Antiracisme: Une Cause, Deux Combats

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2,00 € Première édition. No 12143 Mercredi 24 Juin 2020 www.liberation.

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COVID-19 JUSTICE MUNICIPALES


Délivrés, Le parcours Les petits
C. zannettacci. VU

mais pas tout acharné d’une soldats de la


à fait libérés mère trans bataille de Paris
pages 14-15 page 16 pages 8-9
Harlem Désir en 1988 et Assa Traoré le 13 juin. Photos M. Franck. Magnum Photos ; A. Yaghobzadeh. ABACA

antiracisme une cause,


De SOS Racisme dans

deux
les années 80 au Comité
Adama aujourd’hui,
la lutte contre
les discriminations

combats
a profondément muté,
au prix de tensions
idéologiques et
générationnelles. pages 2-5

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,80 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,20 £,
Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 22 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,90 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 5,00 DT, Zone CFA 2 500 CFA.
2 u
Événement Libération Mercredi 24 Juin 2020

éditorial tains mécanismes, sont inadmis-


sibles et qu’il est juste de les criti-
quer. De même la dénonciation
Par du racisme par ceux qui en sont
laurent joffrin les victimes est pour le moins lé-
gitime. Pour le reste, les person-
nes qui ont manifesté deux fois
ces dernières semaines réclament
surtout la fin des discriminations

Dignité et un rapport plus équitable avec


la police, l’Etat et la société. Au-
trement dit, ces manifestants se
mobilisent précisément au nom
Qu’oppose-t-on, en fait, à l’uni- de l’égalité, exemple même du
versalisme républicain ? Pas principe universaliste posé par la
grand-chose, à vrai dire. On dis- République. Il leur arrive de
tingue – dans le temps et dans les chanter la Marseillaise : qui s’en
idées – deux antiracismes, celui plaindra ? Au fond, ils ne
de SOS Racisme, plus festif, hu- ­contestent pas les valeurs répu-
maniste et attaché aux droits de blicaines : ils demandent qu’elles
l’homme, et celui d’aujourd’hui, soient appliquées, ou mieux ap-
plus politique, plus virulent, par- pliquées. Qui peut dire qu’elles le
fois inspiré de thèses «décolonia- sont toujours ? Emmanuel Ma-
les». C’est un fait que le second cron les désigne comme «sépara-
manie volontiers des concepts tistes». Drôle de qualificatif. Cer-
très contestables, comme le «ra- tains mouvements régionalistes
cisme d’Etat», terme qui tend à sont effectivement «séparatis-
culpabiliser la masse des fonc- tes», ou encore certains groupes
tionnaires français, rangés dans intégristes qui s’ingénient à créer
deux catégories, les racistes avé- des petites contre-sociétés dans
rés et les agents inconscients de leur quartier. La masse des mani-
structures qui les dépassent, festants antiracistes, nouveaux
­sortes de marionnettes d’une ma- ou anciens, exigent en revanche
chine par essence discrimina- la dignité et la place au soleil
toire, ce que ces fonctionnaires ­auxquelles ont droit, en principe,
pour la plupart républicains trou- tous les citoyens de la même
veront dans les deux cas inju- ­République. Ils ne la rejettent pas,
rieux. Mais c’est un fait, aussi, que ils s’en recommandent. Est-ce
certains comportements, ou cer- dangereux ? • Manifestation organisée par SOS Racisme le 12 mars 1988. Photo Jean-Claude couteausse. divergences

De SOS Racisme L
e 2 juin, à la surprise générale, du mouvement antiraciste français,
plus de 20 000 personnes se traversé depuis des années par
massent sur le parvis du un débat entre «universalistes» et
­tribunal judiciaire de Paris, alors que «décoloniaux». La ligne de démar-
tout rassemblement est encore in- cation se fige souvent autour des
terdit en raison de l’Etat d’urgence violences policières.
sanitaire. Quelques jours après la Octobre 2015 : plusieurs milliers de
mort de l’Afro-Américain George personnes marchent à Paris «pour

au Comité Adama,
Floyd à Minneapolis, cette foule la dignité» et contre «l’impunité
jeune et hétéroclite répond à l’appel ­policière», à l’initiative d’Amal Ben-
du Comité «Vérité et Justice pour tounsi, la sœur du jeune Amine tué
Adama», du nom de ce jeune d’une balle dans le dos par un agent
homme décédé en 2016 dans une en 2012. Le mouvement n’échappe
­caserne de gendarmerie de Persan pas aux critiques : Gilles Clavreul,
(Val-d’Oise). Assa Traoré, la sœur du alors délégué interministériel à la
défunt, harangue la foule : «Peu im- lutte contre le racisme et l’antisémi-

la révolution
porte d’où tu viens, peu importe ta tisme, proche de Manuel Valls, y
couleur de peau, peu importe ta reli- voit une «mobilisation identitaire et
gion, peu importe ton orientation antirépublicaine». Depuis, d’autres
sexuelle, tu ne dois pas rester specta- épisodes sont venus allonger la liste
teur face à l’injustice, face au meur- des controverses : marche contre
tre, face à l’impunité policière !» l’islamophobie en novembre 2019,
Des mots qui embrassent l’idéal plainte (finalement classée sans
­intersectionnel, théorisant la plura- suite) du ministre de l’Education

d’un combat
lité des discriminations et qui, sur Jean-Michel Blanquer contre le syn-
le terrain militant, conduisent à une dicat SUD éducation 93 pour l’utili-
«convergence des luttes» avec les sation du terme «racisme d’Etat»…
combats féministes, sociaux ou éco-
logistes. D’où, d’ailleurs, la présence s’émanciper
de gilets jaunes ou d’activistes de de SOS Racisme
l’organisation Extinction Rebellion Au sein des mouvances antiracistes,
lors d’une nouvelle mobilisation les lignes de fracture sont idéologi-
le 13 juin place de la République à ques. Les nouveaux activistes pui-
Paris, réunissant 15 000 personnes. sent leurs principes dans la pensée
Autant de protagonistes qui, ces dite «décoloniale», courant théo­-
Trente-cinq ans après la campagne «Touche pas à mon dernières années, ont fait l’expé-
rience, comme les habitants des
rique qui cherche à remettre en
cause la persistance des préjugés
pote», la lutte contre les discriminations a profondément quartiers populaires, de la «répres- ­raciaux dans les représentations
évolué, notamment le long d’une fracture opposant les sion» des forces de l’ordre.
Entre-temps, le 9 juin, un autre
contemporaines. Leurs idées se
nourrissent de nouveaux concepts :
«universalistes» d’antan aux «décoloniaux». ­rassemblement organisé par «racisme systémique», «race» ou en-
SOS Racisme pour rendre hommage core «privilège blanc» structurent un
Par simon blin et sylvain mouillard à George Floyd ne réunit que discours dénonçant les discrimina-
2 400 personnes. Un contraste qui tions envers les minorités (lire
met en lumière les divisions au sein page 5). «Il y a la volonté de taper
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Rassemblement à l’appel du Comité Adama à Paris, le 13 juin. Photo Cyril Zannettacci. vu

La voix ambiguë
plus fort pour ne plus attendre, de «SOS Racisme a certes médiatisé
prendre moins de pincettes», analyse cette lutte, mais elle a en même
l’historien Emmanuel Debono. temps dépolitisé l’antiracisme en
Cette nouvelle parole antiraciste, abandonnant les combats contre les

d’Emmanuel Macron
qui revendique une plus grande lé- violences policières pour faire des
gitimité à parler du racisme et à s’en concerts», estime Rokhaya Diallo,
défendre car elle le subit, est parfois une des figures de proue de ce nou-
accusée de «racialiser» le débat pu- vel antiracisme. La mobilisation
blic, voire de contribuer au «com- en cours est, selon elle, un retour à
munautarisme». «C’est un antira- «l’essentiel» de ce qu’ont été les ori- Dans son discours du 14 juin, le sentir pointé par l’index présidentiel. Sans donner
cisme de confrontation, poursuit gines de la «Marche pour l’égalité et chef de l’Etat a dénoncé des dérives un blanc-seing au comité Adama, qui s’inscrit dans
Emmanuel Debono, volontairement contre le racisme» de 1983, avant la République mais dénonce un «racisme institu-
plus clivant que par le passé, qui re- que SOS Racisme époque Harlem
«séparatistes» dans la lutte contre tionnel» sans verser toutefois dans l’indigénisme,
met catégoriquement en cause l’Etat Désir ne préempte le mouvement les discriminations raciales et les le chef de l’Etat n’aurait-il pas dû avoir aussi un mot
dans sa capacité à assumer ses pro- dans une version plus «folklorique». violences policières, entérinant sa pour cette Marseillaise entonnée par toute la place
pres principes d’égalité et de frater- Pour Rokhaya Diallo, SOS Racisme glissade vers un «républicanisme» de la République ce samedi 13 juin ?
nité, puisqu’il est lui-même vecteur a aussi eu le tort d’avoir réduit la à la Manuel Valls. Dans une tribune publiée ces jours-ci par le Monde,
d’inégalités raciales.» lutte au combat contre le Front na- plusieurs intellectuels de gauche dont les philo­-

D’
La fracture, qui traverse aussi les tional. «Comme si le racisme n’était un discours, a fortiori présidentiel, l’es- sophes Achille Mbembe, Etienne Balibar et Sandra
partis de gauche, n’est pas qu’idéo- qu’une question partisane, de l’ordre sentiel est ce qu’il en reste une fois la Laugier (chroniqueuse à Libération) ont regretté que
logique. Elle est générationnelle. de l’extrême droite, alors que c’est un mousse retombée. De la prise de parole le président de la République «engage le combat non
Le Comité Adama et les organisa- problème transversal dans la so- d’Emmanuel Macron le 14 juin, d’abord consacrée pas contre le racisme, mais contre l’antiracisme». Un
tions qui le soutiennent s’inscrivent ciété.» Le slogan même de SOS Ra- à la question du déconfinement mais intervenant choix notable au regard des mobilisations mondia-
dans une volonté d’autonomie vis- cisme, «Touche pas à mon pote», au lendemain d’une mobilisation, significative les du moment. Dans une posture qui l’éloigne du
à-vis des canaux historiques de l’an- dont le badge s’est vendu à 1,5 mil- et peut-être historique, autour du Comité Adama candidat qu’il fut en 2017, sensible à la question des
tiracisme, notamment incarnés par lion d’exemplaires en 1985, est Traoré contre le racisme et les violences policières, contrôles au faciès et du racisme dans la police : «Il
l’association SOS Racisme. Création blâmé pour agir comme une idéolo- on retiendra celui de «séparatistes». Dans la bouche faut qu’il y ait une responsabilité policière et admi-
mitterrandienne des années 80, gie de surplomb qui aurait occulté du chef de l’Etat, l’adjectif, qui qualifie d’habitude nistrative quand il y a des comportements déviants»,
­celle-ci peine à trouver de nouveaux le discours des personnes «racisées» «un mouvement dont le but est de se séparer d’un lors des contrôles d’identité, disait-il durant la cam-
relais chez les jeunes et dans les et leur volonté de décrire l’oppres- Etat», a claqué comme une mise à l’index de ces pagne, promettant d’être «intraitable». Trois ans
quartiers populaires. sion de leur propre point de vue. ­dizaines de milliers de personnes mobilisées à plus tard, comme le souligne le sociologue Michel
«La nouveauté, c’est que ce militan- ­travers la France dans le sillage de la mort de George Wieviorka (lire page 4), la défense macronienne d’un
tisme fonctionne à coups de concepts Floyd – ce nom devenu un symbole mondial que le «universalisme» bel et bien piétiné par les identi­-
«Il y a la volonté de focalisant sur la couleur “blanc”, qui Président français n’a d’ailleurs pas prononcé ce taires de tous poils, mais en premier lieu mis au défi
peut parfois tendre à exclure plutôt soir-là et pas plus depuis. par l’intersectionnalité des luttes du moment, rap-
taper plus fort pour qu’à rassembler», prévient de son S’il a évidemment dénoncé toute forme de racisme, proche chaque jour un peu plus le chef de l’Etat de
ne plus attendre, côté Emmanuel Debono.
Dès 1995, face à la montée en puis-
le chef de l’Etat a surtout affirmé ce 14 juin que l’an-
tiracisme, «ce combat noble, est dévoyé lorsqu’il se
la rigidité «républicaniste» d’un Manuel Valls, d’une
Elisabeth Badinter ou d’un Jean-Michel Blanquer.
de prendre moins sance du FN, la création du Mouve- transforme en communautarisme, en réécriture hai- A l’Elysée, on revendique ce «virage républicain» qui
ment de l’immigration et des ban- neuse ou fausse du passé. Ce combat est inacceptable a vocation à durer. Pas de doute que cela satisfasse
de pincettes.» lieues (MIB) entend renouer avec les lorsqu’il est récupéré par les séparatistes». Nul doute la base électorale droitisée du macronisme. Tout
Emmanuel Debono combats initiaux des antiracistes qu’un groupuscule raciste comme la Ligue de dé- comme cette autre saillie du chef de l’Etat, elle aussi
Historien, à propos des (lire page 4). Le MIB dénonce l’inef- fense noire africaine (LDNA) mérite d’être dissoute. d’un seul bloc : «La République n’effacera aucun nom
nouveaux mouvements ficacité des structures tradition­- Mais Emmanuel Macron n’ayant pas précisé qui il de son histoire.» Circulez.
antiracistes nelles, sur le terrain Suite page 4 visait précisément, chacun des participants peut se Jonathan Bouchet-Petersen
4 u
Événement Libération Mercredi 24 Juin 2020

«Je ne parle pas


Suite de la page 3 comme dans
les esprits. Les années 2000, mar-
quées par les révoltes urbaines
de 2005 et le quinquennat Sarkozy

d’Arabes ou de
ressassant les questions migratoire
et de l’islam, font apparaître au
grand jour les divisions entre anti­-
racistes sur la question de l’identité.
Au même moment, la pensée déco-
loniale, ses mots et ses concepts,
percent dans des colloques et les
conférences universitaires en scien-
ces sociales, ainsi que dans les sphè-
Noirs, mais de
classes populaires»
res militantes.
Les divergences portent également
sur les modes d’action. Aux ras-
semblements festifs de l’ancienne
génération, les nouveaux activistes
­préfèrent des actions horizontales
relayées massivement sur les ré-
seaux sociaux, ajoutant une forte Engagé depuis plus de vingt l’argument de la légitime défense, mais la justice
capacité à mobiliser des primo-ma- ans dans les mouvements a convenu d’un état de nécessité.
nifestants. «Assa Traoré laboure antiracistes, du MIB au Comité A l’époque, Mantes-la-Jolie bout déjà après
le terrain depuis plusieurs années, Adama, Samir B. a assisté aux le décès d’Aïssa Ihich, asthmatique privé de
­relève le sociologue Michel Wie- soins au commissariat et roué de coups avant
viorka, auteur d’Antiracistes
mutations et impasses d’une sa garde à vue. Les avocats de Pascal Hiblot
en 2017. Contrairement aux organi- lutte toujours aussi actuelle. ont invoqué le choc pour expliquer le coup de
sations comme SOS Racisme, ce feu sur le véhicule dérobé qui s’éloignait : sur

D
mouvement ne cherche pas à pren- e face, de dos, de profil, Samir Elyes B., zone, Marie-Christine Baillet, l’une de ses col-
dre le pouvoir d’Etat.» 48 ans, est une silhouette qui traverse lègues, avait été, quelques minutes avant,
«Mais ce n’est pas un combat victi- archives et photos retraçant la théma- fauchée mortellement par un véhicule que
maire non plus, visant à obtenir des tique des violences policières. Il est remar- conduisait un jeune. Mme Khaïf, la mère, cra-
droits particuliers, mais bien une quable, pour qui toise bien, que la foule pro- quera à l’issue du jugement : «C’est le permis
lutte pour la vérité et la justice», teste par paquets de dix éparpillés ou par de tuer.» Samir B. : «Cette affaire n’a malheu-
complète le chercheur. Un message milliers souffle contre souffle. Plus de reusement pas eu le retentissement médiati-
«universaliste» qui lui permet pour vingt ans de rassemblements, de déplace- que qu’elle méritait, mais il n’y avait pas les ré-
l’heure de résister aux «sirènes ments et de discours ont bouffé ses joues et seaux sociaux.»
du racialisme et de l’identita- retracé son menton – le militantisme est une Maurice Rajsfus, rescapé de la Shoah et mé-
risme», juge le directeur d’études addiction impossible à masquer. Aussi, cha- moire des violences policières, est l’une de ses
à l’EHESS. Apprenant qu’un «Sale cune de ses incises porte sur l’héritage : «Nos références. Ainsi s’exprimait l’écrivain, dé-
Juif» a d’ailleurs été proféré par quartiers populaires, qui ont servi de labora- cédé mi-juin, dans nos colonnes : «A la Libéra-
un individu dans le rassemblement toire dans le maintien de l’ordre, ont une his- tion, deux ou trois flics, reconnus comme d’im-
du 13 juin à République, Assa toire qu’il faut transmettre. On ne pourra rien portants tortionnaires, ont été fusillés, mais il
­Traoré déclarera que «si des propos construire à son détriment, il y a une conti- n’y a pas eu de procès de la police française.
antisémites ont eu lieu aujourd’hui, nuité avec ce qui se passe aujourd’hui.» Certains policiers ont d’ailleurs participé, en-
on est tous chrétiens, on est tous En 1997, il est au cœur des révoltes urbaines suite, à la répression des Algériens en 1961, puis
juifs, on est tous musulmans, on est de Dammarie-lès-Lys (Seine-et-Marne), sa à celle de Mai 68.» Samir B. le cite quasiment
tous toutes les religions, on est tous ville d’origine, après la mort d’un mineur au mot près et étaiera : «Non, tous les policiers
français !» abattu par la police dans une course-pour- ne sont pas racistes, mais ce n’est pas le sujet.
suite. Quelques mois plus tard, il rejoint On parle d’un système et d’une structure qui
Les idées ont infusé le MIB (Mouvement de l’immigration et des les dépassent et qui permettent ce racisme.»
Si le combat progresse sur le terrain banlieues), qui vante les mérites de l’émanci-
des idées, les avancées politiques, pation. Avec lui, Samir B. a prôné la politisa- Projet politique
elles, restent modestes. Lors de son tion des quartiers pour éviter la casse vaine. Samir Elyes B. nous a reçu dans son salon, en
allocution du 14 juin, le président Pour contourner, défend-il, le scénario basi- périphérie de Paris. Il a eu une requête : rac-
de la République a très vite renvoyé que : des gars qui crament tout, des CRS cas- courcir son patronyme à une lettre, pour ne
dans les cordes le mouvement lancé qués et le retour à la frustration jusqu’à la pro- pas impliquer ses proches. On l’a découvert
dans le sillage de la mort de George chaine confrontation. «Les révoltes ne durent quelques années plus tôt au détour d’un té-
Floyd, aussi matérialisé par les ac- qu’un temps. Tu fais quoi après ? Tu retournes moignage vivotant en ligne. Il n’y renie rien,
tions de déboulonnage de statues au café ? L’enjeu est de faire comprendre au des conneries dans sa prime jeunesse à la ré-
coloniales (lire page 3). «Ce combat plus grand nombre pourquoi notre situation demption par la politique. Le texte, vieux de
noble est dévoyé lorsqu’il se trans- est anormale. Et cela passe forcément par deux décennies, contient une prémonition :
forme en communautarisme, en réé- l’élaboration d’une stratégie politique.» à trop minimiser les injustices et les folklori-
criture haineuse ou fausse du passé. Samedi 13 juin, il était à la tribune avec Assa ser, des gamins des cités risquent de s’enrôler
Ce combat est inacceptable lorsqu’il Traoré, sœur d’Adama, mort d’asphyxie pour des suicides, ceinture d’explosifs à la
est récupéré par les séparatistes.» en 2016 dans une gendarmerie de Persan taille. Ses parenthèses sont aussi économi-
Difficile de dire qui Emmanuel Ma- (Val-d’Oise), après son interpellation. Des ques : «Tu crois qu’on ne fait que parler de vio-
cron visait précisément. milliers de manifestants ont demandé justice lences policières dans le Comité Adama ? On
Pour Michel Wieviorka, le chef de pour lui et d’autres. Le mardi 2 juin fut un mo- passe des nuits à échanger sur la lutte des clas-
l’Etat «durcit un point de vue “répu- ment d’histoire, une semaine après la mort ses, la précarité, le chômage, les gilets jaunes,
blicaniste”, qui le rapproche d’un de George Floyd aux Etats-Unis : peu ou prou les ZAD. Je ne parle jamais d’Arabes ou de
Manuel Valls ou d’une Elisabeth 20 000 personnes, du grand bourgeois au pi- Noirs, mais de quartiers et de classes populai-
Badinter. On n’est plus dans le lier de hall, réclamant la même chose devant res. Dans les quartiers, le capitalisme a égale-
“en même temps”». Rokhaya Diallo, un tribunal de la capitale. Il dit : «Quelle que ment fait de gros dégâts. Oui, le Comité Adama
elle, préfère retenir que les idées soit la forme qu’il prend, Assa Traoré a imposé a une stratégie politique.»
­infusent peu à peu dans la société. un débat national sur les pratiques policières En 2012, François Hollande et son équipe se
«Même si certains ne sont pas d’ac- dans nos quartiers, qui dépasse de loin le cas sont rapprochés de collectifs dont certains Le militant Samir Elyes B. à Choisy-le-Roi
cord avec ces notions, ils sont obligés de son frère.» Il est aujourd’hui l’une des pier- défendaient le récépissé pour lutter contre le
de les évoquer. Le fait même que res angulaires du Comité Adama. contrôle au faciès. Notre hôte : «On veut l’éga-
ce débat existe montre que nos En 2001, Samir B. a dormi au tribunal, avec lité, et moi, je devrais, contrairement à un au- sant de s’être vendu, donc paumé. Il justifie :
­revendications ont percé dans le d’autres, en attendant le verdict de Pascal Hi- tre Français, me promener avec des tickets ? «Ces gens disent avoir voulu intégrer le sys-
­débat public : ça note déjà une blot, gardien de la paix jugé pour avoir mis Comment veux-tu qu’avec ça, je dise à un ga- tème pour le changer et l’améliorer, mais à
évolution.» • une balle dans la tête de Youssef Khaïf min qu’il est un Français comme un autre ? quel moment cette méthode a fonctionné ?»
en 1991. A l’issue de l’appel, Libé avait titré Qu’il est chez lui, comme n’importe qui. Des ti- Le monde militant est impitoyable : une
Lire également, page 20, la tribune «Les l’un de ses articles «“Un coupable” finalement ckets…» On l’a déjà vu sur les réseaux décou- même cause, aussi pure soit-elle, peut pro-
statistiques ethniques, vraiment utiles ?» acquitté». Dix ans de procédure ont écarté per en pièces un associatif reconnu, l’accu- duire moult schismes et procès en légitimité.
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tent l’école tous les ans : la majorité vient de glossaire


nos quartiers.»
Entre 1997 et 2002, Dammarie-lès-Lys, son
terroir, a perdu trois jeunes. Deux à la suite de
coups de feu tirés par la police, un consécuti- intersectionnalité
vement à une course-poursuite. C’est le temps Issu des théories sur le black feminism
où le MIB et ses figures – Tarek Kawtari, Fatiha et conceptualisé par la juriste améri-
Damiche – se mêlaient de rénovation urbaine, caine Kimberlé Crenshaw en 1989,
de chômage, de toxicomanie, de mal-loge- ce concept vise d’abord à montrer
ment. Et se rapprochaient de José Bové, leader en quoi les femmes noires subissent
de la Confédération paysanne jadis candidat des discriminations croisées à l’em-
à l’Elysée. L’historien Karim Taharount décrit ploi (parce que noires et parce que
un mouvement dont les pionniers se sont frot- femmes) et peinent à le faire reconnaî-
tés au combat contre la double peine et aux tre devant la justice. Devenu objet
années 80, particulières : «A l’échelle politique, ­sociologique, voire philosophique,
cette jeunesse-là et ses problèmes n’intéres- le mot est synonyme aujourd’hui sur
saient pas. Le MIB, en soi, est difficile à analy- le terrain militant de «convergence
ser. Pas de carte d’adhérent pour dénombrer des luttes» contre une pluralité d’in-
les membres et, surtout, ce mouvement était en justices fondées sur la classe sociale,
perpétuelle construction puisqu’il travaillait le sexisme, le racisme et l’orientation
avec des associations et des comités locaux.» sexuelle.

Fin du mythe du messie

privilège
Ce n’est pas tant sa fin en 2006 qui étonne le
chercheur, mais son existence même de-
puis 1995. Celui-ci parvient à réunir des cou-
rants différents, du conservatisme au mar-
xisme en passant par le hip-hop : «Il n’y avait blanc
pas Internet, et pourtant ils avaient réussi à L’expression est formalisée en 1988
créer du réseau partout, en connectant un dans un article de la chercheuse amé-
quartier de Mantes à un autre dans le Sud-Est. ricaine Peggy McIntosh. Le terme dé-
Ils arrivaient sur place, nouaient un contact et signe un ensemble d’avantages pré-
racontaient, par exemple, à un jeune de Dam- sents dans la vie sociale, culturelle
marie l’histoire d’autres quartiers, peu ou prou et politique favorisant les Blancs sans
similaire à la sienne, qu’il ne connaissait pas.» que ceux-ci n’en aient pleinement
Le MIB et ce qu’il en reste ont assuré une des- conscience. C’est le premier des privi-
cendance, de Montpellier avec Hamza Aarab lèges blancs : ne pas avoir à se soucier
(fondateur d’un club de futsal de premier de l’être. Le terme de «privilège» fait
plan) aux Ulis avec Fik’s (artiste et documen- débat au sein même de ceux qui l’em-
tariste engagé sur les questions de jeunesse) ploient. Il s’agit avant tout d’un outil
autour d’un socle commun : l’éducation po- d’éducation à l’antiracisme visant
pulaire et la fin du mythe d’un messie qui à rendre visible l’inégalité du point
porterait seul la voix des banlieues. de vue de ses bénéficiaires.
Au vrai, l’homme au visage émacié n’a pas
éludé grand-chose. Ni le racisme entre les

race
communautés ni la genèse d’une affaire qui
finit par produire deux versions. En sub-
stance : quand bien même un délit aurait été
commis – «on ne l’a jamais nié» –, celui-ci n’a
jamais mérité la peine de mort et le dédoua- Si l’idée de «race biologique» a été
nement de l’Etat. Il insiste : «Cette criminali- abandonnée au cours du XXe siècle
sation n’est là que pour invisibiliser les luttes, car elle constituait le fondement
leur mémoire et la douleur des familles.» même du racisme, les stéréotypes as-
Samedi 13 juin il y avait, sur des banderoles, sociés à la couleur de peau sont tou-
une demi-douzaine de noms peu médiatisés, jours à l’œuvre dans de nombreux do-
dont Fatouma Kébé (éborgnée par un tir de maines de la vie sociale (recherche
lanceur de balles de défense en 2013 ; les d’emploi, accès au logement et à des
agents ont été condamnés avec sursis) et La- services). Ceux qui utilisent le terme
mine Dieng (mort dans un fourgon de police aujourd’hui le font dans un sens «so-
en 2017, l’Etat a versé 145 000 euros à sa fa- cial», comme une construction histo-
mille après un accord à l’amiable). Dans le rique et sociologique, pour révéler
cortège, des quidams ont dépeint un étau les mécanismes discriminatoires dans
grinçant. D’un côté, la violence qui augmente une société.
par endroits et un besoin de sécurité, et de
l’autre, l’incompréhension face à des inter-
ventions d’agents d’une brutalité hors du
commun rarement sanctionnée.
racisme
Une enquête de Mediapart et du journal
le Monde éclaire l’affaire Cédric Chouviat, li-
systémique
vreur décédé en janvier à l’hôpital suite à un Selon cette expression, l’écrasante
contrôle d’identité dans une rue de Paris (lire majorité des discriminations raciales
aussi page 17). Dans une séquence filmée, il dans la société ne devraient pas être
répète sept fois «j’étouffe» avant de perdre comprises comme la simple manifes-
connaissance. Samir B. : «Et certains politi- tation de comportements individuels,
ques et militants nous expliquent encore que mais comme le résultat du fonction-
la priorité est d’organiser des matchs de foot nement même des institutions. Sœur
le 10 juin. Photo Martin Colombet avec la police pour rétablir le dialogue…» du «racisme institutionnel», l’expres-
Puis : «Et des experts nous répètent que les si- sion conceptualise l’idée de la persis-
militudes avec les Etats-Unis n’existent pas.» tance d’un ordre social raciste alors
Et les réseaux sociaux se chargent d’accentuer pour ces quartiers. A l’époque du MIB, on de- Des agents de police, eux, manifestent en af- même que l’égalité des êtres humains
les griefs entre courants ou personnes à coups mandait déjà un audit pour savoir comment firmant que certains secteurs sont semblables est consacrée par la loi. Quant à la no-
d’accusations définitives. Olivier Besancenot ils avaient été dépensés. On détruit des lieux à des terrains de guerre. Ils déposent au sol, tion ancienne du «racisme d’Etat», elle
a ses grâces, tandis que les rappeurs chanton- où se réunir, on déracine des familles ancien- symboliquement, les menottes en direct sur fait l’objet de débats car elle suggère
nant la violence, le PS et la politique de la ville nes, ce qui conduit à avoir peu de gens ancrés BFM TV et distribuent des bonbons dans les aux yeux de certains une forme d’in-
lui inspirent de sincères malédictions : «Des sur les territoires en mesure de contenir la vio- rues de Saint-Denis. Deux mondes parallèles. tentionnalité de l’Etat dans les logi-
dizaines de milliards d’euros ont été investis lence et de fédérer. Plus de 150 000 jeunes quit- Ramsès Kefi ques discriminatoires. Simon Blin
6 u
monde Libération Mercredi 24 Juin 2020

Le tanker iranien Fortune


à Puerto Cabello
(Venezuela), le 25 mai.
Photo Reuters

IRAN-VENEZUELA
Delille
L’alliance des Etats honnis
Par Benjamin
Pétrole, nourriture, matériel médical… Malgré leurs
dans la limite de 120 litres
mensuels. Et surtout 25 fois
Correspondant à Caracas plus au-delà, et à régler en
différences idéologiques, Téhéran apporte son aide dollars, monnaie introuvable.

E
ntre la République is- Pour les Vénézuéliens, c’est
lamique et la Répub­-
lique bolivarienne,
à Caracas, en proie comme lui aux sanctions un coup dur : le salaire mini-
mum mensuel vaut l’équiva-
c’est la lune de miel. Diman- américaines. Un pied de nez à Washington. lent de cinq euros et ils sont
che, les autorités vénézué- habitués depuis des décen-
liennes ont guetté l’arrivée nies à ne ­j amais payer
du Golsan, un cargo trans- ­l’essence. Reste qu’après
portant de la nourriture qui Il faut dire que l’arrivée de le trafic de drogue dans les production pétrolière lié à Les pétroliers iraniens ont ap- deux mois sans combustible,
devrait approvisionner le cinq pétroliers début juin a Caraïbes. des années de mauvaise ges- porté l’équivalent d’1,5 mil- ils se sont rués sur les pompes
premier supermarché ira- fait grincer les dents de l’ad- Outre l’affront à l’ennemi tion et de corruption, mais lion de barils d’essence pour à nouveau approvisionnées.
nien à s’installer au Vene- ministration Trump : voir américain, les autorités véné- aussi aux sanctions améri­- réapprovisionner les stations-
zuela. C’est le sixième bateau les deux bêtes noires de sa zuéliennes voient ces échan- caines qui empêchent le pays service, mais aussi du maté- Cargo
envoyé par Téhéran qui ac- politique étrangère s’allier ges comme une bouffée d’importer le matériel néces- riel et des ingénieurs pour «Bientôt, je me rendrai en
costait sur les côtes du pays pour contourner les sanc- d’oxygène. Harassé par sept saire pour relancer la ma- tenter de porter secours à une Iran pour remercier le peuple
après avoir traversé les Caraï- tions américaines est un années de crise économique chine. Le Venezuela s’est industrie pétrolière ­décimée. iranien et son président», an-
bes sous le regard agacé de ­sacré ­revers. D’autant que et politique, le Venezuela donc tourné vers un autre Cette livraison a permis au nonçait alors Nicolás Ma-
­Washington. La venue de ce ces cinq navires sont passés semble avoir touché le fond Etat sévèrement affecté par gouvernement ­vénézuélien duro. Une visite dont la date
cargo confirme le rapproche- à quelques encablures de avec le coronavirus : en plein la politique du Trésor améri- de décréter une hausse histo- n’a pas encore été fixée, mais
ment récent entre Caracas et toute une flotte de la Navy confinement, l’essence a dis- cain et qui, comme lui, se rique des prix du pétrole, à qui devrait permettre de
Téhéran et le défi lancé aux ­déployée au printemps, offi- paru des stations-service, à moque d’enfreindre les règles 5 000 bolivars (moins de ­signer plusieurs accords
Etats-Unis. ciellement pour lutter contre cause de l’effondrement de la de l’Oncle Sam. 2 centimes d’euros) le litre commerciaux. Certains n’ont
«
Libération Mercredi 24 Juin 2020 u 7

«En temps normal, cette


heid technologique» occidental,
que ce soit pour le nucléaire civil,
Trump-
le spatial, l’industrie pétrolière… Maduro,
Les sanctions ciblent les transferts imProbable
relation n’aurait aucun
de technologie dans tous ces
­domaines. Le seul moyen de pro-
rencontre
gresser est donc de nouer des par­- En matière de diplomatie
tenariats, au marché noir, avec surréaliste, Donald Trump

intérêt économique» des Etats parias.


Mais la République islamique
s’est toujours réclamée du tiers-
mondisme.
n’a pas fini de nous
surprendre. Lors d’une
interview publiée
dimanche par le site
Avant la chute du chah, dans les an- d’information Axios,
Pour le chercheur Clément gique des principes de l’ayatollah tion Trump oblige l’Iran à aller vers nées 70, les mouvements guevaris- le président américain
Therme, le rapprochement ­Khomeiny. Avec le Venezuela, la Syrie, le ­Venezuela, la Corée du tes ou contre l’apartheid étaient très a ouvert la porte à une
irano-vénézuelien il s’agit d’envoyer un message Nord… Faute d’alternative, l’Iran se populaires chez les futurs révolu- rencontre avec Nicolás
s’explique à la fois par une aux Etats-Unis pour tourne vers des parte- tionnaires. Un anti-impéralisme Maduro, avant de préciser
volonté d’entraide entre répondre sur le plan naires eux-mêmes militant s’est développé chez les le lendemain sur Twitter
pays sanctionnés par symbolique et sur le ­visés par les sanctions ­islamistes, mais à la différence que ce ne serait que
Washington et par un ­terrain de la propa- ­américaines. des tiers-mondistes, ceux-ci pen- pour négocier «un départ
retour de «l’islamisme gande. Le ­Venezuela Il existe donc une al- chaient plus vers l’Est que vers pacifique du pouvoir»
est de ce point de vue liance des Etats pa- l’Ouest. de son homologue
tiers-mondiste».
parfait : le pays est rias ? Après la chute de l’Union soviéti- vénézuélien.
dans l’«arrière-cour» Dès qu’un président que, l’instinct de survie a repris le Qui, de son côté, a dit

S
pécialiste de l’Iran et cher- de ­Washington, de la modéré sera élu aux dessus : Mahmoud Ahmadinejad chiche. «Si nécessaire,

DR
cheur postdoctorant au Ceri même ­manière que le Etats-Unis, l’Iran suivait les préconisations du FMI, je suis prêt à discuter
(Sciences-Po), Clément Golfe persique, où les Interview prendra ses distances encouragé par une oligarchie respectueusement avec le
Therme a dirigé l’ouvrage collectif Etats-Unis maintien- avec le Venezuela. ­d’ayatollahs qui criaient «mort à président» des Etats-Unis,
l’Iran et ses rivaux ; entre nation et nent une forte présence, est dans Le régime de Maduro n’est pas très l’Amérique» le vendredi, avant a affirmé Maduro dans un
révolution (Passés composés, fé- l’«arrière-cour» de l’Iran. Téhéran ­populaire, beaucoup moins qu’à ­d’aller à ­Davos le lendemain… Le ré- entretien télévisé. En
vrier 2020). s’autoproclame le droit d’aller dans l’époque de Chavez. Caracas et Té- gime est devenu libéral par néces- ajoutant : «De même que
Du point de vue de Téhéran, quel l’environnement proche des Etats- héran ­s’entendent justement parce sité, surtout qu’il n’y a aucune in- j’ai parlé avec [Joe] Biden,
est l’intérêt d’une alliance avec Unis. qu’ils sont ­parias, c’est une sorte de compatibilité entre islamisme et je pourrais parler avec
le régime de Maduro ? En temps normal, cette relation ­prophétie autoréalisatrice de capitalisme, pour les Frères musul- Trump», référence à une
L’affaiblissement des modérés et n’aurait aucun intérêt sur le plan ­Washington. mans comme pour les mollahs rencontre avec l’actuel
des pragmatiques, au pouvoir à économique, elle coûte à la Répu- Cette solidarité entre sanctionnés ­iraniens. La République islamique candidat démocrate à la
­Téhéran depuis l’élection du prési- blique islamique : si les Iraniens prendrait fin si la stratégie de sanc- joue aujourd’hui d’un anti-impéria- Maison Blanche lorsque
dent Rohani en 2013, conduit au avaient le choix, ils ­vendraient leur tions était réversible, mais il n’y a lisme de façade. ce dernier était le vice-
­retour de l’islamisme tiers-mon- pétrole à Total. Mais la politique de pas d’issue sous Donald Trump. Le Recueilli par président de Barack
diste, dans une surenchère idéolo- pression ­maximale de l’administra- Guide dénonce souvent «l’apart- Pierre Alonso Obama.

d’ailleurs pas attendu puis- chement s’était opéré lorsque est éminemment politique et
qu’en plus du cargo plein de Hugo Chávez dirigeait encore géopolitique, par rapport au
nourriture, l’Iran prépare une le Venezuela et les partena- moment où ça se passe, du fait
livraison de matériel médical riats commerciaux s’étaient de la politique de Washington
pour lutter contre le corona- ensuite multipliés jus- vis-à-vis de Caracas et Téhé-
virus. Le mariage semble qu’à 2015 et l’accord sur le ran.» Laquelle peut se résu-
donc déjà consommé. nucléaire iranien. A partir de mer en un mot : sanctions.
«Tout cela reste bien symbo­- là, l’Iran avait pris ses distan- Pour pousser Nicolás Maduro
lique, tempère l’économiste ces, comme gage de bonne vers la sortie d’une part, et
Henkel Garcia, du cabinet volonté vis-à-vis des Europé- faire pression sur les diri-
Econometrica. L’Iran n’y ens et des Américains avec geants iraniens d’autre part.
­gagne pas grand-chose d’un qui le pays négociait. Mais «C’est un échec sur ce
point de vue économique et avec l’arrivée de Trump à la plan-là», estime le cher-
ses livraisons ne vont pas sor- Maison Blanche, la remise en cheur, car «les sanctions
tir le Venezuela de la crise.» cause de l’accord, et la reprise créent des radicalisations de
Il rappelle qu’1,5 million de de son programme nucléaire, ce qu’elles sont censées arrê-
barils d’essence, c’est ce que Téhéran peut renouer ses ter», et «renforcent les allian-
son pays raffinait en à peine ­relations avec le pays de ces et les liens des différents
une journée il y a dix ans. ­Bolivar. pays qu’elles visent».
Et surtout, cela ne représente «Ce qui s’est passé avec l’his-
qu’un mois et demi de sa toire des bateaux est plutôt Modèles différents
­demande intérieure. «Par une petite histoire si l’on re- D’une certaine manière, l’in-
ailleurs, j’ai du mal à croire garde l’ensemble des relations tensité des relations irano-
que des ingénieurs iraniens, entre les deux pays, insiste vénézuéliennes ne dépend
formés pour gérer une indus- Christophe Ventura. Le sens que du traitement infligé par
trie pétrolière totalement dif- Washington. Car sans les
férente de la nôtre, arrivent à Etats-Unis, il n’y a pas grand-
remettre sur pied un système Le Venezuela chose pour rapprocher ces
si mal en point», juge l’éco­- deux pays aux modèles et aux
nomiste. Donc à moins de semble avoir projets de société bien diffé-
multiplier les livraisons, la touché le fond rents. «Tant que l’Iran et le
pénurie d’essence risque de Venezuela sont des pays qui
devenir un problème chro­- avec le sont sanctionnés, mis à l’écart
nique au Venezuela.
«Cette coopération est faite
coronavirus : du capitalisme, cette relation
va continuer car ils n’ont pas
pour envoyer un message en plein d’autres choix, surtout au Ve-
­politique, pour être vue, pour nezuela avec la crise politique
pallier l’urgence, mais pas du confinement, interne», conclut Christophe
tout pour offrir quelque chose l’essence a Ventura. Si Donald Trump est
à long terme», analyse Chris- réélu par ses compatriotes à
tophe Ventura, chercheur à disparu des l’automne, les noces entre les
l’Iris. Il rappelle que l’amitié
entre les deux pays n’est pas
stations- révolutions islamique et boli-
varienne risquent bien de se
nouvelle. Le premier rappro- service. prolonger quelque temps. •
8 u
MUNICIPALES
Libération Mercredi 24 Juin 2020

Par
CHARLOTTE BELAÏCH

«T
ous les gens qui disent
que le passage de relais
s’est fait grâce à eux, ils
pipeautent. Maintenant qu’on est
retombés sur nos pattes, tout le
monde va embellir la réalité mais
le seul à être là de bout en bout, c’est
moi.» Interrogé fin février sur la
transition entre Benjamin Griveaux
et Agnès Buzyn, Paul Midy, jeune
directeur de campagne successif
des deux candidats, accordait tout
de même un peu de mérite au délé-
gué général d’En marche, Stanislas
Guerini. «Je suis allé chercher Stan
par la manche pour qu’il m’aide
le matin du retrait», racontait cet
­ancien des Jeunes pop, l’organe de
jeunesse du parti Les Républicains,
qui a aussi à son actif le lip-dub de
l’UMP en 2009 et une séance photo
de Benjamin Griveaux avec ses têtes
de liste particulièrement moquée
au début de la campagne.
Les mouvements de va-et-vient
dans le camp des marcheurs pari-
siens racontent leur campagne : une
désillusion progressive marquée
par quelques surprises. Au premier
rang desquelles le retrait de Gri-
veaux le 14 février, après la diffusion
de vidéos intimes. Quand Agnès
Buzyn a débarqué dans la campa-
gne deux jours plus tard, des pro-
ches de l’ancien porte-parole du
gouvernement ont pris le large. Très
investie sous l’ère Griveaux, la dé- Agnès Buzyn entre Pierre-
putée de Paris Olivia Grégoire a par Yves Bournazel et Delphine
exemple un peu disparu des radars. Bürkli, le 20 février à Paris.
«Elle a été très en colère au moment Photo Marc Chaumeil
de la vidéo, elle s’est sentie trahie
parce qu’il ne lui en avait pas parlé,
donc elle s’est mise en retrait», ra-
contait un marcheur quelque temps
après la transition. Depuis, elle n’est ainsi rameuté une demi-douzaine Pour Agnès Buzyn, elle n’a pas eu le Amiel, ex-conseiller élyséen et re-Yves Bournazel, élu Agir
jamais revenue sur le terrain de de membres du gouvernement, même entrain. Une question d’affi- ­proche de Benjamin Griveaux, du XVIIIe, ont aussi guidé la can­-
la campagne parisienne. Certains dont Christophe Castaner (Inté- nités, ou de perte d’espoir, selon et toutes les «petites mains» qui didate sur le terrain lors de son
­ministres, appelés en renfort pour rieur) ou Marlène Schiappa (Egalite les uns et les autres. ­gèrent le quotidien. «L’enjeu, c’était ­irruption dans la campagne. «Ils
tenter de faire décoller la candida- femmes-hommes), sur la scène du de les garder dans la campagne, l’ont portée», résumait un candidat
ture du candidat Griveaux, se sont ­théâtre Bobino, dans le XIVe arron- Espace libéré ­sinon il n’y avait plus rien. Je leur ai LREM. Parce qu’ils ne s’entendaient
également faits plus discrets à dissement, pour un meeting du Mais une bonne partie des troupes dit qu’on ne pouvait pas faire sans pas avec ­Griveaux ou parce que de
­mesure que la déroute électorale se candidat. A l’époque, la secrétaire a tenu la baraque. Des chevilles eux. Ils sont restés, mais ce n’est l’espace s’était libéré, certains se
matérialisait. d’Etat appelait son camp à convain- ­ouvrières de la campagne, comme pas la même proximité», racontait sont même plus impliqués à l’arri-
Les marcheurs parisiens ont fait le cre «ses potes, son amant, sa maî- Patrick Levy-Waitz, entrepreneur Paul Midy. Certaines têtes de liste, vée de l’ex-ministre de la Santé.
pari de l’onction présidentielle et de tresse, son fleuriste», et pourquoi macroniste et coprésident de la comme ­Delphine Bürkli, maire C’est le cas du ­député ­Mounir Mah-
l’étiquette LREM. Fin janvier, ils ont pas son boucher, de voter Griveaux. commission d’investiture, ou David ­sortante du IXe issue de LR, ou Pier- joubi, qui a soutenu Cédric Villani
avant de ­rallier le candidat officiel

PARIS Pour l’équipe de LREM,


de la ­macronie, ou de la conseillère
de Paris Marie-Laure Harel.
L’itinéraire de campagne de celle
qui a claqué la porte de LR en 2017,
critiquant la ligne dure de Laurent
Wauquiez, et rallié les marcheurs
permet de comprendre la topogra-
phie de l’aventure de la majorité
à Paris. Avec Benjamin Griveaux,

la déroute est longue


les choses se passent mal. Leur
­rencontre, déjà, n’a rien d’une évi-
dence. «Je me suis engagée auprès
de lui car je me suis dit que les autres
n’avaient aucune chance. Il a mis en
avant sa proximité avec Macron
et laissé ­entendre que c’était acté
pour forcer les soutiens», racontera
Marie-Laure Harel, après le retrait
du candidat LREM.
Ils ne se connaissent pas, elle veut
Porte-parole, ministres venus en soutien, «petites mains»… Pour ceux qui être porte-parole, il la nomme. «Je

se sont engagés au côté de Benjamin Griveaux, puis d’Agnès Buzyn, les pense qu’il m’a prise faute de mieux.
Il ne me disait rien, il ne me faisait
municipales ont été synonymes de rebondissements et désillusions. pas confiance», ­admet-elle. Le can-
didat soupçonne sa porte-parole
d’être derrière les ­citations en off
Libération Mercredi 24 Juin 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 9

Anne Hidalgo
et Rachida Dati
en loyales
Anne Hidalgo
compagnies
le 13 janvier Porte
de la Chapelle. Diamétralement noë. Elu, l’édile socialiste en fera
Photo Marc opposés sur les idées, son adjoint, comme Hidalgo
Chaumeil en 2014. A la tête de l’urbanisme,
les entourages des il a l’un des plus gros porte-
deux candidates feuilles et a beaucoup travaillé
ont en commun leur sur le projet 2020. La vision ur-
constance. Tour baine portée par Hidalgo, c’est la
des personnages de sienne qu’on peut résumer en
leur cercle rapproché. une formule : construire là où
c’est encore possible à Paris pour
créer du logement et ne pas ac-

A
u turn-over dans le camp centuer l’étalement urbain.
de la majorité, Anne Hi- ­Autrement dit : l’inverse de la
dalgo et Rachida Dati ont ­vision des écolos, qui jugent la
opposé la constance de leurs ville déjà trop dense.
équipes pendant toute la bataille.
Côté PS, la maire sortante a en- «Dévoués». Rachida Dati fonc-
voyé ses adjoints au front. «Elle tionne aussi en cercle restreint.
n’aime pas qu’on l’interroge sur D’abord, parce qu’au début,
des sujets qu’elle n’a pas préparés, ­personne ne croyait en elle mais
donc on joue ses gardes du corps», aussi parce que c’est sa façon de
Rachida Dati expliquait l’un d’entre eux. Dans fonctionner. «Elle ne travaille
en visite Porte l’équipe de sécurité : Emmanuel qu’avec des gens en qui elle a une
de Saint-Ouen Grégoire. Chef de cabinet de Ber- confiance aveugle, qui lui sont
le 6 février. Photo trand Delanoë entre 2009 et 2012, ­totalement dévoués», explique
Albert Facelly membre de l’exécutif parisien de- Agnès Evren. La présidente de la
puis 2014 et premier adjoint fédération LR de Paris, porte-pa-
d’Anne Hidalgo depuis 2018, il a role de Nathalie Kosciusko-Mo-
été omniprésent dès que la ma- rizet en 2014, ne faisait pas par-
qui l’accablent dans les médias et la
tient à distance, ­jusqu’à conseiller
«Plus personne ne Au lendemain du scrutin, tout
s’écroule. Dans un entretien au
chine s’est mise en marche. «On
ne veut pas nationaliser, on n’est
tie des fidèles de Dati. Mais dès
le début de la campagne, elle a
à des journalistes de ne pas l’écou- pense que Buzyn Monde, l’ex-ministre affirme qu’elle plus dans le modèle où des ténors mis les mains dans le cambouis.
ter. La porte-parole ne croit pas en s’est lancée dans la campagne en venaient adouber des candidats Membre de la commission d’in-
son candidat, désespère de son
va être élue maire ayant conscience que le pire était à locaux, analysait-il pendant la vestiture, elle a parlé aux uns et
manque de vision pour Paris, se dé- de Paris. Partant venir. Marie-Laure Harel, qui a été campagne. Rémi Féraud [le pré­- aux autres quand la candidate et
sole du manque d’émulation dans contaminée par le Covid-19, prend sident du groupe socialiste au les maires d’arrondissement sor-
l’équipe de campagne (Griveaux de là, je ne suis ses distances, abattue. «Elle est conseil de Paris, ndlr], moi… ce tants n’arrivaient pas à se mettre
travaille surtout avec quelques fidè-
les) et déplore une personnalité
pas pour mentir comme un boxeur sonné», raconte
un candidat LREM. «La pauvre Ma-
sont nous les poids lourds, les gens
qui comptent.» Tellement qu’il
d’accord, certains refusant de
s’affilier clairement à LR. Il y a
«compliquée», pour dire les choses aux gens et dire rie-Laure n’a jamais misé sur le bon devrait être renommé premier aussi Nelly Garnier, qui dirigeait
avec des pincettes. «Arrogant», cheval», plaisante un écolo. adjoint. la campagne. Ancienne direc-
­disent certains. Quand un premier
“votez Buzyn”.» Aujourd’hui, qui reste-t-il ? Le cas- trice des études à LR, directrice
sondage donne Rachida Dati de- Marlène Schiappa ting de campagne des marcheurs Vision urbaine. Un autre associée chez Havas, elle est
vant lui, beaucoup paniquent mais candidate sur la liste du XIVe parisiens a encore changé depuis homme est essentiel dans le dis- l’auteure d’une note sur la socio-
Benjamin Griveaux, lui, semble la pause électorale. Les maires positif Hidalgo. Jean-Louis Mis- logie électorale urbaine qui a
­imperturbable. La révélation de ­d’arrondissement sortants, comme sika, 69 ans, n’est ni un pro­- ­influencé la campagne de Dati.
la vidéo intime du candidat sera remerciée pour mon énergie, ça a fait Delphine Bürkli, ont arrêté de «por- fessionnel de la politique ni un Selon elle, les sentiments de dé-
la goutte d’eau. Sur les boucles des ma campagne. Elle me touche, elle ter» leur candidate, jusqu’à la faire militant. Depuis trente ans, il classement et d’insécurité crois-
messageries en ligne des mar- est humaine, sensible», raconte-t- disparaître de leurs affiches de fraye tout de même dans les mi- sants ont ouvert un marché pour
cheurs, Marie-Laure Harel craque elle au sujet de la candidate. campagne. Les ministres, comme lieux de la gauche, plus libérale la droite affirmée. Reste Emma-
et critique une conduite qu’elle juge Mais déjà, en ce début mars, Harel Marlène Schiappa, ne s’approchent que révolutionnaire. Ce n’est nuelle Dauvergne, la fidèle
irresponsable. laisse échapper : «Perdre, ça ne me plus du bourbier parisien. Début qu’en 2008 qu’il se frotte au parmi les fidèles. «Elle l’a mieux
dérange pas si c’est pour des gens juin, sur une conversation entre combat électoral en candidatant cernée que les autres et s’est
Bourbier bien.» Le camp LREM ne se fait plus marcheurs du XIVe arrondissement, dans le XIIe, sur une liste Dela- adaptée à ce dont elle a besoin :
Lorsque Griveaux annonce son d’illusions. Après quelques jours où elle est candidate, la secrétaire quelqu’un de loyal, qui reste dans
­retrait, la conseillère reprend du à afficher leur enthousiasme, au d’Etat a admis : «Plus personne ne l’ombre, et en même temps une
service. Pendant trois jours, alors ­moment du passage de relais, les pense qu’Agnès Buzyn va être élue «Anne Hidalgo copine», raconte un élu parisien.
que la macronie se cherche un rem-
plaçant, elle enchaîne les plateaux,
marcheurs doivent avouer l’évi-
dence : ils ne gagneront pas Paris.
maire de Paris. Partant de là, je ne
suis pas pour mentir aux gens et dire
n’aime pas qu’on Sur le papier, elle est adjointe
à la mairie du VIIe. En réalité,
preuve vivante que la majorité n’a C’est trop tard, leur nouvelle candi- “votez Buzyn” pour qu’elle soit maire l’interroge sur elle s’occupe un peu de tout, y
pas dit son dernier mot. «Il fallait date ne renversera pas la vapeur. de Paris.» Le député Agir Pierre- compris quand il s’agit de se
que ça continue, explique-t-elle. J’ai «Elle est tellement gentille, mais en Yves Bournazel et l’ex-conseiller des sujets qu’elle confronter à ceux qui ont déplu
même proposé d’y aller en binôme
avec Mounir Mahjoubi mais ils
campagne il faut être offensif, face à
une Dati qui enchaîne les punch­-
com de François Hollande Gaspard
Gantzer ont pris le relais, respec­-
n’a pas préparés, à sa patronne. C.B.

avaient peur pour l’Ouest et vou- lines… Quand elles étaient toutes tivement en tant que porte-parole donc on joue ses Libé raconte la campagne parisienne
laient un “effet blast”, c’était leur
truc.» L’effet blast s’appellera Agnès
les deux sur BFM TV, je me demande
ce qu’on retient de son passage»,
et directeur de la communication.
Un homme issu de la droite, l’autre
gardes du corps.» au travers des entourages des candi-
dats. Les «camps», les «proches», qui
Buzyn. Renommée porte-parole, ­reconnaît ainsi la porte-parole de la gauche, pour conclure la dé- Un adjoint de la maire font aussi une élection. A lire en inté-
Marie-Laure Harel respire. «Elle m’a avant le premier tour. route du macronisme à Paris. • de Paris gralité sur Liberation.fr.
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MUNICIPALES
Libération Mercredi 24 Juin 2020

Lyon : Cucherat forcé de s’expliquer


sur le «connards» de son colistier
Yann Cucherat ne dit pas merci aux caméras de
France 5. Le candidat ex-LREM à la mairie de Lyon n’avait pas réagi sur
le moment, en entendant Christophe Marguin, son allié LR candidat
à la métropole, traiter devant lui les électeurs écolos de «connards».
Mais comme la séquence a été diffusée à la télé, Cucherat a dû réagir.
«Les mots de Christophe Marguin ont clairement dépassé sa pensée !»
a tweeté lundi le vice-champion du monde de gymnastique.

LREM : «Je combats le secta-


risme et le dogmatisme», dé-
coche-t-il en direction de la
liste Poitiers collectif.
Lui aussi reproche aux écolos
d’être «décroissants» sous
prétexte qu’ils veulent fermer
l’aéroport. Mais pas question
pour autant de renier son
­étiquette. «Je suis socialiste et
je le resterai. Même si, en tant
que maire, mon rôle est de
rassembler», professe celui
qui fut aussi le coauteur avec
Jean Leonetti d’une loi sur
la fin de vie. A ceux qui lui
­reprochent de gouverner
seul, il oppose son «autorité
tranquille» et sa liste «renou-
velée à 60 %».

Bonne parole. «En réalité,


il concentre tout le pouvoir
avec ses deux bras droits, qui
ont plus de 70 ans», cingle
Charles Reverchon-Billot,
30 ans, directeur de cam­-
pagne de Poitiers collectif. On
le retrouve avec Léonore
Moncond’huy dans le local
EE-LV du centre-ville. Am-
biance bon enfant autour
de la table, ça se vanne entre
«non-encartés», militants
écolos, communistes et Gé-
nération·s. Moyenne d’âge :
Le maire sortant PS et candidat à sa réélection, Alain Claeys, et la tête de liste d’union de la gauche, Léonore Moncond’huy, lundi à Poitiers. 39 ans. Beaucoup sont issus
de l’associatif, des maisons
de quartier, de l’éducation po-

A Poitiers, les écolos prêts pulaire. La tête de liste, elle,


est venue à l’engagement par
le scoutisme. D’où le souci du

à déboulonner le baron socialiste


collectif, défend-elle, qu’illus-
tre bien sa ­dési­gnation au
terme d’une ­ «élection sans
candidat». Comprendre : per-
sonne ne s’est présenté, mais
Arrivé en tête au à linge, sur le parvis de l’église des 10 %. Aucun accord for- côtés : une médiatrice sociale d’écran à l’appui. Cette cam- chaque participant de la plé-
premier tour dans Notre-Dame, en plein cœur mel n’a été trouvé mais les issue d’un quartier populaire pagne, c’est un peu la sienne. nière a proposé une liste de
ce fief PS, le sortant de Poitiers. Les chalands programmes sont proches. et un commandant de police «Après le 15 mars, à Paris, on noms. Le sien est celui qui est
­venus faire leur De quoi, peut- en retraite. ne me regardait plus de la revenu le plus souvent.
Alain Claeys marché sont invi- L'histoire être, faire tomber Débarque une tête connue. même façon, savoure-t-il. Les «L’objectif, c’est de mettre le
affronte dans
une triangulaire
tés à écrire leur ré- du jour ce fief socialiste Sacha Houlié, 31 ans, député gens se disaient : ce petit gars projet avant la tête de liste
ponse au feutre depuis 1977. Et de la Vienne et 15e sur la liste. il a fait 19 % tout seul, avec ses et les ego», résume-t-elle. Le
deux néocandidats : sur des feuilles A4. Une dé- donc électriser un peu l’am- «Sur 25 000 portes frappées, petits bras.» Objectif affiché : programme, donc, a été éla-
l’EE-LV Léonore marche participative qui biance sur le parvis, où les j’en ai fait 3 500 à moi seul», «Faire de Poitiers une base boré pendant un an, entre
Moncond’huy fleure bon les techniques trois listes qualifiées pour le fanfaronne l’élu. C’est aussi pour LREM. Même si on fait groupes de travail théma­-
et le macroniste d’éducation populaire dont second tour font campagne lui qui est allé négocier, tout 25 %, ça voudra dire quelque tiques et plénières. «Il n’y a
la liste «Poitiers collectif» a ce samedi matin. seul, une éventuelle fusion chose.» que comme ça qu’on peut ra-
Anthony Brottier. fait sa marque de fabrique. avec Alain Claeys. Sans suc- Mais pour Alain Claeys, Sacha mener des gens vers la poli­-
Conduite par Léonore Mon- «Petits bras». Pile sous le cès. Toujours lui qui a rejeté Houlié a un objectif plus se- tique», soutient la conseillère
Par cond’huy, conseillère régio- porche de l’église romane, toute alliance avec la droite cret : «Devenir ministre.» Le régionale qui confesse avoir
Nicolas Massol nale EE-LV, soutenue par le Anthony Brottier, la trentaine poitevine, coupable et comp- baron socialiste de 71 ans, ­«coché toutes les cases de l’en-
Envoyé spécial à Poitiers PCF et Génération·s, elle dégarnie, s’affiche tout sou- table des propos homo- dont une ving- gagement militant».
Photos Claude est arrivée en deuxième posi- rire. Confiant dans la ­réserve phobes et xénopho- INDRE- taine au Palais- Au menu de sa soirée : un
ET-LOIRE
Pauquet. Vu tion le 15 mars, avec 23,89 % de voix constituée par les abs- bes de certains Bourbon, re- «barathon» (soit… une tour-
des voix. Derrière le maire tentionnistes du premier tour de ses colistiers garde le jeune née des bars), autant pour

«D
e quoi a-t-on be- sortant Alain Claeys (PS, et la droite du candidat LR, sur les réseaux VIENNE ­ambitieux avec ­répandre la bonne parole que
INDRE
soin pour passer 28,21 %) et devant Anthony qui n’a pas pu se maintenir. Il sociaux. De DEUX- un mélange de ­ pour souder le collectif. Reste
SÈVRES
un bon été ?» La Brottier (LREM, 18,37 %). Di- dit avoir «le cœur plutôt à quoi compli- bienveillance à savoir si cela suffira à battre
Poitiers
question que tout le monde manche, elle mise sur le re- gauche». «Mais sans dogma- quer les reports et d’agace- les deux crocodiles de la poli-
HAUTE-
se pose en ce moment pen- port des voix d’une autre tisme», s’empresse-t-il d’ajou- de voix. Qu’im- VIENNE ment. Son dis- tique locale – le baron socia-
douille sur un morceau de liste, soutenue par LFI, arri- ter, en prenant pour preuve porte, le député CHARENTE cours n’est pas si liste et le jeune ambitieux
15 km
papier accroché à une corde vée tout juste sous la barre deux de ses colistiers, à ses assume, captures éloigné de la liste macroniste. •
Libération Mercredi 24 Juin 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 11

LIBÉ.FR
Municipales : à Marseille, LR fait
tonner les voix du Seigneur
«Allez voir du côté de Notre-Dame de la
­ ompassion…» Pour riposter contre les soupçons de procurations
C
frauduleuses, des candidats de Martine Vassal ont jeté en pâture
à la presse le nom d’un Ehpad. Et provoqué la colère des religieu-
ses qui le gèrent. «Comment pouvez-vous laisser porter l’opprobre
sur notre institution religieuse ?» a déploré sœur Ornella dans
une missive adressée à Vassal et aux élus LR. Photo AFP

Perpignan Un faux sondage donne


A Bordeaux, la justice botte Aliot vainqueur, le maire porte plainte
Le maire sortant de Perpignan, Jean-Marc Pujol (LR), op-

en touche sur les procurations posé au député RN Louis Aliot, a déposé une plainte pour
«atteinte à la sincérité du vote». La plainte dénonce notam-
ment la publication par Aliot sur Facebook et Twitter
Mardi, le juge s’est déclaré tants», avant d’assurer que, las Florian] s’adresse à ses ad- ­ istancé dans les sondages,
d le 16 juin d’un article du site local Ouillades, qui fait réfé-
«incompétent», renvoyant le dans l’optique du vote de ministrés en tant que maire». l’avocat de Nicolas Florian, rence à un «sondage» le donnant vainqueur par 54 % des
règlement du litige à après ­dimanche, il allait «redoubler Dans ce mail, il rappelle son Me Michel Dufranc, a estimé voix. L’enquête d’opinion avait été soi-disant réalisé par
l’élection. A Bordeaux, un de vigilance». Lundi, il avait souci d’assurer les meilleures que le candidat écologiste Sciences Poll, prestigieux institut universitaire américain
nouveau round de la campa- carrément dénoncé «des mé- conditions sanitaires pour avait «saisi le tribunal judi- qui s’est révélé être inventé de toutes pièces par Christian
gne s’est joué au tribunal. Le thodes politiques dignes de l’élection et indique qu’il est ciaire pour saisir le tribunal Prade, un vieux routier de l’extrême droite.
candidat écologiste, Pierre Marseille», où Martine Vas- possible de voter par procu- médiatique» et tenter de rat-
Hurmic (EE-LV-PS-PCF), as- sal, tête de liste LR, fait face à ration. «Jusque-là, rien à traper son retard. Le 15 mars,
signait en référé son rival, le des accusations de fraudes dire. Il est parfaitement dans les deux hommes sont Nice Estrosi snobe le débat télévisé
maire sortant, Nicolas Flo- aux procurations. Autour de son droit», a argué l’avocat. ­arrivés au coude-à-coude, à
rian (LR), lui reprochant Nicolas Florian, on affirmait Mais il a pointé «un trouble il- ­seulement 96 voix d’écart : Le maire sortant Les Républicains de Nice, Christian Es-
d’avoir sollicité des procura- être «sereins» et convaincus licite» lorsque les destinatai- 34,56 % pour l’édile de droite trosi, favori pour un troisième mandat, a renoncé à partici-
tions d’électeurs dans des de n’avoir «rien fait d’illégal», res sont invités à cliquer sur (désormais associé au mar- per au débat télévisé organisé avant le second tour avec ses
mails en entretenant «la balayant «un ultime procès un lien proposant la procura- cheur Thomas Cazenave, adversaires RN et écologiste. «En 2014, il avait également
­confusion ­entre ses qualités de d’intention à quelques jours tion. «Elle ne peut être donnée ­arrivé en troisième position décliné le débat avant de se présenter un quart d’heure avant
maire et de candidat». du scrutin». que pour voter pour M. Flo- avec 12,69 %), contre 34,38 % l’enregistrement, rappelle Olivier Théron, rédacteur en chef
A chaud, Pierre Hurmic s’est Me Pierre Fribourg, pour le rian. Ce n’est pas une orienta- des suffrages pour l’écolo, de France 3 Côte d’Azur. Cette fois, il affirme être au chevet
dit «heureux d’avoir mis sur camp écologiste, a orienté tion mais un entonnoir !» ­désormais à la tête d’un ras- des Niçois.» Estrosi dit se consacrer à la gestion des consé-
la place publique ce que nous son plaidoyer sur un mail a-t-il plaidé. semblement des gauches. quences de la pandémie. Son adversaire RN estime que ses
considérons comme des man- en particulier, «envoyé à de Commençant par rappeler Eva Fonteneau nombreuses interventions sur des chaînes nationales pen-
quements éthiques impor- nombreux électeurs, où [Nico- que Pierre Hurmic était (à Bordeaux) dant le confinement ont faussé «la sincérité du scrutin».

Toulouse : une gauche «plus que


«La Macronie plurielle» marche sur le Capitole
fait alliance avec Le déjeuner sous le soleil se telligence collective», se ré-

la droite la plus voulait très symbolique.


L’équipe de campagne d’An-
toine Maurice a réservé une
jouit Mamère. Sur son vélo
arborant les couleurs, vertes
et mauves, du candidat d’Ar-
conservatrice grande tablée au Florida
pour recevoir en toute dé-
chipel, Jonas ne peut qu’ap-
prouver. Le jeune homme,

dans un front contraction des soutiens de


poids venus de toute la
France et de toute la gauche.
militant non encarté d’Ar-
chipel, suit avec un brin de
distance le cortège des poli-
anti-écolo.» Avec 27,5 % au premier tour,
le candidat écologiste, tête
tiques. Il confie ne pas trop
apprécier ce «cirque politi-
de la liste «Archipel ci- co-médiatique». Jonas dit
toyen», talonne le maire LR toutefois avoir compris qu’il
sortant, Jean-Luc Moudenc. L’écolo Antoine Maurice, mardi à Toulouse. s’agissait, en quelque sorte,
Il a rassemblé toutes les gau- d’un «mal nécessaire».
ches pour le second tour. promenade digestive au poir de célébrer une nou- Après une conférence de
Une union qui avait poussé bord de la Garonne. «Je ne velle victoire, même par presse aux allures de mee-
Moudenc, de la terrasse du sors de ma retraite que pour procuration : il figure en der- ting politique sans public,
même Florida, à sonner Toulouse et Marseille et puis nière position, non éligible, où chaque formation dé-
l’alerte sur le risque de voir j’y retourne», assure l’ancien sur la liste de son ancien roule son discours, les invi-
yannick Jadot la «ville rose» virer au rouge candidat à la présidentielle. ­adjoint. tés d’Antoine Maurice ont
eurodéputé vif. Mardi, on a pu voir au- Il était curieux de voir de Noël Mamère, venu en voi- reçu une délégation de sala-
AFP

et chef de file EE-LV tour d’Antoine Maurice, Ian près le chef de file écologiste sin de Gironde, estime que riés de Derichebourg qui dé-
Brossat, adjoint (PCF) d’Archipel citoyen. «Un al- le phénomène toulousain noncent des «licenciements
Le député européen EE-LV Yannick Jadot a estimé mardi que d’Anne Hidalgo à Paris, cô- chimiste», apprécie Hamon, Archipel n’est pas un simple déguisés» chez cet important
«la macronie, c’est l’UDF de Bayrou à de Villiers». La preuve : toyer le sénateur Claude soulignant la difficulté à ras- «remake» de la gauche plu- sous-traitant d’Airbus. «Ar-
pour le second tour des municipales, LREM «fait alliance avec Raynal (PS), et Clémentine sembler autant de forma- rielle des années Jospin. chipel s’est aussi nourri du
la droite la plus conservatrice», a-t-il relevé. En difficulté, le Autain (LFI) partager une tions politiques de gauche L’ancien maire de Bègles et mouvement social», souligne
parti présidentiel a en effet noué des alliances avec la droite salade avec le président so- sous une bannière ci- candidat écologiste à la pré- Manuel Bompard. Le député
dans plusieurs grandes villes, comme Lyon, Bordeaux ou en- cialiste du département. Cet toyenne. Le fondateur de sidentielle veut souligner européen est un autre «al-
core Strasbourg. «Il y avait le front républicain contre le Front aréopage rouge, vert et rose Génération·s a retrouvé pour l’implication citoyenne chimiste» qui a œuvré aussi
national, il y a le front du déclin anti-climat avec La Républi- a ensuite traversé la place du l’occasion l’ancien maire so- d’Archipel, qu’il compare à discrètement qu’efficace-
que en marche, c’est terrible», a déploré sur RTL le chef de file Capitole pour poser devant cialiste de Toulouse. Pierre la Convention pour le cli- ment au mariage initial de
médiatique des écologistes. Pour qui un succès des écologistes la mairie sous l’objectif des Cohen, qui avait rejoint Gé- mat. «Des hommes et des LFI et de EE-LV au sein d’Ar-
dimanche serait «une espérance pour les Françaises et les photographes. nération·s et monté une liste femmes non encartés se mê- chipel citoyen.
Français, pour les régionales et évidemment pour la présiden- Un Benoît Hamon barbu a (5,66 %) qui a fusionné avec lent enfin de ce qui les re- Stéphane Thépot
tielle et les législatives» de 2022. rejoint le cortège pour une Archipel citoyen, a bon es- garde. Ils produisent de l’in- (à Toulouse)
12 u
France Libération Mercredi 24 Juin 2020

Les jeunes
migrants isolés
dans la zone crise Reportage

A Paris, des adolescents étrangers sans papiers qui n’ont


pas encore vu leur statut de mineur reconnu se retrouvent
coincés dans un flou juridique. En cette période
de pandémie, les associations dénoncent la gestion
par la ville de leur situation, devenue encore plus précaire.

Par ils se sont présentés au Dispositif vent. Ou bénéficient d’un héber­-


philippine Kauffmann d’évaluation des mineurs isolés gement grâce à des associations ou
Photo étrangers (Demie), géré par la Croix- des collectifs citoyens.
Stéphane Lagoutte. Rouge. Moussa et Ibrahim ont Le Covid-19 n’a rien arrangé, margi-
Myop fourni des actes de naissance. Insuf- nalisant encore plus cette popula-
fisant pour être considérés comme tion précaire et vulnérable. «Ils ne

M
oussa et Ibrahim (1) ont mineurs. «Les autorités veulent des rentrent dans aucune case, ils ont
l’air fatigué et perdu qu’ont documents conformes à la virgule été laissés pour compte pendant la
parfois les ados. Ils vien- près : quasiment impossible», juge crise, déplore Caroline Douay, coor-
nent de sortir du gymnase de la Danielle Gherissi, qui évoque le flou dinatrice des programmes de Méde-
Croix-Nivert, dans le XVe arron­- de certains registres d’état civil ma- cins sans frontières (MSF) à Paris et
dissement de Paris, pour prendre liens. Elle estime qu’«environ 70 %» en Ile-de-France. La problématique
des nouvelles de leurs dossiers judi- des jeunes migrants reçoivent une sanitaire n’a jamais pris le dessus
ciaires auprès de Danielle Gherissi. réponse négative et, dès lors, ne sur leurs situations administrati-
Cette bénévole du collectif Accom- peuvent pas intégrer les dispositifs ves.» Sans compter que pendant les
pagnement et défense des jeunes de protection de l’enfance (2). Avec longues semaines de confinement,
isolés étrangers (Adjie) n’a jamais l’aide d’avocats mis à disposition leurs recours n’ont pas avancé. «Les
été autorisée à entrer dans le centre par des associations, ils déposent juges des enfants travaillaient de
sportif et ce lundi encore, l’entrée lui alors un recours devant un juge des chez eux et n’avaient pas accès aux
en a été sèchement refusée. Quinze enfants. Selon l’Adjie et Médecins dossiers», rappelle Charlotte Singh,
garçons, originaires pour la plupart du monde, environ la moitié sont fi- conseil de trois garçons du gymnase
d’Afrique de l’Ouest, y sont hébergés nalement reconnus mineurs (3). de la Croix-Nivert.
depuis un peu plus d’un mois. Mais la procédure a tendance à Le 17 mars, le confinement a ainsi
Ibrahim et Moussa sont arrivés du s’éterniser. Sans parler des impon- débuté et Paris s’est vidé. Trois jours
Mali il y a plus d’un an. Fuyant leur dérables : Ibrahim a ainsi récem- plus tard, le Demie ferme. Les jeu-
pays en guerre depuis 2012, ils ont ment appris que le tribunal avait nes migrants ne savent alors plus à
chacun mis de longs mois pour re- égaré ses actes d’état civil. qui s’adresser. Officiellement, ils
joindre l’Europe. «Je vous sens com- sont dirigés vers les commissariats.
plètement éteints», leur dit la retrai- «Laissés pour compte» «Tous ceux qui se sont présentés
tée. «Je veux sortir, ça me fatigue Dans une décision rendue le 2 juin, pour être évalués ont été mis à l’abri
d’être ici, j’ai peur de la maladie», le Défenseur des droits est venu à en chambre d’hôtel, dans un gym-
avoue Moussa, à peine audible au- leur rescousse. Il estime que «seules nase ou par l’ASE», assure Domini-
dessus du bruit des voitures. Le les personnes qui reconnaîtraient que Versini, adjointe en charge de
14 mai, les deux garçons ainsi que d’elles-mêmes leur majorité pour- la protection de l’enfance à la mairie
leur ami Yacouba (1) ont été testés raient être considérées comme ne sa- de Paris. Mais les ONG peignent un
positifs au coronavirus. Ils n’en con- tisfaisant manifestement pas à la tableau différent, et rappellent que
tinuent pas moins à dormir dans ce condition de minorité requise pour ces jeunes ne sont pas toujours bien
gymnase. Coincés dans une zone de bénéficier d’un accueil provisoire accueillis par la police. «Les psycho-
flou juridique, et rendus plus pré- d’urgence». Dans les faits, pourtant, logues n’ont pas chômé, ces jeunes
caires encore par la pandémie de ces jeunes passent à travers les sont en souffrance, angoissés par
Covid-19 et ses con­séquences. mailles des filets des départements, leur situation juridique, souligne
Quand on leur demande leur âge, ils chargés de gérer l’Aide sociale à Caroline Douay. Nous avons fait face
répondent à l’unisson : «16 ans.» l’enfance (ASE), comme celles à des situations alarmantes de
Lorsqu’ils sont arrivés en France, du 115, réservé aux majeurs. Ils se ­gamins qui décompensent.» Collec-
comme le veut la procédure à Paris, débrouillent alors comme ils peu- tifs citoyens et associations lll
Libération Mercredi 24 Juin 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 13

lll s’emploient alors à mettre à hôtelier. «Mais ils m’ont envoyé dans les gestes barrières», ils réintègrent
l’abri ceux évalués majeurs. MSF fi- le gymnase de la Bidassoa, dans le tous le gymnase le 28 mai. Ils ne
nance des chambres d’hôtel pour XXe arrondissement, raconte-t-il. On ­seront restés que dix jours dans le
plus de 170 d’entre eux, à Paris, Bor- était tous mélangés : impossible de centre Covid, pendant que leurs
deaux et Marseille. Dans la capitale, garder nos distances. On n’avait rien ­camarades étaient mis en quaran-
107 autres jeunes sont pris en pour se laver les mains, pas de mas- taine. Une décision qui inquiète les
charge par des hébergeurs solidai- ques, pas de produit et pas de sa- bénévoles du collectif Adjie, comme
res et les associations Paris d’exil, von.» Les jeunes n’ont le droit de Romane : «Respecter les gestes bar-
Timmy-Soutien aux mineurs exilés, sortir du bâtiment que cinq minutes rières, c’est impossible dans un gym-
les Midis du MIE, la Casa et Uto- par jour et n’ont pas de suivi éduca- nase.» Elle constate cependant que
pia 56. Les Midis du MIE en héber- tif. Un «enfermement sans aucun la situation est meilleure qu’au
gent 14 et en nourrissent 67. «La fondement légal», fustige l’avocate gymnase de la Bidassoa : les jeunes
mairie s’est reposée sur nous sous Charlotte Singh, le reste de la popu- bénéficient de cours de français,
prétexte qu’on payait l’hôtel», dé- lation étant autorisée à sortir se dé- peuvent sortir pendant la journée et
nonce Agathe Nadimi, la fonda- penser une heure par jour. jouer sur le terrain de basket.
trice. Faux, rétorque la ville, qui Le 1er mai, Moussa, Ibrahim et Dans la rue de la Croix-Nivert, entre
juge que les associations «n’ont pas ­Yacouba se retrouvent tous dans une grue à l’arrêt et de grosses ben-
accepté qu’ils soient hébergés dans un nouveau gymnase : celui de la nes à ordures, Moussa raconte mal-
[leurs] dispositifs». En effet, les Mi- Croix-Nivert. Plus spacieux, et nanti gré tout que le bâtiment n’a pas de
dis du MIE, estimant l’hébergement d’un terrain de basket en extérieur. fenêtres, qu’il s’y sent «enfermé».
collectif trop dangereux en période Y sont installés «des boxes, des iso­- Ibrahim, grand et maigre dans son
de pandémie, ont dépensé plus de lations et toutes les mesures de pro- tee-shirt orange fluo, assure qu’il a
20 000 euros en chambres d’hôtel tection nécessaires», affirme Pierre du mal à dormir. «Tu as maigri, lui
pour 14 jeunes migrants pendant la Henry, le directeur de France Terre fait remarquer Danielle Gherissi.
durée du confinement. L’associa- d’asile, mandaté par la Ville de Paris Qu’est-ce qui ne va pas : la nourri-
tion et le collectif Timmy-Soutien pour gérer le dispositif. «Une déci- ture ou la tête ?» «Les deux», ré-
aux mineurs exilés ont à eux deux sion du juge des référés a reconnu pond-il. Lorsque la bénévole leur
distribué plus de 7 300 repas durant que les conditions de vie dans le parle de l’avancée de leurs dossiers,
la même période. gymnase de la Croix-Nivert, qui res- les ados l’écoutent avec attention.
pectent le protocole de l’Agence ré- Puis c’est le retour dans le gymnase.
«à la rue» gionale de santé (distances, mas- Lentement, Moussa et Ibrahim
«S’il n’y avait pas eu les associations, ques, mesures d’hygiène), n’étaient ­parcourent l’allée qui les y conduit.
je pense que certains seraient morts pas contraires à l’intérêt des person- ­Devant la grille, Danielle Gherissi
de faim», lance Clémentine Bret, nes hébergées», ajoute Dominique les regarde repartir. Et se demande
­référente mineurs en danger à Mé- Versini, à la mairie de Paris. combien de temps ils y resteront
decins du monde. Mais tous n’ont Le 14 mai, les jeunes sont testés encore. •
pas eu la chance d’être hébergés : pour le coronavirus. Quatre sur
«Beaucoup d’enfants sont restés à la quinze sont positifs. Moussa, Ibra- (1) Les prénoms ont été modifiés.
rue pendant la période de confi­- him, Yacouba et un autre jeune sont (2) Selon l’association Forum réfugiés,
nement», estime-t-elle. Saisi par plu- alors transférés au centre «Covid 26 626 mineurs non accompagnés étaient
sieurs avocats de jeunes en ­attente précaires» des hôpitaux de Saint- pris en charge en France métropolitaine
d’être reconnus mineurs, le tribunal Maurice dans le Val-de-Marne. Mal- au 31 décembre 2018.
administratif de Paris s’est prononcé gré un certificat médical qui affirme (3) En 2019, environ 7 000 jeunes se sont
pour le placement et la protection qu’«un hébergement adapté paraît présentés au Demie selon la mairie de Pa-
de plus de 70 d’entre eux. nécessaire» pour Yacouba et que les ris. 2 348 d’entre eux ont été reconnus
«Cela a été un vrai combat avec la quatre jeunes doivent «poursuivre comme mineurs, soit environ 33 %.
mairie de Paris : ils ont mis énormé-
ment de temps à réagir», déplore
Agathe Nadimi. Deux semaines
avant la fin du confinement, un
gymnase a été mis à disposition par
la ville. Mais «les décisions du tribu-
Retrouvez
nal administratif demandaient que
les mineurs soient mis à l’abri dans
des locaux adaptés à la crise et à
leur âge. Pas des gymnases», relève
Clémentine Bret, de Médecins du

dans 28 minutes
monde. Dans son rapport du 2 avril,
le conseil scientifique rappelait que
«le rassemblement dans des espaces
collectifs (de type gymnases) de per-
sonnes vivant en situation de grande
précarité et non infectées par le Co-
presente par elisabeth quin
vid-19 ne se justifie en rien».
du lundi au jeudi a 20h05 sur
Yacouba a quitté la Côte-d’Ivoire,
sans prévenir en 2018, car ses pa-
rents n’avaient pas assez d’argent
pour l’envoyer à l’école. Après plu-
sieurs tentatives, il a franchi la fron-
tière entre le Maroc et l’Espagne
à Melilla. Arrivé en France début
mars et malgré un certificat de na-
tionalité et un extrait de naissance,
il n’a pas été reconnu comme mi-
neur. Sur sa notification de refus, on
peut lire que son récit migratoire
n’est «pas suffisamment détaillé et
manque de précisions» et que «le fort
degré d’autonomie et de maturité
dont [il a fait] preuve en organisant
et en finançant seul [son] parcours
Moussa et […] n’est pas compatible avec l’âge
Ibrahim rue de la qu’[il déclare]». Il a vécu dans un
Croix-Nivert, squat en banlieue parisienne. Avant
le 8 juin à Paris. que, fin avril, une bénévole l’appelle
pour lui proposer un hébergement
14 u
France Libération Mercredi 24 Juin 2020

COVID-19
Déconfinés
mais flippés
Rester enfermé par peur de la maladie ou voir
du monde et se faire la bise… Depuis le début
du déconfinement, les relations sociales ont été
chamboulées. Pour certains, la réadaptation
s’avère plus complexe que prévu.

Par dans les Corbières. «Dans la nature, à vivre dehors.


sylvain Mouillard On était bien…» se souvient-il, nostalgique. Le retour
et marie Piquemal à la ville est loin d’aller de soi. «C’est compliqué de
voir les gens qui, parce qu’ils ont envie de vivre

D
éconfinés, mais loin d’être tous libérés. Six ­normalement, oublient tout ce qui s’est passé et pour-
semaines après l’amorce d’un retour à la vie quoi nous en sommes arrivés là», juge-t-il. Lui ne veut
pré-Covid, les relations sociales restent lar- pas, ne peut pas «papillonner d’un état à l’autre».
gement chamboulées par le virus et les mesures de Le confinement a aussi agi comme un révélateur :
distance physique encore préconisées. «La vie avec peu de contact, dans la nature, me va
D’un côté, les décomplexés, parlant du Covid-19 à bien. Je n’aime pas la société actuelle, tout ce bruit que
l’imparfait et claquant la bise comme un acte mili- font les gens pour rien.» Arthur s’est bien laissé en-
tant. A l’image de ce serveur dans un bar parisien : traîner dans un pique-nique avec un copain, mais a
«Les checks, les coups de coude, c’est pas pour moi. «vite été énervé» : «Quand je vois des gens qui ne res-
Je ne suis pas un punching-ball.» Lui fonce, tend la pectent pas les gestes barrières, ça me rend ouf !» Il mi-
joue et fait avec les vents. «Je m’en prends beaucoup, lite pour la fin de la bise ou du serrage de paluches.
oui…» Au fil des jours, il trouve quand même les
gens de moins en moins stressés. «Les flippés le res- «Je suis très tactile»
tent, mais c’est en train de s’inverser. On commence Une intransigeance pas facile à concilier avec la
à rire gentiment de ceux qui se trimballent avec le ­position de sa femme, moins angoissée, et qui tente
double masque et la visière en prime.» le compromis pour éviter les engueulades. Si son
La tribu du milieu, elle, tente un numéro d’équili- mari préfère le «risque zéro», Agnès se dit prête à
briste entre distanciation et retour à des interactions «prendre un risque, même réduit, pour retrouver une jardin, parfait.» Les débats traversent les familles Dans le métro
à peu près normales. Avec des foirages. Comme ce vie sociale et repasser des bons moments entre amis». et les générations. Paule, professeure des écoles à la parisien le 11 mai,
groupe d’amis qui gardent leurs distances lors d’un Elle précise : «En faisant attention, évidemment.» Sa ­retraite à Orange (Vaucluse), a dû attendre trois mois premier jour
dîner de retrouvailles, avant, l’heure avançant, de méthode ? La diplomatie des petits pas. «On est en avant de revoir son petit-fils de 4 ans. «Quand le dé- de déconfinement.
finir par tirer sur le même joint. train de s’ouvrir. Ma fille va aller à un anniversaire confinement a été annoncé, on se réjouissait des re- Photo Cyril
Et à l’autre bout, les précautionneux ou complète- [où il y aura une] chasse au trésor, donc en plein air ; trouvailles. Mais ça n’a pas pu avoir lieu tout de suite zannettacci. VU
ment psychorigides, tout dépend de quel point de des ­copains nous ont invités à un apéro. C’est dans un car la compagne de mon fils est enceinte de leur se-
vue on se place. Ceux-là mêmes qui n’ont pas remis cond enfant, et ils ne voulaient pas prendre le moin-
un orteil dans un magasin autre que pour des achats dre ­risque.» Un principe de précaution qu’elle com-
vitaux. Et qui ne peuvent plus sortir de chez eux «C’est compliqué de voir prend, même si elle en a souffert.
sans pester contre ces innocents/inconséquents at-
tablés aux terrasses des cafés ou dansant collés-ser-
les gens qui, parce qu’ils ont Finalement, la lumière est venue du minot lui-
même. «Il demandait à ses parents pourquoi il n’avait
rés lors de la fête de la musique, comme au temps envie de vivre ­normalement, pas le droit de voir son papou et sa mamie. Ils ont fini
d’avant. Cette espèce, peut-être plus nombreuse par craquer.» L’enfant est transmis sur une aire d’au-
qu’on ne le pense, vit très mal ce déconfinement. oublient ce qui s’est passé et toroute, sans bise, ni étreinte. A la maison, les barriè-

«ça me rend ouf»


pourquoi nous en sommes res tombent vite, admet la grand-mère : «Je suis très
tactile, alors les câlins et les bisous, forcément, il y en
C’est le cas d’Arthur, installé à Toulouse avec sa arrivés là. Je n’aime pas a eu.» Paule le reconnaît, il y a une part d’irrationnel
femme, Agnès. Il a fait son retour dans le chef-lieu
de la région Occitanie il y a trois semaines, après
la société actuelle.» dans ce réapprentissage des codes sociaux : «Le petit
est retourné chez ses parents après une semaine chez
un confinement passé dans la maison de ses parents, Arthur installé à Toulouse nous, donc potentiellement, il y avait un risque.» •
Libération Mercredi 24 Juin 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 15

nement amélioré avec une première fois depuis le confi-


vie d’avant qui n’a pas vrai- nement. Et au fond, chacun
ment repris. Cela dépend procède à une sorte de calcul
de l’état psychosociologique du risque. Ce que l’on voit,
des individus, et de la façon tant dans nos interviews que
dont les consignes gouverne- nos observations de terrain,
mentales sont réinterprétées c’est que plus un individu va
par chacun, ce qui était déjà être éloigné, moins on le
le cas durant le confinement. ­connaît, plus il va être perçu
Certains sont plus ou moins comme potentiellement
stressés par la maladie, plus ­dangereux.
ou moins à l’aise avec le Comment cela se passe-t-il
­contact physique et ont plus pour ceux qui sont repar-
ou moins besoin d’interac- tis travailler ?
tions sociales. Les plus Dans le cadre professionnel,
­angoissés, les plus intro­- les rites de salutations ont
vertis, dont certains ont changé et nous pouvons
d’ailleurs bien vécu la pé- émettre l’hypothèse que cela
riode du ­confinement, sont va durer. Dans l’histoire pro-
davantage dans une situation fessionnelle, les interactions
d’angoisse à l’heure du dé- physiques, comme se faire la
confinement. bise, sont très récentes : elles
Pour eux, c’est plein de remontent aux années 70.
­nouvelles situations à réap- A l’ère post-MeToo, le risque
prendre. Comment vais-je pandémique va être une
­interagir avec les autres ? ­excuse pour faire reculer
Comment cela va se passer ce contact physique auquel
dans les commerces ? etc. certaines femmes se ­sentaient
Ceux-là tentent de limiter les contraintes. Plus ­globale­-
déplacements, ou de respec- ment, à part les collègues avec
ter encore davantage les ges- qui on est tout le temps fourré
tes barrières. Mais globale- à la machine à café, les autres
ment, la majorité s’est bien vont être perçus comme plus
adaptée à cette néonormalité dangereux que quelqu’un de
avec piqûres de rappel (mas- la famille.
ques, gel…). En Occident, on La vie sociale devient une
a une mémoire des épidé- sorte de calcul-risque…
mies qui est relativement fai- Exactement. C’est un gros
ble. Et à partir du moment où changement car on n’avait
les commerces non essen- pas ce rapport au risque en
tiels ont commencé à rouvrir, Occident. Ces rituels ordinai-
puis maintenant les bars et res sont comme un contrat
restaurants, on a même assez social qui indique à l’autre
vite assisté à une forme de qu’on est dans une posture
­relâchement dans les gestes bienveillante dans notre
barrières. ­interaction avec lui. Avant,
Que ne fait-on pas ou plus? serrer la main, faire la bise,
Ce qui est le plus structurant parler à un inconnu dans la
dans le quotidien, c’est à la rue, n’était pas potentielle-
fois le travail et l’école qui ment dangereux. Avec les
rythment toutes les routines gestes barrières et la crainte
des Français. Tant que l’école du virus, les individus sont
n’est pas revenue à la nor- obligés de réapprendre à faire
male et pareil pour le travail, société et de trouver un autre
les individus se rendent bien rituel de bonjour. Alors que
compte que nous sommes c’est quelque chose que l’on
dans une période transitoire. fait depuis toujours.
De façon plus générale, il y a En outre, nous vivons dans
un grand bouleversement des une société méditerranéenne
rites de salutation : la bise, les qui est une société de con-
accolades, ou les poignées de tact. Quand on se parle,
main. Quand le ­degré de on peut avoir des corps
proximité est très important qui sont assez près. Ce n’est
avec les individus, ces rites donc pas simple. Dans les so-
commencent à ciétés asia­-

«Chacun procède
­ bserve depuis le 16 mars
o ­r evenir mais tiques, c’est
la façon dont les individus se pas de façon moins compli-
sont accommodés du grand systématique. qué : le contact
chamboulement du confi­- Quand le degré physique est
nement et maintenant du de proximité est loin d’être

à une sorte de
­déconfinement. Question- intermédiaire, ­systématique
naires en ligne auprès on voit apparaî- hors de la
de 6 000 personnes, entre- tre un pré-rite sphère très in-
DR

tiens poussés avec 60 d’entre dans l’interac- time. Nos nou-


Interview

calcul du risque»
eux et photoreportages avec tion qui est une veaux gestes et
interviews dans les espaces sorte de de- rituels entraî-
publics. Bilan ? Un panorama mande de consentement nent des modifications pro-
de nos vies et gestes sous pour verbalement se mettre bablement temporaires, qui
pandémie. d’accord sur la manière marquent cependant une
La vie sociale a-t-elle vrai- d’avoir ou de ne pas avoir un rupture entre les anciennes

F
Pour l’anthropologue Fanny Parise, anny Parise, anthro­- ment repris ? contact physique, et se ­saluer. habitudes et celles d’après :
les individus doivent réapprendre à vivre pologue, chercheuse Il y a un déconfinement à Ce sont des conventions d’une société «sans contact»
­associée à l’Institut deux vitesses. Pour certains, ­sociales qu’il faut réappren- ou à l’inverse avec un «excès
en société et trouver d’autres façons ­lémanique de théologie pra- il rime avec retour à une néo- dre. On ne sait pas forcément de contact».
d’échanger en prenant en compte tique de l’université de Lau- normalité, alors que d’autres comment se comporter avec Recueilli par
les gestes barrières et la peur du virus. sanne (Suisse), sonde et vivent encore dans un confi- ceux que l’on revoit pour la Catherine Mallaval
16 u Expresso Libération Mercredi 24 Juin 2020

Libye : le poker diplomatique de la bataille


LIBÉ.FR de Syrte Depuis dix jours, les forces du gouvernement
d’union nationale et celles du maréchal Haftar se font
face dans l’ancien fief de Kadhafi. Mais le sort de Syrte et du pays dépen-
dra surtout de l’attitude des puissances étrangères impliquées dans le
­conflit. «La Turquie [qui soutient militairement les loyalistes, ndlr] joue en
Libye un jeu dangereux et contrevient à tous ses engagements», a critiqué
lundi Emmanuel Macron, soutien du maréchal Haftar, à l’instar de la Rus-
sie, des Emirats arabes unis et de l’Egypte. Photo AFP

Femme trans, et pourquoi pas mère ?


L’avocate générale
de la Cour de
cassation a donné
pour la première
fois, mardi, un avis
favorable à la
reconnaissance
comme mère
d’une femme trans.

Par
Catherine
Mallaval

E
lles se sont présentées
en robes légères d’été
et sandales à talon,
avec leur petite fille de 6 ans,
queue-de-cheval et blouse à
volants, devant la Cour de
cassation. Une fois encore,
ces deux femmes ont revu
leur histoire défiler. Une his-
toire qu’elles aimeraient sans
histoires mais qui depuis
six ans se fracasse devant les
tribunaux. Les faits : il était
une fois un homme, Bernard,
et une femme, Marie (1). Ma-
riage. Naissance de deux gar-
çons. Mais depuis toujours,
Bernard se sent femme. Ber-
nard est une femme. Par ju-
gement, il obtient en 2011 de
rejoindre la gent féminine.
Bienvenue désormais à Marche organisée par le collectif Existrans, pour réclamer davantage de droits, en 2016. Photo Martin Colombet
Claire qui, avant de se lancer
dans sa transition, fait un reconnue comme mère, quelle tale de maternité pour l’en- de lâcher. Direction la cour sente l’APGL (Association finit par le dire : oui, Claire est
enfant à Marie (ce que les ju- autre solution pour moi ? Je fant à naître, en qualité de d’appel de Montpellier, qui des parents et futurs parents une femme, et oui, Claire est
ristes qualifient de «procréa- suis une femme, que voulez- mère non gestatrice», décide d’accorder à Claire le gays et lesbiens) et Acthé une mère. Mais bémol : elle
tion charnelle»). Cet enfant, vous que je sois d’autre pour qu’après la naissance de la statut de «parent biologi- (Association commune trans recommande d’inscrire sur
c’est la petite fille qui, mardi, ma fille ?» explique Claire, la petite fille elle a sollicité la que». Dans le monde pour- et homo pour l’égalité). Il l’acte de naissance de l’enfant
sous les ors et les anges pen- cinquantaine, belle stature, transcription sur les registres tant si binaire du droit où l’on ­démonte l’arrêt incriminé : le jugement qui a permis à
dus au plafond de la plus flamboyante chevelure, yeux de l’état civil de sa mairie de est femme ou homme, mère «L’enfer est pavé de bonnes Bernard de devenir Claire.
haute juridiction clairs, avant le la reconnaissance de mater- ou père, et où l’on refuse la intentions, on sent une vo- Alors que la petite est dans la
française, se L’histoire début de l’au- nité effectuée le 14 mars catégorie «sexe neutre» lonté de ne froisser personne, salle. Alors qu’elle connaît
blottit entre ses du jour dience, soutenue 2014. Mais que «l’officier (comme en a décidé la Cour mais cela aboutit à une déjà toute son histoire. Alors
deux mères. Ses avec une affec- d’état civil a refusé de procé- de cassation en 2017), c’est la ­situation inacceptable et à que la famille n’a qu’un rêve :
deux mères ? Là est le hic. Le tion palpable par ses parents der à une telle transcription surprise. Au nom de l’intérêt une parentalité asexuée. […] qu’on la prenne telle qu’elle
gros pataquès. La blessure. qui sont venus. «Oui, nous en estimant que seul le re- supérieur de la petite fille Un objet juridique non iden- est, et avoir «une vie nor-
De jugement en appel, Claire sommes deux mères», appuie cours à l’adoption lui permet- (qu’on imagine mal appeler tifié.» ­C ontre ce «faux- male». Fin de l’audience.
n’est toujours pas parvenue Marie, petite brune à l’accent trait d’établir un lien de filia- sa mère «parent biologique»), fuyant», au nom du droit à Rendu le 16 septembre, l’arrêt
à être reconnue comme telle chantant. tion avec sa fille». au nom du respect de ce que l’autodétermination de qui devrait suivre l’avis de
par la justice. Et s’en remet Début des plaidoiries, sous le Claire est une femme, l’avo- Claire, de son parcours diffi- l’avocate générale sera sans
maintenant à la Cour de regard encourageant de Binaire. Une adoption ? Les cat demande que cet arrêt cile et exigeant, il lance : «La doute une première. A la sor-
­cassation, qui jamais aupa­- l’avocate de toujours du cou- deux femmes s’y refusent ca- soit cassé, censuré. Et que la justice l’a reconnue comme tie, on souffle. Même si Claire
ravant n’avait été saisie ple, Clélia Richard. A la tégoriquement, au nom du famille présente sur les bancs femme, à elle de la reconnaî- le dit : «Je ne crois que ce que
d’un tel cas. barre, Mathieu Stoclet, avo- lien biologique de Claire avec soit simplement composée tre comme mère.» je vois, et j’attendrai septem-
Question : qui est Claire au cat à la Cour de cassation. Il sa fille. Claire saisit alors le de deux mères, ce qui, depuis bre. Jusque-là, je me disais
regard de la société par rap- rappelle qu’en 2013 Marie est tribunal de grande instance la loi sur le mariage pour tous «Vie normale». La justice, que le droit marchait sur la
port à son enfant ? Son parent tombée enceinte à la suite de de Montpellier avec l’espoir et l’arrivée prochaine de la loi ici l’avocate générale, s’élance tête. Et que vraiment, il court
biologique assurément. Mais son union avec Claire qui de voir enfin retranscrite sa ouvrant la PMA à toutes, est en regardant la petite famille. loin derrière la société.» •
sous quelle «étiquette» doit- avait conservé ses attributs reconnaissance prénatale de largement entré dans les Fait part de ses interroga-
elle figurer sur l’acte de nais- masculins. Qu’en 2014 Claire maternité sur l’acte d’état ci- mœurs. tions : y a-t-il atteinte au droit (1) A la demande des intéressées
sance de sa fille et sur son li- «a fait établir devant notaire vil. En 2016, elle est débou- Entrée en scène de l’avocat de l’enfant ? Y a-t-il atteinte qui souhaitent vivre en paix, les
vret de famille ? «Je veux être une reconnaissance préna- tée. Dégoûtée mais pas près Bertrand Périer qui repré- aux parents transgenres ? Et prénoms ont été modifiés.
Libération Mercredi 24 Juin 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 17

LIBÉ.FR
Quand les époux Fillon jouent la montre
Les avocats du couple demandent un report de la ­décision
du tribunal correctionnel, prévue lundi, après que l’ex-pro-
cureure financière Eliane Houlette a affirmé que le parquet général avait fait
«pression» pour accélérer la procédure en pleine présidentielle. La note en
délibéré des époux, comme l’a expliqué Me Cornut-Gentille, l’avocat de Pene-
lope Fillon, à Libé, ne vise pas à ­refaire tout le match judiciaire, mais à suspen-
dre le jugement le temps que la commission d’enquête parlementaire achève
ses travaux, ce qui pourrait prendre des semaines. Photo Reuters

«Ils expliquent que la situation


n’est pas la même selon «J’étouffe» : la famille Chouviat attend
les antennes et les métiers,
que BFM TV, qui est le navire
une réponse du Président
amiral du groupe, sera épargné, Ils sont une petite dizaine à c­ onduit à la fracture hémor-
faire face à la presse, timides, ragique du larynx de Cédric
mais tout cela, c’est fait pour nous se tenant la main. Il y a les Chouviat.»
endormir et il faut réagir cinq enfants de Cédric Chou-
viat, dont certains sont à
Interrogé mardi matin par
l’AFP, Thibault de Montbrial,
tout de suite, avant qu’il ne soit peine entrés dans l’adoles- l’avocat de deux des poli-
trop tard.» cence. Mais aussi ses pa-
rents, sa femme, sa sœur,
ciers impliqués dans l’inter-
pellation, a affirmé que ses
­alignés, unis. Mardi, ils te- clients «n’ont pas entendu»
naient à réagir, accompagnés les suppliques du chauffeur-
un particpant à l’AG de leurs avocats, aux retran- livreur. Placés en garde à vue
de NextRadioTV scriptions d’enregistrements et auditionnés à l’IGPN
mardi révélées lundi par le Monde le 17 juin, les quatre fonc-
et Mediapart, sur lesquelles Les Chouviat, mardi à Paris. Photo Bertrand GUAY. AFP tionnaires n’ont à cette
Les salariés de NextRadioTV, la branche médias du groupe Al- on entend le chauffeur-li- heure pas été mis en exa-
tice qui détient SFR (et pour un temps encore Libération) pas- vreur de 42 ans agoniser quête, sont lamentables, en- gnols», mais ni insultes ni men, ce qui ne veut pas dire
sent à l’action. Lors d’une assemblée générale qui s’est tenue après une clé d’étranglement chaîne l’un des avocats de la menaces. Pour Arié Alimi, qu’ils ne le seront pas. Ou-
mardi sur le campus du groupe, dans le XVe arrondissement et un plaquage ventral, criant famille, Arié Alimi. Il est plus «il existe chez les policiers verte pour «homicide invo-
de Paris, un appel à une grève de vingt-quatre heures a été ap- «j’étouffe» à sept reprises. que temps que ce type de com- une tentation du chantage à lontaire», l’instruction «doit
prouvé par une très grande majorité de la bonne centaine de «On attend une réponse so- portement change, de même l’outrage. Ils profitent de la être requalifiée des chefs de
salariés présents. Cet arrêt de travail, non reconductible à ce lennelle du Président, dit So- que les ­réflexes récurrents de dissymétrie du rapport de coups mortels ayant entraîné
stade, menace la diffusion des différentes antennes du groupe, fia Chouviat devant une mensonge de la part de l’ad- force avec les citoyens pour la mort sans intention de la
dont BFMTV et la radio RMC. Il pourrait notamment perturber vingtaine de caméras. On ne ministration. Dans ce dossier, enclencher cet engrenage et donner», estime William
celle du débat du second tour des municipales, programmé comprend toujours pas pour- la préfecture de police a justifier ensuite des techni- Bourdon, autre conseil des
ce mercredi soir sur BFM TV et BFM Paris. quoi les quatre policiers im- menti dès les premières heu- ques d’interpellation violen- Chouviat. «Nous saluons le
Le mouvement ­social vise à contester un vaste plan d’écono- pliqués dans la mort de mon res, en expliquant que Cédric tes. Cédric Chouviat était travail des juges d’instruc-
mies et «de reconquête» présenté le 17 juin et qui devrait se sol- père n’ont pas été suspendus.» Chouviat avait insulté les déjà cliniquement mort tion, qui ont déjà énormé-
der par la suppression de «330 à 380 CDI et jusqu’à 200 pigistes Puis, amère : «Et pourquoi la agents, et qu’il était mena- quand il était sous les poli- ment progressé. Nous savons
et intermittents», soit près d’un tiers des effectifs sur un total technique de la clé d’étrangle- çant. C’est faux.» ciers, le 3 janvier, alors qu’ils que mettre en cause la police
de 1 600 salariés, selon l’intersyndicale, qui juge «cette coupe ment est-elle toujours autori- Sur les retranscriptions des exerçaient un plaquage ven- n’est pas aisé pour la justice.
drastique incompréhensible» au sein d’un groupe structurelle- sée ?» Il y a quelques jours, deux films de l’interpella- tral [son décès a été pro- Il ne faut pas que cette affaire
ment bénéficiaire (3 milliards d’euros de profits l’an dernier) Christophe Castaner a dé- tion du 3 janvier, captés par noncé ­officiellement à l’hô- ne soit qu’un feu de paille. La
Et exige que la direction ne procède qu’à des départs volontai- cidé de l’interdire, avant de Cédric Chouviat lui-même et pital, le 5 janvier, ndlr]. Une justice doit faire son aggior-
res. Cette dernière a, de son côté, appelé à la «responsabilité» se raviser sous la pression par une policière, on entend manipulation qui suivait un namento, afin de ne pas re-
de ses salariés: «Les situations à BFM TV, RMC et BFM Business des syndicats de police. «Ces quelques provocations iro- autre geste dont la dangero- tomber dans cette forme
sont et seront différentes, par exemple, de celles de RMC Sport, pressions, exercées également niques du chauffeur-livreur, sité est documentée, la clé d’inconscient collectif.»
de BFM Paris, de la régie ou des fonctions supports.» sur la justice lorsqu’elle en- «c’est vous, les clowns», «gui- d’étranglement, qui a Willy Le Devin

Des mini-reconfinements en Europe


Relativement épargnée jus- peuplés propices à la diffu- rassemblements de plus de commerces doivent fermer
qu’ici par la pandémie de Co- sion du coronavirus. Selon deux personnes seront dé- à 20 heures. Avec 1 500 morts
vid-19, l’Allemagne s’in- un bilan communiqué lundi sormais interdits dans l’es- du coronavirus à ce jour, le
quiète d’une résurgence de soir, plus de 1 500 personnes pace public, sauf pour les fa- Portugal faisait pourtant fi-
la maladie. Mardi, Armin ont été testées positives au milles et les résidents d’un gure d’exemple en Europe, à
Laschet, ministre-président Covid-19 dans le canton de même foyer. Ces restrictions tel point que Lisbonne a été
du Land de Rhénanie-du- Gütersloh ; 21 ont été hospi- s’appliquent pour l’heure désigné pour accueillir la
Nord-Westphalie (à la fron- talisées, dont six en soins in- jusqu’au 30 juin. phase finale de la Ligue des
tière de la Belgique et des tensifs. Au Portugal, le Premier mi- champions en août.
Pays-Bas), a annoncé le Candidat à la présidence de nistre socialiste, António Enfin, en Espagne, après la Tennis Le coronavirus passe à travers
­reconfinement des cantons la CDU et partisan d’une ac- Costa, a annoncé de nouvel- détection de quelques dizai- les trous de la raquette
de Gütersloh et de Waren- célération du déconfine- les mesures sanitaires dans nes de cas, pour la plupart
dorf, où résident plus de ment, Armin Laschet a dû se la région métropolitaine de légers, quatre cantons de la Novak Djokovic himself testé positif au coronavirus. Tout
600 000 personnes. En résoudre au rétablissement Lisbonne, qui sont entrées communauté autonome comme son préparateur physique ainsi que trois autres
cause : l’identification d’un de mesures sanitaires pour en vigueur mardi, après plu- d’Aragon sont revenus lundi joueurs (Dimitrov, Coric et Troicki). L’Adria Tour, tournée
foyer de contamination dans éviter une propagation ra- sieurs attroupements de jeu- à la phase 2 du déconfine- ­caritative de matchs organisée la semaine dernière dans les
un abattoir géré par la so- pide. Bars, cinémas, musées nes décriés au cours du ment, qui implique des res- Balkans par le Serbe, numéro 1 mondial, tourne au fiasco sani-
ciété Tönnies, présenté et autres saunas doivent im- week-end et l’enregistre- trictions de la liberté de cir- taire. Il faut dire que les règles de distanciation sociale y ont
comme le plus grand d’Eu- médiatement fermer. Les ment de 9 000 nouveaux cas culer et la limitation des été consciencieusement piétinées : avec des joueurs s’étrei-
rope avec ses 6 700 em- restaurants pourront de- de Covid-19 en un mois. Les capacités d’accueil d’établis- gnant sur le court avant d’aller jouer au basket, posant sans
ployés, pour la plupart des meurer ouverts, mais dans rassemblements de plus de sements recevant du public. masque au milieu des fans, puis terminant la soirée en boîte
Bulgares ou des Roumains des conditions strictement dix personnes sont de nou- SAMUEL de nuit. Djoko s’est dit «désolé». Reste à savoir si l’effet domino
habitant des logements sur- encadrées. Par ailleurs, les veau interdits et cafés et ­RAVIER-REGNAT va remettre en cause la reprise des tournois. Photo AFP
18 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 24 Juin 2020

Idées/ cri­tiques avec ses «100 Principes


pour un “Nouveau Monde”», appe-
lant dans le Monde à «réanimer
­notre humanité» et «applaudir la
vie».
Dans le numéro de juin de Siné
mensuel, l’humoriste Guillaume
Meurice invente une fausse mini-
tribune signée par l’écologiste ainsi
que Juliette Binoche ou Didier Lal-
lement : «Ce serait chouette qu’on
prenne conscience que ce monde-là
n’est pas trop cool, et que ce serait
bien s’il était mieux.»

Un débat public
bousculé
Au-delà de ces accidents de par-
cours, des textes analysant dans le
détail et à sa juste mesure la situa-
tion inédite que nous traversons se
sont multipliés à un rythme qui fe-
rait pâlir n’importe quel coronavi-
rus. Certes, l’intérêt des médias
pour les textes d’intellectuels a
beaucoup grandi ces dernières an-
plainpicture. Birta Images. GUSK

nées. Mais malgré cette tendance,


certains signes ne trompent pas : à
Libération comme dans d’autres
journaux, le nombre de proposi-
tions de textes a explosé. Bous­-
culant sa grille des programmes,
France Inter a diffusé chaque ma-
tin des «lettres d’intérieur» rédi-
gées par des personnalités qui li-
vraient leur analyse. Chez
Gallimard, la collection «Tracts»,
qui publie habituellement des tex-
tes d’intervention à un rythme
mensuel, en a dégainé plus de 60
en huit semaines – par Régis De-

Ecrire des tribunes,


bray, Cynthia Fleury, Nancy Hus-
ton, Jean-Paul Demoule… –,
d’abord diffusés sur Internet et dé-
sormais réunis dans un livre (1).
L’éditeur Alban Cerisier se dit im-
pressionné par leur écho médiati-

un sport de combat
que. «Certains ­auteurs ont reçu des
sollicitations semblables à des sor-
ties d’essais», dit-il.
Dans un débat public bousculé et
temporairement monopolisé par

par temps de pandémie


les annonces du gouvernement et
des institutions médicales, ces tex-
tes ont répondu au besoin collectif
de donner sens aux événements.
«La multiplication des prises de
­position durant la crise du Covid
­témoigne d’une historicité : nous
prenons conscience de vivre des
Chercheurs Par «Je m’ennuie un peu. Quelqu’un trancière du philosophe italien temps historiques, qui appellent
et intellectuels Thibaut Sardier veut écrire une tribune pour de- Giorgio Agamben publiée fin fé- une réponse historique», confirme
mander l’union de la gauche ?» ren- vrier dans Il Manifesto. Il y écrivait le maître de conférences en scien-
ont multiplié

C’
est devenu un jeu sur les chérissait le militant LFI Landry que «le terrorisme étant épuisé ces politiques Boris Gobille, spécia-
les textes durant réseaux sociaux : deman- Ngang. Raillant les expressions comme cause de mesures d’excep- liste de Mai 68. Un sentiment d’au-
le confinement, der qui n’a pas encore toutes faites, d’autres, comme le so- tion, l’invention d’une épidémie (of- tant plus fort ici que l’arrêt de
livrant une bataille écrit ou signé sa tribune appelant ciologue Denis Colombi, ont pro- fre) le prétexte idéal pour les étendre nombreuses activités semblait per-
des mots et à réunir la gauche, combattre le ca- posé des grilles de bingo recensant au-delà de toutes les limites». mettre la remise en question d’une
des interprétations pitalisme ou préparer le monde les termes le plus souvent employés Et alors que des stars de cinéma marche du monde auparavant
qui a fait bouger d’après. «Ecris “Dans une tribune dans ces textes. comme Juliette ­Binoche ou Marion ­jugée inéluctable.
publiée par le Monde, plus de Un peu partout, on s’est aussi Cotillard se voyaient reprocher dé- D’où l’importance des thèmes suc-
les lignes. 150 personnalités appellent à” et amusé de ceux qui ont écrit trop but mai la signature d’une tribune cessivement placés au cœur du
laisse ton correcteur de téléphone vite, des premières pages du jour- réclamant la fin d’un système ­débat par ces interventions. Dès
écrire la suite», écrivait sur Twitter nal de confinement de Leïla Sli- ­consumériste auquel elles partici- le 18 mars dans Libération, la socio-
la journaliste Diane de Fortanier. mani dans le Monde à la tribune ou- pent, Nicolas Hulot suscitait des logue Dominique Méda –auteure de
Libération Mercredi 24 Juin 2020 u 19

plusieurs textes durant la période – r­ épondent à la crise sur une tempo- en débat avec tous ces textes. Dans constater le désarroi que tout le lait dire qu’il ne faut pas profiter
pointait deux problématiques cen- ralité plus courte et préparent le vrai un tweet, l’historien Nicolas Of- monde constate. Je ne suis pas cer- de sa position pour imposer ses
trales : la reconnaissance du travail monde d’après… qui n’a rien à voir fenstadt met ses collègues en tain que ce soit le rôle d’un intel­- ­valeurs. Croyez-moi, j’y prends
du soin, notamment à travers la avec celui qui est rêvé avec les pre- garde : «Roger Chartier a écrit que lectuel.» Quant aux écrits plus pro- garde !» assure-t-elle, après avoir
question de l’hôpital, et les enjeux miers», dit-il. Jusqu’à douter de les historiens n’ont pas de vertus grammatiques, il leur reproche une rappelé que tout ­ce qu’elle avance
écologiques. Ces sujets furent large- ­l’effet de certains de ces textes : particulières pour parler du futur tendance à l’incantation. «L’intel- repose «sur trente ans d’analyse des
ment abordés tout au long de la pé- «Il n’est pas sûr que cela contribue […]. Peut-être un propos à relire lectuel devrait s’armer d’un peu politiques sociales».
riode, avec des témoignages et ap- toujours ni au progrès du débat pu- pour certains aujourd’hui.» plus d’arguments, de faits et de Dans le champ de bataille des inter-
pels émanant du monde hospitalier blic, ni à celui de la science, ni à données, essayer de donner les rai- prétations de crise, les intellectuels
ou de philosophes du soin (Pascale l’inflé­­chis­sement des rapports de Tendance sons et pas seulement exprimer ses ont donc donné de la voix. Ils ont
Molinier, Barbara Stiegler…), ainsi forces poli­tiques existants, mais à l’incantation passions ou ses intérêts», explique souvent visé juste, parfois raté la
que d’intellectuels investis sur la simplement à entretenir des distinc- Auteur en janvier d’une tribune où le chercheur avant de conclure : bonne tactique. Alors que les lignes
question écologique. C’est le cas de tions internes au monde intellectuel il appelait, non sans malice, ses «Depuis les ­années 30, les intellec- commençaient à s’éclaircir, les
Bruno Latour, qui appelait dans ou des ego.» pairs à «arrêter de penser», le phi- tuels ont eu tendance à s’instituer ­débats sur le racisme ont lancé
AOC à réfléchir aux activités que Ayant occupé des postes de haut losophe Pascal Engel n’a été con- comme commentateurs du présent, un autre coup de semonce, Emma-
nous voudrions voir reprendre à fonctionnaire, Dominique Méda vaincu ces dernières semaines que c’est-à-dire à se considérer comme nuel Macron ayant reproché aux
l’issue du confinement et celles confirme que les lignes sont diffi­- par une poignée de textes, dont un des journalistes.» uni­versitaires «l’ethnicisation de la
dont nous pourrions nous passer, ciles à faire bouger : «Chacun est judicieux rappel du philosophe La distinction fait écho aux travaux question sociale». Et ainsi ouvert
ou encore les mesures «pour un re- dans son système de pensée, de réfé- Mark Lilla dans le New York Times : de Max Weber sur les rôles respec- un nouveau front dans cette
tour sur Terre» de Dominique rences, pense en toute bonne cons- l’incapacité à prévoir l’avenir «est tifs du savant et du politique (2). guerre. •
Bourg, Philippe Desbrosses, Gau- cience qu’il a absolument raison et une vérité que les humains n’ont Mais, pour Dominique Méda, im-
thier Chapelle, Johann Chapoutot, qu’il faut juste se donner un peu de ­jamais été capables d’accepter». possible de conclure des travaux du (1) Tracts de crise. Un virus et des
Xavier Ricard-Lanata, Pablo Servi- temps pour que les autres compren- Aux textes qui tentaient de décrire socio­logue allemand que le savant ­hommes, 18 mars-11 mai, 17 €.
gne et Sophie Swaton. nent.» Mais en bousculant ces certi- notre condition confinée, Engel est ­exclusivement du côté de l’ana- (2) Le Savant et le Politique, de Max
Ces derniers jours, le déconfine- tudes, la pandémie apparaît comme ­reproche leur difficulté à dire quel- lyse : «Isabelle Kalinowski (3) a rap- ­Weber, 1919.
ment a suscité des critiques sur la un moment opportun de faire bou- que chose de neuf. «Ces chroniques pelé que Max Weber multipliait les (3) Sociologue, traductrice de Max
vision écono­mique présidant au re- ger les lignes. «Ma thèse, c’est que et tribunes revenaient souvent à tribunes et était très engagé. Il vou- ­Weber.
démarrage, comme celui de l’an- c’est au cœur de la crise que l’on doit
thropologue David Graeber qui préparer l’après», explique la cher-
craint le retour d’une «bullshit eco- cheuse, citant des précédents
nomy». Entre-temps, d’autres textes comme la Seconde Guerre mon-
ont expliqué les modèles épidémio- diale qui accoucha du plan Beve-
logiques qui permettaient de com- ridge en Grande-Bretagne ou du
prendre la diffusion du virus programme du Conseil national de
(Alexander Bird), ou alerté sur les la Résistance (CNR) en France.
inégalités à la maison, au travail ou
à l’école (Camille Peugny et Philippe
Coulangeon), les bouleversements
L’auteur d’une tribune a donc pour
devoir de pointer des éléments con-
crets, des points de
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du rapport à la mort (Claire Fercak), débat précis, que «On a d’un côté
la société de surveillance (Antonio le s app els au
Casilli). «monde d’après» les professionnels
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n’ont pas toujours de la tribune mois(1)
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d’interprétation»
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passe, c’est la plupart du temps vou- sier, qui a soigneu-
loir peser sur la tournure des événe- sement évité que et de l’autre A découper et renvoyer sous enveloppe affranchie à Libération, service abonnement,
ments. C’est ce qui définit le fait
d’agir en intellectuel par rapport à
ses auteurs usent et
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existe», explique le chercheur. «C’est attitude consumé-
une bataille d’interprétation – sur le riste qui appartient des groupes Mon abonnement intégral comprend la livraison chaque jour de Libération et chaque
samedi de Libération week-end par portage(1)+ l’accès au site et à
sens de ce qui est en train de se pas- au monde d’avant. ­orga­nisés, l’application Libération sans publicité + des newsletters exclusives.
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ser, sur les responsabilités et les ex- On changerait de
plications – et une bataille sur la monde comme on qui répondent N° Rue
profondeur de la rupture à enga-
ger», poursuit Dominique Méda,
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professionnels de la tribune qui pro- dans Libération sur la crise écologi-
duisent des diagnostics historiques que. Aux grands mots, il faut préfé- Règlement par chèque. Je paie en une seule fois par
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les données personnelles, rendez-vous sur http://bit.ly/LibeCGV
intellectuels organiques des groupes esquisser l’avenir, régulièrement
orga­nisés, parfois des lobbys, qui questionnée, est de nouveau mise
20 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 24 Juin 2020

Idées/
l’action compensatoire (souvent, et mal, ont droit à une aide, mais sur une hypothèse
désigné par l’expression «discrimination d’ordre pragmatique : aider ces personnes
positive»). Dès l’instant où le droit à l’égale est une manière efficace de combattre un
dignité, droit formel, ne peut être réelle- problème qui se pose à l’échelle nationale.
ment reconnu que par un droit à l’égal trai- Ensuite, nous disposons déjà des baromè-
tement, on doit agir pour assurer les condi- tres du Défenseur des droits et des enquêtes
tions de cette égalité de traitement. Or, Trajectoires et Origines de l’Ined pour con-
comme l’a montré Ronald Dworkin, dans naître la ­réalité des discriminations. Ces en-
certaines circonstances, le droit à être quêtes comportent des questions sur la ma-

Les statistiques
traité comme un égal entraînera un droit nière dont une personne se perçoit et dont
à traitement égal, mais sûrement pas dans elle pense être perçue (les auteurs de la tri-
toutes les circonstances. Aussi, le soupçon bune évoquent comme souhaitable cette
à l’égard des classifications ­«raciales» ne ­méthode de «l’auto-hétéro-perception»).
doit-il pas s’étendre à leur utilisation dans Les catégories mobilisées sont : noire, blan-

ethniques, une perspective de respect du droit à l’éga-


lité. Les mesures pré­férentielles ne sont
donc pas injustes ­a priori. Une minorité ra-
ciale, en tant que telle, a droit à une protec-
che, maghrébine, asiatique, arabe, métisse,
­autre. Quoi que l’on puisse penser de leur
pertinence, elles fournissent des résultats
éloquents : la proportion de personnes

vraiment utiles ?
tion spéciale, même s’il ne fait aucun doute ­disant être victimes de propos ­racistes au
que les distinctions fondées sur la race sont travail passe de 6 % chez celles qui ­se disent
intrinsèquement injustes. On ne peut donc perçues comme blanches à 38 % chez celles
reprocher aux partisans de la «discrimina- qui se disent perçues comme noires. Nous
tion positive» (Dworkin utilise ce vocabu- avons donc là des données précieuses. On

D
Nous disposons déjà des es chercheurs dont la légitimité ne laire) de subordonner les principes univer- peut, certes, juger qu’elles ne sont pas suffi-
données nécessaires pour saurait être contestée s’engagent sels de justice à la différence culturelle. santes. Mais, dans ce cas, les ­inconvénients
en faveur du recours aux statisti- Leur préoccupation est tout autre : combat- sont, me semble-t-il, décisifs. Ils tiennent au
connaître la réalité des ques ethniques comme instrument néces- tre les représentations négatives des mino- risque d’essentialiser des catégories dont le
discriminations. Elles ne saire de lutte contre les discriminations rités sans pour autant renforcer les diffé- caractère arbitraire (y compris dans l’hypo-
sont pas parfaites, mais ­raciales. «Mesurer pour avancer», écrivent- rences identitaires. Or ce combat par des thèse de l’autodésignation) n’est pas dou-
aller plus loin dans le détail, ils dans une tribune parue dans Libération moyens «racialement» neutres a échoué. teux. Il suffit de se souvenir de la façon dont
c’est prendre le risque le 19 juin. On ne peut exclure qu’en défini- L’action compensatoire est donc fondée les Africains ­déportés aux Etats-Unis sont
d’essentialiser des tive ils aient raison. Mais je n’en suis pas sur un principe moralement et politique- devenus «noirs» au terme d’une nomina-
catégories arbitraires et vraiment persuadé. Il me faut d’abord ment solide, celui qui veut que «personne tion coloriste émanant du groupe blanc.
énoncer les prémisses suivantes. ne soit lésé à cause de son appartenance à C’est face à eux que les immigrants europé-
de favoriser des politiques D’une part, le modèle d’indifférence à la un groupe considéré à tort comme moins es- ens se sont progressivement constitués
d’identité. différence (colorblind), qui considère que timable que les autres» (Dworkin, Une ques- comme «blancs» (voir, sur ce point, les tra-
la réalisation de la justice sociale ne sup- tion de principe, trad. fr., 1996, p. 378). En vaux de Claude-Olivier Doron). C’est ainsi
pose pas la prise en compte des catégori­- d’autres termes, une politique faisant ap- à partir de ces désignations qu’ont pu être
Par sations «raciales», a échoué. Il n’a pas, pel aux critères raciaux pour promouvoir produites des catégories, que le droit a, le
Alain Policar en effet, permis la disparition espérée du l’égalité est une poli­tique équitable. plus souvent, ratifiées. Comment alors évi-
racisme et, corrélativement, s’est montré Le lecteur, arrivé à ce point de sa lecture, ter qu’en situation de ségrégation les sujets
incapable d’assurer la promotion sociale peut se demander pourquoi de ces deux ­racisés ne s’approprient pas ce catalogage et
des groupes minorisés (au sens politique prémisses je ne déduis pas la nécessité du transforment une absolue contingence en
du terme «minorité»). Pour répondre aux recours aux statistiques ethniques. destinée sociale ? Le recours aux statistiques
­injustices sociales, il convient donc de La première raison est que l’action compen- ethniques, motivé par la volonté de recon-
­reconnaître l’existence d’un système pro- satoire ne doit pas être fondée sur le droit naître les discriminations, ne risque-t-il pas,
cédant à l’organisation et à la reproduction pour chaque groupe dit ethnique d’obtenir en définitive, de favoriser les politiques
DR

des statuts sociaux sur une base «raciale». une représentation proportionnelle à sa d’identité (en privilégiant des
Chercheur associé au Le constat qui précède conduit d’autre part part dans la population globale. En effet, les ­appartenances incertaines au détriment des
Centre de recherches politiques à s’interroger sur le refus de l’universa- programmes compensatoires ne sont pas catégories sociales) et d’en finir ainsi avec
de Sciences-Po (Cevipof) lisme républicain à accepter le principe de édifiés sur l’idée que les personnes aidées l’exigence universaliste ? •

Police et République : deux inséparables


Il est urgent d’avoir un débat démocratique pour en découdre et «casser du une organisation hiérarchique dividuelles, ne doit pas nous pri-
sur la montée des violences en manifestation. flic». Pris en étau, le droit de ma- précise, et s’il y a des responsabi- ver d’un débat sur les politiques
nifester s’érode. Or, si la sécurité lités à rechercher, ce sont celles de maintien de l’ordre. Chacun
Pourquoi ne pas créer un référent éthique afin des manifestants n’est plus assu- des donneurs d’ordres, les cadres devra faire l’examen de ses pro-
de réfléchir aux moyens alloués à la formation rée, la liberté fondamentale de et surtout le préfet et le ministre pres défaillances et celui-ci doit
et à la déontologie des forces de l’ordre ? manifester n’est plus garantie. de l’Intérieur. Multiplier les en- être l’occasion d’un grand débat
Comment une société démocrati- quêtes de l’IGPN, qui ne cher- démocratique auquel tous les ci-

P
artout dans le monde, nous s’appliquent à tous, policiers, que pourrait-elle s’y résoudre ? chent que les responsabilités in- toyens engagés, experts et élus
pouvons nous attendre à ­manifestants, citoyens. En parallèle, ces violences effa- prennent leur part. Nous devons
une multiplication des Depuis quelques années en cent le cœur même de l’action Par mieux réfléchir aux moyens al-
­conflits ainsi qu’à une montée en France, avant les gilets jaunes, de manifester, c’est-à-dire l’ex- JEAN-PIERRE loués, à la formation, à l’éthique
puissance des violences. Comme le nombre de blessés lors des ma- pression sereine et pacifique des et à la déontologie des forces de
dans notre passé, l’absence, l’in- nifestations a augmenté. Les bles- revendications et protestations.
MIGNARD l’ordre, avec la création d’un réfé-
Avocat à la cour
adaptation ou le retard de solu- sures, qu’elles soient du côté des Nous l’avons vu encore il y a quel- rent éthique indépendant. Les or-
tions politiques face à la crise éco- policiers ou des manifestants, ques jours, le message politique ganisateurs devront aussi pren-
climatique et sociale entraînerait ne sont pas acceptables lorsque de la manifestation des soignants dre leur part dans l’amélioration
un affrontement mortifère entre certains présentent des handi- a été étouffé par des affronte- des services d’ordre pour enca-
l’Etat et les catégories entières de caps à vie. Les violences sont fil- ments surmédiatisés. Nous avons drer les manifestations. Nous
la population. Réconcilier la Répu- mées, documentées, étudiées. donc besoin d’une police de la Ré- avons besoin d’une République
blique avec elle-même, telle doit Nul ne peut plus les écarter d’un publique qui aura les moyens de pour la police, et cela passera
DR

DR

être notre ambition, autour de vé- revers de la main. Elles viennent travailler sereinement, pour sa d’abord par une réponse politique
rités concrètes qui fondent notre de forces de l’ordre épuisées, de propre sécurité et celle des mani- qui viendra de l’Etat, des ministè-
pacte républicain. Le droit de ma- défaillances de commandements, festants. Une police dont les fem- PAUL
et res de la Justice et de l’Intérieur
nifester sans être défiguré, la pré- de dérapages individuels qui dés- mes et les hommes sous l’uni- MARSAUCHE ensemble. Ils sont les deux faces
somption d’innocence, le respect honorent le noble uniforme de forme ne sont pas cloués au pilori Juriste. Respectivement d’une antique vérité, la liberté
du contradictoire, le droit à un leurs collègues. Elles viennent à la première faute, car qui les président et directeur général ne va pas sans l’ordre, l’ordre ne
procès équitable. Ces principes aussi du Black Bloc prêt à tout commande ? La police répond à du lab Politiques de la Terre. va pas sans contrôle. •
Libération Mercredi 24 Juin 2020 u 21

L
e monde d’après, toujours… rieures, et il préfère cette formule qui offre une voie de salut, ce qui sup-
La Cité des livres Dans la floraison de livres
­consacrés à l’après-coronavi-
plus prudente : rien ne sera plus
exactement comme avant, ce qui
pose une action continue de recon-
version en usant des dernières avan-
rus, celui-ci a le grand mérite de la évite aux esprits de battre la campa- cées de la science.
clarté et du réalisme. Hubert Védrine gne tout en regardant en face le né- L’énergie est le deuxième secteur
fut, pour de longues années, un pro- cessaire travail de réforme qui nous sensible. Elle doit d’abord être éco-
che conseiller de François Mitter- permettra de nous adapter aux nou- nomisée par le moyen d’un plan
rand, puis ministre des Affaires veaux défis. massif de d’isolation des bâtiments,
Par étran­gères, son domaine de prédilec- A côté de considérations écono­- source de «croissance verte» pour des
Laurent Joffrin tion. Il est rattaché à la gauche, mais miques ou sanitaires, de la réévalua- décennies. Il faut ensuite se débar-
il prend souvent un malin plaisir à tion nécessaire de l’action publique, rasser du charbon et du pétrole,
­dénicher les saints de sa paroisse, son raisonnement le plus fort porte principales énergies polluantes. Les
­relevant par exemple la persistance sur le défi écologique, sur lequel il ré- énergies renouvelables peuvent de-
des nations dans un monde multipo- fléchit depuis longtemps. Il ne croit venir rentables grâce à de nouvelles

Hubert Védrine, laire, ou bien douchant d’une eau


froide les élans européistes des parti-
pas aux dystopies désastreuses des
«collapsologues», même si le risque
percées technologiques, dans le so-
laire notamment. Mais pour Hubert

l’écolo sans du fédéralisme en plaidant pour


une Europe de la coopération entre
Etats plus que pour une Union qui
d’une crise majeure n’est pas écarté.
Il croit encore moins aux prescrip-
tions austères des «décroissants» qui
Védrine, l’écologie réaliste suppose
aussi de s’appuyer sur l’industrie
­nucléaire. «Il faut mettre un terme à
les remplacerait. Sur l’après-crise, il demandent un vaste retour en ar- l’irrationnelle guérilla idéologique ou
jette ainsi un regard démystificateur rière de la production, dont le mon- politicienne héritée du combat des
Parmi tous les livres qui paraissent qu’on peut aimer ou détester, mais tant devrait, selon eux, revenir à ce Verts allemands contre les armes
sur le «monde d’après», celui de l’ex-ministre qui force à réfléchir. Rien ne sera qu’il était il y a trente ou qua- ­nucléaires américaines […]. La dé-
plus comme avant? Tout va changer? rante ans (c’est-à-dire avec un niveau sastreuse expérience allemande a dé-
des Affaires étrangères se distingue par Hubert Védrine n’y croit guère. Il es- de vie moyen divisé par trois ou qua- montré qu’on ne pouvait pas en même
la précision et la mesure de ses propositions time que les crises ne bouleversent tre). Il est vain de prêcher la sobriété temps sortir du nucléaire et ­réduire
pour une «écologisation de la politique». pas forcément les structures anté- à des peuples qui sortent à peine de les émissions de CO2.»
la misère ou qui y sont encore. «On L’écologisation de l’industrie est la
ne convertira pas 7,5 milliards d’êtres troisième priorité. Des efforts colos-
humains à l’écologie (pas de chemin saux ont déjà été entrepris. Il s’agit de
de Damas !). L’amélioration de leur bâtir une économie plus circulaire,

L'œil de Willem situation matérielle, et celle de leur


famille, passera toujours avant.»
Dans ces conditions, c’est une «poli-
capter le CO2 à la source, et aussi
­réformer l’industrie numérique, qui
est déjà responsable de 4 % des émis-
tique d’écologisation» qui seule peut sions mondiales et le sera encore
organiser la nécessaire mutation de plus avec l’essor du télétravail. Les
l’économie mondiale vers un mode transports émettent 14 % du CO2
de production «vert», c’est-à-dire un mondial. Il faut maîtriser la techno-
processus comparable en ampleur à logie des batteries, où la Chine a pris
celui de l’industrialisation, qui im- une avance importante, et dévelop-
pose progressivement à l’humanité per les moteurs électriques, sachant
de préserver son cadre de vie et celui que l’électricité française est à 90 %
des générations futures et qui annule décarbonée grâce au nucléaire. Le
par là «le risque effrayant des chan- secteur financier, enfin, doit être
gements climatiques». ­réorienté vers les investissements
Pour la France, il faut d’abord passer verts, et «l’économie casino» réduite
par deux changements institution- au profit des placements productifs.
nels : la création d’un vice-Premier Le tout forme une sorte de pro-
ministre chargé de l’écologisation, gramme de gouvernement qui peut
qui ait autorité sur l’ensemble de alimenter utilement le débat public.
l’action gouvernementale ; la dési- Pour quelle majorité ? On devine
gnation d’une chambre «des généra- qu’Hubert Védrine verrait bien ses
tions futures», qui servirait d’ai- propositions alimenter le plan d’ac-
guillon pour évaluer chaque année tion de la France pour les deux ­
les progrès accomplis et proposer les années qui viennent. Quitte à y
actions d’avenir. La mesure du PIB ­participer lui-même. Livre de syn-
serait également réformée pour thèse ou acte de candidature ? Allez
prendre en compte les effets envi- savoir… •
ronnementaux de la croissance.
Il s’agit ensuite d’une action secteur
par secteur. C’est l’agriculture qui
­offre le plus de difficultés : elle est
responsable de 24 % des émissions
mondiales de CO2. Sur le plan mon-
dial, l’urgence est au reboisement,
par exemple en restaurant la «cein-
ture verte» qui va du Sénégal à Dji-
bouti. L’essentiel de la déforestation,
rappelle Hubert Védrine, sert le plus
souvent à produire des aliments pour
le bétail. Il faut mettre fin à la surcon-
sommation pathologique de viande,
tout en trouvant aux millions de gens Hubert Védrine
que cette activité fait vivre d’autres Et après ?
sources de revenu. En France, c’est le Fayard,
développement de l’agriculture bio 144 pp., 12 €.
22 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 24 Juin 2020

CULTURE/
Le «Folklore»,
Par
moderne malgré lui
Judicaël Lavrador
Au centre Pompidou-Metz, mence par se pencher de manière
convaincante sur plusieurs figures
Envoyé spécial à Metz une exposition dense et subtile de l’art moderne que la culture po-
pulaire inspira et bouleversa.
montre combien les traditions
A
u seuil de l’exposition «Fol-
klore», une bannière rouge Poupées et statuettes
annonce en lettres blan- ancestrales et artisanales ont A commencer par Paul Sérusier,
ches, ombrées de noir, une déclara-
tion de grève des «Sex Workers of the inspiré les avant-gardes, depuis Gauguin et leurs amis nabis, qui se
rendent au cœur de la Bretagne, à
World United». L’objet, sans rien
perdre de sa visée militante, figure
les peintres nabis en Bretagne Pont-Aven, puis dans un trou un
peu plus perdu, Le Pouldu, en quête
là, au centre Pompidou-Metz, pour
une autre raison : il fait partie de
jusqu’aux œuvres de Kandinsky, d’un «exotisme de l’intérieur», de
paysages et de visages habités par
cette collection baptisée la «Folk Ar- Brancusi et Vasarely. des superstitions. Dépeignant dans
chive» constituée, depuis l’an 2000, une palette rougeoyante une dégus-
par deux artistes, Jeremy Deller et tation rituelle de serpents par un
Alan Kane, inventoriant des formes à Marseille) pointe les liens qui exis- folklore au contraire entend perpé- petit groupe de paysans tapis dans
et des pratiques populaires en tent entre ces deux domaines de la tuer des savoir-faire, des traditions, le sous-bois, une procession ou en- vanche un terreau et des sensations
Grande-Bretagne. La banderole création que tout semble opposer. des croyances, des langues, endos- core, d’un pinceau cajoleur, des jeu- à même de renouveler l’art. Gau-
proteste donc d’office : le folklore Tout ? Le folklore, qui signifie en al- sant ainsi à l’occasion une dimen- nes filles fabriquant une Guirlande guin l’écrit ainsi : «J’aime la Breta-
n’est pas une culture tombée en dé- lemand «le savoir du peuple», joue sion immatérielle. L’exposition, qui de roses (1898), Sérusier, qui se sur- gne, j’y trouve le sauvage, le primitif.
suétude, apanage des chantres du le collectif et l’anonymat de ses a préféré s’en tenir pour l’heure à la nomme le «nabi aux sabots de bois», Quand mes sabots résonnent sur ce
terroir et des racines régionales, ­créations, tandis que l’artiste mo- zone européenne (les commissaires ne se soucie qu’à peine de l’authen- sol de granit, j’entends le son sourd,
mise à la porte de l’art moderne et derne signe en son nom des œuvres n’excluent pas un second volet ticité de ces saynètes, pour une mat et puissant que je cherche en
contemporain. L’exposition, dense qui attestent son incomparable sin- mondial), déroule une histoire de bonne part enjolivées. Là-bas, en peinture.»
et subtile, mise en scène à Metz gularité et prétendent faire table ces relations beaucoup plus fluides Bretagne, dans ce territoire de fa- A la même époque, Kandinsky, en
(avant d’être transvasée au Mucem, rase du passé en tuant le père. Le qu’on pourrait le croire. Et com- bles et de légendes, il trouve en re- compagnie de son épouse artiste,

De g. à dr.: Mollah Nasreddine l’antimoderne, 2012, du collectif d’artistes Slavs and Tatars. Slavs and Tatars. Raster Gallery Les Corbeaux, 1907, de Kandinsky Photo DR
A Proposition How to Change the Icelandic National Costume to Meet with Modern Icelandic Society, 1974, de la plasticienne islandaise Rúri. Photo Rúri
Libération Mercredi 24 Juin 2020 u 23

Ci-contre : des femmes en


costumes lors de la parade
d’inauguration de
l’Exposition internationale
de New York, en 1939.
Photo Mucem. Guy Pison
En bas, Sirène, anonyme,
vers 1850-1890. Photo
Bertrand Prévost

les usages et les croyances populai-


res, les dialectes et les ­contes, les
musiques et les danses captivent et
émeuvent les artistes. Les dernières
salles de l’exposition font ainsi va-
loir l’intérêt des surréalistes pour le
rôle décerné dans ces ­cultures à la
magie et aux superstitions. Benja-
min Péret se plaît à en imaginer de
nouvelles («Garder l’arête de la pre-
mière sardine qu’on mange dans
l’année pour être sûr de ne pas avoir
d’ennuis d’argent») tandis que Su-
san Hiller, en 2010, livre ses petites
vitrines, remplies d’eaux saintes,
collectées aux quatre coins du
monde.

Géants de carnavals
Autant que l’objet, c’est ici l’enquête
et la collecte qui font œuvre. L’expo-
sition dresse alors le «portrait de
l’artiste en folkloriste», adoptant la
méthode des spécialistes du fol-
klore. A l’image de Claudio Costa
qui, en 1975, inaugure dans un vil-
lage de l’arrière-pays génois un
«musée d’anthropologie active» à
Monte­ghirfo, dans les murs mêmes
d’une maison abandonnée, dont
l’intérieur est resté intact. A l’image
encore de Raymond Hains qui,
s’amusant de l’homonymie entre
Kassel (ville allemande de la quadri-
ennale internationale, de la Docu-
menta ainsi que des frères Grimm),
et Cassel (dans le nord de la France,
Gabriele Münter, vit une expérience
similaire, éprouvant quelque chose
Les dernières connue pour ses géants de carna-
vals), organise un défilé de ceux-là
de l’ordre d’une révélation au cours salles de l’expo au outre-Rhin. Une performance qui
de son voyage d’étude ethnographi- témoigne des tentatives de creuser,
que aux ­confins de l’Empire russe, centre Pompidou- dans le sillage de Vasarely, la per-
dans la province de Vologda, au
contact de «grandes maisons de bois
Metz font valoir spective d’un ­«folklore planétaire».
L’artiste avait mis en place dès 1950
couvertes de sculptures». «Dans ces
maisons magiques, écrit-il en 1913,
l’intérêt des un «alphabet plastique» de formes
géométriques colorées, qui, en libre
alors qu’il a déjà basculé dans l’abs- surréalistes pour accès, était censé constituer, lit-on
traction, j’ai vécu une chose qui ne dans le catalogue, un «langage ar-
s’est pas reproduite depuis. Elles le rôle décerné tistique universel transcendant les
m’apprirent à me mouvoir au sein
même du tableau, à vivre dans le ta-
dans ces cultures particularismes ethniques, sans les
éradiquer pour autant». Un folklore
bleau.» Il ajoute : «C’est à travers ces
impressions que prit corps en moi le
à la magie et aux pour tous et pour chacun, du passé
vers le futur.
but que je fixai pour mon art person- superstitions. L’exposition s’achève par cette défi-
nel.» Les décors des maisons, mais nition ludique et cocasse d’un fol-
aussi les poupées, les statuettes, les klore dansant d’un pied sur l’autre
jouets en bois, les peintures sous ple : Brancusi. Son Maiastra, sculp- vençal à l’effigie du maréchal Pétain voyardes ou alsaciennes. Le para- entre hier et demain : la statue en
verre, les costumes infusent jusque ture effilée de l’oiseau mythique des ou cette estampe le portraiturant, doxe du folklore apparaît, par forme de ce type de jeu qu’enfour-
dans ses Peintures abstraites des contes roumains, est montré à côté en 1941, les pieds dans la terre (qui, ailleurs, dès lors que son vernis chent les enfants pour se balancer
années 20, lesquelles s’apparentent, d’un portail de ferme provenant de «elle, ne ment pas»), serrant la main d’authenticité s’écaille et que se ré- d’avant en arrière représente un
dans leur forme ovoïde comme la région natale de l’artiste et orné d’un paysan. Pourtant, dès le prin- vèle sa clinquante facticité. Ce que philosophe religieux du Moyen Age,
dans les motifs peints, aux tam- de motifs de cordes et de nœuds, temps 1939, la Provence et sa faran- pointent ironiquement l’ours taillé «mi-savant, mi-bouffon», qui passa
bours utilisés dans les transes par tressant un fil entre le ciel et la terre, dole était mise à l’honneur par la à la hache par Valentin Caron, mais sa vie à recueillir us et coutumes,
les chamanes sibériens. L’exposi- que tirera la Colonne sans fin. France dans son pavillon à l’Exposi- qui sonne creux, puisqu’il est fait de traditions et croyances. Mollah Nas-
tion le prouve en présentant un ta- tion universelle de New York. Sous résine, ou encore cette vidéo de l’ar- reddine est monté sur un âne, mais
bleau où pointe une figure triangu- Croyances le commissariat de Georges-Henri tiste albanais Endri Dani, grattant à l’envers. Si bien qu’il est tourné
laire qui ressemble à s’y méprendre et dialectes Rivière, conservateur du musée na- d’un scalpel strident les costumes vers l’arrière, le passé, tandis que sa
au bec d’un petit martin-pêcheur en De là, «Folklore» se fait plus collectif tional des Arts et Traditions popu- peints sur des statuettes en terre, monture va de l’avant. •
bois, issu des collections de l’artiste, et thématique, pour interroger laires, le pavillon national répon- vendues aux touristes comme des
posé juste à côté. d’abord les «ambiguïtés et paro- dait au thème imposé («la emblèmes identitaires, à l’authenti- Folklore
Autre grande figure moderne dont doxes» de cette pratique, récupérée construction du monde demain») en cité fort contestable. Centre Pompidou-Metz (57).
les formes épurées prennent leur notamment par le régime vichyste présentant des groupes de farando- Au contraire de ces breloques, la di- Jusqu’au 4 octobre.
envol au contact du savoir du peu- et dont témoignent ce santon pro- leurs parmi d’autres curiosités, sa- mension immatérielle du folklore, Rens. : centrepompidou-metz.fr
24 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 24 Juin 2020

dans le centre-ville. Ce matin, c’était


impossible ! Je me demande si je ne
vais pas écrire à Rebsamen [Fran-
çois, maire de Dijon, ndlr].»
«Bien sûr qu’on fait attention, pré-
cise Odette, l’inconsciente aux che-
veux clairs frisottants. J’ai du gel sur
moi, j’ai même un second masque
dans mon sac, au cas où. Mais c’est
une question de caractère. Des amis
à moi ne sortent plus que pour faire
les courses, ils vont au marché, ils
rentrent, ils ont peur. C’est triste. Ils
auront peur tout le temps !» Jeanne
opine du chef et commente : «C’est
dommage car on est bien mieux ins-
tallées avec un siège d’écart, on peut
poser nos affaires, déplier nos jam-
bes, les conditions sont luxueuses.»

Fébrilité. Le récital fut étrange, pas


tout à fait conforme mais pas com-
Natalie Dessay, le 21 juin à l’Opéra de Dijon, dans le cadre du festival Dissonances. Photo Gilles Abegg-Opéra de Dijon plètement original. Il y eut bien sûr
des résidus du vieux monde – telle
cette personne qui, une fois les lu-

L’Opéra de Dijon retrouve


mières éteintes, s’est levée pour
changer de rangée en faisant tomber
sa béquille –, mais on a aperçu aussi,
du côté des artistes, une fébrilité

ses seniors de naguère


particulière. Emus, beaucoup d’en-
tre eux ont mal vécu le confinement
et sont remontés sur scène chargés
d’adrénaline : «L’accompagnement
des artistes va devenir un challenge
pour les institutions», pronostique
Immersion dominicale fini en queue de poisson, forcément. profit du siège vacant. «Les specta- Tellement prises que je vais peut-être Joyeux. Un morceau du quatrième
dans les travées de Alors là, on revit.» Miracle. teurs peuvent se regrouper entre eux même retirer mon masque pendant mur s’est effondré entre la scène et
l’Auditorium, qui a Depuis mercredi dernier, l’Audito- jusqu’à dix, mais chaque cluster doit le concert.» Mais c’est le volume de le public et on a entendu des choses
rium propose une série de récitals, être séparé par un fauteuil vide», la salle qui a décidé Hélène, 71 ans, rares. David Grimal remerciant le
rouvert avec un initialement pensés sur le mode du explique Joyeux, masqué. Si le co- au balcon et en robe au tissu im- public en précisant : «On revient à la
protocole sanitaire huis clos, mais qui ont pu être ou- mité scientifique a accéléré ven- primé de petites fleurs multicolo- vie. Je me souviendrai de ce con-
rassurant, dans une verts au public dans la foulée de dredi le processus de déconfine- res : «Le masque n’a pas beaucoup cert-là.» Bien plus de «bravo !» que
salle volontairement l’assouplissement du déconfi­- ment et si Franck Riester a annoncé d’intérêt, la distance est bien plus d’habitude durant les applaudisse-
clairsemée où les nement prononcé par Macron dimanche qu’il n’y aurait pas d’obli- importante. J’aurais peur d’aller au ments, le public-grenouille cher-
spectateurs, y compris le 14 juin. Le directeur de l’Opéra de gation de demi-jauge dans les ciné- cinéma, car je n’y vais pas souvent et chant à produire une clameur de
les plus âgés, cibles à Dijon, Laurent Joyeux, a proposé mas et salles de spectacles, le fau- parce que les salles sont plus petites. bœuf. Et, en bis, les musiciens qui
fissa à la préfecture et à la direction teuil vide reste au cœur du Mais ici…» Elle désigne le plafond réinterprètent un morceau de-
risque du virus, ont pu régionale des affaires culturelles dispositif d’accueil. à 16 mètres de hauteur et l’audito- mandé à la volée par un spectateur,
apprécier un récital (Drac) des modalités d’accueil du rium quasi vide où une armée de la Sicilienne de Chausson. C’est
Duparc-Chausson. public qui ont été tout aussi fissa Balcon. A Dijon, Joyeux a choisi postillons s’égarerait dix fois avant peut-être dans la communication
acceptées : plan de circulation spé- par souci de sécurité un remplis- d’atteindre une glotte. avec le public que le virus a pour

I
ls sont là, ils sont revenus. Les cifique du bâtiment et de la salle sage très faible de l’auditorium, qui On peut penser que les personnes l’instant changé les choses.
seniors. Dans les salles de spec- (entrée à cour, sortie à jardin), gel peut accueillir 1 600 personnes : «Je âgées, cibles à haut risque, seraient Au milieu de cette petite foule il y a
tacles. Malgré le Covid et l’ac- hydroalcoolique un peu partout, voulais que le public se sente en sécu- réticentes à sortir de chez elles, qui aussi Jeanine, 100 ans. Elle s’est dé-
tualité locale (lire Libération de masque obligatoire, fermeture des rité», note-t-il. Et ça marche. Au plus est pour se rendre dans un en- placée pour la deuxième fois de la
lundi), ils occupent à l’Auditorium vestiaires, des foyers, du bar, de cer- parterre, Odette, «60 ans et des droit fermé. Mais il apparaît clair semaine. Reviendra mercredi. Ac-
de Dijon un bon tiers de la jauge. taines toilettes, ainsi qu’une jauge poussières», «inconsciente invété- que les spectateurs présents au compagnée par sa fille, accrochée à
Avec masque en tissu sur le visage, n’excédant pas 150 personnes. La rée», serait venue de toute façon : ­concert n’en ont rien à faire, du Co- sa canne mais cheminant d’un bon
canne posée contre le siège avant, règle du mètre de distance entre «Ici, on ne pense pas au Covid, toutes vid. Leur virus, c’est la musique. pas, dans un tailleur bariolé, le re-
programme en mains et lunettes sur deux individus est simplifiée au les mesures de sécurité sont prises. ­Elles sont atteintes depuis long- gard bleu aigu, elle ôte son masque
le nez, ils attendent de retrouver le temps. Jeanne, Odette et Hélène, en papier pour nous dire dans un
chemin de la musique après abonnées, étaient présentes mer- sourire : «Mais de quoi voudriez-
trois mois d’abstinence. Dimanche
à 17 heures, le programme associait
«Le masque n’a pas beaucoup credi pour le premier concert, cer-
taines sont revenues vendredi, et les
vous que j’aie peur ? Vous avez en-
tendu la musique ? C’était un beau
Henri Duparc à Ernest Chausson, d’intérêt, la distance est bien y voilà de retour dimanche. Comme concert, non ? Parlons de musique,
avec la soprano Natalie Dessay, le avant. «Je ne fais pas partie des gens j’adore Chausson.»
violoniste David Grimal, les pianis- plus importante. J’aurais peur qui ont peur, souligne Hélène. Mais Guillaume Tion
tes Philippe Cassard et Nelson
Goerner, le quatuor Hermès. Un
d’aller au cinéma, car je n’y vais pas j’en vois. Je travaille avec des person-
nes âgées qui restent chez elles et s’ef-
Envoyé spécial à Dijon

casting de rêve. «L’ambiance est for- souvent et parce que les salles sont fraient en observant depuis leur fe- Dissonances Chamber
midable, décrit Jeanne, cheveux
blancs tirés en arrière, qui n’a pas
plus petites. Mais ici…» nêtre que les gens dans la rue n’ont
pas de masque. Moi, dehors, ce qui
Music Series Auditorium
de l’Opéra de Dijon (21).
voulu donner son âge. La saison a Hélène, 71 ans m’énerve, c’est le bruit des motos Gratuit. Jusqu’au 27 juin.
Libération Mercredi 24 Juin 2020 u 25

culture/ Musiques

Let It Come Down, les rêveries


labyrinthiques de Kramer
Après un an passé en que GG Allin et monté deux labels royalties carbonisées. Période idéale
résidence pour le label estimés, Shimmy Disc et Kokopop, pour que le label américain Joyful
Joyful Noise, le New- qui ont servi de sas de décompres- Noise lui propose sa résidence d’ar-
sion, entre autres, à Daniel tiste annuelle, où se sont déjà illus-
Yorkais, accompagné Johnston et aux Japonais de Bore- trés nombre d’insaisissables fadas,
de la chanteuse Xan doms. Kramer est ce qu’on appelle tels Jad Fair ou le groupe Deerhoof.
Tyler, revient avec un artiste culte, au sens précis du Le principe : une année entière de
«Songs We Sang in Our terme. C’est-à-dire que peu de gens création et autant de disques qu’il
Dreams», petit bijou sauront vous dire qui il est mais en faudra pour la documenter. Pour
intimiste au charme que, parmi ces gens, tous vous en Kramer, ce sera cinq albums, sous
inquiétant. parleront des heures durant, avec différents patronymes, seul ou avec
une vague lueur de folie dans les des invités. Et le premier, sorti Musicien, producteur et manager, Kramer a également créé

L
e nom de Kramer ne vous dit yeux – sans doute parce qu’il leur le 12 juin, a immédiatement placé la les labels Shimmy Disc et Kokopop. Photo Laurence Audevie
peut-être rien. Il y a pourtant doit de l’argent, Kramer ayant aussi barre à des hauteurs insensées. Pré-
de grandes chances pour que une réputation de très mauvais senté sous le nom de Let It Come une absence totale de tragédie – on bloc de kimberlite : il y a bien des
vous l’ayez déjà croisé – et à de mul- payeur. Down, duo avec la chanteuse londo- y trouve même une samba, c’est diamants à l’intérieur, mais pas mal
tiples reprises. Ce New-Yorkais aux nienne Xan Tyler, Songs We Sang in dire – qui rend le disque paradoxa- de boulot avant de les trouver. Le
longs cheveux frisés et aux éternel- Patronymes. Devenu rare ces Our Dreams tient autant du miracle lement inquiétant, comme une villa Dylan vous est tombé tout seul en-
les lunettes rondes, dont on n’a ja- dernières années – où il a continué que du mirage, baroque illusion à la californienne envahie de bougain- tre les mains, sachez faire l’effort
mais su s’il avait 25 ou 75 ans, a en malgré tout à voir son nom apparaî- fois étouffante d’intimité et débor- villiers où se terrerait un couple de d’aller dénicher celui-ci.
effet travaillé avec la Terre entière, tre régulièrement, ici sur un live de dant d’espace et de lumière. solitaires homicides, un gazon mi- Lelo Jimmy Batista
ou pas loin. Il a découvert et lancé Sonic Youth, là sur un album de Bill nutieusement taillé sous lequel on
les gigantesques Low, managé les Frisell – Kramer n’aurait pu rêver Kimberlite. Il sera tentant d’évo- entendrait crisser les élytres d’un Let It Come Down
non moins essentiels Galaxie 500, meilleur moment pour refaire sur- quer Low, vu leur lien avec l’inté- millier d’insectes. Plus que le triste Songs We Sang
joué avec Ween et les Butthole Sur- face que cette étrange année 2020 ressé, mais il y a chez Let It Come amas de gravats annoncé, 2020 in Our Dreams
fers, produit aussi bien John Zorn où les tournées sont annulées et les Down quelque chose de plus léger, pourrait s’avérer être un épuisant (Joyful Noise Recordings).

Drab City, limbes dans l’autre


Le mystérieux Asia et Chris bricolent Men) mais emballée de ve-
aussi séparément sous les lours bleu lynchéen.
duo indé sort impénétrables blazes de En contrepoint de ce ballet
«Good Songs ­Islamiq Grrrls et oOoOO, de jolies lucioles, on trouve
for Bad People», cultivant pas mal l’opacité aussi des choses plus
et le flegme du désenchan- ­charpentées, du dub tra-
un album tement. Elle est un genre versé de blues oblique à la
aux langueurs de Billie Eilish qui aurait Captain Beefheart (Live
éthérées été serinée à Courtney Free and Die When It’s
Love ; lui semble tout droit Cool, chanté par Chris) et
qui conjugue exfiltré des patachons une lancinante imprégna-
dream pop, jazz, punk de Fat White Family. tion du jazz, à travers des
blues et trip-hop. Le titre de leur premier al- guitares qui frisent en fili-
bum, Good Songs for Bad grane de certains mor-
People, évoque une com- ceaux pop (dont le subju-

L
e flou qui nimbe les pile psychobilly-goth des guant Working for the Men)
chansons du duo Cramps ; l’ambiance géné- ou des vibraphones et
Drab City démarre rale, celle du film Only Lo- piano qui cabriolent en
assurément avant les chan- vers Left Alive et ses vampi- contrebande (Hand on My
sons elles-mêmes. Tout res rock embaumés par Pocket). Effrontées et dé-
comme les sonorités chan- Jarmusch. routantes, ces «bonnes
celantes de Entering Drab On lit ici et là qu’ils se chansons pour mauvais
City nous embarquent ­seraient rencontrés dans gens» ont aussi le mauvais
d’entrée dans un manège une usine où ils étaient genre de leur beauté trafi-
de faux-semblants. Un jour ­ouvriers l’un et l’autre, Parallèlement à leurs projets solos, Chris et Asia forment Drab City. Photo Drab City quée, et n’en sont que plus
présentés en «nouvelle sen- grâce à un disque de séduisantes.
sation indie américaine» de ­Charles Mingus que Chris l’album, que quelques elle, lui, on n’en sait rien, la langueur fantôme et aux Christophe Conte
Los Angeles, le lendemain portait sous le bras (très phrases calfeutrées dans la pas plus que l’on ne devine charmes rétros troublés,
interviewés «depuis leur utile pour serrer des bou- langue de Duras livrent un par quels exquis cadavres cousine tant du trip-hop de Drab City
fief de Berlin», signés sur le lons), et c’est seulement au petit indice non négligea- disséqués et raccommodés Portishead (Devil Doll) que Good Songs
label anglais Bella Union, détour de Problem, l’un des ble : ils sont français ! dans le désordre ils sont de la dream pop de Beach for Bad People
les brouilleurs de pistes titres les plus capiteux de ­Bosniaque d’origine pour parvenus à cette musique à House (Working for the (Bella Union /Pias).
26 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe Libération Mercredi 24 Juin 2020

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Ecoiffier (web), Christian pour l’âne IV. Lançon est un autre nom pour ce poisson V. Il y a
Losson (enquêtes), six dames dans cette grille car il n’y en a qu’une pour sept Q
Catherine Mallaval VI. Une cinquantaine de pays d’un même continent # Ville près
MERCREDI 24 JEUDI 25 (société), Didier Péron
(culture), Sibylle d’un célèbre aqueduc VII. I # Un petit peu de Grèce VIII. Roulée
Le soleil brille dès les premières lueurs du Très fortes chaleurs pour cette journée de Vincendon (société) dans tous les sens # Longs cils dans les bois IX. Le vote l’est, le
jour, avec de la douceur. Les températures jeudi avec un soleil de plomb qui dominera vote utile moins # @nglais X. Constructeur automobile avant le
grimpent rapidement et le soleil cogne. encore sur l'ensemble du pays. précédent # En double XI. En double, ils restent courts
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17 3 82 16 527 39 44 8 5 6 9 2 9 6 3 1 5 4 817 4 3 6 7 8 2 9 5
Caen 16 29 Bordeaux 19 33 Berlin 14 26 4 7 5
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1 4 8 7 8 1 5 7 2 4 9 3 6
5 7 8 2 9 1 3 6 4
Brest 16 28 Toulouse 18 32 Bruxelles 17 29 journal ne saurait être
2 1 7
38 4 66 97
9 3 6
115 48
5 4
92 2 7
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Debonneville-Orlandini

et sur

PREMIÈRE SUR L’INFO


Libération Mercredi 24 Juin 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe

La bonne maire
lorées du Printemps. Les micros se tendent, le médecin est aus-
culté dans tous les sens. La candidate accepte la mise en lu-
mière, comme on prend un médicament aussi nécessaire
qu’amer. «Je n’aime pas les médias, confesse-t-elle. Moi, c’est
le terrain, les gens.» Plus jeune, lorsqu’elle usait les parquets
Michèle Rubirola Cette médecin de 63 ans, venue tard des terrains de basket, elle évitait de se mettre en avant. «Quand
à la politique, paraît bien partie pour créer la surprise j’avais le ballon, je voyais très vite à qui il fallait le passer pour
marquer.» En mode campagne électorale, c’est à ses porte-pa-
et donner à la gauche la mairie de Marseille, sa ville. role, rodés à l’exercice, qu’elle renvoie la balle. «Ça m’agace
parce qu’elle sait faire ! assure Benoît Payan. ­Michèle, c’est un
antihéros. Elle n’a pas de masque, elle n’est pas en représenta-
tion, elle ne porte que sa vérité. C’est rare et précieux.» Surtout
à Marseille, théâtre des pros de la politique et des envolées de
l’orateur en chef, le pagnolesque Gaudin.
Michèle Rubirola a au moins un point commun avec le maire
sortant : elle vit toujours dans le quartier de Marseille où elle
est née, le Rouet, où s’était installée sa grand-mère napo­-
litaine. Sa mère travaille à l’Urssaf et son père est directeur
­adjoint à la Sécu. «Il était marxiste-léniniste, raconte-t-elle.
J’ai grandi avec des citations de Mao.» Au lycée, son idole s’ap-
pelle plutôt Janis Joplin. «Ça a été la première opposition à
mon père. Je suis devenue hippie.»
La lutte des classes la rattrape sur les bancs de la fac de méde-
cine. Elle s’engage pour l’avortement et la contraception,
­contre le numerus clausus et la «médecine du fric et des
­patrons». L’antimilitarisme et le combat contre le nucléaire
l’initient à l’écologie. «Mais la
politique ne m’intéressait pas.
Mon militantisme, je l’ai fait 28 juillet 1956
d’abord dans mon boulot.» Ins- Naissance à Marseille.
tallée comme généraliste, elle 2002 Rejoint les Verts.
exerce en parallèle dans les 2015 Conseillère
foyers de jeunes, participe au départementale EE-LV.
lancement du RMI santé, et 10 janvier 2020 Tête
quand elle intègre la caisse pri- de liste du Printemps
maire d’assurance maladie, marseillais.
en 1996, elle s’occupe de pré- 28 juin Second tour
vention pour les populations des municipales.
éloignées du soin. Elle vient
alors d’avoir son troisième enfant, un garçon, après deux filles.
Son mari, lui, est administratif dans un centre de soins. «Après
trente-cinq ans, il est toujours amoureux de moi, dit-elle en
souriant. Mais il n’aime pas trop qu’on parle de lui…»
Ayant sa famille à élever, elle se contente de participer aux
manifs. Il faudra attendre 2002 et le duel Chirac-Le Pen pour
que sa colère la pousse à franchir le pas. L’année suivante, elle
rejoint les Verts. Elle est élue pour la première fois en 2008,
conseillère d’arrondissement. «J’ai découvert le milieu poli­-
tique. J’avais été élevée dans des idéaux, c’est pas pareil…» Des
années plus tard, elle n’y a toujours pas pris goût. «Ce que je
trouve génial, c’est qu’elle n’a pas changé, relève Sébastien Bar-
les, qui l’a ralliée, avec les Verts, pour le second tour. Dans cette
ville où des mecs s’entre-tuent pour avoir un demi-poste, elle
va devenir maire sans s’être abîmée, sans avoir trahi per-
sonne.» Quand Martine Vassal, son adversaire, la traite de
«pantin» de Mélenchon, elle évacue : «Je suis plus dans la cons-
truction que dans l’attaque. J’écoute beaucoup.» Elle ne ren-
chérit pas non plus quand LR s’enlise dans des histoires de
procurations douteuses, révélées par la presse dans la dernière
ligne droite de la campagne. Cette affective a eu plus de mal

M
ichèle Rubirola a posé une journée de RTT. On a joué L’écharpe de maire, elle n’y avait jamais pensé jusqu’à ce qu’on à garder son sang-froid quand, en février, un journal raconte
des coudes dans son emploi du temps pour la faire vienne la chercher, en janvier. Le Printemps marseillais, collec- qu’elle fait campagne tout en étant en arrêt maladie. «Ça a été
asseoir dans un café, à deux pas de chez elle. Depuis tif de socialistes, communistes, insoumis et citoyens, cherche difficile, grince-t-elle encore. L’injustice, je ne supporte pas.
la reprise de la campagne, elle jongle : un congé quand les sa tête de liste. Benoît Payan (PS), pressenti mais jugé trop cli- Avant le premier tour, j’ai pris un congé sans solde, j’ai fait un
week-ends ne suffisent plus et des rendez-vous après sa jour- vant, vient de renoncer. C’est lui qui propose le rôle à ­Michèle bulletin de salaire à 53 euros. Là, je ne peux plus : mon fils part
née dans le groupe traçage Covid-19 de l’assurance maladie, Rubirola, son binôme au département où ils sont élus faire ses études à Paris, il cherche un appartement.»
où, médecin, elle est affectée depuis le 11 mai. «Je ne vois pas ­depuis 2015. Pour le Printemps, c’est le CV parfait : médecin Pour les jours suivant l’élection, elle a posé deux jours de RTT
pourquoi je planterais mon travail et l’équipe, tranche-t-elle. engagée – elle exerce dans les quartiers Nord auprès des popu- suivis d’une semaine de congés. «Après, on verra», balaie-t-
J’ai toujours fonctionné comme ça. Si je lations précaires –, l’élue pointe chez les elle, prudente. Elle rassure ses amis de la chorale qui s’in­-

Le Portrait
peux tout faire…» Verts ­depuis 2003, tendance gauche du quiètent de ne plus la voir chanter, si jamais elle était élue.
Le 15 mars, à la surprise générale, le doc- parti. Cette inconnue du grand public fait «Elle a peur de ça, d’une dépossession de sa liberté, de devenir
teur Rubirola, 63 ans, a porté le Printemps parler d’elle en refusant de suivre en octo- anormale, relève Sébastien Barles. Et, en même temps, elle est
marseillais en tête d’une élection qui semblait acquise à sa bre son partenaire de toujours, Sébastien Barles, et ses cama­- prête. Elle change de visage quand elle en parle. Elle sent le
rivale de droite, Martine Vassal. 23,44 %, contre 22,32 %, un rades d’Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) lorsqu’ils décident poids de la responsabilité, mais elle est à la hauteur.» Si elle
écart qui s’est creusé depuis, à en croire les sondages qui la de monter leur liste autonome. C’est encore «au nom de l’inté- devient maire, elle promet de ne faire qu’un seul mandat.
donne à 36 % (contre 29 % à Vassal). Rien n’est encore gagné rêt collectif» qu’elle finit par ­accepter d’incarner le Printemps : «Vous avez vu mon âge ? se marre-t-elle. Et puis, c’est l’aboutis-
dans une ville où l’élection se joue par secteurs. Michèle Rubi- «J’ai dit d’accord, mais qu’il faudrait m’aider, parce que je n’ai sement de toutes les luttes que j’ai menées. Après, je prendrai
rola, première femme maire de Marseille, après vingt-cinq ans pas les codes en politique. Ma fille aînée, violoncelliste, n’était mon camping-car et ma tente.» •
de règne de Jean-Claude Gaudin ? «Mes collègues de la mission pas d’une famille de musiciens, et elle a eu du mal au début. Moi,
Covid me disent : “Pourquoi pas ? Tu n’as pas un QI plus faible c’est pareil !» Par Stéphanie Harounyan
que Gaudin et tu es une bosseuse.” Et mes petits-enfants en Trop tard pour s’y mettre, la campagne démarre et son nom Photo Yohanne Lamoulere.
­rêvent : ils m’ont dit “comme ça, on mangera bien à la cantine” !» devient un slogan. «Rubirola est là», annoncent les affiches co- Tendance Floue

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