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cahiers du

CINEMA
Jacques Tati
L'Affaire Henri Langlois
Nico Paptakis

numéro 199 mars 1968


Signoricci, eau de toilette pour l’homme de qualité.
NINA RICCI
€ I l fa u d ra it
r e n v o y e r !n m a c h i n r
fTF.tat à la j t ’ r r a i l h ' . »
L é iu iio .

cahiers du
Jeanne
M c re a j et
CINEMA
N° 199_______________________________________________________________ MARS 1968
JACQUES TATI_________________________________________________________________
Le champ large, entretien avec Jacques Tati. par Jean-André Fieschi et Jean Narboni 6
Charles Denner Les clés du champ (hommages) : 22
" •• • La Mariée
é ta it en n oir • Le carrefour Tati, par Jean-André Fieschi 24
de François
T ru ffa it. Notes sur la notion de forme chez Tati, par Noël Burch 26
Françoise
Vatel dans • Les
D'un Tati l'autre, par Paul-Louis Martin___________________________________________ 27
Contrebandières » La Cathédrale de verre, par Jean Badal 28
de Luc M oullet
Filmographie de Jacques Tati, par Patrick Brion___________________________________ 30
HENRI LANGLOIS
Editorial 5
Première semaine, par Jean-Louis Comolli 32
Conférence de presse du 16 février, par Alexandre Astruc,________________________
Claude Chabrol, Louis Daquin, Jacques Doniol-Valcroze._____________________________
Jean-Luc Godard, Pierre Kast, M® Georges Kiejman, Jean-Paul
Le Chanois, Jean Renoir. Jacques Rivette et Jean R o u c h ____ 34
Liste des protestataires 45
NICO PAPATAKIS
Logique du désordre : entretien avec Nico Papatakis,________________________________
par Jean-André Fieschi et Jean Narboni 54
PETIT JOURNAL DU CINEMA
C.S.T., Fellini, Ferreri, Fui 1er, Huston,_______________________________________________
Pasolini, Utrecht (Straub), Wayne, Wyler 47
LE CAHIER CRITIQUE
Godard : Week-End, par Jacques Aumont et Jean Collet 59
Damianos : Jusqu'au bateau, par Dominique Noguez______________________________ 61^
Sjôman : Je suis curieuse, par Serge Daney 63
Kosa : Les Dix mille soleils, par Paul-Louis Martin 64
Fisher : Frankenstein créa la femme, par René Prédal_____________________________ 64
Borowczyk : Théâtre de M. et Mme Kabal, par Patrice Leconte 65
Bertolucci : Prima dalla rivoluzione, par Paul-Louis Martin__________________________ 67
LE CAHIER DE LA TELEVISION
Georges Franju : couleurs, valeurs, contrastes 68
Le structuralisme à la télévision, par J.-B. Fagès__________________________________ 69
Pour une téléthèque 69
RUBRIQUES
Les dix meilleurs films de l'année ; cahiers, lecteurs _______ ______________
Le Conseil des Dix_____________________________________________________________ 4
Liste des films sortis à Paris du 14 janvier au 20 février 1968 70
CAHIERS DU CINEMA. Revus mensuelle du Cinéma. Administration-Publicité : 63, av. des Champs-
Elysées, Parls-8e - Tél. 359-01 -79. Rédaction 8, rue Marbeuf, Parls-8’ Tél. 359-01-79

Comité de rédaction : Jacques Doniol-Valcroze, Daniel Filipacchi, Jean-Luc Godard, Pierre Kast,
Jacques Rivette, Roger Thérond, François Truffaut. Rédacteurs en chef : Jean-Louls Comolll, Jean-Louis
Glnlbre. Mise en pages : Andréa Bureau. Secrétariat : Jacques Bontemps, Jean-André Fieschi, Jean
Narboni. Documentation : Patrick Brion. Secrétaire général : Jean Hohman. Directeur des relations
extérieures : Jean-Jacques Célérler. Directeur de la publication : Frank Ténot. Les articles n’engagent
que leurs auteurs. Les manuscrits ne sont pas rendus. Tous droits réservés. Copyright by les Editions
de l’Etoile.

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LE CONSEIL DES DIX
COTATIONS # Inutile de se déranger ★ à voir à la rigueur i r k à voir 'k 'k ir à voir absolument ★ ★ ★ ★ chef-d’œuvre

Michel Robert Miche! Albert Henry Robert Michel Jean-André Jean-Pierre Jean
Aukriant Benayoun Capdenac Cervoni Chapier Chais 1 Oelahayi Fieschi Leonardini Ma'boni
(Paris-Presse) (Les Lettres (France (Combat) (France-Soir) (Cahiers) (Cahiers) (L'Hum anité ) (Cahiers)
(P o s itif)
françaises) Nouvelle)

Prima délia Rivoluzione (Bernardo Bertolucci) ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ir ic k 'k ★ ★ ★ i t l r k 'k ir k ir k ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★

Terre en transes (Glauber Rocha) • ★ ★ ★ ★ ★ ★


A A A A
★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★

La Route parallèle (Ferdinand Khittl) ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★

Le Bal des vampires (Roman Polanski) ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ * ★ • k k ir ★ ★ ★ * ★

Pop Game (Francis Leroi) ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★

Bonnie and Clyde (Arthur Penn) ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ . • ★ ★ ★ ★ ★

Jours glacés (Andras Kovacs) ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ •

Jusqu’au bateau (Alexis Damianos) ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★

Anémone (Philippe Garrel) ★ ★ ★ ★ • ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★


Au pan coupé (Guy Gilles) ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★

Je suis curieuse (Vilgot Sjôman) ★ ★ • ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ • ★ ★


Seule dans la nuit (Terence Young) ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★

Loin de la foule déchaînée (John Schlesinger) ★ ★ ★ ★ * ★ ★ ★ ★ ★ • ★


Comment j'ai gagné la guerre (Richard Lester) # ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ • • ★
Alexandre le bienheureux (Yves Robert) ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★
Les Comédiens (Peter Glenville) ★ ★ • ★ • ★ ★ ★ ★ ★
Will Penny le solitaire (Tom Gries) ★ ★ ★ ★ ★
La Fille d’en face (Jean-Daniel Simon) ★ ★ ★ ★ ★ ★ ★ • • ★ ★

Guerre et paix, IV (Serge Bondartchouk) ★ ★ • • ★ ★ • ★ ★

Evasion sur commande (Jack Smight) • ★ ★ ★ ★ • • •

L'Etrangère (Sergio Gobbi) # • • ★ ★ • • ★ •


Le Renard s'évade à trois heures (V. De Sica) # ★ • • •
La Louve solitaire (Edouard Logereau) • ★ • • • •

Le Démoniaque (René Gainville) • • • • • •

Caroline Chérie (D. de La Patellière) # • • • 9 • •

Batouk (Jean-Jacques Manigot) • • • • • • • O

B é ré n ic e (Pierre-Alain Jolivet) • • • • • • • • • •
EDITORIAL momer,t °ù. soit qu’il cède aux protestations, soit qu’jl
comprenne l’absurdité de la situation, le ministère des
Affaires culturelles semble décidé à trouver une solution
heureuse (pour Langlois autant que pour l’Etat) à une
affaire particulièrement malheureuse, il convient sans
doute d'établir un premier (et provisoire) bilan des pertes
et profits du cinéma d’une part, des organismes qui ont la
charge de le régir ou, du moins, de le guider, d'autre
part. Il n’y aura pas de Cinémathèque sans Langlois,
comme sans lui il n'y en aurait pas, cela semble clair à tous
les esprits. On peut espérer que l’œuvre de Langlois, un
moment compromise, sera sauvée de l’incompétence de
ceux qui la convoitaient. Mais en va-t-il de même pour
« l’œuvre » du Centre national de la Cinématographie ? Les
rapports déjà, ce n’est plus un secret pour personne,
n’étaient pas des meilleurs entre cinéastes, professionnels,
et Centre du Cinéma ; portant atteinte à la Cinémathèque,
celui-ci dresse contre lui la très grande majorité des
cinéastes, beaucoup de producteurs, et même, bien qu’ils
semblent moins concernés, beaucoup d’exploitants. Que
signifie donc un Centre sans cinéma ? Moins en tout cas
qu’un cinéma sans Centre. Réveillé par l’affaire Langlois,
le cinéma français aspire aujourd’hui — et son combat
pour Langlois lui en donne à la fois l’occasion et les moyens
— à plus de libertés : c’est-à-dire, tout simplement, prendre
les charges et la responsabilité de se gérer lui-même. Car
déjà, le cinéma français ayant depuis longtemps l’âge
adulte, il était un peu absurde et.méprisant qu’on le main­
tienne en tutelle (rien de pareil pour l’édition, par
exemple), mais maintenant que le fossé s’est profondé­
ment creusé entre cinéastes et Centre du cinéma, cela ne
répond plus à rien. Il importe donc que l’on songe au
cinéma français autrement que pour en tirer profit, autre­
ment que pour le tenir en laisse : pour l’aider à vivre.
La Rédaction.
Le champ
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entre tien avec Jacqùex Tati


p d t JeunÂndré Fiesc/d
:.... Jean Narboni < :
JACQUES TATt PENDANT LE TOURNAGE DE • PLA Y 1IM E *.
Cahiers La première question qui se une plage. Celi a une grande impor­ man, etc. », on en est revenu à Laurel
pose est : comment conçoit-on, com­ tance, c'est le temps qui met tout ça et Hardy, c'est-à-dire à deux person­
ment écrit-on un film comme « Play- au pas : on se rend compte alors de nages, dont un faire-valoir, comme au
time » ? ce qui est chargé et de ce qui ne l'est cirque : Hardy étant le clown blanc,
Jacques Tati II faut faire la différence pas. Laurel étant l'Auguste. L’évolution qui
entre film visuel et film pensé, écrit. Cahiers Pour en revenir au script, il me semble capitale s'est faite par eux.
« Playtime » est tout le contraire d'un nous semblait que la construction d'un C'est-à-dire que l’important n’était plus
film littéraire, c'est plutôt écrit comme tel film pouvait fort bien se traduire, qu'il y ait un faire-valoir, mais que tous
un ballet. C'est écrit en images. Je les sur le papier, sous forme de graphi­ les deux étaient à la fois le faire-valoir
dessine (assez mal), je raconte mon ques très complexes... et l'Auguste. De temps en temps, c’est
histoire en images, et la construction Tati Malheureusement, je suppose que l'Auguste qui prenait la place du faire-
dramatique découle de cette vision. Je vous avez vu le film avec l'entracte. valoir, et vice versa. Ce schéma a
connais mon film par cœur, et sur le J'ai des difficultés avec l’Empire à ce encore évolué, et vous avez eu les
plateau, je ne regarde plus jamais le sujet, et j'essaie de le faire supprimer Ritz Brothers, qui étaient trois. Ils se
script. par tous les moyens. Sans entracte, la repassaient les inventions, les gags,
Cahiers Lorsqu'on voit le film, on ima­ construction serait plus sensible. comme on se passe un ballon de
gine difficilement la forme que pouvait On remarque mieux, en voyant le film rugby. L'un ouvrait une porte, le se­
avoir le script... d’une seule traite, que tout ce qui fait cond entrait dans la pièce, le troisième
Tati La préparation, sur le plan tech­ très sérieux et un peu compassé dans faisait l'effet. Puis vous avez les Marx :
nique, ne diffère nullement de celle la première partie devient une plaisan­ quatre. Puis on aboutit à « Helzapop-
d'un autre film. Les opérateurs, les terie dans la seconde. (Voyez par exem­ pin » où tout le monde participe au
assistants, connaissent les plans et leur ple l’homme d’affaires allemand — le gag et s'en sert.
numéro. Mais une fois ce travail type à la porte insonorisée — et son Dans mon domaine propre, j'ai suivi
préalable effectué, ce sont eux qui ont changement de comportement au Royal cette évolution, et au lieu que ce soit
la charge de cette technique. Moi, évi­ Garden : il se met lui aussi au dia­ Hulot, comme dans « Les Vacances... ».
demment, je vérifie tous les angles de pason, et pourtant, ce n'est pas un qui fasse ou exécute à peu près le
prise de vue. Lorsque ce principe est rigolo.) C'est vrai pour tous les per­ nombre de gags qu'il y a dans le film,
admis, il me reste à installer une cer­ sonnages, pour les Américaines qui, en je laisse si vous voulez ces gags à
taine ambiance, auprès des acteurs, des arrivant, voient les mêmes lampadaires, d'autres, en choisissant le personnage
gens qui m’entourent, pour qu'on ne les mêmes routes, le même aéroport, le plus qualifié pour les réaliser. Ce
sente pas tellement que nous sommes et qui, en fin de compte, parce que n'est pas Hulot qui appuie sur un bou­
sur un plateau, en train de tourner. On le cabaret n'est pas entièrement ter­ ton pour savoir comment il va annon­
blague, on chahute. Je parle fort, j ’at­ miné (ce qui est souvent le cas) se cer un personnage dans un bureau ; je
trape un type qui ferme mal une laissent aller ce n’est pas parce choisis le meilleur personnage pour le
porte... si bien que les acteurs (et il qu’on construit un building moderne faire, donc un petit monsieur, retraité,
y en a tout de même un certain nom­ qu’on ne peut pas s’amuser dans ce qui le fait beaucoup mieux que ne le
bre dans le film) me disent souvent, building. Il suffit d'une petite fuite pour ferait Hulot. Hulot le ferait sans doute
à la fin de la journée : « On a l'im­ que tout redevienne normal. avec d'autres possibilités, en se trom­
pression de n’avoir rien fait ». D’où ce C'est là où ma construction est néces­ pant de bouton ; lui s'applique, il a
côté, je ne veux pas dire « laisser- saire. Les personnages ne sont pas là peur de ces boutons, il est gêné. C'est
aller », mais enfin un peu plus naturel, pour rien. Si on ne voit qu'une suc­ l'un des points où je crois que beau­
qu'ont les gens dans « Playtime ». Ils cession de séquences (Orly, les bu­ coup de critiques n’ont pas saisi l’évo­
ne jouent pas. Pour obtenir cela, je reaux, les stands...), on ne voit pas le lution dont je parlais. Le vrai gag, le
choisis non pas de bons comédiens, film. Il est certain, si vous voulez, que bon gag, pour un maître d'hôtel, c'est
mais des « natures ». Si je vois entrer lorsque Hulot cherche l’employé-mar- de le faire faire par un vrai maître d'hô­
ici, dans mon bureau, un monsieur min­ cheur dans le labyrinthe-bureaux, il y tel. Si le poisson ne passe pas, dans
ce, sec, qui parle très rapidement, je me a une longueur. Oui, mais c’est une la cuisine, il faut trouver le respon­
dis qu’il peut facilement se mettre en longueur nécessaire. Le préfet de po­ sable. Et le responsable, ce n'est plus
colère. Par contre, s’il est un peu non­ lice s’est plaint de ce qu'il lui fallait Hulot, c'est le menuisier qui a fait une
chalant, s'il s’affale mollement dans une semaine pour s'adapter à la nou­ planchette de 25 cm alors que le pois­
son fauteuil, je me dis que c’est lui velle préfecture, parce qu'elle était son en a 50. Hulot n’est pas, dans
que je ferai attendre dans le bureau, trop moderne, et que les couloirs « Playtime », un personnage plus im­
vous comprenez ? C'est, au départ, un étaient trop longs. S'il faut une semaine portant que les autres. II rentre dans
gros travail de recherche des person­ au préfet de police, on peut bien accor­ le rang, en quelque sorte. Je ne vou­
nages. Je n’ai pas, à proprement par­ der quelques minutes à Hulot pour lais pas qu'on di9e : « Tati a fait ceci,
ler, de fichiers, mais je me promène s'adapter, à ce building, non? Tati a fait cela... ». Non, pas Tati,
énormément. Si je vois deux vrais Voilà ce que je crois quant à l'évolu­ « Playtime ». Hulot, qu’est-ce qu'il fait,
titis, je leur demande de faire un pas­ tion du cinéma comique (puisque, après Hulot ? Il donne son personnage aux
sage dans le film : je ne leur demande tout, « Playtime » est à prétention comi­ autres. Il y a l'Hulot anglais, l'Hulot
pas de composer, mais d’être ce qu’ils que) : le premier film comique a été dans le stand qui lui prépare son
sont, tout simplement. J'avais fait ça, fait par le nommé Little Titch. C'était engueulade avec ('Allemand, l'Hulot ou­
d'ailleurs, plus dans « Les Vacances de un numéro de music-hall qui s'appelait vrier, etc. Hulot n'est plus une vedette,
Monsieur Hulot » que dans « Mon « Big Booth », un numéro exceptionnel, il ne fait plus recette. Personne ici ne
Oncle ». (« Mon Oncle », c'était plus qui a été simplement filmé. Il existe à fait plus recette. Il faut s'inscrire contre
une comédie au sens traditionnel du Londres, au British Film Institute, il le mythe de la vedette indispensable.
mot ; c'est pour cela qu’à mon avis, ça faut absolument le voir. C’est le départ Je me suis souvenu de la le ço n de
a bien moins vieilli que « Les Va­ de tout ce qui s’est fait dans le comi­ notre père à tous, Mack Sennett, et
cances ».) Mais dans « Hulot », donc, que. Après, tout est venu du music- je crois qu'à mon tour j'ai apporté
les gens se croyaient vraiment en hall, la grande école des Keaton, Cha­ ainsi quelque chose aux jeunes cinéas­
vacances. J'ai revu le film, à Saint-Mi­ plin. Max Linder, etc. Mais le comique tes. (Là encore, différence avec « Mon
chel. il y a quelques mois, devant des a évolué. Après avoir eu un person­ Oncle ». où seul l’oncle faisait des bla­
étudiants, et j ’ai été satisfait, non pas nage qui se présentait devant vous gues).
de moi, mais du fait que les acteurs avec une étiquette disant « je suis le Un de mes rêves aurait été qu'Hulot
avaient le même comportement que petit rigolo de la soirée, je sais jongler, tourne dans d’autres films, qu’il y soit
celui qu’ils auraient aujourd’hui sur être amoureux, je suis musicien, gag- figurant. Tout à coup, on l’aurait vu, à
8
• PLAYTIME ■ DE JACQUES TATI.
Jacques
Tati dans
■ C ours du
soir » de
Nicolas
Ribowsky.
court
métrage
réalisé
pendant le
tournage de
« Playtim e ■.
un arrêt d'autobus, en train d’attendre, d’un garçon de café qui fait des gri­ pression de ne pas faire partie d'une
ou courant après un taxi. On se serait maces, et en voyant son expression, vieille vague, puisque je fais le
dit : - Tiens, qu’est-ce qu'il fait là, que je ris le plus. Je ris bien davan­ contraire de ce qui se fait d'ordinaire
celui-là ? » Et le film aurait continué tage si je suis à la terrasse du café, dans un film comique. Si j ’avais copié
comme si de rien n'était. Oui, j'aurais et que j'ai cette fenêtre ouverte sur les autres, j'aurais simplement un peu
beaucoup aimé ça. Mais vous connais­ la rue. D’où l'écran large, qui est cette modifié la formule courante, mais ce
sez la méchanceté des gens, ils croient fenêtre. Financièrement, ça a posé n'est pas du tout ça qui m'intéresse.
tout de suite que je veux soigner ma quelques problèmes, mais j'en avais Ça n'aurait pas apporté grand-chose.
petite publicité personnelle, je ne sais besoin, il ne fallait pas tricher là-des- Dans « Playtime », j'ai l'impression,
trop quoi, alors qu'il s'agissait simple­ sus. Je voulais cette fenêtre, pas une peut-être prétentieuse, d’apporter quel­
ment de voir Hulot égaré dans d'autres petite lucarne, une vraie grande fenê­ que chose au jeune cinéma : je ne
films que les miens. Je l'imagine très tre. Ce qui m'amuse, c'est de penser, veux pas dire, bien sûr, que les jeunes
bien, par exemple, dans une scène de en moi-même, à ce qu'un agent peut cinéastes doivent tourner leurs films en
restaurant, attendant qu’on le serve... bien être en train de dire, là-bas, à 70 mm, je veux dire simplement que
Le jour où l'on rira très fort de ce un automobiliste qui vient de franchir j’ouvre quelques portes sur des choses
genre de construction comique, on le feu rouge. Ce n'est pas leur dialo­ qui ne se faisaient pas, et qui, elles,
aura beaucoup de mal à rire d'un seul gue qui me fait rire, mais précisément sont praticables.
personnage pendant une heure et de­ le fait de ne rien entendre du tout. C'est là ce qui m'a le plus choqué
mie. Ce n'est pas pour défendre mon D'après leurs gestes, je peux imaginer dans certaines réactions de journalis­
film, mais aucun acteur ne peut être qu'au début c'est très grave, puis ça tes. Qu'ils aient vu les défauts du
aussi bon que certains des personna­ se calme un peu, puis le ton monte à film, d'accord, bravo, ça peut m'aider
ges qui s’y trouvent. Aucun comique nouveau. Cette petite douche écossaise pour le prochain (si je ne faisais pas
ne serait aussi bon que le garçon qui m’excite beaucoup. Et si j'ajoute à ça de fautes d’orthographe, je m’arrête­
sert de portemanteaux et de réserve différents passages de gens qui s'ar­ rais d’écrire immédiatement), mais
à costumes. Ce type est vraiment for­ rêtent, regardent, écoutent, avec des qu'ils n'aient pas vu ce pour quoi le
midable : on sent que ça l’embête. réactions diverses, ou sont obligés de film a été fait, là je ne comprends plus
Sous prétexte qu’il a eu un accroc 'à faire un détour sur le trottoir pour évi­ du tout. Des gens beaucoup plus sim­
son pantalon, il est mis derrière une ter le groupe, ce sont ces multiples ples qu’eux ont compris.
colonne pendant toute la durée de la rapports qui désormais me font rire. Il On me cherche de fausses querelles.
soirée, et chaque fois qu’il donne à y a une dame qui vient de faire ses Si j’avais voulu être contre l'architec­
un autre sa veste ou son nœud papil­ courses ; elle a laissé son chien chez ture moderne, j ’aurais choisi ce qui se
lon, on sent que sa soirée est abomi­ elle, elle est pressée, elle a un petit construit de plus laid, et qui ne manque
nablement gâchée, sans qu’il dise rien.., mouvement d'impatience... Par contre, pas, j’avais pour cela tout ce qu'il
Or un comique ne peut pas faire aussi à côté, il y a un automobiliste, très fallait à ma disposition, tous ces trucs
bien un chasseur, un ouvrier, ou le per­ calme, que cet embarras arrange ; il vaseux dont les portes sont mal faites,
sonnage important qui rouspète parce en profite pour jeter un petit coup mais je critiquais quoi ? Je devenais
qu’on ne lui a pas donné la bonne d'œil alentour, pour regarder une jeune l'arbitre des architectes, ce qui n’est
table. Dans le film, il y a le directeur fille. Vous voyez comment je procède. pas mon rôle. Or, je me suis précisé­
commercial de la Volkswagen, plusieurs C’est encore plus sensible dans la ment donné un mal fou pour qu'un
grands industriels, etc. Dans la scène scène du Royal Garden, où il n'y a architecte ne puisse rien dire contre
du Royal Garden, ils ont bien voulu le pas un seul plan de coupe, où tout mon décor, j’ai pris le plus beau, j ’ai
faire pour moi, mais on doit bien sentir s'enchaîne, comme un ballet. Le fait été chercher des profils en Allemagne,
que ce n'est pas que de la figuration qu'un serveur ait débouché une bou­ partout. Quant au Royal Garden, il est
intelligente : on voit des gens qui sa­ teille entraine immédiatement autre aussi bien fait et mieux fait que le
vent vraiment fouiller dans leur poche chose, il n'y a pas un plan de coupe Lido I Ces buildings sont beaux, ces
pour en extraire leur portefeuille, et de pour faire voir qu'il y a un poisson, ni lignes sont belles, il n'y a qu'à regar­
vraies dames un peu snobs qui font une boîte d’allumettes, ni qu’avec la der les photos. Mon travail, ce n'est
des choses que personne ne saurait boîte d’allumettes on va allumer le pas de critiquer, c'est d'apporter un
imiter sans sombrer dans la caricature. poisson. C'est tout ce qu'on peut voir petit sourire, de dire : « Si vous cher­
C’est la même chose pour les Améri­ dans un restaurant. Un spectateur m’a chez Monsieur Marcel, à Orly, c'est la
caines : il y en a vingt-cinq, ce sont dit quelque chose qui m'a fait plaisir, porte à gauche I ».
les femmes des officiers du SHAPE, et il m'a dit qu'au bout d'un moment on Je me suis trouvé récemment au Por­
elles sont arrivées là avec leurs cha­ avait soi-même envie d'entrer dans ce tugal, dans l'hôtel le plus chic de Lis­
peaux. Je ne leur avais pas demandé Royal Garden. Mais si on n'observe bonne, une chambre somptueuse, avec
de chapeaux à fleurs, je leur avais pas ce qui se passe, on s'ennuie, c'est une immense salle d'eau, et la télévi­
simplement dit : « Il faut que ce soit évident. Si on passe son temps à at­ sion (qui ne marchait pas), un vrai
gai, c’est le printemps »... Elles étaient tendre ce qu'il n’y a pas dans le film, petit - Playtime ». Je m'ennuyais là-de­
détendues, elles papotaient, elles ont on rate ce qu'il y a. Il n'y a aucun dans, et j'ai décidé de prendre un bain.
même sorti de très bonnes phrases, effet pour l'effet : ce n'est pas parce Le carrelage était impeccable, les chro­
malheureusement difficiles à traduire ; qu'on ouvre une porte que cela mes des robinets lançaient des éclairs...
elles participaient réellement, je n'avais entraîne un hold-up ! Bon. J'ouvre le robinet, pfuitt 1 le jet
pas besoin de leur demander de regar­ Le nouveau cinéma n'a pas commencé d’eau ne va pas dans la baignoire mais
der à droite ou à gauche pour qu'elles la semaine dernière. Le nouveau ciné­ à côté. Je téléphone à la réception, en
le fassent. ma existe... depuis que le cinéma expliquant que le jet d'eau ne va pas
Cahiers Ce qui est drôle, dans le film, existe. Nous avens tourné - Jour do dans la baignoire, on m'envoie un gar­
ce ne sont pas les gags qui s'ajoutent fête » à huit techniciens, dans des dé­ çon. Il constate que le jet d'eau ne
les uns aux autres, ce sont les multi­ cors naturels, en louant un manège, va pas dans la baignoire, on téléphone
ples relations des gags les uns par etc. Ce n’était pas autre chose que la au directeur. On se retrouve tous dans
rapport aux autres, au sein du même Nouvelle Vague, qui était contre la le hall, le directeur, un peu gêné, me
plan. C'est là, sans doute, une des grosse organisation commerciale du ci­ demande si je veux boire quelque
motivations importantes ds l'écran néma. Moi, je suis bien d’accord là- chose. J'ai dit oui. On va boire quelque
large ? dessus. Je ne choisis pas Sophia Loren chose tous ensemble, les femmes de
Tati Evidemment. Ecoutez, je pars tou­ pour jouer la jeune étrangère qui vient chambre sont arrivées, et au bout d'un
jours de ce qui est drôle pour moi. Or, visiter Paris. Je tourne pour tourner ce moment, c'est devenu la surboum la
ce n'est pas parce que je suis à côté que j'ai envie de tourner. Et j'ai l’im­ plus réussie de Lisbonne, c'est tout
juste si on ne m'a pas dit : « Prenez vous énoncez ne sont pas seulement Il est bien évident qu'en procédant
votre bain, ne vous gênez pas pour valables pour le cinéma comique. Il y ainsi je prêche pour mon saint, mais
nous ! », alors qu'au début c'était inha­ a dans « Playtime » une mise en ques­ c’est au cinéaste de choisir. Ma
bitable. Je voulais qu'on sente ça dans tion du découpage traditionnel qui est méthode suppose seulement un peu
« Playtime », et c’est précisément sur très importante. On pourrait citer des plus d'attention, et un peu plus d’ima­
ce- point que l'entracte est gênant, exemples complexes, mais un exemple gination de la part du spectateur. Le
parce qu'il intervient au moment précis simple suffira lorsqu’Hulot regarde plan que je viens de décrire sommai­
où la fuite va se déclarer, et tout libé­ l’homme d'affaires américain, assis rement dure à peu près une minute.
rer : c'est justement le moment qu'on dans un fauteuil à côté du sien, l'œil Si, pendant cette minute, on n’y parti­
choisit pour envoyer les gens boire un du spectateur va de l'un à l’autre, sans cipe pas, il est certain qu'on se de­
demi au bar, ce qui détruit mon effet. pouvoir embrasser les deux à la fois. mandera ce que fait cette femme, et
L'entracte transforme le film en deux Le comique naît alors de ce trajet im­ l’on pensera que tout cela aurait pu
épisodes, comme s’il s’agissait des posé au regard... aller plus vite.
• Trois mousquetaires» et de «Vingt Tati Oui, car à ce moment-là, qu'est-ce Dans « Playtime », c’est tout le pro­
ans après * I Non, c'est un tout. qui compte? C’est qu'Hulot, je crois, blème. Dans le cabaret, il aurait été
Cahiers Dans le gag classique, chez est presque plus épaté que les spec­ plus facile de découper la scène, de
Sennett, il y avait ou bien un homme tateurs. C’est un peu comme si lui- la morceler normalement. Or on ne
aux prises avec un objet, ou bien cent même était dans la salle et qu'il se sent pas les quelques mouvements de
personnes dans le champ, mais toutes dise, en regardant l'Américain « Je caméra (ils existent : sans s’en rendre
axées dans le même sens : dans les n’arriverai jamais à réaliser un tel nu­ compte, on s'approche un peu du pois­
- Cops », de Keaton, on le voit pour­ méro I ». Mais vous avez raison, je son, par exemple) : la difficulté, c'est
suivi par cinq cents policiers... Alors crois que les principes de « Playtime » de ne pas « rater » que le poisson est
que dans ■> Playtime » il y a souvent sont valables aussi pour le cinéma dra­ un poisson, et que l’avion qui fond est
cent personnes dans le champ, mais matique. Je vais essayer de vous en un avion.
chacune est mobilisée par une action donner un exemple. Si j'avais fait un gros plan de l'avion,
différente, ce qui est très neuf. Imaginons une scène où une dame qui tout le monde l'aurait vu, mais ce n’est
Tati .C ’était déjà un peu comme ça a perdu son mari, après la cérémonie pas un gag pour un gag, c'est un avion
dans « Hulot », sauf qu’ici, effective­ au cimetière, retourne tristement chez qui fond parce que les types ont chaud,
ment, il y a plus de monde. Ce que elle. Imaginons que ce soit la fin du il faut donc, en même temps, les voir
vous dites est vrai. Mais les cinq cents film. Il faut choisir entre deux formules au bar en train de transpirer, ça fait
flics poursuivant Keaton, aujourd’hui, de découpage : partie d'un ensemble. On a la cause
ce serait impossible. Pourquoi ? Parce 1) La caméra est devant la porte. La et l'effet dans le même plan.
que les gens trouveraient cela exa­ dame ouvre la porte (on l’a suivie jus­ Si l'on voit un monsieur très méchant
géré. Aujourd'hui (je parle pour moi), que-là en travelling) puis on fait un saisir une tarte à la crème et la lancer,
c'est le contraire qu’il faut faire. Un petit panoramique pour voir le porte­ et si l’on voit cette tarte à la crème
type passe à un feu rouge, un agent manteaux où son mari avait l’habitude arriver sur le visage d'une autre per­
siffle, un autre agent arrive, ils com­ d'accrocher son chapeau. Elle y accro­ sonne dans un second plan, maintenant
mencent à faire des gestes... En tout che son écharpe, on recule un peu Iss jeunes ne marchent plus du tout.
cas, dans « Playtime », c’est ça. Dans avec elle, on s’approche de son ex­ Il n'y a qu'à entendre les réflexions
un cabaret, il y a ceux qui servent, pression. Elle est triste. On coupe des enfants, devant la télévision, ils
ceux qui ne servent pas, ceux qui se alors et, contrechamp : le bureau où disent tout le temps - oh, on a com­
racontent dès histoires, la femme snob son mari travaillait le soir. On revient pris », et ils s'en vont. On ne peut plus
qui en rencontre une autre, le gérant sur elle, en avançant, elle se laisse croire, aujourd’hui, à de telles techni­
affolé, etc. Ce n’est pas Hulot qui les tomber dans son grand fauteuil. Com­ ques. Dans « Playtime », on pouvait
entraîne, comme Keaton entraînait les me on a choisi une très bonne actrice, casser la porte en faisant successive­
cops à sa poursuite. Le thème, ce elle porte alors tout le chagrin du ment un plan de la poignée, un plan
n’est pas une action délimitée, c'est monde dans son regard. du verre qui craque, un plan sur le
simplement (du moins dans la seconde C'est une technique. Mais si j'avais à visage du portier, etc. Là, on voit le
partie) l'ouverture d’un nouveau caba­ faire pareille scène, je choisirais .: portier qui se reflète dans la glace, la
ret moderne, avec tout ce qui en dé­ 2) (Je ne ferais pas ce que je viens poignée est en face de lui, on ne
coule. C’est tout. Dans le labyrinthe- de vous dire parce que c'est un lan­ triche pas, on ne coupe pas, et la
bureaux, ou dans les stands, c'est le gage académique, déjà totalement ex­ porte s'écroule dans le même plan,
même principe. On doit y pénétrer avec ploré.) La caméra est à l’intérieur de c'est plus beau, non ?
Hulot, sans attendre que cela dé­ la pièce, en plan d’ensemble. Là com­ Cahiers C'est une question fort ba­
clenche des choses exceptionnelles. mence la difficulté du plan d’ensemble, nale, mais d'où viennent vos idées de
Un type qui arrive du fond d’un cou­ il faut trouver l'endroit exact d'où l’on gags ? D'observations, d'imagination
loir de 80 mètres, ça se voit partout. pourra suivre toutes les actions citées pure, d'un mélange des deux ?
Dans l’immeuble Esso, c'est encore tout à l'heure. Donc, en plan d'ensem­ Tati Je vais vous donner un exemple,
plus long, c'est tout juste si les gens ble, on entend d’abord le bruit de la qui m'est arrivé lorsque l'oncle de
ne doivent pas se ravitailler en route. porte qui s'ouvre. La femme entre dans Madame Tati, Michou. avait une petite
Ce que je défends, c'est le fait que la pièce, cette pièce où elle avait l’ha­ maison de campagne, près de Dreux.
chaque personnage ait son petit pro­ bitude de vivre avec son mari. Elle Cette maison était entourée d'un très
blème. Il y a celui qui est tout content avance, elle va accrocher son châle grand jardin, avec un poulailler, une
d’habiter son appartement moderne, au portemanteau, mais on ne triche réserve de bois, une remise. Vous allez
alors il fait ce que font les gens, à pas, c’est bien le portemanteau de la voir comment un gag naturel est bien
Parly 2, par exemple, « regardez cette pièce ; nouvelle difficulté du plan d'en­ construit. Après le dîner, nous étions
vue »... Vous regardez en face et vous semble, il faut que le bureau soit au tous au rez-de-chaussée, il y avait six
voyez exactement le même building bon endroit, pour qu’elle ne le « rate » ou sept personnes, et l'on a voulu
que celui dans lequel vous êtes. Dans pas, elle jette un petit regard à ce bu­ jouer aux cartes. Moi je n'aime pas
« Playtime », quand l'ami d'Hulot fait le reau, elle marche vers le fauteuil, et, beaucoup ça, j’ai pris un bouquin et
geste de montrer ce qu’il y a en face, de dos, ses jambes la lâchent, elle je me suis installé dans un fauteuil. Un
si on ne pense pas qu'en face il y a s’écroule dans le fauteuil. Car c’est de monsieur très simple, très gentil, s'est
la même chose, évidemment ce n'est dos qu'on sentira le plus sa tristesse levé et a dit : « Je m'excuse beaucoup,
pas drôle. devant ces objets désormais abandon­ je ne peux pas rester, il faut que je
Cahiers Les principes généraux que nés. Mon histoire s’arrête là. me lève tôt demain matin », et il a
12
Jacques j . .
Tati dans ,
• Jour de u
fête •. p

r-

13
Jacques
Tati dans
! - Mon
: Oncle ^

14
\

pris congé. Dehors, on entendait tom­ coup d'un cinéaste qui n'aimerait pas pourra jamais être tiré sur, le « Concor­
ber la pluie, il y avait un véritable son film (ou d'un peintre qui n’aime­ de », parce que le « Concorde » va plus
orage. Il est sorti. La maison était bien rait pas sa toile). C’est le fait .d'aimer vite qu'un obus de 75 ! Mais les
distante de soixante mètres de la porte votre film qui vous pousse à travailler, autres ? Celui qui se sert d'un frigi­
du jardin, et naturellement il faisait tout même si les autres n’ont pas envie de daire, ça l'amuse pendant une semaine,
noir. Il est donc sorti, et tout le monde le regarder. Un peintre aussi doit aimer et si l'on sort un nouveau frigidaire où
s’est remis à jouer aux cartes. Et au sa toile, même si les autres ne l’ac­ l’on a changé seulement la poignée, il
bout d'une demi-heure, je n'invente crochent pas dans leur salon. Et les prendra ce nouveau frigidaire, où la
rien, je vous jure qu’on n'invente pas Impressionnistes, vous le savez bien, seule différence sera qu'il faut pousser
ces choses-là, on entend frapper à la ne se sont pas vendus tout de suite... pour ouvrir au lieu de tirer, ou le
porte. On se demande, un peu inquiets, Pour moi, lorsque je considère mes contraire...
qui ça peut bien être à cette heure, films, ma trajectoire est très simple, Avec les voitures c'est la même chose,
on va ouvrir, et on voit le charmant je me suis égaré un petit peu dans on en fait sans changements de
petit monsieur, trempé jusqu’aux os, « Mon Oncle », et je suis revenu ici vitesse, alors que la joie du bon
qui dit très poliment, très calmement : à ce que j'aimais vraiment. « Playtime » conducteur, c'est de rester juste le
« Je m'excuse beaucoup, mais je ne est beaucoup plus proche des - Va­ nombre de secondes qu'il faut en pre­
trouve pas la porte». C'est là qu'inter- cances » que de « Mon Oncle ». Je me mière et brrr... brrr, vrrroum, de passer
vient l'imagination du spectateur. Moi sens plus chez moi en tournant « Play­ en deuxième, c'est ça qui est bien.
qui connaissais le jardin, je me suis time » qu'en tournant « Mon Oncle ». Alors, qu’est-ce qui se passe ? En
amusé à refaire mentalement son tra­ Dans - Mon Oncle », en plus, j'avais un Amérique, les types s’ennuient dans
jet. Par où diable était-i! passé ? Il peu peur de la couleur, j ’ai trop poussé leur voiture, et le comble du sno­
s’était cogné au poulailler (et je me les tons, la maison d’Arpel est trop bisme, c'est de partir à la recherche
souvenais, en effet, d'avoir entendu un désagréable. Bien sûr, ça existe, les des 4 CV, pour avoir à nouveau à
petit bruit de ce côté-là, auquel je graviers roses, mais ce n’était peut-être changer de vitesse. Ils essayent, à
n’avais pas prêté attention sur le mo­ pos une raison suffisante pour en met­ nouveau, de p a rtic ip e r un petit peu à
ment...), il avait dù essayer de sortir tre. Cela dit, il était faux de dire, là ce qu'ils font.
par la réserve de bois, etc. J'ai sans aussi, que je prenais partie contre Avec « Playtime », c'est exactement
doute imaginé cette sortie et ce tour l'architecture moderne. C'est unique­ cela que je voulais, faire participer un
de propriété beaucoup plus drôles ment parce que Arpel voulait épater peu plus les gens, les laisser changer
qu’ils ne l’ont été en réalité, mais les gens avec des allées en S et des de vitesse eux-mêmes, ne pas leur mâ­
connaissant tous les pièges qu’il avait poissons-jets d'eau qu’il a rendu cette cher le travail. Tous les risques que
dû affronter, tout à coup je me suis maison inhabitable. Si on avait donné j'ai pris ont été dans ce sens. S’il faut
raconté une histoire formidable, et cha­ la même maison à des gens plus sim­ toujours mettre les points sur les i,
que fois que je repense à cela, je ris ples et plus intelligents, tout aurait été ce n’est même plus la peine de vivre,
toujours en me demandant ce que le différent. on est dans le gros du bataillon...
petit monsieur a bien pu faire pendant Je ne suis pas une lumière, mais je ne Cahiers Le tableau que nous voyons
cette demi-heure. Comme en plus, à vois pas comment je pourrais dire à un là, au mur, semble indiquer qu'avant
côté, il y avait des vaches, c’est une architecte = • Surtout ne me faites pas le tournage, vous avez un instant hésité
histoire qui prend vraiment pour moi une école où le soleil puisse entrer. sur le format à employer. Or, « Play­
des proportions fantastiques, alors que Faites-moi une école bien dégueulasse, time » est un film que l'on imagine
peut-être, il ne s'est rien passé. J’ai avec des petites fenêtres minables, en très mal en Scope, par exemple...
gardé en tout cas de cette soirée l'idée vieux bois, peintes en marron, que ce Tati Oui, au début, j'ai hésité, j'ai fait
d'une construction comique absolument soit bien triste, comme autrefois, et des recherches sur tous les formats, et
neuve, alors que beaucoup de gens celui que vous voyez, en définitive,
que les écoliers aient tous des tabliers
qui étaient dans la pièce n’avaient fait n'est même pas un vrai 70 mm. C'est-
noirs I » Et ça sera très beau, et tout
attention à rien, et trouvaient cela tout à-dire que j’ai triché, que j'ai rogné
le monde dira « Bravo, c'est merveil­
naturel. Pour répondre à votre ques­ leux ! ». Ou alors : - Surtout ne cons­ un peu à gauche et à droite de l'image
tion, je crois que cet exemple montre en mettant de part et d'autre une petite
bien comment l’imagination vient au truisez jamais un nouvel hôpital, parce
que ça avait un charme fou... vous bande de négatif. Ainsi je me suis un
secours de l'observation. peu rapproché du format VistaVision,
comprenez, on se passait la cuvette,
Cahiers * Playtime - est ainsi plein de le type crachait à côté, on repassait l'écran est un peu plus carré qu'il ne
gens qui disparaissent pendant une la même cuvette pour qu’il recrache... » l'est réellement en 70 mm.
demi-heure, et le spectateur, comme Je suis très loin de ces choses-là. Pre­ Ce sont des questions qui n'ont pas
vous, s'interroge sur cette absence, et nez Dubuisson. il habite au dernier l'air de toucher les gens d’ici, mais les
doit imaginer.. étage de l'immeuble qu'il a construit, Américains, eux, sont stupéfaits par la
Tati C’est tout le temps comme ça. au Pont de Neuilly. Le soir, de sa qualité du 70 mm obtenue. C’est tout
dans la vie. Quelqu’un arrive, range terrasse, il voit tout Paris illuminé, je simplement parce que le budget consi­
sa voiture, disparaît, vous l'oubliez, il ne vois vraiment pas pourquoi il s’en­ dérable qui chez eux est dévolu aux
reparaît une heure après, etc. Il était fermerait dans une cave. Mon propos acteurs, dans les super-productions, ici
intéressant de baser toute une cons­ n'est pas de critiquer cela, mais d’ap­ a été entièrement consacré à la tech­
truction là-dessus, en tenant compte de porter un peu d’humour. On a l’impres­ nique.
ces schémas naturels. Il est évident, sion que les gens sont pris par ce Cahiers On a l’impression, dans le film,
encore une fois, que cela demande une décor, qu'ils n’ont pas su s'adapter, que tous les partis pris s’enchaînent,
toute autre forme d'attention de la part et qu'ils sont devenus méchants parce avec une grande cohérence, l'un en­
du spectateur. En fait, c'est une idée qu’on leur a donné une voiture I Le traînant l'autre, écran large, couleur
qui me poursuit depuis mes tout dé­ problème, c'est plutôt que ce qui se presque monochrome dans la première
buts, même avant * Jo l t de fête », dans fait, c'est bien pour les premiers de partie, plans fixes, etc.
mes courts métrages.Ce n'est pas pour la classe, alors que dans une classe, Tatî Au début du film, j'ai voulu que
faire du neuf à tout prix, je ne tiens il y a quarante élèves. J'ai dîné l’autre le décor soit assez froid, qu'on s'en
pas absolument à repeindre la bouti­ soir avec deux des ingénieurs qui fa­ sente un peu prisonnier, qu'on s'y
que, mais c’est une idée importante, à briquent le « Concorde ». Eux, ils ont adapte mal. Vous parlez de la photo.
laquelle je tiens beaucoup. J’ai l'air de une existence formidable, ils dépassent La photo, qu'est-ce que c'est, pour un
défendre systématiquement ce que je la vitesse du son deux fois, ils ne opérateur, en couleur? C’est filmer les
fais, ce n'est pas par prétention, pas savent pas s'ils ne vont pas la dépas­ couleurs que vous avez choisies. Si
du tout, mais je me méfierais beau­ ser quatre fois... Un obus de 75 ne vous lui donner à filmer un salon avec
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des chaises mauves et des tentures centricité. Telle quelle, cette soirée'
violettes, il sera bien obligé de filmer devant la télévision, pour moi c'est la
ces tentures violettes. La qualité de la soirée la plus gâchée et la plus mal
photo, c’est la qualité des tons em­ élevée du monde. Les gens boivent en
ployés pour réussir un décor. Je n'ai cachette, se grattent le nez pendant
pas voulu que les spectateurs soient qu’on ne les regarde pas, etc. Comme
pris et gênés par la couleur. Avant de le plan est tourné de manière qu’on
commencer le film, j'ai fait des tests. ne voie pas la cloison mitoyenne, les
J'ai fait tirer une grande photo en noir gens qui passent dans la rue auraient
et blanc d'Orly, je l’ai montrée à dif­ pu s'arrêter et dire : « Mais qu'est-ce
férentes personnes qui connaissent que c'est que cette soirée ? • J’aurais
bien l'aérogare et je leur ai demandé peut-être dû faire cela, d’ailleurs, faire
de colorer la photo, de mémoire. Je intervenir un passant.
me suis livré à cette expérience avec Cahiers Ce n’est pas notre avis : l'ex­
une dizaine de personnes, et pas une, traordinaire de cette scène vient en
pas une n'a mis la m ê m e c o u l e u r sur grande part du fait que ces gens vivent
les murs, les fauteuils, etc. C’est à pratiquement dans la rue, et que jus­
partir de là que j'ai décidé que la tement, personne ne semble les voir.
couleur ne devait surtout pas distraire Tati Pour moi, il y a là une longueur.
l'attention, la détourner des personna­ C’est une des scènes qui seront modi­
ges. Si vous voulez bien voir un per­ fiées dans la nouvelle version.
sonnage dans un bureau, il faut que ce Cahiers Le problème des longueurs est
soit lui l'élément coloré, et non Is difficile à trancher, il s'agit souvent
décor. S'il y a plusieurs personnages d'un élément très subjectif. Nous avons
et si tous portent des cravates, il faut vu le film trois fois : il paraît chaque
mettre la cravate rouge à celui que fois plus court.
vous voulez faire remarquer entre tous. Tati Ecoutez, c'est un fait qu'il y a des
Si votre personnage principal porte redites. Or moi, je les aime bien, ces
une cravate noire et qu’un figurant redites, c'est ce qui m'amuse. J'aime
passe à côté de lui avec une cravate bien qu’un type ne réussisse pas à
rouge, c'est lui que l'on remarquera, ouvrir une porte, qu’il recommence,
et votre effet sera raté. La couleur n’est qu'il ne réussisse pas non plus... Le
pas décorative, pour moi, elle est un spectateur, lui, n'aime pas cela. Pour le
élément primordial du récit. Si la couleur public, le gag de la flèche, à l'entrée
est plus difficile à dominer que le noir du Royal Garden, y est deux fois de
et blanc, c'est uniquement en raison trop.
de son côté essentiellement distractif. Cahiers Là non plus, nous ne le croyons
Tout ce que je me suis permis, c'est pas. De même pour la démonstration
de mettre par exemple un sens interdit du balai à phares. La seconde fois, il
rouge, parce que s'il est noir, per­ y a toutes les étapes de la démons­
sonne n'y croit. De même, un passage tration, et ça prend d'autant plus de
à niveau, c'est rouge et blanc, il n'y poids qu’Hulot, précisément, regarde
a rien d'autre à faire. Et les autobus ailleurs.
sont verts, les drapeaux, bleu blanc Tati Vous apportez de l’eau à mon
rouge. Ce qui est coloré, dans mon moulin, et vous me faites un plaisir fou
film, c'est ce qui est certain. Si je en disant cela, car vous avez vraiment
reprends l'idée de mon petit test et vu ce que j'essayais de faire. Mais,
que je demande de colorer un sens franchement, vous êtes bien les seuls
interdit, là tout le monde mettra du à être sensibles à des choses comme
rouge. C'est ce qui m'a guidé. ça. Vous n'êtes pas très nombreux à « Mon
Ainsi, on suit plus facilement l'action, connaître et à aimer le cinéma, comme Oncle ■
et la couleur ne gêne plus, elle est au le connaissait et l'aimait Bazin. Il se
contraire un apport extraordinaire, sur trouve que dans des cas comme ça,
lequel on peut compter. Je n'énonce malheureusement, on ne cherche pas à
pas de principe général, en ce moment, comprendre les raisons qui m'ont
je ne fais pas un cours sur la couleur. poussé à choisir cette construction, au
Si on veut montrer, par exemple, contraire, on est très féroce et très
qu’une dame s'est installée dans le méchant avec moi. on dit que je ré­
mauvais goût, on peut au contraire pète plusieurs fois les mêmes gags
s’en donner à cœur joie dans le bario­ parce que je n’ai pas beaucoup d'idées,
lage. et que je les exploite jusqu'à la corde.
Cahiers Même dans ce cas, vous refu­ Mais je ne veux pas me défendre à
sez la facilité. Tout porte à croire que tout prix, et je trouve tout de même
l'intérieur du camarade de régiment qu'il y a des redites qui, elles, n'appor­
d’Hulot est de mauvais goût. Mais il tent rien : par exemple, l'auréole de
faut le deviner : vous restez à l'exté­ néon au-dessus de la tête du curé, il
rieur. aurait certainement suffi de la montrer
Tati Là, c’est à cause d'une petite dif­ une fois. Ici, je me suis vraiment aban­
ficulté : I’ « employé marcheur » qu'Hu- donné à un péché mignon. C’est la
lot a poursuivi durant toute la première même chose avec l'ouvrier qui se sert
partie habite l'appartement mitoyen. Je de son tuyau pour voler l’apéritif.
devais simplifier extrêmement le décor Cahiers Non, c'est très bien aussi. On
afin qu'à peu de choses près on ait sent qu'il s’agit d'une habitude ..
l'impression que c’est le même appar­ Tati Eh bien ! vous allez m’attraper
tement. Il fallait donc éviter toute ex­ quand vous verrez la nouvelle version !
I6
« Jour
de fête •
de Jacques
Tati.

18
Mais je n'y peux rien, ce sont les dis­ ne voyez actuellement que le contre­ bilité de tourner à Orly. Après, on s'est
tributeurs qui commandent, qu'est-ce type noir et blanc d'un film en couleur. dit : « On va aller chez B.P. pour tour­
que vous voulez, je n'ai pas les Cahiers Pour certains cinéastes, la cou­ ner le labyrinthe-bureaux, c'est ultra-
moyens de me payer « Playtime » à moi leur est un élément de décoration, moderne, ça conviendra parfaitement -,
tout seul. Cela dit, il ne faut pas avoir pour vous, tous les exemples que vous et le même problème s'est reposé.
peur, j'ai toujours été obligé de couper donnez montrent bien qu'il s’agit d'un Même chose pour le super-marché,
mes films. Mais je conserve toujours le élément de signalisation. C'est comme pour tout, il était impossible d'inter­
négatif, et dans quelque temp9 je res­ ça dans « Playtime » ; qu'on pense aux rompre ainsi le travail et la vie des
sortirai la version intégrale de « Mon rosettes de la Légion d'honneur sur les gens. Alors nous avons été paniqués,
Oncle ». qui, croyez-moi, est dix fois portraits des « personnages » impor­ parce que nous avions l'argent pour
supérieure à celle que vous avez vue. tants. C’est aussi un signe de rallie­ tourner le film, mais pas d’endroit pour
Là, les longueurs étaient vraiment né­ ment : les touristes qui se retrouvent le tourner, et nous nous sommes rabat­
cessaires, et je crois bien, sans para­ grâce à la couleur de leurs prospec­ tus sur ce fameux décor à Joinville.
doxe, que le film était plus long sans tus... Nous avons obtenu l'autorisation de la
elles I On m'avait fait couper les scè­ Tati Actuellement, je refais des mixages ville de Paris, et il s'est passé ce qui
nes où le gosse s'ennuyait dans la à cause des coupures qu’on m'a de­ se passe, à une autre échelle, avec les
villa d'Arpel. Il passait trois fois à vélo mandées. et je travaille sur des bo­ architectes et les décorateurs, quand
sur la terrasse, on me l'a fait couper bines en noir et blanc. Et bien, il n’y a vous construisez un appartement. « Ce
deux fois. D’accord, mais à ce moment- plus de film du tout, ça ne veut plus n'est rien, il y a deux couches à pas­
là. il ne s’ennuie plus ! En supprimant rien dire, ce n’est plus rien. - Play­ ser et c'est fini... », et vous êtes em­
un effet de contraste, on supprime du time », en noir et blanc, c'est impen­ barqués pour des mois.
même coup l’intérêt de toute une sable : on se demande tout le temps Il a donc fallu niveler le terrain, faire
scène. ce qui arrive, on ne voit pas les bou­ venir des bulldozers, et de fil en
J'avais aussi la montée d'Hulot, dans tons s’allumer, on ne voit pas les ro­ aiguille on a purement et simplement
sa maison de trois étages, la nuit. On settes de la Légion d'honneur, on ne construit une ville : tout le dépasse­
m’a dit : « Vous recommencez. » Mais reconnaît plus l'employé marcheur ment est venu du décor, car je tourne
c'était différent, parce que j'utilisais le parce qu’il est perdu dans la masse, la presque aussi vite qu’un autre... En­
même principe, la nuit que le jour, scène du drugstore, qui tient par la suite, il y a eu des interruptions, à
avec cette différence qu’il faisait mar­ lumière verte du néon, ne veut plus cause de difficultés financières, des
cher la minuterie. Il appuyait sur le rien dire, etc. arrêts d'un mois, de deux mois : l'his­
bouton qui éclairait le premier étage, Cahiers II y a un autre élément, qui toire de « Playtime », c'est cela. Ce qui
arrivé au premier il appuyait sur le est aussi important et aussi signifiant m'a fait de la peine, c'est qu'on est
bouton qui éclairait le second, mais le que la couleur, et dont nous voudrions venu du monde entier pour voir ce
premier s’éteignait (puisque tout était bien que vous nous parliez un peu, décor, les Russes, les Allemands, les
séparé dans cette maison). Et au bout c’est le son. avec ce jeu extraordinaire Américains seuls les Parisiens ne
du compte, on voyait l’immeuble dans entre phrases audibles et phrases inau­ sont pas venus. Les jeunes auraient pu
le noir, et on retrouvait Hulot tout en dibles... venir tourner là, il y avait tout ce qu’il
bas parce que la minuterie ne lui avait Tati La plupart du temps, on entend fallait, le tout-à-l’égout, les feux rouges,
pas laissé le temps d'atteindre son des bribes de phrases stéréotypées, et comme les buildings étaient montés
étage. comme « Vendeur !» ou - Réservation sur roulettes, on pouvait changer le
On m’a fait aussi couper « Les Vacan­ pour deux... -, « Est-ce que vous avez décor à volonté. Ce qui a été catastro­
ces de M. Hulot », mais là c'est tra­ la carte ? », ■ Court-circuit » (quand il phique, c'est qu'on ne pouvait pas
gique parce que le producteur a eu y a un court-circuit !), on entend des commencer avant que tout soit terminé,
l'heureuse idée de jeter les négatifs, noms • Madame Devancier ! ■ (on ne à cause du principe même du plan
donc il n’est pas question que je réta­ sait pas pourquoi elle s’appelle madame d’ensemble. Je ne pouvais pas me pro­
blisse une version complète. Il y avait Devancier I), puis * Table 24, bordure mener là-dedans en faisant quelques
là des choses qui vous auraient plu, de piste ». « Ah l L'attraction ! »... gros plans. Et tout est en verre, on voit
j'en suis sûr. Dans la scène du cime­ Là aussi je me fais houspiller, on me à la fols l’intérieur et l'extérieur, à la
tière, on voit le gag de la couronne, dit qu'on n’entend rien. Alors, s'il ne fois les gens qui marchent dans les
mais ce n'est pas suffisant. Après, ils faut pas de redites, s'il faut qu'on immeubles et les voitures qui passent
allaient tous au café boire un verre, et entende tout, s’il faut je ne sais trop dans la rue, c'était réellement inex­
le lendemain, on retrouvait les quatre quoi encore, ce n’est pas « Playtime ■ tricable.
copains de l’enterrement sur la plage. que je devais faire, mais un court mé­ Il y a des journalistes qui viennent me
On sentait vraiment qu'ils avaient eu trage, et toute le monde aurait été demander combien cela a coûté. Je
besoin d’Hulot pour que l’enterrement content. trouve ça très mal élevé. Quand on
se termine de façon agréable. Il y en Cahiers Est-ce que vous aviez imaginé vous invite à dîner, la maîtresse de
avait un qui était encore en deuil, tout que le tournage du film serait si long, maison ne vous dit pas « Tenez,
en noir, sur la plage ! qu’il s’étendrait sur des années? asseyez-vous sur cette chaise que mon
Il faut se battre à chaque fois, et à Tati Ce n'est pas le tournage propre­ mari a achetée l'an dernier pour 40 000
mon âge ça devient très fatigant. Autre ment dit qui a été long, ce qui a tout anciens francs, voulez-vous encore un
chose : j ’avais voulu faire « Les Va­ décalé, ça a été la construction du peu de tarte ? Elle vient du meilleur
cances ■ en couleur, mais le produc­ décor. Au début, nous devions tourner pâtissier, le plus cher de St-Germain-
teur n’avait pas les moyens suffisants. dans un décor naturel. Je pensais qu'il en-Laye... » Je ne vois pas l'intérêt de
Je l'ai beaucoup regretté. Mon idée devait y avoir assez de constructions ça, « Playtime » a coûté ce qu'il a
était de montrer, au début du film, tous modernes pour tourner - Playtime », coûté, les spectateurs n’ont rien à voir
les types avec la peau blanche. Et plus mais petit à petit nous nous sommes là-dedans. C’est toujours la même
les vacances avançaient, plus ils bron­ rendu compte, en demandant les auto­ chose, on n'intéresse les gens que si
zaient. Mais il y en avait qui bron­ risations de tournage, qu'on pouvait on a des problèmes « Vous avez
zaient mal, d'autres qui devenaient bien (en payant très cher) aller à Orly hypothéqué votre maison, comment ça
rouges, etc. Là, apport de la couleur. pour tourner quelques plans, mais qu'il c'est passé ? Est-ce que votre femme
Et tout à coup, on voyait un nouvel n'était nullement question d’y tourner va vous suivre, est-ce qu’elle va divor­
arrivant, tout blanc. Il y avait là, je crois, toute une séquence, car on ne peut cer? » On entre là dans des détails
des rapports intéressants à trouver. pas arrêter le trafic aérien pendant des qui ne devraient intéresser personne.
Vous saviez que « Jour de fête - a été semaines sous prétexte que Tati a Tout ce que je puis dire, c’est que je
tourné entièrement en couleur ? Vous décidé de faire un film. Donc, impossi­ suis content d’avoir fait « Playtime »,
19
même si quelques personnes me font
la tête à cause de cela.
Cahiers Vous parlez tout le temps de
votre film en termes de comique. Or la
fin, pour ne parler que d'elle, dégage
une grande tristesse.
Tati J'avais un grand-père, qui était
russe, et je lui ressemble beaucoup.
Cette tristesse dont vous parlez, c'est
un peu mon côté slave, ce fait étrange
d’étre satisfait par les mauvaises nou­
velles, parce qu'on a aussi besoin de
mauvaises nouvelles. Mais cette tris­
tesse ne manque pas, il me semble,
d’une forme de générosité, de chaleur,
dans le manège final, par exemple...
Je reviens sur ce que j’ai dit tout a
l'heure, les gens n’observent pas assez.
Je ne vais pas vous faire un cours sur
l’observation, mais quand on observe,
tout devient différent. Tout doit être
prétexte à curiosité, une feuille d'arbre,
une poignée de porte... La poignée de
porte du Royal Garden est là pour
vous faire rire de votre propre poignée
de porte. Je me promène beaucoup,
tout seul, et je regarde. Un endroit
que j'adore, c'est le bureau de
tabacs en face des laboratoires L.T.C.,
à Saint-Cloud. On sent bien que tous
les types à casquette qui sont là n’ont
pas besoin de se téléphoner pour se
dire ce qu'ils ont à se dire. « Tu pré­
pares ma 4. hein, parce que sans
quoi... » « Ouais, ouais... ». On entend
là un dialogue merveilleux, qui est un
vrai dialogue, parce que par exemple,
ils ne demandent pas simplement un
café avec un cognac, non, ils donnent
des rai sons : - Ouh, j'ai pas chaud...
brrr... », en se frottant les mains, il faut
toujours une raison pour prendre un
remontant, alors... ■ comme il fait pas
chaud, donne-moi donc un p’tit co­
gnac » ! Tout de suite après (je l'ai vu)
un autre type arrive : ■ Oh là là, j’suis
crevé, quel boulot, en nage mon vieux,
donne-moi un café, puis tiens... un
p’tit cognac, parce que là... » Ça mar­
che aussi bien sur le froid que le
chaud ! Je crois fermement à ce genre Jacques i
de dialogue populaire, je vais aux Tati dans !
matches de foot, partout où il y a du • Playtime *. (
monde, et j'écoute. l

Cahiers Que pensez-vous des réac­


tions suscitées par « Playtime - ?
Tati Elles ont été très variables, et très
opposées. Mais je me sens assez seul.
Vous, vous ‘êtes jeunes, vous pouvez
parler entre vous, mais moi ? Truffaut
m’a écrit une lettre qui m'a beaucoup
touché, où il dit — ce n'est pas mé­
chant — . il dit : * Avec qui Tati va par­
ler de son film ? • C'est vrai, avec qui je
vais parler de mon film, avec quel ci­
néaste ? Il y a bien Fellini, qui est un
vieil ami, mais il est loin, il est à Rome,
alors ? Quant à l'Etat il ne prend pas
le cinéma très au sérieux, il le consi­
dère comme un art mineur, il a peut-
être raison, seulement, puisque j ’ai
commencé, je continue. Et je suis un
peu trop vieux pour me mettre à ap­
prendre la sculpture.
(Propos recueillis au magnétophone.)
20
Les
clés du champ
hommages
pas très compliqués qu'exécute cette et l'idée insensée d'avoir fait installer,
LE C ARREFO UR TATI jeune danseuse encouragent plutôt dans le hall de son Casino, des son­
PAR JEAN-ANDRE FIESCHI Hulot dans les siens. nettes qui fonctionnaient vraiment.
Il disparait avec sa partenaire dans la On pourrait citer, plus justement
1. Système de notation. La lecture du direction prise par Schulz, etc... » encore, peut-être, le Sternberg d ' « Ana-
script de - Playtime » est l'une des Il est clair que la masse d'informations tahan » : rien dans ce film, on s'en
plus harassantes et des plus fasci­ ici fournie, à la fois sur les person­ souvient, qui ne provienne de l’inten­
nantes qui soient. La rage de précision nages, leur psychologie, leurs mimi­ tion la plus délibérée de l'auteur de
qui hante Tati et le pousse, déjà, à tout ques, leurs déplacements, et sur le tout maitriser, de tout contrôler. Ici,
inscrire sur le papier, donna naissance décor où ils évoluent, atteint un point- comme chez Tati, il semble que rien
à un volume de cinq cents pages, ré­ limite dans cette ingrate forme de lit­ ne pré-existait au film, à la construction
servé aux techniciens et dont on peut térature qu'est un script. Mais là n'est abstraite du film. Sinon, dans les deux
extraire, à titre d’exemple, et comme au pas l'important : ces informations, don­ cas, un élément de base, ancrage
hasard, le n° 269, dans la scène du nées une à une, se retrouveront globa­ -réaliste» nécessaire des plus folles,
« Royal Garden ». Notons d'emblée que lement sur l'écran, au sein du même des plus rigoureuses variations formel­
ce numéro est loin d'être le plus espace. Sans qu'il soit besoin, pour les : l'histoire « vraie » des prisonniers
complexe. « Plan demi-ensemble de la l'instant, d’insister, on voit comment de l'île, racontée par l'un des survi­
salle. Appareil sur l'estrade, axé vers le système d'écriture laisse déjà pré­ vants, chez Sternberg, et ce qu'il faut
la piste de danse. sager les difficultés de lecture. Nous y bien nommer, de façon fort décevante,
Nous raccordons dans le mouvement reviendrons. les « facultés d’observation » chez
du gérant qui, en contrebas de l'es­ 2. Tativille. L'épuisante genèse du film, Tati (cf. § 7).
trade, s’arrête pour regarder les dan­ dont la presse, ces dernières années, Au départ de l'édifice (la Ville, le
seurs. a été le témoin plus ou moins bien- Film) il y a la table rase la plus radi­
Avec lui, nous voyons l’Américain, cale qu'il soit loisible d’imaginer. Page
homme d’affaires comblé, évoluer en bianche, toile' blanche cessent d'être
direction de la partie la plus décorée 'des métaphores commodes, mais faus­
du Royal. ses : des bulldozers nivellent un im­
En effet, si les côtés de ce décor bota­ mense terrain vague, l'épurant de tout
nique et très moderne sont peints sur brin d'herbe parasite. Le cinéaste appa­
les murs en trompe-l'œil, la partie cen­ raît d'abord comme un architecte, et
trale en plantes naturelles a été compo­ parmi les plus audacieux (aussi témé­
sée de façon à faire suite à la peinture raire que Gaudi, aussi pur que Lloyd
murale et à permettre le passage au Wright). Il construit bribe par bribe,
service et la visibilité aux clients. panneau par panneau, une fantastique
Le gérant repart et, longeant la piste, métropole bleutée, de verre et d'acier,
suit à quelque distance l'Américain qu'il peuplera ensuite en chorégraphe,
dans ses déplacements. tel le dieu danseur de Nietzsche.
L'appareil avance avec lui en travelling On sait que cette mise en place, ou
avant. mise en scène, demandera des mois
Le gérant est fier de voir qu'un homme d’activité. Il ne suffit pas que la ville
aussi important que M. Schulz s'amuse soit belle, il faut qu'elle fonctionne,
comme un collégien, et que les cou­ qu'elle soit habitable (feux rouges,
ronnes qui se sont multipliées sur les ascenseurs, chauffage, néons, etc.) :
décolletés et les vestons n’ont pas l’air pour peupler ce vaste échiquier aux
de gêner les danseurs. parcours logiques et mystérieux. Tati
Arrivé en bout de piste, le gérant s'ar­ se montrera plus stratège que DeMille,
rête à nouveau un instant, le travelling plus chorégraphe que Berkeley. Les
également. Nous voyons le gérant sui­ mécanismes spatio-temporels mis en
vre du regard Schulz qui disparaît au place s'enchaineront en une mécanique
milieu des danseurs, en longeant l'or­ audio-visuelle parmi les plus complexes
chestre en direction du bandeau déco­ ■ Playtime ■ : TaU/Hulot. que le cinéma ait explorées jusqu'à au­
ratif couvert de feuillages qui agré­ veillant, est riche d'enseignements tout jourd'hui (cf. § A).
mente l’entrée de l'office côté baie autres qu'anecdotiques. Et les chiffres 3. Le Voyage. Le va-et-vient, l'aller-
vitrée. cités, pour impressionnants qu'ils soient retour, sont sans doute les figures
Puis, le gérant repart et disparait à son (50 000 mètres cubes de béton, 4 000 génériques de la poétique développée
tour dans l'entrée de l'office, mais côté mètres carrés de plastique, 3 200 mè­ par Tati depuis son premier film. Le
estrade. tres carrés de charpente, 1 200 mètres premier plan des « Vacances de Mon­
Il est remplacé dans le champ par le carrés de glaces, un studio de 15 000 sieur Hulot » en est peut-être la clef
couple de la jeune étrangère et Hulot. mètres carrés d'étendue...) témoignent métaphorique la plus évidente un
et par une jeune twisteuse qui décou­ de tout autre chose que du goût du plan fixe de la plage vide, seulement
vre en ce dernier l'ami de son père colossal, fort à la mode. Comment ne hanté par le mouvement régulier de
qui, le soir-même, était venu leur ren­ pas voir plutôt que Tati, au lieu de conquête et de retrait des vagues. Va-
dre visite. copier le monde, l'a inventé de toutes et-vient merveilleusement cristallisé —
Elle a un petit signe complice à son pièces ? Non à la fastueuse et outre­ incarné — par l'idée de vacance, idée-
égard, suivi d'un « papa » inaudible, cuidante manière des Américains d'au­ force commune aux quatre tatifilms. Un
mais que l'on devine par le mouvement jourd'hui (• Cléopâtre », ici, serait bien lieu vide (village, plage, ville) s’emplit
de ses lèvres et qu'elle souligne d'un piètre référence), mais bien comme le progressivement, comme le ferait un
« chut • en mettant son index devant cinéma n’avait plus pu ou su le faire récipient, avant de se vider à nouveau,
sa bouche. depuis son Age d’or. Si références il symétriquement par rapport à un axe
Hulot, en lui répondant, reconnaît diffi­ y a, c’est vers les fabuleux plateaux central de sur-peuplement. D'où quel­
cilement, en cette affriolante twisteuse, d’ * Intolérance » ou de « L'Aurore », ques figures dérivées, essentielles au
la jeune fille qui sémblait si réservée ou vers le Monte-Carlo reconstruit par fonctionnement plastique et émotionnel
dans sa tenue et ^i bien attentionnée Stroheim sur la côte californienne qu'il de la figure-mère cycle, répétition,
à l'égard de ses parents. faut les chercher. A ce dernier aussi, récurrence, etc. (vecteurs temporels
Loin de lui donneQ'des complexes, les on reprochait alors sa folie du détail, greffés et issus du vecteur spatial).
24 i
« Playtime -, comme « Hulot » dont il que dans ces partis pris eux-mêmes, programmation. Double idée qui obsède
constitue l'admirable développement, dans le procès de cohérence interne le cinéma moderne, et que Tati conju­
est ainsi le lieu où se déploie un aller- q ji fait, dans « Citizen Kane », s’ac­ gue dialectiquement en faisant jouer
retour fondamental (arrivée des touris­ corder contre-plongées et profondeur comme jamais auparavant les virtualités
tes dans la ville-départ), aller-retour de champ, chez Rossellini, behaviou­ de l’image et du son. Le catalogue
lui-même fractionné en une série de risme et refus du montage classique, exhaustif des gags contenus dans le
formes-gigognes où la structure d'en­ ou, dans « Rope *, prise de vues conti­ film est ainsi chose impossible à éta­
semble se complique et se répète à la nue et tension du jeu dramatique. blir : il deviendrait, par la grâce des
fois (aérogare, magasin, restaurant, Or jamais, peut-être, série de partis ressemblances et des oppositions mul­
drugstore). Cette complication, source pris aussi exclusifs, aussi totalitaires, tiples, la totalité du script lui-même. Le
de multiples beautés formelles, est la n'aura été alignée, autant que dans lien qui unit le gag virtuel, en creux,
conséquence d'une magnifique idée, à « Playtime ». S'il est hasardeux d'es­ ou par allusion, aux gags esquissés,
vrai dire fort ancienne dans la pensée quisser leur hiérarchie, et d'analyser aux gags développés, aux gags sur­
de Tati. lequel procède de l'autre, il est du développés, à l'intérieur d’un même
4. Mort du personnage. « Je voudrais moins facile d’en donner une liste plan d'abord, d'un plan à un autre
arriver à faire un film, je ne le cache sommaire et de montrer la loi d'imbri­ ensuite, d'un plan à la séquence, et de
pas, sans le personnage d'Hulot... » cation qui les commande : écran large- la séquence au film entier, établit une
(J.T., entretien avec André Bazin et champ large, rareté des mouvements chaîne où tout repère ne signifie que
François Truffaut, - Cahiers », n° 83, d'appareil - quasi-monochromie (pre­ par rapport à la trame générale, à la
mai 1958). mière partie du moins), multiplication de texture, et non plus par rapport à une
On aura lu, d’autre part, dans l'entre­ personnages - multiplication d'actions quelconque linéarité du récit, même bri­
tien qui précède, les raisons fort perti­ parallèles, fractionnement en larges et sée. Il découle de cette structure, aussi
nentes, d’ordre presque historique, que rares séquences - réduction maximale « décevante » qu'elle est riche (déce­
Tati donne à la quasi-disparition de son vante à la mesure même de son in­
personnage favori. Cette disparition a croyable richesse, laquelle ne va pas
pour premier effet, non négligeable, sans quelque obscure Frustration) une
d 'in v e rs e r les rapports posés dans exigence tout à fait nouvelle vis-à-vis
- Les Vacances de Monsieur Hulot ». Il d'un spectateur que le cinéma, d'ordi­
ne s'agit plus du rapport personnel, naire, essaye plutôt de combler par des
mythologique, d'Hulot au monde, mais moyens plus simples et plus éprouvés.
du rapport du monde à Hulot ou, pour 6. Le rapport au spectateur. Car le
être plus exact, à une infinité d'Hulot. moins paradoxal, dans les réactions
Ce n'est pourtant pas la suspecte mise suscitées ici et là par « Playtime ». n'est
à nu de quelque message humaniste point d'entendre communément parler
qui nous requiert ici (du type - l'homme de longueurs, voire d'ennui. De quelles
écrasé par son entourage et l'automa­ longueurs, de quel ennui pourrait-il
tisme de la vie moderne ») mais bien la s'agir, face à un objet aussi plein, sinon
force poétique, fantastique presque, de ceux que procure une exubérance
issue de cette démultiplication. Il y si parfaite qu'elle lasserait les sans,
avait, dans « Les Vacances... », un pa­ qu'elle gâterait le goût ? Sans doute,
thétique à la limite de l'insoutenable né l'idée que Tati peut se faire de son
de brusques plongées ou digressions spectateur est-elle la plus haute qui
dans une sorte d'Absence, paradoxale­ soit aussi éloignée d'une passivité
ment proche — et combien en avance post-prandiale que d'une familiarité de
sur elles — de celles des « Bonnes Fem­ table d'hôte (malgré les apparences).
mes », • Muriel », ou ■ Les Carabi­ Idée naïve, peut-être, à force de har­
niers » (qu’on se souvienne des fondus diesse : il n’est pas certain que le
au noir, des « transitions », ou d'épi­ spectateur de « Playtime •, au fil de
sodes marginaux comme celui de l’en­ multiples visions, soit censé tout voir.
fant à la glace). On lui demande plutôt de percevoir un
Il se trouve que, dans ■ Playtime », certain nombre de rapports, d’en com­
cette multiplication de personnages, * Playtime • : flèche et porte du Royal Garden prendre la logique, de s'en imprégner
loin de disperser l'émotion, l’accroît. de l'anecdote, dispersion du dialogue jusqu’au point où l'appréhension du
Le réseau de relais, disparitions, réap­ en unités non ou peu signifiantes, etc. détail agit plus comme preuve du fonc­
paritions, déplacements, qui conduit le Bon nombre de ces partis pris s'ins­ tionnement de l'ensemble que comme
film, est générateur d'un pathétique crivent radicalement (semblent s'ins­ élément de pittoresque. L'œuvre existe
essentiellement neuf qui fait de Tati. crire) contre la nature exclusivement pour le seul présent de sa vision, mais
autant que le continuateur ou rénova­ spectaculaire du 70 mm : il va sans un présent total, totalitaire. Règle d'im­
teur inspiré de Sennett, Keaton, ou dire, au contraire, que ce format est manence absolue, qui est celle de la
Laurel et Hardy, le créateur d'un genre pour la première fois exploré en fonc­ musique. Aussi bien, c'est en emprun­
« comique • (?) inédit : aussi radicale­ tion de ses ressources et possibilités tant au vocabulaire musical qu'on par­
ment éloigné du comique traditionnel réelles. Pour fastueux qu'il soit, le viendrait à la plus juste approximation,
(même prestigieux) que Bresson, main­ spectacle cède la place à la profusion à la moins fausse description de l'œu­
tes fois évoqué à son sujet, peut l'être surveillée d’une polygraphie à déchif­ vre, d'un point à l’autre de son trajet
d’une dramaturgie à la Griffith. Ce n'est frer sans relâche, fondée sur l'ordre (du script à la copie piojetèe). Q u ' o n
plus le gag, ou le plan, qui est drôle, infini de la variation. La cellule comique l’éprouve par la simple nomenclature
ou émouvant, mais la seule et souve­ primordiale, le gag, obéit naturellement de ces termes jetés comme au hasard :
raine structure, non plus les éléments à cet ordre, en tirant tous ses pouvoirs. partition, canevas, contrepoint, harmo­
mis en présence mais le fil invisible La notion même de gag, du reste, est nie, série, échelle, gradation, altération,
et multiprésent qui les unit. bousculée, ne devant plus être enten­ armature, pause, contretemps, antici­
5. Logique des partis pris. L'histoire du due en fonction du seul pouvoir de pation, fusée, reprise, accentué, coulé,
cinéma moderne, depuis Welles et le faire rire. Est gag. ici, tout ce qui détaché, hauteur, intensité, tessiture,
Renoir de « La Règle du jeu », pour­ participe de la rencontre, ou du heurt, cadence, orchestration, etc. - Play­
rait être celle de ses partis, pris. Le entre l'idée d'aléa (présente en chaque time » est un film à écouter autant qu'à
critère de réussite réside alors, moins parcours) et celle, toute puissante, de voir, et ceci non seulement eu égard à
25
sa prodigieuse bande-son, mais surtout forme, qu'elle se dessine, s'impose. lui, un grand succès commercial dans
dans le sens où Orson Welles, parlant Soit un restaurant. Qu'y a-t-il dans un beaucoup de pays. Cependant l'accueil
du montage, donc du rythme, disait restaurant? Des maîtres d'hôtel, des du public et des critiques, si enthou­
qu'il se ressent d'abord à l’oreille. serveurs, des clients. Qu’arrive-t-il si, siaste fût-il, demeura assez perplexe.
Car il est sans doute un peu hâtif d'af­ etc. ? Processus d’hypothèses logiques, En général on reliait le film à Mack
firmer que le spectateur soit libre de le tatifilm se reconstruit ainsi touche Sennett et aux grands burlesques, mais
parcourir son propre espace, d'inventer par touche, personnage par person­ en même temps on semblait ressentir
son propre découpage : une seconde nage, geste par geste, jusqu’à ce que une certaine gêne : « ce n'était pas
vision affirme au contraire des parcours l'œuvre vole à la vie son apparence vraiment ça », et on avait beaucoup de
imposés, quelles que puissent être les pour aller exister désormais très loin, mal à définir la véritable originalité de
velléités d’indépendance, et ce par un comme sur une autre planète. Pas Tati. Or, le plus curieux est qu'à un
incroyablement autoritaire contrôle de d'idées au départ, ou juste une petite certain niveau, cette assimilation aux
tous les signes étalés (cf., à titre idée, des milliers d’idées à l’arrivée, grands burlesques n'était pas fausse ;
d'exemple, ce que dit Tati de la cou­ engendrées l'une de l’autre et toutes car, si le comique en tant que tel de
leur). Ce n'est pas le moindre piège dérivées de Ja première, on aura recon­ Sennett et des autres n'a pratiquement
recélé par le film que d’afficher une nu l'une des lois de l'écriture d’au­ rien à voir avec celui de Tati (là il nais­
apparence de chemin des écoliers pour jourd'hui, où le livre (le tableau, la sait toujours de situations purement
mieux nous conduire sur des sentiers sonate, le film) s'invente au fur et à factices, ici il naît presque toujours de
soigneusement balisés. mesure de son méticuleux travail, l'observation, car ce n'est pas à tort
7. Le Carrefour Tati. Développée mar­ découvrant ses propres lois, sécrétant que Tati se considère comme un com­
ginalement, comme à l’écart de tout sa propre structure, et éprouve sans mentateur des mœurs de son temps),
courant moderne, quelle annonçait cesse sa cohérence interne, gagnée il n'est pas moins vrai que les struc­
pourtant avec éclat dans « Les Vacan­ seulement avec le point final. — Jean- tures profondes de son œuvre, qui en
ces... », l’œuvre de Tati, provisoirement André FIESCHI. font la véritable grandeur, sont le déve­
close en ce film-phare, semble résumer loppement moderne de la « mathéma­
(et dépasser) les recherches les plus tique du ga g » des vieux burlesques.
avancées du cinéma de ces dernières NOTES SUR LA FORM E CHEZ TATI Les gags-structures que l'on trouve en­
années, de l’Antonioni de « L’Eclipse » PAR NOËL BURCH castrées dans les films de Keaton, de
au Skolimowski de «Walkover». Ab­ Langdon et surtout de Laurel et Hardy
sente de toute référence explicite, elle Voici que dix-sept ans après - Les préfigurent l'organisation formelle de
les appelle toutes, les convoque toutes Vacances de Monsieur Hulot », Jacques Tati. Mais le génie de Tati consiste à
pour se mesurer à elles (on pourrait Tati a réalisé son deuxième chef-d'œu­ avoir étendu à l'ensemble de son film
dire aussi bien la musique sérielle, les vre, confirmant enfin ce dont beaucoup les principes d'organisation qui ne
happenings, Kafka, Beckett, les mo­ avaient pu douter après l’échec évident fonctionnaient qu'au niveau du gag indi­
biles...). viduel chez Sennett et ses disciples.
Non référentielle, elle l'est pourtant Chez Tati, un gag peut être amorcé
doublement, et surtout, on l’a vu, par dans une première séquence, complété
rapport au monde, moderne ou autre. dans une autre, développé dans une
S’il fallait une preuve, une seule, mais troisième, répété intégralement dans
d'importance, il suffirait de dire que, une quatrième, refusé dans une cin­
de ce monde moderne, - Playtime • quième, etc. Ce n'est là qu’un des
ignore précisément le facteur le plus moyens par lesquels il atteint à une
voyant, le plus essentiel, le plus omni­ unité formelle à travers une disconti­
présent : l’érotisme. nuité du discours, conquête sans pré­
Comment nier, cependant, l'ancrage cédent dans le cinéma dit comique. En
évoqué plus haut ? Il semble qu'on ne refusant systématiquement le recours
puisse aisément s'en débarrasser, ici, au récit-prétexte (dont ni Langdon, ni
par l'unique recours à l'œuvre miroir Keaton ni même Laurel et Hardy n'ont
de son propre projet. Il serait sot, du pu se passer à l'échelle du long mé­
reste, de prétendre que Tati soit à l'abri trage), Tati s’oblige à créer une unité
de toute contradiction, ni qu'il ne témoi­ et surtout une respiration tout à fait
gne d’un penchant * réactionnaire », originales.
incarné moins dans la « critique » que Par ailleurs, les deux chefs-d’œuvre
dans les formes les plus pernicieuses, de Tati se caractérisent par une très
donc les plus efficientes, de la nos­ subtile discontinuité de tension au sein
talgie (figurée, notamment, par les deux même de cette continuité de « regis­
ou trois reflets des monuments de Paris tre » qui fait que ses films apparais­
qui viennent ponctuer, de très affec­ sent si ternes à certaines sensibilités.
tive manière, les moments-clefs de de - Mon Oncle », à savoir qu'il est Outre l’itinéraire discontinu des gags,
l'itinéraire). D'autant plus que tels cou­ l’un des plus grands créateurs de l'his­ si complexe et si parfait, le principal
pables attraits participent évidemment toire du cinéma. facteur « respiratoire » est une alter­
de la force d'impact du film. Revenons en 1952 : pour nous, c'est nance entre moments forts et moments
Mais il semble que la principale — et ce passage des années quarante aux faibles, entre passages délibérément
fondamentale — contradiction se situe années cinquante qui marque le com­ pleins. - bidonnants » et d'autres tout
à un niveau plus troublant : dans la mencement du cinéma moderne, avec aussi délibérément creux, ennuyeux,
mesure où il nous est loisible de saisir - Le Journal d’un curé de campagne », « plats » au possible. Lorsque, dans
les procédés d'invention de Tati, par ce les premiers courts métrages de Franju, « Hulot», l'amie de la jolie fille montre
qu’en montre le film, et par ce qu'il et surtout « Cronaca di un amore » à celle-ci le paysage marin parfaite­
veut bien nous en livrer lui-même, peut- et « Les Vacances de Monsieur Hulot ». ment vide qui s'offre au regard depuis
être est-il possible d'avancer qu'au Bien entendu, tous ces films, pour peu la fenêtre de sa chambre et qu'elle
départ Tati est le cinéaste le moins qu’ils aient suscité au moment de leur lui dit : « Parfois il y a des pêcheurs
doué d'imagination qui soit (cf. les sortie un intérêt quelconque, ont fait là-bas, mais aujourd'hui on n’en voit
exemples de l’entretien, tous tributaires l’objet de malentendus caractérisés. pas », on peut certainement parler d'un
d’observation9). C’est seulement à par­ Mais le plus curieux de tous est celui ■ bon usage de l'ennui ■ ; des scènes
tir de ces observations, qu'apparaît la qui entourait le film de Tati, qui eut, comme celle-là durent longtemps, elles
26
visent à créer un sentiment de vérita­ actuelles (opposition dialectique entre Caporal épinglé » un rapport d’opposi­
ble ennui chez le spectateur, mais ce unité formelle et discontinuité de dis­ tion et non de déduction. Au contraire,
sentiment est si admirablement « dosé - cours, nouvelles fonctions assignées on pourrait presque dire que « Play­
qu'il joue un rôle spécifiquement ryth­ au sujet et au récit, etc.) malgré la time » se déduit de « Mon Oncle » qui
mique dans l'ensemble du film (on position tout à fait à- part qu'elle oc­ se déduit lui-même des « Vacances ».
songe entre beaucoup d'autres aux cupe dans le cinéma aujourd'hui. Déduction ou si l'on préfère succession
plans de la plage vide avec bruit du Noél BURCH. formelle de signes repris et modifiés
restaurant « off », aux interludes avec dans chaque film. C'est un principe
l’enfant à la glace, au couple qui cher­ D’ UN TATI L’AUTRE suffisamment vérifié, par différents
che des coquillages, etc.). types d'analyse, pour qu'il puisse être
_________ FAR PAUL-LOUIS M A R flN _________ appliqué au. cinéma.
Dans ce même ordre d’idées, il est
significatif que beaucoup de specta­ Avant d'aborder un sujet aussi digne Le personnage interprété par Tati et le
teurs de « Hulot - et a fortiori, de de respect et de réflexion que l'œuvre monde
« Playtime », qui constitue l'aboutis­ de Jacques Tati, sont à poser les quel­ H est très important que Tati ait joué
sement de tous les principes énoncés ques principes qui dirigent ces notes. lui-même dans ses films depuis le
dans « Hulot » — se plaignent de ce D’abord, il ne s'agit là que de schémas début et cette présence évolue selon
que les gags ne sont souvent pas directeurs pour une analyse ; ensuite deux axes. 1) Le personnage tend à
drôles. C'est qu'un des autres principes ces schémas ne prétendent pas rendre devenir abstrait. 2) Il est de plus en
de discontinuité adaptés par Tati compte des films ou constituer une cri­ plus déconnecté du monde. Le person­
consiste en un refus de développer tique ou un historique, mais simplement nage de Tati se dépouille d'un certain
certains gags, en une volonté de les indiquer un chemin. nombre de caractères pour devenir une
« tronquer » en quelque sorte. Par op­ Autre principe : notre analyse se veut sorte de forme. Dans « Jour de Fête -,
position à la plénitude keatonienne de uniquement diachronique. Seuls nous Tati interprète François qui parle et agit
certaines scènes comme celle du feu intéressent ici et nous retiennent, le beaucoup, qui communique avec le
d’artifice, « Hulot » déjà contenait de passage ou plus exactement les rap­ monde. Dans les « Vacances de Mon­
nombreux gags qui tournaient délibé­ ports entre les éléments successifs qui sieur Hulot », Hulot (qui sort directe­
rément court, tombaient à plat, soit à se substituent les uns aux autres dans ment de « Jour de Fête • dans sa voi­
force de répétitions littérales, exces­ les films de Tati. Depuis - Jour de ture anachronique en pleine campagne)
sives (la guimauve), soit par leur côté Fête » jusqu’à - Playtime » un certain ne parle presque plus mais agit beau­
«miniature», quasi-invisible (l'eau jetée nombre de signes, formes et rapports coup : ses actions répondent à une
dans la gouttière). Mais ce principe de formes sont modifiés dans un sens situation (comme dans « Jour de Fête »)
est mené infiniment plus loin dans précis. particulière : les vacances, et sont tout
« Playtime ». composé presque unique­ A revoir en effet les quatre films de à fait particulières : tennis, ping-pong,
ment de gags tronqués ou répétés lit­ Tati, un fait s'impose : l'itinéraire de cheval. Dans « Mon Oncle », l'action
téralement ou escamotés ou refusés à d'Hulot se restreint ou plutôt Hulot se
la dernière minute, bref de « mauvais » définit par le fait qu'il n’agit pas ou
gags (pour nous le seul gag « plein » échoue dans ses actions (dans « Les
dans « Playtime » est la porte de Vacances » il avait encore un potentiel
verre qui se brise). Cette sorte de de réussite : au tennis par exemple) ;
douche écossaise trouve son extension il ne consomme pas, il reste désormais
rigoureuse dans le refus du gros plan extérieur et passif. Dans « Playtime »
observé déjà dans « Hulot » et qui enfin, Hulot « existe » tout juste, il est
aboutit dans » Playtime » au parti pris là, et aucun gag ne découle directe­
radical que l’on sait. Mais un des ment et uniquement de lui ; et surtout,
points communs entre les deux films souvent il n’est pas là. Donc le coeffi­
est précisément cette dialectique qui cient de présence du Personnage tend
oppose, au sein même de cette ima­ à varier dans un sens bien précis.
gerie « distanciée », des gags qui sont Profession
mis en évidence par l’organisation du H e3t évident que Tati est très préoc­
cadre à d’autres qui, eux, sont esca­ cupé par le problème du travail. En ce
motés par leur • mauvaise » posi­ sens l'évolution du personnage est inté­
tion dans le cadre ou par le fait que ce ressante car la fonction professionnelle
cadre est grouillant de monde. Cette tend à devenir tout à fait négative.
opposition n’est qu'esquissée dans François est le facteur du village. Si
- Hulot », mais dans « Playtime » elle Hulot est en vacances, c'est qu'une
fournit la structure fondamentale du profession lui est supposée. Dans
film ; celui-ci évolue progressivement - Mon Oncle » il est sans profession
depuis le champ vaste mais extrême­ • Playtime • : Tati et Barbara Dennek au départ, se risque à la fabrication
ment simple du début (hall de Orly), Tati est rectiligne. Malgré des erreurs, des tuyaux et, ayant échoué, est réduit
où chaque gag est monté en épingle, en général corrigées (celles de « Jour à la position d'oisif ou de chômeur.
jusqu'aux paroxysmes du restaurant où de Fête » dans - Les Vacances de Dans « Playtime », la première partie
gags et anti-gags se mêlent si étroite­ Monsieur Hulot » et celles de - Mon suggère sans beaucoup de conviction
ment dans des plans grouillants de Oncle » dans ■ Playtime »), le cinéma qu’il cherche peut-être du travail ; rien
monde qu’il faudrait une dizaine de de Tati est celui de la Ligne Droite ne l'indique cependant absolument et la
visions pour les démêler tous (d'ail­ comme celui de Bresson et à l’opposé deuxième partie ne donne aucune ré­
leurs, le long passage du restaurant de Godard ou Renoir qui sont cinéastes ponse à cette question.
contient en microcosme l'évolution de la Dialectique. Pour prendre des Permutation
même du film, à partir des champs de exemples nécessairement schémati­ Nous partons donc d’un personnage
la salle presque vide jusqu'au désar­ ques les éléments de « Pierrot le fortement typé au début de l’œuvre,
roi final). Mais une analyse des struc­ fou » sont exactement à l'opposé des par son accent, son métier, son cos­
tures de - Playtime » est une tâche éléments de « Masculin féminin » (ro­ tume et ses actions, pour arriver pro­
complexe que nous n’aborderons pas mantisme — analyse sociologique, scé­ gressivement à un personnage abstrait,
ici. Nous voulions simplement indiquer nario à itinéraire — immobilité citadine, schématique — pour ne pas dire sque-
à quel point l'œuvre de Tati s'inscrit etc.) ; de même - Le Testament du Doc­ lettique. Cette évolution a un sens et
dans les grandes lignes des recherches teur Cordelier » entretient avec « Le un effet sur le plan formel : le gag et
27
le comique, qui étaient d'abord véhicu­ Les Américains prenait chaque acteur en particulier
lés par Tati, basculent automatiquement Cette transformation est arrivée à son avant chaque prise (il y avait parfois
vers le monde et Hulot n'est plus qu’un point maximum aux Etats-Unis et Tati jusqu’à cinquante personnes) et il lui
regard qui peut-être disparaîtra dans depuis le début y fait référence. Dans indiquait les gestes qu'il devait faire,
les prochains films. Ensuite, et par con­ - Jour de Fête » on présente un film jouant, mimant chacun des rôles tour à
séquence, le monde bascule également documentaire sur la Poste aux Etats- tour. C'est un spectacle inoubliable. 11
dans son rapport avec le film comme Unis et François (imitant à son niveau m'a dit que la caméra ne devrait jamais
totalité. Dans - Jour de Fête » le monde les performances des facteurs outre- se rapprocher des acteurs, et que
était un englobant autour de l'histoire, Atlantique) ne cesse de dire « Les c'était au spectateur de faire son pro­
et seuls les personnages et les situa­ Américains, les Américains... » Dans pre choix, que ce n'était pas l'axe de
tions se détachaient du petit village de - Les Vacances de Monsieur Hulot • la vision qui devait changer, mais l'action.
Saint-Sévère envisagé comme une référence s'affaiblit mais il demeure C'était là de la part du metteur en
sorte de réalité en dehors du film, la des personnages de langue anglaise et scène un travail bien plus compliqué,
vieille narratrice faisant alors le lien les coups de téléphone de New York bien plus exténuant, bien plus riche
entre la Réalité et ['Histoire du film. reçus par I homme d'affaires. Dans en définitive que celui de découper
Dans ■ Les Vacances de Monsieur Hu- - Mon Oncle » la référence se précise « normalement » les scènes. Le rôle du
lot • un changement capital se fait jour, sans s'expliciter : ce sont les objets metteur en scène est alors comparable
c'est l'identification du monde et du automatiques de la maison, les stérili­ à celui du chef d'orchestre qui doit,
film comme spectacle en soi. L'aspect sateurs et le style de l'usine. Le thème pour réaliser sa propre conception de
documentaire de • Jour de Fête * est se visualise pour devenir dans « Play­ l'œuvre (qui. de plus, ici. se trouvait
abandonné. Tati filme en des plans très time * très important, voire central. être la sienne), communiquer son émula­
longs le Spectacle Comique dont les L’Objet tion, ses idées, aux musiciens, afin
personnages font seulement partie En tant que signe, l'objet subit une évo­ que le travail du premier violon, du
Dans « Mon Oncle », la Maison, l'Usine lution parallèle à travers les quatre violoncelliste et de chacun d’eux par­
et La Petite Place sont des lieux spec­ films. Avant tout professionnel dans ticipe à la vibration générale tout en
taculaires comiques (une restriction doit « Jour de Fête • (bicyclette de François gardant sa propre vibration. Le cadre
être faite pour la petite place qui est et sacoche, manège, tables du café) une fois fixé, Tati, qui jouait fréquem­
aussi un lieu poétique). Enfin dans il devient dans - Les Vacances de ment dans le plan, surveillait surtout
- Playtime » le principe des » Vacan­ Monsieur Hulot » le lien entre des per­ le « timing » de la scène, souvent
ces » est repris admirablement. Trois sonnages en pleine facticité, donc il composé de variations rythmiques ex­
lieux de Spectacle : l'Aérodrome, l'im­ prend une valeur en soi. La balle de traordinairement complexes.
meuble et le Restaurant. La caméra ne ping-pong établit une relation entre les Pour parvenir à un résultat aussi mira­
fait que montrer ce monde qui a peut- personnages comme le menu ou le culeux de précision, il n'y a pas eu
être grignoté le personnage de Fran­ bruit de la porte. La fonction change énormément de prises, il y a eu par
çois. Pour résumer cette évolution, on encore dans « Mon Oncle -, où l’objet contre énormément de répétitions. On
peut dire que Tati tend à éliminer tout devient lui-même un élément consti­ a parfois répété un plan pendant trois
« arrière-monde » dans ses films et tout tuant du monde. Le jet d'eau, la maison ou quatre jours avant de le tourner, je
se passe comme s'il n'y avait rien en et les tuyaux tendent à constituer la crois que c'est peut-être sur ce point
dehors du cadre : l'opération réalisée réalité. Enfin dans - Playtime » l’objet fondamental qu'a joué chez Tati l'apport
et réussie depuis « Jour de Fête • se est maître au point de déterminer les considérable des techniques du théâtre
présente donc comme une réduction du individus, de les situer. Trois exem­ ou du music-hall. Son idée abstraite
monde à la réalité écranique, réduction ples : le dossier dans le bureau, la était si forte qu'il pouvait consacrer
permise par la permutation Hulot- publicité et la flèche du restaurant. tous ses soins, toute sa vigilance, aux
Monde et. dans * Playtime », par Reste à savoir si le signe préexiste en détails, même les plus infimes. En ce
l'agrandissement de l'espace. lui-même à son futur et si le temps qui concerne la couleur, on s’est dit que
n’est que le lieu d’un développement. dans la vie les yeux font tout naturelle­
Lieu et Nature Réduits à l’éternité il nous resterait ment la mise au point sur un objet, et
Cette évolution des signes affecte d'ail­ alors à attendre le prochain film de que cet objet cache alors tous les autres.
leurs les moindres détails. Dans - Jour Tati pour constater cette altérité fon­ Il fallait donc empêcher toute disper­
de Fête » le film est situé dans un petit damentale de l’identique. sion. Nous voulions que le spectateur
village où nombreuses sont les réfé­ Paul-Louis MARTIN. voie les couleurs uniquement quand
rences à l'ordre naturel (animaux, pay­ nous avions décidé qu'il devait les
sages). Dans - Les Vacances de Mon­ voir. Au cinéma, on cherche toujours
sieur Hulot » on passe d'un village à
LA CATHEDRALE DE VERRE les contrastes nous avons fait le
une petite plage envahie par les cita­ PAR JEAN BADAL contraire. Car ce n’est pas le contraste
dins : c’est donc un milieu semi-naturel qui est dramatique La couleur est un
mais on trouve ici et là un plan de mer J'ai connu Tati lorsqu'il était déjà en complément, un élément du drame, un
ou de campagne. Dans - Mon Oncle » train de construire sa Ville. Il avait en sentiment. L'image ne doit pas repré­
on passe à la cité, a l'univers industriel tête des idées extrêmement précises, senter quelque chose, elle doit être
mais il reste la petite place qui réalise notamment sur la couleur. Auparavant, une idée ■. c’est pourquoi le principe
une sorte d'équilibre ; on y trouve des il avait fait plusieurs essais, avec sélectif des couleurs chez Tati me
fleurs, des fruits et un certain désordre. d’autres opérateurs, mais ces essais ne semble si fructueux. Ce n'est pas
Dans « Playtime - enfin le film est ressemblaient pas du tout à ce que parce que la pellicule Kodak a la fa­
situé uniquement dans un univers cita­ lui avait imaginé. Il s'exprimait avec culté d'enregistrer toutes les couleurs
din, automatisé et ordonné. La nature une ‘précision de géomètre, et toutes qu'il faut précisément les utiliser tou­
s’agglutine sur les chapeaux des Amé­ les idées, absolument toutes, figuraient tes. Cocteau disait « qu’un peintre a
ricaines (fausse indication) et apparaît sur le script. toujours trop de couleurs à sa palette,
dans le délire des hôtes et dans le brin Il m'a expliqué qu'il ne recherchait pas un poète trop de mots dans son voca­
de muguet. Ce déplacement du lieu, de un style de photo particulier ni aucun bulaire ». Tati a bien compris cela.
la campagne à la ville, de la nature à des effets qu'on demande d’ordinaire à Depuis que j’ai fait « Playtime », j'ai le
la technique, désigne une tendance à un opérateur, mais qu'il souhaitait sim­ sentiment d’avoir été jusque-là un mi­
rentrer en contact avec la production plement voir réalisé sur l'écran ce qu'il niaturiste. Ici, c'était plutôt, une cathé­
industrielle qui rend possible la méca­ avait imaginé. Il était comme un cho­ drale où chacun apportait sa pierre. —
nisation et partant la transformation du régraphe qui a défini sur le papier tous Jean BADAL (Propos recueillis au ma­
monde. les mouvements de ses danseurs : il gnétophone).
28
JACQUES TATI TOURNANT - PLATTIME
Filmographie ploitants se refusent à reco n ­
naître l'im pact public Seule
les habitants de Sainte-Sévère
(Indre).
laïde Dam elli (Mme Richard),
Denise Péronne (M lle Février).
de Jacques Tati une p re vie w jugée positive les Tournage du 13 mai 1947 au M ichel G oyot (Vendeur de
fera revenir sur leur décision. 15 novembre 1947. Le film est voitures), Francomme (Pein­
Jacques Tati {de son vrai nom En avril 1961, Tati a un numé­ tourné en couleur et en noir tre), Dom inique Derty (S e cré ­
Tatischeff) est né le 9 o c to ­ ro à l’O lym pia, avec M ichéle et blanc d'où deux négatifs taire d'Arpel), Claire Rocca
bre 1908 au Pecq, près de St- Brabo et Pierre Etaix, et en dont seul le second est uti­ (Amie de M. Arpel), Jean Ré-
Germam-en-Laye Son père deuxième partie de p ro g ra m ­ lisé Lorsque le film est res­ moleux (Client de l'usme),
était d'orig in e russe et sa me la p rojection de - Jour de sorti récemment ■ en couleur . Mancim (Marchand italien),
mère d 'on g m e française Son Fête » q u 'il mime lui-mème de il s'agissait d'une coloration René Lord, Nicole Regnault,
grand-père, le général D im itn temps en temps devant comme ■ au pochoir » (pro cé ­ Jean Meyet, Suzanne Franck,
Tatischeff, était ambassadeur l'écran. dé Scopochrom e-Lax) et non Loriot, M arguerite G rillières
du Tsar à Paris et son autre Rappelons enfin que Tati, en du négatif couleur original (Voisine), avec la participation
grand-père était l'encadreur de dehors des film s dont II fut des habitants du Vieux Saint-
Van Gogh. Etudes au lycée de le scénariste ou le réalisateur, Maur
St-Germain. Peu tenté par le 1951 LES V A C A N C ES DE
a tourné dans « Sylvie et le Tournage aux Studios de la
métier de son père (encadreur M. HULOT. 96 min. Réal. :
fantôm e * (1945) de Claude Victorine et en extérieurs à
lui aussi), il se lance dans le Jacques Tati Prod. : Fred
Autant-Lara où il tenait le Créteil et à Saint-M aur-les-
music-hall après des débuts Orain pour Cady-Film s-Disci-
rôle du fantôme et dans « Le Fossés.
sp o rtifs (footballeur à l'U.S. na. Scén. : Jacques Tati, Henri
Diable au co rp s * du même Marquet. Phot. : Jacques Mer-
Vésinet, rugbyman au| Racing) Autant-Lara où il était un so l­ 1967 PLAYTIME. 152 mm.
canton, Jean M ousselle. Mus. :
Il joue au ■ G erny's •, le caba­ dat célébrant l'arm istice. (ramené dès la m i-février à
Alain Romans Mont. : Grassi.
ret de Louis Leplée (1933), au 137 min.). Réal. : Jacques
Ginou Bretoneiche, Suzanne
Ritz, pour le Ruban Bleu du Tati. Prod. : Specta Films.
COURTS METRAGES Baron Cons. tech. Henri
Normandie (1934), au Théâtre Scén. : Jacques Tati avec la
1932 O S C A R C H A M P IO N DE Marquet Déc. : Henri Schmitt.
collaboration de Jacques La­
TENNIS. Scén. et In t : Jac­ H. Briaucourt. Ass. : Bernard
grange. Dial, anglais : A rt
ques Tati. Inachevé. Maurice. Pierre Aubert. Cam. :
Buchwald. Phot : Jean Badal
Pierre Ancrenaz, Fabien Tordj-
1934 O N D EM AN D E UNE (Eastmancolor - 70 mm). Déc. :
mann, André M arquette. Dir.
BRUTE. Réal. : Charles Bar- Eugène Roman. Mus. : Francis
de prod. : Fred Orain. Régis,
rois. Scén. : Jacques Tati, A l­ Lemarque. Thème : ■ Take my
gén. : Philippe Schwob. Acc. :
fred Sauvy. Ass. : René C lé ­ Hand • de Dave Stem. Thè­
Pierre Clauzel, André Pierdel
ment. Interprétation : Jacques mes africains : James C am p­
Interprétation : Jacques Tati
Tati. bell Mont. : Gérard Pollicand.
(M. Hulot), Nathalie Pascaud
1935 GAI D IM AN C H E . 33 min. Dir. de prod. : Bernard M a u ­
(Martine). Louis Perrault (Fred)]
Réal. : Jacques B err Prod. : rice. Prod. aas. : René Silvera.
M ichèle Rolla (La tante), A n ­
A tlantic Film-O.M. de Andna. Second chef opér. : Andréas
dré Dubois (Le commandant).
Scén. : Jacques Tati et le W m dmg Cam. : Paul Rodier,
Valentine Camax (L’Anglaise), Marcel Franchi. Interprétation:
clow n Rhum. Interprétation Lucien Frégis (L’hôtelier).
Jacques Tati et le clow n Rhum. Jacques Tati (M. Hulot), B a r­
M arguerite Gérard (La p ro m e ­ bara Dennek (La jeune é tra n ­
1936 SO IG NE TON GAUCHE. neuse), René Lacourt (Le p ro ­
Réal. : René Clé m ent Prod. : gère). Jacqueline Lecomte
meneur), Suzy W illy (La co m ­
Fred O rain p o u r C ady Film. (L amie de la jeune étrangère).
mandante). Raymond Cari (Le
Scén. : Jacques Tati. Mus. : Valérie Camille (Secrétaire de
garçon), M ichéle Brabo (L'e s­
Jean Yatove. Interprétation M Lacs), France Rumilly (La
tivante). G eorges Adlin (Le
Jacques Tati. vendeuse de lunettes), France
Sud-Américain).
1938 RETOUR A LA TERRE. Delahalle (C liente Strand).
Tournage de ju ille t 1951 à o c ­ Laure Paillette et Colette
Scén. : Jacques Tati. In te rp ré ­ tobre 1952 aux Studios de
tation : Jacques Tati. Proust (Les deux dames à la
B oulogne-B illancourt et en ex­ lampe). Enka Dentzler (Mme
1947 L'ECOLE DES FAC­ térieurs à Sain t-M arc-sur-M er, Giffard). Yvette Ducreux (La
TEURS. 18 min. Réal. : Jacques près de Samt-Nazaire. demoiselle du vestiaire). Riia
Tati (qui rem place René C lé ­
Maiden (La compagne de
ment tombé malade). Prod. :
1958 M O N ONCLE. 120 min Mr. Schulz), Nicole Ray (La
Fred O rain pour C ady Films
Réal. : Jacques Tati. Prod. chanteuse), Luce Bonifassy,
Scén. et dial. : Jacques Tati.
Specta Films - Gray Film - Evy Cavallaro, Alice Field,
Ass. : Henri M arquet. Phot. :
A lte r Film (Pans) - Film del Eliane Firmm - Didot, Ketty
Louis Félix. Mua. : Jean Y a to ­
Centauro (Rome) Prod. dél. France, Nathalie Jam. Oliva
ve. 'Dir. de prod. : Fred Orain.
Louis Dolivet. Prod. ass. : Poli. Sophie W ennek (Clientes
Interprétation : Jacques Tati
Alain Terouanne. Scén. : Jac­ du Royal Garden), Jack Gau­
ques Tati. Collab. artist. : Jac­ thier (Le guide), Henri Piccoli
LONGS METRAGES ques Lagrange, Jean L'Hote (Le monsieur important), Léon
1947 JOUR DE FETE. 70 min Phot. : Jean Bourgom (East- Doyen (Le portier), Georges
Réal. : Jacques Tati. Prod. : mancolor). Déc. Henri M ontant (M. Giffard). John
Fred Orain po u r C a d y Film Schmitt. Mont. : Suzanne Ba­ A bbey (Mr. Lacs), Reinhart
Scén. : Jacques Tati. Henri ron Mus. : Alain Romans, Ko lld e h o ff (Le directe u r alle­
Marquet avec la collaboration Franck Barcellmi. Dir. de mand). G régoire Katz (Le ve n ­
de René W heeler. Adapt. prod. Bernard Maurice. deur allemand), M arc M onjou
René W heeler. Dial. : Jacques Cons. du film Fred Orain. (Le faux Hulot). Yves Bar-
Tati, Henri M arquet. Phot. : Ass. : Henri Marquet, Pierre sacq (L'ami). Tony Andal (Le
Jacques M ercanton. Cam. Etaix. Interprétation : Jacques chasseur du Royal Garden),
M arcel Franchi, C itovitch, Tati (Oncle Hulot). Jean-Pierre André Fouché (Le gérant du
M auride. Mua. : Jean Yatove. Zola (M. Arpel), Àdrienne S e r­ Royal Garden), Georges Faye
Dir. de prod. : Fred Oram. v a n te (Mm e Arpel). Alain Be- (L'architecte). M ichel Francim
M o n t : M arcel M oreau Cos. : court (Gérard). Lucien Frégis (Le prem ier maître d'hôtel du
Cottm. Déc. : René M oulaeri (M. Richard), Dom inique M a ­ Royal Garden). B illy Kearns
Interprétation : Jacques Tati rie (Voisine). Betty Schneider (Mr. Schulz), Bob Harley, Jac­
M ichel, à l'A B C . au Casino (Le fa cte ur François). Paul (Fille de la concierge). J.-F ques Chauveau. Douglas Read
de K n okke-le-Z oute (1949). Frankeur (M arcel), Guy De- Martial (Walter), André Dino (Clients du Royal Garden).
Dès 1932, il débute au cinéma comble (Roger), Santa Relli (Balayeur), Max M artel (Iv ro ­ François Viaur (Le garçon
avec un court métrage inache­ (La femme de Roger). M aine gne), Yvonne Arnaud (Bonne malchanceux du Royal G ar­
vé. * O scar Champion de Ten­ Vallée (Jeannette). Roger Ra- des Arpel). Claude Badolle den). G ilbert Reeb (Le garçon
nis », puis en 1947 avec son zal (Le coiffeur). Beauvais (Le (Chiffonnier). N icolas Bataille cavaleur du Royal Garden),
prem ier long métrage, * Jour cafetier). Delcassan (La co m ­ (Ouvrier). Régis Fontenay Billy Bo u rb on (Le pilier du
de Fête ■. dont tous les ex­ mère). Valy. Robert Balbo et (Marchand de bretelles). A d é ­ bar). — Patrick BRION

30
L'AFFAIRE
LANGLOIS

1. Historique et bilan. 2. Le texte intégral de la


conférence de presse du 16 février. 3. La liste com­
plète des protestations des cinéastes, acteurs, etc.
Première semaine
Vendredi 9 f é v r i e r Le mandat, pour trois ans, de directeur artistique qu'll ait pu être mené autrement qu'en toute res­
et technique de Henri Langlois arrivant à expira­ ponsabilité et lucidité. Pourtant frappe d'emblée
tion , le Conseil d ’administration de la Cinémathèque la série des maladresses, pas tout à fait close
française se réunit. Après avoir prononcé un vibrant sujourd'hui môme. D ’abord, une constante impré­
hommage de Henri Langlois, son nouveau prési­ voyance, ta méconnaissance complète de la gravité
dent, M. Pierre Moinot (directeur des Arts et Let­ de l’acte entrepris. Quels sont ces dirigeants du
tres) propose étrangement qu'il soit remplacé par cinéma qui ne savent pas, qui n’ont pas conscience
Pierre Berbin. Effarement 'des membres du Conseil une seconde qu’en renvoyant Langlois c'est au ciné­
qu( ne sont pas mus par le ministère. Un délai de ma tout entier qu’ils s’en prennent, et que le cinéma
réflexion d’une semaine est demandé par eux — . tout entier va leur tomber dessus ? Quels planifi­
mais refusé, et l'on passe au vote. Les minoritaires cateurs sont-ils eux-mômes, ceux qui reprochent à
(Mmes Yvonne Oornés et Denise Lemaresquier, Langlois sa gestion? Car M. Holteaux part en va­
M M . Hubert Devlllez, Louts-Emile Galley, Alexandre cances, laissant aux Affaires culturelles le soin d’af­
Kamenka, Jean Riboud, Ambroise Roux et François fronter la tempête... dont — il est vrai — il n’avait
Truffaut) quittent la séance sans voter. Pierre Bar- rien prévu. Mais qui le conseille alors ? Et qui
bln est élu. Des vingt-quatre membres du Conseil, a la charge de renseigner le ministère des Affaires
seize ont voté selon la consigne du ministère. Il culturelles sur tes réalités du cinéma en France?
s'agit donc bien d’une manœuvre télécommandée, D'autres leçons se tirent encore : celle de la
en tous points assimilable à un putsch, et préparée volonté du C.N.C., aujourd'hui affirmée è visage
longtemps à l'avance. Un mois plus tôt en effet, découvert, de coloniser le cinéma tout entier. Le
le bruit courait déjà — et le tort des amis de C.N.C. s’en est pris tour à tour eux producteurs,
Langlois fut de ne paB le prendre au sérieux, tant distributeurs, exploitants, et avant eux, sans cesse,
t'œuvre et la personne en cause leur semblaient aux cinéastes dont il est le peu reluisant gen­
Inébranlables — , le bruit courait déjà dans les darme. Non sans essuyer quelques rebuffades, lt
couloirs du Centre national de la Cinématographle est vrai, car la « profession • est réputée pour
que Barbin allait succéder à Langlois I Et quinze son mauvais esprit. Du moins, penssient-ils, met­
jours plus tôt, au cours du Festival de Tours (dirigé tant la main sur ta Cinémathèque, voilà une proie
par Barbin), se tenait une réunion « secrète » entre facile et que personne ne nous contestera. Pou­
M. Moinot, M. Holleaux, M . Chevasson (attaché vaient-Ils Imaginer que la Cinémathèque était le
au cabinet de M . Malraux) et des fonctionnaires cœur véritable du cinéma français ?
du ministère des Finances, afin de régler les pha­ Mais quels sont les mobiles du Centre? D'une
ses de l'opération. part, sans doute, cette ambition propre eux orga­
Pendant, ce môme vendredi, que les membres nismes de régie de tout vouloir contrôler, exa­
réfractalres du Conseil d ’administration communi­ miner, posséder. D'autre part sûrement quelque
quaient è ta presse leur désaccord quant à la chose qui ressemble à de la haine pour l'homme
décision prise le matin même, et que les premières Langlois. son indépendance, sa compétence. Car
protestations des cinéastes commençaient d’arriver, le Centre, s'il est te royaume des ambitieux, n’est
M. Holleaux, estimant sans doute l’affaire une pas forcément cetul des compétents. Il y a d'au­
bonne fois réglée, partait en vacances pour quinze tres points encore, dont l'analyse peut-être est
jours, et Pierre Barbtn, vers tes 15 heures, entrait, prématurée, et parmi eux ce • dépôt légal >, serpent
à la tète d'un petit commando de fidèles, dans un bref moment ressorti des mers pour épouvanter
les locaux de la Cinémathèque, rue de Courcelles, les producteurs. Que signifie le « dépôt légal »
s’installait dans le bureau de Langlois, n'oubliant — mesure nécessaire à long terme — dans l'im­
pas, pour plus de sûreté, de faire changer les ser* médiat ? Bloquer les films dans les blokhaus. C ar
rures. Au même moment, on remet, sur te trottoir, on tes donnera, bon gré mal gré, mais sans le
6a lettre de licenciement à Mary Meerson. Et cette droit de les projeter, et surtout pas à la Télévi­
invasion tragl-comlque se termine en apothéose : sion. Et voici donc que point un autre des car­
Mme M arie Epsteln, collaboratrice de longue date nassiers de la Cinémathèque : notre Télévision,
de Langlois, et qui avait déposé d'importantes qui ne détesterait pas utiliser pour meubler ses
collections à la Cinémathèque, est enfermée par longues et coûteuses heures de programme te
l'insouciant Barbin rue de Courcettes. Vers minuit, stock de Langlois... Aurait-elle, notre télé, quelque
quand elle eut fini de ranger ses dossiers, elle intérêt s o u b roche, pour ensuite s'être bien gar­
songea è partir, trouva la porte close, et c'est dée de mettre l'affaire aur le tapis, et n’svoir dif­
M.. Moinot lui-même. rouge de honte, qui vint ta fusé. en fait d'informations, que celles issues du
délivrer. ■ Journal officiel ■ ? Grosse de toutes les questions,
Cette brillante journée nous apprend plusieurs cette première Journée d'une « affaire ■ qui n'est
c h o s e B . Que l'éviction de Langlois n’est pas le pas près de finir porte en tout cas la double
fait du hasard, ni celui de la logique ou de la et contradictoire marque du calcul et de l'incone-
règle démocratique. Q u’il B'agit tout au contraire cience : réussir leur - coup - , dans ces conditions,
d'un complot longtemps mûri, dont on Imagine mal c'étsit, pour les ennemis de Langlois, le rater.

S a m e d i 10 f é v r i e r Commence la guerre de positions, de couloirs et mathèque. direction dont il n'était pas chargé I
de tranchées, la bataille des téléphones, les éclats A noter encore : la rapidité, la violence des réac­
de presse, premiers d’une longue suite. « Combat > tions. En quelques heures le cinéma a'est mobilisé,
avec Chapier . le matin, « Le Monde » avec jean et dès ce samedi, plus de cent télégrammes sont
de Baroncelll l'aprés-midl tout â la fols informent envoyés à travers le monde, demandant aux plus
et protestent. Quarante cinéastes déjà, et non des grands cinéastes de protester en interdisant (a
moindres (Gence, Truffa ut, Resnais, Franju, Godard. projection de leurs films. Dans le bureau dea
Marker, Astruc, Chabrol, Bresson, Renoir, etc.) non • Cahiers » qui prend déjà son allure de P.C., l'on
seulement s’indignent mats (à l’initiative de qui ?) rédige une motion qui sera signée par tes criti­
trouvent d'emblée la plus efficace réponse : l'in­ ques, acteurs, écrivains, etc., et qui invite « tous
terdiction faite à une cinémathèque sans Langlois les amis du cinéma à se solidariser svec toute
de projeter leurs films, boycotter la Cinémathèque, manifestation susceptible de contrecarrer la décision
par ta double absence des spectateurs et des œu­ arbitraire qui frappe Henri Langtols. > Noter égale­
vres. Et Jean de Baroncelll répond au communiqué ment, déjà, ce qui sera le grand événement de la
embarrassé (déjà) des Arts et Lettres : « Ce né semaine, et qui fera date dans l'histoire du cinéma :
sont ni les bons comptables ni tes bons gérants qui la solidarité de tous les cinéastes et amis du ci­
manquent en France. Mais 11 n'y avait qu’un Henri néma, leur front commun, par delà divergences,
Langlois. Allons-nous admettre qu'on nous le contradictions, dispersions habituelles. Unies pour
prenne ? * Quant è ce premier communiqué des la première fols dans l’histoire du cinéma français,
Arts et Lettres, on ne manquera pas d ’en relever toutes les générations de cinéastes, de Gance à
la curieuse ambiguité : l'on y reproche è Langlois, Eus tache, de toutes couleurs politiques ou esthé­
- directeur artistique », de n’avoir pu complètement tiques. En quelques heures, la décision arbitraire a
assurer la ■ direction administrative » de la Ciné­ fait l'unanimité contre elle.

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D im a n c h e 11 f é v r i e r Deux priées de position violentes : « Le Journal teur du Centre national de la Clnématogrèphle)
du Dimanche • et « L’Humsnltô Dimanche • (Fran­ précisait nettement ô l’intention , des sceptiques et
çois Maurln). Les' signatures continuent d'affluer. des indécis ■ : « Voici le. candidat qui a l’agrément
Les télégrammes de partir. Commencent de percer du ministre de le C u ltu re», et à chaque.fois, les
les premières précisions sur le déroulement de la représentants de l’Etat, disposant dee « pouvoirs ■
fsmeuse séance du Conseil d ’administration extorqués les jours précédents dsns des conditions
Truffaut écrira : « Il n’y avait aucune équivoque balzaciennes, obtenaient la majorité... *.
possible. Avant chaque vote, M. Holleaux (le dlrec-
L u n d i 12 f é v r i e r L’une dea plus longues et des plus violentes cam­ cinéastes, critiques, cinéphiles et acteurs devant la
pagnes de presse que nous ayons connues com­ Cinémathèque de la rue d'Ulm. On s’est ■ retrouvés
mence avec les articles de Truffaut, Chabrol, Phi­ là, sans très bien ssvoir quoi faire : la première
lippe Tesson et Henry Chapier dans • Combat • idée fut la bonne, de se mettre en piquet de grève
(qui titre : • Le mythe Malraux a assez duré »). et de déconseiller gentiment aux éventuels specta­
dans • L’Aurore » (Guy Teiaseire), « Le Figaro ». teurs d ’assister à des projections de la Ciném a­
etc. Ptua de soixante cinéastes ont signé la mo­ thèque sans Langlois. On avait griffonné des pan­
tion d’interdiction. Fait probablement unique dans cartes, qui furent hissées au-dessus de la .porte ;
les annales : les héritiers eux-mômes des cinéastes des cinéphiles, par leurs propres moyens, avaient
protestent. Mme Luce Vlgo-Sand Interdit la pro­ fait Imprimer des tracts ; photographes et journa­
jection des films de Jesn Vlgo. Dans la semaine, listes, suivis par quelques policiers, arrivaient. Sepi
son exemple sera suivi par une dizaine d'ayant spectateurs seulement entrèrent à la sésnce de six
droits. Très vite aussi, tes syndicats. Mais l’essentiel heures. Michel Simon et Claude Berrl venaient, à
reste la manifestation qui — ' spontanément — ras­ huit heures, rejoindre Godard, Rouch, Chabrol. Kast.
sembla, de 18 heures à 22 heures, deux à trois cents Doniol-Valcroze, etc.

M a rd i 13 f é v r ie r DanB les Journaux : articles de Rouch et de J.-A. ple, le fichier de la production cinématographique
Penent dana « C o m b a t» , qui se lance tout, entier du Centre pourrait être confondu avec le système
et de plus en plus dans ta bataille. Photos des de fiches de Is Cinémathèque. > Ces vœux hypo­
piquets de la rue d’Ulm et de Michel Simon. Les crites reviennent à vouloir faire main basse sur les
premières protestations des cinéastes étrangers films d'une part, d'autre part, en suggérant le trans­
arrivent. Guy Allombert prend parti dans « Le Po­ fert du fichier de la Cinémathèque au Centre, è
pulaire ». Première contre-offensive du Centre : un vouloir s'assurer le contrôle de la programmation,
article non signé paraissant dans - France-Solr ■ non seulement dans les salles de la Cinémathèque,
et définissant les « buts que devrait poursuivre la mais dans lea ciné-clubs (autres organismes dont
Cinémathèque française : grouper en un seul orga­ l'indépendance culturelle agace le dirigisme du
nisme toutes les cinémathèques existant : posséder Centre) et à la Télévision. La conséquence en serait
une organisation telle que les films puissent être d'une part une culture filtrée, orientée, utile é telle
mis à Ib disposition des associations culturelles, ou telle propagande, d'autre part la mise à l'oubli,
Bervlr l'expansion des ciné-clubs en leur fournis­ à l'enfer des œuvres jugées par le C.N.C. trop
sant tout le matériel dont Ils ont besoin, organiBer dangereuses ou subversives. Posons le question :
des échanges avec lea cinémathèques étrangères B eu! au monde, Langlois projette régulièrement
sous forme de manifestations de prestige indispen­ ■ L'Age d 'O r » ; une Cinémathèque d'Etat, alimen­
sables ; organiser des rapports avec la télévision tent des circuits de ciné-clubs d'Etat et une Télé­
dont les possibilités de diffusion ne peuvent plus vision d'Etat programmerait-elle ce film malgré les
être aujourd'hui négligées ». C ’est, dicté par lee pressions ? On en doute.
éminences g r lB e s -du C.N.C., le plan de la manœu­ L'après-mldl de ce mardi, les employés licenciés
vre. Regrouper, contrôler, exploiter, rentabiliser : de la Cinémathèque manifestent pacifiquement à
ces objectifs - culturels » dissimulent mal volonté Challlot. Des Inscriptions, recouvertes le soir
de puissance et épreté au gain. L'auteur anonyme même, viennent agrémenter les murs de « l'Ex-
de l’article, après s’en être pris, sur un ton très Musée du Cinéma » et ceux du C .N .C . La ferm e­
C.N.C., ô « la confusion dana laquelle s 'e n llB e de­ ture > pour cause d'inventaire et de réorganisa­
puis des années le cinéma français », regrette que tion ■ des deux salles est rendue officielle. Mais
■ les travaux de recherches et de documentation sa véritable cause est que la programmation des
entrepris à la Cinémathèque fassent double emploi films ne peut plus être assurée (pas plus que le
avec ceux menés au Centre du Cinéma. Par exem­ bon déroulement des séances, d'ailleurs).
M ercred i 14 f é v r i e r Journée des * matraques ». Une date dans l'histoire de Challlot. Des slogans : « Holleaux démission I ».
culturelle de la France : on n'avait jamais vu les ■ Barbln démission I ». Dans les jardina, premier
policiers charger contre (es cinéastes, acteurs. Intel­ barrage de police et premlera heurta. Godard réussit
lectuels. Grâce à quelque commissaire apeuré, c'est è percer le barrage, mala seul. On le laisse repar­
chose faite, rien ne pourra l'effacer. A l'appel des tir. La manifestation se déplace, repasse par l'es­
• Enfants de la Cinémathèque ». trois mille per­ planade du Trocadéro, et descend l’avenue du Pré­
sonnes se groupent sur l'esplanade du Trocadéro, sident Wllson, bloquant la circulation. Au carrefour
entre le T.N.P. et le Musée de l’Homme. Une tren­ de l’avenue Albert-de-Mun. nouveau barrage. Et là.
taine de cars de policiers et de gardes mobiles cer­ la police, sur plusieurs rangs, charge, matraques
nent le quartier dès 15 heures. Interdisant les hautes. Des blessés parmi les manifestants : Go­
abords de la Cinémathèque par l’avenue Albert-de- dard, Truffaut qu'on soigne sous un porche, Ber­
Mun. Les télévisions (la française qui ne fera rien, trand Tavernier qui a le visage en sang, Anne-Ma-
les étrangères qui feront de longs programmes sur rie Roy le poignet cassé. La femme d'Yves Bolsset
rAffaire) sont là. L’on distribue à la foule le tract tombe à terre et est frappée par les forces de
des « Enfants de la Cinémathèque » qui sera lu l'ordre. La foule reflue vers le Trocadéro. Godard
par Jean-Pierre Kalfon. Puis Ton se met en mar- donne l'ordre de dispersion.
che, par les jardins du Trocadéro, vers la sa Ile

J e u d i 1S f é v r ie r L'Affaire prend les allures d'une révolte. Malgré è dea blessures »), le presse entière réagit. On dit
les communiqués légèrement tendancieux du repor­ que le préfet de police n'est pas vraiment félicité
ter de l'A.F.P. (* Quelques centaines de manifes­ par lea Affaires culturelles. Les acteurs (présents
tants », des « énergumènes badigeonnés de mer- nombreux à Challlot), se solidarisent avec les
curochrome, comme dans un film, pour faire croire cinéastes.

V endredi 16 f é v r i e r Conférence de presse : cinq télévisions étrangères, Pendant cette semaine, M. André Holleaux était en
trois cents journalistes, vingt cinéastes y partici­ vacances, et Henri Langlois préparait la convoca­
pent. On en lira le texte plus loin. Un second com­ tion d'une Assemblée générale extraordinaire de la
muniqué des Arts et Lettres parait, en retrait net Cinémathèque. On sait aujourd'hui qu’il y a réussi.
sur le premier, falaant état de « nouvelles fonc­ M ais ce n'est que la première étape d'une longue
tions artistiques • qu'ils conviendrait de trouver à marche : Il ne fait plua de doute pour personne
Langlois, et ànnonçant la remise 6 l'ordre du Jour que, le temp8 de sauver la face, Langlois sera
du fameux « dépôt réintégré et Berbin remercié. — J.-L. C.

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conférence de presse ou autre chose. La Cinémathèque Fran­ ganisme qui soit resté après la Libéra­
çaise était, c'est un fait, tout le monde tion) parce que les services de Goeb-
Jean-Luc Godard A mon avis, le ciné*
le reconnaît, la plus belle du monde. bels en France, trouvaient très Impor­
ma est à la fols un spectacle et une
Ce qui est intéressant c’est que cette tant de pouvoir codifier, de , pouvoir
recherche. Hier, è Chaillot, nous avons
cinémathèque était l’œuvre d’un seul légifier tout ce qui concernait la fabri­
fait le spectacle, aujourd'hui, noua fai­
homme, Langlois. Ce n’est pas parce cation de l'image 'et des sons. A la
sons la recherche. Ce sera sans doute
qu'on lui donnait une petite subvention Libération, le gouvernement a trouvé
moins amusant, mais aussi plus ins­
depuis quelque temps que ça changeait ceci très commode. Je me souviens que
tructif. Ont demandé ô être excusés :
quoi que ce soit è l'affaire. C'est pour­ quand j ’ai voulu commencer è faire du
Alain Resnais, qui est à Varsovie, ainsi
quoi cette affaire nous parait extrême­ cinéma, je suis très naïvement allé
que FrançoiB Truffaut qui termine un
ment grave. chez Kodak acheter de la pellicule. Et
plan. Nous voulions faire hier, devant
Chaillot — mais hélas des policiers sont Alexandre Astruc Je suis entièrement à ce moment-lè, en 47-48, il fallait un
venus troubler l’ordre public — cette d’accord avec ce que vient de dire bon de développement. Un Français
petite conférence de presse pour pré­ Claude. Et il y a une chose qui me n'avait pas le droit de faire librement
ciser, à notre avis, les dix questions fait très plaisir : c’est qu’il a souligné du cinéma. Une autre chose, pour moi
que se posent beaucoup de gens au que la Cinémathèque n’est pas, comme qui m'intéresse au langage et aux mots,
sujet de cette affaire de la. Cinéma­ on l’a laissé croire aux gens, un orga­ c’est que le Centre du Cinéma s'appel­
thèque. Et à notre avis également, les nisme officiel è la tête duquel on aurait le " un organisme de tutelle >. C'est-
dix meilleures réponses que l’on peut mis un des hommes les plus compé­ à-dire qu'on considère les professionnels
commencer à y donner. Ceci devait être tents en matière de critique ou d’his­ du cinéma comme des enfants qui ont
entièrement improvisé, sous le coup.de toire du cinéma, mais a été l'œuvre besoin d'un tuteur.- Et comme des en­
la colère, et de la sympathie pour personnelle de Langlois. Sans lui, non fants donc, on cherche à les corriger
Henri Langlois, au nom de l’attachement seulement cette chose n’aurait pas et à (es mettre d an 9 des parcs. Il se
à la Cinémathèque Française, et ce existé, mais, vraisemblablement, le phé­ trouve qu'aujourd’hui, le Centre du
n’est pas parce que nous avons eu un nomène même Cinémathèque n'aurait Cinéma est au centre de cette querelle,
jour de plus que nous avons eu le jamais existé dans le monde entier. Et puisque son directeur; M. Holleaux,
temps de préparer l’affaire. Nous allons je vais vous en donner un exemple ancien fonctionnaire au tribunal d’Alger
chacun répondre et certainement il y précis •: en 1939, il y avait des gens pendant la guerre d'Algérie, est quel­
aura des avis différents, ie vais donc qui s'intéressaient à l’histoire du ciné­ qu'un qui ne connaît pas du tout le
lire les dix questions : ma, qui cherchaient des documents, cinéma. Il a été mis là simplement par­
1) Qu’est-ce que la Cinémathèque des vieux films, des vieux Chariot, des ce que le Ministre des Affaires Cultu­
Française aujourd’hui? 2) Qu’est-ce que choses comme ça, et Langlois avait vu relles en avait assez de voir sa tête
le Centre du Cinéma aujourd'hui ? 3) un film de Howard Hawks qui s’appe­ dans son bureau. Et on l'a mis à un
Pourquoi le Centre du Cinéma veut-il lait « Seuls les anges ont des ailes >. petit poste, le plus minime qui soit,
coloniser la cinémathèque ? 4) Pourquoi Et il a stupéfié le Muséum of Modem c’est-à-dire à un poste cinématographi­
le remplacement de Henri Langlois ? Art américain en disant : « C’est très que, parce que tout le monde sait que
Et en quoi ce remplacement est-il dif­ important de garder les vieux Chariot, le cinéma, s'il a une Importance cultu­
férent d’un échange de personnes dans mais il faut aussi immédiatement garder relle (ce qui est dénié par certains,
la valse habituelle des hauts fonction­ une copie de « Seuls les anges ont reconnu et même voulu par d'autres),
naires ? 5) La Cinémathèque Française des ailes >. Et ça, c'est formidable. le cinéma, en tant qu'industrie,
peut-elle exister sans Langlois? 6) Le Jean Renoir Je souscris entièrement à n’a aucune importance, c'est la 800»
cinéma (français et mondial) peut-ll ce que vient de dire Astruc. Et à ce par ordre d'importance économique.
exister sans une cinémathèque à la que vous avez dit avant. Je n'ai à ajou­ Donc on a mis Holleaux là (rires), et
Langlois ? 7) Devant les protestations, ter que l'expression de mon sentiment bien sur II s’est aperçu qu'à côté il y
le commissaire du gouvernement parle personnel — je ne peux que dire ce avait un autre centre qui était .beaucoup
de manœuvre politique et agite une que mes collègues diront après moi. je plus Important et surtout renommé dans
fois de plus l’épouvantail communiste. ne peux que répéter ce qu’ils ont déjà le monde, la Cinémathèque Française.
Qu'en eet-fl ? 8) Le ministère parle de dit : c'est que la Cinémathèque n'exis­ Et qu’il fallait absolument faire main
réserver è Henri Langlois un rôle artis­ te pas sans Langlois, et je veux ajouter basse sur elle. Il se trouve qu'aujour­
tique, qu’en est-il exactement? 9) le nom de Mary Meerson qui a énor­ d'hui Holleaux est dans une position
Quel est le rôle joué par le Ministère mément fait. Je crois que s'il n'y avait bizarre ; son prédécesseur Fourré-Cor-
des Affaires Culturelles dans cette triste pas de cinémathèque il n'y aurait pas meray était détesté par les metteurs
affaire? 10) Quels sont les moyens de de centre de lutte contre les horreurs en scène, mais beaucoup aimé par les
défense et d’action dont disposent les du cinéma commercial. Plus nous al­ producteurs. Aujourd'hui, André Hol­
spectateurs de la Cinémathèque Fran­ lons, plus nous avons deux cinémas. leaux est également détesté par les
çaise ? Nous avons le cinéma avec lequel on metteurs en scène et par les trois
Je reprends. Première question fait beaucoup d'argent et, disons-le, quarts des producteurs et des exploi­
qu'est-ce que la Cinémathèque Fran­ qui abrutit le public avec des produits tants qui sont également mes ennemis
çaise aujourd’hui ? Claude Chabrol... d’une très grande banalité. Et puis il à moi. Et il y a quinze jours les ex­
Claude Chabrol Aujourd’hui même, la y a quelques gens qui essayent de ploitants réclamaient la suppression du
Cinémathèque Française ce n'est plus faire un petit peu mieux. Et pour ces Centre du Cinéma. Je reprendrai donc
rien. Vendredi dernier, c'était un hom­ gens qui essayent de faire un petit ce que disait Astruc : Je Centre du
me, c ’était Langlois qui avait réuni en peu mieux, la Cinémathèque était un Cinéma n'est pas du tout l'expression,
une trentaine d’années environ 60 000 centre, un lieu de ralliement, un sym­ pas du tout le porte-voix de la profes­
titres de films. Et ces films, c’est lui bole. Voilà, c’est tout ce que J'ai à sion cinématographique vis-à-vis du
qui les avait collectionnés. Il avait dire. gouvernement, il est le flic du gouver­
également établi un Musée du cinéma Godard Question numéro deux: qu'est- nement. Il est fait pour que le ciné­
dans lequel II y avait des documents ce que le Centre du Cinéma aujourd’hui? ma marche droit.
uniques que l’on venait consulter de C’est moi qui vais commencer à répon­ Chabrol Je ne suis évidemment pas du
partout. Une chose est sûre, c'est que dre ô cette question. J'en ai toujours été tout favorable au Centre. Mais je dois
parmi toutes les œuvres ,dont la France stupéfait, ou plutôt, maintenant, je trou­ dire qu’il y a Centre et Centre. Avant
peut s’enorgueillir, la Cinémathèque est ve ça très normal : le Centre du Cinéma Fourré-Cormeray, il y avait un homme
la seule que l’on pouvait considérer n'existait pas avant la guerre. Il a été qui avait réussi à transformer son tra­
comme une chose vraiment unique. créé, à la demande des Allemands, par vail de flic en quelque chose de plus
Bien plus que le pont de Tancarvllle Vichy (c'est-à-dire que c’est le seul or­ important. C'était Jacques Flaud, qui
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avait fait énormément de choses, è tel administratif, dépendant juridiquement, Donc, ce local a été acheté par un
point que le cinéma français de son organiquement, du Centre National du prêt à l’U.G.C. qui a ôté remboursé
temps avait fini par s'en trouver pas Cinéma. Beaucoup de gens dans le par la Cinémathèque Française, année
mal. grand public, parce qu'ils ont été mal par année. Il ne manque plus qu'à
Godard A tel point qu’on l’a vidé. informés par une presse elle-même mal rembourser un million 700 mille anciens
Chabrol Bien entendu, ça c’est obliga­ Informée, ont pu croire que la révoca­ francs. C'est-à-dire une somme assez
toire. Il finissait par être du côté des tion de ' Langlois était la révocation dérisoire. Donc, à l’heure actuelle,
gens de cinéma. C’était l’anti-Holleaux, d'un fonctionnaire et que, somme toute,, Pierre Barbln n’est pas chez lui, il est
puisque lui était à la fois aimé des c ’était l’affaire du gouvernement. Mais abusivement dans le local de la rue
producteurs et des metteurs en scène. Langlois, è la différènce de ce que de Courcelles. Et d'autre part le titre
Jacques Rlvette Plus aimé des metteurs peut ôtre le Directeur du Centre Natio­ même de « Cinémathèque Française ■
en scène que des producteurs. nal du Cinéma, quelle que soit sa per­ appartient à l’Association générale.
Chabrol Enfin, il était supporté. A ma sonne, n’était pas un fonctionnaire. Donc, Il le revendique également abu­
connaissance, ni les exploitants, ni les C ’était le représentant d’une associa­ sivement. (Applaudissements.)
distributeurs, ni les producteurs tion privée, un organisme privé régi Godard Avant de poser la question trois,
n’avaient jamais demandé la suppres­ par la loi de 1901, dans lequel le è laquelle Rivette va répondre, et pour
sion du Centre du Cinéma du temps de gouvernement avait fait intrusion, pour qu'il reprenne son souffle, une petite
Flaud. Alors qu’ils l’ont demandée du ne pas dire était entré par une opéra­ histoire drôle à propos de la première
temps de Holleaux et vont encore la tion de noyautage, mais théoriquement fols où j'ai vu M. Holleaux, dès qu'il
demander vraisemblablement d'ici peu. au même rang que n’importe quel mem­ avait été Installé au Centre du Cinéma.
Astruc Je voudrais répéter une chose bre privé de cette Cinémathèque. Lan­ Parce que Je m’inquiétais évidemment
que Godard a dite : Il y a deux Cen­ glois était un homme nommé par le de ce qu’allalt devenir le jeune cinéma.
tres. Le Centre du Cinéma, et il y avait conseil d’administration de cette asso­ Je me suis aperçu très vite qu’il ne
le centre du cinéma de Langlois. Or, ciation. Et ce qui, sur le plan juridique, connaissait pas grand-chose au ciné­
qu'est-ce que le Centre du Cinéma ? est particulièrement scandaleux dans ma. C ’est cela l’ennui de fonctionnari­
Quelque chose qui veut aider le cinéma. cette affaire, c'est que Langlois a été ser le cinéma, qui est une Industrie très
On peut aider le cinéma de plu­ en quelque sorte, sinon révoqué, du technique, faite de chimie, de lumières,
sieurs façons. On peut l’aider matériel­ moins pas reconduit dans les fonctions de couleurs et de beaucoup de choses.
lement, on peut l'aider de façon cultu­ qui lui avaient été données par ce Je lui ai posé quelques petites colles
relle, c’est-à-dire en permettant aux conseil d'administration et qui venaient pour voir s’il s’y connaissait, puisqu'il
gosses que nous étions d’aller voir à expiration récemment. Or, le conseil m'assurait que oui. La troisième colle
un Jour « L’Aurore » ou des choses de d’administration représente qui, dans était la suivante : M. le nouveau Direc­
ce genre. Et sans Langlois jamais on une association régie par la loi de teur, qu'est-ce. qui est plus long :
ne les aurait vues. On peut même aider 1901 ? Il représente, bien évidemment, 3001 m de négatif-son ou 300 m de
matériellement le cinéma : je ne dis les membres de {'association. Et s’agis- négatif-image ? (Rires.) Et pendant trois
pas donner des subventions, mais don­ sant d’une mesure aussi grave que de secondes, j ’ai vu qu'il cherchait la
ner de la pellicule 16 mm, et mâme à savoir si on allait reconduire ou pas réponse.
bouffer à des metteurs en scène, qui les pouvoirs de Langlois, la technique Question numéro trois : pourquoi le
n’avalent pas un rond. La caisse de la juridique et le respect démocratique le C.N.C.' veut-il coloniser la Cinéma­
Cinémathèque, avenue de Messine, plus élémentaire conduisaient à . con­ thèque ?
quand on n’avait pas un sou, on pas­ sulter ceux qui constituent l'association Rlvette C ’est une question à laquelle
sait et ils nous donnaient 500 balles. de 1901, c'est-à-dire les membres de Je vais répondre de façon provisoire
(Applaudissements.) Pourquoi est-ce la Cinémathèque. Dans une décision parce que je ne suis pas du tout un
que le Centre du Cinéma, organisme aussi grave, ce qu’il faut dégager, c'est économiste. Mais j ’ai l'impression
officiel, ne peut pas faire ça ? Parce l’esprit des membres de la Cinémathè­ quand même que ceci correspond à un
que pour faire ça, Il faut ôtre Fénéon que. Or, très antldémocratlquament, le plan d'ensemble actuel du gouverne­
vla-è-vls des Impressionnistes. C ’est-à- conseil d'administration, abusant du ment, qui est de concentrer les indus­
dire quelqu’un qui a décidé qu'il voue­ fait qu’en son sein le gouvernement tries. On en a beaucoup parlé dans
rait sa vie à ça. C’est quelque chose était représenté directement ou Indirec­ les journaux économiques et même
de plus fort que lui, c’est son sang. tement- par une majorité qui s'y était dans les journaux que tout le monde
Les fonctionnaires, ils veulent bien, ils habilement glissée, a pris sur lui. sans peut lire comme « Le Figaro », « Le
ne demandent pas mieux, je ne dis pas consulter l'Assemblée générale, de met­ Monde », etc. Pour lutter contre la
qu’ils sont contre systématiquement, tre fin aux pouvoirs de Langlois. Et c'est concurrence étrangère dans le cadre
Ils cherchent, mais ils ne savent pas ce que je voulais préciser. Il ne s’agit du marché commun, il faut concentrer
sur quel pied danser. Tantôt Ils se met­ pas de la révocation d’un fonctionnaire les Industries. Et par exemple, Il y a
tent à subventionner à fond des tas dont on pourrait penser que c'est une six mois, toujours dans cette même
d'œuvres pour dire : vous voyez bien décision injuste mais prise par un pou­ optique, il y a eu le .projet de concen­
qu'on est d’avant-garde, qu'on est li­ voir qui en avait le droit, Il s'agit d'une trer les trois principaux feativals fran­
bres. Et puis après... ils ne savent pas, révocation prise par un conseil d’ad­ çais, Tours, Annecy et Cannes. Deux
ils ne parlent pas le môme langage. On ministration qui s'est soucié des seuls de ces festivals étalent déjà sous la
peut en cinq ou six ans apprendre à Intérêts du gouvernement, alors que présidence de Pierre Barbin. Nous ne
un fonctionnaire qui est quelqu'un qui son devoir, au terme des statuts de la rappellerons pas comment il était de­
s’intéresse à Chateaubriand, on peut Cinémathèque, était de ee soucier de venu président de ces festivals, ce
arriver à lui donner le goût de ça, mais ce que voulaient tous les membres de serait trop long à raconter, et trop
après cela, on le vire. la Cinémathèque. (Applaudissements.) triste vraiment sur ce personnage. Le
Maître Klejman Je voudrais apporter Rlvette Je voudrais apporter à ce que troisième festival est sous la prési­
une précision d’ordre technique. Ac­ vient de dire Maître Klejman quelques dence de M. Favre-Lebret, et évidem­
tuellement on adresse au Centre du précisions. Le local de la rue de Cour- ment le projet a échoué parce que
Cinéma des critiques dont il ne m'ap­ cellès appartient à l'Association de la M. Favre-Lebret a tenu bon à son'
partient pas de dire si elles sont jus­ Cinémathèque Française, c'est-à-dire poste. Donc, il s'agissait de trouver
tifiées ou injustifiées sur ce point pré­ qu'il appartient aux 780 membres de la immédiatement un poste de remplace­
cis. Mais II ne faudrait pas que dans grande assemblée de la Cinémathèque ment à M. Pierre Barbin. Pourquoi lui
votre esprit se crée une confusion, Française, dont 22 % sont étrangers. a-t-on donné la Cinémathèque ? M. Hol­
qui tende à vous faire croire que la Pour le moment, ces 780 membres leaux a vu qu'il y avait è l'intérieur
Cinémathèque est un service public n’ont absolument pas été consultés. de l'industrie cinématographique (qui
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est quand même presque entièrement ciser que — au terme même des sta­ que Française était certainement entre
maintenant sous la coupe du Centre), tuts de la Cinémathèque — Langlois 40 et 50 %. C'est-à-dire que Langlois
qu’il y avait un organisme qui faisait n’était pas chargé des fonctions admi­ est le meilleur exploitant de France.
preuve d'une certaine indépendance. Il nistratives et qu’il est un peu cocasse Et si l’on parle en terme de déficit, que
a trouvé que cette indépendance n’était qu'on veuille prétendre aujourd'hui le dira-t-on du déficit de l'Opéra, de la
pas normale. Et donc il a trouvé abso­ maintenir dans des fonctions de direc­ Comédie Française...
lument normal, en fonctionnaire, que la teur artistique, et de directeur artis­ Godard II ne faut surtout pas. parler
Cinémathèque soit — au même titre que tique seulement, alors que précisément de déficit. Cet organisme, un organisme
les laboratoires, au même titre que les c'étaient bien là les fonctions qui étalent culturel, un organisme subventionné, n’a
producteurs, au même titre que les les siennes au sein de la Cinémathèque. à être ni déficitaire, ni gagnant.
réalisateurs, qui sont tous théorique­ La deuxième précision que je voudrais Ces organismes ne doivent pas être'
ment en carte — également en carte. Je apporter, c’est qu'on semble rendre comparés à la R.A.T.P. par exemple. Je
crois que nous avons là l'exemple type Langlois responsable d'un déficit de la crois qu'au lieu de parler de presse
de la lutte éternelle entre ce que nous Cinémathèque. Le gouvernement a In­ mal Informée, comme dit M« Kiejman,
appellerons, de façon très schématique sisté 6ur le fait qu'il n'acceptait de il faut parler au contraire de prease
et très grossière, les fonctionnaires et participer au fonctionnement de cette très bien déformée.
les artistes. J’ai horreur d'employer le Cinémathèque, qu'il n’acceptait de la Kast Un point encore sur cette his­
mot - artiste * mais employons-le, faute subventionner, qu'à condition d'être sur toire de déficit prétendu. On oublie
d’un mot plus clair. Or, malheureuse­ que cette subvention pourrait être pro­ complètement de chiffrer les acquisi­
ment, le cinéma n’est pas un art de chainement réduite et qu'enfin la Ciné: tions et le valeur des acquisitions de
fonctionnaire. Le cinéma ne peut pas mathèque pourrait être rentable. On a la Cinémathèque. La valeur des docu­
être fait par des fonctionnaires, le avancé le chiffre d’un déficit de 700 ments déposés et la -valeur des films
cinéma ne peut être fait que par des millions, et il est amusant de souligner acquis. C'est-à-dire 90 % des trésors
artistes! Et le seul exemple de cinéma que non seulement 700 millions ce de la Cinémathèque.
qui ait été fait par des fonctionnaires, n’est même pas la moitié du prix d'un Godard II me vient à l'esprit une
c’est le cinéma allemand hitlérien et avion Mystère ou Mirage, mais encore comparaison. Dans le cinéma, le met­
post-hitlérien. Effectivement, c’était un de remarquer qu’on demande à la Ciné­ teur en scène n'est pas seulement un
cinéma extrêmement bien ordonné sur mathèque, qui est un Institut culturel poète, il est un technicien de la poésie
le plan administratif et juridique. Mais accomplissant une mission d'enseigne­ ou un poète de la technique. Les deux
c'est en même temps un cinéma nul ment, de devenir rentable. A ce sont absolument Inséparables. Et Henri
dont il ne reste rien dans l'histoire du compte, on demandera un jour au pro­ Langlois, pour mol, c'était un des plus
cinéma. viseur du lycée Voltaire de Justifier que, grands metteurs en scène de France.
Godard Numéro quatre : en quoi le dans l'année, le lycée n'est pas lui Et je crois que ce rapport entre la
remplacement de Langlois étalt-ll dif­ aussi en déficit. (Applaudissements.) technique et la poésie est extrêmement
férent d'un échange de personnes dans Rlvette On a commencé déjà, et on va important, car ce dont il avait besoin
ta valse habituelle des hauts fonction­ continuer, à parler des dettes accumu­ et ce qu’il a réclamé lui-même souvent,
naires ? lées par la Cinémathèque Française c’est un excellent administrateur. On
Pierre Kast Je crois que Kiejman a déjà sous Langlois. Or, que se passe-t-il ? pourrait dire que Henri Langlois était
complètement répondu à cette question. 11 se passe que d'abord le déficit de la metteur en scène et scénariste d’un
Il nous a précisé que la Cinémathèque Cinémathèque Française — Je n’en con­ film qui s'appelait « La cinémathèque
était une association privée qui n'avait nais pas le " chiffre exact — est française », le directeur de production
rien è voir avec la direction des che­ loin d'être de 700 millions. D'autre part, de ce film étsnt le Centre du Cinéma,
mins de fer ou la Bibliothèque Natio­ depuis S mois, 40 millions sont blo­ et le producteur général étant l'Etat
nale. La chose principale est que Lan- qués, qui représentent exactement un français. Le metteur en scène, Henri
glols a conçu là Cinémathèque comme tiers de la subvention 67 de la Cinéma­ Langlois, a toujours réclamé un excel­
une œuvre de poète, comme une œu­ thèque Française. Ces 40 millions lent directeur de production. Or qu'est-
vre d’expression personnelle. C e tte . étalent bloqués depuis 8 mois, ils ont' ce qu'on lui envoyait ? On lui envoyait
œuvre était faite de liens personnels été débloqués dans le courant de cette un ennemi. C'est exactement comme si
existant sur le plan de rapports quasi semaine, depuis la nomination de on .disait que de Gaulle est le poète
poétiques entre les déposants de ces M. Barbin. Alors que la nomination de et le technicien de la France, et qu'on
films et ceux qui avaient donné de6 M. Barbin n'a pas encore été entéri­ lui donnait Lecanuet comme adminis­
documents à Langlois personnellement. née. Car n'oublions pas que la nomi­ trateur. Evidemment, ça ne marcherait
Il se trouve que le remplacement, de nation de M. Barbin a été proposée pas bien. Et dans ses communiqués, le
Langlois est d'abord, à mon avis, un et qu'elle doit être signée par Mal­ Ministère des Affaires Culturelles et le
vol. raux. Ceci n'est toujours pas fait. Théo­ C.N.C. font exprès d'embrouiller les
M« Kiejman Je voudrais apporter une riquement, c'était aujourd'hui le der­ choses dans l'esprit des gens. Henri
précision qui n’est pas vraiment d'or­ nier délai. Je n'ai pas entendu dire Langlois doit non seulement conserver
dre juridique mais qui répond encore dans le courant de la journée que Mal­ les films, non seulement savoir quels
à une confusion qui a été entretenue raux ait signé quoi que ce soit. D'au­ films on doit tirer en priorité vu le peu
par la presse mal informée. On a de­ tre part, toujours sur ce point de la d'argent qu'on lui donne, mais il doit
mandé compte à Langlois d’une gestion rentabilité et des dettes de la Cinéma­ également les projeter. Si Debré ne
dont II n'était pas chargé. Il faut immé­ thèque Française, Je crois qu'il serait s'y retrouve pas, c'est sa faute et
diatement préciser cela pour distinguer très facile de prouver que Langlois pas celle de Langlois. Question numéro
sa « révocation » de celle d'un fonc­ est en fait le meilleur exploitant de cinq : la Cinémathèque peut-elle exis­
tionnaire. Il est significatif que, embar­ France. Car la Cinémathèque Française ter sans Langlois?
rassé par l'ampleur du mouvement de avait certainement le meilleur indice de Jean Rouch Je vais essayer de répon­
protestation qui s'est élevé contre la fréquentation, comme on dit en termea dre en trois points. La Cinémathèque
non-reconduction des pouvoirs de Lan­ professionnels, de toutes les salles de sans Henri Langlois, ce n’e s t. rien.
glois, le Gouvernement ait paru, dans cinéma françaises. (Applaudissements.) Parce que, comme l'ont dit tous mes
un communiqué, vouloir lui rendre une L'indice de fréquentation moyen des camarades, c'est un corps qui est vidé
certaine .place, en disant que e’Il était salles commerciales est en gros de de son sang, c'est un corps qui est
rendu hommage à ses qualités de 12 ou 13 %. L'indice des salles d'Art vidé de son âme. Mais ça existe
poète, Il n'était pas possible de lui et d'Essai est de 25 %. Je crois qu'il comme une menace qui'pèse sur nous
conserver les fonctions d'administration serait très facile de prouver que l'in­ tous. Car ce qui est arrivé à Henri
qu'il avait mal assumées. Je dois pré­ dice de fréquentation de la Cinémathè­ Langlois peut arriver à n'importe qui
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d'entre nous, ô partir du moment où d’Henri Langlois. (Applaudissements.) Moderne, tel qu’il devrait être et non
dans un pays comme le nôtre, on tient Astruc Rouch, tu as dit une chose pas tel qu’il est, et c'était aussi toutes
compte de faits qui sont ceux qu'on absolument extraordinaire. Tu as dit les galeries de peinture existant à
nous a révélés et qu'on ne tient pas que les gens qui avaient renvoyé Hen­ Paris. C’était aussi bien la galerie
compte de ce que peut être le renom ri Langlois, tout d’un coup se sont Maeght que la galerie Sonnabend. On
d‘un homme comme Langlois. Le mou­ aperçus avec terreur de ce qu'ils pouvait voir successivement : à la
vement extraordinaire qui aboutit à avaient fait, car ils ne l’avaient pas séance de 6 h 30, « Le Lys brisé - de
cette manifestation aujourd'hui, les pro­ reconnu. Or, pourquoi ne l'aveit-il pas Griffith et à la séance de 8 h 30
testations venues du monde entier, mon­ reconnu ? Parce qu’il existe un phéno- • Chelsea Girls » de Andy Warhol.
trent ce qu’était Henri Langlois. La plus nème mystérieux : quand un artiste lit Et c’était fabuleux justement de voir
grande faute du Centre National du l'œuvre d'un autre artiste, il le re-con- ô la suite Griffith et Warhol. , Parce
Cinéma, c’est qu'il ne le savait pas. naît Langlois a reconnu chacun de qu'on s'aperçoit à ce moment-là qu’U
Je considère que M. Holleaux est un nous. Il l'a reconnu à la seconde, et il n’y a pas trois cinémas, mais qu'il y a
ignorantin de ne pas avoir compris ne s’est pas permis de Juger — Il l'a un cinéma. Et c'est tout. Pour prendre
qui était Henri Langlois, avant de faire re-con-nu. Pourquoi le fonctionnement encore un autre exemple : que serait
quelque chose contre lui. Le deuxième d’un organisme comme le centre est une cinémathèque qui ne serait plue
point c’est un cri d'alarme. La Cinéma­ impossible ? Parce qu’il devrait être fait justement qu’un « musée > du cinéma.
thèque, on vous l’a dit, était , un entièrement, uniquement, par des gens Ce serait comme si Gallimard décidait
organisme de conservation de films. Or qui font ce métier, du matin au soir, et de ne plus publier que la Pléiade et
c’est un 'musée. Je travaille au Musée qui se reconnaissent les uns les autres. le « Journal officiel >. Ce qu‘11 y avait
de l'Homme et je sais les précautions (Applaudissements.) justement de fabuleux à la Cinéma­
que l'on prend pour éviter que les Godard Question numéro Bix : le ciné­ thèque c’était cette interaction perpé­
chefs-d’œuvre qui sont dans un musée ma français et, disons-le carrément, le tuelle du passé et du présent du ciné­
soient mis au pillage. Or, actuellement, cinéma mondial, peuvent-ils exister sans ma. C ’est ça qui était créateur de '
dans la Cinémathèque Française, sans des organismes comme la Cinémathè­ l’avenir du cinéma. Voilà, c’est en gros
aucun inventaire, sans aucun huissier, que Française,.telle qu’elle est lorsque ce que je voulais dire, d’un point de vue
qui empêche ceux qui occupent ces Langlois la dirige ? très. égoïste, je le reconnais, mais c’est
locaux, d'une .façon effrontée et Indue Rlvette Je donnerai è cela une réponse aussi je crois le point de vue de la
comme on vous l’a dit, qui empêche très égoïste, celle de quelqu'un qui majeure partie des spectateurs. Car il
ces gens de faire du pillage ? Il y a là a toujours eu envie de faire des films, faut bien le dire, qui sont les specta­
des trésors, des trésors qui appartien­ et qui essaye d'en faire comme il peut. teurs de la Cinémathèque ? Des cinéas­
nent è tous les adhérents de cette Je sais que je n’ai vraiment commencé tes en puissance. Et J'espère d’ailleurs :
association, qui sont entre les mains à comprendre ce. qu'était le cinéma — que la majorité d’entre eux deviendront .
d’inconnus,'sinon de voyous. C'est une je ne sais pas si j'y suis arrivé, J’ai des cinéastes en réalité. Mais même
chose extrêmement grave, puisque essayé — que par la Cinémathèque ceux qui ne feront pas un film, par mal­
rien, absolument rien n'a été fait. Française, qu’à force de voir, non seu­ chance ou parce qu'ils auront finale­
Quand on passe un service à quel­ lement les films qui passaient sur les ment envie de faire autre chose, eh
qu’un, que ce soit dans un service Champs-Elysées, et les films américains bien ceux-là, s'ils ont envie de voir les
comptable, au Bon Marché ou dans et italiens que l'on pouvait voir, plus ou films de Griffith, s’ils ont envie de voir
une entreprise de transporta, on fait moins à' la sauvette, vers les années les films contemporains, et s'ils ont
un inventaire des clefs anglaises, des 50, mais à force de voir ce que l'on envie de voir les films qui sè feront
chemises ou de tout ce qu’il y a. Or appelle, d’un mot qui est finalement demain, c'est parce qu’ils sont déjà
rien * n’a été fait. Le troisième faux les « classiques » du cinéma des cjnéastes en puissance: Pour vrai­
point vous donnera peut-être un peu (car les classiques du cinéma ce ment aimer un film, il faut déjà être '
d’espoir : la Cinémathèque sans Lan­ sont ' les modernes); et je sais que cinéaste. Aimer un film, c’est déjà un .*
glois est un scandale absolu, c ’est ceci a été vrai pour moi non seule­ acte de ■ cinéaste. 'Voilà, , cela c’é ta itr
peut-être le plus grand scandale cultu­ ment au moment où j'étais un Jeune justement une chose qui n’existait qu’à
rel des temps présents. Par miracle, homme, maie encore aujourd’hui. J’ai la Cinémathèque Française. Nous retirer '
nous • sommes actuellement, nous les besoin de voir perpétuellement les filme la Cinémathèque Française, telle que
cinéastes, les maîtres d’un scandale qui de Griffith, j'ai besoin de- voir perpé­ Langlois la faisait fonctionner, c’est:à-
déborde les frontières de la France et tuellement les films d'Elsenstein, les dlre non pas comme un musée mais ■
qui intéresse la culture du monde. Une films de Murnau, mais .'j'ai besoin de comme une .action permanente, comme .
révolution culturelle qui est en train de voir aussi les. films contemporains. une révolution permanente, c'est nous* ;
commencer. Et l’on s’aperçoit brus­ Parce qu’on ne fait soi-même des films retirer la respiration, c’est nous retirer
quement que tout d'un ,coup dans le que par rapport au reste des cinéastes. le souffle, c’est nous empêcher main- ~
monde, à propos de Henri Langlois, il On ne fait pas des films dans l'abstrait. tenant d’avoir envie de faire des films.*.
y a une solidarité invraisemblable, une On ne projette pas' une vision inté­ (Applaudissements.) Je voudrais juste
solidarité qui se fait jour par tous les rieure qu'on aurait dans la tète, ça ajouter un mot : de quoi nous menace- i
télégrammes de protestation, par le n’existe pas. C ’est faux. On fait des t-on ? On nous menace d’une cinéma- »
retrait de' tous les films de tous les films par rapport à l’ensemble du thèque officielle qui fonctionnerait
réalisateurs, c'est un mouvement qui moyen d’expression dans lequel on comme fonctionnent par exemple les ;
est absolument considérable, et je crois essaye de travailler. On fait des films «Journées du Cinéma*. Je ne prendrai
qu'il ne faut pas le laisser éteindre. par rapport à ce qui a été fait déjà pas d’exemple particulier, disons les
C'est la première fois depuis des an­ par (es très grands cinéastes du passé, manifestations qu’organisaient parfois
nées et des années, que tout d'un ceux qui ont créé le cinéma, et par « Les Journées du cinéma -, organisme
coup dans le monde entier des hom­ rapport à ceux qui sont nos contempo­ enlevé par Barbin à Martin et Boschet.
mes se sentent solidaires sur un point rains, nos successeurs. Ce qu'il y avait Enlevé, Je le répète. Or comment fonc­
considérable qui est la culture. Je tra­ d'extraordinaire à la Cinémathèque tionnaient ces manifestations ? C’étaient *
vaille très souvent dans des pays qui Française, c'est que c’était en même uniquement des manifestations orga­
sont dés pays. sbus-développés, eh temps pour moi, cinéaste, une décou­ nisées avec les ambassades, avec
bien je peux vous assurer qu’actuelle­ verte permanente de ce qu'est juste­ des gens très officiels qui envoyaient
ment la France est un paye sous-déve- ment la permanence du cinéma. C'est- des films très officiels de la Rou- ,
loppé. Car dans aucun pays d’Afrique, à-dire que la Cinémathèque Française, manie ou de la Hongrie. Mais si on .*
on n’aurait le culot de traiter la culture pour prendre une image facile, c’était voulait voir les vrais films hongrois
comme la France l'a fait è propos à la fois le Louvre et le Musée d’Art ou les vrais films roumains ou italiens,
37
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CONFERENCE DE PRESSE AU • STUDIO ACTION » : JEAN-LUC fiODARD. JACQUES RIVETTE. CLAUDE CHABROL. MAITRE KIEJMAN ET ALEXANDRE ASTBUC
LAFflURE LANGUIS

^
c'était ô la Cinémathèque qu'on les
yn
voyait. Il est certain que si la Cinéma­
thèque Barbin fonctionnait actuelle­
ter ni à retirer è ce que vous avez d it
Godard. Je voudrais donner un exemple
qui prouve que c’est une manœuvre
Cinémathèque, et la Cinémathèque
avant tout autre organisme culturel, ne
pouvait pas devenir une dépendance
ment, eh bien nous aurions en ce politique. Pour trouver le compte pure et simple des écuries de l'Etat.
^

moment une semaine du cinéma irakien, exact de la manifestation qui a eu lieu (Applaudissements.)
i

pour faire coïncider avec le voyage du devant Chaillot, il a fallu pour une foi& Godard Question numéro huit : le Mi­
-n^

Président de l'Irak... (Applaudissements.) ouvrir « Le Figaro ». Les journaux gou­ nistère parle de réserver à Langlois
Godard Question numéro sept : devant vernementaux comme • France-Solr » un rôle artistique, qu’en est-il exacte­
— ^

les protestations, le Commissaire du ont dit que 40 ou 50 étudiants avaient ment ?


gouvernement, André Holleaux, parle de manifesté en criant quelques slogans Kast Je crois qu'on touche là è l'es­
rn

manœuvre politique et agite, une fols de jeunes, alors qu'il fallait ouvrir « Le sentiel des plans du Ministère en ce
de plus, l'épouvantail communiste. Figaro » pour trouver ce qu’il y avait qui concerne le remplacement de Lan­
Qu’en est-il ? Je vais répondre en pre­ exactement. Pourquoi « Le Figaro » ? glois. En effet, on peut voir dans le
mier. Il est facile de dire cela et c ’est Parce que depuis la guerre israélo- communiqué qui a été publié hier par
^

une preuve de plus que toute cette arabe, ce journal est plutôt antigouver­ le Ministère des Affaires culturelles,
■ <
-

histoire lamentable vient de la calomnie nemental. l'idée qu’on va confier à Langlois une
de quelques arrivistes que je peux Chabrol Je peux même ajouter un dé­ mission très importante à quoi, avec
nommer volontiers ; Mme Sonnika Bo, tail : dans le communiqué de l’A.F.P. une belle générosité, le Ministère
M. Barbin, d'anciennes gens que leur relatif à cette manifestation, il y avait ajoute qu’on conservera son salaire à
incapacité technique et poétique a fait un point amusant. Une phrase disait : Langlois jusqu’à l'âge de la retraite.
disparaître au départ de la Cinéma­ quarante ou cinquante étudiants ou Je crois que ça part très exactement
thèque Française. J’ajoute qu’ils se sont énergumènes, je ne sais plus exacte­ du mépris qu'a du cinéma et ' des
réunis (Sonnika Bo est certainement ment )e terme employé... cinéastes le Centre du Cinéma. Ces
la personne qui, ces jours-ci, a déjeuné Godard ... énergumènes... gens se sont dit : les gens du cinéma
le plus souvent avec André Holleaux), Chabrol ... s'étaient couvert le visage et les gens qui aiment la Cinémathèque
et que c’est une histoire entièrement et les mains de mercurochrome pour nous ressemblent, ils vont regarder ce
balzacienne : quelques petits arrivistes faire croire qu'ils avaient été battus par qui s'est passé, au pire, il y aura le
ont réussi à se caser et ont été cou­ la force publique. Je ne plaisante pas, lendemain quelques articles et tout re­
verts par M. André Malraux. Agiter c ’était le communiqué transmis à tous tombera dans le silence ; c'est exacte­
l’épouvantail communiste là-dedans, les Journaux de France et de l’étran­ ment leur plan. Je crois qu'aujourd'hui
c’est complètement faux, parce que les ger. Ça devient ubuesque ! (rires). l'idée de proposer à Langlois un poste
communistes sont complètement à M* Klejman Je voudrais insister sur ce artistique en réservant un poste admi­
l'écart de tout ça. Et la Cinémathèque point : une cinémathèque, à la diffé­ nistratif à son pire ennemi est un leurre
Française, comme vient de le rappeler et une illusion pour nous empêcher de
rence de tout autre organisme cultu­
Jacques Rivette. est... était un orga­ rel, ne peut pas devenir un organisme continuer à nous intéresser à cette af­
nisme entièrement ouvert. Qui passait étatique. En effet, le rôle de la ciné­ faire. Je crois secondement qu'il y
aussi bien des films de Samue! Fuller a une contradiction fondamentale entre
mathèque est plus qu'un rôle de
que. les films du Viêt-nam du Nord conservation. On peut concevoir qu’une la manière dont la prise de pouvoir par
ou d’autres films quand il le fallait. bibliothèque nationale, un lieu où sont Barbin s'est effectuée et cette idée
Quand un cinéaste dans le monde ne réunis des livres, soit gérée unique­ qu'on va encore confier ô Langlois un
savait pas où passer son film, soit ment par un organe étatique. Car cha­ poste de direction artistique. En effet,
parce que les marchands ne voulaient cun de nous peut entrer dans cette le soir même de la délibération du
pas le distribuer dans leurs salles, soit bibliothèque. Chacun de nous peut conseil d'administration qui a évincé
parce que le gouvernement lui en inter­ demander, sous réserve des limites ap­ Langlois, Barbin s'est emparé de la
disait la projection... portées par le domaine de l'enfer, le Cinémathèque à la tête d’un comman­
Rivette Soit parce que la censure avait livre qu'il a envie de lire. Mais chacun do et je crois que cela nous donne
interdit le film en France... de nous comprend que compte tenu très exactement l'une des Intentions
Godard ... Il n’y avait qu’un seul endroit des conditions de projection, noua n'en gouvernementales en ce qui concerne
où ce film pouvait passer, c’est è la sommes pas encore à un moment où la future cinémathèque.
Cinémathèque Française. De nombreux l'on peut se rendre dans un lieu appelé Aatrüc II y a aussi une chose qui est
cinéastes étrangers, de nombreux jeu­ cinémathèque et appeler de ses vœux assez étonnante, c'est que si au Cen­
nes cinéastes étrangers, venaient à le film qu'on entend voir ô la minute tre on peut s'imaginer qu'il y a une
Paris suivre les ■ cours * de la Ciné­ présente. Dès lors, dans une cinéma­ différence entre celui qui est le poète
mathèque Française. Et retournaient en­ thèque, il y a un problème capital, c'est et celui qui a l'argent, on peut faire
suite dans leur pays où justement cette la responsabilité du choix des films qui croire ça à tout le monde sauf ô des
cinémathèque n’existait pas. La ma­ vont être projetés. Henri Langlois cinéastes : le plus crétin des metteurs
nœuvre politique existe, c’est une l'avait résolu à sa manière, en exi­ en scène sait parfaitement qu'à la se­
manœuvre du Ministère des Affaires geant, par humilité intellectuelle, rque conde où on lui met ô côté un direc­
Culturelles. On retombe sur la ques­ tous les films puissent être projetés teur de production avec lequel il ne
tion : pourquoi le C.N.C. veut-il coloni­ et que chacun de nous puisse exercer s'entend pas, il est viré immédiatement.
ser la Cinémathèque ? C'est simplement son propre choix. Henri Langlois était Nous exerçons un métier qui n’est pas
parce que la Cinémathèque Française donc le gardien de cette liberté de entièrement un métier artistique, c'est-
représente un certain langage, dont choix. Et c’est pourquoi l’affaire d'au­ à-dire que. nous ne sommes pas li­
Astruc disait que les fonctionnaires jourd'hui dépasse de loin sa personne. bres. mais nous avons par contre des
n'étaient pas qualifiés pour le parler. Il ne s’agit pas de savoir si on pourra armes, nous employons des méthodes
Je dirai beaucoup plus : trop souvent demain trouver aussi bien que lui, il de force. Lorsque nous travaillons avec
on dit que les gens sont bêtes et pas s'agit de comprendre que cette mesure les producteurs, nous les entôlons.
méchants. Moi je crois qu'ils sont non s’inscrit dans une perspective déter­ nous leur racontons des salades, et on
seulement bêtes mais méchants. Et minée : faire d’un organisme privé où se bat jusqu'au bout. Parce que l'on
jaloux bien sûr. quelqu'un avait la confiance de tous et est responsable du film, parce que le
Renoir Je voudrais dire simplement que assurait la liberté de choix, un orga­ film c'est nous. Eh bien I Langlois c’est
je suis entièrement d'accord avec vous. nisme étatique où le cinéma deviendra la même chose. La Cinémathèque, c'est
Je suis venu pour vous montrer que désormais une arme qui pourra être le film de Langlois, Godard l*a absolu­
par ma présence, je suis entièrement utilisée contre chacun d'entre nous. Je ment dit.
d’accord avec vous. Je n'ai rien à ajou­ crois qu’il fallait préciser pourquoi la Godard Chaque année le nombre de
40
fonctionnairee augmente eu Centre du film ça coûte trèB cher. Alors on dit : M. André Malraux, qui élimine les gens
Cinéma et chaque année le nombre de on va faire le dépôt légal en 16 mm... qui parlent un certain langage et qui ont
filme français réalisés diminue dans les Je m'excuse, mais qu'est-ce que c'est une certaine Indépendance. Et c'est
mémea proportions. que «W est Slde S tory»îen 16 mm ? cette Indépendance, c’est ce langage
Chabrol Je ne sais pas quel Ministère Ça n'existe que si c'est en 70 mm. qu’on veut mettre en carte, puisque les
a envoyé une circulaire, le Ministère Tout cela, c'est aussi lié è un combat metteurs en scène ont des cartes alors
des Affaires Culturelles, qui parlait de qui a ôté un des. grands combats de que les putes n'en ont plus, ou que
pognon et qui était obsédé par le géné­ Langlois et le dernier combat de Geor­ l'on veut mettre en malson puisque
rosité qu’on faisait à Langlois en lui ges Sadoul : la sauvegarde dans le décidément ce sont des Images qui
laissant son pognon mensuel, ce qui monde des copies « flam >. C'est quel­ plaisent au Ministère des Affaires Cul­
est évidemment une énorme plaisan­ que chose de compliqué et Je ne vais turelles. Je elgnaleral un détail qui m'a
terie. Ça devient, je le répète, Ubu, au pas me lancer là-dedans, mais tous ces été Indiqué récemment au cours d'une
fur et à mesure que l'on avance. problèmes sont liés. Des gens qui sont conversation avec Monsieur Biasinl,
des fonctionnaires ne savent pas que c'est que . la Télévision Française n'at­
Rivette Le fait d'être collectionneur de
la réalité d'un film, c'est sa pellicule tend qu’une chose : que le stock de la
films est une vocation comme celle de
aussi bien, ce n'est pas seulement un Cinémathèque Française paese sous
metteur en scène et dans les deux cas
négatif dont on peut tirer un contre­ contrôle gouvernemental. A ce mo­
il est absolument impossible de distin­
guer deux registres, deux organismes : type en 6 et on aurait, le « Cuirassé ment-là, la Télévision pourra s'appro­
Potemklne », ce n’est pas vrai. La prier gratuitement et passer quand elle
il n’y a aucune différence pour un ci­
preuve, c'est que J'ai revu II y a trois le voudra ou au contraire ne pas pas­
néaste entre le fait d'écrire sur un pa­
pier le dialogue de la scène qu'on a mois à la Cinémathèque un fijm de ser le stock culturel du cinéma du
envie de tourner le lendemain et le Grlffith, ■ A travers l'orage >. Langlois monde entier, puisque le stock de la
fait de faire le plan de travail de la nous avait projeté une copie datant de Cinémathèque Française est le premier
journée du lendemain. L'un et l'autre 1920, c'est-à-dire avec les scènes de du monde. Ça, c'est important à dire,
font partie de la mise en scène. Sur nuit teintées en bleu, des scènes tein­ et je pense que le Ministère des Af­
le plan pratique, faire le plan de tra­ tées en rose, d'autres scènes en deux faires Culturelles Joue un rôle énorme
vail, c'est important, et on en discute ou trois couleurs, c'est quelque chose dans cette affaire. Il s'est emparé du
avec son directeur de production : on d'extraordinaire, ça n'a rigoureusement Théâtre Français, il e'est emparé de
ne peut pas séparer direction artistique aucun rapport avec un contretype en la musique française, il n’a pas réussi
et administration pratique. C'est la 16 mm. Enfin, le dépôt légal ne donne­ à s’emparer de la littérature, enfin
même chose en ce ' qui concerne ra absolument aucun droit de passer beaucoup moins, et II y avait une partie
le cinéma. Je voudrais aussi donner à les films, tout simplement. On dépoeera du cinéma qui lui échappait encore :
ce sujet quelques petites précisions sur les filme à la Cinémathèque (s'ils sont il essaye de s'en emparer au88l.
la façon dont fonctionnait la Cinéma­ forcés de le faire, les producteurs le Alors, question numéro dix : quels sont
thèque. Parce que, en fait, Il y a une feront), mais ça ne donnera pas du tout les moyens de défense et d'action dont
chose qu’on oublie de dire, c’est qu'il le droit à la Cinémathèque de les pro­ disposent les spectateurs de la Ciné­
y a beaucoup de films qui ne sont pas jeter. Donc on aura peut-être une mathèque ?
donnés ô la Cinémathèque mais qui cinémathèque ■ qui pourra accumuler Jacques Donlol-Valcroze La ques­
sont seulement là en dépôt, des films, des archives considérables, (de tion ne concerne pas uniquement les
des manuscrits, des maquettes de dé­ plus ou moins bonne.. qualité, mais epectateurs, elle concerne tout le
cors, enfin tout ce que Langlois avait qui ne pourra pas les projeter. On re­ . monde. On vient de vous expliquer, et
la patience de collectionner. Tout cela, vient à ce que Je disais tout à l'heure : très bien, pourquoi tout cela est un
non seulement .les films, mais aussi la Cinémathèque n'existe que par la scandale, et maintenant il s'agit de
bien les scénarios; les découpages, tout projection continue des films. Or, c'est savoir ce qu'il faut faire. Je voudrais
cela faisait partie du cinéma, et beau­ justement le contraire de ce qu'on faire quelquee réflexions è ce sujet.
coup de ces archives ne sont que des aurait à ce moment-là. La première c'e8t qu'on pourrait nous
dépôts. Je prendrai un exemple très Godard On retombe sur la question dire : qu'est-ce que vous voulez faire,
récent. Ce sont les archives de Geor­ huit : en offrant un rôle purement artis­ vous avez en face de vous le gouver­
ges Sadoul ■: celui-ci, qui se méfiait à tique à Langlois, le gouvernement veut nement, qu’est-ce que vous pouvez
juste titre, e fort bien précisé dans garder pour l'administrateur que Lan­ faire contre ça ? A cela, je répondrai
son testament que ses archives per­ glois ne serait plus le contrôle de la que ' c'est une situation certainement
sonnelles — et Dieu sait si elles sont projection. C'est-à-dire que Langlois moins compliquée que celle qu’a con­
importantes, Dieu sait si elles nous inté­ conserverait le d ro it. de collectionner, nue pendant 32 ans Henri Langlois
ressent tou s — ces archives étaient de tirer, mais il n'assurerait plus la pour arriver à faire de la Cinémathèque
léguées à la Cinémathèque Française, à programmation et la projection. Or tout Française la meilleure du monde. Ce
condition que Langlois en reste le cela ne fait qu'un, c'est Important è qu’il a fait pendant 32 ans, nous pou­
directeur. Donc la C.F. d'ores et déjà dire. vons bien essayer de le faire pendant
perd les archives de Georges Sadoul Neuvième question : quel est le rôle un moment pour essayer de remédier è
et beaucoup d'autres choses. A cela, Joué dans cette farce par le Ministère ce scandale. Par ailleurs, en ce qui
qu’est-ce que le Gouvernement essaye des Affaires Culturelles ? concerne les moyene d'action, il faut
d'opposer? On nous ressort un vieux Chabrol En ce qui me concerne, Je n'a! distinguer deux choses, assez diffé­
serpent de mer, un énorme serpent de. Jamais compris le rôle de ce Ministère rentes. Il y a un premier- moyen d'ac­
mer qui de temps en temps monte ô dans aucune des affaires où II était tion Immédiat, d'urgence, qui con8i8te
la surface et qu'on descend et qu‘on Impliqué, je n'ai jamais (su pour qui II à empêcher l'étouffement de l'affaire.
remonte à la surface depuis 25 ans, était, les uns ou les autres. Je compte Il est bien évident que les responsables
4 c'est l'histoire du dépôt légal. Le dépôt eur voue pour me l'expliquer, ça m'in­ de ce scandale ae sont dit : il y
légal, c’est quelque chose qui en théo­ téresse beaucoup. . i aura quelques articles dans la presse,
rie peut sembler magnifique maie qui Godard Mol Je me méfie au contraire ce sera comme pour le départ de Gaé­
en pratique se heurte è des difficultés beaucoup et je pense que tout ça fait tan Picon ou de Thlbau de la Télévision,
gigantesques. D'abord parce que la partie d'un plan longuement prémédité quelques articles nécrologiques, on jet­
majorité des producteurs et des dis­ par plusieurs personnes ou plusieurs tera des fleurs et puis les choses se
tributeurs (pour des raisons qui ne sont organismes ensemble. 'L'éviction ' d'H. tasseront. Notre premier devoir est
pas toujours les nôtres) ne sont pas Langlois fait suite à celle de Gaétan d'éviter Justement l'étouffement de
pour, et aussi pour dés raisons finan­ Picon et à celle de Pierre Boulez. Com­ l'affaire. C'est ce que nous avons fait
cières, parce que tirer une copie, d’un me par hasard c'est toujours le môme, par dea manifestations, c'est ce que
41
LXHHE LANGLHS
nous faisons par cette réunion, c’est
3 la Cinémathèque est obligatoirement Arts et Lettres, nous a indiqué qu'il
ce que nous faisons en collectant ô non rentable quoique sans aucune recherchait pour Henri Langlois un
o

peu près les signatures de tous les commune mesure avec d'autres cas poste qui permette à celui-ci de conti­
"O

cinéastes du monde, de la plupart des que nous pourrions citer. On a écrit et nuer à exercer les qualités qui sont les
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artistes et des producteurs. Puisque parlé même de résistance, nous vou­ siennes dans le domaine artistique et
CD

cette salle est composée principalement drions simplement parler de démocratie. technique, à l'exclusion de tout do­
D. O

de Journalistes, je leur dis : nous avons Nous sommes en République et la maine administratif et financier. Un tel
besoin de vous, il dépend de vous que liberté nous est garantie d'en appeler poste existe, il est prévu par les sta­
cr

cette affaire ne soit pas reléguée peu à l’opinion publique, ce que nous fai­ tuts d'un organisme privé auquel par­
Q .O O

à peu de colonne en colonne. Que sons. Sous une autre République, la ticipe le gouvernement. L'article ' 7 de
dans une dizaine de Jours, on n'en IV«, un autre gouvernement a commis cet organisme dit : « Le Conseil d’ad­
parle plus du tout. Un scandale, c'est une autre erreur, les accords Blum- ministration nomme pour trois ans avec
"O

toujours de l'actualité tant qu'il n’a pas Burn qui à l'époque sacrifiaient littéra­ l’agrément du Ministre d'Etat chargé
été combattu. Ensuite, il faut envisager
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lement le cinéma français. Que s’est- des Affaires Culturelles, un directeur ar­
comment créer des conditions néces­ il passé ? La profession unanime forma tistique et technique d'une part, et un
D O

saires pour parvenir à notre b u t Car un Comité de défense du cinéma fran­ directeur administratif et financier d'au­
notre seul but est la réintégration çais qui groupait les auteurs, les tech­ tre part. » Nous voulons que Henri
d’Henri Langlois dans ses fonctions. Il niciens, les réalisateurs, les ouvriers, Langlois soit nommé comme directeur
y a des bruits qui courent, disant qu’on les producteurs, appuyés par la distri­ artistique et technique de l’organis­
va proposer à Langlois tel poste, scin­ bution ét l'exploitation, et il en est sorti me dont Je viens de lire un extrait des
der la Cinémathèque en deux. Ce sont quand même d’assez heureux résul­ statuts, car cet organisme c’est l'Asso­
là des propositions qui ne nous inté* tats. Peut-être serait-il bon aujourd'hui ciation de la Cinémathèque Française.
ressent absolument pas. Je crois aussi de former un Comité de défense de la Il faut mettre fin à la confusion qui est
que nous pouvons paralyser le fonc­ Cinémathèque Française. Il ■ serait bon entretenue actuellement : il n*y a pas
tionnement de la Cinémathèque en in­ que la profession fût consultée bien à chercher loin, le poste artistique et
terdisant la projection des films. Il doit davantage qu’elle ne l'est. Qu’elle par­ technique qui doit être réservé à Henri
y avoir beaucoup d’autres moyens... ticipe à la gestion de ce qu'elle consi­ Langlois est celui qu'il avait jusqu'à
Jean-Paul Le Chanois Je voudrais lire dère comme eon rôle et son bien. maintenant, car il n'en avait aucun au­
ces quelques lignes. « Le Syndicat Non par orgueil ou au nom d’un corpo­ tre. Il est possible, je l'ignore, que sa
national des techniciens de la produc­ ratisme étroit, mais nous pensons que collaboration avec le directeur admi­
tion cinématographique, le Syndicat la culture, l’amour et la défense du bien nistratif qui était ô ses . côtés ait été
national des Auteurs et Compositeurs, public ne sont pas l'apanage des fonc­ assez difficile. Il est quand même
l’Association des auteurs de films, tionnaires. ne sont pas celui d’un parti, curieux que si cette difficulté de collabo­
qui est la branche cinéma de la So­ qu'il soit gouvernemental ou d'opposi­ ration a existé, on ait préféré supprimer
ciété des Auteurs et des Composi­ tion. II serait bon de grouper au sein le directeur artistique, c'est-ô-dire
teurs dramatiques, s’associent contra d'un comité des organisations profes­ la pièce essentielle de la Cinéma­
la mesure qui frappe Henri Langlois, sionnelles représentatives, les organisa­ thèque, plutôt que de remplacer le di­
et l'ont fait savoir dès le 12 février tions culturelles, les individus, de réunir recteur administratif. Donc un but pré­
par un télégramme adressé à M. André les trois générations de cinéastes, Abel cis, un but clair, un but pour lequel la
Malraux. » Et voici ce qu’ils ’ m’ont Gance, René Clair et Jean Renoir, Truf- presse peut jouer un rôle capital :
chargé de vous dire : « Nous connais­ faut et Godard. Nous pouvons déjà dire prendre le gouvernement au mot, lui
sons Henri Langlois de longue date et ce soir que c’est chose faite. Il serait rappeler que le rôle de directeur artis­
nous avons toujours aimé le dyna­ bon de coordonner notre action d'une tique et technique qu'il réserve à Henri
misme, l’ampleur et la qualité de son façon efficace, bon qu'une délégation Langlois est prévu par les statuts de
action. Cette cinémathèque est la de l'Académle Française qui compren­ la Cinémathèque et doit iui être
première et la plus riche du monde. drait les noms de René Clair, Marcel conservé. Faute de quoi, il est évident
Mais il ne s’agit pas Ici d’un dis­ Achard, Joseph Kessel, qui ont signé que tous disposeraient de moyens im­
cours nécrologique. S’il n’existait la protestation, demande audience au portants pour ramener le retour
pas aujourd'hui de cinémathèque en général de Gaulle. Il serait bon de d'Henri Langlois. Pour les spectateurs,
France et qu'on veuille en constituer demander aux organismes gouverne­ évidemment, Il y a le refus d’assister
une et si, à supposer la vraisemblance mentaux de ne pas se laisser aller à aux séances d'une cinémathèque qui
du fait, on demandait l'avis de la une sale guerre et de ne pas s'enfer­ ne aérait pas confiée è sa responsa­
profession cinématographique to u t. en­ mer dans des positions d'où il leur bilité. Pour tous ceux qui ont déposé
tière, eh bien ! auteurs, réalisateurs, serait difficile de sortir. des films ou des documents ô la Ciné­
techniciens, producteurs, artistes, ré­ M* Klejman Donlol-Velcroze a Indiqué mathèque, il y a la possibilité de mettre
pondraient un seul nom : Langlois. Le tout à l'heure que le succès de l'action fin à ce dépôt, de telle sorte que si la
pouvoir lui-même semblait de notre qui est menée actuellement est dû à Cinémathèque passait outre demain aux
avis lorsqu'il décernait la Légion d'hon­ l'ampleur et à la prolongation de vos défenses qui lui ont été faites d'exploi­
neur à Henri Langlois, et avec les meil­ manifestations. Jacques Rivette et moi, ter les films, eh bien la Cinémathèque
leurs motifs. Après que nous ayons lu nous pouvons évoquer quelques souve­ en la personne de ses nouveaux diri­
et entendu de très grands et très no­ nirs. Nous savons très bien que si geants se rendrait coupable d'un délit
bles discours sur la culture : autodé­ finalement le visa d'exploitation de * La qui s'appelle le délit de contrefaçon.
fense de la collectivité, base de la Religieuse > a été accordé, c'est cer­ Et enfin il reste une mesure qui doit
création et héritage de la noblesse du tes dû à certaines décisions techniques être prise et qui va être prise, c’est
monde, allant même jusqu'à une culture et même judiciaires, mais d'abord et la réunion de ('Assemblée générale de
gratuite comme l'instruction, voici que avant tout à une pression continue de la Cinémathèque, car II est évident ef­
d'autres voix tiennent aujourd'hui un l'opinion publique, qui l'a proprement fectivement qu'il faut revenir à la clar­
tout autre langage et qu'on nous parle arraché au gouvernement. Ce rappel té, c'est-à-dire à la démocratie. Il feut
Ici de rentabilité et d’argent. Les Jeux prouve donc que des mouvements que cette Assemblée générale prenne
' Olympiques coûtent cher et chacun comme le nôtre peuvent avoir leur effi­ des décisions qui désavouent celles qui
sait qu'il ne a'agit pas là d'une opéra­ cacité. En l'espèce, nous n'avons qu'un ont été prises par le Conseil d'adminis­
tion rentable. Bien d’autres exemples seul but et nous voudrions précisément tration en son nom. Et si un conflit
au service du prestige de la France prendre le gouvernement au mot. Le devait aller demain jusqu'au bout, il
ne sont pas non plus rentables. Et il gouvernement, dans les communiqués faudrait < que les membres de cette
est évident qu'une entreprise comme qu'il a fait diffuser par la Direction des Cinémathèque aillent jusqu'à la saborder,
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c'est-à-dire ordonner la dissolution de à la vice - présidence des Etats-Unis (600 000 F avec lesquels on peut faire
l'Association dont ils sont membres et (c'était un Noir), le prenant pour John un autre film), à ce moment-lè on le
dont le salut dépend d’eux. Aujourd'hui Ford le metteur en scène, dont j'avais présentera au label. J'ai gonflé mon
la question est donc clairement posée : vu deux films à l'époque. (Applaudisse­ film en 35, J’ai été naïf. Je l’ai présenté
est-ce que Henri Langlois peut être ré­ ments très nourris.) au Centre et naturellement on m’a re­
intégré dans les fonctions qu’on pré­ Henri Tisot L'éviction d'Henri Langlois fusé le label : président de la commis­
tend vouloir lui confier et qui ne sont est encore un bâillon de plus sur la sion, Pierre Barbin.
rien d’autre que celles qu'il avait, ou liberté française. Lorsqu’il y a des ma­ Godard Merci Maurice Lemaitre.
est-ce que le gouvernement contraindra nifestations sanglantes à Caen, on ne Henry Chapier Ce sont là simplement
les membres de la Cinémathèque ô les voit pas aux Actualités, on ne le quelques suggestions d’ordre pratique.
détruire celle-ci ? (Applaudissements.) lit pas dans les journaux, et on ne sait Vous faites une conférence qui est ca­
Godard Nous avons tous répondu, cha­ rien. J’estime que toute la corporation, pitale, il y a des journalistes dans la
cun à notre manière, à chacune des dix des acteurs aux metteurs en scène, salle et il y a des photographes. Go­
questions. S’il y en a d’autres que vous nous sommes tous concernés. Il faut dard sait parfaitement ce qu'est un
voudriez poser, vous le pouvez. Ou utiliser les moyens du bord. Il faut quotidien. Je crois qu'il serait de
d’autres moyens d’action auxquels vous organiser une manifestation générale, très bonne politique que M* Kiej­
pensez... Le dialogue est ouvert. mettre au courant tous les acteurs, et man, qui nous a apporté des précisions
Une journaliste étrangère Est-ce que j'ai l'impression que si Fernandel, Bar­ d'une importance capitale, fasse, tous
vous pensez à une autre cinémathèque, dot, Signoret ici présente, Piccoli, se les jours, ce qu'on appelle un round-
avec Langlois ? trouvaient rue du Faubourg Salnt-Ho- up. De même que le contre-gouverne­
Rivette Je pense que ce serait une er­ noré et si nous faisions une manifesta­ ment fait des communiqués à l'Agence
reur tactique fondamentale que de faire tion monstre, ça prendrait alors la une France-Presse, qui est forcée de les
une telle chose à l’heure actuelle. Je des journaux et je crois que fa seule accepter, s’fï se constitue un Comité
me trompe peut-être, Je ne suis pas chose à faire est de ne pas débander. de défense, comme l’annonce J.-P. Le
un homme de loi. Je crois que ce qu’il Maurice Lemaitre Je suis à la fois jour­ Chanois, il faut que nous puissions
faut demander avant tout, c’est que naliste et cinéaste. Je dois donner un communiquer notre point de vue.
Langlois reprenne — il n’y a pas à fon­ double témoignage ici. Celui de quel­ Godard C'est une très bonne idée et
der une deuxième cinémathèque, c’est qu’un qui a assisté depuis le début à on va essayer de la mettre en prati­
un travail de géant. C'est un travail qui toutes les assemblées générales de la que. Une autre question ?
a pris à Langlois 32 ans de son exis­ Cinémathèque dans lesquelles on a Un employé de la Cinémathèque Je
tence, jour et nuit. Fonder une deuxiè­ essayé d'évincer Langlois. Il y a d'ail­ suis un congédié de la Cinémathèque.
me cinémathèque est une chose évi­ leurs ici deux cinéastes qui y assis­ Je suggère, puisque sous l'ancienne
demment envisageable, mais c'est une taient aussi, Daquin et Le Chanois. cinémathèque les programmes étaient
solution de désespoir. Ce que nous Ils pourront confirmer mon témoi­ imprimés gratuitement dans tous les
voulons c'est que Langlois reprenne gnage. Ce que Je voudrais dire, c'est journaux, de demander aux journaux
sa cinémathèque, parce que c’est que non seulement/comme l’a dit Maî­ de réserver au Comité de soutien
celle-là qui est aussi ia nôtre. tre Kiejman, le jeu actuellement n’est de la Cinémathèque cet emplacement,
Nicholas Ray Je ne crois pas que les pas joué sur le plan juridique, non seu­ pour que chaque fois qu’il y a une
efforts combinés de tous les metteurs lement on n'a pas demandé l'avis des attaque — et Je vais vous en annon­
en scène américains puissent égaler déposants actifs de la Cinémathèque cer une — on puisse au moins
les efforts d’Henri Langlois et de ses dont Je suis, mais constamment on répondre librement. Je vous signale
collègues è la Cinémathèque Française. nous a demandé, à toutes les assem­ que la direction Barbin, l’usurpateur
Je crois que le travail de la Cinéma­ blées générales, de diminuer les pou­ comme je l’appelle, fait filmer les
thèque Française a été peut-être l'effort voirs de Langlois ou bien de mettre en Intérieurs des blockhaus les plus - mal­
individuel le plus important jamais cause sa gestion. Et constamment les heureux », les plus ruinés, ceci pour
accompli dans l’histoire du cinéma. Une déposante-membres présents à ('as­ donner une « preuve ■ dans un rap­
grande partie des profits de l'industrie semblée générale et ceux qui avalent port qui va certainement être utilisé
cinématographique américaine vient des donné leurs pouvoirs ont confirmé leur largement pour démontrer, et sur le
pays où des cinémathèques ont été confiance è Langlois. plan technique, cette fols-cl, donc
créées grâce aux efforts de gens Le second témoignage est contre le du ressort de M. Langlois, l'« incapa­
comme Henri Langlois. Et ce ne serait Centre. En 1951, j ’ai fait un film et Je cité » de celui-ci. Mais il faut tout de
que justice que les Associations de me suis ruiné pour ce film, je l’ai pré­ suite savoir que M. Langlois avait pro­
producteurs américains ou internatio­ senté au Centre du Cinéma et comme posé au Centre un plan pour juste­
nales décident de retirer leurs films de ii n'y avait 'pas de problème de cen­ ment ne pas utiliser ces blockhaus
la Cinémathèque Française. Ce serait sure, d’ordre sexuei ou politique, on a inutilisables. Plan auquel il n'a jamais
une façon de rendre une petite partie trouvé le moyen d’étouffer mon film en été donné suite par M. Holleaux. (Ap­
de l'argent qu’elles ont gagné grâce à lui donnant le visa « non commercial ». plaudissements.)
lui. Le public américain n'aurait aucune Ce qui veut dire que je n'ai pas pu le Godard Ce que je voudrais demander
considération pour nous, metteurs en projeter dans les salles. La seule per­ aux journalistes, c'est — si jamais la
scène, s’il n’y avait pas eu l'effort de sonne qui l’ait projeté, avenue de Mes­ Cinémathèque essaie de rouvrir ses
ceux qui sont ici sur cette estrade, sine, c'est Henri Langlois. Quand j'ai portes, et puisque notre but est de
de gens comme Renoir et de ceux qui été poursuivi par les huissiers, la seule la fermer tant que Langlois ne sera
sont dans le public et que je n’ai pas personne qui m'ait donné de l’argent pas réintégré dans ses fonctions, et si
eu l’occasion de remercier. Ne me dites pour acheter une copie de mon film, et jamais on leur remet des programmes
pas que vous êtes un pays sous- pour m'éviter les poursuites, c'est — soit de ne pas les publier, soit, s'ils
développé. Vous êtes le seul pays dans Henri Langlois. Plusieurs années après, y sont forcés par la propre Direction de
le monde à avoir une tradition de cri­ c’est-à-dire plus récemment, J'ai fait un leur journal, de les saboter, de les
tique cinématographique et de passage autre film, en 16 mm cette fois, ça publier avec des erreurs. (Rires.) Je
de la critique à la réalisation. Quant à revenait moins cher. J’ai voulu le pro­ crois que ce qui est important, pour
ceux qui insinuent que ce mouvement poser au Centre du Cinéma. On m'a chaque spectateur qui n'a pas de
est inspiré par les communistes, ils me dit textuellement : gonflez votre film moyens d'action comme les organis­
font penser à ceux qui, lorsque j ’avais en 35 parce qu'il ne correspond pas mes ou comme nous-mêmes, c’est le
dix-neuf ans. m'ont traité de commu­ aux normes du C.N.C. Quand vous sabotage perpétuel : lacérer les fau­
niste parce que j'avais Invité à habiter l’aurez fait, c'est-è-dire quand vous au­ teuils discrètement avec une lame de
chez moi un certain John Ford, candidat rez dépensé 600 000 F supplémentaires rasoir, Jeter des encriers sur l'écran,
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sabotage intégral pour rendre i-nu-ti-li- qui d’une part. veut, en quelque sorte vous mettez pas dans ce truc-là. on
sable la Cinémathèque. Car elle est freiner te mouvement de protestation va faire tintin pour les primes à ta
utilisable seulement avec Henri. pour nous empêcher de savoir dans qualité. Il s’agit d’un producteur qui
Rlvette Je voudrais ajouter une autre quelle direction déterminée il faut les fait dix ou quinze films de courts mé­
chose pour l’action permanente, car diriger, et d’autre part ne doit pas sa­ trages par an. Cela dit simplement
c'est d'une action permanente qu’il voir lui-même comment se tirer de pour vous montrer le poids qu’a ce
s'agit (ô partir de maintenant, et jus­ cette situation. La deuxième question : monsieur et ses moyens de pression.
qu’à victoire complète, noua rentrons , est-ce que l’Assemblée générale peut Godard Mais nous savons très bien
dans la guérilla continue) : dès que révoquer la nomination de M. Barbin ? que les rares qui ont refusé de s’asso­
quelqu’un d'entre vous — spectateur, Si on prend les statuts ô la lettre, elle cier à nous — Je dis bien les rares
journaliste, membre de la Cinémathèque ne le peut pas, puisque la nomination puisque sur 800 personnes, il y a envi­
obligé de rester en fonction pour des du directeur artistique et technique est ron une quinzaine de personnes qui ont
raisons matérielles — est au courant confiée au Conseil d’administration. refusé de signer — l’ont fait unique­
d’une manœuvre en cours, d’une faus­ Mais rAssemblée générale peut modi­ ment pour des questions de finance.
se nouvelle qui va s’apprêter à circu­ fier les statuts. On pourrait très bien Les quelques metteurs en scène qui
ler, aussitôt qu’il nous le fasse savoir concevoir que demain l’Assemblée gé­ viennent de recevoir ou qui vont rece­
au Comité de défense de la Cinéma­ nérale décide désormais de nommer le voir une avance sur recettes ou qui
thèque Française en train de se directeur artistique et technique. Cer­ encore sont en train d’adapter un ro­
fonder (adresser le courrier : 7, rue tes, la modification des statuts serait man du directeur général des Arts et
Rouget-de-LisIe, Paris-1,r). elle aussi subordonnée à l'agrément du Lettres. (Applaudissements.)
Un journaliste étranger Je voudrais quel­ gouvernement, mais si une telle modifi­ Rlvette Je voudrais répéter encore une
ques détails juridiques. J’ai entendu cation des statuts était proposée par fois que Pierre Barbin, qui se targue
dire qu’il fallait qu’André Malraux signe l'Assemblée générale, eh bien le gou­ du titre de Directeur de Tours, de Di­
quelque chose avant que Barbin ne vernement, en refusant, n'aurait plus recteur d’Annecy, n'a fait qu’exploiter
devienne vraiment ce qu’il essaie de qu’à montrer qu'il n’entend pas respec­ quelque chose qui avait été entièrement
devenir. Ensuite, est-ce que l’Associa­ ter le vœu de cette Assemblée géné­ créé par André Martin et Boschet. Il est
tion de ia Cinémathèque peut casser rale qui est le seul vœu démocratique entré dans la place comme un second,
l’action du Conseil ? parce que c'est celui de tous. On arri­ comme un comptable et peu à peu il
M* Kiejman Effectivement, ce sont verait dès lors ô une impasse. Comme les a éliminés, en deux ou trois ans.
deux questions très précises auxquel­ je vous l’ai dit tout à l'heure, l'Assem- Simone Slgnoret Ce matin j'ai vu une
les on peut répondre avec précision. blée générale pourrait prendre une lettre dans un journal qui avait l'air
Le texte que je vous avais lu tout à autre mesure qui serait purement et d’insinuer que pendant les quatre ans
l’heure et qui est emprunté aux statuts simplement la dissolution de la Ciné­ d'occupation, Langlois ne s'était pas
de l’Association dite la Cinémathèque mathèque avec un vœu recommandant du. tout occupé de la Cinémathèque. Je
Française, dit que le Conseil d’admi­ l'attribution des biens qui sont les dirai seulement — parce que c'est la
nistration nomme pour trois ans avec siens à un établissement public. Bien vérité, ça remonte à mes souvenirs de
l’agrément du ministre d’Etat chargé sûr, quel établissement public faudrait- jeunesse — que la première fols que
des Affaires Culturelles, un directeur il choisir? Il faudrait soit en choisir j'ai vu le.« Cuirassé Potemklne », c’était
artistique et technique et un directeur un qui ait la confiance dea membres en 1941 dans la salle è manger de la
administratif et financier. Or actuelle­ de l'Assemblée générale, soit un qui soit mère de . Langlois, rue Troyon. Tous
ment, nous sommes dans la confusion tellement dérisoire qu’en quelque sorte les films soviétiques ou les films de
et pourquoi 7 Nous savons bien que par ce choix paradoxal, les membres de Renoir qui étaient interdits parce que
Henri Langloia en tant que directeur l'Assemblée . générale montrent qu'ils c ’était l'occupation, les films de Prévert
artistique et technique n‘a pas été regrettent d’être ligotés par les statuts qui vient de partir — les 8euls beaux
reconduit dans ses fonctions de trois et ne veulent pas d'autre organisme films que j ’aie vus pendant cette période
ans. nous savons bien que Henri Bar­ pour gérer la Cinémathèque qu'un orga­ m'ont été projetés par Langlois qui bal-
bin est en quelque sorte proposé par nisme dirigé par Langlois. Actuellement ladait les bobines dans le métro, ce
le Conseil d’administration — Je dis on me fait parvenir un document sur qui maintenant a l’air rigolo, mais qui
bien proposé parce que nommer quel­ papier à en-tête de la Cinémathèque tout de même à l'époque présentait un
qu'un avec l’agrément d’un autre, cela française qui est signé par M. Pierre certain danger, et pas par le monsieur
veut dire en clair qu'on n’a fait que Barbin en qualité de directeur artisti­ qui a écrit la lettre que j'ai lue ce
le proposer ô cet autre — et nous ne que et technique, fonction occupée matin, i! ne m’a jamais rien projeté.
savons pas si cet agrément du ministre jusque-là par Henri Langlois — et Marcel Carné Je confirme ce qu'a dit
des Affaires Culturelles a été donné. Et signé également par Raymond Maillet Simoné, parce que moi-même, pendant
nous ne savons pas non plus, en rai­ qui était et qui resterait donc provisoi­ la guerre, Langlois m’a apporté des
son de la confusion entretenue par les rement directeur administratif et finan­ bobines de films qu'on a cachées dans
communiqués de la direction dea Arts cier. Tout cela, encore une fols, est la cave. Je n’ai pas vu l'autre mon­
et des Lettres, si Pierre Barbin sera subordonné à l’agrément du Ministre, sieur, qui est aujourd'hui un confrère
nommé au poste de directeur artistique et prouve bien encore une fols à quel à mol, mais que je méprise profondé­
et technique, poste qu'occupait Henri point la presse a été abusée puisqu'on ment pour sa lettre d'aujourd'hui.
Langlois, ou s’il sera à la fois nommé lui fait croire que M. Pierre Barbin est Un spectateur Je ne suis pas français
è ce poste et ô celui de directeur là pour occuper un poste administratif mais étranger. A la suite d'événements
administratif et financier qui était occu­ alors qu'ô l'évidence c’est bien le poste politiques, j'ai quitté le Moyen-Orient
pé par un autre qu’Henrl Langlois. artistique et technique de Henri Lan- pour venir en Europe. J'avais le choix
Curieusement, une des Justifications glois qu’il occupe. entre la France, l’Angleterre et le Bré­
de l’administration pour avoir mis fin Jean Jabely Je voudrais dire un petit sil, j ’ai choisi la France parce qu’il y
aux fonctions d’Henri Langlois, c’est mot au sujet de M. Pierre Barbin que avait une chose qui s'appelait la Ciné­
la prétendue nécessité de rassem­ je connais bien. Je ne sais pas s’il va mathèque et qui se trouvait è Paris.
bler entre les mains d’un seul des être nommé, mais ce que je sais c’est Que M. Langlois ait été renvoyé est un
fonctions qui exigent effectivement des que, actuellement, surtout pour les scandale. Si l'action que nous commen­
compétences aussi différentes que cel­ films de courts métrages et pour les çons ce soir, si cette action n'aboutit
les de directeur artistique et technique films d’animation, c’est lui qui tient le pas, c'est ô désespérer, il n'y a plus
et de celles de directeur administratif robinet des primes à la qualité. J’ai vu qu'à émigrer.
et financier d’autre part. L'imprécision juste avant de venir Ici un producteur Godard Mais nous ne désespérons pas
vient pour le moment du gouvernement, qui m’a dit : mon pauvre Jabely, ne du tout et ça aboutira. Merci.
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Protestations quand-Trlntignant, André Martin, Jean-Pierre
Melvllle, André Michel, Michel Mitrani, Jean
Lamothe, Joseph Losey, Gerhard Lamprecht,
Richard Lester, ierry Lewis, Richard Leacock.
Du monde entier ont protesté contre le renvoi Mltry, Edgar Morln, Luc Moullet, Marcel Norman M ac Laren, Gianfranco Mingozzi, Ro­
de 'Henri Langlois et demandé se réintégra­ Moussy, Robert Mennegoz. bert Manthoulis, Vlncente Minnelli. Vatroslav
tion les personnalités (cinéastes, produc­ Noôl-Noôl. Mimica, Lewis Milestone, Dusan Makavejev.
teurs, acteurs, Journalistes, écrivains, hom­ Marcel Ophuls. Andrew M ac Laglen, Albert Maltz, E. F. M e-
mes de théâtre, peintres, etc.) dont les noms Louis Page, Marcel Pagnol, Nlco Papatakis, dard.
suivent. Nous avons arrêté cette liste à la Marle-Lou Parollnl, Paul Paviot, Pierre Pele- Naruse Mikio, Jan Nemec.
date du 23 février, nous publierons dana grl, Georges Pierre, Jean-Daniel Pollet, Jean Valentlno Orsinl, Oshfma Nagisa, Liam
notre prochain numéro tes signatures qui Prat, Jacques Prévert, Pierre Prévert. O'Leary, Richard Leacock.
nous parviendront ultérieurement. En ce qui Jean-Paul Rappeneau, François.Reichenbach, Pler-Paolo Pasolinl, Otto Preminger, Arthur
concerne les Interdictions formulées par de Jean Renoir. Alain Resnais, Bernard Revon, Penn, D. Prouee, Robert Parrlsh. L.S. Person,
nombreux cinéastes de projeter leurs films Jean-José Rlcher, Jacques Rivette, Yves Ro­ Pierre Perrault, Nelson Perelra dos Santos.
à la Cinémathèque nouvelle manière, il est bert, Eric Rohmer. Maurice Ronet, Jean Joachlm Pedro de Andrade, A.C. Poirier, C.
encore impossible d’en donner la liste exac­ Rouch, Jacques Roufflo, Raymond Rouleau, Perron, Ivan Passer. D.A. Pennebaker.
te : chaque jour nous parviennent de nom­ Jacques Rozler, Mario Ruspoll, Jean Ravel. Roberto Rossellini, Karel Relaz, Tony Richard-
breux doubles des lettres recommandées Raoul Sangla, Marc Sator, Claude Sautet, son. Lionel Rogosln. Glauber Rocha. Paolo
envoyées à ce sujet à la nouvelle adminis­ Jean-Paul Savlgnac, Paul Seban, Edmond Rocha, Nlcholas Ray, Edgar Reitz, W . Reinke.
tration. Sechan, Suzanne Schlffman, Jean Schmldt. Hans Richter, Jorgen Roos, Satyajlt Ray (et
AUTEURS, REALISATEURS. TECHNICIEN S Pierre Schoendorffer. Charles Spaak, Geor­ les cinéastes Indiens). Mikhaïl Romm, Youri
( Fronce) ges Strouve, Francis Seyrlg. Raizman, M ark Robson, William Reisch.
Marcel Achard, Jean-Gabrlel Albicocco, Henri Jean-Charles Tacchella, Jacques Tati, Ber­ Josef Von Sternberg. Jean-Marie Straub. Pao­
Alekan, René Alllo, Philippe Arthuys, Alexan­ trand Tavernler, Bernard Toublanc-Michel, lo César Saraceni. Roberto Santos. Shindo
dre Astruc, Bernard Aubouy, Michel Audiard. François Truffaut. Kaneto, Luigi Saltinl, Evald Schorm, Julta
Jacqueline Audry, Jean Aurel, Philippe Agos- Roger Vadim, Georges Van Parys, Agnès Solntseva, Don Slegel, John Sturges. George
tini. Varda. José Varela, Paul Vecchlali, Sacha Seaton (Président de la Director’s Guild).
Jean Badal, Jacques Baratter, Léon Barsacq. ’ Vlem y, Carlos Vllardebo, Henri-Pierre Vin­ Paolo Tavlanl. Vittorio Taviani, Teshlgahara
Jean Becker. Etienne Becker, Charles Bel- cent. HIroshi.
mont, José Benazeraf, Claude Berri, Chartes Pierre Zucca, Anne Zamlre. K. Urayama.
Bltsch, Francia Blanche, Bertrand Blier, M ar­ Wim Verstappen, Luchino Visconti, Alex Via-
AYANTS DROIT OU HERITIERS ny, Klng Vldor.
cel Bluwal, Miche! Boisrond, Yves Boisset,
Antoine Bonfanti, Michel Boschet, Daniel Mme Jacques Becker, Edouard Dermlt, Mlle Orson Welles, Robert W ise, Andy Warhol,
Boulanger, Antoine Bourselller, Roger Bous- Marie Epsteln, Mme Eve Francis Delluc, Raoul Walsh, Malvin Wald, Basil Wright.
sinot, Pierre-André Boutang, François Boyer, Mme P.A. Harlé, M me Maurice Jaubert, Terence Young, Y. Yoshida. Yo8hlmura Kosa-
Charles Brabant, Robert Bresson, Jean-Claude Louise Lagrange-Toumeur, Mme Le Som- buro, Serge Youtkevltch.
Bringuier, Jacques B riS B O t, Philippe de Broca, ptier, André Méliès, Marcel Ophuls, Marc Fred Zinneman.
Sophie Becker. Saint-Saôns. Mme Vernac-Von Stroheim,
Mme Luce Vigo-Sand, Mme Annette W ade- PRODUCTEURS ETRANGERS
Carlo Rlm, Marcel Carné, iean-Claude C a r­
rière, Denise de Casablanca, Ange Caste, mant. Henry Blanke. Pandro S. Berman. William Bo-
Alain Cavalier. André Cayatte, Claude Cha* wers. Gene Corman. Richard E. Lyons. Ray­
brol, François Chalais, Christian de Chal- REALISATEURS ETRANGERS mond Rohauer. Milton Sperling. Lawrence
longe. Jean-Pierre Chartler, Christian-Jaque, Mlchelangelo Antonioni, Llndsay Anderson, Turman. Raymond Wagner.
Maurice Clavel, Ghlslaln Cloquet, Henri- Giannl Amico, Gabriel Axel. Lev Amstam,
Georges Clouzot. Françoise Collln, Philippe Robert Aldrlch, Adolfo Arrleta. ACTEURS
Collin, Henri Colpl, Costa-Gavras, Michel Ingmar Bergman, Richard Brooks, Luis Anouk Aimée, Stéphane Audran, Françoise
Coumot, Raoul Coutard, Darry Cowl, Jean Bunuel, Juan Bufiuel, M. Borges, Bemardo Arnoul. Arletty, Claudine Auger, José Arthur,
Dubot, Michel Drach. Bertolucci, Marco Bellocchio, Michel Brault, Bibi Andersson. Charles Aznavour, Mario
Louis Daquin, Henri Decoln, Jean Delannoy, Lima Barretto, John Berry, Lula-Garcla Ber- Adorf, Grégoire Aslan.
Maurice Delbez, GeorgeB Delerue. iacquea langa, Alessandro Blasettl, J. Bressane. Peter Bernard Blier, Jean-Paul Belmondo, Françoise
Demy, Jacques Deray, Michel Devllle, Jean Brook, Zbynek Brynych, Guy Bergeron. Brlon, Pierre Barouh, Gérard Barrey, Gérard
Dewever, Jacques Donlol-Valcroze, Jean Dou- Charles Chaplin, John Cassavetes. Juleen Blain, Jean-Claude Brlaly. Denis Berry. Clau­
chet, Jean Dreville, Jean-Marie Drot, Anne Compton, Hubert Cornfield, Jack Clayton, Al­ de Brasseur, Pierre Brasseur, Brigitte Bardot,
Dubot. berto Cavalcanti, M . Camelra, M. Capovila, Mljanou Bardot, Yves Beneyton, Franclne
Robert Enrlco. Pierre Etatx, Jean Eustache, Luigl Chiarlnl, Henning Carlsen, Shlrley Clar- Bergé, Jean-Loula Barrault, Michel Bouquet.
Jacques Ertaud. ke, V era Chytilova, Vittorio Cottafavi, Roger ^ Nadine Basile, Bruno Cremer.
Jean Fléchet, Philippe Fourastié. Georges CormBn. Jacques Charrier, Pierre Clementl, Geneviève
Franju. Jules Dassin, André Delvaux, Cari Th. Dreyer, Cluny, Eddie Constantine. Jean-Pierre Cassel,
Jean-Pierre Gallo, Abel Gance, Pierre Gas- Gustavo Dahl, Carlos Dlegues, Alexis Da- Pla Colombo, Pauline Carton. Alain Cuny,
pard-Huit. Paul Gegauff, Guy Gilles, Claude mlanos, Ferdinand Dansereau, Adrian Dit- Renée Coslma.
d e 1Glvray, Sergio Gobbl, Jean-Luc Godard. voorst, Vittorio De Seta, Delmer Daves, lan Catherine Deneuve, Alain Delon, Mireille
Gilles Grangier. Mme Jean Gremillon, Paul Dunlop. M ark Donskoi, Madame Dovjenko, Darc. Marie Dubois, Chantai Darget. Danlèle
Grimault, Pierre Grlmblat, Jean Gruault, G é­ Thorold Dfckinson, Philip Dunne. Delorme, Chartes Denner, M arlène Dletrich,
rard Guillaume, Agnès Guillemot, Claude Luciano Emmer. Jacques Destoop, Mario David, Florence De-
Guillemot, Pierre Granier-Deferre. John Frankenhelmer. Marco Ferrerl. Samuel lay, Marie Dea, Jean Deaallly, M ark Damon,
Marcel Hanoun, Jean Herman, Robert Hos- Fuller, Sandro Franchlna, Robert Florey. Ml- Gabrlelle Dorziat. Julie Dassin, Claude
seln, Noôl Howard. los Forman, Rlccardo Freda, John Ford, Ri­ Dauphin.
Sébastien Japrisot, Alain Jessua, Plerre-Alain chard Flelscher. Jane Fonda, Françoise Fabien, Bernard Fres-
Jolivet. Ruy Guerra, Ibrahim Golestan, Gilles Groulx, aon, Sami Frey, Renée Faure, Suzanne Flon.
Roger Kahane, M ax Kalife, Nelly Kaplan. Jacques Godbout, Serge Guerasslmov, John Huguette Forges. Fernandel.
Pierre Kast, Léonard Kelge!, Mme Kirsanoff, Grierson, Tay Garnett. Juliette Greco, John Garko, Xavier Grandes.
William Klein, Serge Korber W illy Kurant, Alfred Hitchcock. Léon Hlrszman, Mohamed Katherine Hepbum, Robert Hirsch, Catherine
Ado Kyrou. Lakdar-Hamlna, Pierre Hebert, S. Hldarl, Su- Hessllng, Eléonore Hirt. Daniel Ivemel.
André S. Lebarthe, Maurice Labro, Georges sumu Hanl, Anthony Harvey, Howard Hawks, Lang Jeffries, Ulla Jacobson. Henry Jones.
Lacombe, Jean .Lallier, Denys de La Patel- Curtls Harrlngton, Jorls Ivens, Shlntaro Ishi- Odette Joyeux.
lière, Roland Laudenbach. Georges Lautner, hara, Shohei Imamura. Anna Karina, Jean-Pierre Kalfon, Machlko Kyo.
Jean-Paul Le Chanois, Emma Le Chanois, Claude Jutra, Amaldo Jabor, Vojtech Jasny, Barbara Laage, Bernadette Lafont, Jean-Pierre
Jean Leduc, Michel Legrand, Claude Lelouch. Jaromll Jlres. Pavel Juracek. Léaud, Valérie Lagrange, Roland Lesaffre,
Colette Leloup, Francis Leroi, Alain Levent, Ella Kazan, Stanley Kubrick, Kurosawa Akira. Philippe Leroy-Beaulieu, Michel Lonsdale.
René Levert, Pierre Levy-Corty, Jean L'Hote, W alter-Hugo Khouri, Ferdinand Khlttl. Klnu- Margaret Lee, Bernard Laury.
Atahualpa Llchy, Jean Lods, Stelllo Lorenzi, gasa Teinosuke, Kobayashl Masaki, K. Kumai. Jeanne Moreau, Yves Montand, Mifune
N. et W. Lubchansky, Edouard Luntz, Jean- Alexander Kluge, Elmar Klos, Gene Kelly. Toshlro, Michelle Morettl, Jean Marais, Jean-
Jacques Languepln. Lev Koulechov, Grigori Kozlntzev, Burt Ken­ Pierre Marielle, Judith Magre. Jean Martinelli.
Gitt Magrlni, Lydie Mahias, Louis Malle, Man nedy. Marle-José Nat, Philippe Noiret.
Ray, Jean-Pierre Marchand. M arc’o, Chris Fritz Lang, Alberto Lattuada, Anatol Lltvak. Peter O'Toole, Bulle Ogler.
Marker, Christian Marquand, Nadine Mar- Albert Lewln, Jean-Pierre Lefebvre, Arthur Michel Piccoli, Marle-France Plsler, Mlche-

45
line Presle, Jean Paredes, Françoise Prévost, lahaye, Pierre Dalx, Bernard Dufour, Shetagh Claude Simon, Mme Georges Sadoul, Louis
Jacques Perrin, Sacha Pitoeff, François Pérler. Delaney, M. Dufrenne, Michel Denis, Jean Seguin, Paute Sengiesen, Jacques Siclier, El*
Françoise Rosay, Francisco Rabal, Catherine Dewasne, C. Dancourt, Mikel Dufrenne, Tho- liot Stein, Jean-Marie Serreau, G. Singler,
Rouvel, Michel de Ré. Serge Reggiani, Em- rold Dickinson (Prof. University Londres), Jacques Stemberg, Luigi Saltini. Gilbert Sa-
mrtnuèle Riva. R.-P. Diard. lachas.
Michel Simon, Simone Signoret. Delphine M ax Ernst, Jean Effel. Lotte H. Elsner, Phi­ Eisa Triolet, Thlrifaya (Cinémathèque de Bel­
Seyrlg, Jacqueline Sassard, Alexandre Ste- lippe Engrand, Bernard Eisenschitz, Michel gique), Dorothea Tannlng, Guy Teisaeire, Ro­
wart, Michel Subor, Lazlo Szabo. Jean Se- Emer, Leny Escudero. ger Tailleur, Nicolas Texeira, Jean Thlbau-
berg, Alice Saphtch, Catherine Sauvage. Jean-André Fleschl. Odette Ferry. R. Frances. deau, Paul-Louis Thirard, Paule Thevenln.
Gloria Swanson, Simone Simon, Madeleine Jean Genet, Jean Giono, Gabriel Garran, Roger Thérond. Jean Tasso, Claude-Marle
Sologne. Susan Stras berg, Maurice Sarfati, Pierre Gascar. Claude Garaon, Gérard Goz- Trémois, Jean-Louis Tallenay, Marcel Tarlol.
Martine Sarcey. lan, Georges Goldfayn, C. Grenier, André Vasarely, Fr. Verlhin (Fondation Maeght),
Laurent Terzleff, Jean-Louis Trintlgnant. Henri Guérin, Annette Goldman, Jacques Goimard, Madame Roger Vailland, Melvin Van Peebles,
Tisot, Jean Topart. Pierre Tabard, Michel D. Gaudry, L. Goldman, Claude Gauteur. Jean Vidal, Z. Voynov, Vercors, A. Vogel
Treguer. Guillaume Hanoteau, E. Hurard, M. Humbert, (Festival de New York). Paul Vialar.
Marina Vlady, Françoise Vatel, Jean Vilar. Léon Hurwitz. Philippe Haudiquet. Monique Wittig, C.D. Watton, lannls Xenakis.
Howard Vernon, Lino Ventura, Denise Var- Eugène Ionesco, Isidore Isou. Yoda Yoshlkata, Yamada Kolchl.
nac, Pierre Vaneck, Robert Valey. G. Jones, J. Jacquot, Jean Joulin. R. Julian, GROUPEMENTS
Anne Wiazemsky, Jean Yanne. Alain Jouffroy. Pierre Jacques. Association des metteurs en scône danois,
PRODUCTEURS Piotr Kowalski, Pierre KIossowski, E. Konig- Association critiques de cinéma italien, C e n ­
son, Karskaya, A. Knight (University Southern tre d'entrainement aux méthodes d'éducation
Jacques Bar, Georges de Beauregard, Mag
Californie), Marie-Ann Knight, Hyberg (créa­ active (150 membres), Ciné-Club de n.C.A.R..
Bodard, Henri Beauvais, Janine Bonnardot.
trice costumes Los Angeles), Mme Kawaklta. Conseil municipal de Sarcelles, Center Do-
Anatole Dauman, Henri Deutschmeister, H.
Daniel Lesur. Roland Laudenbach, Claude cumentary. Les Elèves de l'Ecole d’Art de
Froment, André Genoves, Claude Jaeger,
Lanzmann, R.P. Guy Léger, Wilfredo Lam, Newton Abbott (Angleterre), Amis de la Ciné­
Henri Lassa. Philippe Lifchitz, Claude Nedjar,
Samuel Lachize. Gérard Legrand. mathèque de Dijon, Marseille, Tours, Greno­
Raoul Ploquln, Gisèle Rebillon, Bernard Re-
Jean-Pierre Leonardinl, Pierre Laforêt. Gérard ble, Cinémathèque suisse. Clneteca Italiana,
von, A. Raygot, Harry Saltzman, io et Sammy
Lebovici, R.H. Lener, Maurice Lemaitre. Gé- Cinémathèque tunisienne, Cinémathèque
Siritsky, Barbet Schroeder, André Thivat,
rad Lascault, Jean-Jacques Lebel, Christian d ’Iran, Ciné-Club d'Annecy. Fédération Natio­
Catherine Vinteur, Gilbert Wolmark.
Ledieu. Philippe Labro, Nadine Liber. nale du Théâtre Universitaire. Cm é-Club Uni­
PERSONNALITES DES ARTS ET LETTRES Pierre Mendès-France, Claude Mauriac, Vio­ versitaire de Lausanne, Festival du film de
e t CRITIQUES (France et étranger) lette Morln. F. Moinar, André Pieyre de Science-Fiction de Trleste, Les élèves de
Louis Aragon, Marcel Achard, Pierre Ajame. Mandiargues, Bona de Mandnargues, M. de l’IDHEC, 114 membres de la T.V. scolaire.
Michel Aubriant, Jean-Michel Arnold, Alexan­ Hodeln. Louis Marcorelles, François Meurin, Deutsche Klnemathek (Gerhard Lamprecht),
dre Arnoux, Arthur Adamov. Jean Anouilh. Robeart Monange, Jean-Yves Mock (Galerie Cinémathèque d'Irlande (G. Morrisson), M u­
Alechinsky, Aldo Addobattl, Alexandre Alexan­ Hanover Londres). Giovanni Muller. Michèle séum of M odem Art (New York), Oxford Uni­
dre, fanik Arbois. Colette Audry, Jacques Manceaux, Claude Makovski, Marcel Martin. versity film, Présence du Cinéma, Syndicat
Aumont. Paul-Louls Martin, Aline Maresco, Jacques Nationat de la Radiotélévision, Syndicat
Roland Barthes, Marcel Brion, Jean de Baron­ Melllant. C.G.T. Rhodlacéta-Besançon. Institut d'Ulm,
celll, Jean Béranger, Yvonne Baby, Robert Georges Neveux, Jacquel Noël, Jean Nar- U.N.E.F., Union des Ciné-Clubs du Centre
Benayoun. Jean-Louis Bory, Jacques Bon- bonl. Dominique Noguez, Claude OUler. (Tours). Verband der Deutschen Film Club.
temps, Noôl Burch, Patrick Brion, Jacques Anne Philipe, Marcelin Pleynet. Pablo Picas­ Festival de New York. Festival de Venise,
Borgé. Boileau-Narcejac, J. Broz. Denise Ba- so. Gaôtan Picon, Roger Planchon, jean Bureau du Syndicat des réalisateurs TV. As­
blet, Jean Barraqué, Raymond Bellour, Y. Prodromides, Jean-Loup Passek. Sylvie sociation Française des critiques de Cinéma
Bernard, Samuel Beckett, C. Bryen, Pierre Pierre. R.P. Pradal, Claude-Jean Philippe. et de Télévision. Association Française des
Barbaud, Simone de Beauvoir. William Ber­ Bernard Parmeglanl, Raymond Queneau. Cinémas d ’Art et Essai, Chercheurs et D i­
ger, François Billetdoux, Camillo Bassoto, Olivier Revault d'Allonnes, Claude Revault recteurs C.N.R.S., 40 membres du Service de
Freddy Buache (Cinémathèque suisse). d'Allonnes, J. Rollin, Jean-Louls Rieupeyrout, la Recherche O.R.T.F., 438 cinéastes de la
James Card (George Eastman House), Alexan­ Nicolas de Rabaudy, Christian© Rochefort, Film Makers Corporation New York. Centre
dre Calder, Henry Chapier, Bernard Cohn, Jean Rlcardou, Jean Ribet, Guy Rétoré, D e ­ culturel de Besançon. Section des Etudes
Michel Ciment, Jean Collet, Jean-Louis Co- nise René, Richard Roud (Brltish Film Insti­ chinoises de la Sorbonne, Cinémathèque de
^olli, Michel CaDdenac. Albert Cervoni, Jean tut©). Maurice Roche. D. Roblnson, P. Rou- Grèce, Cinémathèque du Pérou, Museo de
Cohen, Robert Chazal, César, Michel Caen, bertoux, Rufus, Claude Regy, Jean Raine, Arte Moderne de Rio. M odem Art Film Li-
Luciana Ciili, Truman Capote. Claude Roy. U. Reynaud, Paul Rlcœur. btary (Tokyo), Cinémathèque turque. Malson
Marguerite Duras, Philippe Dumarçais. Jac­ Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers, Nicolas des œuvres laïques d'éducation par l'image
ques Demeure, Jean Domarchi, Michel De- Schoffer, Philippe Soupault, Helen Scott. et le son de l'Académie de Bordeaux.

- BULLETIN D’ADHESION
(à recopier ou découper)
COMITE DE DEFENSE DE LA CINEMATHEQUE FRANÇAISE, Président d'honneur : Jean Renoir, Président : Alain Res-
nais. Siège social : 13, rue de Selne-6». Adresser toute la correspondance : 7, rue Rouget-de-l’lsle - Paris-I".

NOM : PRENOMS :

ADRESSE :

Je souhaite devenir membre du Comité de Défense de la Cinémathèque Française dont le siège social est à Paris-6® :
13, rue de Seine, et je vous prie de trouver, ci-joint, une cotisation afférente à la qualité de : (*)
Membre Fondateur : F 500. Membre Bienfaiteur : F 50. Adhérent : F 5.

Le signature :

(*) Rayer la mention Inutile. Règlement par chèque bancaire ou chèque postal, ou par mandat libellé à Tordre de
M. François Truffaut, trésorier du Comité. Dès réception de votre adhésion et de votre règlement, vous recevrez direc­
tement votre carte. Le Comité vous tiendra personnellement au courant des développements de son action.

46
PETIT
JOURNAL DU
CINEMA
y parviendra, mais un fil su s­ tale de 14 minutes. Le tout • Che cosa sono le nuvole »
Lettre de Rome pendu lui coupera la tête. sans scénario, mais en se ba­ raconte l'histoire d'une vie. la
La Rome vue par l'Bcteur a sant sur l'im provisation et la vie d'une m arionnette (N in e t­
naturellement été presque en­ verve de N inetto qui a par­ to Davoli), fabriq uée pour être
Federico Fellini a fini le to u r­
tiè rem ent reconstruite en stu­ couru une grande rue de Ro­ O th e llo dans une représenta­
nage de ■ Non scomm ettere la
dio par Fellini, un décor hallu­ me, la via Nazionale, en ren- tion de Shakespeare. La ma-
testa col diavolo » (« Il ne faut
cinant, proche de celui de
pas p arier sa tête avec le d ia­
« Giulietta degli spiriti ». peu­
ble »), épisode du film - Tre
plé d'une faune de morts-vi-
paasi nel b rivido * ( ■ Histoires
vants violem m ent maquillés,
extraordinaires », réalisées
qui attaquent le cadavérique
aussi par Malle et Vadim,
Terence Stamp habillé en
d'après trois récits de Poe).
beatnik. Tout laisse prévoir un
Le retour au cinéma de Fellini
pas en avant s u r la voie de
laisse attendre le début de ■ Il
• Giulietta », mais Fellini a
viaggio di G. M astorna • qui
souvent déclaré qu'il c o n si­
avait été reporté depuis p lu­
dère ce film comme une pa­
sieurs mois et dont les décors,
renthèse, et qu'il l'a surtout
à la De Laurentiis. sont déjà
tombée en ruines. Pour « Non accepté pour résoudre les
problèm es financiers p ro vo ­
scomm ettere la testa col d ia ­
qués par le renvoi de « M as­
volo », Fellini, s ’ inspirant li­
torna *.
brement de Poe, a inventé
Toujours dans le domaine du
l'histoire d'un acteur anglais
film à sketches. Pier Paolo
(Terence Stamp) qui vient à
Pasolini a terminé son épisode
Rome pour tourner un western
pour « Vangelo 70 », intitulé
« catholique • produit par une
• La sequenza del fiore di
société fondée par des prê­
carta », interprété par Nin etto Pler Paolo Pasolini pendant le tournage de • Che cosa sono le nuvole
tres L ’acteur est un alcoolique
Davoli. Cet épisode s'ajo ute
dont la carrière est sur le dé­
au ■ Fico infruttuoso • de Ber- contrant des amis qu'il ne rionnette naît, se lie avec les
clin ; la Rome qui lui apparaît
lolucci (cf. « Cahiers », numé­ s'attendait pas à rencontrer. autres mario nnettes (Totô est
est déform ée par la drogue et
ro 194), à celui de Godard La longue séquence est in te r­ lago, Laura Betti Desdémone.
peuplée de visions hallucinan-
(- Cahiers ». n° 193), et à un rompue par quelques images A driana Asti Bianca), sourit,
de Lizzani. Quant à celui de de violence et de mort, par­ heureuse et innocente. Puis
Zuriini, il est trop long (80 ticulièrement dans le Tiers elle commence à vivre, c'est-
minutes) et sera distribué Monde, et se conclut avec la à-dire è jouer et a ne plus rien
comme long métrage. Comme mort de Ninetto, tué comme com prendre à la vie. Ninetto-
cinquième réalisateur, on par­ un Vietcong ou un N o ir du O thello aime Desdémone et
le de Bellocchio. Congo. doit la tuer, il senl que lago
La « Séquence » de Pasolini Pasolini a aussi dirigé, avant est un ami et se v o it trahi. Il
s'in sp ire de la parabole du • Edipo Re », un épisode pour demande alors quelle est la
fig u ie r innocent l'innocent la De Laurentiis qui est enco­ vérité. Le m ontreur de m arion­
N inetto ne parvient pas à re inédit et sera probablem ent nettes (Francesco Leonetti, la
prendre position devant les introduit dans un film intitulé voix du corbeau dans « Uccel-
événements du monde. Dieu « C ap riccio italiano ». Le lacci e uccellini ») donne une
l'exhorte à se faire une o p i­ sketch est m agnifique, sans explication rationnelle, mais
nion personnelle, mais lui ne aucun doute parmi les plus O thello ne com prend pas ; la ­
comprend pas. Alors, Dieu le belles choses de son auteur, go répond, plus m ystérieuse­
tue, sans se soucier que son aussi beau que le prologue ment : la vérité est quelque
jeune âge ait pu l'empêcher de « Edipo Re ». Il s'appelle
de mûrir. « Che cosa sono le nuvole -, Ce petit jo urnal a été ré ­
Ch ristla n Alégny dans ■ Non îcom met-
lerfl ta tests col diavolo • de Federico Le sketch a été tourné en est en couleur, dure 22 m inu­ digé pa r Jacques Aumont,
Fellini. deux jours, procédant par tes et est interprété par Totô lean-Louis Com olli. Ralph
tes. Au cours d'une de ses plans-eéquence sur chargeurs (son dernier rôle), Ninetto Crandall, Eduardo de Gre-
nuits de « dolce vita », il fera de 314 mètres (technicolor, Davoli, Laura Betti, Adriana gorio, Axel Madsen. Rui
le pari de sauter d'un pont à techniscope). qui ont ensuite Asti, Franco Franchi et C lccio N oguerira, M aurizio Ponzi
demi détruit près de Rome. Il été montés sur une durée to ­ Ingraesia. et François Truchaud.

47
chose q u ’on a en soi, on la que le programm e 67/68 est nebaker — , sur les marches en plue, au fur et à mesure
sent, mais sr on la dit elle divisé en deux groupes. Le de l'escalier, on critique l’état de notre travail. En plus de
n'existe plus. Le spectacle se prem ie r groupe comprend un de la copie — le S.A. l'affiche Hepburn, j'ai, dans le rôle de
poursuit, les marionnettes vieux film de Ken Annakin avant chBque p rojection — , deux autres ■ folles » : Giu­
jouent le texte, mais le public avec Julie Chnstie, un policier on parle aussi de • p ro g ra m ­ lietta Masina et Simone Signo-
ne supporte pas la mort in fâ­ de Franco Prosperi, la p re ­ m a t io n », bulletin de liaison ret. Un ■ cast • formidable,
me de Desdémone et envahit mière et la deuxième partie de animateurs - spectateurs du non 7 II me reste un rôle à
la scène, mettant O thello et « Guerre et paix ■ de Bondart- S.A., distribué à l'entrée. donner encore, celui de la
lago en pièces. C 'est la mort, chouk, et - Vangeio 70 ». Le Mais le but du S A ., comme quatrième folle. Jacques Per-
la raison d'être de toute salle, rin joue Pierre et Catherine
c'est de projeter des films. Allegret est Irma. Nous to u r­
Spécialisé dans le répertoire nerons aux studios de Nice,
américain, le S.A. a présenté, le temps y sera m eilleur qu'à
entre autres, pendant sa p re ­ Paris, et il n'y aura pas de
mière année 16 Ford, 12 b ruit I Le film est prévu pour
Hitchcock, 10 M innelli, 10 écran large, en couleur.
Sirk, 12 Walsh, 8 Lewis-Tash- Question Pourquoi n'avez-vous
lin. Ses princip aux titres de pas réalisé « W aterloo » ?
gloire sont la résurrection de Huston Je le ferai un jour,
Douglas Sirk et la resortie j ’espère. Une des raisons qui
de Films maudits de grands m 'ont arrêté était que je
réalisateurs comme - The Na- n'avais pas trouvé de bons
ked Kiss ■ de Fuller, - M ickey chevaux I II est très difficile
One » de Penn. « Seven Wo- de trou ve r aujourd'hui une
men • de Ford. vraig cavalerie dans un pays I
En 68 : Cukor, Dwan, Quine. Et réunir 600 chevaux est une
La résurrection de • Heller in drôle d'opération ! De toute
Pink Tights ». A suivre. R C façon, je ne pense plus le
faire en Belgique.
Question Nous n'avons pas
Francho Franchi. Ni net lo Davoli et Adriana Asti (tous tro is à d roite) dans • Che cosa
Rencontre encore vu en France * Ré­
fa c tio n s on a Golden Eye »...
sono le nuvole • île P 1er Paolo Pasolini.
avec John Huston Huston Je crois que c'est un
une mort triste et longue, à second est plus rassurant très bon film : je suis bien
laquelle Pasolini consacre au­ ■ Falstaff », Rocha, Ruy Guer- sûr la dernière personne à
tant de temps qu'à la vie. ra. Szabo, Jancso, René C lair Question Vous préparez en ce
moment • La Folle de ChaiI- p ouvoir le dire, mais je crois
Toto et N inetto sont mis sur et Pierre Etaix (!). mais il faut que je l'aim erais même si je
un cam,on et transportés dans se souvenir qu'actuellement, lot », d'après Giraudoux, avec
Katharine Hepburn (1). ne connaissais pas le metteur
un terrain vague, où on les qui dit cinéma d ’essai en Ita­ en scène. J'ai respecté l'h is­
jette parmi les déchets. Pour lie d't mort d'un film. Très peu John Huston Oui, nous allons
le tourner en janvier presque to ire de M cCullers. Elle a s u i ­
la prem ière fois ils regardent d'italiens verront les films ici v i mon scénario, elle l'approu­
le ciel : Ninetto demande mentionnés, parce qu'ils ne entièrement dans le sud de la
France. J'ai aimé la pièce dès vait et l'aim ait beaucoup. Elle
« Q u'est-ce que c'est que les seront projeté3 que pour q u e l­ est venue chez moi. en Irlan­
nuages ? » et le vieux et sage ques jours dans quelques c i­ la première fois que je l'ai
vue, et quand Katharine Hep­ de, pour en discuter, peu
Totô répond : ■ Ah, d échiran­ némas. Les nombreux débuts avant sa mort Je ne crois pas
te, m erveilleuse beauté du survenus ces derniers mois burn — qui en avait acheté
les droits — m'a parlé d'en qu'on puisse être plus proche
monde I • (cinq ou six) risquent de subir d un roman Malheureusement
« Che cosa sono le nuvole • le sort de ■ Prima délia rivo- faire un film, je n'ai pas hé­
sité. Elle est le personnage elle n'a pas vu le film.
s'inscrit dans la voie pasoli- luzione » : le jeune cinéma Question Le film était p ré v u
nienne actuelle du film à idées, italien, pour naître, devra sur­ idéal de la « Folle ». Je tra ­
vaille encore sur le scrip t pour M on ty C lift ?
basé sur la belle trouvaille monter l'obstacle des salles Huston Originellem ent oui. A
des marionnettes bariolées. d 'A rt et Essai — M. P. avec mon scénariste Edward
Anhalt. sa mort, nous avons engagé
Comme dans « La terra vista Brando, qui est remarquable.
Question Avez-vous apporté
dalla luna » (épisode de ■ Le C 'est une des meilleures in­
des m odifications au texte de 1
streghe »), le temps est d é ­
truit, restent la vie et la mort,
Anniversaire Giraudoux ? terprétations que j'aie jamais
Huston Nous avons rendu vues. En choisissant Clift, je
voisines, unies même, et Pa­ croyais qu'il était le plus in di­
solini continue de composer l'histoire contemporaine, en
Le jeudi 11 janvier, la té lé vi­ nous basant sur la conviction qué pour le rôle, mais aujour­
de déchirants poèmes ciném a­ sion française projette en co u ­ d'hui, je ne pourrai pas y vo ir
que si Giraudoux était vivant,
tographiques sur l’échec du leur et en V.O. ■ W ind Across quelqu'un d'autre que Brando
il aurait écrit sa pièce ainsi
poète (le finale d' « Edipo The Everglades » de Nicholas M onty C lift était un acteur
aujourd'hui. De toute façon,
Re »), essayant de co m p re n ­ Ray. Le même jour le Studio merveilleux. Mais il était" très
nous respectons fidèlement
dre. A ction présente lui aussi ce malade à la fin de sa vie,
l'esprit de Giraudoux, et nous
Avant de comm encer • Teore- film, au cours de sa série nerveusement, physiquement.
nous en rapprochons de plus
ma ». Pasolini a effectué des ■ Seconde chance • réservée Pendant le tournage de
repérages aux Indes pour un aux oeuvres n'ayant pas connu ■ Freud ■, il était très mal.
film à tourner en 68 et ré a ­ le succès public qu'elles mé­ Après, il a récupéré un mo­
lisé parallèlem ent une ém is­ ritaient lors de leur sortie, ou ment. puis il a craqué à nou­
sion de télévision pour TV 7 ayant été victim es du mépris veau.
qui n ’a pas encore été p ro ­ (de la méprise ?) des c r iti­ Ce qui est curieux pour « Ré­
grammée. ques. M algré la projection fa c tio n s ». c'est que l'église
B e m a rd o Bertolucci se p ré ­ d'une copie V.F., on en re g is­ catholique l'a dénoncé aux
pare à réaliser • Il sosia • : tre plus de 200 entrées. Des USA, alors que l'Irlande, qui
le début du tournage sera spectateurs ont abandonné est dotée d'une des censures
probable ment confirm é pour le leur télé couleur pour assister les plus strictes au monde,
20 mars ; distribution Italno- à la séance de 22 heures. l'a laissé passer sans p ro b lè ­
leggio. Il est im portant de Ce nombre d'entrées, bien mes I - Reflect.ons - a été
dire deux mots sur cette firme qu’il fût le plus faible e n re g is ­ réalisé avec un nouveau p ro ­
de distributio n, parce que tré dans la semaine, prouve cédé couleur, que personne
c'est la « distribution d'état » que l'on vient chercher au n'a jamais vu Les studios
tant attendue Jusqu’à présent S.A plus qu'une sim ple p ro ­ américains ont considéré que
l'Italnoleggio n'a pas donné tection. Il y a un clim at S.A. : so rtir le film avec ce nouveau
ds résultats, mais il est tôt on s'y rencontre, on y rencon­ procédé serait une trop g ran­
pour émettre un jugement d é ­ tre les animateurs, on parle • The Red Badge ot Courage • de John de aventure Ils ont fini par
fin itif. Q u'on sache seulement cinéma — de G riffith à Pen- H is io n (à droite Audie Murphy) consentir en faisant un co m ­
prom is : passer mon film dans climax intolé rable que les jeunes gens traversent la maisons de distribu tio n n’au­
ma couleur pour les grandes gens refusaient. Nous étions France dévastée par la guerre raient jamais voulu le sortir,
exclusivités et une copie co u ­ alors en pleine guerre de C o ­ de Cent ans. J'ai aussi « W a ­ c'é tait im possible. Et le film
rante, de grande diffusion, en rée, ce n 'éta it pas une guerre te rlo o ■ comme possibilité, et en a énormément souffert. Il
sim ple Technicolor l J'espère avec « sentim ent d ’héroism e » un film d'espionnage, très im­ ne reste plus que le mystère
que ce n'e6t pas cette copie et ■ im pression de sauver le moral ■ Kremlin Letter ■. d'une énigme policière, dû aux
en Technicolor qui sortira en monde d ’un despote * : c'é tait Question Vous aviez des p ro ­ coupures... (Entretien réalisé
France, ce serait dommage, la même situation qu’a u jo ur­ jets avec Bogart ? è Paris, en décembre 1967,
car le procédé est vraiment d'hui. en moins grave. Je me Huston Oui, nous devions fa i­ par R.N. et F. Td.)
extraordinaire. J'avais deux souviens, par exemple, que re « L'Homme qui voulait être (1) Au moment où parait cet
cameramen, O sw ald M orris et dans les reportages de « Li­ roi », de Kipling. Je pense entretien, John Huston — une
Aldo Tonti. M ais le procédé fe • et autres, je n'avais au­ souvent encore à ce projet fois de plus —- a été remplacé
a été mis au point par un cune envie de regarder ce mais je crois qu'avec la mort sur le plateau de « La Folle de
la boratoire expérim ental qui a qu'il y avait su r la guerre de de Bogart, j'ai perdu l'im pu l­ C h a illo t ■ par Bryan Forbes.
travaillé des mois durant pour Corée, je ne voulais pas s a ­ sion nécessaire pour le réa­
(2) C 'é tait avant le vendredi
o b ten ir cette cou'eur qui est vo ir ce qui se passait là-bas. liser. Je ne sais pas si je le
9 Février, naturellement.
ferai un jour...
Q uestion Etes - vous toujours
intéressé par le w estern ?
Huston Oui. bien sûr, je n'ai Près du Viêt-nam :
pas abandonné l'idée d'en
faire un autre, j'aim e beau­
Wayne et Fuller
coup ce genre. Je viens de
vo ir « Cat Ballou », de Sil- La guerre au Viêt-nam n'a
verstein, qui est très amusant. provoqué qu'un grand silence
Q uestion Q uels sont les nou­ sur les écrans américains.
veaux cinéastes qui vous in­ Cette guerre dont personne
téressent ? ne veut et qui ne cesse de
Huston J'aime énormément d é chirer la nation américaine,
Jean-Luc Godard. Et je viens n'est pas populaire et le cin é ­
de vo ir durant deux jours, à la ma préfère œ uvrer dans une
Cinémathèque (2), tous les pâte qui se concilie tant soit
film s de René Clair, qui me peu l’affection de la majorité.
semble un réalisateur très Hollywood, qui au prem ier
doué et toujours jeune I clairon d'autres guerres, s ’est
Question Les problèm es de laissé m obiliser la fleur au f u ­
l'inconscient et de la folie sil, a traîné la patte cette fois-
Eric Portman ei Montgomery C lift dans ■ Freud » de John Huston. semblent vous intéresser de ci, et il a fallu attendre cet
plus en plus... automne pour vo ir John W a y ­
fascinante. C ’est une co m b i­ J avais un sentim ent d ’échec,
Huston C ’est quelque chose ne tourner • The Green Bé­
naison de noir, de blanc et de cela me rappela it que nous
d'inconscient en moi, juste­ rets -, le prem ier film de
couleurs, si vous pouvez im a­ sortions de la guerre mondiale
ment I Peut-être est-ce dû à guerre sur le conflit vie tn a ­
giner cela, comme si la p e lli­ et que nos espoirs tom baient
l’absurdité de la vie dans les mien.
cule avait été vidée de toute à zéro. Et les gens ne v o u ­
grandes villes, au manque de Produit et co-réalisé par
couleur et comme teintée. laient pas vo ir ce genre de
logique des grandes puissan­
C ’est une sorte de sépia, mais choses dans - The Red B a d ­ John Wayne, qui jo ue aussi le
ces, par opposition à la vie
plus neutre. C 'e st quelque ge •. C 'e st pour cela que héros, le colonel Gl co m b a t­
de l’ Irlande où tout est logi­ tant le perfide V ietcong pour
chose que j'avais cherché cette scène et d ’autres ont
que, mesuré et calme. C 'est l'honneur du destin américain
dans ■ M oby D ick •, mais je été coupées. De toute façon
pour cela que j ’y vis. De to u ­
vais beaucoup plus loin ici. La personne n'aimait le film à et la gloire de l’homme blanc,
te façon, je m 'intéressais aux
couleur est saturée, elle se l'époque. Moi. je l'ai toujours ce film — aussi Républicain et
problèm es intérieurs bien
situe entre Braque et les Fau­ beaucoup aimé. Je crois que nationaliste que peut l'être
avant « Freud », je crois que
ves, si vous voulez. Une h is­ l'héroïsm e et la lâcheté sont Wayne — défend l'engagement
- Freud ■ fait suite à mon
toire psychologique est très deux choses très voisines, c e ­ américain, mais pas la thèse
to u t prem ier film, que j'ai réa­
difficile à rendre en couleurs ; la dépend de quel côté vous o fficielle de W ashington, car
lisé durant la guerre, à l'A r ­
souvent elles encom brent le courez I l'action se situe prudemment
mée, et qui m'a terriblem ent
récit. J'ai surm onté cet obsta­ Question • Beat the Devil • au début du conflit. Wayne,
marqué et influencé. • Let
cle et je retrouve la qualité nous semble très im portant Jim Hutton et David Janssen
• psychologique • du noir et dans votre oeuvre. jo uent un drame qui se passe
blanc tout en conservant l'in ­ Huston Nous y avons tout plus ou moins en 1963 quand
térêt plastique de la couleur. mis. tout notre humour et to u ­ le rôle des forces armées
Q uestion Vous avez souvent te notre ironie, Truman Capote américain es était celui de
eu des ennuis avec les pro­ et moi. C 'é tait form id able , ■ conseiller ».
ductions. . nous écrivions le scrip t au fur Tiré du roman de Robin M oore
Huston Oui, mais cela n'a pas et à mesure du tournage, la (publié en 1965), • The Green
d ’importance. Pour « L'Adieu nuit pour le lendemain matin. Bérets » a été tourné au
aux armes », je n‘ai rien to u r­ C ’était merveilleux, nous nous Camp Benning du U.S. Marine
né, je l'ai seulement préparé. sommes beaucoup amusés, Corps, dans la savane du sud-
Il y a le cas de ■ The Red même si nous l'avons payé ouest de G eorgie, à 150 km
Badge o f Courage ». bien sûr. très cher, ca r le film a été un d ’Atlanta. Camp Bennmg est
Mais finalement, je comprends échec total ! Mes souvenirs une base d'entraînem ent de
presque ce qu'ils ont fait, et de ce moment sont fo rm id a ­ Susfln Kohner bî Monrgomery C llft combat anti-guerilla. sim ulant
• Freud ■ de John Huston.
cela n’abîme pas trop le film. bles, même si les in terprètes à m erveille le clim at du sud-
J'assistais aux preview s r le féminines ne com prenaient there be light ». Je crois que ouest asiatique. Que l’armée
public n'a jamais accroché et pas toujours ce que nous fa i­ « Freud » aurait été un très ait perm is le tournage de
détestait certaines scènes. sions ! bon film s'il n'avait été si « The Green Berets » à l'in ­
Comme par exemple celle où Q uestion Q uels sont vos p ro ­ affreusement coupé. Je me térieur de la base affiche le
le jeune assiste à la mort ou jets ? considère comme entièrem ent propos du film distribué par
« tall soldier », accompagné Huston J'ai un projet avec ma responsable de cela, et non W a rne r B ro s - Seven Arts.
du « tattered so ld ie r » (Royal fille, A ngelica Huston. Ce p ro ­ le p ro d u cte u r • le public ne Les bérets verts du titre sont
Dano). Ils marchent tous deux jet, prévu pour après • La pouvait pas rester quatre heu­ des unités d'élite du U.S. M a­
sur la colline, te • tattered Folle de C haillot », a pour res durant devant un film tra i­ rine C orps spécialisées en
6oldier » commence à tourner titre ■ W alk Through Love and tant ce genre de problèmes. guerres subversives en pays
en rond, vous ne savez pas Death ». Il sera tourné en J’avais) pensé le faire en deux sous-développés.
qu'il est blessé à mort et il France. C ’est une histoire très parties et con se rve r sa lo n ­ Au début du tournage de
meurt. C 'e st cette sorte d'anti- sim ple : au M oyen Age, deux gueur intégralement, mais les « The Green Bereta -, Wayne

49
(il avait déjà réalisé « Ala- tour à H ollywood après le depuis l'âge de 11 ans et qui blement, pense la production,
mo •) fai sa it la mi9e en scè ­ tournage de ■ C am e » au jusque-là a dormi du sommeil puisqu'il est en noir et blanc
ne en collaboration avec le Mexique, prépare — il fallait des justes. Maintenant, il a tandis que les deux autres...).
réalisateur de TV Ray Kellogg, s'y attendre — un film sur la des cauchemars, tout comme Ferreri continue son travail et
mais ce dernier disparaissait guerre au Viêt-nam. Lui ren­ le colonel américain, et Fuller tourne * Le Harem » avec
au bout de deux semaines de dant visite en haut du C old- compte tourner des scènes Carroll B a k e r; jusqu'au m o­
tournage et une semaine plus wa te r Canyon où B everly Hills extravagantes et illuminées ment où, en 1967, resurgit
tard le vieil ami de Wayne, devient de nouveau Los A n ­ comme des peintures de l'h isto ire vieille de trois ans :
Mervyn LeRoy, le remplaça. geles, je l’ai trouvé dans sa Breughel, où les deux cauche­ Ponti. M astroianni e t lui-mê-
Si ■ The Gœen Berets » re ­ cave, qui est à son image : mars se livrent combat. me se mettent d'accord pour
présente indubitablement la scripts, livres et magazines « Le colonel rêve, à un m o­ remonter - L'Uom o » et pour
cause belliqueuse, la Gauche, s'y empilent comme chez un ment, q u ’il est devant un t r i­ l'e xp loite r à l'e xtérie u r il
anti-guerre et anti-pouvoir, antiquaire qui n’aurait rien ve n ­ bunal, genre Nuremberg, accu­ l'avait été seulement, ou p re s ­
n'a relevé aucun défi sur les du depuis vingt ans. Sur une sé de crim es de guerre, et que, en Italie.
écrans. Le cinéma * under­ corde à linge qui traverse la que les juges sont des Désormais. Ferreri n'a à lut­
ground ■ continue de se vau­ caverne qu'il appelle son lieu macchabées qui lui jettent ter contre aucun producteur,
trer dans une production de travail, sont pendus c r o ­ des os humains à la figure. contre aucun acteur — ils ne
pornographique et ■ p sych é ­ quis ou photos des principaux Q u 'est ce que vous en dites, veulent sûrement qu'un re­
délique ■ et aucun long personnages de « The Rifle -, hem ? C 'est pas du John montage de l'original (une
métrage traitant, de face ou Sur une corde à part, un peu Wayne ça, hem ? copie non amputée doit en­
par un biais quelconque, cette au-dessus, sont pendues les ■ Il y aura d ’autres personna­ core survivre), mais Ferreri
première question nationale, photos de Mao Tse-toung et ges insolites dans « The Ri­ n'accepte pas : c'est contre
n'a été mis en chantier de Ho Chi Minh. • M on film fle ■, continue-t-il. Une nonne lui-même qu’ il do;t maintenant
Comme je l'ai noté ici il y a sera un combat de cauche- française qui est folle, une se battre, contre tout le cinéma
espèce de Talleyrand cynique qu'il a pratiqué depuis ses
-► en supérieur français et, bien débuts en 58 avec « El pi-
■u;; :>. !>
sj . ‘' 1
' , sûr, en prises de vues d 'a c ­ sito • espagnol. Une récente
tualités inserèes dans la fic ­ vision de celui-ci peut nous
tion, Mao et Ho. éclairer. Dans « El pisito •
- A quand le tournage et où ? (l'h isto ire de ces fiancés fa ti­
Là, nous tombons dans la gués qui, ne pouvant o btenir
froid e réalité. Il y a deux un appartement, donc ne pou­
possibilités, dit-il. Ou bien j'a r ­ vant se marier, décident que
rive à intéresser une grosse lui épousera une très, très
vedette et cela sera un film vieille dame pour avoir sa
de trois millions de dollars ou maison après sa mort p ro ­
je n'y arrive pas et je to u r­ chaine), ce qui étonne cons­
nerai avec des inconnus dans tamment, c'est une continuelle
un kilom ètre carré de jungle profusion : myriades de petits
quelconque pour 800 000 d o l­ personnages, tonnes de dialo­
lars. • Il préfère lui-même la gues, bandes son à trois et
prem ière solution et propose même à quatre vo ix sim ulta­
quelques noms : Paul New- nées, tout cela enserré dans
man, « s'il veut jo u e r un hom ­ le vieux form at 1,33. em­
me de 45 ans *, W illiam prisonné par des plans fixes
Holden, Steve M cQueen ou des travellings harassants
Davio Janssen. John Wayne et Craig Jue dens « The Green Berets ■ de John Wayne * quoiqu'il soit tro p jeune.
et Mervyn LeRoy
(aujourd'hui ils provoquent sa
11 est également question que fureur : « Tout ce temps per­
un an (• Cahiers • n° 181, mars, d t Fuller, les yeux illu­ je fasse un film en Espagne. du !... »). Ferreri suivait les
p. 9), le scénariste Stirling minés (il est sans ses lunettes J'étais a New Y o rk la semaine traces du Fellini de « Il bi-
Silliphant, auteur des scripts noires pour une fois), m ontrant dernière et si on trouve les done » et rencontrait le scé ­
de « The Slender Threat • et que les deux côtés ont raison prem iers rôles pour ce film-là nariste Azcona avec tout son
• In the Heat of the Night ■, et tort ». d'abord, je le tournerai bagage de naturalisme, qui est
a été le seul à faire circuler Fuller a pensé à tout et écrit avant. » — A.M. (ou était, espérons) le seul
un pro je t de film gauchisant, le scénario pour p o u voir to u r­ langage pratiqué en Espagne ;
ayant imaginé une coquine ner — contrairem ent à ce que la même méthode appliquée
histoire où le Vietcong envoie Hawks compte faire — son Ferreri dans • El C och e cito ■ ,
un petit commando en A m é ­ film sans la coopération de la - L'ape regina • ou « La d on­
rique détruire le cerveau ce n ­ U S. Army. - J'ai pensé à
contre lui-même na scim mia «. Déjà dans c e r­
tral du Pentagone. Appelé tout et je n'ai pas besoin de tains sketches de « Marcia
• G roundswell » (titre sour­ l'armée. Mon décor est une Finalement, trois ans après le nuziale ■ (1966) — celui du
noisement évocateur du vo ca ­ jungle, rien d'autre, pas d 'in ­ • massacre », et avec l'aide couple newyorkais, qui vantait
bulaire électoral), le script de térieurs. Les personnages du bourreau déguisé en bien­ les plaisirs de l'amour entre
Silliphant a été rejeté par sont une patrouille de Gis, un faiteur, M arco Ferreri est par­ poupées et humains ■— une
plusieurs studios comme étant colonel et une dizaine d 'ho m ­ venu à recréer son « Uomo tim ide érosion gâtait de l'in té ­
un peu trop polémique. A u ­ mes ; on n'y verra ni h é lico p ­ dei cinque palloni *. Ce film, rieur la notion habituelle de
jourd'hui la situation s'est ag­ tères, ni chars d'assaut, ni tourné en 1964 avec M arcello personnage peut-être à
gravée à un point tel qu'une avions supersoniques. ■ M astroianni et Catherine cause de leur origin e te ch no ­
comédie sur la guerre au ■ The Rifle ■ com portera des Spaak (c'est - à - dire deux logique. les créatures deve­
Viêt-nam ne serait plus po s­ audaces très fulleriennes Sa grosses garanties de succès naient plus génériques, e t les
sible. M ais l'Am érique est la patrouille de Gis com prend pour le marché italien), avait sourires et les larmes ne s i­
démocratie de toutes les un « brûleur de carte de cependant provoqué la pani­ gnifiaient plus quelque bon­
contradictions et I' « autre conscription - (draft card bur- que chez Carlo Ponti : il ne homme assurance caricaturale.
côté » a présenté son dossier ner), qui refuse de tu e r ju s ­ serait pas apprécié du public, Mais l'oscillation était minime;
au public. Un film de p ro p a ­ qu'à ce qu'un autre o b je cteu r ruinerait certainem ent la répu­ trop de rigidité, d'empesé,
gande nord-vietnam ien a été de conscie nce arrive à la fin tation des stars, etc. Qu'aIlait- barrait le pas à cet essai
projeté pendant le Festival et lui ôte sa propre raison de on faire ? Une, deux, trois, d ’abandonner le monde des
de New York et la chaîne N a ­ vivre. Il y a un vo le u r de quatre fois, on le coupe ju s ­ petits personnages tous pleins
tional Broadcasting C o rp o ra ­ sang qui. blessé, survivra qu'à le réduire à un sketch de tics (toujours menacés par
tion (NBC) a télé visé des in­ à tous parce qu'il 9'injecte de' vingt minutes qui, p ro ­ le m isérabilisme et toujours
terview s de prisonniers de cyniquement dans son propre tégé par deux autres de rachetés par la cla irvoyance
guerre américains réalisées bras le sang de camarades Luciano Salce et Eduardo De méchante de leur auteur) ;
par une équipe est-allemande trop malades pour pro te ste r Filippo, passera inaperçu dans peut-être, aussi, les temps de
à Hanoi au mois de juin. Il y a un V ietcong de 14 ans * Oggi, domani, dopodoma- la narration étaient mal ca lcu ­
Depuis, Samuel Fuller, de re ­ qui a tué comme un homme ni • en 1965 (inaperçu d o u ­ lés. et le minimum de v ra i­

50
semblance dans l'introduction perpétuelle des musiques c a l­ montage, décida d e changer le pour le moment : il commence
du décor et de ses habitants, mantes ou stim ulantes : voilà ton du film, de passer du ces jo ur6-ci à Londres, to u ­
dont Ferreri semble avo ir be­ les actuels suje ts de Ferreri. comique au dram atiq ue ; il jo urs avec Ponti et M astroian­
soin encore aujourd'hui, ne C'est-à-dire, les couleurs, les procéda à cette opération : ni, « Signore e Signori, Buon
parvenait pas à être contrôlé. mouvements et les sons. o b ten ir avec le doublage que Anno I ■ : l'h isto ire d ’un
Cependant « M arcia nuziale » ■ L'uomo dei palloni », é v i­ le je u des acteurs, très forcé, couard qui, le Jour de l’An,
et son échec n'auront pas ôté demment, porte la marque de se neutralise : il élimina tou­ décide d'entreprendre des
inutiles : c'est dans « L'uomo sa rééla boratio n ; y su b siste nt tes les références pro fe ssio n ­ expérie nces limites (d'ordre
dei palloni * (les cinque sont des portraits très typés : fils nelles des personnages (ainsi, sexuel) avant de se brûler vif
devenus innombrables) que le du concierge sournois et idiot, il faut connaître les stades comme un moine bouddhiste.
pas est accompli heureuse­ petite servante angélique et précédents du film pour savoir E. de G.
ment. troublante, antiquaire anxieux que M argherita est architecte);
Dans la nouvelle version (se­ et, même, dans la prem ière il en arriva à faire disparaître
lon ceux qui ont vu l'originale, demi-heure du film, celui du totalem ent le cin quième hom ­ Wyler 50
une longue discussion sur protagoniste, dont l'hum eur me, celui qui provoquait le
Dieu avec un prêtre fait dé­ changeante, débonnaire ou ir­ co n flit entre les quatre autres
faut, tandis que la séquence ritable, enfantine, corre sp o nd et le com plot final. Reste une Ap p ro ch e r W illiam W yle r n'était
centrale et la visite de M a s ­ assez bien à celle de son au­ fable immense, colorée d o u c e ­ pas facile ces derniè res s e ­
troianni à son ami B e rg e r et te u r ; ou d e 3 private jo kes (la ment, largement, su r la Fem­ maines, moins parce qu'il
aux trois filles nues o n t été présence de Tognazzi après me et ses contradictions ja ­ exigeait l'isolem ent complet
ajoutées), Ferreri a réussi à la mort de M astroianni) qui, mais exprim ées ouvertem ent pour travailler que parce que
donner à la triste histoire de étant réussis en soi, en gé n é ­ (et, dans ce sens, le choix de sa vedette avait les nerfs fra-
M astroianni, industriel obsédé ral s'intégrent d ifficilem ent à Carroll B aker avec son o r ­ g.les. W y le r était en plein
par les problèm es techniques la neutralité d e l'ensemble. Ce gueilleuse passivité est très tournage de * Funny Girl *,
juste) -, plus encore, une fable son cinquantièm e film et sa
sur la condition de la Victim e prem ière comédie musica.e.
et l'apparat du Sacrifice. Car C 'e st le prem ier film tout
c ’est à la fm du « Harem », court pour Barbra Streisand ;
pendant les humiliations suc­ elle est nerveuse et tendue et
cessives et précipitées a u x­ Columbia a prudem ment jugé
quelles se voit soumise M ar­ bon de ferm er le plateau. • le
gherita (qui culm inent dans la suis nerveux aussi, dit ca l­
terrifiante scène des - spa­ mement W yler. Je la com ­
ghetti ■ jetés à son visage Gt prends. Elle a attendu si lo n g ­
le plus te rrifia n t encore affais­ temps pour faire le saut et
sement qui suit, avant de pas­ « Funny Girl ■ sera capital
s e r par l'ordalie du jeu * de pour sa carrière. C'est aussi
la to u r > qui la conduira à la prem ière comédie musicale
être assassinée à l'aube sur pour Om ar Sharif. Pour moi
une falaise yougoslave), c'est c'est le prem ier film dont les
seulement durant * l'écoule­ répétitions ont duré presque
ment ■ menant à cette fin que aussi longtemps que le to u r­
nous pouvons être émus. Le nage. Il est rare que nous
reste — s a u f le tableau o rien ­ donnions au labo plus de trois
tal, autre pointe du m ouve­ minutes de film définitif par
ment pendulaire, où M a rg h e ­ jo ur •. Produit par Ray Stark,
C a rro ll Bakar dans < L'Harem • de M a rto Ferra ri. rita est couronnée et adorée « Funny Girl • est un succès
comme Sultane omm puissan­ à Broadway. Il conte la vie de
que pose le gonflage d'un seront eux, cependant, qui as­
te. Fée inaccessible, par ses la danseuse des Z iegfeld Fol-
ballon, et de Spaak, attachée à sureront à ■ L'Uomo ■ un su c­
esclaves-chevaliers a genouil­ lies Fanny Brice. M iss S tre i­
la débauche des jeunes filles, cès tranquille (noua préférons
lés — est magnifiq uement sand joue Fanny, S harif in car­
la forme de la parabole. De des scènes comme celle où ne N ick Arnstein, son mari ;
plat, pauvrement ambigu. D é ­
quoi ? Des dangers du raison­ Mastroianni, pendant la nuit
se sp o ir des producteurs, donc, Kay M ed fo rd joue la mère de
nement technique qui vire en qui tom be vite à Milan en d é ­
qui avalent lancé « Le Ha­ Fanny et Anne Francis sa c o ­
un instant à l'absurde, de la cembre, dans une chambre en
rem » comme une comédie, pine danseuse. Pour Stark.
rigoureuse division entre tra ­ pénombre, au lit, attend la
et échec public et critique. producteur de « La Nuit de
vaux et loisirs et des troubles Spaak qui s'amuse à montrer
De la traje cto ire ve rs le Nord- l'iguane >, c ’est plus qu'une
créés p a re o n inversion, de l'e n ­ ses seins aux ouvriers du bâ­
Est que signalent ces deux production comme une autre
nui et des excitants bourgeois tim ent voisin...).
films, évoquant par moments puisque son épouse est la fille
(l'é critu re a la mayonnaise Sans doute est-ce « Le ha­
M usil ( ■ L'Uom o dei palloni ■) de la véritable Fanny Brice.
sur le ventre de Catherine rem » qui illustre avec le plus
et Kafka (• Le Harem ■). Fer­ W y le r semblait heureux des
ou les questions im perti­ de netteté le processus fer-
reri vie n t de se détourner | progrès du tournage et de ses
nentes à la servante) et vous rerien. « Le harem » porte à
pouvez continuer avec les c li­ ses extrêmes conséquences
chés de la modernité : ce sont une affirm ation connue le
eux, leur accumulation gaie, tournage d'un film se fait c o n ­
oppressante et désordonnée, tre son scénario, et le m on ­
c'est ce substrat, notre humus tage contre son tournage. Ce
normal, qui perm ettent à la scénario (écrit avec Azcona)
parabole de s'am plifier, de racontait avec un grand luxe
s 'é la rg ir jusqu'à co u v rir serei­ de détails les rapports sim u l­
nement son matériel et n 'exis­ tanés de M argherita, a rch ite c­
ter que par sa construction. te à Milan, avec cinq types
Le rose par lequel a été viré d'hom m es différents, et son
l’original noir et blanc to u t eu élim ination par ces mêmes,
long du film (et qui permet complotée contre la femme
aussi de passer avec plus de qui essaie de se co m p o rte r
comm odité à la séquence en comme leur égale non se u le ­
couleur, tournée avec M as­ ment sur le plan professionnel
troianni cette année, qui scan­ mais aussi s u r le plan se n ti­
de le film en deux sections), mental ; de cette histoire qui
la prodigieuse accélération de voulait, en clé comique, m on ­
ce centre du film (la d e stru c­ tre r les tribu la tio n s d e là b o u r­
tion des ballons qui co n sti­ geoise italienne, il ne reste
tuent le décor d'une minable rien qu’un pur mécanisme d ra ­
discothèque), la continuité matique. Ferreri, pendant le

51
interprètes. Il démentit avec ailes en papier • de Mathias une im pression d 'accum ula­ nique (C.S.T.), vient de se
agacement la rumeur voulant Klopjic, « The Trip • de Roger tion. On pourrait dire que rid iculiser une bonne fois en
que Streisand, Juive sioniste, Corman, • La C hair et le c'est un film sur le travail. ■ décernant son « Palmarès du
ait essayé de limoger Sharif Sang • de Bénazéraf. Mais il Ce resserrement du montage son ». Ayant à juste titre sou­
parce qu elle ne pouvait pas faut dès maintenant sig naler n'est q u ’un des aspects d'une ligné la mauvaise qualité (en­
jouer l'amour conjugal dans l’importance du second long co nstruction investie e n tiè re ­ registrement et reproduction)
les bras d'un Arabe. W yie r a métrage de Jean-Marie Straub, ment par l'idée de musique. du son dans le cinéma fra n ­
été assez adroit pour s'appu­ ■ C h ron ik der Anna M agda- Le jeu entre son et image, çais, son président, M. Fred
yer sur des talents divers lena Bach ». loin d'être le banal c o n tre ­ Orain, a proposé à notre é d i­
pour ces débuts, à 65 ans. Le film se présente comme point que le nom même de fication — comme exemplaires
dans le musical. Herb Ross, une biographie de Jean Se- Bach semblait imposer, fait — les bandes son de « Un
l'un des plus jeunes ch o ré g ra ­ id iot à Pans - (S. Korber),
phes de Broadway, a été le « Le Soleil des Voyous • (J.
maitre de ballet de * Funny Delannoy), ■ Un homme de
Girl ■ ; la scénariste en es! trop ■ (Costa Gavras). « Les
Isobel Lennart, auteur de la G randes Vacances ■ (G. O ury)
biographie qui fut la base de et naturellement • V ivre pour
la comédie musicale à B ro a d ­ vivre * (C. Lelouch). Faut-il
way, et Jule Style règle la déplorer que les plus louables
musique. ■ On a fait de nou- intentions (ne plus faire du
vsaux numéros, bien sûr. co m ­ son le parent pauvre de
me * RoMer Skate Rag », e x é ­ l'image) en viennent à s 'illu s ­
cuté entièiem ent sur patins à trer d'aussi piteux exemples,
roulettes, et - Temporary A r ­ ou doit-on au contraire cons­
rangement » que chante S h a ­ tater qu'en l'occurrence la v a ­
rif. On a tourné des extérie urs leur des exemples donnés cor­
à New York, notamment le robore exactement celle des
numéro * Don’t Rain on my principes, des hommes et du
Parade », mais nous ne nous « Chro nik der Anna Magdalena Bach * de Jean-Marie Straub. système qui les é n o n ce n t? Il
sommes pas éloignés de la bastien-Bach racontée par sa appel a toutes les ressources est bon que les techniciens
comédie musicale originale. * deuxième femme Anna Mag- dialectiques créatrices de la supérieurs, avec quelque tren­
(Propos recueillis par A.M ) dalena. Mais le texte d it n ’est musique entre rythme et te ans de retard sur les
en aucune manière celui de sens (Straub — à propos du grands cinéastes et ingénieurs
Bach la célèbre « C hronique d ’Anna
Magdalena Bach «■ que publia
rythme très rapide sur lequel
est dit le commentaire, et de
du son, découvrent qu'un film
s'adresse à l'ouïe non moins
à Utrecht en 1933 une Anglaise versée la difficulté qu'il y a à le com ­ qu'à la vue II n'est pas non
dans le romanesque p sych o lo ­ prendre : • le texte lui-méme plus mauvais qu'ils s'en p ren­
Depuis 1966 a lieu tous les gique. Il s'agit d'un collage de est im portant sans l'être ; il y nent à la tendance si naturel­
deux ans à Utrecht (Pays-Bas) documents divers : N é c ro lo ­ a, disons, une sorte de d ia ­ le de trop de producteurs et-
un festival (• Cine manifesta- gue rédigé par Philip-Emma- lectique entre le sens du texte cinéastes a bâcler doublages
tie ») qui ne bénéficie pas nuel Bach l'année de la mort et 3on rythme — l’un et l'a u ­ et mixages. Il est parfaitement
encore de la renommée in ter­ de son père, lettres de Bach tre sont d'im portance égale »)-. idiot en revanche que ces
nationale que mériterait cet lui-même, comptes de la cour d'un rythme à l'autre (musi- techniciens élisent comme c r i­
effort rem arquable pour faire de Coethen, règlem ent de que-commentaire) ; de la mu­ tère privilégié de la qualité
connaître le jeune cinéma, l'Ecole Saint-Thomas de L e ip ­ sique écrite à son exécution d'une bande sonore « l'in te lli­
principalem ent européen. Il zig, etc., reliés par de très (images de p a rtit:ons-con- gibilité complète des d ia lo ­
s'agit d ’ailleurs plutôt, à p ro ­ courts ajouts purem ents infor- certs). gues • I Et non moins stupide
prement parler, d ’une semaine matifs de Straub et Danièle Terminons en rapportant la qu'ils en viennent è reco m ­
du cinéma, puisque les films y Huillet La bibhograph e au réponse que donnèrent co n ­ mander aux producteurs (avec
sont présentés dans deux sa l­ sens s trict s'arrête à ce texte, jointement Rivette et Straub un beau dédain pour les c i­
les de la ville, en séance pu­ l'im age ne donnant pas d ire c ­ à une question assez primaire néastes) : « en vue d'assurer
blique. chaque film étant ac­ tement l'indication d'un d é ro u ­ sur la com patibilité entre son l'in te llig ib ilité des dialogues,
compagné d'un court métrage lement temporel : du dé b ut à direct et film historique : • Le d 'évite r les défauts suivants :
(un prix offert par • Pepsi- la fin, nulle trace de v ie illis­ cinéma, de toute façon, est a) mauvaise prononciation, b)
Cola ■ devait être décerné sement physique chez Bach, toujours au présent. La s é ­ accents locaux exagérés, c)
par les spectateurs au m eil­ joué par le même acteur ( l'o r­ quence babylonienne d ' « Into­ ambiances trop élevées p en­
leur court métrage). Plusieurs ganiste - claveciniste Gustav lérance ». c'est autant 1905 dant le dialogue, d) musique
des réalisateurs étaient p ré ­ l.eonhardt), maquillé de la que 2000 ans avant Jésus- de niveau trop fo rt pendant
sents à Utrecht, et de courtes même façon. L’ im pression du C hrist : - La Marseillaise ■. le dialogue, e) ellipses (sic)
conférences de presse furent temps d'une vie s'écoulant est qui est sans doute le film qui dans le dialogue - A entendre
organisées. Les citations de donnée pourtant, par un p ro ­ correspond à l'idée la plus ces bons conseils, on imagine
Straub et de Rivette q u o n cessus d ’accumulation : bien juste du XVIII* siècle, est aisément le cinéma aseptisé
trouvera ci-dessous sont que la plu part des plans (longs aussi im portant pour nous que nous prom ettent les nor­
extraites des réponses qu’ils plans fixes ou mouvem ents maintenant par rapport à 1937. mes étatiques . les dialogues
firent aux questions des jo u r ­ d ’appareil très lents s u r Bach De toute façon, le son direct, seront intelligibles, mais il
nalistes. dirigeant ou jo uant ses œ u­ c ’est justem ent une des ch o ­ importera peu que le son soit
Vin gt-sept films, tous inédits vres) aient un contenu sem ­ ses qui aide à ne pas faire in telligent — et moins encore
en Hollande, furent présentés: blable, leur succession fait un film • historique ». la d e r­ le spectateur, bien sûr, dont
certains déjà connus en passer l'interprète du statut nière des choses à faire » J.A. c'est avant tout la quiétude,
France (« La Religieuse », de musicien filmé en cméma- la vacance que l’on s'e ffo rce ­
• W eek-End », les deux longs vérité, à celui d'acteur in car­ ra de préserver. Un mot
métrages de Chytilova, ■ Face nant Bach, au point de lui Son et encore ■ il ne faut pas parler
de Godard à ces messieurs de
à Face », ■ C ove r-g irls »).
d ’autres déjà vus dans des
conférer à la longue une v ra i­
semblance physique pourtant
obscurantisme la C.S.T. Mais savent-ils que
festivals (» La Cina è vicina », niée au départ par les critère s sans Godard ils n'auraient pas
■ Herostratus ». « Rébellion -, (uniquem ent musicaux) qui ont Détail réconfortant dans la même pris co nscience de l’ im­
• Edipo Re -). Pour tous amené Straub è le ch o isir lutte qui nous oppose aux ins­ portance du son au cinéma,
ceux-ci, nous renvoyons à des Straub « Si j'ai coupé les tances * supérieures » — in­ et que c'est à lui — pu.squ'ils
articles parus ou à paraître plans dès la fin des morceaux nombrables pseudopodes du n'avaient jamais remarqué le
dans les « Cahiers » ainsi que de musique, c ’est que je me C.N.C. — de notre cinéma, génie du son en Renoir et
p our • Bedazzled ». dernier suis aperçu qu'rl fallait que le l'une des plus intouchables Bresson — qu'ils doivent
film de Stanley Donen, • Le montage soit très serré. Il ne d'entre elles (parce que s 'a b ri­ d ’avoir été courageusement
Visage d ’un autre », de Teshi- fallait pas laisser aux s p e c ta ­ tant derrière le prestig ieux poussés par - de nombreuses
qahara, * The G rille r » de teurs le temps de souffler, et paravent de la Science), la plaintes • à tresse r des lau­
George Moorse. « Sur des surtout, c ’était pour donner Com m ission Supérieure Tech­ riers à la médiocrité. J.-L. C

52
les meilleurs films de Vannée 1967

cahiers lecteurs
1 Persona 1 Persona

2 Belle de jour 2 Belle de jour

3 Week-End 3 Week-End

4 La Chasse au lion à l’arc 4 La Chinoise

5 PI ayti me 5 La Collectionneuse

6 The Big Mouth 6 La Religieuse

7 Les Petites Marguerites 7 Blow up

La Religieuse 8 El Dorado

9 Deux ou trois choses que je sais d’elle 9 The Big Mouth

10 La Chinoise 10 Made in U.S.A.

11 Made in U.S.A. 11 Deux ou trois choses que je sais d’elle

12 Shakespeare Wallah 12 Les Demoiselles de Rochefort

13 Les Fusils 13 Mouchette

14 Méditerranée 14 Le Dieu noir et le Diable blond

15 La Comtesse de Hong-Kong 15 La Chasse au lion à l'arc


16 Le Premier Maitre 16 Le Premier Maitre
17 Le Départ 17 Les Petites Marguerites
18 La Collectionneuse 18 Accident
19 Blow up Playtime

Les Demoiselles de Rochefort 20 Shakespeare Wallah

Les résultats qui précèdent ont été calcul Ai, pour ce qui est i f la liste • Cahiers -, en tenant compta exclusivement des classe
ments des collaborateurs réguliers de la revue, et cela en vue d'une Mite plus significative. Enfin, nous remercions nos lecteurs,
qui nous ont répondu très nombreux, de leurs suggestions, critiques et compliments.
Logique
du désordre
entretien avec
Nico Papatakis
pai1Jean-A ndré
Fieschi et Jean
Narboni

Nico Papatakis. • Les Pâtres du désordre ■ . Georges Dlalegmenos.

Jean-André Fieschi ayant justement ex­ sordre « et votre premier film - Les pour survivre et préserver un peu de
posé les qualités de « Pâtres du Abysses -, une grande continuité de la réalité grecque. De cette promiscuité
désordre » dans son compte rendu de ton et de propos, malgré de très évi­ physique et morale très fortes sont
Venise (n° 195), j'insisterai, au seuil dentes différences. Comment s'est nées certaines données sexuelles, et
de cet entretien avec Nico Papatakis, effectué le passage de l'un à l'autre ? ces données ont persisté, elles sont les
sur un seul point. ■ Les Pâtres du dé­ Nico Papatakis Les thèmes des deux mêmes aujourd’hui. Les attaches fami­
sordre » vérifie ce principe qu'un film à films sont effectivement très apparen­ liales sont restées en Grèce très pro­
vocation politique et dénonciatrice ne tés, et j'ai essayé d'employer dans les fondes et complexes, et c'est ce qui
peut se prétendre tel qu'à être informé deux une forme semblable, faite de caractérise la Grèce le plus fortement.
par ce projet au plus profond de ses mélange de styles, d'alternance de J'ai voulu, dans « Les Pâtres du désor­
structures, et qu'il ne suffit pas pour genres. « Les Pâtres - sont en quelque dre », parler du conflit de deux géné­
cela qu'il témoigne sur le monde par sorte une suite aux - Abysses », 1‘essai rations, dont l'une, la plus jeune bien
les seules données de son discours, de pousser un peu plus loin, de styliser sûr, se révolte contre l'autre.
mais témoigne du monde par un jeu plus encore des formes qui se trou­ Dans « Les Abysses » on était tout de
formel sans cesse reconduit. Qu'il vaient déjà dans ce film. Le grotesque suite, dès le premier plan, installé dans
égale en complexité (« Nicht Versohnt », et le tragique mêlés une fois encore, un climat paroxystique, excessif. Avec
« Le Terroriste ») ou en incandescence j'ai essayé d'obtenir quelque chose mon second film, tout en gardant le
(■ Os Fuzis », - Les Pâtres du désor­ comme une ironie désespérée et déran­ côté stylisé, j'ai voulu partir de don­
dre » justement), batte sur leur terrain geante. nées moins fortes, permettre aux gens
les forces sociales mises à la question. Quand le film a été présenté à Venise, le loisir de se choisir des repères pour
On sait d'autre part les risques encou­ il y a eu malentendu. Je crois que les qu'ensuite la folie aille plus loin que
rus par un cinéma politique de la gens attendaient un film politique sur dans - Les Abysses «. Pour cela, il fal­
transposition poétique, par opposition à la Grèce, ayant trait aux « événe­ lait ancrer le film au début dans le
celui de constat et d'analyse : que le ments » et à la situation présente. Or, réalisme, voire le naturalisme, pour que
cri, se poursuivant en chant ou s’avilis­ je n'ai pas voulu, directement du moins, l'onirisme surgisse peu à peu et comme
sant en tapage, le film perde en pou­ faire un tel film. J'ai voulu parler d’une obligatoirement.
voirs de contestation ce qu'il gagne certaine situation de la Grèce en géné­ Cahiers 11 y avait justement un risque
en débordements fastueux. Dès lors, ral. J'avais écrit le scénario il y a trois dans - Les Abysses ». c’était que cette
une solution : faire que le spectacle ans, bien avant que les « événements » continuité de la violence et du forcené
ne s'épanouisse jamais, accumuler tou­ ne surviennent, et l'état du pays que n'entraîne une diminution d'efficacité.
tes les tensions propices au jaillisse­ je décrivais portait déjà en germe ces En ce sens, « Les Pâtres du désordre »
ment de l'éclair et le dévaluer au der­ événements. C'est en cela que le film a tourné le risque...
nier instant, organiser le feu d'artifice est politique, mais il ne l'est pas uni­ Papatakis C'est cela : il y a des paliers,
et en dérober les effets. Interdire, en quement. A moins qu’on n’inclue dans des moments de pause, des points de
un mot. l'orgasme. Aussi diverses ce terme les rapports sociaux, les rap­ chute et de repère. Il fallait amener
soient-elles, des tentatives comme cel­ ports de maître à esclave, la sexualité les gens à la folie et non plus la leur
les du Living Theatre, - Week-End », aussi et beaucoup. Pendant les 450 jeter d'emblée au visage. 11 y a bien sûr
- Les Petites Marguerites • et * Les années d’occupation turque, les Grecs un danger, celui que les gens décro­
Pâtres du désordre » s'apparentent en ont vécu très resserrés, fermés sur chent, mais les autres, je les mènerai
un point ■ n'exaltent ni ne satisfont, gê­ eux-mêmes, proches les uns des au­ jusqu'au bout, je leur ferai tout admet­
nent. — J.N. tres. La notion de famille était quelque tre en allant le plus loin possible. Et
Cahiers II y a entre * Les Pâtres du dé­ chose de capital, cela était nécessaire d’une scène à l‘autre même, j'ai tenté
54
■ Les Pâtres dj désordre » : Elli Xanthaki. • Les P6tres du désordre •

de ne pas garder de ligne unique. Cahiers Dans la mesure où ce projet faux. J’ai aussi essayé de leur faire
Lorsque dans l’une je traite un thème de déranger était parfaitement volon­ rendre une sorte de rythme que j ’avais
d'une certaine façon, j'essaie dans la taire et conscient, il devait exister au cherché en écrivant mes dialogues,
suivante de contredire ou même de stade même du scénario. Comment mais cela doit être moins sensible à
détruire son pathos par une certaine avez-vous écrit votre film ? ceux qui ne comprennent pas le grec.
ironie. Je voulais que le spectateur ne Papatakis Je l'ai écrit pendant un an Cahiers Vous avez parlé tout à l’heure
sache jamais, ne puisse pas prévoir ce et le côté déceptif était déjà présent de deux courants dans votre film : une
qui allait arriver à la prochaine sé­ à ce stade. Je voulais que la frustration sorte de naturalisme et une stylisation.
quence et même à la prochaine image. soit présente dans la construction gé­ Or, en plusieurs moments, ils semblent
Ce qui me gêne dans beaucoup de nérale du film, dans le ton et l’évolution se rejoindre, dans des scènes où une
films, même des bons films, c’est qu'ils des scènes, dans les dialogues. C'est précision d’ethnologue coexiste avec la
sont prévisibles, on sait où l'auteur va là que je me suis donné beaucoup de transposition poétique : en particulier
aller et cela même dans l’excès ou l'in­ mal et cela m'a permis de faire le film ceJle de la nuit de Pâques...
solite. Rien n’est surprenant, et je veux comme je l’ai fait. Sur le papier tout Papatakis C’est en m’appuyant sur des
pour ma part prendre le risque de la était déjà en quelque sorte, rêvé. Au faits précis, presque folkloriques, que
surprise. C’est ce qui m’intéresse au tournage, j'ai changé très peu de cho­ j ’ai essayé de parvenir à la transposi­
premier plan au cinéma, mais aussi ses. J'avais choisi les acteurs princi­ tion poétique. Claude Lévi-Strauss a
dans la littérature et l’art en général : paux depuis longtemps. Mes films ne vu le film et il a été intéressé par la
la destruction du phénomène de créa­ prennent leur sens qu’à travers le co­ minutie ethnologique et l’observation
tion. médien, c’est donc une chose très im­ des coutumes. Je crois qu'il suffit d'in­
Cahiers Dans ■ Les Abysses » la vio­ portante pour moi, à laquelle je pense sister très fortement, d’aiguiser son
lence, quoiqu’excessive et peut-être beaucoup et à l'avance. Or, en Grèce, regard sur une certaine réalité pour
même à cause de cela, avait quelque le problème des comédiens est très obtenir quelque chose d'autre. Le rôle
chose de libérateur et d’exaltant. Et épineux, il n'y a pas là-bas de comé­ du comédien est en ce sens une chose
peut-être en cela était-elle sûre de faire diens. ou bien alors ceux d’un théâtre capitale. Quand le berger tombe à ge­
mouche. Dans « Les Pâtres » au con­ classique qui n'existe d'ailleurs que noux devant son patron et se traîne,
traire, elle est toujours frustrante, c’est depuis trente ou quarante ans. Le jeu ce n'est pas la coutume qui est mon­
là une des qualités et aussi le risque enseigné y est lourd, conventionnel. trée seulement, elle est sublimée par
du film... J'ai cherché longuement, et quand j'ai les gestes du comédien, sa façon de
Papatakis Absolument. Je ne voulais pu réunir toute ma distribution, j'ai fait se déplacer, sa joie dans l'humiliation.
pas que mon deuxième film retourne travailler mes comédiens un mois et La donnée ethnologique devient une
aux gens qui avaient aimé « Les demi avant le film, tous les jours, plu­ chose secondaire, elle disparaît, c'est
Abysses ». Ce que je souhaiterais, sieurs heures par jour. La difficulté seulement une base. Je dirais plus : la
c'est que ceux qui l'ont aimé, qui l'ont était que les acteurs arrivent à faire scène de sorcellerie par exemple a été
reconnu, disons en un mot une' certaine passer cette violence en lui ôtant tout inventée de toutes pièces, or elle peut
« intelligentsia », ne reconnaissent pas caractère théorique. Pour cela, le tour­ sembler un rite, une coutume, comme
- Les Pâtres ». mais qu’un autre public, nage dans l'ordre chronologique était si la réalité se conformait à la mise en
lui, les reconnaisse. Déjà maintenant je nécessaire. Au début du film, d’ailleurs, forme. Ce que je tente, c’est d’échap­
suis surpris et heureux de voir que des on sent les acteurs un peu crispés, per au seul descriptif. Il faut pousser la
gens dont je n’attendais pas du tout n^al à l'aise même, mais peu à peu ils réalité. Et dès la première partie du
qu'ils aiment ce film, l'aiment. Et peut- ont été gagnés par le ton du film et film, mais de façon moins forte bien
être l'inverse a lieu aussi. leurs excès n'ont rien d'artificiel ou de sûr qu'ensuite, j'ai tenté ce décollement
\
55
• Les Pâtres du désordre • . El h Xanthaki. • Les Pâtres du désordre • . Lambros Tsangas et Georges Dialegmenos.

de la réalité, de plus en plus fort et venue dans ses grandes lignes d'un « je t'aime » au moment où elle ne doit
intense. Et cela n'a rien à voir avec le seul coup, mais primitivement je l'avais pas le dire.
symbolisme dont on parle toujours, située ailleurs, puis j'ai changé. L’ob­ Cahiers II y a tout au long du film une
mais qu'est-ce que cela veut dire ? session principale du berger en effet multiplicité de types de rapports entre
C’est une convention, ou un confort est qu’il ne sait pas lire, c'est sa frus­ les gens. Ceux par exemple des deux
pour le spectateur. tration profonde, c'est pour cela qu'il a garçons...
Cahiers En ce sens, celui de l'ambi­ été chassé d’Allemagne. Son drame est Papatakis Le militaire est un fils de
valence des signes, votre film est pro­ celui de l’ignorance Quand j'ai décidé bourgeois, son père est le patron du
che d'un certain Bunuel, et non comme de situer la scène dans l'école, tout de berger, mais une des particularités 'de
on a pu le penser par les signes exté­ suite j'ai vu le berger là, devant la fille, la Grèce, des jeunes Grecs, est la vo­
rieurs comme l'aspect revendicateur et s'agenouillant au milieu, en plein centre lonté de fuite hors de chez eux, de
le « mauvais esprit »... de la cour, comme on s'agenouille dans réussir ailleurs ; entre les deux garçons
Papatakis Et c'est justement un auteur une église. C'est une sorte de vision existe une sorte d'amitié-passion. Le
dont on a parlé le plus souvent en qui m'est apparue comme cela, un mé­ militaire est en fait impressionné par le
termes de symbole alors qu’il y lange de respect, de frayeur et d’es­ berger qui a déjà une fois quitté le
échappe constamment. poir. Et à.partir de ce moment jusqu'à pays, il commet donc un acte fou, il
Cahiers Ce refus du sens définitif celui où il va dans une pièce, je voulais tue ses propres moutons, et veut faire
qu'on trouve dans la construction du qu'il reste à genoux. De là est venue, mettre le berger en prison pour le for­
film, existe également pour les person­ ensuite, l'idée de lui faire crocheter la cer à l'attendre, espérant qu'à la fin de
nages. Il est impossible d'avoir toujours fille quand elle veut partir. son propre service militaire et de la
le même point de vue sur eux, et en­ Cahiers Et quand elle lui donne le col­ peine de prison du berger, ils pourront
core moins de s’identifier complètement lier ? partir ensemble du pays. C'est à la fois
à l'un d'eux. Papatakis C'est un geste presque complètement logique et fou, irrationnel.
Papataki6 Aucun des personnages n'est sexuel, elle lui offre le collier que son Lorsque le berger s'aperçoit que l'autre
« sympathique », aucun ne permet père lui a donné. C’est une sorte de a tué ses propres bêtes, il refuse d’en­
d’identification. Il n’y a pas de héros comédie, mais de comédie dangereuse trer dans le jeu, l'autre alors se' re­
qui cristallise en lui telle ou telle qu’elle se donne. Elle sait que ce gar­ tourne contre lui et veut cette fois
option morale définitive. Tous les per­ çon va la retrouver et même qu’elle encore le faire mettre en prison, mais
sonnages sont enfermés dans une si­ est finalement venue le chercher. Au pour d'autres raisons. C'est aussi un
tuation telle qu'elle ne laisse aucune moment où le garçon est au plus bas garçon qui a des velléités de bravoure,
place à la sympathie. de son désespoir, rejeté de tous, elle d'héroïsme militaire parachutisme,
Cahiers A l'intérieur même de certaines a pour lui un geste dérisoire, elle lui etc., mais en même temps un lâche.
séquences, il y a des degrés croissants donne le collier. C'est à ce moment-là Quand le berger le provoque et l'humi-
dans la violence et l’insolite qui les que lui décide de mourir et de tuer lie. il hésite à se battre jusqu'à ce que
font apparaître, quoique parfaitement cette fille. C’est la charnière du film, le l'autre parvienne à le dresser véritable­
logiques, presque comme des bouffées moment où la fille aussi décide de le ment contre lui, à le rendre furieux.
irrationnelles ; en particulier la scène suivre et de m o u rir. Elle porte en elle Ce que j'ai voulu montrer, je ne sais
de l’école. Est-ce qu’une telle scène, la révolte, très confusément, et elle fait pas si j'y suis parvenu,- c'est qu’il y
vous l'avez globalement imaginée ou le passage des signes extérieurs de a entre ces trois jeunes gens — le
rêvée, ou bien a-t-elle proqressé petit révolte. — donner le collier — à la berger, le militaire et la fille — un pro­
à petit ? révolte vraie : avec tout un côté fémi­ fond courant d’amour et de passion
Papatakis La scène de l'école m'est nin de la violence, maladroit, comme le mêlé de haine. L'orgueil, l’humiliation
■ Las Abysses » : Francine et Colem Bergû » Les Pfltres du dêsordra • : Georges Olalcgmenos

réciproque jouent un rôle important films par an, dont une infime partie la lumière grecque, etc. Je voulais que
dans le film. Lorsque, bafoué, aiguil­ franchit les frontières : les films sont le décor naturel fasse partie de la dra­
lonné sans cesse, le militaire accepte donc réalisés très vite, et il n'y a pas maturgie, non qu'il vaille par sa seule
enfin le combat, c'est une sorte de sui­ d'organisation administrative satisfai­ beauté, comme élément à part.
cide à trois. Trois jeunes gens se sui­ sante. Nous étions une production Cahiers Parmi les éléments de surprise
cident contre leurs parents qui sont étrangère, on a donc essayé de nous du film, l'un porte très fort, c'est la
restés au pied de la montagne en pleu­ prendre le maximum d'argent, de nous transformation vestimentaire de l’avant-
rant sur eux. créer des difficultés. J'avais prévu dernière séquence.
Cahiers A la fin, toute la société qu'on douze semaines de tournage, et je Papatakis Oui, les trois jeunes gens
avait vu apparaître dans le film se réu­ devais terminer fin septembre 1966. sont en quelque sorte déguisés, cela
nit là en spectateur. Je n'ai pas pu le faire, j'ai donc va complètement dans le sens du spec­
Papatakis Et j'ai voulu que le côté tourné avec une équipe réduite en tacle qu'ils se donnent et veulent don­
concerté du suicide ait quelque chose octobre et en novembre. Puis, le mau­ ner aux autres. Quand j'ai tourné le
de joyeux, de dionysiaque, au milieu vais temps a commencé beaucoup plus film, presque personne en Grèce ne
des chansons et des pleurs. C'est un tôt que d'habitude en Grèce, j'ai dû portait de mini-jupe, on me disait
pur spectacle, avec un côté cabotin interrompre le tournage et reprendre « Mais enfin, ce n'est pas pensable
joyeux et tragique. au mois d'avril suivant. Je n’avais pas qu’en Grèce une paysanne porte une
Cahiers Les transistors qui annoncent de techniciens. L'opérateur Jean Bof- mini-jupe l « Et cela devenait alors dou­
la victoire des colonels est une chose fety et son assistant étaient français, blement un élément de spectacle, de
évidemment survenue au dernier mo­ mais tous les autres étaient grecs. travestissement. Tout de suite après lej
ment... Mon opérateur a d’ailleurs joué un événements d'ailleurs, les colonels ont
Papatakiâ C'est cela : il y avait aupa­ grand rôle dans le film. J’avais bien interdit les rares mini-jupes. Finalement,
ravant un autre texte et j'ai rajouté le écrit le scénario, les situations et les il n'y a rien qui ne recoupe la réalité.
communiqué de prise de pouvoir et tes dialogues du film, mais je n’avais pas Il ne faut pas avoir peur de la forcer
discours au dernier moment. On a eu fait de découpage et je l'ai vraiment puisqu'on la retrouve toujours. Je cher­
évidemment toutes sortes d'ennuis, fait avec lui. Il s'agissait de mettre en che toujours un mixte de théâtralisation
mais pas très graves puisqu'on a réussi place un canevas dramatique, des co­ et de naturel : c’est pourquoi j'aime
à sortir le négatif du pays. En fait, je médiens. de créer des situations paro­ beaucoup le cinéma japonais qui, tout
me suis demandé si j'avais eu tout à xystiques, mais de les filmer très sim­ en s'appuyant sur une tradition théâ­
fait raison de placer ces discours qui plement, sans effets. Et en cela,"j'ai trale très ancienne et codée, parvient
risquaient de situer brusquement un voulu travailler en concordance parfaite dans les meilleurs cas à un type de
film qui en était arrivé à la fabulation avec l'opérateur. Je répétais abondam­ transposition qui ne doit qu'au ciné­
totale. Mais peut-être ce retour au réel ment avec les comédiens, et Boffety ma seul. Il faut pousser sans cesse
ne limite-t-il pas trop la fin... était là, il suivait toutes les répétitions. les choses au bout d'elles-mêmes, puis
Cahier9 On a l'impression que prati­ A partir de là. nous discutions pour les contredire, mettre en cause ce que
quement, physiquement, le film a été décider de l’emplacement de la caméra l'on a fait avant. - Les Pâtres du dé­
difficile à faire... et de ses déplacements, afin de porter sordre » était la mise en cause des
Papatakis Tous les films le sont plus les gestes à leur maximum d'efficacité. * Abysses -, le film que je vais es­
ou moins, mais « Les Pâtres » l'a par­ Mais tout cela sans chichis, le plus sayer de monter maintenant sera une
ticulièrement été. En Grèce, malgré le rigoureusement possible. Par exemple, mise en cause des « Pâtres ». (Propos
petit nombre d'habitants — 8 millions pour les scènes d’extérieurs, j’avais recueillis au magnétophone par Jean-
— on réalise la somme énorme de cent très peur de la beauté du paysage, de André Fieschi et Jean Narboni.)
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le cahier critique
1. Jean-Luc Godard : W eek-End (Juliet Berto. Isabelle Pons, Jean-Pierre Kalfon).

2. V ilg o t Sjoman : Je su s curieuse (Lena Nyman).

3. Bornardo Bertoluccl : Prima délia n v o lu 2 ione (Adriana Asti).

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(film sur la guerre classique, comme de sty le (m o u v e m e n ts de g ru e a s c e n ­
L'étantj chacun sait), la description transposée d an ts su r K a lfo n à la b a tte rie et sur
mais rigoureuse de la guerre telle les m o u to n s d e I’ « A n g e e x te r m in a ­
______ mode ma______ qu’elle se conçoit en 1967 : Mireille te u r ») ou d'un m ê m e m o u v e m e n t p u r e ­
Darc et Jean Yanne errant dans les m e n t p o é tiq u e (in v o c a tio n s à l’o c é a n
WEEK-END Film français en couleur de
décombres et les incendies n’étant rien c rié e s en é c h o au d is c o u rs d e S a in t-
Jean-Luc Godard. Scénario et dialo­ moins que les survivants d’Hiroshima, Just).
gues : Jean-Luc Godard. Images : Raoul et le FLSO l'emblème de tous les Le p re m ie r re g a rd ne s a isit ici q u ’e ffilo -
Coutard (Eastmancolor). Musique : An­ F.N.L. Rapport possible mais court : ni c h u re s d is jo in te s , d o n t c h a c u n e d é v e ­
toine Duhamel. Son : René Levert. réquisitoire, ni métaphore, « Week- lo p p e sa d u ré e d e fa ç o n a u to n o m e ,
Montage : Agnès Guillemot. Interpré­ End - n'est pas I' « Antigone » du Li- l'o rg a n is e en fo n c tio n de ce q u ’e lle
tation : Jean Yanne (le mari), Mireille ving Theatre. m e t en s c è n e — e t d e la s c è n e où
Darc (la femme). Jean-Pierre Léaud
(Saint Just et le minet du 16e), Jean- La piste qui mènerait d’un conte sati­ e lle le m et, p o u s s a n t ainsi un p eu p lu s

Pierre Kalfon (le chef du Front de rique à base d’excursions dominicales loin la d é m a rc h e d e « M a d e in U .S .A . ».

Libération de la Seine-et-Oise), Valé­ en Seine-et-Marne à une fable prophé­ A in si de M ir e ille D a rc , q u a n d e lle ra ­


tique et apocalyptique n'est-elle pas c o n te , en un long plan fixe , les d é ta ils
rie Lagrange (la femme du chef).
Yves Beneyton (un membre du Front d'ailleurs d'emblée donnée comme d 'u n e d é b a u c h e ré c e n te : il n ’e s t q ue
de Libération), Paul Gegauff (pia­ fausse, le cinéma et ses signes se don­ d e se r e m é m o re r le ré c it d ’A lm a à Eli-
niste), Daniel Pommereulle (Joseph Bal­ nant bien ici, une fois de plus, pour ce z a b e th d an s « P e rs o n a » (qui, su r un
qu’ils sont ? Pour être moins agressive­ p rin c ip e to ta le m e n t d iffé re n t, e s t re ­
samo), Yves Afonso (Gros Poucet),
ment dénoncée que dans « La Chi­ c ré é , re -m o n té en q u a tre ou cinq p la n s )
Blandine Jeanson (Emily Brontë), Ernest
noise » ou dans le sketch de I' « Evan­ p o u r a p e r c e v o ir c o m m e n t, ici, c 'e s t la
Menzer (le cuisinier-boucher du FLSO),
gile 70 » (encore que telle suite de p a ro le e t e lle s e u le qui d é fin it la d u ré e ,
Georges Staquet (le conducteur du
tracteur), Monsieur Jojot, Virginie Vi- plans fixes sur les spectateurs d'un et c o m m e n t c e tte g ra n d e c o u lé e in in te r­
gnon, Isabelle Pons. Production : Films accident vienne à point nous rappeler, ro m p u e, v o ilé e s e u le m e n t p a r une m u ­
entre autres, notre propre statut de siq u e la n c in a n te , e s t a p p e lé e p a r la
Copernic (Paris) - Ascot Cineraîd (Ro­
me), 1967. Dir. de Prod. : Ralph Baum. spectateurs — et que le rouge n'est tro u b le o b s c u rité du lieu e t p a r l’im p u ­
pas sang), la présence de la caméra d e u r p ré c is e d e la c o n fid e n c e . ( V é r i ­
Distribution Athos Films. Durée
est affirmée sans cesse, peut-être mê­ fier, d ans une a u tre sc è n e , c e lle d es
1 h 35 mn.
me avec d'autant plus de persuasion é b o u e u rs , e t s u r un m a té ria u tou t à
D'abord, quelques indispensables que ce nouveau poncif de la « moder­ fa it a u tre , l'e ffic a c ité du p ro c é d é q u a n t
comptes et prises de repères. Non que nité » qu'est le « cinéma dans le ciné­ au tro u b le e n g e n d ré c h e z le s p e c ta ­
- Week-End • soit une pause dans la ma » prend ici tournure de gag désin­ te u r). A in si du tra v e llin g su r les a u to ­
dynamique de l’oeuvre godardien, pour volte (« Siamo gli attori italiani délia m o b ilis te s im m o b ilis és p a r un a c c i­
autoriser ce temps d’arrêt initial. Au coproduzione -, clame un groupe de d e n t : la d u ré e , e n tiè re m e n t fic tiv e , est
contraire ; mais la démarche par rup­ minables affalés au détour d’un plan). ici ty ra n n iq u e m e n t c a n a lis é e p a r les
ture d’un film à l'autre, l'alternance On a même l’impression que chaque b rè v e s e t é c la ta n te s a p p a ritio n s d e c a r­
- pair-impair » des premières années : - acte de cinéma ■ est fait ici de telle to n s-» h o ra ire s ». D 'a u tr e s e n c o re , du
abandonnées, ou plutôt intégrées dans sorte qu'on le ressente d'abord comme te m p s in d éfin i, com m e a n n u lé , de
un processus plus large, plus continu tel : du célèbre travelling de 300 mè­ l’é p is o d e du « F L S O », s e u le m e n t
(à tous points de vue, puisque Godard tres au moindre raccord ou mouvement s c a n d é p a r d 'a b s tra its s o lo s d e p e r ­
n'arrête pas, littéralement, de tourner). d'appareil (qu'on pense, entre cent au­ c u s s io n , au te m p s o n iriq u e d e la r e n ­
Le terrain exploré, reconnu par quinze tres, au léger panoramique suivant le c o n tre a v e c le R o m a n tis m e (en l’o c c u r ­
films, est maintenant assise, mouvante camion du pianiste qui vient d'embar­ re n c e , le c o u p le G ro s P o u c e t-B ro n të ).
mais ferme ; chaque film, avant toute quer M.D. et J.Y., ou au plan à la grue « Il fa u t q u e le tem p s soit ju s te ». f o r ­
chose, est résultante, intégrale, résumé sur Kalfon devant l'étang). m u lait G o d a rd lu i-m ê m e , a v a n t le to u r­
et ressassement de tout le déjà-dit, sur Le terrain ainsi déblayé, l'abord de n a g e d e « W e e k -E n d « ( C a h ie r s n u m é ­
quoi vient s’imprimer un discours nou­ - Week-End » frappe par un ton nou­ ro 194) — e t le film , de fait, « re s p ire
veau. Une sorte d’équilibre thermody­ veau, qui est de profonde et large ju s te », p a r c e tte lib e rté o rg a n iq u e qui
namique, qui comme tel ne se main­ déchirure : du tissu fictionnel comme e s t la is sé e à c h a q u e é lé m e n t de « p re n ­
tient que par d’incessantes allées et du tissu narratif ne restent ici que des d re son te m p s » (d e « fa ire son
venues (« et c'est la trace qu’elles dé­ lambeaux épars ; et si récit il y a, c'est te m p s », v o u d ra it-o n d ire ).
posent sur la pellicule, que j'appelle le peu de dire qu'il est ouvert : à l'image T o u s ces fra g m e n ts d isjo ints sont p o u r­
cinéma »). Trace éphémère (« je ne de ce qu'il montre, il est éventré. Ne tan t s o u te rra in e m e n t p a rc o u ru s p a r un
filme plus en termes d’éternité »), qui restent alors que des bribes flottantes, m êm e m ouvem ent d ia le c tiq u e , e n tre
fait de l’œuvre un palimpseste, chaque dont l'assemblage en film évoque quel­ d o u c e u r e t v io le n c e , e n tre te n d re s s e et
film effaçant les précédents, qui pour­ que continent englouti, d'où seuls c ru a u té ; p arfo is , c e m o u v e m e n t a ff le u ­
tant continuent de transparaître à tra­ émergent quelques ilôts, le reste à ja­ re : a n tin o m ie e n tre ro u g e e t v e rt, e n ­
vers les ratures ; comme chaque plan mais recouvert ; récit fait de touches, tre b le u s et feu x ju x ta p o s é s ; r é p o n s
efface tous les autres et déborde sur de taches se diluant les unes dans les d 'u n e im p ro v is a tio n e ffr é n é e a u x p e r ­
eux, abolies les notions de début, de autres, et qui se constitue par cette c u s s io n s à la s o n a te K V 576 ; illu s tra ­
fin, et de sens unique. dilution même. Et qui donc peut se tio n s m u ltip le s de la c o n tra d ic tio n
Ensuite, faire un sort à l’idée même prendre par n'importe quel bout, comme - s a u v a g e -c iv ilis é - ; ou e n c o re , une
d’une interprétation de « Week-End ». le rappellent non seulement les nom­ s c è n e e n tiè re , c o m m e c e lle où L éau d
Interprétation référente : que « Week breux et brefs inserts de séquences é c o u rte sa ro m a n c e té lé p h o n iq u e p o u r
End » (comme - Playtime », une « dé­ passées ou à venir (à la fois, par con­ v e n ir ro s s e r Y a n n e e t D a rc . Loin d ’è tre
nonciation de l’inhumanité de notre épo­ séquent, « liant narratif » et répétition le s té rile a ffr o n te m e n t d'un c e rta in
que ») est une « satire de la civilisation musicale pure), mais aussi des réminis­ ro m a n tis m e n o s ta lg iq u e (et v ê tu d e f o r ­
des loisirs », et comme telle d'ailleurs cences plus subtiles, telle couleur « ba­ m es d iv e rs e s — les « h ip p ie s » d e la
seulement à moitié réussie ; frivolité de vant » d'une séquence sur l'autre (le fin en éta n t, b ien sûr. ju s tic ia b le s ) e t
cette assimilation à un pamphlet, signe rouge hémoglobine partout répandu, d 'u n e s o c ié té m é c a n is é e e t a b h u m a in e .
univoque d’un refus de voir troubler bien sur, mais aussi ce vert tendre « W e e k -E n d » e s t d on c le lieu d e re n ­
son confort intellectuel. Interprétation inaccoutumé chez Godard, et certains c o n tre d e d e u x c a té g o rie s fo rm e lle s a n ­
symbolique : que «Week-End» serait, bleus lavés), ou telle rime ténue, obte­ ta g o n is te s , d on t la c o e x is te n c e h e u rté e
pendant actualisé des « Carabiniers • nue par la répétition d’une même figure d é fin it la d y n a m iq u e (au sens m u sical :

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rapport du plus fort au plus faible) du qui vont trop vite. C'est au specta­ Tout à l'heure, devant Mireille Darc, on
film. Dynamique extrême, puisque, sans teur-carabinier ou petit poucet perdu voulait entrer en scène et on n’y arri­
cesse, tout mouvement est ici porté à entre les routes impraticables — de vait pas. Ici, devant la mort, on voudrait
son paroxysme : courses, exploits phy­ ramasser les cartes postales, les ima­ partir et on est là. Les riches proprié­
siques, et jusqu'à la tendresse (la mort ges dispersées dans des valises, bien taires de la voiture de sport se don­
de Valérie Lagrange) — tout serait à classées. Mais pour rêver dessus. Rê­ nent en spectacle aux ouvriers et aux
citer ; rappelons seulement la puis­ ver sur des signes de piste, non pour paysans. En attendant la réciproque. La
sance et l'ampleur gagnées par les s'enfermer dans ce rêve, mais pour lutte des classes pour Godard, c'est
textes de Saint-Just et de Lautréamont trouver la clé des champs. le cinéma qui inverse les rôles. Tel est
déclamés à la limite constante des pos­ Il y a d'abord Mireille Darc qui raconte filmé qui croyait regarder.
sibilités vocales — cette permanence à un ami ses ébats érotiques. Elle et Du coup, à la scène suivante, nous
dans le cri restituant d'ailleurs à l'un lui sont cadrés à contre-jour sur un n’osons plus ouvrir les yeux. Le pre­
comme à l'autre sa signification pre­ fond blanc de fenêtre rectangulaire qui mier embouteillage était vu d'une ma­
mière, après détour par l'inlntelllgibilité. est déjà un écran dans l’écran. Nous nière souveraine, avec le ricanement
Seuil, limite, partout atteints, et en voici spectateurs d'un film imaginaire du spectateur idéal dans son chariot
maint endroit allègrement passés. Mur­ — celui qu’elle fabrique pour l'homme de travelling de trois cents mètres. Au
mure de Mireille Darc, cris des assas­ qui l'écoute — pas pour nous. Comme second embouteillage, nous ne verrons
sinés (hommes, animaux) : autant d'ef­ Michel-Ange au cinéma des « Carabi­ rien, que Mireille Darc qui mord et qui
ficaces et nécessaires transgressions niers», nous essayons de nous mettre griffe. Peut-être moi qui regarde ce
(I’ « Histoire de l'Œil « n'est pas évo­ dans le bain. Fascination — répulsion. film, serai-je tout à l'heure en train de
quée en vain), rassemblées et renfor­ La caméra avance et recule sans ja­ mourir.
cées, avec la nudité de quelque mythe mais abolir la rampe qui nous sépare Car nous savons bien que les routes
primitif, par ce plan terrifiant de beauté de I' • acte ». Bien au contraire, nous droites sont les plus dangereuses. « Il
— image et clé du film entier, — où restons hors du récit, témoins du récit. faut aller droit devant soi... » disaient
l’on s’apprête à déchirer le sexe de Ce récit, tout proche de I' • Histoire de les martyrs d' « Alphaville «. Au bout
l'une des prisonnières à l'aide d’un l’œil » de Bataille, c'est quoi : un cou­ du long travelling recti ligne sur la
poisson. ple initial qui se décompose en d’au­ Nationale, il y a la mort. On peut rire
Le cri, le murmure : que cette réfé­ tres couples. Et c’est exactement ce en route, savourer cette beauté musi­
rence à I' ■ humanisme * selon Blan- qui vient de se passer sous nos yeux cale des pays qui s'égrènent au fil
chot autorise à citer, en cette fin de dans cet appartement cossu. Corinne a du parcours, se moquer des figurants
texte, et pour justifier une excessive quitté son mari pour venir parler à immobiles, coincés comme les bêtes de
brièveté, cette phrase d'introduction à. cet homme. Le mari a quitté Corinne la ménagerie dans cette arche de Noë
précisément, I' « Expérience de Lautréa­ pour téléphoner à sa petite amie. pour écran panoramique. On peut dou­
mont » : «Le critique... est par nature Et nous, spectateurs, nous sommes le bler pour voir la mort plus vite. Elle
du côté du silence, sachant mieux que nième terme de cette partouze, rêvant est là qui glace le rire sur nos lèvres.
d'autres pourquoi il perd ce qu’il dé­ de nous introduire pour former d’autres Elle est là et il faut changer de route
couvre, et combien lui deviendra dif­ couples imaginaires. et de direction. Première image de la
ficile la lecture de ce qui lui est le L'Eros apparait d'emblée ici lié au mort, étrangère, lointaine (deux famil­
plus cher, dès qu’il lui faudra retrouver, spectacle, ou plus précisément au les) avant celle plus proche du couple
à la place, le triste mouvement de ses récit. On raconte l'amour, on le parle, déjà évoqué.
propres phrases ». - Jacques AUMONT. on le rêve. Comme dans ■ Anticipa­ On repart. On rencontre Balsamo. Avec
tion ». c’est plus excitant que de le lui, il ne suffit pas d’obliquer à droite,
Le dur vivre. Mais en racontant l'amour, on
l'analyse, il se décompose. Il apparaît
il faut rebrousser chemin. L'évasion du
week-end va nous ramener au point de
sitcncc des comme une force terrible de décom­
position en racontant son histoire,
départ, et beaucoup plus loin en arrière
que le point de départ. Ou. comme di­
Hutaxies Corinne se débarrasse des partenaires rait Cocteau, il n'y a pas d'évasions, il
avec qui elle l'a vécue. Elle les tue. Elle n'y a que des invasions. « Au lieu de
Dans «Week-End», comme dans «A projette son désir sur un autre parte­ s'évader par une œuvre on est envahi
bout de souffle », pas de générique, un naire. Car il est bien évident dès la par elle ». Le week-end U.N.R. sera
carton, au début et à la fin pour nous première seconde qu'elle et son mari un retour à la nuit des temps, à cette
dire seulement : - Un film trouvé à la rêvent aussi de se détruire. L’orgie nuit en nous qui rêvait à mi-voix sans
ferraille » et - Un film perdu dans le chez les hippies à la fin est- la réalisa­ que nous voulions l'écouter.
cosmos ■. Depuis « Une femme ma­ tion de ce désir initial. Chez les hip­ Balsamo, fils de Dieu et d'Alexandre
riée », et surtout * Masculin-féminin », pies, les couples se décomposent Dumas — alias Cagliostro — se servait
Godard présente volontiers son travail aussi. On va au moins jusqu'au bout. des pouvoirs de la magie pour détruire
comme des fragments d'un film ima­ On tue. Et on mange le partenaire. les rois en envoûtant les peuples. Com­
ginaire. Rien n'est plus éloigné de son Mais j'anticipe. me le cinéaste, c'est un illusionniste
esprit que la notion d'œuvre telle que A l'analyse initiale répond la faux-togra- lucide, et un révolutionnaire : il renvoie
l'a forgée pour nous la culture classi­ phie un peu plus tard. Un couple est les gens à leurs rêves. Il apparait, il
que : défi à l'usure du temps. - Week- là, semblable au premier, dans une excite leurs désirs, et ils tombent dans
End » nous rappelle d'abord que le voiture de sport. L'homme est mort. II le panneau, exactement comme Ulysse
cinéma est le plus périssable de tous était riche, il était beau comme un et Michel-Ange devant les carabiniers
les arts. Que dans trois ou quatre acteur de cinéma. Il est mort. Des ou­ - commis - voyageurs. Exactement com­
siècles, lorsque historiens et cinéphiles vriers. des paysans regardent. Tous me le spectateur.
exhumeront des cinémathèques sans sont rassemblés devant un mur d'affi­ Balsamo — dieu légende comme Lem-
Langlois les pellicules plus ou moins ches. groupés arbitrairement comme my Caution, surgissant dans • Alpha-
tombées en poussière, il restera des pour un tableau de famille. Voilà des ville • pour régler leurs comptes à
«signes». Des fragments à déchiffrer. spectateurs photographiés à leur tour. ceux qui ont perdu le langage, qui
Pour Godard, défier le temps, c'est lui Ou encore une photo qui nous regarde, marchent à l'envers, qui sont égarés
donner de l'avance, c'est travailler une photo qui est notre miroir. On dans leurs désirs. Des désirs d'enfants
avec lui, non contre lui. croyait pouvoir regarder impunément, de Marx et de Coca-Cola. Rêves de la
C’est au spectateur qu'il appartient de être spectateurs-voyeurs sans être pris. publicité et du cinématographe : une
récupérer les morceaux de ce film Godard nous met dans le film, mais flottille de Mirage IV, un week-end avec
éclaté, déchiqueté comme les voitures jamais comme nous voudrions y être. James Bond. Rêves de « trous du cul ».
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A l'inverse de « Pierrot le fou » on ne raison de son mystère. Maintenant on belle-mère pour en avoir. Bref, oh est
fuira pas cette civilisation du cul. On se tait. Emily Bronté parlait comme un enfermé dans une forêt de tabous dont
ira au bout. Et Balsamo, .sublime, aban­ livre, comme les rescapés de « Fahren­ le premier est peut-être lié au cinéma :
donne ces pauvres mecs à leurs rêves heit ». On la prend pour une borne regarder mais pas toucher, rêver mais
dérisoires, non sans les gratifier d'un kilométrique, une pierre qui parle, qui pas vivre.
dernier miracle : sur le champ, le cime­ donne des informations. Mais le caillou ■ Week-End » nous enferme dans ce ta­
tière de voitures devient troupeau de est un mystère, comme la tasse 'de bou après avoir soigneusement trans­
moutons. café de « Deux ou trois choses ». Un gressé tous les autres. Car les hippies
Survient alors l'accident. La pellicule caillou qui défie les exploitants de ciné­ de Seine-et-Oise sont comme les
sort du cadre. Privé désormais de l'au­ ma en guerre contre ce pauvre Ber- haoukas maitres-fous de Jean Rouch :
tomobile, le film comme les person­ told Brecht. Car le spectateur ne vient l'image inversée, comme en un miroir,
nages cesse d'avancer. pas au cinéma pour voir « comment de notre société, de nos rites, de nos
On veut désespérément suivre une sont vraiment les choses » étranges transgressions. Aux deux bouts du
route, on cherche son chemin. On tour­ comme ce sous-bois d'automne, dérou­ film, terme à terme, barbarie et érotis­
ne en rond au bord d'un abime, d'un tant les sentiers de notre logique me se répondent, désir et consomma­
gouffre dans lequel on s'enfonce — comme Lewis Carroll. tion, mort et survie, patience et
régression effrayante — comme par Alors le spectacle devient rébus, le film violence.
une spirale sans fin. se fait énigme à son tour. Mozart, Reste à traiter le film comme un objet
L'Histoire prend ici le relais de l'intri­ même - joué comme un cochon » re­ perdu dans la terre — caillou vulgaire
gue. Le temps prend la place de l'es­ poussait un instant le tas de fumier ou pierre précieuse, selon le specta­
teur — météore venu d’ailleurs en tout
cas, comme Lemmy Caution débarquant
des galaxies, caillou-légende mais plus
fort que Lemmy parce que fermé sur
son silence, dur comme un roc, énigme
qui nous presse, question qui nous an­
goisse, objet sans nom capable pour
celui qui sait le lire, de raconter l'his­
toire du monde passé et à venir.
Jean COLLET.

Histoire
d ’une dégringolade
NEHR1 TO PLIO (Jusqu'au bateau)
Film grec de Alexis Damianos. Scéna­
rio : Alexis Damianos,( d'après « La Ba­
gue • de Spilios Passayannis, « Na-
nota » de Gregoris Xenopoulos, et
d'après une chanson populaire contem­
poraine grecque. Images : Georgos Pa-
nousopoulos (première et deuxième par­
ties), Christos Mangos (troisième par­
J u lie t Berto si Georges Staqust dans • Week-End •
tie). Musique : Kiella Fotopoulou. .Son :
pace. J.P. Léaud révolutionnaire prend au fond de la cour, maintenant l'équi­ Sifis. Montage : Georgos Trantafillou.
le relais de Balsamo-héros de Dumas. libre du monde. Interprétation : Christos Tsangas (Fotis
Le grand panoramique circulaire dans Mais soudain, tout chancelle, tout bas­ Lianakas), Alexis Damianos (Antonis
la cour de ferme close sur trois côtés cule dans la boue et les excréments, Niakas), Elehi Bourbouhaki (Nenio),
comme un théâtre — et comme la dans l'horreur et le sang. En face du Venia Palliri (Ninota), Christina Damia-
cabine téléphonique où l’on appelle Noir et du Nord-Africain, on ne peut nou (Georgis), Vassilis Mitsakis (Minat-
« dans le vide » — ce double panora­ plus refaire le coup d'Emily Brontë. On sos), Mixhalis Mastoras (Paysan), Geor­
mique de 360° ferme le film sur lui- ne peut pas les brûler ceux-là encore. gos Mazis (Le garçon au scooter),
même, à double tour. On n'en sortira On peut bien tuer la belle-mère, à Louisa Podimata (L'entremetteuse),
que par le fond, par le fondement ou quoi bon ? Georgos Harakambidis (L'homme de la
par les origines. Avec Emily Brontë on Car si le meurtre de la belle-mère suc­ ville), Vota Heconomidou (La femme de
pouvait encore échapper à l'énigme, cède à cette image « innocente » de la ville). Production : Alexis Damianos-
avec Mozart on est coincé. On ne tue Mireille Darc dans son bain (sous une - Poria » S A. 1967. Distribution : Stu­
pas deux fois la jeune fille réapparue, peinture de femme nue), c'est que la dio 43. Durée : 1 h 20 mn.
à côté du pianiste. Il faut s'arrêter, se barbarie à laquelle nous allons abou­
figer comme les ouvriers sur la faux- tir répond au rêve de la séquence ini­ Le sens — signification et direction —
tographie, rentrer en soi-même, deve­ tiale comme cette scène de la vie de de « Jusqu'au bateau » est pour ainsi
nir caillou soi-mème, caillou sur [a province à la scène de la vie pari­ dire tout entier suggéré par le premier
route bousculé par les passants, immo­ sienne. Le véritable itinéraire du week- mouvement de la caméra : long pano­
bile jusqu'à la révolte élémentaire, jus­ end est là : l'image civilisée de la ramique horizontal, de gauche à droite,
qu’au premier sursaut de la vie. femme nue appelle les rites érotiques puis de droite à gauche. Comme si le
La chanson de Guy Béart, la rencontre de la société de consommation. C'est- chemin qui était suivi là, le long de
d'Emily Brontë, la sonate de Mozart à-dire les rites du spectacle. Avec le ces montagnes grecques sans chemin,
sont les trois coups par lesquels le sentiment de frustration qui en découle. vers la mer sans doute, aussitôt était
spectacle qui nous était offert se refer­ Car on ne fait pas l'amour, on le ra­ rebroussé ; comme si le vrai lieu était
me sur nous. conte. On n'avance pas avec son auto, là, sur ces cimes veuves d'oiseaux,
Avec J.P. Léaud on pouvait se battre. on la démolit, on la fait brûler sur parmi ces forêts pierreuses et désertes,
Avec Emily Brontë ou pouvait avoir place. On n'a pas d'argent, on tue la et que tout mouvement pour s’en écar­
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ter dût vaincre une presque aussi puis­ scène : voix de femme chantant une aurait pu être grande ici de faire dans
sante tendance a y revenir. vieille mélopée grecque, lorsque la ca­ le rauque et le bestial. Mais ces hom­
La première figure de cette prose méra s’attarde sur les arbres à flanc mes frustrés ne sont pas frustes.
d'images — qui en sera aussi la plus de montagne que Niakas ne verra plus, Quand ils chantent, ce sont des canti­
constante — est ainsi celle du contre- duo de flûte et guitare qu’on dirait ques : le christianisme tient bon. La
courant, du contre-cœur. Mais de presque de Poulenc, pour ponctuer les passion couvera et s'animera donc
l'exil plus exorbitant qui va conduire sauts et sauteries de la sensuelle Ni- comme le feu de la forge qu’un souf­
Niakas, Grec des montagnes, du Pirée nota , musique folklorique, style « Zor- fle attise — et de plus lourds parle­
en Australie, ce voyage jusqu’au bateau ba », pour accompagner en ricanement raient ici de la métaphore du soufflet,
n'est que la répétition. C'est la Grèce (comme on dit en abyme ou en écho) que la jeune fille vient un peu remuer
encore, la Grèce trop aimée, qu'ar­ la dernière étreinte (manquée) du cou­ avant de se donner au forgeron — ,
pente cet homme à tête de saint. Sur ple de ta dernière partie du film : et mais à aucun moment le désir ne flam­
chaque moment de ce voyage qu'une rarement musiquette pour touriste a bera purement (et simplement). La nuit
lettre lue en off nous annonce, pèsera manifesté pareille puissance de dérision recouvre et étouffe — feutre — tout
donc le poids d'un regret double et et de révolte. cela. La nuit — comme en la caméra
contradictoire — regret d'être là. regret De la parole, il y a davantage à re­ obscure du père Marx, où tout s'inver­
de n'y pouvoir demeurer — qui donne marquer. Refoulée, hésitante ou en se. Et tout est inversé, ici, ainsi que
à certaines de ces images de l’éphé­ forme de scie (« Nous sommes tous dans la scène d'amour dérisoire du
mère la tremblante fixité de l'intem­ pécheurs «•). elle est toujours en retrait troisième « sketch »> : la satisfaction du
porel. sur ce qu'il y a à dire. Les rares fois désir est minée par une insatisfaction
plus grande, informulée, le plaisir est
paradoxalement pris dans les larmes.
Point de larmes, dans la seconde his­
toire, mais des cris. Ninota, belle fe­
melle sauvage et en chaleur (on ne
peut rêver plus mandiarguienne). bon­
dissante comme chèvre — et tout sou­
ligne évidemment la métaphore, jus­
qu’au petit frère gardien de troupeau
courant après legarée pour l'empêcher
de se faire grimper par le premier
venu — , est l'insatiabilité même ; mais
on sent ici comme un progrès : la frus­
tration ne tient plus au poids de deux
mille ans de christianisme, mais plu­
tôt, disons, au manque de main-
d'œuvre. Et comment s'en étonner
puisque tous les hommes jeunes du
pays, jusqu'à ce Niakas à figure de
saint, s'en vont ailleurs ?
C’est assez suggérer que ces frustra­
tions sont effets ou signes d'une frus­
tration plus essentielle. Le drame de
Niakas, ou celui du couple qui l’héber-
ge quelques jours au Pirée, est celui
d'une oikonomia sans oikos, d'une
Venia P a lllr l et Louisa Podimata dans • Jusqu'au bateau -.
structure économique qui contraint au
Voici peut-être ce qui confère son unité qu'elle dit quelque chose, c'est inadé­ chômage et à l'émigration ceux-là mê­
la plus secrète à ce parcours disparate. quatement. Telle cette scie, précisé­ mes qui devraient, qui pourraient (qui
Disparate doublement, puisqu'aux trois ment — « Nous sommes tous pé­ devraient pouvoir) en être les éléments
étapes du voyage raconté correspon­ cheurs » — qui traduit (et trahit aux déterminants. Avant même que la lettre
dent étroitement — analogiquement, deux sens du mot) dans le langage de Niakas ne vint expliciter la méta­
chronologiquement — trois modes du archaïque et inversé de l'idéologie reli­ phore, l’image des pierres qui roulent
récit. Pour évoquer chacun des trois gieuse la frustration économique fon­ à flanc de montagne sous le pied du
- paysages » traversés par le chômeur damentale dont tous les personnages voyageur encore masqué par les ar­
qui s'exile — montagne, plaine, ville — , de Damianos sont le jouet. bres signifiait assez clairement le sens
Damianos n’est pas seulement parti de Frustration économique — au sens de son voyage : dégringolade, que rien
trois sources différentes (textes de étymologique de ce mot grec (et le ne peut plus arrêter.
Passayiannis et de Xenopoulos, et une moindre paradoxe n'est pas que ce Or cette histoire de dégringolade est
chanson populaire) ; il a, surtout, manié mot. formé pour dire le plus quoti­ une des plus discrètes mais aussi des
différemment à chaque fois sa caméra : dien et le moins public de la vie, ait plus profondes contestations de l’or­
gravement, rudement ici, en adagio, de fini par désigner ce qui l'aliène le plus dre (capitaliste) grec qui se puisse
près et dans l'ombre ; allegretto là, les­ impersonnellement) — et d'abord trouver aujourd'hui. Discrète : car l’alié­
tement, caprinement, au soleil et de sexuelle. C’est un fait qu’aux trois nation est montrée ici à ras du quo­
loin ; et là, pour finir, à mi-distance, parties du film correspond l’histoire de tidien, dans ses effets les plus périphé­
dans ce ni trop près ni trop loin, ni trois femmes — et de trois frustrations. riques, mais de façon telle que l’on
trop lent ni trop vif qu'affectionnent Fille recueillie par la mère de Niakas est sans cesse renvoyé implicitement
les nouvelles caméras tchèques. Sym­ et que, celle-ci morte, on charge Nia­ à sa cause première — au vrai scan­
phonie ? Concerlo, plutôt, car l'image kas de recueillir à son tour, la première dale. Exemplaire, de ce point de vue,
n’est pas modulée seule : musique et est le silence et la soumission mêmes. le troisième « sketch », qui est l'his­
paroles lui répondent, renforçant ou Mais elle est jeune, fraîche, et comment toire dérisoire de la séparation d'un
brouillant ses signes. La musique, dé­ ne troublerait-elle pas au plus haut couple jeunes encore, trente ans
pouillée à un point rarement atteint point les deux hommes, Niakas et le peut-être, mariés depuis cinq-, dix ans
dans un film grec, souligne par mo­ forgeron, auprès ou aux environs de au plus — une photo le rappelle. Nia­
ments et apure le sens de chaque qui elle vit furtivement ? La tentation kas, hébergé pour cinquante drachmes
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dans leur cuisine, sera l'involontaire phorique d'une certaine « histoire »
témoin de ce petit drame. Drame qu'il grecque, de l’inconscience heureuse B.A. Bah
ne voit pas, parce qu’il dort de l'autre à la conscience malheureuse — ou,
côté du mur, dont il ne saisit que le pour parler moins hegeliennement,
plus superficiel, le moins parlant (les d'une société précapitaliste (artisanale
paroles), mais qu'il comprend, car ce ou pastorale) à cette société (urbaine) JA GAR NIFIKEN (Je suis curieuse). Film
drame de rien répète à sa façon le de structure capitaliste (voire, comme suédois de Vilgot Sjôman. Scénario :
sien : c'est la même raison impérieuse essaiera de le signifier Papatakis dans Vilgot Sjôman. Images : Peter Wester.
qui conduit le jeune époux à faire sa « Les Pâtres du Désordre », coloniale) Son : Tage Sjoborg. Musique : Bengt
valise et amène la jeune femme elle où l'aliénation et le déchirement sont Ernryd. Montage : Wic Kjellin. Interpré­
aussi jusqu'au bateau. Tout s’est réglé portés à leur comble. On pourra s’amu­ tation : Lena Nyman (Lena), Borje
l'espace d'une sieste, dans la chambre ser à lire cette évolution « historique » Ahlsted (Bôrje), Peter Lindgren (le
étouffante de chaleur, où la caméra dans le passage du cheval (l'ami de père). Production : Sandrews (Goran
de Damianos est à l'affût du moindre Niakas, dans la première partie, est for­ Lindgren), 1967. Prod. Exéc. : Lena
signe : immobilisation subite de la fem­ geron) à la motocyclette (qui est, dans Malmsjo. Durée : 1 h 35 mn.
me observant à la dérobée son mari la campagne de la deuxième partie,
presque nu (montée du désir) ; valise comme le signe de la présence proche Où la censure française se charge de
toute préparée sous le fauteuil (départ — approchante et tentante — du monde faire d’une œuvre ouverte une œuvre
imminent du mari); regard dans la glace urbain) et enfin aux voitures et aux au­ béante. De cette dernière nous ne par­
où la jeune femme, qui vient de compren­ tobus de la ville où Niakas erre en lerons pas. Qu'il suffise de dire que
dre et chiale silencieusement, se dé­ étranger. L’apparition du miroir dans le ce produit par trop émasculé a déçu
couvre laide ou quasi ; œil grand ou­ cours du film n’est peut-être pas non le critique comme le pornographe. Ce­
vert du mari avachi sur le lit, la tête plus sans importance. Nul miroir, dans pendant, la version intégrale appelle
tournée vers le mur pendant que sa la baraque isolée de la première par­ quelques commentaires. On y trouve
femme risque une caresse ; ultime ten­ tie : ombre et pénombre, où rien n'est bien des « séquences amoureuses
tative, ridicule ensemble et pitoyable clair, où rien n'est médiatisé — ni le poussées jusqu'à un réalisme quasi-
de la femme pour s'attacher de nou­ désir physique, ni le désir de tuer (qui documentaire dont la frénésie ne laisse
veau cet homme qui parle déjà d’elle hantera Niakas jaloux) ; et la fille ne pas d'étonner ». Certes. Mais aussi :
à la troisième personne : fard, noir sait pas qu'elle est belle. Ni peut-être - Sjôman est un homme sérieux, qui
pour cils et sourcils, rouge baiser, pe­ l'autre, la chevrette de la deuxième écrit son temps sérieusement ». C'est
tite culotte et soutien-gorge achetés partie, avant que le raccoleur à moto sans doute que pour lui, filmer est une
sans doute au nouveau Monoprix de ne la vienne — près d'un crucifix — chose si grave et si peu innocente
la ville contribueront à peu près en fourguer à une maquerelle de la ville. qu'elle ne peut être que méritée, ga­
vain à l'essai de reconquête. On pourra Chevrette, la belle ? Alouette. Et qu'un gnée sur quelque obstacle.
bien rappeler de quel secours a pu être miroir suffit à prendre. Au moins autant Obstacles. — C'est à eux qu'un film
à Damianos sa formation d'homme de que la moto, le miroir est signe de la doit d’être entrepris. Ils sont à l'ori­
théâtre pour la mise en scène de cette ville — de la société du spectacle, gine des films de Sjôman comme ils
pantomime dérisoire. Mais ce serait ou­ comme dit l'autre. C'est précisément en en sont la limite, limite qu’il refuse de
blier ce qu’ont de proprement cinéma­ face d'un miroir que nous retrouvons dépasser par crainte de se trouver
tographique ses aguets avec une Niakas. dans la ville, chez un barbier chargé d'une liberté inutilisable dont
simplicité furtive comparable seule­ — très concrètement (très pileusement) on a bien vu qu'elle est le sujet de
ment à celle d'un Forman — utilisant frustré cette fois. Et c’est un miroir tous ses films. Ce n'est donc pas para­
au besoin la plongée pour renforcer qui révélera à la pauvrette de la troi­ doxe de le dire sérieux, et même puri­
le poignant grotesque de cette tenta- sième histoire qu’un peu de poudre tain (filmant non par goût mais par
tive ratée de séduction — , Damianos de riz et de rimmel ne lui serait pas souci des convenances — au sens de
se révèle ici l’un des tenants les plus de trop pour ragoûter l'aimé — révéla­ ce qu'il - convient » de faire) car il a
convaincants de cette esthétique de la tion fausse, car suggérant que le mal des tabous le plus grand besoin. Tan­
mi-distance (où la simplicité ne s’est est là (dans l'esthétique) quand il est tôt il s'agit du thème traité : l'inceste
pas encore durcie en esthétisme de la ailleurs (dans l’économique)... On re­ dans • Ma sœur mon amour », plus
simplicité, et où le ricanement est tou­ marquera enfin que les rapports de souvent ce sont des détails qui ne
jours mêlé de compassion), qui triom­ Niakas et des femmes suivent une évo­ peuvent que heurter la censure
phe aujourd'hui chez les Tchèques. lution mêmement significative. La pre­ (« 491 • ). Et, au cas où celle-ci renon­
J'ai parlé, à propos de telle ou telle mière (à ce qu'on sache) restera (de cerait à elle-même. Sjôman est homme
des trois parties du film, de ■ sketch ». lui) intouchée (on ne rêve que de ma­ à disposer sur son chemin les obsta­
A tort. Les trois histoires de - Jus­ riage, et de cantiques) ; la seconde, cles qui le rendront malaisé — donc
qu'au bateau » ne sont pas des on cédera sans trop de vergogne à ses légitime. Aussi « Je suis curieuse » est
sketches en ce sens qu’elles ne sont avances précises (adieu popes I) ; la à la fois le récit de l’échec d'un lai­
nullement interchangeables. C’est trop troisième, c’est la compagne d'aliéna­ deron (Lena) dans la Suède de 1967,
peu même de dire que leur place est tion et bientôt d'émigration : compas­ récit promis lui-même à toutes les mu­
nécessairement assignée dans l'écono­ sion pour elle, mais pas grand désir. tilations et produit d'un tournage diffi­
mie du film par la logique spatiale du Rêves d'amour embrumés de religiosité, cile et sans joie. C'est-à-dire que le
parcours de Niakas (plaine après mon­ fornication à la sauvette, désexualisa­ film devient l'obstacle numéro un, la
tagne. ville après campagne). Comme tion : trois étapes encore, qui ne man­ corvée nécessaire, cette chose qui
ceux de la durée bergsonienne, les mo­ quent pas de sens. n'est ni le miroir de la vie ni les cou­
ments de ce parcours sont hétéro­ Trois étapes juqu’à l’autre départ, défi­ lisses de l'art, mais la preuve de leur
gènes. irréductibles et intimement « pé­ nitif, que tout le raki du monde n’em­ incompatibilité.
nétrés » des précédents. A quelques pêchera pas d’avoir lieu. Le bateau Obstacles aussi au niveau de la moin­
signes discrets — analogies structu­ s’appelle « Patris » (Patrie). On s'en dre scène, et comme nécessaires à
relles. diraient Faye ou Ricardou — se était douté avec Niakas, c’est la la bonne marche de l'intrigue. Evtou-
connaît l'irréversibilité de cette succes­ Grèce qui fout le camp. chenko affronte une salle hostile : son
sion chronologique. A quoi l'on devine Dominique NOGUEZ micro ne marche pas, Bôrje rend visite
que ce parcours pourrait bien être au père de Lena mais il n'a d'yeux que
(aussi) métaphorique — comme d'ail­ (1) Voir interview réalisée par M. Dela- pour la fille. Plus tard, traversant un
leurs certaine déclaration de Damia­ have et P.-L. Martin dans le n° 197 des village abandonné, les deux protago­
nos (1) nous invite à le penser. Méta­ —Cahiers ». nistes parlent en même temps de cho­
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ses différentes... Toujours les entraves, film) a pour adjuvant une forme épurée d'être plausible, cette séquence est
les interférences, et comme la vie qui qui siège dans la figure parfaite de tout simplement un pur schéma. Les
se censure elle-même : partout deux notre civilisation, dans l'espace rectan­ naysans partent ' tous dans la même
actions qui se font écran, l'une (mais gulaire de l'écran. La rigueur du tribunal direction, tombent en même temps, de
laquelle ?) destinée à retarder, cacher critique, de cette cour de la raison his­ la même manière, et la mise en scène
ou valoriser l'autre. Principe sans le­ torique, implacable devant la suite des renforce cette abstraction, ce symbo­
quel il n'est pas de scène, pas de Evénements, cette rigueur passe par la lisme. Nombreux sont ainsi les événe­
film, pas de cinéma (d'où l'importance très grande efficacité du cadrage (San­ ments plaqués sur l'écran, sans aucun
du tournage même du film en ce qu'un dor Sàra), par l'honnêteté d'une caméra souci psychoréaliste.
tournage est par définition le lieu de que jamais ne vient distraire l’anecdote. Beaucoup plus interrogatif qu'impératif,
convergence de réalités rivales, réalité Le point de vue politique est encadré le film montre les difficultés de la
et fiction, acteur et personnage, etc.). dans une forme austère et éloquente à révolution mais reste aporétique ; enfin
On voit donc que, lié indissolublement la fois. Austère car l'espace est entiè- si la Marche de l'idée, en majuscule,
à c e qu'il dénonce (la c ensur e, le
confort), c'est-à-dire moraliste avant
tout, si sérieux qu’il en devient triste,
piétinant sans allégresse des tabous
qui cèdent peu à peu, réclamant pour
chaque film sa part d'impossible sans
laquelle il n'est guère de bonne cons­
cience, Vilgot Sjôman ressemble à un
cinéaste moderne — en ce qu’il pose
sans cesse la question des pouvoirs
du cinéma — mais de la modernité il
donne une image théorique et sans
vie qui laisse tout au plus le goût fade
d’une bonne action (B.A.) péniblement
accomplie. — Serge DANEY.

lies
Publica
TIZEZER NAP (Les Dix Mille soleils). Film
hongrois de Ferenc Kosa. Scénario :
Sandor Csoori, Imre Gyôngyossy, Fe­
renc Kosa. Images : Sandor Sara (Aga- Les Dix M ille Soleils • de Ferenc Kosa.
scope). Musique : Andras Szôllosy. In­
terprétation : Tibor Molnar (Istvan), rement contrôlé (rien n'échappe à la tient le centre du film, elle n’occupe
Gyôngyi Bùrôs (sa femme), Andras visée) ; éloquente parce que les mises pa3 son intérêt cinématographique qui
Kozak (son fils), Janos Koltai (Fülôp). en scène et en image renouent avec réside dans la poésie, dans l'existence
Production : Studios Mafilm, Budapest. une tradition narrative fondée sur le sacrée. — Paul-Louis MARTIN.
Distribution : Studio 43. Durée : 100 mn. dessein d'épuiser entièrement un thème (1) « Il s’agissait de dresser une sorte
ou un personnage : Istvan le Paysan de bilan de ces trente dernières an­
Fiction socio-historique fondée sur une est un anti-Ulysse ; relié à la terre nées, au travers de l’histoire d'un jeune
investigation précise (1), - Les Dix Mille maternelle par un cordon ombilical, il homme d'origine paysanne, ou plus
Soleils » emprunte sa facture plus à ne voyage que pour aller au bagne, ne exactement de celle de sa famille. Nous
l'épopée qu’au psychodrame néo-réaliste décide que peu de choses et surtout, nous étions répartis le pays en sec­
ou au film historique (■ La Marseil­ subit les signes quelconques de l'His- teurs et, munis de magnétophones,
laise » ou - La Prise de Pouvoir par toire. Istvan est un mythe : le paysan d'appareils cinématographiques et de
Louis XIV »)■ Tout le travail sur la réa­ hongrois faisant partie de la classe petites caméras, nous en parcourions
lité est préalable au film, qui situe sa des artisans tandis que Fülôp, le théo­ les villages ; ainsi, nous nous sommes
critique politique dans une histoire ricien, devrait être le gardien de la entretenus avec des centaines de pay­
(celle d'Istvan) se déroulant dans un cité des hommes. sans, jeunes et vieux. Lorsque nous
milieu traditionnel dont on désigne en Aussi le jeu central du film qui anime rédigeâmes la première version du scé­
second plan les rites (marché, exor­ les rapports entre Istvan et le groupe nario, nous disposions d'un millier de
cisme) et le folklore Qeux, fêtes) aussi paysan affecte totalement la mise en pages dactylographiées de documenta­
tranchants que la musique de Bela image qui est une suite cadencée (com­ tion. » (Ferenc Kosa.)
Bartok. Notons en particulier le rôle me un concerto) d’alternations Istvan/
joué par les paysannes hongroises Groupe, suite de plans montrant les
épisodique, muet et douloureux, il nous héros et de plans regroupant des per­
renseigne sans éclat sur la forme sonnages. Film sociologique, « Les Dix
patriarcale de la famille. Mille Soleils » montre le groupe par ivii/Ttæs
La Terre Hongroise où « Vivre est la des accumulations : d'objets (outils,
seule voie et le seul refuge » est l’es­ bicyclettes), d'animaux (chevaux), et survie
pace d’une Tragédie (Fatum aveugle de d'hommes (ouvriers, paysans au tra­
l'idée qui s'abat sur l'individu) et d’une vail, bagnards, etc.). Les faits et les FRANKENSTEIN CREATED W O M A N (F ra n -
gravité appelées : Communisme ou « un événements affectent le groupe comme kenstein créa la femme). Film anglais
beau rêve pour demain ». La force de l'individu. Si l'on prend en exemple la en couleur de Terence Fisher. Scén. :
la thèse critique (Il n'importe pas ici séquence où les paysans se ruent sur John Elder. Images : Arthur Grant (De
de ratiociner sur les conditions politi­ les sacs et les emportent dans une Luxe Color). Montage : Albert Needs.
ques qui ont permis l'existence d'un tel course folle, on constate que loin Musique : James Bernard. Décors :
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Bernard Robinson. interprétation : Peter quelques autres créant sans références neuse, et l'horreur jusqu'alors d’origine
Cushing (Baron Victor Frankenstein), stérilisantes) et entretenue religieuse­ humaine (le couperet de la guillotine
Susan Denberg (Kristina Kleeve), Thor- ment par les innombrables contretypes s’abattant en sifflant et remontant
ley Walters (Docteur Hertz), Robert des séries B, appauvrissant par répéti­ souillé de sang) devient plus propre­
Morris (Hans Berner), et Peter Blythe, tion les trouvailles des maîtres. Le ment surnaturelle (tête décapitée reve­
Barry Warren, Derek Fowlds, Alan propre des grands cinéastes est de se nant dicter ses volontés, haches plan­
MacNaughton, Peter Madden, Stuart situer résolument à l'intérieur du genre tées en plein visage par une frêle
Middleton, Duncan Lamont, Colin Jea- choisi pour mieux le détruire tout en jeune fille possédée par la puissance
vons, Ivan Beavis. Production : Seven utilisant les schémas préétablis. Du de son amant...). Mais le film superpose
Arts, Hammer (Anthony Nelson Keyes). genre, Fisher conserve — et magnifie à cette construction antithétique la
1967. Distribution : Fox. — le cadre un château baroque juxtaposition de deux cycles parfaite­
dans lequel les jeux d’échecs ont des ment clos ; en effet, la première partie
1. Les mythes. James Joyce avec sujets blancs et rouges, une cape s'ouvre et se ferme par deux scènes-
Ulysse ou Robbe-Grillet avec Œdipe noire qui surgit brusquement en haut d’exécution capitale : le père de Hans
(Les Gommes) ont réussi l'actualisation d’un escalier monumental ou au fond (sous le regard terrifié — et fasciné —
littéraire des mythes antiques. Au ciné­ d’une cave, un chemin de ronde ba­ de son fils) ; puis Hans lui-même
ma, Terence Fisher ne cherche pas à layé per le vent et un somptueux (sous le regard analogue de sa
attirer le mythe vers lui mais replonge corbillard sans cocher conduit par maîtresse) ; de même, la seconde
au contraire toute son œuvre aux sour­ deux chevaux piaffant sur un tapis de débute et se termine par le suicide de
ces des mythes en les replaçant exac­ feuilles automnales (« Le Cauchemar Christina (d’une poésie conventionnelle
tement au centre des coordonnées spa­ de Dracula »). Ici ce sont des landes — style Ophélia — la première fois et
tiales et temporelles qui les ont vus sauvages, une auberge déserte ména­ franchement onirique la seconde, le
naître : la malédiction des pharaons à geant des zones d'ombre et de pro­ corps de la créature prenant son envol
la fin du XIX® siècle (et non en 1968), fondes arrière-boutiques, des ruelles vers on ne sait quel ailleurs plutôt que
les sectes d'étrangleurs dans l’empire grises, étroites, sordides et suant le s'abîmant au fond d'un gouffre).
des Indes d'avant la révolte des Ci- crime, un lourd mobilier victorien tout Violence des morts (et malaise devant
payes (■ Les Etrangleurs de Bombay »), chargé de tentures comme placées là un sang écarlate qui se répand à flots
les loups-garous au XVIII» siècle (« La pour éponger le sang et étouffer les comme dans « Bonnie and Clyde »),
Nuit du loup-garou ») et Dracula au cris de quelque obscure victime d'on poésie des victimes, instruments inno­
fin fond des Carpathes. Il situe donc ne sait quelles expériences, un labo­ cents du destin, et froideur du savant
les expériences du baron Frankenstein ratoire multicolore, véritable décor sur- rythment également le film par l’alter­
au cœur de ce XIX* siècle scientiste réalfste (antre de magicien, autel de nance de scènes tour à tour brutales,
qui en était encore à se poser l’angois­ messes noires, étal de boucher et délicates et rigoureuses, mais se fon­
sante question - pourquoi ? ». Plus sa­ moderne bloc opératoire tout à la fois). dent dans le personnage de Christina
ge, le savant du XXe ou du XXI* siècle Mais cette convention des apparences qui assume à la fois tous les symboles
de la science-fiction se contente de — créant une atmosphère inquiétante et résout dans son être déchiré toutes
chercher à savoir • comment * ? : dès et d'ailleurs rassurante pour l'amateur les contradictions d’un film d'une ri­
lors il conquiert les planètes mais est de ce genre trop souvent codifié — chesse peu commune. Populace atta­
toujours aussi ignorant des mystères n'est en fait que l'écrin protecteur de quant le docteur, voleurs de cadavres,
de la vie. Frankenstein, par contre, thèmes éternels profondément rema­ procès en sorcellerie ou inquiétante
délaissant la question de l'unité de la niés par Fisher et surtout présentés chirurgie esthétique n'ont alors plus
matière chère aux alchimistes du en constantes oppositions, perpétuel que valeur de signe de reconnaissance
Moyen Age, concentre toute son éner­ mouvement de balance entre éléments pour spécialistes. Le film est ailleurs,
gie sur la nature humaine et le pro­ contraires qui s’attirent, se rejettent dans ces constructions architecturales
blème d’une survie possible. Depuis ou s'accouplent en monstrueuses créa­ hardies, ce jeu de thèmes et de corres­
ses échecs de - Frankenstein s'est tions : nous avons déjà cité l'amour et pondances, cette recherche systéma­
échappé » et de - La Revanche de la mort (il faudrait rappeler alors les tique du mystère. — René PREDAL.
Frankenstein », le personnage immua­ scènes de séduction de Christina agui­
blement campé par Peter Cushing a
compris que la greffe du cerveau (my­
chant puis assassinant les trois jeunes L'incongru
g en 9 , les rites d'amour se terminant
the créé par Mary Shelley, mais aussi
assez proche de celui des * Mains d’Or-
en rituel d’atroces morts violentes). Il quotidien
y a aussi le Bien et le Mal (Hans et
lac ») est insuffisante : c’est l'âme qu’il Christina contre les jeunes aristocrates
faut transplanter, c'est-à-dire cette THEATRE DE M O N SIEU R ET MADAME
dévoyés), la beauté et la laideur (réu­ KABAL. Film français d'animation en
extraordinaire boule jaune incandes­ nies dans les deux aspects de l'unique
cente retenue prisonnière entre des pa­ couleur (Eastmancolor) de Walerian Bo-
visage de Christina mais aussi laideur rowczyk. Scén. : Walerian Borowczyk.
rois de verre et qui brille — souve­ pendant la vie et beauté de la mort-
raine — comme un mythe de demain. Production : Jacques Forgeot. 1967.
survie), l'amour et la haine (amour Prod. délég. : André G. Brunelin. Dis­
Dès lors le mythe est sublimé par Hans-Christina, mais- haine de chacun
cette démesure, d’autant 'plus que tribution : Etoile Distribution. Durée :
contre la société qui tua le père de 1 h 20 mn.
l’âme choisie est celle de l’amant dé­ Hans et qui humilie Christina dans ses
capité et le corps celui de sa maîtresse infirmités physiques), la vie et la mort.
défigurée et suicidée : amour plus fort L'horizon, blanc et noir, s'étend calme
que la mort, seconde vie dans laquelle C'est cette dernière dualité qui fournit et tranquille ; ses lignes sont des va­
les amoureux réunis en un seul être se à Fisher sa meilleure séquence : le feu gues ; le silence avant tout. Et puis,
vengeront des injustices de la première d’un poêle se conjugue à l'eau bouil­ d’un seul coup, sans que l'on y pren­
grâce à la science, outil de leur triom­ lante et à la glace pour redonner la ne garde, un animal, juché sur quatre
phe... excellent scénario qui ne pouvait vie au corps inerte de la jeune fille. courtes pattes roses, le traverse d’un
se situer qu'à cette époque. Là encore il y a progrès scientifique trait fulgurant, à la poursuite de son
2. Un cinéma de genre : le décor du par rapport à l'étincelle électrique vo­ propre museau. Plus tard, Mme Kabal,
fantastique. Comme le western, le lée à l’orage gigantesque du premier après avoir choisi elle-même son nez
thriller, la comédie musicale... ou la Frankenstein (celui de James Whale). définitif, engloutira le papillon bleu qui
tragédie classique, le fantastique a ses Ce passage de la vie à la survie s’est perdu dans ce même cadre.
règles, ou plutôt ses modèles, sa tra­ recréée par l'homme renverse toutes Le théâtre est à présent mis en place,
dition inventée en toute liberté par les les valeurs : Christina. d’être, devient et les gens vont pouvoir y vivre vingt-
géniaux pionniers (Whale, Browning et créature, de laide, belle, de bonne, hai­ quatre heures de leur existence.
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geuse un instant, se mettra-t-elle à
Avec ces vingt-quatre heures, on
retrouve dès le début la constante fon­ rougir, l'espace d'une seconde. La mort
damentale de toute l'œuvre de Borowc­
zyk : la durée. Cette durée judicieuse­
Et les personnages, bien qu'existant en
deçà et au-delà du film, vont ainsi se
équivalente
ment précise à l'intérieur de laquelle définir sous nos yeux en bonds suc­
le moindre geste ainsi que le moindre cessifs aux exigences rigoureuses PRIMA DELLA RIVO LUZIO NE (Prima délia
bruit vont devenir, à notre grande stu­ de Mme Kabal, correspondront les rivoluzione). Film italien de Bernardo
péfaction, autant de gags incongrus et agissements timorés et diffus de Bertolucci. Scénario : Bernardo Ber-
cauchemaresques. La force des gags M. Kabal (ce dernier, un peu poète, il tolucci. Images : Aldo Scavarda. Mon­
de « Playtime » est en partie conte­ va sans dire). Nous avons dit que, mal­ tage : Roberto Perpignani. Musique :
nue dans leur enchevêtrement intime ; gré les apparences, les Kabal étaient Gino Paoli, Ennio Moricone. Interpréta­
ici. au contraire, les gags puisent leur des Terriens ; que l’on ne s’y trompe tion : Adriana Asti (Gina), Francesco
force dans leur espacement minutieux, pas : ils restent avant tout fondamen­ Barilli (Fabrizio), Allen Midgette (Agos-
dans leur dosage économique, donc talement fictifs, et quand Mme Kabal tino), Morando Morandini (Cesare).
retenu. Borowczyk surveille constam­ prend son bain, c'est dans une mer de Cristina Pariset (Clelia), Gianni Amico
ment ses éléments graphiques et sono­ papier, et c'est à peine alors si elle (l’ami). Production : Iride-Cinematogra-
res, de manière, avant tout, à limiter en ressort mouillée. Cela n'est pas fica. 1964. Distribution : Les Films de la
leurs éventuels débordements. Et cette sans importance ; ces personnages fic­ Pleiade. Durée : 1 h 40 mn.
retenue, loin d’aboutir à une pauvreté tifs obéissent aux mêmes instincts et
périlleuse, aboutit à une puissance vé­ éprouvent sans doute les mêmes émo­ Quelques notes sur trois séquences.
ritablement magique, éprouvante, cha­ tions que s'ils avaient été engendrés
Les références, le style et le propos
que chose étant comme suspendue en de façon naturelle : seul le contexte
de ■ Prima délia rivoluzione » sont
l’air, mais dans une autre atmosphère. change. Le collage est évident, mais
d'inspiration romantique. Fabrizio, Agos-
radical Mme Kabal, véritable char
De plus, le dessin animé nous ayant tino et Gina sont des « hommes de
d'assaut expérimental, fait de son auto­
depuis longtemps, par sa technique trop » voués au désespoir, à la facti-
nomie une force guerrière implacable ;
même, habitués à changer de planète, cité ou à la mort comme ces feuilles
M. Kabal, sinistre mais sympathique
nous sommes surpris de constater qui vivotent encore sur la branche mor­
victime du matriarcat envahissant, ap­
qu’ici, malgré les apparences pourtant te d'un arbre mort. Ils représentent
paraît comme un perpétuel évadé (en
évidentes et bizarres, M. et Mme Kabal trois réponses possibles à une situa­
constante mais vaine tentative d'éva­
sont des Terriens comme vous et moi, tion historique donnée : le pourrisse­
sion). Comment nier à présent l'exis­
presque des Français moyens, ce qui, ment de la bourgeoisie. Première
tence respective de tels êtres ? Et
curieusement, ne limite d’ailleurs en pour conserver son équilibre de base. réponse : la mort, autrement dit le re­
rien la part du rêve et de l'imaginaire. fus absolu d’Agostino. Deuxième ré­
Borowczyk reste logique jusqu’au bout:
ponse : la folie, c'est la névrose de
L'incongru, bien que délibérément pro­ lorsque M. Kabal, héros de dessins Gina, personnage hors de l’histoire
posé comme quotidien, va rester de animés, lorgne avec envie du côté de (sic). Troisième réponse : la facticité,
bout en bout imprévisible, et c'est ce ses propres rêves à l'aide d'une longue c'est le mariage de Fabrizio, simulacre
qui, fatalement, provoquera la fascina­ vue, le tableau qu'il voit ainsi épisodi­ de la mort. A cette vision sombre et
tion. Avec les joyeux anarchistes quement est alors tourné en prises de déchirée correspond une grande ten­
qu’étaient les Marx Brothers, on savait vues réelles (un vieillard bienheureux dresse pour les personnages (qui est
bien que tout pouvait arriver : qu'une entouré de tout un tas de filles consen­ la vraie référence à Stendhal), une
maison pouvait exploser sous nos tantes). Puisque la réalité de départ sorte de complicité déçue de la part
yeux, que la cathédrale Saint-Patrick des Kabal avance image par image, du réalisateur. Il est très intéressant
pouvait être dynamitée du jour au len­ l'imaginaire progressera, lui, en défilé de remarquer comment Bertolucci pré­
demain, qu'une nuit dans un opéra continu. Quoi de plus naturel, quoi de sente une situation socio-historique au
pouvait entraîner une révolution mon­ plus rigoureusement logique en effet ? niveau des individus. C'est pourquoi,
diale. Mais ici, dans ce théâtre-là, on De plus, ce principe constitue à l'inté­ à l’opposé de Pasolini ou même Belloc-
ne sait rien ; les personnages ont des rieur de l'écran une rupture formelle chio, son cinéma admet une apercep-
très étonnante : on passe brusquement tion psychologique ; c'est même peut-
réactions trop normales pour que l'on
d'un univers graphique, aigu et timide­ être le sens, en définitive, de ce ton
puisse prévoir ce qu'ils vont faire : autobiographique, que de laisser à l'in­
allumer une cigarette, se couper les ment coloré, à un univers feutré, aux
couleurs profondes et multiples. dividu le privilège de son désespoir et
ongles, prendre un bain. Ainsi la sur­ de sa mort.
prise est totale, et l'attente du spec­ Alors, il convient de parler brièvement
tateur n'est récompensée que par un de la technique borowczykienne : dis­ La mort d’Agostino.
geste banal, quotidien. Mais là où le crète mais précise, pour ainsi dire Le « suicide » d'Agostino apparaît dans
talent de Borowczyk devient flagrant, artisanale ; travaillant avec succès aux la chronologie du film comme un acte
antipodes d'un Walt Disney, Borowc­ désespéré d'une part, absurde d'autre
c’est que ce geste banal, comme nous
zyk, entouré d'une très petite équipe part. Mais les différents développe­
le signalions plus haut, va prendre une ments qui succèdent à cette séquence
force inouïe en s'insérant dans un de collaborateurs, et disposant de
moyens limités, est le troisième réali­ montrent qu'il s'agissait au contraire
contexte neuf, dans une durée pleine d’un acte parfaitement cohérent. Peut-
et clairement mise en place. Cette du­ sateur français (après Image et Gri-
être qu’Agostino ne s'est pas suicidé ?
rée linéaire, ponctuée des seuls acci­ mault) à réussir ce tour de force
incroyable faire un long métrage Implication sans intérêt. Son geste ré­
dents du propos, détermine le film vèle l'impossibilité radicale d'exister
entier (comme d'ailleurs les autres d'animation. Il serait mal venu de se
lamenter ici sur le coupable désintérêt pour un bourgeois conscient. Il est le
principaux films de Borowczyk : ■ Le signe absolu d'une contradiction, et
Dictionnaire de Joachim ». « Le Jeu des du public français vis-à-vis du film
Agostino va jusqu’au bout. A l'opposé,
anges ». * Rosalie », « Gavotte »). Acci­ d'animation ; contentons-nous de signa­
la vie de Fabrizio se déroule sur fond
dents qui constituent les subites et ler le problème. Borowczyk, avec son d’incohérence et de vanité. Lorsqu'il
provisoires ruptures de ton, essentiel­ théâtre de M. et Mme Kabal, est là, épouse Clelia il choisit vraiment sa
les à l’équilibre dynamique de la pro­ heureusement, pour rappeler que le propre fin qui n'est qu'une des multi­
gression des faits, accidents qui cons­ film d'animation n'est pas (est loin ples équivalences de la mort. Aussi les
tituent en somme la ponctuation intime d'étre) un art dérisoire. trois mortifications d'Agostino à bicy­
de l’œuvre : ainsi, Mme Kabal, son­ Et c'est bien ainsi... Patrice LECOMTE. clette (pour sa mère, pour son père et
66
pour lui-même), sa disparition près de d’aperception du monde : l’émotion es­ l'environnement (opéra, public) et le
l'étang et son enterrement opèrent une thétique qui a un double statut. D'abord niveau psychologique du film n'est que
rupture dans la vie de Fabrizio. L'habi­ elle désigne des objets dignes de res­ la traduction du moment historique
leté de Bertolucci est de ne jamais pect et auxquels elle confère une va­ d’une classe. C'est notre tragédie que
l'expliquer au niveau du scénario ni leur, ensuite elle manifeste une fonda­ Fabrizio, alors moribond à côté de sa
même de la mise en scène qui reste mentale facticité et établit un contact mort marmoréenne nommée Clelia, est
très souvent suggestive. Le style ample avec la mort. L'opéra (art musical total en train de vivre.
et en même temps feutré établit un et typiquement bourgeois dans son ori­
ton accordé au désaccord : cette sé­ gine et son développement historiques) Le mariage.
quence où Agostino tombe de bicy­ est le lieu d'élection de la mort-émo­ La suite de renoncements qui jalonnent
clette est en ce sens très réussie com­ tion. Il suffit de penser à « Don Juan » la vie de Fabrizio devait l'amener à une
me celle où Fabrizio constate la mort qui n'est qu'une longue méditation sur démission définitive sanctionnée par
d'Agostino : l'étang est un paysage - la mort ou à « Tristan et Iseult » ou son mariage avec Clelia. Tous les élé­
état-d’âme dont la solitude terrible est encore au délire vertigineux de l'opéra ments principaux du film sont rappelés
exprimée à un niveau social : ce sont de Verdi qui exprime une totalité dans dans cette séquence finale : le rappel
les gamins du peuple dont Agostino laquelle nous place Bertolucci dès le de l'enterrement d’Agostino (par la voi­
n'était pas le frère. début de cette admirable séquence. Le ture et la cérémonie), l'instituteur au
décor, vaste comme une prison somp­ travail parlant d'Achab et de Moby
L'Opéra. tueuse, suscite ce sentiment que le Dick et la douce folie de Gin a qui
La seconde mort est celle de l’amour public et le petit reportage sur les pre­ étreint amoureusement le simulacre de
(Fabrizio-Gina) qui seul encore sauvait mières contribuent à nous faire res­ Fabrizio, son frère Antonio, tandis que
Fabrizio. La bourgeoisie a développé sentir. L’essentielle présence des per­ s'éloigne le cercueil de Fabrizio vers le
dans la société capitaliste un mode sonnages prend sa valeur par rapport à pays de la honte. Paul-Louis MARTIN.

NOUS CHANGEONS D’ADRESSE


Nous prions nos le c t e u r s d e n o t e r n o tr e nouvelle a d r e s s e : 8, rue M a r b e u f , P a r i s - 8 \
T é l é p h o n e ELY 0 1 - 7 9 . A d m in is tr a tio n , a b o n n e m e n t s , v e n t e : 63, av . d e s C h a m p s -
Elysées, P a r i s - 8 \

La Rédaction des « Cahiers » : 8, rue Marbeuf, Paris-VIII

j. I. m a n k ie w ic z
the barefoot confessa

julius caesar

suddenly tast su m mer

flve fingers

jo h n huston
freud, the secret passion

moby dick (version française)

night of the iguana

red badge of courage

asphalt jungle

67
Le Cahier dt
Georges F ranju : longtemps que ça resterait réaliste. il y a un vieillard qui est à une table
c o u leu rs , va leu rs et (Reprise du plan cité de « Judex » mais et quand il s'en va au fond du décor,
cette fois nous suivons l'homme à tête il disparait dans le noir. C'est-à-dire
co ntra stes d'oiseau jusqu’à son entrée dans la que dans le fond de ce décor on ne
Ces propos constituent l’un des six salle de bal. La musique se poursuit voit qu'un vase. On ne voit pas le vase,
chapitres d’un essai qui sera diffusé derrière les propos de Franju :) Je on voit des fleurs blanches. C ’est très
sur la deuxième chaîne, le samedi crois, j'ai toujours pensé qu’une chose beau plastiquement. Dans le temps, les
16 mars, dans le cadre de « Cinéastes ne pouvait être poétique et à plus forte gens vous mettaient des sous-titres, ou
de notre temps *. raison fantastique, c’est-à-dire émou­ les gens, quand c'étaient des romans,
Cet essai, intitulé ■ Bleu comme une voir, que si elle était réaliste. Ou sur­ disaient : • Il disparut dans la nuit ».
orange », est une libre évocation des réaliste, bien sûr, mais le surréalisme Eh bien ! on ne peut pas maintenant
principaux problèmes que pose (ou est une forme de réalisme. Max Ernst, montrer quelqu'un qui disparait dans
peut poser) l’utilisation de la couleur par exemple, que j ’adore, je ne peux la nurt. Toujours un chef opérateur vous
dans les arts visuels — et plus par­ pas le voir autrement qu'en noir et dira : - Je ne peux pas faire la nuit
ticulièrement dans ces arts - mécani­ blanc. Giorgio de Chirico : en noir et complète ». Alors que là, par manque
ques » que sont la photographie, le blanc. Et pourtant. Je ne veux pas dire de moyens, parce qu'il n'y avait rien
cinéma et la télévision. que... J'aime beaucoup de peintres qui pour éclairer, le personnage disparais­
Comme matériau de base : les décla­ peignent des peintures de couleurs, sait dans la nuit. Pourtant la nuit n’était
rations de neuf personnalités des arts mais en ce qui concerne le cinéma, je pas loin. La nuit était à trois, quatre
contemporains choisies en fonction soit ne le vois pas en couleur. mètres. Et quand il revenait se mettre
du caractère exemplaire de leur œuvre, (Deux plans rapides de « Judex » : en­ en place à sa table, alors il revenait
soit de leur position « à cheval » sur vol des colombes. Puis :) Je suis beau­ dans la lumière et c'était très beau.
deux domaines également concernés coup plus près des valeurs que de la C'était très beau mais c'était fait par
par les problèmes de la couleur : un couleur et je pense que la couleur hasard. C'est comparable aux primitifs
peintre (P. Soulages), un peintre- détruit les valeurs, ou alors il faut une qui tous sculptaient bien.
cinéaste (A, Warhol), un décorateur accoutumance longue. C'est-à-dire que (Suite « off » sur des images emprun­
(A. Trauner), deux photographes dans la vie, au fond, on ne voit pas tées à «Paris 1900 ») Toutes ces ima­
(D. Brassai, J.P. Charbonnier), deux tellement les couleurs, à ce point que ges de Paris de l'époque 1900, de 1900
photographes-cinéastes (A. Varda, W. quand une couleur est voyante elle à 1918-1920, sont belles, sont merveil­
Klein), un cinéaste (G. Franju), un vous choque. C'est donc qu’on ne les leuses, parce que ça a une allure de
téléaste (J.-C. Averty). — André S. La- voit pas. Et avant que les couleurs stylisation et une allure plastique de
barthe. soient à leurs vraies définitions au tableau. (Franju à l’image :) Il faut bien
Georges Franju : Quand j'ai fait mon cinéma, il faudra vraiment une habi­ dire aussi que ce que je connais du
film sur les bêtes, combien de fois m'a- tude incroyable du cinéma en couleur. cinéma français, ce que j'aime du
t-on dit : « Ah l Si c’était en couleur ! ». Alors là on pourra travailler les cou­ cinéma français muet s'accorde à des
Si c’était en couleur, ce serait un film leurs comme on travaille les valeurs paysages que je connais et que ça
répugnant, tout simplement, parce que en noir et blanc, je crois. Et j'irai même répond donc à une émotion que je
ce que recevraient les gens c'est une plus loin : non seulement je préfère ressens. Je ne connais pas le paysage
sensation physique, alors que, comme les valeurs aux couleurs et je pense allemand, je ne connais pas non plus
ce n'est pas en couleur mais en noir que les couleurs tuent les valeurs, mais le cinéma allemand muet avant le...
et blanc, et que j’ai pu travailler le d'autre part je n’aime pas les valeurs ; parce que je crois qu’il ne valait pas
noir et blanc, l'émotion que reçoivent je préfère les contrastes aux valeurs grand-chose d'ailleurs... On n'a jamais
les gens est une émotion — je l’es­ Je préfère, par exemple, la teinte de parlé de primitifs allemands bien inté­
père — esthétique. Et c’est si vrai, ce qu'on appelait dans le temps la ressants. Je connais des primitifs amé­
d’ailleurs, que moi je ne me rappelle pellicule orthochromatique à la teinte ricains, des primitifs français, mais des
plus le - Bœuf écorché » de Rembrandt, de la pellicule panchromatique. La pel­ primitifs allemands je n'en connais pas.
mais je le vois dans une sorte de licule orthochromatique était beaucoup Par contre, le cinéma allemand, alors,
grisaille. (Ces derniers mots, ainsi que plus dramatique, d'abord. Ensuite, les commence, lui, vraiment, à la composi­
les premiers du paragraphe suivant, valeurs étant supprimées, par exemple tion artistique avec l'Expressionnisme.
sont dits « off » sur l'image du tableau le ciel se confondait facilement — il (Travelling latéral qui laisse sortir
de Rembrandt). «Judex», j’ai cherché était toujours clair — . se confondait Franju sur la droite tandis qu'un volet
à le mettre en noir et blanc tout le facilement avec la terre. C'était très noir entre dans le champ par la gauche.
temps, et même j'avais demandé à Fra- joli. C’était poétique. La pellicule ortho­ Puis ouverture fondu sur un plan court
detal — d’ailleurs il s'y entend très chromatique, qu’on retrouve d'ailleurs de - Mabuse Démon du crime ». Fer­
bien, il adore ça — de donner l'impres­ dans tous les films muets, est déjà, meture fondu, puis Franju :) La notion
sion qu'il s'agissait d'un film de 1925. appartient déjà aux œuvres d’art (la de terreur s'en va tout de suite avec la
Alors il a beaucoup travaillé le film suite est dite « off» sur des images couleur, tout de suite.
avec des filtres verts, rouges, neutres, empruntées à «Paris 1900 »), comme (Plan très court de « Judex - où on
gris, et c'était beaucoup plus passion­ les antiques dans la sculpture. On peut voit Francine Bergé, habillée en reli­
nant à faire comme ça qu’en couleur. dire que toutes les images orthochro­ gieuse, enfoncer une seringue dans
(Début de la scène de « Judex » où l'on matiques sont belles. On ne peut pas l’épaule de Edith Scob. Puis Franju :)
découvre l’homme à tête d’oiseau. dire que toutes les images panchroma­ Moi, je ne vois pas la terreur autre­
Franju reprend «off».) A h! c'est très tiques soient belles. Je constate qu'il ment qu'en noir et blanc. Comment
réaliste. C’est très réaliste par moment. y avait dans ce cinéma-là (Franju à voulez-vous faire... Qu’est-ce que c'est
(Puis, à l’image :) Par exemple, quand l'image :) des notions qui... pas qui que la terreur? C’est le noir, c'est les
j ’ai eu l'idée de faire cet homme à tête nous échappent, on les voit bien clai­ ténèbres. Les ténèbres en couleur, je
d’oiseau, je savais que s’il était seul à rement, mais qu'on ne peut refaire. Par ne vois pas ça du tout.
la terrasse en train de prendre l'air exemple dans le « Judex » de Feuil- (Travelling latéral qui fait entrer par la
et qu'on le découvre par les pieds pour lade. je crois, — qui n’est pas bon gauche un volet noir. Puis passage,
arriver à la tête, à cette tête d'oiseau, d'ailleurs — , il y a un... non, ce n’est gauche-droite, d'une photographie prise
ce serait assez impressionnant aussi pas « Judex», c'est un autre film, enfin dans un train où l'on reconnaît JAF et
68
i télévision
ASL. Puis reprise, mais cette fois en n’est pas encore le cas et sans doute L'Equipage au complet (C. Loursais,
entier, de la scène citée de «Judex».) ce ne pourra jamais être le cas, à rediffusion) ; Les Enfants du Palais
(Propos publiés avec l’autorisation de cause de l'analogie partielle de l'image (film de J.-M. Périer) ; Visages et Mas­
l'O.R.T.F. et des producteurs de « Ci­ et de son objet. Faute d'un alphabet ques (comprenant les portraits de
néastes de notre temps ».) ou d'un lexique codifiés des images, Maria Casarès par M. Dumoulin et de
la transformation systématique est hors Léonor Fini par J.E. Jeannesson).
Le str u c tu ra lis m e de portée : il ne reste place que pour Maurice Clavel (- Le Nouvel Observa­
à la T élévision l'illustration. Une illustration disconti­ teur ») : Les Anges Exterminés (M. Mi­
nue surcompensée par une rhétorique trani) ; Les Enfants du Palais (film de
« Un jour viendra inévitablement où involontaire. Rapprocher Mao / foule, J.-M. Périer) ; Séquence Vietnam
l’analyse structurale passera au rang de Paul VI / foule aboutit à surajouter (F. Chalais in Panorama) ; La Bataille
de langage-objet et sera saisie dans du pittoresque à des lieux communs. de l'Atlantique (H. de Turenne, J.-L.
un système supérieur qui à son tour Michel Tréguer en a-t-il eu conscience ? Guillaud et D. Costelle) ; Portrait-
l’expliquera. (...) Il y a là une nécessité En tout cas son échec partiel s'inscrit poème pour Léonor Fini (J.E. Jeannes­
que le structuralisme essaye précisé­ dans cet implacable jeu d’interrogations son).
ment de comprendre, c'est-à-dire de sur le langage où s'est engagé le meil­ Guillaume Hanoteau (■ Télé - Sept
parler : le sémiologue est celui qui leur du cinéma moderne. Jours ») : Les Enfants du Palais (film
exprime sa mort future dans les ter­ Moins ambitieux, Paul Seban a pris les de J.-M. Périer) ; Séquence Vietnam
mes mêmes où il a nommé et compris voies de l’interview pour donner la (F. Chalais in Panorama) ; Coco Chanel
le monde. » (1) Michel Tréguer consa­ parole à deux étudiants « structuralis­ (G. Job in Dim-Dam-Dom).
crant une émission à Claude Lévi- tes », de toute apparence fort bien Morvan-Lebesque (« L'Express •) : Sé­
Strauss (21 janvier), et Paul Seban choisis. Selon les meilleures traditions quence Vietnam (F. Chalais in Pano­
interviewant deux jeunes « Khâgneux » de « Caméra III », loin de faire dispa­ rama.)
structuralistes (« Caméra III » du 6 fé­ raître l’rnterrogateur-relais, il lui a don­ Jacques Siclier (■ Le Monde ») : Bou­
vrier) ont-ils traité le structuralisme né consistance de dramatis persona. Il clage (A. Boudet) ; Les Anges Exter­
comme un langage-objet, et instauré a voulu l’émission comme un franc jeu minés (M. Mitrani) ; Des Goûts et des
par-là une sorte de méta-langage télé­ entre la parole et la langue. D'où la couleurs (soirée Averty du 28 janvier) ;
visuel ? La question est d’importance, totale cohérence entre le propos et Les Enfants du Palais (film de J.M. Pé­
car il s’agit de savoir si la T.V. est sa mise en œuvre. Nous avons assisté rier) et le débat qui a suivi ; Les Mys­
capable de ce « système supérieur • à l'affrontement de deux générations,
destiné à « expliquer » le structuralisme. tères de l'Ouest (série américaine) ;
avec questions-déclics sur l’engage­ Réverbérations, de Murray Schisgal, et
Bref, dans leur langage spécifique, ima­ ment politique, puisque l’émission sug­ Zoo Story, d’Edward Albee (mis en
ges et paroles télévisuelles vont-elles gérait que les khâgneux structuralistes scène par R. Coste).
enrichir l’analyse structurale (et s'enri­ étaient aussi des jeunes prenant parti.
chir par elle), ou au contraire la démo­ On se prend alors à rêver : la quasi-
nétiser et s’appauvrir? impossibilité d’une télévision structurale CO
La tentative de Michel Tréguer ne man­ est soulignée par la cohérence et la 00
que ni de courage, ni de hauteur, par I
crédibilité d'une télévision phénoméno­ O
comparaison avec trop d’entreprises de logique. Est-ce prévoir que la télévision coI
vulgarisation. Quelles sont donc les ne dépassera jamais l’analogon poé­ LO
raisons de son échec ? tisé ? Peut-être, mais j’avoue éprouver CNI
Donner la parole et l'image à Claude une secrète sympathie pour l'auda­
CM
Lévi-Strauss en personne revient à le cieuse entreprise de Michel Tréguer
mettre en mesure soit de faire acte qui s’est acharné à explorer les confins
de parole, c’est-à-dire de variation indi­ du langage. —■ J.-B. FAGES. i
viduelle quant à sa langue scientifique ; (1) Roland Barthes : - Système de la W
'ÎZ
soit d’improviser un méta-langage quant <0
mode ». û_
au système élaboré dans les travaux
d'analyse structurale. En fait, la parole
personnelle a dominé — ce qui tient
P o u r une télé th è q u e C O t/l
<D

sans doute aux pouvoirs analogiques (Période du 10 janvier au 9 février) C/5


Jacques André (« Midi Libre ») : Réver­ _>•
de l'image du chercheur, qui collait •LU
inévitablement à sa « présence ». En bérations, de Murray Schlsgal, et Zoo i
Story, d'Edward Albee (mis en scène tfl
d’autres termes, nous étions renvoyés o.
à une excellente « télégénie ». Une par R. Coste) ; Les Hôpitaux (série de E
éloquence véritable surmontant la ma­ F. Pottecher et C. Brabant) ; La Ba­ <o
taille de l’Atlantique (H. de Turenne, j=
gie de l’image. Oui, mais Tréguer a-t-il U
bien voulu cela ? J.-L. Guillaud et D. Costelle) ; Portrait-
Tout s'est passé comme si le réalisa­ poème pour Léonor Fini (J.E. Jeannes- 00
teur avait voulu briser une incoercible son) ; Les Enfants du Palais (film de r--
fascination hors de son propos, pour J.-M. Périer) et le débat qui a suivi
amorcer une tentative méta-linguistique: (2e chaîne. 31 janvier) ; Spectacle
la transposition visuelle de l'analyse Beckett (29 chaîne, 2 février, compre­
structurale. A ce point, nous nous nant notamment « Dis Joe » mis en
heurtons avec lui aux limites du dis­ scène par M. Mitrani et « Film », court
cours télévisuel (voire cinématographi­ métrage d’A. Schneider); Les Chambres
que). Pour que la transposition soit un de bonnes (J.-P. Gallo) et Le Café de
• système » autre — et non un redou­ province (J. Krier) in Cinq Colonnes
blement poétique — il faudrait que la à la une.
T.V. dispose d’un code spécifique de André Brincourt (« Le Figaro ») : La
l’image, c'est-à-dire d’unités qu’elle Forêt Noire (M. Cravenne) ; Le Règne
puisse opposer et combiner. Or ce de Pierre Guilhem (J. de Nesie) ;
69
liste des films sortit
du 14 ja n v ie r a

12 film s fra n ç a is Alexandre le Bienheureux. Film en couleur de Yves Les épisodes sont liés : a) plastiquement, par la
Robert, avec Philippe Noiret, Françoise Brion, Mar- course éperdue d'un bel athlète noir qui semble
léne Jobert, Antoinette Moya, Tsilla Chelton, Paul faire quelques détours superflus par les savanes
Le Person, Jean Carmet, Léonce Corne. — A p ro ­ les plus photogéniq ues pour arriver, essoufflé, à
pos du travail, est-ce te poin t de vue d'un honnête Olym pie ; b) littérairement, par des textes ampoulés
homme {« poin t trop n'en faut *), ou celui de la plus des nobles griots Senghor et Césaire. La parole de
haute subversion (• anywhere out of the w o rk ■) ? ce de rn ie r n'est malheureusement pas toujours,
Heureusement pour le film d'Yves Robert, peu im­ comme l'affirm ait Breton, aussi belle que l'oxygène
porte. Film à sujet (la paresse et l'inquiétude qu'elle naissant (plus proche ici du gaz sulfureux de la
engendre), mais nullement film à thèse, « Alexandre célèbre compagnie A lexis Léger Inc.) ; c) m usica­
le Bienheureux • est, pour son bonheur, un film lement, par Michel Magne (dur... dur...). Si indulgent
qui sim plem ent fonctionne — et dans ses meilleurs q u ’on soit p o u r les tentatives de mélange du docu­
moments, fo rt bien. C.tons comme e xe m p le : 1° de mentaire et de la fiction, comme pour les parcours
fonctionnem ent du décor, le plan, quasi dalien par diachroniques les moins lévistraussiens, on ne peut
son organisatio n d'un insolite à déploiem ent h o ri­ que s'in terro ge r sur la viabilité de l'entreprise, et
zontal, où Françoise Brion prend son mari, penaud, d é p lore r que la prise de la Cmématheque par B a r­
en flagrant délit de révolte ouverte au milieu d'un bin nous ait privé de l'exhaustive rétrospective
champ de potirons ; 2° de fonctionnem ent du dia­ du cinéma sénégalais que les efforts inlassables de
logue, la belle réplique, dans la bouche d'un ami Langlois allaient enfin nous perm ettre de ju g e r sur
navré par cette cure de sommeil dont il trouve pièces moins frelatées. — J -A. F.
l'exempla rité inquiétante : ■ Alexandre, tu fais tache
d'huile I » ; 3° de fonctionnem ent du gag, le chien Bérénice. Film de P.erre-Alain Jolivet, avec Anna
envoyé par Alexandre chercher le poivre, qui re ­ Gael, Bernard Verley, Jean Lescot, Josée Destoop.
vient, longtemps après, annoncé pa r un éternuement — V o ir dictionnaire du nouveau cinéma français,
hors champ. Gag qui, en lui-même, pourrait sembler n° 187, p. 59. Racine est dur à abattre : il restera
bien épais, si son élaboratio n toute gratuite n’en toujours quelque chose de • Bérèn:ce •, même mas­
faisait passer le laborieux au niveau du pur travail sacrée comme ici. Et pourtant, rien de pire ne
poétique. — S.P. pouvait arriver à ces amants sacrifiés que d'être
élus par P.-A. Jolivet pour faire ses armes au
Anémone. Film en couleur de Philippe Garrel, avec cinéma. Prétention et incapacité, bêtise et su ffi­
Anne-Aym one Bourguignon, Pascal Laperouzaz, M a u ­ sance form ent un sinistre concert, au travers duquel
rice Garrel. — V o ir Petit Journal (C om olli) n° 197, percent malgré tout quelques accents de la musique
p. 21, et critique dans notre prochain numéro. — racinienne. A utre musique, malheureusement dé­
L'adolescence par elle-même, saisie au plus juste de voyée sur ce terrain mouillé : la belle partition de
ses fantasmes et de ses hantises, de ses gestes et D iego Masson. Mais les deux réunies ne suff sent
de ses paroles, dans une lumière dramatique et tro u ­ pas à sauver l’ insauvable. — J.-L. C.
blante qui est déjà celle de la mémoire. L'équilibre
poétique du naturel et de la stylisation, incarné Caroline Chérie. Film en scope et coule urs de
notamment par un dialogue d'une merveilleuse Denys de la Patellière, avec France Anglade, B e r­
aisance dans l'audace — aisance réelle et non nard Blier, Jean-Claude Brialy, G ert Froebe, Fran­
acquise — compose un objet « irritant • sans p ro ­ çoise Christophe. — La prose des « press-book •
vocation, pathétique sans le recours aux ficelles de atteignant rarement une aussi percutante concision,
la dramaturgie. Des scènes comme celles du d ia lo ­ nous reproduisons intégralement la • prière d 'in ­
gue du père et de la fille devant le pot de miel, sérer • du film de La Patellière : « 14 Juillet 1789.
ou celle de la lecture du journal intime, rendent un Un jo u r mémorable pour Caroline de Bièvres. Non
son absolum ent neuf, qui ne doit nen aux réfé­ pour la prise de la Bastille mais pour celle de sa
rences que le film peut afficher par ailleurs. Tout vertu par le beau Gaston de Sallanches. Gaston...
se passe comme si nul problèm e (de mise en place, Le prem ie r homme à m urmurer dans son cou « C a ­
de diction, de jeu) ne se posait, comme si tous roline chérie... • Son prem ier cri de plaisir entre
étaient résolus d'em blée : Garrel pense, respire en deux coups de canon .. Il y en aura d'autres... Car,
images et sons comme peu avant lui dans le cinéma tandis que la guillotine fait le vide autour d'elle,
français d'aujourd'hui. Œ uvre de fra n c -t:reur, co n fi­ Caroline ne connaît qu'une sorte de supplice : celui
dentielle, juvénilem ent m ythologique ? Sans doute, de trou ve r un pla isir aigu entre les bras d ’hommes
mais évidemment prom ise à de surprenants déve­ pour qui elle n'éprouve aucun sentiment. Elle ne
loppements. Il faut com pter avec le rôle de ferment comprend pas comment c'est possible, mais les
et d'exem ple affirmé ici, avec force, insolence, et innombrables retournements politiques de cette
sagesse. — J.-A. F. époque folle se term in ent toujours pour elle de la
même façon : au lit. A moins que ce ne soit dans
Au pan coupé. Film en couleur de Guy Gilles, avec la paille, sur l'herbe ou sur la mousse, à cheval,
Macha Méril, Patrick Jouané, Frédéric Ditis, Bernard en voiture... Toujours des hommes qui, pour lui
Verley. — Regrettons que le prem ie r film de Guy sauver la vie, la caressent dans le sens de l'h is ­
Gilles ne soit pas sorti (* L'Am our à la mer »), syn­ toire. Caroline chérie, trop chérie, serrée de trop
thèse des ambitions de l’auteur, film inclassable et près par trop d'hommes, troussée à l'aube et au
Lerol).

inquiétant, bref film monstrueux donc fascinant. couchant, mourant de peur et de plaisir, payant
■ Au pan coupé ». lui, est classable (dans l'h o no ­ chaque jo u r à la République l’im pôt levé sur sa
beauté L’ impôt est lourd parfois comme le postillon
(F.

rable catégorie des films austères et littéraires)


mais, à l'in té rie u r même de ce cadre, il est un à culotte soufre qui la viole sur la paille et parfois
Gama

échec (dû en grande partie sans doute au redou­ léger comme le beau Boism ussy qui lui fait l'amour
table poids de Macha Méril). Mais, dans son échec à l'aube de son dernier matin. Un seul homme
Pop

même, le film continue de relever de la catégorie l'aura ennuyée en ces débuts orageux de sa vie
du monstrueux, donc du fascinant. Il faut savoir gré amoureuse. Mais elle a toutes les excuses : il s'agit
à Guy Gilles d ’aller toujours au bout de ses idées de son mari. Et ce Conventionnel s'intéresse plus
et de nous donner un ■ échec • qui nous console aux massacres qu'à la bagatelle. Il est vraiment le
de bien des « réussites ». — M.D. seul : si Caroline Chérie écrivait l'histoire de la
Révolution Française, il y aurait de jo yeux moments
Batouk. Film en scope et couleur de Jean-Jacques sur les bancs des écoles. Et pourtant cette inno­
M anigot. avec Judith Jamison, Lammesy. — A m b i­ cente aux mains trop pleines a le cœ ur pur quand
tieuse épopée m ythologique qui, de l'âge des c a v e r­ le 9 Thermidor vient mettre un terme à la Terreur.
nes jusqu'à la m ini-jupe actuelle, condense en On s'est bousculé sur son corps mais son amour
Ciném aScope l'histoire entiè re du continent africain. pour Ga9ton de Sallanches est resté intact. Et

70
) fé v rie r 1968

quand le soleil de Bonaparte se lèvera sur Cam po- Green, Albane Navizet, Pascal Aubier, Denis Berry.
Formio. les seins de Caroline généreusement d é co l­ — Recherche forcenée de l'im possible synthèse
letée par la mode nouvelle vie ndront recueillir la entre ■ M arty - et ■ Fenêtre sur cour • Confirm e
tête couverte de lauriers du Colo nel de Sallanches. le don de Polanski p o u r les idées dangereuses et
Le repos du guerrier... Un repos que C aroline saura monstrueuses, mais prouve, après * Aim ez-vous les
rendre, on s'en doute, épuisant. ■ fe m m e s? ■. que Polanski devrait g arder ses scéna­
rios pour lui puisqu'il est décidém ent le seul à
Casse-Tôte chinois pour le Judoka. Film en couleur
pouvoir leur conférer la force et le mordant qui ne
de M aurice Labro, avec M arc Briand, M anlu Tolo,
sauraient être le fait d'un sim ple illustrateur. Celui-ci
Heinz Drache, Maria Minh, Pala Tiller. — Compte
ne peut plus avo ir le choix qu'entre deux solutions
tenu des déplacements d'axes brûlants sur l échl-
bâtardes ou bien décrire complaisam ment une
q uier politique (la tension sino-soviétique ayant pris
laideur au prem ier degré, ou bien ram ener l'histoire
depuis quelques années le pas sur ]'américano-
vers une inoffensive ■ gentillesse du laid *. C 'e st ce
russe), c ’est un peu le sujet de ■ Docteur Stran-
qu'a fait ici Sim on, avec une touchante bonne
gelo ve ■. Ici, le chef d'une bande de fanatiques
volonté. — M.D.
chinois (/oué par un François M a islre en bonne
forme) projette d'envoyer un d é fin itif missile sur La Louve solitaire. Film en couleur de Edouard Lo-
la Russie, via un Américain drogué. Un assez in s i­ gereau, avec Danièle Gaubert, Michel Duchaussoy,
pide assaisonnement to u ristico -p olicie r enrobe ce Julien Guiomar, Carole Lebel, Sacha Pitoeff. —
grand sujet, mais un point mérite d'être souligné. Sym pathique par princip e, l'idée de renouveler la
Labro, ayant opté, après une période intim iste (de veme la plus sinistre du cinéma commercial d 'a u ­
1947 à 1956 environ, soit de - Trois Garçons et une jo urd'hui par le recours aux m ythologies prem ières
fille » a • On déménage le colonel •) pour le mega- (M usidora), fût-ce en empruntant, pour cela, aux
espionnage (« Coplan prend des risques », - Corrida romans de Sain te-Aube. Com m ent rater la plastique
pour un espion •), il n'en garde pas moins le goût d'un plan où une femme en collant noir survole en
d'un fam ilier pour lequel il semble décidément plus plein ciel une réception mondaine, en équilibre sur
doué. N otre judoka, qui serait surhomme en la p re ­ un mince filin ? Logereau répond à cette question,
mière période, qu'est-il, à l'ère technolo gique, parmi et à quelques autres. — J.-A. F.
missiles, gadgets et lasers (même accumulant les
dan par douzaines) sinon un Boniface, et aussi som ­ Pop Game. Film de Francis Leroi, avec Gaetane
nambule ? — J.N. Lorre. C hristian Beau, Daniel Bellus, Bernard Léo­
Le Démoniaque. Film en couleur de René Gainville. nard, Claude Givray. — V o ir article de Francis
avec Anne Vernon, François Gabriel, Jess Hahn, Leroi, n° 187, p. 46, notule du dictionnaire des
Claude Cerval, Geneviève Grad. — M algré une nouveaux cinéastes français, même numéro, p. 60 ;
bonne intention et un scénario à ressorts, malgré compte rendu de Hyères (Com olli), n° 190, p. 60,
des références et la présence de Jess Hahn, un et encart « Semaine des Cahiers * (Bensard).
pâle dé sir de v o ir le réalisateur sortir? de ce funeste n° 195. C ritiq ue dans un prochain numéro. —
bourbier s'empare du spectateur indulgent. Finale­ Comme plusieurs films de très jeunes cinéastes
ment, le cas de ce jeune homme « démoniaque * ne éclos en 1967 (Philippe Garrel, Jaime Semprun...)
nou3 émeut pas, sa haine du milieu ciném atogra­ - Pop Game ■ importe avant' tout pa r le fait de
phique, nous ne la partageons pas, sa p sychologie son existence même : preuve et témoignage d'une
exaspère plus qu'autre chose, tandis qu'on p ré fé ­ liberté nouvelle devant le langage cin ém atographi­
rerait que s'installe un documentaire sur le festival que (aisance naturelle de la caméra comme du
de Cannes. Le cinéma ne réside ni dans la velléité montage), comme devant l'épouvantail de la Pro­
ni dans le compromis. — P.-L. M. duction (* combinées ■ diversem ent mais également
efficaces pour tourner à tout prix). Comme tous
L'Etrangère. Film en couleur de S e rg io Gobbi, avec
ces films encore, il frappe dès l’abord par sa sin ­
Marie-France Boyer, Pierre Vaneck, C olette Castel,
cérité — naïve, ou recréée, ou les deux — et par
Jacques Maire, Pierre Massimi. — Une jeune femme
une habileté surprenante à jouer, indépendamment
qui s'invente des poursuivants (mais ils existent),
de toute ■ mise en scène -, des deux matériaux les
tout en fuyant ses propres fantasmes, un écrivain
plus im médiatement accessibles (mais pas les plus
spécialiste de Nerval qui vivra it sans s'en douter
sim ples pour autant) personnages et langage.
l'aventure de son auteur favori, les colom bes de la
Sur ses personnages, Leroi a conscie mm ent réalisé
fo lie qui ponctuent les rencontres amoureuses,
une sorte de reportage (dont la justesse est à la
apparitions et disparitions sans avertissement, héla3
fois grâce et roublardise), essayant délibérém ent
non, nous ne sommes ni chez Franju ou Delvaux,
de les faire e xister en se contentant de les laisser
ni du côté de la ■ cassure ■ chère à Jean Pierre
vivre et parler Car • Pop Game ■ est surtout un
Faye. Plus encore que dans ses bandes policiè res,
film sur la parole ; non la parole du commentaire,
se confirm e ici l'im possibilité pour G obbi à traquer
ni celle de la poésie, mais la parole de pure com ­
et o b ten ir cette « aura • que, reconnaissons-le, il
munication : mensonges de la parole la plus sin ­
pourchasse du moins de film en film. Tout s'infléchit
cère (« T u as peur que je te fasse un e n fa n t? Tu
très vite vers les pire3 facilités (effets optiques,
me prends pour un salaud ? • — et c'est p ré cisé ­
incessant ronron musical...) p o u r aboutir à un verre
ment le cas trois plans plus loin), vacuité de la
brisé qui ne coupe, ne blesse, ne reflète rien, ni
parole (les flots de g rossièretés « p o u r rien ■). Et
personne. — J.N.
le « jeu sans règle • en question (prem ier titre du
La Fille d'en face. Film en couleur de Jean-Daniel film) n'est-ce pas, précisément, celui du langage ?
Simon, avec Bernard Verley, Joël Barbouth, Marika J.A.

12 film s a m érica in s After the Fox (Le Renard s'évade à trois heures). V icto r M ature superbe en • has been hollyw oodien -,
Film en scope et couleur de V itto rio de Sica, avec donc dans son propre rôle. Le mélange des gen­
Peter Sellera, B ritt Ekland, V ic to r Mature, Martin res, l'agressivité du scénario et une couleur locale
Balsam, Akim Tamiroff. — Le principe môme du vitrio lée à plaisir, tout cela déconcerte trop pour
film est discutable : Sellera + De Sica + un faux ne pas intéresser. — P B .
bon script -I- des figurants italiens. M ais ce que
De Sica avait raté le plus souvent avec « Sept Bonnie and Clyde (Bonnie et Clyde). Film en co u ­
fois Femme •, il le retrouve ici, dans son pays leur de A rth u r Penn, aved W a rre n Beatty, Faye Du-
natal, par Instants : un réalisme populaire, envahis­ naway, Michael J. Pollard, Gene Hackman, Estelle
sant, et que brise à chaque Inatant le cabotinage Parsons. — V o ir entretien avec A rth u r Penn, et
éhonté de Peter Sellers, ici pleinement justifié, ou notule (Labarthe), n° 196, p. 30. V o ir critique dans

71
un prochain numéro. — Variations structurales sur de vampires. Enfin, un tel genre (Polanski pensait
le Principe du Couple, mais qui doit davantage à à ce projet depuis des années) représente en lui-
• Viva Maria » ou A b b o tt et C ostello qu’à « B r i­ même la métaphore absolue du sujet fondamental,
gitte et Brigitte • ou Laurel et Hardy. En outre, pour ne pas dire l'obsession, de l’auteur : la po s­
c'est réalisé par un M elville qui n'aurait même pas session brutale, avec cris, résistance, morsure, en
l'excuse de l'ahurissement. L'époque (roaring un mot le viol. La scène, étonnante par sa su rve ­
twenties) est simple et roublard prétexte au déchaî­ nue et sa sauvagerie, du Prince-Vampire au mo­
nement d'une violence aussi aseptisée que rentable, ment du bain de la belle, réussit à en dire sexuelle­
qui flatte doublement le public en se basant sur la ment plus long que des films moins évidemment
convention la plus usée tout en se parant du mas­ paraboliques, comme • Répulsion • ou « Cul-de-
que de toutes les fausses audaces. Par ailleurs, le sac - : ce qui (saut sur la fille, mousse, giclements
réalisateur méprise ses personnages qu'il traite d'eau) serait en de tels films symboles ou syn e c­
comme des demeurés. — M.D. doques devient i c i (allusions sur métaphore jouant
comme moins par moins pour faire plus) effets
The Comedians [Les Comédiens). Film en scope et directs et totaux. — J.N.
couleur de Peter Glenville, avec Elizabeth I aylor,
Richard Burton, Peter Ustinov, A lec Guiness. — Follow me Boys (Demain... des Hommes). Film en
M algré sa mollesse et sa durée, le film parv.ent a couleur de Norman Tokar, avec Fred Mac Murray.
intéresser un peu par l'accumulation de curiosités Vera Miles. LilLan Gish, Charlie Ruggles, W iIlis
diverses : par le script d'abord (de Graham Greene, Bouchey — Par leur para-militarisme, les boy-
et par les correspondances qu'on ne peut manquer scouts sont p.’us inquiétants que rassurants, aucune
d'établir avec • Un Am éricain bien tranquille *) ; raison donc de conseiller cette récente p ro d u c­
par l'étrange divorce entre les précisions géogra­ tion Disney enlisée dans une fausse bonhommie
phiques, historiques et politiques données (très familiale — P B
polémiques : Haïti, Duvallier, Tontons M acoutes) et
l'irréalisme forcené de leur mise en œuvre (dû en Rage (La Rage de survivre). Film en couleur de
partie au tournage au Dahomey : rarement a-t-on G ilberto Gazcon. avec Glenn Ford, Stella Stevens,
eu autant l'im pression d'un pays imaginaire) ; par David Reynoso. — Micogyne, ivrogne, un médecin
le décor exotique, parfois heureusement rendu (par surcroit de malchance) est mordu par un chien
(hôtel, végétation, etc. évoquant aussi bien La Réu­ enragé, quelque part dans un désert mexicain.'
nion ou la M artinique) ; par les acteurs enfin, B u r­ Commence pour lui une double course contre la
ton évidemment, plus nonchalent que jamais, mais mort : pour se g uérir de la rage, mais aussi du
aussi Guiness, dans un rôle de bidoniste à sa dégoût de vivre. Le m eilleur du film est dans le
mesure, et surtout Lilian Gish dont chaque a ppari­ tabieau d'un campement d'ou vr ers et la visite que
tion ne peut qu'e nrichir la scène de m ultiples et leur font une troupe d ' « actrices ». — J -L. C.
émouvantes connotat ons. Elizabeth Taylor, elle, est
très sous-employée. La terreur créée par les T on­ The Return of the Gunfighter (Le Justicier de l'Ari-
tons est parfois réelle (meurtre dans la salle d 'o p é ­ zona). Film de James Neilson, avec Robert Taylor,
ration, scène du cim etière) et les épisodes adultè­ Chad Everett, Andra M artin , Lyie B eitger — Les
res sur l'autoroute engendrent un certain malaise. héros sont fatigués et Robert Taylor joue ici les
La photo, impersonnelle et un peu sale, de Decae, redresseurs de torts aux tempes grises. Mais étran­
lie l'ensembie en accusant à sa façon l’impression gement, des notations particulièrem ent justes dans
générale de distance A noter enfin que le discours le scrip t, un réel climat « série B • et un resserre­
terminal de Burlon aux noirs qui ne comprennent ment constant de l’intrigue, dû au côté spécial TV
goutte à ce qu'il dit, et l’applaudissent alors qu'il du film lui donnent quelque efficacité. — P.B.
les insulte, ne manquera pas d'évoquer, pour sept
personnes au moins, l'humour spécifique de Su9umu The Secret W ar of Harry Frigg (Evasion sur Com­
Ham dans ■ Bwana Toshi *. — J.-A. F. mande). Film en scope et couleur de Jock Smight,
avec Paul Newman, Sylva Koscina, An d re w Duggan,
Far from the Madding Crowd (Loin de la Foule Tom Dosley, John W illiam s. — Déception complète.
déchaînée). Film en scope et couleur de John ■ Harper ■, il y a deux étés, avait fasciné par ses
Schlesinger, avec Julie Chnstie, Alan Bâtes, Te­ qualités rythmiques, alors en disparition dans le
rence Stamp, Peter Finch, Prunella Ransome. — cinéma américain. Avec * Kaléidoscope », le
La M .G.M. voulait que ce fû t un second ■ Gone Sm ight suivant, il ne s'agissait malheureusement
with the W ind *. Encore aurait-il fallu choisir q u e l­ plus,' toute élaboration disparaissant, que d 'e ffica ­
qu'un d ’autre que le malheureux Schlesinger qui cité. Dans ■ Evasion sur Commande -, ni l‘un m
se tire parfois honnêtement d'une scène, mais se l'autre. C 'e st' lent, ennuyeux, il n'y a qu'un plan
confirm e totalement incapable de les raccorder les là où il en faudrait dix. — S.R.
unes aux autres. Reste un documentaire de qua­
lité, pénible au début, mais qui se bonifie sur la Valley of the Mystery (La Vallée du Mystère). Film
durée (trois heures), sur l'A n g le te rre du XIX”. P.B. en couleur de Joseph Leytes, avec Fernando Lamas,
Julia Adams, Rodolfo Acosta, Richard Egan. Peter
The Fearless Vampire Killers (Le Bal des Vam ­ Graves — Avion contraint à atterrir, microcosme
pires). Film en scope et couleur de Roman Polanski, humain, tueur et flic, explorateur, blonde, etc. Nous
avec Sharon Tate, Jack Me Gowran, A lfie Bass, connaissons le caneva9. Seul manque à l'appel
Fredy Mayne. Voir critique dans notre prochain nu­ Tarzan que l'on s'attend à vo ir su rg ir à chaque
méro. — Film-ecchymose, virant incessamment de instant. — P.B.
teinte et de ton, du Iivida au verdâtre, du violacé
(des nez gelés) au carmin (des pommettes d 'a lco o li­ W a it until Dark (Seule dans la Nuit). Film en cou­
ques), du plombé (des vam pires en fête) au blafard leur de Terence Young, avec Audrey Hepburn, Alan
(des victim es saignées), mais toujours dans le non- Arkm , Richard Crenna, Jack Weston, Efrem Zim-
aimable, quand ce n'est pas le franc déplaisant. balist jr. — A prem ière vue, un film s i m p l e et bien
Entre la pauvre enluminure populaire et les fastes fait, où tout concourt à la vie d'un scénario e xtrê ­
apeurés d'Ensor. Au lieu de se livrer (ce qui n'eût mement bien ficelé, dont tous les éléments s’ im­
manqué d'être détestable facilité) à la parodie d'un briquent sans défaillance logique : l'héroïne (den­
film de vampire, Polanski a fixé, cristallisé, objectivé rée hautement clandestine), entraine l’idée de ca­
la part de grotesque inhérente à ce genre, en la chette, laquelle suggère celle d'inattendu simple. La
personne de deux silhouettes pitoyables (lui-même faille in troduite par les circonstances amène l'idée
se réservant avec beaucoup d'hum ilité la part la de biais (la poupée passée au photographe), lequel
moins flatteuse) qui jouent volontairem ent comme biais introduit à proprement parler le corps p rin ­
des héros de bande dessinée de troisièm e ordre. cipal du récit (la femme du photographe est aveugle
Les scènes de vampirism e acquièrent, de cette et ce qui s'ensuit). Mais ce qui fait l'intérêt du
pauvreté du niveau de référence, d'autant plus de film de Terence Young, c'est que cette sorte (très
force qu'elles surviennent sur fond de rire avorté courante) de m ononucléisme diègétique soit ici
et non d'ennui comme dans la plupart des films étrangement minée par deux ordres de perturba­
tion9. D[abord un côté criard, bariolé, trop riche moins finalement l’attention du spectateur que par
de ce scénario, dû à un chrom atisme trop violent exem ple la question : « Puisqu Audrey Hepburn a
de chaque élément de la diégèse et qui met le film, connu son mari une fois aveugle, comment a-t-elle
au niveau même du récit, en état, pour ainsi dire, su (pa r la vo ix ?) q u'il était aussi séduisant
|g s o lita ire

de pléthore. Ensuite, le fa it que ces éléments a ppar­ q u'E frem Z im b a list Jr ? -. — S.P.
tiennent aux domaines bien distincts du ■ p o licie r ■
et du ■ document humain ». C a r de cette collusion
naît, non seulement une dynamique de récit très Wlll Penny (Will Penny le Solitaire). Film en co u ­
Ptnny

subtile du trouble sur le trouble (on précise bien leur de Tom Gries, avec Charlton Heston, Joan
q u 'A u dre y Hepburn n’est aveugle que depuis un an. HackeN, Donald Pleasence. Lee Majors. — Le
que. par conséquent, le désarroi — à surm onter — rou8seauisme est chose rare dans le cadre wester-
Will

était déjà son lot) mais encore le film s’en trouve men : à noter un étrange sentim ent de la nature
gagner une passionnante ouverture vers un ailleurs et la très réelle im pression de « temps ■ grâce à
(un avant, un après) que ce qui constitue le noyau une belle évocation de la fuite des saisons. Tom
du récit. Il est même assez e xtraordinaire que cette G ries a appris son m étier à la TV. Sig ne prom etteur
invraisem blable histoire de gangsters requière pour l ’avenir. — P.B.

11 f i l m s italiens Una Bara por lo Sherlff (Un cercueil pour le Shé­ C hristian Gajonl. — Espionnage à gadgets, p a rfa i­
rif). Film en couleur de M ario Cajano, avec A n th o ­ tement de série, prenant pour prétexte à ses m ul­
ny Steffen, Fulvia Franco. — La trame (un homme tiples couraes-poursuites la tré so r secret (en fausse
s ’ introduit dans une bande de hor3-la-loi pour y monnaie) d ’Hitler. Le héros est un benêt toujours en
retrouver celui qui viola et assassina sa femme) retard de trois traîtres su r le spectateur. On ne
entretie nt de vagues rapports avec ■ Rancho Noto- p arvient pas à d istin g ue r le travail de la seconde
rious ■. Us se détériorent très vite. — R.C. équipe de celui de la première. Peut-être n'y en
a-t-il qu'une 7 — J.-A. F.
Il Cobra (Le Cobra). Film en couleur de M. Sequi,
avec Dana Andrews, Peter Martell, Anita Ekberg, Per il Gusto dl uccidere (Lanky, l’Homme à la C ara­
Elisa M ontes Jésus. — Ce cobra est un vie u x ser­ bine). Film en couleur de Tonino Vale ri, avec C raig
pent de mer : les C hinois décidant d 'asse rvir l'O cci- Hill, G eorge Martin, Fernando Sancho. — Tout ce
dent par l'im portation massive d ’opium. C 'é tait qu'on peut faire de pire dans le western (et ail­
com pter sans la vigilance U.S., incarnée par un leurs) Lanky l'ose. — R.C.
Dana Andrews semi-gâteux, prés de qui Droopy
ferait aisément figure de foudre de guerre. J -A. F Poker di Plstole (Poker au Colt). Film en scope et
c o u le ur de Joseph W arre n (G iuseppe Vari), avec
Voltati ti uccido (Un fusil pour Deux Colts). Film G eorge Eastman, Jorge Hilton, Annabella Incon-
en scope et couleur de Al Bradley (Alfonso Bres- trera, D ick Palmer. — Fausse monnaie, agents se­
cia), avec Richard W yle r, Fernando Sancho, Eleo- crets, tortures, effets visuels hérités de Leone, ce
nora Bianchi, C onrado Sanmartin. — A gitations cinéma fait de l’image comme les jo urnalistes font
autour de la mine du vieux Sam, que convoite de la copie. — ■ J.-A. F.
l’ignoble Ted. Ted utilise des tueurs, dirigés par
El Bicho. Survient Billy, œil frais et gâchette alerte, Pour un Dollar de Gloire. Film en scope et couleur
qui remet tout en place. — R.C. de Fernando Cerchio. avec B ro d e rick Crawford,
Elisa M ontes. M ario Valdemarin. — La solidarité,
Kriminal (Kriminal). Film en scope et couleur de l'amitié, ou autres valeurs décadentes d'une société
Um berto Lenzi, avec Glenn Saxon, Helga Line, fo n dé e sur l'unique m ultiplication de l'infamie, re ­
Andréa Bosic. — Dans son collant noir imprim é trouvent toujours dans les films les plus pourris,
d'un squelette, Krim inal accom plit un périple to u ­ leur lieu d'électio n. — P.-L. M.
ristique et sentimental qui le ramènera, par la
trahison d'une femme, à son po in t de départ : la Prima délia Rlvoluzlone (Avant la Révolution). Film
prison de Londres. Lenzi respecte scrupuleusem ent de Bernardo Bertolucci. V o ir article de Jean Narboni,
le schématisme de la bande originale, m obilisant n° 157, p. 30 ; compte rendu de Cannes 64 (M oul-
tout son savoir-faire pour les rebondissements. let) n® 156, p. 1 8 ; entretien avec B. Bertolucci,
Comme il y en a un toutes les sept minutes, on n° 164, p. 30 : « Le cinéma de Poésie » (Pasolini).
comprend qu’il se fatig ue vite. — J.-A. F. n° 171, p. 6 0 ; « L e s 3 â g e s * (Narboni), n° 178.
p. 59 : • Trois films en un ■ (Duboeuf), n° 108.
Mon Nom est Pecos. Film en couleur de Maurice p. 49 ; et passim... V o ir en outre critique dans ce
B right (M a u n zio Lucidi), avec Robert W oods, Peter n° p. 67 ; et autre critique dans un prochain numéro.
Carsten, K rlstine Josani. — Que ce w estern fasse
partie d ’une série de télévision n ’eBt pas ce qui Sigma 3 Agent Spécial. Film en scope et couleur
le déshonore. A p o rte r même au crédit de cette de Tiziano Longo, avec Jack Taylor, Sylvia Solar,
finalité franchem ent consom m atrice le côté plutôt Diana Martin. — M algré ses prétentions à lutter
bien fait du film. — J.A. p our les causes nobles, Sigma III n‘a rien d'un bon
bougre. Ses luttes restent petites et son e sp io n ­
La Morte paga in dollari (La Mort paye en Dollars). nage mesquin. Sa bon ne amie a beau s ’être Infiltrée
Film en scope et couleur de i. Lee Donah, avec dans les secrets du pouvoir, cet agent spécial
Stephen Forsyth, Jacques Ary, Dom inique Boschero, n'est qu'un flic ordinaire. — S.P.

4 f i l m s anglais Asaignment K (Services Spéciaux... Division K). Robbery (Trois Milliards d’un Coup). Film en c o u ­
Film en scope et couleur de Val Guest, avec Ste­ leur de Peter Yates, avec Stanley Baker. Joanna
phen Boyd, Camilla Sparv, Michael Redgrave, Léo Pettet, James Booth. — Le film est très Inférieur,
Me Kern, Jeremy Kemp. — Le scénario plagie sans en charm e et en efficacité, au « G reat Train Rob­
vergogne • Ipcress » et. Stephen Boyd n'ayant pas bery . de Porter, e t en suspense, à la le cture du
coup.

l'hum our de Michael Caine. le film ne peut réjouir h old-up dans les journaux qui relataient au jo u r le
que les membres du M. 15. ■— P.B. jo u r l'événement. L 'extraordinaire mécanique inven­
d'un

tée pa r Paul C lifto n se banalise ici en un quel­


How I won the W ar (Comment j'ai gagné la guerre). conque fait divers. — J.-A. F.
Film en couleur de Richard Lester, avec John Len­
milliards

non, M ichael C raw ford, Roy Kinnear, Jack Me Gow-


ran. V o ir critique dans notre prochain numéro. — Take Her by Surprise (Prends-la par Surprise). Film
Tous les trucs et recettes d'une revue de comique de John Somerset, avec Nuel Beckett, Joan Arm-
troupier qu'on aurait tenté d'actualiser en lui injec­ strong. — Un trafiquant de drogue se sert d'un
tant quelques p oncifs dans le vent, à base de d é ri­ rep ris de justice hypnotisé pour assassiner (et
sion et de parodie. Retenons quand même les quel­ accessoirem ent viole r, d ’où l’injonction du titre) une
ques (rares) plans de John Beatle Lennon, ici fo u r­ gênante conjointe. C rapuleux et malsain à souhait.
voyé. — M.D. A d é co n s e ille r pourtant. — S.P.

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3 f i l m s a llem a n d s Die Parallelstrasse (La Route Parallèle). Film de par son existence la réalisation d’un autre film sur
Ferdinand Khittl, avec Friedrich Joloff, Ernst M ar- cette même idée. A vo ir absolument, mais une
beck, W ilfrie d S chropfer, Henry van Lyck. — V o ir seule fois. — J.A.
compte rendu de Knokke 1964 (W eyergans) dans le
n° 152, p. 49, de Cannes 1964 (Moullet), n° 156, Pension Clausewitz (Pour Messieurs seuls). Film de
p. 15, et de Bordeaux 1967 (S. Pierre), n° 197, Ralph Habib, avec W olfgang Kielm g, Anna Gael,
p 18. Critique dans un prochain numéro. — Rien Maria Vincent, Maria B rockerhoff. — Concurrence
n ’est épargné pour acquérir la participation active sexuelle et politique entre l'Est et l'O u est à Berlin;
du spectateur, d'abord intrigué par cette m ysté­ à l'intérieur des murs honteux d'une maison close.
rieuse épreuve de classement à relents kafkaïens, Comme quoi la pornographie est la contin uatio n de
puis se prenant au jeu de problém atiques c o rre s­ la politique par d'autres moyens. Ou l'inverse... M.D
pondances entre les divers « documents -, enfin,
tenu en haleine par le suspense du « contre la Les Premières lueurs de l’aube (Plaisir Pervers).
montre » terminal Sur ce plan de l'efficacité, le pari Film de José Bénazéraf. avec Helmut Fübacker, S o ­
est donc gagné : grâce à l'ostensible étrangeté (et nia Zyman, Eva Christian. — Cette fondamentale
parfois la réelle beauté des stock shots utilisés), et duplicité : poésie-perversité, mène le film. Est d é si­
au parti d'austérité presque agressive pris par Khittl gné un monde pourri dont une entraineu9e voudrait
dans les séquences de « délibérations ». un ré 2 l bien s o rtir et dans lequel un policier, fasciné, vo u ­
sentiment de fantastique et d ’incertitude totale finit drait bien rentrer. Tout cela est loin d e tr e nul.
par nous gagner. Le film n'est pourtant, une fois Remarquons enfin une certaine tendance bénazera-
savourées les joies de cette exemplaire p articipa­ fienne à laisser la caméra demeurer, insister,
tion, qu’un objet clos, qui, usant jusqu'à la corde comme pour indiquer des absences ou I Absence ?
l'idée de départ, a pour principal mérite d 'interdire P.-L. M.

2 f i l m s ru s s e s Le Fascisme Ordinaire. Film de montage de Mikhail des films de montage (pour s'avérer d'ailleurs le
Romm. — Le principe est rouchien. Un homme — plus souvent hypersignifiants larmoyants,
M khail Romm — commente des documents, comme • poétiques » ou démagogiques) n'ont ici plus droit
Robinson, Petit Ju'es ou Lemmy Caution. Il s’ensuit au chapitre. — J N.
le film le plus extraordinairem ent virulent, acerbe,
démystifiant réalisé sur le nazisme. Gai et fa cé ­ Guerre et Paix (Quatrième époque : L’Année ter­
tieux, co rro s if comme l’eau régale. Le troisièm e rible). Film en scope et couleur de Serge Bondart-
Reich ayant érigé l'un des plus monumentalement chouk. avec Ludmila Savalieva. Serge Bondart-
monstrueux spectacles de l’Histoire, un homme juge chouk, V. Tikhonov, B. Zahova. — Au terme de
ce spectacle, l'interroge et le trouve mauvais, laid, sa gigantesque entreprise, B ondartchouk parachève
répugnant, en dénonce les ficelles, les trucs et les l'ensemble avec encore davantage de moyens que
abjections. Le film est de parti pris absolu, et précédemment, et en grossissant aussi, pendant
- de parti gardé {l'ironie, toujours contestable à p e ti­ qu'il y est, tous les défauts qu’ il m anifestait déjà
tes doses, devient, à se p rolonger ainsi, fu stig a ­ mais aussi les qualités, basées sur une emphase
tion implacable). La pudeur, la neutralité, l’o b je c­ sous-hugolienne (ou gancienne) à laquelle on ne
tivité, ces tartes sèches qu'am bitionnent la plupart peut refuser un certain charme. — M.D.

1 f i l m grec Nehri to plio (Jusqu'au bateau). Film de Ale xis Da­ p. 16 ; et compte rendu de Salom que (Comolli).
mianos. — V o ir entretien avec A. Damianos, n° 197, n° 190, p 58. V o ir critique dans ce numéro, p. 61.

1 f i l m suédois Ja Gar Nifiken (Je suis Curieuse). Film de V ilgo t p 9, et critique dans ce numéro, p. 63
Sjoman. — V o ir Petit Journal (Andersson), n° 196.

1 f i l m h ongrois Nideg Napok (Jours Glacés). Film en scope de An- sonniers pour « crimes de guerre », Kovacs échoue
dras Kovacs, avec Zoltan Latinovits. Ivan Darvas, à rendre le présent mais non a restituer et actua­
Adam Szirtes. M arg it Bara, Eva Vas. — V o ir c riti­ liser fortem ent le « passé » : le contenu même des
que dans un prochain numéro. Somme ds refus, sur récits Ainsi les actes pèsent-ils plus que les d is­
un sujet convoquant naturellem ent tous les poncifs. cours, mais n'est-ce pas m ie u x 9 — J.-L. C.
Jouant avec les temps et les récits des cinq pri-

1 f i l m brésilien Terra em Transe (Terres en Transes). Film de Glau- vent littéralement dans le plan sous form e de g e s ti­
ber Rocha, avec José Lewgoy, Jardel Filho, Glan- culation, de p rolifération ou de magnificanon des
che Rocha. V o ir compte rendu de Cannes 1967 personnages, et même entre les plans, par l'effet
(Daney), n° 191, p. 4 8 ; texte de G lauber Rocha d'un montage fondé sur ces trois dynamiques.
(« L e cinéaste tri-continental •). n° 195, p. 3 9 ; en­ Reste à savoir si cette parfaite cohérence du signi­
cart ■ Semaine des Cahiers • (Aumont), dans le fié au signifiant, qui donne au film ce qu’on pourrait
même n°. V o ir critique dans un prochain numéro. appeler une « tenue » esthétique indiscutable, atteint
— Film construit sur trois thèmes essentiels .- l’agi­ réellement à cette folie organisée à laquelle le film
tation, la confusion, l’élan. Eléments qui se trou- prétend. — S .P.

1 f i l m suisse Un Médecin constate. Film d 'Alexander Ford, avec et de séquences prétendues « osées ■ (césarienne,
Tadeus Lomnicki, Sabine Bethmann, M argret Neu- réanim ation). Vaine tentative d 'introduire un p a ra ­
haus, Sepp Zuger. — M ixte de débats bavards sur mètre supplém entaire par la couleur (en noir et
J'avortement, les méthodes anticonceptionnelles, etc. blanc la morale, en rouge le sang). — J.N.

1 f i l m au trich ien Ski Faszînation (Ski Fascination). Film en scope et Trento ■, n° 153) : les caméras continuent à tour­
couleur de W illy Bogner. — A tteint quant à la ner en catastrophe pendant l’avalanche qui em por­
première partie les plus hautes cim es du sexto- tait Barbi Henneberger et Bud W erner. Le reste est
gradisme cher à M oullet (voir « Nécessité de spectacle sans risque. — R.C.

Ces notes ont été rédigées par Jacques Aumont, P a trick Brion, Jean-Louis Comolli, Ralph Crandall,
Michel Delahaye, Jean-Andrè Fieschi, Paul-Louis M artin, Jean Narboni, Sylvie Pierre et Sébastien Roulet.

A b o n n e m e n t s 6 num éros ■ Franco, U nion française. 36 F - Etranger, 40 F. 1 2 n u m é r o s ; Francs, U nion française, 6 6 F - Etranger, 7 5 F. L ibrairies,
E t u d i a n t s , C i n é - C l u b s : 5 8 F ( F r a n c e ) e t 6 6 F ( E t r a n g e r ) . Ces remises de 1 5 i % ne sc cumulent pat.
Aneions numéros < s a u f s p é c i a u x l 5 F ■ Anciens numéros spéciaux ( e n v o i e d ' é p u i s e m e n t ) : 10 F . Les an cien s n u m éro s des C ahiers du C in é m a sont
e n v e n t e à n o s b u r e a u x [ 6 3 . a v . d e s C h a m p s - E l y s é e s . P a r i s - 8 ' ' , 3 5 9 0 1 - 7 9 1 . a i n s i q u ‘o la L I B R A I R I E D U M I N O T A U R E ' 2 . r u e d e s B « a u * - A r t s . P a r i s - 6 ' ’,
0 3 3 7 3 - 0 2 1 . Port : P o u r l ' é t r a n g e r , 0,25 F e n s u s p a r n u m é r o . Numéros épuisés : 1 à 5 . S o 1 2 , 1 6 à 7 1, 7 4 , 7 5 . 7 8 à £ 0 . 8 5 , 8 7 à 9 3 . 9 5 . 9 7 .
9 9 , 1 0 2 à 1 0 4 , 1 1 4 , 1 2 3 , 1 3 1 , 1 3 8 , M 5 à 1 4 7 , 1 5 0 / 1 5 1 . Tables des matières : N o * 1 à 5 0 , épuisée; N ° » 51 à 1 0 0 . 5 F; N ° > 1 01 à 1 5 9 . 12 F.
L e s e n v o i s et ( ' i n s c r i p t i o n d e s a b o n n e m e n t s s e r o n t f a i t s d e s r é c e p t i o n d e s c h è q u e s , c h è q u e s p o s t a u x o u m a n d a t s a u CAHIERS D U CIN EM A , 63. av. des
Cham ps-Elysées, Paris-8*. tél. 359-01-79 - C h è q u e s p o s t a u x 7890-76 Pans
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u n i q u e m e n t lo rs q u 'ils s o n t a c c o m p a g n é s d u r è g l e m e n t.

E d i t é par l e s é d i t i o n s d e T E t o i l e - S . A . R . L . a u c a p i t a l d e 1 6 0 0 0 F - R . C . S e i n e 5 7 B 1 9 3 7 3 - D é p ô t à la d a t e d e p a r u t i o n - C o m m i s s i o n p a r i t a i r e n o 2 2 3 5 4
I m p r i m é p a r P . P I., 2 6 . r u e C l a v e l , P a r i s - 19* - L e d i r e c t e u r d e l a p u b f i c a t i o n : F r a n k T enot.
Toute technique évolue...
y compris celle de la garantie

C o m m e son a rrière-g ra n d -p ère , l'h o m m e de 1968 so uscrit des con tra ts d 'a ssu ra n ce. M ais
ces c o n tra ts so nt adaptés a ux circonstances actuelles. Ils a cco rd en t des g a ra n ties illim i­
tées . Ils ne c o m p o r te n t p as de déclaration de capitaux.

L’h o m m e m o d e r n e s'adresse à

La Compagnie Française du Phénix


fondée en 1819
mais toujours à Tavant-garde du progrès technique

Ses références le p r o u v e n t :
C'EST LA C O M P A G N I E D'A SSU R A N CES DU CINÉMA
ET DE L'ÉLITE ARTISTIQUE FRANÇAISE

33, R U E LA F A Y E T T E - P A R I S I X' * 8 7 8 98 90
SERVICE P . A. I. POUR PARIS - P . R. I. POUR LA PROVINCE

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