ses frères en hellénisme. Surtout, il était plein
de rancune contre les Grecs modernes; il ne les avait
jamais aimés. Il avait failli, jadis, être lapidé à Delphes
parce qu'il dessinait les ruines et on lui avait volé ses
crayons. 11 avait vu, dans Athènes la sainte, les habitants
briser les marbres antiques, par ignorance de la beauté,
bouleverser les ruines par cupidité et dans l'espérance
d'y trouver des trésors; il avait gémi sur les portiques et
les colonnes cassés à coups de marteau et transportés à
dos d'âne pour servir aux forteresses et aux casernes. Il
se défiait des héros grecs, des palikares, de leurs fanfa-
ronnades la honteuse victoire de Navarin l'indigna. Et
:

quand son musée eut été mis au pillage, il était parti en


LES PREMIERS VOYAGEURS 2^

appliquant au peuple de Minerve les anathèmes lancés


par les dieux infernaux contre les ravisseurs sacrilèges.
Voilà ce qu'il racontait avec flamme à ses visiteurs, dans
Smyrne aux balcons fleuris. wSes quatre-vingts ans ne lui
avaient rien ôté de sa vivacité. Lexcellent homme avait
de saintes colères contre tous les profanes qui faisaient
bon marché de la beauté antique les Grecs modernes, :

les savants de l'Institut, les antiquaires de profession,


saint Paul qui avait pris Cybèle pour Diane dans l'Épître
aux Éphésiens, les amateurs qui faisaient trois petits
tours en Grèce et en remportaient de quoi écrire des
volumes. Chateaubriand le prétentieux qui avait décou-
vert les cendres de Clytemnestre et les ruines de Sparte,
ce ctiarlatan de Pouqueville, et généralement tous les visi-
teurs quïl avait pilotés et qui avaient défiguré ses cau-
series. Alors, il ravageait d'un coup de poing sa table de
travail, il culbutait du pouce, sur son beau modelage en
cire, la colonnade du temple de Jupiter Olympien. Au
demeurant, un bourru bienfaisant, fataliste comme un
oriental et philosophe comme un homme du xviii° siècle,
philanthrope au point de recueillir dans sa maison de
Smyrne quelques-uns de ces misérables Grecs, assez insou-
ciant de sa gloire pour étonner plusieurs de ses visiteurs
qui songeaient fort bien à la leur et n'en revenaient pas,
obligeant et doux malgré ses appels réitérés aux divinités
infernales, ne laissant jamais partir personne sans lui
tracer sa route, leur continuant ainsi à tous, après qu'ils
s'étaient séparés, ses bienfaits... j'allais dire d'ange gar-
dien, disons plutôt de Mentor pour ne point choquer son
voltairianisnie ni son hellénisme i.

II

Ce charlatan de Pouqueville, ancien esclave des Turcs


à Navarin —
ce qui lui avait permis d'explorer la Morée,

1. Sur Fauvel : Marcellus, Chateaubriand, p. 175; Souvenirs de


L'Orient, II, 351, 354, 440, 449, 470. —Pouqueville, Voyage en Grèce,
30 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

ancien consul près d'Ali de Janina dans cette mystérieuse


Épire qu'il était un des premiers à visiter, avait par-
couru presque toute la Grèce de 1805 à 1818. Il fit paraître
chez Didot, en 1820-21, cinq gros volumes sous le titre
Voyage en Grèce. Le livre venait à son heure Pouqueville :

savait prendre le vent. La partie historique eut un gros


succès. Beaucoup d'écrivains imitèrent, en Larrangeant,
l'épisode des Souliotes que voici dans toute sa simplicité
un peu sèche « A un signal donné, trois cents d'entre eux
:

marchent, non plus précédés du feu de la mousqueterie


mais à découvert, la tête haute et le sabre à la main,

IV 75, 107, 114, 149, 287, 292. — Michaud, Correspondance d'Orient,


j 240. — D'Estourmel. Journal d'un voyage en Orient, I, 186. La- —
martine, Cours de Litt., XIII, 224. — Sur les autres guides, voici
quelques références qui peuvent être utiles. — Pausanias Descrip-
:

tion delà Grèce, trad. de l'abbé Gédoyn (1745) sous le titre « Voyage

historiciue, pittoresque et philosophique de la Grèce, avec des


remarques, notes, cartes géographiques, vues, plans de bataille ».
Traduction Clavier (1814-1823), ayant comme Introduction VHis-
toire des premiers temps de la Grèce de Pausanias, traduite par Clavier
(1807);
2'" édit. 1822) [Cf. Boissonade, Mercure de France, an XIII,
dans Colincamp, op. cit., I, 109]. —Strabon, Géographie (cf. /. des
Sav., novembre et décembre 1820). —St. et Revett : Antiquités d'Ath.
{J.des Sav., 1816, p. 195 et 1897, p. 27); trad. Feuillet (Didot, 1808-
1824; cf. Annales, 1822, t. IX, p. 303). —
Ghoiseul-Gouffler, cf. Notice
funèbre lue à TAc. des Insc. le 23 juillet 1819 [Mém. de l'Ac. des I.,
t. VII; 1-175]; le Constitutionnel, 4 mai 1820; J. des Sav., novembre
1826. [Le livre de Ghoiseul fut réédité à prix réduits en 1835 et 1842;
cf. V Artiste, 1835, t. I, p. 111].
— Sur Barbie du Bocage Notice:

{Mém. de TAc. des I., t. IX, I, 132). —


Dodwell, A classical and îopo-
graphical tour trough Greece, 1809, 2 vol. in-4° (voyages faits en 1801,
1805, 1806); Views in Greece (texte anglais et franc., 1821, 2 vol.,
in-foL); Vues et description des constructions cyclopéennes (1834, in-fol.,
texte angl. et franc. (Cf. J. des Sav., janvier et avril 1820). Sur —
Wilkins, J. des Sav., 1817, p. 590. —
Leake, Recherches dans la Grèce
(1814); Journal d\m tour en Asie Mineure (1824) [il avait déjà inséré
quelques notes d'un voyage fait en 1800, dans le recueil général
de Walpole Voyages dans diverses contrées de V Orient, 1820] sur sa
: ;

Topographie d'Athènes, cf. J. des Sav., mai à décembre 1851 une ;

seconde édition du livre, très modifiée, parut [en 1841). —\V. Gell,
Itinéraire de la Grèce, 1818 (Cf. J. des Sav., mars 1820). —
Voyage du
J. Anacharsis (La réédition de 1821 en 7 vol. in-8'' et un
atlas in-4",

contenant 64 planches gravées sur acier et 68 cartes ou planches


dans TAtlas).
LES PREMIERS VOYAGEURS 31

contre les Albanais mahométans. En vain leurs guerriers


tombent, ils ne connaissent plus de dangers, ils ont perdu
toute idée de salut et ils nettoient au loin la campagne.
Mais revenus sur leurs pas, ils s'obstinent inutilement à
franchir le pont fatal; armes sont impuissantes
leurs
contre des barricades et presque tous y trouvent la mort
et la fin de leurs misères. Mais que deviennent les femmes
et les enfants témoins de ce carnage? Privés de leurs
défenseurs, privés de leurs pères et de leurs époux, leurs
larmes ni leurs désespoirs n'attendriront leurs bourreaux.
Un Mourons! et par un mouve-
seul cri se fait entendre :

ment spontané, plus de deux cents femmes, pressant


leurs enfants dans leurs bras, se précipitent et disparais-
sent dans les ondes de lAchélous qui les engloutit (t. II,
p. 204). Dune manière générale le livre justifiait le
))

philhellénisme naissant : de
son incroyable vogue.

Pouqueville crut bien faire en donnant quelques années
plus tard une seconde édition (1827-1828); il eût mieux fait
de rester tranquille. La critique releva vertement sa fausse
érudition, ses prétentions orgueilleuses, sa compilation
souvent erronée, son inexpérience archéologique et phi-
lologique, ses ambitions oratoires, philosophiques et
littéraires. Letronne laissait entendre que c'était Touvrage
insuffisant d'un auteur très suffisant.
Il est certain que le ton est fréquemment insupportable.
Pouqueville est de lui. C'est un fat. Il
trop content
annonce avec beaucoup de sérieux dans sa préface qu'un
savant helléniste a regardé son livre comme le plus
remarquable en ce genre qui ait paru depuis la renais-
sance des lettres. 11 est très susceptible et étale lourde-
ment ses petites rancunes, lorsque, par exemple, il essaie
de faire payer cher à Byron un jugement un peu sommaire
de l'auteur d'/Zaro/d sur son compte. 11 est jaloux et pré-
tentieux,il relève les erreurs de Chateaubriand dont la
grande ombre le gêne. Et il s'essaie — le malheureux — !

au grand style de Chateaubriand, en des phrases grandi-


loquentes, en des méditations solennelles sur la fuite du
32 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

temps, sur la riiine des empires. Il manque dart, il est


confus et indigeste, il met tout sur le même plan. Sa
science elle-même m'inquiète, car il tranche de tout avec
une imperturbable assurance. Je ne suis pas compétent
pour discuter ses conjectures, mais plusieurs dentre
elles ont certainement mauvaise figure. Chateaubriand
avait dit de son premier ouvrage, celui sur la Morée, qu'il
n'avait pas vu tout ce dont il parlait et qu'il était sans
cesse « entre les grandes autorités qu'il connaissait et le

bavardage de quelque Grec ignorant ». Pouqueville


voulait faire oublier Pausanias sa vanité lui a joué de
:

vilains tours. Son livre manque de goût. Sa visite à


Athènes est déconcertante. Il n'a rien compris à la beauté
grecque. Ni émotion ni couleur dans sa description, très
sommaire, du Parthénon. Mais il s'enflamme sur les ques-
tions purement économiques et il embouche la trompette
pour raconter les eaux d'Athènes, le jardinage, le prix du
gibier et du poisson. Il parle de l'art antique en style de
pépiniériste, et de légumes en phrases à la Chateau-
briand.
C'est pourtant un livre précieux que le sien. Letronne
lui-même rendait hommage à la sérieuse information de
certaines parties. Pouqueville connaissait fort bien cette
région de l'Épire que personne n'avait encore explorée;
il avait cherché à identifier Dodone, à éclairer, par des
excursions autour de Janina, ce problème des construc-
tions cyclopéennes qui préoccupait Petit-Radel. En topo-
graphie et en archéologie, il a apporté des précisions ou
des suggestions. Sachons-lui gré aussi de ses renseigne-
ments sur la vie et les coutumes des Grecs modernes.
Telle description d'un « panégyri » ou fête publique ne
manque pas d'agrément malgré les prétentions d'un style
majestueusement « académique », suivant lamode du
temps. Et puis, il a fait de louables [efforts pour retrouver
la Grèce d'autrefois dans la Grèce d'aujourd'hui. Les
solitudes mystérieuses et sauvages de Dodone, Mycènes
et Tyrinthe Font fait réfléchir à une antiquité préhomé-
LES PREMIERS VOYAGEURS 33

riqiio. Il n'était certes pas banal décrire vers 1820


« Les :

l)aysans qui bourgades


bâtissent leurs sur des lieux
élevés mont rappelé les Pélasges accoutumés à cons-
truire leurs acropoles au couronnement des rochers ou
des mamelons isolés ». *

L'aimable et fin Marcellus ne ressemble guère à Pou-


queville. Ses Souvenirs de l'Orient sont un livre charmant,
joliment écrit, plein de belle humeur et d'esprit. Le
voyageur, parti en 1816 de Constantinople, arrive à Chio,
l'île fleurie, le matin de la fête de saint Grégoire. La

rive est couverte de jeunes filles en robes blanches qui


s'amusent, se poursuivent, chantent, dansent et jettent
des cailloux dans la mer. Marcellus est vite entouré.
« Étranger, dis-nous quelle est la plus jolie de nous
toutes; tu balances?... Oh! qu'il est long à se décider :

c'est comme nos vieillards quand ils choisissent un


archonte.... Tiens, voilà une fleur, donne-la à celle que tu
préfères. » Cet itinéraire se lit comme un roman. 11 est
plein d'anecdotes picjuantes. Près d'Eleusis, Marcellus
refuse un guide parce qu'il a trop lu Anacharsis « et il
(c

se perd dans des marécages. Sur le mont Hymette, il fait


visite à deux sœurs dont l'une —
on ne savait laquelle —
avait été aimée de Byron et il nomme d'un petit ton
détaché, au hasard de la causerie, le poète anglais mais
<(les deux sœurs rougirent à la fois ». Ce diplomate a la
curiosité de son métier. Il en a aussi le coup d'œil. Il voit
juste. Ses descriptions de paysages, un peu sèches, ont
du relief et n'embellissent rien. 11 évoque d'un trait
précis Délos brûlée du soleil, Sunium couvert d'oliviers,
de lentisques et de myrtes, Eleusis et ses lauriers-roses,
Argos riche en troupeaux, Mycènes où il inscrit son nom
sur la crinière des lions, la petite île d'Égine et le séjour
d'Athènes et les flâneries avec Fauvel. De loin en loin, et

Consulter particulièrement la Préface, et dans l'ouvrage I, 381


1.

512; IV, 21, 73, 100, 149, 197, 395; V, 94 et 131.


et 428; III, 51 et —
Chateaubriand, ////(., I, 90. —
J. des Sav., avril, juil., sept. 1828.—
Les Annales de 1820, I, 273. —
ConstiUUionnel, 4 sept. 1821.

3
34 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

pour l'aire Chateaubriand, il grimpe sur une


plaisir à
colline, il embrasse Ihorizon, il médite sur les grands
souvenirs, il rêve, il fait du style mais ce n'est pas sa
:

manière. Sur le promontoire de Sunium, près de la colon-


nade du temple où il est assis au milieu des herbes jau-
nies, il regarde un moment les « vastes plaines que
sillonnent les lignes bleues des courants », il respire les
((folles haleines du soir » et les « éipanations des îles ».
Mais la politesse faite à M. de Chateaubriand, Marcellus
s'en va très prosaïquement à la chasse dans les brises :

embaumées il a vu partir des perdrix.


Il s'intéresse à la Grèce moderne mais il est surtout

curieux de la Grèce antique. A son départ de France, il


avait demandé à son ami Lechevalier comment il
reconnaîtrait remplacement de Troie et fauteur du
Voyage dans la Troade lui avait répondu : « Allez là-bas,
mettez la main sur votre cœur et là où il battra le plus
vite, ne doutez plus, ce sera Troie ». Marcellus débarqué
en Troade écrit gravement « Ces élans poétiques, ces
:

palpitations inspirées, je les ressentis sur les ruines que


M. Lechevalier nomme le tombeau d'Hector ». Il a toutes
les ivresses du bon humaniste. Il fait son pèlerinage un
Homère à la main. A Chio, il une après-
s'installe toute

midi dans l'endroit appelé « le siège d'Homère » pour


y relire l'Hymne à Apollon. Le moindre coin de terre fait
lever une volée de citations et de souvenirs. Il vérifie sur
chacune des Cyclades l'exactitude des épithètes homé-
riques. Délos lui rappelle un fragment de Callimaque :

t(Les îles, ô Délos, forment un cercle tout autour de vous


et vous font cortège .comme dans une danse. » Il utilise
copieusement les textes anciens, et il en saisit mieux les
nuances, il les commente plus finement pour les lire ainsi
sur place, dans leur pays d'origine. Cette tendance philo-
logique est encore plus marquée dans les Épisodes litté-
raires en Orient, récit d'un voyage en Asie Mineure, et récit
aussi agréable que le précédent. Tous les chapitres se
terminent par des notes explicatives avec textes grecs, réfé-
rJ':S PREMIERS VOYAGEURS 35

rences et traductions. Les excursions à travers les paysages


finissent toujours par des excursions à travers les livres.
11 aime les chants populaires, il se fait psalmodier les
travoudiaïs par les rameurs du Bosphore, mais c'est pour
remonter, comme Fauriel, jusqu'à la plus lointaine anti-
quité. Ses du peuple en Grèce sont enrichis de
Chants
copieux commentaires qui rapprochent les romances
d'aujourd'hui de celles du passé. La très riche introduc-
tion catalogue les chansons qu'il est possible de décou-
vrir dans la littérature grecque : c'est un travail philo-
logique considérable. L'auteur excelle en toute circon-
stance à jeter des ponts entre le présent et le passé. « 11
m'a toujours semblé, écrit-il, qu'un voyageur attentif, s'il

avait longtemps étudié l'aspect et les coutumes modernes


de l'Orient, serait par cela même doué de plus d'instinct
pour en comprendre les beautés antiques. » 11 a écrit
tout un livre là-dessus, les Grecs anciens et les Grecs modernes,
recueil dont chacune éclaire un point
d'anecdotes
d'histoire littéraire.Marcellus saisit mieux l'admirable
vérité de l'épisode de Nausicaa pour avoir vu les jeunes
filles de Naxos blanchir les foustanelles de leurs frères.

Il comprend mieux les Perses d'Eschyle pour les avoir

entendu lire à Constantinople par un étudiant de Cydonie,


devant un groupe de patriotes qu'enflammait la haine du
Turc comme la haine du Perse avait enflammé leurs
aïeux. 11 sent mieux le charme de l'Hymne à Cérès pour
l'avoir lu sur les ruines du temple d'Eleusis, à deux
pas de la source dont l'eau affleure encore
facile à puiser
la margelle. 11 ressuscite avec plus de goût et plus de
couleur la mystérieuse légende d'Orphée pour avoir vu
les flots de l'Hèbre, et pour avoir retrouvé les Ménades dans
ces grandes femmes de la Tlirace aux manteaux rouges, au
teint jaune, aux jambes nues et à la chevelure hérissée.
Sur tous les points, cette critique ingénieuse a remis
en honneur et en belle lumière une antiquité si lointaine
qu'elle semblait une très vieille chose, sans rapport avec
la vie moderne. Marcellus écrit certainement pour les
36 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

érudits auxquels il présente des textes bien étudiés, des


corrections justifiées et tout le mécanisme de son travail
philologique; mais il veut atteindre surtout le public
intelligent et lettré. « Ma prétention, mon ambition, veux-
je dire, c"est de pouvoir être lude tous et de toutes, non
pas seulement de Bélise et de Philaminte, mais encore
d'Henriette et presque de Martine. Pour cet effet j'ai,
autant que je l'ai pu, éloigné des regards Tithos et le
pathos.... De grâce, Mesdames, si tout ce grec ne vous a
pas de loin trop effarouchées, par indulgence pour l'écri-
vain, ne lisez pas le texte et les pages nettes; négligez
ces notes où s'entassent les caractères helléniques et
laissez-en la peine aux lunettes des érudits. Ces vilaines
lettres crochues feraient mal à vos jolis yeux.... Si je n'ai
rien à espérer de vous « pour l'amour du grec », jai du
moins, afin de vous plaire, entrelacé le frivole au
sérieux. » Assurément, il a présenté avec art, avec gi)ût la
formidable érudition dont ses ouvrages sont remplis sans
en être alourdis. 11 rejette les notes à la fin de chaque
étude, souvent à la fin du volume, parfois dans un autre
livre; il multiplie les traductions et il traduit en français,
quand il était de mode de traduire en latin les oeuvres
grecques, redisant avec esprit et bon sens que deux
langues mortes à demi ne revivront pas pour s'être atta-
chées l'une à l'autre et que « lancées ensemble au cou-
rant du fleuve, elles ne surnagent pas ». Personne n'a
mieux démontré qu'un voyage, réel ou métaphorique, à
travers la Grèce moderne, servait heureusement la cause
du passé ^
Il rentrait en France au printemps de 1820 lorsqu'il

rencontra chez Fauvel le poète Lebrun qui y débarquait.


Lebrun venait de s'arracher au triomphe de sa Marie Stiiart.
Son voyage dura deux ans. 11 publia en 1827 le Poème de
la Grèce, épopée lyrique en dix chants. C'est une œuvre

1. La dalc de publication de ses œuvres est, sans doute, assez


postérieure à la période que j'étudie Souvenirs de VOrient, 1839;
:

Epis litt., 1851; Chants du peuple en Grèce, 1851; Grecs anc. et Grecs
LES PREMIERS VOYAGEURS 37

de philhellénisme ému et enthousiaste. La Grèce conti-


nentale gémit sous le joug des pachas. Un pâtre adossé
contre un vase de marbre, la tête couronnée des fleurs
du glatinier, des musulmans qui passent près de lui avec
mépris voilà le décor habituel de FAtticiue et du Pélo-
:

ponèse. Mais les îles sont l'espoir de la race. Elles s'ap-


prêtent à secouer la tyrannie. Le poète salue leur fîère
indépendance et il interprète assez bien les chants des
marins :

Hydra vogue, la riche Ilvdra,


Sur la mer, escortée en reine
Par les dauphins de Typarène
Et les alcyons d'Ipsara.
Iles, pressez-vous autour d'elle,
Gyclades, c'est vous qu'elle appelle :

Venez, mes sœurs, je vous attends,


Tyne, Andros, Mycone, il est temps.
Ghios nous demeure infidèle,
Mais l'absence d'une hirondelle
Ne fait pas manquer le printemps.

Ce recueil est le meilleur ouvrage de poésie inspiré par


la Grèce moderne.
Mais la Grèce antique y trouve-t-elle son compte? Les
poètes qui n'avaient pas vu la Grèce se tiraient d'affaire,
dans leurs descriptions, avec quelques bois d'oliviers,
quelques buissons de lauriers-roses. Lebrun marque
Loriginalité de chaque région ^ Le paysage de Sparte
avec ses myrtes, ses grenadiers en fleurs et ses cyprès ne
ressemble guère à la plantureuse Arcadie, à cette

mod., 1861. —
Mais Marcellus fit son voya°^e de 1816 à 1820, il
en avait rapporté d'abondantes notes dont certaines circonstances
retardèrent la publication mais qu'un public assez étendu connut
presque aussitôt car il avait beaucoup de relations. Son influence
fut donc réelle avant 1830. —
Consulter Souv. de. VOr., 1, 29; Epis,
un., 1, 52, 56, 119, 181, 191, 205, 222; 11, 43, 341, 447; Gr. anc. et
Gr. mod., 39, 87, 121, 165, 352, 432. — J. des Sav., janv. 1856. —
Lamartine, Cours de litt. (Entretiens 78 et 79).
1. J'utilise ici, outre le Poème de la Grèce, certains autres écrits
qui en sont le complément et qui, composés pour la plupart sur les
lieux mêmes, furent publiés sous le titre général Poésies sur la Grèce,
38 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

agréable Suisse de l'Orient, hérissée de hautes montagnes,


toute grondante du bruit des torrents, riche en forêts, en
pâturages et en troupeaux. Les îles sont bien vues. Chio
sort toute radieuse des eaux de l'Archipel, dans la joie de
son soleil, de ses jardins et de ses fêtes. Le ciel de
FAttique est finement décrit; même après Chateaubriand,
Lebrun se lit avec plaisir pour ses « nuits » et ses
« aurores ». Il a pu se rendre cet hommage qu'il avait
vu Athènes telle qu'elle était et non telle qu'on nous
l'avait Ces oliviers, c'étaient ceux du chemin
faite.
d'Eleusis ou du kiosque de la sultane Validé; cette source,
c'était celle du Céphise, si abondante et si fraîche; et
ainsi du reste. Lebrun sentait mieux la poésie des vieux
auteurs pour les avoir replacés dans leur décor et pour
avoir contemplé leur horizon. est de ces humanistes
Il

délicats pour qui en même temps que la


le paysage fut,
joie des yeux, le rafraîchissement des poétiques sou-
venirs. Je n'en donne qu'une preuve, la plus remar-
quable.
Lebrun avait écrit un poème ne jugeait
Ulysse qu'il
pas assez homérique. 11 crut retrouver la simplicité fami-
lière de l'Odyssée en la relisant sous le ciel de la Grèce.
Pendant un an, il suit Homère comme à la piste; il habite
Chio et Smyrne, deux des villes qui se disputaient son
berceau, il veut revoir tous les lieux visités par le vieil
aède. Touchante candeur, mais-^qui témoigne dune foi
si profonde, si sûre de son objet comme de ses con-
quêtes! Gandâr lui-même n'arrivera pas avec une âme
plus religieuse dans du divin Ulysse. « Oh! comme
l'île

on oublierait ici le monde! » s'écrie Lebrun à peine


débarqué. L'Odyssée à la main, il revoit les lieux dépeints
par Homère et jusqu'à ce champ où Laërte se reposait
sous ses poiriers, la fontaine Aréthuse où venaient boire
les troupeaux d'Eumée et où il passe une heure délicieuse
à relire un chant d'Homère, près des buissons de iGn-
tisques, de chênes verts, de sauge odoriférante, d'ar-
bousiers au fruit jaune et parfumé. Et ces oliviers
LES PREMIERS VOYAGEURS 39

sombres et noirs, ces petits sentiers qui courent parmi


les vignes, entre des haies ou des murs de pierres sèches,
cette herbe serrée et exubérante qui semble vouloir con-
quérir la pierreuse Ithaque et perce les cailloux pour
s'étendre en tapis sous la vigne, comme Lebrun les
regarde et les aime! comme il emplit son âme de ce décor
où se posèrent, il nen faut pas douter, les yeux d" Ulysse
et ceux d'Homère 11 est de ces fidèles qui ne seraient
I

point émus dans les saints lieux s'ils ne se disaient avec


certitude voilà la pierre où s'assit mon Dieu, la colline
:

où il prêcha telle parabole, le tournant de la colline où


il pleura sur Jérusalem, Dans l'île de Corfou, qu'il visite

après Ithaque, Lebrun a les mêmes ravissements. Cette


terre plantureuse et verdoyante, embaumée de l'odeur
des orangers, décorée de grenadiers et de myrtes,
comment ne serait-elle pas la terre des Phéaciens, terre
heureuse où l'on ne se sentait porté qu'au plaisir, à la
musique et à la danse? Notre voyageur n'en doute pas :

voici les jardins d'Alcinoûs et voilà la rivière de Nausicaa.


Je ne suis pas surpris qu'il s'écrie avec allégresse « On :

retrouve partout Homère! » Cela veut dire qu'il le sent


profondément. Il revit la pastorale homérique; grâce
aux bergers et aux chevriers d'Ithaque, VOdyssée est tout
près de son cœur.
11 y a même tel passage où l'on dirait que Pindare, lui

non plus, n'en est pas très éloigné. Lebrun n'a pas songé
à idéaliser certains sites austères et sauvages. Le Par-
nasse chez lui n'est pas une montagne pour rire, mais une
série d'escarpements abrupts et ravinés, terminés par
deux pointes couronnées de neige. Ce n'est plus le vert
Hélicon, ni l'Hymette « parfum d'Athènes »; Lebrun est
ému par le silence solennel et la mystérieuse horreur de
la région delphique et il célèbre, en une strophe d'une
belle envolée, les sons magiques, inconnus qui sont comme
la musique du passé. Hélas! il ne devait plus les entendre
et il ne lui fut pas donné de ravir à son homonyme le
surnom de pindarique. Parnasse, dit-il à la chère
40 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

montagne en manière d'adieu, qu'on sente à ma voix ins-


pirée que j'ai bu Fair de tes sommets :

Et comme des champs de Syrie


Le pèlerin vers la patrie
Porte une palme à ses foyers,
De mon sacré pèlerinage
Qu'aux miens je porte en témoignage
Un rameau pris à tes lauriers.
Un rameau, mais non pas deux, mais non pas la
oui,
couronne. Lebrun est à peine éloigné du Parnasse hellé-
nique qu'il gravit malheureusement le Parnasse clas-
sique,, comme un bon poète qui n'aurait pas respiré la
grande poésie sur les hauteurs. Ses strophes sur Olympie
sont insignifiantes son poème sur Ithaque
; ô sacrilège — !

— est un médiocre effet de délire bachique où il mêle


l'ivresse du poète et l'ivresse du buveur (Versez, versez du
vin d'Ithaque !J c'est tout simplement navrant. Mais il ne
:

faut pas juger son hellénisme sur ces pauvretés. 11 n"a


rien créé, c'est entendu, et il est bien certain qu'il n'a pas
ressuscité la poésie grecque, et que même sur le rivage
d'Ithaque, plus malheureux en cela qu'Ulysse, il a fait un
complet naufrage. Je ne songe nullement à sauver sa
réputation de la tempête des dieux. Mais il avait une âme
homérique, il sentit avec bonheur ce qu'il ne pouvait
imiter. Il eut l'idée dune Grèce moins banale et plus
familière que celle de la tradition. 11 rendit aux rivages
célèbres et aux œuvres qui les avaient chantés quelque
chose de leur antique verdeur'.
Les voyages, interrompus par la guerre pendant plu-
sieurs années, ne reprennent qu'à la fin delà Restauration.
Le Tableau de la Grèce en 1827 de Becker n'est pas sans
charme, mais n'apprend rien sur la Grèce antique; le
Voyage en Orient de Fontanier, chargé d'une mission

1. Poème de la Grèce, chants II, III, VIII, IX; notes, p. 20, 07, 114,
ll(). — Poésies sur la Grèce, notes 3, — Rapports Académiques,
3 bis, 4.
de 1830 à 1839, p. 813, 818, 881. — /?. XIII. —
de Paris, 1830, t.

J. des Sav., janv. 1828. —


Le Globe, 26 mars 1828. — Le Constitution-
nel, 25 août 1828. —
Sainte-Beuve, Port. Cont., 111, 186.
LES PREMIERS VOYAGEURS 41

savante à travers les îles, n'est guère qu'un récit poli-


tique et historique sans couleur et sans intérêt. Je réserve
l'expédition scientifique de Morée pour m'arrêter à
l'ouvrage de Ouinet : De la Grèce moderne et ses rapports
avec l'antiquité (1830).
Le philhellène Quinet apprit à Heidelberg qu'il était
adjoint à la commission de Morée. 11 n'avait aucun titre
olTicicl et fit presque toujours bande à part. A peine
débarqué, il laisse ses collègues au quartier général de
l'armée et se lance hardiment à cheval à travers le Pélo-
ponèse. En parcourt la Messénie, l'Arcadie,
trois mois, il

la Laconie, l'Argolide et il pousse une pointe jusqu'à

Athènes où la forteresse de FAcropole, encore au pouvoir


des Turcs, domine un amas de ruines. Il est infatigable;
il prend des notes à la diable sur le paysage, les mœurs,

les monuments; il adresse de courts billets à sa mère, à sa


fiancée, à son « très cher maître V. Cousin ». Revenu en
France, il travaille pendant près dune année à la rédac-
tion de son livre : la Revue de Paris en salue la publication. .

C'est du Quinet des tirades sentimentales, des enthou-


:

siasmes prophétiques, des visions apocalyptiques, des


aperçus à vol d'oiseau et même un peu nuageux, et, tout
à côté, de fort belles pages descriptives ou lyriques. Très
peu d'anecdotes quelques scènes de la vie sous la tente,
:

des disputes avec les agoyates, une visite de monastère,


un orage sous l'épaisseur des bois, une rencontre avec
Capodistria « le père Jean, Barba lani ». Mais ses
paysages ont de la couleur. 11 a senti la majesté des
forêts arcadiennes, la transparence du ciel attique, les
parfums de l'air, la beauté des plantes. Et surtout,
com.me il aime ces fûts de colonnes, ces chapiteaux que
les myrtes enveloppent d'ombre! Comme il chérit ces
ruines qui se sont défendues elles-mêmes dans des lieux où
les guerres ont fait partout la solitude et la morti II
admire leur survivance qui est une promesse d'éternité,
il retrouve en elles cette âme de l'antiquité qui les sauva
des tempêtes et qui régnera longtemps sur le monde , il
42 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

va les chercher où les voyageurs ne s'étaient guère


aventurés, à Messène, un peu isolée des grandes voies, à
Phigalie et à Égine, qui lui révèlent des harmonies mysté-
rieuses entre le style des temples, la couleur des paysages,
le génie des races. Il a même de ces surprises que sa
ferveur n'a pas volées. Dans Athènes où il pénètre en
cachette au lendemain du siège, il bénit les dieux pour
tous ces toits démantelés, pour ces amas de terres ébou-
lées, pour ces débris perdus dans des mares de boues,
pour cet anéantissement de la ville moderne qui laisse
reparaître, dans toute sa beauté et son superbe isolement,
la vieille ville de Minerve, fleur de grâce et de jeunesse :

(( J'eusse pu me croire arrivé le lendemain de l'incendie


de Xerxès.... Tout dans Athènes réveille les pensées d'un
autre temps. Même, ce qu'il y a aujourd'hui de moins
triste chez elle ce sont les ruines. L'œil fatigué d'errer
sur un sol brûlé par l'incendie, sur des décombres, sur
des huttes de branches de pin, cherche pour se reposer
les colonnes et les murailles de l'antiquité. »
Ainsi se justifie le titre de l'ouvrage. Et Quinet lui
donne encore un autre sens. Pour avoir vécu avec les
palikares, il comprend mieux Léonidas. Il interprète
Thucydide avec un sens historique plus éveillé, parce
qu'il a dormi sur la natte de Botzaris et senti sur ses
joues les moustaches de Nikitas. Il ne serait pas étonné
s'il sortait du spectacle de la révolution grecque « un

tableau qui donnât plus de naturel aux créations déjà si


larges de la philologie ». Il complète Fauriel. Il retrouve
les rhapsodes dans les chanteurs populaires d'Argos et
de Mistra; le paysage mycénien lui révèle Viliade « Je;

me souviens qu'un jour je me trouvai au fond du golfe


d'Argos. La mer brillait à l'extrémité de la rade, des
montagnes nues, évasées, cernaient l'horizon et d'épais
nuages poussés par le vent refoulaient leurs ombres
vagabondes au milieu de la plaine. Vers le soir j'atteignis
des collines chauves et désertes; sur leurs flancs pen-
daient des murailles cyclopéennes à travers les ouver-
:
LES PUE MIERS VOYAGEURS 43

tures de ces murailles on voyait de longues couleuvres


qui dardaient leurs langues sur le bord des ravins. Je
|)assai près d'une porte où était sculpté un lion et, en
descendant quelques pas, je parvins à feutrée dun grand
tombeau. Cette ville était Mycènes. Cette porte était celle
par où le roi des hommes Agamemnon avait dû passer
I)our aller à Troie. Ce tombeau était celui dun des
Atrides. En ce même moment le vent de mer arrivait en
murmurant, comme une cithare ionienne, dans les touffes
d'herbes séchées. Ce soir-là, je dis adieu pour jamais aux
systèmes des glossateurs et je vis bien qu'il n'est qu'un
seul vrai commentaire d'Homère, à savoir son pays, son
ciel, ces murailles de géants et, là-bas, cette mer divine et

ces vagues du golfe qui continuent de se bercer à son


chant comme la danse des filles de Chio. »
11 disait encore « L'anéantissement de tous les vestiges
:

humains m'a rejeté comme malgré moi dans les temps


où l'homme prenait pour la première fois possession de
la Grèce.... Partout la barbarie présente me ramenait à la
barbarie antique. Dans un monde redevenu primitif par
leffet du carnage et de la déprédation, je n'aurais pu
parler de Périclès, de Sophocle, de Socrate je revenais
:

comme naturellement aux Pélasges mangeurs de glands


et aux dieux d'Arcadie à têtes de loups. » La Grèce que
ressuscite Quinet n'est point cette Grèce alexandrine
dont les grâces fleuries enchantaient nos beaux esprits,
mais une Grèce primitive, énergique et barbare. Et la
remarque, ici encore, ira loin*.
Un autre membre de la Commission de Morée, Charles
Lenormant, donna à part, lui aussi, ses impressions de
voyage» Il était à Alexandrie, où il avait accompagné
Champollion, lorsqu'il fut nommé directeur-adjoint de

1. Quinet, Correspondance, I, 373; II, 83; Grèce moderne, t. V. de


Féd. Pagnerre, l'Avertissement et p. 193, 234, 267, 347, 368; Histoire
de la poésie (Pagnerre, IX). — —
B. Saint-Hilaire, Cousin, 111, 389.
R. de Paris, 1831, t. XXVI, p. 193. — Sainte-Beuve, Nvx lundis, V,
320.
44 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

la section d'archéologie. Il rejoignit en toute hâte ses


collègues et visita avec eux Phigalie, Messène, Sparte,
Mycènes, Argos, Épidaure. Il publia à son retour ses
Souvenirs de Morée (1830). Cest un livre grave, sérieux, un
peu triste où se reflète toute la mélancolie de la Grèce
pendant la guerre villages détruits, routes jalonnées d'os-
;

sements, campagnes sans maisons, landes et marécages,


un vaste cimetière. Mais ce n'est pas un livre désespéré.
Lenormant a l'enthousiasme profond et concentré du
philhellène et de l'archéologue. 11 espère en la régéné-
ration des Grecs, il aime leur généreuse hospitalité,
leur passion de la liberté, la joie de leurs fêtes, l'éner-
gie de leur âme, admire en eux les fils des grands
il

ancêtres qui bâtirent les temples d'Olympie et de Phigalie.


Obligé de revenir brusquement en France après trois
mois de séjour, il n'avait pu voir Athènes. Ce n'est
qu'une dizaine d'années plus tard qu'il fit avec Ampère
et Mérimée son pèlerinage sur la pauvre Acropole
mutilée par les bombes de Morosini, le pillage d'Elgin
et les déprédations turques. Il travailla, avec les savants
grecs, à la restauration de leur ville où il se fit de
solides amitiés. Aussi, quand il revint une troisième
fois en Grèce, son voyage prit les allures d'un triomphe.
Les Athéniens multiplièrent les soirées en son honneur :

un banquet lui fut offert par souscription sous une avenue


de platanes où était jadis l'Académie de Platon. Rien ne
manqua à l'apothéose, pas même la mort du héros. Un
refroidissement qu'il prit à Épidaure l'enleva en quelques
jours. Sa mort fut un deuil public. Un monument lui fut
élevé au-dessus des ombrages de l'Académie, sur la
colline où se trouvait déjà le tombeau d'O. Mùller; on y
déposa son cœur et Rhangabé prononça un discours ému,
comme il l'eût aimé, tout parfumé de souvenirs antiques ^

1. Les Souvenirs de Morée parurent dans la R. de Paris de 1830,

t.XIV, p. 57 et 156 et t. XIX, p, 256. Ils ressemblent à peu de


chose près aux lettres que Lenormant écrivit à sa jeune femme
pendant son séjour en Grèce (avril à juin 1829) et qui ont été
LES PREMIERS VOYAGEURS 45

III

Ces premiers voyages ont précise la topographie,


encore si mal connue, de la Grèce antique. On commence
à identifier l'emplacement des anciennes villes. La Morée
et les îles sont explorées, la mystérieuse Épire est décou-
verte, l'Attique est entamée. Sur plus d'un point Pausa-
nias est rectifié et complété. Et quelques découvertes,
dont je vais parler, commencent à renouveler l'archéo-
logie.
Mais indépendamment des conquêtes scientifiques, un
grand point déjà est acquis. La simple vue des grandes
ruines a éveillé la curiosité de la beauté antique; les
mœurs des héros de l'indépendance ont avivé, par de
surprenantes analogies, "le sens historique endormi; les
paysages surtout ont rafraîchi les commentaires flétris
ou mensongers des chefs-d'œuvre helléniques.
En 1827, Ch. Magnin intitule un article du Glohe : a De
la Grèce suivant l'opinion du collège et de la Grèce véri-
table ». Il met à profit la récente traduction d'un poème
anglais pour Tauteur de nous avoir révélé l'Héli-
féliciter
con, l'Hymette, la fontaine de Caslalie et ce Parnasse
qui inspira tant de sottises « Oui de nous, sur la foi
:

de nos poètes si improprement appelés classiques, ne


se figure le Parnasse comme un rocher difficile à gravir
mais fleuri et paré, jusque sur son sommet, de lauriers,
de myrtes, voire de lys et de roses? Qui de nous a jamais
pensé que sa double cime fût couverte de neige comme
celle du mont Cenis?... Nous aurions été fort mal venus
au collège d'appliquer au Parnasse l'épithète de neigeux
que lui ont donnée tous les anciens poèmes. L'on eût
regardé comme une bien froide inspiration une montagne
hérissée d'éternels frimas ». Il termine fort judicieusement

recueillies dans Beaux-Arts et Voyages, t. II. Son second voyage en


Grèce est de 1841, son troisième de 1853 (il y mourut le 22 nov.).
— Cf. ses lettres de 1829 (surtout celles des 31 mars, 11 et 15 avril,
14 et 27 mai, G juin).
46 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

en rappelant que, faute de connaître la nature grecque,


nous n'avons pas compris la mythologie qui en était
sortie. « L'ignorance ou Toubli de cette nature grecque
qui a forcé en quelque sorte le sentiment poétique à se
dégager de lame des mythologues a été cause, dans
notre occident, que nous avons laissé dégénérer et se
flétrir des formes et des fictions que nous avions emprun-
tées à cette nature privilégiée, sans conserver une idée
assez nette de leur origine et de leur valeur. » Ces raisons
qui valaient pour la mythologie valaient aussi pour lart
en général. L'âpreté de la nature grecque habitua les
esprits à évoquer un hellénisme moins délicat, moins joli
que l'hellénisme de la tradition. Et c'était justement ce
que laissaient pressentir par ailleurs les mœurs des pali-
kares et les chants populaires de la Grèce moderne.
Magnin signale encore les intéressantes gravures du
livre de Ilaygarth. Il y eut, pendant ces années, une
Grèce par l'image qui illustra, de mille manières, la Grèce
des voyageurs. L'Américain Fui ton, venu à Paris sous
l'Empire, avait pris un brevet pour exploiter des pano-
ramas; James Thayer, à qui il le vendit, s'associa au
peintre français Prévost et construisit un édifice près du
boulevard des Capucines. En 1820, la vue d'Athènes y était
particulièrement admirée et un journaliste écrivait avec
émotion « Quel riant horizon Voilà donc cette portion
: 1

du monde où toutes les Muses firent connaître leur pou-


voir!... Voilà le Céphise, l'Ilissus, les magnifiques loin-
tains de l'Attique! Quels seraient les regrets de Phidias
lorsqu'il verrait, près du temple de Neptune, un tyran
subalterne, un porte-fouet ou disdard faisant trembler
lés esclaves dans la cité de Pallas! » Le diorama, inventé
en 1822 par Daguerre, représentait des scènes du même
genre. C'étaitaussi en ces années que l'art lithographique
se perfectionnait grâce au génie persévérant d'Engelmann
et que grands peintres commençaient à faire repro-
les
duire leurs œuvres par l'invention nouvelle. Quelques
voyageurs en Grèce en usèrent pour leurs publications..
LES PREMIERS VOYAGEURS kl

Le peintre Forbin donne en 'J819 un Voyage dans le


Levant, dont les planches luxueuses sont bien supérieures
au récit (il pastiche souvent, et dune façon maladroite,
le style de Chateaubriand). Un autre peintre, Dupré,
publie un intéressant Voyage à Athènes (1825). Débar-
qué en Épire, il avait traversé le Pinde au mois de mars,
à travers des précipices, des neiges, des pics désolés et
il s'était étonné que limagination grecque eût fixé dans

une pareille région le séjour d'Apollon et des Muses,


puis il avait fait l'ascension des Météores de Thessalie,
montagnes coniques, taillées à pic, couronnées de cou-
vents et il était arrivé dans la vallée de Tempe. « Nous
avions déjà parcouru le vallon dans toute sa longueur
que j'en cherchais encore les charmes. Était-ce que l'ima-
gination des anciens avait été plus loin que la nature?
Ou bien ces lieux avaient-ils été désenchantés en subissant
le même despotisme que les hommes? Quoi qu'il en
soit, je ne reconnus point cette- Tempe dont Fénelon vou-
lait aller goûter les délices. » Par Delphes, Thèbes, Eleusis
il avait gagné Athènes et le musée de Fauvel. Le texte
est coupé de vignettes : le lit de ITnachus, les rochers à
pic des Météores, la vallée de Tempe et le Pénée, les
Thermopyles, Delphes et la fontaine Castalie. Mais rien
ne vaut les admirables lithographies coloriées de la fin
du livre un Souliote à Corfou; un palikare; Ali-Tebelen
:

« dessiné d'après nature le 14 mars sur le lac de


Butrinto », vieillard à barbe blanche allongé sur des
coussins dans une barque; les Météores de Thessalie et
le Pinde; l'Acropolis vue de la maison de Fauvel, avec
ses merveilleux tons chauds, les lignes bien découpées de
la colline, la teinte jaune des murailles et, au premier
plan, la maison de Fauvel le Parthénon (très beau); le
;

temple de Jupiter Olympien; le temple de Thésée; une


Athénienne sur une terrasse, en jupe rayée et brodée, avec
des fleurs dans sa chevelure flottante; un Grec d'Hydra,
appuyé sur son ancre; un mariage grec à Athènes (la
mariée, assise, ferme les yeux; sa figure ronde et pleine
48 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

est plâtrée de blanc et de rouge, sa coiffure s'étage en


amphithéâtre de fleurs mêlées de papier doré et de
sequins enfilés). Ces planches qui sont aussi belles que
des peintures firent connaître et goûter, mieux que de
longs récits, le vrai caractère de la Grèce, de ses mœurs
et de ses paysages K

1. Annales de la littérature et des arts, 1821, IV,


t. 228. — Jouin;
p.
D. d'Angers et ses Relations littéraires, p. 19. — Eng"elmann, Manuel
du dessinateur-lithographe (il fonda une maison à Paris en 1816, et
il résolut pratiquement en 1837 le problème de la lithographie poly-
chrome (ju'il appela chromolithographie). —
Dupré, Voyage à Athènes
et à Constant inople ou Collection de portraits, de vues et de costumes
grecs et ottomans, peints sur les lieux d'après nature, lithographies et
coloriés par L. Dupré, élève de David, accompagné d'un texte orné de
vignettes. Dupré avait fait son voyage en 1819. —
Forbin, \'oyage
dans le Levant (Cf. p. 21 comme exemple de pasliche); il lit ce
voyage en 1817-1818. — Le Globe, 17 août 1827 [nrlicle reproduit
dans le livre de Mngnin, Causeries et méditations historiques et liité-

r air es, t. 11].

i
CHAPITRE IV

DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES
1. RÉVÉLATION DE LA STATUAIRE GRECyUE. = II. LES SAVANTS ET LA
VULGARISATION DE LARCHÉOLOGIE. = III. LE RÔLE DE RAOUL-ROCHETTE. =
IV. LA « COMMISSION DE MORÉE ».

I
^

QUELQUES découvertes archéologiques dune impor-


tance considérable réveillent, sous la Restauration,
la curiosité de la Grèce antique K
Dans son Jupiter. Olympien (1815), illustré d'admirables
planches en couleurs, Quatremère de Quincy démontre
l'existence chez les Grecs d'une statuaire polychrome où
se mariaient les tons de livoire et de for. Quatremère
est un fureteur. Il bouscule bien des opinions consacrées.
Il prouve, eh exhumant les anciens dessins de Jacques

Carrey, que l'entrée du Parthénon nétait pas, comme on


le croyait alors, sous le fronton occidental. Il soulève
aussi le problème très inattendu de l'éclairage des
temples grecs. On croyait encore au xyhi^ siècle que ces
temples étaient obscurs, puisqu'ils n'avaient pas de
fenêtres. Quatremère affirme, d'après un texte de Vitruve,
que certains au moins étaient « hypèthres », c'est-à-dire à
ciel ouvert comme un atrium -.

1. Pour tout co chap. : G. Perrot, Histoire de fArt, Inlr. et R. des


;

D, M., 1" août, 1880. — Vinet, t'Art et VArctiéologie; Bibliograpliie


des Beaux-Arts. — J. des Sav., 1817, p. 657 et 1818, p. 86. —Beulé,

l'Art grec avant Périclès. Gautier, les Beaux-Aris en Europe.
2. Q. de Quincy, Jupiter Olympien, IV, 2 ; Mémoires de VInstitut,
3® partie; Restitution des frontons du temple de Minerve. — Vitet,

4
50 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Tout ceci encore qu'un lever de rideau bientôt


11 était :

commence la grande fête des yeux. Lord Elgin, ambas-


sadeur d'Angleterre près du Sultan, avait obtenu l'auto-
risation de faire mouler les sculptures antiques d'Athènes
et même d'en emporter des morceaux. 11 enlève du Par-
thénon la frise entière des Panathénées qu'il vend au
Parlement britannique (1816). Visconti, qui avait servi
d'arbitre, Quatremère de Quincy, Émeric-David célèbrent
aussitôt la beauté de ces marbres et nos jeunes artistes
commencent les pèlerinages au British Muséum. David
d'Angers, renseigné par son ami Canova, part pour
Londres, admire et prend des croquis. Il raconte à son
retour la forte impression* qu'il a éprouvée à la vue de
cette bondissante et vivante cavalcade qui, tout autour
d'une grande salle, sur une longueur d'environ cent
quarante pieds, étale sa belle teinte d'ivoire jauni. Et
quelle surprise encore que d'apercevoir, dans une salle
voisine, la frise de Phigalie, qu'un autre Anglais, Cocke-
rell, venait d'offrir à son pays (1815)1 Ictinos, l'architecte

du Parthénon, avait élevé à Bassœ, près de Phigalie, sur


les pentes du mont Cotylion, un temple en l'honneur
d'Apollon qui avait sauvé les Arcadiens d'une épidémie.
L'endroit était désert, très détourné des grandes routes,
à plus de mille mètres d'altitude, mais l'habileté britan-
nique sut bien le découvrir. La frise qui déroulait sur
une centaine de pieds un combat de Centaures et de
Lapithes et une bataille de guerriers et d'Amazones,
enthousiasma Cockerell, qui avait bon goût, par son
débordement de vie, par la fougueuse allure des guer-
riers aux prises, par le vigoureux réalisme des détails.
Et les visiteurs français, habitués à la grâce un peu
molle de l'Apollon du Belvédère, regardèrent avec stupeur
d'abord, puis avec admiration, ces personnages trapus qui
ruaient, se mordaient, s'enlaçaient dans un enchevêtre-

Étude$ sur iliist. de l'Art, I, 101. — Burnouf, R. des D. M., 1" déc. 1847.
— Brônddted, Voyages dans la Grèce. — Expédition de Morée, I, 7U.
DÉCOUVERTES, ARCHÉOLOGIQUES 51

ment tel qu'on avait parfois de la peine à s'y retrouver ^


L'infatigable Cockerell dénichait les bons coins. En
1811, il s'était rendu dans la petite île d'Égine qui avait
connu, au sixième siècle avant notre ère, une période de
splendeur, de richesse et d'art. Sur une colline dominant
la mer et regardant l'Attique, une vingtaine de colonnes
restées debout, la plupart avec leurs architraves, se
détachaient au milieu d'un fouillis de plantes aroma-
tiques, de lentisques et genévriers; des morceaux de
marbre jonchaient, tout autour, le sol du plateau. C'était
tout ce qui restait d'un magnifique temple de Minerve.
Cockerell se met à mesurer les ruines. En plantant ses
jalons, découvre dix-sept figures en ronde-bosse déta-
il

chées des deux frontons. Il y avait là deux Minerve, l'une

combattant, brandissant la lance et déployant l'égide,


l'autre, immobile, souriant comme une idole archaïque,
coiffée du casque, armée du bouclier, vêtue d'une robe
courte et raide à plis droits et symétriques. Les autres
statues, où l'on reconnut des guerriers grecs et des guer-
riers troyens, représentaient des combattants danâ toute
l'ardeur de la mêlée, les uns penchés sur leurs boucliers,
les autres tirant de l'arc debout ou à genoux, celui-ci, à
la chevelure bouclée et à la barbe en pointe, frappant
son adversaire qui sourit en rendant l'âme, celui-là ren-
versé sur le dos dans la douleur de l'agonie, contractant
ses muscles, faisant effort pour se soulever sur son bou-
clier, élevant la main comme pour brandir une arme
inutile. L'ensemble était dune vigueur et d'un réalisme
hors de pair. Fauvel jugea aussitôt, sur les dessins, que
les auteurs de la découverte n'avaient point perdu leur
temps et il en écrivit son admiration à Barbie du Bocage ;

Quatremère inséra une note dans son Jupiter Olympien qui


1. Vinet, VArt et V Archéologie, p. 288 et suiv. (description du Musée

britannique). — Collignon, Histoire de la Sculpture grecque. — Vis-


conti, Œuvres complètes, III, 84 (Mémoire de 1818 sur la frise du Par-
thénon).— Q. de Quincy, Lettres à Canova. — Émeric-David, Mémoire
(1818).— Burnouf, R. des D. M., 1" décembre 1847. — Ch. Lévôque,
la Science du Beau, II, 78.
52 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

allait paraître.Les marbres, acquis par le prince Louis


de Bavière, furent envoyés à Rome, restaurés par Thor-
waldsen et installés à la Glyptothèque de Munich. C'est
surtout après 1830 qu'ils remuèrent l'opinion en France,
lorsque se multiplièrent les voyages en Allemagne mais :

le public savant et artiste n'avait pas attendu ce moment


pour les apprécier ^.
La France cependant avait, elle aussi, sa conquête. En
février 1820un paysan de l'île de Milo bêchait son jardin
lorsqu'il mit au jour une niche contenant deux tronçons
d'une statue de femme. Milo était assez souvent visitée
depuis qu'on y avait découvert un théâtre. Un vaisseau
français était là; l'enseigne Dumont d'Urville dessine le
buste et montre son esquisse à Marcellus, en rentrant à
Constantinople. Marcellus part aussitôt, nomme la statue
« Vénus victorieuse » avant de la voir et engage des

pourparlers pour l'acheter. 11 finit par avoir le dernier


mot dans cette histoire que son amusant récit a peut-être
un peu dramatisée. Il installe sa trouvaille à fond de
cale, la montre au vieux consul Fauvel, refuse de la
vendre à l'Angleterre le marquis de
représentée par
Douglas, plus tard duc de Hamilton, et l'offre géné-
reusement au roi Louis XVIII le 1*^^ mars 1821. Louis XVIII
était grand ami des arts et ami fort éclairé. 11 défendit
qu'on retouchât la Vénus de Milo (la mode était alors à la
restauration des antiques), sauf pour quelques détails
sans importance, et il la fit placer au Louvre où elle eut
tout de suite ses adorateurs. Le vieux Ouatremère était
ravi « O toi qui nous offres, avec la plus haute idée de
:

la nature féminine que l'art ait su imiter, le plus beau


caractère de formes, le plus heureux mélange de la
vérité, de la grandeur du style, de la grâce et de la
noblesse, tu dois être sortie de l'atelier de Praxitèle! »
De Clarac en mesure les proportions; des moulages sont
1, Beulé, VArt grec avant Périclès, p. 467-49L — Fortoul, les
Marbres d'Egine {R. des D. M., 15 septembre 1839). — Blouet, Expé-
dition scientifique de Morée.— L'Artiste, du 15 septembre 1844.
DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES 63

envoyés un peu partout, à Rome chez le directeur de la


villa Médicis, à Londres où Marcellus retrouve sa Vénus
en grandeur naturelle dans le vestibule du peintre
Lawrence. A ladmiration pour la beauté de la statue
s'ajoutait une vive curiosité pour son mystère. Qui était
cette femme? Et que faisaient ses bras qu'on navait pas
retrouvés? Le comte de Clarac, se rangeant à l'avis de
Marcellus, voyait en elle Vénus après le triomphe rem-
porté sur les déesses ses rivales; Quatremère de Ouincy
croyait qu'elle faisait partie dun groupe où elle était

associée à Mars; Émeric-David, l'éternel adversaire de


Quatremère, contestait qu'elle fût une Vénus caressant
Mars, parce qu'elle était cambrée en arrière avec un air
de rudesse et qu'elle regardait devant elle d'un œil insen-
sible et froid. Il ne croyait même pas quelle fût une
Vénus. Ses formes moins gracieuses que musclées, ses
chairs pleines de vie plutôt que moelleuses et fines, la gra-
vité de ses traits, son attitude fière et menaçante, son air
femme et semblaient désigner la nymphe
non jeune fille lui
protectrice de Milo dont un bras relevé devait tenir une
pomme. D'autres supposaient qu'une des mains de la
déesse portait un miroir à manche tandis que l'autre
arrangeait sa chevelure. Mais tous, dans la diversité de
leurs interprétations, rendaient hommage à la beauté du
marbre sacré i.

\. Marcellus, Souvenirs de l'Orient, I, 239-260; Chateaubriand et son


temps, p. 316; Épisodes litt. en Orient, I, 409. — Q. de Quincy, Dis-
sertation de 1821 lue à l'Acad. des Beaux-Arts. — Ém. -David, Mémoire
(même — De Clarac, Dissertation de 1821; Musée de sculpture
date).
antique, I, — Vitet, Études sur
119. de
l'histoire 65 à 71 [sur
l^Art, I,

la manie de restaurer les antiques]. — Planche, R. des D. M,,


V octobre 1856. — Ravaisson, R. des D. M., sept, 1871 [résumé
i"'

de toutes les interprétations qui furent données de la Vénus de et


son attitude]. — L'Artiste, 12 mai 1839 [article de Janin]. J.
54 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

. Il

Les articles de nos érudits sur toutes ces découvertes


paraissent, selon la tradition, dans des publications aus-
tères, dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions
qui avait repris son nom en 1816, lorsque les Bourbons
réorganisèrent l'Institut, et dans le grave Journal des
Savants, le doyen de nos journaux scientifiques, fondé en
1667, supprimé sous la Révolution, et ressuscité par l'or-
donnance royale de 1816 qui en fît une sorte d'institution
d'État. Le ministre de l'Instruction publique le subven-
tionnait et se réservait le droit de présider le bureau de
rédaction. C'était un corps fermé qui se recrutait par
cooptation et choisissait ses rédacteurs parmi les diverses
Académies. Chaque membre y avait comme sa province
attitrée.Les articles sérieux, solides et nourris établis-
saient une intimité, une « correspondance » entre les

savants des divers pays. Il en était de même des mémoires


de l'Académie des Inscriptions qui faisaient une place
aux articles présentés par des érudits étrangers à l'Aca-
démie. La science trouvait son compte à ces travaux;
mais le public i?
Le public ne fut pas oublié; les savants commençaient
à comprendre qu'il fallait compter avec lui. Millin avait
montré la route en créant à la fîn du xviii'' siècle le
Magasin encyclopédique, devenu en 1817 les Annales encyclo-
pédiques. Vinet lui a reproché d'avoir tropaimé 1' « agré-
ment de l'archéologie » : singulier reproche en vérité
adressé à un homme d'une immense érudition, bota-
niste, numismate, épigraphiste, philo-
minéralogiste,
logue, épris d'art grec et passant avec aisance, dans ses
articles ingénieux et solides, de l'architecture aux statues,
de la peinture à la céramique Seulement, Millin voulait
!

être clair, attrayant et conquérir les mondains à ses

1. G. Perrot, Notice sur Raoul-Rochetle, p. 14. — H. Cocheris,


Table méthodique duJ. des Sav., de 1816 à 1858,
DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES 55

études do prédilection. Il écrivait en tête de ses Monuments


antiques inédits (1802-1804) : « J'ai travaillé non seulement
pour antiquaires mais aussi pour les artistes et les
les
amateurs. » 11 rêvait de continuer l'œuvre de Caylus et
de vulgariser Tantiquité figurée. Son Dictionnaire des Beaux-
Arts décrivit les mœurs et les costumes antiques pour la
grande joie d'un public qui faisait revivre dans la toilette
et l'ameublement les goûts d'autrefois; sa Galerie mytho-
logique recueillit,sous forme figurative, une foule de
documents concernant l'époque héroïque des Grecs. Au
retour d'un voyage en Italie, il faisait circuler dans les
salons amis les dessins de sept cents monuments'.
A de 1816, l'Académie des Beaux-Arts, qui venait
la fin
d'être réorganisée comme les autres Académies, adresse
au ministre de l'Intérieur un rapport détaillé sur les pro-
cédés d'Engelmann. Elle avait consacré plusieurs séances
à les examiner et quelques-uns de ses membres les avaient
personnellement expérimentés. Elle émettait le vœu que
cette découverte servît à exécuter des modèles de dessin
pour les collèges. Mais en attendant que la lithographie
fournît des publications à bon marché, on multiplia les
dessins, les gravures, les planches dans les ouvrages
d'archéologie. Pompéi y trouva un regain de célébrité.
L'Académie de Naples, chargée de reprendre les fouilles,
s'était réservé le privilège d'en faire connaître les résul-
tats; mais un élève de Percier, Mazois, dessina furtive-
ment les monuments mis au jour et donna en 1811 les
deux premiers tomes des Ruines de Pompéi, avec des plan-
ches en couleur. On commençait aussi à feuilleter les Vues
des ruines de Pompéi de W. Gell qui avait accompagné en
Italie la reine Caroline; on rouvrait le livre un peu ancien
mais toujours précieux de Piranesi, les Antiquités de la
Grande-Grèce, recueil de belles gravures aux teintes noires

1. Mémoires de VAc. des Insc., t. VIII, I, 42 (notice lue le


27 juillet 1821). — Vinet, Bibliographie des leaux-aris, p. 169. —
Guigniaut : Appendice au t. IV de la traduction des Religions de
Creuzer.
56 LA BENAISSAiWCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

très vibrantes représentant l'entréede Pompéia [sic], une


auberge et des usines, la maison du chirurgien avec son
impluvium, l'intérieur d'une boutique, etc.... La décou-
verte de la « Maison du poète tragique » avec ses admi-
rables peintures murales passionne l'opinion (1825). Raoul-
Rochette en avise aussitôt le public mondain qui suivait
son cours d'archéologie, puis il part pour l'Italie et publie
à son retour la première partie de son Choix de peintures
de Pompéi. Le texte est copieux, horriblement lourd, trop
chargé d érudition Raoul-Rochette avait une prédilec-
:

tion fâcheuse pour le développement et les in-folios. Les


planches heureusement sont souvent excellentes ^
Les guerres de la Révolution et de l'Empire avaient
plusieurs fois modifié notre Musée des Antiques, soit que des
œuvres eussent été apportées en France par pillage ou
par achat légitime, soit quelles nous eussent été enlevées
à la suite de nos désastres. 11 parut bon de faire un inven-
taire exact de nos richesses. Le Musée français, grand
in-folio, commencé par Pierre Laurent, graveur du roi,
en 1791 avait eu son fonds vendu aux enchères en 1820; on
procède à un nouveau tirage des planches et du texte qui
est imprimé en français et en anglais (1829) Bouillon y:

collabore comme dessinateur et Fontana comme graveur.


Le Musée Royal est repris de 1816 à 1824 avec une forte
souscription du ministère de l'Intérieur. Les remar-
quables gravures sont l'œuvre d'Audouin, de Girardet, de
Massard; Guizot y collabore pour la notice des tableaux
d'histoire, la description des antiques est confiée à

1. Delaborde, VAcadémie des Beaux- Arts {^wrioni p. 191 etsuiv.)[on

y trouvera aussi l'ordonnance royale du 21 mars 1816]. — Les


tomes III et IV de Mazois parurent après la mort de l'auteur en 1829
et 1838. — Les Vues de W. Gell sont la traduction (1828) d'une
partie de l'ouvrage anglais dont le titre général est La topographie,
les édijices, le système décoratif de Pompéi (1819) ». —^ Les gravures
de Piranesi sont de 1804. — G. Perrot, Notice sur R.-Bochette, p. 54, et
suiv. — Bulletin de l'Institut archéologique de Rome, 1*^' octobre 1829.
— Cf. aussi Ternite, Peintures murales de Pompéi (1839, 1845, 1860)
avec des planches en couleurs qui sont de petits chefs-d'œuvre. —
Zahn, Peintures récemment découvertes à Pompéi (1828).
DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES 57

Visconti (jusqu'à la dix-septième planche), puis à de


Glarac pour les vingt-quatre dernières. Le Musée des
Antiques dessiné et gravé à Teau-forte par Pierre Bouillon,
de 1811 à 1827, offre cette particularité d'avoir été gravé
entièrement par la même main qui rend admirablement
Tantique. Ce très bel ouvrage reproduit le Musée tel
qu'il était avant les désastres de la fin de l'Empire. Ces
trois grandes publications remplacèrent celles qui avaient
paru sous l'Empire le Musée Filhol, ou Musée Napoléon,
:

les Annales du Musée données au trait par Landon, le


Musée des Antiques du Musée Napoléon, publié par les
frères Piranesi avec gravures de Piroli texte de ,

Schweighœusœr et Petit-Radel. Parmi tous les inter-


prètes de ces antiques, Visconti a la place d'honneur. Il

avait été élevé à Rome, au milieu des merveilles de ce


Musée Pio-Clémentino dont son père était directeur. 11
en donna une description si remarquable qu'il en fut
récompensé, quoique tout jeune, par le poste de conser-
vateur du Musée du Capitole. Lorsque les guerres de
la Révolution dispersèrent les richesses archéologiques
de Rome, il semble qu'il n'ait plus voulu demeurer
dans la cité dévastée. Il vient en France où sa réputa-
tion l'avait précédé on l'accueille à bras ouverts, il est
:

nommé antiquaire du Musée central des arts où il


retrouve avec joie, dans leur exil, quelques-unes de ses
chères sculptures, le Torse, l'Apollon, le Laocoon. L'Ins-
titut l'élit, presque coup sur coup, dans la classe des
beaux-arts, dans celle d'histoire et de littérature anciennes.
C'est alors qu'il commence cette Iconographie ancienne,
recueil de portraits de trois cents personnages classés en
deux catégories, les rois et les hommes illustres (poètes,
législateurs, médecins, philosophes, etc.) : Boisonade
en saluait l'apparition (1810). Il y travailla jusqu'à sa
mort (1818) et elle ne fut complètement publiée qu en
1829. Visconti avait la science de l'antiquité, il possédait
surtout le flair de l'archéologue. On a vu que les Anglais
le choisirent pour arbitre dans l'affaire des marbres du
58 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Parthénon. Très répandu dans le public mondain par sa


situation officielle,
il réagit contre les excès du goût
romain et ramena les esprits vers la beauté de rhellé-
nisme*.
Nos savants en effet n'entendent point passer pour
des savants de cabinet. Ils cherchent à agir sur l'opinion,
ils n'hésitent pas à y faire appel pour imposer ou justifier

Quatremère de Quincy dans ses


leurs idées. Ainsi procédait
mémoires ou on peut seulement regretter que
ses lettres :

les titres en soient dune longueur incommensurable. Il


avait soumis à la Constituante un projet pour combattre
le pouvoir despotique « dune souveraineté d'artistes
connue sous le nom d'Académie royale de peinture et
sculpture maîtresse intransigeante de l'enseignement
»,

des beaux-arts il proposait une école publique des arts


:

du dessin, divisée en neuf classes, la seconde étant celle


de l'antique et des statues » et il demandait qu'une
<(

institution savante groupât les lettres, les sciences et les


arts dans le Louvre devenu le sanctuaire du beau. Cet
homme, qui à tant d'égards était classique et conservateur,
se montrait révolutionnaire dans ses idées et dans ses
méthodes. 11 garda toujours l'habitude de l'oppeZaapeupZe.
Il recherchait volontiers les protestations retentissantes,
les manifestations oratoires autour des questions d'art,
comme dans ces lettres vigoureuses où il flétrissait la
spoliation des musées italiens par nos troupes. Il aimait
à piquer la curiosité par l'imprévu de ses révélations sur :

la sculpture polychrome, sur l'orientation du Parthénon,


sur l'éclairage des temples, sur la signification de la
Vénus de Milo. Il excellait enfin à re^ttacher les grandes
découvertes à un problème d'esthétique ou de philosophie.
Son premier mémoire soulevait la grave question dés rap-
ports de l'Egypte et de la Grèce. Ses lettres sur les mar-

1. Labus, Bibliographie des œuvres de VisconU. —Mémoires de


VAc. des /., Notice sur Visconti lue le 28 juillet 1820. —Guizot,
Études sur les Beaux-Arts. —Journal de l'Empire, 23 sept., 17 ocl.,
19 nov. 1810, 9 mai 1811, 9 mars 1812.
DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES 59

bres clElgin faisaient pressentir le renouvellement des


théories sur le beau idéal. Tout Winckclmann était
ébranlé .

Son Émeric-David était loué entre tous pour la


rival
clarté et l'agrément de son style. Il avait de la dent, savait
riposter et attaquer; il se lit encore avec plaisir. Ses
curieuses Recherches sur VArt statuaire (1805) avaient com-
mencé sa réputation, lorsqu'il avait affirmé, au grand
scandale de quelques savants, que l'art grec n'était pas
idéaliste mais réaliste avec audace. Il lui sembla tou-
jours que la cause de l'art antique ne pouvait que gagner
à ces polémiques où le public prenait plaisir et profit. Il
écrivait de jolis mémoires, courts et alertes, sur les ques-
tions du jour ici une étude sur le cabinet d'antiquités et
:

d'objets d'art de Choiseul-Gouffîer qui venait de mourir;


là des « observations sur « la statue de femme décou-
>>

verte dans l'île de Milo »; ailleurs un tableau de la sculp-


ture grecque depuis la jeunesse de Phidias jusqu'à la
mort de Praxitèle. Vers la fin de sa vie il s'orienta vers la
mythologie d art. A quatre-vingt-quatre ans, et quatre
jours avant sa mort, il faisait lire à l'Académie un long-
article sur les Centaures. Son esprit paradoxal et un peu
aventureux expliquait les dieux grecs par des symboles
naturalistes et usait fort habilement, pour justifier sa
thèse, de l'étude des statues antiques. Et il écrivait là-
dessus des livres à la fois très nourris et ingénieux comme
des romans^.
Letronne est effrayant d'érudition et d'activité. Direc-
teur de l'École des Chartes, inspecteur général de l'Uni-
versité, professeur d'histoire puis administrateur du Col-

1. Mémoires de VAc. des /., Notice lue le 5 août 1864. —


Delaborde,
l'Acad. des Beaux-Arts^ p. 76. —
Q. de Quincy, Considérations sur
VArt du dessin, 1791; Lettres sur les monuments de Vltalie, 1796 (à
Canova); Mémoires et Ouvrages d'Art antique. On trouvera plus loin
les ouvrages d'esthétique pure.
2. Mémoires de VAc. des /., Notice lue le 1"'' août 1845. Émeric-—
David,. //isiojre de la Sculpt. antique; Jupiter; Vulcain. —
P. Lacroix,
Notice en tête de VHist. de la Se. ant. '
60 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

lègede France, conservateur des antiques, garde général


des archives du royaume, membre de plusieurs Acadé-
mies, collaborateur très régulier au Journal des Savants et
à de nombreuses revues, il exerça dans tous les domaines
de Tarchéologie sa remarquable puissance de travail. Il
avait débuté par la philologie en suivant les cours de
Gail au Collège de France. 11 maniait les textes anciens
avec beaucoup de sûreté; il excellait à s'instruire en
causant, à faire parler sur toute question les gens du
métier. Sa science prenait ainsi une allure vive et dégagée.
Et tous ces détails quïl attrapait pour ainsi dire à la
volée, il savait comme personne les répandre en des
articles alertes et lumineux. Excellent journaliste et redou-
table polémiste, il amusa très souvent le public par ses
disputes avec d'autres savants ^.

Raoul-Rochette en particulier sentit laiguillon.

III

Raoul-Rochette a été, pendantpremière moitié du


la
xix^ siècle, le représentant le plus autorisé de l'archéo-
logie classique. Il mit tout en œuvre pour la faire
aimer 2.
Ses débuts avaient été extrêmement brillants. Un gros
travail sur l'établissement des colonies grecques le fît

entrer à l'Académie des Inscriptions quand il avait à peine


vingt-six ans. suppléa deux ans Guizot en Sorbonne.
11

C'était un homme heureux à qui tout souriait honneurs, ,

fortune et travail. 11 avait épousé une des filles du grand


sculpteur Houdon, femme intelligente et artiste qui parta-
geait ses goûts, et il était très bien vu à la cour et dans les
salons mondains pour ses opinions légitimistes et catholi-
ques. Nommé, à la mort de Millin, conservateur du cabinet

1. Mém. de VAc. des /., Notice lue le 16 août 1850. G. Perrot, —


Notice sur R.-Rochette, p. 25, sq. —
Egger, Mémoires de lilt. ancienne.
2. G. Perrot, Notice sur R.-R. —
Le Globe, passim et par ex.,
4 juin 1825.
DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES 61

des antiques à la Bibliothèque Nationale (1819)— poste de


choix quil devait occuper près de trente ans —
il avait

rimmense joie de vivre au milieu des richesses d'art que


renfermait ce qu'on nommait au xviii*' siècle le « Cabinet
du Roi Ces années de la Restauration furent les plus
».

heureuses de sa vie. Je n'ai pas à rappeler ici comment la


Révolution de 1830 fît de lui un mécontent, ni à détailler
sa longue polémique avec son confrère Letronne où son
malin adversaire avait toujours le beau rôle, même et
surtout lorsqu'il n'avait pas les meilleures raisons. 11 devint
de plus en plus aigri, ombrageux, il se cantonna dans ses
travaux avec une fierté chagrine; il se sentait desservi en
toute circonstance par son humeur et aussi, il faut bien
le dire, par la malignité de ses adversaires, car il en avait
beaucoup. Nous le retrouverons dans cette solitude de
l'âge mûr et de la vieillesse. Mais en ces années de jeu-
nesse, il était le brillant, le mondain Raoul-Rochette. Dans

son salon de Paris ou dans sa maison de campagne de


Meung-sur-Loire la haute société parisienne se mêlait aux
savants et aux artistes. Il accueillait ses visiteurs avec
une bonne grâce parfaite; il invitait aussi les érudits
étrangers dont quelques-uns, des Allemands surtout,
restèrent ses grands amis; il aimait s'entretenir avec eux
d'archéologie et d'hellénisme. C'est à ce public éclairé
qu'il destina ses Monuments inédits d'antiquité figurée à la
suite d'un voyage à Naples et en Sicile. Ses causeries
faisaient oublier la lourdeur de ses in-folios, le poids de
ses dissertations trop bourrées, l'inélégance de son style.
Sa science s'animait et prenait vie quand il parlait il :

était un professeur incomparable. Aussi son cours d'ar-


chéologie eut-il un très vif succès, pour le plus grand
profit de riielléntsme.
Le cours d'archéologie à la Bibliothèque Nationale avait
été inauguré par Millin. Raoul-Rochette occupa la chaire
de 1818 à 1854, et il y fut, du premier jour, très goûté.
Tous les mardis un public de femmes, de gens du monde
et d'amateurs des beaux-arts se pressait dans la salle dite
62 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

du Zodiaque, aujourd'hui détruite. La leçon durait une


heure et demie et commençait par un résumé de la leçon
précédente. Le professeur avait tout ce qu'il fallait pour
plaire Bel homme et d'une mise soignée, il avait le
: ((

front large et haut, bien encadré par une chevelure abon-


dante qui, séparée par une raie sur le sommet de la tête,
tombait en longues boucles des deux côtés du visage.
Point de moustaches, mais, à la mode du temps, des
favoris. Les yeux étaient grands et vifs, le nez était ferme
et droit, la bouche fine. La physionomie était ouverte et
expressive, mais elle avait quelque chose de ce qu'on
appelle l'air avantageux. On croit y deviner, dans les por-
traits, un certain contentement de soi-même. La parole
avait de l'entrain et de la chaleur. » (G. Perrot.) En 1824 le
conférencier parle de l'architecture antique et, l'année
suivante, de la sculpture. Il proteste contre la manie des
restaurations, il célèbre la supériorité des Grecs dans les
arts, il montre que les chefs-d'œuvre tant vantés par le

xviii^ siècle n'étaient que de simples copies, Pau- il cite


sanias et Pline, il invite ses auditeurs à voir la Vénus de
Milo et les marbres du Parthénon. Il excellait aussi aux
rapprochements inattendus; il mettait à profit la curio-
sité de l'orientalisme pour préciser les rapports de la
Grèce et de l'Asie, et il élargissait le monde gréco-romain
par les perspectives qu'il ouvrait sur l'Egypte.
Voici, à titre d'exemple, un des cours qui ont eu le

plus de succès, celui de 1828 par la sténo-


« recueilli
graphie, revu par le professeur et publié par souscrip-
tion » chez Renduel avec un prospectus. 11 comprend
douze leçons, trois sur l'art égyptien, deux sur l'art
étrusque, le reste sur l'art grec. C est de l'excellente vul-
garisation. Les momies et l'embaumement des corps, les
miroirs et leurs gravures mythologiques, les bijoux
d'art, lestravaux d'orfèvrerie, l'habillage des statues que
les Grecs drapaient comme des mannequins, voilà en
effet quelques-unes de ces questions qui instruisaient en
intéressant. Le conférencier tire un merveilleux parti de
DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES 63

ses lectures et de ses voyages. Il faut l'entendre recon-


stituer le temple de Diane à Éphèse ou raconter les [)ein-
tures des tombeaux qu'il a vus en Italie. II cherche
l'inédit, il vise à surprendre. Ces vases que le xvin<^ siècle
appelait étrusques sont des vases grecs. Ces temples que
l'on se figure de marbre resplendissant étaient bariolés
de haut en bas. Et il en donne des preuves habilement
choisies. Son cours est une promenade à travers l'his-
toire de l'art. Il s'entend à élargir chacun de ses sujets :

la statuaire polychrome amène la sculpture dorée des


églises gothiques et le damasquinage des bijoux floren-
tins; Fécole éginétique conduit naturellement à l'art des
primitifs et aux fresques du Campo-Santo. Il s'amuse un
jour à suggérer l'idée d'un livre qui extrairait de Vltiade
et de l'Odyssée le tableau complet de la civilisation homé-
rique, et tout aussitôt il en dessine le plan à larges traits.
L'architecture réclamerait le palais d'Alcinoûs et celui
d'Ulysse, la sculpture revendiquerait le bouclier d'Achille,
l'art décoratif les tapisseries d'Hélène et d'Andromaque.
Et ainsi du reste.
Les conférenciers de ce temps —
qu'on se rappelle
Villemain — faisaient de piquantes incursions à travers
leur époque. Raoul-Rochette n'y manqua point. Il y
apporta seulement un peu plus d humeur que beaucoup et
une allure résolument batailleuse. Certaines de ses péro-
raisons étaient grosses d'orages pendant huit jours
:

l'auditoire était habilement tenu en haleine. J'aurai


<(

lieu, disait-il dans une de ses dernières leçons, d'opposer


l'exemple et la théorie des Grecs à l'erreur de quelques
hommes qui semblent se faire de l'objet de limitation
dans les beaux-arts une idée bien différente; qui prennent
le laid pour le beau, le bizarre pour le nouveau, la carica-

ture pour l'expression.... » Chacun entendait que parler


ce
veut dire et l'on venait en foule à la leçon suivante pour
écouter un anathème habilement gradué, un exorcisme
du monstre romantique. On verra plus loin quelle idée
Raoul-Rochette se faisait de la beauté hellénique. Toujours
64 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

est-il qu'il faisait pour défendre ses


flèche de tout bois
dieux et qu'il son auditoire mondain aux
intéressait
mystères de la Grèce antique pendant que la guerre de
l'indépendance interrompait les voyages d'exploration.

ÏV

En 1828 l'armée du général Maison occupe la Morée.


Le mars 1829 débarque à Navarin une Commission
3
savante, comprenant trois sections. La section des
sciences physiques chargée des études de géographie,
géologie, minéralogie, zoologie et botanique, était dirigée
par Bory Saint-Vincent. Dubois était à la tête de la sec-
tion d'archéologie, avec mission de relever l'emplacement
des villes et des temples. La section d'architecture et de
sculpture devait, sous la surveillance d'Abel Blouet, des-
siner les monuments, dresser des plans et faire des
fouilles si l'intérêt de la science l'exigeait. L'ingénieur
géographe Pujllon-Boblaye fut adjoint aux diverses sec-
tions pour les travaux de triangulation. Les « sciences
physiques » partirent en avant pour éclairer et jalonner
la route mais la fièvre les ravagea. Bory Saint-Vincent
;

rentra à Marseille le 1^^* janvier 1830 exténué et presque


mourant. 11 rédigea l'itinéraire de la commission dans le
tome P^ de la publication des sciences physiques, sous
le titre Relation du Voyage'dans le Péloponèse, les Cyclades et

VAtlique.
C''est un récit décevant : le ton est froid, le style lourd.
Bory a la précision très sèche du savant et il n'aime
pas les rêveurs. Sans jamais nommer Chateaubriand, il
cherche à le démolir. Voici son paysage de Sparte « Au- :

dessus du pont le fleuve est encaissé; son eau rapide est


de la plus suave teinte; d'abord captif dans ses berges de
pierre à pic au fond d'une austère vallée, il s'ouvre
ensuite à travers de grands nérions qu'enlacent des
guirlandes de smilax. A partir du pont commence éga-
lement cette abondance de cannevères {ariindo donax)
DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES 05

signalées comme des roseaux par les poètes et dont les


belles touffes mollement caressées par des vents méritè-
rent au fleuve de Laconie répithcte de Callidonax. Malgré
tout ce qui se rattache de poétique à ce cours d'eau tant
célébré, je dois avouer que ce n'est point à cause des
traditions mythologiques quil m'occupa d'abord; n'y
ayant pas plus aperçu de ces cygnes dont le maître des
dieux daignait emprunter la forme que de site con-
venable pour qu'une reine autre que celle des carpes s'y
pût baigner, le désenchantement fut complet et je ne
considérai plusl'Eurotas devenu l'Iri que sous le rapport
de la géographie.... Je parcourus ensuite, en y mettant
le temps que méritait le grand nom de Lacédémone, le
vaste espace qu'occupa la cité de Lycurgue je me fusse
;

en vérité cru digne de pitié si je m'étais, au milieu de


ces sacrés débris, borné à parler aux échos, d'autant plus
que si le nom de l'ancien Léonidas est oublié des Spar-
tiates parmi lesquels, dans la guerre de l'indépendance,
périrent inconnus plus d'un Léonidas nouveau, celui
de leur antique chef-lieu n'y est point inconnu et qu'il
suffit de demander au premier venu où fut Lacédémone
pour qu'il vous y conduise. On ne s'y heurtera pas même
contre la cabane d'un chevrier pour faire résonner une
antithèse mais on s'y trouvera dans un isolement
solennel au milieu des vestiges d'une gloire dont notre
enfance s'enivra. » L'ironie est massive, le ton âpre et
déplaisant. Et Bory n'est pas plus tendre pour la Grèce
antique. Personne ne s'entend comme lui à dépoétiser les
grands souvenirs. Vous vous enthousiasmez pour Délos
((autour de laquelle les autres îles tournent en rond
comme dans un chœur»? Mais l'île sainte n'est qu'un
nid à puces, comme toute la Grèce d'ailleurs. Vous
évoquez les belles fêtes d'autrefois, les hymnes sacrés, les
flûtes mélodieuses? Mais cette musique était la même que
les sons nasillards des « panégyri » et il n'y a pas de quoi
s'émouvoir. On dansait à Sparte conmie on danse à
Mavromati :des contorsions d'épaules et de cou, de
5
6t) LA RENAISSAyCE DE LA GRECE ANTIQUE

grands ronds de jambe la pointe en Tair, des pirouettes


qui font voler en rond la fustanelle et la jupe. Il n'en <(

était pas autrement dans l'antiquité. » Chastes nymphes


du Permesse, quel commentaire du virginibiis bacchata
Lacœnisl Le farouche scientifique n"a pas un regret pour
le passé. Fort heureusement la Grèce a des phlomides
frutescents à fleurs des fritillaires, des
blanchâtres,
liliacées printanières, cyclamens, des orchidées
des
pareilles à des mouches. C'est son excuse. La joie du
botaniste a des pardons infinis '.
Les autres sections cependant découvrent une Grèce
antique un peu différente de la Grèce aux flûtes criardes,
aux danses grossières et aux puces carnivores reconsti-
tuée par la divination de Bory. Puillon-Boblaye mesure
les distances des villes et rectifie souvent Pausanias. Le
service géographique lève la carte, jalonne la route,
dresse la statistique des ruines. La section d'architec-
ture retrouve Olympie.
Depuis longtemps la curiosité était éveillée sur cette
ville fameuse qui avait été le centre religieux et l'âme de
la Grèce antique. On ignorait l'emplacement du véné-
rable sanctuaire qui groupait jadis, sur une étendue
imposante, son temple, ses chapelles, ses portiques et ses
palais. Wincke]mann,I\Iontfaucon,Fauvel,Quatremère de
Quincy s'en étaient préoccupés. La Commission de ]Morée
suivit la vallée de l'Alphée et rencontra dans une vaste
plaine des ruines qui avaient déjà intrigué les voyageurs.
Les fouilles établirent que c'étaient bien les restes du
temple d'Olympie. Cette très belle découverte fut com-
plétée par une étude minutieuse des temples de Phigalie
et d'Égine. Les résultats en parurent de 1831 à 1838
dans trois volumes in-folio. C'est une édition de luxe,
admirablement soignée, avec des notes de voyage ville
par ville, des plans, d'excellentes planches pour les
paysages, quelques inscriptions, des coupes de temples,

L Relation, p. 55, 85, 103, Ml, 162, 259, 285, 416.


DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES 67

des reproductions de chapiteaux et de frises, de très


beaux dessins ^
Vers 1830, prestige de Tarchéologie classique est
le
défipitivement consacré.
La littérature grecque, elle aussi, avait son réveil et
ses conquêtes.

1. T. I, Olympie, Navarin, Méthone, Messène, etc.... II, Phi/^alie,

Sparte, Argos, Mycènes, Tyrinthe, etc.... III, Egine, Syra, Délus,


Milo. — Cf., J. des Sav., juillet, août, sept. 1850, mars 1851. —
Badet, VÉcolc d'Athènes, p. GO. — Séance annuelle de Tlnstilut du
30 avril 1831.
CHAPITRE V

RÉVEIL DES LETTRES GRECQUES


I. IGNORANCES ET DÉDAINS. = II. LA RENAISSANCE l'iNFLUENCE DE AVIN-
:

CKELMANN; MADAME DE STAËL; AV. SCHLEGEL LE « COURS DE LITTÉRATURE


:

DRAMATIQUE » LA QUESTION HOMÉRIQUE. = III. POLÉMIQUE CONTRE LA


;

HARPE. = IV. LA PHILOSOPHIE GRECQUE ET LE SPIRITUALISME; COUSIN. = LA


MYTHOLOGIE :NOUVEAUTÉ DE LINTERPRÉTATION. CREUZER ET LA « SYMBO-
lique » : b. constant. = v. la critique du « globe » en matière
d"hellénisme (1824-1829).

AUmaldébut du
connue
xi\^ siècle, la littérature
et peu goûtée.
grecque était

L'Académie des Inscriptions avait bien dans son pro-


gramme « l'étude des langues anciennes », mais elle était
fort occupée à continuer Ihistoire littéraire de la France
et à cataloguer les manuscrits de la Bibliothèque Natio-
nale (collection commencée en 1785). La philologie trou-
vait mal son compte à tous ces travaux. Certains hellé-
nistes des plus réputés n'étaient pas de première force.
Gail était alors dans toute sa gloire, à cause de ses très
nombreuses éditions où figurait un énorme Xénophon
avec la traduction française, la version en latin et plu-
sieurs cartes de Barbie du Bocage. Professeur au Col-
lège de France, conservateur des manuscrits grecs à la
Bibliothèque du Roi, au retour des Bourbons, il inonde
pendant vingt ans l'Académie des Inscriptions de ses
mémoires et communications. Quelques-unes de ses
idées n'étaient point mauvaises. Il demandait l'organi-
sation du travail philologique, vantait les éditions aile-
REVEIL DES LETTRES GRECQUES 6'J

mandes nentendait pas que l'Université se consacrât


et
exclusivement à la rhétorique et au bon goût. Malheureu-
sement, il était horriblement ditTus et lourd, sans action
par conséquent sur le public et d'ailleurs pas très bien
équilibré : il avait la manie du paradoxe, comme celle
de la persécution, et ne pouvait guère être pris au sérieux
lorsqu'on l'entendait, par exemple, soutenir avec chaleur
qu'Olympie et Delphes étaient des villes imaginaires.
Thurot était, en revanche, un esprit éclairé, ouvert à
mainte curiosité et qui mit toute sa joie à donner de
bonnes et solides éditions ^V Apologie de Socrate^ le Gorgias)
et des traductions la Morale d'Aristote, le Manuel d'Épic-
tète> Mais il était aussi peu pressé de produire que Gail
en avait le goût et l'ambition et plusieurs de ses travaux
ne parurent qu'après sa mort. 11 était surtout curieux de
philosophie, tandis que Clavier s'intéressait aux études
historiques etmême préhistoriques. J'ai parlé de la tra-
duction de Pausanias. Clavier représente assez bien cette
magistrature du x^iir^ siècle qui donnait à l'érudition le
meilleur de ses loisirs: mais il travaillait pour lui-même
plus que pour le public, et il travaillait fort lentement.

Il en était de même de l'allemand Hase, élève de Bottiger,


qui encouragea nos érudits à fouiller le dépôt des manus-
crits grecs de la Nationale, mais qui était exclusivement
un savant de cabinet. Les efforts d'un Angelo Mai pour
déchitTrer les palimpsestes, la découverte de trois mille
rouleaux de papyrus dans une villa d'Herculanum n'étaient
pas encore appréciés à leur juste prix « Je crains bien, ;

disait Boissonade lui-même, que nous n'ayons trouvé là


du charbon au lieu d'un trésor. La science de l hellé-

nisme était encore incertaine et bien peu songeaient à


sa vulgarisation *.

1. Eg-ger, Hellénisme en France, t. IL p. 397 et suiv. — Mémoires de


l\Ac. des !.. t. 197 [Notice sur Clavier lue le 23 juillet 18191;
VII, I,

t. XI, I, 122 [Notice sur Gail, juillet 1830;; t. Xll, I, iOl >ur Thurot,
5 août 1836). —
On retrouva, dans les palimpsestes. VAntidosis
d'Iâocrale et la Correspondance de Fronton et de Marc-Aurèle. —
Engelmann, Bibliotheca scriptorum classicorum.
70 LA REXAISSAyCE DE LA GRÈCE AXTIQUE

L'Empire était plus romain que grec. Après la loi du


11 floréal an X qui avait organisé linstruction publique
en France, la loi du 27 frimaire an XI avait réglé les
programmes le grec n'y figurait point. Fontanes avait
:

soupiré, gémi, mais n'avait pu fléchir le premier Consul :

il s'était résigné à souhaiter cjue le « zèle des professeurs


suppléât au silence du gouvernement ». Lui-même d'ail-
leurs,malgré sa ferveur d'helléniste, ne préférait-il pas
Horace et Pline le Jeune à Platon? En ces années-là, le
latin est roi : ta Le discours latin a la
regere imperîo....
place d'honneur dans les études à partir de 1810; Delille
est le grand-prétre du culte de Virgile et sa mort est un
deuil public: La Harpe, l'ennemi des Grecs, le prince
des bienséances et du goût, dirige la conscience de la
jeunesse « Plus j'avance, écrit Lamartine, plus j'estime
:

ce La Harpe. Comme c'est bien pensé, bien raisonné,


bien écrit, sans pointes, sans affectation, sans mignar-
dise! C'estun bon maître en littérature comme Mon-
taigne en philosophie. La Harpe inspire la critique de
»

Dussault, de Feletz, d'Hoffmann, et si Geoffroy s'affran-


chit de son autorité, c'est pour revenir à Corneille et à
Racine, non aux Grecs. Les pseudo-classiques imitent
Voltaire, remontent rarement jusqu'au xvii*" siècle, pra-
tiquent les Latins et ne connaissent pas les Grecs. Ils se
ferment le chemin des hautes sources. Stendhal leur
dira bientôt « Vous n'avez à la bouche c|ue les noms
:

de Sophocle, d'Euripide, d'Homère, et vous ne les avez


seulement pas lus *. »
Ces ignorances et ces dédains pèsent d'un poids
effroyable sur les premières années de la Piestauration.
Mais à ce moment-là, se dessine une renaissance. Coraï
recueille le bénéfice de ses patients efforts. Le philhellé-

1. L. Bertrand, la Fin du classicisme. —


E. Dupuy, la Jeunesse des
romantiques (surtout p. 34 et 302). —
Sainte-Beuve, C. du Lundi, I,
384. — Des Granges, la Presse littéraire sous la Restauration. —
R.' Universitaire, 15 octobre 1898. « la Réforme de renseignement
secondaire sous le Consulat (P. Gautier) ».
RÉVEIL DES LETTRES GRECQiES 71

nisme l'ait relire et rééditer les écrivains de la vieille


Grèce. Burnoid' publie sa Méthode pour étudier In langue
grecque (1813) qui devait rester classic^ue pendant un
demi-siècle. LAllemagne surtout fait justice de nos pré-
jugés et nous commençons à ne plus voir la Grèce à tra-
vers les lunettes de La Harpe.

II

Mme de Staël a dit de Winckelmann L'homme qui : ((

fit une véritable révolution dans la manière de consi-

dérer les arts et par les arts la littérature, cest Winckel-


mann ». mieux que personne pour avoir
Elle le savait
été convertie à riiellénisme par les ouvrages du savant
Allemand.
Car il s'agit bien d line conversion.
Sainte-Beuve a fort malmené les quatre premiers
chapitres de sa Littérature, où elle parle des Grecs.
Egger, au contraire, estimait beaucoup ces vingt pages
où il trouvait plus de substance que dans de gros
ouvrages, « ces esquisses brillantes qui donnent le goût
de la beauté antique ». Je ne sais où Egger a pris cela.
La vérité est que les chapitres en question sont un tissu
d'inexactitudes et d'ignorances, dont j'ai fait le compte
ailleurs *.

L'auteur n'y connaît pas. les Grecs, elle les comprend


moins encore, elle ne les sent pas du tout, ce qui ne
l'empêche pas de les critiquer avec une assurance toute
féminine. Les Grecs n'ont pas de lyrisme, n'ayant pas de
sensibilité ils n'ont peint ni l'amour ni la mélancolie parce
;

qu'ils dédaignaient les femmes; ils ont créé un théâtre


qui ne parle pas à l'âme mais aux sens, ils n'ont pas repré-
senté dans leurs tragédies les passions humaines parce
qu'ils ne les éprouvaient pas; ils n'ont pas été « drama-
tiques parce qu'ils expliquaient tous les événements
)>

par l'action des dieux; ils n'ont su exprimer ni les


l. R. Cnnat, Qux Mme de Staël scripserit de Grœcis (thèse Inline),
72 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

angoisses de mort ni la douleur ni la terreur ni la


la
pitié. Leurs comédies sont pires ; ni psychologie ni
moralité ni goût mais dès œuvres politiques, des satires
bouffonnes, des obscénités. Leur philosophie n'existe pas;
la métaphysique platonicienne est un jeu d'esprit, la
psychologie est enfantine, la morale se ramène à la
vie sociale et politique, la froide raison y étouffe la voix
de Leur histoire n'approfondit ni le mys-
la conscience.
tère des âmes mécanisme des institutions. Et leur
ni le
éloquence, la belle éloquence si goûtée de Fénelon
(rappelez-vous Chez les Grecs tout dépendait du peuple
<<

et le peuple dépendait de la* parole »), n'est qu'un


enchaînement de phrases, une rhétorique sans émotion.
C'est un jeu de massacre d'un bout à l'autre. Les Grecs,
dit-elle en terminant, laissent peu de regrets.
Son ignorance n'explique pas seule sa sévérité. Elle a
ses partis pris, ses thèses favorites auxquelles elle plie
les faits avec un a priorisme touchant. Sa croyance au
a progrès indéfini » exige que les Grecs, qui furent

l'enfance de 1 humanité, n'aient pas dépassé l'enfance de


l'art. Son féminisme ardent condamne une société qui

fît peu de place aux femmes, et une littérature que les

femmes n'ont pas inspirée. Par goût personnel elle


n'aime pas les Grecs; par éducation elle ne pouvait pas
les connaître. -Elle fut élevée, comme son temps, en.
dehors de l'hellénisme. Sainte-Beuve a tout à fait raison
contre Egger, en ce qui concerne la Littérature.
Mais Sainte-Beuve oublie VAUeinagne et l'Allemagne c'est
à peu près la rétractation des premières sévérités.
Un séjour à Weimar a éclairé Mme de Staël « Il n'est :

point de pays, écrit-elle, où les hommes de lettres con-


naissent mieux les langues anciennes et l'antiquité.... Les
souvenirs de la Grèce semblent y être arrivés par corres-
pondance. » Elle rapproche les Allemands des Grecs
pour leurs spéculations métaphysiques. Elle admire
Gœthe pour sa vaste intelligence que rien n'arrête lors-
qu'il s'agit de penser, ni son siècle ni ses habitudes : « C'est
RÉVEIL DES LETTRES GRECQUES 73

le plus grand effort du talent, écrit-elle (VIj)hujéiiLe, que


de se familiariser ainsi avec l'antiquité et de saisir tout
à la fois ce qui devait être populaire chez les Grecs et ce
qui produit à la distance des siècles une impression si
solennelle. » Et voici qu'à son tour elle se met à hellé-
niser, par cosmopolitisme, par élargissement de sa
pensée. Elle sinitie au théâtre grec en lisant ce Schlegel
qui n'a point d'égal « dans l'art d'inspirer de l'enthou-
siasme pour les grands génies qu'il admire ». Et lorsqu'elle
aborde Winckelmann, c'est de l'adoration. « Quand
après un long séjour en Italie il revint en Allemagne,
l'aspect de la neige, des toits pointus qu'elle couvre et
des maisons enfumées le remplissait de tristesse.... On
connaissait des érudits qu'on pouvait consulter comme
des livres, mais personne ne s'était fait, pour ainsi dire,
païen pour pénétrer l'antiquité. Winckelmann a les
défauts et les avantages d'un Grec amateur des arts....
C'est ainsi qu'il faut prendre l'érudition pour guide à
travers l'antiquité les vestiges qu'on aperçoit sont
:

interrompus, effacés, difficiles à saisir; mais en s'aidant


à la fois de l'imagination et de l'étude, on recompose le
temps et Von refait la vie. »

Sa conversion apparaît d'abord en ceci. Elle s'inté-


resse à la statuaire grecque dont elle n'avait point parlé
dans son premier livre. Elle admire les musées des
antiques dans certaines villes d'Allemagne, ou dans
certaines maisons de grands seigneurs et d'hommes de
lettres amis des arts. Elle entend Gœthe lui dire qu'il en
deviendrait meilleur s'il avait sous les yeux le Jupiter
Olympien de Phidias. Elle voit la jeune artiste Ida Brunn
mimer, par ses danses, des scènes antiques et repro-
duire par ses poses, par le jeu de ses draperies, la
beauté des statues païennes. Elle parle de VApollon du
Belvédère et du Laocoon. Elle regarde les moulages, s'inté-
resse à la façon dont les cheveux de Gères étaient relevés
et le torse d'Hercule arrondi. Malgré son inexpérience
encore visible, elle comprend la splendeur de l'art grec.
74 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Et quel changement dans sa manière déjuger la litté-

rature grecque ! Elle s'avise que cette littérature n'est


pas seulement de sentiments ou d'idées
l'expression
mais un art. C'est à la lumière de la divine beauté qu'elle
étudie les merveilleux écrivains. Elle ne reproche
plus à Platon l'enfantillage de sa métaphysique; elle
salue en lui le premier prêtre du « beau idéal ». Elle se
fait une âme antique pour goûter Homère; elle devine

dans ses poèmes l'inspiration populaire de la race


hellénique; elle y retrouve les jolies histoires que les
nourrices de l'Archipel chantaient en berçant les petits
enfants. Elle réhabilite surtout la tragédie dont elle
avait dit tant de mal. « C'est une cérémonie religieuse
qu'une tragédie grecque. Le spectacle se donnait en
l'honneur des dieux. » Sa critique devenait une résur-
rection esthétique et psychologique. Elle avait appris de
Winckelmann à chercher dans la littérature des Grecs
le prestige d'un art et le mystère d'une amei.

Elle était à Vienne quand W. Schlegel y donna ses


savantes leçons sur le théâtre. Elle en fut émerveillée. Le
Cours de Ultératiire dramatique fut traduit par Mme Necker
de Saussure (1813).
Schlegel ne nous aimait guère, à la fois par rancune
politique, étroitesse de goût et taquinerie d'esprit. Il
avait l'humeur pointue et paradoxale. On connaissait de
lui un parallèle fort peu équitable de la Phèdre de Racine
et de celle d'Euripide, qui n'était pas fait pour lui
attirer des lecteurs en Erance. Fort heureusement, il
avait l'admiration plus clairvoyante que la haine. C'est
lui qui, un des premiers, nous a fait goûter l'architecture
gothique, le moyen âge du christianisme et de la cheva-
lerie, la mélancolie des littératures du Nord. Dans
l'hellénisme surtout, il fut un novateur. 11 avait connu
Voss à Gottingue. Comme son maître, il avait cherché
à rattacher l'art antique et l'art moderne; il avait publié

1. De VAllemagne, I, 2; 1, 15; II, 6, 7, lO, 11, 22, 27, 31, 32; lll, 1.
— Egger, Hell. en Fr.
RÉVEIL DES LETTRES GRECQUES 75

quelques poésies inspirées par les souvenirs de la (irèce


et donné des études critiques où il signalait finement
l'hellénisme de Gœthe. Son Cours nous révéla, tout
simplement, la tragédie grecque.
<*Pour bien sentir les anciens, disait-il, et pour les
admirer à leur manière, il faut s'être naturalisé chez eux,
il faut, pour ainsi dire, avoir respiré l'air de la Grèce '>.

Mais qui donc, en France, a respiré cet air de la Grèce ? Ce


n'est ni M. de Voltaire ni M. de La Harpe. Et quant au divin
Anacharsis « Cet ouvrage estimable du côté de l'érudi-
:

tion... prouve plus de bonne volonté pour rendre justice


aux Grecs que de talent pour entrer profondément dans
leur sens.... Ce voyage d'un Scythe ressemble infiniment
à celui d'un Parisien. » Le seul Winckelmann est entré
par la sculpture dans l'intelligence des lettres grecques.
Faisons comme lui puisque les moulages sont par-
tout. Phidias fait comprendre Eschyle; Lysippe et
Polyclète éclairent Sophocle et Euripide. C'est la meil-
leure des recettes, tant que nous n'aurons pas de bonnes
traductions et même lor>s({ue nous en aurons. Rien de
plus ingénieux que cet art de Schlegel pour façonner des
âmes antiques. C'est comme une initiation à de saints
mystères.
Des mystères en effet la tragédie grecque est si mal
:

connue, si peu comprise! Schlegel la ressuscite. Il parle


d'abord de la partie matérielle et mécanique du théâtre :

construction, décor, masques, déclamation, plastique


de la scène. Ces détails un peu insignifiants aujourd'hui
étaient alors tout nouveaux, agréablement présentés, et
d'ailleurs intéressants pour des esprits que séduisaient
toutes les formes de couleur locale. Sur le fond même de
la tragédie antique, l'œuvre de Schlegel est de tout
premier ordre. Deux leçons consacrées aux unités
démontrent avec évidence que si Aristote fit une allusion
très vague à l'unité de temps, il ne dit rien de l'unité de
lieu et que les poètes ne s'en soucièrent pas davantage.
Et que de surprises encore pour un public longtemps
76 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

égaré! Schlegel fait goûter cet Eschyle qu'on ne lisait


guère et dont il interprète les beautés sévères et la poésie
un peu sauvage; il réhabilite Aristophane, le drame saty-
rique et les aimables négligences de ces grands artistes
qui eurent bien quelques parties enfantines, mais c'était
« l'enfance d'Hercule qui étouffait des serpents dans son

berceau ». Il est surtout très attentif à distinguer les Grecs


de leurs imitateurs, les pseudo-classiques et, en revanche,
à rapprocher les Grecs des « barbares du Nord ». Il appa-
rente Shakespeare à Eschyle. Il y revient souvent, il sent
que le terrain est excellent et il s'y installe sans trop
vagabonder ailleurs, bien qu'ennemi de l'unité de lieu.
Ces idées devaient avoir un immense retentissement.
Tout ce que nous avons connu et aimé des tragiques
grecs, sous la Restauration, nous est à peu près venu
delà». -

Les Allemands nous entraînaient sur tous les terrains.


Après le théâtre grec l'épopée. La question homérique,
soulevée par les Prolégomènes de Wolf, commence à se
poser chez nous.
Elle commence seulement. Ce fut dur. Nos savants
résistaient en bons et loyaux humanistes. 11 leur semblait,
a dit Sainte-Beuve, aussi absurde de croire à une Iliade
sans Homère que de croire à un monde sans un créateur
et sans un Dieu. Ils avaient le déisme d'Homère tandis que
l'Allemagne en était au polythéisme ou au panthéisme en
cette matière. Ils fuyaient les occasions d'en parler.
Boissonade n'en disait rien dans un article sur la traduc-
tion de Bitaubé, et plus tard, dans son Homère de la
Collection Lefèvre, il se tirait d'affaire par une pirouette.
Letronne se bornait à affirmer qu'Homère semblait

1. Schleg-el, Leçons II, III, VI, X, XI et spécialement


Cours....
t. I, 76, 152, 157;75 à 131 t. III (Eschyle et Aristophane).
t. II. ;

Mme de Staël, De VAllem., II, 31. —
Suintc-Bcuve, Port. Cont., V,
329. —
Texte, VInJlucnce allemande pendant le romantisme, 212. —
Ph. Ghasles, Études sur Vantiquité, 252.— fi. des D. M., 1^'" février 1846.
— Jouin, D. d'Anyers et ses Bel. Liit., 51.
RÉVEIL DES LETTRES GRECQUES 77

« avoir pris à tâche de se rendre mystérieux. Mais ce


»

mystère n'était pas pour décourager les curieux, bien au


contraire. Les normaliens Viguier, Cousin, Guigniaut,
jeunes et ardents, allaient à la découverte. 11 devenait
du reste, de plus en plus difficile, desquiver le problème :

Homère était alors au croisement de tant de routes! La


question homérique se trouvait liée au problème reli-
gieux et aux enquêtes sur la mythologie. Elle ne pouvait
guère se séparer non plus des études sur la poésie popu-
laire qui avaient la faveur des érudits et du public.
En cette matière délicate, les conjectures, comme on le
pense, se donnaient libre cours, le roman se mêlait à la
science et la supercherie prenait souvent les airs de l'éru-
dition. 11 paraît en 1829 un livre singulier Ulysse-Homère
<(

ou du véritable auteur de l'Iliade et de l'Odyssée par


Constantin Koliadès >). Ce Koliadès se disait professeur à
l'Université ionienne. Après enquête on découvrit que ce
pseudonyme cachait Lechevalier en personne, l'auteur du
Voyage en Troade, l'ami de Marcellus, celui qui mettait la
main sur son cœur pour retrouver l'emplacement des
monuments antiques. Depuis Ossian, la mode était aux
duperies littéraires et Koliadès n'effaroucha pas plus que
Clotilde de Surville ou Joseph Delorme, il fut seulement
moins malin. Aussi quelle histoire extraordinaire il est
allé chercher ! 11 se prétend fils d'un Grec d'Ithaque qui
lui aurait dit en mourant : « Tu descends du fidèle
Eumée. Rends au d'Ithaque les honneurs de ses
roi
poèmes ». Le secret, bien gardé dans la famille d'Eumée
si

depuis trois mille ans, devait enfin être révélé au monde :

le véritable auteur des poèmes homériques c'est Ulysse.


Et Koliadès prouve par d'indiscutables raisons d'où il
le
ressort que la science confirme letémoignagne de la des-
cendance d'Eumée. Homère c'est Hom-êros, c'est-à-dire :

identité du poète et du héros, ce qui est clair comme le


jour, à moins encore que ce mot ne signifie o mêros, la
cuisse, parce que le poète Homère avait, suivant une
tradition venue des bords du Nil, une tache à la cuisse et
78 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

qivUlysse, comme chacun sait, avait été blessé à la cuisse


en chassant le sanglier. Letronne s'amusa fort de ces
inventions, mais Ihistoire fît parler d'Homère, dans le
public, plus que n'auraient fait dix communications déru-
dits scrupuleux.
Cest d'ailleurs à ce public que s'adressent les savants
par des traductions, des préfaces, des articles de
journaux. Ch. Magnin examine dans le Globe le système de
Wolf; Bignan fait précéder une traduction en vers de
l'Iliade d'un Essai sur l'épopée homérique (1830), la même
année où Dugas-Montbel réédite d'anciennes traductions
des poésies homériques et y joint une Histoire des poésies
homériques qui fait un beau tapage. On y lisait en effet, à
l'appui de la thèse de Wolf, des réflexions dans ce goût :

(( Pour moi, tout vit et tout respire dans ces poésies


sublimes.... La grande erreur est d'avoir voulu juger ces
cris de l'inspiration comme tout autre production litté-
raire.... Je regrette que nous n'ayons pas au moins les
poèmes du temps de Pisistrate; mais enfin, même dans
l'état où nous les a transmis l'école d'Alexandrie, nous
pourrons apercevoir ce qu'étaient ces poésies lorsque
dans le palais des rois elles faisaient couler d'abondantes
larmes.... J'ai quitté sans regret un Homère fabuleux pour
retrouver d'antiques poésies^ nationales, pleines de vie et
de candeur, que voilaient à nos yeux de fausses tradi-
tions. »
Après 1830, les discussions se poursuivront entre parti-
sans et adversaires d'Homère, devant le public pris pour
juge, soit dans les cours de la Sorbonne, soit dans les
grands périodiques ou même dans les journaux mon-
dains. 11 suffît d'indiquer ici d'où partit le courant. C'est
encore l'Allemagne qui nous fit relire Homère, comme
elle nous faisait relire les grands tragiques *.

1. Surquestion homérique en général Croiset, Ilist. de la Litt.


la :

gr., I, 3. —
Egger, Mém. de Litt. anc, 68 à 110. —
Hillebrand,
Traduclion de la Litt. gr. d'O. Millier, t. II, première note en appen-
dice. —
Cf. aussi, J. des Sav., déc. 1829. —
Sainte-Beuve, Étude sur
RÉVEIL DES LETTRES GRECQUES 79

III

Undes grands obstacles au réveil de l'hellénisme était


le culte deLa Harpe. Il fallait démolir La Harpe et son
célèl)re Cours de litlérature, publié en 1799 et plusieurs fois
réimprimé.
Boissonade avait attaché le grelot dans les articles
érudits et malicieux qu'il donna régulièrement au Journal
de l'Empire.Il pardonnait beaucou[) à Voltaire en faveur

de son esprit, mais il ne pouvait souffrir La Harpe. (a\


sont de j)er[)étuelles escarmouches. La Harpe avait dit
qu'une traduction d'Anacréon était impossible; Hoisso-
nade cite celle de Saint-Victor qui était en préparation
et La IIarp3 qui répondait à tout, ici, je crois, serait
((

embarrassé ». La Hari)e avait affirmé qu'Aristote ne fut


pas poète; Boissonade riposte par l'Hymne à la vcrlu et
s'étonne qu'un pareil « philologue ait [)ubliquement
disserté sur la littérature ancienne ». La Harpe avait
j)arlé tout de travers d'une ode de Sapho; Boissonade
réplique La littérature grecque de M. de La Harpe
: ((

n'allait i)as même jusqu'à connaître une ode connue de


toutle monde. M. de La Harpe savait très bien le français
mais ce qu'il savait i)eu et mal c'est le latin, c'est le grec
et [)Ourtant il en parle avec une assurance en vérité bien
extraordinaire .» Et quand on api)elle un fabuliste Gabrias
pour Babrias, on est digne de tous les mépris, ('e ton
narrpiois et trancpiille ruinait peu à i)eu le prestige du
grand homme. Boissonade termina en 1813 son rôle d(î
journaliste^ mais l'effet était iiroduit. Ses articles sont
souvent rappelés sous la Bestauration.
Népomucènc Lemercier suivit le sillage et attaqua
La Harpe dans cette même chaire de l'Athénée où son

Virgile, 423. — Fauriel,


Cours de 1835-1830 (comple rendu par Egg-er
dans douze articles du Journal de
l'f. P. résumés dans l'Annuaire de

l'Assoc. des éludes gr., 1880). —


Quinet, /?. des D. M., ITi mai 1830. —
Encyclo[)édie des gens du monde, t. XIV. —
Guigniaut, l^^tudc en léte
du Dictionnaire d'Homère et des Homérides d(^ Theil.
80 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

devancier avait —
soyons classique —
instruit ses
auditeurs dans lïgnorance. L'Athénée, qui se traîna
jusqu'au milieu du xix^ siècle, connut encore de beaux
jours jusqu'aux grands succès de la Sorbonne et du
Collège de France. Lemercier y parla pendant plusieurs
années, devant un auditoire fort nombreux, de la tra-
gédie, de la comédie et de l'épopée. Le Cours analytique
de littérature fut publié en 1817. 11 a mauvaise réputation.
Lemercier est le monsieur qui a catalogué les vingt-six
conditions de la tragédie, les vingt-trois de la comédie,
les vingt-quatre de l'épopée et défini en un style vieillot
du « bon goût ». Eh ouil son livre est passable-
les règles
ment ennuyeux; mais il n'est pas du tout l'Art poé-
tique du pseudo-classicisme. Il est même tout l'op-
posé.
(( La Harpe plut beaucoup et n'instruisit guère; tâchons
de plaire autant et d'enseigner mieux. » Voilà Tesprit et
le ton du cours. Si Lemercier attaque les brumes germa-
niques et les vapeurs romantiques, ce n'est pas pour
restaurer le prestige des derniers classiques. Ses amitiés
et ses dieux ne sont pas là. Sa ligne de retraite, c'est la
beauté grecque. Et il en veut gros à La Harpe de l'avoir
méconnue. Il intitule un de ses passages les plus sar-
castiques « Entretien supposé entre La Harpe et un
:

Athénien qui réfute ses opinions injustes sur la comédie


grecque ». Ces pointes irritaient les partisans de La Harpe
qui firent un jour une belle sortie à l'orateur. Lemercier,
que rien ne troublait, en fut quitte pour dresser, dans la
leçon suivante, le bilan de son prédécesseur, faire la
part de ses qualités et ajouter aussitôt « Je n'ai pu le :

louer de déprécier le sublime Corneille ni de rabaisser


en faveur de Voltaire la grandeur des tragiques grecs.
Je n'ai pu le louer d'avoir méprisé jusqu'à l'excès
l'extraordinaire Aristophane, d'avoir épuisé sa dialec-
tique à défendre la Henriade et d'avoir négligé d'appro-
fondir Homère. » Par ses malices et ses brusqueries, il

ne cessait de piquer ses auditeurs, de leur inspirer la


BÉVEIL DES LETTRES GIŒCQLES 81

ciiriositô de ses cliers anciens. Kt le docte Ilaynouard


len chaudement.
félicitait
11 disait en effet des choses excellentes, qui n'étaient

pas toutes absolument neuves puisque Schlegel avait déjà


passé par là mais qui ne perdaient rien à être présentées
sous un aspect très personnel. Ainsi il goûte la douceur
et la pureté de 1 art grec, la délicatesse des peintures, le
pathétique mesuré d'OEdipe-Roi, la beauté de Laocoon
étreint par les serpents. Il connaît les nuances et les
secrets de la prosodie et du rythme et s'il parle des
« héllénismes harmonieux » de Racine cest que son
oreille a saisi, dans le récit de Théramène et dans les
chœurs d'Athalie, certains effets d'harmonie imitative à
la façon antique. « Ne doutons pas que les Athéniens
n'eussent apprécié la douceur et la grâce inconcevable
de ces strophes que chantent les Israélites en l'honneur
du petit Joas. » Mais surtout, et c'est ce qui me frappe
le plus, il ne ramène pas les grâces de la muse grecque
aux élégances de l'académisme. Cette beauté hellénique,
il la sent correcte mais non glacée, sereine mais non
compassée, réservée mais non timide. Il lui sait gré de
son naturel et de ses hardiesses. Il a du goût pour la
saveur un peu âpre de cet Eschyle dont il s'était inspiré
pour son Agamemnon; il comprend le pathétique d'Euri-
pide et qu'Alceste mourante, faisant ses adieux à son
mari et à ses enfants, n'est pas une figurine de boudoir ;

il préfère Laocoon à l'Apollon du Belvédère; il rapproche

volontiers l'art grec de l'art anglais.


Le Collège de France ne restait pas indifférent.
Daunou y ouvrit un cours d'études historiques qu'il
poursuivit onze années au milieu d un enthousiasme
• dont Augustin Thierry a témoigné; les historiens grecs
furent sérieusement étudiés. Andrieux, titulaire de la
chaire de français, était un singulier personnage. Il
racontait ses petites histoires, ses démêlés avec sa chatte
et sa gouvernante; très aimable pourvu qu'on ne mît
pas le romantisme sur le tapis, fort amusant par ses
6
82 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE-

impromptus, souvent délicieux quand sa fantaisie séga-


Son
rait à travers Ihellénisme. Elle s'y égarait volontiers.
café au lait mal cuisiné ou servi de travers lamenait à
parler des Économiques de Xénophon. Il savait le grec à
merveille; il avait préludé au théâtre par une bluette
grecque, dans ce ton xviii° siècle quAnacharsis avait
mis à la mode. Patin la loué de ses causeries délicates
sur le théâtre grec, et Patin est un bon juge. Andrieux
rectifia les interprétations fantaisistes d'Eschyle par
La Harpe, dans une dissertation sur le Promélhée. Cet
aimable conférencier ne manquait ni d'érudition ni de
solidité mais il en usait avec goût. Patin, qui l'estimait,
mit à profit cette méthode lorsqu'il eut à parler d'hellé-
nisme devant le public mondain des Bonnes-Lettres. Et
l'on a vu que le cours de Patin, c'était encore une
nasarde pour La Harpe.
A partir de 1824, la Sorbonne est le terrain où se
livrent les dernières batailles contré La Harpe et les
plus décisives. Villemain s'y attaqua aux préjugés du
xviii'^ siècle. 11 fit pour l'hellénisme ce que Chateaubriand
avait fait pour le christianisme.
On l'avait élevé de l'hellénisme. A douze
dans le culte

ans, il jouait la tragédie en grec, ce qui n'est ni très


extraordinaire ni très probant. Mais ses maîtres surent
lui inspirer le sens des lettres grecques et lui donner ce
fond exquis si favorable ensuite à toute culture. Son
Cours de 1824 faisait déjà habilement servir le philhellé-
nisme à la cause de l'hellénisme. Le Cours de 1827 attesta
combien il était maître de l'antiquité et des sources
grecques encore si peu fréquentées.
Ce cours est devenu, après quelques remaniements, la
Littérature au xviii"^ siècle. Mais qu'il étudie Voltaire, Pope,
Alfieri, l'abbé Barthélémy, B. de Saint-Pierre ou Chénier,
le conférencier ramène tout aux Grecs et parle des Grecs

à propos de tout. 11 a toujours derrière lui, pour fond de


scène, les lignes de l'horizon attique et son livre est,
en quelque manière, un «. Hellénisme en France au
RÉVEIL DES LETTRES GRECQUES 83

xviii" siècle ». est pas ménagé, mais sans


La Harpe n y
violence ni polémique. Villemain en tient pour les formes
subtiles, prudentes, enguirlandées; c'est un roué et un
câlin. « Un. homme dont il faut parler avec une estime
vraie, un homme qui avait porté dans la critique ce qu'il
y a de plus rare peut-être, l'éloquence et lémotion,
La Harpe est supérieur, sous plus d'un rapport, quand il

n'a d'autre antiquité à examiner que le xvii*' siècle. Mais


échappe à demi. Souvent
la vraie, la vieille antiquité lui
il a l'air de n'avoir pas lu les écrivains dont il parle
avec admiration. Je ne rappellerai pas les expressions
trop amères dont le célèbre helléniste Brunck s'est servi
pour relever les fautes de La Harpe dans les traductions
de Sophocle. Les traductions fréquemment semées dans
le Cours de littérature sont remplies des fautes les 'plus
graves, les plus inattendues. L'esprit antique y est sans
cesse altéré et la pensée de l'original souvent défigurée
par les plus singulières inadvertances.... Ajouterai-je
mille erreurs de détail relevées par les savants étrangers
ou français? Dirai-je que, parlant d'Aristote, La Harpe
a oublié qu'Aristote a fait des vers, un hymne sublime?
dirai-je qu'il n'a rien dit d'une foule de fragments pré-
cieux de la poésie grecque, qu'il juge Aristophane,
Pindare, Thucydide, Xénophon, Térence, Tite-Live avec
une légèreté ou une brièveté singulière? dirai-je enfin
que l'auteur du Cours de Littérature semble un guide infi-
dèle, trompeur, toutes les fois qu'il s'agit de littérature
ancienne? »
L'ardent général Foy, grand ami des études classiques,
était venu un jour entendre Villemain. La jeunesse des
écoles lui fit une ovation. Le général, craignant d'avoir
compromis le professeur, alla lui faire visite et lui pré-
senter ses excuses. La conversation s'engage. Foy se
lance dans un éloge enthousiaste de Démosthène que ce
misérable La Harpe a travesti. Villemain propose de lire
la traduction qu'il vient d'achever d'un passage du
Discours de la Couronne. 11 commence : « Bien, dit le
84 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

général aux premières lignes, je ne suis plus au greffe


de la Tournelle, je sens lair libre et le jour de la place
publique d'Athènes. » 11 poursuit sa lecture, constam-
ment interrompu par son auditeur qui approuve, loue
Villemain, loue Athènes, disserte sur rabaissement des
cités grecques puis brusquement arrache les feuillets
avec un cri d'admiration et déclame d'une voix grave et
passionnée le fameux serment « Non, vous n'avez pas failli,
.

Athéniens!... » \i[. ce fut le tour de Mllemain d'admirer


ce diable d'homme qui exprimait si bien par son accent
ce que lui-même avait voulu rendre par la précision
énergique de son style. Villemain avait toujours pensé
que La Harpe s'était trompé sur le génie de Démosthène.
« Son erreur continue, disait-il, c'est de faire ressembler

Démosthène à un écrivain élégant du xviii® siècle. Est-ce


Torateur grec qui a dit, au milieu dun mouvement fort
animé Le succès est dans la maiit des dieux, Tintention
:

est dans le cœur du citoyen? Non certes, Démosthène,


dans toute sa vie, n'a pas fait une semblable antithèse. »
Le grand reproche de Villemain, c'est que La Harpe a
ajjadi l'art grec dans sa critique, dans ses traductions et
dans ses adaptations comme l'est sa tragédie de P/ii/ociè/e.
La Harpe partageait toutes les légèretés et toutes les
ignorances de son temps. Villemain, dans ses leçons
un peu décousues mais intelligentes, fait le procès des
imitateurs de Fhellénisme au xviii'' siècle.
Voltaire n'est pas Grec parce qu'il a voulu u perfec-
tionner Sophocle, parce qu'il a fait débiter à son OEdipe
))

des douceurs conjugales et des madrigaux, parce qu'il a


adouci son désespoir et n'a pas montré aux spectateurs
ses yeux crevés et sanglants. Aussi La Harpe disait-il avec
enthousiasme que Voltaire avait « poli le marbre » de
Sophocle.
Pope, traducteur d'Homère, n'est pas Grec. Sa fade
élégance altère la sincérité du texte. L'Achille homéri-
que dit très simplement « Je n'ai rien à demander aux
:

Troyens, car ils n'ont jamais enlevé mes génisses ni mes


iiÈvEif. DES ijyiTUKs r.ni:cQii:s 85

chevaux; ils n'ont jamais rava^(' les moissons dans la

torre de; IMithio, fccondc^ et ^^ncM'rièiv»; oidrc* nous, il y a


trop ûo montagnes (•liarf*"(M's de l'oi'ots (^t la nici' iv'toidis-

safito. » Mcout(v. de IN)|)(^ l.cs loiidains


la |)ai'a|>lii'as(' : «(

habitants de Troie ne mOnt jamais <)ITens(''; ils n'ont pas


eondin't de ti'onpes ennemies dans le royaume de IMdhie;
mes coni'siei's l)elli(pienx paissent en sni'el(''; dans ses
vallons; an loin, la mer I'{^tentissante et les lUMnpai'ts d{^s
rocliei's i^a l'an lissent mon empire natal dont une moisson
abondante dcM-ore le sol feilile, rielie de ses IVinlset <le

sa race j^nerrière. »

Alli(;i'i n'est |)as (Ji'cc. Il ci-oyait l'être. Il avait inslilu('^

Tordro des Clnnaliers d'Ilomèi'e l'ait i^raver sni- un (\\.

médaillon un disiicpuî i^n-ec siu^niliant « Allieri s'étant :

fait lui-mouK^ chevalier d'IIomèrc! a inventé un hoinuMir


plus divin cpu^ c(mi\ (pu vienneid des lois. » Malheureu-
semeid, amour n (''claire pas toujoni's ceux (piil lieid,
I

sni'tout «piand il les pi-end sur le tard, et Allieri avait


(puu'ante-huil ans bien sonnc'^s, (piand il biMMa pour la

(irèce anli(pie. Son nuM'ite l'ut de sentir réiUM'i^ie de


riiell(''nisme, son tort l'ut iVvw rester là. Sa nuise Apre et
dure n'a pas su consei'vei' leur |>ers|)eclive poélicpie aux
sujets lir(''s de I liclh'Miisme. Mlle a lait de l'art romain,
croyant de lart v^vvv,. Mlle n'est pas i-ennud/'e jus-
l'aii-e

(pi'aux divins modèles.


VA. ainsi du reste, .l'arrèle les e\ein|)les. \ illenniin, en
c^xcellent discij)le de Lmiiercier, inlcrpiv'jait la i^randeur
d'Mscliyle, le palli(''li(pie d'Muri|»ide, la roiiL;iie {\(\

I)(''mosthène, la simplicit('' d'Ilomère, et, ce laisanl, il

ruinait" la (irèce selon M. iW la Harpe > et il n'allait pas


tai'der à ruiner ^ la (Irèce selon lablx'' r.arlh(''lemv ' >'.

1. I\^'^cr, llcll. m /''/•., II. :{||. - SaiiUc-Hcuvc, C. du /.., V. —


Hoissoiiadc, jirlii'.lcs iccunllis diiiis (;()lin<'.amp, lioistioruulc el la Cri-
liilLic LUI. sous le lu-cuiici- Euipirc, 1, 10, 40, TK), (»7, 120 (lire les
2i),

Nolic-os (h; NaiidcL cl de (^oiiiicatnp). — Sainte Hciivo, JSvx Uiiidis,


VI. — l'^fi;;!'!-, iMnn. de lill. anc. - \.v\\\c.vnv\-, Cours... I, 17, 49, 241),
288, 4:)5, 47(), n:!:!; Il, S, 85; III, 71), 127, Kil); IV, ISl. J. des Sav., —
fév. 1818, j». 101. — Saiiilo-Hcuvc, /'o//. Coiil., IV; d'il, cl l'orl.,
86 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

IV
Un heureux concours de circonstances favorisait sur
tous les pointsle réveil des lettres grecques. La philoso-
phie moderne, orientée vers le spiritualisme, chercha
dans Platon ses arguments et sa justification.
Platon, déjà célébré par Mme de Staël, avait la
place d'honneur dans les entretiens du délicat Joubert,
dont les Pensées attestent l'intimité de son spiritualisme
et de son hellénisme. Victor Le Clerc traduit des frag-
ments de Platon. Letronnc écrit « Tout le monde :

parle de Platon mais peu de gens le connaissent ».


Letronne juge d'ailleurs impossible de traduire com-
plètement Platon. Il était mauvais prophète, ce qui est
fort désagréable quand les démentis sont du lendemain.
V. Cousin venait d'exposer dans plusieurs cours les fon-
dements de sa doctrine spiritualiste. En 1821, il lance le
prospectus d'une traduction de Platon en neuf volumes et,
tout de suite, il se met courageusement à l'œuvre. Sa
révocation de la chaire qu'il occupait à l'École Normale
lui donne des loisirs. Il fait plusieurs voyages en Italie
pour consulter les manuscrits il interroge des hellénistes
;

de marque. Hase, Boissonade, Courier, le normalien


Viguier; il écrit à Schleiermacher, professeur à Berlin,
qui avait lui aussi commencé une traduction de Platon
et à qui il reproche la version un peu trop littérale et
obscure de son texte « Mon but a été d'intéresser davan-
:

tage aux études philosophiques en France par la traduc-


tion du grand philosophe de l'antiquité. J'ai donc dû
avant tout tâcher d'être lisible. Mais en même temps j'ai
voulu rester fidèle à Platon. » Cousin avait l'ambition de
travailler pour le grand public. On accordera qu'il n'a
perdu ni son temps ni sa peine. B. Saint-IIilaire l'a vengé

II. — Legouvé, Soixante ans de souvenirs. — Patin, Trag. grecs, IV,


394. — Villemain, La Lilt. au XVIIP s., I, 74, 142; III, 109, 244, 316
(lire surtout les leçons 4, 7, 34 à 30). — Sainte-Beuve, Port. Cont.,
II, 362.
RÉVEIL DES LETTRES GRECQUES 87

des chicanes des ériidits qui lavaient accusé de ne pas


savoir le grec et J. Simon lui rendait cet hommage :

« comprendre Platon posséder à fond sa doctrine


J'appelle
et de plus partager son inspiration et ressentir le souffle
poétique qui l'anime. Platon raconte dans l'Ion qu'il y a
comme une chaîne depuis les Muses jusqu'aux hommes
inspirés; que les poètes, enfants des Muses, en sont les
premiers chaînons, et puis les rhapsodes et tous ceux qui
ressentent la contagion divine de l'inspiration et de la
poésie. Platon est au plus haut bout de cette chaîne et
personne ne pourra ni le traduire ni le comprendre s'il

n'en fait partie. Aussi voyez quels sont les vrais traduc-
teurs de Platon : en Allemagne, c'est Schleiermacher et
chez nous, M. Cousin. » La traduction commença à
paraître en janvier 1822 et fut achevée en 1840.
Ainsi prit naissance le culte de Platon que nous verrons
s'épanouir à travers tout le romantisme jusqu'à l'œuvre
de Laprade, le chantre de Sunium-:

Je vous vois, ô vieillard, assis sous les portiques


Et marchant lentement sous les platanes verts
Et sur un lit d'ivoire, en ces festins antiques
Où coulaient à la fois le nectar et les vers....
En même temps se renouvelait complètement l'inter-
prétation de la mythologie grecque, devenue, au grand
étonnement des vieux classiques, une province de la
philosophie.
Le guère vu qu'un tissu d'agréables
xviii° siècle n'y avait
fictions ou de galantes aventures. Les Lettres à Emilie
de Demoustier, parues en 1786, dissertations sentimen-
tales, mêlées de petits vers, sur les personnages et les
épisodes de la fable remportent dans les premières années
du xix° siècle un succès que prouve le nombre incroyable
des éditions. C'est l'époque où Petit-Radel disserte
sur les aventures de la vache lo et dresse, dans un
mémoire, le tableau synoptique des amants d'Hélène.
Nos érudits ne pensent pas que la mythologie ait pu
raconter autre chose que les légèretés de Vénus ou les
88 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

scènes de ménage de evhémérisme brutal,


Jupiter. Cet
pour être trop galant, apparaît encore dans l'Histoire des
premiers temps de la Grèce de Clavier et dans les Recherches
sur les mystères du paganisme de Sainte-Croix.
Le romantisme naissant n'aime point la mythologie
qui lui semble manquer de profondeur. Mme de Staël

avait écrit dans la Littérature a La religion chrétienne


:

qui, séparée des inventions sacerdotales, est assez rappro-


chée du pur déisme, a fait disparaître ce cortège d'imagi-
nation qui environnait l'homme aux portes du tombeau.
La nature, que les anciens avaient peuplée d'êtres protec-
teurs qui habitaient les forêts et les fleuves et présidaient
à la nuit comme au jour, nature est rentrée dans sa
la
solitude et l'effroi de l'homme s'en est accru. » (I, H.) Et
Chateaubriand, dans le Génie : « La mythologie, peuplant
l'univers d'élégants fantômes, ôtait à la création sa gra-
vité, sa grandeur et sa solitude. Il a fallu que le christia-
nisme vînt chasser ce peuple de faunes, de satyres et de
nymphes, pour rendre aux grottes leur silence et aux
bois leur rêverie. Les déserts ont pris sous notre culte un
caractère plus triste, plus grave, plus sublime; le dôme
des forêts s'est exhaussé.... )> (2'' partie, IV, i.)

La Symbolique de Creuzer ébranla vigoureusement les


préjugés. Creuzer pensait que les mythes grecs étaient
le poétique et symbolique déguisement d'anciennes leçons
transmises jadis par les prêtres de l'Orient. Il expliquait
comment sens primitif s'était peu à peu voilé sous les
le

merveilleuses inventions d'une race cjui sacrifia le fond à


la beauté des formes, aux plaisirs de l'imagination. 11
s'efforçait de retrouver par une critique ingénieuse la
signification obscurcie de la légende. Il relisait à ce point
de vue les premiers écrivains de la Grèce pour saisir,
derrière les textes, l'ame et la vie des lointaines généra-
tions.
Son publié en 1810, n'est signalé chez nous que
livre,
dix ans plus tard à l'occasion d'une seconde édition.
Guigniaut entreprend de le faire connaître et commence
RÉVEIL DES LETTRES GRECQUES 89

en 1823 un ouvrage qui, dailleurs, est plutôt une adapta-


tion qu'une traduction. Il met vingt-cinq ans à l'achever.
Mais déjà le meilleur de la Symbolique avait passé chez
nous par le livre de B. Constant De la Religion (trois pre-
miers tomes, 1824, les deux derniers, 1831).
Les Français n'y sont guère épargnés. Constant a de
l'humeur et de la dent contre ceux de nos écrivains qui
ont traité le problème religieux il ne ménage un peu que
:

Fénelon, Montesquieu et Rousseau. Il parle sur un ton


narquois « de la manière dont on a .jusqu'ici envisagé la
religion ». Il raille Bossuet et Voltaire; il n'aime pas Cha-
teaubriand qui « a fait valoir l'utilité du christianisme pour
la poésie, comme si un peuple cherchait à sa croyance de
quoi procurer une mythologie à ses versificateurs. » Il
s'indigne de liotre long dédain pour les mythes popu-
laires. « Il est bien plus important, disait Villoison, de
connaître la véritable et seule doctrine des philosophes
et des savants sur la divinité, l'univers, Tâme et la nature
que de du vulgaire et les
recueillir les fables stupides
absurdes amplifications des poètes. Nous pensons préci-
sément le contraire. » En revanche, il ne tarit pas d'éloges
sur Creuzer et la critique germanique. « Le point de vue
nouveau sous lequel l'Allemagne savante considère
aujourd'hui la religion a étéd une immense utilité. On lui
doit depuis quelques années d'admirables découvertes
sur les<rapports des religions entre elles, sur les commu-
nications des peuples, sur le lien commun des mytholo-
gies. Onlui doit de connaître Tantiquité dans sa profon-
deur et dans son charme. Nos érudits avaient étudié les
monuments et les traditions des temps écoulés comme
les couches d'un monde sans vie ou les squelettes d'es-
pèces détruites. Les Allemands ont retrouvé dans ces
traditions et ces monuments la nature de l'homme, cette
nature toujours la môme bien que diversifiée et qu'en
conséquence il faut prendre pour la base vivante de
toutes les recherches et de tous les systèmes. La Grèce et
l'Orient, dans les écrits de Fréret, de Dupuis, de Sainte-
90 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Croix ressemblent à des momies desséchées. Sous la


plume de Creuzer de Gôrres, ces arides momies devien-
et
nent d'élégantes et admirables statues, dignes du ciseau
de Praxitèle et de Phidias. »
La Grèce a chez lui, comme chez Creuzer, la place
d'honneur. Constant essaie de retrouver, d"après les
sources qu'il tient et celles qu'il fait jaillir, le courant
religieux dans IHellade primitive, il démêle la part des
créations spontanées et celle des apports étrangers, il
distingue les éléments véritables du polythéisme grec et
les modifications que l'esprit indépendant des Grecs fît
toujours subir à ce qui lui vint de l'étranger. Il applique
la méthode de Creuzer, il marque le lien des légendes et
des paysages. Le myrte de Trézène a ses feuilles percées :

c'est que Phèdre, dévorée d'un amour funeste, en a piqué


les feuilles avec une aiguille d'or. Le fleuve qui coule près
d^ Mantinée s'appelle Ophis : c'est qu'un serpent (en
grec ophis] servit de guide auxiiabitants de cette ville qui
cherchaient une patrie. Le rocher du mont Sipyle res-
semble à une femme penchée vers la terre c'est Niobé
:

courbée sous le poids de sa douleur. Mais surtout, les


écrivains sont étudiés de très près pour éclairer la marche
du polythéisme et ses changements à travers les âges.
Cent cinquante pages caractérisent le sentiment religieux
chez Hésiode, Pindare, les historiens, les tragiques, Euri-
pide, Aristophane. Les philosophes, il fallait s'y attendre,
sont laissés de côté comme ne donnant presque rien.
Homère, à lui seul, remplit deux livres du troisième
tome. Constant apprend beaucoup à la lecture d'Homère.
Il connaît « l'embellissement des formes divines » dans le

polythéisme de l'Iliade, « le caractère des dieux », « les


notions grecques sur la destinée » (ce sont autant de
titres de chapitres). Il démêle l'unité primitive de la race
hellénique, les mœurs et les croyances dune civilisation
toute différente de celle d'Hésiode et des lyriques. 11
trouve la preuve, si longtemps cherchée, de la non-exis-
tence d'Homère.
RÉVEIL DES LETTRES GRECQUES 91

du livre sous le titre « Digression néces-


C'est la surprise
saire sur lespoèmes attribués à Homère » quatre cha- :

pitres pour démontrer que Tétat social de l'Odyssée ne


ressemble pas à celui de l'Iliade et qu'ainsi les deux
poèmes, appartenant à des époques différentes, ne sont
pas rœuvre d'un seul écrivain. Constant rattache très
habilement la mythologie à la philologie et au problème
qui passionnait Topinion. Et c'était encore tout bénéfice
pour la connaissance de la Grèce antique ^

Dressons le bilan. Dans les dernières années de la Res-


tauration, la Grèce antique est entamée sur tous les points.
Son histoire est par le philhellénisme, ses
réveillée
croyances par les études mythologiques, son art par les
grandes découvertes, sa philosophie par le spiritualisme,
sa littérature oratoire et lyrique parla guerre de l'indépen-
dance, sa littérature dramatique par la curiosité du public
pour les choses du théâtre et par l'influence allemande,
sa littérature héroïque par la question homérique et par
le goût du primilif et du populaire dans Fart. Les voyages

1. R. des D. M., 1" février 1838 et l-" mai 1846 (lien du spiritua-

lisme et de riielléiiisme). —
Ravaisson, la Philosophie en France au
XIX' s. — B. Saint-llilaire, Cousin, I, 50, 195, 238, 329; R. des D. M.,
15 déc. 1840 et 15 juin 1847. —
Sainte-Beuve, Nvx L., XI (sur
Viguier). — Constitutionnel, 20 déc. 1821. —
Henan, Etudes (Thist. relig.
— 0. Millier, Litt. gr., trad. Hillebrand, Préface, p. 1 40-207. —
Greuzer, les Religions de l'antiquité considérées principalement dans
leurs formes symboliques et mythologiques (titre complet). —
Decharme,
Myth, de la Grèce antique. —
Maury, les Religions de la Gr. ant. —
Vinet, VArt et l'ArchéoL, p. 70. —
Quinet, Corr., Il, 27, 30 et R. des
D. M., 15 février 1834. —
J. des Sav., 1816, p. 108 et août 1824;
Ann. de la litt. et des arts, 1822, t. IX. —
B. Constant, De la Religion,
t. 1, p. 115, 136, 201 (dans ce tome lire surtout livre I", chap. vi
et IX); t. II, 452, 457 n. (surtout livre V. chap. v, vi, vn) t. 111, 273
;

à 472 (surtout livres VII, Vlll); t. IV, 345 à 509 (surtout livre Xll).
Principaux éloges de Creuzer, t. I, 130; 11, 287,- 305, 347, 358, 457,
482; 111, 213, 312.
92 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

rectifient ignorances géographiques; la vigoureuse


les
campagne contre La Harpe dissipe peu à peu les erreurs
de la critique. 11 y a des résistances. Le romantisme nais-
sant répugne à regarder l'antiquité malgré Lattrait de
l'inédit et de la nouveauté; un certain classicisme aban-
donne volontiers les Grecs pour sauver les Latins. Mais
les idées dun Chateaubriand et dune Mme de Staël,
les poésies d'un Chénierfont réfléchir. Les Grecs venus en
France intéressent l'opinion à leur pays, les cours publics
ou mondains d'un Lemercicr, d'un Patin, d'un Villemain
ramènent à l'hellénisme les esprits prévenus ou égarés.
La Grèce antique n'est plus la chasse gardée des érudits,
où plusieurs d'entre eux, d'ailleurs, se gardaient bien de
mettre les pieds :le bon public s'y promène ou tout au
moins s'y laisse promener.
Les preuves ne manquent pas de cette transformation
du goût la plus remarquable est la critique du Globe.
:

Les débuts du Globe nous sont déjà connus. Ils ne sont


pas tendres pour la Grèce antique. Le journal est hostile
à tout ce qui réveille non pas même l'imitation mais la
simple curiosité de l'hellénisme. Il jette l'anathème sur
académiques. Une distingue pas
les vieilles superstitions
La Harpe de Quatremère de Quincy ni le P. Brlimoy de
R.-PïOchette. Tous ces gens-là sont des classiqlies attardés
et ridicules. « Combien s'étonnent quand on leur dit que

les formes grecques ne conviennent pas plus à la tragédie


moderne que les lois de Lycurgue à nos mœurs et la tuni-
que athénienne à notre climat! Cela dérange toutes leurs
idées et rien n'est plus vivace que de vieilles habitudes. Il
est en Europe un pays où depuis longtemps la fête du sou-
verain tombait dans le mois le plus beau de l'année. Aussi
se réjouissait-on en plein air et tous les amusements
étaient-ils calculés pour l'été. Cette époque enfin changea
et ce fut pendant l'hiver que le ])euple dut se livrer à la
joie. Sans doute alors on eut soin de donner à cette joie
une autre direction et elle put se développer ailleurs que
dans la boue? Point du tout: depuis deux cents ans on
RÉVEIL DES LETTRES GRECQUES 93

en plein air; il l'allait continuer. Mais la


s'était diverti
saison,mais la pluie? Est-ce que le classicisme tient
compte de ces choses-là? Une i'éte en plein air, voilà le
beau, réternellement beau. »
Mais pourtant, si l'hellénisme n'est pas le beau absolu,
n'a-t-il pas tout de même une beauté relative et no mérite-
t-il pas à ce titre la sympathie des modernes? Notez que

le Globe a pour principe l'admiration de la beauté sous


toutes ses formes. Il se fait gloire d'être éclectique. Un
de ses rédacteurs L. V. (lisez Vitet) écrit un article sur
((L'indépendance en matière de goût » et J.-J. A. (Ampère)
redit encore « Qu'y a-t-il à gagner à se priver du plaisir
:

d'admirer? Y a-t-il donc trop de chefs-d'œuvre? Ne sacri-


fions point Shakespeare à Racine ni Racine à Shakespeare :

ce sont deux puissants dieux » Pourquoi dès lors ignorer


I

plus longtemps les Grecs?


Et voilà le Globe dans le sillage de Villemain qu'il féli-
cite de défejidre les anciens contre les dédains d'un La
Harpe. « La Harpe a parlé de l'antiquité avec une témé-
rité, une suffisance, un ton de supériorité et pour ainsi

dire de protection qu'on pourrait quelquefois comparer


avec celui que -les jeunes seigneurs de notre scène
comique prennent avec la bourgeoisie.... De là ce dédain
et ce mépris exprimés avec une conviction véritablement
plaisante à force d'être sincère.... La gloire de Racine n'a
rien à gagner aux complaisances de ces faux admirateurs
qui s'imaginent l'accroître en dépréciant celle d'Euri-
pide. » Raoul-Rochette, taquiné pour sa réimpression du
P. Brumoy, est à demi pardonné pour avoir réhabilité
Aristophane Quand La Harpe vient gravement, Molière
: <(

à la main, gourmander Aristophane, on croit voir un


officier de paix, lécharpe au côté, recommandant la
décence à des buveurs un jour de carnaval. » Pour le
Globe aussi, l'horreur de La Harpe est le commencement
de la sagesse.
Le Globe va encore à l'hellénisme par amour de la vérité
historique. Il veut voir (je lai montré plus haut) les
1)4 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

Grecs modernes tels qu'ils sont. Peu à peu, il désire con-


naître les Grecs anciens tels qu'ils furent. C'est le même
besoin. Qu'il s'agisse d'un voyage à travers les hommes
d'aujourd'hui ou d'une exploration à travers les chefs-
d'œuvre antiques, la curiosité est au fond identique.
Duvergier de Hauranne écrit u Pour goûter les ouvrages
:

des Anglais et des Allemands, comme ceux des Grecs et des


Latins, on s'efforcera d'entrer dans la civilisation de ces
diverses nations, de se pénétrer pour un moment de leurs
mœurs et de leurs croyances. » Ce qui veut dire, en bon
style romantique, qu'il existe une couleur locale grecque,
comme il y en a une allemande, une anglaise, une italienne,
une espagnole.
Cette couleur, le Globe la cherche partout et il applaudit
à tout ce qui la fait découvrir. 11 signale les cours sur
l'hellénisme, ceux de Patin aux Bonnes-Lettres, d'Artaud
à FAthénée, de Villemain surtout en SorbonUe. Il souhai-
terait des traducteurs plus nombreux, et de plus fidèles
qu'un P. Brumoy à la mort de Voss il salue la mémoire
:

de celui qui ressuscita le monde homérique et les bergers


de Théocrite. Le Plalon de Cousin lui plaît « On l'achète,
:

beaucoup même le lisent, mais pourquoi? et qu'y cherche-


t-on? De la philosophie? Non, mais bien ce que l'on
cherche dans les romans de W. Scott d'abord un écri-
:

vain plein d'esprit, d'originalité et de naturel, puis sur-


tout un monument des mœurs, de la façon de penser, de
sentir et de causer d'une belle époque qui est loin de
nous et d'un peuple admirable auquel nous ne ressem-
blons pas. On lit Platon pour entendre dire Socrate et ses
amis; et on aime à les entendre parce qu'ils parlent tout
autrement qu'on ne fait dans nos salons. » Voilà une
raison du succès de Cousin à laquelle on ne songerait
guère sans cet aveu. Pareillement, Plutarque, nouvelle-
ment traduit, intéresse le journal par ses peintures naïves
et familières et non plus, comme au xviii'' siècle, par ses
beaux traits d'héroïsme « Plutarque est fait pour être
:

goûté surtout de notre âge où, soit par le raffinement


RÉVEIL DES LETTRES GRECQUES 95

d'un goût blasé, soit par un besoin mieux senti do la vérité,


le menu détail de l'histoire est ce qu'on y prise le plus.

Il y a du W. Scott dans sa façon de raconter. » L'antiquité

grecque est annexée au roman historique c'est très


:

amusant. Le journal souhaite une renaissance de riiollé-


nisme. « Philologie, érudition de l'antiqui-té... voilà ce
que nous devrions aujourd'hui présenter en détail. »

(Programme du tome VI.)


Les tragiques grecs sont particulièrement étudiés. Rien
détonnant. Le goût du théâtre est bien français et la
mode en ces années est aux cjuestions dramatiques. Les
rédacteurs du Globe commentent les savantes leçons de
Schlcgel et de Lemercier renouvelées par la science de
Villemain et de Patin. Les abonnés prennent quelque-
fois, et très joliment, la plume; l'un d'eux écrit un jour
avec intelligence :« Il ne faut pas juger les héros grecs

par ceux c{ue nous présentent sous ce nom la plupart de


nos tragédies; on s'en ferait tine très fausse idée. Ces
personnages antiques expriment, il est vrai, en vers har-
monieux, de grands sentiments et de vives douleurs, mais
la forme poétique est la seule chose qui les sépare des
autres mortels; ce sont des hommes comme nous qui
ressentent toutes les affections de l'humanité et les expri-
ment dans un langage cjue chacun croirait pouvoir trouver.
Ils n'ont point honte des sentiments de la nature ;ils ne

dédaignent point les faiblesses du sang, ils s'appellent sans


rougir des noms de père, d'épouse, de fils et de mère et
jamais rétic{uette ne les oblige de recourir aux termes
cérémonieux de seigneur et de madame; on nous les
montre en famill^ dans leur intérieur, sans gardes et sans
chambellans, entourés de personnages subalternes qui
n'ont rien que de réel, d'esclaves, de soldats, de nourrices,
de pédagogues, de marchands, de mille autres encore qui
s'entretiennent comme dans la nature de ce cjui les inté-
resse, en nommant les choses par leur nom sans empha-
tic|ues périphrases, sans vains déguisements. » On répète
bien haut qu'Eschyle ressemble à Shakespeare, qu'Aris-
96 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

tophanecst le très légitime inventeur du grotesque » et <(

qu'Euripide a trouvé avant M. Hugo le mélange des genres.


Le public en serait plus convaincu s'il avait de bonnes
traductions. Mais où sont les traducteurs? Lorscpi'en
1828 Artaud, poursuivant son Théâtre des Grecs, fait
imprimer un Sophocle sur vélin, dans un joli format in-32,
pouvant servir à la promenade ou figurer avec grâce sur
une toilette, le Globe signale avec enthousiasme cette publi-
cation vraiment grecque par l'esprit et française par le
style, savante et populaire à la fois, utile à l'étudiant
comme à l'homme du monde.
Cette intelligente curiosité de l'hellénisme, le vaillant
journal essaie de larépandre dans le public indifférent ou
hostile. Il secoue vigoureusement les classicjues, les
romanticiues, et les modernes scientifiques.
Les classiques, ce sont les disciples de M. de La Harpe,
ceux qui disent (je cite l'amusante prosopopée du journal) :

« A cjuoi bon s'occuper tant de grec? En 1787, quand nous

faisions notre rhétorique, on donnait fortpeu d'attention


à cette langue et Ton avait raison.... Le gouvernement a
tort de favoriser l'enseignement du grec. Il faut de lunité
en tout du latin, toujours du latin, rien que du latin. »
:

Et le Globe de répliquer « Rarement en effet on a tourné


:

les yeux vers cette Grèce trop célébrée et trop peu com-
prise.... Nos classiques, qui s'arment à tout instant de
l'autorité de la Grèce, n'ont pas même songé à l'étudier
de nouveau pour trouver de nouveaux arguments à leur
cause.... Ils ont redouté l'érudition et c'est. Dieu merci, à
nous autres novateurs que restera Fhonneur de restaurer
vraiment, les études de l'antiquité. »
Les romantiques sont reliés aux Grecs par une évi-
dente parenté; leur théâtre ressemble à la tragédie
antique; il lui ressemble, les violences en moins. Pour-
quoi ne pas y remédier? Ce serait si facile, et les modèles
sont là. « La pureté du goût antique corrigera ce qu'il
y a de sauvage dans le théâtre étranger moderne et

peut-être à la longue verrons-nous sortir enfin quelque


RÉVEIL DES LETTRES GRECQUES y?

chose d'original de la triple alliance des études clas-


siques, des inspirations étrangères et de notre caractère
national. »

Les menacent gravement le réveil de


scientifiques
riiellénisme. L'esprit positif du siècle oppose — déjàl —
au « stérile enseignement des études grecques » l'utilité
des mathématiques, de la physique et des langues
modernes. Le Globe y voit un danger et il le crie « Il :

fallait, et nous Lavons dit assez haut, enlever aux litté-

ratures anciennes l'absurde privilège d'occuper exclusi-


vement toute la durée de renseignement classique; la
géographie et l'histoire, les éléments des sciences exactes
et naturelles, la connaissance des langues modernes, etc..
devaient et pouvaient sans peine, ajoutions-nous, se
marier dans nos écoles à l'étude de l'antiquité grecque
et latine. Mais ce n'est pas ainsi que bien des gens l'en-
tendent; selon eux, il n'y a que les besoins réels qu'il
faille satisfaire.... [Or] ce sont toujours les littératures
anciennes qui ont vivifié modernes on
les littératures :

ne saurait citer, du moins dans notre langue, un grand


écrivain à qui aient manqué les inspirations de l'anti-
quité. Qui n'a pas vécu avec les beaux génies de Rome
et d'Athènes aura toujours dans son langage quelque
chose de barbare, à prendre ce mot dans le sens où on
l'entendait chez ces deux peuples. »
Voilà de belles et fortes paroles, des lignes toutes d'or.
Je vois dans un des derniers articles « La Grèce brille :

dans notre imagination comme un tableau sans ombre. )>

Le Globe est un converti de la veille; il a le zèle ardent


et contagieux des néophytes. Il est certain que sa vail-
lante campagne, poursuivie méthodiquement pendant
plusieurs années, a préparé un terrain favorable à l'hellé-
nisme *.

L Le Globe, IG, 17, 21, 26, 28 sept., G cL 24 oct., G et 27 nov., 4,


11, 18, 21, 25 et 30 déc. 1824. — 1" janvier, 19 fév., 22 et 24 mars,
2 avril, 29 mai, 9 juillet, G et 13 sept., 19 nov. 1825. — 14 et 24 jan-
vier, 18 et 21 mars, G mai, 9, 11 el 25 déc. 182G. — 25 janvier,
98 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Vers 1830 toutes les curiosités sont éveillées. Mais


avant même qu'elles soient satisfaites, un grand point
est acquis. La Grèce de 1830 n"est plus celle de 1800.
Quelle est cette Grèce nouvelle?

IG juin, 26 juil., 17 août, 22 et 27 sept., G oct., 24 nov. 1827. — 8 et


26 janv., T', 19 et 2G mars 1828. — 2i janvier 1829. — Voici quelques
articles sur Villemain qui guida le Globe vers riiellénisme : 27 nov.,
4, il et 15 déc. 182o; 18 mars, 9, 11 et 25 déc. 1826; 23 janv.,
10 juil., 11 et 20 déc. 1827.
CHAPITRE VI

CONTRE LA GRÈCE DES BOUDOIRS.


I. LE « VOYAGE DU JEU.NE ANACIIARSlS » ET SON INFLUENCE. = II. LES TRA-

DUCTIONS DES AUTEURS GRECS :SUCCÈS DES GÉNIES GRACIEUX. = III. LA


VOGUE d'aNACRÉON. = IV. RÉACTION CONTRE « ANACHARSIS ». = V.
INFLUENCE DE P.-L. COURIER.

comme
AU début duGrèce
rêve la
xix« siècle,
antique à la
du
à la fin
façon aimable
xviii^,

et légère
on

de labbé Barthélémy.
L'incroyable succès d' Anachavsis se prolonge sous
lEmpire, éveille les sympathies philhelléniques et en
profite. C'est un des premiers ouvrages traduits en grec
moderne. Il en paraît (1821) une magnifique réimpression,
sept volumes in-S», soixante-quatre planches gravées sur
acier, atlas in-4o. Il inspire des œuvres similaires comme
le Voyage de Polyclète ou « Lettres romaines » du baron de

Théis. Il prolonge la vogue des Voyages d'Anténor qu"il


avait attachés à sa fortune.
Ce dernier roman, paru vers la fin du Directoire, avait
reçu le sobriquet d' « Anacharsis des boudoirs )>. Son

auteur, l'habile et léger baron de Lantier, l'avait présenté


comme la simple traduction dune oeuvre qu'il aurait
relevée sur un papyrus dans un voyage à Herculanum.
Son Anténor est un Grec d'Éphèse qui, dès son arrivée à
Athènes, invité à diner chez le philosophe Aristippe,
tombe amoureux de la belle Lasthénie. Tous deux font
des promenades sentimentales dans la ville. La jeune
100 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

femme montre à son ami dionie Parthénon, le Pœcile


le

et les principales « curiosités » (il nest pas impossible


que Mme de Staël s'en soit inspirée pour les chapitres de
son roman où Corinne fait visiter Rome à Oswald). Et ce
sont des conversations avec les sages de TAttiquc, des
peintures de fêtes religieuses et de processions, des
voyages à Thèbes, au mont Hélicon, à Delphes, à Lacédé-
mone, à Mycènes etc., le tout entremêlé — toujours
comme chez Mme de Staël —d'histoires de personnages
très secondaires, de lettres, de complications romanes-
ques bien vieillies, certes, car il ne nous importe guère
qu'Anténor n'épouse pas Lasthénie ni que Lasthénie se
résigne à le voir heureux avec Télésille. Mais ce qui ne
ressemble guère à Mme de Staël, c'est l'anacréontisme
des tableaux, les histoires de femmes dont le roman est
rempli, la toilette de Lais en présence du grave philo-
sophe Xénocrate, la rencontre de Sapho à Leucade et le
récit de ses amours avec Phaon, les déjeuners sur l'herbe,
les dîners galants, les cantates, les madrigaux qui
célèbrent les amours. Seize éditions s'en succédèrent très
rapidement jusqu'à celle de 1826, trois volumes in-S»
avec carte et trois frontispices gravés d'après les dessins
de Chasselat et Lafitte.
Cet anacréontisme, qui était loin d'être prude, parut
cependant manquer de volupté et de vérité à un certain
Chaussard qui publia ses Fêles de la Grèce (1801) comme
un supplément aux romans de Barthélémy et de Lantier.
Le titre complet en est : « Fêtes et courtisanes de la

Grèce, comprenant la chronique religieuse des anciens


Grecs, tableau de leurs mœurs publiques, la chronique
qu'aucuns nommeront scandaleuse, tableau de leurs
mœurs privées; enrichi d'un almanach athénien, de la
description des danses grecques, de chants anacréon-
tiques, musique de Méhul et de gravures d'après l'autorité
antique sur les dessins de Garnerey, élève de David. »
J'ai feuilleté l'édition de 1821 enrichie de nouveaux chants
anacréontiques, toujours avec musique de Méhul, et de
CONTRE LA GRÈCE DES ROIDOIRS 101

dessins, gravures représentant les courtisanes et leurs


costume. Le plan du livre est bizarre. Les létes greccjues
sont ainsi classées la Création ou fêtes des éléments, la
:

Pvénovation ou fêtes du printemps, TExaltation ou fêtes


de lété, la Dégradation ou fêtes de l'automne et de l'hiver.

Cela sent le calendrier républicain. Le tout est naiurel-


lement mêlé de lettres galantes, de digressions roma-
nesques et même de drames, comme les Mystères dÉleusis
mis en tragédie. Une très longue introduction critique
Anacharsis et Anténor et explique qu'il est temps de
faire connaître au public français les mœurs grecques
et leur douceur, lart grec et sa grâce qui a poétisé
l'œuvre de Racine, de La Fontaine, de Fénelon sur-
tout.
Fénelon est à la mode et parmi les raisons de toute
espèce qui expliquent son succès (il en est de politiques
et de sociales) son hellénisme a sûrement sa place.
Téléïïiaque est souvent réimprimé. Boissonade applaudit
à l'édition critique d'Adry (1811) et relève les emprunts
grecs qu'il publiera une douzaine d'années plus tard
dans la « Collection des classicfues français ». La biblio-
graphie mensuelle du Journal des Savants signale fréquem-
ment des éditions de Fénelon, des études sur Fénelon.
Millevoye et Ballanche lisent Télémaque avec enthou-
siasme et émotion. Jouffroy, dans son Cours d'esthé-
tique, demande à ce roman les règles de la beauté
littéraire, et Villehnain, en plus dune rencontre,
célèbre l'écrivain qui nous rendit le brillant horizon
de la Grèce et la gracieuse simplicité du monde nais-
sant.
Ainsi se prolongeait la vision d'une Grèce aimable et
des élégances, berceau de la voluptueuse
fleurie, terre
mythologie et des amours. Les premiers voyageurs con-
firment cette impression. Chateaubriand écrit « En :

Grèce, tout est suave, tout est adouci, tout est plein de
calme dans la nature comme dans les. écrits des anciens. »
La Grèce sourit à Marcellus comme une pastorale.
102 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

Et Chénier révélé ne dément pas ce rêve idylli-

que '.

II
1
Les préférences littéraires se ressentent de cette direc-
tion. Le goût de génération va aux œuvres gra-
cette
cieuses plutôt qu'aux œuvres fortes, aux génies riants
plutôt qu'aux génies sombres ou austères.
Hésiode ne plaît pas. 11 disparaît dans le rayonnement
d'Homère-; il n'intéresse — et encore assez tardivement
— que les curieux de mythologie. Eschyle est peu lu et
mal compris, malgré Schlegel, malgré Lemercier qui
d'ailleurs s'explique fort bien la résistance du public à sa
grandeur âpre et sauvage. « On retrouve dans le main-
tien de sa muse cette excessive raideur, vice presque iné-
vitable aux génies inventeurs.... Ses drames ressemblent
à de vieux monuments taillés dans le marbre avec rudesse
et âpreté, mais résistant par leurs blocs et leur inébran-
lable architecture à toutes les attaques des siècles. »

Aristophane inquiète et surprend, malgré Boissonade et


Villemain et ne réussira vraiment qu'après 1830. Pindare
fait peur; ses admirateurs eux-mêmes déclarent qu'il n'est

pas à vulgariser. Voici une traduction de 1818. Raoul-


Rochette regrette du traducteur, ses
les inexactitudes
épithètes oiseuses, ses périphrases traînantes, son goût
timoré, mais il se dit qu'après tout un autre n'aurait pas
fait mieux et qu'il sera impossible, avant longtemps, de

faire comprendre aux F'rançais l'enthousiasme du vieux

1. Gobineau, op. cit. — 303. — Cha-


Exiger, Hell. en France, II,

teaubriand, Itin. (3" édit., 1812), — Journal de VEmpire,


I, 15.
10 août 1811 (Colincamp, op. cit., 21). — M. Albert, Un Homme
II,

de sous
lettres VEmpire Restauration {Journal d'E. Géraud, mars
et la

1806). — Citoleux, Lamartine, poète philosophe, 120 à 127. — Jouffroy,


Cours d'esthétique, le(;ons xxviii, XL. — Villemain, Littérature au la

XVIIP m, 378; Mélanges


s., 376 à 411. — Mémoires de
littéraires, I,

VAc. des I., t. Vil, 1-191.


2. Homère a toujours élé goûté, mais pour des raisons diverses
que j'analyse plus loin.
CONTRE LA GRECE DES BOUDOIRS 103

poète, le mouvement et la couleur de ses tableaux. Com-


bien voyaient Pindare à la façon d'un A. Chénier qui avait
traduit le début de la septième Olympique en vers bril-

lants et harmonieux mais sans entrer très avant dans


lintelligence de ce quil admirait I Combien n'arrivaient
à ces lyriques inspirées des premiers âges qu'en passant
par Alexandrie ! Et c'étaient les meilleurs encore, ceux
que le galimatias pindarique ne rebutait pas.
Thucydide est celui des historiens dont on parle le
moins. Mais Xénophon est un bon gibier pour les tra-
ducteurs. Hérodote est très estimé. Letronne dit le [)lus
grand bien de la traduction de Miot, fort supérieure
à celle de Larcher et surtout à celle de Courier dont le
langage vieillot ne rend guère la simple élégance du
texte. Villemain est du môme avis « Sans doute la
:

langue courtisanesque du grand siècle, quoiqu'elle soit


assez fière dans Pascal, dans Corneille et dans Bossuet,
n'est pas très conforme aux mœurs du moyen âge de la
Grèce. Mais notre moyen âge, avec sa grossièreté bour-
geoise, ses serfs, ses corporations de métiers, ses hommes
d'armes et son commun peuple, ses savants et ses tribu-
naux qui parlaient latin, n'est pas fait non plus pour
rendre le langage simple mais poétique, les tournures
élégantes et pittoresques dun historien formé par
Homère et qui forma Thucydide.... La dlclloii d'Hérodote est
à la fois gracieuse et belle.... Ses paroles, simples par elles-
mêmes, ont reçu de Tarrangement et de l'harmonie un
charme merveilleux. » Plutarque fait les délices de Cou-
rier et de Villemain. Le public aime l'aimable réalisme
de ses récits; il est peintre fidèle, il a le secret de « ces
détails intimes qui prennent l'homme sur le fait », il est
gracieux et familier dans ses portraits. C'est l'historien
chéri du Globe pour sa couleur locale.
Chez les orateurs, Démosthène a le succès que lui
valent les luttes de nos assemblées politiques et les sou-
venirs de l'indépendance grecque dans cet âge de
philhellénisme. Mais on lui préfère Isocrate dont Courier
104 LA BE.XAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

chante la gloire et les litanies « Isocrate est la plus nette


:

perle du langage attique.... Quel écrivain que cet Isocrate !

Nul homme mieux su son métier. » Coraï commence


n"a
sa Bibliothèque grecque par un Isocrate. Boissonacle signale
l'essai de Courier, une traduction de VÉloge d'Hélène, '

(avec d'amusantes réserves sur son exactitude), l'édition


de Coraï (avec de vifs éloges, un peu tardifs) et paie un
troisième tribut d'admiration au doux et suave Isocrate
dans la Biographie Michaud.
Au triomphe et encore plaît-il moins
théâtre, Sophocle
par ledramatique de ses intrigues que par la douceur de
ses tableaux :Chénier l'aimait pour les rossignols de
Colone. La comédie nouvelle attire beaucoup plus que la
comédie politique et satirique. Raoul-Rochette publie des
Fragments de Ménandre et de Philémon (1825) et Raynouard
qui le félicite de son goût n'accepte pas cependant le
tour trop moderne de la traduction, certaines phrases
dans le ton de celles-ci « Il était comme un pauvre
:

diable » et encore « Le papa prend d'abord la parole


:

pour débiter quelques vieux sermons ». Ménandre n'est


pas trivial, il est aimable et gracieux.
Les romans font prime, surtout depuis que Courier
édita et traduisit Daphnis et Chloé. Roissonade signale une
traduction nouvelle de Théagène et Chariclée, ainsi que
l'édition des ÉUdopiques d'IIéliodore par Coraï; lui-même
édite, annote et traduit un roman deNicétas Eugénianus,
Drosilla et Chariclès. Chardon de la Rochette, ami de Coraï,
publie dans le Magasin Encyclopédique plusieurs articles
visant spécialement les romans grecs. « On croirait,
écrit Roissonade, que M. de la Rochette, connaissant
notre frivolité, a voulu nous attirer par ce mot de roman
et, comme l'on dit, mettre le miel sur le bord du vase :

prius oras pocula circum.... » Courier prend une part


active à la Collection des romans grecs (1822-1828) et le Globe
applaudit à la seconde édition de sa traduction de l'Ane :

« Cet ouvrage de forme romanesque réunit en un assez

petit nombre de pages une foule de traits curieux sur la


CONTRE LA GRÈCE DES BOUDOIRS 105

vie privée des anciens, faits pour être goûtés de notre


époque où tableaux de mœurs sont estimés à si haut
les
prix. » Villemain, dans son Essai sur les romans grecs, parle
de la Cyropédie, de la fiction de l'Atlantide dans Platon,
des fables milésiennes nées dans la molle lonie et si van-
tées pour grâces de leur style, des romans composés
les
au 11^ siècle sous Marc-Aurèle. 11 analyse longuement
lœuvre dHéliodore, discute la date de Daphnis et Chloé,
apprécie «Télégance curieuse, ingénieusement concise,
habilement symétrique » de cette pastorale qu'il ne fau-
drait pas juger par la traduction d'Amyot. 11 termine sur
la publication toute récente de Boissonade.
Les lyriques des vieux temps de la Grèce sont peu con-
nus et d'ailleurs peu goûtés. La guerre de lindépendance
fait relire Tyrtée dont Firmin-Didot traduit les chants

(1826); Simonide de Céos inspire à C. Delavigne son


poème de Donaé, paraphrase emphatique du texte grec.
Ce n'est pas grand'chose. On parle beaucoup de Sapho
mais sa vie intéresse plus que son œuvre. Mme de Staël
écrit une tragédie sur la poétesse les Voyages dCAniénor
;

racontent ses amours avec Phaon; Ghaussard intercale


dans son ouvrage un roman en trois parties, les Aventures
de Sapho; Victor Chauvet, le futur collaborateur de la
Muse française, débute en littérature par un poème en
trois chants Sapho. En 1821 paraît la traduction de la
:

Sapphô de Grillparzer, représentée deux ans auparavant


avec un grand succès sur le théâtre de Vienne. Les essais
antiques de Grillparzer, n'étaient pas mal vus chez nous.
Le jeune poète, suivant rimi)ulsion de Schlegel, compo-
sait alors une vaste trilogie, la Toison d'or, dont la troi-
sième partie, une Médée, nous revint de Saint-Pétersbourg
où jouée sur une scène allemande, et fut
elle avait été
signalée par le Globe qui, fidèle à son éternelle tactique,
comparait Grillparzer à W. Scott. Sapphô fournit des
arguments aux pseudo-classiques qui disaient à leurs
adversaires Vous voyez bien que l'ancienne formule
:

dramatique a du bon puisque même les Allemands dont


106 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

VOUS VOUS autorisez nhésitent pas à la reprendre. Mais je


ne vois pas que la pièce ait fait relire la poétesse grecque.
Il en est de même d'un intermède lyrique de Désaugiers,

Sopho à Leucade, bien accueilli par les journaux du temps.


On connaissait pourtant THymne à Aphrodite; Boisso-
nade l'avait rappelé dans sa polémique contre La Harpe,
et Millevoye dans son Discours sur Célégie avait chanté la
gloire de l'immortelle Sapho, en regrettant qu'elle neût
pas plus travaillé ses vers « Oh! quels sons douloureux
:

et tendres seraient sortis de sa lyre amoureuse et désor-


donnée! Rochers de Mytilène! promontoire de Leucade!
vous retentiriez encore de ses derniers accents! » Lamar-
tine compose en 1816 (c'est du moins la date qu'il donne)
une Sapho, élégie antique. A cet âge où il n'avait pas encore
écrit, dit-il, vingt vers de suite, il aurait relu un soir avec
des amis les brûlantes strophes sur l'amour, et il aurait
passé la nuit, tout seul, à composer son poème. Je ne
discute pas la date qui a paru suspecte. Mais l'œuvre ne
sent en aucune manière l'inspiration de Sapho. La trame
de l'histoire c'est la Jeune Tarentlne que Lamartine pou-
vait connaître par Millevoye. Sapho, après avoir soupiré
sa douleur, disparaît dans les flots de la mer. Le rythme
même rappelle Chénier :

Chantez, chantez un hymne, û vierges de Lesbos...


Pleurez, jileuiez ma honte, ù tilles de Lesbos...
Elle dit. Et le soir, quittant le bord des flots
Vous revîntes sans elle, ô vierg;es de Lesbos....

Un passage assez étendu de cette confession lyrique est


la rencontre du beau Phaon à la ])alestre. C'est exacte-
ment l'histoire d'amour de la Magicienne. Lamartine avait
donc lu directement Théocrite? Cela même n'est pas
probable, bien que l'idylle ne fût pas mystérieuse. Mais
Millevoye venait de la paraphraser sous le^ titre Slmétha
ou le Sacrifice magiciue. La « Sapho de Lamartine donne
)>

la main à Chénier et à Théocrite, grâce à JNIillcvoye. Elle


est Simétha, elle est la jeune Tarentine, elle n'est pas
Sapho.
CONTRE LA GRECE DES BOUDOIRS 107

Et cela même presque un symbole. L'idylle alexan-


est
drine, par sa grâce ingénieuse, par sa délicatesse raffinée
attire ceux qui cherchent des fleurs dans- le jardin des
Muses. Théocrîte n'a rien perdu de sa gloire. L'Anthologie
est en faveur. On lit toujours les Aiialecta de Brunck ^
Mais le maître du chœur, comme au xv!*^ siècle, comme
au XVIII'', c'est Anacréon.

III

Et non pas, bien entendu, le véritable Anacréon, le


vieux poète de Téos c|ue la critique moderne a retrouvé,
mais lAnacréon de Ronsard, de Chénier et de Chateau-
briand, celui des petits amours joufflus, l'auteur de
l'Amour mouillé, le poète mignard qui fait songer aux
panneaux décoratifs de Pompéi et aux figurines divoire
dont les élégantes du Directoire ornaient leurs bonheur-
du-jour.
Chaussard mêle à ses descriptions de fêtes antiques
plusieurs odes du divin poète, avec musicjue de Méhul.
Millevoye tourne quelques poésies en vers galants et
Delavigne paraphrase une pièce du recueil anacréon-
tique. Anacréon inspire, et bien mal, l'épicurisme de
cette génération, les chansons du Caveau, les romances
de Déranger. Le Poetarum grœcorum sylloge des Didot —
1. Guig-niaut, Symbolique. — Lemercier, Cours cL Liil., I, IGG. —
./.des Savants, 1818, p. 213. —
/?. des D. M., 15 avril 1881. J. des —
Sav., 1818, p. 138. —
J. des Sav., mars 1823. Villemain, Etudes de —
Litt. ancienne et étrangère, p. 4; Mél. hist. et 11 (deux articles, lilt., t.

sur Hérodote et sur Plutar(iue). —


Le Globe (cf. chap. précédent). ^
P.-L. Courier Lettres du 18 octobre et du 2 novembre 1808.
:

Colincamp, op. ait,, 1, 72, 78 et 430. —
Joubert, Pensées (litres XVII
etXX). — J. des Sav., septembre 1825. — Villemain, Essai sur les
romans grecs. — J. des — Débats, 2 mai 1803. J. de V Empire,
15 mai 180G, 3 mars, 9 avril, 19 des Sav., mai 1824.
mai 1812. — J.
— Chaussard, Fêtes de Grèce, IV, 273 à 450. — Séché, Le Cénacle
la
de Muse française,
la 165. — Millevoye, (JEuvres complètes,
p. 24. 1,

— Annales de des arts, 1824,


la lilt. et XVI. — Le Globe, 10 et t.

12 février 1825. — Bertrand, op.L. 384. — Sainte-Beuve, Crit.cit.,


et Port., III, 40 1.
108 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

curante Boissonade — s'ouvre par un Anacréon et de


Saint-Victor donne une traduction en vers (1818) qui
passa longtemps pour un chef-d'œuvre.
Le peintre Girodet eut l'idée d'illustrer la traduction
Saint- Victor et il y ajouta, dans le style du temps, une
traduction en prose qui affadit encore le texte. Il mourut
laissant cinquante-quatre dessins que son élève Châ-
tillon grava et que ses héritiers firent paraître par sous-
cription à partir de 1825. Les gravures ne répondent pas
très exactement à la traduction. Certaines odes n'ont pas
de dessin et il arrive qu'une même ode soit illustrée
deux ou trois fois'. Comme exemples assez typiques,
voici l'Ode sur la Lyre, un Amour en équilibre sur l'épaule
d'Anacréon qui tient une lyre. Dans V Amour piqué par une
Vénus est assise dans un nuage, Fenfant fait la
abeille,

moue en montrant son doigt, pendant que sa mère lui


désigne la pointe d'une flèche de son petit carquois. Le
Combat avec VAmour est reproduit deux fois. Ici, Anacréon
est vêtu comme un guerrier antique avec le casque, le
bouclier et la lance, et l'Amour c{ui vient de lancer sa
flèche se tient debout devant lui, d'un air très sérieux,
tandis que dans le second sujet, Anacréon est étendu à
terre et l'Amour se dresse, un pied sur sa cuisse, l'autre
sur sa jambes écartées et bras croisés. Cette manière
tête,
révèle un effort pour attraper la grâce, mais il reste
beaucoup de raideur dans la représentation des attitudes,
du paysage et du décor, dans ces pins qui ont l'air d'être
métalliques, dans ces lits, l)oiseries, colonnades, sta-
tuettes, vases à parfum, triomphe du goût Empire.
L'Anacréon de Girodet a été complété par Dévéria et
augmenté de vingt planches coloriées.
Une traduction en vers de Veissier-Descombes (d827)
inspire à Sainte-Beuve, c|ui était presque un débutant en

1. Les odes 12, 13, 18, 19, 22, 24, 25, 31, 32, 33, 43, 46, 50, 54, 50

à 60 ne sont pas illustrées; les odes 3 et 9 le sont trois fois, les odes
14, 17, 34, 38 deux fois. — La traduction de quelques odes n'est pas
de Girodet; un astérisque les désigne.
CONTRE LA GRECE DES ROUDOIRS 109

critique, quelques jolies réflexions sur la diriicullé de


traduire laimable poète sans laloufdir ou sans lenjo-
liver. « La plupart de ses pièces sont des impromptus de
volupté qui au milieu de ses jeux lui échappent sans plus
d'effortque les roses effeuillées de sa guirlande. Il jette
les yeux sur sa coupe et le voilà qui se met à en célébrer
les élégantes ciselures. Une colombe a passé dans les
airs et soudain il a prêté à cette douce messagère un
babil plein de sentiment et d'ingénuité. Il entend bour-
donner une abeille et l'idée lui vient que cette abeille
peut bien avoir piqué l'Amour. Une cigale a chanté et
presque aussitôt le poète a répondu par un hymne mélo-
dieux à cette reine invisible des bois dont il envie le
l)onheur puisqu'elle s'enivre de rosée et qu'elle chante
tout le jour. » Sainte-Beuve, à cette date, s'intéressait à
Anacréon dont il cherchait le sentier, jonché de roses, à
travers les odes de la Pléiade. Son Tableau de la poésie
au xvio siècle signalait les imitations, d'ailleurs très libres
et fort originales,de Ronsard et de son école, et laissait
percer son estime pour ces aimables « impromptus de
volupté ». Ce goût de jeunesse ne lui passera pas. Dans
sa vision de la Grèce, même élargie par ses lectures et
sa critique, il marquera toujours ses préférences pour
Talexandrinisme, il y reviendra comme à sa terre promise
et à ses premières amours, il couronnera de fleurs
Anacréon, hommage que le poète n'eût pas dédai-
gné.
Vers 1830, Anacréon est encore compté parmi les plus
beaux génies de la Grèce; le Globe associe sa gloire à celle
de Sophocle et bientôt V Artiste rattachera à son œuvre
« l'école de la forme » sous la Restauration ^.

1. Poésies de Mille voye, Delavigne et Béranger. —Faiirieh Préface


des Poésies de Ghaulieu. — Sainte-Beuve, Tableau-, articles du
V' mars 1827 (P. Lundis), de 1836 {Crit. et Port., II!) et de 1842
{R. des D. M., 15 avril). —
J. Lemaître, Impressions de théâtre, II, 218.
— A. Michel, UÉcole française de David à Delacroix, p. 43-45. —
Girodet, Œuvres posthumes (lire la Dissertation sur la Grâce considérée
comme attribut de la beauté). —V Artiste, 7 janvier 1844.
110 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

La critique na donc pas fait un pas depuis la fin du


xviii'^ siècle?
IV

Une réaction se dessine contre Anacharsis, en plein


triomphe d'Anacharsis.
11 temps que P.-L. Courier avait poussé le
y avait beau
cri d'alarme dans son petit cercle d'hellénistes II écrivait

à Chlewaski « L'Anténor dont vous me parlez est une


:

sotte imitation de ï Anacharsis, c'est-à-dire d'un ouvrage


médiocrement écrit et même médiocrement savant, soit
dit entre nous. 11 faut être bien pauvre d'idées pour en
emprunter de pareilles. Je crois que tous les livres de ce
genre, moitié histoire moitié roman, où les mœurs
modernes se trouvent mêlées avec les anciennes, font tort
aux unes et aux autres, donnent de tout des idées très
fausses et choquent également le goût et l'érudition. La
science et l'éloquence sont peut-être incompatibles du :

moins, je ne pas d'exemple d'un homme qui ait


vois
primé dans l'une et dans l'autre. Ceci a tout l'air d'un
paradoxe la chose pourtant me paraît fort aisée à
:

expliquer et je vous l'expliquerais par raison démonstra-


tive, comme le maître d'armes de M. Jourdain, si je vous
adressais une dissertation et non pas ma lettre et si je
n'avais plus envie de savoir votre opinion que de vous
prouver mienne. » Mais à cette date Courier était,
la
comme toujours, en avance ou en dehors.
Voici que Schlegel se moque de ce prétendu voyage
d'un Scythe qu'on dirait fait par un Parisien. Les escar-
mouches vont commencer. Stendhal attaque La Harpe et
Barthélémy comme deux pestes de niaiserie Le pays : ((

du monde où l'on connaît le moins les Grecs, c'est la


France et cela grâce à l'ouvrage de l'abbé Barthélémy :

ce prêtre de cour a fort bien su tout ce qui se faisait en


Grèce, mais n'a jamais connu les Grecs. C'est ainsi qu'un
petit maître de l'ancien régime se transportait à Londres
à grand bruit pour connaître les Anglais il considérait
;
1

CONTRE LA GRECE DES BOUDOIRS 1 1

curieusement ce qui se faisait à la Chambre des pairs; il


aurait pu donner l'heure précise de chaque séance, le
nom de la taverne fréquentée par les membres influents,
le ton de voix dont on portait les toasts, mais sur tout

cela il n'avait que des remarcpies puériles. Comprendre


quelque chose au jeu de la machine, avoir la moindre
idée de la Constitution anglaise, impossible. )>

L'auteur d'un livre d'esthétique que nous étudierons,


lingénieuxKératry regrette la fausse couleur d'/l/iac/iarsis,
l'air xviii'^ siècle de cette résurrection. Pourquoi avoir

imaginé une Grèce efféminée et galante quand la vie


publicjue, à n'en pas douter, y était sérieuse et grave?
(cC'est ce qui nous engage à croire que l'abbé Barthélémy
a travesti plus d'une fois les mœurs des anciens en
s'étudiant trop à leur trouver des points de ressemblance
avec les nôtres, et qu'un auteur très spirituel et plus
rapproohé de nous, M. de Lantier, en croyant nous intro-
duire dans le secret de la vie privée des Grecs, s'est borné
à placer sous nos yeux une orgie continuelle que le
moindre de leurs citoyens eût désavouée. »
Et Villemain, que disait-il?
Villemain ne dédaignait pas Anacharsis. Il l'aimait
comme un joli roman et comme une œuvre d'érudition
assez solide. Il n'avait garde de confondre Barthélémy et
La Harpe. Il disait pourtant « Si je cherche le génie de
:

la Grèce dans l'ouvrage du savant, de l'ingénieux Barthé-


lémy, je suis souvent trompé. » Mensongères assurément
toutes ces peintures de la vie hellénique, faites par un
homme qui, s'il connaissait à fond l'antiquité, était
surtout de son temps, aimait mieux son temps que tout
autre; mensongers, ces tableaux élégants où se réflé-
chissent les mœurs parisiennes, le bel esprit français, la
société ingénieuse du xviii^ siècle; mensongers surtout,
lespassages de critique littéraire, les adaptations enjo-
livéesde quelques écrivains grecs. Que l'on compare la
mort de Panthée dans Xénophon et chez Barthélémy on :

y surprend en plein travail d'arrangement le prudent


112 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

abbé. Périphrases sentimentales {Ses yeux se remplissent


de larmes au lieu de II pleure), phrases romanesques [Les
mots expirent sur ses lèvres), style de tragédie (// est mort
dans le sein de la gloire ou encore Je respecte trop vos vertus
et vos malheurs), horreur des mots simples et réalistes (la
nourrice de Panthée devient une femme qiii avait élevé son
suppression radicale des détails familiers (Barthé-
enfance),
lémy ne dit pas que la nourrice enveloppe Panthée et son
mari, après leur mort, du même voile), tels sont quelques-
uns des procédés fâcheux qui altèrent, sous prétexte d'élé-
gance, la grâce naïve et sincère du texte antique. Barthé-
lémy s'imaginait rendre service aux anciens en rappro-
chant l'esprit grec de l'esprit français. Il était de l'époque
Pompadour. Villemain conclut qu'il avait un faux goût.
Toute la critique de Villemain, en ces années-là, est une
résistance au faux goût d'Anacharsis.
Il aime certainement la grâce hellénique, il dirait volon-

tiers que ce qui n'est pas gracieux n'est pas grec. Alfieri
donne à ses héros une langue énergique et mâle. P. -L. Cou-
rier fait parler son Hérodote comme on parle au village.
Ceux-là sont des transfuges de l'hellénisme. Mais Lemer-
cier dans son Agamemnon, mais Racine dans ses pièces grec-
ques sont de la lignée pour la douceur mélodieuse de
leurs vers.
Écoutez cependant « Pour l'effet tragique, la déli-
:

vrance et l'heureux mariage d'Iphigénie, annoncés par


Racine, valent-ils la simplicité terrible de la légende
grecque? Pour la vérité des personnages, la fîère rési-
gnation de la jeune princesse de Racine vaut-elle les
plaintes touchantes, la douleur naïve et l'effroi de la jeune
fille dépeints par Euripide? Enfin, ces gardes, cette cour,
ce majestueux accueil que reçoit Clytemnestre, cela vaut-il
pour le spectacle et l'intérêt le char où Clytemnestre
arrive avec sa fille près d'elle, le petit Oreste endormi
sur ses genoux et descend au milieu d'un chœur de
femmes grecques qui seules pouvaient la recevoir et
l'approcher? Et dans Phèdre, la conversation de Théra-
CONTRE LA GRECE DES BOUDOIRS 113

mène et dllippolyte, est-ce un début comparable à cette


entrée du jeune héros grec, libre, pur, farouche, une
couronne de fleurs sur la tête, animant ses compagnons
aux rudes plaisirs de la chasse et dévouant son cœur à la
chaste Diane?... Racine a fait des ouvrages que n auraient pas
reconnus les Grecs.... Des noms antiques, des bienséances

modernes, Euripide corrigé d'après Aristote, des mœurs


factices et lyne poésie admirable, voilà la tragédie grecque
do la France. » Racine donc n'est qu'à demi grec. Il Test
par les beautés de son style, il ne l'est plus par l'esprit de
son théâtre. Il n'a pas conservé l'aimable familiarité de
ses modèles, il a trop recherché les détails roma-
nesques, les attitudes pompeuses, les conversations
cérémonieuses. Peut-être ne l'a-t-il pas fait sans
regret. Ne signalait-il pas avec amour, dans une de
ses préfaces, Tadmirable passage d'Alceste où la jeune
reine mourante est entourée de ses deux petits enfants
qui la tirent en pleurant par la robe? Il avait donc
le sentiment des choses divines, mais il nen a pas
eu l'audace. Trop respectueux des politesses, il a tout
changé le fond de l'hellénisme d'après nos bienséances
modernes. Il a fait école, et ce fut un malheur. Le
xviii*^ siècle a vu la Grèce à travers Racine et l'a donc mal

vue. Lagrange-Chancel, Voltaire, Altîeri, Ducis, Lemer-


cicr, oui Lemercier, Pope et bien d'autres ont voulu
u perfectionner )>, à des titres divers, l'art simple et fami-
lierdes Grecs. Leur grâce correcte, leur noblesse fade et
froide sont un perpétuel contre-sens, une offense au beau
naturel des anciens.
Villemain pouvait donc célébrer la grâce de l'hellé-
nisme. Il ne l'entendait plus comme un abbé Barthélémy;

il y faisait rentrer le naturel, la simplicité et même la


familiaritédans une certaine mesure. Il restaurait ainsi
le sentiment du vrai beau antique. Ami de l'élégance, oui

mais non pas des élégances*.


1. Courier, Lettre du 27 février 1799. — Schiegel, Cours de litté-
i^alure. — Stendhal, Histoire de la Peinture en Italie, livre VI, chap.

8
114 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

V
Comment n"a-t-il pas vu dans Courier un allié, un peu
aventureux certes et crextrême-gauche, mais clairvoyant
et résolu?
P.-L. Courier était mort depuis plusieurs années
lorsque parurent (1828) ses Mémoires, Correspondance et
Opuscules inédits. Le Globe ne cache pas sa surprise. Est-ce
donc là le Courier qu'on n'avait pas oublié, érudit égoïste
et bougon, officier têtu et indiscipliné, bourgeois voltai-
rien, pamphlétaire incisif, adversaire des curés et des
gendarmes? Sa correspondance « le montre à la jeunesse
actuelle sous un jour presque nouveau»; elle dévoile
jusqu'où allait son amour de Tantiquité. « Ses intimes
seuls le savaient, aujourd'hui tous le sauront. » Ce n'est
guère avant 1830 que Courier fait figure, je ne dirai pas
d'helléniste (il avait protesté contre ce nom qui lui
semblait tenir boutique) mais d'amateur délicat des
lettres grecques. Jusque-là, on connaissait surtout Paul-
Louis, le vigneron de Veretz....
A quinze ans, Courier travaille le grec avec Vauvilliers,
professeur au Collège de France. Son père le destine aux
sciences il ne lâche pas le grec. Élève à l'école de
:

Châlons, il délaisse Euclide pour Isocrate. Officier à


Thionville, où meurt d'ennui, il demande à sa mère de
il

lui expédier un Démosthène. A Paris, il se lie avec des


hellénistes de marque, Millin, Clavier, Coraï, Villoison,
de Sainte-Croix, Akerblad, Boissonade. Son régiment
part pour l'Italie. Il va y passer plusieurs années à rêver
d'antiquité, car l'enchantement l'a saisi dès son arrivée
(1805) : (( J ai tout à souhait, un pays admirable, l'antique,
la nature, les tombeaux, les ruines, la Grande-Grèce. »
Il songe à visiter la vraie Grèce; il fait des rêves à la

III, note; Racine et Shakespeare, deuxième partie, lettre 8. —


De Kératrv, Du Beau dans les arts d'imitation, II, 38. Villemain, —
Littérature du XVIIP siècle, III, p. 28G à 302; III, 110, 119, 122, 2H,
316 (voir aussi, I;51, 72).
CONTRE LA GRÈCE DES BOUDOIRS 11.)

Picroclîole; il Corfou nest-ce pas aux


ira à Cort'oii et
portes d'Athènes? C'est pour lui le « pèlerinage de la
Mecque ». Il en écrit à Clavier, à Mme de Salm-Dyck :

il veut boire de leau de l'Ilissus, s'il y en a encore, et

rapporter des reliques; il se contenterait du miroir


d'Aspasie. Arrive la Restauration. Comment aller en
Grèce quand les curés empêchent les villageois de danser?
Le projet tomba à Teau.
Courier avait du moins respiré en Italie un parfum
de Grèce. A Florence, à Rome, il visite les musées, il
gémit sur les ruines, mais il est plus humaniste qu'archéo-
logue. Il furète dans les bibliothèques, en quête de
manuscrits, d'éditions ou d'inédit. Non sans grogner
d'ailleurs, car tout ne va pas toujours d'adroit. Peut-on
imaginer que les scribes de l'Académie d'Herculanum,
scribes ignorants, bien entendu, refusent de montrer
leurs papyri à l'honnête visiteur qui, lui, sait lire et qui
leur apprendrait leur métier? Heureusement, il est ail-
leurs des gardiens moins farouches que ces dragons
malfaisants. Courier a le nez fin. Il va d'instinct aux tré-

sors, ne ménageant ni sa peine ni celle des autres. A


Naples, il passe les longues et brûlantes journées d'été

dans la riche bibliothèque du marquis Tacconi « Ce :

marquis est un homme admirable. Il a tous les livres


possibles.... J'en dispose. Entre nous, quand je serai
parti, je ne sais qui les lira. Lui ne lit point je ne pense
:

pas qu'il en ait ouvert un de sa vie. Ainsi en usait


Salomon avec ses sept ou huit cents femmes les aimant :

pour la vue, il n'y touchait guère; peut-être aussi, comme


Tacconi, les prêtait-il à ses amis. » Il n'est bouquin en
Italie où il ne veuille perdre la vue pour l'amour du grec.
Le voici très affairé à Milan; il en a fini avec l'Ambro-
sienne et il se dispose —chut! —
à fouiller l'abbaye de
Florence. « Laissez-moi faire; il y a là un Longus que je
crois entier. »

Il n'est pas avare de ses trésors, il ne met pas la


lumière sous le boisseau. Dans le Magasin encyclopédique,
116 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE
»,

OÙ il s'était glissé en 1802, il avait tiraillé contre les


savants trop savants qui cachaient leurs découvertes
dans des mémoires illisibles; il avait Gail en abomina-
tion. Sa polémique n'était pas pour déplaire à Millin.
Sous la Restauration, il s'en prend à l'Université qui
sait mal le grec et ne fait pas aimer le peu qu'elle sait.
A Cousin qui lui en avait parlé il écrit « Si vous aviez :.

quelques notes à me donner sur cette aversion pour le


grec, vous me feriez plaisir. » C'est un de ses derniers
billets. Il pousse les Didot à vulgariser l'hellénisme. Il a
la joie de lire, peu avant sa mort, le premier volume de
la traduction de Platon.
Il bonnes éditions et de bonnes traductions
désirait de
à l'usage du public lettré. Pendant vingt ans il les
demanda et quelquefois il les offrit.
Il pour son Pausanias et Coraï pour son
félicite Clavier
Isocrate. prépare en 1807 une édition critique de Xéno-
11

phon sur les manuscrits de Tacconi, il trouve en France


et en Italie beaucoup de vieilles leçons inconnues des
premiers éditeurs. Il offre à Sainte-Croix un texte plus
correct de VÉquilation, il fait relever par un certain Amati
les variantes de quatre manuscrits de l'Anabase, il prie
Sainte-Croix de lui trouver un libraire qui n'y perdrait
pas à l'éditer « Si le grec ne se vend guère (car entre
:

nous les lecteurs sont cinq ou six en Europe), il se vend


cher il y a toujours un certain nombre d'amateurs sur
:

lesquels on peut compter. » 11 lui demande de choisir


aussi un homme instruit et dévoué pour surveiller le
tirage, M. Boissonade par exemple, qu'il paierait de
retour en services philologiques.
Dans une bibliothèque de Florence, il découvre en 1809

un fragment inédit de Daphnis ei Chloé. La fameuse


histoire de la tache d encre est bien connue. Boissonade
et Clavier le félicitent. Il songe à remettre le fragment à
Renouard qui était de passage à Florence, puis il change
d'avis. Il a l'idée d'une édition complète de Longus qu'il
mènerait de front avec une revision de la traduction
COXTRE LA GRECE DES BOUDOIRS 117

d'Amyot. Il s"eri ouvre à F. Didot, le jour môme où il


prépare sa retraite du côté Renouard. K. Didot lui sem-
blait plus reluisant pour éditer le joli volume qu'il
comptait donner au public. Il quitte Florence, passe
quelques jours à Rome et s'installe à Tivoli. Sa tâche
l'effraye. 11 a peu de matériaux sous la main et il aurait
grand besoin de laide de Boissonade; mais il espère
mener à bonne fin 1 édition rêvée qui « s'imprimera à
Paris, s'il plaît à Dieu et à Didot ». Brusquement, et sans
qu on sache de quoi il retourne, il part en août pour
Rome où il fait imprimer à ses frais cinquante-deux
exemplaires du fragment inédit. Le gouvernement en
fait saisir une partie; adresse à Clavier
celui qu'il
n'arrive pas à destination. Pour compenser tous ces
malheurs il donna, mais bien plus tard (1821) son édition
des Pastorales de Longus.
Un texte bien vérifié, toutes les variantes, des notes
très claires mais peu nombreuses, voilà son idéal.
Llsocrate de Coraï n'y répondait pas tout à fait. Il s'en
ouvre à Akerblad Akerblad lui écrit paisiblement
et
qu'il est fort inutile de consulter tous les manuscrits,
qu'on y perd souvent son temps et que les notes de
Coraï sont plus courtes que celles de la moyenne des
hellénistes. Courier n'était pas toujours heureux dans
ses confidences.
11 voulait aussi, et surtout, de bonnes traductions. A
Florence, il s'attaque au traité de Xénophon sur la cava-
lerie. Il met ans à en venir à bout. Il adresse son
trois
manuscrit à Sainte-Croix. Il se persuade que sa double
expérience de cavalier et de philologue profitera au
public et même aux érudits. « Ma traduction pourra être
utile à ceux mômes qui liront ces livres en grec car il y a
dans de tels écrits beaucoup de choses qu'un soldat peut ,

explicjuer aux savants. J'ai cherché à la rendre exacte.


J'aurais voulu qu'on y trouvât tout ce qui est dans Xéno-
phon et non moins le sens de ses paroles que le senti-
ment, s'il faut ainsi dire. Ne pouvant atteindre ce but qui
il8 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

serait au vrai la perfection d'un pareil travail, j'en ai


approché du moins autant qu'il était en moi et même
plus heureusement que je ne l'eusse imaginé, en quel-
ques endroits où vous ne trouverez guère à dire qu'une
certaine naïveté propre à cet auteur. » La traduction
paraît en 1809, à Paris, par les bons soins de S. de Sacy.
11 occupe les loisirs d'une villégiature en Suisse à tra-

duire librement la Vie de Péridès de Plutarque. Après


sa découverte de Florence, il retouche et complète la
traduction d'Amyot et la fait imprimer chez Piatti, en
février 1810, à soixante exemplaires. Comme l'édition,
la traduction eut des malheurs. Trente exemplaires sont
envoyés à des amis dont beaucoup manquent d'enthou-
siasme. Il écrit à la princesse de Salm-Dyck : Vous
((

avez l'air de parler froidement de mon Longus comme si


j'y avais fait quelque petit ravaudage; mais. Madame,

songez que je lai ressuscité. Cet auteur était en pièces


depuis quinze cents ans : on n'en trouvait plus que des
lambeaux. J'arrive, je ramasse tous ces pauvres membres,
je les remets à leur place et puis je le frotte de mon
baume et l'envoie jouer à la fossette. Que vous semble
de cette cure? La Grèce me doit des autels. » La plaisan-
terie n'empêche pas qu'il ne se fasse la partie belle ni
qu'au fond il ne soit assez vexé. D'autres correspondants
ne répondent rien : autre ennui. Enfin la police saisit
chez Piatti vingt-sept exemplaires; il ne lui en reste que
trois qu'il garde avec lui, pour le cas où il réimprimerait
un jour cette bagatelle. Revenu à Paris à la fin d'oc-
tobre 1812, installé près de Paris l'été suivant, il fait
paraître sa traduction chez Didot. Nouvelle réimpression
en 1823 : il lui fait de la réclame dans le Courrier

français, en même temps qu'il écrit à un rédacteur du


Constitutionnel : « Parlez un peu, je vous prie, dans vos

feuilles de ma belle traduction d'Hérodote, fort belle


suivant mon opinion. Des personnes habiles, sur un
premier essai qui parut l'an passé, en ont dit leur avis
qui n'est pas tout à fait d'accord avec le mien. Je leur
CONTRE LA GRÈCE DES BOUDOIRS 119

réponds avijourdhui par un autre fragment traduit du


même auteur avec une préface où je défends ma méthode. »
Voyons donc cette préface et voyons aussi les notes
qu'il a jointes, la même année, à sa ti'aduction de
Longus.
Il guerre aux détestables sons d'Amyot
fait la « ... Se :

mirent à imiter ce quils entendaient et voyaient car,


oyant chanter les oiseaux, ils chantaient, voyant sauter
les agneaux, ils sautaient. » Oyant est rude à loreille, et
fait cacophonie avec voyaient. Messire Amyot n'a pas le

sens de l'harmonie. Les bonnes fortunes sont rares dans


sa traduction. S'il écrit « Les vents semblaient orgues
:

et flûtes », voilà Courier ravi bien qu'il n'y ait pas


--
d'orgues dans le texte grec, parce que cet instrument de
musique fait une addition très musicale à la phrase.
Courier, comme Villemain, définit Thellénisme par la
douceur des sons.
Amyot traduit : « Il usa d'une finesse merveilleusement
sortable à un gros bouvier comme lui ». Courier, fort en
colère, met en note : (( Dracon n'est point un gros bouvier
et il n'y a qu'un gros évêque tel qu'était messire Jacques
Amyot qui puisse entendre ainsi Longus. » Seconde
définition de l'hellénisme : la délicatesse, la mesure, le

goût pour suggérer des tableaux familiers, violents ou


voluptueux.
Ce n'est pas tout et voici l'idée à laquelle Courier lient
certainement le plus. Si l'art grec est gracieux, il n'est
pas académique. C'est une simplicité, une franchise de
bon ton, une diction « populaire et riche comme celle de
La Fontaine ». Renonçons, dans nos traductions, au
style de cour, au ton Louis XIV, à notre rage d'ennoblir,
à la langue courtisanesque. Choisissons nos expressions et
nos tours dans le parler des gens qui travaillent aux
champs, « langue plus savante que celle de l'Académie
et, comme je l'ai dit, beaucoup plus grecque ». Imitons

le langage de. « mes voisins allant vendre un âne à la


foire de Chousé ». Ne craignons pas de mêler, comme le
120 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

fitHérodote, des arcliaïsmes à notre style. « La Fontaine,


empruntant les expressions de Marot, de Rabelais fait ce
qu'ont fait les anciens Grecs et aussi est plus grec cent
fois que ceux qui traduisaient du grec. »
Courier traduisit donc des fragments d'Hérodote dans
la langue de notre moyen Age. La réussite fut médiocre
et Villemain ne fut pas plus tendre pour l'application
que pour la théorie. Villemain avait de bonnes raisons.
La naïveté de Courier est moins franche, moins naturelle
cju'il ne croyait; elle sent la recherche et Lartifice. Ses
tours populaires ont parfois une vulgarité qui n'a rien
d'antique. Son assimilation de notre moyen âge à l'hellé-
nisme assurément fausse. Il reste pourtant ceci.
est
Courier a démêlé dans l'art grec plus de simplicité que
les habiles n'en avaient découvert. Villemain disait-il au
fond autre chose? Mieux valait sans doute regarder
l'hellénisme avec les besicles de maître François Rabelais
et de La Fontaine qu'à travers les lunettes de La Harpe
et de 1 abbé Barthélémy ^
Le mêmerevirement se dessine dans l'interprétation de
la sculpture grecque.

Je donne les références dans Tordre même des questions étu-


L
diées. —
Le Globe, 3 janvier 1829. —
Courier, Lettres, 29 septem-
bre nOl, 10 septembre 1793, 25 février 1794, 8 mars 1805, 12 sep-
tembre 180G, juillet 1807, 3 octobre 1810, 28 janvier 1811,
23 juillet 1813,8 janvier 1799,23 mars 1812, juillet 1807, 10 octo-
bre 1809, G mars 1809, 12 septembre 1806. —
A. Carre), Préface des
Œuvres de Courier. —
B. Saint-Hilaire, Cousin, II, 263 (lettre de
Courier du 23 avril 1823). —
Courier, Lettres, 18 octobre 1801,
8 mars 1805, 18 octobre 1808, 21 novembre 1807, 27 novembre 1808,
14 octobre 1809, 13 mars 1809, décembre 1809, janvier 18111, 3 mars
et 24 mars 1810, 25 mars 1810, 13 octobre 1810, 2 novembre et
16 novembre 1808,27 novembre 1808, 9 mai 1810, 21 novembre 1807,
25 août 1809, 3 et 13 mars 1810, 16 mai, août, 15 septembre, 1" et
22 octobre 1810, 4 octobre 1823, 9 février 1818, 8 octobre 1823. —
B. St Hilaire, Op. cit., II, 26'f. —Goethe, Entretiens avec Eckcrmann
(voir surtout 20 mars 1831). — Courier, Œuvres, éd. P. Perrotin (en
4 vol.), 11-98, 84, 139 note, 103, 100, 94. — Lettres, juin 1805,
mars 1805, 21 novembre 1807, 25 août 1809.
CHAPITRE VII

CONTRK LE BILVU IDÉAL


I. « l'aPOLLON du BKI.VKDlhlE »; WIN'CKELMANN ET Q. DE QlINCY. = II. LES

HÉALISTES EM. DAVID ET DE KÉRATHY. = III. VÉRITÉ ET ÉNERGIE DE I.ART


:

grec; r.-rociiette.

WiNCKELMANN, daiis SOU Histoire de l'Art ^, exalto, sur


uu tou mystique, rApollou du IJelvédère « Un :

éternel printemps tel que celui qui règne dans les champs
fortunés de l'Elysée, revêt d'une aimalile jeunesse son
beau corps et brille avec douceur sur la fièrc structure
de ses membres. Pour sentir tout le mérite de ce chef-
d'œuvre de fart, il faut se pénétrer des beautés intellec-
tuelles et devenir, s il se peut, créateur dune nature
céleste, car il n'y a rien qui soit mortel, rien qui soit
sujet aux besoins de l'humanité. Ce corps dont aucune
veine n'interrompt les formes et qui n'est agité par aucun
nerf, semble animé d'un esprit céleste cjui circule comme
une douce vapeur dans tous les contours de cette admi-
rable figure.... Semblable aux tendres sarments de la
vigne, sa belle chevelure flotte autour de sa tête comme
si elle était agitée par l'haleine du Zéphyr. Elle semble

parfumée de l'essence des dieux... A l'aspect de cette


merveille de l'art... je sens ma poitrine qui se dilate et
s'élève... je suis transporté à Délos et dans les bois
sacrés de la Lycie.... Mais comment pouvoir te décrire,
ô inimitable chef-d'œuvre? » Les points de suspension
1. Pul)liée en 1764 traduite de 1798 à 1803.
122 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

indiquent des coupures et non, car on pourrait sy


tromper, Textase de Winckelmann.
// faut se pénétrer des beautés intellectuelles. Winckelmann
croit que le « beau idéal » fut la grande loi de la sta-
tuaire antique. Comment les sculpteurs grecs auraient-ils
imité la réalité? Ils ont fait un assemblage de détails
empruntés une infinité de belles personnes ». Ils ont
à «

choisi les harmonieux, ils les ont spiritualisés


plus
comme s'ils n'employaient de matière que ce qui leur
était nécessaire pour représenter une idée, ils ont réduit
au minimum le rôle de la chair, ils ont créé des types de
beauté, conformes à un modèle idéal et souverain. Leurs
dieux, qui semblent à peine toucher la terre de leurs
pieds, ont l'agilité, la jeunesse, la placidité du visage, la
tranquillité des attitudes, la décence des mouvements,
l'inaltérable sérénité du cœur, la délicatesse presque
féminine du corps où les nerfs ne font point saillie, où
les muscles simplement esquissés ressemblent « à l'ondu-
lation qu'un léger zéphir formerait sur une masse de
verre en fusion ». Les héros moins parfaits, plus musclés,
plus passionnés, participent cependant à Tidéale beauté
des Olympiens. Leurs soutTrances physiques et morales
sont contenues et l'on n'en voit que des étincelles. Les
muscles de Laocoon se contractent sous l'étreinte des
serpents mais son visage reflète une âme sereine qui
maîtrise la douleur. Niobé, cette mère de tristesse dont
les enfants tombent sous les coups des archers divins,
garde sur la figure une stupeur « qui n'altère pas les
traits de la physionomie ». Winckelmann distingue dans
la statuaire grecque l'ancien style dont le dessin était dur
et fier, le style sublime représenté par Phidias, et le beau
slyle ou style gracieux qui marque la perfection de Fart,

le style de Lysippe et de Praxitèle.

Tel fut aussi le point de vue de 0. de Ouincy, le plus


célèbre défenseur de lidéalisme grec jusqu'en 1830.
C'était un maître autoritaire et qui, pendant son secré-
tariat perpétuel à l'Académie des Beaux-Arts, fît peser sur
CONTRE LE BEAU IDÉAL 123

la jeunesse des ateliers une rude discii)line. Mais ce


n'était pas un esprit étroit. Défenseur de racadémisine,
il voyait plus loin que l'académisme. A travers liome il
avait devine la Grèce et presque prophétisé les prochaines
découvertes. Il a écrit là-dessus une fort belle page dans
l'avant-propos du Jupiter Olympien. Toutefois son esprit
de divination n'est pas allé jusqu'à dégager la sculpture
grecque de l'interprétation de Winckelmann. Son Jupiter
Olympien glorifie le beau idéal, ce système d'imitation par
lecjucl a l'idée bornée d'un homme se transformait dans
l'idée générale de l'homme ». « Une fois que Fart eut fixé
pour chaque partie du corps humain ce qu'il faut en
appeler l'idée ou l'image générale... il fut certain qu'aucun
individu ne pouvant prétendre à cette perfection dans
l'ordre naturel, les êtres qui en seraient doués par l'art
s'élèveraient autant au-dessus des formes ordinaires de
l'individu qu'un principe universel est supérieur à des
observations de détail. » Une idée ingénieuse de l'auteur
— et qui rattache cette discussion à la thèse générale de
son livre — est que le goût de Tidéal a favorisé la statuaire
chryséléphantine, la richesse de l'or et de l'ivoire offrant,
pour ainsi dire, Tidéal de la matière réuni à celui de la
forme pour représenter les figures divines.
En 1823, Quatremère publie un Essai sur la nature, le but
et les moyens de l'imitation dans les beaux-arts où il reprend

sa thèse favorite de l'idéal et sa justification par l'antique.


C'est un ouvrage de polémique. Lorsque l'auteur affirme
qu'il ne peut y avoir d'art réaliste, que les conventions
du théâtre ne sont pas dans la vie, que l'origine de la
musique n est pas dans le chant des oiseaux, que les
différents arts transposent le réel suivant leurs exigences
particulières, il est visible que ses attaques contre le
principe de l'imitation servile visent le romantisme, son
réalisme aventureux, sa confusion des genres, son igno-
rance des règles éternelles de la beauté. Chaque art a sa
« vérité imitative » qui n'est pas toute la vérité s'il :

cherche à la compléter et à l'accroître, s'il emprunte les


124 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

ressources diin autre art, il fait du joli. Et les roman-


tiques du joli. Leur peinture n'est-elle pas une sorte
l'ont

de poésie dramatique, compliquée et romanescjne? Inver-


sement leur poésie est une peinture ou prétend l'être :

« L'écrivain se croit devant une toile, il rêve qu'il a des

crayons ou le pinceau en main.... Ici la nuit aura des ailes


de gaze noire. Elle tapissera le ciel de crêpes funèbres et
les étoiles en seront les clous dorés. Ailleurs on vous fera
voltiger de petits nuages, comme de légers flocons de
laine, fuyant sur le disque argentin de la lune, etc.... » Suit
une exécution en règle du genre descriptif —
entendez le
romantisme —
en plusieurs pages dune tirade qui ne
manque ni de verve ni de couleur et cjui rappelle le
manifeste, d'ailleurs postérieur, de Nisard contre la
(( littérature facile ». Le remède à ces extravagantes fan-
taisies, ce serait l'exemple de l'art grec si l'antique n'était
point méconnu ni fâcheusement discrédité. Notre hellé-
niste le réhabilite dans la seconde partie de son livre,
consacrée au but de l'imitation » qui est de plaire. L'art
((

ne plaît que si, par les sens, il atteint l'âme, et ce n'est


pas un bon moyen d'y réussir que de copier la réalité.
L'imitation doit être idéale, ce qui ne veut pas dire
chimérique. Les statuaires grecs ont refait et réordonné la
nature. Par une coquetterie philologique qui est bien
dans sa manière, (Juatremère cite Platon et Cicéron.
Il avait un culte pour Canova et le livre qu'il a consacré

à sa mémoire n'est guère qu'une longue —


et fastidieuse
apologie. Mais il a bien compris la nature de son talent,
quand il le montre soucieux de corriger la froideur des
disciples de David, la dureté de cette école romaine. Il
compare son Endyinion endormi aux marbres du Parthénon.
Et ceci mérite réflexion.
Comment Quatremère a-t-il accueilli les découvertes en

sculpture? Ont-elles ébranlé sa foi idéaliste?


Il ne semble pas. Il achevait d'écrire son Jupiter lors-

qu'il reçut de Fauvel les dessins de deux figures éginéti-


ques. Il avait déjà fait dans son livre une place à cette
CONTRE LE BEAU IDÉAL 125

école dÉgine encore si mal connue, et reproduit plusieurs


dessins de bas-reliefs avec un commentaire où il essayait
de définir les caractères du style éginétique, affectation
du profil, sourire de la bouche, obliquité du regard et
surtout raideur des vêtements, « draperies compassées
et sans mouvements naturels dont les plis en découpure
tombent par chutes anguleuses toujours les mêmes et
semblent imitées d'après des étoffes légères plissées avec
un fer chaud S'il insiste sur le costume, c'est pour
->>.

marquer son analogie avec la primitive sculpture sur


bois, avec les figurines qu'on drapait détoffes. Les dessins
de Fauvel lui semblent justifier son hypothèse; il les
reproduit avec une note de Fauvel. Mais, ce point réservé,
les sculptures d Égine n'ont pas lair de lavoir étonné.
Les marbres du Parthénon l'ont intéressé, comme le
prouvent ses lettres à Canova. « En général il m'a semblé
que nous ne voyions dans aucune autre sculpture grecque
antique les os prononcés avec autant de savoir et
d'énergie. » 11 admire l'énergie des figures, cette tête de
cheval où, dit-il, la vérité va presque jusqu'à faire peur.
Est-il passé au réalisme? Il observe que cette vie du
marbre est souple et ondoyante et que la mollesse des
chairs et des draperies corrige la rudesse de l'ostéologie.
L'ilissus n'a-t-il pas des lignes à la fois fermes et
gracieuses? Concluez que Phidias, artiste merveilleux,
l'est surtout quand il rappelle Praxitèle'.

II

Quatremère avait un redoutable adversaire dans


Émeric-David, le réaliste qui répétait : « nature, l'idéal

L Winckelmann, Hist. de VArt, I, 343 à 413 (De l'essence de l'art),


414 à 445 (de l'expression; p. 425 Niobé et Laocoon), II, 1 à 30 et
p. 427 (éloge de l'Apollon du Belvédère). —
Quatremère de Quincy,
le Jupiter Olympien, i" partie, § 1 p. 214; Avant-Propos, IV à VU;

première partie, § 4 p. 18-20. —


Essai sur la nature de l'imitation, etc.,
p. 71, 78 à 83, 103, 144, 184, 226, 230 à 239. —
Canova et ses ouvrages^
233, 288, 313. — Lettres à Canova sur les marbres du Parthénon.
126 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

n'est qu'en toil », et qui, pour ne pas être en reste en fait


d'étymologie, expliquait le beau idéal par le beau visible :

idéal = eidô, je vois.


Visconti avait à peine révélé les marbres dElgin qu'Éme-
ric-David signale la vérité expressive de ces marbres.
Mêmes éloges à « l'éminente beauté » de la Vénus de Milo.
Pourquoi cependant ces articles nous gênent-ils un
peu? Quelque chose n'est pas net. L'auteur triomphe
modestement de ces découvertes qui, semble-t-il, forti-
fiaient sa thèse. On dirait quil s'en défie. Du moins fait-il
des réserves. Visconti avait écrit à son retour de Londres
que» l'art statuaire avait déjà touché ses bornes au siècle
de Périclès ». Émeric-David est sceptique sans doute
:

Visconti est compétent, très compétent, mais... il faut


faire la part de l'enthousiasme, mais... tous les spécia-
listes n'ont pas encore vu les marbres du Parthénon,
mais... les Anglais sont très partagés sur leur valeur. La
Vénus de Milo elle-même ne mérite pas l'enthousiasme
qui l'accueillit : Ce chef-d'œuvre ne présente pas la
»

perfection achevée de la Vénus de Médicis, l'élégance et


la grâce de la Vénus du Capitole et de quelques beaux
torses de jeunes filles que le temps a aussi respectés.... Ni
la Vénus de Médicis ni la Diane de notre Musée n'en
doivent craindre la rivalité. » Qu'est-ce que cela veut dire?
Et que signifient ces repentirs?
Ce n'est pas erreur de tactique. Émeric-David lïa pas
besoin de ces découvertes. Sa thèse lui paraît suffisam-
ment démontrée par les marbres que l'on connaissait au
xviii" siècle. Le Laocoon n'est-il pas tout en muscles et en

nerfs? La Vénus de Médicis n'a-t-elle pas un corps ferme


et charnu? Le Torse serait-il par hasard idéalisé? Il faut
être aveugle pour ne pas voir dans ces statues le triomphe
de la vie et de la vérité. Et donc, ni la frise des Pana-
thénées ni la Vénus de Milo, n'apportent rien d'essentiel-
lement nouveau. Elles ne sont pas une révélation elles ;

confirment seulement ce qu'on savait. Émeric-David n'y


tient pas plus que cela. •
CONTRE LE BEAU IDÉAL 127

Il y a autre chose. Émeric-David avec toute sa généra-


tion — rappelez-vous Villemain dans un autre domaine
— est beaucoup plus prisonnier qu'on ne de la
le croirait

grâce antique et de ses enchantements. encore


Il définit
l'hellénisme par les qualités d'élégance, d'harmonie et de
souplesse. Sa seule différence avec Quatremère c'est qu'il
croit à une habile imitation de la vie par la statuaire et
non à un embellissement de la vérité d'après un modèle
idéal. Laocoon se plaint, mais ne crie pas. La Vénus de
Médicis a des formes pleines mais voluptueuses. Les
statuaires grecs ont toujours gardé l'eurythmie des
lignes. Plus ou moins. Et c'est pourquoi Phidias n'égale
pas Praxitèle. Ses têtes de femmes sont moins délicates
et moins séduisantes. Pareillement, la Vénus de Milo ne
vaut pas la Vénus de Médicis elle n'a pas au même
:

degré la grâce féminine.


Kératry soutint la même thèse dans un ouvrage
souvent cité, intelligent, agréable, destiné aux gens du
monde —
l'auteur y insiste —
et riche en réflexions sur
Fart grec Du Beau dans les arts d'imitation (1822).
:

Le réaliste Kératry refuse à ses adversaires l'appui de


Platon. Platon n'a pas plus inventé le beau idéal qu'Aris-
tote n'a imaginé Platon a dit seulement
les trois unités.
que nos mœurs, nos sentiments, nos actes étaient des
copies d'une réalité supérieure et invisible et que les
artistes n'étaient que des copistes de copies. Il n'a pas
cru, et en tout cas, il n'a pas laissé entendre que les
poètes, les peintres, les statuaires fussent directement
initiés aux archives célestes. C'est Mengs qui a imaginé
cette étrange théorie d'art, par réaction contre ce qu'il
appelait le réalisme de Raphaël et c'est W^inckelmann qui
l'a imposée par l'exemple de la statuaire antique. Elle
n'est pas fille de Platon.
Elle ne pouvait pas l'être. Elle n'a pas un Les
air grec.
artistes grecs n'avaient qu'à ouvrir les yeux pour voir de
merveilleux paysages, des fêtes divines, des mœurs élé-
gantes et ils seraient allés chercher leurs modèles dans
128 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

un monde idéal évoqué par leurs rêveries Mais quelle I

fêtede Timagination pouvait bien valoir la fête de leurs


sens? Ils le comprenaient, car ils n'étaient point des sots.
La beauté quils ont réalisée dans leurs œuvres est celle
que leur existence délicieuse réalisait autour d'eux :

((Était-il permis de supposer que celui dont le regard


embrassait les plus charmants modèles, que celui qui les
voyait sans cesse circuler à ses côtés dans les foyers
domestiques, qui les suivait sur les bords de l'Ilissus et
sur la route ombragée dÉleusis, qui avait assisté aux
danses du Céramique, peut-être même à celles du mont
Taygète où la beauté sans voile ne manquait pas de
pudeur, qui, après s'être endormi dans ces visions, les
poursuivait encore de ses songes et errait au mili(>u des
pas mesurés des Canéphores, comment, dis-je, supposer
qu'il ne rencontrât* ensuite sous son ciseau que des
formes vulgaires? Se pouvait-il qu'après avoir vécu avec
les rivales des nymphes et des déesses il n'esquissât que
les obscures mortelles d'un climat moins favorisé des
cieux? L'enchantement devait se prolonger et les restes
épars de la Grèce Lattestent encore. »
En fait, les statues grecques sont criantes de vérité et
de réalisme. La Vénus de Médicis a l'élégance de la
femme, la Vénus de INIilo en a la robuste santé. Mai^ —
l'Apollon du Belvédère? —
L'Apollon du Belvédère
ennuie un peu Kératry. Sa grâce est efféminée, sa ligne
flexible et ondoyante n'est guère celle d'un homme, son
corps manque de vigueur. Pourtant regardez mieux.
L'œil est assuré, la narine indignée, la lèvre superbe,
l'attitude ferme et impérieuse, le regard pénétrant,
l'ensemble superbe d'énergie morale. Si vous avez du
coup d'œil, spectateur mon ami, vous direz que l'artiste
« a corrigé par une expression virile la mollesse des
formes féminines ». Le Beau idéal n'est justifié ni par les
textes anciens ni par le raisonnement ni par l'observa-
tion des faits. L'art imite la nature; l'art grec plonge
dans La réalité. C'est l'échelle de Jacob i (( Si le père des
CONTRE LE BEAU IDEAL 129

douze tribus dans son pèlerinage vit en songe des intel-


ligences éthérées descendre ici-bas et remonter vers leur
céleste patrie, elles lui apparurent sous une enveloppe
humaine; encore avaient-elles pour appui une échelle
dont les premiers degrés touchaient la terre ».
Cette sculpture tient de très près à la vie. Est-elle très
vivante"^ C'estune autre affaire. Kératry observe que les
Grecs refoulent et concentrent les passions, qu'ils corri-
gent la tristesse en une mélancolie discrète et la joie en
un contentement doux et paisible. 11 conclut que la
perfection de leur art consiste dans l'harmonie des
formes plutôt que dans leur énergie. Et comment dès
lors la Vénus de Milo, d'ailleurs admirable, vaudrait-elle
la Vénus de Médicis? Vainement, dans Tenthousiasme
<(

dune possession nouvelle, a-t-on été engagé à comparer


ce très bel antique à la fameuse statue de Florence.
Celle-ci, plus délicate, renferme un trésor de grâces qui
ne sortent pas de la nature et que, par cela même, il est
difficile d'égaler, de surpasser impossible. Comme)>

Émeric-David, Kératry est séduit parla grâce hellénique;


il regarde sourire le peuple grec en face de l'austérité
égyptienne. « Voyez comme ces mêmes dogmes que les
prêtres d Isis voilaient d'emblèmes menaçants et à lini-
tiation desquels on ne pouvait parvenir qu'à travers
des terreurs, voyez, dis-je, comment ilsdonnent dans
l'Attique le signal dune fête populaire; voyez comment,
au milieude la joie générale, les fleurs volent des
corbeilles sous les pas des ministres sacrés, comment,
échappant avec peine aux transports d'un peuple ivre
de bonheur, le navire chargé de la jeune Théorie cingle
vers l'île flottante, premier berceau des enfants de
Latonel Considérez comment la colonne légère, sur-
montée de ses volutes ioniques, se place élégamment
sous la frise du temple que vont remplir des flots d'ado-
rateurs, tandis que l'architecture sévère de Memphis pèse
sur la pensée comme sur le sol qu'elle attriste Mais !

surtout arrêtez-vous devant l'œuvre de Praxitèle! Admi-


9
130 LA RENAISSA.XCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

rez comment les l^ras de celte nymphe ont cessé d'être


collés aux hanches, comment les jambes ont fui de la
gaine qui les retenait captives, comment la tête se balan-
çant avec grâce sur les épaules obéit au doux mouve-
ment dune nature libre et heureuse et reconnaissez ;

l'influence des institutions sur le caractère du peuple


comme sur les ])roductions de leur génie. » Si je finis
sur cet éloge de Praxitèle c'est que le livre de Kératry
commence par là K

III

Beaucoup de bruit pour puisque réa-


rien, scmble-t-il,
listes comme idéalistes chantent la gloire de Praxitèle,
la rayonnante beauté de l'Apollon.
Voici pourtant du nouveau. Kératry n'aime pas Ana-
charsis, cette évocation trop efféminée de la vie antique.
Comment pas reflété le sérieux et
les arts n'auraient-ils
l'énergie des âmes?ne faut pas juger toute la sculp-
Il

ture grecque sur certaines œuvres de décadence, d'une


grâce un peu molle. Surtout, il ne faut pas s'en tenir à
la /orme et négliger de voir plus loin. Le marbre antique
ne pleure pas et ne que devinons-nous sous
rit pas. Mais
cette sérénité? Des âmes passionnées, une énergie
d'autant plus admirable qu'elle est plus réprimée. Le
suave Apollon n'est pas une allégorie vaporeuse c'est :

le dieu vainqueur, nerveux et frémissant.

Écoutons là-dessus Raoul-Piochette et son cours de


1828 où, dans un aimable décousu et à travers mille sen-
tiers de traverse, il ramenait son public à la grande
route de l'art grec, si bien que c'était un double plaisir
de s'égarer dans la foret archéologique et de se retrouver
grâce au rameau d'or.

L Ém. -David, Recherches sur VArt statuaire, p. 198, 233, 271 à 276,
329, 389, 489; Histoire de la Sculpt. antique, p. 120, 152, 159, 190. —
De Kéralry, Du Beau, elc, t. I, 257 à 317, t. U, 1 à 95, 139 (L'éloge
de Praxitèle est I, 48).
CONTRE LE BEAU IDEAL 131

Nous sommes à quelques années à peine du livre de


Kératry, et déjà le point de vue a changé. Sans doute
Piaoul-Rochette fait un mérite à la sculpture grecque de
n'avoir jamais exprimé les laideurs de la vieillesse, de
la douleur de la mort non plus que les difformités
et
corporelles. admire la tête sublime de cette Niol^é que
11

Ton plaindrait moins si son visage était défiguré par les


angoisses. Il redit lui aussi que Laocoon serait moins
beau s'il criait sa douleur physique et morale. Mais il
fait descendre TApollon du Belvédère de son rang royal
et divin. Ses admirations vont à des figures plus palpi-
tantes, à Laocoon, à Niobé, à la frise du Parthénon.
Phidias détrône Praxitèle le Cours s'achève sur lui, en
:

apothéose :

« L'Europe savante, dit-il, a retenti du grand procès

instruit devant le Parlement britannique, alors qu'il


s'agissait de déterminer la valeur de ces sculptures et
d'en fixer le prix. Les artistes et les antiquaires natio-
naux étaient partagés d'opinion sur le mérite de ces
ouvrages, et généralement cette opinion inclinait à
placer les sculptures du Parthénon au second rang
parmi les monuments antiques qui nous restent. Un
étranger fut appelé pour vider ce grand débat qui devait,
en définitif, se résoudre en guinées 6t cet arbitre unique,
ce juge suprême était un homme que l'Angleterre
empruntait à la France qui l'avait elle-même conquis sur
l'Italie c'était l'illustre Visconti, le prince des anti-
:

quaires de notre âge. Il ne fallut pas de bien longues


recherches à ce profond interprète des monuments
antiques pour apprécier à leur juste valeur, pour remettre
à leur véritable place des sculptures qui, bien que muti-
lées de toute manière, portent partout l'empreinte inal-
térable du génie. L'excellence de ces ouvrages sortis de
l'atelier de Les figures nues,
Phidias fut proclamée.
mieux conservées ou plus que celles de
entières, telles
rilissus et de Thésée, furent placées au-dessus de toutes
les sculptures connues. Les figures drapées prirent rang
132 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

pareillement en tête de toutes les statues de ce genre,


les plus parfaites que Ton possédât. Les plus beaux
ouvrages de l'art antique qui avaient paru jusqu'alors
sans rivaux, l'Apollon, le Laocoon, le Torse descendirent
de ce rang suprême qu'ils avaient occupé jusqu'alors
dans l'opinion publique et se placèrent à des degrés dif-
férents, suivant qu'ils approchaient plus ou moins de
cette école sublime, où l'idéal le plus élevé est joint à la
vérité la plus exquise. Le Torse seul se maintint immé-
diatement au-dessous ou presque à côté des sculptures
de Phidias. » Et Raoul-Rochette met en note « Telle est :

aujourd'hui l'opinion générale en Europe parmi les


artistes aussi bien que parmi les antiquaires, et l'auteur
de l'article « dans la Biographie Universelle qui
Phidias »

place les sculptures du Parthénon au second rang est à


peu près seul de son avis. »
L'art grec, dès ses origines (et c'est en cela quïl se
distingue de l'art égyptien) marche et respire dans un
peuple de dieux. Telle est à peu près la conclusion de
Raoul-Rochette. C'est la vie qui définit la perfection
de la statuaire hellénique. La grâce annonce déjà la déca-
dence. Winckelmann est à refaire.
Nos philhellènes qui vont combattre en Grèce sont
épouvantés de ce qu'ils voient. Ils tombent sur des
gueux en haillons, sur des paysages sinistres, et ils se
disent « Quel mensonge que cette grâce antique! »
:

C'est la condamnation d'Anacharsis et d'Apollon K


L'idéal du xyiii*^ siècle était ruiné. Qu'âllait-on mettre
à la place?

L De Kératry, II, 28 à 35. —


R.-Rochette, Cours de 1828, p. 15,
59, 159, 265, 286 à 290, 331, 334, 370. —
Ann. de la LUI. et des Arts,
1820. p. 5 et 389, 1823, p. 91. —
R. des D. M., T' mars 1897 (lettres
de Cavaignac). —
Sainte-Beuve, C. du L., 'XUl, 414. Gobineau, —
R. des D. M., 15 avril 1841.
CHAPITRE VIII

LA GRÈCE SANS L'ANTIQUITÉ


I. LES VOYAGEURS ET LA GRÈCE MODERNE; DÉNIGREMENT. = II. AUTRES
PRÉOCCUPATIONS. ORIENTALISME, BYZANTINISME, MOYEN AGE. = III. l'aVENIR
DE LA GRÈCE MODERNE. INDIFFÉRENCE A l'anTIOUITÉ.

LAque
Grèce
les
est à peine affranchie,
voyageurs s'y
au lendemain de 1830,
précipitent. Mais pendant plu-
sieurs années riiellénisme n'y trouve aucun profit. La
Grèce moderne attire tous les regards, soit quon la
dénigre, soit qu'elle intéresse pour des raisons étran-
gères aux souvenirs antiques.
Le philhellénisme est en baisse et toute la race d"Aga-
memnon en patit, à commencer par Agamemnon. Musset
se moque de

ce bon peuple hellène


Dont les flots ont rougi la mer Hellespontienne
Et taché de leur sang les marbres, ô Paros.

Ce n'estqu'une boutade, mais on démêle les défauts de


la race et on lui en prête par surcroît. Ses meilleurs amis
lui échappent. Les pauvres grenouilles demandent ou
acceptent un roi. Quelle pitié! Ce sera un joli royaume.
Athènes n'a ni réverbères ni trottoirs. Les routes sont
comme au temps où voyageait Thésée. Imaginez aussi
le vieux Colocotroni faisant sa cour. Ne vaudrait-il pas
mieux, suggère Lebrun, accueillir le nouveau souverain
par ce petit discours :
134 LA RE.X.lISSjyCE DE LA GRÈCE AXTIQUE

Monsieur, vous avez fait sur mer un beau voyage,


Vous avez vu la Grèce et c'est un avantage,
Car le pays est beau, surtout vu de la mer
Quand l'xVrchipel est calme et quand le ciel est clair.

Monsieur, vous nous semblez un brave gentilhomme;


A quelque autre royaume obtenez qu'on vous nomme;
Puisse sans mal de mer vous conduire un vent frais!
Et veuille Wellington vous rembourser vos frais!

Le paysage grec apporte aussi ses désillusions. Sa


grande et belle nudité, ses rochers dorés par le soleil,
ses champs incultes déplaisent à ceux qui rêvent de
vertes prairies, de frais ruisseaux et dombrages. Et
puis enfin, la Grèce ne paie point son emprunt, elle a
des brigands, elle fait des révolutions, elle change trop
souvent de ministère. Elle ment surtout a son passé.
Est-il admissible que les fds des grands artistes de
Tantiquité n'aient pas encore produit le plus petit chef-
d'œuvre depuis qu'ils sont libres? 11 est en effet inouï,
observe ironiquement Gobineau, qu'une population qui
vingt ans auparavant gardait encore les chèvres et traî-
nait des charrues de bois dans le Péloponèse n'ait pas
encore donné de. grands modèles de style.
V Les voyageurs maudissent cette race de mendiants, de
menteurs et de brigands.
Michaud, le fondateur de la Biographie Michaud n'en
croit pas ses yeux. Des vieillards à la tête rasée, aux
vêtements sales et déchirés, des enfants presque nus et
couverts d'ordures, des aveugles qui demandent l'aumône
en criant d'un ton lamentable Francese, bono francese!...
:
4
voilà la première apparition, au Pirée, de la Grèce mère
des arts, terre d'idolâtrie. Où a passé l'argent, le bon
argent du philhellénisme, des souscriptions, des bals et
des concerts? Les pauvres sont lamentables, mais les
riches sont ridicules. Ils singent la France. Quelques
jeunes femmes font venir leurs modes de Paris et se
piquent de donner dos fêtes comme à la Chaussée-d'Antin.
Les gens de Tyrinthe ont leur ferme modèle, comme à P\am-
bouillet, avec une pépinière, une école d'agriculture et
7..^ GRÈCE SAxs LAyrioriiï: 135

des mérinos. Argos a son tribunal de cassation. Tout sou-


venir antique a disparu. Cythère, 1 île des Amours, où
naissaient le laurier et le myrte, ne suffirait plus à

nourrir les colombes de Vénus. Athènes, ruinée par les


incendies et les pillards n'est guère qu'un cimetière. Cette
Correspondance (TOrienl (1833) est un pamphlet, plus
agréable qu'équitable.
Michaud avait un compagnon de voyage, Poujoulat,
.Jean-Joseph-François, le frère de Baptistin, qui s'était
chargé de la partie archéologique et qui publia sa des-
cription d'Argos et de Mycènes sous forme de Lettre à
M. Michaud de l'Académie française. Michaud était avec lui,

mais le genre épistolaire lui semblait très distingué.


Et Poujoulat est solennel, prétentieux, pontife comme il
n'est pas permis de létre « Quand on voyage pour la
:

première fois dans la Grèce, on rêve des villes superbes,


des temples aux formes élégantes, des dieux et des héros
debout sur leur piédestal de marbre, les enchantements
de la mythologie mêlés aux grandeurs de l'histoire mais :

qu'il faut peu de temps pour vous précipiter des hauteurs


de ces songes poétiques dans la triste et misérable réa-
lité! » Et c'est toujours ainsi pendant des pages; jamais

un sourire ni même plus simplement une détente, mais


toujours la phrase grandiloquente à la Chateaubriand
(Poujoulat faisant du Chateaubriand!), la formule solen-
nelle, la périphrase élégante et de bonne compagnie
comme « ces insectes de la pauvreté et de la misère » que
deviennent dans sa prose les punaises de Mycènes. Il est
incontestable que la solitude du Péloponèse a effaré Pou-
joulat; il est très sûr que les misérables tavernes d'Argos
et la cuisine en plein air ont interloqué Poujoulat qui
rêvait dAgamemnon et de sa gloire: il n'est pas niable
que l'ignorance cupide des Grecs, le prenant pour un
chercheur d'or, a désenchanté Poujoulat. Mais pourquoi
ce brave homme, si simple, a-t-il un style qui l'est si peu?
Ce n'est pas le fin et malicieux d'Estourmel qui nous
ramène davantage à l'antiquité avec son Journal d'un
136 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

Voyage en Orient^, le plus joli pamphlet contre la Grèce


avant le livre d'Aboiit. Cet incorrigible railleur se moque
de tout. A Janina, on linvite à dîner. « Les viandes, le
poisson, les légumes se succédaient rapidement; cela
aurait été bon sans l'art du cuisinier, grâce auquel rien
n'était mangeable il avait tout gâté à force de cumin et
:

de safran. Le proverbe La sauce fait manger le poisson


:

n'est pas applicable en Turquie, c'est tout le contraire.


Du reste, je me comportai héroïquement et, rappelant à
mes neveux lexemple d'Alcibiade, je Fappuyai du mien.
Je me prêtai à tous les usages, je goûtai avec mes doigts
à tous les plats, enfin je me sacrifiai pour des ingrats car
ces perfides Grecs, tout en m'empoisonnant, me repro-
chaient encore de ne pas manger.... Trois hommes et
une femme faisaient une musique enragée, miaulant,
glapissant et jouant à tour de bras de la guitare et du
tambourin. Pour un Grec, chanter fort bien ce n'est
jamais que chanter bien fort. Le consul finit par leur
jeter des pommes. Il était gris comme les autres ^ et
chantait aussi faux. » Dans une excursion à Ithaque il

s'amuse d'un guide hâbleur qui lui montre le puits


d'Ulysse, la grotte d'Ulysse, etc., et qui lui parle de
l'ordre ironique et du détroit de Gille le Bâtard. Pays de
menteurs et de voleurs. Corinthe est infestée de brigands.
« Il faut, pour s'y promener, s'entourer dune escorte,

pour y dormir solder une garnison et, sous ce rapport,


on peut dire encore aujourd'hui qu'il n'est pas donné
aux pauvres d'aller à Corinthe. Nous en partîmes le 17,
avec une bande de nos protecteurs, et moi bien con-
vaincu qu'ils allaient nous voler; quand je vis qu'ils n'en
faisaient rien et que nous approchions du port où nous
devions nous embarquer, je rendis grâce à Dieu qui a
inspiré à saint Paul, dans cette même Corinthe, ces
paroles à notre usage Nous sommes pressés mais nous
:

1. Voyage effectué au lendemain même de la révolution de Juillet,


publié seulement en 184G.
2, Ce n'était plus Pouqueville-
LA GRÈCE SANS L'ANTIQUITÉ Ul
né sommes point accablés, nous éprouvons de grands
obstacles mais nous n'y succombons point. En commen-
tant ce texte, ne soyons pas injustes envers le sort, dis-je
à mes neveux; une balle m'aurait cassé la tête à Patras,
si j'avais été debout' j'étais assis. Aujourd'hui les bandits
:

nous guettent dans les défilés de Némée comme jadis le


lion; nous nous en tirerons moins glorieusement qu Her-
cule mais nous ne serons pas dévalisés, même par nos
amis que voici. » Lamartine, avec qui il se rencontre à
Nauplie, l'emmène à une séance du Parlement grec et en
ressort émerveillé, parce qu'il a vu des représentants
arriver à cheval et rappeler par leurs gestes et leurs
expressions la belle antiquité. D'Estourmel, plus flegma-
tique et plus clairvoyant, écrit tranquillement » Je me :

souviendrai longtemps de l'impression que me causa leur


chambre des représentants où les motions absurdes se
succédaient et où le pUlage était tellement à l'ordre du
jour que Nauplie en fut menacée par les bandits que ces
députés amenaient à leur suite.... Quant à la partie pitto-
resque, les dignes députés qui rappelaient les temps
héroïques à M. de Lamartine me faisaient à moi l'effet
de caricatures ignobles, la plupart affublés de nus fracs
et se dandinant et se prélassant dans ces ridicules vête-
ments qui leur seyaient encore, plus mal qu'à nous.... Je
n ai donc rien vu qui forçât l'admiration mais beaucoup
de gens disposés à forcer les portes et les serrures. » Le
moyen de songer à l'antiquité dans ce malheureux pays!
Rien ne la réveille. La Moréc n'est qu'un repaire de bri-
gands. L'Attique est presque aussi décevante une terre :

sans eau, sans verdure, une canicule brûlante, des


insectes dévorants, et... Colocotroni. En vain cherche-t-on,
un Pausanias à la main, les monuments qui bordaient la
voie sacrée d'Eleusis : les ruines elles-mêmes ont péri.
Qu'est devenue Athènes, non pas môme l'Athènes histo-

1. A Patras il prenait des crociuis ([uand il entendit siffler des


balles. La garnison, voyant en lui un espion, le recevait à coups
de fusil.
133 LA RENAISSAyCE DF. LA GRÈCE ANTIQUE

rique mais celle de Chateaubriand, celle dont pendant


quarante ans Fauvel fit les honneurs? Tout est démoli et
brisé : « Voilà donc ce qu'à Corinthe Ion appelait la paix
d'Athènes! » D'ici peu, ce ne sont plus seulement les
tombeaux d'Euripide et de Ménandre qu'il faudra cher-
cher, mais la tombe de la vieille cité elle-même. D'Es-
tourmel monte à l'Acropole avec un guide qui, le sachant
érudit, s'obstine à lui céder le pas et à marcher derrière
lui. passe près d'une grosse horloge, cadeau de lord
Il

Elgin, ce qui rappelle ces traits de charité qu'on lit


((

dans la vie de Cartouche ». Le plateau est désert et


ravagé. Notre voyageur assiste, là encore, à la déroute
de ses poétiques visions. Je sens beaucoup de scepti-
cisme dans sa prière sur la colline' sainte « Je ne forme :

qu'un vœu en m'éloignant de la cité de Minerve, c'est que


la déesse regagne ici son ancienne influence, qu'elle
dirige la nouvelle administration, et qu'après avoir été
adorée sous tant de dénominations différentes, une
Minerve bavaroise trouve aussi sa place au Panthéon
d'Adrien. Quant aux antiquités, qu'on se hâte de profiter
de la ruine de la ville moderne pour retrouver ce qui
reste de la ville ancienne ». *

II

Pour Michaud, Poujoulat, d'Estourmel, la Grèce n'était


pas le vrai but de leur voyage. Ce qu'ils allaient chercher

c'était l'Orient. On prend la Grèce parce qu'elle est sur


la route de TAsie, puis de l'Egypte. Mais on ne s'y

arrête pas.
Le baron Taylor parcourt de Trézène et de
les ruines
Calaurie, visite Athènes, salue FAcropole, mais il a quitté

L Musset, Mardoche. —
Lebrun, le Roi de Grèce (épître de 1830).
— Gobineau, Etudes sur la Grèce moderne, p. 114, 132, 187, 235, 250.
— Sainte-Beuve Nvx Lundis, V, 303.
:

Micliaud, Corr. d'Orient, I,
29, 47, G8, 75, 84,09, 145 ix 178, 196. —
Poujoulat, Hcv. des D. M.,
l*"" mars 1832 (inséré dans Corr. d'Orient, I, 113). D'Estourmel, —
Voyage en Orient, I, 49, 00, 79, 87, 89, 90 à 115, 133, 143.
LA GRECE SANS L'AyriQlirÉ 139

Paris pour voir les obélisques égyptiens et il ramènera


celui de Louqsor. Le peintre Marilhat, qui a vu Argos
et Corinthe, écrit à sa sœur : « Je ne te dirai pas que

la Grèce est un pays charmant, bien cultivé, bien boisé,


peuplé d'habitants doux et hospitaliers, je mentirais,
mais je te dirai que c'est un pays d'un caractère superbe,
hérissé de rochers arides mais d'une forme imposante,
avec des plaines désertes mais d'une grandeur et dune
beauté magnifiques et couvertes de broussailles, de
lauriers-roses tout en fleurs, de myrtes, et de thuyas; que
les habitants y sont voleurs, canailles mais qu'ils ont des
têtes et des attitudes fort imposantes ». Marilhat est eh
route pour le Caire ; la Grèce n'est, à ses yeux, que le

vestibule de lOrient.
Lamartine, allant en Terre-Sainte, passe deux semaines
en Grèce (6 au 23 août 1832). Quelques visions classiques
se lèvent dans son imagination lorsqu'il aperçoit la côte
de Navarin; les députés de Nauplie lui rappellent les
Miltiade et les Philopoemen; un peu de Chateaubriand
lui revient à la mémoire. Mais ce n'est rien ou presque
rien. La Morée ressemble à un vaste tombeau, avec ses
rochers nus, sa terre rougeâtre, ses arbustes poudreux,
ses plaines marécageuses. Où est la beauté de la Grèce si
vantée? où est son ciel doré et transparent? La région
d'Athènes est maudite la cité de Minerve est un labyrinthe
:

de sentiers étroits, un fouillis de masures vulgaires, de


murs écroulés, de tuiles brisées. Le Parthénon est beau,
mais il est trop petit et l'effet est manqué. La Grèce est
morte et toute la poésie du passé ne saurait la réveiller :

« Que m'importe Agamemnon et son empire? Ces vieil-

leries historiques ont perdu lintéré!. de la jeunesse et de


la vérité. Je voudrais voir seulement la vallée d'Arcadie;
j'aime mieux un arbre, une source sous le rocher, un
laurier-rose au bord d'un fleuve, sous larche écroulée
d'un pont tapissé de lianes, que le monument d'un de ces
royaumes classiques qui ne rappellent plus rien à mon
esprit que l'ennui qu'ils m'ont donné dans mon enfance. »
140 LA REXAISSAyCE DE LA GRÈCE ASTIQUE

Le Voyage en Orient, quil publie en 1835, n'est pas un


voyage à travers lantiquité.
Didron visite les églises dAthènes, le monastère de
Daphné, le couvent de Saint-Luc au pied de l'Hélicon,
certains monuments de Mistra et de Corinthe, puis il

pousse jusqu'aux Météores de Thessalie. C'étaient des


couvents, juchés sur des rochers en aiguille, pareils à un
« champ de cônes gigantesques ». Une échelle appliquée

au flanc du rocher permettait l'escalade à ceux qui


n'avaient pas peur; les autres étaient hissés, jusqu'à une
hauteur d'environ cinquante mètres, dans un filet à
larges mailles manié par un cabestan. Pouqueville y
était venu, avait inspecté les édifices avec une longue-vue
et n'avait pas demandé son reste. Didron fut plus brave.
Puis il explora le mont Athos, pour faire plaisir à Ville-
main: il y découvrit même un manuscrit « Le guide de la
:

Peinture » qu'il offrit au roi de Bavière et dont il dédia


la traduction à ^^ Hugo. Mais Didron n'était pas venu
en Grèce pour faire de l'humanisme. Il avait pour mis-
sion de remonter jusqu'aux origines du christianisme en
visitant les églises byzantines, en assistant aux céré-
monies du culte grec, en apprenant la liturgie de l'Orient.
Il laissa à d'autres l'archéologie clâssicjue.
Buchon passe deux années dans l'Attique et le Pélo-
ponèse son retour
et publie à la Grèce continentale
et la

Morée (1843). Buchon a de l'esprit, de la malice, du mor-


dant. Il détaille joliment les fêtes, les costumes, les
danses, les chants nationaux majestueusement nasil-
lards, les mariages où la belle-mère offre la main à sa
future bru pour la faire entrer chez elle et la fait sauter
par-dessus un rayon de miel, un panier de beurre et une
corbeille de grains pendant que le chœur des jeunes
filles chante l'hyménée « Sortez, sortez, heureuse belle-
:

mère — Pour recevoir cette jolie perdrix —


Oui s'avance
avec pas léger et cœur léger — Et vient se placer dans
-

une jolie cage. » Il se moque aimablement de la rapacité


d'un Grec qui lavait hébergé dans son écurie, lui avait
LA GRÈCE SANS IJ ANTIQUITÉ 141

servi un poulet présenté une note où il


rôti et lui avait
avait lu avec stupeur Tant pour le poulet vivant, tant
:

pour Favoir tué, pour Tavoir plumé, l'avoir nettoyé,


ravoir embroché et tourné pendant une demi-heure,
pour, avoir fait le feu, Favoir entretenu, pour avoir pré-
paré une place dans Fécurio, avoir démonté la porte, etc.
Ce récit dun bal à la cour est aussi joli que chez About :

« A neuf heures du soir, tout le monde est réuni. dans la


salle de bal; à neuf heures et demie le roi et la reine
entrent, suivis de leur maison. Tout le monde, hommes
et femmes, restent debout aussi longtemps quils tiennent
cercle, environ une demi-heure; pendant ce temps,
chacun d'eux va de son côté, adressant la parole à Fun
ou à l'autre; puis commence la polonaise. Le roi offre la
main à une des dames, la reine à un des hommes, en
général un des chefs du corps diplomatique; les autres
chefs des légations en font autant et tous font ainsi un
tour de salle; après quoi le roi passe à une autre dame
et la reine à un autre diplomate puis la valse commence.
Tant que la reine danse, les femmes qui ne dansent pas
peuvent être assises, mais dès qu'elle quitte la danse et
se promène, elles doivent se tenir debout.... De temps à
autre on apporte quelques rafraîchissements. » Buchon
est déçu par le paysage. Il attendait mieux d'Eleusis, de
Képhisia et de FHymette Colone n'a plus ses eaux cou-
:

rantes ni son bocage sacré ni ses mille rossignols. Mais


il ne s'arrête pas à de vains regrets. Il n'est pas venu
chanter le chœur immortel de Sophocle. Il est venu
chercher les souvenirs de la chevalerie et des croisades.
Depuis longtemps, il s'occupait des chroniques relatives
au séjour des Français en Morée, au début du xiii*' siècle.
Il complète son étude sur place; il parcourt l'ancienne
principauté d'Achaïe, relève les ballades qui ont con-
sacré le souvenir de l'héroïsme de nos barons, et recueille
une foule de documents sur la quatrième croisade.
Voilà sa grande et, pour ainsi dire, son unique préoccu-
pation. Il la rappelle dans la dédicace à la duchesse
I'i2 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

d Orléans, Il que nous aurions pu faire


avait dit ailleurs
valoir les titres de notre ancienne domination quand il
s'est agi de donner un roi à la Grcee '.
Quelle place pouvait avoir lantiquité hellénique dans
ces enquêtes sur lorientalisme, le byzantinisme, la che-
valerie?

III

D'autres voyageurs enfin sintéresscnt à l'avenir social,


politique et même religieux de la Grèce,
Rien de plus curieux à cet égard que le Journal dim
Voyage au Levant (1848) de la comtesse de Gasparin. Cette
très honnête personne, d'un christianisme enthousiaste
et apostolique, s'était mis en tête de convertir les Orien-
taux et spécialement; les Grecs à la foi protestante. Le
récit de son séjour de deux mois en Grèce est uniformé-
ment sérieux et prêcheur il en pleut de l'ennui. Elle ne
:

parle que psaumes. Bible, Évangile. Près de l'Aréopage


et à Corinthe, elle ne songe qu'à saint Paul. A Delphes,
elle exorcise le vieux sanctuaire et gémit sur les pauvres
âmes qui venaient s'y abreuver d'illusions. Du haut du
tertre qui domine Eleusis, elle appelle de tous ses vœux
les missionnaires qui annonceront « la lumineuse vérité
de Christ » dans les lieux 01.1 se célébraient les mystères
de la bonne déesse. Les fêtes athéniennes l'ennuient La : «:

lecture du psaume CXLIIl me fait plus de bien ». Invitée


à un bal chez la reine, elle ne danse pas, bien entendu,
et pendant trois ou quatre heures elle demande à Dieu
ses bénédictions pour le couple royal. Elle déplore que
les bibliothèques contiennent si peu de livres chrétiens

1. L. Séché, le Cénacle de la Muse française^ p. 226. — Gautier,


Port. Coiit., 246. — Lamartine, Voyage en Orient, I, 77, 89, 92, 97,
100, 107, 110; Cours de Littérature, XllJ, p. 293. Didron, Annales —
archéologiques, I, 41 et 322 (année 1844), cf. dans l'année 1846 les
articles sous le titre « Le Mont Athos ». ^- Aiichaud, Corr. d'Orient,
I, 119 (chap. M : « la Morée au moyen âge »). — Buclion, la Grèce
continentale, p. 99, 102, 170, 179, 187, 229, 263, 377, 561. — Nève,
Voyageurs, Savants et Artistes sur le soi de la Grèce,
LA GRÈCE SANS L'ANTIQUITÉ l'i3

et tant de livres païens comme


dangereuse Iliade
cette
où tous les dieux sont des chenapans. Et ce sont des
méditations interminables sur la métaphysique platoni-
cienne, sur l'ancienne Si)arte qu'elle ne peut pas sentir,
ce qui m'étonne, le tout entremêlé de prophéties, d'invo-
cations, de versets, et d'un jargon métaphysique sur le
péché. En revenant de visiter Mégare, elle propose à ses
gens de faire un culte. Elle a pourtant quelques pages
charmantes, celles où se devine non la protestante mais
la Suissesse. Elle aime le confortable; elle n'est pas tou

jours à son aise dans les huttes de boue où on la loge et


elle s'en plaint, très gentiment d'ailleurs, car saint Paul
en a vu bien d'autres. Mais quelle joie lorsqu'au delà
d'Olympie, elle tombe sur une petite maison avec jardin,
vache, âne, arbres fruitiers, chambre simple mais admi-
rablement tenue où sèchent des oignons bien rangés! Je
lui en veux un peu d'ajouter « Comme on reconnaît à
:

ces soins la femme prudente dont parle la Bible! » mais


je préfère louer le tableau, frais comme une pastorale,
de cette bonne ménagère qui apporte à sa visiteuse
raisins, cerises sèches, noix confites, plantes odorifé-
rantes. Mme de Gasparin se sent c/iez elle en Arcadie; elle

y retrouve ses chalets suisses, ce vert des montagnes


qu'un Suisse n'oublie jamais. Oh! ce regret du vert,
comme il apparaît dans son journal et ! comme il explique
les sévérités de la la campagne grecque,
voyageuse sur
désolée, décharnée et déserte Ses regards habitués aux
!

mélèzes, aux noyers, aux lacs verts, errent tristement sur


TAttique. Elle ne réveille ni la riante mythologie ni les
poétiques souvenirs. « On trouve, dit-elle avec une
louable franchise, selon ce qu'on apporte et mon bagage
scientifique se réduit à zéro. » Elle n'est pas artiste. Les
ruines d'Eleusis et de Phigalie lui semblent mesquines;
l'Acropole, qu'elle admirait de loin, sous l'éblouissement
du ciel, la choque de près par le badigeonnage des
monuments. Nous avons avec nos doigts enlevé la
<(

teinte dorée. )>


144 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Athènes Thouvenel qui lui avait


Elle avait rencontré à
plu et qui écrivait à un ami « J'ai fait la conquête d'un
:

apôtre Thouvenel occupait depuis 1845 le poste de


>».

secrétaire de légation et il envoyait à sa famille et à ses


intimes des lettres réunies plus tard sous le titre la Grèce
du roi Olhoni. L'ouvrage est amusant et incisif. Thouvenel
est un fin diplomate cpii démêle agréablement les fds, et
même les ficelles de la question d'Orient, le petit jeu de
l'Angleterre et de la Russie, et ne croit pas que la Grèce
mérite que la France se brouille avec d'autres nations.
Il ne se monte pas la tête sur notre ami Coletti « C'est :

après tout une drôle de chose que la politique. On sue


sang et eau pour maintenir au pouvoir des gens auxquels
on ne prêterait pas quatre sous. C'est toujours la même
canaille que du temps de Thémistocle. Quels pauvres
êtres que les hommes, même lorsque Dieu les a fait
naître Grecs! Ce pays-ci, il faut bien se l'avouer après un
séjour de trois ans, n'a été qu'une illusion poétique....
La Grèce prend couleur le ministre de Turquie, M. Mu-
:

surus, à peu près assassiné, M. Lyons fou de fureur, un


cabinet imbécile, le brigandage renaissant, le trésor
vide, l'insurrection maîtresse du nord du pays, voilà les
résultats de notre grande politique et de cette adminis-
tration colettiste que M. Guizot proclamait sage et
habile du haut de la tribune.... Le pauvre gouvernement
grec ne bat que d'une aile et j'ai une horrible peur qu'il
n'aille finir dans un cloaque ». Thouvenel n'épargne rien

de ses railleries. La cour? Athènes n'est vraiment pas


((

reconnaissable. La reine malheureusement est dans le


même cas mais le roi est toujours le même. » Les poli-
ticiens? L'un d'eux me disait Je ne ressemble pas à
« :

Aristide mais j'ai quelque chose de Périclès. » Le pay-


sage? « Le Céphise est dans l'opinion du monde un
fleuve plus grand que la Loire et l'autre jour cependant

1. Publiée en 1890. Les letlres vont du 10 décembre 1845 au


18 juillet 1850 (Thouvenel, secrétaire jusqu'en 1849, fut minisire de
France de 1849 à 1850).
LA GRÈCE S.iNS L'ANTIQUITÉ 145

je l'ai sauté à pieds joints : en est un peu de même


il

des alTaires grecques. » Les usages mondains? « M. Pis-


catory ayant laissé tomber sa fourchette, l'amphitryon
retira la sienne de sa bouche, la lui passa et sen fît
rapporter une propre pour lui; mon voisin faisait passer
de son assiette sur la mienne les morceaux qu'il croyait
les meilleurs. » Il raconte de plaisantes histoires de bri-
gands qui lamusent bien plus que les souvenirs antiques.
Ses excursions archéologiques à Mycènes, à Eleusis, à
Sunium où il mena les Berlin, n'ont pas un grand intérêt.
Le snobisme ignorant l'avait dégoûté des pèlerinages.
(( Dernièrement un Français, né malin, qui avait battu
tous les environs demandait Mais j'ai encore à voir
:

quelque chose, on m'a parlé d'un endroit qui s'appelle


Marton, Miroton. —
Marathon peut-être, monsieur? —
Oui, précisément. Marathon; est-ce curieux? »
Ajoutez les voyageurs par agrément personnel, ceux
qui comme un Laurent-Pichat, un Chevreau, un G. de
Nerval visitent la Grèce pour la beauté de son ciel, de ses
horizons, de ses îles flottantes, ou ceux qui tout simple-
ment y vont pour voir du pays et changer d'air, les voya-
geurs de l'agence Cook avant l'agence Cook, ceux qu'em-
mènent dans leurs croisières le François-I'^'^ (1833) et le
Phocéen (1836). M. Perrichon lui-même est de la partie; il
s'appelle Giraudeau. Giraudeau est le chroniqueur du
François-F'"^. « Je suis à Athènes!... Je me réveille dans

Athènes!... Que les voyages sont une belle chose! Que


les émotions qu'ils font naître sont douces et puissantes
à la fois! » Giraudeau joint à sa prose de na'ives lithogra-
phies Un berceau grec en Morée (une étoffe suspendue
:

par des cordes entre deux arbres; je recommande la


bonne tête des enfants). Un prêtre turc bravant l'impré-
cation d'un Grec (il fume le chibouk en souriant tout à :

côté un Grec et un petit enfant brandissent des poi-


gnards). Funérailles des Turcs. Bain des femmes en
Orient (Giraudeau, homme chaste, dit qu'il n'a pas vu la
scène et que le dessin a été fait sur le récit d'une dame^.
10
146 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

Tout cela n'ajoutait rien à la connaissance de l'anti-


quité ^

1. De Gasparin, Journal d'un Voyage dans le Levant, I, 79, 115, 194,


230, 256, 284, 302, 325. —Sainle-Bcuve, Nvx Lundis, V, 320. —
Thouvenel, la Grèce du roi Othon, p. 8, 12, 22, 24, 54, 63, 81, 155,
185, 206, 278 à 378. — Laurent-Pichal, les Voyageuses. —
Sainte-Beuve,
C. du Lundi, V. 395. — H. de Paris, 1844, t. II, p. 21. —
L'Artiste,
11 février 1844, .30 juin et 11 août 1844, 1^' juin 1845.— Giraudeau,
« L'Italie, la Sicile, Malte, la Grèce, l'Archipel, les îhes Ioniennes et

la Turquie» [voir ch. iv, v, vin]. —


B. de Paris, 1836, XXVIII.
t. —
B. des D. M., 1" avril 1839 (article de Ségur-Dupeyron chargé d'en-
quêter sur les lazarets en Orient et qui commence son voyage par
Athènes).
CHAPIFRE IX

L'HUMANISME EN VOYAGE
I. QUELQUES ARCHÉOLOGUES E.N MISSION HAOUL-nOCIIETTE. LES PROJETS
;

DE VILLEMAIN; la mission le bas. = II. TRIOMPHE DE l'humanisme :LE


VOYAGE d'ampère; l'ÉCOLE d'aTHÈ.NES. = lïl. IMPRESSIONNISME SENS DE
:

LA BEAUTÉ DES RUINES.

A
des
côté de ces barbares que Ihellénisme ne retient pas,
voici le petit groupe des fidèles, la pieuse théorie
archéologues, artistes, humanistes.
La Commission de Morée avait mis les savants en goût,
mais pendant plusieurs années les difficultés politiques
découragent les bonnes volontés. En 1838 Raoul-Rochette
obtient une mission officielle; un habile dessinateur lui
est adjoint, un brick de guerre est mis à sa disposition.
Il débarque à Délos dont il devine, sous Tentassement

des décombres, la richesse archéologique. Puis il gagne


Athènes. II n'y est pas entré quil grogne déjà « Je ne
:

puis me faire à lidée, écrit-il à Pouqueville, d'y arriver


en fiacre ou en omnibus». Cestune sottise de moderniser
Athènes par de grands magasins et des cafés et c"est un
crime de recouvrir les ruines par des maisons, des
marchés et des casernes. II reste heureusement la colline
sacrée, TAcropole intangible, dégagée de ses bastions.
Raoul-Rochette fait mouler les bases et les chapiteaux du
Parthénon et des Propylées. Et il rentre en France avec
dix-sept blocs de granit qui formaient larchitrave du
vieux temple dorique d'Assos.
148 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Lorsqu'il parcourait la route d'Eleusis, il songeait aux


admirables travaux de la Société des DUetlantl qui,
fondée en Angleterre au xvm^ siècle pour continuer
l'œuvre de Stuart et Revett, avait tenté la restitution du
temple de Cérès à Eleusis. Eleusis était une des villes
saintes de la Grèce. Chaque année, pour la fête des
grandes déesses, une procession quittait Athènes, se
déroulait sur la voie sacrée, franchissait le Céphise sur
un pont où les initiés venaient plaisanter le cortège,
passait près des cascades qui séparaient le territoire des
deux villes et montait sur la colline d'Eleusis garnie
de monuments sacrés. Les Dilettantl n'avaient pas été
malheureux dans leur exploration et Raoul-Rochette en
souffrait un peu pour la France.
Il voyait aussi les Grecs se piquer au jeu et prendre des

mesures pour sauver leurs richesses, longtemps mutilées


par des barbares ou dérobées par des gens trop avisés.
Sous la présidence de Capodistria, une loi interdit
l'exportation des antiquités. Le Theseion est transformé
en musée avec l'allemand Ross comme premier éphore
général. Son successeur Pittakis, vaniteux mais zélé,
commence le déblaiement de l'Acropole, facilite l'accès
des Propylées et ramène à Athènes le petit musée d'Égine.
Son défaut était d'entasser les marbres péle-méle et sou-
vent dans des trous infects. Au reste il manquait de
méthode. En d837, le ministre de l'Instruction publique
Néroulos crée la a Société archéologique » d'Athènes.
Rhangabé en est l'âme. Il fait déblayer le portique de
l'Agora et restaurer le Parthénon, puis il dirige une
équipe de travailleurs sur Mycènes et sur Argos. Une si
belle activité charmait et désolait Raoul-Rochette.
En 1839, l'helléniste Villemain arrive au ministère de
l'Instruction publique avec de grands projets. Il veut
organiser méthodiquement l'exploration de la Grèce. Il
donne des missions aux Grecs installés en France, il
envoie Minoïde Minas au mont Athos, il invite Didron,
délégué par le ministère de l'Intérieur, à correspondre
//IJi'MANISME EN VOYAGE 14*J

avec lui, il charge Le Bas d'aller relever les inscriptions.

Le Bas, ancien élève de Boissonade au Collège de France,


nourri d'hellénisme, avait publié une thèse sur l'utilité
qu'on peut retirer de l'épigraphie pour l'intelligence des
auteurs anciens ;
il avait traduit les inscriptions recueillies
par la commission de Morée. Une publication sur l'île
d'Égine acheva de le mettre en vue. Il accepte avec
.

enthousiasme l'offre de Villemain, par curiosité de savant


et aussi par dévouement de patriote, car il était un peu
gêné de sentir la France en retard sur l'Allemagne. En
quelques mois son plan est arrêté et il le communique à
Villemain. Il utilise comme guides Strabon et Pausa-
nias d'une manière générale. Pouqueville, Leakc et les
rapports de Blouet pour le Péloponèse, 0. Millier pour
Athènes, Tournefort Ross pour les îles. Pendant deux
et
ans il parcourt la Grèce avec Eugène Landron comme
dessinateur. 11 publie à son retour un rapport de mission,
puis il donne les premières livraisons de son Voyage
archéologique en Grèce et en Asie Mineure. Divers accrocs
retardent l'impression et il meurt sans achever son
œuvre qui fut continuée par Waddington et M. Foucart.
M. Salomon Rcinach l'a rééditée. Elle comprend un
itinéraire assez court, illustré de planches nettes et fines,
soixante-douze paysages et une carte. La précision des
lignes rend fort bien la sécheresse et la pureté de l'horizon
grec, comme dans la <( Vue générale d'Athènes »,dans
« l'Académie et Colone » ou encore dans « l'Enceinte de
Messène ». Viennent ensuite les planches des monuments

figurés, dessins d'architecture, fort nombreux pour l'Asie


Mineure, plus rares mais intéressants pour Athènes et
l'Attique; planches de sculpture (monuments de Sparte,
Epidaure, (iortyne, Athènes, etc.), sculptures archaïques,
fragments de la frise du Parthénon, ornementation des
murs des Propylées (un lutteur se frottant avec le stri-
gile),marbres de toute espèce, bas-reliefs, stèles, vases
funéraires. Le Bas avait moissonné tout ce qu'il avait
trouvé, des marbres en Carie, des bas-reliefs à Athènes, à
150 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Gortyne : Thésée invoqué comme héros protecteur de


l'Attique, les Neuf Muses entre Mercure et Apollon,
Jupiter assis près d'Hébé et Mercure. L'épigraphie a
naturellement la place d'honneur dans le recueil une :

grande quantité d'inscriptions transcrites, traduites et


expliquées, cataloguées par région, avec la description
du marbre ou du calcaire et la date de la découverte.
En 1S45 Villemain n'est plus ministre, mais l'élan est
donné. L'opinion publique n'y est pas défavorable. Deux
articles retentissants de la Revue des Deux Mondes viennent
de réveiller les ardeurs des philhellènes. J.-J. Ampère a
étudié de près « le mouvement intellectuel en Grèce » et

dressé une statistique minutieuse de cette renaissance,


d'après les documents de son ami Schinas. Duvergier de
Ilauranne a parlé « de la situation actuelle de la Grèce
et de son avenir » et prophétisé sa résurrection politique
et économique. Les de Rhangabê,
Antiquités helléniques
répertoire des découvertes faites depuis l'affranchis-
sement de la Grèce, excitent lardeur de nos savants.
Peut-on d'ailleurs se laisser distancer une fois encore par
les Dilettanti qui rentrent en scène? Sous les auspices de
FAcadémie des Beaux-Arts et de l'Académie des Inscrip-
tions, les architectes de l'École française de Rome
partent pour la Grèce. Théodore Ballu, habile dessinateur
en six feuilles de dessin polychrome
et coloriste, restaure
le temple d'Athéné Poliade et enlève la grande médaille
de la section de peinture au Salon de 1846. Paccard
devine, en même temps que l'anglais Penrose, que le
Parthénon ne formait pas un parallélogramme régulier,
mais que légèrement renflées vers le
les lignes étaient
milieu de manière à donner à l'œil l'illusion de la ligne
droite il envoie à Paris une remarquable restitution du
:

temple en tenant compte de l'inclinaison des murs et des


courbures des colonnes. Un des premiers élèves de notre
École d'Athènes, Emile Burnouf, signale au public cette
intéressante découverte dans un article où il analyse, avec
une précision mathématique, la construction du Parthé-
L HUMANISME EN VOYAGE 151

non, la nature des matériaux, la teinte des pierres, les


courbes doriques et les lois de la statique. La mission
Boulanger est chargée de relever le plan de tous les
édifices antiques i.
Mais tout cela est peu de chose encore. L'âge d'or n'est
pas venu pour Tarchéologie.

II

Presque tous ceux qui- font leur pèlerinage sur l'Acro-


pole sont des humanistes en voyage.
Ne leur parlez pas de ruines, d'inscriptions, de
médailles. Nos hellénistes demandent à la Grèce un
sentiment plus vif des beautés littéraires. Suivre l'Ilissus
un Platon à la main pour goûter la poésie du Phèdre,
s'asseoir sous les oliviers de Colone et écouter les rossi-
gnols en relisant un chœur de Sophocle, regarder les
barques du Pirée pour se figurer les petites goélettes du
siège de Troie, cueillir à Delphes une branche de laurier,
rejeton du laurier antique, évoquer sous le ciel limpide
ou près des flots endormis les douces légendes et les
noms son'?res, utiliser les paysages, les monuments et
lesmœurs pour éclairer les descriptions et lart des
écrivains : telles sont les occupations qui, pour beaucoup
d'esprits, rapprochaient le passé malgré les siècles
écoulés, donnaient à la fable les airs de la réalité vivante

L G. Perrot, Notic2 sur R.-Rochette, p. 46. —V


Artiste, 1841, I,
330. —R des D. M., 15 octobre 1838; 1^' avril 1843; 15 octobre 1844,
l''' janvier 1815. — Buchon, Op. cit., 85-92. —
R. des D. M., \" nov.
1847 (article de Ch. —
Lévêque sur rUniversité d'Athènes). Cas.
Leconte, Étude économique de — R. des D. M., 15 août 1851
la Grèce.
(art. de Ch. Lévêque sur les Monuments d'Athènes). — Journal de
VI. Publ 15 mars 1848
, XVil, 161). — Lebas, Rapport de
(t. p.
mission (dans la Revue archéologique, 42). — Annales de l'Institut
I,

de Correspondance archéologique, XVIII. — Penrose, Lignes


t. les

courbes du Parthénon; Principes de VArchiti'clure athénienne; Cor-


les

rections optiques géométriques des


et grecs. — R. des D. M.,
Artist'js
i" décembre 1847 (article de Burnouf, reproduit dans ses Mémoires
sur l'Antiquité). — Thouvenel, Lettre du 20 juin 1848.
152 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

et ressuscitaient, dans un impressionnisme délicat, une


antiquité parée d'un nouveau charme et comme d'un sens
inconnu.
C'était la tradition de Marcellus et de Lebrun. Elle
s'épanouit dans Ampère.
Ampère était parti avec Mérimée, de Witte et Lenor-
mant (1841) pour visiter la Grèce et l'Asie Mineure, la
molle lonie, province de la Grèce. L'enthousiasme le
prend et ne le cjuitte plus. Il n'a jamais rien vu de plus
sublime que le théâtre d'Éphèse se détachant sous la
lueur pale de la lune. La chose la plus sublime est
toujours celle qu'il voit. 11 ferme les yeux sur les laideurs
ou plutôt il ne les remarque pas. Il est ivre de la lumière,
de la beauté des horizons, de la caresse de cette mer
admirable qu'il compare à une ceinture nouée autour des
rivages et ondoyant sur leurs flancs. Il est plein d'indul-
gence pour les Tartares, pour les chiens féroces de
l'Acropole de Sardes le soleil couchant éclaire la
:

montagne d'une si merveilleuse teinte violette! Il ren-


chérit sur les « harmonies » de son maître et ami
Chateaubriand. Près de Sparte il se remémore la célèbre
nuit étoilée de l'Itinéraire; Delphes même ne lui paraît pas
sauvage; il y cueille une branche de laurier « descendant
en droite ligne de feu Daphné ». Tout est plus riant qu'en
aucun lieu du monde. Ailleurs, les cigales déchirent les
oreilles mais en Grèce elles font une musique céleste.
Ampère est ensorcelé. Il ne veut voir que le divin éther
et le « sourire innombrable » des flots.
Plaisir de voyageur, mais surtout de critique. « Chacun,
disait-il, de son cabinet, peut étudier les
sans sortir
chefs-d'œuvre de la poésie, mais il manquera toujours
quelque chose à cette étude tant qu'on n'aura pas visité
les pays où vécurent les grands écrivains, contemplé la
nature qui les forma et retrouvé pour ainsi dire, leur
âme aux lieux où elle est encore empreinte.... J'ai voulu
lire Homère, Pindare, les tragiques, dans les flots, le

ciel, la lumière de la Grèce ». La nature lui explique les


V HUMANISME EN VOYAGE 153

œuvres. La grâce d'un Homère c'est ladouceur de Tlonie;


laustérité dun Pindarc c'est la rudesse du climat
béotien. Un
horizon admirable mais limité, des contours
pleins de fermeté et de douceur, des plans qui fuient
avec grâce, tour à tour revenant à la lumière et rentrant
dans l'ombre, des lignes nettement dessinées et pourtant
caressantes, de la lumière, de la mesure, de la suavité :

c'est le paysage athénien et c'est l'art attique. Il s'ingénie


aux rapprochements subtils, aux concordances où il ne
saisit d'ailleurs aucun rapport de cause à effet. Le
voyageur observe et le critique transpose. Les flots de
TArchipel sont paisibles mais sans calme plat admirez :

donc comment toujours la vie palpite sous la sérénité de


l'art antique. Pourquoi la poésie épique d'un Homère

vaut-elle surtout par les épisodes? Regardez cette nature


grecque, généralement désolée, s'égayer, de place en
placé, en vallées délicieuses « Au milieu des campagnes
:

stériles de lAttique, au sein des gorges de la Phocide,


il suffira de quelques oliviers, de quelques pins, de
quelques lentisques, d'un beau platane, pour créer dans
un coin du paysage un petit tableau qui sera complet
comme une comparaison d'Homère. En somme, ce qu'il
y a de plus beau dans la nature de la Grèce, ce sont les
accidents et ce qu'on pourrait appeler les épisodes. Ne
sont-ce pas les accidents que les poètes grecs excellent à
peindre? » Vous le contristeriez beaucoup si vous en
doutiez.
C'est un humaniste. Il l'est jusqu'à l'obsession. Comme
les paysages, les monuments lui expliquent les poèmes.
Il n'aime pas les ruines, il ne les comprend pas. Ou
plutôt non; il les comprend, mais à sa façon. Ici encore,
il transpose. Voici les gracieuses volutes d'une colonnade

ionique. Ampère tourne autour et murmure : C'est un


vers d'Homère. Voici des édifices aux chapiteaux très
divers, dont l'ensemble réalise pourtant une délicate
harmonie. Ampère dit Gomme ces Grecs avaient le sens
;

de la liberté dans l'art Lisez Proinéthée, les Perses, OEdipe-


1
154 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Roi! Si le temple de Thésée a ses colonnes légèrement


infléchies, ny a-t-il pas aussi « dans Texpression poé-
tique des Grecs, quelque chose de semblable à cette
pente ou à cette courbure à peine sensible qui paraît être
la ligne droite, la ligne géométrique et qui ne l'est
point »? Ampère est surpris de découvrir tant d'analogies
entre la langue et le marbre. Et nous donc!
dit encore, empruntant une phrase de Lebrun, que
Il

la Grèce ancienne se retrouve partout dans la Grèce


moderne. Entendez que les vestiges des anciennes
croyances éclairent pour lui l'antique poésie. La survi-
vance des mœurs d'autrefois, ruines vivantes, ressuscite
Homère et T^schyle. Le Grec est resté curieux, versatile,
menteur et hospitalier. La vie de famille n'a pas changé.
Les femmes sortent peu, comme au temps d'Ulysse. On
fête toujours les noces avec des flûtes, des lyres, des
processions aux flambeaux, des chants à la porte de la
chambre nuptiale. La 'danse d'Ariane s'exécute encore
avec un mouchoir ou un fil qui rappelle celui du laby-
rinthe. Les funérailles ont leur cortège de pleureuses qui
chantent leurs myriologues, et l'on continue à offrir aux
morts le vin des libations, l'huile et les gâteaux. Le cos-
tume a peu varié, la cuisine est restée primitive. Comme
au temps d'Homère on embroche le mouton qui rôtit
tout entier sur un grand feu. « La guerre de l'indépen-
dance a renouvelé le passé de la Grèce; les scènes de la
vie homérique sont redevenues les scènes de la vie jour-
nalière. Les chefs sont descendus de la montagne, la
chevelure flottante, portant leurs belles knémides on :

s'est trouvé en pleine Iliade. On n'a vu que combats


singuliers, précédés de défis et d'injures.... Cependant
des chanteurs, des Homères inconnus mais inspirés,
célébraient ces faits héroïques dans la langue de leur
vieil aïeul, tandis que les jeunes patriotes des villes
répétaient le chant de Riga dont le début célèbre Allons, :

enfants des Hellènes;... est emprunté aux Perses d'Es-


chyle. »
L'HUMANISME EN VOYAGE 155

Ampère est un promeneur qui na que littérature en


tète. Il demande aux paysages, aux ruines, aux coutumes

modernes un commentaire original et minutieux de la


poésie du passé; bien différent en cela de son compagnon
Mérimée qui voyage en historien moraliste et en archéo-
logue. Tous deux jouent aux propos interrompus. Ils ne
sentendent que s'ils parlent de Paris et de leurs amours.
Cet Ampère amoureux, artiste, enthousiaste, un peu
déséquilibré, fut un de ces esprits ouverts, intelligents
qui ne laissent rien d'accompli parce qu'ils se dispersent
trop. Sainte-Beuve appréciait cette lil^re fantaisie qui
chassait plus d'un lièvre à la fois et que son gibier menait
ainsi sur bien des pistes. Mais Ampère aurait marqué
davantage, s'il s'était davantage discipliné. Sachons-lui
gré pourtant d'avoir fait aimer sa Grèce chérie et d'avoir
voulu en renouveler rintelligence. Si certains de ses
commentaires furent des rêveries toutes pures, sa
méthode pour élargir la critique littéraire ne manquait
ni d'ingéniosité ni de délicatesse. Et si son humanisme
s'égara parfois en de jolis mensonges, ses chers Grecs
n'en auraient que mieux goûté les pages aimables qu'il
leur a consacrées dans la Grèce, Rome et Dante (1848) K
Avec Ampère, on se croirait déjà en pleine École
d'Athènes.
L'École fut instituée par une ordonnance de Salvandy

1. La partie de cet ouvrage consacrée à la Grèce avait déjà paru

presque entièrement dans trois articles de la R. des D. M., sous les


titres :« une Course dans l'Asie Mineure », 15 janvier 1842 (lettre

à Sainte-Beuve) et « la Poésie grecque en Grèce », 15 juin et l*' juil-


let 1844. —Cf. du même auteur Littérature, ]^oyage et Poésies (les
:

poésies sont au t. II; trois d'entre elles sont rangées sous le titre
« Grèce ancienne et moderne »). —
Sainte-Beuve, article de la
jR. des D. M., 1^'" septembre 1868 {Port. Cont., III, et Nouveaux Lundis,

XIII). — Mérimée, Portraits historiques et littéraires (où est la Réponse


au dise, de réception d'Ampère; cf. Bapp. acad., années 1840-49,
p. 695). —Herriot, Mme Récamier et ses amis (chap. xv à xix). —
S. de Sacy, Variétés littéraires, I. — B, Saint-Hilaire, la Philoso-
phie des deux Ampère. — Scherer, Etudes sur la Litt. cont. — Filon,
Mérimée et ses amis, p. H, 74, 124, 128. —R.des D. M., l*"" avril 1849.
15G LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

du 11 septembre 18i6. Sainte-Beuve espérait qu'elle serait


une mission permanente darchéologues et de philologues.
Il ne fut pas écouté. Il s'agissait bien de science. Mais
de quoi sagissait-il? On ne le savait pas nettement. Il
fallait envoyer des « missionnaires », on verrait ensuite à
quoi les occuper. Des hommes politiques jugèrent très
habile d'employer ces jeunes gens à ruiner le prestige
de TAngleterre et à faire l'article pour la France. Mais
Piscatory, qui avait des craintes et qui savait que l'habit,
fùt-il diplomatique, ne fait pas le moine, Piscatory invita

cette bande d'agrégés oisifs à faire des conférences


publiques et à décrasser les Grecs. Ce fut un bel enthou-
siasme qui gagna tout le monde sauf les orateurs. Il dura
quelques mois. L'ambassadeur n'insista plus.
Alors ce fut l'âge d'or pour tous. ((Fais ce que
voudras. » Les paresseux s'asseyaient à Tombre, buvaient
le café, regardaient la mer, rêvaient devant les nuits
étoilées, couraient parfois les salons . Quelques-uns
essayaient de réaliser le rêve de Sainte-Beuve. Burnouf,
avec les pensionnaires architectes venus de la villa
Médicis, étudiait les Propylées et le Parthénon pendant
qu'Henriot cataloguait les découvertes. Mais la plupart
se défiaient de l'archéologie et raillaient les « anti-
quailles ». L'idée qu'on pût faire des fouilles leur sem-
blait une énormité. L'un deux lisait un jour sur un
monument « Ne viole pas les secrets de la tombe ». En
:

vérité, il n'y songeait guère. Grenier s'intéressait aux


inscriptions, mais tout le monde convenait que c'était un
esprit paradoxal. Benoît relevait les chansons populaires,
mais le grec moderne lassait vite et comptait plus de
néophytes que de fidèles. Au fond, la grande affaire de
tous ces lettj'és fut de relire sur place les auteurs grecs
et de se pénétrer de leurs beautés par la contemplation
des paysages et des ruines. Le directeur Daveluy, bien
qu'il eût écrit un dictionnaire, encourageait cet huma-
nisme délicat; Charles Lévêque méditait sur le beau en
face du Parthénon et le grave Gandar faisait des ascen
L'HUMANISME EN VOYAGE 157

sions sur lllymette avec une solennité toute liturgique '.

Cette ivresse de Ihumanisme, personne ne la savoura


autant que Gandar, comme l'attestent ses Lettres et Sou-
venirs d'enseignement. Ses premiers mots, à son arrivée
dans la terre bénie, sont unhymne d'adoration Les : <(

côtes, le ciel limpide, les flots endormis, les douces


légendes, les noms sonores, la Grèce enfin, ma patrie
d'un moment que mon cœur salue d'une émotion pro-
fonde et que mes yeuxentrevoient à travers des larmes!...
Ce n'est plus l'Italie les lignes sont plus nettes, plus
:

pures; le ciel, malgré les vapeurs de l'horizon, est plus


harmonieux et plus fin, la nuit plus calme et plus
recueillie; les noms d'Homère et de Platon se présen-
tent à pensée qui ne les cherchait pas; on rêve à
la
Sophocle et à Phidias ». De la vie moderne rien ne l'in-
téresse. Une longue rue poudreuse, flanquée de petites
maisons neuves à un seul étage, badigeonnées en jaune
fade avec des jalousies vertes telle est la plus belle pro-
:

menade d'Athènes arrangée au goût du jour. La capitale


n'est qu'un village; le palais du roi ressemble à une
caserne ou à un hôpital. Aucune ressource matérielle :

peu de réunions mondaines, pas de théâtre. Les diman-


ches y sont plus qu'ailleurs le chef-d'œuvre de l'ennui.
Au soleil couchant, les promeneurs se réunissent sur une
grande place sans pavé, sans arbre, en pleine poussière.
Le roi et la reine viennent à cheval, traversent deux
fois la foule; la musique joue, la cour se retire, tout se
disperse. Notre Lorrain, si grave d'ordinaire, a ses heures
de malice et de gaieté. Il se moque très gentiment du
bon peuple hellène et de son roi « J'ai été présenté à :

Leurs Majestés. Le roi Ëtes-vous depuis longtemps en


:

Grèce? —Depuis six mois. Sire. —


Ce séjour sera utile à

1. On trouvera tous les renseignements dans le livre documenté,


vivant et coloré de M. Radet Vllistoirj et VOEavre de VÉcole fran-
.

çaise d'Athènes. 11 me dispense de donner les références et de ren-


voyer à aucun autre article. Il contient d'ailleurs une bibliogra-
phie très soignée.
158 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

VOS études? —
Très utile, Sire. —
Avez-vous voyagé? —
Oui, Sire, en Arcadie. — —
Un beau pays? Oui, Sire.... Un
profond salut. La reine Ètes-vous récemment arrivé en
:

Grèce? —Au mois de mai. Majesté. —


Avez-vous déjà
voyagé? —Oui, Majesté, en Arcadie. —
De beaux sites? —
Oui, Majesté, de magnifiques paysages.... Deux profonds
saints )). La Promenade une gaîté narquoise
à Corinthe a
qui égratigne jusqu'aux anciens Grecs le fidèle, pour
:

une fois, touche à larche sainte. « Je me suis mis en


route avec un petit cocher grec auquel je ne me livrais
pas sans méfiance, quoiqu'il ne montât jamais sur son
siège sans faire trois signes de croix. Mais dévotion n'est
pas vertu. Tu sais l'amusante dévotion des anciens
Grecs; le culte était un contrat. Honorer les dieux, c'était
les payer d'avance de leurs bienfaits le casuel se:

comptait en cuisses de bœufs ou de chèvres tant de :

cuisses à Jupiter oii à Minerve pour piller impunément


ses voisins ou égorger ses ennemis sans combat, tant de
cuisses à Neptune pour conjurer les tempêtes, tant de
cuisses à Junon pour être heureux en ménage.... La forme
seule a changé et ce sont les mêmes prières. On a cou-
tume de porter à sa ceinture un poignard et un chapelet;
un bon palikare ne se sépare jamais de cette double sau-
vegarde. Avec le poignard on envoie l'âme du prochain
en paradis; grâce au chapelet on va ly rejoindre. »
Gandar est un peu énervé par tous ces Grecs qui le man-
gent des yeux et le tuent de questions. 11 a la chance de
ne pas savoir leur langue, ce qui le dispense de répondre.
Mais il ne paraît pas très enchanté davoir à leur
apprendre la sienne. 11 faisait deux leçons par semaine
pendant l'hiver devant un public de médecins, d'avocats
et d'étudiants. Mais dès que le printemps faisait entonner
aux enfants la chanson de l'hirondelle, il s'échappait
d'Athènes et courait les grands chemins pour faire son
bonheur des feuilles qui verdissent, des fleurs qui s'ou-
vrent.
Les ruines ne l'attirent pas. 11 n'a pas plus d'entrain
L'HUMANISME EN VOYAGE 159

pour l'archéologie que pour la conférence. Les « anti-


quités » sont un mirage. Il n'y en a presque plus. La
Grèce est pauvre. Athènes a son temple de Thésée et son
Acropole, Mycènes a ses lions et son tombeau d'Aga-
memnon. Mais en dehors de ces grandes ruines que
reste-t-il ? Des colonnes brisées comme au temple d"Égine,

des inscriptions douteuses. Tout cela vaut-il un regard?


Mais la nature est là, belle comme aux anciens jours.
Lumière, soleil, reflets de la mer, teintes du ciel, dou-
ceur laiteuse des nuits, comment ne pas être grisé par
ces merveilles? « Hier nous avons suivi la route d'Eleusis
et je suis entré à ma grande surprise dans un très beau
jardin arrosé de sources vives, parfumé de fleurs, cou-
vert d'arbres magnifiques. Regardée de nos fenêtres, la
plaine est complètement nue; on n'y distingue au delà
des chaumes que la forêt d'oliviers qui borde le Céphise
et c'est avec un plaisir inattendu et un étonnement sin-
cère qu'on découvre un peu d'eau, des platanes immenses,
des bouleaux, des peupliers, des pins, des citronniers en
fleurs, des orangers chargés de fruits. Hier soir j'étais
heureux comme un enfant.... Avant-hier, par la pleine
lune, nous sommes montés sur l'Acropole. Quelle joie
profonde de regarder aux pâles reflets du soir les Propy-
lées, le temple d'Érechthée et surtout les grandes ruines
du Parthénon, le plus beau temple du monde! Cest avec
recueillement que j'allais m'asseoir de dix en dix pas
sur les débris de colonnes, demandant, à chaque pose,
un effet nouveau à ces ruines et à cette douce lumière. »
La maison de campagne de Thouvenel, où il achève une
convalescence, l'enchante comme les Champs-Elysées
des vieux poètes. Il passe ses matinées sous une allée de
peupliers d'Italie et de vigoureux platanes, à regarder
les figuiers, la vigne, le lierre, les fleurs des orangers et
des lauriers-roses, les fruits des abricotiers, les grappes
de raisins qui font plier les treilles, toute une végétation
plantureuse qui évoque les immortelles Tlialysies. ¥A
dans la saison d'été, lorsqu'une voiture emmenait deux
160 LA REiWAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

OU par semaine nos Athéniens aux bains de mer


trois fois
et les ramenait en ville aux dernières lueurs du soleil
couchant qui détachait le Pentélique et l'Hymette, les
grandes ruines de l'Acropole et le pâle feuillage des
oliviers du Céphise, à cette heure paisible où la magie
du crépuscule poétisait le pauvre village bavarois en
l'éclairant de teintes imprévues... « ah ma bonne mère,
I

quel ciel et quelles soirées ». Gandar se recueillait dans


1

un silence religieux comme s'il eût assisté aux mystères


d'Eleusis. Tout lui donnait l'impression d'une élévation
divine, tout, jusqu'aux grenouilles d'Aristophane coas-
sant sous les joncs du ruisseau.
11 avait par bonheur une solide tête lorraine. La rêverie

ne tuait pas en lui la réflexion. Il interprète cette nature


grecque à force de la sentir. 11 devine les harmonies
mystérieuses qui l'unissent à l'histoire de la race hellé-
nique, celles par exemple qui firent choisir la région
paisible d'Olympie pour célébrer les fêtes de la concorde
et de l'intimité. 11 aime surtout que les paysages lui don-
nent, comme il dit, la clef des livres. En voyant la
lumière d'Athènes plus précise que chaude, ces cou-
leurs plus harmonieuses que tranchées, ces montagnes
si nettes quoique lointaines, un humaniste doit se dire

que Platon, Sophocle, Thucydide et Platon ne pouvaient


pas naître ailleurs. Gandar est un humaniste, à la façon
d'Ampère. 11 arrive à Ithaque avec trois exemplaires
d'Homère pour lire sur place l'Odyssée. Trois exemplaires
c'était prudent. Marcellus avait perdu son Homère à
Athènes et que serait devenu notre voyageur sans ses 1
textes chéris? Il se propose de voir, quand le soleil
déclinera, la grotte des Nymphes où Ulysse cacha les
présents d'Alcinoûs, puis, le lendemain matin, la fon-
taine Aréthuse, le rivage où Eumée gardait ses trou-
peaux. Son réveil dans l'île est un enchantement comme
s'il revoyait sa patrie après dix ans de guerre de Troie

et dix ans d'aventures. « J'ouvris à l'aube la fenêtre du


grenier où je reçois l'hospitalité comme les voyageurs
J
L'HUMANISME EN VOYAGE 161

d'Homère; à travers les eaux du port, le double rocher


qui en ferme Tenceinte, et derrière eux le mont Nérite....
Peu à peu l'aurore éclaira de lumières plus vives ce pay-
sage si simple et si calme; les coqs chantaient et des
portes entr'ouvertes les gens du faubourg s'en allaient
lentement achever la vendange dans les champs de
pierres où le vieux Laërte cultivait de ses mains ses
jeunes arbres. Dans le silence et le crépuscule, je n'avais
vécu que des scènes de YOdyssée : une à une elles appa-
raissaient à mon esprit agité. C'était Ulysse embrassant
la terre d'une patrie si longtemps pleurée, Télémaque
reconnaissant son père dans la chaumière d'Eumée, le
chien fidèle se traînant pour expirer de joie aux pieds
d'un maître que seul il a reconnu. »
Ces impressions d'Ithaque ont passé dans l'article :

« Homère et la Grèce contemporaine » qui fait suite aux


ettres et qui est l'exemple le plus curieux de cette mé-
thode critique. Homère connaissait fort bien tous les
ieux dont il a parlé, ses peintures sont exactes, ses fie-
ions sont des symboles transparents. Et puis, si le passé
de la Grèce revit sur cette terre aux yeux de qui sait l'ob-
server, n'est-ce pas l'âge homérique qui ressuscite le plus
fidèlement? Les chants de la Grèce moderne indiquent à
quelle source rustique Homère a puisé. Les costumes,
es danses, les rondes, les chœurs, les cortèges, les funé-
railles, rien de tout cela n'a changé depuis Ylliade. On
aboure encore avec la charrue homérique et les petits
navires d'Ulysse sillonnent encore les eaux de l'Archipel.
,e Grec est resté souple, vigoureux, héroïque, hospitalier.

L'orgueil d'Achille ou d'Agamemnon a plus d'une fois


ancé dans d'imprudentes aventures les héros de l'indé-
Dendance, et si la cupidité, la ruse, le mensonge furent
adis honorés dans la personne d'Ulysse, n'est-il pas vrai
jue le pirate et le klephte sont encore estimés? Serait-il
nême impossible de retrouver Ulysse dans ce Grec des
les, insinuant et subtil, Achille dans le klephte des mon-
agnes du nord, Agamemnon dans le moréate qui veut
11
1G2 LA BENAISSA^CE DE LA GRÈCE ANTIQUE

commander, Nestor dans le vieillard qu'on rencontre et

qui se fait écouter? L'humaniste qui a vu dans les villages


des îles, dans Ithaque, Tétable bien polie, le joug de buis
arrondi, la belle voiture neuve aux belles roues, celui-là,
mieux que tous les critiques, comprend la poésie fami-
lière des poèmes homériques, et, s'il les traduit, il laisse
de côté les nobles élégances, il ne pratique pas d'habiles
coupures.
Si Gandar n'avait pas visité Ithaque, Homère aurait été
moins près de son cœur et de son esprit'.

III

Sainte-Beuve a écrit, et précisément sur Gandar « Un :

humaniste qui a vu la Grèce n'est point le même que


celui qui ne l'a pas vue. Ce dernier était plus orné, plus
fleuri, plus rhétoricien, plus de seconde main, que sais-je?
il était plus quartier-latin, il était moins attique. Un
humaniste qui a vu la Grèce remet les choses classiques
à leur vrai point. En admirant Virgile, il sait combien
celui-ci,pour être tout entier lui-même, a, dû se rappro-
cher de la Grèce, y vivre d'aussi près que possible, se
tenir constamment en présence d'Homère. Homère, selon
la remarque de Gandar, a inspiré à tous ceux qui ont
visité les contrées homériques, à A. Chénier, à Chateau-
briand, à M. Lebrun, des pages où respire le vrai parfum
de l'antiquité ». Sainte-Beuve n'est point suspect d'une
excessive tendresse pour la méthode de Gandar. Il a vu
juste. L'enthousiasme de ces humanistes en voyage ne
fut pas sans profit. Quand il nous vient un peu de lassi-
tude de nos subtilités philologiques, nous revenons avec
joie à cet impressionnisme aimable, nous l'aimons pour
tout ce quïl eut déjeune, de frais, de conquérant. Comme
ces jeunes gens savaient sentir la beauté grecque Comme !

ils comprenaient les chers poètes de l'HelIade Ils ne I

1. Gandar : Lettres et Souvenirs, 1, 66, 75, 77, 87, 91, 94, 106, 1215,
148 à 162, 168, 177, 180 à 242, 204, 272, 270; II, 467 à 556.
'HUMANISME EN VOYAGE 163

découvrirent point d'inédit, c'est vrai; ne firent pas


ils

de solides conjectures. Mais aussi n'éloignèrent pas la


ils

littérature de la vie grecque ni de leur vie. Je ne puis me


résigner à voir en eux des amateurs môme très délicats.
Ils furent quelque chose de mieux. Toute âme un peu

artiste doit tressaillir de leurs ivresses; tout érudit recon-


naîtra que la précision de leurs enquêtes sur les paysages
et les mœurs a renouvelé la critique et élargi l'interpré-
tation de l'hellénisme. Certains préféreront une ligne
ajoutée au recueil des Inscriptions ou une pierre exhu-
mée par des fouilles heureuses : mais est-il absolument
nécessaire que ceci tue cela?
ne serait pas exact non plus de soutenir que Y « hu-
Il

manisme en voyage » de toute cette génération, pour


avoir préféré la littérature, a sacrifié l'art antique. Sans
doute l'archéologie ne lui doit rien mais le sens des
:

ruines ne s'y est-il pas affiné? Gandar, qui ne croit pas aux
fouilles, a le respect du marbre. Il admire les Propylées,
il se recueille devant le Parthénon. Ch. Lévêque trouve

les principes de la « Science du beau » en regardant


l'Acropole autant qu'en lisant Platon i. Le goût littéraire
se plaît aux monuments comme aux paysages ce sont :

autant de rapprochements favorables à l'intelligence des


textes. Est-il possible d'ailleurs qu'un impressionnisme
délicat ne sente pas, dans l'architecture ou la sculpture,
la révélation de la pure beauté hellénique?
Quelques artistes, voyageant en Grèce, rejoignent sur
ce terrain nos humanistes
Le peintre Aligny dessine d'après nature et grave à l'eau
forte des Vues de la Grèce (1845). Les hachures sont nettes,
lumineuses, et toutes accompagnées d'un petit commen-
taire le Pnyx; l'Aréopage; l'Acropole; l'Hymette qu'il
:

faut regarder le soir quand « le Parthénon brille comme


de For et que FHymette a la teinte et la transparence d'une
belle améthyste » l'Attique vue du pied du Pentélique
;

1. Voir plus loin pour l'importance du livre de Ch. Lévcque.


164 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

((région plutôt semée d'arbres que boisée » avec ses


chênes-lièges et ses pins; le Temple de la Victoire Aptère
restauré Turcs l'avaient renversé) le Pentélique, très
(les ;

boisé, d'une beauté sauvage; les bords de ITlissus, maigre


filet d'eau avec des lauriers-roses; Corinthe, très désolée,
où subsistent seulement les débris d'un temple qui semble
((aussi étranger dans ces lieux que le serait une statue
de Praxitèle au milieu des masures dun de nos vil-
lages »; etc.... Aligny avait déjà montré dans son Promé-
thée, exposé au Salon de 1837, qu'il sentait la grandeur
de l'art antique. L'Artiste loua ses gravures Th. Gautier ;

aussi. « M. Aligny a rendu cet azur transparent, cette


lumière rose, cette terre blonde avec une admirable fidé-
lité. Oui, c'est bien ainsi que s'élève l'Acropole, ce trépied

chargé des chefs-d'œuvre du génie humain, au milieu de


ce paysage marmoréen, sous ce ciel de saphir, aux rayons
du jour le plus pur, ayant pour fond les pentes d'amé-
thyste du mont HymetteJ Voilà les Propylées de Mnési-
clès, le Parthénon de Phidias, le temple de la Victoire
Aptère, la tour des ducs d'Athènes, toute la pure silhouette
qui reste éternellement découpée dans le souvenir du
voyageur comme un type de beauté. Quelle correction de
lignes! quelle sérénité lumineuse! quelle grâce attique! »
La Grèce par limage a ses fanatiques on traduit une :

Grèce pittoresque du D'' Wordsworth avec illustrations


sur acier et sur bois. La « machine de M. Daguerre » est
à peine inventée qu'on l'utilise pour les pays classi-
ques. Maxime du Camp, toujours ingénieux, en a l'idée,
et l'Académie des Inscriptions lui donne à ce sujet ses
instructions, dans la séance du 7 septembre 1849, au
moment où, pour la seconde fois, il s'apprête à visiter
l'Orient.
Il y partait avec Flaubert. Tous deux parcourent
l'Egypte, la Palestine et reviennent par Constantinople
et Athènes. Flaubert aime d'abord dans la Grèce ce qui
lui rappelle son cher Orient, l'éclat de la lumière, laj
splendeur des nuits, la coloration du ciel et de la terrej
V HUMANISME EN VOYAGE 165

l'opposition tranchée des teintes, l'aspect sauvage comme


le de ces paysages que la civilisa-
désert, désolé, primitif
tion n'a point gâtés. « D'Athènes à Sparte nous avons eu
de la pluie, de Sparte à ici des torrents et des rivières à
passer. Nous les passions à cheval quelquefois, le fleuve
;

n'ayant plus de gué, notre cheval y nageait et nous avions


de l'eau jusqu'au haut des cuisses.... Le paysage de Sparte
est des plus étranges et ne s'efface pas de la tête une fois
qu'on l'a vu. Il n'y a pas une seule route en Grèce.... »
Une de ses impressions les plus fortes lui est donnée par
la vallée où fut Delphes, resserrée entre deux montagnes
presque à pic, le fond plein d'oliviers noirs, des sommets
neigeux à l'horizon et des précipices dévalant jusqu'à la
mer. Il a beau plaisanter le Parnasse et songer à la belle
giieulade qu'un poète romantique n'aurait pas manqué de
lancer à la sainte montagne. 11 voit que le Parnasse aux
cimes abruptes et aux lianes ravinés n'est pas une colline
pour petits amours, et la belle gueulade, c'est lui qui
l'envoie de tous ses poumons à la Grèce du collège. « En
passant devant les roches scironniennes où se tenait
Scirron, brigand tué par Thésée, je me suis rappelé le
vers du doux Racine Reste impur des brigands dont j'ai
:

purgé la terre. Était-ce couenne l'antiquité de tous ces


braves gens-là? En a-t-on fait, en dépit de tout, quelque
chose de froid et d'intolérablement nu? » Il trouve du
caractère au paysage grec, il admire les mille découpures
des collines, les sentiers qui se tordent aux flancs de la
roche et surplombent les précipices ou la mer énergie
:

et plastique.
Énergie et plastique, c'était aussi la vie grecque d'au
trefois. Et celle d'aujourd'hui nous en donne une idée.
Le goût réaliste de Flaubert s'intéresse aux paysans
sales, aux masures où toute une famille niche dans une
même salle, aux outres de vin, aux tas de blé, aux fro-
mages secs, aux oignons enfilés, aux auges qui servent
à la fois de berceau, de pétrin et de cuvier. Voilà du
moins la vraie hospitalité antique! Et ces troupeaux de
160 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

moutons de chèvres, ces bergers aux bâtons recourbés


et
comme des crosses d'évêque, ces chiens au museau noir
qui se jettent sur le voyageur, nest-ce pas là une pasto-
rale qui sent l'Odyssée? Tout autant que V Iliade revit dans
ces musiciens ambulants, vêtus de guenilles, chaussés de
sandales de toile, couverts de grands manteaux de laine
blanche, qui s'en vont deux par deux de village en vil-
lage, le plus grand soufflant dans une vessie, le plus
jeune portant au flanc un grand bissac. Flaubert ressus-
cite une Grèce primitive que la civilisation n"a pas fardée.
Et il évoque aussi la Grèce de la belle époque, la Grèce
des processions éleusiniennes, des blanches théories, des
fêtes d'Olympie, des vaisseaux fleuris chargés de vases
et de courtisanes. Il y aurait un « crâne ouvrage » à
écrire sur « linterprétation de lantiquité ». Ce sera pour
sa vieillesse, quand son encrier, dit-il, sera sec.
Énergie et plastique, c'est aussi tout Fart grec. Cet art
était la constitution de tout un peuple, de
radicale
toute une race, du pays même. Flaubert, en face de
l'Acropole, aspire l'antique à pleins poumons. Il est ému
plus qu'à Jérusalem, il proclame que ça vaut le gothique et

que c'est plus difficile à comprendre. « Le Parthénon est


couleur de brique. Dans certains endroits ce sont des
tons de bitume et d'encre. Le soleil donne dessus presque
constamment; quelque temps qu'il fasse, ça casse-brille.
Sur la corniche démantelée viennent se poser des oiseaux,
faucons, corbeaux. Le vent souffle entre les colonnes,
les chèvres broutent Therbe entre les morceaux de
marbre blanc cassé et qui roulent sous le pied. » Il s'en-
thousiasme pour un torse féminin d'un ton fauve qui
ressemble presque à de la chair. « Un peu plus j'aurais
prié. » Je regrette qu'il n'ait pas fait cette « Prière sur
l'Acropole ». 11 aurait certainement célébré la vigueur
de l'art grec, les statues qui de respirer, les
ont l'air

chevaux de Phidias et leurs veines indiquées jusqu'au


sabot et saillantes commes des cordes.
Gautier, au retour d'un voyage en Orient, peut bien
r: HUMANISME EN VOYAGE Mil

railler rAthènes daujourd'hui, la [)ctitc villo bourgeoise


qui singe Paris, le modernisme de ses hôtels et de ses
bazars, ses voitures grotesques, calèches démantelées,
berlingots séculaires, berlines invalides attelées dhari-
delles efflanquées. Le paysage et les ruines lui font
oublier ces horreurs un hymne d'adoration s'échappe
:

de ses lèvres quand il arrive aux Propylées '.


David d'Angers, proscrit au 2 décembre, se rend en
Grèce comme dans un asile de paix et de beauté pour
son imagination d'artiste et son cœur de philhellène. 11
a raconté ses désillusions et sa douleur. Il aurait par-
donné à la vanité, à l'insolence, à l'ingratitude de la
race. Mais les milices d'Athènes s'amusent à tirer sur le
tombeau de marbre d'O. Muller; la statue qu'il avait
modelée avec tant d'amour pour honorer Botzaris est si
endommagée qu'il ne reconnaît plus sa pauvre petite
mutilée-, la Société archéologique d'Athènes se refuse à
remettre en place, pour de mesquines raisons d'argent,
une colonne du temple de Jupiter. Le peuple grec est
brutal, absurde, béotien qu'il doit faire pitié à la déesse
:

Minerve! David d'Angers se retire sur l'Acropole. 11


passe des journées entières près des marbres sacrés. Les
élèves de l'École d'Athènes remarquent ce grand vieillard
triste qui se promène autour du Parthénon, appuyé au
bras d'une jeune fille.
Artistes de toute espèce, peintres, sculpteurs, archi-
tectes, littérateurs font leur pèlerinage au pays de la
lumière et de la beauté. Ils admirent et puis s'en vont. Et
Gandar et ses amis peuvent croire en effet qu'il n'y a rien
autre chose à faire qu'à admirer et que l'École d'Athènes
c'est, en quelque façon, l'adoration perpétuelle dans les
saints lieux.
Et voici le coup de théâtre. Le 26 janvier 1850 un arrêté
du ministre de Parieu rattache l'École à l'Académie

1. Je ne fais (lu'indiquer —
à propos de leurs voyages —
Thellé-
nisme d'un Flaubert et d'un Gautier. La question sera étudiée plus
à fond dans un autre ouvrage.
1()8 LA BEXAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

dos Inscriptions; le 8 mars, Guigniaut dépose son rap-


port; le 7 août, un décret impose aux élèves un mémoire
philologique ou historique et leur prescrit d"étudier les
travaux de la Commission de Morée, le Corpus de Bœckh,
la Paléographie de Montfaucon, la Symbolique de Creuzer.
Fortoul, qui méprisait les idéologues et les purs litté-

raires, avait inspiré cette mesure


Raoul-Rochette avait
et
fait donner à fond le « L'étude de
Journal des Sauanls.
lantiquité, disait-il, repose à la fois sur l'observation la
plus attentive des monuments et sur Fintelligence la plus
exacte des textes.... Des faits bien étudiés, des textes bien
compris, des monuments bien observés, plutôt que d'in-
génieuses pages où l'imagination se joue dans les
vapeurs de l'esthétique. » Les jeunes Athéniens seront
philologues, archéologues, épigraphistes, numismates;
ils imiteront leur aîné, Burnouf, qui a si bien parlé du

vieux Pnyx et des Propylées; ils publieront de solides


articles dans les Archives des missions. La besogne ne
manque pas. La Grèce n'est pas connue. Mais Athènes
l'est-ellemieux? De Laborde ya bientôt publier deux vo-
lumes très curieux sur Athènes aux XV^^XVl'" et XVW^ siècles.
11 y montrera que jusqu'au xvii*' siècle on ne sait rien

d'Athènes et que les artistes représentent la ville avec


des toits pointus, de hauts beffrois, des flèches élancées,
des coupoles et des dômes arrondis. Les marchands, par
peur des Turcs, ne poussaient pas jusque-là. Certains
savants se demandaient si la ville existait encore et ne
serait pas remplacée par des cabanes de pécheurs.
Athènes sans doute n'est plus aussi mystérieuse qu'elle
l'était pour les gens du moyen âge, mais a-t-elle révélé

tous ses secrets? Il faut pratiquer des fouilles, déblayer


l'Acropole, remuer toute la vieille terre des Grecs.
Les humanistes sont surpris. Ils protestent avec Dave-
luy. L'École ne sera plus l'École.
Ils n'avaient pas suivi ce qui se passait en France

depuis 1830. Depuis une vingtaine d'années, la curiosité


de l'hellénisme s'organisait scientifiquement. Tout un
VIIUMAMSME EN VOYAGE 169

mouvement d'idées avait préparé la transformation des


voyages en missions '.

1. Sainle-Beuve, Nouveaux Lundis, XII, 364. — Ti). Gautier, les


Beaux-Arts en Europe, II, 127. — Du Moncel, De Venise à Conslanli-
nople à travers la Grèce (1846).— VArliste, 26 mors 1848. — Mémoires
de VAc. des /., t. XVIII, I, 102 à 110. — Flaubert, Corresp., I, 197,
200, 207 à 219, II, 11, 2.3, 31, 39, 40 à 40, 91, 103, 131, 141, 159,
184. — Th. Gautier, Constantinople, chap. m; l'Orient, I, 101 (article
inséré dans le Moniteur l'nivcrsel d'octobre 1853, sous le titre
« Excursion en Grèce »). — Jouin, D. d'Angers, I, 460, 482. —
Uadet, op. cit., p. 120 et 128. — J. des Sav., mai et juin 1850. —
Mémoires de CAc.des 1., t. XYIII, I, 210 à 217. — Mézières, Au temps
passé : VÉcole d'Athènes {Correspondant, 10 août 1905); Souvenirs d'un
Voyage en Grèce {Correspondant, 25 août 1905).
CHAPITRE X

LA CURIOSITÉ PHILOLOGIQUE
I. l'influence allemande, progrès de la philologie. = II. LES COURS
PUBLICS. LES JOURNAUX ET LES REVUES. = III. LA PHILOSOPHIE GRECOUE ;

« LACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ». = IV. QUELQUES IDÉES DE SAINTE-


BEUVE. = V. VILLEMAIN ET LACADÉMIE FRANÇAISE.

PENDANT que le vieil humanisme, renouvelé par les


voyages, souriait au charmant génie de la Grèce,
l'austère philologie travaillait à préciser, selon les
méthodes allemandes, la connaissance de l'hellénisme. La
librairie desDidot ouvrit résolument la voie avec ses dic-
tionnaires, grammaires, éditions critiques, traductions.
C'était une famille intelligente et lettrée que celle
des Didot, déjà connue au xyin^^ siècle par ses publica-
\
tions de luxe et ses élégantes typographies. François-
Ambroise avait établi une fonderie, inventé une nouvelle
presse et le papier vélin et imprimé la collection des
classiques français pour l'éducation du Dauphin. Son
second fils Firmin inventa la stéréotypie et découvrit un
procédé pour imprimer les cartes géographiques. Hellé-
niste distingué, traducteur de Tyrtée et de Théocrite, il
voulait qu'on dît la famille des Didot comme on avait dit
celle des Estienne. Dans son recueil de poésies de 1826, il
avait cité un vers de cet Henri Estienne qu'il prenait
pour modèle et il avait ajouté « Puissé-je avant de mourir

voir une nouvelle édition du Trésor de la Langue grecque,


publiée et imprimée parles soins de mon fils Ambroise! ».
Ambroise prit, Tannée suivante, la direction de la
LA CURIOSITÉ PHILOLOGIQUE 171

liljraii'ie. un bon fils. Nous le connaissons (Irjcà.


C'était
Philliellène ardent, voyageur en Orient, ami de Pouciue-
ville, disciple de Coraï, de Boissonadc et de Thurot,
bibliophile passionné, collectionneur de livres anciens,
de manuscrits et d'estampes, il était grand amateur des
lettres grecques et il travaillait alors à traduire Thucy-
dide et Anacréon. Par respect fdial et par goût, il obéit
au vœu de son père. Mais qui laidera pour cette tache?
Il a Boissonade, mais Boissonade ne peut pas tout faire.

Il s'adresse à d'autres humanistes qui se récusent est-ce:

là une besogne pour des Français? Ce seront donc les


Allemands qui y travailleront. Ambroise s'adjoint Hase
et surtout Dûbncr.
Dûbner, ancien professeur au gymnase de Gotha, était
venu à Paris, où il s'était fait naturaliser, et il avait
cherché à nouer des relations dans le monde univer-
sitaire. Il fut très fraîchement accueilli. La nouveauté de
ses méthodes inquiétait, son ton impérieux aussi. On le
soupçonna de vouloir régenter Phellénisme. Il faut se
défier des jugements de Sainte-Beuve qui, pour faire pièce
à l'Université, a fait de Diibner un petit saint. Il y eut
des froissements de part et d'autre. Ce qu'on y voit de
plus clair, c'est que la mode n'était pas encore chez
nous aux méthodes germaniques. Nos grands chefs,
défenseurs du vieil humanisme, veillaient âprement sur
le trésor des Hespérides. Dûbner entendait autrement

son Thésaurus, qui commença à paraître en 1831.


Il avait trouvé dans la maison des Didot un savant avec

lequel il faisait bon ménage. Boissonade s'était retiré du


journalisme, depuis qu'il était professeur de grec et
académicien, pour revenir à ses chères études philolo-
giques. Ses scrupules servaient ses goûts. 11 n'avait été
journaliste que d'occasion. Mais la curiosité de l'inédit,
la rccension des textes, les éditions critiques, voilà où il
se portait avec passion comme à son vrai domaine. Tout
jeune, il attaque Coraï sur certains passages de Théo-
phraste. Il se met à l'école des Allemands, de Bast, de
172 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Dinclorf,de Bœckh, surtout de Hase aux bons soins


duquel il confiera la surveillance de ses publications
posthumes, nos hellénistes français n'ayant pas « le nez
assez fin ». Lui, il est fureteur par finesse d'esprit et
passion de la va aux ignorés et aux
nouveauté. Il

méconnus, aux Grecs de décadence, aux rhéteurs ou


la
sophistes de dernier ordre et il délimite, non sans
coquetterie, la région inexplorée qu'il entend se réserver.
Les idées générales l'épouvantent; la question homérique
ne le passionne pas, bien que les Allemands s'y engagent
à fond. Pendant qu'on bataille pour ou contre Homère,
il édite tranquillement et traduit Aristénète, auteur
voluptueux de lettres galantes. Il n'aime pas le bruit. Il
ne cherche pas dans sa chaire les applaudissements
d'un public nombreux mais profane. Il préfère la sym-
pathie discrète d'un auditoire de choix. L'auditoire béné-
vole, les « hôtes », ne l'intéressent pas, mais les norma-
liens sont les fils de la maison. Dans son journal intime,
ses Éphémérides, il dit sa joie quand l'École arrive en
bande, ses inquiétudes si les bancs restent vides. Il
ne quitte sa chaire que pour explorer les bibliothèques
et les archives. Il fait sa moisson lentement mais sûre-
ment. Il collabore à la collection Lefèvre par une contri-
bution formidable; il pousse les Didot à créer (1837) cette
Bibliothèque des Classiques grecs où chaque texte est accom-
pagné de la version en latin destinée à en faciliter l'in-

telligence.
Beaucoup de librairies suivent l'exemple des Didot. On
trouvera dans Lgger le catalogue des éditions et des
traductions. Une entreprise originale, ce fut la vulgari-
sation des ouvrages de médecine. Littré commence, chez
Baillière,une traduction d'Hippocrate qui paraît de 1838
à 1862. Sainte-Beuve en a dit le plus grand bien, tout en
regrettant que la critique impitoyable des nouveaux
humanistes soit trop en garde contre les mensonges de la
Grèce et se bouche les oreilles avec de la cire contre la
voix des Sirènes. Entendez que Littré avait ruiné les
LA CURIOSITÉ PHILOLOGIQUE 173

traditionnelles légendes sur le médecin grec, sur ses


bûchers allumés pendant la peste dAthènes. Le succès
de YHippocrùte décide le docteur Daremberg à publier
une Collection des et latins. Encouragé par
Médecins grecs
Littré par Villemain, soutenu par TAcadémie des
et
Inscriptions et par l'Académie de médecine, subventionné
par gouvernement, Daremberg part pour lAllemagne
le

où il se lie avec le Hollandais Bussemaker venu à Berlin


dans le même dessein. Pendant quatre ans il fouille les
bibliothèques d'Angleterre et dltalie. La collection
commença par les œuvres dOribase. Un plan en tête
donnait l'historique de l'entreprise et la liste des publi-
cations futures. Le tome premier était dédié à Littré.
Dans tableaux qu'il a dressés de cette production
les
philologique. après 1830, Egger se montre très optimiste.
Il compte les grammaires, les dictionnaires, les traduc-
tions, les thèses mêmes publiées sur des sujets grecs à
l'instigation de V. Le Clerc, doyen de la Sorbonne. Vinet
répond qu'il n'y a pas lieu de crier miracle et, qu'en défi-
nitive, c'est un pauvre bilan. 11 faut s'entendre. Nous
comparer à FAllemagne est un mauvais tour. Notre
philologie est certainement novice, elle manque de
méthode, elle a contre elle l'humanisme, assez souvent
la rhétorique et le bel esprit, elle vient de l'étranger, elle
est suspecte à notre Université que Benan montre
endormie à laporte du cabinet des manuscrits. Mais tout
le monde ne dort pas et il en est qui se réveillent. Cette
opinion s'établit que l'antiquité, un peu desservie par la
phraséologie, sera sauvée par une science mieux infor-
mée. Si les résultats ne répondent pas encore aux efforts,
l'esprit public cependant se transforme et se laisse peu
à peu discipliner '.
Quelques exemples démontrent et expliquent celte
conquête de l'opinion par la philologie germanique.
Outre l'ouvrage d'Egger déjà cilé, voir Colincamp, op. cit., I,
1.

430, 480 et pages lu à nv, lxxxviii, xgiv. —


J. des Savants, mars,
juin 1838, décembre 1839, avril 1840, avril, mai, juin 1841. Sainte- —
174 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

II

Les Cours publics ont moins d'éclat que sous la


Restauration. Ils ont peut-être moins de fragilité.
Sainte-Beuve attribue au charme magique des leçons
de Villemain cette Jlear de Grèce qui fut un des attraits du
cours de Patin. Patin avait déjà parlé d'hellénisme aux
normaliens, aux membres de la Société des Bonnes-
Lettres et aux lecteurs du Globe lorsqu'il occupa la chaire
de poésie latine en Sorbonne. Villemain, professeur de
français, était souvent remonté aux sources grecques :

Patin, professeur de latin, ouvrit son cours en déclarant


qu'il parlerait beaucoup des Grecs à propos des Romains.
Une partie de ses conférences a été recueillie dans ses
Études sur la Poésie latine. Les excursions à travers Ihellé-
nisme y sont fréquentes, à propos d'épopée et de théâtre.
Patin est très documenté, très au courant des travaux
allemands et des plus récentes découvertes. Lorsqu'il fait
paraître ses Études sur les Tragiques grecs (1841-1843),
résultat d'une quinzaine d'années d'études minutieuses, la
critique applaudit à ce rajeunissement de l'antiquité par
un érudit qui est resté homme de goût la science fran- :

çaise n'aura plus rien à envier à la philologie germanique.


Saint-Marc Girardin commence son Cours de Littérature
dramatique par un hymne à la Grèce qu'il rattache
adroitement à un commentaire des adieux d'Iphigénie :

Beuve, Nouveaux Lundis, V, 219 et Port. Cont. (article sur Méléagre).


— Litlré, J. des Débals, 10 janvier 1858 et 25 juillet 1860. — Hille-
brand, op. cit. (sur la philologie allemande). —
Vinet, l'Art et
VArchéologie, p. 71 et 341. — Stendhal, Histoire de la peinture en
Italie,1. VI, chap. 111. —
Groiset, Préface de la Litt. gr., p. 17. —
J. Girard, Études sur la Poésie grecque (sur Antigone). Sur Dûbner— :

Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, XI: L. Séché, Sainte-Beuve, l, 326;


Troubat, Souvenirs d'un ancien secrétaire de Sainte-Beuve; Nisard,
Souvenirs et Notes biographiques, 11. —
Sur le Thésaurus Nisard, :

Mélanges d'Histoire et de Littérature-, R. de Paris, 1830, t. Xll, p. 29;


J. des Savants (plusieurs articles, par ex. celui de juin 1833, p. 373).

Patin, Études sur les Trag. grecs, IV, 398. —
Sainte-Beuve, P. Cont.,
111, 442 (sur Le Clerc).
LA CURIOSITÉ PHILOLOGIQUE 175

« Beau pays que mes yeux ont vu, qu'ils n'oublieront


jamais et dont ils aiment à évoquer le souvenir pour
éclairer les brouillards de notre ciel montagnes qui vous
;

transfigurez dans une auréole de lumière, îles char-


mantes, mer azurée, cjui faites de la terre et des eaux le
plus gracieux mélange que puisse rêver l'imagination des
hommes, fontaines dont Tonde est aussi pure que l'air
dont elles tempèrent la chaleur, fleuves qui remplacez
vos eaux que tarit l'été par la verdure et la fleur des
lauriers-roses; clarté du ciel surtout, clarté pleine de
pourpre et d'or qui dessines et qui dévoiles tout dans un
pays où l'art et la nature ont une beauté et une grâce c{ui
n'a jamais besoin des ménagements du demi-jour; douce
vue, aspects chéris qui deviez en effet rendre la vie plus
regrettable aux mourants.... » Saint-Marc Girardin, étu-
diant Tusage des passions dans le drame, revient
constamment aux auteurs grecs qu'il analyse, qu'il
commente, qu'il cite d'abondance. Beaucoup de Sophocle
et d'Euripide, un peu d'Homère et de Théocrite, Iphi-
génie, Philoctète, Electre, Andromaque, Pénélope,
Antigone, Alceste, la Magicienne de Théocrite et les
frères ennemis et Daphnis et Chloé, pour ne citer cfue
l'essentiel, lui servent à caractériser les grandes passions
de l'âme, la tendresse conjugale, maternelle et filiale,
l'amour, tous ces sentiments éternels C{ue l'art drama-
tique met en jeu. Sa critique est ingénieuse et spirituelle,
d'une lecture fort agréable, souvent amusante; sa finesse
caustique a sûrement moins vieilli que la rhétorique de
Villemain ou la solidité de Patin. Et avec cela il ne donne
pas l'impression d'être un amuseur superficiel. Il connaît
les textes, il les présente avec goût, mais il les a lus de
très près. 11 admirait beaucoup l'Allemagne. Il a fait
effort pour interpréter avec précision l'âme antique ^
Il n'était pas mauvais, cependant, qu'un spécialiste dît

Patin a loué la solidilé de son onquôlc. Sainte-Beuve, qui ne


1.

l'aimait pas, trouvait dans son Cours beaucoup de « parties belles


et sérieuses ».
176 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

son mot sur rhellénisme, après tant d autres qui n'étaient


pas de la maison. Egger fut un grand laborieux qui
exerça sans tapage une grosse influence. Docteur à
vingt ans, il se refait écolier pour suivre, à FÉcole des
langues orientales, le cours de Hase sur le grec moderne
et, au Collège de France, les conférences de Boissonade

qu'il supplée bientôt à la Sorbonne. 11 inaugure son cours

(1840) par un aperçu général de la littérature grecque


depuis les origines jusque Aristote, dont la Poétique lui
fournit le sujet de ses leçons. Il en tirera plus tard un
Essai sur VHisioire de la Critique chez les Grecs, suivi de la
traduction de la Poétique. Son Cours de 1845 porte sur
Homère et la question homérique qu'il entend faire
connaître au public avec précision et netteté, par un
résumé et un commentaire des travaux les plus impor-
tants. Un peu plus tard, il parle sur « le nouvel esprit de
la critique en matière de littérature grecque ». 11 défend
l'hellénisme contre les engouements de l'orientalisme, et
prouve que le vieil humanisme a déjà été renouvelé
depuis quelques années par les découvertes d'un Angelo
Mai", par la philologie d'un Bœckh, par le goût du
xix^ siècle pour les études sociales et politiques qu'un
Platon et un Aristote avaient déjà abordées. Une quin-
zaine d'années avant son Hellénisme en France, le plus
connu de ses ouvrages, il affirme que la renaissance des
lettres grecques, commencée au xvi'' siècle, dure toujours
et cjue nos savants, bien inspirés par l'Allemagne, songent
plus que jamais à renouer la chaîne d'or. Le meilleur de
son enseignement a passé dans ses Mémoires de Littérature
ancienne ou dans ses copieux Mémoires d'Histoire ancienne et
de Philologie. 11 a énormément publié et sur les sujets les
plus divers. Quelques titres sont un peu rébarbatifs.
Qu'on ne se figure pas cependant un savant fermé au
monde et cloîtré dans son laboratoire, l'œil fixé sur les
infiniment petits du monde littéraire. Egger ne fut pas
seulement un philologue d'une haute probité et d'une
activité incomparable. Il était né professeur. Sa grande
LA CURIOSITK PIULOLOGIOIE 177

et noble ambition fut de vulgariser les résultats scienti-


fiques obtenus par d'autres érudits et par lui-même. Sans
doute il se défiait des grandes théories, des vues géné-
rales, des belles constructions; il réagissait contre
l'éloquence d'apparat etil préférait certainement Patin à

Villemain. Je vois pourtant qu'il a rendu pleine justice


aux leçons de Villemain sur l'hellénisme. Il entendait
qu'un professeur ami dé la Grèce fît par les étudiants
l'éducation dii public mondain. Il avait la très louable

habitude d'ouvrir et de terminer ses cours, un peu


touffus et bourrés d'érudition, par d'excellentes leçons
où il dégageait l'esprit, les tendances et les conclusions
de son enseignement. Il poussait airk traductions et il en
donna deux articles judicieux sur
plusieurs. Je signale
((les Traducteurs français d'Homère » et « TArt de
traduire appliqué aux historiens grecs ». Il laisse seule-
ment regretter — mais qui n'a pas ses lacunes? —
l'absence d'une composition plus artistique, d'un style
plus littéraire on aimerait que cet helléniste distingué
:

fût plus attique.


Bien que l'enseignement supérieur n'existât guère alors
en dehors de Paris, la province commençait à avoir ses
conférenciers. Quinet plaide la cause de l'hellénisme
devant les Lyonnais. Son livre sur la Grèce, ses articles
sur la question homérique, son Prométhée l'avaient mis
en vue. Villemain lui offre de créer pour lui, en Sor-
bonne, une chaire d'histoire et de littérature grecques
ou, s'il le préfère, de dédoubler la chaire de Boissonade
qui aurait gardé la grammaire et la langue et cédé l'his-

toire de la civilisation et du génie grec. Quinet hésite et


finit par rester à Lyon où il parle pendant trois ans de
Fart antique (1837-1840). Il est très informé des choses
d'Allemagne et sa science philologique est tout à fait
au courant. Un journaliste parisien qui assiste à deux de
ses leçons sur le théâtre et l'histoire en revient émer-
veillé : (( Tandis qu'il faisait entendre cette voix gigan-
tesque qu'on ouït dans les qui allait en criant Le
îles et :
178 LA RENAISSANCE DE LA GRECE AXTIOUE

gra^nd Dieu Pan estj'ai vu des larmes couler de


mort!
tous les yeux comme chacunsisentait quïl avait aussi
quelque grande mort à pleurer dans celle-là. Mais la
Grèce ne pleurait pas comme le monde moderne. Sur la
tombe de ses croyances, elle couronnait son scepticisme
de fleurs; et comme elle accompagnait en dansant les
aïeux qui rentraient dans le sein de la terre, de môme
elle chantait avec Callimaque et animait les pipeaux de
Théocrite en conduisant les funérailles de ses dieux. Elle
avait bien raison de n'en point désespérer encore, elle
sentait qu'ils étaient immortels * ».

Les journaux sont friands dhellénisme. Je laisse de


côté les publications savantes dont c'est le rôle. La
Revue de Paris fait surtout de l'exotisme antique et donne
quelques articles amusants sur les femmes de la Grèce,
les prêtresses et les courtisanes. La Revue des Deux Mondes
vulgarise habilement les travaux de l'Allemagne. Binant
démontre le caractère réaliste de l'épopée homérique.
Lerminier étudie les historiens et les philosophes dans
un style assez prétentieux. Darestc publie un article intel-
ligent sur Babrius. Quinet étudie la formation de Ylliade,
Egger fait connaître Aristarque et se montre fort dur
pour la poésie des Alexandrins. Comme sous la Restau-
ration, le théâtre surtout est fort étudié. Du Méril parle
d'Aristophane et critique le livre de Forchhammer. Les
brillants articles de Ch. Magnin font dire que l'Alle-
magne a trouvé son maître.

1. [Sur Patin]. Palin, Études sur la Poésie latine, t. I, p. 22 (et Tou-

vragc, passim); /?. des D. M., 15 mai 1842 et 1" septembre 1843. —
[Sur Saint-Marc Girardin]. Cours de Litt. dram., I, 30 et les chap. ii,
III, X, XIV, XXIII, XXIV, XXV, XXXI, XXXII, XXXIV, XLHI, XLVllI, LUI,
Lvii, Lviii; Sainte-Beuve, G. du Lundi, I, 13 et XI, 276; Patin,
Études sur les Trag. grecs, IV, 90; Vinet, Études sur la Litt. franc, du
XIX^ s., III, GIO. Voir aussi de Saint-Marc Girardin, Souvenirs de
voyages et d'études. — [Sur Eg:ger]. Notice par Bailly; Egger, Mém.
de Litt. ancienne, p. 43, 08, 104, 209 et Littérature grecque, ch. xn. —
[Sur Quinet]. Lettres, 11, 310 et 320; B. de Paris, 1840, t. XVII,
p. 303. — On trouvera aussi des articles sur la Grèce dans Nisard,
Poètes latins de la décadence (par ex. p. 403).
LA CURIOSITÉ PHILOLOGIQUE 179

Ch. Magninétait un helléniste délicat. Un des pre-


miers, il démêlé l'atticisme de Courier. « Il reçut
avait
de la Grèce, disait-il dans le Globe, sa façon de sentir, de
juger, de s'exprimer il fut Athénien par ses idées sur
:

l'art, sur le beau. Après le génie grec ce fut ce qui s'en

rapproche le plus, le goût italien, le soleil de l'Italie,


l'art de Venise, de Florence, de Rome qui l'enchantèrent

le plus.... La pureté du goût antique passa dans sa


manière. » En 1835, Magnin fait un cours en Sorbonne
sur les origines du théâtre moderne, en partant de l'ère
chrétienne. 11 le publie avec une introduction sur le
théâtre antique. L'introduction applaudie qu'il
est si

songe à la développer. En trois années, il donne à la


Revue des Deux Mondes cinq grands articles. Il étudie la
nature du génie théâtral, le drame hiératique et ses
mystères religieux, le drame populaire et les fêtes où
le peuple intervenait comme acteur, la chorégie, les
bouffons et les mimes, les pièces aristocratiques, l'ins-

truction des chœurs, l'organisation des troupes scé-


niques, la distribution des rôles, les répétitions, la mise
en scène, la présentation et la réception des pièces, les
comités de lecture, la censure dramatique, les affiches,
annonces, billets de spectacles, etc.... Le tout appuyé sur
des lectures formidables avec des renvois aux textes, de
copieuses références, mais aussi très agréable à lire et
d'une excellente tenue littéraire.
Deschanei, professeur de grec à l'École normale, écrit
sur « Une renaissance grecque au théâtre », oppose la
tragédie antique à notre tragédie classique, définit son
caractère lyrique, sa simplicité dïntrigue, son réalisme
qui n'a pas peur de montrer les yeux sanglants d'OEdipe
et la plaie de Philoctète, sa beauté décorative c|ui nous
fait respirer et sentir partout l'agréable lumière, les

arbres, les fleurs, les ruisseaux. L'étude intitulée « les :

Derniers jours de la tragédie grecque » est un article


historique sur les successeurs des trois grands tragiques :

Deschanei utilise des fragments recueillis par la Biblio-


180 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

thèque des Didot. Sous le titre : «. Les courtisanes


grecques, Sapho et les Lesbiennes », une étudeil joint à
morale quelques traductions des poèmes de Sapho et un
commentaire sur leur brûlante énergie K

III

Los articles sur la philosophie grecque sont particu-


lièrement soignés dans la Revue des Deux Mondes.
V. Cousin continuait à étudier la platonisme dans ses
conférences de l'École normale et dans ses rapports à
l'Académie des Sciences morales que le décret du
26 octobre 1832 venait de rétablir 2. Son activité est pro-
digieuse. Il fait mettre au concours
néo-platonisme
le :

Vacherot est couronné pour son mémoire sur lÉcole


d'Alexandrie. Puis cest le tour de laristotélisme, autre
forme du spiritualisme; un travail de Ravaisson sur la
Métaphysique d'Aristote enlève très brillamment le prix.
Barthélémy Saint-IIilaire, encouragé par son maître
Cousin, ressuscite le péripatétisme au Collège de France
et commence cette formidable traduction d'Aristote qui
devait occuper une partie de sa vie. L'élan est donné.
Zévort, Havet, Waddington traduisent ou commentent;
Egger fait passer en français les subtilités de cette Poé-
tique autour de laquelle on livrait bataille depuis deux
siècles sans la bien connaître. Toutes ces études sont
extrêmement savantes. Elles reposent sur une solide
philologie. C'est ainsi quEgger résume et discute les

R. des D. M., 15 mars, 1" avril 1838, 1" seplenibre 1839, 15 avril
1.

et 15 octobre 1840 (voir aussi 15 juin 1850 « les Marionnettes dans


:

ranliquité sont les articles de Ch. Mngnin], T'" avril, l"juin,


») [ce

15 juillet 1847 [pour Deschanel]. Cf. pour les autres, 15 mars 1841,
15 juillet 1842, 15 août et 15 décembre 1843; 1" mars 1834, 15 oc-
tobre 1835, 1" février 1830, 15 août 1837, l'''' septembre 1838; 1" jan-
vier et 15 mai 1836; l" février 1846; 15 avril 1840; 1" juillet 1840.
— Revue de Paris, 1831, t. XXVllI; 1832, t. XXXIX; 1833, t. XLVII
et L; 1832, t. XLIV; 1834, t. Il, IV et V; 1839, t. XII; 1845, p. 189.
2. Décret complété par le règlement du 23 février 1833, élaboré
par l'Académie et approuvé par décret du 5 mars.
LA CURIOSITÉ l'Iin.OLOGIQUE 181

travaux de Rittcr, Duntzcr, Speiigel, Moninison. Elles


sont d'ailleurs très claires et faciles à lire. Les journaux
les annoncent, les commentent, les résument, les dis-
cutent, en citent des fragments. La Revue des Deux Mondes
publie in extenso la leçon d'ouverture de B. Saint-
Hilaire au Collège de France sur la Renaissance de
l'aristotélisme et ses causes; Saisset parle des traduc-
tions, Lerminier analyse le livre de Ravaisson et le rap-
port de Cousin. Le public eût été bien difficile ou bien
distrait s'il n'avait pas entendu.
La question mythique est discutée avec passion. Jusque
vers 1835, la Symbolique triomphe avec Guigniaut :

Creuzer est un dieu. Mais les dieux grecs, comme on sait,


se faisaient la guerre et se détrônaient. Creuzer n'échappe
pas à la Némésis. Le vieil Émeric-David, rebelle aux
théories spiritualistes, explique toute la religion grecque
par des phénomènes météorologiques dont les mythes
seraient l'aimable déguisement. Son Jupiter (1834) com-
mence une série où il défend avec énergie sa thèse.
D'autres reprochent à Creuzer sa simplification excessive
et son dédain de l'histoire. Grote, dans son Histoire de la
Grèce, commencée en 1846, montre avec patience et pru-
dence que les mythes ne sont pas restés immuables et
qu'ils se sont enrichis,avec les siècles, d'éléments emprun-
tés à Ihistoire idéalisée et à la vie morale symbolisée. Et
Mérimée fait connaître le livre de Grote aux lecteurs de
la Revue des Deux Mondes, au fur et à mesure de sa publi-
cation et avant même ne soit traduit.
qu'il
L'esthétique inspire de solides études où la Grèce a la
place d'honneur. Jouffroy, privé de sa chaire sous la

Restauration, avait ouvert des cours particuliers dans sa


maison de la rue du Four. Toute une année, il avait traité
le problème du beau devant un petit groupe d'auditeurs

assidus, parmi lesquels Vitet et Sainte-Beuve. Ses notes^


après sa mort, passèrent au fidèle Damiron qui publia le
Cours d'Esthétique (1843). Jouffroy s'y montrait, sans tapage,
transfuge de l'école cousinienne. Mais Cousin ne l'enten-
182 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

dait pas ainsi. remanie deux des premiers cours


Il qu'il
avait faits en revenant d'Allemagne, il en tire son livre
du Vrai, du Beau, da Bien, il donne à sa chère Revue un
copieux article où il défend les idées de sa jeunesse et
l'idéalisme platonicien.
Toutes ces discussions faisaient relire de près les
ouvrages grecs. Cousin distribuait à chacun sa tâche ^

IV

Sainte-Beuve admirait cette jeune et brillante milice de


nos philosophes où le feu sacré de l'antiquité ne cessait
pas détre attisé par le souffle d'un maître qui ne s'endor-
mait pas. Il souhaitait les mêmes efforts et la même dis-
cipline à tous les explorateurs des lettres anciennes.
En 1840, remet au grec et il se tient au courant de
il se
la science germanique. Les Allemands, écrit-il, sont
<(

assurément les plus admirables travailleurs classiques


que l'on puisse imaginer; depuis qu'ils se sont mis à
défricher le champ de l'antiquité, ils ont laissé bien peu à
faire pour le détail et le positif des recherches; ils ont
exploré, commenté, élucidé les grandes œuvres, ils en sont
maintenant aux bribes et aux fragments et ils portent là-

1. Ravaisson, la Philosop)iie en France au XLX^ siècle. Sur le —


platonisme R. des D. M., 1" août 1840, 15 octobre 1847.
: Sur le —
néo-plat. :J. des Savants, 1817, p. 227 et août 1820; R. des D. M.,
i" octobre 1840, T'' septembre 1844, 15 juillet 1845, 1" mai 1846. —
Sur raristolélisme R. des D. M., 1^' février et 1" septembre 1838,
:

{"''
mai 1846. 15 août 1841. —
Sur Testbétique R. des D. M., 1*'' sep- :

tembre 1845; l*"" décembre 1833. —


Sur la mythologie, voir une
bibliographie au chap. v. Y ajouter Guigniaut, la Théogonie d'Hé-
siode; et l'article Hésiode dans VEncycl. des Gens du Monde. J. des —
Savants, janvier 1835 (sur Ém. -David), novembre 1841, janvier et
avril 1842 (articles de r».-R()chettc contre les fantaisies mytholo-
giques de Lenormant). —
R. des D. M., 1846 (article de Mérimée
sur Grote, inséré dans Mélanges hist. et litt.). Max Millier, Essai —
de Mythologie' comparée (sévère pour Grote). Léo Joubert, Essais —
de Critique et d'Histoire, p. 4 (équitable pour Grole). Sainte Beuve, —
Nouveaux Lundis, X (loue Grote). — Beulé, l'Art grec avant Périclcs,
p. 320.
î

LA CURIOSITÉ PHILOLOGIQUE 18

dedans un esprit de précision danalyse qu'on serait


et
plutôt tenté de leur refuser lorsqu'ils parlent et pensent
en leur propre nom. Leur extrême patience, s'appliquant
ici à des matières bien définies et à des textes, produit des
merveilles. admire Diibner qu'il venge de certains
» Il

dédains. 11 oppose sa technique savante aux banalités du


vieil humanisme. Il se lie avec Boissonade; il lui demande

des notes pour une édition critique de Chénier, et il reçoit


un manuscrit de trente pages avec une lettre charmante
de bonne grâce et de modestie. Il relit et annote les
Analecla de Brunck qu'il voudrait emporter dans l'autre
monde où il aura des loisirs. Il épèle les idylles de Théo-
crite, il réclame une renaissance de la philalogie dans
cette France où, dit-il, le sentiment des beautés est allé
plus vite que la connaissance et le travail. Il voudrait
orienter l'École d'Athènes vers des études sévères et
patientes. Il applaudit aux conquêtes des Cousin, des
Patin, des Littré.
La philologie donc, mais une philologie aimable et
accueillante. Des recherches méthodiques, de l'érudition,
de la critique des textes, des commentaires historiques,
de l'inédit même, bien qu'il ne l'aille pas en abuser, voilà
les assises solidesoù l'on doit bâtir. Mais les fondations
ne sont pas la maison. Qu'importent les travaux de béné-
dictin si, hors de l'enceinte de nos Académies et de nos
P'acultés, ce progrès des lettres anciennes ne se marque
par aucune œuvre lue de tous! Rien n'est fait si l'anti-
quité ne circule pas, si le public lettré et mondain n'est
pas saisi des questions, s'il n'y a pas de pont jeté entre la
science de quelques-uns et l'instruction de tous. Il faut
verser les richesses antiques dans le domaine commun
par de bonnes éditions, faciles à manier, et surtout par
de bonnes traductions, fidèles à l'esprit non moins qu'à
la lettre.
Et Sainte-Beuve prêche d'exemple. Il insère dans les
journaux et revues des articles sur Homère, Euphorion,
Apollonius de Rhodes, Méléagre, Théocrite, l'Anthologie.
I8'i LA REAAISSAyCE DE LA GRECE ANTIQUE

H donne les dernières découvertes de la philologie, il tra-


duit beaucoup. A propos d'Homère il fait l'historique
précis de la question homérique, il discute les arguments
fournis contre l'unité de l'Iliade, (il ne croit guère à des
chants populaires arrangés par une commission dérudits,
à cet Homère « par une société de gens de lettres ».) Il
traduit et commente de longs passages du troisième
chant des Argonautiques, cette peinture de l'amour de
JMédée qui inspira Virgile pour sa Didon. 11 raconte les
principales anthologies, il analyse lix Couronne de Méléagre,
il cite plusieurs épigrammes, l'idylle au printemps si

fraîche et si parfumée
Le venteux hiver s'en étant allé
: ((

du ciel... et l'amusante apostrophe à la sauterelle « Sau-


)) ;

terelle, tromperie de mes amours, consolation du sommeil


qui me fuit; sauterelle, muse rurale à l'aile sonore, imita-
tion toute naturelle de la lyre, touche-moi quelque chose
d'enchanteur en frappant de tes pieds chéris tes ailes
babillardes ainsi chasse de moi les fatigues d'un souci
:

toujours en éveil, en ourdissant, ô sauterelle, un son qui


distraie l'amour. Et pour cadeau matinal, je te donnerai
de la ciboule toujours fraîche et dans ta bouche bien
fendue de petites gouttes de rosée ». Son âme pastorale,
comme il l'écrit à Pavie, se réveille à lire ces invocations
à la nature, hymnes au printemps, chants rustiques,
idylles champêtres. Son étude sur Théocrite, par l'abon-
dance des citations et la finesse de la critique, est une
pure merveille. 11 n'a pas besoin de s'excuser sur ses
traductions. A l'entendre, il ne ferait que puiser à une
source vive dans le creux de la main ou encore emporter
de la neige oubliée l'été dans une fente de rocher de
FEtna au bout de trois pas, à peine, la neige est
:

fondue et Teau fuit de toutes parts. C'est pure modestie.


Il reste assez d'eau pour donner le vif sentiment de la

fraîcheur. Ce sont les petites gouttes de rosée de la sau-


terelle 1.

1. Homère {Débals des 27 janvier et 21 février 1843). — Eiiphorion


{R. des D. M., r' sept. 1843). — Apollonius {Ibid., 1*' —
sept. 1845).
].A CUHIOSI IK l>lllfJ)IA)GIQUE 185

Les idées de Sainte-Beuve ressemblent étrangement


en ces années à celles de Villemain.
Yillemain professeur avait célébré l'hellénisme, Ville-
main ministre avait envoyé des missions en Grèce, Ville-
main, rendu en 1845 à ses fonctions académiques, oriente
vers la Grèce du passé la compagnie dont il est le très
actif secrétaire perpétuel. J'utilise les intéressants rap-
ports qu'il a en partie recueillis dans ses œuvres.
La mode aux traductions. Artaud venait de joindre
était
à son Sophocle un Euri})ide complet; Puech avait mis
en vers les Choéphores et le Prométhée, Halévy avait donné
sous le nom de La Grèce tragique des fragments versifiés
du théâtre grec. Quelques-uns de ces essais avaient
été récompensés par des prix Montyon. Villemain fait
instituer un prix spécial de traduction et d'année en
année il enregistre les progrès de « laborieux et brillants
jeunes gens ».
Il surveille tout; il a l'œil du maître. Il fait couronner

les auteurs qui élargissent la science de l'hellénisme,


Wallon qui a étudié l'esclavage dans l'antiquité et
Galusky pour sa traduction du Cosmos. Le Cosmos de
Ilumboldt était un inventaire des sciences physiques et
naturelles au milieu du xix^ siècle où la Grèce, semble-
t-il, n'avait rien à voir. Mais le Tableau descriptif de la
<(

nature », la partie la i)lus agréable et la plus littéraire

Méléagre {Ibid., 15 déc.


1845). —
Théocrite {Débals, 11 nov., 2 et
IG déc. 184G). —
Anthologie (4 et 11 janvier 186i). [Les 4 premières
éludes reproduites dans Port. Cont., V; la cinquième dans Port.
Litt., 111; la sixième dans Nouveaux Lundis, VII]. —
Cf. L. Séché,
Sainte-Beuve, t. I, chap. vu, p, 323. —
Th. Pavie, V. Pavie, 85. —
Michaut, op cil 493, 607.
,

Biré, V. Hugo après 1830, 11, 241 (c'est
la lettre à Pavie du 18 janvier 1847). —
Sainte-Beuve, Port. Cont.,
V. 144, 330, 407, 410, 415, 434, 441. —
Cf. aussi Port Cont., Il, 249;
m, 302; IV, 125 (ce dernier est l'article sur Fauriel) Port. Litt., III,
;

483 (sur l'École d'Athènes); Nouveaux Lundis, VI (sur Boissonade);


C. du L., XV « De la tradition en littérature ».
:
186 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

de ce gros ouvrage, avait réveillé dans Tesprit très


érudit du naturaliste allemand maint souvenir des des-
criptions antiques. Humboldt célébrait Homère et
Hésiode, citait les tragiques, le chœur d'OEdipe àColone,
un fragment des Bacchantes pour la peinture de Cithéron,
un passage de l'Ion d'Eluripide sur un coucher de soleil à
Delphes, description de la vallée de Tempe par Elien,
la
une de saint Basile à saint Grégoire de Nazianze
lettre
sur sa solitude en Arménie, etc. Sainte-Beuve et Ville-
main rendirent hommage à une science si bien informée.
En 1851, Villemain fait mettre au concours une étude sur
Pindare avec la traduction des principaux passages. Les
résultats ne le satisfont pas, et lui-même, s'essayant où
les autres avaient échoué, allant d'échantillons en échan-
tillons, écrivit cet Essai sur le Génie de Pindare qui est,
d'ailleurs, une course brillante à travers le lyrisme de
tous les pays plutôt qu'une étude précise et forte du
lyrique grec.
C'est encore lui
qui choisit 1' Acropole d'Athènes »
<(

pour prix
le de poésie de 1853. Louise Colet envoie son
manuscrit. Le prix n'est pas décerné. Fureur de Flaubert
contre l'Académie, contre Musset, contre Villemain :

« Tous! tousl Enfin mes vieilles haines sont donc justes! »

Mais que la pauvre Mase ne se désole pas! Les académi-


ciens ne savent rien et « on garde toujours une petite
rancune à qui nous instruit, rappelle-toi cela ». Monsieur
le Rapporteur sait faire des vers latins, connaît un peu
d'histoire et n'entend rien au grec. Soyons plus malins
que Louise Colet enverra son Acropole retouchée et
lui.

« qu'est-ce qui aurait un pied de nez? » Flaubert dresse

un plan de campagne qu'il estime d'un raffinement dia-


bolique. Il ne se tient pas de joie. L'année suivante, sa
poétesse est couronnée.
Villemain, quoi qu'en pensât Flaubert, s'entendait en
hellénisme et savait fort bien ce qu'il voulait. 11 espérait
en un rajeunissement de notre littérature par les études
grecques. Il estimait les Poèmes antiques de Leconte de
LA CURIOSITÉ PHILOLOGIQUE 187

Lisle; il regrettait qu'un excellent discours sur Amyot


n'eût pas signalé le point de contact non plus des savants
mais de la foule avec lantiquité grâce aux traductions
du xvi" siècle en langue vulgaire. Comme Sainte-Beuve
il demandait des études conduites avec science et avec

tact, pour mettre l'antiquité en circulation « C'est quelque


:

chose, écrivait-il, de contribuer à maintenir en France,


sous toutes les formes, cette admiration sévère de la
beauté antique. Cest à ce point de vue même que depuis
plusieurs années FAcadémie, dans ses jugements et ses
l)rogrammes, a cherché de préférence ce qui se rapportait
aux plus fortes études de la littérature classique, aux
études où le savoir approfondi sert à linspiration. Do là
ces problèmes dCérudilion et de goût que nous avons posés ». ^

1. Rapports académiques de 1840 à 1849. — Villeinain, Études sur


la Litt.contemporaine (rapports de 184Gà 1850), p. 28, 29, 30, 63, 87,
92, 121, 123, 143, 146, 148, 179, 197. — [Sur l'Académie],/?, des
D. M., l*' janvier 1848 (article de Ponlmartin); Sainte-Beuve, Nou-
veaux Lundis, XII, 402. — Villemain, Essai sur Pindare (Cf. Sainte-
Beuve, C. du L., IV, 161; J. Girard, Études sur la Poésie grecque,
79). —Flaubert, Correspondance, II, 171, 175, 207, 215, 257.— R. des
D. M., 15 juin 18,55 (article sur le concours pour Ménandre). — Le
Cosmos, II, 9 à 32. — Jouin, Cent Dessins de D. d'Angers. — Réveil,
Œuvre de Flaxmon, recueil de ses compositions gravées.
CHAPITRE XI

LA CURIOSITÉ ARCHÉOLOGIQUE
1. LA GRÈCE HORS DE LA GRÈCE. — POMPÉl; LA PEINTURE ANTIQUE. LA GRANDE

GRÈCE ET LA SICILE; l'aRCIIITECTURE POLYCHROME. LA CÉRAMIOUE; LES


VASES DE VULCI. LA NUMISMATIQUE; LE « CABINET DES MÉDAILLES ». LEXPLO-
RATION DE l'iONIE. = II. ORGANISATION DE LA SCIENCE ARCHEOLOGIQUE. —
f.'ACADÉMIE DES BEAUX-ARTS 1 l'iNSTITUT ARCHÉOLOGIQUE DE ROME LE ;

COMITÉ DES MONUMENTS HISTORIQUES. = III. VULGARISATION —


LES MOU-
LAGES, LES BRONZES d'aRT, LES ILLUSTRATIONS. REVUES ET JOURNAUX ;

l' « ARTISTE ».

chapitre pourrait s'intituler Grèce hors de


CEGrèce. Les missions en Attiqueet dans Péloponèse
; la
le
la

sont rares etne rapportent guère. Après les belles espé-


rances de la Commission de Morée, c'est un silence de;
vingt années. Mais l'art antique n'est pas oublié. On dis-
cute sur les découvertes récentes; on en fait d'autres en
Italie, en Sicile, en lonie, dans les pays de tradition
grecque. Architecture, peinture, numismatique, épi-j
graphie ont leur tour après la sculpture ^
Pompéi est toujours fréquenté et étudié. Duban, Duc
et Vaudoyer, les trois amis de la villa Médicis, s'occupent
des ruines. Mais, depuis la mémorable découverte de la'
maison du Poète tragique, la curiosité va surtout aux pein-

1. 11 est bien évident que je me bornerai à signaler les parlies'

essentielles de cette active renaissance et surtout la manière dont,


l'art a été vulgarisé. On trouvera en notes les ouvrages les plus
importants sur chaque question. J'ai déjà donné une première,
bibliographie au chap. iv.
LA CURIOSITÉ ARCHÉOLOGIQUE 189

turcs et aux fresques. Et ce sont alors des discussions


très savantes et souvent très orageuses sur l'art décoratif
des anciens. Raoul-Rochette, qui a vu Pompéi et qui a
lu à lAcadémie des Beaux-Arts deux mémoires sur la
peinture encaustique, affirme que la fresque fut une
peinture de décadence et que les grands artistes de la
belle époque brossaient assurément leurs scènes d'his-
toire mythique sur des panneaux de bois mobiles. Il sort
tous ses textes, il ouvre son arsenal, il mobilise ses gros
bataillons pour confondre ses adversaires; il remplit /e

Journal des Savants, pendant tout un été, de trois articles


copieux et un peu effrayants. Il a à peine laissé la place
que Letronne la prend et risposte par cinq articles. Ils .

sont comme chien et chat, se rencontrant toujours et —


pour cause —
et ne saccordant jamais. Dans la même
année 1836,Letronne publie ses Lettres d'un Antiquaire à
un Artiste et son adversaire ses Peintures antiques inédiles,
dédiées à la mémoire de Cli. Bœttiger « 1 illustre auteur
de YArchéologie de la Peinture », l'interprète ingénieux
et savant des Noces Aldobrandines Raoul-Rochette y
.

revendique son droit de priorité contre Letronne, dans


ces études si nouvelles. Sa susceptibilité un peu maladive
transforme une dédicace en apologie personnelle, raconte
ses voyages, ses articles, sa justification par de Klenze
qui n'a trouvé aucune trace de couleurs sur les murailles
intérieures du temple de Thésée, à Athènes. Une intro-
duction philologique étudie le sens et la valeur des mots
grecs qui servaient à désigner les peintures. Il en tire la
preuve qu'elles étaient sur bois. L'ouvrage comprend
deux parties les Grecs, puis les Romains. Nous voyons
:

défiler tour à tour les tableaux consacrés dans les


temples, les peintures historiques des portiques, les
décorations des édifices, les portraits des grands per-
sonnages, les dessins licencieux. Plusieurs planches en
couleurs illustrent l'exposé. Le public s'intéressa à la
querelle, la galerie s'en amusa, les journaux racontèrent
ou prirent parti. Raoul-Roche tte ne le regrettait pas son :
190 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

intention était bien de porter devant le public un débat


jusque-là instruit dans une académie '.

Pompéi mène à la Grande-Grèce. Des voyageurs, au


xv!!!"" siècle, avaient reconnu les ruines de Pœstum,
entourées d'acanthes et de fougères et incrustées, par
endroits, de plantes marines. Soufflot avait mesuré les
temples; de la Gardette les avait étudiés dans un
ouvrage excellent. Mais cette région malsaine n'attirait
pas les visiteurs. La plaine, autrefois si fertile et fleurie
de champs de roses, était devenue depuis longtemps un
vrai désert miné par la lièvre oii quelques bergers fai-
saient paître leurs buffles à demi sauvages. Trois temples
doriques, assez bien conservés, se dressaient dans cette
solitude. II. Labrouste, jeune pensionnaire de la villa
Médicis, en donna une magnifique restitution (1829), et
la curiosité fut réveillée. Le roi de Naples fait reprendre
les fouilles; un nouveau temple est découvert, Morey
dessine les ruines, Mercey en parle dans la Revue des Deux
Mondes; un peu plus tard, Thomas expose de fort jolies
planches à 1 École des Beaux-Arts. Les voyageurs en
Italie ne manquent pas d'aller voir le Temple de Neptune
et en reviennent un peu déçus. Ils croyaient admirer de
belles colonnes de marbre blanc. Ils trouvent une pierre
rongée, brune, percée de petits trous et qui ressemble à
du liège.
Le duc de Luynes, parti avec l'architecte Debacq,
explore le golfe de Tarente et arrive à Métaponte. Les
habitants lui montrent quinze colonnes, toutes unies
encore par leurs architraves, qu'ils appellent la « Table
des paladins », et qui sont les restes du grand temple.

1. J. des -Sau., 1833, juin, juillet, <ioût(R.-R., de la Peinture sur mur);

de 1835 à 1837 (Letronne). — R. -Rochelle, Lettres archéologiques sur


la peinture des Grecs (1840). — R. des D. M., 15 juin 1840. —
P. Girard, la Peinture grecque. — G. Perrot, Notice sur R.-R., p. Gl.
— Sur les monuments de Pompéi, pendant cette période, R.-Ro-
chelte, Lettre à M. de Salvandy sur les fouilles (1841) et articles dans
le J.des Sav., par ex., 1838 p. 223, 257 ; 1846 p. 665, 721 ; 1847 p. 105,
224, 291, 340, 414.
LA CURIOSITÉ ARCHÉOLOGIQUE 101

Un peu plus loin, il voit des débris de chapiteaux appelés


« l'Église de Samson ». A une époque où
matériaux les
jonchaient encore le sol, l'imagination populaire avait
rappelé la mort héroïque de Samson et créé une naïve
légende. De Luynes fait commencer en 1828 des fouilles
dans le limon déposé par les inondations de la rivière.
11 publie un livre excellent sur Métaponte (1833) avec l'his-

toire de la ville, la description des monuments et de nom-


breux dessins. En môme temps la Sicile est entamée par
les archéologues. De Klenze avait exploré les ruines
d'Agrigente au milieu de bosquets d'oliviers; la Commis-
sion des antiquités de la Sicile projette d'étudier Catane,
Ségeste, Syracuse où un hasard a fait découvrir deux
énormes chapiteaux du plus pur style dorique. Hittorff
et le duc de Serradifalco se rendent à Sélinonte, chacun
pour son compte, et ne tarderont pas à se disputer ferme
sur les découvertes. Comme Pœstum, Sélinonte n'était
plus qu'un désert. Des marais pestilentiels, des plaines
en friche, pas un arbre, des blocs énormes épars sous un
soleil de feu, voilà ce qui restait de la grande cité. Les
explorations y font reconnaître sept temples dont les
ruines imposantes attestent la science architecturale de
merveilleux ouvriers ^
En 1830, Hittorff lit à
Et voici le coup de théâtre. l'Aca-
démie des Beaux-Arts un mémoire en vérité bien extra-
ordinaire. Les temples grecs étaient peints du haut en
bas, sur les marches, sur les colonnes, sur la frise, sur
les frontons; ils dressaient sous le soleil les teintes les
plus éclatantes. Où donc Hittorffcela?n s'en
a-t-il pris
doutait un peu avant d'aller en Sicile. Une métope du
Parthénon, rapportée au xv!!*" siècle par le marquis de

1. L'ouvrage de la Gardelte est de 1793. — Labrouste, Planches


exposées en 1829, publiées en 1877. — Annales de Tlnstilut archéol.
de Rome, t. II, partie franc., p. 98. — De Klenze, le Temple de
Jupiter Olympien à Agrigenle (article dans le J. des Sav., avril 1822).
~ R. des D. M., 1*"" septembre 1839. — J. des Sav., janvier et
mai 1835. — Beulé, VArt 'grec avant Périclèi;, première partie,

chap. II, III, IV, V. De Serradifalco, les Antiquités de Sélinonte (1834).
192 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE
Nointel, portait des traces de coloration. Q. de Quiiicy
avait prouvé la sculpture polychrome. N'y aurait-il pas eu
une architecture polychrome? Hittorff découvre à Pœstum
un fdet rouge sur un bloc de pierre et des traces de stuc;
à Sélinonte surtout, la couleur est très visible. L'Europe
s'émeut et se divise. Raoul-Rochette, qui n'aime pas
Hittorff, contestenon pas le fait mais l'hypothèse il croit :

à un badigeonnage byzantin. D'autres savants penchent


pour une polychromie mixte la coloration n'aurait pas
:

été posée sur les murs ni les colonnes mais seulement sur
la frise comme une broderie sur fond blanc. Mais Blouet,
qui a vu Olympie, appuie Hittorff. 11 croit pouvoir
affirmer que dans l'ordre dorique les colonnes étaient
jaunes, les bleus, les métopes rouges, le^
triglyphes
fronton bleu de Les revues tiennent le public au
ciel.

courant; Paccard étudie les procédés de l'encaustique


dans la décoration du Parthénon; le chimiste Girardin
analyse les matières colorantes employées par les Grecs.
Les plus sceptiques sont ébranlés. Pourquoi, après tout,
dans un pays où le soleil dore déjà les édifices, ne
serait-il pas venu à l'esprit d'ajouter artificiellement des
teintes délicates aux jeux de la lumière? Hittorff fait
paraître en 1851 sa RestUulion du Temple d'Empédocle à
Sélinonte ou VArchilectare polychrome chez les Grecs. On y
trouvera toutes les pièces du procès : l'historique
de la découverte et des polémiques, la restitution du
temple, les procédés matériels de la polychromie, l'expli-
cation des planches, vingt-cinq planches en chromolitho-
graphie de toute beauté, éditées à part en atlas. Les ima-
ginations éblouies assistent à cette apparition rayonnante
du temple antique, qui dressait sur les hautes collines,
sur les esplanades, sur les promontoires ses colonnes
jaunes comme l'ivoire, le mur rouge de la cclla, la tête
bleue des triglyphes, le fond azuré des frontons, les tuiles
peintes étincelant au soleil, les boucliers d'or cloués sur
l'architrave et les guirlandes de fleurs et les grilles de
bronze et les inscriptions en lettres d'or. La vie antique
LA CURIOSITÉ ARCHÉOLOGIQUE 193

tout entière ne resplendissait-elle pas fôte de comme une


la couleur? Les boucliers des guerriers étaient peints,
les galères avaient leur proue enduite de vermillon, les
vêtements étaient nuancés de pourpre et de jaune, les
statues peintes étaient fleuries de bleu et rouge, bien
avant qu'un art plus raffiné eût marié les tons de l'or et
de lïvoire. Comment les temples seuls seraient-ils restés
ternes et blafards dans un pays où
splendeur du ciel
la
et de la mer était la première décoration^ ?
Après les découvertes du midi de lltalie, les surprises
du nord. En 1829, au milieu dune plaine de TÉtrurie, des
fouilles mettent au jour une grande nécropole, plusieurs
chambres ornées de fresques représentant des banquets,
des chasses, des danses, des courses de chevaux et de
chars. L'intérieur renferme une foule de bibelots, de meu-
bles, d'armes, ménage, de bijoux, de
d'ustensiles de
bronzes, d'accessoires de toilette. Mais la plus grande
curiosité, ce sont quatre mille vases en argile fin, d'un
vernis délicat et d'une forme élégante, décorés d'inscrip-
tions et de figures. Les vases peints n'étaient certes pas
une nouveauté; le xviiP siècle en avait extrait un assez
grand nombre des tombes de la Campanie. Sous l'Empire,
Bœttiger, Millin, Millingen s'y étaient intéressés. L'opi-
nion générale y voyait des productions de l'art étrusque.
Nos archéologues, peu soucieux d'en étudier la valeur
historique, demandaient à leurs formes des leçons de
beauté pour nos céramistes et à leur décoration de sin-
guliers éclaircissements pour la mythologie. Dans le livre

1. trouvera au chap.
Hittoriï, op. cit. (on m
le mémoire de 1830,
aux chap. reproduction des articles de
v, vri, xi, xii, xiii et xvi la
R.-Roehette, au chap. ix les arlicles de Letronne. Le livre est
un peu fouillis et chaoUque). —
Q. de Quincy, Jup. 01. p. 30. ,

Brôndsled, Voyages et Recherches dans la Grèce, livraison II (1830),
p. 147. —J. des Sav. (novembre 1836 et n^^ de 1837). —V
Artiste de
1835, t. 1, p. 131 et 141. —
R. des D. M., T' décembre 1847. —
Deulé,
VArt grec avant Périclès, p. 278. —
Mém. de VAc. des /., 1800, t. II
(travaux de Girardin, commencés en 1846). —
Collignon, la Poly-
chromie dans la Sculpture grecque. —
Lechat, la Sculpture attique
avant Phidias, p. 329.

13
l'J4 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

de Millin, les gravures de Clener, conventionnelles et


volontairement altérées, reproduisent des profils napo-
léoniens à l'usage de nos artistes et la Biographie Michaiid
signale aux fabricants de porcelaine une publication qui
leur offrira des modèles du meilleur goût ». La décou-
((

verte de Vulci, par l'abondance même du butin, met au


premier plan les études sur la céramique. L'Allemand
Gerhard vient à peine de publier son remarquable Rapport
que Raoul-Rochette, déjà très documenté, donne son opi-
nion sérieusement motivée. Ces vases de Vulci ne sont
pas étrusques, pas plus d'ailleurs que tant d'autres. Ils
sont du plus pur art grec. Peut-être y avait-il en Étrurie
une colonie athénienne? ou simplement des potiers athé-
niens? Ou peut-être étaient-ce des achats faits en Grèce
par des amateurs étrusques? Corinthe avait pendant
longtemps exporté des vases peints. Elle n'était sans
doute pas la seule fabrique de l'antiquité. Raoul-Rochette
soutint avec talent des idées qui sont aujourd'hui classi-
ques. Les vases de Vulci ont renouvelé l'histoire de l'art
et celle de la mythologie. Ils furent étudiés, avec d'autres,
pour leur composition, pour leur décoration picturale,
pour le sens religieux des légendes représentées, dans
diverses publications dont la plus remarquable est celle
de Lenormant , Monuments céramographiques
l'Élite des
(commencée en 1844). L'avant-propos fait l'historique de

cette science depuis la découverte de Vulci et expose les


systèmes des principaux savants '.
Raoul-Rochette avait l'œil à tout et généralement il

i. Gerhard, Rapport (voir plus bas). —


Lenormant, op. cit. (l'ou-
vrage va de 1844 à 18G1). —
Bœltiger, Peintures de Vases grecs
(1797-1800). — Millin, Peintures de Vases antiques (1808). — Millingen,
Peintures antiques etinédites (1813). — S. Heinach, Peintures de l'oses

a;î<igaes recueilliespar Millin et Millingen (1891) [ouvrage essentiel,


c'est une réimpression avec commentaire]. —
Biograpliie Michaud,
1817 t. XIX, p. 3GG. —J. des Sav., mai 1819, août 1825, 1827, p. 495
et 553. —
Musée Blacs (1830 1833), t. I. —
Panofka, Recherches sur les
véritables Noms des Vases grecs (cf. J. des Sav., mai à décembre 1833).
— G. Perrot, Notice sur R.-R., p. 56.
LA CURIOSITÉ ARCIIÉOLOGiqUE 195

voyait juste. Personne n'a donné lachasse avec plus de


zèle aux trésors de l'art antique. Les occasions le ser-
vaient parfois. 11 avait succédé à Millin comme conser-
vateur du Cabinet des Antiques. Cet ancien Cabinet du
roi, musée de numismatique et glyptique, installé au
siècle à la Bibliothèque royale après avoir beaucoup
xv!!!*^

voyagé, s'était accru pendant la Révolution de nom-


breuses collections de monnaies et médailles confisquées
dans les châteaux et dans les abbayes. Raoul-Rochette y
passa trente années au milieu de richesses d'art que son
goût très sûr cherchait à augmenter. Il apprend un jour
— c'était en 1829 —qu'un cultivateur des environs de
Bernay, en labourant son champ, a découvert une cen-
taine d'objets en argent, bijoux, statuettes, vases, usten-
siles du culte, sortis d'ateliers où s'étaient visiblement con-
servées les pures traditions de l'art grec. 11 n'a pas de
cesse que le Trésor de Bernay n'entre au Cabinet. On ne
s'imagine pas ce qu'il lui fallut de patience et d'activité.
La méchante fée, qui lui gâtait tous ses plaisirs, le lui fît
payer cher. Pendant les pourparlers, son cher musée fut
mis au pillage par un forçat qui s'était laissé enfermer
un soir dans la grande galerie. Raoul-Rochette en tomba
malade — très réellement — de désespoir. Ses adversaires
en fîrent des gorges chaudes. Henri Heine, qui ne l'aimait
pas, écrivait : M. R.-Rochette doit bien s'étonner que
<(

les voleurs ne l'aient pas volé lui-même, lui qui s'est tou-
jours attribué plus d'importance qu'aux médailles et
regardait cette collection comme une possession inutile
si par malheur il n'était plus là pour l'expliquer. 11 se

promène maintenant dans l'oisiveté et ricane comme


notre cuisinière, un jour que le chat lui avait dérobé
dans la cuisine un morceau de viande crue Le voilà
:

bien avancé, il ne sait pas faire cuire la viande, disait


notre cuisinière, et elle riait aussi. » Je n'ai pas besoin de
dire que R.-Rochette ne riait pas. 11 eut sa consolation
après quelques années. Son adversaire Letronne, qu'on
avait eu la malice cruelle de lui adjoindre pour la direc-
19'3 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

tion, fut remplacé par Lenormant. Lenormant aimait les


médailles et les monnaies autant qu'homme de France,
y compris Raoul-Rochette. 11 fit oublier l'œuvre un peu
vieillie de Mionnet par son Trésor de Numismatique et de
Glyptique (1834-1850), enrichi de gravures par Ach. Collas,
d'après un procédé nouveau, sous la direction de P. Dela-
roche^
On moissonnait donc un peu partout, un peu de tout.
Mais c'était de l'Asie Mineure, de l'antique lonie que nos
savants attendaient des miracles.
Au xviii^ siècle Chandler et Choiseul-Gouffier l'avaient
explorée, le premier helléniste très savant et le second
amateur début du xîx^ siècle, le vail-
fort distingué. Au-
lant, tenace et méthodique colonel Leake y avait fait
un tour qui était mieux qu'une promenade. En 1825,
le comte Alexandre de Laborde et son fils s'y rendent
avec un peintre et un architecte; ils en rapportent de
splendides lithographies reproduisant la douceur du
paysage, Smyrne, la ville en amphithéâtre, et ses jardins
fleuris de plantes magnifiques et la vallée dite des grottes
d'Homère et les bords du Cydnus et les cascades du Taurus
et divers plans de ruines. Leur livre ne paraît qu'en 1838,
mais depuis longtemps ils ont montré à leurs amis leurs
planches qui sont de véritables panoramas, ils leur ont
fait connaître Halicarnasse, Éphèse, Milet, le temple d'Ai-
zani, et les rochers de cette mystérieuse vallée de Dangola
qui recelaient les tombeaux des rois de Phrygie. vSurtout,
ils leur ont vanté le charme du paysage, l'enchantement

G. Perrot, Notice sur /?.-/?., p. 8 et 38.


1. —
Notice sur le Cabinet
des Médailles (1819 et 1828). —
Histoire du Cabinet des Médailles
(1838). — Bnbelon, Guide illustré du Cabinet des Médailles, p. 344. —
J. des Sav., juillet, août 1830. —
Nouvelles Annales de l'Institut de
Rome, 1838. — H. Heine, de la France (Lettre du 10 février 1832).
— Mionnet, Description des Médailles antiques (1806-1837). — Mémoires
de rAc. des 1850,
1., XVI. — Vitet, Etudes sur r Histoire de VArt,
t. 11.

— Mérimée, Portraits hist. — Nève, Notice sur Lenormant


et litt.

{Annuaire de CAc. de Belgique, 1861, 129; y a une bibliographie


p. il

complète des œuvres de L.). — de Paris, octobre 1834 et 1836,


/?.

t. XXXII.
LA CURIOSITÉ ARCHÉOLOGIQUE 197

de la lumière et de la végétation, les riantes collines gar-


nies de forêts, les coteaux couverts d'orangers, les prai-
ries verdoyantes, bien arrosées et fleuries de roses. En
face de la Grèce desséchée et un peu décevante, llonie a
gardé la splendeur et la grâce de son passé. Les voya-
geurs se pressent vers cette terre de bénédiction. Ampère
est dans livresse; le grave Lenormant lui-même est ému.
On croit d'ailleurs queGrèce a livré tous ses secrets à
la
la mission de Morée. Si la connaissance de l'art antique
doit progresser, ce sera donc par la douce et molle lonie.
Le ministre Guizot songe à organiser une exploration
savante. Il en charge Texier qui est également subven-
tionné par l'Académie des Sciences et celle des Inscrip-
tions. Le programme imposé au jeune savant est un peu
effrayant. Il devra faire, à peu près seul, ce qu'une mission
nombreuse de gens compétents avait fait pour le Pélo-
})onèse, c'est-à-dire s'occuper d'architecture, de géologie,
d'ethnographie, etc.... 11 part donc (1833) mais avecTinten-
tion très arrêtée de faire des sacrifices et de bien choisir
ceux qu'il fera. Heureusement, il est archéologue et
homme de goût. Sa Description de VAsie Mineure, qui com-
mence à paraître eja 1839, donne un historique détaillé de
la région, décrit chaque ville, ses antiquités, le tout accom-
pagné d'un grand nombre de planches, dessins, plans de
cités et d'édifices, chromolithographies. Je signale spé-
cialement la reconstitution du temple de Jupiter pan-
hellénien à Aizani. C'est sous les auspices de Texier que
sont rapportées, quelques années plus tard, les longues
frises du temple d'Artémis à Magnésie.
11 y avait une bonne place à prendre en ces pays pour

la science française nous avions ouvert la voie, mais


:

nous manquions d'organisation. Elle fut prise par d'au-


tres. Fellows passe plusieurs années à explorer la Lycie.
11 part de Smyrne et découvre les ruines de Xanthe, un

théâtre, des temples, des tombeaux taillés dans les col-


lines. 11 explore tous ces plateaux soutenus par d'im-
menses rochers et creusés en grottes sépulcrales sém-
108 LA liENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

blables à des temples. Mais la curiosité des savants va


surtout aux deux villes les plus fameuses de l'antique
ionie, à Éplièse et à Halicarnasse.
Éphèse, bâtie dans un site délicieux de la fertile plaine
lydienne, bords du Caystre, était jadis une
sur les
ville opulente et puissante. Elle avait dans les fêtes une
sorte de prééminence sur les autres cités de l'Ionie ses :

représentants occupaient la première place dans les jeux,


portaient la pourpre, une baguette en guise de sceptre;
son culte de la Grande Déesse lui donnait un carac-
tère sacré. Elle se glorifiait de sa magnificence, de sa
campagne verdoyante entre les montagnes et la mer, et
surtout de son temple gigantesque, sept fois détruit, sept
fois relevé, brûlé par Érostrate, et reconstruit avec plus
de splendeur. Mais de cette cité, comme de beaucoup
d'autres, il ne restait presque rien *au xix^ siècle. La vie
s'en était détournée, les marécages avaient remplacé les
ports et recouvert la ville. Tout était désert des eaux
:

bourbeuses et un chaos de ruines. Ampère et Mérimée


visitent ce qui reste du théâtre au clair de lune. L'Anglais
Falkener, venu là en simple curieux, prend des notes,
lève des plans, puis, rentré chez lui, il relit ses textes, il
étudie ses auteurs, ceux qui virent Éphèse ou simple-
ment ceux qui en parlèrent et après une quinzaine d'an-
nées de méditations il publie Éphèse et le Temple de Diane,
ouvrage solide, précis mais un peu sec.
Si Éphèse avait l'Artémisium, Halicarnasse avait le
tombeau de Mausole, la septième merveille du monde,
édifié sur une esplanade à mi-côte de la colline où s'éta-
geait la ville. Mais depuis longtemps la ville et le
mausolée avaient disparu. Un pauvre village turc et de
tristes bicoques cachaient les derniers vestiges de la
vieille capitale. Ljie forteresse dominait l'entrée du port
de Boudroum. En 1846 l'ambassadeur anglais, sir Strat-
ford Canning, apprend qu'on a découvert dans les murs
du château Saint-Pierre des bas -reliefs d'une grande
beauté. Il se les fait donner parle sultan et il les envoie
LA ( LUIOSITK ARCHEOLOGIQUE 199

au Musée Britannique. C'est un combat de Grecs et d'A-


mazones, sujet classique s'il en fut, mais traité avec une
ardeur et une vie incomparables. Les archéologues y
devinent la main d'un sculpteur génial. Quelques-uns
prononcent le nom de Scopas. Deux ou trois ont
l'idée que ces l'ragments d'art décoratif pourraient
bien provenir du tombeau de Mausole. Cockerell et Fal-
kener tentent une restitution du monument auquel,
depuis Caylus. et Choiseul-Gouffîer, on. ne songeait plus
guère. Newton part pour l'Asie Mineure avec l'intention
d'opérer des fouilles. Dix ans après l'envoi des bas-reliefs
à Londres, le Mausolée une esplanade
est découvert sur
dominant Boudroum On retrouve le
. soubassement,
l'enceinte et d'admirables sculptures frémissantes de
vie un des chevaux du quadrige qui couronnait l'édi-
:

fice, plusieurs lions, et deux statues


plusieurs torses
colossales, trèsprobablement Artémise et Mausole K
Et tout cela c'était de l'hellénisme, du plus pur hellé-
nisme. En architecture, sculpture, peinture, céramique,
numismatique, la science retrouvait le rayonnement de
la Grèce hors de la Grèce 2.

II

Pendant toute cette période, des efforts sont faits pour


organiser sérieusement la science archéologique. On n'a
pas eu à se plaindre des hasards heureux ni même des
fantaisies individuelles. Mais il serait imprudent d y trop
compter. Les missions ou les simples études d'art gagne-
ront sans aucun doute à être poursuivies avec plus de
méthode. On y travaille.
Non sans peine. Les directions manquent ou sont trop
nombreuses. Des ministres intelligents font ce qu'ils
peuvent. Guizot et surtout Villemain ont rendu des ser-

\. Sur CCS fouilles en lonic, cf. Vinet, VArt et V Archéologie, p. 21G

à 259 et 298 (on y trouvera d'ailleurs une bibliographie précise).


2. Pour l'épigrapliie et Le Bas, cf. chap. x.
200 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

vices (lepremier ordre. L'Académie des Inscriptions


subventionne les érudits, leur donne des conseils et fait
le trait d'union entre la science de tous les pays. L'Aca-

démie des Beaux-Arts \ de qui dépend la villa Médicis,


encourage les jeunes pensionnaires de Rome à explorer
ritalie: un peu plus tard, elle les envoie en Grèce où ils
font les i)remières découvertes quand les Athéniens se
croisent les bras. Les secrétaires perpétuels Q. de Quincy,
puis Raoul-Rochette acceptent tout, accordent tout
quand l'hellénisme y est intéressé. Mais il y a des tirail-
lements. Le ministère de Flntérieur ne fait pas toujours
ce que voudrait le ministère de l'Instruction publique.
Il manque l'unité de direction. On crée une École
crAthènes et pendant quatre ans on ne sait à quoi on
l'emploiera ni môme à qui elle obéira.
Mais on avait l'Institut archéologique de Rome et c'était
bien quelque chose.
L'idée venait des Allemands. L'archéologie les passion-
nait encore plus que la philologie rien de plus naturel
:

dans la patrie de Winckelmann. Stackelberg faisait déjà


partie de la mission qui retrouva les marbres d'Égine et
la frise de Phigalie. Lorsque la Bavière donne son roi à
la Grèce, les Allemands s'envolent à la conquête de la
terre sainte. Ernest Curtius refait le voyage de Pausa-
nias, pour contrôler les descriptions du célèbre guide, il
recueille des inscriptions, public un livre sur l'Acropole
et une très belle étude sur le Péloponèse. Thiersch,
champion de l'indépendance hellénique, va raviver sur
place sa belle foi d'humaniste, et Ross s'installe à Athènes
où il devient l'éphore général du premier musée. Il n'est
pas de branche de l'archéologie classic|ue où les Alle-
mands, en ces années, ne travaillent et ne travaillent
bien. Ouvrages généraux sur l'histoire de l'art comme
ceux de Kûgler et d'Hermann, traités sur l'antiquité
figurée, études spéciales sur la peinture et la sculpture,

1. Delaborde, V Académie des Beaux-Arts.


LA CURIOSITÉ ARCHÉOLOGIQUE 201

voilà les commencements de leur bu Lin. L'illustre Bœt-


tiger, l'auteur de Y Archéologie de la peinture, avait publié
de 1820 à 1825 l'AinalUiea, musée de la mythologie de
l'art. Sa réputation était aussi solidement établie chez

nous pour l'archéologie que l'était celle d'un Bœckh ou


d'un Welcker pour la philologie. Et Raoul-Rochette, qui
faisait un peu l'opinion, était lié d'amitié avec plusieurs
de ces savants. La collaboration avait donc commencé
sous d'heureux présages. On songea à la rendre plus
active.
Bunsen, ministre de Prusse auprès du Saint-Siège,
réunissait dans son salon ceux de ses compatriotes que
la beauté du paysage et la gloire des anciens souvenirs

avaient attirés à Rome. Ce petit groupe avait pris le nom


d'Hyperbovéens romains. Ils venaient des climats où souffle
Borée pour célébrer dans la merveilleuse Italie la fête
de l'Apollon de Délos. Il y avait là Stackelberg l'anti-
quaire, Panofka le symboliste et Kestner. On faisait bon
accueil aux étrangers, surtout aux Français. L'érudit
^'ictor Le Clerc était un des habitués. C'est là que prit
naissance l'idée de l'Institut archéologique, fondé entre 1825
et 1828, organisé en 1829 et placé sous la protection de
Frédéric-Guillaume, prince de Prusse. Il était cosmopo-
lite et il ne se recrutait pas parmi les seuls érudits. Il

accueillait des artistes comme Thorwaldsen, et tous les


amis de l'hellénisme comme Humboldt, Schlegel et
Chateaubriand. Il eut d'heureuses étrennes, la découverte
des vases de Vulci. Pendant quelques années, et comme
de juste, il s'occupe de céramographie; puis vient la topo-
graphie et peu à peu l'archéologie tout entière entre
dans la place. Letronne y porte ses discussions spiri-
tuelles et Raoul-Rochette ses ardentes polémiques. Trois
sortes de publications paraissent bientôt des Annales
:

ou mémoires envoyés par toute l'Europe (d'où le nom


d'Institut de correspondance), un Bulletin mensuel des
fouilles, enfin la reproduction de ces fouilles par la gra-
vure, plus tard par la photographie. L'Institut s'installe
202 LA RENAISSAyCE DE LA GRÈCE AXTiqUE

sur la roche Tarpéienne pour marquer son désir de ne pas


quitter la vieille terre classique i. La section française,
c|uiy faisait très bonne figure, sentit le besoin d'avoir
son journal spécial quelle fonda en 1836 sous le nem de
Xoiivelles Annales. Le directeur
de Ouincy, les pre-
était 0.
miers collaborateurs Letronne, RaouLRochette, Lenor-
mant, Guigniaut, Le Bas.
LAllemand Gerhard de cette Académie. Il
fut l'àme
était Rome à vingt-sept ans, il y resta quatorze ans
venu à
et pent-être n'en serait-il jamais parti si le roi de Prusse
n'avait eu besoin d'un conservateur éminent pour le
musée créé à Berlin. (]omme Winckelmann, il avait
l'ivressede l'Italie. L'n de ses ouvrages porte une
épigraphe empruntée à Tacite Qui pourrait aban-
: <<

donner l'Italie ponr la Germanie si celle-ci n'était pas la


patrie! » Aussitôt arrivé, il prend une part active à la
création de l'Institut, il collabore à une formidable publi-
cation la description de Rome, il dresse le catalogue
:

des musées du Vatican, il publie ses Monuments antiques


avec l'intention de continuer Montfaucon et d'appro
fondir les mystères de l'antiquité figurée, il participe
aux fouilles de ^'ulci et c'est lui cjui est chargé du rapport
en italien cjue Letronne admire comme un chef-d'œuvre
(1832) fabrication, style, date, provenances, sujets, il
:

examine tout, il discute tout, classant les peintures en


trois grandes catégories représentations mythologi-
:

cfues, mcjeurs et usages, accessoires et ornements. Puis il


dépense tout son zèle à la direction de son cher Institut,
aidé en cela par la collaboration de l'intelligent et
dévoué Panofka.
Sa réputation, consacrée par l'estime de nos savants,
fut cependant très lente à pénétrer dans le public mon-
dain. Elle n'égala pas, à beaucoup près, celle d Ottfried
Mûller.
0. MùUer avait les qualités les plus solides et les plus

1. Pûuritant, il la quitta en 1871 et fut transféré à Berlin.


LA CURIOSITÉ ARCHÉOLOGIQUE 203

séduisantes une érudition prodigieuse et presque uni-


:

verselle qui lui permit d'aborder toutes les parties de


lantiquité classique; une clarté dans lexposition qui lui
valut, comme professeur à Gottingue, un merveilleux
succès; un style fort agréable, un goût artiste, un sens
très éveillé de la beauté. Il ne manqua pas môme à sa
gloire cette suprême consécration d'une mort préma-
turée (ceux qu'aiment les dieux meurent jeunes) et d'une
mort dans sa Grèce ctiérie où il tomba victime de son
amour pour la science comme Byron l'avait été de son
philhellénisme. On l'enterra sur la colline de l'Académie,
au milieu de ce décor aimé pour la splendeur de
qu'il avait
ses lignes et aussi pour son intime union avec les créa-
tions de l'âme hellénique. Il croyait que les paysages
éclairent la littérature, l'art et la philosophie des peuples.
Il certainement le plus « complet
fut des savants qui )>

ont abordé la Grèce antique. Philologue, il a donné,


outre d'importantes études de détail, cette Histoire de la
Littérature grecque que lui avait demandée la Société bri-
tannique pour la diffusion des connaissances utiles et
qui fut traduite chez nous. Archéologue, il a publié,
suivant les règles de la méthode historique, le premier
traité d'ensemble sur l'histoire de l'art antique, ce
Manuel d'Archéologie, si original et si délicat, qu'il desti-
nait à la jeunesse et qui fut traduit pour l'Encyclopédie
Roret. Il était très préoccupé des questions mythiques
qu'il étudiait avec précision et méthode. Il croyait à
l'originalité du génie grec. Il la défendait en toute
circonstance. J'aurai à préciser l'influence très pro-
fonde de ses études sur la définition de l'hellénisme
après 1830 K

1. Vinet, VArl et V Archéologie (arlicles « les Éludes archéologiques

en Allemagne », Annales et Bulletin de l'Institut de Rome »);


<<

Bibliographie des Beaux-Arts, passim (beaucoup de renseignements


sur les archéologues allemands). —
J. de Witle, Notice. sur Gerhard,
dans V Annuaire ds VAcad. de Belgique, 1871 (bibliographie détaillée
des œuvres de G.). —
G. Perrot, Introduction de son Histoire de
VArt, p. x\iv. — Hillebrand, Préface à sa traduction de VHisloire de
204 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Guizot avait fondô, en 1833, un Comité des monuments histo-


riques^ pour faire l'inventaire de nos vieux monuments,
les dessiner et les protéger contre le vandalisme. Guizot
songeait exclusivement au roman et au gothique. L'hellé-
nisme ne rentrait pas dans le programme. Il y rentra
pourtant, un peu à cause de circonstances imprévues et
beaucoup par l'habileté et la clairvoyance de Mérimée.
Mérimée est un de ceux qui ont le plus réagi contre les
ignorances et les dédains en matière d'hellénisme. 11 n'était
pas sans péché. Il avouait gravement qu'il avait été icono-
claste dans sa jeunnesse. L'histoire de la Grèce, il l'avait
épelée dans de sombres classes en regardant à la dérobée
un coin du ciel bleu à travers les barreaux des fenêtres et
en pensant avec regret à la balle ou aux billes qu il venait
de quitter. Cette (jrèce de collège ne l'intéressait pas.
On a vu quelle en avait ennuyé bien d'autres. Mais c'était
une Grèce mensongère. Une science mieux informée a
ruiné une tradition qui reposait sur des erreurs et dissipé
du même coup des })réjugés qui étaient des sacrilèges.
« Dans une mon-
cette terre privilégiée, écrivait-il, pas
tagne qui ne redise le nom d un poète, d'un sage, d un
héros, d'un artiste. Pour nous, les noms des hommes
illustres de la Grèce, de ses grands morts, comme disait
César après Pharsale, sont encore les synonymes de génie
et de vertu. Quelle contrée, si vaste quelle soit, peut se
vanter d'avoir produit un Socrate, un Platon, un Phidias,
un Homère, un Eschyle, un Aristote? Souvent le monde a
été bouleversé par des hordes brutales mises en mouve-
ment, comme les Huns, par un fléau de Dieu. A la Grèce
seule était réservée la gloire d'éclairer les autres nations
et de Ses armes, sa littérature, ses arts ont été
les policer.
bienfaisants. Dans l'espace de quelques siècles, vingt peu-
ples helléniques ou plutôt vingt petites villes ont déployé

(beaucoup de détails).
la Lili. gr. d'O. Millier —
Renan, Études cfllis-
toire -— Le Manuel d'O. Mùller, composé en 1830, fut
religieuse, I.

traduit en 1841 par Pol Nicard.


1. Remanié par Salvandy en 1837 et plusieurs fois réorganisé.
LA CURIOSITÉ ARCHÉOLOGIQUE 205

une activité sans égale pour réaliser tout ce qui se peut


imaginer de bon, d'utile et de beau. »
Cette terre privilégiée il faut donc la connaître. Et tout le
monde, s il le veut, peut aller à Corinthe et même à Athènes.
Les érudits nont plus leurs bonnets carrés ni leurs
grandes robes. L'archéologie et la philologie ne sont
pas des bêtes horrifîques. Il est permis à tous de sïns-
truire. Et quel siècle fut plus propice à une renaissance
de lantiquité? Notre curiosité sceptique, blasée sur le
présent, juge plus sainement du passé. Notre éclectisme
qui ninvente plus rien comprend assez bien ceux qui ont
inventé. Bien des points, d'ailleurs, nous rapprochent de
la Grèce et nous en facilitent l'intelligence. Chaque siècle
se fait l'antiquité à son image, mais la nôtre risque d'être
la plus vraie. Au moyen âge les trouvères racontaient
aux barons de France les aventures du bon chevalier
Hector le Troyen et les amoureuses entreprises formées
pour les beaux yeux de Madame Hélène. Larcher, tradui-
sant Hérodote, n'y voyait que seigneurs, princesses et
gens de qualité. Le pâtre des Thermophyles nous montre
aujourd'hui le lieu où le klephte Léonidas trouva la mort
en défendant le défilé contre un pacha. Et nous, Français
de 1830, habitués aux débats politiques et aux idées libé-
rales, nous aimons, nous devinons une Grèce constitu-
tionnelle où le peuple dirigeait tout, où les orateurs
savaient se faire entendre. C'est nous qui sommes dans
le vrai. La vie républicaine des antiques cités ressemblait
à la nôtre. Nous sommes de plain-pied avec les Grecs
d'autrefois.
A mesure que paraît l'Histoire de laGrèce de Grote, Méri-
mée analyse chaque volume et le fait connaître au public.
Il écrit ainsi, dans la Revae des Deux Mondes, sixgrands
articles nourris, précis et intéressants. Chemin faisant,
et à l'occasion des « Temps héroïques » (c'est le titre

du premier volume de Grote) il rencontre la question


homérique et il l'aborde résolument. Il accepte les conclu-
sions du savant Anglais sur l'Iliade qui serait la fusion
206 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

de deux poèmes, sur l'Odyssée dont l'unité ne lui semble


pas contestable. Il s'intéresse aussi au problème mytholo-
gique, alors passionnément discuté C'est une suite de
: <(

récits étranges, écrit-il, qui, pour le merveilleux, ne le


cèdent en rien à nos contes de fées. Des dieux s'huma-
nisant avec les jolies mortelles, tantôt battant, tantôt
battus, mourant quelquefois, des métamorphoses d'hom-
mes en animaux, voire d'hommes en dieux, voilà le fonds
ordinaire des mythes antiques ». Mais cette mythologie
si na'ïve et si invraisemblable, c'est le début de l'his-

toire grecque. Il faut l'interpréter. Mérimée s'eimuse de


l'évhémérisme des vieux savants qui cherchaient un fait
précis derrière chaque symbole. Et il rappelle que son
professeur —
toujours la Grèce du collège lui faisant 1 —
traduire la fable d'Orythée enlevée par Borée l'avertissait
que cette jolie histoire reposait sur une anecdote vraie.
Une jeune fille se promenait imprudemment sur un
rocher à pic lorsque le vent s'engouffrant dans sa robe
la précipita. Pour un peu,
le professeur aurait donné le

lieu, la date et le denom


famille.
Mérimée aimait surtout l'art grec et il s'y connaissait.
Il visita plusieurs fois les musées de l'Europe qui possé-

daient des chefs d'œuvre helléniques le Musée britan- ;

nique surtout l'attirait. Une des joies de sa vie fut son


voyage en Asie Mineure avec Ampère. Il comprenait la
beauté du marbre que son ami ne regardait pas. A son
retour il publia ses Monuments helléniques (1842) qui
n'étaient pas un adieu à l'architecture grecque, puisqu'il
continua d'écrire sur ce sujet dans les journaux. Le livre
de Laborde sur Athènes, les marbres d'Halicarnasse, etc.,
lui inspirèrent de jolis articles. Les occasions ne man-
quaient pas. C'est lui plutôt qui parfois leur manquait.
Il était fort occupé par ailleurs. Depuis 1835 il inspec-
tait officiellement — et très activement —
nos monuments
historiques, prenant des notes avec science et conscience
et envoyant au ministère rapports sur rapports. Il réussit
à sauver de la ruine, dans le Midi, dans l'Ouest, en
LA CURIOSITÉ ARCHÉOLOGIQUE 207

Auvergne, des édifices oubliés ou mutilés. Son œuvre


critique de trente années, poursuivie presque sans inter-
ruption, est de tout premier ordre par la sûreté du goût,
la netteté des discussions, la solidité et aussi la légèreté
de rérudition. C'est un artiste et c'est un vulgarisateur.
Sa science est aimable. Ses descriptions déglises, de
tableaux, de statues sont dune belle limpidité. Tel
article sur l'amphithéâtre d'Arles, sur l'église de Saint-
Savin, sur l'hôtel de Cluny, sur le palais des papes
d'Avignon a mieux instruit le public que de lourdes et
copieuses dissertations. Le moyen âge architectural, si
longtemps négligé ou dédaigné, l'a donc beaucoup occupé.
Il ne s'en plaignait pas; il faisait par goût son devoir

de bon fonctionnaire, il aimait le gothique. Mais comme


la Grèce était loin!
Voici pourtant que, dans lune de ses tournées, on
lui montre une statue antique de femme découverte dans
la vallée du Rhône. Aucun doute n'est possible c'est un :

très beau spécimen de l'art grec. Comment est-il venu là?


Il est probable que tout le Midi de la France, soumis à

la domination romaine pendant tant de siècles, a reçu


comme l'Italie un reflet de la beauté grecque. C'est très
vraisemblable surtout pour cette Provence, colonisée par
les Phocéens et rattachée à l'hellénisme par une évidente
parenté. Il faut s'en assurer, chercher, fouiller. Mérimée
envoie des circulaires un peu partout, au nom du Comité
des monuments historiques. La recherche des antiquités
nationales, trop exclusivement limitée au roman et au
gothique, ne doit pas oublier l'art grec.
Il y a mieux. Mérimée va étudier, dans la Vienne,
de Saint-Savin, le type le plus complet de notre
l'église
art roman au xi*' siècle. De curieuses fresques garnissent
la crypte, l'abside, une partie de la nef et le porche.
Bien curieuses en vérité. Elles n'ont pas l'air d'être chré-
tiennes. L'attitude, l'expression, la tenue de certains
personnages sont assurément étrangères à l'esprit du
moyen âge. Mais où donc Mérimée a-t-il déjà vu ces
20S LÀ RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

silhouettes? C'est bien étrange. On dirait les peintures


des vases grecs ou encore les bas-reliefs du Parthénon.
Oui, cest bien cela et la ressemblance est frappante. Les
cavaliers de Saint-Savin n'ont point d'étriers, régu-
la
larité de leurs traits rappelle les types les plus purs de
l'antique, le mouvement des draperies reproduit un
ajustement familier aux artistes des plus beaux temps
de la Grèce. Et ce n'est pas un pur hasard. 11 y en a trop
d'exemples. Il est à peu près certain que l'esprit de
l'hellénisme, pieusement conservé par les Byzantins,
s'est perpétué dans certaines inventions du roman et du
gothique « Les peintres de Saint-Savin ont reçu leur
:

art des maîtres de la Grèce ».


Ainsi s'élargissait le champ de l'archéologie du moyen
âge. La finesse critique d'un INIérimée dépistait l'hellé-
nisme à côté de l'art chrétien et jusque dans l'art chré-
tien. Le romantisme nous dira un jour ce qu'il en pensa '.

III

IMérimée voulait initier le public à l'art antique. Raoul-


Rochette faisait le public juge de ses démêlés avec
Letronne. L'érudition archéologique se met à la portée
de tous pour se faire accueillir-
On ne tire pas encore un grand parti des moulages
qui sont peu répandlis. L'École des Beaux-Arts a bien sa
collection, mais elle est insuffisante et d'ailleurs inacces-
sible à la foule. Il est pourtant question d'en faire un
musée des études. Lorsque Duban commence (1832) les
grands travaux de reconstruction et d'agrandissement,
ilest entendu que de vastes galeries seront réservées
aux expositions. Il paraît évident que les plâtres doivent

Mérimée, B. des D. M,, articles des 1" avril 1847, 1" août 1848,
1.

juin 1849, 15 mai 1850, 15 mai 1852, 15 juillet 1856, recueillis dans
1<-'


Mélanges historiques et littéraires (cf. surtout, p. 115). Monuments
helléniques (parus dans ]a Revue générale de V Architecture et des Tra-
vaux publics de novembre 1842). —Monographie de Céglise de Saint-
Savin, in-folio avec planches coloriées (1845).
LA CrniOSITÉ ARCIILOLOGIQVE 20»

vulgariser la sculpture comme la gravure a lail le succès


(le la peinture. Mais les travaux traînent. Et puis il faut
compter avec l'opposition de certains mécontents. Les
moulages leur semblent sacrilèges. Le public perdra le
goût des voyages d'études, il dédaignera les terres clas-
siques. Un critique malicieux riposte que les expositions
ne risquent pas de désenchanter Lhalie quand les mauvais
poètes, les touristes, les Autrichiens, les polices, les
douanes, les lazarets n'ont pu y parvenir. Mais les pré-
jugés sont tenaces. L'exemple de Gœthe lui-même, qui
faisait chaque matin sa prière devant le buste de Jupiter
Olympien, n'amène pas beaucoup de conversions. La
cause ne sera gagnée que bien plus tard. Il faudra
attendre Ravaisson et son exposition de Palais de Fln-
dustrie.
En attendant, on a les bronzes de Barbedienne. Ce
grand ouvrier d'art s'était mis, en 1839, à reconstituer,
après cinq années de patients efforts, les chefs-d'œuvre
de l'antiquité. La grande difficulté était de réduire ces
ouvrages à des proportions modiques et de les offrir
au public à bon marché. Barbedienne entra en rapport
avec Achille Collas, inventeur d'un instrument avec
lequel il était très facile de reproduire les bustes, statues,
vases ou les bas-reliefs. La maison à peine fondée réussit
à merveille. Douze cents principaux
sujets, tirés des
musées de l'Europe, furent exécutés en réduction. Charles
Lévéque a parlé d'une tête de cheval, frémissante de vie
sur un des frontons du Parlhénon et admirablement
reproduite par cette industrie nouvelle du bronze d'art.
La gravure sur bois et la lithographie nouvellement
découvertes font antique après les
connaître l'art

paysages grecs. Elles permettent des publications à bon


marché le Journal des artistes « revue pittoresque con-
:

sacrée aux artistes et aux gens du monde : peinture,


sculpture, architecture, gravure, lithographie, musique,
art dramatique, paraissant tous les dimanches par
cahiers », le Musée des familles et surtout le Magasin pitto-

14
210 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

fondé en 1833 et très riche en articles et en dessins


resqiie
consacrés à Ihellénisme. Voici, par exemple, le Bouclier
dAchille, le Parthénon, lApollon du Belvédère, la Diane
d'Éphèse, le Jupiter Olympien, la Fontaine Castalie et le
Mont Parnasse, le Temple de Phigalie et celui dÉgine,
le Thésée et ITlissus du Parthénon,
métopes et les
les

ruines de Sélinonte, l'Acropole d'Athènes,


quelques
dessins de Flaxman (le chien d'Ulysse, les filles de Pan-
darus). La photographie ne donne rien avant 1850.
Ducamp publie en 1852 les « dessins photographiques »
de son voyage en Orient.
Les Mémoires de l'Académie des Inscriptions, le Journal des
Savants, les Annales de l'Insiiiat de Rome, les Archives des
Missions scientifiques et littéraires sont réservés à un public
très fermé d'érudits. Mais la Revue archéologique se fonde
(1844), sous les auspices de Letronne, Leleux et Gailha-
baud pour faire connaître aux gens du monde les décou-
vertes de l'Institut archéologique. La Revue générale de
V Architecture et des Travaux publics s'occupe d'art grec :

Mérimée y publie ses « Monuments helléniques ». Des


journaux comme le Constitutionnel et le Moniteur ouvrent
leurs colonnes aux défenseurs de l'archéologie classique.
La Revue de Paris rend peu, mais la Revue des Deux Mondes
suit le mouvement et parfois le précède. C'est là qu'Am-
père donne ses impressions sur l'Asie Mineure, que
Fortoul étudie les marbres d'Égine, Burnouf le Parthé-
non, Ch. Lévéque la beauté des marbres grecs dans des
articles sur lesquels je reviendrai.
Mais comme tout cela est peu de chose à côté des ser-
vices rendus par l'Arlistel a V Artiste, dit Vinet, a joué
dans le monde de l'art le même rôle que le Globe de 1824
dans le monde de la littérature.... Il a embrassé... la
poésie comme la prose, le livrecomme le théâtre, la
musique comme la danse, la statue comme le palais, le
tableau comme l'estampe, le bijou comme la médaille,
l'archéologie comme la curiosité; mais à l'art propre-
ment dit, il a donné une place plus large qu'à la littéra-
LA CURIOSITÉ ARCHÉOLOGIQUE 211

lure. »La bollo el honiio ot vaillante revue! De 1831 à 1872,


elle a changé bien des fois de direction et aussi de Torniat,
mais son esprit est resté le môme. Elle a soutenu l'art et
la beauté contre la froideur de l'acadéniisnie, contre les

violences du romantisme. Et pendant que les pseudo-clas-


siques arriérés et les novateurs audacieux occupaient
l)ruyamment l'opinion de leurs polémiques, elle a créé un
tiers parti qui a dit aux deux autres Vous êtes, ne vous
:

en déplaise, également funestes à cet art que chacun de


vous prétend défendre, vous êtes des hérétiques parce
que vous ne regardez pas où sont les vrais dieux. Dès sa
fondation et en pleine tourmente, l'Aiiisle fait rayonner
la beauté de l'art grec. 11 groupe surtout ceux qui pré-
fèrent l'archéologie à la littérature, ceux qui proclament
qu'Homère a peut-être quelques taches mais que le
Parthénon n'en a pas. On ne s'étonnera pas de le ren-
contrer souvent dans notre enquête i.
Au xviii^ siècle, il s'était trouvé de grands seigneurs,
amateurs éclairés de l'antiquité, pour favoriser par leur
fortune et par leurs ouvrages le goût de l'art grec. Le
duc de Luynes voulut continuer la tradition des Caylus
et des Choiseul-Gouffîer. 11 fut la Providence des archéo-
logues, le Mécène des artistes. Ce duc, héritier d'un
grand nom, poli, sérieux, distant et un peu ombrageux,
ennemi des « tapeurs et des indiscrets qu'il éconduisait
)>

avec un flegme britannique, peu porté à la confidence et


rebelle à l'interview, guère été populaire de son
n'a
vivant, et la presse, dont il disait qu'elle l'effrayait « avec
ses trompettes sonores ». n'a pas sonné de la trompette
sur son tombeau. Mais il y a plus d'un moyen d'atteindre
la foule de Luynes savait qu'à défaut de sa personne
:

son œuvre y suffirait. Très instruit en plusieurs langues,


1. L'Artiste, journal de la lilléralure et des Beaux-Arts, V série,
1831-1838; 2"= série, 183941; 3% 1842-44 (sous le titre « L'Artiste,
beaux-arls et belles-lettres »); 4« série, mai 1844-47; 5* série, mars
1848-55; 0'' série, 1856-57. —
Nouvelle série, avril 1857-61. — Nou-
velle période, trente-deuxième année, 1862-66. — L'Artiste, revue du
XIX* s., histoire de l'art contemporain, avril 1866-72.
212 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

élevé par un père sévère qui lui inspira le goût de l'étude,


la curiosité de l'art et le sérieux de la vie, il se met, tout
jeune encore, à collectionner des médailles, des pierres
gravées et des vases peints. A vingt-trois ans il part pour
ritalie, à vingt-six il explore les ruines de Métaponte, à
vingt-huit il est élu memi^re libre de l'Académie des
Inscriptions. 11 contribue à fonder l'Inslilul archéologique
et à en détacher la section française. Pendant quinze
ans, il collabore au Bulletin pour les peintures de vases,
la topographie, la numismatique. Retiré à Dampierre, il
fait de son château un sanctuaire du beau. Duban et
H. Flandrin décorent le grand salon; Ingres est appelé
pour peindre deux vastes compositions, Y Age d'or et
\ Age de fer. Mais la première reste à l'état d'ébauche
et la seconde n'est pas même commencée, à la suite de
dissentiments qu'il est inutile de raconter. Ingres était
nerveux et agité, de Luynes concentré et glacé l'incom- :

patibilité d'humeur suffit à expliquer leur désaccord. Le


duc n'en resta pas moins bon prince avec les artistes et
les savants. Il commande à Simart la restitution de la
Minerve dïvoire et dor qui décorait le Parthénon; il fait
un don fastueux au Cabinet des Antiques, près de sept
mille médailles, camées, bijoux d'or, statuettes, vases
peints. Ce parfait homme du monde avait la passion de
la science et du grand art; ce savant, qui tenait l'érudi-
tion en si grande estime, restait homme de goût. Par sa
finesse, par son tact, il favorisa la diffusion de l'hellé-
nisme.
Le comte de Clarac, avec moins de brillant, fut aussi
un amateur d'art intelligent et avisé. Ancien directeur
des fouilles de Pompéi, il avait été nommé par Louis XVIIl
conservateur des antiques du musée du Louvre. Il
s'occupa très activement d'en dresser le catalogue et,
après plusieurs publications de détail, il commença à
faire paraître en 1840, par livraisons, à l'Imprimerie
royale, son Musée de Sculpture antique et moderne, vaste
répertoire des œuvres de marbre et de bronze conservées
LA CUHIOSITÉ AliCHÉOl.OGiqUE 213

dans d'Europe. C'est un ouvrage l'ormidablc


les niiise3cs
qu'il laissa inachevé et que ses amis Texier et Maury
continuèrent d'après ses notes. Il se termine par une
iconographie, il s'ouvre par une longue étude sur la
technique de la statuaire grecque, les matières employées,
les procédés de la sculpture polychrome. Clarac a le
génie de l'obscurité et il écrit fort mal. Il est confus,
difficile à consulter; il bourre ses développements d'ap-
pendices, de corrections, de repentirs. On peut être sûr
((ue ce qu'il intitule « Éclaircissements embrouille ce
)>

qu'on croyait avoir compris. Mais son répertoire est


sérieux et peut encore servir aux archéologues. C'est une
compilation du musée Pio-Clementino de Visconti, du
musée Bouillon, du musée Capitolin de Bottari, avec
beaucoup d'inédit, toute une liste de statues tirées des
magasins du Vatican, du musée de Munich, des collec-
tions Borghèse et Albani. « Le comte de Clarac, a dit
Vinet, est bien la preuve de ce que, à défaut de qualités
supérieures, la persévérance et le zèle peuvent produire.
Antiquaire sans beaucoup de sagacité, savant de peu de
science, écrivain médiocre, il n'en est pas moins arrivé
à élever un monument solide et vaste quoique défec-
tueux dans beaucoup de parties. Peu d'hommes ont aussi
bien connu que M. de Clarac le répertoire de la sculpture
antique. Il avait vu ou fait dessiner toutes les statues de
l'Europe et savait quelle était la conservation de chacune.
Ce qui lui a manqué, c'est la méthode.... Aussi, malgré la

multiplicité des tables et des recherches


renvois, les
sont très difficiles. Voilà bien des défauts sans parler de
cette gravure au trait si froide et si sèche.... Mais ce qui
compense ces défauts et les fait oublier, c'est l'utilité d'un
pareil livre devenu l'encyclopédie de la statuaire, c'est le

nombre de faits qu'il signale et la variété des recherches. »

Signalons enfin que l'union des études archéologiques


et des études philologiques a servi très heureusement les
unes et les autres.
La littérature des Grecs a, sur plus d un point, contesté
214 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

OU mal connu, éclairé leur art. Pausanias et Strabon


permettent de retrouver les ruines antiques Q. de Quincy
:

en fait —
avec Pline TAncien —
sa lecture chérie; ce sont
les textes anciens qui lui suggèrent Tidée de la statuaire
polychrome. Les poètes servent à identifier la topo-
graphie Marcellus, Leake, Dodwell, Gandar, recon-
;

naissent les Cycladcs à lexactitude des descriptions


homériques Lenormant retrouve dans Vliymne à Pan
;

le paysage arcadien, ses cimes pierreuses, ses prairies


humides, ses « neigeuses collines qui nourrissent mille
fontaines » et ses rochers sur lesquels marche le
<(

soleil ». Les poètes éclairent également l'art antique


parce que souvent ils l'ont inspiré. Homère avait rêvé
les dieux grandioses que la sculpture réalisa. Ses épi-
thètes plastiques avaient suggéré des formes aux sta-
tuaires; les beaux bras de Junon, les yeux bleus de
épaules de Neptune, les sourires de
INIinerve, les larges
Vénus étaient déjà des fresques et des bas-reliefs. Il en
résulte qu'à partir de 1830 la curiosité de l'art fit relire
les écrivains grecs.
L'humanisme à son tour tira un grand profit de la
renaissance archéologique. 0. de Quincy avait prouvé
que les études sur la toreutique, avec accompagnement
de dessins, éclairaient telle description homérique comme
celledu Bouclier d'Achille. Raoul-Rochette fait connaître
une publication allemande sur Homère où le commen-
taire s'éclaire de dessins. On a vu l'importance et l'intérêt
des gravures de Flaxman : David d'Angers illustre les
tragiques. Ampère n'avait pas tout à fait tort, malgré ses
conjectures aventureuses, de prétendre que l'architecture
et la sculpture mieux connues suggéraient mille aperçus
nouveaux et délicats sur la littérature des Grecs. Je dirai
bientôt comment Eschyle
et Pindare furent mieux com-
pris et mieux goûtés après les découvertes d'Égine et
d'Olympie. Les marbres furent, en quelque manière, les
garants des livres. Phidias, inspiré par Homère, le pro-
tégea à son tour.
LA CURIOSITÉ ARCHÉOLOGIQUE 215

Les Allemands étaient gens bien avisés lorsquils grou-


paient dans une science commune l'étude des lettres
grecques et celle de l'art grec. Ces deux provinces de
Ihcllénisme ne pouvaient guère se séparer. Leur intimité
favorisa leur heureuse diffusion ^
Comment la critique jugoait-elle Thellénismc ainsi
renouvelé et élargi ?

L R. des D. M., 15 octobre 1840. —


Mûntz, Guide de VÉcole des
Beaux-Arts. — Yinet, CAri et l'Arckéoloriie, p. 285, 408, 305. Le —
Magasin pittoresque, 1833, p. 17, 28, 109, 208, 253, 353; 1834, p. 35,
108, 189, 233; 1835, p. 235; 1830, p. 99 et 115; 1837, p. 11, 310, 95 et
303; 1838, p. 57. —
Vinet, Bibliographie, I, 128. -
Ch. Blanc, Ingres,
135 à 100.— Babelon. le Cabinet des Antiques (Préface). De Glarac,—
Musée de Sculpture (1840-1853) ; Manuel de VHist. de l'Art (1847-49). —
Vitet, Éludes sur les Beaux-Arts. —
Q. de Quincy, Jup. Olymp., Avant-
propos, p. VI. —
/?. des D. M., 15 septembre 1839. —
Beulé, VArt
grec avant Périclèi, p. 285, 355. —
Lenormnnt, Beaux-Arts et Voyages
I, 438 et 455. —
Hillebrand, op. cit., p. 52 à 107. —
J. des Sàv.,
juin 1821, mars 1828. —
Rapports de IS67 (Rapport sur les études
historiques, t. 1, première partie, p. 20). — Sainte-Beuve, Nouveaux
Lundis, vn, liO.
CHAPITRE XII

ATHÈNES CONTRE ROME


I. CONTRE LA CONFUSION DU « GRÉCO-KOMAIN » GÉNIE GREC ET GÉNIE LATIN
;

= II. PARENTÉ DE LESPUIT GREC ET DE l'eSPRIT FRANÇAIS.

siècle ne connaît qu'une forme d'antique


LEne xviii<^

sépare pas l'hellénisme de ses imitations. Les


: il

découvertes dissipent cette confusion. L'archéologie


grecque, mieux connue, rendit à César ce qui appartenait
à César. Elle n'y perdit rien.
Q. de Quincy l'avait pressenti et Chateaubriand distin-
guait les monuments de Rome de ceux de la Grèce. Dans
son cours de 1828, Villemain marque la différence des
deux littératures. L'antiquité classique se coupe en deux.
La querelle du grec et du latin va se poursuivre une
vingtaine d'années.
Vitet, rédacteur au Globe, marque ses préférences dans
un aimable article sur l'art des jardins. « Chez les Grecs,
depuis les potagers d'Alcinoûs jusqu'aux vergers d'Épi-
cure, depuis les ombrages philosophiques de l'Académie
jusqu'aux délicieux bosquets de Phryné, tout était soumis
à ces règles d'éternelle beauté, à ces proportions exquises
que Callimaque, les Scopas et leurs illustres rivaux
les
avaient découvertes et fixées. Et n'oublions pas que,
comme les Grecs avaient le sentiment le plus délicat des
convenances et du goût, jamais ils ne mutilèrent leurs
beaux arbres pour les déguiser en arcades ou en mu-
railles; chez eux vous ne trouvez nulle trace de cette
ATIfÈiVES C ONT RE ROME 217

odieuse architecture végétale, siTon peut l'appeler ainsi.


Les platanes de l'Académie ombrageaient de leurs
rameaux aussi libres que majestueux et le temple des
Muses et les fontaines jaillissantes qui arrosaient leurs
racines. Les Romains au contraire dont le génie raide et
positif ne sut jamais user avec discrétion et délicatesse
des traditions qu'ils dérobaient à la Grèce, et qui ne
copiaient ses chefs-d'œuvre que pour les rendre bientôt
lourds et exagérés, les Romains profanèrent la belle
ordonnance des jardins grecs par une foule de colifichets
disgracieux, entre autres par des arbustes tondus et
sculptés. Lisez cette description minutieuse que Pline
nous a laissée de son jardin chéri; vous n'entrerez pas
dans une allée sans avoir à droite et à gauche un cordon
de Jjuis bien taillé, bien peigné, sans passer en revue des
sphinx, des griffons et autres animaux plantés en senti-
nelle de distance en distance. On se croit transporté dans
quelque Elysée de Mme de Pompadour. »
L'Artiste semble avoir été créé et mis au monde pour
combattre le goût latin. Le terrible Planche n'épargne
pas la sculpture romaine, imitation trop sage de l'art
hellénique, ennuyeuse comme une liturgie diocésaine. Il est
sans pitié pour l'École de Rome qui en maintient l'admi-
ration. Un autre rédacteur regrette que l'Académie des
Beaux-Arts envoie ses élèves étudier en Italie un art de
seconde main et de décadence, au lieu de les diriger vers
la Grèce. Un troisième affirme que les Grecs n'auraient
pas construit l'église de la Madeleine, s'ils avaient dû se
servir de nos matériaux et il ajoute Nous disons les
: <(

Grecs et les Grecs seulement, malgré l'autorité qu'on


a coutume d'accorder aux exemples de l'architecture
romaine, parce que les Romains, qui ne faisaient comme
nous que de Fart de seconde main, se sont laisse entraîner
parfois aux plus singulières aberrations ». Arsène Hous-
saye réhabilite le ^rec Prudhon contre le romain David.
Il n'est pas plus tendre que Planche pour les grands sou-
venirs de Rome et leur malheureuse influence sur notre
218 LA BENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

art. « Si je suis quelquefois païen, cest à Athènes et non


à Rome. y a tout un monde entre Homère et Virgile. »
Il

Déranger, qui sur l'Hymette éveilla les abeilles, reproche à


riionnête latin d'avoir perdu notre littérature à qui l'hel-

lénisme aurait laissé des allures plus libres. Nisard pré-


fère à lart trop matériel des Latins la sobriété de Fart
grec.
Au lendemain de 1830 c'est à ([ui fera campagne contre
Rome. Ouinet, c[ui dévorait les écrivains latins au collège
de Lyon, renie ses anciens dieux depuis qu'il a vu la
Grèce. Ouinet revenu du Péloponèse, c'est Polyeucte
après le baptême. Il salue dans la Revue des Deux Mondes
une prochaine renaissance classique, mais il ajoute
aussitôt « Si cette réaction tant promise conduisait à la
:

fin à l'étude des formes grecques, nul doute qu'elle ne

fût un progrès pour tous. Au contraire, si ce devait être


seulement un retour à la poétique latine, il y aurait plu-
sieurs inconvénients à redouter ». Et voilà notre prophète
qui, lâchant la prose vulgaire, poursuit en strophes de
six vers un réciuisitoire contre Rome et contre ceux de
nos poètes qui voudraient réveiller, au lieu des grâces de
l'Ionie, les rudesses du génie latin :

A LA MUSE LATINE

Sous mon toit résonnant gazouille l'hirondelle;


Le petit du bouvreuil dont j'ai vu croître Tailc
Commence à becqueter mon pain de chaque jour.
Car le toit du poète dans l'orage
est ouvert
A la jeune hirondelle, aux parfums du rivage,
A tous les chants d'amour.

Il n'est fermé qu'a toi, triste muse latine!


... Vestale, qu'as-tu fait du feu de Prométhée?
... Vestale, qu'as-lu fait du foyer d'Ionie?
... Fille de ravisseurs, sans semer tu moissonnes;
... De Delphes sans profit tu pilles le trésor....

Ah! si pour apaiser la fièvre de notre âge

A i'àme il faut verser un antique breuvage


ATHENES CONTRE ROME 219

Dans la coupe des Grecs nous boirons à longs traits;


Quand l'épine est au cœur qu'un long passé dévore,
Nous apprendrons encore
A cueillir sur l'Ida les simples des forêts.

Je n'ai point oublié le sentier de l'Attique.


J'ai suivi plus d'un jour, au bord do mon caïque,
Dans le flot albanais la plainte de Sapho,
Mes yeux ont vu de près les grands dieux sur leur faîte
Et, dans ma longue nuit, des cinq voix du Taygète
J'entends partout l'écho.

Ailleurs, il condamne encore ce triste peuple romain


qui ne chante pas et dont la capitale n"est point sortie de
terre, comme les villes grecques, au son des flûtes en-
chantées.
Sainte-Beuve aimait les Grecs. Il fit pourtant très gen-
timent la leçon à Ouinet dans une épître à Patin :

Les Latins, les Latins, il n'en faut pas médire;


C'est la chaîne, l'anneau, c'est le cachet de cire
Odorant et par où, bien que si tard venus,
A savant et pur nous sommes retenus.
l'art
Quinet en vain s'irrite et nous parle lonie;
Edgar, noble coursier échappé d'ilercynie.
Qui hennit et qui chante et Ijondit à tous crins.
Des sommets chevelus trop amoureux, je (trains.
Il méprise, il maudit, dans sa chaude invective,

Tout ce qui n'atteint pas la Grèce primitive.


Ce qui droit à llda ne va pas d'un vol sur;
Il ne daigne compter Parthénope ou Tibur.

Certes, la Grèce antique est une sainte mère,


L'ionie est divine heureux tout (ils d'Homère
: !

Heureux Sophocle et son Roi gémissant,


qui, par
S'égare au Cithéron et tard en redescend!
Et pourtant des Latins la Muse modérée
De plain-pied dans nos mœurs a tout d'abord l'entrée.
La Muse des Latins c'est de la Grèce encore;
Son miel est pris des fleurs que l'autre fit éclore.
N'ayant pas eu du ciel, par des dons aussi beaux.
Grappes en plein soleil, vendange à pleins coteaux,
Cette Muse moins prompte et plus industrieuse
Travailla nectar dans sa fraude pieuse,
le
Le scella dans l'amphore et là, sins plus l'ouvrir,
Jusque sous neuf consuls, lui permit de mûrir.
220 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Les raisons de Sainte-Beuve étaient excellentes. Elles


ne convertirent personne, pas même lui. Archéologues
et artistes n'y mordaient guère. David d'Angers répète
que lart romain c'est le grec abâtardi. Viollet-le-Duc,
élevé par son oncle Delécluze dans l'admiration de la
Grèce, oppose l'architecture des deux peuples. Ampère,
Fenthousiaste Ampère qui détestait les cigales romaines
et se plaisait à lamélodie des cigales grecques, imagine
une antithèse un peu théâtrale entre les deux races. Sur <(

l'Acropole, le temps a doré le marbre des murs et des


colonnes, et des débris de la plus éclatante blancheur
scintillent à mes pieds. Tout près de moi, les Cariatides
de l'Erechtheum se dressent dans leur majestueuse élé-
gance sous l'architrave qu'elles soutiennent sans effort,
comme de belles jeunes filles portant sur leurs têtes des
couronnes de fleurs. Du côté de la terre des collines, aux
contours nets et fins, aux teintes violettes, argentées,
empourprées, dorées, sont ruisselantes de lumière et de
feu. Du côté de la mer s'étend sous mon regard une sur-
face bleue sur laquelle ondulent et chatoient des lames
étincelantes. Les golfes, les îles, les promontoires sont
radieux comme la mer, les montagnes et les nuages.
C'est une vision de splendeur, de grâce, d'harmonie.
Cest beau : c'est la Grèce. —
J'entre au Colisée. La nuit
vient, la lune se lève, elle frappe à ma gauche la grande
muraille démantelée et les gradins à demi écroulés. Je
fais le tour de ce vaste ovale, je regarde les étoiles à
travers les ouvertures qui sont à ma droite. Ce côté est
lugubre, la nuit l'enveloppe. Je marche parmi les blan-
cheurs de la lune sous les arcades qui soutiennent les
trois étages de débris. Entre les piliers massifs, l'œil
distingue un champ de roseaux dans lequel s'élèvent
d'autres ruines. Je monte à la partie supérieure du monu-
ment. A mes pieds, les cyprès du Cœlius étendent leur
rideau noir; le Palatin étend sa masse ténébreuse d'où
m'arrive le gémissement d'une chouette que je viens
écouter seul chaque soir interrompant à intervalles
i

ATHENES COM'liE ROME 22

égaux le silence par un p(Uit cri qui tombe dans l'abîme


(les siècles. C'est grand : Rome ». Th. Gautier est très
c'est

catégorique : « En général ce que l'on a pris jusqu'à


présent pour le goût grec n'est guère que le goût latin.
On avu Euripide à travers Sénèque, rien n'est plus dis-
semblable. La littérature latine n'est guère formée que
des centons de la littérature grecque; mais il y a entre
l'une et l'autre toute la différence de l'original à la copie,
du mouvement libre au geste parodié, du dessin au
poncif, de la forme taillée dans le paros au surmoulage
en plâtre ».
Le 21 juin 1853, Fortoul chargeait une commission de
réformer l'enseignement du dessin dans les lycées.
Ravaisson, nommé président, déposa son rapport le
28 décembre. Après d'intéressantes considérations sur
l'art et l'imitation, et des réflexions originales sur l'usage

des estampes et des photographies dans l'enseignement,


il demandait que les modèles en relief, placés sous les

yeux des élèves, fussent des moulages de la sculpture


grecque au lieu du faux antique, si longtemps à la mode,
et des contrefaçons romaines « Sous l'influence de sys-
:

tèmes erronés sur l'objet et le but de l'art, l'usage s'est


établi de choisir presque exclusivement pour servir de
modèles dans l'enseignement du dessin, parmi tous les
monuments qui nous restent de la statuaire antique, des
figures du genre de celles que l'on appelait idéales et où
l'on croyait trouver, avec le moins d'individualité pos-
sible, la représentation de la nature humaine dans sa
plus abstraite généralité, sans s'apercevoir que celles de
ces figures qui sont plus remarquables par la régularité
des formes que par la vérité sont pour la plupart des
copies ou des ifiiiitations d'où le caractère propre que
l>résentaient les originaux a plus ou moins disparu....
Par suite de la découverte qui a été faite au commence-
ment de ce siècle d'un grand nombre d'ouvrages origi-
naux de la plus belle époque de la statuaire grecque et
qui a frappé avec force les imaginations; par suite aussi
222 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

de la réaction que devait naturellement produire en sens


contraire l'insipidité de tant de productions inspirées
par le culte dlin faux idéal, les opinions qui régnaient
dans le domaine de lart et dans celui de la critique se
sont modifiées. L'individualité, la vérité, la vie sont ren-
tréesdans leurs droits et l'on peut même douter si, après
avoir incliné longtemps vers l'un de ces deux pôles entre
lesquels l'art moderne a presque toujours oscillé, on ne
s'estpas aujourd'hui trop rejeté vers l'autre ». Son rap-
port déposé, Ravaisson part en tournée d'exploration
à travers l'Allemagne et l'Italie et il en rapporte une cen-
taine de plâtres qu'il expose au Palais de l'Industrie. Il
projetait d'utiliser le château de Saint-Germain pour la
création d'un vaste musée historique où des moulages
feraient connaître l'art grec, dégagé des restaurations
et des imitations.
Il fut très Tous
amis de l'hellénisme
applaudi. les
approuvèrent cette tentative de ressusciter en sculpture
l'hellénisme et l'hellénisme seul. Vinet écrivait, à propos
de la Commission du dessin « Ces modèles c|ue, depuis:

tant d'années, on place sous les yeux des élèves, la Com-


mission s'est empressée de demander qu'ils soient
écartés de l'enseignement. Statues antiques, mais copies
ou imitations de certaines œuvres célèbres, ces modèles
accusent pour la plupart une influence romaine; l'accent, l'in-

dividualité qui caractérisaient les originaux ne se retrou-


vent plus ici.... C'est ce faux idéal, cet art abstrait et sans
racines qui a accumulé contre l'antique une masse de
préventions ». Et Vitet, qui trente ans auparavant écri-
vait sur la Théorie des jardins, encourage le projet d'un
musée, « sanctuaire d'études, livre d'or de la sculpture
hellénique » : « 11 faut bien savoir qu'on ne laissera rien
entrer dans ce musée qui ne soit authentiquement grec. Cette
consigne rigoureuse aura pour conséquence non seule-
ment de ne donner accès qu'aux sculptures d'origine cer-
tainement hellénique, mais, ce qui étonnera peut-être, de
mutiler plus ou moins presque toutes les statues anti-
ATlIEMiS COM'RE ROME 223

qnos les plus justement célèbres. Il faudra qu'elles lais-


sent à la porte tantôt un pied ou une main, tantôt une
jambe ou un bras, quelquefois même jusqu'à la tête et
presque toutes au moins le nez A la porte, >>. les copies
romaines avec les restaurations Renaissance • 1

II

En 1828, lAcadêmie de Toulouse avait mis au concours


le sujet suivant « A laquelle des deux littératures, grec-
:

que ou latine, la littérature française est-elle le plus


redevable? Berger de Xivrey se prononce en faveur de
»

riiellénisme dans un mémoire enrichi de citations et de


traductions. A .mesure que l'on distingue mieux Athènes
de Rome on rapproche davantage le génie grec du génie
français.
On d'abord sur la parenté des deux langues.
insiste
Depuis renaissance de l'hellénisme, plusieurs savants
la
avaient remis en honneur les idées d'Henri Estienne.
Boisson ade rappelait ce jugement de Dacier « Les :

monuments de notre histoire écrite d:ins les vii^, viiF,


ix^ siècles sont remplis d'expressions grecques. Durant les
croisades, il dut se faire entre les croisés et les chrétiens

Q. de Quincy
1. mon chap. — Chateaubriand,
(cf. iv). Ilin., I,

197. — Joubert, Pensées, 405. — Villemain, 1, du XVIIP la Litt. siècle,


III, 114. — Vilet, Éliide< sur Beaux-Arts, 319. — L'Artiste, 1833,
les I,

I, 62; 1839, IV, 85; 1841, p. 89; 24 janvier 1844; 19 mars 1848. —
Sainte-Beuve, Port. Cont., 117 (sur Déranger). — Nisard, Poètes
I,

latins, p.255 et 291 (année 1834) et B. des D. M., 15 mars 1846. —


Quinet, B. des D. M., 15 août 1836; Histoire de poésie, cbap. vu la
(0. C, p. 307); Histoire de mes idées (0. C, x, 235). — C. Uobert,
IX,
Essai d'une Philosophie de CArt, 120. — Patin, Études sur Poésie la
latine, 20 (ouverture du cours de 1832). — Sainte-Beuve, Pensées
I,

d'Août. — Jouin, D. d'Angers Belalions 204 (lettre à


et ses litt.,

Pavie du 4 août 1842). — Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, vn, 164.


— B. des D. M., 15 juin 1855 et octobre 1856. — Th. Gautier, P"'
Histoire de VArt dram., 200. — Ilavaisson, Bapport,
III, 12, 34, p. 8,
39, — Vinet, l'Art l'Archéologie, 272. — Vitet, Études sur
63. et les
Beaux-Arts, 05 et 72. — Bapports de /S6'7 (Rapport sur
I, études les
historiques, t. I, première partie, p. 20).
224 LA RE,\AJSSANCE DE LA GIîÈCE ANTIQUE

d'Orient un échange de mois et de phrases ». J. de Maistre


lui-même disait son mot dans les Soirées de Saint-Péters-
bourg « Je pourrais vous montrer dans lun de ces volumes
:

manuscrits que vous voyez sur ma table plusieurs pages


chargées de mes i)ieds de mouches et que jai intitulées
Parallélismes de la langue grecque et de la française.
Je sais que jai été sur ce point précédé par un grand
maître, H. Estienne; mais je n'ai jamais rencontré son
livre et rien n'est plus amusant que de former soi-même ces
sortes de recueils, à mesure qu'on lit et que les exem})les
se présentent. Prenez bien garde que je n'entends point
parler des simples conformités de mots acc[uis tout sim-
plement par voie de contact et de communication; je nô
parle que des conformités d'idées prouvées par des syno-
nymes de sens, différents en tout par la forme, ce qui
exclut toute idée d'emprunt. Je vous ferai seulement
observer une -chose bien singulière c'est que, lorsqu'il
:

est question de rendre quelques-unes de ces idées


dont l'expression naturelle offenserait de quelque manière
la délicatesse, les Français ont rencontré précisément
les mêmes tournures employées jadis par les Grecs pour
sauver ces naïvetés choquantes : ce qui doit paraître
fort extraordinaire, puisqu'à cet égard nous avons agi
de nous-mêmes, sans rien demander à nos intermédiaires
les Latins ». La réimpression du Thésaurus fait songer à
H. Estienne et à ses idées sur la conformité du langage
français avec le grec.
D'où vient cette conformité? Fauriel ouvre son cours
de 1831 sur la poésie provençale en étudiant « l'influence
de la civilisation grecque sur le midi de la Gaule ». Le
problème est nouveau. Ceux qui ont parlé de la Provence
n'ont songé qu'aux Roniains. Mais que font-ils des
Phocéens de Marseille? Comment comprendre la civili-
sation provençale sans faire la part de l'hellénisme?
Fauriel montre nos premiers « philhellènes » adorateurs
d'Apollon et de Diane, renonçant au druidisme sombre et
cruel pour la riante mythologie de l'Ionie, fabriquant des
ATllE.XES COMliK HOME 225

statues et des figurines de bronze qu'ils envoient à


Delphes, lisant et étudiant les poèmes d'Homère, et
répandant à travers le Midi de la France la langue
grecque, les usages grecs.
Ampère aurait tiré toute la langue française de la
langue grecque si on lavait laissé faire. Celui qui voyait
tout un vers d'Homère dans un chapiteau ionique pouvait
bien lire paresse dans paresis et foire dans phorion. Dans
son Cours de 1836 sur l'histoire littéraire de la France
avant le xii« siècle, il démontre cjue le monde moderne
pas venu se mettre à la place du monde ancien
n'est
comme on met sur un piédestal une statue à la place
dune autre. On a trop signalé l'inlluence latine. Pour-
quoi oublier ces marchands de Marseille qui remontèrent
la vallée du PJiône et sillonnèrent tout le pays? Nous
sommes, plus ciu'on ne l'a cru, fils de la Grèce.
Ce mouvement d'idées avait plusieurs conséquences
intéressantes.
Il était de mode de traduire les textes grecs en latin

pour les mieux faire entendre. Marcellus proteste.


Qu'avons-nous besoin de ce chemin de traverse pour
arriver jusqu'à la Grèce? La langue grecque est très
différente de la langue latine elle est très voisine de la
;

nôtre par la vivacité du tour et le ton des phrases.


Marcellus traduit en français les Dionysiaques, et Chateau-
briand l'encourage « Résistez. C'est en français qu'il faut
:

traduire votre épique grec méconnu. Le siècle a beau


s'écarter à plaisir des sources primitives, notre littérature
tout entière remonte à l'antiquité qu'il importe de
connaître dans toutes ses phases ». Marcellus appelle son
poète Nonnos au lieu de Nonnus; il garde la forme
grecque. Chateaubriand sourit et dit que, cette fois, c'est
sans importance. Mais Boissonade y tient. Les Parnas-
siens justifieront Boissonade et Marcellus.
S'il est bon de traduire en français, ne serait-il pas

meilleur encore de traduire en français du moyen âge? H


y a une évidente parenté entre la Grèce primitive et la
15
226 LA liENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

féodalité. Egger signale les mêmes mœurs : curiosité,


courage, recherche des aventures étranges, affection
fraternelle pour le cheval, goût des belles armures,
respect de la femme. La découverte de la Chanson de
Roland lui fournit des arguments qu'il juge décisifs.
Littré, gagné à ces idées, fait paraître un article sur « la
poésie homérique et le vieux français » où il insère une
traduction du chant L'^" de l'Iliade en laisses comme dans
nos vieilles épopées. Je cite la première de ces laisses :

Chante Tire, ô déesse, d'Acliille fil Pelée,


Greveuse et qui aux Grecs fit maux tant merveilleux,
Livrant à Plulon l'àme maint guerrier généreux
Et le corps aux vautours et aux chiens en curée;
Ainsi de Jupiter s'accomplit la pensée,
Du jour où la querelle primerain fut levée
D'Atride roi des hommes, d'Achille fils des Dieux.

Et voici une dernière question plus compliquée. Est-il


impossible à la critique de retrouver la diffusion de
l'hellénisme à travers notre moyen âge? Egger songe
déjà à ce qui sera la matière de son Hellénisme en France :

comment s'est-il maintenu par la tradition


lesprit grec
latine et qu"est-ildevenu en Orient pendant le moyen
âge? Ampère retrouve les anciens chants du matin dans
les aubades provençales, les romances des bergers grecs
dans nos pastourelles, les légendes ioniennes dans les
épopées de la chevalerie, le passé de TArcadie dans les
funérailles provençales. Puis pousse jusqu'à l'époque
il

moderne pour surprendre entre le génie grec et le génie

français une aimable intimité, fruit d'un long voisinage.


Si Racine fut grec dans son théâtre, La Fontaine dans
Psyché, Fénelon un peu partout, si Massillon, né près du
lieu ou s'élevait Olbia la fortunée, nous rendit les grâces
attiques d'Isocrate, si la Grèce nOus donna récemment,
comme la plus belle de ses offrandes, « le fils d'une
femme de Byzance », faut il donc croire à de simples
coïncidences, à de merveilleuses et inexplicables ren-
contres?
L'archéologie enquête dans le même sens que l'huma-
ATUEiyKS CONTRE ROME 227

nisme, pour les iiiomes raisons qui arretont Mérimée


devant les fresques de l'église de Saint-Savin '.
Didi'on l'onde ses Annales archéologiques pour défendre le
style ogival, le style roman et pour faire connaître tout
lart du moyen âge. INIais, des la seconde année, il élargit
son programme. « A notre belle civilisation chrétienne,
le paganisme a quelquefois servi de piédestal et nous ne

devons pas négliger à l'occasion l'étude de Tantiquité


païenne.... Plus tard, nous pourrons nous reposer plus
à loisir sur TAthènes du moyen âge, mais avant de
pénétrer dans la cathédrale et dans les nombreuses
églises de la ville chrétienne, il était bon de fixer im
instant nos regards sur la cité de Périclès. » La coloration
des édifices gothiques, des porches, des vitraux, des
tombeaux et des statues rappelle de toute évidence le
bariolage des temples grecs. La tradition hellénique en
architecture, conservée par les Byzantins, a inspiré nos
artistes pendant le moyen âge.
Cette dernière analogie frappe particulièrement Vitet.
Il écrit dans une étude sur les monuments du Nord-
Ouest de la France « On ne comprend pas lart du
:

moyen âge, on se fait l'idée la plus mesquine et la plus


fausse de ses grandes créations d'architecture et de
sculpture si dans sa pensée on ne les rêve pas couvertes
de haut en bas de couleurs et de dorures.... On en vint à
vouloir que tout fut coloré, tout jusqu'à la lumière, et les
rayons du ne pénétrèrent plus dans les habitations
soleil
qu'à travers du rouge, du jaune et du bleu. L'usage des
vitraux peints n'a pas eu d'autre origine ». Les croisades
n'ont donc fait que renforcer une tradition byzantine qui
elle-même était un héritage de la Grèce Vitet renvoie aux
:

études archéologiques d'Hittorff sur la polychromie hellé-


nique. Il pense que le moyen âge gothique ne fut pas le
seul berceau de l'art chrétien et que l'hellénisme, jetant

1. Anipùre, dans sa criliciac purement liltéraire, s'appuie souvent

sur les (lécouverlcs archéologiques de son ami Mérimée. Il rappelle


aussi le Trésor de Bernajy comme preuve d'une influence grecque.
228 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

alors un formes divines à l'inspiration


vif éclat, prêta ses
évangélique. Les mosaïques des églises romaines, en
particulier celle de Sainte-Pudentienne, dont il fait une
étude très complète, le confirment dans son impression.
Fortoul, ami de Vitet, démêle dans Ihistoire de notre
architecture une évolution qui correspond aux trois
ordres ou aux trois époques fondamentales de l'art grec.
Les pleins cintres du roman, les piliers vigoureux* et
trapus, les formes rondes et énergiques des basiliques
rappellent la majesté dorienne. L'élan gracieux et mélan-
colique des voûtes ogivales n'est pas sans rapport avec
la souplesse de Tordre ionique. Les fleurs, les broderies,
les caprices de la Renaissance ressuscitent la magnifi-
cence corinthienne. Simple coïncidence? ou même jeu
d'esprit? Fortoul ne le pense pas. Lorsque les maîtres de
l'art chrétien couvraient d'un champ d'or les murs sur

lesquels ils faisaient apparaître les grandes figures de la


religion, ils employaient les procédés de la peinture
murale des Grecs, tels que Letronne les a retrouvés par
sa critique infatigable et érudite. Les peintres byzantins,
héritiers des secrets helléniques, furent les éducateurs
des artistes du moyen âge. Fortoul n'en doute pas et je
cite encore cette page qui définit sa thèse « Les Grecs
:

qui, dans l'antiquité, avaient donné les modèles et les


règles de l'art à tout l'Occident, reprirent cette haute
fonction à Légard de l'Europe moderne lorsque la pre-
mière civilisation qu'ils lui avaient transmise eut été
détruite par la barbarie ou épuisée par sa propre décré-
pitude. Les grandes invasions du \^ siècle n'avaient point
effacé toute culture dans les provinces romaines; long-
temps après qu'elles les avaient dévastées et jusqu'après
le règne de Charlemagne qui essaya d'en réparer à jamais
les désastres, on trouve en Italie, en France, en Alle-
magne des traditions encore reconnaissables de l'art
antique; on les y voit entièrement disparaître au x'^ siècle,
soit que les invasions hongroises enveloppées dans
l'obscurité de ces temps incertains aient été les plus ter-
ATHENES CONTRE HOME 220

ribles de toutes, soit que la nouvelle société fondée sur


l'alliance du christianisme et de la féodalité ait laissé
tomber d'elle-même en désuétude des formes surannées
qui n'allaient plus à son génie. C'est alors que les artistes
grecs paraissent avoir obtenu, dans le monde chrétien,
l'universelle suprématie que leurs ancêtres avaient
exercée sur les nations païennes; durent ce curieux ils

retour de fortune aux derniers procédés de l'art ancien,


conservés parmi eux lorsqu'ils avaient péri partout
ailleurs, et à la prédestmation de leur race, plus capable
qu'une autre de contraindre cette vieille forme à devenir
le symbole et l'expression de la religion nouvelle. Le
Jupiter Olympien de Phidias, que Constantinople possé-
dait encore au xi° siècle et qui probablement ne fut
détruit avec les derniers chefs-d'œuvre helléniques qu'au
XIII" siècle par Baudouin et ses croisés, fut jusqu'à cette
é[)oque sous les yeux des Byzantins un inévitable modèle
de puissance et de grandeur ».
Un mouvement général emporte toutes les formes de
notre art vers la Grèce antique. Gandar explique pour-
quoi l'hellénisme s'est imposé à nous à travers toute notre
histoire « Dans les arts et dans les lettres, nos qualités
:

naturelles, ce besoin de clarté, ce sentiment de la mesure,


ce goût pour la simplicité et la délicatesse qui font le
caractère de le France ont aussi distingué la Grèce ».
Pendant longtemps nous avions oublié la Grèce, dont
la pâle image se perdait dans le rayonnement du génie
latin. L'érudition renouait la chaîne d'or entre la Grèce
et la France et rompait les attaches entre Athènes et
Iiome.
C'était une première conquête. La Grèce antique
commençait à être mieux comprise quelle ne Lavait
jamais été •.

L Colincamp, op. cil., J. de


II, —
Maistre, les Soirées de
432.
Saint-Pétersbourg, t. I, p. 110. —
Fauriel, Cours de 1831, publié en
184G, I, 55 à 80. —
Ampère, Histoire littéraire de la France, Préface,
XXVI, et t. I, p, 98 à 128; Histoire de la Formation de la Langue fran-
CHAPITRE XIII

L'ÉNERGIE DE L'ART GREC


I. l'énergie dans la sculpture succès des marbres dolympie et des
:

SCULPTURES D'ÉGLNE; FORTOUL. r= II. L'aUSTÉRITÉ DORIEXNE LES IDÉES ;

D'o. MULLER, leur influence SUR l'iNTERPRÉTATION DE LART HELLÉNIQUE;


QUINET. = III. RENOUVELLEMENT DE LA CRITIQUE LITTÉRAIRE SUCCÈS :

DESCUYLE ET DE PINDARE LE RÔLE DE VITET.


;

LORSQUE la Commission de Morée publia sa découverte


dOlympie, Raoul-Rochette fut un homme heureux.
Ainsi donc, tout ce qu'il avait pressenti se trouvait con-
firmé! Toutes ses intuitions sur l'énergie de l'art grec
étaient vérifiées!Son Rapport met en lumière la vie
expressive des marbres rapportés par Rlouet On : ((

dirait une chair qui palpite ». Voyez cette métope où


Héraklès retourne, sous sa poigne vigoureuse, la tête du
taureau. Quel réalisme! quel magnifique gonflement des
muscles! quelle hardiesse de mouvements! Et l'on oserait

çaise, Préface, xix et xxxii. — R.-Roclietlc, Histoire de V Établissement


des Colonies grecques, III, 423. —
Patin, J. des S., mai 1840. —
Marcellus, les Grecs anciens, p. 353, 359, 364. —
Eg-ger, VlleU. en
Fr., leçons III à YI (cf. surtout I, 200) la Littérature grecque,
;

chap. XII (cf. notice de Bailly, p. 42). — Littré,


Histoire de la Langue
française, I, 314; Études et Glanures,chap. xiv; R. des D. M.,
P'" juillet 1847. —
Didron, Ann. ArchéoL, t. I. Introduction, II, 105.
— Vitet, Études sur V Histoire de l'Art, I, 237 et H, 354. —
Forloul,
l'Art en Allemagne. I, 182, II, 163, —
R. des D. M., 1" juin 1847
(article sur les peintures byzantines et les couvents de TAthos) et
1" décembre 1847 (article de Burnouf; il parle incidemment de
l'art byzantin). —
Gandnr, Ronsard considéré comme imitateur d'Homère
et de Pindare.
L'ÉNERGIE DE L'AIfJ GREC 231

parlor après cela de « beau idéal » et « d'immobilité » !

11 s'appuyait aussi sur les marbres d'Egine. Les


marl)res dÉgine n'étaient pas inconnus avant 1830. Mais
ils ne furent célèbres qu'après leur installation à
Munich.
Louis, roi de Bavière, avait des projets grandioses pour
sa capitale et son architecte de Klenze ne demandait
qu'à les réaliser. Ils voulaient faire mentir le proverbe
sur « ces tètes pesantes » de Bavarois, et réhabiliter la
race des fumeurs de pipes et des buveurs de bière.
Munich devait être l'Athènes de l'Allemagne, mais une
Athènes réelle et non symbolique, embellie de monu-
ments grecs. De Klenze élève les Propylées dont les murs
intérieurs sont peints en cinabre ardent, la couleur favo-
rite des anciens. Dans la Résidence royale, les appartements
du roi sont ornés de fresques et les sujets en sont pris à
Ihistoire grecque. Orphée chantant dans le vaisseau des
Argonautes se détache sur le stuc vert de la première
antichambre; la seconde pièce est décorée à la peinture
pôlychromatique Hésiode ouvre lui-même la marche de
:

sa Théogonie. La salle de service est garnie de peintures


inspirées par les hymnes homériques, toilette de ^'énus,
Cérès retrouvant Proserpine, etc. La salle du trône
montre, sur le fond d'or de ses murs, des reliefs en
gypse blanc d'après les hymnes de Pindare et, sur la
frise, les jeux de l'ancienne Grèce d'après les sculptures

du Parthénon et les marbres d'Égine. La salle à manger


est égayée de sujets anacréontiques. Eschyle inspire la
décoration de la salle de réception, Sophocle celle du
cabinet de travail, Aristophane les peintures du cabinet
de toilette, Théocrite les fresques de la chambre à
coucher. Le peintre Cornélius, le sculpteur Schwanthaler
secondent habilement de Klenze. Leur triomphe c'est la
Glyptothèque avec son fronton dorien sur colonnes ioniques
de marbre blanc, légèrement nuancé de rouge, pour
rendre cette belle teinte « fleur de pêcher » que le soleil
donnait aux monuments grecs. La Glyptothèque fut parti-
232 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

culièrement soignée. Elle devait abriter les marbres


d'Égine.
Nos voyageurs en reviennent émerveillés. Saint-Marc
Girardin, chargé d'une enquête officielle sur la pédago-
gique bavaroise, trouve à Munich autre chose et mieux que
ce qu'il attendait. Il publie ses Notices politiques et littéraires
sur l'Allemagne que VArtiste signale au public en ajoutant :

« Tout ce que l'étude des vases grecs et des nouvelles


statues grecques tels que la Vénus de Milo, les marbres
d'Égine, d'Olympie et d'Athènes ont ajouté d'idées nou-
velles à la science des Beaux-Arts, tout cela Munich en
profite dans ses monuments. » Fortoul va trois fois
à Munich d'où il envoie ses impressions à la Revue de Paris
et à la Revue des Deux Mondes. Fortoul n'est pas un lyrique;
il a même le romantisme en horreur. Sa joie est contenue

et grave. Mais on la sent profonde.


Qu'admire-t-il donc? L'énergie de l'école éginétique, le
mouvement extraordinaire des corps, la magnifique santé
des combattants, la largeur de leurs épaules, la saillie
du thorax, le jeu des muscles et des tendons, la plénitude
des chairs, la vie puissante et même furieuse de ces
personnages athlétiques et héroïques. L'ensemble est un
peu raide, un peu gauche mais quelle libre allure et
;

quelle sûreté quelle manière hardie de surprendre la vie


! !

Voilà la vraie beauté de la statuaire hellénique, celle que


Winckelmann lui-même pressentit N'ayant vu l'anti-
: <(

quité qu'à Rome, Winckelmann n'a pu admirer que les


œuvres de la troisième et quatrième époque de l'art, c'est-
à-dire celles où la grâce l'emporte sur la force et sur la
majesté et qui ont véritablement donné le signal de la
décadence. Il est facile néanmoins de se convaincre que
son esprit élevé assigna la première place aux productions
de la sculpture antique qui lui restèrent inconnues et
dont il eut seulement une intuition sommaire et des
témoignages incomplets. Les contours accusés, le dessin
dur et ressenti des écoles primitives excitaient en lui un
rJ ÉNERGIE DE L ART GREC 233

ciithoiisiasme dont son livre offre des marques nom-


breuses et quant à la seconde époque, celle de Phidias
;

et de Scopas, on peut juger de l'estime qu'il en fait par les


noms de grande et sublime école qu'il lui donne. Malheu-
reusement, par l'effet dune réserve qu'on devrait imiter
davantage, il comme exemple que les morceaux
n'a cité
qu'il avait sous les yeux; et comme ceux-ci étaient presque
tous du temps de Praxitèle, ses disciples ont cru que
c'étaient là les modèles qu'il voulait offrir à limitation
des modernes. La plupart des académies de l'Europe ont
longtemps vécu sur ces fausses idées, la grâce de
V Apollon da Belvédère leur paraissait être la plus haute
expression de l'art et Phidias n'était guère pour elles
qu'un sublime inconnu ».
La thèse de Fortoul est nette. Les figures d'Égine ne
sont pas des œuvres d'exception, elles ne sont pas isolées
dans un lointain et barbare archaïsme. Elles ont, au
contraire, fixé la grande loi de la sculpture hellénique;
autour du type éginétique ont tourné les chefs-d'œuvre
des siècles postérieurs.
Mais cette thèse môme, j'hésite à en faire honneur à
Fortoul bien qu'il lait soutenue avec force. Elle est dans
l'air. Pas un archéologue sérieux ne la conteste et beau-

coup la défendent avec éclat. L'Artiste admire cette scul-


l)ture grecque où « tout vit, parle, respire, marclie, lutte,
agit ». David d'Angers dit adieu à Canova dont la grâce
avait séduit sa jeunesse, à Thorwaldsen si froid, si com-
passé il revient à Phidias et aux cavaliers des Panathé-
:

nées. Le faux antique est démasqué. Pradier, troj) joli


et trop mou, n'est pas ménagé. Je recommande la critique
d'art du terrible Planche en ces années. Elle n'est pas
tendre pour les Trois Grâces de Pradier (Salon de 1831) ni
pour son groupe delSBt, Un Satyre et une Bacchante, œiiwes
charmantes sans doute par la grâce et l'harmonie mais
à qui il manque ressentiel de l'hellénisme, « la vie, l'ani-
mation ». Il faut dire que Planche n'aimait pas la Vénus de
Médicis, trop coquette, ni l'Apollon du Belvédère, sculpture
2 54 AI n/:\A/ssj.\cj': de la grève astique

de (lécadeiK'c dépourvue dévie et vantée par les rhéteurs


« en termes si pompeux que le public s'est habitué à
croire qu'elle résume tous les mc^rites de lart grec ». '

Ainsi, les marbres d'Hgine rendirent évidente une


véi'ilé soupçonnée depuis quelques années. Toute la

critique dart, après 1830, tourne autour des marbres


d Egine. Arcliéologues et artistes constatent l'énergie
expressive de la statuaire hellénique.
Quelques-uns expliquent (ju'il ne pouvait pas en être
aulrement.

II

En 1824 avait i)aru unprofond et


livre ingénieux et
qui devait plaire à un public intéressé par ailleurs au pro-
blème des origines. G. Mïdler, en écrivant les Doriens,
avait voulu prouver que la race dorienne était la pure
essence de l'hellénisme. Cette race industrieuse et pra-
licpie. (MiiKMuie du mysticisme et de la tristesse, avait pour ^

dieu Héraklès, symbole du travail, de lelïort et de la


lutle. Tout respirait en elle la santé, la virilité. Disci-
plinée par ces Héraclides, la Grèce entière devait créer
des (XMivres dont la qualité maîtresse serait l'énergie.
Ces idéi^s, d'abord vigoureusement combattues, gagnent
assez vil(^ roi>inion. liaoul-Rochelte, que Mùller avait
connu dans un voyagea Paris, leur est naturellement très

l. Cl. Pcrrol. Histoire de VArt, Introd., XllI. — Vilet, R. des D. M.,


l*"' fevrior 18G0. — R.-Roclietlo, Rapport sur Olympie {J. des Sav.,
février 1831). — Sainl-Marc Ciirardin. Xolices... sur l'Allemagne (1830).
— llaczynslii, de VArt moderne en Allemagne (1830. 1839,
IIisto'n\'

1811); surtout
cf., — LWrtiste, 1830. Xll, oÔ. —R. de Paris,
t. 11. t. p.
183i> (5 ot 13 janviiM", 10 février, 3 mars, 15 avril). — R. des D.
et 17
M., sept. 1830
\:\ essentiel de Fortoul). — Forloul, de l'Art
^artii-!o

en Allemagne (1812). surtout cliap. à xx, xxi,viii xii, xviii, xxiii,


xNxiu xxxiv. — R. des D. M.. 1" décembre 18i2 (lettre do R.-Ro-
et
che[[c). — L-Artiste. 1833, 04 lil: 1830.
t. Xll, 30: 1812.
Il, et 103. t. p.
— Jouin, David d'Angers sa 10. 148. 253. — R.
et vie. D. M.,
11. d.-s

15 avril 1830 (Musset Le Salon de 1830). — Laniartii)C, Voyage en


:

Orient. lOi. — riancho. Éludes sur l'Éeole française,


1, 81, 270, et 1,

/?. def n. M., arliele du 1'^ octobre 1850.


VÉNERGti: DE L'ART GREC 235

lavorable. Elles allaient dans son sens. Fortoul y voit


Iune des plus belles hypothèses de la jeune critique. « Les
Doriens, écrit-il, étaient une race rude; leur dialecte,
que Pindare avait assoupli à toutes les modulations du
rythme, conserve, même dans les strophes de ce poète,
un accent âpre et robuste particulier aux peuples qui se
sont formes sur les plateaux des montagnes. L'Hercule
thébain, qui devint la personnification du génie dorien,
est le symbole de la force laborieuse, de Tactivité pra-
tique.... Ce qu'il pouvait y avoir d'épais et de lourd dans
le sang de cette race lui donnait une action plus intense

et plus immédiate sur la matière. Aussi le talent de ses


artistes dut-il se tourner vers les représentations réelles et
animées. Fortoul retrouve l'inspiration dorienne dans
»

les œuvres de l'île d'Égine, colonisée parles Doriens, puis,


par dérivation et filiation, dans toute la statuaire grecque.
II va même beaucoup dans
plus loin qu"0. MûUer. Il était
sa destinée de se montrer toujours plus royaliste que le
roi. Millier goûtait la grâce du génie attique et l'origi-
nalité de Phidias. Fortoul s'empresse de rappeler que
Phidias fut élève d'Agéladas, qu'Agéladas était de tradi-
tion dorienne, que les Doriens propagèrent leur esprit
par leurs ateliers d'Égine, Rhodes, Sicyone, Corinthe
et que Phidias est de la lignée. A quoi bon tant de rigueur
et une logique si absolue? J'aime mieux Fortoul lorsqu'il
dit simplement « La découverte des marbres d'Égine a
:

renouvelé la théorie esthétique de l'antiquité, en déga-


geant l'élément dorien de l'idée jusqu'alors compacte et
confuse de l'art hellénique.... C'est aux Doriens que revient
l'honneur d'avoir mis la Grèce en possession d'une sta-
tuaire qui lui soit propre.... Les artistes doriens firent de
l'imitation et du mouvement les lois fondamentales de la scul-

pture ».

Les découvertes de Pœstum cl de la Grande-Grèce


mettent le dorisme à la mode. Le peintre Mercey salue
(ccette antiquité moins ornée, moins coquette mais plus
forte qu'à Pompéi Mérimée fait deux voyages à Pœstum
^>.
236 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

et, s'échauffant là-dessus contre son flegme ordinaire,


écrit àLenormant « Je voudrais que Fauteur de Tordre
:

ionique fût pendu et que celui du corinthien fût roué vif )>.

Il paraît qu'en cette matière il avait ses colères : hors


du dorique de sa vigoureuse simplicité, point de salut!
et
Et c'était encorele génie dorien qui avait tous les hon-

neurs de la Commission de Moréc le temple d'Olympie :

— de style dorique —
s'était élevé au v^ siècle lorsque ji
Sparte présidait la ligue du Péloponèse et avait la haute
main sur la cité sainte.
(( Et ego in Arcadia! Et moi aussi j'ai cherché Jupiter
dans la forêt du Lycée. Jai entendu en Arcadie résonner
les chalumeaux de Pan tandis que la double mer dionie,
de Corinthe se balançait à l'harmonie des roseaux. Les
traces des pas des Faunes m'ont conduit par de menus
sentiers à l'entrée du sanctuaire de Phigalie. "Je suis des-
cendu vers l'Alphée où s'est brisée sous mes pas l'écaillé
de la tortue dont Hermès a fait la première lyre. J'ai bu
au bord des précipices du Taygète la coupe des invisibles^
Ménades et une prière païenne s'est échappée de mes
lèvres en atteignant la cime de llthome. » Quinet, revenu
du Péloponèse, chante à son tour la gloire du génie
dorien K
11 a vu l'Attique et certes il pas dédaignée. Dans.j
ne l'a

la quatrième journée d'A/iasué/'ns, le Père Éternel reproche


à Athènes de n'avoir jamais songé qu'à sa beauté et de
garder dans sa misère un charme encore plus caressant
que dans ses fêtes païennes, avec ses colonnes étendues
dans comme de blanches moissonneuses qui se reposent
les blés
Athènes se justifie en un hymne que Flaubert
à l'ombre. Et
devait aimer « De mon ciseau, j'ai sculpté, dans mon
:

rocher du Pentélique, les blocs que vous aviez ébauchés


de votre main dans l'atelier de l'univers.... Rappelez-vous,
Seigneur, l'ouvrage de vos mains vos montagnes étaient
:

L J'utilise sa Grèce moderne (1830) dont il a été parlé déjà, et en


outre Ahasvérus (1833), Histoire de la Poésie (1836), Génie des Religions
(1841).
L'ÉWERGIE DE L'ART GREC 237

de marbre. Si je levais les yeux, les étoiles germaient


dans mes nuits de printemps. Leurs fleurs embaumées se
retournaient vers moi sur leurs tiges d'azur pour me dire :

vois-tu, pauvre ville de roseaux? je suis plus belle que


toi. Si je les baissais vers la mer, vos îles, sous leur
brume bleuâtre, naviguaient comme un troupeau de
cygnes et semblaient dire : vois-tu? nos ailes de rochers
qui rasent tes rivages sont plus blanches que tes murailles
et ton golfe d'amour nous aime mieux que toi, dans ton
vaisseau de misère. Seigneur, j'étais jalouse des étoiles
et des îles, de lombre de vos bois d'oliviers, des larmes
de cristal de vos grottes. Pour vous plaire autant qu'elles,
j'ai cueilli dans le marbre mes guirlandes d'acanthe, j'ai

versé à pleine main ma gloire rapide et mes jours impa-


tients.Jusque sur les sommets où les bois d'oliviers s'ar-
rêtent, où le chamois n'arrive pas, où lépervier a le ver-
tige, où la bruyère a peur de monter, j'ai porté sur mes
épaules ma charge de colonnes pour vous voir, toute
seule, sans rivale auprès de moi ». Il me paraît évident
que Ouinet sentit la poésie du décor attique et la beauté
de la ville sortie de terre, comme il disait, au son des
flûtes enchantées.
Seulement, il avait eu une surprise et un serrement de
cœur.
Il avait trop lu les écrivains, l'introductiondu Phèdre^
le chœur d'OEdipe à Colone. Et ce n'était plus cela du

tout. Il n'entend pas une seule fois le rossignol dans


les bois d'oliviers; il ne voit plus ni fleurs ni verdure; le
Céphise est tari. Et dans ce paysage désolé il cherche
vainement la grâce et l'harmonie, cet « atticisme » de la
nature que lui promettaient ses auteurs.
Et que dire alors du reste de la Grèce? « Sur l'impres-
sion des lieux, juge des traits par lesquels les écri-
si je
vains grecs ont eux-mêmes dépeint leur pays, il est évi-
dent que la plupart d'entre eux se sont renfermés dans
l'horizon d'Athènes. Les modernes qui, sur la foi des
descriptions classiques, cherchent partout cet atticisme
238 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

dans la nature, ne manquent pas d'être déconcertés. »


Quinet est déconcerté lorsqu'il voit le Taygète et ses
massifs contreforts, les escarpements du Lycée, les tor-
rents de FArcadie, la vallée de Sparte où il sent à la fois
« la pompe de Ménélas, la rudesse de Lycurgue et l'aus-

térité dun camp dorien ». Puis il s"y fait, il aime cette


tristesse, il en sent la grandeur.
Il voit les ruines de Sparte, le temple de Phigalie, tous

ces monuments encore imposants dans leur misère et


qui attestent la force du génie dorien. Il lui semble même
que les formidables murailles cyclopéennes, juchées en
nids d'aigles au faîte des collines, exprimèrent Tàme
dorienne avant le retour des Héraclides, comme si ceux-ci
n'avaient fait que retrouver leur terre d'élection. INIycènes,
Messène, Argos l'arrachent décidément au mirage attique
pour le plonger en pleine Grèce préhistorique, au milieu
des Pélasges mangeurs de glands : On ne peut voir tout
«^

à coup au-dessus de sa tête ces murs de Cyclopes plonger


à pic sur l'eau des torrents avec leurs petites galeries
noires, sans ressentir une vague et religieuse horreur à
laquelle rien ne vous prépare de tout ce que vous avez
vu jusque-là en Grèce.... Quand on parle d'un monument
de la Grèce, on se représente involontairement quelques
marbres régulièrement superposés quelques restes de
,

portiques c|ui réfléchissent en faisceaux de lumière l'éclat


dont nous sommes accoutumés d'environner l'histoire
grecc{ue, ou cjuelques colonnes penchées sur des sommets
bleuâtres comme des mâts de vaisseaux brisés et empor-
tés par des vagues d'azur. Soit que vous empruntiez
ces images à l'histoire ou à la poésie, elles sont toutes
généralement contredites par ce cjue l'on appelle le
Trésor d'Atrée.... Le mystère, l'impression sépulcrale
de ces murs livides, tout ici répond à la renommée
des Atrides et renouvelle l'épouvante des fables des
Achéens ».

Ainsi se modifiait, par la vertu du génie dorien long-


temps ignoré, la vision traditionnelle d'une Grèce aimable
1

V ÉNERGIE DE L'ART GREC 239

et élégante. VA c'était toute la critique archéologique qui


en était bouleversée'.
Cétait aussi la critique littéraire.

1 1

Ouinot^ disait d'Hérodote « La joie de toute une race:

d'hommes rayonne sur son histoire.... C'est une âme heu-


reuse d'avoir à raconter des choses heureuses ». Il aime
ses récits pour leur allégresse patriotique plutôt que
pour leur gracieuse et naïve poésie. Plutarquele charme.

Est-ce par les gentillesses qui plaisaient à un Amyot?


Non pas; mais Plutarque acclama les Romains comme
s'ils eussent apporté la liberté et son œuvre entière res

pire l'enthousiasme et l'énergie. L'esprit héro'ique des


guerres médiques explique l'histoire et l'art du peuple
grec. Quinet admire la fierté de la race chez Pindare,
chez Démosthène, « le dernier écho des grands jours »,

chez Platon, le défenseur de la justice, chez les poètes


dramatiques dont l'œuvre sortit, comme la patrie elle-
même, de la victoire de Salamine, chez Eschyle surtout,
l'auteur de la « Marseillaise » des Perses Allez, ô fils de : ((

la Grèce... », le poète vibrant, ardent, austère qui a des


ailes comme la Victoire. Quinet a un culte pour Eschyle.
Le voyage de Mycènes lui avait révélé la sauvage beauté
de sa poésie « Des cavernes éclairées à l'intérieur comme
:

des forges par des feux de bergers, des coups de vent


contre des pics pelés, des miaulements de chacal sur les
sommets, point de sentiers: au loin, au bout de la plaine,

\. 0. Millier, les —
Ilillebrand, Op. cî7., Introd. et p. 318.
Dûriens.
— Fortoul, article citéplus haut, et R. de Paris, 1839, t. X, « M. Ingres
et l'Académie des Beaux-Arts ». —
R. des D.M., 1^' sept. 1839. —
Filon, Mérimée, p. 81. —
Bculé, VArt grec a^Kinl Périclès. Quinet, —
édit. Pagncrre, I, 31G, 321, 324, 338; V, 229 à 240, 244 à 259, 260,
308, 343; IX, 291.
2. J'utilise ici, avec autres ouvrages de cet auteur cités plus
les
haut, son opuscule Vie Mort du Génie grec. Ijien qu'il ait paru beau-
et
coup plus lard, il rellète exactement Télat d'esprit hellénique do
Quinet depuis 1830.
240 LA REXAISSAXCE DE LA GRECE AXTIQLE

une vapeur si pale qu'on ne peut dire si c'est le nuage


ou la mer; de l'autre côté, des lambeaux de terrains jau-
nâtres sur un fond de sable partout s'est conservé le
:

caractère sauvage et le vague horizon d'un drame d'Es-


chyle.... »
Xprès 1830, les auteurs grecs sont goûtés en raison de
leur énergie et non plus de leur élégance. En général on
préfère les génies sombres aux génies riants.

Thucydide Hésiode est aussi lu qu'Homère


est estimé. ;

voici trois études sur lui dans la même année 1835 l'ou- :

vrage de Guigniaut, une thèse latine de Mondot sur la


Théogonie, une thèse. en grec de Gros sur les mythes de ses
poèmes. Ces poèmes paraissent en 1840 dans la Collection
Didot.
Eschyle surtout est admiré. C'est presque de l'idolâtrie.
Le vieux Lemercier n'attendait que cela pour mourir. H
mourut ignoré mais content.
L'École de Rome est toute escliyléenne si j'en juge par
ses divers envois. Simart expose au Salon de 1840 un
Oreste réfugié à l'autel de Pallas, dont J. Janin fait le plus
grand éloge. L'Artiste en profite pour renfermer tout
Tart grec — ou peu s'en faut — dans le seul Eschyle :

((Eschyle, c'est la poésie faite homme, c'est la profondeur


de l'intelligence, c'est la netteté de la pensée, c'est la
sublime élévation du génie qui voit, qui sent, qui exprime
et caractérise avec une telle autorité et une telle puis-
sance que l'empreinte indélébile de son ongle de lion
reste sur tout ce qu'il a touché. D'après les autres, vous
pourrez faire tout ce qu'il vous plaira, mais Eschyle, le
poète tant de fois couronné dans les jeux publics et tant
applaudi au théâtre, celui-là nous le défendrons, envers
et contre tous, et nous ne souffrirons pas qu'on nous le
déforme, qu'on nous le défigure. Nous l'aimons parce
qu'il est simple et naïf autant que profond et sublime;
nous l'aimons parce que ses créations vivent et palpitent....

H fut le plus grand entre tous les poètes de l'antiquité ».

Ses traducteurs sont infatigables. On le traduit en


L ÉNERGIE DE L'ART GREC 241

prose et en vers, en totalité et en partie, pour les gens


du monde, pour les collégiens et pour les demoiselles.
Vendel-Heyl le l'ait entrer dans la Nouvelle Bibliothèque
classique grecque Biard l'adapte en vers (1837) et
(1835),
Picrron l'arrange modestement en prose (1842). C'est
un Picrron que David d'Angers emporte avec lui en Grèce
et qu'il utilise pour ses dessins. Les compositions de
Flaxman gravées par Piroli et renfermant quatre-vingts
dessins pour Homère et trente pour Eschyle paraissent
à Paris en 1836 : elles font beaucoup pour la gloire
d'Eschyle. Puech met en vers les Choéphores et le Promé-
thêe un peu plus tard c'est la Grèce tragique
(1836-1838);
d'Halévy dont j'ai parlé.

A
propos de la traduction Puech, Patin fait l'histo-
rique de la réputation d'Eschyle en France. Il rappelle
les dédains de Brumoy, de Dacier, de Barthélémy, de
Voltaire, de La Harpe, de Fontenelle qui avait dit :

(( Je crois qu'Eschyle était une manière de fou qui


avait l'imagination très vive et pas trop réglée ». Il féli-
cite ceux qui essayèrent, sous la Restauration, de
remettre le vieux poète à la mode, en parti.culier Andrieux
et Lemercier. Il va bientôt lui-même collaborer à cette
œuvre de réhabilitation par ses Tragiques grecs. Un article
de Planche démontre longuement et presque scientifi-
quement (1836) que Promélhée est une tragédie bien
faite et vraiment palpitante. Le Prométhée de Quinet fait
éclore de nombreux articles, dans les divers journaux,
sur le génie du poète grec dans la Revue des Deux Mondes,
:

dans l'Encyclopédie des Gens du Monde, dans le Journal des


Savants. Magnin, homme compétent, légitime par
l'exemple d'Eschyle le drame fantastique des modernes,
Içs Burgraves de Hugo, le Roi Lear de Shakespeare, la
Fiancée de Messine de Schiller « Le drame idéal, merveil-
:

leux, fantastique est aussi légitime et il a dans l'histoire


de l'art de tout aussi beaux précédents que la tragédie
basée sur le jeu régulier des passions humaines. Si l'une
descend de Sophocle, l'autre remonte à Eschyle ».
16
2'i2 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Qu'il y ait eu des raisons romantiques pour goûter


Eschyle, cela est hors de doute et sera d'ailleurs éclairci.
Mais j'aperçois d'abord les raisons doriennes. Eschyle
plaîtpar sa fougue, par sa vigueur, par son austérité. La
poésie d'Eschyle, c'est encore les marbres d'Égine. Vitet
le dit expressément.
Vitet admire beaucoup O. Mûller. « Cette Grèce que
nous pensions connaître, il a suffi qu'elle fût affranchie

pour apparaître sous son vrai jour. La vue des lieux, la


vue des monuments a redressé nos idées préconçues,
rectifié nos jugements, modifié nos classifications et pré-
paré les savantes recherches qui, bien qu'inachevées, ont
immortalisé le nom d'O. Mûller. Cette distinction nette-
ment établie entre dorique et l'esprit ionien,
l'esprit
entre ces deux antiques races, si opposées de goût, de
mœurs, de caractères, qui, dès les temps primitifs, ont
envahi et se sont disputé ce coin de terre favorisé du
ciel, voilà une des conquêtes les plus fécondes de l'esprit
historique moderne. » Or tout se tient dans Fart. Et la
maie vigueur des sculptures d'Égine justifie les créations
eschyléennes « Ce genre de beautés n'est plus une
:

énigme pour nous. Et je ne parle p'as, notez bien, de


quelques esprits d'élite pour qui le soleil brille quand
les nuées couvrent la terre..,. Je parle seulement du
public tel qu'il est, livré à ses propres lumières et je dis
qu'aujourd'hui quiconque par hasard lit encore les tra-
giques se garde bien, si respectueux qu'il soit pour
Euripide et Sophocle, de marchander la gloire au vieil
Eschyle. Je dis que cette suprématie, qui nous semblait
inexplicable presque absurde, il n'y a pas quarante ans,
aujourd'hui n'étonne plus personne ».
Le succès d'Eschyle entraîne celui de Pindare.
Vitet, dans un article célèbre i, a raconté la réputation
de Pindare en France, comme Patin l'avait fait pour
Eschyle. C'est la même courbe. Le xvii« siècle ne connaît

1. Pindare et VArt grec (inséré dans Études sur Vllistoire de VArl),


i: ÉNERGIE DE L'ART GREC 243

pas la Grèce; le xviii^ siècle, malgré la science des Caylus


et des Barthélémy, ne retrouve pas la pure antiquité;
Winckelmann lui-même avec tout son génie ne réussit
qu'à inspirer le gréco-romain. 11 a fallu tout le mouve-
ment archéologique de la Restauration et la magnifique
révélation du dorisme pour imposer, non sans luttes,
ladmiration de lénergie, à la place d'un faux idéal de
grâce et d'élégance. Aujourd'hui le goût ne recule plus
avec effroi devant la sauvagerie d'un Eschyle, devant la
barbarie d'un Pindare. Les préjugés classiques ont fait
leur temps « Pindare, dorien d'esprit et de cœur encore
:

plus que de dialecte ne peut s'entendre avec le


XVII'' siècle pour qui l'antiquité grecque, commence à

peine avec Périclès et qui n'accepte Homère, le vieil


Homère, qu'en faveur du génie sans rudesse et des
instincts civilisés et dramatiques qui sont le privilège
naturel de sa race. Ainsi ce n'est point à Pindare en
particulier qu'on a chez nous tenu rigueur. Ce que nous
avons négligé, mal compris, ce n'eslpas son génie, c'est le
génie de l'antiquité grecque elle-même dans sa manifes-
tation la plus haute et la plus sévère, dans sa grandeur,
dans sa force, dans sa liberté primitive, avec ses irrégu-
larités apparentes, ses formes abruptes et heurtées, ses
grands traits sans détails et presque sans nuances ».
Ici encore le marbre sauvait le livre et le faisait aimera

1. Quinct, la Grèce moderne {éd. Pa^nem'), V, 308; Génie des Reli-


gions, p. 74, 171 ;Vie et Mort du Gênu grec, chap. i, ii, iir, iv, v, viii,
ix à XII (cf. surtout p. 10, 21, 57, 109). —
JJ Artiste, 1839, t. IV, p. 83;
1840, 1" série, p. 172. —
/. des Sav., avril et août 1838; sept. 1841.
— Encycl. des Gens du Monde, IS'iS, t. IX. —
Fontenelle, Remarques sur
Aristophane. —
Voltaire, Dict. pliii. Art dramati<iue.
: R^ des D. M., —
15 août 1838 et 15 mars 1843. —
Génin, de l'Originalité et de l'Imita-
tion {thèse de 1835). —
Vilet, Études sur rilistoire deVArt, Introd. et
t. I. —
J. Girard, Éludes sur la Poésie grecque, p. 80. Banville, —
le Sang de ta Coupe, préface.
CHAPITRE XIV

RÉALISME ET FAMILIARITÉ
I. LE RÉALISME DE LA SCULPTURE GRECQUE. —
II. LE RÉALISME DE LA LITTÉ-

RATURE GRECQUE l'ÉGLOGUE. LA COMEDIE, LE DRAME SATYRIQUE, LA TRA-


:

GÉDIE. SUCCÈS DE TIIÉOCRITE ET d'aRISTOPHANE LE ROLE DE PATIN.


: III. =
LA RÉPUTATION D'iIOMÈRE DE l83o A l850 RÉALISME FAMILIER DE SA POÉSIE.
:

sculptures d'Égine n'étaient pas seulement animées


LES
mais réelles. Fortoul parle du goût dorien pour la
vie militante Avec la théorie de limmobilité
et positive. <(

sereine », c"est aussi la doctrine du « beau idéal » qui


sen va.
Les Éginètes campent solidement leurs combattants et
leurs archers; ils les lancent avec fougue les uns contre
les autres. Mais, s'ils simplifient les formes, ils ne créent
rien de supérieur à la nature. Ils copient l'homme nu au
bord de la mer ou sur le sable du gymnase, dans les
exercices et les luttes de tous les jours. Ces guerriers
debout, la lance en arrêt, le bouclier au bras et le buste
en avant, agenouillés sur la jambe droite ou arc-boutés
sur les talons, ce sont les athlètes, pris sur le vif, du
grand camp dorien où la préparation au combat était le
spectacle quotidien. La technique est aussi précise que
nerveuse. La science de l'anatomie est déjà raffinée.
L'artiste a observé la flexion des muscles, le jeu des
tendons, les raccourcis du corps dans les diverses posi-
tions, la saillie du buste chez les guerriers qui bran-
dissent la lance et, au contraire, son recul léger lorsque
ni': A us MI-: et familiarité 245

le bras de larcher tire sur la corde. La vérité de


rimitation rend jusquaux détails les plus familiers :

boucliers avec leurs courroies, casques avec leurs


aigrettes, chevelures soigneusement peignées, boucles
frisées, tuniques, cuirasses bordées de lambrequins,
justaucorps à longues manches en cuir souple. Héraclès
agenouillé pour décocher une flèche, le pied droit ramené
sous lui, est coiffé d'un casque figurant un mufle dé lion
et vêtu, par-dessus une tunique sans manche, d'un justau-
corps de cuir lacé à gauche par des lanières une des :

épaulièrcs, dégrafée, est rejetée en arrière pour dégager


le bras qui tire sur la corde de Tare. C'est dans cet art
familier que triomple l'esprit dorien : le réalisme plaît
aux écoles doriennes. Les sculptures d'Olympie confir- ^

ment l'impression donnée par les marbres d'Égine.


V Héraclès au taureau semble le digne pendant de l'Héraclès
Virant de Varc.
L'attention attirée vers ces nouveautés s'intéresse au
réalisme dans l'art plastique des Grecs.
La de Phigalie, débordante de vie et d'une inven-
frise
tion parfois une peu compliquée, révèle en général une
observation ingénieuse et fine. On note d'heureux effets
de draperies, les unes agitées et flottantes, les autres
tendues sur les jambes dans la rapide allure de la fuite.
Plusieurs détails sont d'une familiarité tout à fait impré-
vue et cependant très exacte ce Grec qui saisit par le
:

bras et par le pied une des Amazones dont le cheval est


tombé à genoux; cet autre qui empoigne à pleine main la

chevelure dune guerrière, ce troisième ramassé sur lui-

même et guettant le moment de frapper son ennemie qui


fonce sur lui avec un bel entrain.
Et quelle surprise encore que ces métopes de Sélinonte,
cette Méduse à la bouche de Croquemitaine, au visage
rond comme une boule et tout aplati, tirant une langue

1. Ou da moins le pou ({u'en connaît, par ce (jue Blouet en a

rapporté. Les vraies sculpiures dXiympie ne seront découvertes


que beaucoup plus tard (1879-1881).
246 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

démesurée pendant que le héros Persée, très calme, lui


empoigne dune main la chevelure et, de l'autre, la déca-
pite! Ou encore ces deux Cercopes, gnomes malfaisants,
ficelés par les pieds et suspendus, tête en bas, comme
deux poulets, aux extrémités dun bâton qu'Héraclès
maintient en équilibre sur sa robuste épaule! Quelles
joyeuses et naïves caricatures! quel réalisme gauche et
brutal, toujours le même, en somme, chez les primitifs
de tous les pays et si voisin par exemple de ce qu'in-
ventaient les bons imagiers de notre moyen âge'!
Ajoutons-y les naïves et familières peintures de vases,
mieux connues depuis découverte de Vulci et dont les
la
sujets étaient de tous les jours. Et donnons
i)ris à la vie
un souvenir à ces étranges bas-reliefs d'Assos dont lun
représente une scène de banquet, des convives couchés
et conversant pendant qu'un serviteur emplit les coupes.
Cette simplicité souvent triviale faisait plaisir. Il y avait
si longtemps qu'on insistait sur les côtés nobles et gran-
dioses de l'art antique!
En Mérimée inspectant le Midi de la France, voit
1834,
à Vienne une statue récemment découverte, une femme
accroupie, d'un embonpoint très marqué, d'un réalisme
charnu et flamand. Il est un peu surpris « Jusqu'alors, :

j'avais pensé que les anciens avaient toujours subordonné


limitation de la nature à un certain type idéal de beau
absolu ». Or voici une statue antique certainement, belle
sans aucun doute et cependant presque vulgaire d'allure.
L'artiste a marqué jusqu'aux bourrelets de chair que
dessine sur le ventre la pose inclinée du corps. Mérimée
réfléchit, compare, observe toutes les statues grecques.
Et il conclut, sans hésiter, au réalisme de la sculpture
antique 2.

Persée tuant Méduse me rappelle le David tuant Goliath de


1.

l'églisede Yézelay(cliapileau du quatrième pilier de la nef, cùténord).


2. Croiset, Lllt. grecque. Préface, xxx. —
Beulé, VArt grec avant
Périclès, 486. —
Collignon, la Sculpture grecque, 1, 295 et 427. —
Mérimée, Notes d\in Voyage dans le Midi de la Fronce, p. 127.
RÉALISME ET FAMILIARITÉ 247

II

La critique littéraire, déjà mise en goût, vers la fin de


la Restauration, par le succès des romans grecs, emboîte
le pas à la critique d art.

Elle comprend mieux la vérité rustique de la pastorale


hellénique, longtemps sacrifiée aux grâces de l'églogue
latine. Patin démontre que les Grecs accueillirent large-
ment, et comme ingénuement dans leurs peintures, les
grossièretés, les trivialités de la vie champêtre. Saint-
Marc Girardin qui, il est vrai, s'occupe exclusivement des
bergers amoureux et ne va pas plus avant dans son
enquête, cite cependant comme un modèle d'observation
et de vérité chez Théocrite laccueil dédaigneux d'une
jolie citadine à un bouvier de village qui fait la roue
autour d'elle « Le butor Mes baisers ne sont point faits
: I

pour des rustauds.... Quelle face il a! quelle voix!... Voyez


comme sa barbe est soyeuse, comme sa chevelure est
parfumée! Va-t-enî Tes lèvres bourgeonnent, tes mains
sont noires et ton haleine empeste. Ne me touche pas tu !

vas me salir ». Théocrite n'est plus sacrifié à Virgile. Ses


paysans ne sont pas des bergers pour rire, des bergers
d'Arcadie (et du reste depuis Quinet et les voyages en
Morée on ne croit plus aux bergers d'Arcadie) ils sentent ;

la présure, comme dira Sainte-Beuve, et ils plaisent ainsi.


La critique est moins difficile que la jolie citadine.
Théocrite est fort à la mode vers 1840. h' Encyclopédie des
Gens du Monde parle de lui. Adert, de Genève, lui consacre
une thèse estimée. Son succès entraîne à son tour celui
d'Hésiode, non plus Hésiode le mythologue mais le poète
pastoral d'Ascra. Egger y insiste dans un de ses cours et
en fait remonter le mérite à Patin.
Avec l'églogue, la comédie. Aristophane a été très
long à prendre, malgré les judicieuses leçons de Lemer-
cier. A partir de 1830, sa réputation ne cesse de grandir.
Et la première raison, à n'en pas douter, est toute poli-
tique. Lorsque paraît la traduction de l'infatigable
2.8 LA liENAISSAyCE DE LA GRECE AMI OLE
Artaud, très louée par Benjamin Constant, J. Janin
signale dans la Revue de Paris cet excellent modèle d'une
comédie sociale et satirique << qui est aujo.urd'hui plus
qu'un droit un devoir ».
:

L'an de la quatre-vingt-cinquième Olympiade,


vous le savez, le temps d'Alcibiade,
(C'était,
Celui de Péridès et celui de Platon),
Certain vieillard vivait, vieillard assez maussade...
Mais vous le connaissez et vous savez son nom :

C'était Aristophane, ennemi de Cléon...


Il nommait par leur nom les choses et les hommes.
Cette poésie de Musset, d'ailleurs assez pauvre, l'ait

parler le vieux comique, comme il neût pas manqué de


le faire dans une parabase, sur la déportation dont une
loi malencontreuse menace les journalistes audacieux.
Si P'allex se met à traduire en vers certains fragments
d'Aristophane, il nous avertit que son dessein n'est pas
exclusivement littéraire « Je prie toujours les lecteurs
:

qui voudront tirer de cette lecture tout le profit et tout


le plaisir qu'elle peut offrir, d'y chercher ce c|u"ils trou-
veront sans peine, des allusions, des applications perpé-
tuelles à la vie moderne, au temps présent. Cest ainsi
quil faut lire les anciens pour les comprendre et s'é-
clairer. Changez les noms, les choses restent. Faites tou-
jours vibrer ce fouet sanglant d'Aristophane et vous
trouverez toujours les mêmes vices, les mêmes misères,
insolentes et basses, sous ses lanières». Mais Fallex fait

la part aussi large qu'aux invectives. Le


aux trivialités
réalisme du poète n'effarouche pas. Deschanel estime,
dans ses Études sur Aristophane, que les gauloiseries » ((

assurent le succès. « Les bégueules de l'un ou de l'autre


sexe feront bien de ne pas ouvrir ce livre, on les en pré-
vient.... Si Bacchus a découvert la vigne, jamais, que je
sache, il ne conseilla d'en mettre la moindre feuille à ses
statues ni aux œuvres littéraires qui lui furent consa-
crées.... Pour moi. Gaulois, je me amusé dans les
suis
vignes d'Aristophane, j'y ai fait vendange à loisir. Et
voici le dessus du panier. »
RÉALISME ET FAMILIARITÉ 2'i0

Le drame satyri(iue jamais été goûté. Le


n'avait
P, Brumoy s'indignait contre ces chœurs de satyres qui
s'égaient en propos audacieux, en actions trop libres.
Une dissertation de Rossignol, en 1830, condamne ces
« monstruosités », et le Journal des Savants n'y voit que

du mauvais goût. Voici pourtant un livre assez curieux


dun certain Martine de Genève, Examen des Tragiques
anciens et modernes (1834), où cettç forme d'art est mise
en bonne place. Bientôt Egger et surtout Patin admirent
sans vergogne les joyeuses bouffonneries et le réalisme
du Cyclope.
Personne plus que Patin n'a cru à la simplicité fami-
lière de l'art grec. Et non content de la trouver dans les
petits genres comme le drame ou l'églogue, il est allé
la chercher dans la grave et sérieuse tragédie.
A la vérité, il n'inventait rien. Villemain avait parlé
en fort bons termes de ÏAlceste d'Euripide, du touchant
épisode où la reine mourante est tirée par sa robe, par
ses deux petits enfants qui pleurent « Toute la familia-
:

rité du goût moderne et ce désir d'imitation exacte de


la nature que Ion vante aujourd'hui ne pourraient rien
imaginer de plus simple que cette situation naïve ».
Villemain ne faisait pas non plus le dégoûté sur certaines
bouffonneries qui choquaient un Barthélémy, sur le rôle
d'Hercule que Voltaire ne voulait pas même renvoyer
au théâtre de la Foire où il ne serait pas supporté. C'est
une des meilleures analyses de son livre. Mais il n'y
touche, semble-t-il, que des biais. Il n'élargit pas le

sujet. Je crois qu'il jugeait Alceste une pièce un peu


exceptionnelle.
Patin n'accepte pas la distinction un
de Ch. Magnin :

théâtre hiératique, un théâtre aristocratique, un théâtre


populaire. La tragédie grecque la plus héroïque et la
plus religieuse n'est-elle pas aussi réaliste que la
comédie?
Par exemple Puech n'a pas compris Prométhée. Sa tra-
duction répugne à rendre les naïvetés et les familiarités.
250 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

« Iloublie que le mélange du sublime et du familier nest


pas un défaut particulier d'Eschyle mais la pratique
universelle et constante des tragiques grecs et un des
caractères essentiels, une des beautés de leur tragédie. »
Et Patin commente avec amour le discours du vieil
Océan.
Sophocle n'a pas été mieux traité qu'Eschyle. C'est
une pitié que ses Trachiiiiennes dans nos traductions :

des personnages esclaves d'une étiquette de cour, Déja-


nire montrant sans défaillance toute la dignité d'une
grande princesse, son fils, le jeune Hyllus, fort cérémo-
nieux envers cette madame qui est sa maman. Et Philoc-
tètel Le héros grec est un pauvre homme, malade, aban-
donné sans secours, dans une île déserte, aux rigueurs
de la faim, de la soif et du froid. Il s'exprime en termes
humbles et vulgaires. Ce misérable La Harpe le fait parler
de douloureux breuvage », de « courroux des hivers »,
((

de « pénible industrie ». Il ne chasse plus les oiseaux :

« Aux habitants de l'air je déclarai la guerre. » Qui donc

nous a rendu et qui nous rendra le naturel simple et


vif, l'exquise vérité (['Electre, d'OEdipe à Colone et d'OE-
dipe Roi"!
Pour Euripide — que génie de Racine avait deviné
le
sans oser limiter — tout est à faire. Patin trace la route
et s'y complaît. Son analyse d'Iphigénie à Aalis détaille
le dialogue si intime et vraiment domestique d'Aga-
memnon et d'Arcas, l'arrivée de Clytemnestre, l'arrêt du
char, le réveil du petit Oreste endormi parle voyage et,
plus loin, les adieux d'Iphigénie, cette vérité qui res-
pecte la douleur humaine et devant la mort. Ce
l'effroi
n'est pas Euripide qui a inspiré le de Théramène ».
« récit
Chez lui, la mort d'Hippolyte est racontée par un vieux
serviteur qui connaît les chevaux et qui explique com-
ment son maître tenait les rênes et le fouet et conduisait
son char. Et quelle vérité encore dans le drame bour-
geois d'Alceste, dans les touchants adieux de la reine,
dans cette peinture de la vie de famille, dansl'égoïsme
REALISME ET FAMILIARITÉ 251

comique des vieux [)areiits, dans les jovialités d'Hercule!


Patin souhaite des imitateurs « plus téméraires, plus
oseurs, plus nouveaux ». Saint-Marc Girardin est du
môme avis. Et Halévy écrit, dans la préface de sa traduc-
tion « Euripide ne s'abaisse jamais jusqu'au trivial,
:

mais il descend jusqu'au familier, il monte jusqu'à la


naïveté touchante et vraie* ».

Et Homère, qu'en faisait-on?

III

Homère n'est pas distingué des autres écrivains. Et ce


que l'on aime en lui, c'est son réalisme.
Chateaubriand l'avait pressenti dans ces admirables
pages où il commente la reconnaissance d'Ulysse et de
Pénélope, et son ami Joubert disait de nos traducteurs :

(( Avec eux tout grimace dans Homère, et ses héros


semblent des grotesques qui lont les graves et les fiers ».
L'idée est lancée, mais elle fait son chemin fort lentement.
Lemercier a une singulière façon de riposter aux cri-
tiques de Voltaire. Les hardiesses que blâme Voltaire,
il les impute aux traducteurs. Si on lit dans l'Iliade
qu'Achille traite Agamemnon d'ivrogne et lui reproche
son impudence de chien —
ce dont Voltaire enrage, —
Lemercier observe qu'il était très facile d'écrire insolente
ivresse ei front cynique et que la traduction littérale est
un contresens puisqu'elle est triviale en français alors

1. R. des D. M., 15 juillet, 1" août 1838 (articles de Patin sur


l'églogue).— Saint-Marc Girardin, Cours de dram., 170, sq. Lilt. III,
— Eg'ger, Mémoires de anc, 242 Litt.legon d'ouverture du
p. (et
Cours de 1845). — Encycl. des Gens du Monde (article Poésie bucolique). —
R. de Paris, 1830, XV, 80 et 239. — Musset,
t. p. Loi sur Presse. la la
— Fallcx, Trad. d'Aristophane, édition, 293. — Deschanel,
2'^ 11,

Études sur Aristoph. (l'essentiel en parut en 1849 dans Liberté de la


penser). — des Sav., juin 1832. — Kgger,
J. grecque, chap. la Litt. vi.
— Villemain, au XVIIP
la Litt. 244 et 307. — Patin,
s., 111, des J.
Sav., janvier 1839, et Tragiques grecs,
les 208; 00, 100, 200, 215, I, II,

297; m, 12, 02, 205, 291. — Saint-Marc Girardin, Cours..., IV, 178
et 198. — Halévy, la Grèce tragique, t. 1, Préface.
252 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

que les mêmes mots sont nobles en grec. Ce sont les argu-
ments, les piteux arguments de Boileau que reprend
Lemercier. On s'attendrait à plus de largeur de goût
chez rinterprète d'Eschyle et d'Aristophane. Quant à
Villemain il ne décide rien. Sur les grosses questions, il
se réserve toujours; il est prudent, il se tient à flanc de
coteau.
En 1830 paraissent les Observations de Dugas-Montbel et
une seconde édition dune traduction de l'Iliade qui avait
passé inaperçue en 1815. Les Observations, je l'ai dit, sont
excellentes. Elles jurent avec la traduction. Dugas-
Montbel, si hardi et si ferme dans ses théories, a
d'étranges pudeurs lorsqu'il traduit. L'abbé Terrasson
n'était pas plus timide lorsqu'il regrettait l'indécence
grossière des héros de l'Iliade, la vulgarité d'un Achille
faisant cuire un gigot dans une marmite ou l'histoire de
Nausicaa princesse, lavant elle-même ses robes à la
la
fontaine. Dugas-Montbel supprime ou transforme les
épithètes audacieuses. Les jeunes femmes aux beaux bras,
à la belle ceinture, aux belles joues ne sont plus qu admi-
rables; les héros combattant avec la lance et bien armés des
jambes deviennent de vaillants guerriers. Letronne aime
ces « équivalents qui rendent peut-être mieux ce que le

poète avait dans l'esprit qu'une traduction toute littérale ».

Cette même année, Bignan traduit Homère en vers. Et


ce n'est déjà plus la même chose. Raynouard lui sait gré
d'avoir rejeté les abominables périphrases et gardé la
belle simplicité du texte, les images presque toujours vul-

gaires, les épithètes qui ajoutent le plus souvent des idées


matérielles.Pourquoi Raynouard? C'est qu'il croit à la for-
mation populaire de l'Iliade et de l'Odyssée. Si Homère n'a
pas existé, s'il n'est pas le « monsieur très fort », le poète
génial et méthodique que supposaient les classiques, si
toute une race, encore dans l'enfance, collabora à cette
œuvre qu'on lui attribuait jadis, on doit retrouver dans
cette œuvre l'inspiration naïve, les libres et familières
inventions des foules ioniennes.
RÉALISME ET FAMILIARITE 253

Tout le monde proclame donc la vérité d'Homère. Et ce


mot signifie des choses très simples et d'autres un peu
plus compliquées.
Qu'un Marcellus, un Ampère, un Gandar justifient le
réalisme topograpliique du vieux poète en des études
patientes et ingénieuses, c'est nouveau mais ce n'est pas
très extraordinaire et M. V. Bérard nous en a bien fait
voir d'autres. Que maint archéologue, comme Raoul-
Rochette, reconstitue daprès les poèmes homériques la
civilisation de l'époque mycénienne, il y a plaisir à
retrouver la vérité historique d'une œuvre dont tant de
siècles avaient consacré les jolis mensonges et les
agréables fictions. Je signale aussi la curiosité naissante
d'un Homère pastoral, peintre de scènes rustiques :

Eumée gardant ses cochons; le vieux Laërte cultivant


avec peine son verger de la colline; les détails du bouclier
d'Achille, les paysans qui moissonnent et
labourent,
vendangent. On avait tant parlé du sublime d'Homère
qu'il était excellent de montrer ses hardiesses, de les
aimer sans les appeler des indécences, et de rapprocher
son art de la franche nature et même de la terre qui
enfanta les Géants. Seulement, tout cela ne constituait
guère que des détails réalistes dans l'ensemble de l'œuvre.
C'est dans l'esprit général des poèmes qu'on va s'efforcer
de saisir la vérité na'ïve et la simplicité familière.
Binant était un esprit paradoxal. H voulait à toute
force trouver une inspiration chrétienne à l'Odyssée. On
ne s'étonnera pas qu'il ait vu dans l'Iliade la satire des
dieux. Son Philosophie d'Homère » pré-
article sur la «
tend établir, pièces en mains, qu'Homère, incrédule et
irréligieux, railla avec une bonhomie narquoise les
croyances de son temps. Je ne le suivrai pas dans ses
longues analyses. Elles sont plus ingénieuses que solides.
Elle sont, à tout le moins, excessives.
Il est hors de doute

que les poèmes homériques décèlent par endroit un


comique familier et savoureux ce n'est pas une raison
;

pour leur en prêter. Patin suppose — et il l'avance fort


254 LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

prudemment — que certains récits cle l'Odyssée, à la fois


sérieux et enjoués, ont pu inspirer le drame satyrique.
Cest fort possible, cest même probable, mais il faut
s'en tenir là, pour ce qui est de linspiration. Quant aux
expressions homériques, elles souvent naïves, familières,
et Patin l'a bien vu. Avant Sainte-Beuve, il signale cette
phrase hardie sur le meurtre dAgamemnon a Égisthe
:

Tattira dans sa maison et à sa table même l'immola,


semblable à celui qui tuerait le bœuf près de la crèche ».
Ainsi devaient parler, dans leur belle simplicité, les
temps héroïques. Et la pire des erreurs est de mécon-
naître le réalisme d'un langage dont nous avons perdu
le secret. « L'Achille d'Homère, dans sa querelle avec
Agamemnon, dit que les Troyens ne sont jamais venus
enlever ses bœufs, tandis que l'Achille de Racine s'écrie :

Et jamais dans Larisse un lâche ravisseur


Me vint-il enlever ou ma femme ou ma sœur? »

Cette remarque de Saint-Marc Girardin. Elle est


est
excellente. Ailleurs, Saint-Marc Girardin sait gré à Voss,
l'auteur de Louise, d'avoir fait parler ses héros comme
ceux d'Homère et cherché les détails domestiques ainsi
que les proverbes populaires.
Les Études sur l'Antiquité (1847) de Ph. Chasles sont un
livre aimable, fin, ironique qui égratigne les partisans
de r « élégance » grecque et la postérité d'Anacharsis.
Est-ce bien Athènes que nous a dépeinte l'éloquent
abbé? Et ne serait-ce pas plutôt le Paris brillant et volup-
tueux de 1775? Où sont les marchands de poisson démo-
crates qu'Aristophane mettait en scène? Qu'est devenu
Socrate, le vrai Socrate, celui qui marchait pieds nus,
buvait sec et divaguait quelquefois? Les classiques ont
méconnu le vrai caractère du siècle de Périclès. Et ils
n'ont pas mieux compris la franchise des peintures
d'Homère, la rudesse des âges qu'il décrit, la vérité un
peu grossière mais si intéressante de ces héros aux belles
bottes, de ces héroïnes aux fuseaux garnis de laine
violette....
REALISME ET FAMILIARITE 255

Ph. Chasles une expérience. Il choisit dans Ylliade


fait

les adieux d'Hector et d'Andromaque, un des passages


les plus souvent imités, et il montre ce qu'en ont fait des
traducteurs réputés.
Pope est trop aimable, trop gentil. 11 affadit son
auteur : les bras d'Hector sont de tendres bras, la mère
endort son filsen le berçant. Cowper, plus concis, est
larmoyant Hector n'élève plus son enfant vers le ciel,
:

mais il le caresse pour dissiper ses alarmes, il dit à sa


femme « Mon amour
: ». Et l'aigrette de son casque
I

ondoie, terrible, menaçante. C'est un débordement de ten-


dresse nerveuse, de sensibilité outrée. Voss est trop
bourgeois et quelque peu lourd et trivial son Hector ;

est un bon Allemand. Bignan, le plus précis de tous et à


coup sûr le plus simple, n'est pas assez simple; il sup-
prime la belle ceinture de la nourrice et toutes ces images
si fraîches qui sont la sincérité des peuples dans leur

enfance. Hector, bon époux et bon père, fut un guerrier


d'humeur farouche; il souhaitait que son petit Astyanax
revînt un jour couvert du sang des ennemis. Eh bien!
qu'on ose le direl En attendant, le petit Astyanax a grand
peur du casque de son père et il se rejette en arrière
dans les bras de sa nourrice pourquoi dissimuler ou
:

travestir ce joli détail d'une scène de famille? Pourquoi


surtout vouloir arranger le texte d'Homère, supprimer
les charmantes épithètes, ne pas accepter Junon aux yeux
de génisse ni les Grecs aux longs cheveux et corriger,
comme autant de négligences, les répétitions si gra-
cieuses : « Le père aimé sourit, la vénérable mère sourit

aussi »?
On put un moment avoir déniché l'oiseau rare
croire
avec VHomcre de Ponsard (poème sans grand intérêt
imaginé dans le seul but d'encadrer la traduction du
sixième chant de l'Odyssée^), et aussi avec sa tragédie

Homère errant demande l'hospitaHté aux habitants de Cumes.


1.
11chante l'épisode de Nausicaa. Mais, sur l'avis d'un riche mar-
chand qui déteste les poètes, le Sénat refuse de l'accueillir. Seul,
25G LA RENAISSANCE DE LA GRECE ANTIQUE

d'Ulysse qui est, à peu de chose près, le vingt-troisième


chant de YOdyssée (le retour du héros et le massacre des
prétendants) découpé et arrangé pour la scène. Ponsard
avouait lui-même que son épopée et sa pièce étaient sans
prétention il ne voulait que faire connaître le véritable
:

Homère et il s'en expliqua très franchement dans la pré-


face qu'il mit à ces Études antiques'^.
Que dit-il donc dans cette préface si enthousiaste
pour le génie de la Grèce et pour l'œuvre homérique?
Voici ce qui l'a frappé. On mange beaucoup, on boit sec
clans l'Iliade et dans YOdyssée. Les héros ont faim et soif,
et le poète le dit. Ils sont las et poudreux lorsqu'ils ont
marché les femmes de leurs hôtes leur font laver les
:

pieds et ne s'évanouissent pas pendant l'opération. Ils


ont grand soin de leurs habits et la princesse Nausicaa
fait la lessive. Ils sont parfois brutaux et cyniques les :

prétendants, qui font ripaille dans le palais d'Ulysse, ne


soupirent pas pour les beaux yeux de Pénélope, mais ils
visent sa dot et ne le cachent point. Ils ont l'humeur de
nos barons féodaux. Rien ne rappelle notre moyen âge
comme ces premiers temps de la Grèce Homère a la :

candeur et la franchise un peu rude de nos trouvères. Il


n'est pas timide, ah non, certes! Il appelle les choses par
leur nom. Un porc est un porc et une broche une broche.
Les bienséances ne le gênent pas. Elles ont, au contraire,
gêné ses imitateurs, Chénier lui-même, le gracieux et
poétique Chénier « Il a reculé devant la brutalité
:

d'Homère.... Je vois en lui quelque chose de Théocrite,


de Virgile, d'Horace et de Chénier je n'y vois pas :

Homère ».

Egger, dans un article sur les traductions françaises


d'Homère, cite une page de cette préface. Il approuve
le bon forgeron Tychius lui est favorable. II sera immortalisé dans
VUiade.
1. C'est le titre sous lequel il a réuni, en 1853, ses deux ouvrages.
La tragédie avait été jouée le 18 juin 1852; Homère est antérieur
de quelques années (il en lisait déjà des fragments à Lamartine
en 1843).
REALISME ET FAMILIARITÉ 257

sans restriction. On a gâté Homère en


paraphrasant.le
« Qu'on nous le montre sans fard, il saura bien nous
captiver lui-même. » Egger donne des raisons très solides
et il ajoute des exemples à ceux que donnait Ponsard i.
Pourquoi alors le beau tapage qui accueillit les tra-
ductions de Ponsard?

1.Lemercier, Cours analytique de Litt. — Villemain, la Litt. du


XVIir s., III, 376.— Quinet, Histoire de la Poésie, t. IX des œuvres,
p. 284, sq. — Saint-Marc Girardin, Cours de Litt. dram., II, 79 et IV,
45. — Patin, R. des D. M., t^aoùt 1843, et Études sur les Trag. grecs,
II, 302.— R. des D. M., 15 mars 1841. —Ph. Ghasles, Études sur r An-
tiquité, p. 223 (important), 303, 410. -^ Ponsard, Préface d'Homère
(reproduite avec quelques modifications dans la Préface générale
des Études antiques), p. 7, 10, 11, 12, 16, 21, 29. —
Egger, Mémoires
de Litt, ancienne, p. 164 à 217 (ce sont les articles de la Nouvelle
Revue Encyclopédique d'août et sept. 1846 sur les traductions
d'Homère); cf., en particulier, p. 198, 206, 210, 215; l'éloge de Pon-
sard est p. 207. —
Bréal, Pour mieux connaître Homère, p. 53.

il
CHAPITRE XV

ATHÈNES ET L'ATTIGISME
1. CONTRE l' « ÉNERGIE » DE l'aRT GREC. — LA SÉRÉNITÉ DE l'iIELLÉ-
NISME SAINT-MARC GIRARDIN. = II. CONTRE, LE « RÉALISME » DE l"aRT GREC
: :

l'affaire RONSARD ; GUSTAVE PLANCHE. = III. CONCILIATION DE LA VIGUEUR


ET DE LA GRÂCE, DE LA FAMILIARITÉ ET DE l'ÉLÉGANCE. PRESTIGE DE
l'atticisme:ciiarles lévèque.

succès du dorisme n'est guère contesté entre 1830


IE
^ et 1840. Cette ingénieuse hypothèse, qui avait renou-
velé l'intelligence de Thellénisme, n'était pas contestable.
Mais ses partisans, trop exclusifs, amenèrent une réac-
tion. Ils aimaient la vie de l'art grec, et c'était bien. Ils
parlèrent de sa violence et tout fut compromis.
L'Artiste qui, dix ans plus tôt, marchait à fond contre
Winckelmann se retourne contre les adversaires de
Winckelmann.
En 1840, les candidats au prix de Rome pour la scul-
pture ont à modeler un Ulysse tendant la corde de son
arc. Tous donnent au héros une attitude frémissante,
convulsée et bien plus tourmentée que celle des archers
dÉgine. L'Artiste y voit une faute de goût et une erreur :

« C'est au théâtre, et au théâtre seulement que se fait

l'éducation du plus grand nombre des artistes contem-


porains; c'est au théâtre qu'ils vont apprendre la vie,
qu'ils vont étudier la nature. Faut-il s'étonner après cela
qu'ils ne produisent que des ouvrages prétentieusement
guindés, de la sculpture sans gravité..., de l'art de
cabotins en un mot? » Ce théâtre dont il est question, c'est
ATHÈNES ET L'ATTICISME 259

le drame moderne. Et pourquoi donc inspire-t-il les


jeunes sculpteurs? C'est qu'ils le jugent très analogue,
par sa fougue, à l'art antique. Et voilà ce que conteste
VArtiste « Les hommes profondément énergiques sont
:

d'ordinaire calmes et mesurés, les natures exagérées


dans leurs manifestations sont creuses au fond, sans
consistance et sans courage.... Ainsi plus vous aurez mis
de calme dans une figure exprimant une passion éner-
gique, plus vous l'aurez rendue grande, majestueuse et
sublime ». La revue cite Phidias, modèle de calme et de
sérénité.
Les critiques de V Artiste ne veulent pas de cette confu-
sion entre le romantisme et l'hellénisme.
La sculpture grecque est vivante, c'est certain et l'art
grec tout entier a un merveilleux élan. Mais cette
force s'arrête en chemin; ne dérange jamais la
elle
beauté des lignes. Phidias est grandiose et puissant,
mais <(sous sa main toute-puissante, le marbre n'a
jamais pleuré », écrit Arsène Houssaye, et il ajoute, en
sortant du Salon de 1845 où quelques statues l'ont
affligé Si le marbre ne rit pas, il ne pleure pas non
: <(

plus. La beauté est sacrée c'est un crime sculptural de


:

l'altérer, pas même par la douleur, jamais par l'effort.


L'antique Atalante vole paisiblement, malgré la rapidité
de la course. Niobé, veuve de tous ses enfants, est belle
encore dans sa douleur. On n'a pas oublié les paroles
d'Electre dans la tragédie de Sophocle, qui sont toute
une peinture des mœurs grecques Je rougis, chères :

compagnes, de pleurer devant vous; daignez me le


pardonner )>. Où a-t-on pris que les belles statues grec-
ques fussent des figures de mélodrame? Leur sérénité
annonce la santé et l'énergie morale. L'âme discipline le
corps. Elle domine sa douleur, par dédain, ou n'en laisse
rien voir, par orgueil.
Et Laocoon'^. Eh bien, justement Laocoon prouve, à cette
date, la robuste sérénité de la statuaire antique.
Il n'y a pas d'œuvre qui ait soulevé plus decommen-^
260 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

taires et qui, parla même, éclaire mieux les changements


du goût et les multiples interprétations de la beauté
grecque K Ce qui plaît en elle vers 1830 — rappelez-vous
les marbres d'Égine — c'est le vigoureux réalisme des
corps, ce sont les chairs tendues sous l'étreinte des
serpents, les veines gonflées, les poitrines du père et des
enfants bombées dans un muscles
effort désespéré, les
tordus sous la douleur; et c'est aussi l'intensité de
la souffrance qui éclate dans ces têtes renversées, dans
ces yeux défaillants, dans ces bouches qui s'entr'ouvrent
comme pour gémir. Il me semble ciu'on apprécie surtout
l'énergie désespérée de ces malheureux qui tendent leurs
muscles, crispent leurs corps pour ne pas mourir et dont
la chair seule se révolte contre la souffrance.
Voici cependant du nouveau, quelques années plus
tard, vers 1840.Le sujet du Laocoon est pathétique, certes,
mais il est mélodramatique. La pose de Laocoon est trop
théâtrale (et précisément c'est alors que V Artiste proteste
contre la sculpture de théâtre les deux jugements se con-
:

firment). Étrange beauté, en vérité, que celle de ces corps


tourmentés et convulsés Comment s'intéresser, si l'on est.
I

homme de goût, à cette lamentable anatomie de la dou-


leur? La tête du grand prêtre est plus belle que son
corps. Mais alors, on revient aux idées de Lessing sur
le beau idéal de cette figure? Pas du tout. Lessing dit
seulement que si Laocoon entr'ouvre à peine les lèvres
pour gémir c'est que « la simple ouverture de la bouche
produit dans la sculpture un creux de l'effet le plus
désagréable ». Lessing a raison mais son explication est
insuffisante. Le visage de Laocoon reflète l'énergie morale
d'un homme qui domine sa douleur physique. Et pour-
quoi? Laocoon est fils de roi, grand prêtre de Neptune,
il ne peut gémir comme les enfants et les femmes, il
pense que la douleur calme et majestueuse est la seule

1. Cf. pour les indications bibliographiques : Collignon, Histoire


de la Sculpture grecque, II, 550-556.
ATHÈNES ET L'ATTICISME 261

qui lui convienne. Et il est père. 11 oublie sa douleur


physique pour ne songer qu'à celle de ses fils broyés
comme lui. 11 maîtrise ses souffrances pour ne pas
effrayer ces enfants qui tournent vers lui des yeux
suppliants.
L'énergie morale, chez Laocoon, commande au corps;
chez Niobé^ elle commande à Fâme.
Le célèbre marbre de Florence est fort apprécié entre
1840 et 1850. Cette mère de douleur, qui a vu tomber ses
enfants sous les flèches d'Apollon et qui essaie de pro-
téger sa plus jeune fille avec le frêle abri de son manteau,
paraît d'autant plus belle qu'elle a l'air de moins souffrir.
Le statuaire a su nous faire entendre, sans la traduire an
dehors, la suprême angoisse de cette femme. Niobé,
victime des dieux, méprise les dieux. Elle a tout perdu
mais sa fierté retient et comprime son désespoir. La
Revue de Paris (1841) cite ces vers dun recueil qui venait
de paraître :

Niobé Niobé la grande désolée


! !

Qui, sans convulsions, sans cris, sans œil hagard,


Et sans que sa beauté rigide en soit troublée,
Succombe haute et pure et meurt sous le regard!

Comme tu sais souffrir! comme tu porte [sic], 6 reine,


Des extrêmes douleurs l'impassible Uerté!
Et comme tu maintiens la forme souveraine
Qui t'enveloppe encor de sa divinité!...

Le dédain siège encor sur ta haute paupière


Dont les orbes éteints ne roulent pas de pleurs;
Le regard fouille en vain ta poitrine de pierre,
Où rien ne parle aux yeux de tes grandes douleurs....
Niobé! Niobé! je t'ai toujours aimée!
Sphinx de la souffrance, impénétrable et beau,
Que rend si fièrement la [sic] sévère camée.
Ou ce marbre éclatant, froid comme le tombeau i
!

La poésie ne vaut pas cher; elle a des fautes de français


et de rythme. Mais l'idée est intéressante. Et puis, c'est le

l. G3S vers sont extraits des Heures de Poésie, par Amédée Renée.
262 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

premier chant de Niobé do la génération parnassienne et


c'est déjà le pressentiment des vers de Leconte de Liste :

Que ta douleur est belle, ô marbre sans pareil!...


Niobé! Niobé! souffriras-tu toujours?

En 1842,Le Bas envoie dAthènes quelques sculptures


recueillies au cours de sa mission. David d'Angers les
voit et note sur son journal « J'admire une fois de plus
:

la simplicité de l'art grec. Ces jeunes hommes en marche,


graves sans austérité, ont dans tout leur être une bon-
homie que seuls les peuples naïfs savent conserver. Une
douce mélancolie éclaire le visage ou caractérise l'atti-
tude de ces beaux êtres. La sécurité de la pose et du geste
dit clairement que de tels personnages ne redoutent rien
de l'avenir; ils savent qu'on ne peut les troubler, ils ont
conscience de leur immortalité.... Les scènes voluptueuses,
les tableaux agités n'ont pas été connus de la sculpture
grecque parce que la passion tend à rassembler les êtres
au lieu de les isoler. De là les groupes. L'art grec est
plus riche en bas-reliefs et en statues qu'il ne l'est en
groupes.... L'art chez les Grecs était chaste, sévère et tou-
jours calme. Il semble que les anciens n'aient pas connu
la tristesse et la mélancolie * ».

Cette sérénité grecque n'est pas l'immobilité comme le


répétait Mme de Staël. Elle accompagne l'énergie et
souvent elle en procède. Les écrivains en sont la preuve
aussi bien que les sculpteurs.
Pourquoi Thucydide, longtemps sacrifié à Hérodote,
reprend-il la première place? C'est à cause de son calme
et de sa sérénité. Lerminier explique qu'il garde toujours
une majesté paisible, même quand il raconte de vives
douleurs ou de tragiques déportements. Quinet observe
la modération, le sang-froid, limpass-ibilité apparente
des personnages qu'il fait parler. « C'est un sentiment de

l. Je ne donne ici que les indications les plus générales. On trou-


vera dans un autre ouvrage des détails plus abondants sur celte
sérénité de la statuaire antique et le profit qu'en a retiré la scul-
pture française et, par extension, l'art français tout entier.
ATHENES ET VATTICISME 263

orgueilleuse tout semblable à celui qui vit dans les


virilité
odes de Pindare, et si les figures équestres de Phidias
pouvaient s'animer et parler, ce serait encore la même
majesté, la même sérénité, la même concision splendide
dans une langue de marbre. » Il est des circonstances où
le triomphe de l'énergie est de se vaincre elle-même et de

mettre un frein à ses ardeurs. Au lendemain des guerres


médiques, les Grecs avaient un excès de vie, une impa-
tience que leurs orateurs durent modérer. De là cette
parole mesurée de Périclès, ce front paisible, cet air
d'impassibilité. De là aussi la sérénité de Thucydide qui
racontait cette histoire et qui, à sa manière, enseignait
les Athéniens.
Quinet, dorien Quinet, est gagné par cette merveil-
le

leuse tranquillité de l'art antique. Son Génie des Religions


(1841) a du verbiage et du fatras — sinon ce ne serait
plus du Quinet — mais le caractère de l'hellénisme y est
défini, semble-t-il, en une formule heureuse une gravité :

qui n'est pas Vimmobilité mais la vie. Quinet fait pénitence


de ses égarements. Il invite ses amis les romantiques
à méditer sur cette beauté grecque « qui doit sa supé-
riorité à sa sérénité même
La sculpture harmonieuse
».

et paisible d'un Phidias donne la clef des historiens,


lui

des lyriques et des poètes dramatiques des beaux âges de


la Grèce. Il souhaite à son temps la grande paix des
Olympiens et la tranquillité de cette âme hellénique, qui,
dans les derniers jours du paganisme, laissa partir avec
un sourire ses « Dieux en exil et sa belle mythologie
)> :

((La voix qui allait criant autour des îles Le Dieu Pan est :

mort, ne fut suivie d'aucune lamentation. On entendit


comme auparavant grande sirène bercer le monde
la
de son chant emmiellé.... Le paganisme n'a plus que
quelques jours à vivre; tout rit dans l'églogue de son
dernier poète.... Et quand tout est voyez comme la
fini,

terre lui est légère I Les fleurs croissent de toutes parts


sur ses ruines. La sérénité s'attache à ses restes. La cime
de marbre de ses montagnes, c'est là sa pierre funé-
264 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

raire, Tombre des bois et des myrtes, son inscription ».

Le Cours de Saint-Marc
de Littérature dramatique (1843)
Girardin renferme, presque au début, un vif éloge de la
NiobéK Des trois grands conférenciers qui célébrèrent
Thellénisme en Sorbonne, Villemain prouva la grâce de
l'art antique. Patin sa simplicité naïve et Saint-Marc
Girardin sa sérénité.
Saint-Marc Girardin, qui avait de Fesprit, espérait bien
par cette démonstration taquiner les romantiques, et son
intention de polémique nest pas douteuse. Mais lesprit
ne l'a pas empêché d'avoir du goût. Son livre ingénieux
est resté charmant presque rien perdu de sa fraî-
et n'a
cheur. On a plaisir encore à Tentendre parler de ces jeunes
filles du théâtre grec qui regrettaient la douce lumière

du jour et qui savaient mourir noblement, en vraies filles


de rois. Comme il comprend l'âme de ces héros et de ces
héroïnes qui maîtrisaient leurs émotions Comme il inter- I

prète l'art des divins poètes qui, tout en restant dans la


vérité, idéalisaient l'expression de la souffrance et des
maladies et jusqu'à la terreur de la mort! Comme il a
raison de faire observer que la joie elle-même gardait
chez eux une décente gravité I

Ulysse a tué les prétendants et la vieille Euryclée


annonce à Pénélope le retour de son mari. « Les femmes
modernes, même les plus sages et les plus réservées,
même les Pénélope, aussitôt qu'elles entendraient ces
bonnes nouvelles, s'écrieraient, s'agiteraient, s'empresse-
raient. Ce seraient des exclamations entrecoupées Mon :

mari mon Ulysse où


I est-il?
! » Mais Pénélope reste calme.
Elle observe l'étranger, elle l'interroge, et lorsqu'elle est
bien sûre d'être en présence de son mari, quelle paix,
quelle gravité dans leurs doux entretiens, dans leurs

1. Le critique vante « la tenue et l'équilibre » de cette statue. Il

l'explique, il est vrai, par des raisons un peu différentes de celles


qu'on a vues la dernière fille de Niobé n'est pas encore morte,
:

Niobé espère encore; l'artiste l'a représentée lorsqu'elle n'est pas


arrivée à l'excès de la douleur. Mais, si l'explication diffère, l'inter-
prétation est bien la même.
ATHÈNES ET L'ATTICISME 265

confidences des périls surmontés! « Nous préférerions


peut-être la femme sensible à la femme qui est à la fois
tendre et prudente. Je n'y vois, quant à moi, quun
danger si Pénélope eût été la femme sensible qu'aiment
:

à montrer le drame et le roman modernes, elle n'eût pas


attendu son mari pendant vingt ans. »
Alceste mourante fait à toute sa famille de touchants
adieux. La scène eût pu être déchirante elle reste sim- ;

plement émouvante. Alceste ressuscite, et la peinture de


la joie est aussi grave que celle de la douleur. Le bon
Hercule, vainqueur de la Mort, ramène une femme voilée :

« Au lieu des transports des deux époux se retrouvant

après s'être crus enlevés l'un à l'autre, nous avons une


scène grave et mystérieuse où le merveilleux ne fait pas
tort aux sentiments humains et ne les efface pas par son
voisinage, où la reconnaissance se fait peu à peu Admète :

d'abord ne voulant pas recevoir cette femme voilée dans


son palais par fidélité pour la mémoire d'Alceste, puis,
sur l'ordre d'Hercule, consentant à ce qu'elle entre dans
la maison; puis, malgré lui encore, lui tendant la main
et, dès qu'il a mis sa main dans la main de cette femme

voilée, quel frémissement!... Qu'y a-t-il eu dans ce serre-


ment de main entre les deux époux? Enfin Hercule ôte
son voile à la femme, j'allais dire à la vision c'est :

Alceste! c'est elle!... Mais pourquoi est-elle encore


muette et immobile? Dernier obstacle à l'accomplisse-
ment de la vie d'Alceste et qu'il faudra trois jours entiers
pour lever ! »

C'est ainsi que beaucoup de bons esprits rappelaient


la sérénité de l'art grec aux imprudents ou aux habiles
qui confondaient la violence et la vie, l'exubérance et
l'énergie ^

1. Beulé, VArt grec avant Périclès, p. 478. —


Vinet, V Art et l'Archéo-
logie, p. 278 et 302. —
L'Artiste, 1837, t. XIII, p. 2; 1840, série il,
p. 169; 4 mai 1845; 1846, t. I, p. 190 et 235. —
Jouin, D. d'Angers
et sa vie, II, p. 14 à 20. — Quinet, O. Comp., I, 328, 334, 347, .355 et
357. — R. des D. M., l*"" mars 1834.— Collignon, Hist. de la Sculpt. gr.,
II, 536, 550. —Mémoires de VAc. des /., t. XV, I, 215. — R. de Paris]
266 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

II

Ils leur rappelaient aussi que le réalisme n'est pas la


trivialité ni le naturel la grossièreté.
Lenormant, qui pressentait le danger, écrivait dès
1838 :Pour mon compte, je ne puis me résoudre à
((

croire l'antiquité ni si naïve ni si familière on adopterait :

un étrange paradoxe si Ion sïmaginait que l'idée de l'ar-


tiste, qui alors se proposait de rendre la nature semi-
divine d'un héros, ne se fût pas élevée au delà des mo-
dèles rustiques, que Jason n'eût été pour lui qu'un beau
garçon de charrue et Hippolyte un piqueur bien décou-
plé....Nausicaa, dans ses plus naïves fonctions, était sans
doute, aux yeux de Protogène, mieux qu'une belle blan-
chisseuse.... Je pense qu'alors les peintres qui cherchaient
un modèle pour peindre Minerve ou Briséis n'allaient pas
guetter les paysannes à leur retour de la fontaine; au
moins n'ai-je lu nulle part que les polissons du carrefour
aient été, dans le gymnase, disputer le prix de la beauté
aux fils des plus riches citoyens. Ne vous y trompez pas,
ces belles jeunes filles que vous admirez dans la frise du
Parthénon n'étaient pas de celles qui frottaient d'ail
l'écuelle du moissonneur Ces cavaliers qui se pressent,
se devancent, se pavanent avec grâce, aussi beaux qu'une
armée d'Achilles, c'est la fleur des familles, c'est le prin-
temps de l'année que pleurera bientôt Périclès ». La dis-
tinction un peu austère de Lenormant, sa réserve très
marquée à l'endroit de tout ce qui était trivial, ne l'ont
pas mal servi ici.
En 1844, Yacquerie traduit et fait représenter Antigone.
Il a voulu garder la simplicité de la pièce grecque. Or

écoutez ce qu'en dit Patin lui-même « Il ne faut rien


:

outrer. Une des plus récentes traductions de VAntigone


a prêté à Créon une familiarité plus que grecque, mettant

1841, t. XXX, p. 135. — Saint-Marc Girardin, Cours..., 1, 17 à 37,


39, 291; II, 124 à 133; IV, 172 à 209 (voir surtout les legons 3, 4,

20, 25, 57 et 58). — R. des D. M., 15 mai 1855.


ATHÈNES ET L'ATTICISME 267

dans sa bouche cette expression de limpatience que lui


causent les longs propos du garde Bavardl » Ce discours
:

de l'esclave peureux qui annonce au roi la désobéissance


d'Antigone na pas une bonne presse. Ce sont, dit la ((

Revue de Paris, des expressions à la Scarron, dignes d'un


portefaix moderne.... C'est Scarron collé sur Homère... La
naïveté est devenue bassesse ». On trouve aussi que Vac-
querie a exagéré un peu grossièrement la couleur antique
dans la querelle dllémon et de son père « Ce sont des :

paroles de crocheteur mises à la place de la sobriété de


Tart grec ». Les hellénistes s'indignent qu'un journal ^ ait

pu écrire que « l'ignoble, le trivial, la sincérité brutale »


constituaient le théâtre grec. Patin supplie les traduc-
teurs de ne pas confondre la grossièreté du goût moderne
avec la naïveté de l'art antique.
Ainsi s'explique la querelle quon chercha à Ponsard
malgré les excellentes intentions de sa préface.
Il avait euun mot malheureux. 11 avait parlé de la bru-
talité d'Homère. Vingt ans après, Sainte-Beuve en trépi-

gnait encore « Certes, il n'avait ni deviné ni vu la Grèce,


:

le poète moderne qui, tenant à nous montrer Homère et


se piquant de nous le rendre avec plus de vérité que ses
devanciers, s'est félicité hautement de n'avoir pas fait
comme André Chénier « qui avait reculé devant la bru-
talité d'Homère ». La brutalité d'Homère, bon Dieu Et 1

cela dit presque en manière d'éloge Si M. Ponsard avait


!

vu la Grèce, il aurait su que le mot de brutalité n'existe


que pour le Cyclope dans le monde d'Homère et qu'un
pareil terme jure et crie, appliqué à ces beaux génies
harmonieux qui, même sous leur forme primitive, sont
tout le contraire du barbare )>.

Et quel modèle de bonne traduction le malheureux


avait-il pris pour guide, en le criant bien haut? Je vous
le donne en cent. La traduction de Mme Dacier, qu'il
appelait un chef-d'œuvre à cause de son ingénuité et de

1. Je n'ai pu découvrir lequel. C'est la Revue de Paris qui cite la


phrase.
268 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

ses négligences Mme Dacier fut une excel-


mêmes !

lente dame, savante modeste, dont le travail n'est pas


et
sans mérites. Il était seulement fâcheux pour Ponsard
qu'un helléniste aussi remarquable qu'Egger reprochât,
justement alors, au travail de Mme Dacier, et avec
preuves à lappui, « cette platitude bourgeoise qui ne
ressemble pas mieux à la naïveté d'Homère que les fleurs
du style romanesque ».
Il faut dire enfin que si les poèmes A' Ulysse et û: Homère

furent assez goûtés dans lensemble pour leur vérité, leur


simplicité et parfois leur verdeur, on jugea néanmoins
que les passages où Ponsard traduit péchaient gravement
par leur prosaïsme. Alcinoûs, se rendant au conseil des
chefs, rencontre sa fille :

Nausicaa l'aborde et lui tient ce langage :

« Cher père, prètez-moi votre char de bagage;

Je veux porter au fleuve et, dans les eaux plongés,


Blanchir vos beaux habits trop longtemps négligés;
Pour siéger au conseil, selon votre coutume,
Il faut que rien ne manque à l'éclat du costume.

En outre, vous avez cinq fils dans vos maisons,


Deux déjà mariés, mais trois encor garçons;
Ceux-ci veulent toujours, pour aller à la danse,
Des habits bien lavés, et j'en ai l'intendance ».
Elle parlait ainsi, dans son chaste embarras,
Songeant au doux hymen et ne le nommant pas.
Son père lui répond, comprenant ses scrupules :

« Vous aurez, chère fille, et le char et les mules.

Allez. Mes serviteurs attelleront dehors


Un char couvert, muni d'essieux brillants et forts ».
11 dit et donne l'ordre aux serviteurs dociles

D'apprêter la voiture et les mules agiles.


La princesse, apportant les habits précieux,
Les place dans le char muni de bons essieux
Et monte sur le siège; et cependant la reine
Prépare pour sa fille une outre de vin pleine,
Puis remplit un panier de vivres, puis encor
Lui donne des parfums dans une fiole d'or.
Afin qu'après le bain, la vierge et ses esclaves
Répandent sur leur corps les essences suaves.

Évidemment, ce n'est pas mal,mais cest quelconque.


C'est simple, ce n'est pas gracieux. Et dans Homère, l'épi-
ATHÈNES ET VATTICISME 269

sode est gracieux. Si Egger rendit hommage à cet essai


heureux, Planche, au contraire, fut de la dernière violence.
On vit rarement un redresseur de torts plus grincheux
que maître Gustave Planche. Cette tragédie d'Ulysse sur-
tout, il la déchira à belles dents pour sa vulgarité. 11 cria
au sacrilège. « La conversation d'Ulysse et d'Eumée,
l'épreuve de l'arc, le massacre des prétendants racontés
par Homère dans une langue tantôt naïve, tantôt éner-
gique perdent sous la plume de M. Ponsard leur physio-
nomie primitive; naïveté devient trivialité, l'énergie
la
grossièreté.... Les détails les plus naïfs et les plus vrais
qui nous enchantent sous la forme narrative nous sem-
blent trop souvent puérils sous la forme dramatique....
Pénélope, type de la fidélité, de la chasteté est devenue
un personnage vulgaire.... Le style est exécrable, à peu
près nul. » Et Ponsard prétend goûter Homère! Que
serait-ce ne l'aimait pas? O déesse, dira
s'il Renan à
Minerve, même ceux qui t'honorent qu'ils doivent te faire
pitié Planche regrette que Ponsard ait écrit « Je ne suis
I :

qu'un barbare gaulois traduisant un grec mélodieux »,


et n'en soit pas resté sur cet aveu ingénu. Leconte de
Liste est, lui aussi, sans pitié pour « cette tentative mal-
heureuse où l'abondance, la force, l'élévation, l'éclat d'une
langue merveilleuse ont disparu sous des formes péni-
bles, traînantes et communes et dont il faut faire justice
dans un sentiment de respect pour Homère. »
Homère était-il si naïf, si familier? On commence à en
revenir. Cette interprétation avait pour elle la croyance
à des poésies primitives et populaires d'où seraient sor-
de ces épopées à
ties Viliade et l'Odyssée, et l'assimilation
nos chansons de geste. Et voilà que ces deux raisons sont
sérieusement contestées.
Quinet croit à l'existence dun Homère, poète réfléchi et
gracieux dont la simplicité est élégante et poétique. Et
Sainte-Beuve, à la suite de Boissonade, commence à révo-
quer en doute les hardies suppositions de Wolf. Quant
au rapprochement avec notre moyen âge, dont Ponsard
270 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

tirait argument, Villemain et Vitet se permettent d'en


sourire. Villemain avait jadis bataillé contre Courier qui
traduisait Hérodote en langage du xiii° siècle, dans la
prose naïve et gauche de nos chroniqueurs; la tentative
de Littré lui parut légèrement ridicule. Et lorsque Génin,
dans son enthousiasme pour la Chanson de Roland, s'écriait :

Que manque-t-il à cela que détre écrit en grec? écoutez


Vitet « Nous répondons Il y manque d'être écrit seule-
: :

ment en français, c'est-à-dire dans une langue à son âge


viril et non dans un idiome en bas âge. Qu'on ne se

méprenne point sur le sens de nos paroles nous aimons ;

notre langue au berceau, ses commencements sont vigou-


reux et pleins de charme mais ce sont des commence-
ments ». Donc, pas d'analogie entre la langue de notre
moyen âge et la langue d'Homère; pas d'analogie non
plus —
ou des analogies très superficielles entre les —
mœurs des deux époques. Sans méconnaître la robuste
franchise de l'art homérique, la critique y démêle des
raffinements qui échappaient à Ponsard.
Non vraiment, l'énergie et le réalisme, sous la forme
excessive qu'on leur donna, ne furent jamais les carac-
tères de l'art grec ^

III

Et maintenant, en route pour la dernière étape !

L'échec, partiel tout au moins, des théories réalistes


réveille cette vieille histoire du <( beau idéal » que l'on

Lenormant, Beaux-Arts et Voyages, I, 169.


1. —
Pafin, Études sur
lesTragiques grecs, II, 270. —
R. deParis, 1844, 1. 1, 202.— Ponsard,
Préface d'Homère, 16, 19, 21,28. —
Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis,
XII, 364. —
Egger, Mémoires de Litt. ancienne, 194 à 207. —
Latreille,
Ponsard, 213. —
Planche, R. des D. M., juillet 1852. —
/. des Débats,

21 nov. 1852. —
P. Albert, La Litt. fr. du XIX' s., Il, 196.— Leconte
de Liste, Préface des Poèmes antiques. —
Quinet, O. Comp., IX, 284.
— Sainte-Beuve, Port. Cont., V (sur Homère) et Nouveaux Lundis,
V, 227. —
Villemain, Hérodote et de la manière de traduire. Vitet, —
Essais historiques et litt., 76. — Bréal, Pour mieux connaître Homère,
13 et 64 (ingénieux et intéressant).
ATHENES ET VATTICISME 271

croyait bien enterrée. Quelques mémoires de Q. de Quincy


sont réimprimés; Cousin reprend la polémique dans la
Revue des Deux Mondes, Saint-Marc Girardin exalte le pla-
tonisme et la sculpture de Phidias. « L'allégorie orientale
tourmentait et défigurait la forme pour lui donner un
sens; l'art grec la spiritualise par la beauté et, à mesure
que la matière sépure en s'embellissant, elle parle à l'âme
un langage que celle-ci entend mieux. »
Les Réflexions et Menus propos d'un Peintre genevois, de
Topffer (1848), ont du bon sens, de la malice, mais aussi
des espiègleries un peu irritantes et un décousu assez
déconcertant. C'est un de ces voyages en zig-zag, comme
les aimait la libre fantaisie de Fauteur. A propos d'un
bâton d'encre de Chine et d'un âne dans un pré, il nous
amène subtilement à poser le problème de l'imitation
dans le lavis, le dessin, la peinture, les arts en général.
Il combat résolument le réalisme. Si limitation était le

principe de la beauté, le cosmorama, le diorama, le


panorama, sans parler de « la reproduction par la
récente machine de M. Daguerre », vaudraient mieux
que tous les paysages d'un Claude Lorrain. L'artiste
interprète la réalité mettez vingt-cinq peintres devant
:

l'âne de M. Topffer et vous aurez vingt-cinq copies.


L'artiste ajoute à la réalité : certaines descriptions de
Virgile sont supérieures aux plus belles nuits d'été.
L'artiste transfigure la réalité un oiseau qui chante sur
:

un peuplier, ce n'est rien. Lisez cependant le Quali'i


populea mœrens.... Et regardez l'art grec.
La Vénus de Médicis vaut mieux que la Vénus de
Canova, parce quelle est plus immatérielle. La Vénus
de Milo dépasse la Vénus de Médicis, parce qu'elle est
plus idéalisée. Sans aucun doute, bien que cela vous
étonne. La Vénus de Milo est austère, grave, vigoureuse;
elle n'a pas la noblesse féminine ni la volupté d'une
Vénus. Précisément. Etle n'est pas banale. Si elle surprend
tout d'abord, c'est que son genre de beauté ne court pas
les rues. L'artiste a créé un type qu'il ne rencontrait
272 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

guère Fa imaginé. Et ainsi, sous les formes robustes et


: il

pleines, il y a plus dïdéal que dans toutes les Aphrodites


où la femme est trop vite devinée et admirée.
Ce n'est pas très probant, mais c'est ingénieux. Et puis
remarquez cet éloge de la Vénus de Milo. Topffer ne
revient pas à Praxitèle; il n"a pas le goût 1820; il est par-
tisan de Ténergie grecque. Mais dans cette énergie, il
admire le choix judicieux de l'artiste. La vigueur de la
statuaire grecque lui semble tout à fait distinguée et
aimable.
Dautres sefforcentde réconcilier Taustérité et la grâce.
Le sombre dorisme commence à peser. « Nous sommes
des Ioniens », dit Vitet. On a vu comment les voyages en
Asie Mineure, à partir de 1840, égayèrent de tout l'en-
chantement du paysage ionien la vision de l'art antique.
Avec la molle lonie, c'était la grâce, c'était le rayon de
soleil qui fleurissait l'hellénisme.une dizaine
Il y avait
d'années que la littérature grecque était mise en har-
monie avec la sauvagerie de la nature laconienne. Les
roses de Smyrne, les myrtes et les lauriers de Sardes et
d'Éphèse, le murmure des sources, les riantes prairies
furent d'aimables impressions de voyage et furent autre
chose. La poésie du paysage fît la poésie des souvenirs.
Et toute la Grèce du passé se leva dans la lumière.
Le dorisme lui-même, le dorisme lourd et trapu, se
teinte d'ionisme. Ph. Chasles démontre Vharmonie, l'élé-
gance d'Eschyle et de Pindare. Le temps n'est pas loin
où Beulé dira le sourire de la nature laconienne. « Je
me souviens encore de mon arrivée à Sparte au mois de
mai. La nature avait alors une douceur et un charme
infinis; partout des fleurs et des parfums; les agnus-
castus et les lauriers-roses de l'Eurotas commençaient à
s'ouvrir. Les sentiers étaient bordés de roses sauvages;
de grands oliviers mêlaient leur feuillage blanchissant
au feuillage vigoureux du figuier, du mûrier, du carou-
bier des ruisseaux, des prairies émaillées d'anémones, des
;

champs fertiles partout où il y a eu des bras pour labourer


ATHENES ET L'ATTICISME 273

les champs. Une telle nature eût adouci la race la plus


féroce.... Jeme suis efforcé de montrer^ qu'il y avait
dans génie Spartiate un côté plus poli, plus élégant,
le
ouvert à l'amour du beau et aux jouissances élevées. »
Le sourire des guerriers d'Égine ne passe plus pour une
gaucherie de primitifs, mais pour une concession à la
grâce, cette loi universelle de l'art antique.
Mais ce mélange heureux de puissance et de simplicité,
de force et d'harmonie, qui donc l'avait combiné avec
plus de génie que la cité d'Athènes en ses beaux jours?
Ainsi prit naissance le culte de l'atticisme.
Burnouf, dans sa remarquable étude sur le Parthénon,
écrit « L'esprit qui a conçu la grande Minerve d'ivoire
:

a su réunir dans les colonnes de son temple les deux


caractères de la déesse, la mâle grandeur de l'intelli-
gence et la grâce et la beauté féminine. » Phidias a
concilié la grandeur du dorisme et l'élégance de Tio-
nisme. C'est le caractère de l'école attique, déjà avant
Phidias Athènes a fondu le génie des deux races dans
:

une harmonieuse unité. Voilà ce que répète la critique


à partir de 1845, lorsque Athènes, tardivement révélée,
est enfin étudiée et explorée.
du Beau, de Charles Lévêque, est un
T.a S'cience hymne
ardent et grave en l'honneur de l'atticisme 2.
Lévêque aime dans le Parthénon cette élégance sévère
((où la force s'allie étroitement avec la grâce ». Quelle
aimable familiarité dans la cavalcade des Panathénées I

Des chevaux errent encore en liberté; l'un deux chasse


d'un mouvement de tête les mouches qui lui piquent la
jambe; d'autres sont bridés et tout prêts à partir; de
jeunes Athéniens se parent pour la fête et causent avec

1. Dans les Études sur le Péloponcse.


L'ouvrage ne parut, il est vrai, qu'en 1861-62, mais il était le
2.
développement d'un mémoire couronné en 1859 sur un sujet mis au
concours deux ans plus tôt par VAcad. des Se. morales, et nous
savons que depuis le jour où il était arrivé à Athènes (première
promotion de 1847) Lévêque portait ce sujet dans sa tète et dans
son cœur.

18
274 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

leurs amis, un soldat achève de s'habiller et passe tout


naturellement sa tunique, des cavaliers caressent leurs
montures et s'élancent. Et quelle splendeur dans le
déroulement de cette procession Quelle libre et franche
!

allure dans ce brillant cortège, si animé et si vivant! La


vie, il faut toujours en revenir là pour comprendre l'art
grec, mais une vie aimable et harmonieuse. Les poses
les plus familières ou les plus désordonnées gardent un
air de noblesse et de dignité. Regardez les frontons
après la frise. Les deux Parques, dont Tune s'accoude
sur les genoux de sa compagne, ont des formes opu-
lentes, mais les contours moelleux des corps et la sou-
plesse des draperies font d'elles des u enchanteresses ».
L'Hercule Idéen est tout en muscles et en chair sa :

vigueur est moins nerveuse et moins sèche que celle de


l'Héraclès d'Égine. Tout offre l'image d'un réalisme
prudent. Quelle différence avec la Milon de Crotone, de
Puget « Nous ne sommes pas de ceux qui veulent qu'un
I

athlète ait la tête et les traits de VApollon du Belvédère....


Milon était un homme grossier : qu il ait donc un visage
vulgaire : rien de mieux. Mais l'art grec savait bien que,
comme la distinction, la vulgarité a ses nuances et ses
degrés. Entre ces degrés, pourquoi choisir justement le
plus bas?... Le visage du Milon de Puget est tellement
vulgaire qu'il en est laid; il est tellement laid que tout
s'y confond et que, douleur y ajoutant l'extrême
la
désordre, le spectateur n'y voit plus qu'une horrible
convulsion. Puget a oublié les limites où devait se ren-
fermer son art. »
Ces limites que la sculpture attique respecta, l'art grec
tout entier, à toutes les époques, s'y maintint ou chercha
à s'y maintenir. Homère représente des héros énergiques
ou familiers, le fougueux Achille, le bouffon Thersite,
mais il jette sur tout cela de merveilleuses draperies.
Achille s'attendrit devant Priam, Hélène condamne sa
faute, les dieux obéissent à Zeus, personnification de
l'intelligence et à sa fille chérie, Athènê, symbole de la
ATHÈNES ET L'ATTICISME 275

raison. Il en est de même au théâtre et la preuve en a


été cent fois faite. Il semble qu'une même loi, depuis les
origines, entraîne l'hellénisme vers cette conciliation de
la vie et de l'idéal qui fait la suprême beauté des œuvres
athéniennes. L'atticisme avant les Attiques! Quel joli
sujet de rêveries et quel magnifique horizon !

(( Tu es arrivé, ô étranger, dans la plus belle région de


la terre...», chante le chœur d'OEdipe à Colone. Lévêque

admire cet hymne et il y voit un symbole. C'est une terre


un peu rude que l'Attique, une terre déboisée et sans
verdure, mais la grâce, qui n'est pas dans la couleur du
sol, se retrouve dans la pureté de l'air et dans l'élégance
des collines. Le voyageur sent partout l'énergie et l'har-
monie.
Eh bien! ce décor athénien, c'est l'art attique. Et l'art
attique c'est l'épanouissement de l'art grec *.
»

1. Cousin, R. des D. M.. 1" sept. 1845 (Cousin y admet un mélange


de l'idéal et du réel). —Saint-Marc Girardin, Cours..., II, 378 à
411. —Tôpffer, op. cit., I, 230, 286; II, 14, 63, 68, 143, 178 (voir sur-
tout les livres ÏV, V et VI). —
Collignon, la Scalpt. gr., II, 321. —
Beulé, L'Art grec avant Périclès, I, 222. —
Ph. Chasles, Études sur
V Antiquité, 73 et 77. — Burnouf, Mémoires sur V Antiquité; la Légende
athénienne; thèse de 1850 (Des principes de l'art d'après la méthode
et la doctrine de Platon). —
B. Saint-Hilaire, Rapport à l'Ac. des
Se. morales (16 et 20 avril 1859). —
Gh. Lévêque, la Science du
Beau, II, 33 à 40, 66, 70 à 77, 81, 85, 89, 90, 98, 210 à 214, 236,
238. — Ch. Lévêque,/?. des D. M., 15 août 1851.
CONCLUSION

pas exagéré de parler d'une renaissance de l'hel-


n'est
IL
lénisme dans la première moitié du xix^ siècle. Il y a
là un mouvement comparable à celui de la grande Renais-
sance.
Ohl sans doute, nous avons fait du chemin depuis
cinquante ans et il n'est que trop facile d'oublier ce qui
est antérieur à 1850. Nous avons vu la science de l'hellé-
nisme pousser si loin ses conquêtes, et dans des régions
à peine soupçonnées, que tout ce qui s'est fait pendant
le romantisme nous paraît jeux d'enfants, ou peu s'en faut.
Nous pouvons sourire aussi de l'insuffisance du sens
historique pendant toute cette période ^ Que de subtilités,
assez mal venues, pour trouver une formule générale
qui s'appliquât à toutes les époques de l'hellénisme et
à toutes les formes de l'art! Que d'efforts, plus ingénieux
que solides, pour enfermer dans une niême loi les arts,
les mœurs et les paysages! Un Ampère, un Gandar,
malgré leur incontestable talent, nous font souvent
l'effet d'illuminés.

Cette époque cependant est très grande. Elle a restauré


la curiosité de l'hellénisme, elle en a retrouvé le goût,
elleen a renouvelé l'intelligence.
On pensait généralement vers 1815 que la Grèce
antique ne valait pas la peine d'être étudiée. Ce fut un
miracle que d'arriver à secouer tant de préjugés et à
dissiper tant d'ignorances. Les progrès, très marqués
déjà, de l'archéologie et de la philologie préparèrent les
savantes et patientes conquêtes de l'âge suivant. Bien
1. Collignon, IntTodnciion a l'Histoire de la Sculpture g recque,YUl-lX.
CONCLUSION 211

des questions subtiles sont éclaircies. Et presque tout le

reste est amorcé.


Les mondains prennent goût à des études jusque-là
réservées aux savants. L'hellénisme circule, et il ne paraît
pas si déplaisant à voir. Saluons avec reconnaissance
ces cours publics et ces brillants articles de vulgarisa-
tion.Et ne disons pas trop de mal du vieil humanisme.
Il eut ses enthousiasmes un peu chimériques, mais il
suggéra de piquantes réflexions. La fameuse théorie des
concordances elle-même, malgré d'évidents abus, ne fut
pas sans profit. Ce que l'intelligence de l'hellénisme doit
au paysage grec est prodigieux. Sans la sculpture
antique, aurions-nous aussi bien compris la littérature?
N'est-ce donc rien enfin que cet élargissement de la
critique par toutes les discussions sur le problème
esthétique? Passer du beau idéal au réalisme, de la
mollesse à l'énergie, de la sublimité à la simplicité;
découvrir la vie tout simplement, dans le bel élan de sa
fougue et dans la franchise de sa naïveté, là même où
tant de générations avaient admiré une majestueuse
grandeur; remettre à leur vrai rang ces familiarités, ces
négligences, ces hardiesses naturelles que nos classiques
appelaient des fautes de goût et des grossièretés recon- ;

naître que le secret du génie grec fut de combiner tou-


jours le plus de naturel et de vérité avec le plus de
beauté découvrir dans l'atticisme, après tant de pro-
;

menades, la pure essence de l'hellénisme, l'union harmo-


nieuse de l'aimable élégance ionienne et de la na'ive
énergie dorienne voilà les principales conquêtes de cet
:

enthousiasme intelligent et réparateur qui renouvelait,


après une longue éclipse, le sentiment du beau antique
et l'admiration d'incomparables chefs-d'œuvre.
Au fond, avons-nous tant changé depuis 1850?
Un des plus récents historiens de l'art antique i écrit .

1. Lechat, la Sculpture at tique avant Phidias. — Voir surtout


p. ir55, 341, 422, 504 et les chapitres intitulés « Résultats de
278 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

« La rondeur et la mollesse qui gâtent si souvent les pro-

ductions des Ioniens sont étrangères aux Attiques. Leurs


figures, dans les attitudes diverses où nous les voyons,
sont posées fermement.... Elles n'ont pas cependant la
raideur tendue, la fixe et anguleuse armature des œuvres
doriennes.... semble que l'art attique soit dirigé dès
Il

ses débuts par un secret instinct de mesure. De là


résulte une aptitude particulière à comprendre les pro-
ductions de Fart ionien comme de Part dorien, à lesj
heureux destin d'être
accueillir.... L'école attique eut cet
la terre élueoù se rejoignirent, se juxtaposèrent les deux
formes d'intelligence, les deux directions de pensée, les
deux capacités de création artistique qui étaient égale-
ment grecques ».
Les patientes et délicates recherches de M. Lechat ont
donc confirmé et précisé ce qui, vers 1850, était déjà
nettement pressenti.
Mais voici un autre problème.
De 1820 à 1830 notre littérature est élégiaque et vapo-
reuse, et c'est le moment où l'on se figure une Grèce
aimable et Jusqu'en 1840 l'art romantique
gracieuse.
déploie sa fougue et l'art grec se définit par l'énergie.
De 1840 à 1850 notre littérature s'apaise, se fait plus
simple, et justement l'hellénisme apparaît alors comme
familier et serein. Faut-il n'y voir qu'une simple co'inci-
dence?
D'une manière plus générale, comment l'hellénisme
ainsi réveillé a-t-il agi sur notre littérature courante?
Quels ont été les points de contact entre l'antiquité et
l'art moderne? Et qu'est-il advenu de cette rencontre?
Il reste à suivre le sentlineni grec chez nous, dans nos
propres créations, pendant la période romantique ^

l'influence ionienne », « Courant atlico-dorien », « Épanouisse-


ment de Tart attique ».
1. C'est la question que je me propose de traiter un jour dans
Le Romantisme et la Grèce antique.
- , ,

INDEX*

Adert, 247. Angleterre, 76, 81,94,


Adry, 101. 95, 96, 144.
Abbaye-au-Bois, 2. Agéladas, 235. Annales archéologi-
Académie de Belgi- Agrigente, 191. ques, 227.
que, 196, 203. Akerblad, 114, 117. Annales de la littéra-
Académie de Tou- Albani (Collection) ture et des arts, 7,
louse, 223. 213. 13, 15, 24, 30, 33,
Académie de méde- Albert P., 270. 48, 91, 107, 132 (cf.
cine, 173. Alcée, 5. Bonnes-Lettres).
Académie des Beaux- A lexandrinisme , 43, Anthologie, 107, 183,
Arts, 53, 55, 56, 59, 99 s., 107, 178, 180 185.
150, 189, 191, 200, (voir Théocrite, An- Antiquité figurée, 54,
217, 239. thologie, Anacréon). 61, 202.
Académie des Inscri- Alfieri, '82, 85, 112. Apollon du Belvédère,
ptions et Belles Aligny, 163. 50,57,73,81, 121s.,
Lettres, 12, 30, 54, Allemagne, 61, 68, 128, 131 s., 210,233.
58,59,60,68,69,102, 71 s.,88 s., 105, Apollonius de Rhodes,
150, 164, 167, 169, 171s.. 173,175, 176, 183, 184.
173, 193, 196, 197, 177, 178, 181, 182, Arcadie, 37, 41, 43,
200, 210, 212, 265. 200 s., 203, 214,230 50, 143, 214, 236,
Académie des Scien- s. , 234 (voir aux 247.
ces, 197. divers noms d'au- Archéologie pass\m (cf.
Académie des Scien- teurs et de vil- aussi Philologie).
ces Morales, 180. les). Architecture, passim.
Académie Française, Ampère, 2, 18, 24,93, Archives desMissions,
185 s. 150,152 s., 197, 198, 168, 210.
Académie d'Hercula- 206, 210, 214, 220, Aréopage , 26, 142
num, 55, 115. 225, 229, 253. 163.
Académisme (voir Gré- Amyot, 118, 119, 239. Arélhuse, 38.
co-romain). Anacharsis (cf. Bar- Argos, 33, 41, 42, 44,
Acropole, 26, 27, 41, thélémy). 135, 148, 238 (cf.
44,47,132,143,147, Anacréon, 4, 79, 107s., Morée).
148, 159, 163, 164, 171. Aristarque, 178.
167, 168, 186, 200, Andrieux, 81, 241. Aristénète, 172.
210, 220. Angelo Mai, 69, 176. Aristophane, 4, 76,

1. Les numéros des pages suivis de la lettre s (suivantes) marquent les

endroits où l'auteur, le pays, etc., sont particulièrement étudiés. Les carac-


tères en italique indiquent certaines questions générales pour lesquelles il
y aura quelque intérêt à retrouver aisément les références.
.

280 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

passim Réa-
I
80, 83, 90, 93, 95, et (cf. 199, 206 (cf. Musées)-
102, 178, 231, 243, lisme). Brôndsted, 50, 193.
247, 254. Becker, 40. Bronzes d'art, 209.
Aristote, 69, 75, 79, Benoît, 156. Brumoy, 93, 94, 241,
83, 176, 180, 181, Bérang-er, 10, 107,218, 249.
187. 223. Brunck, 83, 107, 183.
Artaud, 94, 96, 185, Bérard, 253, Buchon, 140 s., 142,
248. Bernardin de Saint- 151.
Artiste (F), 8, 30, 52, Pierre, 18, 82. Bunsen, 201.
53, 109, 146, 151, Bernay (Trésor de) Burnoul, 50, 51, 71,
164,169, 192,210 s., (cf. Numismatique). 150, 156, 168, 210,
217, 223, 232 s., 240, Bertrand, 107. 230, 273, 275.
243, 258, 265. Beulé, 49, 52, 182, Bussemaker, 173.
Asie Mineure, 26, 28, 191,193, 215, 239, Byron, 24, 27, 31, 33.
34, 149, 152, 196, ,246,265, 272, 275. Byzantinisme (et Grèce
206, 210, 272. Biard, 241. antique), 192, 208,
Assos, 147, 246. Bibliothèque grecque 226, 227 s., 230.
Athénée(r),14, 79, 94. (la),17,104, 173, 180.
Athènes, 25, 26 à
1, Bibliothèque Natio-
28, 32, 33, 37, 38, nale, 61, 69.
41, 42, 45 à 47, 50, Bignan, 78, 252, 255.
115, 135, 137, 1.39, Binaut, 178, 253. Cabinet des Antiques
143, 147, 149, 153, Biographie Michaud (le), 61, 195, 196, 212.
157, 159, 160, 165, (la), 194. Callimaque, 178.
166, 168, 189, 206, Bion, 7. Canat, 71.
232, 236 (cf. Acro- Biré, 6, 185. Canova, 50, 124, 233.
pole, Parthénon). Bitaubé, 76. Capodistria, 2, 41,
Atticisme (cf. Athènes Blanc (Charles), 215. 148.
et chap. XV). Blouet, 64, 192, 230. Carrey, 49.
Athos (mont), 15, 18, Bœckh, 168, 172, 176, Castalie (fontaine), 45,
140, 148. 201. 47, 210.
Audouin, 56. Bœttiger,69, 189, 193, Catane, 191.
194, 201. Géphise, 38, 46, 144,
Boissonade, 8, 16, 19, 159,237.
20,30,57,69, 70,79, Céramique, 63, 193,
85,86, 101, 102,104, 201, 202, 208.
Babelon, 196, 215. 107, 114, 116. 117, Chandler, 15, 196.
Babrius, 18, 79, 178. 149, 171 s., 176, 177, Chants populaires, 20,
Ballanche, 19, 101. 183, 185, 223, 225, 35, 77, 161 (cf. Fau-
Ballu, 150. 229. riel).
Barbedienne, 209. Bonnes-Lettres (So- Chardon de la Ro-
Barbie du Bocage, 17, ciété des), 3, 13 s., chette, 17, 104.
26, 30, 51, 68. 94, 174. Chasles, 76, 254, 257,
Bartliélemv (abbé), 2, Borghèse (Collection), 272, 275.
3, 10, 26, 28, 30, 213. Chateaubriand, chap.
33, 75, 82, 99, 109, Bory St Vincent, 64 s. 1" et 13, 27, 29, 31,
110 130,241,243,
s., Bouclierd'AchilIe (le), 33, 34, 64, 88, 89,
249, 254 (cf. surtout 210, 214. 101, 102, 107, 138.
chap. vi). Boudroum (cf. Hali- 152, 162, 201, 216,
Barthélémy Saint-Hi- carnasse). 223, 225, 251.
laire, 16, 43,86, 91, Bouillon, 56 (cf. Mu- Chaussard, 100, 105,
155, 180, 181, 275. sées). 107.
Bast, 171. Boulanger, 151. Ghauvet, 105.
BaviGre(Louis de), 231 Bréal, 257, 270. Ghénierchap. ie''et82,
Beau idéal, chap. vu British Muséum, 50, 101, 103, 106, 107,
INDEX 281

102, 183, 220, 250, Correspondant (le), De Glarac, 52, 53, 57,
207. 109. 212 s., 214.
Chio, 12, 15, 10, 33, Couleur locale, chap. D'Estourmel, 29, 135.
34, 37, 38. sur les voyages et De Gasparin, 142.
Ghoiseul-Gouffier, 25, 93,105,154,101,105, De Kéralrv, 111, 114,
30,59, 190,199,211. 192, 205. 127.
Citoleux, 102. Courbes doriques, 150. De Klenze, 189, 191,
Clavier, 24, 30, 09, Courier (P.-L.), 17, 231. .

88, 114, 110. 80, 103, 104, De107, Lahorde, 190, 200.
Clener, 193. 110,112, 113, 114s., De Lantier, 99, 105.
Gockerelle, 50, 51, 179, 270. De Laprade, 87.
199. Courrier français (le),De Luynes, 190,211s.
Cohen, 12. 118. De Maistre, 224, 229.
Colet (Louise), 180. Cours d'archéologie, De Nerval, 145.
Colincamp (cf. Bois- 01 s. De Nointel, 191.
sonade). Cours publics, 78, 79, De Parieu, 107.
Collas, 190, 209. 174 (cf. Athénée, De Sacy, 155.
Collège de France, Collège de France, De Saint-Victor, 79,
81, 172, 170, 180, Sorbonne). 108.
181 (cf. Cours pu- Cousin, 14, 10,41,43, De Sainte-Croix, 88,
blics). 77, 91; 94, 103, lie, 114.
Gollignon, 51, 193, 120, 181, 183, 271, DeSalvandy,155,204.
240, 200, 205, 275, 275. De Serradifalco, 191.
270. Cowper, 255. De Staël, 70 s., 70,
Goione, 141. Creuzer, 88 s., 108, 80, 88, 105, 202.
Coloration des temples, 181. De Théis, 99.
03, 191, 227 (cf. Po- Croiset, 78. 174, 240. De Xivrey, 223.
lychromie). Curtius, 200. Debacq, 190.
Comédie, 80, 178, 247. Cyclades, 34, 37, 214. Decharme, 91.
(Voir aux différents Cyclopéennes (mu- Delaborde, 50.
noms.) railles), 238. De la Gardette, 190,
Commission deMorée, Cvdonie, 10, 35. 191.
04, 108, 230, 230. Cythère, 135. Delavigne, 11,12, 105,
Commission des An- 107.
tiquités de la Sicile, Delécluze. 220.
191. Delille, 27, 2S, 70.
Commission des mo- D Délos, 33, 05, 147.
numents histori- Delphes, 27, 39, 40,
ques, 204. Dacier, 223, 241, 207. 47,09,142, 152,105.
Commission du des- Daguerre, 104. Démosthène, 83, 103,
. sin, 221. Damiron, 181. 114, 239.
Conservateur litté- Darenberg, 173. Demoustier, 87.
raire (le), 7. Dareste, 178. Desaugiers, 100.
Constant (Benj.), 89, Daunou, 81. Deschamps, 7.
91, 248. Daveluy, 150, 108. Deschanel, 179, 248,
Constitutionnel (le), David (peintre), 217. 251.
7, 24,30, 33, 40,91. David d'Angers, 9, Des Granges, 7, 15,
118, 2i0. 48, 50, 70, 107, 109, 70.
Goraï, 10 s., 20, 104, 187, 214, 220, 223, Didot, 12, 17, 30, 105,
114, 117, 171. 233, 234, 241, 202, 107,110,117, 170 s.,
Gorfou, 10, 39, 47, 205. 180, 240.
115. De Banville, 243. Didron, 140, 142, 148,
Corinthe, 130, 142, De Bouchaust, 17. 227, 230.
157, 104, 194, 235. De Gaylus, 55, 199, Dilettanti (Société
Cornélius, 231. 211, 243. des), 148, 150.
282 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Dindorf, 172, Eloquence, 83 (cf. Dé- Fellows, 197.


Dinrama 46.
(le), mosthène, Isocrate Fénelon, 10, 47, 101,
Dodone, 31, 32. et chap. II). 226.
Dodwell, 24, 214. Émeric-David, 50, 51. Filon (cf. Mérimée).
Dorisme, 190 s., 192, 53, 59, 125 s., 130, Flandrin, 212.
234 à 243, 272. ,
181. Flaubert, 164 s., 169,
Drame satyrique, 76, Emerson, 12. 186, 187.
249. Encyclopédie des Gens Flaxman, 187, 210,
Duban, 188, 208, 212. dû Monde, 79, 182, 241.
Diibner, 171 s., 174, 241, 243, 247, 251. Fontana, 56.
183. Encyclopédie Roret, Fontanes,5, 10,13,70.
Dubois, 64. , 203. Fontanier, 40.
Duc, 188. Énergie grecque, 165 s., Fontenelle, 241, 243.
Du Camp, 174, 210. et ch. XIII et xiv. Forbin, 47,48.
Dugas-Montbel, 19, Engelmann, 55. Forchhammer, 178.
78, 252. Ephèse, 62, 152, 196, Fortoul, 52, 168, 210,
Du Méril, 178. ,
198, 210, 272. 221, 228, 230, 232,
Du Moncel, 169. Épictète, 4, 69. 234, 235, 239, 244.
Dupré, 47, 48. Epidaure, 44. Foucart, 149.
Dupuy, 7, 70. Epig rapide, 149. Foy, 83.
Epire, 30,31,32, 45,47. Fresques (cf. Peintu-
Épopée, 76, 80 (cf. Ho- re).
E mère).
Érechtheum, 220.
École d'Athènes, 67, Eschyle, 5, 35, 75, 76,
150, 155 s., 167, 183, 81, "82, 102,154,231,
.
185, 200. 239, 240, 241, 242, Gail, 60,68, 115.
École de Rome, 130, 230, 272. Gailhabaud,210.
156, 188, 190, 200, Estève, 24. Galusky, 183.
,
217,240. Esthétique, ch. iv à vu, Gandar, 38, 156 s.,
École des Beaux-Arts, à XV.
IX, XII 229, 230, 253.
,
190, 208, 214. Estienne, 170, 223. Gautier, 49, 142. 164,
École des Langues Etrusque (art), 62, 63, 166, 169, 214, 220,
Orientales, 176. 193. 223.
École Normale, 172, Euphorion,183,184. Gé"doyn, 25, 29.
174, 180 (cf. Ecole Euripide, 5, 74, 75, Gell, 30, 55, 56.
d'Athènes). 81, 90, 95, 112, 138, Génin,243, 270.
Egg:er, 19, 60, 69, 71, 175, 185, 221, 249, Géraud, 102.
78, 79, 85, 102, 173, . 250, 265. Gerhard, 194,202.
176s.. 178, 180,226, Évhémérisme (cf. My- Girard (Paul), 190. '

230, 247, 249, 251, thologie). Girard (Jules), 174,


, 256, 257, 268, 270, 187, 243.
Égine (Temple et scul- Girardet, 56.
ptures), 27, 33, 42, Girardin, 192, 193.
51,66,124,200,210, Girodet, 108.
231, 232, 235, 241, Falkener, 198, 199. Globe (le), 12, 16, 19,
244, 258, 274.
, Fallex, 248, 251. 21, 23, 24, 40, 45,
Égloçiue(ci. Pastorale). Familiarité (cf. Réa- 48, 60, 78, 92 s.,
Egypte (et art grec), lisme). 104, 107, 109, 114,
58, 62, 129. Fauriel, 20 s., 35, 42, 120, 174, 179, 210,
Eleusis, 27, 33,35,38, 79, 109, 185, 224, 216.
47, 137, 141, 142, 229. Glyptique, 195, 212,
143. 145, 148, 159, Fauvêl, 26 s., 33, 37, 227.
166. 47, 51, 52, 66, 124, Gobineau, 12, 102, 134,
Elgin, 44, 50. 138. 138.
INDEX 283

Gœthe, 72, 75, 120. les divers histo- Joubert (Léo), 182.
Gothique (cf. Moyen riens). Joubert, 86, 107, 223,
Age). Hittorfî, 191, 192, 193, 251.
Grâce grecque (la), 81, 227. Joulîroy, 13, 101, 102,
103, 119, 128, 129, Homère, 4, 22, 27, 34, 181.
152, 156,196, 2.32 s., 38,41,42,43,63,76s., Jouin (cf. David d'An-
237, 266 s., 272. 80,84,85,90,94,1.53, gers).
Grande-Grèce (cf. Cou- 154, 160, 161, 166, Journal de l'Empire
rier, Naples, ch. xi 172, 175, 176, 177, 58, 79, 102, 107.
(le),
et 189, 235). 178, 184, 186, 205, Journal de l'Instruc-
Gravure, 55, 193, 209, 211, 214, 231, 241. tion publique (le),
214. 243, 251 à 257, 264, 79, 151.
Gréco-romain, 58, 62, 209, 274. Journal des Artistes,
70, 84 s., 92, 96, 108, Houssaye (Ars.), 217, 209.
111, 123, 124, 165, 259. Journal des Débats
204, 211, 216 s., 233, Hugo (Abel), 14. (le), 107, 174, 184,
243. Hugo(Victor),7, 12,241. 185, 270.
Grenier, 156. Humanisme, ch. ix (cf. Journal des Savants
Grillparzer, 105. Philologie). (le), 7, 24, 30, 33,
Gros, 240. Humboldt, 185, 187, 37, 40, 49, 54, 60,
Grote, 181, 182, 205. 201. 67, 78, 85, 91, 101,
Guigniaiit, 55, 76, 79, Hydra, 23, 37, 47. 107, 168, 169, 173,
88, 107, 168, 181, Hymette,141,160, 103, 174, 182, 189, 190,
182, 202, 240. 164. 191, 193, 194, 196,
Guiraud, 23. Hymne à Apollon, 34. 210, 215, 234, 241,
Guizot, 56, 58, 197, Hymne à Gérés, 35. 243, 249, 251.
199, 204. Jupiter Olympien (sta-
tue), 210, 229 (cf. Q.
de Quincy).
H Jupiter Olympien
Iconographie, 57, 189. (temple), 47.
Habillage des statues, Ictinos, 50.
62. Idéalisme (cf. Réa-
Halévy, 241-251. lisme). K
Halicàrnasse, 196, 198, Idylle (cf. Pastorale).
206. Iliade (cf. Homère). Kestner, 201.
Hase, 19, 69, 86, 171, Hissus, 46, 164. Kibùtos (le), 16.
172, 176. Ingres, 212, 215, 239. Koliadès, 77.
Ilavet, 180. Institut de Rome, 56, Kiigler, 200.
Haygarth, 46. 151,191,190,200 s.,
Heine, 195, 196. 203, 210, 212.
Hélicon, 39, 45. lonisme (cf. Asie Mi-
Héliodore. 104. neure).
Henriot, 156. Ipsara, 37. Labitte, 8.
Hermann, 200. Isocrate, 18, 69, 103, Labrouste, 190, 191.
Hérodote, 4, 103, 112, 114, 116, 117,226. Laconie, 41.
118, 120, 205, 239, Ithaque, 23, 39, 40,136, La Fontaine, 226.
270. 100, 162. La Harpe, 14, 70, 75,
Hésiode, 5, 90, 102, Ithôme, 236. 79 s., 93, 96, 106,
182, 186, 231, 240, 109, 241, 250.
247. Lamartine, 29, 37, 102,
Hillebrand(cf.O.Mul- 106,137,1.39,142,234.
ler). Laocoon (le), 57, 73,
Hippocrate, 172. Janin, 240, 248. 81, 122, 127, 131s.,
Histoire, 177, 178 (cf. Jardins grecs, 216. 259 s.
284 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Larcher, 103, 205. Missions, chap. desj


Latreille, 270. voyages.
Laurent, 56. M Mistfa, 42.
Laurent-Pichat, 145, Mondot, 240.
146. Magasin encyclopé- Moniteur (le), 210.
Leake, 25, 30, 140, dique (le), 54, 115. Montfaucon, 66, 168,|
196, 214. Magasin pittoresque 202.
Le Bas, 149, 151,202, (le), 209, 214. Morée, 26, 30, 37, 41,
262. Magnésie, 197. 44, 45, 135, 137,]
Lebrun, 6, 36 s., 133, Magnin, 45, 48, 78, 139, 141, 143, 200,1
138, 162. 179, 241, 249. 236.
Lechat, 193, 277. Marcellus, 2, 4, 6, 19, Morey, 190.
Lechevalier, 37, 77. 27, 29, 33 s., 52, Mosaïques, 228.
Le Clerc, 86, 173,201. 53, 101, 214, 225, Moulages, 208, 22 IJ

Leconte de Lisle, 187, 2.30, 253. 222.


262, 270. . Marilhat, 139. Moyen âge (rapport
Lelèvre (collection), Martine, 249. avec l'hellénisme)^
76, 172. Massard, 50. 204, 223, 225,227s.J
Le^i^ouvé, 86. Massillon, 226. 236, 269.
Leleux, 210. Maury, 91, 213. Mûller (Max), 182.
Lemaître (J.), 109. Mausolée (le) (cf. Ila- Millier (Ottfried), 44^
Lemercier, 23, 79 s., licarnasse). 78,91,149, 167, 174,|
85,95,102, 107,112, Mazois, 55, 56. 202 s., 215, 233^
240, 241, 247, 251, Médecins grecs, 172 s. 239, 242.
257. Méhul, 100, 107. Munich, 52, 213, 231 s.J
Lenormant, 2, 8, 9, Méléagre, 7, 174, 183, Mùntz, 214.
43 8., 182, 194, 196, 184, 185. Muse française (la),
197, 202, 215, 236, Ménandre, 104, 138. 7, 8, 105, 107,1
260, 270. Mercey, 190, 235. 142.
LéonidascleTarente,4. Mercure de France Musées (les), 50, 73,J
Lerminier, 8, 9, 178, (le), 30. 115, 148, 199, 209,1
181, 262. Mérimée, 2, 155, 181, 213, 231.
Lessing, 260. 182, 190, 198, 204 s., Musée Blacas, 194.
Letronne, 25, 31, 32, 210, 227, 235, 239, Musée Britannique
61, 76, 78, 80, 103, 246. (cf. British Mu-J
189, 190, 193, 195, Messène, 42, 44, 238. seum).
201, 202, 210, 252. Métaponte, 190. Musée des Antiques,!
Lettres champenoises Météores (les), 47. 56, 57, 212.
(les), 7. Mézières, 169. Musée des familles
Lévè([ue, 18, 51, 151, Michaud, 13, 29, 134, (le),209.
156, 163, 209, 210, 142. Musée français, 56,^
273 s. Micbaut, 13, 185. 57, 213.
Liberté de penser (la), Milet, 196. Musée Filhol, 56, 57.
251. Millevoye, 101, 106, Musée Pio-Clemen-
Lithographie, 47, 55, 107. tino, 57,202, 213.
209 (cf. aux voya- Millin, 54, 114, 115, Musée Royal, 56, 57.
ges). 193, 194. Musset, 8, 9, 13, 138,
Littré, 172, 173, 183, Millingen, 193, 194. 234, 248, 251.
226, 230, 270. Milo, 52. Mustoxidi, 18, 20.
Logios Hermès (le), 17. Minerv e du Parthénon Mvcènes, 27, 32, 33,
Longus, 4, 175 (cf. Ro (la), 212. 41, 43, 44, 135, 148,
man). Minoïde Minas, 12, 159, 238, 239.
Loyson, 7. 148. Mythologie, 55, 59, 77,
Lyrisme, 105. Mionnet, 196. 87 s., 181 s., 182,
Lysippe, 75, 122. Miot, 103. 193, 201, 205, 240.
INDEX 285

Pastorale, 247, 251 (cf. Planche, 53, 217,233,


Anthologie, Méléa- 234, 241, 268, 270.
N gre, Théocrite). Plastique (cf. Réa-
Patin, 14, 82, 86, 94, lisme.
Naples, 114. 95, 174, 177, 178, Platon, 44, 69, 74, 86
Naxos, 35. 183, 219, 223, 230, s., 94, 116,124, 127,
Néo- platonisme, 180, 241, 242, 247, 249, 176, 180, 182, 239.
182. 251, 253, 254, 257, Pline l'Ancien, 62.
Nève, 186. 264, 267, 270. Plutarque, 94, 103,
Newton, 199. Pausanias, 25, 29, 32, 118, 239.
Niobé (la), 122, 131, 45, 62, 66, 116, 149, Pnyx, 163, 168.
251 s. 200, 214. Polychromie, 49, 191,
Nisard, 174, 178, 218, Pavie, 184, 185. 213.
223. Pecchio, 12. Polyclète, 75.
Nonnos, 225. Peinture, 1§9 s., 228, Pompéi, 55, 107, 188
Nouvelle Bibliothèque 231 (cf. Coloration s.,212, 235.
classique grecque, des temples). Ponsard, 255 s., 270.
241. Pélasges, 33, 43, 238. Pontmartin, 8, 9,187.
Nouvelle Revue Ency- Péloponèse (cf. Mo- Pope, 82, 84, 255.
clopédique, 257. rée). Poujoulat, 135.
Numismatique (cî. Glyp- Pénée, 47. Pouqueville, 42, 24,
tique). Penrose, 150, 151. 29, 30 s., 149, 171.
Pentélique, 160, 163, Pradier, 233.
164. Praxitèle,52, 122, 125,
O Pères de l'Église, 186. 127, 130, 164, 233.
Perrot(CT.), 49, 54, 56, Propylées (cf. Acro-
Odyssée (cf. Homère). 60, 151, 190, 194, pole).
Olympie, 27, 40, 06, 196, 203, 234. Provence (cf. Pho-
69, 143, 160, 106, Petit-Radel,32,57,87. céens).
192, 230, 232, 234, Phidias, 46, 59, 75, Prud'hon, 207.
236, 245. 122, 125, 127, 131, Pseudo-classicisme (cf.
Orfèvrerie, 62. 166, 214, 233, 235, Gréco-romain).
Oribase, 173. 259, 263, 271, 272. Puech, 185, 241, 249.
Orientalisme, 62, 176. Phigalie, 42, 44, 50, Puget, 274.
Orphée, 35, 231. 66, 143, 200, 210, Puillon-Boblaye, 64.
236, 238, 245.
Philologie (cf. la Table
des Matières). Q
Philomuses (les), 16.
Paccard, 150, 192. Philosophie, 86 s., 178, Quatremère de Quin-
Paestum,190, 192,235. 180 s. (Voir aux di- cy, 49, 50 s., 58, 66,
Palais de l'Industrie vers philosophes). 122 à 125, 191, 193,
(moulages)^ 222. Phocéens (les), 207, 200, 202, 214, 215,
Palimpsestes, 69. 224 s., 226. 216, 223, 271.
Panolka, 194, 201. Photographie, 210,221. Quinet, 2, 24, 41 s.,
Panorama, 46. Piccoios, 18, 20. 79,91,177, 178,218,
Parnasse (mont), 39, Pierron, 241. 223, 236, 239, 241,
40, 45, 165. Pindare, 39, 83, 90, 243, 247, 257, 263,
Parthénon, 27, 32, 102, 153, 186, 231, 265, 269, 270.
47, 49, 50, 124, 126, 239, 242, 263, 273.
131, 139, 147 à 150, Pinde (mont), 47.
156, 159, 163, 164, Piranesi, 55, 56. R
166. 191, 192, 208, Piroli, 57,241.
209, 210, 211, 212, Piscatory, 156. Racine,14,18, 81,101,
231, 272, 273. Pittakis, 148. 112, 165, 226, 250.
286 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

Raczynski, 234. Revue Universitaire, Simon, 86.


Radet, G7, 157, 169. 70. Simonide, 5, 105.
Raoul-Rochette 56
, ,
Rhangabê, 44, 148. Simonidès, 18.
60 s., 93, 102, 104, Rhodes, 235. Smyrne, 16, 28, 29,
130, 147, 182, 189, Robert, 223. 38, 196, 197, 272.
190, 193, 194, 200, Romans, 104, 116, 118. Société archéologique
201, 202, 214, 230, Rome, 70 et ch. xii. d'Athènes, 148, 167.
233, 234, 253. Ronsard, 107, 109. Socrate, 43.
Rapports académi- Kôss, 148, 149, 200. Sophocle, 5, 22, 43,
ques (cf. aux Aca- Rossignol, 249. 75, 83, 84, 96, 104,
démies). /îumes (sens des), 163 s. 109, 175, 185, 231,
Rapports de 1867 (les), 250, 259.
215, 223. Sorbonne, 14, 82, 94,
Ravaisson, 53, 91,1 80, 173, 174, 176, 179.
181, 182, 221, 223. Soufllot, 190.
Raybaud, 12. Saisset, 181. Souliotes, 30.
Raynouard, 104, 252. Saint-Marc Girardin, Sparte, 37, 44, 65, 165,
Réalisme, 59, 63, 81, 8, 9, 14, 16, 174, s., 238 (cf. Chateau-
95,112,119,chap.vii, 178, 232, 247, 251, briand).
162, 165, 166, 179, 254, 257, 264, 266, Stackelberg, 200, 201.
221, chap. XIV et 271, 275. Stanhope, 12.
XV. Sainte-Beuve, 6, 7, 8, Stendhal, 70, 110, 113,
Reinach, 149, 194. 9, 12, 19, 23, 24, 40, 174.
Rémusat, 14. 43, 70, 71, 76, 78, Strabon, 214.
Renan, 173, 204. 85, 86, 91, 107, 1U8, Stuart (cf. Revett).
Renée (A.), 261. 109, 132, 138, 146, Sunium,3,33,87, 145.
Renommée (la), 7. 155, 156, 162, 169, Sw-Belloc, 24.
Restauration des Anti- 171, 172, 174, 175, Symbolique, 88.
ques, 53, 63. 181, 182 s., 185, 186, Syracuse, 191.
Revett, 25, 30, 148. 215, 219, 223, 247,
Rçvue Archéologique, 254, 267, 269, 270.
210. Saint-Savin (église),
Revue Rleue, 19. 207.
Revue de l'Architec- Saphô, 5, 79, 100, 105 Taygète, 236.
ture, 210. s., 180. Taylor, 138.
Revue de Paris, 7, 9, Schiller, 241. Télémaque (le) (cf.
40, 41, 43, 44, 146, Schlegel, 73, 74 s., Fénelon).
174, 178, 180, 196, 95, 102, 105, 110. Tempe, 47.
210, 232, 234, 239, 113,201. Temples grecs (voir les
248, 251, 261, 265, Schleiermacher, 86. noms).
267, 270. Schv\'anthaler, 231. Ternite, 56.
Revue des Deux Mon- Scopas, 199, 233. Texier, 197, 213.
des, 9, 12, 19, 49, Scott, 94, 105. Texte, 76.
51, 52, 53, 76, 79, Sculpture, passim. Théocrite, 6, 7, 22,
91, 107, 109, 132, Séché,7, 142, 174,185. 94, 106, 170, 175,
138, 146, 151, 155, Ségeste, 191. 178, 183, 184, 185,
178, 180, 181, 182, Sélinonte, 191, 192, 231, 247, 256.
184, 187, 190, 191, 210, 245. Théophraste, 171.
193, 205, 208, 210, Sérénité grecque, 129, Thermopyles, 47.
215,218 s., 223, 230, 259 s. Thésaurus (le), 170
232, 234, 239, 241, Shakespeare, 76, 241. s., 174, 224.
243, 251, 257, 265, Sicile, 191 (cf. les di- Theseion (le), 47, 148,
266, 270, 275. verses villes). 154, 159, 189.
Revue d'Histoire lit- Sicyone, 235. Thessalie, 47, 140.
téraire, 9. Simart, 212, 240. Thiersch, 200.
INDEX 2S1

Thomas, 190. Veissier- Descombe^ ,


Voltaire, 75, 82, 84,
ThorNval(lsen,51,20I, 1U8. 241, 243, 249, 251.
233. Vendel-Heyl, 241. Voss, 74, 94, 254, 255.
Thouvenel, 144, 151. Vénus de Médicis (la), Vulci,193,246(Gf. Cé-
T h race, 35. 27, 126, 127, 128, rami(iue).
Thucydide, 42, 83, 103, 129, 233, 271.
171, 240, 262 s. Vénus de Milo(la), 4,
Thurot, 17, 69, 171.
Tôpfler, 271, 275.
27,
128,
52 59,
s.,
129, 232,
126,
271. W
Torse(le),57,126, 132. Vézelay, 246,
Tragédie, 74, 80, 95, Victoire Aptère (tem- Wadding-ton, 149,180.
ple), 163, 164.
Wallon, 185.
174, 178, 179, 186,
214, 241 (Voir aux Viguier, 76, 86. Walpole, 30.
noms des poètes). Viliemain, 6, 7, 14, Weimar, 72.
Troubat, 174. 15, 16, 18,82 s., 86,
Welker, 201.
Tyrinthe, 32, 134. Wilkins, 25, 30.
93, 94, 95, 98, 101,
Tyrtée, 105, 170. 102, 103, 111, 114,
Winckelmann. 59, 66,
71 121, 125, 132,
s.,
117, 120, 148, 173,
232, 243.
174, 177, 185 s., 199,
216, 223, 249, 251,
Wolf, 76, 78, 269.
Wordsworth, 164.
U 252, 257, 264, 270.
Vinet, 49, 51, 54, 55,
Université (1'), 70, 116, 91, 173, 174, 178,
221. 199, 203, 210, 213, Y
215, 222, 223, 265.
Vitet, 49, 53, 93, 181, Ypsilanti, 17.
196, 215, 216, 222,
223, 227, 230, 234,
242, 243, 270, 272.
Vacherot, 180. Villa Médicis (cf.Ecole
Vacquerie, 266. de Rome).
Vases peints (cf. Céra- Villoison, 89, 114. Zahn, 56.
mique). Viollet-le-Duc, 220. Zallony, 12.
Vaudoyer, 188. Visconti, 50, 51, 57, Zévort, 180.
Vauvilliers, 114. 58, 126. Zosima, 17.
l'ABLE DES MATIERES
PREFACE.

CHAPITRE I

CHATEAUBRIAND ET CHENIER

CHAPITRE II

DU PHILHELLÉNISME A L'HELLENISME
I. OPPOSITION DE LA GRKCE MODERNE ET DE LA GRÈCE ANTIQUE. =
H. LES COURS PUBLICS. = III. LES SAVANTS GRECS EN FRANCE. =
IV. LES CHANTS POPULAIRES ET LE PASSÉ DE LA GRÈCE FAURIEL. : . 10

CHAPITRE III

LES PREMIERS VOYAGEURS


1. LES GUIDES; FAUVEL. = II. POUQUEVILLE, MARCELLUS, LEBRUN,
QUINET. =
III. RÉSULTATS POUR LA CONNAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE. 25

CHAPITRE IV
DÉCOUVERTES ARCHEOLOGIQUES
I. RÉVÉLATION DE LA STATUAIRE GRECQUE. — II. LES SAVANTS ET LA
VULGARISATION DE LARCHÉOLOGIE. =^ III. LE RÔLE DE RAOUL-ROCHETTE,
=: IV. LA « COMMISSION DE MORÉE » 49

CHAPITRE V
RÉVEIL DES LETTRES GRECQUES
I. IGNORANCES ET DÉDAINS. = II. LA RENAISSANCE : l'iNFLUENCE DË
WINCKELMANN MADAME DE STAËL: \V. SGHLEGEL LE « COURS DE LIT-
; :

TÉRATURE DRAMATIQUE »; LA QUESTION HOMÉRIQUE. = III. POLEMIQUE


CONTRE LA HARPE. == IV. LA PHILOSOPHIE GRECQUE ET LE SPlRlTUA-
d9
230 LA RENAISSANCE DE LA GRÈCE ANTIQUE

LISME COUSIN. = LA MYTHOLOGIE


; NOUVEAUTÉ DE L'INTERPRÉTATION.
:

CREUZER ET LA SYMBOLIQUE » B. CONSTANT. = V. LA CRITIQUE DU


<i
;

« GLOBE » EN MATIÈRE D"hELLÉMSME (1824-1829) 68

CHAPITRE VI
CONTRE LA GRÈCE DES BOUDOIRS
I. LE « VOYAGE DU JEUNE ANACHARSIS » ET SON INFLUENCE. = II. LES

TRADUCTIONS DES AUTEURS GRECS SUCCÈS DES GÉNIES GRACIEUX. —


:

III. LA VOGUE d'aNACRÉON. = IV. RÉACTION CONTRE « ANACHARSIS ».


= V. INFLUENCE DE P.-L. COURIER ,• 99

CHAPITRE VII
CONTRE LE BEAU IDÉAL
I. « l'aPOLLON du BELVÉDÈRE » YVINCKELMANN ET O. DE OUINCY. =
;

II. LES RÉALISTES :ÉM. DAVID ET DE KÉRATRY. = III. VÉRITÉ ET


ÉNERGIE DE l'aRT GREC; RAOUL-ROCHETTE lîl

APRÈS 18 3

CHAPITRE VIII
LA GRÈCE SANS L'ANTIQUITE
I. LES VOY'AGEURS ET LA GRÈCE MODERNE; DÉNIGREMENT. = II. AUTRES

PRÉOCCUPATIONS. ORIENTALISME, BYZANTINISME, MOYEN AGE. = III.


l'avenir DE LA GRÈCE MODERNE. = INDIFFÉRENCE A l'anTIQUITÉ. , 133

CHAPITRF^IX
LHUMANISME EN VOYAGE
I.QUELQUES ARCHÉOLOGUES EN MISSION RAOUL-ROCHETTE. LES PROJETS
;

DE VILLEMAIN; la MISSION LE BAS. = II. TRIOMPHE DE L'hUMANISME :

LE VOYAGE D'aMPÈRE LÉCOLE D'aTIIÈNES. = III. IMPRESSIONNISME


; :

SENS DE LA BEAUTÉ DES RUINES 147

CHAPITRE X
LA CURIOSITÉ PHILOLOGIQUE
1. l'influence ALLEMANDE. PROGRÈS DE LA PHILOLOGIE. = II. LES
COURS PUBLICS. LES JOURNAUX ET LES REVUES. = III. LA PHILOSOPHIE
GRECQUE; l'académie DES SCIENCES MORALES. = IV. QUELQUES IDÉES
DE SAINTE-BEUVE. = V. VILLEMAIN ET l'aCADÉMIE FRANÇAISE . . 170
TABLE DES MATIÈRES 291

CHAPITRE XI
LA CURIOSITÉ ARCHÉOLOGIQUE
I.LA GRÈCE HORS DE LA GRÈCE. — POMPÉI LA PEINTURE ANTIQUE. LA
:

GRANDE GRÈCE ET LA SICILE, l'aRCUITECTURE POLYCHROME. LA CÉRA-


MIQUE LES VASES DE VULCI. LA NUMISMATIQUE
; LE CABINET DES;

MÉDAILLES. L'EXPLORATION DE L'IONIE. = IL ORGANISATION DE LA


SCIENCE ARCHÉOLOGIQUE. — l'aCADÉMIE DES BEAUX-ARTS l'iNSTITUT :

ARCHÉOLOGIQUE DE ROME; LE COMITÉ DES MONUMENTS HISTORIQUES. =


IIL VULGARISATION. —
LES MOULAGES, LES BRONZES DART, LES ILLUS-
TRATIONS. REVUES ET JOURNAUX l' « ARTISTE »: 188

CHAPITRE XII
ATHÈNES CONTRE ROME
l. CONTRE LA CONFUSION DU « GRECO-ROMAIN » GÉNIE GREC ET GÉNIE
;

LATIN. = PARENTÉ DE l'esPRIT GREC ET DE L'ESPRIT FRANÇAIS . . 216

CHAPITRE XIII
L'ÉNERGIE DE L'ART GREC
I.l'énergie dans la SCULPTURE SUCCÈS DES MARBRES d'oLYMPIE ET
:

DES SCULPTURES d'ÉGINE FORTOUL. = IL l'aUSTÉRITÉ DORIENNE LES


; ;

IDÉES D'O. MULLER, LEUR INFLUENCE SUR l'intERPRÉTATION DE l'aRT


HELLÉNIQUE 0UINET. — IIL RENOUVELLEMENT DE LA CRITIQUE LITTÉ-
;

RAIRE SUCCÈS d'eschyle et de pindare le rôle de vitet


: ; . . 230

CHAPITRE XIV
RÉALISME ET FAMILIARITÉ
. LE RÉALISME DE LA SCULPTURE GRECQUE. = IL LE RÉALISME DE LA
LITTÉRATURE GRECQUE l'ÉGLOGUE, LA COMÉDIE, LE DRAME SATYRIQUE,
:

LA TRAGÉDIE. SUCCÈS DE THÉOCRITE ET d'aRISTOPHANE LE RÔLE DE :

PATIN. = m. LA RÉPUTATION d'hOMÈRE DE l83o A l850 RÉALISME :

FAMILIER DE SA POÉSIE ....'........ 244

CHAPITRE XV
ATHÈNES ET L'ATTICISME ^
^

I. CONTRE
L' « ÉNERGIE » DE l'aRT GREC. —
LA SÉRÉNITÉ DE l'hELLÉ-
NtSME SAINT-MARC GIRARDIN. = II. CONTRE LE « RÉALISME » DE l'aRT
:

GREC L AFFAIRE PONSARD, GUSTAVE PLANCHE. = III. CONCILIATION DE


:

LA VIGUEUR ET DE LA GRÂCE, DE LA FAMILIARITÉ ET DE LÉLÉGANCE.


PRESTIGE DE l'aTTICISME CHARLES LÉVÈOUE
: 258

CONCLUSION 276

INDEX 279

1347-10, — Coulommiers. Imp. Pacl BRODARD. — 12-10.

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