Rahhal
Rahhal
RÉSUMÉ
Cet article présente une vue globale du contexte géologique et sismique du Liban, et en particulier de la grande ville de
Beyrouth. L’étude s’intéresse notamment au risque de liquéfaction des sols dans quelques régions de la ville. Ce problème
est d’autant plus important qu’il existe des dépôts granulaires non densifiés sur le littoral. Dans le but de contribuer à une
meilleure compréhension des méthodes d’évaluation du potentiel de liquéfaction, deux dépôts représentatifs sont analysés à
l’aide de deux méthodes différentes. Ces deux méthodes sont basées sur l’approche de la contrainte cyclique: la première
considère l’essai SPT et la deuxième l’essai CPT. Les facteurs de sécurité contre la liquéfaction sont comparés en termes de
présence de particules fines et de résistance du sol.
ABSTRACT
This paper presents a global view of the geologic and seismic setting of Lebanon, and particularly of greater Beirut city. The
study is especially concerned with the soil liquefaction risk in some areas of the city. The problem is very important since
granular loose soil deposits exist along the coast. In the aim of contributing to better understand the liquefaction potential
evaluation methods, two representative soil deposits are analyzed using two different methods. These two methods are
based on the cyclic stress approach: the first one considers the SPT test and the second the CPT test. The calculated factors
of safety against liquefaction are compared in terms of the presence of fine particles as well as the soil strength.
1. INTRODUCTION
calcaire et du grès. Les dépôts de sol comprennent des sols liquéfaction peut être schématisée comme la transformation
granulaires lâches et denses, des argiles molles et très d’un matériau granulaire saturé d’un état solide à un état
raides, du conglomérat et des alluvions. Dubertret (1955) a liquéfié suite à une augmentation de la pression interstitielle
publié une étude exhaustive détaillant les différentes et donc à une réduction de la contrainte effective.
formations géologiques du Liban. Les plus anciennes
formations datent de la période jurassique alors que les Dans le Grand Beyrouth, il y a eu beaucoup de travaux de
formations les plus jeunes appartiennent au quaternaire. remblayage sur le littoral au nord de la ville ainsi que dans
Les cartes géologiques de Dubertret (1955) constituent les alentours de la région du port. Ce remblai bien qu’ayant
toujours un document fondamental pour tout actuel projet subi des travaux de densification in-situ n’a pas été analysé
impliquant une cartographie. Dans le Grand Beyrouth les de manière avancée afin de connaître la propagation de cet
formations rocheuses suivantes sont identifiées: calcaire, effet de densification en fonction de la profondeur.
calcaire dolomitique, calcaire clastique, calcaire oolitique,
grès, calcaire et schiste, calcaire et schiste marneux. Ces Des régions sableuses se retrouvent sur la plus grande
formations ont des épaisseurs de 20m; en termes de partie du Grand Beyrouth. La nappe d’eau est très souvent
propriétés mécaniques, un angle de frottement entre 25 et proche de la surface du terrain naturel particulièrement près
33° et une cohésion allant de 30 à 300 kPa. du littoral. On y retrouve surtout au centre et au sud de la
ville jusqu’à l’aéroport des dépôts de sable rouge (terre
rouge sableuse avec et sans galets) d’épaisseur
considérable dépassant 15m. Il y a aussi des zones
sableuses d’appellation géologique dune mouvante et
présentes directement sur la côte. D’autres désignations se
regroupent sous les noms suivants: Grès dunaire (Ramleh),
sable alluvionnaire, sable jaune et les apports récents
(remblais).
chargement dépasse la résistance, la liquéfaction est une revue détaillée de toutes les méthodes d’estimation du
supposée avoir lieu. Le chargement sismique est potentiel de liquéfaction disponibles. Parmi les méthodes
proportionnel à l’accélération maximale du séisme amax. La existantes pour évaluer ce potentiel de liquéfaction d’un sol,
résistance à la liquéfaction est déterminée en se basant sur il y a d’abord la méthode à partir du SPT (Seed et Idriss,
les valeurs du SPT corrigé (N1)60 pour une Magnitude de 1982; Seed et al. 1984; Seed et al. 1985; Seed et De Alba,
séisme égale à 7,5; l’accélération amax était égale à 0,2g 1986) qui sera appelée méthode Seed, puis aussi il y a la
mais pour certains cas où une amplification est possible méthode de Robertson et Wride (1998) passant par
amax a atteint un maximum de 0,35g. Seuls les 20 premiers l’analyse de données recueillies au CPT et la caractérisation
mètres ont été considérés dans le calcul. L’analyse des du matériau in situ. Cette deuxième méthode sera indiquée
résultats a démontré que les sols au sud de Beyrouth dans cet article comme la méthode Robertson.
jusqu’aux limites de l’aéroport sont susceptibles de liquéfier
sous un séisme de magnitude 7,5. Le facteur de sécurité est 4.1 Méthodologie utilisée
inférieur à 1 pour une épaisseur de dépôt de 5 m. Dans ces
régions du Sud de la ville, on retrouve notamment des L’approche répandue dans l’évaluation du potentiel de
dépôts de sable rouge, et d’autres dépôts granulaires liquéfaction se base sur le principe de la contrainte cyclique.
saturés sur des épaisseurs de 20m. La conception de cette approche en contraintes cycliques
est simple: le chargement sismique (CSR) exprimé en
Une autre analyse de risque géotechnique a été réalisée termes de contraintes de cisaillement cyclique est comparé
par Harb et Pico (2004) et Harb (2006). Une investigation du à la résistance à la liquéfaction des sols (CRR) exprimée
potentiel de liquéfaction du sable à travers le Grand également en termes de contraintes de cisaillement cyclique
Beyrouth a révélé que la liquéfaction pourrait avoir lieu dans (Seed et al. 2001; Youd et al. 2001). Aux endroits où le
le cas d’un séisme de magnitude moyenne à grande. Des chargement excède la résistance, la liquéfaction est
études statistiques et déterministes ont été faites. Les susceptible d’avoir lieu. L’application de l’approche en
accélérations les plus probables déterminées en fonction contraintes cycliques requière cependant une attention
des sources pouvant influencer la région ont été estimées à particulière quant à l’évaluation du chargement sismique et
0,15g et 0,12g. La relation de l’accélération au site en de la résistance à la liquéfaction du sol.
fonction de la magnitude est développée à partir des
relations d’atténuation utilisées pour la Jordanie (Malkawi et Une méthode reposant sur les résultats acquis au SPT,
Fahmi, 1996). Pour le Liban, des relations d’atténuation pour plusieurs sites où la liquéfaction est apparue, a été
n’existent pas. La région du Grand Beyrouth est considérée développée (Seed et Idriss, 1982; Seed et al. 1984; Seed et
être à 20km de la source. Quand la magnitude est identifiée, al. 1985; Seed et De Alba, 1986). La méthode Seed est
la probabilité est obtenue en utilisant la relation de poisson donc une approche simple qui est basée sur des études de
pour événements sismiques espacés sur une période cas pour caractériser la résistance à la liquéfaction en
connue. Le remblai du front de mer est le secteur le plus fonction des tests in-situ. Cette méthode a été très étoffée,
dangereux car il suffirait d’une accélération de 0,04g pour notamment suite aux séismes survenus à Loma Prieta en
liquéfier le sol. Un risque de liquéfaction dans cette zone à 1989 et à Kobe en 1995. Le problème de la méthode réside
80 % de probabilité pour une période de retour de 50 ans dans le fait que l’outil d’investigation est très peu précis par
est estimé. Les sables rouges au sud de la ville pourraient nature. En effet, de nombreux problèmes de frottement
liquéfier pour des accélérations entre 0,1 et 0,17g. Enfin le existent. Par ailleurs, le fait de remonter du matériau au
Centre Ville semble être moins susceptible car ce n’est qu’à carottier est intéressant mais nécessite la réalisation
partir d’une accélération de 0,3g que la liquéfaction pourrait d’essais de laboratoire, ce qui peut être long et onéreux. La
avoir lieu. méthode Seed est basée sur une corrélation établie entre
l’indice N (essais SPT) et la performance observée des
En se basant sur les données géologiques et géotechniques dépôts de sable sous chargement sismique. La banque de
disponibles et les études de liquéfaction des sols de la données ainsi constituée a permis de déterminer un critère
région du Grand Beyrouth, le présent article traite deux de liquéfaction en fonction de la nature du sol (plus
méthodes d’évaluation du potentiel de liquéfaction en les exactement de sa teneur en fines), de sa résistance au SPT
appliquant particulièrement sur deux dépôts de sols et de l’intensité de la sollicitation (CSR, Rapport de
granulaires représentatifs du littoral nord de la ville. La contraintes cycliques). Les points collectés sont utilisées
comparaison des résultats permet de comprendre le pour déterminer une courbe référence pouvant donner le
comportement du sol vis-à-vis du problème de liquéfaction CRR (Rapport de résistance cyclique) pour un séisme de
et contribue à mettre au clair les similarités et les magnitude 7,5.
différences entre les deux méthodes de calcul.
Pour les données provenant de l’essai CPT, Seed et De
Alba (1986) avancent également une méthode en quatre
4. ANALYSE DE CAS ET DISCUSSION étapes: normalisation du signal mesuré (la résistance de
pointe qc est normalisée selon les conditions de site),
L’intérêt est porté à l’analyse de deux dépôts de sol du ajustement en fonction de la teneur en fines (par rapport à
littoral nord de Beyrouth et à l’évaluation de la liquéfaction à un sable propre), estimation du CRR7.5 (Rapport de
partir des méthodes basées sur les essais in situ. Résistance cyclique pour une magnitude de séisme égale à
L’accélération horizontale maximale induite par un séisme 7,5) et calcul du coefficient de sécurité pour la sollicitation
est considérée égale à 0,20g. Youd et al. (2001) présentent
Comprendre les méthodes d'évaluation du potentiel de liquéfaction des sols
du projet. Par rapport à la méthode utilisée pour le SPT, le de sécurité selon la méthode Seed est basé seulement sur
calcul du coefficient de sécurité est identique. N (SPT) c'est-à-dire quelque soit N il y aura un résultat;
tandis que le calcul du facteur de sécurité selon la méthode
Afin réduire les incertitudes liées au SPT, la méthode de Robertson est valable seulement pour l’équivalence de
Robertson et Wride (1998) est une adaptation de la N<30.
méthode Seed à un autre outil d’investigation qui est le
CPT. L’avantage du CPT est que la précision du terme de 4.2 Résultats
pointe est bien plus grande (erreur maximale de l’ordre de
20%) puisque exempte de toute influence liée au frottement Le premier dépôt de sol étudié dans ce travail se trouve
latéral. Par ailleurs, le CPT offre la possibilité d’obtenir une dans le quartier de Dbayeh. Il a une profondeur de 10m. Il
évaluation de la granulométrie grâce à son manchon de est formé d’une couche de 8m de sable moyen à grossier
frottement qui se situe en amont de la pointe, le frottement lâche et de gravier, et d’une couche de 2m de sable et
au manchon étant directement lié à la granulométrie. La gravier moyennement dense sous-jacente. Les valeurs de N
méthode proposée par Robertson et Wride (1998) permet sont 8 en surface et 20 en profondeur. La nappe d‘eau se
d’en obtenir une estimation en fonction de qc (résistance au trouve à 1m sous la surface du terrain naturel.
cône CPT) et de fs (frottement au manchon), paramètre non
exploité par Seed et De Alba (1986). Dans leur démarche, L’analyse des résultats dans la Figure 6 montre que d’après
Robertson et Wride (1998) utilisent un large éventail d’outils la méthode Robertson, la liquéfaction aura lieu pour
d’analyse développés spécifiquement pour le CPT, ce qui amax=0.2g à 6m et à 10m de profondeur. Tandis que d’après
en fait l’une des méthodes les plus complètes aujourd’hui. la méthode Seed (Figure 7), la liquéfaction commencera
Les aspects abordés par la méthode Robertson sont tout entre les profondeurs 4,5m et 7m, et à la profondeur 10m.
d’abord une correction de qc pour les couches de faible Ceci permet de constater que le calcul du potentiel de
épaisseur, une correction en fonction des conditions de site, liquéfaction d’après la méthode Seed est plus conservateur
et enfin une correction sur le type de sol traversé. Les que celui d’après la méthode Robertson. En faisant une
conditions de site sont prises en compte par les pressions interprétation des résultats en fonction du pourcentage des
de confinement initiales effectives σ’vo et totales σvo. Elles fines Fc, il peut être déduit d’après la Figure 8, que le
permettent le calcul de la résistance de pointe normalisée Q rapport des facteurs de sécurité FRobertson/FSeed est
et la résistance au frottement normalisée F: Ces deux légèrement inférieur à 1 pour Fc compris entre 10 et 20 %,
paramètres sont employés pour classifier les sols; cette et il est supérieur à 1 pour Fc inférieur à 10%. Ce qui veut
classification peut être traduite par un paramètre relatif au dire que le calcul de potentiel de liquéfaction d’après la
comportement du sol Ic. Enfin le pourcentage de fines régit méthode Seed est plus conservateur pour Fc < 10% et que
les modifications à apporter au terme de résistance les deux méthodes donnent presque le même résultat pour
normalisée qc1N. Fc compris entre 10% et 20%.
D’autre part on voit d’après la Figure 9, que le rapport des surface d’une couche de 8m de sable moyen à grossier
facteurs de sécurité FRobertson /FSeed est supérieur à 1 pour jaune brun et gravier peu dense (N= 9), puis d’une couche
(N1)60cs inférieur à 15 et il est légèrement inférieur à 1 pour de 7m en argile silteuse et sableuse brune et gravier peu
(N1)60cs supérieur à 15. Ce qui veut dire que le rapport des compact (N=30), puis d’une couche de sable fin jaune ocre
facteurs de sécurité FRobertson /FSeed d’après les deux de 4m (N=10), et enfin d’une couche de base marneuse
méthodes tend vers 1 pour (N1)60cs supérieur à 15. (N>50). La nappe d’eau se trouve à 2m sous la surface. En
examinant les résultats, il est à noter que les 2 méthodes
Robertson (Figure 10) et Seed (Figure 11) montrent que la
liquéfaction aura lieu pour amax=0,2g entre 9m et 10,5m de
6 profondeur et à partir de 15m de profondeur.
5
1.6
Facteur de sécurité
4 1.5
3 1.4
F(Robertson)/F(Seed)
1.3
2
1.2
1
1.1
0 1
1 1.5 3 4.5 6 7.5 9 10
0.9
Profondeur Z (m)
0.8
7 8 8 8 15 17 18 24
Figure 7. Évolution du facteur de sécurité en fonction de la (N1)60CS
profondeur suivant la méthode Seed.
1.6
Figure 9. Le rapport des facteurs FRobertson /FSeed en fonction
de (N1)60cs.
1.5
1.4 6
F(Robertson)/F(Seed)
1.3
5
1.2
Facteur de sécurité
4
1.1
3
1
0.9 2
0.8
1
7 7 7 7 7 10 20 20
Pourcentage des Fines Fc (%)
0
1.5 3 4.5 6 7.5 9 10.5 12 13.5 15 16.5 18 19.5
Figure 8. Le rapport des facteurs FRobertson /FSeed en fonction
de la teneur en fines. Profondeur Z (m)
4 à 12.
3 1.4
2
1.3
F(Robertson)/F(Seed)
1
1.2
0 1.1
1.5 3 4.5 6 7.5 9 10.5 12 13.5 15 16.5 18 19.5
Profondeur Z (m)
1
1.4 0.8
9 11 11 15 17 21 22 28 29
1.3 (N1)60CS
F(Robertson)/F(Seed)
1.1
Les résultats ainsi obtenus peuvent être interprétés en
fonction de (N1)60cs et Fc. Dans les résultats qui
1 représentent (FRobertson/FSeed) en fonction de (N1)60cs, il est à
noter que pour (N1)60cs<12 le rapport (FRobertson/FSeed)>1,1;
ceci veut dire que l’évaluation du potentiel de liquéfaction
0.9 est plus conservatrice selon la méthode Seed. Pour 12<
(N1)60cs <30, le rapport (FRobertson/FSeed) tend vers 1, ce qui
permet de dire que l’évaluation du potentiel de liquéfaction
0.8 mène à un résultat identique selon les 2 méthodes.
7 10 10 10 10 12 15 15 17 20 25 30 35
Pourcentage des Fines Fc (%) D’autre part, pour les résultats qui représentent
(FRobertson/FSeed) en fonction de Fc, il est à noter que pour
10< Fc<20 le rapport (FRobertson /FSeed) tend vers 1, ce qui
Figure 12. Le rapport des facteurs FRobertson /FSeed en veut dire que l’évaluation du potentiel de liquéfaction est
fonction de la teneur en fines. presque le même selon les 2 méthodes. Pour Fc<10 le
rapport (FRobertson /FSeed) >1, ce qui implique que l’évaluation
du potentiel de liquéfaction est plus conservatrice selon la
Les résultats permettent de déduire que le calcul de méthode Seed.
potentiel de liquéfaction d’après les deux méthodes
Robertson et Seed est le même. Aussi, d’après la Figure 12,
le rapport des facteurs de sécurité FRobertson /FSeed est
légèrement inférieur à 1 pour Fc compris entre 12 et 20 %,
et il est supérieur à 1 pour Fc inférieur à 12%. Ce qui veut
dire que le calcul de potentiel de liquéfaction d’après Seed
est plus conservateur pour Fc < 10% et que les deux
M. E. Rahhal