La Nuit Des Rois Dossier Pedagogique-20180915-172328
La Nuit Des Rois Dossier Pedagogique-20180915-172328
La Nuit Des Rois Dossier Pedagogique-20180915-172328
n° 96
novembre 2009
La Nuit des rois
Texte de William Shakespeare
Avant de voir le spectacle :
la représentation en appétit !
Résumé [page 2]
Sources [page 2]
Le titre [page 3]
Lectures [page 5]
La représentation en appétit !
n° 96
novembre 2009
Résumé
Un bateau fait naufrage. Rescapée, une jeune à ceux de son frère Sébastien, mais c’est d’Orsino,
femme, Viola, sort de la mer. Elle découvre alors un prince amoureux de la comtesse, qu’elle sera
un pays qu’elle ne connaît pas et qui n’a rien le page et messager de son amour auprès d’Olivia.
de merveilleux : l’Illyrie1. Son frère jumeau, Bien vite, Viola, qui se fait nommer Césario, aime
Sébastien, a, lui, été englouti par les flots. Elle son maître Orsino... Malentendus, quiproquos,
apprend qu’une comtesse des lieux, Olivia, porte, méprises s’ensuivent nécessairement.
elle aussi, le deuil d’un frère aimé. Elle veut entrer Un résumé détaillé est proposé en annexe n° 3.
à son service, revêt des habits d’homme semblables
sources
Les sources probables de Shakespeare sont Les Ménechmes de Plaute (vers 215 avant J.-C.) et surtout
une comédie italienne jouée à Sienne en 1531 dont le titre, Inganni (« Les Erreurs »), n’est pas sans
rappeler une autre comédie de Shakespeare, La Comédie des erreurs. L’auteur d’Inganni est demeuré
anonyme mais sa pièce a été réécrite par deux Italiens, Nicolo Secchi à Florence (impression en 1562)
et Curzio Gonzaga à Venise (1592).
b Lire les extraits des Ménechmes et de Shakespeare reprend certains thèmes mais opte
La Comédie des erreurs (cf. annexe n° 4). pour des jumeaux hétérozygotes, c’est-à-dire
Identifier les éléments repris par Shakespeare des faux jumeaux. En outre, il enrichit l’intrigue
dans La Nuit des rois et en observer les principale d’une intrigue secondaire : farce ourdie
variantes : quels effets produisent ces par Maria qui fait croire à Malvolio, l’intendant
reprises et variations ? secrètement amoureux de sa maîtresse Olivia,
que cette dernière lui a écrit un billet doux.
le titre
b Partir de ce que le titre La Nuit des rois dans toute l’Europe d’alors de manifestations
évoque pour les élèves. de joie collective, de “masques et mascarades”
n° 96 Le titre engendre une polysémie : s’agit-il, au et de représentations théâtrales. Il s’agit d’un
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sens propre, d’une intrigue se déroulant la nuit, héritage sans doute des traditions festives des
durant laquelle de vrais rois, couronne sur la “Douze Nuits”, propres aux calendriers celte et
tête, évoluent, ou bien faut-il comprendre, au germanique et de la tradition romaine antique
sens métaphorique : la fin des rois ? des Saturnales ou Calendes de janvier. Nombre
de pièces de théâtre aux titres et aux sujets
b Interroger le titre anglais Twelfth Night. les plus divers furent créées pour ces fêtes de
Comme l’explique Gisèle Venet2, le titre anglais Noël et la comédie La Nuit des rois a été jouée
Twelfth Night, « La Douzième Nuit », (suivi à la cour d’Élisabeth Ire un soir de “douzième
du sous-titre What you will, « Ce que vous nuit”, le 6 janvier 1601, date de sa première
voudrez ») fait référence à « la douzième des représentation.3» Cependant, Gisèle Venet
“nuits de Noël” dont la première est, bien sûr, réfute toute corrélation entre la pièce et la
le 25 décembre. Cette date correspond dans le célébration de l’Épiphanie. Elle l’inscrit bien plus
calendrier au 6 janvier, fête de l’Épiphanie, qui dans l’univers de l’illusion et de la mascarade,
commémore la venue des rois mages conduits le cœur de la pièce étant la subversion des
dans la nuit par une étoile vers l’enfant nouveau- apparences et du langage. L’intrigue repose sur
né, Jésus ; d’où l’allusion dans le titre habituel les malentendus et la révélation d’une identité à
en français à “la nuit des rois”. Ces douze nuits reconquérir : grâce à son travestissement, Viola
de la tradition chrétienne s’accompagnaient finit par trouver l’amour.
Une interprétation du sous-titre « Ce que des maîtres, les étudiants avaient le droit de
vous voudrez » vient d’être avancée dans une leur poser les questions selon leur gré. Le sujet
étude récente4 : selon la tradition scolastique, pouvait être « n'importe quoi » : de quolibet
la discussion dialectique (la disputatio) était ad voluntatem cuiiuslibet. On appelait ces
un des moyens de la recherche universitaire. questions-là les quaestiones quodlibetales, du
Pour la fête des rois, l’Épiphanie, les étudiants latin quodlibet, « ce qui te plaît ». Autrement
avaient le droit de bouleverser l'ordre établi dit, en anglais, what you will. Le sous-titre
de la disputatio et une disputatio de quolibet aurait donc un sens dans la tradition scolastique
avait lieu. Au lieu de recevoir l'enseignement de l’Épiphanie.
les personnages
Les activités qui suivent permettront d’entrer mise en scène et décuple les quiproquos, nous
plus en avant dans l’intrigue proprement entraînant dans l’univers baroque de Shakespeare.
shakespearienne, « construite sur le principe Lors de la création de la pièce, il existait un degré
de l’insatisfaction qui, par degrés, permet la supplémentaire de travestissement qui jouait
connaissance de soi à travers les épreuves encore davantage sur un érotisme ambigu : en
2. La Nuit des rois, annotée par Gisèle successives : amour, feinte de l’amour, parodie effet, il était interdit aux femmes de monter sur
Venet, Éditions Théâtrales, 1996. ou caricature de l’amour ».5 scène et tous les personnages féminins étaient
3. La Nuit des rois a été publiée en folio À l’intrigue principale se mêle une intrigue interprétés par de jeunes acteurs. Le rôle de Viola
pour la première fois en 1623. secondaire, qui se déroule parallèlement à la était tenu par un jeune homme, jouant le rôle
4. Liam Dunne,
thèse à paraître en Angleterre.
première (cf. résumé détaillé en annexe n° 3). d’une demoiselle habillé en garçon qui soupire
5. Henri Fluchère, Deux « bandes » se croisent donc dans cette pièce : d’amour pour Orsino.
Twelfth Night, Ellipses, 1995. les farceurs et les amoureux, ce qui complique la
4
– au dossier Pièce (dé)montée n° 25, consacré au Roi Lear, mis en scène par Jean-François Sivadier
au Festival d’Avignon en 2007 :
n° 96 http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/piece/index.php?id=le-roi-lear
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b À partir du résumé détaillé et de la liste des – Antonio, autre capitaine de vaisseau, ami de
personnages (cf. annexes nos 3 et 5), repérer Sébastien ;
les personnages qui appartiennent à l’univers – Olivia, comtesse.
de la comédie romanesque, c'est-à-dire les • Les farceurs
personnages de l’intrigue des amoureux, et – Sir Toby Belch (belch signifiant « rot » en
ceux qui appartiennent à l’univers burlesque, anglais) ;
à l’intrigue des farceurs6. – Sir Andrew Aguecheek, « joue fiévreuse »
• Les amoureux (l’expression est dans le texte), compagnon de
– Orsino, duc d’Illyrie ; Sir Toby ;
– Valentin et Curio, gentilhommes de la suite – Malvolio, intendant d’Olivia ;
du Duc ; – le clown (Feste), bouffon d’Olivia ;
6. Le registre burlesque – premier et second officiers ; – Maria, dont on pourra faire remarquer que
(de l'italien burlesco, venant de – Viola, travestie par la suite sous le nom de ce rôle féminin sera joué par un homme,
burla, « farce, plaisanterie »)
Césario ; Luc Tremblais. Ce choix semble être un clin
est un art du décalage qui consiste
à adopter un ton grotesque pour une – Sébastien, son frère jumeau ; d’œil du metteur en scène à ses prédécesseurs
situation dramatique, ou l'inverse. – le capitaine du vaisseau naufragé, ami de Viola ; de l’époque élisabéthaine.
LECTURES
b Afin d’entrer davantage dans la pièce, faire l’une des difficultés de la mise en scène, que
n° 96 lire aux élèves à plusieurs voix les extraits nous aborderons plus en détails ultérieurement.
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proposés en annexe n° 6.
Cette exploration vocale respectera le b En guise de prolongement, rechercher
tâtonnement nécessaire à toute prise en compte des exemples de « cette confusion des
de la subtilité des situations mises en œuvre sentiments », notamment dans des œuvres de
dans cette pièce : on pourra ainsi inviter les la littérature italienne comme Les Jumeaux
élèves à adopter des rythmes et des intonations vénitiens de Carlo Goldoni ou celle de la
inattendus ou discordants. On les incitera à littérature romantique comme Les Caprices de
innover en expérimentant la mise en voix. Marianne d’Alfred de Musset.
On demandera aux différents groupes de venir
présenter de manière personnelle le ou les b Repérer la mixité des registres (doux-amers)
moyen(s) de « proférer » les apartés de Viola et de Shakespeare.
d’interpréter le jeu subtil qui se tisse entre le On relèvera la variété des émotions ou sentiments
personnage travesti ou dupé et le public averti suscités dans cette comédie : l‘incantation lyrique
de l’artifice. Ensemble, il s’agit de favoriser une du duc Orsino, amant mélancolique, le pathétique
lecture collective la plus expressive possible d’Olivia portant le deuil de son frère, la farce du
pour rendre la jalousie muselée de la jeune fille faux duel ou le burlesque de Toby, amoureux de la
contrainte de faire la cour à sa rivale, l’ambiguïté boisson et de la bonne chère. Autant de variations
du discours du Duc percevant confusément qui viennent enrichir un dénouement certes
l’androgynie de son jeune page et le désarroi heureux mais ponctué d’une malédiction, celle de
d’Olivia qui découvre qu’elle a nourri une passion Malvolio criant vengeance, et d’une chanson aux
pour son alter ego. Ce personnage dédoublé est accents tristes, celle de Feste.
Le personnage de feste
Suivant les traductions, ce personnage est désigné par différents termes : « bouffon », « fou » (du
n° 96 roi), ou « clown » (dans la traduction de Jean-Michel Déprats).
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La figure du fou, si souvent représentée dans le théâtre de Shakespeare, est une transposition
du bouffon traditionnel chargé de divertir les princes au Moyen Âge. Il se distingue par la
subtilité des jeux auxquels il se livre, sa liberté d’expression et sa prédisposition, inspiré par
la nature. Son costume est codifié et on le reconnaît dans les fêtes populaires à son habit
bariolé de jaune et de vert, orné de grelots, coiffé d’un capuchon à oreilles d’âne ou crête de
coq. Il est armé d’une marotte, parfois obscène.7
b En utilisant le résumé détaillé (cf. annexe point essentiel de la pièce : il s’agit avant tout
n° 3), relever les difficultés auxquelles doit d’une reconquête de l’identité ;
répondre la mise en scène. – Feste, tour à tour clown et chanteur (II, 4),
se mue en prêtre, Messire Topaze (« Cette cra-
• Difficultés liées aux travestissements pule contrefait à merveille », s’exclame à son
– Viola endosse une autre identité, en prenant sujet Sir Toby, IV, 2) ;
l’apparence d’un frère qu’elle pense mort. On – Malvolio se métamorphose en démon aux jar-
peut aussi faire remarquer aux élèves que les retières croisées (III, 4) suivant les directives
deux personnages féminins principaux, Viola et de Maria, qui se fait passer pour Olivia.
Olivia, sont, à une lettre près, des anagrammes,
ce qui amplifie encore les effets d’échos. On pourra rapprocher la question du
11. Le pentamètre iambique est Ajoutons que l’étymologie du nom masculin travestissement et donc celle de l’identité
un vers de cinq pieds dont chacun pris par Viola, Césario, signifie « couper » en avec le mythe de l’androgynie développé par
est composé d’une syllabe atone latin. Viola, devenue Césario, est donc amputée Platon dans Le Banquet : coupés en deux, les
suivie d’une syllabe accentuée.
La chanson de Feste en est un exemple : d’elle-même, d’où l’affirmation finale « Je suis hommes vivent continuellement à la recherche
« But when I was a little tiny boy. » Viola », qui est, pour Jean-Louis Benoit, le de leur moitié, soit masculine soit féminine.
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D’autres références sont à mentionner comme variantes, y compris sexuelle. L’une cherche
Les Jumeaux vénitiens de Carlo Goldoni. On l’identification, l’illusion complète, l’autre joue
insistera ensuite sur l’importance de l’apparence sur la création d’un personnage hybride, castrat
et donc du costume au théâtre, surtout pour le ou jeune chanteuse : le Chérubin des Noces
théâtre baroque. de Figaro de Beaumarchais ou le page d’Un
n° 96 D’autres dramaturges tirent parti des tensions Bal masqué de Verdi. « Cette inquiétante
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suscitées par ces travestissements pour renforcer étrangeté » du travesti, longtemps recherchée,
l’effet comique : que l’on songe à Molière et à provoque une sorte de dépaysement nécessaire
sa Toinette déguisée en médecin, aux turqueries à toute remise en question ou dénonciation des
du Bourgeois gentilhomme, ou dans un registre apparences. On la retrouve ainsi dans le cinéma :
plus subtil à Marivaux (Le Jeu de l’amour et du Certains l'aiment chaud de Billy Wilder, Bawang
hasard, La Fausse Suivante). bieji, « Adieu ma concubine » (1992) de Kaige
Chen ou encore Tootsie de Sydney Pollack.
b Faire une recherche plus approfondie sur
l’étymologie du terme « travestissement » • Difficultés liées à la pluralité des lieux
et sur les nombreuses facettes qu’il peut Le spectacle nous transporte d’un lieu à l’autre.
prendre dans des domaines artistiques aussi On notera que Jean-Michel Déprats a supprimé
divers que l’opéra et le cinéma. les didascalies liées aux lieux. Celles-ci ont
Du verbe italien travestire, le terme renvoie été « reconstituées de façon généralement
à « l’action de changer de vêtement afin de naturaliste »12 par les éditeurs. Voici les
n’être pas reconnu » (Machiavel), un sens didascalies en question : « A room in the
figuré apparaît sous la plume de Scarron, Duke’s palace » (« Une salle dans le palais du
il s’agit « de transformer en dénaturant » Duc »), « Near the sea-coast » (« Au bord de
(Dictionnaire historique de la langue française, la mer »), « A room in Olivia’s house » (« Une
sous la direction d'Alain Rey). salle dans la maison d’Olivia »), « At the door
Ces deux acceptions du travestissement of Antonio’s house » (« Devant la maison
présentes dans le personnage de Viola relèvent d’Antonio »), « A street near Olivia’s house »
d’une esthétique de l’ambiguïté aux multiples (« Une rue près de la maison d’Olivia »),
« A room in olivia’s house ;
at the back a closet with a
curtain before it » (« Une salle
chez Olivia avec, au fond un
cabinet voilé d’un rideau en
guise de prison »).
On pourra par exemple inviter
les élèves à imaginer la
manière dont ces divers lieux
peuvent être représentés, et,
notamment, la manière dont
ils pourraient représenter
l’Illyrie.
Après la représentation
Pistes de travail
n° 96
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On commencera par une remémoration du spectacle, pour ensuite aborder précisément chacun des
points étudiés ici.
DISPOSITIF SCÉNOGRAPHIQUE
Le palais d'Orsino Tous les actes Parquet sur l’avant-scène et cadre de scène constitué par des colonnes de
marbre.
La maison d'Olivia Tous les actes Une table et des chaises et, à l’acte III, une malle.
Au début du spectacle, toute la maison est drapée de noir (les trois murs, la
table et les chaises), à l’image d’Olivia, endeuillée. On découvre la maison et son
mobilier au moment où Olivia décide de mettre fin à son deuil :
« VIOLA : Chère dame, laissez-moi voir votre visage.
OLIVIA : Êtes-vous chargé par votre maître de négocier avec mon visage ? Vous
sortez du sujet maintenant ; mais nous allons tirer le rideau et vous montrer le
portrait. (Se dévoilant) Regardez, monsieur, ce fut peint cette année. N'est-ce pas
bien fait ? » (I,5).
b Remarquer la transition entre les différents noire, permettant ainsi le passage d’un lieu à
lieux représentés sur le plateau. un autre. Placés à l’avant-scène sur un banc, ils
Les transitions entre les différents espaces commentent les événements entre eux et, par
sont assurées par des « valets de scène », leurs expressions du visage, sont le reflet des
inventés par Jean-Louis Benoit13. Ce trio spectateurs. Ils renouent ainsi avec la tradition
n° 96 interprète par ailleurs les rôles mineurs : baroque du théâtre dans le théâtre. Ces trois
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musiciens, marins, seigneurs, gens de suite, jeunes actrices, au physique très ressemblant
prêtre et officiers, ce qui permet de répondre (coupe de cheveux courte, costume d’Arlequin
à l’abondante distribution. Ces trois mignons noir, collerette blanche), donnent lieu à de jolis
ouvrent ou ferment un léger rideau de soie tableaux.
MUSIQUE
Les chansons font partie intégrante du texte de La Nuit des rois. Inaugurée par la musique, la pièce
se referme sur la chanson de Feste et chacune des apparitions du clown est ponctuée de chants ou
d’un accompagnement sonore. On fera remarquer aux élèves la performance de Dominique Valadié,
qui passe du jeu au chant a capella.
Les autres personnages sont nombreux à invoquer le chant comme le seul recours face à l’intensité de
l’émotion et l’incapacité du langage à dire l’indicible. Outre le duc Orsino (acte I, scène 1, et acte II,
scène 4), Viola brandit la musique comme une menace : « J’écrirais de fidèles cantilènes sur l’amour
dédaigné/Et les chanterais à tue-tête au profond de la nuit […] », tandis que Sir Toby et Sir Andrew
y décèlent un « souffle infectieux et très mélodieux » (acte II, scène 3).
« Lorsque les mots ne suffisent pas à exprimer l’être, le chant ouvre un espace où peut se dire
l’émotion complexe qui étreint les personnages. […] Quant à Feste, il sait que toute vérité
est subversive et qu’il convient mieux de l’exprimer en chantant… »
Francis Guinle, Hamlet et La Nuit des rois - Shakespeare : la scène et ses miroirs,
coll. Théâtre aujourd’hui, n° 6, CNDP, 1998.
© BRIGITTE ENGUERAND
LE TRAVESTISSEMENT
n° 96 « Les costumes rendent plus aiguë l’ambiguïté des identités et des rôles… »
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Hélène Vincent (propos recueillis par Jean-Claude Lallias),
Hamlet et La Nuit des rois – Shakespeare, la scène et ses miroirs,
coll. Théâtre aujourd’hui, n° 6, CNDP, 1998.
© BRIGITTE ENGUERAND
13
b Identifier les moyens choisis pour travestir b S’interroger sur le fait que les valets de
Luc Tremblais (Maria) et Dominique Valadié scène sont joués par des femmes.
(Feste). Quels sont les effets produits ? Les valets de scène, continuellement dans l’en-
Avec sa corpulence et l’exagération des attributs tourage du duc Orsino, semblent sous le charme
féminins, Maria provoque la farce tandis que de leur maître au point de laisser transparaître
n° 96 Feste, dans un costume simple et contemporain, du dépit lorsque ce dernier marque une certaine
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apparaît en décalage. On pensera inévitablement préférence pour le jeune page, Césario (acte II,
aux personnages d’En attendant Godot ou bien scène 4). Ils renvoient au caractère androgyne
à la silhouette de Charlie Chaplin : démarche de la pièce : comme pour la métamorphose de
caractéristique, mains dans les poches, chapeau Viola/Césario, on a des femmes habillées en
melon et pantalon flottant, long pardessus. hommes, et qui jouent des rôles d’hommes, d’où
Élargir la confrontation en retrouvant d’autres la confusion des sexes et la possible allusion à
similitudes et en approfondissant l’énigme de une homosexualité latente.
ce personnage qui allie rire et larmes. On pourra
projeter un extrait de The Kid15.
b Comment Jean-Louis Benoit a-t-il fait On pourra indiquer aux élèves qu’aux xviie et
travailler son comédien, Jean-Pol Dubois, xviiie siècles, la pièce a pris pour titre Malvolio.
pour rendre le registre tragique ? De fait, ce personnage est pour les acteurs un
• diction appuyée : insistance sur chaque vrai défi. Selon Jean-Louis Benoit, c’est « le
syllabe et intonation descendante, ton vrai rôle phare de la pièce et d’ailleurs Laurens
n° 96 professoral et sentencieux ; Olivier, grand acteur anglais, l’a incarné. Tous
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• costume négligé : chemise souillée, cheveux les acteurs rêvent de faire Malvolio. »
défaits, pieds nus, qui contraste avec le comique
débridé de la scène des porte-jartelles. b Rechercher des personnages du théâtre
Les compères, Maria, Sir Tobby et Fabien, français qui font basculer du comique au
avouent la cruauté de la farce. La sortie de tragique.
Malvolio s’accompagne d’une malédiction qui Chez Molière par exemple, on pourra penser à
jette un trouble sur la scène finale de liesse Harpagon à la fin de L’Avare ou à Sganarelle à
(« MALVOLIO : Je me vengerai de toute votre la fin de Dom Juan.
meute ! (il sort.) OLIVIA : Il a été très
cruellement maltraité ».
© BRIGITTE ENGUERAND
Hamlet et La Nuit des rois - Shakespeare, la scène et ses miroirs, coll. Théâtre aujourd’hui,
n° 6, CNDP, 1998.
1 CD audio, 16 diapositives, 1 livret, 248 p.
Le théâtre de Shakespeare est un miroir déformant qui reflète les enjeux artistiques, esthéti-
ques et politiques du travail théâtral d'une époque. Sa modernité d'écriture et sa complexité
thématique fascinent les hommes de théâtre d'aujourd'hui et développent notre propre pou-
voir de réflexion sur le sens de la théâtralité.
Production : Théâtre national de Marseille La Criée, avec le soutien du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes
Dramatiques, D.R.A.C. et Région Provence-Alpes-Côte d'Azur.
En tournée :
Théâtre national Marseille La Criée : du 20 au 29 novembre 2009
Nouveau Théâtre d'Angers : du 9 au 12 décembre 2009
Le Grand T - Théâtre de Nantes : du 13 au 21 janvier 2010
Le Cratère Scène Nationale d'Alès : du 27 au 29 janvier 2010
Le Théâtre - Scène Nationale de Narbonne : les 4 et 5 février 2010
Théâtre de Privas - Scène Conventionnée/Scène Rhône-Alpes : les 11 et 12 février 2010
Théâtre Dijon Bourgogne – C.D.N. : du 23 février au 6 mars 2010 (relâche les 28 février et 1er mars)
Théâtre de Sartrouville – C.D.N. : du 11 au 13 mars 2010
Maison de la Culture d’Amiens les 18 et 19 mars 2010
Tout ou partie de ce dossier sont réservés à un usage strictement pédagogique et ne peuvent être
reproduits hors de ce cadre sans le consentement des auteurs et de l’éditeur.
La mise en ligne des dossiers sur d’autres sites que ceux autorisés est strictement interdite.
Théâtre national Marseille La Criée : Laure-Marie Rollin [email protected]
CRDP de l’académie d’Aix-Marseille : Éric Rostand [email protected]
Annexes
Le temps est un songe et De Gaulle en mai ont fait l’objet de dossiers pédagogiques dans la
collection Pièce (dé)montée (nos 34 et 58), édités par le CRDP de l’académie d’Aix-Marseille
avec le Théâtre national Marseille La Criée :
> Le temps est un songe : www.crdp-aix-marseille.fr/spip.php?article247
> De Gaulle en mai : www.crdp-aix-marseille.fr/spip.php?article453
Des dossiers hors collection sont également disponibles sur le site www.crdp-aix-marseille.fr
pour les spectacles Les Caprices de Marianne, Du malheur d’avoir de l’esprit et Retour de guerre,
suivi de Bilora.
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Peines d’amour perdues (vers 1590) est considéré comme sa première pièce originale, suivie de
plusieurs poèmes galants (Vénus et Adonis, Le Viol de Lucrèce). Le poète conquiert l’estime de la
jeune reine Elisabeth Ire qui marque pendant toute sa vie une préférence pour son œuvre.
Il commence sa carrière en reprenant des pièces à sujet historique : Henri VI, également attribué
à Marlowe, Greene ou Peele, puis Richard III (1593), suivis de Richard II (1594), Le Roi Jean
(1595), Henri IV (1597-98), Henri V (1599) et enfin Henri VIII (1612), qui composent son cycle
sur l’histoire de l’Angleterre. L’auteur fait partie, depuis 1594, de la troupe de Lord Hunsdon, qui
devient Troupe du Roi en 1603.
Il compose des pièces inspirées de l’Antiquité : Titus Andronicus (1590), Jules César (1600), Troïlus
et Cressida (1602), Antoine et Cléopâtre (1606), Coriolan (1607) et Timon d’Athènes (1607).
Un autre « groupe » de pièces est celui des tragédies, parmi lesquelles figure en tête Roméo et
Juliette (1595), puis Hamlet (1602), Othello (1604), Le Roi Lear (1606) et Macbeth (1606).
Le groupe des comédies-drames, comédies pures et féeries comporte La Mégère apprivoisée (deux
versions, 1585 et 1597), La Comédie des erreurs (1591), Les Deux Gentilshommes de Vérone (vers
1595), Beaucoup de bruit pour rien (1599), Comme il vous plaira (1559), La Nuit des rois (1602), Les
Joyeuses Commères de Windsor (vers 1599), Tout est bien qui finit bien (1602), Mesure pour mesure
(1604), Le Songe d’une nuit d’été (1594), Le Marchand de Venise (vers 1596), Le Conte d’hiver (1611)
et La Tempête (1611), considérée comme la dernière pièce de l’auteur qui se retire à Stratford, riche
et apaisé, à l’âge de quarante-sept ans, où il meurt en 1616.
Des trente-sept pièces attribuées à Shakespeare, seize seulement furent publiées de son vivant ; la
totalité de son œuvre fut réunie par des amis poètes dans une édition in-folio en 1623. Certains
érudits ont contesté l’existence de Shakespeare, y voyant un prête-nom pour quelque grand
seigneur ou bien attribuant à Bacon la paternité, alors qu’aujourd’hui on croit généralement au
vrai Shakespeare. Cet homme possédait à la fois un don d’observation, un sens poétique, une force
de pensée et un génie dramatique si exceptionnels qu’il a pu produire d’immortels chefs-d’œuvre
encore représentés aujourd’hui partout dans le monde.
Acte II : Viola-Césario tente tant bien que mal de repousser les avances d’Olivia et se désespère
de ne pouvoir être aimée de son maître sous son apparence d’homme. Sur les conseils de Sir Toby
Belch, oncle d'Olivia, Sir Andrew Aguecheek, un piètre prétendant d'Olivia, décide de provoquer en
duel Viola-Césario, décidément trop proche de sa belle. Une autre intrigue se déroule parallèlement.
Elle implique Sir Toby Belch, Sir Andrew Aguecheek, Fabian et Maria, les serviteurs d'Olivia, et le
clown Feste. Les joyeux lurons préparent un guet-apens à Malvolio, l'intendant d'Olivia qui en est
amoureux. Malvolio est très orgueilleux et prétentieux. Maria lui écrit une lettre d'amour qu'elle
signe du nom d'Olivia. Elle demande à Malvolio de toujours sourire lorsqu'il la voit, de porter des
chaussettes jaunes et des jarretières croisées pour lui signifier qu'il a reçu son message.
Actes III : Sir Andrew n'est pas très courageux et regrette de s'être engagé dans ce duel contre
Viola-Césario, qui n'est pas plus encline à se battre. Entre-temps, Sébastien, le jumeau de Viola,
qui a été repêché par les marins du capitaine Antonio, se retrouve en Illyrie.
Malvolio se laisse prendre au piège tendu par Maria et en rajoute lorsqu'il voit Olivia. Croyant qu'elle
a maintenant affaire à un fou, Olivia demande qu'on s'occupe de Malvolio. Sir Toby le fait enfermer
dans une pièce obscure jusqu'à ce qu'il recouvre ses esprits.
Acte IV : Sébastien est pris pour Viola-Césario et est forcé au duel contre Sir Andrew à qui il assène
un coup sur la tête. Pensant qu'il s'agit de Viola-Césario, Olivia lui demande de l'épouser. Surpris,
Sébastien acquiesce immédiatement. Malvolio finit par être libéré par le clown Feste.
Acte V : l’histoire s'éclaircit lorsque les deux jumeaux se retrouvent enfin. Ayant perdu Olivia,
Orsino se retourne vers Viola qui l'aime toujours. Ils décident de se marier. À sa grande déception,
Malvolio découvre le complot à son endroit et apprend qu'Olivia est mariée à Sébastien ; il jure
malédiction à la joyeuse compagnie.
Annexe n˚ 4 : SOURCES
Les Ménechmes, Plaute (vers 215 av J.-C.), traduction de Pierre Grimal, Gallimard, 1971
n° 96 La pièce commence par la présentation de l’argument exposé par le Prologue.
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PROLOGUE : D'abord, salut et félicité à moi, veux pas vous en faire accroire. Ils avaient sept
et à vous, spectateurs ; c'est le premier objet ans, lorsque leur père chargea un grand bateau
de mon message. Ensuite, je vous apporte ici d'une riche cargaison, et prit avec lui un des
Plaute, non pas dans ma main, mais au bout de fils : il s'agissait d'un voyage à Tarente pour son
ma langue ; recevez-le, je vous prie, avec des commerce ; l'autre demeura auprès de la mère, à
oreilles favorables. Maintenant, voici l'analyse la maison. On célébrait des jeux à Tarente quand
de la pièce, faites attention : je la resserrerai ils y arrivèrent ; il y avait, comme toujours
dans le moins de mots possible. Les poètes en pareille circonstance, un grand concours
supposent toujours dans leurs comédies que de monde. L'enfant fut séparé de son père et
l'action se passe à Athènes ; c'est pour que leur s'égara dans la foule ; un marchand épidamnien
ouvrage vous paraisse mieux sentir son grec. qui se trouvait là s'empara de l'enfant et
Moi, je vous dirai sans fiction où l'on assure l'emporta dans son pays. Le père, désespéré
que les faits ont eu lieu. Ainsi donc, le sujet est d'avoir perdu son fils, tomba malade de chagrin,
grécisant, mais non pas atticisant toutefois ; et mourut au bout de quelques jours à Tarente.
il sicilianise. Après cet avis préliminaire, j'en Quand parvint à Syracuse la nouvelle du rapt de
viens à l'exposition des faits. Je ne vous l'enfant et de la mort du père chez les Tarentins,
donnerai pas la pitance par boisseau, par l'aïeul fit prendre au jumeau qui restait le nom
double boisseau ; tout le grenier y passera, de l'autre, tant son petit-fils enlevé lui était
tant j'ai l'humeur libérale en fait de narration. cher ; il nomma le survivant Ménechme, comme
Il y avait à Syracuse un marchand d'un certain l'autre se nommait, et comme il se nommait
âge, auquel deux jumeaux naquirent, d'une si lui-même. J'ai retenu le nom facilement, parce
parfaite ressemblance que leur mère nourrice que j'étais présent quand on appelait l'enfant à
ne les pouvait distinguer, elle qui leur donnait grands cris. Je vous en préviens donc, afin que
le sein, ni même la mère qui leur avait donné vous n'y soyez pas trompés ; les deux frères
le jour. Je le tiens de quelqu'un qui avait vu les portent le même nom.
deux enfants ; moi, je ne les ai pas vus, je ne
ÉGÉON : […] On ne pouvait m’imposer une tâche embrassements de mon épouse. J’étais absent
plus pénible que celle de dire mes indicibles depuis six mois à peine, quand elle-même,
malheurs. Cependant, pour que le monde sache presque défaillante sous la délicieuse peine
bien que je meurs pour le seul crime d’avoir infligée aux femmes, fit ses préparatifs pour
obéi à la nature, je dirai ce que ma douleur me rejoindre, et bientôt arriva saine et sauve
me permettra de dire. Je naquis à Syracuse, et où j’étais. Peu de temps après, elle devint
j’épousai une femme qui eût fait mon bonheur, l’heureuse mère de deux beaux garçons, se
comme moi le sien, sans notre mauvaise étoile. ressemblant à tel point, chose étrange, qu’ils
Je vivais avec elle en joie ; notre fortune ne pouvaient distinguer que par leur nom. À
croissait, grâce à d’heureux voyages que je la même heure et dans la même hôtellerie, une
faisais fréquemment à Epidamnum, quand mon pauvre fut délivrée d’un fardeau pareil, deux
facteur mourut. La nécessité de veiller sur mes garçons parfaitement semblables ; leurs parents
biens restés à l’abandon m’arracha aux doux étant dans une indigence extrême, j’achetai
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ces enfants et les élevai pour les mettre au obéissante au vent nous fît pressentir aucun
service des miens. […] Ma femme insistait malheur tragique ; mais nous ne gardâmes pas
chaque jour pour notre retour à Syracuse, j’y plus longtemps notre espoir ; car bientôt le peu
consentis à regret ; trop tôt, hélas ! Nous de lumière que nous accordait le ciel ne fit que
nous embarquâmes. Partis d’Epidamnum, nous révéler à nos esprits épouvantés l’alarmante
n° 96 avions fait une lieue avant que la mer toujours certitude d’une mort immédiate.
novembre 2009
La Nuit des rois, William Shakespeare, acte I, scène 2, traduction de Jean-Michel Déprats,
Éditions Théâtrales, 1996
Suite au naufrage du vaisseau qui les transportait elle et son frère jumeau, Viola, en deuil de
ce dernier, prend la décision de se travestir en homme avant de s’aventurer plus avant dans
l’inconnu.
VIOLA :
Amis, quel est ce pays ?
LE CAPITAINE :
C’est l’Illyrie, madame.
VIOLA :
Et qu’irais-je faire en Illyrie ?
Mon frère, lui, est au Paradis.
Peut-être que par chance il ne s’est pas noyé : qu’en pensez-vous matelots ?
LE CAPITAINE :
C’est par chance que vous-même avez été sauvée.
[…]
VIOLA :
Pour ces paroles, voici de l’or :
Mon propre salut persuade mon espoir,
Auquel ton récit sert de caution,
Qu’il eut le même sort. Connais-tu ce pays ?
LE CAPITAINE :
Oui, madame, très bien car je suis né et j’ai grandi
À moins de trois heures de route de cet endroit.
VIOLA :
Qui gouverne ici ?
LE CAPITAINE :
Un duc, aussi noble de cœur que de nom.
VIOLA :
Quel est son nom ?
LE CAPITAINE :
Orsino.
VIOLA :
Orsino ! J’ai entendu mon père le nommer.
Il était célibataire alors.
LE CAPITAINE :
Et il l’est toujours, ou l’était encore récemment ;
Car il y a un mois à peine je suis parti d’ici
Et la rumeur toute fraîche était alors
(Vous le savez, de ce que font les grands, les petits bavardent)
Qu’il recherchait l’amour de la belle Olivia.
VIOLA :
Qui est-elle ?
LE CAPITAINE :
Une vierge vertueuse, fille d’un comte
Qui est mort il y a douze mois, l’abandonnant
21
Ils sortent.
Annexe n˚ 5 : DISTRIBUTION
Annexe n˚ 6 : LECTURE
Acte I, scène 2
n° 96 Rescapée d’un naufrage, Viola se retrouve en Illyrie et expose au Capitaine sa résolution de se
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travestir.
VIOLA :
Tu as belle allure, capitaine ;
Et bien que la nature, d’un mur magnifique
Entoure souvent la corruption, de toi pourtant
Je croirais volontiers que ton esprit s’accorde
Avec ta belle apparence extérieure.
Je t’en prie (je te paierai avec munificence)
Cache ce que je suis, et aide-moi à trouver
Le déguisement susceptible de convenir
À la forme de mon projet. Je servirai ce duc ;
Tu me présenteras à lui comme un eunuque.
Tu n’y perdras pas ta peine, car je sais chanter
Et lui jouerai toutes sortes de musique
Qui me prouveront tout à fait digne de son service.
Pour la suite, je m’en remets au temps ;
Modèle seulement ton silence sur mon stratagème.
LE CAPITAINE :
Soyez son eunuque, moi je serai votre muet :
Quand ma langue babillera, que mes yeux ne voient plus jamais.
VIOLA :
Je te remercie, conduis-moi.
Ils sortent.
Acte I, scène 4
Ayant pris l’apparence de Césario, Viola devient le confident du Duc et se voit confier une mission
des plus délicates : intercéder auprès de la « cruelle » Olivia, sa rivale, en faveur de son nouveau
maître Orsino dont elle s’est éprise.
LE DUC :
Cher garçon, crois-le ;
Car c’est mal présenter ton âge heureux
Que de dire que tu es un homme ; la lèvre de Diane
N’est pas plus douce et plus vermeille : ta petite voix flûtée,
Claire et haut perchée, est celle d’une jeune fille
Et tout te prédestine au rôle d’une femme.
Ton astre, je le sais, est favorable
À cette affaire. Que quatre ou cinq d’entre vous l’escortent ;
Tous, si vous le voulez : pour moi je ne me sens jamais mieux
Que lorsque je suis seul. Réussis dans cette entreprise,
Et tu vivras aussi libéralement que ton maître,
Disant que sa fortune est tienne.
VIOLA :
Je ferai de mon mieux
La cour à votre dame : (à part) ô, dur combat, mon âme !
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Acte V, scène 1
Lors d’une ultime scène de reconnaissance, frère et sœur, Césario/Viola et Sébastien, se retrouvent,
incrédules, et révèlent enfin leur identité aux yeux des personnages, tous présent à l’exception du
Capitaine.
n° 96
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ANTONIO :
Êtes-vous Sébastien ?
SÉBASTIEN :
Peux-tu en douter, Antonio ?
ANTONIO :
Comment vous êtes-vous divisé de la sorte ?
Les moitiés d’une pomme coupée en deux ne sont pas plus jumelles
Que ces deux créatures. Lequel est Sébastien ?
OLIVIA :
Quel prodige !
SÉBASTIEN :
Est-ce moi qui suis là ? Je n’eus jamais de frère ;
Et il ne peut y avoir dans ma nature ce don divin
D’être ici et partout. J’avais une sœur,
Que les vagues aveugles de la tempête ont dévorée ;
Par charité, quelle est votre parenté avec moi ?
Quel est votre pays ? Votre nom ? Votre famille ?
VIOLA :
Je suis de Messaline : mon père s’appelait Sébastien ;
Un autre Sébastien était mon frère :
C’est vêtu comme vous qu’il sombra dans sa tombe marine.
Si les esprits peuvent emprunter forme et vêtement,
Vous venez pour nous effrayer.
SÉBASTIEN :
Je suis un esprit, certes,
Mais revêtu de ce corps charnel que j’ai comme les autres
Reçu en sortant du ventre de ma mère.
Si vous étiez une femme, car tout le reste concorde,
Je laisserais mes larmes couler sur votre joue
Et je dirais : « Sois trois fois bienvenue, ô Viola la noyée. »
VIOLA :
Mon père avait un grain de beauté sur le front.
SÉBASTIEN :
Le mien aussi.
VIOLA :
Et il est mort le jour
Où Viola eut treize ans.
SÉBASTIEN :
Oh ! ce souvenir est encore vivant dans mon âme !
Il acheva, c’est vrai, son mortel pèlerinage
Le jour-même où ma sœur eut treize ans.
VIOLA :
Si rien ne s’oppose à notre bonheur commun
Que ce costume masculin par moi usurpé,
Ne m’embrassez pas avant que toutes les circonstances
De lieu, de temps, de hasard ne concourent à prouver
Que je suis bien Viola ; pour vous le confirmer,
Je vous emmènerai dans cette ville voir le capitaine
Chez qui sont déposés mes vêtements de fille ; c’est par son entremise secourable
Que je fus préservée et pus servir ce noble comte :
Tous les événements de ma fortune depuis lors
Se sont partagés entre cette dame et ce seigneur.
24
SÉBASTIEN (à Olivia) :
Et c’est ainsi, madame, que vous vous êtes méprise.
Mais la nature par ce détour n’a fait que suivre sa pente.
Vous vouliez vous unir à une vierge ;
En ce cas, sur ma vie, vous n’êtes pas trompée :
n° 96 Vous êtes fiancée à la fois à un homme et à la virginité.
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LE DUC :
Ne restez pas stupéfaite, son sang est vraiment noble.
S’il en est ainsi, puisque l’illusion semble dire la vérité,
J’aurai ma part de cet heureux naufrage.
(à Viola) Toi mon garçon, ne m’as-tu pas affirmé mille fois
Que jamais tu n’aimerais femme autant que moi ?
VIOLA :
Et toutes ces affirmations, je les jure à nouveau,
Et tous ces serments mon âme les tiendra aussi fidèlement
Que la sphère du soleil garde le feu
Qui sépare la nuit du jour.
LE DUC :
Donne-moi ta main,
Et laisse-moi te voir dans tes habits de femme.
VIOLA :
C’est le capitaine qui m’amena sur ce rivage
Qui détient mes vêtements de jeune fille ;
Il est pour l’instant en prison
À la suite d’une action intentée par Malvolio,
Un gentilhomme de la maison de Madame.
VIOLA :
Dieu te garde, ami, toi et ta musique ! Vis-tu de par ton tambourin ?
LE CLOWN :
Non, monsieur, je vis de par l’église.
VIOLA :
Es-tu homme d’Eglise ?
LE CLOWN :
Nullement, monsieur. Je vis de par l’église car je vis dans ma maison, et ma maison est située de
par l’église.
VIOLA :
Tu pourrais aussi bien dire que le roi couche avec une mendiante, si la mendiante habite près de
chez lui ; ou que le tambourin est l’appui de l’église, si tu appuies ton tambourin contre l’église.
LE CLOWN :
Vous l’avez dit, monsieur. Quelle époque ! Une phrase n’est qu’un gant de chevreau pour un esprit
agile : comme il la retourne vite à l’envers !
VIOLA :
Ça, c’est certain : ceux qui jouent subtilement avec les mots ont vite fait de les dévergonder.
LE CLOWN :
C’est pourquoi j’aurais préféré que ma sœur n’ait pas de nom, monsieur.
VIOLA :
Pourquoi, l’ami ?
LE CLOWN :
Eh bien, monsieur, son nom est un mot, et en jouant avec ce mot on pourrait dévergonder ma sœur.
Mais de fait les mots sont de vraies crapules depuis qu’on ne tient plus sa parole.
VIOLA :
Pour quelle raison, l’ami ?
LE CLOWN :
Ma foi, monsieur, je ne saurai vous en donner une sans des mots, et les mots sont devenus si
trompeurs que je répugne à les utiliser pour raisonner.
VIOLA :
Décidément, tu es un joyeux drille, et tu ne te soucies de rien.
LE CLOWN :
Pas du tout, monsieur, je me soucie de quelque chose ; mais en conscience, monsieur, je ne me
soucie pas de vous : si c’est là ne se soucier de rien, monsieur, j’aimerais que cela suffise à vous
rendre invisible.
VIOLA :
N’es-tu pas le fou de madame Olivia ?
LE CLOWN :
En vérité non, monsieur, madame Olivia n’a pas de folie. Elle n’aura pas de fou chez elle, monsieur,
avant d’être mariée, et les fous sont aux maris ce que les sardines sont aux harengs, des deux,
ce sont les maris les plus grands. Je ne suis pas véritablement son fou, mais son corrupteur de
mots.
VIOLA :
Je t’ai vu dernièrement chez le comte Orsino.
LE CLOWN :
La folie, monsieur, fait le tour de la terre comme le soleil, elle brille partout. Cela m’attristerait,
monsieur, si le fou n’était pas aussi souvent auprès de votre maître qu’auprès de ma maîtresse : je
crois bien avoir vu chez elle Votre Sagesse.
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Annexe n˚ 8 : traductions
Cette chanson vient clore le dénouement alors que le sort des personnages vient d’être fixé :
les principaux protagonistes voient couronner leurs espoirs, à l’exception de Malvolio, qui crie
n° 96 vengeance. Demeuré seul sur scène, Feste entonne la chanson qui suit.
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CLOWN, sings :
But when I was a little tiny boy,
With hey, ho, the wind and the rain :
A foolish thing was but a toy
For the rain it raineth every day.
Différentes traductions
LE CLOWN :
Quand j’étais un tout petit garçon
Avec he avec ho avec le vent et la pluie
La folie alors n’était qu‘amusement
Car il pleut de la pluie tous les jours.
LE CLOWN :
Lorsque j’étais un petit marmouset,
Par le vent, ô gué, par la pluie,
n° 96 Avec des riens je m’amusais
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Car la pluie elle pleut jour et nuit.
b Organiser un débat sur le processus de la traduction, à partir des traductions des élèves et
des trois extraits précédents.
Peut-on, comme le suggère Jean-Michel Déprats ci-dessous, établir un parallèle entre la traduction
et la mise en scène ? Une majorité de metteurs en scène opte pour la traduction de Jean-Michel
Déprats.
Ce dernier insiste sur la nécessité de réactualiser sans cesse les traductions16.
« Chacun se veut fidèle même si les moyens différent. Parce qu’il doit choisir, le traducteur
est le plus souvent contraint à la liberté, à l’invention. »
16. Noter l’existence du C.I.T.L. : Collège Jean-Michel Déprats, « Hamlet et La Nuit des rois », Shakespeare, la scène et ses miroirs,
international des traducteurs littéraires, collection Théâtre aujourd’hui, n° 6, CNDP, 1998.
qui a son siège administratif à Paris et
son siège social à Arles.
Il a pour but de promouvoir
la littérature traduite comme activité
créatrice, et de mettre en relation
les spécialistes et les personnalités
intéressées par la traduction littéraire :
www.atlas-citl.org/
29
Annexe n˚ 10 : REBONDS
De nombreuses adaptations de Shakespeare font partie de la culture des élèves. Elles pourront
s’inscrire dans l’objet d’études sur les réécritures, pour la série L.
n° 96 Les élèves citeront probablement Shakespeare in love de John Madden (dont les dernières scènes
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évoquent la commande par Elisabeth Ire de La Nuit des Rois et la création du personnage de Viola
qui marche sur les rives de l’Illyrie) ou Romeo+Juliet de Baz Luhrmann.
Citer telle ou telle œuvre sera une façon de montrer que l’œuvre de Shakespeare appartient au
patrimoine culturel, sans cesse revisité par un nombre impressionnant d’artistes.
• The Fairy Queen, opéra de Henry Purcell (1692), adaptation du Songe d'une nuit d'été ;
• La Tempête, opéra de Henry Purcell (1695) ;
n° 96 • Les Capulets et les Montaigus, opéra de Vincenzo Bellini, adapté de Roméo et Juliette (1830) ;
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• Le Roi Lear, ouverture d'Hector Berlioz (1831) ;
• Roméo et Juliette, symphonie dramatique d'Hector Berlioz (1839) ;
• Macbeth, opéra de Giuseppe Verdi (1847) ;
• Hamlet, poème symphonique de Franz Liszt (1858) ;
• Béatrice et Bénédict, opéra d'Hector Berlioz, librement adapté de Beaucoup de bruit pour rien (1862) ;
• Roméo et Juliette, opéra de Charles Gounod (1867) ;
• Roméo et Juliette, ouverture fantaisie de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1869) ;
• Ophélie, poème d'Arthur Rimbaud inspiré du personnage d'Ophélie dans Hamlet (1870) ;
• Othello, opéra de Giuseppe Verdi (1887) ;
• Roméo et Juliette, ballet de Sergueï Prokofiev (1935) ;
• Le Roi Lear, musique de scène de Dmitri Chostakovitch (1941) ;
• Le Songe d'une nuit d'été (A Midsummer Night's Dream), opéra de Benjamin Britten (1960) ;
• Macbett, pièce de théâtre d'Eugène Ionesco (Gallimard, 1972) ;
• Lear, opéra d'Aribert Reimann (1978) ;
• Hamlet-machine, pièce de théâtre de Heiner Müller (1979), traduction française aux Éditions de Minuit ;
• Roméo et Juliette, opéra de Pascal Dusapin (1988) ;
• Roméo et Juliette, ballet d’Angelin Preljocaj (1990).
Ariane Mnouchkine : pour la saison 1981-1982, la directrice du Théâtre du Soleil avait envisagé
un temps de monter à la suite six drames historiques de Shakespeare (Richard II, La Nuit des
rois, Henri IV — première et deuxième parties —, Peines d’amour perdues, Henri V), au rythme
d’un tous les deux mois. Ariane Mnouchkine propose une nouvelle traduction. Cependant, ce rêve
restera inachevé : seuls Richard II, La Nuit des rois et Henri IV, première partie, seront montés,
respectivement en 1981, 1982 et 1984, dans un décor unique (plateau clair et nu, à longues raies
noires et grands rideaux de soie
en fond de scène). Les influences
orientales sont sensibles dans les
costumes (tenues de samouraïs
pour Richard II, costumes persans
pour La Nuit des rois) comme dans
la mise en scène, qui s’inspire du nô
et du kathakali. D’une somptueuse
lenteur, plus de quatre heures, La
Nuit des rois de Mnouchkine fait
alterner des scène guignolesques,
des scènes muettes et la musique
de Jean-Jacques Lemêtre : des
percussions étonnantes et des
cordes indiennes.
© MICHèle laurent
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Eric Sanjou (2008, Théâtre Sorano à Toulouse, traduction d’Eric Sanjou) : tout se joue sur un
plateau blanc sur lequel tombe sans fin des flocon de neige, nu et incliné, tel un morceau de
banquise, à la dérive sous la nuit étoilée. Comme dans un conte, le metteur en scène nous entraîne
dans la nuit lumineuse du théâtre. La projection sur ce plateau/écran d'une nappe de « nuages » en
perpétuel mouvement accentue encore cette impression d'infini et de temps suspendu. Le spectacle
s'ouvre sur l'apparition de huit personnages identiques, clones shakespeariens ; cinq d’entre eux
portent des masques. L’ensemble du spectacle s’accompagne de musiques et d’environnement
sonore mais également d’images en vidéo. Dans cette mise en scène, très moderne, le rire côtoie
le cauchemar pour mieux dire « le bonheur et la déchirure d’aimer »
Œuvres picturales
• Lady Macbeth somnambule, d'après Macbeth, par Johann Heinrich Füssli (1825), musée du Louvre ;
• Le Coucher de Desdémone, d'après Othello, par Théodore Chassériau (1849), musée du Louvre ;
• Othello et Desdémone à Venise, d'après Othello, par Théodore Chassériau (1850), musée du Louvre ;
• La Mort d’Ophélie, d’après Hamlet, de John Everett Millais (1852), Tate Gallery ;
• Othello et Desdémone, d'après Othello, par Jules-Robert Auguste, musée du Louvre ;
• Macbeth et les trois sorcières, d'après Macbeth, par Théodore Chassériau (1855), musée d'Orsay ;
• Desdémone ou la Romance du saule, d'après Othello, par Théodore Chassériau (1844), musée du
Louvre ;
• Roméo et Juliette devant la tombe des Capulet, d’après Roméo et Juliette, par Eugène Delacroix
(1855), musée Eugène Delacroix.
Annexe N˚ 11 : entretiens
Comment qualifier La Nuit des rois ? J’ai parlé au décorateur et me suis efforcé
Jean-Louis Benoit – […] La pièce m’a semblé de lui en montrer l’évidence. C’est le moment
d’une grande richesse. Souvent réduite à où une double révélation se produit ; Olivia
l’appellation de « comédie », elle échappe prend conscience de son attirance pour Césario
pourtant à cette simplification. Il y a un et, dans le même temps, Viola découvre le
déséquilibre entre la farce, qui prédomine, et danger que représente cette rivale de toute
l’aspect courtois. La pièce est généralement beauté (elle ne cesse de louer ses charmes).
tirée vers le grotesque, éclipsant les scènes On pourrait croire qu’elle lui fait une véritable
plus subtiles sur la quête d’identité. J’ai voulu déclaration d’amour.
rétablir un équilibre entre la gravité et la farce.
Ces deux aspects doivent aller de paire ; j’ai Dans cette exploration visuelle de la pièce, vous
donné plus de corps aux scènes d’approche avez créé un trio…
entre Viola et Olivia et j’ai davantage fouillé le J.-L. B. – C’est une de mes inventions ; ce sont
personnage d’Orsino. des « valets de scène », à la frontière entre la
fiction et le jeu. Androgynes, les comédiennes
Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce qui les incarnent sont dans un rapport de
projet et quelles en ont été les étapes ? séduction. C’est une référence à la Renaissance
J.-L. B. – Ici, je ne peux parler que de mon qui vient d’un constat pragmatique : il existe
expérience, chaque metteur en scène étant chez Shakespeare des rôles qui n’en sont pas,
assez singulier. Il n’y a ni lois, ni règles. Je Curio et Valerio. La notion de figuration était
suis très visuel. Il nous appartient de « faire du inconnue, tous les techniciens jouaient, d’où
théâtre » à partir d’un texte, l’écriture théâtrale la prolifération de ces personnages qui ont une
doit prendre forme à partir des détails concrets ou deux phrases. La majorité du temps, ils sont
donnés par Shakespeare. Or, ce dernier ne donne coupés. Si on les garde, il faut adapter pour
pratiquement aucune didascalie. Ce sont dans limiter les dépenses. J’ai décidé de les garder
les dialogues que nous avons des indications et j’ai pris trois comédiennes pour traiter le
précises : un personnage dit « Vous rentrez bien thème du travestissement et endosser le rôle
tard » et on comprend que la nuit est tombée. de valets de scène comme c’est le cas dans le
De la même manière, il m’est apparu évident théâtre nô où ils sont serviteurs du spectacle
que tout le premier acte était un acte contraire tout en s’y intégrant. Cette invention connote
à la comédie, qu’il s’agissait d’un acte de deuil : la naïveté du monde de l’enfance. Ils assistent
Orsino, à la scène 1, se meurt d’amour, scène 2, au spectacle et adoptent un regard naïf. On est
une jeune naufragée pleure son frère qu’elle dans un monde d’imagerie et de désir.
pense noyé, scène 3, une comtesse pleure la
mort de son père et de son frère. Pourquoi avoir choisi un comédien, Luc Tremblais,
Ce constat flagrant m’a incité à faire un ajout : pour interpréter Maria et une comédienne,
dans le texte, Olivia demande à Viola de lui Domique Valadié, pour celui de Feste ?
apporter son voile avant de recevoir le jeune J.-L. B. – C’est pour, une fois de plus, rétablir
page d’Orsino. J’ai imaginé que la jeune femme l’équilibre. Je ne voulais pas d’un spectacle
apparaissait voilée. Le suspense est accru et réaliste, je voulais faire évoluer le spectateur
le spectateur va avoir la même envie que Viola à la frontière du réel et de l’irréel. Il fallait
de la dévoiler. On sait qu’au xviie siècle, on quelque chose de poétique et d’une extrême
recouvrait les meubles en signe de deuil et, simplicité avec des tonalités burlesques.
lors de la mort de Shakespeare, certains ont Puisque cette pièce traite du travestissement,
rapporté que tout était voilé. Mon décor a donc deux acteurs se sont imposés à moi : Luc
été entièrement recouvert de noir. La première Tremblais et Dominique Valadié étaient libres.
idée que j’ai eue, il y a un an en relisant cette Luc avait déjà joué dans De Gaulle en mai et
pièce, a été de réaliser une synchronie parfaite j’avais vu Dominique dans le dernier spectacle
entre le dévoilement du décor et celui d’Olivia. d’Alain Françon. Le personnage de ce fou
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inquiétant pourrait paraître accessoire ; il ne vont être fermés, ce sont les Talibans de l’époque,
perturbe pas le drame et, pourtant, le commente qui sèment la terreur. Au sein de la maison
avec son regard décalé, sans doute celui de d’Olivia siègent ces deux corps constitués : le
Shakespeare. Ce rôle demande des qualités bon vivant, « très sexué », truculent, Sir Toby
musicales toutes particulières puisqu’il lui faut et ce personnage sec, blanc, asexué qui étouffe
n° 96 respecter les partitions des deux chansons qu’on un désir latent. Malvolio veut le départ de Feste
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a conservées. Pour les chansons, on a gardé la et de Toby, toutes les parcelles carnavalesques.
musique composée du temps de Shakespeare. Or, il nourrit un secret amour pour Olivia, amour
« La musique est nourriture d’amour » ; C’est qui va donner lieu à une cruauté sans borne. Les
une pièce musicale et toutes les chansons sont farceurs le torturent et l’enferment. Il s’en sort
maintenues. Ces chansons sont essentielles car, de justesse avec la ferme intention de se venger
entonnées par Feste, ce sont des complaintes et il le fera puisque quarante ans plus tard, on
qui parlent de douleur, de mélancolie. fermera les théâtres.
On sent qu’il n’y a pas de dénouement heureux Pour vous montrer à quel point il est important :
comme chez Corneille et Molière. On a beaucoup au xviie siècle, cette pièce a été débaptisée ;
interrogé le travestissement de Viola. Dans le l’amour courtois avait été supprimé et le titre
théâtre, c’est une convention qui est motivée choisi était justement Malvolio. C’était la star
par la volonté de débusquer un amoureux de la pièce.
infidèle ou d’éprouver la vraie nature d’un
homme. On pense à Marivaux. Or dans cette Comment définiriez-vous le travail du metteur
pièce, Viola s’habille en homme de façon très en scène ?
mystérieuse pour servir la comtesse qui vit J.-L. B. – La place du metteur en scène est accrue
une situation identique à la sienne, en deuil depuis le xxe siècle, je me fais une haute idée
de son père et de son frère. En fait, derrière de cette fonction : il est l’homme de toutes les
l’anagramme Viola/Olivia, il y a un jeu de miroir. responsabilités (image, direction d’acteurs…).
Devant l’impossibilité d’un tel projet, elle Il est responsable d’un aspect essentiel, celui
décide de servir d’intermédiaire auprès du Duc du point de vue ou de la vision de la pièce. Ce
d’Orsino. Tout cela n’est pas très convaincant, ne peut être une vision collective, pour moi. J’ai
elle parle de mettre en œuvre un projet mais on toujours eu envie de fédérer autour d’un point
n’en connaît pas vraiment la nature. Une autre de vue. La conception du décor est le lieu où
énigme apparaît en surimpression : elle reste s’inscrit le point de vue. Tout doit converger.
habillée en homme jusqu’à la fin. Par deux fois, Mes lectures de la pièce s’accompagnent de
elle exprime l’impossibilité de revêtir une tenue dessins et, d’emblée, se sont imposés à moi
féminine alors qu’Orsino exige d’elle qu’elle la mer et le lieu clos. Comme le dit Pitoëff,
donne la preuve de sa véritable identité avant « la mise en scène est l’art du dessin ». L’art
de lui déclarer sa flamme. Il idéalisait Olivia, du dessin prend appui sur un cadre en couleurs
c’est par dépit qu’il se tourne vers Viola. dans lequel vous avez une composition à partir
Et Viola est tout aussi inaccessible. Orsino est des personnages, des accessoires et des décors.
amoureux de l’amour. Il est très proche des Voilà ce qu’est l’art scénique.
personnages de Musset.
b Proposer un sujet de dissertation sur le
Parlez-nous du personnage de Malvolio. travail du metteur en scène :
J.-L. B. – Les scènes de Malvolio ont la
réputation d’être les plus comiques du théâtre « Dans Le Théâtre18, Anne Ubersfeld affirme :
shakespearien : celles de la lettre ou des “ Une des caractéristiques les plus étonnantes
jarretières. Tous les acteurs, parmi lesquels du texte théâtral, la moins visible, mais peut-
Laurens Olivier, souhaitent le jouer, c’est le rôle être la plus importante, c’est son caractère
à la fois tragique et satirique. Ce personnage incomplet. ” Pour elle, le texte théâtral est
austère, s’embrasant à la vue d’Olivia, évoque donc un texte “ troué ”, qui exige du metteur
la menace puritaine. Ces gens-là vont régner en scène une interprétation. Vous discuterez
pendant quinze ans avec Cromwell. Tous les ce point de vue, en regard des positions de
amusements vont être supprimés, les théâtres Jean-Louis Benoit dans La Nuit des Rois. »
Quel est votre rapport à Shakespeare ? d’un précieux secours. La robe noire qui me
Ninon Brétecher – Mon premier rapport est maintient totalement et m’empêche de bouger
n° 96 un rapport de spectatrice intimidée par le me permet d’entrer dans le carcan où se réfugie
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souffle de Shakespeare. Avant La Nuit des rois, cette femme. Si je bouge, c’est d’un bloc. Quand
je n’avais jamais joué du Shakespeare et j’avais le corps est contraint, la pensée est forcément
l’impression en tant que comédienne, et cela rigide.
s’est confirmé par la suite, qu’on ne peut jamais L. T. – Ce n’est pas mon premier rôle féminin,
le jouer du bout des doigts. Dès qu’on aborde les à lÉcole nationale supérieure des arts et
choses d’une manière sage, cela ne fonctionne techniques du technique, j’ai eu le privilège
plus, pour aucun des personnages. Le texte de jouer Barbara Cartland avec une belle robe
exige un élan, une jubilation d’avoir à porter, à rose. Cette exploration de l’autre sexe est
jouer des personnages qui vont vite. Cet auteur passionnante, d’autant plus que Maria est une
écrit, en effet, des situations extraordinaires, femme forte. Comme souvent au théâtre, ce
une violence de sentiments incroyable. Tout sont elles qui font l’intrigue. C’est là qu’on voit
est instable. Mon rapport se caractérise donc que les hommes sont un peu passifs. Au début,
par le passage de l’intimidation face à cette j’avais un corset mais je ne pouvais pas respirer.
tempête à une découverte d’un texte qu’il faut Après les essais, on a abandonné et finalement,
mordre, livrer dans son côté charnel, sensuel, sans corset, ça marche. En fait, ce qui me
drôle et souvent paroxystique ; ce qui interdit semble drôle, c’est que j’ai un peu la forme de
la demi-teinte mais comprend la subtilité, ma grand-mère. Inconsciemment, j’ai construit
notamment dans la complexité des rapports le personnage en cherchant dans mon histoire
humains. Shakespeare est donc un ravissement personnelle.
et un étourdissement pour moi.
Luc Tremblais – Pour moi, c’est également neuf, Pour vous, quelle est la nature des relations
c’est un désir, une envie. Shakespeare fait partie entre ces deux personnages, Olivia et Maria ?
des grands, je le range aux côtés de Tchekhov. Quel est le rapport d’intimité ?
Ce sont deux auteurs très différents mais ils N. B. – En fait, chez Shakespeare, il y a des
se rejoignent car ils ont, tous deux, essayé à choses très elliptiques. Souvent, on s’est rendu
des époques différentes de mettre le monde sur compte que certains personnages sont sur scène
scène. Ce n’est un hasard si le théâtre où jouait sans y participer. Maria et Olivia n’ont pas de
Shakespeare s’appelle le Globe. Un autre point scène ensemble. Le rapport hiérarchique n’est
commun est que chacun de leurs personnages pas visible : Maria n’est pas une servante mais
dit la vérité. une suivante.
L. T. – Le personnage de Maria produit du jeu
Pour La Nuit des rois, comment s’est effectuée dans le jeu, elle est la grande ordonnatrice
la distribution ? et metteur en scène. Elle fait jouer des rôles
N. B. – Jean-Louis Benoit a confié le rôle de à Malvolio ainsi qu’au Fou qui devient le
Viola à Nathalie Richard car, au-delà du simple prêtre à l’acte IV. J’ai dû me renseigner sur le
fait qu’elle est une immense actrice, elle peut puritanisme car on sent des rivalités et des
apporter par sa présence et par sa voix, assez tensions entre l’austérité et l’extravagance.
grave, quelque chose de mystérieux qui se prête Il y a plusieurs pièces dans la pièce : il y
parfaitement au caractère trouble de la jeune a du Marivaux, du Musset, un peu de tout,
fille et qui alimente la confusion des genres. Et, sans que ce soit désordonné. Les personnages
comme pendant féminin, il voulait me confier le appartiennent tantôt à la comédie, tantôt à la
personnage de Viola qu’il considérait comme « tragédie. Prenez Orsino, continuellement dans
le feu sous la glace »… faussement sage ! Ce les larmes, contrairement à Maria qui est dans
qui est vraiment jubilatoire, c’est un moment l’action.
qui n’est pas dans le texte écrit, où Olivia
demande à Maria de lui enlever son voile. Dans Quel passage de cette comédie vous a semblé
le texte originel, Olivia n’est pas voilée et Jean- le plus délicat ?
Louis Benoit désirait que paraisse une femme N. B. – La troisième scène avec Viola : elle
en deuil, d’où le motif du voile. Ici, c’est une est courte et pourtant elle est plus difficile à
des réussites des costumes. L’austérité marquée jouer que les deux premières car rien ne répond
par ce voile m’a aidée à suggérer un sentiment à rien. Je commence par dire : « Je n’ai que
qui ne m’est pas familier. Les costumes sont trop parlé devant un cœur de pierre… J’ai trop
36
imprudemment exposé mon honneur, quelque me mettait dans un faux rythme alors que Maria
chose en moi me reproche ma faute ; mais c’est n’a matériellement pas le temps de l’écouter.
une faute si têtue, si puissante qu’elle se moque Elle l’entend. J’ai compris par la suite que Maria
du blâme » (III, 4). Et Viola de rétorquer : « De ne l’écoute pas, elle essaie d’avancer avec lui
même nature que votre passion est la douleur puis, dépitée, l’abandonne. J’ai donc trouvé qu’il
n° 96 de mon maître » (ce qui est toujours logique fallait deux tempos différents pour créer une
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pour un messager) sauf que je lui réponds à cet tension. Ces personnages ne doivent pas sur-
instant : « Tenez, portez ce joyau en souvenir de jouer, ils ne doivent pas s’installer sur scène.
moi, c’est mon portrait. Ne le refusez pas, il n’a Ce qui est déroutant dans ce théâtre, c’est
pas de langue pour vous tourmenter […]» elle l’impression de comprendre et la certitude de
le refuse et je lui dis de revenir le lendemain. En n’avoir pas compris.
fait, on se dit une chose et l’autre répond à côté,
ce qui rend le jeu difficile. Les deux premières Comment décririez-vous le travail avec Jean-
scènes se déroulaient à bâtons rompus, de façon Louis Benoit ?
un peu étourdissante. Dans cette scène, on a N. B. – Ce qui résume sa manière de travailler,
du mal à cerner ce qui se joue tellement il est c’est sa nécessité de voir. Il ponctue chaque
difficile de trouver et l’action et le bon rapport. proposition des comédiens par : « montre-
On a longtemps cherché comment jouer cette moi ». Il aime la surprise, l’inédit, l’excès. Il
troisième scène. mêle sacré et grotesque.
L. T. – La scène avec Feste est délicate, parce L. T. – Il a besoin qu’on arrive neufs et il
qu’en fait nous sommes sur deux rythmes s’amuse avec les éléments mis à sa disposition
différents. Au début, pendant les répétitions (le décor, la présence des comédiens, les
j’écoutais vraiment ce que disait le Fou et cela costumes). L’important, c’est le jeu.
37
Annexe N˚ 12 : CHANSONS
La pièce joue sur une succession de genres musicaux différents faisant alterner : une chanson
savante, des bribes de ballade, un canon. Chaque chanson de Feste donne une tonalité signifiante
n° 96 à la scène.
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• Acte I, scène 1 : il s’agit vraisemblablement d’une chanson d’amour, composée par un célèbre
musicien de l’époque, Thomas Morley. Elle reprend un motif traditionnel, celui de l’amour courtois,
en y associant le thème du carpe diem.
• Acte II, scène 3 : canon commandé par Sir Toby. Cette forme polyphonique, adaptée d’une
ballade larmoyante connue, se veut être la métaphore du désaccord naissant entre les partisans
de la fête perpétuelle, du carnaval, et ceux d’une austérité puritaine qui trouvent une parfaite
incarnation à travers le personnage de Malvolio. Ce canon ou dialogue chanté, qui sonne comme
une débauche musicale, s’inscrit dans la scène de réjouissances et représente le glissement vers la
folie de Sir Andrew et Sir Toby.
• Acte II, scène 4 : parodie « d’une de ces vieilles chansons de toile chantées par les
filandières »19. Il s’agit d’une sorte de mise à distance des sentiments amoureux d’Orsino ; Feste
démasque ainsi l’enfermement narcissique dans lequel se complaît le Duc.
• Acte IV, scène 2 : ballade empruntée à un manuscrit du xvie siècle qui, dans la scène de la
chambre noire, permet à Feste de se faire reconnaître comme étant le clown par Malvolio.
• L’épilogue chanté est hautement significatif : « [il] offre un contrepoint mélancolique et sceptique
à l’optimiste heureux du dénouement. [Cette chanson] rappelle les sept âges de l’homme dans le style
19. Gisèle Venet, La Nuit des rois,
du constat lucide et désabusé déjà établi par Jacques le mélancolique dans Comme il vous plaira. Les
trad. de Jean-Michel Déprats,
Éditions Théâtrales. deux derniers vers de la chanson sont à double sens : la comédie humaine se termine sur le théâtre du
20. Id. monde, ou la pièce La Nuit des rois est finie, à entendre comme il vous plaira ! »20
© brigitte enguerand
38
Entre Malvolio.
MALVOLIO :
Messieurs, êtes-vous fous ? Ou quoi ? N'avez-vous ni bon sens, ni savoir vivre, ni décence, pour
brailler comme des chaudronniers à cette heure-ci de la nuit ? Prenez-vous la maison de Madame
pour un cabaret, que vous veniez glapir vos canons de cordonniers sans modérer ni contenir vos
éclats de voix ? N'y a t-il chez vous aucun respect du lieu, des personnes, de la mesure ?
SIR TOBY :
La mesure, monsieur, nous l'avons respectée dans notre canon. Va te faire pendre !
MALVOLIO :
Sir Toby, je dois vous parler franc. Madame m'a chargé de vous dire, que bien qu'elle vous héberge
en qualité de parent, elle n'est en rien cousine de vos désordres. Si vous pouvez vous séparer de
votre inconduite, vous êtes le bienvenu dans cette maison; sinon, et s'il vous plaît de prendre
congé d'elle, elle est tout à fait prête à vous dire adieu.
SIR TOBY :
(il chante) Adieu, cher coeur, puisqu'il me faut partir.
MARIA :
Allons-donc, cher Sir Toby.
LE CLOWN :
(il chante) Ses yeux montrent que ses jours vont finir.
MALVOLIO :
En est-il ainsi ?
SIR TOBY :
(il chante) Mais je ne mourrai jamais.
LE CLOWN :
(il chante) Sir Toby, là vous mentez.
MALVOLIO :
Voilà qui vous honore grandement.
SIR TOBY :
(il chante) Le prierai-je de partir ?
LE CLOWN :
(il chante) ça, c'est un risque à courir.
SIR TOBY :
(il chante) Le prierai-je de partir sans pitié ?
LE CLOWN :
(il chante) Ô non, non, non, jamais vous n'oseriez.
SIR TOBY :
Sans mesure, monsieur ?
39
Annexe N˚ 13 : DÉCOR
n° 96
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© antoine benoit
© antoine benoit
40
Annexe N˚ 14 : costumes
n° 96
novembre 2009
© antoine benoit
Les déclassés
© antoine benoit
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OLIVIA :
Va le chercher. (Sort Maria) Je suis aussi folle que lui
n° 96 Si folie triste vaut bien joyeuse folie.
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Entre Malvolio (avec Maria).
Eh bien, Malvolio ?
MALVOLIO :
Douce dame, ho, ho !
OLIVIA :
Tu souris ? Je t’ai fait venir pour une affaire triste.
MALVOLIO :
Triste, Madame ? C’est moi qui pourrais m’attrister : ça vous obstrue le sang, ces jarretières
croisées ; mais qu’importe ? Si cela plaît au regard de certaine personne, il en est de moi comme
le dit si justement la ballade : « Plaire à l’une, c’est plaire à toutes. »
OLIVIA :
Eh bien, comment te sens-tu, l’ami ? Qu’est-ce qui t’arrive ?
MALVOLIO :
Pas de noir à mon âme, mais du jaune à mes jambes. Elle est bien parvenue à son destinataire, et
les ordres seront exécutés. Nous avons reconnu, je crois, cette charmante écriture romaine.
OLIVIA :
Veux-tu te mettre au lit, Malvolio ?
MALVOLIO :
Au lit ? Bien sûr, mon cœur, je t’y rejoins.
OLIVIA :
Dieu te protège ! Pourquoi souris-tu ainsi, et pourquoi envoies-tu si souvent des baisers de la
main ?
MARIA :
Comment vous sentez-vous, Malvolio ?
MALVOLIO :
Vous m’interrogez ? Ah, le rossignol répond-il à la bécasse ?
MARIA :
Pourquoi paraissez-vous devant Madame avec cette impudence ridicule ?
MALVOLIO :
« N’aie pas peur de la grandeur » : c’était bien écrit.
OLIVIA :
Qu’entends-tu par là ?
MALVOLIO :
« Certains naissent grands »…
OLIVIA :
Hein ?
MALVOLIO :
« D’autres parviennent à la grandeur »…
OLIVIA :
Que dis-tu ?
MALVOLIO :
« D’autres encore voient la grandeur s’imposer à eux. »
OLIVIA :
Que le Ciel te guérisse !
MALVOLIO :
« Rappelle-toi qui te fit compliment de tes bas jaunes »…
OLIVIA :
Tes bas jaunes ?
MALVOLIO :
« Et souhaita te voir en jarretières croisées »…
OLIVIA :
Jarretières croisées ?
42
MALVOLIO :
« Va, ta fortune est faite, si tel est ton désir »…
OLIVIA :
Ma fortune est faite ?
MALVOLIO :
n° 96 « Sinon, tu resteras toujours un intendant. »
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OLIVIA :
Mais c’est une vraie folie de la Saint-Jean !
Entre un serviteur.
LE SERVITEUR :
Madame, le jeune gentilhomme du comte Orsino est revenu ; je l’ai supplié, mais j’ai eu grand-peine
à le ramener. Il attend le bon plaisir de Votre Seigneurie.
OLIVIA :
Je viens. (sort le serviteur) Ma bonne Maria, qu’on s’occupe de ce personnage. Où est mon oncle
Toby ? Que certains de mes gens veillent spécialement sur lui, je ne voudrais pas, pour la moitié
de ma dot, qu’il lui arrive malheur.
SIR TOBY :
Où est-il, par tous les saints ? Même si tous les diables de l’Enfer s’insinuaient en lui, et qu’il fût
possédé par toutes leurs légions, je lui parlerai.
FABIEN :
Le voici, le voici. Comment ça va, monsieur ? Comment ça va, l’ami ?
MALVOLIO :
Allez, je vous chasse. Laissez-moi jouir de ma solitude. Allez.
MARIA :
Hélas, de quelle voix caverneuse le démon parle en lui ! Ne vous l’avais-je pas dit ? Sir Toby, ma
maîtresse vous prie de veiller sur lui.
MALVOLIO :
(à part) Ah ha ! Elle dit cela ?
SIR TOBY :
Allons, allons, paix, paix, nous devons le traiter avec douceur. Laissez-moi faire. Comment vous
sentez-vous, Malvolio ? Comment ça va ? Voyons l’ami, battez-vous contre le diable ! Dites-vous
que c’est l’ennemi du genre humain.
MALVOLIO :
Savez-vous que ce que vous dites ?
MARIA :
Voyez, quand on dit du mal du diable, comme il prend cela à cœur ! Mon Dieu, pourvu qu’il ne soit
pas ensorcelé !
43
FABIEN :
Il faudra apporter son pipi à la voyante.
MARIA :
Par la Vierge Marie, ce sera fait demain si je suis encore en vie. Ma maîtresse ne voudrait le perdre
à aucun prix.
n° 96 MALVOLIO :
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Qu’est-ce à dire, mademoiselle ?
MARIA :
Oh ! Seigneur !
SIR TOBY :
Je t’en prie, tais-toi donc, ce n’est pas comme cela qu’il faut s’y prendre. Vous ne voyez pas que
vous l’excitez ? Laissez-moi faire tout seul.
FABIEN :
Pas d’autre moyen que la douceur, doucement, doucement : le démon est violent et ne se laissera
pas traiter par la violence.
SIR TOBY :
Eh bien, comment va mon beau coq ? Comment vas-tu, poulétou ?
MALVOLIO :
Monsieur !
SIR TOBY :
Oui, mon poussin, viens avec moi. Voyons, l’ami, ce n’est pas digne d’un homme sérieux de faire
joujou avec Satan. À la potence, le noir démon !
MARIA :
Faites-lui dire ses prières, bon Sir Toby, faites-le prier.
MALVOLIO :
Mes prières, pécore !
MARIA :
Voyez, je vous le dis, il ne veut pas entendre parler de religion.
MALVOLIO :
Allez tous vous pendre : vous êtes des fainéants, des créatures de rien, je ne suis pas de votre
monde… Vous aurez bientôt de mes nouvelles.
Il sort.
© christine Sibran
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Le théâtre au cinéma :
la Comédie-Française
et les captations Pathé Live !
DOSSIER PÉDAGOGIQUE
« Il devrait y avoir une loi selon laquelle tous les spectacles devraient-être filmés.»
Jean-Luc GODARD
1
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
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a captation du spectacle vivant (opéra, certains metteurs en scène de théâtre travaillent de façon
ballet, concert, représentation théâtrale) est privilégiée avec un réalisateur, dont ils apprécient le
une démarche désormais fréquente et de regard et la manière de filmer. Jérôme Deschamps a
plus en plus prisée, en dépit des débats ainsi l’habitude de travailler en toute complicité avec
qu’elle continue de susciter. C’est une Dominique Thiel (Un fil à la patte) comme Patrice Chéreau
entreprise singulière, qui consiste à filmer avait celle de travailler avec Stéphane Metge (Phèdre,
un spectacle un soir de représentation. Parce qu’elle a Dans la solitude des champs de coton).
lieu en présence du public, elle témoigne de la relation
dans l’instant de la scène et de la salle. Les moyens La captation en direct ajoute encore au défi : la réalisation
de diffusion actuels des captations sont le DVD, la du film se fait en même temps que la représentation et
télévision, Internet et le cinéma. est retransmise en live au cinéma. La réalisation a lieu
ainsi en un temps unique, celui de la représentation, sans
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la captation ne repentirs possibles pour le réalisateur. Pour les acteurs, le
repose pas sur une recette définie, un dispositif figé (qui déploiement de ces moyens techniques élargit encore le
consisterait en un plan large frontal avec des caméras public puisqu’ils jouent ce soir-là pour plusieurs milliers de
latérales par exemple), reproductible à l’infini. Au contraire, personnes.
chaque mise en scène, parce qu’elle construit un espace
singulier dans une salle à l’architecture spécifique, du fait Le réalisateur doit également tenir compte de la
du genre de la pièce, des déplacements des acteurs, des diffusion sur grand écran qui n’est pas la même que
lumières, etc. demande d’inventer un dispositif avec des celle pour la télévision.
caméras spécifiques. Le réalisateur assiste aux répétitions,
dialogue avec le metteur en scène, met au point un Face à une captation, le spectateur vit ainsi une expérience
découpage et installe un dispositif de prise de vue et de profondément distincte de celle du spectateur de théâtre.
son dans la salle. Il travaille avec une équipe technique et Dans une salle de cinéma, ce qui s’offre à lui est ce que
artistique (un directeur de la photographie, un ingénieur l’on pourrait appeler avec Antoine Vitez « le spectacle
du son, une scripte, plusieurs cadreurs). La méthode de du théâtre», la mise en scène d’une mise en scène, une
tournage est à chaque fois à trouver, et les choix qui opération de mise en images orchestrée par un regard
sont faits par le réalisateur découlent d’un long travail différent du sien.
de préparation en amont. C’est la raison pour laquelle
© Ya n n Ta c h e r
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Plutôt qu’une contrainte exercée sur le regard s’entrecroiser. Dans ce vaste domaine où se rencontrent
par le cadrage, la captation, quand elle relève d’une théâtre et cinéma (que l’on parle de film de théâtre,
véritable réalisation réfléchie, se révèle être un geste de film théâtral, de transposition, ou plus largement de
qui donne à voir le théâtre, et qui le donne à voir théâtralité au cinéma, sans compter l’utilisation de la
autrement, dans d’autres lieux et pour d’autres publics. vidéo ou l’influence du cinéma dans la mise en scène
Au cinéma, le grand écran induit des effets perceptifs contemporaine) la captation occupe une place singulière.
encore différents (un visage en gros plan acquiert ainsi Si on préfère aujourd’hui l’expression film de théâtre au
des proportions immenses) dont le réalisateur tient mot captation, pour prendre davantage acte du travail
nécessairement compte. de plus en plus soigné des réalisateurs, mais aussi pour
écarter les préjugés négatifs qui sont attachés à celle-
Capter une représentation, c’est donc faire se rencontrer ci, elle doit pourtant être distinguée d’autres manières
un art de l’enregistrement, de la « reproductibilité de transposer la scène à l’écran. Elle diffère en effet
technique » (Walter Benjamin), et un art de l’éphémère, de la recréation (la pièce est jouée par les comédiens
de l’instant unique. Certains jugent ces noces impossibles, de théâtre mais dans un studio ou sur la scène, sans
voient dans cette mise en « conserve » (Marcel Pagnol) que le public ne soit présent), ou bien encore des très
une inévitable perte de l’aura qui émane de la présence nombreuses adaptations cinématographiques tirées de
des acteurs, dans le hic et nunc de la représentation. pièces, pour la télévision (Dom Juan de Marcel Bluwal
D’autres y voient au contraire une alliance fructueuse, qui et la collection «cinéma» de la Comédie-Française),
sert aussi bien la mémoire du théâtre (les captations sont comme pour le cinéma (Herr Tartüff de Murnau d’après
en effet autant d’archives du spectacle vivant, nombreux Molière, Le Château de l’araignée de Kurosawa d’après
sont désormais les théâtres qui, comme la Comédie- Macbeth de Shakespeare et la collection «cinéma» de
Française, font filmer systématiquement leurs pièces) que la Comédie-Française).
sa diffusion et par conséquent sa vitalité.
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- En 1935, Léonce Perret, qui avait déjà réalisé un film sur la vie de Molière (Molière, 1910), installe ses
caméras à l’intérieur du théâtre un soir de représentation. Une soirée à la Comédie-Française est ainsi la première
captation à proprement parler réalisée par le cinéma dans la Salle Richelieu. Sont ainsi filmées quelques scènes des
Précieuses ridicules de Molière et des Deux Couverts de Sacha Guitry, entrecoupées de plans sur le public.
- Les premières expériences de la troupe des Comédiens Français avec la télévision dans les années 1950
ont été pour la plupart des retransmissions en direct des studios de Cognac Jay ou des Buttes Chaumont.
- Dans les années 1960, l’Office de Radiodiffusion-Télévision Française (ORTF) lance un programme de
diffusion du théâtre à la télévision. C’est la naissance de la fameuse émission Au théâtre ce soir (créée par Pierre
Sabbagh et Georges Folgoas) qui diffusera notamment des comédies de boulevard mais également des mises
en scène de la Comédie-Française. Les régies de télévision mobiles permettent désormais de tourner dans la salle
du théâtre et seront ainsi filmées, sur la scène du théâtre Marigny ou de l’Odéon, parfois en présence du public,
des pièces jouées par les Comédiens-Français (Le commissaire est bon enfant de Courteline, dans une mise en
scène de Jean-Paul Roussillon, 1968 ; Un fil à la patte de Feydeau, dans la mise en scène de Jacques Charon,
1970 ; Les Fausses Confidences de Marivaux, dans la mise en scène de Jean Piat, 1971).
- Dans les années 1980, la Comédie-Française se dote d’un département audiovisuel. L’administrateur
général, Jean-Pierre Miquel, encourage, avec la collaboration de Daniel Toscan du Plantier et de France 3, la captation
des pièces de Molière jouées dans sa propre maison, comme la BBC a pu le faire avec Shakespeare : entre 1997
et 2003, 17 films sont réalisés et rassemblés dans un coffret DVD. Elle expérimente déjà, avec la société THR, la
diffusion/vidéo transmission (satellite) de la collection Molière dans les petites et moyennes villes de France.
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- En 1977 a lieu la première retransmission d’un spectacle en direct de la Salle Richelieu sur la chaîne
Antenne 2 et en Eurovision. Il s’agit de Lorenzaccio de Musset mis en scène par Franco Zeffirelli (réalisation Jean-Paul
Carrère). C’est la première d’une série de retransmissions en direct.
Ainsi la Comédie-Française est au carrefour de la relation théâtre cinéma : avec Pathé Live le cinéma reproduit
la représentation théâtrale, avec les films originaux les réalisateurs évoquent le théâtre
avec les moyens du cinéma.
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vient devant
292 Célimène P Poitrine
297 -----
299 --------------------
338 Alceste PA 302 Célimène + Alceste (de dos) P Taille
Prio Elle
se lève sec, va au centre 305 Célimène + Phil P Taille
Prio elle, il sort DC
343 ------
Prio Célimène va à Jar
324 Célimène P Poitrine
326 ----
328 -----------
VITE
332 La Table
Page 4 CAMERA 4 1ère Partie Page 4 CAMERA 5 1ère Partie Page 4 CAMERA 6 1ère Partie
N°PLAN DESCRIPTION N°PLAN DESCRIPTION N°PLAN DESCRIPTION
280 Alceste PA- 280 VITE 281 Célimène P Taille
Ad Lib Piano à Bord Décor Cour Top Pano Cour sur Alceste
VITE + Ad Lib il recule, Eliante entre Bas DC
282 La Table 286 Alceste + Clit PA pars avec elle à Jar
ça rentre Célimène entre GC récupère Célimène
290 Table + Piano suis Célimène et Clit à jar 287 Alceste + Basque P Taille
ça rentre Prio Clit, il continu prio Alceste
300 Célimène + Clit PA (Alceste de dos) 289 Alceste P Taille
+ Ad Lib 296 Acaste P Poitrine 295 Table sans air
[302] 301 Eliante P Poitrine
Clit P Poitrine 306 Eliante P Taille
[304] 307 Eliante à Piano ++
ça sort 310 Alceste P Taille, suis avance
309 Piano à Clit assis à Cour
316 Célimène P Pie
suis cour 331 Célimène P Taille
330 Phil P Poitrine
327 1/3 Scène Cour
Alceste (escalier) à Clit devant 336 Alceste + Phil P Pied 345 Clit à Alceste au + serré
329 ----- suis à jar suis-les avant cour
VITE 342 Célimène P Poitrine Bordel Bagarre
333 Alceste P Poitrine 347 -----suis à jar, s’assoit à la table
340 Acaste + Célimène + Clit 355 Clit +Eliante P Taille
P Taille Elle se lève, suis-la à cour 365 Basque P Taille
Acaste entre GC
369 Célimène P Poitrine
Fragment du découpage de la scène des portraits du Misanthrope, mis en scène par Clément
et croise Hervieu-Léger, filmé par Don Kent. Document de travail du 31 janvier 2017
Pour préparer le tournage du direct, le réalisateur se rend plusieurs fois en répétitions, discute
avec le metteur en scène. Il dispose le plus souvent d’un enregistrement de la pièce en plan large qu’il
visionne en prenant des notes. Il élabore avec la scripte un découpage qui sera ensuite distribué aux
cadreurs. Le découpage indique l’ordre des plans et pour chaque plan le numéro de la caméra, la
valeur du plan, les dialogues.
Le directeur de la photographie règle de son côté les lumières en fonction des caméras. Le directeur
du son choisit les micros (salle ou HF).
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2. En amont du direct :
Deux jours avant le tournage, un premier essai de captation est tourné en public : il est comme
une répétition générale de la captation en direct. C’est une étape essentielle qui permet de faire les
derniers réglages en fonction des déplacements des comédiens, de leur regard, de leur voix, etc.
Les focales utilisées pour la captation de Roméo et Juliette : 8 caméras HD disposées en arc de cercle autour de la scène à l’orchestre.
3. Le soir de la représentation :
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Le soir du direct, c’est une équipe de 30 personnes qui travaille à la réalisation du film. Toutes les caméras
sont réliées entre elles et les différentes images arrivent sur l’écran de la régie où se fait le montage en direct. La
scripte, qui est aux côtés du réalisateur dans le camion régie, suit le découpage et le montage. Elle donne des
indications aux cadreurs par oreillette. À ses côtés encore, un « topeur » dont le rôle est de suivre le texte et de
rappeler les phrases qui doivent être impérativement in*. Le lien est établi entre la salle et la régie par le biais de
l’assistant réalisateur qui relaye les informations du plateau au car régie.
C’est dans le car régie que se font en direct les opérations de post-production : les ingénieurs vision étalonnent les
images pour harmoniser la lumière et les couleurs, un opérateur synthétiseur réalise le générique.
La pièce, jouée sur la scène de la Salle Richelieu de la Comédie-Française à Paris est retransmise dans 300 salles
de cinéma à travers la France.
*cf. lexique
Le film réalisé en direct dans le car régie est retransmis dans 300 salles de cinéma du réseau Pathé.
Antenne
Double flux
de 1.5 m
AUDIO 5.1
CÂBLAGE HDSDI
OU
STREAMING
AUDIO ÉCRAN
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Lexique :
- caméra HD : caméra qui enregistre des images
vidéo haute définition.
- courte focale/longue focale : un objectif à courte
distance focale ouvre un grand angle de champ,
il est privilégié pour les plans larges et offre une
grande profondeur de champ. Avec un objectif
à longue focale, l’angle de champ est réduit, les
objets éloignés apparaissent plus grands dans
l’image. Le zoom est un objectif à focale variable.
- découpage : document élaboré pendant la
préparation du tournage et distribué à l’équipe
technique. Il indique sous forme de tableau l’ordre
des plans, les axes de prise de vue, les valeurs de
plan, les dialogues. Il peut comporter pour un film
de fiction, des indications concernant la lumière, les
décors, la musique.
- échelle des plans : elle est relative à la taille des acteurs et des objets dans l’image. Du cadrage le plus large
au plus serré, on distingue notamment le plan général, le plan d’ensemble (ensemble du décor), le plan moyen
(personnage en pied), plan américain (personnage cadré au-dessus du genou), plan rapproché (taille ou poitrine),
gros plan/insert pour les objets, très gros plan.
- in/hors-champ : un son est dit in lorsque sa source est visible dans l’image, hors-champ lorsqu’elle se situe au-delà
des limites du cadre. Les sons qui proviennent d’un autre espace que le champ et le hors-champ sont dits off, lorsqu’il
s’agit d’une voix, on parle de voix over.
- micro HF : micro relié à un émetteur dont le signal haute fréquence est transmis à une base. Il est donc sans fil et
libère les déplacements.
- mouvements d’appareil : on distingue les panoramiques (rotation de la caméra sur son axe vertical ou horizontal)
des travellings (déplacement de la caméra)
- scripte : aux côtés du réalisateur, la scripte veille à assurer la continuité entre les plans et le bon suivi du découpage.
Elle joue un rôle essentiel au cours du montage du film pour la réalisation des raccords.
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Témoignages de réalisateurs :
Don Kent : « Il y a plusieurs façons pour un réalisateur de travailler avec un metteur
en scène de théâtre. Le travail d’un réalisateur sur un spectacle vivant, c’est un peu
comme le travail d’un traducteur. Le théâtre et la télévision ou le cinéma sont deux
façons de s’exprimer très différentes. Le théâtre existe dans l’espace. Quand on est
dans le public, au théâtre, on fait soi-même son découpage, on regarde la pièce et
puis l’œil peut aller chercher un détail, aller à jardin ou à cour, tandis que la télévision
existe dans le temps, un moment suit un moment, qui suit un autre moment. Le langage
de la télévision, comme le langage du cinéma est temporel. Je dois faire des choix.
Je ne peux pas laisser un plan large pendant 2h30 à la télévision. Il y a forcément
un regard, celui du réalisateur, la façon dont il va utiliser le langage audiovisuel (les
grosseurs de plan, les mouvements d’appareil). Il y a nécessairement une part de
subjectivité dans ces choix. Néanmoins, le réalisateur travaille sur une matière qui est
la mise en scène. Pour pouvoir interpréter, traduire, il faut d’abord connaître l’œuvre, et
il faut surtout connaître les intentions du metteur en scène. J’assiste donc aux répétitions
pour les comprendre, à travers ce que le metteur en scène dit aux acteurs. Et comme
c’est du spectacle vivant, rien n’est figé, il y a des modifications, à chaque répétition. »
Dominique Thiel : « J’ai travaillé pour la première fois avec Denis Podalydès sur Cyrano,
c’était une pièce très compliquée à filmer, notamment dans les trente premières minutes,
parce que c’est une pièce très chorale, il y a beaucoup de monde sur scène, une
profusion de détails, et il y avait la difficulté de l’écran sur scène. Pour Les Fourberies de
Scapin, c’est un peu plus simple. La préparation est un long travail que je fais d’abord
seul, puis avec mon équipe. J’établis un découpage, tous les plans sont numérotés,
prévus à l’avance, ce qui n’empêche pas des changements le soir du direct. Je fais un
premier tournage puis j’ai une journée pour retravailler avec mes scripts et mes cadreurs
et discuter avec Denis Podalydès. À chaque fois que je filme un spectacle vivant, j’ai
une relation d’échange avec le metteur en scène. Mon métier c’est d’apporter des
propositions mais de respecter le travail et de rester fidèle à la mise en scène. […]
Mon idée c’est d’être toujours au plus près des acteurs, pour sentir ces petites choses
que Denis Podalydès a distillées dans sa direction d’acteurs, qui sont en vérité tout son
travail. Et il retrouve tout son travail dans l’approche filmique que j’ai. En filmant, je
peux donner au spectateur cette dimension supplémentaire qu’est la proximité. »
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seulement parce que c’est Molière et que cela a été écrit au XVIIe siècle et que Le
Misanthrope est une des pièces les plus jouées dans le monde, ce n’est pas que
cela… C’est simplement que c’est une pièce qui nous parle de nous, qui nous aide
à grandir, et plus nombreux seront les gens qui la verront et mieux ce sera. »
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« L’acteur que vous voyez sur l’écran ne joue pas, il a joué. [...] Ce qui fait la beauté du théâtre, c’est qu’aucune
représentation n’est comparable à celle de la veille. Lorsque l’on frappe trois coups, il y a toujours un aléa. »
Sacha Guitry « Pour le théâtre et contre le cinéma » (1933), repris in A. Bernard et C. Gauteur, Sacha Guitry.
Le Cinéma et moi, Paris, Ramsay, 1977
« Les acteurs de cinéma, écrit Pirandello, se sentent comme en exil. En exil non seulement de la scène, mais encore
d’eux-mêmes. Ils remarquent confusément, avec une sensation de dépit, d’indéfinissable vide et même de faillite, que
leur corps est presque subtilisé, supprimé, privé de sa réalité, de sa vie, de sa voix, du bruit qu’il produit en se remuant,
pour devenir une image muette qui tremble un instant sur l’écran et disparaît en silence. [...] La petite machine jouera
devant le public avec leurs ombres ; eux, ils doivent se contenter de jouer devant elle. » On peut aussi caractériser cet
état de fait de la manière suivante : pour la première fois – et c’est là l’œuvre du cinéma – l’homme est placé dans la
situation de devoir agir, certes en mobilisant toute sa personne vivante mais en renonçant à l’aura propre de celle-ci.
Car l’aura est liée à l’ici et maintenant de l’homme. Il n’en existe pas de reproduction. L’aura qui entoure Macbeth sur
la scène ne peut être déliée de celle qui, pour le spectacle vivant, entoure le comédien qui joue Macbeth. Mais la
prise de vues en studio a la particularité de mettre l’appareil à la place du public. De ce fait, l’aura qui entoure l’acteur
disparaît nécessairement – et en même temps celle qui entoure le personnage. »
Walter Benjamin L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, 1936, in Sur l’art et la photographie,
traduction Christophe Jouanlanne, Paris, Éditions Carré, 1997
Le leitmotiv des contempteurs du théâtre filmé, leur argument ultime et apparemment inexpugnable reste le plaisir
irremplaçable qui s’attache à la présence physique de l’acteur. [...] S’il est vrai qu’ici réside l’essence du phénomène
théâtral, le cinéma ne saurait donc en aucune mesure y prétendre. Si l’écriture, le style, la construction dramatique sont,
comme ils doivent l’être, rigoureusement conçus pour recevoir âme et existence de l’acteur en chair et en os, l’entreprise
est radicalement vaine, qui substitue à l’homme son reflet ou son ombre. L’argument est irréfutable. [...]
Une première série de remarques s’imposerait d’abord quant au contenu du concept de « présence », car il semble
que ce soit cette notion, telle qu’elle pouvait être entendue avant l’apparition de la photographie, que le cinéma vient
précisément mettre en cause.
L’image photographique – et singulièrement cinématographique – peut-elle être assimilée aux autres images et, comme
elles, distinguées de l’existence de l’objet ? La présence se définit naturellement par rapport au temps et à l’espace.
« Être en présence » de quelqu’un, c’est reconnaître qu’il est notre contemporain et constater qu’il se tient dans
la zone d’accès naturelle de nos sens (soit, ici, de la vue et, à la radio, de l’ouïe). Jusqu’à l’apparition de la
photographie puis du cinéma, les arts plastiques, surtout dans le portrait, étaient les intermédiaires possibles
entre la présence concrète et l’absence. La justification en était la ressemblance, qui excite l’imagination et aide
la mémoire. Mais la photographie est tout autre chose. Non point l’image d’un objet ou d’un être mais plus
précisément sa trace. Sa genèse automatique la distingue radicalement des autres techniques de reproduction.
Le photographe procède, par l’intermédiaire de l’objectif, à une véritable prise d’empreinte lumineuse, à un
moulage. Comme tel, il emporte avec lui plus que la ressemblance, une sorte d’identité [...]. Mais la photographie
est une technique infirme dans la mesure où son instantanéité l’oblige à ne saisir le temps qu’en coupe. Le cinéma
réalise l’étrange paradoxe de se mouler sur le temps de l’objet et de prendre par surcroît l’empreinte de sa durée.
André Bazin « Théâtre et cinéma », 1951, in Qu’est-ce que le cinéma ? , Paris, Éditions du Cerf, 2010
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Mémoire filmée du théâtre, ou cinéma du théâtre, ou archive, ou traduction. Les définitions ne manquent pas pour
qualifier cette opération qui consiste à capter l’espace à volonté du théâtre afin de le faire entrer dans l’espace choisi
du cinéma. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : d’espace.
[...] Et c’est là que le travail de Hugo Santiago sur Électre fut original et nouveau — je n’avais, à vrai dire, jamais rien
vu de semblable. Ce n’est pas assez de dire que Santiago est entré à l’intérieur de l’image théâtrale, car c’est ainsi
que procède tous les jours (ou presque) la caméra. Dans toutes les tentatives que je connais de mariage du théâtre
avec le cinéma, la caméra fouille la scène, qui est un lieu peu profond (on ne dit jamais assez que la scène de théâtre,
si grand que soit le théâtre, est un lieu étroit, et surtout que son horizon est bien peu lointain : le mur du fond est là,
toujours), et, ce faisant, elle la détruit, la rend incompréhensible. Que devient un visage saisi en gros et comme de tout
près par l’œil du zoom, si je ne sais pas en même temps où est ce visage, en face de quel autre, et pourquoi cet air
renfrogné ou rieur ? C’est la simultanéité qui fait le théâtre.
En s’attaquant à son tour à cette quadrature du cercle, Hugo Santiago a choisi de suivre les lignes de la mise en scène
théâtrale ; la caméra ne regarde pas le spectacle, elle l’accompagne. Il fallut un long travail préalable comme pour
examiner le tracé au sol des pas de chaque personnage, les axes des regards, la direction des nez et des mains.
Cela composa une avare série de plans très longs qui déploient le mouvement comme ces livres pour les enfants qu’on
déplie en les ouvrant. Ainsi le film reste discret à côté du théâtre, il ne se substitue pas à lui, ne viole pas l’intimité des
acteurs. Et c’est comme cela qu’il trouve sa vérité.
Il est le cinéma de cet événement-là : un spectacle de théâtre ; et en le racontant il raconte l’histoire même que racontait
notre spectacle, et le vieux poème. À travers tous ces filtres (un poème, dans une langue ancienne, traduit en français
d’aujourd’hui, joué dans la Grèce actuelle, sur une scène, à Paris, et porté enfin sur un film) : le formidable fait divers
mythologique apparaît, le visage rayonnant d‘Electre survit — celui de la femme qui résistait contre tout espoir — , et
on entend le texte de la tragédie.
Antoine Vitez Dossier de presse d’Électre filmé par Hugo Santiago, 1987, Archives Antoine Vitez, lMEC
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BIBLIOGRAPHIE
SITOGRAPHIE
FILMOGRAPHIE
Fables de La Fontaine, mise en scène de Robert Wilson, réalisation Don Kent, 2005. DVD
Comédie-Française.
Le Dindon de Georges Feydeau, mise en scène Lukas Hemleb, réalisation Don Kent, 2003.
DVD Comédie-Française.
Un fil à la patte de Georges Feydeau, mise en scène Jérôme Deschamps, réalisation Dominique
Thiel, 2011.
DVD Comédie-Française.
L’Illusion comique, réalisation Mathieu Amalric, 2010.
DVD Comédie-Française.
Molière, la collection, coffret 17 DVD, mises en scène de 1973 à 2003. DVD Comédie-Française.
L’École des femmes, mise en scène de Didier Bezace, réalisation de Don Kent, 2001.
Arte DVD.
RÉDACTRICE DU DOSSIER
Laurence Cousteix, professeure de cinéma en classes préparatoires littéraires (Lycée Léon Blum, Créteil) en collaboration
avec les équipes de la Comédie-Française.
AVEC LE SOUTIEN DE :
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