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Caractérisation et microstructure

des ciments renforcés de fibres de cellulose

Mohamed-Mouldi KHENFER
Maître de conférence
au Centre universitaire de Laghouat (Algérie)
Pierre M O R D E R
Professeur et directeur
du Laboratoire de Rhéologie de bois
de Bordeaux (France)

Introduction
Les ciments et les bétons actuels sont renforcés par l'ad-
jonction de fibres d'amiante de façon à leur conférer de
meilleures propriétés mécaniques. Mais l'utilisation de
l'amiante a été remise en cause par la législation sur la
RESUME
santé. Les fibres de cellulose qui, contrairement aux
L'incorporation d e fibres d a n s le ciment fibres d'amiante, proviennent d'une source renouvela-
permet d'améliorer la résistance à la traction
du matériau obtenu et d'en diminuer la fragi- ble, sont considérées comme de bonnes substitutions aux
lité. L'hypothèse selon laquelle les fibres per- fibres d'amiante dans le ciment en raison de leur faible
mettent de maîtriser le mécanisme d e fissu-
ration e n retardant le départ de la fissure et coût et de leurs bonnes propriétés mécaniques. Le
en la contrôlant une fois qu'elle apparaît est tableau I permet de comparer les propriétés mécaniques
vérifiée. L e s fibres de cellulose sont considé- et géométriques de quelques fibres utilisées pour le ren-
rées c o m m e un bon substitut a u x fibres
d'amiante dans le ciment, en raison d e leur forcement du ciment.
faible coût et d e leurs bonnes propriétés
mécaniques. C e s propriétés d e résistance Le renforcement des ciments par des fibres cellulosiques
peuvent être encore renforcées si l'on utilise
des fibres préalablement traitées et si l'inter- donne un matériau composite qui peut remplacer
face fibre-matrice est améliorée a v e c cer- l'amiantc-ciment dans de nombreuses applications telles
tains agents chimiques. Après avoir vérifié que les plaques de toiture, la tuyauterie, les revêtements
l'isotropie du matériau, nous présentons une
évaluation d e s caractéristiques mécaniques de murs et d'autres applications internes. Des études
des ciments renforcés par d e s fibres de cel- antérieures [1] ont montré que les ciments renforcés de
lulose. Celles-ci sont issues de procédés de
fabrication différents. U n e étude de la micro- fibres de cellulose possèdent de bonnes résistances à la
structure du matériau et du mécanisme de rupture, équivalentes à celles des ciments renforcés de
rupture durant le chargement est effectuée et
la durabilité du matériau s o u m i s à un vieillis-
fibres d'amiante. Ces propriétés peuvent être améliorées
s e m e n t accéléré est également étudiée. L e s si l'on utilise des fibres préalablement traitées et si l ' i n -
a n a l y s e s montrent q u e les c o m p o s i t e s ren- terface fibre-matrice est traitée chimiquement, ce qui
forcés d e fibres longues blanchies et prépa-
rées selon un procédé chimique (Kraft) sont minimise l'effet hygroscopique et augmente la liaison
des matériaux dotés d e bonnes propriétés interfacialc.
de résistance. L'étude d e s surfaces d e rup-
ture au m i c r o s c o p e électronique révèle u n e Dans cette étude, nous donnons une évaluation des
liaison interfaciale efficace entre la fibre et la
matrice et non affectée quand le matériau caractéristiques mécaniques des ciments renforcés par
est s o u m i s à un vieillissement accéléré. des fibres de cellulose qui diffèrent par leurs procédés de
fabrication, tout en essayant de comprendre le mode de
MOTS C L É S : 32 - Ciment - Renforcement rupture par visualisation des surfaces de rupture au
(Gén.) - Fibre - Cellulose - Résistance (mater.) -
Éprouvette - Rupture - Flexion - Choc - microscope électronique à balayage. Ensuite nous étu-
Microtexture - Traction - Caractéristiques - dions la durabilité du matériau conservé dans différents
Mécanique - Durabilité - Méthode d'essai - milieux hygroscopiques, et nous le comparons au maté-
Vieillissement.
riau témoin.

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TABLEAU I
C a r a c t é r i s t i q u e s m é c a n i q u e s et physiques de quelques fibres

Résistance Module
Diamètre Longueur Allongement Prix par kg
Fibres Densité en traction d'Young
(u_m) (mm) (%) (FF)
(MPa) (GPa)

Cellulose 14 - 45 1 à 3 1,50 150 - 500 20 - 40 8 - 12 3

Amiante 0,02 - 20 20 - 80 2,5 - 3,4 300 160 2 - 3 5 - 6

Acier 5 - 500 20 - 80 7,8 1 000 - 3 000 200 3 - 4 8

Verre 5 - 20 40 - 70 2,6 150 - 300 80 2 - 3,5 20

TABLEAU II
P r o p r i é t é s m é c a n i q u e s et physiques des é p r o u v e t t e s c o u p é e s dans les deux directions
(longitudinale et transversale)

Sens de d é c o u p e des Module d'Young E b R é s i s t a n c e à la flexion a b É n e r g i e de rupture statique


éprouvettes (GPa) (MPa) (kJ/m ) 2

Direction longitudinale 13,7 ± 0,3 29,6 ± 3,3 3,69 ± 0,80

Direction transversale 14,0 + 0,6 28,0 + 3,0 3,95 ± 0,96

TABLEAU III
P r o p r i é t é s m é c a n i q u e s et physiques des ciments r e n f o r c é s avec d i f f é r e n t s types de fibres

Résistance Énergie Résistance


Module d'Young
Nature des fibres à la flexion o de rupture au choc Densité
(GPa) b

(MPa) (kJ/m ) 2
(kJ/m )2

Fibres longues non blanchies 10, 3 ± 0,3 10, 9 ± 1,2 0, 63 ± 0,17 13,22 ± 3,82 1,40 ± 0,04

Fibres courtes blanchies 14, 5 ± 0,7 25, 3 ± 2,0 1, 53 ± 0,30 20,28 ± 3,35 1,52 ± 0,03

Fibres longues blanchies 13, 2 ± 0,3 27, 1 ± 2,8 3, 59 ± 0,34 25,88 ± 0,05 1,42 ± 0,05

TABLEAU IV
C a r a c t é r i s t i q u e s m é c a n i q u e s pour d i f f é r e n t s milieux hygroscopiques

É p r o u v e t t e s continuellement É p r o u v e t t e s continuellement É p r o u v e t t e s soumises


Durée dans l'air dans l'eau à des cycles
en jours
E (GPa) o (MPa)
b E (kJ/m )
r
2
E (GPa) o b (MPa) E (kJ/m )
r
2
E (GPa) o b (MPa) E (kJ/m )
r
2

0 18,2 ± 0,2 33,5 + 1,5 3,38 ± 1,20 18,2 ± 0,2 33,5 ± 1,5 3,38 ± 1,20 18,2 ± 0,2 33,5 + 1,5 3,38 ± 1,20

20 16,8 ± 1,2 29,6 ± 1,2 2,13 ± 0,37 15,7 ± 0,5 25,8 ± 2,1 4,03 ± 0,59 17,5 ± 0,6 31,5 ± 1,1 2,34 ± 1,08

40 17,2 ± 0,7 32,6 ± 0,7 2,38 ± 1,50 15,4 ± 0,4 24,9 ± 0,9 4,32 ± 1,09 17,9 ± 0,3 31,5 ± 0,7 1,55 ± 0,22

60 17,9 + 0,4 31,3 ± 1,4 2,35 ± 1,02 15,0 + 0,40 25,3 ± 1,1 4,97 ± 1,04 17,0 ± 0,8 27,0 ± 1,2 2,06 ± 0,47

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Détails expérimentaux longitudinale et transversale). Des éprouvettes
rectangulaires normalisées [2] de dimensions
(150 x 5 0 mm) sont utilisées pour déterminer la
Les fibres résistance, le module d ' Y o u n g et l'énergie de
Les différentes fibres de cellulose utilisées dans rupture en flexion 4 points. Elles sont sollici-
cette étude sont : tées à une vitesse de 2 mm/min sur une
machine Adamel (Modèle D Y 2 5 ) . L a flèche est
>- des fibres longues de pin ( L = 3 mm, D =
mesurée au milieu de l'éprouvette à l'aide d'un
30 Ltm ) préparées par voie chimique, blanchies
capteur inductif de course maximale 10 mm.
et raffinées à un degré de 550 C S F (soit
Les résultats des essais en flexion sont obtenus
26 °SR) ;
avec une acquisition automatique des données.
>- des fibres longues provenant de la m ê m e Le module d ' Y o u n g E est calculé à partir de b

source mais préparées par voie t h e r m o m é c a n i q u e la pente charge-flèche. L ' é n e r g i e de rupture


à haute température, non blanchies et qui ont le statique est déterminée par l'aire sous la courbe
m ê m e degré de raffinage ; force-déplacement divisée par la section de
l'éprouvette. L a résilience est mesurée à l'aide
>- des fibres courtes d'eucalyptus ( L = f mm,
d'un pendule Charpy sur des petites éprouvet-
D = f 4 Ltm) préparées par voie chimique, blan-
tes. L ' é t u d e de la durabilité est conduite sur
chies et raffinées à un degré de 550 C S F .
des éprouvettes soumises à trois tests diffé-
rents :
Fabrication du matériau a) immersion continue dans l'eau pendant
L a cellulose qui sera m é l a n g é e par la suite 60 jours,
à la matrice, avec une teneur massique en
fibres de l'ordre de 10 %, est défibrée dans b) cycles de séchage à 70 °C pendant 24 h et
l'eau à une concentration de 6 g/1, puis on immersion dans l'eau à 20 °C pendant la m ê m e
ajoute la matrice qui est c o m p o s é e du durée (30 cycles ont été appliqués),
ciment CPA55 et de 1 0 % de silice
c) éprouvettes exposées continuellement à l'air
Gallardon 400. L e mélange est malaxé pen-
(ambiance de laboratoire).
dant 3 min, puis versé dans une formette de
250 x 250 m m , sur laquelle l'évacuation se Les éprouvettes sont testées après 20, 40
fait par aspiration. On réalise ainsi des et 60 jours et leurs propriétés mécaniques
monocouches de quelques millimètres sont comparées à celles des éprouvettes
d'épaisseur. Pour réaliser la manutention des témoins.
monocouches, i l faut procéder de deux
façons différentes. Pour la première feuille,
un velin est appliqué sur la monocouche
afin de faciliter le décollage du composite ;
R é s u l t a t s et discussions
les deux monocouches suivantes sont empi-
lées directement sur la première sans passer Les tableaux II , III et I V présentent les caracté-
par l'application du velin. Enfin, on procède ristiques m é c a n i q u e s et physiques des ciments
à la découpe des trois jets au massicot et renforcés par différents types de fibres et soumis
on superpose deux tricouches pour obtenir le à des cycles de séchage-immersion.
produit final. L e matériau est pressé à
18,5 M P a avec une montée en charge sur
7 min. Enfin, les composites sont stockés Effet de l'orientation des fibres de cellulose
dans des sacs en plastique pendant 24 h,
Dans le tableau II, i l apparaît que le module
puis sont autoclaves durant 20 h à une tem-
d ' Y o u n g E et la résistance à la flexion a sont
b b
pérature de 170 °C sous une pression de
sensiblement les m ê m e s pour les éprouvettes
7 bar.
coupées dans les deux directions.
Des éprouvettes coupées dans les deux directions
Méthodes d'essais sont examinées au microscope électronique à
Avant essais, les éprouvettes, coupées aux balayage (la technique utilisée consiste à les
+

dimensions choisies, sont placées dans une imprégner dans l'acide chlorhydrique H 0 C 1 3

atmosphère contrôlée (humidité relative afin d'exposer les fibres). L'examen de ces
50 ±5% et température de 22 ± 2 °C) pendant éprouvettes au microscope électronique (fig. 1)
5 jours. Pour étudier l'effet de l'orientation des montre bien que les fibres sont dispersées au
fibres, les éprouvettes sont coupées dans les hasard dans toutes les directions ; i l n'y a pas
deux directions du matériau (direction d'orientation préférentielle.

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Fig. 1 - Distribution des fibres dans la matrice ciment.

m §H a. Dans la direction longitudinale b. Dans la direction transversale

Fig. 2 - Courbes c h a r g e - d é p l a c e m e n t .

Charge
450
Ciments renforcés
de fibres longues non blanchies
350

250 -

Ciments renforcés
150 - de fibres longues blanchies

50

0 0,5 1,5 2,5 3,5 4,5 2 2,8


Déplacement (mm) Déplacement (mm)

a. Ciments renforcés de fibres longues blanchies b. Ciments renforcés de fibres longues non blanchies

Effet des fibres. L a lignine, couvrant la fibre, réduit donc la sur-


Résistance à la flexion face de liaison entre celle-ci et la matrice et pro-
Le tableau III et la figure 1 montrent que les com- voque, par la suite, de faibles résistances.
posites renforcés de fibres blanchies ont des En comparant les ciments renforcés de fibres
valeurs de résistance, de module d ' Y o u n g et longues blanchies ( L = 3 mm, d ~ 30 (tm ) et de
d ' é n e r g i e de rupture plus élevées que celles des fibres courtes blanchies ( L = 1 mm, d = 14 pm),
composites renforcés de fibres non blanchies. Ceci
on remarque que les premiers ont une résistance
est dû au prétraitement des fibres, qui élimine les
à la flexion et une énergie de rupture statique
produits nuisibles et indésirables. Il est connu que
supérieures à celles des derniers (fig. 2).
les fibres non blanchies sont couvertes de lignine,
relativement rigide, qui manque de compatibilité Des essais [4] sur des pâtes (sans ciment) de fibres
chimique avec le ciment [3]. longues de pin et de fibres courtes d'eucalyptus ont

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montré qu'elles ont des propriétés de résistance en gues de pin ont un rapport L/d de l'ordre de
traction identiques. Par contre, les ciments ren- 100. Ceci suppose que les fibres longues peu-
forcés de fibres courtes développent de plus faibles vent offrir une grande résistance au déchausse-
résistances que ceux renforcés de fibres longues. ment quand le composite est chargé, ce qui
entraîne de fortes valeurs de l'énergie de rup-
ture statique.
Énergie de rupture
Les valeurs de l'énergie de rupture statique des
composites renforcés par différents types de Résistance au choc
fibres montrent que celles des composites ren-
forcés de fibres thermomécaniques non blan- La résistance au choc est l'énergie de rupture
chies sont très faibles (tableau II). Ceci est dû sous charge dynamique, qui peut donner une
au fait que, pour une même proportion en indication sur la fragilité du matériau.
masse de fibres et durant la rupture, il y a plus On a fait des essais sur des petites éprouvettes
de fibres traversant la fissure [5] dans le cas (8 x 7 x 50 mm), en utilisant le pendule Charpy
des composites renforcés de fibres chimiques modifié. Malgré les dispersions très fortes
que dans le cas des composites renforcés de (éprouvettes petites), la tendance à l'augmenta-
fibres thermomécaniques.
tion des résistances avec l'incorporation des
Les valeurs de l'énergie de rupture des éprouvettes fibres est bien marquée. La comparaison des
renforcées de fibres longues blanchies sont plus résistances au choc des composites renforcés
élevées que celles des éprouvettes renforcées de avec différents types de fibres montre que cette
fibres courtes blanchies (fig. 3). On peut supposer caractéristique est en liaison étroite avec la résis-
que les fibres courtes (L = 1 mm , d = 14 um) tance à la rupture statique ; les composites ayant
développent moins de résistance après chargement donné une grande énergie de rupture sont les
que les fibres longues (L = 3 mm , d = 30 (J.m). plus résistants au choc.

Charge
400
Etude des surfaces de rupture
par microscopie électronique
Les observations, au microscope électronique à
balayage, des fibres blanchies et des surfaces de
rupture obtenues en flexion 4 points des ciments
renforces par différents types de fibres sont pré-
200 - sentées sur les figures 4, 5, 6 et 7.

La figure 4 montre que le processus de blanchis-


sement nettoie la surface de la fibre et élimine la
couche de lignine qui est bien visible dans le cas
des fibres non blanchies.

L'examen des surfaces de rupture des compo-


sites renforcés de fibres non blanchies (fig. 5)
1,5 2,1 indique que la rupture a lieu par déchausse-
Déplacement (mm) ment des fibres. On remarque (fig. 5a et 5b)
Ciments renforcés de fibres courtes blanchies que l'extrémité des fibres est pointue, avec
Ciments renforcés de fibres longues blanchies diminution de sa section. De plus, on observe
la présence de trous attestant que la fibre a
Fig. 3 - Courbes charge-déplacement.
glissé et a été enlevée . Cette constatation
confirme bien la fragilité du matériau car,
Ces remarques ont bien été confirmées par les durant la rupture, les fibres ne s'opposent pas à
études faites sur des ciments renforcés de fibres la propagation des fissures.
végétales de sisal testées en traction [6] : les Dans le cas des ciments renforcés de fibres lon-
fibres ayant une petite longueur ancrée tendent à gues et blanchies, on remarque que la rupture a
se déchausser tandis que celles ayant une grande lieu, en grande partie, par fracture des fibres, ce
longueur ancrée tendent à se rompre. Le change- qui nécessite une grande énergie de rupture, d'où
ment du mode de rupture a lieu quand le rapport
une bonne ductilité du matériau (fig. 6a). Un
L/d est de l'ordre de 60.
agrandissement plus important (fig. 6b) fait
Les fibres courtes d'eucalyptus ont un rapport apparaître que la fibre est rompue à son extré-
L/d de l'ordre de 70, alors que les fibres lon- mité.

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Fig. 4 - Aspect des fibres de cellulose.

a. Fibre blanchie b. Fibre non blanchie

Fig. 5 - Surfaces de rupture de ciments renforcés de fibres non blanchies.

Fig. 6 - Surfaces de rupture de ciments renforcés de fibres longues blanchies.

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Fig. 7 - Surfaces de rupture de ciments renforcés de fibres courtes d'eucalyptus.

b.

Cette différence dans la rupture entre les compo- ture provient principalement de l'étirement des
sites renforcés de fibres blanchies et de fibres fibres (85 à 90 % des fibres étirées sont sources
écrues est due à deux raisons : de la rupture). Cette contradiction est confirmée
O dans le cas des fibres non blanchies, les par nos études [9], qui montrent que le mode de
extraits provenant de la fibre empoisonnent la rupture dépend de la longueur des fibres incorpo-
matrice et entraînent une liaison interfaciale très rées. L a liaison interfaciale, dans le cas des
faible entre celle-ci et la fibre ; ciments renforcés de fibres, peut être affectée par
plusieurs paramètres comme le rapport « eau/ci-
© les fibres blanchies sont chimiquement com-
ment », la porosité, la morphologie de la fibre et
patibles avec le ciment avec, pour conséquence,
la compaction. Cette liaison peut être aussi de
une bonne liaison entre celle-ci et la fibre. nature physique ou chimique ou une combi-
Les observations des surfaces de rupture des naison des deux, et cela en fonction de la nature
ciments renforcés de fibres blanchies courtes de la matrice et de la fibre renforçante. Dans le
(fig. 7) montrent que les fibres sont plutôt cas des ciments renforcés de fibres de cellulose,
déchaussées que rompues (mécanisme associé de l'hypothèse de deux liaisons mécaniques [10] ou
fibres déchaussées et de fibres fracturées). Ceci chimique [7] importantes s'impose. L a liaison
indique que la surface de contact entre la fibre et mécanique se manifeste dans le processus de raf-
la matrice est bonne. Dans ce cas, et contraire- finage de fibres qui fait libérer les microfibrilles
ment au cas des fibres longues, la fissure ne se trouvant à l'intérieur des fibres et qui seront
trouve pas de difficulté à se propager : elle tend à alors en contact avec le milieu ambiant.
éviter les fibres courtes qui s'opposent à sa pro- L'entrecroisement de ces dernières avec la
pagation, en les contournant. Cette constatation matrice améliore les performances mécaniques
explique bien le comportement à la rupture et la et crée, par conséquent, un bon transfert de
ductilité du matériau entre les composites ren- charges de la matrice vers les fibres. Celles-ci à
forcés de fibres longues et les composites ren- leur tour supportent les charges j u s q u ' à la rup-
forcés de fibres courtes. ture. L a liaison chimique se justifie par la mor-
phologie et par la nature des constituants du
composite. L e ciment est un matériau fortement
Adhérence fibre-matrice alcalin [11] (pH > 12,5) et contient des groupes
hydroxydes de métal comme :
Les observations, au microscope électronique,
des surfaces de rupture montrent que la rupture
I I I
dépend du type de fibres utilisées. — Ca — OH, _ Si _ O H A l — OH
Dans le cas des fibres blanchies, on assiste à un
m é c a n i s m e associé de fibres rompues et de
fibres déchaussées. Par conséquent, la liaison et _ Fe _ O H
interfaciale entre la matrice et la fibre est effi- I
cace [6, 7 et 8],
dus à l'hydratation et à l'hydroxydation des sili-
Ces observations contredisent celles d'Andonian cates, des aluminates et des ferrites de calcium
et al. [1], qui suggèrent que l'origine de la rup- qui sont présents dans la matrice ciment.

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En plus, les fibres de cellulose, comme toutes les d'y répondre simplement et rapidement car, si on
autres fibres de bois, contiennent des groupes : connaît bien le comportement de chaque élément
I constitutif, les réactions entre eux, quand ils for-
Hydroxydes covalants — C — O H et divers ment un composite, sont souvent mal cernées.
D'autre part, l'étude de la durabilité nécessite
I
phénoliques (provenant de la lignine résiduelle) une assez longue durée d'essais, ce qui limite les
ou alcooliques (provenant des constituants de la recherches. L a durabilité des ciments renforcés
cellulose) et des groupes carboxyliques comme : de fibres de cellulose dépend de plusieurs para-
mètres [13, 14] qui sont :
OH
— prétraitement des fibres et nature de la
ç ' qui sont dus à l'oxydation de ces der-
matrice ;
\ niers groupes.
— conditions de séchage du matériau ;
— nature du milieu de conservation.
Les liaisons hydroxydes exercent une influence
majeure sur l'adhérence dans ces matériaux. A Notre objectif est de mesurer les caractéristiques
l'état sec ou ambiant du matériau, les fibres mécaniques et physiques du matériau soumis à
rigides sont engagées dans la matrice ciment et un vieillissement accéléré et de connaître les dif-
groupées entre elles par un grand nombre de liai- férents facteurs qui peuvent agir directement ou
sons d ' h y d r o g è n e s et hydroxydes. L e système indirectement sur le matériau.
fibre- matrice, quand i l est chargé, transfère la
L'effet des cycles de séchage-mouillage sur le
charge de la matrice aux fibres via ces liaisons et
poids du matériau ainsi que sur les caractéristiques
la charge passe à la fibre (après rupture de la
mécaniques est présenté sur la figure 8 et dans
matrice) j u s q u ' à fracture de la fibre.
le tableau I V .
Dans le cas où le matériau est humide ou saturé en
On constate q u ' a p r è s le sixième cycle, la varia-
eau, les liaisons d ' h y d r o g è n e entre fibres ou entre
tion du taux d ' h u m i d i t é entre l'état sec et l'état
fibres et matrice sont détruites par insertion de
mouillé tend à être constante. C e c i est associé au
molécules d'eau entre les groupes hydroxydes. A c e
moment, les fibres se gonflent par absorption d'eau. comportement réversible de l'effet de l'eau sur
Après chargement, ce p h é n o m è n e autorise un le matériau. Cette réversibilité trouve sa confir-
mouvement relatif des fibres par rapport à la mation quand on a constaté que les éprouvettes
matrice. Par suite de la forte pression de gonflement immergées dans l'eau, j u s q u ' à saturation, ont
des fibres, des forces de friction considérables sont presque le m ê m e poids que celles qui ont subi
développées. S i les forces sont importantes sur une des cycles de séchage-mouillage avant d'être
longueur suffisante de la fibre, celle-ci se charge saturées en eau.
j u s q u ' à la rupture. Cette interprétation montre l'ef-
ficacité de l'adhérence fibre-matrice dans les diffé-
rents milieux hygroscopiques. Éprouvettes continuellement exposées à l'air
Les caractéristiques m é c a n i q u e s pour différents
Dans le cas des matériaux séchés à l'air libre
milieux de conservation ont sensiblement varié.
(temps de séchage lent), la liaison fibre-matrice
apparaît très forte [12] et ne présente aucune zone A l'air ambiant, le module d ' Y o u n g et la résis-
affectée autour de la fibre. Cette constatation est tance à la flexion sont presque inchangés, par
confirmée par le fait que la fibre de cellulose, contre la rupture devient de plus en plus fragile
contrairement aux fibres de verre et d'acier, est (diminution de l'énergie de rupture). Cette évo-
compressible et creuse, et qu'elle absorbe et lution est certainement due au début de carbona-
rejette l'eau comme une éponge. Cette caractéris- tation de la matrice, qui est assez lente et qui
tique est très importante en raison du procédé de n'est pas encore assez importante pour affecter
fabrication en voie humide du matériau. Elle le module et la résistance à la flexion.
permet de réduire la quantité d'eau libre à l'inter-
La diminution de l'énergie de rupture est attri-
face fibre-matrice par la tendance de la fibre à
buée au changement dans la microstructure du
réabsorber de l'eau après compression : les pro-
composite. Des études [14] sur des ciments auto-
portions des vides à l'interface entre la fibre et la
claves renforcés de fibres de cellulose et exposés
matrice sont d i m i n u é e s et, par conséquent, le pro-
duit final est un matériau à matrice dense, homo- à l'air, pour une assez longue période, ont
gène et à interface fibre-matrice résistante. montré une légère amélioration du module
d ' Y o u n g E et de la résistance à la flexion 0"
b b

avec diminution de la déformation à la rupture


Étude de la durabilité du matériau (la rupture est devenue fragile). Ce changement
L a durabilité à long terme des matériaux compo- du mode de rupture est dû à la modification de la
sites est un p r o b l è m e inévitable qui se pose aux microstructure et en particulier à la légère pétri-
fabricants et aux utilisateurs. Il n'est pas facile fication [15] observée sur la fibre.

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Éprouvettes continuellement immergées téristiques mécaniques est bien liée à une modifi-
dans l'eau cation de la microstructurc du composite. Ce chan-
gement de la microstructure, qui est plus important
Dans ce milieu de conservation, on remarque un
dans le cas des composites séchés à l'air libre [15],
comportement tout à fait contraire au cas précé-
est certainement dû à la rupture des chaînes des
dent : diminution du module d ' Y o u n g et de la
molécules de cellulose durant le vieillissement.
résistance à la flexion avec ductilité du matériau.
Des études précédentes [14, 16] ont montré, pour
le m ê m e test, une légère croissance de la résis-
Conclusions
tance à la flexion après 3 semaines, et suggèrent
que la dégradation des ciments renforcés de Les propriétés mécaniques des ciments renforcés
fibres de cellulose par corrosion des fibres est de fibres de cellulose longues, courtes, blanchies
pratiquement improbable. Wells [17] montre une et ccrues ont été c o m p a r é e s .
réduction de la résistance à la flexion après 80
Ces études montrent, d'une part, que les ciments
jours. Ce résultat est en accord avec les résultats
renforcés de fibres blanchies développent de
que nous avons obtenus. L a diminution des
meilleures propriétés mécaniques que ceux ren-
caractéristiques mécaniques des ciments ren-
forcés de fibres écrues et, d'autre part, que les
forcés de fibres de cellulose n'est pas due à une
fibres longues apportent un meilleur renfort que
dégradation du matériau ou à une infection des
les fibres courtes.
fibres, mais seulement à l'effet de l'eau sur le
matériau et en particulier sur les fibres. O n a L'examen, au microscope électronique à
montré une diminution de la résistance à la balayage, des surfaces de rupture des composites
flexion et du module d ' Y o u n g avec amélioration autoclaves montre que le mécanisme de rupture
de la ductilité du matériau. dépend du type de fibres utilisé. Dans le cas des
ciments renforcés de fibres blanchies, on a un
m é c a n i s m e associé de fibres rompues et de
Éprouvettes soumises à des cycles fibres déchaussées avec domination du premier
de séchage-mouillage m é c a n i s m e pour les composites renforcés de
fibres longues, et du second m é c a n i s m e pour les
Les éprouvettes soumises aux cycles de séchage- composites renforcés de fibres courtes.
mouillage montrent que leurs propriétés dimi-
nuent un peu à partir des 10 premiers cycles. Cette Dans le cas des fibres non blanchies, on a seule-
constatation se trouve à la fois en accord et en ment des fibres déchaussées car la matrice a été
contradiction avec d'autres travaux. Sharman et empoisonnée par les extraits existants dans les
Vautier [14] ont constaté une légère amélioration fibres non blanchies.
de la résistance à la flexion après le dixième cycle L'exposition du matériau à différents environne-
sur des éprouvettes soumises au test normalisé ments (eau, air, cycles de séchage-mouillage) ne
V 3 1 3 . Par contre, les tests d'Akers et Studikna détériore pas le matériau et confirme la réversi-
[13] sont en accord avec les résultats que nous bilité de l'effet de l'eau sur les propriétés physiques
avons obtenus. Cette légère diminution des carac- du matériau.

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ABSTRACT

Characterization and microstructure of cellulose fibre-reinforced cement

M.M. K H E N F E R - P. M O R L I E R

T h e addition of fibres to c e m e n t i n c r e a s e s the tensile strength a n d r e d u c e s the fragility of the material obtained. T h e
hypothesis that fibres control the c r a c k i n g m e c h a n i s m b y delaying the formation of a c r a c k a n d limiting its s i z e o n c e it
a p p e a r s h a s b e e n confirmed. C e l l u l o s e fibres are c o n s i d e r e d to provide a g o o d alternative to a s b e s t o s fibres in c e m e n t
b e c a u s e of their low c o s t a n d g o o d m e c h a n i c a l characteristics. Their strength c a n b e i n c r e a s e d e v e n further if they are
given a prior treatment a n d if certain c h e m i c a l a g e n t s are u s e d to improve the quality of the fibre-matrix interface. After
verifying the isotropic nature of the material, the authors a s s e s s e d the m e c h a n i c a l properties of a number of cellulose
fibre-reinforced c e m e n t s . A study of the microstructure of the material a n d the fracture m e c h a n i s m during loading w a s
c o n d u c t e d a n d the durability of the material, which w a s subjected to a c c e l e r a t e d a g e i n g , w a s a l s o studied. T h e cellu-
lose fibres had b e e n manufactured using a variety of t e c h n i q u e s . A n a l y s e s h a v e d e m o n s t r a t e d that c o m p o s i t e s which
are reinforced with long fibres w h i c h are b l e a c h e d a n d prepared using a c h e m i c a l p r o c e s s (Kraft p r o c e s s ) h a v e g o o d
strength properties. S t u d y of the fracture s u r f a c e s b y electron m i c r o s c o p y h a s revealed effective bonding at the fibre/
matrix interface w h i c h is not affected b y a c c e l e r a t e d ageing.

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