Concepts Fondamentaux de La Sociologie

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Introduction

 Qu’est-ce que la sociologique  ?

Au cœur de la sociologie il y a un projet politique, démocratique. En effet cette discipline est née à la fin du XIXe (Weber et Durkheim)
avec un projet politique : l’Etat. Pour les fondateurs de la sociologie, analyser la vie sociale c’est d’abord comprendre les multiples les
changements sociaux qui marquent la société dans laquelle ils vivent (révolution industrielle et révolutions politiques), mais aussi
comprendre les interactions les plus élémentaires entre les acteurs de la vie sociale.
Il s’agit d’une science sociale, elle se distingue alors des autres projets à vocation sociale. Elle est instituée, donc elle constitue un
champ cad un espace autonome avec ses règles, son langage et ses luttes de pouvoir. Cette discipline poursuit deux objectifs :
 Repérer les régularités, les lois qui ordonnent le monde social (la plupart du temps ces mécanismes sont dissimulés).
 Rechercher la singularité des individus, l’objectif étant d’expliquer par quel processus les individus se construisent.
Ces deux objectifs sont un énorme enjeu politique : ils impliquent une rupture assez fondamentale avec le sens commun. Ce dernier
se rapporte à un ensemble de connaissances socialement transmis et largement diffusés dans une culture donnée. Une société
fonctionne avec des représentations qui permettent aux individus de se positionner les uns par rapport aux autres.
En effet la sociologie ne consiste pas à commenter un simple fait social ; ce n’est pas parce qu’un fait surgit dans l’actualité qu’il s’agit
forcément d’un objet sociologique. De même il ne s’agit pas d’une discipline permettant de passer des concours ou de parler
intelligemment d’un problème social. D’ailleurs la plupart du temps un problème social n’est pas un problème sociologique.
La construction d’un problème sociologique implique trois opérations :
ð La mise en énigme : ce peut être assez trivial, visible par tous mais personne ne veut véritablement le voir. Ex : Pourquoi y a-t-il
plus de chefs d’entreprises protestants – Weber ; Pourquoi les individus acceptent-ils l’ordre social ?
ð L’enquête : la sociologie implique de mettre en œuvre un dispositif extrêmement rigoureux et contraignant, afin de pouvoir
vérifier les hypothèses. Les moyens, les données doivent toujours être vérifiables. Cette enquête peut faire émerger des
questions, des problèmes qui n’étaient pas visibles au départ.
Le point essentiel de cette étape est le concept de neutralité axiologique (Max Weber) : il s’agit de mettre de côté ses
propres valeurs et d’être capable de travailler sur un monde social extérieur sans le juger. En effet les prénotions du
sociologue peuvent biaiser son analyse. Pour qu’une analyse soit scientifique, elle ne doit pas dépendre des valeurs du savant
et doit pouvoir être contrôlée, vérifiée ; il importe de faire la différence avec une analyse en partie subjective.
ð La théorisation : il s’agit de proposer une généralité qui puisse servir à comprendre d’autres phénomènes. Ce paradigme doit être
fondé sur un système explicatif, et doit être vérifiable.

Quoiqu’il en soit, ce qui rend la sociologie si singulière c’est qu’elle cherche à construire une critique sociale ayant pour but de révéler
un ordre caché, des lois, des régularités, et à traquer certaines vérités que ne veulent pas connaître les individus.
En effet la sociologie met en cause un certain nombre de fictions, au premier rang desquelles se trouve la liberté. En proposant de
révéler un ordre social, le sociologue s’expose à deux écueils :
- Tomber dans les théories conspirationnistes (cf. Gustave Lebon + Boltanski) : dans une logique de dénonciation, cela revient à
b produire une espèce de scepticisme chronique vis-à-vis des institutions.
- Tomber dans la prédiction : cela revient à s’éloigner de l’objectif principal de la sociologie, à savoir détecter et établir des d
singularités qui sont irréductibles.

La sociologie présente la particularité d’être à la fois ésotérique (elle a un langage propre) et exotérique (tous les individus se pensent
naturellement en mesure de porter un jugement sur le monde social). Elle s’oppose au sens commun, qui peut avoir deux approches
différentes :
On peut considérer que les discours du sens commun sont des prénotions (Durkheim), auquel cas la sociologie s’impose comme un
discours supérieur qui dit au monde social qu’il est en dehors des choses.
Au contraire, on peut aussi prendre au sérieux le sens commun au détriment des discours sociologiques.

 Quelle société observer  ?

La fonction principale de la sociologie et de ses concepts consiste en une modélisation du social.


Chaque théorie prépose un régime de causalité, à côté duquel est posée une représentation de la société. Cette représentation va
fournir une image, mettant l’accent sur un aspect particulier (ex : la stabilité, l’intégration, la domination…).
Christian Topalov (spécialiste de l’école de Chicago) : « chaque théorie sociologique est formulée à une époque donnée, par des
individus qui vivent à cette époque ». Ainsi chaque paradigme émane de chercheurs qui sont insérés dans un monde social. Elles sont
donc conduites dans un contexte social particulier, et dépendent de la trajectoire sociale de leur auteur.
Ces théories flirtent avec deux écueils : l’idéologie et la fiction. Cette dernière apparaît lorsque la théorie n’est pas testée sur le
terrain, quand il n’y a pas d’enquête. Il faut tester empiriquement sa théorie pour ne pas tomber dans la fiction.
La question qui peut se poser est de savoir si les modèles traditionnels sont encore pertinents pour la réalité sociale actuelle.
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En réalité on peut observer une rupture dans le langage sociologique : on est passé à une toute autre représentation de ce qu’est une
société. En effet dans les années 80 toute une série de concepts en rupture avec les représentations traditionnelles apparait.
Dans les théories traditionnelles, on remarque que le langage met beaucoup l’accent sur les contraintes qui pèsent sur l’individu. Les
individus sont très interdépendants, cad qu’ils sont pris dans des champs de force qui les dépassent (ex  : classes, système). Quel que
soit le niveau étudié, c’est un système de force qui détermine les relations entre les individus.
Danilo Martucelli : « la vision des théories classiques a développé une vision pessimiste de la société et de la capacité des individus à
agir, avec un langage d’assujettissement ».
On passe donc d’une vision traditionnelle à une vision nouvelle, qui va aboutir à une ère post-sociale. L’ouvrage qui marque le plus
cette rupture, c’est La Société du Risque d’Ulrich Beck (1986) duquel deux séries de critique émanent :
 On ne peut pas décréter a priori l’existence d’une force sociale, d’une conscience collective, sans la prouver empiriquement.
 Il est temps de regarder de plus près ce qu’on avait tendance à considérer comme de simples anomalies/déviances (Boltanski). Il
faudrait peut-être tester le paradigme de l’imprévisibilité de la vie sociale.
Concrètement dans les années 80, on se demande si le langage traditionnel peut encore fonctionner dans une société fondée sur
l’autonomie des individus. N’est-il pas temps de rompre avec le concept d’ordre social ?
Le contexte anthropologique est désormais marqué, avec l’environnement, le nucléaire, la déstructuration, par l’ incertitude et le
risque. On a toute une série de concepts qui font appel à l’instabilité, la concurrence, la fragilité, l’éthique, la décision, le sujet… tous
ces mots qui ne se réfèrent plus au réseau sémantique traditionnel (= exécution obéissance, discipline, rôle, interdits). On peut alors
parler d’une nouvelle modernité, d’une postmodernité.
Alain Touraine dans La fin des Sociétés (2013) : « l’idée de société est un concept en partie mort ». Pour lui la sociologie ne tournait
qu’autour de deux pôles qui n’ont jamais véritablement varié : un pôle marxiste (domination, contrainte) et un pôle fonctionnaliste
(tout est organisé autour de la rationalité).
Le social était initialement envisagé comme la relation qui existait entre l’économie et le social, dans l’idée que cette première servait
le social. Ainsi il s’agit de tous les contrats et les valeurs qui organisent la répartition des richesses produites par l’économie. La
grande illustration de cette relation c’est l’Etat providence : il ne faut pas trop de disparités.
Touraine met en avant une première rupture : l’économie n’est aujourd’hui plus au service du social. Les mécanismes de régulation
souffrent, et peinent à réguler l’activité économique. Les choix économiques sont faits en direction d’une économie financiarisée. On
a donc un détachement de l’économie, alors que c’était le principal principe de la société au XXe.
La seconde rupture réside dans la subjectivation de l’individu : on ne considère plus l’individu comme une construction du social, une
production des institutions. L’individu reste un acteur qui dépend des institutions ; il reste aussi une personne stratège, calculant son
intérêt dans la vie sociale ; mais c’est surtout un sujet caractérisé par sa réflexivité.
Désormais l’individu dispose d’une capacité critique, qui constitue un travail de construction de l’individu sur lui-même, qui se veut
être une revendication de son autonomie par rapport au collectif. Dubet parle à ce titre de déclin des institutions.

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Les paradigmes de la sociologie

Paradigme = théorie, système explicatif, cohérent d’expliquer le monde social et son fonctionnement.
Il faut comprendre qu’il y a différentes façons d’expliquer le monde social, et ces façons sont en concurrence, en compétition sur le
champ scientifique ; elles dominent en fonction des positions institutionnelles.
Sur le plan visible, dans la sociologie classique, il existe quatre paradigmes :
 Le paradigme de l’intégration sociale : il privilégie le modelage des conduites par les structures sociales (déterminisme). Il
s’agira de s’intéresser à Durkheim et deux de ses héritiers : Parsons et Merton.
 Le paradigme de l’action sociale : il s’agit ici de faire résulter les structures sociales de la coordination ou de la régulation des
actions individuelles ou collectives. En découlent la sociologie des organisations (Max Weber) celle des mouvements sociaux
(Alain Touraine), et ce qu’on a pu appeler l’individualisme méthodologique.
 Le paradigme de la construction sociale : le constructivisme insiste sur la structuration conjointe des conduites et structures
sociales, par des interdépendances au sein de configurations sociales (Bourdieu – sociologie de la domination).
 Le paradigme de l’identité sociale : il privilégie les interactions dans le temps entre des trajectoires individuelles et des
appartenances collectives (Goffman).
Mais on assiste à l’émergence de nouveaux paradigmes, centrés autour de trois termes : les réseaux, le risque et le sujet.

CHAPITRE 1 : Les nouveaux paradigmes émergents – le paradigme du risque

S’il est un concept qui a révolutionné le langage sociologique traditionnel, c’est bien celui du risque qui émerge à la fin des années 80
avec la publication de La société du risque d’Ulrich Beck (1986). Ce qu’explique Beck doit être compris en faisant référence à la
sociologie classique, et en particulier celle de Weber.
Pour rappel, le projet sociologique de Weber consiste à comprendre notre modernité, cad comprendre quel est le principe d’action
qui guide nos sociétés. Il vise les sociétés occidentales, qui proposent un mode de développement singulier, fondé sur le capitalisme.
Ce qui constitue le point de départ de La société du risque, c’est la pensée wébérienne qui considère que depuis le développement du
capitalisme les sociétés reposent sur un principe assez clair : le principe de rationalisation.
ð Première acception : il existe historiquement une affinité élective entre des principes d’action religieux et des modes
d’organisation de la vie sociale, donnant naissance au capitalisme. En fait il y a une influence réciproque entre un ethos calviniste
et un ethos social et économique. Ce système de valeur est fondé sur le calcul, la prévision, l’anticipation, soit la réduction de
l’incertitude. Cette rationalité devient donc un principe d’action, d’abord économique.
Ce principe d’action a été étudié par Weber dans L’éthique protestante, dans lequel il met en avant une transformation profonde : le
désenchantement du monde, cad l’exclusion progressive des ressorts magiques (religion) dans l’explication du social. On consacre
alors la science, la technique comme seul principe explicatif. C’est la valeur collective qui doit l’emporter dans les conflits de normes.
On peut alors s’interroger sur le retour du religieux auquel on assiste. Pour Weber, il y a une part de charisme et de prophétisme qui
subsiste dans les sociétés modernes. La modernité va toujours accepter une forme de religiosité.
A ce titre on identifie des communautés prophétiques (ex : Daesh), présentant certaines caractéristiques :
- Un leader porteur d’un charisme personnel. Ce charisme vient non pas de la compétence technique, mais de la révélation qu’il a
reçue d’un message personnel.
- Une propagande qui repose fondamentalement sur l’appartenance à un système singulier, qui désamorce systématiquement toute
controverse. Elle consiste en une publicité particulière : elle se fonde sur le désintéressement par rapport à tout ce qui est
économique, tout ce qui est richesse. Elle attribue des positions à l’individu, qu’il n’aurait pas pu occuper dans le monde d’où il vient.
Cette position est synonyme de pouvoir, qu’il va chercher à conserver.
- Une prophétie qui se présente comme un pouvoir qui n’est subordonné à aucun autre pouvoir. Elle est toujours très critique par
rapport aux pouvoirs institués, la communauté prophétique se tenant à distance de la réalité politique et des légitimités installées.
Elle implique aussi l’exigence d’une cohérence dans toutes les manifestations de la vie.
On a finalement une réponse au désenchantement du monde : la rationalisation technique ne peut pas être le moteur unique d’un
individu, aucune société ne parvient à évacuer la dimension prophétique.
ð Deuxième acception : la rationalisation a entraîné des formes d’organisation spécifiques, notamment la scientifique qui est
censée ordonner par ses résultats les choix qui sont pris par une société. On met alors l’accent sur l’émergence de pouvoirs
impersonnels, qui vont constituer des outils potentiellement contraires à la liberté des individus.
Ainsi la rationalisation ce sont les organisations qui assurent la conformité des individus à la norme sociale. Elles deviendraient
incontrôlables, si bien que cette rationalisation pourrait signifier la disparition des sociétés.
La rationalisation correspond à ce qu’on appelle une première modernité, cad que tous les concepts fondamentaux de la sociologie
ont été fondés dans cette période. L’émergence de la prééminence du risque a engendré une seconde modernité réflexible. Penser
de la sorte a des effets sociaux considérables.

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Beck se démarque de beaucoup d’auteurs classiques, en considérant que la société alors pensée a en partie disparu. Il nous propose
une toute autre théorisation du monde social, et fait alors le procès d’une sociologie qui raisonne avec des catégories obsolètes, cad
qui ne colle pas à la réalité des sociétés de cette seconde modernité.
Il propose alors un nouveau cadrage théorique, à partir des évènements qui sont pour lui révélateurs de la vie des sociétés depuis les
années 70. Ce qui l’alerte c’est la multiplication des crises et des catastrophes, qui a des conséquences sociales majeures. L’une des
plus grandes, c’est de saper la confiance qu’ont les individus dans le devenir des sociétés, cette confiance qui constituait les principes
de la première modernité (à savoir la croyance dans la capacité du progrès à organiser la vie sociale, et des sociétés à répartir les
richesses). Plus brutalement, aujourd’hui ce sont les risques engendrés par la société qui sont répartis.
Selon Beck, la rupture engendrée par le développement technologique et son impact sur l’environnement impliquent désormais que
l’on doive se répartir les risques, risques qui sont produits par notre propre développement. Ce ne sont pas simplement des risques
naturels ou industriels, mais des risques qui touchent à tous les aspects de la vie sociale. Ainsi à l’ancienne hiérarchie des sociétés
individuelles (classes sociales), il faudrait remplacer d’autres types de hiérarchies établies en fonction de l’exposition au risque.
Par risque, il faut retenir l’idée que nous serions exposés à des effets indésirables et non-maîtrisables de nos actions. Ce qui rompt
avec la société traditionnelle, c’est la notion d’imprévisibilité : on doit essayer d’anticiper ces effets, ou au moins de les calculer.
Il est naturel d’appréhender le risque comme une fatalité, un mal contre lequel on ne pourrait pas lutter. Mais il peut être envisagé
d’une autre façon : F. Ewald l’assimile à une valeur qui peut déterminer le comportement des individus. Il correspond à l’ enjeu qu’il
faut jouer dans la mesure où on veut atteindre un objectif. Dès lors on a un tout autre principe d’évaluation  : on oublie le
conformisme, l’intégration pour la capacité à prendre des risques.
La société du risque ne signifie pas une société plus dangereuse, qui connaîtrait de plus en plus de risques. Ce n’est pas non plus une
société des risques technologiques majeurs. Ce qui la caractérise, c’est une société réflexive, qui pense ses problèmes comme des
risques. Le risque devient donc le principe général d’évaluation des individus (le prix du risque).
Elle est caractérisée par une crise permanente, qui peut par ailleurs justifier des discours conservateurs. On assiste à une crise des
institutions, qui remet en cause la confiance que les individus ont en elle (ex : la science). Egalement il y a un problème d’asymétrie,
cad d’inégalités face aux risques.
Autre problème, celui de la responsabilité : comment mener et organiser un débat dans un contexte d’incertitude ?
 1ère option : quand on analyse les politiques publiques, on applique le principe de précaution dans sa version substantive, cad
qu’à partir du moment où il y a une probabilité de risque, une incertitude, il faut suspendre le débat. En ce sens s’est développée
la sociologie de la controverse : on interrompt le processus de décision en donnant un privilège aux valeurs de protection,
l’incertitude étant considérée comme un mal qu’il faut contenir.
Dans le cas du terrorisme, ce principe de précaution empêche toute discussion, tout développement d’espace de controverse. On
s’arrête à l’incertitude, et on délègue sa gestion au gouvernement.
 2ème option : on considère que le principe de précaution ne doit pas empêcher le débat. Ainsi lorsqu’une controverse s’installe,
elle débouche sur un débat public. On passe alors à une vision procédurale, à une démocratie technique : dans cette
configuration le ppe de précaution indique une série de démarches à suivre, afin de pouvoir prendre une décision appropriée
selon des procédures qui opposent les experts aux profanes.
Cette distinction experts/profanes provient de Durkheim : dans Les formes élémentaires de la vie religieuse il explique qu’une religion
repose sur une distinction entre le sacré et le profane, le rapport entre les deux étant fondé sur la croyance. Avec la démocratie
procédurale, on voit un questionnement des savoirs d’expertise pas les usages profanes, remettant en cause la frontière
sacré/profane.
Lorsque cet espace procédural est mis en place, trois types de question doivent être posés :
ð Quelle est notre vision du risque ? Cela suppose un refus ou une acceptation sociale. Comment une société civile intègre-t-elle le
risque ? Qu’est-ce que j’accepte socialement comme mesure ?
ð A quel niveau place-t-on l’intervention publique ? C’est la question des pouvoirs publics et de leur capacité à gérer le risque. Or
qualifier un phénomène social de risque suppose de déplacer le moment de l’intervention, et de favoriser en particulier la
prédiction et l’anticipation.
ð Comment délibérer pour que ces controverses soient productives ? Comment faire émerger un consensus, une définition
commune du risque ? Cela suppose une sociologie des espaces de délibération et de leur productivité.

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CHAPITRE 2 : Le paradigme de l’intégration – la déviance

Déviance = ensemble des comportements qui s’écartent de la norme sociale. A ce titre ils font l’objet d’une réaction sociale, le plus
souvent sous la forme d’une sanction pénale.
Le terme lui-même a commencé à avoir du succès dans les années 1950 aux Etats-Unis, avec les travaux des sociologues Merton et
Parsons : ce sont les pères du fonctionnalisme, qui ont revitalisé des travaux menés à l’université de Chicago au début du XXe.
Ensuite dans les années 1960 un autre mouvement se développe sous l’influence de Goffman et Becker  : l’interactionnisme
symbolique.
Même si on a vu émerger une approche critique en la matière au Royaume-Uni, cette discipline se développe beaucoup plus aux EU.
Cela grâce à l’école de Chicago, dans laquelle s’est développé le premier département de sociologie. De nombreuses études ont été
conduites par rapport aux phénomènes vécus dans la ville de Chicago qui connaît alors une explosion démographique.
On essaye de trouver des solutions à des problèmes que l’on vit tous les jours – les flux migratoires, les différentes classes qui divisent
la société… On retrouve ces problèmes dans les films des années 30, par exemple la criminalité organisée (godfathers) qui était très
présente dans la société. En fait on assiste à une importante violence, et on ressent le besoin de donner des solutions pratiques.
Le concept de déviance, de criminalité, est relatif :
ð Dans le temps, cad que certains comportements qui étaient considérés comme déviants ne le sont plus (ex  : le divorce).
Inversement, la société moderne va réprimer des comportements qui étaient considérés comme légal (ex : harcèlement sexuel).
ð Dans l’espace, cad que les normes changent en fonction des pays. Un phénomène criminel en France peut ne pas l’être dans un
autre pays (ex : le vol d’identité numérique n’est pas un délit en Italie).
ð Dans le contexte : dans une société donnée, un même comportement peut être considéré comme légal dans un contexte, et
illégal dans un autre (ex : avoir une arme blanche).
Il est important de différencier la déviance de la délinquance : le crime ne concerne qu’une petite partie des comportements déviants.
Ce sont tous les actes qui transgressent une loi pénale. A côté on a tout ce qui concerne les sensibilités, les nuisances, les
comportements qui vont à l’encontre des normes sociales.
Les sociologues se sont donc demandé pourquoi certaines personnes transgressaient les normes.
Normes = ensemble des règles organisant les relations sociales et les comportements. Ce sont des modèles de comportement et des
principes qui sont socialement acceptés et qui découlent d’un système de valeurs. Ex : la valeur du respect de l’autre implique des
règles concernant la politesse.
On distingue les normes formelles, cad exprimées à travers les lois, des normes informelles relevant de mœurs, de la coutume, qui
elles ne sont pas codifiées. En fait elles sont intériorisées pendant le processus de socialisation, et vont se transformer par des
décisions politiques à la suite de conflits opposant des individus ou des groupes.
Contrôle social = ensemble de moyens, de processus, à travers lesquels les membres d’une société obligent les acteurs à respecter
les normes. On distingue le contrôle formel, exercé par des acteurs spécialisés dans cette fonction (police, système judiciaire), du
contrôle informel qui lui est exercé par l’ensemble de la population (contrôle de voisinage).
Cet intérêt pour la déviance a émergé au XIXe en Italie et en France. A la base ces études n’avaient pas une vocation scientifique, mais
les chercheurs étaient motivés par des préoccupations sociales, des raisons pratiques. Notamment il fallait réguler toutes les
conséquences négatives de la révolution industrielle – ex : maladies, violence, révolte du prolétariat… Au cours de ce siècle deux
courants vont se développer : les juristes (Beccaria) et les médecins (Lombrog).
Le postulat de base des juristes est que tous les individus sont maîtres de leurs volontés et de leurs décisions, cad que chacun choisit
librement et avec conscience entre le bien et le mal. Ainsi s’ils adoptent un comportement criminel, c’est qu’ils l’ont choisi. De là
découle le principe de responsabilité pénale, toujours en vigueur aujourd’hui.
Le courant des médecins psychiatres s’oppose à cela, en insistant sur le fait que le comportement humain est conditionné par des
facteurs biologiques ou mentaux. Ainsi le criminel n’est pas une personne normale, il est biologiquement malformé ; on considère
qu’il est né avec un gène de criminalité. Cela donne naissance à la police scientifique. Ainsi on a une approche déterministe.

I – Les travaux de Durkheim


A partir de ces courants de nouveaux travaux vont être entamés à la fin du XIXe par les statisticiens (Guerry et Durkheim).
Durkheim n’a pas travaillé directement sur la déviance, mais il a toujours abordé des phénomènes qui y étaient relatifs. Son idée est
de dire que la déviance n’est pas le résultat de facteurs individuels, mais de facteurs sociaux. En effet l’individu n’est pas qqn d’isolé, il
est inscrit dans un milieu – le comportement humain est donc façonné par la société.
La position de Durkheim est fondatrice : on peut dire qu’en matière de déviance, il y a un avant et un après Durkheim. Avec ces
études empiriques, il remet en cause toutes les thèses fondées sur des facteurs biomédicaux. Il arrive à démontrer que les actes des
individus sont le résultat de causalités sociales qui les dépassent.
L’exemple le plus célèbre est son étude sur le suicide, dans laquelle il démontre qu’un acte considéré comme on ne peut plus
personnel n’était pas forcément le résultat d’une pathologie individuelle, mais celui de deux facteurs  : l’absence d’intégration dans la
société et le défaut de régulation sociale. Il montre que dans les moments de grand changement, les normes de la société perdent

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leur utilité, et lorsqu’elles ne sont pas substituées il y a un vide normatif (anomie). C’est en partie dans cette situation d’incertitude
que vont se produire des comportements déviants, notamment le suicide.
Durkheim a surtout ouvert la voie au développement de la méthodologie de recherche. En effet la sociologie doit non seulement
avoir un objet propre, mais également une méthode pour analyser les faits sociaux. Il faut donc dépasser la théorie, et tester sur le
terrain les hypothèses formulées via une démarche de recherche.
Le capitalisme a amené une société de plus en plus individualisée, où on a des interactions et des liens sociaux de plus en plus faibles  ;
faible devient alors le contrôle social. A partir de ce moment, Durkheim estime que dans ce contexte la déviance est :
 Un fait relatif : la définition de ce qui est déviant change en fonction de la conscience collective. Selon lui la criminalité n’existe
pas en tant que telle : un acte est déviant parce qu’il va heurter des valeurs de la société.
 Un fait normal (non-pathologique) : pour lui la normalité est synonyme de régularité statistique – il enlève toute dimension
morale. La criminalité est ainsi un fait normal puisqu’il n’existe pas de société sans criminalité. Un taux exagéré la rendra
pathologique.
 Un fait utile : grâce à la déviance, la conscience collective peut évoluer. Il faut que l’originalité puisse émerger à un certain
moment car si tout le monde respecte les normes, elles ne vont pas évoluer. Il estime qu’une partie des personnes déviantes vont
avec leurs actions anticiper l’évolution de la morale ; ce ne sont pas des asociaux, mais des agents régulateurs de la vie sociales –
ex : R. Parks.

II – Les travaux issus de l’Ecole de Chicago : théories culturalistes ou de la déconstruction sociale


Il s’agit d’un véritable laboratoire, cad qu’on a un ensemble de chercheurs qui vont étudier de façon empirique des phénomènes. De
nombreuses techniques de recherche ont été inventées au sein de cette Ecole (ex : l’observation participante).
L’idée n’était pas forcément de produire un savoir scientifique, mais de produire une sociologie réformiste – le sociologue doit
étudier la réalité de la société pour trouver des solutions pratiques à ses problèmes. L’objectif était de voir comment le
comportement humain va se modifier en fonction du milieu social de l’individu et de l’environnement.

D’abord tous les travaux analysent la déviance en rapport avec la désorganisation sociale : le comportement criminel ne peut pas être
expliqué en faisant référence à une pathologie biologique ou à la pauvreté. Elle est liée à des dysfonctionnements de la société.
Les chercheurs commencent alors à collecter des statistiques, qu’ils vont mapper révélant des zones dans lesquelles les taux de
criminalité sont plus importants. En répétant cette opération dans le temps, ils constatent une certaine stabilité. Donc malgré les
changements dus aux flux migratoires, certaines zones restent plus propices à la déviance. Ainsi la criminalité n’est pas uniquement
liée à des facteurs individuels.
Cette théorie va être déclinée de plusieurs manières :
Shaw et Mac Kay vont utiliser ce modèle pour étudier les centres-villes. Ils constatent que plus on s’éloigne du centre, moins il y a de
phénomènes déviants. Ainsi la criminalité n’est pas liée à des facteurs ethniques, mais à ce qu’ils appellent des aires criminelles. De là
ils développent la théorie de la transmission culturelle de la déviance : il y a une tradition criminelle dans certaines aires, à travers
laquelle les valeurs et les normes déviantes sont transmises à la population du quartier.
Sutherland (1947) va approfondir cette théorie : son objectif est de déterminer pourquoi, devant une même situation, certains vont
commettre un acte criminel alors que la majorité de le fera pas. Il a élaboré la théorie de l’association différentielle : il insiste non
seulement sur la transmission, mais surtout sur l’apprentissage de la déviance. Le comportement criminel est appris en interaction au
sein d’un groupe restreint de relations personnelles.
Il y a un apprentissage de techniques, mais surtout un apprentissage de l’orientation des mobiles, des rationalisations. Cela concerne
le processus d’interprétations que l’individu fait des normes. Si elles sont favorables à une transgression de la loi, l’individu est
susceptible de devenir un délinquant. Il en résulte que diverses formes de comportements criminels peuvent être défavorables pour
un délinquant (ex : le meurtre pour un voleur). A l’inverse, les personnes conformistes peuvent être favorables à une attitude
délictueuse (ex : criminalité en col blanc – fraude fiscale).
Merton tente de poser les bases d’une analyse des sources
sociales et culturelles de la déviance, cad découvrir comment
les structures sociales peuvent pousser certains individus à des
comportements non-conformistes. Il estime que ce ne sont pas
des inégalités culturelles qui sont à l’origine de la déviance, mais
des inégalités sociales. Ainsi le problème ne provient pas de
l’intégration culturelle mais de l’intégration socio-économique,
des inégalités liées aux milieux sociaux.
Pour ce faire il va réutiliser le concept d’anomie de Durkheim :
dans la société il y a des buts mis en avant et intériorisés par
tout le monde (valeurs) et des moyens qui ne sont pas
distribués de façon égale (règles). Il doit y avoir un équilibre
entre les objectifs socialement acceptés et les moyens légitimes
pour les atteindre. Dans le cas de l’anomie, les normes en
vigueur perdent leur signification et ne peuvent plus limiter les

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attentes des membres de la société. Ils vont répondre à ce vide
de différentes façons.
On peut aussi citer les travaux sur les subcultures (ou contre-cultures si elles s’opposent à la culture mainstream). Le premier à s’y
intéresser c’est Cohen : il essaye d’analyser la corrélation entre système scolaire et subculture criminelle.
Pour lui les enfants commencent à vivre les inégalités dès l’école, et certains vivent cette frustration de façon plus importante. La
subculture leur permet de répondre à cette frustration, à travers des moyens illégitimes.
Cloward et Ohlin vont approfondir cette théorie, en confrontant les travaux de Merton à ceux de l’Ecole de Chicago avec la théorie
des opportunités différentielles. Pour la création d’une véritable subculture, il faut aussi considérer l’environnement dans lequel
l’enfant va grandir ; il doit y avoir une rencontre avec des gens qui expliquent et donnent la possibilité d’adopter un comportement
déviant. A partir de là ils identifient trois subcultures, en fonction des différents contextes sociaux :
 La subculture juvénile (criminelle) : elle correspond à la transmission culturelle – dans des quartiers relativement organisés
les jeunes se socialisent au contact de pairs plus âgés, dotés d’une expérience et modèles d’une certaine réussite sociale.
 La subculture conflictuelle : elle se forme dans des zones urbaines où les jeunes n’ont pas accès à des moyens illicites. Ils
adoptent des comportements inadaptés et réfractaires du fait de cette frustration (violence).
 La subculture abstentionniste (de l’évasion) : elle rassemble les individus qui vivent un double-échec – ils ne parviennent pas
à atteindre les objectifs, autant à travers les moyens légaux qu’à travers les moyens illégaux. Ex : marginaux, toxicomanes…

Dans les années 50/60, avec la diffusion de la logique marxiste, on a des chercheurs qui vont faire basculer la manière dont on
appréhende la déviance. Ils critiquent les chercheurs précédents qui ont omis de questionner le pouvoir politique, alors que c’est de
lui qu’émanent les normes.
Ils s’inscrivent alors dans l’interactionnisme symbolique, avec une nouvelle approche : la réaction sociale. Ils partent de l’idée que
toutes les théories précédentes étaient causalistes, fondées seulement sur l’auteur des actes délictueux et ne prenaient pas en
compte la dimension formelle des comportements.
Ils se demandent comment le contrôle social produit la criminalité, en partant de l’évidence qu’il y a énormément de gens qui n’ont
pas commis d’actes déviants mais qui sont quand même soumis au contrôle social. Inversement il y a des gens qui en commettent et
qui ne vont jamais en prison. Ce qu’il faut analyser c’est l’impact de l’intervention des institutions sur le plan collectif et individuel.
L’interactionnisme est une approche constructiviste consistant en une rupture importante dans la sociologie américaine. L’objectif est
de saisir la signification que les sujets donnent à leurs actions. Il s’agit de refuser les interprétations de facteurs, et de privilégier les
processus d’interaction entre les gens, et notamment la réaction sociale officielle aux comportements déviants. Ainsi le pouvoir est à
la fois la condition et l’enjeu de la déviance.
Becker considère que la déviance en tant que telle n’existe pas : un acte devient déviant lorsque ce comportement est défini comme
tel par les pouvoirs publics. En fait le déviant est celui auquel cette étiquette a été appliquée avec succès. Cela permet de démontrer
pourquoi certains individus ne sont pas identifiés comme criminels alors qu’ils ont enfreint la loi.
Il introduit le concept de carrière criminelle : la délinquance se construit à travers tout un parcours. Becker analyse comment cette
étiquette modifie la propre vision du délinquant sur lui-même – il abandonne ses valeurs d’antan pour adopter celles d’un criminel.
Cette théorie a le mérite de mettre en évidence le poids de la réaction sociale sur la déviance. Pour autant certains auteurs estiment
qu’il y a un problème : les interactionnistes ne disent rien sur la production des normes et les enjeux qu’il y a derrière. A ce propos,
Young et Wolfgang ont considéré que cette production était le résultat du conflit des classes, classes qui sont en compétition pour
avoir le pouvoir. Celle qui gagne cette compétition est celle qui produit les normes, et qui définit ce qui est déviant ou non.

III – Les enjeux posés par le numérique en matière de déviance


Internet est un véritable moteur de changement social. Il a été créé dans les années 60 par le département de défense américaine,
dans le cadre de la guerre froide pour assurer une meilleure réponse à la menace soviétique.
Il semblait paradoxal que les sciences sociales n’abordent pas ce volet numérique. A un moment les psychologues ont ressenti le
besoin d’identifier les effets liées à ce réseau, et des études se sont développées. Les premières étaient axées sur les formes
d’interaction en ligne, et avec les années les domaines se sont multipliés (ex : influence sur la construction sociale, culture créée par
Internet…).
Le tout premier réseau est sorti en 1975 – en 2014 on observe que 80% des américains sont connectés, 70% des européens, 34% des
asiatiques et 27% des africains ; on parle alors de fracture du numérique. Ce n’est pas pour rien si les Etats-Unis ont investi là-dedans.
Ils détiennent aujourd’hui la plupart des données, ce qui constitue un avantage technique et surtout géopolitique.
Internet est un espace social caractérisé par la virtualité, cad que l’on peut transmettre des données de façon immédiate d’un milieu
à l’autre. Egalement, il se caractérise par l’anonymat et l’accessibilité. C’est une plateforme illimitée de données en tous genres,
considérée comme manipulable en ce que tout ce qui est numérisé peut être copié et transformé à l’insu de son propriétaire.
On voit le numérique comme une révolution : c’est un système socio-culturel puisqu’il véhicule des éléments culturels, et qui
concerne l’interaction entre au moins deux personnes. Cette révolution a créé une société toujours plus fluide, mobile et
interconnectée.
A ce moment-là, des effets majeurs sont identifiés sur l’identité, l’interactivité et la sociabilité.

Concepts fondamentaux de la sociologie 7


Le numérique est un milieu de vie dans lequel les sujets sont constamment immergés, et où l’identité et les relations sont remodelés
grâce à de nouvelles formes de visibilité, des contacts immédiats, l’abolition des distances et l’anonymat. La déviance doit donc être
revue au regard de cet espace numérique.
Castells dans Société informationnelle (1996) souligne l’importance d’analyser les évolutions techniques en cours, non seulement d’un
point de vue technique mais aussi d’un point de vue social. En effet la société contemporaine est soumise à un processus de
changement lié à trois facteurs :
 La restructuration, cad le changement du capitalisme notamment avec l’essor de la mondialisation.
 L’apparition de nouveaux mouvements sociaux (féministes, écologistes…) – rapprochement avec Touraine.
 La révolution industrielle.
Selon lui la société est en train de changer sous l’influence d’un nouveau mode de développement (appelé informationnel), et qui
remplace les paradigmes antérieurs (agraire puis industriel). L’émergence de ce paradigme de l’information fait l’objet pour lui d’une
véritable révolution  comme l’invention du moteur a lancé la modernité, internet est à l’origine d’un nouveau modèle de société.
Dès lors on a une nouvelle structure de la société, organisée autour des réseaux ; une nouvelle culture – la culture digitale et une
nouvelle économie – l’économie informationnelle. Là où la société industrielle était basée sur l’exploitation des matières premières,
la société informationnelle est basée sur l’exploitation des technologies d’information.
A partir des années 80, on constate qu’Internet devient une sorte de laboratoire sur lequel on peut expérimenter des comportements
nouveaux, voire même une nouvelle identité.
Goffman, à la base de l’interactionnisme, étudie les interactions sociales avec la métaphore du théâtre : le monde social est un
théâtre, et les différentes interactions sont des représentations. Pour bien jouer ces représentations, les individus mobilisent des
façades, des marqueurs sociaux – une véritable mise en scène – pour parler avec les autres. Derrière cela, il y a l’idée que l’individu ne
joue pas sur son identité intérieure, mais il utilise des façades selon des rôles sociaux.
C’est dans ce cadre que vont se développer les premières études sur le numérique : les premiers psychologues nous montrent que
lorsqu’on se connecte sur internet, la communication en elle-même est dépourvue de tous les indicateurs sociaux que l’on a dans les
interactions en face à face. Dans l’espace numérique, le sujet tend à disparaître.
Cela a des conséquences, puisque le fait de ne pas pouvoir être identifié rend plus facile la violation des normes sociales.
D’autres approches s’opposent à celle-ci : certains considèrent que les interactions en ligne ne sont pas toujours dépourvues
d’indicateurs sociaux (ex : photo de profil, manière d’écrire…). D’autres estiment que, non seulement elles ne sont pas dépourvues de
marqueurs sociaux, mais elles passent par des stéréotypes sociaux : elles entraînent un contrôle des impressions, et on soigne très
fortement la présentation de soi (cf. Goffman).
En sociologie on commence à véritablement s’y intéresser dans les années 90, dès la démocratisation du web tel qu’on le connaît. On
a un changement de paradigme important : là où les psychologues s’intéressaient à la communication, les sociologues vont se
focaliser sur les effets du milieu d’interaction sur l’identité, analysant le numérique comme un espace social.
C’est Sherry Turkle dans La vie à l’écran qui aborde pour la toute première fois le thème de la construction de l’identité en ligne.
Pour mener son étude, elle met en œuvre l’observation particulière en ligne : elle observe des groupes de joueurs en ligne, et se rend
compte que beaucoup d’entre eux changent d’identité.
Elle dit qu’ « aujourd’hui la vie sur l’écran dramatise et concrétise une série de tendances culturelles qui nous amène à penser
l’identité en termes de multiplicité et de flexibilité ». Cela signifie qu’en utilisant plein de personnages en ligne, les internautes vont
se livrer à une expérimentation sans conséquences.
En fait le numérique devient une sorte de laboratoire identitaire. Cela est en particulier dû à l’anonymat, qui permet d’exposer des
doutes, des problèmes dont on ne veut pas parler dans la vie réelle, exprimer des parties cachées de notre identité ou carrément
inventer une nouvelle identité.
Ainsi de nouvelles sociabilités vont se produire – certains chercheurs comme Rheingold ont travaillé sur les communautés virtuelles.
L’idée à la base c’est que l’essor d’Internet n’a pas produit d’aliénation sociale, mais au contraire le numérique est un espace de
socialisation, dans lequel on crée des amitiés et une identité  « les liens électroniques sont des liens, même s’ils sont parfois
éphémères et sans proximité physique ».
Typiquement, en ce qui concerne la déviance, on avait des individus isolés qui peuvent maintenant se retrouver par le biais de ces
forums. En ligne toutes les interactions sont structurées de façon stable, y compris les interactions criminelles – ex  : Silk Road, Danish
Pedophile Association…).

Concepts fondamentaux de la sociologie 8


CHAPITRE 3 : Réseaux des actions collectives – mouvements sociaux et groupes d’intérêt

Le travail de sociologue est avant tout un travail de construction de la réalité sociale, cad qu’il y a des faits sociaux mais ce qui compte
c’est la façon dont on les interprète, cela ayant une influence sur le comportement humain. En effet le comportement humain n’est
pas nécessairement le résultat de faits objectifs, mais celui des interprétations que l’on en fait.
Lorsqu’on parle de mouvements sociaux ou de groupes d’intérêt, on identifie des éléments qui ne sont pas nécessairement les
mêmes. On parle de mouvements sociaux en connexion avec des phénomènes (ex  : mouvements nationalistes, printemps arabe).
Parfois on observe dans la littérature des phénomènes très limités (ex : extension d’un aéroport) parce que des protestations y sont
associées.
Quoi qu’il en soit ils essayent de représenter un intérêt au sein de la société civile.
Le concept de société civile est utilisé de plusieurs manières : pour faire référence à un système de valeur, à un système de civilité
défini en Occident par la tolérance, la priorité aux moyens d’action respectant la démocratie donc pas de violence/répression…
On parle des sociétés civiles comme un espace public de délibération où les intérêts sont discutés, débattus.
On en parle aussi comme l’action volontaire orientée à la production de biens publics. Ainsi elle n’est pas orientée vers le profit mais
vers un bien qui ne peut pas être partagé ou privatisé. Ex : un environnement plus sain, une transformation politique… Pour autant
cela ne signifie pas que ce sont des choses bien dans la substance, on ne s’intéresse pas à la dimension morale.

I – La distinction mouvements sociaux / groupes d’intérêt


On peut distinguer les mouvements sociaux des groupes d’intérêt par le degré d’extension de leur agenda (= sujet touché).
Les mouvements sociaux sont considérés comme des phénomènes qui touchent des questions très générales, alors que les groupes
d’intérêt se concentrent sur des sujets plus particuliers. Par exemple dans le domaine de l’environnement, on a des mouvements qui
considèrent qu’il faut changer le système économique de manière générale, mais aussi des organisations s’occupant de sujets plus
limités (ex : protection des animaux).
Ainsi les groupes d’intérêt ne s’intéressent généralement pas au système dans la globalité, alors que les mouvements sociaux visent à
représenter de valeurs ou des buts collectifs et ne sont pas intéressés par des objectifs spécifiques.
En réalité cette distinction n’est pas aisée à faire, parce que certains groupes spécialisés peuvent toucher des questions très larges.
Pour reprendre l’exemple de l’environnement, on observe que des groupes spécialisés dans la protection des oiseaux vont
s’intéresser à la question du nucléaire, bien plus générale. Il y a toujours un degré de flexibilité.
On peut également les distinguer en s’intéressant à leur répertoire d’action (cf. Tilly), cad la manière de laquelle les gens se
mobilisent et agissent dans un certain contexte pour faire quelque chose.
En fait Tilly rejette l’idée que la violence soit le moteur de telles actions. Il soutient que leurs rapports à la violence sont très divers,
allant d’un refus de celle-ci à la conséquence des interactions. Ce qu’il y a de commun entre tous ces conflits c’est le fait que des
groupes mobilisent des moyens en vue de satisfaire leurs intérêts. Ce sont ces moyens que l’on appelle répertoire d’action collective.
Une théorie suggère que les mouvements sociaux emploient la protestation, se fondant sur un nombre important de personnes ; les
groupes d’intérêts utilisent la pression qui se fonde sur la disponibilité de sources financières ; et les partis politiques vont utiliser le
pouvoir à travers les élections.
Il y a un troisième niveau de distinction, en fonction du modèle organisationnel mis en œuvre.
On considère que les mouvements sociaux se caractérisent par des organisations informelles et peu structurées, fondées sur la
participation et la contribution. A l’inverse, les groupes d’intérêt se rapprocheraient plus de l’organisation bureaucratique, donc
formelle avec une structure hiérarchique dotée de beaucoup de personnel.
Enfin, on peut les distinguer selon leur mécanisme de recrutement de leurs membres.
Les membres d’un groupe d’intérêt sont recrutés sur la base des intérêts poursuivis spécifiques (ex  : membre d’une CSP, vivant dans
une localité particulière…). En revanche les mouvements sociaux recrutent des gens sur la base d’intérêts plus généraux, il s’agit alors
de motivations individuelles.
Toute cette conception ne fait cependant que s’intéresser aux caractéristiques des organisations. Notre perspective change
totalement lorsqu’on adopte un point de vue relationnel, cad que l’on va s’intéresser au type de d’alliance qu’il peut y avoir. Ainsi il
ne faut pas se focaliser exclusivement sur l’acteur, mais les connexions avec les autres institutions composant le système politique.

II – Les types de connexion des organisations


Les mouvements sociaux et les groupes d’intérêt se distinguent alors en ce qu’ils n’emploient pas les mêmes modes de coordination.
Exemple de Glasgow et Bristol :
Glasgow est essentiellement blanche et radicale, elle est donc protestataire. Quant à Bristol, étant plus variée culturellement et plus
modérée, elle compterait moins de mouvements sociaux. Mais contrairement à ce qu’on peut penser, il n’y a pas de différence
significative en ce qui concerne la représentation des formes de protestation dans les villes  ; l’image des sociétés civiles est la même
dans les deux cas. Il y a alors un paradoxe, qui tombe lorsqu’on observe les modèles de relation.
A Glasgow on constate que les organisations favorables à la protestation sont liées entre elles par la collaboration, ainsi elles
travaillent ensemble et se renforcent et sont plus visibles publiquement dans la société ; elles représentent un espace plus général.

Concepts fondamentaux de la sociologie 9


A Bristol en revanche, le modèle présente très peu de liaisons entre les organisations favorables au radicalisme. Elles sont isolées les
unes des autres, et sont en contact avec d’autres organisations moins favorables, donc elles sont moins visibles. En fait on observe un
effet de dissuasion du fait de ces rapports relationnels.
Il faut donc considérer une double-relation : les propriétés des acteurs et les profils des systèmes de relation. On parle de modes de
coordination pour nous aider à identifier deux mécanismes fondamentaux de l’action collective :
 L’allocation de ressources : chaque fois qu’un effort est fait pour représenter des intérêts, il y a beaucoup de décisions en ce qui
concerne ce partage de ressources. Chaque fois qu’une campagne de mobilisation est organisée, des choix viennent limiter les
alternatives : on décide la façon de laquelle on opère. Cela a des conséquences sur la configuration des champs relationnels.
 Les frontières : il n’y a pas d’action collective sans une définition des acteurs, des intérêts et de leur position par rapport aux
autres acteurs/intérêts. Il s’agit là d’identifier la différence entre la sympathie générale pour un aspect et l’adversité envers un
autre aspect, la seconde instaurant un sentiment de solidarité.
Lorsqu’on parle de frontières, c’est le fait qu’il n’y a pas de liaison entre les individus membres d’organisations différentes. En fait la
logique des mouvements sociaux est avant tout une logique de liaison, de négociation dans la constitution d’alliances. C’est l’idée
d’une pluralité d’organisations, entraînant flexibilité et variabilité. Ainsi il l’allocation de ressources se passe non pas dans les
frontières mais dans les espaces de relation.
La définition des frontières ne passe donc pas qu’au niveau de l’organisation, mais aussi dans le champ relationnel des acteurs. Dès
lors il y a des connexions entre les individus membres d’organisations différentes. La construction d’un tel mouvement se fonde sur la
capacité des acteurs à s’intéresser non seulement à leurs problèmes, mais aussi aux problèmes connexes à ceux-ci.

Définition des frontières


Champ relationnel Champ organisationnel
Allocation des ressources Champ relationnel Mouvement social Coalition
Champ organisationnel Subculture Groupe d’intérêt

La différence entre groupe d’intérêt et mouvement social réside alors dans le système de relation général  : les premiers font un travail
isolé ; ils ont une identité propre mais ne l’élargissent pas aux solidarités.

L’idée de coalition renvoie à un groupe d’acteurs qui prennent des décisions à propos de l’allocation de ressources en poursuivant un
objectif d’intérêt commun. C’est une forme de collaboration facile à percevoir (ex : manif), et chaque démonstration est le résultat
d’un travail de coopération avec des groupes différents.
Il est difficile d’identifier empiriquement la différence entre coalition et mouvement social. D’un point de vue théorique par contre,
dans la coalition la définition des frontières reste concentrée sur des groupes spécifiques ; il n’y a pas de forme de solidarité. Ex :
printemps arabe – ils ne sont pas tous partisans de la démocratie, du moins n’en ont pas la même vision.
Finalement pour analyser la société civile, il ne faut donc pas se contenter d’étudier les acteurs, mais il faut aussi s’intéresser aux
connexions et aux modes de coordination.

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