Cours de Civilisation Française Médiévale

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

Cours de civilisation française médiévale

I. Culture et civilisation. Le modèle français

Le terme de civilisation est, dans toutes les langues, assez ambigu. Par civilisation, notion
chargée d’ethnocentrisme, on comprend le stade auquel sont arrivées les cultures pendant leur
évolution. Ce qui distingue une civilisation d’une culture est la « révolution urbaine », à savoir
l’apparition de la cité (de la ville) en tant que centre des activités économiques, politiques, sociales et
cérémoniales. Par la suite, on peut parler de civilisations précolombiennes (aztèque, maya, inca) ou de
civilisation chinoise, mais de cultures dogon, pueblo, etc. Parfois, on comprend par civilisation un état
de la société qui présente des traits culturels spécifiques : civilisation paléolithique, hellénistique ou
indienne. Le terme de civilisation est utilisé aussi en tant qu’aire culturelle.

La civilisation, lato sensu, est une somme de modes de vie individuels et collectifs, d’actes,
d’œuvres, d’événements vécus et conçus par un ensemble de gens qui vivent, d’une génération à
l’autre sur un territoire donné, à l’intérieur d’une longue histoire. Il s’agit d’une totalité, plus ou moins
cohérente, d’un ordre, plus ou moins parfait, saisis et affirmés de manière consciente, par des idées,
sentiments, mœurs, valeurs. Une civilisation est un ordre spirituel, animé par la conscience collective.

La civilisation, stricto sensu, est représentée par les sciences, id est par la totalité des procédés
de connaissance qui visent un objet de référence spécifique, la réalité naturelle et les résultats de ces
procédés, autrement dit, les techniques et/ou la technologie.

Quant à la culture, ce terme englobe les notions d’ethnie, de tribu, de société ou de civilisation.
On a enregistré, jusqu’à présent, plus de 300 définitions, mais, il faut dire que la culture se retrouve au
sein de la civilisation lato sensu. La culture comprend la totalité des valeurs, des normes et des buts
d’une communauté humaine, les actions et les œuvres que celle-ci les anime. Autrement dit, la culture
exprime l’activité créatrice de l’homme et sa liberté. La meilleure définition de la France est donnée par
sa culture. Elle suppose l’existence de l’homme, entité foncièrement libre à l’intérieur d’une culture. Le
désir permanent de l’homme de comprendre et d’évaluer afin de trouver son propre sens voit son
apogée dans une philosophie, le plus souvent vécue.

Jusqu’à la fin du Moyen Âge il n’y avait pas une philosophie française, anglaise, allemande,
etc., mais une philosophie européenne dont l’instrument d’expression était le latin. Les maîtres
philosophes étaient itinérants et ils exprimaient, de manière timide, les cultures, nationales. L’usage du
français a contribué à l’apparition des caractères propres à la philosophie française, à savoir la rigueur
des structures logiques, l’exigence de clarté, le degré élevé d’analyse, de synthèse et d’abstraction, etc.

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Au XVIIIe siècle, Rivarol, dans son Discours sur l’universalité de la langue française (1784) voulait
transformer le français en langue universelle. À partir du XVIIe siècle, la philosophie française prend
distance par rapport à la culture grecque et à la culture latine, en devenant l’expression d’une culture
moderne. Cette prise de conscience aboutira, en passant par la dispute entre les Antiques et les
Modernes, à une philosophie du progrès et de la liberté de pensée. Le premier qui marque le triomphe
de la pensée indépendante c’est Michel de Montaigne (1533-1599), auteur des Essais (1580-1595).
René Descartes (1596-1650) dans Discours sur la méthode (1637) avance l’idée du progrès grâce aux
sciences. La même idée est reprise par Blaise Pascal (1623-1662). Dans ses Pensées (publication
posthume, 1670) Pascal évoque les Anciens et les générations précédentes, dont les épaules servent
aux héritiers (symboliques) pour voir plus loin dans le temps et pour progresser. La philosophie de
l’histoire a été inventée par Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), celui qui a mis en circulation l’idée et
le terme de perfectibilité, un autre nom donné à la liberté créatrice. Des écrits de Jean-Jacques
Rousseau on retient Discours sur les sciences et les arts (1750), Discours sur l’origine et les
fondements de l’inégalité parmi les hommes (1754), et le fameux Contrat social (1762, Du Contrat
social ou Principes du droit politique).

On retrouve des parallélismes et des prolongements de la pensée de Rousseau (en matière de


philosophie politique) chez Condorcet (1743-1794) surtout dans Esquisse d’un tableau historique des
progrès de l’esprit humain (publication posthume, 1795). Les philosophes allemands Immanuel Kant
(1724-1804) et Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) vont continuer et approfondir ces idées de
philosophie politique.

Le XIXe siècle sera dominé par le positivisme d’Auguste Comte (1798-1857), celui qui fonde
aussi la sociologie, en tant que discipline indépendante. Dans ses œuvres Cours de philosophie
positive (6 volumes, 1830-1842), Système de politique positive (4 volumes, 1851-1854), Catéchisme
positiviste (1852), en dépit d’une conception biologisante et mécaniciste, Auguste Comte affirme l’unité
du genre humain et l’unicité du devenir de son histoire. La pluralité des civilisations et des cultures –
négligée par Auguste Comte – sera mise en évidence, après 1850, par les découvertes de la
linguistique et de l’ethnologie et de la sociologie comparée.

La civilisation occidentale a quelques traits dominants, façonnés et modelés aussi par le Moyen
Âge, et retrouvés dans les grandes tendances de la culture française.

Il s’agit, tout d’abord, de l’idée d’un ordre éternel du monde, un ordre préétabli, harmonieux et
intelligible où la science et la métaphysique font corps commun et où la justice, la beauté et le bonheur
s’unissent. C’est l’héritage gréco-latin.

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Deuxièmement, on parle de l’idée de Dieu unique, éternel, créateur d’un monde où l’homme, en
tant qu’être imparfait, vit, en égale mesure, le péché et la rédemption, car il est capable de pardon, de
salut et d’espoir. C’est l’héritage judéo-chrétien.

Troisièmement, on constate la permanence de l’effort de connaître et de maîtriser la nature afin


de construire un ordre du monde typiquement et essentiellement humain. Cet effort, qui tend à créer
une forte civilisation matérielle, au détriment des valeurs humaines ou sacrées, par la perte de la finalité
humaniste de chaque culture, est accompagné, contrôlé et équilibré par l’effort parallèle de maintenir et
de défendre l’originalité et la liberté de création de chaque culture particulière.

Les valeurs spécifiques de la culture française sont dominées par la clarté qui définit l’esprit
philosophique français. Il ne faut pas oublier la définition des idées claires chez Descartes, l’importance
donnée à la méthode, placée de manière continue dans un ordre du monde où la raison se constitue
en principe d’existence et en principe d’intelligibilité. On y ajoute l’esprit de liberté qui affermit
l’esprit critique et l’esprit d’opposition et qui s’incarnent dans l’affirmation du moi, dans la manifestation
de l’individualité, dans la maîtrise de soi et dans le sens de sa propre responsabilité. Nous avons
toujours la possibilité du choix, de dire oui ou non, d’affirmer le libre arbitre. Cette liberté intellectuelle
est le fruit d’une décision ferme et constante d’agir au sens du bien, de la générosité, de l’estime
justifiée envers les autres, d’agir aussi en respectant la vérité et la raison. De même, l’indépendance et
la primauté de l’esprit se retrouvent dans tous les secteurs de la culture française. L’esprit se manifeste
comme substance et comme principe d’existence et d’éclaircissement. L’humanisme français est un art
de penser et de vivre : les formes et la méthode sont aussi importantes que le contenu. L’esprit français
signifie ordre et grâce, rigueur et simplicité, clarté et propension vers l’essentiel. Il peut unir le respect
pour le particulier et pour l’original à la volonté d’universalité.

Une civilisation est la présence du passé dans notre présent. Notre vie actuelle est le résultat
d’un long processus historique, transmis de génération en génération, modifié et enrichi, de manière
progressive, par des apports nouveaux et dont nous sommes les héritiers.

En ce qui concerne la France (et l’Europe, en général), il s’agit d’un riche héritage historique.
L’organisation politique actuelle, c’est-à-dire la démocratie, la notion d’état, la centralisation, la
souveraineté du peuple, etc., ont leurs racines dans la civilisation grecque.

Il ne faut pas ignorer, également, l’apport de la civilisation romaine, en question de droit, d’état,
d’unité impériale, de villes et cités romaines.

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Le modèle de la monarchie absolue, présent dès le Moyen Âge, a laissé des traces, tout
comme les grands courants d’idées du XVIe siècle, l’Humanisme, la Renaissance, la Réforme. Il faut y
ajouter les grandes conquêtes de la Révolution Française, l’idée de liberté, de souveraineté et d’état
moderne.

Le système de production actuel, capitaliste, trouve ses origines au XVIe siècle et dans la
Révolution Industrielle.

Les croyances religieuses – le monothéisme, l’organisation de l’Eglise, en tant qu’institution, la


construction des monuments religieux, la Réforme et ses conséquences sur la civilisation européenne –
remontent à l’histoire du peuple juif et à la religion du Dieu unique. Le christianisme et la promesse du
salut viennent après, et, certes, la civilisation médiévale continue ce processus d’évolution, en
conservant la dimension chrétienne.

Le système d’enseignement actuel a ses origines au Moyen Âge et à la Renaissance et, bien
après, à la Révolution Française.

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II. Repères historiques essentiels

La Gaule Romaine

120 avant J.-C. Les Romains font la conquête de la Gaule (une partie de son territoire), entre
Espagne et Italie et fondent la ville d’Aix. Narbonne est la capitale de la nouvelle province, Galia
Narbonensis (La Narbonnaise).

58 avant J.-C. Jules César (Caius Iulius Caesar) s’installe en tant que proconsul à Narbonne et vainc
Arioviste, le capitaine des Suèves.

57 avant J.-C. Nouvelle victoire de Jules César sur les Belges.

56 avant J.-C. La conquête d’Aquitaine et des régions de l’ouest de la Gaule.

52 avant J.-C. La défaite de Vercingétorix à Alésia.

50 avant J.-C., la pacification de la Gaule.

48 après J.-C., la présence des aristocrates gaulois dans le Sénat Romain.

70 après J.-C. Pax Romana est établie de manière définitive.

212 L’empereur Caracalla accorde la citoyenneté romaine aux gens libres de l’Empire

395 L’empereur Théodose Ier partage l’empire entre ses fils, Honorius et Arcadius. L’Empire
Romain d’Occident durera jusqu’en 476 (date de la défaite de Roumulus Augustulus par
Odoacre) et l’Empire de Byzance disparaîtra en 1453, à la suite de la conquête de Constantinople
par les Turcs.

La Dynastie Mérovingienne

481 Clovis Ier, le neveu de Mérovée, roi des Francs Saliens, devient le roi des Francs.

496 Clovis Ier devient chrétien, grâce à sa femme, Clotilde

511 Mort de Clovis Ier et grosses disputes sur son héritage

628-639 Le règne de Dagobert, suivi par la période des rois fainéants qui cèdent le pouvoir aux Maires
du Palais.

732 Charles Martel, Maire du Palais, vainc les Arabes à Poitiers. Ses héritiers fonderont une
nouvelle dynastie.

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768-814 Le règne de CHARLEMAGNE, couronné par le Pape comme Empereur de l’Occident. Il


double, du point de vue territorial, le royaume, il vainc les Avares, les Sarazins, il fait la conquête
de la Lombardie, de la Saxe et de la Bavière. Il met les bases de l’enseignement ecclésiastique,
grâce aux savants de l’époque dont il est le protecteur illustre.

814 Mort de Charlemagne, une nouvelle crise dynastique et le partage de l’Empire carolingien.

842 Les Serments de Strasbourg, prononcés entre Charles le Chauve et Louis le Débonnaire
contre Lothaire, leur frère.

843 Le Traité de Verdun et le partage de l’Empire entre les trois frères.

La Dynastie Capétienne

987 Hugues Capet est couronné à Reims

996 Mort de Hugues Capet et le début du règne de son fils, Robert le Pieux.

1099 La Conquête de Jérusalem (Première Croisade)

1128 La création de l’ordre des Templiers

1147-1149 Deuxième Croisade, soldée avec un échec.

1180 Règne de Philippe Auguste, celui qui va consolider le domaine royal.

1189-1192 A la suite de la Troisième Croisade, Jérusalem est cédé au Musulmans.

1202 Quatrième Croisade

1204 La Conquête de Constantinople par les croisés et leurs alliés, les Vénitiens.

1226 Louis IX, devient, à 12 ans, Roi de France

1248-1254 Louis IX est à la tête de la Septième Croisade

1270 Louis IX conduit la Huitième Croisade et meurt à Tunis, tué par la peste.

1285 Philippe IV le Bel devient Roi, il affermit le pouvoir de l’Etat, détruit l’ordre des Templiers et
s’approprie leurs biens.

La Dynastie de Valois

1328 Philippe VI de Valois devient Roi, en inaugurant une branche des Capétiens.

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1337 Début de la Guerre de Cents Ans

1346 Défaite dure des Français à Crécy

1347 La capitulation française devant les Anglais, à Calais, après 11 mois de siège

1347-1349 La peste et la Jacquerie

1360 Traité de Brétigny et la transformation de la partie ouest de la France en province anglaise

1364-1380 Règne de Charles V, pendant lequel une partie des territoires français est récupérée.

1415 Défaite française à Azincourt

1420 Charles VI signe le Traité de Troyes, par lequel le Roi anglais à droit au trône français.

1422 Charles VII vainc les Anglais grâce aussi à Jeanne d’Arc.

1429 La libération de la ville d’Orléans, la défaite de Paris, une année plus tard. Jeanne d’Arc capturée
et vendue aux Anglais.

1431 La mort de Jeanne d’Arc sur le bûcher.

1453 Les Anglais sont chassés de France.

1461 Louis XI réussit à consolider l’état centralisé français.

1483-1498 Règne de Charles VIII.

1498-1515 Règne de Louis XII (Père du peuple), le fils du poète Charles d’Orléans.

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III. L’héritage grec

• Remarques préliminaires

Le miracle grec, qui continue à préoccuper les cultures et les civilisations actuelles, devient encore
plus incitant si l’on se rapporte à la Grèce d’aujourd’hui, un état européen de petites dimensions
(132000 km², un quart de la superficie de la France), ayant un sol aride et un climat excessif, peu de
ressources naturelles et un rôle modeste dans l’économie mondiale.

Dans cet espace s’est développée une civilisation remarquable, l’un des fondements des
civilisations européennes actuelles. Ce miracle s’est produit entre le VIIIe et le IVe siècles avant J.-C.,
dans des domaines comme la politique, la philosophie, la culture, les sciences et les arts.

Les Grecs anciens ont été parmi les premiers capables à résoudre un grand nombre
d’interrogations capitales pour l’intelligence humaine.

La Grèce antique n’a jamais existé en tant que formation d’état unifiée. Et pourtant, elle est
l’inventrice d’un type d’état original, la cité (polis, en grec), espace qui va devenir le réceptacle des
expériences sociales et politiques essentielles. Au IVe siècle les conquêtes d’Alexandre le Grand vont
étendre le monde hellénistique jusqu’aux Indes.

Même si, du point de vue politique, les Grecs étaient très divisés, ils avaient la conscience
permanente d’appartenir à la même communauté, distincte par rapport aux Barbares (ou ceux qui
n’étaient pas Grecs). Hérodote disait, au Ve siècle avant J.-C. « Nous avons le même sang, la même
langue, les mêmes sanctuaires et les mêmes mœurs ». Cette civilisation commune, l’hellénisme, s’est
développée pendant plus d’un millénaire, entre la mort d’Alexandre le Grand (323 avant J.-C.) et la fin
du 1er siècle avant J.-C.

La civilisation grecque ne constitue pas, pourtant, un modèle absolu. Comme toutes les civilisations
de l’Antiquité elle était basée sur le travail des esclaves. À Sparte, les nouveau-nés fragiles étaient
sacrifiés, coutume considérée aujourd’hui inacceptable et atroce. Le monde grec a connu beaucoup de
conflits, de luttes fratricides et de guerres.

L’apogée de la civilisation grecque est placé au Ve siècle avant J.-C. Un survol sur l’histoire
grecque nous permet de mentionner la période archaïque, avec la naissance des poèmes l’Iliade et
l’Odyssée (VIIIe siècle avant J.-C.) et la création de la cité-état ; la période classique (Ve – IVe
siècles), nommée l’époque de Périclès et de Socrate, marque la suprématie grecque dans le domaine
de la culture et de la philosophie, mais elle est, en égale mesure, affectée par les guerres entre Sparte,
Athènes et Thèbes. Le roi Philippe de Macédoine conquiert la Grèce pendant la deuxième moitié du IVe
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siècle. Son fils, Alexandre le Grand va élargir de manière impériale les frontières de la civilisation
grecque.

• L’héritage politique

La cité grecque (polis), vrai laboratoire d’expériences politiques a transmis à la postérité le modèle
de quelques régimes : la monarchie, l’oligarchie, la tyrannie et la démocratie. Les premiers théoriciens
des systèmes politiques ont été Platon et Aristote. Ce dernier, en analysant l’exemple d’Athènes,
considérait que l’évolution normale d’une cité ou d’état part de la monarchie pour arriver à la
démocratie, en passant par l’aristocratie et la tyrannie. En effet, la majorité des cités grecques a assisté
à la disparition de la monarchie sous la pression de grands propriétaires de terres qui ont imposé un
régime aristocratique ou oligarchique.

Le vocabulaire politique français remonte au grec ancien où le terme même de politique vient du
grec politiki, qui signifie l’art de gérer les problèmes de la cité et, par extension, de l’état. Monarchie
vient de monos, un seul, et archia, autorité ; aristocratie vient de aristos, le meilleur et cratia, pouvoir ;
oligarchie dérive de oligoi, un nombre réduit de, et archia, autorité.

De toutes les cités grecques, Sparte est restée bloquée dans un système oligarchique où le pouvoir
était concentré dans les mains de 30 personnalités notables de la cité, élus jusqu’à la fin de leur vie, en
formant un sénat restreint et 5 magistrats annuels. Une assemblée du peuple (Apella), qui contenait
tous les citoyens (Les Égaux), désignait les dirigeants de la cité, mais en suivant une procédure
étrange : les citoyens s’exprimaient par des cris. C’est, certes, une caricature d’élections
démocratiques. Le citoyen de Sparte se trouvait, dès sa tendre enfance, à la charge de l’état, qui, grâce
à un système éducatif dur, l’obligeait de consacrer sa vie aux armes, en laissant aux autres, non
citoyens, le devoir de nourrir la cité. La tyrannie (de tirannos, « maître ») a été empruntée de l’Asie
Mineure et s’est développée en Grèce entre les VIIe-VIe siècles.

Si, jusqu’à la fin de la période classique, les régimes politiques grecs excluaient la majorité des
citoyens des problèmes d’état et publics, au VIe siècle avant J.-C. apparaît, à Chios, et puis à Athènes,
un nouveau régime qui confie le pouvoir politique aux citoyens : la démocratie (du demos, « peuple »
et kratein, « commander », « conduire »). Le fondement du régime démocratique est, selon
Aristote, la liberté. Celle-ci est interprétée comme égalité en droits pour tous. Cette égalité a été
possible grâce à une nouvelle organisation administrative de la cité d’Athènes, divisée en 100
communes, regroupées en 10 tribus. Ces mesures administratives ont éliminé l’influence dominante de

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l’aristocratie et ont permis, à tous les citoyens, riches o pauvres, de participer de manière concrète et
active, à la vie politique. Les citoyens d’Athènes désignaient les responsables du pouvoir exécutif et
juridique (une première séparation des pouvoirs) et prenaient en commun les décisions importantes
(voter les lois, participer à la guerre, etc.). Pourtant, ce régime politique avait ses limites : le droit de
participer aux assemblées du peuple était réservé à quelques milles citoyens (sur 40000 citoyens
d’Athènes), les paysans d’Attique (environ 300000) en étaient exclus, tout comme les femmes, les
métèques et les esclaves.

• L’héritage culturel

La civilisation grecque est une civilisation de l’homme, fait qui a conduit à la définition de la pensée
grecque par le terme d’humanisme. Protagoras (450-410) a énoncé la célèbre phrase « L’homme est
la mesure de toute chose ». Cette formule sera critiquée par Platon, car elle oppose à l’idée de vérité
absolue une multitude de points de vue. Protagoras mettait sous le signe de doute l’existence des
dieux, et, par la suite, il a été obligé de quitter Athènes. L’homme se trouvait au centre des
préoccupations des Grecs, dans tous les domaines : politique, littéraire, artistique et même religieux, car
les dieux grecs sont les répliques fidèles de l’image de l’homme. Sophocle dit qu’il n’y a d’autre
merveille que l’être humain. Socrate, Platon et Aristote, en tant que les plus connus philosophes
d’Athènes ont voulu réaliser une connaissance complète de l’homme. L’inscription Nosce te ipsum
(Gnothi seauton) du temple d’Apollon devient la devise de Socrate. Il a inventé la méthode de trouver /
découvrir la vérité grâce au dialogue, méthode qui s’appelle maïeutique. La vérité se trouve, parfois, à
l’intérieur du soi. Accusé d’avoir renié les dieux et d’avoir corrompu les jeunes gens d’Athènes, Socrate
a été condamné à mort, une mort volontaire, par le suicide, en buvant la coupe de ciguë. Platon a
fondé, à Athènes, une école philosophique dont l’activité a été connue grâce à Aristote. En partant, en
principal, des dialogues, Platon crée un système philosophique sur le binôme question/réponse et
énonce des idées restées éternelles. Pour lui, les idées sont des formes intelligibles, éternelles et
parfaites mais mal reflétées par le monde sensible. Aristote a été le Magister d’Alexandre le Grand. A
part cette renommée, il a fondé L’Ecole des péripatéticiens et a introduit le réalisme dans la philosophie.
Il est le créateur de la logique formelle et de la poétique. Considéré le père de la métaphysique, Aristote
va devenir, pendant le Moyen Âge européen, le mentor des philosophes et des théologiens
scolastiques.

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L’interrogation permanente des philosophes grecs sur l’homme et sur sa condition au monde, a mené
vers une conception de vie basée sur la sagesse et sur la modération. Si la philosophie grecque exalte
la force de la raison, elle est, en même temps, une leçon de modestie et de morale.

Les Grecs antiques ont créé, également, la science de l’histoire, grâce à Hérodote, surnommé Le Père
de l’Histoire et grâce à Thucydide, l’auteur de La Guerre du Péloponnèse.

Il ne faut pas oublier que les Grecs antiques ont eu une grande école d’éloquence et de discours
politique. On retient, par la suite, le nom de Démosthène, l’un des plus grands orateurs de l’Antiquité.

La littérature grecque porte l’empreinte du même intérêt pour l’homme et pour le déchiffrement du
sens de son existence. Les poèmes homériques ne sont pas seulement une épopée de la Guerre de
Troie, mais aussi la célébration du courage. En même temps, tous les sentiments humains y sont
analysés. Les genres littéraires qui appartiennent à la Grèce, du point de vue de leur naissance, sont
circonscrits au même type d’humanisme. La littérature grecque antique est diverse et riche : les
comédies d’Aristophane imposent des archétypes des personnages à retrouver plus tard dans le
théâtre européen, les tragédies d’Eschyle et d’Euripide ont inspiré des auteurs français du XVIIe et du
XXe siècle.

Esope, créateur de fables (VIIe-VIe siècles), inspirera plus tard La Fontaine. Fénelon, au XVIIe siècle,
donne suite, de manière fabuleuse et narrative, au quatrième livre d’Odyssée, sous le titre Télémaque.
Suite au quatrième livre d’Odyssée.

Le XXe siècle reprend les mythes antiques dans le théâtre de Jean Cocteau, d’André Gide, de Paul
Valéry, de Jean Giraudoux, de Jean-Paul Sartre et de Jean Anouilh.

La pensée scientifique de la Grèce antique a fait son apparition en Asie Mineure (Ionie), entre le VIIe
et le VIe siècle et s’est développée en Alexandrie, pendant l’époque hellénistique. Les principes
fondamentaux des mathématiques ont été formulés par Thales de Millet, au VIIe siècle. Millet est la ville
la plus importante d’Asie Mineure, à partir du VIIIe siècle avant J.-C., où il y a aussi une école de
philosophie dont les représentants à retenir sont Thales, Anaximandre et Anaximène. Les fondements
des mathématiques ont été complétés, de manière inspirée, par Pythagore, Euclide et Archimède. Tous
les trois ont contribué, par des théorèmes, des lois, des concepts, à l’évolution de l’humanité et chaque
adolescent de nos jours connaît leurs apports essentiels à l’histoire de la science.

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Les Grecs ont le mérite incontestable d’avoir créé l’arithmétique, la géométrie e l’astronomie.

Le cœur de la civilisation hellénistique a été la cité d’Alexandrie, ville et port de l’Egypte à la


Méditerrané. L’une des merveilles du monde antique est sa célèbre bibliothèque (700000 volumes).

L’esprit scientifique des Grecs se fait voir aussi dans la médecine, grâce à Hippocrate, le plus connu
médecin de l’Antiquité et dont la profession de foi reste encore valable pour tous les médecins du
monde.

Le volet pratique de la pensée grecque est moins évident, si l’on compare avec la philosophie. On ne
peut pas parler d’une révolution technique chez les Grecs. Ils restent les maîtres incontestables de la
pensée théorique, des concepts et des abstractions.

L’art grec ne se limite pas seulement aux temples, aux statues ou aux pots de toutes sortes. Il a su
assimiler les influences venues d’Egypte, de Mésopotamie et de Crète. Malheureusement, il y a peu de
témoignages artistiques directs. La civilisation mycénienne, la période géométrique et archaïque, la
civilisation hellénistique ont produit des œuvres remarquables.

En matière de peinture et de sculpture il n’y a que le silence ou les copies (le sculpteur Miron en est un
exemple).

La colline Acropole, qui domine la capitale Athènes, est parée d’Érechthéion, gloire de l’architecture
grecque antique. Mais le voyageur est charmé aussi par les Propylées et par le Parthénon. Phidias,
l’inégalable sculpteur grec, a surveillé les travaux de construction des merveilles athéniennes
susmentionnées.

L’art grec a été hérité, tout d’abord, par les Romains, et, après la pause forcée du Moyen Âge, il est
entré dans le patrimoine de la Renaissance, par un travail de récupération et d’inspiration.

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IV. L’héritage romain

• L’héritage politique

Rome, cette cité de l’Italie centrale, a réussi à conquérir, successivement, toute la péninsule italique, et
ensuite, l’ensemble méditerranéen. La République initiale cède la place à l’Empire qui contient, entre
ses frontières, l’Ecosse et l’Euphrate. À l’intérieur de ce territoire étendu, une civilisation profondément
urbaine fleurira, portant l’empreinte de l’hellénisme.

Établis au VIIIe avant J.-C. dans le Latium, les latins étaient loin du niveau de civilisation de leurs
voisins, au sud, les Grecs, au nord, les Etrusques. Le mérite latin consiste dans le génie de coagulation
de ces civilisations supérieures, ajoutées de manière heureuse à l’esprit romain. Les Etrusques ont
quitté Rome en 480 avant J.-C.

La République a été marquée, dès le début, par les conflits entre l’aristocratie et le peuple. Ce dernier a
obtenu l’égalité politique au début du IIIe siècle avant J.-C., mais la Constitution romaine était encore
oligarchique, car le pouvoir était détenu par quelques nobles et quelques représentants du peuple, mais
riches.

Les guerres puniques (264-146) ont transformé Rome en maîtresse absolue du bassin méditerranéen.
La marche triomphale des conquêtes a continué avec la Macédoine (IIe siècle avant J.-C., avec la
domination sur tout l’espace oriental grec (Ier siècle avant J.-C.). En 58-52 Jules César conquiert la
Gaule. Ces réalisations romaines ont entraîné une forte hellénisation de la vie culturelle de la Ville
(Urbs).

L’évolution vers l’Empire est annoncée par les dictatures de Sylla (82-79) et de Jules César (49-44). En
31 avant J.-C., Auguste (Octavianus Augustus) devient le premier empereur romain. L’Empire créé a
eu, pendant plusieurs siècles, un sort heureux, grâce à l’armée et à l’administration. L’extension de la
citoyenneté romaine a facilité l’intégration de tous les peuples de l’Empire et a produit une cohésion
plus forte devant les ennemis de l’extérieur. Après le siècle d’or marqué par la dynastie des Antonins
(96-192), l’Empire est de plus en plus sujet à des attaques barbares. La faiblesse politique des derniers
empereurs romains, l’apparition du christianisme (début du IVe siècle) et, surtout, sa reconnaissance,
en tant que religion officielle de l’Empire, ont conduit – entre autres – à la disparition de cette entité
extraordinaire qui a été, si longtemps, l’Empire romain. Il est partagé entre la partie occidentale qui périt
en 476, sous les pressions barbares, et la partie orientale qui survit encore presque un millénaire, en
cédant à la force armée de Mehmet II, en 1453.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

Les Gaulois étaient des Celtes venus de l’Europe centrale et établis entre le Rhin et les Pyrénées, au
IIe millénaire avant J.-C. On ne peut pas parler d’une nation gauloise car ils étaient constitués de
plusieurs tribus dominantes. L’unité religieuse gauloise était assurée par les Druides, des autorités
sacerdotales qui veillaient au respect des cérémonies et du culte, mais aussi à l’éducation et à
l’application des lois.

La Gaule était très alléchante pour les Romains. La conquête de cette province s’est produite en deux
étapes, en 125-117 et entre 58-54. Pourtant, la Gaule Romaine n’est pas un exemple d’occupation
agressive, mais un modèle de cohabitation heureuse entre deux civilisations. Certes, il ne faut pas
oublier l’épisode d’Alésia et le sacrifice de Vercingétorix, le premier résistant de l’histoire de la France.

Si l’on paraphrase Grecia capta ferum victorem cepit, on pourrait dire que la Gaule, capta, cepit ferum
victorem, où le vainqueur est le même empire romain que dans le cas de la Grèce. Et, certes, par la
création de la France, l’ancienne Gaule est d’autant plus victorieuse, en dépit de la « conquête » du Ier
siècle avant J.-C. La civilisation gallo-romaine a laissé des traces, car les Romains ont construit un
réseau extraordinaire de viaducs, de routes, de voies fluviales. Le territoire de la nouvelle province est
couvert de grandes villes, de châteaux d’eau, de marchés, d’amphithéâtres, de bains publics, d’arcs de
triomphe, etc. Les plus importants vestiges gallo-romains se trouvent à Arles, à Narbonne, à Nîmes, à
Orange.

La romanisation rapide et efficace de la Gaule a été réalisée grâce aussi à l’implantation tenace du latin
sur le territoire nouvellement conquis. Le latin a remplacé l’étrusque et le grec, et, il est devenu le
véhicule de l’administration, de l’école, de la religion et du droit. En France, le latin juridique résiste
jusqu’au XVIe siècle, quand il est remplacé par le français, grâce à une ordonnance de François Ier.

La Rome antique a transmis à l’Europe la notion moderne d’état souverain, basé sur une administration
centralisée et sur un droit écrit. A la France elle a laissé un vocabulaire politique assez consistant
(dictateur, censeur, consul, préteur, édile, questeur, tribun, légat, Sénat, fascisme, etc.) et la nostalgie
de l’Empire (le plus nostalgique fut Napoléon Bonaparte). Le modèle républicain romain a été avancé
comme modèle absolu par les révolutionnaires de 1789, en dépit du fait que les res publica romains
n’ont jamais été un exemple démocratique (voir Athènes).

En ce qui concerne la littérature latine, l’héritage transmis à la postérité française n’est pas fameux, en
dépit de la renommée des auteurs classiques : Virgile, Horace, Cicéron, Tacite). La littérature française
du XVIIe siècle ne fait que traiter de manière burlesque ses glorieux prédécesseurs (Paul Scarron, Le
Typhon ou la Gigantomachie, Le Virgile travesti en vers burlesques). Si la littérature latine a peu de
crédit, l’histoire romaine est à l’honneur. Pierre Corneille écrit une série de tragédies à sujets romains :

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

Horace, Cinna, Polyeucte, La Mort de Pompée, Nicomède. Jean Racine lui fait concurrence :
Britannicus, Bérénice.

La fusion inspirée entre vainqueurs (les Romains) et les vaincus (les Gaulois) s’est produite avec la
Renaissance Carolingienne, au VIIIe siècle après J.-C.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

V. L’héritage chrétien

L’histoire des Juifs, petit peuple sémitique du vieil Orient, installé initialement en Canaan, qui a connu
l’émigration en Égypte, le retour en Palestine, l’avènement d’un royaume fleurissant à l’époque de Saul,
de David et de Solomon, puis la scission, la domination assyrienne et babylonienne, la conquête
romaine et finalement la dispersion au monde entier, est intéressante en tant que point de départ pour
trois religions contemporaines : le judaïsme, le christianisme et l’islamisme.

De tous les peuples de l’Antiquité, les Juifs ont été les seuls monothéistes, adeptes de la religion d’un
Dieu unique, Créateur de l’univers.

La double affirmation de l’unicité de Dieu et du choix du peuple élu par ce même Dieu constitue
l’essence de la religion judaïque. Dieu s’est montré à Moïse, sous le nom de IHVH.

Les chrétiens ont transformé IAHVE en Jéhovah. La perfection de ce Dieu interdit sa représentation et
la prononciation de son nom. C’est un Dieu assez exigeant et vengeant, qui inspire la peur, pas l’amour.
Et pourtant, l’amour entre tous les mortels est de mise pour la religion judaïque. Elle est l’expression de
la conviction des Juifs qu’ils sont élus par Dieu pour mettre en œuvre ses projets sur Terre.

Les Juifs attendent la venue d’un Mésie, descendant de David, le Rédempteur promis dans le Vieux
Testament. Il doit guérir le monde de tous ses maux et, surtout, libérer les Juifs de leur sort inexorable,
les éternels errants de l’humanité.

Sur ce terrain d’attente contractée, entrent en « scène » Jésus-Christ et le christianisme. C’est la


religion de ceux qui croient à la venue d’un Mésie, envoyé par Dieu et, surtout, c’est la religion de ceux
qui croient à la Résurrection de Jésus-Christ. Cette bénite Résurrection est la préfiguration du salut des
tous les mortels, la Rédemption éternelle.

La vie de Jésus-Christ se trouve racontée et écrite dans les quatre Évangiles, mises en circulation au
Ier siècle après J.-C. par Saint Mathieu, Saint Marc, Saint Luc et Saint Jean.

La grande dissémination chrétienne commence, au fait, après la mort de Jésus-Christ. Il a produit un


désordre essentiel dans le monde et ce désordre justement va ordonner l’univers, grâce à la religion de
l’amour, de l’humiliation, du salut, la religion des pauvres et des démunis dont les meilleures promesses
tenues sont aux Cieux. Jésus-Christ dirige son amour vers les moins chanceux, vers les pecatores, car
Il croit que le Royaume de Dieu leur appartient.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

Sa Résurrection est célébrée aux Pâques, trois jours après sa mort, il suit l’Ascension et puis la
Pentecôte, jour de la transmission du Saint Esprit et de la promesse de la Résurrection pour tous les
mortels.

Ce sont les repères de la religion chrétienne, l’une des sources de la civilisation européenne. Entre le
Ier et le IVe siècle, le christianisme comprend l’ensemble du monde romain, en devenant, grâce à
l’Empereur Constantin, la religion officielle, soutenue par une église riche et influente.

La christianisation de l’Europe médiévale est un long processus qui commence au Ve siècle et qui dure
jusqu’au XIVe siècle. Ce processus est marqué par la division en deux rites, roman et grec orthodoxe,
suite à la Grande Schisme de 16 juillet 1054, lors d’une bulle papale par laquelle le Patriarche Michel Ier
Cérulaire est excommunié par le Pape Léon IX. Les essais ultérieurs d’unification ont échoué, et, à
partir du XVIe siècle, la chrétienté médiévale traversera une crise profonde. C’est bien cette crise qui
justifiera, partiellement, l’apparition des églises réformées et protestantes.

L’unité religieuse de l’Europe restera longtemps détruite et cette perte entraînera des guerres
religieuses et civiles sanglantes.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

VI. Repères du monde médiéval français

A. Aspects préliminaires

La société médiévale est perçue comme une entité formée de trois ordres, et on ajoute, certes, la dame,
en tant que moteur supplémentaire de fonctionnement et justification des exploits chevaleresques et
sensible objet de la prière monastique.

Les trois états principaux (ou les trois ordres) imitent, de façon heureuse, l’image de la Sainte Trinité.
Adalbéron de Laon explique, dans Carmen ad Robertum regem (Poème pour le Roi Robert, XIe siècle)
le fonctionnement des trois ordres : bellatores, oratores, laboratores, ceux qui luttent, ceux qui prient,
ceux qui travaillent.

Jacques Le Goff observe que ce schéma triparti « exprime une image consacrée, sublimée de la
société […] il ne groupe pas la totalité des catégories sociales, mais celles-là seules qui sont dignes
d’exprimer les valeurs sociales fondamentales : valeur religieuse, valeur militaire, et, ce qui est nouveau
dans la Chrétienté médiévale, valeur économique. Jusque dans le domaine du travail la société
médiévale, au niveau culturel et idéologique, reste une société aristocratique » (J. Le Goff, 1977, p.88).

La féodalité s’installe en France et dans les autres pays de l’Occident entre le IXe et le XIIIe siècle, et,
la période comprise entre le XIe siècle et le XIIe siècle s’appelle féodalité classique, ou même
Renaissance du XIIe siècle, car il s’agit d’une époque de progrès important et essentiel pour l’évolution
historique et sociale ultérieure.

La féodalité représente un modèle de rapports humains équilibrés, une pyramide des pouvoirs et des
compétences fondée sur la relation personnelle entre le seigneur / le suzerain et les vassaux (et les
vassaux des vassaux, les vavasseurs). La base de la féodalité est constituée par un engagement
réciproque, garanti par un serment. Le fief (terres et d’autres biens), cédé par le suzerain au vassal afin
de permettre au dernier de s’acquitter de ses obligations envers son seigneur, était attribué dans le
cadre d’une cérémonie déroulée en trois étapes : l’hommage, la foi, l’investiture. Les engagements
réciproques supposaient de l’aide, militaire et économique et, certes, de la protection.

Le cérémonial d’adoubement consacrait un chevalier, il quittait, de la sorte, sa condition simple d’écuyer


et devenait miles.

Les idéaux du Moyen Âge se modifient d’un siècle à l’autre : si le XIIe siècle a été – essentiellement –
chevaleresque et poétique, le XIIIe siècle sera plus modéré et plus intellectuel. Le modèle du
prud’homme (preudomme, en ancien français) impose le caractère sage, équilibré, intègre et
extrêmement instruit, capable à rester à une distance égale de tous les troubles de l’âme, en pratiquant

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

avec art le détachement chrétien efficace. La politesse courtoise et la culture de l’antiquité gréco-latine
étaient, également, de mise.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

B. Les acteurs de l’univers médiéval

a) La Dame, objet de l’amour courtois

La promotion de la femme, la courtoisie et la création du roman sont les trois phénomènes liés et qui se
trouvent sous le signe du grand progrès produit au XIIe siècle dans la pensée médiévale. Je vais
essayer d’en présenter les mutations, en insistant surtout sur le statut de la dame noble, objet de
l’amour courtois. La religion ne reste pas muette devant ces mutations. Mais, pour elle, la distinction de
classe a moins d’importance, la dame noble est, avant tout, une femme.

Jusqu’au XIIe siècle la femme noble avait un statut inférieur par rapport à son conjoint. Elle ne portait
pas les armes, mais elle avait ses guerres, dans la maisonnée. Parfois dure avec ses servantes, elle
était obligée à son tour, à payer à la vie quelquefois, la perpétuation du lignage. C’est d’ailleurs la
fonction essentielle de la femme, noble ou humble. Sa fécondité, sa vigueur corporelle et la dot étaient
les principaux arguments pour la négociation du père, du tuteur ou du frère, au moment du mariage. Sur
le plan matériel, elle se trouvait dans une position inférieure, en marge du cadre féodal, dominé par les
hommes, préoccupés par la guerre, par la chasse et par les tournois. Les hommes de la famille
décidaient pour elle, simple objet d’un marché conclu entre les forts, parfois au service des intérêts
politiques. Sur le plan spirituel, elle gardait la même position inférieure, car les gens de l’Eglise voyaient
dans la femme l’incarnation du mal, source de tout malheur. La sainteté lui était refusée.

Les signes du changement apparaissent dans les dernières années du XIe siècle, et d’une manière
beaucoup plus évidente, au XIIe siècle. Tout d’abord sur le plan matériel. La dame pouvait gérer une
seigneurie, pendant l’absence de son mari. Une fois le pouvoir matériel conquis, petit à petit, c’est vrai,
la femme (noble, il faut le préciser, car le statut de la vilaine était tout autre) connut une situation
différente, marquée par une dose de respect, inconcevable jusqu’alors. La relation avec l’Eglise
commence à s’améliorer. Les saintes sont vénérées avec la même ardeur que les saints, et La Vierge
apparaît de plus en plus comme indispensable médiatrice entre l’homme et Dieu, à côté de Jésus.

Vers le milieu du XIIe siècle, s’élabora une conception nouvelle des relations entre l’homme et la
femme. Jacques Le Goff signale que “le raffinement entre deux êtres semblait confiné, dans la société
virile et guerrière de l’âge proprement féodal, à l’amitié entre les hommes” (Le Goff, 1997, p.322). Cette
conception nouvelle porte le nom de courtoisie (corteisie en ancien français). Elle est le résultat de
quelques “acquisitions” culturelles qui remontent jusqu’à Cicéron, jusqu’à la dialectique amoureuse de
l’Andalousie arabe et jusqu’au mythe celtique de Tristan et Yseult.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

Ce sentiment est ambivalent, car, d’un côté, il exprime la dévotion et la soumission à l’être aimé (cf. les
relations entre seigneur et vassal), et, de l’autre côté, la révolte contre la morale sexuelle de l’âge
féodal. C’est toujours l’amour qui est en jeu, mais, la dame étant la femme d’un autre (le seigneur), le
rôle de l’union charnelle est diminué, sinon aboli. Par conséquent, l’avènement de ce sentiment devient
question de sensibilité et de raffinement.

Paul Zumthor parle, à juste titre, de la différence de vision entre le Nord et le Midi de la France. “Au
Nord, l’amour apparaît plutôt comme l’aboutissement, l’épanouissement de la conquête de soi que
représente l’acquisition des qualités courtoises.[…] Dans le Midi, cet amour avec lequel se confond
l’existence courtoise, porte un nom, fin’ amor […] désignant un type de relation sentimentale et érotique
[…] La fin’amor est adultère en imagination, sinon toujours en fait” (Paul Zumthor, 1972, p. 555). Toute
situation amoureuse est circonscrite à la cérémonie du don, perpétuée tout au long du Moyen Âge.
Cette fois-ci, la femme est le suzerain, et l’homme son vassal.

L’amour courtois n’a rien à voir avec le mariage. Il s’adresse à une femme de rang supérieur, en tant
que femme du seigneur.

Sur ce point il est intéressant de présenter la position de l’Église, surtout qu’on ne peut parler du
mariage sans tenir compte des idées propagées à l’époque par les clercs et les religieux. Le mariage
est l’élément essentiel de la société parfaite, ou, au moins de l’image que s’en font les lieutenants de
Dieu sur la terre. La femme ne doit pas être méprisée (“piétinée” selon Georges Duby), car “Eve ne fut
pas tirée des pieds d’Adam” (Duby, 1981, p. 224). Mais, en même temps, elle ne vient pas non plus de
la tête d’Adam, donc elle ne doit jamais dominer. Le seul moyen de la contenir serait de lui imposer le
mariage, contrainte absolue, décidé(e) en dehors de ses désirs, en dehors du sentiment de l’amour.

Le clerc André le Chapelain rédigea, entre 1186 et 1190, le Traité de l’amour courtois. Il y exprime
clairement le point de vue religieux, concernant l’amour dans le mariage. L’amour n’a rien à voir avec ce
dernier, pour ne pas troubler l’ordre social. L’auteur arrive à conseiller une attitude extrême: il situe
l’amour courtois sur le même plan que la prostitution, les deux étant deux excès à fuir dans l’union
sacrée du mariage: “La fonction bénéfique de l’amour courtois et de la prostitution est justement de tirer
l’excès de chaleur, de ferveur hors de la cellule conjugale afin de la maintenir dans l’état de retenue qui
lui sied” (Duby, 1981, p. 230). Il paraît que ce clerc ignore les ambitions ‘idéologiques’ de l’amour
courtois: d’une part, exclure l’élément charnel, d’autre part, démontrer par le biais de la littérature que
l’amour et la courtoisie sont possibles dans le mariage.

Un rôle capital dans la création et la diffusion de la littérature courtoise revient aux cours des grands
seigneurs. Le progrès mental produit vers le XIIe siècle (cf. la dénomination de ‘Renaissance du XIIe

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

siècle’) doit beaucoup aux seigneurs d’Aquitaine, de Poitiers, de Normandie, d’Anjou. Plus tard,
Chrétien de Troyes trouve dans les cours de Champagne et de Flandre un milieu propice pour l’éclosion
de ses romans. Ces ‘endroits’ deviennent de vrais centres culturels et, en même temps, des milieux
mondains. Les dames nobles y jouent un rôle important.

La création du roman comme genre littéraire distinct est intimement liée à l’horizon d’attente du public
de ces centres de culture. Il s’agit d’un genre rimé encore, mais beaucoup plus accessible que la
chanson de geste (vers plus courts, destinés à être lus). Au début, ces récits furent construits sur le
modèle des romans antiques. Puis, c’est la matière de Bretagne qui devient la source principale
d’inspiration. On y trouve régulièrement un guerrier et une dame, objet et prix de ses exploits, l’amour et
les Chevaliers de la Table Ronde, la cour du roi Arthur, modèle de courtoisie et de perfection. En plus,
l’univers imaginaire, proposé par les contes bretons, charmait le public, essentiellement féminin.

C’est dans cette perspective qu’il faut placer les considérations d’Albert Thibaudet qui voit dans le
roman médiéval “un clerc et une dame qui l’écoute” (apud Jean Frappier, 1968, p.13).

Je vais présenter, par la suite, quelques dames du Moyen Âge, exemplaires par comportement et
attitude. La source est Georges Duby (1998). Tout d’abord Aliénor, héritière du duché d’Aquitaine,
épouse d’Henri Plantagenêt, mère de Richard Cœur de Lion et de Jean sans Terre. Elle bénéficie d’un
portrait mitigé de la part des historiens. Elle est tour à tour la victime de ses époux (le premier, Louis VII
de France, le deuxième Henri Plantagenêt), ou la femme libre qui tient tête aux prêtres, “porte étendard
d’une culture brillante” (Duby, 1998, p.15).

La deuxième est Héloïse, prieure de l’abbaye de femmes d’Argenteuil. Ses hypostases pour la postérité
se partagent entre femme philosophique, religieuse exemplaire et surtout “la très précoce héroïne d’une
libération de la femme” (Duby, 1998, p.78).

Duby insiste sur le modèle offert par Marie Madeleine, mais elle dépasse largement la condition d’une
dame du Moyen Âge et le but de notre analyse. Sa sainteté est en permanence invoquée.

La femme parfaite pour l’homme du Moyen Âge lui est entièrement soumise, elle le chérit, mais surtout
le craint, le sert et ne parle pas.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

b) Le Chevalier, expression de l’individu face à la collectivité

La conception qui décrit la société médiévale, à partir des trois ordres mentionnés, se développe au XIe
siècle, et devient un lieu commun au XIIe siècle. Jacques Le Goff affirme que la formule acceptée par
tous les chercheurs appartient à Adalbéron de Laon (cf. Jacques Le Goff, 1977).

Bellatores, oratores et laboratores expriment, en fait, des rapports de domination, intéressants à


signaler. Les premiers dominent par la force des armes les autres membres, qui s’occupent de la
culture de la terre et/ou de l’âme, en renonçant parfois à la gloire. L’Eglise s’arroge le pouvoir spirituel
sur les humbles ou sur les nobles. Les laboratores assurent la survivance de tous les autres, en dehors
de tout intérêt politique (cf. les rapports entre le seigneur et le vassal).

Le chevalier se retrouve parmi les bellatores. Il porte aussi le nom de miles, qui désigne plutôt un
membre de la classe des chevaliers, à l’intérieur de l’aristocratie laïque.

Les origines de la chevalerie remontent au Xe siècle (de 971, on a conservé le premier document sur
les miles). Ce terme se substitue progressivement aux autres qui soulignaient plutôt la subordination
vassalique (vassus et fidelis). Après le XIe siècle, la chevalerie devient un “groupe cohérent, compact,
étroitement rassemblé autour d’une qualité familiale ou héréditaire” (Duby, 1973, p.328).

Au XIIe siècle la condition du chevalier est ambivalente: d’une part, la vocation poussée à l’extrême,
d’autre part, l’insécurité économique de l’homme obligé à échouer dans un mariage avec une femme
d’une condition supérieure. Le thème du chevalier errant est très fréquent dans la littérature médiévale,
lié justement à cette insécurité économique. En plus, les chercheurs attirent l’attention sur le
comportement de juvenes, les turbulents membres de la communauté guerrière. Une fois dépassé l’état
de “fronde”, (avant la lettre!), les chevaliers s’attaquent aux exploits qui assurent la gloire et l’amour et la
révérence de la dame noble. Alors, la condition d’aventurier célibataire est abandonnée, au profit d’une
autre, où l’importance est détenue par l’image créée aux yeux de la communauté.

Petit à petit l’Eglise glisse dans ce milieu essentiellement guerrier et amoureux le modèle du chevalier
exemplaire, animé par l’amour de Dieu: miles christianus. D’ailleurs, Chrétien de Troyes essaie de le
proposer dans Yvain et dans Perceval, sans trop de conviction. Le modèle créé et imposé par la
littérature est plus fort, au moins au XIIe siècle. Il s’agit du chevalier guerrier sans trop insister sur le
côté religieux.

La littérature offre un modèle où l’aventure est capitale et contraire à l’ordo imposé par l’Eglise. Cet
ordre est aboli par le dés-ordre entraîné par les faits d’armes et par la conception de l’amour. Le
chevalier est au milieu de ce désordre, en le provoquant et en l’encourageant. Chrétien de Troyes va

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

essayer vainement de démontrer qu’il y a une possibilité de conciliation entre l’amour, la chevalerie et le
mariage.

Le modèle chevaleresque du XIIe siècle proposant comme valeurs fondamentales la générosité (la
largesce), la bienséance, la mesure est pourtant une évidence.

Cette diffusion extraordinaire du schéma discuté plus haut, avec toutes les contraintes et toutes les
libertés, est l’argument le plus important pour le fait qu’à l’époque le chevalier représentait un repère.
Mais, plus que jamais, l’individu n’agissait que par l’intermédiaire de la collectivité (cf. les contraintes!),
même si ses aventures étaient individuelles. Il rentrait à la cour pour tout raconter, et pour obtenir,
encore une fois, la reconnaissance et l’admiration.

La plus petite collectivité médiévale (tout comme aujourd’hui, d’ailleurs) était la famille. Sauf que, par
rapport à l’époque moderne, au XIIe siècle et plus tôt même, la famille représentait une entité dont les
impératifs ne pouvaient être ignorés. En plus, le poids du “clan” était très important, surtout au niveau
de la classe seigneuriale. Le chevalier faisait partie de cette communauté réduite, construite à partir des
liens de sang (parents et “amis charnels”, selon Le Goff). Il respectait, au moins pendant sa jeunesse,
les désirs du chef de la famille. L’agglomération de membres sous un même toit (on dirait aujourd’hui
promiscuité), le phénomène de la bâtardise (et implicitement l’existence de plusieurs héritiers pour une
seule et mince fortune) les forçaient de quitter la demeure parentale, pour trouver ailleurs la gloire et le
bonheur, et parfois une situation financière meilleure. L’aventure n’est pas donc le culte du moi à tout
prix. Si l’on extrapole, la cour peut représenter une grande famille où règne parfois une sorte de
fraternité d’armes et de mérite, protégée par le roi même. Nous avons déjà parlé du rôle social de la
cour princière au XIIe siècle. De surcroît, l’acte de l’adoubement était une partie essentielle de la vie du
chevalier, déployé devant les autres, une fois les épreuves passées. On connaît aussi la situation où
l’adoubement est antérieur aux exploits. Alors, le courage d’affronter les périls était-il une vertu
typiquement chevaleresque? Perceval part à la cour du roi Arthur pour se faire adouber, mais juste
avant, il vainc le Chevalier Vermeil.

Il y a des chercheurs qui avancent l’idée que l’aventure représente une rupture avec l’ordre imposé par
la communauté, avant d’être l’intégration à l’intérieur de celle-ci, par la reconnaissance des mérites.
Erich Köhler parle de la “rupture de plus en plus nette entre le moi et le monde environnant, si bien que
l’individu cesse de trouver dans les lois du monde extérieur ce qui correspond à sa propre organisation.
L’individu livré à lui-même et contraint de s’affirmer dans un monde hétéronome soumet les relations
entre les deux sphères à l’arbitraire du hasard, de sorte que la vie toute entière est soumise à la loi de
l’aventure” (E. Köhler, 1974, p. 95).

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

Etre chevalier représente, pour le XIIe siècle, une alternative. L’autre solution, miles Christi était-elle
plus attrayante? La réponse, de la part d’un moderne, ne se trouve pas dans la hiérarchisation des deux
états. Chaque condition a sa spécificité. Le point de vue médiéval est exprimé dans les textes littéraires
de l’époque. Au XIIe siècle, la littérature hagiographique n’a plus le même succès qu’un siècle
auparavant, par exemple.

c) L’Ermite, messager de Dieu ?

Les oratores ont un statut spécial au Moyen Âge, car ils peuvent être partagés en deux catégories: les
clercs et les prêtres. Les moines et les ermites forment plutôt une “sous-classe” à l’intérieur des
derniers. Les clercs sont les promoteurs de la culture religieuse, sans appartenir à un ordre et/ou sans
être prêtres. La caractéristique commune pour tous est le fait de se considérer, chacun
individuellement, le messager de Dieu. Certes, entre tous, les clercs ont le statut le plus controversé. Ils
diffusent la culture religieuse, mais, en même temps, celle profane. La religion est pour eux une morale,
mais qu’ils sont obligés à transmettre, autrement l’équilibre de la société est perdu. L’exemple de
Chrétien de Troyes est le plus connu. Il a été clerc, sans être prêtre, bon connaisseur de la Bible et de
la littérature latine. Pour avoir une image correcte du statut des oratores médiévaux, il faut envisager
aussi le problème du temps. Car la situation n’est pas identique à l’an mil, au XIe siècle, ou à l’apogée
de la civilisation médiévale (XIIe siècle).

Mon but n’est pas de parcourir toutes les étapes de l’évolution mentale à travers les siècles du Moyen
Âge. Je vais essayer de signaler les aspects les plus importants au cours de cette progression.

Tout d’abord il faut distinguer entre religion et Eglise. La religion est une composante intrinsèque de
toute civilisation. La dernière est une institution qui commence à se rendre compte de son pouvoir
assez tard. Ce pouvoir est, dès le début de cette prise de conscience, lié à la royauté. Et, sans doute, à
l’institution du mariage. Les moines, les prêtres et les ermites sont exemptés du devoir du mariage.
C’est pourquoi le lien avec le pouvoir, représenté par le roi, est plutôt mince. Redde Caesari quae sunt
Caesaris et quae sunt Dei Deo. Pour eux, le service de Dieu remplace toute autre obligation, transférée
aux autres. La classe monacale connaît elle aussi ses orgueils, car, souvent les moines et les prêtres
se permettent d’établir des hiérarchies entre les membres de la société, du point de vue de la relation
avec la divinité, en se considérant eux-mêmes les plus proches de Dieu.

Le côté qui représente le plus d’intérêt pour ma démarche est le côté ‘culturel’ de la civilisation
religieuse, surtout au XIIe siècle. La vocation monacale (et parfois l’accès à la sainteté) sont étroitement

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

liés à la connaissance. La lecture, occupation pacifique, contredit et annule l’autre mission du chevalier,
la guerre. On s’efforce au cours des siècles de concilier les deux positions. Si, au Xe siècle, on faisait la
guerre pour la guerre, au XIIe, on fait la guerre au nom de l’Eglise, pour défendre les pauvres, les
orphelins et les veuves. La littérature médiévale abonde en exemples de chevaliers qui sont animés par
des sentiments chrétiens. Ce statut intermédiaire entre religieux et laïc est un argument pour
l’intromission de l’Eglise dans la vie sociale, et l’expression de son besoin d’exercer un certain contrôle
au niveau de l’individu.

L’ermite représente un modèle moins véhiculé dans la littérature arthurienne. Dans les romans de
Chrétien la “prépondérance” de ce personnage et son rôle dans l’économie romanesque sont
importants. L’ermite reste le messager de Dieu, le plus proche, si l’on se rapporte aux renoncements
qu’il pratique au nom de la rédemption (et pour l’obtenir!), et à la morale qu’il prêche aux autres et qu’il
respecte aussi.

d) Les Laboratores

Cette catégorie est difficile à définir car elle contient des groupes hétérogènes des gens qui travaillent :
paysans, artisans, marchants, travailleurs des villes.

Les paysans sont partagés, à leur tour, en roturiers (hommes libres) ou vilains et serfs (liés à des terres
nobiliaires et obligés d’y rester). Petit à petit, vers le XIIIe siècle, ils seront libérés. Ils dépendaient tous
d’un seigneur qui remplissait aussi les fonctions publiques nécessaires, y compris la fonction de juge.
Le régime agricole prépondérant à l’époque et la domination du propriétaire des terres, entrainaient, de
la part de ces laboratores toutes sortes de dettes et de corvées envers leurs seigneurs.

Les pestes réduisaient, de manière tragique et périodique, le nombre de la population. Les personnes
les plus vulnérables étaient, certes, les paysans. On y ajoute les ravages de la Guerre de Cent Ans
(1337-1453) et on obtient un tableau exact de la pauvreté extrême des villages.

La révolte paysanne, de mai-juin 1358, nommée la Jacquerie (du nom générique Jacques, donné par
les nobles aux membres de cette catégorie agricole importante de la population) est le résultat des
facteurs conjugués d’exploitation acharnée. Un ancien soldat, Guillaume Karle conduit les opérations de
révolte, dont on retient les incendies des châteaux en Picardie, en Ile-de-France et en Champagne.
Charles II le Mauvais, Roi de France, commande et dirige la répression atroce, car 15000 paysans sont
tués, y compris Guillaume Karle.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

Avant le XIe siècle, les villes de France étaient plutôt des villages. Après cette date, la croissance
démographique, le développement du commerce, le déplacement proprement dit d’une localité à l’autre,
les progrès techniques, la découverte et l’exploitation de certains produits venus d’Orient facilitent
l’essor des villes médiévales. Les marchants organisent et dirigent des endroits d’échanges (les
marchés), aux carrefours des routes principales, près de châteaux ou de cours d’eau. Autour de ces
marchés naissent les bourgs, souvent protégés par une enceinte. Les faubourgs sont une invention de
la même époque.

Les marchés de céréales, de bétail, de vivres sont assez nombreux et contribuent au développement
général de la société médiévale.

Les artisans sont réunis en confréries ou associations professionnelles, devenues au XVIIIe siècle des
corporations. Chaque confrérie a un drapeau spécifique et un saint protecteur dont la statue est
promenée lors des cérémonies religieuses importantes.

Le livre des métiers, écrit en 1268, par Etienne Boileau, en respectant le désir de Saint Louis, est un
recueil de statuts des confréries parisiennes et offre au lecteur beaucoup d’informations, exactes,
riches, utiles sur la vie des marchands et des artisans médiévaux.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

C. Les Sciences et les Arts

a) Les Sciences

Par rapport à d’autres époques, il nous est très difficile d’isoler les réalisations françaises du Moyen
Âge, car les « hommes de science » étaient itinérants et leurs découvertes et réalisations se
transmettaient à travers toute l’Europe. Les moines étaient les conservateurs du trésor scientifique, en
préservant et en multipliant les manuscrits dans des abbayes et dans des monastères, partout sur le
territoire actuel de l’Europe.

Paris était un centre important de diffusion des connaissances scientifiques, et, par la suite, les
contributions françaises étaient notables.

• Albert le Grand (1193 ?-1280), allemand d’origine, a été professeur à l’Université de Paris de
théologie et de philosophie. Grand érudit, il a été le professeur de Thomas d’Aquin et il a
introduit dans ses leçons l’école péripatéticienne d’Athènes.
• Gerbert d’Aurillac (ou d’Aquitaine ou de Reims), moine, savant, philosophe, homme politique,
professeur, archevêque et, dès 999, Pape. En tant que professeur, il a enseigné la dialectique
et la logique à Reims et il a commenté l’œuvre d’Aristote. Il a manifesté de l’intérêt pour la
musique, la médecine, l’art oratoire. Il a apporté l’instrument de calcul nommé abaque, de
l’Espagne. Il était, également, astronome.
• Pierre de Maricourt (Petrus Peregrinus) est l’un des ingénieurs et des physiciens français
importants du XIIIe siècle. Il a été le maître de Roger Bacon. Il complète la théorie du
magnétisme et fait des considérations très exactes sur les conditions et sur les procédés de la
méthode expérimentale.
• Guy de Chauliac, chirurgien et médecin des Papes d’Avignon, il est l’auteur du traité La Grande
Chirurgie.
• Honorius d’Autun écrit une sorte d’encyclopédie, une somme des connaissances du temps,
nommée L’Image du Monde.
• Vincent de Beauvais ajoute aux encyclopédies du temps Speculum doctrinale, historiale et
doctrinale. Les continuateurs complèteront ce Speculum par un Speculum morale (vers 1310).
• Le livre le plus répandu n’appartient pas à un français, mais à Brunetto Latini, Le livre du
Trésor. Ce Trésor a été rédigé directement en français et son auteur francisé (Brunet Latin),

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

pendant son exil en France, en 1265. Le Trésor est composé d’astronomie, de sciences
naturelles, d’histoire, de géographie, d’éthique, de rhétorique et de théologie.
• Un autre italien de génie, Marco Polo, sera traduit en français – par Rusticien de Pise – en
1299. Le livre de Marco Polo sera traduit sous le titre de Livre des Merveilles du monde.
• Le catalan Raymond Lulle (Ramon Llull, 1235-1315) préfigure la chimie organique, grâce à la
distillation. Dans son traité, Ars Magna, il expose une méthode universelle conçue pour prouver
les vérités de la croyance chrétienne, en proposant un langage abstrait qui amorce la
formalisation logique.

L’époque est pleine, donc, d’encyclopédies, de lapidaires, de bestiaires, de plantaires où la fantaisie de


la description s’associe à l’allégorie et à la morale. L’homme est comparé en permanence avec les
animaux qui l’entourent. Le diable y est incarné par le goupil, par le loup et par le singe. Jésus-Christ
possède les traits du lion, de l’oiseau phœnix, du pélican, de la licorne et du diamant. Vers le XIIIe
siècle les traités d’économie, les livres de voyage, les mappemondes et les météores se multiplient
sensiblement.

La pensée médiévale n’a pas ignoré l’alchimie et la méthode expérimentale. Arnaud de Villeneuve
(1235 ?-1313) a obtenu l’essence de térébenthine pendant ses recherches sur la transformation des
métaux. L’alchimiste Arnaud de Villeneuve a été également médecin à Montpellier et à Paris et auteur
de nombreux traités.

Les progrès techniques et conceptuels sont incontestables pendant les siècles du Moyen Âge. Il faut
rappeler l’utilisation de la force éolienne et la force hydraulique pour toutes sortes d’industries,
l’invention des dispositifs mécaniques (presses, entre autres), l’amélioration de l’art militaire et de l’art
maritime et de navigation (l’us de la boussole et du gouvernail). On y ajoute les menues inventions,
indispensables aujourd’hui : les boutons, la chemise, les lunettes, la lingerie de corps et le champagne
(ce dernier inventé à Clairvaux, au XIVe siècle).

b) Les Arts

L’architecture est l’art le plus important au Moyen Âge français et, il s’agit de l’architecture monastique
(les abbayes bénédictines et cisterciennes), du domaine des constructions civiles (les palais des
princes construits à partir du XIVe siècle) et du secteur militaire (les châteaux médiévaux).

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

Une fois dépassés l’An Mil et l’hystérie millénariste concernant la fin imminente du monde, les Français
commencent à construire, de manière fébrile, des églises, des cathédrales et des abbayes. Le XIIIe
siècle est nommé, d’ailleurs, le temps des cathédrales. La construction des cathédrales est favorisée –
à part les découvertes techniques et l’effort commun – par la perception de l’homme sur son propre
travail. Si ce travail est fait de manière anonyme et collective, alors il est voué à l’éternité et agréable à
Dieu.

Les églises carolingiennes, couvertes d’une charpente en bois, ont été détruites par des incendies.
C’est pourquoi, très bientôt, les voûtes en bois sont remplacées par les voûtes en pierre.

Le XIIe siècle signifie le début de la construction de Notre-Dame de Paris (1163) et de la cathédrale de


Chartres (1180). De surcroît, la distinction entre les styles (roman et gothique) commence à se faire à la
même époque.

Le style roman se développe après le Xe siècle, pendant une période de croissance économique et
démographique. Le climat spirituel de l’époque, marqué par la renaissance de la croyance, phénomène
simultané à la réforme ecclésiastique, favorise essentiellement l’effort de construire des édifices
religieux. L’art roman a hérité des influences antiques, byzantines et arabes transmises et conservées
par l’art mérovingien et l’art carolingien. De tous les documents d’architecture, celui qui conserve le
mieux les traits caractéristiques du style roman est l’ensemble bénédictin de Conques (Aveyron), dont
la construction commence en 1030 et dure jusqu’en 1065. La construction de cet ensemble continuera
aussi au XIIe siècle. On y trouve une statue de la Sainte Foy, la protectrice de l’église.

La basilique romane remplace le plafond latin par la voûte, l’extérieur est massif, l’intérieur est assez
lourd et assez obscur et les piliers qui soutiennent l’édifice sont robustes. L’art roman est unitaire et
divers, en même temps. L’unité est l’expression de l’idéal religieux chrétien commun et la diversité est
motivée par la fragmentation du monde médiéval et par la création des styles régionaux.

Le style gothique fait son apparition en Île-de-France au milieu du XIIe siècle et fleurit au XIIIe siècle,
au nord de la Loire, où il bénéficie de l’appui financier de la dynastie des Capétiens, et par la suite, des
dynasties continuatrices (Valois, Bourbon, Orléans). Les traits caractéristiques de l’art architectural
gothique sont, entre autres : l’intersection des ogives, l’arc brisé, l’utilisation de l’arc boutant, fixé sur
des piliers séparés, à l’intérieur de l’édifice. Les fenêtres gothiques, extrêmement hautes, créent une
impression extraordinaire. La verticalité est une caractéristique typique du style gothique et elle traduit
l’élan vers la divinité et cette propension s’exprime aussi par les flèches très pointues. A Chartres, il y a
173 vitraux et un naos de 37 m. A Beauvais, le naos a 48 m. Le vitrail remplace les fresques et
s’associe à la rosace et à la trèfle.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

Les églises gothiques sont plutôt urbaines, tandis que les romanes appartiennent plutôt à la civilisation
paysanne et monastique. Les membres de la communauté chrétienne étaient beaucoup plus nombreux
dans les villes, et c’est pourquoi la nécessité de créer un espace plus large, destiné au service religieux
et à la pratique du culte chrétien s’impose.

Le XIVe siècle et le suivant vont connaître le gothique flamboyant, moins monumental mais plus
lumineux et plus raffiné. Les entrelacs, les courbes, les nervures nombreuses, le dessin des rosaces
créent la sensation de grâce et de finesse.

La sculpture romane loin d’être naïve présente des déformations de la figure humaine qui avaient une
dimension symbolique : la taille excessive de Jésus-Christ représente sa suprématie du Fils de Dieu.
Les élus de la divinité sont plus imposants que les mortels ordinaires, les animaux cèdent, côté
dimension, la place aux humains, dans les représentations en pierre. Dans la sculpture gothique, les
ornements des capitaux disparaissent et ils sont remplacés par les décorations florales. Les créatures
monstrueuses sont extériorisées sous formes de gouttières nommées gargouilles. La sculpture devient
noble et sereine, surtout dans les expressions des statues des façades. Le portail royal (celui du sud)
de Chartres en est un exemple (les statues de Jésus-Christ et des Apôtres). La sculpture funéraire
existe elle aussi, et est représentée par les gisants, des statues couchées sur les tombeaux des figures
(historiques) importantes, entourées par les pleurants.

La peinture murale est présente seulement dans les églises romanes. Les enluminures réalisées par
les moines, et, après le XIIIe siècle, aussi par les laïcs, ornent, de manière extraordinaire, des bibles,
des psautiers, des scènes de la vie quotidienne. Jean de France, duc de Berry, frère de Charles V et
gouverneur de Languedoc, nous a laissé le fameux Psautier de Jean de Berry et, encore plus, Les Très
Belles Heures, les Grandes Heures, et finalement, les célèbres Les Très Riches Heures du duc de
Berry, l’un des plus merveilleux manuscrits enluminés de l’époque, qui se trouve actuellement au
Musée Condé de Chantilly.

Les plus anciens vitraux datent de 1144 et se trouvent à la basilique de Saint-Denis (au nord de Paris).
Les couleurs utilisées étaient peu nombreuses, mais employées avec art et, selon un rythme
spécifique : le rouge, le vert, le bleu, le pourpre. Les couleurs et les dessins se multiplient à partir du
XIVe siècle.

La tapisserie est un autre art représentatif pour le Moyen Âge. Il faut dire que cet art est typiquement
français et tout ce qu’on trouve dans les autres pays européens n’est que le reflet de la diffusion de cet
art français. Les plus intéressantes pièces, transmises à la postérité, sont les 69 tapisseries intitulées
Apocalypse d’Angers, réalisées par Nicolas Bataille, à la fin du XIVe siècle.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

Les 58 scènes de la Tapisserie de Bayeux (ou la Broderie de la Reine Mathilde) réalisées vers 1077 et
représentant la Conquête de l’Angleterre par les Normands, sont l’œuvre des brodeuses anglo-
saxones.

La musique médiévale est traditionnellement liée au nom de Grégoire le Grand, le Pape numéro 64
(Pape entre 590-604). Le chant grégorien apparaît après lui, mais il porte son nom (fin du VIIe siècle et
même début du VIIIe siècle). La grande invention de la France médiévale musicale reste le contrepoint
(la polyphonie), à savoir l’art de superposer plusieurs lignes mélodiques, liées par des relations
harmoniques, sans qu’elles perdissent leur individualité rythmique.

La musique médiévale n’est pas limitée au chant religieux, le volet laïc y est présent, dans les danses et
les chansons populaires, dans les poèmes courtois, le plus souvent accompagnés de musique. Dans le
roman provençal Flamenca, il y a toute une liste d’instruments musicaux médiévaux : la harpe, la viole,
la flûte, le violon, la mandoline, la cornemuse, etc.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

D. La littérature

La littérature du Moyen Âge est diverse dans ses expressions. Elle part des textes hagiographiques (vie
des saints) pour arriver au roman allégorique des XIIIe-XIVe siècles (Roman de la Rose, Roman de
Renart).

La littérature hagiographique retient La Cantilène de Sainte Eulalie (881), en tant que le premier texte
littéraire français. Les vers du poème racontent le martyre de la Sainte Eulalie, morte en 304, à Merida,
à cause de ses convictions chrétiennes inébranlables.

Le Xe siècle connaît Homélie sur Jonas (en français et en latin), la Passion du Christ et la Vie de Saint
Léger. La Vie de Saint Alexis (1040) marque, en fait, l’entrée de la littérature hagiographique dans le
domaine littéraire. Thibaut de Vernon, l’auteur de cette « Vie » est un observateur subtile et sensible
des mésaventures du Saint Alexis, non reconnu par sa propre famille et obligé à loger sous un escalier,
pour dix-sept ans, dans la maison de son père.

Le Voyage de Saint Brandan, texte écrit par le moine Benoît, en 1112, introduit dans la littérature le
thème de la navigation (thème celtique).

Robert Wace écrit, au XIIe siècle, la Vie de Saint Nicolas et la Vie de Saint Thomas Becket, texte
terminé par Garnier du Pont Sainte-Maxence, en 1174.

Les Chansons de geste, parues dans la seconde moitié du XIe siècle et qui exaltent les valeurs
chevaleresques et féodales, constituent le genre typique pour la civilisation de l’occident médiéval. Je
vais y retenir la Chanson de Roland, la première partie du cycle de Charlemagne, histoire continuée par
le texte Berthe au grand pied et clos par Le Pèlerinage de Charlemagne. La variante la plus connue de
la Chanson est le manuscrit d’Oxford, signé(e) par Turoldus (probablement en 1170).

Les thèmes typiques des chansons de geste sont chevaleresques, guerriers, religieux. Elles mettent en
circulation et en valeur le courage, la victoire de la foi chrétienne, la célébration des vertus médiévales.

La poésie lyrique médiévale connaît deux manifestations expressives : la poésie des troubadours (au
Sud, en langue d’oc) et la poésie des trouvères (au Nord, en langue d’oil).

La poésie des troubadours, fruit de la courtoisie, connaît aussi des accents sensuels et érotiques,
surprenants pour l’époque. Plusieurs générations de créateurs ont produit, entre 1090 et 1290 un art
subtil qui lie la perfection du sentiment à la forme poétique.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

Guillaume IX, duc d’Aquitaine est le premier troubadour qui renonce à une érotique grossière et met
l’accent sur le culte de la femme aimée. Cercamon (1135-1152) développe la théorie de l’amour
courtois et un véritable art poétique. Jaufré Rudel cultive la passion pour la « princesse éloignée ».
Bernard de Ventadour introduit en poésie le cadre naturel et Raimbaut d’Orange utilisent les images
rares et les rimes savantes et riches. Richard Cœur de Lion inaugure la série des poètes prisonniers.
Cette liste des poètes du Sud est loin d’être exhaustive, elle se constitue, certes, en proposition de
lecture.

Les trouvères, au Nord, pratiquent les mêmes genres que les troubadours, en assurant une continuité
thématique sur tout le territoire de la France.

Conon de Béthune, poète de la croisade, n’oublie - pourtant - sa bien-aimée. Gace Brûlé réunit dans
ses poèmes les sentiments de l’exilé, l’amour pour la terre natale, les éléments naturels et la passion
amoureuse. D’autres noms à retenir : Guy II, le poète des séparations et des déceptions, Colin Muset,
promoteur du carpe diem et, en même temps, victime de la peur du lendemain, Gautier de Coinsi,
créateur d’une poésie pieuse et Guiot de Provins, un poète plutôt social et satyrique.

La poésie de cour est illustrée par Thibaut de Champagne (1201-1253). Il exprime ses sentiments
pour la dame noble, de manière gracieuse, sensuelle et passionnelle.

Adam de la Halle (ou Adam le Bossu) introduit l’inspiration bourgeoise dans la thématique du couple et
de l’amour conjugal. Le même esprit bourgeois se manifeste chez Rutebeuf, le créateur remarquable
de la lyrique personnelle. Il pratique, tout comme Colin Muset et, plus tard, François Villon et Clément
Marot, la poésie quémandeuse, une sorte de complainte du pauvre, pour les mécènes du jour, afin
d’obtenir un soutien matériel. Rutebeuf satirise les vices des nobles, des ordres religieux et des
marchands, en se situant du côté des pauvres, et des déshérités. Il annonce, grâce à ces thèmes, la
poésie de François Villon.

Pendant les siècles XIVe et XVe la poésie française s’oriente, de plus en plus, vers les recherches
formelles, vers les combinaisons rythmiques savantes, en accordant une certaine priorité à la musique.

Guillaume de Machaut (1305-1377) réussit la synthèse entre le symbolisme médiéval et la mythologie


traditionnelle, fait qui annonce les tentatives des humanistes de la fin du Moyen Âge d’unir la tradition
courtoise et le goût pour les sujets antiques. Les formes les plus inspirées de la poésie de Machaut sont
les dits : Le Voir Dit, Le Dit du Lyon, Le Dit des quatre oiseaux. Il y a encore Le Jugement du roi de
Navarre, Le Confort d’ami, le Remède de Fortune. Les sujets se déroulent entre l’art d’aimer (Le Voir
Dit), l’amour vu comme une aventure extraordinaire (Le Dit du Lyon, Le Dit des quatre oiseaux), l’idéal

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

de mesure et de sagesse (Le Jugement du roi de Navarre) et des considérations sur l’art de la guerre et
sur le sort des malheureux du peuple (Remède de Fortune).

Eustache Deschamps (1340-1407) est l’auteur de L’Art de dictier et de faire chansons, le seul travail
dédié, à l’époque, aux techniques poétiques et à l’utilisation des techniques de rhétorique. Le texte
couvre des lais, des dits, des fables, des expressions philosophiques, satiriques et moralisatrices.
Eustache Deschamps utilise l’allégorie afin de suggérer des vérités morales quotidiennes. C’est le
poète le plus « réaliste » de l’époque médiévale et une source précieuse des mœurs médiévales. Il
aime Paris, ville de son amour et des jolies filles et des vins rares et exquis.

Philippe de Vitry, nommé par Pétrarque « poeta unicus Galliarum » loue et chante les beautés de ce
monde et fait l’éloge de la vie rustique.

Christine de Pisan (1364-1431) est l’un des plus féconds auteurs de l’époque, un auteur sincère et
authentique dans sa façon d’écrire. Les tableaux et les portraits contemporains, l’utopie du
Lamentation sur les maux de la France, Le Chemin de longue étude, Le Livre des faits et bonnes
mœurs du sage roi Charles V. Elle a été nommée par la critique « Simone de Beauvoir médiévale ».

Charles d’Orléans est le poète de la fin du Moyen Âge qui réalise la convergence absolue des toutes
les traditions issues de la poésie courtoise. Le modèle qui prévaut est fourni par la doctrine de la fine
amour, le procédé préféré l’allégorie. Après vingt ans de prison, en Angleterre, Charles d’Orléans rentre
en France et organise - à Blois - des réunions et des concours littéraires (en 1456, le célèbre Je meurs
de soif auprès de la fontaine dont l’un des participants a été François Villon). Charles d’Orléans est le
poète de la mélancolie, de la tristesse et du désespoir, mais les circonstances de sa vie expliquent,
jusqu’à un point, cette propension nostalgique et amère. Les vers du Livre de prison sont sous-tendus
par une trame sombre et compose un roman d’amour sui generis, doublé des considérations sur la
politique et sur les réalités de l’époque. La mort de son père et de sa femme, la captivité à Dover sont
les événements vécus avec la sensibilité de poète. Le Service de l’Amour est un ensemble de poèmes
qui chante(nt) un amour malheureux et analyse(nt) les rapports entre l’univers poétique et l’existence
réelle.

François Villon (1431-1463) continue, de manière magistrale, la série personnelle et subjective ouverte
par Charles d’Orléans. Il est l’expression complète du génie individuel, issu d’un milieu perverti par le
mal absolu. Son premier texte poétique, le Petit Testament, est une œuvre de fiction, partagée entre
amertume et amusement. Son imagination est au service de la satire de la société de l’époque et les
thèmes traditionnels s’y mêlent, parodiés : le destin, l’amant martyr, la dame sans merci, la mort. Le
Grand Testament contient une grande variété des expressions lyriques (rondeaux, ballades, chants

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

traditionnels) et des thèmes (l’oubli, l’amour idéal, l’amour sensuel, l’érotisme, l’obscénité, la
dégradation physique et morale, les valeurs d’une vie simple et pieuse, l’amour pour Paris, la richesse
et la pauvreté, la justice, la méditation religieuse, etc.). Les textes les plus connus sont Ballade du
concours de Blois, Ballade des Dames du temps jadis, Ballade des Seigneurs du temps jadis, Ballade
de la Belle Heaumière aux filles de joie, Ballade de la Grosse Margot, Ballade pour prier Notre Dame,
Ballade des femmes de Paris, Ballade de bon conseil, Ballade des proverbes et surtout, Ballade des
pendus. Le Testament est la porte-parole de tous les défavorisés du sort et il réalise une fresque
impitoyable de la ville de Paris, endroit de tous les contrastes.

Le roman médiéval connaît, avant ses expressions spécifiques et originales, un nombre important
d’imitations, en latin et en français, fait qui s’explique par l’intérêt pour la culture antique, surtout latine.
Les adaptations des œuvres classiques opèrent une différence essentielle par rapport à la source : si le
héros épique luttait pour la défense de la religion chrétienne, le héros romanesque lutte pour la dame
de son cœur. Paru au milieu du XIIe siècle, le roman (conte, estoire) a des prétentions historiques et, en
même temps, il désire communiquer des vérités morales. Le sen (le sens, la signification) est la vérité
de l’élite chevaleresque. Les romans du XIIe-XIIIe siècles sont traversés par l’esprit de leur temps, en
dépit du fait que les confrontations guerrières se déroulent à Troie ou à Rome. Les personnages en
sont médiévaux et ne gardent de l’Antiquité que le cadre (historique, géographique).

La première adaptation française a été l’histoire d’Alexandre le Grand, d’après un roman hellénistique
de Pseudo-Callisthènes. Le texte français est écrit par Albéric de Briançon, vers 1100 et essaye de
prouver que tout est illusoire sur ce monde.

Les romans latins ou la triade classique, le Roman de Thèbes, le Roman d’Enéas et le Roman de
Troie ne sont que des adaptations selon Stace, selon Virgile et selon Dares Phrygius et Dictys de Crète.
Ces imitations gardent de leurs origines romanesques les débats amoureux, l’analyse des souffrances
d’amour et même les variations psychologiques des personnages.

Les romans grecs (byzantins) ont, par rapport aux précédents (les romans latins), un volet réaliste,
emprunté de la vie concrète du XIIe siècle. Gautier d’Arras introduit, dans Ille et Galeron, le motif de
la femme qui gagne sa vie de ses propres mains, dans un atelier. On y présente, le thème de la fidélité
conjugale.

D’autres auteurs et titres à retenir : Jean Renart, Guillaume de Dôle (1212), Jean Maillart, Le Roman
du Comte d’Anjou (premier roman noir de la littérature française), Philippe de Remi, La Manekine.

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

Floire et Blancheflor, avec ses deux variantes (du XIIe et du XIIIe siècle) veulent réconcilier, d’une
manière idyllique, l’Orient et l’Occident, par le conte des aventures de deux jeunes amants, qui s’aiment
en dépit des différences d’ordre social et religieux.

Aucassin et Nicolette (XIIIe siècle) est un roman anonyme qui appartient au genre nommé
chantefable. Le terme désigne une histoire où les parties narratives en prose sont combinées avec des
fragments poétiques assonancés et chantés. La nouveauté, du point de vue de la conception, consiste
dans le fait que les vilains, les gens simples de la campagne, ne sont plus associés à la laideur
(physique et morale) comme d’habitude et conformément aux préjugés aristocratiques de l’époque.
Aucassin préfère l’enfer près de Nicolette que le paradis sans elle. D’ailleurs, le paradis est ennuyeux,
car il est plein de prêtres dégoûtants, d’estropiés de toutes sortes et de nitouches, tandis que l’enfer est
peuplé de belles dames, de ménestrels et de compagnons agréables.

La nouvelle La Châtelaine de Vergy (1288) introduit le thème de l’anthropophagie involontaire, punition


extrême de l’infidélité du mari trompé qui oblige sa femme de manger le cœur de son amant. Ce thème
monstrueux est repris dans Le Châtelain de Coucy et la Dame de Fayel.

Les romans bretons ou le cycle breton occupent la place la plus importante dans l’évolution du roman
courtois.

En Irlande, les traditions celtiques ont été conservées dans des manuscrits du Xe, du XIe et du XIIe
siècles. Les histoires littéraires ont retenu plusieurs cycles: le cycle mythologique, le cycle de
Cuchulainn et du roi Conchobar, le cycle d’Ulster, le cycle de Finn et le cycle de Leinster. Les origines
de ces cycles remontent très loin dans le passé; vers le Ve siècle, la christianisation de l’Irlande
détermine la juxtaposition des contes païens avec la littérature d’inspiration chrétienne. La littérature
irlandaise se répand en pays de Galles et se combine avec la production littéraire galloise, surtout vers
le XIe siècle. Il s’agit de récits en prose sur des sujets merveilleux, dont on retient quelques-uns: Pwyll,
prince de Dyet, Branwen, fille de Llyr, Manwyddan, fils de Llyr et Math, fils de Mathonwy. Ces quatre
Mabinogion (pluriel de mabinogi, “apprenti littérateur”) ne sont pas considérés, par la critique littéraire,
comme des contes arthuriens. Ceux qui se rattachent au cycle arthurien et qui peuvent être cités
comme sources de quelques romans de Chrétien de Troyes sont: Owen et Lunet ou la Dame de la
Fontaine, Peredur ab Evrawc, Gereint, le Songe de Ronabwy et Kuhwch et Olwen. Les deux derniers
sont postérieurs au XII-ème siècle et utilisent aussi les mystifications de l’Historia Regum Britanniae
(Geoffroy de Monmouth) ou du Roman de Brut (Wace).

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

Par l’intermédiaire des jongleurs et des conteurs bretons, continuateurs des filid irlandais, la mythologie
irlandaise est introduite dans la matière de Bretagne. Ils utilisaient trois langues pour transmettre les
contes (le français anglo-normand, l’anglais et le breton).

Il y a des critiques (Frappier, 1967, p.20) qui affirment que la matière de Bretagne et la légende du roi
Arthur sont presque synonymes; il y en a d’autres qui attribuent surtout à Geoffroy de Monmouth et a
Wace le fait d’avoir répandu les contes merveilleux, qui constitueront plus tard les sources principales
d’inspiration pour Marie de France, Chrétien de Troyes, Thomas et Béroul. Il est évident que les deux
hypothèses sont vraies.

Le roi Arthur joue, dans tout cet enchaînement, un rôle primordial. Il est considéré comme “le
rassembleur poétique de l’immense et diverse matière de Bretagne” (Jean Frappier, 1968, p.19). Nous
avons des informations sur sa vie légendaire par l’intermédiaire des auteurs déjà mentionnés, Geoffroy
de Monmouth et Wace.

Le premier, dans Historia Regum Britanniae, parue en 1136, enrichit jusqu’à la mystification les
données glanées chez ses prédécesseurs (Gildas, Bède, Nennius, Guillaume de Malmesbury).

Wace, le traducteur de Geoffroy de Monmouth, rend en français la chronique du clerc breton “à


l’intention des seigneurs et des dames, en particulier pour la cour normande et angevine d’Angleterre,
désireuse de garder la ‘remembrance’ du passé” (Jean Frappier, 1968, p. 27). Le texte de Wace est
connu sous le nom de Brut (version abrégée du Roman de Brut). Wace se permet quelques originalités,
il développe, amplifie et ajoute des détails pittoresques. C’est une question de style différent d’écriture,
par rapport à son devancier. Wace est le premier qui mentionne l’existence des Chevaliers de la Table
Ronde.

L’histoire romaine retient le nom d’un certain Ambrosius Aurelianus, qui a vécu à la fin du règne des
Romains en Grande Bretagne. Ce souverain dispute le titre d’ ”ancêtre historique” du roi Arthur, à un
autre chef romain, plus obscur, nommé Artorius. Tous les documents consultés n’y insistent pas trop.
Les auteurs préfèrent parler plutôt de la légende, voire du mythe.

Tout commence par le nom, dont le radical arth signifie “ours”. Et voilà comment pour le roi Arthur
nomen est omen, car ses exploits annoncent une destinée exceptionnelle, vouée à la légende.

Duc de Cornouailles, Arthur devient roi à quinze ans, après la mort de son père Uther Pendragon (Uter
à Tête de Dragon), chef des Bretons. Selon la légende, il vainquit un sanglier magique, libéra la
Bretagne des envahisseurs Saxons, rétablit le culte chrétien, épousa Guenièvre (“blanc fantôme”),
conquit l’Ecosse, l’Irlande, les Orcades, les pays nordiques: Norvège, Danemark, Islande. Il gouverna

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Diana GRADU, Cours de civilisation française médiévale

son royaume jusqu’en 542, date de sa mort. Son cadavre fut enterré dans l’Ile d’Avalon (“des
pommiers”), à côté de Guenièvre. Il y fut conduit par la fée Morgane. Une légende ne peut subsister
sans les objets magiques. Arthur en eut les siens: le navire, appelé Pryten, et l’épée, Kaledfwich, ou,
pour le public français, Excalibur. Selon une croyance populaire, dans son immortalité, il reviendra un
jour de l’empire des morts pour libérer les deux Bretagnes. On lui attribue aussi la création d’un ordre
des Chevaliers de la Table Ronde, “confrérie d’armes” (Nadia Julien, 1992, p. 94). L’institution de cet
ordre est liée à la diffusion de la légende arthurienne dans la littérature française du XIIe siècle.

Tristan et Iseut, légende du cycle de la Table Ronde, raconte l’amour absolu entre le neveu du roi
Marc (Tristan) et la dame destinée à être sa reine (Iseut). Le thème celtique de la force du destin
inexorable y est repris de manière magistrale. Grâce à un philtre merveilleux, Tristan et Iseut éprouvent
et vivent un sentiment qui transforme essentiellement leurs vies. Le normand Béroul réunit les versions,
après 1170, et laisse une variante où les héros ont une existence mouvementée, jalonnée par l’amour
et par la souffrance. L’esprit courtois s’impose dans la version de Thomas, où il y a plusieurs
monologues sur l’idéologie de cour. L’analyse psychologique est de mise, la passion n’est plus une
fatalité, mais une question de volonté, l’amour n’est plus résultat aléatoire d’une poison bue par
mégarde, mais lutte et conquête.

Marie de France, connue grâce à ses Lais, composés avant 1170, reprend le thème préféré de la
littérature courtoise : l’amour. Parfois, il est accompagné de l’élément miraculeux, des descriptions de
nature ou de châteaux. Les débats amoureux se déroulent en forme de dialogue : Le Chèvrefeuille, Le
Lai de Lanval, Les Deux Amants, Le lai du Laostic (le Rossignol), L’Oiseau bleu.

Chrétien de Troyes (1135-1190) est considéré le premier grand romancier français et le fondateur de
ce genre au XIIe siècle. Il est l’auteur conscient de sa mission d’écrivain et il réussit à tracer les limites
et les lois du genre romanesque. La conjointure est l’ensemble cohérent et organisé de la matière (la
source principale de l’œuvre et ses données essentielles) et le sen est l’esprit de l’œuvre,
l’interprétation morale des aventures des héros. Chrétien de Troyes ne pratique l’art pour l’art, pour lui
tout est style et morale à la fois. Il impose un comportement vertueux à ses personnages, vus comme
modèles absolus d’une existence idéale.

Ses romans peuvent être groupés sous la formule ECLYP, en retenant leur initiale et l’ordre
chronologique : Erec et Enide (1170), Cligès (1176), Lancelot ou Le Chevalier de la Charrette (1177),
Yvain ou Le Chevalier au Lyon (1178) et Perceval ou Le Conte du Graal (1181). Certes, les plus connus
restent Lancelot et Perceval, grâce à leur postérité (musicale, cinématographique) et aux continuations.

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À mon avis, le roman le plus réussi, du point de vue formel et du point de vue de la cohésion
romanesque est Yvain ou Le Chevalier au Lyon.

Erec et Enide est le premier roman de Chrétien, du point de vue chronologique, où il combine les
sources celtiques et où il propose l’idée de bonheur accompli dans le mariage. L’auteur y prouve que le
statut de chevalier n’exclut pas l’amour et le partage de la vie avec la conjointe légitime.

Cligès ou la Fausse Morte introduit le thème du breuvage magique mais à des fins honorables : faire
échapper l’héroïne à un mariage de force, au profit d’un mariage d’amour. C’est le roman qualifié par la
critique comme anti-Tristan, car Fenice n’accepte pas la dualité amant/mari. Elle préfère la liberté du
choix, quant à l’être aimé et obtient, en plus, une liberté intérieure, première absolue pour l’époque. La
fin heureuse du roman ne se retrouve dans Roméo et Juliette, pièce où Shakespeare reprend l’idée la
fausse morte.

Lancelot ou Le Chevalier de la Charrette développe le thème de la soumission non conditionnée du


chevalier envers sa dame, maîtresse de son cœur. Les protagonistes – Lancelot et Guenièvre – vivent
un amour interdit et illégitime, mais pas moins fort et profond. On y retrouve aussi le thème
mythologique d’Orphée et Eurydice, car Lancelot libère Guenièvre de Méléagant, une autre version du
dieu des morts. Lancelot n’est pas seulement l’amant parfait, extatique, complètement dédié à sa dame
et à son amour, mais aussi un Mésie capable de libérer les prisonniers du royaume de Gorre et de
passer le Pont de l’Epée.

Le modèle de miles christianus se retrouve dans le personnage d’Yvain du roman homonyme : Yvain ou
le Chevalier au Lyon. Yvain respecte le parangon du chevalier exemplaire, capable, après plusieurs
aventures, d’obtenir et de maintenir l’amour de la dame aimée. Le lion en est un adjuvant merveilleux et
efficace, à côté des autres éléments extraordinaires (fées, onguent magiques, anneau), qui n’exclut
point le volet chrétien (Yvain est aidé, dans ses exploits et dans ses états de folie par un moine).

Perceval ou le Conte du Graal est le roman de la formation du héros, de sa construction intérieure vers
l’accomplissement chevaleresque et chrétien. Si au début du roman, Perceval est un rustre niais,
ignorant le code chevaleresque, il change d’allure et de comportement, grâce aux rencontres capitales
de sa vie : avec Gornemant de Gorre, avec Blanchefleur, avec le Roi Pécheur.

Les romans de Chrétien de Troyes ont connu des continuations, des adaptations, des interprétations
multiples. Leur valeur littéraire certaine assure leur postérité glorieuse.

La littérature du XIIIe siècle est marquée par l’allégorie sous la forme du Roman de la Rose. Il connaît
deux rédactions, l’une vers 1240, composée par Guillaume de Lorris, et la deuxième vers 1280,

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appartenant à Jean de Meung. Si la première partie est plus littéraire et plus symbolique, en
mélangeant le rêve, l’image de la dame sous la forme d’un bouton de rose, le jardin merveilleux
protecteur de cette beauté, la deuxième est moins contemplative et moins allégorique, en poussant le
réalisme vers une vision pragmatique et presque cynique. On y décèle un certain naturalisme,
expression dure de l’instinct sexuel où le bouton de rose ne conserve rien de la version de Lorris, car
toutes les femmes sont triviales et cruches. Cette deuxième partie pourrait être considérée comme une
invective à la morale chrétienne commune, une provocation littéraire de Jean de Meung.

La littérature satirique du Moyen Âge est représentée par les fabliaux et par Le Roman de Renart. Les
fabliaux ont été écrits pour la bourgeoisie et pour un public populaire. Le terme fableau (picard) couvre
un conte comico-satirique, voire obscène. Les personnages sont la femme, l’amant, le mari trompé, le
prêtre / le moine ivrogne, les servantes, les entremetteuses, les proxénètes.

Le texte Les trois aveugles de Compiègne présente un clerc cynique qui se moque d’un prêtre et d’un
aubergiste. Estula ridiculise toujours un prêtre, et les textes De Dieu et du pêcheur et Le Vilain qui
gagna Paradis attaquent sans problèmes la justice divine. Le Vilain mire offre le portrait d’un ignorant
obligé de jouer le rôle d’un médecin. Les fabliaux prennent souvent la forme d’un débat, d’un processus
d’idées sur des thèmes étiques.

Le Roman de Renart est un cycle apparenté aux Ysopets (d’Esope), dont l’intention est satirique 100%.
Le cycle contient 27 branches composées entre 1170 et le milieu du XIIIe siècle. Dans ces histoires, la
communauté animalière est l’image même de la société féodale. La parodie met en question la
légitimité de la justice, attaque l’hypocrisie religieuse, la royauté viciée et vicieuse, le pouvoir exhaustif
de l’argent, la vanité des choses, la bêtise, etc.

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Bibliographie sélective :

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DUBY, Georges, La Femme, le chevalier et le prêtre. Le mariage dans la France féodale, Paris,
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DUBY, Georges, Les Dames du XII-ème siècle, Paris, Gallimard, 1995

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Paris, Armand Colin, 1968

ELIAS Norbert, La Civilisation des mœurs, Paris, Calman Lévy, 1973

GOUREVITCH, Aaron, Les Catégories de la culture médiévale, Paris, Gallimard, 1983

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ZUMTHOR, Paul, Essai de poétique médiévale, Paris, Seuil, 1972

ZUMTHOR, Paul, Langue, texte, énigme, Paris, Seuil, 1975

ZUMTHOR, Paul, La Lettre et la voix. De la « littérature » médiévale, Paris, Éditions du Seuil, 1987

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