Texte Frédéric Epaud Bilan Charpente NDP PDF
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autour de sa reconstruction.
Par Frédéric Epaud, chercheur CNRS (LAT CITERES, UMR 7324, Tours)
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tronc étaient donc conservées à la taille ce qui n’était en rien un handicap pour les charpentiers
du XIIIe siècle.
On estime que la construction de la charpente gothique de la nef, du chœur et du transept de
Notre-Dame a consommé autour de 1000 chênes. Environ 97 % d’entre eux étaient taillés dans
des fûts d’arbres de 25-30 cm de diamètre et de 12 m de long maximum. Le reste, soit 3 %
seulement, correspondait à des fûts de 50 cm de diamètre et de 15 m maximum pour les pièces
maîtresses (entraits). Ces proportions sont similaires à celles mesurées dans les charpentes du
XIIIe siècle des cathédrales de Lisieux, Rouen, Bourges, Bayeux. Outre leur faible diamètre, la
majorité de ces chênes étaient jeunes, âgés en moyenne de 60 ans avec des croissances rapides
d’après les études dendrochronologiques menées sur la plupart des charpentes du XIIIe siècle
du Bassin parisien. On est donc bien loin de l’image d’Epinal des énormes chênes au tronc épais
et vieux de plusieurs siècles.
Ces arbres jeunes, fins et élancés provenaient de hautes futaies où la densité du peuplement était
maximale et où la forte concurrence entre les chênes les a contraints à pousser très rapidement
vers la lumière en hauteur, non en épaisseur. Ces futaies médiévales, gérées selon une
sylviculture spécifique qui était basée sur une régénération par coupe à blanc et recépage, et sur
l’absence d’éclaircie pour conserver l’hyperdensité du peuplement, produisaient massivement
et rapidement des chênes parfaitement adaptés à la construction en bois et aux techniques de
taille à la hache. Pour ces raisons, les surfaces forestières sollicitées par ces grands chantiers ne
représentaient que quelques hectares seulement : à peine 3 hectares pour les 1200 chênes de la
charpente de la cathédrale de Bourges. On est donc là encore bien loin des légendaires
défrichements de forêts entières pour la construction des cathédrales gothiques…
La structure de la charpente
Au début du XIIIe siècle, les maîtres charpentiers étaient confrontés à des difficultés jusqu’alors
inédites, liées au gigantisme des cathédrales gothiques et surtout aux difficultés d’adapter la
charpente à des murs minces percés de grandes verrières et à la forte poussée des vents sur des
toitures de plus en plus hautes et pentues. Ce défi était d’autant plus ardu que les charpentes
dites à « chevrons-formant-fermes » de l’époque généraient d’importantes poussées latérales
sur les murs et que les bois utilisés étaient fins et donc flexibles. Le maître charpentier de Notre-
Dame a su relever ce défi avec brio en concevant une structure complexe mais équilibrée, stable
pour elle-même et pour les murs, avec de nombreux dispositifs de raidissement au sein des
fermes, des renforcements des entraits, un doublement de la triangulation, des systèmes de
moises pour soulager les bois lourds, des travées courtes pour réduire les poussées latérales des
fermes secondaires sur les murs, des reports de charges de ces dernières sur les principales par
des liernes latérales et axiales, une pente forte et d’autres techniques pour rendre la structure
stable et répartir de façon homogène les charges sur les murs. Il n’a pas hésité à charger la
structure de tous les dispositifs nécessaires avec des centaines de pièces secondaires, la rendant
bien plus dense que la plupart des charpentes de son temps ce qui lui a donné sur surnom de
« forêt ». Le maître d’œuvre a su faire une parfaite synthèse de toutes les expérimentations
réalisées sur les grands chantiers en cours de son époque. Il fut certainement l’un des plus grands
et des plus audacieux maîtres charpentiers de son temps. La charpente du XIIIe siècle de ND
figurait parmi les plus grands chefs d’œuvre de la charpenterie gothique française par sa
complexité technique et son exceptionnel état de conservation.
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Cathédrale Notre-Dame de Paris, charpente de la nef, vers 1220 (C.R.M.H. 1982)
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matériau biosourcé, travaillé selon des techniques traditionnelles, serait un signe fort de notre
époque dans le choix d’une gestion raisonnée et écologique de nos ressources naturelles et d’une
économie verte tournée vers le savoir-faire artisanal.
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conservateurs des Monuments Historiques et des architectes réclament que les bois soient
travaillés selon les techniques traditionnelles à la doloire pour la restauration de charpentes
anciennes comme pour l’Aître Saint-Maclou à Rouen mais peu d’entreprises peuvent encore y
répondre. Elles ont besoin de formation pour réapprendre ces techniques, ce qui est justement
proposé par le projet de loi du gouvernement pour la restauration de Notre-Dame.
Dans l’hypothèse où les choix de restauration se porteraient sur une charpente en bois, on peut
imaginer un chantier-école de ce type sur le parvis de Notre-Dame, avec des dizaines de
charpentiers équarrissant à la hache des grumes et taillant les bois manuellement selon les règles
ancestrales du métier, qui permettrait aux entreprises de renouer le lien avec un savoir-faire
pluriséculaire, dans l’esprit et la continuité des chantiers des cathédrales. Un tel chantier serait
sans nul doute spectaculaire et très émouvant auprès du grand public car il témoignerait du
respect de notre époque pour un patrimoine gestuel et technique qui se doit d’être préservé
comme élément de notre identité culturelle et encore plus sur l’un des monuments les plus chers
à la nation. Quant au type de charpente, un compromis entre une structure en bois d’inspiration
médiévale et contemporaine, employant les techniques de la charpenterie traditionnelle héritée
du XIIIe siècle mérite réflexion, ce qui permettrait en même temps de valoriser nos ressources
forestières selon une éthique écologique très ancrée dans le XXIe siècle.
Chantier traditionnel « Charpentiers sans frontière », Aclou (Eure), 2016 (Cl. F. Epaud).
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Bibliographie :
Deneux H., 1927, « L'évolution des charpentes du XIe au XVIIIe siècle » dans L'Architecte, p.
49-53, 57-60, 65-68, 73-75 et 81-89.
Epaud F. (A paraître 2019) « Les forêts et le bois d’œuvre au Moyen Âge dans le Bassin
parisien » dans La forêt au Moyen Âge, Les Belles Lettres, Paris.
Hoffsummer P. (dir.), Les charpentes du XIe au XIXe siècle, typologie et évolution en France
du Nord et en Belgique, Cahiers du Patrimoine n° 62, 2002.
Le Port M., « Évolution historique de la charpente en France » dans Encyclopédie des métiers,
La charpente et la construction en bois, t. 1, Librairie du Compagnonnage, Paris, 1977, p. 379-
610.