La Nuit Des Rois Dossier Pedagogique-20180915-172328

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 58

Pièce (dé)montée

Les dossiers pédagogiques « Théâtre » et « Arts du cirque » du réseau SCÉRÉN en partenariat


avec le Théâtre National Marseille La Criée. Une collection coordonnée par le CRDP de l’académie de Paris.

n°  96
novembre 2009
La Nuit des rois
Texte de William Shakespeare
Avant de voir le spectacle :
la représentation en appétit !
Résumé [page 2]

Sources [page 2]

Le titre [page 3]

Les personnages [page 3]

Lectures [page 5]

Le personnage de Feste [page 6]


Mise en scène
de Jean-Louis Benoit Les défis
de la représentation [page 7]
Créé du 20 au 29 novembre 2009
au Théâtre national Marseille La Criée Après la représentation :
© brigitte enguerand
pistes de travail
Dispositif
scénographique [page 9]
Édito  Musique [page 10]
Considérée comme la dernière comédie de Shakespeare, La Nuit des rois célèbre Travestissement [page 12]
l’ambiguïté et nous invite à nous défier des apparences trompeuses : jeux de
doubles, travestissement, androgynie et question d’identités sont au cœur du Malvolio ou la mise
spectacle. en abîme [page 13]
Comme souvent chez Shakespeare, les genres se mêlent : aux quiproquos et aux Annexes
rebondissements répondent des moments plus poétiques. C’est l’un des enjeux
auxquels se confronte Jean-Louis Benoit à la suite de nombreux metteurs en scène,
Portrait de J.-L. Benoit [page 16]
dont Jacques Copeau en 1914 ou Ariane Mnouchkine en 1982. Portrait de
Le metteur en scène indique que le spectacle sera « musical, chanté et dansé... William Shakespeare [page 17]
Que les décors nous feront rapidement aller du bord de la mer aux salons austères Résumé détaillé [page 18]
d’Olivia et d’Orsino. Qu’il y aura un piano, des rideaux très légers, visibles et
invisibles, des personnages en costumes du xviie siècle, en conversation basse, Sources [page 19]
feutrée, et d’autres vociférant des obscénités, un bouffon fugueur, vieilli et fatigué
Distribution [page 21]
d’être encore là, et un homme sombre en perruque au pouvoir menaçant qui est au
centre d’une des scènes les plus drôles du théâtre de Shakespeare : Malvolio. » Lecture [page 22]
À travers des pistes pédagogiques et de riches références, ce dossier pédagogique Le personnage du clown [page 25]
entend répondre à différents thèmes abordés par les enseignants : étude des genres
et des registres (2nde), texte et représentation (1ère), connaissance des grands Traductions [page 26]
modèles littéraires européens et sensibilisation au travail de traduction (Tle L),
Note d'intention
enfin, d’une manière générale, connaissance d’une grande œuvre du patrimoine de Jean-Louis Benoit [page 29]
(culture humaniste du socle commun au collège).
Il est rédigé par Anne Faurie-Herbert et Corine Robet, enseignantes de Lettres, et édité Rebonds [page 30]
par le CRDP de l’académie d’Aix-Marseille, avec le Théâtre national Marseille La Criée. Entretiens [page 33]
Le texte La Nuit des rois, traduit par Jean-Michel Déprats, est édité aux Éditions
Chansons [page 37]
Théâtrales (1996).
Décor [page 39]
Retrouvez l’ensemble des dossiers « Pièce (dé)montée » sur les sites :
4CRDP de l’académie de Paris http://crdp.ac-paris.fr Costumes [page 40]

4CRDP de l’académie d’Aix-Marseille http://www.crdp-aix-marseille.fr Malvolio [page 41]


2

Avant de voir le spectacle 

La représentation en appétit !
n° 96
novembre 2009
Résumé

Un bateau fait naufrage. Rescapée, une jeune à ceux de son frère Sébastien, mais c’est d’Orsino,
femme, Viola, sort de la mer. Elle découvre alors un prince amoureux de la comtesse, qu’elle sera
un pays qu’elle ne connaît pas et qui n’a rien le page et messager de son amour auprès d’Olivia.
de merveilleux : l’Illyrie1. Son frère jumeau, Bien vite, Viola, qui se fait nommer Césario, aime
Sébastien, a, lui, été englouti par les flots. Elle son maître Orsino... Malentendus, quiproquos,
apprend qu’une comtesse des lieux, Olivia, porte, méprises s’ensuivent nécessairement.
elle aussi, le deuil d’un frère aimé. Elle veut entrer Un résumé détaillé est proposé en annexe n° 3.
à son service, revêt des habits d’homme semblables

sources

Les sources probables de Shakespeare sont Les Ménechmes de Plaute (vers 215 avant J.-C.) et surtout
une comédie italienne jouée à Sienne en 1531 dont le titre, Inganni (« Les Erreurs »), n’est pas sans
rappeler une autre comédie de Shakespeare, La Comédie des erreurs. L’auteur d’Inganni est demeuré
anonyme mais sa pièce a été réécrite par deux Italiens, Nicolo Secchi à Florence (impression en 1562)
et Curzio Gonzaga à Venise (1592).

b Lire les extraits des Ménechmes et de Shakespeare reprend certains thèmes mais opte
La Comédie des erreurs (cf. annexe n° 4). pour des jumeaux hétérozygotes, c’est-à-dire
Identifier les éléments repris par Shakespeare des faux jumeaux. En outre, il enrichit l’intrigue
dans La Nuit des rois et en observer les principale d’une intrigue secondaire : farce ourdie
variantes : quels effets produisent ces par Maria qui fait croire à Malvolio, l’intendant
reprises et variations ? secrètement amoureux de sa maîtresse Olivia,
que cette dernière lui a écrit un billet doux.

1.L'Illyrie est un royaume des côtes


de la rive orientale de l'Adriatique,
correspondant à peu près à l'ouest de
la Croatie, de la Slovénie et de l'Albanie
actuelles. Déjà cité dans
Les Métamorphoses d’Ovide, ce pays
a une connotation imaginaire. Répétition © antoine benoit
3

le titre

b Partir de ce que le titre La Nuit des rois dans toute l’Europe d’alors de manifestations
évoque pour les élèves. de joie collective, de “masques et mascarades”
n° 96 Le titre engendre une polysémie : s’agit-il, au et de représentations théâtrales. Il s’agit d’un
novembre 2009
sens propre, d’une intrigue se déroulant la nuit, héritage sans doute des traditions festives des
durant laquelle de vrais rois, couronne sur la “Douze Nuits”, propres aux calendriers celte et
tête, évoluent, ou bien faut-il comprendre, au germanique et de la tradition romaine antique
sens métaphorique : la fin des rois ? des Saturnales ou Calendes de janvier. Nombre
de pièces de théâtre aux titres et aux sujets
b Interroger le titre anglais Twelfth Night. les plus divers furent créées pour ces fêtes de
Comme l’explique Gisèle Venet2, le titre anglais Noël et la comédie La Nuit des rois a été jouée
Twelfth Night, « La Douzième Nuit », (suivi à la cour d’Élisabeth Ire un soir de “douzième
du sous-titre What you will, « Ce que vous nuit”, le 6 janvier 1601, date de sa première
voudrez ») fait référence à « la douzième des représentation.3» Cependant, Gisèle Venet
“nuits de Noël” dont la première est, bien sûr, réfute toute corrélation entre la pièce et la
le 25 décembre. Cette date correspond dans le célébration de l’Épiphanie. Elle l’inscrit bien plus
calendrier au 6 janvier, fête de l’Épiphanie, qui dans l’univers de l’illusion et de la mascarade,
commémore la venue des rois mages conduits le cœur de la pièce étant la subversion des
dans la nuit par une étoile vers l’enfant nouveau- apparences et du langage. L’intrigue repose sur
né, Jésus ; d’où l’allusion dans le titre habituel les malentendus et la révélation d’une identité à
en français à “la nuit des rois”. Ces douze nuits reconquérir : grâce à son travestissement, Viola
de la tradition chrétienne s’accompagnaient finit par trouver l’amour.

Vidéo n°1 sur le site du Théâtre national Marseille La Criée :


Jean-Louis Benoit à propos du titre La Nuit des rois (1’59)
www.theatre-lacriee.com/spectacles/la-nuit-des-rois-creation

Une interprétation du sous-titre « Ce que des maîtres, les étudiants avaient le droit de
vous voudrez » vient d’être avancée dans une leur poser les questions selon leur gré. Le sujet
étude récente4 : selon la tradition scolastique, pouvait être « n'importe quoi » : de quolibet
la discussion dialectique (la disputatio) était ad voluntatem cuiiuslibet. On appelait ces
un des moyens de la recherche universitaire. questions-là les quaestiones quodlibetales, du
Pour la fête des rois, l’Épiphanie, les étudiants latin quodlibet, « ce qui te plaît ». Autrement
avaient le droit de bouleverser l'ordre établi dit, en anglais, what you will. Le sous-titre
de la disputatio et une disputatio de quolibet aurait donc un sens dans la tradition scolastique
avait lieu. Au lieu de recevoir l'enseignement de l’Épiphanie.

les personnages

Les activités qui suivent permettront d’entrer mise en scène et décuple les quiproquos, nous
plus en avant dans l’intrigue proprement entraînant dans l’univers baroque de Shakespeare.
shakespearienne, « construite sur le principe Lors de la création de la pièce, il existait un degré
de l’insatisfaction qui, par degrés, permet la supplémentaire de travestissement qui jouait
connaissance de soi à travers les épreuves encore davantage sur un érotisme ambigu : en
2. La Nuit des rois, annotée par Gisèle successives : amour, feinte de l’amour, parodie effet, il était interdit aux femmes de monter sur
Venet, Éditions Théâtrales, 1996. ou caricature de l’amour ».5 scène et tous les personnages féminins étaient
3. La Nuit des rois a été publiée en folio À l’intrigue principale se mêle une intrigue interprétés par de jeunes acteurs. Le rôle de Viola
pour la première fois en 1623. secondaire, qui se déroule parallèlement à la était tenu par un jeune homme, jouant le rôle
4. Liam Dunne,
thèse à paraître en Angleterre.
première (cf. résumé détaillé en annexe n° 3). d’une demoiselle habillé en garçon qui soupire
5. Henri Fluchère, Deux « bandes » se croisent donc dans cette pièce : d’amour pour Orsino.
Twelfth Night, Ellipses, 1995. les farceurs et les amoureux, ce qui complique la
4

Pour des précisions sur le théâtre baroque élisabéthain, se reporter :

– au dossier Pièce (dé)montée n° 25, consacré au Roi Lear, mis en scène par Jean-François Sivadier
au Festival d’Avignon en 2007 :
n° 96 http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/piece/index.php?id=le-roi-lear
novembre 2009

– à l’émission de France Culture Les Nouveaux Chemins de la connaissance du 08/09/09,


consacré aux comédies de Shakespeare :
http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/chemins/

b À partir du résumé détaillé et de la liste des – Antonio, autre capitaine de vaisseau, ami de
personnages (cf. annexes nos 3 et 5), repérer Sébastien ;
les personnages qui appartiennent à l’univers – Olivia, comtesse.
de la comédie romanesque, c'est-à-dire les • Les farceurs
personnages de l’intrigue des amoureux, et – Sir Toby Belch (belch signifiant « rot » en
ceux qui appartiennent à l’univers burlesque, anglais) ;
à l’intrigue des farceurs6. – Sir Andrew Aguecheek, « joue fiévreuse »
• Les amoureux (l’expression est dans le texte), compagnon de
– Orsino, duc d’Illyrie ; Sir Toby ;
– Valentin et Curio, gentilhommes de la suite – Malvolio, intendant d’Olivia ;
du Duc ; – le clown (Feste), bouffon d’Olivia ;
6. Le registre burlesque – premier et second officiers ; – Maria, dont on pourra faire remarquer que
(de l'italien burlesco, venant de – Viola, travestie par la suite sous le nom de ce rôle féminin sera joué par un homme,
burla, « farce, plaisanterie »)
Césario ; Luc  Tremblais. Ce choix semble être un clin
est un art du décalage qui consiste
à adopter un ton grotesque pour une – Sébastien, son frère jumeau ; d’œil du metteur en scène à ses prédécesseurs
situation dramatique, ou l'inverse. – le capitaine du vaisseau naufragé, ami de Viola ; de l’époque élisabéthaine.

Répétition © antoine benoit


5

LECTURES

b Afin d’entrer davantage dans la pièce, faire l’une des difficultés de la mise en scène, que
n° 96 lire aux élèves à plusieurs voix les extraits nous aborderons plus en détails ultérieurement.
novembre 2009
proposés en annexe n° 6.
Cette exploration vocale respectera le b En guise de prolongement, rechercher
tâtonnement nécessaire à toute prise en compte des exemples de « cette confusion des
de la subtilité des situations mises en œuvre sentiments », notamment dans des œuvres de
dans cette pièce : on pourra ainsi inviter les la littérature italienne comme Les Jumeaux
élèves à adopter des rythmes et des intonations vénitiens de Carlo Goldoni ou celle de la
inattendus ou discordants. On les incitera à littérature romantique comme Les Caprices de
innover en expérimentant la mise en voix. Marianne d’Alfred de Musset.
On demandera aux différents groupes de venir
présenter de manière personnelle le ou les b Repérer la mixité des registres (doux-amers)
moyen(s) de « proférer » les apartés de Viola et de Shakespeare.
d’interpréter le jeu subtil qui se tisse entre le On relèvera la variété des émotions ou sentiments
personnage travesti ou dupé et le public averti suscités dans cette comédie : l‘incantation lyrique
de l’artifice. Ensemble, il s’agit de favoriser une du duc Orsino, amant mélancolique, le pathétique
lecture collective la plus expressive possible d’Olivia portant le deuil de son frère, la farce du
pour rendre la jalousie muselée de la jeune fille faux duel ou le burlesque de Toby, amoureux de la
contrainte de faire la cour à sa rivale, l’ambiguïté boisson et de la bonne chère. Autant de variations
du discours du Duc percevant confusément qui viennent enrichir un dénouement certes
l’androgynie de son jeune page et le désarroi heureux mais ponctué d’une malédiction, celle de
d’Olivia qui découvre qu’elle a nourri une passion Malvolio criant vengeance, et d’une chanson aux
pour son alter ego. Ce personnage dédoublé est accents tristes, celle de Feste.

Répétition © antoine benoit


6

Le personnage de feste

Suivant les traductions, ce personnage est désigné par différents termes : « bouffon », « fou » (du
n° 96 roi), ou « clown » (dans la traduction de Jean-Michel Déprats).
novembre 2009

La figure du fou, si souvent représentée dans le théâtre de Shakespeare, est une transposition
du bouffon traditionnel chargé de divertir les princes au Moyen Âge. Il se distingue par la
subtilité des jeux auxquels il se livre, sa liberté d’expression et sa prédisposition, inspiré par
la nature. Son costume est codifié et on le reconnaît dans les fêtes populaires à son habit
bariolé de jaune et de vert, orné de grelots, coiffé d’un capuchon à oreilles d’âne ou crête de
coq. Il est armé d’une marotte, parfois obscène.7

Chez Shakespeare, la figure du fou, ou du


clown, est souvent présente ; qu’on songe au
portier ivre dans Macbeth, au Fou dans Le Roi
Lear, à la folie feinte d’Hamlet et aux deux
valets bouffons des Gentilshommes de Vérone.
Ce personnage incarne le rapport ténu entre la
sagesse et la folie. C’est souvent lui qui détient
la vérité qu’il fera surgir dans un flot de paroles
insensées. Pour accéder à cette vérité, il faut
accepter de se déposséder de soi. Cela renvoie
au paradoxe développé par saint Paul dans les
Épîtres8 : ce qui est folie aux yeux des hommes
– la parole du fou – est en fait sagesse aux
yeux de Dieu : « Ce qui est dans le monde sans
naissance et ce que l’on méprise, voilà ce que
Dieu a choisi. »9

b Découvrir le personnage du bouffon et le


comparer à la tradition médiévale, en lisant
la scène 1 de l’acte III (cf. annexe n° 7).
Contrairement à ce que suggère son nom (Feste
signifie « la fête »), cette figure se fait le porte- Répétition © antoine benoit
parole du memento mori 10 cher aux Humanistes.
Par sa danse macabre et sous les apparences d’un séduisants et des leurres (« Rien n’est de ce qui
fou, il est chargé de dire en toute liberté la folie est », IV, 1 et 8) ou par Viola (« Je ne suis pas
du monde. C’est bien cette qualité première que ce que je suis », III, 1).
loue Viola (III, 1). Cette perspicacité permet Dans La Nuit des rois, Feste apparaît fréquemment
au bouffon de dépasser les facéties habituelles sur scène. Il se fait le plus souvent le
7. Victor Bourgy, pour gagner en subtilité et en virtuosité. « Ce commentateur et l’observateur de cette comédie
Twelfth Night, Ellipses, 1995. corrupteur de mots », selon l’expression de Viola, festive dont il garantit le climat de liesse tout en
8. Épîtres de saint Paul se joue à merveille des raisonnements spécieux se défiant des illusions.
aux Corinthiens, 1 Co 4, 10-25,
T.O.B Traduction œcuménique
et nous apprend à nous défier des discours
de la Bible, Éditions du Cerf, 1988.
9. Épîtres de saint Paul
aux Corinthiens, 1 Co 1, 28, id. Sur la figure du clown, on pourra se reporter au dossier Pièce (dé)montée n° 60, consacré à
10. Memento mori est une locution
latine qui signifie « Souviens-toi que
S’agite et se pavane, d’Ingmar Bergman, mis en scène par Célie Pauthe au Théâtre national
tu mourras ». Elle désigne un genre Marseille La Criée en 2008 : www.crdp-aix-marseille.fr/spip.php?article462
artistique de créations de toutes sortes,
mais qui partagent toutes le même but,
celui de rappeler aux hommes
leur condition mortelle et la vanité de
leurs activités et des intérêts terrestres.
7

b Avec le professeur d’anglais, traduire la poétique, respecter la contrainte rythmique


chanson de Feste (V,I) et la comparer avec des parties versifiée. Ici, il s’agit de transposer
les trois traductions proposées en annexe dans le système de versification française la
n° 7 : celles de Jean-Michel Déprats, Ariane contrainte de la rime et le rythme peu naturel
Mnouchkine et Jean-Louis Curtis. Un débat du pentamètre iambique, fréquent dans les
n° 96 sur le processus de traduction pourra alors chansons11. Devant l’étendue des exigences, le
novembre 2009
être engagé. traducteur se voit dans l’obligation de faire des
À partir de la confrontation de ces versions, choix et surtout de les adapter au public qui
les élèves sont invités à mesurer la part de va voir la pièce. Ils peuvent ainsi en percevoir
réécriture inhérente au processus de traduction les nuances et les variantes, ils peuvent aussi
qui surpasse la simple transcription. Toute formuler leur préférence, en expliquant leur
traduction présente des difficultés : il faut choix.
non seulement rendre compte du sens, mais Ce travail intéressera particulièrement les élèves
également essayer de reproduire un objet de série L, qui travaillent sur les réécritures.

les défis de la représentation

Répétition © antoine benoit

b En utilisant le résumé détaillé (cf. annexe point essentiel de la pièce : il s’agit avant tout
n° 3), relever les difficultés auxquelles doit d’une reconquête de l’identité ;
répondre la mise en scène. – Feste, tour à tour clown et chanteur (II, 4),
se mue en prêtre, Messire Topaze (« Cette cra-
• Difficultés liées aux travestissements pule contrefait à merveille », s’exclame à son
– Viola endosse une autre identité, en prenant sujet Sir Toby, IV, 2) ;
l’apparence d’un frère qu’elle pense mort. On – Malvolio se métamorphose en démon aux jar-
peut aussi faire remarquer aux élèves que les retières croisées (III, 4) suivant les directives
deux personnages féminins principaux, Viola et de Maria, qui se fait passer pour Olivia.
Olivia, sont, à une lettre près, des anagrammes,
ce qui amplifie encore les effets d’échos. On pourra rapprocher la question du
11. Le pentamètre iambique est Ajoutons que l’étymologie du nom masculin travestissement et donc celle de l’identité
un vers de cinq pieds dont chacun pris par Viola, Césario, signifie « couper » en avec le mythe de l’androgynie développé par
est composé d’une syllabe atone latin. Viola, devenue Césario, est donc amputée Platon dans Le Banquet : coupés en deux, les
suivie d’une syllabe accentuée.
La chanson de Feste en est un exemple : d’elle-même, d’où l’affirmation finale « Je suis hommes vivent continuellement à la recherche
« But when I was a little tiny boy. » Viola », qui est, pour Jean-Louis Benoit, le de leur moitié, soit masculine soit féminine.
8

D’autres références sont à mentionner comme variantes, y compris sexuelle. L’une cherche
Les Jumeaux vénitiens de Carlo Goldoni. On l’identification, l’illusion complète, l’autre joue
insistera ensuite sur l’importance de l’apparence sur la création d’un personnage hybride, castrat
et donc du costume au théâtre, surtout pour le ou jeune chanteuse : le Chérubin des Noces
théâtre baroque. de Figaro de Beaumarchais ou le page d’Un
n° 96 D’autres dramaturges tirent parti des tensions Bal masqué de Verdi. « Cette inquiétante
novembre 2009
suscitées par ces travestissements pour renforcer étrangeté » du travesti, longtemps recherchée,
l’effet comique : que l’on songe à Molière et à provoque une sorte de dépaysement nécessaire
sa Toinette déguisée en médecin, aux turqueries à toute remise en question ou dénonciation des
du Bourgeois gentilhomme, ou dans un registre apparences. On la retrouve ainsi dans le cinéma :
plus subtil à Marivaux (Le Jeu de l’amour et du Certains l'aiment chaud de Billy Wilder, Bawang
hasard, La Fausse Suivante). bieji, « Adieu ma concubine » (1992) de Kaige
Chen ou encore Tootsie de Sydney Pollack.
b Faire une recherche plus approfondie sur
l’étymologie du terme « travestissement » • Difficultés liées à la pluralité des lieux
et sur les nombreuses facettes qu’il peut Le spectacle nous transporte d’un lieu à l’autre.
prendre dans des domaines artistiques aussi On notera que Jean-Michel Déprats a supprimé
divers que l’opéra et le cinéma. les didascalies liées aux lieux. Celles-ci ont
Du verbe italien travestire, le terme renvoie été « reconstituées de façon généralement
à « l’action de changer de vêtement afin de naturaliste  »12 par les éditeurs. Voici les
n’être pas reconnu » (Machiavel), un sens didascalies en question : « A room in the
figuré apparaît sous la plume de Scarron, Duke’s  palace » (« Une salle dans le palais du
il s’agit « de transformer en dénaturant » Duc  »), « Near the sea-coast » (« Au bord de
(Dictionnaire historique de la langue française, la mer »), « A room in Olivia’s house » (« Une
sous la direction d'Alain Rey). salle dans la maison d’Olivia »), « At the door
Ces deux acceptions du travestissement of Antonio’s house » (« Devant la maison
présentes dans le personnage de Viola relèvent d’Antonio  »), « A street near Olivia’s house  »
d’une esthétique de l’ambiguïté aux multiples (« Une rue près de la maison d’Olivia  »),
« A room in olivia’s house  ;
at the back a closet with a
curtain before it » (« Une salle
chez Olivia avec, au fond un
cabinet voilé d’un rideau en
guise de prison »).
On pourra par exemple inviter
les élèves à imaginer la
manière dont ces divers lieux
peuvent être représentés, et,
notamment, la manière dont
ils pourraient représenter
l’Illyrie.

b Lire la note d’intention


de Jean-Louis Benoit (cf.
annexe n° 9) et y relever
les éléments concrets qui
permettent d’entrevoir le
spectacle.

Répétition © antoine benoit

Vidéo n° 2 sur le site du Théâtre national Marseille La Criée


Jean-Louis Benoit à propos de sa vision de la pièce (2’29) :
www.theatre-lacriee.com/spectacles/la-nuit-des-rois-creation

12. Entretien avec Jean-Michel Déprats.


9

Après la représentation

Pistes de travail
n° 96
novembre 2009
On commencera par une remémoration du spectacle, pour ensuite aborder précisément chacun des
points étudiés ici.

DISPOSITIF SCÉNOGRAPHIQUE

b Dessiner et/ou décrire l’espace scénique.


Éventuellement, inviter les élèves à concevoir
une maquette, avec l’aide du professeur d’arts
plastiques (cf. annexe n° 13).

b Identifier de façon précise les éléments propres


© ANTOINE BENOIT à la scénographie :

Lieu Actes Éléments de décor

Le palais d'Orsino Tous les actes Parquet sur l’avant-scène et cadre de scène constitué par des colonnes de
marbre.

La maison d'Olivia Tous les actes Une table et des chaises et, à l’acte III, une malle.
Au début du spectacle, toute la maison est drapée de noir (les trois murs, la
table et les chaises), à l’image d’Olivia, endeuillée. On découvre la maison et son
mobilier au moment où Olivia décide de mettre fin à son deuil :
« VIOLA : Chère dame, laissez-moi voir votre visage.
OLIVIA : Êtes-vous chargé par votre maître de négocier avec mon visage ? Vous
sortez du sujet maintenant ; mais nous allons tirer le rideau et vous montrer le
portrait. (Se dévoilant) Regardez, monsieur, ce fut peint cette année. N'est-ce pas
bien fait ? » (I,5).

Le bord de mer I, 2 Un rocher et des joncs.


II, 1
III, 3
IV, 1

La prison de Malvolio IV, 2 Une grille sur le plancher de la scène.

À partir du moment où la maison d’Olivia joie et au renouveau amoureux (« C’est un degré


est dévoilée, un ciel nuageux mais parsemé vers l’amour », acte III, scène 1). On notera que
d’éclaircies est présent en toile de fond durant d’autres créations de Jean-Louis Benoit utilisent
tout le spectacle. Ce ciel peut renvoyer à ce ce motif : Les Caprices de Marianne, Du malheur
qui se joue dans le cœur d’Olivia qui décide de d’avoir de l’esprit.
mettre fin à son deuil : passage des larmes à la
10

b Remarquer la transition entre les différents noire, permettant ainsi le passage d’un lieu à
lieux représentés sur le plateau. un autre. Placés à l’avant-scène sur un banc, ils
Les transitions entre les différents espaces commentent les événements entre eux et, par
sont assurées par des « valets de scène  », leurs expressions du visage, sont le reflet des
inventés par Jean-Louis Benoit13. Ce trio spectateurs. Ils renouent ainsi avec la tradition
n° 96 interprète par ailleurs les rôles mineurs : baroque du théâtre dans le théâtre. Ces trois
novembre 2009
musiciens, marins, seigneurs, gens de suite, jeunes actrices, au physique très ressemblant
prêtre et officiers, ce qui permet de répondre (coupe de cheveux courte, costume d’Arlequin
à l’abondante distribution. Ces trois mignons noir, collerette blanche), donnent lieu à de jolis
ouvrent ou ferment un léger rideau de soie tableaux.

MUSIQUE

Les chansons font partie intégrante du texte de La Nuit des rois. Inaugurée par la musique, la pièce
se referme sur la chanson de Feste et chacune des apparitions du clown est ponctuée de chants ou
d’un accompagnement sonore. On fera remarquer aux élèves la performance de Dominique Valadié,
qui passe du jeu au chant a capella.
Les autres personnages sont nombreux à invoquer le chant comme le seul recours face à l’intensité de
l’émotion et l’incapacité du langage à dire l’indicible. Outre le duc Orsino (acte I, scène 1, et acte II,
scène 4), Viola brandit la musique comme une menace : « J’écrirais de fidèles cantilènes sur l’amour
dédaigné/Et les chanterais à tue-tête au profond de la nuit […] », tandis que Sir Toby et Sir Andrew
y décèlent un « souffle infectieux et très mélodieux » (acte II, scène 3).

« Lorsque les mots ne suffisent pas à exprimer l’être, le chant ouvre un espace où peut se dire
l’émotion complexe qui étreint les personnages. […] Quant à Feste, il sait que toute vérité
est subversive et qu’il convient mieux de l’exprimer en chantant… »
Francis Guinle, Hamlet et La Nuit des rois - Shakespeare : la scène et ses miroirs,
coll. Théâtre aujourd’hui, n° 6, CNDP, 1998.

13. Cf. annexe n° 11, entretien avec


Jean-Louis Benoit. © BRIGITTE ENGUERAND
11

On distingue une double influence musicale : le b Se reporter à l’annexe n° 12 pour consulter


lyrisme courtois de Pétrarque14 et les chansons la liste des chansons.
paillardes de Sir Toby. Shakespeare a puisé au
sein du « folk song » de son temps ; les airs b Par groupe, organiser une lecture
ainsi empruntés à la tradition populaire sont polyphonique de l’acte II, scène 3 : canon
n° 96 détournés voire parodiés avec « la complicité entonné par Sir Toby et Feste. Demander
novembre 2009
festive du public ». Enfin, rappelons que la d’inventer une manière de lire (chuchotement,
tradition élisabéthaine exige que des musiciens insistance sur les rimes et les rythmes,
jouent avant et après toute représentation. déclamation emphatique, paroles fredonnées
Au théâtre du Globe, à Londres, les musiciens sur des airs de comptines enfantines…) qui
avaient leur place au balcon. mette en valeur les refrains et les passages
importants.

© BRIGITTE ENGUERAND

La forme versifiée a toujours privilégié une dans l’univers de la création de la pièce. En


musicalité des paroles plus déclamées que outre, comme le metteur en scène le déclare
récitées. Il sera intéressant de faire rechercher lui-même, il est préférable de conserver le
aux élèves l’évolution du jeu des comédiens texte des chansons sans les traduire puisque
depuis le xviie siècle jusqu’à nos jours les paroles n’ont que peu d’intérêt. Ainsi, pour
pour les sensibiliser à ce qui semble être, sa création de La Mère de Bertold Brecht, Jean-
aujourd’hui, une évidence : le naturel. Ainsi, Louis Benoit avait conservé les parties chantées
dès le xviie siècle, l’emphase est ridiculisée par en allemand.
Molière dans La Critique de l’École des femmes.
Monfleury, comédien de l’Hôtel de Bourgogne, b Avec le professeur de musique, une recher-
est demeuré célèbre pour sa déclamation, che sur les particularités de la musique baro-
qu’Edmond Rostand met en scène dans Cyrano de que sera intéressante ; on pourra ainsi faire
Bergerac. De même, Denis Diderot dans Paradoxe écouter la musique composée pour la mise
sur le comédien souhaite que l’on donne à ses en scène d’Ariane Mnouchkine en 1982 et la
personnages « le ton simple de l’héroïsme comparer aux musiques des autres mises en
antique, l’art du comédien sera autrement scène, notamment celle d’Hélène Vincent.
difficile car la déclaration cessera d’être une Cette musique est disponible sur le cédérom
espèce de chant.  » On pourra également se de Hamlet et La Nuit des rois – Shakespeare, la
référer à l’ouvrage Qu’est-ce que le théâtre ?, scène et ses miroirs, coll. Théâtre aujourd’hui,
Christian Biet et Christophe Triau, coll. Folio n° 6, CNDP, 1998.
essais, Gallimard, 2006.
14. Dans le prolongement de la fin'amor
b Se rappeler les bruitages et bandes sons :
des troubadours des xiiie et xive siècles,
Pétrarque (1304 -1374) chante sur un b Demander aux élèves de faire le même grillon pour la nuit et vent pour l’intensité
mode courtois les beautés de sa dame et exercice de mise en voix mais, cette fois, à dramatique, battements de cœur au moment
l'infortune d'un amour non réciproque. Le partir de la version anglaise. des retrouvailles, chants d’oiseaux pour les
pétrarquisme définit une rhétorique et
des motifs récurrents : il se caractérise Jean-Louis Benoit a maintenu les chants dans scènes de plein air.
par l'usage de métaphores-clichés. la langue de Shakespeare, ce qui nous replonge
12

LE TRAVESTISSEMENT

n° 96 « Les costumes rendent plus aiguë l’ambiguïté des identités et des rôles… »
novembre 2009
Hélène Vincent (propos recueillis par Jean-Claude Lallias),
Hamlet et La Nuit des rois – Shakespeare, la scène et ses miroirs,
coll. Théâtre aujourd’hui, n° 6, CNDP, 1998.

b Analyser les costumes. On pourra se reporter à l’annexe


n° 14.
On pourra ainsi repérer deux grandes familles :
• la famille des endeuillés, des affligés ou des puritains
(costume marqué par l’austérité, habit noir sobre et
collerette blanche) : Olivia, Maria, Malvolio mais aussi Orsino
et ses valets de scène. Ce dernier fait toutefois preuve dans
sa tenue vestimentaire d’un certain raffinement rendu par
l‘étoffe de son costume et les souliers qu’il porte. Olivia, quant
à elle, se dérobe à la vue du monde. La symbolique du voile
exagérément long accentue ce retrait ;
• les déclassés : ils sont revêtus soit de couleurs froides comme
© antoine benoit
Viola et Sébastien dont le costume bleu ciel (écho au ciel peint
sur la toile de fond) à l’étoffe soyeuse rappelle la provenance incertaine et l’âge tendre par le choix
du pastel, soit de couleurs chaudes comme c’est le cas des deux viveurs invétérés, Feste ou Sir Toby.
La couleur rouge qu’ils arborent montre leur goût pour les plaisirs et la vie en général.

b Comment Jean-Louis Benoit a-t-il transformé


Viola en Césario ?
Il l’a habillé en homme, pourpoint bleu ciel
et coiffure courte. Dans le jeu même de la
comédienne, on note des attitudes masculines
qui montrent combien elle joue un rôle de
composition. Elle déroge toutefois à cette
maîtrise lors de la scène du duel qui manque
de la démasquer (acte III, scène 4) : « Dieu,
me garde ! Pour un peu, je leur dirais ce qui me
manque pour être un homme. »

b Comment est rendue la ressemblance des


jumeaux ?
Nathalie Richard et Guillaume Clausse sont
habillés de la même façon, ont une coupe
de cheveux approchante. Puisqu’il y a bien
une relative identité mais non une parfaite
similitude, nous sommes bien dans l’illusion
théâtrale qui se fonde sur le symbolique :
le spectateur est invité à faire travailler son
imaginaire, à voir ce qui n’est pas montré, à
savoir deux êtres identiques qui ont pu faire
croire à tous les autres qu’ils étaient une seule
et même personne.

© BRIGITTE ENGUERAND
13

b Identifier les moyens choisis pour travestir b S’interroger sur le fait que les valets de
Luc Tremblais (Maria) et Dominique Valadié scène sont joués par des femmes.
(Feste). Quels sont les effets produits ? Les valets de scène, continuellement dans l’en-
Avec sa corpulence et l’exagération des attributs tourage du duc Orsino, semblent sous le charme
féminins, Maria provoque la farce tandis que de leur maître au point de laisser transparaître
n° 96 Feste, dans un costume simple et contemporain, du dépit lorsque ce dernier marque une certaine
novembre 2009
apparaît en décalage. On pensera inévitablement préférence pour le jeune page, Césario (acte II,
aux personnages d’En attendant Godot ou bien scène 4). Ils renvoient au caractère androgyne
à la silhouette de Charlie Chaplin  : démarche de la pièce : comme pour la métamorphose de
caractéristique, mains dans les poches, chapeau Viola/Césario, on a des femmes habillées en
melon et pantalon flottant, long pardessus. hommes, et qui jouent des rôles d’hommes, d’où
Élargir la confrontation en retrouvant d’autres la confusion des sexes et la possible allusion à
similitudes et en approfondissant l’énigme de une homosexualité latente.
ce personnage qui allie rire et larmes. On pourra
projeter un extrait de The Kid15.

MALVOLIO OU LA MISE EN ABYME

b À partir d’une relecture • la présence de spectateurs-personnages,


de la scène 4 acte III depuis ici Maria et Olivia mais également Sir Toby, Sir
l’entrée de Malvolio jusqu’à Andrew et Fabien ;
sa sortie (annexe n° 15), • l’emphase qu’affecte Malvolio exhibant
demander à plusieurs groupes son accoutrement avec ostentation, le choix
d’élèves de mettre en œuvre du contraste entre l’austérité de sa tenue
la farce orchestrée par Maria presbytérienne (collerette blanche sur tunique
en ajoutant au texte imprimé noire) et l’exubérance de jarretières croisées
sur une feuille de format jaunes ;
A3 les indications scéniques • le jeu de scène qui reprend des déhanchements
© Christine siBran (intonations, déplacements, audacieux.
jeux des regards…) et les
accessoires nécessaires pour permettre de b Rechercher d’autres occurrences du théâtre
distinguer les deux niveaux d’intrigues : dans le théâtre dans d’autres pièces.
l’intrigue principale (celle de Shakespeare) On songera par exemple à L’Illusion comique de
et celle dont Maria est l’instigatrice. Corneille ou à La vie est un songe de Caldéron.

b Leur demander d’explorer cette scène en b Remarquer les différentes phases de la


variant les registres : parodique, comique, métamorphose de Malvolio.
lyrique, pathétique. • La figure du puritain compassé (actes I
et II) : noter tout ce qui renvoie à l’austérité
b Confronter ces propositions à la mise en (maigreur, intonation monocorde, costume noir,
scène de Jean-Louis Benoit en les comparant prédominance du blâme dans le discours) ;
avec la photographie en annexe n° 15. • le dindon de la farce et la métamorphose en
Lister les éléments de la scénographie qui galant ridicule (acte III, scène 4) : par quels
permettent d’introduire la mise en abyme : accessoires Jean-Louis Benoit et Marie Sartoux, la
accessoires, postures, costumes. Par quels costumière, ont-ils ridiculisé la flambée de désir
moyens le metteur en scène parvient-il à de Malvolio ? Les porte-jarretelles, le slip rayé
dédoubler l’espace scénique pour introduire jaune et noir, la pantomime de l’exhibitionniste ;
le théâtre dans le théâtre ? • la figure du tragique (acte IV, scène 2,
• La surélévation qui fait de la table une scène et acte V, scène 1) : la voix qui sort d’outre-
miniaturisée ; tombe à l’acte IV amène un nouveau registre,
• l’arrivée inopinée d’une malle où se réfu- celui de la farce amère qui conduit au désespoir
15. The Kid, DVD Eden Cinéma, gient les farceurs ; du personnage.
CNDP, 2005.
14

b Comment Jean-Louis Benoit a-t-il fait On pourra indiquer aux élèves qu’aux xviie et
travailler son comédien, Jean-Pol Dubois, xviiie siècles, la pièce a pris pour titre Malvolio.
pour rendre le registre tragique ? De fait, ce personnage est pour les acteurs un
• diction appuyée : insistance sur chaque vrai défi. Selon Jean-Louis Benoit, c’est « le
syllabe et intonation descendante, ton vrai rôle phare de la pièce et d’ailleurs Laurens
n° 96 professoral et sentencieux ; Olivier, grand acteur anglais, l’a incarné. Tous
novembre 2009
• costume négligé : chemise souillée, cheveux les acteurs rêvent de faire Malvolio. »
défaits, pieds nus, qui contraste avec le comique
débridé de la scène des porte-jartelles. b Rechercher des personnages du théâtre
Les compères, Maria, Sir Tobby et Fabien, français qui font basculer du comique au
avouent la cruauté de la farce. La sortie de tragique.
Malvolio s’accompagne d’une malédiction qui Chez Molière par exemple, on pourra penser à
jette un trouble sur la scène finale de liesse Harpagon à la fin de L’Avare ou à Sganarelle à
(« MALVOLIO : Je me vengerai de toute votre la fin de Dom Juan.
meute ! (il sort.) OLIVIA : Il a été très
cruellement maltraité ».

© BRIGITTE ENGUERAND

Hamlet et La Nuit des rois - Shakespeare, la scène et ses miroirs, coll. Théâtre aujourd’hui,
n° 6, CNDP, 1998.
1 CD audio, 16 diapositives, 1 livret, 248 p.
Le théâtre de Shakespeare est un miroir déformant qui reflète les enjeux artistiques, esthéti-
ques et politiques du travail théâtral d'une époque. Sa modernité d'écriture et sa complexité
thématique fascinent les hommes de théâtre d'aujourd'hui et développent notre propre pou-
voir de réflexion sur le sens de la théâtralité.

Disponible dans les librairies du réseau Scéren et sur www.sceren.com


15

La Nuit des rois


Texte : William Shakespeare
Mise en scène : Jean-Louis Benoit

Traduction : Jean-Michel Déprats Avec :


n° 96 Collaboration artistique : Karen Rencurel Nathalie Richard : Viola
novembre 2009 Scénographie : Jean Haas Dominique Valadié : Feste
Costumes : Marie Sartoux Ninon Brétécher : Olivia
Lumières : Jean-Pascal Pracht Jean-Pol Dubois : Malvolio
Maquillage et perruques : Cécile Kretschmar Arnaud Décarsin : Orsino
Son : Jérémie Tison Jean-Claude Legua : Sir Toby
Chorégraphie : Lionel Hoche Jean-Marc Bihour : Sir Andrew
Assistance à la mise en scène : Keti Luc Tremblais : Maria
Irubetagoyena Dominique Compagnon : Fabien
Fabrication du décor : Atelier Devineau Laurent Montel : Le Capitaine / Antonio
Fabrication des costumes : Atelier Caraco Guillaume Clausse : Sébastien
et Juliette Augert, Claire Calvi, Pauline Méreuze

Production : Théâtre national de Marseille La Criée, avec le soutien du Fonds d’Insertion pour Jeunes Artistes
Dramatiques, D.R.A.C. et Région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Le texte est édité aux Éditions Théâtrales.

En tournée :
Théâtre national Marseille La Criée : du 20 au 29 novembre 2009
Nouveau Théâtre d'Angers : du 9 au 12 décembre 2009
Le Grand T - Théâtre de Nantes : du 13 au 21 janvier 2010
Le Cratère Scène Nationale d'Alès : du 27 au 29 janvier 2010
Le Théâtre - Scène Nationale de Narbonne : les 4 et 5 février 2010
Théâtre de Privas - Scène Conventionnée/Scène Rhône-Alpes : les 11 et 12 février 2010
Théâtre Dijon Bourgogne – C.D.N. : du 23 février au 6 mars 2010 (relâche les 28 février et 1er mars)
Théâtre de Sartrouville – C.D.N. : du 11 au 13 mars 2010
Maison de la Culture d’Amiens les 18 et 19 mars 2010

Tout ou partie de ce dossier sont réservés à un usage strictement pédagogique et ne peuvent être
reproduits hors de ce cadre sans le consentement des auteurs et de l’éditeur.
La mise en ligne des dossiers sur d’autres sites que ceux autorisés est strictement interdite.
Théâtre national Marseille La Criée : Laure-Marie Rollin [email protected]
CRDP de l’académie d’Aix-Marseille : Éric Rostand [email protected]

Comité de pilotage et de validation Directeur de la publication


Michelle BÉGUIN, IA-IPR de Lettres chargée du Théâtre Jacques PAPADOPOULOS, directeur du CRDP
dans l'académie de Versailles de l’académie d’Aix-Marseille
Jean-Claude LALLIAS, professeur agrégé, conseiller Responsabilité éditoriale
Théâtre, département Arts et Culture, CNDP Dominique BUISINE, CRDP de l’académie
Patrick LAUDET, IGEN Lettres-Théâtre d’Aix-Marseille
Sandrine MARCILLAUD-AUTHIER,
chargée de mission Lettres, CNDP Chef de projet
Éric ROSTAND, CRDP de l’académie d’Aix-Marseille
Responsables de la collection
Jean-Claude LALLIAS, professeur agrégé, conseiller Suivi éditorial
Théâtre, département Arts et Culture, CNDP Stéphanie BÉJIAN, CRDP de l’académie d’Aix-Marseille
Marie Fardeau, CRDP de l’académie de Paris Maquette et mise en pages
Lise BUKIET, CRDP de l’académie de Paris Brigitte EMMERY, CRDP de l’académie d’Aix-Marseille
Auteurs de ce dossier Création, Éric GUERRIER, CRDP de l’académie de Paris
Anne FAURIE-HERBERT et Corine ROBET, ISBN : 2-86614-491-3
professeurs agrégés de Lettres Modernes ISSN : 2102-6556
© Tous droits réservés
Retrouvez :
4les numéros précédents de Pièce (dé)montée sur le site du CRDP de l’académie de Paris
http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/
4les dossiers pédagogiques « Théâtre » du CRDP de l’académie d’Aix-Marseille
http://www.crdp-aix-marseille.fr
16

Annexes

Annexe n˚ 1 : PORTRAIT DE JEAN-LOUIS BENOIT


n° 96
novembre 2009
Auteur, metteur en scène, scénariste et À la Comédie-Française :
réalisateur. Directeur du Théâtre national de Le Menteur de Pierre Corneille (2004) ; Le
Marseille La Criée depuis 2001, il y met en Bourgeois gentilhomme de Molière (2000) ; Le
scène La Trilogie de la villégiature de Carlo Revizor de Gogol (1999) - Molière 1999 de la
Goldoni en 2002, Paul Schippel ou le prolétaire « meilleure pièce du répertoire » ; Les Fourberies
bourgeois de Carl Sternheim en 2003, Retour de de Scapin de Molière (1997) - Molières 1998 de
guerre suivi de Bilora de Angelo Beolco la « meilleure mise en scène » et du « meilleur
dit Ruzante en 2004 (reprise spectacle du répertoire » ; Moi de Eugène
et tournée en 2005), Les Labiche (1996) ; Mr Bob’le de Georges Shéhadé
Caprices de Marianne d’Alfred (1994) ; L’Étau de Luigi Pirandello (1992).
de Musset en 2006, Du
Malheur d’avoir de l’esprit Au Théâtre de l’Atelier :
d’Alexandre Griboïedov La Parisienne de Henri Becque (1995).
en 2007, Le temps est
un songe d’Henri-René Au Théâtre du Rideau Vert, Montréal :
Lenormand en 2008. Il Les Fourberies de Scapin de Molière (2001).
crée De Gaulle en mai
au Théâtre national Il réalise pour le cinéma :
Marseille La Criée en L’Apache ; Les Poings fermés ; Dédé ; La Mort du
octobre 2008. Chinois.
ne benoit
© antoi
Il participe à la création du Théâtre de l’Aquarium Il réalise pour la télévision :
à la Cartoucherie de Vincennes (dont il est Les Disparus de Saint-Agil ; Le Bal ; La Fidèle
le directeur de 1996 à décembre 2001). Il y Infidèle ; La Parenthèse.
écrit et met en scène de nombreux spectacles :
Conversation en Sicile de Elio Vittorini (2001) ; Scénariste pour la télévision :
Henry V de William Shakespeare (1999) ; Une L’Homme aux semelles de vent, Arthur Rimbaud
Nuit à l’Élysée de Jean-Louis Benoit (1998) ; Les de Marc Rivière ; Le Crime de Monsieur Stil de
Ratés de Henri-René Lenormand (1995) ; La Nuit, Claire Devers ; Les Jours heureux de Luc Béraud ;
la télévision et la guerre du golfe de Jean-Louis La Voleuse de Saint-Lubin de Claire Devers ;
Benoit (1992) ; La Peau et les os de Georges Madame Sans-gêne de Philippe de Broca ; Le
Hyvernaud (1991) ; Les Voeux du Président de Pendu de Claire Devers.
Jean-Louis Benoit (1990) ; Louis de Jean-Louis
Benoit (1989) ; Le Procès de Jeanne d’Arc, veuve Pour le cinéma :
de Mao Tsé-Toung de Jean-Louis Benoit (1987) ; Alberto Express d’Arthur Joffé ; Les Aveux de
Les Incurables de Jean-Louis  Benoit (1985)  ; l’innocent de Jean-Pierre Amérys ; Un Divan à
Histoires de famille d’après Anton Tchekhov New-York de Chantal Akerman ; Que la lumière
(1983) ; Un Conseil de classe très ordinaire de soit ! d’Arthur Joffé ; La Femme de chambre du
Patrick Boumard (1981) ; Pépé de Jean-Louis Titanic de Bigas Luna.
Benoit et Didier Bezace (1979).

Le temps est un songe et De Gaulle en mai ont fait l’objet de dossiers pédagogiques dans la
collection Pièce (dé)montée (nos 34 et 58), édités par le CRDP de l’académie d’Aix-Marseille
avec le Théâtre national Marseille La Criée :
> Le temps est un songe : www.crdp-aix-marseille.fr/spip.php?article247
> De Gaulle en mai : www.crdp-aix-marseille.fr/spip.php?article453

Des dossiers hors collection sont également disponibles sur le site www.crdp-aix-marseille.fr
pour les spectacles Les Caprices de Marianne, Du malheur d’avoir de l’esprit et Retour de guerre,
suivi de Bilora.
17

Annexe n˚ 2 : PORTRAIT DE WILLIAM SHAKESPEARE (1564-1616)

Né en 1564 à Stratford-on-Avon (Angleterre), William Shakespeare est considéré comme l’un


n° 96 des dramaturges les plus grands de tous les temps, mais sur qui l’on a le moins de précisions
novembre 2009
biographiques. Fils de commerçant aisé, il épouse à dix-huit ans Anne Hathaway, mais ne semble
pas avoir été heureux en ménage. Il quitte Stratford en 1587 dans des circonstances que l’on ignore
et s’installe à Londres. Il trouve du travail dans un théâtre et révèle son talent en « arrangeant »
des pièces achetées aux auteurs. Il prend comme modèle les dramaturges de son époque tels que
Marlowe, Greene et Peele.

Peines d’amour perdues (vers 1590) est considéré comme sa première pièce originale, suivie de
plusieurs poèmes galants (Vénus et Adonis, Le Viol de Lucrèce). Le poète conquiert l’estime de la
jeune reine Elisabeth Ire qui marque pendant toute sa vie une préférence pour son œuvre.

Il commence sa carrière en reprenant des pièces à sujet historique : Henri VI, également attribué
à Marlowe, Greene ou Peele, puis Richard III (1593), suivis de Richard II (1594), Le Roi Jean
(1595), Henri IV (1597-98), Henri V (1599) et enfin Henri VIII (1612), qui composent son cycle
sur l’histoire de l’Angleterre. L’auteur fait partie, depuis 1594, de la troupe de Lord Hunsdon, qui
devient Troupe du Roi en 1603.

Il compose des pièces inspirées de l’Antiquité : Titus Andronicus (1590), Jules César (1600), Troïlus
et Cressida (1602), Antoine et Cléopâtre (1606), Coriolan (1607) et Timon d’Athènes (1607).

Un autre « groupe » de pièces est celui des tragédies, parmi lesquelles figure en tête Roméo et
Juliette (1595), puis Hamlet (1602), Othello (1604), Le Roi Lear (1606) et Macbeth (1606).

Le groupe des comédies-drames, comédies pures et féeries comporte La Mégère apprivoisée (deux
versions, 1585 et 1597), La Comédie des erreurs (1591), Les Deux Gentilshommes de Vérone (vers
1595), Beaucoup de bruit pour rien (1599), Comme il vous plaira (1559), La Nuit des rois (1602), Les
Joyeuses Commères de Windsor (vers 1599), Tout est bien qui finit bien (1602), Mesure pour mesure
(1604), Le Songe d’une nuit d’été (1594), Le Marchand de Venise (vers 1596), Le Conte d’hiver (1611)
et La Tempête (1611), considérée comme la dernière pièce de l’auteur qui se retire à Stratford, riche
et apaisé, à l’âge de quarante-sept ans, où il meurt en 1616.

Des trente-sept pièces attribuées à Shakespeare, seize seulement furent publiées de son vivant ; la
totalité de son œuvre fut réunie par des amis poètes dans une édition in-folio en 1623. Certains
érudits ont contesté l’existence de Shakespeare, y voyant un prête-nom pour quelque grand
seigneur ou bien attribuant à Bacon la paternité, alors qu’aujourd’hui on croit généralement au
vrai Shakespeare. Cet homme possédait à la fois un don d’observation, un sens poétique, une force
de pensée et un génie dramatique si exceptionnels qu’il a pu produire d’immortels chefs-d’œuvre
encore représentés aujourd’hui partout dans le monde.

Sur le théâtre élisabéthain, on se rapportera au dossier Pièce (dé)montée n° 25 consacré au


Roi Lear, mis en scène par Jean-François Sivadier en 2007, édité par les CRDP des académies
d’Aix-Marseille et de Paris avec le Festival d’Avignon :
http://crdp.ac-paris.fr/piece-demontee/piece/index.php?id=le-roi-lear
18

Annexe n˚ 3 : RÉSUMÉ DÉTAILLÉ

Comédie en cinq actes


n° 96 Acte I : rescapée d’un naufrage, Viola parvient en Illyrie où, pour se protéger de toute mésaventure,
novembre 2009
elle décide de revêtir l’apparence d’un frère jumeau qu’elle croit mort, Sébastien. Elle entre au
service du duc Orsino, qui, charmé par sa candeur, lui demande d’intercéder auprès d’Olivia, jeune
femme en deuil également d’un frère. Aussitôt, Viola-Césario tombe amoureuse d'Orsino. Lorsque
Olivia voit Viola-Césario, elle s’éprend à son tour immédiatement de lui (d'elle).

Acte II : Viola-Césario tente tant bien que mal de repousser les avances d’Olivia et se désespère
de ne pouvoir être aimée de son maître sous son apparence d’homme. Sur les conseils de Sir Toby
Belch, oncle d'Olivia, Sir Andrew Aguecheek, un piètre prétendant d'Olivia, décide de provoquer en
duel Viola-Césario, décidément trop proche de sa belle. Une autre intrigue se déroule parallèlement.
Elle implique Sir Toby Belch, Sir Andrew Aguecheek, Fabian et Maria, les serviteurs d'Olivia, et le
clown Feste. Les joyeux lurons préparent un guet-apens à Malvolio, l'intendant d'Olivia qui en est
amoureux. Malvolio est très orgueilleux et prétentieux. Maria lui écrit une lettre d'amour qu'elle
signe du nom d'Olivia. Elle demande à Malvolio de toujours sourire lorsqu'il la voit, de porter des
chaussettes jaunes et des jarretières croisées pour lui signifier qu'il a reçu son message.

Actes III : Sir Andrew n'est pas très courageux et regrette de s'être engagé dans ce duel contre
Viola-Césario, qui n'est pas plus encline à se battre. Entre-temps, Sébastien, le jumeau de Viola,
qui a été repêché par les marins du capitaine Antonio, se retrouve en Illyrie.
Malvolio se laisse prendre au piège tendu par Maria et en rajoute lorsqu'il voit Olivia. Croyant qu'elle
a maintenant affaire à un fou, Olivia demande qu'on s'occupe de Malvolio. Sir Toby le fait enfermer
dans une pièce obscure jusqu'à ce qu'il recouvre ses esprits.

Acte IV : Sébastien est pris pour Viola-Césario et est forcé au duel contre Sir Andrew à qui il assène
un coup sur la tête. Pensant qu'il s'agit de Viola-Césario, Olivia lui demande de l'épouser. Surpris,
Sébastien acquiesce immédiatement. Malvolio finit par être libéré par le clown Feste.

Acte V : l’histoire s'éclaircit lorsque les deux jumeaux se retrouvent enfin. Ayant perdu Olivia,
Orsino se retourne vers Viola qui l'aime toujours. Ils décident de se marier. À sa grande déception,
Malvolio découvre le complot à son endroit et apprend qu'Olivia est mariée à Sébastien ; il jure
malédiction à la joyeuse compagnie.

Lecture © antoine benoit


19

Annexe n˚ 4 : SOURCES

Les Ménechmes, Plaute (vers 215 av J.-C.), traduction de Pierre Grimal, Gallimard, 1971
n° 96 La pièce commence par la présentation de l’argument exposé par le Prologue.
novembre 2009

PROLOGUE : D'abord, salut et félicité à moi, veux pas vous en faire accroire. Ils avaient sept
et à vous, spectateurs ; c'est le premier objet ans, lorsque leur père chargea un grand bateau
de mon message. Ensuite, je vous apporte ici d'une riche cargaison, et prit avec lui un des
Plaute, non pas dans ma main, mais au bout de fils : il s'agissait d'un voyage à Tarente pour son
ma langue ; recevez-le, je vous prie, avec des commerce ; l'autre demeura auprès de la mère, à
oreilles favorables. Maintenant, voici l'analyse la maison. On célébrait des jeux à Tarente quand
de la pièce, faites attention : je la resserrerai ils y arrivèrent ; il y avait, comme toujours
dans le moins de mots possible. Les poètes en pareille circonstance, un grand concours
supposent toujours dans leurs comédies que de monde. L'enfant fut séparé de son père et
l'action se passe à Athènes ; c'est pour que leur s'égara dans la foule ; un marchand épidamnien
ouvrage vous paraisse mieux sentir son grec. qui se trouvait là s'empara de l'enfant et
Moi, je vous dirai sans fiction où l'on assure l'emporta dans son pays. Le père, désespéré
que les faits ont eu lieu. Ainsi donc, le sujet est d'avoir perdu son fils, tomba malade de chagrin,
grécisant, mais non pas atticisant toutefois  ; et mourut au bout de quelques jours à Tarente.
il sicilianise. Après cet avis préliminaire, j'en Quand parvint à Syracuse la nouvelle du rapt de
viens à l'exposition des faits. Je ne vous l'enfant et de la mort du père chez les Tarentins,
donnerai pas la pitance par boisseau, par l'aïeul fit prendre au jumeau qui restait le nom
double boisseau ; tout le grenier y passera, de l'autre, tant son petit-fils enlevé lui était
tant j'ai l'humeur libérale en fait de narration. cher ; il nomma le survivant Ménechme, comme
Il y avait à Syracuse un marchand d'un certain l'autre se nommait, et comme il se nommait
âge, auquel deux jumeaux naquirent, d'une si lui-même. J'ai retenu le nom facilement, parce
parfaite ressemblance que leur mère nourrice que j'étais présent quand on appelait l'enfant à
ne les pouvait distinguer, elle qui leur donnait grands cris. Je vous en préviens donc, afin que
le sein, ni même la mère qui leur avait donné vous n'y soyez pas trompés ; les deux frères
le jour. Je le tiens de quelqu'un qui avait vu les portent le même nom.
deux enfants ; moi, je ne les ai pas vus, je ne

La Comédie des erreurs, William Shakespeare, acte I, scène 1, traduction de François-Victor


Hugo, collection La Pléiade, Gallimard, 1959
Bravant l’interdit qui condamne à mort tout Syracusien surpris aux abords d’Ephèse, Égéon,
marchand de Syracuse, plaide sa cause auprès du duc Solinus en racontant ses malheurs et la perte
d’un de ces jumeaux lors d’un naufrage.

Égéon, marchand de Syracuse, Solénius, duc d’Ephèse.

ÉGÉON : […] On ne pouvait m’imposer une tâche embrassements de mon épouse. J’étais absent
plus pénible que celle de dire mes indicibles depuis six mois à peine, quand elle-même,
malheurs. Cependant, pour que le monde sache presque défaillante sous la délicieuse peine
bien que je meurs pour le seul crime d’avoir infligée aux femmes, fit ses préparatifs pour
obéi à la nature, je dirai ce que ma douleur me rejoindre, et bientôt arriva saine et sauve
me permettra de dire. Je naquis à Syracuse, et où j’étais. Peu de temps après, elle devint
j’épousai une femme qui eût fait mon bonheur, l’heureuse mère de deux beaux garçons, se
comme moi le sien, sans notre mauvaise étoile. ressemblant à tel point, chose étrange, qu’ils
Je vivais avec elle en joie ; notre fortune ne pouvaient distinguer que par leur nom. À
croissait, grâce à d’heureux voyages que je la même heure et dans la même hôtellerie, une
faisais fréquemment à Epidamnum, quand mon pauvre fut délivrée d’un fardeau pareil, deux
facteur mourut. La nécessité de veiller sur mes garçons parfaitement semblables ; leurs parents
biens restés à l’abandon m’arracha aux doux étant dans une indigence extrême, j’achetai
20

ces enfants et les élevai pour les mettre au obéissante au vent nous fît pressentir aucun
service des miens. […] Ma femme insistait malheur tragique ; mais nous ne gardâmes pas
chaque jour pour notre retour à Syracuse, j’y plus longtemps notre espoir ; car bientôt le peu
consentis à regret ; trop tôt, hélas ! Nous de lumière que nous accordait le ciel ne fit que
nous embarquâmes. Partis d’Epidamnum, nous révéler à nos esprits épouvantés l’alarmante
n° 96 avions fait une lieue avant que la mer toujours certitude d’une mort immédiate.
novembre 2009

La Nuit des rois, William Shakespeare, acte I, scène 2, traduction de Jean-Michel Déprats,
Éditions Théâtrales, 1996
Suite au naufrage du vaisseau qui les transportait elle et son frère jumeau, Viola, en deuil de
ce dernier, prend la décision de se travestir en homme avant de s’aventurer plus avant dans
l’inconnu.

Entrent Viola, un capitaine et des marins.

VIOLA :
Amis, quel est ce pays ?
LE CAPITAINE :
C’est l’Illyrie, madame.
VIOLA :
Et qu’irais-je faire en Illyrie ?
Mon frère, lui, est au Paradis.
Peut-être que par chance il ne s’est pas noyé : qu’en pensez-vous matelots ?
LE CAPITAINE :
C’est par chance que vous-même avez été sauvée.
[…]
VIOLA :
Pour ces paroles, voici de l’or :
Mon propre salut persuade mon espoir,
Auquel ton récit sert de caution,
Qu’il eut le même sort. Connais-tu ce pays ?
LE CAPITAINE :
Oui, madame, très bien car je suis né et j’ai grandi
À moins de trois heures de route de cet endroit.
VIOLA :
Qui gouverne ici ?
LE CAPITAINE :
Un duc, aussi noble de cœur que de nom.
VIOLA :
Quel est son nom ?
LE CAPITAINE :
Orsino.
VIOLA :
Orsino ! J’ai entendu mon père le nommer.
Il était célibataire alors.
LE CAPITAINE :
Et il l’est toujours, ou l’était encore récemment ;
Car il y a un mois à peine je suis parti d’ici
Et la rumeur toute fraîche était alors
(Vous le savez, de ce que font les grands, les petits bavardent)
Qu’il recherchait l’amour de la belle Olivia.
VIOLA :
Qui est-elle ?
LE CAPITAINE :
Une vierge vertueuse, fille d’un comte
Qui est mort il y a douze mois, l’abandonnant
21

À la protection d’un fils, son frère,


Qui mourut lui aussi peu de temps après ; et pour le tendre amour duquel
Elle a (dit-on) abjuré la compagnie
Et la vue des hommes.
[…]
n° 96 VIOLA :
novembre 2009
Tu as belle allure, capitaine ;
[…]
Je t’en prie (je te paierai avec munificence)
Cache ce que je suis, et aide-moi à trouver
Le déguisement susceptible de convenir
À la forme de mon projet. Je servirai ce duc ;
Tu me présenteras à lui comme un eunuque.
Tu n’y perdras pas ta peine, car je sais chanter
Et lui jouerai toutes sortes de musique
Qui me prouveront tout à fait digne de son service.
Pour la suite, je m’en remets au temps ;
Modèle seulement ton silence sur mon stratagème.
LE CAPITAINE :
Soyez son eunuque, moi je serai votre muet :
Quand ma langue babillera, que mes yeux ne voient plus jamais.
VIOLA :
Je te remercie, conduis-moi.

Ils sortent.

Annexe n˚ 5 : DISTRIBUTION

ORSINO, duc d’Illyrie (Arnaud Décarsin)


VALENTIN et CURIO, gentilshommes de la suite du Duc
PREMIER et SECOND OFFICIER, au service du Duc
VIOLA, travestie par la suite sous le nom de Césario (Nathalie Richard)
SÉBASTIEN, son frère jumeau (Guillaume Clausse)
LE CAPITAINE du vaisseau naufragé, ami de Viola (Laurent Montel)
ANTONIO, un autre capitaine de vaisseau, ami de Sébastien (Laurent Montel)
OLIVIA, comtesse (Ninon Brétécher)
MARIA, suivante d’Olivia (Luc Tremblais)
SIR TOBY BELCH, parent d’Olivia (Jean-Claude Legua)
SIR ANDREW AGUECHEEK, compagnon de Sir Toby (Jean-Marc Bihour)
MALVOLIO, intendant d’Olivia (Jean-Pol Dubois)
FABIEN, membre de la maison d’Olivia (Dominique Compagnon)
LE CLOWN (FESTE), bouffon d’Olivia (Dominique Valadié)
UN SERVITEUR d’Olivia
UN PRÊTRE
MUSICIENS, SEIGNEURS, MARINS, GENS DE SUITE (Juliette Augert, Claire Calvi, Pauline Méreuze)
22

Annexe n˚ 6 : LECTURE

Acte I, scène 2
n° 96 Rescapée d’un naufrage, Viola se retrouve en Illyrie et expose au Capitaine sa résolution de se
novembre 2009
travestir.

VIOLA :
Tu as belle allure, capitaine ;
Et bien que la nature, d’un mur magnifique
Entoure souvent la corruption, de toi pourtant
Je croirais volontiers que ton esprit s’accorde
Avec ta belle apparence extérieure.
Je t’en prie (je te paierai avec munificence)
Cache ce que je suis, et aide-moi à trouver
Le déguisement susceptible de convenir
À la forme de mon projet. Je servirai ce duc ;
Tu me présenteras à lui comme un eunuque.
Tu n’y perdras pas ta peine, car je sais chanter
Et lui jouerai toutes sortes de musique
Qui me prouveront tout à fait digne de son service.
Pour la suite, je m’en remets au temps ;
Modèle seulement ton silence sur mon stratagème.
LE CAPITAINE :
Soyez son eunuque, moi je serai votre muet :
Quand ma langue babillera, que mes yeux ne voient plus jamais.
VIOLA :
Je te remercie, conduis-moi.

Ils sortent.

Acte I, scène 4

Ayant pris l’apparence de Césario, Viola devient le confident du Duc et se voit confier une mission
des plus délicates : intercéder auprès de la « cruelle » Olivia, sa rivale, en faveur de son nouveau
maître Orsino dont elle s’est éprise.

LE DUC :
Cher garçon, crois-le ;
Car c’est mal présenter ton âge heureux
Que de dire que tu es un homme ; la lèvre de Diane
N’est pas plus douce et plus vermeille : ta petite voix flûtée,
Claire et haut perchée, est celle d’une jeune fille
Et tout te prédestine au rôle d’une femme.
Ton astre, je le sais, est favorable
À cette affaire. Que quatre ou cinq d’entre vous l’escortent ;
Tous, si vous le voulez : pour moi je ne me sens jamais mieux
Que lorsque je suis seul. Réussis dans cette entreprise,
Et tu vivras aussi libéralement que ton maître,
Disant que sa fortune est tienne.
VIOLA :
Je ferai de mon mieux
La cour à votre dame : (à part) ô, dur combat, mon âme !
23

Acte V, scène 1

Lors d’une ultime scène de reconnaissance, frère et sœur, Césario/Viola et Sébastien, se retrouvent,
incrédules, et révèlent enfin leur identité aux yeux des personnages, tous présent à l’exception du
Capitaine.
n° 96
novembre 2009
ANTONIO :
Êtes-vous Sébastien ?
SÉBASTIEN :
Peux-tu en douter, Antonio ?
ANTONIO :
Comment vous êtes-vous divisé de la sorte ?
Les moitiés d’une pomme coupée en deux ne sont pas plus jumelles
Que ces deux créatures. Lequel est Sébastien ?
OLIVIA :
Quel prodige !
SÉBASTIEN :
Est-ce moi qui suis là ? Je n’eus jamais de frère ;
Et il ne peut y avoir dans ma nature ce don divin
D’être ici et partout. J’avais une sœur,
Que les vagues aveugles de la tempête ont dévorée ;
Par charité, quelle est votre parenté avec moi ?
Quel est votre pays ? Votre nom ? Votre famille ?
VIOLA :
Je suis de Messaline : mon père s’appelait Sébastien ;
Un autre Sébastien était mon frère :
C’est vêtu comme vous qu’il sombra dans sa tombe marine.
Si les esprits peuvent emprunter forme et vêtement,
Vous venez pour nous effrayer.
SÉBASTIEN :
Je suis un esprit, certes,
Mais revêtu de ce corps charnel que j’ai comme les autres
Reçu en sortant du ventre de ma mère.
Si vous étiez une femme, car tout le reste concorde,
Je laisserais mes larmes couler sur votre joue
Et je dirais : « Sois trois fois bienvenue, ô Viola la noyée. »
VIOLA :
Mon père avait un grain de beauté sur le front.
SÉBASTIEN :
Le mien aussi.
VIOLA :
Et il est mort le jour
Où Viola eut treize ans.
SÉBASTIEN :
Oh ! ce souvenir est encore vivant dans mon âme !
Il acheva, c’est vrai, son mortel pèlerinage
Le jour-même où ma sœur eut treize ans.
VIOLA :
Si rien ne s’oppose à notre bonheur commun
Que ce costume masculin par moi usurpé,
Ne m’embrassez pas avant que toutes les circonstances
De lieu, de temps, de hasard ne concourent à prouver
Que je suis bien Viola ; pour vous le confirmer,
Je vous emmènerai dans cette ville voir le capitaine
Chez qui sont déposés mes vêtements de fille ; c’est par son entremise secourable
Que je fus préservée et pus servir ce noble comte :
Tous les événements de ma fortune depuis lors
Se sont partagés entre cette dame et ce seigneur.
24

SÉBASTIEN (à Olivia) :
Et c’est ainsi, madame, que vous vous êtes méprise.
Mais la nature par ce détour n’a fait que suivre sa pente.
Vous vouliez vous unir à une vierge ;
En ce cas, sur ma vie, vous n’êtes pas trompée :
n° 96 Vous êtes fiancée à la fois à un homme et à la virginité.
novembre 2009
LE DUC :
Ne restez pas stupéfaite, son sang est vraiment noble.
S’il en est ainsi, puisque l’illusion semble dire la vérité,
J’aurai ma part de cet heureux naufrage.
(à Viola) Toi mon garçon, ne m’as-tu pas affirmé mille fois
Que jamais tu n’aimerais femme autant que moi ?
VIOLA :
Et toutes ces affirmations, je les jure à nouveau,
Et tous ces serments mon âme les tiendra aussi fidèlement
Que la sphère du soleil garde le feu
Qui sépare la nuit du jour.
LE DUC :
Donne-moi ta main,
Et laisse-moi te voir dans tes habits de femme.
VIOLA :
C’est le capitaine qui m’amena sur ce rivage
Qui détient mes vêtements de jeune fille ;
Il est pour l’instant en prison
À la suite d’une action intentée par Malvolio,
Un gentilhomme de la maison de Madame.

Répétition © antoine benoit


25

Annexe n˚ 7 : le personnage du clown

Acte III, scène 1


n° 96 Entrent Viola et le clown (jouant de la flûte et du tambourin).
novembre 2009

VIOLA :
Dieu te garde, ami, toi et ta musique ! Vis-tu de par ton tambourin ?
LE CLOWN :
Non, monsieur, je vis de par l’église.
VIOLA :
Es-tu homme d’Eglise ?
LE CLOWN :
Nullement, monsieur. Je vis de par l’église car je vis dans ma maison, et ma maison est située de
par l’église.
VIOLA :
Tu pourrais aussi bien dire que le roi couche avec une mendiante, si la mendiante habite près de
chez lui ; ou que le tambourin est l’appui de l’église, si tu appuies ton tambourin contre l’église.
LE CLOWN :
Vous l’avez dit, monsieur. Quelle époque ! Une phrase n’est qu’un gant de chevreau pour un esprit
agile : comme il la retourne vite à l’envers !
VIOLA :
Ça, c’est certain : ceux qui jouent subtilement avec les mots ont vite fait de les dévergonder.
LE CLOWN :
C’est pourquoi j’aurais préféré que ma sœur n’ait pas de nom, monsieur.
VIOLA :
Pourquoi, l’ami ?
LE CLOWN :
Eh bien, monsieur, son nom est un mot, et en jouant avec ce mot on pourrait dévergonder ma sœur.
Mais de fait les mots sont de vraies crapules depuis qu’on ne tient plus sa parole.
VIOLA :
Pour quelle raison, l’ami ?
LE CLOWN :
Ma foi, monsieur, je ne saurai vous en donner une sans des mots, et les mots sont devenus si
trompeurs que je répugne à les utiliser pour raisonner.
VIOLA :
Décidément, tu es un joyeux drille, et tu ne te soucies de rien.
LE CLOWN :
Pas du tout, monsieur, je me soucie de quelque chose ; mais en conscience, monsieur, je ne me
soucie pas de vous : si c’est là ne se soucier de rien, monsieur, j’aimerais que cela suffise à vous
rendre invisible.
VIOLA :
N’es-tu pas le fou de madame Olivia ?
LE CLOWN :
En vérité non, monsieur, madame Olivia n’a pas de folie. Elle n’aura pas de fou chez elle, monsieur,
avant d’être mariée, et les fous sont aux maris ce que les sardines sont aux harengs, des deux,
ce sont les maris les plus grands. Je ne suis pas véritablement son fou, mais son corrupteur de
mots.
VIOLA :
Je t’ai vu dernièrement chez le comte Orsino.
LE CLOWN :
La folie, monsieur, fait le tour de la terre comme le soleil, elle brille partout. Cela m’attristerait,
monsieur, si le fou n’était pas aussi souvent auprès de votre maître qu’auprès de ma maîtresse : je
crois bien avoir vu chez elle Votre Sagesse.
26

Annexe n˚ 8 : traductions

Cette chanson vient clore le dénouement alors que le sort des personnages vient d’être fixé :
les principaux protagonistes voient couronner leurs espoirs, à l’exception de Malvolio, qui crie
n° 96 vengeance. Demeuré seul sur scène, Feste entonne la chanson qui suit.
novembre 2009

Chanson de Feste (V,1)


All save the clown go within.

CLOWN, sings :
But when I was a little tiny boy,
With hey, ho, the wind and the rain :
A foolish thing was but a toy
For the rain it raineth every day.

But when I came to man’s estate,


With hey, ho, the wind and the rain :
‘gainst knaves and thieves men shut their gate,
For the rain it raineth every day.

But when I came alas to wive,


With hey, ho, the wind and the rain :
By swaggering could I never thrive,
For the rain it raineth every day.

But when I came unto my beds,


With hey, ho, the wind and the rain :
With toss-pots still had drunken heads,
For the rain it raineth every day.

A great while ago the world begun


With hey, ho, the wind and the rain :
But that’s all one, our play is done,
And we’ll strive to please you every day.

Répétition © antoine benoit


27

Différentes traductions

Traduction de Jean-Michel Déprats, Éditions Théâtrales, 2005, utilisée pour la mise


en scène de Jean-Louis Benoit
n° 96
novembre 2009
LE CLOWN :
Quand j’étais un tout petit garçon
Dans le vent, ohé ! dans la pluie,
On m’passait tous mes tours d’polisson,
Car d’la pluie il en pleut tous les jours.

Quand j’atteignis l’âge d’homme enfin,


Dans le vent, ohé ! dans la pluie,
On m’chassa en me traitant d’coquin,
Car d’la pluie il en pleut tous les jours.

Quand, hélas, j’en vins à convoler,


Dans le vent, ohé ! dans la pluie,
Ca m’servit plus à rien de crâner,
Car d’la pluie il en pleut tous les jours.

Et quand vint l’âge de s’aliter,


Dans le vent, ohé ! dans la pluie,
J’rentrions toujours un verre blanc dans l’nez,
Car d’la pluie il en pleut tous les jours.

Y’a longtemps qu’le monde a commencé


Dans le vent, ohé ! dans la pluie,
C’est égal, la pièce est terminée
Puissions-nous vous plaire tous les jours.

Traduction de Ariane Mnouchkine, Théâtre du Soleil/Solin, 1982

LE CLOWN :
Quand j’étais un tout petit garçon
Avec he avec ho avec le vent et la pluie
La folie alors n’était qu‘amusement
Car il pleut de la pluie tous les jours.

Quand je parvins à l’âge d’homme


Avec he avec ho avec le vent et la pluie
Contre coquins, contre fripons,
Les gens fermaient leur porte
Car il pleut de la pluie tous les jours.

Mais quand je vins hélas à prendre femme


Avec he avec ho avec le vent et la pluie
De mes fanfaronnades je fis nul profit
Car il pleut de la pluie tous les jours.

Le monde a commencé il y a longtemps déjà


Avec he avec ho avec le vent et la pluie
Mais tout ça c’est égal, notre pièce est finie
Puisqu’il pleut tous les jours.
Nous tâcherons de vous plaire tous les soirs.
28

Traduction de Jean-Louis Curtis

LE CLOWN :
Lorsque j’étais un petit marmouset,
Par le vent, ô gué, par la pluie,
n° 96 Avec des riens je m’amusais
novembre 2009
Car la pluie elle pleut jour et nuit.

Mais quand j’eus l’âge d’homme atteint,


Par le vent, ô gué, par la pluie,
Porte close au nez du vilain
Car la pluie elle pleut jour et nuit.

Mais quand hélas, je fus conjoint,


Par le vent, ô gué, par la pluie,
Crâner ne me servit de rien
Car la pluie elle pleut jour et nuit.

Mais quand j’en vins à la vieillesse,


Par le vent, ô gué, par la pluie,
Je me consolai dans l’ivresse,
Car la pluie elle pleut jour et nuit.

Y a beau temps que la terre est née,


Par le vent, ô gué, par la pluie,
Tant pis ! la pièce est terminée
Et l’on souhaite vous plaire jour et nuit.

b Organiser un débat sur le processus de la traduction, à partir des traductions des élèves et
des trois extraits précédents.
Peut-on, comme le suggère Jean-Michel Déprats ci-dessous, établir un parallèle entre la traduction
et la mise en scène ? Une majorité de metteurs en scène opte pour la traduction de Jean-Michel
Déprats.
Ce dernier insiste sur la nécessité de réactualiser sans cesse les traductions16.

« L’enjeu de la traduction est de rouvrir constamment l’accès au texte, d’en aiguiser la


compréhension. »
« La qualité majeure d’une traduction au théâtre, c’est que les mots aient une force de frappe
ou de percussion car les mots ne sont entendus qu’une fois au théâtre. Si exacts qu’ils soient,
soit ils parlent à l’imaginaire, soit ce sont des mots morts, s’ils n’éveillent pas par leur concré-
tude immédiate. […] »
Jean-Michel Déprats traduit Shakespeare, Europimages FMP/La Sept Vidéo/Centre
Georges Pompidou, avec la participation de la D.L.L., 1993.

« Chacun se veut fidèle même si les moyens différent. Parce qu’il doit choisir, le traducteur
est le plus souvent contraint à la liberté, à l’invention. »
16. Noter l’existence du C.I.T.L. : Collège Jean-Michel Déprats, « Hamlet et La Nuit des rois », Shakespeare, la scène et ses miroirs,
international des traducteurs littéraires, collection Théâtre aujourd’hui, n° 6, CNDP, 1998.
qui a son siège administratif à Paris et
son siège social à Arles.
Il a pour but de promouvoir
la littérature traduite comme activité
créatrice, et de mettre en relation
les spécialistes et les personnalités
intéressées par la traduction littéraire :
www.atlas-citl.org/
29

Annexe n˚ 9 : NOTE D’INTENTION DE JEAN-LOUIS BENOIT

« I am not what I am. » (Viola)


n° 96
novembre 2009
Une jeune femme sort de la mer. Elle se nomme grand chose à ce qui leur arrive. L’amour
Viola (ce nom ne sera prononcé qu’à la fin de la lui-même est plein d’erreurs et d’errements.
pièce). Son frère jumeau vient de se noyer au Aveugles souvent, ballottés, capricieux et même
cours d’un naufrage. Dans le pays de fantaisie cyniques, ils voient ce qui n’est pas et sont ce
où elle échoue, elle se travestit en homme, cela qu’ils ne sont pas. Tout comme Iago, Viola peut
sans aucune raison si ce n’est celle, secrète, de dire : « I am not what I am. »
faire revivre ce frère aimé. Elle se fait appe-
ler Césario, elle entre au service d’un homme Dernière comédie lyrique, cette pièce de
mélancolique éperdument amoureux d’une autre Shakespeare annonce les inquiétudes, les remises
jeune femme, en deuil elle aussi d’un frère, et en question, les tons sombres des tragédies. Le
qui possède les mêmes lettres que son propre quatuor de désœuvrés, Toby, Andrew, Feste,
nom : Olivia. Maria, est donc chargé de chasser la tristesse qui
enveloppe l’œuvre. Chants, danses, débauches,
Césario tombe amoureux-se de son maître, cris et duel s’entrelacent tout le long de la
tandis qu’Olivia s’éprend de Césario-Viola… quête amoureuse de Viola.
Une suite de malentendus, de quiproquos et
de méprises s’ensuivent nécessairement. Viola Les comédies de Shakespeare sont toutes un
retrouve enfin son frère jumeau, vivant. Olivia peu tristes. Le monde étant ce qu’il est,
va le séduire et l’épouser, Viola dévoile à tous comment ne le seraient-elles pas ? Mais cela
sa féminité et est aussitôt aimée et épousée par n’exclut pas le rire et le divertissement. « Il
son maître. Viola est toujours en Césario. On ne pleut tous les jours  ! Le monde est vieux ! »
la verra jamais remettre sa robe. nous chante le bouffon à la fin de la pièce.
« Mais heureusement, le théâtre est là ! »
Dans ce jeu de doubles et de reflets où l’autre
est comme l’écho de vous-même, où la raison Ces lignes sont écrites à plusieurs mois de la
et la déraison, la farce et la gravité semblent première répétition17. Mon spectacle La Nuit des
se répondre, un amour, un seul, pousse la pièce rois est encore à l’état de songe. Je sais qu’il
en avant : celui, passionné, de Viola pour son sera musical, chanté et dansé... Que les décors
maître Orsino. Seule Viola obtient ce qu’elle nous feront rapidement aller du bord de la mer
veut : Orsino et la «résurrection » de son frère. aux salons austères d’Olivia et d’Orsino. Qu’il y
aura un piano, des rideaux très légers, visibles
Si cet amour est si profond, c’est certainement et invisibles, des personnages en costumes du
parce qu’il est éprouvé par un être androgyne, xviie siècle, en conversation basse, feutrée, et
qu’il est trouble, troublant, tendu entre le d’autres vociférant des obscénités, un bouffon
féminin et le masculin, entier. Le travesti de fugueur, vieilli et fatigué d’être encore là, et
Viola n’est pas un mensonge ou une simple un homme sombre en perruque au pouvoir
commodité pour mener l’action : il reconstitue menaçant qui est au centre d’une des scènes les
en toute vérité l’être humain avec ses deux plus drôles du théâtre de Shakespeare : Malvolio.
moitiés, féminine et masculine, dans une lutte Je sais que pour jouer cette pièce menée par
contre la mort qui lui a volé son double, ce frère des femmes, il faut de grandes actrices : ce
jumeau qu’elle veut faire revenir à la vie. sera donc Nathalie Richard qui interprétera
Viola, Dominique Valadié le bouffon, et Ninon
Les personnages de La Nuit des rois sont des Brétécher Olivia. Arnaud Décarsin sera Orsino,
êtres égarés au bord de la mer, cette mer Jean-Claude Leguay Sir Toby, Jean-Marc Bihour
cruelle qui s’acharne à séparer les familles et Sir Andrew, Laurent Montel le Capitaine et
à briser les liens. Hommes et femmes sont Antonio, Luc Tremblais Maria et Dominique
comme abandonnés à des forces inconnues, Compagnon Fabien. Le reste de la distribution
incompréhensibles. Ils ne comprennent pas est en cours.

17. Ce texte a été rédigé en mai 2009.


30

Annexe n˚ 10 : REBONDS

De nombreuses adaptations de Shakespeare font partie de la culture des élèves. Elles pourront
s’inscrire dans l’objet d’études sur les réécritures, pour la série L.
n° 96 Les élèves citeront probablement Shakespeare in love de John Madden (dont les dernières scènes
novembre 2009
évoquent la commande par Elisabeth Ire de La Nuit des Rois et la création du personnage de Viola
qui marche sur les rives de l’Illyrie) ou Romeo+Juliet de Baz Luhrmann.
Citer telle ou telle œuvre sera une façon de montrer que l’œuvre de Shakespeare appartient au
patrimoine culturel, sans cesse revisité par un nombre impressionnant d’artistes.

Films sur Shakespeare

• Looking for Richard, documentaire de Al Pacino (1995), présentant la vision populaire de


l'œuvre de Shakespeare à travers des séquences filmées de la pièce Richard III. Avec Al Pacino,
Alec Baldwin, Kevin Spacey, Winona Ryder, Aidan Quinn et Richard Cox ;
• Shakespeare in Love (1998), réalisé par John Madden, racontant la création de Roméo et
Juliette ;
• Why Shakespeare ? (2005), documentaire de Lawrence Bridges sur l'influence de Shakespeare dans
le jeu de l'acteur. Avec Tom Hanks, Martin Sheen et Michael York.

Adaptations cinématographiques majeures des pièces de Shakespeare

• Romeo and Juliet, film américain de George Cukor (1936) ;


• Macbeth, film américain d'Orson Welles (1948) ;
• Hamlet, film britannique de Laurence Olivier (1948) ;
• The Tragedy of Othello : The Moor of Venice, film américain d'Orson Welles (1952) ;
• Julius Caesar, film américain de Joseph Mankiewicz (1953) ;
• Richard III, film britannique de Laurence Olivier (1955) ;
• Le Château de l'araignée, film japonais d'Akira Kurosawa, adaptation de Macbeth (1957) ;
• West Side Story, d'abord comédie musicale puis film américain de Jérôme Robbins et Robert Wise,
adaptation de Roméo et Juliette (1961) ;
• The Taming of the Shrew (La Mégère apprivoisée), film italien de Franco Zeffirelli (1967) ;
• Romeo and Juliet, film italien de Franco Zeffirelli (1968) ;
• Le Roi Lear (Король Лир - Korol’ Lir), film soviétique de Grigori Kozintsev, sur une traduction
de Boris Pasternak, film reconnu comme une adaptation magistrale de la pièce (1971) ;
• King Lear, film britannique de Peter Brook (1971) ;
• The Tragedy of Macbeth, film britannique de Roman Polanski (1971) ;
• Ran, film japonais d'Akira Kurosawa, adaptation du Roi Lear (1985) ;
• Prospero's Books, film britannique de Peter Greenaway, adaptation de La Tempête (1991) ;
• Much ado about nothing (Beaucoup de bruit pour rien), film américano-britannique de Kenneth
Brannagh (1993) ;
• The Lion King (Le Roi Lion), de Thomas Schumacher et Sarah McArthur (1994), adaptation partielle
de Hamlet ;
• Romeo+Juliet de Baz Luhrmann (1997), transposition moderne de la pièce ;
• The Lion King 2 (L'Honneur de la tribu), dessin animé américain de Rob LaDuca et Darrell Rooney
(1998), adaptation partielle de Roméo et Juliette.
31

Spectacles inspirés de pièces de Shakespeare

• The Fairy Queen, opéra de Henry Purcell (1692), adaptation du Songe d'une nuit d'été ;
• La Tempête, opéra de Henry Purcell (1695) ;
n° 96 • Les Capulets et les Montaigus, opéra de Vincenzo Bellini, adapté de Roméo et Juliette (1830) ;
novembre 2009
• Le Roi Lear, ouverture d'Hector Berlioz (1831) ;
• Roméo et Juliette, symphonie dramatique d'Hector Berlioz (1839) ;
• Macbeth, opéra de Giuseppe Verdi (1847) ;
• Hamlet, poème symphonique de Franz Liszt (1858) ;
• Béatrice et Bénédict, opéra d'Hector Berlioz, librement adapté de Beaucoup de bruit pour rien (1862) ;
• Roméo et Juliette, opéra de Charles Gounod (1867) ;
• Roméo et Juliette, ouverture fantaisie de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1869) ;
• Ophélie, poème d'Arthur Rimbaud inspiré du personnage d'Ophélie dans Hamlet (1870) ;
• Othello, opéra de Giuseppe Verdi (1887) ;
• Roméo et Juliette, ballet de Sergueï Prokofiev (1935) ;
• Le Roi Lear, musique de scène de Dmitri Chostakovitch (1941) ;
• Le Songe d'une nuit d'été (A Midsummer Night's Dream), opéra de Benjamin Britten (1960) ;
• Macbett, pièce de théâtre d'Eugène Ionesco (Gallimard, 1972) ;
• Lear, opéra d'Aribert Reimann (1978) ;
• Hamlet-machine, pièce de théâtre de Heiner Müller (1979), traduction française aux Éditions de Minuit ;
• Roméo et Juliette, opéra de Pascal Dusapin (1988) ;
• Roméo et Juliette, ballet d’Angelin Preljocaj (1990).

Autres mises en scène de La Nuit des rois

Ariane Mnouchkine : pour la saison 1981-1982, la directrice du Théâtre du Soleil avait envisagé
un temps de monter à la suite six drames historiques de Shakespeare (Richard II, La Nuit des
rois, Henri IV — première et deuxième parties —, Peines d’amour perdues, Henri V), au rythme
d’un tous les deux mois. Ariane Mnouchkine propose une nouvelle traduction. Cependant, ce rêve
restera inachevé : seuls Richard II, La Nuit des rois et Henri IV, première partie, seront montés,
respectivement en 1981, 1982 et 1984, dans un décor unique (plateau clair et nu, à longues raies
noires et grands rideaux de soie
en fond de scène). Les influences
orientales sont sensibles dans les
costumes (tenues de samouraïs
pour Richard II, costumes persans
pour La Nuit des rois) comme dans
la mise en scène, qui s’inspire du nô
et du kathakali. D’une somptueuse
lenteur, plus de quatre heures, La
Nuit des rois de Mnouchkine fait
alterner des scène guignolesques,
des scènes muettes et la musique
de Jean-Jacques Lemêtre  : des
percussions étonnantes et des
cordes indiennes.

© MICHèle laurent
32

Jérôme Savary (1992, Comédie-Française, trad. de Jean-Michel Déprats) : le décor présente


une Illyrie de théâtre, avec des voiles carguées au-dessus de la salle. Oscillant entre burlesque et
romanesque, cette mise en scène est restée en mémoire par la beauté de ses décors modulables et
ses musiciens, mimes, danseurs qui ont accompagné les acteurs durant tout le spectacle.
n° 96 Hélène Vincent (1998, Théâtre national Marseille La Criée) : une mise en scène qui se
novembre 2009
caractérise par une grande subtilité dans la maîtrise et la composition de la lumière (les éclairages
géométriques mettent peu à peu en place les pièces du puzzle), dans l’harmonie des couleurs
seyant aux costumes, dans la sobriété symbolique et
onirique des décors. Un jeu de masques permettait
les jeux de travestissement. Comme pour dire un
kaléidoscope des désirs et des identités, Hélène
Vincent a délibérément inscrit le jeu de ses comédiens
dans un registre où l’imaginaire du spectateur doit se
fondre avec la multiplicité des volontés subjectives.
Servie par la traduction de Jean-Michel Déprats,
cette mise en scène non dépourvue d'ambiguïté vient
souligner le jeu d'ombre final avec le bouffon et Sir
Andrew. Cette dernière image reprend en effet le motif
des marionnettes déjà évoqué à la fin de la gigue
finale, quand Malvolio se joint soudainement à la fête
à laquelle il n'a pas été invité. Les scènes comiques
sont particulièrement bien réussies. La musique joue
à juste titre un rôle important dans cette mise en
© jean noël Barak scène.

Eric Sanjou (2008, Théâtre Sorano à Toulouse, traduction d’Eric Sanjou) : tout se joue sur un
plateau blanc sur lequel tombe sans fin des flocon de neige, nu et incliné, tel un morceau de
banquise, à la dérive sous la nuit étoilée. Comme dans un conte, le metteur en scène nous entraîne
dans la nuit lumineuse du théâtre. La projection sur ce plateau/écran d'une nappe de « nuages » en
perpétuel mouvement accentue encore cette impression d'infini et de temps suspendu. Le spectacle
s'ouvre sur l'apparition de huit personnages identiques, clones shakespeariens ; cinq d’entre eux
portent des masques. L’ensemble du spectacle s’accompagne de musiques et d’environnement
sonore mais également d’images en vidéo. Dans cette mise en scène, très moderne, le rire côtoie
le cauchemar pour mieux dire « le bonheur et la déchirure d’aimer »

Vidéo présentant la mise en scène d’Éric Sanjou :


http://www.oc-tv.net Choisir la rubrique « TV en Scène », puis cliquer sur La Nuit des rois.

Œuvres picturales

• Lady Macbeth somnambule, d'après Macbeth, par Johann Heinrich Füssli (1825), musée du Louvre ;
• Le Coucher de Desdémone, d'après Othello, par Théodore Chassériau (1849), musée du Louvre ;
• Othello et Desdémone à Venise, d'après Othello, par Théodore Chassériau (1850), musée du Louvre ;
• La Mort d’Ophélie, d’après Hamlet, de John Everett Millais (1852), Tate Gallery ;
• Othello et Desdémone, d'après Othello, par Jules-Robert Auguste, musée du Louvre ;
• Macbeth et les trois sorcières, d'après Macbeth, par Théodore Chassériau (1855), musée d'Orsay ;
• Desdémone ou la Romance du saule, d'après Othello, par Théodore Chassériau (1844), musée du
Louvre ;
• Roméo et Juliette devant la tombe des Capulet, d’après Roméo et Juliette, par Eugène Delacroix
(1855), musée Eugène Delacroix.

N. B. : L’exposition De la scène au tableau, ouverte du 6 octobre au 3 janvier au musée Cantini à


Marseille, présente certains de ces tableaux :
http://www.marseille.fr/sitevdm/jsp/site/Portal.jsp?document_id=4074&portlet_id=8
33

Annexe N˚ 11 : entretiens

Réalisés par Anne Faurie-Herbert et Corine Robet pour Pièce (dé)montée.


n° 96
novembre 2009
Entretien avec Jean-Louis Benoit, metteur en scène

Comment qualifier La Nuit des rois ? J’ai parlé au décorateur et me suis efforcé
Jean-Louis Benoit – […] La pièce m’a semblé de lui en montrer l’évidence. C’est le moment
d’une grande richesse. Souvent réduite à où une double révélation se produit ; Olivia
l’appellation de « comédie », elle échappe prend conscience de son attirance pour Césario
pourtant à cette simplification. Il y a un et, dans le même temps, Viola découvre le
déséquilibre entre la farce, qui prédomine, et danger que représente cette rivale de toute
l’aspect courtois. La pièce est généralement beauté (elle ne cesse de louer ses charmes).
tirée vers le grotesque, éclipsant les scènes On pourrait croire qu’elle lui fait une véritable
plus subtiles sur la quête d’identité. J’ai voulu déclaration d’amour.
rétablir un équilibre entre la gravité et la farce.
Ces deux aspects doivent aller de paire ; j’ai Dans cette exploration visuelle de la pièce, vous
donné plus de corps aux scènes d’approche avez créé un trio…
entre Viola et Olivia et j’ai davantage fouillé le J.-L. B. – C’est une de mes inventions ; ce sont
personnage d’Orsino. des « valets de scène », à la frontière entre la
fiction et le jeu. Androgynes, les comédiennes
Depuis combien de temps travaillez-vous sur ce qui les incarnent sont dans un rapport de
projet et quelles en ont été les étapes ? séduction. C’est une référence à la Renaissance
J.-L. B. – Ici, je ne peux parler que de mon qui vient d’un constat pragmatique : il existe
expérience, chaque metteur en scène étant chez Shakespeare des rôles qui n’en sont pas,
assez singulier. Il n’y a ni lois, ni règles. Je Curio et Valerio. La notion de figuration était
suis très visuel. Il nous appartient de « faire du inconnue, tous les techniciens jouaient, d’où
théâtre » à partir d’un texte, l’écriture théâtrale la prolifération de ces personnages qui ont une
doit prendre forme à partir des détails concrets ou deux phrases. La majorité du temps, ils sont
donnés par Shakespeare. Or, ce dernier ne donne coupés. Si on les garde, il faut adapter pour
pratiquement aucune didascalie. Ce sont dans limiter les dépenses. J’ai décidé de les garder
les dialogues que nous avons des indications et j’ai pris trois comédiennes pour traiter le
précises : un personnage dit « Vous rentrez bien thème du travestissement et endosser le rôle
tard » et on comprend que la nuit est tombée. de valets de scène comme c’est le cas dans le
De la même manière, il m’est apparu évident théâtre nô où ils sont serviteurs du spectacle
que tout le premier acte était un acte contraire tout en s’y intégrant. Cette invention connote
à la comédie, qu’il s’agissait d’un acte de deuil : la naïveté du monde de l’enfance. Ils assistent
Orsino, à la scène 1, se meurt d’amour, scène 2, au spectacle et adoptent un regard naïf. On est
une jeune naufragée pleure son frère qu’elle dans un monde d’imagerie et de désir.
pense noyé, scène 3, une comtesse pleure la
mort de son père et de son frère. Pourquoi avoir choisi un comédien, Luc Tremblais,
Ce constat flagrant m’a incité à faire un ajout : pour interpréter Maria et une comédienne,
dans le texte, Olivia demande à Viola de lui Domique Valadié, pour celui de Feste ?
apporter son voile avant de recevoir le jeune J.-L. B. – C’est pour, une fois de plus, rétablir
page d’Orsino. J’ai imaginé que la jeune femme l’équilibre. Je ne voulais pas d’un spectacle
apparaissait voilée. Le suspense est accru et réaliste, je voulais faire évoluer le spectateur
le spectateur va avoir la même envie que Viola à la frontière du réel et de l’irréel. Il fallait
de la dévoiler. On sait qu’au xviie siècle, on quelque chose de poétique et d’une extrême
recouvrait les meubles en signe de deuil et, simplicité avec des tonalités burlesques.
lors de la mort de Shakespeare, certains ont Puisque cette pièce traite du travestissement,
rapporté que tout était voilé. Mon décor a donc deux acteurs se sont imposés à moi : Luc
été entièrement recouvert de noir. La première Tremblais et Dominique Valadié étaient libres.
idée que j’ai eue, il y a un an en relisant cette Luc avait déjà joué dans De Gaulle en mai et
pièce, a été de réaliser une synchronie parfaite j’avais vu Dominique dans le dernier spectacle
entre le dévoilement du décor et celui d’Olivia. d’Alain Françon. Le personnage de ce fou
34

inquiétant pourrait paraître accessoire  ; il ne vont être fermés, ce sont les Talibans de l’époque,
perturbe pas le drame et, pourtant, le commente qui sèment la terreur. Au sein de la maison
avec son regard décalé, sans doute celui de d’Olivia siègent ces deux corps constitués : le
Shakespeare. Ce rôle demande des qualités bon vivant, « très sexué », truculent, Sir Toby
musicales toutes particulières puisqu’il lui faut et ce personnage sec, blanc, asexué qui étouffe
n° 96 respecter les partitions des deux chansons qu’on un désir latent. Malvolio veut le départ de Feste
novembre 2009
a conservées. Pour les chansons, on a gardé la et de Toby, toutes les parcelles carnavalesques.
musique composée du temps de Shakespeare. Or, il nourrit un secret amour pour Olivia, amour
« La musique est nourriture d’amour » ; C’est qui va donner lieu à une cruauté sans borne. Les
une pièce musicale et toutes les chansons sont farceurs le torturent et l’enferment. Il s’en sort
maintenues. Ces chansons sont essentielles car, de justesse avec la ferme intention de se venger
entonnées par Feste, ce sont des complaintes et il le fera puisque quarante ans plus tard, on
qui parlent de douleur, de mélancolie. fermera les théâtres.
On sent qu’il n’y a pas de dénouement heureux Pour vous montrer à quel point il est important :
comme chez Corneille et Molière. On a beaucoup au xviie siècle, cette pièce a été débaptisée ;
interrogé le travestissement de Viola. Dans le l’amour courtois avait été supprimé et le titre
théâtre, c’est une convention qui est motivée choisi était justement Malvolio. C’était la star
par la volonté de débusquer un amoureux de la pièce.
infidèle ou d’éprouver la vraie nature d’un
homme. On pense à Marivaux. Or dans cette Comment définiriez-vous le travail du metteur
pièce, Viola s’habille en homme de façon très en scène ?
mystérieuse pour servir la comtesse qui vit J.-L. B. – La place du metteur en scène est accrue
une situation identique à la sienne, en deuil depuis le xxe siècle, je me fais une haute idée
de son père et de son frère. En fait, derrière de cette fonction : il est l’homme de toutes les
l’anagramme Viola/Olivia, il y a un jeu de miroir. responsabilités (image, direction d’acteurs…).
Devant l’impossibilité d’un tel projet, elle Il est responsable d’un aspect essentiel, celui
décide de servir d’intermédiaire auprès du Duc du point de vue ou de la vision de la pièce. Ce
d’Orsino. Tout cela n’est pas très convaincant, ne peut être une vision collective, pour moi. J’ai
elle parle de mettre en œuvre un projet mais on toujours eu envie de fédérer autour d’un point
n’en connaît pas vraiment la nature. Une autre de vue. La conception du décor est le lieu où
énigme apparaît en surimpression : elle reste s’inscrit le point de vue. Tout doit converger.
habillée en homme jusqu’à la fin. Par deux fois, Mes lectures de la pièce s’accompagnent de
elle exprime l’impossibilité de revêtir une tenue dessins et, d’emblée, se sont imposés à moi
féminine alors qu’Orsino exige d’elle qu’elle la mer et le lieu clos. Comme le dit Pitoëff,
donne la preuve de sa véritable identité avant «  la mise en scène est l’art du dessin  ». L’art
de lui déclarer sa flamme. Il idéalisait Olivia, du dessin prend appui sur un cadre en couleurs
c’est par dépit qu’il se tourne vers Viola. dans lequel vous avez une composition à partir
Et Viola est tout aussi inaccessible. Orsino est des personnages, des accessoires et des décors.
amoureux de l’amour. Il est très proche des Voilà ce qu’est l’art scénique.
personnages de Musset.
b Proposer un sujet de dissertation sur le
Parlez-nous du personnage de Malvolio. travail du metteur en scène :
J.-L. B. – Les scènes de Malvolio ont la
réputation d’être les plus comiques du théâtre « Dans Le Théâtre18, Anne Ubersfeld affirme :
shakespearien : celles de la lettre ou des “ Une des caractéristiques les plus étonnantes
jarretières. Tous les acteurs, parmi lesquels du texte théâtral, la moins visible, mais peut-
Laurens Olivier, souhaitent le jouer, c’est le rôle être la plus importante, c’est son caractère
à la fois tragique et satirique. Ce personnage incomplet. ” Pour elle, le texte théâtral est
austère, s’embrasant à la vue d’Olivia, évoque donc un texte “ troué ”, qui exige du metteur
la menace puritaine. Ces gens-là vont régner en scène une interprétation. Vous discuterez
pendant quinze ans avec Cromwell. Tous les ce point de vue, en regard des positions de
amusements vont être supprimés, les théâtres Jean-Louis Benoit dans La Nuit des Rois. »

18. Le Théâtre, Anne Ubersfeld,


Bordas, 1980.
35

Entretien avec Ninon Brétecher (Olivia) et Luc Tremblais (Maria)

Quel est votre rapport à Shakespeare ? d’un précieux secours. La robe noire qui me
Ninon Brétecher – Mon premier rapport est maintient totalement et m’empêche de bouger
n° 96 un rapport de spectatrice intimidée par le me permet d’entrer dans le carcan où se réfugie
novembre 2009
souffle de Shakespeare. Avant La Nuit des rois, cette femme. Si je bouge, c’est d’un bloc. Quand
je n’avais jamais joué du Shakespeare et j’avais le corps est contraint, la pensée est forcément
l’impression en tant que comédienne, et cela rigide.
s’est confirmé par la suite, qu’on ne peut jamais L. T. – Ce n’est pas mon premier rôle féminin,
le jouer du bout des doigts. Dès qu’on aborde les à lÉcole nationale supérieure des arts et
choses d’une manière sage, cela ne fonctionne techniques du technique, j’ai eu le privilège
plus, pour aucun des personnages. Le texte de jouer Barbara Cartland avec une belle robe
exige un élan, une jubilation d’avoir à porter, à rose. Cette exploration de l’autre sexe est
jouer des personnages qui vont vite. Cet auteur passionnante, d’autant plus que Maria est une
écrit, en effet, des situations extraordinaires, femme forte. Comme souvent au théâtre, ce
une violence de sentiments incroyable. Tout sont elles qui font l’intrigue. C’est là qu’on voit
est instable. Mon rapport se caractérise donc que les hommes sont un peu passifs. Au début,
par le passage de l’intimidation face à cette j’avais un corset mais je ne pouvais pas respirer.
tempête à une découverte d’un texte qu’il faut Après les essais, on a abandonné et finalement,
mordre, livrer dans son côté charnel, sensuel, sans corset, ça marche. En fait, ce qui me
drôle et souvent paroxystique ; ce qui interdit semble drôle, c’est que j’ai un peu la forme de
la demi-teinte mais comprend la subtilité, ma grand-mère. Inconsciemment, j’ai construit
notamment dans la complexité des rapports le personnage en cherchant dans mon histoire
humains. Shakespeare est donc un ravissement personnelle.
et un étourdissement pour moi.
Luc Tremblais – Pour moi, c’est également neuf, Pour vous, quelle est la nature des relations
c’est un désir, une envie. Shakespeare fait partie entre ces deux personnages, Olivia et Maria ?
des grands, je le range aux côtés de Tchekhov. Quel est le rapport d’intimité ?
Ce sont deux auteurs très différents mais ils N. B. – En fait, chez Shakespeare, il y a des
se rejoignent car ils ont, tous deux, essayé à choses très elliptiques. Souvent, on s’est rendu
des époques différentes de mettre le monde sur compte que certains personnages sont sur scène
scène. Ce n’est un hasard si le théâtre où jouait sans y participer. Maria et Olivia n’ont pas de
Shakespeare s’appelle le Globe. Un autre point scène ensemble. Le rapport hiérarchique n’est
commun est que chacun de leurs personnages pas visible : Maria n’est pas une servante mais
dit la vérité. une suivante.
L. T. – Le personnage de Maria produit du jeu
Pour La Nuit des rois, comment s’est effectuée dans le jeu, elle est la grande ordonnatrice
la distribution ? et metteur en scène. Elle fait jouer des rôles
N. B. – Jean-Louis Benoit a confié le rôle de à Malvolio ainsi qu’au Fou qui devient le
Viola à Nathalie Richard car, au-delà du simple prêtre à l’acte IV. J’ai dû me renseigner sur le
fait qu’elle est une immense actrice, elle peut puritanisme car on sent des rivalités et des
apporter par sa présence et par sa voix, assez tensions entre l’austérité et l’extravagance.
grave, quelque chose de mystérieux qui se prête Il y a plusieurs pièces dans la pièce : il y
parfaitement au caractère trouble de la jeune a du Marivaux, du Musset, un peu de tout,
fille et qui alimente la confusion des genres. Et, sans que ce soit désordonné. Les personnages
comme pendant féminin, il voulait me confier le appartiennent tantôt à la comédie, tantôt à la
personnage de Viola qu’il considérait comme « tragédie. Prenez Orsino, continuellement dans
le feu sous la glace »… faussement sage ! Ce les larmes, contrairement à Maria qui est dans
qui est vraiment jubilatoire, c’est un moment l’action.
qui n’est pas dans le texte écrit, où Olivia
demande à Maria de lui enlever son voile. Dans Quel passage de cette comédie vous a semblé
le texte originel, Olivia n’est pas voilée et Jean- le plus délicat ?
Louis Benoit désirait que paraisse une femme N. B. – La troisième scène avec Viola : elle
en deuil, d’où le motif du voile. Ici, c’est une est courte et pourtant elle est plus difficile à
des réussites des costumes. L’austérité marquée jouer que les deux premières car rien ne répond
par ce voile m’a aidée à suggérer un sentiment à rien. Je commence par dire : « Je n’ai que
qui ne m’est pas familier. Les costumes sont trop parlé devant un cœur de pierre… J’ai trop
36

imprudemment exposé mon honneur, quelque me mettait dans un faux rythme alors que Maria
chose en moi me reproche ma faute ; mais c’est n’a matériellement pas le temps de l’écouter.
une faute si têtue, si puissante qu’elle se moque Elle l’entend. J’ai compris par la suite que Maria
du blâme » (III, 4). Et Viola de rétorquer : « De ne l’écoute pas, elle essaie d’avancer avec lui
même nature que votre passion est la douleur puis, dépitée, l’abandonne. J’ai donc trouvé qu’il
n° 96 de mon maître » (ce qui est toujours logique fallait deux tempos différents pour créer une
novembre 2009
pour un messager) sauf que je lui réponds à cet tension. Ces personnages ne doivent pas sur-
instant : « Tenez, portez ce joyau en souvenir de jouer, ils ne doivent pas s’installer sur scène.
moi, c’est mon portrait. Ne le refusez pas, il n’a Ce qui est déroutant dans ce théâtre, c’est
pas de langue pour vous tourmenter […]» elle l’impression de comprendre et la certitude de
le refuse et je lui dis de revenir le lendemain. En n’avoir pas compris.
fait, on se dit une chose et l’autre répond à côté,
ce qui rend le jeu difficile. Les deux premières Comment décririez-vous le travail avec Jean-
scènes se déroulaient à bâtons rompus, de façon Louis Benoit ?
un peu étourdissante. Dans cette scène, on a N. B. – Ce qui résume sa manière de travailler,
du mal à cerner ce qui se joue tellement il est c’est sa nécessité de voir. Il ponctue chaque
difficile de trouver et l’action et le bon rapport. proposition des comédiens par : « montre-
On a longtemps cherché comment jouer cette moi  ». Il aime la surprise, l’inédit, l’excès. Il
troisième scène. mêle sacré et grotesque.
L. T. – La scène avec Feste est délicate, parce L. T. – Il a besoin qu’on arrive neufs et il
qu’en fait nous sommes sur deux rythmes s’amuse avec les éléments mis à sa disposition
différents. Au début, pendant les répétitions (le décor, la présence des comédiens, les
j’écoutais vraiment ce que disait le Fou et cela costumes). L’important, c’est le jeu.
37

Annexe N˚ 12 : CHANSONS

La pièce joue sur une succession de genres musicaux différents faisant alterner : une chanson
savante, des bribes de ballade, un canon. Chaque chanson de Feste donne une tonalité signifiante
n° 96 à la scène.
novembre 2009

• Acte I, scène 1 : il s’agit vraisemblablement d’une chanson d’amour, composée par un célèbre
musicien de l’époque, Thomas Morley. Elle reprend un motif traditionnel, celui de l’amour courtois,
en y associant le thème du carpe diem.

• Acte II, scène 3 : canon commandé par Sir Toby. Cette forme polyphonique, adaptée d’une
ballade larmoyante connue, se veut être la métaphore du désaccord naissant entre les partisans
de la fête perpétuelle, du carnaval, et ceux d’une austérité puritaine qui trouvent une parfaite
incarnation à travers le personnage de Malvolio. Ce canon ou dialogue chanté, qui sonne comme
une débauche musicale, s’inscrit dans la scène de réjouissances et représente le glissement vers la
folie de Sir Andrew et Sir Toby.

• Acte II, scène 4 : parodie « d’une de ces vieilles chansons de toile chantées par les
filandières »19. Il s’agit d’une sorte de mise à distance des sentiments amoureux d’Orsino ; Feste
démasque ainsi l’enfermement narcissique dans lequel se complaît le Duc.

• Acte IV, scène 2 : ballade empruntée à un manuscrit du xvie siècle qui, dans la scène de la
chambre noire, permet à Feste de se faire reconnaître comme étant le clown par Malvolio.

• L’épilogue chanté est hautement significatif : « [il] offre un contrepoint mélancolique et sceptique
à l’optimiste heureux du dénouement. [Cette chanson] rappelle les sept âges de l’homme dans le style
19. Gisèle Venet, La Nuit des rois,
du constat lucide et désabusé déjà établi par Jacques le mélancolique dans Comme il vous plaira. Les
trad. de Jean-Michel Déprats,
Éditions Théâtrales. deux derniers vers de la chanson sont à double sens : la comédie humaine se termine sur le théâtre du
20. Id. monde, ou la pièce La Nuit des rois est finie, à entendre comme il vous plaira ! »20

© brigitte enguerand
38

Scène 3, acte II (extrait)

Ils entonnent le canon.


Entre Maria.
MARIA :
n° 96 Qu'est-ce que c'est que ce charivari ? Si ma maîtresse n'a pas déjà appelé Malvolio son intendant
novembre 2009
et ne lui a pas donné l'ordre de vous mettre à la porte, ne me croyez plus jamais.
SIR TOBY :
Ma maîtresse est une chinoise, nous, nous sommes de fins politiques. Malvolio est un Cerbère, et
(il chante) Nous sommes trois joyeux lurons. Ne suis-je pas son consanguin ? Ne suis-je pas de son
sang ? Taratata ! Madame ! (il chante) Y'avait un homme à Babylone, Madame, Madame.
LE CLOWN :
Malepeste, le chevalier bouffonne admirablement.
SIR ANDREW :
Oui, il bouffonne assez bien, quand il est disposé. Et moi de même : il y met plus de grâce, mais
moi, plus de naturel.
SIR TOBY :
(il chante) Le douzième jour de décembre…
MARIA :
Pour l'amour de Dieu, silence !

Entre Malvolio.
MALVOLIO :
Messieurs, êtes-vous fous ? Ou quoi ? N'avez-vous ni bon sens, ni savoir vivre, ni décence, pour
brailler comme des chaudronniers à cette heure-ci de la nuit ? Prenez-vous la maison de Madame
pour un cabaret, que vous veniez glapir vos canons de cordonniers sans modérer ni contenir vos
éclats de voix ? N'y a t-il chez vous aucun respect du lieu, des personnes, de la mesure ?
SIR TOBY :
La mesure, monsieur, nous l'avons respectée dans notre canon. Va te faire pendre !
MALVOLIO :
Sir Toby, je dois vous parler franc. Madame m'a chargé de vous dire, que bien qu'elle vous héberge
en qualité de parent, elle n'est en rien cousine de vos désordres. Si vous pouvez vous séparer de
votre inconduite, vous êtes le bienvenu dans cette maison; sinon, et s'il vous plaît de prendre
congé d'elle, elle est tout à fait prête à vous dire adieu.
SIR TOBY :
(il chante) Adieu, cher coeur, puisqu'il me faut partir.
MARIA :
Allons-donc, cher Sir Toby.
LE CLOWN :
(il chante) Ses yeux montrent que ses jours vont finir.
MALVOLIO :
En est-il ainsi ?
SIR TOBY :
(il chante) Mais je ne mourrai jamais.
LE CLOWN :
(il chante) Sir Toby, là vous mentez.
MALVOLIO :
Voilà qui vous honore grandement.
SIR TOBY :
(il chante) Le prierai-je de partir ?
LE CLOWN :
(il chante) ça, c'est un risque à courir.
SIR TOBY :
(il chante) Le prierai-je de partir sans pitié ?
LE CLOWN :
(il chante) Ô non, non, non, jamais vous n'oseriez.
SIR TOBY :
Sans mesure, monsieur ?
39

Annexe N˚ 13 : DÉCOR

n° 96
novembre 2009

© antoine benoit

© antoine benoit
40

Annexe N˚ 14 : costumes

n° 96
novembre 2009

Les endeuillés, les affligés, les puritains

© antoine benoit

Les déclassés

© antoine benoit
41

Annexe N˚ 15 : MALVOLIO (ACTE III, SCèNE 4)

OLIVIA :
Va le chercher. (Sort Maria) Je suis aussi folle que lui
n° 96 Si folie triste vaut bien joyeuse folie.
novembre 2009
Entre Malvolio (avec Maria).
Eh bien, Malvolio ?
MALVOLIO :
Douce dame, ho, ho !
OLIVIA :
Tu souris ? Je t’ai fait venir pour une affaire triste.
MALVOLIO :
Triste, Madame ? C’est moi qui pourrais m’attrister : ça vous obstrue le sang, ces jarretières
croisées ; mais qu’importe ? Si cela plaît au regard de certaine personne, il en est de moi comme
le dit si justement la ballade : « Plaire à l’une, c’est plaire à toutes. »
OLIVIA :
Eh bien, comment te sens-tu, l’ami ? Qu’est-ce qui t’arrive ?
MALVOLIO :
Pas de noir à mon âme, mais du jaune à mes jambes. Elle est bien parvenue à son destinataire, et
les ordres seront exécutés. Nous avons reconnu, je crois, cette charmante écriture romaine.
OLIVIA :
Veux-tu te mettre au lit, Malvolio ?
MALVOLIO :
Au lit ? Bien sûr, mon cœur, je t’y rejoins.
OLIVIA :
Dieu te protège ! Pourquoi souris-tu ainsi, et pourquoi envoies-tu si souvent des baisers de la
main ?
MARIA :
Comment vous sentez-vous, Malvolio ?
MALVOLIO :
Vous m’interrogez ? Ah, le rossignol répond-il à la bécasse ?
MARIA :
Pourquoi paraissez-vous devant Madame avec cette impudence ridicule ?
MALVOLIO :
« N’aie pas peur de la grandeur » : c’était bien écrit.
OLIVIA :
Qu’entends-tu par là ?
MALVOLIO :
« Certains naissent grands »…
OLIVIA :
Hein ?
MALVOLIO :
« D’autres parviennent à la grandeur »…
OLIVIA :
Que dis-tu ?
MALVOLIO :
« D’autres encore voient la grandeur s’imposer à eux. »
OLIVIA :
Que le Ciel te guérisse !
MALVOLIO :
« Rappelle-toi qui te fit compliment de tes bas jaunes »…
OLIVIA :
Tes bas jaunes ?
MALVOLIO :
« Et souhaita te voir en jarretières croisées »…
OLIVIA :
Jarretières croisées ?
42

MALVOLIO :
« Va, ta fortune est faite, si tel est ton désir »…
OLIVIA :
Ma fortune est faite ?
MALVOLIO :
n° 96 « Sinon, tu resteras toujours un intendant. »
novembre 2009
OLIVIA :
Mais c’est une vraie folie de la Saint-Jean !

Entre un serviteur.

LE SERVITEUR :
Madame, le jeune gentilhomme du comte Orsino est revenu ; je l’ai supplié, mais j’ai eu grand-peine
à le ramener. Il attend le bon plaisir de Votre Seigneurie.
OLIVIA :
Je viens. (sort le serviteur) Ma bonne Maria, qu’on s’occupe de ce personnage. Où est mon oncle
Toby ? Que certains de mes gens veillent spécialement sur lui, je ne voudrais pas, pour la moitié
de ma dot, qu’il lui arrive malheur.

Sortent séparément Olivia et Maria.



MALVOLIO :
Ô ho, vous commencez à me considérer désormais ? Rien de moins que Sir Toby pour s’occuper
de moi ! Voilà qui concorde précisément avec la lettre : elle me l’envoie exprès pour que je me
montre revêche à son égard, comme elle m’y incite dans la lettre. « Dépouille-toi de ton humilité »,
dit-elle ; « Tiens tête à un certain parent, sois rogue avec les domestiques, que ta langue fasse
retentir des propos majestueux, affecte une certaine originalité » : et, conséquemment, elle
m’indique la manière : visage grave, port imposant, verbe lent, à la façon d’un monsieur important,
et ainsi de suite. Je l’ai prise à la glu, mais c’est là l’œuvre de Jupiter, que Jupiter m’inspire de la
reconnaissance ! Et quand elle est sortie à l’instant : « Que l’on s’occupe de ce personnage »… « de
ce personnage »… ni Malvolio, ni mon titre, mais « personnage ». Ma foi, tout coïncide si bien
qu’il n’y a pas un grain d’atome, pas un atome d’atome, pas un obstacle, pas un détail inquiétant
ou suspect – que dire de plus ? – il n’y a rien qui puisse s’interposer entre moi et le libre champ de
mes espérances. Ma foi, c’est Jupiter, pas moi, qui a fait cela, et c’est lui qu’il faut remercier.

Entrent Sir Toby, Fabien et Maria.

SIR TOBY :
Où est-il, par tous les saints ? Même si tous les diables de l’Enfer s’insinuaient en lui, et qu’il fût
possédé par toutes leurs légions, je lui parlerai.
FABIEN :
Le voici, le voici. Comment ça va, monsieur ? Comment ça va, l’ami ?
MALVOLIO :
Allez, je vous chasse. Laissez-moi jouir de ma solitude. Allez.
MARIA :
Hélas, de quelle voix caverneuse le démon parle en lui ! Ne vous l’avais-je pas dit ? Sir Toby, ma
maîtresse vous prie de veiller sur lui.
MALVOLIO :
(à part) Ah ha ! Elle dit cela ?
SIR TOBY :
Allons, allons, paix, paix, nous devons le traiter avec douceur. Laissez-moi faire. Comment vous
sentez-vous, Malvolio ? Comment ça va ? Voyons l’ami, battez-vous contre le diable ! Dites-vous
que c’est l’ennemi du genre humain.
MALVOLIO :
Savez-vous que ce que vous dites ?
MARIA :
Voyez, quand on dit du mal du diable, comme il prend cela à cœur ! Mon Dieu, pourvu qu’il ne soit
pas ensorcelé !
43

FABIEN :
Il faudra apporter son pipi à la voyante.
MARIA :
Par la Vierge Marie, ce sera fait demain si je suis encore en vie. Ma maîtresse ne voudrait le perdre
à aucun prix.
n° 96 MALVOLIO :
novembre 2009
Qu’est-ce à dire, mademoiselle ?
MARIA :
Oh ! Seigneur !
SIR TOBY :
Je t’en prie, tais-toi donc, ce n’est pas comme cela qu’il faut s’y prendre. Vous ne voyez pas que
vous l’excitez ? Laissez-moi faire tout seul.
FABIEN :
Pas d’autre moyen que la douceur, doucement, doucement : le démon est violent et ne se laissera
pas traiter par la violence.
SIR TOBY :
Eh bien, comment va mon beau coq ? Comment vas-tu, poulétou ?
MALVOLIO :
Monsieur !
SIR TOBY :
Oui, mon poussin, viens avec moi. Voyons, l’ami, ce n’est pas digne d’un homme sérieux de faire
joujou avec Satan. À la potence, le noir démon !
MARIA :
Faites-lui dire ses prières, bon Sir Toby, faites-le prier.
MALVOLIO :
Mes prières, pécore !
MARIA :
Voyez, je vous le dis, il ne veut pas entendre parler de religion.
MALVOLIO :
Allez tous vous pendre : vous êtes des fainéants, des créatures de rien, je ne suis pas de votre
monde… Vous aurez bientôt de mes nouvelles.

Il sort.

© christine Sibran
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

Le théâtre au cinéma :
la Comédie-Française
et les captations Pathé Live !
DOSSIER PÉDAGOGIQUE

« Il devrait y avoir une loi selon laquelle tous les spectacles devraient-être filmés.»
Jean-Luc GODARD

1
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

L’ÉPREUVE DE L’ÉPHÉMÈRE : CAPTER LE SPECTACLE VIVANT

a captation du spectacle vivant (opéra, certains metteurs en scène de théâtre travaillent de façon
ballet, concert, représentation théâtrale) est privilégiée avec un réalisateur, dont ils apprécient le
une démarche désormais fréquente et de regard et la manière de filmer. Jérôme Deschamps a
plus en plus prisée, en dépit des débats ainsi l’habitude de travailler en toute complicité avec
qu’elle continue de susciter. C’est une Dominique Thiel (Un fil à la patte) comme Patrice Chéreau
entreprise singulière, qui consiste à filmer avait celle de travailler avec Stéphane Metge (Phèdre,
un spectacle un soir de représentation. Parce qu’elle a Dans la solitude des champs de coton).
lieu en présence du public, elle témoigne de la relation
dans l’instant de la scène et de la salle. Les moyens La captation en direct ajoute encore au défi : la réalisation
de diffusion actuels des captations sont le DVD, la du film se fait en même temps que la représentation et
télévision, Internet et le cinéma. est retransmise en live au cinéma. La réalisation a lieu
ainsi en un temps unique, celui de la représentation, sans
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, la captation ne repentirs possibles pour le réalisateur. Pour les acteurs, le
repose pas sur une recette définie, un dispositif figé (qui déploiement de ces moyens techniques élargit encore le
consisterait en un plan large frontal avec des caméras public puisqu’ils jouent ce soir-là pour plusieurs milliers de
latérales par exemple), reproductible à l’infini. Au contraire, personnes.
chaque mise en scène, parce qu’elle construit un espace
singulier dans une salle à l’architecture spécifique, du fait Le réalisateur doit également tenir compte de la
du genre de la pièce, des déplacements des acteurs, des diffusion sur grand écran qui n’est pas la même que
lumières, etc. demande d’inventer un dispositif avec des celle pour la télévision.
caméras spécifiques. Le réalisateur assiste aux répétitions,
dialogue avec le metteur en scène, met au point un Face à une captation, le spectateur vit ainsi une expérience
découpage et installe un dispositif de prise de vue et de profondément distincte de celle du spectateur de théâtre.
son dans la salle. Il travaille avec une équipe technique et Dans une salle de cinéma, ce qui s’offre à lui est ce que
artistique (un directeur de la photographie, un ingénieur l’on pourrait appeler avec Antoine Vitez « le spectacle
du son, une scripte, plusieurs cadreurs). La méthode de du théâtre», la mise en scène d’une mise en scène, une
tournage est à chaque fois à trouver, et les choix qui opération de mise en images orchestrée par un regard
sont faits par le réalisateur découlent d’un long travail différent du sien.
de préparation en amont. C’est la raison pour laquelle

© Ya n n Ta c h e r

2
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

Plutôt qu’une contrainte exercée sur le regard s’entrecroiser. Dans ce vaste domaine où se rencontrent
par le cadrage, la captation, quand elle relève d’une théâtre et cinéma (que l’on parle de film de théâtre,
véritable réalisation réfléchie, se révèle être un geste de film théâtral, de transposition, ou plus largement de
qui donne à voir le théâtre, et qui le donne à voir théâtralité au cinéma, sans compter l’utilisation de la
autrement, dans d’autres lieux et pour d’autres publics. vidéo ou l’influence du cinéma dans la mise en scène
Au cinéma, le grand écran induit des effets perceptifs contemporaine) la captation occupe une place singulière.
encore différents (un visage en gros plan acquiert ainsi Si on préfère aujourd’hui l’expression film de théâtre au
des proportions immenses) dont le réalisateur tient mot captation, pour prendre davantage acte du travail
nécessairement compte. de plus en plus soigné des réalisateurs, mais aussi pour
écarter les préjugés négatifs qui sont attachés à celle-
Capter une représentation, c’est donc faire se rencontrer ci, elle doit pourtant être distinguée d’autres manières
un art de l’enregistrement, de la « reproductibilité de transposer la scène à l’écran. Elle diffère en effet
technique » (Walter Benjamin), et un art de l’éphémère, de la recréation (la pièce est jouée par les comédiens
de l’instant unique. Certains jugent ces noces impossibles, de théâtre mais dans un studio ou sur la scène, sans
voient dans cette mise en « conserve » (Marcel Pagnol) que le public ne soit présent), ou bien encore des très
une inévitable perte de l’aura qui émane de la présence nombreuses adaptations cinématographiques tirées de
des acteurs, dans le hic et nunc de la représentation. pièces, pour la télévision (Dom Juan de Marcel Bluwal
D’autres y voient au contraire une alliance fructueuse, qui et la collection «cinéma» de la Comédie-Française),
sert aussi bien la mémoire du théâtre (les captations sont comme pour le cinéma (Herr Tartüff de Murnau d’après
en effet autant d’archives du spectacle vivant, nombreux Molière, Le Château de l’araignée de Kurosawa d’après
sont désormais les théâtres qui, comme la Comédie- Macbeth de Shakespeare et la collection «cinéma» de
Française, font filmer systématiquement leurs pièces) que la Comédie-Française).
sa diffusion et par conséquent sa vitalité.

Les alliances entre théâtre et cinéma sont polymorphes,


infinies, elles témoignent de la créativité permanente
des deux arts et de la tentation récurrente qu’ils ont de

3
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

LA COMÉDIE-FRANÇAISE, LE CINÉMA ET LA TÉLÉVISION AU FIL DE LEURS RENCONTRES

a Comédie-Française, soucieuse de faire


exister le théâtre à l’intérieur et à l’extérieur
de ses murs vénérables, a noué dès leur
apparition, des liens durables avec le cinéma
puis avec la télévision.

- À peine âgé de cinq ans, le cinéma en
quête de sujets « nobles » filme des acteurs de
théâtre célèbres pour l’Exposition universelle de
1900. Grâce au Phono-Cinéma-Théâtre, on peut voir
des « visions animées des artistes célèbres » : non
seulement l’ancienne sociétaire Sarah Bernhardt en
Hamlet mais également les acteurs de la Comédie-
Française (Suzanne Reichenberg, Coquelin Cadet,
Maurice de Féraudy).

- En 1908, Paul Laffitte crée la société Le


Film d’Art en collaboration avec la troupe de la
Comédie-Française et Pathé (déjà !). Cette société
ambitieuse produit une série de films dans lesquels
jouent les sociétaires vedettes du Francais. Le film
le plus célèbre reste L’Assassinat du Duc de Guise
d’André Calmettes avec Albert Lambert et Charles
Le Bargy (1908) à côté de Britannicus ou encore
d’Andromaque (1909) avec Mounet-Sully. L’ambition
du film d’art était à la fois de donner de la noblesse au
cinéma, dont les origines étaient foraines, mais également de le doter d’une mission pédagogique : Charles Pathé
disait déjà en 1901 « Le cinéma sera le théâtre, le journal et l’école de demain ». Et le cinéma puise largement
ses sujets dans les textes théâtraux (scénario, dialogues...) On créé la SCAGL - Société Cinématographique
des Auteurs et Gens de Lettres à ce moment-là.

« L’Académie et la Comédie travaillant pour le cinématographe », 1908, © Coll. Comédie-Française

4
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

- En 1935, Léonce Perret, qui avait déjà réalisé un film sur la vie de Molière (Molière, 1910), installe ses
caméras à l’intérieur du théâtre un soir de représentation. Une soirée à la Comédie-Française est ainsi la première
captation à proprement parler réalisée par le cinéma dans la Salle Richelieu. Sont ainsi filmées quelques scènes des
Précieuses ridicules de Molière et des Deux Couverts de Sacha Guitry, entrecoupées de plans sur le public.

Une soirée à la Comédie-Française, Léonce Perret, 1935, © Coll. Comédie-Française

- Les premières expériences de la troupe des Comédiens Français avec la télévision dans les années 1950
ont été pour la plupart des retransmissions en direct des studios de Cognac Jay ou des Buttes Chaumont.

- Dans les années 1960, l’Office de Radiodiffusion-Télévision Française (ORTF) lance un programme de
diffusion du théâtre à la télévision. C’est la naissance de la fameuse émission Au théâtre ce soir (créée par Pierre
Sabbagh et Georges Folgoas) qui diffusera notamment des comédies de boulevard mais également des mises
en scène de la Comédie-Française. Les régies de télévision mobiles permettent désormais de tourner dans la salle
du théâtre et seront ainsi filmées, sur la scène du théâtre Marigny ou de l’Odéon, parfois en présence du public,
des pièces jouées par les Comédiens-Français (Le commissaire est bon enfant de Courteline, dans une mise en
scène de Jean-Paul Roussillon, 1968 ; Un fil à la patte de Feydeau, dans la mise en scène de Jacques Charon,
1970 ; Les Fausses Confidences de Marivaux, dans la mise en scène de Jean Piat, 1971).

© Claude Angelini, Coll. Comédie-Française

- Dans les années 1980, la Comédie-Française se dote d’un département audiovisuel. L’administrateur
général, Jean-Pierre Miquel, encourage, avec la collaboration de Daniel Toscan du Plantier et de France 3, la captation
des pièces de Molière jouées dans sa propre maison, comme la BBC a pu le faire avec Shakespeare : entre 1997
et 2003, 17 films sont réalisés et rassemblés dans un coffret DVD. Elle expérimente déjà, avec la société THR, la
diffusion/vidéo transmission (satellite) de la collection Molière dans les petites et moyennes villes de France.

5
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

- En 1977 a lieu la première retransmission d’un spectacle en direct de la Salle Richelieu sur la chaîne
Antenne 2 et en Eurovision. Il s’agit de Lorenzaccio de Musset mis en scène par Franco Zeffirelli (réalisation Jean-Paul
Carrère). C’est la première d’une série de retransmissions en direct.

- En parallèle de ces enregistrements pour Pathé Live la Comédie-Française développe également


une collection de films originaux en confiant chaque saison à un réalisateur de cinéma la création d’une œuvre
dont le sujet/texte est puisé dans la programmation. Le cinéaste a toute liberté pour recréer l’œuvre (décor,
costumes, temps, espace), il doit cependant respecter le texte de la pièce et garder la distribution originale.
Ces tournages se déroulent dans les conditions cinématographiques et un temps limité (10 à 15 jours). Claude
Mouriéras (Partage de midi, 2008), Olivier Ducastel et Jacques Martineau (Juste la fin du monde, 2009),
Mathieu Amalric (L’Illusion comique, 2010), Valérie Donzelli (Que d’amour! d’après Le Jeu de l’amour et du
hasard, 2013), Arnaud Desplechin (La Forêt, 2013), Valéria Bruni-Tedeschi (Les Trois Sœurs, 2014, prix de
la critique cinématographique pour la meilleure fiction en 2015), Vincent Macaigne (Dom Juan et Sganarelle,
2015) et Guillaume Gallienne (Oblomov, 2015) se sont prêtés à ce jeu pour livrer leur vision du théâtre dans un
procédé de filmage cinématographique.

Ainsi la Comédie-Française est au carrefour de la relation théâtre cinéma : avec Pathé Live le cinéma reproduit
la représentation théâtrale, avec les films originaux les réalisateurs évoquent le théâtre
avec les moyens du cinéma.

- Le partenariat Pathé Live/Comédie-Française s’inscrit


dans cette longue histoire de rapprochements pour proposer aux
spectateurs d’un réseau de 300 salles de cinéma la retransmission
en direct, puis en différé, de pièces de la saison 2016-2017
(Roméo et Juliette mis en scène par Éric Ruf, Le Misanthrope mis en
scène par Clément Hervieu-Léger, Cyrano de Bergerac mis en scène
par Denis Podalydès) puis de la saison 2017-2018 (Les Fourberies
de Scapin par Denis Podalydès, Le Petit Maître corrigé par Clément
Hervieu-Léger, Britannicus par Stéphane Braunschweig).

Roméo et Juliette, mise en scène d’Éric Ruf, © Coll. Comédie-Française

6
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

 Le théâtre dans un fauteuil... de cinéma !


De la préparation du tournage à la retransmission en direct.
1. Le travail préparatoire :

Page 3 CAMERA 2 1ère Partie


Page 4 CAMERA 1 1ère Partie N°PLAN DESCRIPTION
Phil p pied
283
N°PLAN DESCRIPTION 288
entre escalier cour vient devant
Célimène p taille
suis, récupère Clit GC
291 La Table au + serré elle croise
prio elle, suis vers cour
298 ----- récupère Acaste
vont à jar, prio lui
294 Acaste + Célimène p taille

304 La Table + 312 Alceste p taille


monte grand escalier

308 Phil P Taille à cour


315 ------
317 ------ s’assoit
319 ---------------------
322 ---- se lève
335 Alceste + Phil p taille

349 Alceste p poitrine


Page 4 CAMERA 3 1ère Partie
321 Clit P Poitrine(vert) N°PLAN
357 DESCRIPTION
Eliante p taille
325 ------ 284 Célimène
suis + Alcestecélimène
à jar, récupère
Prio Alceste
P Taille

vient devant
292 Célimène P Poitrine
297 -----
299 --------------------
338 Alceste PA 302 Célimène + Alceste (de dos) P Taille
Prio Elle
se lève sec, va au centre 305 Célimène + Phil P Taille
Prio elle, il sort DC

341 Alceste P Taille 311


Clit entre GC
Célimène + Phil P Taille

343 ------
Prio Célimène va à Jar
324 Célimène P Poitrine
326 ----
328 -----------
VITE
332 La Table

352 Alceste P Poitrine 334


337
---------
------ ça rentre
[338] Alceste s’écarte Centre ne le perd pas !

Table 339 Table à Alceste


359 344 ------
Eliante / Célimène / Alceste 348 La Table
ça rentre

Page 4 CAMERA 4 1ère Partie Page 4 CAMERA 5 1ère Partie Page 4 CAMERA 6 1ère Partie
N°PLAN DESCRIPTION N°PLAN DESCRIPTION N°PLAN DESCRIPTION
280 Alceste PA- 280 VITE 281 Célimène P Taille
Ad Lib Piano à Bord Décor Cour Top Pano Cour sur Alceste
VITE + Ad Lib il recule, Eliante entre Bas DC
282 La Table 286 Alceste + Clit PA pars avec elle à Jar
ça rentre Célimène entre GC récupère Célimène
290 Table + Piano suis Célimène et Clit à jar 287 Alceste + Basque P Taille
ça rentre Prio Clit, il continu prio Alceste
300 Célimène + Clit PA (Alceste de dos) 289 Alceste P Taille
+ Ad Lib 296 Acaste P Poitrine 295 Table sans air
[302] 301 Eliante P Poitrine
Clit P Poitrine 306 Eliante P Taille
[304] 307 Eliante à Piano ++
ça sort 310 Alceste P Taille, suis avance
309 Piano à Clit assis à Cour
316 Célimène P Pie
suis cour 331 Célimène P Taille
330 Phil P Poitrine
327 1/3 Scène Cour
Alceste (escalier) à Clit devant 336 Alceste + Phil P Pied 345 Clit à Alceste au + serré
329 ----- suis à jar suis-les avant cour
VITE 342 Célimène P Poitrine Bordel Bagarre
333 Alceste P Poitrine 347 -----suis à jar, s’assoit à la table
340 Acaste + Célimène + Clit 355 Clit +Eliante P Taille
P Taille Elle se lève, suis-la à cour 365 Basque P Taille
Acaste entre GC
369 Célimène P Poitrine
Fragment du découpage de la scène des portraits du Misanthrope, mis en scène par Clément
et croise Hervieu-Léger, filmé par Don Kent. Document de travail du 31 janvier 2017

Pour préparer le tournage du direct, le réalisateur se rend plusieurs fois en répétitions, discute
avec le metteur en scène. Il dispose le plus souvent d’un enregistrement de la pièce en plan large qu’il
visionne en prenant des notes. Il élabore avec la scripte un découpage qui sera ensuite distribué aux
cadreurs. Le découpage indique l’ordre des plans et pour chaque plan le numéro de la caméra, la
valeur du plan, les dialogues.

Le directeur de la photographie règle de son côté les lumières en fonction des caméras. Le directeur
du son choisit les micros (salle ou HF).

7
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

2. En amont du direct :

Deux jours avant le tournage, un premier essai de captation est tourné en public : il est comme
une répétition générale de la captation en direct. C’est une étape essentielle qui permet de faire les
derniers réglages en fonction des déplacements des comédiens, de leur regard, de leur voix, etc.

Caméra 1 : objectif x 22 (courte focale)


Caméra 2 : objectif x 86 (longue focale)
Caméra 3 : objectif x 86
Caméra 4 : objectif x 86
Caméra 5 : objectif x 86
Caméra 6 : objectif x 86
Caméra 7 : objectif x 22
Caméra 8 : objectif x 22 - plan large sans cadreur

Les focales utilisées pour la captation de Roméo et Juliette : 8 caméras HD disposées en arc de cercle autour de la scène à l’orchestre.

3. Le soir de la représentation :

Plan caméras pour la captation de Cyrano de Bergerac par Dominique Thiel.

8
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

Le soir du direct, c’est une équipe de 30 personnes qui travaille à la réalisation du film. Toutes les caméras
sont réliées entre elles et les différentes images arrivent sur l’écran de la régie où se fait le montage en direct. La
scripte, qui est aux côtés du réalisateur dans le camion régie, suit le découpage et le montage. Elle donne des
indications aux cadreurs par oreillette. À ses côtés encore, un « topeur » dont le rôle est de suivre le texte et de
rappeler les phrases qui doivent être impérativement in*. Le lien est établi entre la salle et la régie par le biais de
l’assistant réalisateur qui relaye les informations du plateau au car régie.

C’est dans le car régie que se font en direct les opérations de post-production : les ingénieurs vision étalonnent les
images pour harmoniser la lumière et les couleurs, un opérateur synthétiseur réalise le générique.

La pièce, jouée sur la scène de la Salle Richelieu de la Comédie-Française à Paris est retransmise dans 300 salles
de cinéma à travers la France.
*cf. lexique

4. De la Comédie-Française vers les 300 salles de cinéma : la retransmission en direct.

Le film réalisé en direct dans le car régie est retransmis dans 300 salles de cinéma du réseau Pathé.

RÉCEPTION DANS LES CINÉMAS

Antenne
Double flux
de 1.5 m

Récepteurs IDC connectés en HDSDI


Récepteurs IDC connectés en streaming
Récepteurs grand public (Topfield, Humax,...)

AUDIO 5.1
CÂBLAGE HDSDI
OU

STREAMING

AUDIO ÉCRAN

Contrôle Satellite Support et contrôle à distance


par la Hotline et le NOC
CAR DE PRODUCTION CAR SATELLITE
(vidéo + audio) (vidéo + audio)
«OB Van» «SNG Van»

9
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

 Lexique :
- caméra HD : caméra qui enregistre des images
vidéo haute définition.
- courte focale/longue focale : un objectif à courte
distance focale ouvre un grand angle de champ,
il est privilégié pour les plans larges et offre une
grande profondeur de champ. Avec un objectif
à longue focale, l’angle de champ est réduit, les
objets éloignés apparaissent plus grands dans
l’image. Le zoom est un objectif à focale variable.
- découpage : document élaboré pendant la
préparation du tournage et distribué à l’équipe
technique. Il indique sous forme de tableau l’ordre
des plans, les axes de prise de vue, les valeurs de
plan, les dialogues. Il peut comporter pour un film
de fiction, des indications concernant la lumière, les
décors, la musique.
- échelle des plans : elle est relative à la taille des acteurs et des objets dans l’image. Du cadrage le plus large
au plus serré, on distingue notamment le plan général, le plan d’ensemble (ensemble du décor), le plan moyen
(personnage en pied), plan américain (personnage cadré au-dessus du genou), plan rapproché (taille ou poitrine),
gros plan/insert pour les objets, très gros plan.
- in/hors-champ : un son est dit in lorsque sa source est visible dans l’image, hors-champ lorsqu’elle se situe au-delà
des limites du cadre. Les sons qui proviennent d’un autre espace que le champ et le hors-champ sont dits off, lorsqu’il
s’agit d’une voix, on parle de voix over.
- micro HF : micro relié à un émetteur dont le signal haute fréquence est transmis à une base. Il est donc sans fil et
libère les déplacements.
- mouvements d’appareil : on distingue les panoramiques (rotation de la caméra sur son axe vertical ou horizontal)
des travellings (déplacement de la caméra)
- scripte : aux côtés du réalisateur, la scripte veille à assurer la continuité entre les plans et le bon suivi du découpage.
Elle joue un rôle essentiel au cours du montage du film pour la réalisation des raccords.

10
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

 Témoignages de réalisateurs :
Don Kent : « Il y a plusieurs façons pour un réalisateur de travailler avec un metteur
en scène de théâtre. Le travail d’un réalisateur sur un spectacle vivant, c’est un peu
comme le travail d’un traducteur. Le théâtre et la télévision ou le cinéma sont deux
façons de s’exprimer très différentes. Le théâtre existe dans l’espace. Quand on est
dans le public, au théâtre, on fait soi-même son découpage, on regarde la pièce et
puis l’œil peut aller chercher un détail, aller à jardin ou à cour, tandis que la télévision
existe dans le temps, un moment suit un moment, qui suit un autre moment. Le langage
de la télévision, comme le langage du cinéma est temporel. Je dois faire des choix.
Je ne peux pas laisser un plan large pendant 2h30 à la télévision. Il y a forcément
un regard, celui du réalisateur, la façon dont il va utiliser le langage audiovisuel (les
grosseurs de plan, les mouvements d’appareil). Il y a nécessairement une part de
subjectivité dans ces choix. Néanmoins, le réalisateur travaille sur une matière qui est
la mise en scène. Pour pouvoir interpréter, traduire, il faut d’abord connaître l’œuvre, et
il faut surtout connaître les intentions du metteur en scène. J’assiste donc aux répétitions
pour les comprendre, à travers ce que le metteur en scène dit aux acteurs. Et comme
c’est du spectacle vivant, rien n’est figé, il y a des modifications, à chaque répétition. »

(interview réalisée le 27 septembre 2016)

Dominique Thiel : « J’ai travaillé pour la première fois avec Denis Podalydès sur Cyrano,
c’était une pièce très compliquée à filmer, notamment dans les trente premières minutes,
parce que c’est une pièce très chorale, il y a beaucoup de monde sur scène, une
profusion de détails, et il y avait la difficulté de l’écran sur scène. Pour Les Fourberies de
Scapin, c’est un peu plus simple. La préparation est un long travail que je fais d’abord
seul, puis avec mon équipe. J’établis un découpage, tous les plans sont numérotés,
prévus à l’avance, ce qui n’empêche pas des changements le soir du direct. Je fais un
premier tournage puis j’ai une journée pour retravailler avec mes scripts et mes cadreurs
et discuter avec Denis Podalydès. À chaque fois que je filme un spectacle vivant, j’ai
une relation d’échange avec le metteur en scène. Mon métier c’est d’apporter des
propositions mais de respecter le travail et de rester fidèle à la mise en scène. […]
Mon idée c’est d’être toujours au plus près des acteurs, pour sentir ces petites choses
que Denis Podalydès a distillées dans sa direction d’acteurs, qui sont en vérité tout son
travail. Et il retrouve tout son travail dans l’approche filmique que j’ai. En filmant, je
peux donner au spectateur cette dimension supplémentaire qu’est la proximité. »

(interview réalisée le 26 octobre 2017)

11
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

 Les metteurs en scène face à la captation :


Clément Hervieu-Léger : « Je pense que c’est important que le théâtre puisse vivre
ailleurs. Ce sont des expériences qui ont été menées pour la danse, pour l’opéra,
on a peut-être eu plus de craintes à le faire avec le théâtre mais je me réjouis
qu’on puisse le faire de cette manière-là. C’est important de mettre le théâtre au
même niveau que l’opéra et la danse, parce que ce n’est pas un art moindre. Et
surtout qu’on le fasse avec ce répertoire-là parce qu’il est notre bien commun, pas
© Stéphane Lavoué, Coll. Comédie-Française

seulement parce que c’est Molière et que cela a été écrit au XVIIe siècle et que Le
Misanthrope est une des pièces les plus jouées dans le monde, ce n’est pas que
cela… C’est simplement que c’est une pièce qui nous parle de nous, qui nous aide
à grandir, et plus nombreux seront les gens qui la verront et mieux ce sera. »

(interview réalisée le 20 janvier 2017)

Éric Ruf : « L’enjeu de ces captations est multiple pour la Comédie-


Française. D’abord nous allons toucher un public qu’on ne peut pas
atteindre physiquement. Nos tournées, parce qu’elles ne peuvent être
démultipliées en raison de contraintes techniques, ne nous permettent pas
d’aller partout. [...]
© Brigitte Enguerand, Coll. Comédie-Française

Je me souviens d’avoir vu enfant le film Lola Montès de Max Ophuls dans


un gymnase de mon école, puis avec ma classe, au cinéma, à Belfort
Tartuffe de Jacques Lassalle avec Gérard Depardieu. Je ne sais plus si j’ai
aimé ou non, mais je m’en souviens. Voir une pièce au cinéma est très
intriguant, parce qu’on n’a pas le même rapport au temps. La pauvreté
des moyens induite par le théâtre est tout aussi fascinante que l’extrême
technicité à l’œuvre dans les blockbusters. Les acteurs de théâtre sont
des sortes de super héros aux yeux du public qui assiste au spectacle
en live. C’est pourquoi il nous demande des autographes, ou qu’il nous
imagine plus grands. Ce qui les fascine, c’est qu’on ose monter sur
scène. On n’a pas de pouvoir particulier, si ce n’est de réussir à prendre la parole en public et à avoir
des émotions sans trucage. Si la caméra en fait état, c’est formidable car ça fascine tout le monde, c’est
universel. […] Le volet éducatif est très important dans ce projet. Par exemple, la captation de Phèdre de
Patrice Chéreau, spectacle dans lequel j’ai eu le plaisir de jouer le rôle d’Hippolyte, est vue dans presque
toutes les classes de lycée ! Chéreau avait l’art de mettre la parole dans le corps ; c’est une rencontre
formidable notamment pour les adolescents dont c’est l’éternel problème. L’art de l’acteur n’est en cela
qu’une adolescence permanente. La diffusion du répertoire est d’ailleurs inscrite dans les missions de notre
théâtre à l’article 2 : « La Comédie-Française a pour mission essentielle de représenter les pièces de son
Répertoire et d’en assurer le rayonnement national et international ». L’audience que nous donne le cinéma
par rapport à la salle de spectacle est incroyable. Pour nous, une diffusion télévisée qui réunirait 800 000
spectateurs (considérée comme un échec dans le monde audio-visuel) représente une fois rapportée à nos
jauges un rayonnement gigantesque (l’équivalent de 1000 représentations Salle Richelieu) ! La mémoire
des spectacles est belle. Beaucoup de spectateurs n’en auront vu que la captation tout en affirmant y être
allés, augmentant les rangs des personnes présentes. La conférence d’Antonin Artaud au Théâtre du Vieux-
Colombier notamment, a été vue par bien plus de monde que la salle ne peut en contenir ! Les photos et
les captations produisent une mémoire peut-être tronquée, mais une mémoire tout de même. Ces captations
ne remplaceront jamais l’ici et maintenant mais la mémoire du spectacle s’en trouve augmentée. »

(interview réalisée le 7 octobre 2016)

12
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

 Le théâtre filmé en débat :

SACHA GUITRY : CONTRE LE CINÉMA

« L’acteur que vous voyez sur l’écran ne joue pas, il a joué. [...] Ce qui fait la beauté du théâtre, c’est qu’aucune
représentation n’est comparable à celle de la veille. Lorsque l’on frappe trois coups, il y a toujours un aléa. »

Sacha Guitry « Pour le théâtre et contre le cinéma » (1933), repris in A. Bernard et C. Gauteur, Sacha Guitry.
Le Cinéma et moi, Paris, Ramsay, 1977

WALTER BENJAMIN : LA DISPARITION DE L’AURA

« Les acteurs de cinéma, écrit Pirandello, se sentent comme en exil. En exil non seulement de la scène, mais encore
d’eux-mêmes. Ils remarquent confusément, avec une sensation de dépit, d’indéfinissable vide et même de faillite, que
leur corps est presque subtilisé, supprimé, privé de sa réalité, de sa vie, de sa voix, du bruit qu’il produit en se remuant,
pour devenir une image muette qui tremble un instant sur l’écran et disparaît en silence. [...] La petite machine jouera
devant le public avec leurs ombres ; eux, ils doivent se contenter de jouer devant elle. » On peut aussi caractériser cet
état de fait de la manière suivante : pour la première fois – et c’est là l’œuvre du cinéma – l’homme est placé dans la
situation de devoir agir, certes en mobilisant toute sa personne vivante mais en renonçant à l’aura propre de celle-ci.
Car l’aura est liée à l’ici et maintenant de l’homme. Il n’en existe pas de reproduction. L’aura qui entoure Macbeth sur
la scène ne peut être déliée de celle qui, pour le spectacle vivant, entoure le comédien qui joue Macbeth. Mais la
prise de vues en studio a la particularité de mettre l’appareil à la place du public. De ce fait, l’aura qui entoure l’acteur
disparaît nécessairement – et en même temps celle qui entoure le personnage. »

Walter Benjamin L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, 1936, in Sur l’art et la photographie,
traduction Christophe Jouanlanne, Paris, Éditions Carré, 1997

ANDRÉ BAZIN : L’EMPREINTE DE LA DURÉE

Le leitmotiv des contempteurs du théâtre filmé, leur argument ultime et apparemment inexpugnable reste le plaisir
irremplaçable qui s’attache à la présence physique de l’acteur. [...] S’il est vrai qu’ici réside l’essence du phénomène
théâtral, le cinéma ne saurait donc en aucune mesure y prétendre. Si l’écriture, le style, la construction dramatique sont,
comme ils doivent l’être, rigoureusement conçus pour recevoir âme et existence de l’acteur en chair et en os, l’entreprise
est radicalement vaine, qui substitue à l’homme son reflet ou son ombre. L’argument est irréfutable. [...]
Une première série de remarques s’imposerait d’abord quant au contenu du concept de « présence », car il semble
que ce soit cette notion, telle qu’elle pouvait être entendue avant l’apparition de la photographie, que le cinéma vient
précisément mettre en cause.
L’image photographique – et singulièrement cinématographique – peut-elle être assimilée aux autres images et, comme
elles, distinguées de l’existence de l’objet ? La présence se définit naturellement par rapport au temps et à l’espace.
« Être en présence » de quelqu’un, c’est reconnaître qu’il est notre contemporain et constater qu’il se tient dans
la zone d’accès naturelle de nos sens (soit, ici, de la vue et, à la radio, de l’ouïe). Jusqu’à l’apparition de la
photographie puis du cinéma, les arts plastiques, surtout dans le portrait, étaient les intermédiaires possibles
entre la présence concrète et l’absence. La justification en était la ressemblance, qui excite l’imagination et aide
la mémoire. Mais la photographie est tout autre chose. Non point l’image d’un objet ou d’un être mais plus
précisément sa trace. Sa genèse automatique la distingue radicalement des autres techniques de reproduction.
Le photographe procède, par l’intermédiaire de l’objectif, à une véritable prise d’empreinte lumineuse, à un
moulage. Comme tel, il emporte avec lui plus que la ressemblance, une sorte d’identité [...]. Mais la photographie
est une technique infirme dans la mesure où son instantanéité l’oblige à ne saisir le temps qu’en coupe. Le cinéma
réalise l’étrange paradoxe de se mouler sur le temps de l’objet et de prendre par surcroît l’empreinte de sa durée.

André Bazin « Théâtre et cinéma », 1951, in Qu’est-ce que le cinéma ? , Paris, Éditions du Cerf, 2010

13
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

ANTOINE VITEZ : « CINÉMA DU THÉÂTRE »

Mémoire filmée du théâtre, ou cinéma du théâtre, ou archive, ou traduction. Les définitions ne manquent pas pour
qualifier cette opération qui consiste à capter l’espace à volonté du théâtre afin de le faire entrer dans l’espace choisi
du cinéma. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : d’espace.
[...] Et c’est là que le travail de Hugo Santiago sur Électre fut original et nouveau — je n’avais, à vrai dire, jamais rien
vu de semblable. Ce n’est pas assez de dire que Santiago est entré à l’intérieur de l’image théâtrale, car c’est ainsi
que procède tous les jours (ou presque) la caméra. Dans toutes les tentatives que je connais de mariage du théâtre
avec le cinéma, la caméra fouille la scène, qui est un lieu peu profond (on ne dit jamais assez que la scène de théâtre,
si grand que soit le théâtre, est un lieu étroit, et surtout que son horizon est bien peu lointain : le mur du fond est là,
toujours), et, ce faisant, elle la détruit, la rend incompréhensible. Que devient un visage saisi en gros et comme de tout
près par l’œil du zoom, si je ne sais pas en même temps où est ce visage, en face de quel autre, et pourquoi cet air
renfrogné ou rieur ? C’est la simultanéité qui fait le théâtre.
En s’attaquant à son tour à cette quadrature du cercle, Hugo Santiago a choisi de suivre les lignes de la mise en scène
théâtrale ; la caméra ne regarde pas le spectacle, elle l’accompagne. Il fallut un long travail préalable comme pour
examiner le tracé au sol des pas de chaque personnage, les axes des regards, la direction des nez et des mains.
Cela composa une avare série de plans très longs qui déploient le mouvement comme ces livres pour les enfants qu’on
déplie en les ouvrant. Ainsi le film reste discret à côté du théâtre, il ne se substitue pas à lui, ne viole pas l’intimité des
acteurs. Et c’est comme cela qu’il trouve sa vérité.
Il est le cinéma de cet événement-là : un spectacle de théâtre ; et en le racontant il raconte l’histoire même que racontait
notre spectacle, et le vieux poème. À travers tous ces filtres (un poème, dans une langue ancienne, traduit en français
d’aujourd’hui, joué dans la Grèce actuelle, sur une scène, à Paris, et porté enfin sur un film) : le formidable fait divers
mythologique apparaît, le visage rayonnant d‘Electre survit — celui de la femme qui résistait contre tout espoir — , et
on entend le texte de la tragédie.

Antoine Vitez Dossier de presse d’Électre filmé par Hugo Santiago, 1987, Archives Antoine Vitez, lMEC

14
LE T H É Â T RE AU CI NÉMA :
L A C O M É D I E - F R A N Ç A I S E E T L E S C A P TAT I O N S PAT H É L I V E !

BIBLIOGRAPHIE

De la scène à l’écran, Théâtre d’aujourd’hui n°11, Paris, Sceren CNDP, 2007.


André BAZIN : Qu’est-ce que le cinéma, Paris, Editions du cerf, 2010.
Béatrice PICON-VALLIN, Le film de théâtre, Paris, CNRS Éditions, collection arts du spectacle, 1997.
Charles TESSON, Théâtre et cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, 2007.

SITOGRAPHIE

- Edwige Perrot : « L’art de filmer le théâtre »


https://www.erudit.org/culture/jeu1060667/jeu1112999/24249ac.pdf
- Roger Icart : « Théâtre filmé »
http://fgimello.free.fr/enseignements/metz/histoire_du_cinema/theatre_film.htm
- Education nationale : du bon usage des captations.
http://cache.media.eduscol.education.fr/file/Francais/06/6/RESS-FR-LGT-Theatre_Piste_4_374066.pdf

FILMOGRAPHIE

Fables de La Fontaine, mise en scène de Robert Wilson, réalisation Don Kent, 2005. DVD
Comédie-Française.
Le Dindon de Georges Feydeau, mise en scène Lukas Hemleb, réalisation Don Kent, 2003.
DVD Comédie-Française.
Un fil à la patte de Georges Feydeau, mise en scène Jérôme Deschamps, réalisation Dominique
Thiel, 2011.
DVD Comédie-Française.
L’Illusion comique, réalisation Mathieu Amalric, 2010.
DVD Comédie-Française.
Molière, la collection, coffret 17 DVD, mises en scène de 1973 à 2003. DVD Comédie-Française.
L’École des femmes, mise en scène de Didier Bezace, réalisation de Don Kent, 2001.
Arte DVD.

RÉDACTRICE DU DOSSIER
Laurence Cousteix, professeure de cinéma en classes préparatoires littéraires (Lycée Léon Blum, Créteil) en collaboration
avec les équipes de la Comédie-Française.

AVEC LE SOUTIEN DE :

Réseau Canopé édite des ressources pédagogiques pour accompagner les


enseignants et les élèves pour une école du spectateur : ouvrages, DVD, dossiers
pédagogiques en ligne : https://www.reseau-canope.fr/arts-vivants/theatre.html

La CASDEN, banque coopérative de toute la Fonction publique, créée à l’origine


par et pour des enseignants, s’engage au quotidien aux côtés de ses Sociétaires.
Fortement impliquée dans les domaines de l’éducation et de la culture, elle développe
notamment des outils pédagogiques qu’elle met gratuitement à disposition de ses
Sociétaires et soutient des initiatives visant à favoriser l’accès à la culture au plus
grand nombre. www.casden.fr

15

Vous aimerez peut-être aussi