Selectae Sancti Cypriani Epistolae 000000471

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 351

SELECTAE

SANCTI CYPRIANI
EPISTOLAE,

AD USUM STUDIOSAE JUVENTOTIS ADNOTATAE.

Traduction ivao le texte en regard*

PARIS,
GAUME FRÈRES, LIBRAIRES,
RUE CASSETTE, 4.

1852
Biblio!èque Saint Libère

http://www.liberius.net
© Bibliothèque Saint Libère 2009.
Toute reproduction à but non lucratif est autorisée.
BIBLIOTHÈQUE
DES

CLASSIQUES CHRÉTIENS,
LATINS ET GRECS,

Publiée sons la direction de S . l'abbé GAUIE,


Yicàin-gfafal 4« Kerat.
Les exemplaires non revêtus de la signature ci-dessous
seront réputés contrefaits*

Imprimerie de BEAU, à Saiot-Germata-en-Lftye


AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR

La seule chose que nous puissions dire de cette traduction


des Lettres choisies de saint Cyprien, c'est que nous l'avons
faite en conscience et avec amour, admirateur passionné que
nous sommes du beau génie et du grand caractère de l'au-
teur. Parler des veilles qu'elle nous a coûté, dire que nous
avons quelque habitude des lettres latines, nous parait chose
fort inutile. Bien mieux vaut la soumettre tout simplement
et avec une respectueuse confiance aux hommes instruite
qui peuvent apprécier les difficultés de ce travail et le mé-
rite de nos efforts pour en triompher.
Pour le texte, nous avons généralement suivi l'édition
des Bénédictins ou plutôt de Baluze. Ce grand critique
avait, en effet, longtemps avant 1710, travaillé avec ar-
deur à préparer cette publication, réuni et compulsé un très-
grand nombre de manuscrits et d'anciennes éditions; pro-
fitant des travaux d'Erasme, de Manuce, de Morel, de
Pamélius, de Goulart, de Rigaut, de Prieur, de Reinhart,
de ceux du savant anglais Marshal, de ceux enfin de Fellus
et de Pearson, auteurs de l'édition d'Oxford, et joignant à
toutes ces richesses les trésors de son immense lecture et
son expérience consommée, il avait à peu près achevé ce
long travail. En 1717, il le livrait à l'impression; en 1718
avaient déjà paru toutes les Œuvres incontestablement au-
thentiques de saint Cyprien et en très-grande partie les
Annotations de Baluze, lorsque, cette année-là même, la
mort enleva ce savant homme. Son édition resta interrompue
jusqu'en 1724. Alors le révérend D. Denis de Sainte-Marthe,
supérieur-général de la Congrégation de Saint-Maur, sur
les instances réitérées du directeur de l'Imprimerie royale,
chargea un de ses religieux du soin d'achever cette édition.
VI AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR.
Celui-ci se mit à l'œuvre avec un autre membre de son
ordre , et tous deux publièrent, en les corrigeant, les œu-
vres attribuées au saint évèque de Carthage, dont Baluze
(bien qu'il eût déjà fait une grande partie de ce travail)
n'avait pas encore commencé l'impression. Ils ajoutèrent à
tout cela quelques dissertations sur la vie et la doctrine de
saint Cyprien ; et c'est ainsi que cette édition, œuvre incon-
testable de Baluze, s'appela et s'appelle encore l'édition
des Bénédictins !
Sic vos non vobis.

Attaché, comme nous l'avons dit, au texte de Baluze,


nous lui avons, dans trois ou quatre passages seulement,
préféré les leçons données par Coustant, qui a publié à part,
avec beaucoup de soin et de talent, les lettres qu'il appelle
JEpistoke pontifîciœ (ce sont les lettres écrites par saint Cyprien
aux papes ses contemporains, et réciproquement). Nous
l'avons fait avec une extrême réserve, et quand le texte
donné par Coustant nous a paru évidemment meilleur. Au
reste, nous avons chaque fois pris soin d'avertir le lecteur
de ces changements.
Nous avons largement puisé dans le commentaire de Ba-
luze, dont nous avons reproduit en substance les notes les
plus utiles, ainsi que celles des autres éditeurs et com-
mentateurs , dont il rapporte, pour les combattre ou s'en
faire un appui, les opinions les plus intéressantes. Nous
nous sommes permis quelquefois de juger ou de réfuter
aussi soit Baluze, soit les autres; nous avons enfin donné
bon nombre de notes de nous-mème, le tout sous notre
propre responsabilité.
Pour la chronologie, nous nous sommes invariablement
attaché à Baronius, le père de notre histoire ecclésiastique,
bien que souvent il présente de notables différences avec
d'autres critiques ou historiens estimés.
Nous avons joint à nos notes un certain nombre de va-
riantes. On peut appeler variantes utiles celles qui présen-
tent un sens différent de celui que donne le texte adopté,
mais ingénieux et plus ou moins probable ; variantes insi-
AVERTISSEMENT DU TRADUCTEUR. VII

gnifiantes, celles qui, sous une autre forme, ne chan-


gent rien au sens; variantes absurdes, celles qui donnent
un sens évidemment déraisonnable, contradictoire ou forcé.
Nous avons donné beaucoup de variantes de la première es-
pèce , et quelques-unes aussi des deux dernières, afin que
les lecteurs peu familiarisés avec cette étude, et ceux
même des élèves studieux entre les mains de qui tom-
bera notre travail, puissent non-seulement choisir entre des
leçons bonnes à certains égards et à différents degrés,
mais se faire une idée des altérations que le caprice ou
l'ignorance des copistes peut faire subir à un écrivain, et
apprécier la difficulté de donner d'un ancien auteur une
édition dont le texte soit, irréprochable.
Si dans notre traduction l'on ne nous juge pas par trop
inférieur à notre modèle, si, dans nos Notes et Variantes,
on reconnaît une consciencieuse exactitude jointe à l'esprit
d'une saine critique, nous trouverons dans cette opinion la
plus douce récompense de nos peines, toujours disposé
d'ailleurs à accueillir avec reconnaissance les observations
que l'on voudra bien nous faire sur les erreurs qui auraient
pu nous échapper.
L'appréciation littéraire des Lettres de saint Cyprien ainsi
que la vie de l'illustre évêque se trouvent en tête du volume
latin destiné aux élèves.

LES AUTEURS D E L A BIBLIOTHÈQUE D E S


CLASSIQUES CHRÉTIENS.
LETTRES CHOISIES
DE

SAINT CYPRIEN.
SELECTiE
DIVI

CiECILII CYPRIANI
EPISCOPI CARTHAGINENSIS
EPISTOLJE.

EPISTOLA I.
A » DONATUM.

S . Cyprien décrit à son ami Donat les heureux effets du Baptême qu'ils
avaient reçu ensemble. Désordres du monde : bonheur d'une vie
chrétienne?

CMCILWS Cyprianus Donato salutem.


Bene admones Donate charissime. Nam et promisisse
mememini, et reddendi tempestivum prorsùs hoctempus
est, cùm, indulgente vindemiâ, solutus animus in quietem
3
solemnes ac statas* anni fatiscentis inducias sortitur. Locus
etiam cum die convertit, et mulcendis sensibus ac fovendis
ad lenes auras blandientis autumni hortorum faciès amœna *
consentit. Hic jucundum sermonibus diem ducere, et, slu-
5
dentibus fabulis , in divina prœcepta conscientiain pectoris
* Un ms. porte verè admones; mais bene admones, cité par Ru fin,
est la vraie leçon.
3
Au lieu de statas des mss. portent ratas, d'autres statutas. SI Ton
veut se rappeler l'expression de Gicéron solemne ac statum sacrificiurn,
on ne doutera pas que notre leçon ne soit la bonne.
* Fatiscentis, à peu près comme fessi ou labentis. Ce mot, donné
par un seul m s est bien préférable à la leçon vulgaire fatigantis. L u -
M

crèce dit, en pariant de la vie qui s'épuise : œvo fessa fatiscit (anima);
ce mot se trouve aussi élégamment employé par Virgile et par Ovide.
4
Gicéron, au commencement du dialogue De claris oratoribus, dé-
crit aussi le lieu où ses interlocuteurs discutent paisiblement en plein
air les questions qui font le sujet de cet ouvrage.
* Stuàentibus fabulis : des causeries ayant pour objet les divins, etc.
LETTRES CHOISIES
DE

SAINT CYPRIEN,
ÉVÊQUE DE CARTHAGE.

L E T T R E 1.
A DONAT*.

Saint Cyprien avait promis a Douât un entretien sur la religion* Sommé


par Oonat d'exécuter cette promesse, il s'en acquitta dans cette lettre
où, sous la forme d'une conversation supposée, il exalte longuement
les bienfaits de la grâce conférée par le baptême, expose les heureux
changements produits par ce sacrement. Puis il décrit toutes les er-
reurs, les crimes et les malheurs du monde, exhorte Douât à mépriser
ses faux attraits pour les biens spirituels, les seuls biens véritables, et
à se livrer assidûment à la prière et aux lectures pieuses.

CÉCILIUS Cyprien k Donat, salut.


Vous avez raison, mon cher Donat, je me souviens, en
effet, de vous avoir promis, et, pour m'acquitter envers vous,
pas de temps plus convenable que celui-ci, où, à la faveur
de la vendange, notre esprit, libre, peut profiter, pour se
livrer au repos, de cette trêve solennelle et à jour fixe, que
nous accorde le déclin de Tannée. Le lieu même s'accorde
ici avec le jour, et, pour flatter et réchauffer nos sens, à la
tiède haleine d'un charmant automne se joint l'aspect en-
chanteur de ces jardins. Là, quel charme de passer la jour-
a Cette lettre manque dans cinq manuscrits ; mais elle se trouve dans
tous les autres. Saint Augustin, qui la cite, et qui en rapporte des frag-
ments dans son traité de la Doctrine chrétienne, chap. 14, et dans un
de ses sermons, la juge sévèrement, comme n'étant pas exempte d'affec-
tation, et d'un luxe de style dont il blâme l'exagération dans un sujet
chrétien. Ces reproches, il faut en convenir, ne manquent pas de fonde-
ment. Saint Cyprien était nouvellement converti au christianisme, et
probablement jeune encore quand il composa celte lettre, et, à cela se
joignant sa double qualité d'Africain et d'ancien rhéteur, il n'est pas
étonnant que, dans un sujet tout d'imagination il se soit écarté parfois
de ce goût sévère qui distingue constamment ses autres productions, qui
ont en général pour objet des événements véritables et souvent de
4 SFXECT/E 1HVI CYPMAKI EPISÎOLiË.
erudire *. Àc, ne collogninin nostnim arbiter profonus im-
pediat, aut clamor inteinpcrans familis strepentis obtundat,
petamus liane sedem. Dcint secessum vicina sécréta*, ubî,
dum erratici palmitum lapsus nexibus pendulis per arundi-
nés boulas repunt , viteam porticum frondea tecta fece-
3

3
rant*. Bene Me studia in aures damus ; et, dum in arbores
et in vites oblectante prospecta oculos amœnamus, animum
simul et auditus instruit et pascit obtutus.
Quanquam tibi sola nunc gratia, sola cura sermonis est.
Contemptis voluptarise visionis illecebris, in me oculus tuus
6 7
fixus est. Tarn aure quàm mente totus auditor e s , et hoc
amore quo diligis. Caeteriim quaie vel quantum est quod in
pectus tuum veniat ex nobis? Exilis ingenii angustâmedio*
8
critas tenues admodum fruges parit, nullis ad copiam fe-
9
cundi cespitis culminibus ingravescit. Âggrediar tamen fa-
î0
cultate quâ valeo. Nam et materia dicendi facitmecum . In
judiciis, in concione pro rostrls, opulenta facundia volubili
n
ambitione jactetur . Cùm verô de Domino Deo TOX est,
vocis pura sinceiitas non eloquentiœ viribus nititur ad
fidei argumenta, sed rébus. Denique accipe non diserta, sed
18
fortia , nec ad audientiae popularis illecebram culto sermone
fucata, sed ad divinam indulgentiam prœdicandam rudi ve~
1
Conscient iam pectoris, comme s'il y avait seulement conscientiam
ou pectus.
3
II y a ici une espèce diiypallage; ce serait plus naturellement Bat
secessus vicinnm secraUim.
"° Cicéron, dans le De senectute, dit aussi de la vigne : Serpentera
multiplier lapsu et erratico.
4
Virgile, au livre iv des Georgiques, emploie aussi l'expression de
frondea tecla.
* Au lieu de in aures, un ms. donne in auras, qui s'accorderait assez
bien avec le lieu de la scène.
c
Un ms. donne tara ore quàm mente, leçon forcée.
7
Pline, liv. J , ebap. 7, dit, en parlant de Dieu : Totus est visus, totus
auditus.
8
C'est ce que saint Jérôme appelle exilis ingenii rivulus*
0
Au lien de culminibus, un ms. porte admis bon aussi.
y
1 0
Facit meenm, est pour moi, vient h mon aide. C'est ainsi qu'Horace
a dit : Mecum facientia jura.
u
Ambitio, soit dans le sens de ambition, prétention, soit dans le
sens de ambttus, circonlocution, période. Le premier vaut mieux.
1 5
Ce passage est cité par saint Jérôme, qui, dans sa lettre à Nepotien,
dit : Audiigitur, vt brahts Cyprianu* ait, 7wn riisrrfn ,wd fortia.
LETTRES CHOISIES D E SAINT C Y P H U K . 5

née à converser ensemble, et, dans de méditatives causeries,


de former nos âmes à l'intelligence des préceptes divins 1 Et
de peur qu'un importun témoin ne vienne troubler notre
entretien, ou que les cris bruyants des gens de la maison ne
nous étourdissent, allons nous asseoir de ce côté. Ici près,
nous trouverons la solitude dans ce réduit écarté où les
branches errantes de la vigne s'étendent en serpentant, et
laissent descendre leurs vrillés pendantes le long des roseaux
qui les supportent et qu'elles enlacent. Nous sommes bien
ici pour nous communiquer les pensées, fruit de nos études,
et tandis que ces arbres et ces vignes, sur lesquels s'étend
notre vue, réjouissent nos yeux de leur riant paysage, l'àme
à la fois s'instruit aux paroles que nous entendons et se
nourrit du spectacle qui s'offre à nos regards.
Je le vois toutefois, votre seul plaisir en ce moment, votre
unique souci, c'est notre conversation. Dédaignant l'attrait
d'une vue ravissante, vos yeux sont fixés sur moi : oreille,
esprit, tout écoute chez vous, et cela avec l'affection que
vous me portez. Au reste, que puis-je ou combien puis-je,
dans cet entretien, fournir à votre intelligence attentive?
Mon maigre génie, dans sa médiocrité bornée, n'engendre
que d'extrêmement frêles produits, et ne se charge pas,
comme une terre fertile, d'abondants et riches épis. Je vais
essayer pourtant, avec les faibles moyens dont je dispose;
car le sujet que nous avons à traiter vient par bonheur à
mon aide. Que devant les tribunaux, que dans un discours
prononcé à la tribune, une riche éloquence déroule à son
gré ses ambitieuses périodes; mais quand on parle du Sei-
gneur notre Dieu, ce qu'il faut à une voix simple et pure
pour prouver les vérités de la foi, ce ne sont pas les res-
sources de l'éloquence, mais simplement les faits- En un
mot, écoutez quelques paroles non pas élégantes, mais soli-
des; non pas ornées, pour charmer un nombreux auditoire,
du fard d'un style étudié, mais armées, pour célébrer la bonté
divine, de l'inculte franchise de la vérité. Ecoutez des vérités
qui se sentent avant qu'on ne les apprenne, que l'on n'ac-
quiert pas péniblement au moyen de longues études, mais

cruelles réalités. — Le nom de Donat était très-commun en Afrique, de


telle sorte que l'on ne connaît pas avec certitude le personnage à qui
cette lettre est adressée. Peut-être ce Donat est-il un des quarante-deux
évéques nommés en tete de la lettre xxvn.
0 8KLKCMS DIVI CYPBIAN1 KPI8T0LJE.
ritate simplicia. Aceipe quod sentitur antequam discitur, nec
per moras temporuin longà agnitione colligitur, sed com-
x
pendio. gratis maturantis bauritur .
Ego cùm in tenebris atque in nocte c s c a jacerem, C l i n i -
que in salo ja^antis ssculi nutabundus ac ciubius vestigiis
oberrantibus fluotuarem*, vite n i e s nescius. veritatis ac
lucis alieuus, difficile prorsùs ac durum pro illis tune mo-
a
ribus , opinabar quod in salutem mihi divina indulgentia
pollicebatuv : ut quis renasci denuo posset, utque, in novain
vitam lavacro aquœ salu taris animatus, quod pritts luerat
exponeret \ et, corporis iicèt manente compage, hominein
ammo ac mente mutaret. Qui possibilis, aiebam, est tanta
conversion ut repente ac pemieiter exuatur quod vel genui-
num situ niaient naturalis obdurait, vel usurpatum diii senio
vetustatis inolevit ? Altà bsc et profimdàpenitùs radice sede-
nmt. Quando parcimoniain discit qui epularibus cœiiis et
largis dapibus assuevit ? et qui pretiosà veste conspicuus in
auro atque in purpura fulsit, ad plebeium se ac simplicem
cultum quando tleponit? Fascibus ille oblectatus et honori-
bus, esse privafus et inglorius nonpotest. Hic stipatns clien-
timn cuneis *, Jrequentiore comitatu offîciost agminis hones-
tatus, pœnam putat esse cùm soins est. Tenacibus semper
iilecebris necesse est, ut solebat, vinolentia invitet, inflel
superbia, iracuudiainflammet, rapacitas inquietet, cradelitas

1
Probablement c'est ce premier paragraphe, le début surtout, qui
aura motivé le jugement sévère porté par saint Augustin sur cette lettre.
Nous avouons qu'à une première lecture il- nous avait séduit. C'est joli,
en effet, très-joli; mais il y a trop d'art, quelque chose de trop étudié
dans celte mise en scène qui rappelle le début d'une églogue de Virgile*
Des chrétiens qui vont s'entretenir des vérités les plus élevées de la foi
ne décrivent pas minutieusement les beautés du site champêtre qui LES
rassemble, comme des bergers uniquement préoccupés du spectacle
de la nature matérielle. Et tout cela est d'autant plus froid, que c'est
supposé, que ce n'est qu'un cadre pour l'entretien qui va suivre. Saint
Augustin, pour ce qui concerne ce début, avait pleinement raison.
a
Cette phrase, toute surchargée de termes pour exprimer AIUS seule
idée, est une de celles qui avaient motivé la sévérité de saint Augustin.
5
Pro illis tune moribus (sous-entendu mets), en raison de me»
mœurs d'alors.
4
Ex-ponere ; ici, rejeter, se dépouiller de.
" Cunens, terme emprunté à l'art militaire, bataillon, multitude
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 7
que, par un moyen facile et prompt, Ton puise dans les
trésors do la grâce féconde,
a
I L Quand je languissais dans les ténèbres au sein d'une
nuit profonde, et que, chancelant, incertain, je portais mes pas
errants et mal assurés sur le sol mouvant de ce siècle agité,
ignorant de ma vie, privé de lumière et de vérité, je regar-
dais, en raison de mes mœurs d'alors, comme difficile ou
plutôt comme tout-à-fait incroyable ce que, pour mon salut,
me promettait la grâce divine : que l'on pût naître une
seconde fois, qu'animé de cette vie nouvelle par le bienfait
d'une onde salutaire on dépouillât ce que l'on avait été j a -
dis, et que, la structure et la masse du corps restant les
mêmes, l'homme changeât de cœur et d'esprit. Comment,
disais-je, est possible un changement tel, que rapidement
et sur l'heure on dépouille ce qui, ou né avec nous, s'est
endurci par la disposition et l'accroissement même de la na-
ture matérielle, ou qui, longtemps pratiqué, s'est fortifié
par l'habitude et le long laps du temps? Ces choses ont
poussé chez nous de trop fortes et de trop profondes racines.
Quand donc voit-on apprendre l'économie celui qui a été
accoutumé à des repas de prince et à des mets abondants
et variés? Et celui qui, étalant à tous les regards ses habits
faits de riches étoffes, a brillé sous l'or et sous la pourpre,
quand le voit-on s'abaisser à porter des vêtements communs
et de peu de prix? Celui-ci, enchanté de ses faisceaux et de
ses honneurs, ne peut se résoudre à vivre sans gloire et
simple particulier Celui-là, entouré de légions de clients,
escorté, par honneur, d'une multitude officieuse, regarde
comme un supplice de se trouver seul. ïl est dans la nature
que toujours, comme jadis, et par d'invincibles attraits,
l'intempérance nous engage, que l'orgueil nous exalte, que
la colère nous enflamme, que la cupidité nous agite, que
la cruauté nous excite, que l'ambition nous, charme, que
l'amour du plaisir nous entraîne. Voilà ce que je me disais
souvent intérieurement. Car, comme j'étais moi-même re-
tenu enchaîné par les nombreuses erreurs de ma vie pre-
mière, que je ne croyais jamais pouvoir secouer, par cette
raison je venais en aide aux vices qui s'étaient attachés à
moi, et, désespérant de m'amender, je prenais parti pour

* État de saint Cyprien avant son baptême. Saint Augustin cite ce


passage, souvent imité.
8 S E L K C M C D1VI C Y P I U A M K P I S T O L / E .

sthnulet, ambitio deiectet, libido prœcipitet. Hœc egoine


sœpè mecuni*. Nam, ut ipse quamplurimis vite prions er-
roribus implicitus tenebar, quibus exui * me posse non cre-
derem, sic vitiis adtiaerentibus obsecimdans eram, et, despe-
ratione meliorum, malis meis veluti jam propriis ac verna-
8
culis oflavebam .
III. Sed postquam, undœ genitalis auxilio superioris œvi
labedetersâ, inexpiatum pectus serenumacpurumdesuper
se lumen infudit, postquam cœlitus spiritu hausto, in novum
me hominem nativitas secunda reparavit, minun in modum
protinus confirmare se dubia, patere elausa, lucere tenebrosa,
facultatem dare quod priùs difficile videbatur, getï posse
4
quod impossibile putabatur : ut esset agnoscere terrenum
fuisse quod priùs, camaliter natum, delictis obnoxium vi-
veret ; Dei esse cœpisse quod jam Spiritus sanclus animaret.
Scis ipse profectô, et mecum pariter reeognoscis, quid de-
traxerit nobis quidve contulerit mors ista criniimun, vita vir-
tutum. Scis ipse, nec prœdico. In proprias laudes odiosa jac-
tatio est ». Quamvis non jactatum possit esse, sed gratum *,
quidquid non virtuti hominis adscribitur, sed de Dei munere
pnedicatur ; ut jam non peccare esse eœperit fulei, quod antè
peccatum est, fuerit erroris bumani. Dei est, inquam, Dei est
7
omne quod possumus. Inde vivimus, inde pollemus , inde
Bumpto et concepto vigore, hic adhuc positi, futurorum indi-
cia prœnoscimus. Sit tantùm timor innocentiae custos *, ut,
qui in mentes nostras, indulgente cœlestis allapsu, cle-
menter Dominus influxit, in animi oblectantis hospitio justà

1
Sous-entendu aicbam.
* Quibus exui, est légitime, comme l'actif quos exuere.
* Offavebam, pour le simple favebam.
4
Esset, sous-entendu possibile. En grec l<rA ou IÇwrt, en latin est,
il est possible, il est permis, on peut.
* Quintîlicn, livre xt, cbap. 1 : Omnis sua vitiosa jactatio est, af-
fertque audientibus non fastidium modo, sed plerumquè etiam odium*
Gicéron avait dit avant lui (livre i des Offices) : Déforme est de se ipso
prœdicare*
0
Gratum, reconnaissant, dicté par la reconnaissance.
7
Déjà l'Apôtre avait dit : In {Deo) vivimus et movemur et sumus.
* Tertullien, lib H, De cultu feminarum, dit : Timor fundamentum
salulis est. Tite-Live, lib. xxxiv : Disciplina custos infirmitatis, quam
optimè timor continet.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRUN. 0
mes malheureuses folies, que je regardais comme des qualités
propres et faisant en quelque sorte partie de moi-même.
m. Mais quand une fois, Faction de cette onde régéné-
a
ratrice ayant emporté les souillures de ma vie première ,
une lumière sereine et pure, venue d'en haut, pénétra dans
mon âme sanctifiée; quand, après que j'eus respiré l'air du
ciel, cette seconde naissance * eut fait de ïïioi un homme
nouveau : chez moi tout-à-coup succédèrent merveilleuse-
ment, en toutes choses, au doute la certitude, au mystère
la clarté, à l'obscurité la lumière, à la difficulté apparente
d'autrefois une facilité réelle, à l'impossibilité présumée une
exécution aisée; de manière à faire voir clairement que ce
qui jadis, né selon la chair, vivait esclave du péché, appar-
tenait à la terre, et que ce que maintenant anime le Saint-
Esprit appartient à la Divinité. Vous savez vous-même cer-
tainement et vous reconnaissez comme moi ce que nous a
ôté et ce qu'a mis en nous cette mort du péché, cette vie de
la vertu. Vous le savez, et je n'en fais pas pour nous un su-
jet d'éloges. Se louer soi-même est d'un haïssable orgueil ;
et cependant on peut prendre non pour un trait de vanité,
mais pour un hommage de reconnaissance un éloge qui,
loin d'attribuer nos vertus à la puissance de l'homme, les
célèbre au contraire comme un bienfait de Dieu; ainsi, dans
notre bouche, ne plus pécher sera l'œuvre immédiate de la
foi, et nos péchés passés seront les effets de la faiblesse hu-
maine. C'est à Dieu, dis-je, c'est à Dieu que nous devons
tout ce que nous pouvons . C'est de lui que nous viennent la
vie, la force et la puissance ; c'est en lui que, puisant et nous
assimilant une vigueur céleste, bien que vivant encore ici-
bas, nous avons de la vie future une connaissance anticipée.
Que seulement la crainte de son saint nom soit la gardienne
de notre innocence, afin que le Seigneur, qui, par le bienfait
de sa miséricorde divine, s'est insinué avec bonté dans nos
esprits, soit, grâce à nos justes hommages, retenu par l'at-
trait du plaisir dans le domicile de nos âmes; craignons que
la sécurité acquise n'engendre chez nous la négligence, et que
notre vieil ennemi ne vienne de nouveau nous surprendre.

• Admirables effets du baptême.


b
Le baptême est une seconde naissance; nous ne naissons pas chré-
tiens, comme dit Tertullien dans son Apologétique : Fiunt, non nascun-
tar Chrisliani.
1.
40 SELKC17B JJ1VI CYPIUAM BP1BTOLA.
obteniperatione teneatur, ne accepta securitas indiligentiain
pariât *, et vêtus denuo hostis obrepat.
IV. CaBterîim, si tu iimocentias, si justitiœ viam teneas, si
â
illapsà firmitate vestigii tui ineedas ; si, in Deum viribus
totis ac toto corde suspensus, boc sis tantînn quod esse cœ-
pisti, tantiim tibi ad licentiam datur, quantum gratia spiri-
talis augetur. Non enim, qui beneficiorum terrestriuni mos
est, in capessendo munere cœlesti mensura ulla vel niodus
est. Profluens largiter spidtus nuilis linibus premitur, nec
coercentibus daustris iutra eerta nietarmn spatia i'rcuntur.
Manat jugiter, exuberal aillueiiter. Kostrum tantùm sitiat
pectus et pâteat. Quantum illuc ûuei capacis afierimus, tan-
lùm gratias inuiuianlis baurimus. Inde jain iaeuilas datur,
castitate sobrià, mente intégra, voce purà', virtute sineerà, in
3
medelam doleiitium posse veuenonim virus exstinguere ;
auimomni desipieutîum Jabes reddità sanitate purgarc ; in-
festis jubeve pacem, violeutis quietem, ierocientibus leni-
tatem; immundos et erraticos s\)iritus *, qui se expugnaudis
hotninibus immerserint, ad confessionem minis increpan-
libus cogère ; ut recédant, duris verberibns urgerë; couflic-
lautes, ej niantes, gemeiitcs, increniento pamu propagauti»
cxteudere *, flagris caedere, igue torrere. ttes illic gerilur,
6
nec vicletur ; occulta plaga, et pœna manifesta .
V. Ita, quod essejam cœpimus, acceptas spiritus licentià
suâ potitur ; quod necdum corpus ac membra mutavimus,
7
adbuc carnalis aspectus saeculi nube cœeatur. Quantus lue
animi potentalus, quanta vis est, non tantùm ipsum esse
subtractum pemiciosis contactibus mundi, ut quis expiatus et

* Notre auteur, dans son livre De lapris, exprime une idée analogue,
quand il dit : Traditam nobis disciplinant pax kmga cormperaL
* Illapsd, pour non lapsd,
3
Àu lieu de venenorum, deux mss. donnent veternorum, mauvaise
leçon.
4
Les démons. — Dans son livre Sur la vanité des idoles saint C y -
9

prien les appelle spiritus insinceri et vagi.


B
Allusion au Bupplice du chevalet.
6
Tertullien, Minucius Félix, Jultus Pirmicus, Lactance, saint J é -
rôme, attestent unanimement le pouvoir de la prière et des exorcisâtes
pour chasser, en les tourmentant cruellement, les démons du corps des
possédés.
7
if te ; c'csl-fc-dire après le bajlênio.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 11
J V. Au reste, si vous suivez la route de l'innocence et de la
justice, si vous y marchez d'un pas ferme et sûr, si, attaché
à Dieu de toutes vos forces et de tout votre cœur, vous n'êtes
pas autre chose que ce que vous avez commencé d'être, vous
gagnez autant en liberté que vous sentez s'accroître en vous
la grâce spirituelle. Il n'en est pas en effet ici comme des
bienfaits terrestres; pour ce qui est de recevoir le don cé-
leste, il n'y à ni terme ni mesure. L'esprit, qui coule abon-
damment, n'est arrêté par aucunes bornes; nulle entrave,
nul obstacle ne le retiennent dans de certaines limites. 11
coule, il coule toujours; il remplit tout de l'abondance
de ses flots. Notre cœur n'a qu'à avoir soif et à s'ou-
vrir. Autant est vaste le récipient de notre foi, autant
puisons-nous de cette grâce qui déborde et nous inonde.
C'est elle qui nous donne de pouvoir, avec une chasteté
sainte, un esprit saint, une voix pure, une vertu sin-
cère, guérir les malades et détruire la force des poi-
sons ; purifier les esprits que trouble la folie, et leur ren-
dre la raison; commander la paix aux ennemis acharnés, le
calme aux emportés, la douceur aux furieux ; de contraindre,
par des menaces terribles, à avouer leur crime et leur im-
puissance, les esprits immondes et errants qui s'introduisent
dans le corps des hommes pour en faire leurs victimes; de
les amener, à force de coups, à abandonner leur proie; et,
malgré leur résistance, leurs cris et leurs gémissements, de
les soumettre, comme sur le chevalet, à des supplices de plus
en plus cruels; de les déchirer à coups de fouet, de les li-
vrer aux flammes. Tout cela se passe à l'intérieur, et n'est
point visible ; nos coups sont cachés, leurs tortures sont ma-
nifestes .
V. Ainsi, quant à notre nouvel état, l'esprit que nous avons
reçu jouit de son entière puissance; mais comme nous n'a-
vons pas encore, changé de corps et d'organes, notre vue ter-
restre est toujours obscurcie par les ténèbres du siècle.
Quelle est ici la puissance de l'âme, quelle est sa force, non-
seulement de nous soustraire nous-mêmes au pernicieux
contact du monde, de manière à ce que nous puissions, sanc-
tifiés et purs, braver tous les coups de l'ennemi qui nous
attaque, mais encore de nous donner une force et une éner-
gie supérieures, au point d'exercer un pouvoir absolu sur
l'année entière de l'ennemi qui voulait nous terrasser !
13 SELECTE DIV1 CYPKiÀNl EPISTOL/B.
purus nullâ incursantis inimici labe capiatur; sed adliuc ma-
jorem et fortiorem viribus fieri, ut in omnem adversarii gras-
santis exercitum imperioso jure dominetor !
VI. Atque ut illustriùs, veritate patefactà, divini muneris
indicia clarescant, lucem tibi ad cognitionem dabo, malorum
caligine abstersâ, operti saeculi tenebras revelabo. Paulisper
1
te crede subduci in raontis ardui verticem celsiorem ; spc-
culare inde rerum infra te jacentium faciès ; et, oculis in di-
versa porrectis, ipse a terrenis contactions liber, fluctuantis
mundi turbines intuere*. Jam sœculi et ipse misereberis,
tuique admonitus et plus in Deum gratus, majore laetitià
quôd evaseris gratulaberis. Cerne tuitinera latronibus clausa,
maria obsessa praedonibus, cruento horrore castrorum bella
8
ubique divisa . Madet orbis mutuo sanguine; etbomicidium,
cùm admittunt singuli, crimen est; virtus vocatur, cùm pu-
bliée geritur *. Imjmnitatem sceleribus acquirit non innocen-
tiae ratio, sed saevitiae magnitudo.
VII. Jam si ad urbes ipsas oculos tuos atque ora convertas,
celebritatem offendas omni solitudine tristiorem. Paratur
gladiatorius ludus, ut libidinem crudeliumluminumsanguis
8
oblectet . Impletur in succum cibis fortioribus corpus, et
arvinaa toris membrorum moles robusta pinguescit, ut sagi-
* Saint Jérôme (Epitaphe de Népotien) : 0 si possemus in talemascen-
dere spéculant de qua universam tevram sub nostrispedibus ccrneremus,
jam txbi ostenderem totius orbis ruinas, gentes gentibus et regnis régna
collisa. —Mercure, dans les Contemplateurs de Lucien, voulant faire voir
à Caron le spectacle du monde, le transporte aussi sur une haute mon-
tagne, d'où l'on découvre tout ce qui se passe sur la terre.
* Ce spectacle de la stérile et perpétuelle agitation du monde, des mi-
sères et des folies de l'humanité, contemplées des hauteurs paisibles do
la foi, offre un magnifique panorama où les objets sont groupés avec or-
dre, peints de couleurs tour à tour éclatantes et sombres, et mis dans
le jour le plus convenable pour frapper les yeux et l'esprit du spectateur.
5
Les guerres répandues partout, couvrant le monde de sang et de
massacres.
4
Sénèque:Publiée jubentur velilaprivatum. Lactance, 1.1, cap. 18 :
Quà plures homines afflixerint, spoliaverint, occiderint, eô se nobt-
liores et clariores putant, et, inanis glorice speciecapti, sceleribus suis
nom en virtutis imponunU
* Ter lui lien, dans son livre Sur les Spectacles, dit : Gladialorcs in-
nocentes in ludum veniunt, ut publia» voluptatis hostiœ fiant. Pru-
dence, dans son ouvrage appelé Hamarligenia :
$an*uiinis humani spectacula publicus edit
Concessus...
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 18

VI. Et pour vous faire mieux apprécier, au flambeau de


la vérité, les divins effets du bienfait de la grâce, je vais vous
donner la lumière pour connaître, je vais dissiper pour vous
les ténèbres du mal, je vais vous mettre à nu ce siècle qu'en-
veloppent des nuages épais. Figurez-vous pour un moment
être transporté sur le sommet le plus élevé d'une montagne
escarpée; de là contemplez le tableau formé par les objets
qui se déroulent à vos pieds; et, portant vos regards de
tous les côtés, libre vous-même du contact de la terre, exa-
minez les toiirbillons divers de ce monde agité. Bientôt le
siècle sera pour vous un objet de pitié, et, faisant un retour
sur vous-même, vous éprouverez pour Dieu plus de recon-
naissance, et vous vous féliciterez avec une joie plus grande
encore d'avoir échappé à tant de maux. Voyez les chemins
rendus impraticables par les brigands, les mers infestées par
les pirates, les camps et la guerre portant partout leur san-
glante horreur. Les hommes inondent la terre de leur sang
mutuellement versé. L'homicide commis par un homme seul
est un crime; on l'appelle valeur quand il se commet par
masses avec les forces d'un Etat. Les forfaits acquièrent
l'impunité non en raison de leur innocence, mais par le
fait de leur vaste cruauté.
VIL Si maintenant vous tournez vos regards vers les
villes elles-mêmes, ils y rencontreront une affluence de
monde plus affligeante que toutes les solitudes. Ici se pré-
pare un combat de gladiateurs, pour que des yeux cruels
se repaissent du plaisir de voir couler le sang. On nourrit,
on fortifie à l'aide de mets substantiels ces malheureux com-
battants; des masses de viandes succulentes augmentent le
volume de leurs muscles robustes : c'est pour que la mort
de ces animaux, engraissés pour périr, coûte plus cher à
celui qui la paie. L'homme est mis à mort pour le caprice
de l'homme; et, pdto pouvoir être en état de tuer, il faut de
l'habileté, il faut de la pratique, il faut de l'art. Le crime
non-seulement se commet, mais il s'enseigne. Quel langage
plus inhumain? que peut-on dire de plus cruel? Oui, c'est
l'objet d'un enseignement que d'être mis en état de tuer, et
c'est une gloire que de tuer en effet. Mais qu'est-ce, je vous
prie, et comment appellerez-vous de voir s'exposer aux bêtes
des hommes que personne n'y a condamnés, jeunes, beaux
et richement vêtus? Vivants, ils se parent pour leurs funé-
SELEC'iVE Dm CYPHIAMl UWTOLJS.
natus in pœnam cariùs pereat. Homo occklitur in hominis
voïuptatem ; et, ut quis possit occidere, peritia est, usus est,
ars est. Scelus non tantùm geritur, sed et doqptur. Quid po~
test inhumanius, quid acerbius dici ? Disciplina est ut peri-
mere quis possit, et gloria est quôd perimit. Quid illud, oro
te, quale est, ubi se feris objiciunt quos nemo damnavit,
1
aetate intégra, honestâ satis forma, veste pretiosà ! Viventes
in ultroneum funus ornantur, malis suis miseri gloriantur.
2
Pugnaiït ad bestias, non criniine, sed furore . Spectant filios
sûos patres. Frater in cavea est, et soror praestô est. Et speo-
taculi licèt pretium largior muneris apparatus amplificet, ut
inœroribus suis mater intersit, boc, prob dolor ! mater et re-
dirait ; et, in tam impiis spectaculis tamque diris et funestis,
esse se non putant oculis parricidas.
VIII. Couverte bine vultus ad diversi spectaculi non minus
a
pœnitenda contagia ; in theatris quoquè conspicies quod tibi
et dolori sit et pudori. Cothurnus est tragicus prisca facinora
4 8
carminé recensere. De parricidiis et incestis horror anti-
quus expressà ad imaginem veritatis actione replicatur, ne,
saeculis transeuntibtis, exoiescat quod aliquando commissum
est. Admonetur œtas omnis auditu, fieri posse quod factum
est. Nunquam am senio delicta moriuntur, nunquam tein-
poribus crimen obruitur, nunquam scelus oblivione sepe».
litur. Exempla fiunt quœ esse jam facinora destiterunt. ï u m
delectat in mimis, turpitudinum magisterio, vel quid domi
6
gesserit recognoscere, vel quid gerere possit audire. Quaere
7
jam nunc an possit esse qui spectat integer vel pudicus .
8
IX. Sed tibi post insidiosas vias , post diversas orbe toto
I
Au lieu de honestâ, uu ms. porte venuslâ, qui donne un sens assez
froid.
II
Un ms. porte Pugnant ad bestias bestiœ non nomine, sed furore,
ce qui donne un sens différent et forcé.
3
Danger, turpitude des spectacles scéniques.
4
Un certain nombre de manuscrits et quelques éditions portent par-
ricidis; même sens au fond.
" Au lieu de horror deux manuscrits portent error, qui fait un assez
y

pauvre sens, si môme il s'entend.


0
Sous-enleudu speciator.
7
Salvien, Tertullien, et la plupart des auteurs chrétiens des premiers
siècles sont pleins de reproches amers adressés aux païens sur les i m -
puretés qui déshonoraient leurs théâtres et faisaient de leurs spectacles
autant d'écoles de vice et d'immoralité*
* Insidiosas vias rappelle (voyez page .2,1. t2)ilineralatronibus
LETTUES CHOISIE DU SAINT GYMUEN. 15
railles, et ils y marchent volontairement; les malheureux se
font gloire de leur misère. Us combattent contre les bêtes,
non pour expier leurs crimes, mais pour assouvir leur
fureur. Et les pères sont 1k, qui contemplent leurs enfants.
Le frère est dans la loge, sa sœur aussi est là pour voir. Et,
a
bien que l'appareil plus pompeux de ce spectacle augmente
le prix ries places, la mère môme, ù douleur! oui, la mère
aussi achète l'avantage d'assister à cette cause do ses éter-
nels chagrins. Et dans ces spectacles si impies, si cruels, si
funestes, ils ne pensent pas que par le regard seul ils com-
mettent un parricide.
Ylïl. Jetez k présent les yeux sur un spectacle différent,
mais d'un exemple tout aussi déplorable, tout aussi dan-
gereux. La tragédie, c'est la représentation poétique des
forfaits du vieux temps. Les parricides et les incestes hor-
ribles de l'antiquité sont reproduits avec une action pleine
de vérité, de peur que les siècles dans leur cours no fassent
vieillir des crimes commis jadis. Tous les âges apprennent
à ce spectacle que ce qui s'est fait peut encore se renouveler.
Ainsi, malgré la longue durée des siècles, le crime ne meurt
pas; ainsi les forfaits ne sont jamais enfouis dans les abîmes
du temps; ainsi les atrocités ne sont jamais ensevelies dans
l'oubli; ainsi s'élèvent au rang d'exemples des faits qui
ont cessé d'être des objets d'horreur. Puis, chez les mimes,
maîtres en fait de turpitudes, quel plaisir pour le spec-
tateur ou de reconnaître celles qu'il a pratiquées chez lui,
ou d'apprendre celles qu'il pourrait y commettre. Demandez
maintenant si celui qui assiste à de tels spectacles peut être
encore chaste ou vertueux.
IX. Mais après les routes infestées par le brigandage, après
les combats de toute sorte qui partout ensanglantent le
» On appelait du nom de munus les jeux* les spectacles publics et par-
ticulièrement les combats de gladiateurs, dont les empereurs avaient cou-
tume de régaler le peuple romain. Les magistrats supérieure aussi, du
temps de la République, donnèrent de même souveut des jeux, lors de
leur entrée en charge, ou à l'occasion d'une victoire, d'un triomphe, de
la dédicace de quelque édifice public, etc. Ils y dépensaient des sommes
énormes. On a vu dans quelques-unes de ces exhibitions jusqu'à trois
cents lions à la fois, sons compter les ours, tigres, panthères, girafes, etc.
Qu'on songe maintenant au prix des gladiateurs, qui périssaient en grand
nombre dans ces jeux cruels. Qu'on songe au luxe cilVéné des spectacles
scéniquos, offerts à 20,000, 30,000, 60,000 spectateurs* et Ton se de-
SKLBCTdi mVI GYPRIANI EPI8T0LA.
multipliées pugnas, post spectacula vel cmenta vel turpia,
forum fortasse videatur immune, quôd, ab injuriislacessen-
tibus liberum, nullis malorum contactibus polluatur. Illuc
aciem tuam flecte. Plura illic quœ detesteris invenies, magls
oculos tuos inde divertes. Incisa; sint licèt leges Duodecim
Tabulis, et publiée aere praefixo jura prœscripta sint, inter
4
leges ipsas delinquitur, inter jura peccatur . Innocentia nec
illic ubi defenditur, reservatur. Saevit invicem discordan-
tium rabies, et inter togas pace ruptà * forum litibus mugit
insanum, hasta illic et gJadius et carnifex prœstô est, un-
gula effodiens, equuleus extendens, ignis exurens, ad ho-
3
minis corpus unum supplicia plura quàm membra . Quis
inter hœc verô subveniat? Patronus? Sed praevaricatur * et
decipit. Judex? Sed sententiam vendit. Qui sedet crimina
vindicaturas, admittit ; et ut reus iimocens pereat,fitnocens
judex. Flagrant ubique delicta, et passim multiformi génère
peccandi per improbas mentes nocens virus operatur. Hic
ft 6
testamentum subjicit , ille faisum capitali fraude conscribit ;
hic arcentur hœreditatibus liberi, illic bonis donantur alieni ;
inimicus insimulat, calumniator impugnat, testis infamât.
Utrobique grassatur in mendacium criminum prostitutae vocis

clausa maria obsessa prœdonibus; le reste de la phrase, jusqu'à tur-


$

pia, résume les parties déjà décrites de cet effroyable desordre qu'on ap-
pelle le monde.
1
Saint Jérôme contre Jovinien, livre î : Inter leges ipsas et secures
ac tribunalia flagrans libido nominatur. Ovide, Tristes, livre v :
Nonineluunt leges, sed cedil viribus œquum.
Viclaque pugnaci jura sub ense jacent.
Sénëque De beneficiis, chap. 28 : Legum prœsidio qui plurimùm in
illas peccaverunt proteguntur.
a
Senèqun, De ira, lib. H» chap. 7 : Inter istos quos togatos vides
nullapax est. Tertullien, De Pallio : Plus togœ lœsere rempublicam
quàm loricœ. — Un manuscrit, au lieu de inter togas donne inter le-
ges, sens assez mauvais.
5
Cinq manuscrits portent quàm membra sunt; mais ce sunt est
une glose sans élégance et inutile au sens.
4
Pmvaricari est proprement trahir la cause que Ton s'est chargé do
défendre.
" Subjicere testamentum, terme légal pour dire : supposer un testa*
ment.
6
Rédige une fausse accusation capitale. S'il y avait un second accu?
satcur uni au premier, ce second appelait subscriptor,
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 17
inonde, après les spectacles ou cruels ou honteux, vous croyez
peut-être le forum exempt de crimes; vous vous imaginez
qu'à l'abri des attentats de l'injustice, il ne s'est souillé par
a
le contact d'aucune mauvaise passion . Sur ce point portez
vos regards : vous y trouverez encore plus d'objets à détester ;
vous serez encore plus empressé de détourner de là votre vue.
b
Bien que les lois soient gravées sur les Douze Tables , et
que les droits des citoyens soient publiquement écrits sur
l'airain, la fraude s'exerce au milieu des lois elles-mêmes, le
crime se commet en présence même du droit. L'innocence
est à chaque instant violée dans le lieu même qui est consa-
cré à sa défense. Voyez la rage de la discorde animer l'un
contre l'autre les plaideurs furieux, et la guerre régner entre
les toges elles-mêmes; écoutez le Forum retentir de criaille-
0
ries insensées. Voyez encore, ici la haste symbole de la con-
fiscation; plus loin le glaive et le bourreau tout prêt à son
office, l'ongle de fer qui creuse de profondes blessures, le
d
chevalet qui allonge les corps des suppliciés , le feu qui

mandera comment des fortunes de particuliers pouvaient suffire à


de pareilles prodigalités : c'est que ces particuliers la plupart du temps
avaient gouverné des provinces, qu'ils avaient impunément pillées ou
plutôt écorchées. Ils en étaient, comme Verres, comme Salluste, reve-
nus avec des vaisseaux chargés de richesses : et tout ce luxe qui nous
étonne n'était qu'une faible part des dépouilles de leurs malheureux ad-
ministrés, dépensée par la vanité et l'ambition pour capter la faveur ou
occuper les loisirs du peuple. Au moyen de ces jeux, Néron lui-mcme
jouit d'une immense popularité auprès de la canaille de Rome. Les Ro-
mains asservis en raffolèrent, et, dans leur oisiveté, les descendants des
Camille, des Fabricius et des Scipions, n'eurent plus d'autre souci que
de demander du pain et des spectacle*. Paneni cl circenses; tel fut leur
cri; à cette pensée seJborna sous l'Empire toute l'ambition du peuple*
roi. —Edere munus était la phrase consacrée pour dire : Donner des
spectacles au peuple.
* Iniquité des jugements.
b
Code des anciennes lois romaines. Pour marquer et la stabilité de la
loi et la durée de leur empire, les Romains gravaient leurs lois sur des
tables de bronze.
6
Haste, lance sous laquelle on vendait à l'encan les objets mo-
biliers. Ce mot est pris ici pour les confiscations dont il est le sym-
bole. Les noms dos instruments de supplice suivent immédiatement.
d
Nous avons décrit dans les notes de notre premier volume des Actes
des saints Martyrs les instruments de supplice nommés ici. Nous y ren-
voyons le lecteur.
18 SELECTE D1VI CYPHIANI EP1BT0L4S.
venalis audacia, cùm intérim nocentes nec cum innocentibus
pereunt. Nullus delegibus metus est ; de quaesitore *, de j u -
dice pavor nullus. Quodpotest redimi non timetur. Esse jam
inter nocentes innoxitim, crimen est. Malos quisquis non
imitatur, oïfendit*. Consensere jurapeccatis, et cœpit licitum
esse quod publicum est. Quis illic rerum pudor, quae esse
possit integritas, ubi qui damnent improbos desunt, soli ibi
qui damnentur oceurmnt.
X. Sed ne nos videamur eligere fortasse pejora, et studio
destrueticli, per ea oculos tuos ducere quorum tristis atque
aversandus aspectus ora et vultus conseientia& melioris of-
fendat, jam tibi illa quae ignorantia saeeularis bona opinatur
ostendam. Illic etiamfugiendaconspicies. Quos honores putas
esse, quos fasces, quam affluentiam in divitiis, quam poten-
tiam in castris, in magistratu purpurae speciem, inprincipatu
3
licentiaepotestatem ; malorumblandientium virus occultum
est *, et arridentis nequitiae faciès quidem laeta, sed calami-
tatis abstrusac illecebrosa fallacia ; instar quoddam veneniy
ubi, in lethales succos dulcedine aspersà, calliditate fallendi
sapore mcdicato, poculum videtur esse quod sumitur ; ubi
epota ros est pernicies hausta grassatur. Quippe illum vides
qui ainictu elariore conspicuus fulgere sibi videtur in pur-
6
pura. Quibus hocsordibus émit ut fulgeat ? quos arrogan-
lium fastus priùs pertulit? quas superbas fores matutinus
I
Qnœsitor désigne le magistrat chargé de diriger l'instruction d'un
procès criminel.
* Sulpice Sévère, livre u de son Histoire sacrée : Semper inimica vir-
lutibus rdiia sunt, et optimi quique ab improbis quasi exprobrantes
aspiciunlur.
8
In principatu licentiœ potestas désigne le pouvoir absolu dont
jouit un monarque,
4
Quos honores putas esse , virus occultum est; supposez qu'il y
a quod honores putas esse , quod fas ces, quod affluentiam, quod
potentiam, etc. Quos et quam, etc., sont là par attraction (voyez à ce
mot, Grain. laL de Burnouf).
II
Au lieu de ubi epota res est, les manuscrits présentent presque tous
des variantes faultves que nous ne reproduisons pas. Notre hçnn, la seule
régulière et intelligible, s'appuie sur un ancien manuscrit. — Grassatur,
étend ses ravages par tout le corps.
* Cette phrase et la suivante rappellent involontairement la belle
énumération des bassesses de l'ambition, faite par Massillou dans un
des sermons de son Pctit~Garéme : Que de bassesses pour parvenir, etc.
Ljmufis CHOISIES m SAINT GYPMKN. 19
le» consume, en un mot pour le corps "d'un seul malheureux
plus de supplices qu'il n'a de membres. Et au milieu de tout
cet appareil de fureur ou de tortures, qui viendra au secours
de l'innocent? Son avocat? Mais il prévarique et trompe. Son
juge? Mais il vend ses arrête. Celui qui siège pour punir le
crime le commet lui-même, et pour faire périr un accusé in-
nocent, le juge devient coupable. Partout le crime est fla-
grant ; de tous côtés, sous mil Je formes, son noir venin agit
sur ces âmes corrompues. Celui-ci suppose un testament,
celui-là rédige une fausse accusation capitale; ici des enfants
sont privés de leur patrimoine, là des étrangers dépouillent
lés héritiers légitimes; les ennemis se font accusateurs, les
calomniateurs poursuivent leurs victimes, les témoins font
métier de diffamation. Dans les deux camps se livre à de
mensongères accusations l'audace vénale d'une voix prosti-
tuée; et cependant les coupables périssent avec leurs adver-
saires qui ne sont pas innocents non plus. Nulle crainte des
lois, nulle peur du juge chargé de l'instruction ou de celui
qui doit prononcer la sentence. À quoi bon craindre des
supplices que. Ton peut éviter à prix d'argent? Désormais
être innocent au milieu des coupables, c'est un crime. Qui-
conque n'imite pas les méchants s'en fait des ennemis. Les
lois même sont de connivence avec le crime, et une in-
fraction commence à être licite, quand elle se commet publi-
quement. Peut-il y avoir la moindre pudeur, la moindre
intégrité là où l'on ne trouve personne en droit de condam-
ner le, crime, mais seulement des gens dignes d'être con-
damnés?
X. Mais, pour vous empêcher de croire qu'entre tant de
sujets d'observation, je choisis ce qu'il y a de pire, et que,
par esprit de dénigrement, je promène vos regards sur des
détails dont le triste ou repoussant aspect blesse la vue ou
la présence de l'homme vertueux; je vais maintenant vous
faire voir des objets que le siècle ignorant regarde comme
a
des biens : là aussi vous trouverez des sujets d'aversion. Là
où vous croyez voir des honneurs, des faisceaux, des richesses
abondantes, le commandement des armées,l'éclat delà pour-
pre dans la magistrature, le pouvoir absolu chez un prince,
il n'y a en réalité que le venin caché de séduisantes misères ;
c'est bien le sourire aimable de la volupté qui nous en-
« Vanité des honneurs, des richesses et du pouvoir.
20 SELECTIVE D M UïPKlAM EPISTOL/E.
1
salutator obsedit ? quot tumentium contumeliosa vestigia
stipatus in clientinm cuneos antè praeeessit, ut ipsuni etiam
salutatuui cornes postmodum pompa prœcederet, obhoxia
non homini, sed potestati ? iSeque enim coli moribus meruit
ille sed faseibus. Horum dcnique videas exitus turpes, cùm
auceps temporum * palpator abscessit, cùm privati lattis nu-
dum déserter assecla fœdavit. Tune laceratœ domùs plagae
conscientiam feriunt, tune rei familiaris exbaustae damna
noscuntur, quibus redempfus favor Yulgi, et caducis atque
inanibus votis popularis aura quacsita est. Stulta prorsùs et
3
vana jactura, frustrantis speclaculi voluptate id parure vo-
luisse, quod nec populus acciperet et perderet magistratus.
X I . Sed et quos divites opinaris, continuantes sallibussal-
6
tus *, et, de confinio pauperibus exclusis , iniinita ac sine ter-
minis rura latins porrigentes, quibus argenti et au ri maxi-
mum poudus, et pecuniarum ingentium vel exstructi aggeres
vel defosstc strues, bos etiam inter divitias suas trepidos
1
Virgile, livre H de Géorgiqnes :
Si non ingéniera foribus domus alla fuperbis
Manè salulantùm lotis vomit aedibus undam.
Martial, liv, x, épigr. 10 ;
Manè saiutalor limina mille terras.
Horace, épode n :
Supcrba civium
Potcnliorum limina.
* Qui épie les circonstances, qui tempora aucupatur, comme dit
Cicéron. — Quelques manuscrits et plusieurs éditions portent anceps
temporum, expression à la Tacite, qui signifie dont l'attachement varie
s Ion les circonstances, gens qu'Horace appelle amici dolosi.
5
1) semblerait qu'on devrait plutôt lire in voîuptatem que voluptate.
Cette portion de phrase est assez obscure; la fin au contraire est très-
claire, et exprime la folie de ce riche qui se ruine pour donner au peu-
ple de vains rpectaelcs.
* Continuantes binas aut atnpliùs domos, dit chez Sailuste Catilina
en parlant des riches qui possèdent contiguës deux maisons ou plus.
" Mot-à-mot, chassant les pauvres de leur voisinage, c'est-à-dire abu-
sant de leur opulence pour exproprier leurs malheureux voisins. C'est
ce qu'Horace nous représente pathétiquement dans ces vers :
Quid usque proximos
Revellisagri lermiuos, et ultra
Limites ciieulium
Salis avarus? Pcllilur, pa ternos
In sinu fercus Deos,
Et uxor et vir, sordido^que nalos.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN- 21
chante, mais ce sont en même temps les attraits trompeurs
qui cachent de réelles infortunes. 11 en est de (ont cela comme
du poison : que dans des sucs mortels une maiu coupable
verse une substance agréable, le goût, habilement trompé
par ce mélange, prend pour un breuvage salutaire la coupe
qu'on lui présente; est-elle épuisée? (Test la mort que Ton
a bue et qui étend ses ravages partout le corps. Et, en effet,
vous voj'ez un homme dont les habits éclatants attirent tous
les regards; lui-même se trouve brillant sous la pourpre.
Mais par quelles bassesses a-t-il acheté cet éclat? Quels ar-
rogants dédains n'a-t-ii pas eu d'abord à supporter? Quelles
)ortes superbes n'a-t-il pas assiégées dès le matin pour sa-
J uer le maître du logis? de combien d'orgueilleux, con-
fondus dans la foule épaisse des clients, n'a-Ul pas jadis
honteusement accompagné les pas, afin que plus tard on
vînt le saluer à son tour et qu'un cortège de clients, dé-
voué non à l'homme, mais à la puissance, raccompagnât
aussi? Ces hommages, en effet, il les doit, non à ses vertus,
mais à ses faisceaux. Mais il faut voir en dernière ligne la
triste fin de tout cet orgueil, quand, toujours à l'affût des
circonstances, ses flatteurs se sont retirés de lui; quand, re-
devenu simple particulier, il voit sa personne livrée à l'aban-
don et au mépris par ses plus humbles clients. C'est alors
que le déplorable état de sa fortune délabrée vient exciter
ses regrets, c'est alors qu'il voit dans toute leur étendue les
dépenses qui ont épuisé son patrimoine; avec cet argent il
achetait les suffrages du peuple, et dans ses vains et insensés
désirs, il captait le souffle de la faveur populaire. Bien sotte
et bien ridicule dépense en effet : offrir au peuple, à grands
frais, le plaisir de vains spectacles, et faire ainsi une espèce
de marché, où il n'y a rien à gagner pour le peuple, et tout
à perdre pour le magistrat.
XI. Et ces hommes que vous croyez riches, parce qu'à
leurs forêts ils vont incessamment ajoutant quelque forêt
voisine, expropriant les pauvres d'auprès d'eux, et étendant
au loin leurs terres sans bornes et sans fin, qui ont des mas-
ses de vases et autres objets d'or et d'argent massif, chez
qui l'argent monnayé s'élève à grands tas dans leurs salles
ou remplit de vastes souterrains; eh bien, ces hommes, au
milieu même de toutes leurs richesses, ils tremblent, leur
pensée est inquiète, le souci les dévore; ils tremblent que
les voleurs ne les pillent, qu'un assassin ne les frappe, que
SELECTE DIVJ CYPRIANI EPKTOLiK.
cogitationis incerlae sollicitude discrueiat, ne praodo vastet,
ne pereussor infestet, ne ininiiea cujusque loeuplelioris in-
1
vidia calumniosis litibus inquietet. Non cibus securo som-
nusve contingit. Suspiratille in convivio, bibatlicèt gemma;
et eiim epulis marcidum corpus torus mollior alto sinu cou-
diderit, vigilat in pluma * ; née intelligit miser speciosa sibi
esse supplicia, auro se alligatum teneri, et possideri inagis
3
quàm possidere divitias atque opes . Atque, o detestabilis
cœcitas mentium, et cupiditalisinsanaeprofundacaligo ! Ciim
exonerare se possit et levare ponderibus, pergit magis for-
4
tunis angentibus incubare , pergit pœnalibus cumulis perti-
naciter adhaerere. Nulla in clientes inde largitio est, ciim in-
digentibus nulla partitio ; et pecuniam suam dicunt quam,
velut alienam, domi clausam sollicito labore custodiunt, ex
qua non amicis, nonliberisqnidquam, non sibi denique im-
portiunt. Possident ad hoc tantùm ne possidere alleri liceat.
8
Et, o nominum quanta diversitas ! bona appellant ex quibus
nullus illis nisi ad res malas usus est*
XII. An tu vel illos putas tutos, illos saltem inter honorum
6
infulas et opes largas stabili ftrmitate securos, quos, regalis
aulœ splendore fuigentes, armorum excubantium lutela cir-

1
Calumniosœ lites, chicanes injustes. — Dxquietare, t. de droit,
troubler quelqu'un dans sa possession.
* Sénèqucdans sou traité De la Providence, chap. 3, dit : Tàmvîgi-
labit in pluma quàm ille in cruce. Martial, liv. ix, épigr. 94 :
Pervigil in pluma Caius ecce jaceL
a
Notre auteur, dans son livre De lapsis, dit : Possidere se credunt
qui potiùs possidentur. Sénèque, De vita beata, chap. 22, dit : D t -
vitiœ meœ sunt, lu divitiarum es. Il dit encore, lettre exix : Quod ad
illos pertinet quos falso divitiarum nomine invasit occupata pau-
perlas, sic divitias habent quomodo habere dicimur febrem, càm Ma
nos habeat. E contrario dicere debemus : Febris illum teneU Eodem
modo dicendum est : Divitiœ illum tenent. Valère Maxime, liv. ix,
chap. 4 : Procul dubio is non possidet divitias, sed a diviliis posses-
sus est. Enfin notre La Fontaine, dans sa fable de l'Avare qui a perdu
son trésor, dit que ce malheureux
Attendait pour jouir une seconde vie,
Ne possédait pas l'or, mais l'or le possédait.
* Incnbarefortunis, couver ses biens, belle expression déjà employée
par Horace.
* O quel contraste entre les noms et les choses !
* Tnfula, bandelette, diadème, couronne.
LETTRES CHOISIES DE S/VINT CYPRIEN. 28
la haine on l'envie d'un plus riche qu'eux ne les trouble par
d'injustes chicanes. Ce prétendu riche, voyez-le. Il ne peut,
en repos, ni manger ni dormir. 11 soupire au milieu des
a
festins, et pourtant il a pour coupe nue pierre précieuse .
El quand, flétri par l'intempérance, il est étendu sur un lit
moelleux, dont les coussins élevés s'affaissent sous le poids
.de son corps, il veille sur le. duvet; il ne comprend pas, le
malheureux! que tous ses biens ne sont pour lui que de
brillants supplices, qu'il est enchaîné à son or, et qu'il est
bien plutôt possédé par ses richesses et son opulence, qu'il
ne les possède lui-même. Et, ô déplorable aveuglement! ô
profondeur des ténèbres où vit plongée la folle cupidité !
Tandis qu'il pourrait alléger le poids de ses misères, et
même s'en décharger complètement, il continue avec une
ardeur croissante à couver cette fortune qui l'oppresse, il se
cramponne toujours obstinément à ces monceaux: d'or qui
font son supplice. 11 n'en fait nulle largesse à ses clients,
nulle aumône aux malheureux; et il appelle sien cet argent
que, comme l'argent d'autrui il garde chez lui sous les ver-
roux, et cela à grand renfort de soucis et de peines, et il n'en
donne rien à ses amis, rien à ses enfants, rien enfin à lui-
même. Ils possèdent, ces hommes, oui, mais seulement pour
11
empêcher les autres de posséder . Et, ô bizarre contraste
entre les noms et les choses! ils appellent biens des objets
qui ne leur servent que pour le mal.
XII. Pensez-vous que ceux-là du moins vivent en sûreté,
et jouissent d'une sécurité solide et durable, qui, ceints
du diadème et au faite de la puissance, déployant au sein
d'une cour brillante toute la splendeur du trône, sont en-
* Les riches Romains avaient des coupes d'or ornées de pierreries, et
même des coupes faites d'une seule pierre précieuse. Virgile fait allu-
sion au premier de ces deux usages à la fin du premier livre de l'Enéide :
Hïcregiùa gravem gemims auroque poposcit
Ioiplcvitque mero palercm.
et au second, quand H dit du riche cupide, qu'il se donne mille peines
ut gemmd bibau —. L'éditeur Rigaut, ignorant probablement ce détail
de mœurs, dont témoignent vingt auteurs, a donné dans son texte Ucèt
bibat gemmas, et cette bévue a fait tomber le traducteur Lambert
dans un singulier conire-sens qu'il a encore aggravé en ajoutant à sa
phrase une circonstance qui ne se trouve aucunement dans le texte de
saint Cyprien. 11 traduit en effet : Ils boivent des perles et de Vambre gris.
h
Phrase pleine de justesse et d'un sublime bon sens, comme presque
tout le contenu de ce paragraphe.
M SELKCT.K ÛiVi GYPRIANI JiPfSTOL/E.
1
eumstal ? Major illis quàm csteris metus est. Tarn ille Ihneiv
cogitur quàm timelur. Exigitpœuas pariter de potenliore su-
blimitas, sit licèt sateîlkuin manu septus, et clausum ac
protectum latus numeroso stipatore teneatur. Quàm securos
non sinit esse subjectos, tam necesse est non sit et ipse se-
curas. Antè ipsos terret potestas sua quos faeit esse tembiles.
Àrridetut sœviat, blanditur ut fallat, illicit ut occidat, extol-
litut déprimât *. Fœnore quodam nocendi, quàm fuerit am-
plior summa dignitatis et honorum, tam major exigitur usura
pœnarum.
XIII. Unaigitur placida et fida tranquillitas, una solida et
firma et perpétua securitas, si quis, ab bis inquietantis sœ-
8
culi turbinibus extràctus, salutaris portùs statione fundatus ,
ad cœlum oculos tollat a terris, et, ad Domini munus ad-
missus, ac Deo suo mente jam proximus, quidquid apud
caeteros in rébus humanis sublime ac magnum videtur, infra
suam jacere conscientiam glorietur. Niliil appetere jam, nihil
desiderare de saeculo potest qui saeculo major est. Quàm sta-
bilis, quàm inconcussa tutela est, quàm percnnibus bonis
cœleste praesidium, implicantis mundi laqueis solvi, in lu-
4
cem immortalitatis œternae de terrenaiaece purgari ! Viderit
quae in nos priùs hdestantis inimici pemicies insidiosa
grassata sit. Plus amare compellimur quod futuri sumus,
dum et scire conceditur et damnare quod eranius. Nec ad
boc pretiis aut ambitu aut manu opus est, ut hominis summa
vel dignitas vel potestas elaboratà mole pariatur, sed gra-
5
luitum de Deo munus et facile est . Ut sponte sol radiât,
6
(lies luminat , fons rigat, iniber irrorat, ita se spiritus cœ-
lestis infundit, Postquam auctorem suum cœlum intuens

* Tourments du pouvoir suprême.


2
Dans le livre De hàbitu tirginum, notre auteur dit dans les mêmes
termes : Diàbolus blanditur ut fallât, arridet utnoceat, allicit ut oc-
cidal.
* Fundatus. D'autres mss. et quelques éditions portent fnndelur, in-*
telligible aussi, mais d'un tour moins heureux.
* Viderit, sous-entendu christianus recens.
u
Erasme et d'autres éditeurs ont mis, sur l'autorité d'un seul ms.,
gratuitum de Deo munus religiosd mente cnnripitur et facile est, ad-
dition parfaitement inutile.
* Dies luminau Ces deux mots ne se trouvent ni dans le texte de R i -
gant, ni, par cette raison, dans la traduction de Lnmhcrl,
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 25
toimis de bataillons qui veillent à leur sûreté? Àh! ceux-là
même craignent encore plus que les autres. Oui, les rois
sont condamnés à éprouver autant de terreur qu'ils en in-
spirent. Le rang suprême ne tourmente pas moins que les
autres hommes celui qui l'occupe, malgré les satellites qui
l'entourent, malgré les nombreuses sentinelles placées pour
sa garde aux portes du palais qui lui sert de prison. Autant
il laisse peu de sécurité à ses sujets, autant, nécessairement,
il en goûte peu lui-même. Le pouvoir commence par faire
trembler ceux-là même qu'il rend redoutables. Par une es-
û
pèce d'usure en fait de maux , plus est considérable la
somme de dignités et d'honneurs attachés à la suprême puis*
sance autant est élevé l'intérêt de tourments que doit payer
r

celui qui en est investi.


XIII. Celui-là seul donc jouit d'une paisible et inaltérable
b
tranquillité , d'une solide, ferme et perpétuelle sécurité,
qui, arraché au tourbillon de ce siècle agité, aj'ant jeté l'an-
cre dans le port du salut, élève de la terre ses yeux vers le
ciel. Admis à recevoir les bienfaits du Seigneur, et, appro-
chant déjà Dieu par la pensée, il regarde avec dédain comme
au-dessous de sa conscience tout ce qui, dans les choses hu-
maines, parait aux autres hommes grand ou élevé. Que peut
rechercher, en effet, que peut désirer désormais du siècle,
celui qui est plus grand que le siècle? Quelle solide, quelle
inébranlable protection, quel céleste appui, fondé sur des
biens impérissables, qui nous dégage des biens de ce monde
plein d'embarras, et qui nous purifie de la fange terrestre
pour nous faire jouir de la lumière étemelle de l'immorta-
lité l Que lenouveau fidèle considère toutes les perfides em-
bûches , tous les odieux attentats dirigés contre nous autre-
fois par notre cruel ennemi. Nous sommes bien plus portés
à aimer ce que nous devons être un jour, quand il nous est
donné de connaître et*de condamner ce que nous avons été.
Et pour jouir de tous ces biens, il ne faut ni argent, ni bri-
gue, ni violence, comme pour élever, par de pénibles efforts,
un homme au faite des dignités ou de la puissance. C'est,
de la part de Dieu, un don gratuit et facile. Comme natu-
rellement le soleil darde ses rayons, comme le jour éclaire,

» Par une espèce d'usure en fait de mam figure charmante conti-


t

nuée d'une manière aussi juste qu'ingénieuse.


b
Bonheur d'une vie chrétienne.
26 8ELECLS DIVI CYPRfANI EPISTOLiK.
anima cognovit, sole allior et liàc omni terrenâ potestate su-
blimior, id esse incipit quod esse se crédit.
XIV. Tu tantùm, quem jam spiritalibus castris cœlestis
l
militia signavit , tene iucorruptam, tene sobriam religiosis
virtutibus disciplinant. Sit tibi vel oratio assidua vel lectio.
Nunc cum Deo loquere, nunc Deus teeum. Ille te praeceptis
suis instruat, ille disponat Quem ille divitem fecerit, nemo
pauperem faciet. Peuuria esse nulla jam poterit cui semel
pectus cœlestis sagina* saturavit. Jam tibi auro distincta la-
quearia et pretiosi marinons crustis vestita domicilia sor-
3
debunt , cùmscieris te excolendum magis, te potiùs ornan-
dum, domum tibi banc esse potiorem quam Dominus iiibedit
templi vice, in qua Spitïtus sanctus cœpit habitare. Pinga-
mus banc domum pigmentis innocentiae, luminemus luce
jnstitias. l^iihaec unquam procumbet in lapsum senio vêtus-
tatis, nec pigmento parietis aut auro exolescente fœdabitur.
Caduca sunt quœcumque fucata sunt, neciiduciam prœbent
possidentibus stabilem quœ possessions non habent verita-
tem \ H&c manet cultu jugiter vivido, honore integro,
splendore diutumo. Àboleri non potest nec exstingui, potest
tantùm in melius, corpore rcdeunte,-forrnari.
e
XV. Haec intérim brevibus , Donate cbarissime. Nam,
etsi facilem de bonitate patientiam °, mentem solidam, fidem
tutam salutaris auditus oblectat, nibilque tam tuis auribus
gratiun est quàm quod in Deo gratum est, moderari tamen
dicendo debemus, simul juncti et sœpiiis colloeuturi. E t ,
quoniam feriata nunc quies actempus est otiosum, quidquid

1
Les soldats enrôlés étaient immédiatement marqués des signes de
leur nouvelle profession. — Les signes militaires étaient l'inscription du
nom de l'empereur sur la main du soldat, avec un collier de plomb, on
un bracelet sur lequel le nom et la devise du prince étaient gravés.— Ici
les mots MilUia....caslris signavit, sont tout simplement allégoriques*
* Cœlestis sagina, les mets célestes, c'est-à-dire la parole de vie, et
l'Eucharistie.
* N'auront que peu de prix à vos yeux. Virgile, Eglog. : Sordent tibi
munera nastra.
* Au lieu de veritatem qui s entend fort bien, un ms. et l'édition de
Rigaut donnent prmitatem, qui a le même sens.
* Sous-entendu disserui ou accipe.
ft
Paiicntia, indulgence, votre indulgence. — Auditus, discours,
traité.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN, 27
comme la source laisse couler ses eaux, comme la pluie
tombe du ciel, ainsi se répand dans nos âmes l'esprit cé-
leste. Du moment où, contemplant le ciel, l'ârae a connu
son auteur, dès-lors, plus élevée que le soleil, et supérieure
à toute cette puissance terrestre, ce qu'elle croit être, elle
commence à l'être en effet.
XIV. Seulement vous, enrôlé dans le camp du Seigneur
pour faire partie de la milice céleste, observez invariable-
ment la discipline, tenez une conduite irréprochable, et tou-
jours inspirée par les vertus de la religion. Livrez-vous as-
sidùment à la prière ou à la lecture. Tantôt parlez à Dieu,
tantôt que Dieu vous parie. Que ce soit lui qui vous forme
Car ses préceptes, que ce soit lui qui règle vos mœurs. Le
fidèle qu'il aura une fois enrichi, personne jamais ne l'ap-
pauvrira. 11 ne saurait plus y avoir de détresse pour celui
dont les mets célestes ont rassasié le cœur. Désormais les
lambris dorés et les palais revêtus de marbre vous semble-
ront de bien peu de prix, puisque vous avez appris que c'est
vous plutôt qu'il faut embellir, que c est vous qu'il faut or-
ner, que vous avez en vous une demeure bien préférable,
puisque le Seigneur en .a fait son temple, puisque le Saint-
Esprit en a fait son habitation. Peignons-la des couleurs de
l'innocence, éclairons-la de la lumière de la justice. Jamais
le laps du temps ne la fera tomber en ruine, jamais elle ne
verra ternir les peintures de ses parois, ni l'or de ses lam-
bris. Tout ce qui est fardé est périssable, et les biens dont
la possession n'est pas assurée ne sauraient inspirer une
ferme confiance à ceux qui les possèdent. Mais, pour voire
demeura, ses ornements sont toujours frais, sa beauté tou-
jours intacte, son éclat toujours immortel. Elle ne saurait
ni tomber, ni périr; elle ne peut que devenir plus belle,
a
quand un jour le corps reviendra l'habiter .
b
XV. Voilà , pour le moment, en peu de mots, ce que j'a-
vais à vous dire, mou cher Donat En effet, bien que votre
facile indulgence, qui a sa source dans la bonté de votre
cœur, bien que votre esprit solide et votre foi sûre pren-
nent plaisir à entendre ces paroles de salut, et que rien n'ait
autant de charme pour votre oreille que ce dont le charme

* C'est-à-dire lors de la résurrection.


" Conclusion de cette lettre.
28 SELECTE DiVI CYPRIÀNl Et'ISTOL/E.
inclinato jam sole in vesperam diei superest, dueamus liane
1
diem lœti, nec sit vel horA convivii gratin* cœlestis immimis .
Sonet psalmos coiiTivium sobrium ; et, ut tibi tenax memoria
est, vox canora, aggredere hoc munus ex more. Magis eba-
rissimos pasces, si sit nobis spiritalis auditio, prolectet aures
religiosa mulcedo *.

EPISTOLA n.
AD PRESBYTEROS ET DIACONOS ROULE COKSISTEKTES.

Réponse à une lettre que le clergé de Rome avait écrite à S. Cyprien sur
la mort du pape S . Fabien, martyrisé sous l'empereur Dèce,

8
presbj'teris etdiaconibus Romae consisteutibus
CYPRIANUS
fratribus salutem.
1. Cùni de excessu boni viri collegae mei rumor apud
nos incertus esset, fratres charissimi, et opinio dubia nutaret,
accepi a vobis litteras ad me missas per Crementium hypo-
diaconum, quibus plenissimè de glorioso ejus exitu instrue-
rer; et exsultavi satis quôd pro integritate administrationis
1
Tertullien dans son Apologétique : Nonpriûs discumbatur quàm
oratio ad Deum prœgustetur. JEquè oratio convivium dirimal. Saint
Jérôme dans sa lettre De vitando suspecto contubernio : Personabit
intérim aliquis lector ad mensam, et inter Psalmos dulci modulami-
ne, etc. Le même, dans sa lettre à Marcella pour l'engager à venir à Beth-
léem : Ambrosius noster refert se cibum nunquam Origene prœsentc
sine lectione sumpsisse, nunquam inisse somnum nisi unus è fratribus
sacris Liiteris personaret ; hoc diebus egisse et noctibus, ut et lectio
orationem exciperet, et oratio lectionem. Le même encore dans sa let-
tre à Euslochium, De acceptis ab ea munnsculis : Ita tibi semper co-
medendum est ut cibum et oratio subsequatur et lectio. Le même
encore dans son livre contre Vigilance : Inter phialas philosophatur,
et ad placentas liguriens Psalmorum modulations mulcetur.
» Ce mot se trouve dans Aulu-Gelle, dans saint Jérôme, dans Boèce,
dans Sidoine Apollinaire. 11 vient de muleere, et signifie chant agréable,
douce harmonie.
3
Ailleurs saint Cyprien met dans le même cas diaconis, comme ve-
nant de diaconus (£IOXCVGÇ), qui. de la seconde déclinaison en grec, a dû,
suivant l'usage constant, passer dans la seconde on latin.
LETTRES CHOISIES DE SALNT CYPRIEN. 4U
est en Dieu % nous devons néanmoins borner ce que nous
avons à dire, puisque nous voilà réunis, et que nous pour-
rons souvent renouveler cet entretien. Et, puisque la fêle
b
présente nous permet le repos , et que nous avons du loisir,
passons gaîment tout ce que le soleil, déjà sur son déclin,
nous laisse de jour jusqu'à ce soir, et que l'heure du repas
soit elle-même occupée des bienfaits de la grâce spirituelle.
Que le chant des psaumes anime notre sobre festin; et,
comme vous avez une bonne mémoire et une belle voix,
chargez-vous de ce soin selon l'usage chrétien. Vous ferez
faire un meilleur repas à vos amis, si en mangeant nous
avons le plaisir d'entendre des chants spirituels, et si nos
oreilles sont charmées par un concert religieux.

LETTRE IL
AUX PRÊTRES E T AUX DIACRES DE ROME.

C'est ici une lettre familière; saint Cyprien répond au clergé de Rome
qui lui avait annoncé la mort du pape Fabien, martyrisé sous Tempe*
reur Déce. Seulement nous ferons observer que nous n'avons plus la
lettre à laquelle répond ici saint Cyprien.

CYPRIEN aux prêtres et aux diacres de Rome, ses frères,


salut.
TRÈS-CHERS FRÈRES ,
I. Comme des bruits incertains couraient parmi nous sur
c
la mort de mon excellent collègue , et que l'opinion n'était
pasfixéeà ce sujet, j'ai reçu de vous, par le sous-diacre
Crementius, une lettre qui avait pour objet de m'instruire

* En Dieu, selon Dieu, dans l'esprit de Dieu.


b
C'est à tort que quelques personnes ont appliqué ces trois mots aux
vacances du forum, supposant que saint Cyprien le fréquentait comme
orateur, ou comme magistrat. Notre auteur était déjà chrétien quand il
composa cette lettre, et le mal qu'il y dit du forum ne permet pas de
croire qu'il le fréquentât, au moins alors. 11 n'existe même aucun monu-
ment qui puisse faire croire qu'il l'ait jamais fréquenté.
0
Le pape saint Fabien, qui avait succédé à saint Antcros en 236. II
souffrit le martyre le 20 janvier 260.—Bonus vit est Tépithète que donne
ordinairement saint Cyprien aux évoques moits,
2,
30 SKLECTitt DIVi CYPK1ANI KMBT0L4C
ejus eonsuinmatio quoquè hônesta processerit. ïn quo vobis
quoquè pluriiniim gratulor quod ejus memoriam tara celebiï
etillustri testimonio prosequamini, ut per vos innotesceret
1
nobis quod et vobis esset eirca prœpositi memoriam glo-
riosum, et nobis quoquè fideiac virtutis prœberetexemplum.
Nam, quantum perniciosa res est ad sequentium lapsum
8
ruina praepositi, intantùm contra utile est et salutare cùm
se episcopus per firmamentum fidei * fratribus pr&bet imi-
tandum !
H. Legi etiam alias litteras in quibus nec quis scripserit,
nec ad quos scriptum sit, significanter expressum est. Et,
quoniam me in iisdem litteris et scriptura et sensu s et char tas
3
ipsœ quoquè moverunt ne quid ex vero vel subtractum sit
k
vel immutatum, eamdem ad vos epistolam authenticam re-
misi, ut recognoscatis an ipsa sit quam Crementio hypodia-
cono perferendam dedistis. Perquàm etenim grave est, si
epistolas clericae veritas mendacio aliquo et fraude corrupta
est. Hoc igitur ut scire possimus, et scripturam et subscrip-
tionem*, an vestra sit, recognoscite, et nobis quid sit in vero
rescribite.
Opto vos, fratres chaiîssimi, semper bene valere.

* Prœpositus se rapportant au pape saint Fabien. Baronîus a raison


de dire que ce mot signiûe ici le chef de la hiérarchie ecclésiastique,
c'est-à-dire le Pape; de son côté Baluze n'a pas de peine à prouver qu'il
faut en général traduire ce mot simplement par chef ou évéqne. Prœpo-
situs est en effet le terme dont, en cent endroits, saint Cyprien se sert
pour désigner indifférement tous les évéques.
* Per firmamentum fidei, au lieu de fidem firmando (confessione aut
martyrio). Traduisez : par la fermeté de sa foi.
5
Scriptura, l'écriture, les caractères, la main de celui qui, au nom
de tous, avait écrit la lettre. — Sensus, le sens, la nature et la forme
des pensées exprimées dans cette lettre. — Chartœ, le papyrus ou par-
chemin, etc., sur lequel la lettre était écrite. La nature, la forme de ce
papyrus, parchemin, etc., la manière de le plier, étaient probablement
convenus entre les membres do VEglise, pour éviter toute surprise delà
part des infidèles, et tous les pièges que pouvait, au moyen de fausses
correspondances tendre aux chrétiens la police païenne.
4
Authentique, c'est-à-dire la lettre elle-même, telle qu'elle m'est
parvenue, et non pas une copie.
* Subscriptionem, la souscription ou signature. Jusqu'au temps de
l'empire, au lieu de signer, on mettait, au bas des lettres et pièces de tout
genre, son cachet (Voyez, dans les CaUlinairea Cicéron racontant au sé~
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 31
pleinement de son glorieux trépas; et je me suis grandement
réjoui en voyant la pureté de son épiscopat dignement cou-
ronnée par une fin honorable. Dans cette circonstance, je
tous félicite aussi beaucoup de ce que vous rendez à sa mé-
moire un si noble et si illustre témoignage; de telle sorte que
vous m'adressez un récit glorieux pour vous, eu ce qu'il at-
teste votre pieux souvenir pour votre vénérable chef, et utile
pour moi, en ce qu'il me propose un modèle de foi et de
courage. En effet, autant est nuisible la chute d'un chef,
parce qu'elle entraîne la chute de ses subordonnés, autant
au contraire est-ce .jLine chose utile et salutaire qu'un
évèque, par la fermeté de sa foi, se fasse le modèle de ses
frères.
IJ. J'ai lu encore une autre lettre où ne se trouve claire-
ment indiqué ni qui l'a écrite % ni à qui elle était adressée.
Et, comme dans cetle lettre l'écriture, le contenu, et l'état
de la missive elle-même, m'ont fait craindre que la vérité
n'y eût subi quelque retranchement ou quelque altération,
je vous renvoie cette lettre elle-même, alin que vous voyiez
si c'est bien là celle que vous avez donnée, pour m'ètre re-
mise, au sous-diacre Grementius. Ce serait une chose ircs-
grave en effet, que la vérité contenue dans la lettre d'un
membre du clergé, se trouvât altérée par le mensonge ou par
quelque fraude. Afin donc que je puisse en être instruit,
examinez bien l'écriture et la souscription; voyez si c'est la
vôtre, et dites-moi ce qu'il en est dans la réalité.
Je souhaite, mes très-chers frères, que vous vous portiez
toujours bien.
nat la saisie d'une lettre de Lentulus à Catilina, lettre dont l'authenti-
cité est prouvée par le cachet de son auteur, apposé au bas). Nous
voyons ici l'usage de la signature établi parmi les fidèles. — Subscrip-
tionem, an vestra sit, recognoscite, héllénisme,pour : recognoscite
an subscriptio vestra sit, voyez la signature (et examinez) si c'est bien
la vôtre.
* Quoique la lettre dont parle ici saint Cyprien fût une lettre collec-
tive, il $ej[sert du singulier, née qnis scripsmt; en effet, une lettre,
même collective, est ordinairement écrite par une seule personne, et si-
gnée par toutes celles qui s'unissent d'intention à la pensée qu'elle ex-
prime. Manu ce a donc malheureusement innové en mettant nec qui
scripserint, puisque saint Cyprien s'inquiète, comme on va le voir a la
fin, non-seulement du contenu de )a lettre, sensus, mais aussi do récri-
ture, des caractères, scrtptura*
32 SËLKCX& D M CYPWANl EPKTOL<S.

EPISTOIA III.
AD PRESBYTEROS ET D1ÀCONOS.

Soin des pauvres qui ont confessé la foi : précautions à prendre pour les
visiter dans la prison.

CYPRÏANUS presbyteris et diaconibus fratribus charissimis


salutem.
I. Saluto vos incolumis per Dei gratiam, fratres charissimi,
laetus quôd circa incolumitatem quoquè vestram omnia inté-
gra esse cognoverim. Et, quoniam mihi interesse nunc non
permittit loci conditio *, peto vos pro fide et religione vestrâ
fungamini illic et vestris partibus et ineis, ut nihil vel ad
disciplinam vel ad diligentiam desit. Quantum autem ad
sumptus suggerendos, sive illis qui, gloriosà voce Dominum
confessi, in carcere sunt constituti, sive iis qui pauperes et
indigentes laborant, et tamen in Domino persévérant, peto
nihil desit, cttm summula omnis quae reuacta est illic sit
apud clericos distributa propter ejusmodi casus, ut haberent
plures unde ad nécessitâtes et pressuras singulorum operaii
possint.
IL Peto quoquè ut ad procurandam quietem solertia et soi-
licitudo vestra non desit. Nam, etsi fratres, pro dilectione sua,
cupidi sunt ad conveniendum et visitandum confessores bo-
nos, quos illustravit jam gloriosis initiis divina dignatio%
tamen cautè hoc, et non glomeratim, nec per multitudinem
simul junctam puto esse faciendum, ne ex hoc ipso invidia
concitetur, et introeundi aditus denegetur, et, dum insatia-
8
biles totum volumus, totum perdamus . Consulite ergô et
providete ut cum temperamento hoc agi tutiùs possit, ita ut
presby teri quoquè, qui illic apud confessores offerunt, singuli

1
Saint Cyprien s'était éloigné de Carthage pour ne pas tomber entro
les mains des persécuteurs.
* Divina dignatio, l'estime, la faveur, la grâce divine.
s
Allusion au proverbe ; Qui totum vull, totum perdit.
I.KTÏKK8 GiiOiSIiSS Uli 6A1.NT UYPHIKN.

LETTRE III.
A U X P R Ê T R E S E T A U X DIACRES*

Sai c.L Cyprien, qui a cherché un asile contre les poursuites des magistrats
et la fureur du peuple, charge, du fond de sa retraite, le clergé de Car*
thage de remplir les fonctions qu'il remplissait lui-même étant présent.
Il lui recommande les soins à prendre des confesseurs prisonniers, et
des pauvres en général. Il l'engage, enfin, à modérer le zèle des fidèles;
car s'ils se rendent en foule aux prisons pour y visiter les martyrs,
ils s'exposent à s'en voir fermer les portes.

C Y P R I E N aux prêtres et aux diacres, ses très-chers frères,


salut.
I. Préservé de tous maux jusqu'ici par la grâce de Dieu,
je vous salue, mes très-chers frères, et je me réjouis d'avoir
appris que vous aussi jusqu'à ce jour n'avez été en butte a
aucune persécution. Et, puisque l'éloignement des lieux où
je vis ne me permet pas d'être en ce moment au milieu de
vous, remplissez là où vous êtes, conformément à votre foi et
à votre religion, vos fonctions et les miennes, dételle sorte
que rien ne fasse défaut, soit pour l'instruction des fidèles,
soit pour l'accomplissement exact des différents devoirs.
Quant aux secours à fournir soit aux fidèles qui, ayant glo-
rieusement confessé le Seigneur, sont encore en prison, soit
à ceux que tourmente la pauvreté et l'indigence, et qui n'en
persévèrent pas moins dans le Seigneur, je prie qu'à ce sujet
rien ne manque; car tout ce que j'avais pu réunir d'argent
a été distribué aux membres du clergé de notre église
en vue de semblables infortunes, afin qu'un plus grand
nombre d'entre vous eussent en main de quoi secourir les
besoins et les souffrances de chaque fidèle malheureux.
IL Je vous prie aussi d'apporter toute votre habileté et
tout votre zèle au maintien de la tranquillité de notre église.
En effet, bien que les fidèles, en raison de leur charité,
soient avides d'entretenir et de visiter les bons confesseurs à
qui la grâce divine a déjà accordé l'honneur d'un glorieux
début, cependant je pense qu'il faut mettre en cela de la
prudence, et que ces démarches ne doivent pas être faites en
niasse et par des multitudes de fidèles réunis, de peur que
cette circonstance môme n'attire sur nous la haine, qu'on ne
34 SELECTE D M CYPRÏANï EPISTOLAi.
cum singulis diaconis per vices alternent, quia et mutatio
personarum et vicissitudo convenientium minuit invidiam.
Circa omnia enim mites et humiles, ut servis Dei congruit,
temporibus servire, et quieti prospicere, et plebi providere
debemus.
Opto vos, fratres cbarissimi ac desiderantissimi, semper
bene valere et nostrî meminisse. Fratemitatem universam
salutate. Salutant vos Victor diaconus et qui mecimi sunt.
Valete.

EPISTOIA IV.
AD PRE6BYTEROS E T DIACONOS.

Raisons qui obligent S. Cyprien a se tenir caché : conduite que doivent


tenir les confesseurs de la foi sortis de prison,

CYPRIANUS presbyteris et diaconis iïatribus salutem.


ï. Optaveram quidem, fratres cbarissimi, ut universurn
clerum nostrum integrum et incolumem meis litteris saluta-
rem ; sed, quoniam infesta tempestas, quae plebem nostram
ex maxima parte prostravit, hune quoquè addidit nostris
doloribus cumulum ut etiam cleri portionem suâ strage
perstringeret, oramus Dominum ut vos saltem, quos et in
fide et in virtute stare cognovimus, tutos quoquè in posterum
per divinam misericordiam salutemus. Et, quanquam causa
compelleret ut ipse ad vos properare et venire deberem, pri-
mo cupiditate etdesiderio vestrî, quœ res in votis meis sum-
ma est, tum deinde ut ea quae circa ecclesiœ gubernaeula
utilitas communis exposcit, tractare simul et plurimorum
1
consilio examinata delimare possemus, tamen potiusvisum
est adhuc intérim latebram et quietemtenere, respectu utili-
tatum aliarum quae ad pacem omnium nostrùm pertinent et

%
Ce mot ne se trouve guère que dans le sens propre de limer, polir,
le seul que donnent les dictionnaires classiques. Ici, il veut dire, comme
limare au figuré, éclaircir complètement, résoudre, décider ep, parfaite
connaissance de cause.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 35
nous refuse en conséquence rentrée des prisons; et que, tan-
dis qu'insatiables nous voulons tout obtenir, nous ne perdions
tout à la fois. Prenez donc vos mesures, et soyez prudents :
en y mettant des ménagements, ces visites pourront se faire
avec plus de sûreté. Que les prêtres eux-mêmes qui vont dans
les prisons célébrer le saint Sacrifice auprès des confesseurs,
n'y aillent que tour à tour, accompagnés chacun d'un diacre
seulement. Ce changement de personnes, et ces visiteur*
qui ne viennent que périodiquement et de loin en loin,
risquent moins d'être remarqués défavorablement. Nous de-
vons en effet nous montrer en toutes choses doux et humbles,
comme il convient à des serviteurs de Dieu, nous accommo-
der aux circonstances, prendre soin d'éviter tout ce qui pour-
rait troubler la paix, et établir de sages mesures dans l'intérêt
des fidèles.
Je désire, frères chéris et qui m'êtes si dévoués, que
vous vous portiez toujours bien, et que vous vous souve-
niez de moi. Saluez de ma part tous les fidèles. Recevez le
salut du diacre Victor, et desfidèlesqui sont avec moi. Adieu.

LETTRE IV.
AUX PRÊTRES E T A U X DIACRES*

C'est encore à sou clergé que s'adresse saint Cyprien, et l'objet de cette
lettre est à peu près le même que celui de la précédente. L'auteur, après
lui avoir eu commençant exposé en peu de mots les causes de sa re-
traite , le charge encore de le remplacer pendant son absence. 11 lui
parle de nouveau des soins à donner aux pauvres et aux confesseurs
échappés à la persécution. A ce propos il l'engage à leur recommander
l'humilité, une conduite régulière, l'obéissance aux prêtres et aux
diacres, .en un mot le respect d'eux-mêmes et du titre glorieux qu'ils
ont conquis.

CYPRIEN aux prêtres et aux diacres ses frères, salut;


I. J'avais désiré, mes très-chers frères, saluer dans cette
lettre notre clergé tout entier encore, et préservé de toute
chute ; mais, puisque la tempête cruelle qui a terrassé en
grande partie notre troupeau, a mis aussi le comble à notre
douleur en entraînant dans ses ravages une portion même
de la tribu sainte, nous demandons au Seigneur de pouvoir
;)Ô SELECT/S M Vf <:YPM.\?iI KP1ST0UK.

salutcm, quarum vobis a Tertullo iralre noslro diuiissimu


ratio reddetur : qui pro caetera sua cura qnam impensè divi-
nis operibus impertit, etiam hujusconsiliiauctorfuitut cau-
tus et moderatus existèrent nec me in conspectum publicum,
et maxime ejus loci ubi toties flagitatus et quœsitus fuissem*,
temerè committerem.
IL Fretus ergô et dilectione et religione vestra, quam satis
novi, his litteris ethortor et mando ut vos, quorum minime
illic invidiosa et non adeô periculosa praesentia est, vice meà
fungamini circa gerenda ea quae administratio religiosa de-
poscit. Habeatur intérim, quantum potest et quomodopotest,
2
pauperum cura, sed q u i tamen, inconcussà fuie stantes,
gregem Christi non reliquerunt, ut bis ad tolerandum penu-
riam sumptus per vestram diligentiam suggeratur, ne, quod
3
circa Mentes tempestas non fecit, circa laborantes néces-
sitas faciat.
4
III. Oonfessoribus etiam gloriosis impertiatur cura pro-
pensior. Et quanquam sciam plurimos ex his fratrum voto
et dilectione susceptos, tamen, si qui sunt qui vel vestitu vel
sumptu indigeant, sicut etiam pridem vobis scripseram cùm
adhuc essent in carcere constituti, subministrentur eis quae-
cumque sunt necessaria, modo ut sciant ex vobis et instruan-
tur et discant quid, secundùm Scripturarum magisterium,
ecclesiastica dissiplina deposcat : humiles et modestos et
quietos esse debere, ut honorem sui nominis servent; et,
qui gloriosi voce fuerunt, sint et moribus gloriosi; faciant se
dignos ut, in omnibus Dominum promerentes, ad cœlestem
coronam laudis su» consummatione perveniant.

1
Demandé par le peuple, pour être livré aux lions dans le cirque,
comme on le verra, lettre xxvm : Toties ad leonem petit us clamore
popularium ad leonem denuo postulatus in circo.
9
Sed qui tamen...., ellipse pour sed tamen eorum qui....
* Fidentes veut moins dire ici pleins de foi, que hardis, pleins de
courage. C'est dans ce sens que Gicéron dit : Fidenti animo gradiatur
ad mortem (Tuscul. qusest, lib.i); et Ammien Marcellin, livre xvn : JRo-
gatnvi suppliciter pacem, fidentes ad principes xenere conspectum,
eux, qui devaient demander la paix en suppliant, se présentèrent hardi-
ment devant le prince. Baluze qui adopte ce sens, cite à l'appui encore
plusieurs autres exemples.
4
Oonfessoribus, On appelle confesseurs les chrétiens qui ont rendu
témoignage à In foi devant les tribunaux.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 37
par la miséricorde divine, vous saluer dans l'avenir préservés
de tout péril, vous du moins dont nous connaissons la foi et
le courage inébranlables. Et, quoique je ne manque point de
motifs même pressants pour me rendre au plus tôt près de
vous, d'abord le désir ardent de vous revoir, désir dont la sa-
tisfaction serait le comble de mes vœux, puis le besoin de
traiter ensemble, dans un conseil nombreux, et décider en
parfaite connaissance de' cause des points d'utilité commune
qui concernent le gouvernement de l'Eglise; cependant j ' a i
cru préférable de me tenir encore dans la retraite et le repos,
en vue d'autres intérêts qui touchent à notre paix et à notre
salut à tous, et qui vous seront expliqués par notre très-cher
frère Tertullus. Lui-même, en raison du zèJe ardent dont il
se montre d'ailleurs animé pour le service divin, m'a donné
le conseil d'être prudent et modéré, de ne pas m'exposer
inconsidérément à la vue du public, et surtout dans des
lieux où j'ai tant de fois été demandé par le peuple, et
recherché par nos persécuteurs.
IL Comptant donc sur votre foi et votre religion qui me
sont bien connues, je vous exhorte et vous engage par cette
lettre, vous dont la présence à Carthage ne soulève aucune
haine, et ne vous fait par conséquent courir aucun danger,
de me remplacer dans l'accomplissement de tous les actes
que réclame l'administration ecclésiastique. Qu'on prenne
pendant ce temps, autant qu'on le peut et comme on le peut,
soin des pauvres, de ceux toutefois qui, restant inébran-
lables dans leur foi, n'ont pas abandonné le troupeau de
Jésus-Christ. Qu'à ceux-là, pour les aider à supporter leur
misère, des secours soient fournis par votre zèle : il ne faut
pas que ce que la tempête n'a pu faire sur leur courage, le
besoin le fasse sur leurs souffrances.
III. Quant à nos glorieux confesseurs, ils ont droit de
votre part à des soins et à un dévouement encore plus éten-
dus. Et, bien que je sache que beaucoup d'entr'eux ont été
recueillis par des frères avec toute l'ardeur de la charité la
plus empressée, cependant, s'il y en a quelques-uns qui
manquent de vêtements ou de quoi vivre, conformément
à ce que je vous ai écrit il y a longtemps, quand ils étaient
encore en prison, vous devrez leur fournir tout ce qui est
nécessaire à leurs besoins. Seulement, qu'ils entendent de
votre bouche, qu'ils apprennent et qu'ils sachent bien ce que,
suivant l«*s ense/guements de VKeriture, <*\ige la discipline
3
38 S E L E C T A S DIVI C Y P R I A N I EPISTOL/E

Plus enim superest quàm quod transactum videtur, cùm


scriptum sit : Ante mortem ne laudes hominem quemquam ». E
iterum : Esto fidelis usque ad mortem, et dabo tibi coronam
b
vitœ . Et Dominus quoquè dicat : Qui toleraverit usgue ad
0
finem, hic salvabitur . Imitentur Dominum, qui, sub ipso tem-
pore passionis, non superbior, sed humilior fuit. Tune enim
discipulorum suorum pedes lavit, dicens : Si ego lavi pedes
vestros magister et Dominus, et vos debetis aliorum pedes la-
vare. Bxemplum enim dedi vobis ut, sicut ego feci, et vos fa-
d
ciatis . Item Pauli apostoli documenta sectentur, qui, post
carceremsœpèrepetitum, post flagella, post bestias, circa om-
nia mitis et humilis perseveravit, nec post tertium cœlum et
paradisum quidquam sibi insolenter assumpsit, dicens : Neque
gratis panem munducavimus ab aliguo vestrâm, sed in îabore et
fatigatione nocte et die opérantes, ne quem vestrûm grava-
e
remus . Hsec singula, oro vos, insinuate fratribus nostris.
Et, quia is exaltabiturquisehumiliaverit, nuncestutmagis
insidiantem adversarium metuant, qui fortiorem quemque
magis aggreditur, et acrior factus hoc ipso quo victus est,
f
superantem superare conatur .

IV. Dominus faciat ut et ego iterum illos mature videre,


et salutari exhortatione componere mentes eorum ad ser-
vandam gloriam suam possim. Doleo enim quando audio
quosdam improbè et insolenter discurrere, et ad ineptias Vel
ad discordias vacare, Christi membra et jam Christum con-
fessa inquinari, nec à diaconis aut presbyleris régi posse, sed
id agere ut per paucorum pravos et malos mores multorum
et bonorum confessorum gloria honesta maculetur; quos
vereri debent ne, ipsorum testimonio et judicio condemnati,
ab eorum societate priventur. Is enim demum confessor
illustris et verus est de quo postmodum non erubescit Ec-
clesia, sed gloriatur.

B
• ECCTT. X I . «— APOC. e MALTH. X . — * JOAD. X M . •— « Il THESS.
M . — * L U C . XIV.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 39
ecclésiastique : ils doivent être humbles, modestes, amis
dé la paix, pour conserver l'honneur du titre qu'ils portent;
et puisque leur langage a été glorieux, que leur conduite
soit glorieuse aussi. Ils doivent se rendre dignes, méritant en
toutes choses les grâces du Seigneur, de parvenir par la con-
sommation de leur mérite, à la couronne céleste.
11 leur reste encore plus à faire, en effet, que cequ'ilsont fait
jusqu'ici; car il est écrit :Ne louez personne avant sa morf. Et
encore : Soyez fidèle jusqu'à la mort, et je vous donnerai la
couronne de vie. Et le Seigneur aussi dit : Celui qui sera cou-
rageux jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé. Imitons le Seigneur
qui, à la veiJle même de sa passion, ne fut pas plus orgueilleux,
mais au contraire plus humble. C'est alors en effet qu'il lava
les pieds de ses disciples, disant :$i je vous lave les pieds,
moi votre maître et votre Seigneur, vous aussi, vous devez laver
les pieds les autres. En effet, je vous ai donné l'exemple,
afin que vous fassiez comme fat fait. Qu'ils suivent aussi les
leçons de l'apôtre saint Paul, qui, après avoir été souvent
en prison, battu de verges, exposé aux bêtes, continua d'être
doux et humble en toutes choses, et après avoir été ravi au
troisième ciel et avoir vu les joies du paradis, ne se mon-
tra plus arrogant en aucune sorte, et disait : Nous n'avons
mangé gratuitement le pain d*aucun de vous, mais, suppor-
tant la peine et la fatigue, nous avons travaillé jour et nuit,
pour n êlre à charge à personne. Insinuez, je vous en prie,
chacun de ces enseignements à nos frères. Et comme celui-là
sera élevé qui se sera abaissé, ils ont plus à craindre mainte-
nant les embûches de l'ennemi, qui attaque de préférence
les plus courageux; et, devenu plus ardent par cela même
qu'il a été vaincu, il s'efforce de terrasser son vainqueur.
IV. Fasse le Seigneur que je puisse bientôt les revoir, et,
par de salutaires exhortations, disposer leurs âmes à con-
server leur gloire! Je gémis, en effet, quand j'entends dire
que quelques-uns d'entre eux courent de tous côtés, portant
partout leur indiscipline et leur insolence, et perdant leur
temps en sottises et en disputes; que des membres de Jésus-
Christ , et qui l'ont déjà confessé, se salissent honteuse-
sèment ; qu'ils ne veulent pas se laisser diriger par les prê-
tres ou les diacres, mais se conduisent de telle sorte que
les mœurs déréglées et corrompues d'un petit nombre sont
une tache à la gloire éclatante d'un grand nombre de bons
confesseurs, pour lesquels ils devraient avoir un respect
40 SBLECTJS DIVI CVPRIANI EPISTOMS.
V. Àd id verô quod scripserunt mihi compresbyteri nostri
Donatus et Fortunatus, Novatus et Gordius, solus rescribere
nihil potui, quando a primordio episcopatCts mei statuerim
nihil sine consilio vestro et sine consensu plebis, meà pri-.
vatim sententià gerere. Sed ciun ad vos per Dei gratiam ve-
nero, tune de iisquse vel gesta sunt vel gerenda, sicutbonor
mutuus poscit, in commune tractabimus.
Opto vos fratres charissimi ac desiderantissimi, semper
y

bene valere et met meminisse. Fra ternitatem quae vobiscum


est multùm à me salutate, et ut nostri meininerit admonete.
Vaiete.

EPISTOFA V.
AD ROGÀTIÀNUM PRESBYTERE ET C2ETER0S CONFESSORES.

Éloge des bous confesseurs de la foi : reproches que méritent ceux qui
(émissent la gloire de leur confession par une conduite blâmable.

CYPRIANDS Rogatiano presbytero et caeteris confessoribus


fratribus salutem.
I. Et jam pridem vobis, fratres charissimi ac fortissîmi,
litteras miseram, quibus fidei et virtuti vestree verbis exsul-
tantibus gratularer, et nunc non aliud in primis vox nostra
complectitur, quàm ut laeto animo fréquenter ac semper
gloriam vestri nominis praedicemus. Quid enim vel majus
in votis meis potest esse vel melius, quàm cùm video con-
fessionis vestrae honore illuminatum gregem Christi? Nam,
cùm gaudere in hoc omnes fratres oporteat, tum in gaudio
communi major est episcopi portio. Ecclesiœ enim gloria
praepositi gloria est. Quantum dolemus ex illis quos teni-
pestas inimica prostravit, tantùm lœtamur ex vobis. quos
diaboius superare non potiiil»
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 41
mêlé de crainte. En effet, ceux-ci pourraient bien un jour
les accabler de leur témoignage et de leur jugement, et les
bannir de leur société. Celui-là seul, dans la réalité, est un
illustre et vrai confesseur, de qui, par la suite, l'Eglise n'a
pas à rougir, mais à se glorifier.
V. Quant à ce que nous ont écrit nos collègues dans le sa-
cerdoce, Donat, Fortunat, Novat etCordius, seul je n'ai pu
rieo y répondre, parce que, dès le commencement de mon
épiscopat, j'ai pris pour règle de ne rien faire sans votre
conseil, et sans l'assentiment des fidèles, et rie suivant que
mon propre sentiment. Mais quand, par la grâce de Dieu, je
serai retourné près de vous, alors nous traiterons en commun
et des mesures prises, et de celles qui sont à prendre, avec tous
les égards que commande, de part et d'autre, notre dignité.
Je vous souhaite, frères très-chers et très-dévoués, que
vous vous portiez toujours bien, et que vous vous souve-
niez de moi. Présentez bien mes saluts aux frères qui sont
près de vous, et priez-les de se souvenir de moi. Adieu;

LETTRE V.
AU PRÊTRE ROGATIEN ET AUX AUTRES CONFESSEURS*

Après quelques éloges à Rogatieu et aux autres confesseurs, saint Cy-


prien les exhorte à observer la discipline. Us ne doivent pas, après que
leur voix a confessé Jésus-Christ, sembler le renier par leurs œuvres. I l
réprimande en passant quelques-uns d'entre eux qui, exilés pour la foi
ne rentrent dans leur patrie que pour y donner l'exemple du désordre,
et se faire arrêter et punir non plus comme chrétiens, mais comme
criminels. C'est à cela que l'auteur fait allusion quand il dit: Extor-
nous, quando oportuit, non défait objurgation

CYPRIEN au prêtre Rogatien et aux autres confesseurs.


I. Non-seulement il y a longtemps que je vous ai écrit,
mes chers et généreux frères, pour vous féliciter, avec l'or-
gueil du triomphe, de votre foi et de votre courage, mais
maintenant encore l'objet important, l'objet unique auquel
je consacre ma voix, c'est de célébrer avec joie, fréquem-
ment et toujours, la gloire de votre nom. Que pourrais-je,
en eflfet, désirer de plus intéressant ou de plus doux, que de
voir, comme je le vois, le troupeau de Jésus-Christ illustré par
Phonneur de votre confession? Si ce doit être, en effet, pour
42 SELECTE DIVJ CYPHIANI KP1BT0L*.
11. Hortanmr tamen per communem fidem, par pectoris
nostri veram circa vos et simplicem eharitatem, ut, qui ad-
versarium prina Lâc congressione Yicistis, gloriam vcstram
forli etperso eranti virfcuté teiteatis. Adhuc in saeculo sumus,
adhuc in acie constituti, de vita nostra quotidie dimicamus *.
Danda opéra est ut post liœc initia ad incrementa * quoquè
veniatnr, et consummetur in vobis quod jam rudimentis feli-
cibus esse cœpistis. Parum est adipisci aliquid potuisse. Plus
3
est, qupd adeptus es, possc servare ; sicut et fides ipsa et
nativitas saiutaris, non accepta, sed custodita, vivificat. Nec
statim consecutio, sed consummatio, bominem Deo servat.
Dominas hoc magisterio suo docuit dicens : Ecce tonus faclus
a
es, jam noli peecare, ne quid tibi détenus fiât . Puta hoc
illum et confessori suo dicere : Ecce confessor factus es, jam
noli peecare, ne quid tibi deterius fiât. Salomon denique et
Saûl et cseteri multi, quamdiu in viis Domini ambulaverunt,
datam sibi gratiain tenere potuerunl. Recedente ab iis disci-
plina dominicà, récessif et gratia.
III. Perseverandum nobis est in arcto et in angusto itineré
laudis et gloriœ; et, cùm quies et humilitas et bonorutn mo-
rum tranquillitas Christianis omnibus congruat, secuudùm
Domini vooem, qui nemincm alium respicit nisi humilem et
b
quietum et trementem sermones suos , tum magis hoc ob-
servais et implore coufessorcs oportefc, qui exemplum facti
estis cœtem fratribus, ad quorum mores omnium vita et
actus debeat provocari. Nam sicut Judaei a Deo alienati sunt,
propter quos nomen Dei blasphematur in gentibus, ita contra
Deo chari sunt per quorum disciplinam * nomen Domini lau-
dabili testimonio praedicatur, sicut scriptum est Domino prœ-
4
Des interprètes ont cru à tort qu'il s'aglssat ici fie la vie éternelle,
pour laquelle le chrétien combat chaque jour les tentations. De vitd di-
micare est pris ici dans son sens propre et uaud, être en danger, cou-
rir le risque d'être exposé à perdre la vie. la môme vérité qu'ex-
prime saint Jérôme dans .sa Icthv à Rustique : Nihil Christiano labo-
riosius, qui de vita quotidie periclitatur*
8
Sous-entendu virlutis ou gloriœ.
5
Ovide :
Non iiiioor est rirtus quàm quœrcre parla tucri**
Marc Antoine (Oraison fuuèbre de Jules César, chez Dion, livre xuv)
dit aussi qu'il est plus difiieile de conserver que d'acquérir.
4
Conduite, régularité.
b
* Joan. v. — 1s. vxvu
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 43
tous les frères un sujet de joie, dans cette joie commune
l'évèque a la plus large part : la gloire de l'Église fait la
gloire de son chef. Autant nous cause de douleur la chute
de ceux que la tempête cruelle a terrassés, autant vous nous
causez de joie, vous que le démon n'a pu vaincre.
II. Voici cependant une exhortation que nous vous adres-
sons au nom de la foi qui nous est commune, au nom de
la vraie et franche affection que nous ressentons pour vous :
vous qui , dans cette première rencontre, avez vaincu l'en-
nemi, conservez votre gloire avec un courage fort et persé-
vérant. Nous sommes encore dans le siècle, nous sommes
en état de guerre, chaque jour nous avons notre vie à dé-
fendre. Après un tel début, vous devez faire en sorte de
grandir encore, et d'achever noblement cette tâche que vos
premiers essais ont si heureusement commencée. C'est peu
d'avoir pu acquérir quelque bien; ce qui est plus, c'est de
savoir conserver ce que Ton a acquis; comme ce qui vivifie,
ce n'est pas d'avoir reçu, mais de bien garder la foi elle-
même et la salutaire régénération du baptême. C'est ce que
nous enseigne le Seigneur en ses leçons, quand il dit : Voilà
que vous êtes guéri; ne péchez plus, de peur d'une rechute pire
que votre premier mat. Imagmez qu'il dit de même à l'un
de ceux qui ont confessé son nom : Voilà que vous êtes con-
fesseur, ne péchez plus,-de crainte de déchoir au-dessous
même de ce que vous étiez avant votre confession. Salo-
mon enfin et Saûl, et une foule d'autres, tant qu'ils ont
marché dans les voies du Seigneur, ont pu conserver la
grâce qu'ils avaient reçue. Quand ils perdirent l'obéissance
aux lois du Seigneur, ils perdirent la grâce en même temps.
III. Il nous faut persévérer, dans l'étroit et difficile che-
min du mérite et de la gloire, et si l'esprit de paix, l'hu-
milité, et de bonnes et tranquilles mœurs, conviennent à
tous les chrétiens, selon le mot du Seigneur, qui ne consi-
dère que les humbles, les hommes de paix, et ceux qui crai-
gnent sa parole, à plus forte raison devez-vous observer
et accomplir ce précepte, vous confesseurs, qui êtes deve-
nus l'exemple de vos frères, et dont les mains doivent ser-
vir de modèle à la vie et aux actions de tous. En effet,
comme Dieu a pris en aversion les Juifs, qui sont cause que
son nom est blasphémé parmi les nations, de même il
chérit ceux dont la conduite rend au nom du Seigneur un
honorable et éclatant témoignage; comme il est écrit (c'est
SJÊLECT/E J)1VI CYPR1AN1 EPiSTOJLK.
nionente et dicente : Luceat lumen vestrum coram hominibw,
ut videant opéra vestra bma, et ctorificent Pat rem vestrum
qui in cœlis est \ Et Paulus apostolus dicit : Lvcete sicut lu-
b
minaria in mundo . Et Petrus simili ter horlatur : Sicut hos-
piteSy inquit, et peregrini abstinete vos a carnalibus deside-
?

riis, quœ militant auver&ùsommam, eonversaiionem Aabénies


inter gentiles bonam, ut, dum detrectant de vobis quasi de
mùlignis, bona opéra vestra aspicimtes iwupiificent Domi-
c
nwn . Quod quidem maxima pars vestrum eiim meo gaudio
curât, et, confessionis ipsius honore melior fada, tranquillis
et bonis moribus gloriam suamcuslodit et servat,
IV. Sed quosdam audioinficere numemm vestrum, et lau-
dem prascipui nominis pravà suâ conversatione destruere :
quos etiam vos ipsi, ut pote amatores et conservatores laudis
vestrae, objurgare et compriraere et emendare debetis. Ciun
quanto enim nominis vestri pudore delinquitur, quando ali-
quis temulentus et lasciviens demoratur alius in eampa-
8
triam unde extorris factus est regreditur, ut, apprehensus ,
non jam quasi Chiïstianus, sed quasi nocens percat ! Infiari
aliquos et tumere audio, cùm scriptum sit ; Noli altum
sapere, sed iime. Si enim Dominus naluralibxts ramis non
d
pepercit, ne forte nec tibi parcat * Dominus noster sicut ovis
ad victimam ductus est, et, sicut agnus coram tondente se
sine voce, sic non aperuit os suum. Non sum, inquit, con-
tumax, neque contradico* fiorsum meum posui ad flagella,
e
etmaxillas meas adpalmas . Faciem autem meam non averti

1
Au lîea de demoratur, très-bon en regard de regreditur du mem-
bre de phrase suivant, un manuscrit du Vatican donne, et plusieurs
savants adoptent denotatur qui serait bon aussi. Un critique pense que
demoratur est non pas pour moratur, signifiant reste, demeure (parmi
vous), mais pour moralur (du grec AWFOÇ), signifiant est fou, insensé.
Ne pourrait-on pas dire de l'auteur de cette interprétation : Moralur
certè t'tr alioqui doctissimus ?
a
Qwelques anciens manuscrits et plusieurs éditions donnent ut de-
prehenms, moins bon, mais très-intelligible, et signifiant pris sur le
fait, surpris en commettant quelque crime* — D'autres manuscrits don-
nent undè opprehevsus, ce qui voudrait dire : et arrêté pour cela,
c'est-à-dire pour être rentré dans sa patrie. Ce n'est pas assurément
ce crime que saint Cyprien veut reprocher aux indignes confiseurs qui

* Matth. Y. — i> Philip. — IVctr. il — <* Rom xu — « 1s, LUI.


LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 45
le Seigneur qui nous a instruit et qui dit) : Que votre lu-
mière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonne
œuvres, et qu'ils glorifient votre Père qui est aux deux. Et
l'apôtre saint Paul dit : Brillez comme des flambleavx dans
le monde. Et dans le même sens, saint Pierre nous exhorte
en ces termes : Comme des étrangers, dit-il, et des voya-
geurs, éloignez-vous des désirs cliarnels qui font la guerre
à Famé, tenant au milieu des gentils une conduite irrépro-
chable, afin qu'au lieu de dire du mal de votis comme des mé-
chants, voyant au contraire vos bonnes oeuvres, ils glorifie
le Seigneur. Ces préceptes, la plupart d'entre vous, à ma
grande joie, les ont pris pour règles, et, devenus meilleurs
par l'honneur même attaché au titre de confesseur, ont fait
de la tranquillité et de la pureté de leurs mœurs la sauve-
garde et la protection de leur gloire.
IV. Mais j'apprends que quelques-uns déshonorent votre
société, et ternissent, par leur conduite déréglée, l'éclat
d'un titre précieux. C'est à vous-mêmes, comme amants et
conservateurs de votre gloire, de les gourmander, de les
réprimer et de les corriger. Quelle honte, en effet, pour
votre nom, quand on voit parmi vous un ivrogne ou un dé-
bauché! quand un autre, de retour dans une patrie d'où il
avait été banni, s'y fait arrêter, puis mettre au supplice, non
plus comme chrétien, mais comme criminel* 11 y en a
parmi vous, me dit-on, qui sont pleins d'orgueil et d'arro-
gance, quand il est écrit : N'ayez pas de hautes pensées; crai-
gnez an contraire. Car si le Seigneur na pas épargné les
branches naturelles, il pourrait bien ne pas vous épargner
non plus. Notre Seigneur a été conduit comme une brebis
au sacrifice, et comme un agneau sans voix devant celui qui
le tond, il n'a pas non plus ouvert la bouche. Je ne suis pas
rebelle, dit-il, et je ne contredis pas. Tai exposé mon dos
aux coups de fouet, et mes joues aux soufflets. Et devant
l'indignité des crachats, je n'ai point détourné ma face. Et

déshonoraient avec leur titre glorieux le nom chrétien lui-môme. RuÛn


(Hist. ecelés., livre v, ch. 8) cite un soi-disant martyr, condamné parle
proconsul d^Êphèse, non propter nomen Christi, sed propter quœdam
latrocinia. Aussi saint Paul, dans sa première Epitre, ch. iv, fait-il aux
fidèles la recommandation suivante : Née quisquam vestrûm tanquam
fur aut homicida patialur, aut tanquam maieficus, sedjtanquam Chris*
tianus.
3.
40 S E L E C T E D1V1 C Y P R U N I E P I S T O L J E
a
a fœditate sputorum . Et quisquam per ipsum nunc atque
in ipso vivens extollere se audet et superbire, immemor et
factorum qu» ille gessit et mandatorum quœ nobis vel per se
h
vel per Àpostolos suos tradidit ! Quôd si non est major do-
mino suoservus, qui Dominum sequuntur, bumiles etquieti
et taciturni vestigia ejus hnitentur, quando quisque inferior
fuerit, sublimior fiât *, dicenle Domino : Qui minhnus fuerit
b
in vobis, hic erit magnvs .
V. Quid deinde illud ? quàm vobis exsecrandum débet vi-
deri ! quôd cum summo animi nostri gemitu et dolore cogno-
vimus non déesse qui Dei tenipla, et post confcssionem
sanetificata et illustrata, membra plus maculent quando hoc
grande crimen est quôd, iilorum scandalo inaliorum minas
exempla nascuntur.

VI. Contentiones quoquè et œmulationes inter vos nullas


esse oportet, cùm pacem suam nobis dimiserit Donainus, et
scriplum sit: Dtligesproximum tuumtanquam te*. Siautem
mordetis etincusalis inoicem, videte ne consumamini ad invi-
cem °. A conviciis etiam et maledietis, quaeso, vos abstinete :
quia neque maledici regnum Dei eonsequuntur, et lingua quaa
Christum confessa est, incolumis et pura cum suo honore ser-
vanda est; nam qui pacifica et bona et justa secundùm pra>
ceptum Christi loquitur, Christum quotidie confitetur. Sasculo
renuntiaveramus ctimbaptizati sumus; sed nunc verè renun-
tiavimus saeculo quando tentati et probati à Deo, nostra omnia
relinquentes, Dominum secuti sumus, et fide ac timoré ejus
stamusetvivimus. Corroboremus nos exhortationibus mutuis,
et magis ac magls proliciamus in Domino; ut, ciim pro sua
8
misericordia pacem fecerit, quam se facturant repromittit ,
novi et penè mutati ad ecclesiam revertamur, et excipiant nos
sive fratres nostri sive gentiles, circa omnia correctos at-
que in melius reformates, et qui admirati fuerant priùs
in virtutibus gloriam, nunc admirentur in moribus disci-
plinant).

1
Pour QUÔ quisque inferior fuerit, EÔ sublimior fiât.
* Saint Cyprien avait appris dans une vision que lu paix serait bientôt
rendue à l'Eglise : ce qui eut lieu en 256.
b
* J * . h, ~ \ Joan. xm, xv. — * Luc, ix. — * Gal._v. — ^1 Cor. vi.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 47
maintenant quelqu'un do ceux qui vivent par lui et en lui,
oserait s'exalter et s'enorgueillir, oubliant et ce qu'a fait
notre divin Maître, et les instructions qu'il nous a données,
soit par lui-même, soit par ses Apôtres î Si le serviteur n'est
pas plus grand que le maître, que ceux qui suivent le Sei-
gneur marchent sur ses traces, humbles, paisibles et silen-
cieux comme lui, puisque plus quelqu'un s'abaissera, plus
il sera élevé; le Seigneur ne dit-il pas : Celui qui sera le
plus petit, c'est celui-là qui deviendra grand?
V. Puis qu'est-ce encore? et que ceci doit vous paraître
abominable! Quoi (ici mes gémissements redoublent, et ma
douleur est à son comble) 1 quoi! il en est, ajoute-t-on, qui
souillent d'une manière plus infâme encore des temples
de Dieu, des membres que la confession a sanctifiés et en-
noblis. N'est-ce pas un crime énorme, que le scandale qu'ils
donnent fournisse des exemples pour la perte d'autrui?
VI. Il ne doit y avoir non plus entre vous ni luttes ni
rivalités, puisque le Seigneur nous a envoyé sa paix, et
qu'il est écrit : Vous aimerez votre prochain comme vous-
même. Mais si vous votes déchires et vous accusez les uns les
autres, prenez garde de vous détruire aussi les uns les au-
tres. Abstenez-vous de même, je vous en conjure, des dis-
putes et des médisances, parce que, d'une part, les mé-
disants n'obtiennent point le royaume de Dieu, et que, d'un
autre côté, une langue qui a confessé le Christ doit se con-
server pure et sans tache avec tout son honneur; car celui
qui, selon le précepte du Sauveur, ne fait entendre que des
paroles de paix, de bonté et de justice, confesse Jésus-Christ
tous les jours. Nous avions renoncé au siècle lors de notre
baptême, mais nous n'y avons véritablement renoncé que
quand, essayés et éprouvés par Dieu, laissant là tous nos
biens, nous nous mettons à suivre le Seigneur, et que nous
existons et vivons dans sa foi et la crainte de son nom. For-
tifions-nous par de mutuelles exhortations, et profitons de
plus en plus dans le Seigneur, afin que, lorsque, dans sa
miséricorde, il nous aura donné la paix, comme il promet de
le faire, nous revenions à son Église renouvelés et entiè-
rement changes, et qu'en nous accueillant, soit les gentils,
soit nos frères nous trouvent en tout corrigés et améliorés,
et que ceux qui auparavant avaient admiré la gloire de
notre courage, admirent maintenant la régularité de nos
mœurs.
48 SKLEUTiK JLUVI CYPU1AW KPISTOLitt.
VII. Et, quanquam clero nostro et nuper, cùm adliue essetis
in carcere constituti, sed nunc quoquè denuo plenissimè
scripserimu& si quid vel ad vestitum Vestrum vel ad victum
necessarium iuerit suggeratur, tamen etiam ipse, de sumpti-
1
culis propriis quos mecum ferebam, misi vobis CCL *, sea et

1
De sumpticnlis propriis. Quelquefois saint Cyprien, pour indi-
quer la source de ses pieuses libéralités, emploie celte autre expression,
de quantitate propria. Baluze les regarde tontes deux comme synonymes
et croit qu'il s'agit, dans les deux cas, non pas de la part de saint C y -
prien dans les biens de l'Église, mais des revenus ou du capital de biens
appartenant personnellement à saint Cyprien, et duit il <vt Tait menlion
dan* ses lettres et dans sa vie par Pondus, notamment de jardins que le
saint évéque vendit peu de temps après dire devenu chrétien. Sur ce,
nous ferons remarquer que si l'Église n'avait pas de biens, ce qui ne
nous paraît pas prouvé, ni par conséquent de revenus, ses ministres
recevaient mensuellement de la charité des (idoles une allocation pro-
portionnée à leur rang ecclésiastique; or, l'argent provenant de cette
allocation pouvait tout aussi bien s'appeler sumpticnli, c'est-à-dire
moyens de subsistance, que les revenus de propriétés. Quand saint C y -
prien dit : quantilas propria, nous croyons, contrairement à l'opinion
de Baluze, qu'il s'agit, non pas de revenus de bien?, mais de la quotité
attribuée à revenue dans la distribution mensuelle dont nous avons
parlé. Voyez la page , note , où le mot quantitas a formellement
celte signification.
9
?50,000 sesterces. Le sesterce valant 20 centimes, c'est une somme
de 50,000 fr. L'unité de compte, pour les sommes un peu importantes»
était le sesterce, sestertius, comme qui dirait semi-tertius (-ous-entendu
as), c'est-à-dire deux as et demi, ou vingt centimes de notre monnaie,
suivant l'évaluation de M. Letronne, et le savant traité de métrique an-
cienne de 31. Saigcy. Ainsi, vingt, trente, cent, deux cents, six cents
sesterces, se disaient vigÀnïi, triginta, centum, ducenti sexcenti sester-
t

tiL Au nombre mille, renonciation changeait : au lieu de dire mille ses-


tertH, on disait : mille sestertiûm (génit. plur. pour sesterliorum), un
millier do sesterces, que l'on écrivait abréviativement ainsi HM. Dans
cet H représentant le sesterce (2 as if 2), et composé de trois lignes, les
deux perpendiculaires représentent deux L , c'est-à-dire deux livres ou
as (l'as pesait originairement une livre de cuivre), et la ligne ou barre
transversale représentait une demi-livreo i 1$2 as, en tout, 2 as i j î ou
un sesterce. De même, jusqu'à c.nt mille, chaque millier représentait
une unité supérieure, et, pour dire deux, vingt, cinquante iniiir ses-
terces, on disait sestertiûm rÂginti ou triginta, ou quinquaginta miVia,
c'est-à-dire vingt, trente, cinquante milliers de sesterces, que l'on écri-
vait abréviativement UXX, ou H X X X , ou HL. Souvent on omettait le II
indiquais, les ec&tercet comme nou* le voyons ici où 250,000 sesterces
LETTRES CHOISIES D E S A I N T C Y P R I E N . 49

Vil. Bien qu'il y a quelque temps, lorsque vous étiez en-


core en prison, et de nouveau tout récemment encore, j'aie
écrit à notre clergé, alin que Ton vous fournit tout ce qui
pouvait vous manquer de nécessaire, soit pour le vêtement,
soit pour la nourriture, cependant, moi-même, sur l'épar-
gne personnelle que j'avais emportée avec moi, je vous
envoie deux cent cinquante raille sesterces, outre deux cent

sont indiqués par le simple chiffre C C L et 175,000 par le chiffre CLXXV.


f

Au nombre de cent mille, le système dénonciation changeait encore*,


on disait sestertiûm centena milita, et chaque centaine de mille ses-
terces formait une unité nouvelle d'un ordre supérieur. Ainsi 200,000,
300,000, 400,000 sesterces s'énonçaient sestertiûm bis ou ter ou quater
ceniena milita. Un million, deux, trois, quatre, dix millions de settrrecs
s'énonçaient sestertiûm tlecies, ou vicies, ou trigies, ou quadragies, ou
centies centena milita. Souvent on supprimait le mot sestertiûm et
même les mots centena milita, et Ton n'écrivait que les adverbes de-
cies, vicies, etc. Ainsi pour dire : César a dépensé trois millions de
sesterces (600,000 fr.) en un repas, on disait : Cœsar cœnavit tricies.
Maintenant pour distinguer, en écrivant, ces dix, vingt, trente unités de
centaines de mille, on surmontait d'une ligne horizontale le chiffre de
ces unités supérieures. Ainsi 30,000 sesterces s'écrivaient HXXX, on sim-
plement X X X , et trois millions (ou trente cent mille sesterces) s'écri-
vaient HXXX, ou simplement XXX. Cent millions de sesterces (ou 1,000
fois 100,000) se seraient énoncés sestertiûm milites, et se seraient écrits
HM OU simplement M*. Deux, trois cents millions de sesterces, bis ou ter
millies sestertiûm^ etc.
Comme les poètes n'eussent pu faire entrer dans un vers hexamètre
les cas indirects de sestertius et notamment le génitif pluriel sester-
tiûm, ils imaginèrent d'appeler chaque millier de sesterces du nom
neutre sestertiûm, ii, dont le pluriel sestertia entre dans un vers
hexamètre avec la plus grande facilité. Ainsi Juvénal, satire première,
dit;
• • • • • sirapîcxne furor sesterlia centum
Pcrdereî
Et dans la quatrième :
. . . . . mullum set millibus omit,
^îquanfem sanc paribus sestertia libris.
Dans le premier cas il s'agit de cent mille sesterces, et dans le second
de six mille. Mais remarquons bien, ainsi que le fait Facciolati au mot
sestertius, que ce neutre sestertiûm, ii, pluriel sestertia, que Ton a quel-
quefois appelé grand sesterce, est un mot purement poétique, et (quoi
qu'en aient dit certains critiques) n'est jamais employé par les pro-
sateurs.
50 S E L E C T / E D M CYPIUANl EP1ST0L2.

alia CCL proximc miseraïu. Victor quoquè ex leetore diaeo-


conus, qui mecum est, misit vobis C L X X V . Gaudeo autem
quando cognosco plurhnos fratres nostros pro sua diicctione
ccrtatimconcurrere, et nécessitâtes vestras suis coilationibus
adjuvare.
Oplo vos, fratres cbarissimi, semperbeno valere et nostri
mcminisse.

EPISTOIA VL
1
AJ> CLEROM DE PREGANDO D E O .

Péchés causes dos maux : visions de S . Cyprien au sujet de la prière.

GYPRUKGS presbyteris et diaconibus fratribus salutem.


f. Quanquam sciam, fratres cbarissimi, pro timoré quem
singuli debemus Deo, vos quoquè illic assiduis orationibus
et enixis precibus instanter incumbere, admoneo tamen et
ipse religiosam sollicitudinem vestram ut ad placandum at-
que exorandum Dominum, non voce solà, sed et jejuniis et
laciymis et omni génère deprecationis ingemiscamus. Intel-
ligendum est enim et confitendum pressura* istius tam turbi-
dam vastitatem, quee gregem nostrum maxima ex parte po-
pulatacstet adbucusquepopulatur, secundùm peccata nos-
tra venisse, dum viam Domini non tenemus, nec data nobis
ad salutem cœlestia mandata servamus. Fecit Dominus nos-
ter voluntatem Patris, et nos non facimus Domini volunta-
tem, patrimonio et lucro studentes, superbiam sectantes,
œmulationi et dissensioni vacantes, simplicitatis et fidei né-
gligentes, saeculo verbis solis et non factis renuntiantes, unus-
quisque sibi placentes, et omnibus displicentes. Yapulamus

1
Ces mots de precando Deo, qui ne se trouvent pas dans quelques ma-
nuscrits, avaient été supprimés pur des éditeurs, contre l'uulorité de la
plupart des anciens manuscrits cl des premières éditions de saint Cy-
prien, qui les donnent, et contre l'autorité de saint Augustin qui cite dans
son entier le titre de cette lettre, livre iv, ebap. 2 de son traité du Bap*
téme contra lesDoaatistcs,
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPIUtN, 51
cinquante mille autres que je vous ai envoyés il n'y a pas
longtemps. Victor, promu du lectorat au diaconat,.qui est
a
avec moi, vous en envoie aussi cent soixante-quinze m ille .
Je prends toutefois plaisir à entendre qu'un grand nombre
de frères, guidés par la ebarité, s'élancent à l'envi dans la
même voie, et unissent leurs dons volontaires pour soula-
ger vos besoins.
Je souhaite, mes très-chers frères, que vous vous portiez
totyours bien, et que vous vous souveniez de moi.

LETTRE VI.
A SON CLERGÉ, SUR LA PRIERE*
Exhortation à prier continuellement, à geroir et à supplier le Seigneur,
pour fléchir sa colère excitée par nos péchés. Ce sout ces péchés qui
sont cause d«s persécutions présentas. I l (aut que, pour être efficace
la prière soit unanime, que les iidcles prient tous ensemble et dans
l'intérêt de tous. Vœux pour la paix, le bonheur et la gloire de
l'Eglise.

CYPRIEN aux: prêtres et aux diacres ses frères, salut.


h Bien que je sache, mes très-chers frères, qu'en vertu de
la crainte de Dieu, dont nous devons tous être remplis, vous
vous livrez, dans les lieux où vous êtes, assidûment, con-
stamment et avec ardeur à l'oraison et à la prière, je m'a-
dresse encore à votre zèle pieux, et je vous avertis que ce
n'est pas seulement la voix, mais les jeûnes, mais les
larmes et toute espèce de supplications, qui doivent expri-
mer notre douleur. Il faut, en effet, comprendre et avouer
que cette furieuse et vaste persécution, qui a ravagé en
grande partie et ravage encore notre troupeau, est venue à
la suite do nos péchés, attendu que nous ne suivons pas la
voie du Soigneur, et que nous n'observons pas les célestes
préceptes qui nous ont été donnés pour notre salut. Notre
Seigneur a fait la volonté de son Père, et nous ne faisons
pas la volonté du Seigneur, appliqués à acquérir des biens
et de l'argent; livrés à l'orgueil, occupés de rivalités et de
dissensions, méprisant la simplicité et la foi, renonçant an

* 175,000 sesterces,ou 35,000 îr.


52 8ELKGT/R DIVt GYPUIANI EPISTOLiE.
itaque ut nieremur, cùm seriptum sit : Servus autem ille qui
cognoscit voluntatem domini sut, et nonparuerit voluntati ejus,
vapulabit multis \
Quas autem plagas, quae verbera non meremur, quando
nec confessores, qui exemplo cœteris ad bonos mores esse
debuerant, teneant disciplinam? Itaque, dum quosdam in
solenter extollit confessionis suae tumida et inverecunda
jactatio, tormenta renerunt, et tormenta sine fine tortoris,
sine exitu damnationis, sine solatio mortis, tormenta quœ
ad coronam non facile dimittant, sed tamdiu torqueant
quamdiudejiciant; nisi si aliquis, divinâ dignatione subtrac-
tus, inter ipsa cruciamenta profecerit, adeptus gloriam non
termino supplicii, sed velocitate moriendi. Haec patimur de-
licto et merito nostro, sicut prœmonuit divina censura, di-
cens : Si dereliquerint legem meam et in judiciis meis
non ambulavcrint, si justificatives meas profanaverint et
prœcepta mea non observaverint, visitabo tn virga facinora
b
eorum et in flagellis delicta eorum . Virgas igitur et flagella
sentimus, qui Deo nec bonis factis placemus, nec pro pecca-
tis satisfacimiis.
ÏI. Rogemus de intimo corde et de tota mente misericor-
diam Dei, quia et ipse addidit dicens : Misericordiam autem
c
meam non cfispergam où eis . Petamus, et accipicmus; et,
si accipiendi mora et tarditas fuerit, quoniam graviter offen-
dimus, pulsemus ; quia et pulsanti aperietur, si modà pui-
sent ostium preces, gemitus et lacrymœ nostrae, quibus in-
sistcre et immorari oportet, et si sit unanimis oratio. Nam
quod magis suasit et compulit ut bas ad vos litteras scribe-
rem, scire debetis (sicut Dominus ostendere et revelare di-
d
gnatus est) dictum esse in visione : Petite, et impetratis ,
tune deinde prœceptum plebi assistenti ut pro quibusdam per-
sonis designatis sibi peterent, in petendo autem fuisse disso-
nas voces et dispares voluntates, et vehementer hoc displi-
cuisse illi qui dixerat : Petite, et impetratis, quôd plebis
inaequalitas discreparet, nec esset fratrum consensio una et
simplex et juncta concordia, cùm scriptum sit : Deus qui
e
inhabitare facit unanimes in domo ; et in Actis Apostolorum
legamus : Turba autem eorum qui crediderant, anima ac

* L u c xn. — * Psal. LXXXVJII,


c
— Ibid. — d
Mallli. vu $ Luc. %u —
* Psal. LXVU.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 53
siècle en pailles'seulement, et non de fait, nous plaisant
chacun à nous-mêmes, et déplaisant à tous. Aussi sommes»
nous frappés comme nous le méritons; car il est écrit : Le
serviteur qui connaît ta volonté de son maître et ne s'y con-
formera pas sera rudement châtié.
y

Or, quels châtiments, quels coups ne méritons-nous pas,


quand les confesseurs eux-mêmes, qui, pour les bonnes
mœurs, devraient être l'exemple des autres, n'observent pas
eux-mêmes la discipline! Aussi tandis que quelques-uns,
pleins d'insolence et comme bouffis d'orgueil à la suite de
leur confession, se livrent à une jactance qui ne connaît point
de retenue, les tourments sont venus, et des tourments où les
bourreaux ni ne manquent ni ne se lassent, qui n'ont ni une
condamnation pour terme, ni la mort pour consolation, tour-
ments qui ne vous envoient pas promptement recevoir la cou-
ronne, mais qui torturent jusqu'à ce qu'ils abattent, à moins
qu'une victime, soustraite à leur violence par la grâce divine,
n'aille en avant au milieu même des tortures, et ne doive la
gloire inoins à lafinde son supplice qu'à la promptitude de sa
mort. Voilà ce que nous souffrons par notre faute, et nous
le méritons bien, comme Ta enseigné d'avance le Seigneur en
vue de nous corriger, quand il dit : SHls abandonnent ma loi,
9
et qu'Us ne marchent pas dans mes jugements, s Us profa-
nent mes justifications et n'observent pas nus préceptes, je vi-
siterai leurs forfaits la verge à la main, et leurs crimes le
fouet à la main. Ces verges donc et ce fouet, nous les sen-
tons, parce que nous ne savons ni plaire à Dieu par nos
bonnes actions, ni lui donner satisfaction pour nos péchés.
IL Implorons du fond du cœur et de toute notre àme la
miséricorde de Dieu, parce que lui-même a ajouté ces pa-
roles : Mais je n éloignerai pas d'eux ma miséricorde. De-
mandons et nous recevrons ; et si, pour recevoir, nous éprou-
vons des délais et des longueurs, parce que nos offenses
ont été graves, frappons, parce qu'on ouvrira à celui qui
frappe ; pourvu que pour frapper à la porte nous employions
les prières, les gémissements et les larmes, mais avec in-
stance, mais longtemps, et surtout que nos prières soient
unanimes. En effet, ce qui m'a surtout engage et déterminé
à vous écrire cette lettre, c'est que vous devez savoir (comme
le Seigneur a daigné le faire voir et le révéler), qu'il a été
dit dans une vision : Demandez et vous obtenez; puisqu'il
fut ordonné aux fidèles présents de prier pour quelques
54 SELKCTVE DIVi CYPRIANI EPISTOLiiE.
H
mente unâ agebant ; et Dominas suà voce mandaverit, di-
b
cens : Hoc est mandatum meum, ut diligatis invicem ; et
iterum : Dico autem vobis quoniam si duobus ex vobis con-
venerit in terra, de omni re quamcumque pefieritis, continget
c
vobis a Pâtre meo qui in cœlU est .

UI. Quôd si duo unanimes tantum possunt, quid si una-


nimitas apud omnescsset? Quod si, secundùm pacem quam
nobis Dominus dédit, universis fratxibus conveniret, jam
pridemde divina misericordia impetràssemus quod peSimus,
nec tamdiu-in hoc salutis et tidei nostrse periculo fluctuare-
mus; imb vero nec venissent fratribus ha3C mala, si in unum
fraternitas fuisset aniinata. Nam et illucl ostensum est, quôd
sederet paterfamiliâs *, sedente sibi ad dexteram juvene;
qui juvenis, anxius et cumquadam indignatione subtristis^
maxillam manu tenons, mœstovultu scdehat. Alius verô in
sinistra parte consistons rete portabat, quod se mittere, ut
circumstantem popuium caperet, niinabatur. Et cùm mira-
retnr quid hoc esset ille qui vidit, dictum est ei juvenem
qui ad dexteram sic sederet contristari et dolere qùôd prsa-
ccpta sua non observarentur, illum vero in smistra-exsultare
quôd sibi daretur occasio ut a patrefamilias potestatem su-
meret saeviendi. Hocpriùs longé ostensum est quàm tempes-
2
tas vastitatis hujus oriretur. Et vidimus impletum quod
fuerat ostensum, ut, dum Domini prœcepta contemnimus,
dum date legis mandata salutaria non tenemus, facultatem

1
Quod sederet paterfamilids pour sedere patremfamiliâs. Cette
f

tournure par quod ou quia répondant au que français suivi d'un i n -


finitif, au lieu de l'infinitif latin avec son sujet à raccu*atif, est un
symptôme marqué de la transformation de l'idiome païen sous l'in-
fluence du christianisme, et une preuve que nos langues modernes
viennent non de la langue latine païenne, mais de la langue latine chré-
tienne.
* Un ancien manuscrit porte vaslalionis; c'est à peu près la mémo si-
gnification. Vaslatio exprime l'action de dévaster, et vaslUas le résultat
de cette action.
* Act. iv. — * Joan. xv. — <• Matlh.,xvm.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN* 55
personnes qu'an leur désigna. Mais en faisant cette prière
les voix étaient discordantes et les volontés désunies. Ce
qui déplut surtout à Celui qui avait dit : Demandez et vous
obtenez, c'est que les fidèles étaient en désaccord, et qu'il
n'y avait pas entre les frères union de sentiments, franche
et parfaite concorde, tandis cpi'il est écrit : C'est Dieu qui fait
régner l'union entre les habitants d'une maison; et que dans
les Actes des Apôtres, nous lisons : Or, la foule de ceux gui
croyaient, agissait avec une seule âme et un seul esprit; et
que le Seigneur nous dit de sa propre bouche : Voici le
commandement que je vous donne : Aimez-vous les uns les
autres ; et encore : Je vous dis que si sur la terre deux
d'entre vous sont unis, quelque chose que vous demandiez,
elle vous sera accordée par mon Père qui est dans les
deux.
III. Si l'unanimité de deux frères est si puissante, que
serait-ce si tous étaient unanimes? Si, selon la paix que Dieu
nous a donnée, tous les frères étaient d'accord, il y a long-
temps que la miséricorde divine nous eût accordé ce que
nous demandons, et nous ne serions pas si longtemps bal-
lottés au milieu des périls que courent notre salut et notre
foi; il y a plus : jamais ces maux ne seraient venus fondre
sur notre troupeau, si tous les frères eussent été animés des
mêmes sentiments. Car je vous citerai encore une autre vi-
sion, où il y avait un père de famille assis, ayant assis aussi
à sa droite un jeune homme; ce jeune homme, inquiet,
avec une légère teinte de tristesse mêlée d'un peu de co-
lère, appuyait sa joue sur sa main, et était assis, comme je
a
le disais, l'air affligé. Mais un autre , debout à jgauche,
portait un filet, qu'il était prêt à lancer pour prendre le peu-
ple qui se trouvait à Tentour. Et comme celui qui a eu cotte
vision s'étonnait, dans l'ignorance de ce que cela pouvait
être, on lui dit que le jeune homme qui était assis s'at-
tristait et s'affligeait que ses commandements ne fussent
pas observés; que celui au contraire qui était à sa gauche
se réjouissait de ce qu'il trouvait l'occasion de recevoir du
père de famille le pouvoir de sévir. Cette vision a eu lieu
bien avant que ne s'élevât la violente tempête actuelle. Et
nous avons vu la vision s'accomplir : pendant que nous
méprisons les préceptes du Seigneur, pendant que nous

« Le démon.
56 SELEGTJK DiYI CYPMANI KP18T0LA.

nocendi inimicus acciperet, minus armatos et ad repugnan-


dum minus catitos jactu retis operiret.
IV. Oremus instanter, et assiduis precibus ingemiscanius.
Nam et hoc nobis non olim per visionem fratres charissimi,
>

exprobratum sciatis, quod dormi tenius in precibus, nec vigi-


a
lanter oremus . Et Deus uticjue, qui quem corripit diligit,
quando corripit, ad hoc corripit ut eniendet, ad hoc emendat
ut servet. Excutiamus itaquo et abrumpamus somni vincula,
et instanter ac vigilanter oremus, sicut Paulus apostolus prae-
h
cipit, dicens : Jnslate orationi vigilantes in ea : nam et Apos-
toli orare diebus ac noctibus non destiterunt, et Dominus
quoquè ipse, disciplinée magister et exempli nostri via, fré-
quenter et vigilanter oravit, sicut in Evangelio legimus :
c
Exiit in montent orare, et fuit pernoctans in oratione Dei .
Et utique quôd orahat, orabat ille pro nobis, cùm peccator
1
ipse non esset, sed aliéna peccata portaret. Adeô autem pro
nobis ille deprecabatur, ut legamus aliquo loco : Dixit autem
Dominus adPetrum : Ecce Satanas postulavit ut vos vexaret
quomodo triticurn. Ego aulemrogavi pro te ne deficiat fides
a
tua . Quôd si pro nobis ac pro delictis nostris ille et labora-
bal, et vigilabat, et precabatur, quantô nos magte insistere
precibus et orare, et primo ipsum Dominum rogare, tum
deinde per ipsum Deo Patiï satisfacere debemus ?

V. Habemus advocatum et deprecatorem pro peccatis nos-


tris Jesum Christum Dominum et Deum nostruin, si modo
nos in prœteritum * peccasse pœniteat, et, confitentes atque
intelligentes delicta nostra quibus nunc Dominum offendi-
mus, vel de caetero nos ambulare in viis ejus metuere spon-
a
deamus. PaAor nos corrigit et tuetur, stantes tamen in M e
et pressuris atque angustiis, scilicet Christo ejus firmiter
adhœrentes, sicut scriptum est : Quis nos separabit a dilec-
tione Christi ? pressura, an auguslia, anpersecutio, an famés,
1
Des manuscrits et des éditions donnent noslra qui, quoique plus ex-
f

plicite, n'ajoute rien au sens.


* Dans le passé, par le passé. Plin vin, 18, 2G : inprœterilnm et in fu-
tarum.
* Stantes tamen.,., c'esl-à-dirc : dnmmodo stemus.
b c
* ProY. xxx. — Cologs. iv. — Luc. vi. — * Ibid. xxu.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 57
violons les prescriptions salutaires de Ja loi qui nous a
été donnée, l'ennemi a reçu le pouvoir de nous nuire, il
a enveloppé d'un jet de son filet les moins bien armés et
ceux qui étaient moins sur leurs gardes pour lui résister.
IV. Livrons-nous donc constamment à l'oraison; mêlons
continuellement nos gémissements et nos prières. Car sa-
chez, mes très-chers frères, que l'on nous a aussi reproché
de dormir parfois en priant, et de ne pas veiller en nous li-
vrant à l'oraison. Et certainement Dieu qui aime celui qu'il
corrige, ne le corrige que pour l'amender, et ne l'amende
que pour le sauver. Secouons donc et brisons les liens du
sommeil, et prions avec ardeur et en veillant, comme le re-
commande l'apôtre saint Paul, quand il dit : Appliquez-vous
à la prière, et veillez en priant; car les Apôtres ne cessèrent
pas de prier jour et nuit, et le Seigneur aussi lui-même,
notre maître et notre modèle, pria fréquemment et en veil-
lant, comme nous lisons dans l'Evangile : / / alla sur la mon-
tagne pour prier, et il passa la nuit en prière devant le Sei-
gneur.Et certainement s'il priait, c'était pour nous qu'il priait,
puisque lui-même n'était pas pécheur, mais qu'il portait les
péchés d'autrui. Et c'était] si bien pour nous qu'il priait,
que nous lisons en un endroit : Le Seigneur dit à Pierre
voilà que Satan a demandé à vous cribler comme on crible
le blé. Mais fai prié pour toi» afin que ta foi ne succombe
pas. Si pour nos péchés Jésus souffrait, veillait et priait,
combien ne devons-nous pas davantage nous livrer avec ar-
deur à la prière et à l'oraison, et d'abord invoquer le Sei-
gneur lui-même, puis ensuite, par son moyen, satisfaire Dieu
le Père !
V. Nous avons, en effet, comme protecteur et intercesseur
pour nos péchés, Jesus-Christ, notre Seigneur et notre Dieu,
pourvu que nous nous repentions de nos péchés passés, et
que, avouant et comprenant bien les fautes par lesquelles,
jusqu'à présent, nous avons offensé le Seigneur, nous pro-
mettions au moins pour l'avenir de marcher dans ses voies,
et de respecter ses commandements. C'est un père qui nous
cjrrige .et nous protège, pourvu que nous persistions dans
la foi, au milieu des tribulations et des angoisses, c'est-à-
dire que nous nous attachions fermement à son Christ
comme il est écrit : Qui nous sèpaxera de l'amour du Christ?
seront-ce les tribulations, ou les angoisses, ou la persécution,
ou la faim, ou la nudité, ou le péril, on le glaive? Rien de
58 S E L E C T 7 E DIVI C Y P R I A N I E P J S T O L J E .
a
au nuditas. an periculum, an gladius ? Nihil horum potest
separare credentes, nihil potest avellere corpori ejus et san-
guini cohaerentes.
VI. Persecutio ista examinatio est atqpe exploratio pecto-
4
ris nostri . Excuti nos Deus voluit et probari, sicut suos
semper probavit ; nec tamen in probationibus ejus aliquando
auxiliumeredentibusdefuit. Denique ad minimum iamulum
suumet in delictis licèt plurimis constitutum et dignatione
ejus indignum, tamen ille pro sua circa nos bonitate man-
%
dare dignatus est. Die illi, inquit, securus sit, quia pax Ven-
8
tura est; sed quôd intérim morula est, supersunt adhnc ali-
qui qui probentur. Sed et de victu parco et sobrio potu divinis
dignationibus * admonemur; scilicet ne vigore cœlesti su-
blime jam pectus illecebra saecularis enervet, vel ne largiori-
bus epulis mens gravata minus ad preces orationis evigilet.
VII. Dissimulare haec singula et apud conscientiam meam
solus occuitare non debui, quibus unusquisque nostrùm et
instrui et régi possit. Nec ipsi denique apud vos hanc epis-
tolam teneatis occultam, sed legendam fratribus suggeratis.
5
Intercipere enim quibus nos Dominus admonere et instruere
dignatur, ejus est qui admoneri et instrui fratrem suum
nolit. Probari nos a Domino nostro sciant, nec unquam a
ûde quà in eum simul credidimus prsesentis pressurœ con-
flictatione deficiant. Delicta sua singuli recognoscentes, vel
1
Huit manuscrits portent pectoris nostri; onze autres et toutes les
anciennes éditions donnent peccati nostri. La leçon avec peccati peut
s'expliquer parle rapprochement de ce passage du commencement du
livre de J o b : Ut quœras iniquitatem meam, et scruteris peccalum
meum. Mais pectoris nostri donne un plus beau sens et reproduit pres-
que l'expression de l'Ecriture que nous verrons au dernier paragraphe
de la lettre VII, où Dieu est appelé scruialor cordis etrenum, celui qui
sonde les cœurs et les reins.
* Mandare, sens absolu : donner ou transmettre ses ordre?, ses volontés.
* Diminutif de roora, retard, délai. Ce mot n'est pas dans le dictionn.
classiq.
4
Voye« page 17, note ».
* Intercipere enim quibus, etc. Avant quibus, sons-entendez ea ou
monita. — Intereipere, intercepter, arrêter, saisir au passage (ordinaire-
ment une armée, un convoi, une lettre), signifie ici par analogie ne pas
laisser parvenir à..., retenir pour soi. Tacite a dit, dans le même sens
figuré : Nec Agricola unquam per altos gesta amdus intercepit, sed
centurio seu pmfeclus incorrupium facti testent habébat. Sénéque,
» Rom. vin.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 59
tout cela ne peut séparer de lui ceux qui croient, rien ne peut
détacher de lui ceux qui tiennent à son corps et h son sang.
YL Cette persécution est un moyen d'éprouver et de son-
der notre cœur. Dieu a voulu que nous tussions examinés
et éprouvés, comme i l ' a toujours éprouvé les siens; et ce-
pendant, au milieu de ces épreuves, jamais son assistance
n'a manqué à ceux qui avaient 3a foi. Enfin, au moindre de
ses serviteurs, bien que coupable d'une multitude de fautes
et indigne de sa grâce, il a pourtant daigné, dans sa bonté
8
pour nous, envoyer du réconfort . Dites-lui, dit-il, qu'il soit
sans inquiétude, parce que la paix viendra; mais comme elle
doit tarder encore un peu, il en reste encore quelques-uns
à éprouver. Dieu dans sa miséricorde a daigné encore nous
recommander la sobriété dans le boire et le manger : il ne
faut pas, en effet, qu'une âme élevée par la grâce au-dessus
des choses sensibles, soit énervée par les délices du siècle,
b
ou qu'un esprit appesanti par des mets trop abondants ,
soit moins propre à veiller pour la prière et l'oraison.
VII. Je n'ai pas dû renfermer au fond de ma conscience
et réserver pour moi seul ces divers préceptes qui peuvent
servir à instruire et à diriger chacun de nous. Ni vous non
plus, ne tenez pas par devers vous cette lettre cachée,
mais donnez-la à lire à nos frères. Garder pour soi
seul les avertissements et les instructions que Dieu daigne
nous donner, c'est vouloir que son frère ne soit ni averti ni
instruit. Tout ce qui se passe n'est qu'une épreuve à la-
quelle nous soumet le Seigneur ; que nos frères le sachent
bien, et que jamais les coups de la persécution présente
ne leur fassent abandonner la foi que nous avons tous en lui.
Que chacun de nous, passant en revue ses fautes, renonce

dans son traité des Bienfaits : Uret illum et angit intercepti beneficii
conscientia, Quinte-Curce, livre xv : Aliéna sanguine partam gloriam
intercipere. Àrnobe, livre ni : Nam intercipere scripta, et publicatam
vélle submergere lectionem, non est deos defendere, sed veritatis testifi-
cationem iimere.
* Ceci fait allusion an songe mystérieux de saint Cyprien, avant la
persécution.
* Les païens eux-mêmes ont reconnu cette vérité» ci l'ont exprimée
presque dans les mêmes termes. Horace (Satin I I , n ) , après avoir décrit
les funestes effets de l'intempérance sur le corps, ajoute :
Animum quoquè prœgravat unk;
Atque afllgit humo divin» particnUun aura.
60 SBLECMS DIVI CYPRIANI EPISTOLA.
mode conversationem veteris hominis expoiiant K Nemo
enim rétro attendens et superponens manum suam super
aratrum aptus estregno Dei. Denique et uxor Lot, quœ, li-
berata, contra prœceptum rétro respexit, quod evaserat per-
didit. Attendamus non posteriora, quô diabolus revocat, sed
priora, quô Cbristus vocat. Ocuios erigamus ad cœlum, ne
oblectamentis et illecebris nos suis terra decipiat. Unusquis-
que oret Deum, non pro se tantùin, sed pro omnibus fratri-
bus, sicut Dominus orare nos docuit; ubi non singulis
privatam precem mandat, sed oratione commun! et concordi
prece orantes pro omnibus jussit orare.
YH1. Si nos Dominus bumiles et quietos, si nobis invicem
copulatos, si circa iram timidos, si prœsenti tribulatione
correctos emendatosque conspexerit, tutos ab inimici infesta-
tionibus exhibebit. Pra&cessit disciplina, sequetur et venia.
Nos tantùm sine cessatione poscendi ot cum iide accipiendi
simplices et unanimes Dominum deprecernur, cum gemitu
pariter et fletu deprecantes, sicut deprecari oportet eos qui
sint positi inter plangentium ruinas ettimentium reliquias,
1
inter numerosam languentiiun stragem et exiguam stan-
tium firmitatem*. Rogemus pacem maturiîis reddi, cito la-
tebris nostri s et periculis subveniri, impleri quœ famulis suis
Dominus dignatur ostendere, redintegrationem Ecclesiae,
securitatem salutis nostrœ, post pluvias serenitatem, post
tenebras lucem, post procellas et turbines placidam lenita-
tem, pia paternse dilectionis auxilia, divinae majestatis solita
magnalia*, quibus et persequentiumblaspbemia retundatur,
et lapsorum pœnitentla reformetur, et fortis et stabilis per-
severantium fidncia glorietur.
Opto vos, fratres charissimi, semper bene valere et nostri
meminisse. Fraternitatem meo nomine salulate, et ut nostri
meminerint admonete. Valete.
1
Conversationem veleris hominis exponant. C'est ce que l'Ecriture
appelle dépouiller le vieil homme, c'est-à-dire renoncer à ses anciennes
et vicieuses habitudes. — Conversatio, conduite, mœurs. — Exponere,
rejeter, se dépouiller de.
* Au lieu de languentium, un manuscrit donne jacenlium, qui est plus
dans le goût de saint Cyprien. Notre traduction rend ces deux leçons.
5
Un manuscrit donne paucitatem, beaucoup moins bon que firmita-
tem, qui ajoute une idée à stanlhm. Paacitatem est contenu dans
CXlfJUCtW.
4
Magnalia (de ma y nus), preuves do grandeur, de force, de puissance
c/est-iVdive, merveille?, m'.rnrh*.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 64
seulement à la conduite du vieil homme. En effet, il n'est
personne qui, en regardant en arrière et appuyant noncha-
lamment la main sur le manche de la charme, soit digne
d'entrer dans le royaume des cieux. Et la femme de Lot,
enfin, qui sauvée regarda en arrière, contre Tordre de Dieu,
perdit l'avantage d'avoir échappé au danger d'où il l'avait
tirée. Regardons non pas en arrière, où le diable nous
rappelle, mais en avant où le Christ nous appelle. Elevons
les yeux au ciel, afin que la terre ne nous séduise point par
ses amusements et ses attraits. Que chacun prie Dieu non
pas pour soi seulement, mais pour tous ses frères, comme
le Seigneur nous a enseigné à prier, quand il ordonne non
pas à chacun de prier en son particulier, mais à tous de
faire pour tous une oraison commune, une prière expri-
mant au nom de tous le même sentiment.
VIII. Si Dieu nous voit humbles et animés de l'esprit de
paix, s'il nous voit unis entre nous, craignant de nous met-
tre en colère, corrigés et amendés par les tribulations pré-
sentes, il nous mettra en sûreté contre les attaques de
l'ennemi. Que la soumission aux commandements marche
la première, et le pardon viendra à sa suite. Seulement,
sans cesser de demander, et avec la conviction que nous re-
cevrons, prions le Seigneur avec simplicité et unanimité,
prions-le avec gémissements et larmes tout ensemble comme
il convient de prier à des gens placés entre les débris de
ceux qui pleurent leur chute, et le reste de ceux qui crai-
gnent de tomber entre les nombreux monceaux de ceux
qui languissent abattus, et le petit nombre de ceux qui se
tiennent debout et fermes. Demandons que la paix nous
soit rendue au plus tôt, que nous puissions bientôt quitter
nos retraites et voir la fin de nos périls; demandons à voir
s'accomplir ce que Dieu nous a promis dans des visions, la
restauration de l'Église, la sécurité pour notre salut, après
la pluie un ciel serein, après les ténèbres la lumière, après
les tempêtes et les ouragans un temps calme et paisible, la
pieuse assistance d'un Père qui nous chérit, les merveilles
familières à la puissance divine, pour réprimer les blasphèmes
de nos persécuteurs, ramener à la pénitence les tombés, et faire
la gloire de ceux qui, forts et stables, persévèrent dans la foi.
Je souhaite, mes très-chers frères, que vous vous portiez tou-
jours bien, et que vous vous souveniez de moi. Présentez mes
saints à nos frères, et priez-les de se souvenir de moi. Adieu.
4
62 SELEGTiE DÏVI CYPRIANI EPIST0UE.

EPISTOLA VII.

AD MARTYRES ET CONFESSORES.
Courage invincible des confesseurs au milieu des supplices : martyre de
Mappalicus.

CYPRIANDS martyribus et confessoribus in Christo Domino


nostro et in Deo Pâtre perpetuam salutem.
I. Exsultolaetus et gvatulor, fortissimi acbeatissimi fratres,
cognitâ fuie ac virtute vestra, in quibus mater Ecclesia
1
gloriatur . Gloriata est nuper quidem cùm, confessione per-
stante, suscepta pœna est quae confessores Cbristi fecit ex-
a
torres . Confessio tamen prœsens qtuuilô in passione fortior,
tantô clarior et major in honore est. Crevit pugna, crevit et
pugnantium gloria. Nec retardati estis ab acie tormentorum
metu, sed ipsis tormentis magis ac magîs estis ad aciem
3
provocati, fortes et stabiles ad maximi certaminis praelium
4
promptâdevotioneredistis . Ex quibus quosdam jam comperi
coronatos, quosdam verô ad coronam victoriœ jam jamque
proximos, universos autem quos agmine glorioso carcer
inclusit, pari ac simili calore virtutis ad gerendum cerlamen
animatos, sicut esse oportet in divinis castris milites
Christi, \it incorraptam lidei firmitatem non blanditiœ deci-
piant, non minae terreant, non cruciatus ac tormenta devin-
cant, quia major est qui in nobis est quàm qui est in hoc
mundo, nec plus ad dejiciendum potest terrena pœna quàm
ad erigendum tutela divina".

1
Au lieu de gloriatur, un manuscrit donne gratulatur; un autre
gratulalur vel gloriatur. C'est toujours à peu près le même sens au fond.
*,Exilés.
* Maximi certaminis praelium, la lutte suprême et décisive (le
martyre).
4
Au lieu de rcdîstis, quelques manuscrits donnent prodislis. Re-
dis tis veut dire vous êtes retournés au combat; et prodîstis est un
terme militaire (prodire è castris) signifiant vous êtes sortis du camp
(pour aller combattre).
» Joan. rv.
LETTRES CHOISIES J)K SAINT CYPRIEN. 63

LETTRE VIL
AUX MARTYRS ET AUX CONFESSEURS.

Magnifique éloge de l'inébranlable constance des martyrs d'Afrique.


Courage héroïque de Mappalicus. L'auteur engage ses compagnons à
marcher sur ses traces. Consolation à ceux d'entre eux qui n'auraient
pas, selon leur désir, le bonheur de verser leur sang pour la foi.

CYPRIEN aux martyrs et aux confesseurs, salut au nom du


Christ notre Seigneur, et au nom de Dieu le Père.
I. Je surabonde de joie et je vous félicite, braves et géné-
reux freros, instruit que je viens d'être de votre foi et de
votre courage, qui font l'orgueil de notre mère la sainte
Eglise. Elle se glorifiait naguères, lorsque leur persévérance
dans le témoignage rendu à la foi attira sur les confesseurs
du Christ les rigueurs de l'exil. Mais autant la confession
d'aujourd'hui dépasse la précédente en souffrances endurées
avec courage, autant elle l'emporte sur elle en éclat et en
honneur. La lutte s'est agrandie; la globe des combattants a
dû grandir aussi. Non-seulement la crainte des tourments ne
vous a pas tenus éloignés du combat, mais les tourments
eux-mêmes vous ont de plus en plus provoqués à combattre;
intrépides et inébranlables, vous avez revolé pleins d'un gé-
néreux dévouement à la lutte suprême et décisive. Parmi
vous quelques-uns, ai-je appris, ont déjà reçu la couronne
de la victoire, quelques autres sont tout près'd'y atteindre,
et tous ensemble, troupe glorieuse, renfermés dans une même
prison, sont animés d'une même ardeur de courage pour sou-
tenir des combats nouveaux, comme il convient que le soient
dans le camp de Dieu les soldats de Jésus-Christ, dont l'iné-
branlable foi ne doit se laisser ni séduire par les flatteries, ni
effrayer par les menaces, ni vaincre par les tourments et les
supplices, parce que celui qui est en nous est plus puissant
que celui qui règne dans le monde, cl qu'une souffrance
terrestre n'a pas plus de puissance pour nous abattre, que
n'en a pour nous soutenir la protection divine.
64 SELECT/E DIVI CYPRIANI EPI8T0US.
IL Probant res est certamine fratmm glorioso, qui, ad tor-
menta vincenda cœteris duces facti, exemplum virtutis ac fidei
prœbuemnt, congressi in acie donec acies succumberet victa.
Quibus ego vos laudibus pradicem, fortissimi fratres? Ro-
bur pectoris vestri et perseverantiam fidei quo prœconio vo-
cis exornem? Toleràstis usque ad consummationem gloriaî
durissimam quœstionem, nec cessistis suppliciis, sed vobis
potiùs supplicia cesserunt. Finem doloribus, quem tormenta
1
non dabant, coronae dederunt. Qua&stio gravior ad hoc diù
perseveravit, non ut stantem fidem dejiceret, sed ut ho-
mmes Dei ad Dominum velociùs mitteret. Vidit admirans
preesentium multitude cœleste certamen, certamen Dei,
1
certamen spiritale, prœlium Christi, stetisse servos ejus
voce libéra, mente incomiptâ, virtute divinâ, telis quidem
8
saecularibus nudos, sed armis fidei credentes armatos. Stete-
runt torti torquentibus fortiorcs et, puisantes ac laniantes un-
gulos * pulsata ac laniata membra vicerunt. Inexpugnabilem
fidem superare non potuit sœviens diù plaga repetita, quam-
vis ruptà compage viscerum torquerentur in servis Dei jam
non membra, sed vulnera. Fluebat sanguis qui incendium
persecutionis exstingueret, qui flammas et ignés gehennae
glorioso cruore sopiret. O quale illud fuit spectaculum Domi-
no 1 quàm sublime! quàm magnum! quàm Dei oculis sacra-
mento ac devotione militisejus acceptum! sicut scriptum est
in Psalmis, Spiritu sancto Joquente ad nos pari ter et mo-
nente : Preliosa est in conspectu Domini mors justorum ejus*.
Pretiosa mors haec est quae émit immortalitatem pretio
sui sanguinis, quae accepit coronam de consummatione

1
Au lieu de quœstio, d'anciennes éditions donnent laniena, moins
bon que quœstio. Ce dernier a do plus l'avantage de rappeler quœstio-
nem qui se trouve dans Pavant-dernière phrase.
* Avant stetisse, sous-entendez scilicet, ou à la place de stetisse ser-
vos ejus..., nudos..., armatos, imaginez cùm steterunt ejus servi...,
nudi..., armait.
3
Quelque manuscrits donnent credentis (fidei). Deux autres au lieu
de credentes donnent constanter, qui donne le sens le plus facile et le
meilleur.
4 9
D nngulns, ongle de fer, crochet, instrument de supplice, diminutif
ù'unguis. Ce mot, pris dans cette acception, ne se trouve pas dans les
dictionu. classiq.
a
Psal. cxv.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 65
IL Elle a été bien prouvée, cette vérité, par le glorieux
combat de nos frères, qui, pour triompher des tourments,
marchant en avant des autres, ont donné l'exemple du cou-
rage et de la foi, et sur le champ de bataille ont lutté contre
l'ennemi, jusqu'à ce que l'ennemi fût complètement vaincu.
Quels éloges dignes de vous pourrais-je vous donner, vail-
lants frères? Et la force de votre âme, et la persévérance de
votre foi, quel panégyrique assez beau pourrait les célébrer ?
Vous avez enduré jusqu'à la consommation de votre gloire
les plus cruelles tortures, et vous n'avez pas cédé aux sup-
plices, mais ce sont bien plutôt les supplices qui vous ont
cédé. Vos souffrances que ne terminaient pas les tourments,
ce sont vos couronnes qui y ont mis un terme. Les tortures,
devenues plus cruelles, ont duré longtemps, non pas que leur
effet dût être d'abattre votre robuste foi, mais d'envoyer plus
tôt au Seigneur les champions de la divinité. La foiile pré-
sente a vu avec admiration la lutte céleste, la lutte de Dieu,
la lutte spirituelle, le combat de Jésus-Christ. On a vu de-
bout ses serviteurs à la voix libre et fière, à l'âme incorrup-
tible, à la valeur divine, dépourvus, il est vrai, d'armes ter-
testres, mais intrépides et revêtus des armes de la foi. Ils
étaient là, torturés, plus fermes que leurs bourreaux*, et
leurs membres frappés et déchirés ont triomphé des instru-
ments de supplice qui les frappaient et les déchiraient.
Toujours inexpugnable, leur foi a résisté à une continuelle
répétition de coups affreux, bien que tout l'ensemble de
leur corps étant brisé, on eût désormais à torturer chez
les serviteurs* de Dieu non plus des membres, mais des
0
blessures . Le sang coulait, assez pour éteindre l'incendie
de la persécution, assez pour étouffer de ses flots glorieux
les flammes et les feux de l'enfer. 0 quel spectacle devant
le Seigneur! qu'il était sublime! qu'il était grandi qu'il
était agréable à Dieu par la fidélité au serment et le dévoue-
ment de ses guerriers! comme il est écrit dans les Psaumes

* Rufln, livre v, chap. 1, racontant l'histoire des martyrs de Lyon :


Major inerat cruciatis quàm eruciantibuB virlus*
h
Ammicn Marcellin, livre xxix 2 Cùmpœnis non snfficermt mem-
bra, vivus combuslus est; et livre xiv : Jta ut crucialibus membra
deessent. Saint Anibroise, livre 1 des Vierges fmartyre de sainte Agnès):
Fuit ne in illo corpuseulo vulneri lotus ? Tite-Livre, livre iv : Quid
jo/m integri esset in corpore loçi ad nom minera recipienda ?
t

4.
66 8ELEGTJS DIVI CYPRIANI EPISTOL/E.
virtutis. Quàm lœtus illic Christus fuit, quàm libens in ta-
libus servis suis et pugnavit et vicit protector fidei, et dans
credentibus tantùm quantum se crédit capere qui sumit !
Certamini suo adfuit, praeliatorcs atque assertores sui no-
minis erexit, corroboravit, animavit. Et qui pro nobis mor-
temsemel vicit, semper vincit in nobis. Cùm vos, inquit,
tradiderint, nolite cogitare quid loquamini. Dabilur enim
vobis in Ma hora quid loquamini. Non enim vos estis qui
loquimini, sed spiritus Patris vestri qui loquitur in vobts

III. Documentmn rei prœsens prœlium prœbuit. Vox


plena Spiritu sancto de martyris ore prorupit, cùm Map-
palicus beatissimus inter cruclatus suos proconsuli diceret :
videbis cras agonem. Et, quod ille cum virtutis ac ûdei testi-
monio dixit, Dominus implevit. Agon cœlestis exbibitus,
et Dei servus in agonis promissi certamine coronatus est.
Hic est agon quem propbeta Esaias antè prœdixit dicens :
Non pusillum vobis certamen cum hominibus, quoniam Deus
prœstat agonem \ Et, utostenderet quis bic agon futurus
esset, addidit dicens : Ecce virgo in uterum accipiet et pariet
filium, etvocabitis nomen ejus Emmanuel*. Hic est agon ûdei
nostrœ, quâ congredimur, quâ coronaniur. Hic est agon quem
nobis ostendit beatus Paulus apostolus, in quo oportet nos
1
currere et ad coronam glorise pervenire. Nescitis, inquit,
quia qui in stadio currunt, omnes quidem currunt, unus ta-
men accipit palmam. Sic currite ut occupetis. Et illi quidem
d
ut corruptibilem coronam accipiant, nos autem incorruptam .
Item suum certamen ostendens, et hostiam se Domini citô
futurum esse promittens, ait : Ego jam libor, et tempus in-
stat assumptionis meœ. Bonum agonem certavi, cursum per-
feci, fidem servavi. Jam superest mihi corona justitiœ, quam
mihi reddet Dominus in itla die, illejustus judex ; non so-
lùm autem mihi, sed et omnibus qui diligunt adventum ejus °.
Hune igitur agonem per prophetas antè prœdictum, per Do-
minum commissum, per Apostolosgestum Mappalicus suo et
1
Coronam gloriœ. Quelques manuscrits, par erreur des copistes t

portent gloriam coronœ.


*Matth. x. — Ï>Uaivu. — « Matth. H . — * Cor. i x . - e j i Timo'jnr.
LETTRES CHOISIES i»E SAINT CYPRIEN. 67
(c'est l'Esprit saint qui nous parie et nous instruit) : Elle est
précieuse devant le Seigneur, la mort de ses justes. Précieuse
sans doute est la mort qui achète l'immortalité au prix de
son sang, qui doit sa couronne à la consommation de sa va-
leur. Quelle joie alors pour Jésus-Christ! avec quel plaisir il
a combattu et vaincu dans la personne de tels serviteurs, lui
le protecteur de notre foi, lui qui donne à ceux qui croient,
autant que croit recevoir celui à qui il donne ! 11 a assisté à la
bataille livrée pour lui, il a élevé, fortifié, animé ses combat-
tants, les défenseurs de son nom. Et lui qui une fois pour
toutes a vaincu pour nous la mort, triomphe toujours en nos
personnes. Quand on vous aura livrés, dit-il, ne pensez pas à
ce que vous devez dire ; car ce que vous aurez à dire vous sera
donné dans ce moment même. Car ce n'est pas vous qui par-
lez, mais l'esprit de votre Père qui parle en vous.
III. La preuve de cette vérité, c'est le combat présent. Une
parole pleine de l'Esprit saint a éclaté de la bouche d'un mar-
tyr, quand le bienheureux Mappalicus, au milieu de ses tour-
ments, a dit au proconsul : Demain vous verrez une lutte. Et
ce qu'il disait avec la conscience de son courage et de sa foi,
a
le Seigneur l'a accompli . Une lutte céleste a été publique-
ment engagée, et le serviteur de Dieu a été couronné en sou-
tenant cette lutte qu'il avait annoncée. C'est elle qu'a prédite
le prophète Isaïe, quand il dit : Ce n'est pas une lutte médio-
cre que vous avez à soutenir contre tes hommes, car c'est Dieu
qui m donne le spectacle au monde. Et, pour montrer quelle
devait être cette lutte, il dit encore : Une vierge concevra dans
son sein et enfantera un fils; et vous lui donnerez pour nom
Emmanuel. C'est la lutte de notre foi, de cette foi qui nous
fait combattre , qui nous assure la couronne. C'est cette
lutte que nous désigne l'apôtre saint Paul, lutte dans laquelle
il nous faut courir et arriver à la couronne de gloire. Ignorez-
vous, dit-il, que dans une course au stade tous courent il est
vrai,,mais un seul reçoit la puIme. Courez de manière à arri-
ver les premiers. Eux poursuivent une couronne qui doit se
flétrir, nous, nous en poursuivons une incorruptible. Voulant
encore indiquer son propre combat, et promettant d'être
bientôt une victime offerte au Seigneur, il dit : Voilà que
commence mon sacrifice le sacrifice de ma propre personne^
y

et le temps de mon assomplion approche, fat vaillamment

* Saint Mappalicus est honoré le 17 avril.,


68 SELECTi» DÎYl CYPRIANI BPIST0LA5.
collegarum suorum nomine prooonsuli reproniisit. Nec fe-
fellit in promisso suo vox fidclis. Pugnam quam spopondit
exhibuit, et pahnam quam memit accepit.
IV. Istum nunc beatissimum marfyrem et alios participes
4
ejusdem congressionis , milites et comités in flde stabiles,
in dolore patientes, in quaestione victores ut cœteri quoquè
sectemini et opto pariter et exhorter; ut, quos vinculum con-
.essionis et hospitium carceris simul junxit, jungat etiam
consummatio virtutis et corona cœlestis; ut lacrymas matris
Ecclesiae, cpiae plangit ruinas et fanera plurimorum, vos
vestra laetitià tergeatis, et cœterorum quoquè stantium firmi-
tatem vestri exempli provocatione solidetis. Si vos acies vo-
caverit, si certaminis vestri dies venerit, militate fortiter,
dimicate constanter, scientes vos sub oculis praesentis Domini
dimicare, confessione nominis ejus ad ipsius gloriam perve-
nire; qui non sic est ut * servos suos tantùm spectet, sed et
ipse luctatur in nobis, ipse congreditur, ipse in cerlamine
agonis nostri et coronat pariter et coronatur.
V. Quôd si ante diem certaminis vestri de indulgentia Do-
mini pax supervenerit, vobis tamen maneat voluntas intégra *
et conscientia gloriosa. Nec contristetur aliquis ex vobis quasi
iilis minor sit qui ante vos tormenta perpessi, victo et calcato
sœculo, ad Dominum glorioso itinere venerunt. Dominus sera-
tatorestreniseteordis, arcana perspicit, et intuetur occulta.
Ad coronam de eo promerendam * sufficit ipsius testimonium
solum qui judicaturus est. Ergô utraque res, fratres charis-
simi, sublimis pariter et illustris. 111a securior, ad Dominum
victoriae consummatione properare; haec lœtior, accepto post
5
gloriam commeatu , in Ecclesiae laude florere. O beatam
Ecclesiam nostram, quam sic honor divinœ dignationis îllu-

1
Au lieu de ejusdem congressionis, un manuscrit porte ejusdem con~
sensionis, beaucoup moins bon.
* Non sic est ut..., subj.; ordinairement on dit : non is est qui,..,
snbj.
* Saint Jérôme, livre n, contre Jovinien : In martyre enim voluntas,
eus qua ipsa mors nascitur, coronatur.
* Au lieu de ad coronam de eo promerendam, quelques manuscrits
et d'anciennes éditions portent ad coronam Dei promerendam.
*CommeatuS) ordinairement congé, permission; ici prolongation
de jours, de vie, ce que saint Grégoire appelle ingénieusement induciœ
mortis, ou simplement induciœ.
L E U R ES CHOISIES L E SAINT CYPRIEN. 69
combattu, foi achevé ma course, f ai conservé ma foi. Il ma
reste à recevoir la couronne de justice, que me donnera dans
le grand jour du jugement le Seigneur, ce juste juge, et non-
seulement à moi, mais à tous ceux qui attendent avec amour
sa venue. C'est donc cette lutte, prédite par les prophètes, en-
gagée par le Seigneur, soutenue par les Apôtres, que Mappa-
Ucus a promise à son tour au proconsul, en son nom et au
nom de ses collègues. Et elle n'a pas trahi sa promesse, cette
voix fidèle. Le combat qu'il avait publiquement annoncé, il
Ta soutenu, et il a reçu la palnje qu'il avait méritée.
IV. Marchez aujourd'hui, tel est mon vœu, telle est
l'exhortation que je vous adresse, marchez, avec les autres
confesseurs, sur les traces de ce glorieux martyr et de ceux
qui ont pris part au même engagement., guerriers et compa-
gnons inébranlables dans la foi, patients dans la douleur,
vainqueurs dans les tourments. Après avoir, vous et eux, été
unis par le lien de la confession et le séjour de la prison,
soyez-le encore par la consommation du mérite et la cou-
ronne céleste; essuyez, au moyen de la joie que vous lui cau-
serez, les larmes de l'Eglise, notre mère, qui pleure la chute
et la mort d'une fouie de ses enfants; fortifiez encore par
l'excitation de votre exemple les autresfidèlesqui se tiennent
fermes et debout. Si la bataille vous appelle, si votre jour de
combat arrive, portez les armes avec courage, combattez avec
fermeté, sachant que vous combattez sous les yeux du Sei-
gneur présent à vos efforts, et que vous arrivez à sa gloire
en confessant son nom, car il ne se borne pas à contempler
seulement ses serviteurs, mais lui-même lutte en nos per-
sonnes, lui-même combat l'ennemi, lui-même, dans cet en-
gagement que nous soutenons, décerne et reçoit tout en-
semble la couronne.
V. Si avant votre jour de combat la miséricorde du Sei-
gneur nous ramenait la paix, vous auriez toujours pour vous
votre inébranlable volonté et-la conscience de votre gloire.
Et qu'aucun ne s'afflige comme s'il était inférieur à ceux
qui, après avoir enduré jusqu'au bout les supplices, triom-
phant du siècle et le foulant aux pieds, sont, par une route
glorieuse, arrives jusqu'au Seigneur. C'est le Seigneur qui
scrute les reins et les cœurs, il devine ce qu'il y a de plus
secret, et voit ce qu'il y a de plus caché. Pour mériter de
lui la couronne, il suffit de son seid témoignage, à lui qui
doit nous juger tous. Ainsi, des deux parts, mes très-chers
70 SELECTitt OIVi CYPRIANI EPISTOL^.
minât, quam temporibus nostris gloriosus martyriim san-
guis illustrât! Erat antè in operibusfratrumcandida; nunc
1
focta est in martyram cruore purpurea ; floribus ejus nec
lilia nec rosae desunt *. Certent nunc singuli ad utriusque
honoris amplissimam dignitatem. Àccipiant coronas vel de
opère candidas, vel de passione purpureas. In cœlestibus
3
castris et pax et acies habent flores suos , quibus miles Christi
ob gloriam coronetur.
Opto vos, fortissimi ac beatissimi fratres, semper in Do-
mino bene valere et nostri meminisse. Valete.

EPISTOLÀ VLII.
AD MARTYRES ET CONFESSORES QUI LAPSIS PETIERUNT
PACEM DARI.
Règles que doivent se prescrire les confesseurs qui donnent des billets
de commuuion à ceux qui sont tombes

CYPRIANUS martyribus et confessoribus charissimis fratri-


bus salutem.
8
I. Sollicitudo loci nostri et timor Domini compellit, for-
6
tissimi ac beatissimi fratres , admonere vos lilteris nostris
1
Dans le livre de VAumône , l'auteur dit de mémo : Inpace vineen-
tibus coronam candidam pro operibus dabit, in perseculioue purpu-
ream pro passione geminabit.
* Saint Jérôme, en deux endroits : Virginum lilia et martyrum
rosm.
* Saint Cyprien dit autre part : Habct et pax coronas suas. Ail*
leurs encore : In persecutione militia, in pace conscientia corona-
bitur.
* I I s'agit ici des billets ou lettres par lesquels les confesseurs priaient
les évéques do rétablir dans la communion de l'Eglise ceux qui étaient
tombés. Voyez Selvaggio, t. III, p. 85.
tt
Locus désigne ici le rang, la dignité d'evêque qu'occupe saint C y -
prien. Nous disons de même une place pour un emploi.
* Au lieu de fratres, on lisait généralement martyres, appellation di*
reetc inusitée chez notre auteur, qui, au coulrairc, dans celle même
lettre, appelle encore les martyrs cl les confesseurs fortissimi elclwris-
simi fratres. Ce fratres au lieu de martyres a été donné par un manu-
scrit du Mont Saint-Michel.
LETTRES CHOISIES »E SAINT CYPRIEN. 71
frères, grandeur égale, égale illustration. Des deux dénoue-
ments, seulement, l'un est plus sûr, c'est de s'élancer, en
consommant sa victoire, dans le sein du Seigneur; l'autre
est plus doux, c'est, après avoir conquis la gloire, de rece-
voir son congé, et de vivre florissant et honoré dans le sein
de rEglise. O heureuse notre Eglise, où la grâce divine
brille ainsi de tout son éclat, et qu'illustre de nos jours le
glorieux sang de ses martyrs J Auparavant elle était blanche
de la pureté des œuvres des fidèles; maintenant le sang des
martyrs lui a donné la couleur de la pourpre : aux fleura
de sa couronne ne manquent ni les lis ni les roses. Que
chacun de nous s'efforce de conquérir l'insigne honneur de
l'un de ces deux ornements ! Que tous reçoivent des couron-
nes ou blanches de la pureté de leurs œuvres, ou teintes de
la pourpre du martyre ! Dans le camp du Seigneur, la paix et
la guerre ont chacune leurs fleurs, dont le soldat de Jésus-
Christ peut être couronné en récompense de sa gloire. Je dé-
siré, braves et bienheureux frères, que vous vous portiez
toujours bien dans le Seigneur, et que vous vous souveniez
de moi. Adieu.

LETTRE VIII.
AUX MARTYRS ET AUX CONFESSEURS QUI L'AVAIENT PRIÉ
D'ACCORDER LA PAIX AUX TOMBÉS.
Le sujet de cette lettre est expliqué suffisamment dans le passage suivant
de la lettre X I : « Ayant appris que ceux qui avaient souillé leurs mains
» et leurs lèvres par un contact sacrilège, ou qui, sans sacrifier aux
n Dieux, avaient cependant profané leur conscience en recevant les
* infâmes billets des magistrats païens; ayant appris, dis-jc, que ces
» hommes assiégeaient les martyrs de leurs sollicitations, et séduisaient
» les confesseurs par leurs prières accompagnées de brigues et d'impor-
» tunités, de telle sorte que, sans discernement, sans examen des cas
» particuliers, il se délivrait chaque jour, contre la loi de l'Evangile
j) des milliers de billets de faveur, j'ai écrit aux martyrs et aux con-
» fesseurs pour, autant qu'il était en moi, les rappeler à l'observation
» des préceptes du Seigneur. »

CYPRIEN aux martyrs et aux confesseurs ses frères chéris


salut.
I. Le soin de notre dignité et la crainte du Seigneur me
72 8ELKCTA D1Y1 CYPRIAti) EPISTOLiîî.
!
ut, a quibus tam devotè et fortiter servatur fides Domini ,
ab iisdem lex quoquè et disciplina Domini reservelur. Nam,
cùm omnes milites * Cliristi custodire oporteat prœcepta im-
peratoris sui, tum vos magis prœceptis ejus oblemperare plus
convenit, qui exemplum cœteris facti estis et virtutis et timoris
Dei. Et credideram quidem presbytères et diaconos, qui illic
présentes sunt, moncre vos et inslrucre plenissimè circa
3
Evaugelii legem, sicut in prœlerilum semper sub anteces-
soribus nostris factum est, ut diaconi adcarcerem commean-
tes * martyrum desideria consiliis suis et Seripturarum prœ-
ceptis gubernarent.

II, Sed nunc cum maximo aîiimi dolore cognosco non


tantùm illic vobis non suggeri divina praecepta, sed adhuc
6
potiùs impediri ; ut ea quae a vobis ipsis et circa Deum cautè
6
et circa sacerdotem Dei honorificè fiunt, à quibusdam presby-
teris resolvantur; qui, nec timorem Dei nec episcopi honorera
cogitantes, cùm vos ad me litteras direxeritis, quibus exami-
nari desideria vestra et quibusdam lapsis parem dari postu-
lastis, cùm, persecutione iinità, convenireinunum cum clero
et recolligi cœperimus ; illi, contra Evangelii legem. contra
vestram quoquè honoriûcam petitionem, ante actam pœni-
tentiam, ante exomologesin gravissimi atque extremi delicti
factam, ante manum ab episcopo et clero in pœnitentiam
1
L'édition d'Oxford donne Domino. C'est à peu près le même
sens.
* Au lieu de omnes milites, le manuscrit de Vérone donne honestos
milites, moins bon comme n'exprimant pas une obligation générale,
plus étroite encore pour les martyrs et les confesseurs, ainsi que l'expri-
me le reste de la phrase.
* Voyez page &G, note *.
4
Au lieu de ad camerem commeantes le même manuscrit de Vérone
f

donne convenicntes martyres, moins bon en ce qu'il ne mentionne pas


la circonstance de la prison, puis à cause de la consonnance désagréable
de ces deux mots.
* Au lieu de impediri suivi du point et virgule, des éditions portent
inveniri sans ponctuation après, de manière à ne faire qu'un sens con-
tinu depuis sed jusqu'à resolvantur. Cela s'entend bien, et présente au
fond l'expression du même fait, mais bien moins énergique qu'avec
notre leçon.
* H est évident que sacerdas veut dire ici éréqw.
LETTRES CHOISIES DK SAINT CYPRIEN. 73
font un devoir de vous engager, braves et bienheureux frères,
vous qui avez soutenu, avec tant de dévouement et de courage,
la foi du Seigneur, à observer aussi sa loi et sa discipline.
En effet, s'il faut que tous les soldats du Christ exécutent les
ordres de leur général, vous devez, à plus forte raison, leur
obéir plus ponctuellement encore, vous qui êtes devenus pour
les autres des modèles de courage et de crainte de Dieu. J'avais
cru que les prêtres et les diacres qui sont près de vous vous
donnaient des avertissements détaillés et des instructions
complètes sur la loi de l'Evangile, comme par le passé cela a
toujours eu lieu sous nos prédécesseurs, de telle sorte que
les diacres qui fréquentaient les prisons dirigeaient par leurs
conseils et selon les préceptes de l'Écriture les vœux des
martyrs.
II. Mais aujourd'hui j'apprends avec la plus grande dou-
leur que non-seulement on ne vous rappelle pas à l'observa-
tion des préceptes divins, mais qu'au contraire on paralyse
leur accomplissement. Ainsi des actes de votre part, pleins
d'une prudente réserve en ce qui concerne Dieu, et em-
preints de respect pour son ministre, sont annulés par quel-
ques prêtres qui n'ont souci ni de la crainte de Dieu ni de la
dignité épiscopale. Vous m'avez écrit une lettre où vous me.
priiez d'examiner vos vœux, et d'accorder la paix à quel-
ques tombés, quand, la persécution étant finie, nous serons
réunis à notre clergé au sein de l'assemblée des fidèles; eh
bien ! eux, contre la loi de l'uivangile, contre votre demande
respectueuse, osent, avant que les tombés aient fait pénitence,
avant qu'ils aient publiquement confessé * le péché le plus
énorme et le plus capital, avant que les mains leur aient été
b
imposées par i'évèque et le clergé en signe de pénitence, ils
osent, dis-je, offrir pour eux le saint Sacrifice et leur donner
l'Eucharistie, c'est-à-dire profaner le Corps sacré de notre
Seigneur, puisqu'il est écrit : Celui qui dans des dispositions

* Cette confession publique, ou exomologèse (et mieux exhomologèse,


puisqu'on dit homologuer, de la racine commune o^oXc^pcpo»), était celle
que faisaient de leurs péchés certains grands coupables (LettreIX, pa-
ragraphe u), et spécialement les tombés qui, repentants de leur faiblesse,
demandaient à retitrer dans le sein de l'Eglise.
b
Ces mots,évéque, clergé ou assistance, employés encore dans la lettre
suivante, montrent que l'évéque n'imposait pas seul les mains aux tom-
bés qui revenaient à TEulise.
5
74 SELECLB DIVI CYPRIANI EPISTOLiE
1
impositam, offerre pro illis et Eucharistiam dare, id est
sanctum Domini Corpus profanare, audeant; cùm scriptum
sit : Qui ederit panera aut biberit calicem Domini indigné,
reus erit Corporis et Sanguinis Domini \
III. Et lapsis quidem potest in hoc venia concedi. Quis
4
enim non mortuus vivificari properet ? Quis non ad salutem
suam venire festiuet? Sed prœpositorum est prœceptum
1
tenere, et vel properantes vel ignorantes instruere, ne
qui ovium pastores esse debent, lanii fiant. Ea enim conce-
dere quse in perniciem vertant, decipereest; necerigitursic
lapsus, sed per Dei offensam magls impellitur ad ruinam.
Vel ex vobis itaque discantquod docere debuerant. Petitiones
et desideria vestra episcopo servent, et ad pacem, vobis pe-
tentibus, dandam, maturum et pacatum tempus exspectent.
Ântè est ut * a Domino pacem mater prior sumat, tune secun-
5 6
dùm vestra desideria de filiorum pace tractetur .
IV. Et quoniam audio, fortissimi et charissimi fratres, im-
7
pudentiâ vos quorumdam premi, et verecundiam veslram
vim pati, oro vos quibus possum precibus ut, Evangelii me-
mores, et considérantes quae et qualia in prateritum ante-

1
Offerre est employé ici sans régime, comme dans la lettre suivante»
et signifie offrir le saint Sacrifice* C'est à tort que Manuce et après lui
plusieurs éditeurs ont mis, au lieu de ce seul mot, offerre lapsis pa-
nera.
8
An lieu de properet, un seul manuscrit donne optet; c'est le même
sens au fond, exprimé avec moins de vivacité.
5
Properantes n'a pas tout-à-fait le même sens que properet deux
lignes plus haut. Dans la première phrase ce verbe exprime tout simple-
ment le désir naturel, vif, empressé de revenir à la vie ; dans la seconde,
c'est l'empressement intempestif, immodéré et blâmable d'obtenir une
chose à laquelle on n'a pas droit.
4
Des éditions anglaises suppriment sans autorité Antè est ut, et com-
mencent cette phrase pur A Domino pacem> etc. IL est vrai qu'Anlé est ut
fait une espèce de pléonasme avec prior qui suit ; mais ce sonl de ces
négligences à peine sensibles qu'un éditeur n'a pas le droit de corriger
sans s'appuyer sur quelque manuscrit. — L'édition d'Oxford, d'après
plusieurs manuscrits, commence la phrase par Ante Domini pacem, etc.
Le sens est le même dans tous les cas.
* Secundùm desideria vestra. Un manuscrit donne secundûm ves-
tram petitionem; même sens absolument.
• Tractetur. Un manuscrit donne tractabitur; même sens.
9
Impudentid... quorumdam. Deux ou trois manuscrits portent àb
M Cor. xi.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 75
indignes mangera le pain ou boira le calice du Seigneur, sera
coupable du Corps et du Sang du Seigneur.
III. Quant aux tombés, ils peuvent en. cela paraître excusa-
bles. Quel mort en effet ne s'empresserait de revenir à la vie?
Qui ne se hâterait d'être sauvé? Mais c'est aux chefs à obser-
ver la loi, et, soit qu'il y ait chez les tombés précipitation ou
ignorance, à leur donner les instructions convenables; sinon
ceux qui doivent être les pasteurs du troupeau, en devien-
dront les bouchers. En effet, accorder à quelqu'un un objet
qui doit tourner à sa ruine, c'est le tromper; et une telle fai-
blesse, loin de relever un tombé, ne fait au contraire qu'of-
fenser Dieu et pousser plus sûrement le malheureux à sa
perte. Qu'ils apprennent donc au moins de votre bouche ce
qu'ils auraient dû enseigner aux autres. Ils doivent renvoyer
a
à l'évèque vos suppliques et vos vœux ; et quant à accorder
la paix sur votre demande, cette mesure ne doit être prise
qu'avec maturité, et il faut pour cela attendre un temps pai-
sible. Auparavant il faut que le Seigneur ait accordé la paix
d'abord à l'Eglise notre mère, puis, selon vos désirs, on
pourra traiter de la paix à accorder à ses enfants.
IV. Et, comme il m'est rapporté que quelques impudents
vous pressent et font violence à votre esprit de retenue,
soyez, je vous en conjure autant que je le peux, fidèles à
l'Evangile. Considérez l'étendue et la nature des concessions
faites par les martyrs vos prédécesseurs, voyez avec quel scru-
pule ils ont agi dans tous les cas, et, vous aussi, pesez avec
scrupule et prudence les vœux de ceux qui ont recours à
vous, puisque vous êtes les amis de Dieu, et que vous devez
plus tard exercer la justice avec lui. Examinez la conduite, les
œuvres et le mérite de chacun, pensez d'autre part à l'espèce
et aux circonstances particulières de chaque péché; nous ne
devons pas, vous par des promesses, et nous car des actes
portant le caractère de la précipitation ou de la faiblesse, faire
rougir notre Eglise aux yeux même des gentils. Nous sommes
en effet visités et châtiés fréquemment, et avertis que nous
devons conserver intacts et sans aucune atteinte les préceptes

impudentibus quibusdam. Môme sens au fond ; mais le substantif ab-


strait impudentiâ est d'un meilleur style que l'adjectif impuden-
tibus.
* On voit ici Tordre hiérarchique établi dans l'Eglise dès le commence-
ment.
76 SELSCTiS D M CYPRTANI EPfSTOL/E,
tecessores vestri martyres concesserint, quàm solliciti in
omnibus fuerint, vos quoquè sollicité et cautè petentium
desideria ponderetis, ut pote amici Domini et cum illo post-
modum judicaturi; inspiciatis et actum et opéra et mérita
singulorum, ipsorum quoquè delictorum gênera et qualitates
cogitetis, ne, si quid abrupte et indigné vel a vobis promis-
sum vel a nobis f actum fuerit, apud gentiles quoquè ipsos
Ecclesia nostra embescere incipiat. Yisitamur enim et casti-
gamur fréquenter, et ut Domini mandata incorrupta et in-
1
violata permaneant admonemur. Quod quidem nec illic
apud vos cessare cognosco, quô minus plurimos quoquè ex
vobis instruat ad Ecclesiae disciplinam divina censura. Hoc
autem totum potest fieri, si ea quae a vobis petuntur religiosà
contemplatione moderemini, intelligentes, et comprimentes
eos qui, personas accipientes, in beneficiis vestris autgrati-
ficantur aut illicitae negotiationis nundinas aucupantur.
V. De hoc et ad clerum et ad plebem litteras feci, quas
utrasque vobis legi mandavi. Sed et illud ad diligentiam ves-
2
tram redigere et emendare debetis, ut nominatim designetis
eos quibus pacem dari desideratis. Audio enim quibusdam
sic libellos fieri ut dicatur : Communicet ILLE cum suis, quod
3

nunquam omnino a martyribus factum est, ut incerta et


caeca * petitio invidiam nobis postmodum cumulet. Latè

* Au lieu àHnviolata, tin ms. donne immaculata, qui ne convient


guère ici*
* C'est-à-dire examiner attentivement (ou régler avec maturité ) et
soumettre à une réforme sévère.
3
Ille servait anciennement à indiquer dans les formules d'actes les
noms de personnes que Ton devait y écrire plus tard» et que nous lais-
sons en blanc. Il répond encore, comme icf, à notre expression géné-
rale et indéterminée un tel. Dans les formules ecclésiastiques, à cet ille
on a substitué plus tard la majuscule JV, comme on peut le voir dans las
Pontificaux. Missels. Rituels, etc.
4
Incerta et cœca. Telle est la véritable et seule bonne leçon. Cepen-
dant cinq mss. et plusieurs anciennes éditions donnent incerta et certa 9

leçon évidemment fautive. Ici l'erreur est facile à découvrir, surtout


par la comparaison avec d'antres manuscrits présentant tous la leçon
la seule convenable. Mais quand tous les manuscrits sont fautifs, qu'on
se ûgure quelle sagacité est nécessaire, et à combien de conjectures
il faut recourir pour arriver à rétablir dans sa pureté un texte ainsi
corrompu 1 L'embarras et le travail d'esprit ne sont guères moindre? .,
quand il s'agit de pholsir entre les leçons souvent nombreuses d'un
LETTRES CUOISIES DE SAINT CYPRIEN. 77
du Seigneur. Je sais bien qu'on ne cesse d'employer l'intri-
gue auprès de vous pour empêcher les divines réprimandes
de former le plus grand nombre d'entre vous à la discipline
de, l'Église. Mais cet heureux résultat peut être complète-
ment obtenu, si vous soumettez à un religieux examen les
vœux qui vous sont adressés, les appréciant en connaissance
de cause, et réprimant ces hommes qui, faisant acception de
personnes, veulent trouver dans vos bienfaits un moyen de
se rendre agréables, ou y cherchent les profits d'une infâme
spéculation.
V. J'ai écrit à ce sujet au clergéet auxfidèles,et j'ai recom-
mandé qu'on vous lût ces deux lettres. Mais il est encore un
point sur lequel j'appelle votre attention sévère, et qui vous
offre un abus à corriger : c'est la désignation nominative des
personnes à qui vous désirez que nous accordions la paix. On
accorde, me dit-on, à quelques personnes des billets ainsi con-
çus : Recevez dans la communion des fidèles, UN TEL avec les
siens. Or, jamais absolument les martyrs n'ont agi ainsi, au
risque de nous susciter, par ces demandes vagues et indéfi-
nies, des multitudes d'ennemis. C'est une expression bien
large en effet, que un tel avec les siens, et l'on peut nous pré-

même passage, données par différents manuscrits; l'embarras et la


peine sont même plus considérables, quand chacune de ces leçons a
pour elle un certain degré de probabilité. 11 faut alors non-seulement
être familiarisé avec tontes les délicatesses de la langue dans laquelle
est écrit l'ouvrage dont on prépare une édition, mais avoir une con-
naissance profonde du génie particulier de l'auteur, et de ses ma-
nières de s'exprimer. Enfin, la lecture même des manuscrits n'est pas
chose facile, et forme à elle toute seule l'objet d'une science assez com-
pliquée, qu'on appelle paléographie, c'est-à-dire l'art de lire les manu-
scrits, inscriptions, etc., de l'antiquité (de rcoXotoç et -fpa<pw). Au lieu
donc de ridiculiser les commentateurs et les paléographes, à l'exemple
des hommes futiles du siècle dernier, soyons reconnaissants envers ces
savants modestes qui, sans presqu'aucun espoir de renommée, con-
sacrent leurs veilles à préparer la mise en lumière des chefs-d'œuvre de
l'antiquité, et usent ainsi, pour nous apprêter des jouissances que sans
eux nous ne connaîtrions jamais, des facultés égales peut-être à celles
de tels et tels qui, profitant de leurs découvertes, brillent dans la litté-
rature ou les arts, et qui souvent, dans l'orgueil de leur gloire, regardent
en pitié les patients labeurs auxquels ils doivent d'avoir pu lire
les grands écrivains au contact desquels s'est allumée la flamme de
leur génie*
78 SELECTiK DIV1 CYPRIANI EPISTOLJB.
enim patet quando dicitur, ille cura suis, et possunt nobis
viceni et triceni et ampliùs offerri qui propinqui et affines et
liberti ac domfistici esse asseverentur ejus qui accipit libel-
lum. Et ideo peto ut eos quos ipsi videtis, quos nôstis, quo-
J
rum pœnitentiam satisfactioni proximam conspicitis , de-
signers nominatim libello, et sic ad nos fidei &c disciplinas
congruentes littcras dirigatis.
Opto vos, fortissimi ac dilectissimi * fratres , in Domino
semper bene valero et nostri meminisse. Valete.

EPISTOIA IX.
AD PLEBEM.

Invitation aux fidèles de ne pas se hâter de recevoir à la communion


ceux qui étaient tombés.

CYPRÏANUS fratribus in plèbe consistentibus salutem.


3
I. Ingemiscere vos et dolere ruinas fratrum nostrorum ex
me scio, fratres charissimi, qui et ipse vobiscum pro singulis
4
ingemisco pariter et doleo, et patior ac sentio quod beatus
Apostolus dixit : Quis infirmatur, inquit, et ego non infir-
a
mer? Quis scandalizatur, et ego non uror ? Et iterum posuit
in Epistola sua dicens : Si patitur membrum unum, compatiuny
tur etcœtera membra; et si lœtatur membrum unum, collée-
b
tantur et cœtera membra . Compatior ergô et condoleo de

1
Deux mss. donnent seulement quorum pœnitentiam conspicitis on
scitis; mais l'accord de tous les autres à donner pœnitentiam satisfac-
tioni proximam, montre que saint Cyprien voulait que, pour accorder
la paix aux tombés, on ne se contentât pas d'un commencement de péni-
tence; il fallait une expiation àpeu près complète, satisfactioni proximam.
* Le ms. de Vérone donne aussi dilectissimi.
* Quelques éditions donnent ruinam, bien moins conforme à la m a -
nière de l'auteur.
4
Qui et ipse vobiscum pro singulis ingemisco. Six manuscrits et toutes
les éditions qui ont précédé celle de Manuce, ont omis ce membre de
phrase, si beau pourtant, et où respire la plus tendre affection.
« II Côr. xi. — M Cor. xn.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 79
senter vingt, trente personnes et davantage, que Ton nous affir-
mera être parents, alliés, affranchis et domestiques de celle qui
a reçu le billet. Aussi vous prié-je de désigner nominative-
ment dans vos billets des personnes présentes sous vos yeux,
que vous connaissez, et dont vous voyez la pénitence appro-
cher de la satisfaction due à la Divinité, et, dans ces termes.,
de nous écrire conformément à la foi et à la discipline.
Je désire, braves et chers frères, que vous vous portiez tou-
jours bien dans le Seigneur, et que vous vous souveniez de
moi.

LETTRE IX.
AUX FIDÈLES.
Le sujet de cette lettre est au fond le même que celui de la précédente,
l'impatience condamnable des tombés pour être admis à la communion,
et la conduite que doivent tenir à leur égard les fidèles soumis aux rè-
gles de l'Eglise. C'est à cette lettre que l'auteur fait allusion dans ce
passage de la lettre X I : « J e me suis appliqué aussi, autant que je Pai
• pu, à régler les sentiments des fidèles, et à les former à l'observation
» de la discipline ecclésiastique. »

CYPRIEN auxfidèlesréunis salut.


I. Vous gémissez et vous vousaffligez de la chute denos frè-
res : je le sais par moi qui gémis aussi, et m'afflige comme
vous sur chacun d'eux, car j'éprouve et je sens ce qu'ex-
prime le saint Apôtre quand il dit : Qui de vous est infirme,
sons que je sois infirme aussi? qui est scandalisé, sans que
moi-même je sois blessé? Ne dit-il pas encore dans sa lettre :
Si un membre souffre, les autres membres souffrent aussi
en même temps, et si un membre se réjouit, les autres mem-
bres se réjouissent avec lui? Je souffre donc et je m'afflige
avec vous au sujet de nos frères, qui, tombés et abattus par
la violence de la persécution *, traînant avec eux une partie
de nos entrailles, nous ont fait un mal égal à celui de leurs
blessures, que peut seule guérir la miséricorde divine. U ne

* La persécution de Dèce, que l*actance appelle exsecrabile animal,


fut une des plus violentes; elle donna lieu à plusieurs défections.
80 SBLEGT/K MVJ CYPH1AN1 EP1STUL/K.
fratribus nostris, qui, lapsi et persecutionis infestatioue pro-
strati, partem nostrorum viscerum secum trahentcs, parem
dolorem nobis suis vulneribus intulerunt, quibus potens est
divina misericordia niedelam dare. Properandum tamen non
puto, nec incautè aliquid etfestinanter gerendum; ne, dum*
temerè pax usurpatur *, divinœ indignationis offensa graviùs
provocetur.
IL Fecerunt ad nos de quibusdam beati martyres litteras
petentes examinari desideria sua- Cùm, pacc nobis omnibus
a Domino priùs data, ad Ecclesiam regredi cœperimus, tune
examinabuntur singula, pnesentibus et judkantibus vobis.
Audio tamen quosdam de presbyteris, nec Evangelii memo-
res, nec quid ad nos martyres scripserint cogitantes, nec
episcopo honorem sacerdotii sui et cathedra reservantes,
jam cum lapsis communicare cœpisse, et offense pro illis et
Eucharistiam dare, quando oporteat ad hœc per ordinem per-
veniri. Nam cùm, in minoribus delictis quse non in Deum
committuntur, pœnitentia agatur justo tempore, et exomolo-
gesis fiât, inspecta via ejus qui agit pœnitentiam, nec ad
communicationem venire quis possit nisi priùs illi ab epis-
copo et clero manus fuerit imposita; quantô magis in his
gravissimis et extremis delictis cautè omnia et moderatè se-
cundùm disciplinam Domini observari oportet? quod quidem
nostri presbyteri et diaconi monere debuerant, ut commen-
datas sibi oves foverent, et divino magisterio ad viam depre-
candae salutis instruerent.
IIL Ego plebis nostrae et quietem novi pariter et timorem;
qui in satisfactione Dei et deprecatione vigilarent, nisi illos
quidam de presbyteris gratificantes decepissent. Vel vos ita-
que singulos regite, et consilio ac moderatione vestrâ secim-
dùm divina praecepta lapsorum animos temperate. Nemo ad-

1
Au Heu de ne, dum temerè pax usurpatur, plusieurs manuscrits
donnent ne, si temerè pax usurpelur, leçon qui présente seulement
sous forme hypothétique et conditionnelle un abus que l'auteur signale
et déplore comme réellement existant, l'admission, par certains mem-
bres du clergé, des tombés à la communion chrétienne. Voir à ce su-
jet la lettre précédente.
* Temerè pacem usurpare veut dire ici non pas extorquer avec au-
dace, mais pratiquer (c'est-à-dire accorder) indiscrètement, la récon-
ciliation. — Plus loin offensa ne signifie pas offense, mais méconten-
tement.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 81
faut pourtant pas se hâter, je pense, ni agir avec impru-
dence et précipitation; prenons garde, en pratiquant indis-
crètement la réconciliation, d'exciter d'une manière plus
grave encore la colère de Dieu.
IL Quelques-uns des bienheureux martyrs m'ont écrit pour
me prier d'examiner leurs vœux. Quand, le Seigneur nous
ayant d'abord accordé la paix à tous, nous pourrons retour-
ner à notre Eglise, alors nous examinerons chaque cas en
particulier, en votre présence et avec votre assistance \ J'ap-
prends toutefois que quelques prêtres, oubliant l'Evangile,
ne songeant pas à ce que nous ont écrit les martyrs, et ne
réservant pas à l'Evèque l'honneur de son ministère et de la
chaire qu'il occupe, ont déjà commencé à communiquer avec
les tombés, à offrir pour eux le saint sacrifice, et à leur don-
ner l'Eucharistie, tandis que Ton devait en venir là selon
les règles seulement. En effet, si pour de moindres fautes,
qui n'ont pas Dieu pour objet, on fait pénitence pendant un
b
temps convenable, si l'on fait une confession publique , si
la vie de celui qui fait pénitence est soumise à un examen, si
enfin personne ne peut être admis à la communion, que
d'abord les mains ne lui aient été imposées par l'évéque et
0
le clergé , à combien plus forte raison, quand il s'agit de ces
fautes énormes et de toutes les plus capitales, doit-on obser-
ver avec prudence et lenteur tout ce que recommande la dis-
cipline du Seigneur. C'est ce qu'auraient dû représenter nos
prêtres et nos diacres pour donner aux brebis qui leur sont
confiées des soins salutaires, et leur enseigner d'après les le-
çons divines les moyens d'implorer et d'obtenir leur salut.
III. Je connais l'esprit paisible et soumis de nos fidèles; et
certes ils consacreraient leurs veilles à satisfaire à Dieu et à
le prier, si, pour leur être agréables, quelques prêtres ne les
eussent pas trompés. Vous donc, au moins, dirigez chacun
d'eux, et, par vos conseils et de sages ménagements, gouver-
* Voici une preuve positive qu'à cette époque non-seulement le clergé,
mais aussi les laiques étaient admis à prononcer avec l'évéque sur les
objets les plus importants, par exemple la pénitence des tombés leur t

réception dans l'Eglise, la validité des billets qu'ils avaient reçus des
martyrs, etc. Au quatrième Concile de Carthage, canon 23, on lit : Ut
episcopus nullius causam audiat absque prœsentia clericorum pie-
biumque (Manuscrit antique de l'église d'Urgel). Voyez lettre X , à la fin
du second paragraphe, et lettre X Y I , dernier paragraphe.
b a
Voyez page 73, note . — « Voyez page 73, note K
5.
82 SELECT/B DIVI CYPRIANI EPISTOLJE.
hue importuno tempore acerba poma decerpat. Nemo navem
suam quassatam et perforatam fluctibus, priusquam diligen-
ter refecerit, in altum denuo committat. Neuio tunicam scis-
1
sam accipere et induere properet , nisi eam et ah artifice
perito sartam viderit, et afollonecuratam receperit. Audiant,
quaeso, patienter consilium nostrum, exspectent regres-
sionera nostram; ut, cùm ad vos per Dei misericordiam
veneriinus, convocati cocpiscopi plures, secundiun Domini
disciplinam, et confessorum praesentiam et vestram quoquè
sententiam, beatorum martyrum litteras et desideria exa-
minare possimus. De hoc et ad clerum et ad martyres et
confessores litteras feci, quas utrasque legi vobis màndavi.
Opto vos, fratres charissimi ac desiderantissimi, in Domi-
no semper bene valere et nostri meminisse. Valete.

EPISTOLÀ X.
AD CLERUM, DE HIS QUI AD PACEM FESTINANT.
Empressement immodéré de ceux qui sont tombés à demander leur
réconciliation.

GYPRIANUS presbyteris et diaconibus fratribus salutem.


I. Legi litteras vestras, fratres charissimi, quibus scripsistis
salubre consilium vestrum non déesse fratribus nostris ut>
temerariâ festinatione depositâ, religiosam patientiam Deo
praebeant; ut, cùm in unum per ejus misericordiam veneri-
mus, de omnibus speciebus* secundùm ecclesiasticam disci-
plinam tractare possimus, maxime cùm scriptum sit : Mé-
mento unde eccideris, et âge pœnttentiam*. Pœnitentiam
autem ille agit qui, divini prsecepti memor, mitis et patiens
1
Plusieurs anciennes éditions donnent potest, qui s'entend, et pré-
senté au fond le même sens, mais est en désaccord avec les subjonctifs
decerpat et committat des deux phrases précédentes.
%

* Species désigne moins les diverses catégories de chrétiens tombés,


que les cas particuliers à chacun d eux ; il est pris ici dans son sens le
plus restreint, et répond absolument à notre mot espèce, dans le langage
du droit.
* Apoc. H.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 83
nez selon les préceptes divins les esprits des tombés. Que per-
sonne ne veuille, dès à présent et à contre-temps, cueillir
des fruits qui ne sont pas encore mûrs. Que personne, si son
navire est fracassé par Forage et troué par les flots, n'aille,
avant de l'avoir radoubé avec soin, le lancer de nouveau sur
la haute mer. Que personne, s'il a une tunique déchirée, ne
se hâte de la prendre et de la revêtir, s'il ne Ta fait aupara-
vant réparer par un tailleur habile, et nettoyer par le foulon*
Qu'ils écoutent, je les en conjure, nos conseils avec patience,
qu'ils attendent notre retour, afin que quand la miséricorde
divine nous aura permis de rentrer parmi vous, nous puis-
sions, plusieurs évèques réunis, examiner selon la discipline
du Seigneur, en présence des confesseurs et d'après Vbs
a
avis , les lettres et les vœux des saints martyrs. J'ai écrit
à ce sujet au clergé, aux martyrs et aux confesseurs, et j'ai
recommandé qu'on vous lût ces deux lettres.
Je désire, frères chéris et dévoués, que vous vous portiez
toujours bien dans le Seigneur, et que vous vous souveniez
de moi.

LETTRE X.
AU CLERGÉ, SUR CEUX QUI S'EMPRESSENT POUR RECEVOIR
L A PAIX*

Même sujet encore : toujours la conduite à tenir à l'égard des tombés.


Ce n'est qu'en faisant pénitence qu'ils peuvent parvenir à être admis
de nouveau dans la communion des fidèles. Or, pour faire pénitence,
il faut avant tout se soumettre aux préceptes divins, se montrer doux,
patient, et obéir aux ministres du Seigneur. Les tombés, qui, ayant
reçu des billets des martyrs, tombent dangereusement malades, peu-
vent être reçus à la communion ; quant aux autres, il faut les remettre
jusqu'au temps où, l'ÉgU»e jouissant de la paix, les évèques réunis au
clergé et aux fidèles pourront prononcer sur leur sort*

CYPRIEN aux prêtres et aux diacres ses frères salut.


I . J'ai lu, mes très-chers frères, la lettre par laquelle vous
me mandez que vos salutaires conseils ne manquent pas à
nos frères, que vous les engagez à renoncer à un empresse-
ment téméraire et à montrer devant Dieu une religieuse pa-
* Voyez page 75, note *•
#4 SKLhCTA D M CyPKIANI KP1ST0L<V.
1
et sacerdotibus Dei obteinperans, obsequiis suis et operibus
justis Dominum promeretur.
IL Quoniam tamen significâstis quosdam immoderatos es-
se et communicationem accipiendam festinanter urgere, et
3
desiderastis in bac re formam* a me vobis dari , satis plenè
scripsisse me ad hanc rem proximis litteris ad vos factis cre-
4
do, ut qui libellum a martyribus acceperunt , et auxilio eo-
rum adjuvari apud Dominum in delictis suis possunt, si
premi infîrmitate aliquà et periculo cœperint, exomologesi
factâ, et manu eis a vobis in pœnitentiam iniposità, cum
s
pace a martyribus sibi promissa ad Dominum remittantur.
Caeteri verô qui nullo libello a martyribus accepte invidiam
8
faciunt , quoniam non paucorum, nec ecciesiae unius aut
ugius provinciae, sed totius orbis haec causa est, exspectent
7
de Domini protectione ecciesiae ipsius publicam pacem. Hoc
enim et verecundiœ. et disciplinae et vitae ipsi omnium nos-
8
trûm convenit, ut praepositi cum clero convenientes , prae-
9
sente etiam stantium plèbe, quibus et ipsis pro fide et timo-
ré suo honor habendus est, disponere omnia consilii com-
munis religione possimus.
1
Deux manuscrits et deux anciennes éditions donnent opinionibus f

bien moins bon qu'operibus, mot familier à saint Cyprien, et qui se


trouve d'ailleurs dans neuf manuscrits et dans toutes les autres anciennes
éditions.
* Formam, une règle à suivre.
5
Formcm à me vobis dari, etc. Un manuscrit donne vobis a me dar
ri litleras, sciatis plenè scripsisse me.
4
Un manuscrit donna acceperint, qui se trouve en désaccord avec
possunt.
* Le mot pax indique ici l'administration du saint Viatique.
6
Invidiam fadunt (nobis), cherchent à soulever les passions (contre
nous).
7
Un manuscrit donne Ecclesiœ priùs publicam pacem.
* Deux manuscrits donnent ut episcopi plnres inunum convenientes;
Il est certain que prœpositi chez saint Cyprien est la même chose qu'é-
piscopi; mais les deux leçons présentent cette notable différence, que,'
selon la nôtre, saint Cyprien entend que les évéques (c'est-à-rlirc cha-
que évéque dans son diocèse) réunis à leur clergé, et assistés dc*s (klèles,
s'occuperont de régler en commun ce qui concerne les tombés; tandis
qu'avec la leçon des deux manuscrits, qui fait le sujet de cette note, ce
règlement est attribué à une réunion d'évéques.
0
Stantium, c'est-à-dire non lapsorum, qui sont debout, qui n'ont
pas succombé, qui sont restes ildèles. Saint Jérôme : Ex quo inlclligi-
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 85
tience, afin que, quand sa miséricorde nous aura permis de
revenir parmi vous, nous puissions juger tous les cas parti-
culiers selon la discipline ecclésiastique, vu surtout qu'il est
écrit : Souvenez-vous d'où vous êtes tombé, et faites péni-
tence. Or, pour faire pénitence, il faut, fidèle au précepte
a
divin se montrer doux, patient et obéissant aux minis-
tres de Dieu, afin de mériter les grâces du Seigneur par sa
soumission et ses œuvres de justice.
II. Comme néanmoins vous m'avez fait connaître que quel-
ques-uns ne peuvent se modérer et vous pressent brusque-
ment pour obtenir leur réintégration parmi les fidèles;
comme aussi vous me priez de vous donner à ce sujet une
règle à suivre, je crois avoir traité ce point assez complète-
ment dans la dernière lettre que je vous ai adressée. Ainsi,
quant à ceux qui ont reçu un billet des martyrs, et qui pour
leurs péchés sont dans le cas de mettre à profit cette assis-
tance auprès du Seigneur, s'ils sont pris de quelque maladie
et tombent en danger de mort, faites-leur faire une confes-
b
sion publique , imposez-leur les mains en signe de péni-
c
tence , et renvoyez-les au Seigneur avec la paix que les
martyrs leur ont promise. Mais pour les autres qui, sans
avoir reçu de billet des martyrs, cherchent à soulever les pas-
sions contre nous, comme c'est ici la cause non pas d'un
petit nombre d'hommes, ni même celle d'une seule église
ou d'une seule province, mais la cause de l'univers entier,
qu'ils attendent de la protection du Seigneur la paix publique
de l'Eglise elle-même. Ce qui convient en effet à notre mo-
destie, à notre discipline et à notre vie à tous, c'est ce que
nous autres évèques, réunis à notre clergé, en présence
aussi et avec l'assistance des fidèles qui n'ont point failli, et
auxquels, en raison de leur foi et de leur obéisssance, un tel
honneur est bien dù, nous puissions tout régler en commun
dans une scrupuleuse délibération.

mus illum non stantibus coronam, sed jacentibus manum porrigere.


— Au lieu de présente etiam stantium plèbe, un manuscrit donne ad-
stante plèbe.
* Le précepte divin auquel il est fait allusion est contenu dans ce pas-
sage de l'évangile de saint Matthieu : Discite a me quia mitis sum et
humilis corde.
*> Voyez page 73, note*.
o Voyez page 73, note ? .
86 SELEC1VE Dm CYPRIANI EPISTOLiE
III. Caeterùm quàm irreligiosum est et ipsis quoquè festi-
nantibus perniciosum, ut, cùm extoiTes facti et patrie pulsi
ac bonis suis omnibus spoliati, nondum ad ecclesiam redie-
rint, quidam de lapsis confessores ipsos praevenire et ante
eos ad ecclesiam introire festinent! Qui si nimiùm prope-
1
rant , habent in sua potestate quod postulant, tempore ipso
sibi plus quam postulant largienle*. Àcies adhuc geritur, et
agon quotidie eelebratur. Si commissi verè et firmiter pœni-
8
tet, et fidei calor pra&valet , qui differri non potest, potest
coronari.
Opto vos, fratres charissimi, semper bene valere et nostri
meminisse. Fraternitatem universam meo nomine salutate,
et ut nostri memores sint admonete. Valete.

EPISTOIA XL
AD PRESBYTEROS ET DIACONOS ROMJS CONSISTENTES

Occupations de S. Cyprien pour son diocèse pendant sa retraite.

CYPRIANDS presbyteris et diaconibus Rom» consistentibus


fratribus salutem.
1
Toute cette fin est citée par saint Cyprien lui-même dans la lettre
X X V à Antonien.
* Un seul manuscrit donne largiente, qui s'entend très-bien. Tous les
autres donnent des mots qui ne forment aucun sens, comme largimter,
largiter, etc.
5
Plusieurs manuscrits donnent permanet, beaucoup moins bon que
prmalet, indiquant le réveil de la foi chez le chrétien tombé, mais
dont rardeur se ranime, et lui fait braver des périls devant lesquels il a
jadis succombé.
4
Le cardinal Baronius dit que cette lettre est adressée au clergé ro-
main, à qui, comme il le devait, saint Cyprien rend compte de sa con-
duite et du gouvernement de son église. Baluze prétend au contraire
que saint Cyprien écrit ici aux membres du clergé de Carthage, qui
étaient alors à Rome, et donne comme une preuve de cette assertion la
fin même de cette lettre, où, dit-il, saint Cyprien écrit aux prêtres vt
aux diacres en question, qu'il les attend pour pouvoir, à l'aide de leurs
avis, porter paitout la régie et la réforme. On ne peut pas, ajoute-t-il,
conclure du contenu de cette lettre, que c'est un compte rendu adressé
au clergé romain, puisque, afûrme~Hl encore, ce clergé, quand le Saint-
Siège était vacant (c'était le cas, car on n'avuil pas encore donné de suc-
87
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN.
III. Au reste, combien n'est-il pas contraire à la religion,
et nuisible à la fois à ceux qui se montrent si pressés, que,
tandis que des bannis, des fidèles chassés de leur patrie, et
dépouillés de tous leurs biens ne sont pas encore revenus
dans le sein de l'Eglise, quelques tombés veulent devancer
les confesseurs eux-mêmes, et s'empressent pour rentrer
avant eux dans l'Eglise ! S'ils se montrent par trop pressés,
ils ont en leur pouvoir ce qu'Us demandent; les circonstan-
ces même les favorisent au-delà de leur désirs. La guerre est
flagrante encore, et tous les jours se livrent de nouveaux
combats. Si leur faute leur inspire un véritable, un ferme
repentir, si l'ardeur de la foi a repris le dessus dans leurs
âmes, celui qui ne peut souffrir d'être remis à un autre
temps, peut dès aujourd'hui recevoir la couronne.
Je désire, mes très-chers frères, que vous vous portiez
toujours bien, et que vous vous souveniez de moi. Saluez
en mon nom tous nos frères, et priez-les de se souvenir de
moi. Adieu.
«Ill.l.l - I . • • • • • • • • H m • Il — • — » • — — — I I I II HW.T.—I— I—Il . 1 . — .

LETTRE XI.
AUX PRÊTRES ET A U X DIACRES DE ROUE»

Saint Cyprien rend compte au clergé de Rome des raisons qui lui ont fait
quitter Carthage au moment de la persécution, et des soins divers
qui Pont occupé dans sa retraite. Il lui envoie, pour justifier tous
ses actes, copie des lettres qu'il a écrites depuis son départ au clergé,
aux martyrs et confesseurs ainsi qu'aux fidèles de son église.

CYPRIEN aux prêtres et aux diacres de Rome, ses frères,


salut.
sesseur à saint Fabien), ne s'occupait pas des affaires del'Eçlîse univer-
selle. Pour nous, nous sommes complètement de l'avis de Baronius ; et
1° Ad presbyteros et diaconos Romœ consistentes ne veut pas dire aux
prêtres et aux diacres actuellement à Rome, mais aux prêtres et aux
diacres réunis à Rome, y formant un corps composant par leur en-
semble le clergé de l'église romaine, ainsi qu'on le voit au titre de la
lettre II de notre édition, indubitablement adressée aux prêtres et aux
diacres de l'église de Rome. 2° Saint Cyprien ne parle pas du tout d'at-
tendre ceux à qui il écrit, pour régler, quand il sera réuui à eux, les af-
faires de son église ; il dit seulement qu'il en conférera ( délibérera, si
Ton veut) avec eux, ce qui peut se faire aussi bien de loin que de près,
88 SELECTE D M CYPRIANI EPIST0L45.
I. Quoniam comperi, fratres charissimi, minus simplici-
ter et minus fideliter vobis renuntiari quae hic a nobis et ges-
ta sunt et geruntur, necessarium duxi has ad vos litteras fa-
cere, quibus vobis actùs nostri et disciplinas et diligentiae
1
ratio redderetur. Nam, sicut Domini mandata instruunt ,
1
orto statim turbationis impetu primo, cùm me clamore v o-
lento fréquenter populus flagitasset, non tam meam salu-
tem quàm quietem fratrum publicam cogitans, intérim seces-
3
si, ne per inverecundam praesentiam nostram seditio quae
cœperat plus provocaretur. Absens tamen corpore, nec spiri-
4
t u nec actu nec monitis meis defui quominùs secundùm
Domini praecepta fratribus nostris in quibus possem meâ rne-
diocritate* consulerem.

aussi bien avec des prêtres habitant Rome, qu'avec ceux qui seraient à
Carthage près de lui. 3° Il est inexact de dire que le clergé de Rome ne
s'occupait pas des affaires del'Kglfce universelle, quand le Saint-Siège
était vacant. Car nous avons (Lettre II de l'édition complète des lettres
de saint Cyprien) une lettre du clergé de Rome à celui de Carthage,
pour l'engager à soutenir avec fermeté la foi, et à encourager les fidèles
dans leur résistance à la persécution. E t , ce qui prouve jusqu'à l'évi-
dence que cette lettre e.*t bien écrite au clergé de Rome et non à celui
de Carthage, c'est que, dans cette autre lettre dont nous parlons,
le clergé de Rome précisément émet l'avis (auquel saint Cyprien, à la
fin de celle-ci, déclare se conformer) que l'on doit accorder la paix aux
tombés pénitents et en état de maladie dangereuse. La lettre du clergé de
Rome que nous mentionnons est donc un moyen de contrôle certain, qui
permet de juger à qui celle de saint Cyprien est adressée. Or, contre l'as-
sertion deBaluze, elle traite des affaires de l'Église universelle, et pour-
tant, de l'avis même de ce critique, elle a été écrite pendant la vacance
qui suivit le martyre de saint Fabien Ce ne peut donc être que par o u -
bli ou distraction, que le savant commentateur tombe dans l'erreur que

1
Deux manuscrits portent : Sicut Domini mandatis instruimur; dif-
férence insignifiante quant au sens.
a
Cet orto, qui n'est pas nécessaire au sens, mais qui le rend plus
clair, est omis par dix manuscrits et par les anciennes éditions, mais il
se trouve dans six autres manuscrits.
3
Inverecundam* Un manuscrit donne verecundam, qui est un véri-
table contre-sens.
4
Un manuscrit donne nec scriptis, beaucoup moins bon que nec spirilu
opposé à absens corpore.
* Un autre, au lieu de meâ mediocritate, "donne posset mea medio*
critas. Même sens. ^
LETTRES CHOISIES DB SAINT CYPRIEN. 89
1. Comme je me suis convaincu qu'il y apeu de sincérité et
peu d'exactitude dans les rapports qui vous parviennent sur
mes actes, soit passés, soit présents, j'ai cru devoir vous écri-
re cette lettre pour vous rendre compte de ma conduite, de la
discipline que j'ai suivie, et du zèle que j'ai déployé*.
Conformément aux préceptes du Seigneur, dès qu'ont éclaté
les premières violences de la persécution, comme le peuple
me demandait fréquemment avec des cris féroces, ayant
en vue moins mon salut que le repos de mes frères en
général, je me suis confiné dans la retraite, ne voulant pas
par la hardiesse de ma présence exciter davantage la sédition
qui avait commencé. Toutefois, bien que je fusse absent de
corps, ni mon esprit, ni mes actes, ni mes conseils n'ont
jamais manqué à mes frères; et j'ai toujours et en toutes
choses possibles, suivant l'ordre du Seigneur et selon la
médiocrité de mes moyens, pris soin de leurs intérêts.

nous révélons ici. 11 ne faut pas s'étonner au reste de voir correspondre


entr'eux les chefs et les membres du clergé des différentes églises*, toutes
portions intégrantes du grand tout, l'Église catholique (c'est-à-direuni-
verselle) de Jésus-Christ. Pour tenir léte aux persécutions sur tous les
points du vaste empire romain, pour maintenir partout l'intégrité et l'u-
nité de la foi, pour tenir dans tous tes cas une conduite uniforme et
conséquente**, il était besoin de ces communications fréquentes et pres-
que journalières. Rome, siège de l'église la plus considérable, et qui
avait eu l'honneur d'avoir pour pontife l'apôtre saint Pierre, le fonde-
ment et le représentant de l'Église universelle, était naturellement le
centre de ces communications; et l'évéqne de cette métropole était de
la part des autres évèques l'objet d'une obéissance et d'une soumission
positives. En cas de vacance du Saint-Siège, c'était au clergé de Rome que
se reportait ce respect traditionnel. Sur toutes choses on demandait, on
écoutait ses avis, et, pour les affaires secondaires au moins, son autorité
suppléait à celle du souverain Pontife absent ou décédé. Voilà comment
s'explique la lettre de saint Cyprien aux prêtres et diacres de Rome, (t
le compte rendu qu'elle contient.
* Communicato etiam vobiscum consilio.
** Ut apnd omnesunus actus et una consentie secundum Domini prœcepta
teneaiur, icUre XIII, à Galdonius, vers la fin; et ici même, à lafinde la présente
lettre: Ne actus nos ter, qui adunatus esse et consentire circa omnia débet,
in aliquo dtscreparet, pour tenir, disous-nous, celte conduite uniforme et consé-
quente.

« On voit ici la prééminence de l'église de Rome, à laquelle les autres


églises rendent compte de leurs actes.
90 SELEC'LE DIVI CYPRIANI EPISTOLE.
II. Et quid egerim loquuntur vobis epistolae pro tempo-
ribus emissae numéro tredecim, quas ad vos transmisi; in
quibus nec clero consilium, nec confessoribus exhortatio,
1
nec extorribus , quando oportuit, objurgatio, nec univers»
fraternitati ad deprecandam Dei misericordiam allocutio et
Çersuasio nostra defuit, quantum, secundiun legem tidei et
timorem Dei, Domino suggerente, nostra mediocritas potuit
3
eniti . Posteaquam verô et tormenta venerunt, sive jam tor-
tis fratribus nostris, sive actinie ut torquerentur inclusis ad
3
corroborandos et confortandos eos noster sermo penetravit.
Item, cùm comperissem eos qui sacrilegis contactibus manus
suas atque ora maculassent*, vel nefandis libellis nihilomi-
nus conscientiam polluissent, exambire ad martyres passim.
confessores quoquè importuna et gratiosâ deprecatione cor-
rumpere, ut, sine ullo discrimine atque examine singulo-
5
rum, darentur quotidie libellorum millia contra Evangelii
legem, lilteras feci quibus martyres et confessores consUio
meo quantum possem ad dominica praecepta revocarem.
III. Item presbyteris et diaconibus non defuit sacerdotii vi-
6
gor , ut quidam minus disciplinae memores et temerariâ fes-

* Exilés ponr la foi, puis revenus dans leur patrie, et tenant une con-
duite peu régulière. — Au lieu de extorribus, quelques manuscrits don-
nent extorrentibus, forme monstrueuse.
* Un manuscrit, au lieu de et timorem Dei, Domino suggerente, nos-
tra mediocritas potuit enili, donne et timorem Domini suggerere
nostra mediocritas potuit, moins bon que notre leçon, où le Seigneur
est présenté comme inspirant les sages conseils et les utiles exhoita-
tions.
5
Des éditions portent confirmandos, très-latin mais moins bon,
t

parce que dans le style latin chrétien le verbe confirmare a reçu une
nouvelle acception sacramentelle. D'ailleurs confortandos est donné par
tous les manuscrits.
4
En offrant de l'encens aux idoles, et en mangeant de la chair des
victimes sacrifiées aux faux dieux.
Libelles ou billets délivrés par les juges aux chrétiens qui dé-
claraient renoncer au Christianisme : ce qui les fit appeler libella-
tiques.
G
Ici Baluze a fait un singulier contre-sens. U a cru que saint: C y -
prien voulait dire : Les prêtres et les diacres n'ont pas manqué de (c'est-
à-dire/ont courageusement déployé) la vigueur du sacerdoce, tondis que
l'auteur dit au contraire ; La vigueur (la sévérité) de notre sacerdoce, de
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN* 91
II. Mes actes vous sont exposés dans mes lettres, écrites
selon les circonstances, an nombre de treize, que je vous en-
voie. Dans ces lettres, je n'ai épargné ni à mon clergé les
6
conseils, ni aux confesseurs les exhortations , ni, quand il
b
Ta fallu, les réprimandes aux exilés rentrés parmi nous , ni k
tous lesfidèlesles allocutions et l'emploi de la persuasion
0
pour les engager à invoquer la miséricorde divine , le tout
selon ce que, conformément aux lois de la foi et à la crainte
de Dieu, a pu faire, inspirée par le Seigneur, la médiocrité
de mes moyens. Quand la persécution est venue avec ses
supplices, soit que nos frères eussent déjà été livrés aux tor-
tures, soit que, renfermés dans les prisons, ils attendissent
encore leurs bourreaux, ma parole a su pénétrer jusqu'à eux
d r
pour les fortifier et les affermir dans la foi . Aj ant appris
aussi que ceux qui avaient souillé leurs mains et leurs lèvres
par un contact sacrilège, ou qui, sans sacrifier aux idoles,
avaient cependant profané leur conscience en recevant les in-
fâmes billets des magistrats païens; ayant appris, dis-je, que
ces hommes assiégaient les martyrs de leurs sollicitations, et
séduisaient les confesseurs par leurs prières accompagnées de
brigues et d'iraportunités, de telle sorte que sans discerne-
ment, sans examen des cas particuliers, il se délivrait chaque
jour, contre la loi de l'Evangile des milliers de billets de fa-
veur, j'ai écrit aux martyrs et aux confesseurs, pour, autant
qu'il était en moi, les rappeler à l'observation des préceptes
0
du Seigneur .
IIL Les prêtres aussi et les diacres ont senti la vigueur de
mon ministère; ainsi quelques-uns d'entre eux qui, oubliant
la discipline, et emportés par une téméraire précipitation,
commençaient déjà à communiquer avec les tombés, ont été

notre ministère épiscopal (n'a pas manqué, c'est-à-dire, s'est fait sentir)
aux prêtres et aux diacres. — Saint Cyprien appelle souvent un évéqite
sacerdos, et l'épiscopat sacerdolium. — Vigor sacerdotii non defuit
presbyteris et diaconibus ressemble à non defuit extorribus objurgatio
de la page précédente,
* Lettres IV et V .
* Lettre V paragraphe v.
c
Lettre VI tout entière.
* Ces exhortations aux confesseurs prisonniers font le sujet de la
lettre VII.
* C'est le sujet de la lettre VIII.
92 SELECTIVE D1VI GYPRIANI XPI8T0LB.
tinqtione précipites, qui curnlapsis comuiunicare j&m coopé-
rant, comprimerentur, intercedentibus nobis. Plebi quoquè
1
ipsi quantum potuimus animum composuimus, et ut eccle-
1
siastica disciplina servaretur instruximus. Postmodum
5
verô, cùm quidam de lapsis, sive suâ sponte, sive aliquo
4 5
incitatore , audaci flagitatione proruerent ut pacem sibi a
martyribus et confessoribus promissam extorquere violento
impetu niterentur, de hoc etiam bis ad clerum litteras feci et
legi eis mandavi, ut, ad illomm violentiam intérim quoquo
6
génère mitigandam, si qui, libelio a martyribus accepte , de
saeculo excédèrent, exomologesi factâ, et manu eis in pœni-
tentiam impositâ, cum pace sibi a martyribus promissâ ad
Dominum remitterentur. Nec in hoc legem dedi, aut me
auctorem temerè constitua Sed cùm videretur et honor mar-
tyribus habendus, et eorum qui omnia turbare cupiebant
impetus comprimendus, et praeterea vestra scripta legissem
quae hue ad clerum nostrum per Crementium hypodiaconum
nuper feceratis, ut iis qui post lapsum infirmitate appre-
hensi essent, et pœnitentes communicationem desiderarent,
subveniretur, standum putavi et cum vestra sententia, ne ac-
tus noster, qui adunatus esse et consentire circa omnia dé-
bet, in aliquo discreparet. Plané caeterorum causas, quamvis
libelio a martyribus accepte, differri mandavi et in nostram
praesentiam reservari; ut, cùm, pace a Domino nobis data,
plures praepositi convenire in unum cœperimus, communi-
cato etiam vobiscum consilio, disponere singula et reforma-
re possimus.
Opto vos, fratres cbarissimi, semper bene valere.
1
Animum. Ce mot, nécessaire au sens, manque dans beaucoup de
manuscrits. Des éditeurs ont mis animos, sans nécessité de changer.
* Deux manuscrits donnent ut ecclesiasticam disciplina™, servarent.
Même sens à peu de chose de près ; tournure moins élégante.
* C'est ce de qui a donné naissance à notre article de, du, des, em-
ployé dans les mêmes circonstances et destiné aux mêmes usages.
4
Un manuscrit donne la mauvaise leçon sine aliquo disputatore. Un
autre, nescio quo disputatore incitante, qui s'entendrait à la rigueur,
mais bien moins naturel et moins facile que la leçon donnée par tous
les autres manuscrits.
8
Un manuscrit donne prorumperent, et d'autresproruperinU Même
sens à peu près ; proruerent est plus juste.
6
Billets donnés par les confesseurs à ceux qui étaient tombés devant
la persécution.
LETTRES CHOISIES DE S/VINT CYPRIEN. 93
réprimés par mes soins*. Je me suis appliqué aussi, autant
que je l'ai pu, à régler les sentiments desfidèles,et à les for-
mer à l'observation de la discipline ecclésiastique. Dernière-
ment enfin, comme quelques tombés se précipitaient, armés
d'audacieuses réclamations, pour arracher violemment la paix
que leur avaient promise les martyrs et les confesseurs, j'ai
écrit deux fois à ce sujet au clergé, avec recommandation de
leur lire mes lettres. J'y décidais, afin d'apaiser par quelque
moyen que ce fût, leur violence, que si quelques-uns, ayant
reçu un billet des martyrs, se trouvaient sur le point de quit-
ter la vie, on leur fit faire une confession publique, on leur
imposât les mains en signe de pénitence, et on les renvoyât
b
au Seigneur avec la paix que les martyrs leur ont promise .
Et en cela je n'ai pas créé de loi, et je ne me suis pas té-
mérairement donné pour l'auteur de cette mesure. Mais
comme il paraissait nécessaire de témoigner aux martyrs une
honorable déférence, d'autre part de réprimer l'audace de
gens qui voulaient porter le trouble partout, et que d'ailleurs
j'avais .lu l'écrit que vous aviez adressé naguères à notre cler-
c
gé par le sous-diacre Crémentius , où vous êtes d'avis qu'il
faut secourir ceux qui, après leur chute, viendraient à tomber
malades,et qui, repentants, demanderaient la communion, j'ai
cru devoir embrasser aussi votre sentiment, afin que notre
manière d'agir, qui, en tout, doit être une et parfaitement
d'accord, ne présentât aucune différence. Quant aux autres,
bien qu'ayant reçu des billets des martyrs, j'ai ordonné d'a-
journer leurs causes sans exception, et de les réserver pour
être jugées par moi en personne, afin que, quand le Seigneur,
nous ayant accordé la paix, nous nous réunirons plusieurs
évèques ensemble, nous puissions, en en conférant aussi
avec vous, régler et réformer chaque chose.
Je désire, mes très-chers frères, que vous vous portiez tou-
jours bien.
» Dans cette sévérité déployée par lui envers les prêtres et les diacres,
le saint évêque rappelle le blâme infligé par lui (lettre VIII, paragraphe
il, et lettre IX, paragraphe u) aux prêtres et aux diacres qui, en commu-
niquant avec les tombés non réconciliés régulièrement avec l'Église, en-
courageaient leur témérité, et les perdaient en les flattant.
* Voyez lettre X , paragraphe u.—C\impace désigne ici le saint Viatique.
« Il s'agit précisément ici de cette lettre écrite par le clergé de Rome
au clergé de Carthage, dont nous avons parlé dans le sommaire de celle-
ci, rt qui est la seconde du recueil complet des lettres de saint Cyprien.
94 SELECTJE DIYI CYPRIANI EPISTOLiB.

EPISTOIA XIL
AD MOYSEN ET MAXIMUM ET CiETEROS CONFESSORES.

S. Cyprien se recommande aux prières des confesseurs emprisonnés à


Rome pour la foi.

CYPRIANUS Moysi et Maximo presbyteris,. et caeteris confes-


soribus fratribus, salutem.
I. Etcunctos YOS pariter et singulos reprœsentavit affectibus
nostris, fratres charissimi, Célérinus adveniens , et fidei ac
virtutis vestrae cornes, et gloriosis congressionibus Dei miles.
Universos vos in illo veniente conspeximus; et, cùm chari-
tatem circa me vestram dulciter ac saepè loqueretur, in ejus
sermonibus vos audiebamus. Satis ac plurimùm gaudeo
quando a vobis per taies talia perferuntur. Vobiscum illic in
carcere quodammodo et nos sumus, divinœ dignationis orna-
1
menta vobiscum sentire nos credimus, qui sic vestris cor-
dibus adhœremus. Honori nos vestro chantas vestra indivi-
dua connectit, separari dilectionem spiritus non sinit. Vos
illic confessio, me afifectio includit. Et nos quidem vestri die-
bus ac noctibus memores, et quando in sacrificiis precem
cum pluribus facimus, et cùm in secessu* privatis precibus
oramus, coronis ac laudibus vestris plenam a Domino faven-

1
Neuf mss. et l'édition de Manuce donnent ornamenta; dix autres
m8S. et quelques éditions donnent à la place hortamenta, moins facile,
mais qui s'entendrait pourtant. Ce membre de phrase signifierait alors s
les encouragements de la grâce divine nous élèvent à la hauteur de vos
sentiments.
* Deux mss., au lieu de in secessu donnent in secreto, qui vaut mieux,
parce que saint Cyprien étant alors dans sa retraite, le saint Sacrifice
qu'il célébrait était toujours, même en présence des fidèles qui par-
tageaient cette retraite, célébré in secessu, ce qui contrarie la distinction
que l'auteur veut établir ici entre les prières qu'il fait au milieu des fi-
dèles, et celles qu'il adresse à Dieu en son particulier* in secreto. Nous
n'avons pas toutefois voulu adopter cette leçon, en contradiction avec
presque tous les mss. et toutes les anciennes éditions. Secessus a d'ail-
leurs un sens assez voisin de celui de secretum.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 95

LETTRE XIL
A MOÏSE, MAXIME ET LES AUTRES CONFESSEURS*

Saint Cyprien célèbre dans cette lettre le courage de Maxime et des


autres confesseurs romains* L'analyse de cette lettre se trouve toute
faite dans une lettre du clergé romain à f évêque de Cartilage (c'est la
e
X X X I des lettres dans l'édition complète de saint Cyprien) : « A cette
» occasion nous devons vous témoigner et vous témoignons en effet une
» reconnaissance infinie, pour avoir éclairé les ténèbres de leur prison,
» pour être ailé les visiter, par le procédé du moins qui seul vous était
» possible pour pénétrer jusqu'à eux ; pour avoir élevé encore leurs âmes
» déjà pleines d'une foi robuste, et animées par la lutte même de la
• confession ; pour les avoir, en célébrant dignement leurs succès,
» enflammés encore d'un plus ardent désir de la gloire céleste; pour
« avoir, par une impulsion salutaire, accéléré leur marche vers ce but
« sacré; pour avoir, par l'énergie de votre langage, excité ces héros,
• qui, nous le croyons et le désirons, doivent mériter la couronne de la
i» victoire; ainsi, bien que tout leur mérite ait sa source dans la foi
* de leur confession et dans la miséricorde divine, ils vous sont pourtant
» aussi redevables de quelque chose dans la gloire de leur martyre. »

CYPRIEN aux prêtres Moïse et Maxime, et aux autres con-


fesseurs, salut.
I. Tous ensemble et chacun en particulier, vous avez été,
mes très-chers frères, rendus présents à mon cœur par l'ar-
a
rivée de Célérinus , compagnon de votre foi et de votre cou-
rage, et, comme vous, soldat de Dieu dans nos glorieux com-
bats. Tous, quand je l'ai vu, je vous ai vus arriver avec lui j
et quand il me disait souvent et en termes si aimables votre
affection pour moi, en écoutant ses paroles, c'est vous que
j'entendais. Grande et profonde est ma joie quand de votre
part semblables nouvelles me parviennent par un tel messa-
ger. Vous êtes à Rome en prison; j ' y suis en quelque sorte
* Saint Cyprien, dans une de ses lettres adressée aux fidèles de Car-
thage, parle longuement de Célérinus. Issu d'une famille de confesseurs
et de martyrs, il a lui-même glorieusement confessé la foi, et donné dans
sa conduite l'exemple de toutes les vertus chrétiennes. Aussi le saint évê-
que lui confère avec joie dans son église l'ordre de lecteur, en attendant
qu'il puisse, quand il aura l'âge convenable, l'élever à la prêtrise, dont il
lui .accorde dès aujourd'hui les émoluments. Célérinus fut envoyé en mis-
sion près du pape Corneille» près de qui il fit un assez long séjour, et le saint
Pontife aussi, dans une de ses lettres, fait de lui un magnifique éloge.
96 SELECTiE DiVI CYPRIANI BPISTOLJE.
tiam postulamus. Sed ad reddendam vobis vicem minor est
nostra mediocritas. Plus vos datis quando nostri in oratione
1
meministis, qui spirantes "jam sola cœlestia, et tantùin di-
vina méditantes, ad fastigia celsiora morà ipsà passionis
ascenditis,longoque temporum ductu glorias vestras non tra-
bitis, sed augetis. Beatum facit prima et una confessio. Vos
toties confitemini quoties, rogati ut de carcere recedatis, car-
cerem fideet virtute prœeligitis Tôt vestras laudes quotdies ;
quot mensium currieula, tôt incrementa meritorum. Semel
vincit qui statim patitur. At qui, manens semper in pœnis,
congreditur cum dolore nec vincitur, quotidie coronatur.
IL Eant nunc magistratus et consules sive proconsules;
annuae dignitatis insignibus et duodecim fascibus glorien-
tur! Ecce dignitas cœlestis in vobis bonoris annui claritate
3
signata est , et jam revertentis anni volubilem circulum
victricis glorias diuturnitate transgressa est. llluminabat
mundum sol oriens et luna decurréns. Sed vobis idem qui
solem fecit et lunam majus in carcere lumen fuit; et in
corde ac mentibus vestris Cbristi claritudo resplendens hor-
ribiles caeteris atque funestas pœnalis loci tenebrasœternà illà
4
et candidà luce radiavit. Per vicissitudines mensium trans-
meavit bibernum*. Sed et vos inclusi tempora biemisper-
secutionis hieme pensabatis. Successit biemi verna temperies
rosis lœta et floribus coronata. Sed vobis rosœ et flores de
1
Un ms., au lieu de la belle expression spirantes, donne le terme
vulgaire et froid sperantes.
* Sous-entendu libertati, ou plutôt l'idée de libertas, non exprimée,
mais implicitement contenue dans rogati ut de carcere recedatis.
5
Au lieu de honoris annui claritate, un ancien ms* donne annuo
claritatis honore; même sens. — Un autre ms., au lieu de signata est,
donne signatur, moins bon, parce que Tannée dont il s'agit est déjà ter-
minée.
4
Au lieu de mensium, d'anciens mss. donnent mensuum, qu'on trouve
aussi dans les mss. d'autres auteurs. On trouve même mensum, fré-
quemment pour mensium dans les mss. du code Tbéodosien. Ce sont
autant de formes altérées qu'il faut éviter avec grand soin en écrivant*
u
Toutes les éditions presque portent hïbernum tempus que ne don-
nent pas la plupart des anciens mss. et qui parait être une glose. Aussi
Baluze a bien fait de retrancher ce tempus. Les anciens disaient hiber-
num seulement pour dire Vhiver, un hiver. Sénèque, épilre xv : U)ia
Bannibalem hiberna solverunt. Tertullien, Contre Marcion, livre i :
Totus annus hibernum est etc., etc.
t
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 97
moi-même avec vous, je crois recevoir en nième temps que
vous les bienfaits de la grâce divine, tant je vous suis uni de
cœur 1 L'inaltérable charité que vous avez pour moi m'associe
à l'honneur que vous recevez; un même esprit maintient en-
tre nous une indissoluble amitié. Oui, nous sommes à Rome
prisonniers tous ensemble, vous par le fait de votre confes-
sion, moi par le fait de mon affection. Et, songeant à vous les
jours et les nuits, soit lorsque dans nos sacrifices j'adresse
au Ciel mes vœux en compagnie de nos frères, soit lorsque
dans le secret je lui fais personnellement ma prière, je sup-
plie le Seigneur de répandre abondamment sa grâce sur vos
couronnes et sur votre gloire. Mais pour vous payer de re-
tour, je sens combien est insuffisante la médiocrité de mon mé-
rite. Vous me donnez bien plus lorsque dans vos prières vous
voulez bien vous souvenir de moi, vous qui déjà ne respi-
rant plus que le ciel et ne songeant qu'à la Divinité, vous
élevez au plus haut degré de perfection par la lenteur même
de vos supplices, et pour qui la longue durée du temps, loin
de ternir votre gloire, ne fait au contraire qu'en rehausser
l'éclat. Pour faire un saint, il suffit d'une première et unique
confession. Vous, vous confessez le nom du Seigneur toutes
les fois qu'engagés à renoncer à la prison, vous préférez, par
un effet de votre foi et de votre courage, la prison à la liber-
té. Pour vous autant de jours, autant de titres de gloire; autant
de mois, autant d'accroissements de mérites. A subir d'un
seul coup son supplice, on ne remporte qu'une seule victoire;
mais celui qui, demeurant toujours au milieu des tourments,
lutte contre la douleur sans jamais être vaincu, celui-là cha-
que jour gagne une nouvelle couronne.
II. Viennent maintenant magistrats, consuls ou procon-
suls, fiers des insignes de leur dignité qui dure une année,
et de leurs douze faisceaux! E h ! l'honneur de votre di-
gnité céleste n'a-t-il pas brillé de son éclat pendant une
aimée entière? Que dis-je? la durée de votre glorieux triom-
phe a dépassé en longueur le cercle mobile de l'année revenant
sur elle-même. Le soleil se levant chaque jour, et la lune par-
courant ses diverses phases, versaient sur le monde leur lu-
mière. Mais pour vous celui-là même qui a créé le soleil et
la lune était, dans votre prison, un flambeau plus éclataut
que ces astres lumineux; et la clarté du Christ, qui brillait
dans vos cœurs et vos esprits, dissipait, par les rayons de
son éternelle et pure lumière, les ténèbres de ce lieu de
6
98 SELEGTiB DIVI CYPRIANI EPISTOL/E.
1
paradisi deliciis aderant , et caput vestrum serta cœlestia
coronabant. Mstas ecce messium fertilitate fecunda est, et
area frugibus plena est. Sed vos, qui gloriam seminastis,
fmgem gloriœ metistis; atque, in Domini area constituti,
exuri paleas inexstinguibili igne conspicitis ; ipsi, ut tritici
grana purgata et frumenta pretiosa, jam purgati* et conditi,
hospitium carceris horreum computatis. Nec deest autumno
ad munera fungenda temporis gratia spiritalis. Vindemia fo-
ris premitur,et profutura poculis in torcularibus uva calca-
tur. Vos de Domini vinea pingues racemi, et jam maturis
fructibus botri, pressurœ sa&ularis infestatione calcati, tor-
cular vestrum* carcere torquente sentitis, et vini vice san-
guinem funditis; ad passionis tolerantiam fortes, martyrii
poculum libenter hauritis *. Sic apud servos Dei annus evol-
vitur; sic spiritalibus mèritis et cœlestibus praemiis tempo-
rum vicissitudo celebratur.
IJI. Beati satis qui ex vobis per hœc gloriarum vestigia
commeantes* jam de saeculo recesserunt, confectoque itinere
virtutis ac fidei, ad complexum et osculum Domini, Domino
ipso gaudente, venerunt. Sed et vestra non minor gloria,
6
qui, adhuc in certamine constituti, et comitum glorias
1
Au lieu de aderant, quelques mss. donnent adhœrebant, et une édi-
tion adluerent, assez mauvais tous les deux.
9
Au lieu de purgatif les éditions d'Erasme et de Manuce, ainsi qu'un
certain nombre de mss. donnent probati, qui ne convient pas aussi bien
à la figure dont se sert ici l'auteur.
3
Huit mss. donnent torcular vestrum, que nous donnons aussi. Neuf
autres mss. et plusieurs anciennes éditions donnent torcular nostrum,
qui nous a semblé beaucoup moins juste et moins bon.
4
Voyez avec quelle justesse saint Cyprien suit cette métaphore des
fidèles comparés au raisin de la vigne du Seigneur ; admirez l'accord
parlait de tous ces termes : pressura...} calcati...; torcular.... carcere
torquente...; vini vice sanguinem funditis...; puis enfin, dans le même
ordre d'idées : martyrii poculum hauritis. — Cette figure du martyre,
présenté sous l'image d'une coupe à laquelle boivent les fidèles, est
e
familière à notre auteur. Dans la lettre X X V I I , à saint Corneille, De
pace lapsis danda, on lit : Quomodo ad martyrii poculum idoneos
facimus, etc.?
u
Per hœc gloriarum vestigia commeantes, suivant ces traces glo-
rieuses.
* Au lieu de comitum, quelques mss. donnent militum, mauvais, et
que Baluze cite seulement pour montrer à quel point souvent sont fau-
tifs les anciens manuscrits.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 99
souffrances, objet d'horreur et d'effroi pour les autres pri-
sonniers. À travers la succession des mois s'est écoulé l'hiver.
Vous aussi, bien que renfermés et à l'abri, vous avez eu
votre saison des tempêtes. la longue tempête de la persécu-
tion. A l'hiver a succédé le doux printemps, paré de roses
et couronné de fleurs. Vous aussi, vous aviez vos roses et
vos fleurs, c'étaient les délices du paradis; et vos fronts
étaient couronnés de guirlandes célestes. Voici l'été, saison
féconde, abondante en moissons, partout les aires sont char-
gées de ses produits. Mais vous, qui avez semé de la gloire,
vous avez récolté une moisson de gloire; et, déposés sur
l'aire du Seigneur, vous voyez la paille être la proie d'un
inextinguible feu j et vous, comme le grain d'un blé bien
nettoyé, comme un froment précieux, vous, dis-je, déjà pu-
rifiés et mis en réserve, vous avez pour grenier le séjour de
la prison. L'automne aussi, pour accomplir sa tâche dans
Tordre des saisons, a sa part de grâce spirituelle. Dehors se
presse la vendange, et aux pressoirs se foule le raisin qui
doit remplir les coupes. Vous, produits de la vigne du Sei-
gneur, grappes bien fournies, au fruit nourri et déjà mûr,
foulés par la violence de la persécution, vous avez pour pres-
soir les tortures de la prison, et au lieu de vin, c'est votre
sang que vous laissez couler; courageux à supporter les sup-
plices, vous buvez avec joie à la coupe du martyre. Ainsi,
chez les serviteurs de Dieu s'accomplit la révolution de l'an-
née, ainsi les mérites spirituels et les célestes récompenses
fout pour eux de la succession des saisons une fête perpé-
tuelle.
III. Grandement heureux ceux d'entre vous qui, suivant
ces traces glorieuses, ont déjà quitté ce monde, et, ayant
parcouru la carrière de la vertu et de la foi, sont allés re-
cevoir les embrassements et les baisers du Seigneur, charmé
de leur prodiguer ces marques de tendresse. Mais elle n'est
pas inférieure non plus votre gloire à vous qui, encore en-
gagés dans la lutte, et jaloux d'égaler la gloire de vos compa-
gnons, soutenez longtemps la bataille, et, solides, inébranla-
bles dans la foi, donnez chaque jour à Dieu le spectacle de vos
vertus. Plus est long votre combat, plus glorieuse sera votre
couronne. La guerre est une, mais comporte dans son en-
semble une multitude d'engagements variés. Vous maîtrisez
la faim, vous méprisez la soif, et, dans votre force d'âme,
vous regardez en pitié tous les dégoûte de la prison, toute
ÎOO SELECTE DITI CYPRIANI EPISTOLdS.
secuturi, pugnani diù geritis, iinmotâque et inconeussâ lide
stabiles, quotidie speciaeulum Deo vestris virtutibus exhibe-
tis. Quô longior vestra pugna *, hoc corona sublimior. Àgon
unus, sed multiplici praeliorum numerositate congestus. Fa-
mem vincitis,et sitim spernitis, et squalorem carcerisac
receptaculi pœualis horrorem roboris vigore calcatis. Pœna
illic subigitur, cruciatus obteritur, nec mors metuitur, sed
2
optatur ; quae scilicet immortalitatis prœmio vincitur,utvila5
aeternitale qui vicerit coronetur. Qui nunc in vobis animus !
quàm sublime, quàm capax pectus ubi talia et tanta volvun-
tur, ubi non nisi Dei praîcepta et Christi prœmia cogitantur!
Voluntas est illic tantùm Dei : et in came adhuc licèt vobis
positis, vita jam vivitur non praesentis saeculi, sed futuri.
IV. Nunc est, fratres charissimi, ut memores meî sitis, ut
inter magnas atque divinas cogitationes vestras nos quoquè
animo ac mente volvatis, simque in precibus et orationibus
vestris, cùm vox illa, purifîcatione confessionis illustris et
jugi honoris sui tenore laudabilis, ad Dei aures pénétrât, et,
aperto sibi cœlo, de his subacti mundi partibus ad superna
transmissa, impetrat de Domini bonitate* quod postulat.
Quid enim petitis de indulgentia Domini quod non impe-
trare mereamini, qui sic Domini mandata servâstis, qui evan-
4
gelicam disciplinam sincero fidei vigore tenuistis, qui,
incorrupto honore virtutis cum praeceptis Domini et cum
Apostolis ejus fortiter stantes, nutantem multorum fidem
martyrii vestri veritate solidàstis? Verè Evangelii testes etverè
martyres Christi, ràdicibus ejusinnixi, super petram robustâ
mole fundati, disciplinam cum virtute junxistis, ad timo-
rem Dei caeteros provocàstis, marlyria vestra exempla fecistis.
Opto vos, fortissimi ac beatissimi fratres, semper bene
valere et nostri meminisse.
1
Au lieu de vestra pugna, quelques mss. portent vestra confessio,
qui paraît être une glose de commentateur. Un ms. porte même vestra
confessio vel pugna.
* Tertullien, dans son livre DeSpectaculis, appelle les Chrétiens expe-
ditum mortigenus. Antonin-le-Pieux, dans un rescrit aux habitants de
l'Asie, rapporté par Ruffln, liv. iv, chap. 13, dit que les Chrétiens font
volontiers à leur Dieu le sacrifice de leur vie, et reçoivent la mort sang
se plaindre.
5
Trois ou quatre mss. portent de Domini voluntale; deux autres de
Domini pietate; il n'y a là aucune différence pour le sens.
4
Toutes les éditions qui ont précédé celle de Manuce portent evan*
LETTRES CHOISIES DK SAINT CYPHIEN. 101
l'horreur de ce lieu de tortures. C'est là que Ton se rend
supérieur aux supplices, que Ton foule aux pieds les tour-
ments, et que, loin de craindre la mort, on la désire au
contraire, parce qu'en triomphant d'elle on gagne l'immor-
talité ; parce que, dans cette lutte, le vainqueur a pour
prix la couronne de la vie éternelle. Oh ! quel est mainte-
nant votre courage ! Qu'elles sont sublimes, qu'elles sont
vastes, les âmes qu'occupent de si grands, de si nobles ob-
jets ! où ne vit d'autre pensée que celle des préceptes et des
récompenses du Christ! Il n'y a en vous d'autre volonté
que la volonté de Dieu, et, bien (pie placés encore dans
les conditions de notre existence périssable, déjà vous vivez
non plus de la vie du siècle présent, mais de celle du siècle
à venir.
IV. C'est le lieu maintenant, mes très-chers frères, de
vous souvenir de moi, de m'associer aux grandes et divines
pensées qui occupent maintenant vos cœurs et vos esprits,
de me mêler à vos prières et à vos vœux, quand cette voix,
purifiée, ennoblie par votre confession, et constamment fi-
dèle à la gloire dont vous vous êtes couverts, parvient jus-
qu'aux oreilles de Dieu, et, s'ouvrant les portes du Ciel, s'é-
lève de ce monde vaincu par vous jusqu'au séjour divin, et
obtient de la bonté du Seigneur tout ce qu'elle lui demande.
Que pouvez-vous en effet implorer de sa miséricorde, que
vous ne méritiez d'obtenir, vous qui avez sifidèlementgardé
ses commandements, qui avez observé avec une foi sincère
et. vigoureuse la discipline de l'Evangile, qui, avec l'incor-
ruptible honneur d'un courage indompté, fortement attachés
aux préceptes du Seigneur et à l'enseignement des Apôtres,
avez raffermi, par la sincérité de votre martyre, la foi chan-
celante d'une foule de chrétiens? Vrais témoins de l'Evan-
gile, vrais martyrs de Jésus-Christ, l'ayant lui-même pour
racine, solidement assis sur le roc inébranlable sur lequel
est fondée l'Eglise, vous avez uni la discipline au courage,
vous avez été pour les autres des modèles de crainte de
Dieu, vous avez fait de vos martyrs autant d'exemples pour
les fidèles.
Je souhaite, mes braves et bienheureux frères, que vous vous
portiez toujours bien, et que vous vous souveniez de moi.
gelicamviam, qui serait bon aussi, mais que Baluze n'a vu dans aucun
des mss, qu'il a compulsés»
Ô.
102 SELECT/B D1VI CTPRIANI EPISTOL/E.

EPISTOLA XI IL
BESPONDET CALDONIO.
Saint Cyprien approuve Caldonius, qui n'avait pas cru devoir refuser
la communion à ceux qui, étant tombés, avaient effacé leur crime par
une nouvelle confessiou de la foi.

CYPRIANUS Caldonio fratri salutem.


I. Àccepimus litterastuas^fratercharissime, satis sobrias et
integritatis ae fidei plenas.Nec miramur si, exercitatus et in
Scripturis dominicis peritus, cautè omnia et consulté géras.
Rectè autem sensisti circa impertiendam fratribus nostris
ï>acem, quam sibi ipsi verà pœnitentià et dominicae confes-
sionis gloriâ reddiderunt, sermonibus suis justificati, qui-
bus se antè damnaverant. Cùmcrgôabluerint omne delictum,
1
et maculam pristinam, assistente sibi Domino, potiore vir-
tute deleverint, jacere ultra sub diabolo quasi prostrati non
debent, qui, extorres acti et bonis suis omnibus spoliati,
erexerunt se et cum Cbristo stare cœperunt.
II. Atque utinam sic et cœteri, post lapsum pœnitentes,
in statum pristinum reformentur! quos nunc urgentes et
pacem temerè atque importuné extorquentes quomodo dis-
2
posuerimus ut scires, librum tibi cum epistolis numéro
quinque misi, quas ad clerum et ad plebem et ad martyres
quoquè et confessores feci. Quae epistolae jam plurimis coL-
legis nostris missae placuerunt, et rescripserunt se quoquè
nobiscum in eodem consilio secundiim catbolicam fidem
stare. Quod ipsum etiam tu ad collegas nostros quos potueris
transmitte, ut apud omnes unus actus et una consensio se-
cundùm Domini praecepta teneatur.
Opto te, frater charissime, semper bene valere.

1
Quelques anciens manuscrits donnent posteriore virtute, qui s'en*
tend bien aussi, et qui signifie : par te courage qu'ils ont montré de-
puis.
* 11 s'agit du livre de saint Cyprien qui a pour titre : De lapsis (Des
tombés).
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 103

LETTRE XIII.
RÉPONSE A CALDONIUS.
Approbation donnée à la conduite de Caldonius, qui n'avait pas cru de-
voir refuser la communion aux tombés qui depuis leur chute avaient
fait une pénitence sincère et confessé de nouveau le nom de ïésus-
Christ. Saiul Cyprien profile de l'occasion de cette réponse à Caldouius
pour lui euvoyer sou livre Des tombés, et cinq de ses lettres, afin de
l'instruire des mesures que lui-môme a prises de son roté à l'égard de
ceux d'entre ces malheureux, qui montrent un empressement immodéré
et coupable pour reulrer dans le seiu de l'Eglise.

CYPRIEN à Caldonius son frère salut


I. J'ai reçu, très-cher frère, votre lettre pleine de raison,
d'intégrité et do foi. Je ne m'étonne pas qu'exercé et habile
dans les saintes Ecritures, vous vous montriez prudent et
sage dans toute votre conduite. Vous avez bien fait d'accorder
à nos frères la paix, qu'ils se sont rendue eux-mêmes par
une sincère pénitence, et par la gloire avec laquelle ils ont
confessé le nom du Seigneur, se justifiant par leur langage,
qui auparavant les avait condamnés. Puis donc qu'ils se sont
lavés entièrement de leur faute, et qu'avec la grâce du Sei-
gneur ils ont, par une vertu supérieure, effacé l'ancienne
tache dont ils s'étaient salis, ils ne doivent pas plus long-
temps rester abattus et comme terrassés sous le démon, ces
hommes qui, bannis et dépouillés de tous leurs biens, se
sont relevés, et se tiennent debout avec le Christ.
II. Et plût à Dieu que les autres aussi, faisant pénitence
après leur chute, reconquissent de même leur ancien état!
Comme ils nous pressent, et veulent témérairement nous ar-
racher la paix, j'ai voulu vous instruire des mesures que nous
avons adoptées à leur égard, et pour cela je vous envoie mon
livre, avec cinq lettres que j'ai, adressées à notre clergé, aux
fidèles, aux martyrs, et aux confesseurs. J'en ai déjà fait l'en-
voi à beaucoup de nos collègues; ils m'ont répondu que, con-
formément à la foi catholique, ils adhéraient pleinement à
mon avis. Vous aussi, faites connaître tout cela à tous ceux de
nos collègues que vous pourrez en instruire, afin que, con-
formément aux préceptes du Seigneur, nous tenions tous une
même conduite, et soyons animés des mêmes sentiments.
Je désire, mon très-cher frère, que vous vous portiez tou-
jours bien*
m SKLBffUB D1VI CYPH1ANI E1>IST0L^.

EPISTOLÀ XIV.
AD MOYSEN ET MAXIMUM ET C J E T E R O S CONFESSORES.

Eloges des confesseurs qui à la confession de la foi ont ajouté l'obser-


vance de la discipline a l'égard de ceux qui sont tombés*

CYPRIANUS Moysi et Maximo presbyteris, et caeteris confes-


soribus dilectissimis fratribus, salutein.
I. Gloriam fidei et virtutis vestrae, fortissimi ac beatissimi
1
fratres, jam pridem de opinione cognoveram, laetatus sa-
tis et plurimùm gratulatus quôd vos confessione sui nomi-
nis paraveritad coronam Domini nostri Jesu Christi praecipua
8
dignatio . Vos enim, primores et duces ad nostri tem^oris
praelium facti, cœlestis militiae signa movistis. Vos spiritale
certamen, quod nunc geri Deus voluit, vestris virtutibus
8
imbuistis . Vos surgentis belli impetus primos immobili
robore atque inconcussâ stabilitate fregistis. Inde initia fe-
licia pugnandi orta sunt, inde vincendi auspicia cœperunt.
Contigit hic per tormenta consummari martyria. Sed qui in
congressione praecedens exemplum virtutis fratribus factus
est, cum martyribus in honore communis est. Coronas ves-
TRA manu sertas inde hue tradidistis, et de poculo salutari
fratribus propinastis*.
II. Accessit ad confessionis exordia gloriosa et militiae vic-
tricis auspicia disciplinas ténor quem de epistolae vestrae
vigore perspeximus, quam modo ad collegas vestros in con-
fessione vobiscum Domino copulatos sollicita admonitione
misistis, ut Evangelii sancta praecepta et tradita nobis semel
1
Par ouï-dire, par les récits qu'on en faisait.
8
Dignatio, estime, faveur, grâce.
* Certamen imbuistis, expression hardie, que nous ne rendrions
qu'approximativement en disant : Vous avez inauguré par votre cou-
rage cette lutte glorieuse de l'esprit, dont Dieu lui-même a donné le
signal; oui Vous avez les premiers arrosé de votre sang le terrain
glorieux de cette lutte spirituelle, etc. Saint Cyprien, assimilant à une
guerre la lutte des martyrs contre les persécuteurs, échauffe son style en
y semant les termes d'art militaire, qu'il emploie au reste avec une jus-
tesse et un bonheur infinis.
4
Et, buvant les premiers à la coupe du salut, vous Pavez présentée à
vos frères {propimre (tfpojirîvw), boire le premier, puis présenter la coupe.)
L E ! 1RES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN 405

LETTRE XIV.
A MOÏSE, MAXIME ET LES AUTRES CONFESSEURS*
Félicitations aux confesseurs de Rome pour le courage dont ils out mon-
tré l'exemple à toute l'Eglise dans la persécution. L'auteur les félicite
également de la soumission qu'ils ont montrée depuis à la discipline
ecclésiastique, et qui. selon lui, leur assure une gloire égale à celle des
martyrs.
CYPRIEN aux prêtres Moïse et Maxime, et aux autres con-
fesseurs, salut.
I. Il y a longtemps, braves et bienheureux frères, que j'ai
appris par la voix publique la gloire méritée par votre foi et
votre courage; je me suis réjoui beaucoup et je vous ai fé-
licités de tout mon cœur de ce qu'une grâce spéciale de notre
Seigneur Jésus-Christ vous a ainsi disposés à recevoir la cou-
ronne. C'est vous en effet qui, devenus notre avant-garde et nos
chefs dans les combats qui se livrent aujourd'hui, avez porté
en avant l'étendard de la céleste milice. C'est vous qui avez
inauguré par votre courage cette lutte spirituelle que Dieu a
voulu qui eût lieu de nos jours. C'est vous qui, immobiles
dans votre force et inébranlables dans votre fermeté, avez
soutenu, repoussé le premier choc de cette guerre naissante.
Ça été là le commencement de nos combats heureux; vos ef-
forts ont été pour nous des auspices de la victoire. Nous avons
vu ici des fidèles arriver par les supplices à la consommation
du martyre. Mais celui qui dans le combat marche en avant
de ses frères et leur donne l'exemple du courage, est digne
de partager la gloire des martyrs. Vous avez de vos mains
tressé des couronnes, et de Rome vous les avez transmises à
Carthage; et, buvant les premiers à la coupe du salut, vous
l'avez présentée à vos frères.
II. À ce début glorieux de votre confession, et au mérite
de nous avoir donné les auspices de la victoire, vous avez
joint la constante observation de la discipline. On le voit
clairement à la vigueur de la lettre que dans votre zèle vous
avez écrite à vos collègues, unis comme vous au Seigneur
dans la confession, pour les engager à observer avec courage
et fermeté les saints commandements, ces préceptes de vie
qui nous ont été transmis une fois pour toutes. C'est
i06 SELECT7B DlVt CYPRIANI EPISTOL/E.
mandate vitalia forti et stabili observatione teneantur. Ecce
alius gloriae vestrœ subliinis gradus, ecce iteruui cum con-
fessione geminatus promerendi Dei titulus, stare firmo
gradu, et in bac acie qui Evangelium conantur irrumpere, et
prœceptis Domini subruendis manus impias infercntes, fi-
dei robore submovere; praebuisse antè initia virtutum,nunc
etmorum magisteriaprœbere! Dominus, post resurrectionem
mittens Apostolos, mandat et dicit : Data est mihi omnis po-
testas in cœlo et in terra, lté ergô et docete gentes omnes, tin»
genteseos in nomine Patris etFiliietSpiritûssan€ti,docentes
eosobservare omniaqumcumqve prœcepi vobis*.» Et Joannes
apostolus mandati memor in Epistola sua postmodumponit :
In hoc, inquit, intelligimus quia cognovimus eum, si prœ-
cepta ejus custodiumus. Qui dicit quoniam cognovit eum, et
h
mandata ejus non servat, mendax est, et veritas m illo non e$t *
Hœc prœcepta custodienda suggeritis, divina et cœlestia
mandata servatis.Hoc est esse confessionem Domini, hoc est
esse martyrem Christi, servare vocis suae inviolatam circa om-
nia et solidamfirmitatem.Nam velle prœter Dominum mar-
tyrem fieri, et praecepta Domini destruere conari; uti adversùs
illum dignatione quam tibi dedcrit, armis ab illo acceptis
rebellera quodammodo fieri, hoc est Christum confiteri velle,
et Evangelium Christi negare. Laetor igitur ex vobis, fortis-
simi ac fidelissimi fratres; et quantum gratulor martyribus
4
istic honoratis obvirium gloriam, tantùm gratulor pariter
et vobis ob dominiez etiam disciplina coronam. Dignationem
suam Dominus multiplici génère largitatis infudit; bono-
rum militum laudes et glorias spiritales copiosà varietate
distribuit. Honoris vestri participes et nos sumus, gloriam
vestram nostram computamus, quorum tempora illustravit
tanta félicitas, ut aetatem nostram videre contingeret probatos
servos Dei et Christi milites coronatos.
Opto vos, fortissimi ac beatissimi fratres, semper bene
valerc et nostri meminisse.
1
Istic esi un adverbe de lieu, sans mouvement, s'appliquant ordinal*
rement à la seconde personne, et signifiant là où tu es, où vous êtes, tan*
dis que hic veut dire là où je suis, où nous sommes, et illic signifie là où
il est, où ils sont Cette distinction, au reste, n'est pas toujours rigoureu-
sement observée, comme on le verra lettre X X I . où illic est employé plu-
sieurs fois en rapport avec la seconde personne, et istic avec la première;
mais ces exceptions sont rares.
* Matlh. xxviii. — * I loan. H.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 107
là un autre degré éminent de votre gloire; c'est là en-
core avec votre confession un double titre pour mériter les
grâces du Seigneur : se tenir debout, ferme à son rang, et,
sur cet autre champ de bataille, repousser par la vigueur de
votre foi ceux qui s'efforcent de faire brèche à l'Evangile, et
qui, pour saper les préceptes du Seigneur, portent sur eux
leurs mains impies; avoir donné dans le principe l'exemple
du courage, et donner maintenant à ceux qui s'égarent des
préceptes de conduite. Le Seigneur, après sa résurrection,
envoyant ses Apôtres, leur donna ses ordres et leur dit :
Tout pouvoir m'a été donné dans le ciel et sur la terre. Allez
donc, et instruisez toutes les nations, baptisant les hommes
au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, leur appre~
nant à observer tout ce que je vous ai recommandé. Et l'a-
pôtre saint Jean, songeant à ce précepte, dit plus tard dans
sa lettre : Une marque que nous le connaissons, c'est si nous
observons ses préceptes. Quiconque dit qu'il le connaît, et ne
garde pas ses commandements, est menteur, et la vérité n'est
pas en lui. Ces préceptes, vous recommandez de les observer;
ces divins et célestes commandements, vous-mêmes vous y
obéissez. Voilà qui est être confesseur du Seigneur, voilà qui
est être martyr de Jésus-Christ : conserver intacte et inébran-
lable la fermeté de sa parole. Car vouloir mettre de côté le Sei-
gneur et devenir martyr, s'efforcer de détruire ses commande-
ments, user contre lui de la grâce qu'il nous a donnée, le com-
battre pour ainsi dire avec les armes que nous avons reçues
de lui, c'est vouloir confesser le Christ, et renier son Evangile.
Vous me comblez donc de joie, braves et fidèles frères, et
autant je félicite les martyrs honorés chez vous pour leur
glorieux courage, autant je vous félicite pareillement vous-
mêmes, pour avoir mérité aussi la couronne de la discipline
du Seigneur. Le Seigneur répand ses grâces en largesses
de plus d'un genre : ii distribue avec une abondante variété
la gloire des vaillants guerriers et les gloires spirituelles.
Nous aussi nous avons part à vos honneurs, nous regardons
votre gloire comme la nôtre, nous dont les temps ont été
assez heureux pour que nous ayons pu voir à la fois d'irré-
prochables serviteurs de Dieu et des soldats du Christ, dé-
corés de la couronne.
«*
Je désire, braves et bienheureux frères, que vous voua
portiez, toujours bien, et que vous vous souveniez (le moi.
108 SELECTVE D M CYPItfANI 8I1ST0LS»

EPISTOLA XV.
OYPRIANUS LAPSIS*

Réprimande adressée à ceux qui, étant tombés, avaient prétendu qu'il


leur suffisait de présenter des billets des martyrs pour être réconciliés
à l'Eglise.

I. Dominus noster, cujus prœcepta et monita observare


debemus, episcopi honorem et Ecciesiae suae rationem dispo-
nens, in Evangelio loquitur et dicit Petro : Ego tibi dico quia
tu es PetruSj et super istam petram œdificabo Ecclesiam
meanij et porta inferorum non Vincent eam ; et tibi dabo cla~
vesregni cœlorum, et quœ ligaveris super terram ei*unt ligata
et in cœlis, et quœcumque sotveris super terram erunt soluta
et in cœlisK Inde per temporuin et successionum vices episco-
1
porum ordinatio et Ecciesiae ratio decurrit , ut Ecclesia super
episcopos constituatur, et omnis actus Ecciesiae per eosdem
praepositos gubemetur.

11. Cùm hoc itaque divina lege fundatum sit, miror quos-
dam audaci temeritate sic mihi scribere voluisse ut Ecciesiae
nomine litteras facerent, quando Ecclesia in episcopo et clero
et in omnibus stantibus sit constituta. Absit enim ne Domini
misericordia et potestas ejus invicta patiatur ut Ecclesia esse
dicatur lapsorum numerus ! cùm scriptum sit : Deus non est
mortuorum sed vivorum*. Omnes quidem vivificari optamus,
9

et ut in statum pristinum restituantur precibus nostris et


gemitibus oramus. Si autem quidam lapsi Ecclesiam se vo-
tant esse, et si apud illos atque in illis est Ecclesia, quid
1
La conduite, la marche de l'Église se développe, se déroule, s'é-
tend.
• Malth. xvi. — > Ibld. xxti.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN.

LETTRE XV.
CYPRIEN AUX TOMBÉS.

Réprimande sévère aux tombés qui, ayant reçu des billets des martyrs,
réclamaient impérieusement leur admission dans l'Eglise, et s'étaient
permis d'écrire insolemment à saint Cyprien à ce sujet. Nous u'avous
plus la lettre à laquelle celle-ci repond. C'est probablement d'elle que
Fauteur dit dans sa lettre X X I I : « Quelques tombés, unis dans leur té-
» mérité, ne voulant ni faire pénitence ni satisfaire à Dieu, m'ont écrit,
«non pas pour me demander la paix, mais bien pour la réclamer,
» comme leur ayant été octroyée, alléguant que Paul leur a accordé la
» paix à tous, comme vous le verrez dans leur lettre, dont je vous
» envoie copie, ainsi que de la réponse que je leur ai faite. » A leur
audace saint Cyprien oppose la soumission d'autres tombés humbles
et repentauls. Le saint évoque appelle néanmoins, en finissant, les
tombés du nom de frères, et leur recommande le respect de la disci-
pline, la patience et la tranquillité.

I. Le Seigneur, dont nous devons observer les préceptes et


les avis, réglant l'épiscopat et la discipline de son Eglise,
dit à Pierre dans l'Evangile : Je vous dis que vous êtes Pierre,
et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les portes de F en-
fer ne prévaudront pas contre elle; et je vous donnerai les
clefs du royaume d?s deux, et ce que vous aurez lié sur la
terre sera lié aussi dans le ciel, et ce que vous aurez délié sur
la terre sera délié aussi dans le ciel. C'est à partir de là qu'à
travers les vicissitudes des temps, et les changements de per-
sonnes, se succède l'ordination des évèques et se développe
la conduite de l'Eglise, en sorte que l'Eglise est établie au-
dessus des évèques, et que tous les actes de l'Eglise sont di-
rigés par ces mêmes évèques?
IL Les choses étant donc ainsi réglées dès le principe par
la divine loi, j'admire l'audacieuse témérité de quelques
hommes qui ont eu la prétention de m'écrire comme s'ils le
faisaient au nom de l'Eglise, puisque l'Eglise se compose de
a
Kcvèque, du clergé et de tous les fidèles . A Dieu ne plaise,
» Baluze, et d'après lui M. l'abbé Migne, mettent ce dernier membre
de phrase dans la bouche des tombés, comme un argument en faveur de
leurs prétentions. Mais celle définition de l'Église est au contraire toute
favorable à la sainte doctrine que défend ici saint Cvprlen.
7
110 SELECTJE DIVI CYPRIANI EPISTOLiE.
superest quàm ut ipsi rogentur a nobis ut nos ad Ecclesiam
dignentur admittere? Summissos ergô et quietos et verecun-
dos esse oportet eos qui, delicti sui memores,.satisfacere Deo
debent, nec Ecclesi» nomine litteras facere^ cùm se magis
sciant Ecclesiœ scribere*

III. Scripserunt autem mihi nuper quidam de lapsis humi-


les et mites et trementes et metuentes Dcum, et qui in
Ecclesia semper gloriosè et granditer operati sunt, et opus
suum nunquam Domino imputaverunt, scientes illum
dixisse : Et cùm hœc omnia feceritis, àicite : Servi super-
û
vacui sumus ; quod debuimus facere, fecimus . Quœ illi co-
gitantes, et quamvls libello a martyribus accepte, ut tamen
a Domino satisfactio sua admitti possit, orantes scripserunt
mihi se delictum suum cognoscere et pœnitentiam veram
agere, nec ad pacem temerè aut importuné properare, sed
exspectare prœsentiam nostram, dicentes pacem quoquè
ipsam, si eam nobis pra&sentibus acceperint, dnlciorem sibi
futuram. Quibus quantum gratulalus sim Dominus testis
est, qui dignatus est ostendere quid ejusmodi et taies ser-
vi de ejus benignitate mereantur.
IV. Quas litteras cùm nuper acceperim, et nunc aliud
scripsisse vos legerim,peto discernatis desideria vestra, et
quicumque estis qui bas litteras nunc misistis,nomina vestra
libello subjiciatis, et libellum cum singulorum nominibus
ad me transmittatis. Ante est enim scire quibus rescribere
habeam. Tune ad singula quœ scripsistis pro iôci et actûs
nostri mediocritate rescribam.
Opte .vos, fratres charissimi, semper bene valereet secun-
dùm Domini disciplinam quietè et tranquille agere. Valete.
» Luc. XV11.J
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 111
en effet, que la miséricorde du Seigneur et son invincible
puissance permette qu'on donne le nom de l'Eglise à une
poignée de tombés ! Car il est écrit : Dieu est le Dieu non pas
des mort$) mais des vivants. Nous désirons que tous revien-
nent à la vie, et nous demandons, par nos prières et nos gé-
missements, à les voir replacés dans leur ancien état. Mais si
quelques tombés prétendent être l'Eglise, et si l'Eglise est
chez eux et en eux, que nous reste-t-il à faire ? sinon de les
prier de vouloir bien nous admettre dans l'Eglise. ta soumis-
sion donc, la tranquillité, une modeste retenue, voilà ce qui
convient a ces hommes, qui, songeant à leur faute, doivent
satisfaire à Dieu, et non pas écrire au nom de l'Eglise, lors-
qu'ils savent que tout au contraire c'est à l'Eglise qu'ils
écrivent.
III. Mais j'ai reçu aussi dernièrement une lettre de quel-
ques tombés humbles, doux, tremblants et craignant Dieu,
et qui toujours ont glorieusement et fortement travaillé dans
l'Eglise, sans jamais porter leurs œuvres en compte devant le
Seigneur, sachant qu'il a dit : Et quand vous aurez fait tout
cela, dites : Nous sommes des serviteurs mutiles; nous n'avons
fait que ce que nous avons dû faire. Pleins de cette pensée, et,
bien que munis de billets des martyrs, cependant, afin que
leur satisfaction puisse être admise parle Seigneur, ils m'ont
écrit, en me suppliant, qu'ils reconnaissent leur faute, et
qu'ils en font pénitence; qu'ils ne courent pas après la paix
témérairement et avec importunité, mais qu'ils attendent
notre retour; que celte paix elle-même leur sera plus douce,
s'ils la reçoivent en notre présence. Combien je les ai féli-
cités 1 Dieu m'en est témoin, lui qui a daigné montrer ce que
méritent de sa bonté de tels serviteurs.
IV. Ayant reçu cette lettre il y a quelque temps et ayant
lu, que maintenant même vous venez de m'en écrire une
autre, je vous prie de présenter vos vœux séparément, et,
qui que vous soyez qui m'écriviez maintenant, mettez vos
noms au bas de votre supplique, et envoyez-la-moi avec les
noms de chacun. La première chose, en effet, c'est de savoir
à qui je dois répondre. Alors je répondrai à chacune de vos
lettres, eu égard aux fonctions que j'occupe et selon mes fai-
bles moyens.
Je désire, mes très-chers frères, que vous vous portiez
toujours bien, et que vous viviez paisibles et tranquilles selon
la discipline du Seigneur. Adieu.
$ELECMS DIVI CYPR1ANI EPISTOLiE.

EPISTOLA XVL
AD PRESBYTKROS ET DIACOÎSOS,

Conduite répréhensible de Caïus, prélre, et de son diacre, qui avaient


communiqué avec les confesseurs qui étaient tombés, avant qu'ils eus*
sent été réconciliés à l'Eglise»

CYPRIANUS presbyteris et diaconibus fratribus salutem.


L Intégré et cum disciplina fecistis, fratres charissimi,
quôd, consilio collegarum meoram qui présentes erant, Caio
Diddensi presbytero et diacono ejus censuistis non commu-
nicandum; qui communicando cum lapsis, et offerendo obla-
tiones eorum, in pravis erroribus suis fréquenter deprehen-
si, et semel atque iterum, secundùm quod mihi scripsistis, a
collegis meis moniti ne hoc facerent, in praesumptione et au-
dacia sua pertinaciter perstiterunt, decipientes quosdam fra-
tres ex plèbe nostra; quibus nos omni numilitate consultum
cupimus, et quorum saluti non adulatione compositâ, sed
sincerà fide prospicimus, ut veràpœnitentiâ et gemitu et do-
lore pleno Dominum deprecentur, quia scriptum est : Mé-
mento undececidertSy étage pœnitentiam*. Et iterumloquitur
Scriptura divina : Sic dicit Dominus ; Cùm convenus gemue-
h
ris, tune salvaberis, et scies ubi fueris .
II. Ingemiscere autem et agere pœnitentiam quomodo pos-
sunt quorum gemitibus et lacrymis intercedunt quidam de
presbyteris, ut communicandumeum illis temerè existiment,
nescientes quia scriptum est : Qui vos felices dicunt, in erre- c
rem vos miltunt, et semilam pedum vestrorum turbant . Me-
ritos salubria nostra et vera consilia nihil promovent, dum
blanditiis et palpationibus perniciosis veritas salutaris impe-
ditur; et patitur lapsorum saucia et œgra mens quod corpo-
raliter quoquè aegri et infirmi sœpè patiuntur, ut, dum salubres
cibos et utiles potus quasi amaros et abhorrentes respuunt, et

b
* Apoc, u — Ezech. xvui. — * h. m, 1 2 .
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 113

LETTRE XVL
AUX. PRÊTRES ET AUX DIACRES.

Même sujet presque que celui de la lettre précédente. Saint Cyprien fé-
licite son clergé d'avoir excommunié Caïus, prêtre de Didda, et son
diacre, qui avaient communiqué avec des tombés avant leur réconcilia-
tion avec l'Eglise. U l'engage à user de la même sévérité envers tous
les membres du clergé, soit de Cartilage, soit des autres églises » qui
se rendront coupables de la même témérité. — Il renvoie pour être
jugée lors de son retour la cause de deux sous-diacres et d'un acolyte
qui, ayant quitté l'Eglise au moment de la persécution, se présentaient
pour reprendre leurs fonctions.

CYPRIEN aux prêtres et aux diacres ses frères salut.


I. Vous avez agi régulièrement et selon la discipline, en
décidant, de l'avis de mes collègues qui étaient présents, de
ne plus communiquer avec Caïus, prêtre de Didda,qui, en
communiquant avec les tombés, et en offrant au Seigneur
leurs offrandes, souvent pris sur le fait dans leurs condam-
nables erreurs, et, bien que plusieurs fois, à ce que vous
m'avez écrit, avertis par mes collègues de cesser une telle con-
duite, n'en ont pas moins obstinément persisté dans leur pré-
somption et leur audace. Ils trompent ainsi quelques-uns de
nos frères dont nous voulons le bien en toute humilité, et au
salut desquels nous travaillons, non pas au moyen d'artificieu-
ses adulations, mais à l'aide d'une foi sincère, les engageant
à apaiser le Seigneur par une véritable pénitence, par leurs
gémissements et leur douleur, parce qu'il est écrit : Souvenez-
vous d'où vous êtes tombé, et faites pénitence. Et Ja divine
Ecriture dit encore : Voici ce que dit le Seigneur : Lorsque
converti, vous gémirez de vos fautes, alors vous serez sauvé 9

et vous saurez où vous étiez tombé.


II. Gémir et faire pénitence ! comment le pourraient-ils,
ces malheureux dont quelques prêtres empêchent les gémis-
sements et les larmes, en communiquant témérairement avec
eux, ignorant qu'il est écrit : Ceux qui vous disent heureux,
'vous mettent dans f erreur, et embarrassent le chemin par où
vous devez passer. Il est donc naturel que nos utiles et sin-
cères conseils ne servent a rien, tandis que lesflatterieset les
pernicieuses caresses ferment l'accès à la vérité salutaire; et
114 SELECTIVE DIVI CYPRIANI EPISTOLiE.
illa quœ oblectare et ad pressens suavia videntur esse appe-
tant, pemiciem sibi etniortem per inaudientiam et intempe-
1
rantiam provocent, nec proficiat ad salutem artiflcis medela
vera, dum bi;;iv.limentis decipit dulcis illecebra.
III. Vos itaque,secundùm. litteras meas* fideliteret salubri-
ter consulentes, a consiliis melioribus ne recedatis. Legite
verô bas easdem litteras et collcgis meis, si qui aut présen-
tes fueiïnt aut supervenerint, ut unanimes et concordes ad
fovenda et sananda lapsorum minera consilium salubre te-
neamus, tractaturi plenissimè de omnibus cùm convenire in
unurn per Domini misericordiam cœperimus. Interca, si quis
immoderatus etpraeceps, sive de nostris presbyteris vel dia-
conibus, sive de peregrinis, ausus fucrit ante sententiam nos-
tram communicare cum lapsis, a communicatione nostra
arceatur, apud omnes nos causam dicturus temeritatis suœ
quando in unum, permittente Domino, convenerimus.
J V. Desiderastis quoquè ut de Philumeno etFortunato hy-
podiaconis et Favorino acolytho, qui medio tempore recesse -
runt, et nunc vénérant quid mihi videatur rescribam. Cui
rei nonpotui me solum judicem dare, cùm mu Lti adhuc de
clero absentes sint, nec locum suum vel serô repotenduui pu-
taverunt, et haec singulorum tractanda sit et limanda pleniùs
3
ratio , non tantiim cum collegis meis, sed et cum plèbe ipsa
4
uni versa. Ëxpensd euimmoderatione libranda et pronun-
tianda res est, qu» in posterum circa mlnistros Ecclesiae con-
5 0
stituât exemplum . Intérim se a divisione mensuma tantùm
çontineant, non quasi a ministerio ecclesiastico privati esse

4
C'est-à-dire medici : l'art sincère du médecin.
a
Nous traduisons ici litteras meas par le pluriel mes lettres, parco
que saint Cyprien avait écrit à son clergé plusieurs lettres sur le même
sujet. — Litterœ, qui se traduit ordinairement par le singulier une lettre,
signifie de même des lettres au commencement de la lettre X I X , où il se-
rait impossible de le traduire par le singulier.
5
Conduite, manièie d'agir*
* Avec mesure et gravité, famih : avec poids et .mesure»
• Qui doit servir d'exemple, faire précédent (t.dcjurisprud.).
0
Distribution mensuelle à laquelle prenaient part, en proportion du
rang qu'ils occupaient dans l'Église, les membres du clergé, aux besoins
de qui pourvoyait ainsi, par des contributions volontaires, la charité des
iidèles. Saint Cyprien, dans une autre lettre, mettant sur le pied dos
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN» 115
il en est de l'âme des tombés, blessée et malade, comme il en
est souvent des hommes corporellement malades et souf-
frants : ceux-ci, repoussant, comme amers et dégoûtants, des
mets salutaires et des breuvages utiles à leur guérison, et
désirant ce gui leur plait et leur parait doux pour le mo-
ment, se perdent et se font mourir par leur désobéissance et
leur gourmandise; et l'art sincère du médecin ne peut rien
pour leur rendre la santé, tant que ce qui les flatte les séduit
par son doux attrait.
III. Vous donc, conformément à l'esprit de mes lettres, tou-
jours dirigés par une pensée de foi et de salut, ne vous écar-
tez pas d'une sage et salutaire ligne de conduite. Lisez aussi
cette même lettre à mes collègues, si vous en avez quelques-
uns parmi vous, ou s'il vous en arrive plus tard, afin qu'una-
nimement et d'un parfait accord nous puissions suivre un
plan salutaire pour panser et guérir les blessures des tombés,
nous réservant de traiter complètement de tous les cas lorsque
la miséricorde du Seigneur nous aura permis de nous réunir.
En attendant, si, par entraînement ou précipitation, quelque
prêtre ou diacre, soit de notre Eglise, soit d'une autre, se
permet, avant notre décision, de communiquer avec les tom-
bés, qu'il soit éloigné de notre communion, et qu'il sache
qu'il aura à rendre compte de sa témérité devant nous tous,
quand, par la permission du Seigneur, nous serons réunis.
IV. Vous me demandez aussi mon avis sur le cas des sous-
. diacres Philumène etFortunat, et de l'acolyte Favorinus, qui
au milieu de la persécution se sont éloignés, et ne font que
de revenir. C'est une affaire que je n'ai pu prendre sur moi
'de juger seul, attendu que beaucoup de membres de notre
clergé sont encore absents, et n'ont pas cru devoir, bien que
tard, reprendre leur emploi; et c'est individuellement que
nous aurons à examiner et à approfondir la conduite de ceux
qui ont agi ainsi, non-seulement avec mes collègues, mais
avec tous les fidèles. Il nous faudra en effet bien peser, et pro-
noncer avec mesure et gravité un arrêt qui doit former dans
l'avenir un précédent, concernant les ministres de l'Eglise.
Que jusque là ils s'abstiennent seulement de prendre part à

prêtres, quant au traitement, deux lecteurs qui avaient glorieusement


confessé la foi, s'exprime ainsi : Sportulis iisdem cum presbyteris ho-
noreniur, et divisiones mensurnas œquatis quantitatibus partian-
fur.
ii6 SELECT/B D M CYPRIANi KP1STDLJ5.
1
videantur, sed ut, iutegrû omnibus , adnoslram praesentiam
differantur.
Opto vos, fratres charissimi, semper bene valere. Frater-
nitatem universam salutate, etvalete,

EPISTOIA XYIL
AD P R E S B Y T E K O S E T DIAGOKOS l\OMM CONSÏSTENTES,

Saint Cyprien informe le clergé de Rome des prétentions des confesseurs


qui, étant tombés, présentaient des billets obtenus du martyr Paul
comme un titre h leur réconciliation.

C Y P R I A K U S presbyteris et diaconibus Roniœ consistentibus


fratribus salutem.
Et dilectio communis et ratio exposcit, fratres charissi-
mi, nihil consciente vestrae subtrahere de bis quae apud nos
geruntur, ut sit nobis circa utilitatem ecclesiasticae adminis-
trationis commune consilium. Nam posteaquam ad vos litte-
ras feci, quas inisi per Saturum lectorem et Optatum hypo-
diaconum, quorumdam lapsorum conspirata temeritas, qui
pœnitentiam agere et Deo satisfacere detrectant, litteras ad
me fecerunt, pacem non dandam sibi postulantes, éed quasi
jam datam sibi vindicantes quôd dicant Paulnm omnibus
pacem dédisse, sicut in litteris eorum, quarum exemplum
ad vos transmisi, legetis, simulque quid ego eis breviter in-
térim rescripserim; sed etquales postea ad clerum litteras
fecerim ut scire possetis, hujus quoquè rei exemplum vobis
misi. Quôd si ultra temeritas eorum nec meis nec vestris lit-
teris compressa fuerit, nec cousiliis salubribus obteinperave-
rit,agemus ea qu& secundùm Evangelium Dominus agere
prœcepit.
Opto vos, fratres charissimi, semper bene valere. Valete.

* Integrisomnibus, toutes choses demeurant en l'état (t. de droit, en


français comme en latin)-— Differantur, qu'ils soient remis à être jugés,
en un seul mot ajournes (autre terme de droit).
LETTRES CHOISIES DE tfAINT CYPRIEN* iil
la distribution mensuelle, non pas qu'on doive les regarder
comme déchus du sacerdoce, mais afin que, toutes choses de-
meurant en l'état, ils soient ajournés jusqu'à notre retour.
Je désire, mes très-chers frères, que vous vous portiez tou-
jours bien. Saluez tous nos frères. Adieu.

LETTRE XVII.
AUX PRÊTRES ET AUX DIACRES DE ROUE.

Saint Cyprien informe le clergé de Rome des prétentions de quelques


tombés qui, présentant des billets du martyr Paul, demandaient im-
périeusement leur reconciliation. Annonce de mesures sévères en cas
de persistance de leur part.

CYPRIEN aux prêtres et aux diacres de Rome salut.


I. La charité qui nous unit et la raison demandent égale-
ment, mes très-chers frères, que je ne dérobe à votre con-
naissance rien de ce qui se passe chez nous, afin que nous
puissions, relativement aux intérêts de l'administration ec-
clésiastique, agir avec ensemble selon des vues qui nous
soient, communes. En effet, depuis la lettre que je vous ai
fait passer par le lecteur Saturus et le sous-diacre Optatus,
quelques tombés unis dans leur témérité, qui ne veulent ni
faire pénitence ni satisfaire à Dieu, m'ont écrit non pas pour
me demander la paix, mais bien pour la réclamer comme leur
ayant été octroyée, alléguant que Paul leur a accordé la paix à
tous, comme vous le verrez dans leur lettre, dont je vous en-
voie copie, en même temps que de la réponse que je leur ai
faite. Désirant aussi vous faire connaître la lettre que j'ai
écrite après cela à notre clergé, je vous en envoie également
une copie. Si désonnais leur témérité ne cède ni à mes let-
tres ni aux vôtres, et s'ils n'obtempèrent pas à nos salutaires
conseils, nous prendrons à leur égard les mesures que nous
recommande de prendre l'Evangile du Seigneur.
Je désire, mes très-chers frères, que vous vous portiez tou-
jours bien. Adieu.
7,
118 SELEGT/E DIVI CYPRIANI EPISTOL/B.

EPISTOLA XVIII.
AD CLERUM, D E CURA PAUPERUM E T PEREGRINORUM.

Saint Cyprien recommande h son clergé le soin des veuves, des malad&s,
des pauvres et des étrangers»

CYPRIANUS presbyteris et diaconibus fratribus charissimis


salutem,
I. Saluto vos, fratres cbarissimi, per Dei gratiam incolu-
mis, optans citô ad vos venire, ut desiderio tam meo quàm
vestro et omnium fratruin satisfiat. Oporlet nos tamen paci
commun! consulere, et interdum, quamvis cum tœdio animi
nostri, déesse vobis, ne preesentia nostra invidiam et violon-
tiam gentilium provocet, et simus auctores rumpenclae pacis,
qui magls quieti omnium consulere debemus.Quando ergô
vos seripseritis rébus compositis me venire debere, aut si
antè dignatus fuerit Dominus ostendere, tune ad vos ve-
niam. Ubi enim mihi aut meliùs possit esse aut lœtiùs quàm
illic ubi me Deus et credere voluit et crescere.
IL Viduarum et infirmorum et omnium paupemm curam
peto diligenter habeatis. Sed et peregrinis,si qui indigentes
raerint, sumptus suggeratis de quantitate mea propria quam
1
apud Rogatianum compresbyterum nostrum dimisi . Quae
quantitas ne forte jam universa erogata sit, misi eidem per
Naricum acoljUtium aliam portionem, ut largiùs et proinp-
tiùs circa laborantes fiât operatio.
Opto vos, fratres charissimi, semper bene valere et nostri
meminisse. Fraternitatem vestram meo nomine salutate,et
ut nostri memores sint adinonete.

* 11 ne s'agit pas de l'envoi d'argent fait au même Rogatien (voyez


Lettre V , toulà la fin),mais de l'abandon fait entre ses mains par saint
Cyprien, du traitement personnel que lui faisaient les fidèles (quantitas
propria), ainsi qu'aux autres membres dû clergé. C'était par mois et au
moyen de contributions volontaires qu'il était pourvu aux besoins dos
pasteurs de l'Eglise (voyez Lettre XIII, tout à la fin).
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 119

LETTRE XVHL
ÂU CLERGÉ, SUR L E SOIN A P R E N D R E D E S P A U V R E S E T DES
ÉTRANGERS.

Saint Cyprien exprime à son clergé tout le désir qu'il aurait d'être
près de lui, et toute la peine que lui cause une séparation que les cir-
constances rendent encore nécessaire. I l lui recommande le soin des
veuves, des malades, des pauvres et des étrangers, au soulagement
desquels il assigne des fonds de secours.

CYPRIEN aux prêtres et aux diacres, ses frères chéris, salut.


I. Je vous salue, mes très-chers frères, préservé de tous
maux par la grâce de Dieu, et désirant bientôt me rendre
auprès de vous, ce qui accomplirait mes vœux aussi bien que
les vôtres et ceux de tous nos frères. Il nous faut cependant
faire un sacrifice à notre repos} à tous, et encore pendant
quelque temps, bien que nous en soyons désolé, nous tenir
éloigné de vous, de peur que notre présence n'excite la haine
et la fureur des gentils, et que nous ne leur fournissions l'oc-
casion de rompre la paix, nous qui au contraire avons pour
devoir d'assurer le repos de tous. Quand donc vous m'écrirez
que tout est calme et que je dois revenir, ou si auparavant
Dieu me fait la grâce de me le révéler, alors je retournerai
res de vous. Où pourrais-je, en effet, trouver un séjour plus
E eureux et plus doux, que là où Dieu a permis que j'aie reçu
la foi, et que j'aie grandi à son service?
II. Que les veuves, les malades et tous les pauvres soient,
je vous en prie, l'objet de vos soins vigilants. Fournissez
même aux étrangers qui peuvent se trouver dans l'indigence,
de quoi vivre sur l'argent qui est à moi, et que j'ai abandonné
entre les mains de notre prêtre Rogatien. Et dans la crainte
que ces fonds ne soient peut-être déjà entièrement distribués,
je lui ai envoyé par l'acolyte Naricus une autre somme, afin
que vous puissiez secourir plus abondamment et plus facile-
ment ceux qui souffrent.
Je désire, mes très-chers frères, que vous vous portiez tou-
jours bien, et que vous vous souveniez de moi. Saluez en mon
nom tous nos frères, et priez-les de se souvenir de moi.
120 8KLECTJS J)iVt GYF1UANI KPI&TOLJB.

EPISTOLA XÏX.
AD CLERUM, U T CONFESSORIBUS IN CARCERE CONSTITUTIS OMNiS
HUMANITAS PRiEBEATUR.

Assister, par tous les moyens possibles, les confesseurs qui sont détenus
dans les prisons ; étendre ses soins aux pauvres restés fidèles à Jésus»
Christ.

CYPRIANUS presbyteris et diaconibus fratribus salutem.


I. Quanquam sciam vos, fratres charissimi, litteris meis
fréquenter admonitos esse ut gloriosâvoce Dominum con-
fessis et in carcere constituas omnis diligentia prœbeatur,
1
tamen identidem vobis incumbo ,ne quid ad curam desit iis
quibus ad gloriam nihil deest. Atque utinam loci et gradùs
mei conditio permitteret ut ipse nunc praesens esse possem!
Promptus et libens, solemni ministerio, cuncta circa fortis-
simos fratres nostros dilectionis obsequia complerem. Sed
officiuni meum vestra, quaeso, diligentia repra&sentet, et fa-
ciat omnia quae fieri oportet circa eos quos in talibus meritis
fidei ac virtutis suae illustravit divina dignatio.
IL Corporibus etiam omnium qui, etsi torti non sunt in
carcere, tamen glorioso exitu mortis excedunt, impertiatur
et vigilantia et cura propensior. Neque enim virtus eorum
aut honor minor est, quominùs ipsi quoquè inter beatos
martyres aggregentur. Quod in illis est, toleraverunt quid-
quid tolerare parati et prompti fuerunt. Qui se tormentis
et morti sub oculis Dei obtulit, passus est quidquid pati vo-
luit. Non enim ipse tormentis, sed tormenta ipsi defuerunt.
Qui in me confessus fuerit coram hominibus, et ego in illo
confttebor coram Pâtre meo qui in cœlis est*, dixit Dominus.
h
Confessi sunt. Qui toleraverit usque adfinem hic salvus erit ,
y

dicit Dominus. Toleraverunt, et ad fidem usque incorrupta et


immaculata virtutum suarum mérita pertulerunt. Et itenim
scriptum est : Esto fidelis usque ad mortem,et dabo tibico-

* Je vous presse, j'insiste près de vous* Saint Grégoire emploie iah


mineo dans le même sens.
b
» Matth. — L u c XH.
LETTRES CHOISIES UE SUNT CYPRIEN, 121

LETTRE XIX.
AU CLERGÉ, POUR L'ENGAGER A PRENDRE TOUS LES SOINS
POSSIBLES DES CONFESSEURS QUI SONT EN PRISON.

Saint Cyprien recommande à son clergé de prodiguer toute sorte de soins


aux confesseurs détenus daus les prisons. S'ils y meurent, leur fin
glorieuse et digne des martyrs réclame pour leur corps vénérable un
respect, une vigilance et des soins aussi étendus que s'ils avaient péri
au milieu des tourments; car ce sont en effet de véritables martyrs. Il
faut tenir note du jour de leur mort, afin de célébrer chaque année
leur mémoire. Le saint évêque termine en recommandant encore aux
soins de son clergé les pauvres restés fidèles à Jésus-Christ.

CYPRIEN aux prêtres et diacres ses frères salut.


I. Bien que je nie souvienne, mes très-chers frères, de
vous avoir souvent recommandé dans mes lettres de donner
toute espèce de soins aux fidèles qui de leur glorieuse voix
ont confessé le Seigneur, et qui sont encore en prison, j'in-
siste toutefois de temps en temps auprès de vous, pour que
rien ne manque en fait de soins à ces hommes généreux à qui
rien ne manque en fait de gloire. Et plût à Dieu que les exi-
gences présentes de mon rang et de ma dignité me permis-
sent d'être maintenant en personne au milieu de vous! Avec
quel dévouement et quel plaisir je remplirais solennellement
envers nos braves frères tous les devoirs de la charité ! Mais
ce que je devais faire, que votre zèle le fasse pour moi, je
vous en conjure, et qu'il ne néglige rien de ce qui convient
envers des hommes chez qui la grâce divine a honoré de tels
mérites en fait de foi et de courage.
ÏT. Accordez aussi des soins vigilants et dévoués aux corps
de tous ceux qui, bien qu'ils n'aient pas été torturés en pri-
son, n'ont pas laissé d'y trouver une fin glorieuse. Eux aussi
doivent être comptés parmi les martyrs, car ils n'ont pas dé-
ployé moins de courage, ni mérité moins d'honneur. Autant
qu'il était en eux, ils ont supporté tout ce qu'ils étaient prêts
et dévoués à supporter. Celui qui sous les yeux de Dieu s'est
offert aux tourments et à la mort, a souffert tout ce qu'il a
voulu souffrir. Ce n'est pas lui en effet qui a manqué aux
tourments,, ce sont les tourments qui lui ont manqué. Celui
qui me confessera devant les hommes, moi aussi je le confesse
rai devant mon Père qui est dans les cieux dit le Seigneur,
7
122 SELECTiK DiVI GYPRIANÏ KPISTOLiE.
ronam vilœ*. Usque ad mortem fidèles et stabiles et iuex-
pugnabilesperseveravemnt.Ctira voluntati et confessioni no-
minis in carcere et in vinculis acccdit et moriendi terminus,.
consummata martyris gloria est.
IJJ. Denique et dies eorum, quibus excedunt, annotate, ut
commemorationes eorum inter memorias martyrum célé-
brais possimus. Quanqttam TerlulJus,fidelissimuset devo-
tissimus frater rioster, pro caetera sollicitudine et cura sua
quam fratribus in omni obsequio operationis impertit, qui
nec illic circa curam corporum deest, sciïpserit et scribat ac
significet mibi dies quibus in carcere beati fratres nostri ad
immortalitatem gloriosae morlis exitu transeunt,et celebren-
tur hic a nobis oblationes et sacriticia ob commemoratio-
nes eorum, quae citô vobisciun, Domino protegente, celebra-
birnus.
IV. Pauperibus quoquè, ut sœpè jam scripsi, cura ac dili-
gentia vestra non desit, iis tamen qui, in fide stantes et no»
biscum fortiter militantes, Cbristi castra non reliquerunt;
quibus quidem nunc major a nobis et dilectio et cura prœ-
standa est, quôd, nec paupertate adacti,necpersecutionis tem-
pestate proKtrati, cum Domino fideiiter serviunt,caeteris quo-
què pauperibus exemplum fidei prœbuerunt.
Opto vos, fratres cbarissimi ac desiderantissimi, semper
bene valere et nostri meminisse. Fraternitatem meo nom ine
salutate. Valete.

EPISTOIA XX.
1
AD CALDOMUM, HERCULANUM ET CiBTEROS, D E ABSTIÏIERDO
3
FELIC1SSIM0 .
Schisme de Fclicissime à Carthage.

CvPRiANUS Caldonio et Herculano collegis, item Rogatiano


et Numidico compresbytevis, salutem.
1
Suspendre de ses fonction s. Abstinere clericum {ab officio), sus-
pendre ou déposer un ecclésiastique* Déjà Cicéron avait dit abstinere
aliquem bello, empêcher quelqu'un de faire la guerre.
3
Félicissime avait formé.un parti contre saint Cyprien ; ii tenait des
assemblées sur une montagne, d'où ses partisans furent appelés Monta-
gnards. Ils furent excommuniés dans le premier concile de Carthage»
tenu en 251.
a
M a i U i . x u ; Apoc. u.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 123
Ils l'ont confessé. Celui gui sera palient jusqu'à la fin, celui-
là sera sauvé, dit-il encore. Ils ont été patients et ils ont sou-
tenu jusqu'à lafin,intact et immaculé, le mérite de leurs ver-
tus. 11 est encore écrit : Soyez fidèle jusqu'à la mort, et je vous
donnerai la couronne de vie. lis ont persévéré jusqu'à la mort,
toujours fidèles, inébranlables et invincibles. Quant à la vo-
lonté et à la confession du nom du Seigneur, au fond des ca-
chots et dans les fers, se joint finalement la mort, la gloire du
martyr est consommée.
III. Enfin notez aussi les jours de leur décès, afin que nous
puissions célébrer leurs commémorations entre les mémoires
des martyrs. Il est vrai que Tertullus, notre fidèle et dévoué
frère, en raison de l'obligeance et du zèle avec lesquels il pro-
digue à nos frères les services et les soins les plus actifs, soins
qui s'étendent aussi chez vous aux corps de nos fidèles morts,
m'a écrit et m'écrit habituellement, et me mande les jours où
dans les prisons nos bienheureux frères passent au moyen
d'un trépas glorieux dans le sein de l'immortalité, et que nous
célébrons ici en mémoire d'eux des offrandes et des sacrifices
que bientôt, avec la grâce de Dieu, nous célébrerons avec vous.
IV. Que vos soins et votre zèle, ainsi que je vous l'ai déjà
souvent recommandé, ne manquent pas non plus aux pau-
vres, à ceux toutefois qui, fermes dans la foi, et servant avec
courage sous nos drapeaux, n'ont pas abandonné le camp de
Jésus-Christ. Nous devons aujourd'hui leur marquer d'autant
plus de charité, et leur prodiguer d'autant plus de soins, que
ne s'étant laissé ni forcer par la pauvreté, ni terrasser par l'o-
rage de la persécution, ils serventfidèlementle Seigneur, et
ont donné, de plus, aux autres pauvres l'exemple de la foi.
Je désire, chers et dévoués frères, que vous vous portiez
toujours bien et que vous vous souveniez de moi. Saluez en
mon nom tous nos frères. Adieu.

LETTRE XX.
A CALDONIUS, HERCULANUS E T LES A U T R E S , SUR
L'EXCOMMUNICATION DE FÉLICISSIME.
Excommunication lancée contre le schismadquo Félicissime et contre
tous ses partisans.

CYPRIEN à Caldonius et à Herculauus, ses collègues, ainsi


qu'à Ilogatianus et à Numidious, prêtres de son église, salut.
124 SELEC'iVK D M CYPRIANI EPIST0L4S.
1. Vehementer contristatus sum, fratres charissimi, ac-
J
ceptis litteris vestris, ut , cùm mihi propositum semper et
votum sit universam fraternitatem nostram incolumem con-
tinere, et illibatum gregem, secundùm quod charitas exigit,
reservare, nunc nuntietis Feiicissimum mulla improbè et
insidiosè esse molitum; ut praeter fraudes veteres et rapinas,
de quibus jam pridem multa cognoveram, nunc quoquè
cum episcopo portionem plebis dividere, id est a pastore
oves et filios a parente separare, et Christi membra dissipare
tentaverit. Cùmque ego vos pro me vicarios miserim, ut ex-
2
pungeretis nécessitâtes fratrum nostrorum sumptibus, si
qui etiam vellent suas artes exercere, additamento quantum
satis esset desideria eorum juvaretis, simul etiam et œtates
eorum et conditiones et mérita discerneretis, ut etiam nunc
ego, cui cura incumbit omnes optimè nosse, et dignos quos-
que et humiles et mites ad ecclesiasticae administrationis
officia promoverem, ille intercesserit ne quis posset expungi,
neve ea quae desideraveram possent diligenti examinatione
discerni, comminatus sit etiam fratribus nostris qui primi
expungi accesserant, potentatu imj>robo et terrore violento,
3
quô secum in morte non communicarent qui nobis obtem-
perare voluissent.
Cùmque post haec omnia^ nec loci mei honore motus, nec
vestra auctoritate et praesentià fractus, instinctu suo quietem
fratrum turbans proripuerit se cum plurimis, ducem se fac-
tionis et seditionis principem temerario furore contestans; in
quo quidem gratulor plurimos fratres ab hac audacia reces-
sisse et vobis acquiescere maluisse, ut cum Ecclesia matre

* Dans le sens de quàd.


* On dit expungere nomen, payer une dette (l'effacer, la faire effacer
du registre où elle est inscrite). Ce verbe a ici à peu près le môme sens,
et nécessitâtes veut dire besoin, indigence... Plus loin, il est employé
deux fois Rappliquant non pas aux besoins, aux nécessités des indi-
gents, mais aux personnes indigentes elles-mêmes. Il signifie alors four-
nir aux besoins de...
* Àu lieu de in morte, des éditions estimées, et môme les manuscrits
du Vatican, portent in monte, parce que, comme nous l'avons dit plus
haut, Féiicissime tenait ses assemblées sur une montagne. Malgré les
savants éditeurs dont nous parlons, malgré les manuscrits du Yatican, et
l'autorité même de Baron lus, qui (an. 254) donne dans une citation in
monte, nous aimons mieux la leçon de tous les autres anciens manu-
scrits. In monte présente en effet une circonstance exacte, si l'on veut,
mais sans importance aucune $ on peut même trouver froide cette allu*
LETTRES CHOISIES DE SàlNT CYPRIEN. 125
1. J'ai été profondément affligé, mes très-chers frères, à la
lecture de voire lettre. Ainsi, j'ai toujours eu pour but et pour
vœu de tenir unis et préservés de Terreur tous nos frères, et
de conserver intact notre troupeau, comme la charité m'en fait
une loi; et aujourd'hui vous m'annoncez que Félicissime se
livre à des menées coupables et perfides; qu'outre ses ancien-
nes fraudes et ses anciennes rapines, dont une grande partie
avait depuis longtemps appelé mon attention, maintenant
même il s'efforce d'arracher à son évèque une partie de son
troupeau, c'est-à-dire de séparer les brebis de leur pasteur,
les enfants de leur père, et de disperser les membres du
Christ. Quoi! je vous envoie pour me remplacer, avec mis-
sion de mettre un terme aux besoins de nos frères en faisant
les sacrifices convenables, avec autorisation, si quelques-uns
voulaient exercer leurs professions, d'ajouter ce qu'il fau-
drait pour satisfaire leur désir; je vous charge en même
temps de me faire connaître séparément leur âge, leur
condition et leur genre de mérite, afin que je puisse aussi
élever aux fonctions du ministère ecclésiastique ceux qui se-
raient capables, humbles et doux : et lui s'oppose à ce que l'on
vienne au secours d'aucun d'eux, ainsi qu'à l'examen attentif
et détaillé que je vous avais demandé! Il menace même ceux
de nos frères qui les premiers s'étaient présentés pour rece-
voir un soulagement à leur misère, il leur parle avec des airs
de despote, emploie vis à vis d'eux la terreur et la violence,
déclarant qu'il repoussera de sa communion, même à la mort,
ceux qui seront disposés à suivre mes instructions !
IL Mais ce n'est pas tout : sans respect pour la dignité dont
je suis revêtu, sans égard pour votre autorité et votre présen-
ce, il trouble par ses instigations la paix qui régnait parmi
nos frères ; il se dérobe à la hâte avec nombre de ses compli-
ces, levant, dans sa fureur téméraire, l'étendard de la révolte,
et se donnant hautement pour le chef de la sédition. Dans
cette circonstance, je félicite la plus grande partie de nos frè-

sion au lieu où Félicissime tenait ses conférences, surtout répétée encore


au commencement du paragraphe m. In morte exprime au contraire
une circonstance importante qui sert à peindre fortement la violence
de Félicissime à l'égard des fidèles qu'il voulait entraîner dans son
schisme, en les menaçant, en cas de refus, d'une excommunication qui
ne devait pas être levée, même à la mort de ceux qui refuseraient de
s'associer à son parti*
126 SELECIVE D M CYPRIANI EPISTOL>(E.
1
remanièrent et stipendia ejus , episcopo dispensante, perci-
perent. Quod quidem et emteros pro certo scio ciun pace
factures, et citô ab errore temerario recessuros.
llf. Intérim cùm Felicissimus comminatus sit non corn-
municaturos in morte seemn qui nobis obtempérassent, id
est, qui nobis communicarent, accipiat sententiam quam
2
prior dixit, ut abstentum se a nobis sciât, quando ad frau-
des ejus et rapinas, quas dilucidà veritate cognovimus, adul-
téra etiam crimen accedit; quod fratres nostri viri depreben-
disse se nuntiavenmt, et probaturos se asseverarunt. Quae
omnia tune cognoscenius quando in unum cum eollegis
pluribus, permittente Domino, convenerimus. Sed et Au-
gendus qui nec episcopum nec ecclesiam cogitans pari-
ter se cum illo conspiratione et factione sociavit, si ultra
8
cum eo perseveraverit, sententiam ferat quam ille in se
facliosus et temerarius provocavit. Sed et quisquis se con-
spirationi et faction* ejus adjunxerit, sciât se in Ecclesia no-
biscuni non esse communicaturum, qui sponte maluit àb
Ecclesia separari.
IV. Has litteras meas fratribus nostris legite, et Cartha-
4
ginem ad clerum quoquè Iransmittite, additis nominibus
eorum qui cum Felicissimo se junxerunt.
Opto vos, fratres cbarissimi, semper bene valere et nostri
meminisse. Valete.
1
Saint Cyprien aime à appeler les fidèles les soldats de Jésus-Christ ;
il n'est pas étonnant qu'il emploie stipendia (paie militaire) pour dési-
gner les secours distribués par l'Eglise à ses enfants. Le mot stipen-
dium a d'ailleurs chez Caton ce sens spécial de secours.
2
Suspendu, déposé, excommunié. Voj>ez plus haut, page 122, note*.
* Ille, Félicissime.
* Toutes les éditions et tous les anciens manuscrits portent Carthagi»
nom, qui pourtant semble être une grave erreur. C'est à Carthage que
Félicissime a opéré sa scission pour se retirer sur une montagne voisine.
Ces faits sont mandés à saint Cyprien par Caldonius et fierculanus, qui
se trouvaient alors à Carthage, et par Rogatianus et Numidicus, tous
deux prêtres de Carthage. 11 ne peut donc pas être question d'écrire à
Carthage des faits qui se sont passés à Carthage même. C'est ce qu'a bien
senti un homme savant dont Baluze, dans son édition, cite et approuve
l'avis. Cet érudit propose de lire Romam au lieu de Carlhaginem. B a -
luze, sans nommer l'auteur de cette conjecture, la trouve excellente;
c'est à Rome en effet qu'il importait d'envoyer le rapport sur celte af-
faire, avec les noms des partisans du nouveau schisme, pour prévenir
le Saint-Siège et le clergé de Rome contre les menées de Félicissime ; et
LETTRES CHOISIES D E SAINT CYPRIEN. 427
res d'avoir laissé là cet audacieux, et d'avoir préféré s'attacher
à vous, rester avec l'Eglise notre mère, et recevoir ses se-
cours dispensés par leur évèque. Les autres, j'en suis sur,
prendront de même paisiblement ce parti, * et. renonceront
bientôt à cette erreur téméraire
UL Cependant, comme Féiicissime a menacé de ne pas ad-
mettre à sa communion, même à la mort, ceux qui nous obéi-
raient, c'est-à-dire qui communiqueraient avec nous, qu'il
soit soumis à l'arrêt que lui-même a dicté le premier, et qu'il
sache que nous l'excommunions, attendu qu'à ses fraudes et
à ses rapines dont nous avons été convaincu d'une manière
claire et certaine, se joint une accusation d'adultère, que quel-
ques-uns de nos frères, hommes graves, ont dit avoir décou-
vert, et se sont chargés de prouver. Nous ferons de tout cela
l'objet d'une enquête, quand, avec la grâce de Dieu, nous
pourrons nous réunir avec plusieurs de nos collègues.
a
Quant à Augendus , qui, sans souci de son cvèque ni de notre
église, s'est associé à la conspiration de Féiicissime et à ses
actes factieux, s'il reste plus longtemps uni avec lui, qu'il
soit soumis au même arrêt qu'a provoque contre lui ce fac-
tieux et ce téméraire. De même aussi, que quiconque aura
pris part à cette conspiration et se mettra de ce parti, sache
bien qu'il ne communiquera plus avec nous dans l'Eglise,
puisque de lui-même il a mieux aimé être séparé de l'Eglise.
IV. Lisez cette lettre à nos frères, et envoyez-la aussi au
clergé de Carthage, en y ajoutant les noms de ceux qui se
sont unis à Féiicissime.
Je désire, mes très-chers frères, que vous vous portiez tou-
jours bien, et que vous vous souveniez de moi. Adieu.

nous voyons en effet dans la lettre de saint Cyprien à saint Corneille suc
son ordination, etc. (Lettre XXI de notre édition), au commencement du
dernier paragraphe, que ses collègues, c'est-à-dire Caldonius et autres,
avaient, précisément comme le recommande ici saint Cyprien, écrit à
saint Corneille un rapport sur le schisme de Féiicissime; c'est à Rome
aussi que lui-même* va pour intriguer, pour surprendre la bonne foi
et mendier l'appui du pape Corneille, près de qui 11 est démasqué par
saint Cyprien. Ces raisons, toutes convaincantes, n'ont pas déterminé
le savant critique à introduire dans le texte la leçon proposée ; nous imi-
terons sa réserve à cet égard.
« il ne faut pas confondre cet Augendus avec un autre Augendus, con-
fesseur iidèle, dont 11 est question ailleurs dans les Lettres de aaiut
Cyprien.
128 SELECT* DfVI CYPRIANI EPISTOLA.

EPISTOLA XXL
AD CORNELIUM, DE ORDINATIONS EJUS A SE COMPROBATA ET
DE FELIC1SSIMO.

Saint Cyprien approuve l'élection du pape saint Corneille : il lui parle


du schisme formé à Carthage par Féiicissime.
1
Gomelio fratri salutem.
CYPRIANUS

Quod servis Dei maxime sacerdotibus justis et pacificis


congruebat, frater charissime, miseramus nuper collegas
nostros Caldonium et Fortunatum, ut non tantùm persua-
sïone litterarum nostrarum, sed praesentiâ suâ et consilio
omnium vestrum, eniterentur quantum possent et élaborè-
rent, ut ad catholicae Ecclesiae unitatem scissi corporis mem-
bra* componerent, et Christian® charitatis vinculo copularent.
Sed,quoniam divers® partis obstinata et inflexibilis pertina-
cia non tantùm radicis et matris sinum atque complexurn
recusavit, sed etiam, gliscente et in pejus recrudescente dis-
cordiâ, episcopum sibi constitua, et, contra sacramentum
semel traditum divin® dispositionis et catholicaB unitatis,
adulterum et contrarium caput extra Ecclesiam fecit, accep-
8
tis litteris tam tuis q u à m coliegarum nostrorum , item ad-
ventantibus bonis viris et nobis charissimis collegis nostris
Pompeio et Stephano, a quibus hase omnia cum lœtitia
4
communi asserta suntfirmiteret probata , secundùm quod
divin® traditionis et ecclesiastic® institutionis sanctitas pa-
5
riiter ac veritas exigebat, litteras nostras ad te direximus .
1
Saint Corneille fut élu pape vers le mois de juin 251. En même
temps Nova tien, prêtre de Rome, se fit ordonner pape par trois évèques
d'Italie qu'il détacha du parti de saint Corneille, en répandant contre ce
saint Pontife les calomnies les plus atroces.
* Scissi corporis membra, les partisans de Novatien.
5
Coliegarum nostrorum, Galdonius et Fortunatus, dont ii est ques-
tion au commencement.
4
Probala : tous les détails relatifs à l'élection de Corneille.
u
Litteras nostras ad te direximus. Saint Cyprien fait allusion ici à
la suprématie de l'Eglise de Rome, déjà reconnue aux premiers siècles
de l'ère chrétienne.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN* 429

LETTRE XXI.
A SAINT CORNEILLE, SUR SON ORDINATION, QU'IL APPROUVE,
ET SUR FÉLICISSIHTE.

Saint Cyprien annonce à sainl Corneille récemment élevé au pontiGcat,


que, d'après la lettre que lui ont écrite de Rome ses collègues Caldo-
nius et Fortunat, et sur le récit détaillé que lui ont fait de son élec-
tion des personnes honorables qui y avaient assisté, non-seulement ii
y adhère complètement, mais qu'il engage tous ses collègues d'Afrique
à l'imiter et à envoyer, comme lui, à leur nouveau collègue une lettre
d'adhésion. Il n'a pas balancé à communiquer aux fidèles de son église
les lettres du nouveau pape et la nouvelle de son ordination, .tandis
qu'il a passé sous silence et livré au mépris le mémoire calomnieux
lancé contre saint Corneille par le parti de Novalien, Il n'a attendu
pour approuver officiellement l'élection de saint Corueille que le
temps nécessaire pour avoir en main les témoignages honorables au
moyen desquels il pourrait réfuter des bruits odieux perfidement ré-
pandus parmi les fidèles, et réduire au silence les partisans de la fac-
tion ennemie. Ce qu'il a eu jusqu'ici et ce qu'il aura toujours en vue,
c'est le maintien de l'unité catholique. — Il termine en annonçant
au pape Corneille l'envoi de documents propres à l'instruire de ce qui
concerne le schisme de Féiicissime, et des mesures prises contre lui
dans l'église de Carthage.

CYPRIE* à Corneille son frère salut.


I. Comme il convenait à des serviteurs de Dieu, et surtout
à des ministres animés d'un esprit de justice et de paix, nous
vous avions envoyé il y a quelque temps, mon très-cher
frère, nos collègues Caldonius et Fortunat, afin que non-
seulement au moyen des motifs de persuasion contenus dans
notre lettre, mais aussi par leur présence et à l'aide de vos
conseils à tous, ilsfissenttous les efforts et prissent toutes les
peines possibles pour ramener à l'unité de l'Eglise catholi-
que et réunir par le lien de la charité chrétienne les membres
de ce corps divisé. Mais puisque le parti opposé, dans son
entêtement obstiné et inflexible, non-seulement a refusé le
sein et les embrassements de sa mère et de sa nourrice, mais
a même, par un accroissement et un redoublement déplorable
de l'esprit de discorde, établi pour lui-même un évêque, et,
contre le serment prêté pour toujours a la constitution di-
vine et à l'unité catholique, s'est créé hors de l'Eglise un
430 SELECTE DÏV1 CYPRIANI EPISTOLiK.
1
Sed et per provinciam nostram iieec eadem eollegis singulis
in notitiam perforantes, ab bis quoquè fratres nostros cum
litteris dirigendos esse mandavimus.
II. Quanquam mens nostra et propositum jam tune fra-
tribus et plebi istic universee manifestum fuisset, quaudo,
lïtteris nuper àb utraque parte susceptis, tuas litteras legi-
mus et episcopatùs tui ordiuationem singuloram auribus
1
intimavimus. Honoris etiam communis memores, et gravi-
tatis sacerdotalis ac sanctitatis respectum tenentes, eaquse
ex diverso* in librura* ad nos transmissum congesta fuerant
acerbationibus criminosis respuimus, considérantes pariter
et pondérantes quôd in tanto fratrum numéro religiosoque
conventu, considentibus Dei sacerdotibus,. et altari posito,
nec legi debeant nec audiri. Neque enim facile promenda
sunt et incautè ac temerè publicanda quae, discordioso stylo*
scripta,audientibus samdalum moveant,et fratres longé po-
0
sitos ac trans mare constituas incerta opinione confondant.
7
Viderint qui , vel furori suo vel libidini servientes, et di-
vinœ legis ac sanctitatis immemores, vel jactitare intérim
gestiunt quœ probare non possuut, et cùm imaocentiam des-
truerc atque expugnare non valeaut, satts habent famà men-
daci et falso rumore maculas inspergere. Certè quod prœpo-
sitis et sacerdotibus congruit, danda opéra est ut talia, cùm
a quibusdam scribuntur, per nos respuantur. Ubi enimerit
quod dicimus ac docemus scriptum esse : Cantine linguam
a
tuam a mato, et labia tua ne loquantur insidiosè ? Item alibi :
Os tuum abundaoit waVtiu, et lingua tua complectebaïur in-

* ColUgis singulis ; ce sont ses suffragants que saint Cyprien appelle


ici ses collègues, et auxquels il donne des ordres (mandata) en qualité
de métropolitain.
a
Dignité, magistrature; ici Vépiscopat.
* Du côté opposé, par le parti contraire.
A
In Ubrum> c'était un mémoire calomnieux contre le pape saint Cor-
neille, forgé par les Novatiens.
u
Style envenimé, propre à exciter la discorde.
0
Par ces frères éloignes et habitant au-delà des mers, saint Cyprien
entend l'Eglise d'Afrique elle-même, à qui avait été adressé d'Italie, pour
égarer l'opinion, ce libelle plein de calomnies contre saint Corneille.
7
Viderint etc. ; c'est l'affaire de ceux qui..., etc,, on ceux-là
peuvent s'en occuper, qui..., etc.
A Psal. xxxui et x u x .
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 181
chef adultère et ennemi; dans ces circonstances, après avoir
reçu votre lettre, ainsi que celle de nos collègues ; après avoir
aussi vu revenir de Rome nos excellents collègues Pompée
et Etienne, qui, à notre grande joie à tous, ont fermement sou-
tenu et approuvé tous les détails relatifs à votre ordination;
nous, conformément à ce qu'exigeaient la sainteté de la divine
tradition et de l'institution ecclésiastique, enmème temps que
la vérité, nous avons pris le parti de vous écrire. Nous avons
en outre, dans toute l'étendue de notre province, porté ces
mêmes faits à la connaissance de chacun de nos collègues,
leur recommandant de vous envoyer aussi quelques-uns de
nos frères, avec une lettre de leur part.
II. Au surplus nos sentiments et notre résolution ont été
parfaitement connus de nos frères et de tous les lidèles de no-
tre Eglise, quand, ayant reçu naguères une lettre de cha-
cun des deux partis, nous avons lu la votre, et annoncé à
tous les fidèles votre élévation à l'épiscopat. Songeant aussi
à cette dignité dont nous sommes revêtus tous les deux, et
ayant égard à la gravité et à la sainteté du sacerdoce, nous
avons rejeté les imputations odieuses entassées par la haine,
dans un mémoire qui nous a été adressé par le parti con-
traire , considérant et appréciant qu'au milieu d'un si grand
nombre de lidèles, et clans une réunion toute religieuse, où
siègent les ministres de Dieu, et où est dressé son autel, de
telles infamies ne devaient être ni lues ni entendues.
On ne doit pas en effet, sans de graves motifs, mettre au jour
ou publier indiscrètement et témérairement des attaques qui,
écrites d'un style envenimé, scandalisent ceux qui les enten-
dent, et portent le trouble et l'incertitude dans l'opinion des
frères éloignés et qui habitent même au-delà des mers. C'est
l'affiure de gens qui, entraînés par la fureur ou livrés aux
caprices de la passion, oubliant la loi divine et sa sainteté,
brûlent de répandre, ne fût-ce que pour un temps, des accu-
sations qu'ils sont incapables de prouver, et, ne pouvant ni
anéantir ni vaincre la vérité, se contentent de la salir au
moyen d'une renommée menteuse et de bruits calomnieux.
Nous du moins, en tant qu'Evèques et membres du sacerdoce,
nous devons, quand certaines gens se font auteurs de telles
productions, nous efforcer de les livrer au mépris. Que de-
viendrait en effet ce précepte de l'Ecriture, que nous appre-
nons et sommes chargés d'enseigner : Empêchez votre langue
de dire le mal, et que vos lèvres ne tiennent pas de propos in-
132 SELECTVE D M CYPRIANI EPISTOLJt.
siclias. Sedens advenus fratrem tuum detrahebas, et advenus
a
filium matris tuœ ponebas scandalum . Item quod Àpostolus
dicit : Omnis sermo malus de ore vestro non procédât, sed bo-
nus adœdificationem fidei,ut det graliam audientibus*. Porrô
hœc fieri debere ostendimus, si quando talia quorumdam
calumniosâ temeritate conseripta sunt, legi apud nos non
patimur.
III. Et idcirco, frater charissime, cùm ad me talia de te
et compresbyteris tecumconsidentibus scripta venissent,qu®
religiosam simplicitatem sonabant, nec ullis maledictorum
et conviciorùm latratibus perstrepebant, clero et plebi legi
pr&cepi. Quôd autem scripta coilegaxum nostrorum qui il-
1 2
lic ordinationi tuae affuerant desideravimus, non veteris
moris obliti, novum aliquid quœrebamus; nam satls erat ut
tu te episcopum factum litteris nuntiares, nisi esset ex di-
verso discrepans factio, qua3 criminosis et calumniosis com-
mentis suis coliegarum pariter ac fratrum plurimorum
turbaret mentes et corda confunderet. Cui rei sopiend®
necessarium duximus ut scribentium nobis inde coliegarum
nostrorum iirma et solida auctoritas pararetur : qui, moiïbus
ac vit® et disciplinée tuaa condigna litterarum suarum testi-
monia prsedicantes, mmulis quoquè et rerum vel novitate
vel pravitate gaudentibns omnem ambigendi et discrepandi
scrupulum sustulerunt; et, secundùm consilium nostrum
salubri ratione libratum,in hocfluctu œstuantium fratrum
mentes sincère ac firmiter tuum sacerdotium probaverunt*.
Hoc enim vel maxime, frater, et laboramus et laborare de-
bemus ut unitatem, a Domino et per Apostolos nobis suc-

1
Illic vent dite ici là où vous êtes, c'est-à-dire à Rome.
* Ce n'est pas..., etc.
* Avec le texte que nous avons ici, probavcrunt a pour sujet mentes
fratrum œstuantium in hoc fluctu, ce qui donnera, pour la portion de
phrase depuis le point et virgule ; et, d'après notre avis mûrement pesé,
les esprits de nos frères, livrés à tontes les agitations du doute et de
l'incertitude, ont approuxé sincèremmt et fermement votre élération à
Vépiscopat. Nous voudrions, an lieu de mentes, lire mentibus, et don-
ner pour sujet à probaverunt le relatif qui du second membre de phrase,
ou plutôt collèges nostri qu'il représente. Alors probaverunt voudrait
dire non pas ont approuvé, mais ont fait approuver, et nous aurions :
et, d'après mon avis mûrement réfléchi, trouvant nos frères livrés A
toutes les agitations du doute et de Vincertilude, ils leur ont fait ap«
*Psal. x u x , 20. — i'Ephes. iv.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 133
sidieux? Et dans un autre endroit ; Votre bouche était rem-
plie de méchanceté, et votre langue ne savait gue. tendre des
pièges. Tranquillement assis, vous preniez plaisir à dénigrer
votre frère, et vous excitiez le scandale contre le fils de votre
mère. Et de même écoutez fJpôtre : Qu'il ne sorte de votre bou-
che aucune parole de méchanceté, mais au contraire de bon pro-
pos, pour l'édification de la foi, et de nature à faire plaisir
à ceux qui les écoutent. Or, nous faisons voir qu'une telle con-
duite est obligatoire, quand, ayant entre les mains de tels écrits,
inspirés à certaines gens par un audacieux esprit de calomnie,
nous ne permettons pas qu'ils soient lus en notre présence.
III. Aussi, mon très-cher frère, quand j'ai reçu relative-
ment à vous et aux prêtres de votre Eglise des écrits où res-
pirait une religieuse simplicité, et où ne retentissaient pas
pour ainsi dire les aboiements de la médisance et de l'in-
jure, je les ai fait lire au clergé et aux fidèles. Et si nous
avons désiré des lettres de nos collègues qui ont assisté à
Rome à votre ordination, ce n'est pas qu'oubliant l'antique
usage, nous vous demandassions l'accomplissement de quel-
que formalité nouvelle; il suffisait bien en effet que vous
nous informassiez, par une lettre, de votre élévation à Té-
piscopat, s'il n'y eût eu d'autre part une faction dissidente,
qui par ses imputations calomnieuses et forgées à plaisir
troublait l'esprit et le cœur de plusieurs de nos collègues et
d'un grand nombre de fidèles. Pour faire taire ces bruits
odieux, nous avons cru devoir faire venir de Rome même
le solide et irrécusable témoignage de nos collègues, qui,
rendant hautement dans leur lettre un digne hommage à vos
mœurs, à votre vie et à votre observation de la discipline,
ont ôté même à ceux qu'anime l'esprit de rivalité ou qui
prennent plaisir aux changements et aux troubles, tout pré-
texte de doute et de dissentiment; et d'après notre avis
mûrement pesé, les esprits de nos frères, livrés à toutes
les agitations du doute et de l'incertitude, ont approuvé
sincèrement et fermement votre nomination à l'épiscopat.
Ce à quoi en effet, mon frère, nous nous appliquons et de-

promtf sincèrement et fermement votre nomination à Vépiscopat. —


On aurait encore le môme sens avec mentes, en prenant probaverant
absolument pour ont fait approuver, sans dire à qui, et en construisant,
par une espèce d'hellénisme, œstuantium mentes (secundùm mentes),
agités qnant à l'esprit.
8
134 SELECTVE DIVI CYPRIANI EPISTOLtf.
eessoribus traditam, quantum possumus obtinere curemus,
et, quod in nobis est, palabunclas et errantes oves, quas quo-
rumdam pervicax factio et hœretica tentatio a maire secernit,
in Ecclesiam colligamus; illis solis foris remanentibus qui
in obslinatione sua vel furore supersederunt et ad nos re-
dire noluenmt, discrelionis et separationis a se factae et Ec-
clesiœ derelicts ipsi rationem Domino reddituri.
1
ÏV. Quantum vero lue ad presbyterorum quorumdam et
Felicissimi causam pertinet, quid bic actum sit ut scire pos-
ses, litteras ad te collège nostri manu suàsubscriptas mise-
ront, qui, auditis eis, quid senserint et quid pronuntiaverint
ex eorum litteris disces. Meliùs autem, frater, faciès, si etiam
exempla litterarum quœ ad te legenda pro diiectione com-
muni per Caldonium et Foilunatum collegas nostros proximè
miseram, quae de eodem Felicissimo et de presbylerio* ejus-
3
dem ad clerum istic nec non et ad plebem scripseram, legi
illic fratribus jubeas, qua3 et ordinationem et rationem rei
gestae loquantur, ut tam istic quàm illic circa omnia per nos
fraternitas instruatur. Exemplaria autem eadem nunc quoquè
per Mettium hypodiaconum a me missum et Nicepborum
acolythum transmisi.
Opto te,fiater charissime, semper bene valere.

EPISTOLA XXIL
AD CONFESSORES R0MAN0S, UT AD UNITATEM REDEANT.

Saint Cyprien exhorte les confesseurs de Rome à quitter le parti de


l'anti-papc Tïovatien.
4 5
CYPRIANUS Maximo et Nicostrato et caeteris confessoribus
salutem.
1
Bic là où je suis, ou plutôt où est mon église, c'est-à-dire à Car*
f

thage. De même, à la ligne suivante. C'est à Carthage que Félicissime


éleva son schisme, et c'est à Carthage qu'il fut condamné par les lettres
de saint Cyprien, absent, il est vrai, et par les collègues de saint Cyprien,
présents et réunis au clergé de cette métropole.
* Prêtres de sa faction.
3
Istic veut dire ici dans notre église, c'est-à-dire, à Carthage.
4
Maxime quitta le parti schismalique.
* Nicostratus, diacre de l'Eglise romaine, persévéra dans le ischisme,
et devint évoque en Afrique par la faction des Novatiens.
LETTRES CliOISIES DE SAINT CYPRIEN.
vous nous appliquer surtout, c'est à tâcher, selon notre pou-
voir, de maintenir l'unité qui a été transmise par le Sei-
gneur et par les Apôtres à nous leurs successeurs, et, autant
qu'il est en nous, à réunir dans le sein de l'Eglise les brebis
égarées et errantes qu'une faction obstinée et les tentations
de l'hérésie séparent encore de leur mère; en sorte que ceux-
là seuls demeurent dehors qui auront persisté dans leur ob-
stination ou leur folie, et n'auront pas voulu revenir à nous,
quitte k eux à rendre compte au Seigneur de la désunion et
de la séparation dont ils auront été les auteurs, ainsi que de
l'abandon qu'ils ont fait de l'Eglise.
IV. Quant à ce qui concerne la cause de quelques prêtres
et de Félicissime pour vous faire connaître les mesures
prises ici à leur égard, nos collègues vous ont adressé une
lettre signée d'eux, où vous apprendrez quels ont été leurs
sentiments et leur décision après avoir entendu les intéres-
sés. Mais vous ferez mieux encore, mon frère, si vous ordon-
nez de lire à nos frères de Rome la copie d'une lettre qu'en
raison de l'affection qui nous lie, je vous ai envoyée récem-
ment par nos collègues Caldonius et Forluuat, et que j ' a -
h
vais écrite, à ce sujet au clergé et aux lidèles de notre
9

église. J'y explique l'ordre et la marche de toute cette affaire,


de manière à pouvoir instruire de tous les faits nos frères de
Rome aussi bien que ceux de Carthage. Or, je vous envoie
encore aujourd'hui une copie de cette môme lettre par le
sous-diacre Mettius et l'acolythe Kicéphore.
Je désire, mon très-cher frère, que vous vous portiez tou-
jours bien.

LETTRE XXII.
AUX CONFESSEURS ROMAINS, POUR LES ENGAGER A REVENIR
A L'UNITÉ.

Saiut Cyprien exhorte les confesseurs de Rome à quitter le parti de


l'auli-pape Novatien.

CYPRIEN à Maxime, à Nicostrate, et aux autres confesseurs,


salut.
* Félicissime, qui, comme nous l'avons dit, avait formé avec Novat un
schisme à Carthage.
b
Voyez Lettre précédente.
136 SELECTA D M GYPhlANI EPISTOLrE.
J . Cùm fréquenter,charissimi, cognoveritis ex iitteris meis
quem et confessioni vestrae honorem et fraternitati connexae
dilectionem meo sermone servaverim, credatis,quaeso, et
acquiescatis his litteris meis, quibus vobis et actui ac lau-
dibus vestris et scribo et simpliciter ac fideliter consulo.
Gravât enim me atque contristat et intolerabilis perculsi penè
prostrati pectoris mœstitia perstringit, cùm vos illic corn-
périssent contra ecclesiasticam dispositionem, contra evange-
licam legem, contra iustitutionis catholicae unitatem, alium
episcopum fieri consensisse, id est, quod nec fas est nec
licet fieri, Ecclesiam aliam constitui, Christi membra dis-
1
cerpi, dominici gregis animum et corpus unum discissâ
œmulatione lacerari. Quôd quœso ut in vobis saltem illicitum
istud fraternitatis nostrœ discidium non perseveret, sed, et
confessionis vestrae et divinae traditionis memores,ad matrein
revertamini unde prodiistis, unde ad confessionis gloriam
cum ejusdem matris exsultatione venistis*. Nec putetis sic
vos Evangelium Christi asserere, dum vosmetipsos a Christi
grege et ab ejus pace et concordia separatis, cùm magis mi-
3
litibus gloriosis et bonis congruat intra domestica castra
consistere, et, intus positos, ea quœ in commune tractanda
sunt agere ac providere. Nam, cùm unanimitas et concordia
nostra scindi omnino non debeat, quia nos Ecclesià derelictâ
foras exire et ad vos venire non possumus, ut vos magls ad
Ecclesiam matrem et ad nostram fraternitatem revertamini,
quibus possumus hortamentis petimus et rogamus.

Opto vos, fraies charissimi, semper bene valere.

* Avec la signification active de discindente, qui divise.


* Vous êtes allés, ou vous êtes arrivés, parvenus, vous avez atteint.
* Au lieu de domestica castra, locution rare et dont on ne trouve peut-
être qu'un exemple dans Juvénal, Baluze aimerait mieux dominica
castra (le camp du Seigneur), expression employée dans nne autre lettre
(Lettre XXVII, paragraphe ni)par saint Cyprien, et familière aux auteurs
ecclésiastiques. Saint Cyprien dit de môme souvent castra spiritalia,
castra Christi, et castra cœlestia. Certainement dominica castra serait
mieux, et plus conforme à l'usage; mais domestica castra s'entend assez
bien pour qu'on hésite à le changer sans l'autorité de quelque manu-
scrit.
LRT1UKS CHOISIES DE SAINT GYPRIKK» 137
Souvent, mes très-chers frères, vous avez vu par mes let-
tres en quels termes honorables j'ai toujours parlé de votre
confession, en quels termes affectueux de la fraternité qui
nous lie. Eh bien ! croyez, je vous en conjure, et rendez-vous
à cette lettre que je vous écris avec franchise et dévouement,
dans votre intérêt, dans l'intérêt de votre conduite et de votre
gloire. Je suis peiné, je suis attristé, j'ai le cœur encore serré
de l'insupportable affliction dont j'ai été frappé et comme
abattu, quand j'ai appris qu'au mépris de la discipline ec-
clésiastique, au mépris de la loi de l'Evangile, et en opposi-
tion avec l'unité de l'institution catholique, vous aviez con-
a
senti à ce que Ton créât un autre évèque , c'est-à-dire à ce
que, contre tout droit et toute loi, on établit une autre Eglise,
qu'on déchirât les membres du Christ, et que, par une riva-
lité qui n'engendre que divisions, on mit en pièces l'âme et
le corps, un par sa nature, du troupeau de notre Seigneur.
Oh ! je vous en conjure, vous au moins ne prolongez pas en-
tre nos frères ces coupables dissensions; mais, fidèles à votre
confession et à la divine tradition, revenez à votre mère, du
sein de laquelle vous êtes sortis, de chez qui vous êtes par-
tis, faisant tressaillir de joie cette bonne mère, pour aller
conquérir la gloire de votre confession. Et ne croyez pas que
vous affermissiez l'Evangile du Christ en vous séparant ainsi
de son troupeau, et de la paix et de la concorde qu'il chérit.
Ne convient-il pas mieux à de glorieux et fidèles soldats, de
rester dans le camp où ils ont été nourris, et, renfermés dans
son enceinte, d'y faire et d'y régler tout ce que nous avons
à traiter en commun? En effet, notre unanimité et notre par-
fait accord ne souffrant absolument aucune scission, puisque
nous ne pouvons abandonner l'Eglise, sortir dehors, et al-
ler vous trouver, c'est plutôt à vous de revenir à l'Eglise no-
tre mère et à nous qui sommes vos frères; nous vous y
exhortons, nous vous en prions et vous en supplions avec
toute l'ardeur dont nous sommes capables.
Je désire, mes très-chers frères, que vous vous portiez tou-
jours bien.

* Cet autre évéque est l'antl-pape Novatien. Voye* Lettre précédente,


page 135, note «.
8.
138 SELECTJS DIV1 CYPRIANI EP1ST0L/E.

EPISTOLA XXIII.
MAXIMI JET C J E T E R O R U MCONFESSORUM AD CYPRIANUM, DE SUO
REDITU E X SCniSMATE.

Maxima et les autres confesseurs informent saint Cyprien de leur i-etour


à l'Eglise.

Cypriano fratri Maximus, Urbanus, Sidonius et Macharius


salutem.
Certi sumus, frater charissime, te quoquè nobiscum pari
1
voto congaudere nos, habite- consilio, utilitatibus Ecclesia?
et paci magis consulentes, omnibus rébus prœteraiissis et
judicio Dei servatis, cum Cornelio episcopo nostro pariter
et cum universo clero pacem fecisse. Cum gaudio etiam
univers® Ecciesiae, pronâ etiam omnium charitate, hoc fac-
tum his litteris nostris scire certissimè debuisti.
Oramus te, frater charissime, multis annis bene valere.

EPISTOLA XXIV.
CYPRIANI AD CONFESSORES DE REDITU E X SCHISMATE CON-
GRATULATORIA.

Saint Cyprien félicite Maxime et les autres confesseurs sur leur retour
à l'Eglise.

Maximo presbytero, item Urbano et Sidonio et


CYPRIANUS
Machario fratribus salutem.
1. Lectis litteris vestris, fratres charissimi, quas ad me de
vestra regressione et de ecclesiastica pace ac fraterna redin-

1
Qu'ayant formé les mêmes vœux (de réconciliation), Y O U S partagez
aussi notre joie, en nous voyant, etc.
LETTRES CHOISIES DIS SAINT CYPRIEN. 189

LETTRE XXIII.
DE MAXIME ET DES AUTRES CONFESSEURS A CYPRIEN , POUR
L'iNFOllàlER DE LEUR RETOUR A L'ÉGLISE \

Maxime et les autres confesseurs informent saint Cyprien de leur retour


à l'Eglise.

A Cyprien, leur frère, Urbain, Sidonius et Macaire, salut.


Nous sommes certains, notre très-cher frère, qu'ayant for-
mé les mêmes vœux que nous, vous partagez aussi notre joie,
en voyant qu'après mûre délibération entendant mieux les
intérêts de l'Eglise et de la paix, toutes choses étant laissées
de côté et réservées au jugement de Dieu, nous nous sommes
réconciliés à la fois avec Corneille notre évèque et avec tout le
clergé. Aussi avons-nous été accueillis par la joie de l'Eglise
entière et par un élan de charité universelle. C'est pour w w j
en instruire avec une entière certitude que nous avons cru
devoir vous adresser cette lettre.
Nous demandons pour vous au Ciel, notre très-cher frère,
de longues années de bonne santé.

LETTRE XXIV.
DE CYPRIEN A U X CONFESSEURS POUR L E S FÉLICITER D E LEUR
RETOUR A L'EGLISE.

Saint Cyprien félicite Maxime et les autres confesseurs sur leur retour
à l'Eglise.

C Y P R I E N au prêtre Maxime, et à Urbain, Sidonius et Ma-


caire, salut.
I. Mes très-chers frères, la lecture de la lettre par laquelle
vous m'annoncez votre retour, votre paix avec l'Eglise et 70-

* Le prêtre Maxime et plusieurs membres du clergé de Kome en- >

core prisonniers pour la foi, s'étaient laissé séduire par Novatien, f\ai
avait formé un schisme à Rome en se .faisant élire pape a la place .de
saint Corneille. ' r.t
140 SELECTA DlVl CYPRIANI BPlSlOLtt.
tegratione fecistis, iutantuin me lœtatum esse eonfiteor in-
quantum fueram et antè lœtatus, quando confessionis vestrae
gloriam comperi et militiœ vestrae cœlestem ac spiritalem
laudem gratulabundus excepi. Nam ethaecfideiet laudis ves-
trae alia confessio est imam esse Ecclesiam confiteri, nec
alieni erroris velpotiùs pravitatis participem fieri, repetere
eadem castra unde prodistis, unde ad gerendum praelium et
adversarium subigendum fortissimis viribus prosilistis. II-
1
lue enim erant de acie tropbaea referenda unde ad aciem
fuerant arma suscepta; ne, quos ad gloriam Christus paràs-
set, eosdem gloriosos Christi Ecclesia non haberet. Nunc
verô* et vos congruentem fidçi vestrae tenorem atque indi-
viduae charitatis et concordiae'legem dominica pace tenuis-
tis, et exemplum caeteris dilectionis et pacis vestro itinere
fecistis, ut Ecclesiae veritas et evangelici sacramenti unitas,
quae a nobis tenebatur, vestro etiam consensu ac vinculo
3
necteretur , nec confessores Christi erroris duces fièrent, qui
virtutiset honoris auctores laudabiles exstitissent\Viderint
quantum vobis caeteri gratulentur, vel quantum apud se
ipsos singuli glorientur. Ego me et gratulari magls vobis et
plus caeteris gloriari in bac vestra pacifica regressione et cha-
ritate coiifiteor. Simpliciter enim quid in meo corde fuerit
debetis audire.
II- Dolebam vehementer et graviter angebar quôd eis
communicare non possem quos semel diligere cœpissem.
Posteaquam vos de carcere prodeuntes schismaticus et haere-
ticus error excepit, sic res erat quasi vestra gloria in carcere
remansisset. Illic enim resedisse vestri nominis dignitas vide-
batur, quando milites Christi non ad Ecclesiam de carcere
redirent, in quem priùs cum Ecclesiae laude et gratulatione
0
venissent .
Nam, etsi videntur in Ecclesia esse zizania, non tamen
5
impediri débet aut fides aut charitas nostra, ut, quoniam
zizania esse in Ecclesia cernimus, ipsi de Ecclesia recedamus.

1
Uluc, là, à la vraie Eglise.
* Nunc verô, mais aujourd'hui (par votre retour à la foi). — Teno-
rem, l'intégrité de votre foi répondant à votre courage.
5
Reçût encore l'appui de votre assentiment, ou se raffermît par le lien
puissant de votre unanimité.
* Qui exstilissent, après avoir été.
* Ut, quoniam, etc., de telle sorte que. par cela seul que.»., etc.
LKTl'KLS CU01SW8 m SAINT CYFiUKN. 141
trw réintégration au nombre de nos frères, m'a causé, je l'a-
voue, autant de joie que j'en éprouvai jadis quand j'appris, en
vous félicitant, la gloire de votre confession et le céleste et
spirituel mérite de vos combats. En effet, c'est là encore une
nouvelle et glorieuse confession de votre foi, de reconnaître
qu'il n'y a qu'une seule Eglise, de ne voidoir partager aucune
croyance erronée ou plutôt coupable, de rentrer dans le camp
d'où vous êtes sortis, d'où vous vous êtes vaillamment élan-
cés pour combattre et terrasser l'ennemi. 11 vous fallait, en
effet, rapporter du champ de bataille vos trophées là où vous
aviez pris les armes pour marcher au combat ; il n'était pas
juste que l'Eglise du Christ ne possédât pas, couverts de
gloire, des soldats que le Christ avait préparés à conquérir
cette gloire. Mais aujourd'hui, en faisant la paix avec le Sei-
gneur, vous avez tenu une conduite conséquente à votre foi,
vous avez observé la loi de l'affection et de ia concorde qui
doivent nous unir, et, par votre retour, vous avez donné aux
autres un exemple de charité et de paix. Ainsi la vérité de
l'Eglise et l'unité du sacrement évangélique, que nous sou-
tenions, ont été raffermies encore parle lien de votre assen-
timent, et Ton n'a pas vu des confesseurs du Christ guider
leurs frères dans Y erreur, après avoir mérité l'estime en
nous montrant le chemin du courage et de J'honneur. Que
les autres vous félicitent autant qu'ils le voudront, que cha-
cun d'eux se glorifie intérieurement à son gré de votre re-
tour, j'avoue que plus que personne je vous félicite et je me
glorifie de ce retour pacifique, et de cette preuve de votre
charité. Je dois en effet vous dire avec franchise ce qui s'est
passé dans mon cœur.
II. J'étais profondément affligé, cruellement tourmenté de
ne pouvoir communiquer avec des hommes que j'avais une
fois aimés. Quand, à votre sortie de prison, vous vous livrâtes
à l'erreur du schisme et de l'hérésie, c'était absolument
comme si votre gloire fut restée sous les verroux. Vous sem-
bliez en effet y avoir laissé l'honneur du titre que vous ve-
niez de conquérir, puisque, soldats du Christ, vous ne retour-
niez pas à l'Eglise, en sortant de cette prison où vous étiez
entrés comblés des éloges et des félicitations de cette même
Eglise.
Ilï. En effet, bien qu'on voie dans l'Église de l'ivraie, ce
ne doit pas être pourtant un obstacle pour notre foi ou notre
charité; et, parce que nous y voyons de l'ivraie, ce n'est pas
142 SELECTM DlVî CYPRIANI EPISTOLA,
Nobis tantummodo laborandum est ut frumentwu esse pos-
simus, ut, cùm cœperit frumentum dominicis horreis condi,
fructum pro opère nostro et labore capiamus.'Aposloliis in
epistola sua dicit : In domo autem magna non soliim voua sunt
aurea et argentea, sed et Vgnea et fictilia, et qtiœdam quidem
honorata, quœdam verà inhonorata \ Nos operam demus, fra-
tres charissimi, et quantum possumus laboremus ut A'asa
aurea vel argentea simus. CcCterùm fictilia vasa ooufringere
Domino soli concessum est, cui et virga ferrea data est. Esse
non potest major domino suo serras. Nec quisquam sibi,
quod soli Filio Pater tribuit, vindicare potest, ut putet aut
1
ad aream ventilandam et purgandam palam ferre posse , aut
a frumento universa zizania humano judicio separare. Su-
perba est ista obstinalio et sacrilega pra»umptio quam sibi
furor pravus assumit. Et, dum dominium sibi semper qui-
dam, plus quàm mitis juslitia deposcit, assumunt, de Eccle-
â
sia pereunt ; et, dum se insolenter extollunt,ipso suo tu-
more esecati, veritatis lumen amittunt. Propter quod et nos
temperamentum tenentes, et libram Domini contemplantes,
et Dei Patris pietatem ac misericordiam cogitantes, diù mul-
tùmque tractatu inter nos habite, juslA moderatione quœ
sunt agenda libravhnus.Quifî omnia penilùs potestis inspicere
lectis libellis quos hic nuper legeram, et'ad vos quoquè le-
gendos pro communi dilectione transmiseram; ubi lapsis nec

1
Palam fvrre posse. Nous avons traduit comme s'il y avait palam et
ventilàbrum ferre posse, c'est-à-dire porter une pelle et un van, le van
ad ventilandam aream, pour vanner le blé battu sur l'aire, et la pelle ad
purgandam (aream), pour nettoyer Taire elle-même. Le mot ventila-
brum est donné par un manuscrit qui appartenait à Baluze, et où lu
phrase est ainsi modiûée : ut putet ad aream ventilandam et purgan-
dam paleamjam ferre se venlilabrum; saint Augustin, daus sa lettre
à Macrobe donne aussi eelte leçon qui se trouve dans le manuscrit de
t

l'évoque d'Ancône. D'où ii suit que, parlant de deux opérations distinctes,


le vannage du blé et le nettoyage de l'aire, saint Cyprien avait proba-
blement nommé les deux instruments servant à chacune d'elles, et que
les copistes, chacun selon son degré d'exactitude ou son caprice, tout en
laissant dans le texte l'expression des deux opérations mentionnées tout
à l'heure, auront omis le nom de l'un ou de l'autre des instruments qui
y servaient.
* Ils tombent hors de l'Église, sortent de son sein.
• 11 Tim. n.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 143

une raison pour que nous nous retirions nous-mêmes de


l'Eglise. Il nous faut seulement travailler pour pouvoir être
du froment % afin que, quand viendra le temps de serrer le
froment dans les greniers du Seigneur, nous puissions rece-
voir la récompense de nos travaux et de nos peines .L'Apôtre
dit dans une de ses Epitres : Dans une grande maison, iln'y
a pas seulement des vases d'or et d'argent, il y en a aussi de
bois et de terre; il y en a qui sont en honneur, et d'autres qui
sont méprisés. Pour nous, appliquons-nous, mes très-chers
frères, et travaillons de toutes nos forces à être des vases d'or
ou d'argent. Au reste, briser les vases de terre n'est permis
qu'au Seigneur, à qui pour cela a été donnée une verge de
fer. Le serviteur ne peut pas être plus puissant que son maî-
tre. Et personne ne peut s'attribuer une fonction que le Père
n'a confiée qu'au Fils, ni s'imaginer pouvoir, pour vanner le
blé et nettoyer l'aire, apporter son van et sa pelle, ou réussir
b
à séparer du froment toute l'ivraie à l'aide d'un jugement
humain. C'est une orgueilleuse obstination et une présomp-
tion sacrilège, que s'arroge seule la folie unie à la perver-
sité. Et ainsi certaines gens, en prenant toujours pour eux
de l'autorité plus que ne le comporte la justice tempérée par
la clémence, tombent hors du sem de l'Église; et, s'élevant
avec insolence, aveuglés par leur orgueil même, perdent la
lumière de la vérité.
C'est pourquoi nous aussi, adoptant un tempérament, les
yeux fixés sur la balance du Seigneur, et songeant à la bonté
et à la miséricorde de Dieu le Père, aprèsen avoir longuement
et à fond délibéré entre nous, nous avons, avec une juste
modération, réglé les mesures à prendre. Vous pouvez voir
c
tout cela en lisant les livres que j'ai lus dernièrement i c i ,
et qu'en raison de l'affection qui nous unit, je vous ai en-

* Déjà, dans une autre lettre, nous avons vu les vrais chrétiens, les
justes, comparés au blé que le père de famille serre avec soin dans ses
greniers. Ici cette comparaison est rendue plus juste encore par l'oppo-
sition de l'ivraie dont il vient d'être question trois lignes plus haut
*> Manière allégorique de dire « séparer la vérité d'avec l'erreur, la foi
» d'avec l'hérésie. »
c
11 s'agit ici des deux ouvrages de saint Cyprien : 1° Son livre De
Lapsis, désigné clairement et même brièvement analysé à la fin de cette
phrase; 2» son traité De unitaie Ecelesiœ, suffisamment indiqué dans la
suivante,
144 SELECTJB WVI CYPRIANI EPISTOLE.
censura deest quœ incrcpet *, nec medicina quae sanet. Sed et
catholicae Ecclesiae unitatem*, quanthm potuit, expressif nos*
3
tra mediocritas. Quem libellum magls ac magis nunc vobis
placere confido, quando eum jam sic legitis ut et probetis et
ametis. Siquidem quod nos verbis conscripsimus, vos factis
impletis, quando ad Ecclesiam cbaritatis ac pacis unitate re-
meatis.
Opto vos, fratres charissimi ac desiderantissimi, semper
bene valere.

EPÏSTOLÀ XXV.
AD ANTONIANUM, DE CORNELIO AC NOVATIANO.

Saint Cyprien affermit Antonieu dans le parti de saint Corneille, dont


Pélcction est démontrée valide, et celle de Novatien nulle et schisma-
tique : il justifie sa conduite à l'égard de ceux qui avaient sacrifié
aux idoles.

CYPRIAKCS Antoniano fratri salutem.


I. Àccepi primas litteras tuas, frater charissime, concor-
4
diam collegii sacerdotalis firmiter obtinentes etcatholicaB Ec-
clesiae cohérentes, quibus significasti cum Novatiano te non
communicare, sed sequi consilium nostrum et cum Cornelio
coepiscopo nostro unum tenere consensum. Scripsisti etiam
1
Nous avons donné plus haut plusieurs lettres relatives aux Lapsi,
où saint Cyprien condamne ceux d'entre eux qui, à l'aide de billets
donnés par les martyrs, veulent rentrer d'autorité dans le sein de
/église, et où il se montre disposé à admettre ceux qui» touchés d'un
sincère repentir, sont prêts à se soumettre aux décisions que prendra
% idividuçllement par rapport à chacun d'eux l'assemblée des fidèles pré-
sidée par ses pasteurs. C'est là ce que saint Cyprien appelle d'une part
censura et de l'autre medicina, et plus haut du nom commun de tem-
peramentum.
* Ce livre désigne ici exclusivement le traité De unitate Ecclcsice, le
icul des deux qui, par son sujet/ avait un rapport direct avec le retour à
l'église des personnes à qui est adressée cette. lettre.
* II est constant, parce passage, que le traité De unitateEcclesiœ de saint
Cyprien fut compote au temps où Novatien leva l'étendard du schisme.
4
Qui maintient (soutient, exprime) fermement l'union entre les
membres du clergé
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPHIfcX. 145
vovés pour que voiis les lisiez aussi. Dans l'un, je ne ménage
aux tombés, ni la censure qui réprimaude, ni le remède qui
guérit. Dans l'autre je retrace, selon mes faibles moyens,
l'unité de l'Eglise catholique. Ce livre vous plaira de plus
en plus, je îc crois, puisque déjà en le lisant vous l'ap-
prouvez et vous l'aimez. En effet, ce que nous avons écrit,
vous le pratiquez, en consacrant, par votre retour à l'Eglise
l'unité (fans la paix et la charité.
Je désire, frères chéris et dévoués, que vous vous portiez
toujours bien.

LETTRE XXV.
A A N T O N I E N , SUR L E P A P E C O R N E I L L E E T SUR N O V A T I E N .

Cette lettre se divise naturellement on deux parties. Dans la première,


saint Cyprien dissipe chez Antonieu les fausses opinions que les lettres
de Novatien avaient fait naître dans son esprit. Lui-même se justifie du
reproche de légèrelé en ce qui coucerne l'affaire des tombés, puis il
montre la régularité canonique de l'élection du pape Corneille, et
loue son courage cl les vertus qu'il a déployées avant et pendant
son épiscopat. — Dans la seconde partie, l'auteur établit que Ton doit
venir au secours des tombés placés en danger de mort. Cependant la
positiou de tous n'est pas la même; celle des libella tiques est de tout
poiut la plus favorable. Novatien a iutroduit dans l'Eglise les maximes
impitoyables des Stoïciens. En cas de doute, il faut adopter comme
le plus sûr le parti de la douceur. Il n'est pas à craindre que Pin-
-lulgence à l'égard des tombés détourne les chrétiens du martyre. Ceux
jui leur refusent la paix se mettent en contradiction avec les saintes
écritures. Du caractère de Novatien comme philosophe et comme
rt.oïcien. L'admission des adultères à la pénitence entraîne nécessaire-
aient l'admission des tombés. Oter aux pécheurs l'espoir du pardon,
?.t les engager à faire peuiteuce, c'est une véritable dérision.
a
CYPRIEN à Antonieu son frère, salut.
I. J'ai reçu de vous, mon très-cher frère, une première
lettre où vous souteniez fortement l'union entre les membres
de Fépiscopat, et où vous exprimiez de même votre attache-
ment à l'Eglise catholique. Vous y déclariez ne pas com-
* Antnnicn, é\éqncde Numidic, s'clail d'abord déclaré contre Nova-
tien; mais ensuite il avait paru ébranlé par les lettres que ce prêtre
schématique lui avait écrites.
146 8ELECMB D1V1 CYPRIANI EPISTOLA.
ut exemplum earnmdemlitteratum ad Clorneliuni collegam
nostrum transmilterem, ut, depositàomni soïlidludino, jam
sciret te secum, hoc est cum catholica Ecclesia, communi-
care *. Sed enim supervenerunt postmodum aluc li lierai tua*
per Quuitum compresbyterum missœ, in quibus animadverli
animum tuum Novatiani litteris motum nutare cœpisse*. Nam,
cùm et consilium et consensnm tuum iirmiter antè fixisses,
desiderasti in his litteris ut rescriberem tibi quam hseresim
Novatianus introduxisset, vel Cornélius quâ ratione Trophhno
3
et thuriflcatis communicet. Quod quidem si pro soli ici tu-
dine iidei anxiè curas, et rei ditbiœ vcrilalem sollicitas ex-
ploras, reprehendenda non est in timoré divino aestuantis
animi sollicitudo suspensa.
II. Quoniam tamen video, post primam sententiam epistolae
tu», Novatiani litteris postmodum te esse commotum, illud,
frater charissime, primo in loco pono : graves viros et semel
super petram* solidà stabilitatelïmdatos, nondico aura levi,
sed nec vento aut turbine commoveri, ne animus dubius et
incertus variis opmionibus, velut quibusdam ventorum in-
cursantium flatibus, fréquenter agitetur, et a proposito suo
cum quadam levitatis reprehensione mutetur. Quod ne vel
apud te vel apud quemquam Novatiani litteras faciant, ut tlesi-
derasti, frater charissime, rationem rei tibi brcvitcr exposa
1
Hoc est cum catholica Ecclesia. communicare* Voilà certain" > o *
un passage qui établit l'autorité du Pontife romain , puisqu'il y c;-t .
qu'être en communion avec lui, c'est être en communion avec l'Eglise
catholique. On ne peut guère exprimer plus clairement la suprématie ti*
la chaire de saint Pierre. Ce qui n'empêche pas saint Cyprien d'appeler,
deux lignes plus haut, Corneille son collègue; mais c'est un col%uc
auquel tous ses collègues sont respectueusement soumis.
* Quelque chose de pareil à celte incertitude d'Antonien à propos du
pape Corneille et de Novatien, arriva au pape Corneille lui-même, à
propos de saint Cyprien, légitime évéque de Carthage, et de Pévéque
schismatique Fortunat, dont les envoyés Félicissime et autres troublè-
rent par leurs intrigues et leurs menaces l'esprit du saint Pontife. 11 fout
convenir que, dans les deux cas,notre auteur déploie un (aient et un cou-
rage admirables pour rappeler à la fermeté évangélique et à la vigueur de
l'épiscopat son collègue Antonicn d'abord, puis ensuite le pape Corneille.
5
Ceux qui avaient offert de l'encens aux dieux des païens. Ce mot,
avec une foi me passive, a un sens actif, comme plus loin sacriftcali pour
qm sacHficavcrwit. Voyez page 160, note *.
1
Des éditions portent super petramrobustam. Ce robustaw, inutile
et inélégant, manque dans riouzt) nu».
LETTRES CHOISIES "DE SAINT CYPRIEN. 147
rouniquer avec Novatien, mais vous ranger à notre avis, et
vous réunir a Corneille, notre collègue; VOUK m'inviliczmrme
à lui envoyer copie de celte lettre, pour dissiper dans son
esprit toute inquiétude, et lui apprendre des lors que c'était
avec lui, c'est-à-dire avec l'Eglise catholique, que vous étiez
en communion. Mais ensuite m'est arrivée de votre part une
autre lettre, remise par vous a Quintus, l'un des prêtres die
notre Eglise, dans laquelle j'ai remarqué que votre esprit,
ébranlé par une lettre de Novatien, commençait à chance-
ler. En effet, bien que vous eussiez auparavant arrêté fer-
mement votre résolution, et donné à l'élection de Corneille
votre plein assentiment, vous m'avez prié, dans cette se-
conde lettre, de vous répondre et de vous dire quelle hérésie
avait introduite Novatien, ou comment il se faisait que Cor-
a
neille fût en communion avec Trophime , et avec des
hommes qui ont offert de l'encens aux dieux des païens. Si
c'est par l'effet d'un véritable zèle pour la foi que vous êtes
tourmenté de ce souci, si c'est un point douteux dont votre
sollicitude veut éclaircir la vérité, l'on ne saurait blâmer
l'inquiétude d'une àme craignant Dieu, et livrée aux agi-
tations du doute et de l'incertitude.
II. Toutefois, comme je vois que malgré le sentiment
exprimé dans votre première lettre, vous avez été depuis
ébranlé par la lettre de Novatien, voici, mon très-cher frère,
un principe que je pose en première ligne : c'est que des
hommes graves et une fois solidement assis sur le roc iné-
branlable oii est fondée l'Eglise, ne se laissent ébranler, je
ne dis pas par une brise légère, mais pas même par la vio-
lence des vents ou le souffle de la tempête; ils ne permet-
tent pas que leur àme, livrée au doute et à l'incertitude,
soit fréquemment agitée par les vicissitudes de l'opinion,
comme par autant de coups de vent, et, renonçant à* ses ré-
solutions premières, mérite jusqu'à certain point le re-
proche de légèreté. Afin donc que la lettre de Novatien
n'expose ni vous ni personne à cet inconvénient, je vais,
mon très-cher frère, vous expliquer brièvement ce qui cause
votre embarras.

a
Le prêtre Trophime avait entraîné par son exemple nne grande mul-
titude de lidèles à sacrifier aux idoles. Plus tard il fit pénitence, et fit
rentrer avec lui dans le sein de.l'Eglise cette foule qu'il avait égarée.
148 SELECT/K DiVl CYPRIANI EPISTOUE.
H L Et quidem primùm, quouiam de meo quoquè aclu
motus videris, mea apud te et persona et causa purgauda est,
ne me aliquis existimet aproposito meo leviter recessisse, et,
cùm evangclicum vigorern primo et inter initia defeiiderim,
X>ostmodum videar animiun meum a disciplina et censura
priore flexisse, ut his qui libellis conscient]am suam macu-
îaverint, vel nefanda sacriûcia commiserint, laxandam pa-
cem putaverim. Quod utruraque non sine librata diù et pon-
derata ratione a me faetum est.

1
IV . Nain, cùm acies adhuc inter manus esset , et praelium
gloriosi certaminis in persecutione ferveret, toto hortatu et
pleno impetu militum vires fuerant excitandae, et maxime
lapsorum mentes classico quodam nostrœ vocis* fortiter ani-
mandflp, ut pœnilentiœ viam non solùm precibus et lamen-
tationibus sequerentur, sed, quoniam repetendi certaminis et
veparandae salutis dabaiur occasio, ad confessionis potiùs ar-
dorem et martyrii gloriam nostris increpiti vocibus provoca-
rentur. Denique, cùm de quibusdam ad me presbyteri et
diaconi scripsissent eos immoderatos esse et ad communica-
tionem aceipiendam festinanfer urgere, rcscrihcns eis in
epistolamea, qux exslat, et hoc addidi: «Qui si nimiùmpro-
» perant, habent in sua poteslate quod postulant, tempore
» ipso sibi plus quàm quod postulant largiente. Acies adhuc
» geritur, et ngon quotidie celebratur. Si commissi verè et
» firniiter pœnïtet et fidei calor prœvalet, qui differi non po-
» test % potest coronari. » De eo tamen quod statuendum es-
4
set circa causam lapsorum distuli ; ut, cùm quies et tran-
quiltitas data esset, et episcopis in unum convenire indtdgeu-

1
Quand l'armée (des fidèles) en était encore aux mains.
* Nous avons déj;\ remarqué UYCC quel bonheur saint Cyprien emploie
les expressions empruntées à l'art militaire. Tout ce passage en olJVe de
nouveaux exemples. Ce qu'il dit ici de sa voix comparée aux sons de la
trompette guerrière, des confesseurs qui lui écrivent (Lettre XXXV) le lui
disent presque dans les mêmes termes et tuba canons, Dei milites..*
ad congressionis prœlium excilasii.
~' Celui qui ne peut (supporter) d'être remis à un autre temps,
* Soos-cntenûu sWvm ou décerner?, qui ?e comprennent facU
lement.
LUTTHJ» CHOISIES DK SAINT CYPRIEN. 149
III. Et d'abord, puisque mes actes aussi paraissent avoir
excité chez vous quelque inquiétude, il me faut justifier au-
près de vous ma personne et ma conduite. Je ne veux pas en
effet que Ton pense que j'ai renoncé légèrement à la résolu-
tion que j'avais prise; et qu'après avoir d'abord et dès le prin-
cipe soutenu l'Evangile dans toute sa vigueur, je me suis plus
lard relâché de l'observation de la discipline et de ma sévé-
rité première, au point de croire devoir accorder mollement
la paix à ceux qui avaient souillé leur conscience en rece-
ft
vant les certificats des magistrats païens , ou qui avaient
célébré avec eux d'abominables sacrifices. J'ai fait l'un et
l'autre, mais non pas sans avoir longtemps pesé et soumis à
un mûr examen les raisons qui m'y ont déterminé.
IV. En effet, quand l'armée des 'fidèles en était encore aux
mains, et qu'au fort de la persécution les combats de notre-
glorieuse lutte étaient en pleine activité, je devais par toutes
les exhortations possibles, et avec toute la vigueur donl j'é-
tais capable animer le courage de nos soldats; il me fallait
surtout exciter fortement aux accents de ma voix, comme
aux sons de la trompette, les âmes des tombés, non-seule-
ment afin de les engager à suivre, en priant et en pleurant,
la voie de la pénitence, mais aussi, puisque l'occasion leur
était offerte et bien plus encore, de retourner au combat et de
reconquérir le salut, pour que la vivacité de mes reproches
allumât en eux l'ardeur de la confession et le désir d'un glo-
rieux martyre. Enfin, les prêtres et les diacres m'ayant écrit
au sujet de quelques-uns d'entre eux, qu'ils manquaient de
modération et se montraient impatients de recevoir au plus
tôt la communion, je leur répondis par une lettre qui existe
encore, et je disais en la terminant : « S'ils se montrent par
» trop pressés, ils ont en leur pouvoir ce qu'ils demandent;
» les circonstances mêmes les favorisent au-delà do leurs dé-
» sirs. La guerre est flagrante encore, et tous les jours se li-
» vrent de nouveaux combats. Si leur faute leur inspire un
» véritable, un ferme repentir, si l'ardeur de la foi a repris
» le dessus dans leurs âmes, celui qui ne peut souffrir d'être
» remis à un autre temps, peut dès aujourd'hui recevoir la
a
» couronne . » Quant "aux résolutions à prendre relative-
ment aux tombés, j'ajournai cette question, afin que, quand

* Voyez la Solice sur saint Cyprien, page 1, alinéa 4.


* Lettre X , page 87, paragraphe 11L
150 miEGïM D1VI GYF1UANI KP1BTOLA.
tia divina permitteret, lune, comimmicato et librato de om-
1
nium collatione consilio, statueremus quid fieri oporteret;
si quis vero ante consilium nostrum et ante sententiam de
omnium oonsilio statulam lapsis temerè commimieare vo-
luisset, ipse a cominunicatione abstineretur.

V. Quod eliam Romani ad clerum tune adbuc sine epis-


copo agentem, et ad confossorom Maximum presbyterum et
cailcros in custodia coustilulos, nunc in Ecclesia cum Cornc-
lio jûiïoios pJeuissiinô seripsi, quod me scripsisse de eorum
>

reseriplis * poleris iiosccre. Nam in epistola sua ita posuerm it :


« Quanqiiam nobis in lam in^enti negotio placeatquod et lu
» ipse Iractasli, priùs esse Ecciesiae pacem suslinendain,
» deinde sic,. coliatione consiliorum cum episcopis, presby-
» feris, diaconibus, couiessorihus pariter ac stantibus laicis
» faeia, lapsorum traclare ratiouem. » Additum est etiam,
Novaliauo tune scribente et quod scripserat sua voce récitan-
3
t e , et presbvlero Mo>sc, tune adhuc confessore, nunc jam
marlyre, siibscribenle, ut lapsis in&vmis et in exilu oonsti-
tutis pax datviur. Q\m li liera* per totum mundum misses
sunt, et in uoliiiain ooclesiis omnibus cl universis fratribus
periatas sunt.
VL Secundùm quod tamen antè fuerat destinatum perse-
cutione sopità, cùm data esset facilitas in unum conveniendi,
copiosus episcoporum mimeras, quos integros et incolumes
fides sua et Domini tutcla protexit, in unum convenimus, et,
Scripturis divinis ex utraque parte * prolalis, temperamen-
8
tum salubri moderatione libravimus : ul nec in totum spes
comunicationis et pacis lapsis denegaretur, neplùsdespera-

1
D'après le rapport, l'avis de tous.
2
Un certain nombre de mss. et d'éditions portent de eonm rescripto;
niais .saint Cyprien fait allusion à doux réponses différentes, celle du
cierge romain, et celle des confesseurs qui existent toutes les deux.
5
Toute celle addition écrite par Novaticn, alors d'accord avec le
clergé romain, montre la contradiction entre les sentiments de ce schis-
malique, qui s'associait alors à la pensée d'indulgence de l'Eglise, et la
rigueur inhumaine dont il lit preuve plus tard dans les "mêmes circon-
stances et envers l«s mêmes hommes.
4
Dans les deux sens, c'est-à-dire, favorables soit à l'indulgence, soit
à la sévérité.
* Voyez Lettre XXIV.
LETTHB8 CHOISIES DB SAINT CYPK1KK. 151
le repos et la tranquillité nous seraient rendus, et que la
bonté divine permettrait aux évèques de se réunir, nous pus-
sions, dans une délibération commune, après avoir mûre-
ment pesé tous les avis, arrêter les mesures à prendre. Mais
je déclarai que quiconque, avant notre délibération et avant
cet arrêt rendu sur l'avis de tous, oserait se mettre en com-
munion avec les tombés, serait lui-même exclu de notre com-
R
munion .
V. J'écrivis même pleinement dans ce sens à Rome, au
clergé qui, alors sans évèque, dirigeait les affaires de cette
b
église , et au prêtre Maxime et aux autres confesseurs en
prison avec lui, et qui aujourd'hui sont unis dans l'Eglise
avec Corneille. La teneur de ma lettre vous est suffisam-
ment attestée par leur réponse. Ils me disaient en effet :
a Toutefois, dans une affaire de cette importance, nous
» nous rangeons à l'avis que vous avez vous-même soutenu :
» c'est, avant tout, d'attendre la paix de l'Eglise, puis alors,
» dans une délibération commune entre les évèques, les
» prêtres, les diacres, les confesseurs aussi et les laïques
» qui n'auront point failli, de régler la conduite à tenir vis-
c
* à-vis des tombés . » Ils ajoutaient même (cet article est écrit
par Novatien, qui lisait à haute voix ce que sa main venait
de tracer, et signé par le prêtre Moyse, alors confesseur,
aujourd'hui martyr); ils ajoutaient, dis-je, que si les tombés
étaient malades et sur le point de mourir, on devrait leur
accorder la paix. Cette lettre a été envoyée par tout l'univers,
et portée à la connaissance de toutes les églises et de tous les
fidèles qu'elles renferment.
VI. Cependant, conformément à ce que nous avions ré-
solu depuis longtemps, quand la persécution fut apaisée
et que uous pûmes nous réunir, nous nous rassemblâmes
un nombre considérable d'évèques que leur foi et la protec-
tion divine avait préservés de toute chute et de tout mal-
heur, et, après avoir produit de part et d'autre les textes de
l'Ecriture dans le sens, soit do l'indulgence soit de la sé-
vérité, nous adoptâmes, après avoir mûrement pesé, un tem-

a
Voyez Lettre XVI, paragraphe m.
b
Pendant le temps qui s'écoula entre le martyre du pape saint Fabien
et l'élection de saint Corneille.
c
Régler l'affaire des Lapsi, la conduite à tenir envers eux. Tout ce
passage est tiré de la Lettre XXXI de l'édition complote.
SELEtVMC l»lVI CHMUAiNl LHSTOL.K.

tione deticerent, et, eo quod sibi tëcdcsia clauderutur, seeuti


saeculuin geutiliter virèrent ; nec tamen rursus censura evan-
gelica solverelur, ut ad cominuuiuationem temerèpi*osUirent.
sed traheretur diù pœnitentia, etrogaretur dolonlerpaterna
clementia, et examinarenlur causœ ci voluntates et nécessitâ-
tes singulorum *, secundum quod libello continctur *, queni
ad te pervenisse confido, ubi singula placitorum capita eon-
8
scripta sunt. Ac, si miuùs sutïiciens episcoporum in Africa
numerus videbitur, etiam Romain super hac re scripsimus
ad Comelium collegani nostrum; qui et ipse, cum plurimis
coepiscopishabitoconcilies in eamdemnobiscumsententiam
pari gravitatc et salubri moderatione eonsensit.

Vil. Dequotibi necesse nunc fuit scribere, ul scias me


nihil leviter egisse, sed, secundiun quod litteris meis fueram
antè eomplexus, omnia ad commune concilii nostri eonsilium
5
distulisse , et ncraini quidem ex lapsis priiis communicàsse,
quando adhuc erat unde non tantùm indulgentiam sed et co-
0
ronam lapsus acciperet; postca tamen, sicut collegii concor-
7
dia et collJgendsB fraternitatis ac medendi vulneris utililas
exigebat, nécessitât! lemporum succubuisse ^ et saluti multo-
rum providendum putasse, et nunc ab his non recédera quœ
seinel in concilio noslro de communi collatione placuerunt,
8
quamvis multa multorum vocibus ventilenlur et mendacia
advenus sacerdotes Dei de diaboli ore prolata ad rumpendam
catholics unitatis concordiam ubi que jactentur. Sed te opor-
lel, ut bonum fratrem atque unanimem consaeerdotem, non
quid maligni atque apostatas dicant facile suscipere, sed quid

1
Causm et voluntates et nécessitâtes singulorum, la position de
chacun d'eux, leurs sentiments, et les nécessités auxquelles ils avaient
obéi.
2
Liber de Lapsis, traité composé par saint Cyprien.
* Minus, pour non.
* Ce concile eut lieu au mois de septembre 264. Soixante évèques y
prirent part.
n
Differre, renvoyer, remettre, ajourner.
6
Collegii, sous-entendu episcopalis.
7
Vulneris, la plaie qu'était pour l'Eglise la séparation de tant de
malheureux retranchés de son sein.
8
Ventilare, agiter, répandre, disséminer, comme le vent fait de la
poussière et des criblures de blé.
LETTRES CHOISIES DE SAINT UYWtiEX. I5i>
pérauienl dicté par une modération salutaire : c'était de ne
pas ôter absolument aux: tombés tout espoir d'obtenir la
paix et la communion, de peur que le désespoir ne les jetât
dans un désordre plus grand encore, et que, voyant les
portes de l'Eglise se fermer devant eux, ils ne suivissent le
siècle et ne vécussent à la manière des gentils. Nous ne
voulûmes pas d'un autre côté relâcher les liens de la disci-
pline évangélique, de manière à ce qu'ils pussent s'élancer
audacieusement à l'assaut de la communion; nous les as-
treignîmes à faire longuement pénitence, et a implorer avec
componction la miséricorde divine ; nous soumîmes enfin à
la condition d'un examen la position de chacun d'eux, leurs
sentiments et les nécessités auxquelles ils avaient obéi,
comme il est expliqué dans mon Traité sur celle matière,
dont je présume que vous avez eu connaissance, et où sont
relatés les divers points fixés dans nos résolutions. Et si le
nombre des évèques d'Afrique qui ont ainsi réglé la chose
ne vous parait pas suffisant, nous avons aussi écrit à Rome à "
ce sujet à Corneille, notre collègue, qui, de son côté, ayant
tenu concile là-dessus avec un grand nombre d'évèques de
son Eglise , a admis une résolution toute semblable à la
nôtre, prise avec Ja même gravité, et dictée par la même mo-
dération salutaire.
Vil. C'est ce dont j'ai dù vous informer aujourd'hui, afin
que vous sachiez bien que je n'ai rien fait avec légèreté,
mais que, comme l'ensemble de mes lettres antérieures en
fait foi, j'ai tout ajourné jusqu'à la délibération commune
de notre concile, et qu'auparavant je n'ai été en communion
avec qui que ce soit parmi les tombés, puisqu'ils avaient en-
core les moyens non-seulement de mériter la clémence di-
vine, mais de remporter la céleste couronne ; que plus tard
cependant, comme l'exigeait la concorde entre les membres
de l'épiscopat, le besoin de réunir les fidèles et de guérir les
plaies de l'Eglise, je me suis prêté à la nécessité des cir-
constances, et j'ai cru nécessaire de pourvoir au salut d'un
grand nombre de nos frères ; qu'entin, maintenant encore,
je ne m'écarte en rien des décisions qui ont é*é prises dans
notre concile d'après notre commune délibération, quoique
une foule de bruits aient pour échos une multitude de voix,
et que des calomnies contre les ministres de Dieu, sorties de
la bouche du démon pour briser le lien de l'unité catholi-
que, soient audacieusement répandues de toutes parts. Mais
154 SKLEGT/ifi iliVl CÏP1UANJ EPISTOLA.
colleg» lui iiioclesti et graves vin laciant de vit» et disci-
1 â
plina nostrœ exploratione perpendere .

VI1J. Venio jain nunc, frater charissime, ad personam


Gornelii eolieg» noslri, ut Oornelium nobiseum veriùs no-
veris, non de malignorum et detrahentium mendaeio, sed
de Domini Dei judieio, qui euui episcopum fccit, et de
coepiscoporum testimonio quorum numéros universus per
totum mundurn concordi unanimilate consensit. Nam, quod
Cornelium charissimum nostrum Deo et Christo et Ecciesiae
ejus, item consaeerdotibus cunelîs laudabiii prœdicatione
coinmendat, non iste ad episcopatuin subito pervenit, sed
per omnia ecclesiastica officia promolus et in divinis admi-
nistrationibus Dominmn s»pè promeritus, ad sacerdotii
sublime lastigium cunctis religionis gradibus ascendit. ï ù a i
deinde episcopatuin ipsum nec postulavit nec voluit, nec,
ut caeteri quos arroganti» et superbi» su» tumor inflat,
u
iuvasit , sed quietus alias et modestus, et quales esse con-
sueverunt qui ad hune locum divinitus eliguntur, pro pu-
dore virginalis continenti» sua?, et pro humilitate ingenii»
sibi et custodit» verecundiœ, non, ut quidam, viin fecit ut
4
episcopus fieret, sed ipse vim passus est , ut episcopatum
coaclus exciperet. Et faetus est episcopus a plurimis eollegis
3
nostris qui tune in urbe Roma adorant , qui ad nos litteras
honorideas et laudabiles et testimonio su» prœdicaliouis
illustres de ejus ordinatione miscruut. Faetus est autem

1
Ciuq mss. et d'anciennes éditions portent exemplo; d'autres cxemplo
ratiane; d'autres euiin, exemple et ratione. Ce seront autant d'altéra-
tions d'eaploratione, terme familier à notre auteur.
a
Construisez : sed perpendere quid, etc. — De l'examen que propose
ici en générai saint Cyprien à l'exposé des vertus de Corneille, et au
récit de son élévation à l'épiscopat, la transition est toule naturelle.
3
Toute cette phrase est un trait à l'adresse de Novatien qui, à l'aide
de l'intrigue et de la violence, avait usurpé i'épiscopat.
4
Jean de Salisbury dit en parlant des anciens évéqties : Anliqui
quondam trahebantur invili, et proni ad martyrium primas cathe-
9 9

dras carcere pejus et crucc fugiebanp. I/empereur Juslinien, lib. v : Si


quanquam, Cod. De episcopis et clericis, dit : Profecto indignus est
sacerdolio, nisi fuerU ordinatus imitus. Les premiers siècles du chris-
tianisme abondent en exemples d'évéques et de prêtres ordonnés maigre
leur vive résistance.
* Corneille fut fait pape par seize évoque*, plus les évéques d'Afrique,
Llï'JTKKS CHOISIES UK SAINT 155
vous devc%, vous, comme il convient à, un bon frère, à un
évoque uni tic cœur a ses collègues, non pas accueillir fa-
cilement les dires des méchants et des apostats, mais peser
mûrement, après examen de notre conduite, les actes de
collègues à qui ne manque ni la modestie ni la gravité.
VIII. J'en viens maintenant, mon très-cher frère, à la per-
sonne do Corneille notre collègue, atin que vous le connais-
siez mieux, non pas d'après les calomnies des méchants et
de sep détracteurs, mais d'après le jugement de Dieu, qui l'a
élevé àl'épiscopat,et d'après le témoignage de nos collègues,
qui tous, dans l'univers entier, ont unanimement applaudi
à son élection. En effet, ce qui est pour notre cher Corneille
un magnifique éloge, et qui le recommande puissamment
auprès de Dieu, du Christ et de son Eglise, ainsi que de tous
les évèques ses collègues, c'est qu'il n'est pas arrivé tout
d'un coup à l'épiscopat, mais y a été promu en passant
par toutes les fonctions ecclésiastiques, et que, méritant sou-
vent dans le service divin les grâces du Seigneur, il s'est
élevé à la position suprême de l'épiscopat par tous les de-
grés de la hiérarchie religieuse. Puis, cet épiscopat môme,
qu'on lui dispute aujourd'hui, il ne l'a ni demandé, ni dé-
siré ; il ne Ta pas usurpé, comme font d'autres, gonflés
d'orgueil et tout bouffis d'arrogance ; mais paisible et mo-
deste au contraire, et tel que sont d'ordinaire les hommes
choisis d'en haut pour occuper ce poste élevé, obéissant à la
pudeur d'une retenue toute virginale, et à l'humilité d'une
réserve innée chez lui et à laquelle il a toujours été fidèle,
a
il n'a pas, comme certains , employé la violence pour se
faire nommer évoque, mais on a été obligé d'employer la
violence pour lui faire, à lui contraint et forcé, accepter l'é-
piscopat. Et il a été nommé évèque par un grand nombre de
nos collègues qui nous ont écrit sur son ordination des let-
tres honorables, toutes remplies de ses éloges et de magni-
fiques témoignages en sa faveur. Oui, Corneille a été fait
Caldonius, Fortunat, Pompée et Etienne, qui se trouvaient alors à Rome.
— Ce passage montre dans son ensemble qu'alors le pape ou évéque de
Rome était nommé par le collège des évéques, d'après le témoignage du
clergé et le suffrage du peuple chrétien. Ce droit appartient aujourd'hui,
et depuis des siècles, aux cardinaux réunis en conclave.
• Ce comme certains peut s'appliquer à tous les ambitieux qui ont
employé des moyens condamnables pour s'élever à l'épiscopat; mais c'est
aussi un trait particulier à l'adresse de Novaticn,
15G SELGCTstf JJiVi CU'JfiJANi EPiSTOL/»:.
1
Cornélius episcopus de Doi et Christi ejus judicio , de eie-
ricorum penè omnium testimonio, de plebis quae tune aifuit
suffragio, et de sacerdotum antiquorum et bonorum viro-
%
rum collegio , cùm nemo ante se faclus esset\ cùm Fabiani
locus, id est, cùm locus Pétri et gradus cathedrœ sacerdo-
talis yacaret; quo occnpato de Dei voluntate atque omnium
nostrùm eonsensione iirmato, quisquis jam episcopusfierivo-
Juerit, foris liât necesse est, nechabeat ecciesiasticam ordina-
tionem, qui Ecclesiae non Icnetunitatem. Quisquis ille fuerit,
multùm de se licèt jactans et sibi plurimiun vindicans,
profanus est, alienus est, foris est. Et, cùm post primuin
secundus esse non possit, quisquis, postunum qui solus csi*e
debeat, factus est, non jam secundus ille, sed nullus est.
IX. Tùin deinde, post episcopatum non exambitum nec
oxtortum, sed eDei, qui sucerdotes facit, voluntate suscep-
tum, quanta in ipso susceplo episcopatu suo virtus, quan-
tum robur animi, qualis iirmitas lidei (quod nos simplici
corde et perspicere penitùs et laudare debemus), sedisse in-
trepidum Roms in sacerdotali cathedra eo tempore cùm
tyrannus infestus sacerdotibus Dei fanda atque infanda
comminaretur, cùm multô patientiùs et tolcrabiliùs aucliret
levari adversùs se aemulum principeni* quàm constitui Romae
Dei sacerdotem! Nonne hic, frater charissime, siunmo vir-
1
Baronius croît que ees mots désignent quelque miracle par lequel Dieu
aurait indiqué Corneille au choix du peuple, du clergé et des évèques ; ils
nous semblent signifier seulement que toutes les formalités canoniques
établies ou inspirées par Dieu, avaient clé observées lors de son élection.
C'est ainsi que l'entend toujours saint Cyprien qui se sert plusieurs fois de
cette expression. Ainsi, dans la lettre à saint Corneille (Lettre XXXVIII),
faisant allusion à sa propre élection, il dit : Post dhnnum judicium,
pou popnli snffragium, post coepiscoporum consensum, etc.; et plus
loin : nisi si... aliquis... putet sine Dei judicio fieri sacerdotem. Et
dans le même sens, saint Jérôme: Nunc videmus plurimos non Dei
judicio, sed red&mpto favore vulgi, in sacerdoiium subrogari.
* haluze croit, contre l'opinion d'autres critiques et contre la nôtre,
qu'ici de sacerdotum.» collegio désigne non le collège des évèques,
mais une réunion de prêtres vénérables; niais les prêtres sonl compris
dans clericonim omnium; cl puis on sait, et Baluze mieux que personne,
que saint Cyprien appelle presque toujours les eveques sacerdotes.
* Personne n'ayant été nommé avant lui (à ce siège vacant).
* Ceci peut faire allusion à l'usurpation de Julius Valons qui, pendant
le règne de Duce, se lit à Rome même proclamer empereur, mais ne garda
que très-peu de temps l'empire, selon Aurélius Victor. Le mémo auteur
Ltiïïftes aioisffcs lu SAINT CIPKUSK. 157
évèque par le jugement de Dieu et de son Christ, par le té-
moignage d'à peu près tous les membres du clergé, par les
suffrages des fidèles présents à son élection, et par l'assenti-
ment du collège des évèqucs, hommes anciens et vénérables;
il a été nommé à cet épiscopat quand personne n'y avait été
nommé avant lui, quand la place de Fabien, c'est-à-dire
quand la place de Pierre et la chaire épiscopale était va-
cante. Une fois cette chaire remplie d'après la volonté de
Dieu, et le titulaire affermi sur ce siège par notre assenti-
ment à tous, quiconque désormais prétend en devenir évo-
que ne peut Tètre qu'en dehors de l'Eglise, et ne saurait
avoir l'ordination ecclésiastique, puisqu'il n'observe pas l'u-
nité de l'Eglise. Quel que soit cet homme, de quelques titres
qu'il se pare, et quelques qualités qu'il s'arroge, c'est un
profane, c'est un étranger, il est en un mot hors de l'Eglise.
Et comme après le premier nommé il ne saurait y avoir
de second, quiconque arrive après celui-là seul qui doit être
l'unique, n'est dès-lors pas le second, mais, à vrai dire, il
n'existe môme pas \
IX. Puis, après son élévation à l'épiscopat, qu'il n'a ni bri-
gué, ni extorque, mais reçu de la volonté de Dieu qui fait
les évoques, quels ont été, dans l'exercice de celte dignité,
dont l'Eglise l'a elle-même revêtu, son courage, sa force
d'àme, la fermeté de sa foi, toutes qualités auxquelles,
dans la sincérité de notre àme, nous dovous rendre un
profond hommage et accorder des éloges mérités ! Ainsi, il
a siégé intrépidement k Rome dans la chaire épiscopale, en
h
un temps où un tyran cruel menaçait les ministres de Dieu
des traitements les plus barbares/bien moins ému, bien
moins courroucé par les attentats d'un compétiteur à l'em-
pire , que par l'établissement à Rome d'un ministre du
Seigneur ! Ko îuéiïte-t-il pas, mon très-cher frère, le plus
raconte encore que les Goths, après avoir envahi et pillé la Thracc, dé-
férèrent l'empire à Lu ci us Priseus, ce qui fit partir précipitamment Dèce
de Rome pour combattre ce nouveau rival et les barbares qui soutenaient
ses prétentions. C'est dans celle expédition qu'il trouva la défaite et la
mort, comme dit Baronius, et non pas en combattant contrôles Perses.
* U est inutile de faire remarquer au lecteur la logique serrée de tout
ce passage, la brièveté et la vigueur de ce style qui, comme le dit Féne-
lon, rappelle la manière de Dcmoathèncs.
b
L'empereur Dèce, persécuteur des chrétiens, mort en 2 2 1 , dans la
guerre qu'il faisait aux Carpes sur la frontière du Danube.
SISLKU'IVK DIVt CYPIUANi EP1ST0LAS.
1
tulis et testimonio prodicnndus est, noiuie iutcr gJos iusos
confessores et martyres deputaudus, qui tantiun tcmporis
sedit exspcctans eorporissui carnifices et tyranni feroeientis
ultores, qui Cornelium adversùs edicta feralia* rcsistenlem,
et minas et eruciatus et tormeuta iidei vigore caleanlem
vel gladio invaderent, vel crucifigerent, vol igne terrèrent,
vel quolibet inaudito génère pœnarum visccra ejus et mem-
bra laniarent? Etiamsi majcstas Domini protegenlis et bo-
nitas sacerdotem quem fieri voluit, factum quoquè protexit,
tamen Cornélius, quantum ad ejus devotionem pertinet et
a
timorem , passus est quidquid pati potuit, et tyrannum ar-
4
mis et belio postmodum victum prior sacerdotio suo vicit.
X . Quôd autem quaedam de illo inlionesta et maligna
jaetantur, nolo mireris, cùm scias hoc esse opus semper
diaboli ut servos Dei mendacio laceret, et opinionibus falsis
gloriosum nomen infamet, ut qui conscienti» su» luce cla-
s
rescunt, alienis rumoribus sordidentur . Explorasse autem
collegas nostros scias et verissimè comperisse nuilà illum
iibelii, ut quidam jaetitant, labe maculatum esse, sed neque
cum episcopis qui sacrificaverunt communicationem sacri-
legam miscuisse, sed eos demum quorum causa audita et
inhocentia comprobata sit oonjunxisse nobiscum.
X L Non et de Trophimo, de quo tibi scribi desiderasti,
0
non ita res est ut ad te pertulit rumor et meudacium ma-
lignorum. Nam, sicut antecessores nostri saepè feeerunL
colligendis fratribus nostris charissimus frater noster ne-
cessitati suceubuit. Et, quoniam ctun ïrophimo pars inaxi-

1
Pour les preuves éclatantes (qu'il a données) de son courage et de
sa foi, ou mieux peut-être : Ne doit-on pas rendre à son courage et à sa
foi un éclatant hommage ?
a
Les édits de persécution et de mort contre ceux qui refusaient de
sacrilier aux. dieux.
5
Timorem, la crainte de Dieu, ou mieux la crainte, c'est-à-dire l'at-
tente des supplices dont il était menacé chaque jour.
4
Armis et bello font allusion à la défaite et à la mort de Dèce, dont
b
il est parlé dans la n o t e ci-derrière. — Sacerdotio suo, par son
élévation à i'épiscopat.
" De telle sorte que ceux dont la vertu brille du plus vif éclat sont
salis par le venin de la calomnie, ou de telle sorte que la calomnie
souille de son venin les plus éclatantes vertus.
0
Cette double négation donne plus de poids et de force à ce que dit
ici l'auteur.
LBTTUKS CllOlSlhS UE SAINT C7P1UKN. 159
éclatant éloge pom' son courage et sa fui, ne doit-il pas par-
tager la gloire des confesseurs et des martyrs, révoque qui
pendant tout ce temps siégeait, attendant à chaque heure
des bourreaux pour l'immoler, et les ministres de vengeance
de ce tyran farouche, toujours prèls, en voyant Corneille
braver des édits funestes , et, ferme dans sa foi, fouler aux
pieds les tourments et les supplices, à le percer de leurs glai-
ves, ou à le mettre en croix, ou à le livrer auxflammes,ou à
inventer quelque supplice inouï, pour lui déchirer les en-
trailles et mettre son corps en lambeaux. Bien donc que la
toute-puissante protection et la bonté du Seigneur l'aient,
après l'avoir fait évèque, préservé dans son épiscopat, Cor-
neille toutefois, quant au dévouement dont il a fait preuve
et aux dangers qui l'ont sans cesse assailli, a souffert tout
ce qu'il a été exposé à souffrir, et si plus tard le tyran a
succombé dans la guerre et péri par les armes des barbares,
Corneille avant eux l'avait vaincu par son épiscopat.
X. Quant à certains bruits injurieux répandus sur son
compte par les méchants, il ne faut pas vous en étonner,
sachant que c'est dans tous les temps l'œuvre du démon,
d'attaquer avec le mensonge les serviteurs * de Dieu, et de
diffamer les noms glorieux par de fausses imputations, de
ile sorte que ce sont précisément les plus éclatantes ver-
tus que la calomnie souille de son venin. Or, Scichez qu'a-
près mùr examen, nos collègues se sont pleinement convain-
cus que Corneille ne s'est pas, comme certaines gens en font
courir le bruit, sali par les attestations des magistrats
a
païens , qu'il n'a pas non plus établi de relations sacrilèges
avec les évèques qui ont sacrifié aux faux dieux; mais que,
pour ceux dont, après jugement, l'innocence a été reconnue,
il les a rétablis dans notre commuuion.
b
XI. Quant à l'affaire de Trophime , sur laquelle vous m'a-
vez demandé une explication, les faits ne sont pas comme
vous les ont rapportés des bruits en l'air et des calomnies
des méchants. En effet, comme il est souvent arrivé à nos
prédécesseurs, Corneille notre cher frère, pour réunir au
sein de l'Eglise les lidèles, s'est prêté à la nécessité des cir-
constances. Et comme avec Trophime un nombre considé-
rable de fidèles avaient déserté nos drapeaux, Trophime
.* Voyez la Notice sur saint Cyprien, page J , alinéa 4»
b
Voyez page 14?, note ».
160 SELECT*. D1VI CYPRIANI EPISTOLX.
ma piebis abscesserat, redeuute nunc ad Ecclesiam Trophi-
mo, et satisfaciente, .et pœnitentià deprecationis * errorem
pristinum confiante, et fraternitatem, quam imper abstraxe-
rat, cum plena humilitate et satisfactione revocante, audits
sunt ejus preces; et in Ecclesiam Domini non tam Trophi-
mus quàm maximus fratrum numerus qui cum Trophimo
fuerat admissus est : qui omnes regressuri ad Ecclesiam
non esscnt, nisi cum Trophimo comitante venisseut. Tractatu
ergo illic cum eollegis pluriiuis habito susceptus estTro-
phimus; pro quo satisfaciebat fratrum redditus et restituta
multorum salus. Sic tamen admissus est Trophimus ut
Jaicus communicet, non, secundùm quod ad te maligno-
rum litteras pertulerunt, quasi locum sacerdotis usurpet.
XII. Sed etquôdpassim communicare sacrificatis* Cor-
nélius tibi nuntiatus*, hoc etiam de apostatarum fictis ru-
moribua nascitur. Neque enim possunt laudare nos qui
recedunt a nobis, aut exspectare debemus ut placeamus illis
qui, nobis displicentes et contra Ecclesiam rebelles, solli-
citandis de Ecclesia fratribus violenter insistunt, Qiiare et
de Corneiio et de nobis quœcumque jactanlur nec audias
facile nec credas, frater charissime. Si qui enim infirmita-
4
tibus occupantur , illis, sicut placuit, in periculo subveni-
lur. Postea tamen quàm subventum est, et periclitantibus
5
pax data est, offocari a nobis non possunt aut opprimi,
aut vi et manu nostrA in exitum mortis urgeri, ut, quoniam
morientibus pax datur, necesse sit mori eos qui acceperint
6
pacem, cùm magis in hoc indicium divinae pietatis et pa-
ternes lenitatis appareat quôd qui pignus vitae in data pace

1
En faisant pénitence et en demandant pardon. — Il y a ici une
espèce d'hypallage, et dans le langage ordinaire co serait plutôt pœnt-
ientiçe deprecatione.
* Sacrificatis a ici le sens actif de qui sacrijicaverunt (que nous
verrons plus bas), comme nous avons vu page H G , note *, tliurificatis
pour qui thurificavernnl ou qui thxts oblulerunu
5
Sous-entendu est.
* Tombent malades.
» C'est bien offocari qu'il faut lire, et non snffocari introduit par
l'ignorance de quelques copistes. Offocari est donné par 19 mss. Ce verbe
se trouve d'ailleurs dans ïertullie», saint Jérôme, saint Augustin, Sé~
nèque, Florus, etc. Il veut dire étouffer, ainsi que suffoco. D'anciennes
gloses et d'anciens lexiques disent offoco, airwvfya.
* Tandis qu'au contraire.
LETTHtfS OHOlSlKh DJS SAINT CYP1UEN. 161
revenant plus tard à l'Eglise, lui offrant satisfaction, recon-
naissant son erreur, en demandant pardon, se soumettant à
la pénitence, et de plus ramenant à l'Eglise, en toute hu-
milité et comme réparation de ea faute, les fidèles qu'il avait
entraînés hors de son sein, ses prières ont été exaucées; et
c'est moins Trophime qui a été admis dans l'Eglise, que le
nombre considérable de fidèles qui étaient avec Trophime,
et qui tous ne seraient pas revenus à elle, si Trophime ne les
y eût ramenés. Corneille donc, ayant, à Rome, tenu con-
seil avec un grand nombre de ses collègues, a accueilli
Trophime, qui présentait pour satisfaction le retour elle sa-
lut d'une multitude de nos frères. Toutefois, en rentraut dans
a
l'Eglise, il a été réduit à la communion laïque , et n'a pas,
comme des méchants vous l'ont écrit, conservé les privilèges
de la dignité sacerdotale.
Xll. Quant à ce que Ton vous a dit de la communion éta-
blie par Corneille entre lui et ceux qui ont sacrifié aux dieux
des païens, c'est encore là. un écho de faux bruits répandus
par les apostats. Nous ne pouvons en effet être loués par ceux
qui se retirent de notre société, et nous ne devons pas nous
attendre à plaire à ceux qui, nous déplaisant à nous-mêmes,
et rebelles aux lois de l'Eglise, s'efforcent constamment
d'entraîner hors de son sein les fidèles. Aussi, quant à tout
ce que .l'on répand sur le compte de Corneille et sur io
mien, vous ne devez, mon très-cher frère, ni l'écouter ni Je
croire facilement. Si, en effet, quelques tombes viennent à
h
être malades, aux termes de notre décret , nous venons à
leur secours dans le danger. Mais quand nous les avons
secourus et qu'au moment du péril nous leur avons accordé
la paix, nous ne pouvons ni les étouffer, ni les maltraiter,
ni employer contre eux la violence, et de nos propres
mains les forcer à mourir, en sorte que, parce que nous leur
donnons la paix à l'article de la mort, il soit absolument
nécessaire que ceux qui reçoivent ainsi la paix, meurent en
réalité ; tandis qu'au contraire une preuve évidente de la
bonté divine et de la clémence paternelle du Seigneur, c'est
que ces hommes qui reçoivent un gage de vie dans la paix

* Réduit à la communion laïque, pouvant participer comme les laï-


ques aux saints mystères, mais non les offrir.
b
Comme cela a été résolu. Voyez Lettre X I , vers la lia.
162 SELKOÏVE D1Y1 CÏPHlAM Kl'ISTOLiK.
1
pereipiunl, lii quoquo ad vitam perrepta pare teneanttir .
Et idcirco, si accepta pace couraieatus* a Deo datur, nemo
8
hoc débet in sacerdolihus criminaii, cùm semel placuerit
fratribus in periculo subveniri.
XIII. Nec tu existâmes, frater charissime, sicut quibus-
dam videtiu, libellaticos cum saeriûeatis * œquari oportere,
quando inter ipsos etiam qui sacrilieavcrunt et conditio
5
fréquenter et causa diversa sit. Neque eniin tequandi sunt ,
ille qui ad sacriiicium nefandum statim voluntate prosi-
0 7
•livit, et qui luttatus et congrcssus diù ad hue lunesfcum
opus necessitato pervenit j iJie qui et se et omncs suus pro-
didit, et qui ipse pro cunctis ad discrhnen aeeedens uxorem
et liberos et domum totam periculi sui perfunctione pro-
texit; ille qui inquilinos vel amieos suos ad facinus eom-
puJit, et qui inquilinis et colonis pepereit, fratres etiam
plurimos, qui extorres et profilai recedebant, in sua tecta
et hospitia recepît, ostendens et offerens Domino mullas
animas viventes et incoiumes quœ pro una saucia depre-
ceulur.
XIV, Cùm ergo inter ipsos qui sacrificaverunt multa sit
diversilas, quae inclementia est et quàm acerbadurilia libel-
laticos cum ils qui sacriticdverunt jungere! quando is cui
libellus acceptus est dicat: «Ego prius legeram et episcopo
8
» tractante cognoveram non sacriûcandum idolis, nec si-
' Sont retenus, rattachés ù la vie.
* Voir page 63, noto 5.
" Quand ou puisque une fois pour toutes, ou en général il a été résolu.
4
Voyez page 1G0, note*.
" Àu lieu de œquandi sunt, six mss. portent mqualus est, qui donne
en définitive le même sens, mais qui est moins régulier.
B
Dans toute cette phrase, ille qui désigne ceux qui ont volontaire-
ment sacrifié aux faux dieux, trahissant et dénonçant amis, parents, etc.;
tandis que et qui s'applique à ceux qui, dénoncés eux-mômes, étaicut
forcés, pour sauver leur vie, ainsi que celle de leurs femmes et de leurs
enfants, de sacrifier aux dieux.
7
Un seul ms. donne luctatus, qui est la bonne leçon. Ce mot exprime
la patience à supporter les tourments, tandis que rcluclatus, donné .par
les autres mss., indiquerait la résistance aux bourreaux, la lutte pour
échapper au martyre. Or saint Cyprien lui-môme, dans son livre à Dc-
métrius, dit : Nemo nostrûm, quando apprehendilur, reluctatur.
n
Le verbe tractare et le substantif tractatus, se disaient spécialement
des sermons, instructions et dissertations des évèques ; Tractare quod
est epheoporum. Oplatus, lib. v.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYriUKN. 103
que nous leur accordons, soient aussi, en la recevant, ratta-
ches à la vie qu'ils allaient quitter. Et par conséquent, si,
au moment ou ils reçoiveut la paix, Dieu leur accorde une
prolongation de jours, on ne doit pas en faire un crime aux
évèques parce qu'ils ont décidé qu'il fallait secourir nos frè-
res en danger de mort.
XIII. Et ne croyez pas, mon très-cher frère, comme le
pensent certaines gens, qu'il faille mettre sur la môme li-
a
gne les liùellatùjues et ceux qui ont sacrifié aux faux dieux,
puisq n'entre ces derniers môme il y a souvent différence de
position et de culpabilité. Ou ne doit pas, en effet, traiter
de la môme manière celui qui, volontairement sans com-
bat , s'est élancé aux autels pour y faire ces abomina-
bles sacrifices, et celui qui, après avoir longtemps lutté
et combattu, n'en est venu enfin a cet acte funeste, que con-
traint par la nécessité; celui qui a livré lui-même et tous
les siens, et celui qui, seul pour tous s'ex posant au danger,
a du moins, en succombant au péril, préservé son épouse,
ses enfants et sa famille entière; celui qui a porté au crime
ses voisins ou ses amis, et celui qui a ménagé ses voisins
et ses domestiques, qui a même accueilli sous son toit et à
sa table nombre de fidèles qui, sans lui, partaient, bannis
ou exilés volontaires, montrant ainsi et présentant au Sei-
gneur nombre d'âmes vivantes et préservées de toute chute,
prêtes à implorer le pardon de la seule qui a failli.
XIV. Puis donc qu'entre ceux mêmes qui ont sacrifié aux
dieux il y a de grandes différences, quelle rigueur ou plutôt
quelle cruauté n'y a-t-il pas à confondre les libellatiques
avec ceux qui ont sacrifié! car, après tout, celui qui a reçu
des magistrats païens un certificat, peut vous dire : «J'avais
» bien lu et entendu dire à mon ôvèque dans ses prédica-
» lions, qu'il ne faut pas sacrifier aux idoles, et qu'un servi
» teur de Dieu ne doit pas adorer les images des fausses
» divinités; aussi, pour éviter de faire ce qui ne m'était pas
» permis, ayant trouvé l'occasion d'avoir un certificat (que
» je ne me serais pas fait délivrer, si l'occasion ne s'en était
» offerte d'elle-même), je suis allé moi-même ou par un
» mandataire trouver le magistrat; je lui ai dit ou fait dire
» que j'étais chrétien, qu'il ne m'était pas permis de sa-

* Ceux qui ont reçu dos billets dos magistrats où ceux-ci déclaraient
qu'ils avaient sacrïflc aux idoles, quoiqu'ils uc l'eussent pas fait.
SKLECT/E DÏVI «ÏYPRIAM ËP1£T0L.«.

» mulacra servum Dei adorare dehere; et idcirco, ne hoc


» facerem quod non licebat, cùm oecasio libelli fuisset oblata,
» qnem nec ipsum acciperem nisi ostensa fuisset ocoasio,
» ad magistratuin vel vcni, vol alio euntc mandavi, Chris-
» tianum me esse, sacrificare mihi non lieere, ad aras dia-
» boli me venire non pusse, «lare me ob hoc praemium, ne
» quod uon Jioetfaeiam. » Nunc tamen, etiam iste qui libello
rnaculatus est, poslea quàm nobis admonentibus didieit née
hoc se facere debuisse, efsi mauus pura sit, et os ejusfe-
ralis cibi eonlagia nulla polluerint, conscientiam tamen ejus
esse pollutam, fletauditis nobis et lamentattir, et quod deli»
querit nunc admonetur, et non tam crimine quàm errore
deceptus, quôd jam de cœlero instructus et paratus sit con-
testatur.
XV. Quorum si pœnitentiam respuamus habentium ali-
1
quam fiduciam tolerabilis conscientise , statim cum uxore,
cum liberis, quos incolunies reservaverant, in hœresim vel
schisma, diabolo invitante, rapiuntur; et adscribetur nobis
in die judicii nec ovem sauçiam curasse, et propter unam sau-
ciam mullas intégras perdidisse, et cùm Dominus, relictis
nonaginta novem sanis, unam errantein et lassam* qnav
sierit, et inventam humeris suis ipse portaverit, nos non
tantùm non quaeramus* lapsos, sed et venientes arceamus ;
et, cùmpseudoprophetae gregem Christi nunc vastare et lace-
rare non desinant, occasiouem canibus et lupis demus, ut,
quos persecutio infesta non perdidit, eos nos duritiâ nostrà
et inhumanitatc perdamus. Et ubi erit, frater charissime,
quod Àpostolis dicit : Omnibus per omnia placeo, non quœ-
rens quod mihi utile est, sed quod multis, ut salveniur. Imi-
taiores met estote, sicut et ego Christi*. Et iterum : Factus
h
sum infirmus infirmis^ ut infirmas lucrarer . Et iterum : Si

1
Qui peuvent inspirer quelque confiance dans la sincérité de leurs dis-
positions. — On dit bien : Hœc res hàbet suspicionem, cet objet fait naî-
tre le soupçon ; haberv a un sens analogue dans habentium fiduciam.
* D'anciennes éditions et quelques mss. au lieu de lassam portent
lapsam, qui serait aussi d'accord avec le texte de l'Évangile do saint
Matthieu que rappelle ce passage. Lassam va mieux avec errantem.
5
11 y a ici anacoluthe ou désaccord de construction. En effet les
deux infinitifs nec curasse et perdidisse, qui précèdent, exigeaient non
queererém lieu de non quteramus. Au reste, les meilleurs auteurs pre-
» l Cor. ix. —• * Ibid. iv.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 165
crifier, que je ne pouvais m'approcher des autel* du dé-
» mon» et que j'offrais de payer pour ne pas faire ce qui ne
» m'était pas permis. » Aujourd'hui pourtant, celui-là même
qui s'est souillé en recevant un tel certificat, depuis que nous
lui avons expliqué que cela même lui était défendu, que
bien que sa main soit pure et que ses lèvres n'aient pas été
profanées par le contact de ces mets funestes, sa conscience
néanmoins a été souillée ; celui-là, dis-je, pleure et se la-
mente à nos paroles, comprend maintenant l'énormité de sa
faute, effet, au reste, plutôt de Terreur que d'une intention
coupable, et pour l'avenir, atteste qu'il est armé et tout prêt
à combattre.
f XY. Si nous repoussons leur pénitence quand ils peuvent
nous inspirer quelque confiance dans la sincérité de leurs
dispositions, par là même ces malheureux sont, avec leurs
épouses et leurs enfants qu'ils avaient conservés purs, en-
traînés par les séductions du démon dans le schisme ou dans
ji'hérésie; et il nous sera imputé au jour du jugement, non-
seulement de n'avoir pas pris soin de la brebis malade, mais
encore d'en avoir, pour une seule malade, perdu une mul-
titude de bieu portantes; et que tandis que le Seigneur, lais-
sant là quatre-vingt-dix-neuf brebis saines, se niellait a la
recherche d'une seule égarée et souffrante, nous, non-seule-
ment nous ne nous mettons pas à la recherche des tombés,
mais que, même quanti elles viennent à nous, nous les re-
poussons; et que, dans ce temps où les faux prophètes ne
cessent de ravager et de déchirer le troupeau du Christ, nous
donnons nous-mêmes aux chiens et aux loups l'occasion favo-
rable, en sorte que ceux que n'a pu perdre la violence de la
persécution, nous les perdons, nous, par notre rigueur et par
notre inhumanité; et que deviendra, mon très-cher frère,
cette parole de l'Apôtre : Je m étudie à plaire à toits en toutes
choses, ne cherchant pas ce gui m'est utile, mais ce qui est
utile au grand nombre, pour les sauver ; suivez mon exempte *
comme je suis l'exemple du Chri?t; et encore : Je me suis
fait infirme avec les infirmes, pour les gagner; et plus loin:

sentent de nombreux exemples de ces sortes d'irrégularités, où l'écrivain,


dans le cours d'une longue phrase, ne songeant plus à la tournure qu'il
a prise en commençant eu emploie tout à coup une autre, par l'effet
d'une distraction bien naturelle à un homme plus occupé du fond de la
pençéçquc des mots dont il sesori pour l'exprimer.
100 SELECT/K DIVI CYPRTANI EPISTOLiE.
patftnr membrvm unmn, compatnmtur et cœtera membra; et
silœtatur mmmmembrum, cnllœtantur et cœtera membra.
XYT. Aliaestphilosopboruraet Stoicomm ratio,frater cha-
1
rissime, qui diciiut omnia peccata paria esse et virum gra-
veni non facile flecti oportere. Inter Christianos autem et phi-
losophos plurimùm distat. Et, cùm Àpostolus dicat : Videte
n
ne quis vos deprœdetur per philosophiam et inanern fallaciam ,
vitanda sunt a nobis quœ non de Dei clementia veniunt, sed
de pliilosopbiœ durions prjpsumptione descendunt. De Mojse
autem legimus in Scripturis dictum : Et fuit Moyses horno
b
lenis nimis* . Et Dominus in Evangelio suo dicit : Estote mi-
séricordes, sicut et Pater vester miser tus est* vestri*. Et ite-
rum : Non est opus sanis medicus, sed maie Aabentibvs*.
Quam potest exercere medicinam qui dicit : « Ego solos sa-
nos euro, » quibus medicus necessarius non est? Opem nos-
traui, medelam nostram vulneratis exbibere debenius, nec
putemus mortuos esse, sed magis semianimes jacere eos
quos persecutione funestà sauciatos videmus : qui si in to-
tum mortûi essent, nunquam de eisdem postmodum et con-
1
Lactance, chap. 38 île son Epiiome, parlant de Zenon, le maître
des Stoïciens, dit : Nam quod dicit paria esse peccata, ex eddem imma-
nitate est, qud misericordiam relut morbum inseciatur. Déjà Horace
s'élait moqué de ce faux principe de la philosophie stoïcienne, qui assi-
mile entre cilcs et met sur le môme pied ton les les fautes :
Quais paria esse ferô plaçait peccata, laborant
Ciun v en lu m ad verum est
Et plus loin :
Mec vincet ratio hoc, faatUmdem ut peccet, idemque,
Qui Icneros caules alicui fregeril horli,
Et qui noclurnus Divum sacra logent. Adsit
Itcgula, peccalis quee pmuas irroget œquas :
Ne sculicâ dignum, borribili secterc flagelle.
Nam, ut ferulû. csedas merilum majora subire
Yerbera, non vereor; cùm dicas esse paras res
Forla lalrociniis, et mofjnis parva m'meris
Falcc recisurum simili le, si libi roçmun
Pcrmitfanl ho mi nés
... . Yellunt tibi barbam
Lascivipucri, clc
(HouAT., lib. I, sat. m, vers. 06, 445 et 443).
* Lenis nimis équivaut au superlatif lenissimus, que donnent plu-
sieurs mss. — La Vulgate donne milissimus.
* Ce misertus est, qu'Krasme a imprime le premier, est donné par
d
» Coloss. ii. * Num. xu. — • L u c vu — Matth, ix.
LETTRES CHOISIES m SAINT CYPRIEN. 107
Si un membre souffre, les autres membres souffrent avec lui;
et si un membre éprouve du plaisir, les autres membres le
partagent avec lui.

XVI. Autre est, mon cher frère, la manière de penser des


philosophes et des stoïciens, qui prétendent que toutes les
fautes sont égales, et qu'un homme grave ne doit jamais
fléchir. Or, entre les chrétiens et les philosophes la distance
est infinie. Et comme l'Apôtre nous dit : Prenez garde que
quelqu'un ne fasse de vous sa proie à l'aide de la philosophie
et de vaines subtilités, il nous faut éviter tout ce qui a sa
source non dans la miséricorde de Dieu, mais dans l'orgueil
d'une philosophie pleine de dureté. Nous lisons dans l'Ecri-
ture, en parlant de Moïse : Moïse était un homme extrême-
ment doux. Et le Seigneur dit dans son Evangile : Soyez
miséricordieux comme votre Père a eu pitié de vous; et en
9

core : / / n'est pas besoin de médecin a ceux qui se portent


bien, mais aux malades. Quel exercice peut faire de la méde-
cine celui qui dit : « Je ne soigne que les gens qui se portent
» bien, » ceux précisément qui n'ont pas besoin de médecin?
Nos soins, notre science de guérir, c'est auprès des blessés
que nous devons les employer; et ne regardons pas comme
privés de vie, mais bien plutôt comme à demi morts, ceux
que nous voyons étendus à terre, atteints par les coups fu-
nestes de la persécution. S'ils étaient complètement morts,
jamais d'eux, plus tard, ne se pourraient faire des confesseurs
et des martyrs. Mais il y a en eux une vitalité que la péni-
tence peut ranimer à la foi, une force que la pénitence peut
armer de courage, ce qu'elle ne saurait faire si le malheu-
reux succombe à l'accablement du désespoir/si, durement
et cruellement séparé de l'Eglise, il se moi à suivre les voies
des gentils et à pratiquer les œuvres du siècle, ou que, rejeté
de son sein, il passe dans le camp des hérétiques et des
schismatiques; là, quand môme il serait plus tard mis à
mort pour le nom chrétien, étant placé en dehors de l'Eglise
et séparé de l'unité et de la charité, il ne pourra en mourant
recevoir la couronne.

neuf mss. Les autres donnent cn'place miserieors e$l [qpl est aussi la
9

leçon delà Vulgale.


108 SRLKCT.43 DIVI CYP1UAS1 KPISTÛL.K.
fessores et martyres fièrent. Sed, quoniam est in illis quod,
pœnitentià sequonte, revalescat ad fidem, et ad virlutem de
pœnitentia robur arraatur, quod armari non poterit, si quis
desperalione deiicial, si ab Ecclesia dure et crudeliler segre-
gatus ad geniiles se vias et stecularia opéra eonvertat, vel acl
haereticos et scliismaticos rejectus ab Ecclesia transeat j ubi,
J
etsi occisus propter nomen postmodum fuerit, extra Eccle-
siam constitutus et ab unilate atque a charitate divisus, co-
ronari in morte non poterit.
XVII. Et ideo placuit, frater charissime, examinais causis
singulorum, libellaticos intérim admitti, sacrilicatis in exitu
subveniri : quia exomologesis* apud inferos non est, nec ad
pœnitentiam quis a nobis compelli potest, si fructus pœni-
3
tentiœ subtrahatur. Si praelium priùs venerit, corroborâtes
a nobis invenietur armatus adpraelium. Si verô ante prœlium
4
infirmitas urserit , cum solatio* pacis et communicationis
6
abscedit. Neque enim prsejudicamus Domino judicaturo
quominus, si pœnitentiam plenam et justam peccaloris in-
venerit, tune ratum faciat quod a nobis fuerit hïe statu-
tum. Si verô nos aliquis pœnileuli<e simulatione deluserit,
b
Deus, qui non deridetur", et qui cor hominis intuetur , de
lus quasnos minus perspeximus judicet, et servorum suorum
sententiam Dominus emendet; dum tamen nos meminisse,
frater charissime, debearaus scriptum esse : Frater fratrem
aâjuvans exaltabitur*; et Aposlolum quoquè dixisse : ln
contemplatione habentes unusquisque, ne et vos tentemini, al-
terutrûnv onera suslinete et sic adhnplebitis legem Chrisli*;
y

' A cause de son titre de chrétien»


a
* Voyex page 73, note .
5
Avant sa mort (naturelle ou accidentelle),
4
Wurgeo, prétérit ursi. — Abscedit, il s'en vn, pour il meurt.
u
Ce cum solalio est donné par sept manuscrits et les plus anciennes
éditions. D'autres donnent in consolatione; même sens*
ô
A la rigueur il serait faux de dire absolument non prœjudicamus
Domino; car cette paix accordée aux lombes malades est bien un juge-
ment prononcé à l'avance, mais un jugement en premier ressort, et que
le Juge suprême peut casser ou confirmer. C'est ce qu'exprime la suite,
nécessaire à la justesse de la pensée : Quomims... ratum faciat, etc.,
qui doit se joindre à Ncquc... prœjudicamus, etc.
7
Par syncope pour alierutrorum, génit. du pluriel peu usité de al-
ternter. Voici comme la Vuigate donne le passage cité ici par saint Cy-
h
? Çal, %u I Hcg. $ Prov. xvtii. ~- 4 Gai, \u.
LETTRES CHOISIES PR SAINT CYPRIEN. 169
XVII. C'est pourquoi nous avons résolu, mon très-cher
frère, d'examiner la position de chacun, d'admettre dès main-
tenant les libellatiques, et, quant à ceux qui ont sacrifié, de
leur accorder la paix h l'article de la mort; parce qu'il n'y a
pas d'exomologèse dans les enfers, et que nous ne pouvons
engager personne à faire pénitence, si nous lui retranchons
le fruit même de la pénitence. Si, avant sa mort, arrive un
jour de combat, il se trouvera fortifié par nos soins et tout
prêt à combattre. Si, au contraire, avant que Je combat ne
vienne, la maladie presse sa fin, il part consolé par la paix
et la communion.'Et, reniarquez-le bien, nous ne jugeons
ici qu'en premier ressort; c'est toujours au Seigneur qu'en
définitive il appartient de prononcer souverainement, et
s'il trouve entière et convenable la pénitence du pécheur,
de confirmer la sentence que nous aurons rendue ici-bas.
Mais si quelqu'un nous trompe par une feinte pénitence,
Dieu, dont on ne se moque pas et qui scrute le cœur de
l'homme, pourra juger de ce que nous n'aurons vu qu'impar-
failement, et rien ne l'empêchera (Vémender l'arrêt porté
par ses serviteurs. Mais, dans tous les cas, c'est un devoir
pour nous, mon très-cher frère, de nous souvenir qu'il est
écrit: Le frère qui aide son frère sera exhaussé; et que l'A-
pôtre aussi a dit : Que chacun de vous s'examine bien, afin
que vous ne soyez point tentés; portez les fardeaux les uns
des autres, et ainsi vous accomplirez la toi du Christ; et
que, pour humilier l'orgueil et abattre l'arrogance, il dit
«ans une de ses Epitres : Que celui qui pense se tenir debout,
prenne garde de tomber; et qu'il dit encore en un autre en-
9
droit: Quiêtes-vous, vous, pour juger le serviteur d autrui?
C'est pour son maître qu'il se tient debout ou qu'il tombe;
Or, il se tiendra debout, car Dieu est assez puissant pour
le maintenir. Saint Jean aussi atteste que Jésus-Christ notre

prien : Considerans leipsum, ne et tu lenleris, Aller alterins oncra


portate, et sic adimpîebitis legem Chrisli. Les citations que fait de VIî-
criture le saint évèque de Carthage présentent souvent ainsi des diffé-
rences assez notables avec le texte de la Vulgatc; mais (et c'est une re-
marque que nous aurions dû Taire plutôt sur ce sujet) ii faut observer
que saint Cyprien, vivant cent ans avant les beaux et profonds travaux
de saint Jérôme sur les livres sacrés, et avant la version adoptée comme
authentique par le concile de Trente, citait TEcriture d'oprôs l'ancienne
îialiifue; peut-être même, au milieu des tribulations et des nécessités
de l'exil, ne pouvaiHl In citer que de mémoire.
1(»
-170 SELECT/K UTVf CYPRTANI EPISTOL/Ë.
item quod, superbos rcdarguens et arrogantiam frangens,
}
in Epislola suaponat: E t qui seputat stare, videatne cadat*;
el alio in Joco dicat: Tu quis es, quijudicas alienum servum?
Domino suo stai aut eadit. Staùit autem. Poteus est enim
h
Deus statuere eum . Jouîmes quoquè Jesum Cliristum Do-
1
minum nostrum advocalum et deprecalorem pro peeeatis
nostris probat dicens : Filioli mei, ista scribo vobis ne delin-
quatis; et si quis deliqu rit, advocatum habemus apud Pa-
irem Jesum thristiwi suffragaturem, et ipse est deprecatio
pro d'Uctis nostris*. Et Paulus quoquè apostolus in Epislola
sua posuit ; Si, cum adhuc peccatores essemus, Christus
pro nobis mortuus est, multô magïs nunc iustificati in san-
guine illius tiberabimur per illum ab ira*. Cujus pietatem
el clementiam cogitantes, non acerbi adeô nec duri, nec
in fovendis fratribus inbuinani esse debemus, sed dolere
cum dolcnlibus, et flere cimi flentibus, et eos, quantum pos-
sumus, auxiliQ etsolatio nostrae dilectioniserigere, nec adeô
8
immites et pertinaces ad eorum pœnitentiam retundendam ,
nec iterum soluti et faciles ad communicationem temerè
laxandam. Jacet ecce saucius frater ab adversario in acie vul-
neratus. ïride diabolus conatur occidere quem vulneravit,
hinc Christus horlatur ne in tolum pereat quem redemit.
3
C u i de duobus assistimus? in cujus partibus stamus?
Utrùmne diabolo favemus utperimat, et semianimem fratrera
jacentem, sicut in Evangelio sacerdos et lévites, prœteri-
e 4
mus ? An vero , ut sacerdotes Dei et Christi, quod Christus
et docuit et fecit imitantes, vulneratum de adversarii faucibus
5
rapimus, ut cuxatum Deo judici reservemus?
4
^ Advocatus n'a slgnl&é que bien tard avocat. Celui qui plaidait de»
vant les tribunaux s'appelait en général actor causarum (HOR. De Arte
poet., 369) ; par rapport au client qu'il défendait, et qui était le plus
souvent son client dans l'ordre politique, il prenait souvent le nom de
palronus. Vadvocatus était une espèce de protecteur qui, sur l'invita*»
tion d'un accusé, venait au tribunal lui prêter l'appui de sa présence,
de son crédit et de sa moralité. Ainsi nostrum advocatum et suffraga-
torem se rendra bien par notre protecteur et notre intercesseur.
8
Pœnitentiam retundere, rebuter, refouler au fond du cœur le repentir.
* Ordinairement ulri. De même, plus loin, in cujus, ordinairement in
ulrius.
4
An vero est ici, comme dans une foule de passages des meilleurs
auteurs, avec le sens de nonne vero?
* Curatum ne veut pas dire ici guéri, maïs soigné, pansé.
c
a I Cor. x. — * Rom. x i v . — 1 Joan. n. — ^ Rom. Y . — <* Luc. x.
LETTRES GUOISIES DE SAINT Cïi'HUSN. 171
Seigneur est notre protecteur et notre intercesseur pour nos
péchés, quand il dit : Mes chcrs enfants, je vous écris ceci
pour que vous ne commettiez plus de fautes; et si quelqu'un de
vous en commet, nous avons pour protecteur et pour appui
auprès de notre Père, Jésus-Christ, qui lui-même est
intercession pour nos péchés. L'apôtre saint Paul aussi dit
dans une de ses Epitres : Si, lorsque nous étions encore
cheurs, le Christ est mort pour notes, à bien plus forte raison,
maintmant que nous avons été justifiés au moyen de son sang,
serons-nous délivrés par lui de la colère céleste. Songeons h
sa bonté et à sa miséricorde; ne nous montrons donc pas si
âpres ni si durs, si dépourvus d'humanité pour soigner nos
malheureux livres; affligeons-nous, au contraire, avec les
affligés, plem'ons avec ceux qui pleurent, et, selon notre
pouvoir, relevons-les avec les secours et les consolations de
la charité; ne portons pas la rigueur et l'obstination jusqu'à
rebuter leur pénitence, et ne portons pas non plus la mol-
lesse et la facilité jusqu'à leur accorder au hasard la com-
munion. Voyez : un de nos frères est étendu là, souffrant,
blessé par l'ennemi dans le combat. D'un côté le démon
tâche do mettre à mort le malheureux qu'il a blessé; de
l'autre le Christ nous exhorte à ne pas laisser périr eef
homme qu'il a racheté. A qui des deux prêterons-nous assis-
tance? Du parti duquel allons-nous nous ranger? Laisserons-
nous le démon achever tranquillement sa victime, et, pareils
au prêtre et au lévite dont parie l'Evangile, passerons-nous
insensibles auprès de notre frère terrassé cl à demi mort?
Ou plutôt, connue des ministres de Dieu et du Christ, met-
tant en pratique ce que le Christ lui-même a enseigné et
pratiqué, n'arracherons-nous pas le blessé de la gueule de
son ennemi, et ne lo soignerons-nous pas pour le réserver au
jugement de Dieu?
172 ttEIJSCTAS D M CYPRIANI KP18TUL.Ë.
XVII). Nec putes, frater charissime, hinc aut virtulem
fratrum minui aut martyria deficere quôd lapsis laxata sit
pœnitentia, et qnôd pœnitentibus spes pacis oblata. Manel
verè fidentium robur immobile, et apud timentes ac diligentes
corde toto Deum stabilis et fortis persévérât inlegritas. Nam
1
et mœchis a nobis pœnitentiœ tempus conceditur, et pax
datur; non tamen ideirco virginitas in Ecclesia déficit, aut
continen lise propositum gloriosum per aliéna peccata lan-
guescit. Floret Ecclesia tôt virginibus coronata, et castitas ac
2
pudicitia tenorem gloriscsuae servat, nec quia adultero pœ-
nitentia et venia laxatur, continentias vigor frangitur. Aliud
est ad veniam stare % aliud ad gloriam pervenire*; aliud
missum in carceremnon exire inde donec solvat novissimum
b
quadrantem , aliud statim fidei et virtutis accipere merce-
dem ; aliud pro peccatis longo dolore crucialum emundari et
puj'gari diù igne, aliud peccata omnia passione purgasse ;
aliud denique pendere in diem judicii ad sententiam Domi-
ni, aliud statim a Domino coronâri.
XIX. Et quidem apud antecessores nostros quidam de epi-
scopis istic in provincia nostra dandam pacem mœchis non
putaverunt. et in totum pœnitentia3 locum contra adulteria
4
clauserunt . Non tamen a coepiscoporum suorumcoUegio re~
cesserunt, aut catholicac Ecciesiae unitatem vel duritiae vel
censuras suœ obstinatione ruperunt, ut quia apud alios adul-
1
Mœchus veut dire ou un adultère, ou simplement un débauché; plus
souvent pourtant le premier que le second, comme on le voit employé
dans ce décret du pape Zéphyrin, cité par Tertullien dans son livre De
Pudicitia : Ego et mœchiœ et fornicationis delicta pœnitentid fnnetis
dimitto. Dans cette lettre même, nous verrons saint Cyprien donner à
mœchus les deux sens, et cela dans une seule et même phrase*
* Teuorem gloriœ suœ, sa gloire accoutumée : la chasteté et la pu-
deur brillent toujours parmi nous du même éclat.
5
L'opposition formulée dans ces deux membres de phrase est repro-
duite quatre fois dans huit membres de phrase tous commençant par
aliud, opposés deux à deux comme ces deux-ci, et présentant dans leur
contraste répété une quadruple antithèse naturelle quant aux idées, et
exprimée constamment avec une heureuse variété.
4
Tertullien atteste ce fait de l'extrême sévérité des anciens évoques
d'Afrique contre les adultères, et il en prend occasion de s'élever avec
violence contre le pape Zéphyrin, dont nous citons, dans la nolo
ci-dessus, le décret, plus indulgent à l'égard de cette espèce de pé-
cheurs.— Ce paragraphe Et quidem, etc., est cité par saint Augustin
dans une de ses épitres.
a
Matth. v. — b 1 Cor. m.
Lb'lTHKS CHOlSiKS JJJ5 SAl.NT CYl'HIKA. 173

X Y I 1 J . Kl ne, croyez pas, mou irès-clier frère, que le cou-


rage des lidèles diminue ou que les martyrs nous lassent dé-
faut, parce que nous avons accordé la pénitence aux tombés,
et que nous avons permis à ceux qui feront pénitence d'espé-
rer la paix. Non, la fermeté des vrais croyants demeure
inébranlable, et chez ceux qui craignent et qui aiment Dieu
de tout leur cœur, la vertu chrétienne continue d'être ce
qu'elle était, toujours solide, toujours courageuse. Voyez, en
effet : nous donnons aux impudiques un temps pour la péni-
tence, et nous leur accordons la paix; voit-on pour cela la
virginité disparaître de l'Eglise, ou le glorieux vœu de conti-
nence y devenir plus rare à cause des faiblesses d'autrui?
L'Eglise est encore ainsi que d'autant de fleurs, couronnée
d'une multitude de vierges; la chasteté et la pudeur brillent
toujours parmi nous du même éclat; et parce que nous ac-
cordons aux adultères la pénitence et ensuite le pardon, l'hé-
roïsme qui fait embrasser la continence n'est pas pour cela
paralysé. Autre chose est de se tenir debout, humblement,
pour implorer son pardon, autre chose d'arriver de plein
saut à la gloire; autre chose est d'être enfermé dans une
prison, sans pouvoir en sortir avant d'avoir pajé le dernier
sou, autre chose de recevoir d'emblée la récompense de sa
foi et de son courage; autre chose est d'endurer de longs
supplices en expiation de ses péchés et d'être longtemps
a
purifié par le feu , autre chose d'avoir expié tout d'un coup
tous ses péchés par le martyre: autre chose est enfin d'être
ajourné jusqu'au jour du jugement pour entendre sa sen-
tence portée par le Seigneur, autre chose de recevoir de lui
sur-le-champ la couronne.
XIX. Il est vrai que sous nos prédécesseurs quelques-uns
des évèques de cette province crurent devoir ne pas accorder
la paix aux impudiques, et fermèrent complètement aux
adultères l'entrée de la pénitence. Ils ne se retirèrent pas
* Ces mots indiquent visiblement le purgatoire, dont le nom se
trouve déjà dans saint Augustin et saint Grégoire. Il est question du feu
qui purifie dans saint Jérôme, dans saint Ambroisc, etc. Virgile lui-
même, au YI« livre de l'Enéide, décrit une espèce de purgatoire où les
âmes sont purifiées à l'aide du feu et de différents supplices. — Ces
huit antithèses, prises deux à deux, présentent le contraste du prompt
et complet bonheur des chrétiens parfaits, avec l'attente longue et
cruelle de ceux à qui une pénitence imparfaite laisse quelques restes de
fautes à expier.
10.
174 SELEf/LK D M CYPH1ANI EP1ST0L/E.
teris pax dabatur, qui non dabat de Ecclesia separaretur. Ma-
nente concordi* vinculo, et persévérante eatkolicœ Ecclesia;
individuo sacramcnto, actum suum disponit et dirigit uims-
quisque episcopus, rationem propositi sui Domino redditurus.
Miror autem quosdam sic obstinatos esse ut dandam non pu-
1
tent lapsis pœnitentiam , aut pœnitentibus existimentveniam
dcnegandam, cùm scriptum sit : Mémento unde cecideris, et
âge pœnitentiam, et fac priora opéra*. Quod utiqueei di-
citur quem constat cecidjsse, et quem Dominus hortalur per
opéra rursus exsurgere, quia scriptum est : Eleemosyna a
morte libérât*; et non utique ab illa morte quam semel
Christi sanguis exstinxit et a qua nos salutaris baptismi et
Redemptoris nostri gratia liberavit, sed et ab ea qiue per
delicta postmodum serpit.
X X . Alio item loco pœnitenti» tempus datur, et pœniten-
tiam non agenti Dominus comminatur : Habeo, inquit, ad-
versus te multa, quôd uxorem tuam Jezabel, quœ se dicit pro-
pheten, sinis docere et seducere servos meos, fornicari et
mandueare de sacrificiis, et dedi ilti tempus ut pœnitentiam
ageret : et pcenitere non vvlt a fornicatione sua, Ecce mittu
eam in lectum, et qui cum ea fornicati sunt in maximam tri-
bulationem, nisi pœnitentiam gesserint ab operibus suis*.
Quos utique ad pœnitenliam Dominus non hortaretur, nisi
quia pœnitentibus indulgentiam pollicetur; et in Evangelio :
%
Dico, inquit, vobis, sic erit gaudium in cœlo super uno pec
catore pamilentiam agente, quàm* super nonaginta novem
d
justis quibus non est opus pœnitentiâ . Nam, cùm scriptum
sit : Deus mortem non fecit, nec dclectatur * in perditione
vivorum*, utique qui neminem vult perire, cupit pecca-
tores pœnitentiam agere, et per pœnitentiam denuo ad vitam
a
redire . Idco et per Joël prophetam clamât et dicit : Et nimr
hœc dicit Dominus Deus vester : Revertimini ad me ex loto
1
Au lieu de pœnitentiam, un manuscrit porte indulgenliam, mon s
bon en ce qu'il n'exprime pas la gradation indiquée par notre leçon : la
pénitence d'abord, ensuite le pardon. Puis indulgentia et vcnia ont .1
peu près la même signification ; en effet, on lit à la lin de celte lettre : ri
veniam et indulgenliam pœnitentibus non denegari.
* Au lieu de gaudium in cœlo, un ms. porte gaudium coram angehs
Dei in cœlo.
* Sic..., quàm pour sic..., ut. La Vulgate donne ità... quàm. Sur c»w
7
différences, voyez page 168, note .
4
Des mss. donnent lœtatur, leçon de la Vulgate. Mémo sens.
* Apoc. I L b Tob. iv. — c A p o c u — ^ Luc. xv. — * Sap. n.
#
LKTTitëS CIIOISIKS Dit SAINT CYPIUEK. 175
pourtant de la société des évoques leurs collègues, et ne
brisèrent point par la ténacité de leur discipliné sévère l'u-
nité de VEglise catholique, en sorte que, parce que chez les
uns on accordait la paix aux adultères, celui qui ne l'accor-
dait pas se séparât de l'Eglise. Sans rompre le lien de la
concorde, et sans porter atteinte à l'indivisible unité de
l'Eglise catholique, chaque évoque dispose et règle sa con-
duite comme il l'entend, quitte à rendre plus tard au Sei-
gneur compte de ses résolutions. Je m'étonne toutefois de
voir quelques personnes porter l'obstination jusqu'à croire
ne pas devoir accorder la pénitence aux tombés, et devoir
refuser le pardon au repentir, car il est écrit : Souvenez-vous
d'où vous êtes tombé, et faites pénitence, et conduisez-vous
comme avant votre faute. Ces mots s'adressent évidemment
au pécheur dont la chute est constante, et que le Seigneur
exhorte $ se relever pur ses œuvres, parce qu'il est encoiv
écrit: Vaumône délivre de la mort; et ce n'est pas certai-
nement de cette mort qu'une fois pour toutes a anéantie le
sang du Christ, et dont nous a délivrés la grâce salutaire du
baptême et de notre rédemption, mais bien de celle que plus
tard amène à sa suite le péché.
XX. Dans un autre passage encore le Seigneur accorde
du temps au repentir, et menace en ces termes celui qui
refuse de faire pénitence : J*ai à vous reprocher, dit-il, entre
nombreux griefs, que vous laissez votre femme Jézabel, qw
se dit propnètesse, enseigner et séduire mes serviteurs, forni-
quer et manger de la chair des sacrifices; et je lui donne le
temps de faire pénitence, mais elle ne veut pas se repentir d<
sa fornication. Aussi je la couche sur son lit, et je précipite
ceux qui ont péché avec elle dans les plus grandes tribu-
lations, sHls ne font pas pénitence de leurs fautes. Certaine-
ment le Seigneur ne les engagerait pas à faire pénitence, s'il
ne promettait pas le pardon à leur repentir. Et dans l'Evan-
gile : // y aura, dit-il, je vous assure, autant de joie dans le
ciel pour un seul pécheur faisant pénitence, que pour quatre-
vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de pénitence. Eu
effet puisqu'il est écrit : Dieu n'a pas fait la mort, et il ne
prend pas plaisir à la perte des vivants, certainement.
comme il veut que personne ne périsse, il désire que les
pécheurs se repentent et que par la pénitence ils reviennent
à la vie. Aussi déclare-t-il hautement par la bouche du
prophète Joël : Voici maintenant ce que dit le Seigneur votre
176 S E L E C T * DIVI GYPKIAM EPlSTOL.fc.
corde vestro^ simulque et jejunio etfietuet planctu, et discin
dite corda vestra, etrnon vestimenta vestra, et revertimini
ad Dominum Deum vestrum, quia misericors et pius est et
patiens et multœ miserationis, et qui sentenliamflectatadue
al
sùs malitiam irrogatam . In Psalmis etiam legimus censurai!)
pariter et clementiam Dei comminantis simul atque parcentis,
punientis uf corrigat, et cùm corrc&erit reservantis*. Visitabo^
3
inquit, in virga facinora eorum, et in flagellis delicta eo- b
rum. Misericordiam aulem meam non dispergam ab eis .
XXL Dominus quoquè in Evangelio suo pietatem Dei Patris
ostendens ait : Quis est ex vobis fiomo quem si petierit filius
h
ejus panem , lapidem porrigat illi, aut sipiscem postulaverit,
serpentera illi porrigat? Si ergô vos, cùm sitis nequam, scitis
bona data dare filiis vestris, quanta magis Pater vester cœ~
c
Icstis dabit bona poscentibus eum ? Comparât hic Dominus
carnalem patrem et Dei Patris «tenvum largamque pietatem,
quôd, si iste in terris nequam pater, offensus graviter a
filio peccatore et malo, si tamen eumdem postmodum viderit
reformatum, et, depositis prioris vit» delictis, ad sobrios et
bonos mores et ad innocentiae disciplinam pœnitentiae dolore
correctum, et gaudet et gratulatur, et susceptum, quem
antè projecerat, cum voto paternae exsultationis amplectitur j
quantô magls unus ille et verus Pater bonus, misericors et
pius, imô ipse bonitas et miseiïcordia et pietas, lsetatur in
pœnitentia filiorum suorum. nec jam pœnitentibus aut plan-
gentibus et lamentantibus pœnam comminatur, sed veniam
magis et indulgentiam pollicetur! Xînde Dominus in Evan-
gelio beatos dicit plangentes ; quia qui plangit, misericor-
diam provocat; qui pervicax et superbus est, iram sibi et
pœnam judicii venientis exaggerat °.
1
Construisez : sentenliam irrogatam adversûs malitiam.
* Un ms, porte et, cum correxerit, ut misereatur reservantis; un
autre et, cùm correxerit, miserentis reserratis. Même fonds d'idée;
quelque différence dans le détail de l'expression. Noue leçon a pour elle
l'avantage de la brièveté,
* Un ms. donne in virga ferrea. Nous verrons plus loin, dans cette
lettre, la verge de fer présentée comme l'instrument et l'emblème d'une
inflexible justice. C'est une raison pour que dans ce passage, où il s'agit
de miséricorde, il ne soit pas question de la verge de fer.
4
Quem si petierit filius ejus panent, pour gui, si càm petierit filius
ejus panem. Remarquez la construction très-légitime : petere ctposcere
atiquem panem, au lieu de petere, poscere.,. ab aliqno.
b
» Joël. n. — Psal. LXXXYUÏ. — * Matth. vu.
UJTJ'UKJ* <;I:O.SH!.S UK S A I N T r.YKUfc.v 177

Dieu : Revenez à moi de tout votre wnar, et tout ensembl


jeûnez, pleurez et frappez vos poitrines , et déchirez vos
cœurs et non pas vos vêtements, et revenez au Seigneur vo
Dieu, parce qu'il est miséricordieux, bon, patient et plein
de compassion, et disposé à adoucir la sentence portée cont
la méchanceté. Nous voyons encore, dans les Psaumes, tout
à la fois la sévérité et la clémence de Dieu qui menace et
pardonne en même temps, qui punit pour corriger, et qui
sauve après avoir corrigé. Je visiterai, dit-il, leurs forfaits
la verge à la main, et leurs péchés le fouet à la main. Mais je
n'éloignerai pas complètement âeux ?na miséricorde.
XXL Le Seigneur aussi, dans son Evangile, montrant la
bonté de Dieu le Père, dit : Ya-t-il parmi vous un homme
qui, si son fils lui demande du pain, lui donne une pierre, ou,
s'il lui demande un'poisson,lui présente un serpent? Si donc
vous, qui nêtes que des méchants, savez donner de bonnes
choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Pèr
céleste donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui de
manderont. Le Seigneur met ici en regard un père selon la
chair et l'éternelle et infinie bonté de Dieu le Père : si
dans ce monde le pore méchant, gravement offensé par un
fils pécheur et vicieux, mais le voyant plus tard, changé,
renoncer aux. écarts de sa vie première, prendre des mœurs
bonnes et sages, et être amené par le repentir à une con-
duite irréprochable; si, dis-je, ce père se réjouit et se féli-
cite, et, accueillant ce lils qu'il avait auparavant rejeté loin
de lui, l'embrasse avec toute l'effusion d'une joie paternelle;
à combien plus forte raison le seul et véritable bon Père,
miséricordieux et tendre, ou plutôt la bonté, la miséricorde
0
et la tendresse même , se réjouit-il du repentir de ses en-
fants, et, en voyant leur pénitence et leurs larmes, ne songe-
l-il pius à les menacer du châtiment, mais leur promet-il
au contraire indulgence et pardon ! Aussi le Seigneur, dans
l'Evangile, appelle-t-il heureux ceux qui pleurent, parce que
celui qui pleure appelle sur lui la miséricorde, et celui qui
est entêté et superbe, accumule sur sa tète la colère céleste
et les châtiments du jugement à venir.

» La bonté môme. C'est la traduction de certaines éditions qui portent


ipsa bonitas, au lieu de ipse bonitas de la notre. Un ms, donne ipse
boniialis et misericorditv et pietatis fons. Alômc sens au fond.
178 SEUSCIA D1YI CSYPIUAM KPISTOLiB.
XXII. Et ideirco, frater charissime, pœnitentiam non ngen-
tes, nec doloivm delietorum suonira tolo corde et manifesta
lamentationis suae professione testantes, prohibendos omnino
censuimus a spe communications et pacte, si in infirmitaie
atque in periculo cœpcrint dcprecari; quiarogare iïlos non
delicli pœnitentia sed mortis urgentis admonitio compcllit,
nec dignus est in morte accipere solatium qui se non cogi-
tant essemoriturum.
XXni. Quod vero ad Novatiani personam pertinet, frater
charissime, de quo desideràsli tibi scribi quam haeresim in-
troduxisset, scias nos primo in Joco nec cuiïosos esse debciv
quid ille doceat, cùm foris doceat. Quisquis ille est et qua-
liscumque est, christianus non est, qui in Christi Ecclesia
non est. Jactet se iicèt, et philosophiam vel eloquentiam
suam superbis vocibus prœdicet, qui nec fraternam chari-
tatem nec ecclesiasticam unitalem tenuit, etiam quod priùs
fuerat amisit. Nisi si episcopus tibi videlur qui, episcopo in
Ecclesia a sedecim coepiscopis facto *, adulter atque extra-
neus episcopus fieri a desertoribus per ambitum nititur; et,
cùm sit à Gnristo una Ecclesia per totum mundum in multa
membra divisa, item episcopatus unus episcopormn mul-
torum concordi numerositate diflusus, ille, post Dei tradi-
tionem, post connexam et ubique conjunctam catholics Eccie-
siae unitatem, humanam conetur Ecclesiam facere, et per
plurimas civitates novos apostolos suos mittat, ut quœdam
recentia institutionis suae fundamenta constituât! eùmquo
jam pridem per omnes provincias et per urbes singulas or-
dinati sint episcopi in aetate antiqui, in fide integri, in près
sura probati, in persecutione proscripti, ille super eos creare
alios pseudoepiscopos audeat! Quasi possit aut totum orbem
novi conatûs obstinatione peragrare, aut ecclesiastici cor-
poris compaginem discordiee suae seminatiotie rescindere!
nesciens schismaticos semper inter initia fervere, incremen-
tum verô habere non posse nec augere quod illicite cœperinL
sed statim cum prava sua ecmulalione dellcere, episcopatuin
autem tenere non posse, etiamsi episcopus priùs faetus a
coepiseoporam suorum corpore et ab Ecclesioe unitate des
cisceret, quando Àpostolus admoneat ut invicem nosraetip
sos sustincamus, ne ab unitate, quam Deus construit, rece-
1
Vojcz sur l'élection du pape Corneille page 128, note », et page 164
nota *.
LETTRES CHOISIES DE SUNT CYPRIEN. 1 7 9
XXI ï. Par ces raisons, mon très-cher frère, quant à ceux
qui refusent de faire pénitence, et d'attester un sincère re-
pentir <ie leurs péchés par les signes évidents d'une profonde
affliction, nous avons résolu de leur refuser l'espoir de la
paix et de la communion, si c'est seulement en état de ma-
ladie et en danger de mort qu'ils commencent à l'implorer ;
parce quo leurs prières alors sont moins dictées par le re-
pentir île leur faute, que contraintes par les sommations de
la mort qui les presse, et que celui-là ne mérite pas d'être
consolé à la mort, qui n'a pas songé qu'il devait mourir un
jour.
XXIII. Pour ce qui concerne la personne de Novatien, à
propos de qui vous m'avez prié, mon très-cher frère, de vous
mander quelle hérésie il avait introduite, sachez que d'abord
nous ne devons en aucune sorte nous soucier de ce qu'il en-
seigne, puisqu'il enseigne hors de l'Eglise. Quels que soient
son nom et ses qualités, il n'est pas chrétien, puisqu'il n'est
pas dans l'Eglise du Christ. Qu'il se vante donc tant qu'il
voudra, qu'il exalte en termes pompeux sa philosophie ou
son éloquence, comme il n'a observé ni la charité frater-
nelle, ni l'unité ecclésiastique, il a perdu même ce qu'il était
auparavant. A moins que vous ne voyiez un évêque dans
l'homme qui, lorsqu'un véritable évêque vient d'être nommé
par seize de nos collègues, emploie la brigue pour se faire
nommer évêque adultère et étranger par un ramas de dé-
serteurs ; et quand il n'existe pour tout le monde qu'une
seule Eglise, établie par le Christ, et partagée en une infi-
nité de membres, et de même un seul épiscopat, répandu
par tout l'univers dans la personne d'une multitude d'évê-
ques, tous unis malgré leur nombre, cet homme, nonobs-
tant la tradition instituée par Dieu même, nonobstant l'unité
de l'Eglise catholique partout établie, partout indivisible,
s'efforce, lui, de créer une église humaine, et envoie dans
nombre de cités de nouveaux apôtres de sa façon, pour jeter
je ne sais quels fondements de sa récente institution! Et
lorsque depuis longtemps dans toutes les provinces et dans
chaque ville existent, régulièrement ordonnés, des évèques
d'un dgc vénérable, d'une foi intacte, éprouvés dans les
combats, proscrits dans la persécution, cet homme a l'au-
dace de créer au-dessus d'eux d'autres faux évèques ! Comme
s'il pouvait, dans son acharnement, rendre l'univers entier
complice de son entreprise nouvelle, ou diviser par ses se-
180 sisLKOïyK rovi UYITUÀXJ KHSTOLE.

duinus, et clical : Suslinentes invieein in dilectione, salis


agentcx* servare unitalem spiritûs in conjunciionepacis* .Qu
ecg6 nec unitatein spiritûs nec conjimctionem pacis observât,
1
et "se ab Ecclesia vinculo atque a sacerdotum collegio sé-
parât, episcopi nec potes la loin potest babore nec lionoreni,
2
qui episeopatùs nec unitalem voluit tenere nec pacem.
3
XXIV. Tùm deinde quant us arrogantiœ tunior est, quanta
humilitatis etlenitalis oblivio, arroganliœ suai qu'an ta jactatio,
ni quis aut audeat aut lacère se posse credat quod nec Àpos-
tolis cbneessit Dominus, ut zizania a frumenlo putet se posse
discernere, aut, quasi ipsi paleam ferre et aream purgare
coucessum sit, paleas conetur a tritico separarel cùmque
Àpostolus dicat : In domo autem magna non sotum vasa aurea h
sunt et argentea, sed et lignea et fictïlia , aurea et argentea
vasa videalur eligere, lignea verô et fie lilia contenmere, ab-
jircre, danmare, quando non nisi die Domini vasa lignea
divini ardoris incendio eoucrcmenlur, et tictilia ab eo cui
4
data est ferrea virga franganlur 1
XXV. Aut, si se cordis cl renis sevutatorem conslituît et
judicem, per omnia œqualiler juJicet; et, cùm sciât scriptum
esse, Ecce sanus factus es, jam noli peecare, ne quid tibi de-
1
ierias fiai* , fraudatores etmœchos* a latere atque a comi-
talu separet, quando multô et gravior et pejor sit mœchi
quàm libellatici causa, cùm bîc necessitate, ille voluntate
pcecaveril; hic, existimans sibi satis esse quod non sacriii-
6
caverit, errore deceptus sil , ille, matrimonii expugnator
alieni, vel lupanar ingressus ad cloacam et eœnosani vora-

* Satis agentes, en deux mots, pour salagentes (sal ou salis aymtes),


s'occupant activement, avec ardeur.
4
Oui non voluit, puisqu'il n'a pas voulu....
5
Tùvi deinde quantus arrogantiœ tumor est.., ut quis aut audeat,
aut credaU.., ut puiet.... aut..., conetur..., videatur, etc. S puis, quel
orgueil, quelle arroganco n'y a-t-il pas... à oser..., ou ù croire..., ù
penser..., h s'cJTorcer de..., à s'imaginer...! Ce passage est cité par saint
Augustin, lib. îv Ve Saplismo contra Donatistas, cap. 12.
* Les mêmes pensées et le môme langage sont encore employés à
propos des prétentions orgueilleuses de Novatien, LeltreXXIV, page 142,
* Deux espèces d'idolâtres, comme il sera établi, page suivante.
tt
Alt été victime de l'erreur, se soit simplement trompe.
A
Ityhcs. I Y . — i*MaU1i, x i u ; Il T l m , n . — «• p s a l . H; J o a n . v,
L E T T R E S CHOISIES DR SAINT CYPRIEN. 181
menées de discorde l'union compacte du corps ecclésiasti-
que. J-ie malheureux ! il ignore que toujours les schismali-
ques sont dans le principe pleins de ferveur, mais qu'ils ne
peuvent grandir eux-mêmes, ni faire prospérer leurs entre-
prises criminelles, et tombent bientôt avec le coupable es-
prit de rivalité qui les an me, sans pouvoir fonder un épif-
copat, quand l'auteur de ces folles tentatives serait un évèquc
anciennement ordonné, qui se séparerait du corps des évè-
ques ses collègues, et renoncerait à l'unité de l'Eglise. Eh !
l'Apôtre ne nous engage-t-il pas à nous soutenir les uns 1rs
autres, et à ne pas nous écarter de l'unité, établie par Dieu
lui-même, quand il nous dit : Soutenez-vous les uns les au-
tres dans la charité, travaillant avec ardeur à conserver Vu-
nité de l'esprit dans t union de la paix ? Celui donc qui n'ob-
serve ni l'unité de l'esprit, ni l'union de la paix, et se
détache du lien de l'Eglise et du collège des évèques, ne
peut posséder ni la puissance ni la dignité épiscopales, puis-
qu'il n'a voulu garder ni l'unité ni la paix de Pépiscopat.
XXIV. Puis n'est-ce pas un excès d'orgueil, n'est-ce pas le
plus complet oubli de la douceur et de l'humilité chré-
tiennes, n'est-ce pas en un mot le comble de l'arrogance chez
un homme, que d'oser entreprendre et de croire pouvoir
exécuter ce que le Seigneur n'a pas accordé aux Apôtres
eux-mêmes, de penser pouvoir séparer l'ivraie du bon grain,
ou, comme si on lui avait permis d'enlever la paille et do
nettoyer l'aire, de chercher à séparer la paille du froment ?
et, parce mie l'Apôtre dit : Dans une grande maison il y a
des vases a or et d'argent, mais il y en a aussi de bois et de
terre de croire pouvoir choisir les vases d'or et d'argent, et
9

dédaigner, rejeter, condamner les vases de bois et de terre,


tandis que ce n'est qu'au jour du Seigneur que les vases de
bois doivent être livrés aux flammes du feu vengeur, et les
vases de terre brisés par celui à qui a été donnée la verge
de fer ?
XXV. Ou, s'il s'établit le scrutateur et le juge des cœurs et
des reins, qu'il juge en toutes choses avec équité ; et, puisqu'il
sait qu'il est écrit : Vous voilà guéri, prenez garde de pécher, de
peur qu'il ne vous arrive pis qu auparavant qu'il commence
9

par éloigner de sa personne et bannir de sa suite lesfriponset


les impudiques ; car le crime d'un impudique est bien plus
grave et bien plus condamnable que celui d'un libellatique,
puisque ce dernier a été rendu coupable par la nécessité, et
11
482 VBJUftm DIVI CVPMANI I H S T O L A .
ginem vulgi, sanctificatuiu corpus et Dei templum detesta-
bili colluvione vioteverit, sicut Apostolus dicit • Omne pee-
catum quodcumque fecerit homo, extra corpus est; qui aute
mœchatur, in corpus suum peccut \ Quibus tamen et ipsis
pœnitentia conceditur, et lamentandi ac satisfaciendi spes
1
relinquitur , secundiim ipsum Apostolum dicentem : Timeo
ne forte veniens ad vos lugeam muttos ex Us qui ante pecca
verunt, et non egerunt pcenitentiam de immunditiis quas f
b 2
cerunt et fomicationibus et l'bidinibus .
XXVI. Nec sibi* in hoc novi hseretici blandiantur quôd
se dicant idololatris non communicare, quando sint apud
illos et adulteri et fraudatores, qui teneantur idololatriae
crimine, secundùm Apostolum dicentem : Hoc enim scitote
intelligentes quia omnis fornicator aut immundus aut frau
dator, guod est idololatria, non kabet hœreditatem in regno
0
Christi et Dei ; et iterum : Mortificate itaque membra ves-
4
tra quœ in terra sunt, exponentes fornicationem, immundi-
tiam, et concupiscentiam malam, et cupiditatem, quœ sunt d
idolorum servitus, propter quœ venit ira Dei . Nam, cùm
corpora nostra membra sint Christi, et singuli simus tem-
plum Dei, quisquis adulterio templum Dei violât, Deum vio-
lât; et qui in peccatis committendis voluntatem diaboli facit,
daemoniis et idolis servit. Neque enim mala facta de sancto
Spiritu veniunt, sed de adversarii instinctu et de immundo
spiritu natse concupiscentiae contra Deum facere et diabolo
servira compellunt.
XXVII. Ita fit ut, si peccato alterius inquinari alterum di-
5
cunt ,etidoiolatriam delinquentisad nondelinquentemtrans-
ire suâ asseveratione contendunt, excusari secundùm suam
vocem non possint ab idololatriae crimine, cùm constet de
* Quibus tamen et ipsis pœnitentia conceditur, e t . spes relinquitur :
Et pourtant, à ces hommes chargés de crimes, on leur accorde la péni-
tence, et on leur laisse l'espoir de..., etc.
* Un ms. porte turpidinibus, familier à saint Cyprien. Nous avons
vu, lettre I, le spectacle des mimes appelé turpitudinum magisterium*
Malheureusement celte leçon n'a pour elle qu'un ms.
* Nec sibi, etc. Saint Augt^tin cite encore ce passage au livre îv,
chap. 5, de son traité du Baptême contre les Donatisles.
4 4
Exponentes, rejetant, se dépouillant de... Voyez page 6, note .
n
Deux mss. donnent excusari alt-erum dicunt, leçon qui fait une
espèce de contre-sens avec ce qui suit immédiatement.
* I Cor. vi. — * lbid. xu. — « Ephes. v. — * Col. nu
C
LETTRES CHOISIES DE .AWT CYPRIEN* 183
l'autre par sa propre volonté ; l'un, croyant qu'il lui suffi-
sait de ne pas sacrifier aux dieux, a été victime d'une er-
reur, l'autre, souillant atidaetensement la couche d'autrui,
ou entrant dans des lieux infâmes, et se vautrant dans le cloa-
que et le tourbillon fangeux des voluptés banales, souille de
détestables impuretés son corps sanctifié et devenu le tem-
ple do Dieu, comme dit l'Apôtre : Tout péché que commet
l'homme est hors de son corps, mais l'impudique pèche contre
son corps. Et pourtant à ces grands coupables on accorde la
pénitence, on ne leur ôte pas l'espérance attachée aux lar-
mes et li la satisfaction, selon les paroles de l'Apôtre : Je
crains bien qu'en allant près de vous, je n'aie à pleurer beau-
coup d'anciens pécheurs qui n'ont pas fait pénitence des im-
puretés qu'ils ont commises^ et de leurs fornications et de
leurs débauches.
XXVI. Et que les nouveaux hérétiques ne se flattent pas en
disant qu'ils ne sont pas en communion avec les idolâtres,
quand il est constant que parmi eux sont des adultères et
des fripons, coupables d'idolâtrie, selon ce que dit l'Apôtre :
Sachez et comprenez-le bien, tout fomicateur tout impudique
y

et tout fripon, ce qui est une idolâtrie, fCont point d héritage


dans te royaume du Christ et de Dieu; et encore : Mortifiez
vos membres qui sont sur la terre, renonçant à la fornica-
tion^ à l'impureté^ à la concupiscence coupable et à la cupi-
dité, autant d'espèces idolâtrie, qui attirent la colère de Dieu.
En effet, puisque nos corps sont des membres du Christ, et
que chacun de vous est un temple de Dieu, quiconque, par
un adultère, souille un temple «le Dieu, outrage Dieu lui-
même ; et celui qui, en commettant le péché, fait la volonté
du démon, est l'esclave du démon et des idoles. Car les mau-
vaises actions ne viennent pas du Saint-Esprit; ce sont de
coupables concupiscences, nées des séductions de l'ennemi
et de l'esprit immonde, qui nous portent à agir contre la
volonté de Dieu et nous rendent les esclaves du démon.
XXVII. Aussi suit-il de là que, s'ils disent que Ton est
souillé par le péché de l'autre, et s'ils affirment et préten-
dent que l'idolâtrie se communique du coupable à ceJui qui
ne Test pas, ils ne peuvent, selon leurs propres paroles, se
justifier du crime d'idolâtrie, puisqu'il est constant, comme
le montre l'Apôtre*, que les impudiques et les fripons, avec

» Voyez, page précédente, les deux dernières citations de saint Paul.


184 SELECTVE DIVi CYPRIANI EPISTOLA.
apostolica probatione mœchos et fraudatores, quibus illi
communicant, idololatras esse. Nobis autem, secundùm fi-
dem nostram et divime prœdicationis datam formam corn-
petit ratio veritatis*, unumquemque in peccato suo ipsum
3
teneri nec posse altermn pro altero reum fieri, cùm Do-
minus prœmoneat et dicat : Justifia justi super eum erit, et
a
scelus sce/erati super eum crit . Et iterum : Non morientur
patres pro fitiis, et filii non morientur pro patribus. Unus-
quisque in peccato suo morieturK Quod legentes scilicet et
tenentes, neminem putamus a fructu satisfactionis et spe
pacis arcendum, cùm sciamus juxta Scripturarum divinamm
fidem, auctore et hortatore ipso Deo, et^ad agendam pœni-
tentiam peccatores redigi, et veniam atque indulgentiam pœ-
nitentibus non denegari.
XXVIII. Atque, ofrustrandae fraternitatis irrisio ! o mise-
4
rorum lamentantium et amentium caduca deceptioî o hœre-
reticae institutionis inefiicax et vana traditio ! bortari ad
satisfactionis pœnitentiam, et subtrahere de satisfactione
medicinam 1 dicere fratribus nostris : Plange et lacrymas
funde, et diebus ac noctibus ingemisce, et pro ablueiido et
5
purgando delicto tuo largiter et fréquenter operare , sed
extra Ecclesiam post omnia ista morieris; quœcumque ad
pacem pertinent, faciès, sed nullam pacem, quam quasris,
accipies. Quis non statim pereat ? Quis non ipsâ despera-
tione deficiat ? Quis non animum suum a proposito lamen-
tationis avertat ? Opcrari tu putas rusticum posse, si dixe-
ris : Agrum peritià omni msticitatis exerce, culturis diligenter
insiste, sed nullam messem metes, nullam vindemiam pre-
mes, nullos oliveti tui fructus capies, nulla de arboribus
0
poma decerpes? Vel, si ei cui dominium et usum navium
1
Secundùm divinœ prœdicationis datam formam, selon la règle
établie par les préceptes divins.
* Nous avons la raison de cette vérité, que, etc., ou peut-être plus
simplement : nous avons par devers nous celte vérité, que, etc.
* Quatre mss. portent reum teneri, qui s'entendrait bien. Ipsum te-
neri exprime mieux la personnalité du pécheur et la peine que-seul il
encourt.
4
Quelques mss. portent amentium tout seul. C'est moins clair.
* U s'agit ici d'oeuvres de charité, d'aumônes, etc.
0
Propriété; ici acquisition : à qui vous conseillez de se procurer (les
vaisseaux et de naviguer.
a
Ezccb. XVIH. — *> IV Reg. xiv.
LKTTUES CHOISIES DB PAINT CÏPK1KN. 1 8 5
lesquels ils vivent en communion, sont de véritables idolâ-
tres. Nous au contraire, conformément à notre foi, et selon la
règle établie par les préceptes divins, nous tenons pour vrai
que chacun est tenu pour son propre péché, et que l'un ne
peut être coupable pour l'autre, selon les instructions du Sei-
gneur qui nous dit : La justice du juste sera en sa faveur, et
le crime du coupable s'élèvera contre lui. Et encore : Les pères
ne mourront pas pour leurs enfants, et les enfants ne mourront
pas pour leurs pères. Chacun mourra dans son péché* Fidèles
a cette doctrine, nous pensons qu'on ne doit priver personne
du fruit de la satisfaction et de l'espoir de la paix, puisque
nous savons, sur la foi des divines Ecritures, que Dieu morne,
par ses conseils et ses exhortations, amène les pécheurs à
faire pénitence, et qu'il ne refuse pas son indulgence et son
pardon à ceux qui se repentent.
XXVIII. Et néanmoins, ô amère dirision pour lesfidèlesque
Ton trompe! ô déception, cause de ruine pour des malheu-
reux qui se lamentent et se désespèrent! ô stérile et vaine
tradition de l'hérésie! Exhorter les fidèles à satisfaire à Dieu
par la pénitence, et ôter à la'satisfaction toutes ses propriétés
salutaires ! Dire à nos frères : Frappez bien votre poitrine,
répandez des torrents de larmes, poussez nuit et jour des
gémissements pour expier et effacer votre péché, livrez-vous
à d'abondantes et de fréquentes bonnes œuvres ; eh bien!
après tout cela vous n'en mourrez pas moins hors de l'Eglise;
vous ferez tout ce qui est nécessaire pour obtenir la paix,
mais cette paix, après laquelle vous soupirez, jamais elle ne
vous sera accordée. Qui, à ces cruelles paroles, ne se senti-
rait périr? Qui ne se livrerait à 1'accableinent du désespoir?
Qui ne renoncerait à la résolution de pleurer sa faute ? Pen-
sez-vous donc que l'homme des champs aurait le courage de
travailler, si vous lui disiez : « Mettez en usage, pour labou-
» rer votre champ, les procédés les plus habiles ; pour sa
» culture, n'épargnez ni soins ni labeurs; mais pourtant, en
# récompense, pas de moisson à récolter, pas de vendange à
» presser, pas de produits à retirer de vos oliviers, pas de
» fruits à cueillir à vos arbres? » C'est encore comme si, à
un homme que vous engageriez à se faire armateur, vous di-
siez : « Mon frère, achetez le bois des forêts les plus renom-
» mées, construisez un vaisseau avec les chênes les plus forts
» et les meilleurs, munissez-le d'un gouvernail, de cordages,
186 SfcLKCTifc D M CYPRIANI KPISTOliAS.
suadens dicas ; Materiam de exrellentibus' sylvis mereare,
frater, carinam praevalidis et eleçtis roboribus intexe, clavo,
funibus, relis, ut fabricetur atque armetur navis, operare ;
sed cùm hœc feeeris, fructnm do. actibus ejus et cursibus
nou videbis. Prœcludcre est aUjiw abscindevè iter doloris ac
pœuitendi viam ; ut, cùm. in Scriptum omnibus Dominus
Deus revertenlibus ad se et pœnitentibus blandiatur, nos-
tra duritià et mulelitate, dum J'ructus pœnitentiae intcrcipi-
tur, pœnitentia ipsa tollalui\

XXIX. Quôd si invenimus a pœnitentia agenda neminem


debere prohiberi, etdepreeantibus atque exorantibus Domini
misericordiam, secundùm quôd iJle misericors et plus est,
per sacerdotes ejus pacem posse concedi, admittendus est
plangentium gemitus, et pœnilenliœ fructus dolentibus non
negandus. Et, quia apud ïnfcros confessio non est, nec exo-
5
mologesis illic iieri potest, qui ex tolo corde pœnituerint
et rogaverint, in Ecclesiam. debent interiùs * suscipi et in
ipsa Domino reservari, qui, ad Ecclesiam suatn venturus,
de illis utique quos in ea intns inveneiït judieabit. Àpos-
tataj verô et desertorcs, vel advcrsarii et hostes, et Cbristi
Ecclesiam dissipantes, nec si occisi pro nomme forte fuc-
rint, admitti secundùm Àpostolum possunt ad Ecciesiae pa-
a
cem , quando nec spiritûs nec Ecciesiae tenueruntunitatem.

XXX-HSBC intérim, frater charissime, pauca de multis,


quantum potui, breviter decucurri, quibus et desiderio tuo
satisfacerem, et te magls ac magis collegii et corporis nostri
societati conjungerem. Si autem tibi veniendi ad nos oppor-
tunités et facuitas fuerit, plura in commune conferre et
uberiùs ac pleniùs quae in saiutarera coacordiam faciant trac-
tare poterimus.
Opto te, frater charissime, semper bene valere.
* Voyez page 73, note «.
* Interiùs ou intus, dans l'intérieur, dans le sein de l'Eglise, par op-
position à /orlv, hors de l'Eglise, où sont les hérétiques et les sehisma-
tiques.
* Saint Cyprien a souvent exprimé celle pensée familière aux écri-
vains catholiques, et formulée proverbialement en quelque sorte dans
ces paroles empruntées à notre auteur ; Martyrem non faeil pœna> sed
causa. '
LKWRES CHOISIES DK SA1IST CYPRIEN. 187
» <le voiles, pour sa structure eii un mot et pour son équi-
» pement n'épargnez ni dépenses ni soins, mais de produit
» de ses courses et de ses expéditions, vous n'en verrez ja-
» mais. » Mais c'est Là fermer, c'est couper la route du
repentir et de la pénitence; et tandis qu'a chaque page de
l'Ecriture, Dieu notre Seigneur se montre bienveillant à ceux
qui reviennent à lui et qui se repentent, nous, par notre ri-
gueur et notre cruauté, en supprimant le fruit de la pénitence,
nous anéantirions la pénitence elle-même.

XXIX. Si nous trouvons qu'il ne faut empêcher personne


de faire pénitence, et que les ministres du Seigneur peuvent,
conformément à sa miséricorde et à sa bonté, accorder la paix
à ceux qui le prient et qui l'implorent, nous devons admettre
les gémissements des malheureux qui pleurent et ne pas re-
fuser à leur affliction les fruits de la pénitence. Et comme
dans les enfers il n'y a point de confession, et que là on ne
peut faire d'exomologèse, ceux qui de tout leur cœur se se-
ront livrés au repentir et à la prière, devront être accueillis
dans l'Eglise et mis dans son sein en réserve pour le Sei-
gneur qui, quand il viendra visiter son Eglise, jugera cer-
tainement ceux qu'il trouvera renfermés dans son enceinte.
Quant aux apostats et aux déserteurs ou plutôt aux adver-
saires et aux ennemis du Christ, qui cherchent à déchirer
son Eglise, quand même ils seraient, à cause du nom chré-
tien, mis à mort hors de son sein, ils ne peuvent, selon l'A-
pôtre, être admis à la paix de l'Eglise, puisqu'ils n'ont
observé l'unité ni de l'esprit ni de l'Eglise.

XXX. Voilà pour le moment, mon très-cher frère, quelques


points, sur un grand nombre d'autres, que j'ai, autant que je
l'ai pu, cherché à vous expliquer brièvement, pour répondre
à votre désir, et pour vous attacher de plus en plus à notre
collège et au corps entier de l'épiscopat. Mais si vous avez
l'occasion et la possibilité de venir nous voir, nous pour-
rons causer de tout cela plus longuement, et avoir ensemble,
avec l'étendue et le développement convenable, une discus-
sion utile à la concorde salutaire qui doit régner entre nous.
Je désire, mon très-cher frère, que vous vous portiez tou-
jours bien*
188 SKLKCTJS DlVl CYPRIANI EHST0L/Ë

EPISTOLA XXVI.
AD FORTCKATUM JET A L I O S COLLEGAS, D E I I S QUI P E R
TORMENTA SUPERANTUR.

Règle qu'il faut suivre dans la réconciliation de ceux qui, vaincus par
les tourments, ont sacrifie aux idoles,

CYPRIAKUS Fortunato, Ahymmo, Optato, Privatiano, Do-


natulo et Felici fratribus salutem.
I. Scripsistis mihi, fratres charissimi, quôd, cùm in Cap-
1
serisi civitate propter ordinationem episcopi esselis, perlu-
8 3
lcrit ad vos Superius frater et collega nosler Ninum , Clc-
mentianum, Floruin, fratres nostros, qui in persecutione
apprehensi priùs fuerant, et, nomen Domini confessi, vio-
lentiam magistratùs et populi frementis jmpetura vicerant,
postmodum, cùm apud proconsulem pœnis gravibus excru-
oiarentur, vi tormentorum subactos esse, et de gradn gloriao
ad quam plonâ fidei virtute tendebant, diutinis cruciatibus
excidisse, nec tamen post hune gravem laçsum, non volun-
tate sed necessitate susceptum, a pœnitentia agenda per hoc
triennium destitissc.
II. De quibus consulendum putâstis an eos ad communi-
* Capse, évéché en Afrique, suffiragant de Carthage. — Parce que
cette ordination avait lieu à Capse, il ne s'ensuit pas nécessairement
que tous les évèques qui y assistaient fussent de la province d'Afrique, et
suiTragants del'évéque do Carthage. Cela est seulement probable pour le
plus grand nombre d'entre eux, et certain pour Forlunat, que nous
avons vu envoyé à Rome par saint Cyprien avec Caldonius, à propos du
Schisme de Novatien (Lettre X X I , au commencement).
* Les manuscrit* varient entre Superius et Svpems* Quelle que soit
l'orthographe de ce nom, le personnage qu'il désigne ici n'en est pas
moins inconnu.
* Deux anciens manuscrits portent Saiurmnum. Plusieurs lettres de
saint Cyprien parlent de Saturnin ; le nom de Ninus ne se trouve dans
aucune. Mais dans un très-ancien Martyrologe on lit au 15 novembre : In
Mauriiania Nini (sous-entendu memoria) ; et au 14 décembre : In Africa
Nini. Ce Ninus, présenté ici connue repentant de sa chute et digne d'être
réintégré parmi ks Qdèlcs, pourrait bien avoir recouvré sa gloire par
LETTRES CHOISIES l>fc HAINT CYPRIEN. 180

LETTRE XXVI.
A FORTUNAT ET AUTRES COLLÈGUES, SUR CEUX QUI CÈDENT
A LA FORCE DES TOURMENTS.

Des collègues de saint Cyprien lui ayant écrit pour lui demander si Ton
pouvait admettre à la communion chrétienne des tombés qui, ayant
d'abord confessé la foi avec courage, avaient ensuite ccclé à la force
des tourments, il leur répond qu'en considération de la fermeté qu'ils
ont montrée d'abord, et des trois ans de pénitence qu'ils ont faits de-
puis leur chute, il peuse qu'on doit leur accorder la paix ; qu'au sur-
plus, après les solennités de Pâques, il recevra la visite de plusieurs
de ses collègues ; qu'il traitera ce point à fond avec eux, et transmet-
tra à ceux qui le consultent aujourd'hui la décision qui aura été prise
à cet effet.

CYPRIEN à Fortunat, Àhynimus, Opfcatus, Privation, Dona-


tulus et Félix, ses frères.
I. Vous m'avez écrit, mes très-chers frères, que, comme
vous vous trouviez à Capse pour l'ordination d'un évêque,
notre frère et collègue Supénus a porté à votre connaissance
la cause de nos frères Ninus, Clémentien et Florus. Arrêtés
d'abord au temps de la persécution, ils avaient, confessant
le nom du Seigneur, vaincu la violence des magistrats et
les attaques d'un peuple furieux. Mais, ensuite cruelle-
ment torturés en présence du proconsul", ils avaient été
vaincus par la force des tourments, et étaient ainsi déchus
du haut degré de gloire à laquelle ils marchaient avec tout
le courage que donne la foi. Cependant, depuis cette grave
chute, effet non de leur volonté, mais de la violence, ils
n'ont cessé de faire pénitence pendant les trois années qui
viennent de s'écouler.
IL Sur ce, vous avez jugé à propos de me consulter, pour
savoir si Ton peut dès aujourd'hui les admettre à là coin-
une nouvelle confession. Un récit contenu dans un très-vieux manuscrit
parle en effet d'un saint Ninus, évêque et confesseur. Rien au reste de
certain à cet égard.
a
II s'agit sans doute ici du proconsul d'Afrique. Les proconsuls de
celte province avaient une autorité très-étendue, Salvien dit qu'ils étaient
proconsuls de nom, mais qu'en fait de pouvoir c'étaient de véritables
consuls.
11.
190 SKLBCT/R DIVI GYPlilAM KPIBTOLA.
catioiiein jam fas esset adini Itère. Et quidem, quud ad mei
animi sententiam pertiaet, puto his indulgentiam Domini
non defuluram, quos constat stetisse in aoic, nomen Do-
mini confessos esse, violontiam magisfratuum et populi fu-
rentis incursam immobilis fidei obstinationo vicisse, passos
esse carcerein, diù, inter minas procousuiis et frein i lu m po-
puli circumstantis, tormentis laiiiantibus ac longà iteralione
cruciantihus répugnasse; ut quod in novissimo iuttrmitate
carnis subactum videtur, meritorum prœcedentiuin defen-
sione reievetur, et sit satls taLibus gloriam perdidisse, non
tamen debere nos eis et veniac locurii claudere, atque eos a
paterna pietate et a noslra communicatione privare; quibus
existimainus ad deprecandam clementiani Domini posse sut-
Jficere quôd triennio jugiter ac dolenter, ut scribilis, cum
summa pœnitentiac lamentatione planxerunt.
1
IIJ. Certè non puto incaulè et temerè bis pacem connnitti
quos videmus militiai SIUB forlitudine nec priùs* pugnœ de-
fuisse, et, si acies etiarn denuo venerit, gloriam suam posse
3
reparare.Nam.cùm in concilie placuerit pœnitentiamagen-
tibus in infimiitatisperirulo subvenin et pacem dari, dobent
utique * in accipienda paco prœccdere quos videmus non
animi infirmitate cecidisse, sed, in pnelio congressos et vul-
neratos, per imbecillilatem carnis, confessionis suas coro-
8
nam non poiuisse perferro ; maxime cùm cupicntib.us mori
8
non permitteretur occidi , sed tanidiu fessos tormenta lania-
rent, quamdiu non fidem, qiuc invicta est, vincerent, sed
carnein, quœ infirma est, fatigarent.
IV. Quoniam scripsistis ut cum pluribus coliegis de hoc
1
Non pnio incaulè et temerè Ms pacem eommitti, Je ne crois pas
qu'on agisse imprudemment et témérairement en accordant la paix à
ceux..,, etc.
* Une première fols, dans une première épreuve.
3
C'est le premier concile présidé par saint Cyprien; il en est parlé
avec quelques détails dans la lettre X X V . Les dispositions relatives aux
tombés qui furent adoptées dans ce concile, furent rai idées dans un concile
tenu à Rome par le pape saint Corneille, assisté d'un grand nombre
d'évêques (Voyez lettre X X V , paragraphe vi, page 150).
* Sous-entendu ht ou illi.
H
Porter jusqu'au bout.
6
Ce passage est cité par saint Jérôme dans la vie du moine Paul :
Uostis callidus, tarda ad mortem supplicia conquirens, animas cu~
piebat jugulare, et, ut CypHanus ait, volentibus mori non permitte-
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 1 9 1
munion. Véritablement, pour ce qui est de mon avis, je ne
crois pas que la miséricorde du Seigneur doive leur faire
défaut, puisqu'il est constant qu'ils se sont présentés résolu-
ment au combat, qu'ils ont confessé le nom du Seigneur;
qu'ils ont vaincu, par l'inébranlable constance de leur foi,
la violence des magistrats et les assauts d'une population en
furie, et que longtemps, devant les menaces du proconsul
et au milieu des rugissements de cette multitude ennemie,
ils ont résisté aux tortures qui déchiraient leurs corps et aux
cruautés prolongées et repétées de leurs bourreaux ; en sorte
que, si à la fin on les a vus succomber par la faiblesse de la
chair, cette chute est atténuée par le mérite de leurs précé-
dents combats ; que de tels guerriers sont assez punis par la
perte de leur gloire, et que nous ne devons pas, nous, leur fer-
mer encore la porte de la miséricorde, les priver des bontés de
notre Père et les tenir éloignés de notre communion. Nous es-
timons donc que, pour mériter la clémence du Seigneur, il
peut leur suffire de s'être, pendant trois ans avec componc-
tion et sans relâche, comme vous nous l'écrivez, frappé la
poitrine en versant abondamment des larmes de pénitence.
III. Je ne regarde certainement pas comme un acte im-
prudent et téméraire d'accorder la paix à des hommes que
nous avons vus, dans une première épreuve, vaillants guer-
riers, se présenter au combat et qui, s'il vient à se livrer de
nouvelles batailles, peuvent très-bien recouvrer leur gloire.
En effet, si, dans un concile, il a été décidé que Ton doit
porter assistance et accorder la paix à ceux qui font péni-
tence, quand ils se trouvent en danger de mort, ceux-là cer-
tes doivent recevoir la paix les premiers, que nous voyons
avoir failli non par défaut de courage, mais qui, engagés
et blessés dans la lutte, n'ont pu, à cause de la faiblesse de
la chair, porter jusqu'au bout la couronne de leur con-
fession j surtout lorsque, malgré leur envie de mourir,
la mort elle-même leur était refusée, et que, fatigués, on
les torturait, on les déchirait, non pas jusqu'à vaincre la foi.
qui est invincible, mais jusqu'à lasser la chair qui est faible.
IV. Comme vous me priez dans votre lettre de traiter com-

batur occidi. Lucain, au livre vi de sa Pharsale, exprime la même


pensée dans ces deux vers :
Ah! miser, extremum eut morlis munus iniqu»
Eripitur. Non posée mont
192 SELKCTiE blVI CYPRIANI EP1ST0L/K.
ipso plenissimè traclem, et res tan la exigit mnjus et im-
ponsius de multorum collatione consilium, et nunc omnes
îerè inter Pascba* prima solemnia apud se cum fratribus
demorantur, quando solemnitati celcbrantlœ apud suos sa-
tisfecerinl et ad me venire eœpcrint S tractabo cum singulis
pleniiis, ut de eo quod consuluistis iigatur apud nos et re-
scribatur vobis finna sententia multorum saccrdotum con-
siiio ponderata.

Opto vos, fratres charissiini, semper bene valere.

EPISTOLA XXVIL
AD CORNELIUM, DE PAGE LAPSIS DANDA«

Décret du synode d'Afrique sur ceux qui sont tombés,

Libcralis, Caldonius, Niconiedes, Cœcilius,


CYPIUANUS,
Juniiis, Marrutius, Félix, Suecessus, Faustinus, ForUmattis,
Victor, Satuminus, alius Saturninus, Rogatianus, Tertullus,
Lueianus, Satius, Seeimdinus, alius Saturninus, Etitycbes,
Àmpius, alius Saturninus, Aurelius, Prisais, Herculaneus,
Victoricus, Quintus, Honoratus, Manthaneus, Hortensianus,
Verianus, Jambus, Donatus, Pomponius, Polycarpus, Deme-

1
On peut conclure de ce passage, qu'à cette époque l s évèques d'A-
frique se rendaient de temps en temps à Carihage pour conférer avec
l'évoque de celte métropole sur des objets intéressant la discipline ou
l'unité de la foi, comme les évèques d'Italie et de Sicile allaient aussi
souvent conférer avec l'évéque de Rome. Mais on voit que pour la cé-
lébration des grandes fêtes, ils regardaient comme un devoir de rester
chacun au sein de son église. De telles communications, obligatoires
ou non, périodiques ou irrégulières quant au temps, sont dans la na-
ture même de l'institution catholique. Commandées dans le principe
par la force des choses, inspirées par le besoin de s'entendre pour la dé-
fense commune et d'agir en tout avec uniformité, elles ont été soumises
à une règle, et sont devenues périodiques et obligatoires avec le temps.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. il)3
ploiement ce point avec plusieurs de mes collègues, et
qu'une matière aussi importante demande une délibération
longue et approfondie avec un certain nombre de personnes ;
que, d'autre part, tous nos collèguesjen général se trouvent au-
jourd'hui au sein de leur église et au milieu de leurs frères,
occupés des premières solennités de la Pàque, quand ils se
seront acquittés chez eux de la célébration de cette fête, et
qu'ils viendront me voir, je conférerai longuement avec cha-
cun d'eux, désirant, sur le sujet que vous m'avez soumis,
arrêter entre nous et vous transmettre une décision solide,
mûrement pesée et délibérée par un bon nombre d'éve-
ques.
Je désire, mes très-chers frères, que vous vous portiez tou-
jours bien.

LETTRE XXVII.
AU PAPE CORNEILLE, S U R LA PAIX A ACCORDER
A U X TOMBÉS.

Les évèques d'Afrique avaient décide dans un concile que les lombes ne
recevraient la paix de l'Eglise qu'après avoir fuit longtemps peuitence.
h moins qu'ils uc fussent malades cl en dauger de mort. Aujourd'hui,
à l'approche d'une persécution nouvelle, ils viennent de décréter que
Pou devait, afin de les rendre plus courageux en présence du martyre,
accorder la paix à tous ceux d'enlr'eux qui auraieut fait peuilenee.
Saint Cyprien annonce au pape CoruviUe ce décret au nom de tout le
coucile, et c'est par conséquent moins une lettre du saint évêque lui-
a
même, qu'une leUre synodale du concile d'Afrique.

CYPRIEN, Libéral, Caldonius, Nicomède, Cécilius, Junius,


Marrutius, Félix, Successus, Faustin, Fortunat, Victor, Sa-
turnin, Rogatien, Tertullus, Lucien, Satius, Secondin, un
autre Saturnin, Eutychès, Amplus, un autre Saturnin, Au-
rèle, Priscus, Herculanéus. Victoricus, Quintus, Honoré,,
Manthanéus, Hortensien, Vérien, Jambus, Donat, Pompo-

* C'est le second concile que saint Cyprien présida, composé de qua-


rante-deux évoques, tenu en 255. Le premier concile de Carthage eut
lieu vers le commencement du ui° siècle, sous l'épiscopat d'Agrippinus.
Les évèques d'Afrique et de Numidie y traitèrent la quesUon de la v a -
lidité ou de la nullité du baptême conféré par les hérétiques, question
194 SELECIVE DIVI CYPRIANI KPISTOL,E.
trius, alius Donatus, Privatianus, Fortunatus, Kogatus et
1
Mimnulus Cornelio fratri saluteni •
Statueramus quidem jam prideui, frater ebarissime, par-
licipato invicem nobiscum consilio, ut qui in persecùtionis

qui fut plus tard l'objet d'une discussion nouvelle à laquelle saint C y -
prien prit une part active. (Voyez la Sotice placée en tête de ce volume,
page 1, alinéa 5.) Le premier concile tenu à Cartilage sous saint Cyprien,
dont il parle lui-même dans sa lettre à Anionien , et qu'il rappelle
en peu de mots au commencement de celle-ci, avait eu Heu un an
avant celui dont cette lettre n'est que le compte rendu, c'est-à-dire
en 254. Il avait été réglé, entr'autres points, dans ce premier concile,
que les tombé* feraient longtemps pénitence pleine et entière (Voyez
h
plus bas, page 195, note , le sens de ces mots) avant de recevoir la paix
de l'Église, que leur évéque seul pouvait leur accorder, après avoir exa-
miné le cas de chacun d'eux en particulier; et que, s'ils se trouvaient
dangereusement malades avant la lin de leur pénitence, on leur accor-
derait, à l'article de la mort, la paix et la communion. Ainsi fut réglée
l'affaire des tombés dans ce premier concile, qui eut lieu pendant le
repos dont jouit l'Eglise après la persécution de l'empereur Dèce. Mais,
Tannée suivante, de fréquentes visions ayant annoncé A saint Cyprien
l'approche d'une nouvelle persécution (celle de Gai lus), il convoqua à
Carthage un second concile auquel, lui compris, assistèrent quarante-
deux évèques ; il y fut résolu d'apporter quelqu'adoucissement aux
mesures adoptées Tannée précédente relativement aux tombés. Le décret
qui intervint régla que l'on accorderait la paix à ceux d'entr'eux qui
n'auraient pas abandonné l'Église, mais qui, depuis le jour de leur
chute, n'auraient pas cessé de faire pénitence, de donner des marques
de leur repentir et d'implorer le pardon du Seigneur. Cette résolution du
concile était dictée non-seulement par un motif d'indulgence envers les
tombés, mais aussi par le désir de les rattacher au troupeau glorieux de
Jésus-Christ dans les temps cruels qui menaçaient son Eglise de nou-
velles épreuves, et par le besoin de les armer, au moyen de l'Eucharistie,
de la force nécessaire pour braver les rigueurs de la persécution. Cette
lettre synodique (26vo£oç, réunion, synode, concile) a pour but d'infor-
mer le pape Corneille du nouveau décret rendu par les évèques d'Afri-
que, de lui en exposer les motifs, et de lui demander à ce sujet son as*
sentiment.
1
Presque tous les mss. et les anciennes éditions portent les noms de
ces quarante-deux évoques. Un seul ms. porte seulement en tête : Cy-
prianus Cornelio fratri salutem; un autre, seul aussi : Cyprianus
cum fratribus numéro XLI, Cornelio fratri salutem. Un éditeur mo-
derne a supprimé cavalièrement ces noms, donnés par tant de mss.; un
autre les relègue, sans plus de façon, dans ses notes. iTous deux ont
tort; car cette lettre est une lettre synodale (c'est-à-dire rendant compte
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 195
mus, Polyeurpe, Démôtrius, un autre Douai, Privation, For-
tunat, Rogat et Munnulus, à Corneille leur frère, salut.
L Nous avions arrêté depuis longtemps % notre très-cher
frère, après en avoir délibéré entre nous, que ceux qui, dans
la violence de la persécution, renversés par l'ennemi, au-
raient eu le malheur de tomber et de se souiller par des sa-
b
crifices coupables, feraient longtemps pénitence entière ,

d'un synode on concile), et saint Cyprien a pour usage de mettre en tête


de ces lettres les noms des évoques qui ont assisté au synode ou concile
dont il expose les décisions. — Beaucoup de ces noms nous sont connus
seulement par la mention qu'en fait saint Cyprien en tôle de cette lettre.
D'autres sont mentionnés ailleurs dans les lettres de notre autour; ainsi»
nous retrouvons ici Caldonius, ù qui est adressée la lettre XIII de notre
recueil; la XX" est encore écrite à Caldonius et à un autre évêque
nomme llcrculanus, qui pourrait bien être le Ilerculanéus compris dans
e
la liste ci-dessus. La X X X V I I I est adressée à Successus. Le Félix et le
Victor nommés ici sont probablement deux des évèques confesseurs
condamnés aux mines, à qui saint Cyprien adresse en commun la
lettre XXX1Y, et qui lui écrivirent en réponse la lettre X X X V , qui porte
leurs noms. L'un des deux Forlunat nommes ici doit être le même que
fîcluî à qui est adressée la lettre XXVL D'autres lettres, comprises dans
Jes éditions complètes de saint Cyprien, sont adressées à des évoques du
nom de Cécilius» de Pompnnius, de Rogatien, de Qnintus. Il est ques-
tion de Polycarpe, évoque d'Iiadrumèle, dans une lettre de l'auteur au
pape Corneille. Enfin, l'un des deux Donat compris dans cette liste
pourrait bien être le Douât à qui est adressée la première lettre de notre
recueil ; comme celui qui porte ici le nom d'Aurèie est peut-être cet
Aurèle dont saint Cyprien, dans une lettre de l'édition complète de ses
OSuvres, annonce la nomination aux fonctions de lecteur, et qui, lui
aussi, avec le temps, aurait bien pu parvenir à Tépiscopat.
* C'est-à-dire, selon saint Cyprien, l'année précédente, pendant
laquelle avait eu lieu le premier concile, dont l'auteur rapporte immé-
diatement ici les dispositions relatives aux tombés, que l'on trouve aussi
exposées dans la seconde partie de la lettre XXV, k Antonien.
* Feraient longtemps pénitence pleine ou entière. Que faut-il entendre
par celle pénitence? Félins entend la pénitence faite pendant le temps
convenable, jnsto lempore, comme dit ailleurs saint Cyprien, pendant
le temps prescrit par les règlements et l'autorité ecclésiastique pour
chaque genre de péchés. Mais le mot dh\ relatif à la durée de la péni-
tence à faire, montre que le mot plenam exprime une autre idée que
celle de cette durée elle-même. Marshall, savant anglais dont les tra-
vaux sur notre auteur sont célèbres, entend par le mot plenam le pas-
saga successif par tous les degrés de la pénitence usités dans l'Eglise.
19(3 SELKC'frK DlVI CYPRIANI EP1ST0L/B.
infestatione supplantât! ab advcrsario et lapsi fuissent, et
sacrifiais se illicitis maculassent, agerant diùpœnitentiam
plenam, et, si periculum infirmitatis urgeret, pacem sub
1
ictu moiiis acciperent . Nec enim fas crat aut permittcbat
paterna pietas et divina clementia Ecclesiam pulsantibus
claudi, et dolentibus ac dcprecantibus spei salutaris subsi-
dium denegari, ut, de ssoilo recedcntes, sine communica-
tione et pace ad Dominum diniillercntur, quando permise-
2
rit ipse qui legem dédit ut ligata in terris etiam in cœlis
ligata casent, solvi autem possont illic quœ hic priùs in Ec-
û
clesia solverentur .
IL Sed enim, cùm videamus diem rursus alterius infcsta-
8
tionis appropinquare cœpisse , et crebris atque assiduis os-
tcnsionibus* admoneamur ut ad certamen quod nobis hostis
imlioit armati et parati simus, plebem etiam nobis de divina
dignatione commissam exhorlationibus nostris paremus, et
omnes omnino milites Cbristi qui arma desiderant et prœ-
iium flagitant intra castra Dominica colligamus, necessitate
cogente censuimus eis qui de Ecclesia Domini non rccesse-
runt, sed pœnitentiam agere et lamentari ac Dominum de-
precari a primo lapsus sui die non destiterunt, pacem dan-
dam esse, et eos ad prœlium quod imminet arraari et instrui
oporterc.
III. Obtemperandum est namque ostensionibus atque ad-
monitionibus justis, ut a pasloribus oves in periculo non
deserantur, sed grex omnis in unum eongregetur, et exerci-
tus Domini ad certamen militiae cœlestis armetur. Meritô enim
trahebatur dolentium pœnitentia tempore longiore, ut infir-
mis in exitu subveniretur, quamdiu quies et tranquillitas
aderat, quœ differre diù plangentium lacrymas etsiibvenire
serô morientibus in infirmitate pateretûr. Àt verô nunc

1
Voyez les notes première et troisième sur cette lettre, la Un de la
lettre Xf, et la seconde moitié de la lettre X X V , à Antonien.
ft
An lieu de permiscrit ipse qui legem dédit ut, etc., un certain
nombre de mss. donnent permisevit ipse et legem dederit ut, etc. Le
sens, au fond, est toujours le même.
* C'est la persécution do Gallus qu'après avoir subi celle de Dèce, pré*
voyait alors saint Cyprien.
4
Signes, apparitions, avertissements célestes.
* Matth. xvm.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 197
et s'ils tombaient dangereusement malades, recevraient la
?

paix à rarticlcdc la mort. 11 n'élaitpas juste en effet, et


la bonté, la clémence de notre divin Père, ne permettaient
pas que l'Eglise restât fermée à ceux qui frappaient, à sa
porte, el que la consolante espérance du salut fut refusée au
repentir et à la prière, de telle sorte que ces malheureux en
quittant le monde, dussent aller trouver le Seigneur sans
avoir reçu la communion et la paix, quand Vautour de la
loi lui-même a voulu que ce que nous aurions lié sur la
terre fût de même lié dans les cicux, mais aussi que ce
qui serait préalablement délié ici-bas dans son Eglise, pût
être pareillement délié dans le royaume céleste.
JI. Mais en outre, comme nous voyons de nouveau ap-
procher le jour d'une nouvelle persécution, et que de nom-
breuses et continuelles révélations nous avertissent de nous
tenir prêts et armés pour la guerre que nous déclare l'en-
tt
nemi , d'y préparer en même temps par nos exhortations
les fidèles que la grâce divine a confiés à nos soins, et de
réunir sans exception dans le camp du Seigneur tous les
soldats du Christ qui désirent des armes et qui demandent
à combattre; forcés par la nécessité, nous avons été d'avis
que nous devions accorder la paix à ceux qui n'ont pas
quitté l'Eglise du Seigneur, mais qui, au contraire, à partir
du jour de leur chute, n'ont pas cessé de faire pénitence, de
pleurer leur faute el de demander pardon au Seigneur, et qu'il
fallait les armer et les équiper pour le combat qui se prépare.
M . Nous devons obéir en effet aux apparitions et aux
avertissements légitimes, qui ordonnent aux pasteurs de ne
pas abandonner leurs brebis dans le péril, mais de réunir
ensemble tout le troupeau, et d'aimer pour les combats de
la céleste lutte tous les soldats du Seigneur. On avait raison
en effet de traîner en longueur la pénitence des tombés re-
pentants, et de ne venir à leur secours qu'en cas de maladie
* Lorsque la persécution de Dèce durait encore, saint Cyprien fut
averti, dans une vision, que la paix serait bientôt rendue à l'Eglise :
Cùm pro sua misericordia Dominus pacem fecertt, quam se facturum
repromiitiL (Lettre V, avant-dernier alinéa^ A l'approche de la persé-
cution de G a 11 us, il en fut également, comme H le dit ici, averti par des
apparitions venues d'eu haut. C'est ce qu'il exprime encore ù la lin de
celte lettre-ci quand il dit : Hoc nobis divinitus fréquenter ostenditur.
11 déclare encore positivement, et à plusieurs reprises, le même fait dans
la lettre XXIX, aux Thibaritains.
198 SKLBtiTAE D M CYPRIANI KP18T0L4E.
1
nonintirmis , sedforlibus, pax necessariaest; nec morieuti-
bus, sed viventibus, communicalio a nobis danda est; ut
quos excitamus etbortamur ad praelium, non inermes et nu-
dos relinquainus, sed proteclione Sanguinis et Corporis
Christi muniamus; et, cùm ad hoc liât Eueharislia ut possit
accipientibus esse tutela*, quos tutos esse contra adversarinrn
volumus, munimento Dominica?. saturitatis arraemus. Nam.
quomodo docemus aut provocamus eos in confessione noini-
nis sanguinem suum fnndere, si eis militaturis Christi San-
guinem denegamus? Aut quomodo ad martyrii poculum ido-
neos faeimus, si non eos priùs ad bibendum in Ecclesia po-
culum Domini jure communicationis admittimus?
IV. Interesse débet, frater charissiine, inter eos qui vel
apostataverunt et ad saeculum, cui renuntiaverant, reversi,
gentiliter vivunt, vel, ad hœreticos transfuge facti, contra Ec-
clesiam parricidalia quotidie arma suscipiunt, et inter eos
qui ab Ecclesiae limine non recedenles, et implorantes jugiter
s
ac dolenter divina et paterna soiatia, nunc se ad pugnam
paratos esse et pro Domini sui nomine ac pro sua salule
stare fortiter et pugnare profitentur. Hoc in tempore pacem
nos non dormientibus sed vigilantibus damus, pacem non
dcliciis sed armis damus, pacem non ad quietem sed ad aciera
damus. Si, secundùm quod eos audimus et optamus et cre-
dimus *, fortiter steterint, et adversarium nobiscum in con-
gressione prostraverint, non pœnitet pacem concessisse tara
fortibus : imô episcopatùs nostri honor grandis et gloria est
* Après infirmis, l'édition d'Erasme porte si qui essent, que Baluze
n'a vu dans aucun ms. ni dans aucune édition; ces trois mots ne disent
pas grand'chose, et nuiraient beaucoup à la brièveté et à la symétrie de
cette phrase antithétique.
a
Plus loin, dans cette lettre, Vautour dit : Recepta Eucharisiia erigit
et accendit (fidèles ad martyrium) Les chrétiens, en effet, servant de la
table du Seigneur, et tout entiers encore à la pensée de ce Sang divin
versé pour notre salut, et qu'ils venaient de boire, s'élançaient avec ar-
deur au martyre, et souffraient les tourments el la mort avec un cou-
rage héroïque.
&
Les mots ac dolenter manquent dans quatre mss.; deux autres, au
lieu de dolenter, portent dolentes, différence insignifiante quant au sens.
La forme adverbiale convient mieux à la structure de la phrase.
4
Sous-entendu statuisse, ou firmitcr velle. — Les mots et optamus
et credimus, donnés par sept mss., manquent dans huit autres et dans
toutes les anciennes éditions. —• L'édition faite à Rome en 1471, au lieu
de audimus, porte audivimus qui serait bon aussi.
t
LETTRES CHOISIES m SAINT CYPRIEN. i99
et à l'article de la mort, quand nous jouissions d'un repos
et d'une tranquillité qui nous permettaient de prolonger
longtemps leurs larmes et leur affliction, et de ne venir
à leur aide que tard, quand ils seraient malades et sur le
point de mourir. Mais aujourd'hui ce n'est pas aux infirmes,
mais aux forts que la paix est nécessaire; ce n'est pas aux
mourants, mais aux vivants, qu'il nous faut accorder la com-
munion. Si nous les excitons et les encourageons à combat-
tre, nous ne devons pas les laisser désarmés et sans défense,
mais leur donner pour armure le Corps et le Sang de
Jésus-Christ; et puisque nous consacrons l'Eucharistie pour
être k ceux qui la reçoivent un moyeu de défense, si nous
voulons qu'ils puissent résister aux attaques de l'ennemi,
fortifions-les au moyen des mets substantiels de la table di-
vine. De quel droit en effet les engageons-nous et les exci-
tons-nous à répandre leur sang en confessant le nom du
Christ, si, au moment où ils vont combattre, nous leur re-
fusons le sang du Christ? Ou comment les renchons-nous
capables de boive a la coupe du martyre, si, en les admet-
tant d'abord à la communion, nous ne leur accordons le droit
de boire dans l'Eglise à la coupe du Seigneur ?
I V . 11 doit y avoir, notre très-cher frère, une différence
entre ceux qui, ou devenus apostats, et retournés au siècle
auquel ils avaient renoncé, vivent à la manière des gentils,
ou, passés au camp des hérétiques, portent tous les jours
contre l'Eglise des armes parricides, et entre ceux qui, ne
quittant pas le seuil de l'Eglise, et implorant constamment
et avec componction les divines et paternelles consolations,
déclarent aujourd'hui qu'ils sont prêts à combattre, à tenir
fenne et à lutter courageusement pour le nom de leur Sei-
gneur et pour leur propre salut. Dans les circonstances où
nous sommes, nous accordons la paix non pas à ceux qui
dorment, mais à ceux qui veillent, non pas Ji une vie de
plaisir, mais à une existence guerrière, non pas pour se re-
poser, mais pour combattre. Si, comme on nous le dit,
connue nous le désirons et le croyons, ils tiennent ferme
en effet, et terrassent l'ennemi en combattant sous nos
drapeaux,, nous repentirions-nous d'avoir accordé la paix
à de si vaillants guerriers? Ne serait-ce pas plutôt pour
notre épiscopat un grand honneur et une gloire signalée
d'avoir, nous ministres de Dieu, qui chaque jour célébrons
son saint sacrifice, préparé à Dieu dans leurs personnes des
200 SKLKCftK DIVI CYPRIANI KP18T0LA.
1
pacem dédisse martyribus, ut sacerdotes, qui sacriiicia Dei
quolidio celebramus, hostias Deo et victimas prœparemus. Si
autem, quod Dominus avertat a fratribus nostris ! aliquis
lapsorum fefellerit, ut pacem subdolc petat, et impendentis
prœlii tempore communicationem non prœiialurus aecipiat,
2
se ipsum fallit et decipit, q u i aliud corde occultât et aliud
voce pronunliat. Nos, inquantum nobis et videre et judicare
conceditur, faciem singulorum videmus, cor scrutari et
mentem perspicere non possumus. De bis judicat occultorum
3
scrutator et cognitor citô venturus, et de arcanis cordis at-
que abditis judicaturus.
V. Obesse autem mali bonis non debent, sed magis mali a
bonis adjuvari. Nec ieleo martyrium facturis pax negauda
est quia sunt quidam negaturi/ciun propter hoc pax danda
sit omnibus militaturis, ne per ignorantiam nostram ille
incipiat prœteriri qui habet in praelio coronari. Nec quis-
4
quam dicat : « Qui martyrium tollit sanguine suo baptiza-
» tur*, nec pax illi ab episcopo necessariaest liabituro glo-
» riae suae pacem, et accepturo majorera de Domini dignatione
» mercedem. D Primù idoneus esse non potest ad martyrium
qui ab Ecclesia non armatur ad prœlium, et mens déficit,
1
Un ms. porte sacri/iciumDeo; même sens.
* En cachant au fond de son cœur des sentiments différents do ceux
qu'il exprime de vive voix, ou en pensant d'une manière et parlant
d'une autre.
* Juge rapporteur, juge instructeur; ici simplement juge.
4
Celui qui enlève (gagne) la palme du martyre.
* Saint Cyprien, loin de nier que le sang répandu par les martyrs soit
un vrai baptême pour ceux d'entre eux qui n'auraient pas encore reçu ce
sacrement, dit au contraire dans une de ses lettres (la LXXIii« de l'é-
dition complète de ses OEuvres, adressée à Jubaïanus), en parlant des
catéchumènes mis à mort pour la foi : Nec prirari Baptismi sacra-
mento, ut pote qui baptizentur gloriosissimo et maximo sanguinis
Baptismo,..; sanguine autem suo baptizatos et passione sanctificatos
consummari, et dixinœ pollicitationis gratiam consequi. C'est aussi
l'opinion de Tertullien dans son livre De llaptismo et dans son livre De
Vudicitia* Les Àcta des saintes Perpétue et Félicité appellent le mar-
tyre un second baptême. Saint Cyprien ne nie pas que, pour les tombés
aussi, qui auraient le courage de le subir, le martyre pût être pareille-
ment un second baptême, et conséquemment un moyen de réconcilia-
tion avec Dieu et avec l'Eglise céleste; mais c'est ce cour, ge même qu'il
leur dénie dans la phrase qui suit celle que nous commentons ici :
Idoneus esse non potest ad martyrium qui ab Ecclesia non armatur
LETTRES CHOISIES WK SAINT C Y PRIE*. 201
hosties et des victimes? Mais si (Dieu veuille éloigner de
nos frères un tel malheur !) si quelque tombé nous trompait,
demandait frauduleusement la paix, et au moment du com-
bat recevait la communion sans avoir l'intention de combat-
tre, c'est lui-même qu'il tromperait et duperait, en cachant
au fond.de son cœur des sentiments différents de ceux qu'il
exprime de vive voix. Pour nous, autant qu'il nous est donné
devoir et de juger, c'est la figure de chacun que nous aper-
cevons ; scruter le cœur et voir le fond de la pensée, nous
ne le pouvons pas. Pour percer ces mystères, il n'y a que le
scrutateur et le juge suprême de tout ce qui est caché, qui
viendra bientôt, et pénétrera les secrets des cœurs et leurs
plus intimes replis.
V. Or il ne faut pas que les méchants portent préjudice
aux bons, mais plutôt que les bons procurent avantage aux
méchants. Et, de ce que quelques-uns doivent renier, ce
n'est pas une raison pour refuser la paix à ceux qui veulent
réellement subir le martyre, puisque précisément le motif
qui doit faire accorder la paix à tous ceux qui annoncent
l'intention de combattre, c'est la crainte que l'ignorance ofi
nous sommes de leurs dispositions véritables ne nous fasse
rejeter un guerrier qui doit gagner la couronne en combat-
tant. Et que l'on ne vienne pas me dire : « Celui qui gagne la
» palme du martyre est baptisé avec son propre saug, et
» il n'a pas besoin de recevoir la paix de son évêque, puis-
» qu'il doit la trouver dans sa gloire, et recevoir de la grâce
» même du Seigneur une récompense bien supérieure. »

ad prœlium, et mens déficit, quam non recepta Eucharistia erigit et


accendiU Ici nous devons mentionner un autre passage de la lettre X ,
où saint Cyprien excite à aller au martyre pour se réhabiliter ceux qui
avaient eu le malheur de faiblir dans une première épreuve, et qui,
8'appuyant sur les billets ou recommandations des martyrs, voulaient
absolument qu'on leur accordât la paix : Qui si nimirum properant,
habent in poteslate quod postulant, tempore ipso sibi plus quàm pos-
tulant Iwgiente. A cies adhuc geritur, et agon quotidie celebratur : si
commissi verè et ftrmiter pmnitet, et ftdei calot prœvalet, qui diffetri
non potest, potest coronaru On croirait d'abord qu'il y a contradiction
entre ce passage et la phrase citée immédiatement auparavant; mais
cette contradiction n'est qu'apparente. En effet, le dernier passage est
moins une invitation réelle qu'une espèce de déti adressé aux tombés, que,
dans le fond, saint Cyprien ne croit pas, à moins d'an miracle, capables
d'an retour de foi assez ardente pour braver le martyre devant lequel ils
202 SKLECT4S D M C Y P 1 U À N Î EPISTOLA.

quai» Don recepta Eucliaristia erigit et accendit *• Dominus


enim in Evangelio suo dicit ; Ciim autem vos tradiderint»
uolile cogitare quid loquamini. Dabituv enim oobis in illa
hora quid loquamini. Non enim vos estis qui loquimini, sed
smritvs Patris vestri qui loquitur in vobis \ Quando autem
s
dicat in traditis atque in eonfcssione nominis * constituas
spiritum Patris loqui, quomodo potest ad confessionem para-
tus autidoneus inveniri qui non priùs, pace accepta, rcce-
perit spiritum Patris, qui, jorroborans servos suos, ipse l o -
quitur et confttetur in nobis?
VI. Tùm deindc, si relictis omnibus rébus suis fugerit, et
in latebris atque in soliludine constitutus in iatrones forte in-
currerit, aut in febribus et in languore decesserit, nonne no-
bis imputabitur quôd tam bonus miles, qui omnia sua dere-
liquit, et, conteinptâ domo et parentibus ac liberis, sequi
Dominum suum ma luit, sine pace et sine communicatione
r
decedit * ? Nonne nobis vel negligentia segnis A el duritia
emdelis adscribetur in die judicii, quôd pastores créditas
et commissas nobis oves nec curare in pace nec iu acie volue-
rimus armare? Nonne ingeretur nobis a Domino quod per

ont déjà reculé une fois. Lors donc qu'il dit habent in sua polestaie quod
postulant, il soos-enlend adjuvante Domino; car le sainl évêque était
convaincu, ainsi qu'il le dit dans son livre De là Mortalité, que Dieu
seul pouvait donner aux fidèles la force nécessaire pour subir le mar-
tyre : Jfon est in tua potesiate, sed in Dei digmtione martyrium* C'est
pourquoi l'Eucharistie, dans laquelle, avec le corps de Jésus-Christ,
nous recevons l'Esprit divin, lui paraît elle-même éminemment propre
ou plutôt seule propre h faire des martyrs, à moins, comme nous il'a-
vons dit, d'un miracle particulier de la grâce de Dieu en faveur de tel
ou tel de ses serviteurs.
1
Deux mris., au iieu de erigit et accendit, portent erigit et accingit,
beaucoup moins bon et moins'expressif.
* Un ms. donne nominis suù Nous avons déjà fait observer que notre
auteur a l'habitude rie dire lout simplement in eonfcssione nominis.
" Intraditis {fidelibus) atque in confessione nominis conslûutis dans 9

les fidèles livrés aux persécuteurs el appelés à confesser le nom chrétien.


4
Deux mss. portent discedit; même sens. Saint Cyprien ne doute
pas du salut de ces tombés redeveuus confesseurs, et qui s'exilaient
volontairement pour ne pas renoncer à Ja foi, quoiqu'ils fussent morts
dans leur exil sans avoir reçu la paix de l'Eglise. Que l'on rapproche
de ce passage ce qu'il dit d'eux, presque dans les mêmes termes, dans lu
lettre XXIX, aux Thiburitains, paragraphe v.
LETTRKS C H O I S I 2 ) K SAINT UYPHlEft. 203
(l'abord celui—là ne saurait être capable de martyre, qui,
pour combattre, ne reçoit pas ses armes de l'Eglise; et le
courage manque à qui, n'ayant pas reçu l'Eucharistie, ne
a
se sent pas excité et enflammé par elle . Eu effet, le Sei-
gneur dit dans son Evangile : Quand on vous aura livrés,
ne songes pas à ce qu'il vous faudra dire* Ce que vous
aurez à dire , en effet , vous sera donné à ce moment
même. Car ce n'est pas vous qui partez, mais Pesprit de
votre Père, qui parle en vous. Or, quand il dit que, par la
bouche des lidèles livrés aux persécuteurs et appelés à con-
fesser le nom du Christ, c'est l'esprit du Père qui parle,
comment pourrait-il être prêt à confesser et capable de le
faire, celui qui n'aura pas d'abord, en recevant la paix,
reçu en même temps l'esprit du Père, qui, fortifiant ses
serviteurs, parle lui-même et confesse en nos personnes ?
VI. Puis enfin, s i , laissant là tous ses biens, il prend la
fuite, et que, caché quelque part ou errant dans la soli-
tude, il tombe par hasard sous les coups des brigands, ou
est emporté par la fièvre ou quelque autre maladie, ne nous
sera-t-il pas reproché d'avoir laissé mourir sans paix et sans
communion un si brave soldat, qui a abandonné tout ce qu'il
possédait, et, quittant maison, père et mère, ainsi que ses
enfants, a mieux aimé suivre son Seigneur? Ne serons-
nous pas, au jour du jugement, déclarés coupables d'une
molle négligence, ou d'une cruelle dureté, pour n'avoir,
étant pasteurs, voulu ni soigner pendant la paix, ni armer
pendant la guerre les brebis qui nous étaient confiées? Le
Seigneur ne nous jetlera-l-il pas à la face ces reproches que,
dans sa colère, il fait entendre par la bouche de sou pro-
phète : Vous buvez le lait de mes brebis, et avec leur mine
vous vous faites des vêtements; ce qui est gras dans le trou-
peau, vous le tues, et vous ne faites pas paître mes brebis;
celles qui étaient faibles, vous ne les avez pas réconfortées,
celles qui étaiml malades, vous ne les avez pas rétablies ; celles
qui étaient affligées, vous ne tes avez pas consolées; ce/les qui
étaient égarées, vous ne les avez pas rappelées; celles qui
étaient perdues, vous ne les avez pas cherchées; celles qui
étaient fortes, vous tes avez accablées de travail; et mes brebis

• Admirable parole! L'Eucharistie seule rend capable du martyre.


Voilà pourquoi il n'y a de martyrs que dans l'Eglise catholique. Voyez à
ce sujet la page 200, note ».
204 SPLECTVB DIVJ CYPRIANI EPISTOLA
Propbetam suum clamât et dicit : Eccc lac consumitis et lanis
vos fegitis, et quod crassum est interficitis, et oves meas no
pascitis; quod infirmatum est non confortastis, et quod malè
habuit non corroborastis, et quod contribulatum est non con-
4
solait estis , et quod wrabat non revocastis, et quodperiit
non tnquisistis, et quod forte fuit confecistis labore : et dis-
perses sunt oves meœ eo quôd non sunt pastores, et factœ
sunt in comesturam omnibus bestiis agri ; et non fuit qui in
guirerety neque qui revocaret. Propterea hœc dicit Dominus
Ecce ego super pastorcs, et requiram oves meas de manibus
eorum^ et odvertam eos ut non pascant oves meas> et jam no
2
pascent eos et extraham oves meas de ore eorum, et pascam
a
eos cum judicio .

VIL Ne igiturorenostro, quo pacem negamus, quo duri-


3
liam magis luimanœ crudelitatis quàm divinœ et paternœ
4
pietalJs opponimus , oves nobis commisse à Domino repos-
1
Fellus, au lieu de consolastis, a donné dans son édition consoli-
das: fis, aussi enlend-il par quod contribulatum est non pas, dans le
sens figuré, ce qui était AFFMGI?. mais, dans le sens propre et matériel,
ce qui était BMSÉ. Il est vrai que la traduction des Septante rend le
mot hébreu qui répond à consolastis ou consolidaslis par xare^wocTe,
que Tertullien traduit très-exactement par colligastis, qui a un sens
analogue à consolidaslis. Il est vrai encore que la Vulgate traduit ce
membre de phrase par quod confraclum est, non reduxistis, sens ana-
logue à celui de Fellus, adopté aussi par le savant critique anglais
Routh. Baluze, qui tient pour consolastis, dit pourtant qu'un ms. porte
consolidali estis, qui serait une altération de consolidaslis. Nous
avons suivi Baluze, malgré les probabilités en faveur de l'autre sens, qui
est moins beau.
* Et jam non pascent eos* Ce petit membre de phrase ne se trouve pas
dans neuf mss. et dans les anciennes éditions; il est dans la version
des Sentante. La Vulgate le donne, mais avec un sens fort différent du
sons des Septante et de saint Cyprien ; elle dit en effet : nec pascant,
ampliùs pastores semelipsos; ce qui, outre l'avantage de faire dispa-
raître une répétition inutile, a celui d'être en rapport avec le reproche
fait aux pasteurs en commençant, quod crassum est, interficitis, et avec
ce qui suit, et extraham oves meas de ore eorum.
5
II y a ici. une forme de phrnse toute semblable à celte autre de la
lettre X , avant*dernier paragraphe : Mo gis philosophie sœcnlaris pra-
vitale durus, quàm sophiœ fiominicœ Imitate pacifiais.
4
Krasme a donné : quàm palemœ pielatis dulcedinem opjionimns.
a
Ezéch. xxxiw
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 205
se sont dispersées parce qu'elles n'avaient pas de pasteurs, et
elles sont devenues la proie de tous les animaux sauvages, et
il n'y avait personne pour les rechercher et pour les rappeler.
Aussi le Seigneur dit-il; J'irai trouver les pasteurs, et je re-
prendrai mes brebis d'entre leurs mains, et je leur défendrai
de faire paître mes brebis ; et ils ne les feront plus paître à
l'avenir, et je retirerai mes brebis de leur bouche, et je les
a
ferai paître avec discernement .

VII. De peur doue que de cette bouche qui leur refuse la


paix, et qui à leurs demandes oppose la dureté et la cruauté
dû l'homme, plutôt que do leur montrer la bonté d'un Dieu
et la tendresse', d'un père; de peur, dis-je, que le Seigneur
ne vienne en rétirer les brebis qu'il nous avait confiées; d'a-
près l'avis du Saint-Esprit et les avertissements de Dieu, qui,
dans de fréquentes et claires apparitions, nous annonce et
nous montre que l'ennemi est près de nous attaquer, nous
avons résolu de rassembler, dans notre camp, tous les sol-
dats du Christ, d'examiner le cas de chacun en particulier,
d'accorder la paix à ceux qui sont tombés, et même, puis-
qu'ils demandent à combattre, de leur donner des armes.

Ce dulcedinem n'est donné par aucun ms. ; mais l'idée qu'il représente
est nécessaire au sens de la phrase. Il est au reste facile de le suppléer
mentalement. Peut-être son absence est-elle due à la négligence des
premiers copistes. Peut-être sera~t-il arrivé à saint Cyprien comme à
beaucoup d'autres grands écrivains, de faire, par inadvertance, par ou-
bli, une phrase irrégulière, incomplète, étant plus occupé du sens géné-
ral que des détails de l'expression.
* Cela veut dire qae Dieu assignera à chacune de ses brebis les pâtu-
rages qui lui conviendront le mieux, et emploie vis à vis d'elles le traite-
ment le plus approprié à leur nature.
12
206 SKLBGTAE DIVI CYPRIANI EP18TOLX»
eantur, placuit nobis, sancto Spiritu suggérante, et Domina
1
ppr visiones militas et manifestas admonente quia hostis im~
minere praenuntiatur et ostenditur, colligere intra castra mi-
2
lites Christi , examinatis shigulorum causis, pacem lapsis
dare, imô, pugnaturis arma suggerere. Quod credimus vo-
bis quoquè * paternes misericordiœ contemplatione placi-
turum,

Quôd si de collegis aliquis exstiterit qui, urgente


VlII.
certamine, pacem fratribus et sororibus non putat dandam,
reddet ille rationem in die judicii Domino vel importuna©
censura vel inbumanae duritiae suae. Nos, quod fidei et chari-
tati et sollicitudini congruebat, quœ erant in conscientia nos-
tra protulimus, diem certaminis appropinquâsse, hostem
violentum citô contra nos exsurgere, pugnam, non talem qua-
%
iis fuit, sed graviorem multô et acriorem vemre. Hoc nobis
divinitus fréquenter ostenditur, de hoc nos providentià et
8
misericordiâ Domini saepius admonemur ; de cujus ope et
pietate, qui in eum confidimus, possumus esse securi, quia
qui in pace militibus suis futuram pramuntiat pugnam, dabit
militantibus in cougressione victoriam.
Optamus te, frater, charissime, semper bene valere.

* Au lieu de imminere, les anciennes éditions portent nobis ûnmt-


nere. Routh a rétabli, après Baluze qui le supprime, ce nobis, qui n'est
pas très-nécessaire pour le sens.
* De même, et sans beaucoup plus de raison, Routh, au lieu de exa-
minatis , donne et examinatis.
3
Vobis quoquè s'adresse â la fols au pape Corneille et aux membres
du clergé romain, que le pape n'était pas sans consulter sur toutes les
mesures et résolutions importantes.
4 e
Dans la X X I X lettre, aux Thibarilains» Fauteur fait la même prédic-
tion à peu piès dans les mêmes termes (paragraphei): Scive enimdebetis
et pro certo credere et tenere pressurœ diem snpracaput esse cœpisse...,
née putemus talia esse quœ veniunt, qualia fuerunt illa quœ trans-
ierunt; et paragraphe u : Gratrior nunc et ferocior pugna imminet, etc.
— La persécution de Gallus, que prédit ici saint Cyprien, fut moins
meurtrière que celle de Dèce; mais elle immola des victimes d'un prix
inestimable. C'est dans cette persécution que périrent les deux papes
Corneille et Lucius. Voyez nos notes sur la lettre X X X I .
* Au lieu de ostenditur et admonemur, d'autres éditions très-an-
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 2U7
Nous espérons que vous aussi, en considération de la misé-
ricorde de notre Père, vous adopterez cette résolution.

VIII. Si parmi nos collègues il y en a quelqu'un qui, à la


veille du combat, croie devoir ne pas accorder la paix à nos
frères et à nos sœurs, celui-là répondra devant le Seigneur,
au jour du jugement, de son intempestive sévérité, ou plutôt
de sa dureté inhumaine*. Pour nous, comme il convenait à
notre foi, à notre charité et à notre zèle, nous avons déclaré,
ce qui était à notre connaissance, que le jour, du combat
est proche, qu'un ennemi cruel est sur le point de nous
attaquer, et que nous sommes près de voir une guerre non
pas telle que la précédente, mais bien plus terrible et bien
plus acharnée. Voilà ce que nous montrent fréquemment des
apparitions venues d'en haut, voilà ce dont nous avertit la
.providence et la miséricorde du Seigneur. Nous pouvons au
reste, nous tous qui croyons en lui, être assurés de son assis-
tance et de sa benté ; car si, en pleine paix ii annonce à ses
soldats la guerre à venir, il donnera, lors du combat, la
victoire à leurs efforts.
Nous souhaitons, notre très-cher frère, que vous vous
portiez toujours bien.

ciennes ont ostendi et admoneri qui alors sont gouvernés par protulù
mu* qui est beaucoup plus haut; de cette manière, il n'y a pas de
point après ventre, et les deux phrases n'en font qu'une intelligible, ii
est vrai, mais démesurément longue. Quelques copistes, qui avaient les
inflnitifs ostendi et admoneri, avaient deux phrases comme nous,* mais
après hoc nobis qui commence la seconde, ils avaient ajouté scimus,
qui gouvernait les deux infinitifs. Enfin l'édition d'Oxford porte osten-
ditur et admonent, avec providentia et miscricordia au nominatif
pour sujets.
4
Aux termes mômes de la décision prise en commun dans le concile
sur la paix à accorder aux tombés repentants, chaque évéque restait
juge souverain, pour chaque cas particulier, du mérite de la pénitence
dont cette paix devait être le prix. Il pouvatdonc, par une sévérité ex-
cessive, rendre nulle pour ces malheureux la bienfaisante mesure
adoptée sur l'avis de saint Cyprien. Le blâme que formule ici notre au-
teur peut Rappliquer par hypothèse à cette sévérité intempestive. Peut-
être, et même plus probablement, a-1-il en vue quelques-uns des évè-
ques étrangers aux conciles de l'Eglise de Carthage.
208 SELKCTA OIVl CYPRIANI EPISTOLA.

EPISTOLA XXVIIL
AD CORNEUUM, DE FORTUNATO ET FELlCISSUttO, SIVE CONTRA
ILERET1G0S.

Privât,* évêque de Lambèse en Numidie, condamné pour ses crimes dans


un concile, voulut se venger de cette flétrissure en ordonnant évêque de
Carthage Fortunat, l'un des ciuq prêtres excommuniés eu 251. Apres
son ordination sacrilège, Fortunat envoya à Rome Félicissime avec des
lettres adressées au pape saint Corneille, remplies de mensonges et de
calomnies contre saint Cyprien. Le saint pontife refusa d'abord de re-
cevoir Félicissime; mais ensuite, trompé par ses discours artificieux, et
aussi ébranlé par ses menaces, il crut devoir écrire deux lettres à saint
Cyprien, auxquelles le saint évoque fit la réponse suivante, l'un des
plus beaux monuments de l'éloquence chrétienne.

CYPRIANUS Cornelio fratri salutem.


I. Legi litteras tuas, frater charissime, quas per Saturum i
fratrem nostrum acolythum misisti, et dilectionis fraternae
et ecclesiasticae disciplinée et sacerdotalis censuras satis pie-
2
nas; quibus signiticasti Felicissimum , hostem Christi non
novum, sed jam pridem ob crimina sua plurima et gravissima
3
abstentum , et non tantùm meâ sed et plurimomm coepisco-
porum sententià condemnatum *, rejectum a te illic esse ; et,
cùm venisset stipatus catervâ et factione desperatorum, vi-
8
gore pleno quo episcopum agere oportet, pulsmn de Eccle-
sia esse, de qua jam pridem cum sui similibus Dei majestate
et Christi Domini et judicis nostri severitate depulsus est,
1
La lettre XXIV de l'édition complète parle de l'élévation do ce S a -
turus ou Satyrus au grade de lecteur. Il est encore question de lui dans
les lettres X X I X et XXXII (édition complète). — L'ordre d'acolyte est le
quatrième dans la hiérarchie ecclésiastique. — Quant à l'étymologie du
mot acolyte, c'est obcoXouOoç, compagnon, suivant (parce qu'il est comme
le domestique et le servant des ordres supérieurs).
* Schismatique et ennemi personnel de saint Cyprien, comme on le
verra au long dans celte lettre.
5
Sur ce mot, voyez page 122, note *.
4
Quelques mss. donnent episcopos. Même sens au fond; cependant
le singulier vaut mieux, et se trouve encore un peu plus loin employé
en pareille circonstance.
u
Voyez lettres X X , entière, et X X I , dernier paragraphe.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 209

LETTRE XXVIIL
A CORNEILLE, AU SUJET DE FORTUNAT ET DE FÊLICISSIMB ,
OU CONTRE LES HÉRÉTIQUES.
Le parti de Féiicissime avait ordonné évoque de Carthage Fortunat, l'un
des ciuq prêtres schismatiques condamnes Tannée précédente par ar-
rêt des évèques d'Afrique. Les schismatiques avaient annonce que
vingt-cinq cvêques prendraient part à cette ordination qui fut faite
seulement par cinq évèques schismatiques eux-mêmes et coupables de
différents crimes. Fortunat, ainsi ordonné, envoya à Rome près du
pape Corneille Féiicissime porteur de lettres qui ne furent pas plus
reçues que sa personne. Plus tard Corneille, effrayé par les mensonges
et les menaces de Féiicissime et de son parti, et ne recevant d'ailleurs
aucune lettre de saint Cyprien, lui écrivit deux lettres dans la première
desquelles il lui annonçait qu'il avait repoussé Féiicissime, tandis que
dans la seconde il lui faisait part de l'effroi que lui avaient causé
les menaces et les intrigues de l'envoyé de Fortunat. C'est alors que
saint Cyprien écrivit à Corneille celte lettre où il commence par dé-
montrer qu'un évèque ne se doit laisser effrayer par la crainte d'au-
cun péril. Il prouve qu'il est lui-même le légitime évèque de Car-
tilage, et établit sou innocence contre les calomnies des hérétiques; il
décrit leurs mœurs infâmes, leur conjuration contre l'Eglise et leur
complicité avec les tombés impénitents. I l prouve enfin qu'ils ont eu
tort d'aller à Rome pour obteuir de l'Eglise de saint Pierre la confir-
mation de leur faux évèque Fortuuat, C'est en Afrique qu'ils se sont
rendus coupables de schisme et autres crimes ; c'est en Afrique et non
à Rome qu'ils doivent être jugés.

CYPRIEN à Corneille son frère salut.


I. J'ai lu, mon très-cher frère, la lettre* que cous m'avez
envoyée par l'acolyte Satyrus, notre frère. Dans cette lettre,
toute pleine de charité fraternelle, et où respirent l'esprit de
la discipline ecclésiastique et de la fermeté sacerdotale, vous
m'annoncez avoir refusé ^d'admettre près de vous Féiicis-
sime, ennemi du Christ non pas d'hier, mais depuis long-
temps excommunié pour une foule de crimes énormes, et
condamné par arrêt, non-seulement de moi, mais de bon
nombre, de mes collègues. Comme il était venu à Rome,
escorté d'une troupe de factieux et d'hommes perdus, vous
« Première lettre écrite par le pape saint Corneille à saint Cyprien
sur la légation de Féiicissime
12.
2 1 0 HELEcm D M CIPKIAM EPISTOLA.

ne schismatis et dissidii auetor, ne pecuniœ Gommissn


sibi fraudator, ultra adhuc sponsam Christi incorruptam,
sanctam, pudicam, prœsentiœ su® dedecore et impudicà aC-
que incestà contagioneviolaret. Sed enim, lectà alià tuà epi-
stolà, frater, quam primis lilteris subjunxisti, satls miratus
1
sum, ciun aniroadvertissem te minis atque terroribus eo-
rum qui vénérant aliquantùm esse commolum, cùm te, se-
cundùm quod scripsisti, aggressi essent, cum suuima despe-
ratione commin^ntes quôd, si litteras quas attulerant* non
accepisses, publiée cas récitaient, et multaturpia ac probrosa
et ore suo cligna proferrent.
II. Quôd si itares est, frater charissime, ul nequissimo-
rum timeatur audacia, et quod mali jure atque aequitate non
possunt, temeritate ac desperatione perficiant, actum est de
episcopatûs vigore et de Ecclesiae gubernandae sublimi ac di-
vina potestate ; nec Christiani ultra aut durare aut esse jam
possumus, si ad hoc ventum est ut perditorum minas atque
insidias pertimescamus. Nam et gentiles et Judaei minantur
et haeretici, atque omnes quorum peclora et mentes diabolus
obsedit venenatam rabiem suam quotidie furiosà voce teslan-
tur. Non tamen idcirco cedendum est quia minantur, aut ideo
adversarius et inimicus major est Christo quia tantùm sibi
vindicat et assumit in sœculu. Manere apud nos débet, fra-
ter charissime, fidei robur immobile, et stabilis atque incon-
cussa virtus contra omnes incursus atque impetus oblatraiiT
trium fluctuum, velut petrae objacentis fortitudine et mole,
u
débet obsistere . Nec interest unde episcopo aut terror aut
periculum veniat, qui terroribus et periculis vivit obnoxius,
et tamen fit de ipsis terroribus ac periculis gloriosus.

1
Càm animadve-rtissem. Ces deux mots, que ne donnent pas quelques
mss., pourraient être retranchés sans inconvénient, et même avec profit
pour la brièveté et la vivacité de la phrase. Nous les avons conservés
parce qu'ils se trouvent dans le plus grand nombre des mss.
* Ces lettres venaient de schismatiques el de profanes» comme l'au-
teur le dit plus loin. Elles étaient écrites contre saint Cyprien : voilà
pourquoi Corneille refusait de les recevoir. — Nous avons déjà vu lit-
ières employé par l'auteur pour dire non pas une lettre, mais des lettres.
5
Cette image d'un rocher vainement buttu par les flots, pour désigner
l'inébranlable stabilité de l'Eglise et de la foi, est familière à notre au.
teur; elle rappelle les paroles mêmes de Jésus-Christ : Tu es Petrus, et
super hane petram adiftcdbo Ecclesiam meam,
LETTRES CHOISIES DR SAINT CYPRIEN. 21 i
l*aviez, avec la vigueur qui doit caractériser les actes d'un
évêque, repoussé de l'Eglise, d'où il y a bien longtemps que
l'ont chassé, lui et ses pareils, la majesté de Dieu et la sévé-
rité du Christ, notre seigneur et notre juge, pour que cet
auteur de schisme, cet artisan de discorde, ce voleur de
sommes à lui confiées, ne souillât pas plus longtemps de sa
présence honteuse et de son contact impur et incestueux la
pure, sainte et chaste épouse du Christ. Mais bientôt, à
la lecture d'une seconde lettre de vous, mon frère, que je
reçus peu de temps après, je fus bien étonné en voyant que
vous aviez été troublé jusqu'à un certain point par les menaces
et les moyens d'intimidation de ces aventuriers, qui, selon
ce que vous m'avez écrit, s'adressant à vous, vous déclarè-
rent, avec une audace éhontée, que si vous ne vouliez pas
recevoir les lettres dont ils étaient porteurs, ils les liraient pu-
bliquement, et tiendraient une foule de propos injurieux, ou-
trageants, dignes enfin d'une insolence qui ne rougit de rien.
IL Si réellement, mon très-cher frère, il nous faut craindre
l'audace de tels misérables, si ce que les méchants ne peu-
vent attendre du bon droit et de la justice, ils peuvent l'em-
porter à force d'effronterie et de témérité, c'en est fait de la
vigueur de l'épiscopat et de la sublime et divine puissance
qui doit gouverner l'Eglise j nous ne pouvons plus dans
l'avenir, nous ne pouvons plus même dès à présent conti-
nuer d'être chrétiens, si nous en sommes venus au point d'a-
A-oir à redouter les menaces et les intrigues d'hommes per-
dus. Les gentils, en effet, nous menacent, les Juifs nous
menacent, les hérétiques nous menacent, et tous ceux dont
le démon possède les esprits et les cœurs exhalent chaque *
jour contre nous par des cris furieux leur rage envenimée.
Et toutefois parce qu'ils nous menacent, ce n'est pas une
raison pour que nous leur cédions ; et parce que l'adversaire
et l'ennemi du Christ montre dans le siècle tant de prétention
et d'insolence, il n'en est pas pour cela plus puissant que le
Christ. 11 nous faut garder constamment, mon très-cher
frère, une foi robuste, inébranlable; et notre courage, tou-
jours ferme, doit, dans sa tranquille immobilité, braver
toutes les attaques, comme un puissant rocher résiste par
sa masse au choc des flots qui viennent mugir et se briser à
ses pieds. Et qu'importe à un évêque de quel côté lui vien-
nent le péril ou la terreur, puisque sa vie entière est en butte
aux périls et aux terreurs, et que ces terreurs et ces périls
mêmes sont aussi les sources de sa gloire?
m SELECTE DIVi CYPRIANI'EPISTOLA.
IJJ. Neque enim solas gentiliuin vel Judœarum minas
eogitare et spectare debemus, cùm videamus * ipsum Domi-
num a fratribus esse detentum *, et ab eo quem inter Apos-
tolos ipse delegerat nroditum; inter initia quoquè mimdi
8
Abel justum non nisi frater occident; et Jacob fugientem
ersecutus sit frater infestus; et Joseph puer venierit ven-
S enfcibus fratribus ; in Evangelio etiam legamus esse pranlic-
tum magis domesticos inimicos futures, et qui priùs copu-
lati sacramento unanimitatis fuerint, ipsos invicem traditu-
ros «. Nibil interest quis tradat aut saeviat, cùm Deus tradi
4
permittat quosdisponitcoronari . Neque enim nobis ignomi-
DIA est pati a fratribus quod passus est Christus, nec illis
gloria est facere quod fecerit Judas.
IV. Quae autem sul elatio est, quae comminantium tu-
6
mens et inflata et vana jactatio, illic * absenti minari, cùm
hic me habeant in potestate preesentem ! Convicia eorum,
7
quibus se et vitam suam quotidie lacérant , non timeinus;
fustes et lapides et gladios, quos verbis parricidalibus jacti-
tant, non perhorrescimus. Quod in illis est, homicidœ sunt
apud Deum taies. Necai*e tamen non possunt, nisi eis Domi-
nus necare permiserit. El, cùm nobis semel moriendum sit,
illi tamen et odio et verbis et delictis suis quotidie peri-
munt. Sed non idcirco, frater charissime, relinquenda est
ecclesiastica disciplina aut sacerdotalis solvenda censura,
quoniam conviciis infestamur aut terroribus quatimur,
quando occurrat et moneat Scriptura divina, dicens : Ille veto

1
Exemples de justes persécutés.
8
Quoique tous les mss. ot les anciennes éditions portent detentum, il
est infiniment probable qu'il y a eu ici une erreur de copiste répétée par
tous les autres, et qu'il faut lire deserlum. Jésus-Christ, en effet, ne
fut pas arrêté par ses frères ou disciples, mais par les Juifs. Ses disciples
seulement l'abandonnèrent; c'est ce que dit plus loin l'auteur, revenant
sur ce fait.
8
Quelques mss. nomment Gain, circonstance inutile pour un fait si
connu.
* Ce passage est altéré à qui mieux mieux, et on ne peut plus cruelle-
ment par les copistes.
» IWtc, près do vous, à Rome. — Hic, ici, à Carthage.
* Absenti, sous-entendu mihi.
7
Pensée profonde : leurs outrages n'avilissent qu'eux.
« Joan. XYIUJ Marc, xiv; Gcn. iv; ibid. xxxvii; Matth. x.
LBTIKKS CHOISIES DE 8AINY CYPH1EN. 213
1H. Ce ne sont pas, en effet, les menaces des gentils et des
Juifs seulement que nous devons avoir devant les yeux et
présentes à la pensée, quand nous voyons le Seigneur lui-
même abandonné par ses disciples, et livré par celui-là
même qu'il avait choisi entre les Apôtres; quand au com-
mencement du monde le juste Abel eut précisément son
frère pour meurtrier; quand Jacob fut de môme en butte
aux poursuites d'un frère acharné à sa perte ; quand Joseph,
tout jeune encore, fut vendu par ses frères; quand enfin
nous voyons prédit dans l'Evangile, que nos plus proches
seront nos plus grands ennemis, et que ceux mêmes qui se-
ront unis par le sacrement de la plus sainte fraternité, se
trahiront les uns les autres. Qu'importe donc qui soient les
traîtres ou les bourreaux, puisque Dieu permet que ceux-là
soient trahis, à qui il destine ses couronnes? Ce n'est pas en
effet pour nous une honte d'être traités par nosfrèrescomme
fut traité le Christ, et ce n'est pas pour eux une gloire de se
comporter comme se comporta Judas.
IV. Mais dans leurs attaques quelle arrogance! quelle
bouffissure d'orgueil! quelle sotte, vaine et démesurée jac-
tance! Me menacer à Rome, où je ne suis pas. tandis qu'ici,
où je suis, ils m'ont présent et sous la main ! Leurs outrages
journaliers, qui n'avilissent après tout que leur personne et
leur vie coupable, je ne les crains pas; les bâtons, les pierres
et les épées, que, dans leur langage parricide, ils brandis-
sent contre moi, je ne les redoute pas non plus. En tant qu'il
dépend d'eux, de tels hommes sont de vrais homicides aux
yeux de Dieu. Me mettre à mort cependant, ils ne le peu-
vent, à moins que le Seigneur ne le leur permette. Et,
bien que je n'aie à mourir qu'une seule fois, ces hommes
pourtant, par leur haine, leurs calomnies et leurs attentats,
m'assassinent réellement tous les jours. Mais parce que nous
sommes en butte aux outrages, et que l'on emploie contre
nous la terreur, nous ne devons pas pour cela, mon très-cher
frère, renoncer à la discipline ecclésiastique, ni laisser s'affai-
blir en nous la juste sévérité de l'épiscopat. Nous avons pour
nous en effet l'assistance et les enseignements de l'Ecriture,
qui nous dit : Vhomme plein de présomption, d'entêtement
et de jactance, ne gagnera absolument rien, dilatât-il son ha-
leine comme le souffle de l'enfer; et encore : Ne craignez pas
les injures du péclieur, parce gue sa gloire s'en ira en fumier
9
et en pourriture. Aujourd'hui il s éleve et demain on ne le
}
21-4 SELICTJI DIVI CYPRIANI EPISTOL/E.
qui prcesumit et çontumax est, virsui jactans. nihil ornnino
a
proftciet, qui dilatavit tanquam infernus animam suam . Et
iterum : Et verba viri peccatoris ne timueritis, quia gloria
ejus in stercora erit et in vermes*. Hodie extollitur, et cras
non invenietur, quoniam conversm est in terram suam, et
h
cogitatio ejusperibit . Et iterum: Vidi impium exaltatum et
extollisuper cedros Libani; et transivi, et ecce non fuit; et
c
quœsivi eum, non est inventm locus ejus ..

Y. * Exaltatio et inftatio et arrogans ac superba jactatio


non de Christi magistcrio, qui humilitatem docet, sed de
antichristi spiritu naseitur, cui exprobrat per Prophetam Do-
minus, et dicit : Tu autem dixisti in animo tuo ; In cœlum
ascendam, super stellas Dei ponam sedem meam, sedebo
in monte alto super montes altos in aqui/onem, ascendam su-
per nubes, ero similis Altissimo*. Et addidit dicens : Tu verô
ad inferos descende» in fundamenta terrœ ; et qui videbunt te,
mirabuntur super te \ Unde et parem talibus pœnam Scrip-
tura divina loco alio comminatur, et dicit : vies enim Z)o-
mini sabaoth super omnem injuriosum et superbum et super
f
omnem elatum et excelsum . De ore itaque ac de verbis suis
unusquisque statim proditur, et utrùm Christum in corde suo
an verô antichristum habeat, loquendo detegitur, secundùm
quod Dominus in Evangelio suo dicit : Progenies viperarum 9

quomodo potestis bona loqui, cum sitis nequam ? de abun-


dantia enim cordis os emittit. Bonus homo de bono the-
sauro emittit bona, et nequam homo de nequam thesauro emit-
tit nequam s. Unde et dives ille peccator, qui de Lazaro in
sinu Abrahse posito atque in refrjgerio constituto implorât
auxilium, cùm in tormentis cruciabundus flammœ cremantis
ardoribus aduratur, inter omnes corporis partes magis os
ejus et lingua pœnas dat, quia plus scilicet Ûnguà suâ et ore
h
peccaverat .
1
In stercora erit et in termes; un ms. porte ut stercora, ut vernies,
forme vive et jolie, mais n'ayant pas pour elle assez d'autorités.
* Châtiments réserves aux schismatiques.
b
v * Habacuc. H . — Marc. n. — » Psal. xxxvi. — * Isai. xiv. — • Ibld. ~
* Ibid. IL — « Matth. xu. —- * L u c vi.
LETTRES CHOISIES DK SAINT CYPRIEN. 215
trouvera plus, paire qu'il est retourné dans la terre, d'oh il
était formé, et sa pensée même périra; et ailleurs : J'ai vu
l'impie exalté, et s'èlevant au-dessus des cèdres du Liban :
f ai passé, et voilà qu'il n'était déjà plus; je l'ai cherché, et
l'on n'a pu même trouver la place qu'il occupait*.
V. L'orgueil, l'enflure, l'arrogante et superbe jactance ne
procèdent pas des leçons du Christ, qui au contraire enseigne
l'humilité, mais de l'esprit de i'antechrist, à qui le Seigneur
adresse ces reproches par la bouche du Prophète : Tu as
dit dans ton cœur : Je monterai dans le ciel, j'établirai ma
demeure au-dessus des étoiles, je m'assiérai sur une monta-
gne élevée aurdessus des plies hautes montagnes, pour de là
braver l'aquilon; je monterai sur les nuages, et je serai sem-
blable au Très-Haut. Et le Seigneur sgoute : Oui, mais tu
descendras aux enfers, dans les fondements mêmes de la
terre; et ceux qui te verront seront étonnés de ta chute.
C'est encore pourquoi, dans un autre passage, la sainte Ecri-
ture menace ces sortes d'hommes d'im pareil châtiment,
quand elle dit : Le jour du Seigneur, Dieu des armées, vien-
dra pour confondre tout Jiomme injuste et superbe, tout or-
gueilleux, tout arrogant. Aussi chacun se fait-il connaître
tout d'abord à son langage, et découvre-t-il, à la manière
dont il parle, si c'est le Christ ou l'antechrist qu'il a dans le
cœur, selon ce que dit le Seigneur dans son Evangile : Race
de vipères, comment pourriez-vous dire de bonnes choses,
puisque vous n'êtes que des méchants? La bouche en effet ne
parte que de l'abondance du cœur. L'homme de bien d'un
trésor de bonté tire de bonnes choses ; te méchant, au contraire,
d'un trésor de malice ne saurait tirer que des méchancetés*
Aussi, lorsque le riche pécheur, voyant Lazare dans le sein
d'Abraham et au milieu des délices, implore son secours;
parce que lui-même, au milieu des tourments, livré à toute
l'ardeur des flammes qui le dévorent, éprouve une soif
cruelle, de toutes les parties de son corps ce sont sa bouche
et sa langue qui souflrent le plus, parce que c'est au moyen
de sa langue et de sa bouche qu'il avait le plus péché.

* C'est ce passage qui a Inspiré à Racine cette belle strophe :


J'ai vu l'impie adoré sur la terre;
Pareil au cèdre, il cachait dans )cs cietix
Son front audacieux;
U semblait son gré gouverner le tonnerre ;
216 SELECT/B DIYI CYPRIANI EPISTOL/E.
VI. Nam, cùm scriptum sit : Neque maledici regnum Dei
conscquentur*, et iterum Dominus in Evangclio suo dicat :
Qui dixerit fratri suo fatuc, et qui dixerit raca, reus erit
h
in ge/ienna igni$ , quomodo possunt censuram Domini ul-
toris evadere qui talia ingérant, non solùm fratribus, sed et
sacerdotibus, quibus honor tantus de Dei dignatione conce-
ditur, ut quisquis sacerdoti ejus et ad tempus hic judicanti
non obtemperaret, statim necaretur? In Deuteronomio lo-
quitur Dominus Deus, dicens : Et homo quicumque fecerit
in superbia ut non exaudiat saeerdotem autjudicem, guicum-
que fuerit indiebus illis^ morietur homo ille, et omnis popu~
c
lus cùm audierit, timebit, et non agent impie etiam nunc .
Item ad Samuelem, cùm a Jud&is sperneretur, Deus dicit :
Non te spreverunt, sed me spreverunt*. Et Dominus quoquè
in Evangelio : Qui audit vos, inquit, me audit, et eum qui
me misit; et qui rejicit vos, me rejicit; et qui me rejicit ^
rejicit eum qui me misit: Et cùm leprosum emundasset,
f
Vade, inquit, et demonstra te sacerdoti . Et, cùm postea
tempore passionis alapam acceçisset a servo sacerdotis, cùm-
1
que ei dixisset : Sic respondis pontificis, adversùs pontifi-
cem Dominus contumeliosè nihil dixit, nec quidquam de
sacerdotis honore detraxit, sed innocentiam suam magis
asserens et ostendens : Si maie, inquit, locutus sum expro- i
h
bra de malo; si autem bene, quid me cœdis ? Item in Actibus
Apostolorum postmodùm beatus apostolus Paulus, cùm ei
1
dictum esset : Sic insilis in saeerdotem Dei maledicendof
quamvls Domino jam cruciûxo sacrilegi et impii et cruenti
illi esse cœpissent, nec jam quidquam sacerdotii honore et
auctoritate retinerent, tamen ipsum quamvis inane nomen
et unibram quamdam sacerdotis cogitans Paulus : Nesciebam,
inquit, fratres, quia pontifex est. Scriptum est enim Prin-
cipem populi tuz* non maledices K
Foulait aux pieds ses ennemis vaincus :
Je n'ai fait que passer, il n'était déjh pius*
( i U c i N B , JSsther, acte III,scène ix.)
1
Sous-entendu servus ille (qui percutiebat eum).
* Au lieu de insilis, un ancien ms. porte incitas, du vieux verbe inci-
lare, synonyme d'increpare, exprobrare, dont on trouve des exemples
dans Lucilius, Plaute et Lucrèce.
* Populi lui. Erasme donne plebis tuœ, différence insignifiante.
c D
* I Cor. vi. — * Malth. V. — Deut. XVH. — 11 Reg. viu. — « L . x. u c
f h
— Matlh. vin. — * Joan. xvm. — Act. xxm. — * Exod. xxn.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 217
VI. En effet, puisqu'il est écrit : Les médisants n'obtien-
dront pas le royaume de Dieu, et que le Seigneur dit encore
dans son Evaagile : Celui qui traitera son frère de fou, ou qui
lui dira raca, méritera d'être condamné au feu éternel, com-
ment pourraient échapper à la sévérité vengeresse du Sei-
gneur, ceux qui prodiguent de semblables iusultes non-seu-
lement à leurs frères, mais même aux prêtres à qui la grâce
divine accorde de tels honneurs, que dans l'ancienne loi
quiconque n'obéissait pas à un ministre de Dieu établi tem-
porairement pour juger son peuple ici-bas, était sur-le-
champ mis à mort? Dans le Deutéronome, le Seigneur notre
Dieu le déclare formellement: Que tout fiomme, dit-il, qui
dans son orgueil se sera permis de ne pas obéir à un ministre
de Dieu ou à un juge, quel que soit celui qui dirige alors le
peuple; que cet Iwmme, dis je, soit mis à mort, et tout le peu-
ple, en apprenant sa fin, tremblera, et ne se conduira plus
désormais avec impiété. Parlant aussi à Samuel, objet alors
du mépris des Juifs, Dieu lui dit : Ce nest pas vous, mais
bien moi, qu'ils ont méprisé. Le Seigneur aussi dit dans son
Evangile : Celui gui vous écoute, m'écoute, ainsi que celui
qui m'a envoyé; el celui qui vous rejette, me rejette; et celui
qui me rejette, rejette celui qui nia envoyé. Et quand il eut
guéri un lépreux : Allez, lui dit-il, et faites-vous voir au
prêtre. Et lorsque plus tard, au temps de sa Passion, il reçut
un soufflet du valet du grand-prêtre, qui lui dit en le lui
appliquant : C'est ainsi que vous répondez à un pontife! le
Seignear ne dit rien d'injurieux à l'égard du pontife, et ne
porta aucune atteinte à l'honneur du sacerdoce; mais se bor-
nant plutôt à attester et à faire voir son inuoeence : Si j'ai
mat parlé, ditrii, reprochez-moi le mal que j'ai dit; si au
contraire j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous? Dans
les Actes des Apôtres aussi, l'apôtre saint Paul, lorsque plus
tard on lui dit : C'est ainsi que vous insultez le prêtre de
Dieu par vos méchants propos ! bien que déjà, en crucifiant
le Seigneur, ils eussent commis un sacrilcge, une impiété et
un assassinat, et qu'ils fussent dès-lors complètement dé-
pouillés de la dignité et de l'autorité sacerdotale; saint Paul
néanmoins, songeant même à ce vain nom et à cette espèce
d'ombre de sacerdoce : J'ignorais, dit-il, que ce fàt un pon~
tife. Car il est écrit : Vous n'injurierez pus te chef de votre
nation.

1 3
218 S K L B C T J E M V I C Y P R I A N I EPJRTOL/K.

VII. Cùm hsec ianta ac talia et mu lia alia exempta procé-


dant, quibus sacerdotalis auctorilas et potestas de divina
4
dignatione firmatur, quales putas esse eos qui sacerdotum
hostes et contra Ecclesiam catiiolicam rebelles nec pramio-
nentis Domini comminatione nec futuri judicii ultione ler-
rentur? Neque enim aliunde hœreses obortœ sunt aut nafa
schismata quàm inde quùd sacerdoli Dei non obtemperatur,
nec unus in Ecclesia ad tempus sacerdos* et ad tempus judex
3
vice Christi cogitatur : cui si secundùm magisteria divina
obtemperaret fraternitas universa, nemo adversimi sacerdo-
tum collegium quidquam moverct*; nemo postdivinum ju-
dicium, post populi suffragium, post coepiscoporum eonsen-
sum, judicem se jam, non episcopi, sed Dei, faceret; nemo
dissidio unitatis Christi Ecclesiam scinderet, nemo sibi pla-
çons ac tumens seorsum ibris hœresim novam conderet; nisi
si ita est aliquis sacrilegae temeritatis ac perditœ mentis ut
putet sine Dei judicio fieri sacerdotem, cùm Dominus in
Evangelio suo dicat : Nonne duo passeres anse veneunt, et a
neuter eorum cadit in terram sine Vatris vestri* voiuntate ?
Cùm ille nec minima fieri sine voiuntate Dei dicat, existimat
aliquis summa et magna aut non sciente aut non permittente
Deo in Ecclesia Dei fieri, et sacerdotes, id est, dispensatores
ejus, non de ejus sententia ordinari? Hoc est fidem non ha-
bere quâ vivimus, hoc est Deo honorem non dare cujus nutu
el arbitrio régi etgubernari oimiia scimus et credimus. Plane

* Estime, considération.
* Dans son livre De unitate Ecclesiœ, saint Cyprien dit : Episcopatus
unus est, cujus à singulis in solidum pars tenetur.
* Quoique saint Cyprien paraisse ici parler surtout de lui-même,
contre qui s'est éievé le schisme de Félicissime et de Fortunat, les ter-
mes dont il se sert, le nom de juge et de vicaire du Christ qu'il donne
à ce sacerdos, montrent qu'il avait en vue les attaques dirigées contre
Févéque de Rome, représentant spécial de l'unité catholique. — Hœreses
oboriœ sunt aut nata sunt schismata. Saint Augustin appelle l'iiéréfeie
un schisme invétéré, et saint Jérôme dit : Nullum schisma non sibi
aliquam confingit hœresim, ut texte ab Ecclesia recessisse videatnr
4
N'entreprendrait rien.
8
Neuf mss. donnent patris vestri, neuf autres donnent seulement
patris. Nous avons préféré patris testri, parce que dans la Vulgate il y
a siiiè pâtre vestro et que le grec des Septante a aussi le pronom pos-
f

sessif.
» Matrtu x.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 219
Ml.'Quand, parnnnne. multitude d'autres exemples, l'an-
tiquité nous en offre de si grands, de si convaincants, qui
nous montrent l'autorité et la puissance sacerdotale tirant sa
force de la protection divine elle-même, comment regardez-
vous ces hommes qui, ennemis de l'épiscopat et en guerre
avec l'Eglise catholique, ne sont effrayés ni des menaces et
des avertissements du Seigneur, ni des châtiments du juge-
ment à venir ? La cause en effet, la source unique de toutes
les hérésies et de tous les schismes, c'est le refus d'obéissance
aux ministres de Dieu ; c'est qu'on ne veut pas se persuader
que daus une église il n'y a qu'un seul évêque, un seul
juge temporairement institué pour tenir ici-bas la place du
Christ. Si, selon les préceptes divins, tous les fidèles lui
étaient soumis, personne n'entreprendrait rien contre le
collège des évèques ; personne, après le choix de Dieu, après
le suffrage du peuple, après l'assentiment unanime des évè-
ques, ne s'établirait juge, non plus d'un évêque, mais de
Dieu ; personne ne viendrait, en brisant l'unité catholique,
déchirer l'Eglise du Christ ; personne, par complaisance en
lui-même et par orgueil, n'établirait à part et en dehors de
l'Eglise une hérésie nouvelle ; à moins qu'il ne se rencontre
un homme assez sacrilège, assez téméraire, assez perdu de.
sens, pour penser qu'un évêque peut être nommé sans le
jugement de Dieu, quand le Seigneur nous dit dans l'Evan-
gile : Est-ce que l'on n'a pas deux passereaux pour un sou ?
El pourtant, ni l'un ni l'autre de ces petits oùeaux ne tombe
sur ta terre sons la volonté de votre Père. Quand il nous dit
que pas même les moindres choses n'arrivent sans la volonté
de Dieu, peut-on penser que ce qu'il y a d'important et de
capital arrive dans l'Eglise de Dieu à son insu et sans sa per-
mission, et que les évèques, c'estrà-dire les dispensateurs de
sa grâce, puissent être ordonnés sans qu'il les ait choisis ?
C'est là n'avoir pas la foi qui nous fait vivre; c'est refuser
d'honorer Dieu, dont, comme nous le savons, la puissance et
la volonté suprême régissent et gouvernent l'univers. Certai-
nement il y a des évèques qui sont nommés non d'après la
volonté de Dieu, mais ce sont ceux qui sont nommés en de-
hors de l'Eglise, nommés contre la règle et la tradition de
l'Evangile, comme le Seigneur l'explique lui-même dans les
douze prophètes, quand il dit : Us se sont donné eux-mêmes un

* Ganses des hérésies*


220 SELECTJB D1YI CYPRIANI EPISTOMS.
1
épiscopi non de voiuntate Dei fiunt , sed qui extra Ecclesiam
il uni, sed qui contra disposilioncin el trudilionem Evangclii
fiunt, sicut ipse Dominus in duodccim proplietis ponit et
dicit: Sibimetipsis regem constiluerunt, et non per me; et
iterum : Sacrificia eorum tanquam panis luctûs^ omnes gu
manducant ea conlaminabuntur*. EtperEsaiam quoquè Spi-
rilus sanctus clamât, et dicit : Vœ vobis, filii desertores! Éœc
dicit Dominus : Habuistis consilium, et non per me; et fe-
cistis conventionem, et non per spiritum meum, adjicere pec-
h
cata super peccata .
2
VIII. Cœterùm (dico enim provocatus , dico dolens, dico
compulsus) quando episcopus in locum defuncti substituitur,
quando populi nniversi suflïagio in pace deligitur, quando
Dei auxilio in persecutione prolegitur, eollegis omnibus fi-
deliter junetus, plebi suœ in episcopatu quadriennio jam pro-
batus, in quiete serviens disciplinas, in tempestate proscrip-
3
tus , applicilo et adjuncto cpiscopatùs sui nomine, toties ad
4
lconem petilus , in circo, in ampliitheatro Dominicœ digna-
tionis testimonio honoratus, lus ipsis etiam diebus lias ad
te litteras feci ob sacrificia quœ edicto proposito celcbrare
populus jubebatur, clamore popularium* ad leoneni denuo
4
Certainement il y a des évèques qui se font non selon la volonté de
Dieu, mais ce sont ceux qui..., etc.
* Les vieilles éditions et trois anciens mss. portent cœterùm dico (dico
enim provocatus, etc.)*, quinze autres mss. n'ont pas cette répétition de
dico, qui est véritablement inélégante.
3
Le diacre Ponlius, dans sa Vie de saint Cyprien : Statim denique pro
talibus meritis proscriptions gloriam conseculus est.
4
Tant de fois demandé (par la foule) pour élre livré aux lions. —
Ponlius dit : Cùm su/pragiis sœpè repetitis ad leonem postularetur.
Ainsi éclatai!, à la moindre occasion, la haine d'une populace avide de
sang. Terlullien, dans son Apologétique : Si Tiberis ascendit in mœnia,
si Nilus non ascendit in arca, si terra moril> si cœlum stelil, si famés,
si lues, statim CURISTIAXOS AD LEOXEM declamatur.
u
Par les acclamations du peuple. Ruiin, llist. Eccl. liv. v, chap. J ,
t

dit que les martyrs de Vienne et de Lyon furent saisU et emprisonnes sur
Us seules acclamations du peuple. Le même, liv. iv, chap. 0, rapporte
un rescrit de l'empereur Adrien qui défendait aux magistrats provin-
ciaux de laisser accuser les chrétiens sur les seules demandes et accla-
mations du peuple. Ces acclamations, ces huées, ces cris de rage pour-
suivaient encore les martyrs au milieu même de leurs supplices, comme
on peut le voir lettre XXVI : Violentiam magislratûs et populi fremen-
* 0sec, vin et ix. — * IsaL xxx\
LCTTilKS CHOISIES UB SAINT CYPUttN. Mi
roi, et non d'après ma volonté ; et plus loin : Leurs sacrifices
sont comme un pain de douleur, tous ceux qui en mangent en
resteront souillés. Et par la bouche d'isaïc aussi, TEsprh-Saiiit
fait celte déclaration : Malheur à vous, enfants déserteurs l
Voici ce que dit le Seigneur ; Vous avez tenu conseil, et non
par ma volonté ; vous vous êtes unis, et non par mon inspira-
tion, pour accumuler péclués sur péchés.
Mil. * Au reste (et ce que je vais dire, je le dis après pro-
vocation, je le dis avec douleur, je le dis parce que j ' y suis
forcé), quand un évèque est nommé h la place d'un évoque
décodé, qu'il est paisiblement élu par le suffrage d'un peuple
tout entier, qu'il est, dans la persécution, l'objet *de la pro-
tection et de l'assistance divines, uni dans la foi avec tous
ses collègues, approuvé déjà pendant quatre années d'épis-
copat par les lidèles de son Eglise, soumis à la discipline
pondant la paix, proscrit aux temps d'orage, avec adjonction
formelle à son nom de son titre d'évèque, nombre de fois de-
mandé par la foule pour être livré aux lions, honoré dans le
cirque et dans l'amphithéâtre des témoignages de la grâce
divine, et, ces jours derniers mêmes oit je vous écrivais la
b
lettre que vous lisez, à l'occasion de sacrifices qu'un nouvel
0
édit ordonnait au peuple de célébrer, redemandé encore
dans le cirque par les cris de la populace pour être livré aux
lions; quand on voit, mon très-cher frère, un tel évoque en
butte aux attaques de quelques audacieux, hommes perdus

lis impelum vicerant; et plus loin t Diù, inter minas proconsulis et


fremilum populi circumslantis, tormentis laniantibus ac longé tle-
ratione cruciantibns, répugnasse, etc. Saint. Jérôme : Vel càm quis,
inter eqnnleum laminasque distentus, contemnit dolorem, et nec judids
comminalionem nec circumstanlis populi fremitnm pertimescit.
* Saint Cyprien fait son apologie.
>> Gallus et Volusicn, au fort de la peste qui avait fait périr l'empe-
reur Hostilien, firent frapper de ia monnaie en l'honneur d'Apollon sau-
veur; el, pour le môme motif, ordonnèrent par tout l'empire des sacri-
fices aux dieux. Saint Cyprien ayant refusé d'obéir h cet édit. le peuple
prit de ce refus l'occasion de demander qu'il lu', comme rebelle aux
ordres des empereurs, livre aux lions dans le cirque, quoiqu'il n'y cul
alors aucun édit de persécution contre les chrétiens.
c Les rescrils des princes étaient expédiés aux préfets du prétoire, qui
étaient chargés de les nolîUcr aux populations, ce ijui se faisait par écrit
et afilchage comme chez nous, et s'appelait proponerc. L'édit ainsi no-
tifié devenait exécutoire.
222 SELECT/S DiVC CYPH1AKI EPlSlOLdS.
postulatus in circo, cùm talis, frater charissime, a quibusdam
desperatis et perditis et extra Ecclesiam constituas iinpu-
gnari videtur, apparet quis impugnel, non seilicet Christus,
qui sacerdoles autconstituit aut protegit, sed ille qui, Chris-
ti adversarius et Ecelesitc ejus iuimicus, ad hoc Ecclesia}
1
prœpositum suà infesta lioue persequitur ut, gubernatore
mhhio, atrociùs atque violentiùs circa Eeelesiai naufragia
grassetur.
ÏX. Nec quemquam fidelera et Evangelii meinorem atque
Apostoli prœmonenlis mandata retinentem movere débet,
frater charissime, si quidam in extremis teniporibus, superbi
et contumaces et sa^erdotum Dei hostes, aut de Ecclesia rece-
dunt aut contra Ecclesiam faciunt, quando taies nunc futu-
res et Dominus et Apostoli ejus antè praedixerint*. Nec prœ-
positum servum deseri a quibusdam miretur aliquis, quando
ipsum Dominum, magualia et mirabilia summa facienteiu
etvirtutes Dei Patris factorum suoruin testimonio compro-
bantem, discipuli sui reliquerint. Et tamen ille uon inere-
puit recedentes, aut graviter comininatus est, sed inagis*
conversus ad Apostolos suos dixit : Numquid et vos vuttis
b
ire 1 servaus seilicet legem quA Uomo, libertati susc reiietus
et in arbitrio proprio coustitutus, sibimet ipse vel morlein
appétit vel salutem. Petrus tamen, super quem œdiûcata ab
a
eodem Domino fuerat Ecclesia , unus pro omnibus loquens
et Ecclesiœ voce respoudens, ait : Domine, ad quem ibimus?
verbum vitœ œleniœ Aubes, el nos credwius et cogmoimus
quoniam tu es Christus* Filius Dei vivi; significans seilicet et
ostendens eos qui a Christo recesserint culpà suà perire,
Ecclesiam tamen, quae in Christum credat, et quae semel id
quod cognoverit teneat, nunquam ab eo omuino discedere ;
et eos esse Ecclesiam qui in domo Dei permanent, plantatio-
nem verô plantatam a Deo Pâtre uon esse quos videmus non
1
Le pilote. — Naufragia, les débris du naufrage.
9
Mais bien plus, mais au contraire.
* Allusion au célèbre passage de saint Matthieu, chap. xvu : Et ego
dico tibi quia lu es Petrus, et super hanc pelram mdificabo Ecclesiam
meam,
4
Le mot Christus manque dans la plupart des mss. Nous l'avons
donné d'après quelques-uns seulement, parce qu'il se trouve au chap. vi
de l'Evangile selon saint Jean, d'où ce passage est tiré, et dans l'Evan-
gile selon saint Matthieu.
* U Tira, ui. — * Atatth. xvi.
LETTRES CHOISIES 1)K SAINT CYPRIEN. 223
«i places eu dehors de l'Eglise, l'évidence vous révèle à
l'instant l'auteur de ces attaques; et ce n'est pas certes le
Christ, qui établit et protège les évèques, mais bien celui-là
même qui, étant l'adversaire du Christ et l'ennemi de son
Eglise, ne poursuit de ses attentats le chef d'une église par-
ticulière , que pour pouvoir, après avoir fait périr le pilote,
exercer ses ravages avec plus de violence et de fureur sur les
flébris du naufrage de cette Eglise.
IX. Aussi pour tout chrétien dévoué, fidèle a l'Evangile,
et observant les préceptes et les avertissements de l'Apôtre,
ce ne doit pas, mon très-cher frère, être un sujet de trouble
que de voir dans les derniers temps quelques hommes pleins
d'orgueil et d'entêtement, et ennemis des ministres de Dieu,
s'éloigner de l'Eglise ou même agir contre elle, puisque de
tels hommes devaient exister de nos jours, comme l'ont de-
puis longtemps prédit le Seigneur et ses Apôtres. Et que
l'un de ses serviteurs, mis par lui à la tète des autres, soit
abandonné par quelques-uns, cela ne doit étonner personne,
quand le Seigneur lui-même, dans le temps où il accom-
plissait les plus grands, les plus admirables prodiges, et
prouvait la puissance de Dieu le Père par le témoignage de
ses propres œuvres, fut abandonné par ses disciples. Et ce-
pendant il ne leur lit pas de reproches en les voyant se reti-
rer, et ne leur adressa en aucune façon de menaces sévères ;
mais au contraire, se tournant vers ses Apôtres, il leur dit :
Et vous aussi, voulez vous vous en aller? observant la loi.
d'après laquelle l'homme, laissé libre et inaitrede sa volonté,
peut à son choix désirer sa perte ou son salut. Mais Pierre,
sur qui avait été bâtie l'Eglise par le Seigneur lui-même ,
prenant seul pour tous la parole, et répondant au nom de
l'Eglise, lui dit : Seigneur, près de qui irons-nom? Vous
possèdes la parole de la vie éternelle^ et nous croyons et nous
savons que vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant; montrant
et déclarant parla que ceux qui abandonnent le Christ, péris-
sent par leur faute, mais que l'Eglise qui croit au Christ, et
qui garde toujours ce qui lui a été enseigné, ne l'abandonne
absolument jamais ; que ceux-là sont l'Eglise, qui demeu-
rent dans la maison de Dieu, mais que ceux-là ne sauraient
être le grain semé par Dieu, que nous voyons, non pas pren-
dre solidement racine, comme un blé qui s'élève ferme sur
sa tige, mais, semblables à la paille que disperse le vent,
être emportés çà et là par le souffle de l'ennemi ; hommes
224 SELECTE DIVA CYPMANI Kl'ISTOLdS.
frumenti stabilitatc solidari, sed, tanquam paieas, dis.ûpiui(i»
inimici spiritu ventilari, de quibus et Jouîmes in Ëptslola sua
dicit : Ex nobis exierunt, sed non fucrunt ex nobis. Si enim
tt
fuissent ex nobis, manstssent ufique nobiscum . Item Paulus
monet nos cùm mali do Ecclesia percunt non moveri, nec
recedentibus perfidis lidem minui. Quid enim. inquit, si
exciderunt a pde quidam eorum? numquid infidelitas illorum
fidem Dei evacuavit? Absitï Est enim Deus verax, omnis
h
autem homo mendax .
X . Quod ad nos attinet, conscientia* nostr» eonvenit, Ira-
ter charissime, dare operain ne quis eulpA nostrA de Ec-
clesia pereat; si autem quis ultro et crimine suo pericril, et
pœnitentiain agere atque ad Ecclesiam redire noiuerit, nos
l
indie judicii inculpatos futuros , qui consulimus sanilati,
illos solos in pœnis remansuros qui noluerint consilii nostri
salubritate sanari. Nec movere nos dchent convicia pordito-
2
rum quominus a via recla et a certa régula non recedamus ,
quando et Apostolus instruat, dicens : .37 hominibus place-
c
rem, Christi servus non essem . Interest utrùm quis homi-
3
nes promereri an Deum cupiat. Si hominibus plaeetur,
Dominus offenditur. Si verô id enitimur et olaboramus ut
possimus Deo placere, et convicia et maledicta debemus
humana contemnere.
X I . Quôd autem tibi de Fortunato isto pseudoepiscopo a
paucis et inveteralis hœrctieis constituto non slatim scripsi,
frater charissime, non ea reserat quœinnotitiam tuam de-
beret festinatô siatim quasi magna aut meluenda perferri,
maxime quando ctFoitunati nomen jamsatis nosses, qui est
unus ex quinque presbyteris'' jam pridem de Ecclesia pro-
fugis, et sententiA coepiscoporum nostrorum multorum et
1
Nos... inculpatos futuros... illos... in pœnis remansuros, sous-
cutendu certum est.
* Nos... movere quominus non recedamns, nous ébranler de manière
à s'opposer à ce que nous ne nous écartions pas, c'est-à-dire nous Taire
dévier, etc. — il faut bien faire attention dans cette phrase à l'action
négative de la conjonction quominus, s'exerçanl sur le yerbe déjà né-
gatif non recedamus.
5
Mériter les bonnes grâces, gagner l'amitié, la faveur de...
4
De ces cinq prêtres schismatiques, quatre sont nommés dans une
lettre de l'édition complète ; ce sont Donat, Forlunal, Novat et Cordius,
qui s'étaient opposés à l'élection de saint Cyprien. A joutez-y Caîus do
c
» J o a n . u . ~ H \ o m . tu. — Gai. i.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN* 2£5
au sujet desquels l'Apôtre saint Jean dit dans son Epitre :
fis sont sortis d'entre nous, mais ils n'étaient pas des nôtres
Car s'ils eussent été des nôtres, ils fussent certainement resté
.avec nous. Saint Paul aussi nous avertit que quand des nié-
chants périssent en se séparant de l'Eglise, nous ne devons pas
en être émus, et que le départ des incrédules ne doit pas di-
minuer notre foi. Eh guoit dit-il, si quelques-uns d'entre
eux perdent la foi, est-ce que la foi de Dùu est anéantie par
leur incrédulité? Bien loin de là. Car Dieu est la vérité même*
tandis que tout humme est trompeur.
X. Quant à nous, nous regardons comme un devoir de
conscience, notre très-cher frère, de veiller à ce que per-
sonne ne périsse par notre faute en abandonnant l'Eglise ;
mais si quelqu'un périt volontairement et par son propre
crime, et refuse de faire pénitence et de revenir à l'Eglise, il
est certain qu'au jour du jugement nous serons à l'abri de
tout reproche, nous qui ne cherchons que leur salut, et
qu'eux seuls seront soumis aux châtiments pour n'avoir pas
voulu être guéris par nos salutaires conseils. Et les outra-
ges d'hommos perdus ne doivent pas nous faire dévier du
droit chemin et de la règle de certitude, puisque l'Apôtre
lui-même dans ses instructions nous dit : Si je plaisais aux
hommes, je ne serais pas serviteur du Christ. 11 y a en effet
bien de la différence entre chercher à mériter la faveur des
hommes ou la grâce de Dieu. Si l'on se rend agréable aux
hommes, on offense le Seigneur. Mais si nous consacrons
tous nos soins et nos efforts, à nous rendre agréables à
Dieu, nous devons mépriser les outrages et les insultes des
hommes.
Xî. Quant à Fortunat, ce faux évêque établi par une poi-
gnée d'hérétiques invétérés, si je ne vous ai pas écrit sur-
le-champ à son siyet, mon très-cher frère, c'est que ce n'était
pas un objet qui dût être immédiatement et en toute hâte
porté à votre connaissance comme quelque chose d'impor-
tant et de redoutable; surtout comme vous connaissiez déjà
du reste le nom de ce Fortunat, qui est un des cinq prê-
tres depuis longtemps déserteurs de notre Eglise, et ex-
communiés, il y a déjà un certain temps, par arrêt d'un

Didda, que (lettre XVI de noire recueil) le clergé de Carthage excom-


munia en l'absence et avec l'approbation de saint Cyprien, et vous au-
r a leur liste complète.
226 SELECTE DIVI CYPRIANI KP1ST0L<1!.
1
gravissimorum virorum nuper abstentis , qui super iiac re
priore anno ad te litteras fecerunt. Item Felicisshnum signi-
ferum seditionis* recognosceres, ijui et ipse in iisdem co-
episcoporum nostrorum faeu& te pridem litiens contine-
tur; qui non tantùm ab iis istis abstentus, sed et abs te illic
nuper de Ecclesia pulsus est. Cùm hase in notitia tua esse
conûderera, et pro certo bajrere mémorisa et disciplinai tuaî
scirem, necessarium non putavi celeriter et urgenter hœre-
ticorum tibi ineptias nuntianilas. Neque enim ad calholic»
Ecclesiœ majestatem pariler ac dignitatem pertinere débet
quid apud se baereticorum et sehismalicorum moiialur au-
dacia. Nam et pars Novatiani Maximum presbyterurn nuper
ad nos a Novatiano iegatum missuin, atque a nostra ctiinmu-
nicatione rejectuni, nunc istic sibi fecisse pseudoepiscopum
dicitur. Nec tamen de lioc tibi smpserarn, quando hœo
omnia contemnantur a nobis, et miserim tibi proximè no-
mina episcoporum istic constitutorum qui inlegri et sani in
Ecclesia catholica fratribus praesunfc. Quod utique ideo de
omnium nostrorum consilio tibi placuit scribere, ut erroris
3
diluendi ac perspiciends verilatis compendium fieret, et
scirès tu et collège nostri quibus scribere el litteras mutuô a
quibus vos accipere oporteret; si quis autem prseter hos
quos epistolà nostrà complexi sumus scribere vobis auderet,
sciretis einn vel sacrilicio vel libello esse maculatum, vel
unum de haereticis, perversum scilicet et profaniun. Nactus
tarnen occasionem familiarissinii hominis et clerici, per Fe-
licianum acolythum, quem cum Perseo* collega nostro mi-
seras, inter estera quœ in notitiam luam perferenda hinc
fuerant, etiam de Fortunato isto tibi scripsi. Sed, dum istic
Felicianus frater noster vel vento relardatur, vel accipiendis
8
aliis epistolis a nobis detinctur , Feiicissimo ad vos prope-

1
Voyez page 122, note — U n seul ms. porte profugus et abstentus,
le^on visiblement erronée.
3
Ce sont presque les mêmes termes que ceux de la lettre X X , rela-
tive tout entière au schisme de Féiicissime : ducem se factionis et sedi-
tionis principem temerario fnrore contestons.
8
Moyen prompt, abrégé, facile.
* C'était probablement un évèque d'Italie, envoyé par le pape Cor-
neille en misrion près de saint Cyprien.
* Ou que nous t'avons retenu près de nous pour pouvoir lui remettre
d'autres lettres.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 2 2 1
grand nombre de nos collègues, tous personnages graves,
ui vous ont écrit Tannée dernière à ce sujet. Au nombre
c ces schismatiques, vous reconnaîtriez encore Féiicissime,
ce porte-drapeau de la sédition, dont il est question aussi
dans cette même ancienne lettre que vous ont adressée nos
collègues, et qui non-seulement a été excommunié par eux
alors, mais a été dernièrement à Rome repoussé par vous-
même de l'Eglise. Comme j'étais fondé a croire que ces faits
étaient à votre connaissance, et que je savais de science cer-
taine que ces condamnations étaient gravées dans votre mé-
moire et conformes à vos principes, je n'ai pas regarde
comme nécessaire de vous annoncer h la hâte et avec em-
pressement ces folies des hérétiques. La majesté comme la di-
gnité de l'Eglise catholique ne doivent être en effet nullement
intéressées ace qu'il plaît à l'audace des hérétiques et des
schismatiques d'entreprendre. C'est comme on dit aussi que
le parti de Novatien s'est douné ici pour faux évèque le prê-
tre Maxime, que Novatien avait envoyé en députation près
de nous, et que nons avons banni de notre communion. Je
ne vous avais cependant pas non plus écrit au sujet de celui-
là, parce que je méprise toutes ces folles tentatives, et que
je vous ai transmis dernièrement les noms des évèques ré-
gulièrement établis dans notre province, et qui, intacts dans
leur foi et sains dans leur doctrine, gouvernent les lidèles
dans le sein de l'Eglise catholique. Je vous ai, d'après l'avis
de tous nos collègues, fait parvenir ce document, aûn que ce
fût pour vous un moyen prompt et facile de discerner l'er-
reur et de reconnaître la vérité, et que vous connussiez, vous
et nos collègues, ceux à qui vous devriez écrire, et de qui ré-
ciproquement vous pourriez recevoir les lettres; de manière
que si, en dehors du nombre de ceux dont notre lettre ren-
ferme les noms, quelqu'un avait l'audace de vous écrire,
vous fussiez instruit d'avance que c'est un indigne, souillé
par les sacrifices ou les certificats des magistrats païens, ou
un hérétique, c'est-à-dire un pervers et un profane. Ayant
toutefois trouvé l'occasion que me présentait un ecclésiasti-
que de nos amis, je vous ai, par l'acolyte Félicien, que vous
aviez envoyé ici avec Persée notre collègue, entre autres
objets que j'avais à vous faire connaître, écrit aussi au sujet
de ce Fortunat. Mais, tandis (lue notre frère Félicien était
retenu ici ou par les vents contraires ou par nous-mêmes
qui avions à lui remettre d'autres lettres encore, il a été
228 SBLBGMf MVi UYP1UAKI El'ISTOUG.

rante prasvenlus est. lia enim senipor scelcra iostiuaiit quasi


contra imioccntiam festinatione praivaleant.

XII. Per Felieianum autem signilicavi tibi, fraler, venisse


Carlhaginem PrivaUun, vclerem liu*relicuni, in Lambesilana
1
colonia antc multos fcrc annos , ob niulla ot gravia delicta,
nonaginta cpiscoporum scutcutià ouiideinnatum, anleeesso-
rum otiam nostrorum, quod et vestrani conscJentiam non
lalet, Fabiani et Donali litteris severissiniè notntum; qui,
cùm causam suam apud nos in concilio quod iiabuimus idi-
bus raaiis qiuc proxims fuemnt agere velic se diceret, nec
admissus essct, Forlunatum istiun sibi pseudoepiscopum
dignum collegio suo fecit. Veucrat etiam cum illo et Félix
quidam, quem ipse extra Ecclesiam in haeresi pseudoepisco-
pum olim constituerai. Sed et Juvinus et Maximus comités
2
cum Privato probato hœretico affueruut ob nefauda sacri-
ficia et crimina in se probata sententià novcm episcoporum
collegarum nostrorum condemnati, et iterato quoquè a plu-
ribus nobis anno priorc in concilio abstenti. Cum bis autem
1
quatuor junclus est et Repotus Salurniecncis ', qui non
tantiun in persecutione ipse eecidit, sed et maxiinam partcm
4
plobis suai sacrilogà pcrsuasione dejceit. lli quinquecum
paucis vel saerifiealis* vel malè sibi conseils Forlunatum sibi
pseudoepiscopum cooplarunt, ut, crhninibus in unum cou-'
venientibus, talis esset seilicet rector quales illi qui re-j
guntur,
1
II y a déjà bon nombre d'années. Feré donne à cette locution quel-
que chose de vague et d'indéterminé.
%
Hérétique avéré, convaincu d'hérésie. — Au lieu de Privato, quel-
ques mss. seulement donnent Privatio qui ne saurait être bon, car Pri-
vai étant nommé encore dans cette lettre, l'admission de Privatius por-
terait à six le nombre des évèques condamnés, que saint Cyprien dit
avoir été de cinq.
* Ce mot, tel que nous le donnons, signifie Evêque de Salurnia ou
Saturnium. 11 y a au reste un grand nombre de variantes. Ualuze écrit
Salurnicemis, et Lombcrt traduit Etèquc de Saturne; mais ii ne donne
pas plus de renseignements sur cette Saturne, que i ous n'en pouvons
donner sur Saturniaou Saturnium, également inconnus.
4
Au lieu de persuasione* un ceitain nombre de mss. donnent pene-
cuiioiM, qui manque totalement de vraisemblance.
tt s
Voyez page 1G0, note *, et page 14C, note .
Lfc'iTilES CUOiSILS Db SAINT CYPMEN. 229
prévenu auprès de vous par la diligeucc de Féiicissime.
a
Toujours en effet le crime se hàte , comme si celle précipi-
tation devait le faire prévaloir contre l'innocence.
XII. Or je vous mandais par Félicien, mon très-cher frère,
l'arrivée à Cartbage de Privât, hérétique invétéré, de la co-
lonie de Lambesse, condamné, il y a déjà nombre d'années,
pour crimes graves et multipliés, par arrêt de quatre-vingt-
dix évèques, et noté très-sévèrement, comme vous ne l'igno-
rez pas, dans les lettres de nos prédécesseurs Fabien et
b
l)onat . Comme il disait vouloir plaider sa cause devant
nous dans le concile que nous thunes aux ides de mai der-
nier, et que nous refusâmes de l'y admettre, il a créé faux
évèque ce Fortunat digne de sa société. Avec lui était venu
un certain Félix, établi par lui faux évèque hors de l'Eglise
et au sein de l'hérésie. Nous avons vu arriver aussi de com-
pagnie avec ce Privât, hérétique avéré, Jovin et Maxime,
condamnés, pour sacrifices abominables et autres crimes bien
prouvés, par sentence de neuf évoques nos collègues, et ex-
communiés encore une seconde fois par un plus grand nom-
bre d'entre nous dans le concile tenu par nous l'année der-
nière. A ces quatre indignes ministres s'est joint encore
Rcpotus de Saturnium, qui non-seulement a succombé lui-
même dans la persécution, mais qui par ses sacrilèges ex-
citations, a déterminé aussi la chtite d'une partie de son
troupeau. Ces cinq schismatiques, avec une poignée d'indi-
vidus coupables ou de sacrifices ou d'autres méfaits, ont
adopté parmi eux comme faux évêquo ce Forlunat, de telle
sorte que par cette réunion de criminels de toute sorte, le
pasteur et le troupeau se trouvent on ne peut mieux asso-
ciés.

» C'est la môme pensée que Tacite exprime au premier livre de ses


Histoires, quand II dit : Scelera'impctu valescnnU Claudien, livre JI con-
tre llnfin, dit, à peu près dans le même sens :
. . . . . Nequc enim patiuntur sceva quiclcm
Crimhia.
b
Ce passage a fait conjecturer avec assez de vraisemblance à Baro-
nius, que le prédécesseur de saint Cyprien était ce Donat, comme lu
prédécesseur de Corneille était saint Fabien. C'est au reste une con-
jecture probable et non pas une certitude, car ailleurs saint Cyprien ap-
pelle aussi nos prédécesseurs 1rs papes Corneille et Lucius, qui n'avaient
jamais occupé le siège de Cartilage, mais avaient cessé de vivre après
avoir exercé comme lui les fonctions épiscopales.
230 SELECTE DiVl CYPHIANI EPISTOLA.
XUJ, Hinc jain et cœtera mendacia, frater charissime,
potes noscere qiuc illic hommes desperati et perditi venti-
laverunt, ut, cùm de sacrificatis vel de liœreticis ampliùs
quàm quinqiie pseudoepiscopi non fuerint qui Carthaginem
veneriutet Kortmiatum sibi démentis su» socium consti-
luerint, illi tamen, quasi filii diaboli et mendacio pleni, ausi
sunt, ut scribis, jactitare viginti quinque episcopus atluisse.
Quod mendaciiun et istic priùs apud fratres noslros jactita-
baut, dicentes viginti quinque episcopos de Numidia esse
veutm'os qui sibi episcoputn lacèrent. Quo in mendacio suo
posteaquain, quinque solis convenientibus nauiragis et a
nobis abstentis, detecti sunt atque confusi, Romam cum
1 4
mendaciorum suorum merce navigaverunt, quasi veritas
post eos navigare non posset, quae mendaces linguas rei
eertae probatioue convinceret ! Atque lnee est, frater, vera
dementia, non eogilare nec scire quôd mendacia non diù
fallant, noctem tamdiu esse quaindiu illucescat dies, clari-
iicato autem die et sole oborto, luei tenebras et caliginem ce-
dere, et, quae grassabantur per noctem, latrocinia cessare.
Denique, si nomina ab eis quacreres, non haberent vel quos
falsô nominarent. Tanla apud eos etiam malorum penuria
est, ut ad iilos nec de saerificatis nec de luereticis viginti
quinque colligi possint. Et tamen ad decipiendas aures sim-
3
plicium el absentium mendacio numerus inflatur; quasi,
etsi verus essel hic numerus, aut ab hœreticis Ecclesia aut
4
ab injuslis justîtia vincatur .
XIV. ISec me oportel, frater charissime, paria nunc cum
8
illis lacère , et ea quae commiserunt atque hue usque coro-
miltmit meo sermone decurrere, cùm considerandum sit
1
Avec leur cargaison de mensonges. — Saint Jérôme, dans VOvation
funèbre de Marcella, dit de même t.Navem plenam blasphemiorum
lia maao intulil porluL
* <:nmme si. ou pensant peul-ètre que la vérité, etc.
5
Non pas absents, mais éloignés du théâtre de leurs intrigues.
4
Ces deux alinéa sont vraiment accablants, tant ils mettent à nu
l'imposture, la mi&ère et l'impuissance des nouveaux schématiques. Et
puis quel bonheur d'expression, que de dédain dans ce langage, où se
révèle clairement la vérité des fails et l'autorité de l'Eglise elle-même!
C'cbt là. connue nous l'avons remarqué ailleurs, le ton simple, grave et
ûer de Démosthènes*
* Faire comme eux, leur rendre la pareille.
LETTRES CHOISIES DK SAINT CYPRIEN. 231
XIII. Vax ce simple expose des laits, vous pouvez dès-lors,
mon très-cher frère, recounaitre aussi les autres mensonges
qu'ont mis chez vous en circulation ces audacieux, ces hom-
mes perdus. Ainsi, bien que, parmi les coupables de sacrifi-
ces païens ou d'hérésie, ii ne se soit pas trouvé plus de cinq
taux évèques qui soient venus a Carthage. et aient établi
Kortuuat comme associé de leur démence, eux au contraire,
m véritables enfants du démon et en hommes pétris rie
mensonge, ont eu l'audace, comme vous me le mandez, de
se vanter publiquement que vingt-cinq évèques avaient as-
sisté à cette ordination sacrilège. Ce même mensonge, ils
le répandaient aussi auparavant parmi les fidèles de notre
Eglise, affirmant qu'il devait venir de Numidie vingt-cinq
évèques pour se choisir un collègue. Mais après que par la
simple réunion de cinq hommes perdus, excommuniés par
nous, ils furent ainsi pris en flagrant délit de mensonge
et couverts de confusion, ils firent voile pour Rome avec leur
cargaison d'impostures, comme si la vérité ne pouvait en-
treprendre après eux le même voyage pour les convaincre
de mensonge en rétablissant les faits dans leur réelle exac-
titude ! Et c'est là, mon très-cher frère, une véritable démen-
ce, de ne songer ni savoir que le mensonge ne peut pas trom-
per longtemps, que la nuit ne règne que jusqu'à ce que le jour
se fasse, mais que quand le jour est levé et que le soleil
brille aux deux, la lumière, remplaçant les ténèbres et l'obs-
curité, met fin aux brigandages qui s'exerçaient à la faveur
de la nuit. Enfin, si on leur demandait le nom de ces vingt-
cinq prétendus assistants, ils ne sauraient même qui nom-
mer faussement. Tant est petit, même, chez eux, le nombre
ries méchants, que, ni parmi ceux qui ont sacrifié, ni parmi
les hérétiques, ils ne pourraient réunir autour d'eux vingt-
cinq de ces faux évèques. Et cependant, pour tromper la
crédulité des simples et des personnes éloignées du théâtre
de leurs intrigues, ils ont recours h l'imposture pour grossir
le nombre de leurs partisans ; comme si, ce nombre fùl-il
môme réel, F Eglise pouvait être vaincue parles hérétiques,
ou la justice par l'iniquité !
XIV. Et je ne dois pas, mon très-cher frère, leur rendant
outrages pour outrages, exposer dans cette lettre tous les
crimes qu'ils ont commis et qu'ils commettent encore à pré-
sent ; car je dois considérer ce que peuvent se permettre
d'articuler et d'écrire les ministres de Dieu ; c'est en effet
232 SKLBGTiK Dm CYPRIANI EHSTOLvK.
nobis quid proferre et scribere sacordotes Dcioporteat, nec
1
tara dolor apud nos debeat quàm pudor loqui, et ne videar
provocatus maledicta potiùs quàm crimina et peccata conge-
rere. ïaceo itaque de fraudibus Ecclesiae factis. Conjura-
tiones et adulteria* et varia delictorum gênera prœtereo.
Unum illud, in quo non raea, nec hominum, sed Dei causa
est, de eorum facinore non puto esso reticondum, quôd a
primo stalim persecutionis die, cùm recentia delinquentium
iacinora ferverent, et sacriliciis nefondis non tantùm diaboli
altaria, sed adhuc manus ipsae lapsorum atque ora fumarent,
communicare cum lapsis et pœnitentiee agendas intercedere*
uon dostiterunt. Clamât Deus : Sacrificans diis eradicabitur,
a
nisi Domino soii . Et Dominus in Evangelio dicit : Qui me
4 h
negaverit, negaho illum . Et alio loco indignatio et ira divina
non* lacet, dicens : Mis fudistis libamina, etillis imposuislis c
sacrifteia. Super hœc non indignabor ? dicit Dominus . Et
intercedunt ne rogetur Deus, qui indignari se ipse testatur.
Inlercedunt ne exoretur precibus et satisfactionibus Christus,
qui neganlem se negare profitetur!
XV. Nos in ipso persecutionis tempore de hoc ipso litteras
misiinus, nec auditi sumus. Concilio fréquenter acto, non
consciisionc tantùm nostrà sed et comminatione decrevimus
ut pœnilentiam fratres agerent, ut pœnitenliam non agen-
tibus nemo temerè pacem daret. Et ilh, contra Deum sacri-

1
Le ressentiment. — Pudor, réserve, retenue, modération.
* Un seul ms. donne adulteria et stnpra.
5
S'opposer à ce qu'ils (les lapsi) fissent pénitence. Nous avons vu
dans plusieurs lettres les lapsi vouloir, sans faire pénitence, rentrer
d'autorité dans le sein de l'Eglise, lis étaient encouragés dans leur a u -
dace par des membres même du clergé, qui communiquaient avec eux et
soutenaient leur p:étenlion. Saint Cyprien se plaint (lettre X V I , parag. u)
de cette assistance coupable donnée aux malheureux qui avaient failli;
il emploie les mêmes termes pour blâmer l'opposition apportée à leur
repentir i Quorum gemitibus et lacrymis intercedunt quidam de près-
byieris, ul communicandum cum illis temerè cxislimenl. Et plus loin :
Interea, si quis sire de nostris presbyteris vel diaconibus, sive de
peregrinis, ausus fuerit ante sentenliam nostram communicare cum
lapsis, a comuxunione noslra arcealur, etc.
* Treize mss. portent et ego eum negàbo; un seul donne, comme la
Vulgate, et ego negabo eum,
b
* Exod. xxii. — Malth. x. — « IsaL LVII.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPIUEN. 233
la modération cl non le ressentiment qui doit caractériser
noire langage ; et il ne faut pas que je paraisse, cédant à
la provocation, accumuler contre eux des injures plutôt que
raconter simplement leurs crimes et leurs forfaits. Je m'abs-
tiens donc de parler de leurs fraudes au détriment de l ' E -
glise. Conjurations, adultères, forfaits en un mot de tout
genre, je passe également tout sous silence. Mais il est un
crime qui intéresse non pas ma cause ni celle des hommes,
mais la cause même de Dieu, et à propos duquel il m'est
1
impossible de ne pas m élever contre leur audace sacrilège.
C'est que, depuis le premier jour de la persécution, quand
les forfaits des malheureux qui renonçaient à la foi étaient
récents et flagrants, et que non-seulement les autels du dé-
mon, niais aussi les mains et les lèvres mêmes des tombés
fumaient encore de la vapeur d'abominables sacrifices, ils
n'ont pas cessé d'être en communion avec les tombés et de
les empêcher de faire pénitence. Dieu crie dans sa colère :
Celui qui sacrifie aux dieux, autres qu'au Seigneur seul, sera
arraché à la vie. Et le Seigneur dit dans l'Evangile : Celui
qui me reniera, je le renierai aussi. El, dans un autre en-
droit la colère ci l'indignation de Dieu ne pouvant non plus
se contenir, il dit : C'est à eux que vous avez fait des liba-
tions, el c'est sur leurs autels que vous avez consommé vos
sacrifices. Et je ne m'indignerai pas à propos de telles abomi
nations? dit le Seigneur. Et ils s'opposent, eux, à ce qu'on
supplie le Seiguour, qui lui-même témoigne son indignation
contre de pareils crimes ! Us s'opposent à ce que l'on flé-
chisse à force de prières et de satisfactions le Christ qui dé-
clare qu'il reniera ceux qui l'auront renié.
XV. Nous, au temps mémo de la persécution, nous écri-
vîmes sur cet abus des lettres qui ne furent point écou-
tées. Dans un concile nombreux nous décrétâmes non-seule-
ment avec unanimité, mais avec menace d'excommunication,
que nos frères qui avaient failli devaient faire pénitence ;
nous défendîmes % tout membre du clergé d'accorder témé-
rairement la paix à ceux qui refuseraient de prouver leur
a
repentir . Et eux, sacrilèges envers Dieu, s'éievaut avec
l'aveuglement d'une fureur impie contre les ordres de ses
ministres, se séparant de l'Eglise et portant contre elle des
a
Voyez sur cette résolution commune, la lettre XXV, page 149 et suiv.
Voyez aussi lettre XYJ, page 113.
23â> SBLUUIMt MVI UYPK1AM EPlSTOL/K.
1
legi, contra saoerdotes Dei impiu furore tenierarii, de Ec-
clesia reeedcutes, el contra Ecclesiam parrieidalia arma
lollentes, élaborant ut opus suiun diaboli malitià eonsuin-
ment, ne* vulueratos divina clementia in Ecclesia sua curel.
Miserorum pœnitentiam meudaciorum suorum fraude cor-
rompu nt, ne Deo indignant] satisiiat, ne Christum Dominum
suum qui christianus esse vel erubuil antè vel timuit» post-
modum qucerat, ne ad Ecclesiam qui de Ecclesia rocesserat
redeat. Datur opéra ne satisfactionibus et lainenlationibus
justis delicta redimanlur, ne vuinera laervmis abluantur.
4
Pax vera falsac pacis mendacio tollitur , sain taris sinus nia-
tris novercà intereedente* praecluditur/ne de pectore atque
ore lapsorum fletus et gemitus audiatur. Compelluntur adbuc
insuper lapsi ut, linguis atque ore quo in Capitolio antè de-
6
liqueranl, sacerdotibus convicium faciant , confessores et
virgines et justos quosque fidei laude pra&eipuos atque m
Ecclesia gloriosos contumeliis et maledicis vocibus prose-
quantur. A quibus quidem non tam nostrorurn modeslia el
7
Jiumilitas et pudor cœditur quàm illorum ipsorum spes et
vila laceratur. Neque enim qui patitur, sed qui facit convi-
8
cium, miser est ; nec qui a fratro vapukt, sed qui fratreui
eaxlit, in lege peccator est; et, cùm nocentes iunocentibus in-
juriam faeiunt, illi patiunlur injuriam qui facere se credunt.
* Contra sacerdoles. U» ms. porte contra Ecclesiam et sacerdoles,
peu probable, puisqu'on lit une liune plus bas contra Ecclesiam.
3
Au lieu de malitiâ consumaient, ne, un certain nombre de nu*,
donnent malitia consutnmel, nec, etc. Cette leçon, adoptée par Coustant,
nous paraitrait préférable à celle donnée par Baluze d'après un grand
nombre de mss., en ce qu'elle établit un contraste entre l'action de-la
malice du démon et celle de la clémence divine. Cependant nous avons
conservé celle de Baluze comme mieux autorisée.
* Trois anciens mss. et toutes les vieilles éditions ne portent pas antè*
— Pamelius croit que erubuil se rapporte aux tombés, el timuit aux
libella tiques; conjecture ingénieuse, mais un peu subtile.
4
Leur est enlevée, ravie, ou e$t anéantie, rendue impossible,
H
Intercedente, supposant; t. de droit.
0
Convicium faciant. Au lieu de convicium, deux anciens mss. ont
convicium et injuriam; un autre conviciorum injuriam, assez mauvais
tous les deux.
Au lieu de illorum ipsomm, donné par tous les mss*, Erasme donne
7

lapsorum, assez insigniiiant.


8
Ce passage est cité par saint Jérôme. Le même dit en un autre en-
droit: ttagls volui pati injuriam quàm facere. Cicéron : In culpa est
qui facit, non qui patitur injuriam.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 235
amies parricides, s'efforcent avec une malice diabolique de
consommer leur œuvre, c'est-à-dire d'empêcher la clémence
diviue de guérir au sein de son Eglise les blessures de ses
enfants- lis étouffent par l'arlilice de leurs mensonges la pé-
nitence des malheureux, les empêchant de satisfaire à Dieu ;
empêchant celui qui a rougi ou qui a craint dans le passé de
se montrer chrétien, de rechercher dans la suite le Christ
son Seigneur; empêchant de revenir a l'Eglise celui qui s'é-
tait éloigué d'elle. Ou s'oppose à ce q:ie des satisfactions «I
des prières convenables puissent racheter les fautes des pé-
cheurs, à ce qu'ils puissent laver leurs plaies a force de lar-
mes. On anéantit au moyeu d'une paix mensongère la paix
véritable ; le sein uourricier de la bonne mère est rendu inu-
tile par la cruelle opposition de la marâtre j on ne veut pas
que du cœur et de la bouche des tombes sortent et s'enlen-
dent leurs pleurs et leurs gémissements. On engage en-
core en outre les malheureux à employer cette langue cl
cette même bouche qui ont forfait jadis au Capitole», à in-
sulter les ministres de Dieu, et à poursuivre de leurs outra-
ges et de leurs alfronts les confesseurs, les vierges, et tous
les justes en un mot qui se sont illustrés par leur foi, et
dont la gloire est vénérée dans l'Eglise. Les insensés ! ce n'est
pas tant la modestie, l'humilité et la pudeur de nos frères,
qu'ils outragent, que leur avenir h eux-mêmes et leur pro-
pre vie qu'Us déchirent- Et en effet, le malheureux n'est pas
celui qui est l'objet, mais bien celui qui est l'auteur d'un
outrage; le pécheur, aux yeux de la loi, c'est non celui qui
est maltraité par son frère, mais celui qui se livre envers son
frère ace mauvais traitement; et quand les coupables com-
mettent quelque injustice envers les innocents, ceux-là mêmes
sont victimes de l'injustice, qui se figurent en être les auteurs.

* Le Capitole de Carthage, comme le remarque justement Baronius


Les colonies romaines et les peuples vaincus avaient les mœurs de
Romains et des monuments pareils aux leur*, des capitales, des amphi
théâire*, des thermes, etc. (Voyez le Glossaire de Ducatige au mot Ca
pilote.) C'était au Capitole que l'on forçait les chrétiens de sacriû.r au,
dieux; aussi avaient-ils en horreur ce nom vénéré des païens. Ils regar
datent le (.apitoie comme le temple des démons (Tertullien), comme h
citadelle et la synagogue de l'Antéchrist. Tcriuilieu, dans son livre î)
Speclaculis, dit : Si CapUolium... adorator intravero, tl Deo excidam
11 sera encore parlé du Capitule avec mépris ou plutôt avec horreur ver
la fin de cette lettre.
236 SELECT/E DIVI CYPRIANI EP1ST0L.E.
XVI. Denique Jiinc iliis porcussa mens et hehes animus
et sensus alienus est. Ira est Dei non intclligcre delicta, ne
secjuatur pœnitentia, sicut scriptum est : Et dédit Mis Deus
spirilum transpunctionis*, ne revertantur scilicet et curen-
tur. et deprecationibus et satisfactionibus justis post peccata
sanentur. Paulus apostolus in Epistola sua ponit, et dicit :
1
Diiectum veritatis non habnerunt ut suivi fièrent; ac propte-
rea mittet illis Deus operationem erroris, ut crcdant mcnda-
cio, ut judicentur omnes qui non crediderunt veritati, sed
h
sibi placent in injuslitia . Primus feticitatis gradua est non
3
dclinquere; secundus, delictacognoscere*. Illic curritin-
nocentia intégra et illibata quai servet, hic succcdit modela
quac sanct. Quod utrumque isti offenso Deo perdiderunt, et ut
amissa sit gralia que de baptismi sanctificatione percipitur,
et non subveniat* pœnitentia, per quam culpa curatur.
XVII. An putas, frater, ievia esse advenus Deum facinora,
parva et modica delicta, quôd per illos non rogatur majeslas
indignantis Dei; quôd non timetur ira et ignis et dies Do-
8
mini; quôd, imminente antichristo, exarmatur fides mili-
tantis populi, dirai tollitur vigor et timor Christi? Viderint
0
laici hoc quomodo curent . Sacerdotibus labor major in-
7
eumbit in asserenda et procuranda Dei majestate, ne quid
1
Quelques mss. anglais ont delcctim. Nous avons préféré la leçon que
portent le plus grand nombre de mss. : diiectum, c'est-à-dire dilectio-
nem; d'autant plus que la Yulgate donne cliaritatcm.
9
Un vieux manuscrit ajoute tertius, commissa dilmre. Cette addi-
tion, qu'on ne trouve nulle part ailleurs, serait inutile et mémo nuisi-
ble, en ce qu'elle n'aurait pas d'explication correspondante dans ce qui
suit.
3
Illic, c'est-à-dire in primo felicitatis gradu ( non dclinquere ) .
— Hic, c'est-à-dire in secundo fel. grad. (delicla cognoscere).
4
Coustant donne subsit; un ms. supersit. Même sens au fond : pour*
quoi ne pas suivre la leçon, qui a pour elle le plus grand nombre de
mss. P
tt
Tcrtullicn : Emrmata sunt jura.
0
Que les laïques voient de leur côté comment ils prendront cette con*
duite, ou comment ils remédieront à ces abus.
7
Asserenda et procuranda. Cette leçon est donnée par trois mss. ;
cinq autres portent asserenda etpropitianda; trois autres, et de vieilles
éditions, asserenda, propitianda et procuranda. 11 ne s'agit pas d'apai-
sai*, mais d'assurer, de maintenir le respect dû à l'autorité, à la majesté
divine.
a
Isai. xxix. — >> Il Thcss. n.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 237
XVI. C'est pour cela enfin qu'ils sont frappés d'un esprit
de vertige, que leur Ame est insensible et leur raison per-
vertie. C/esl un effet de la colère de bien que de ne pas com-
prendre ses fautes, de façon que Ton no veut pas ensuite en
faire pénitence, comme il est écrit : Dieu leur a donné /'es-
prit de mort, pour les empêcher de revenir et de recevoir des
soins utiles, et d'être guéris après leurs péchés au moyen de
prières et de satisfactions convenables. L'apotre saint Paul
exprime la même pensée dans une de ses Epltres, quand il
dit : Ils n'ont pas eu, pour se sauver, l'amour de la vérité ;
c'est pourquoi Dieu les livrera à faction de /'erreur, de ma-
nière à les faire croire au mensonge\ et à rendre dignes d'être
jugés tous ceux qui n'ont pas cru à la vérité, mais qui se
complaisent dans l'injustice. Le premier degré du bonheur,
c'est de ne pas commettre de fautes ; le second, c'est de les
reconnaître quand on en a commis. Sur ce premier terrain
s'exerce l'innocence intacte et pure, qui nous sauve ; sur le
second opère ensuite l'art du médecin, qui nous guérit. Ces
deux biens, ils les ont perdus en offensant Dieu ; ils se sont
dépouillés de la grâce, fruit de la sanctification du baptême,
et ils ont renoncé aux secours de la pénitence qui guérit le
mal fait p*u- le péché.
XVII. Pensez-vous, mon frère, que ce soient de légères of-
fenses envers Dieu, de petites et minces infractions à sa loi,
quand ces hommes empêchent d'implorer la majesté divine
indignée, de redouter la colère, le feu et le jour terrible du
Seigneur ; quand à rapproche de Tantechrist, ils désarment
la foi de l'Eglise militante, en anéantissant la vigueur des fi-
dèles et la crainte du Christ ? Que les laïques voient de leur
côté quels soins ils peuvent prendre pour remédier à de tels
attentats. Les évèques ont à accomplir une tâche plus étendue
pour maintenir et faire respecter la majesté divine, et nous
ne devons, pour cet objet, négliger aucuns efforts, quand le
Seigneur nous donne cet avertissement : Maintenant, voici
un précepte qui vous regarde^ ministres de l'Eternel. Si vous
ne l'écoutez pas, et que vous ne vous mettiez pas bien dans
Vesprit de faire honorer mon nom, dit le Seigneur, je lance-
rai sur vous ma malédiction, et je maudirai les bénédictions
que vous répandrez. Dieu est-il donc honoré, quand on mé-
prise sa majesté et sa sévérité au point que, tandis qu'il dé-
clare son indignation et sa colère contre ceux qui sacrifient
aux dieux, et les menace de peines éternelle* et de supplices
SKLECTA DIVI C Y I 1 U A X I EFISTOLA£.

videanuir in bac parte uegligere., quando admoneal Dominus,


et dical : Et nunc prœceptmn hoc od vos est. o sacerdotcs. Si
non avdieritiS) et si non posueritîs in corde vestro nt detis
honorera nomini meo, dicit Dominus, immittam in vos maie-
u
dictiunem, et maledicam benedictianem rntram . Honor ergô
datur Deo, quando sic Dei majestas et censura coutemnilur
1
ut, cùm se ille indignari et irasci sacrilicantibus dicat, et
cùm pœnas aeternas et supplicia perpétua eomminetur, pro-
ponatur à sacrilogis atque dicatur ne ira cogitetur Dei, ne
timeatur judicium Domini, ne pulsetur ad Ecclesiam Christi ;
sed, sublalà pœnitentià, nec ullâ exomologesi criminis factà,
despectis episcopis atque calcatis, pax a non veris presby-
teris * verbis fallacibus prœdicetur, et, ne lapsi surgant, aiit
forts positi ad Ecclesiam redeant, communicatio a non com-
municantibus ' offeratur?
XVII]• Quibus etiam satis non fuit ab Evangelio reces-
sisse, spem lapsis satisfactions et pœiulentiœ sustulisse ,
v
fraudibus involutos , vel adulteriis commaculatos, vel sacri-
ficiorum funestâ contagione pollutos, ne Deum rogarent, ne
in Ecclesia exomologesin criminum facerent, ab omni et sensu
et fructu pœnitentiae amovisse, forte sibi extra Ecclesiam et
5
contra Ecclesiam constituisse conventiculum perdit» factio-
1
Ceux qui sacrifient aux faux dieux.
* La leçon des anciennes éditions, A non veris presbyteris, qni a pour
elle neuf mes., présente u n beau sens: ce* prêtres a l'indulgence meur-
trière, sont des prêtres schismatiques; ce ne sont pas de vrais prêtres.
C'est dans c e sens que saint Cyprien dit d'un prélre schématique nommé
Victor : Victor quondam presbyter. Nous adoptons cette leçon, malgré
Baluze.
* A non commnnicantibus. adapté par Coustant, donne un bien beau
sent» : c e s prêtres exclut», nu méritant d'être exclus de la communion,
donnent eux-mêmes la communion a laquelle ils fcont ou doivent être
étrangers. Ainsi, dans u n e autre lettre : Pacem nunc offerunt qui ipsi
non habent pacem. Nous adoptons encore celte leçon malgré Baluze.
4
Tacite, Annal., Iib. xvi : Fraudibus involutos aut fiagitiis comma-
culatos. Le pape Innocent I : Modestum quemdam multis criminibus
inrolutum. L'empereur Constance: Conscienliam magnis criminibus
involutam.
n
Forts sibi extra Ecclesiam et contra Ecclesiam constituisse. Autre-
fois on lisait: Nisi forisstbi extra Ecclesiam et contra Ecclesiam con-
xtituisxcnt. Notre leçon a pour elle, outre l'avantage du sens, l'autorité
* Malach. i*.
LETTRES CHOISIES DF SAINT CYPRIRN. 239
sans fin, des hommes sacrilèges posent en principe et affir-
ment que Pun ne doit pas songer à la colère de Dieu,
redouter le jugement du Seigneur, ni frapper à la porte
de l'Eglise du Christ; niais que, supprimant toute pénitence,
et sans exiger aucune confession * du crime commis, mépri-
sant et foulant aux pieds les prescriptions des évèques, n'in-
dignes prêtres pourront annoncer la paix dans un langage
menteur, et, pour empêcher les tomùés de se relever, ou ceux
qui sont hors de PEglise de rentrer dans son sein, offrir la
communion, eux qui sont retranchés de cette môme commu-
nion ?

XVIII. Il ne leur a même pas suffi de s'être éloignés de


l'Evangile, d'avoir anéanti pour les tombés l'espoir de la sa-
tisfaction et de la pénitence; d'avoir, s'adressent à des hom-
mes coupables de vols, ou souillés par des adultères, ou en-
tachés du funeste contact des sacrifices païens, empêché ces
hommes d'implorer la miséricorde de Dieu et de faire dans
PEglise une confession publique de leurs crimes; de les
avoir éloignés de tout sentiment et, partant, de tout fruit de
pénitence ; d'avoir établi hors de PEglise et contre PEglise
des réunions pour leur faction désespérée, afin d'y recevoir
en masse toute la tourbe des gens coupables de crimes, et
qui refusent d'implorer le Seigneur et de donner satisfaction
à sa justice. Après tous ces attentats, ils font nommer par des
b
hérétiques un faux évêque , puis ont l'audace de se mettre
en mer et d'aller se présenter à la chaire de saint Pierre et
à l'Eglise principale, qui a donné naissance à Punité du
0
sacerdoce , pour y remettre les lettres de schismatiques
et de profanes, sans songer que ceux à qui ils s'adressent
sont ces mêmes Romains dont la foi a été célébrée par les
d
éloges de PApôtre , et près de qui la perfidie ne saurait

de tous nos mss., celle de sept mss anglais, et celle des plus anciennes
éditions. Ce nisi ne se trouve que dans un seul ms., encore est-il auivî
de constituisse, au lieu de constituissent qu'il appelait naturellement.
* Voyez page 73, note «.
* C'est de Fortunat qu'il s'agit ici.
c
Voilà bien la suprématie de l'tigllse romaine reconnue en termes
formels»
<> On peut voir lettre X X X , cet éloge donné par saint Paul à la foi des
Romains, rappelé par saint Cyprien.
-240 BBLRCTA DÏVI CYPRIANI EITOTOL/R.
1
nis, que malèsibi consciomm etDeum rogare ac satisfacere
nolentiuni caterva conflueret. Post ista adhuc insuper, pscn-
doopiscopo sibi ab liaereticis conslitulo, navigare audout, et
ad Pétri eatlicdram atque ad Ecclesiam principalem, unde
imitas sacerdolalis exorta est, a schismaticis et profanis litte-
ras ferre, nec cogitare eos esse Romanos quorum fides Àpos-
tolo preBdicnnte laudata est, ad quos perlidia* babere non
possit accessum. Quae autem causa veniendi et pseudoepisco-
pum contra episcopos factum nuntiandi? Aut enim placet
illis quod fecerunt, et in suo sceiere persévérant; aut, si dis-
a
plicet etrecedunt, sciunt quù revertantur . Nam, cùm statu-
lum sit ab omnibus nobis et œquum sit pariter ac justum
ut uniuscujusque causa illic audiatur ubi est crimen admis-
sum et singulis pasloribus portio gregis sit adseripta, quam
regat unusquisque et gubernet, rationem sui aetùs Domino
redditurus, oportet utique eos quibus prœsumus non circum-
cursare nec episcoporuin concordiam cohaîrentem suà sidxlolâ
etfallaci tcineritale coliidere, sed agere illic causam suam
ubi et accusatores habere et testes sui criminis possint; nisi
a
s i paucis desperatis et perditis minor* videtur esse auclori-
tas episcoporum in Africa constitulorum, qui jam de illis
judicaverunt, et eorum conscientiara multis delictorum la-
5
queis vinctam judicii sui nuper gravitate damnarunt.
Jam causa eorum coguita est, jam de eis dicta sententia est;
nec censura* congruit sacerdotum mobilis atque inconstanlis
animi levitate reprebendi, cùm Dominus doceat, et dicat:
b
Sit sermo vester, est est. non non .
XIX. Si eorum qui de illis prioïe anno judicaverunt nume-
rus cum presbyteris et diaconibus coinputetur, plurcs lune
1
La plupart des mss. cl toutes les édithns poitcnl cùm. Néanmoins
nous n'avons pas balance adopter, à l'exemple de Couslant, r/ud, qui
ne s'appuie que sur deux m.-s mais qui évidemment est de beaucoup
M

préférable.
* Per/idta, impiété, incrédulité, sens exclusivement chrétien. Ce mot
s'applique surtout à l'impiété et à l'incrédulité des Juifs qui ont refusé
de reconnaître le Messie.
a
A moins peut-étie que...., mais c'est sans doute que , ironi-
quement.
* Construirez minor paucis desperatis el perditis.
* Vinctam. Quelques mss. portent invotutam. Sur ce, mot, voyez
page 238, note *.
* Rom. i. — * Matth. v.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 241
avoir accès. Mais quoi était le motif de ce voyage, et le be-
soin d'aller annoncer la nomination d'un faux évêque en op-
11
position avec les évèques régulièrement institués ? En effet,
de deux choses Tune : ou ce qu'ils ont fait leur convient, et
ils persévèrent dans leur crime ; ou, s'ils en sont mécontents
et qu'ils reculent, ils savent bien où ils doivent revenir.
Comme c'est en effet un point arrêté chez nous tous, et con-
forme en même temps à la justice et à l'équité, que la cause
b
de chacun soit entendue là où le crime a été commis , et
qu'à chaque pasteur est assignée une partie du troupeau tle Jé-
sus-Christ, que chacun d'eux doit régir et gouverner, à charge
de rendre compte de sa conduite au Seigneur, ceux sur qui
nous avons autorité ne doivent conséquemment pas courir
ainsi de tous cotés, ni chercher à compromettre par leurs
ruses, leur fourberie et leur témérité, la concorde établie
entre les évèques, mais plaider leur cause là où ils peuvent
avoir des accusateurs et des témoins de leur crime j à moins
qu'une poignée d'audacieux, de gens perdus, ne paraissent
devoir l'emporter en autorité sur les évèques régulièrement
institués en Afrique, qui déjà ont prononcé sur le sort de
ces hommes, et condamné depuis longtemps leur conscience
enchaînée dans les liens d'une multitude de crimes. Depuis
longtemps leur procès est inshuit et leur arrêt rendu, et il
ne convient pas que Vépiscopat encoure pour ses jugements
le reproche d'inconstance et de légèreté, quand le Seigneur
nous dit dans ses instructions : Que votre langage soit sim-
plement : Oui cela est; Non, cela n'est pas.

XIX. Si Ton compte, en y comprenant les prêtres et les


diacres, les membres du clergé qui Tannée dernière ont
porté cet arrêt, le nombre des personnes qui ont pris part à
ce jugement et à cette enquête est plus considérable que
celui des adhérents actuels de Fortunat. U faut que vous
sachiez en effet, mon très-cher frère, que depuis que les

* La création du faux évêque Fortunat, bien que tendant seulement


à déposséder saint Cyprien, était en réalité un attentat aux droits de tous
les évoques.
C'est un principe du droit romain, exprimé dans le Code Théodosien,
au livre x.
14
242 SELECTE DIV1 CYPRIANI EPISTOUfc.
affuerunt judicio el cognitioni quàm sunt iidem isti qui cum
Fortunato nunc videntur esse conjuncti. Scire enim debes,
frater charissime, eum, posteaquàmpseudoepiscopusAb hae-
reticis faetus est, jam penè ab omnibus esse desertum. Kàm-
que ii quibus in praeteritum praestigia obtendebantur et da-
bantur verba fallacia quod simul ad Ecclesiam regressuri
dicerentur, poslea quàm viderunt illic pseudoepiscopum fac-
tum, frastratos et deceptos se esse didicerunt, et remeant
quotidie atque ad Ecclesiam puisant, nobis tamen, a quibus
ratio Domino reddenda est, anxiè ponderantibus et sollicité
1
examinantibus qui recipi et admitti ad Ecclesiam debeant.
Quibusdam enim ita aut crimina sua obsistunt*, aut fratres
obstinatè etfirmiter renituntur, ut recipi omnino non pos~
sint nisi cum scandalo et periculo plurimorum. Neque enim
sic putramina* quaedam colligenda sunt, ut quae intégra et
sana sunt vulnerentur, nec utilis aut consuitus est pastor
qui ita morbidas et contactas oves gregi admiscet, ut gregem
totum mali cohaerentis afflictatione contaminet. Non attendas
4
ad numerum illorum . Melior est enim unus timens Deum
quàm mille filii impii, sicut locutus est Dominus per Proçhe-
tam, dicens : Fili ne jucttnderis in filiis impiis si multipli-
% y

centur tibi cum non fuerit timor Dei in ipsis \


%

XX. Ob ! si posses, frater charissime, istic interesse nobis-


cum cùm pravi isti et perversi de schismate revertuntur!
Videres quis mihi labor sit persuadere patientiam fratribus
uostris, ut, animi dolore sopito, recipiendis malis curandis-
que consentiant. Namque, ut gaudent et lœtantur cùm tole-
rabiles et minus culpabiles redeunt, ita contra fremunt et
reluctantur quoties inemendabiles et protervi, et vel adulte-
riis vel sacrifiais contaminati, et post hœc adhuc insuper et
superbi, sic ad Ecclesiam remeant ut bona inlus ingénia
corrumpant. Vix plebi persuadeo, imô extorqueo, ut taies pa-
1
Traduisez les participes ponderantibus et examinantibus par des
indicatifs.
* Leur nuisent tellement, leur sont tellement un obstacle.
* Des mss. donnent fragmina, d'autres sputamina assez peu appli-
f

cables ici.
4
Manuce et après lui d'autres éditeurs ont retranché cette petite
phrase, qoi se trouve pourtant dans treize mss., et qui forme une transi-
tion fort naturelle de ce qui précède à ce qui suit.
* Eccli xvi.
UiTïïiES CHOISIES DE SAINT CYFUIKN. 243
hérétiques en ont fait un faux évèque, de ce moment il a été
presque complètement abandonné par ses'anciens partisans.
En effet, ceux à qui dans le passé on faisait illusion à
force de tromperies, et à qui on déclarait faussement que
tous ensemble devaient rentrer dans le sein de l'Eglise,
voyant que, bien loin de là, on avait établi en face de l'E-
glise un faux évèque, ont reconnu qu'ils avaient été joués
et dupés; ils nous reviennent cbaque jour et frappent à la
porte de l'Eglise; et nous, qui sommes responsables devant
le Seigneur, nous pesons avec scrupule et nous examinons
avec maturité qui sont ceux qui doivent être reçus et admis
dans son sein. Pour quelques-uns, en effet, leurs crimes leur
sont tellement un obstacle, ou les fidèles s'opposent à leur
rentrée avec une si constante fermeté, qu'ils ne pourraient
absolument être admis sans scandale et sans péril pour un
grand nombre. On ne doit pas en effet recueillir certains
fruits gâtés qui pourraient par leur contact corrompre les
fruits sains et entiers; et un berger n'est ni habile ni sage,
qui mêle à son troupeau des brebis atteintes de contagion,
au risque d'infecter le troupeau tout entier du mal qu'elles
jxirtent avec elles*. Ne faites pas attention à leur nombre.
Mieux vaut en effet im bomme craignant Dieu, que mille
enfants impies, comme Ta déclaré le Seigneur par la bouche
du Prophète : Mon fils, ne vous félicitez pas de voir se mul-
tiplier vos enfants, s'ils sont impies, parce qu'ils ne possèdent
pas la crainte de Dieu.
XX. Ohl si vous pouviez, mon très-cher frère, assister ici
avec nous à la rentrée, du sein du schisme, de ces méchants
et de ces pervers ! vous verriez quelle peine j'ai à persuader
la patience à nos fidèles, afin que, laissant s'éteindre leur
ressentiment, ils consentent à recevoir ces indignes chrétiens
et à leur prodiguer les soins de la charité. En effet, autant
ils se réjouissent et sont heureux quand ils en voient
revenir de supportables et de moins chargés de crimes, au-
tant au contraire ils témoignent de colère et d'opposition

* Nous n'avons pas pris la peine de faire remarquer la richesse et la


variété des comparaisons et des métaphores qui embellissent le style de
saint Cyprien dans cette lettre, véritable chef-d'œuvre oratoire, où la
logique la plus sévère se pare des ornements de la plus brillante imagi-
nation. Le lecteur intelligent aura plus d'une fois suppléé à notre silence
à cet égard..
244 SELEC'IVE D M CYPMANi fcPISTOLdi.
1
tianlur adinitti. Et justior iaelus est frateraitatis dolor ex
eo quôd unus atque alius, obnitente plèbe et contradicente,
meâ tamen facilitate suscepti, pejores exstitermit quàm priùs
fuerant, née fidem pœnitentia) servare potuerunt, quia nec
cum vera pœnitentia vénérant.

-XXL De istis verô quid dicam qui nunc ad te cum Felicissi-


mo omnium criminum reo navigaverunt, legati a Fortunato
pseudoepiscopo niissi, tam ialsas ad te litteras afférentes
quàm est et ipse cujus litteras feront falsus, quàm est ejus
peccatorum multiplex conscientia, quàm exsecrabilis vita,
quàm turpis; ut, etsi in Ecclesia essent, ejici taies de Eccle-
sia debuissent? Denique, quia conscientiam suam norunt,
nec nos audent adiré aut ad Ecciesiae limen accedere, sed
4
forls per provinciam circumveniendis et spoliandis perer-
rant, et, omnibus jam salis noti, atque undique pro suis
iacinoribus exclusi, illuc etiam ad vos navigant. Neque
enim potest illis frons esse ad nos accedendi aut apud nos
consistendi, cùm sint acerbissima et gravissima crimina quos
eis a fratribus ingeruntur. Sijudicium nostrum voluerint
8
experiri , vendant. Denique si qua illis excusatio et defen-
sio potest esse, videamus quem habeant satisfactionis suae
sensum, quem afferant pœnilentiae fruclum. Nec Ecclesia
istic cuiquam ciauditur, nec episcopus alicui denegatur. Pa-
tientia et facilitas et bumanitas nostra venientibus prœstô
est. Opto omnes in Ecclesiam regredi, opto imiversos corn-
militones nostros intra Christi castra et Dei Patris domicilia
concludi. Remilto omnia, multa dissimulo studio et voto
colligendae fraternitatis *. Etiam quœ in Deum commissa
3
sunt, non pleno judicio reiigionis examino. Delictis plus
quàm oportet remittendis penè ipse delinquo. Àmplector
promptà et plenâ dilectione cum pœnitentia revertentes,
1
Ressentiment, chagrin, mécontentement.
* Occupés, appliqués à circonvenir et à dépouiller nos frères.
5
S'ils veulent comparaître devant nous, se présenter à notre tribunal.
4
Colligendœ fraternitatis. Au lieu de fraternitatis, un ms. donne
unitatis, moins bon, mais qui donnerait à peu près ie mémo sens; quoi-
que saint Cyprien réserve le mot unilas pour exprimer l'unité de l'Église
ou l'unité de la foi.
u
Avec rentière sévérité que me commande ma religion (de juge) ou
la religion (dont je suis le ministre).
LfeliRES CHOISIES 1>K SAINT CYPRIEN. 245
toutes les fois que des pécheurs incorrigibles et effrontés,
des hommes souillés par des adultères ou des sacrifices
impics, et par-dessus tout cela encore tout pleins d'orgueil,
reviennent à l'Eglise avec des vices propres à corrompre ce
qu'elle renferme dans son sein de caractères vertueux. A
peine par la persuasion, que dis-je? a peine par une espèce
de violence, puis-je arracher aux Môles leur consentement
à la rentrée de pareils hommes. Et le mécontentement de
nos frères s'est trouvé d'autant mieux fondé, que certain
nombre de ces coupables, qui malgré la répugnance et Top-
position des fidèles, ont di\ leur admission à ma facilité, se
sont montrés pires qu'ils n'étaient auparavant, et n'ont pu.
continuer de faire croire à leur pénitence, parce qu'ils nous
étaient revenus sans être animés d'un sincère repentir.
XXI. Mais que dirai-je de ceux qui, pour aller vous trou-
ver, ont dernièrement fait voile avec Féiicissime, cet homme
coupable de tous les crimes, députés près de vous par le
faux évèque Fortunat, vous portant des lettres aussi pleines
de mensonges, qu'est lui-même rempli d'imposture celui
dont ils vont vous remettre les dépèches, que sont nombreux
les crimes dont sa conscience est chargée, que sa vie est
exécrable et honteuse; en sorte que, même fussent-ils dans
le sein de l'Eglise, de tels hommes devraient en être chassés?
Enfin, comme ils ont conscience de leur perversité, ils n'o-
sent ni venir nous trouver ni se présenter au seuil de l'E-
glise; mais, placés hors de son sein, ils errent ça et là par la
province, occupés à circonvenir et à dépouiller nos frères,
et, déjà bien connus de tous et chassés de partout à cause de
leurs crimes, ils s'embarquent aussi pour aller à Rome vous
trouver. Ils ne peuvent, en effet, avoir le front de venir à
nous ou de supporter notre présence, quand les accusations
les pius graves et les plus terribles sont dirigées contre eux
par nos frères. S'ils veulent se présenter à notre tribunal,
qu'ils viennent. Enfin, s'il peut y avoir en leur faveur
quelque excuse ou quelque moyen de défense, voyons
comment ils entendent satisfaire à la justice divine, quel
fruit a produit chez eux jusqu'à ce jour la pénitence. L'E-
glise ici n'est fermée à personne, et l'évoque ne refuse au-
dience à qui que ce soit. Notre patience, notre facilité, notre
humanité sont à la disposition de tous ceux qui se présen-
tent. Je désire que tous rentrent dans le sein de l'Eglise; je
voudrais voir tous nos compagnons d'armes réunis dans le
14.
246 S K U E G T J B DiVI CYPH1ANI EPISTOLA.

peocatum suum satistàctione huiniJi et siinplici eonlitentes.


Si qui autem sunt qui putant se ad Ecclesiam non precibus
sed minis regredi posse, aut existimant aditum se sibi non
lamentationibus et satisfactionibus sed terroribus facere,
pro certo habeant contra laies olausam stare Ecclesiam Do-
mini nec castra Christi invicta et fortia, Domino tuente mu-
nita, minis ocdere. Saoerdos Dei Evangelium teuens et
l
fihristi praecepta custodiens occidi potest, vinci non potest .

XXII. Suggerit et subministrat nobis exempta virtutis ac


fidei Zacharias autistes Dei : qui, cùm terreri minis et lapi-
datione non posset, in templo Dei occisus est, clamans et
identidem dicens quod nos quoquè contra luureticos clama-
jnus et dicimus : Hœc dicit Dominus ; Dereliquistis vias Do-
mini, et Dominus derelinquet vos*. Neque enim quia pauci
lemerarii et improbi cœlestes et salutares vias Domini dere-
linquunt, et sancta non agentes a sancto Spiritu deseruntur,
ideo et nos divinae traditionis immemores esse debemus, ut
2
majora esse furentium scelera quàm sacerdotum judicia
censeamus, aut existimemus plus ad impugnandum posse
humana conamina quàm quod ad protegendum prœvalet di-
3
vina tutela. An ad hoc, frater charissime, deponenda est
catholicae Ecclesiae dignitas, et plebis intus positae tidelis
atque incorrupta majestas, et sacerdotalis quoquè auctoritas ac
potestas, ut judicare velle se dicant de Ecclesiae prœposito
extra Ecclesiam constituti, de Christiano haeretici, de sano
saucii, de integro vulnerati, de stante lapsi, de judice rei, de
sacerdole sacrilegi*. Quid superest quàm ut Ecclesia Capi-
3
tolio cedat , et, recedentibus sacerdotibus ac Domini al (arc
removentibus, in cleri nostri sacrum venerandumque con-
1
De même, lettre X X X , nous lisons : ïniellexit milites Christi vinci
non posse, mori posse. Saint Jérôme : IIo minent Clvristo deditum posse
mort, non posse superarL Terluiiieii : Vincimns cum oecidimur. C'est
ce ferme, cet inébranlable courage des martyrs qui faisait la force de la
religion naissante et le désespoir de ses persécuteurs.
2
Plus puissants.
* Doit être abaissée» ravalée à ce point, que, etc.
4
Quoi déplus vif. de pins pressé chez les grands orateurs de l'anti-
quité, que cette accumulation d'antithèses, toutes naturelles, toutes ex-
primées avec une admirable piécision?
* Sur le Capilole, voyez page 235, note/.
• 11 Parai, xxrv.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 247
camp du Christ et dans la maison du Père céleste. Je par-
donne tout, je dissimule beaucoup, par l'ardent désir que
j'ai de rassembler tous nos frères. Même les fautes commises
contre Dieu, je ne les examine pas avec toute la sévérité que
me commande ma religion. A force de pardonner outre me-
sure, je me rends en quelque sorte coupable moi-même.
J'embrasse avec l'élan d'une entière charité ceux qui revien-
nent avec repentir, avouant leur péché avec un humble et.
simple désir de satisfaction. Mais s'il y a des gens qui croient
pouvoir revenir à l'Eglise non par la prière, mais la menace
à la bouche, ou qui prétendent s'en ouvrir l'entrée nou au
moyen des larmes et de la satisfaction, mais par l'effet de la
terreur, qu'ils sachent bien qu'à de tels hommes l'Eglise du
Seigneur reste toujours fermée, et que le camp du Christ,
invincible et courageux, fortifié par le Seigneur qui s'est
chargé de sa défense, ne cède jamais aux menaces. Le mi-
nistre de Dieu, gardant l'Evangile et observant les préceptes
du Christ, peut être mis à mort, il ne saurait être vaincu.
XXII. Nous trouvons un exemple de courage et de foi dans
la conduite de Zacharie, grand-prêtre de Dieu. Ne se laissant
effrayer ni par les menaces, ni par les pierres qu'on lui
lançait, il fut mis à mort dans le temple même, criant à ses
bourreaux et leur répétant de temps en temps ce que nous
aussi nous crions et répétons aux hérétiques : Voici ce que
dit le Seigneur : Vous avez abandonné les voies du Seigneur,
et le Seigneur vous abandonnera. Ce n'est pas en effet parce
qu'une poignée d'audacieux et de pervers abandonnent les
célestes et salutaires voies du Seigneur, et, ne se conduisant
pas saintement, sont eux-mêmes abandonnés par le Saint-
Esprit; ce n'est pas, dis-je, pour cela que nous devons de
notre côté renoncer à la tradition divine, croire que la scélé-
ratesse de furieux doive être supérieure aux arrêts des évè-
ques, ou penser que des efforts humains ont plus de puis-
sance pour nous attaquer, que n'a de supériorité, pour nous
défendre, la protection divine. Et nous faudra-t-il voir ra-
valées à ce point la dignité de l'Eglise catholique, la Jidèle et
incorruptible majesté du peuple chrétien qu'elle renferme,
la puissance enfin et l'autorité sacerdotales, que des hommes
placés en dehors de l'Eglise prétendent juger un des chefs
de l'Eglise, des hérétiques un chrétien, des malades un
homme sain, des blessés un homme qui n'a reçu aucune
atteinte, des tombés un homme debout et ferme dans la foi,
248 8KLKCT4G D M CYPRIANI EPISTOLA
1
gestum siiuiilacra atque idola cum aris suis transeant, ct
Novatiano declainandi adversùni nos atque increpandi lar-
gior et plenior matcria prœstetur, si ii qui sacriiicavenuil et
Ckristum publiée ncgaverunt, non tantùm rogari et sine
acta pœnitentia admitti, sed adbuc insuper cœperint terroris
sui potestate dominari?
XXIII. Si pacem postulant, mina deponant. Si salisfaciunt,
quid in inan lui**? Aut si comminantur, sciant quia a Dei
sacerdotibus non timenlur. Neque enim el antickristus, cùm
venire cœperit, introibit in Ecclesiam quia minatur, aut
annis ojus et violentias ceditur quia resistentes peremptu-
s
rum se esse profitetur. Armant nos bœretici, dum nos pu-
tant suà comminatione terreri, nec in pace nos dejiciunt,
sed magis erigunt et accendunt, dum ipsam pacem persecu-
tione pejorem fratribus faciunt.
XXIV. Et optamus quidem* ne quod loquuntur furore,
iinpleant crimine, ne qui verbis perlidis et crudelibus pec-
cant, factis quoquè délinquant. Oramus ac deprecamur
Deum, quem provocare illi et exacerbare non desinunt, ut
eorum corda mitescant, ut furore deposito ad sanitatem men-
tis redeant* ut pectora operta* delictorum tenebris pœni-
tentiae lumen agnoscant, et magis petant fundi pro se preces
atque orationes antistitis quàm ipsi fundant sanguinem sa-
cerdotis. Si autem in suo furore permanserint, atque in istis
insidiis ac minis suis paiTicidalibus crudeliter perseverave-
rint, nullus Dei sacerdos sic infirmus est, sic jacens et ab-

1
Congestnm est donné par dix-huit mss. et les plus anciennes édi-
tions. La leçon consessum (qui veut dire assemblée, réunion) parait»
malgré le peu d'autorités sur lesquelles elle s'appuie, bien préférable à
Baluze, qui pourtant n'ose pas l'adopter.
* Avec quelle facilité l'auteur passe du genre grandiose et pathétique
du morceau qui précède au ton simple et vif d'une discussion animée.
5
Deux mss. donnent perdilurum, même sens.
4
Leurs cœurs aveuglés par les ténèbres du péché.
* Sanitas mentis, esprit sain, bon sens. On dit quelquefois sanitas
tout seul. Jules César, De Bell. GalL \\h.
9 v u : Ad sanitatem rcverli
pxtdeat.
0
Operla. Cette leçon a été donnée par Manucc, on ne sait sur quelle
autorité; unms. donne obruia, un autre obsessa. Morel, avec un ms.
anglais, pectora à delictorum tenebris solnta, sens particulier tout op-
posé, mais concourant bien aussi au sens général. Le rcslc des variantes
est ou inintelligible ou iusigni fiant.
LKÎTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 249
des accusés leur juge, des sacrilèges un évèque! Que reste-
H I de plus, sinon que l'Eglise cède au Capitole", et que les
ministres de Dieu faisant retraite et emportant l'autel du
Seigneur, nous voyions prendre place sur la sainte et véné-
rable estrade où siège notre clergé les statues et les idoles
avec leurs autels; et que Novatien ait une plus belle et plus
riche matière à ses déclamations et à ses insultes contre
nous, si ceux qui ont sacrifié aux dieux et renié publique-
ment le Christ, sont non-seulement suppliés de revenir et
admis sansfoirepénitence, mais dominent même de plus par
le pouvoir do la terreur?
XXDT. S'ils demandent la paix, qu'ils mettent bas les
armes. S'ils sont disposés a satisfaire, à quoi bon leurs me-
naces ? ou s'ils nous menacent, qu'ils sacheut que les mi-
nistres de Dieu ne les craignent pas. Et, en eftet, l'antechrist
b
lui-même , quand il viendra, n'entrera pis dans l'Eglise
par la puissance de ses menaces, et Ton ne cède pas à ses
armes et à sa violence parce qu'il annonce devoir mettre à
mort ceux qui lui résisteront. Les hérétiques nous mettent
les armes à la main quand ils pensent nous effrayer par
leurs menaces, et, loin de nous abattre au sein de la paix, ils
nous excitent au contraire et nous enflamment, en rendant
aux fidèles la paix elle-même plus dure que la persécution.
XXIV. Nous désirons toutefois que ces menaces qu'ils
profèrent en furieux, ils ne soient pas assez criminels pour
les accomplir, et que, s'ils pèchent en tenant un langage im-
pie et cruel, ils ne se rendent pas coupables aussi en actions.
Nous prions et nous supplions Dieu, qu'ils ne cessent de
provoquer et d'aigrir, que leurs cœurs s'adoucissent; que,
renonçant à leur fureur, ils reviennent au bon sens; que
leurs esprits, aveuglés par les ténèbres du péché, reconnais-

» L'Église cédant au Capitole, les prêtres faisant retraita, emportant


l'autel du vrai Dieu, et, à la place de la chaire sacrée de la vérité, rele-
vant de nouveau les idoles et les autels des faux dieux; et, pour cou-
ronner le tout, les traîtres, les renégats non-seulement suppliés, admis
sans faire pénitence, mais dominant même par la puissance de la terreur,
voilà les conséquences de Ja faiblesse que Ton m mirerait à Pégaid des
nouveaux schismatiques. — Q telle grandeur dans ces images, et que ce
tableau est bien propre à soulever riudignatkm des Mules servilcurs de
JéMts-ChrisU
b
On a beaucoup et à différentes jpoque* parlé de l'antechrist. On a
souvent cru à sa venue prochaine; on u même cru qu'il était déjà né.
250 SKLEtiTiK DIVI C\PKÏÀNI EPJSTOL/K.
jeclus, sic iinbecilJilate huinans mediocritatis invabdus, qui
non contra hosteg_et impugnatores Dei divinitus erigatur,
cujus non humilitas et mlirmitas vigore et robore Domini
1
protegentis animetur. Nostrà nihil interest aut a quo aut
quando perimamur, mortis et sanguinis prœraium de Do-
mino recepturi. lllorum flenda et lainenlanda concisio* est
quos sic diabolus excaecat ut, aeterna gehennae supplicia non
cogitantes, antichristi jam propinquantis adventum conen-
tur imitari.

XXV. Et, quanquam sciain, frater charissime, pro mutua


dilectione quam debemus et exhibemus invicem nobis, flo-
rentissimo illic clero tecum prajsidenti et sanctissimae atque
amplissimae plebi légère te semper litteras nostras, tamen
nunc et admoneo et peto ut, quod aliàs sponte atque hono-
rificè facis, ctiain petente me facias, ut, hàc epistolà meà
lectà, si quod illic contagium venenati sermonis et peslifera;
seminationis irrepserat, id omue de fratrum auribus et peo-
toribus exuatur, et bonorum intégra ac sincera dilectio ab
3
omnibus hœreticœ detreclationis sordibus repurgetur . Décli-
nent autem de caetero fortiter et évitent diiectissimi fratres
nostri verba et colloquia eorum quorum sermo ut cancer ser-
ptt, sicut Àpostolus dicit : Corrumpunt ingénia bona ccmfa*
bulationes pessimœ*; et iterum : Hœrelicum hominem post
unam correplionem évita, sciens quia perversus est hujus-
h
modi, et peccat, et est a scmetipso damnatus . Et per Salo-
monem loquitur Spiritus sanctus : Perversus, inquit, in ore
k
suo portât per dit ionem., et in labiis suis ignem condit *. Item
denuo monet, dicens : Sepi aures tuas spinis, et noli audirc
4
Plusieurs mss. donnent l'ablatif absolu Veo proleyenle, qui serait
bon sans le voisinage de deux antres ablatifs de même terminaison. —
C'est bien là le vrai courage chrétien, tirant sa force de Dieu même, et
ne faiblissant devant aucune menace, devant aucun danger, devant
aucuns tourments.
* Massacre, meurtre, assassinat. — Synonyme de cœdes. — D'autres
lisent conditio, bien plus usité dans de semblables comparaisons ,
mais qui ne dit .pas ce que veut dire saint Cyprien.
* Soit purifiée des souillures de toutes ces calomnies hérétiques.
* Le texte des Proverbes de Salomon» dans la Vulgatc, est : Vir, impius
fodit malum, et ih labiis ejus ignis ardesciL
c
* II Tim. n ; l Cor. xv. — * Tit. iu. — Prov. xvi. —
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 251
seut lit lumière de la pénitence., et qu'ils désirent plutôt voir
répandre eu leur faveur les prières et les oraisons d'un évè-
que, que de répandre eux-mêmes le sang de cet évèque. Main
s'ils restent dans leur, fureur, et qu'ils persévèrent cruelle-
ment dans ces coupables intrigues et daus ces menaces par-
ricides, il n'y a pas un ministre de Dieu assez faible, assez
bas et assez abject, assez atteint de l'impuissance et de l'in-
firmité de notre nature, pour ne pas se redresser, par l'effet
d'une inspiration céleste, contre les ennemis de Dieu et ses
agresseurs, pour no pas sentir son humilité et sa faiblesse
animées par la vigueur et la force du Seigneur qui le pro*
tége. Il ne nous importe nullement quand ou par qui nous
serons mis à mort, puisque nous recevrons de Dieu le prix de
notre mort et de notre sang. Ceux dont, en cas de mort vio*
lente, le sort est à plaindre et à, déplorer, ce sont ces hommes
que le démon aveugle au point que, ne songeant pas aux
supplices étemels de l'enfer, ils s'efforcent de représenter au
monde l'arrivée de l'antechrist qui approche.
XXV. Bien que je sache, mon très-cher frère, qu'en rai-
son de l'affection que nous nous devons et que nous nous
ortons réciproquement, vous lisez toujours mes lettres au
rillant clergé qui partage avec, vous les soins de l'adminis-
tration, et à la sainte et honorable assemblée de vos fidèles,
cependant aujourd'hui je vous recommande et je vous prie
de foire aussi cette fois à ma prière que vous faites d'ordi-
uaire spontanément et par honueur, alin que la lecture de
cette lettre puisse, si le langage empoisonné de ces hommes
et les propos emportés qu'ils vont semant, avaient exercé
chez vous quelque action contagieuse, éliminer complète-
ment ce poison des oreilles et des cœurs de nos frères, et
purger des souillures que portent partout les calomnies des
hérétiques, la vertueuse et sincère affection des gens de bien.
Qu'à l'avenir, au reste, nos très-chers frères évitent et
fuient avec le plus grand soin les paroles et les entretiens
des hommes dont les propos s'étendent comme un cancer,
comme dit l'Apôtre : Les mauvais entretiens corrompent les
bons caractères ; et encore ; Après une première réprimande,
9
fuyez un /hérétique* sachant qu un tel homme est un pervers,
un pécheur, et qu'il est condamné par lui-même. L'Esprit saint
nous dit aussi par la bouche de Salomon : Vhwnme pervers
porte dans sa bouche la perdition, et ses lèvres recèlent du
fm. Il nous donne encore le même avertissement en nous
252 SELECTVE DIVI CYPRIANI EPISTOLA.
linguam nequam*; et iterum: Malus obaudit lingnm imquo
b
rurn, justus autem non intendà labiis mendacibus .

1
XXVI. Quôd quanquam sciam illic fraternitatem nos-
tram, vestra seilicet providentià munitam*, sed et suà vigi-
lantiâ satïs cautam, nec capi haereticorum venenis posse
nec decipi, tantùmque apud illos prœvalere raagisteria et
pra&cepta divina quanlus illis in Dcum timor est, tamen ex
abundanti* vel sollicitudo nostra vel cliaritas scribere ad vos
ista persuasit, ut nulla cum talibus conimercia copulentur,
nulla cum malis convivia vel colloquia misceanlur, simus-
que ab eis tam separati quàm sunt illi de Ecclesia profugi,
quia scriptum est : Si autem et Ecclesiam contempserit, sit
c
tibi tanquam ethnievs et publicanus . Et beatus Apostolus
non monet tantùm, sed et jubet a talibus ut recedatur : Prœ-
cipimus, inquit, vobis in nomine Domini Jesu Christi ut re-
cedatis ab omnibus fratribus ambulanlibus inordinale et non
secundim traditionem quam acerperunt a nobis*. Nulla so-
cietas fidei et perfidie* potest esse : qui cum Cbristo non
est, qui adversarius Christi est, qui unitati et paci ejus ini-
micus est, nobiscum non potest cohaerere. Si cum precibus
et satisfactionibus veniunt, audiantur : si maledicta et minas
ingérant, respuantur.
Opto te, frater charissime, semper bene valere.

1
Ce quod, donné par neuf mss., a été retranché par certains éditeurs,
et conservé par d'autres, li déplaît fort à Baluze comme terme inutile.
Il n'est pas plus utile dans quôd si, qui se rencontre au commencement
de bien des phrases, et à qui l'on reconnaît une certaine élégance. C'est
sans doute une intention de ce genre qui a fait dire à saint Cvprien,
quôd quanquam. Pour nous, il ne nous parait pas désagréable, au con-
traire; mais il faut convenir qu'il n'a pas l'usage pour lui.
* Au lieu de munitam, donné par neuf mss. et d'anciennes éditions,
Manucc a donné monitam, d'après sept mss* Les éditeurs modernes ont
adopté à leur choix l'un ou l'autre. Po *r nous, munilam nous paraît
plus expressif. Au Xond, le sens est le même.
5
Surabondamment, en sus.
4
Guillon, p. 211 el seqq.
* Perfidie. Voyez page 240, note *.
» Eccli. xxvi. — * Prov. xvn. — « Matlh. xvni.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 253
disant : Environnez vos oreilles d'épines\ et n écoutez pas une
langue méchante; et ailleurs : Le méchant écoute la tangue
des gens pervers^ mais le juste ne fait pas attention à ce que
disent des lèvres menteuses.

XXVI. Bien que je sache aussi que nos frères de Rome,


mis en garde par vos soins prévoyants, et de plus vigilants et
précautionnés par eux-mêmes, ne peuvent être ni surpris ni
trompés par le poison de l'hérésie, et qu'ils sont d'autant
plus soumis aux enseignements et aux préceptes divins qu'ils
ont à un haut degré la crainte de Dieu : surabondamment
pourtant mon zèle et ma charité m'ont engagé à vous écrire
ces choses, afin que Ton n'entretienne avec de tels hommes
aucun commerce, que l'on ne s'asseoie jamais 5,1a table des
méchants, que Ton ne s'entretienne jamais avec eux, et que
nous soyons aussi profondément séparés d'eux, qu'ils se
sont eux-mêmes séparés de l'Eglise, parce qu'il est écrit :
S'il méprise l'Eglise, qu'il soit pour vous comme un païen ou
un publicain. Et le saint Apôtre non-seulement nous avertit,
mais nous ordonne de nous séparer de pareils hommes :
Nous vous ordonnons, dit-il, au nom de Jésus-Christ de vous
éloigner de tous tes frères guise conduisent d'une manière dés-
ordonnée, et non pas selon les enseignements qu'ils ont reçus
de nous. Aucune société ne peut exister entre la foi et l'incré-
dulité : celui qui n'est pas avec le Christ, qui est l'adversaire
du Christ, ennemi de son unité et de sa paix, ne peut être
uni avec nous. S'ils viennent avec des prières et des satisfac-
tions, qu'on les écoute; s'ils ont l'injure et la menace à la
a
bouche, qu'on les repousse .
Je désire, mon très-cher frère, que vous vous portiez tou-
jours bien.

• Rien de plus net, de plus bref, do plus pcrcmptolrc que cet ultima-
tum, résumé en quelque sorte et conclusion de cette longue lettre, le
chef-d'œuvre épistolairc de notre auteur, et l'un des morceaux d'élo-
quence les plus remarquables, de toutes les liUératures .etdti tous les
#

siècles.
15
254 SELKCTAC DlVl CYPRIANI EPISTOLA.

EPISTOLA XXIX.
AD THIBARITANOS, DE EXHORTATIONS MARTYR!!.

Exhortation au martyre.
1
CYPRIANUS plebi Tbibari consistent!' salutem.
I. Cogitaveram quidem, fratres dilectissimi, atque in vo-
tis habebam, si rerum ratio ac temporis conditio permitteret,
secundùm quod fréquenter desiderastis, ipse ad vos venire,
et quantulâcumque mediocrifate exhortationis nostrae prae-
sens* illic fraterailatem corroborare. Sed, quoniam sic rébus
urgentibus detinemur ut longé istinc excurrere, et diù a
plèbe cui de divina indulgentia praesumus abesse, non datur
iacultas,has intérim pro me ad vos vicarias litteras misi.
Nam, cùm Domini instruentis dignatione instigemur sœpius
et admoneamur, ad vestram quoquè conscientiam admoni-
tionis nostrae sollicitudinem perferre debemus. Scire enim
debetis et pro certo credere ac tenere pressurae diem super
3 8
caput esse cœpisse , et occasum sœculi atque antichristi
4
tempus appropinquasse , ut parati omnes adpraeliumstemus,
nec quidquam nisi gloriam vitae aeternae et coronam confes-
sionis dominicae cogitemus, nec putemus talia esse quae ve-
niunt, qualia fuerunt illa quae transierunt.

1
Thibaris, ville d'Afrique.— Elle faisait partie de la contrée appelée
Byzacène, et ne devait paa être fort éloignée de Carthage, puisque, sans
les occupations pressantes dont il se trouvait accablé, saint Cyprien se
proposait de faire une visite à ses habitants.
* Au lieu de prœsetis, trois m^s. donnent prœsentem, boauroup moins
bon. —• Au mot fralemitaient, les anciennes éditions, et même deux
mss., ajoutent l'adjectif restram, inutile puisqu'il y a déjà illic (à
Thibaris).
* Les Latins, parlant d'un danger pressant, imminent, disaient qu'il
était supra caput.
4
Plusieurs Pères des premiers siècles ont exprimé celte croyance à la
fin prochaine du monde.
a
îl Thess. m.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 255

LETTRE XXIX.
AUX THEBARITAINS, POUR LES EXHORTER AU MARTYRE.

Saint Cyprien commence par s'excuser auprès des Tbibaritains de ce


qu'il u'est pas allé les visiter, et leur donue avis de la persécution qui.
menace l'Église; puis il les excite vivement à subir avec courage le
martyre. — A cet effet, il leur propose l'exemple de tous les justes
qui depuis le commencement du monde ont souffert le martyre, et
1 exemple plus sublime de notre Seigneur. Le courage que déploient,
pour mériter la faveur publique et uu regard du priure, les païens
dans leurs jeux, est un motif d'encouragement pour les Chrétiens à mé-
riter une gloire immortelle. —- Qu'ils se préparent aussi pour le com-
bat à venir, et se munissent des armes offensives et défensives que leur
fournit l'arsenal de leur divine religion; et qu'ils n'aient d'autre pen-
sée que celle de la lutte prochaine, et de la couronne qu'ils peuvent y
conquérir.

CYPRIEN aux fidèles de Thibaris salut.


I. J'avais eu la pensée, mes très-chers frères, et j'avais formé
le vœu, si la disposition des affaires et les circonstances me
Veussent permis, d'aller, pour satisfaire au désir que vous
m'en avez souvent exprime, vous faire une visite, et, quelle
que soit la faiblesse de mes moyens, de présenter en per-
sonne à nos frères de votre cité mes encouragements et mes
exhortations. Mais, puisque des affaires pressantes m'occu-
pent tellement que je ne puis ni m'éloigner beaucoup d'ici,
ni quitter pour longtemps le troupeau à la tète duquel la
bonté divine m'a placé, je vous adresse en attendant cette
lettre pour suppléer à ma présence. En effet, comme le Sei-
gneur daigne souvent m'animer par ses instructions et ses
avis, je dois aussi offrir à vos esprits les avertissements que
me suggère mon zèle. Eh bien ! sachez, croyez et tenez pour
certain que le jour de la persécution commence à être im-
minent, et que la fin du monde et le temps de Tantechrist
sont proches ; que nous devons par conséquent nous tenir
tous prêts à combattre, ne penser qu'à la gloire de la vie
éternelle et à la couronne de la confession du Seigneur, et
ne pas nous imaginer que ce qui se prépare sera semblable à
ce que nous avons vu.
25tt SELECT-K DIVI CYPRIANI EPISTOLiE.
Iï. Gravior nunc et ferocior pugna imminet, ad quam fide
incorruptà et virtute robustA, parare se debcantmilites Christi,
considérantes idcirco se quotidie calicem Sanguinis Christi
bibere ut possint et ipsi propter Christum sanguinem fun-
dere. Hoc est enim velle cum Christo inveniri, id quod
1
Christus et docuit et fecit imitari , secundùm Joannem
apostoluçi dicentem i Qui dicit se in Christo manere, débet
quomodo ille ambulavit et ipse ambulare*. Item beatusPaulus
apostolus exhortatur et docet, dicens ! Sumus filii Dei. Si
autem filii Dei, et hœredes Dei, cohœredes autem Christi,
b
siquidem compatiamur ut et commagnificemur .
III. Quœ nunc omnia consideranda sunt nobis, ut nemo
quidquam de saeculo jam moriente desideret, sed sequatur
Christum, qui et vivit in aeternum, et vivifteat servos suos in
fide sui nominis constitutos. Yenit enim tempus, fratres
dilectissimi, quod jam pridem Dominus noster prœnuntiavit
et docuit advenire, dicens : Véniel hora ut omnis qui vos oc-
1
cident putet se officium Deo facere. Sed hœc facient, quo-
niam non cognoverunt Pâtre m, neque me. Hœc autem locutus
sum vobis ut, càm venerit hora eorum, memores sitis* quia
c
ego dixi vobis .
IV. Nec quisquam miretur persecutionibus nos assiduis
fatigari, et pressuris angenlibus fréquenter urgeri, quando
hœc futura in novissimis temporibus Dominus antè prae-
dixerit, et militiam nostram magisterio et hortamento sui
sermonis instruxerit; Petrus quoquè apostolus ejus docue-
rit ideo persecutiones fieri ut probemur, et ut dilectioni Dei,
justorum praecedentium exemplo, nos etiam morte et pas-
sionibus copulemur. Posuit enim in epistola sua, dicens :
k
Charissimi, nolitc mirari ardorem accidentem vobis, qui ad
tentationem vestram fit, nec excidatis, tanquam novum ali-
1
Au lieu de id quod Christus et docuit et fecit imitari, quelques
mss. portent si id quod Christus fieri volnit imitemur* moins bon et
moins explicite que notre leçon.
* Au lieu de officium, deux mss. et quelques éditions portent obse-
quium.
* Au lieu de memores sitis, quatre mss. portent reminiseamihi, con-
forme à la Vulgatc, mais qui pareillement ne se trouve pas dans le plus
grand nombre des manuscrits.
4
Au lieu de nolite mirari ardorem, la Vulgate donne noliteperegri-
nariin fervore, quia le même sens. Pour bien entendre ce peregrinari,
b c
» Joan. II. — Rom. vin. — Joan. xvi.
LETIUES CHOISIES DE SAINT UYP1UEN. 257
IL Elle sera plus terrible et plus acharnée, la guerre qui
nous menace aujourd'hui, et c'est avec une foi incorruptible
et un courage inébranlable que les soldats du Christ doivent
s'y préparer, considérant que s'ils boivent tous les jours le
calice du sang de Jésus-Christ, c'est afin de pouvoir eux-
mêmes verser leur sang pour le nom de Jésus-Christ. Ce qui
s'appelle en effet vouloir être avec le Christ, c'est d'imiter ce
que le Christ a enseigné et pratiqué, comme dit l'apôtre saint
Jean : Celui qui dit qu'il demeure dans le Christ doit marcher
lui-même comme a marché le Christ. L'apôtre saint Paul aussi
nous y exhorte et nous l'enseigne, quand il nous dit : Nous
sommes enfants de Dieu; or, si nous sommes enfants de Dieu,
nous sommes aussi ses héritiers, et par conséquent les cohéri-
tiers de Jésus-Christ, pourvu toutefois que nous partagions
ses souffrances afin départager aussi sa gloire.
III. Toutes ces considérations doivent être présentes à
notre esprit, afin qu'aucun de nous ne regrette rien de ce
monde qui s'éteint, mais qu'il suive le Christ, qui non-seu-
lement vit à jamais, mais encore donne la vie à ses serviteurs
qui croient en son nom. Il est arrivé en effet, mes très-chers
frères, le temps dont notre Seigneur nous a bien auparavant
prédit et annoncé la venue en nous disant : Il viendra un mo-
ment ou tous ceux qui vous tueront croiront faire une œuvre
agréable à Dieu. Mats ils le feront parce qu'ils ne connais-
sent ni mon Père ni moi. Or je vous dis ceci, afin que, quand
ce temps viendra, vous vous souveniez que je vous fai dit.
JV. Et qu'on ne s'étonne point si nous sommes tourmen-
tés par de continuelles persécutions, et livrés souvent aux
tribulations et aux angoisses; car le Seigneur a prédit que
ces choses arriveront dans les derniers temps, et nous a for-
més à son service par ses leçons et ses encouragements; l'a-
pôtre saint Paul aussi nous a appris que si les persécutions
arrivent, c'est pour nous éprouver, et qu'à l'exemple des
justes qui nous ont précédés, nous devons nous attacher à
l'amour de Dieu, même au prix de la mort et des supplices.
C'est en effet ce qu'il dit dans son tëpitre : Chers frères, ne
vous étonnez pas de cette animosité qui s'attaque à vous, et
qui ne se déclare que pour vous éprouver. Ne vous décourages

qu'on rapproche ce passage de Gicéron : Xiun pcregrinanfur in lhac urbe


aures vestm ? Est-ce que vos oreilles n'entendent pas, ne comprennent
pas ce qui se dit ici?
258 SELECTJS D M CYPRIANI EPISTOLA.
1
quid vobis contingat ; sed quotiescumque communicatis
Christi pwsionibus, per omnia gaudete, ut et in revelatione
faeta claritatis ejvs gaudentes exsultetis. Si tmproperatur
vobis in nomine Christi, beati estis, quia majestatis et vir-
tutis Domini nomen in vobis requiescit, quod quidem secunr-
ditm illos blasphematur> secundùm nos autem honoratur*.
V. Docuerunt autem nos Apostoli ea quae de praeceptis Do-
minicis et cœlestibus mandatis ipsi quoquè didicerunt, Do-
mino ipso seilicet corroborante nos, et dicente : Nemo est qui
relinquat domum, aut agrum, aut parentes, aùt fratres, aut
2
sorores , aut tucorem, aut filios propter regnum Dei, et non
recipiat septies* tantum in isfo tempore, in sœculo autem
h
venturo vitam œternam ; et iterum : Beati, inquit, eritis,
cùm odio vos habuerint homines, et separaveriwt vos, et expu-
lerint, et maledixerint nomini vest.ro quasi nequam propter
Filium kominis. Gavdete in illa die et exsultate. Ecce enim
c
merces vestra muiia est in cœlis . Gaudere nos et exsultare
voluit in persecutionibus Dominus; quia, quando persecu-
tiones fiunt, tune dantur coronae fidei, tune probantur mili-
tes Dei*, tune martyribus patent cœli. Neque enim sic nomen
5
militiae dedimus ut pacem tantummodo cogitare, et detrec-
tare et recusare militiam debeamus, quando in ipsa militia
primus ambulaverit Dominus, humilitatis et tolerantiae et
passionis magister, ut, quod fieri docuit, prior faceret, et
quod pati hortatur, prior pro nobis ipse pateretur. Sit ante
oculos vestros, fratres dilectissimi, quôd qui omne judicium
a Pâtre soins accepit, et qui venturus est judicaturus, jam
judicii sui et cognitionis futurae sententiam protulerit, prae-
nuntians et contestans confessurum se coram Pâtre suo con-
fitentes, et negaturum negantes.
* Cet aliquid est donné par deux mss. seulement ; mais comme il est
plus clair, plus latin que nomm tout seul, et que d'ailleurs il se trouve
dans l'épltre de saint Pierre, Baluze a bien fait de l'ajouter.
* Aut sorores se trouve dans l'Evangile selon saint Marc, ebap. x $ mais
il n'est pas dans le chap. xvm de l'Evangile selon saint Luc, où ce pas-
sage est aussi rapporté*
* Trois mss. portent centies, comme le texte de l'Evangile de saint Marc
d'où ce pas*age est tiré.
* Quatre m s. seulement donnent milites Christi, locution, Il est
vrai, plus familière à notre auteur.
* Nous ne nous sommes pas en effet enrôlés paur^, etc., intinît.
* I Petr. iv. — * Marc x ; L u c xvm. — « Ibtd. vi.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN» 250
pas marne en présence d'un objet nouveau-pour vous ; mais
chaque fois que vous avez quelque chose de commun avec tes
souffrances du Christ, réjouissez-vous de tout cela, afin
que vous puissiez vous réjouir aussi et triompher lors-
qu'il vous révélera sa gloire. Si l'on vous injurie au nom du
Christ, vous êtes Iieureux, parce que le nom de la majesté et
de la vertu du Seigneur repose en vous, ce nom qu'ils blas-
phèment ^ eux, et que nous, nous honorons.

V. Or les Apôtres nous ont enseigné ce qu'eux-mêmes


avaient appris des préceptes du Seigneur et des comman-
dements célestes. C'est le Seigneur lui-même, nous disent-
ils, qui nous adresse ces encourageantes paroles : / / n'est
personne qui abandonne sa maison, ou son champ, ou ses pa-
rents , ou ses frères ou ses sœurs, ou sa femme, ou ses enfants
pour le royaume de Dieu, et qui ne reçoive sept fois autant
dans ce monde, et dans le siècle a venir la vie éternelle; et en-
core : Vous serez heureux, dit-il, quand les liommes vous
haïront, vous banniront et vous chasseront, et maudiront
votre nom comme un nom infâme, à cause du Fils de Vhom-
me. Réjouissez-vous et triomphez en ce jour; car votre ré-
compense est abondante dans les deux. Le Seigneur a voulu
que nous nous réjouissions et que nous soyons heureux dans
les persécutions, parce que, quand les persécutions arrivent,
c'est alors que la foi reçoit des couronnes, que sont éprouvés
les soldats de Dieu, que les cieux s'ouvrent aux martyrs. Et
en effet, nous ne nous sommes pas enrôlés pour ne songer
qu'à la paix, pour renier et refuser le service, puisque le
Seigneur a marché le premier sous ces marnes drapeaux, lui,
le maître de l'humilité, de la patience et de la souffrance,
qui le premier a pratiqué ce qu'il a enseigné, et le premier
a souffert pour nous ce qu'il nous engage à souffrir. Ayez
présent à la pensée, mes très-chers frères, que lui, qui seul a
reçu de son Père toute puissance déjuger, et qui viendra en
effet pour nous juger tous, a déjà fait connaître la teneur de
son jugement et L'arrêt qu'il prononcera un jour, quand il
déclare d'avance et atteste qu'il reconnaîtra devant son Père
ceux qui le confessent ici-bas, et qu'il reniera ceux qui le re-
nient.
260 SELEC'iVË DIVI CYPRIANI KMSTOLA.
1
VI. Si inortera possemus cvadcre, ineritô mori liniere-
mus. Porrô autem, cùm mortalem mori necesse sit, am-
plectamur occasionem de divina promissione et dignationc
venientem, et fungamur exitu mortis cum prœmio immor-
talitatis, nec vereamur occidi, quos constat quando occidimur
coronari. Nec quisquam, fratres dilectissimi, cùm populum
nostrum fugari conspexerit metu persecutionis et spargi,
conturbetur quôd collectam fraternitatem non videat, nec
tractantes* episcopos audiat. Simul tune omnes esse non
possunt, quibus occidere non licet* sed occidi necesse est.
Ubicumque in illis diebus unusquisque fratrum fuerit a
grege intérim necessitato temporis corpore non spiritu sepa-
ratus, non moveatur ad fugao illius borrorem, nec recedens
et latens deserti loci solitudine terreatur. Soins non est cui
Christus in fuga cornes est. Solus non est qui, templum Dei
servans, ubicumque fuerit, sine Deo non est. Et, si fugientem
in solitudine ac montibus latro oppressent, fera invaseril,
lames aut sitis aut frigus aillixerit, vel per maria prœcipili
navigatione properantem tenipestas ac procella submerserit,
spectat militem suum Christus ubicumque pugnantem, et
persecutiouis causa pro nominis sui honore morienti prœ-
4
mium reddit quod daturum se in resurrectione promis!t.
Nec minor est martyrii gloria non publiée et inter multos
0
peiisse, cùm pereundi causa sit propter Christum perire.
Sufficit ad testimonium martyrii sui testis ille qui probat
martyres et coronat.
VII. Imitemur, fratres «Ulectissimi, Abel justum, qui ini-
1
Au lieu de mert, un seul m?, donne mortem, moins bon h cause de
l'uniformité qu'il étab it entre les deux membres do cette courte phrnse.
Puis saint Cyprien dit ailleurs des Chrétiens, qu'ils sont invincibles,
quia mori non liment.
* Voyez sur tracta/re, page 1G2, note 8.
* Tcrtullicn, dans son Apologétique, dit de la religion chrétienne: Si
non apud istam disciplinam magis occidi licerel quàm occidere. L u -
cifer dcCagliari, dans *on livre à Constantin, De moriendopro Dei Filio,
dit aussi : Hostis quippe Deireliyionis, in quapktas, humanilas, om-
nisque justifia versalur; in quaneemalumpro malo discitur reddere,
in qua non occidere, sed occidi, propier DeiFitium docemur.
4
Un ms. et d'anciennes éditions portent in surrectione, forme inu-
sitée. — D'autres éditions donnent in persccittione, qui présente une
autre idée, moins bonne que celle û*\ notre leçon.
* Un seul ms. donne pro Christo. Même sens; forme moins usitée.
LETTRES CHOISIES DE SAINT ÇYPRIEiN. 2G1
VI. Si nous pouvions éviter la mort, nous aurions raison
de craindre de mourir ; mais puisque, nés mortels, il faut
que nous mourions, saisissons l'occasion que* nous offrent
les promesses et la grâce divine ; quittons la vie, récom-
pensés de notre sacrifice par l'immortalité, et ne craignons
pas d'être mis à mort, puisqu'il est constant que cette mort
nous assure la couronne de vie. Et qu'aucun de nous, mes
très-chers frères, quand il verra les lidèles mis en fuite et
dispersés par la crainte de la persécution, ne se trouble parce
qu'il ne verra pas les frères assemblés et qu'il n'entendra pas
les évoques prêcher. Tous ne peuvent être alors réunis
puisqu'il ne leur est pas permis de tuer, mais qu'ils doi-
vent être tués. Quelque part qu'en ces jours se trouve cha-
cun de nos frères, séparé pour un temps du troupeau par
la nécessité des circonstances, mais séparé de corps seule-
ment et non d'esprit, que cet exil momentané ne lui inspire
aucun effroi; s'il est forcé de fuir et de se cacher, que la
solitude des lieux déserts ne l'épouvante point. 11 n'est pas
seul, celui que dans sa fuite accompagne le Christ. Il n'est
pas seul, celui qui, conservant en lui le temple de Dieu,
quelque part qu'il soit, porte avec lui son Dieu. Que, fuyant
à travers les solitudes et les montagnes, il tombe aux mains
des brigands ou sous la dent des bêtes sauvages ; que la faim,
n
la soif ou le froid le tourmentent ; qu'à l'instant où il vogue
rapidement sur les mers, une tempête, un ouragan fasse
sombrer son navire : partout le Christ a les yeux sur son
soldat qui combat pour lui; et si, par l'effet de la persécu-
tion, il meurt pour l'honneur de son nom, il lui accorde la
récompense qu'il a promis de donner au jour de la résurrec-
tion. Et le martyre n'est pas moins glorieux pour n'être pas
subi en public et au milieu de la foule, puisque c'est tou-
jours pour le Christ que Ton meurt. Il suffit, pour attester
le martyre, du témoignage de celui qui éprouve les martyrs
et qui leur décerne la couronne.
VII. Imitons, mes très-chers frères, le juste Abel, qui inau-
gura le martyre, le jour où pour la justice il fut le premier

* Le nombre des chrétiens qui, fuyant la persécution, périssaient Tic-


times de toutes ces calamités, est incalculable, comme dit Ruiin, Hist.
Eceh, liv. vi, chap. 31 : Quid xerà memorem quantee multitudines,
in desertis et in montibus aberrantes, famé, siti, frigore, languore, la-
tronibus, bestiisque consumptœ sint?
15.
262 SELECTE D1V1 GYPKfAM KPISTOL/E.
1
tiavit martyria dum propter justitiam primus occiditur*.
Imitemur Abraham, Dei amicum, qui non est cunctatus ut
filium victimam suis manibus offcrret, dum Deo fide devo-
2
tionis obseqnitur. Imitemur très pueros, Ananiam, Azariam
et Misaelem, qui, nec œtate territi, nec captivitate firacti,
Judaeâ devictà, et Hierosolymis captis, in ipso regno suo re-
gem fidei virtute vicerunt; qui, adorare statuam quam Na-
buchodonosor rex fecerat jussi, et minis régis et flammis
fortiores exstiterunt, proclamantes et fidem suam per haec
verba testantes : Nubuchodonosor rex, non opus est nobis de
hoc vpfbo respondere tibi. Est enim Deus cui nos servimus
potens eripere nos de camino ignis ardentis, et de manibus
tuis, rex, hberabit nos* Et sinon, notum sit tibi quia dits tuis
non servimus, et imaginent auream quam statuisti mm ado-
h a
ramus . Credebant se illi secundùm ndem posse evaderej sed
addiderunt, et si mn, ut sciret rex illos propter Deum quem
colebant et mon posse. Hoc est enim robur virtutis et fidei,
credere et scire quôd Deus a morte présente liberare possit,
et tamen morlem non timere, nec cedere, ut probari fortiùs
fides possit. Erupit per os eorum Spiritùs sancti incomiptus
et invictus vigor, ut appareant vera esse quae in Evangelio
suo Dominus dixit : Cûm autem vos apprehenderint, nolite
cogitare quid loquamini. Dabitur enim vobis in Ma hora quid
loquamini. Non enim vos estis qui loquimini, sed spiritùs
hc
Patris vestn qui toqwtur in vobis . Dixit quid loqui et res-
pondere possimus dari nobis in illa hora dîvinitus et offerri,
nec nos tune esse qui loquimur, sed spiritum Dei Patris ; qui,
8
cùm a confitentibus non discedit neque dividitur, ipse in
nobis et loquitur et coronatur.
VIII. Sic et Daniel, cùm compellereto adorare idolum Bel,
quem tune populus et rex colebat, in asserendum Dei sui ho-
1
Inaugura le martyre, fut le premier martyr. — Saint Cyprien, par-
lant <TAbel dans son livre De bono patientiœ, se sert encore des mêmes
expressions. Prosper, liv. i , chap. 6, De Promissionibus et Prœdictio-
ntbusDci, parle aussi d'Abel comme du premier mattyr : Prœclara
hinc fulsere martyria, dumjusti occiduntur ab impiis.
* Quelques mss. donnent fide et devotione, bon aussi ; même sens à
peu près,
* Plusieurs mss. portent secundùm fidem suam, très-bon,
* En vous, par votre bouche.
* De ceux qui ( le ) confessent.
* Gènes, iv ; xxn.—* Dan. nu — <= Sfatth. x.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 263
mis à mort ici-bas. Imitons Abraham, l'ami de Dieu, qui ne ba-
lança pas d'offrir de ses propres mains son fils pour victime,
afin de prouver à Dieu sa foi, son dévouement et son obéis-
sance. Imitons les trois enfants Ananie, Azarieet Misael.
Sans éprouver l'effroi naturel à leur âge, sans être abattus
par la captivité, bien que la Judée fût vaincue et Jérusalem
conquise, ils vainquirent par leur foi courageuse un roi au
sein de son propre royaume, et, sommés d'adorer une statue
qu'avait élevée le roi Nabuchodonosor, ils triomphèrent des
menaces du roi et des flammes elles-mêmes, déclarant hau-
tement et attestant leur foi par ces paroles : Roi Nabuchodo-
msor, il est inutile que nous vous répondions à ce sujet. En
effets le Dieu que nous servons est assrz puissant pour nous
retirer de la fournaise ardente, et il nous délivrera de vos
mains, tout roi que vous êtes. Et, quand il ne le ferait pas,
sachez que nous ne voulons ni servir vos dieux, m adorer ta
statue a or que vous avez élevée. Ils croyaient, selon leur foi,
pouvoir échapper a la mort; mais ils ajoutèrent : Et quand
ii ne le ferait pas, pour apprendre au roi qu'ils pouvaient
aussi mourir pour le Dieu qu'ils adoraient. Telle est, en effet,
la solidité du courage et de la foi : croire et savoir que Dieu
peut nous délivrer de la mort présente à nos yeux, et cepen-
dant ne pas craindre la mort, et ne pas céder, afin de rendre
plus complète répreuve de notre foi. On vit éclater dans
leur bouche l'inaltérable et invincible vigueur de l'Esprit
saint, pour montrer la vérité de ces paroles du Seigneur dans
son Evangile : Quand ils vous auront saisis, ne songez pas à
ce quil vous faudra dire. Ce que vous aurez à dire en effet,
vous sera donné à cette fieure. Car ce n'est pas vous qui par-
lez, mais c'est fesprit de votre Père qui parle en vous. Le
Seigneur a dit que ce que nous avons à dire et à répondre
nous est donné et envoyé d'en haut, et que ce n'est pas
nous qui parlons alors, mais l'esprit de Dieu le Père ; et en
effet, puisqu'il ne s'éloigne ni ne se sépare de ceux qui con-
fessent son nom, c'est lui-même qui parle et triomphe en
nos personnes.

VIII. De mèine aussi Daniel, sommé d'adorer l'idole Bel,


qu'adoraient alors le peuple et le roi, pour rendre à son Dieu
un public hommage, s'abandonna a un élan de foi, et dit avec
une libre franchise : Je n adore rien que le Seigneur mon
Dieu, quia créé le ciel et la terre: Eh quoi! chez les Mâcha-
204 8KLKGLK DIVI CYPRIANI EPlbTOL/E,
1
norem pleuà fide et libertaie pronipit dicens : TWUl colo ego
nisi Dominum Deum meum, qui condidit cœlum et terrant*.
Quid ? in Machabœis heatorum martyrum gravia tormenta et
multiformes seplem fratrum pâmas", et conlbrtans liberos
suos mater in pœnis, et raoriens ipsa quoquè cum liberis,
nonne maguae virtutis et fidei documenta testantur, et nos ad
mai'tjTii triumpbum suis passionibus adhortaiitur ? Quid
Prophète, quos ad prœscientiam futurorum Spiritus sanclus
animavit.?Quid Àpustoli, quos Dominus elegil? Noune cùm
justi occiduntur propter justitiam, mori nos quoquè docue-
runt? Christi nativitas a martyriis infanlium statim cœpit, ut
b
ob nomen ejus a bimatu et infrà qui fuerant nerarentur.
.Etas needum habilis ad puguani idonea exstitit ad coronam.
Ut appayeret innocentes esse qui propter Christum necantur,
infantia imiocens ob nomen ejus occisa est. Ostensuin est ne-
minem esse a periculo persecutionis immunem, quando et
taies martyria fecerunt.
2
IX. Quàm verô gravis causa sit nominis christiani ser-
vum pati nolle, cùm prior passus sit Dominus, et pro pecca-
tis nostris nos pati nolle, cùm peccatum suum propriumnon
habens passus sit ille pro nobis! Filius Dei passus est ut nos
fdios Dei faceret, et lilîus hominis pati non vult ut esse Dei
filius perseveret! Si odio saeeuli lahoramus,odiumsasculisii8-
tinuit prior Ch?îstus. Si confumelias in hoc mundo, si fu~
gam, si tormenta toterenuis, graviora expertus est mundi
lactor et Dominus, qui et admonet dicens : Si sœculum, in-
3
quit, vos odit, memmtote aida me priorem vobis odiil. Si de
sœeulo essetis, sœculum quod suum esset amaret. Sed quia de
sœculo non estis, et ego eiegi vos de sœeulo, propterea odit vos
sœculum. Memmtote sermonis quem dixi vobis : Non est ser~
vus major domino suo. Si me persécuté wnt, et vos perse-
e
quentur . Dominus et Deus noster quidquid docuit, et fecit,
1
Dans on élan de foi et avec une libre franchise, rendit hommage à
non Dieu. — Au lieu de plend-fideet libertaie Erasme a donné plend
9

fidei liberlate, qui est certainement d'une excellente latinité, mais qui
ne s'appuie que sur un seul manuscrit.
* Sous-entendu judicatcou ridete. Quelle injustice, quelle chose ii.-
digne n'est-ce pas, qu'un serviteur du nom de Jésus-Christ, etc, ou
quelle indignité n'est-ce pas do voir un serviteur de Jésus-Christ, etc.?
' Au lieu de me priorem, deux mss. donnent me prtqtd, moins bon»
Si Ton voulait l'adverbe, on eût dû au moins mettre mepriûs.
c
» Dan. xiv; Il Mach. vu. ~ * Malth. H. ~ Joan. xv.
LETTRES CHOISIES DE tSMNT Cïl'RlbN, 205
bées, ces bienheureux martyrs, est-ce que ces sept frères,
victimes de tourments cruels et de supplices variés ? est-ce
que cette mère fortifiant ses fils au milieu des tortures, et
périssant elle-même avec eux, ne nous donnent pas des
exemples d'un grand courage et d'une puissante foi, et ne
nous encouragent pas par leurs souffrances à mériter le
triomphe du martyre? Et les prophètes à qui l'Esprit saint
avait accordé le don de connaître l'avenir-? Et Jcs Apôtres,
que le Seigneur avait choisis? est-ce que tous ces justes, en
périssant pour la justice, ne nous ont pas appris ci mourir
comme eux? La naissance du Christ a tout d'abord été signa-
lée par des martyres d'enfants ; à cause de son nom, à doux
ans et au-dessous, tous ceux qui existaient furent mis à mort.
Cet âge, encore inhabile au combat, fut trouvé digne de la
tt
couronne . Pour montrer l'innocence de ceux qui sont mis à
mort pour le Christ, des enfants innocents furent mis à mort
en son nom. Il est prouvé que personne n'est à l'abri de la
persécution, puisqu'un âge si tendre a fourni ses martyrs.

IX. Et quelle indignité n'est-ce pas de voir un serviteur


de Jésus-Christ ne pas vouloir souffrir, quand le Seigneur a
souffert le premier, et ne pas vouloir souffrir pour nos po-
chés, quand lui, qui n'avait pas un péché qui lui fût propre,
il a souffert pour nous! IJO Fils de Dieu a souffert pour nous
faire enfants de Dieu, et le fils de l'homme ne veut pas
souffrir pour continuer à être enfant de Dieu! Si nous
sommes en butte à la haine du siècle, le Christ en a été l'ob-
jet avant nous. Si nous avons dans ce monde à supporter les
outrages, l'exil, les tourments, il y a souffert pis encore, lui,
le créateur et le maître de ce monde; c'est lui-même qui nous
l'apprend, et nous dit : Si le siècle vous hait, souvenez-vous
qu Cl m a haï avant vous. Si vous étiez du siècle, le siècle aime~
raitcegui serait à ttti. Mais comme vous riéte* pas du siècle,
et que je vous ai choisis pour vous retirer du siècle, à cause de
cela le siècle vous haït. Souvenez-vous d'un mot que je vous ai
dit : Le serviteur n'est pas au-dessus de son maître. S'ils
mont persécuté, ils vous persécuteront aussi. Tout ce que
notre Seigneur et notre Dieu a enseigné, il Ta pratiqué aussi,

' Voyez ce que nous avons dit du courage des enfants chrétiens dans
les persécutions, lettre XXXIV, notes.
266 SELECT/E D1VI CYPRIANI EPISTOLA.
ut discipulus excusatus esse non possit qui discit et non
facit.
X . Neque aliquis ex vobis, fratres dilectissimi, futur» per-
1
secutionis metu aut antichristi imminentis adventu sic ter-
reatur ut non evangeiicis exliortationibus et praeceptis ac
monitis cœlestibus ad omnia inveniatur armatus. Venit anti-
christus, sed et supervenit Christus. Grassalur et saevit ininii-
eus, sed et statim sequitur Dominus passiones nostras et
vulnera vindieaturas. Irascitur adversarius et minatur, sed
est qui possit de ejus manibus liberare. Ille metuendus est
cujus iram nemo poterit evadere, ipso pracmonente et di-
cente : Ne timueritis eos qui occidunt corpus, animam autem
non possunt occidere. Magis autem metuile eum qui potest
a
et corpus et animam occidere in gekennum £ et iterum :
Qui amat animam suam, perdet illam, et qui odit animam
b
suam in isfo sœculo, in vitam œternam conservabit illam . Et
in Apocalyçsi instruit et pnemonet, dicens : Si quis adorât
bestiam et imaginem ejus, et accimt notam in fronte sua et in
manu, bibet et ipse de vino irœ Dei mixto in poculo irœ ejus,
et punietur igne et sulphure sue ocutis sanctorum angelorum
et sub oculis Agni, et fumus de tormentis eorum ascendet in
sœcula sœculorum, nec habebant requiem die ac nocte quicum-
r
que adorant bestiam et imaginem ejus .
XI. Ad agonem saecularera exercentur homines et parau-
turj et magnam gloriam computant honoris sui, si illis,
spectante populo et imperatore praesente, contigerit coronari.
Exe agon sablimis et magnus et coronae cœlestis prœmio
gloriosus, ut spectet nos certantes Deus, et super eos quos
filios lacère dignatus est oculos suos pandens *, certaminis
nostri spectaculo perfruatnr. Prœliantes nos et fidei congres-
sione pugnantes spectat Deus, spectant angeli ejus, spectat et
1
Au lieu de futurœ persecutionis metu, un ms. donne futuram perse-
cutionem metuat ; même sens, forme correcte aussi, mais moins heu-
reuse et moins expressive.
* Un ms. donne spandens, mot barbare venu sans doute de ce que le
copiste aura mal entendu dicter expandens. On trouve de même dans les
Capilulaircs le mot stranei, altération de exlranei. De même encore on
trouve quelquefois dans des mss. le mot instrumenta, estropié par les
copistes, et changé en slrumenta. Par une erreur semblable, ils écrivent
souvent spectarc pour exspectare, et réciproquement.
b
* Matth. x. — Joan. xu. — « Apoc. xiv.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 267
en sorte que son disciple est inexcusable quand il l'apprend
et ne le pratique pas.
X. Et que chez aucun de vous, mes très-chers frères, la
crainte de la persécution future ou l'effroi causé par la venue
prochaine de Tantechrist ne soit assez fort pour l'empêcher
de se trouver, contre toute attaque, armé des encouragements
de rEvangile, et des préceptes et avertissements célestes.
Uantechrist vient, mais aussi le Christ vient après lui. L'en-
nemi exerce contre nous sa violence et sa fureur, mais aus-
sitôt survient le Seigneur, pour venger nos souffrances et
nos blessures. Notre adversaire s'irrite et nous menace, mais
il y a quelqu'un qui peut nous délivrer de ses mains. Celui
qu'il faut craindre, c'est celui à la colère de qui personne ne
saurait échapper, comme lui-même nous en avertit par ces
paroles : Ne craignez pas ceux gui tuent te corps, mais gui ne
peuvent tuer l'âme. Craignez bien plutôt celui qui peut tuer
tout ensemble le corps et lame, et les précipiter dans les feux
éternels. Et encore : Celui qui aime son âme la perdra, et ce-
lui qui hait son âme dans ce siècle, la conservera pour la
vie éternelle. Ecoutez aussi les instructions et les avertisse-
ments qu'il nous donne dans l'Apocalypse : Si quelqu'un
adore la bête et son image, et reçoit sa marque sur te front et
dans la main, il boira aussi lui-même du vin de la colère de
Dieu, versé dans la coupe de sa colère, et sera puni par le feu
et le soufre sous les yeux des saints anges el tous les yeux de
VAgneau, et la fumée de leurs tourments montera dans les
siècles des siècles, et il n'y auru de repos ni jour ni nuit pour
tous ceux qui adorent la bête et son image.
XL Pour les combats du siècle, on s'exerce, on se pré-
pare; les athlètes regardent comme un grand honneur et une
gloire signalée d'être couronnés aux yeux du peuple et en
résence de l'empereur. Voici un sublime et grand combat,
S ont le prix glorieux est la couronne céleste, dans lequel
nous avons pour témoin de nos efforts Dieu lui-même, les
yeux ouverts sur ceux dont il a daigné faire ses enfants, pour
jouir du spectacle de notre lutte. Oui, dans ce combat pour
la foi, nous avons pour spectateurs Dieu, ses anges et Jésus-
Christ son Fils. Quelle gloire éclatante, quel bonheur, de
combattre en présence de Dieu et de recevoir la couronne dé-
cernée par le Christ! Armons-nous, mes très-chers frères, de
toutes nos forces, et préparons-nous au combat avec une àme
incorruptible, une foi entière et un courageux dévouement.
268 SELECTvE DIVI CYPRIANI EPISTOLAS.
Christus. Quanta est gloris dignitas el quanta félicitas praj-
sente Deo coiigredi, et Christo judice coronari ! Armemur,
fratres dilectissimi, viribus totis, et paremur ad agonem mente
incorrupta, fide intégra, virtute dcvotà. Ad aciem quae nobis
indicitur Dei castra procédant. Armentur inlcgri, ne perdat
inleger quodnuper* stelit. Armentur et lapsi, ut et lapsus
recipiat quod ainisit. Integros honor, lapsos dolor ad pree-
lium provoeet. Armani et prœparari nos beatus Paulus apos-
2
tolus docet dicens : Non est nobis coltuctatio adversùs car-
nem et sangvinem, sed adoersas potestates et principes hujus
mundi el harum tenebrarum, adversus spiritùs nequitiœ in
cœlestibus. Propter quod induite tota arma*, ut possitis resis-
tere in die nequissimo ; ut, cum omnia perfeceritis, stetis ac~
cvicti lumbos vestros in veritale, induti loricam justitiœ, et
cafceati pedes in prœparatione Evangelii pacis, assumentes
scutum fidei, in quo possitis omnia ignita jacuia nequissimi
exstinguere, et galeam salittis, et gtadium spiritiis, qui est
ai
sermo Dei .
XII. H&c arma sumamus, his nos lutamentis spiritalibus
et cœlestibus muniamus, ut in die nequissimo resistere dia-
boli minis cl; repngnare possimus. Induamus loricam jus-
titiae, ut contra inimiei jaculam munitum sit pectus et tu-
tum. Calccati sint evangelico magisterio et araaati pedes ;
ut, cùm serpens caieari a nobis et obteri cœperit, mordere et
supplantarc non possit. Portemus fortiter scutimi tidei, quo
prolegente quidquid jaculatur inimicus possit exstingui. Ac-
3
cipiamus quoquè ad tegumentum capitis galeam salutarem ,
1
Nuper, qui le plus souvent signifie naguères, il n'y a pas long-
temps, parait, chez saint Cyprien, s'appliquer généralement à un temps
plus éloigné, et signifier plutôt, il y a quelque temps, et même jadis,
autrefois.
ft
Au lieu de armari et prœparari nos beatus Paulus docet, plusieurs
éditions portent armât el pmparat nos beatus Paulus apostolus ; même
sens au fond. Notre leçon est conforme à la grande majorité des mss. et
des anciennes éditions.
5
Après tota arma Erasme, dans son édition, ajoute le mût Dei, que
f

d'autres éditeurs ont adopté après lui sur sa seule autorité* — Un ms.
porte induite tos arma lacis.
4
Trois anciens mss. portent quod est verbum Dei ; différence de mot
seulement.
u
Beaucoup de mss. et les plus anciennes éditions portent galeam
spirilalem. C'est Erasme qui, d'après trois mss., a introduit le mot salu-
» Ephes.iv.
LE1TUES CHOISIES DE SAINT CÏMUE.N*.

Pour la bataille qu'on nous présente, que l'aimée de Dieu


sorte de son camp. Qu'ils s'arment, ceux qui n'ont point
failli, pour ne pas perdre le mérite du courage qu'ils ont
déployé jadis. Qu'ils s'arment aussi ceux qui sont tombés,
pour recouvrer l'honneur qu'ils ont perdu. Pour les pre-
miers, c'est la gloire; pour les seconds, c'est le regret qui
doit les animer à combattre. L'armure et la préparation qu'il
nous faut, l'apôtre saint Paul nous l'enseigne, en nous di-
sant : Ce n'est pas contre ta chair et le sang que nous avons
à lutter, mais contre.les puissances et les princes de ce inonde
et de ces ténèbres, et parmi les êtres célestes, contre les esprits
de malice. C'est pourquoi prenez une armure complète pour
pouvoir résister au jour du danger. Tous vos préparatifs
étant faits, ayez pour ceinture ta vérité, pour cuirasse la
justice, pour chaussure fa préparation de îEvangile de paix;
joignez-y le bouclûr de la fou sur lequel puissent venir s'é-
teindre tous les traits enflammés du démon; le casque du salut
et te glaive d* l'esprit, qui est la parole de Dieu.
XII. Voila les armes qu'il nous faut prendre, ce sont là les
moyens de défense spirituels et célestes dont nous devrons
nous couvrir, pour pouvoir, au jour du danger, résister aux
menaces du démon et répondre à ses coups. Revêtons la
cuirasse de la justice, pour que notre poitrine soit à couvert
et en sûreté contre les traits de Peunemi. Que nos pieds
soient chaussés et armés des leçons de l'Evangile, afin que
quand nous foulerons aux pieds et que nous écraserons le
serpent, il ne puisse pas nous mordre et nous faire tomber.
Portons fièrement le bouclier de la foi, afin que sur cet abri
vienne s'éteindre tout ce que l'ennemi peut y lancer. Pre-
nons aussi pour couvrir notre téte le casque du salut, afin
qu'il préserve nos oreilles d'entendre ces édits cruels, et
nos yeux de voir ces abominables idoles; afin qu'il protège
a
notre front de manière que le signe de Dieu y demeure
tarem, qui rappelle le galeam salutis de la citation de saint Paul, qui
précède D'ailleurs saint Cyprien, dans une autre lettre, se sert aussi de
l'expression g aie a salutis.
«Lesigne de la croix, placé sur le front lors du baptême, Laclance,
chap. 10,De Mortibus Perseculorum, dit : Imposucrunt frontibus suis
immorlale signum. Le même, Institut., lib. w, chap. 27 : Imposito fron-
tibus signo, et quos signum immoriale munierit. Saint Cyprien, dans
son livre De l'Unité de l'Eglise : In fronts,.» ed parte corporis..
ubi signantur qui Dominum promerentur.
SBLKGTJS DIVI CYPRIANI GPI8T0LA.
ut muniaiitur auras, ne audiant edicta feralia; inuniantur
oculi, ne videant detestanda simulacre; îniuiiatur frons, ut
signum Dei incoluine servetur; muuiatur os, ut Dominum
suum Christum victrix lingua fateatur. Ànnemus et dextc-
ram gladio spiritali, ut sacriiicia iunesta fortiter respuat ; ut,
Eucharistie memor, quœ Domini Corpus accepit, ipsum coin-
plectatur *, postmodum a Domino suinptura prœmium cœles r

tium coronarum.
XIII. O dies ille qualis et quantus adveniet, fratres dileo
tissimi, cùm cœperit populum suum Dominus recensera et
divines cognitionis examine* singulorum mérita reoognos-
cere, mittere in gehennam nocentes, et persecutores nostros
flammae pœnalis perpetuo ardore flammarenobis vero mer-
cedem fidei et devotionis exsolvere ! Qwe er t gloria * et
quanta lœtitia admitti ut Deum videas, honorari ut cum
Christo Domino Deo tuo salutis ac lucis aeternœ gaudium ca-
pias, Abraham et lsaac et Jacob et Patriarchas omnes et Pro-
phetas et Apostoios et Martyres salutare, cum justis et Dei arui-
cis in regno cœlorumdatœ immortalitatis voluptate gaudere,
sumere illic quod nec oculus vidit, nec auris audivit, nec in
u
cor hominis ascendit ! Majora enim nos accipere quàm quod
hic aut operamur aut patimur Apostolus praedicat dicens : Non
sunt condigttœ passions hujus tempnris ad super venturam via-
h
ritatem* quœrevelabitur in nobis .Cùm revelatio illa venerit,
cùm claritas super nos Dei fulserit, tam beati erimus et

1
Un ms. donne in ipso Dominum suum complectaiur ; c'est à peu
près le même sens.
* Et apportant à cet examen sa sagacité divine.
* Et livrer nos persécuteurs au supplice des flammes éternelles. —
Au lieu de flammare, beaucoup de mss. portent damnare , bien
moins bon et moins expressif» mais plus conforme à la manière de
s'exprimer ordinaire. C'est ainsi que l'ignorance des copistes substituait
des locutions vulgaires et fâches à ces expressions figurées et hardies qui
fout le stvle, et sont le cachet des écrivains supérieurs. Voyez un autre
exemple de ces substitutions inintelligentes, lettre XII, note *.
* Un ms. donne Quœ erit gloriœ dignitas légère différence, qui ne
9

change rien au sens.


* Deux mss. donnent gloriam au lien de claritatem. C'est ici encore
une erreur ou une fantaUie de copiste; car saint Cyprien, dans trois
autres endroits où il cite ce passage de saint Paul, se sert toujours du
mot claritas.
* I Cor. n. — * Rom. vin.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 271
intact, el notre bouche, de manière que notre langue victo-
rieuse puisse confesser le Christ son Seigneur. Armons aussi
notre bras du glaive spirituel, afin qu'il repousse avec cou-
rage ces sacrifices funestes, et que, fidèle à l'Eucharistie,
0
cette main, qui a reçu le corps du Seigneur le tienne for-
tement embrassé, pour recevoir ensuite du Seigneur, en
récompense, les célestes couronnes.

XIH. O quel beau, quel grand jour! mes frères, quand


le Seigneur passera son peuple en revue, et qu'il examinera,
en apportant à cette enquête sa divine sagacité, les mérites
de chacun; quand il enverra dans l'enfer les méchants, qu'il
livrera nos persécuteurs au supplice desflammeséternelles >
et que nous, au contraire, il nous décernera la récompense
due à notre foi et à notre dévouement ! Quelle gloire, quel
bonheur, d'être admis à voir Dieu ! de jouir du salut et de la
lumière éternelle dans l'honorable société du Christ, votre
Seigneurl de saluer Abraham. Isaac, Jacob et tous les Pa-
triarches, les Prophètes, les Apôtres et les Martyrs! de jouir
dans le royaume des cieux, avec les justes et les amis de
Dieu, du plaisir de l'immortalité qu'il nous aura donnée !
d'y goûter une félicité que l'œil n'a point vue, que l'oreille
n'a point entendue, et qui jamais n'est entrée dans le cœur
de l'homme 1 Ils sont supérieurs en effet, les biens que nous
recevons alors, a tous nos mérites et à toutes nos souffrances.
C'est l'Apôtre qui nous l'enseigne en nous disant : Non, les
souffrances de ce monde ne sont rien en comparaison de la
gloire gui se révélera en nous. Quand viendra cette révélation,
quand brillera sur nous la gloire de Dieu, notre bonheur et
notre joie, honorés que nous serons de la grâce du Seigneur,
égaleront la confusion et la misère de ceux qui, déserteurs de

* Aux premiers siècles de PEglise, les fidèles recevaient le Corps de no-


tre Seigneur non pas, comme aujourd'hui, dans la bouche, mais dans la
main, comme on le voit dans ce passage de la dernière catéchèse de saint
Cyrille de Jérusalem : Kal xciXavo; TTJY noùAuw, $i%cv ?b <r&ua TOV t

XpumS, «nXîyojv ro Àpiiv, ce qui veut dire faisant un creux de


la paume de votre main, recevez le Corps de Jésus-Christ, en ajoutant :
Amen — On voii même dans le livre fJe Lapsis, de notre auteur, que
« les fidèles, aux premiers siècles, emportaient chez eux la sainte Eucha-
ristie, el la conservaient pour se nourrir plus tard de ce pain sacré, par
exemple, au moment de quelque tentation, etc. »
272 SELECIVE DIVI CYPRIANI EPISTOLA.
Jaeti, dignatione Domini honorati, quàm rei remanebunt et
1
miseri qui, Dei desertores aut contra Deum rebelles *, vo-
luntatem fecerunt diaboli, ut eos necesse sit cum ipso simul
inexstinguibili igue torqueri.
XIV, Hsec, fraies dilectissimi, hœreant cordibus nostris.
liœc sit armorum nostrorum praeparatio, base diurna ac noc-
turna meditatio, ante oculos habere et cogitatione semper ac
sensibus volvere iniquorum supplicia et prœmia ac merila
justonun, quid negantibus Dominus comminetur ad pœnam,
quid contra confiteiitibus proinittat ad gloriam. Si hase cogi-
tantibus ac meditantibus nobis supervenerit persecutionis
dies, miles Christi, prœceptis ejus et monitis erudilus, non
expavescit ad pugnam, sed paratus est ad coronam.
Opto vos, fratres charissimi, semper bene valere.

EPISTOLA XXX.
AD CORNELIUM IN EXSILIO, DE EJUS CONFESSIONS *.

Courage admirable de S. Corneille dans la confession de la foi :


eiTeur de No va tien.

CYPRUMS Gomélio fratri salutem*


1
L Cognovimus, frater charissime, iidei ac virtutis vestne
1
Remarquez la régularité de cette phrase où tam beati ,. .. et Imti a
% n

pour correspondant quàm rei... et miseri, où dignatione Domini Iwno-


rati répond à Dei desertores aut contra Deum rebelles. — Rei veut
dire confus, tristes (comme des accusés).
8
Dans une autre lettre, l'auteur, parlant des Chrétiens et dos ennemis
du Christ, dit : Boni militis est adversùs rebelles et hostes imperatoris sui
castra defendere. — Quant aux déserteurs, ils étaient tellement détestés,
que, s'ils étaient pris, ils étaient livrés au supplice. On accordait la li-
bellé ix l'esclave qui dénonçait et faisait prendre un déserteur.
3
Saint Corneille fut le premier à Rome qui confessa le nom de Jésus-
Christ, dans la persécution de Gallus : il fut exilé à Centumcelles, a u -
jourd'hui Civita-Vecchia, où il mourut en 262.
4
Dans ce. VESTRA fidei et virtutis, comme un peu plus loin dans VES-
TRIS laudibus et merilis, et dans cùm de VOBIS prospéra et fortiora
comperissemus, l'adjectif possessif et le pronom personnel pourraient
être au pluriel, mémo en parlant à une seule personne, et cela par res-
pect, suivant l'usage généralement établi plus tard dans la langue lalinc
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPfUEN. 273
Dieu et lui ayant déclaré la guerre, ont fait la volonté du
démon, et doivent par conséquent être comme lui et avec lui
livrés aux tourments des feux éternels.
XIV. Que ces pensées, mes très-chers frères, restent pro-
fondément gravées dans nos cœurs. Telle doit être noire ar-
mure et notre préparation, tel, jour et nuit, l'objet de nos
méditations. Ayons toujours devant les yeux les supplices
des méchants, les mérites et les récompenses des justes; oc-
cupons-en sans cesse notre esprit et notre cœur; songeons
aux châtiments dont le Seigneur menace ceux qui le renient,
et d'autre part à la gloire qu'il promet a ceux qui confessent
son nom. Si, occupés de ces pensées et de ces méditations,
nous voyons arriver tout-à-coup le jour de la persécution, le
soldat du Christ, formé par ses préceptes et ses avertissements,
ne tremble pas à l'approche du combat; il est prêt au con-
traire à recevoir la couronne.
Je désire, mes très-chers frères, que vous vous portiez tou-
jours bien.

LETTRE XXX,
A CORNEILLE EN EXIL, SUR SA CONFESSION.

Saint Cyprien félicite le pape Corneille d'avoir, par sa confession coura-


geuse, entraîne sur ses pas les fidèles de son église h confesser aussi la
foi. A ce propos, il célèbre la fui des Romains déjà louée par saint
Paul. Par une opposition toute naturelle, il est conduit à caractériser
sévèrement la conduite factieuse du schismalique Novatien. Enfui* il
indique les moyens par lesquels 1rs (idoles doivent se préparer à la
persécution futiue, qu'annoncent les avertissements de la Divinité*
Quel que soit leur sort dans ces rudes épreuves, les Chrétiens doivent,
au sein de Dieu comme ici-bas, penser les mis aux autres et se prêter
mutuellement le secours de leurs prières. Cette lettre remarquable est
citée par le pape Damase comme ayant servi de prétexte à Callus pour
faire périr saint Corneille, coupable, au dire du tyrau, d'avoir entre-
tenu des correspondances avec les ennemis de l'Etat.

CYPRIEN à Corneille son frère salut.


I. Nous connaissons, très-cher frère, les preuves glorieuses

chrétienne; mais il est plus probable que le pluriel a ici son sens naturel
et conforme à l'ancien usage. En effet, saint Cyprien adresse bien cette
274 SELECTA DIVI CYPRIANI EPISTOLiK.
testimonia gloriosa, et confessionis vestrae honoremsic exsul-
tanter accepinius, ut in meritis ac laudibus vestris nos quo-
què participes et socios computemus. Nam, cùm nobis et
Ecclesia una sit, et mens juncta et individua concordia, quis
non sacerdos in consacerdotis sui laudibus tanquam in suis
propiïis gratuletur, aut quœ fraternitas non in fratrum gati-
dio ubique laetetur? Exprimi satis non potest quanta istic
exsultatio fuerit et quanta laetitia, cùm de vobis prospéra et
fortia comperissemus : ducem te illic confessionis fratribus
1
exstitisse, sed et confessionem ducis de fratrum consensione
crevisse*; ut, dum praecedis ad gloriam, multos feceris gloriae
comités, et confessorem populum suaseris fieri, dum primus
paratus es pro omnibus confiteri ; ut non inveniamus quid
priùs praedicare in vobis debeamus, utrùmne tuam promptam
et stabilem fidem, an inseparabilem fratrum charitalem. Vir-
tus illic episcopi prœcedentis* publicè comprobata est, adu-
natio sequentis fraternitatis ostensa est. Dum apud vos unus
animus et una vox est, Ecclesia omnis Romana confessa est.
4
Claruit, fratres charissimi , fides quam de vobis beatus
Apostolus praedicavit Hanc laudem virtutis et roboris firmi-
tatem jam tune in spiritu prœvidebat, et prœconio futurorum
mérita vestra contestans, dum parentes laudat, filios provo-
a
cat .

lettre à saint Corneille, mais il lui parle non-seulement de sa confession


personnelle, mais encore de celle de tous les fidèles de Rome qui ont
imité leur pasteur, comme l'indique tout d'abord la double interrogation
contenue dans la seconde phrase. II y a plus : saint Cyprien, cessant,
vers la lin de ce paragraphe, de parler individuellement à saint Corneille,
s'adresse directement aux confesseurs romains pour les féliciter de leur
foi, déjà louée prophétiquement par l'apôtre saint Paul.
J
Quelques anciennes éditions tiès-estimées portent de fratrum con-
fessione, qui donne au fond le même sens exprimé avec un terme plus
positif et plus précis, mais non pas meilleur.
* Crevtsse, a prandi, c'est-à-dire a eu plus de poids, plus d'autorité,
ou, mieux probablement, a été fécondée, multipliée.
3
Episcopi prœcedentis, de l'évoque marchant en tête (de son
troupeau).
4
Cinq manuscrits donnent frater clxarissime, qui, d'après notre pre-
mière note sur cette lettre, pourrait bion aller avec le de vobis, qui se
trouve tout auprès; mais il est plus naturel que saint Cyprien parle ici
aux Romains eux-mêmes, d'autant plus qu'il a déjà commencé à leur
* Rom. vin.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 275
que TOUS avez données de votre courage et de votre foi, et
nous avons appris l'honneur de voire confession avec une
telle joie, que nous croyons nous-mêmes participer à votre
mérite et être associé à Votre gloire. En effet, puisque l'E-
glise est une, que nos âmes sont unies et notre concorde
indissoluble, quel ministre du Seigneur ne se féliciterait de
la gloire d'un de ses collègues comme de la sienne propre?
ou quelle réunion defidèlesne se réjouirait en tous lieux de
la joie de ses frères? On ne saura.t exprimer quelle joie,
quel bonheur nous avons éprouvés ici, quand nous avons
appris vos succès et votre courage. Vous avez montré à vos
frères à confesser la foi, et de plus votre confession a grandi
par le parfait accord de vos frères avec vous ; en marchant
avant eux à la gloire, vous vous êtes donné une foule de
compagnons de gloire, et par la persuasion de votre exemple,
en vous montrant le premier prêt à confesser pour tous, vous
avez fait tout un peuple de confesseurs ; en sorte que nous
ne savons ce que nous devons louer d'abord chez vous,
ou votre foi courageuse et ferme, ou la charité de vos frè-
1
res , inséparables de leur chef. Cette épreuve a publique-
ment constaté le courage de l'évèque marchant en tète de son
troupeau; elle a montré aussi l'accord empressé de tous les
fidèles à le suivre. Par l'unité de vos sentiments et de votre
langage, l'Eglise romaine tout entière a confessé la foi. Elle
a brillé de tout son éclat, nos très-chers frères, cette foi
qu'en parlant de vous le saint Apôtre a vantée. C'est ce glo-
rieux courage et cette inébranlable fermeté que prévoyait
déjà son esprit prophétique, et, faisant l'éloge de l'avenir et
rendant par avance témoignage à votre mérite, en louant les
pères il encourageait les fils".

adresser la parole deux lignes plus haut,en disant : Dum apud vos unus
animas et una vox est, etc.
* 1-e clergé romain, dans une lettre à saint Cyprien (la XXXI* des
Lettres, édition complète de notre auteur), reconnaît que, chez les R o -
main?, la fermeté de leur fol actuelle a sa racine dans l'antique foi de
leurs pères, déjà vantée par l'Apôtre comme remplissant le monde; c'est
une gloire dont les fils de ces généreux chrétiens doivent, sous peine de
forfaiture, se montter toujours dignes : quarum laudum et gloriœ de~
generem fuisse maximum crimen est, dit le clergé à propos du faiblesses
et de chutes antérieures qui déshonorent ce courage traditionnel et font
rougir cette foi*
276 SELECT/R DIVI CYPRIANI EPISTOL/E.
IL Dum sic unanimes, dum sic fortes estis, magna et cae-
teris fratribus mianimilatis et fortitudinis exempla tribuistis.
Docuistis grandtler Deum timere, Cbristo firmiter adhaerere,
plebem sacerdotibus in periculo jungi, in persecutione fra-
tres a fratribus non separari, concordiam simul junctam
vinci omnino non posse, quidquid simul pelitur a cunctis
Deum pacïs pacifîcis exhibere. Prosiiierat adversarius terrore
1
violento Christi castra turbare ; sed quo impetu venerat, eo-
2
dem impetu pulsus et victus est ; et quantum formidinis et
terroris attulit, tantùm fortitudinis invenit et roboris. Sup-
plantare se iterum posse crediderat Dei servos, et velut tiro-
nes et rudes, quasi minus paratos et minus cautos, solito
suo more concutere. Unum primù aggressus, ut lupus ovem
3
secernere a grege, ut accipiter columbani ab agmine volan-
3
tium separare tentaverat*. Nam, oui non est adversùs om-
nes satis virium, circumvenire quaerit solitudinein singulo-
rum. Sed, retusus adunati exercitûs fide pariter et vigore,
intellexit milites Christi vigilare jam sobrios, et armatos ad
praelium stare, vinci nou posse, mori posse, et hoc ipso in-
6
victos esse quia mori non tinrent ; nec repugnare contra
7
impugnantes , cùm occidere innocentibus nec nocentem
liceat; sed prompte et animas et sanguinem tradere, ut, cùm
tanta in saeculo malitia et saevitia grassetur, a malis et saevis
8
velociùs recedatur .
UL Quale illud fuit sub oculis Dei spectaculum gloriosum,

» Prosiiierat lurbare, pour prosiiierat ad turbandum. Dans Virgile :


Non nos aul ferro Libycos popularc Pénales
Veniinus, aul raplas ad littora vcrlere prœdas. JŒncid. I, 828«
* Des manuscrits ne portent que pulsus est; un autre porte turbatus
H pulsus est : même sens au fond.
* Deux mss. portent accepior, qu'on trouve avec la môme acception
dans les Capitulaires de Charlemagne, mais qui n'était pas en usage au
temps de saint Cyprien. C'est sans doute une erreur de copistes, mettant
le langage de leur temps à la place du véritable texte ancien.
4
Construisez : prhnô aggressus tentaverat unum, ut lupus (tentât
sous-entendu) secernere ou>m a grege, ut accipiter {tentai sous-entendu)
separare columbam ab agmine volantium.
* Avant ce cui sous-entendez ille (c'est-à-dire adversarius).
* Où trouver d'aussi nobles pensées dans les auteurs païens*
7
Ce nec repugnare est régi non pas par liment qui le précède, mais
par intellexit qui se trouve trois lignes plus haut.
* Ut recedatur, c'est comme s'il y avait ut recédant.
LETfRKS CHOISIES I>E SAINT CYPIUi'N. 277
II. En vous montrant ainsi unanimes et courageux, vous
avez donné à tous nos autres frères de grands exemples de
courage et d'unanimité. Vous avez enseigne «noblement a.
craindre Dieu, à s'attacher follement à Jésus-Christ; vous
avez appris aux lidèies à s'unir dans le péril avec les minii-
tres du Seigneur; aux frères, ue pas se séparer de leurs
frères dans la persécution ; vous avez montré que rien abso-
lument ne peut détruire la concorde établie entre chrétiens,
et que, quelque chose que demandent ensemble tous les fi-
dèles, le Dieu de paix l'accorde aux hommes de paix. L'enne-
mi s'était élancé, espérant avec la terreur et la violence porter
le désordre dans le camp de Jésus-Christ; mais aussi impé-
tueusement il a été mis en fuite et vaincu; et autant il avait
voulu inspirer de crainte et d'effroi, autant il a trouvé de cou-
rage et de force. 11 avait pensé pouvoir encore faire tomber les
serviteurs de Dieu, et, tels que des conscrits et des recrues,
ne les croyant ni prêts ni sur leurs gardes, les frapper d'é-
pouvante/selon sa coutume. Il s'est attaqué d'abord à un
seul, comme le loup cherche à séparer une brebis du trou-
eau, comme Pépervier s'applique à détacher une colombe
c ses compagnes qui volent en troupe dans les airs. Ne se
sentant pas en effet assez de force contre tous, il cherche a
nous surprendre isolément les uns après les autres. Mais
refoulé par la foi tout ensemble et la vigueur de notre armée
réunie, il a senti que les soldats du Christ étaient désormais
toujours vigilants et calmes, toujours debout, armés et prêts
à combattre; qu'ils peuvent bien mourir, mais non pas être
vaincus, et qu'ils sont invincibles par cela même qu'ils ne
craignent pas la mort, ne repoussant pas la force par la force,
parce que chez eux il n'est pas permi aux innocents -de tuer
même les coupables ; mais qu'ils donnent avec empresse-
ment leur sang et leur vie, pour pouvoir, tant régnent avec
audace sur ce monde la malice el la cruauté, se séparer plus
promptement des hommes méchants et cruels.

III. Quel spectacle ! et quelle gloire aux yeux de Dieu ! et,


en présence du Christ, quelle joie pour son Eglise, de voir
que, pour résister k cette attaque de l'ennemi, ce ne sont pas
l'un après l'autre des guerriers isolés, mais une armée tout
entière qui s'ébranle et marche à sa rencontre l Car il est
certain que tous seraient venus s'ils avaient pu entendre le
signal, puisqu'on a vu accourir à la hâte et arriver à leur
16
278 S E L E C T E D I V I CYPRIANI E P I S T O L J E ,
1
quale in conspectu Christi Ecciesiae suae gaudium, ad pu-
gnam quam tentaverat hostis inferre, non singulos milites,
sed tota simul castra prodiisse ! Omnes enim constat vcnluros
fuisse, si audire potuissent, quando occurrerit properanter
et venerit quisquis audivit. Quot illic lapsi gloriosà confes-
sione sunt restituti! steterunt fortes, et ipso dolore pœniten-
tiae facti ad praelium fortiores ! Ut appareat nuper subitatos
esse *, et novae atque insuetae rei pavore trépidasse, rediisse
ad se postmodum fidem veram, et vires suas, de Dei timoré
collectas, ad omnem patientiam constanter et firmiter robo-
3
rasse, nec jam stare ad criminis veniam, sed ad passionis
coronam.
IV. Quid ad hœc Novatianus, frater charissime? Utrùmne
jam deponit errorem? an verô* qui dementium mos est. ipsis
bonis et prosperis nostris plus adactus est ad furorein? et,
quô magis ac magis dilectionis ac fidei crescil hic gloria, illic
4
dissensionis et zeii recrudescit insania ? nec vulnus suum
1
Deux mss. donnent : in conspectu Christi ejus. Ce passage présente
même dans son ensemble plusieurs variantes. A nsi cinq mss. donnent:
in conspectu Ch/risti et ejus Ecclesiœ ; quelques autres : Christi et Ec*
clesiœ suœ, ou Christi sive Ecclesia ejus; nous avons pris la ltçon qui
nous a semblé la plus raisonnable et la plus facile. —• Suœ est ici pour
ejus.
* Nuper subitatos esse, qu'ils avalent été jadis (la première fois, lors
de leurchule) l'objet d'une attaque soudaine. Parce seul mot subitatos,
saint Cyprien exprime brièvement ce qu'il explique dans le membre de
phrase qui suit, c'est-à-dire le trouble causé par une attaque soudaine et
imprévue. Saint Jérôme : Fortissimos quosque milites subita belli con-
turbant ; Tacite (Annal, xv) : Etiam fortes viri subitis terrentur; César
( De Bell. Gall., i. ) ; Nemo est tam fortis, qui non rei novitateper-
turbetur; Hirtius (De BelL Alexandrin. ) ; Cujus rei subita trepidatio
magnum terrorem intulit nostris ; Tite-Live (livre m ) : Urbi quoquè
in re subita ingens prœbitus terror.
* Le mut stare, si souvent employé par saint Cyprien dans le sens
de être debout, ferme, combattant ou prêt à combattre^ peut avoir deux
sens dans ci tte phrase : ainsi, dans le second membre sed ad coronam,
le verbe stare, sous-entendu, a le sens que nous venons d'indiquer;
dans le premier, au contraire, il peut désigner l'altitude humble du pé-
nitent debout et non assia au milieu des flilèles, comme nous avons vu
dans la lettie à Anionien : aliud est ad veniam stare, aliud ad glo-
riam pervenire. Nous avens dans notre traduction employé une expres-
sion qui se rapproche du premier sens, bien plus familier à noire aul< ur.
A
An verô, en tèle de cette phrase, a le sens de nonne vero ? — Bte,
chez nous; illic, chez mi, dans son parti.
LETTRES CHOISIES DE SAINT'CYPRIEN. 279
yosVb tous ceux qui Font entendu. Que de tombés alors se
sont réhabilités par une glorieuse confession, debout, pleins
de courage, et rendus plus fermes au combat par la profon-
deur même de leur repentir! de manière à rendre évident,
qu'ayant été jadis L'objet d'une attaque soudaine, ils avaient
été effrayés et égarés par ce choc nouveau et inaccoutumé ;
mais qu'ensuite, vrais lidèles, ils étaient revenus à eux, et
avaient avec constance et fermeté, exercé à tout souffrir les
forces que la crainte de Dieu leur avait rendues ; qu'enfin ils
sont clans nos rangs non plus pour implorer le pardon de
leur faute, mais pour mériter la couronne du martyre.
IV. En présence de tant de courage et de dévouement*,
quelle est, notre très-cher frère, la conduite de Novatien?
Renonce-t-il désormais à son erreur ? ou plutôt, n'est-il pas
vrai que, comme il arrive aux insensés, nos avantages même
et nos succès n'ont fait qu'augmenter sa fureur ? et qu'à un
glorieux accroissement de foi et de charité dans notre trou-
peau, il répond, lui, par un redoublement insensé de haine
et d'envie? Le malheureux! loin de s'occupera panser ses
blessures, il s'en fait à lui et aux siens de plus profondes
encore, usant sa langue en criailleries pour la perte de ses
b
frères, et lançant les traits d'une faconde envenimée , en-
durci par les principes erronés de la philosophie mondaine
au lieu d'être animé de l'esprit de paix et de douceur de la
sagesse divine; déserteur de l'Eglise, ennemi de la miséri-
corde, bourreau de la pénitence, doctettr de l'orgueil, cor-

* En présence de tant de courage et de dévouement, quelle est la


conduite de Novatien? On eût pu, si la phrase ne fût pas devenue
ainsi trop longue, traduire : En voyant ces résultats de notre sévérité
tempérée d'indulgence, quelle est la conduite de Novatien? On peut se
rappeler que toute la seconde partie de la lettre à Antonieu est dirigée
contre Novatien qui refusait absolument, et en quelque cas que ce fût,
d'admettre à la pénitence les tombés (quoiqu'il eût d'abord été d'un avis
contraire) ; tandis que saint Cyprien veut que, dans certains cas et à cer-
taines conditions, ils y soient admis, 1° pour ne pas les réduire au dés-
espoir ou les jeter dans le crime et l'hérésie, en leur fermant à jamais
la porte du salut; 2» parce qu'ils peuvent se réhabiliter en combattant
glorieusement pour la foi, prévision dont le paragraphe précédent pré-
sente .la complète réalisation. Voyez lettre XXV, page 145.
b
Dans une de ses lettres, saint Cyprien reconnaît à Novatien un cer-
tain talent, et les écrits de lui qui nous restent ne u>nt pas dépourvus
de mérite sous le rapport du style.
280 SbLECIVU DIVI CYPRIANI EP1STOL/E.
miser curât, sed adhuc graviùs et se et suos vuiuerat, m per-
niciem fratrum lingiul suà perstrepens, et facundiae venenakc
jacula contorquens, magis durus smcularis philosophiae pra-
1
vitate quàm sophiœ dominica) lcûiiale pacifiais , desertor
Ecclesiœ, nriserioordho hostis, iulerfeclor pceiutentiss, doctor
supcrbiae, veritatis corruptor, perditor charitatis. Agnoscitue
jam qui sit sacerdos Dei, quœ sit Ecclesia et domus Christi,
qui sint Dei servi quos diabolus infestet, qui sint Christiani
quos antichristus impugnet? Neque enim quasrit illos quos
jam subegit, aut gestit evertere quos jam suos fecit. Ini-
micus et hostis Ecclesiae, quos alienavit'ab Ecclesia et foras
duxit, ut captivos et victos* contemnit et praeterit, eos pergit
lacessere in quibus Christum cernit habitare. Quanquam,
etsi aliquis ex talibus fuerit apprehensus, non est quod sibi
quasi in confcssione nominis blandiatur* cùm constet, si
occisi ejusrnodi extra Ecclesiam fucrint, fidei coronam non
esse, sed pœnam potiùs esse perlidia}*, nec in domo Dei inter
unanimes habitaturos esse quos videmus de paciiica et di-
vina domo furore discordiae reeessisse.
V. Horlamur plané, quantum possumus, frater charissime,
pro charitate mutua quà nobis invieem cohœremus, ut, quo-
niam providentià Domini monentis instruimur, et divines
misericordiae consiliis salubribus admonemur appropinquare
5
jam certaminis et agonis nostri diem , jejuniis, vigiliis, ora-

1
Suivant plutôt les faux et cruels enseignements d'une philosophie
mondaine (voyez page 160), que les douces et pacifiques leçons de la sa-
gesse divine.
2
D'autres ms?. portent vinclos qui serait très-bon aussi.
* II n'aurait pas de raison de se féliciter comme confesseur du nom
chrétien. — /yumoctë,sous-eot, homincs. — Deux mss. portent in con-
fessionis nomine, qui signifierait : II n'aurait pas à se vanter du titre de
confesseur, sens à peu près le mémo. Toutefois nous préférons notre le-
çon, parce qu'elle a pour elle plus d'autorités, et qu'elle est conforme à
la manière de saint Cyprien, qui emploie fréquemment confessio nomi-
nis, ou même nomen sans ajouter [Domini ou Christi. Dans la lettre à
Anlonien (XXV, page 168), on lit eu effet : Etsi occisus propter NOMEN
fuerit; nt{ibid. page 186) nec si occisi pro NOMINE fucrint. Ailleurs on
lit : in confessione NOMINIS sanyuincm suum fundere; et in iradilis
atque in confessione NOMISJS constituas.
4
Voyez lettre X X V I , page 186 : Apostolat verà, etc.
8
Six mss. portent : apprapinquanlejam certaminis et agonis nos~
tri die, ablatif.absolu. Le sens est à pou près le mémo, mais exprimé
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 281
rupteur do la vérité, assassin de la charité. Reconnait-il en-
lin quel est le vrai ministre de Dieu, quelle est l'Eglise
véritable et la maison du Christ? qui sont les serviteurs de
Dieu, que naturellement le démon doit chercher à tourmen-
ter? qui sont les chrétiens, que Pantechrist doit assaillir ? Il
ne s'attaque pas en effet à ceux qu'il a déjà soumis, et il ne
brûle pas de renverser ceux dont il a déjà fait ses esdaves.
Adversaire, que dis-je ? ennemi acharné de l'Eglise, ceux
qu'il a détachés d'elle, et entraînés hors de son sein comme
des vaincus et des captifs, il les dédaigne et passe à côté
d'eux sans les regarder ; tandis qu'il harcèle incessamment
a
ceux en qui il voit qu'habite le Christ . Et toutefois, quand
même quelqu'un de ces sectaires serait arrêté par les persé-
cuteurs, ce ne serait pas pour lui un motif de se féliciter
comme confesseur du nom chrétien, puisqu'il est certain que
si de tels hommes étaient livrés au supplice hors de PEglise,
celte mort serait pour eux non la couronne de la foi, mais le
châtiment de leur infidélité, et que jamais n'habiteront dans
la maison de Dieu, parmi des frères unis de cœur, ces hom-
mes que nous avons vus, animés par la fureur de la discorde,
abandonner celle maison de paix, séjour de la divinité.
V. Voici, en terminant, une exhortation, que nous inspire
la mutuelle charité qui nous unit, et que nous vous adressons
avec toute l'ardeur dont nous sommes capables. Puisque par
les instructions de la Providence divine, et les salutaires con-
seils de la miséricorde du Seigneur, nous sommes avertis et
informés que bientôt doit venir pour nous le jour de l'é-.
preuve et du combat, livrons-nous constamment avec tous
les fidèles au jeûne, aux veilles et à la prière. Faisons
entendre de continuels gémissements, et supplions fréquem-
b
ment le Seigneur . Ce sont là, en effet, pour nous, les
moins clairement. Avec cette leçon, les deux Yerbes instruimur et ad*
monemur sont employés absolument aussi.
* Tout ce que saint Cyprien dit ici de ces chréUens devenus esclaves
du démon, et que, comme tels, le démon épargne parce qu'il les dé-
daigne, est un irait [contre Novatien et ses partisans, qui ne furent ni
martyrs, ni confesseurs, tandis que la véritable Eglise comptait par
milliers, ou plutôt ne pouvait déjà plus compter les palmes et les cou-
ronnes de ses glorieux défenseurs*
* Ce sont à peu près les mêmes conseils que, dans une prévision et
une intention semblables, nous avons vu l'auteur donner avec de longs dé-
veloppements dans le courant delà lettre VI, dont ils sont le sujet spécial.
16.
282 SELEGTiE DiVl CYPRIANI EPISTOLA.
tionibus insistera cura onini plèbe non desinamus Ineum-
bamus gemitibus assiduis et deprecationibus crebris. Hase
sunt enim nobis arma cœlestia quae stare et perseverare for-
titer faciunt. Hœc sont uuuihneuta spiritaiia et tela divina
quae protegunt. Memores nostri invicem simus, concordes at-
1
que unanimes, utrobique pro nobis semper oreiuus, pres-
suras et angustias mutiiA ebaritate relcvemus*, et, si quis
istinc nostrum prior divine dignationis celeritate prseces-
3
serit , perseveret apud Dominum nostra dilectio, pro fratri-
bus et sororibus nostris apud misericordiam Patris non cesset
oratio.
Opto te, frater charissime, semper bene valere.

EPISTOLA XXXI.
AD LUCIUBf PAPAM ROMAMJM REVERSUM AB EXSILIO *.

Lucius, successeur de suint Corneille, n'a rien perdu de la gloire du


martyre pour être revenu sain et sauf de l'exil.

CYPRIANUScum eollegis Lucto fratri salutem.


5
L Et nuper quidem tibi, .frater charissime, gratulati su-
ions, cùm le honore geminato in Ecclesia; suae administra-
tione confessorein pariter et sacerdolem constituit divina
dignatio. Sed et nunc non minus tibi et comitibus tuis atque
universae fratemitati gratuiamur quod, cum eadem gloria.et
laudibus vestris, reduces vos denuo ad suos fecerit benigua
1
De part et d'autre, mutuellement.
* Allégeons*nous, rendons-nous plus légères les...
* Devance ses frères (dans la carrière du martyre).
* Saint Lucius succéda à saint Corneille Pan 266, la seconde année de
l'empire de Galius et de Volusicn. La durée de sou poutifl<.*at fut très-
courte, l'opinion la plus probable ne lui assignant que sept ou huit
mois, il fut exilé presque aussitôt après son élévation à i'épiscopat, et
subit le martyre peu après son retour de l'exil.
* Nuper veut ordinairement dire récemment, il y a peu de temps,
c'est-à-dire quelques jours, quelques semaines. Chez saint Cyprien,
comme nous l'avons déjà dit, ce mot indique généralement un temps
plus éloigné dans le passé, et se rendrait plus exactement par il y a
quelque temps, il y a déjà un certain temps. Dans le cas présent, le fait
indiqué à l'aide du mot nuper, remonte à quelques mois au moins*
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 283
aimes célestes qui nous donnent les moyens de résister
et de persévérer avec courage ; ce sont les armures spiri-
tuelles et les traits divins à l'aide desquels nous pouvons
nous défendre. Pensons réciproquement à nous; unis de
cœur et d'esprit, prions toujours les uns pour les autres;
rendons-nous plus légères, par une mutuelle charité, les per-
sécutions et les angoisses, et si quelqu'un d'entre nous, par
un plus prompt bieufait de la grâce diviue, quitte avant ses
frères le séjour d'ici-bas, que notre charité persévère même
auprès du Seigneur, et que nos prières ne cessent pas de s'a-
dresser, pour nos frères et nos sœurs, à la miséricorde di-
a
vine .
Je souhaite, mon très-cher frère, que vous vous portiez
toujours bien.

LETTRE XXXI.
AU PAPE LUC10S, APRÈS SON RETOUR DE L'EXIL.

L'auteur félicite le pape Lucius revenu de son exil. Sa gloire n'est pas
moindre pour n'avoir pas subi le martyre auquel il était préparé.
C'est la Providence qui, dans ses profouds desseius, a voulu que Lucius,
Corneille, son prédécesseur, et l'Eglise véritable aient été en butte à de
cruelles persécutions, tandis que la faction sebismatique de Novatien
n'a été honorée d'aucune attaque. Saiut Cyprieu peint avec les plus
vives couleurs la rentrée dans Home de Lucius, et la joie des Ro-
mains eu revoyant leur évoque. — Il finit par lui prédire en quel-
que sorte sou prochain martyre,

CYPRIEN et ses collègues à Lucius, leur frère, salut.


I.Déf a,il y a quelque temps,nous vous avions félicité, notre
très-cher frère, de ce qu'en vous chargeant du soin de diriger
son Eglise, Dieu, dans sa bonté, ait daigné vous accorder en-
* Tous les Pères sont pleins de passages attestant la croyance que les
saints prient Dieu dans le Ciel pour les fidèles encore vivants sur la
terre, et par conséquent encore exposés aux tentations. Saint Cyprien,
dans son traité De la Mortalité, dit : Frequens nos illic turba deside-
ratajam de sua immorlalitate seenra, et adhuc de nostra incolumitate
sollicita. Saint Jérôme, dins son livre contre Vigilantius : S i Apostoli
el Martyres adhuc in corpore constiluli possunt orare pro cœteris f

quando pro se adhuc debentesse sollidti, quanta magis post coronas,


victorias et triumphos? etc., etc., etc.
284 SELBCLlfi DiVI CYPRIANI KP1ST0LJE.
1
Domini et iarga protoclio ; ul pascendo gregi pastor et gu-
bemandœ navi gubernator et plebi regend» rector redderc-
tur, et appareret relegationem vestram sic divinitus esse
dispositam, non ut episoopus relegalus et pulsus Ecclesiae
deesset, sed ut ad Ecclesiam major rediret. Neque enim in
tribus pueris minor luit martyrii dignitas quia, morte frus-
3
trais *, de camino ignis incolumes exierunt; aut non con-
simunatus Daniel exstitit in suis laudibus, quia, qui leonibus

1
Quod, cum eadem gloria et laudibus vestris, reduoes vos denuo
ad suos fecerit benigna Domini et largaprotcctio. Ce membre de pbrasc
a donné lieu à une question de critique historique très-épineuse, et qui
ne sera peut-être jamais résolue avec une certitude absolue. Des érudils
ont pensé, et avec assez de probabilité, d'après les tei mes mêmes du début
de celte lettre, que saint Lucius avait été exilé deux fuis; que son titre
de confesseur (énoncé par saint Cyprien, avant celui d'évéque), lui avait
été mérité une première fois par un premier exil subi avant son épisco-
pat, vraisemblablement avec saint Corneille à qui il succéda; puis qu'à
peine nommé évèque de Rome, il fut encore exilé, et rendu de nouveau
{denuo, c'est-à-dire une seconde fois) à l'amour des lidèles, avec la même
gloire et le même mérite (c'est-à-dire avec le même accroissement de
gloire et de mérite ) que lors de son premier retour de l'exil. Nous
avouons que les termes dont s'c&t servi saint Cyprien prêtent merveil-
leusement à cette interprétation, et nous l'adopterions sans balancer,
s'il existait dans quelque monument historique la moindre trace de ce
premier exil de saint Lucius, non pas indiqué simplement, mais énoncé
positivement. La conje turc que nous venons d'exposer est ingénieuse,
mais ce n'est, après tout, qu'une conjecture sur un texte que l'on peut
expliquer plausiblement d'une manière différente. En effet, les mots
denuo et rursus, qui veulent dire habituellement de nouveau, une se-
conde fois, ont encore une autre signification. Us expriment souveut en
latin, comme en grec les adverbes au, iraXtv, non pas une action répétée,
mais la contre-parUe d'une autre action exprimée ou sous-entendue. Ces
deux mots font alors, comme ici, une espèce de pléonasme avec le verbe
simple ou composé auxquels ils sont joints* et qui contient ou dans sa
signification propre ou dans l'élément étranger qui est joint à lui, l'idée
d'opposition qu'expriment en grec a& ou «aXiv, et en latin rursus ou
denuo. Ainsi, peut-on dire que dans le cas présent denuo reddideril ne
signifie rien déplus que reddiderit tout seul ? De cette manière l'inter-
prétation généralement admise, et qui n'admet qu'un seul exil du pape
Lucius, n'offre plus aucune difficulté. — Une ancienne liste des papes
mentionne ainsi saint Lucius : Hic exsul fuit; et postea nutu Dei inco*
lumis ad Ecclesiam reversus est.
* Trompant la mort, ou loin do payer le tribut]à la mort.
5
Le neque du commencement de la phrase exerce encore son i n -
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 285
semble le titre d'évèque et celui de confesseur*. Aujourd'hui
nous ne vous félicitons pas moins, vous, les compagnons de
votre exil et tous vos fidèles, de ce que la bienveillante et gé-
néreuse protection du Seigneur vous a rendu à son Eglise,
couvert de la môme gloire et orné du même mérite que lors
de votre départ. Ainsi le pasteur est rendu à son troupeau
pour le conduire, le pilote à son vaisseau pour le diriger, le
chef à son peuple pour le gouverner; et, dans les desseins
de la Providence, votre exil devait avoir pour résultat de
montrer non pas une église privée de son évêque banni,
mais ce même évêque rendu à son église plus grand et plus
glorieux. Et, en effet, le martyre des trois enfants dont parle
l'Ecriture ne fut pas moins honorable, parce que, trompant
la mort, ils sortirent sains et saufs de la fournaise ardente;
et le mérite de Daniel ne fut pas moins parfait,parce que livré
aux lions pour être leur pâture, mais défendu par le Seigneur,
il vécut pour lagloire. Chez les défenseurs du Christ, les délais
mis à leur martyre ne diminuent pas le mérite de la con-
fession, ils ne font que montrer la merveilleuse puissance
de la protection divine. Nous voyons se renouveler à votre
égard ce qui eut lieu quand les trois courageux et nobles en-
fants déclarèrent hautement devant Nabuchodonosor, qu'ils
étaient prêts à devenir la proie des flammes plutôt que de
aervir ses dieux ou d'adorer la statue qu'il avait élevée; que
cependant le Dieu qu'ils adoraient, et que nous adorons nous-
mêmes, était assez puissant pour les retirer de la fournaise,
les arracher des mains du roi et les délivrer des supplices
présents. C'est ce que nous voyons s'être reproduit dans la
foi de votre confession, et dans la protection du Seigneur à
votre égard. Vous étiez prêts et dévoués à subir tous les sup-
plices; mais le Seigneur vous a dérobés aux tourments, et
conservés pour son Eglise. Votre retour, loin de diminuer
chez l'évoque la gloire de sa confession, a au contraire con-
fluence sur ce second membre négatif lui-môme, et Ton aurait mot à
mot: Et il est faux que Daniel n'ait pas été sublime en son mérite,
c'est-à-dire : Et le mérite de Daniel ne fut pas moins sublime, etc.
a
Mot à mot : en même temps confesseur et évêque. Ces mots indiquent
le peu de temps qui s'écoula entre l'ordination comme évêque de saint
Lucius, et son exil. L'empereur Gallus, irrité de voir déjà remplacé le
pape saint Corneille, qu'il vouait de faire mettre à mort» s'empressa
d'exiler son successeur.
286 SELECTE DIVI Cl'FHIANI EPISTOLA.
missus fueiat ad praedam, protectus a Domino vixit ad glo-
a
riam . ïn œnfessoribus Christi dilata martyria non merilum
1
confessionis minutait, sed magnalia divin» protectionis os-
tendunt. Repiaesentalum videmus in vobis quod apud regcm
fortes atque illustres pueri praxlicaverunt, ipsos quidem pa-
2
ralos esse ardere flaimnis , ne diis ejus servirent, aut ima-
ginem quam fecerat adorarent; Deum tamen quem colebant,
quemque et nos eolimus, poteutem esse ut eos de camino
ignis exinieret, et de régis manibus ac de pœnis praesentibus
b
liberaret . Quod inveuimus in confessionis veslr» fide et in
3
Domini circa vos i>rotectione nunc gestum; ut, cùm vos
parati fueritis et prompti oinne subire supplicium, Dominus
tamen vos pœnae subtraheret et Ecciesiae reservaret. Regre-
dientibus vobis, breviata* non est in episcopo confessionis
suœ dignitas, sed magis crevit sacerdotalis auctoritas; ut
altari Dei assistât autistes qui, ad confessionis arma sumenda
et facienda inartyria, non verbis plebem sed factis coùortetur,
et, imminente antichristo, paret ad praelium milites non
5
solùm sermonis et vocis incitamento, sed ûdei et virtutis
exeraplo.
ïï. Intclligimus, frater charissime, et tolà cordis nostri
luce perspicimus divina) majestatis salutarta et sancta cou-
6
silia, unde illic repentina persecutio nuper exorta sit, unde
7
contra Ecclesiam Christi et episcopum Cornetium beatum
martyrem vosque omnes" sœcularis potestas subitù prorupe
rit, ut, ad confundendos haereficos et retundendos, ostende-
ret Dominus quaa esset Ecclesia, quis episcopus ejus divina
9
ordinatione delectus, qui cum episcopo presbyteri sacerdo-
* Voyez page 60, note *.
* Pwatos ardere, Virgile :
Paradis
Scu versarc doios, scu ceriœ occumbere morti. JUneid, u, 6 1 .
* Ici cùm signifie quoique, "bien que.
4
Diminuée, amoindrie.
" Des mss. portent non solùm sermone, et d'autres : non solo sermone,
différences insignifiantes pour le sens.
0
Illic, là-bas, chez vous, à Home.
7
Dans un m s celte conjonction et est remplacée par une virgule, ce
M

qui ne change rien au sens.


8
Au lieu de omnes, des manuscrits donnent omnis se rapportant à
sœcularis potestas, sens légèrement différent, mais non meilleur.
* An lieu de cum episcopo, des mss. portent cum episcopis, mauvais
b
* Dan. n i , xiv. — 11 Mach. vu.
LETTRES CHOISIE» DE SAINT CYPRIEN. £87
sidérablement accru chez le confesseur l'autorité sacerdotale;
et maintenant l'autel de Dieu voit devant lui un prélat qui,
pour exhorter les fidèles k prendre les armes de la confession
et à subir le martyre, emploiera non les paroles, mais les
û
faits, et qui, pour la venue prochaine de l'autechrist , pré-
parera ses soldats au combat, non-seulement par les encou-
ragements de ses discours et de sa voix, mais aussi par
l'exemple de sa foi et de son courage.
II. Nous comprenons, notre très-cher frère, et nos esprits
voient avec toute la clarté de l'évidence les salutaires et ado-
rables desseins de la divine Providence : pourquoi s'est éle-
b
vée parmi vous cette persécution soudaine , pourquoi contre
l'fcglise du Christ, contre le saint évèque Corneille et contre
vous tous, s'est ruée tout-a-c»up toute la puissance du siècle.
C'est que, pour confondre les hérétiques et rabaisser leur or-
gueil, le Seigneur a voulu faire voir quelle était son Église,
quel était Tévèque choisi par lui, consacré par sa divine or-
dination, quels étaient les prêtres qui partageaient avec cet
évèque l'honneur du sacerdoce, quels étaient, dans leur en-
semble, les vrais fidèles de Jésus-Christ unis entr'eux par la
charité, âme du troupeau du Seigneur, quels étaient ceux
que harcelait l'ennemi, et quels au contraire ceux que le
c
démon éparguait comme siens . L'ennemi du Christ,

m ee qu'il ne s'agit, dans tout ce passade, que d'un seul évoque, celui
de Rome.
« Par l'antechrist des commentateurs entendent la persécution; mais
ce n'était pas une persécution ordinaire que prévoyait saint Cyprien.
C'était bien la venu.: d'un nnti'christ, la (lu du monde avec d'épouvan-
tables calamités que, l'ànie assombrie par leurs malheurs et la férocité de
leurs tyrans, semblaient entrevoir pour un avenir prochain les chrétiens
4
qui vivaient à ces époque * désastreuses. Déjà TertulJten avait dit : Fis
mavima, universo or M imminens, elansula sœculi, qnœ acerbilates
Iwrrendas comminaiur.
h
SousGallus et Valéricn, uno peste cruelle désola l'Empire. La su-
perstition païenne imputait aux chrétiens tous les malheurs publies.
Delà la violence decitte persécution qui éclata comme la foudre.
c
La dureté de Novatien envers les tombés élait pour lui et ses parti-
sans une espèce d'engagement au martyre; rependant, comme nous l'a-
vons vu dans la lettre X X V , ils l'évitèrent, toujours soigneusement. Saint
Cyprien atteste même quelque part qu'à la veille de la persécution, No-
vatien déclara qu'il aimerait mieux retourner à la philosophie païenne
qut* d'exposer sa vie.
288 SELECTE DIVÏ CYPttlAKl KP1ST0LA.
tali honore eonjuncti, qnis adunatus et verus Christi populus
1
dominici gregis charitate connexus, qui esscnl quos iiiimi-
eus lacesseret, qui contra quibus diabolus, ut suis, pareeret.
Neque enim persequitur et impugnat Christi adversarius nisi
castra et milites Christi. Haereticos prostratos semel et suos
factos contemnit et prœterit*. Eos quœrit dejiccre quos videt
8
stare .
III. Atque utinamnunc facultas daretur, frater charissi-
me, ut interesse illic vobis regredienlibus possemus, qui vos
mutuâ charitate diligimus, ut adventùs vestri laetissimum
fructum présentes cum cœteris ipsi quoquè cayeremus I
Quœ illic exsultatio omnium fratrum! qui concursus atque
4
complexus occuiTentium singulorum ! Yix osculis adhaeren-
tium potest satislieri, vix vultus ipsi atque oculi plebis pos-
5 6
sunt videndo satiari. De adventùs vestri gaudio cognoscere
illic fraternitas cœpit qualis et quanta sit seeutura, Christo
veniente, laetitia; cujusquia citô approi>inquabit adventùs,
imago jam quaedam praecessit in vobis; ut, quomodo Joan-
nes, praecursor ejus et praevius veniens, praedicavit Christum
venisse, sic nunc, episcopo confessore Domini et sacerdote
redeunte, appareat et Dominum jam redire.
IV. Vicarias verô pro nobis ego et collegœ et fraternitas
omnis has ad vos litteras mittimus, frater charissime, et re-
présentantes vobis per epistolam gaudium nostrum, fida
c
Sous-entendcz illi; de même plus bas, avant quibus.
* \oyez les mêmes pensées exprimées presque dans les mêmes termes,
lettre précédente, page 280. On y trouve même textuellement contemnit
et prœterit.
» Quos videt stare, qu'il voit debout; qu'il voit résister. — Tout ce
qui précède exprime une profonde vérité : c'est à sa couronne d'épines
qu'on reconnut dans tous les temps la fidèle épouse du Dieu du Calvaire.
La persécution est une gloire qui n'appartient qu'à la véritable Eglise.
4
Au lieu de vis osculis presque tous les mss. portent vix oculis, ce
qui est une faute. — L'expression adhœrere ou inhœrere est familière à
saint Cyprien pour exprimer des embrassements aifectucux. Ainsi dans
son livre De Lapsis, nous voyons sanctis osculis adliœrentes, et lettre
XXXV11, paragraphe i ; Quid mihi oplalius et lœtius, quàm vobis in-
hœrere?
* Potest.... possunt. Ces verbes au présent mettent l'objet sous les
yeux du lecteur et peignent la scène comme se passant actuellement.
6
De adventùs vestri gaudio» Quelques éditeurs, s'appuyant sur des
manuscrits, joignent sans ponctuation aucune à satiari qui précède,
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 289
n'attaque, en effet, et ne poursuit que le camp et les soldats
du Christ. Quant aux hérétiques, une fois terrassés et de-
venus ses esclaves, il les dédaigne et passe à côté (Veux sans
même les regarder. Ceux qu'il cherche à abattre, ce sont
ceux qu'il voit debout et prêts à lui résister.
III. Plût à Dieu, mon très-cher frère, qu'il nous fût pos-
sible maintenant, à nous qui vous sommes unis par le lien
d'une charité mutuelle, d'assister à votre rentrée dans Rome,
et de jouir, mêlés aux milliers de spectateurs de cette scène
imposante, du bonheur de votre retour! Quel air de triom-
phe chez tous vos frères! quelle foule à votre rencontre, et
que d'embrassements à recevoir ! À peine pouvez-vous suf-
fire aux baisers de ceux qui se précipitent dans vos bras; à
peine toujours fixés sur vous, les yeux des fidèles peuvent-
ils se rassasier de vous voir. À la joie qu'a excitée votre re-
tour, nos frères de Rome ont pu comprendre la nature et
l'étendue de l'allégresse qui doit éclater plus tard à la venue
du Christ, dont votre retour nous a, pour ainsi dire, repré-
senté d'avance la prochaine arrivée; en sorte que, comme
Jean, son précurseur, qui marchait devant lui pour lui pré-
parer les voies, annonça jadis l'arrivée du Christ, de même
aujourd'hui Je retour d'un évèque, confesseur et ministre du
Seigneur, nous indique aussi son retour prochain.
IV. Or, à défaut de notre présence, mes collègues, tous les
fidèles dé notre tôgiisc et moi, nous vous adressons cette
lettre pour vous exprimer notre joie, et vous offrir l'hom-
mage de notre dévouement et de notre amour, ne cessant
pas, bien qu'éloignés de vous, de rendre, dans nos sacrifices
et nos prières, grâces k Dieu le Père et à Jésus-Christ son Fils,
notre Seigneur, de l'implorer pour vous, et de le supplier,
lui qui est la perfection même et la source de toute perfec-
tion, de garder et de parfaire en vous la couronne glorieuse
de votre confession. Peut-être même qu'en vous rappelant
il a voulu surtout que votre gloire ne demeurât pas cachée,

ces quatre mots, qui ainsi terminent la phrase précédente* Getie dispo-
sition nuit aux deux phrases ; la première se trouve alors moins simple,
moins vive dans sa brièveté, outre que satiari de gaudio n'est pas très-
latin. Au contraire cognoscere de ou ex est d'une excellente latinité; do
plus, en commençant la seconde phrase à notre manière conforme à
d'autres manuscrits, on la tend plus périodique, cl, dans la symétrie, de
adventùs vestri gaudio répond parfaitement à Christo xeniente, fatitia.
17
290 SELECTA DIVI CYPRIANI EPISTOLA.
nbsequia charitatis expromimus, hic quoquè in sacrifiais
atque in orationibus nostris non cessantes Deo Patri et Cbristo
Filio ejus Domino nostro gratins agere, et orare pariter ac pe-
tere ut, qui perfectus est atque perficiens, custodiat et perfi-
ciat in vobis confessionis vestra3 gloriosam coronam; qui et
ad hoc vos fortasse revocavit ne gioria esset occulta, si forîs
essent confessionis vestra! consummata martyria : nam vie-
tima quae fraternitate praebet exemplum et virtutis et fîdei,
1 2
prœsentibus débet fratribus immolari .
Optamus te, frater charissime, semper bene valere.

EPISTOLA XXXIL
8
AD EPISCOPOS NUMIDAS , DE REDEMPTIONS FRATRUM E X
CAPTIVITATE BARBARORUM.
Envoi de secours pour racheter les fidèles des mains des barbares.

CYPRIANUSJanuario, Maximo, Proculo, Victori, Modiano,


Nemesiano, Nampulo, et Honorato fratribus salutem.
1. Cum maximo animi nostri gemitu et non sine lacryrais
legimus litteras vestras, fratres charissimi, quas ad nos, pro
1
Au lieu de prœsenlibus fratribus, des mss. donnent prœsenteplèbe*,
même sens.
* Au lieu de tmmotori, un mss. donne l'absurde leçon immorari. —
Ce sentiment, émis ici par saint Cyprien, qu'un évêque doit périr au mi-
lieu de son troupeau, se retrouve exprimé par lui à l'occasion de son propre
martyre, lorsque le proconsul, alors à Utique, voulait l'y faire venir pour
l'y juger et t'y faire mettre à mort. Le saint évêque se cacha, pour ne
pus quitter Cutlhage où il voulait recevoir la couronne, quand le procon-
sul y viendrait, parce, dit-Il, quod eongruat .episcopum, in ea civitate
in qua ecclesim dominicœ prétest illic Dominum conflteri, et plebem
nnvoersam pmpositi prœsentis confessione clarificari (Lettre XXXIX,
paragraphe i ) . Mais, le proconsul revenu, il donna aux fidèles de son
église l'exemple d'une mort héroïque, comme on peut le voir dans le
4* volume de nos Jeta Marlyrum, page I etsuiv.
* Il n'y a de cette lettre qu'un manuscrit bien ancien; aussi n'offre-
t-elle pas de variantes importantes. — Il n'est question dans son conte-
nu ni des évèques numides, ni de la Numidie; mais le ms. de *aint De-
nis de Reines le seul bien ancien, donne positivement le titre que nous
donnons rious-méme?. Ce titre se trouve aussi dans l'édition de Manuce,
où cette lettre a paru imprimée pour la première fois. D'ailleurs saint
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 291
comme elle l'eût été, si le martyre qui semblait devoir cou-
ronner votre confession se fût accompli loin du siège de votre
épiscopat. En effet, une victime qui donne à ses frères
l'exemple du courage et de la foi, doit être immolée sous les
yeux de ses frères.
Nous désirons, notre cher frère, que vous vous portiez
toujours bien.

LETTRE XXXIL
AUX ÉVÈQUES DE NUMfDÏE, SDR LE RACHAT DE FRÈRES
CAPTIFS CHEZ LES BARBARES S

Envoi de secours pour racheter les fidèles des mains des barbares.

CYPRIEN à Janvier, à Maxime, à Proculus, à Victor, à Mo-


dien, à Némésien, à Nampulus et à Honoré, nos frères, salut.
I. C'est en gémissant profondément, et les larmes aux yeux,
que nous avons lu, frères chéris, la lettre que votre charité,

Cyprien parait faire allusion à cette lettre dans une autre où il dit : Item
in litteris quas collegœ nostri ad episcopos in Numidia présidentes
antè fecerunt.
* Cette lettre nous olfre un précieux monument de la charité chré-
tienne aux premiers siècles de l'ÉçtUe. C'est l'envoi d'une collecte fait**,
parmi les lidèles de l'église de Carshaife pour le rachat d« captifs chré-
tiens d'une autre église. Mais comme cet acte, tout simple en ces temps
d'héroïsme» et chez ces hommes à conviction profonde, est relevé par les
motifs religieux qui l'ont inspiré! C'est la fraternité d'abord; non pas
cette fraternité vaine, inscrite sur des murailles, et morte au fond des
cœurs, mais la vraie fraternité chrétienne, vivante, active, et se révélant
par ses bienfaits. Avec quelle éloquence l'auteur ne nous montre-l-il
pas le père se représentant ses fil- captifs, répoux, Sun épou*e, et tous
les fidèles alarmés pour de saintes vierges exposées au* insultes des bar-*
barea! Mais ce ne sont pas seulement des frères malheureux, des nom*
'me^ënlin, qu'il s'agit de remire à la liberté : ce sont au aut de temples
du Dieu vivant qu'il ne faut p<is laisser au pouvoir des ennemis de la
foi; que dU-je? c'est Jésus-Christ lui-même qu'on va arracher à la cap-
tivité. El pour cette œuvre si saintu, accomplie avec autant de modestie
que de dévouement, qi*" demande le saint évé pu* aux captifs à délivrer
et à ceux qui pleurent leur absence ? Des prières et un pieux souvenir.
Ce sont les bleufaiteurs qui remercient les obligés pour leur avoir fourni
292 S E L Ê C T / E DIVI GYPHIÂNI E P I S T O L A .

dilectionis veston sotlicitudine, de fratrum nostrorum ef sc-


rorum captivitate fecistis. Quis enim non doleat in ejusmodi
casibus, aut quis non dolorem frfttris sui sûum proprium
eomputet? cùm loquatur aposlolus Paulus, el dicat : Sipati-
tur unum membrum^ compatiuntur et cœtera membra; si
a
laHatvr membrum unum, collœtantur et cœtera membra ;
u
et alio loco : Quis infirmatur, inquit, et non ego infirmor 1
Qiiare nunc et nobis captivitas fratrum nostra captivitas
eomputanda est, et periclitanthun dolore numerandus est,
cùm sit seilicet adunationis nostrae corpus unum, et non tan-
tùm dileetio, sed et religio instigaro nosriebeatel conibrture
ad fratrum membra redimenda. Nam, cùm denuo apostolus
Paulus dicat : Nescitis quia templum Dei rsti<, et spiritùs Dei
0
habitat in vobis , etiamsi charitas non minus adigeret ad
opéra fratribus ferenriam, eonsirierandom tamen hoc in loco
fuit Dei lempla esse quœ capta sunt nec pali n o s l o n g A ces-
satione et neglecto dolore, debere ut diù Dei templa captiva
3
sint, sed, quibus possumus viribus , elaborare etvelociter
gerere ut Christum judieern et Dominum et Deum nostrum
promereamur obsequiis nostris. Nam, cùm dicat Paulus
apostolus : Quotguot in Christo baptiznti estis, Christum in*
tX
duislis , in captivis fratribus nostris contemplandus est
Christus et redimendus de periculo caplivitatis, qui nos re-
demit de periculo mortis ; ut, qui nos do diaboli faucibas
exuit, nunc ipse, qui mauet et habitat in nobis, de harburo-
rum manibus exuatur, et redimatur numniarift qnantilale,
qui nos cruce redemit et sanguine ; qui ideirco ïnec fieri in-
térim patilur ut fides nostra teuteiur, an faciat unusqirisque
pru altero quod pro se fieri vel Jet, si apud barbaros tenere-
tur ipse captivus.
IL Quis enim non, humanitatis memor et mutua* dilectic-
nis admouitus, si pater est, illic esse nunc filios suos coni-

Poccasion de bien faire, leur promettant encore, au besoin, même dé-


vouement pour l'avenir.— En un moi, cette lettre, où brillent les sen-
timents d'une foi vive et d'une ardente charité, est un chef-d'œuvre pour
la forme comme pour le fond.
1
Nec pali nos; à ces mois Joignez debere, de la ligne suivante*
9
Construisez ; viribns quibus possumus, avec les forces que (aussi
grandes que) nous pouvons {sous-entendu y travailler).
* La foi brille ici dans tout son éclat.
» l Cor. xn. — * 11 Cor. xi. Cor, m, 16. — Gai. nu
d
pleine de sollicitude, vous a fait nous écrire sur la captivité de
nos frères et de nos sœurs. Qui en effet ne s'affligerait de telles
infortunes, ou qui ne regarderait comme la sienne propre la
douleur de son frère î tjnand Fapotre saint Paul nous dit po-
sitivement : Si un membre souffre, les autres membres souffrent
aoee lui; si un membre éprouve du plaisir, les autres mem-
bres le partagent avec lui ; et dans uu autre endroit : Qui de
vous, dit-il, est infirme, sans que je sois infirme comme
lui? Aussi maintenant devons-nous non-seulement regarder
comme notre captivité propre la captivité de nos frères, mais
encore considérer comme notre propre affliction l'affliction
de ceux qui sont exposés au même malheur, puisque tous
en effet, dans notre union spirituelle, nous ne formons qu'un
seul et môme corps et que non-seulement la charité, mais
&

la religion elle-même doit nous inspirer le zèle et lu force


ppur racheter les membres de nos frères. En effet, l'apùfru
saint Paul ne dit-il p;is encore : Ignorez-vous donc que vous
êtes le temple de Dieu, et que Pesprit de Dieu habite en vous ?
Quand la charité nous presserait moins de porter assistance
k nos frères, ii nous faudrait toujours, dans cotte circon-
stance, considérer que ce sont des temples de Dieu qui oui
été réduits en captivité, et que nous ne devons pas, livrés à
une longue nonchalance, et sans souci de notre douleur,
souffrir que des temples de Dieu soient longtemps captifs,
mais travailler au contraire de toutes nos forces, et avec la
pius bridante activité, h mériter par nos pieux services les
grâces du Christ, notre juge, notre Seigneur et notre Dieu,
tën effet, puisque l'apôtre saint Paul dit : Vous toits qui avez
été baptisés en Jésus-Christ* vous avez revêtu le Christ^ dans
nos frères captifs c'est le Christ que nous devons contem-
pler et racheter du péril de la captivité, lui qui nous a ra-
chetés du péril de la mort; puisqu'il nous a retires de lu
gueule du démon, il nous faut le retirer lui-même des mains
des barbares» ce Dieu qui demeure et habite eu nous; nous
devons bien le racheter à prix d'argent, lui qui nous a ra-
chetés au prix de sa croix, et de son sang. S'il permet que
parfois de tels malheurs arrivent, c'est pour éprouver notre
foi, pour voir si chacun de nous est disposé à faire pour au-
trui ce qu'il voudrait qu'on fit pour lui, ai lui-incino était
retouu captif chez les barbares.
11. Qui en effet, éprouvant uu sentiment humain, et lidele
aux devoirs de la charité qui doit tous nous animer les uns
SELKCTA5 DIVI CYPRIANI EPISTOLiE.
putet; si inaritus est, uxorcm suam illic eaptivam tenert,
1
cum dolore pariter ac pudorc vinculi maritalis , existimet?
Quantus verô communis omnibus nobis mœror atque cru-
ciatus est de periculo virginum quas illic tenentur ; pro qui-
bus non tantùm liberlatis, sed et pudoris jactura piangenda
est, nec tam viucula barbarorum quàm lenonum et lupana-
rium stupra deflenda sunt, ne membra Christo dicata, et in
sternum continentis honore pudica, virtute devota, insul-
tantium libidine et contagione fœdentur ? Quœ omnia istic
secundùm litteras vestras fraternitas nostra* cogitans et do-
lenter examinans, prompte omnes et libenter ac largiter sub-
sidia nummaria fratribus contulerunt, semper quidem se-
cundùm fidei sus lirmitatem ad opus Dei proni, nunc tamen
magis ad opéra saiutaria contemplatione tanti doloris ac-
censi. Nam, cùm Dominus in Evangelio suo dicat ; Infirmus
fuz\ et visitantis me % quanlô nunc quoquè cum majore operis
nostri mercede dicturus est : « Captivusfui, et redeniistis me ! »
Et cùm denuo dicat : In carcere fui, et venistis ad me, quantô
plus est cùm cœperit dicere : « ïn carcere captivitatis fui, et
)> clausus et viuclus apud barbaros jacui ; et de carcere illo
» servitutis liberàstis me, » cùm jndicii dies venerit prs-
minrn de Domino recepturi !
III. Denique maxiraas vobis gratias agimus quôd nos ves-
trs sollicitudinis et tara bons ac neeessaris operationis par-
ticipes esse voluislis, ut offerretis nobis agros uberes in qui-
bus spei nostrs semina miltereraus, exspectaturi messem de
amplissimis fructibus qui de hac cœlesti et salulari opéra-
tione proveniunt. Misimus autem sestertiûm centum millia
3
nummorum , quai istic, in Ecclesia cui de Domini induigen-
1
Au lieu de ac pudore vinculi maritalis, le ms. de Reims porte
ac vinculi maritalis amore, leçon moins bonne, exprimant un senti-
ment beaucoup pius faible.
* Nos frères (les fidèles de notre Eglise)
3
20,000 francs. Toutes les anciennes èdlrions portent sestertia, ma-
nifestement contraire à l'usage romain dans la manière d'énoncer les
sommes d'argent, et qui ne peut se trouver là que par une erreur de
copiste. Kn effet, !• sestertiûm, ii, n usité seulement au pluriel, ses-
M

tertia, orum. se trouve seulement chez les poètes, et jamais chez les pro-
sateurs ; 2° centum millia sestertia forme uu affreux solécisme, attendu
que si Ton d t mille homines ou hominum, on dit toujours et sans ex-
ception centum millia hominum, animalium. Ainsi, même en em-
ployant le neutre, on devrait dire centum millia sestertiorum ou sester-
* Matth. xxv.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYFHIEK. 295
pour les autres, qui, dis-je, s'il est père, ne songe pas qu'en
ce moment, même ses fils sont chargés de chaînes sur une
terre étrangère? Qui, s'il est époux, ne se dit pas avec amer-
tume, à la pensée du lieu conjugal outragé : mon épouse
est là, captive ! Et quelle affliction, quels tourments ne nous
cause pas le péril des vierges qui, elles aussi, sont là ? pour
lesquelles il faut plaindre non-seulement la perte de leur li-
berté, mais aussi la perte de leur honneur; pour lesquelles
il faut déplorer moins les fers des barbares, que les atteintes
des corrupteurs et le désordre des lieux infâmes*. N'est-il pas
à craindre que ces membres consacrés à Jésus-Christ, et qui
devaient avoir pour éternelle parure la continence et la chas-
teté, victimes volontaires de la vertu, ne soient profanés par
les attentats et les souillures de la débauche? Toutes ces hor-
reurs, dont le contenu de votre lettre fait naître la pensée,
ont inspiré à nos frères de profondes et douloureuses ré-
flexions. Tous, spontanément, activement, libéralement, ont
mis en commun des secours en argent pour leurs frères,
suivant en cela, il est vrai, la disposition constante qui, d'à-
. près la fermeté de leur foi, les porte aux œuvres de Dieu,
mais cependant animés bien davantage encore à cette œuvre
de salut par la pensée d'une si cruelle infortune. En effet, si
notre Seigneur dit dans son Evangile : J'ai été malade et vous
m'avez visité^ combien doit être plus belle la récompense de
notre œuvre présente, quand il dira : « J'ai été captif, et vous
» m'avez racheté ! » Et s'il dit encore : J'ai été en prison et
vous êtes venus me voir, que sera-ce, lorsqu'il dira : « J'ai
n été dans la prison de la captivité, j'ai été gisant, renfermé
» et enchaîné chez les barbares, et vous m'avez délivré de
* ces cachots de l'esclavage? aussi, quand le jour du juge-
» gement sera venu, recevrez-vous de la main du Seigneur
» votre récompense. »
III. Enfin, nous vous remercions beaucoup de nous avoir
associés à votre charitable zèle, et de nous avoir fait partici-
per à une œuvre si sainte et si nécessaire. C'était nous offrir
un champ fécond pour y déposer les germes de l'avenir,
objet de nos espérances; si bien que désormais nous pou-
vons attendre notre moisson des fruits abondants que va
produire cette œuvre céleste et salutaire. Nous vous en-
voyons cent mille sesterces, qui ont été réunis ici, dans l'é-
glise à la tête de laquelle, bien qu'indigne, Dieu nous a placé,
par les dons volontaires de notre clergé et des fidèles cou-
2U6 SELECTE DIVI CYPHIANl EPISTOLA.
tid prajstunus, elcri et plebis apud nos consistent!* vollulioiiu
collecta sunt, qiiœ vos illic pro vestra diiigentîadispej^ahilis.
Et oplaunis quidem nihil laie de cajtero iieri, et fratres nos-
tros, Domini majestate proteetos, ab ejiisniodi periculis inco-
lumcs réservant Si tamen, ad explorandam nostri aninû cha-
ritatem et examhiandam nostri pectoris iidem, laïc aliquid
aceiderit, iioiile cunctari nuntinre hœc nobis litteris vertus,
pro eerto habentes Ecclesiam nostram et fraternitatem istic
uuiversam ne lucc ultra haut precibus orare ; si farta fuo-
rint, Jibcnter et largiler suhsidia prœstare. Ut antem fratres
nostros ac sorores, qui ad hooopus tam necessarium prompte
ac libenter operati sunt ut semper operentur, in nieute ha-
beatis in oratiouibus veslris, et eis vieem boni operis, in sa-
crilîciis et precibus repiusentclis, subdidi nomina singulo-
mm; sed et eollegarum quoquè et consaeerdotum nostroruiu,
qui et ipsi, cùm présentes estent, cl suo et plebis sua: uoiiûiic
qiuedam pro viribus cunfulerunt, nomina addidi ; et pr&'trr
quantitatem propriam nostram, eorum quoquè sumiuulns si-
gniiioavi et misi, quorum omnium, secundùm quod fuies et
charitas exigit, in oratiouibus et precibus vos tris meiniuisse
debetis.
Optamus vos, fratres charissimi, semper bene valcre et
nostri meminisse.

EPISTOLA XXXIH.
AD CLERUM ET PLEHEM FURMS COKSISTENTEM, DE VICTIME
QUI FAISTIKUM PIIESBYTERUM TITOUEM NOMINAVIT.
Le .sacerdoce est incompatible avec les fonctions de tuteur.
CYPRIAHUS presbyteris et diaconibus et plebî Furnis cou-
sistentibus salutem.
f c e qui. s'il pouvait s'agir du grand sesterce poél'upie, ferait in
somme énorme de cent millions de sesterces ( 20,000,000 francs}, que
ies Latins exprimaient a.ni-i ; Sestertiûm mïllies crntcnn milUa-, ou,
plus abréYiativeincnt, seskrtiûm inillies* Aussi à tester!ia avons-nout
hardiment substitué sestcrfiûm (pour sestertiorum de jsestertins), ccul
régulier, et déjà introduit d'ailleurs danslctrs éditions par les Anglais,
qui, les premiers, ont vu ce que l'ancienne leçon avait de fautif, quoi
qu'en dise Baluze pour la défendre. Sur l'usage prétendu de esses ter Ha*
plur. neutre., pour exprimer des milliers de sesterces, voyez la lin d.*
notre note à ce sujet, sur le dernier paragraphe de la Lettre Y, h Rogaticn,
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPHIKN. 297
lies à notre direction. Vous .les emploierez là-bas au gré de
votre zèle. Nous désirons bien que de telles circonstances ne
se reproduisent pas à l'avenir, et que nos frères, protégés
par la majesté divine, soieut tenus à l'abri de semblables
périls. Si cependant, pour éprouver la charité qui nous ani-
me, et soumettre à l'examen notre foi, quelque malheur
semblable arrivait, écrivez-le-nous sur-le-champ, certains
que notre église et tous le» fidèles réunis ici adressent leurs
vœux au Ciel pour que de telles calamités ne se renouvel-
lent point; mais que, si elles se renouvelaient, ils seraient
tout disposés à venir de bon cœur et libéralement à votre
secours. Quaut à nos frères et à nos sœurs qui ont accompli
celte œuvre si nécessaire avec un zèle, un élan de cœur qui
répoudent de leur dévouement pour l'avenir, souvenez-vous
d'eux quand vous invoquerez le Ciel ; payez-leur en sacrifi-
ces chrétiens et en prières le prix du service qu'ils vous ren-
dent aujourd'hui. À cet effet, je mets, individuellement, au bas
de cette lettre les noms de tous vos bienfaiteurs ; j'y joins aussi
les noms d e collègues et de prêtres nos frères, qui, présents
ici quand nous avons reçu, votre lettre, ont, selon leurs
movens, coutribué pour leur part à notre bonne œuvre; et,
outre la quotité fournie par nous, J O A ' O U S indique aussi dans
mon envoi les sommes qu'ils ont versées. Tous, selon la foi
et la charité, ont droit à vos prières et à vos pieux souvenirs.
Nous souhaitons, nos très-chers frères, que vous vous por-
tiez toujours bien, et que vous vous souveniez de nous.

LETTRE XXXIÏI.
AU CLERGÉ EX AUX FIDÈLES DE FUiWES, AU SUJET DE VICTOR
QUI AVAIT KOMUft TUTEUK TE PKÈTttE FAUSTIX.
Cctniuitis Ticlor ayant, contre le décret d'un coucile d'év&ptes, nommé
eu mourant Géminius Fausliu comme tuteur ou curateur, saint Cyprien.
défend que l'on offre le Saint-Sacrilico et que Ton fasse aucune prière
pour le repos de sou Ame, parce qu'il a détourné de l'autel et impli-
qué dans les embarras du monde un des ministres du Seigneur, qui,
ii l'exemple des ancieus Lévites, doivent être, tout entiers et sans dis-
traction, livrés à l'accomplissement des devoirs du culte»
1
CYPJMEN aux prêtres, aux diacres et aux fidèles do Furnes
salut.
« Furnes, ville Opiacopalo d'Afrique. Au temp^ où vivait salnKiypricn,
17.
m SELEC'M DIVI CYPRIANI EPIBTOL/E*
I. Graviter commoti sumus ego et collegœ mei qui pré-
sentes aderant, et coinpresbyteri nostri qui nobis assidebant,
fratres charissimi, cùm cognovissemus quôd Géminius Vic-
tor frater noster, de saeeulo êxcedens S Geminium Faustinum
presbyterum tutorem testamento suo nominaverit, cùm jam
pridem in concilio episcopofum statutum sit ne quis de cle-
ricis et Dei ministris tutorem vel curatorem testamento suo
constituât, quando singuli, divino sacerdotio honorati et in
clerico ministerio* constituti, non nisi altari et sacriliciis de-
servire, et precibus atque orationibus vacare debeant, Scrip-
tum est enim : Nemo militons Deo obligat se mokstiis sœcu-
a
laribus, ut possit piacere ei cvi se probavit . Quod cùm de
3
omnibus dictum sit, quantô magis molestiis et laqueis sse-
cularibus obligari non debent qui, divinis rébus et spirita-
libus occupali, ab Ecclesia recedere et ad terrenos et saecu-
lares actus vacare non possunt !
IL Cujus ordinationis et reiigionis formam lévite priùs
in lege tenuemut, ut, cùm terram dividerent et possession
nés partirentur undecim tribus, levitica tribus, qua> templo
et altari et ministeriis divinis vacabat, nihil de illa divisionis
portione perciperet, aed, aliis terram colentibus, illa tantùm
Deum coleret, et ad victura atque alimentum suum ab un-
decim tribubus de fructibus qui nascebantur décimas perci-
h
peret . Quod totum fiebat de auctoritate et dispositione di-
vina, ut, qui operationibus divinis insistebant, in nulla re
avocarentur, nec cogitare aut agere saecularia cogerentur.
Quae nunc ratio et forma in clero tenetur, ut qui in Ecclesia

il y a eu un autre évoque de Furnes, qui s'appelait Géminius. Un com-


mentateur veut que ce soit le Géminius Faustin dont il est question
dans celte lettre; un autre combat cette opinion, par U raison que G é -
minius Faustin y est désigné seulement comme prêtre. Mais il peut
très-bien se faire que, prêtre seulement quand saint Cyprien écrivit cette
lettre, il ait été un peu plus tard élevé à l'épiscopal. Ainsi rien n'em-
péche, sans qu'on puisse l'affirmer, que ce ne soit en effet une seule et
même personne.
* Sortant de ce monde, c'est-à-dire mourant, à sa mort.
" Deux mss., au lieu de clerico ministerio, donnent clericali, et un
autre clericorum ministerio ; mais clerico est plus dans les habitudes
de l'auteur.
5
Après quanta magis, des éditions mettent clerici, qui est inutile, et
que ne donnent pas les anciens mss.
* 11 Tim. u. ~~ * Josue. XIII*
'LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN* 299
I. Nous avons été vivement contrariés, mes collègues et
moi alors présents, et les prêtres de notre église réunis près
de moi, quand nous avons appris que notre frère Géminius
Victor avait à sa mort nommé tuteur par son testament le
prêtre Géminius Faustin. Car depuis longtemps il a été dé-
fendu dans un concile d'évèques * d'établir par testament
tuteur ou curateur un membre du clergé ou un ministre de
Dieu, parce que tous, honorés du divin sacerdoce, et chargés
de fonctions ecclésiastiques, ne doivent que servir à l'autel
pour les sacrifices, et vaquer à la prière et à l'oraison. Car il
est écrit : Personne, enrô'ésous les drapeaux de Dieu, ne doit
s'engager dans les embarras du siècle, s'il veut plaire à celui
à qui il a fait agréer S"s services. Si cela est dit à propos de
tous les fidèles, à combien plus forte raison doivent-ils ne
pas être engagés dans les embarras et les liens du siècle,
ceux qui, occupés des choses divines et spirituelles, ne peu-
vent s'éloigner de l'Eglise, et vaquer à des actes terrestres et
mondains 1
IL Cette consécration, exclusivement religieuse, est une
règle qu'observèrent d'abord les lévites sous l'ancienne loi.
Ainsi, quand les onze autres tribus se partagèrent le sol et les
propriétés, la tribu de Lévi, qui donnait ses soins au temple,
à l'autel et au service divin, ne reçut rien dans ce partage ;
mais, les autres se chargeant de cultiver ia terre, elle eut
pour unique occupation le cuite de la Divinité, et, pour se
sustenter et se nourrir, elle recevait des onze autres tribus
la dime de tous les fruits de la terre. Et cet arrangement
avait été ordonné et établi par Dieu lui-même, afin que ceux
qui s'occupaient du service divin, n'en pussent être détournés
pour quoi que ce soit, et ne fussent forcés de se livrer ni a
des pensées ni à des actes mondains. Aujourd'hui encore lo
même usage et la même règle s'observent parmi nous relati-
vement au clergé. Ainsi, ceux qui dans l'Eglise du Seigneur
sont élevés aux ordres de déricature, ne doivent être, en
quoi que ce soit, détournés du service divin, ni engagés dans
les embarras et les affaires du monde; mais recevant hono-
rablement les offrandes de leurs frères, comme les lévites
recevaient la dime de tous les fruits de la terre, ils ne doi-
vent pas plus qu'eux s'éloigner de l'autel et des sacrifices,

* Baluze dit dans ses noies qu'il n'est fait mention nulle autre part
que dans cette lettre du concile dont parle ici saint Cyprien»
$00 SELECT/E DIVI CYPRIANI lSPiSTOL<tt.
1
Domini ordtnalione clerieà promoventur, in nulle ab admi-
nistratione divina avocentur, nec molestiis etnegotiis saseula-
ribus alligcntur, sed in honore sportulantium fratrum, tan-
quam décimas ex iïuetibus accipieules, ab allari et saeriiioiis
non recédant, sed die ac nocte eœiestibus rébus et spirilalibus
serviant.

III. Quod episcopi autecessores nostri religiosè considéran-


tes et salubriter providentes, censuerunt ne quis frater ex-
cédons adtutelam vel curam clericum nominaret, ac, si quis
hoc fecisset, non offerrelur pro eo, nec sacrilieium pro dor-
mitione ejus celebrarctur *. Neque enim apud a!lare i>ei me-
retur nominari in sacerdotum prece qui ab altari sacerdotes
et ministres voluit avocate. Et ideo Victor, cùm, contra for-
juam nuper in concilio a saeerdofibus datant, Cemmiuui
Faustin uni presbylorum ausus sit tutorem constituera, non
est quod pro dormitione ejus apud vos fiât oblatio, aut de-
precatio ahqua nomine ejus in cadesiafrcqucnletur, ut sa-
cerdotum décrétant religion et necessaric factum servetur à
nobis, simul et caeteris fratribus detur excmplum ne quis
sacerdotes et ministres Dei, altari ejus et ecclesiw vacantes,
ad sœculares molesfias devocet. Observari enim de carfero
poterit ne ultra hoc fiât circa personam clericorum, si quod
nunc factum est fuerit vindieatum.
Op1o vos, fratres charissimi, semper benc valere.
1
De mémo ici à ordinatione dericali nous avons préféré ordinatione
etericâ,qui non-seulement a pour lui uu bien plus grand nombre de
mss., mais qui est en outre l'expression familière h saint Cyprien, chez
qui on lit : Clcricw ordinationis g nul us ; et ailleurs : «SÏM potestatem
ctcricie ordinationix assninentes.
* Remarquez en latin le mol essentiellement chrétien de dormitione
pour mnrfe* Les chrétiens, en raison de leur croyance à la résurrection
cl h la éternelle, évitaient autant que possible le mol de mort.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CÏPUiEN. 301
mais donner jour et nuit leurs soins aux choses divines el
spirituelles.

JI1. Considérant avec un esprit de religion les avantages


d'un tel ordre, et mus par une salutaire prévoyance, les évo-
ques nos prédécesseurs ont voulu qu'aucun des fidèles, au
moment de quitter la vie, ne put nommer tuteur ou curateur
un membre du clergé, et que si quelqu'un d'entre eux bra-
vait cette défense, on ne fit pas d'offrande pour lui, et que
Ton ne célébrât pas le saint Sacrifice pour le repos de son
Aine. Il ne mérite pas, en effet, d'être nommé devant l'autel
de Dieu et dans la prière de ses prêtres, celui qui a voulu
éloigner de l'autel les prêtres et les ministres. Aussi, comme
Victor, contrairement à la règle établie récemment dans un
concile d'évèques, a osé nommer tuteur le prêtre Ccmiiiius
Faustin, il n'y a pas de raison pour qu'à l'occasion de sa
mort vous offriez le saint Sacrifice, ou que l'on fasse en son
nom, dans l'église, quelque prière que ce soit. Ainsi, nous
observerons un décret des évèques, rendu dans uu esprit de
religion et dicté par la nécessité, et en même temps nous
donnerons au reste des fidèles un exemple qui les empêche-
ra de faire descendre aux soucis de ce monde les prêtres et
les ministres de Dieu, servant à son autel et occupes des
soins de son Eglise. Pour assurer en effet dans l'avenir l'ob-
servation de cette défense concernant la personne des mem-
bres du clergé, il faut que le fait qui se présente aujourd'hui
reçoive une sévère répression.
Je souhaite, mes très-chers frères, que vous vous portiez
toujours bien.

comme impliquant l'idée d'anéantissement. Ainsi au lieu de PadjccHf


mortuus, morl, ils disaient pmmissns, envoyé, parti ; et au substantif
mors ils substituaient les mots obtins, excessif, dormilio et as$nmptio $

comme on le voit dans Tertullien, saint Cyprien, saint Jérôme et au-


tres. Quant aux chrétiens grecs, ils appelaient aussi les morts oty-oi-
u.wj.vt'A (ceux qui dorment), et un cimetière y.oiprrflptov (lieu où dor-
ment les morts). — Voilà l'usage d'offrir la Mc&sc pour les morts.
302 SKLEC'M D M CYPRIANI ËPlSTOUw

EPISTOLA XXXIV.
AU NEA1ESIANUM ET C/ETËUOS MARTYRES IN METALLO
GOBSTITUTOB.

Gloire des confesseurs coudamnés aux miues.

CYPRIANOS Neniesiano, Felioi, Lucio, alteri Felici, Litteo,


Poliano, Victori, Jaderi, Dativo coepiscopis, item compres-
byteris et diaconibus et cateris fratribus in métallo constitu-
as, martyribus Dei Patris omnipotentis et Jesu Christi Domini
et Dei conservatoris nostri, œternam salutem.
I. Cloria quidem vestra poscebat, beatissimi ac dilectissimi
fratres, ut ad conspectum atque ad complexum vestrum ve-
1
nire ipse deberem , nisi me quoquè ob confessionem no-
minis* reiegatum prœfiniti loci termini coercerent. Sed quo-
modo possum représenta me vobis, et ad vos, etiamsi corpore
3
et gressu venire non datur, dilectione tamen et spiritu ve-
nio, exprimens litteris animum meum, quo in istis virtutibus
et laudibus vestris laetus exsulto, participera me computans
vobis, etsi non passione corporis, consortio charitatis. An
ego possim tacere et vocem meam silentio premere, cùm de
charissimis meis tam multa et gloriosa cognoscam quibus
vos divina dignatio honoravit, ut ex vobis pars jam martyrii
sui consummatione praecesserit, meritorum suorum coronam
de Domino receptura, pars adhuc in carceram ciaustris sive
in inetallis et vinculis demoretur, exhibens per ipsas suppli-
ciorum moras corroborandis fratribus et armandis majora
documenta, ad meritorum titulos ampliores tormentorum
tarditate profitions, habitura tôt mercedes in cœlestibus prae-

* Ventre deberem, périphrase, au lieu de teuirm. Cet emploi pléonas-


tique du verbe debeo, joint à un autre qui seul sufllrait, devient de
plus en plus fréquent du temps de saint Cyprien, et finit par être tout-à-
fait usuel dans la langue latine chrétienne.
* Après nominis, quelques mss. donnent Christi, beaucoup d'autres
ne le donnent pas, et d'ailleurs saint Cyprien le supprime presque tou-
jours après nomen.
s
Deux mss. donnent eorporeo gressu ; mais corpore et gressu vaut
mieux, parce qu'il fait antithèse régulière avec dilectione et spiritu.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 303

LETTRE XXXIV.
A NKMÊSIEN ET AUX AUTRES MARTYRS CONDAMNÉS
AUX MINES.

Saint Cyprien fait un magnifique éloge des confesseurs africains con-


damnés aux mines, parmi lesquels se trouvaient des prêtres et même
des évèques; à chacun des tourments qu'ils endurent, il apporte une
cousolaliou tirée de la religion,

CYPRIEN à Némésien, à Félix, à Lucius. à l'autre Félix, à


Littée, à Polien, à Victor, à Jader, à Datif, ses collègues en
épiseopat, ainsi qu'aux prêtres et diacres de leur clergé, et
aux autres frères condamnés et travaillant aux mines, mar-
tyrs de Dieu le Père tout-puissant et de Jésus-Christ notre
Seigneur, notre Dieu et notre Sauveur, salut éternel.
J . Pour rendre à votre gloire l'hommage qu'elle mérite,
je devrais bien, mes saints et chers frères, aller en personne
vous voir et vous embrasser; mais moi-même je suis relégué
et confiné comme vous dans un lieu dont il m'est défendu
a
de franchir les limites . Toutefois, selon qu'il m'est {>ossible,
je me présente à vous, et si je ne puis physiquement et de
mes pas me rendre près de vous, je m'y transporte néan-
moins en esprit et en atïection, faisant passer dans ma lettre
toute mon âme, joyeuse et fière de vos vertus et de la gloire
dont vous venez de vous couvrir, croyant y participer moi-
même, sinon par les souffrances, au moins par la charité qui
nous unit. Pourrais-je garder le silence et étouffer ma voix,
à la vue de tant de marques glorieuses de la faveur divine
qui vous ont récemment honorés, mes chers amis ? Ainsi,
parmi vous, les uns ont précédé leurs frères dans la carrière
du martyre, et, le sacrifice consommé, vont recevoir du Sei-
gneur la couronne méritée par leurs vertus; les autres, rete-

* Déjà le saint évêque était en butte à la persécution qui finit par son
martyre, puisqu'il se dit ici exilé et même confiné dans un lieu où
sans doute la haine des bourreaux le surveille en attendant qu'elle
puisse s'assouvir dans son sang. — Faut-il entendre ici la petite ville de
Curube, où saint Cyprien fut exilé par le proconsul Paternus, ou ses
propres jardins, dans lesquels il fut confiné par Galère Maxime, succes-
seur de Paternus P La seconde opinion est la plus probable.
301 SKLECÏVK DIVI UVP1UAM EPlSTOLiK.
iniis quot nunc dies numcrat in pœnis? Quœ qiudeui vobis,
fortissimi ac beatissimi fratres, pro merito religionis ac tidei
vestrae accidisse non miror, ut vos sic Dominus ad gloriarum
sublime fastigium clarificationis suae honore provexerit, qui
J
semper in EccJesia ejus custodito fidei tenore viguistis , con-
2
scrvantcs firmiler dominica mandata , in simplicitate imio-
ccntiam, in charitate concordiam, modestiam in humilitatc,
diligentiam in adminislratione • vigilantiam in adjuvandis
laljorantibus, misericordiam in tbvendis pauperibus. iu d o
feudendà veritate constantiam, in disciplinas severitate cen-
a
sura ui . Àc, ne aliquid ad exempluni bonorum faetorum
deesset ni vobis, etiam in conCessione nunc vocis et passione
4
corporis fratrum mentes ad divina martyria provocatis , du-
ces vos exbibendo virtulis*, ut, dum grex pas tores suos se-
quitur, et quod fieri a prsopositis ccrnit imitatur, paribus
obsequiorum merilis a l)omino eoronetur.
IL Quod autem, fuslibus cœsi priiis* graviter et afllicti, per
ejusmodi pœnas initiastis confessionis vestrae gloriosa pri-
7
mordia , exsecranda nobis ista res non est. Neque enim
ad fuites christianum corpus expavit, cujus est spes omnis
8
inligno . Sacramentum salutis SUOÎ Christi servus agnovit.
Kedëmptus ligno ad vitam a»temain, iigno provectus est ad
coronam". Quid verô mirum si vasa aurea et argentea in
mofalhim, id est, auri cl argcuti dosnicilium, dati estis, nisi
quod nunc metallorum natura conversa est, locaque qu<e ait-
rum et argcntum dare ante consueverant, aocipere cœperunl?
1
Six mss. anciens donnent, comme nous, custodito fidei tehore ri-
guistis; quatre antres, et même sept, anglais, plus modernes, donnent
custodiiee fidei tenore mguistis ; enfin trois autres portent custoditee
fidei vigorem tenuistis : même sens au fond.
* Au lien de dominica mandatai deux mss. ont divina mandata ;
différence légère qui ne change rien au sens.
5
La sévérité dans le maintien de la discipline.
A
Maintenant encore (dans les mines où vous <Mes).
;i
Dans un ms. ancien, au Heu ùç virtulis on lit virlntibus, qu'on
9

peut supposer à l'ablatif (virtutibns vestris, par votre courage), ou au


datif (virlutibus fratrum, au courage des fidèles).
6
Naguère (lors de votre arrestation).
7
Des mss. et presque toutes les anciennes éditions portent religiosa
primordia; mais gloriosa est plus dans le goùi et l'habitude rie l'auteur..
* Pourquoi le chrétien lrembicrait-il? ou ce u'esl pas au chrétien à
trembler, etc.
« 1 Thn, n.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 305
nus encore sous les verroux des prisons, au fond des mines cl
dans les fers, donnent, par la lenteur même de leurs sup-
plices, de plus puissants exemples pour fortiliei et armer
leurs frères ; acquièrent, par la longue durée de leurs tour-
ments, des titres plus élevés et plus méritoires, et doivent
ainsi, dans les célestes récompenses, recevoir autant de prix
qu'ils comptent ici-bas de jours de souffrances. Que votre
piété et votre foi vous aient valu de tels avantages, braves
cl bienheureux frères, je n'en suis pas surpris : le Seigneur
devait ainsi, en glorifiant son nom, vous élever vous-mêmes
au plus haut comble de la gloire, vous qui toujours dans son
Église vous êtes distingués par votre constaute application à
conserver la foi, observant avec fermeté les préceptes du
Soigneur, joignant la simplicité à l'innocence, unis dans la
charité, modestes avec humilité, actifs dans le service divin,
vigilants pour assister ceux qui souffrent, pleins de compas-
sion pour les besoins des pauvres, fermes pour la défense
de la vérité, sévères pour le maintien do la discipline. Et,
pour qu'aucune espèce de bons exemples ne manquât à votre
gloire, maintenant encore, en confessant hautement Jésus-
( hrist, et en souffrant pour lui, vous élevez les âmes de YO&
frères, vous les préparez au martyre, en servant de guides a
leur courage; en sorte que le troupeau suivant ses pasteurs,
et imitant ce qu'il voit faire à ceux qui marchent à sa tète,
soumis comme eux, mérite comme eux d'être couronné par
le Seigneur.

If. Vous avez d'abord été frappés et cruellement maltraités


avec le bâton, c'est par ce supplice infâme qu'a commencé
votre glorieuse confession; mais ce traitement subi par vous
n'est pas pour nous un objet d'horreur. Pourquoi le chrétien
tremblerait-il devant le bâton, lui doul l'espoir est tout entier
dans le bois dont ce bâton est formé? C'est l'instrument sa-
cré de son salut qu'a reconnu là le serviteur du Christ. C'est
le bois qui Ta racheté pour le faire jouir de la vie éternelle,
c'est encore le bois qui le rapproche de la céleste couronne.
Quoi d'étonnant ensuite à ce que, vases d'or et d'argent que
vous êtes, on vous ail placés dans les mines, gisement habi-
tuel de l'or et de l'argent? Seulement ici, la destination des
mines a changé, et ces lieux d'où auparavant se tiraient
d'ordinaire l'or et l'argent, ont commencé à recevoir au con-
traire dans leur sein ces métaux précieux.
306 tfttUSCMt DIVI CYPRIANI KPiSTOL,*.
111. îinposuerunt quoquè compedes pedibus vestris, et
1
membra felicia acl)ei templainfamibus vinculis ligaverunt ,
quasi cum corpore ligetur et spiritùs *, aut aurum vestrum
ferri contagione maculetur. Dicatis Deo bominibus et fidem
suam religiosà virtute testantibus ornamenta sunt ista, non
vincula; nec Christianorum pedes ad infamîam copulant,
sed clarificant ad coronam. O pedes féliciter vineti, qui non a
fabro, sed a Domino resolvuntur! O pedes féliciter vineti, qui
in itinere salufari ad paradisum dirigunturl O pedes in sae-
culo ad praesens ligati, ut sint semper apud Dominum liberi!
3
O pedes compedibus et traversariis intérim cunctabundi,
sedceleriter ad Christum glorioso itinere cursuri! Quantum
vuit, Me vel invida crudelitas vel maiigna nexibus vos suis
et vinculis teneat, citô a terris et pœnis istis ad cœlorum ré-
gna venietis. Non fovetur in metallis lecto et culcitris corpus,
sed rekigeiio et solatio Christi fovetur. Humi jacent fessa
laboribus viscera*; sed pœna non est cum Christo jacere.
Squalent sine balneis membra situ et sorde deformia; sed
spiritualiler intus abluitur quod forls carnaliter sordidatur*.
Panis illic exiguus; at non in solo pane vivit homo, sed in
b
sermone Dei . Vestis algentibus deest; sed qui Christum
induit, et vestibus abundanter et cultus est. Semitonsi ca-

1
Vinculis ligaverunt. On mettait des entraves, des chaînes ou des
fers, comme on le fait encore aujourd'hui, aux pieds des condamnés à
mort ou à des peines aïflictives et infamantes.
* Au lieu de ligetur et spiritùs, plusieurs mss. donnent ligetur et
Christus, beaucoup moins bon, et même peu naturel.
3
Certains mss. orthographient autrement et donnent transversarûs.
H et\ certain qu'on dit transversus, et non traversus, a, um, de trans-
verto, quoiqu'on dise traduco plus fréquemment que îransduco. ~
Traversaria, orum, n. pl., sous-ent. ligna on ferramenia, traverses,
barres transversales h chaque bout desquelles une jambe était attachée,
l
ou p anches transversales percées à chaque bout, et dans les deux trous
desquelles les deux jambes du prisonnier étaient engagées et retenues
par le bas.
* Chair, muscles.
te
* Deut. vin* — Luc iv%
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN, 307
Hit On a mis aussi des entraves, à vos pieds, et vos mem-
bres saints, ces temples de Dieu, ont été chargés d'indignes
chaînes : comme si avec le corps on enchaînait aussi l'esprit %
ou comme si votre or se souillait au contact du fer ! Pour
des hommes consacrés à Dieu, et qui donnent la preuve de
leur foi dans leur religieux courage, ce sont là des ornements
et non des fers ; en unissant les pieds des chrétiens • loin de
les déshonorer, ils les glorifient et les rendent dignes de la
couronne. 0 pieds heureux d'être chargés de chaînes, que
desserrera non le forgeron, mais le Seigneur! 0 pieds sainte-
ment enchaînés, qui par la voie du salut marchent droit au
paradis! 0 pieds enchaînés dans le siècle un moment, pour
être toujours libres auprès du Seigneur! 0 pieds que les ceps
et les traverses font trébucher présentement, mais qui n'en
courront pas moins rapidement, et qui, d'une marche glo-
rieuse, iront rejoindre le Christ ! Qu autant qu'elle le vou-
dra, une envieuse ou atroce cruauté vous retienne ici dans
les liens et dans les chaînes dont elle dispose; en un mo-
ment, quittant la terre et ces misérables supplices, vous
arriverez au royaume des cieux. Dans les mines, votre
corps ne repose pas mollement sur un lit et sur des mate-
las; mais vous avez pour vous délasser les douces paroles
et les consolations du Christ. Fatigués de longs travaux, vous
êtes couchés sur la dure ; mais ce n'est pas une souffrance
d'y être couchés avec le Christ. Privés de bains, vos corps
sont couverts de crasse et de saleté; mais si au dehors la
chair est souillée, intérieurement l'esprit est net et pur. Vous
n'avez là que peu de pain ; mais ce n'est pas le pain seul qui
nourrit l'homme, mais aussi la parole de Dieu. Vous avez
froid et vous manquez de vêtements ; mais celui qui a revêtu
le Christ, est amplement vêtu et paré. Votre chef à demi
rasé porte des cheveux en désordre, mais comme le chef
d'un chrétien c'est le Christ, en quelque état que soit ce chef,
il est nécessairement beau, puisqu'il est ennobli par le nom
du Seigneur. Toute cette laideur, objet de dégoût et d'horreur
pour les Gentils, quel éclat doit lui succéder ! Et les souf-
frances éphémères que vous endurez dans ce monde, quel

* Belle distinction entre la inaiière, qu'on peut saisir, lier, torturer,


et l'esprit, de sa nature insaisissable, indépendant de toute action physi-
que.
mtiCl/Ë DIVI CYP1UAM KiUSTOJUi.
1
yitis capilius horrcsoit \ sed, cùm sit capul* viri Christus,
3
qualecumquc illud eaput deceat noresse est , quod ob Do-
mini nomen insigne est. Oinnis ista deformitas, detestabilis
et tetra gentilibus, quali splendoro pensabitur ! Saeeuiaris hace
elbrcvis pœna quàm clari et altérai honoris moroedemuta-
bitur cùm, secundùm beati Apostoli voccm, transformaverit
Dominus corpus humilitatis nostrae conforniatum corpori
eiaritatis suai"!
IV. Sed nec in illo, fratres dilectissimi, aliqua potest aut
rcligionis aut fidei jactura sentiri, quod illic nunc sacerdo-
tibus Dei facilitas non dalur olforendi et celebrandi Sacriiicia
divina*. Celebratis imo atque offertîs sacrificium Deo etpre-
tiosum pariter et gloriosum, et plurimùm vobis ad retribu-
tionein prœmiorum cœlestium profuturum, cùm Scriptura
divina loquatur, et dicat : Sacrificium Deo spiritùs contribu-
h
tatusy cor contrit um et humiliatum Deus non despicit . Hue
vos sacrificium Deo oflcrlis, hoc sacrificium sine intennis-
sione die ac nocte celebratis, hostiao facti Deo, et vosmetipsos
sanctas atque immaculatas victimas exhibentes, sicut Apos-
loius adhortatur, et dicit : Oro ergo vos, fratres, per miseri-
curdium Dei, ut constituons corpara vestra hostiam vivant,
sanctam, placentem Deo, nec configuremini sœcuto huic, sed
transfoimcmini in renovatione sensûs, ad probandum quœ sit
ooluntas Dei bona et placcns et perfecta «. Hoc est enim quod

1
Les Romains portaient la barbe rasée, les cheveux coupes court et
bien peignés. Ce membre de phrase peut donc indiquer un double désor-
dre dans la toilette des condamnés aux: mines, semitonsi capitis se
r;i('portant à la barbe, à moitié, c'cst-à-dirc mal faite, négligée, non
faite, et capilius horrescit exprimant le désordre de cheveux dont on ne
prend aucun soin. On peut aussi entendre le tout du désordre des che-
veux seulement, et semiionsnm capui voudra dire une tôle dont les
choyaux sont à moitié coupes, mal coupés, longs outre mesure parce
qu'on ne prend pas la peine de les rafraîchir.
* Au lieu de traduire caput pur té te, nous l'avons rendu par le root
chef, signifiant la même chose, bien que moins usité el déjà un peu
antique. Ce mot a l'avantage de présenter en français le même double
sens qu'a en latin capni, et sur lequel semble jouer ici l'auteur,
* Necesse est {ut s.*ent.) illud caput, qualecumquc {sit s.-ent.), deceai,
il est nécessaire que cette tétc, dans quelque état qu'elle soit, soit belle.
— Quod, etc..., puis lu'ellc est, etc..
1
Un ms. donne sacrificandi officia divina, locution moins bonne et
c
* Philip, v. — '» Psal. t. — Uom, x.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 309
glorieux et éternel honneur en sera la récompense, quand,
selon la parole «lu saint Àpotrc, le Seigneur aura transformé
nuire faible nature, et l'aura incorporée a sa nature glo-
rieuse î

IV. Et ce ne peut pire non plus, mes très-chers frères, une


3
atteinte à votre, pieté et h votre foi, que dans ces mines des
ministres de Dieu soient mis aujourd'hui dans l'impossibilité
d'offrir le saint Sacrifice et de célébrer les divine Mystères.
Vous les célébrez, au contraire, el vous offrez à Dieu un sa-
crifice aussi cher qno précieux, et qui, pour mériter les ré-
compenses célestes, vous sera d'une immense utilité. Car
ri'Icrilure sainte dit : Un sacrifice pour Dieu, c'est un cœur
affligé; Dieu ne méprise pas un cœur contrit et humilié.
C'est ce sacrifice que vous offrez à Dieu, c'est ce sacrifice que
•vous célébrez sa us iulerruplion jour et nuit, vous faisant
les hosties du Dieu vivant, et présentant dans vos personnes
de saintes et immaculées victimes, aiusi que TApoire nous y
engage quand il dit : Je vous prie donc, mes frères, au nom
de ta miseri orcle de Dieu, fuites de vos corps une hostie vi-
vante, sainte, agréable à fheu^ et me vous conformez pas à ce
siècle, mais (?*an>for»tez-rovs par ht révocation de t esprit,
pour montrer quelle est la volonté de Dieu, bonne* atjréable et
par fui te. C'est cela en effet qui peut surtout plaire à Dieu,
c'est eu quoi nos œuvres peuvent être plus méritoires et
mieux réussir à nous gagner la faveur divine; c'est cela seul
que, de tous ses immenses et salutaires bienfaits, notre foi et
notre piété reconnaissantes puissent rendre au Seigneur,
comme le dit hautement dans Jes psaumes et i'atteste l'Es-
prit saint : Que rendrai-je au Seigneur ^ dit-il, pour tous les
bienfaits dont il m\t comble? je prendrai le calice du salut.

moins conforme à l'usage. Yn autre met le point après divina, et donne


par conéquent et eclebrandi sacrifia. Vos divina celebratis, imô, etc.;
leçon excellente, si elle avait pour elle l'autorité d'un plus plus grand
nombre de manuscrits.
310 SKLECMS DIVÏ CYPRIANI KPI8T0LA.
praecipuè Deo placeat, hoc e&t in quo majorihus meritis ad
promerendam voluntatem Dei op^ra nostra proveniant; hoc
1
est quod solum Domino de omnibus beneticiis ejus grandi-
bus et salutaribus fidei ac devotionis nostrae obsequia rétri-
buant, praedicante in Psaimis et contestante Spiritu sancto :
Quid rétribuant, inquit, Domino pro omnibus quœ tribuit
milii? Calicem salutaris accipiam, et nomen Domini invocabo.
a
Pretiosa in consp^ctu Domini morsjustorum ejus .
V. Quis non libenter et prompte calicem salutis accipiat?
quis non appetat gaudibundus et iaîtus in quo aliquid et ipse
Domino suo rétribuât? quis non pretiosam in conspectu Do-
mini mortem fortiter et constanter excipiat, placiturus ejus
2
oculis qui nos in congressione nominis sui constitutos de-
super spectans volentes comprobat, adjuvat dimicantes, vin-
3
centes coronat, retributione bonitatis ac pietatis paterœe re-
muneransin nobis* quidquid ipse prœstitit, et honorans
quod ipse perfecit? Ipsius enim esse quôd vincimus, et quôd
ad maximi certaminis palmam subacto adversario perveni-
mus, déclarât et docet Dominus in Evangelio suo, dicens :
Cùm autem vos tradiderint, nolite cogitare quomodo aut quid
ioquaminL Dabitur enim oobis in illa hora quid lot/uamini.
Non enim vo< estis qui loquimini, sed Spiritus Patris vestri
h
qui hquitur in vobis ; et iterum : Ponite in cordibus vntris
non prcemeditari excusare. Ego enim dubo vobis os et sapien-
c
tiam, eut non poterunt resistere adversarii vestri . In quo
quidem et credentium magnafiduciaest et culpa gravissima
perfidorum non credere ei qui se opem suam daturum con-
fitentibus pollicetur, nec rursus eumdem timere qui aeter-
nam pœnam negantibus comminatur.
VI. Quœ vos omnia, fortissimi ac fideiissimi milites
Christi, insinuastis fratribus nostris, impientes factis quod
verbis antè docuistis, futuri maximi in regno cœlorum, pol-
1
Nous avons adopté cet omnibus, donné par trois mss.. et qui nous a
paru ajouter quelque chose au sens.
8
Engagés dan* la lutte pour soutenir son nom. — Plusieurs mss. ne
donnent pas ce constitutos dont on pourrait très-bien se passer sans que
le sens y perdit rien.
z
Plusieurs mss. ne donnent pas ac pietatis.
4
Au lieu de in nobis, quatre mss. donnent in bonis, qui fait aussi un
très-beau sens.
b
* PàaU cxv. — Matth. x, ~ « Luc. xxu
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 311
et /invoquerai le nom du Seigneur. Elle est précieuse aux
yeux du Seigneur, la mort de ses justes*

\ \ Qui ne prendrait volontiers et avec empressement le


calice du salut? qui ne rechercherait avec joie, avec bon-
heur le moyen de pouvoir à son tour rendre quelque chose
au Seigneur ? qui ne recevrait avec courage et fermeté cette
mort précieuse devant le Seigneur, pour plaire aux yeux de
ce Dieu qui, au moment où nous confessons son nom, nous
contemple d'en haut, approuve notre résolution, aide nos
efforts, couronne notre victoire, payant d'une récompense
de bonté et de tendresse paternelle ce que lui-même a mis
en nous, et honorant ce qu'il a lui-même accompli. Que ce
soit lui, en eiîet, qui nous donne la victoire, et qui, dans la
lutte suprême, nous fasse terrasser l'ennemi et conquérir la
palme, c'est ce qu'atteste et enseigne le Seigneur dans son
Evangile, quand il dit : Quand vous serez entre leurs mains,
ne songez ni à la manière dont vous devez parler, ni à ce que
vous devrez dire. Ce que vous devrez dire, en effet, vous sera
donné à cette heure. Car ce n'est pas vous qui parlez, mais
l'esprit de votre Père qui parle en vous ; et encore : Mettez-
vous bien dans C esprit de ne pas penser d'avance à votre jus*
tificatioti. Car je vous donnerai une éloquence et une sn gesse
auxquelles ne pourront résister vos adversaires. C'est en
quoi se montre grande et généreuse la confiance de ceux qui
croient; mais c'est en quoi aussi sont énormément coupables
les hommes sans foi, de ne pas croire un Dieu qui promet
de les assister dans leur confession, et, d'autre part, de ne
pas craindre ce même Dieu, qui menace de peines éter-
nelles ceux qui renient son nom.

VI. Ce sont là, braves et fidèles soldats du Christ, des vé-


rités dont vous avez pénétré nos frères, accomplissant en
fait ce que votre parole a d'abord enseigné. Aussi serez-vous
très-grands dans le royaume des cieux; c'est le Seigneur qui
le promet, en disant : Celui qui aura pratiqué et enseigné
sera très-grand dans le royaume des Cieux. Enfin votre
exemple a entraîné une multitude de fidèles qui, avec vous,
ont confessé comme vous, et comme vous ont obtenu la cou-
312 8ELECT/E DIVI CYPRIANI EPIBTOLE.
licente Domino, et dicente : Qui fecerit et sic dowerit, maxi-
a
mvs voeabitur in regno cœlorum . Denique exemplum ves-
trum secuta multiplex plebis portio confessa est vobiscum
pariter et pariter coronata est, connexa vobis vinculo fortis-'
sinise charitatis, et a prœposilis suis nec carcere nec metallis
separata. Cujus numéro nec virgines. désuni, quibus ad
sexagenarium fructum centenus accessit, quasque ad cœles-
1 b
tem coronam gloria gemina provexit . In pueris quoquè vir-
tusmajor aetate annos suos confessionislaude transcendit, ut
martyrii vestri beatum gregem et sexus et aetas omnis ornaret.
M l . Qui nunc vobis, dileetissimi fratres, conscientiœ vic-
2
Iricis vigor ! quœ sublimitas animi, quœ in sensu exsultantia !
qui triumphus in pectorc, unumquemque vestrum stare ad
promissum Dei prsemium , de judicio Dei * esse securum,
ambulare in métallo *, captivo quidem corpore, sed corde
régnante, scire Christum secum esse prœscntem, gaudenlem
tolerantiA servonun suorum per vestigia et vias suas ad régna
seterna gradienlium ! Exspectatis quotidie laeti profeclionis
vestra*. salutarem diem, et, jam jaraque de sœculo recessuri,
ad martyrum mimera et domicilia divina properatis, post
lias muudi tenebras visuri candidissimam lu ce m , et aceep-
luri majorem passionibus omnibus et conilictationibus clari-
lalem, Apostolo contestante, et dicente : Non sunt condfgnœ
passiones hujus temporis ad superventurum claritatem quœ
revclabitur in nobis *.

1
La «loidile gloire de la virginité et du martyre, ou an moins de h con-
fession glorieuse de la fui. — Au lieu de gemina, donné par vingt et un
mss. et toutes les aacinmes éditions, cinq autres mss. donnent geminala,
moin* juste, parce que geminus veut dire double, au nombre de deux,
et geminatns veut dire redoublé, répété.
? A n lieuse exstdtantia, cinq nuat. donnneut exsultatio* Le premier
est plu? dans les habitudes et les analogies de la langue latine chré-
tienne.
a
Au lieu de de judicio Dei, beaucoup de ma*, donnent de judicii die,
moins bon, quoique présentant aussi un sens raisonnable et & peu piès
pareil.
4
Beau coup de mss. et d'éditions anciennes donnent in metallis, que
nous avons vu employé à propos page 304, ligne 25, où l'on pariait des
mines en général ; mais comme il s'agit ici de la seule mine où étaient
réunis les martyrs auxquels s'adresse saint Cyprien, cVst le singulier qui
convient.
b e
* Matth. v. — Ibid. xm. — Rom. vm.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 313
ronne, unis à vous par le lien de la plus ardenle charité, et
qui, ni dans la prison, ni dans les mines, ne se sont séparas
de leurs chefs. De ce nombre font aussi partie des vierges
qui, an produit de soixante pour uu, dont parle Phcriture,
ont réuni'le produit au centuple, et qu'une double gloire a
élevées à la couronne céleste. Des enfants même, montrant
une valeur au-dessus de leur âge, ont devancé leurs années
a
par la gloire de leur confession ; de façon qu'aux honneurs
du martyre votre troupe bienheureuse a pu présenter avec
orgueil des candidats de tous les sexes et de tous les âges,

VII. Quelle énergie, mes très-chers frères, dans celte con-


science de votre supériorité! quelle élévation d'âme! quels
nobles et fiers sentiments ! quel triomphe intérieur pour cha-
cun de vous, d'attendre debout et ferme la récompense pro-
mise par l'Eternel! d'être sans inquiétude sur le jugement
de Dieu ! de marcher calme au sein des mines, captif de
corps, il est vrai, mais roi par le cœur! de savoir que le
Christ est là, présent au milieu de vous, heureux de la pa-
tience de ses serviteurs, qui, sur ses traces et par ses voies,
marchent au royaume éternel! Chaque jour, pleins de joie,
vous attendez le jour salutaire de votre départ, et, sur le
point de quitter le monde, vous vous hâtez d'atteindre les
récompenses des martyrs et le séjour de la Divinité, où,
après les ténèbres de ce monde, vous verrez lapins brillante
lumière, et recevrez en partage une gloire supérieure à toutes
les souffrances et à tous les tourments. C'est l'Apôtre qui l'at-
teste et qui dit : iVcm, elles ne sont rien, les souffrances de ce
monde, auprès de la gloire qui éclatera en vous.

* On dirait que Corneille*a voulu traduire littéralement ce passagr,


quand il a dit :
; aux âmes bien nées
La valeur n'attend pas le nombre des unu6es.
et cependant l'expression simple et un peu froide, n'attend pas, est loin
d'égaler l'énergie du verbe ligure transcendit. — Le nombre d'enfants
au-dessous de quinze ans dont l'histoire des martyrs rappelle les noms
glorieux, est véritablement étonnant. On y trouve môme de tout petits
enfants que n'épargnait pas la rage des persécuteurs, et qui, dans un
âge ordinairement timide et encore dépourvu de raison, montraient le
courage et la sagesse d'hommes faits. C'est incroyable, dira 4-on. D'ac-
cord, mais c'est vrai. Incredibile, ergo divinum,
18
314 SBLBCLB DIVI CYPRIANI 8PI8T0LA.
VIII. Plané quia nunc vobis in precibus efficacior serniu
est, et ad impetranduni quod in pressuris petitur faciïior
oratio est, petite impensiiis et rogate ut confessionem om-
nium nostrûm dignatio divina consummet, ut de istis tene- 1
bris et laqueis mundi nos quoquè vobiscum inCegros et
gloriosos Deus liberet, ut, qui hic, charitatis et pacis vin-
culo copulati, contra hœreticorum injurias et pressuras gen-
tiliiun simul stetimus, pariter in regnis cœlestibus gau-
deamus.
Opto vos, beatissimi ac dilectissimi fratres, in Domino
bene valere, et nostri semper et ubique meminisse.

EPISTOLA XXXV.
NEMESIANI, DATIVI, FELICIS ET VICTORIS RESPONSUM AD
CYPRIANUM.

Remercîments des confesseurs condamnés aux mines, à saint Cyprien,


pour les éloges et les. encouragemeuts qu'il leur a adressés dans la
lettre précédente.

GTPRIANOfratri Nemesianus, Dativus, Félix et Victor, in


Domino aeternam salutem.
I. Semper magnis sensibus pro temporis conditione litte-
ris tuis locutus es, Cypriane dilectissime ; quibus assidue
lectis * et pravi corriguntur et bon» fidei homines corrobo-
rantur. Dura enim non desiuis tractalibus tuis sacramenta
occulta nudare , sic nos in fide faeis crescere et de saeculo
homines ad credulitatem accedere. Nam quœcumque bona
in multis libris tuis intulisti, nescius ipsum te nobis desig-
nasti. Es enim omnibus hominibus in tractatu major , in
sermone facunriidr, in consiiio sapientior* in patientia sim-
3
plicior, in operibus largior, in abstinentia sanclior, in ob-
sequio humilior et in actu bono innocentior.
1
Qui n'ont pas failli, sans avoir failli (dans la persécution).
91
Dont la lecture habituelle ,etc. (Les veibes passifs qui suivent,
rendus par l'actif.)
*Laprobiié, l'intégrité, l'incorruptibilité (dans l'ancien sens du mot
ahstinens).
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN, 315
VIII. Puis donc que certainement vos prières ont plus d'ef-
ficacité, et que les demandes faites au milieu des tourments
sont plus sûres d'être exaucées, demandez avec instance et
suppliez le Seigneur que sa grâce divine consomme notre
confession à tous, et que Dieu nous délivre avec vous des té-
nèbres et des pièges de ce monde, intacts aussi et glorieux
comme vous, afin qu'après avoir ici-bas, unis à vous par les
liens de la paix et de la charité, combattu ensemble les at-
tentats de l'hérésie et les persécutions des gentils, nous nous
réjouissions ensemble dans le royaume des cieux.
Je souhaite, bienheureux et chers frères, que vous vous
portiez bien dans le Seigneur, et que toujours et partout vous
vous souveniez de moi.

LETTRE XXXV.
RÉPONSE DE NÉMÉSIEN, DE DATIF, DE FÉLIX
ET DE VICTOR A CYPRIEN.
Colle lettre et la suivante ne contiennent autre chose que des reniera-
ineuts à saint Cyprien pour la lettre précédente, el pour l'envoi d'un
secours destiné à soulager la misère des confesseurs condamnés aux
mines. La pluralité de leurs réponses à la lettre unique de saint C y -
prien, fait voir qu'ils étaient répartis daus plusieurs ateliers d ex-
ploitation»
À Cyprien leur frère, Némésien, Datif, Félix et Victor, sa-
lut éternel dans le Seigneur.
I. Toujours, cher Cyprien, selon la nature des circonstan-
ces, vous avez montré* dans vos lettres une profonde sagesse,
et leur lecture habituelle peut servir à la fois à corriger les
méchants et à fortifier les hommes de bonne foi. Constam-
ment occupé, en effet, à expliquer dans vos traités les mys-
tères sacrés de notre religion, vous nous faites grandir dans
la foi, et vous amenez à croire des hommes égarés dans les
embarras du siècle. Car, quelques perfections que vous ayez
retracées dans vos manuscrits, c'est toujours vous-même
dont, à votre insu, vous nous avez ainsi fait le portrait. Vous
êtes en effet, plus que personne au monde, grand dans l'ex-
position, éloquent dans la discussion, sage dans le conseil,
simple dans la patience, abondant en œuvres, incorruptible
en désintéressement, humble dans la soumission, et irrépro-
chable dans les bonnes actions de toute nature.
3iÙ SKLEC'iVK D1Y1 CYPIUANI El'JSTOL/K.
II. Scis et ipse, charissime, nostrum optabile votum esse
1
quùd te videainus doctorem el amatorem nostrum ad coro-
nam niaguas confessionis pervenisse. Nam, quasi bonus et
verus doctor, quid nos discipuli secuti apud prœsidem dicere
debcj'emus prior apud acta proconsulis pronuntiasti, et, tuba
2
eanens, Dei milites cœlestibusarmisinstructos ad congres-
sionis praelium excitasti, el in acie prima pugnaus spiriluali
gladio diabolum interfecisti; agmina quoquè fratrum bine el
8
inde verbis tuis composuisti , ut' insidkc inimico undiquo
tenderentur, et cadaveris ipsius public! liostis nervi concisi
3
calcarentur . Çrede nobis, charissime, quoniam non est a
centesimo praomio minor tua innocens anima; quae nec saj-
culi primos impetus timuit, nec ire in exsilium recusavil,
nec relinquere civilatem dubitavit, nec in deserto loco coin-
morari horruit, et, quoniam multis documentuin confessio-
6
nis dédit, ipsa marlyrium prior duxit . Alios euim ad mar-
tyria facienda excmplo suo provocavit; et non tanttim mar-
tyrum de sœculo jai-n excedentiiun socia essecœpit, sed et
cum futuris cœlesteiu amicitiam copulavit.
lit. Aguntergô tibinobiscumdamnatimaximas apud Deum
gratias, Cypriane dilectissime, quod litteris tuis laboranlia
pectora recreasti,fustibus vultierata membra curasti, eompe-
dibus pedes ligatos resoivisti, semitonsi capitis capillaturam
7
adasquasti , tenebras caireris illuminasti, montes mctalii in
8
planuui deduxLti, naribus etiam flagrantes flores impo-
1
Plusieurs mss. ne donnent pas et amatorem ; mais ces deux mots se
trouvent dans le plus grand nombre, et d'ailleurs Us ajoutent au sons.
* Armés (par vos soins) des divins enseignements.
3
Componere, ranger en bataille.
* Coupes la phrase, et au lieu de traduire littéralement uf, supprirnez-
le par la pensée, et dites, d'une manière plus vive et plus française :
« Par vos soins des embuscades ont été de tous côtés tendues à notre ad-
versaire, par vos soins le corps privé de vie el les membres déchirés de
cet ennemi public ont été foulés aux pieds de nos soldats. »
tf
Plusieurs mss. donnent : et cadavera ipsius publici hostis el nervi
concisi calcarentur. Mais, comme le remarque Baluze, ccrlum est non
esse plara cadavera in uno hoste. Le singulier est donc préférable.
* Duxit, a conduit, a guidé, a donné le signal de. C'est dans ce scti3
qu'Horace a dit : ducere choreas.
7
Vous avez égalisé, arrange convenablement, élégamment disposé.
B
Au -lieu de frayrantes, se rapportant ;\ flores, un m s . donne fragran-
tibus, se rapportant à naribus ce qui donuc uu sens bien moins gra-
y

cieux.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 3 1 7

\U Vous savez comme nous, notre bien-aimé frère, que


notre vœu le plus cher serait de vous voir, vous notre maître
tt
et notre ami, parvenu à la couronne de la grande confession .
En effet, comme un bon et sincère précepteur, vous avez le
premier articulé devant le tribunal du proconsul ce que
nous, vos disciples, venant après vous, devions répondre de-
b
vant le gouverneur, et, embouchant la trompette , après
avoir pourvu d'armes célestes les soldats de Dieu, vous les
avez animés au combat, et, combattant vous-même aux pre-
miers rangs, vous avez, avec le glaive spirituel, porté au dé-
mon le coup de mort. Sur tous les points aussi votre voix
puissante a rangé en bataille les bataillons de nos frères ;
ainsi, par vos soins, des embuscades ont été de tous côtés
tendues à notre adversaire, par vos soins le corps privé de
vie et les membres déchirés de cet ennemi public ont été fou-
lés aux pieds de nos guerriers. Croyez-le bien très-cher
frère, non, à notre avis, la récompense au centuple dont
vous parle l'Evangile, n'est pas trop pour une àme pure
comme la vôtre, pour vous qui n'avez ni redoutélés premiers
assauts du siècle, ni refusé d'aller en exil, ni balancé à quit-
ter la cité siège de votre épiscopat, ni ressenti d'effroi à de-
meurer dans des lieux déserts ; et, comme vous aviez dounc
à la foule l'exemple de la confession, vous avez aussi donné
io signai du martyre. Vous avez, en effet, par votre exemple,
animé les autres au martyre, et non-seulement vous êtes de-
venu le compagnon des martyrs qui dès à présent quittent la
terre, mais encore vous avez* contracté avec les futurs mar-
tyrs les liens d'une céleste amitié.
III. Aussi tous les fidèles qui partagent notre condamna-
tion s'unissent à nous pour vous remercier profondément
d'avoir, par votre lettre, ranimé nos courages affaiblis, pan-
sé nos corps meurtris par le bâton, desserré les entraves qui
retiennent nos pieds, élégamment disposé nos cheveux sur
notre chef à demi rasé, porté la lumière au fond de notre
prison, aplani les montagnes au sein desquelles se trouvent
nos mines, de nous avoir même fait respirer des fleurs odo-
» Périphrase pour le martyre, où le chrétien confesse sa foi au prix de
son sang.
b Saint Cyprien lui-même, dans son langage tout militaire, compare
ses exhortations aux sons guerriers de la trompette appelant au combat
(du martyre) les lidèics soldats do Jésus*Christ.—Yoycz lettre xxv,
page 14 S, ligne 13.
1H.
318 SELECTE DÎVI CYPRIANI EPIST0U5.
A
suisti, et tetram odorein fimii exciusisti . Fecit autem et
2
prosecutum rainisterium tuum et Quirini dileclissimi nos-
tri, quod per Herennianum bypodiaeonum et Lucianum et
3
Maximum et Amantium aeolythos distribuendum misisli ,
quœcumque nécessita tibus corporam defueraftt expediri.
4
Simus ergô orationibus nostris allerutrùm adjutores, et ro-
gemus, sicut mandasti, ni Deum et Christum et angelos in
omnibus actibus nostris babcamus fau tores.
Optamus te, Domine frater, semper bene valere et nostri
raeminisse. Saluta omnes qui tecum sunt. Omnes nostri qui
nobiscum sunt te amant et salufcant, ei videre desiderant.

EPÏSTOIA XXXVI.
AD EUMDEM LUCII ET CiETERORUM MARTY1UÎM REBPONSUM.

Lettre de reconnaissance écrite par Lucius et les autres martyrs ses corn-*
pagnons à saint Cyprien.

CYPAIAKO fratri et collegas Lucius et qui mecum sunt fra-


tres omnes in Domino salutem.
1. Exsultantibus nobis et lœtantibus in Deo quôd nos ad
8
eongressionem armaverit et in praelio vie tores suà dignatione
fecerit, supervenerunt litfcera* tuœ, frater charissime, quas
per Herennianum hypodiaconum et Lucianum et Maximum
et Amantium aeolythos misisti nobis; quibus lectis rece-
pimus in vinculis laxamentum, in pressura solatium et in
6
necessitate praesidium , et excitati sumus et robustiùs ani-

* Au lien de exclusisti, plusieurs mss. donnent discussisti, qui est


trfs-bon aussi.
* Venant à la suite. Traduisez ; Ensuite, on puis nous dûmes k votre
charité et à cille de dont YOUS nous fîtes parvenir, pour nous
être distribuées, les preuves, par.., l'envoi de tous les objets maté-
riels qu'il nous avait été impossible de nous procurer.
5
Au lieu de misisti, un ms. donne mandasti. Même sens au fond.
* Par syncope, pour alterutrorum*
* Au lieu de ad eongressionem, on lit dans un ms. in congressione,
et dans deux autres et ad eongressionem, qui est bien préférable.
0
Laxamentum, soulagement ; solatium, consolaUon, adoucissement ;
prœstdtum, ressource,
LETTRES CHOISIES DE SAINT UYPRIBN. 319
riférantes et d'avoir éloigné de nous la fumée et ses vapeurs
a
délétères . Puis nous devons à votre charité et à celle de
notre cher Quirinus, dont vous nous avez fait parvenir, pour
nous être distribuées, les marques par le sous-diacre 1-Iéren-
nien et les acoly thes Lucien, Maxime et Amantius, l'envoi de
tous les objets matériels qui manquaient à nos besoins. As-
sistons-nous donc mutuellement par nos prières, et implo-
rons pour tous nos actes, selon votre conseil, la faveur de
Dieu, du Christ et de ses anges.
b
Nous désirons, vénérable frère , que vous vous portiez
toujours bien, et que vous vous souveniez de nous. Saluez
de notre part tous ceux qui sont près de vous. Tous nos frères
qui sont avec nous vous aiment, vous saluent et désirent
vous voir.

LETTRE XXXVL
RÉPONSE AU MÊME DE LUCIUS ET DES AUTRES MARTYRS»

Yoir l'argument de la lettre précédente.

A Cj'prien, leur frère et collègue, Lucius et tous les


frères qui sont avec moi, salut dans le Seigneur.
I. Nous nous félicitions et notts réjouissions en Dieu de
ce qu'il nous avait armés pour la lutte et avait daigné nous
rendre vainqueurs dans le combat, lorsque nous est arrivée
de vous, notre très-cher frère, une lettre que vous nous avez
envoyée par le sous-diacre Hérennien et les acolytes Lu-
cien, Maxime et Amantius. Sa lecture a été pour nous un
soulagement dans nos fers, une consolation dans nos souf-
frances et une ressource dans nos besoins; elle nous a ani-
més et puissamment encouragés contre tout accroissement
possible de rigueurs. Car, avant nos supplices, c'est vous
qui nous avez excités à la gloire, en marchant le premier et
nous guidant à la confession du nom de Jésus-Christ. Or,

* Dans ces expressions de saint Cyprien, relevées par les martyrs, il y


a une grâce indnie.
* Le latin ûto,'seigneur frère. Remarquons en passant la formule res-
pectueuse et fraternelle tout ensemble, qui termine cette lettre si pleine
d'effusion, de reconnaissance, et si sublime de courage chrétien.
320 SELEC'Lfi D M CYPRIANI EPIST0L.4S.
1
uiati ad si quid ampliùs fuerit pœnarum . Nam ante pas-
siuuem a te stunus ad gloriara provocati, qui prior nobis
2
dueatuin ad confessionem nominis Ciiristi prœbuisti . Nos
vero secuti vestigia confessionis luui pavem gratiam* tecuni
speramus. Nam qui prior est in cursu, prior est et ad
prumiimii; et qui prior ôeeupasti, de quo eœpisti, inde hoc
nobis coiuinunieasli, demonstrans seilicet individuani eha-
ritatein* quà .semper nos dilexisti; ut quibus unus fuit
5
spiritùs in conjunctiono pacis, esset precum tuarum gratià
et uua corona confessionis.
H. Accessit autem tibi, frater charissime, ad confessionis
coronam retributio operura, abundans mensura quam aeci-
pies a Domino in die remunerationis, qui et te nobis litteris
6
tuis representasti , ut pectus illud tuum candidum et bea-
tuin, quod semper novimus, manifestares, et secundùm la-
titudiuem ejus nobiscum laudes Deo diceres, non quantum
nos mereinur audire, sed quantum tu potes dicerc. Tuis
euim vocibus et quœ minus in nobis instructa erant exor-
nasti et conûrmasli ad sustentatiouem earumdem passionniu
7
quas patimur , securi de praimio cœlesti et de coroua niar-
tvrii et de regno Dei, ex prophetia quam litteris tuis Spirilu
sancto plenus spopondisti. Hoc totum fiet, dileclisshne, si
nos oratiouibus tuis in mente habuerîs, quod te faccre con-
fido, sicut et nos utique facimus.
III. Accepimus itaque, frater desidcranlissime, idquod a
Quirino et a to ipso misisti sacrificium exomni opère mundo.
Sicut et Noe oblulil Deo, et deiectatus est Deus in odoretn
suavitatis, et respexit in sacrificium ejus, ita et in vestrum
1
Mot à mot : contre si quelque chose de tourments de plus exlsie
(vient h exister), c'esl-d-dire contre tout accroissement possible de pei-
nes, contre tout redoublement possible de rigueur*.
2
y obis ducatum prœbuisti, nous avez guidés»
s
Au lieu de parem gratiam, deux anciens mss. donnent parem glo-
riam.
4
Quatre m?s. portent démonstration m seilicet indinduce charitatis.
Deux autres mettent un point après commun! cas Li> el commencent une
nouvelle phrase par Demonstrasti seilicet ivdividuam charxtaiem, etc.
Toutes ces différences ne changent rien au sens général.
:J
En faveur de vos prières, par l'effet de vos prières. — Au lieu de tua-
rum, un KM. donne umïttnon.
• Q u i . . r c p r œ s e n t a s l i , pour nous avoir aussi écrit cette lettre su-
\>Hme, — Ut,,., manifestares, etc., où vous révélez, etc.
7
Au lieu de quas pa'imur, quelques uns*, et d'anciennes éditions
LKTTttES CHOISIES DE SAINT CYPWEN. 321
ayant suivi vos traces, nous espérons la même grâce que
celle de votre confession. En effet, celui qui dans une course
est le premier, est aussi le premier pour recevoir le prix ;
et vous, quièles arrivé le premier, vous nous avez fait part
de ce prix que vous avez remporte, montrant ainsi l'inai-
téral)le affeelion que vous nous avez toujours portée; de sorte
qu'après avoir été animés d'un seul et même esprit, étant
unis pendant la paix, nous avons encore la même couronne
pour prix de notre confession.

II. Pour vous, notre très-cher frère, outre cette couronne de


la confession, vous avez encore gagné par vos bonnes œu-
vres une récompense qu'au jour de la justice le Seigneur
vous mesurera largement, pour nous avoir, à défaut de vo-
tre présence, écrit cette lettre où vous nous révélez cette
àtne pure et sainte que nous vous avons toujours connue, et*
pour avoir, avec la générosité qui la caractérise, tout en
louant Dieu, fait de nous un éloge non pas tel que nous mé-
ritons d'en entendre, mais tel qu'il est en votre pouvoir d'en
faire. Votre parole, en effet, a orné ce qu'il y avait d'imparfait
en nous, et nous a donné de nouvelles forces pour supporter
les souffrances que nous endurous , sûrs de la récompense
céleste, de la couronne du martyre et du royaume de Dieu,
selon la prophétie que, plein de l'Esprit saint, vous avez
énoncée dans votre lettre. Tout cela se réalisera, notre cher
frère, si vous pensez à nous dans vos prières, ce que je crois
fermement que vous faites, co mine assurément nous le fai-
sons aussi de notre côté.

Nous avons reçu"aussi, notre très-cher frère, le sacrifice


de bonnes œuvres (pie vous nous avez envoyé de la part de
Quirinus et de la vôtre. De même donc que Noé offrit un
sacrifice au Seigneur, et que le Seigneur, charmé de son
odeur suave, jeta les yeux sur ce sacrifice, qu'ainsi il jette
les yeux sur le vôtre, et se plaise à vous récompenser pour

donnent quos patienter ferimus, bien moins bon, en ce qu'il n'est pas
convenable que les martyrs fassent eux-mémes leur éloge en parlant
de Jeur patience. Cette leçon vient sans doute de la manie de corriger
qu'avaient quelquefois les copistes.
822 SELECTE DIVI C Y P R I A N I EPISTOLJE,

respiciat et delectetur roddere vobis hujus tam boni operis


mercedeœ. Peto autem ut litteras quas ad Quirinum fcei-
mus transmitti pracipias.
Opto te, frater charissiuie ac desiderantisshne, semper
bene valere et nostri uteuiinisse. Salubi omnes qui tecuin
sunt. Vale.

EPISTOLA XXXV1L
1
CYPRIANI AD SEBGIUAI ET ROGATIÀNUM E l CJETEROS CON-
FESSORES IN CARCERE CONSTITUTOS.

Suint Cyprien envie le bonheur des confesseurs qui étaient en prison,


1
Sergio et Uogatiano et caeteris confessoribus
CYPRIANUS
in Domino peipetuam salutem.
h Saluto vos, fratres charissimi ac beatissimi, optans ipse
quoquè conspectu vestro lïui, si me ad vos pervenire loci
conditio permitterot. Quid enim mihi optatius et leetins
2
possel; accidere, quam mine vobis inheevere , ut eomplecte-
reraini me manibus illis* qua;. purai et innocentes et do-
minicam lidem servantes, saerilega obsequia respuerunt?
Quid jucundius et sublimius quàm oscuiari nunc ora vestra,
quae gloricsâ voce Dominum* confessa sunt, conspici etiam
praesentein ab oculis vestris, qui, despecto saeculo, conspi-
ciendo Deo digni exstiterunl?
H. Sed, quoniam huic iartitiae interesse facultas non da-
6
tur , bas pro me ad aures et ad oculos vestros vicarias litteras

* Le nom de Sergius est diversement écrit dans plusieurs mss. Un


très-ancien porte : Cyprianus Sergio et Rogatiano et Victori et Felicis-
simo et cœteris confessoribus. Quelques autres ne font pas mention de
SergiuR, et donnent seulement Cyprianus Rogatiano et cœteris confes-
soribus.
3
Vous presser dans mes bras : inhœrere, comme adhmrere, a ce sens
4
chez notre auteur. Voyez page 288, note .
5
Telle est la vraie leçon donnée par la plupart des mss. Un éditeur,
f
s appuyant sur deux mss. seulement, donne ut complecterer manus
illos, bien moins bon, et qui exprimerait la mémo chose que vobis in-
hmrere.
* Au lieu de Dominum, un ms. donne no mm ftonuni.
* Au lieu de facultas non damr^ un ms. seulement porte non datur,
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 323
celte excellente œuvre. Je vous prie encore défaire parve-
nir k Quiriuus la lettre que nous lui adressons.
Je désire, cher et dévoué frère, que vous vous portiez tou-
jours bien et que vous vous souveniez de nous. Saluez tous
les fidèles qui sont près de vous. Adieu °.

LETTRE XXXVII.
DE CYPRIEN A SERGIUS, A ROGATIEN ET AUX AUTRES
CONFESSEURS ACTUELLEMENT EN PRISON.

Il console Rogatieu et ses collègues, confesseurs, dans leur prison, et les


encourage au martyre par l'exemple du vieux et vénérable prêtre R o -
gatien et de Féiicissime, tous deux, martyrs.

CYPRIEN à Sergius, Rogatien et aux autres confesseurs,


salut éternel dans le Seigneur.
I. Je vous salue, chers et bienheureux frères, désirant d'ê-
tre en votre présence et de jouir aussi de la vôtre, si la retraite
forcée où je vis m'en laissait la possibilité. Que pourrais-je
éprouver, en effet, de plus désirable et de plus heureux que
de vous serrer dans mes bras, pressé aussi par ces mains,
qui, innocentes et pures, et fidèles à la foi du Seigneur, se
sont refusées à un ministère sacrilège? Quel plus doux plaisir
et quel plus grand honneur que de baiser en ce moment
vos bouches qui, d'une voix glorieuse, viennent de confesser
le Seigneur? d'être vu en face par vos yeux qui, regardant
le siècle avec mépris, se sont montrés dignes de voir Dieu
face à face?
II. Mais puisqu'il ne m'est pas donné de jouir en per-
sonne de ce bonheur, h ma place, je vous envoie pour par-
ler à vos yeux et à vos oreilles, comme je le ferais moi-
même, cette lettre pour vous féliciter et pour vous exhorter
eu mèuie temps à persévérer, avec courage et fermeté, dans

qui serait tout aussi bon. — Sur la cause de cette impossibilité, voyez
page 303, note «,
* Les saints martyrs dont on vient de lire les deux lettres, furent mis
à mort le 10 septembre de l'un 200, sous l'empire de Valérien et de G a i -
lien,
m SELEGTJt DIVI CYPRIANI EPISTOLiE.
mitto, quibus gratulor pariter et exhorter ut in confessions
cœlestis gloriae fortes et stabiles perseveretis, ol, ingressi
J
viain dorainicœ dignationis, ad accipiendam coronam spiiv
tuali virtute pergatis, babentes Dominum protectorem et
ducem, qui dixit ; Ecce ego vobiscum sum omnibus diehus
û
usque ad consummationem mundi . O beatum carcerem quem
illustravit vestra praesentia*! o beatum carcerem qui homi-
nes Dei rnittit ad cœlum! o tenebras lucidiores sole ipso et
3
luce hàc mundi clariores , ubi modù constituta sunt Dei
templa ët sanctificanda divinis confessionibus membra
vestra.
III. Nec quidquam nunc versetur in cordibus et menlibus
vestris, quàm divina praecepta et mandata cœlcstia, quibus
vos ad tolerantiam* passionis Spiritus sanctus semper ani»
mavit. Nemo mortem eogitet, sed immortalilalcm, nec tem-
porariam pœnam, sed gloriam sempiternam, cùm scriptum
h
sit: Pretiosa est in cmspeetu Domini mors justorum eji<s ;
et iterum : Sacrificium Deo spiritus contribulatus^ cor con-
tritum et humiliatum Deus non despicit*; et iterum, ubi
loquitur Scriptura divina de tormentis quœ martyres Dei
consecrant et in ipsa passionis probatione sanctificant : Et
si coram Jiominibus tormenta passi sunt, spes eorum immor-
talitate plena est. Et in paucis vexati, in multis bene dispo~
nentur^ quoniam Deus ten ta vil illos, et invertit illos dignos
se. Tanquam aurum in foraace probavit illos, et quasi holo-
causti hostiam accepit illos, et in tempore erit respectas illo-
rum. Fulgebunt justi et tanquam scintillœ in arundineto
%

discurrent. Judicalunt nationes et dominabunhtr populis, et


ù
regnabit eorum Dominus in perpetuum .
IV. Quando ergô judicaturos vos et regnaturos cum Chris-
to Domino cogitatis, exsultetis necesse est et futurorum
1
Au lieu de coronam, six mss. portent trittc coronam.
* Ter lui lien, dans son livre Ad Martyres, parlant de la prison des Mar-
tyrs» dit : Si enim recogitemus ipsum magis mnndum carcerem esse,
exisse vos e carcere, quàm in carcerem introisse intelligemus.
* Le même auteur (Tertulllen) dit encore de la prison : Habet tene-
bras, sed lumen estis ipsi ; habet xincula, sed vos Deo soluti estis. Ara-
tor (Ub. u Âctuum Âpostolicorum) :
0 felix de clade locus, cui clara rcfulgeat
Lumina pro lencbris !
* Tolerantia, patience, forée à souffrir, à supporter. Ce mot est parti-
» Matth xxvni.— * Psal. cxv. — « u d § p . ut.
a
LETTRES CHOISIBS DE SAINT CYPRIEN, 325
la confession de la céleste gloire, et, puisque vous êtes en-
trés dans la voie de la grâce divine, à la suivre jusqu'à ce
que votre courage spirituel vous ait mérité la couronne,
ayant pour défenseur et pour guide le Seigneur qui dit : Je
suis avec vous tous les jours , jusqu'à la consommation du
monde. O heureuse prison qu'a illustrée votre présence ! O
heureuse prison d'où partent pour le Ciel les hommes de
Dieu ! O ténèbres plus brillantes que le soleil, plus claires
que la lumière de ce monde, où viennent d'être renfermés
vos corps, ces temples de Dieu, que doit encore sanctifier la
confession de la Divinité 1
III. Que rien donc maintenant ne remplisse vos coeurs et
n'occupe vos esprits, que les divins préceptes et les célestes
commandements, dont s'est toujours servi l'Esprit saint
pour vous animer à supporter les supplices. Qu'aucun
de vous ne songe à la mort, mais à l'immortalité; ni aux
souffrances d'un moment, mais à la gloire étemelle; car
il est écrit : Elle est précieuse aux yeux du Seigneur, la
9
mort de ses justes ; et encore : Un sacrifice pour Dieu, c est
un cœur affligé ; Dieu ne dédaigne pas un cœur contrit et hu-
milié ; et encore, quand la sainte Écriture parle des tour-
ments qui consacrent les martyrs de Dieu, et les sanctifient
dans l'épreuve même de leur supplice : Si devant les hommes
ils subissent des tourments, leur espérance est pleine d'im-
mortalité. Et pour quelques moments de peine, ils auront de
longs jours de bonlieur, parce que Dieu les a essayés^ et lésa
trouves dignes de lui. Comme Por s'éprouve à la fournaise,
il les a éprouvés et il les a acceptés comme la victime del'ho-
focauste, et dans le temps il se souviendra d'eux. Les justes
brilleront comme la flamme qui court à travers un champ di
roseaux. Ils jugeront les nations et seront les maîtres des peu-
ples, et leur Seigneur régnera à jamais.
IV. Cette pensée donc, qu'un jour vous jugerez et régne*
rez avec le Christ notre Seigneur, doit vous rendre triom-
phants, et le bonheur de votre gloire future doit vous faire
mépriser vos souffrances d'aujourd'hui, instruits que depuis
culier aux écrivains d'Afrique. Dans les Actes des Martyrs, on trouve
souvent dans le même sens le mot suffereniia, exclusivement chrétien :
Domine, da sufferentiam, s'écriaient les martyrs au milieu de leurs sup-
plices.
19
326 SELECTE DIVI CYPRIANI EPISTOL/E.
gaudio prœeenlia supplicia calcetis, seientes al) iiritio mundi
sic institutuin ut laboret istic in ssculari conflictatione justi-
1
tia, quando in origine s(a(iin prima Abel juslus occidiiur,
et exinde justi quique* et Vrophela* et Apostoli missi\ Qui-
bus omnibus Dominus quoquè in se ipso consliluit exem-
plum, docens ad suum regnum non nisi ecs qui se per
viam suam seculi sint pervenire, dicens : Quiamat animam
suam in isio saculo, perdtt illom. Et qui (dit animam suam
h
inisto sœculo, in vitum œternam conseivabit iltam ; et ite-
rum : Nolite tinure eos qui occident corpus, animorn verô
non possunt occidere. Magis auum metuite evm qui potest el
0
animam et corpus occidere in gehennam . Paulus etiam nos
adhortatur ut, qui ad De mini picmissa venue cupimus, imi-
tare Dominum in cmnîlus debtaiius : Simvs, inquit, filii
Dei. bi autem filii, et landes; haredes quidim Dei, cchœ-
redes outem Christi, siquidtm tcmpalùivr ut et ctmmcgni-
fictmvr*. Addidit etiam contai aliénera piœsentis temporis
et futuiae elaiitatis, dicers:iNo« *t*nt andigrœ jasbiems
hvjvs Umfcris cd svpeivtvfurcm chritattm qvœ revehbitur
in nobis. Cujus clarilatis jçloriî.m cegilantes, pressuias om-
nes et peiseculiones tolciâre nos convenit; quia, eU-i sunt
inullae pre^uiae justoium, ex tnmitus tamen liteiantur qui
in Deum fidunt.
V, Beatas etiam feminas quœ vobiscum sunt in eâdem
confessionis glorià conslitulœ, quœ, deminicam fidemtenen-
3
tes et, sexu atofortiores , non solùm ipsœ ad gloriae coro-
nam proximœ sunt, &ed etcœteris quoquè feminis exemplum
de sua constantiapiœbuerunt! Ac, ne quid deesset ad glo-
riam numeri vestri*, ut omnis vobiscum et sexus et aetas
1
Au lieu de in origine statim prima, un ms. donne in origine mundi,
qui est probablement une glose.
* Sous-enlendu occiduntur, ou plutôt occisi sunt.
* Cette locution, toute naturelle du reste, se trouve encore ailleurs
chez saint Cyprien. Saint Jérôme, dans sa lettre à Eustochium De Cus~
todia Virginitatis, dit aussi : Mulier sexu infirmior, virtute fortior.
4
Au lieu de ad gloriam numeri vestri, un ms. donne numéro vestro;
même sens, moins l'idée du mot gloriam retranché. Dans un autre ms.
on lit ad gloriam muneris vestri, où le mot munus est employé dans
a
le sens qu'il a dans la lettre I. (Voyez page 15, note . ) Ce serait alors
à peu près ; Et pour que rien ne manque à la gloire du spectacle que
vous êtes prêts à donner.
c d
* Gen. rv. — * Joan. xu. — Matlh. x. — Rom. vin.
LET1RES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN". 327
le commencement du monde il a été de règle que la justice
souffre ici-bas des persécutions du siècle. Ne voyons-nous
pas, dès le principe, le juste Àbel mis à mort, et après lui
tous les justes, et les Prophètes et les Apôtres envoyés par
Dieu. Le Seigneur aussi leur a donné à tous, dans sa per-
sonne, l'exemple de la souffrance, enseignant que ceux-là
seuls entreront dans son royaume, qui le suivront dans sa
voie, et disant : Celui qui aime son âme dans ce siècle, la con-
servera pour la vie éternelle ; et encore : Ne craignez pas
ceux qui tuent le corps, mais qui ne peuvent tuer l'âme.
Craignez plutôt celui qui peut à la fois tuer le corps et Pâ-
me et les livrer aux supplices éternels. L'apôtre saint Paul
aussi nous exhorte, nous tous qui désirons obtenir l'accom-
plissement des promesses du Seigneur, à imiter le Seigneur
en toutes choses : Nom sommes, dit-il, enfants de Dieu. Or, si
nous sotnmes ses enfants, nom sommes ses héritiers; nous sommes
par conséquent les cohéritiers du Christ, si toutefois nous parta-
geons ses sou ffrances pour partager aussi sa gloire. Il compare
encore le temps présent et la gloire future, et dit : Elles ne sont
rien, les souffrances de ce temps, auprès de ta gloire qui se ré-
vélera en nous. Songeant à l'éclat de cette gloire, nous devons
supporter toutes les souffrances et toutes les persécutions,
parce que, si nombreuses que soient les souffrances des jus-
tes, ceux qui ont confiance en Dieu sont pourtant délivrés
de toutes leurs atteintes.
V. Heureuses aussi les femmes qui partagent la gloire de
votre confession, et qui, gardant la foi du Seigneur, non-
seulement sont près de recevoir la couronne, mais encore
a
ont donné aux autres femmes l'exemple de leur constance !
Et pour que rien ne manquât à la gloire de votre réunion,
et qu'aucun âge, aucun sexe ne fût étranger à l'honneur que
vous recevez, la grâce divine vous a associé même des en-
* Ils sont innombrables les exemples de courage donnés par les fem-
mes chrétiennes et par de jeunes vierges, en présence des bourreaux el
au milieu de tourments souvent atroces. L'histoire profane présenta
aussi des exemples de dévouement et de fermeté chez ce sexe faible.
Mais, pour ne pas chercher d'exemples dans Pantiquilé, nos pères ont vu,
fidèles à leur opinion politique, à celle de leurs pères et de leurs époux,
ou simplement victimes de la brutalité des passions révolutionnaires du
temps, des femmes et des filles marcher aussi à la mort sans pâlir, et
même avec sérénité, encourageant souvent leurs compagnes, et quelque-
fois aussi leurs compagnons de supplice. Ce supplice, il est vrai, ne durait
328 SELECTE DIYI CYPRIANI EP1ST0L.E
esset in honore, pueros etiam vobis gioriosà confessione so-
ciavit divina dignatio, reprœsentans nobis taie aliquid
quale Ananias, Azarias et Misael illustres pueri aliquando
fecerunt; quibus inclusis in caminum, cesseront ignés et
refrigerium flammae dederunt, praesente cum illis Domino,
et probante quôd in confessores et martyres ejus nihil posset
gehennae ardor operari, sed quôd qui in Deum crederent,
incolumes semper et tuti in omnibus persévéraient.
VI, Et consideretis diligentiùs peto, pro vestra religione,
quae apud pueros fides fuerit quae promereri Dominum pie-
niùs potuit. Ad omnia enim parati, sicut omnes esse debe-
mus, aiunt régi Nabuchodonosor : Rex non opus est nobis
%

de hoc verbo respondere tibi. Est enim Deus, cui nos servi-
mus, potens eripere nos de carnino ignis ardentis, et de ma-
nibus tufs, rex> liberabit nos. Et si non notum tibi sit
y

quoniam diis tuis non servimus, et imaginera auream quam


statuisti non adoramus*. Cùm se crederent, et pro fide suâ
scirent, posse etiam de praesenti suppiicio liberari, jactare
hoc tamen et vindicare sibi noluerunt, dicentes : Et si non,
ne minor esset confessionis virtus sine testimonio passionis.

qu'un moment, et n'était pas vingt fois interrompu pour que la violence
des tortures pût à la longue triompher de leur constance. Une fois livrées
à leurs bourreaux, que dis-je ? à leurs accusateurs, il n'y avait plus à re-
venir; nul désaveu de leurs convictions ou de leurs sentiments ne pouvait
les sauver, et tout était fini pour elles : mieux donc valait alors un glo*
rieux courage qu'une faiblesse et des larmes Inutiles. Heureuses de plus
quand elles laissaient à l'abri du danger une famille et des objets chéris,
qu'elles mettaient tout en œuvre pour sauver ! La femme, la vierge mar-
tyres étaient au contraire amenées par degrés de souffrances progressi-
ves au dénouement fatal* Vingt fois interpellées, au milieu des tortu-
res, elles pouvaient à chaque instant renoncer à cette pernicieuse folie
de la croix, et, d'un mot, ressaisir la vie et ses douceurs. Aux unes, on
promettait avec la-liberté le repos de leurs parents, chrétiens comme
elles; aux autres, quelquefois une alliance qu'eussent enviée les descen-
dantes des plus illustres familles \ Mais, et c'est là ce qui distingue des
autres femmes courageuses les victimes de la persécution chez les païens,
non»seulement elles persévèrent jusqu'au bout, sans que ni menaces ni
tortures puissent vaincre leur résolution, sans que promesses, flatteries
ou caresses puissent les séduire, mais encore elles foulent aux pieds, sans
* Sainte Felicula, Jeta Marlyrum, vol. i, page 66.
LETTRES CHOISIES DK SAINT CYPRIEN. 329
fants reproduisant en eux le fait qu'accomplirent jadis Ana-
nie, Azarie et Misael, ces glorieux enfants qui, renfermés
dans une fournaise, triomphèrent du feu et trouvèrent dans
les flammes elles-mêmes un rafraîchissement, parce que le
Seigneur était là avec eux, et prouvait que sur ses confes-
seurs et ses martyre l'ardeur des flammes les plus violentes
ne pouvait rien, et qu'au contraire ceux qui croyaient en
Dieu étaient toujours sains et saufs au milieu des supplices,
et en sûreté au milieu des périls.

VI. Et considérez attentivement, je vous prie, avec l'es-


prit de religion qui vous anime, quelle était chez ces en-
fants la foi qui put leur mériter pleinement la grâce du
Seigneur. Prêts à tout, ainsi que nous devons l'être tous,
ils disent au roi Nabuchodonosor : Roi, novs n'avons pas
besoin de vous répondre à ce sujet. En effet, le Dieu que nous
servons peut nous tirer de la fournaise ardente, et il nous dé-
livrera de vos mains. Et quand il ne le ferait pas, sachez
que nous ne voulons pas servir vos dieux^ et adorer la statue
d'or que vous avez élevée. Bien qu'ils crussent, et, en raison
de leur foi, connussent de science certaine, qu'ils pouvaient
être délivrés même du supplice présent, ils ne voulurent pas
cependant s'en vanter, ni se flatter hardiment de l'accom-
plissement de ce miracle, et dirent : Et quand Une le ferait
pas, de peur que le mérite de leur confession ne fût moin-
dre, s'il n'était soutenu par la réalité de leur supplice. Ils
ajoutèrent donc que Dieu pouvait tout, que leur îbi pour-
tant ne les portait pas à prétendre être délivrés sur l'heure,

qu'il leur en coûte rien, pour ainsi dire, les affections les pins douces et
les plus intimes. Ou plutôt cette tendresse pour un père, pour des fils,
pour un époux, leur inspire de nouveaux et sublimes sacrifices ! Elles
n'auront pas de repos qu'elles n'aient assuré, en même temps que le leur
propre, le salut éternel ;de ces objets de leur amour. Païens, elles les
éclairent et les convertissent à la fol ; persécutés, elles les encouragent ;
elles soutiennent, fortifient leurs enfants, leurs époux au milieu des sup-
plices *. Mais aussi honte et malheur à l'époux qui faiblirait dans ces
rndes épreuves ; car c'est avec une sainte indignation que la femme
chrétienne l'accueillera. Ainsi chez elles la foi a vaincu la nature;
elles se sont élevées non-seulement, comme le dit notre auteur, au*
dessus de leur sexe, mais au-dessus môme de l'humanité.
* Sainte Félicité, Acta, vol» n, page 110.
330 S E L E G T J B DIVI C Y P R I A N I E P I S T O L A .

Addiderunt posse omnia Deum facere, sed tamen non in


hoc fidere ut liherari in prmsenlia vellent, sed illam libertatis
et securitatis œtemae gloriam cogitarent.

VII. Quam fidem vos quoquè retinentes et die ac nocte


méditantes, toto corde ad Deum prompti, contemptu pj»-
sentium fulura tantiimmodo cogitatis, ut ad fructum regni
aeterni et ad eomplexum et osculuin Domini et conspectum
venire possitis, ut sequamini in omnibus Rogatianum près-
1
byterum, gloriosum senera, viam vobis ad gloriam tempo-
ris nostri religiosà virtute et divina dignatione facientem,
qui cum Felicissimo fratre nostro quieto semper et sobrio
excipiens ferocientis populi impetum, primum hospitium
vobis in carcere prœparavit, et metator * quodam modo vester
3
nunc quoquè vos antecedit . Quod ut consummetur in vo-
bis, assiduis oratiouibus Dominum deprecamur ut, initiis
4
ad summa pergentibus , quos confiteri fecit, faciat et coro-
nari.
Opto vos, fratres charissimi ac beatissimi, in Domino
semper bene valere et ad coronam cœlestis gloriaa pervenire.
Victor diaconus et qui mecum sunt vos salutant.
1
A u lieu àe vobis, un seul ms. donne nobis. C'est probablement une
erreur de copiste; car ce que dit plus loin l'auteur de Rogalien comme
donnant l'exemple du courage, il ne le dit que par rapport aux confes-
seurs à qui il s'adresse.
* Le mot metator est un terme militaire dérivé du verbe metari, me-
surer. Metari castra voulait dire mesurer le terrain pour y asseoir un
camp, tracer l'enceinte d'un camp. Le Metator était donc l'officier chargé
de cette fonction, et qui, à cet effet, précédait avec une avant-garde la
légion ou l'aimée : Melatores (dit Végèce, livre n, chap. 7), qui pré-
cédentes locum eligunt cas tris. Dans les armées modernes, les fourriers
remplissent, pour chaque régiment, bataillon ou compagnie en marche,
des fonctions analogues, et marchent en avant du corps auquel ils ap-
partiennent pour préparer le logement des hommes qui le composent.
Nous pouvons, donc, à défaut de terme d'une rigoureuse exactitude, tra-
duire metator par fourrier.
* En raison de ce que nous avons dit dans la note précédente, les me-
tatores s'appelaient au&i anlecessores, mot employé alors dans une a c -
ception militaire, comme ici le verbe antecedere.
* Mot à mot : le début arrivant au sommet ou à une fin glorieuse,
c'est-à-dire, couronnant le début par une fln glorieuse.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 3 3 1
mais à songer à la gloire d'en haut, à la liberté et à la tran-
quillité éternelles.

VU. C'est aussi cette foi dont vous êtes pénétrés, et qui
nuit et joui' fait l'objet de vos méditations. Dévoués à Dieu
de tout cœur, méprisant le présent, vous ne songez qu'à l'a-
venir, afin de pouvoir arriver au royaume éternel, jouir de
la présence de Dieu, recevoir ses embrassemenls et ses bai-
sers. Pour cela, suivez en tout le prêtre Rogatien, ce gio*
rieux vieillard qui, par sa piété courageuse et avec le secours
de la grâce divine, vous fraie la route à la gloire de notre
temps; qui, bravant avec notre frère Félicissime, toujours
calme et sage, les assauts d'un peuple en furie, vous a pré-
paré un premier logement dans la prison, et, votre fourrier
pour ainsi dire, aujourd'hui encore marche devant vous.
Afin que ces grâces s'accomplissent en vous, nous deman-
dons continuellement au Seigneur, dans nos prières, que
vous couronniez votre début par une fin glorieuse, et que
celui qui vous a donné de confesser son nom, vous accorde
aussi la grâce de la couronne.

Je désire, chers et bienheureux frères, que vous vous por-


tiez toujours bien dans le Seigneur, et qus vous arriviez à la
couronne de la céleste gloire. L-J diacre Victor et les fidèles
a
qui sont avec moi vous saluent .

* Cette dernière phrase ne se trouve que dans un très-ancien ms. Elle


termine plusieurs lettres de saint Cyprien, et dans ce recueil même nous
Pavons déjà rencontrée.
SELECT/E DIVI CYi R1ANI EPISTOL.E.

EPISTOLA XXXVIII.
AD SUCCESSUM , DE NUNTHS ROMA REVERSIS PERSECUTIONS!»
NLTSTIANT1BUS.

Décret de l'empereur Valérien contre les chrétiens.

CYPRIANUS Successo fratri salutem»


1. Ut non vobis in continenti scriberem, frater charissime,
1 2
illa res fecit quôd univers! clerici sub ictu agonis constituti
recedere istinc omnino non poterant, parati omnes pro ani-
8
mi sui devotione addivinam et cœlestem gloriam . Sciatis
autem eos venisse quos ad Urbem* propter hoc miseram, ut,
quomodocumque de nobis rescriptum fuisset, exploratam
sibi veritatem ad nos perferrent. Multa enim varia et incerta
opinionibus ventilantur. Quœ autem sunt in vero ita se ha-
bent. Rescripsisse Valerianum ad senatum ut episcopi et
5
presbyteri etdiacones in continenti animadvertantur , sena-
6
tores verô et egregii viri et équités Romani, dignitate amis-
sâ, etiam bonis spolientur, et, si ademptis facultatibus
7
christiani esse perseveraverint, capite quoquè mulctentur ,
matronœ verô ademptis bonis in exsilium relegentur, Cœsa-
riani autem, quicumque vel priùs confessi fuerant vel nunc
confessi fuerint, confiscentur, et vincti in Caesarianas posses-
siones descripti mittantur.
1
C'étaient les membres du clergé, clerici, qui, pour éviter toute trahi-
son, étaient ordinairement chargés des correspondances ecclésiastiques^
comme ou le voit en maint endroit des lettres de saint Cyprien. On lit
aussi dans saint Jérôme : Misit tibi per clericum suum cpistolam.
* A la veille du combat, sub ictu : on dit de même chez nous : sous le
coup d'une menace, d'une contrainte, etc.
5
Au lieu de ce membre de phrase, cinq mss. et d'après eux une an-
cienne édition donnent parati omnes pro animatione divina el cœlesti
corona, leçon mauvaise, incohérente et à peine latine.
* Rome (la ville par excellence, la capitale de l'empire).
* Dans l'ancienne langue latine on disait animadvertere in aliquem,
sévir contre quelqu'un, punir quelqu'un, le livrer au supplice. La lan-
gue latine chrétienne a fait de animadxertere un verbe actif dans ce
sens.
G
Egregii xiri, les personnes considérables ; les nobles.
7
Trois mss. donnent puniantur, et deux autres plectantur.
LETTRES CHOISIES DE SAIiNT CYPRIEN. 333

LETTRE XXXVIII.
A SUCCESSUS, AU SUJET DE MESSAGERS REVENUS DE ROME
ET ANNONÇANT UNE PERSÉCUTION.

Saint Cyprien annonce à Successus, un de ses collègues de l'Eglise d'A-


frique, les mesures de persécution ordonnées par un décret de l'em-
pereur Valérien. Il lui apprend en même temps le martyre du pape
Sixte I I à Rome, le 6 août 261, et le prie d'instruire de ces nouvelles
les autres évèques. afin que chacun d'eux puisse encourager au mar-
tyre les fidèles de sou église. Comme saint Cyprien fut lui-même mar-
tyrisé au mois de septembre sui vaut, ou voit que cette lettre ne pré-
céda pas de beaucoup sa mort.
a
CYPRIEN à Successus son frère salut.
I. Si je ne TOUS ai pas écrit sur-le-champ, mon très-cher
frère, c'est que tous les membres de notre clergé , toujours
sur le point d'être forcés au combat, ne pouvaient absolu-
ment pas s'éloigner d'ici, disposés qu'ils sont tous à marcher
avec un plein dévouement à la céleste gloire. Apprenez tou-
tefois que je viens de recevoir les messagers que j'avais en-
voyés à Rome, pour, quel que fût à notre sujet le rescrit
b
annoncé , s'assurer de son contenu véritable, et venir nous
en donner connaissance. Il circule en effet à ce sujet une mul-
titude de bruits, tous divers, incertains, portés par le vent
de l'opinion. Or, le rescrit de Valérien au sénat ordonne
que les évèques, les prêtres et les diacres soient immédiate-
ment livrés au supplice; les sénateurs, les personnes consi-
dérables et les chevaliers romains seront dégradés et dé-
pouillés de leurs biens ; et si, malgré la perte de leur fortune,
ils continuent à être chrétiens, ils seront mis à mort égale-
ment; les femmes perdront leurs biens et seront exilées;
quant aux soldats et officiers des princes, qui ont antérieu-
rement confessé ou confesseront maintenant le nom chrétien,
leurs personnes deviendront la propriété du fisc, et, chargés
de chaines, ils seront envoyés et répartis comme esclaves
dans les possessions impériales.

* Successus était évêque d'une ville d'Afrique nommée Albir. 11 subit le


martyre, comme on le voit dans les Actes des saints Montan, Lucius et
autres, publiés par les Bollandistes et par Dom Ruinart.
* Quelle que fût la teneur du rescrit (décret) impérial relatif à nous
334 SELECTE DIVI CYPRIANI EPISTOLiE.
II. Subjccit etiam Valerianus imperator orationi suas exem-
plum litterarum quas ad prœsides provinciarum de nobis
fecit : quas litteras quotidie sperarnus venire, stantes secun-
dùm-fidei firmitatem ad passionis tolerantiam, et exspectantes
de ope etindulgentia Domini vitae aïleroae coronam. Xistum
1 5
autem in cœmeterio animadversuin sciatis octavo iduum
3
Augustarum die, et cum eo diacones quatuor . Sed etbuic
persecutioni quotidie insistant prsefecti in Urbe; ut si cpii
sibi oblati fuerint animadvertanlur, et bona eorum fisco
vindicentur. Hase peto per vos et cœteris collegis nostris in-
notescant, ut ubique bortalu eorum possit fraternitas corro-
borait et ad agonem spiritualem praaparari, ut singuli ex
nostris non magis mortem cogitent quàm irnmortalitatem,
et, plenà fide ac totâ virtute Domino dicati, gaudeant magis
quàm timeanl in bac confessione, in qua sciunt Dei et
Christi milites non perimi, sed coronari.

Opto te, frater charissime, semper in Domino bene va-


1ère.

(aux chrétiens). Ce mot de rescrit sera désormais le terme en usage pour


désigner les décrets et ordonnances des empereurs.
1
Voyez page 332, note *.
* Cinq mss. portent quinto. Les martyrologes donnent octom; dans
les Gesta Ponîificalia, on lit sexto. — Les ides tombant le 13 du mois
d'août, le 8 des ides (c'ert-à-dire avant les ides) était le 5 août. Sur les
quantièmes du mois chez les Romains, voyez nos Àcta sanctorum Mar-
tyrum, tons. I , page 4, note*.
5
D'anciennes éditions portent et cum eodem Quartum, au lieu de et
cum eo diacones quatuor. Celte leçon semble plus conforme aux anciens
monuments-. Raronius, qui l'adopte, ajoute ce commentaire : « In cœme-
» terio quidem Callisli capile truncatum fuisse Sixlum papam, et cum
)» eo Quarlum aliosqueîtidem Romanœ Ecclesiœ rainistros eàdem die
» Romœ fuisse martyrio coronatos, doc*nt ecclesiastica mormmenta, qui-
» bus hi nominati habentur : Pelicissimus et Agapitus diaconi, Janua-
* rius, Magnus, innocentius et Stephanus, subdiaconi, quorum mentio
» a Cypriano ideirco prœtcrmissa videtur, quôd non eodem loco quo
» Si&tus pa&ji videantur. Nam quôd Sixtus in cœmeterio Callisli passus
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 335
U. L'empereur Valérien a de plus ajouté à son rescrit une
copie dî la circulaire qu'il adresse, à notre sujet, aux gouver-
neurs des provinces. Nous attendons tous les jours l'arrivée
de cette lettre, debout et termes selon la foi, prêts à subir le
martyre, et espérant de l'assistance et de la miséricorde du
Seigneur la couronne de la vie éternelle. En attendant, ap-
prenez que Sixte * a été mis à mort dans les catacombes le
huit des ides d'août, ainsi que quatre diacre?» 11 faut dire
aussi que tous les jours les magistrats de Rome exécutent avec
ardeur cette parsécution. Ainsi tous les chrétiens qu'ils peu-
vent découvrir sont mis à mort, et leurs biens sont confisqués.
Portez, je vous en prie, ces faits à la connaissance de nos au-
tres collègues, afin que partout leurs exhortations puissent
fortifier nos frères, que chaque fidèle songe moins à la mort
qu à l'immortalité, et qu'avec une foi entière et un courage à
toute épreuve, ils voient plutôt des motifs de joie que de
crainte dans cette confession, ou ils savent que les soldats de
Dieu et du Christ trouvent non pas la mort, mais la cou-
ronne.

Je désire, mon très-cher frère, que vous vous portiez tou


jours bien dans le Seigneur.

» dicatur atque sepultus, hi verô în ccemeterio Prœlextati * sepulturâ


» donati, divcrsis quoquè locis passi esse noscuntur. Atqui de Sixti et
» Quarti, qui cum eo erat, martyrio, ad Gyprianum festinanier nuntii
» redeuntes, relulerunt; cœtcros omnes eâdem die in Urbe passos, haud
» facile comportas habuisse videntur ; ann. 26), n. IV. »
* Les catacombes de saint Callisfe el de saint Prétextai sont au nombre des plus
vastes et des plus in tressautes. (Voyez les Trois Rome, t. IV.)

• Le pape saint Sixte II, martyrisé dans les catacombes de saint C a l -


liste, à Rome, ie 6 août de Tan 261. — Le diacre Pontius dit dans sa Vie
de saint Cyprien : Jam de Xisio, bono et pacifico sacerdote ac propterea
bcatissimo martyre, ab Urbe nunltua venerat.
m SELECLE DIVI CYPRIANI EPIST0UB

EPISTOIA XXXIX.
AD CLERUM ET PLEBEM, DE SCO SECESSU PAULO ANTE
PASSIONEM.
Fermeté de saint Cyprien sur le point de recevoir la couronne du
martyre.
CYPRIANUS presbyteris et diaconibus et plebi universee sa-
lutem.
Cùm perlatum ad nos fuisset, fratres charissimi, frumen-
1
tarios esse missos qui me Uticam perducerent, et consilio
b
charissimorum persuasum esset ut de hortis nostris inté-
rim secederemus, justâ interveniente causa consensi, e6
1
Les Frumentarii (traduisons Frumentaires) étaient un corps d'éclaN
reurs, ou plutôt un ordre d'employés d'administration militaire, attaché
à chaque légion. Ils avaient pour emploi de pourvoir de blé, etc., la lé-
gion à laquelle ils appartenaient. En temps de guerre, occupés à fourra-
ger, ils faisaient aussi au domicile des citoyens (et cela, même en temps
de paix), sous prétexte d'assurer la subsistance de l'armée, des perquisi-
tions assez vexatoires, au moyen desquelles, pénétrant partout, inspec-
tant tout, ils avaient l'occasion d'arrêter les personnes suspectes, mission
qu'ils reçurent au reste fréquemment de l'autorité elle-même. Aurélius
Victor (voir le Glossaire de Ducange, au mot Frumentarti) les dit insti-
tués spécialement pour épier et dénoncer les attentats conlre la sûreté
de l'État. Or le christianisme, dans ces temps d'ombrageuse tyrannie,
n'était-il pas un crime d'État au premier chef, le crime d'État par ex-
cellence P U est donc naturel de penser que les Frumentaires, cumulant
alors avec les fonctions de mouchards celles de sbires ou estaffiers,
avaient souvent à opérer l'arrestation de ces ennemis de l'État et du
prince, de ces grands coupables qu'on appelait les chrétiens. Le com-
mencement de cette lettre indique en effet que le proconsul d'Afrique
avait lâché à la piste de saint Cyprien, et chargé du soin de le pren-
dre et de le conduire à Utique, quelques-uns de ces limiers de la police
impériale.
Celte leçon Frumentarios est donnée sans variante par Baronlus, le
père de notre histoire ecclésiastique. Or, Baronius travaillait aux bi-
bliothèques de l'Oratoire et du Vatican, de toutes, sans contredit, les
plus riches en manuscrits.
Au lieu de frumentarios, plusieurs éditions de saint Cyprien portent
commentarios, accompagné, dans Tune d'elles, de cette note : COMMEN-
TAnu sive COWMENTÀTUENSES, ii erant quibus damnatorum cura commit-
tebatur, vel carcerum custodes; note certainement erronée, car com-
LETTRES CHOISIES DE SAINT. CYPRIEN. 337

LETTRE XXXIX.
AD CLERGÉ ET AUX FIDÈLES, SUR SA RETRAITE PEU DE
TEMPS AVANT SON MARTYRE.
Saint Cyprien étant revenu, vers la fin de sa vie, habiter ses jardins, ou
lui annonça que des émissaires avaient été chargés de l'arrêter et de
le conduire à Utique pour y être livré au supplice. A cette nouvelle
il se déroba à leurs recherches. Et, pour qu'on ne crût pas qu'il
avait cédé à la craiute en agissant ainsi, il explique dans cette lettre
le motif de sa conduite : c'est qu'il n'a pa3 voulu subir le martyre
autre part qu'à Carthage, au milieu des fidèles qui lui out été con-
fiés.

CYPRIEN aux prêtres et aux diacres et à tous les fidèles


salut.
I. Ayant appris, mes très-chers frères, qu'on avait envoyé
des frumentaires chargés de me conduire à Utique, ayant
reçu de mes plus chers amis le conseil de quitter pour un
a
temps mes jardins , comme d'autre part il se présentait pour
agir ainsi un juste motif, je me suis rendu à cet avis. Ce mo-
tif, le voici : il est convenable qu'un évêque confesse le Sei-
gneur dans la cité même où il gouverne son église, et que
tous les fidèles participent à la gloire de cette confession,
faite par leur chef en leur présence même. En effet, tout ce
qu'à ce moment- solennel de la confession dit, inspiré de
Dieu, un evèque confesseur, il le dit au nom de tous. Ce se-
rait au reste une grave atteinte à l'honneur de notre glorieuse
église, si moi, évêque de cette église, autre (pie celle d'Uti-
que, j'allais recevoir à Utique l'arrêt qui suivra ma confes-
sion, puis, martyr, partir d'Utique pour aller trouver le Sei-

mentarius a toujours été un nom de chose, signifiant registre, journal,


mémoire, etc. Il n'a donc jamais pu signifier geôlier, comme commen-
tariensis qui en est formé, et qui par cela seul qu'il existe concurrem-
ment avec commenlarius, exclut l'idée que ce dernier ait été employé
au même usage et avec la même signification. Puis, quand, abusive-
ment, on aurait donné à commentarius la signification de geôlier,
qu'y aurait-on gagné P Est-ce que ce sont par hasard les geôliers qui
arrêtent et conduisent les prisonniers, ce dont il s'agit spécialement ici ?
* Sur le séjour forcé de saint Cyprien dans ses jardins, voyez page 303.
note ».
338 S E L E C T J L DIVI C Y P R I A N I E P I S T O L J B

quôd eongiuat episcopum, in ea civitate in qua Ecclesiae do-


miniez piaeest, illic Dominum confiteri, et plebem univer-
sam prœpositi prœsentis confessione clarifieari. Quodcum-
que enim sub illo confessionis momento confesser episcopus
loquitur, aspirante Deo, ore omnium loquitur. Cœteiùm
mutilabilnr honor Ecclesia; nosftœ lam glorios-ap, si ego epi-
1
scopus alterius Ecclesiae pra&positus, accepta apud Uticam
super confessione eententiâ , exinde martyr ad Dominum
proficiscar, quanctequidem ego et pro me et pro vobis apud
vos ccnfiteri, et ibi pali, et exinde ad Dominum proticisci
orationibus continuis deprecer et votis omnibus exoptem et
debeam. Exspectamus ergô hic in secessu abdito constituti
adventum proconsulis Carthaginem redeuntis*, audiluri ab
eo quid imperatores super cbristianorum laicorum et epi-
scopornm nomine mandaverint, et dicturi quod ad horam
Dominus dïci voluerit.
Vos autem, fratres charissimi, pro disciplina quam de man-
'datis dominicis a me semper accepistis, et secundùm quod,
me tractante, sœpissime didicistis, quietem et tranquillita-
tem tenete, nec quisquam vestrum aliquem tumultttm fra-
tribus moveat, aut ultro se gentilibus offerat. Apprehensus
enim et Iradilus loqui débet. Siquidem in nobis Dominus
positus illâ horà loquatur, qui nos confiteri magis voluit
3
quam profiter! . Quid autem de cœtero nos observare con-
veniat antequam in me super confessione nominis Dei pro-
consul sententiam ferat, instruente Domino in commune
disponemus.
Incolumes vos, fratres charissimi, Dominus noster in Ec-
clesia suà peimanere faciat, et conservare dignetur. Ita fiât
4
per suam misericordiam .
1
D'une autre église (que celle dUtique où ou veut le traîner), c'est-à-
dire, de Cartbage qu'il désignait tout-à-l'heure par Ecclesiœ nostrœ tam
gloriosœ.
* Revenant à Garthage (dlJliqueoù il voulait faire conduire saint C y -
prien pour Py juger.
* Proftteri indique la profession de foi spontanée, et confiteri la pro-
fession de foi provoquée par la persécution.
4
La dernière phrase est dans un ancien ms» seulement.

FINIS.
LETTRES CHOISIES DE SAINT CYPRIEN. 339
gneur, tandis que l'objet de toutes mes prières et de tous mes
vœux est, comme c'est aussi mon devoir, de confesser pour
vous et pour moi au milieu de vous, d'y subir le martyre,
et de m'élancer du milieu de vous dans le sein du Seigneur.
J'attends donc ici dans un asile caché l'arrivée du proconsul
lors de son retour à Carthage , prêta entendre de sa bouche
les ordres des empereurs * concernant les chrétiens, laïques ou
évèques, et à lui répondre ce qu'au moment suprême le
Seigneur voudra que je lui réponde.
II. Pour vous, mes très-chers frères, selon les enseigne-
ments lires des préceptes du Seigneur, que je vous ai tou-
jours donnés, et conibnnémentaux principes que très-souvent
vous avez puisés dans mes enseignements, tenez-vous calmes
et tranquilles, et qu'aucun de vous n'excite de tumulte contre
ses frères ou ne se présente de lui-même aux gentils \ Ce
n'est en effet que quand il est arrêté et livré aux magistrats,
que le chrétien doit parler, parce qu'à ce moment c'est le
Seigneur qui, présent en nous, parle par notre bouche. Ce
qu'il nous demande, c'est de confesser le nom chrétien, mais
non d'en faire parade. Quant à ce que nous devons observer
au surplus avant que le proconsul prononce son arrêt contre
moi, comme coupable cf avoir confessé le nom de Dieu, les
instructions du Seigneur nous aideront à régler tout cela
en commun.
Que le Seigneur, mes très-chers frères, vous maintienne à
l'abri de tous périls au sein de son Église, et qu'il daigne vous
c
prendre sous sa garde. Ainsi soit fait par sa miséricorde .
a Valérien et Gallien.
* « Et que personne d'entre vous n'excite (par son zèle inconsidéré) de
» tumulte contre ses frères (n'ameute contre eux la populace païenne). »
Ce sens est conforme à l'emploi usuel du verbe movere. Si l'auteur eût
voulu dire : « Et que personne d'entre vous n'excite de tumulte parmi
» ses frères (ne les excite h la révolte) », il aurait probablement, au lieu
de fratribus seul, mis in fratribus. On trouve d'ail le m s souvent ce cor.-
seil aux fidèles, de ne pas irriter les païens par les éclats d'une ferveur
imprudemment déployée.
c On ne peut lire sans une vive émotion ces deux dernières lettres $ la
seconde surtout, admirable par sa simplicité, va droit au cœur, qu'elle
remue profondément.

FIN.

Vous aimerez peut-être aussi