Pourquoi L'immigration
Pourquoi L'immigration
Pourquoi L'immigration
COLLECTION
Carrefours
Cette collection a pour objectif de se pencher sur les tensions dialectiques
qui animent notre monde et sur les nouvelles formes d’expression qui en
découlent (tendance à l’uniformisation culturelle mais diversification des
identités ethnoculturelles, individualisation constante mais émergence de
nouvelles formes de solidarité,...), et ce dans une perspective transdiscipli-
naire.
La collection présente trois thèmes majeurs : la multiculturalité, les migra-
tions et l’ethnicité au sens large du terme.
Jean-Michel LAFLEUR
et Abdeslam MARFOUK
Carrefours 9
D/2017/4910/46 ISBN : 978-2-8061-0362-8
© Academia-L’Harmattan
Grand’Place, 29
B-1348 Louvain-la-neuve
www.editions-academia.be
TABLE DES MATIÈRES
Remerciements 9
Préface
Immigration, faits et chiffres : briser les idées reçues 11
Introduction
Quel rôle pour les scientifiques dans les débats sur l’immigration ? 15
Postface
Quelle voix pour les Sans-Papiers dans les débats sur l’immigration ? 133
Qui est la Voix des Sans-Papiers de Liège ? 133
Comment casser les préjugés ? 134
Encore un livre sur l’immigration ? 135
REMERCIEMENTS
IMMIGRÉ ET ÉMIGRÉ
2. Organisation des Nations Unies, International migration report 2015, New York, ONU,
2015, p. 32. Disponible sur Internet :
http://www.un.org/en/development/desa/population/migration/publications/migrationreport/docs/MigrationReport2015_Highlights.pdf .
20 Pourquoi l’immigration ?
À l’inverse, bien qu’il soit moins usité, le concept d’émigré recouvre les
mêmes individus mais du point de vue de leur pays de départ. Cependant,
la définition de l’ONU n’est pas universelle. En effet, certains pays
– comme l’Australie, le Canada, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et
la Suède – privilégient le critère du lieu de naissance des individus en
accord avec la définition des Nations Unies. D’autres pays, comme la
Corée du Sud, le Japon ou les Pays du Golfe, utilisent, en revanche, le
critère de la nationalité pour identifier la population immigrée.
Le critère du lieu de naissance offre l’avantage d’assurer une plus
grande comparabilité des statistiques au niveau international dans la
mesure où le pays de naissance des individus est une caractéristique per-
manente. La nationalité, en revanche, est par définition mouvante
puisque les immigrés sont susceptibles d’acquérir celle de leurs pays de
résidence au fil du temps. Cela signifie donc qu’un immigré né au Maroc
et naturalisé belge après cinq années de résidence en Belgique sera comp-
tabilisé dans la population immigrée en raison de son lieu de naissance
mais pas dans la population étrangère puisqu’il est désormais belge. De
même, tous les individus de nationalité étrangère vivant en Belgique ne
sont pas des immigrés. Par exemple, certains enfants italiens nés sur le
territoire national n’ont pas acquis la nationalité belge et continuent de ce
fait à apparaître dans la population étrangère vivant en Belgique.
L’absence de définition officielle de la population immigrée en Belgique
implique donc que deux types de données cohabitent en permanence
dans les débats sur les migrations. Certains utilisent les statistiques rela-
tives à la nationalité des individus résidant en Belgique alors que d’autres,
en revanche, préfèrent se référer à leur lieu de naissance.
AUTOCHTONE ET ALLOCHTONE
3. Dans cet ouvrage, nous utilisons le concept d’ethnicité tel qu’il est utilisé en sciences
sociales, l’ethnicité y étant considérée non comme une différence naturelle, mais comme une construc-
tion sociale influençant les relations entre groupes perçus ou se percevant comme différents sur la
base de caractéristiques physiques, culturelles ou psychologiques communes. Voir à ce sujet : MARTI-
NIELLO M., L’ethnicité, la mal-aimée des sciences sociales [Article de vulgarisation scientifique],
Réflexions – Presses de l’ULg [7 mars 2013], pp. 1-4. Disponible sur Internet :
http://reflexions.ulg.ac.be/cms/c_345325/fr/lethnicite-la-mal-aimee-des-sciences-sociales?part=1 .
4. JACOBS D., REA A., « Construction et importation des classements ethniques », Revue
européenne des migrations internationales, vol. 21 : 2, 2005, pp. 35-59. Disponible sur Internet :
http://remi.revues.org/2487 .
5. Une étude a montré, par exemple, que l’application de la définition suédoise au cas de la
Norvège aurait pour effet une augmentation de la population immigrée de l’ordre de 11 %. VATNE
PETTERSEN S., ØSTBY L., « Immigrants in Norway, Sweden and Denmark », Samfunnsspeilet, vol. 5,
2013, pp. 76-83. Disponible sur Internet :
https://www.ssb.no/en/befolkning/artikler-og-publikasjoner/_attachment/204333?_ts=1497ab86428 .
6. Institut national de la statistique et des études économiques, Définition : immigré
[Rubrique de glossaire], INSEE [2016]. Disponible sur Internet :
http://www.insee.fr/fr/methodes/default.asp?page=definitions/immigre.htm .
22 Pourquoi l’immigration ?
ces immigrés forcés de se déplacer, les demandeurs d’asile sont ceux qui
traversent une frontière internationale afin de demander la protection de
cet État selon les termes de la Convention de Genève de 1951. Cette
convention oblige les États signataires (dont la Belgique) à protéger toute
personne « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de
sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe
social ou de ses opinions politiques » (article premier). Tout individu
déposant une demande d’asile dans l’État dont il demande la protection
peut se voir signifier trois décisions au terme de la procédure d’asile. Tout
d’abord, sa demande peut être acceptée et il se voit dès lors reconnaître
le statut de réfugié l’autorisant à résider dans le pays en question. Deux
possibilités s’offrent aux individus qui ne sont pas considérés comme
appartenant à l’une des catégories reconnues par la Convention de
Genève. Soit, il leur est reconnu un droit à la protection plus limité, qu’on
qualifiera de « protection subsidiaire ». Ils reçoivent dès lors un titre de
séjour provisoire et ne peuvent être refoulés durant cette période. Soit,
leur demande de protection est considérée comme non fondée et ils se
retrouvent alors dans l’obligation de quitter le territoire.
KLEKOWSKI VON KOPPENFELS A., What’s the difference between a migrant and an expat ?
[Article de blog], The Conversation [20 décembre 2016]. Disponible sur Internet :
https://theconversation.com/whats-the-difference-between-a-migrant-and-an-expat-69265 .
Myria, « Immigré, étranger, Belge d’origine étrangère : de qui parle-t-on ? » Myriatics, n° 2,
2015, pp.1-5. Disponible sur Internet : http://www.myria.be/files/Myriatics2__layout.pdf.
2. L’IMMIGRATION EST-ELLE
UN PHÉNOMÈNE NEUF
EN BELGIQUE ?
7. Notons qu’avant la Seconde Guerre mondiale (1921-1939), la Belgique avait déjà connu
des arrivées importantes de travailleurs en provenance des États voisins, d’Europe de l’Est et d’Italie.
26 Pourquoi l’immigration ?
8. Le Registre national est une base de données officielle contenant des informations sur
l’identité des individus résidant légalement en Belgique.
2. L’immigration est-elle un phénomène neuf en Belgique ? 27
CAESTECKER F., Alien policy in Belgium, 1840-1940 : the creation of guest workers, refu-
gees and illegal immigrants, Oxford and New York, Berghahn Books, 2001, 354 p.
LAFLEUR J.-M., MARTINIELLO M., REA A., « Une brève histoire migratoire de la Belgique »
in Simon G., Dictionnaire des migrations internationales, Paris, Armand Collin, 2015,
pp. 24-29. Disponible sur Internet : http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/184933 .
MANÇO A. et MANÇO U., Turcs de Belgique, Bruxelles, Info-Türk, 1992, 288 p.
MARTENS A., Les immigrés : flux et reflux d’une main-d’œuvre d’appoint : la politique
belge de l’immigration de 1945 à 1970, Louvain, Presses universitaires de la KUL,
1976, 208 p.
MEDHOUNE A., LAUSBERG S., MARTINIELLO M., REA A., L’immigration marocaine en
Belgique, mémoires et destinées, Bruxelles, Couleur Livres, 2015, 220 p.
MORELLI A., Histoire des étrangers et de l’immigration en Belgique : de la Préhistoire à nos
jours, Bruxelles, Couleur livres, 2004, 416 p.
3. COMBIEN Y A-T-IL D’IMMIGRÉS EN BELGIQUE,
D’OÙ VIENNENT-ILS, OÙ VIVENT-ILS ?
Qu’en pensent les Belges ? À la question « Sur 100 personnes vivant en Belgique,
combien, selon vous, sont nées à l’étranger ? », en moyenne, les Belges pensent que les
immigrés représentent 29 % de l’ensemble de la population nationale. En réalité, ils
représentent 16 %. Cette surévaluation est encore plus marquée chez les Wallons qui
pensent que les immigrés représentent près d’un tiers (31 %) de la population belge. Les
Flamands estiment pour leur part que les immigrés représentent environ une personne sur
quatre en Belgique (27 %) alors que les Bruxellois les estiment à une personne sur cinq
(19 %)9. Plus surprenant encore, près d’un Belge sur dix estime que les immigrés
représentent plus de 50 % de la population belge (12 % des Wallons, 9 % des
Flamands, 7 % des Bruxellois partagent cet avis).
11. Le Registre national est une base de données officielle contenant des données sur l’iden-
tité des individus résidant légalement en Belgique.
36 Pourquoi l’immigration ?
Enfin, une des leçons les plus importantes à retenir lorsque l’on parle
d’immigration en Belgique est de toujours s’interroger sur ce que les chiffres
représentent réellement. Comme le montre le tableau 3, une image sensible-
ment différente de la migration peut être dépeinte en fonction du critère retenu
pour la mesurer. Ainsi, si l’on choisit de classer les groupes en fonction du critère
de nationalité, les Français sont les plus nombreux devant les Italiens, les
Néerlandais et les Marocains. En revanche, lorsque l’on privilégie le critère du
lieu de naissance, la première place est occupée par les Marocains suivis des
Français, des Néerlandais et des Italiens. De façon générale, le poids des indivi-
dus nés au sein de l’Union européenne dans la population immigrée (48 %) est
largement inférieur à leurs poids dans la population de nationalité étrangère
(68 %). Ceci s’explique par le fait que les étrangers qui sont citoyens d’un État
membre de l’Union européenne ont une plus faible propension à acquérir la
nationalité belge par rapport aux autres étrangers (voir question 18).
Pays de naissance Effectif En % du total Nationalité d’origine Effectif En % du total
1 Maroc 210 985 11,6 1 France 162 482 12,5
2 France 185 844 10,3 2 Italie 157 227 12,1
3 Pays-Bas 130 414 7,2 3 Pays-Bas 152 084 11,7
4 Italie 120 504 6,6 4 Maroc 82 817 6,4
5 Turquie 97 793 5,4 5 Roumanie 73 917 5,7
6 R. D. Congo 82 926 4,6 6 Pologne 70 766 5,5
7 Allemagne 81 198 4,5 7 Espagne 62 072 4,8
8 Pologne 75 879 4,2 8 Portugal 44 386 3,4
9 Roumanie 72 491 4,0 9 Allemagne 39 523 3,1
10 Espagne 47 320 2,6 10 Turquie 36 650 2,8
Total UE 864 756 47,7 Total UE 880 206 67,9
Total population 1 812 409 100 Total population 1 295 660 100
immigrée étrangère
EGGERICKX T., POULAIN M., KESTELOOT C., Recensement général de la population et des
logements au 1er mars 1991, la population allochtone en Belgique, Bruxelles,
Publications de l’Institut National de Statistiques, 2016, 260 p. Disponible sur
Internet : http://statbel.fgov.be/fr/binaries/03_fr_tcm326-33766.pdf .
MARTINIELLO M., REA A., WETS J., TIMMERMAN C., « Nouvelles migrations et nouveaux
migrants en Belgique », Synthèse de recherche, Programme Société et Avenir,
Bruxelles, Politique scientifique fédérale, 2008, 13 p. Disponible sur Internet :
http://www.belspo.be/belspo/fedra/TA/synTA013_fr.pdf .
Myria, La migration en chiffres et droits. Rapport Annuel, Bruxelles, Publications du Centre
fédéral Migration, 2017, 185 p. Disponible sur Internet :
http://www.myria.be/fr/publications/la-migration-en-chiffres-et-en-droits-2017 .
Myria, « La migration en chiffres », Myriatics, n° 4, 2016, pp. 1-4. Disponible sur Internet :
http://www.myria.be/files/Myriatics_FR_LR.pdf .
Myria, Migrations et populations issues de l’immigration en Belgique. Rapport Statistique
et démographique 2013, Bruxelles, Publications du Centre fédéral Migration, 2013,
175 p. Disponible sur Internet :
http://www.myria.be/files/Rapport-statistique-demographique-2013.pdf .
5. POURQUOI LES IMMIGRÉS
QUITTENT-ILS LEUR PAYS
D’ORIGINE ?
certains États plutôt que d’autres. Ces facteurs sont, par exemple, l’acces-
sibilité du marché du travail ou du système scolaire, la langue, la présence
d’autres immigrés de même origine, la facilité d’accès au logement, etc.
Ces éléments font que certaines destinations apparaissent plus attrayantes
aux yeux d’un immigré plutôt que d’autres.
Dans le cas des travailleurs européens, qui représentent la très grande
majorité des nouveaux immigrés arrivés en Belgique ces quinze dernières
années, il est incontestable que les facteurs politiques – comme l’intégra-
tion européenne – et économiques – comme la création du marché
unique – tant dans la société d’accueil que d’origine jouent un rôle décisif.
Avec l’élargissement de l’Union européenne vers l’Europe centrale et
orientale, il est devenu progressivement plus simple pour les citoyens de
ces États de se déplacer vers l’Europe occidentale. Parallèlement, la situa-
tion économique de certains de ces États (ou de certaines régions précises
à l’intérieur de ces États) ne s’est pas améliorée et la demande de main-
d’œuvre dans certains secteurs spécialisés (santé, travail domestique, etc.)
dans des pays comme la Belgique s’est maintenue. Dans ces conditions, la
décision de migrer est donc bien le résultat d’une interaction entre un
contexte économique difficile dans le pays d’origine et l’existence d’op-
portunités économiques dans le pays de destination.
Un troisième élément à prendre en considération pour comprendre
les décisions migratoires est lié au fait que tous les individus ne sont pas
égaux face à la migration. En effet, si l’on se limitait à examiner unique-
ment le rôle des conflits et des inégalités entre le Sud et le Nord dans les
décisions migratoires, nous ne pourrions expliquer pourquoi 97 % de la
population mondiale continue de vivre dans son pays de naissance. Le fait
qu’une très large majorité de la population mondiale est immobile reflète
en partie le souhait des individus de continuer à vivre dans leur pays de
naissance. Toutefois, pour ceux qui souhaitent émigrer, les politiques
d’immigration restrictives des pays de destination peuvent jouer un rôle
de barrière et les empêchent de réaliser leur projet migratoire. En effet,
migrer demande des ressources, compétences et/ou réseaux qui ne sont
pas à la portée de tous. Cet élément explique aussi pourquoi une légère
augmentation du niveau de vie ou du niveau d’éducation dans les pays
dits « en développement » se matérialise souvent par une intensification
de la migration. Ce constat se vérifie également pour les Belges vivant à
l’étranger parmi lesquels on retrouve un nombre important d’individus
ayant un haut niveau de qualification (voir question 21).
En conclusion, pour pouvoir comprendre pourquoi l’on migre, il ne
s’agit pas seulement d’identifier les facteurs d’expulsion dans les pays
5. Pourquoi les immigrés quittent-ils leur pays d’origine ? 45
d’origine et d’attrait des pays d’accueil mais aussi de s’interroger sur les
capacités et les aspirations des individus.
MARTINIELLO M., REA A., WETS J., TIMMERMAN C., « Nouvelles migrations et nouveaux
migrants en Belgique », Synthèse de recherche, Programme Société et Avenir,
Bruxelles, Politique scientifique fédérale, 2008, 13 p. Disponible sur Internet :
http://www.belspo.be/belspo/fedra/TA/synTA013_fr.pdf .
MARTENS A., Les immigrés : flux et reflux d’une main-d’œuvre d’appoint : la politique
belge de l’immigration de 1945 à 1970, Leuven, Presses universitaires de la KUL,
1976, 208 p.
7. COMBIEN D’IMMIGRÉS ARRIVENT
EN BELGIQUE AUJOURD’HUI
ET QUI SONT-ILS ?
12. Pour une discussion complète sur les choix méthodologiques appliqués au Registre natio-
nal et leur implication sur la comptabilisation des flux, voir Myria (2013) dans la liste de références.
50 Pourquoi l’immigration ?
sentation des données qui est parfois faite dans les médias, il s’agit de
soustraire deux éléments des flux annuels d’immigration : le retour des
Belges qui vivaient à l’étranger et l’arrivée de Belges nés à l’étranger et qui
n’avaient jamais vécu en Belgique jusque-là. À titre d’exemple, en 2015,
l’immigration de citoyens belges vers la Belgique représentait 12 % des flux
migratoires vers la Belgique13 (14 399 personnes)14. Troisièmement, le
Registre national comptabilise de façon particulière les demandeurs d’asile.
Cela signifie que dans les statistiques sur les flux migratoires, seuls appa-
raissent les demandeurs d’asile s’étant vu reconnaître un droit de séjourner
sur le territoire belge. Ainsi, nombreux parmi les 38 990 demandeurs
d’asile arrivés en 2015, ne sont pas apparus immédiatement dans les statis-
tiques officielles sur les flux migratoires (voir question 9). Quatrièmement,
il s’agit également de noter qu’il y a chaque année des milliers de Belges et
d’étrangers qui quittent le pays (voir question 21). Cinquièmement, parmi
les étrangers qui quittent, certains rentrent définitivement dans leur pays
d’origine, tandis que d’autres sont susceptibles de revenir en Belgique
quelques années plus tard et réapparaissent donc comme de nouveaux
immigrés s’établissant en Belgique bien qu’ils y aient déjà vécu dans le
passé.
13. Pour certaines années, cette proportion est beaucoup plus importante. À titre d’exemple,
elle s’élève à 15 % en 2001.
14. Eurostat qualifie les citoyens de nationalité belge revenus s’installer en Belgique après
avoir séjourné à l’étranger et les Belges nés à l’étranger « d’immigrés nationaux ».
15. En termes relatifs, ils représentent respectivement 8,8 % et 6,1 % de l’ensemble des
populations étrangère et immigrée.
16. La méthodologie actuellement utilisée par la Direction générale Statistique et Information
économique (DGSIE) pour mesurer les flux d’immigration internationale comprend trois composantes
(entrées déclarées, réinscriptions de radiés d’office et changements de registre) et a été appliquée
rétrospectivement sur les flux entrant par nationalité depuis 2008.
17. Sur ce point voir Myria (2013), op. cit.
7. Combien d’immigrés arrivent en Belgique aujourd’hui et qui sont-ils ? 51
18. La migration d’origine asiatique n’a baissé que très légèrement (-1 %), en partie à cause
de l’augmentation sensible de l’immigration des ressortissants afghans qui a plus que doublé, passant
de 285 personnes en 2001 à 745 en 2015, et de celle des ressortissants syriens, qui a été multipliée
par près de six.
19. Afin de permettre la comparaison, le chiffre de 53,1 % comprend à la fois les ressortis-
sants des États membres qui faisaient déjà partie de l’UE en 2001 et ceux qui le sont devenus par la
suite. De cette manière, le nombre de pays pris en considération est constant entre 2001 et 2015.
52 Pourquoi l’immigration ?
2001 2015
Pays de nationalité Nombre en % du total Pays de nationalité Nombre en % du total
20. Au sujet des nouvelles migrations du sud vers le nord de l’Europe, voir l’ouvrage suivant :
LAFLEUR J.-M., STANEK M., South-North Migration of EU Citizens in Times of Crisis, Dordrecht, Sprin-
ger, 2017, 224 p. Disponible sur Internet : http://www.springer.com/gp/book/9783319397610 .
54 Pourquoi l’immigration ?
charge pour les finances publiques belges est un raccourci inexact (voir
question 15).
En 2015, 50 085 permis de résidence ont été octroyés à des citoyens
non UE. L’analyse des motifs de délivrance des nouveaux titres de séjour
en 2015 confirme l’importance du regroupement familial comme princi-
pal canal de migration lorsqu’on n’est pas citoyen européen (52,3 %). Les
autres motifs principaux concernent l’emploi (28 %) et les études (25,1 %).
En 2015, les citoyens marocains ont été les plus nombreux à recevoir un
titre de séjour (11,4 % du total) devant les Syriens (8 %) et les Indiens
(5,6 %). À titre de comparaison, la Belgique délivre relativement moins de
permis que la moyenne des États membres de l’Union européenne. Avec
4,5 nouveaux permis par 1 000 habitants délivrés en 2015, la Belgique est
loin derrière la Pologne (14,3), la Suède (11,3) et le Royaume-Uni (9,7).
France 96 79 83 98 93
Italie 155 206 124 124 119
Pays-Bas 88 101 132 135 112
Maroc – – 234 114 96
R. D. Congo – – 173 114 91
Turquie – 128 141 108 105
Total population
étrangère 93 119 119 117 103
21. Au sujet de la visibilité des femmes dans les flux migratoires, voir : MOROKVASIC M.,
« Femmes immigrées : trop peu ou trop visibles », in GISTI (Éd.), Figures de l’étranger, Quelles repré-
sentations pour quelles politiques ?, Paris, GISTI, 2013, t. 2, pp. 129-136.
22. OCDE, Perspectives des migrations internationales, Rapport annuel édition 2006, Paris,
OCDE, 2006, 343 p.
23. KOFMAN, E., « Género y migración cualificada en Europa », Cuadernos de Relaciones
Laborales, vol. 30 : 1, 2012, pp. 63-89. Disponible sur Internet :
https://revistas.ucm.es/index.php/CRLA/article/download/39115/37728 .
KOFMAN, E., RAGHURAM P., « Gender and skilled migrants : into and beyond the workplace »,
Geoforum, vol. 36 : 2, 2005, pp. 149-154.
8. Les femmes migrent-elles moins que les hommes ? 61
mais varie selon la région d’origine des immigrées. En 2010, la part des
femmes s’élevait à 44 % pour la migration originaire d’Afrique, à 41 %
pour celle issue des Pays arabes et à 53 % pour la migration latino-
américaine.
Enfin, soulignons aussi que des travaux récents24 ont montré que les
femmes les mieux instruites représentent la composante de la migration
internationale la plus mobile. Elles migrent non seulement plus que les
femmes relativement moins instruites mais elles migrent également plus
que les hommes ayant le même niveau d’éducation. L’accélération de la
mobilité des femmes diplômées comparée à celle des hommes diplômés
reflète la croissance plus rapide du niveau d’éducation des femmes, long-
temps désavantagées. D’autres chercheurs ont récemment souligné que
les discriminations à l’égard des femmes dans leur pays d’origine – telles
les discriminations sur le marché de l’emploi – peuvent expliquer la plus
forte propension des femmes éduquées à émigrer25.
Un dernier élément à souligner est que, malgré leur niveau de quali-
fication élevé, les immigrées se trouvent dans une position défavorable sur
le marché du travail du pays d’accueil. En effet, comparées aux hommes
immigrés et aux femmes non-immigrées, les immigrées qualifiées sont
davantage exposées au déclassement professionnel, c’est-à-dire qu’elles
occupent un emploi pour lequel elles sont surqualifiées. Parmi les immi-
grées, ce phénomène touche plus encore celles qui sont originaires de
pays dits « en développement ». À titre d’illustration, selon un rapport de
l’OCDE, qui compare le taux de déclassement des immigré(e)s dans 21
pays selon leur lieu de naissance, la proportion des femmes nées en
Belgique occupant un emploi de niveau inférieur à leur qualification
avoisine 18 %, contre 25 % pour les femmes nées dans un pays de
l’OCDE et 27 % pour celles nées dans un pays non-OCDE. Au-delà du
cas belge, cette étude démontre que le déclassement professionnel touche
davantage les migrantes, quel que soit leur pays de résidence.
En conclusion, bien que la participation des femmes aux migrations
internationales ne soit pas un phénomène neuf, elle s’est incontestable-
ment transformée au fil du temps. Pour cette raison, le concept de « fémi-
nisation » des migrations contemporaines semble surtout approprié pour
24. Voir : BRÜCKER H., CAPUANO S., MARFOUK A., Education, gender and international
migration : insights from a panel-dataset 1980-2010 [Base de données], Nuremberg, Institute for
Employment Research, The Research Institute of the Federal Employment Agency [2013]. Disponible
sur Internet : http://www.iab.de/en/daten/iab-brain-drain-data.aspx .
Voir également : DOCQUIER F., LOWELL L., MARFOUK A., « A gendered assessment of highly
skilled emigration », Population and Development Review, vol. 35 : 2, 2009, pp. 297-321.
25. RUYSSEN I., SALOMONE S., « Female migration : a way out of discrimination ? », CESIFO
Working paper 5572, 2015, 46 p. Disponible sur Internet :
https://www.econstor.eu/bitstream/10419/123197/1/cesifo_wp5572.pdf .
BANG J., MITRA A., « Gender bias and the female brain drain », Applied Economics Letters,
vol. 18 : 9, 2011, pp. 829-833.
8. Les femmes migrent-elles moins que les hommes ? 63
CATARINO C., MOROKVASIC M., HILY M.-H., « Femmes, genre, migration et mobilités »,
Revue européenne des migrations internationales, vol. 21 : 1, 2005, 284 p. Disponible
sur Internet : https://remi.revues.org/1998 .
DONATO K. M., GABACCIA D., HOLDAWAY J., e.a., « A Glass half full ? Gender in migration
studies », International Migration Review, vol. 40 : 2, 2006, pp. 3-26.
DONATO K., GABACCIA D., Gender and international migration. New York, Russell Sage
Foundation, 2015, 270 p.
GABACCIA D., « Spatializing gender and migration : the periodization of Atlantic Studies,
1500 to the present », Atlantic Studies : Global Currents, vol. 11 : 1, 2014, pp. 7-27.
MARFOUK A., In debates about migration, we ignore a huge proportion of highly-skilled
women [Article de blog], The Conversation [8 février 2017]. Disponible sur Internet :
https://theconversation.com/in-debates-about-migration-we-ignore-a-huge-proportion-of-highly-skilled-women-66173 .
Myria, « La migration a-t-elle un genre ? », Myriatics, 6, 2016, pp. 1-10. Disponible sur
Internet : http://www.myria.be/files/Myriatics-6-FR.pdf .
MIRANDA A., BERTHOMIÈRE W., PETIT V., « Femmes en migration : travail, famille » Revue
européenne des migrations internationales, vol. 31 : 1 (numéro spécial), 2015, 196 p.
Disponible sur Internet :
https://www.cairn.info/revue-europeenne-des-migrations-internationales-2015-1.htm .
TIMMERMAN C., MARTINIELLO M., WETS J., REA A., « Facteurs et dynamiques explicatifs des
processus de la migration et de l’intégration des femmes en Belgique » Synthèse de
recherche, Programme Société et Future, Bruxelles, Politique Scientifique Fédérale, 2010,
11 p. Disponible sur Internet : http://www.belspo.be/belspo/fedra/TA/TA30synth_fr.pdf .
9. LA BELGIQUE EST-ELLE PLUS
GÉNÉREUSE QUE LES AUTRES ÉTATS
À L’ÉGARD DES IMMIGRÉS ET
DES DEMANDEURS D’ASILE ?
Qu’en pensent les Belges ? 30 % des Belges considèrent que le gouvernement devrait
être généreux dans le traitement des demandes d’asile. En revanche, 42 % des Européens
estiment que leur gouvernement national respectif devrait adopter cette attitude. Les
chiffres belges cachent toutefois des disparités importantes puisque les Wallons (32 %)
et les Flamands (26 %) sont moins favorables à l’accueil que les Bruxellois (50 %)26.
Une idée répandue par certains mandataires politiques et entendue
dans la bouche d’une partie de la population est que la Belgique serait
plus généreuse que d’autres États européens à l’égard des demandeurs
d’asile. Pour répondre à cette question avec précision, il s’agit de distin-
guer, d’une part, le nombre de demandeurs d’asile que la Belgique reçoit
et, d’autre part, l’assistance et les droits que la Belgique offre aux étran-
gers.
En ce qui concerne l’asile, le tableau 9 nous indique que, en dépit de
l’augmentation de 178 % observée en Belgique en 2015, le pays n’a
accueilli que 67 285 demandeurs d’asile entre 2014 et 2016. Ce chiffre ne
représente que 2,2 % des 3 023 985 primo-demandeurs d’asile qui ont
introduit une demande de protection internationale dans les États
membres de l’Union européenne durant cette période. Dans l’UE, plus
de quatre demandes sur dix ont en réalité été introduites en Allemagne
(avec 1 337 010 primo-demandeurs, soit 44,2 % du total des primo-
demandeurs d’asile dans les États membres de l’UE). Elle est suivie par
26. Données extraites de la 7e vague de l’Enquête sociale européenne (European Social Sur-
vey : ESS). Il s’agit plus précisément de la réponse à la question « Des gens viennent en Belgique et
demandent un statut de réfugié car ils se sentent persécutés dans leur propre pays. Dites-moi s’il vous
plaît dans quelle mesure vous êtes d’accord ou en désaccord avec la proposition suivante : le gouver-
nement devrait être généreux en traitant les demandes du statut de réfugié ». Résultat : 30 % des
Belges, 50 % des Bruxellois, 32 % des Wallons et 26 % des Flamands interrogés ont déclaré être
« Tout à fait d’accord » ou « Plutôt d’accord » avec cette affirmation.
66 Pourquoi l’immigration ?
L’idée que la Belgique est plus réticente que ses partenaires à octroyer le
statut de réfugié se confirme si l’on observe le taux de reconnaissance par
nationalité. Bien que le taux de reconnaissance des demandeurs syriens en
Belgique (96 %) soit presque identique à la moyenne européenne (97 %), la
Belgique se situe sous la moyenne européenne pour 17 des 25 nationalités les
plus représentées parmi les demandeurs d’asile en Belgique (voir gra-
phique 7). Bien entendu, il s’agit de noter que le poids de certaines nationali-
tés dans le total des demandes d’asile peut avoir un effet sur le taux global de
reconnaissance. Ainsi, les Congolais – dont le taux de reconnaissance est
relativement faible – représentaient 5 % des demandes totales déposées en
Belgique durant la période 2014-2016 alors qu’ils ne représentent que 1 %
des demandes au niveau européen. De même, la comparaison des taux de
reconnaissance doit aussi être interprétée avec prudence car elle suppose
implicitement que la situation personnelle des demandeurs d’asile d’une
même nationalité est identique selon les États où ils demandent l’asile.
27. AIYAR S., BARKBU B., BATINI N., e.a., « The refugee surge in Europe : economic chal-
lenges », IMF Staff Discussion Note, January, SDN/16/02, 2016. Disponible sur Internet :
https://www.imf.org/external/pubs/ft/sdn/2016/sdn1602.pdf .
72 Pourquoi l’immigration ?
CARLIER J.-Y., SAROLEA S., Droit des étrangers, Bruxelles, Larcier, 2016, 832 p.
Eurostat, Demandes d’asile dans les États membres de l’UE : nombre record de plus de 1,2
million primo-demandeurs d’asile enregistrés en 2015. Syriens, Afghans et Irakiens :
principaux demandeurs [Communiqué de presse], Luxembourg, Eurostat [4 mars
2016]. Disponible sur Internet :
http://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/7203842/3-04032016-AP-FR.pdf/ .
Eurostat, Demandes d’asile dans les États membres de l’UE 1,2 million primo-demandeurs
d’asile enregistrés en 2016. Syriens, Afghans et Irakiens demeurent les principaux
demandeurs [Communiqué de presse], Luxembourg, Eurostat, [16 mars 2017].
Disponible sur Internet :
http://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/7921619/3-16032017-BP-FR.pdf/ .
Myria, La migration en chiffres et droits. Rapport annuel, Bruxelles, Publications du Centre
fédéral Migration, 2017, 185 p. Disponible sur Internet :
http://www.myria.be/fr/publications/la-migration-en-chiffres-et-en-droits-2017 .
Myria, « Crise de l’asile de 2015 : des chiffres et des faits », Myriatics, 1, 2015, pp. 1-7.
Disponible sur Internet : http://www.myria.be/files/Myriatics1__FR.pdf .
28. L’enquête ESS comporte sept questions sur l’attitude que l’État devrait adopter face à
différents types de candidats à l’immigration. Quatre possibilités de réponse étaient offertes aux per-
sonnes interviewées : « autoriser un grand nombre d’entre eux à venir vivre en Belgique », « autoriser
certains d’entre eux », « autoriser peu d’entre eux », « n’autoriser aucun d’entre eux ».
29. Le questionnaire belge francophone de l’ESS fait le choix d’utiliser le terme « Tzigane »
considéré comme plus susceptible d’être reconnu par les personnes interrogées. Toutefois, tant les
institutions européennes que les organisations représentatives de ce groupe minoritaire tendent à
préférer le terme générique de « Rom ». Dans le questionnaire utilisé dans les autres pays franco-
phones, il est fait usage du terme « gens du voyage ».
74 Pourquoi l’immigration ?
30. L’enquête mondiale sur les valeurs (World Values Survey, WVS) est une enquête scienti-
fique internationale réalisée depuis 1981. Elle collecte des informations sur les croyances, les valeurs
et les attitudes des individus dans un grand nombre de pays dits « développés » et « en voie de
développement ». L’ensemble des informations relatives à la méthodologie, le questionnaire de cette
enquête et les données pour l’ensemble des pays sont disponibles sur Internet :
http://www.worldvaluessurvey.org/wvs.jsp .
76 Pourquoi l’immigration ?
31. Notons que les attitudes individuelles négatives à l’égard de l’immigration ne conduisent pas
automatiquement à un vote pour les partis d’extrême-droite. Parfois, elles profitent à des partis tradition-
nels ayant dans leurs programmes électoraux des propositions restrictives en matière d’immigration.
10. La population belge est-elle moins tolérante que les autres à l’égard de l’immigration ? 77
GSIR S., SCANDELLA F., MARTINIELLO M., REA A., « Les Belges francophones face aux
demandeurs d’asile », Synthèse de recherche, Bruxelles, Politique scientifique fédérale,
2004, 11 p. Disponible sur Internet :
http://www.wetenschapsbeleid.be/belspo/organisation/Publ/pub_ostc/SoCoh/rSO11041_fr.pdf .
MARFOUK A., « Opinion publique et immigration : les Marocains sont-ils xénophobes ? »,
Critique Économique, vol. 31, 2014, pp. 95-113. Disponible sur Internet :
http://revues.imist.ma/index.php?journal=CE&page=article&op=view&path%5B%5D=4617&path%5B%5D=3274 .
MARFOUK A., « Préjugés et fausses idées sur l’immigration et les immigrés, vecteurs de
discrimination en matière d’accès à l’emploi », Working Paper de l’IWEPS, vol. 14,
2013, pp. 1-35. Disponible sur Internet :
https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2017/02/wp14.pdf .
11. L’EUROPE ET LA BELGIQUE PEUVENT-ELLES
FERMER LEURS FRONTIÈRES ET
STOPPER L’ARRIVÉE D’IMMIGRÉS ET
DE DEMANDEURS D’ASILE ?
Qu’en pensent les Belges ? Seule une infime minorité de Belges (4 %) est opposée à
toute arrivée de nouveaux immigrés32. En revanche, comme l’illustre le tableau 11
(question 10), il existe d’importantes variations selon le type de candidats à l’immigra-
tion. 18 % considèrent ainsi qu’il ne faudrait autoriser l’arrivée d’aucun immigré issu
d’États pauvres non-européens. 19 % sont favorables à une interdiction de toute immi-
gration musulmane. La plus forte opposition concerne toutefois la migration des
Tziganes à laquelle 31 % des Belges sont opposés. Notons enfin que, d’une façon
générale, les Bruxellois sont nettement moins favorables que les Wallons et les Flamands
à l’idée d’une fermeture complète des frontières.
Dans le cadre du processus de construction européenne, la Belgique a
choisi de faire partie de l’espace Schengen avec 21 autres États membres
de l’Union européenne et 6 États associés. Cela signifie que ces États
renoncent à pratiquer des contrôles aux frontières séparant deux États
membres de Schengen (par exemple la Belgique et le Luxembourg) mais
s’engagent en revanche à procéder à des contrôles harmonisés aux fron-
tières séparant les États membres de Schengen des autres États (par
exemple la frontière que partagent la Pologne, la Lituanie et la Lettonie
avec la Biélorussie). Toutefois, le nombre croissant d’immigrés et de
demandeurs d’asile arrivés en Grèce par la mer en 2015 depuis la
Turquie incite aujourd’hui différents pays à remettre ouvertement en
question les accords de Schengen. Nombreux sont ceux parmi ces nou-
veaux immigrés et demandeurs d’asile qui ne souhaitent pas s’installer en
Grèce et cherchent à poursuivre leur route vers l’Europe occidentale. La
32. Seuls 4 % des Belges ont déclaré souhaiter que le gouvernement n’autorise aucun immi-
gré, quelle que soit la catégorie à laquelle ce dernier appartient (immigrés de même origine ethnique
que la plupart des Belges, immigrés d’une origine ethnique différente de la plupart des Belges, immi-
grés venant de pays plus pauvres d’Europe, immigrés issus de pays plus pauvres hors d’Europe,
immigrés juifs, musulmans et tziganes).
80 Pourquoi l’immigration ?
réponse de ces États a varié au fil des mois en 2015 et 2016 jusqu’à l’offi-
cialisation de la fermeture des frontières de la Grèce avec le reste de
l’Europe en mars 2016, qui s’est accompagnée d’une obligation pour les
demandeurs d’asile de déposer leur demande depuis l’extérieur de
l’Union européenne.
Cette fermeture des frontières isolant la Grèce du reste de l’Europe et
l’accord entre l’Union européenne et la Turquie imposant aux deman-
deurs d’asile de présenter leur demande d’asile depuis ce pays a deux
effets en contradiction apparente avec les valeurs de solidarité et de justice
historiquement défendues par de nombreux États européens. Tout
d’abord, l’objectif annoncé de mettre un terme aux arrivées clandestines
par bateau en Grèce, mais aussi en Italie, semble illusoire face à la déter-
mination des immigrés et des demandeurs d’asile souhaitant rejoindre le
nord de l’Europe. Elle semble, au contraire, conduire à une augmentation
du nombre déjà élevé de décès de migrants en mer33. Ensuite, cette
approche qui vise à retirer toute autonomie aux demandeurs d’asile dans
leur projet de recherche de protection en Europe semble contraire à
l’esprit de la Convention des Nations Unies de 1951 sur les réfugiés et son
Protocole de 1967.
Un des arguments fréquemment entendus pour chercher à justifier la
fermeture des frontières aux demandeurs d’asile est qu’il appartient aux
États voisins des États en crise comme la Syrie, l’Irak ou l’Afghanistan de
faire plus d’efforts que les États européens pour soulager ces populations.
Selon les données du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les
Réfugiés (HCR), il apparaît toutefois que les pays dits « en développe-
ment » accueillaient déjà en 2015 environ 86 % des 16,1 millions de
réfugiés comptabilisés par le HCR à cette époque34. L’Union européenne,
en revanche, en accueillait seulement 8 %. De même, comme l’indique le
tableau 13, bon nombre d’États déjà en proie à des difficultés politiques
ou économiques sérieuses comptent parmi les plus gros récepteurs de
réfugiés au monde.
33. Au sujet des décès en mer, voir les données du programme « Missing Migrants » coor-
donné par l’Organisation internationale pour les migrations. Disponible sur Internet :
https://missingmigrants.iom.int/mediterranean .
34. En 2015, le nombre de réfugiés dans le monde a atteint 21,3 millions. Parmi eux,
16,1 millions sont concernés par un mandat du HCR prévoyant la conduite de l’action internationale
pour la protection des réfugiés à travers le monde. Les autres réfugiés (5,2 millions) sont des Palesti-
niens qui dépendent d’une autre agence spécialisée de l’ONU, en l’occurrence l’Office de secours et
de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA- United
Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East en anglais).
11. L’Europe et la Belgique peuvent-elles fermer leurs frontières et... 81
tion pourrait inciter ces pays à fermer à leur tour la porte aux deman-
deurs d’asile35.
Outre sa participation active à la mise en œuvre d’une politique euro-
péenne restrictive à l’égard des demandeurs d’asile, la Belgique a également
décidé de rétablir temporairement les contrôles frontaliers avec la France en
février 2016 dans le but d’empêcher que les migrants quittant les camps dits
de la « Jungle de Calais » ne viennent s’établir en Belgique sans titre de
séjour. La crainte des autorités belges était, en effet, que la fermeture des
camps en France pousse ces migrants vers la Belgique, d’où ils organise-
raient ensuite leur passage vers le Royaume-Uni. Cette décision est
conforme aux accords de Schengen en raison de circonstances exception-
nelles. Une fermeture temporaire des frontières par la Belgique seule pose
toutefois elle aussi question. Si elle peut avoir pour effet de rassurer la
population en période d’incertitude, son efficacité réelle sans mobiliser des
moyens policiers de grande ampleur est discutable tant la frontière entre la
France et la Belgique est vaste et simple à traverser. Ensuite, et surtout, elle
crée l’illusion qu’un État seul peut apporter une solution durable à la ques-
tion migratoire en fermant ses frontières alors qu’une approche coordonnée
au niveau européen semble la seule possible dans un espace économique
intégré comme l’Union européenne.
En conclusion, il semblerait bien qu’il existe un écart important entre
le souhait des citoyens belges et les politiques migratoires poursuivies au
niveau belge et européen. En effet, bien qu’il n’existe qu’une faible mino-
rité de Belges et Européens à souhaiter la fermeture totale des frontières,
paradoxalement les politiques adoptées à l’égard des réfugiés ces der-
nières années semblent aller vers plus de restrictions. De même, malgré
les critiques formulées par certains à l’égard de l’espace Schengen, le
principe de la libre circulation des personnes – un des principes fonda-
mentaux de la construction européenne – reste l’une des réalisations
européennes les plus appréciées par les citoyens36. Une conséquence rare-
ment évoquée de la fin de la libre circulation en Europe, si une telle
décision était prise, serait qu’elle affecterait également les centaines de
milliers de Belges qui résident dans un autre État membre de l’Union
européenne (voir question 21).
35. OSTRAND N., « The Syrian Refugee Crisis : A Comparison of Responses by Germany,
Sweden, the United Kingdom, and the United States », Journal on Migration and Human Security,
vol. 3 : 3, 2015, pp. 255-279.
36. TSN Opinion & Social, Eurobaromètre Flash 365, Bruxelles, Publications de la Commission
Européenne, 2013, 84 p. Disponible sur Internet :
http://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/flash/fl_365_fr.pdf .
11. L’Europe et la Belgique peuvent-elles fermer leurs frontières et... 83
Qu’en pensent les Belges ? Près de quatre Belges sur dix pensent que les immigrés
prennent les emplois des travailleurs natifs (38 %). On observe toutefois des variations
entre l’opinion des Wallons (43 %), des Flamands (36 %) et des Bruxellois
(27 %)37.
Bien que le nombre de Belges pensant que les immigrés occupent les
emplois des travailleurs natifs en Belgique soit considérable, une forte
majorité (62 %) estime que les immigrés ne réduisent pas les perspectives
d’emploi des travailleurs non-immigrés et une part importante (42 %)
pensent même que les immigrés créent de nouveaux emplois. Mais qu’en
est-il en réalité ?
À l’heure actuelle, les travaux de recherche s’accordent sur le fait que,
quels que soient le pays et l’année de référence, il n’existe aucun lien
automatique entre l’immigration et le chômage des travailleurs natifs. En
effet, les travaux centrés sur l’Europe concluent que l’immigration n’a
généralement pas d’effet sur le chômage et que, lorsqu’elle en a un, cet
effet est généralement marginal. Pourquoi une part significative des
Belges pensent-ils dès lors le contraire ?
Tout d’abord, l’idée selon laquelle les immigrés prendraient l’emploi
des natifs s’appuie elle-même sur l’idée erronée que le volume de l’emploi
global au niveau de l’économie belge est figé comme s’il s’agissait d’un
gâteau qu’il nous faudrait partager entre un plus grand nombre de
convives. Or, ce raisonnement considère uniquement l’impact de la
37. Données extraites de la 7e vague de l’Enquête sociale européenne (European Social Sur-
vey : ESS). Il s’agit plus précisément de la réponse à la question suivante : « Diriez-vous que, en
général, les gens qui viennent vivre ici prennent des emplois aux travailleurs belges ou qu’ils aident à
créer de nouveaux emplois ? ». Les réponses sont obtenues sur une échelle de 11 points, où 0 =
« Prennent les emplois » et 10 = « créent de nouveaux emplois ». Les réponses à cette question ont
été recodées de la manière suivante : 0 à 4 = « prennent les emplois », 6 à 10 = « créent de nouveaux
emplois ».
86 Pourquoi l’immigration ?
migration sur l’offre de travail sans prendre en considération son effet sur
la demande. Pourtant, avec l’arrivée de nouveaux habitants, la taille du
gâteau grossit puisque les immigrés sont également des consommateurs.
En outre, il est important de garder à l’esprit que de nombreux immigrés
créent leurs propres emplois et génèrent de ce fait d’autres emplois, dont
certains sont occupés par les travailleurs non-immigrés. D’ailleurs, comme
remarqué par l’OCDE, la propension des immigrés à occuper une posi-
tion de travailleur indépendant est plus élevée que chez les natifs38. Au
final, nous pouvons conclure que l’activité économique liée à la migration
engendre une demande supplémentaire de main-d’œuvre qui s’accom-
pagne d’une création d’emplois.
Ceci étant dit, le chômage parmi la population immigrée reste un pro-
blème particulièrement important en Belgique. Selon l’OCDE, en 2015, la
probabilité qu’un immigré soit au chômage en Belgique est, en effet, large-
ment supérieure à celle d’un travailleur non-immigré39. Il est évident que
cette moyenne masque de grandes disparités selon les régions du pays et les
origines des immigrés. Plusieurs facteurs peuvent expliquer les différences
entre le taux de chômage des travailleurs immigrés et celui des non-immi-
grés : le niveau d’éducation et de qualification, la non-reconnaissance de
certains diplômes et de l’expérience professionnelle acquis à l’étranger, le
niveau des compétences linguistiques, et l’obligation d’avoir une nationalité
européenne pour accéder à certains emplois. Mais à ces facteurs vient éga-
lement s’ajouter le phénomène de discrimination à l’embauche, notam-
ment en raison de l’origine ethnique40 (voir question 14).
Enfin, si l’impact global des migrations sur le chômage des natifs est
limité voire nul d’une façon générale, cela ne signifie pas que cet effet soit
identique dans toutes les localités belges ou dans tous les segments de popu-
lation. Ces dernières années, la presse a régulièrement mis en lumière l’arri-
vée de travailleurs européens détachés qui travaillent pendant une durée
limitée en Belgique. Ces derniers sont recrutés par des intermédiaires basés
38. OCDE, Panorama de l’entrepreneuriat 2013, Paris, Publications de l’OCDE, 2015, 104 p.
Disponible sur Internet : http://dx.doi.org/10.1787/entrepreneur_aag-2013-fr .
39. Voir les sources en ligne de l’OCDE : indicateurs des taux de chômage des allochtones
(https://data.oecd.org/fr/migration/taux-de-chomage-des-allochtones.htm) et des autochtones
(https://data.oecd.org/fr/migration/taux-de-chomage-des-autochtones.htm#indicator-chart).
40. Dans cet ouvrage, nous utilisons le concept d’ethnicité tel qu’utilisé en sciences sociales
et qui considère l’ethnicité non comme une différence naturelle mais comme une construction sociale
influençant les relations entre groupes perçus ou se percevant comme différents sur base de caracté-
ristiques physiques, culturelles ou psychologiques communes. Voir à ce sujet : MARTINIELLO M.,
L’ethnicité, la mal-aimée des sciences sociales [Article de vulgarisation scientifique], Réflexions –
Presses de l’ULg [7 mars 2013], pp. 1-4. Disponible sur Internet :
http://www.reflexions.uliege.be/cms/c_345325/lethnicite-la-mal-aimee-des-sciences-sociales .
12. Les immigrés occupent-ils les emplois des travailleurs belges ? 87
Qu’en pensent les Belges ? 1 Belge sur 5 juge les personnes d’origine étrangère bien
intégrées. Par contre, plus de 4 Belges sur 10 estiment qu’elles sont mal intégrées. À
l’échelon régional, 45 % des Flamands, 38 % des Wallons et 37 % des Bruxellois
partagent cette dernière opinion41.
Tous les immigrés et demandeurs d’asile arrivant en Belgique n’ont
pas l’intention de s’installer durablement en Belgique. Dans toute vague
migratoire, une partie des nouveaux venus poursuit sa route vers d’autres
pays de destination et/ou retourne un jour vers son pays d’origine volon-
tairement ou au terme d’une procédure d’expulsion. Pour ceux qui
restent, en revanche, la question de leur participation à la vie écono-
mique, sociale et politique de leur pays d’accueil se pose très fréquem-
ment. On résume cette capacité de participation dans la société d’accueil
sous le terme d’intégration. Cette participation implique une série d’ef-
forts des immigrés eux-mêmes pour apprendre la langue du pays de
résidence et se familiariser avec ses normes et ses coutumes. Pour cette
raison, l’intégration est parfois perçue comme un effort d’adaptation à
sens unique des immigrés à la société d’accueil. Dans ce cas, on parle
d’approche assimilationniste pour défendre l’idée que les immigrés
doivent abandonner les caractéristiques culturelles, linguistiques et reli-
gieuses de la société de départ parce qu’elles constitueraient un obstacle
à leur installation durable dans la société de résidence.
L’observation des phénomènes migratoires nous dépeint pourtant une
autre image de l’installation des immigrés dans les pays de résidence. Pour
les immigrés récemment arrivés, les liens avec d’autres immigrés d’une
même origine ou parlant une même langue ainsi que la fréquentation de
lieux de socialisation communautaires (par exemple, les lieux de cultes)
peuvent faciliter l’accès au logement ou à l’emploi en Belgique. Pour cette
raison, nombreux sont les chercheurs qui considèrent que le processus
41. RTBF, Sondage Dedicated/RTBF, Bruxelles, La Libre Belgique, 3 juin 2013. Disponible sur
Internet : http://www.lalibre.be/actu/belgique/l-integration-un-echec-pensent-les-belges-51b8fd65e4b0de6db9cab0e5 .
90 Pourquoi l’immigration ?
d’adaptation des immigrés aux pays d’accueil n’est pas un jeu à somme
nulle : la participation active à la société de résidence n’est pas incompa-
tible avec le maintien de spécificités culturelles liées aux sociétés d’origine,
particulièrement lors de la phase d’installation des immigrés.
L’intégration est aussi un phénomène multidimensionnel. Un immi-
gré peut ainsi participer activement à la vie économique de son pays de
résidence tout en ne parlant pas sa langue et en n’ayant aucun contact
social avec la population native. C’est le cas par exemple de certains tra-
vailleurs hautement qualifiés – appelés parfois expatriés – qui travaillent
en anglais, vivent dans des quartiers bourgeois à forte concentration
étrangère et inscrivent leurs enfants dans des écoles internationales (voir
question 1).
L’attention du public se concentre toutefois sur les populations étran-
gères et belges d’origine étrangère dans certains quartiers des grandes
villes belges où différents maux sociaux sont visibles (chômage, pauvreté,
habitat dégradé…). La volonté de vivre dans des zones où se trouvent de
nombreuses personnes de sa propre communauté ne peut expliquer à elle
seule la formation de ghettos. La discrimination au logement42 et sur le
marché du travail43 et la relégation scolaire des élèves d’origine étran-
gère44 – pour ne citer que ces exemples – sont des problèmes identifiés de
longue date en Belgique. Ils constituent des entraves au vivre-ensemble
entre population native et population d’origine étrangère, et à la partici-
pation économique et sociale de cette dernière. Ces obstacles soulignent
aussi la responsabilité de la société d’accueil dans les processus d’intégra-
tion des immigrés : l’intégration est donc un double processus d’ajuste-
ment – des immigrés et de la société d’accueil – à la diversité ethnique,
culturelle, linguistique ou religieuse.
En Belgique, les politiques publiques ayant pour objectif de favoriser
l’intégration se sont considérablement formalisées lors des deux der-
nières décennies. Aujourd’hui, il existe dans les trois régions du pays un
parcours d’intégration obligatoire à destination de certains immigrés
non-européens, tandis que d’autres (citoyens européens, sportifs de haut
42. Sur la discrimination au logement à Bruxelles, voir : VERHAEGHE P. P., COENEN A.,
DEMART S., VAN DER BRACHT K., VAN DE PUTTE B., Discriminatie door vastgoedmakelaars op de
private huurwoningmarkt van het Brussels Hoofdstedelijk Gewest, Synthèse de Recherche, Gent, Uni-
versiteit Gent, 2017, 78 p. Résumé en français. Disponible sur Internet :
http://logement.brussels/documents/documents-du-cil/discriminibrux/resume-rapport-denquete-discrimination .
43. Voir question 14.
44. Voir JACOBS D., REA A., Gaspillage de talents, Bruxelles, Fondation Roi Beaudouin, 2011,
96 p. Disponible sur Internet : https://www.kbs-frb.be/fr/Virtual-Library/2011/295131 .
13. Les immigrés sont-ils intégrés en Belgique ? 91
ADAM I., Les entités fédérées belges et l’intégration des immigrés. Politiques publiques
comparées, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2013, 204 p.
ADAM I., MARTINIELLO M., « Divergences et convergences des politiques d’intégration
dans la Belgique multinationale. Le cas des parcours d’intégration pour les immigrés »,
Revue européenne des migrations internationales, vol. 29 : 2, 2013, pp. 77-93.
Disponible sur Internet : http://remi.revues.org/6404 .
REA A., MARTINIELLO M., Immigration et intégration en Belgique francophone : état des
savoirs, Louvain-la-Neuve, Academia, 2012, 592 p.
SACCO M., TORREKENS C., ADAM I., Circulation des idées et des modèles : les transforma-
tions de l’action publique en question. Le cas des politiques d’intégration, Paris/
Louvain-la-Neuve, Academia, 2016, 292 p.
14. LES IMMIGRÉS SONT-ILS VICTIMES
DE DISCRIMINATION SUR LE MARCHÉ
DU TRAVAIL EN BELGIQUE ?
Qu’en pensent les Belges ? Une majorité de Belges (51 %) considèrent que les
employeurs devraient donner la priorité aux travailleurs belges quand les emplois sont
rares45. À l’inverse, 69 % des Belges ne seraient pas gênés qu’un immigré d’une autre
origine ethnique devienne leur supérieur hiérarchique au travail46.
Parce qu’elle permet des interactions sociales et fournit habituellement
des moyens économiques pour assurer un niveau de vie décent, l’intégra-
tion des immigrés sur le marché du travail est une étape cruciale vers leur
intégration sociale et culturelle. La situation désavantageuse des immigrés
sur le marché du travail peut donc constituer une entrave à leur participa-
tion dans d’autres sphères de la vie en société. Comme le démontrent les
travaux de l’OCDE, les immigrés établis en Belgique se trouvent confrontés
à des difficultés en matière d’accès à l’emploi. En 2015, en Belgique, le taux
de chômage des travailleurs immigrés (17 %) était largement supérieur à
celui des travailleurs non-immigrés (6,8 %)47. Parmi les immigrés, en outre,
certains groupes sont davantage exposés au risque de chômage. Ainsi, selon
le rapport du monitoring socio-économique de 201548, le taux de chômage
en Belgique des personnes âgées de 18 à 60 ans s’élevait à 25,5 % pour les
49. Dans cet ouvrage, nous utilisons le concept d’ethnicité tel qu’utilisé en sciences sociales
et qui considère l’ethnicité non comme une différence naturelle mais comme une construction sociale
influençant les relations entre groupes perçus ou se percevant comme différents sur base de caracté-
ristiques physiques, culturelles ou psychologiques communes. Voir à ce sujet : MARTINIELLO M.,
L’ethnicité, la mal-aimée des sciences sociales [Article de vulgarisation scientifique], Réflexions –
Presses de l’ULg [7 mars 2013], pp. 1-4. Disponible sur Internet :
http://www.reflexions.uliege.be/cms/c_345325/lethnicite-la-mal-aimee-des-sciences-sociales .
50. Ipsos, « Dans quelle mesure les Belges sont-ils tolérants par rapport aux minorités
ethniques ? », Bruxelles, Publications du Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme,
2009, 149 p. Disponible sur Internet :
http://www.unia.be/files/Z_ARCHIEF/Tolerantiebarometer_FR_online%20versie.pdf .
51. TNS Opinion & Social, « Discrimination dans l’UE en 2012 » in Commission Européenne,
Eurobaromètre spécial 393, 2012, 238 p. Disponible sur Internet :
http://ec.europa.eu/commfrontoffice/publicopinion/archives/ebs/ebs_393_en.pdf .
14. Les immigrés sont-ils victimes de discrimination sur le marché du travail en Belgique ? 95
52. Unia, Euro Lock [Article en ligne], Bruxelles, Unia [8 décembre 2006]. Disponible sur
Internet : http://unia.be/fr/articles/euro-lock .
96 Pourquoi l’immigration ?
BECKER G., The Economics of discrimination, Chicago, University of Chicago Press, 1957,
178 p.
REA A., WETS J., La longue et sinueuse route menant à l’emploi, Bruxelles, SPP Politique
scientifique et du Centre fédéral migration, 2015, 21 p. Disponible sur Internet :
https://emnbelgium.be/sites/default/files/publications/resume_careers_fr.pdf .
Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale et le Centre interfédéral pour
l’égalité des chances, Monitoring socio-économique : marché du travail et origine,
Bruxelles, Publications du Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation sociale,
2015 Disponible sur Internet :
http://www.emploi.belgique.be/publicationDefault.aspx?id=44125 .
15. L’IMMIGRATION REPRÉSENTE-T-ELLE
UN COÛT POUR LES FINANCES
PUBLIQUES ?
Qu’en pensent les Belges ? Près d’un Belge sur deux (48 %) pense que les immigrés
profitent davantage des services sociaux et de santé qu’ils ne contribuent au budget de
l’État. On observe toutefois des variations entre l’opinion des Wallons (52 %), des
Flamands (47 %) et des Bruxellois (40 %)53.
Un débat récurrent au sujet des migrations est celui du coût qu’elles
représentent pour le budget de l’État. Cette impression part d’un raisonne-
ment qui, pour de nombreux Belges, peut paraître de bon sens : puisque les
familles immigrées font plus d’enfants que les familles non-immigrées et
que les immigrés sont davantage exposés au risque de chômage que les
autres, la charge qu’ils représentent pour le système de protection sociale54
(chômage, allocations familiales, aides au logement…) serait disproportion-
née par rapport à leur poids démographique. Mais peut-on vraiment en
conclure que les immigrés représentent une charge pour les finances
publiques ? Non, car, comme l’a montré une étude de l’OCDE (2013)55, les
53. Données extraites de la 7e vague de l’Enquête sociale européenne (European Social Sur-
vey : ESS). Il s’agit plus précisément de la réponse à la question suivante : « La plupart des gens qui
viennent vivre ici travaillent et payent des impôts. Ils utilisent aussi des services sociaux et de santé.
Dans l’ensemble, estimez-vous que les gens qui viennent vivre ici profitent plus qu’ils ne produisent
ou qu’ils produisent plus qu’ils ne profitent ? ». Les réponses sont obtenues sur une échelle de
11 points, où 0 = « généralement, ils profitent davantage » et 10 = « généralement, ils produisent
davantage ». Les réponses à cette question ont été recodées de la manière suivante : 0 à 4 =
« profitent davantage qu’ils ne contribuent », 6 à 10 « produisent davantage qu’ils ne reçoivent » et
5 = « ni l’un ni l’autre ».
54. En Belgique, le Service public fédéral Sécurité sociale divise en six grands postes les
dépenses associées à la protection sociale et supportées par le budget fédéral : les soins de santé, les
allocations d’incapacité de travail et de handicap, l’emploi, la vieillesse et le décès, la famille. Suite aux
différentes réformes de l’État, certaines dépenses de protection sociales sont toutefois supportées par
les autorités régionales.
55. Organisation de Coopération et de Développement Économiques, « L’impact fiscal de
l’immigration » in OCDE, Perspectives économiques 2013, Paris, Publications de l’OCDE, 2013,
pp. 133-202. Disponible sur Internet :
http://www.oecd.org/fr/els/mig/PMI-2013-chap3-impact-fiscal-de-l-immigration.pdf .
98 Pourquoi l’immigration ?
56. En hiver, lorsque l’accueil dans les structures pour sans-abris est inconditionnel, une concur-
rence peut exister entre les personnes sans-abris et les demandeurs d’asile. Cette dernière résulte toute-
fois des carences au niveau des capacités d’accueil des demandeurs d’asile, mais aussi de l’absence de
solution pour les demandeurs d’asile déboutés souhaitant rester en Belgique (voir question 20).
15. L’immigration représente-t-elle un coût pour les finances publiques ? 99
charge de l’asile ainsi que les dépenses en biens ou services auprès d’opé-
rateurs privés, publics ou non-gouvernementaux. Troisièmement, aussi
surprenant que cela puisse paraître, les autorités belges ont décidé de
comptabiliser les dépenses liées à l’accueil des demandeurs d’asile en tant
qu’aide publique au développement57. Bien que cette pratique soit auto-
risée par le Comité d’aide au développement de l’OCDE (CAD)58, elle a
pour conséquence de faire de la Belgique le principal bénéficiaire de son
aide publique au développement. Avec cette pratique comptable, la
Belgique risque donc s’écarter un peu plus encore de son engagement à
soutenir les pays dits « en développement »59. Quatrièmement, comme
l’ont démontré les résultats d’une enquête menée par l’ULB et la KUL60,
plus de la moitié des demandeurs d’asile sont actifs sur le marché du tra-
vail dans les quatre années suivant la reconnaissance du statut de réfugié.
On peut dès lors en conclure qu’en réduisant la période menant à la
reconnaissance du statut de réfugié, les autorités permettraient aux réfu-
giés de devenir plus rapidement des contributeurs au budget de l’État.
Soulignons, pour conclure, qu’il s’agit aussi de s’interroger sur l’usage
des motifs économiques dans les débats sur l’immigration. Pour les
demandeurs d’asile, en particulier, l’accueil est un devoir moral et une
obligation juridique pour un État démocratique comme la Belgique
engagé internationalement dans la défense des droits de l’homme. En
effet, appliquer des critères économiques stricts pourrait conduire les
États à n’admettre demain comme réfugiés que les individus les mieux
formés et en âge de travailler.
57. L’aide publique au développement (APD) est fournie par les États pour favoriser le déve-
loppement économique et social des pays en développement. Selon la définition du Comité d’Aide au
Développement (CAD) de l’OCDE, elle est composée de dons, de prêts ou d’apports d’assistance
technique. Pour plus d’information sur l’APD, voir : https://data.oecd.org/fr/oda/apd-nette.htm .
58. L’OCDE autorise que les dépenses consacrées aux réfugiés pendant la première année qui
suit leur arrivée soient comptabilisées dans le budget de l’aide publique au développement. Pour plus
d’informations sur les règles de comptabilisation de l’OCDE, voir :
http://www.oecd.org/fr/developpement/aide-au-developpement-augmente-de-nouveau-en-2016-mais-les-apports-aux-pays-les-plus-pauvres-diminuent.htm .
59. En 2002, sur recommandation de l’ONU, la Belgique s’est engagée dans la loi à accorder
0,7 % de son revenu national brut (RNB) à l’aide publique au développement à l’horizon 2010. Cet
engagement n’a jamais été tenu. En 2016, l’aide publique au développement représentait 0,49 % du
revenu national brut (RNB) en Belgique contre 1 % au Luxembourg, 1,1 % en Norvège, 0,94 % en
Suède, 0,7 % en Allemagne et 0,65 % aux Pays-Bas.
60. REA A., WETS J., La longue et sinueuse route menant à l’emploi, Bruxelles, SPP Politique
scientifique et du Centre fédéral migration, 2015, 21 p. Disponible sur Internet :
https://emnbelgium.be/sites/default/files/publications/resume_careers_fr.pdf .
100 Pourquoi l’immigration ?
Qu’en pensent les Belges ? Près de sept Belges sur dix (66 %) estiment que les
immigrés accentuent les problèmes de criminalité au niveau national. Wallons (66 %)
et Flamands (67 %) partagent cette opinion alors qu’une proportion relativement plus
faible de Bruxellois (58 %) y souscrit61.
L’impact de la migration sur la sécurité est une question qui anime les
débats politiques belges de longue date. Cette question a pris une nouvelle
amplitude avec l’implication de jeunes étrangers et belges d’origine étran-
gère dans des actes terroristes, nourrissant de la sorte l’opposition à l’arri-
vée de demandeurs d’asile en provenance de pays à majorité musulmane.
Toutefois, présenter la migration récente et l’arrivée de demandeurs
d’asile comme facteurs augmentant l’exposition de la Belgique au risque
terroriste semble être un raccourci présentant deux conséquences per-
verses. Tout d’abord, cet amalgame néglige le fait qu’une partie des
immigrés et des demandeurs d’asile fuient eux-mêmes les conséquences
de conflits armés ou du terrorisme dans leur pays d’origine. Les associer
au risque terroriste revient donc à nier leur statut de victime dans le but
d’empêcher leur installation en Europe. Ensuite, associer terrorisme et
nouvelles migrations tend à dépeindre le terrorisme comme un phéno-
mène dont les causes sont exclusivement étrangères et nourrit donc un
certain racisme à l’égard des étrangers et des Belges d’origine étrangère,
surtout s’ils sont de confession musulmane.
61. Données extraites de la 7e vague de l’Enquête sociale européenne (European Social Sur-
vey : ESS). Plus précisément, il s’agit de la réponse à la question : « Est-ce que les problèmes de cri-
minalité sont devenus pires ou se sont-ils améliorés en Belgique avec l’arrivée de gens d’autres pays
venant vivre ici ? ». Les réponses sont obtenues sur une échelle de 11 points, où 0 = « Ils ont empiré »
et 10 = « Ils se sont améliorés ». Les réponses à cette question ont été recodées de la manière sui-
vante : 0 à 4 = « les immigrés accentuent les problèmes de criminalité au niveau national », 5 à 10
= « ne partagent pas cette opinion ».
102 Pourquoi l’immigration ?
62. Voir par exemple : La Libre Belgique du 21/05/2010 « Quatre détenus sur dix sont des
étrangers », La Libre Belgique du 20/06/2012 « Un détenu sur dix est marocain », La Dernière Heure
et la Libre Belgique du 18/05/2011 « Les prisons flamandes comptent 38 % de détenus étrangers »,
La Dernière Heure du 29/08/2012 « Le nombre de détenus non belges dans nos prisons a quadruplé »,
La Meuse du 13/09/2012 « 44,2 % des détenus des prisons belges sont étrangers ».
16. Les immigrés constituent-ils un danger pour la sécurité en Belgique ? 103
63. BRION F., « La surreprésentation des étrangers en prison : quelques enseignements d’une
brève étude de démographie carcérale », in BRION, F., REA, A., SCHAUT, C. et TIXHON, A., Mon délit ?
Mon origine. Criminalité et Criminalisation de l’Immigration, Louvain, De Boeck-Université, 2001,
pp. 225-257. TORO F., « Sanctions alternatives et délinquants étrangers : légalité et légitimation d’une
incompatibilité discriminante », in BRION, F., REA, A., SCHAUT, C. et TIXHON, A., Mon délit ? Mon
origine – Criminalité et criminalisation de l’immigration, Louvain, De Boeck-Université, 2001, pp. 201-
224.
64. BRION F. (2001), op. cit.
65. Eurostat, Inclusion sociale de la population migrante dans l’UE28 [Communiqué de
presse 177], Luxembourg, Eurostat [21 novembre 2014]. Disponible sur Internet :
http://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/6491897/3-21112014-AP-FR.PDF/b62b9623-ddfb-4edf-9c39-a3046218d189 .
Cette étude se concentre sur la population âgée d’au moins 18 ans.
104 Pourquoi l’immigration ?
BIRCAN T., HOOGHE M., « Immigration, diversity and crime : an analysis of Belgian national
crime statistics », European Journal of Criminology, vol. 8 : 3, 2011, pp. 198-212.
Qu’en pensent les Belges ? 25 % des Belges pensent que les immigrés appauvrissent
la vie culturelle en Belgique. Les Wallons (27 %) et les Flamands (25 %) sont plus
fréquemment de cet avis que les Bruxellois (15 %)69.
Outre son impact politique, social et économique, l’immigration a
également un impact culturel sur les États où elle se dirige. Pour la
Belgique, l’arrivée de nouveaux immigrés issus de pays européens et
extra-européens peut donc aussi impliquer la confrontation à de nouvelles
langues et dialectes ou à de nouvelles pratiques sociales, culturelles, reli-
gieuses, culinaires… Les craintes générées par ces nouvelles pratiques ne
sont pas neuves puisque les premiers immigrés italiens de confession
catholique arrivés au XXe siècle étaient déjà accusés d’avoir des pratiques
religieuses incompatibles avec les mœurs locales. Aujourd’hui encore,
certains observateurs craignent que des pratiques importées par les nou-
veaux immigrés ne présentent un risque pour la sécurité du pays ou
mettent à mal ce qu’ils appellent parfois « l’identité belge ». Cette crainte
doit être déconstruite.
Tout d’abord, les nouveaux immigrés et les demandeurs d’asile
récemment arrivés représentent une très faible minorité de la population
(voir questions 3, 4 et 7). Ceci doit donc nous interroger sur leur capacité
réelle à imposer des normes et pratiques dans la société où ils s’installent.
Ensuite, pour pouvoir déterminer si la migration a un impact sur
l’identité belge, il s’agirait de pouvoir définir ce qui la constitue. Cet exer-
cice apparaît rapidement périlleux car une série de divisions politiques,
69. Données extraites de la 7e vague de l’Enquête sociale européenne (European Social Sur-
vey : ESS). Il s’agit plus précisément de la réponse à la question : « Diriez-vous que la vie culturelle en
Belgique est en général appauvrie ou enrichie par les gens d’autres pays qui viennent vivre ici ? ». Les
réponses sont obtenues sur une échelle de 11 points, où 0 = « la vie culturelle est appauvrie » et 10 =
« la vie culturelle est enrichie ». Les réponses à cette question ont été recodées de la manière sui-
vante : 0 à 4 = « les immigrés appauvrissent la vie culturelle en Belgique » et 5 à 10 = « ne partagent
pas cette opinion ».
106 Pourquoi l’immigration ?
gine a été jugé comme un « manque d’intégration » qui exige des efforts
supplémentaires de cette communauté pour s’adapter aux valeurs pro-
mues par l’UE70.
Ce type de controverse a justifié durant les quinze dernières années la
création de parcours d’intégration, d’abord uniquement en Flandre puis
dans la Belgique entière. Durant ces formations, les nouveaux immigrés
s’installant en Belgique sont informés sur leurs droits et obligations dans
le but de favoriser le vivre-ensemble. Ils obtiennent également un soutien
visant à leur insertion sur le marché du travail (cours de langue, bilan de
compétences…). Ces parcours ne s’adressent toutefois qu’à une partie de
la population résidant en Belgique (la population non-européenne) et
laissent par conséquent supposer que les autres (les Européens et les
Belges) se comportent nécessairement en accord avec les valeurs de la
société de résidence (voir question 13).
70. Notons à cet effet que certains élus européens – dont le Premier ministre hongrois Viktor
Orban – tiennent fréquemment des propos favorables à la peine de mort. Leurs déclarations n’ont
toutefois pas pour conséquence de remettre en cause l’intégration des migrants de même origine
nationale que ces élus.
18. TOUS LES IMMIGRÉS DEVIENNENT-ILS BELGES ?
gressivement été pris en compte dans la loi sur la nationalité. Durant une
courte période, entre 2000 et 2012, la Belgique était même l’une des
nations européennes où les critères d’obtention de la nationalité étaient
parmi les plus souples. En effet, la loi de 2000 rendait en théorie possible
la naturalisation aux étrangers ayant résidé trois ans en Belgique (voir
seulement deux ans dans le cas des réfugiés). En 2012, la Belgique a à
nouveau modifié sa loi sur la nationalité pour s’aligner sur les critères de
nombre de ses partenaires européens.
Aujourd’hui, pour obtenir la nationalité belge, les étrangers doivent
respecter les critères suivants : avoir résidé au moins cinq ans sur le
territoire, connaître une des trois langues nationales, et prouver leur
intégration économique et sociale (voir question 13 sur l’intégration).
Cette modification constitue un changement de paradigme important :
alors que le législateur considérait jusqu’ici que la nationalité était une
étape menant vers l’intégration, la loi de 2012 considère qu’il appartient
aux immigrés de démontrer d’abord qu’ils sont intégrés avant de pou-
voir accéder à la nationalité. Le graphique 9 nous montre que, entre
1998 et 2015, pas moins de 650 000 étrangers ont obtenu la nationalité
belge. Par ailleurs, il montre également l’effet des changements de légis-
lation sur le nombre d’étrangers obtenant la nationalité belge. Ainsi,
l’introduction d’une procédure accélérée de naturalisation en 2000 a eu
pour effet d’augmenter drastiquement le nombre d’étrangers naturali-
sés, qui est passé de moins de 25 000 personnes en 1999 à plus de
60 000 personnes en 2000 et 2001. À l’inverse, le changement législatif
de 2012 s’est matérialisé par une diminution significative des naturali-
sations dès 2014.
18. Tous les immigrés deviennent-ils belges ? 111
Bien que la nationalité soit indispensable pour exercer les droits poli-
tiques en Belgique ou accéder à certains emplois, de nombreux immigrés
choisissent volontairement de ne pas demander la nationalité belge. C’est
notamment le cas de certains immigrés européens qui considèrent que
leur passeport européen et les nombreux droits qui y sont associés sont
suffisants et voient dès lors peu d’avantages à opter pour la nationalité
belge. Ainsi, selon les données du Registre national, seule une minorité
des immigrés nés en France (29 %), en Italie (23 %), aux Pays-Bas (18 %)
et en Espagne (16 %) ont opté pour la nationalité belge. Précisons aussi
que, à l’intérieur d’une même communauté nationale, on peut observer
des différences entre les régions du pays dans la propension des immigrés
à opter pour la nationalité belge. Ainsi, les immigrés italiens vivant en
Wallonie sont bien plus nombreux à posséder la nationalité belge (28 %)
que leurs homologues vivant en Flandre (21 %) et à Bruxelles (8 %). Ces
disparités sont en réalité un reflet de l’histoire migratoire et du profil
socio-économique des immigrés italiens établis dans ces trois régions.
112 Pourquoi l’immigration ?
Comme indiqué plus haut, une des raisons ayant conduit le législateur
belge à réformer la loi sur la nationalité était que les critères d’accès à la
nationalité belge par le biais de la naturalisation étaient plus souples que ceux
en place dans d’autres États européens. On sous-entendait dès lors – sans
pouvoir le démontrer – que la législation belge sur la nationalité pouvait jouer
un rôle d’aimant pour les immigrés souhaitant devenir rapidement citoyens
européens. La Belgique est aujourd’hui, au contraire, un État où les immigrés
ont une propension inférieure à obtenir la nationalité du pays d’accueil, en
comparaison à la moyenne européenne. Comme l’indique le tableau 15, la
Belgique se distingue aujourd’hui par deux éléments. D’une part, la propor-
tion des Européens dans le nombre d’étrangers obtenant la nationalité belge
est largement supérieure à la moyenne européenne. D’autre part, le taux de
naturalisation – à savoir le rapport entre le nombre de personnes ayant acquis
la nationalité d’un pays au cours d’une année et le nombre de résidents étran-
gers dans le même pays – est non seulement inférieur au taux observé en
France et aux Pays-Bas, mais également sous la moyenne de l’Union euro-
péenne. La Belgique est donc moins généreuse que la plupart des autres États
membres de l’UE en matière d’octroi de la nationalité71.
71. Le positionnement de la Belgique par rapport à d’autres États membres de l’UE sur la base
de l’année 2015 doit être pris avec précaution dans la mesure où la réforme du code de la nationalité
de 2012 n’avait pas encore produit l’ensemble de ses effets à cette date. Cette remarque vaut toute-
fois aussi pour d’autres États membres de l’Union européenne qui ont également modifié leur législa-
18. Tous les immigrés deviennent-ils belges ? 113
Commentaire sur le tableau : dans certains cas, les totaux peuvent ne pas
correspondre à 100 % lorsque la nationalité d’origine des personnes
naturalisées est inconnue.
Source : Eurostat, Acquisition de nationalité dans l’UE, [Communiqué de presse],
Luxembourg, Eurostat [21 avril 2017].
tion ces dernières années. Pour une comparaison des législations européennes sur la nationalité, voir
la base de données de l’Observatoire démocratique de l’Union européenne sur la citoyenneté (EUDO)
de l’Institut universitaire européen : http://eudo-citizenship.eu/databases/national-citizenship-laws .
114 Pourquoi l’immigration ?
ET LA DOUBLE NATIONALITÉ ?
REA A., BIETLOT M., « Les changements du Code de la nationalité en Belgique. De la peur
de l’étranger à son inclusion sous condition » in REA A., MARTINIELLO M., Immigration
et intégration en Belgique francophone : État des savoirs. Louvain-la-Neuve, Academia,
2012, pp. 141-178. Disponible sur Internet :
http://difusion.ulb.ac.be/vufind/Record/ULB-DIPOT:oai:dipot.ulb.ac.be:2013/49160/Holdings .
RENAULD B., CAESTECKER F., PERRIN N., EGGERICKX T., Devenir Belge. Histoire de l’acqui-
sition de la nationalité belge depuis 1830, Malines, Wolters Kluwer, 2016, 273 p.
18. Tous les immigrés deviennent-ils belges ? 115
Nombre des Nombre des Nombre des Nombre des Nombre des Nombre des
électeurs électeurs électeurs électeurs électeurs électeurs
potentiels inscrits inscrits en % potentiels inscrits inscrits en %
des électeurs des électeurs
potentiels potentiels
Source : Vintila D., « The European citizenship and the electoral rights of
non-national EU citizens in the EU Member States », Thèse de doctorat,
Madrid, Universidad Autónoma de Madrid, 2015.
72. REA A., JACOBS D., TENEY C., DELWIT. P., « Les comportements électoraux des minorités
ethniques à Bruxelles », Revue française de science politique, vol. 60 : 4, 2010, pp. 691-717.
19. Les immigrés ont-ils une influence sur les élections en Belgique ? 119
JACOBS D., BOUSETTA H., REA A., MARTINIELLO M., SWYNGEDOUW M., Qui sont les
candidats aux élections bruxelloises ? Le profil des candidats à l’élection au parlement
de la Région de Bruxelles-Capitale du 13 juin 2004, Bruxelles, Academia-Bruylant,
2006, 125 p.
LAFLEUR J.-M., Le transnationalisme politique. Pouvoir des communautés immigrées dans
leur pays d’accueil et d’origine, Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2004, 76 p.
Disponible sur Internet : http://orbi.ulg.ac.be/handle/2268/15442 .
ZIBOUH F., La participation politique des élus d’origine maghrébine, Louvain-la-Neuve,
Academia, 2012, 108 p.
ADAM I., BEN MOHAMED N., KAGNE B., MARTINIELLO M., REA A., Histoires sans-papiers,
Bruxelles, Vista, 2002, 227 p.
LAUREYS D., Le mouvement des sans-papiers et de soutien aux sans-papiers à Liège : plus
de vingt ans de mobilisation, Seraing, Publications de l’Institut d’histoire ouvrière
économique et sociale, 2012, 64 p. Disponible sur Internet :
http://www.ihoes.be/PDF/Sans_papiers_V1.pdf .
LEMAN, J., « Undocumented migrants in Brussels : diversity and the anthropology of ille-
gality », New Community, vol. 25 :1, 1997, pp. 25-41.
PICKELS A., À la lumière des sans-papiers, Bruxelles, Complexe, 2002, 253 p.
Qu’en pensent les Belges ? En 2011, 33 % des employés belges se déclaraient prêts
à partir travailler à l’étranger si cela se traduisait par une augmentation salariale d’au
moins 10 %78.
Bien que l’attention médiatique se porte quasi-exclusivement sur
l’arrivée d’étrangers en Belgique, un nombre important de Belges
émigrent chaque année. En général il n’existe pas de données statistiques
au niveau des pays d’origine qui permettent d’appréhender de façon
précise l’émigration dans toutes ses dimensions (pays de destination,
niveau d’instruction des émigrés, etc.). Quand elles existent, elles s’avèrent
par ailleurs incomplètes. Dès lors, l’émigration ne peut en général être
appréhendée qu’à travers les données collectées dans les différents pays de
destination.
Selon les estimations des Nations Unies recensant l’effectif des émi-
grés belges vivant dans le monde, cette population est en forte croissance
ces dernières années et s’élevait à 530 990 personnes en 2015, contre
360 794 en 199079. La même source statistique révèle que les femmes sont
majoritaires (55 % en 2015). En ce qui concerne la localisation des émi-
grés belges, le graphique 10 nous indique qu’une très grande majorité
78. Source : IPSOS, « Employee relocation. Employees in 24 countries assess relocation for a
total global perspective », Glob@l advisor, n° 24, 2012, pp. 1-52. Disponible sur Internet :
https://www.ipsos.com/sites/default/files/news_and_polls/2012-02/5509-ppt.pdf .
79. Base de données « International Migrant Stock 2015 » de la Division Population de l’Orga-
nisation des Nations Unies. Disponible sur Internet :
http://www.un.org/en/development/desa/population/migration/data/estimates2/estimates15.shtml . Par
émigré belge, nous désignons ici les personnes nées en Belgique et qui résident dans un autre pays.
126 Pourquoi l’immigration ?
fait, ils ne sont pas captés dans ces statistiques consulaires. C’est le cas, par
exemple, des Belges qui résident à l’étranger durant une période relative-
ment courte, de ceux qui veulent rompre tout lien avec la Belgique ou de
ceux qui estiment qu’il leur est plus simple de se rendre directement en
Belgique pour régler leurs questions administratives.
Malgré ces limites, le registre consulaire nous indique, qu’au cours de
l’année 2017, 451 909 Belges vivent à l’étranger dont la moitié est de sexe
féminin. Le graphique 11 confirme également l’image qui émerge des don-
nées des Nations Unies concernant l’émigration belge : le Belge qui s’établit
à l’étranger se dirige en très grande priorité vers un des 15 États membres
historiques de l’Union européenne et en particulier vers les États voisins de
la Belgique. Ainsi, plus d’un Belge sur quatre vivant à l’étranger est établi
en France (28 %). Derrière la France se positionnent les Pays-Bas et l’Alle-
magne qui représentent respectivement 8 % et 6 % de l’ensemble des
Belges résidant à l’étranger. L’Espagne, les États-Unis et le Royaume-Uni
représentent aussi chacun environ 6 % du total. Enfin, notons également
que la Suisse, le Canada et Israël se classent au sein du Top 10.
80. FADIL N., « Redefining home : transnational practices of European muslims in the United
Arab emirates and Montréal », Projet de recherche, Leuven, KU Leuven, 2015-2019.
130 Pourquoi l’immigration ?
« Sans avenir, sans futur, sans argent, sans droit, 100 tortures, 100 pri-
sons, sans familles, sans manger, sans rire, sans liberté, sans démocratie,
100 dictatures, sans père, sans mère, sans présidents, sans gouvernement,
sans visa, sans passeport, 100 documents à remplir, sans destination fixe,
sans pays… » (extrait du spectacle « Les Sans »).
Car tel est l’objectif : briser les clichés qui nous collent à la peau, en
les prenant à contresens, en nous comportant de façon exemplaire, et en
essayant de mettre en valeur nos compétences.
Au lieu de nous cacher, nous occupons le peu de terrain qui nous est
accessible en privilégiant les activités communes avec les citoyens belges :
les enfants vont à l’école, certains adultes font des études et suivent des
formations, certains d’entre nous s’impliquent comme bénévoles dans des
associations…
Cette aventure nous a permis, à nous aussi, de casser certains préjugés
et de comprendre que tous les Belges ne nous regardent pas d’un mauvais
œil. Avant, nous avions tendance à aborder la problématique de la migra-
tion avec beaucoup plus de hargne. Notre perception et notre discours
ont changé, fruit des nombreuses rencontres avec les citoyens de ce pays.
Nous avons donc aussi compris que de l’autre côté, les citoyens
peuvent également changer leur perception des Sans-Papiers. Nos spec-
tacles y contribuent, en sensibilisant le public par l’humour et l’émotion,
en réduisant la distance entre « eux » et « nous ». Une de nos plus belles
récompenses a été le témoignage d’une éducatrice à l’issue d’une de nos
représentations. Celle-ci a pris la parole pour s’excuser devant l’assem-
81. Spectacle mis en scène par Pierre Etienne aka l’Enfant Pavé, de la Leep Liège. Textes écrits
par les membres de la VSP.
82. Lecture-spectacle mise en scène par Fabrice Piazza. Textes coécrits avec des écrivains
publics de PAC Liège.
Postface par la Voix des Sans-Papiers de Liège 135
blée : « Jusqu’à présent, je disais aux jeunes filles avec lesquelles je travaille de se
méfier des Sans-Papiers. Aujourd’hui, je vous promets que je ne le dirai plus. » Ce cri
du cœur a dopé notre énergie !
Nous en avons tiré comme conclusion qu’il est important, pour que
cette lutte soit efficace, de construire un dialogue sur le plan local, avec les
jeunes, les profs, les autorités locales, les travailleurs... Plus nous ferons
connaître l’occupation et les gens qui y vivent de manière personnelle, en
montrant nos visages, plus nous gagnerons le combat contre les préjugés.