Mémoire Sur Le Petit Chaperon Rouge

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DEUXIEME PARTIE :

les mutations du petit chaperon rouge

▲ Illustration d’Isabelle Forestier dans Un petit chaperon rouge de


Claude Clément (Paris, Grasset Jeunesse, 2000).

55
Les petits chaperons rouges modernes ne cessent jamais totalement de se référer à leurs
aînés, nous l’avons vu dans notre première partie ; ils ne leur ressemblent toutefois plus
beaucoup. Pour aborder les mutations du personnage principal, mais aussi plus largement du
récit, nous allons classer les ouvrages contemporains à partir de plusieurs entrées qui nous
permettront de montrer comment les nouveaux textes se construisent par déconstruction des
textes-sources. Les contes contemporains du Petit Chaperon rouge ne sont plus des contes de
fées, mais des « contes défaits », comme le dit Jon Scieszka1 en jouant sur les mots. Comment
les auteurs actuels parviennent-ils à faire leurs contes en défaisant les textes classiques ?
Comment chaque élément nouveau du récit est-il mobilisé grâce à des effets de décalages et
d’inversions ?
Nous allons catégoriser les différents types de réécritures en fondant notre analyse sur la
notion centrale de transposition. Celle-ci implique l’idée de transfert d’un plan à un autre, de
passage supposant la modification des éléments déplacés ; et est définie à la fois comme un
emprunt et un écart. Nous allons voir dans les textes contemporains des déplacements de
plusieurs ordres : génériques, référentiels et narratifs.

I) Le genre
Les textes littéraires sont d’abord identifiés par leur insertion dans un genre spécifique.
On peut définir la notion de genre comme un texte appartenant à une forme précise et répondant
à une convention fixant un cadre. Le genre structure la réception du texte dans lequel il s’insère
et est constitutif d’un horizon d’attente, orientant l’interprétation du lecteur.
La notion de genre est souvent floue et fluctuante au sein de l’histoire littéraire. Nous
nous contenterons de l’appréhender dans le sens communément admis en reprenant la
classification présentée par Dominique Combe dans la première partie de son essai Les Genres
littéraires. À « l’horizon de la conscience “naïve”2 », D. Combe relève quatre grandes classes de
textes : la fiction narrative (regroupant le roman, la nouvelle, le conte et le récit), la poésie, le
théâtre et l’essai. Le conte est donc assimilé au genre fictif et narratif.
Afin d’analyser les décalages par rapport à la forme générique classique, nous allons voir
quelles transpositions sont réalisées par rapport à la forme primitive du conte au sein du genre
narratif lui-même. Nous allons également observer les déplacements du conte original dans

1
Cité par Christiane Pintado dans son article « Cochon, cochon et cie. Les avatars du conte Les trois petits cochons
dans la littérature de jeunesse contemporaine », in : Nous voulons lire !, n°158, février 2005, p. 15.
2
Dominique Combe, Les Genres littéraires, Paris, Hachette Supérieur, « Contours littéraires », 1992, p. 13-14.

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d’autres genres littéraires. Les Petits Chaperons rouges modernes sont-ils toujours des contes ?
Quels écarts génériques note-t-on dans les réécritures contemporaines ?

A) Le respect de la forme d’origine : le conte

1) Le conte traditionnel
Le récit originel du Petit Chaperon rouge est identifié comme un conte. Lorsqu’on lit
l’histoire de la fameuse héroïne au bandeau rouge, on s’attend à reconnaître dans le récit les
formes du conte et à retrouver des formules obligées comme le sésame magique « Il était une
fois ». Tout en modernisant leur récit, plusieurs auteurs ont respecté cette forme première et ont
réutilisé en apparence les codes traditionnels du conte.
Un conte est un récit court, à l’origine oral mais la plupart du temps devenu écrit. Il narre
une histoire se réalisant dans un passé indéterminé, comportant généralement des éléments
merveilleux et faisant se mouvoir des personnages typés. Il implique fréquemment une
communication ludique et tend vers une morale. Cela contribue à assurer à travers lui la
transmission de valeurs et/ou l’expression d’émotions humaines inconscientes dont la prise de
conscience est formatrice pour l’individu inchoatif. Vladimir Propp, en étudiant de nombreux
contes russes, a mis en place une « morphologie » du conte merveilleux. Il a montré qu’il y avait
dans le conte des « éléments constants, permanents » se confondant avec les « fonctions » des
personnages. La petite unité narrative qu’est la fonction est en nombre limité (Propp en a
identifiées trente et une). Les fonctions se succèdent toujours selon la même chronologie au sein
d’un même type de structure. Propp a déterminé cinq grands types de personnages : le méchant
(ou opposant), le généreux donateur, l’auxiliaire, le héros, le faux héros, auxquels il faut ajouter
le mandateur et le mandataire. Selon Propp, tous les contes répondent au même schéma, si bien
que le conte peut se définir comme
tout développement partant d’un méfait ou d’un manque […] pour aboutir au mariage ou à d’autres
fonctions utilisées comme dénouement1.
En d’autres termes, un héros, partant d’une situation initiale donnée, subit une épreuve négative
l’obligeant à entreprendre une quête dont il sortira vainqueur.
Selon cette théorie, le conte des Grimm a une structure très simple. Beaucoup des
fonctions des contes classiques y sont absentes. Si on applique le schéma de Propp au Petit
Chaperon rouge, comme l’a fait Antoine Faivre2, on trouve, entre autres, les fonctions

1
Vladimir Propp, Morphologie du conte [1928], traduit du russe par M. Derrida, T. Todorov et C. Kahn, Paris, Le
Seuil, 1970, p. 11.
2
Antoine Faivre, Les Contes de Grimm. Mythe et initiation, Circé, Cahiers de recherches sur l’imaginaire,
Chambéry, 1978, p. 81-90 ; in : Pierre Erny, Sur les traces du Petit Chaperon Rouge, op. cit., p. 111-112.

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suivantes : éloignement (la fillette quitte sa maison), interdiction (la mère lui adresse des
recommandations), transgression (le chaperon s’écarte du chemin), interrogation (le loup pose
des questions à l’enfant), tromperie (le loup trompe la fille et sa grand-mère), complicité
involontaire, méfait, appel du héros, début de l’action réparatrice, etc.

2) Un conte modernisé ?
Retrouve-t-on la structure traditionnelle du conte dans des ouvrages contemporains ?
Peut-on alors les considérer comme des contes ? Pour répondre à cette question, nous prendrons
l’exemple de l’album Chapeau rond rouge de Geoffroy Pennart1.
Cet ouvrage inverse le conte originel. Tout commence pourtant comme on s’y attend. La
nouvelle héroïne a simplement été rebaptisée « Petit Chapeau rond rouge », expression qui est
certainement plus compréhensible pour les enfants. Mais lorsque la petite fille rencontre le loup,
elle le prend pour un chien et, nullement effrayée, ne cesse de chahuter l’animal et de se moquer
de sa « bonne bouille de toutou gentil ». Le loup, décidé à se venger, s’élance vers la maison de
la grand-mère. Mais il est renversé par la voiture de la mamie qui, horrifiée, le transporte dans
son lit et court appeler un médecin. Lorsque Chapeau rond rouge arrive chez sa grand-mère, elle
est persuadée que le loup l’a dévorée et elle assomme l’animal. Heureusement, tout finira au
mieux : le loup, après sa convalescence, décidera de bénéficier des bons soins de la vieille dame
en s’installant chez elle car, de toute façon, « sa réputation de loup féroce en [a] pris un coup ».
En apparence, le texte de l’album adopte l’écriture traditionnelle du conte. L’incipit
semble ainsi nous placer dans un temps et un lieu indéterminés, introduits par la formule
d’ouverture habituelle :
Il était une fois une petite fille qui vivait avec ses
parents à l’orée de la forêt.
Le récit peut être lu à travers la grille mise en place par
Propp. Une héroïne mène une quête, ou du moins vit une
aventure à portée initiatique qui lui permet de modifier la
situation initiale donnée en ouverture. La dernière page
de l’ouvrage, en forme d’épilogue, fait un saut dans le
futur et annonce que Chapeau rond rouge, « marquée à
tout jamais par cette aventure » est devenue « un médecin
de renommée internationale ». Selon les personnages-

1
Geoffroy de Pennart, Chapeau rond rouge, op. cit.

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fonctions de Propp, Chapeau rond rouge est l’héroïne, le loup l’opposant, la mère le mandataire,
la grand-mère le faux-héros, et le médecin l’auxiliaire. Il semble donc possible de reconnaître
dans ce récit la structure généralement adoptée dans les contes.
En fait, la structure classique du conte est bousculée. L’agresseur est l’agressé : le loup,
traditionnellement méchant, n’est pas pris au sérieux. L’héroïne contourne les épreuves au lieu
de les affronter. N’identifiant pas le loup comme l’animal féroce qu’il est supposé être, elle ne
peut se sentir attaquée par lui. Il n’y a donc ni manque ni affrontement contre un opposant.
Certes, la petite fille va aller au devant d’une situation conflictuelle et abattre le loup d’un coup
de chandelier (voir l’illustration reproduite page précédente). Mais son geste est injustifié. La
seule épreuve à laquelle est confrontée l’héroïne est celle où elle croit avoir tué le loup : « Il est
mort. C’est ma faute ! » s’écrie-t-elle en pleurant dans les bras de sa grand-mère. Mais le loup
est seulement évanoui, et le chagrin de la fillette est vite oublié.
Chapeau rond rouge simule donc les caractéristiques du conte, sans en être
véritablement un. Ainsi, la formule initiatrice « Il était une fois », censée identifier le conte, ne
joue pas réellement son rôle. Donnée comme une expression figée, le « Il était une fois » pose
habituellement que les « événements dont on parle se situent à une époque non historique
indéfinie », « qu’ils ne sont pas à entendre comme “réels” » et « que l’émetteur veut raconter
une histoire imaginaire pour divertir1 ». Ici, le syntagme ne fait qu’annoncer le caractère fictif du
récit. En effet, dans cet album, il y a tant d’éléments de modernisation (à commencer par la
petite auto de la grand-mère) que nous ne sommes pas projetés dans un univers intemporel.
Plusieurs textes contemporains reprennent les
caractéristiques des contes pour rappeler le texte-source.
Mais sont-ils encore des contes ? Il s’agit de s’amuser avec
l’image du conte. C’est à ce jeu que se sont livrés Pef et ses
éditeurs (Messidor La Farandole) dans un énigmatique petit
livre malicieusement intitulé Contes comme la lune2. Toutes
les informations paratextuelles de cet album miment
l’univers des contes classiques : le livre se présente sous une
couverture à l’ancienne, avec des dessins ressemblant à des
e
gravures du XIX siècle ainsi que des frises, alors que
l’ouvrage a été édité en 1991 ! La page de titre annonce que
l’ouvrage est « enrichi de dessins composés et gravés par nos

1
Umberto Eco, Lector in fabula. Le rôle du lecteur [1979], traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Paris, Grasset,
Le Livre de Poche, 1985, p. 98.
2
Pef, Contes comme la lune, Paris, Messidor La Farandole, 1991.

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meilleurs artistes » et qu’il s’agit du « tome XIV ». En tournant les pages on s’aperçoit que le
foliotage est erroné puisque la première page indiquée est la page 339 ! En page 391, on trouve
« Le conte du Petit Chaperon rouge », sous-titré « Règlement de compte… ». Mais, au lieu du
conte annoncé, on lit un court texte se présentant comme une aimable fantaisie autour de cette
question fondamentale :
Le petit chaperon était rouge, mais rouge de quoi, je vous prie ?
Les contes parodiques modernes ne sont donc pas toujours à proprement parler des
contes, et le terme générique correspond mal à bon nombre de textes contemporains. Si auteurs
et éditeurs désignent les récits contemporains du petit chaperon rouge comme des contes, c’est
plus pour paraître répondre à l’attente du lecteur qui considère cette histoire comme un conte,
que par respect strict des principes de ce genre littéraire.

B) La réécriture dans un autre genre

1) Transpositions romanesques
Au sein de la « fiction narrative1 », dont le conte fait partie, on assiste dans les textes
contemporains à des transpositions : le Petit Chaperon rouge quitte alors l’enveloppe générique
du conte pour prendre des formes littéraires différentes.
Ainsi, quelques auteurs contemporains choisissent la forme du roman pour renouveler
leur petit chaperon rouge. Cela permet d’enrichir la trame narrative d’origine et de multiplier
lieux et personnages. Le genre du roman offre également la possibilité d’élaborer des
descriptions plus détaillées, qui apportent un gain de réalisme et développent l’illusion
référentielle. En effet, la différence entre le conte et le roman tient tout d’abord au degré de
concentration adopté dans le récit. Comme le montrent Roland Bourneuf et Réal Ouellet dans
L’Univers du roman,
le roman développe, prend son temps, fait détours ou retours, laisse s’installer dans l’intrigue ou les
personnages des zones presque vides2,
alors que le conte ne dit que ce qui est strictement nécessaire à la narration des faits. Pour cette
raison, le renouvellement du Petit Chaperon rouge sous la forme du roman s’adresse
généralement à des lecteurs adolescents, plus habitués à lire des textes longs. Par ailleurs, le
roman et le conte diffèrent par leur rapport à la réalité : alors que le conteur « ne tente pas de

1
Dominique Combe, Les Genres littéraires, op. cit., p. 14 : Le genre « fiction narrative » répond au « double critère
implicite du récit et de l’imagination ».
2
Roland Bourneuf, Réal Ouellet, L’Univers du roman [1972], Paris, PUF, 1989, p. 26.

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donner son histoire pour vraie1 », le romancier prend plaisir à tromper son lecteur en accumulant
les éléments de vraisemblance qui rendent son histoire possible ou probable.
L’auteur espagnol Carmen Martin Gaite propose ainsi un roman qui reprend
explicitement le personnage du chaperon, mais qui le situe dans un univers radicalement
différent du conte d’origine, puisque l’histoire se passe au milieu des tours de New York. Le
Petit Chaperon rouge à Manhattan2 raconte l’histoire de Sara Allen, jeune fille vivant à
Brooklyn. Les éléments du texte-source sont métamorphosés : la galette de Perrault est devenue
une tarte aux fraises dont la mère garde précieusement la recette secrète ; la vieille grand-mère,
au caractère fantasque fascinant sa petite fille, porte le nom de Gloria Star et est une ex-diva de
music-hall. Le loup, lui, apparaît sous les traits d’Edgar Woolf, le « roi de la tarte », propriétaire
d’une multinationale pâtissière nommée « Le Loup gourmand » ! Le roman de Carmen Martin
Gaite fait des allusions au texte-source, mais adopte une structure différente. La forme du roman
permet de développer longuement chaque personnage et de lui donner une épaisseur. Ainsi, la
première partie du roman, intitulée « Rêves de liberté », s’attache à poser la situation initiale et à
décrire le personnage de Sara et les membres de sa famille. Il faudra attendre la deuxième partie,
symboliquement nommée « L’aventure », avant que l’action ne commence, grâce à l’impulsion
du personnage ambigu qu’est Edgar Woolf.
Carmen Martin Gaite remobilise le petit chaperon rouge en construisant un roman
psychologique. Gérard Moncomble le convoque dans un roman policier. Dans Romain Gallo
contre Charles Perrault3, il met en scène un détective privé décidé à faire la lumière sur
plusieurs affaires trop rapidement classées par le commissaire Perrault. La première enquête que
mène Romain Gallo lui fait découvrir une terrible erreur judiciaire : comment Isidore Leloup,
bûcheron de son état, a-t-il pu être accusé d’être un tueur cannibale, alors qu’il est végétarien ?
L’auteur joue habilement avec les codes du polar, ménageant le suspense et construisant un
personnage de détective gouailleur, au parler argotique. Dans l’ouvrage de Gérard Moncomble,
le petit chaperon rouge entre donc dans un sous-genre codifié – celui du roman policier. Les
parodies des contes et du polar à l’américaine confrontent le jeune lecteur à deux codes. La
forme du roman permet ainsi de multiplier les variations narratives.
D’autres sous-genres du récit sont explorés dans les réécritures contemporaines du conte.
Certains éditeurs ont cherché à faire entrer le conte dans une collection de littérature pour la
jeunesse à tendance fantastique. C’est le cas par exemple du court roman d’Éric Sanvoisin, Le
Petit Buveur d’encre rouge4, publié sous l’étiquette « Fantastique » de Nathan Poche. Le jeune

1
Ibid., p. 27.
2
Carmen Martin Gaite, Le Petit Chaperon rouge à Manhattan, op. cit.
3
Gérard Moncomble, Romain Gallo contre Charles Perrault, op. cit.
4
Éric Sanvoisin / Martin Matje (illus.), Le Petit Buveur d’encre rouge, op. cit.

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Odilon qui, dans Le Buveur d’encre, a été mordu par Draculivre, a l’habitude de « boire » des
livres. Alors qu’il lit Le Petit Chaperon rouge, il est aspiré avec son amie Carmilla dans
l’histoire : les deux enfants se retrouvent alors contraints de remplacer les deux protagonistes du
conte – le loup et le chaperon rouge. Grâce à une invention mêlant astucieusement vampires et
littérature, l’auteur mène le jeune lecteur dans un univers parallèle qui obéit à d’autres lois que
le réel. Le conte-source est mis en abyme au point d’en devenir quasiment un personnage à part
entière. La réécriture se joue ici de l’intérieur : les héros projetés dans une histoire connue
auront-ils le pouvoir d’en bouleverser la trame et, au-delà, d’échapper à la destinée que le passé
littéraire a tracée ? Si Odilon est devenu le loup, ne sera-t-il pas contraint de dévorer Carmilla,
qui apparaît sous les traits du petit chaperon rouge ? Au merveilleux du conte original s’est
substitué le fantastique avec l’irruption brutale des héros dans un monde irréel qui reste
inexplicable. Là encore, la reconstruction du texte original dans un nouveau genre permet
d’enrichir le conte de départ.

2) Transpositions théâtrales
Loin de se cantonner au seul genre narratif, les petits chaperons modernes envahissent
également le genre théâtral. La transposition théâtrale permet non plus seulement de raconter
l’histoire, mais de la donner à voir à un lecteur qui devient ainsi spectateur. Le conte était centré
sur deux longs dialogues entre la fillette et le loup, ce qui pouvait favoriser le jeu théâtral du
conteur. Les auteurs contemporains, adoptant la forme dramatique, vont au-delà de cette scène
du dialogue et transforment entièrement sous forme dialoguée le récit initial.
De telles transpositions théâtrales se trouvent dès le début du siècle avec Pierre Cami
qui, en 1914, a écrit un Petit Chaperon vert1. Cette courte pièce en deux « actes » met en scène
des personnages qui, par une curieuse « coïncidence », sont liés aux personnages du conte
original : les parents du petit chaperon vert habitent dans « la maison où logeait autrefois le
célèbre petit chaperon rouge » et le loup est désigné par l’auteur comme « le loup qui mangea
jadis le petit Chaperon rouge ». Tout se passe comme dans le conte traditionnel, mais, en
refusant de rejouer jusqu’au bout le dialogue du conte et de dire au loup : « Mère-Grand, que
vous avez de grandes dents ! », le petit chaperon vert ne donne pas l’occasion au loup
d’entendre la phrase clé susceptible de déclencher la dévoration. En écrivant le texte sous une
forme entièrement dialoguée, Cami peut jouer sur l’alternance des répliques entre les

1
Cami, « Le petit chaperon vert », in : L’Homme à la tête d’épingle, Société Nouvelle des éditions Pauvert, 1972.
Nous n’avons pas réussi à trouver l’édition originale et avons lu ce texte dans le recueil Contes d’ici et d’ailleurs,
Paris, Bordas, « Classiques Bordas », 2003, p. 170-173.

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personnages et donner de l’importance à la scène d’affrontement verbal entre le loup et la
fillette. La transposition du conte dans le genre théâtral montre avec force que, dans ce récit, les
luttes se jouent d’abord dans la parole. L’émancipation de la fillette est permise grâce à sa
maîtrise du langage. Le texte de théâtre, fondé sur la communication verbale, substitue la
victoire du langage à la violence physique.
On retrouve le même face-à-face langagier dans la pièce de théâtre de Jean-Claude
Grumberg. Le Petit Chaperon Uf1 a été publié dans la collection d’Actes Sud-Papiers dédiée à
l’édition de textes de théâtre pour la jeunesse, « Heyoka Jeunesse », créée en partenariat avec le
Centre dramatique national de Sartrouville. Le texte respecte les conventions classiques du
théâtre : après une page de présentation des personnages, trois « scènes » s’enchaînent, chacune
débutant par des didascalies mettant en situation le lieu et les personnages. L’ouvrage est
constitué par l’enchaînement de courtes répliques échangées entre Wolf, « loup déguisé en
caporal » qui « parle français avec accent loup2 » et le petit chaperon. Plusieurs didascalies
permettent au lecteur ou au metteur en scène de se représenter tous les éléments para-verbaux
accompagnant les discours des personnages. Le lecteur/spectateur paraît surprendre le dialogue
entre le loup caporal et la fillette. En réalité, ce « langage surpris » est un « langage en
représentation » : une fois mis en scène et accompagné des gestes des acteurs, de leur jeu, du
décor ou des effets de lumière, il s’agira d’un « langage total3 » dans lequel les éléments
verbaux et ce qui les accompagne ont plus d’importance que dans la vie de tous les jours. Wolf,
le personnage du loup offrirait à un acteur d’infinies possibilités de jeux. En effet, son langage
est désyntaxé, grammaticalement incorrect, miné de mots allemands et de phrases sans verbes,
où le mode injonctif prime.
Silence, fixe, pas touche, garde-à-vous, repos ouah ouah ouah ouah ! Qu’est-ce que Wolf voit
dissimulé sous capuchon4 ?
dit ainsi Wolf au chaperon lorsqu’il rencontre la fillette. De telles répliques imposent une
gestuelle et un jeu sur les accents pour donner au personnage l’ambiguïté de son apparence à la
fois effrayante et ridicule. Au contraire du loup, la fillette maîtrise le langage et a l’avantage de
connaître l’histoire originelle. La pièce représente le dialogue entre le loup qui veut arrêter le
chaperon pour la simple raison qu’il serait « Uf » au lieu d’être « Ouf », et la fillette qui, grâce à
la supériorité acquise par la parole, parvient à dominer le loup caporal. « On joue plus », finit
par dire Wolf5 : le chaperon a gagné la lutte verbale et a eu le dernier mot. Ici, la transposition
théâtrale permet de montrer combien le langage peut être un instrument de domination et de

1
Jean-Claude Grumberg / Benjamin Bachelier (illus.), Le Petit Chaperon Uf, op. cit.
2
Ibid., p. 8.
3
Pierre Larthomas, Le Langage dramatique [1972, Armand Colin], Paris, PUF, 1993, p. 436.
4
Jean-Claude Grumberg / Benjamin Bachelier (illus.), Le Petit Chaperon Uf, op. cit., p. 17.
5
Ibid., p. 42.

63
libération pour celui qui sait le maîtriser. La représentation théâtrale permet également de mieux
faire passer un message grave qui, transmis sur un mode narratif, aurait pu paraître trop abstrait,
ou trop moralisateur. Le dialogue entre le chaperon et le loup, qui aboutit à la ridiculisation de
celui-ci, peut être l’occasion d’avertir les enfants des dangers des politiques discriminatoires et
d’évoquer, indirectement, l’antisémistisme.
Cependant, les auteurs contemporains n’utilisent pas toujours avec la même radicalité les
possibilités offertes par le genre théâtral. Joël Pommerat a, lui aussi, créé une transposition
théâtrale du Petit Chaperon rouge, dans un texte également publié dans la collection « Heyoka-
Jeunesse », chez Actes Sud-Papiers1. On retrouve dans son texte les caractéristiques du genre
théâtral (didascalies, dialogues, présentation des personnages). Mais une place essentielle est
accordée à un personnage qui ne fait pas directement partie de l’histoire racontée : « L’homme
qui raconte ». Celui-ci a la figure du conteur
traditionnel des récits oraux. Il est narrateur
« hétérodiégétique » (absent de la diégèse, c’est-à-dire
de l’univers spatio-temporel représenté) et
« extradiégétique » (objet d’aucun récit), pour
reprendre la terminologie de Genette2. La narration
prime donc sur le dialogue. Ainsi, la pièce commence
par un monologue de « L’homme qui raconte » qui présente le personnage de la fillette et
expose précisément ses relations avec sa mère. Le dialogue n’intervient qu’à la page 21, lorsque
la petite fille rencontre le loup. Des ellipses s’intercalent dans l’échange verbal. Ainsi, lorsque le
loup et la petite fille se séparent pour aller chacun de leur côté vers la maison de la grand-mère,
« L’homme qui raconte » reprend la parole et, dans un monologue de deux pages, narre le trajet
du loup et de la fillette dans la forêt, puis expose les sentiments de la petite fille3. Le texte de
Joël Pommerat est donc hybride, mêlant conte et théâtre. Des scènes de dialogues viennent
rendre le récit plus percutant et dramatisent la rencontre entre le loup et la fillette. Mais de longs
moments de narration par un conteur extérieur au récit viennent rappeler que cette histoire est
originellement un conte. Par ailleurs, la présence des illustrations en parallèle du texte offre
indépendamment de la mise en scène la possibilité de combler les lacunes du texte théâtral qui,
par essence, est « troué », « incomplet4 ». En effet, les illustrations de Marjolaine Leray
complètent le texte, offrant une première mise en scène des personnages. Ainsi, le personnage

1
Joël Pommerat / Marjolaine Leray (illus.), Le Petit Chaperon rouge, op. cit.
2
Gérard Genette, Figures III, Paris, Le Seuil, « Poétique », 1972, p. 255-256.
3
Joël Pommerat, Le Petit Chaperon rouge, op. cit., p. 27-28. Les verbes de sentiments abondent dans ce
monologue.
4
Cf. Anne Ubersfeld, « Le texte dramatique », dans Le Théâtre, sous la direction de D. Couty et A. Rey, Paris,
Bordas, 1980, p. 93.

64
du loup est représenté par une masse noire, ressemblant à un gribouillage d’enfant au simple
stylo noir. Le dessin difforme du loup, qui s’oppose à la jolie figuration de la fillette (voir page
précédente), suggère symboliquement que les monstres n’ont pas de visage et qu’ils sont avant
tout la somme des peurs de ceux qui les regardent.
L’adoption du genre théâtral peut donc insister sur la lutte verbale entre les deux
personnages principaux. Dans certaines pièces, la narration prime toutefois sur le choix de la
forme théâtrale : même si c’est au sein d’une pièce de théâtre, il s’agit toujours de conter une
histoire. C’est l’origine orale du conte qui est alors revalorisée par l’adoption du genre
dramatique.

3) Transpositions poétiques
Des auteurs contemporains ont choisi la poésie pour faire exister leur petit chaperon. Le
genre poétique se présente comme une forme versifiée, régulière ou libre, signifiée par des
lignes typographiquement repérables. Jouant sur les mots, les sonorités et les formes, la poésie
permet de faire entrer les petits chaperons rouges dans un champ ludique du langage.
Certains auteurs n’entendent pas conter à nouveau l’histoire connue, mais l’évoquent
poétiquement par des images et des rimes, demandant implicitement à leur lecteur de se rappeler
le conte originel. Jacqueline et Claude Held1 ont composé des variations poétiques sur des
figures typiques des contes traditionnels. Nous avons reproduit en ouverture de notre mémoire le
petit poème qu’ils ont écrit autour du « Chaperon rouge ». Le poème ressemble à une comptine
qui fait penser à d’autres chansons enfantines sur le même thème (« Loup, y es-tu ? », par
exemple). Il s’agit d’évoquer librement la figure du chaperon, en jouant sur les couleurs (les
chaperons sont ici « rouges, marron, ou jaunes, ou verts »), mais aussi en s’amusant avec la
forme, par la construction de vers très courts, irréguliers, que les rimes rendent chantants. On
pourrait parler ici de fantaisie poétique, librement inspirée du conte classique.
Pour d’autres auteurs, la forme narrative n’est pas abandonnée, malgré l’adoption du
genre poétique. Dans les années 1980, Christian Poslaniec a traduit de l’américain un texte de
Béatrice Schenk de Regniers2. Le plat 1 de cet ouvrage parle d’un Petit Chaperon rouge
« raconté en images par Edward Gorey » et « tourné en vers par Christian Poslaniec ». Le mot
« poésie » n’apparaît pas, et c’est la forme versifiée qui est mise en avant. Nous retrouvons en
effet le récit sous la version des Grimm, depuis la présentation de la fillette jusqu’à l’issue fatale

1
Jacqueline et Claude Held / Boiry (illus.), Chat botté, Chaperon rouge et compagnie, Draguignan, Lo Païs
d’enfance, 2002.
2
Christian Poslaniec / Edward Gorey, sur une idée de Béatrice Schenk de Regniers, Le Petit Chaperon rouge [Red
riding hood, 1972], Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 1981

65
du loup. L’auteur construit son texte autour d’alternances d’octosyllabes et d’hexasyllabes. La
mise en vers accompagne le récit : loin d’imposer un aspect répétitif ou académique à l’histoire,
les vers lui donnent un rythme, l’alternance du nombre de pieds traduisant les différents
moments narratifs. Ainsi, lorsque le loup frappe à la porte de la grand-mère, le texte adopte des
vers très courts (trois syllabes) :
« Entre donc
Ce n’est pas fermé !
Attention !1 »
dit la grand-mère au loup qui imite la voix de la fillette. Quant à la phrase centrale annonçant la
dévoration de la grand-mère, elle est construite sur un alexandrin – le seul de tout l’ouvrage :
Le loup se précipite et gobe la grand-mère2.
La forme poétique multiplie les effets de sens et le suspense est ménagé grâce en partie à la
construction rythmique. On a parfois l’impression de lire une fable de La Fontaine. Le choix
inattendu d’un vocabulaire familier dans certains vers vient cependant atténuer le côté classique
du récit.
La reconstruction du conte originel dans le genre poétique n’implique pas
nécessairement la suppression de la narration. Mais il offre au Petit Chaperon rouge moderne
une forme jouant sur le son et le rythme, ce qui plaît généralement aux enfants. L’aspect musical
de la poésie leur permet de s’approprier facilement la réécriture du conte.
Dans tous les cas, la transposition générique du conte original enrichit le texte-source et
lui donne une portée nouvelle, tant sur la forme que sur le fond.

C) L’enrichissement du texte par des systèmes narratifs iconiques

1) Le texte enrichi par l’image


Le renouvellement du genre originel passe par un processus essentiel dans la littérature
pour la jeunesse : l’adjonction d’images qui permettent de donner corps au texte. Une majorité
des textes contemporains réécrivant le Petit Chaperon rouge sont des albums illustrés. Le lien
entre le texte et l’illustration offre, sur le mode de deux langages distincts, la construction d’une
histoire riche et sur-signifiante.
L’album est-il un genre à part entière ? Sophie Van der Linden pose cette question dans
son ouvrage Lire l’album : elle reconnaît que l’album recouvre « plusieurs genres, appartenant
généralement aux catégories de la littérature générale », mais elle ajoute que « l’album constitue

1
Ibid., p. 22.
2
Ibid., p. 24.

66
effectivement une forme d’expression spécifique1 ». Dans l’album, les signifiants, linguistiques
et iconiques, dialoguent ensemble, si bien que les énoncés s’entremêlent et s’interpénètrent.
L’image complète le texte et vice versa.
L’adoption de la forme de l’album permet de renouveler le conte original. Dans Je, le
loup et moi..., Béatrice Poncelet2 propose une vision personnelle du Petit Chaperon rouge, que
l’image, intégrée au texte, vient enrichir. La trame narrative est simple : alors qu’elle est dans le
bus pour aller chez sa grand-mère, une toute jeune fille rencontre un homme qui suscite en elle
des émotions inconnues. En finesse et à demi-mot sont suggérés la naissance du désir amoureux
et l’éveil à la sexualité. Le loup n’a rien d’un animal féroce ; n’est retenu ici que son caractère
séducteur. L’album conte la prise de conscience par la jeune fille de son pouvoir de séduction.
Le passage de l’enfance à la découverte de la féminité est symbolisé par le changement de
couleurs : alors que sa couleur préférée avait toujours été le rouge, l’adolescente se sent fière de
porter le manteau bleu que lui a confectionné sa grand-mère et dans lequel elle se sent
différente. Béatrice Poncelet unit dans son album le texte et l’image dans un « rapport de
collaboration3 » de telle sorte que le sens émerge de la mise en relation du texte et de l’image
qui construisent tous deux un propos unique. Comme dans d’autres de ses albums, l’auteur joue
sur des effets de matières, mêlant en une sorte de patchwork, des images de différentes natures :
croquis au crayon ou dessins si réalistes qu’ils ressemblent à des prises de vue, photographies,
gravures anciennes, broderie, etc. La jonction de cet entremêlement d’images, constituées par
collage et superposition les unes aux autres, au texte composé à la première personne du
singulier, donne l’impression de lire le journal intime d’une jeune fille. Les illustrations viennent
soutenir le texte et aident à entrer
dans cet univers féminin. Le
conte original, qui n’est jamais
nommé frontalement, apparaît
par allusion dans le texte et est
soutenu par les effets de collage
construits par l’illustration.
Ainsi, sur la double page
reproduite ci-contre, apparaissent
dans un désordre troublant des
dessins colorés présentant le

1
Sophie Van der Linden, Lire l’album, Le Puy-en-Velay, L’Atelier du poisson soluble, 2006, p. 29.
2
Béatrice Poncelet, Je, le loup et moi…, Genève, La Joie de lire, 1988.
3
Sophie Van der Linden, Lire l’album, op. cit., p. 121.

67
quotidien, sur lesquels sont collés le dos du loup de la gravure de Gustave Doré et la photo
d’une jeune fille – sans doute la narratrice. Le noir et le blanc se mêlent à la couleur, la photo et
la gravure se superposent sur le dessin. La célèbre comptine « Loup y es-tu ? » apparaît sur la
page de gauche, matérialisée par la reproduction des lignes de partition. Ainsi, dans cette double
page, l’hypertextualité apparaît moins dans le texte lui-même que dans l’illustration. L’image
vient dire ce que le texte ne présente pas directement : on voit ici, intégré à l’histoire par le
collage d’éléments appartenant au monde de l’enfance, le fragile équilibre d’une fillette qui se
sent grandir et qui, en même temps, n’est pas tout à fait prête à quitter définitivement son
enfance.
Dans l’album, l’image vient soutenir le texte et raconter l’histoire à sa façon. Comme le
dit Daniel Maja1, l’illustration est une « image narrative » et est « elle-même discours » : elle
s’adresse à la sensibilité, s’appréhende par l’émotion et a le pouvoir de dire ce qui ne peut pas
simplement se transmettre par les mots. À travers l’album, le conte original est donc réinvesti
dans un univers graphique et non plus simplement auditif, comme il l’était dans les contes
oraux. La lecture exige du temps et mène à la relecture, invitant à l’observation des multiples
détails visuels.
Une autre transposition générique offrant au conte-source la richesse de l’image est la
projection parodique du Petit Chaperon rouge original dans la bande dessinée. L’image de
bande dessinée n’a pas le même statut que l’illustration d’album : elle est « analytique »,
instaurant un « déploiement continu », et non plus « synthétique2 ». Les images s’inscrivent
dans un scénario. F’Murr, dans l’album de bande dessinée Au loup !3, met en scène des
historiettes sur le thème du loup et mêle dans un univers délirant, le chaperon rouge, Mère-
Grand, le corbeau, le renard et le camembert de la fable de La Fontaine. Perrault est confronté
au syndicat des ogres, tandis qu’une horde de chaperons rouges déclarent la guerre aux loups.
F’Murr convoque le chaperon rouge de façon souvent inattendue, ridiculisant le loup et
s’amusant avec la fillette qui est loin d’être gentille et naïve. Le genre de la bande dessinée offre
l’occasion de mêler les parodies, le trait caricatural du dessin offrant une représentation
humoristique et décalée des personnages traditionnels des contes. On voit donc ici que l’image
est le support d’un renouvellement imaginatif du texte-source.

1
Daniel Maja, Illustrateur jeunesse. Comment créer des images sur les mots ?, Paris, Éditions du Sorbier, « La
littérature jeunesse, pour qui, pour quoi ? », 2004, p. 154.
2
Ibid., p. 31-32.
3
F’Murr, Au loup ! [Pepperland, 1979], Paris, Dargaud, 1982.

68
2) L’image sans le texte
Le détournement du conte original va parfois plus loin encore que l’enrichissement du
texte par l’image. On trouve en effet quelques albums contemporains où l’histoire du petit
chaperon rouge est racontée par les images seules et où le texte est totalement absent. Il s’agit
donc alors d’une transposition iconique où l’image vient faire office de texte.
Dans le Petit Chaperon rouge de Rascal1, le récit est réduit à l’enchaînement des images.
Dans cet album, le conte est transcrit à travers des images tricolores (le noir, le blanc et le rouge
sont les seules couleurs utilisées) et des personnages aux formes géométriques, constitués de
carrés, d’angles durs, ressemblant à des legos ou bien des images numériques pixelisées.
L’absence de texte et la simplicité du graphisme peuvent déstabiliser le lecteur, généralement
habitué à s’appuyer sur des mots pour lire une histoire. Mais « l’absence de texte n’implique pas
l’absence de discours2 ». Cet ouvrage sollicite une énonciation et appelle « une mise en mots des
images proposées3 ».
Comme dans les albums sans texte d’Anne Brouillard4, l’ouvrage de Rascal invite le
jeune lecteur à recréer l’histoire et à mettre des mots sur les images muettes et minimalistes.
Cette utilisation de l’illustration laisse au lecteur une grande liberté : l’enfant peut se rappeler le
conte original et le reconstituer, mais il peut également réinventer les dialogues initiaux ou la
fin, car l’album se termine brutalement par une page rouge à l’ouverture de la porte de la maison
de la grand-mère. L’album incite l’enfant à imaginer l’histoire qui lui plaira.

L’enveloppe architextuelle impose des règles et un système normatif. Mais l’auteur est
libre d’y faire exception. Il désoriente alors l’attente au lieu de la guider. L’écart entre « la forme
attendue et [la] forme réalisée par le texte5 » permet d’amplifier la tension narrative et de
surprendre le lecteur. Ainsi, les Petits Chaperons rouges contemporains sont rarement des
contes à proprement parler. Le changement de forme multiplie les possibilités narratives.
L’histoire originelle entre alors dans les codes du polar, du théâtre, etc.
Cependant, malgré les transpositions génériques, l’intrigue reste presque toujours
centrale. Dans les ouvrages contemporains, la narration ne se fait plus forcément par le biais des
énoncés linguistiques et peut, par exemple, se construire à partir des images. L’histoire racontée
est toujours ce qui suscite l’intérêt du jeune lecteur.

1
Rascal, Le Petit Chaperon rouge, Paris, L’école des loisirs, « Pastel », 2002.
2
Sophie Van der Linden, Lire l’album, op. cit., p. 49.
3
Id.
4
Par exemple L’Orage, Grandir, 1988.
5
Raphaël Baroni, La Tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, op. cit., p. 243.

69
À quelles transpositions au sein de l’histoire assiste-t-on dans les réécritures
contemporaines du Petit Chaperon rouge ? Comment l’histoire originelle est-elle réécrite et quel
sort l’auteur impose-t-il aux personnages originels ?

II) L’histoire
Les transpositions de l’histoire sont les éléments les plus marquants et les plus
directement visibles dans les réécritures parodiques des auteurs contemporains. Pour cette
raison, nous nous y tarderons plus précisément.
Dans Figures III1, Gérard Genette distingue l’histoire (« le signifié ou contenu narratif »),
le récit (« le signifiant, énoncé, discours ou texte narratif lui-même ») et la narration (l’acte
producteur du récit). L’histoire est donc l’objet du récit, ce qu’il raconte. Elle est l’enchaînement
ou la « succession d’événements et/ou d’actions2 », advenant dans l’univers de la « diégèse ».
Cette suite d’actions est prise en charge par des acteurs – les personnages – qui ont un rôle
essentiel dans la constitution de l’intrigue.
Quels écarts les contes détournés établissent-ils par rapport à l’intrigue originelle ?
Comment les personnages du conte originel y apparaissent-ils ? Quelles métamorphoses sont-
elles imposées aux décors et au temps qui ne sont qu’à peine évoqués dans le texte-source ?

A) L’intrigue

1) Le schéma quinaire du conte d’origine


Pour bien montrer les variations que les auteurs contemporains imposent à l’histoire
originelle, il faut rappeler le schéma narratif du conte-source dans la version la plus souvent
reprise – celle des Grimm. En comparant l’intrigue originelle avec ses réécritures modernes,
nous pourrons voir à quel moment l’histoire se rompt et, en quittant son schéma initial, crée
chez le lecteur des effets de surprise.
Pour fonder notre étude de l’intrigue, nous nous servirons de l’analyse structurale mise
en place par Paul Larivaille3, connue sous le nom de « schéma quinaire ». Selon cette thèse,
toute histoire se résume à une suite logique de cinq étapes :

1
Gérard Genette, Figures III, « Discours du récit », Paris, Le Seuil, « Poétique », 1972, p. 72.
2
Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, Le Seuil, « Poétique », 1982, p. 342.
3
Paul Larivaille, « L’analyse morpho-logique du récit », dans Poétique, n°19, 1974. Cité par Vincent Jouve, in : La
Poétique du roman [1997, Sedes], Paris, Armand Colin, « Campus », 2006, p. 47-49.

70
- un état initial, renvoyant à une situation stable marquant l’équilibre dans lequel se trouvent
les personnages ;
- une perturbation, déclenchée par un élément détonateur qui introduit une instabilité et
provoque une transformation ;
- une action, généralement menée par une force contraire à celle de l’équilibre initial ;
- une sanction ou conséquence, permettant de réparer le déséquilibre ;
- un état final, marquant la construction d’un nouvel équilibre ou le retour à l’équilibre initial.
Selon ce modèle, qui a été mis en place pour analyser la séquence narrative élémentaire des
contes, le récit se définit comme le passage d’un état à un autre et suppose donc un acte de
transformation.
Pour mieux visualiser le schéma narratif construit par les Grimm dans leur Petit
Chaperon rouge, nous avons représenté sous forme schématique la trame adoptée par les
conteur. La flèche horizontale symbolise le fil du récit.

PCR = Petit chaperon rouge Transformation

(2) (4)
Complication Résolution (5)
(1) (3) Situation
Situation ou ou
Action finale
initiale provocation sanction

La mère Le PCR Le loup mange Le PCR est Le chasseur


envoie le rencontre le Mère-Grand, dévoré par le délivre la
PCR chez loup, qui prend sa place et loup. grand-mère et le
Mère-Grand. élabore un plan noue un dialogue PCR.
pour la dévorer. avec le PCR.

D
ans ce schéma, nous voyons que le déclencheur est la rencontre de la fillette avec le loup, et la
conséquence sanctionnant l’irruption du loup est la mort du chaperon (et de la grand-mère).
Chez les Grimm, la situation finale ménage une issue heureuse, permettant la délivrance des
deux femmes. L’équilibre est donc rétabli.

2) Les ruptures du schéma originaire dans les textes contemporains


Les auteurs contemporains jouent avec cette trame narrative bien assimilée par les
lecteurs, et constituent leur propre texte en établissant une rupture par laquelle le schéma
originel est détruit. Plus la rupture apparaît tardivement, plus la surprise du lecteur est grande.
Si, au contraire, le moment de la rupture intervient en amont du schéma narratif, l’écart entre

71
l’hypotexte et l’hypertexte est plus marqué et l’effet parodique se double de la constitution d’un
nouveau texte, distinct de son modèle. Pour visualiser le moment essentiel de la rupture dans
quelques textes contemporains, nous allons reprendre le schéma narratif et indiquer sur le fil du
récit l’étape à laquelle l’enchaînement originel est brisé.
Lorsque seul le dénouement diffère du conte-source, l’effet de surprise est maximal.
C’est le cas dans la réécriture du Petit Chaperon rouge de Roald Dahl. Le nouveau conte
respecte scrupuleusement la trame originelle durant les trois quarts du récit, mais brutalement,
l’histoire déraille : au lieu de s’exclamer « Comme tu as de grandes dents ! », la fillette s’extasie
devant la fourrure du loup. « Ce n’est pas dans le texte1 ! », s’écrie l’animal. Mais celui-ci n’a
pas le temps de se révolter et est abattu par la fillette qui a sorti de son pantalon un revolver. La
fillette, coquette, peut désormais pavaner dans son beau manteau de fourrure en peau de loup !
Chez Dahl, la rupture a donc lieu à la quatrième étape du schéma narratif, celle de la résolution,
ce qui entraîne inévitablement une nouvelle situation finale. Nous pouvons schématiser ainsi le
récit de Dahl (les pointillés marquent la création propre à l’hypotexte) :

(4) Sanction

Rupture : c’est le PCR qui tue le


loup au lieu d’être tué par le loup.

Chez d’autres auteurs contemporains, le schéma quinaire est brisé à l’étape centrale de
l’action. Alors que l’histoire semblait devoir se reproduire exactement comme dans le conte-
source, les personnages refusent de nouer l’action de la façon dont on s’y attend. C’est le cas du
petit chaperon vert de Cami2 : malgré les multiples « coïncidences » constatées entre la situation
de l’héroïne de Cami et celle du conte-source, la fillette, qui connaît l’histoire initiale, refuse de
dire le texte original et brise ainsi la trame attendue. Schématisons ci-dessous l’effet de rupture
dans le texte de Cami :
(3) Action

Rupture : le PCR refuse de rejouer


jusqu’au bout le dialogue initial.

Remontant toujours le fil de l’histoire, nous assistons chez d’autres auteurs


contemporains à une rupture qui a lieu dès que la fillette quitte ses parents. Nous rencontrons ce

1
Roald Dahl / Quentin Blake (illus.), « Le Petit Chaperon rouge », dans Un conte peut en cacher un autre, op. cit.,
p. 48.
2
Cami, « Le petit chaperon vert », in : L’Homme à la tête d’épingle, op. cit.

72
cas dans Le Petit Chaperon rouge a des soucis d’Anne-Sophie de Monsabert1 : la situation
initiale est identique à celle du conte-source, la petite fille étant invitée par sa mère à aller rendre
visite à sa grand-mère. Mais une fois en chemin, rien ne se passe comme prévu : elle rencontre
des enfants qui, parce qu’elle est habillée en rouge en plein mois de décembre, s’évertuent à la
prendre pour le Père-Noël et dévalisent son panier dans l’espoir d’y trouver des cadeaux ! Le
loup, lui-même, refuse de la dévorer, échaffaudé qu’il est par ses précédentes aventures avec les
fillettes. Dans cet album, tout bascule donc à l’étape de la « complication », qui n’a pas
réellement lieu, faute d’identification du petit chaperon rouge comme personnage :

Rupture : le PCR n’est pas identifié comme tel.


Il ne peut y avoir d’événement déclencheur.

Enfin, un dernier cas, atypique et rarement rencontré dans nos lectures : seule la dernière
étape du schéma narratif originaire est reprise. Il s’agit alors de raconter la suite de l’histoire du
petit chaperon rouge. Ainsi, dans Où est maman ?2, l’auteur ouvre son album par une scène où
la fillette (nommée ici Toute-en-rouge) a capturé le loup, lui a recousu le ventre et s’exclame
« Voilà, c’est fait. Maintenant je rentre à la maison » :

L’histoire commence donc là où se termine généralement le conte du petit chaperon rouge.


L’auteur a imaginé en effet une situation que le jeune lecteur du conte initial a déjà dû se poser :
comment le petit chaperon rouge va-t-il faire pour retourner chez sa maman, une fois l’épreuve
du loup surmontée ? L’album raconte ainsi en images le difficile cheminement de la fillette
jusqu’à la maison maternelle : le retour chez soi n’est pas aisé, mais Tout-en-rouge est
heureusement aidée par d’autres personnages, eux aussi à la recherche du foyer familial (les sept
nains, Pouce et Poucette, la Belle Dormante, les trois petits cochons... et même le loup, qui tout
féroce qu’il est, aimerait bien connaître la douceur d’une mère). Ici, le lien avec le conte initial

1
Anne-Sophie de Monsabert / Géraldine Alibeu (illus.), Le Petit Chaperon rouge a des soucis, Paris, Albin Michel
Jeunesse, 2004.
2
Gerda Dendooven, Où est Maman ? Éditions Être, Paris, 2006.

73
est minime, et pourtant il est nécessaire à l’enfant de connaître l’histoire originelle s’il veut
comprendre toute la portée de la nouvelle histoire. Ci-dessous, nous avons essayé de schématiser
le lien entre les deux récits : les gros pointillés à gauche évoquent l’histoire-source, les petits
pointillés de droite la nouvelle histoire et le trait noir, entre les deux, le moment où les deux
récits se recouvrent :

(5) Situation finale

Par conséquent, loin de suivre le cours du récit attendu, les histoires contemporaines
marquent leur écart par rapport au conte-source. La modification de la trame originale engendre
des effets de surprise. Comme le montre Raphaël Baroni, les récits parodiques se fondent « sur
la réversibilité d’un modèle connu, sur un écart entre hypotexte et hypertexte » : ils
« configurent une surprise qui succède à une attente1 ». Se joue ici une « relation tensive2 » entre
la reconnaissance d’indices intertextuels et l’actualisation effective de la lecture qui ne retrouve
pas dans le texte les cadres attendus. Respect et rupture du schème narratif classique dans le
nouveau texte entraînent respectivement anticipation et incertitude du lecteur et constituent la
tension narrative qui donne envie au lecteur de continuer la lecture.

B) Les personnages

1) Des personnages qui pré-existent aux textes


Dans les contes traditionnels, les personnages sont typés. Ils sont sans épaisseur
psychologique et parfois même sans nom. Ils sont simplement désignés par la fonction qu’ils
occupent dans la société, ou bien par leur position familiale.
Le héros est généralement caractérisé par un détail physique ou moral qui lui est propre
et qui le distingue des autres. Ainsi, dans les versions originelles du conte, l’héroïne est désignée
par la relation familiale qu’elle entretient avec sa mère et sa grand-mère. Elle est brièvement
caractérisée par un élément vestimentaire à l’origine du surnom qui lui a été attribué : le petit
chaperon rouge que lui a confectionné sa grand-mère. Aucun autre détail physique n’est donné.
Chez Perrault, on apprend simplement que la « petite fille de village » est « la plus jolie qu’on
eût su voir3 ». Nulle précision n’est donnée sur son âge, la couleur de ses yeux ou de ses
cheveux, ni non plus son milieu social. On ne peut pas plus dresser le portrait physique de la

1
Raphaël Baroni, La Tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, op. cit., p. 238.
2
Ibid., p. 239.
3
Charles Perrault, Contes, op. cit., p. 53.

74
fillette qu’on ne peut en fixer les traits de caractère. Rien n’est dit dans le texte. Perrault laisse
seulement entendre que la fillette est charmante puisque sa mère et sa grand-mère en sont
« folles1 ».
On trouve la même indétermination pour les autres personnages du conte. De la grand-
mère, on sait seulement qu’elle habite loin de la maison de sa fille, « au milieu de la forêt, à une
demi-heure du village », disent les Grimm2, et qu’elle est malade depuis peu. Quant au loup,
aucune description n’en est donnée : Perrault nous dit seulement, au détour d’une phrase, qu’il
est « méchant », et les Grimm le désignent par l’expression « vilaine bête ».
Dans les contes, les personnages ne sont pas déterminés par leur ressemblance avec des
personnes humaines vraisemblantes. Ils sont avant tout des moteurs d’action sans identité. Les
personnages sont définis par les relations qu’ils entretiennent entre eux et par les actions qu’ils
accomplissent. Ainsi, si on peut désigner l’héroïne de Perrault comme naïve et inconsciente,
c’est grâce à l’interprétation qu’on peut faire de la mésaventure qui lui arrive. C’est à travers ses
actions que son caractère se détermine. Le chaperon rouge est moins naïf qu’il n’agit naïvement.
L’analyse de Vladimir Propp3 définit les personnages des contes en fonction de leur
participation à une sphère d’actions et les considère comme des « actants ». Selon Propp, les
personnages se déterminent non pas en fonction de ce qu’ils sont, mais en fonction de ce qu’ils
font. Ce sont des types comme le Méchant, l’Aide, le Donateur, etc. Ces fonctions se retrouvent
d’un conte à l’autre et sont aisément reconnaissables par le lecteur.
Les personnages traditionnels de conte sont donc des stéréotypes, c’est-à-dire qu’ils sont
« reçus comme des traits caractéristiques qui donnent l’impression du déjà vu, du déjà rencontré
au personnage, qui font de lui un familier, un type populaire ou un type littéraire 4 ». Le
stéréotype est l’élément antérieur à la lecture, généralement issu de l’environnement culturel,
qui la structure et la détermine. Il aide à la construction du sens et oriente la lecture. Ainsi,
lorsqu’il lit un conte mettant en scène un personnage de loup, le lecteur reconnaît le stéréotype
de l’animal féroce, effrayant et trompeur, alors qu’il identifie d’emblée la fillette comme
innocente et naïve.
Lorsqu’un enfant ouvre un ouvrage intitulé Le Petit Chaperon rouge, il pense connaître
les personnages de l’histoire, même si le livre a été écrit par un auteur contemporain. Comme le
dit Serge Martin, « on ne lit jamais un conte pour la première fois5 ». On n’a pas besoin d’avoir

1
Ibid., p. 53.
2
Grimm, Contes merveilleux, op. cit., p. 69.
3
Vladimir Propp, Morphologie du conte, op. cit.
4
Jean-Claude Azoumaye, article « Stéréotype » in : Dictionnaire international des termes littéraires
(<www.ditl.info/arttest/art8211.php>).
5
Serge Martin, Les Contes à l’école. Le(s) Petit(s) Chaperon(s) rouge(s), Paris, Bertrand Lacoste, « Parcours
didactiques à l’école », 1997, p. 21.

75
lu la « partition originale » pour la connaître1. Le lecteur aborde donc les personnages du conte
réécrit avec les images qu’il s’en est constituées à la lecture ou à l’écoute du conte originel. Il
projette alors sur les personnages ses attentes, correspondant aux stéréotypes. Le loup est né non
seulement des versions originelles du conte du Petit Chaperon rouge, mais aussi des nombreux
autres contes où ses méfaits l’ont d’ores et déjà caractérisé (Les Trois Petits cochons, Le loup et
les chevreaux, Pierre et le loup, etc.). Les personnages des contes ont une existence culturelle.
Ils appartiennent à l’imaginaire collectif et sont familiers à l’enfant qui les reconnaît sans avoir
besoin d’une description qui vienne leur donner une identité. Pour désigner ces personnages,
Philippe Hamon a élaboré le concept de « pré-désignation conventionnelle2 ». Le personnage est
défini par des caractéristiques issues du genre auquel appartient le texte, ce qui le détermine
avant la lecture par intertextualité sous-jacente.
La constitution du personnage de conte est réalisée par le double rapport au contexte
culturel et au rôle actif du lecteur. En effet, le personnage est toujours
la collaboration d’un effet de contexte (soulignement de rapports sémantiques intra-textuels) et d’une
activité de mémorisation et de reconstruction opérée par le lecteur 3.
Cette définition du personnage suppose la participation du lecteur. Umberto Eco, dans Lector in
fabula, identifie la lecture comme une « coopération interprétative » et montre que l’acte de lire
suppose un certain nombre de « compétences ». L’une d’entre elles est la « compétence
encyclopédique », à l’occasion de laquelle Eco forge le concept de « scénario intertextuel4 ». Le
lecteur appréhende un texte à partir de scénarii préexistants, issus du lien qu’il entretient en tant
que lecteur avec les autres textes. Les scénarii peuvent être « maximaux », c’est-à-dire issus des
règles de genre, ou encore « motifs » ou « situationnels ». Ces scénarii, issus de la compétence
intertextuelle du lecteur, elle-même déterminée par l’horizon culturel dans lequel l’imaginaire se
développe, déterminent une certaine interprétation des textes et guident toute nouvelle lecture.
Ainsi, le lecteur d’un Petit Chaperon rouge contemporain lit le nouveau conte avec l’aide du
scénario intertextuel qui structure sa lecture et crée un horizon d’attente. L’enfant-lecteur qui
aborde un nouveau conte du Petit Chaperon rouge s’attend donc à trouver des personnages qu’il
s’est appropriés.
Face à cet horizon d’attente, deux possibilités s’offrent aux auteurs contemporains : soit
confirmer cette attente en développant les stéréotypes et en leur donnant une présence physique
ou psychique qu’ils n’avaient pas forcément dans le conte originel, soit au contraire briser

1
Cf. Umberto Eco, « Sur quelques fonctions de la littérature », in : De la littérature [Sulla letteratura, 2002],
traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 2003, p. 19.
2
Philippe Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage » [dans Littérature, 6, Paris, Larousse, 1972], puis
dans Poétique du récit [1977], Paris, Le Seuil, 2003, p. 126.
3
Id.
4
Umberto Eco, Lector in fabula, op. cit., p. 101.

76
l’attente en renversant le stéréotype et en procédant à des retournements qui vont constituer de
nouveaux types. Nous allons étudier les personnages des textes contemporains en analysant
successivement ces deux possibilités.

2) La transformation du stéréotype en personnage


Certains auteurs contemporains transforment le stéréotype en personnage, c’est-à-dire en
un signifiant discontinu (un certain nombre de marques textuelles) renvoyant à un signifié discontinu
(le sens et la valeur d’un personnage) 1.
Philippe Hamon montre que le personnage n’existe pas en dehors du texte, mais qu’il se
constitue au fil des énoncés linguistiques, par les annotations concernant son être, son faire et
son importance hiérarchique. Dans les textes contemporains, on relève ainsi plusieurs
indications au fil du récit permettant de préciser les personnages du Petit Chaperon rouge.
Une des façons de caractériser l’être du personnage est de lui donner un nom. Dans leurs
Contes à l’envers, Dumas et Moissard continuent de laisser le « célèbre chaperon rouge2 » dans
son anonymat. En revanche, ils lui donnent un lien génétique avec leur personnage. En effet, le
chaperon rouge « n’a pas éternellement continué d’être petit » et a eu une fille, prénommée
Françoise, qui, elle-même, a eu à son tour une fille appelée « Lorette ». Celle-ci a été
surnommée « le Petit Chaperon Bleu Marine »
à la fois en l’honneur de sa grand-mère et à cause d’un duffle-coat de cette couleur acheté en solde
aux Galeries Lafayette et que sa maman (Françoise) l’oblige à mettre chaque fois qu’elle sort, pour
qu’elle n’aille pas attraper froid3.
Les auteurs vont conter les aventures de cette petite fille qui, jalouse de la réputation de sa
grand-mère, l’ex-Chaperon rouge, s’est mise en tête de devenir aussi célèbre qu’elle. En donnant
à leur héroïne un nom et en la faisant évoluer dans un univers référentiel facilement identifiable
(le treizième arrondissement de Paris) ils créent un personnage qui n’est plus aussi indéterminé
que le stéréotype du conte originel. Le petit lecteur parisien pourrait avoir l’idée d’aller au
Jardin des Plantes, comme le Chaperon bleu, et penser que le loup qui dort dans sa cage est,
comme dans le conte de Moissard et Dumas, « l’arrière-petit-neveu de celui qui dans le conte de
Perrault mange la grand-mère4 ». L’onomastique et la biographie permettent de rendre les
personnages plus proches de personnes réelles. On voit ici que les auteurs font basculer le conte
dans le roman et utilisent des éléments clés du genre romanesque (psychologie, réalisme, effet
mimétique) qui permettent de multiplier les effets de vie.

1
Philippe Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », op. cit., p. 124.
2
Philippe Dumas et Boris Moissard, Contes à l’envers [1980], Paris, L’école des loisirs, « Neuf », 2005, p. 15.
3
Ibid, p. 16.
4
Ibid., p. 19.

77
Pour faire vivre son personnage, l’auteur peut évoquer sa vie intérieure. Dans L’effet-
personnage dans le roman, Vincent Jouve parle d’« effet-personne » pour définir le personnage
sous l’angle des procédures créatrices de l’illusion référentielle, et explique ainsi que
la référence aux pensées, aux sentiments, passions, angoisses ou désirs d’un personnage, donne une
impression de « richesse psychique »1.
Pour donner de la profondeur à la vie psychique du personnage, l’auteur dispose d’un « foyer
modal2 » constitué par le vouloir, le savoir et le pouvoir. Joël Pommerat, dans son Petit
Chaperon rouge3, fait le portrait de son héroïne à partir de la conjonction de ces trois modalités.
Les premières pages de sa pièce de théâtre sont en effet consacrées à une description précise de
la petite fille. Celle-ci est définie par le sentiment de manque et de solitude qu’elle ressent car sa
mère est trop souvent absente. Le personnage de la fillette est ainsi déterminé par son désir de
retrouver la tendresse d’une mère que son travail retient loin de la maison. Un jour, la mère
annonce à sa fille qu’elle pourra aller voir toute seule sa grand-mère lorsqu’elle saura
confectionner elle-même un flan. Après de nombreuses tentatives, la fillette parvient enfin à
cuire le gâteau : elle a le savoir – le savoir qui marque l’apprentissage de l’enfant. Elle part donc
chez sa grand-mère et, en chemin, rencontre le loup. La lutte qui l’oppose à l’animal est la
modalité de pouvoir qui participe, elle aussi, à la caractérisation de l’héroïne. Joël Pommerat, en
approfondissant le personnage du chaperon, parvient à constituer un personnage attachant.
Comme le montre Vincent Jouve, « l’effet-personne » construit le personnage dans un « système
de sympathie », favorisant l’identification du jeune lecteur :
Le lecteur, en tant que sujet, se reconnaît ainsi dans le personnage le plus personnalisé 4.
La dévoration de la fillette par le loup, à la fin de la pièce de Joël Pommerat, sera d’autant plus
troublante pour l’enfant-lecteur qu’il se sera identifié à l’héroïne longuement caractérisée par
son auteur.
Un autre moyen que le seul texte est donné aux auteurs de littérature de jeunesse pour
caractériser leurs personnages : l’illustration. Dans les albums, le lecteur n’est pas totalement
libre d’imaginer le personnage comme il le veut. Les illustrations lui donnent une image des
personnages, même si le texte est resté lacunaire. L’illustrateur invite le lecteur à imaginer les
personnages tel qu’il les conçoit lui-même. Ainsi, dans Un petit chaperon rouge, de Claude
Clément5, l’illustratrice Isabelle Forestier donne une figuration concrète au personnage de la
fillette, et en particulier au « bonnet de velours cramoisi » que le texte se contente de présenter

1
Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, Paris, PUF, « Écriture », 1992, p. 111.
2
Ibid., p. 112.
3
Joël Pommerat / Marjolaine Leray (illus.), Le Petit Chaperon rouge, op. cit.
4
Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, op. cit., p. 133.
5
Claude Clément / Isabelle Forestier (illus.), Un petit chaperon rouge, Paris, Grasset & Fasquelle, 2000. Nous
avons placé en tête de notre deuxième partie une illustration tirée de l’album.

78
en ces simples termes. L’illustratrice représente le chaperon comme un très haut chapeau rouge,
démesurément long, joliment arrondi à sa pointe. C’est une façon de montrer l’originalité de
l’héroïne et d’insister sur sa particularité. Quelques pages plus loin, les dessins très réalistes du
loup donnent corps, eux aussi, au personnage animal, mettant en avant sa violence et la peur
qu’il suscite.
Comme on le voit, dans certains textes contemporains, les stéréotypes du conte originel
sont transformés, si bien qu’ils deviennent personnages à proprement parler. Les nouveaux
personnages gagnent leur autonomie et le jeune lecteur s’y attache facilement.

3) Le renversement des stéréotypes


D’autres auteurs contemporains présentent des personnages qui ont toujours une valeur
de type, mais ne correspondent justement pas au stéréotype que l’on s’attend à trouver. Dans de
tels textes, la dimension parodique est fortement présente et se lit à partir de l’inversion des rôles
des personnages traditionnels.
Ainsi, alors que le loup devient sympathique, le chaperon rouge, lui, devient un bourreau
persécutant le pauvre animal. Dans l’album de Philippe Corentin, Mademoiselle Sauve-qui-
peut1, la fillette est infernale. Le livre s’ouvre par une phrase parodiant l’incipit du conte de
Perrault :
Il était une fois une petite fille, la plus espiègle qu’on eût pu voir.
La fillette taquine tous les animaux de la ferme, leur jouant des mauvais tours : c’est une « vraie
chipie », une « enquiquineuse », d’où son surnom « Mademoiselle Sauve-qui-peut », à prendre
au sens propre puisque tous les animaux s’enfuient dès qu’ils l’aperçoivent ! Chez sa grand-
mère, où l’a envoyée sa mère pour s’en débarrasser, elle trouve le loup, déguisé en mamie, qui
s’est glissé dans le lit. Elle fait d’abord mine de ne pas voir le déguisement et rejoue le dialogue
connu avec le loup/grand-mère. Mais elle finit par chasser l’animal à coup de fourche :
« Allez, zou ! Dehors ! Et plus vite que ça ! Il veut que je m’énerve en vrai, le loup ? Il me croit aussi
bête que le Petit Chaperon rouge ou quoi 2 ? »
L’héroïne refuse d’être assimilée au personnage du conte-source. Ici, le chaperon du texte
originel souligne le décalage avec le modèle, car
le Chaperon terrible cherche toujours à se situer par rapport à son modèle, dans des récits à dimension
métanarrative, où l’héroïne connaît fort bien l’histoire qu’elle démarque 3.
Le personnage de la fillette dans les textes contemporains anticipe ses aventures pour mieux les

1
Philippe Corentin, Mademoiselle Sauve-qui-peut [1996], Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 2006.
2
Ibid., p. 25.
3
Christiane Pintado, « Enfants terribles des nouveaux contes. Chaperons et princesses ne s’en laissent plus conter »,
in : Nous voulons lire !, n° 164, avril 2006, p. 19.

79
éviter. Les références au texte initial marquent cette rupture. Comme Mademoiselle Sauve-qui-
peut, la Lorette du conte à l’envers de Dumas et Moissard affirme sa supériorité sur le chaperon
du conte originel : « Suffit, Loup ! », dit-elle à sa grand-mère qu’elle prend pour le loup, avant
d’ajouter : « Je ne suis pas aussi bête et naïve que le Petit Chaperon rouge 1. » La fillette du
nouveau conte « prend son personnage source pour repoussoir2 ». Le personnage du texte
contemporain est l’objet d’un commentaire métatextuel. Dans les deux exemples donnés ci-
dessus, Mademoiselle Sauve-qui-peut et Lorette critiquent explicitement le personnage du
chaperon rouge et s’affirment ainsi par ce rejet marquant l’inversion des rôles.
Le chaperon n’est pas le seul à subir ce renversement. Les loups des textes
contemporains deviennent gentils et serviables, des « amours », comme le loup du roman
d’Agnès de Lestrade3. Ils sont parfois tellement traumatisés par les effronteries du chaperon
qu’ils se révèlent aussi doux que des agneaux. L’image finale de Mademoiselle Sauve-qui-peut4
où l’on voit le loup, assis au coin du feu auprès de Mère-Grand, montre avec humour cette
inversion.
Cependant, le renversement du stéréotype est parfois suivi d’un rétablissement inattendu.
Ainsi, le loup du conte de Marcel Aymé5 se prend au jeu de Delphine et Marinette qui s’amusent
à « Loup y es-tu ? » et finit par croquer les deux petites filles. Son instinct carnivore est revenu
malgré lui.

C) Les décors et le temps de l’histoire

1) Indétermination du temps et de l’espace dans le conte d’origine


Étudions maintenant l’environnement spatio-temporel dans lequel évoluent les
personnages, c’est-à-dire le contexte dessiné explicitement ou non par l’histoire. Nous
n’envisageons donc pas ici le temps de la narration, propre à la façon dont l’histoire est
racontée, mais plutôt le temps de l’aventure. Où et quand se passent les événements racontés
dans l’histoire ?
Dans un conte traditionnel, il est impossible de situer avec précision le lieu et le temps
référentiels, contrairement à une légende qui a trait à un lieu et à un moment précis de l’Histoire.
Aucune topographie, même vague, ne peut être construite à la seule lecture du conte du Petit

1
Philippe Dumas et Boris Moissard, Contes à l’envers, op. cit., p. 22.
2
Christiane Pintado, « Enfants terribles des nouveaux contes. Chaperons et princesses ne s’en laissent plus conter »,
in : Nous voulons lire, op. cit., p. 23.
3
Agnès de Lestrade / Christian Guibbaud (illus.), Un amour de loup, op. cit.
4
Philippe Corentin, Mademoiselle Sauve-qui-peut, op. cit., p. 28.
5
Marcel Aymé, « Le loup », dans Les Contes du chat perché [1939], Paris, Gallimard, « Folio », 1988, p. 169-187.

80
Chaperon rouge. Les seules indications de lieu chez Perrault et les Grimm sont la mention d’un
« village » et d’une « forêt ». La formule d’ouverture « Il était une fois » marque clairement
l’atemporalité qui permet de créer « une toile de fond uniforme sur laquelle surgit […] un
événement1 ». Par son absence de contextualisation, le conte fonde une histoire qui se réalise
dans un passé immémorial et un monde étranger. Parce qu’il est impossible de dater les faits et
qu’ils se réalisent dans un univers ne ressemblant pas à celui dans lequel nous vivons, tout est
donné dans le conte pour construire une histoire hors du commun. Le lecteur est invité à se
concentrer sur l’intrigue, réduite à l’essentiel, puisque les moments de pause consacrés à la
description sont minimes.
L’indétermination spatio-temporelle favorise également le travail interprétatif du lecteur
et par conséquent son appropriation. L’absence de contextualisation traduit la portée symbolique
du conte. La forêt du Petit Chaperon rouge symbolise toutes les forêts possibles et imaginables,
c’est-à-dire renvoie à un lieu sur lequel se concentrent les idées de mystère, d’obscurité et de
profondeur. Dans les contes traditionnels, la forêt est le lieu noir et sauvage dans lequel l’on
s’enfonce et l’on se perd. Univers de l’errance et de la perte du foyer familial, elle apparaît
généralement comme un labyrinthe sans fin, au détour duquel l’on risque toujours de faire une
mauvaise rencontre – un ogre dans Le Petit Poucet, ou une sorcière dans Blanche-Neige.
Nuançons cependant notre propos : l’indétermination n’est jamais totale. Un conte est
nécessairement génétiquement daté. Il ne s’abstrait pas totalement de l’époque et du pays qui le
font naître. Les versions populaires fourmillent de détails propres aux régions dans lesquelles
elles ont été racontées – patois, modes vestimentaires, habitudes culinaires… En lisant un conte,
on est projeté dans une époque. Il n’y a donc pas d’universalité du conte qui témoigne, malgré la
brièveté de ses descriptions et l’imprécision de ses notations temporelles, des valeurs de la
société dans laquelle il est transmis.

2) Modernisations et anachronismes
Dans les réécritures contemporaines, le non-lieu et le non-temps des contes traditionnels
perdent leur indétermination et gagnent en contextualisation. Dans les romans, les descriptions
permettent de préciser le contexte géographique. Ainsi, l’ouvrage de Carmen Martin Gaite, Le
Petit Chaperon rouge à Manhattan2, s’ouvre par une promenade dans New York. L’incipit
prend des allures de guide touristique. Y abondent les noms précis des différents éléments du
quartier de Manhattan et de ce qui l’entoure : Central Park, East River, l’Hudson, Brooklyn…

1
Georges Jean, Le Pouvoir des contes, Paris, Casterman, 1990, p. 140.
2
Carmen Martin Gaite, Le Petit Chaperon rouge à Manhattan, op. cit.

81
Le narrateur choisit des images évocatrices : en le lisant, il serait facile de dessiner un croquis de
la ville « en forme de jambon avec un plat d’épinards au milieu1 ». Par un effet de zoom, les
pages suivantes précisent l’univers dans lequel vit l’héroïne, Sara Allen. Il semble aisé de la
localiser : elle habite « dans l’appartement 14 d’un bloc d’immeubles assez laids2 », loin de sa
grand-mère qui vit « au haut du jambon », à Morningside.
Dans de nombreux albums, les descriptions sont rares et ce sont les illustrations qui
imposent l’identité visuelle des lieux et qui fixent les histoires dans un temps actuel. Chapeau
rond rouge3 se passe dans une forêt qui n’est pas
nommée, mais qui est dessinée avec précision.
L’intérieur de la maison de Mère-Grand figure un
environnement contemporain des lecteurs. On voit
un lustre électrique au plafond, un radiateur sous la
fenêtre, des photographies sur les murs (voir ci-
contre). Certes, il y a de nombreux bibelots dans le
salon de la grand-mère (des bougeoirs,
notamment), mais c’est qu’il s’agit de la maison
d’une vieille dame. L’histoire est clairement
donnée dans un espace-temps proche de celui du
lecteur et dans lequel il peut aisément se projeter.
Les réécritures constituent une « transdiégétisation » (ou « transposition diégétique4 »),
technique de déplacement du contexte de la diégèse. Ce procédé est utilisé par l’écriture
parodique pour marquer l’écart entre l’hypotexte et l’hypertexte.
Avec les auteurs contemporains, le monde citadin remplace l’image classique de la forêt,
dont il garde pourtant les caractéristiques fondamentales. En effet, dans de nombreux ouvrages
actuels, le petit chaperon rouge ne doit plus traverser la forêt pour aller chez Mère-Grand : il est
obligé d’aller à l’autre bout de la ville. La ville est alors souvent représentée avec les mêmes
attributs que la forêt : immensité, anonymat, danger, mystère. La fillette doit parfois prendre le
bus pour retrouver sa grand-mère (cf. Quel cafouillage ! de Gianni Rodari5, et Je, le loup et
moi… de Béatrice Poncelet). Jean Claverie, dans son Petit Chaperon rouge, transpose le monde
sylvestre en univers citadin. On voit en effet sur la première page un grand dessin, très gris, de
l’immense carrosserie de M. Wolf (personnage qui tient le rôle du loup). Ce « vaste champ de

1
Ibid., p. 9.
2
Ibid., p. 12.
3
Geoffroy de Pennart, Chapeau rond rouge, op. cit.
4
Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 420.
5
Gianni Rodari / Alessandro Sanna (illus.), Quel cafouillage ! [A sbagliare le storie, 2003], traduit de l’italien par
Sofia Turconi, Paris, Kaléidoscope, 2005.

82
ferraille » est entouré de petits pavillons et de grands immeubles industriels. Les cadavres de
voitures entassées les unes sur les autres donnent une impression de mort. Dans le Petit
Chaperon rouge d’aujourd’hui, la ville a envahi la forêt, comme le suggère l’incipit
accompagnant l’illustration :
Il était une fois une grande ville qui, en grandissant toujours plus, avait fait disparaître une forêt. Là
où avaient prospéré des arbres immenses s’étendait à perte de vue un cimetière de vieilles voitures
sans roues ni glaces, de carcasses d’autocars et de camions à jamais immobiles attendant sous le
soleil et la pluie l’écrasement final sous le pilon de M. Wolf, le casseur 1.
Un tel univers, peu engageant, est pourtant le terrain de jeu du petit chaperon de Claverie, qui
joue parmi les vieilles voitures, comme son ancêtre s’amusait dans la forêt.
Les forêts se transforment en villes. Pourtant, il y a parfois une certaine hésitation dans le
déplacement des deux univers. Ainsi, dans l’album de Claude Clément 2, on trouve à la fois la
ville et la campagne. Le petit chaperon rouge habite la « Cité des Bergeries ». Les illustrations
d’Isabelle Forestier représentent une banlieue noyée dans de hauts immeubles. La cité est
toujours montrée en arrière-plan, mais il est clairement précisé que la fillette et sa mère y
habitent. Pourtant, la Cité des Bergeries est dans un « quartier isolé », si bien que la fillette doit
traverser la forêt pour aller voir sa grand-mère. L’intrusion du monde végétal dans un contexte
citadin marque le désir de l’auteur de rappeler l’univers du conte-source à l’instant clé de la
rencontre avec le loup.
Ainsi, malgré les nombreux éléments de modernisation, certains auteurs ne se coupent
pas totalement de l’univers référentiel premier. Il s’agit de moderniser l’histoire tout en
continuant de la présenter comme un conte. Il semble qu’un saut trop brutal dans la
contemporanéité risquerait de briser le lien avec le conte-source. Pour montrer qu’il raconte
toujours un conte, l’auteur cherche à « faire vieux » et à donner des détails évoquant un univers
passé. Perrault aussi employait un vocabulaire archaïque pour donner l’illusion d’un conte
immémorial3. De la même façon, certains illustrateurs contemporains modernisent le conte, tout
en laissant des indices évoquant le « bon vieux temps ». Anna Laura Cantone, dans sa version
du Petit Chaperon rouge très proche des Grimm, propose une illustration actuelle qui joue sur
les formes géométriques, les disproportions des corps des personnages et les couleurs vives.
Cependant, quand il s’agit de représenter la maison de la mère, elle dessine une cuisine dans le
style des années 1950 avec une gazinière et un réfrigérateur qui n’ont plus rien à voir avec
l’électroménager actuel. Le petit décalage temporel, visible ici dans des détails de l’illustration,
contribue à évoquer le passé auquel l’enfant associe l’univers du conte.

1
Jean Claverie, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Albin Michel Jeunesse, 1998.
2
Claude Clément / Isabelle Forestier (illus.), Un petit chaperon rouge, op. cit.
3
Comme le note Marc Soriano (Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, op. cit., p. 154-
155), des expressions comme « mère-grand, cuire au sens intransitif, chaperon » étaient déjà vieillies et désuètes au
temps de Perrault qui les utilise malgré tout comme « une reconstitution, un “à la manière de” ».

83
La modernisation des décors apparaît donc par petites touches. Ce mélange de l’ancien et
de l’actuel contribue à construire des décalages anachroniques qui suscitent chez le lecteur des
effets de surprise. Dans un très grand nombre d’ouvrages contemporains sont ainsi glissés des
petits anachronismes, le plus souvent visibles dans l’illustration seule, qui fonctionnent comme
des clins d’œil humoristiques lancés au lecteur attentif. Ainsi, on ne s’attend pas à trouver la
grand-mère du Petit Chaperon rouge de Tony Ross en train de regarder la télévision1, et on est
surpris de trouver la mamie du chaperon de Jean Claverie2 un casque sur les oreilles, une
télécommande à la main et une pile de vidéo-cassettes à ses pieds (révélatrices de goûts
cinématographiques fort hétéroclites : Les Trois mousquetaires, Buster Keaton, Star Treck, Rio
Bravo, Munchhausen !). Ces détails anachroniques inscrivent l’histoire dans un contexte
temporellement marqué – donc rapidement démodé. Ainsi, il est probable que les grands-mères
d’aujourd’hui regardent des DVD plutôt que des cassettes VHS sur leur magnétoscope… à
moins qu’elles ne téléchargent des vidéos sur Internet !

3) Effets de la transdiégétisation
Les transpositions spatio-temporelles sont des éléments immédiatement visibles dans les
réécritures et sont motivées par la volonté d’adaptation des contes traditionnels au public
enfantin d’aujourd’hui. L’enfant qui retrouve dans les albums des éléments de son univers
quotidien entre aisément dans l’histoire. Son adhésion est donc facilitée, tout comme le
processus d’identification qu’il peut mener sur les personnages. Les enfants d’aujourd’hui
habitent plus souvent dans les villes que dans les campagnes. On peut donc dire que la
transdiégétisation a une fonction mimétique. Elle cultive une illusion de réalité qui était moindre
dans les contes traditionnels. Les illustrations donnant des détails précis du contexte de
référence apportent un gain de réalisme. L’univers du conte est pour le lecteur un prolongement
de son propre univers. Les auteurs ne mettent pas alors l’accent sur le côté merveilleux de
l’histoire, mais en révèlent l’actualité. Ils n’entraînent pas leur lecteur dans un « Neverland » à
la James Barrie, mais présentent un monde aisément identifiable.
Pour autant, les auteurs ne transforment pas le conte merveilleux en roman réaliste. Les
éléments de modernisations et d’anachronismes ont un autre rôle : ils permettent d’introduire
des décalages parodiques qui sont sources d’humour. Comme on l’a vu dans la première partie,
le lecteur a en mémoire le conte-source lorsqu’il lit sa réécriture contemporaine. L’écart entre ce
qu’il s’attend à trouver, en référence au conte originel, et la transposition moderne qu’il

1
Tony Ross, Le Petit Chaperon rouge, op. cit., p. 18-19.
2
Jean Claverie, Le Petit Chaperon rouge, op. cit.

84
découvre dans l’hypertexte, crée un effet inattendu à valeur humoristique. L’item « petit pot de
beurre et galette » est bien marqué dans l’imaginaire des lecteurs, et le décalage par rapport au
texte de Perrault est évident lorsqu’au fil des textes contemporains le lecteur découvre que le
chaperon rouge porte dans son panier « une pizza bien rouge » et un « petit pot de coulis de
tomates » (chez Jean Claverie), ou bien « des tartes croustillantes, des chocolats fondants et une
bouteille de bière » (chez Tony Ross1), ou encore un simple « flan » confectionné avec soin
(chez James Marshall2). De telles transpositions réduisent la portée dramatique du récit
traditionnel et marquent le changement de registre avec la constitution d’un nouveau texte où
l’élément comique prend une place centrale.

Les transpositions par rapport au texte-source sont donc très nombreuses. Ces décalages,
tant au point de vue de la structure narrative, des personnages que du contexte spatio-temporel
de référence, bouleversent les textes contemporains, créant chez le lecteur des effets de surprise.
De tels détournements et inversions, aussi bien dans l’intrigue que dans les rôles dévolus aux
personnages, ont un rôle comique.
Entrons maintenant dans la sphère du récit proprement dit. Comment les transpositions
narratives s’établissent-elles dans les textes contemporains ?

III) Le récit
Alors que l’histoire est le contenu (ce qui est raconté), le récit est le contenant (la façon
dont cela est raconté). En étudiant le récit, nous allons adopter des concepts de narratologie et
envisager les textes à partir de l’étude de la structure narrative prise en charge par celui qui
raconte l’histoire, c’est-à-dire le narrateur. La narration est en effet l’acte producteur du récit.
Les variations de points de vue, de figures du narrateur et de vitesse de la narration sont des
éléments de transpositions adoptés par les auteurs contemporains dans leurs réécritures du Petit
Chaperon rouge.
Comment ces transpositions narratives s’organisent-elles ? En quoi sont-elles
révélatrices d’une volonté parodique de l’auteur ?

1
Tony Ross, Le Petit Chaperon rouge, op. cit., p. 14.
2
James Marshall, Le Petit Chaperon rouge [Red Riding Hood, 1987], traduit de l’anglais par Isabel Finkenstaedt,
Calligram, 1992.

85
A) La focalisation

1) Récurrences du choix d’un narrateur omniscient


Gérard Genette, dans Figures III1, a décrit la notion de point de vue narratif en utilisant le
terme de « focalisation ». Il s’agit de répondre à la question « Qui voit ? » et de se demander à
partir de quelle perspective l’histoire est narrée. Toute histoire est forcément contée d’un certain
point de vue qui détermine la manière dont sont présentés les décors, les personnages et les
actions. Un récit impose un choix narratif, marquant un regard et impliquant une restriction plus
ou moins importante du champ à partir duquel est sélectionnée l’information donnée au lecteur.
Dans le récit originel du Petit Chaperon rouge, le récit est organisé par un narrateur
omniscient, capable d’entrer dans les pensées de chacun des personnages (« focalisation zéro »
ou « vision par derrière »). Dans un récit « non-focalisé », le narrateur connaît tout de l’histoire
et de la situation des personnages et n’adopte pas de perspective exclusive. Le narrateur du
conte des Grimm domine l’univers romanesque. Il voit dans les pensées de chaque héros du
conte, comme le prouve l’emploi récurrent des verbes de pensée révélant le discours intérieur
des personnages. Le narrateur est tour à tour dans la tête du chaperon (« il ne savait pas », « elle
se disait », « elle se souvint », « elle fut très étonnée », « elle se dit »), dans celle du loup (« le
Loup se dit »), et même dans celle du chasseur (« il se dit », « l’idée lui vient2 »). Il n’y a donc
pas de sélection de l’information, ni de restriction du champ. Grâce à ce choix, le lecteur se
trouve dans la même position supérieure que celle du narrateur : il en sait plus que chacun des
personnages pris isolément. Lorsque le loup rencontre la fillette, le lecteur prend connaissance
du plan machiavélique de l’animal :
Le loup se dit : « Voilà un mets bien jeune et bien tendre, un vrai régal ! Il sera encore bien meilleur
que la vieille. Il faut que je m’y prenne adroitement pour les attraper toutes les deux3 ! »
Le lecteur peut donc facilement imaginer le danger que court la fillette. En revanche, le
chaperon ignore tout de la duplicité du loup. Cette large vision donnée au lecteur permet aux
auteurs de faire monter la tension dramatique. Le texte construit ainsi l’attente redoutée de la
dévoration de fillette : le lecteur y est préparé et, en même temps, voit avec inquiétude
approcher le moment fatidique du crime.
De nombreux textes contemporains suivent le modèle des auteurs classiques et adoptent
également une focalisation zéro, ou du moins alternent au sein de leur récit les différents points
de vue. La focalisation interne (vision du narrateur centrée sur un personnage), la focalisation
externe (vision du narrateur portant seulement sur l’extérieur des personnages) et la focalisation

1
Gérard Genette, Figures III, op. cit., p. 203-210.
2
Toutes ces citations sont tirées de Grimm, Contes merveilleux, op. cit., p. 69-73. Voir annexe 1b pour le texte.
3
Ibid., p. 70.

86
zéro (vision omnisciente du narrateur) coexistent ; la focalisation se déplace d’un personnage à
un autre ou reste indéterminable. Le Petit Chaperon rouge de Tony Ross multiplie ainsi les
points de vue et adopte la même position d’un narrateur omniscient que dans le conte-source.
Nous savons ce que pense le loup, grâce à plusieurs discours en style direct (« Quelle chance !
songea le loup qui était mort de faim1 » ; « D’abord, je croque mère-grand, songeait-il2 »). Nous
connaissons également ce que sait la fillette… ou plutôt ce qu’elle a l’erreur de ne justement pas
savoir (« L’énorme chien était en vérité un loup mais le Petit Chaperon rouge n’en savait
rien3. »). Nous faisons aussi intrusion dans l’esprit du papa bûcheron (« en voyant son énorme
ventre, le bûcheron comprit tout4 »).
Aucune innovation narrative n’est donc proposée dans le conte de Tony Ross, comme
c’est le cas dans d’autres textes contemporains. L’omniscience du narrateur est un ressort
dramatique efficace qu’il n’est pas nécessairement utile de modifier pour réécrire avec
originalité le texte-source. Ce choix narratologique n’est-il pas pour les auteurs contemporains
une façon de se placer dans les pas de Perrault et Grimm aussi importante que les choix narratifs
ou éditoriaux ?

2) Variations des points de vue


Quelques textes contemporains font le choix de concentrer le récit sur un point de vue
particulier. Il s’agit alors de fragmenter l’accès au monde raconté et d’adapter le récit au point
de vue d’un seul personnage (« focalisation interne » ou « vision avec »). La vision du narrateur
se confond alors avec celle du personnage choisi en point focal. Le narrateur ne transmet au
lecteur que ce que le personnage connaît de la situation. Il introduit le lecteur dans la conscience
de ce personnage et ne montre que ce que lui-même voit au point de perspective où il se trouve.
Le choix de la focalisation interne permet de réécrire l’histoire du petit chaperon rouge
en adoptant un point de vue particulier, et, ainsi, de présenter le conte d’une façon inédite. Cette
restriction de la perspective permet de renouveler le récit en lui-même. Le point de vue adopté
peut alors être celui de la fillette. C’est le cas dans le petit roman d’Ann Rocard, L’Étrange
Monsieur Garou5. Ce récit à la première personne est mené par une narratrice autodiégétique qui
occupe le rôle du personnage principal. La jeune héroïne raconte l’emménagement à côté de
chez elle d’un nouveau voisin répondant au curieux nom de « Jean-Loup Garou ».

1
Tony Ross, Le Petit Chaperon rouge, op. cit., p. 14. Voir le texte complet dans l’annexe 2 de notre mémoire.
2
Ibid., p. 16.
3
Ibid., p. 12 (texte souligné par nous).
4
Ibid., p. 30.
5
Ann Rocard / Bruno Gibert (illus.), L’Étrange Monsieur Garou, Paris, Flammarion, « Père Castor », 1997.

87
L’imagination fort développée de la jeune fille, qui observe de loin cet étrange voisin, l’amène a
faire des hypothèses terrifiantes sur l’identité de ce monsieur Garou. Ne serait-il pas un vilain
loup et ne la prendrait-il pas pour le petit chaperon rouge ? Tout est vu à travers le regard de la
fillette. Le lecteur ne sait pas plus que la narratrice qui est le voisin si bizarre. Il partage donc les
frayeurs de la narratrice et devra attendre la dernière page pour connaître la vérité sur monsieur
Garou : si Jean-Loup Garou a une allure et une démarche étranges, c’est tout simplement parce
qu’il est aveugle. Le lecteur a été trompé par la narratrice, elle-même trompée par son
imagination. La focalisation du récit sur le seul point de vue de la fillette montre que c’est son
regard qui rend le loup méchant, alors qu’il ne l’est peut-être pas.
Dans John Chatterton détective1, qui se présente comme un récit policier, Yvan
Pommaux réécrit le Petit Chaperon rouge en adoptant le point de vue d’un personnage étranger
au conte originel : celui de la souris-détective John Chatterton, qui enquête sur la mystérieuse
disparition d’une petite fille habillée en rouge. L’auteur, par un style d’illustrations proches de la
bande dessinée (vignettes et dialogues dans des phylactères), évoque une atmosphère « noire »,
qui mime celle des polars des romans américains des années 1950. John Chatterton, le narrateur,
est le type même du « privé » et ressemble au Philip Marlowe de Raymond Chandler2. Un à un,
il va recueillir les indices qui le mèneront jusqu’à la maison du loup, un collectionneur d’art
averti. Certains personnages du conte originel jouent un rôle mineur : la grand-mère qui est vite
expédiée, car en vacances « dans les îles Crocodiles », et la fillette qui apparaît comme une
malheureuse victime. Le petit chaperon rouge disparaît du titre… parce qu’il a disparu.
L’histoire se construit au fil de la découverte des indices et du recueillement des divers
témoignages. Centrer la narration sur le personnage de l’enquêteur permet ainsi de préserver les
effets de surprise. Cependant, l’ironie de l’auteur évente le suspense. En effet, la projection du
conte-source sur l’histoire d’Yvan Pommaux permet d’identifier d’emblée la position des
personnages. Le lecteur peut donc avoir très vite une idée du coupable et n’est pas étonné de
voir apparaître un loup au milieu de l’album. Cet album nous donne un exemple de ce que
Raphaël Baroni nomme « rappel » ou « suspense paradoxal3 » : le lecteur est impatient de lire la
suite du texte… alors qu’il la connaît puisque le texte est réitéré.
La focalisation interne sur un personnage peut également avoir un rôle comique. C’est le
cas dans l’album de Fabian Negrin, Dans la gueule du loup4, qui réécrit l’histoire du petit
chaperon rouge en suivant le seul point de vue du loup. Le loup est ici le narrateur du récit.

1
Yvan Pommaux, John Chatterton détective [1993], Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 2005.
2
La référence à Raymond Chandler semble essentielle pour Yvan Pommaux : il a ainsi nommé un de ses albums
parodiant le conte de La Belle au Bois dormant du titre d’un ouvrage du romancier américain, Le Grand Sommeil.
3
Raphaël Baroni, La Tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, op. cit., chapitre 10, p. 279-295.
4
Fabian Negrin, Dans la gueule du loup, traduit par Marc Voline, Rodez, Éditions du Rouergue, 2006.

88
L’animal transcrit sa version des faits et justifie chacun de ses méfaits : s’il a mangé Mère-
Grand, c’est parce qu’elle était vraiment très laide ; s’il suit le petit chaperon rouge, c’est parce
qu’il est fasciné par la beauté de la fillette ; et s’il la mange, c’est simplement parce que la petite
fille, qui a trébuché, est tombée par inadvertance dans sa gueule ! Le loup se présente donc en
victime innocente et révèle, arguments à l’appui, qu’il n’est en rien coupable1. La focalisation
interne facilite ici l’identification du lecteur au personnage : lorsque le récit adopte la
perspective du loup, il est difficile de le considérer comme un monstre. Cependant, le lecteur lit
l’album en gardant en tête le conte-source. La réécriture focale crée un effet comique, né du
décalage entre le discours prétendu candide du loup et ce que le lecteur sait de la « vraie
histoire » (la version des textes classiques). L’ironie perce ainsi la mauvaise foi de l’animal et
empêche le lecteur de se laisser duper par le loup.
Gérard Genette qualifie de « transfocalisation2 » ce changement. Ce procédé de
détournement du point de vue originel est propre à la parodie et au pastiche. On en trouve un
exemple célèbre dans les Exercices de style de Raymond Queneau3 où la même histoire (un
individu aperçu dans un bus à Saint-Lazare) est racontée à partir de différents points de vue.
Nous avons envisagé le point de vue du narrateur. Prolongeons maintenant l’étude de la
narration en analysant la façon dont le narrateur apparaît – ou pas – dans les textes
contemporains.

B) Les figures du narrateur

1) Un narrateur en retrait dans les textes-sources


Après avoir posé la question de la focalisation, nous posons celle de l’instance narrative
en acte dans les récits : qui raconte ? L’analyse porte ici sur la voix du récit et met en jeu la
problématique de l’énonciation.
Dans les textes de Perrault et des Grimm, le narrateur reste extrêmement discret tout le
long du récit. Il s’agit dans les deux versions d’un narrateur « hétérodiégétique », c’est-à-dire
absent de la diégèse, et « extradiégétique », c’est-à-dire qui n’est pas lui-même objet d’un récit4.
Les contes se présentent comme des récits à la troisième personne du singulier, dans lesquels le

1
Le procédé a déjà été utilisé par Jon Scieszka, dans La Vérité sur l’affaire des trois petits cochons (traduit de
l’américain par Gilles Lergen, Paris, Nathan, 1991) : dans cet album, le narrateur, Léonard Eugène Loup, raconte
qu’on l’a pris à tort pour un « Grand Méchant Loup » et que si les maisons des petits cochons ont été soufflées,
c’est simplement parce qu’il était enrhumé et qu’il a éternué trop fort !
2
Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 407-415.
3
Raymond Queneau, Exercices de style [1947], Paris, Gallimard, 1982.
4
Gérard Genette, Figures III, op. cit., p. 251-259 et p. 238-241.

89
narrateur montre plutôt qu’il ne raconte. Le mode adopté est « mimétique », plutôt que
« diégétique » : l’attention est portée sur l’histoire, et non pas sur le narrateur, si bien que le récit
donne une impression d’objectivité. L’histoire paraît se raconter elle-même, sans médiation. Le
narrateur n’apparaît pas ouvertement dans le récit et donne une impression de neutralité absolue.
Le narrateur est donc dans la « proximité » plutôt que dans la « distance1 ». Les narrateurs de
Perrault et Grimm privilégient en effet les scènes détaillées, où le dialogue joue un rôle
essentiel, afin de permettre au lecteur de visualiser les événements et donner l’impression d’un
respect adopté par rapport aux faits exposés. Ainsi, pour transmettre les paroles et les pensées
des personnages, les auteurs privilégient l’emploi du discours rapporté, donnant la citation
exacte des discours du chaperon ou du loup. Les deux éléments centraux du récit sont les
dialogues échangés entre la fillette et le loup, et reproduits dans le texte. Le narrateur ne remet
donc pas en compte le merveilleux du conte et cherche à susciter l’adhésion du lecteur.
Cependant, une lecture attentive des textes permet de repérer une discrète intervention du
narrateur. En effet, dans les deux contes classiques, un jugement est donné sur le personnage du
loup. Les Grimm parlent d’une « vilaine bête2 » et Perrault le désigne comme « ce méchant
loup » et utilise l’expression « compère le loup3 ». Le terme « compère » est quelque peu
ambigu. Le mot, aujourd’hui vieilli, évoque un rapport d’amitié entre des camarades et suppose
une complicité entre des individus unis par désir d’abuser un tiers. Dans le texte, l’emploi de
cette expression laisse entendre qu’il y a entre le narrateur et le loup une complicité, « un pacte
quelque peu suspect [qui] autorise la familiarité, voire la bienveillance du narrateur 4 ». Le
narrateur serait-il du côté du loup ? On s’attendrait plutôt à ce qu’il soit du côté de la fillette, ou
du moins neutre. Cette incursion trahirait-elle l’ironie du narrateur/auteur s’amusant des frayeurs
que suscite son personnage ? Toutefois, le doute est rapidement écarté, car aucune autre
expression ne vient confirmer l’intervention du narrateur dans le récit. Hormis ce détail, le
narrateur ne marque quasiment pas sa présence dans le récit-source.

2) Les interventions du narrateur dans les textes contemporains


Un bon nombre de narrateurs contemporains adoptent la même proximité avec les faits
racontés. Cependant, d’autres rompent le pacte de neutralité et se tiennent à distance par rapport
à la diégèse. La subjectivité de l’instance narrative est alors mise en avant et le narrateur révèle
sa présence.

1
Ibid., p. 184-202.
2
Grimm, Contes merveilleux, op. cit., p. 69.
3
Charles Perrault, Contes, op. cit., p. 53 et p. 55.
4
Anne-Marie Garat, Une faim de loup, op. cit., p. 65.

90
Ainsi, le narrateur du Petit Chaperon rouge de Jean Claverie est à la fois absent et
présent. Dans la majeure partie de l’album, le récit semble neutre et le conteur n’apparaît pas. Il
s’agit d’un récit mené par un narrateur hétérodiégétique, comme celui des contes-sources.
Cependant, vers la fin du récit, la voix du narrateur se fait entendre. Grâce à l’intervention
musclée de la mère du petit chaperon rouge, Mama Gina, le loup recrache la fillette et la grand-
mère… ainsi que le coulis de tomates ! Le narrateur intervient alors et prétend qu’il ne serait pas
de bon ton de décrire avec précision cet épisode gastrique :
Je vous laisse imaginer le bonheur de ces retrouvailles. Mais je renonce à dessiner cette scène un peu
dégoulinante1.
Le narrateur fait donc irruption dans l’univers diégétique et pose ainsi la figure du narrataire –
c’est-à-dire du lecteur tel qu’il est construit par le récit. Gérard Genette désigne ce procédé sous
le nom de « métalepse2 ». Ce commentaire à l’intention du lecteur crée une complicité entre le
narrateur et son narrataire. Plus encore, l’enrichissement narratif est troublé par l’intervention,
sur la dernière illustration de l’album, de l’auteur lui-même. En effet, le narrateur vient relayer
la rumeur et, dans un épilogue ouvert, laisse entendre que le loup s’est converti : « À ce que l’on
raconte », il « ne mange plus que des pizzas ». Le texte s’accompagne alors de l’image du loup
conduisant un grand camion sur lequel est inscrit « Wolf pizza » et qui porte une plaque
d’immatriculation où l’on peut lire l’inscription « claverie » ! L’intervention du narrateur-auteur
est un des procédés typiques de la parodie qui, plutôt que d’extraire l’instance narrative du récit
supposé objectif, préfère faire sourire le lecteur en mettant en avant un narrateur complice de
son narrataire.
D’une manière analogue, Dumas et Moissard, dans leur « Petit Chaperon bleu marine »,
interpellent eux aussi leur lecteur, mais de façon moins directe. Le conte renouvelé débute ainsi :
Personne n’ignore, bien sûr, l’histoire du Petit Chaperon rouge. Mais connaît-on celle du Petit
Chaperon bleu marine3 ?
Ici, le « on » désigne le lecteur, présenté en connaisseur, comme le sous-entend l’emploi de
l’expression « bien sûr ». Tout au long du récit, le narrateur rappelle sa présence. Présence
indirecte dans le choix de certaines périphrases euphémistiques (« ses démêlés avec le Méchant
Loup ») ; mais aussi présence plus explicite dans les marques de l’énonciation. En effet, grâce à
l’emploi de déictiques (tels que « aujourd’hui », « voici », « tout dernièrement », « il y a
quelques mois », etc.), le récit paraît être en train de se faire, dans un présent de l’élocution,
impliquant la contemporanéité du narrateur et de son narrataire. De plus, à quelques reprises, la
narration, proche de l’oralité, met en scène le narrateur : « J’ai omis de le dire », rectifie-t-il4 ;

1
Jean Claverie, Le Petit Chaperon rouge, op. cit.
2
Gérard Genette, Figures III, op. cit., p. 243.
3
Philippe Dumas et Boris Moissard, Contes à l’envers, op. cit., p. 15.
4
Ibid., p. 18.

91
« comme je le disais », rappelle-t-il à la fin de son récit1. Le conteur dit « je », mais ne fait pas
pour autant partie de l’histoire qu’il raconte : il n’en est pas un personnage et donc n’est pas
strictement un narrateur homodiégétique. Ces éléments d’intervention du narrateur permettent
de rendre le récit plus vivant et rappellent les contes oraux dans lesquels le conteur, présent
physiquement devant ses auditeurs, prend parfois la liberté de communiquer ses pensées ou de
faire réagir ses spectateurs. Le lecteur et le narrateur paraissent ici partager le même présent.
L’effet de complicité est donc accru. Là encore, le narrateur établit un contact avec le lecteur,
constitutif de l’écriture parodique.

3) Le brouillage des instances narratives


La modernité des réécritures du Petit Chaperon rouge se lit dans les interventions du
narrateur dans le récit. Elle se trouve également dans la multiplication des niveaux narratifs et
des effets de surprise créés par le jeu avec les voix narratives.
Dans Quel cafouillage !, illustré par Alessandro Sanna2, Gianni Rodari joue sur
l’enchâssement et la mise en abyme des récits grâce à l’emboîtement des instances narratives.
Le lecteur est plusieurs fois trompé et il lui faut attendre la dernière ligne du texte pour
comprendre qui parle. La première page de l’album semble annoncer une réécriture parodique
du Petit Chaperon rouge, où seule la couleur est transposée :
Il était une fois une petite fille qu’on appelait Chaperon jaune3.
Mais, dès la deuxième phrase, le lecteur s’aperçoit qu’il s’agit en fait d’un dialogue entre deux
personnages, qui ne sont ni nommés, ni introduits par des verbes d’énonciation. Le récit se
construit alors à partir d’un dialogue, dans lequel aucun narrateur n’apparaît. L’un des
personnages raconte l’histoire du petit chaperon rouge, sous la forme habituelle du conte, mais
en introduisant des éléments insolites : le chaperon devient tour à tour jaune, vert, noir, et est
invité par sa maman à aller « chez tante Diomira » « porter [une] pelure de pomme de terre »
(p. 12), lorsqu’il rencontre « une girafe » (p. 14) qui lui demande « Combien font six fois
huit ? » (p. 18). Bref, le conte initial déraille et tout y est transformé, les éléments traditionnels
du récit laissant place à des détails aussi triviaux qu’inattendus. En parallèle de ce récit, un autre
récit se déroule, élaboré par le second personnage. Celui-ci corrige les erreurs et rétablit la

1
Ibid., p. 25.
2
Gianni Rodari / Alessandro Sanna (illus.), Quel cafouillage ! [A sbagliare le storie, 2003], traduit de l’italien par
Sofia Turconi, Paris, Kaléidoscope, 2005. Ce texte est paru initialement dans le recueil Histoires au téléphone
[Favole al telefono, 1978], sous le titre « Conte défait, ou il n’y a plus de grands-pères » (traduit de l’italien par
Roger Salomon, Paris, Messidor La Farandole, 1983, p. 136-137). Nous citerons pour le commentaire l’album
illustré.
3
Gianni Rodari / Alessandro Sanna (illus.), Quel cafouillage !, op. cit., p. 4.

92
véritable histoire du chaperon rouge, grâce à une succession de phrases exclamatives marquant
un certain énervement du locuteur. En effet, à chaque fois que le chaperon change de couleur
dans le récit du premier personnage, le second personnage rétorque avec violence : « Mais non,
rouge ! » Ainsi, nous avons donc deux récits qui se construisent dans l’échange dialogué : une
première histoire complètement loufoque, et, parallèlement, un second récit à valeur corrective.
L’histoire du chaperon rouge se poursuit jusqu’à l’instant où le loup explique comment aller
chez la grand-mère :
« Prends le bus 75, descends à la place de l’église. Tourne à droite, tu verras trois marches et une
pièce de monnaie par terre, oublie les trois marches, ramasse la pièce et achète-toi un chewing-
gum1. »
Mais à la réplique suivante, le double récit s’interrompt. On comprend alors quels étaient les
deux personnages-conteurs du dialogue :
« Grand-père, tu ne sais vraiment pas raconter les histoires ! Chaque fois, tu te trompes. Mais je suis
d’accord pour le chewing-gum2. »
Il s’agissait donc d’un grand-père, perdant apparemment la tête, qui racontait une histoire à sa
petite fille. À la dernière page de l’album, le dialogue est alors replacé dans une narration :
Et Grand-père se replongea dans son journal 3.
Le grand-père et la petite fille sont objet d’un récit premier lorsqu’ils narrent chacun à sa façon
l’histoire du petit chaperon rouge. Il y a donc finalement ici une narration extradiégétique, qu’on
ne découvre qu’une fois arrivé à la fin du texte. Ce dénouement crée un effet comique. En effet,
la petite fille, en acceptant la pièce de monnaie de son grand-père, rapporte l’histoire racontée
par le grand-père dans le temps du récit auquel elle appartient. Quant au grand-père, le lecteur
soupçonne que sa folie soit feinte : la dernière image montre le grand-père replongeant dans son
journal… comme s’il avait fait exprès de raconter n’importe quoi pour avoir la paix et pouvoir
retourner à sa lecture !
La construction narrative est prolongée par les illustrations, qui, loin d’ordonner le récit,
contribuent à développer ce désordre. Dans chaque page on trouve une illustration du texte écrit,
sans que rien ne distingue la vérité du récit absurde. En fin de compte, d’une page à l’autre on
change d’univers narratif, sans qu’aucun indice ne contribue à rétablir la vérité ou à distinguer le
vrai du faux. L’auteur s’amuse ici avec son lecteur en brouillant les niveaux narratifs.
En conclusion, dans les Petits Chaperons rouges contemporains, le narrateur joue
volontiers sur la distance et la confusion des instances du discours. Les récits initiaux sont
enrichis et le contact avec le lecteur établi à plusieurs reprises.

1
Ibid., p. 28-30
2
Ibid., p. 32.
3
Ibid., p. 35.

93
Pour terminer notre exploration narratologique des réécritures, nous allons maintenant
aborder la question du renouvellement narratif sous l’angle de la durée.

C) La vitesse du récit

1) Le rythme de la narration dans le conte-source


Dans Figures III1, Gérard Genette a étudié la durée narrative en mesurant la vitesse, c’est-
à-dire en analysant le rapport entre une mesure temporelle – celle de l’histoire – et une mesure
spatiale – celle du texte. Il y a nécessairement des « effets de rythmes2 » dans le récit, au sens où
l’auteur ménage des accélérations et des ralentissements dans la narration et ne respecte jamais
strictement l’équivalence absolue entre le temps du récit (TR) et le temps de l’histoire (TH). Le
récit isochrone pur n’existe pas ; certains faits sont racontés avec rapidité, alors que d’autres
événements sont narrés de façon détaillée, assurant une pause plus ou moins longue dans le
récit. Gérard Genette note que le rythme fondamental adopté dans le récit classique est
« l’alternance du sommaire et de la scène », qui forme le « tissu conjonctif par excellence du
récit romanesque3 ». Le « sommaire » marque un récit accéléré : le temps de l’histoire dure plus
longtemps que le temps du récit, qui est réduit à l’essentiel. G. Genette figure le sommaire sous
la forme de l’équation : « TR < TH ». La « scène » traduit une équivalence entre le temps de la
narration et le temps de l’histoire (« TR = TH ») : c’est la « forme narrative qui est la plus riche
en information, et donc la plus “mimétique4” ».
Dans le conte des Grimm, nous retrouvons cette alternance classique entre des moments
de sommaires et de scènes. De courtes phrases introductives, résumant brièvement les actions
des personnages, encadrent en effet les moments forts du récit. Ceux-ci se traduisent par la mise
en scène des dialogues successifs – entre la mère et la fillette, entre le loup et le chaperon, entre
le loup et la vieille dame, puis de nouveau entre le loup et le chaperon. Ci-dessous, nous avons
repris le découpage en séquences établi dans la première partie de notre travail afin de figurer
cette alternance entre les moments de sommaire et de scène.
Tableau III : mouvements narratifs dans le Petit Chaperon rouge des Grimm
Mouvement
Séquence du conte
narratif
Exposition (présentation du PCR) sommaire
Mandat (dialogue mère/fille) scène
Départ et début du cheminement dans la forêt sommaire

1
Gérard Genette, Figures III, op. cit., p. 122-144.
2
Ibid., p. 123.
3
Ibid., p. 131.
4
Ibid., p. 188.

94
Rencontre du loup (dialogue loup / PCR) scène
Distraction du PCR sommaire
Arrivée du loup chez la vieille (dialogue loup / grand-mère) scène
Dévoration et travestissement du loup sommaire
Arrivée du PCR (dialogue loup / PCR) scène
Apparition du chasseur sommaire

L’alternance sommaire/scène est parfaitement respectée dans le conte originel. Ces choix
de la vitesse narrative permettent de renforcer l’intensité dramatique. En effet, les instants de
dialogue, dans lesquels se concentre la tension, sont mis en valeur. Les deux moments où le loup
dévore ses victimes sont décrits très brièvement : à chaque fois, le crime est résumé en une
phrase, voire un verbe. Le choix du verbe « avaler », répété lors des deux dévorations, marque
d’ailleurs la rapidité de l’action : le loup ne se donne pas la peine de mastiquer la chair de ses
victimes ! On pourrait même parler d’ellipse pour ces deux instants du récit : aucun détail n’est
donné et les modalités du crime sont passés sous silence. Cette rapidité du récit pour transcrire
les moments des meurtres permet tout à la fois de garantir la bienséance (il serait de mauvais ton
de donner des détails sanglants quand on s’adresse à des enfants) et de privilégier la construction
de la tension dramatique. L’attention du lecteur se concentre sur les moments de dialogue qui,
en contrepoint, deviennent particulièrement intenses : ce sont les réponses de la fillette et son
incapacité à déceler la malignité du loup qui la poussent à sa perte.

2) Les variations du tempo originel dans les textes contemporains


Plusieurs textes contemporains modifient le rythme du conte. Là où les Grimm faisaient
se succéder scènes et sommaires, apparaissent les deux autres moments narratifs décrits par
Genette : la pause et l’ellipse. Étudions quelques textes en suivant leur réécriture à partir de
l’intensification du rythme narratif.

a- La pause (TR = n, TH = 0)
La pause correspond généralement à des moments de description. Le narrateur arrête le
récit des événements proprement dits pour décrire les décors ou les personnages. Il s’agit donc
d’un moment de suspension du temps de l’histoire. Dans le conte source, les descriptions sont
quasiment absentes et aucune pause n’est ménagée. Ce rejet de la pause descriptive se retrouve
dans de nombreux ouvrages pour la jeunesse, où l’auteur préfère privilégier l’action.
Dans Le Petit Chaperon rouge de Jean-Luc Buquet1, sous-titré La scène de la chemise de
nuit, on trouve un moyen original de rétablir, dans le récit initial, un instant de pause, ou du

1
Jean-Luc Buquet, Le Petit Chaperon rouge. La scène de la chemise de nuit, Paris, Autrement Jeunesse, 2006.

95
moins un ralenti particulièrement lourd de sens. Le texte de l’album est présenté sur la page des
copyrights comme « d’après la version de Jacob et Wilhelm Grimm ». On peut lire en effet,
écrits en grosses lettres, une adaptation relativement fidèle du conte original. Aucun dessin ne
vient illustrer le texte lui-même. Cependant, lorsque le récit arrive au moment où le loup pénètre
chez la grand-mère, on s’arrête à cette phrase :
Le loup tira le loquet, poussa la porte et entra pour s’avancer tout droit, sans dire un mot, jusqu’au lit
de la grand-mère…1
Le texte s’interrompt sur des points de suspension. On tourne les pages, et on voit alors une
série d’illustrations. En page de gauche, s’inscrit une heure. En belle page, un dessin du loup, où
on l’observe en pleine action vestimentaire. Le temps commence à s’égrener à partir de 10 h : on
voit sur la première image la grand-mère au fond de son lit,
Ci-dessous, il est 10 h 40.
effrayée, et l’ombre grise du loup venant la recouvrir. On
tourne la page et la deuxième image nous annonce qu’il est
désormais 10 h 31. Durant cette demi-heure fatale, il faut
comprendre que le loup a tué la grand-mère et l’a « avalée » : il
lui aura fallu donc trente minutes pour commettre son crime.
Mais rien n’est dit, ni montré. Dans cet intervalle de temps, une
ellipse laisse à chacun la liberté d’imaginer la violence du
meurtre. Mais, à partir de la deuxième illustration, le récit
ralentit de nouveau. On voit le loup prendre une chemise de nuit sur un cintre, dans une armoire
emplie de robes roses (la grand-mère n’a pas une garde-robe très diversifiée !). 10 h 36, 10 h 40,
10 h 46, 10 h 48, etc. : le temps passe lentement et de minutes en minutes, page après page, on
regarde le loup qui s’acharne à vouloir entrer dans la chemise trop étroite de la grand-mère.
11 h 01 : la chemise de nuit est entièrement déchiquetée. Il lui faut faire un deuxième essai avec
un autre vêtement. On tourne la page. Il est désormais 11 h 39, l’heure de la « dernière
chance » : une seconde ellipse nous fait supposer que le loup a essayé – et détruit – toutes les
chemises de nuit du placard et qu’il n’en reste plus qu’une ! À midi, le loup est enfin parvenu à
revêtir l’habit de Mère-Grand. Sur cette dernière image, on le voit en effet installé dans le lit,
tout comme la vieille dame l’était exactement deux heures plus tôt. Le texte des Grimm reprend
alors son cours, sans plus aucune illustration.
L’album de Jean-Luc Buquet donne donc de l’importance à un détail toujours passé sous
silence dans les versions classiques du conte. Avec humour, il nous montre qu’il n’est pas si
facile pour un loup d’entrer dans la chemise de nuit d’une grand-mère. Avec gravité, il fait
monter la pression dramatique et, dans l’écoulement minuté du temps, ménage l’attente de son

1
Ibid., p. 7.

96
lecteur qui devine la suite tragique. Ici, ce n’est pas par le texte mais par l’illustration que nous
sont donnés les moments de pause, interrompus par les deux ellipses. Il s’agit d’un moyen inédit
de renouveler le texte-source, tout en le complétant habilement.

b- La scène (TR = TH)


D’autres textes contemporains choisissent de privilégier la représentation scénique et de
construire leur texte sur une équivalence entre le temps du récit et celui de la diégèse. On
retrouve ce choix rythmique dans les réécritures théâtrales du Petit Chaperon rouge : l’ouvrage
de Jean-Claude Grumberg1 ou celui de Cami2 en sont des exemples. Le récit est contenu dans les
dialogues des personnages. Cela permet d’augmenter l’illusion mimétique en concentrant
l’action dramatique dans l’échange des paroles.

c- Le sommaire (TR < TH)


Les moments de sommaires sont aussi fréquents dans les textes contemporains que dans
les contes-sources. Ils correspondent à une accélération du récit. On trouve ainsi dans le Petit
Chaperon rouge de Joël Pommerat3 un sommaire qui conte la délivrance de la fillette par le
bûcheron : la scène est narrée avec une rapidité encore plus grande que celle du conte des
Grimm, puisqu’une seule phrase suffit pour faire apparaître le personnage masculin et
ressusciter les deux femmes. À l’évidence, pour l’auteur, cet élément de l’histoire n’est pas
essentiel et il n’est pas besoin de s’y attarder.
Dans quelques ouvrages, le sommaire est prolongé, et la grand-mère fait un long séjour
dans le ventre du loup. Ainsi, dans Un petit chaperon rouge de Claude Clément4, la fillette, qui
n’a pas été mangée par le loup, est si troublée par la disparition de sa grand-mère qu’elle garde
le silence, refusant d’aller à l’école. « Pendant quelques temps », nous dit le texte qui ne précise
cependant pas la durée, « elle garda son secret ». Le loup passe en jugement et est condamné à
être suspendu par les pattes. Ce n’est qu’à ce moment-là que la grand-mère glisse hors du ventre
du loup. Le prolongement de cette séquence narrative dans le nouveau texte mêle le merveilleux
(la survie inespérée de l’aïeule pendant un si long moment) et le prosaïque (l’action en justice
menée contre le criminel).

d- L’ellipse (TR = 0, TH = n)

1
Jean-Claude Grumberg / Benjamin Bachelier (illus.), Le Petit Chaperon Uf, op. cit.
2
Cami, « Le petit chaperon vert », in : L’Homme à la tête d’épingle, op. cit.
3
Joël Pommerat / Marjolaine Leray (illus.), Le Petit Chaperon rouge, op. cit.
4
Claude Clément / Isabelle Forestier (illus.), Un petit chaperon rouge, op. cit.

97
Dans les contes-sources, le moment de la dévoration est si rapide qu’on peut parler
d’ellipse. On retrouve la même rapidité de la narration lors de cette sinistre séquence dans la
plupart des récits contemporains. Nous n’avons repéré aucun ouvrage décrivant précisément le
crime du loup. Celui-ci est toujours évoqué avec la même rapidité narrative. On voit donc que
les auteurs ont le désir de ne pas s’attarder sur un épisode qui pourrait être traumatisant pour
l’enfant, et qui est, en tout cas, généralement conçu par l’adulte comme tel. Ce silence
s’explique par la volonté de préserver l’enfant et de l’écarter de tout ce qui pourrait évoquer la
mort. Ce tabou n’est-il pas un exemple de la pression qu’exerce le public adulte – parents
acheteurs ou enseignants prescripteurs – sur la littérature pour la jeunesse ?
Dans certains textes contemporains, le temps de l’histoire est prolongé dans un passé
lointain. L’ouvrage se termine alors par une prolepse. Ainsi, on apprend ce qui arrive au loup
après sa fâcheuse aventure : chez Ross1 il devient végétarien, et chez Claverie2 livreur de pizzas.
Chez Geoffroy de Pennart3, on fait un saut dans le temps en découvrant que le chaperon est
devenu médecin. Dans ces albums, l’image finale donne une suite au récit initial, évoquant
l’après de l’aventure, sans préciser ce qui a pu se passer dans le long intervalle de temps.
Ainsi, les auteurs jouent avec la temporalité du récit initial et s’amusent à la concentrer
ou à la ralentir. Les changements de rythme sont une autre façon de réécrire le conte.

Dans cette deuxième partie, nous avons analysé de façon détaillée les techniques de
transposition dont se sont servis les auteurs contemporains pour renouveler le conte d’origine.
Nous avons relevé trois types de transpositions : celles imposées au genre, à l’histoire et enfin au
récit. Dans chacun de ces cas, les transpositions ont pour rôle d’enrichir le texte et de surprendre
le lecteur grâce à un nouveau contexte référentiel ou narratif. L’acte de transformation permet
d’offrir un nouveau texte, lu en perspective du récit initial, mais intensifié.
Ce que nous avons décrit ici n’est autre que les modalités dont se sert la parodie, qui
transforme un texte à des fins ludiques par des procédés de déplacement, de détournement, de
décalages entre le contexte de départ et le contexte d’arrivée. Ces écarts permettent l’écriture
intertextuelle et construisent des effets comiques, voire ironiques, à destination du lecteur.
Sur quoi se fonde la lecture intertextuelle à visée humoristique chez le jeune lecteur et
quelle moralité tire-t-il des réécritures contemporaines ? Dans notre troisième partie, nous allons
maintenant voir comment les décalages parodiques sont perçus par les jeunes lecteurs et centrer
notre analyse sur l’étude de la réception des textes.

1
Tony Ross, Le Petit Chaperon rouge, op. cit.
2
Jean Claverie, Le Petit Chaperon rouge, op. cit.
3
Geoffroy de Pennart, Chapeau rond rouge, op. cit.

98
TROISIEME PARTIE :
la réception du petit chaperon rouge

▲ Illustration de Nadja dans Le Petit Chaperon vert de Grégoire Solotareff (Paris,


L’école des loisirs, 2000).

99
La multiplicité des versions contemporaines du Petit Chaperon rouge offre aux jeunes
lecteurs une littérature fondée sur les jeux d’écriture, les détournements parodiques et les
décalages inattendus, voire subversifs. Ces jeux inventifs sont parfois aisément repérables : la
figure du chaperon rouge étant fortement marquée dans l’imaginaire des lecteurs, il peut sembler
facile de la reconnaître et de l’identifier, même lorsque les pistes sont brouillées (situations ou
personnages transposés).
Le destinataire officiel des textes de notre corpus est l’enfant. Comment les jeunes
lecteurs reçoivent-ils les réécritures du Petit Chaperon rouge ? Reconnaissent-ils les allusions
hypertextuelles et les décalages ironiques ? Quel sens en tirent-ils et comment interprètent-ils les
morales implicites ou explicites des textes contemporains ?
Nous allons envisager dans notre troisième partie la question de la réception des textes et
plus particulièrement l’acte de lecture propre au jeune lecteur. Catherine Tauveron définit la
lecture littéraire comme
une activité de résolution (ouverte) de problèmes (ouverts) posés par le texte au lecteur, ou par le
lecteur au texte1.
Dans le cas des réécritures du Petit Chaperon rouge, les renvois intertextuels, les clins d’œil
humoristiques et les présupposés moraux, peuvent apparaître comme des obstacles à la
compréhension des textes. L’enfant est-il armé pour résoudre lui-même ces « problèmes » ?
Dans quelle mesure des textes fondés sur la transtextualité et la mise à distance humoristique
peuvent-ils offrir les clés de compréhension nécessaires ? Pour répondre à ces questions, nous
allons analyser les exigences lectorales et critiques qu’impose l’écriture parodique et interroger
les compétences mobilisées par le jeune lecteur, avant d’étudier la réception des effets comiques
et la lecture des messages d’ordre moral.

I) La lecture de l’intertextualité
Dans tous les ouvrages que nous avons étudiés jusqu’à maintenant, nous avons tenté de
déterminer le texte-source à partir duquel le nouveau texte se constitue, que ce soit par imitation
ou transposition. La relation entre un texte présent et un texte absent, et le lien que les deux voix
énonciatives nouent entre elles fondent la notion d’intertextualité. Ce concept, révélant le

1
Catherine Tauveron, « Littérature de jeunesse ou nouvelle jeunesse pour la littérature et son enseignement ? »,
Actes du séminaire national « Perspectives actuelles de l’enseignement du français », 23-24-25 octobre 2000.
Consultable sur Internet <http://eduscol.education.fr/D0033/actfran_tauveron.htm>, p. 5.

100
dialogue de la littérature avec elle-même, met en œuvre une pratique ancienne1. Le terme
d’intertextualité est cependant plus récent. Il a été introduit par Julia Kristeva dans les années
1960, suite à ses travaux sur Mikhaïl Bakhtine et la notion polyphonique de « dialogisme2 ».
D’abord envisagé de façon extensive, comme une notion linguistique présentant la multiplicité
des discours antérieurs présents dans tout énoncé linguistique, il a ensuite été problématisé dans
une perspective poétique mettant en lumière des pratiques littéraires et offrant des outils
d’analyse. Gérard Genette a formalisé la notion d’intertextualité dans Palimpsestes. C’est en
nous fondant sur ses analyses que allons déterminer quels types d’intertextualité sont en jeu dans
les réécritures du Petit Chaperon rouge afin de montrer que, lorsque nous appliquons la notion à
un lectorat enfantin, nous nous heurtons à une question : l’enfant est-il capable d’une lecture
intertextuelle ?

A) Le problème de la lecture intertextuelle par l’enfant

1) L’intertextualité : lire un texte sous un autre texte


Gérard Genette définit l’intertextualité comme la « présence effective d’un texte dans un
autre texte3 ». À cette notion, trop limitative, il préfère celle plus vaste de transtextualité, qu’il
définit comme « tout ce qui met [un texte] en relation, manifeste ou secrète, avec d’autres
textes4 ». Pour délimiter le concept, Genette montre que le terme général de « transtextualité »
réunit cinq types de renvois intertextuels5. Afin de comprendre les notions décrites et montrer la
variété des jeux intertextuels, nous allons reprendre la typologie constituée par Genette et la
confronter avec les textes de notre corpus.

a- L’intertextualité restreinte
Le premier type de transtextualité que Gérard Genette met en évidence est celui
d’« intertextualité restreinte ». L’expression désigne la présence effective d’un texte antérieur
dans un texte actuel et renvoie à la citation, au plagiat et à l’allusion.

1
Pensons par exemple à Virgile transposant les aventures de l’Odyssée d’Ulysse sous la figure de l’Énéide d’Enée,
ou, plus tardivement, à Molière s’inspirant de La Marmite de Plaute pour écrire L’Avare, ou à La Fontaine
réécrivant « Le loup et l’agneau » du fabuliste latin Phèdre.
2
Cf. Tiphaine Samoyault, L’Intertextualité [2001], Paris, Armand Colin, « 128 », 2005, p. 8-14.
3
Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 8.
4
Ibid., p. 7.
5
Ibid., p. 7-16.

101
La citation est la seule à mettre en évidence explicitement le jeu de reprise entre les
textes. Elle se repère en effet aisément grâce à des marques typographiques comme les
guillemets ou l’italique, et la double énonciation y est directement visible.
Dans les textes de notre corpus, on ne trouve quasiment aucune citation clairement
identifiable. La pratique de la citation est généralement réservée à des textes à teneur explicative
ou testimoniale, de type universitaire ou journalistique : l’auteur fait alors entendre dans son
texte la voix d’un autre auteur. Certes, le texte de Perrault apparaît dans les réécritures
contemporaines du conte, mais il n’est jamais présenté sous la forme d’une citation, ni même
non plus d’une référence, c’est-à-dire d’un « emprunt non littéral explicite1 ». Les auteurs qui
citent le texte de Perrault n’utilisent pas de guillemets. Lorsqu’il y a reprise d’une partie du texte
original, l’emprunt n’est pas présenté comme tel et les phrases reprises sont si bien intégrées au
nouveau texte qu’aucune indication formelle ne révèle qu’il y a citation. C’est le cas de l’album
de Benjamin Lacombe2, que nous avons commenté en première partie : des parties entières du
texte de Perrault sont reprises, mais elles ne sont pas présentées comme des citations.
Au sens propre, la reprise d’un texte premier dans un texte second sans qu’il n’en soit
fait mention est un plagiat : dans ce cas, l’appropriation est totale, et l’auteur premier n’est pas
nommé. Faut-il considérer les adaptations du Petit Chaperon rouge comme des plagiats ? La
notion de plagiat a un sens péjoratif qui ne convient pas ici. Tout d’abord, même s’il ne s’agit
pas de citation dûment présentée, l’intertextualité est souvent annoncée. Ainsi, dans l’album de
Benjamin Lacombe, la mention « d’après un texte original de Charles Perrault », en page de
titre, rappelle la référence première et révèle que l’auteur a fait un travail d’adaptation. La mise
en image et l’interprétation graphique du conte sont si originaux qu’ils viennent enrichir le texte
et le présenter comme une œuvre singulière. Par ailleurs, tout le monde est censé connaître le
Petit Chaperon rouge et, même si les auteurs premiers du texte ne sont pas désignés, nul
n’ignore complètement leur existence. Au fond, il paraît impossible aujourd’hui de plagier Le
Petit Chaperon rouge : la référence à l’auteur originel est si communément partagée qu’un
écrivain contemporain ne pourrait prétendre être l’auteur d’un Petit Chaperon rouge sorti
entièrement de son imagination.
Lorsqu’il y a plagiat, ou plutôt appropriation totale du texte originel, c’est à des fins
ludiques ou subversives. Il ne s’agit pas de voler le texte de Perrault, mais de s’amuser avec
celui-ci et d’amener le lecteur à jouer avec l’ancien et le nouveau textes. Yak Rivais, dans son

1
A. Bouillaguet, Proust lecteur de Balzac et de Flaubert. L’imitation cryptée, Paris, Champion, 2000, p. 31 ; in :
Tiphaine Samoyault, L’Intertextualité, op. cit., p. 35.
2
Benjamin Lacombe, Le Petit Chaperon rouge, op. cit. Voir p. 39-40 de notre mémoire.

102
recueil Les Sorcières sont N.R.V.1, s’amuse ainsi à présenter une version caviardée du Petit
Chaperon rouge. Le texte de Perrault est repris, mais des bouts de phrases sont supprimés. Nous
lisons ainsi une version complètement loufoque du conte de Perrault, où la grand-mère dévore le
petit chaperon rouge, avant d’avaler le loup lui-même ! Au sens strict, Yak Rivais n’a rien écrit
de lui-même, ni transformé les phrases du conte originel. Mais des passages entiers ont été
passés sous silence, tout en veillant à ce que le texte censuré soit grammaticalement cohérent, si
bien que c’est un nouveau texte qu’on a l’impression de lire. Yak Rivais joue avec le langage,
comme il l’a fait dans Les Contes du miroir2 ou dans son roman Les Demoiselles d’A.3, et, au-
delà de cet exercice de style, avertit les enfants des risques de la censure. À la fin du récit,
l’auteur présente en effet le texte de Perrault recouvert de bandes noires, révélant l’action de la
censure qu’il explique et met en contexte en rappelant des épisodes noirs de l’Histoire.
Gérard Genette parle également d’intertextualité restreinte pour désigner l’allusion,
c’est-à-dire un « emprunt non littéral et non explicite4 ». L’hétérogénéité n’est pas marquée, le
texte originel n’est pas désigné, donc la référence à celui-ci ne va pas nécessairement de soi. Le
lecteur peut penser à un autre texte, sans pourtant que cette référence soit affichée, ni que son
décryptage ne soit nécessaire à la compréhension. La littérature pour la jeunesse est traversée
par de nombreuses irruptions allusives du petit chaperon rouge. Claude Ponti l’invite dans
quelques-uns de ses albums. Dans Adèle s’en mêle1, le chaperon rouge joue le rôle d’un figurant.
À la première image de cet album sans texte, Claude Ponti a représenté une petite fille déchirant
un morceau d’un grand livre blanc. Page après page, l’enfant déchire un peu plus la feuille
jusqu’à entrer dans le livre. Elle découvre alors un monde exubérant composé d’animaux
menant les activités les plus inattendues : un cochon qui joue du violon, des poussins jaunes qui
peignent une vache, un lapin qui fait du vélo, etc. Les doubles pages, composées à l’italienne sur
un grand format, sont très riches et exigent une observation patiente. Le lecteur particulièrement
attentif peut ainsi découvrir sur la deuxième double page tout en bas, à droite, au pied d’un
arbre, une pile de livres dont l’un d’entre eux représente en couverture une fillette en rouge. On
voit la petite fille sortir du livre (troisième double page), puis se battre avec le loup pour
l’empêcher de s’extraire à son tour de l’ouvrage (cinquième double page), avant d’écraser
l’animal grâce à l’aide d’un petit poussin (sixième double page) ! À partir de la septième double

1
Yak Rivais / Michel Laclos, Les Sorcières sont N.R.V., Paris, L’école des loisirs, « Neuf », 1988. Voir p. 67-71 :
« La mère-grand du petit chaperon rouge ».
2
Yak Rivais, Les Contes du miroir [1988], Paris, L’école des loisirs, « Neuf », 2004. Dans ce recueil, le Petit
Chaperon rouge est présenté sous la forme d’un « conte rhopalique », c’est-à-dire dans un texte en forme de
losange, dans lequel le nombre de mots est augmenté phrase après phrase, ligne après ligne.
3
Les Demoiselles d’A. [1980], Paris, Mémoire du Livre, 2000. Ce roman est composé exclusivement à partir de la
juxtaposition de 750 citations, provenant de 406 auteurs différents. Il s’agit là d’un exemple limite de l’exploitation
de la citation à des fins littéraires et ludiques.
4
Annick Bouillaguet, Proust lecteur de Balzac et de Flaubert. L’imitation cryptée, op. cit., p. 31.

103
page, le chaperon rouge devient autonome et se met à se promener dans la page, avec d’autres
personnages comme des éléphants bleus. Claude Ponti convoque librement ce personnage pour
l’intégrer dans son univers narratif. Au lecteur de repérer cet indice intertextuel et d’identifier
l’ouvrage qui s’ouvre dans un coin de l’album, suscitant une mise en abyme de l’objet livre.
On retrouve la même composition allusive dans
l’album Rouge, bien rouge de Christian Bruel et Didier
Jouault illustré par Nicole Claveloux2. Il s’agit là aussi d’un
album sans texte, construit librement autour de l’évocation
de la couleur rouge. Page après page, le rouge est mis en
scène à travers des personnages ou des situations : du vernis
à ongle rouge qui coule dans un lavabo, des cerises et des
fourmis rouges dans une nature morte, Dracula et sa femme
ensanglantés en promenade, etc. Sur une double page
centrale, reprise en couverture de l’ouvrage, le lecteur voit
soudain une fillette en rouge devant un grand rideau de
théâtre. Dans la toile, on repère un diable, un lutin, et un
homme qui pourrait être le conteur. Les auteurs n’identifient pas explicitement le chaperon
rouge. L’allusion permet une référence ouverte au texte originel. Jean Perrot, qui dans un article
consacré au « foyer baroque central » commente cet ouvrage, met en avant la théâtralisation de
l’album suscité par la « dramatisation de l’action » chez Perrault et fait une lecture
psychanalysante de cette double page dans laquelle
le rideau est l’écran de projection sur lequel s’inscrivent les angoisses de « l’autre scène », celle de
l’inconscient3.
Les allusions au Petit Chaperon rouge apparaissent dans des textes qui ne sont pas des
réécritures. L’intertextualité ne s’affiche pas directement et n’est pas forcément identifiée par le
lecteur.

b- La métatextualité
Un autre type de renvoi intertextuel que conceptualise Genette est la métatextualité. Ce
terme désigne la relation de commentaire « qui unit un texte à un autre texte dont il parle, sans
nécessairement le citer (le convoquer)4 ». Cette marque intertextuelle ne concerne pas que les

1
Claude Ponti, Adèle s’en mêle, Paris, Gallimard Jeunesse, 1987.
2
Christian Bruel / Didier Jouault / Nicole Claveloux (illus.), Rouge, bien rouge, Paris, Gallimard / Le sourire qui
mord, « Grands petits livres », 1986.
3
Jean Perrot, « Le foyer baroque central : la torsion des contes classiques », in : Art baroque, art d’enfance, Nancy,
Presses universitaires de Nancy, 1991, p. 53.
4
Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 11.

104
textes critiques. Le conte du Petit Chaperon rouge peut ainsi être enchâssé dans un autre récit et
l’auteur construit une histoire autour du conte. Il s’agit de convoquer un récit existant en le
posant comme texte classique et en en critiquant l’intrigue, les personnages ou le dénouement.
La relation critique n’est pas aussi directe qu’elle le serait dans un essai théorique ou un manuel
explicatif. Mais le commentaire du narrateur et la distance qu’il prend par rapport au texte
originaire apparaissent plus ou moins implicitement.
On peut voir une portée métatextuelle dans l’album de Rascal Petit Lapin Rouge1. Tandis
qu’il se dirige chez sa grand-mère, un petit lapin rouge (qui tient sa couleur du fait qu’il est
tombé dans un pot de peinture) rencontre en chemin « une fillette toute de rouge vêtue ». La
petite fille n’est autre que le célèbre petit chaperon rouge – « le vrai » – que Lapin Rouge
connaît pour avoir lu son histoire dans le seul livre possédé au terrier. Il sait donc que cette
histoire finit très mal. La fillette, elle aussi, connaît l’histoire de Petit Lapin Rouge « sur le bout
des doigts » car elle a le livre à la maison. Elle sait que la fin du conte est fatale. Les deux
personnages décident alors de prendre leur destinée en main et de « jouer un tour à ces écrivains
en décidant tout seuls de [leurs] fins2 ». Chaperon rouge décide « que les loups ont disparu de
nos forêts depuis belle lurette » et Lapin Rouge que « la chasse est interdite pour toujours ».
Ensemble ils écrivent un explicit mièvre qu’ils reconnaissent dépourvu d’originalité, mais qui
leur convient « parfaitement ». L’album de Rascal met en abyme deux « livres » : l’histoire du
chaperon rouge donné comme un personnage existant vraiment, et l’histoire de Lapin Rouge
qui, en même temps qu’il est présenté au lecteur, est annoncé comme le héros d’un livre connu.
L’originalité du texte naît de cette triple relation intertextuelle existant entre, d’une part, le récit
de la rencontre entre Chaperon et Lapin Rouges et, d’autre part, les histoires de Chaperon et
Lapin Rouge convoquées comme pré-existantes à la rencontre des deux héros et comme matière
de livres célèbres. Les personnages outrepassent leur rôle : au lieu de subir l’action que l’auteur-
narrateur veut leur imposer, ils se rebellent et affirment écrire eux-mêmes leurs propres
aventures. Les personnages prennent ainsi la place de l’écrivain… du moins à un premier niveau
de lecture puisque, au fond, c’est toujours l’auteur qui tient les rênes. Ils se permettent de
critiquer les histoires originelles, de commenter leur dénouement tragique et de les réécrire.
L’album de Rascal exige une double lecture : pour comprendre le récit, le lecteur doit
reconnaître le texte mentionné et identifier la critique qui en est faite. Rascal joue sur
l’ambiguïté entre la réalité et la fiction. La relation métatextuelle est ici impartie aux
personnages. Ceux-ci ont le pouvoir de se dédoubler en commentant le texte qui les a fait naître
et en constituant ainsi un second texte qui ne peut prendre sens que par référence directe au

1
Rascal / Claude K. Dubois (illus.), Petit Lapin Rouge, Paris, L’école des loisirs, « Pastel », 1994.
2
Ibid., p. 24.

105
conte originel. La lecture de Petit Lapin Rouge impose donc de maîtriser les règles narratives et
de posséder une culture littéraire.

c- La paratextualité et l’architextualité
Gérard Genette forge le nom de paratextualité lorsqu’il s’agit de décrire les relations du
texte avec son entourage éditorial (titre, couverture, préface, etc.) et celui d’architextualité pour
désigner les relations d’un texte avec le genre littéraire auquel il appartient. Nous ne nous
étendrons pas ici sur ces deux types de renvois intertextuels que nous avons commentés supra1.

d- L’hypertextualité
Le dernier type d’intertextualité relevé par Genette est l’hypertextualité. Ce terme
désigne
toute relation unissant un texte B […] à un texte antérieur A […] sur lequel il se greffe d’une manière
qui n’est pas celle du commentaire2.
Il ne s’agit pas d’une relation de co-présence, comme dans l’intertextualité pure, mais d’un
rapport de dérivation. Pour reprendre la formule de Genette, on peut dire que, dans
l’hypertextualité, B dérive de A, c’est-à-dire que A est repris dans B et transformé, mais de telle
sorte que A n’est pas effectivement présent dans B. Chaque fois que nous parlons de parodie,
nous devrions donc employer le terme hypertextualité, plutôt qu’intertextualité. Genette note
que l’hypertexte représente « tout texte dérivé d’un texte antérieur par transformation3 ». Il peut
s’agir d’une transformation simple, comme c’est le cas dans la parodie : le texte antérieur est
alors repris pour être caricaturé. La relation entre les deux textes peut également être celle de
l’imitation. Il s’agit alors d’un pastiche : le style caractéristique d’un auteur est mimé, sans qu’il
y ait nécessairement d’intention ironique.
Dans notre deuxième partie, nous avons étudié les modalités de l’écriture parodique en
notant les rapports de dérivation inclus dans les transpositions. Les textes étudiés sont des
parodies plutôt que des pastiches. L’imitation porte sur un style, une manière et non pas un
texte, comme la parodie. Elle suppose donc que le style caractéristique de l’auteur soit identifié
et reproduit. Est-ce parce que le style de Charles Perrault ou des Grimm n’est pas suffisamment
caractéristique pour un lectorat jeune qu’aucun auteur n’essaie de les imiter ? Lorsqu’il y a
reprise du conte originel, c’est toujours avec une intention ludique. Tout au plus c’est le genre

1
Voir p. 47-52 pour la paratextualité et p. 56-69 pour l’architextualité.
2
Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 13.
3
Ibid., p. 14.

106
qui est imité : il s’agit alors d’imiter le genre du conte de fées dans un ouvrage contemporain,
comme nous l’avons vu en deuxième partie.
En conclusion, la relation avec le texte antérieur n’est généralement pas explicite.
L’hypotexte n’est jamais reproduit tel quel, ni présenté en première lecture. Il faut l’avoir déjà lu
ou entendu pour pouvoir le reconnaître. La lecture de l’intertextualité suppose toujours une
première lecture préexistant à la découverte de l’œuvre originale. En cela s’explique le sous-titre
de l’ouvrage de Genette : « La littérature au second degré ». La lecture intertextuelle s’impose
particulièrement aux « classiques » que l’on relit toujours même si on les lit pour la première
fois : comme le dit Italo Calvino, « toute première lecture d’un classique est en réalité une
relecture1 ».

2) Une lecture problématique


La lecture intertextuelle exige une double lecture : il s’agit de lire une histoire et de
reconnaître en même temps derrière celle-ci un autre récit qui en est issu. Si le lecteur ne
parvient pas à identifier l’arrière-texte, ou du moins à le deviner, la communication
intertextuelle échoue, et, dans le cas de la parodie, la portée ludique, comique ou satirique, n’est
pas reconnue. Le texte est lu au premier degré, alors qu’il dissimule un autre texte.
Or, lorsqu’on applique au public enfantin cette notion d’intertextualité, une question se
pose : comment l’enfant peut-il comprendre les sous-entendus textuels, alors que, par définition,
il ne possède pas encore de compétences de lecteur très développées ? Dans quelle mesure peut-
on exiger d’un enfant qu’il identifie les allusions culturelles alors que sa culture est encore en
formation ? Comment se souviendra-t-il des ouvrages classiques de la littérature alors qu’il
découvre ces textes ? L’enfant-lecteur est en phase d’apprentissage des codes, et il semble
difficile d’envisager qu’il pourra reconnaisse le détournement des règles qu’il n’a pas encore
appris à maîtriser.
La communication intertextuelle paraît donc difficile d’accès au lectorat enfantin. Daniel
Sangsue met en avant la forme élitiste de la lecture intertextuelle, en notant que,
pour la parodie, comme du reste pour toute forme d’intertextualité, le lecteur véritablement
opérationnel doit être un lecteur « professionnel » : critique, écrivain, professeur, étudiant… Et le
lecteur idéal ne saurait être qu’un monstre, qui aurait tout lu et tout retenu, une sorte de bibliothèque
de Babel ambulante2.
Pour sortir de cette impossibilité, nous formulerons deux hypothèses. La première
hypothèse consiste à évaluer chez l’enfant des compétences de lecteur analogues à celles du

1
Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques [1981], traduit de l’italien par Michel Orcel et François Wahl, Paris, Le
Seuil, « La librairie du XXe siècle », 1993, p. 9.
2
Daniel Sangsue, La Parodie, op. cit., p. 84-85.

107
lecteur adulte, en ne notant chez les deux types de lecteur qu’une différence d’échelle. Le lecteur
enfantin aurait la même capacité que le lecteur plus expérimenté de lire entre les lignes et
d’interpréter un texte « réticent » ou « proliférant1 ». Dans cette hypothèse, l’enfant n’aurait pas
forcément de lui-même la capacité de résoudre les problèmes de compréhension posés par le
texte, mais, aidé d’un adulte (parent, bibliothécaire ou professeur), il pourrait mener ce travail
interprétatif et accomplir une lecture littéraire. Cette première hypothèse donne un grand
pouvoir à l’enfant-lecteur et ne rend pas compte de la part inchoative qui le caractérise.
La seconde hypothèse donne du pouvoir au texte et non pas à son lecteur. Elle considère
qu’il n’est pas nécessaire d’identifier l’hypotexte pour en apprécier la portée. Dans ce cas, la
parodie aurait du sens en elle-même, indépendamment du texte référent. Telle est l’hypothèse de
Michele Hannoosh2 : en transformant l’original, la parodie le recrée et c’est à cette
reconstitution que le lecteur se reporte. La référence au texte premier n’est pas indispensable. La
connaissance du texte parodié aiderait à la compréhension de l’hypertexte, mais resterait
dispensable : la parodie serait auto-suffisante.
Cependant, si l’on ne sait pas de quel texte il s’agit, et si l’hypotexte reste inconnu, le
texte parodique changerait de statut et serait lu pour lui-même et non pas par référence à un texte
pré-existant. Les jeux de décalage et de détournement ne seraient pas repérés par le lecteur et le
texte serait dépossédé de l’essentiel de sa richesse inventive et subversive. Or, Le Petit
Chaperon rouge de Tony Ross ne perdrait-il pas de sa force comique si le lecteur ne le lisait en
pensant au texte initial ?
Nous sommes donc face à deux possibilités : soit l’enfant aurait quasiment autant de
capacités lectorales qu’un adulte, soit le texte serait si riche qu’il n’aurait pas besoin de marquer
son lien intertextuel. Aucune de ces deux hypothèses n’est entièrement satisfaisante. Dans le
premier cas, la modalité d’apprentissage est négligée, et, dans le second cas, le texte risque de
perdre la duplicité et l’ambiguïté qui constituent son intérêt. Comme souvent, une position
médiane nous paraît préférable. Supposons d’un côté que l’enfant ait de réelles compétences de
lecture, mais présumons également que le texte offre plusieurs niveaux de lecture accompagnant
les découvertes de l’enfant-lecteur. Cette hypothèse trouve facilement sa justification si on
considère la large célébrité du chaperon rouge. En effet, le texte du Petit Chaperon rouge n’est
jamais totalement inconnu, même chez les lecteurs les plus jeunes. Certes, le jeune lecteur – et
même le lecteur adulte non spécialiste – ne connaît pas avec précision les textes-sources et est

1
Nous adoptons ici les expressions de Catherine Tauveron in : « Littérature de jeunesse ou nouvelle jeunesse pour
la littérature et son enseignement », op. cit., p. 6. Les textes « réticents » « posent délibérément des problèmes de
compréhension au lecteur », tandis que les textes « proliférants » « disent, en quelque sorte, plus qu’ils ne devraient
dire et posent des problèmes d’interprétation ».
2
Michele Hannoosh, Parody and Decadence. Laforgue’s Moralités legendaries, Columbus, The Ohio State
University Press, 1989, chapitre 4. Voir Daniel Sangsue, La Parodie, op. cit., p. 56-59.

108
incapable de faire la distinction entre les différentes versions du conte classique. Mais, s’il ne
connaît pas l’appareil métacritique qui entoure le texte, il n’ignore pas le conte et peut le
raconter dans ses grandes lignes. Le flou qui entoure le Petit Chaperon rouge fait que
l’intertexte est plus aisément reconnaissable que nul autre texte classique moins connu.
Pour comprendre la façon dont le jeune lecteur va reconnaître l’hypotexte dans le conte
parodique, analysons les compétences exigées par la lecture intertextuelle.

B) Une lecture exigeante

1) Les compétences lectorales en jeu


Umberto Eco, dans Lector in fabula, analyse l’acte de lire en termes de compétences.
Loin d’être un exercice simple, la lecture suppose des compétences qu’utilise le lecteur pour
identifier correctement les signifiés et comprendre l’histoire racontée. Un texte est un
« mécanisme paresseux1 » ; c’est au lecteur d’actualiser les « intentions virtuellement contenues
par l’énoncé2 » et de donner sens à ce qu’il lit. Ces compétences sont d’abord d’ordre
linguistique, puisque le lecteur doit maîtriser le lexique et la syntaxe mobilisés dans le texte.
Elles sont ensuite aussi d’ordre « encyclopédique » (détenir un certain savoir sur le monde),
« logique » (connaître les « règles de co-référence » et établir des relations au sein du texte),
« rhétorique » (reconnaître les expressions figurées) et « idéologique » (mettre en jeu des
valeurs). Que ces compétences soient possédées par l’enfant lui-même ou qu’elles soient
médiatisées par l’adulte qui lui fait la lecture du texte, elles sont nécessaires pour que la
compréhension s’instaure.
Ainsi, pour comprendre la portée d’une réécriture du Petit Chaperon rouge, le lecteur
doit posséder des compétences « encyclopédiques » et mobiliser une « compétence
intertextuelle3 » s’inscrivant dans une culture littéraire, si minime soit-elle. Dans la perception
d’un texte parodique, la première des compétences est la reconnaissance, qui suppose une
connaissance. Comme l’a montré Geneviève Idt4, la réception parodique suit trois étapes : le
lecteur reconnaît la présence d’un texte dans un autre texte ; il identifie cet hypotexte ; et mesure
l’écart existant entre l’hypotexte et l’hypertexte. L’acte de reconnaissance peut être facilité par
le texte qui donne des indices. Par exemple, dès la lecture du titre de l’album de Jean-Pierre

1
Umberto Eco, Lector in fabula, op. cit., p. 63.
2
Ibid., p. 78.
3
Ibid., p. 101.
4
Geneviève Idt, « La parodie : rhétorique ou lecture ? » in : Le Discours et le sujet, n°3, Université de Nanterre,
1972-1973. Voir Daniel Sangsue, La Parodie, op. cit., p. 84.

109
Kerloc’h, Le Grand Lougoudou et le petit Chapeau rond rouge1, le lecteur est mis sur la piste du
petit chaperon rouge, même si le nom des personnages est humoristiquement déformé. La
référence au Petit Chaperon rouge est confirmée par l’observation de la couverture représentant
un loup apparemment affamé séduisant une petite fille portant un chapeau rouge. Le lecteur qui
connaît le conte originel est, dès le paratexte, mis sur la piste d’une référence intertextuelle.
Cependant, la connaissance/reconnaissance ne suffit pas à rendre possible une lecture
intertextuelle. Cette compétence doit être liée à une dimension d’ouverture. Il faut s’être
suffisamment approprié l’hypotexte pour être prêt à en faire une autre lecture. L’enfant doit
donc être assez détaché du Petit Chaperon rouge classique pour ne pas être troublé ou inquiété.
Or, chez les enfants les plus jeunes, cette capacité d’ouverture ne va pas de soi. En effet,
les décalages par rapport au texte-source auquel est habitué l’enfant peuvent avoir un effet
déstabilisant. La lecture du conte classique est remise en cause, ce qui impose à l’enfant de
modifier non seulement sa réception du texte, mais aussi la « structure du monde » (pour
reprendre une expression d’Eco2) qu’il s’est forgée à l’écoute régulière du conte. Dans l’analyse
qu’il fait des contes de fées contemporains, Jack Zipes estime que « les enfants ont tendance à
résister aux changements » et qu’ils n’aiment pas voir « altérés3 » les contes avec lesquels ils ont
grandi. Les enfants sont plutôt conformistes dans leur lecture et,
si leurs perspectives sociales ont été déterminées par un processus de socialisation conservateur, ils
jugent comiques les changements introduits dans les contes, voire injustes et perturbants, même si ces
contes vont dans le sens de leurs propres intérêts et favorisent leur émancipation4.
Les enfants aiment à réentendre toujours les mêmes histoires et s’insurgent lorsque l’adulte
conteur ose changer un mot. La répétition les rassure et permet d’instaurer un ordre dans lequel
ils ont appris à maîtriser les étapes du schéma narratif – surprise, peur, récompense. Dans sa
Grammaire de l’imagination, Gianni Rodari expose son « art d’inventer des histoires » (comme
le dit le sous-titre du livre) et propose plusieurs techniques, fondées sur l’imagination, pour
construire avec des enfants de petites histoires. L’un de ces procédés consiste à imaginer des
« contes défaits », c’est-à-dire à « faire dérailler les histoires5 ». Rodari l’illustre à partir de
l’exemple du Petit Chaperon rouge. L’écrivain italien note que les enfants « sont assez
longtemps conservateurs » et qu’il est

1
Jean-Pierre Kerloc’h / Isabelle Chatellard (illus.), Le Grand Lougoudou et le petit Chapeau rond rouge, Paris,
Vilo Jeunesse, 2007.
2
Umberto Eco, Lector in fabula, op. cit., chapitre 8, p. 157 et sq.
3
Jack Zipes, Les Contes de fées et l’art de la subversion, traduit par François Ruy-Vidal, Paris, Payot, 1986, p. 241.
4
Id.
5
Gianni Rodari, Grammaire de l’imagination [Grammatica della fantasia], traduit par Roger Salomon, Paris,
Éditions Messidor, 1979, p. 81.

110
possible qu’au début le jeu qui consiste à faire dérailler les histoires les irrite, parce qu’il leur oppose
une sensation de danger. Ils sont préparés à l’apparition du loup : mais l’apparition de l’insolite les
inquiète, dans la mesure où ils ne savent pas si ce sera un ami ou un ennemi 1.
Mais lorsque le conte a dit aux petits lecteurs ce qu’ils avaient besoin d’entendre à un moment
de leur développement et qu’ils sont « prêts à s’en séparer comme d’un vieux jouet épuisé par
l’usage2 », les enfants acceptent alors la parodie. La distance prise face au conte originel leur
permet de le voir malmené. La réécriture du conte renouvelle l’intérêt de l’histoire et éveille leur
curiosité. Ils font ainsi à travers l’écriture parodique l’expérience de la liberté. Le conte n’a plus
sa fonction première d’apprentissage et de lutte contre les peurs cachées ; il devient une matière
ludique offerte à l’imagination de l’enfant.
Il est bon que l’enfant soit un lecteur expérimenté avant de pouvoir accueillir des textes
parodiques. À cette compétence d’ouverture à la nouveauté s’ajoute un travail d’analyse du
conte de départ, même si c’est à un niveau intuitif. En effet, pour identifier le décalage
parodique, le lecteur doit avoir intériorisé les structures narratives. L’enfant ne possède pas
d’outils d’analyse littéraire pour établir de façon consciente cette analyse du conte. Mais il ne
peut noter l’entreprise de déconstruction que s’il a compris intuitivement comment le conte
originel était construit. L’enfant est mis dans une position critique. Il doit remettre en cause une
« réception routinière des contes », comme le dit Zipes3, et interroger la signification des contes
classiques. En ce sens, la lecture des textes parodiques exige une compétence savante, même si
ce n’est encore qu’à un niveau intuitif.

2) Une lecture à plusieurs niveaux


Loin d’être une matière inerte et immobile, un texte littéraire est une « étrange toupie qui
n’existe qu’en mouvement4 ». Plusieurs lectures peuvent être faites d’un même texte non
seulement par des lecteurs différents, mais aussi par un même lecteur. Dans « Ironie
intertextuelle et niveaux de lecture », Umberto Eco conceptualise la notion de double lecture en
partant de l’expression « double coding » forgée par Charles Jenks à propos de l’architecture
postmoderne. En créant le concept d’« ironie intertextuelle », Umberto Eco montre qu’un même
texte peut être lu par plusieurs types de lecteurs : un lecteur naïf, possédant une culture peu
étendue, et un lecteur averti, capable de saisir les renvois élitaires dissimulés dans le texte.
L’ironie intertextuelle met en jeu la « possibilité d’une double lecture », de telle sorte que

1
Id.
2
Id.
3
Jack Zipes, Les Contes de fées et l’art de la subversion, op. cit., p. 242.
4
Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ? [1948], Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1993, p. 48.

111
le texte peut être lu naïvement, sans saisir les renvois intertextuels, ou bien dans la pleine conscience
de ces renvois, ou du moins dans la certitude qu’il faut se mettre en chasse de ces renvois 1.
En nous appropriant le concept d’Umberto Eco, nous pourrions être amenés à marquer la
séparation entre, d’une part, un lecteur adulte capable de reconnaître les présupposés
intertextuels du texte, et, d’autre part, un lecteur enfant lisant le texte à son premier niveau de
lecture, dans la compréhension immédiate des informations communiquées par le texte. Une
telle distinction exclurait l’enfant de la lecture intertextuelle et le considèrerait comme incapable
de profiter de la richesse parodique du texte en raison de la pauvreté de sa culture. Or, l’ironie
intertextuelle sélectionne et « privilégie les lecteurs intertextuellement avisés » sans exclure
pour autant « les moins armés2 ». À l’instar de Michel Tournier qui refuse de se définir comme
un auteur écrivant pour la jeunesse3, considérons qu’il n’y a pas d’un côté une « littérature pour
la jeunesse » qui se limiterait à conter des histoires simples voire simplettes, et d’un autre côté
une « littérature pour la vieillesse » qui, seule, pourrait représenter la complexité du monde et
jouer avec les références culturelles. Ce serait porter un regard réducteur sur la littérature pour
enfants de penser que les écrivains sont contraints de limiter les renvois culturels – choix du
lexique, allusions intertextuelles, jeux parodiques – lorsqu’il s’agit de s’adresser aux lecteurs les
plus jeunes. Postulons plutôt que l’auteur, lorsqu’il écrit son texte, imagine un lecteur capable de
plusieurs niveaux de lecture. Dans Lector in fabula, Umberto Eco a montré que l’écrivain
sollicite dans son texte un « Lecteur Modèle » qui est
capable de coopérer à l’actualisation textuelle de la façon dont lui, l’auteur, le pensait et capable aussi
d’agir interprétativement comme lui a agi générativement 4.
Dans un texte jouant sur l’ironie intertextuelle, le Lecteur Modèle est double : le lecteur
« de premier niveau » est « sémantique » et « désire savoir […] comment l’histoire finira »,
tandis que le lecteur « de second niveau » est « sémiotique ou esthétique » et « veut savoir
comment ce qui se passe a été raconté1 ». Le lecteur de premier niveau suit l’intrigue et est pris
au jeu du suspense, souhaitant savoir ce qui va arriver aux personnages. Il s’identifie ainsi à
l’héroïne du conte et laisse libre cours à ses émotions, s’attristant lorsque le chaperon rouge est
pris au piège du loup, ou se réjouissant au moment de sa délivrance. Le lecteur de second niveau
prend ses distances vis-à-vis de l’intrigue : il réfléchit à la façon dont Perrault a su ménager le
suspense, se délecte du choix des mots, cherche à comprendre le point de vue suivi par le
narrateur. Il désire démonter les mécanismes d’écriture. Le lecteur de premier niveau fait une
« lecture en progression », c’est-à-dire qui « adopte le protocole institué par le texte, en respecte

1
Umberto Eco, « Ironie intertextuelle et niveaux de lecture », in : De la littérature, op. cit., p. 278.
2
Id.
3
Michel Tournier, présentation de Vendredi ou la vie sauvage [1971], Paris, Flammarion, « Castor Poche », 1984,
p. 5 : « J’écris pour tout le monde, mais je n’y parviens pas toujours. Quand je suis au meilleur de ma forme, plein
de talent et d’allant, ce que j’écris est si bon, si limpide, si bref que tout le monde peut me lire, même les enfants. »
4
Umberto Eco, Lector in fabula, op. cit., p. 68.

112
le contrat, et conduit à un oubli partiel de soi et de la matérialité du texte ». Cette première
lecture pourra être suivie par une « lecture en compréhension » dans laquelle le lecteur cherche à
s’approprier le texte « en élaborant une interprétation originale2 ».
Cependant, le lecteur de premier niveau et celui de second niveau ne forment pas
nécessairement deux lecteurs distincts. Il peut s’agir du même lecteur à deux moments, soit de
sa lecture/relecture, soit de son propre développement de lecteur. L’enfant peut en effet être un
lecteur de premier niveau lorsqu’il découvre pour la première fois un texte : il est d’emblée
embarqué par l’histoire et la lit en y projetant ses propres émotions. Mais lorsqu’il relit le livre,
il peut devenir un lecteur de second niveau cherchant à comprendre les inflexions du texte et les
choix narratifs. Toutefois, l’enfant, plus encore que l’adulte, est un lecteur en perpétuelle
formation et, au fil des mois, ses capacités peuvent évoluer. Une fréquentation assidue du texte
l’aidera à prendre conscience des procédés d’écriture qui ont permis sa lecture crédule.
Selon Umberto Eco, ces niveaux de lecture sont inscrits dans le texte et voulus par
l’auteur, et ne dépendent pas de la seule culture du lecteur. Pour illustrer notre propos, nous
prendrons l’exemple de Mina je t’aime, écrit par Patricia Joiret et illustré par Xavier Bruyère1.
Cet album est un texte à leurre qui piège son lecteur et l’oblige à une relecture attentive. En
lisant le titre et en observant la couverture, le lecteur qui découvre pour la première fois l’album
peut supposer qu’il s’agit d’une histoire
sentimentale. Aucune allusion au chaperon rouge
ne vient le mettre sur la piste d’une écriture
intertextuelle. Pages après pages, le lecteur « de
premier niveau » suit ainsi les aventures de
Carmina, une petite fille vêtue de rouge que sa
mère envoie chez sa grand-mère. La fillette
rencontre trois garçons de son âge qui, tour à tour,
lui lancent des messages en forme de déclaration
d’amour. Cependant, la jeune Carmina reste indifférente à ses admirateurs et continue son
chemin. L’histoire se déroule en apparence classiquement et paraît conter la découverte par une
toute jeune fille de son pouvoir de séduction, comme dans l’album de Béatrice Poncelet, Je, le
loup et moi… Mais, arrivé à la dernière page, le lecteur s’aperçoit qu’il a été trompé par le
narrateur. Il découvre en effet que la grand-mère a la « gueule énorme d’une louve grise qui se
pourlèche les babines » et comprend, en voyant la dernière image représentant l’ombre d’un
terrifiant loup, que Carmina est venue livrer à sa grand-mère louve non seulement « trois pieds

1
Umberto Eco, « Ironie intertextuelle et niveaux de lecture », op. cit., p. 282.
2
Raphaël Baroni, La Tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, op. cit., p. 235-236.

113
de cochon, un jambon fumé, deux langues de bœuf »… mais aussi « trois bons gros garçons
comme dessert » ! Contrairement à ce qu’une première lecture du texte et des images a pu lui
faire croire, le lecteur s’aperçoit que la petite Carmina est en fait une louve, et qu’elle a amené

1
Patricia Joiret / Xavier Bruyère (illus.), Mina je t’aime, op. cit.

114
sciemment les garçons « dans la gueule du loup ». De nombreux indices se cachent dans le texte
et avertissent qu’il faut appréhender ce récit comme une inversion du Petit Chaperon rouge,
mais ces pistes ne se révèlent qu’à la relecture. Ainsi, en relisant le texte, on découvre
l’omniprésence d’un champ lexical du rouge (« Carmina », « carminées », « sang », « collant
rouge », « sweat-shirt rouge », « cheveux roux », « vermillon », « géraniums »). De plus, le
portrait fait de la jeune fille comporte de nombreux termes évoquant l’animalité : Carmina a en
effet de « petits crocs pointus », une « crinière de fauve », et « des membres » plutôt que des
bras et des jambes. Les verbes décrivant l’action de Carmina marquent, eux aussi, le caractère
sauvage de l’héroïne : elle ne mange pas mais « englouti[t] » son repas et ne parle pas à sa mère
mais « hurle ». Les mots, qu’une première lecture laissait croire figurés, sont employés au sens
propre. Les trois garçons sont, quant à eux, présentés par des termes évoquant leur caractère
porcin : les expressions « tête de lard », « tête de cochon », « boucher charcutier » auraient pu
mettre sur la piste. Les images, elles aussi, auraient dû orienter la lecture. On y voit en effet
systématiquement un détail représentant un loup : sur la planche à découper dans la cuisine, une
statuette dans un coin de la chambre de Carmina, une statue en arrière fond du paysage, ou
encore l’abat-jour représenté à la dernière page.
À la deuxième lecture, l’enfant-lecteur peut donc devenir un « lecteur de second niveau »
de Mina je t’aime : la connaissance de l’issue de l’histoire dévoile des détails qui pourraient
passer inaperçus en première lecture. Cependant, cette lecture de « second niveau » suppose elle
aussi une certaine gradation dans la compréhension des renvois intertextuels. Il est probable que
certains détails échapperont à un enfant de cycle 3 alors qu’un collégien pourra éventuellement
les repérer sans l’aide d’un adulte : la signification de l’adjectif « carminé » peu usité ou encore
le patronyme de Mina – « Wolf » – qui échappera aisément aux lecteurs non germanistes ou non
anglicistes. D’autres aspects de l’album exigent une culture encore plus étendue que seul un
lecteur instruit saura reconnaître : ainsi, l’inspiration impressionniste des illustrations de Xavier
Bruyère qui, par leurs couleurs chaudes tirant sur le rouge, font penser aux peintures de Matisse
e
et des fauvistes du début du XX siècle ne sautera aux yeux que d’un lecteur possédant une
certaine culture picturale. Plus encore, il faut être un lecteur érudit – lecteur « de troisième
niveau », pourrait-on dire – pour interpréter cet album comme une
constellation autour de deux pôles : « Eros » (les figures de l’amour, ici de la séduction amoureuse,
peut-être, en tout cas sexuelle, et de la déclaration d’amour) et « Thanatos » (les figures de la mort
[…])1.
En somme, le texte peut se lire à plusieurs niveaux, et cette lecture en constellation
permet au lecteur-enfant d’enrichir sa perception du texte à mesure de ses relectures et de ses
découvertes littéraires.

1
Serge Martin, Les Contes à l’école. Le(s) petit(s) Chaperon(s) rouge(s), op. cit., p. 96.

115
3) Une lecture qui initie au plaisir littéraire
Loin d’atténuer le plaisir esthétique, le nivellement du texte vient le multiplier. Qu’on
lise une parodie du Petit Chaperon rouge en reconnaissant l’hypotexte et en jouissant des
allusions intertextuelles ou que, au contraire, on en reste à la lecture sémantique, le plaisir de la
lecture existe dans les deux cas. Umberto Eco note ainsi que le lecteur « qui comprend le clin
d’œil établit un rapport privilégié avec le texte », et que « celui qui ne le comprend pas continue
quand même ». Dans les deux cas, un plaisir est suscité même si le renvoi n’est pas aperçu 1.
Encore faut-il faire la différence entre l’ironie intertextuelle et l’ironie2. Cette dernière suppose
qu’un des destinataires peut ne pas être conscient du jeu allusif qui, donc, l’exclut. L’ironie
intertextuelle, elle, invite à un plaisir partagé, même si l’ironie n’est pas vue. En effet, c’est
comme une « incitation et invitation à l’inclusion3 » ; elle offre la possibilité au lecteur
d’enrichir sa lecture et exhorte le lecteur naïf à devenir de plus en plus conscient des marques
intertextuelles.
Cela revient à ébaucher plusieurs types de plaisir littéraire. Le premier, le plus immédiat,
est le plaisir du lecteur naïf : il s’agit du lecteur « de premier niveau » qui est impatient de
connaître la suite de l’histoire et qui apprécie de se sentir tenu en haleine par l’intrigue, tant il est
attaché à l’histoire et aux personnages. Par exemple, lorsqu’il lit Mina je t’aime, il veut savoir
pourquoi Carmina ignore ses admirateurs et ne répond pas aux messages d’amour qu’elle reçoit.
Il continue sa lecture dans l’espoir de recevoir la réponse à cette petite énigme. Mais l’enfant est
susceptible d’accéder à un plaisir de second type : le plaisir de l’esthète. Le lecteur devient alors
technicien, capable de juger des choix narratifs de l’auteur, d’apprécier la polysémie d’un mot et
de reconnaître les allusions intertextuelles distillées dans le récit. Ainsi, dans Mina je t’aime, le
plaisir viendra de la découverte des moyens utilisés par le narrateur pour faire tomber le lecteur
dans le piège.
L’émotion esthétique est double : découverte de la nouveauté et reconnaissance de
l’ancien. En effet, lorsqu’il lit une réécriture du Petit Chaperon rouge, l’enfant-lecteur se sent
fier de reconnaître le texte originel. Cette reconnaissance marque son appartenance à une culture
partagée et atteste des compétences de lecteur qu’il a acquises au fil de ses découvertes
littéraires. Annie Rouxel, dans un article définissant la lecture littéraire, explique que le plaisir
esthétique est « complexe » : il naît

1
Umberto Eco, « Ironie intertextuelle et niveaux de lecture », op. cit., p. 277.
2
Ibid., p. 296.
3
Ibid., p. 297.

116
de la tension entre le dépaysement lié à l’inconnu du texte et le sentiment de familiarité que confère la
reconnaissance de codes, le partage de références 1.
Reconnaître les codes du conte de fées en lisant la parodie de Tony Ross ou se rappeler
de l’intrigue du Petit Chaperon rouge en suivant l’enquête du détective John Chatterton permet
à l’enfant de prendre conscience que la lecture d’un texte ouvre sur d’autres textes. Le plaisir de
la reconnaissance va de pair avec le plaisir de grandir. En identifiant les clins d’œil et les
allusions culturelles, le jeune lecteur peut avoir l’impression d’entrer chez les « grands » et
d’être moins naïf. Par l’identification des codes littéraires dont il ignorait l’existence quelques
années plus tôt, l’enfant s’aperçoit du chemin qu’il a parcouru dans son expérience de lecteur.
L’enfant peut ressentir du plaisir à faire une lecture savante d’un texte parodique parce
que ce délice de la lecture renvoie au plaisir du joueur. Dans les dernières pages de
Palimpsestes, Gérard Genette note la dimension ludique de la parodie : l’écriture hypertextuelle
est de l’ordre du « bricolage » et consiste à « faire du neuf avec du vieux » en jouant avec les
références, les codes et les stéréotypes2. Par conséquent, prendre goût à la lecture d’une parodie
du Petit Chaperon rouge revient à éprouver des émotions de joueur. En ce sens, lire, c’est jouer,
comme l’a montré Michel Picard dans La Lecture comme jeu3 : jeu de rôle (« playing »)
lorsqu’il s’agit de s’identifier au héros du conte, ou jeu de stratégie (« game ») lorsqu’il y a
distanciation. Dans une conférence en forme de plaidoyer pour la littérature pour la jeunesse,
Catherine Tauveron file la métaphore du jeu et montre que le plaisir du joueur est « multiple » :
plaisir du détective qui rassemble les pièces éparses du puzzle, remplit les blancs laissés entre les
pièces ; plaisir du mineur creusant un filon de sens entr’aperçu ; plaisir du stratège anticipant les
coups, ou tombant dans les pièges tendus pour mieux ensuite en estimer la finesse ; plaisir du
tisserand qui mêle les fils pour faire apparaître des figures à chaque fois différentes ; plaisir de
l’archéologue qui met au jour dans une seule histoire toutes les histoires déposées en strates et qui
lancent des clins d’œil complices4
Le jeu peut aider les enfants à entrer dans la découverte de la littérature. C’est ce que
bons nombres d’enseignants ont compris en appuyant leur enseignement sur la lecture des textes
parodiques. C’est également ce que préconisent les directives de l’Éducation nationale qui, en
préambule des programmes scolaires de cycle 3, affirment vouloir « développer l’appétence » et
faire « la promotion de la lecture dans toutes ses acceptions : lecture de travail et savante, lecture
fonctionnelle, lecture-plaisir et de culture5 ».

1
Annie Rouxel, « Qu’entend-on par lecture littéraire ? », Actes de l’université d’automne, Direction de l’ensei-
gnement scolaire, publié le 6 mai 2004 : <http://eduscol.education.fr/D0126/lecture_litteraire_rouxel.htm>, p. 5.
2
Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 556-557. Genette montre que le bricolage est toujours un jeu car il
« traite et utilise un objet d’une manière imprévue, non programmée, et donc “indue” ».
3
Michel Picard, La Lecture comme jeu, Minuit, Paris, 1986.
4
Catherine Tauveron, « Littérature de jeunesse ou nouvelle jeunesse pour la littérature son enseignement ? », Actes
du séminaire national « Perspectives actuelles de l’enseignement du français », 23-24-25 octobre 2000. Consultable
sur Internet : <http://eduscol.education.fr/D0033/actfran_tauveron.htm>, p. 7-8.
5
« Lire et écrire au cycle 3. Repères pour organiser les apprentissages au long du cycle », document
d’accompagnement des programmes scolaires, CNDP, 2003 : <http://www.cndp.fr/doc_administrative/>, p. 5-6.

117
C) Des compétences exigées

1) Des compétences didactiques revendiquées dans les programmes


scolaires
L’école est le lieu par excellence de l’apprentissage de la lecture littéraire. Considérons
désormais l’enfant en tant qu’élève et voyons comment l’école pratique la lecture intertextuelle.
Le programme scolaire applicable depuis la rentrée 2002 dans les classes du cycle 3,
cycle des approfondissements (CE2, CM1, CM2), donne une place importante à la littérature qui
est conçue comme « mémoire des textes1 ». Le document d’application des programmes s’ouvre
par la définition de la « culture littéraire » envisagée dans une perspective intertextuelle. Il s’agit
de faire prendre conscience des liens entre les textes, et de montrer aux élèves les « résonances
qui relient les œuvres entre elles2 ». Les expressions sont nombreuses pour désigner la pratique
de l’intertextualité : « résonances », « liens », « mises en réseaux », « constitution de
constellations », « échos3 ». La notion de « réseaux » est centrale dans les instructions
officielles. Il faut donner à lire à la fois les « textes de référence » et les « textes qui en sont
l’écho ou s’inscrivent dans la rupture avec ce patrimoine » pour montrer aux élèves les liens
entre les textes, afin de « saisir les rapprochements, apprécier les similitudes, les variations, les
prolongements, les jeux d’imitation, les détournements4 ». Cette construction d’un réseau peut,
chez les plus jeunes élèves, décliner des personnages qui, par leur consistance, « constituent
l’une des trames les plus visibles des œuvres ». Le document d’application des programmes de
cycle 3 prend ainsi l’exemple du petit chaperon rouge qui « ne cesse de réapparaître, quelquefois
sous les atours les plus inattendus ». L’observation comparative des reprises et des
modifications imposées au personnage du conte originel engendre « investigations et
interrogations » et renouvelle la réception du texte classique.
Pourquoi donner autant d’importance à la « lecture en réseaux » ? L’objectif affiché est
d’affirmer une approche culturelle de la littérature à travers la mémoire collective. Au-delà du
strict apprentissage de la littérature, l’un des buts de l’école est d’aider le futur adulte à s’insérer
dans la société et à construire les repères qui lui permettront de partager avec autrui les mêmes
références culturelles. La lecture en réseaux peut ainsi contribuer à la structuration de la culture
de l’élève. Dans un article consacré aux « fonctions et nature des lectures en réseaux »,
Catherine Tauveron note l’importance du pluriel du mot « réseaux » et montre qu’il s’agit de

1
« Littérature (cycle 3) », document d’accompagnement des programmes scolaires, CNDP, 2004. Consultable sur
Internet :<http://www.cndp.fr/textes_officiels/ecole/Litt_ecole.pdf>, p. 5.
2
Id.
3
Ibid., p. 9.
4
Id.

118
construire des « ponts » d’un lecteur à l’autre et entre « l’œuvre lue et les œuvres engrangées
dans la mémoire culturelle ». Dans cette optique, elle considère que le « rôle du maître » est
d’offrir les conditions pour que cette mémoire, singulière et collective, s’organise en cases où se
rassemblent des histoires présentant des points communs [...], cases au contenu évolutif,
si bien que dans la classe,
les histoires sont appelées à avoir plusieurs vies et à contracter plusieurs mariages, mariages arrangés
par le maître, mariages d’amour aussi, imprévisibles 1.
L’intertextualité étant une « une pratique de lecture2 », le rôle du professeur est d’aider
l’élève à organiser sa lecture personnelle en lui permettant d’inscrire chaque nouveau texte
découvert dans sa « bibliothèque mentale3 ». En ce sens, dans l’apprentissage de la lecture à
l’école, le but n’est pas de renvoyer à un savoir fixe, voulu par l’auteur, mais de proposer un
sens en faisant pour cela appel à l’expérience intime du lecteur. L’enseignant peut proposer des
pistes référentielles pour que l’élève lie les textes qu’il lit, sans imposer des réseaux.
La lecture des réécritures du petit chaperon rouge peut aider également l’élève à s’initier
à la lecture critique et à mener une lecture avertie, capable de repérer les techniques utilisées par
l’auteur. Ainsi, comparer la version du conte de Perrault avec l’album de Fabian Negrin, Dans
la gueule du loup4, fait réfléchir l’élève à la variation des points de vue et permet d’introduire la
notion de focalisation (qui n’aura pas besoin d’être nommée par son terme technique pour être
comprise par l’enfant). L’observation des techniques de détournement et de parodie donne
l’occasion de prendre conscience de la mise en œuvre de certaines techniques narratives ou
stylistiques. Il est en effet plus aisé de s’apercevoir d’un phénomène lorsqu’on le compare avec
d’autres et qu’on peut mesurer l’écart par rapport à la norme. La lecture des textes parodiques
conduit ainsi l’élève à faire évoluer son attitude de lecteur ; elle lui permet de ne plus être
seulement « lisant », mais aussi « lectant ». Le « lisant » désigne la
part du lecteur piégé par l’illusion référentielle et considérant, le temps de la lecture, le monde du
texte comme un monde existant,
tandis que le « lectant » renvoie à
[l’]instance de la secondarité critique qui s’intéresse à la complexité de l’œuvre 5.
Transformer le jeune lecteur en « lectant », c’est lui offrir l’occasion de s’arracher à
l’illusion romanesque, et le faire réfléchir à l’écriture du texte. La lecture intertextuelle, parce

1
Catherine Tauveron, « Fonctions et nature des lectures en réseaux », Actes de l’université d’automne, « La lecture
et la culture littéraires au cycle des approfondissements », Direction de l’enseignement scolaire, publié le 12 mai
2004. Consultable sur Internet : <http://eduscol.education.fr/D0126/lecture_litteraire_tauveron3.htm >, p. 1.
2
Florence Gaotti, « Croisements de voix. Réflexions sur l’intertextualité à l’école », in : Nous voulons lire, n°160,
juin 2005, p. 41.
3
Id.
4
Fabian Negrin, Dans la gueule du loup, op. cit. Voir notre commentaire sur cet album dans notre deuxième partie
(p. 88-89).
5
Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, op. cit., p. 81.

119
qu’elle invite à prendre conscience des liens entre les œuvres, favorise cette prise de distance par
rapport à la lecture immédiate et incite à développer l’esprit critique du jeune lecteur.

2) Le petit chaperon rouge à l’école : des pratiques pédagogiques


Notre propos n’est pas ici de nous transformer en professeur et de présenter des cours
construits en séquences mobilisant les réécritures du Petit Chaperon rouge, mais simplement de
suggérer quelques pistes d’activités pédagogiques afin de montrer la richesse qui peut être tirée
de l’étude des contes parodiés. Pour une liste plus complète d’activités menées autour du Petit
Chaperon rouge en école primaire, nous invitons à se référer à l’ouvrage Les Contes à l’école.
Le(s) Petit(s) Chaperon(s) rouge(s)1. Dans ce livre didactique destiné aux professeurs des
écoles, Serge Martin montre comment utiliser en classe le conte originel et sa multitude de
versions contemporaines. On pourra se reporter également à une fiche réalisée par le Centre de
ressources en littérature de jeunesse du CRDP de l’académie de Créteil2 qui propose de
nombreuses suggestions d’utilisation des contes parodiés en primaire et en collège.
L’étude des réécritures du Petit Chaperon rouge peut être menée en primaire, mais aussi
au collège, notamment en 6e où le genre du conte est au programme : il s’agira alors de discerner
« les constantes de la structure narrative, ainsi que les dimensions sensibles et symboliques des
situations mises en scène3 ». Une telle étude pourrait également trouver sa place chez des élèves
plus âgés : en Première L où les réécritures sont un objet d’étude au programme 4, ou même en
Bac pro où l’étude de versions parodiques du conte pourrait être l’occasion de réfléchir aux
procédés ironiques ou à « l’implicite culturel et de connivence » inscrit dans le référentiel5.
Les activités, fondées sur la lecture des textes, visent à un travail comparer le conte
source et ses réécritures. Une telle lecture pourra être l’occasion d’un débat à objectif
argumentatif où l’élève devra justifier ses préférences pour l’une ou l’autre version, ou encore
d’une discussion sur les diverses interprétations possibles des textes (Petit Lapin Rouge de
Rascal en primaire, ou Mina je t’aime, plus complexe, en collège). L’enseignant pourra
demander aux élèves de relever les éléments de transposition en se concentrant sur les

1
Serge Martin, Les Contes à l’école. Le(s) petit(s) Chaperon(s) rouge(s), op. cit. Voir surtout la deuxième partie, la
première partie étant essentiellement consacrée à un exposé critique des thèses classiques sur les contes.
2
<http://www.crdp.ac-creteil.fr/telemaque/comite/contes.htm>.
3
Voir l’accompagnement du programme de Français en collège pour la classe de 6 e
<www.cndp.fr/doc_administrative/programmes/secondaire/francais/accueil.htm>, p. 37.
4
Notons qu’en 2006-2007 les contes de Perrault dans la version illustrée de Gustave Doré étaient au programme
des Terminales L.
5
Voir le référentiel de Français en baccalauréat professionnel sur Internet à cette adresse : <www.ac-
nantes.fr :8080/peda/disc/lettres/ressourc/lycpro/progdoc/probbac.htm. On trouvera un exemple de séquence sur les
parodies du Chaperon rouge et « le récit à visée morale » réalisée par des enseignants de Première Bac Pro sur
Internet (<www.ac-nice.fr/plplh/lettres/groupements_textes/bac_pro/contes_parodies/grpt_contes>).

120
modifications du lieu, du temps et des personnages chez les élèves les plus jeunes, ou en
étudiant les différentes structures du récit ou les voix narratives chez les élèves plus âgés. Un
travail sur l’interprétation des illustrations pourra être mené : comment le même personnage est-
il représenté ? Qu’ajoute l’image au texte de Perrault ? Dans quelle mesure les différents styles
d’illustrations modifient-ils la réception du conte ? Les activités de lecture pourront se doubler
d’un travail d’écriture. Ainsi, des élèves de primaire écriront l’histoire de l’album sans texte de
Rascal1, ou leur propre version du conte en transposant lieux et personnages dans un univers
contemporain, comme l’a fait Jean Claverie ou Geoffroy de Pennart. Les élèves transposeront le
conte en pièce de théâtre (soit en mettant en scène la version de Joël Pommerat ou de Jean-
Claude Grumberg, soit en écrivant leur version théâtrale), ou bien proposeront leurs illustrations
réalisées en cours d’arts plastiques, ou étudieront les utilisations du conte dans des supports de
communication à visée publicitaire2.
Les nombreuses utilisations des réécritures contemporaines du conte renvoient à des
objectifs pédagogiques variés. Il faudra simplement veiller à éviter certains écueils que Serge
Martin met en évidence dans son ouvrage. Commentant les motifs de Propp, il avertit du danger
de réduire l’étude des contes à l’application aveugle et mécanique des schémas narratifs. Il
critique les méthodes qui consistent à faire écrire les élèves en leur imposant le schéma quinaire.
De telles pratiques mèneraient à une « propédeutique techniciste3 ». Le risque serait alors
d’« instrumentaliser » le conte et de l’utiliser seulement comme support pour étudier la
grammaire, le schéma narratif, etc., au lieu d’en « conserver la complexité4 ». Notons que c’est à
cette dérive que risquerait d’aboutir une interprétation fermée des programmes scolaires qui,
depuis quelques années, imposent d’étudier la grammaire dans les textes narratifs au cours d’une
« séquence » et non à l’occasion de leçons indépendantes et magistrales.

Nous avons étudié la réception des contes du Petit Chaperon rouge en nous fondant sur
la façon dont de jeunes lecteurs peuvent percevoir l’intertextualité à l’œuvre dans les réécritures
contemporaines. Nous avons constaté que la lecture pouvait se faire à plusieurs niveaux et
qu’elle invitait à construire une lecture critique et un plaisir littéraire.
Nous allons désormais examiner la réception de l’humour. En effet, nombre de
réécritures du Petit Chaperon rouge ont une portée comique et remettent en question la forte
dramatisation du texte de Perrault. Le personnage du chaperon est placé dans une situation

1
Rascal, Le Petit Chaperon rouge, op. cit.
2
Voir notamment la publicité de Luc Besson pour le parfum Chanel n°5. On trouvera des activités pédagogiques
autour de cette publicité sur le site de la BNF (<http://expositions.bnf.fr/contes/pedago/chaperon/pub.htm>).
3
Serge Martin, Les Contes à l’école. Le(s) Petit(s) Chaperon(s) rouge(s), op. cit., p. 39-42.
4
Ibid., p. 60-62.

121
comique où le rire vient remplacer la peur. Les récits changent donc de tonalité par rapport au
conte originel et prêtent à sourire. Comment les enfants reçoivent-ils l’humour ? Quelle situation
de communication est-elle construite dans les textes à portée ironique ? Les enfants sont-ils
capables de saisir les discours humoristiques et les clins d’œil ironiques ? Pour répondre à ces
questions, nous allons étudier le rire à l’œuvre dans les écritures parodiques du Petit Chaperon
rouge, et en mesurer les fonctions et la portée pour le développement de l’enfant.

II) La réception de l’humour


Les réécritures contemporaines du Petit Chaperon rouge sont souvent fondées sur le
décalage ludique entre le conte-source et le nouveau texte. Le rire naît de la subversion des
codes et de la distance apportée par rapport au conte originel. Comme le montre Françoise
Ballanger, l’humour « ne saurait être réduit à un genre », mais se reconnaît plutôt comme
une attitude, [...] une manière de raconter qui prend ses distances avec ce qui est raconté, dans une
sorte de télescopage entre l’histoire rapportée et les commentaires implicites ou explicites qu’elle
suscite1.
Or, l’enfant a tendance à adhérer à ce qui lui est raconté. Il se laisse facilement
convaincre par ce qu’il lit, et sa crédulité naturelle pourrait l’amener à prendre au pied de la
lettre le récit, tant il est ancré dans l’illusion référentielle2. Si l’humour suppose une mise à
distance, n’y a-t-il pas, comme pour la réception de l’intertextualité, une attitude problématique
dans la réception de l’humour par les enfants ? Dans quelle mesure peuvent-ils adopter
suffisamment de recul pour être sensibles aux allusions humoristiques et ironiques des textes ?

A) Le rire comme établissement d’une situation de communication

1) Le rire, entre connivence et exclusion


L’humour se définit comme une mise à distance. Celle-ci peut prendre des apparences
variées : distance du narrateur avec ce qu’il raconte, décalage entre le texte et l’image,
introduction de ruptures de ton qui viennent mettre l’accent sur les failles de l’histoire racontée.

1
Françoise Ballanger, « Laissez-les rire ! », dans L’Humour dans la littérature de jeunesse, Paris, In Press Éditions,
2000, p. 75.
2
Vincent Jouve souligne cette crédulité de l’enfant en notant que c’est celle que l’adulte retrouve dans la lecture :
« Le support de la crédulité du lecteur, c’est l’enfant qui a survécu dans l’adulte » (L’effet-personnage dans le
roman, op. cit., p. 85).

122
Dans un article consacré à l’humour dans la littérature pour la jeunesse, Jean-Paul Gourévitch
montre la différence entre la caricature et l’humour. Alors que la première « simplifie et
amplifie », le second « opère avec douceur et légèreté ». L’humoriste invite à relativiser les
drames du monde et, pour cela, il
met en scène une situation, adopte un parti pris de distanciation qui se traduit par un décalage dans le
texte, dans l’image ou dans les deux1.
L’humoriste instaure dans son texte des écarts qui incitent le lecteur à entrer dans une attitude
critique.
Dans les réécritures du Petit Chaperon rouge, ces mises à distance sont de plusieurs
ordres. Certains albums jouent sur ces écarts en associant un style d’illustration décalée par
rapport à l’univers traditionnel du conte. Ainsi, dans la version du Petit Chaperon rouge de
James Marshall2, les dessins sont de facture humoristique : des traits simples pour les visages, le
choix d’un univers très coloré et surtout un sens du détail amusant, chaque image étant envahie
par des chats dont la présence semble insolite à celui qui est habitué au conte originel. La scène
la plus « féline » est ainsi celle de la préparation du « flan » pour « Mamie » : le lecteur attentif
découvre neuf chats, les uns cachés sous un meuble, un autre essayant de monter sur la table,
trois autres dissimulés derrière l’épaule de la mère, etc. ! L’humour culmine dans la dernière
image qui marque une distance entre le texte et l’illustration. Le texte, respectant la morale
finale des frères Grimm, nous annonce que le petit chaperon rouge a fait la promesse « de ne
plus jamais, jamais parler à un inconnu, politesse exquise ou non » et la dernière phrase nous
révèle que la fillette a tenu sa promesse. Mais l’illustration en regard du texte nous montre une
scène inattendue : un crocodile avec une canne et un chapeau qui suit le petit chaperon rouge.
Celui-ci fait « non » de la main, furieux d’être importuné. L’humour vient ici de l’effet de
chute : le message moral, éminemment sérieux, s’écarte de la situation représentée dans
l’illustration, puisque celle-ci montre une scène insolite et complètement loufoque. L’humour
réside dans le décalage entre l’image et le texte.
La mise à distance par l’image peut être accentuée par les choix formels opérés par
l’auteur. Nadja présente ainsi une version très excentrique du conte dans son petit livre
Chaperon rouge, collection privée3. L’originalité de l’album réside dans le choix narratif : aucun
narrateur ne raconte l’histoire, entièrement construite à partir de la juxtaposition de petites
figurines représentant les personnages du conte et portant chacune un titre inscrit sur leur socle.
Ces bibelots sont des dessins en couleurs dans le style caricatural de Nadja, avec des

1
Jean-Paul Gourévitch, « L’humour dans la littérature de jeunesse », juin 2001, <www.ac-
creteil.fr/crdp/telemaque/comite/JPGourevitch.htm>.
2
James Marshall, Le Petit Chaperon rouge, op. cit.
3
Nadja, Chaperon rouge, collection privée, Paris, Éditions Cornélius, 2005.

123
personnages ayant de longs nez et un physique plutôt ingrat. Ces figurines sont posées sur des
étagères ou des meubles, alors que le fond est représenté en gris et blanc, d’où un effet de
contrastes. Chaque phrase est nécessairement associée à l’attitude d’un des personnages et
commence par la même structure grammaticale (nom du personnage, puis participe présent et
complément). Le petit chaperon rouge est nommé par ses initiales et devient sur chaque image
« PCR ». C’est la conjonction du texte de légende et de la figurine qui fait rire. Le choix des
attitudes est gentiment irrévérencieux. Ainsi, lorsque le PCR cueille des fleurs dans la forêt,
l’image offre au lecteur une vue plongeante sur sa culotte blanche (voir ci-dessous) !

Deux pages plus loin, la légende présente le « Loup apercevant le PCR » tandis que la figurine
montre la tête de l’animal, tirant la langue, les yeux exorbités, un peu comme un chien qui aurait
vu un grand plat de viande ! L’album insiste sur la notion de jeu.
Du début à la fin, on voit le PCR et le loup jouer à être leur
personnage (« faisant semblant », « jouant », dit le texte). Ici, le
conte du Petit Chaperon rouge est un jeu de rôle entièrement
centré sur les actants. C’est un bel hommage qui est rendu au conte
de Perrault. Nadja nous montre que le Petit Chaperon rouge
appartient tant à notre patrimoine qu’il fait partie – au sens propre
– des meubles et des décorations. L’auteur expose littéralement les
personnages de cette histoire fondatrice comme des bibelots
appréciés qui formeraient une « collection privée », ainsi que l’annonce le sous-titre de l’album.
La mise à distance humoristique peut également venir du jeu sur les mots. Ainsi, dans Le
Grand Lougoudou et le petit Chapeau rond rouge1, Jean-Pierre Kerloc’h joue sur la
désarticulation du langage. Le loup, qui rêve de manger « un énorme sandwich au Petit Chapeau
rond rouge », est si « tourneboulé » par la jolie fillette qu’il en a « la tête, la langue et les mots à

1
Jean-Pierre Kerloc’h / Isabelle Chatellard (illus.), Le Grand Lougoudou et le petit Chapeau rond rouge, op. cit.

124
l’envers ». Prenant un mot pour un autre, à la Tardieu, le loup, dès qu’il prend la parole, bégaye
et construit des phrases incohérentes. Lorsqu’il se présente au petit Chapeau rond rouge, le loup
se désigne comme un « lougoudou », c’est-à-dire un « poul-ragoût » ou « poul laid ». Sa langue
ne cesse de fourcher, et lorsqu’il s’agit de désigner la fillette, il appelle tour à tour « petit
lapereau rouge », « petit champignon rouge », « petit trognon rouge », « petit coq au vin rouge »
ou encore « petit potiron rouge » et « petit dindonneau rouge ». Le loup est si obsédé par la
nourriture qu’il ne peut s’empêcher d’employer un terme renvoyant à un mets quand il s’adresse
à la fillette. Les mots perdent leur fonction référentielle. La forêt devient un « grand boigada »,
le petit pot de beurre du chaperon un « pogodot de gueudeubeurre », et, lorsque le loup arrive à
la maison de la grand-mère, il rugit « Rognetudju ! Je vais cracrabouiller cette sale rabaque ».
Comme dans les albums de Pef, les mots du loup sont « tordus ». Signifiant et signifié
n’assurent plus le renvoi qui devrait être imparti au langage sensé et cohérent. L’humour naît de
la destructuration du langage et du non-respect des codes linguistiques. Le délire langagier
correspond au portrait du loup présenté comme un peu gâteux, puisqu’il est « tout mité » et qu’il
lui manque « des poils, un morceau de queue et la moitié des dents ». Distance est prise par
rapport au dictionnaire ; l’humour est créé par le détournement des normes du langage.
La mise à distance de l’humour peut également venir du changement de point de vue. Ce
qui fait rire dans l’album Dans la gueule du loup1, c’est la mauvaise foi du loup qui réécrit
l’histoire du chaperon rouge en adoptant son seul point de vue et en falsifiant les faits via une
argumentation en apparence solide. Comme dans le Journal d’un chat assassin de Anne Fine2,
l’adoption du point de vue du personnage animal permet d’insister sur le comportement
instinctif de l’animal, par opposition à la sensibilité des humains. L’humour est suscité par le
conflit des points de vue et le renversement de la focalisation.
La souplesse dans les modes d’énonciation peut également marquer la distance
humoristique. Ainsi, dans Romain Gallo contre Charles Perrault, le récit à la première personne
construit un point de vue partial. Le narrateur pratique l’auto-dérision et porte un regard
distancié sur lui-même, commentant ses propres faiblesses. Le détective souligne par exemple
l’aberration d’avoir écrit du mauvais côté « Enquêtes & filatures discrètes » sur la porte vitrée
de son bureau (les visiteurs voient le texte à l’envers !), et admet qu’installer son bureau en
pleine ZUP, avec vue sur la gare de triage, n’était pas « l’idée du siècle3 ». Le narrateur se
moque de lui-même et le lecteur, avec lui, est amené à porter sur le héros la même distance
critique.

1
Fabian Negrin, Dans la gueule du loup, op. cit.
2
Anne Fine, Journal d’un chat assassin [The Diary of a killer cat, 1994], traduit de l’anglais par Véronique Haïtse,
Paris, L’école des loisirs, « Mouche », 1997.
3
Gérard Moncomble, Romain Gallo contre Charles Perrault, op. cit., p. 13-15.

125
L’humour instaure entre l’auteur et son lecteur une « forme de complicité tendre1 ». En
effet, il se crée un rapport de connivence entre l’humoriste et celui qui est capable de
comprendre ses traits d’humour, ce qui explique le succès des écritures parodiques. L’enfant qui
comprend les clins d’œil se sent en effet impliqué dans la lecture et apprécie de voir les codes du
conte de fées mis à mal. L’écrivain qui s’accorde le droit de malmener le conte de Perrault invite
l’enfant à entrer dans son mode de subversion et à porter sur les Petits Chaperons rouges
classiques le même regard distancié. Auteur et lecteur sont complices de la même farce – celle
qui consiste à détourner insolemment les règles du conte traditionnel. L’enfant, porté par cette
complicité partagée, aura plus de facilité à entrer dans la lecture de tels textes. Le rire a une
« fonction sociale », comme le montre Henri Bergson2. En effet, tout rire a besoin d’un « écho »
et vient se répercuter « de proche en proche ». Il est « toujours le rire d’un groupe ». Ceux qui
appartiennent au même groupe rient aux blagues qu’ils comprennent, alors qu’un étranger se
sent exclu. Comme l’explique Bergson,
le rire cache une arrière-pensée d’entente, je dirais presque de complicité, avec d’autres rieurs, réels
ou imaginaires3.
Le rire inclut et exclut dans un même mouvement. Il peut fédérer les enfants autour
d’une vision du monde impertinente et exclure les adultes, peu à même de partager des valeurs
qu’ils jugeront déplacées ou irrespectueuses des bienséances. Ainsi, les enfants rient aux éclats
lorsqu’ils observent les mauvaises blagues de Mademoiselle-Sauve-qui-peut dans l’album
éponyme de Philippe Corentin, alors que certains adultes pourraient voir d’un mauvais œil le
modèle qui est donné aux jeunes à travers le personnage de la fillette impertinente et désinvolte.
La réécriture parodique du chaperon rouge permet ici à l’enfant de marquer les limites de son
territoire d’enfance par rapport aux adultes.

2) La communication ironique
Pour montrer à quel point le rire peut établir un rapport de connivence tout en excluant
ceux qui ne le partagent pas, nous allons étudier une forme particulière de l’humour : l’ironie.
Philippe Hamon, en partant de la définition du Dictionnaire de l’Académie, définit
l’ironie en termes communicationnels à partir de la notion de double énonciation. L’ironie est
un acte de « dissimulation transparente » par lequel quelqu’un signifie a, pense non-a et veut faire
comprendre non-a4.

1
Jean-Paul Gourévitch, « L’humour dans la littérature de jeunesse », op. cit.
2
Henri Bergson, Le Rire [1940], Paris, PUF, « Quadrige », 1999, p. 6.
3
Ibid., p. 5.
4
Philippe Hamon, « L’ironie », in : Le Grand Atlas des littératures, sous la direction de Jacques Hans Schweizer,
Louis Lecomte, et al., Paris, Encylopaedia Universalis, 1990, p. 56.

126
L’ironie est donc un discours double qui consiste pour un énonciateur à dire le contraire
de ce qu’il pense tout en faisant comprendre à son interlocuteur la duplicité de sa position.
Philippe Hamon adapte le schéma actantiel de Greimas au système de communication ironique.
Ainsi, plusieurs « acteurs » participent à ce « théâtre de la parole » : « l’ironisant » est le sujet à
l’origine du discours, « l’ironisé » la cible du discours à double sens. Le destinataire peut être
double : « naïf » s’il ne comprend que le sens littéral du discours de l’ironisant, ou « complice »
s’il est capable de comprendre l’intention véritable de l’émetteur. L’ironie suppose également un
« perturbateur, gardien de la loi », qui incarne la norme et interdit la parole explicite.
Nous pouvons retrouver une telle énonciation ironique dans Le Petit Chaperon vert de
Grégoire Solotareff illustré par sa sœur Nadja1. Dans cet album, le point de vue est modifié par
rapport au conte originel, puisque l’histoire est centrée sur un personnage annexe, le petit
chaperon vert, dans un monde envahi par les chaperons jaune et bleu (voir l’illustration que nous
avons insérée au début de notre troisième partie). Le petit chaperon vert a « une ennemie », une
petite fille qu’elle déteste car c’est une menteuse : le petit chaperon rouge. Un jour, sa mère
envoie dans la forêt la fillette tout de vert vêtue, pour rendre visite à sa grand-mère malade. En
chemin, elle croise le petit chaperon rouge, puis le loup filant à vive allure. Le loup ne remarque
même pas sa présence (on voit l’avantage de s’habiller en vert dans une forêt !). De retour de
chez sa grand-mère, le chaperon vert croise le chaperon rouge et essaie de l’avertir des dangers
du loup qui rôde. Mais le chaperon rouge ne daigne pas écouter sa camarade et lui tire la langue
après s’être vantée d’avoir croisé le loup. La mère du chaperon vert, inquiète de savoir que la
fillette en rouge est seule dans la forêt, convainc sa fille de retourner auprès du chaperon rouge.
Celle-ci n’est nullement effrayée. Au contraire, elle chantonne et raconte, avec force
« nananananère », que le loup l’a mangée et a mangé sa grand-mère, puis qu’un chasseur les a
délivrées. De retour chez elle, le petit chaperon vert, furieux, se fait consoler par sa maman qui
lui explique combien il n’est pas beau de mentir et de raconter des histoires. Tout l’album est
fondé sur une ambiguïté qu’il est impossible de lever. L’incertitude et l’impossibilité d’un
message univoque sont voulues par les auteurs qui construisent un discours double, à forte
connotation ironique.
On peut en effet considérer que l’ironisant est le narrateur. Quant à l’ironisé, il est tour à
tour le petit chaperon rouge et le petit chaperon vert, selon le point de vue que le destinataire
décide d’adopter. Le récepteur « naïf » lit l’histoire en adoptant le point de vue du chaperon
vert : la petite fille en rouge est alors considérée comme une menteuse – pire encore une
affabulatrice, une mythomane. À ce niveau de la narration, le discrédit est porté sur le conte

1
Grégoire Solotareff / Nadja (illus.), Le Petit Chaperon vert, Paris, L’école des loisirs, « Mouche », 2000.

127
originel du Petit Chaperon rouge, et la véracité littéraire est remise en cause. L’histoire du Petit
Chaperon rouge est contaminée par le conte du Berger qui criait au loup ; une nouvelle morale
est énoncée. Comme le dit Jean Perrot en commentant cet album,
l’histoire traditionnelle s’inscrit dans le conte moderne comme un exemple de « menterie » et appelle
le jeune lecteur à une réflexion critique sur les lois du conte même 1.
Le doute est porté sur le « mentir-vrai » de la littérature et interroge l’illusion romanesque : et si
les contes de fées n’étaient que des affabulations de littérateurs ? Mais, à un second niveau de
lecture, le récepteur « complice » considérera que c’est du petit chaperon vert que se moque le
narrateur. En effet, le petit chaperon vert n’est-il pas jaloux de sa camarade ? On peut remettre
en cause la véracité de la parole vantarde du chaperon rouge, singée ici dans les formules bien
connues des enfants, du type « nanananère » ; mais on peut aussi interroger les sentiments du
chaperon vert : envieuse du chaperon rouge, la fillette cherche à faire passer sa copine pour une
vilaine menteuse. La morale varie alors : certes, le chaperon rouge est un peu trop « crâneur »,
mais le chaperon vert n’est pas animé de sentiments plus nobles tant il est jaloux ! Philippe
Hamon montre que dans l’ironie a lieu la
confrontation d’un sujet à une norme quelconque, à quelque loi ou orthodoxie qu’il s’agit de
réaffirmer, de contourner ou de déjouer2.
Ici, la norme est double : d’une part, il ne faut pas mentir et, d’autre part, il ne faut pas envier ses
camarades. C’est au lecteur de choisir le sens qu’il préfère, et d’évaluer qui des deux
personnages de petites filles se trouve dans la position de « l’ironisé ».
Sans que le système ironique soit aussi complexe que dans Le Petit Chaperon vert, on
retrouve des marques ironiques dans plusieurs réécritures du Petit Chaperon rouge. L’ironie est
généralement utilisée dans la présentation du loup. L’animal est la victime du discours ironique,
de telle sorte que son caractère effrayant est remis en question. Pour percevoir les doubles sens,
il importe de repérer dans les textes les signaux d’alerte de l’ironie.
L’une des marques de l’ironie réside dans le décalage entre le texte et l’image. Le texte
nous dit que le loup est monstrueusement méchant, mais l’image nous le présente comme
ridicule. Le narrateur répète le discours du conte originel, tout en faisant comprendre à son
lecteur qu’il ne faut pas s’effrayer. Ainsi, dans Le Petit Chaperon rouge de Tony Ross, comme
dans le Chaperon rouge de Nadja, les images montrant le loup en train de manger la grand-mère
ont un double sens. À première vue, la scène paraît effrayante : le loup avale toute crue la grand-
mère ! Mais, comme on le voit dans les deux images reproduites page suivante, la posture des
deux personnages est si excessive, si grotesque que la scène paraît incroyable. Ainsi, chez Tony
Ross, il est amusant d’observer la gueule démesurée du loup d’où dépassent les pieds de la

1
Jean Perrot, « Le foyer baroque central : la torsion des contes classiques », in : Art baroque, art d’enfance, op. cit.,
p. 54.
2
Philippe Hamon, « L’ironie », op. cit., p. 56.

128
grand-mère… habillés de soyeux chaussons roses ! Chez Nadja, les yeux ronds du loup lui
donnent un air ahuri qui vient atténuer la violence de la dévoration. Le rire se substitue à la peur.

Tony Ross, Le Petit Chaperon rouge, p. 20 Nadja, Chaperon rouge, p. 27

Un autre procédé ironique consiste à singer le discours de l’hypotexte. L’écho de


l’énonciation du texte originel apparaît dans le choix de certaines figures de rhétorique, si bien
que le conte-source est à la fois repris et mis à distance. Ainsi, dans Le Grand Lougoudou et le
Petit Chapeau rond rouge, l’auteur reprend des bouts du texte originel, en lançant à son lecteur
des clins d’œil intertextuels, mais au lieu de retranscrire telles quelles les expressions, il les
continue dans un processus d’accumulation caricaturale. Dans l’incipit de l’album, la formule
traditionnelle d’ouverture des contes est reprise et prolongée par une expression qui remotive la
formule classique :
Il était une fois, et même plusieurs fois (car cela durait depuis un bon bout de temps) 1
Huit lignes plus loin, le texte cite discrètement le conte de Perrault, en prolongeant l’expression
originelle par une accumulation construite autour de synonymes de l’adjectif « folle » :
Sa mère en était folle, son père en était dingue et sa grand-mère complètement foldingue2.
Le narrateur insère ensuite un commentaire décalé en utilisant des parenthèses pour mentionner
un détail incongru :
Il la trouvait rose et appétissante comme un rôti de dinde à la confiture de fraises (une recette
anglaise)3.
L’allusion entre parenthèses est inattendue et permet au narrateur de se moquer de la cuisine
anglaise, tout en surmotivant les références à la couleur rouge. Les commentaires ironiques du

1
Jean-Pierre Kerloc’h / Isabelle Chatellard (illus.), Le Grand Lougoudou et le petit Chapeau rond rouge, op. cit.,
p. 4.
2
Id.
3
Id.

129
narrateur mettent à distance le texte-source et amènent le lecteur à porter sur celui-ci un regard
distancié.
L’ironie du texte permet par conséquent de
fonder une connivence, d’affirmer une cohésion et un lien, de réduire phatiquement une distance 1.
Mais la communication ironique est toujours « à haut risque2 » : celui qui n’accède qu’au sens
explicite du discours risque d’être exclu. Il nous semble donc que l’auteur qui entend s’adresser
à la jeunesse doit savoir doser la communication ironique de ses écrits, sous peine de voir le
sens de son texte échapper aux lecteurs les plus jeunes. On comprend que les éditeurs de Pierre
Gripari aient choisi de publier sa Patrouille du conte dans une collection pour adultes.
L’ouvrage est entièrement construit sur une remobilisation ironique de l’univers des contes de
fées. Pierre Gripari a mis en scène une « patrouille du conte » détachée par le « Ministère du
Conte et de l’Environnement culturel » pour « moraliser », « démocratiser les contes pour
enfants, en les purgeant de tout ce qu’ils peuvent contenir de nuisible aux points de vue moral,
social et idéologique3. » Les jeunes membres de la Patrouille font irruption dans le monde des
contes et modifient les scènes les plus politiquement incorrectes des contes et comptines : la
grand-mère du petit chaperon rouge est ainsi contrainte de nourrir quotidiennement le loup pour
lui permettre de l’empêcher de dévorer les humains, sans pour autant contrevenir à ses instincts
de carnivore. Mais l’intervention de la Patrouille met le désordre dans le monde du conte... à tel
point que le loup finira dévoré par les trois petits cochons ! Il est certain que Gripari, grand
défenseur des contes de fées, ne veut pas accuser les contes pour enfants d’être immoraux ou
anti-politiques. Ici, le discours implicite du narrateur dissimule sous l’excès de ses positions la
critique virulente que fait Gripari contre les idéologies gauchisantes qui prétendent édulcorer les
contes au nom de valeurs démocratiques. Dans le dernier chapitre du livre, les héros finissent
par reconnaître l’« importance pédagogique » des contes pour l’inconscient collectif,
comme si la tyrannie, la cruauté, l’esclavage, la violence, la superstition, les fantasmes de peur
avaient, dans l’imaginaire, une vertu hygiénique, une fonction purifiante 4.
La subtilité du message politico-littéraire de Gripari pourrait échapper à un très jeune lecteur qui
échouerait à la lecture sous-jacente du texte explicite. Le locuteur ironique sélectionne donc son
interlocuteur et adapte son texte à son lecteur pour que celui-ci continue la lecture avec plaisir.

1
Philippe Hamon, « L’ironie », op. cit., p. 57.
2
Ibid., p. 56.
3
Pierre Gripari, Patrouille du conte, Lausanne, L’Âge d’homme, 1983, p. 10.
4
Ibid., p. 156.

130
B) Le rire de transgression de l’autorité

1) Le rire de supériorité
L’ambiguïté que l’on a notée dans la double énonciation ironique se retrouve dans
l’ambivalence caractéristique de la parodie et dans l’effet qu’elle suscite chez le jeune lecteur.
La parodie doit être distinguée de la satire. Gérard Genette note que l’intention de la
parodie est ludique, alors que le travestissement satirique s’appuie sur la raillerie1. La parodie ne
cherche pas d’abord à se moquer et à donner une leçon morale, mais à s’amuser avec les formes
reconnues. Cependant, dans l’esprit commun, satire et parodie ont souvent été associées. Cette
assimilation de la parodie à la satire s’explique par le fait qu’il y a dans la parodie une négation
de l’œuvre originale. L’hypotexte pris pour cible est critiqué, ou du moins jugé à distance.
Toutefois, cette négation n’est possible que s’il y a reconnaissance du texte originel. On ne
parodie que ce que l’on juge digne d’être repris et donc ce que l’on admire. Il y a dans la
parodie, en même temps qu’un geste de négation, une vraie adhésion. Alexandra Zervou définit
ainsi le parodique comme
un jeu de rapprochement et d’éloignement, de respect et de familiarité, envers le texte initial, de
« déos » (peur) et de sacrilège2.
Réécrire le Petit Chaperon rouge, c’est donc rendre un hommage au conte originel sans toujours
l’avouer explicitement : c’est une « admiration détournée3 », dans laquelle l’auteur avoue son
enthousiasme et sa proximité avec l’œuvre originelle, tout en prenant du recul et en gardant sa
liberté de création. Il y a dans la parodie une façon de rivaliser avec le modèle. Cette valeur
d’hommage est souvent revendiquée dans les premières pages des contes parodiques. Ainsi,
Pierre Gripari, dans une sorte de dédicace mise en exergue rappelle ses sources :
Sous l’invocation de Perrault, des frères Grimm et d’Afanassiev, d’Antoine Galland et du docteur
Mardrus et de Poul Anderson, l’auteur de Guardians of Time (Patrouille du temps) et de High
Crusade (Les Croisés du cosmos)4.
L’enfant est sensible à l’ambivalence propre à la parodie. Ce qui provoque le rire est la
transgression d’une autorité supposée inattaquable. Un texte réécrivant parodiquement le Petit
Chaperon rouge critique le conte qui a été présenté à l’enfant comme classique. Qu’un auteur
(adulte) ose affronter le texte patrimonial et en remettre en cause la validité fait naître le rire : le
conte classique est désacralisé, ce qui permet à l’enfant, dans un même temps, de faire
l’expérience de la liberté. La lecture des textes parodiés lui montre qu’on a le droit – dans

1
Voir le fameux tableau que dresse Genette dans Palimpsestes (op. cit., p. 43-45) pour expliquer les différences
entre la parodie, le travestissement, le pastiche et la charge.
2
Alexandra Zervou, « Le comique e(s)t le parodique dans la littérature d’enfance », dans L’Humour dans la
littérature de jeunesse, op. cit., p. 31-32.
3
Daniel Sangsue, La Parodie, op. cit., p. 75.
4
Pierre Gripari, Patrouille du conte, op. cit., p. 7.

131
certaines conditions, certes – de s’amuser à briser les codes et les valeurs de l’autorité. Dans Le
Rire, Bergson montre que le rire est une sanction, une correction : par lui, la société « se
venge1 » et « désarme2 ». Ce « châtiment » du rire n’est pas, pour Bergson, un retour à l’ordre
social, mais un rappel à l’ordre naturel de la vie : le rire délivre une énergie vitale dont il est à la
fois l’indice et la manifestation vivante. À la lecture des textes irrévérencieux envers la culture
traditionnelle, l’enfant se rebelle contre les contes trop moralisateurs. Dans Mademoiselle
Sauve-qui-peut ou dans Le Petit Chaperon rouge de Geoffroy de Pennart, c’est la fillette qui
mène le jeu et l’enfant n’est jamais victime, contrairement à ce qui se passe dans le conte de
Perrault. Par la lecture des textes parodiques, l’enfant voit corrigée la portée en apparence
conformiste des contes traditionnels : l’auteur lui donne l’occasion de se moquer avec lui de
l’héroïne trop naïve de Perrault et de repenser une morale où l’interdit ne l’emporterait plus sur
la jouissance de la liberté. On voit ici la valeur subversive de la littérature pour la jeunesse, qui
offre l’occasion à l’enfant de contester implicitement l’autorité qu’entend lui imposer l’adulte :
le texte d’enfance devient un miroir parodique, où le monde adulte est imité, reflété, critiqué et
contesté3.
Alison Lurie, dans Ne le dites pas aux grands, a ainsi montré combien la littérature d’enfance
était subversive, en se fondant sur la lecture de plusieurs ouvrages pourtant jugés inoffensifs par
les adultes (Les Aventures de Tom Sawyer, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles ou
même Mary Poppins)4. C’est à cette subversion qu’est particulièrement sensible le jeune lecteur.
Dans les réécritures du Petit Chaperon rouge, l’autorité est donc mise à mal – autorité
donnée à la position classique des textes patrimoniaux, mais aussi autorité du personnage du
loup qui, désormais, n’est plus montré comme effrayant. Ce rire est un « rire de supériorité »,
comme le dit Gianni Rodari, dans sa Grammaire de l’imagination. L’enfant rit de voir sa
maman se tromper et s’amuse lorsqu’il la voit « s’enfiler la cuillère dans l’oreille au lieu de la
porter à sa bouche5 ». De même, le jeune lecteur rit de voir le narrateur se tromper par rapport au
récit originel du conte classique. Il se sent dans une position de supériorité : il connaît l’histoire
correcte et s’amuse des écarts faits par rapport au schéma classique. Ainsi, dans Le Petit
Chaperon rouge a des soucis6, le lecteur sait que le personnage de la fillette est le chaperon
rouge, contrairement aux autres personnages de l’album, et il s’amuse de la méprise. Il se sent

1
Henri Bergson, Le Rire, op. cit., p. 150.
2
Ibid., p. 105.
3
Alexandra Zervou, « Le comique e(s)t le parodique dans la littérature d’enfance », op. cit., p. 32.
4
Alison Lurie, Ne le dites pas aux grands. Essai sur la littérature enfantine, [Don’t Tell the Grown-Ups, 1990],
traduit de l’anglais par Monique Chassagnol, Paris, Rivages, 1991, chapitre 1. Voir p. 15-16 : « La plupart des
grands textes pour la jeunesse sont d’une manière ou d’une autre subversifs : ils expriment des idées et des
émotions qui ne sont en règle générale ni approuvées ni même reconnues à l’époque de leur publication. Ils se
moquent des personnages respectés et des croyances vénérées... »
5
Gianni Rodari, Grammaire de l’imagination, op. cit., p. 154.
6
Anne-Sophie de Monsabert / Géraldine Alibeu (illus.), Le Petit Chaperon rouge a des soucis, op. cit.

132
supérieur à ces enfants crédules qui font une erreur impardonnable : comment donc peut-on être
aussi naïfs et prendre le chaperon rouge pour le Père Noël ?, se dit-il en suivant le déroulement
de l’histoire. Voir les autres se tromper fait rire, surtout lorsque soi-même on sait ne pas tomber
dans l’erreur.
Même s’il sait que le narrateur fait dérailler exprès l’histoire, le jeune lecteur s’amuse du
non-respect du conte originel. La norme est déviée et c’est justement cela qui fait rire l’enfant
qui est toujours prêt à remarquer chez l’adulte les failles et les bévues. Or, l’observation de la
déconstruction des lois, loin de déstructurer l’enfant, lui permet au contraire d’en faire
l’apprentissage. Tel est le rôle du jeu qu’est la parodie : l’assouplissement de la règle permet
d’apprendre à la connaître. Le lecteur qui s’amuse de ses parodies observe les modèles,
comprend leur fonctionnement et voit la liberté donnée à celui qui s’en détache. En ce sens, le
rire, si subversif soit-il, a une portée pédagogique.

2) Le rire contre la peur


Dans la Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim explique que le conte a une
fonction thérapeutique car il aide l’enfant à affronter ses peurs. Le conte de fées aborde
directement les angoisses et donne une représentation aux peurs auxquelles est confronté
l’enfant – peur d’être abandonné par ses parents, peur de la mort, peur de grandir, etc. Le conte
expose des problèmes existentiels et propose au lecteur des solutions afin de l’aider à dépasser
les situations angoissantes et conflictuelles. Le conte ne cherche pas à atténuer les épreuves
douloureuses auxquelles est confronté tout être humain et
met carrément l’enfant en présence de toutes les difficultés fondamentales de l’homme 1.
Ainsi, il faudrait que le petit chaperon rouge soit mangé par le loup pour que la petite fille
apprenne la maîtrise des désirs sexuels qui bousculent son entrée dans la puberté.
Les contes modernes, parce qu’ils atténuent la représentation des épreuves angoissantes,
ne parviendraient plus à remplir leur vocation. Bettelheim critique les versions actuelles du
conte du chaperon rouge, tant elles cherchent à ménager la sensibilité de l’enfant :
Il existe de nombreuses répliques modernes du « Petit Chaperon Rouge ». Quand on les compare à
l’original, on se rend compte de la profondeur des contes de fées par rapport à la littérature enfantine
d’aujourd’hui2,
dit-il avant de critiquer la version d’un Petit Chaperon rouge moderne (« Tootle, la petite
locomotive ») dont il dénonce la platitude de l’histoire. Il est vrai que les versions actuelles du
Petit Chaperon rouge remplacent la peur par le rire et se moquent des angoisses en ridiculisant

1
Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, op. cit., p. 20.
2
Ibid., p. 274-275.

133
les situations génératrices de peur. Mais est-ce à dire que les réécritures contemporaines offrent
pour autant une version édulcorée du conte originel ?
Quasiment aucune version moderne du Chaperon rouge ne choisit de faire mourir son
héroïne, ni même de la maintenir dans le ventre du loup. Tout est fait pour contourner
l’affrontement avec ce qui fait peur. Ainsi, le loup est pris pour un chien (chez Geoffroy de
Pennart, Tony Ross), quand il n’est pas relégué aux « durs travaux de la ferme » par Nadja1 ! Le
conte moderne inverse les rôles entre dominant et dominé. Le monstre est ridiculisé, présenté
comme victime. La fonction cathartique du conte qui consistait à montrer des loups, des ogres et
des géants pour aider l’enfant à faire face à ses peurs est renversée. C’est le rire qui, désormais,
permet la catharsis et aide à exorciser les peurs. On peut parler alors d’un « rire d’agressivité »,
voire un « rire de cruauté2 ». En se moquant du loup et en le considérant de haut, l’enfant ne
pense plus à en avoir peur. On retrouve ici la conception freudienne de l’humour considéré
comme un « moyen de défense contre la douleur ». En effet, pour Freud, l’humour est un moyen
par lequel
on proclame l’invincibilité du moi par le monde réel, et on affirme victorieusement le principe du
plaisir, le tout sans quitter le terrain de la santé psychique […] 3.
En ce sens, l’humour permet à l’enfant d’accéder à la maîtrise du réel et d’expérimenter son
pouvoir sur les choses : le rire l’aide à surmonter les sources d’angoisse et à dominer son
émotivité.
Cependant, dire que le rire vient s’attaquer à la peur ne signifie pas que le rire parvient à
la supprimer totalement. Au contraire, dans les réécritures contemporaines du Petit Chaperon
rouge, la peur est toujours implicitement présente, ne serait-ce que par l’allusion qui est faite à
la version originale du conte. Le conte moderne vient recréer un monde plus supportable où peur
et blessures ne sont pas supprimées, mais rendues moins pesantes grâce à l’humour. Dans un
article consacré à « l’humour sans queue ni tête », Pef affirme qu’il faut « chercher les racines
de son humour dans son enfance4 ». Il cite des événements tragiques qu’il a vécus lorsqu’il était
enfant pendant la guerre (sa tante pulvérisée par une bombe américaine, les femmes tondues à la
Libération, la découverte des camps de concentration à la une d’un journal...) et avoue que seul
l’humour lui a permis d’avoir la distance rendant supportable la vie. Pour affronter cette
douleur, Pef s’est fait « recréateur du monde5 » et s’est offert

1
Nadja, Chaperon rouge. Collection privée, op. cit., p. 43.
2
Gianni Rodari, Grammaire de l’imagination, op. cit., p. 159.
3
Sigmund Freud, « L’humour », in : Le Mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient [1905], traduit de l’allemand
par M. Bonaparte et M. Nathan, Paris, Gallimard, « Idées », 1971.
4
Pef, « L’humour sans queue ni texte, une improvisation humoristique de Pef », in : L’Humour dans la littérature
de jeunesse, op. cit., p. 244.
5
Ibid., p. 247.

134
cette armure de rire, de fracas, cette armure d’entrée du clown 1.
Le rire est une armure qui protège les enfants contre les incursions de la souffrance.
Plus prosaïquement, ce dosage du rire et de la peur dans la littérature actuelle a aussi
l’avantage de répondre aux attentes des adultes. Les versions classiques du Petit Chaperon
rouge peuvent paraître choquantes aux adultes d’aujourd’hui, tant les allusions au sexe et à la
mort sont nombreuses. Leurs réécritures contemporaines permettent d’esquisser le face-à-face
avec ces tabous qui effrayent parents et prescripteurs. Les adultes n’ont-ils pas si peur de faire
eux-même peur à leurs enfants qu’ils préfèrent leur proposer des lecteurs gommant les angoisses
existentielles au lieu de les affronter. Un parent préfère acheter pour son enfant un Petit
Chaperon rouge qui finit bien, plutôt qu’un conte à la Perrault où l’histoire se termine
tragiquement dans le ventre du loup.

Nous avons vu les procédés humoristiques à l’œuvre dans les réécritures parodiques et
analysé les fonctions du rire et son utilité dans le développement de l’enfant. Nous allons
maintenant étudier la façon dont les enfants reçoivent les moralités – implicites ou explicites –
des contes : quel message en tirent-ils ? Quelle leçon est-elle exposée ? Plus encore, y a-t-il
seulement une morale à tirer des contes modernes ?

III) La réception de la morale


Nous ne pouvons pas analyser la façon dont les enfants reçoivent les contes du petit
chaperon rouge sans réfléchir également aux messages moraux qu’ils peuvent en tirer. La portée
morale peut être clairement affichée dans le texte sous l’aspect d’une maxime ou d’une moralité.
Il s’agit alors d’une conclusion en forme de leçon qui clôt le conte et invite le lecteur à en tirer
une règle de vie ou un principe de pensée. Mais peu de textes – surtout parmi les plus
contemporains – présentent des moralités aussi nettes. Nous entendrons donc le mot « morale »
en un sens plus large. Selon le dictionnaire philosophique Lalande, une morale est un
« ensemble de règles de conduite admises à une époque ou par un groupe d’hommes2 ». Issue
d’un groupe social, une morale traduit les valeurs d’une société ou les normes d’une époque.
Elle a un sens prescriptif et énonce ce que l’on doit faire ou penser. Analyser la morale que l’on

1
Ibid., p. 253.
2
André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie [1926], Paris, PUF, « Quadrige », 1997,
volume I, p. 654.

135
peut tirer d’un conte, c’est envisager le message, culturellement situé, que son auteur y a déposé.
Un conte pour enfants reflète la société dans laquelle il est apparu et exprime les valeurs ou les
contre-valeurs véhiculées à une époque.
Quelle image de la société et de l’homme est transmise à l’enfant dans les contes
contemporains du chaperon rouge ? Quelle évolution du regard de la société sur elle-même est
lisible au sein des textes pour la jeunesse ? Après les morales des Petits Chaperons rouges
traditionnels, qui semblent véhiculer les valeurs conformistes, voire sexistes, les textes
contemporains donnent aux enfants des morales subversives. Ne manifestent-elles pas une
évolution plus générale, celle d’une littérature pour la jeunesse moins normative qu’inventive et
ludique ?

A) Les morales d’antan : sexisme, autorité et conformisme ?

1) Des contes à moralité


Dans les versions classiques du Petit Chaperon rouge, l’intention morale des auteurs est
nettement énoncée. Le conte de Perrault se termine par une moralité versifiée qui explique que
le personnage du loup représente symboliquement les dangers auxquels peuvent être confrontées
les jeunes filles inexpérimentées rencontrant des hommes mal intentionnés. Le Petit Chaperon
rouge est un conte de mise en garde contre la confiance des petites filles. Perrault suggère de ne
pas faire ce que fait le personnage principal et donne donc dans son conte un contre-modèle
d’existence. La préoccupation morale est constante chez Perrault. Comme l’a montré Marc
Soriano, Perrault s’oppose à un art de pur divertissement et affirme la dimension morale de l’art,
même s’il sait que, pour toucher son but, il doit éviter « les professions de foi et les
démonstrations, procéder par touches légères et suggérer plutôt que prouver1 ».
On trouve également dans la version des Grimm une « moralité à usage existentiel2 ». Le
châtiment infligé à la fillette désobéissante admet une rédemption, et la fin heureuse montre que
les erreurs des enfants sont pardonnables dès lors que le jeune coupable a compris sa faute.
Ainsi, le petit chaperon des Grimm, dès sa sortie du ventre du loup, comprend son erreur et fait
la promesse solennelle de ne plus jamais quitter « son chemin pour aller [se] promener dans la
forêt, quand [sa] maman [le lui] aura interdit3 ». Le message est clair : les mamans savent ce qui

1
Marc Soriano, Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, op. cit., p. 329. Quelques pages
plus loin (p. 337-338), M. Soriano définit la notion de moralité en usage dans les Contes.
2
L’expression est d’Anne-Marie Garat, dans Une faim de loup, op. cit., p. 27. Elle parle également d’« office
expérimental ».
3
Grimm, Contes merveilleux, op. cit., p. 73.

136
est bien ou mal ; il faut toujours les écouter pour se prémunir des expériences les plus
traumatisantes.

2) Une héroïne soumise dans une société bourgeoise ?


Ainsi, le portrait que Perrault et les Grimm font du petit chaperon rouge est celui d’une
petite fille sage, docile, disciplinée. Elle est caractérisée par sa beauté (« la plus jolie qu’on eût
su voir1 »), mais aussi par son ignorance (« la pauvre enfant […] ne savait pas qu’il est
dangereux de s’arrêter à écouter un Loup2 »). Comme le dit Christiane Pintado, c’est « une
victime toute désignée, qui va consentir à son malheur3 ». Sa crédulité la jette littéralement dans
la gueule du loup. Cette image négative de la femme se retrouve dans de nombreux contes de
fée. Cendrillon et Peau d’Âne se soumettent aux plus basses tâches domestiques, la Belle au
Bois Dormant est condamnée à un sommeil centenaire dont seul un prince charmant pourra la
délivrer, tout comme Blanche-Neige qui, dans son cercueil de verre, attend le baiser salvateur du
prince qui, seul, a le pouvoir de la rendre à la vie. La femme des contes est passive ou
insignifiante comme l’épouse de l’ogre du Petit Poucet, ou bien cruelle et stupide comme la
marâtre de Blanche-Neige. Soumission, obéissance, humilité, habileté et patience sont les vertus
qui lui sont attribuées. Cette représentation de la femme passive est dénoncée par les féministes.
Dans Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir critique le rôle des contes de fées dans l’éducation
des petites filles et condamne les contes et les chansons dans lesquels
toute une cohorte de tendres héroïnes meurtries, passives, blessées, agenouillées, humiliées,
enseignent à leur jeune sœur le fascinant prestige de la beauté martyrisée, abandonnée, résignée 4.
Vingt ans plus tard, les mouvements féministes des années 1970 reprendront, parfois
avec beaucoup de virulence, ces critiques. Elena Gianini Belotti ne ménage pas ses mots
lorsqu’elle résume le Petit Chaperon rouge :
Le Petit Chaperon rouge est l’histoire d’une fillette à la limite de la débilité mentale, qui est envoyée
par sa mère irresponsable à travers les bois profonds infestés de loups pour apporter à sa grand-mère
malade de petits paniers bourrés de galettes. Avec de telles déterminations, sa fin ne surprend guère.
Mais tant d’étourderies, qu’on n’aurait jamais pu attribuer à un garçon, repose entièrement sur la
certitude qu’il y a toujours à l’endroit et aux moments voulus un chasseur courageux et efficace prêt à
sauver du loup la grand-mère et la petite fille5.

1
Charles Perrault, Contes, op. cit., p. 193.
2
Ibid., p. 194.
3
Christiane Pintado, « Enfants terribles des nouveaux contes. Chaperons et princesses ne s’en laissent plus conter »,
op. cit., p. 18.
4
Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe [1949], Paris, Gallimard, « Folio Essais », 2002, p. 45.
5
Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles [Dalla parte delle banbine], Paris, Éditions des femmes, 1974.

137
Dans cette perspective de dénonciation des contes comme réservoir sexiste de la
domination mâle, quelques mouvements féminins ont publié à cette période des contes où les
stéréotypes sexuels étaient corrigés1.
Jack Zipes, dans son ouvrage Les Contes de fées et l’art de la subversion, fait une
« histoire sociale du conte de fées » et montre que les contes traditionnels sont l’expression des
e
préoccupations féodales, patriarcales et monarchistes. Selon lui, à partir du XVII siècle, les
contes oraux ont été réécrits pour « convenir aux préoccupations des classes cultivées et
dominantes de l’ancienne société féodale capitaliste2 ». Les contes avaient un rôle social et
prescriptif. Ils imposaient une vision morale du monde,
véhiculaient un modèle de l’enfant exemplaire et étaient chargés de l’imposer dans l’esprit du lecteur
pendant la lecture. Les contes de fées pour enfants furent écrits et produits dans le but de socialiser
les enfants, pour les confronter à des normes précises et aux attentes définies à l’école, dans la vie
publique ou chez eux3.
Dans un article non traduit en français4, Jack Zipes applique son analyse sociale des
contes au Petit Chaperon rouge. Il note qu’il y a un « syndrome du petit chaperon rouge ». Le
conte serait en effet l’expression d’une « terreur légalisée » qui viserait à renforcer la vision
« culturellement correcte » du regard masculin sur la femme et sur la sexualité. Le Petit
Chaperon rouge serait
une création essentiellement masculine, due à des hommes qui projettent dans l’imaginaire leurs
craintes face à la sexualité féminine et la leur propre. Le loup quant à lui sert de repoussoir dans la
mesure où il symbolise les pulsions naturels et la non-conformité sociale5.
Selon Zipes, le conte de Perrault a été écrit à une époque où la littérature pour la jeunesse
avait le souci d’offrir aux enfants des classes bourgeoises et aristocratiques des modèles de
comportement. Le choix du chaperon pour une villageoise, alors que cette coiffe est
généralement portée par l’aristocratie et les classes moyennes, montrerait la volonté de mettre en
scène un personnage non-conformiste dont l’indiscipline est violemment punie. Le conte viserait
à la régulation des rôles sexuels et irait dans le sens du respect de la loi. Zipes interprète
également le conte des Grimm en montrant que la fillette qui rompt avec les lois morales finit
par se racheter « en intériorisant les normes restrictives touchant la sexualité » et grâce à l’aide
d’un « chasseur-policier, garant de l’ordre bourgeois6 ». Le Petit Chaperon rouge classique

1
On en trouvera quelques exemples chez Jack Zipes qui commente les textes d’Harriet Herman et de quatre autres
femmes du Mouvement de Libération des Femmes de Merseyside à Liverpool (cf. Les Contes de fées et l’art de la
subversion, op. cit., p. 228-230).
2
Jack Zipes, Les Contes de fées et l’art de la subversion, op. cit., p.16.
3
Ibid., p. 20.
4
Jack Zipes, « The trials and tribulations of Little Red Riding Hood », South Hadley, Mass., Bergin and Garvey,
1983. Nous suivons pour cet article, que nous n’avons pu nous procurer, le compte rendu fait par Pierre Erny (Sur
les traces du Petit Chaperon Rouge, op. cit., p. 138-141).
5
Pierre Erny, Sur les traces du Petit Chaperon Rouge, op. cit., p. 140.
6
Id.

138
trahirait donc le conformisme des classes dominantes et serait un miroir normatif de
l’inconscient politique.
On peut toutefois prendre de la distance face à cette interprétation sociale du conte. En
effet, n’a-t-elle pas tendance à plaquer une vision anachronique et excessivement manichéiste de
la société qui ne correspond pas forcément à la réalité ? C’est le risque d’un système de pensée
qui prétend utiliser des critères sociaux pour juger des valeurs d’une époque révolue.

B) L’évolution de la narration moralisante

1) La réévaluation des valeurs traditionnelles


La littérature pour la jeunesse contemporaine, tout en reprenant le personnage du
chaperon rouge, retourne les modèles culturels classiques et imagine des récits à valeur
subversive. L’intention n’est pas d’abord de faire entrer l’enfant dans un cadre normatif, mais de
mettre en scène la liberté et d’avoir ainsi un rôle émancipateur. Il s’agit donc de réévaluer les
histoires, de leur donner d’autres fins, plus conformes à l’air du temps. Les auteurs cherchent
alors à remettre en cause et à relativiser l’importance des messages apportés par les contes
traditionnels.
Cette entreprise de réévaluation morale est humoristiquement illustrée dans un album de
Nadja. Dans Les Sur-Fées, des fées aux lunettes noires, sortes de police des polices, vont dans la
grande bibliothèque des fées, relisent les classiques et en font l’analyse poussée, puis
« réévaluent » les contes pour leur attribuer des fins qui leur semblent plus morales. Ainsi, elles
relisent Les Fées de Perrault et mettent à jour les stéréotypes de ce conte : la plus jolie des filles
est « assez énervante à sourire tout le temps. On lui a filé du prozac ou quoi ? » ; tandis que le
prince est un « symbole social » parce que, à l’époque, « le pouvoir appartenait aux hommes »
et… « c’est dégueulasse1 » ! Dans ce petit texte, les personnages ont un rôle métacritique et
jugent les valeurs morales des contes classiques. Les Sur-Fées sont des expertes en conte de fées
et ont un droit de regard sur les histoires qu’elles ont le pouvoir de rectifier dès qu’elles jugent
qu’elles ne correspondent plus à la pensée ambiante.
On ne trouve pas – encore – dans les réécritures contemporaines de « Sur-Chaperon
rouge » qui viendrait réévaluer la moralité du conte originel. Mais la démarche, même si elle
n’est pas aussi clairement énoncée, est la même. Les auteurs d’aujourd’hui bouleversent les
attentes et rompent les habitudes du lecteur pour l’amener à porter un regard inédit sur l’histoire

1
Nadja, Les Sur-fées, Paris, L’école des loisirs, « Mouche », 2005.

139
connue et l’inciter à lire derrière les codes établis. Détruire l’histoire d’origine oblige l’enfant à
mettre en question les messages inhérents au conte et les valeurs qu’il porte.

2) Une héroïne libre et sûre d’elle


Le renversement des valeurs passe en premier chef par les personnages, facteurs
d’identification. Dans les contes contemporains, la petite fille n’est généralement plus
impuissante et naïve, et le loup n’est plus le prédateur monstrueux. Les textes présentent des
fillettes autonomes qui suivent leurs désirs plutôt que les commandements des adultes. On le
voit par exemple dans un album déroutant d’Edward van de
Vendel, Rouge Rouge Petit Chaperon rouge1. L’ouvrage
commence par le portrait d’une petite fille qui adore tout ce
qui est rouge et qui, lorsqu’on lui a demandé de choisir son
prénom a pris celui de « Rouge Rouge Petit Chaperon
rouge ». Mais la fillette ne peut pas vivre toujours parmi le
rouge. Elle doit affronter chaque jour le gris – couleur
qu’elle associe à sa grand-mère malade et au long trajet
qu’elle doit parcourir dans la forêt pour aller lui rendre
visite. Un jour, sur le chemin, elle entend des « bruits bizarres ». Il s’agit d’une « bête énorme »,
toute noire : le loup. Mais la petite fille n’a pas peur. Au contraire, elle crie au loup son refus,
répétant « non, non, non, non… ». C’est le loup qui s’effraie, face à la détermination de la
fillette. Rouge Rouge se surprend à lui indiquer la direction de la maison de sa grand-mère.
L’animal a vite fait d’arriver chez l’aïeule,
[d’] avancer jusqu’au lit et grwarwahbriaaaauwahgroingraaaaaaaaa 2.
Pas de mot dans le récit pour expliquer la dévoration de la grand-mère par le loup : une
onomatopée et une illustration très explicite (on voit le loup, énorme, à moitié dans la maison,
avec ses dents effrayantes qui dépassent de la fenêtre). De son côté, Rouge Rouge court jusqu’à
la maison, et parvient, haletante, devant la porte. Elle s’avance vers le lit et
NON, pas de grwarwahbriaaaauwahgroingraaaaaaaaa
dit le texte, très explicitement grâce aux choix graphiques (lettres dans un corps très gros, textes
en réserve blanche sur fond noir, pas de dessin, la double page étant entièrement occupée par le
texte). Le texte continue sur la double page suivante, sur laquelle on voit la fillette, une hache à
la main, et du rouge, comme du sang, s’écoulant par la porte ouverte de la maison :

1
Edward Van de Vendel / Isabelle Vandenabeele (illus.), Rouge Rouge Petit Chaperon rouge [Rood Rood
Roodkapje], traduit du néerlandais par Daniel Cunin, Rodez, Éditions du Rouergue, 2003.
2
Ibid.

140
mais : chlackkkkk…
C’est la dernière fois que Rouge Rouge était obligée d’aller chez sa grand-mère si râleuse et
désagréable. Les choix graphiques de l’album viennent appuyer le fort symbolisme des couleurs
sur lequel est construit l’intrigue. Les illustrations, réalisées selon la technique de la
xylographie, mélangent le noir, le rouge et le blanc, rythmant l’histoire au gré d’à-plats et les
proportions de couleur. Alors que, au début, le noir et le blanc dominent, progressivement, le
rouge envahit les pages. Les choix chromiques ont un pouvoir signifiant : ils traduisent la prise
de pouvoir de la fillette. Ses désirs – « rouges », comme on l’a appris dès le début de l’album –
deviennent de plus en plus prégnants, jusque dans l’espace narratif, et donc dans l’espace
graphique, à tel point que tout l’univers devient rouge. Rouge Rouge Petit Chaperon rouge nous
montre une petite fille qui va jusqu’au bout de ses désirs, même si ceux-ci ne correspondent pas
à ce que la morale classique pourrait énoncer. L’album est en effet construit sur une ambiguïté :
est suggérée l’idée que la petite fille a sciemment laissé le loup dévorer la grand-mère, car
c’était un moyen pour elle de se débarrasser de la corvée d’aller rendre visite quotidiennement à
la vieille dame mal aimable. On voit donc une fillette qui choisit son destin et qui va jusqu’à
s’octroyer un droit de mort sur le loup – et peut-être aussi sur la grand-mère.

3) Des morales actuelles


Écrire des textes immoraux ne signifie cependant pas construire des récits amoraux.
L’immoralité est ce qui est contraire à la morale en place, tandis que l’amoralité est une absence
de morale. Or, il y a généralement toujours une morale dans les contes contemporains. Il s’agit
d’une morale positive qui suggère à l’enfant d’affirmer sa liberté. Jack Zipes conclut son
ouvrage sur Les Contes de fées et l’art de la subversion par un chapitre consacré au « pouvoir
libérateur du fantastique dans les contes de fées contemporains ». Il note que les écrivains
actuels
ont délibérément voulu que leurs contes aient un effet d’émancipation face aux restrictions imposées
dans les pays industriels avancés1.
En fondant son analyse sur quelques albums réécrivant le Petit Chaperon rouge (les
textes de Tomi Ungerer, Dumas et Moissard, Catherine Storr), Zipes montre qu’il y a dans les
ouvrages contemporains une « quête progressiste » et non pas « régressive » de la notion de
« foyer2 ». Les valeurs progressistes de liberté l’emportent donc sur les valeurs traditionnelles
d’autorité et d’ordre.

1
Jack Zipes, Les Contes de fées et l’art de la subversion, op. cit., p. 218. Voir l’ensemble du chapitre 7.
2
Ibid., p. 225.

141
Cependant, n’est-ce pas là une vision simpliste que d’opposer le conformisme d’un
ancien monde à la subversion du monde contemporain ? En un sens, le message libertaire que
l’on trouve dans les contes actuels n’a rien de nouveau. On retrouve dans les contes populaires
oraux la même affirmation de la liberté. Alison Lurie affirme que les récits de la littérature orale
« comptent parmi les textes les plus subversifs de la littérature enfantine ». Elle prend l’exemple
de Sarah Trimmer, une femme qui, « à la fin du XVIIIe siècle, faisait autorité dans le domaine de
l’éducation » et qui
recommandait aux parents de ne pas laisser leurs enfants écouter ou lire des contes de fées qu’elle
taxait d’immoralité car ils enseignaient la violence, l’ambition, l’amour des richesses et le désir de se
marier au-dessus de sa condition1.
Dans les contes populaires, la femme est souvent montrée comme active, courageuse, ingénieuse
et n’a pas le rôle passif que les écrivains ont voulu lui donner lorsqu’ils ont transcrit les récits
oraux. Les droits des plus faibles sont plus volontiers défendus que ceux des riches, et l’ordre
n’est pas toujours respecté. Issus du peuple et racontés par les mères et les nourrices, ces récits
traduisaient les valeurs du groupe social au sein duquel ils se transmettaient. On voit que toute
littérature est un miroir de la société, qu’elle vienne donner une représentation des valeurs
partagées ou au contraire les remettre en cause.
Par ailleurs, la subversion et la contestation des valeurs de l’autorité ne peuvent-elles pas
être considérées comme les nouvelles valeurs prescriptives de la société moderne ? En un sens,
il est aussi conventionnel de rendre actif le chaperon rouge à notre époque qu’il ne l’était de le
e
rendre passif au XVII siècle. Le stéréotype s’est inversé, mais c’est toujours une image
normative de ce que doit être l’enfant et de la façon dont l’adulte veut le considérer qui s’impose
à la littérature pour la jeunesse. N’est-il pas de bon ton, aujourd’hui, de figurer des héroïnes
indépendantes qui correspondent à l’image que l’adulte veut se faire de l’enfance ? Si être
subversif, c’est se conformer à la norme, on ne voit plus vraiment là de réelles contestations des
valeurs. L’adulte n’est pas prêt, encore aujourd’hui, à tout faire entrer dans la littérature pour la
jeunesse. L’impératif de ne pas « démoraliser l’enfance », qu’énonce la loi de 1949, reste le
maître mot des écrits pour la jeunesse. Un certain conformisme ne règne-t-il donc pas toujours
dans les productions actuelles pour la jeunesse ?

1
Alison Lurie, « Contes populaires et liberté », dans Ne le dites pas aux grands, op. cit., p. 29.

142
C) L’évolution de la finalité littéraire

1) De la littérature didactique…
Toute l’histoire de la littérature pour la jeunesse est animée par le débat sur l’objectif
qu’elle entend s’assigner : instruire ou amuser ? Pendant longtemps, les pédagogues ont jugé
que les livres pour les enfants devaient avoir une utilité morale et aider à la socialisation.
L’enfant, considéré comme un être en devenir et pas encore raisonnable, était vu sur le modèle
négatif du pas encore adulte. La littérature pour la jeunesse pouvait amuser les enfants à
condition que cette forme ludique fût porteuse d’un intérêt didactique. Charles Perrault, dans la
préface de ses Contes en vers, avertit que ses contes ne sont pas « de pures bagatelles » et que le
« récit enjoué dont elles [sont] enveloppées » aide à « les faire entrer plus agréablement dans
l’esprit et d’une manière qui instrui[t] et divert[it] tout ensemble1 ».

2) … à la littérature ludique
L’étude des réécritures contemporaines du chaperon rouge nous donne un bel exemple
de l’évolution de la littérature pour la jeunesse. À travers les jeux parodiques et les
détournements humoristiques des textes de référence, se dessine une littérature inventive,
créative et non plus normative. La littérature pour la jeunesse contemporaine n’est plus
exclusivement dans la pédagogie et dans l’inculcation des règles. Elle chante à l’enfant une ode
à la liberté, à l’opposition aux principes établis et au refus des codes. Les réécritures du
chaperon rouge nous révèlent la gratuité du conte renouvelé. Une morale peut apparaître dans
les textes, mais l’objectif moralisant n’est plus premier. Chez les auteurs, la volonté de jouir du
plaisir de jouer avec les mots prime sur la transmission d’une éducation rigoureuse.
Nous avons dit que les textes contemporains reflétaient la société d’aujourd’hui. Mais ne
devrait-on pas supposer plutôt qu’ils traduisent les morales propres aux enfants, par opposition à
celles des adultes ? En effet, ce sont les valeurs des enfants qui sont énoncées dans les contes
détournés : la recherche du plaisir et de l’amusement qui prime sur le travail, ou encore le goût
du jeu et de la fantaisie. On rencontre dans les réécritures des contes des personnages qui
correspondent à ce que sont les enfants aujourd’hui, et non pas à ce qu’ils devraient être. Les
chaperons modernes sont des contre-modèles auxquels les enfants s’identifient volontiers. Ces
héros sont des « enfants terribles », comme le dit Anne Rabany2. Celle-ci montre qu’avec

1
Charles Perrault, Contes, op. cit., p. 73.
2
Anne Rabany, « Les enfants terribles dans les albums », in : L’Humour dans la littérature de jeunesse, Paris, In
Press Éditions, 2000, p. 161-177.

143
l’invention des personnages de Jean-Paul Choppart ou de Sophie de la Comtesse de Ségur, « on
assiste à la reconnaissance de l’enfant en tant que tel1 » et prend de nombreux exemples parmi
les albums contemporains pour montrer combien les personnages enfantins viennent s’opposer
au rôle sage et obéissant que la littérature classique leur avait donné. Les textes d’aujourd’hui
sont peuplés de « chaperons terribles » : la fillette de Rouge Rouge Petit Chaperon rouge qui
crie « non » et tue le loup d’un coup de hache, le chaperon rouge de Solotareff et Nadja qui joue
les petites filles vantardes auprès de sa camarade en vert, Mademoiselle-Sauve-qui-peut qui fait
des farces d’un goût douteux ou encore l’héroïne de Roald Dahl qui se confectionne un manteau
en peau de loup. En faisant évoluer des enfants espiègles dans leurs albums, les auteurs
contemporains rendent hommage « à l’imaginaire enfantin, à son indépendance d’esprit et à sa
capacité de contester le monde2 ». C’est l’enfant plein de vie et intrépide qui est figuré dans les
textes actuels. Le jeune lecteur se reconnaît facilement dans ces héroïnes turbulentes.

1
Ibid., p. 162.
2
Id.

144
145
CONCLUSION

Notre « traité de petitchaperonrougeologie », pour reprendre l’expression de Pierre


1
Erny , nous a permis d’observer la richesse et le dynamisme de la littérature pour la jeunesse
contemporaine. Celle-ci, loin de raconter toujours les mêmes histoires, réévalue genres, intrigues
et personnages afin d’offrir à ses jeunes lecteurs des récits qui leur ressemblent. Nous avons pu
constater que les auteurs d’aujourd’hui réécrivent le Petit Chaperon rouge en transposant les
motifs clés du conte originel et en produisant des décalages qui renouvellent la gravité du récit
classique et portent sur lui un regard humoristique, voire ironique. Ces procédés de réécriture
intertextuelle fonctionnent sur des allusions et des clins d’œil. Ils peuvent parfois être
complexes. Mais l’enfant-lecteur y est aisément réceptif et prend du plaisir à voir les modèles du
conte classique malmenés et remis en question. Les effets de distanciation, au fondement de ces
réécritures, contribuent à l’aider à se constituer une culture littéraire et l’incitent à porter un
regard critique sur les récits et les procédés narratifs.
Malgré notre désir d’observer la grande variété des réécritures, nous sommes très loin
d’avoir fait le tour de tous les Petits Chaperons rouges contemporains. Le corpus des textes
réécrivant le Petit Chaperon rouge n’est pas clos et gagnerait à être complété par les nombreux
ouvrages publiés2… ou qui le seront prochainement. Car les petits chaperons rouges sont
toujours d’actualité et seulement dans l’année 2006-2007, nous avons dénombré une petite
dizaine de nouveaux Chaperons rouges publiés en France !
Le petit chaperon rouge est loin d’être le seul personnage traditionnel à habiter la
littérature de jeunesse contemporaine et à venir rajeunir les contes classiques. Depuis quelques
années, de nombreux auteurs jouent à reconvoquer les personnages de contes de fées et à leur
faire vivre des aventures inimaginables. Ce n’est pas forcément un conte particulier qui est
repris, mais tout un imbroglio de contes qui viennent s’entremêler dans des histoires farfelues.
Les personnages classiques quittent les stéréotypes et nouent entre eux des relations d’amitié ou
de rivalité. Ainsi, le loup de l’album de Mario Ramos, C’est moi le plus fort3, vient se mesurer

1
Pierre Erny, Sur les traces du Petit Chaperon Rouge, op. cit., p. 11.
2
Dans cette optique, nous avons complété notre biographie par quelques titres que nous n’avons pu nous procurer,
mais qui pourraient à profit venir enrichir notre étude.
3
Mario Ramos, C’est moi le plus fort, Paris, L’école des loisirs, « Pastel », 2002.

146
tour à tour à un lapin aux « belles oreilles », au chaperon rouge, aux sept nains « zinzins du
boulot », aux trois petits cochons… jusqu’à se faire remettre à sa place par la maman d’une
petite grenouille qui ressemble étrangement à un énorme dinosaure ! Ou encore, les personnages
quittent la « forêt des contes » pour venir habiter nos quartiers : pensons à la célèbre « sorcière
de la rue Mouffetard » qui doit manger une petite fille à la sauce tomate pour devenir jolie, ou à
celle du « placard aux balais » qui vient hanter la maison dès que la nuit elle entend chanter :
« Sorcière, sorcière, prends garde à ton derrière ! »1. Face à des textes patrimoniaux que les
adultes peuvent juger trop difficiles ou trop violents, le conte ironique s’impose aujourd’hui
comme une référence. L’enfant aime ces récits pleins d’humour et les parents trouvent que ces
contes, bien qu’ils malmènent les classiques de la littérature, offrent des histoires moralement
plus acceptables et plus conformes aux idéaux du XXIe siècle.
Est-ce un effet de mode ou une attente du public actuel ? Le succès du conte parodique
n’est pas limité à la littérature et se retrouve également dans le dessin animé. Le film
d’animation américain de Todd Edwards, sorti en 2006, raconte ainsi « la véritable histoire du
petit chaperon rouge2 » sur le mode d’un film policier. La narration est décentrée par rapport à
l’histoire originale. La trame du conte est gardée, mais viennent se greffer sur elle plusieurs
intrigues. Le film s’ouvre par une scène au summum de l’action : le spectateur, lancé
immédiatement dans l’histoire, découvre une grand-mère ficelée, un ogre avec une hache et un
loup déguisé en vieille dame contre lequel une petite fille se défend. Toute la suite du dessin
animé se déroule en analepse sous quatre angles différents : la même histoire est ainsi expliquée
sous le point de vue de la fillette, du loup, de la grand-mère, puis du bûcheron. Nous assistons là
à un bel effet de « transfocalisation ».
Cependant, l’irruption du petit chaperon rouge dans le dessin animé n’est pas nouvelle.
Référons-nous à Tex Avery qui, dès 1943, imagine dans Red Hot Riding Hood un chaperon
rouge sous les traits d’une vamp à l’érotisme fortement suggestif et un loup obsédé sexuel
poursuivi par une grand-mère nymphomane ! Mais la particularité des dessins animés
parodiques en vogue ces dernières années est qu’ils mélangent joyeusement toutes sortes de
contes de fées et qu’ils s’amusent à faire se rencontrer les personnages des différents récits.
Pensons au succès de Shrek dont la sortie du troisième volet n’a pas démenti l’intérêt d’un
public enfantin autant qu’adulte. Ainsi, dans Shrek le Troisième3, le chaperon rouge fait
irruption dans l’histoire : la fillette fait partie du clan des frustrés mobilisés par le Prince qui
souhaite prendre la place de l’ogre vert. Le loup, lui, apparaît un peu plus souvent que le

1
Pierre Gripari, La Sorcière de la rue Mouffetard [1967], Paris, Gallimard, « Folio junior », 2006.
2
La Véritable Histoire du Petit chaperon rouge [Hoodwinked], réalisé par Todd Edwards, Tony Leech, Cory
Edwards, 2006. Voir le site du film alimenté par de nombreux extraits : <www.chaperonrouge-lefilm.com>.
3
Shrek le Troisième, réalisé par Chris Miller et Raman Hui, Paramount Pictures France, 2007.

147
chaperon, sous l’apparence ridicule du déguisement en Mère-Grand. Il fait partie des amis de
Fiona, la femme de Shrek, avec les trois petits cochons, Pain d’épice ou encore Chat Potté.
Après une année passée à fréquenter les renouvellements du chaperon rouge, la tentation
était trop forte de ne pas nous essayer nous aussi à la réécriture parodique. Nous avons ainsi
voulu écrire notre propre version du conte – version évidemment décalée et personnelle. Nous
avons mis en annexe 3 notre « PCR Company ». Après l’avoir écrit, nous nous sommes rendu
compte que nous retrouvions dans ce texte un bon nombre d’éléments commentés dans notre
mémoire. Ainsi, notre version du conte est en quelque sorte une mise en pratique des principes
que nous avons analysés théoriquement : on y repère un chaperon insolent et irrévérencieux, une
focalisation sur un autre personnage que l’héroïne du conte classique (la grand-mère), des
métalepses marquant l’intrusion du narrateur, des allusions hypertextuelles à des objets typiques
des contes ou encore des citations plus ou moins déformées du texte des Grimm. Écrire ce conte
était pour nous une façon de rendre hommage à la littérature et à son pouvoir d’invention et
d’esquisser une réflexion sur le mythe de l’inspiration littéraire et sur les rapports entre l’univers
romanesque et la réalité (l’écrivain copie-t-il le réel ?). C’était aussi une façon de transmettre le
plaisir que nous avons eu à observer tous ces contes décalés.
Pourtant, après tant de mois passés en compagnie du chaperon rouge, le connaissons-
nous vraiment ? Encore maintenant, lorsque nous relisons le conte originel, il nous semble qu’il
garde ses secrets et qu’il est toujours cette « œuvre si claire qu’elle finit par devenir
impénétrable », comme le dit Marc Soriano1. Malgré toutes les réécritures que l’on peut faire du
Petit Chaperon rouge, il nous semble que jamais l’histoire originelle ne sera véritablement
recouverte. Elle continuera à garder sa force évocatrice auprès des enfants et des adultes. On
peut renverser le conte, s’amuser à lui faire subir toutes sortes de transformations, il ne cessera
pas pour autant de marquer les esprits. Pierrette Fleutiaux, dans les Métamorphoses de la reine,
a réécrit plusieurs contes, dont un « petit pantalon rouge » aux aspirations féministes qui,
rencontrant Barbe-Bleue, fait preuve d’un courage et d’une autorité incomparables. Dans la
préface de son recueil des contes, l’auteur confesse son admiration pour Charles Perrault et
révèle que, même à l’âge adulte, ses contes la fascinent. Cependant, son regard adulte l’incite à
modifier certaines histoires et son regard de femme l’invite à remodeler le caractère de certaines
héroïnes. Mais, alors qu’elle pensait diriger à sa manière les personnages des contes, elle s’est
aperçue que ce sont eux qui l’ont « menée » et elle s’est « abandonnée » à eux2. Il semble ainsi
que les personnages originaux gardent intact leur pouvoir de fascination, en dépit des
transformations qu’on cherchera à leur imposer.

1
Marc Soriano, Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, op. cit., p. 160.
2
Pierrette Fleutiaux, Les Métamorphoses de la reine, Paris, Gallimard, 1984, p. 12.

148
Dans un article sur les fonctions de la littérature, Umberto Eco note la fonction
pédagogique des jeux parodiques : « La narrativité hypertextuelle peut nous éduquer à la liberté
et à la créativité1 ». Mais, ajoute-t-il, la vraie fonction éducative de la littérature se trouve dans
les récits qu’il qualifie d’« immodifiables ». Le lecteur qui lit et relit les grands textes de la
littérature éprouve la « frustration » de ne pas en changer le récit et expérimente ainsi
l’immutabilité de la destinée humaine. Le Petit Chaperon rouge, Guerre et Paix ou Le Rouge et
le Noir nous racontent notre histoire, nous font une « sévère leçon “répressive” » dont nous
avons besoin pour « apprendre à mourir ». Et Eco de conclure : jouons avec les textes de la
littérature, mais ne cessons jamais de relire les récits originaux car ils ont, plus que nuls autres,
le pouvoir de nous éduquer « au Destin et à la mort2 ».

1
Umberto Eco, « Sur quelques fonctions de la littérature », in : De la littérature, op. cit., p. 26.
2
Id.

149
BIBLIOGRAPHIE
I) Ouvrages de littérature

A) Reprises contemporaines du petit chaperon rouge

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 ROSS, Tony, Le Petit Chaperon rouge [The Little Red Riding Hood], traduit par Mary-
Raymond Farré, Paris, Gallimard, « Folio Benjamin », 1980.
 SANVOISIN, Éric / MATJE, Martin (illus.), Le Petit Buveur d’encre rouge, Paris, Nathan,
« Nathan Poche », 2006.
 SOLOTAREFF, Grégoire / NADJA (illus.), Le Petit Chaperon vert, Paris, L’école des loisirs,
« Mouche », 2000.
 STEHR, Frédéric, Loupiotte [2000], Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 2005.
 VAN DE VENDEL, Edward / VANDENABEELE, Isabelle (illus.), Rouge rouge petit chaperon
rouge [Rood Rood Roodkapje], traduit du néerlandais par Daniel Cunin, Rodez, Éditions du
Rouergue, 2003.
 VILCOLLET, Pascal, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Hachette Jeunesse, « Berlingot », 2007.

2) Textes pour les adultes


 FLEUTIAUX, Pierrette, Les Métamorphoses de la reine, Paris, Gallimard, 1984.
 GRIPARI, Pierre, Patrouille du conte, Lausanne, L’Âge d’homme, 1983.

B) Œuvres classiques
 GRIMM, Jacob et Wilhelm Contes merveilleux, traduit de l’allemand par Pierre Durand,
Paris, Librairie Générale française, 1987.
 PERRAULT, Charles / DORE, Gustave (illus.), Contes de ma mère l’Oye, Paris, Gallimard,
« Folio junior », 1977.
 PERRAULT, Charles, Contes, introduction et notices de Catherine Magnien, Paris, Le Livre
de poche, 1990.

C) Autres ouvrages de littérature pour la jeunesse


 Le Grand Méchant Livre du loup, Paris, Bayard Jeunesse, 2003.
 FINE, Anne, Journal d’un chat assassin [The Diary of a killer cat, 1994], traduit de l’anglais
par Véronique Haïtse, Paris, L’école des loisirs, « Mouche », 1997.
 GRIPARI, Pierre, La Sorcière de la rue Mouffetard [1967], Paris, Gallimard, « Folio junior »,
2006.
 MOURLEVAT, Jean-Claude, L’Enfant Océan, Paris, Pocket Jeunesse, 1999.
 NADJA, Les Sur-fées, Paris, L’école des loisirs, « Mouche », 2005.
 OSTER, Christian, Le Loup qui cherchait sa serviette, Paris, L’école des loisirs, « Neuf »,
2001.
 POMMAUX, Yvan, Le Grand Sommeil, Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 1998.
 RAMOS, Mario, C’est moi le plus fort, Paris, L’école des loisirs, « Pastel », 2002.
 SCIESZKA, Jon / SMITH, Lane (illus.), La Vérité sur l’affaire des trois petits cochons [1989],
traduit de l’américain par Gilles Lergen, Paris, Nathan, 1991.
 SOLOTAREFF, Grégoire / NADJA (illus.), La Laide au Bois Dormant [1991], Paris, L’école
des loisirs, « Mouche », 2005.
 TOURNIER, Michel, Sept contes [1984], Paris, Gallimard, « Folio junior », 1990.

152
II) Ouvrages critiques

A) Sur le petit chaperon rouge


 BECKETT, Sandra L., « Le Petit Chaperon rouge globe-trotter », dans Tricentenaire Charles
Perraul. Les grands contes du XVIIe siècle et leur fortune littéraire, sous la direction de Jean
Perrot, In Press, 1998, p. 365-375.
 ERNY, Pierre, Sur les traces du Petit Chaperon Rouge. Un itinéraire dans la forêt des
contes, Paris, L’Harmattan, 2003.
 GARAT, Anne-Marie, Une faim de loup : lecture du Petit chaperon rouge, Arles, Actes Sud,
2004.
 LA GENARDIERE de, Claude, « Quand le Chaperon rouge fait rire jaune », dans L’Humour
dans la littérature de jeunesse, Paris, In Press Éditions, 2000, pages 135-146.
 LA GENARDIERE de, Claude, Encore un conte ? « Le Petit Chaperon rouge » à l’usage des
adultes, Paris, L’Harmattan, 1996.
 MARTIN, Serge, Les Contes à l’école. Le(s) petit(s) Chaperon(s) rouge(s), Paris, Bertrand
Lacoste, « Parcours didactiques à l’école », 1997.
 VANDENDORPE, Christian, « D’un conte à sa parodie : Le Petit Chaperon rouge de Jacques
Ferron », dans Croire à l'écriture, sous la direction de Yvan G. Lepage et Robert Major,
Ottawa, Éditions David, 2000, p. 367-386. Article consultable sur Internet :
<www.lettres.uottawa.ca/vanden/Petit%20Chaperon%20rouge.pdf>.
 VERDIER, Yvonne, « Grands-mères, si vous saviez... Le Petit Chaperon rouge dans la
tradition orale », dans Les Cahiers de la Littérature orale, IV, 1978. Article consultable sur
Internet : <expositions.bnf.fr/contes/cles/verdier.htm>.

B) Sur les contes (ouvrages consultés)


 DELARUE, Paul, Le Conte populaire français [1957], Paris, Maisonneuve et Larose, 3 tomes,
1976.
 JEAN, Georges, Le Pouvoir des contes, Paris, Casterman, 1990.
 PEJU, Pierre, La Petite fille dans la forêt des contes, Paris, Robert Laffont, « Réponses »,
1981.
 PROPP, Vladimir, Morphologie du conte [1928], traduit du russe par M. Derrida, T. Todorov
et C. Kahn, Paris, Le Seuil, 1970.
 SORIANO, Marc, Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, Paris,
Gallimard, « Tel », 1968.

C) Sur la théorie littéraire


 BARONI, Raphaël, La Tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, Paris, Le Seuil,
« Poétique », 2007.
 BERGSON, Henri, Le Rire [1940], Paris, PUF, « Quadrige », 1999.
 BOURNEUF, Roland / OUELLET, Réal, L’Univers du roman [1972], Paris, PUF, 1989.
 CALVINO, Italo, Pourquoi lire les classiques [1981], traduit de l’italien par Michel Orcel et
François Wahl, Paris, Le Seuil, « La librairie du XXe siècle », 1993.
 COMBE, Dominique, Les Genres littéraires, Paris, Hachette Supérieur, « Contours
littéraires », 1992.

153
 ECO, Umberto, « Ironie intertextuelle et niveaux de lecture », dans De la littérature [Sulla
letteratura, 2002], traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 2003, p. 269-
298.
 ECO, Umberto, « Sur quelques fonctions de la littérature », dans De la littérature [Sulla
letteratura, 2002], traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 2003, p. 9-26.
 ECO, Umberto, Lector in fabula. Le rôle du lecteur [1979], traduit de l’italien par Myriem
Bouzaher, Paris, Le Livre de Poche, « Biblio Essais », 1985.
 FREUD, Sigmund, « L’humour », in : Le Mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient
[1905], traduit de l’allemand par M. Bonaparte et M. Nathan, Paris, Gallimard, « Idées ».
 GENETTE, Gérard, Figures III, Paris, Le Seuil, « Poétique », 1972.
 GENETTE, Gérard, Palimpsestes [1982], Paris, Le Seuil, « Points Essais », 1992.
 GENETTE, Gérard, Seuils [1987], Paris, Le Seuil, « Points Essais », 2002.
 HAMON, Philippe, « L’ironie », dans Le Grand Atlas des littératures, sous la direction de
Jacques Hans Schweizer, Louis Lecomte, et al., Paris, Encylopaedia Universalis, 1990,
p. 56-57.
 HAMON, Philippe, « Pour un statut sémiologique du personnage » [dans Littérature, 6, Paris,
Larousse, 1972], puis dans Poétique du récit [1977], Paris, Le Seuil, 2003.
 JOUVE, Vincent, L’effet-personnage dans le roman, Paris, PUF, « Écriture », 1992.
 JOUVE, Vincent, La Poétique du roman [1997, Sedes], Paris, Armand Colin, « Campus »,
2006.
 LARTHOMAS, Pierre, Le Langage dramatique [1972, Armand Colin], Paris, PUF, 1993.
 SAMOYAULT, Tiphaine, L’Intertextualité. Mémoire de la littérature, Paris, Armand Colin,
« 128 », 2001.
 SANGSUE, Daniel, La Parodie, Paris, Hachette Supérieur, « Contours littéraires », 1994.
 SARTRE, Jean-Paul, Qu’est-ce que la littérature ? [1948], Paris, Gallimard, « Folio Essais »,
1993.
 UBERSFELD, Anne, « Le texte dramatique », dans Le Théâtre, sous la direction de D. Couty
et A. Rey, Paris, Bordas, 1980.

D- Sur la littérature pour la jeunesse

1) Ouvrages
 BETTELHEIM Bruno, Psychanalyse des contes de fées, traduit par Théo Carlier, Paris, Robert
Laffont, 1976.
 COITIT-GODFREY, J. / ESCARPIT, R. / PEYROUTET, J.-L. / POULOU, B. / ROBINE, N., La
Littérature d’enfance et de jeunesse. État des lieux, Paris, Hachette Jeunesse, 1988.
 LURIE, Alison, Ne le dites pas aux grands. Essai sur la littérature enfantine, [Don’t Tell the
Grown-Ups, 1990], traduit de l’anglais par Monique Chassagnol, Paris, Rivages, 1991.
 MAJA, Daniel, Illustrateur jeunesse. Comment créer des images sur les mots ?, Paris,
Éditions du Sorbier, « La littérature jeunesse, pour qui, pour quoi ? », 2004.
 PERROT, Jean, Jeux et enjeux du livre d’enfance et de jeunesse, Paris, Éditions du Cercle de
la librairie, « Bibliothèques », 1999.
 RODARI, Gianni, Grammaire de l’imagination [Grammatica della fantasia], traduit par
Roger Salomon, Paris, Éditions Messidor, 1979.
 VAN DER LINDEN, Sophie, Lire l’album, Le Puy-en-Velay, L’Atelier du poisson soluble,
2006.
 ZIPES, Jack, Les Contes de fées et l’art de la subversion, traduit par François Ruy-Vidal,
Paris, Payot, 1986.

154
2) Articles
 « Pastiche et parodie, de l’art du détournement », TDC (Textes et documents pour la classe),
n° 788, janvier 2000. Sommaire consultable sur Internet, sur le site du CNDP
(<www.cndp.fr>).
 « Les contes », TDC (Textes et documents pour la classe), n°832, mars 2002. Sommaire
consultable sur Internet, sur le site du CNDP (<www.cndp.fr>).
 BALLANGER, Françoise, « Laissez-les rire ! », dans L’Humour dans la littérature de
jeunesse, Paris, In Press Éditions, 2000, p. 75-84.
 GAOTTI, Florence, « Croisements de voix. Réflexions sur l’intertextualité à l’école », dans
Nous voulons lire, n°160, juin 2005, p. 39-41.
 GOUREVITCH, Jean-Paul, « L’humour dans la littérature de jeunesse », juin 2001, <www.ac-
creteil.fr/crdp/telemaque/comite/JPGourevitch.htm>.
 PEF, « L’humour sans queue ni texte, une improvisation humoristique de Pef », dans
L’Humour dans la littérature de jeunesse, Paris, In Press Éditions, 2000, p. 243-257.
 PERROT, Jean, « Le foyer baroque central : la torsion des contes classiques », dans Art
baroque, art d’enfance, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1991, p. 21-68.
 PINTADO, Christiane, « Cochon, cochon et cie. Les avatars du conte Les trois petits cochons
dans la littérature de jeunesse contemporaine », dans Nous voulons lire !, n°158, février
2005, p. 10-18.
 PINTADO, Christiane, « Échos des contes d’Andersen dans l’album contemporain pour la
jeunesse. Réécriture et détournement », dans Nous voulons lire !, n°162, novembre 2005,
p. 21-27.
 PINTADO, Christiane, « Enfants terribles des nouveaux contes. Chaperons et princesses ne
s’en laissent plus conter », dans Nous voulons lire !, n° 164, avril 2006, p. 17-23.
 RABANY, Anne, « Les enfants terribles dans les albums », dans L’Humour dans la littérature
de jeunesse, Paris, In Press Éditions, 2000, p. 161-177.
 ROUXEL, Annie, « Qu’entend-on par lecture littéraire ? », Actes de l’université d’automne,
Direction de l’enseignement scolaire, publié le 6 mai 2004. Consultable sur Internet :
<http://eduscol.education.fr/D0126/lecture_litteraire_rouxel.htm>.
 TAUVERON, Catherine, « Littérature de jeunesse ou nouvelle jeunesse pour la littérature et
son enseignement ? », Actes du séminaire national « Perspectives actuelles de
l’enseignement du français », 23-24-25 octobre 2000. Consultable sur Internet :
<http://eduscol.education.fr/D0033/actfran_tauveron.htm>.
 TAUVERON, Catherine, « Fonctions et nature des lectures en réseaux », Actes de l’université
d’automne, « La lecture et la culture littéraires au cycle des approfondissements », Direction
de l’enseignement scolaire, publié le 12 mai 2004. Consultable sur Internet :
<http://eduscol.education.fr/D0126/lecture_litteraire_tauveron3.htm >
 ZERVOU, Alexandra, « Le comique e(s)t le parodique dans la littérature d’enfance », dans
L’Humour dans la littérature de jeunesse, Paris, In Press Éditions, 2000, p. 29-44.

E- Programmes scolaires
 « Littérature (cycle 3) », document d’accompagnement des programmes scolaires, CNDP,
2004. Consultable sur Internet :<http://www.cndp.fr/textes_officiels/ecole/Litt_ecole.pdf>
 « Lire et écrire au cycle 3. Repères pour organiser les apprentissages au long du cycle »,
document d’accompagnement des programmes scolaires, CNDP, 2003. Consultable sur
Internet : <http://www.cndp.fr/doc_administrative/>

155
F- Filmographie
 La Véritable Histoire du Petit chaperon rouge [Hoodwinked], réalisé par Todd Edwards,
Tony Leech, Cory Edwards, 2006.
 Red hot riding hood, Tex Avery, MGM, 1943.

G- Sitographie
 Sur le site du CRDP de l’Académie de Créteil, une fiche pédagogique proposant des pistes
d’activités « autour des contes » et se fondant en particulier sur les contes parodiés :
<http://www.crdp.ac-creteil.fr/telemaque/comite/contes.htm>
 « Il était une fois les contes de fées » : site d’une exposition organisée en 2001 par la BNF,
en collaboration avec La Joie par les livres, offrant de nombreuses informations sur l’histoire
des contes et leur évolution, et en particulier sur le conte du Petit Chaperon rouge :
<http://expositions.bnf.fr/contes/index.htm>
 Dossier sur les détournements de contes réalisés par l’Institut international Charles Perrault
en décembre 2006 pour l’espace éducatif de France 5 :
<http://education.france5.fr/images/DOSSI/DOSSI14865/le_conte.pdf>

III) Bibliographie complémentaire

Nous n’avons pu nous procurer toutes les versions contemporaines du Petit Chaperon rouge :
certains ouvrages ne sont plus édités et sont actuellement en rupture de stock, d’autres se sont
révélés introuvables dans les bibliothèques auxquelles nous avons accès. Afin d’offrir un
prolongement utile à notre étude, nous proposons ici une sélection de titres qui pourraient venir
compléter notre travail.

A) Albums et courts récits


 AMERY, Heather / Cartwrigtht, Stephen, Le Petit Chaperon rouge, Usborne, « Il était une
fois », 2006.
 BOADA, Francesc / ESTRDA P., Le Petit Chaperon rouge, Epigones, 1995.
 BRUEL, Christian / CLAVELOUX, Nicole, Petits chaperons loups, Être, 1998.
 CAPDEVILA, Roser, Camomille et les Trois Petites sœurs : chez le Petit chaperon rouge,
Paris, Le Sorbier, 2004.
 COUNHAYE, Guy, Gros loup, Mijade, 1994.
 CRAIPEAU, Jean-Loup, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Hachette, 1997.
 CUISINIER, J.P., Dracula contre le Petit Chaperon rouge, Paris, Magnard, « Tire lire
poche », 1985.
 DAMIAN, Claude, Si on jouait au petit chaperon rouge, Noir délire, 2007.
 DELAFOSSE, Claude, Le loup et le petit chaperon rouge, Paris, Gallimard Jeunesse, 1999.
 DUVAL, Isabelle, Contes à modeler, Temps apprivoisé, 2000.
 FARIBAULT, Marthe / LEVERT, Mireille, Le Petit Chaperon rouge, Héritage, 2002.
 GAGNE, Johanne / ROGE, Les Vacances du Petit Chaperon rouge, Montréal (Québec), Les
400 coups, « Grimace », 2004.
 GARNER, James Finn, Politiquement correct. Contes d’autrefois pour lecteurs
d’aujourd’hui, Paris, Grasset, 1995.
 GAUTIER, Michel, Le vrai Petit chaperon rouge et autres contes, Geste Éditions, 2003.

156
 GUDULE, Les contes, la vérité (vraie), Paris, Nathan, 2000.
 HARTMANN, Elisabeth, Le petit Bonnet, Paris, Syros Alternatives, « Petites feuilles », 1992.
 HERON, Jean-Olivier, Dodo Carabas vous raconte ce qui se passe après la fin du Petit
Chaperon rouge. Les résultats d’une drôle d’enquête, Paris, Albin Michel / Gulf Stream,
1992.
 HUGO, Hector, Le Petit Napperon rouge, Paris, Syros, « Mini souris humour », 1999.
 KENT, Jack, Le Petit Chaperon rouge, texte adapté par Madeleine Gilard, Paris, Le Sorbier,
« Il était une fois », 1983.
 KIMIKO, Le Petit Chaperon rouge, Paris, L’école des loisirs, « Loulou & compagnie », 2007.
 LEVY, Didier / RAPAPORT, Gilles (illus.), Grand-mère Albert, Paris, L’école des loisirs,
« Albums », 1999.
 LEVY, Didier, Le Loup et l’orpheline, Paris, L’école des loisirs, 1999.
 MARTIN, Jean-François, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Rouge et or, « Petits contes
animés », 1997.
 MATHIEU, Dominique, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Flammarion, 2001.
 MCBRATNEY, Sam / CHICHESTER et CLARK, Emma, Le Chaperon rouge, Paris, Gründ, 1997.
 MCNAUGHTON, Colin, Oh ! là ! là !, Paris, Gallimard Jeunesse, 1996.
 MEDDAUGH, Le Loup, mon œil !, Paris, Autrement Jeunesse, 2000.
 PERRAULT, Charles / LAVATER, Warja, Le Petit Chaperon rouge, Maeggt, 1968.
 ROCARD, Ann, Le Petit Chaperon fou, Sénévé Jeunesse, 1994.
 ROUX, Christian, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Le Seuil Jeunesse, 2007.
 SCOUVART, Robert, Crock Rock le petit chaperon rouge, Paris, Magnard, 1986.
 STORR, Catherine, Polly la futée et cet imbécile de loup, Paris, Pocket, « Kidpocket », 2001.
 TAREK / MORINIERE, Aurélien, Rufus le loup et le petit chaperon rouge, EP Éditions, 2007.
 TIMMERS, Léo, Le Petit Chaperon rouge, Toulouse, Milan, 2007.
 TREMBLAY, M., Il était une fois le petit frère du Chaperon rouge, Montréal (Québec), La
Courte Echelle, 2005.
 UNGERER, Tomi, Le Petit Chaperon rouge, Diogènes, 1974.
 VAN ZEVEREN, Michel, Et pourquoi ?, Paris, L’école des loisirs, « Pastel », 2007.
 WITSCHGER, Anne-Laure, La Célèbre Famille du Petit Chaperon rouge, Frimousse, 2000.
 YOUNG, Ed, Lon Po Po, traduit par Rose-Marie Vassalo, Paris, Flammarion, « Père Castor »,
2002.

B) Bandes dessinées
 MARIE, Damien / VANDERSTRAETEN, Damien, Règlement de contes, tome 1 : Règne animal,
Soleil Productions, 2003.
 PESCH, Jean-Louis, Sylvain et Sylvette, Tome 29 : Un nouveau petit chaperon rouge,
Dargaud, 2003.
 ROTREAU / BERNER, Suzanne, Les Contes du grand méchant loup, Ipomée, Paris, Albin
Michel, 2001.

C) Théâtre
 JOLIBOIS, Christian / DRAC, Romain, Pour faire un bon chaperon, Toulouse, Milan, 2000.
 FOSSIER, Joëlle, Les Petits Chaperons rouges (comédie pour enfants), Art et Comédie, 1998.
 POSLANIEC, Christian / ISHER, Laurent / POSLIANEC, Frédérique / QUINTIN, Cécile, Petit
Chaperon rouge, les explo-rateurs, Paris, Retz, « Premiers rôles », 2007.
 SAUSSARD, Brigitte, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Retz, « Théâtre de poche », 2004.

157
D- Livres jouets
 AMERY Heather / CARTWRIGTHT Stephen, Le Petit Chaperon rouge, Usborne, 2006.
 GRIMM / MALONE, Vincent / CORNALBA, Jean-Louis / SADOUN, Chloé, Le Petit Chaperon
de ta couleur, Paris, Le Seuil Jeunesse / Naïve, 2002.
 HÜE, Caroline, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Nathan, 2006.
 PERRAULT, Charles / GAMBINI, Cécile, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Nathan,
« Musicontes », 2005.
 PICCOLIA, Le Petit Chaperon rouge, Courtaboeuf, Piccolia, « Read and play », 2004.
 PLOQUIN, Geneviève, Un conte à colorier : Le Petit Chaperon rouge, Champigny-sur-
Marne, Lito, « Les coloriages », 2007.
 SIEWERT, Pauline / MINSSIEUX, Sabine, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Quatre fleuves,
« Les ourses scintillantes », 2003.
 STEVENSON, Peter, Le Petit théâtre. Les Trois petits cochons ; Hänsel et Gretel ; Le Petit
Chaperon rouge : avec 10 marionnettes, Paris, Gründ, 2006.
 SUGAWARA, Keiko, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Bayard Jeunesse, « Un conte à lire avec
les doigts », 2005.

E- Reprises du conte à destination des adultes


 GAVRONSKY, Serge / SCANREIGH, Petite histoire du Petit Chaperon rouge, Marseille, Harpo
&, 1999.
 JOURDE, Pierre, Petits chaperons dans le rouge, Apt, L’Archange Minotaure, 2006.
 LASCAULT, Gilbert, Le Petit Chaperon rouge partout [1989], Saint-Clément, Fata Morgana,
2007.
 LEON, Pierre Roger, Le Mariage politiquement correct du Petit Chaperon rouge et autres
histoires plus ou moins correctes avec notices explicatives, Éditions du Gref, Écrits
torontois, 1996.

IV] Bibliographies sur Internet

On pourra consulter sur Internet plusieurs sites proposant des bibliographies sur les contes
parodiés et/ou sur les réécritures du Petit Chaperon rouge.
 Sur le site de l’exposition de la BNF « Il était une fois les contes de fées » :
<http://expositions.bnf.fr/contes/arret/reperes/biblio.htm>
 Sur le site du CRDP de Créteil, « Autour des contes » : <http://www.crdp.ac-
creteil.fr/telemaque/comite/contes-bibli.htm>
 Sur le site de la bibliothèque municipale de Lyon : <http://www.bm-
lyon.fr/expo/virtuelles/chaperon/bibliog.html>
 Sur le site de Ricochet, avec de mini résumés des ouvrages : <http://www.ricochet-
jeunes.org/fichiers/perrault/chaperon.asp>
 Sur un site de l’Académie de Poitiers, un projet lancé par des enseignants autour du thème
« Écouter, dire, lire, écrire des contes » dans lequel on trouve une bibliographie développée
sur le Petit Chaperon rouge : <http://web-ia.ac-poitiers.fr/web79/contes-
79/spip.php?article14>
 Sur le site des bibliothèques de Rennes, un « Casting de contes » autour du Petit Chaperon
rouge, avec quelques suggestions cinématographiques : <http://www.bm-
rennes.fr/publications/castingdecontes/chaperon.htm>

158
Notons enfin la thèse de Christiane Pintado, soutenue en novembre 2006 et consultable à la
bibliothèque universitaire de Rennes II (où nous n’avons pu nous rendre) :
« Les Contes de Perrault à l'épreuve du détournement dans la littérature de jeunesse de 1970 à
nos jours. De la production à la réception. » Thèse de 3e cycle, sous la direction de Catherine
Tauveron, Professeur des Universités, Rennes II.

159
ANNEXES

Les versions classiques du Petit Chaperon rouge


Annexe 1a : version nivernaise
Annexe 1b : version de Charles Perrault
Annexe 1c : version des frères Grimm

Un exemple de réécriture contemporaine du Petit Chaperon rouge


Annexe 2 : version de Tony Ross

Mise en pratique
Annexe 3 : notre version

160
Annexe 1a : version nivernaise

CONTE DE LA MERE-GRAND

C’était un femme qui avait fait du pain. Elle dit à sa fille :


– Tu vas porter une époigne1 toute chaude et une bouteille de lait à ta grand.
Voilà la petite fille partie. À la croisée de deux chemins, elle rencontra le bzou2 qui lui dit :
– Où vas-tu ?
– Je porte une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ma grand.
– Quel chemin prends-tu ? dit le bzou, celui des Aiguilles ou celui des Épingles ?
– Celui des Aiguilles, dit la petite fille.
– Eh bien ! Moi, je prends celui des Épingles.
La petite fille s’amusa à ramasser des aiguilles ; et le bzou arriva chez la mère-grand, la tua, mit de sa
viande dans l’arche3 et une bouteille de sang sur la bassie4. La petite fille arriva et frappa à la porte.
– Pousse la porte, dit le bzou. Elle est barrée avec une paille mouillée.
– Bonjour, ma grand, je vous apporte une époigne toute chaude et une bouteille de lait.
– Mets-les dans l’arche, mon enfant. Prends de la viande qui est dedans et une bouteille de vin qui est
sur la bassie.
Suivant qu’elle mangeait, il y avait une petite chatte qui disait :
– Pue !... Salope !... qui mange la chair, qui boit le sang de sa grand.
– Dhabille-toi, mon enfant, dit le bzou, et viens te coucher vers moi.
– Où faut-il mettre mon tablier ?
– Jette-le au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin.
Et pour tous les habits, le corset, la robe, le cotillon, les chausses, elle lui demandait où les mettre. Et
le loup répondait : « Jette-les au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin5. »
Quand elle fut couchée, la petite fille dit :
– Oh, Ma grand, que vous êtes poilouse !
– C’est pour mieux me réchauffer, mon enfant !
– Oh ! Ma grand, ces grands ongles que vous avez !
– C’est pour mieux me gratter, mon enfant !
– Oh ! Ma grand, ces grandes épaules que vous avez !
– C’est pour mieux porter mon fagot de bois, mon enfant !
– Oh ! Ma grand, ces grandes oreilles que vous avez !
– C’est pour mieux entendre, mon enfant !
– Oh ! Ma grand, ces grands trous de nez que vous avez !
– C’est pour mieux priser mon tabac, mon enfant !
– Oh ! Ma grand, cette grande bouche que vous avez !
– C’est pour mieux te manger, mon enfant !
– Oh ! Ma grand, que j’ai faim d’aller dehors !
– Fais au lit mon enfant !
– Oh ! non ma grand, je veux aller dehors !
– Bon, mais pas pour longtemps.

1
Petit pain fabriqué pour les enfants avec des rognures de pâte lors de la cuisson du pain, de la grosseur d’un poing,
ou en forme de poignée (croissant).
2
Bzou, ou brou, ou garou, noms de l’homme-loup.
3
Armoire.
4
Tablette ou pierre d’un évier.
5
Le conteur décline questions et réponses pour chaque pièce du vêtement.

161
Le bzou lui attacha un fil de laine au pied et la laissa aller. Quand la petite fut dehors, elle fixa le
bout de fil à un prunier de la cour. Le bzou s’impatientait et disait :
– Tu fais donc des cordes ? Tu fais donc des cordes ?
Quand il se rendit compte que personne ne lui répondait, il se jeta à bas du lit et vit que la petite était
sauvée. Il la poursuivit, mais il arriva à sa maison juste au moment où elle entrait.

Texte recueilli par Achille Millien vers 1885 aux Amognes, dans la Nièvre.

(Paul Delarue, Le Conte populaire français [1957],


Paris, Maisonneuve et Larose, 1976, t. I, p. 373-374)

162
Annexe 1b : version de Charles Perrault

Nous avons maintenu l’usage désordonné des majuscules et l’absence de paragraphe du texte de Perrault,
conformément à l’édition commentée par Catherine Magnien, au Livre de Poche. Celle-ci a respecté le texte du
deuxième tirage, sorti des presses de Claude Barbin en 1697.

LE PETIT CHAPERON ROUGE

Il était une fois une petite fille de Village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa
grand-mère plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si
bien, que partout on l’appelait le Petit chaperon rouge.
Un jour, sa mère, ayant cuit et fait des galettes, lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car
on m’a dit qu’elle était malade, porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. » Le petit chaperon rouge
partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre Village. En passant dans un
bois elle rencontra compère le Loup, qui eut bien envie de la manger, mais il n’osa, à cause de quelques
Bûcherons qui étaient dans la Forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il
est dangereux de s’arrêter à écouter un Loup, lui dit : « Je vais voir ma Mère-grand, et lui porter une
galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui envoie. − Demeure-t-elle bien loin ? lui dit Le loup. −
Oh ! oui, dit le petit chaperon rouge, c’est par delà le moulin que vous voyez tout là-bas, à la première
maison du Village. − Eh bien, dit le Loup, je veux l’aller voir aussi ; je m’y en vais par ce chemin ici, et
toi par ce chemin-là, et nous verrons à qui plus tôt y sera. » Le Loup se mit à courir de toute sa force par
le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir
des noisettes, à courir après des papillons, et à faire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait. Le
Loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la Mère-grand ; il heurte : Toc, toc. « Qui est là ? −
C’est votre fille, le petit chaperon rouge (dit le Loup en contrefaisant sa voix) qui vous apporte une
galette et un petit pot de beurre que ma Mère vous envoie. » La bonne Mère-grand, qui était dans son lit à
cause qu’elle se trouvait un peu mal, lui cria : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. » Le Loup tira la
chevillette, et la porte s’ouvrit. Il se jeta sur la bonne femme, et la dévora en moins de rien ; car il y avait
plus de trois jours qu’il n’avait pas mangé. Ensuite il ferma la porte, et s’alla coucher dans le lit de la
Mère-grand, en attendant le petit chaperon rouge, qui quelque temps après, vint heurter à la porte. Toc,
toc. « Qui est là ? » Le petit chaperon rouge, qui entendit la grosse voix du Loup, eut peur d’abord, mais,
croyant que sa Mère-grand était enrhumée, répondit : « C’est votre fille le petit chaperon rouge, qui vous
apporte une galette et un petit pot de beurre que ma Mère vous envoie. » Le Loup lui cria en adoucissant
un peu sa voix : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. » Le petit chaperon rouge tira la chevillette, et la
porte s’ouvrit. Le Loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture : « Mets la
galette et le petit pot de beurre sur la huche, et vient te coucher avec moi. » Le petit chaperon rouge se
déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de voir comment sa Mère-grand était faite
en son déshabillé. Elle lui dit : « Ma mère-grand, que vous avez de grands bras ! − C’est pour mieux
t’embrasser, ma fille. − Ma mère-grand, que vous avez de grandes jambes ! − C’est pour mieux courir,
mon enfant. − Ma mère-grand, que vous avez de grandes oreilles ! − C’est pour mieux écouter, mon
enfant. − Ma mère-grand, que vous avez de grands yeux ! − C’est pour mieux voir, mon enfant. − Ma
mère-grand, que vous avez de grandes dents ! − C’est pour mieux te manger. » Et en disant ces mots, ce
méchant Loup se jeta sur le petit chaperon rouge, et la mangea.

Moralité
On voit ici que de jeunes enfants,
Surtout de jeunes filles,
Belles, bien faites, et gentilles,
Font très mal d’écouter toute sorte de gens.
Et que ce n’est pas chose étrange,
S’il en est tant que le loup mange.
Je dis le loup, car tous les loups

163
Ne sont pas de la même sorte ;
Il en est d’une humeur accorte,
Sans bruit, sans fiel et sans courroux,
Qui privés, complaisants et doux,
Suivent les jeunes Demoiselles
Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;
Mais hélas ! qui ne sait que ces loups doucereux,
De tous les Loups sont les plus dangereux.

Charles Perrault,
Histoires ou Contes du temps passé avec des Moralités, ou Contes de ma mère l’Oye, 1697.

(Contes, introduction et notices de Catherine Magnien,


Paris, Le livre de poche, 1990, p. 193-197)

164
Annexe 1c : version des frères Grimm

LE PETIT CHAPERON ROUGE

Il était une fois une petite fille que tout le monde aimait bien, surtout sa grand-mère. Elle ne savait
qu’entreprendre pour lui faire plaisir. Un jour, elle lui offrit un petit bonnet de velours rouge, qui lui allait
si bien qu’elle ne voulut plus en porter d’autre. Du coup, on l’appela « Chaperon Rouge ».
Un jour, sa mère lui dit : « Viens voir, Chaperon Rouge : voici un morceau de gâteau et une
bouteille de vin. Porte-les à ta grand-mère ; elle est malade et faible ; elle s’en délectera ; fais vite,
avant qu’il ne fasse trop chaud. Et quand tu seras en chemin, sois bien sage et ne t’écarte pas de ta
route, sinon tu casserais la bouteille et ta grand-mère n’aurait plus rien. Et quand tu arriveras chez elle,
n’oublie pas de dire « bonjour » et ne va pas fureter dans tous les coins.
− Je ferai tout comme il faut », dit le Petit Chaperon Rouge à sa mère. La fillette lui dit au revoir. La
grand-mère habitait loin, au milieu de la forêt, à une demi-heure du village. Lorsque le petit Chaperon
Rouge arriva dans le bois, il rencontra le Loup. Mais il ne savait pas que c’était une vilaine bête et ne le
craignait point. « Bonjour, Chaperon Rouge », dit le Loup. « Bien merci, Loup, dit le Chaperon Rouge.
− Où donc vas-tu si tôt, Chaperon Rouge ?
− Chez ma grand-mère.
− Que portes-tu dans ton panier ?
− Du gâteau et du vin. Hier nous avons fait de la pâtisserie, et ça fera du bien à ma grand-mère. Ça la
fortifiera.
− Où habite donc ta grand-mère, Chaperon Rouge ?
− Oh ! à un bon quart d’heure d’ici, dans la forêt. Sa maison se trouve sous les trois gros chênes. En
dessous, il y a une haie de noisetiers, tu sais bien ? » dit le petit Chaperon Rouge. Le Loup se dit : «
Voilà un mets bien jeune et bien tendre, un vrai régal ! Il sera encore bien meilleur que la vieille. Il faut
que je m’y prenne adroitement pour les attraper toutes les deux ! » Il l’accompagna un bout de chemin et
dit : « Chaperon Rouge, vois ces belles fleurs autour de nous. Pourquoi ne les regardes-tu pas ? J’ai
l'impression que tu n’écoutes même pas comme les oiseaux chantent joliment. Tu marches comme si tu
allais à l’école, alors que tout est si beau, ici, dans la forêt ! »
Le petit Chaperon Rouge ouvrit les yeux et lorsqu’elle vit comment les rayons du soleil dansaient de-
ci, de-là à travers les arbres, et combien tout était plein de fleurs, elle pensa : « Si j’apportais à ma grand-
mère un beau bouquet de fleurs, ça lui ferait bien plaisir. Il est encore si tôt que j’arriverai bien à
l’heure. »
Elle quitta le chemin, pénétra dans le bois et cueillit des fleurs. Et, chaque fois qu’elle en avait cueilli
une, elle se disait : « Plus loin, j’en vois une plus belle » ; et elle y allait et s’enfonçait toujours plus
profondément dans la forêt. Le Loup, lui, courait tout droit vers la maison de la grand-mère. Il frappa à la
porte.
« Qui est là ?
− C’est le petit Chaperon Rouge qui t’apporte du gâteau et du vin.
− Tire la chevillette, dit la grand-mère. Je suis trop faible et ne peux me lever. » Le Loup tire la
chevillette, la porte s’ouvre et sans dire un mot, il s’approche du lit de la grand-mère et l’avale. Il enfile
ses habits, met sa coiffe, se couche dans son lit et tire les rideaux.
Pendant ce temps, le petit Chaperon Rouge avait fait la chasse aux fleurs. Lorsque la fillette en eut
tant qu’elle pouvait à peine les porter, elle se souvint soudain de sa grand-mère et reprit la route pour se
rendre auprès d’elle. Elle fut très étonnée de voir la porte ouverte. Et lorsqu’elle entra dans la chambre,
cela lui sembla si curieux qu’elle se dit : « Mon Dieu, comme je suis craintive aujourd’hui. Et,
cependant, d’habitude, je suis si contente d’être auprès de ma grand-mère ! » Elle s’écria : « Bonjour ! »
Mais nulle réponse. Elle s’approcha du lit et tira les rideaux. La grand-mère y était couchée, sa coiffe
tirée très bas sur son visage. Elle avait l’air bizarre. « Oh ! grand-mère, comme tu as de grandes oreilles.
− C’est pour mieux t’entendre...
− Oh ! grand-mère, comme tu as de grands yeux !
− C’est pour mieux te voir !
− Oh ! grand-mère, comme tu as de grandes mains !

165
− C’est pour mieux t’étreindre...
− Mais, grand-mère, comme tu as une horrible et grande bouche !
− C’est pour mieux te manger ! »
À peine le Loup eut-il prononcé ces mots, qu’il bondit du lit et avala le pauvre petit Chaperon Rouge.
Lorsque le Loup eut apaisé sa faim, il se recoucha, s’endormit et commença à ronfler bruyamment.
Un chasseur passait justement devant la maison. Il se dit : « Comme cette vieille femme ronfle ! Il faut
que je voie si elle a besoin de quelque chose. » Il entre dans la chambre et quand il arrive devant le lit, il
voit que c’est un Loup qui y est couché.
« Ah ! c’est toi, bandit ! dit-il. Voilà bien longtemps que je te cherche... »
Il se prépare à faire feu lorsque tout à coup l’idée lui vient que le Loup pourrait bien avoir avalé la
grand-mère et qu’il serait peut-être encore possible de la sauver. Il ne tire pas, mais prend des ciseaux et
commence à ouvrir le ventre du Loup endormi. À peine avait-il donné quelques coups de ciseaux qu’il
aperçoit le Chaperon Rouge. Quelques coups encore et la voilà qui sort du Loup et dit : « Ah ! comme
j’ai eu peur ! Comme il faisait sombre dans le ventre du Loup ! » Et voilà que la grand-mère sort à son
tour, pouvant à peine respirer. Le petit Chaperon Rouge se hâte de chercher de grosses pierres. Ils en
remplissent le ventre du Loup. Lorsque celui-ci se réveilla, il voulut s’enfuir. Mais les pierres étaient si
lourdes qu’il s’écrasa par terre et mourut.
Ils étaient bien contents tous les trois : le chasseur dépouilla le Loup et l’emporta chez lui. La grand-
mère mangea le gâteau et but le vin que le petit Chaperon Rouge avait apportés. Elle s’en trouva toute
ragaillardie. Le petit Chaperon Rouge cependant pensait : « Je ne quitterai plus jamais mon chemin pour
aller me promener dans la forêt, quand ma maman me l’aura interdit. »

Jacob et Wihelm Grimm,


Contes de l’enfance et du foyer, 1812.

(Contes merveilleux, traduit de l’allemand par Janine Boissard,


Paris, Librairie Générale Française, « Le livre de poche », 1987, p. 69-73)

Suite du conte, proposée dans certaines éditions :

On raconte encore qu’une autre fois, quand le Petit Chaperon rouge apportait de nouveau de la
galette à sa vieille grand-mère, un autre loup essaya de la distraire et de la faire sortir du chemin. Mais
elle s’en garda bien et continua à marcher tout droit. Arrivée chez sa grand-mère, elle lui raconta bien
vite que le loup était venu à sa rencontre et qu’il lui avait souhaité le bonjour, mais qu’il l’avait regardée
avec des yeux si méchants :
– Si je n’avais pas été sur la grand-route, il m’aurait dévorée ! ajouta-t-elle.
– Viens, lui dit sa grand-mère, nous allons fermer la porte et bien la cadenasser pour qu’il ne puisse
pas entrer ici.
Peu après, le loup frappait à la porte et criait :
– Ouvre-moi, grand-mère ! c’est moi, le Petit Chaperon rouge, qui t’apporte des gâteaux !
Mais les deux gardèrent le silence et n’ouvrirent point la porte. Tête-Grise fit alors plusieurs fois le
tour de la maison à pas feutrés, et, pour finir, il sauta sur le toit, décidé à attendre jusqu’au soir, quand le
Petit Chaperon rouge sortirait, pour profiter de l’obscurité et l’engloutir. Mais la grand-mère se douta
bien de ses intentions.
– Prends le seau, mon enfant, dit-elle au Petit Chaperon rouge ; j’ai fait cuire des saucisses hier, et tu
vas porter l’eau de cuisson dans la grande auge de pierre qui est devant l’entrée de la maison.
Le Petit Chaperon rouge en porta tant et tant de seaux que, pour finir, l’auge était pleine. Alors la
bonne odeur de la saucisse vint caresser les narines du loup jusque sur le toit. Il se pencha si bien en
tendant le cou, qu’à la fin il glissa et ne put plus se retenir. Il glissa du toit et tomba droit dans l’auge de
pierre où il se noya. Allègrement, le Petit Chaperon rouge regagna sa maison, et personne ne lui fit le
moindre mal.

Jacob et Wihelm Grimm,


(Pierre Erny, Sur les traces du Petit Chaperon Rouge. Un itinéraire dans la forêt des contes, Paris,
L’Harmattan, 2003, p. 21-22)

166
Annexe 2 : version de Tony Ross

LE PETIT CHAPERON ROUGE


Raconté et illustré par Tony Ross
Traduction de Marie-Raymond Farré

p. 4 Il était une fois une petite fille aux bottes rouges qui vivait à l’orée de la forêt.
Son père, qui était bûcheron, lui avait offert une hachette.
Souvent, la petite fille l’accompagnait dans les bois et cognait, cognait contre les énormes
troncs.
p. 5 Pendant ce temps, son père en profitait pour fumer tranquillement une cigarette. « Plus tard,
disait-il, tu seras une fameuse bûcheronne ! »
p. 6 Le dimanche après-midi, la petite fille allait chez sa grand-mère qui habitait une chaumière au
cœur de la forêt.
Un jour, la vieille dame lui confectionna une jolie cape assortie à ses bottes. Une cape avec un
chaperon rouge !
p. 8 Pour son anniversaire, ses parents lui offrirent un beau vélo. Ah, elle avait fière allure, cette
petite fille, pédalant à travers champs, toute rouge sur son vélo rouge !
« Attention aux terriers ! » criait son père.
p. 10 « Attention à nos petits ! » glapissaient les lièvres.
Mais elle filait si vite qu’on ne voyait d’elle que son chaperon. Et c’est ainsi qu’on la surnomma
le Petit Chaperon rouge.
Un bon dimanche d’été, le Petit Chaperon rouge se préparait pour aller voir sa grand-mère.
« Prends ce cabas, lui dit sa mère. Je l’ai rempli de bonnes choses, des tartes croustillantes, des
chocolats fondants et une bouteille de bière. »
p. 11 Le Petit Chaperon rouge se mit en route.
« Au revoir, petite ! crièrent ses parents. Va, cours, vol, droit chez ta mère-grand !
Mais en chemin, la petite fille sautillait et sifflotait sans se presser.
p. 12 Soudain, elle aperçut un énorme chien qui dormait profondément sous un arbre. L’énorme chien
était en vérité un loup mais le Petit Chaperon rouge n’en savait rien. Pour s’amuser, elle se mit à
lui chatouiller le nez avec une brindille.
p. 14 Le loup ouvrit un petit œil en vrille.
« Quelle chance ! songea le loup qui était mort de faim, le Petit Chaperon rouge ! »
« Où vas-tu, ma belle enfant ? dit-il à haute voix.
– Chez mère-grand, au cœur de la forêt, répondit le Petit Chaperon rouge.
– Et qu’y a-t-il, dans ton cabas ? demanda le loup.
– Des tartes croustillantes, des chocolats fondants et une bouteille de bière.
– Quel lourd fardeau pour tes maigres épaules ! reprit le perfide
p. 15 animal. Repose-toi donc un moment. »
Le soleil brillait… et la proposition du loup était bien tentante. Le Petit Chaperon rouge s’assit
sur un tronc d’arbre et se mit à tresser des guirlandes de pâquerettes.
p. 16 Le loup s’éclipsa en un clin d’œil. Il courut, courut jusqu’au cœur de la forêt.
« D’abord, je croque mère-grand, songeait-il, puis le Petit Chaperon rouge, et je termine par les
tartes et les chocolats fondants. »
p. 18 Le loup sonna à la porte de la chaumière.
La grand-mère venait juste de s’installer devant la télévision pour regarder son feuilleton
préféré.
« Qui est là ? » marmonna-t-elle, furieuse d’être dérangée.
Le loup fourra son museau dans la boîte aux lettres et murmura d’une petite voix de souris :
p. 19 « C’est moi, le Petit Chaperon rouge ! »
Le visage de mère-grand s’illumina.
« Entre donc, mon enfant ! » s’écria-t-elle.
p. 20 Le loup se précipita sur la vieille dame et n’en fit qu’une bouchée. Une petite bouchée car
grand-mère n’était pas bien grosse. Puis le loup grimpa dans la chambre, au premier étage.
167
Il enfonça un bonnet de dentelles sur ses oreilles, enfila une chemise de nuit rose et se glissa au
lit.
En apercevant son reflet dans le miroir, il se dit en riant qu’il ne ressemblait guère à une grand-
mère…
p. 21 Alors il éteignit la lumière et attendit le Petit Chaperon rouge.
p. 22 Le soleil se couchait lorsque la petite fille sonna à la porte.
« Entre donc, mon enfant ! cria le loup en imitant la voix de l’aïeule. Je suis couchée ! »
Le Petit Chaperon rouge trottina jusqu’à la chambre et sauta sur le lit.
Le loup essayait bien de cacher son museau poilu mais une oreille dépassait de son bonnet.
p. 23 « Oh, mère-grand ! s’écria la petite fille. Comme tu as de grandes oreilles !
– C’est pour mieux entendre, mon enfant ! » marmonna le loup.
p. 24 Le Petit Chaperon rouge regarda sa grand-mère dans le blanc des yeux.
« Et comme tu as de grands yeux !
– C’est pour mieux voir, mon enfant ! » grommela le loup.
p. 25 Alors, le Petit Chaperon rouge saisit la patte du loup.
« Oh, mère-grand, comme tu as de grosses mains !
– C’est pour mieux embrasser, mon enfant ! » gronda le loup. Ses canines étincelèrent.
« Et… et… comme tu as de grandes dents ! bredouilla la petite fille.
p. 26 – C’est pour te manger, mon enfant ! » hurla le loup.
D’un bond, il se jeta sur le Petit Chaperon rouge et n’en fit qu’une bouchée.
p. 27 Puis il avala les tartes croustillantes, les chocolats fondants et vida la bouteille de bière.
p. 28 Le loup descendit au rez-de-chaussée en titubant puis s’écroula, la panse pleine.
p. 29 Le bûcheron, inquiet de ne pas voir revenir sa fille, était parti la chercher dans les bois.
Sa cognée à l’épaule, il marchait à grands pas.
p. 30 Le bûcheron glissa un coup d’œil par la porte entrouverte de la chaumière. Il découvrit le loup
qui ronflait par terre, le ventre en l’air.
En voyant son énorme ventre, le bûcheron comprit tout. Et pan ! il assomma le loup.
p. 31 Puis il attrapa l’animal par les pattes et le secoua vigoureusement. Le Petit Chaperon rouge et
mère-grand sortirent de la gueule du loup, saines et sauves !
p. 32 Le loup fut bien étonné, à son réveil. Mère-grand et le Petit Chaperon rouge le bombardaient de
projectiles.
p. 33 Elles qu’il venait juste de croquer ! Et les animaux s’étaient mis de la partie car il n’était guère
leur ami !
p. 34 Le bûcheron ramena le Petit Chaperon rouge et mère-grand à la maison. La mère leur prépara
un succulent souper pour les réconforter.
Le loup quitta le pays où il avait de trop cuisants souvenirs. Il décida, dorénavant, de ne plus
manger personne et devint végétarien…
Depuis, il cultive son jardin.
Tony Ross
© Gallimard, « Folio Benjamin », 1980.

168
Annexe 3 : notre version

En prolongement de notre étude théorique, nous avons été tenté d’inventer notre propre Petit Chaperon rouge.
Cette expérience nous montre que le plaisir de l’écriture est tout aussi intense que le plaisir de la lecture. Notre
prétention n’est pas ici de rivaliser avec les grands auteurs, mais simplement de nous amuser, nous aussi, à jouer
avec les codes et à renverser les stéréotypes.

PCR COMPANY

Il était une fois une vieille grand-mère qui vivait au fin fond d’une forêt. Tout le monde l’appelait
Mamie Charlotte. Elle avait les cheveux blancs tirés en chignon serré. Pourtant, ce n’était pas une grand-
mère comme les autres. Loin de là. Mamie Charlotte ne s’était jamais enfermée dans sa cuisine les après-
midi d’été pour y confectionner des confitures. Elle n’avait jamais non plus rempli de sucreries les
poches de ses petits-enfants en leur murmurant à l’oreille « Surtout, ne le dites pas à votre mère ! » À
vrai dire, peu importait à Mamie Charlotte de ressembler à une grand-mère vraie de vraie.
Mamie Charlotte n’avait qu’une obsession : écrire des histoires. Toutes sortes d’histoires. Des
histoires avec des tueurs en série dissimulant les cadavres de leurs victimes pour échapper aux
enquêteurs les plus perspicaces. Des histoires avec de jolies jeunes filles amoureuses séduites par de
mystérieux aventuriers. Des histoires avec des chevaliers partant à la conquête des mondes inconnus. Des
histoires qui faisaient trembler, pleurer, rire et puis aussi rêver. Bref des histoires qui savaient tenir en
haleine leurs lecteurs comme jamais aucun récit n’aurait mieux su le faire.
Le talent de Mamie Charlotte n’avait pas trompé son public. Dès ses premières publications elle était
devenue un auteur à succès – un écrivain à best sellers comme ils disaient dans les journaux. Ses livres
étaient traduits dans toutes les langues de la planète et on avait lu à tous les enfants du monde au moins
une de ses histoires. Les livres qu’elle avait publiés s’entassaient sur les étagères de sa petite maison. Il y
en avait tant qu’elle avait dû en disposer dans les placards de sa cuisine, là où, justement, on se serait
attendu à trouver des pots de confiture si elle avait été une grand-mère ordinaire.
Le succès de Mamie Charlotte était si grand qu’il avait même éclipsé celui d’un de ses lointains
ancêtres, M. Charles Perrault. Ce Perrault avait, autrefois, disait-on, écrit des contes qui étaient si fameux
qu’ils avaient pendant des siècles portés son nom sur les couvertures des livres pour enfants. Mais
aujourd’hui, plus personne ne se souvenait de ce nom. En fait, sans exagérer, Mamie Charlotte était
certainement le plus grand écrivain de tous les temps.
Seulement voilà : un écrivain qui n’écrit plus est-il encore un écrivain ? Car c’est ce qui arrivait à
Mamie Charlotte depuis quelques mois. Elle était à court d’inspiration. Le matin, elle s’asseyait à son
bureau, y déposait une feuille blanche immaculée et dégainait son plus beau stylo, et… et rien ! Rien ne
venait. Aucune idée, rien. La matinée égrainait ses heures et Mamie Charlotte attendait que des phrases
inspirées viennent se dérouler sous sa plume. Mais son imagination tournait à vide et rien ne sortait de
son esprit : aucun héros fabuleux combattant les Forces Maléfiques, aucun prince charmant galopant sur
un blanc cheval pour venir sauver une Belle, aucune fée mystérieuse n’ayant le désir de jeter de
magiques sorts sur un crapaud joufflu. Pour une raison incompréhensible, Mamie Charlotte avait perdu
sa riche imagination et n’était plus capable d’écrire la moindre ligne. Elle avait beau tourner et tourner
les mots dans sa tête, rien n’en sortait. Pour se donner du courage, elle écrivait sur sa feuille blanche « Il
était une fois ». Mais elle ne parvenait jamais à finir sa phrase et à construire une histoire derrière cette
formule magique qui, jusque là, avait su se montrer à la hauteur des débuts prometteurs de ses contes les
plus célèbres.
Est-ce le temps qui, en passant, tarit les sources les plus prolifiques ? Est-ce la vieillesse qui, déjà,
était venue tourmenter l’esprit jusque là si fertile de Mamie Charlotte ? Quoi qu’il en soit, depuis
plusieurs mois, Mamie Charlotte ne parvenait plus à écrire une seule ligne.

Un matin, alors que Mamie Charlotte prenait son petit déjeuner devant le journal, une petite annonce,
inscrite en fines lettres entre deux publicités accrocheuses, attira son attention. L’annonce était ainsi
rédigée :

169
Écrivains, romanciers, conteurs !
Vous êtes à court d’inspiration ? Contactez PCR Company
immédiatement : les Professionnels des Conseils aux Romanciers
viendront jusqu’à vous pour réanimer votre plume !
Suivait un numéro de téléphone.
Sans réfléchir, Mamie Charlotte se précipita sur son téléphone, le cœur empli d’espoir. Elle ignorait
tout de cette mystérieuse « PCR Company ». Mais elle avait été si désespérée ces dernières semaines
devant sa feuille blanche qu’elle était prête à tout pour qu’enfin l’inspiration lui revienne et qu’elle puisse
à nouveau retrouver son imagination si prolifique par le passé.
Mamie Charlotte composa fébrilement les dix numéros de son correspondant. Au bout de la
quatrième sonnerie, on décrocha enfin.
– PCR Company, la compagnie des Professionnels des Conseils aux Romanciers, bonjour ! répondit
à l’autre bout du fil une voix féminine pleine d’assurance.
Mamie Charlotte était bien moins sûre d’elle. Elle bredouilla :
– Euh, oui, il paraît que vous aidez les romanciers à court d’inspiration…
– En effet, Madame ! Nous sommes les spécialistes du conseil littéraire et venons au secours des
écrivains en panne d’inspiration. Nous avons ainsi secouru des tas de romanciers en détresse et plus d’un,
grâce à nous, a réussi à obtenir un prix littéraire convoité. Que puis-je faire pour vous, Madame ?
Le cœur battant, Mamie Charlotte expliqua sa situation en quelques mots. La voix au téléphone ne
lui laissa pas même le temps de finir :
– Vous avez composé le bon numéro, Madame ! Nous proposons à nos clients des offres spéciales,
utilisables immédiatement dès leur livraison. Nous avons toute une gamme de packs : pack Science-
fiction, pack Thriller, pack Contes de fées…
– Ah oui, c’est le pack Contes de fées que je veux ! s’écria Mamie Charlotte sans laisser à son
interlocutrice l’occasion de continuer à faire l’article.
– Vous avez fait un bon choix, Madame. Cette offre est la meilleure. Nous avons ce modèle en deux
options : option « Ogres et Géants » ou option « Loups et Forêts ». Avez-vous une préférence ?
Mamie Charlotte hésitait. Elle n’avait pas l’habitude de choisir ainsi les idées de ses romans sur
catalogue. Prise de court, elle finit par choisir la seconde option – « Loups et Forêts ».
Dès le choix effectué, la voix au téléphone expliqua les modalités de la livraison :
– Nous assurons la livraison à domicile en moins de 24 heures chrono. Avec un supplément minime,
vous pouvez bénéficier du service express qui vous garantit une livraison en moins d’une heure. Où
habitez-vous ?
– 10 chemin des Aiguilles.
– Ah mais ça tombe bien Madame ! C’est ma fille qui assure les livraisons dans ce secteur et elle se
trouve justement en ce moment même chez un client, à deux pas de chez vous, chemin des Épingles. Elle
peut être chez vous d’ici dix minutes. Vous la reconnaîtrez facilement : elle porte l’uniforme de la PCR
Company, tout en rouge.
– D’accord, je l’attends !
– Ah, un dernier mot ! Ne vous étonnez pas si ma fille porte avec elle un panier avec un petit pot de
beurre et une galette. Nous assurons également les services de livraison de pâtisseries en tout genre…
Vous savez ce que c’est, aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, il faut diversifier son offre quand on
est commerçant, pour pouvoir survivre…
Les considérations mercantiles de son interlocutrice intéressaient peu Mamie Charlotte. Elle tenta de
mettre fin à la conversation. Mais la dame de la PCR Company était une excellente vendeuse :
– Souhaitez-vous en profiter pour commander un petit pot de beurre ? Nous faisons des petits pots de
beurre allégé, avec 0 % de matières grasses, mais riche en Oméga 3, 4 et 6. Le tout pour seulement
29,99 € ! C’est une offre promotionnelle à ne pas manquer !
Mamie Charlotte maugréa qu’elle était d’accord, plus pour accélérer le boniment commercial de la
vendeuse que par réelle gourmandise, et elle se mit à attendre la livraison promise.

Mamie Charlotte n’eut pas beaucoup à attendre. Quelques minutes après avoir raccroché le combiné
téléphonique, on sonna à la porte.
– Tirez la chevillette et la bobinette cherra ! cria Mamie Charlotte depuis son bureau. La maison de
Mamie Charlotte n’était pas très moderne et elle avait encore un système de sonnerie à l’ancienne.

170
Une jeune fille déboula dans la petite maison de Mamie Charlotte. Pantalon rouge, tee-shirt rouge,
chaussures (et chaussettes) rouges. Difficile de ne pas s’apercevoir que la couleur d’identification de la
PCR Company était le rouge !
– PCR Company ! Livraison express ! Livraison express ! s’exclama la jeune livreuse sans même
dire bonjour ni se présenter.
Le visage de la jeune fille (qui répondait au nom de Rosine) était encadré par deux longues nattes
blondes. Un petit sourire ironique s’affichait sur ses lèvres, ce qui lui donnait un air doucement espiègle.
– Alors Mamie, t’as commandé le pack « Loups et Forêts » ? T’es prête pour la livraison ?
La familiarité dont faisait preuve la jeune fille n’échappa pas à Mamie Charlotte qui, en temps
ordinaire, était toujours la première à rouspéter contre les insolences irrespectueuses de la jeunesse. Mais
Mamie Charlotte attendait trop de cette visite pour qu’elle puisse penser à infliger à son hôte des leçons
de bonnes manières.
Rosine portait à son bras un lourd panier d’osier qu’elle avait hâte de poser.
– Ça te dérange pas Mamie si je m’installe sur ton bureau ?
Sans attendre la réponse, la jeune fille poussa les quelques livres qui recouvrait le grand bureau de
Mamie Charlotte, y déposa à la place son panier et, sur le seul coin qui restait libre, s’assit
confortablement en croisant les jambes.
– On peut y aller ? dit-elle dans une question qui ressemblait plutôt à un ordre.
Mamie Charlotte, un peu perdue, murmura timidement :
– Euh, je me mets où, moi ?
Rosine haussa les épaules, excédée :
– Ben fous toi derrière ton bureau voyons ! Là, tu vois, y reste de la place ! N’oublie pas que je suis
là pour que tu te mettes à écrire. Je ne vais pas tout faire à ta place quand même ! Prends une feuille
blanche, un crayon et tiens-toi prête !
Prête à quoi ? Mamie Charlotte l’ignorait. À vrai dire, elle était complètement perdue. D’habitude,
lorsqu’elle écrivait, elle s’enfermait dans son bureau, ne supportait aucune présence, et hurlait dès qu’elle
entendait le moindre bruit venant la déranger dans son inspiration. Écrire sous la commande impérieuse
d’une gamine insolente était pour elle une expérience surréaliste. Mais docilement, Mamie Charlotte
s’assit sur son grand fauteuil et cala sur l’espace du bureau une feuille vierge qui se glissa sous un bout
des fesses de Rosine. Car la jeune fille déjà prenait ses aises et s’étalait négligemment sur le bureau de
Mamie Charlotte.
Rosine farfouilla dans son panier. Elle en sortit un tas de petits cailloux qu’elle s’apprêta à déposer
sur la feuille blanche de la grand-mère.
– Ah, mais je suis bête, c’est pas le pack « Ogres et Géants » que t’as demandé, n’est-ce pas ? Alors,
les maudits cailloux du Poucet, on s’en fiche !
Rosine envoya valdinguer à l’autre bout de la pièce les cailloux qui roulèrent jusqu’à la cuisine. Elle
se remit à fouiller dans son sac. Elle en sortit une peau d’âne et un moule à gâteau qui subirent le même
sort que le tas de cailloux, et cria « aïe ! » en se piquant le bout du doigt avec un fuseau pointu, tandis
qu’une petite grenouille verte profitait du tremblement de terre qui remuait tout le panier pour s’en
échapper discrètement.
– Ah là là, faudrait mettre un peu d’ordre là dedans ! rouspéta-t-elle après elle-même.
Enfin, tout à coup, son regard s’illumina. Elle brandit un petit chapeau tout rouge et s’écria :
– Ça y est, j’ai réussi à mettre la main dessus !
Rosine posa le petit capuchon rouge sur sa tête et prit brusquement une apparence sérieuse,
ressemblant à celle d’une institutrice ultra sévère.
– Alors Mamie, je dicte. Écoute-bien et écris ! affirma la jeune fille, en prenant un ton assuré. Puis,
comme une maîtresse à l’école, elle commença la dictée, récitant lentement et séparant chaque syllabe
pour mieux suivre le rythme d’écriture :
– Il é-tait u-neu fois… u-neu peu-ti-teu fi-lleu qui s’ap-peu-lêêê leu Pe-tit Cha-peu-rond rou-geu et
qui é-tait fol-leu… Voilà, tu y es ? poursuivit Rosine, en reprenant sa voix normale.
Mamie Charlotte, qui soudain se croyait revenue soixante-dix ans en arrière au temps de sa prime
jeunesse, écrivait scrupuleusement les mots de Rosine, sans oser rien dire. On voyait même un bout de sa
langue dépasser de ses lèvres, tant elle s’appliquait avec soin à la dictée. Comme Rosine avait fini sa
phrase, la vieille dame tenait le stylo en l’air, attendant la suite. Mais la suite ne venait pas. Rosine avait
quitté son air docte et repris ses manières de petite peste :
– Eh, mais Mamie, je vais pas tout te mâcher le travail ! Maintenant, c’est à toi ! Je t’ai donné le
début, à toi de continuer ! À la PCR Company, on respecte la personnalité des auteurs et on les aide à

171
écrire, on ne leur offre pas sur un plateau des textes tout faits. Je suis là pour t’inspirer, pas pour que tu
pompes mes phrases !
Comme prise en faute, Mamie Charlotte baissa la tête. Elle relut plusieurs fois la phrase que lui avait
dictée Rosine. « Il était une fois une petite fille qui s’appelait le Petit Chaperon rouge et qui était
folle… » Le Petit Chaperon rouge, le Petit Chaperon rouge… ce nom-là disait quelque chose à Mamie
Charlotte. Mais impossible de se souvenir d’où ça pouvait bien venir. Qu’est-ce qu’on pouvait bien dire
sur ce… sur ce comment déjà ? ah oui ! ce Petit Chaperon rouge. Rien ne venait à l’esprit de la
romancière. Aucune image, aucune idée. Rien. Non, vraiment, cette première phrase ne lui inspirait rien
du tout. Elle leva les yeux vers Rosine, qui la regardait de haut, l’air moqueur.
– Bon, Mamie, t’es vraiment un cas désespéré ! D’habitude, les écrivains qu’on aide ne sont pas
autant à sec et il leur suffit d’un petit coup de pouce. Allez, je vais t’aider un peu plus ! Regarde moi :
j’ai mis le chaperon sur la tête. On va dire que je suis le Chaperon rouge. Voilà, t’as plus qu’à décrire ce
que tu vois !
Pour se montrer plus convaincante, Rosine joint le geste à la parole. Elle sauta du bureau et se mit à
marcher dans la pièce, en tenant à bout de bras son petit panier de paille. Elle fit plusieurs fois l’aller-
retour sous le nez de Mamie Charlotte, défilant en minaudant, comme si elle était un top-modèle sur un
podium. Tout à coup, elle s’arrêta, fit un clin d’œil en direction de la grand-mère et sortit de son panier
un petit pot de beurre et une galette. Elle goûta un bout de la galette et déclama, sur un ton mécanique,
comme la mauvaise actrice d’une mauvaise pièce : « hum, c’est délicieux ! je m’en vais chez ma Mère-
Grand malade pour lui faire goûter d’un peu de ma galette au beurre ! » Puis Rosine reprit son air
habituel et alla se poser derrière l’épaule de Mamie Charlotte :
– Ben voilà, tu peux écrire ce que t’as vu ! Y’a plus qu’à !
Y’a plus qu’à, y’a plus qu’à ! Facile à dire !
Mais enfin la plume de Mamie Charlotte se dérouillait. Elle tourna la tête vers Rosine qui avait repris
sa démarche élancée devant la cheminée du salon, l’observa de la tête aux pieds avec attention et se mit à
écrire sur sa feuille tout ce qu’elle voyait devant elle. Une fois le premier mot déposé sur le papier, les
autres mots s’enchaînèrent aisément. Mamie Charlotte faisait attention à bien former chaque lettre et
s’appliquait comme une petite fille. Enfin, elle arriva à la dernière phrase : « … et la petite fille se mit en
chemin vers la maison de sa Mère-Grand ! »
– Voilà, Mademoiselle, j’ai fini !
– Ah bon, très bien, rétorqua Rosine, on peut passer à la suite alors !
Rosine se remit à fouiller avec animation au fin fond de son panier. Elle en sortit une sorcière en
plastique au nez crochu (qui faisait « pouic ! » quand on appuyait sur son balai) qu’elle envoya promener
négligemment. Trois porcelets tout roses, un petit pois et un bonhomme de pain d’épices subirent le
même sort.
– Ah, ça y est, j’ai trouvé !
Rosine tenait entre ses mains un petit loup en peluche. Un loup tout noir, avec de petites oreilles
pointues et des pattes finissant par des griffes. Mais un loup qui, avec le coton moelleux qui rembourrait
son ventre, n’avait rien de bien terrifiant. La peluche était même drôlement mignonne. On en oubliait
facilement que c’était un loup et on avait envie de la blottir dans ses bras.
– Bon, OK, je sais, mon loup ne fait pas trop vrai ! Mais depuis que Garou, notre employé loup, a
démissionné pour aller manger les brebis dans les Alpilles, on n’a pas réussi à embaucher quelqu’un
d’autre pour prendre sa place. Il paraît que Garou, dans son nouveau boulot, mange dix fois plus de chair
fraîche. Mais nous, ça ne nous arrange vraiment pas cette démission.
Mamie Charlotte prit un regard compatissant. Mais elle était bien contente que ce ne soit pas un vrai
loup. Elle avait plutôt des mauvais souvenirs de cet animal férocement carnivore.
La jeune Rosine posa le loup en peluche sur un coin du bureau de Mamie Charlotte et expliqua sa
mise en scène :
– Alors tu vois, le petit Chaperon rouge, il rencontre le loup. Ils discutent ensemble et tous les deux
ils décident de faire la course jusqu’à la maison de la grand-mère. Le loup arrive ensuite chez la mamie,
et là... Tiens, pour t’aider à décrire l’épisode de la course du loup, je peux te passer le DVD de l’épreuve
de course à pied des derniers Jeux Olympiques, si tu veux.
– Euh, non, marmonna Mamie Charlotte, ce ne sera pas nécessaire !
Mamie Charlotte avait compris le principe et arrivait désormais à imaginer aisément la scène. Elle
reprit sa plume et dessina les mots sur sa feuille :
« … Le Loup se met à courir de toute sa force par le chemin le plus court. Il ne met pas
longtemps à arriver à la maison de la Mère-grand et tape à la porte : Toc, toc.

172
− Qui est là ?
− C’est votre fille, le petit chaperon rouge (dit le Loup en contrefaisant sa voix) qui vous apporte
une galette et un petit pot de beurre que ma Mère vous envoie.
La bonne Mère-grand lui crie : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. »
Le Loup tire la chevillette, et la porte s’ouvre… »
Mamie Charlotte en était très exactement arrivée à cette phrase de son récit, quand soudain…
Soudain…
Soudain, un énorme loup sortit de la page sur laquelle Mamie Charlotte écrivait. Quand je dis
« énorme », c’est vraiment « énorme » : rien à voir avec le loup en peluche de Rosine. De longs crocs
pointus, un regard noir perçant, des griffes aussi coupantes que des couteaux. Le loup qu’avait créé
Mamie Charlotte dans son histoire était particulièrement horrible à voir. Mais Mamie Charlotte n’eut pas
l’occasion de le regarder bien longtemps : en moins de temps qu’il ne faut pour prendre peur, l’animal
avait déjà croqué la vieille dame.
Disparue, Mamie Charlotte. Disparue dans le ventre du loup qu’elle avait elle-même imaginé.
Durant cette terrible scène, Rosine était dans la cuisine pour se préparer des tartines de beurre (sans
confiture, car elle n’en avait pas trouvée dans les placards). Lorsqu’elle revint dans le bureau, elle
aperçut l’énorme loup qui était assis sur le tapis. Il se léchait les babines avec gourmandise. Pas trop
effrayée, mais un petit peu quand même, Rosine s’adressa à l’animal :
− Oh, Loup, comme tu as de grandes pattes !
Nulle réponse ne vint. Le loup, né du papier et de l’imagination de Mamie Charlotte, n’avait pas le
pouvoir de parler. Seule Mamie Charlotte, sa créatrice, aurait pu lui permettre d’établir un dialogue avec
la fillette. Mais là où était Mamie Charlotte, elle ne pouvait plus grand-chose.
− Oh, Loup, comme tu as de grandes oreilles ! Et puis de grands yeux aussi ! Et… et de grandes
dents !
À ces mots, le loup se jeta sur la jeune fille et la dévora.
À son tour, Rosine avait disparu dans le ventre du loup. Il ne restait de Rosine plus que le chapeau
rouge qu’elle avait revêtu pour mimer l’histoire du Petit Chaperon rouge. Le petit pot de beurre entamé,
qui traînait encore sur la table de la cuisine (Rosine n’était pas une petite fille très ordonnée), était la
seconde trace de son passage dans la maison de Mamie Charlotte.
Quant au loup, il était repu. Il s’allongea sur le tapis, s’endormit et se mit à ronfler bruyamment.

Tout aurait pu en rester là, si, quelque temps plus tard, Julie et Olivier, les petits enfants de Mamie
Charlotte, n’avaient justement pas choisi ce jour-là pour rendre une visite impromptue à leur grand-mère.
Les deux enfants revenaient d’un safari au Kenya, où ils avaient chassé avec leurs parents des animaux
sauvages, bien plus horribles encore que le loup.
En arrivant devant la maison de la vieille dame, Julie s’écria, étonnée :
− Tiens, c’est bizarre, la porte est ouverte !
Olivier et Julie entrèrent dans la maison.
− Mamie ! Mamie ! C’est nous, où es-tu ? Nous sommes revenus de voyage !
Mais Mamie Charlotte était introuvable.
− Tu as vu, il y a un pot de beurre ouvert dans la cuisine ! s’intrigua Olivier.
− Et regarde ce bonnet rouge : je n’ai jamais vu Mamie avec ! rétorqua Julie.
Tournant la tête vers le tapis, devant la cheminée, les deux enfants eurent un geste d’effroi. Là,
tranquillement, dormait un énorme loup, au ventre rebondi et aux babines encore souillées de sang.
Olivier, qui était toujours très galant envers sa sœur, se mit devant Julie pour la protéger. Mais le
loup dormait si profondément qu’il était bien loin de faire le moindre geste agressif. Les deux enfants se
calmèrent et se mirent à réfléchir. Mille questions fusaient : d’où venait ce loup ? pourquoi dormait-il
dans le salon ? à qui appartenait le chapeau rouge ? Et surtout : où était Mamie ?
Olivier, qui aimait bien jouer les détectives, s’assit au bureau de Mamie Charlotte et prit un air savant
pour déchiffrer tous les indices qu’il avait repérés dans la maison.
− Voyons, voyons, un petit pot de beurre, un chapeau rouge, un loup… Qu’a-t-il bien pu se passer ?
L’enfant avait bien du mal à interpréter tous ces indices qui lui semblaient sans lien les uns avec les
autres.
Mais Julie, qui avait continué d’observer avec attention la pièce, trouva sur le bureau la feuille sur
laquelle Mamie Charlotte avait commencé son histoire. D’habitude, Mamie Charlotte ne laissait jamais
personne lire une histoire qu’elle n’avait pas encore achevée. Mais Julie avait bien conscience que la

173
situation était exceptionnelle et que sa grand-mère lui pardonnerait bien cette indiscrétion. Elle déchiffra
donc l’écriture fine de sa grand-mère.
− Regarde, Olivier ! Quand elle a disparu, Mamie était en train de raconter une histoire avec une
grand-mère, une fillette à chaperon rouge et un loup. Là, lis la dernière phrase : « Le Loup tire la
chevillette, et la porte s’ouvre… » Tu crois que… ?
Julie n’acheva pas sa phrase et fondit en larmes.
Olivier avait compris la supposition de sa sœur. Il regarda l’énorme ventre du loup et se dit que Julie
avait sûrement raison : Mamie Charlotte avait été dévorée par le loup !
Olivier, qui était très courageux, s’élança dans la cuisine, en ramena une longue paire de ciseaux et
se dirigea vers le loup. Mais avez-vous déjà essayé d’ouvrir le ventre d’un loup qui pèse une tonne ? Il
fallait le mettre sur le dos, pour avoir accès à son ventre, mais c’était impossible pour le petit garçon, tant
l’animal était gros. Comment faire alors pour sauver Mamie Charlotte ?
Julie, bien que moins valeureuse que son frère, était très réfléchie. Elle expliqua à Olivier :
− Si le loup est sorti de l’histoire de Mamie, il doit pouvoir y entrer à nouveau.
Julie poursuivit ses explications, sans tenir compte du geste d’impatience de son frère :
− Si on écrit la suite de l’histoire et que dans l’histoire on tue le loup, on devrait pouvoir arriver à
sauver Mamie !
− Tu crois ? Mais vas-y toi alors ! Moi, je ne suis pas très bon en orthographe !
Aussitôt, Julie poussa son frère du bureau et s’assit à sa place sur le grand fauteuil de Mamie
Charlotte. Elle se pencha sur la feuille de papier et se mit à écrire avec application :
« Olivier et Julie passaient justement devant la maison. Ils entrèrent chez Mamie Charlotte et
virent le Loup, couché sur le tapis. Ils prirent des ciseaux et commencèrent à ouvrir le ventre de
l’animal endormi. À peine avaient-ils donné quelques coups de ciseaux qu’ils aperçurent Mamie
Charlotte. Quelques coups encore et la voilà qui sort du Loup… »
À peine Julie avait-elle écrit ces mots que soudain le papier se mit à trembler. Quelques secondes
plus tard, Mamie Charlotte se trouvait assise sur le bureau. Elle était plutôt mécontente et se frottait le
dos douloureusement :
− Ah, comme on était serré dans cette feuille de papier ! Ce n’est vraiment pas bien confortable ! Et
puis il y fait tout blanc, si bien qu’on ne distingue rien !
Les enfants n’eurent pas même l’idée de s’étonner de la réapparition de leur grand-mère tant ils
étaient contents de la revoir :
− Ah, Mamie ! Comme on a eu peur ! On croyait que tu avais été mangée par le loup…
Olivier tourna la tête vers la cheminée. Mais il n’y avait plus de loup ! Plus aucune trace de l’animal
qui était affalé sur le tapis quelques instants plus tôt !
Mamie Charlotte, qui avait repris ses esprits, expliqua ce qui s’était passé :
− Je crois que j’y suis allée un peu fort dans mon portrait du loup de mon histoire. L’animal était
décrit avec tant de précision qu’il s’est mis à prendre vie et qu’il m’a dévorée !
Mamie Charlotte était un peu embarrassée. N’oubliant pas qu’elle s’adressait à des enfants, elle les
conseilla :
− Il faut être prudents, les enfants, quand on a un stylo dans les mains. Parfois les mots peuvent
devenir vivants et vous attraper malgré vous. Vous savez, quelques fois, la fiction dépasse la réalité…
Mais c’est la faute de cette petite écervelée aussi ! Rosine… Rosine ! Où est Rosine ?
Les enfants ne voyaient pas du tout de qui leur grand-mère voulait parler. Un moment, ils crurent que
son séjour prolongé dans la fiction de papier l’avait rendue folle. Mais Mamie Charlotte, au contraire,
avait toute sa tête.
− Bon, ce n’est pas qu’elle le mérite, cette petite insolente ! Mais ce ne serait pas très sympa de la
laisser là où elle est. Je vais voir ce que je peux faire pour cette petite Rosine…
Mamie Charlotte s’assit de nouveau à son bureau et dégaina le stylo. Sur le papier, elle posa les mots
suivants :
« Le ventre du loup était toujours ouvert. Alors, la fillette, se dit qu’elle ferait bien mieux de
sortir elle aussi du ventre du loup. »
Le stylo en l’air, Mamie Charlotte prit quelques instants pour réfléchir. Un sourire s’afficha sur ses
lèvres. « Allez, j’ose... Au moins, elle deviendra plus sage ! » se dit-elle malicieusement.
Et c’est avec une jubilation non dissimulée, que Mamie Charlotte écrivit la conclusion de son
histoire :

174
« Rosine fit la promesse d’être désormais toujours gentille avec les vieilles dames du nom de
Mamie Charlotte, de toujours leur parler avec respect et d’être toujours à leur service. Une fois
cette résolution prise, elle enjamba la peau du ventre du loup et en sortit… »
À cet instant même, Rosine fut face aux enfants et à Mamie Charlotte. Elle était un peu troublée par
l’étrange séjour qu’elle venait de passer dans ce curieux arrière-monde qu’est une histoire. Mais elle
n’avait pas perdu de son énergie :
− Ah, je suis bien contente d’être sortie de là ! On respire mieux ici !
Par contre, la jeune fille avait bel et bien abandonné son insolence :
− Madame Mamie Charlotte, voudriez-vous une petite galette beurrée pour vous remettre de vos
émotions ? Nous pourrons ensuite reprendre votre travail d’écriture, si vous le voulez bien. Mais veuillez
vous asseoir, Madame ! Je m’occupe de tout !
Mamie Charlotte avait repris confiance en elle. En fait, elle était littéralement aux anges. Finalement,
elle se dit que l’écriture était le plus magique des pouvoirs. Pouvoir bien plus fabuleux que toutes les
potions merveilleuses des fées et des sorcières les plus douées. Une feuille de papier, un crayon, des
idées, des mots… et un monde est créé ! Avez-vous déjà essayé ?
Quoi ? Vous n’aimez pas la fin de mon histoire ? Hé bien, prenez une gomme, un crayon et réécrivez
tout ça. Vous verrez que vous aussi, il vous est donné d’avoir tous les pouvoirs !

Céline Lavignette-Ammoun
([email protected])
Été 2007.

175
TABLE DES ILLUSTRATIONS

Couverture IKHLEF, Anne / GAUTHIER, Alain (illus.), Mon Chaperon rouge, Paris, © Le Seuil, 1998.
Page 1 HELD, Jacqueline et Claude, Chat botté, Chaperon rouge et compagnie, Draguignan,
© Lo Païs d’enfance, 2002.
Page 11 PERRAULT, Charles / DORE, Gustave (illus.), Les Contes, Paris, Jules Hetzel, 1862.
Gravure sur bois par Adolphe-François Pannemaker. BnF, Estampes et Photographie.
Page 18 PERRAULT, Charles / DORE, Gustave (illus.), Les Contes, Paris, Jules Hetzel, 1862.
Gravure sur bois par Adolphe-François Pannemaker. BnF, Estampes et Photographie.
Page 29 CARRER, Chiara, Le Petit Chaperon rouge [La Bambina e il lupo], Genève, © La Joie de
lire, 2005.
Page 31 IKHLEF, Anne / GAUTHIER, Alain (illus.), Mon Chaperon rouge, Paris, © Le Seuil, 1998.
Page 33 LA SALLE, Bruno de/ BATIGNE, Laurence (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Paris, ©
Casterman, « Contes de toujours », 1986.
Page 37 ROSS, Tony, Le Petit Chaperon rouge [The Little Red Riding Hood], traduit par Mary-
Raymond Farré, Paris, © Gallimard, « Folio Benjamin », 1980.
Page 39 LACOMBE, Benjamin, Le Petit Chaperon rouge, Toulon, © Le Soleil Jeunesse, 2003.
Page 55 CLEMENT, Claude / FORESTIER, Isabelle (illus.), Un petit chaperon rouge, © Grasset
Jeunesse, 2000.
Page 58 PENNART de, Geoffroy, Chapeau rond rouge, Paris, © L’école des loisirs, 2005.
Page 59 PEF, Contes comme la lune, Paris, © Messidore La Farandole, 1991.
Page 64 POMMERAT, Joël / LERAY, Marjolaine (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Arles, © Actes
Sud-Papiers, « Heyoka Jeunesse », 2005.
Page 67 PONCELET, Béatrice, Je, le loup et moi…, Genève, © La Joie de lire, 1988.
Page 73 DENDOOVEN, Gerda, Où est Maman ? © Éditions Être, Paris, 2006.
Page 82 PENNART de, Geoffroy, Chapeau rond rouge, Paris, © L’école des loisirs, 2005.
Page 96 BUQUET, Jean-Luc, Le Petit Chaperon rouge. La scène de la chemise de nuit, Paris,
© Autrement Jeunesse, 2006.
Page 99 SOLOTAREFF, Grégoire / NADJA (illus.), Le Petit Chaperon vert, Paris, © L’école des
loisirs, « Mouche », 2000.
Page 104 BRUEL, Christian / JOUAULT, Didier / CLAVELOUX, Nicole (illus.), Rouge, bien rouge,
Paris, © Le sourire qui mord, « Grands petits livres », 1986.
Page 113 JOIRET, Patricia / BRUYERE, Xavier (illus.), Mina je t’aime, Paris, © L’école des loisirs,
« Pastel », 1991.
Pages 123 NADJA, Chaperon rouge, collection privée, Paris, © Éditions Cornélius, 2005.
Page 128 ROSS, Tony, Le Petit Chaperon rouge [The Little Red Riding Hood], traduit par Mary-
(gauche) Raymond Farré, Paris, © Gallimard, collection « Folio Benjamin », 1980.
Page 128 NADJA, Chaperon rouge, collection privée, Paris, © Éditions Cornélius, 2005.
(droite)
Page 139 VAN DE VENDEL, Edward / VANDENABEELE, Isabelle (illus.), Rouge Rouge Petit
Chaperon rouge [Rood Rood Roodkapje], traduit du néerlandais par Daniel Cunin, Rodez,
© Éditions du Rouergue, 2003.
Page 159 ROSS, Tony, Le Petit Chaperon rouge [The Little Red Riding Hood], traduit par Mary-
Raymond Farré, Paris, © Gallimard, « Folio Benjamin », 1980.
Page 163 PERRAULT, Charles, Histoires ou contes du temps passés, avec des moralités, p. 1, BNF
(Cote : BnF-Impr. microfilm R.24829).
Page 167 ROSS, Tony, Le Petit Chaperon rouge [The Little Red Riding Hood], traduit par Mary-
Raymond Farré, Paris, © Gallimard, « Folio Benjamin », 1980.

176
TABLE

Sommaire ............................................................................................... Erreur ! Signet non défini.

Introduction ........................................................................................... Erreur ! Signet non défini.

Première partie : les contes du petit chaperon rouge ........................ Erreur ! Signet non défini.

I) Les origines du petit chaperon rouge .............................................. Erreur ! Signet non défini.
A) Les versions orales ...................................................................... Erreur ! Signet non défini.
1) Un type folklorique répandu ................................................... Erreur ! Signet non défini.
2) Les motifs du conte ................................................................. Erreur ! Signet non défini.
a- Le motif du chemin des Épingles et des Aiguilles .............. Erreur ! Signet non défini.
b- Le motif du repas cannibale ................................................ Erreur ! Signet non défini.
c- Le motif du strip tease et des détails scatologiques ............ Erreur ! Signet non défini.
d- Le dénouement heureux ...................................................... Erreur ! Signet non défini.
3) Le récit de l’initiation à la féminité sur fond de sexe et de mort ........Erreur ! Signet non
défini.
B) La version de Perrault ................................................................. Erreur ! Signet non défini.
1) Le petit chaperon rouge fait son entrée en littérature ............. Erreur ! Signet non défini.
2) Une version expurgée ............................................................. Erreur ! Signet non défini.
3) Un conte d’avertissement pour les enfants ............................. Erreur ! Signet non défini.
C) La version des Grimm ................................................................. Erreur ! Signet non défini.
1) Rotkäppchen ou le petit chaperon rouge allemand ................. Erreur ! Signet non défini.
2) Le travail de réécriture des frères Grimm ............................... Erreur ! Signet non défini.
3) Un « happy end chirurgical » .................................................. Erreur ! Signet non défini.

II) Les versions du Petit Chaperon rouge reprises aujourd’hui ........ Erreur ! Signet non défini.
A) La rareté des reprises des versions orales ................................... Erreur ! Signet non défini.
1) Raisons d’une raréfaction ....................................................... Erreur ! Signet non défini.
2) Motivations du choix de la version orale ................................ Erreur ! Signet non défini.
3) Ambiguïté tragique des textes................................................. Erreur ! Signet non défini.
B) La disparition de Perrault et le triomphe des Grimm .................. Erreur ! Signet non défini.
1) Les Grimm préférés à Perrault ................................................ Erreur ! Signet non défini.
2) Un exemple de reprise : Tony Ross ........................................ Erreur ! Signet non défini.
C) L’oubli des versions originelles : une réécriture du souvenir ..... Erreur ! Signet non défini.
1) L’héritage culturel ................................................................... Erreur ! Signet non défini.
2) L’appropriation des textes et du souvenir ............................... Erreur ! Signet non défini.

III) L’actualité des petits chaperons rouges ....................................... Erreur ! Signet non défini.
A) État des lieux de l’offre éditoriale ............................................... Erreur ! Signet non défini.
1) Les anciens côtoient les modernes : le cas du loup................. Erreur ! Signet non défini.
2) Les différents types de réécritures : de l’adaptation à la réappropriation .. Erreur ! Signet
non défini.
B) La constitution de l’effet d’attente par le paratexte..................... Erreur ! Signet non défini.
1) Les titres .................................................................................. Erreur ! Signet non défini.

177
2) Les dédicaces .......................................................................... Erreur ! Signet non défini.
3) Les préfaces et les postfaces ................................................... Erreur ! Signet non défini.

Deuxième partie : les mutations du petit chaperon rouge ....................................................... 55

I) Le genre .................................................................................................................................... 56
A) Le respect de la forme d’origine : le conte .......................................................................... 57
1) Le conte traditionnel ........................................................................................................ 57
2) Un conte modernisé ? ...................................................................................................... 58
B) La réécriture dans un autre genre ......................................................................................... 60
1) Transpositions romanesques ............................................................................................ 60
2) Transpositions théâtrales.................................................................................................. 62
3) Transpositions poétiques.................................................................................................. 65
C) L’enrichissement du texte par des systèmes narratifs iconiques .......................................... 66
1) Le texte enrichi par l’image ............................................................................................. 66
2) L’image sans le texte ....................................................................................................... 69

II) L’histoire ................................................................................................................................ 70


A) L’intrigue ............................................................................................................................. 70
1) Le schéma quinaire du conte d’origine ............................................................................ 70
2) Les ruptures du schéma originaire dans les textes contemporains .................................. 71
B) Les personnages ................................................................................................................... 74
1) Des personnages qui pré-existent aux textes ................................................................... 74
2) La transformation du stéréotype en personnage .............................................................. 77
3) Le renversement des stéréotypes ..................................................................................... 79
C) Les décors et le temps de l’histoire ...................................................................................... 80
1) Indétermination du temps et de l’espace dans le conte d’origine .................................... 80
2) Modernisations et anachronismes .................................................................................... 81
3) Effets de la transdiégétisation .......................................................................................... 84

III) Le récit................................................................................................................................... 85
A) La focalisation ...................................................................................................................... 86
1) Récurrences du choix d’un narrateur omniscient ............................................................ 86
2) Variations des points de vue ............................................................................................ 87
B) Les figures du narrateur ....................................................................................................... 89
1) Un narrateur en retrait dans les textes-sources ................................................................ 89
2) Les interventions du narrateur dans les textes contemporains ......................................... 91
3) Le brouillage des instances narratives ............................................................................. 93
C) La vitesse du récit................................................................................................................. 95
1) Le rythme de la narration dans le conte-source ............................................................... 95
2) Les variations du tempo originel dans les textes contemporains ..................................... 96

Troisième partie : la réception du petit chaperon rouge ....................................................... 101

I) La lecture de l’intertextualité ............................................................................................... 102


A) Le problème de la lecture intertextuelle par l’enfant ......................................................... 103
1) L’intertextualité : lire un texte sous un autre texte ........................................................ 103
a- L’intertextualité restreinte .......................................................................................... 103
b- La métatextualité........................................................................................................ 106
c- La paratextualité et l’architextualité .......................................................................... 108
d- L’hypertextualité ........................................................................................................ 108
2) Une lecture problématique ............................................................................................. 109

178
B) Une lecture exigeante ......................................................................................................... 111
1) Les compétences lectorales en jeu ................................................................................. 111
2) Une lecture à plusieurs niveaux ..................................................................................... 113
3) Une lecture qui initie au plaisir littéraire ....................................................................... 118
C) Des compétences exigées ................................................................................................... 120
1) Des compétences didactiques revendiquées dans les programmes scolaires................. 120
2) Le petit chaperon rouge à l’école : des pratiques pédagogiques .................................... 122

II) La réception de l’humour ................................................................................................... 124


A) Le rire comme établissement d’une situation de communication ...................................... 124
1) Le rire, entre connivence et exclusion ........................................................................... 124
2) La communication ironique ........................................................................................... 128
B) Le rire de transgression de l’autorité .................................................................................. 133
1) Le rire de supériorité ...................................................................................................... 133
2) Le rire contre la peur ...................................................................................................... 135

III) La réception de la morale .................................................................................................. 137


A) Les morales d’antan : sexisme, autorité et conformisme ? ................................................ 138
1) Des contes à moralité ..................................................................................................... 138
2) Une héroïne soumise dans une société bourgeoise ? ..................................................... 139
B) L’évolution de la narration moralisante ............................................................................. 141
1) La réévaluation des valeurs traditionnelles .................................................................... 141
2) Une héroïne libre et sûre d’elle ...................................................................................... 142
3) Des morales actuelles ..................................................................................................... 143
C) L’évolution de la finalité littéraire ..................................................................................... 145
1) De la littérature didactique… ......................................................................................... 145
2) … à la littérature ludique ............................................................................................... 145

Conclusion .................................................................................................................................. 148

Bibliographie ............................................................................................................................. 152

Annexes ...................................................................................................................................... 162


Annexe 1a : version nivernaise ............................................................................................... 163
Annexe 1b : version de Charles Perrault ................................................................................. 165
Annexe 1c : version des frères Grimm .................................................................................... 167
Annexe 2 : version de Tony Ross ........................................................................................... 169
Annexe 3 : notre version ......................................................................................................... 171

Table des illustrations ............................................................................................................... 178

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