35 Ainsley Booth Secrets Et Mensonges T1 Tentation

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TENTATION

SECRETS & MENSONGES, TOME 1


AINSLEY BOOTH
TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos

1. Hazel
2. Sam
3. Sam
4. Hazel
5. Sam
6. Sam
7. Hazel
8. Sam
9. Hazel
10. Sam
11. Hazel
12. Sam
13. Hazel
14. Sam
15. Hazel
16. Sam
17. Hazel
18. Sam
19. Hazel
20. Sam
21. Hazel
22. Sam
23. Hazel
24. Sam
25. Hazel
26. Sam
Épilogue
Épilogue
Recueil de poèmes inspirés par Sam Preston
Les sons que j’imagine dans ta bouche

Tous tes sons, mon amour


Mes sons pour toi
À propos de l’auteure
MENTIONS LÉGALES

Droits d'auteur pour la traduction française 2021 : Ainsley Booth


Traductrice : Valentin Translation

Copyright © 2020 Ainsley Booth


Tous droits réservés
Le beau mec en costume de l’autre côté de l’allée n’est pas le
genre d’Hazel. Trop canon pour être vrai et source de
problèmes, elle ne connaît que trop bien ces hommes-là.
Mais quand leur train reste bloqué en pleine voie et que la
journée se change en une longue et froide nuit, il devient
di cile de résister au sourire diabolique de Sam.
La femme assise en face de Sam n’a aucune envie de discuter
de la pluie et du beau temps. Ni d’aucun autre sujet,
d’ailleurs. Cela lui convient parfaitement. Et tant pis s’il
n’arrête pas de la regarder, de se poser des questions sur elle.
Elle n’est pas intéressée, fin de l’histoire. Jusqu’à ce qu’une
tempête de neige les bloque au milieu de nulle part et que la
nuit s’annonce interminable.
Elle ne veut pas parler. Ils pourraient jouer à un jeu pour
passer le temps. Quelque chose de secret, de spécial, limité à
une nuit seulement... C’est sans compter sur un secret vieux
d’une décennie, qui risque bien de gâcher tout le plaisir.
UN
HAZEL

Je suis la dernière à monter dans le wagon de classe a aires


à l’avant du train. Après avoir soigneusement rangé mon
bagage à main, je me dirige vers le fond, à la recherche de
mon siège. Je devrais avoir une double banquette pour moi
toute seule. C’est toujours le cas.
Pour chaque voyage, mais apparemment pas celui-ci. Je
gémis silencieusement en constatant que mon siège est
orienté dans le sens inverse de la marche – d’accord – et que
je suis en face de quelqu’un d’autre.
Pas d’accord. Je ne veux pas partager ma table.
J’aperçois une chevelure sombre. Des cheveux d’homme,
pour autant qu’on puisse deviner ce genre de choses. La
longue jambe et le gros bras qui débordent du siège déjà
large sont également un signe d’avertissement. Un homme
d’a aires bon chic bon genre, semble-t-il, qui prend
beaucoup trop de place dans ce qui devait être mon cocon
d’écriture pendant les quatre prochaines heures.
Eh bien, j’espère qu’il aime le silence, parce que je vais
l’ignorer royalement.
Il ne lève pas les yeux lorsque je passe devant lui et dépose
ma sacoche sur mon siège. J’enlève mon manteau et sors
mon ordinateur.
Comme j’ai mis en place cette armure émotionnelle –
concentrée sur le fait d’ignorer mon voisin de compartiment
pour me consacrer à mon travail –, lorsque je m’assieds et
que son regard noir se fixe sur mon visage avec une intensité
brûlante, je ne réagis pas.
Nous sommes deux inconnus. Je ne lui dois rien. Par pur
souci de politesse, j’a che un sourire courtois, mais
hautain, et je m’installe.
Je mets les écouteurs et les allume, branche le cordon, ouvre
l’ordinateur.
Je ne tiens pas compte du drôle de raté que semble avoir mon
cœur. J’ignore ce type et son regard ardent, qu’il a détourné,
fort heureusement.
(Ça, je ne le sais que parce que j’ai levé les yeux. Pendant une
fraction de seconde. La curiosité me tuera aussi sûrement
qu’elle a tué le chat du proverbe.)
Je ne suis pas certaine de ce que je ressens en ce moment. Du
déjà vu, mais pas tout à fait. Une déconnexion bizarre, parce
que j’ai décrété que j’avais un stéréotype sans identité
comme voisin de siège en voyant son costume, son bras et sa
jambe trop envahissante, ses cheveux gominés et bien
coupés sur le côté.
Tu as remarqué beaucoup de choses sur ses cheveux, dis donc.
Plus que je ne l’avais réalisé, et à cette idée, mon ventre
frémit.
Sa coupe de cheveux n’a aucune importance.
Son visage, son regard, cette impression troublante, rien de
tout cela ne compte.
J’ouvre mes dossiers et me fixe un objectif. Encore trois
corrections avant que l’agent de bord ne vienne avec les
premières boissons. Ensuite, je pourrai clore ce projet et
écrire librement tout ce qui me passe par la tête pour mon
blog. Écrire en ayant bu, corriger en étant sobre – un conseil
à ne pas prendre au pied de la lettre, mais qui ne m’a jamais
causé de tort.
Pourtant, les mots sur l’écran flottent devant mes yeux.
Je mets une éternité à m’atteler à ma tâche. Deux verres de
vin rouge m’aident à me concentrer, à ralentir mon pouls et
enfin, heureusement, à cristalliser mon attention.
Une heure plus tard, mes corrections sont terminées. Ce
n’est pas mon meilleur texte, mais c’est léger et sexy. C’est
su sant. J’envoie le document à ma correctrice en lui
précisant que je ne serai pas au bureau pendant les quatre
prochains jours et que ça ne me dérange pas de ne pas le
récupérer pour la dernière relecture avant que les fêtes de fin
d’année soient passées.
Après quoi, je jette un coup d’œil rapide par-dessus la table.
Vers lui. Il est toujours absorbé dans son téléphone. Ses
cheveux sont vraiment ridicules. Il doit dépenser plus que
moi chez le coi eur.
Son costume a l’air hors de prix. Tout comme ses
chaussures, sa cravate... Je l’imagine plutôt en jean. Un jean
ajusté qui épouse ses cuisses. Un polo avec les manches
retroussées révélant ses avant-bras. Puissants, bronzés par
le temps passé au soleil. Une fine couche de poils bruns qui
ont l’air doux et le sont encore plus au toucher.
C’est plus fort que moi.
Je ne peux pas m’en empêcher. Je vois des gens et ils se
transforment toujours en scène sexuelle dans ma tête. Ce
n’est que ces dernières années que j’ai compris que je
pouvais vraiment faire quelque chose de ces visions torrides
qui se forment spontanément dans mon esprit.
Un jean, une manche de chemise retroussée. Ce regard de
braise... On peut écrire beaucoup de choses rien qu’à partir de
ça.
Pas de détails, pas d’explications à rallonge. Juste une scène
de sexe crue au rythme enlevé et sensuel.
Nous sommes en boîte et nous crions par-dessus la musique.
C’est trop frustrant, alors Monsieur Regard de Braise me
prend – non, pas moi, prend mon personnage – par la main
– non, le poignet, plutôt, ses doigts chauds et fermes sur sa
peau – et l’emmène dans le recoin d’un couloir sombre.
J’écris et réécris, tapant des mots rapidement, puis en
supprimant certains avant d’en pondre d’autres à la hâte.
Le couloir obscur reste bruyant, trop pour qu’ils se fassent
entendre, mais ce n’est pas son but. Il voulait de l’intimité,
et maintenant ils en ont.
Son corps lui demande s’il peut la toucher ? S’il doit
l’embrasser ?
Oui. Non. Fais-le quand même. Elle se penche alors et lui o re
sa bouche, ses jambes, un e eurement intime. Il trouve sa
taille, puis remonte plus haut. Ses seins. Ses mamelons, et
enfin...
Le train ralentit et s’arrête. Je détache mes mains du clavier,
le tourbillon de mots fantaisistes soudain interrompu.
Je regarde par la fenêtre, mais il n’y a rien. Pas de lumières,
pas de ville. Aucun arrêt n’a été annoncé et nous ne sommes
qu’à une heure et demie de Toronto. Non loin de Kingston.
Peut-être devons-nous laisser passer un autre train avant de
pouvoir continuer.
Le type à la chevelure parfaite ne lève pas les yeux.
Je prends une grande inspiration et reprends le fil de mon
histoire, mais sans le bruit blanc du train qui file sur les
rails, je n’y arrive pas – comme s’il pouvait entendre les
mots obscènes que je crée sur mon écran d’ordinateur
maintenant que le silence règne dans notre petit
compartiment.
Peut-être n’ai-je pas besoin d’écrire autre chose ce soir, de
toute façon. C’est bien assez pour o rir un cadeau de Noël
aux abonnés de mon blog. Je vais peaufiner tout ça en
arrivant à l’hôtel et je le posterai avant de me coucher.
Brusquement, le train recule dans un soubresaut et mon
ordinateur s’échappe de la table entre nous pour aller glisser
vers l’allée.
Il le rattrape adroitement au passage et je me lève pour le
prendre.
— Désolée.
Mon cœur bat la chamade dans ma poitrine, parce que... oh
mon Dieu, il tient dans ses mains du porno dont il est l’acteur
principal, sans le savoir.
— Ce n’est rien, dit-il en me le remettant.
Au même instant, le train fait une nouvelle secousse, vers
l’avant cette fois, et je retombe sur le siège en cuir, serrant
mon ordinateur contre ma poitrine.
Il peste tout bas et regarde autour de lui, puis ses yeux
reviennent vers moi.
— Vous allez bien ?
— Ça va.
Je me tourne à nouveau vers la fenêtre, mais il fait nuit noire
dehors et notre wagon est trop lumineux. Je n’y vois rien du
tout.
— C’était... soudain. Les deux fois.
— Oui.
Il me regarde, comme pour me jauger. À la fois pour voir si je
suis blessée – mais vraiment, ça va – et pour savoir s’il peut
continuer à me parler. Je lui fais un grand sourire et retire
mes écouteurs. De toute façon, ils sont tombés autour de
mon cou avec tous ces mouvements. Il tapote sur l’écran de
son téléphone, puis fait rouler son cou avec un gémissement.
— Il y a eu une collision devant nous sur les rails.
— Comment le savez-vous ?
Il oriente l’écran du téléphone pour me le montrer. Twitter.
— Les hashtags.
Je ne sais pas pourquoi le personnel du train n’a rien dit.
— C’est peut-être juste une courte interruption de service.
— Peut-être.
Je serre mon ordinateur un peu plus fort.
— Vous êtes sûre que tout va bien ?
— Oui.
— Bon. Je...
Il est interrompu par l’interphone.
— Bonsoir...
L’annonce est d’abord prononcée en français, langue que je
ne parle pas, et j’attends patiemment qu’elle soit répétée en
anglais.
— Bonsoir, mesdames et messieurs. Nous nous excusons pour cet
arrêt soudain. Il y a un incident sur les voies devant nous, et nous
avons reçu l’ordre de rester immobilisés pour le moment.
Merde. Il avait raison.
— Quelle poisse, dis-je à mi-voix, le cœur serré.
Bien sûr, j’espère que la personne impliquée dans la collision
va bien et qu’il ne s’agit que d’un court délai jusqu’à ce que
les voies soient dégagées.
— Je crois que, euh...
Il me fait un sourire en coin, comme s’il savait que je n’ai
aucune envie de parler, mais maintenant que nous avons
commencé, la politesse exige que l’on fasse les choses
correctement.
— Je peux me présenter ? demande-t-il.
Mon cœur lourd se ressaisit. C’est une proposition étrange,
mais ça me plaît bien.
— Bien sûr, dis-je en souriant.
— Je m’appelle Sam. Sam Preston.
J’acquiesce. D’accord, allons-y. Je tends la main.
— Et moi, je m’appelle Aibhlin.
C’est tout ce qu’il obtiendra. Mon pseudonyme, et encore,
seulement le prénom. Je ne lui donnerai pas mon nom de
famille. Je ne veux pas qu’il me cherche sur Google aussi
rapidement que la cause de l’arrêt du train.
— C’est un plaisir, Aibhlin.
Il le répète exactement comme il faut, sa prononciation
parfaite. Aveline. Aucune réaction bizarre, aucune question.
Son regard ne quitte pas mon visage et son sourire semble
sincère.
Je me détends un peu.
— Tout le plaisir est pour moi, Sam.
Je finis par ranger mon ordinateur dans mon sac. Après tout,
personne n’est dupe, je serai trop à cran pour écrire autre
chose ce soir.
À le faire, autant le faire bien.
Il m’adresse un autre sourire. Celui-ci est plus audacieux.
Invitant, séduisant. Tu veux jouer ? Draguer au lieu de
travailler ?
Non. Pas vraiment. En tout cas, pas jusqu’à présent.
Je regarde sa main. Aucune alliance. Ça ne veut rien dire,
mais je suis blasée maintenant. Je vérifie toujours.
— Vous vous rendez à Ottawa pour le travail ?
Il acquiesce.
Je prends le verre à vin sans pied, mon second, encore à
moitié rempli.
— Et que faites-vous, Sam Preston ?
Ses lèvres frémissent aux commissures, creusant presque
une fossette. Est-ce qu’il aime m’entendre employer son
nom complet ?
— Je suis banquier d’a aires.
C’est plus fort que moi, je pou e.
— Évidemment.
— Prévisible ? demande-t-il en désignant son costume.
— Oui, vraiment.
— Et vous ?
Avant que je puisse répondre – et qui sait, je n’allais peut-
être pas le faire –, la porte du wagon s’ouvre derrière moi.
Je me retourne pour voir le steward, qui pousse le chariot des
boissons. Pile au bon moment.
— Désolé, messieurs dames. J’étais dans le wagon d’à côté et
il m’a fallu un certain temps pour revenir. Vous avez entendu
l’annonce ? Nous allons rester ici pendant un moment.
— Quel est le problème ? demande Sam, comme s’il ne le
savait pas déjà grâce à Twitter.
Le préposé ne nous donne pas de vraie réponse.
— Un incident sur les rails, c’est tout ce qu’on m’a dit.
Il fait un geste vers le chariot en ajoutant :
— Heureusement que nous sommes bien approvisionnés. Je
peux vous o rir un autre verre, mademoiselle ? Je reviens
avec le dîner sous peu.
Mademoiselle. Un sourire me vient et je tends mon verre.
— Merci de le remplir. Et continuez à m’appeler
mademoiselle, ça me plaît.
— Avec joie.
Il me sert une dose généreuse, puis se tourne vers Sam, qui a
toujours refusé à chacun de ses passages.
— Et vous, monsieur ?
Sam expire avant de répondre :
— Bon, si on doit rester ici un moment, je vais prendre un
bourbon avec des glaçons. Un double.
C’est exactement ce à quoi je m’attendais. Banquier
d’a aires. Un double. Il y a quelque chose de rassurant là-
dedans. Je sais appréhender les hommes comme lui, jouer
avec, m’amuser. En aucun cas je ne lui ferai confiance, mais
ça ne fait rien.
La confiance, de toute manière, c’est surestimé.
Une fois que nous sommes de nouveau seuls, Sam lève son
verre pour porter un toast.
— Au réconfort en attendant.
Je l’imite.
— En espérant que personne n’est gravement blessé.
— Naturellement.
Il prend une bonne lampée et je vois sa gorge tressauter
lorsqu’il déglutit pour faire descendre l’alcool brûlant. Il
n’est pas hésitant. Après quoi, il désigne la fenêtre, derrière
laquelle il a commencé à neiger. De gros flocons blancs
tourbillonnants e eurent la vitre.
— Peut-être que les tweets se trompent. Peut-être que le
train est arrêté pour une autre raison, comme la météo.
J’aimerais mieux. Pas de blessés, pas d’accident qui
gâcherait la soirée d’une famille.
— Une tempête, murmuré-je, mon imagination
transformant la neige virevoltante en véritable monstre. Des
démons de glace.
J’adore la surprise sur le visage de Sam, quand ses sourcils
remontent sur son front.
— Des démons de glace ?
— Je préfère ça à un accident, trois jours avant Noël.
Il hausse les épaules.
— C’est juste. Je vois, ils ont déchaîné les éléments sur notre
passage. Les voies sont bloquées, et maintenant, on ne peut
plus avancer, c’est ça ?
— Quelque chose comme ça.
Je n’avais pas l’intention de dire les « démons de glace » à
voix haute.
Mais Sam ne se laisse pas décontenancer.
— Ils sont en colère contre le train pour une raison
quelconque, ou nous sommes coincés dans une bataille entre
ennemis ?
Comme il est à fond dans l’histoire, moi aussi.
— Ils pourraient se battre pour une femme qui est à bord de
ce train ? Ou peut-être est-ce un seul démon de glace, et que
sa bien-aimée est ici quelque part. Elle est la seule à savoir
pourquoi on s’est arrêté. Et elle est...
Je m’humecte les lèvres en essayant de trouver la bonne
formule. Que pourrait-elle ressentir ?
— Tiraillée ?
— Terrifiée, rectifié-je. C’est la fin de leur histoire, peut-
être, et elle s’enfuit pour sauver sa peau. Maintenant, il l’a
arrêtée, ce qui prend au piège tous ces gens.
— Elle a peur de lui ?
Je secoue la tête.
— Non. Mais elle a peur de ce qu’il lui fait ressentir.
— Vous êtes une romantique, dit-il en souriant.
— Seulement sur le papier.
— Ah. Je vois.
Désolée de te décevoir, l’ami. Je vis dans le monde réel.
— Et vous ?
Il fait rouler vers l’arrière ses épaules, qui se contractent à
l’intérieur de sa veste de costume à trois mille dollars. Non, il
n’aime pas la romance. La veste, le sourire carnassier,
proposer à une femme de lui o rir un verre rien que pour
passer le temps, ce type est tout aussi blasé des relations que
moi. Il sait très bien à quoi s’en tenir.
— J’aime l’idée, dit-il enfin. En théorie. Mais il y a de fortes
chances que le grand démon e rayant soit véritablement
méchant. J’espère qu’il y aura un retournement de situation
à la fin. Peut-être que la romance sera...
Il s’interrompt.
Je ne suis plus très sûre de ce dont on parle. Qu’est-il arrivé à
notre flirt innocent ?
L’instant d’après, il jette un œil sur le côté, me libérant de
son regard. Il est doué. Il sait exactement jusqu’où pousser,
quand se retirer. Il veut que ça reste léger, et franchement, je
lui en suis reconnaissante. On est peut-être coincés ici
pendant des heures.
Son regard se fixe vers la fenêtre – nulle part, en réalité,
mais il fait semblant de voir dans l’obscurité. Par-delà la
neige blanche, par-delà la limite des arbres.
Sans doute cherche-t-il notre monstre imaginaire, le héros à
l’instinct territorial qui immobilise le train en raison d’un
amour pour une héroïne fugitive – certes romantique, mais
aussi malvenu.
— Que se passe-t-il ensuite ? demande-t-il, la voix assez
basse pour que la discussion reste entre nous.
Les autres passagers ne peuvent pas l’entendre.
— Dans l’histoire. Entre ce démon de glace et sa bien-aimée
coincée dans le train.
— Elle sait que le démon de glace est contrarié. Et elle craint
qu’il n’ait pas conscience de sa propre force.
J’aime la façon dont Sam se penche quand je commence à
tisser mon histoire. Je ne voudrais pas autant apprécier, mais
il y a quelque chose dans son regard qui m’enhardit. Comme
il semble aimer tout ce que je raconte, je peux être aussi
débridée que je le veux dans ce récit fantastique.
— Peut-être qu’il ne sait pas qu’une tempête risque de
perturber les plans de voyage, causer des accidents de
voiture ou faire tomber les lignes électriques.
À cet instant précis, les lumières de notre wagon vacillent et
s’éteignent.

Je ne sursaute même pas. D’autres personnes réagissent,


plus loin dans le wagon, et puis j’entends Sam ricaner.
— C’était une belle histoire, dit-il en tapotant son
téléphone, éclairant faiblement l’espace entre nous.
Mon regard retrouve le chemin de son sourire.
— Et ensuite, chère narratrice ?
— Le démon de glace fait une sieste et les lumières se
rallument, dis-je dans un sou e.
Mais pas de chance. Je prends une gorgée de vin.
— Notre héroïne se rend compte qu’elle va devoir trouver un
moyen de communiquer avec le démon de glace.
— Oh, là, attendez, il y a un écueil majeur dans l’intrigue.
Sam s’éclaircit la gorge avant de poursuivre :
— Avec tout le respect que je dois à la narratrice. Mais
comment sont-ils tombés amoureux s’ils ne peuvent pas
parler ?
— Eh bien, il n’est pas toujours sous la forme d’un démon de
glace gigantesque capable de déclencher une tempête. Quand
il n’est pas contrarié, il fait... deux mètres de haut et il est
bâti comme un croisement entre un joueur de football
américain et de basket. Tout ce qu’il touche a tendance à
devenir un peu froid. Comme s’il pouvait faire frissonner à
chaque contact, chaque caresse.
— Sexy, dit Sam, pince-sans-rire.
Il lève son verre et prend une autre gorgée de bourbon avant
de s’essuyer la bouche. Mes yeux se sont accoutumés à la
faible lueur. Le wagon tout entier est sombre à l’exception de
quelques lumières de nature électronique, çà et là. C’est à la
fois étrange et intime.
Mais surtout, Sam ne comprend pas l’attrait d’un démon de
glace sexy. Je recentre mon attention.
— Parce que vous ne vous êtes pas assez amusé avec...
Il se penche par-dessus la table et me touche la main. Sous
ses doigts se cache un glaçon et la pression froide contre ma
peau me donne le frisson, exactement comme je viens de
l’expliquer.
— ... de la glace, chuchoté-je, terminant ma pensée.
— Dites-m’en plus sur lui, murmure Sam, attentif. C’est un
homme ?
— De temps en temps.
Je retiens mon sou e alors qu’il déplace sa main sur la
mienne et mon poignet.
— Encore ?
Ses doigts glissent à l’intérieur de mon bras et je retourne
ma main.
Oui, encore.
Il me pose toujours des questions comme s’il n’était pas en
train de malmener ma peau avec un glaçon fondant.
— Et le reste du temps ?
— Euh, c’est une tempête. Enfin, un démon sous forme
humaine plus grand que nature constamment entouré d’une
tempête. Il a besoin de prendre cette forme régulièrement,
même s’il peut être un homme la plupart du temps, à peine
plus grand que la moyenne.
— Mais alors, que se passe-t-il pendant l’été ?
— Vous et vos soucis de cohérence, dis-je avant de déglutir.
En été, il part. Il doit vivre dans un endroit froid.
— C’est radical.
Les lumières clignotent, et en même temps, la main de Sam
se retire. Lorsque le wagon est à nouveau éclairé, il est
adossé dans son siège, le portrait même de l’insouciance. Je
cligne des paupières pour m’adapter à la luminosité. On
dirait presque qu’il n’est rien arrivé.
— Bonsoir...
L’annonce s’excuse de la coupure temporaire de courant, en
français d’abord, puis en anglais.
— Un câble électrique s’est décroché entre les wagons. Le
problème a été réparé et votre service sera bientôt servi.
— Pas de démon de glace.
Sam esquisse presque un sourire en coin, mais il se retient à
la dernière seconde.
— Vous êtes déçue ?
Je ne lui réponds pas. Au lieu de quoi, je vide mon verre de
vin.
— Un autre ?
Il se retourne à la recherche de l’agent de bord. Mais je
prends une profonde inspiration et réponds :
— Je ne devrais pas, je crois.
Il sourit à nouveau – un sourire lent et redoutable.
— Non, sûrement.
J’éprouve un tiraillement chaud et douloureux dans le ventre.
Son regard glisse le long de mon corps, comme s’il savait ce
que son sourire provoque en moi. Puis il ramène ses yeux sur
mon visage.
— On joue la sécurité, Aibhlin ?
Son inflexion de voix est plus e cace qu’un seau d’eau
glacée sur ma libido. Mon dos se redresse et je serre les
jambes.
Ça su t, cette semi-drague désinvolte. Le train pourrait
repartir à tout moment maintenant. Nous n’avons même pas
encore pris le dîner.
— Oh, Sam. Pourquoi changes-tu la donne ? Notre jeu était
si bien pendant une seconde.
Son visage se crispe.
— C’est ce que c’était pour toi ? Une sorte de jeu ?
— Bien sûr. Et pour toi aussi. Évidemment, avec tes bêtises
de « Je m’appelle Sam. Sam Preston ».
Elle tourne les yeux vers la vitre, la neige maintenant plus
chaotique et l’obscurité au-delà. Quand il se retourne, son
sourire est plus familier. Un peu triste.
Enfantin, comme dans mon souvenir d’il y a dix ans.
DEUX
SAM

Dix ans plus tôt


— Quoi de neuf, Preston ?
J’ai à peine ouvert la porte de mon appartement que les gars
jouent des coudes pour entrer. Certains d’entre eux, en tout
cas. Pas toute la bande.
J’ai eu tendance à envoyer bouler tout le monde, ces derniers
temps, alors quand j’ai fait savoir que je voulais sortir et me
défoncer ce soir, je ne savais pas qui viendrait.
Franchement, je me fiche de savoir qui est partant ou pas.
Regan a un nouveau mec. C’est son droit. Tant mieux pour
elle. Tout ce que j’ai envie de faire, c’est de m’éclater ce soir,
et tout ira à nouveau bien dans le monde.
Va voir Hazel à la bibliothèque. Non, surtout pas.
Retrouver la meilleure amie de Regan est une mauvaise idée.
La pire qui soit.
La plus sexy, aussi.
Hazel avec son regard complice et sa petite bouche moite.
Hazel avec ses blagues cochonnes.
C’est pour ça que j’ai besoin d’un verre ce soir, et pas qu’un
seul. Si je suis sobre, je ne serai pas capable d’éteindre mon
cerveau, cette partie odieuse qui pense constamment,
mesure et calcule les possibilités jusqu’à ce que je découvre
comment les orienter en ma faveur.
Je pourrais traquer Hazel. Bien sûr que j’en suis capable.
C’est une coquine, au fond, et personne d’autre ne le sait. Je
suis le seul à connaître son secret. Je ne sais même pas
comment je le sais, mais c’est comme ça. Je vois clair en elle.
On se ressemble plus qu’Hazel ne le voudrait.
C’est comme ça que je le sais.
Elle est comme moi, en moins détraquée. Comme moi sans
les cartes, l’alcool et l’argent.
Elle est comme moi, à la di érence qu’elle s’aime.
Je prends la bouteille de Jack sur le plan de travail.
— Voilà ce qui va se passer, bande d’abrutis. On est presque à
la fin de notre vie étudiante, les branleurs. Alors ce soir, on
va fêter ça.
— Carrément.
Carrément. La devise de tout mon cursus universitaire. Et si je
m’en sors vivant, ce sera un putain de miracle. Je sers ma
tournée de shooters, accueillant avec plaisir la brûlure
familière.
Encore un trimestre. Encore cinq devoirs notés C+, cinq
examens et une bonne assiduité, et j’aurai le diplôme dont
j’ai besoin pour accéder à mon fonds de pension. Un
trimestre de plus, et je n’aurai plus jamais besoin de parler à
mes parents. Plus besoin de jouer à leurs jeux.
Des pensées sombres et amères tourbillonnent dans ma tête,
que je chasse avec un autre verre de Jack.

Nous sortons dans un club au sud du campus, assez proche


pour qu’il y ait plus d’étudiants qu’ailleurs. J’ai envie de me
lâcher, de trouver de la meuf. Ce sont mes objectifs. Mais
quand je franchis les portes et aperçois deux mecs qui étaient
à St Mike, eux aussi, de quelques années de moins que moi,
des mecs qui ont de l’argent à dépenser, je ne peux
m’empêcher de jouer la carte du réseau.
— Je vous rejoins au bar, dis-je à mes amis avant de me
tourner vers les étudiants de deuxième année regroupés
autour d’une table. Dylan, content de te voir.
Je lui prends la main, la serrant qu’il le veuille ou non. Puis je
passe mon bras autour du cou du type à côté de lui. Celui-ci,
je ne connais même pas son nom, mais je suis presque sûr de
m’être tapé sa sœur à sa fête de début d’année. Et ce n’était
même pas la fille qui m’accompagnait ce soir-là. Aucune
importance.
— Tout le monde passe un bon moment ?
Je cherche deux éléments dans une conversation de ce genre.
La reconnaissance est déterminante. S’ils ne savent pas qui
je suis et quel genre de jeux j’organise, je ne vais pas le leur
dire. Ma réputation prévaut. La règle, c’est que je suis un
mec sympa. Abordable, amical. Mais mes jeux sont di ciles
d’accès, et les gens doivent demander.
Et plutôt deux fois qu’une.
Aucun de ces connards ne m’a encore demandé de participer,
et je ne sais pas si c’est parce que ma réputation n’est pas
aussi bonne avec eux qu’elle devrait l’être, ou s’ils ne sont
pas sûrs de vouloir jouer.
Le type dont j’ai baisé la sœur, par contre, a les yeux qui
pétillent.
C’est bon signe.
— Sam, dit-il en haletant un peu.
Il a le sou e court, chargé de vodka. Tant mieux, il ne
s’apercevra pas que je ne connais pas son nom.
— Quoi de neuf, vieux ? dis-je en l’ébouri ant un peu. Je ne
t’avais pas vu. Vous passez une bonne soirée ?
L’un des autres bombe le torse.
— Toujours.
— Super. Tant mieux.
Je leur fais un clin d’œil et tends vers eux mes pouces et mes
index comme si je tenais deux pistolets.
— À plus, les mecs.
Une heure plus tard, le type dont j’ai baisé la sœur débarque
à la table que nous avons réservée. Il est avide, je le vois dans
ses yeux. Derrière lui, il y a une serveuse avec une bouteille,
et c’est de la bonne. Il n’a pas été radin.
— Les gars, dis-je avec emphase. Présentez-vous à notre
nouvel ami.
Ça marche. Ils lui serrent tous la main et il se présente à
chacun d’eux. Cody. Cody Dewar. Après avoir répété son nom
à tout le monde, nous si ons sa bouteille de whisky à trois
cents dollars.
J’en suis à peine à mon deuxième verre quand je vois Hazel
au bar.
Elle me regarde au milieu de ma basse-cour, comme si
j’étais une merde. Elle n’a pas tort.
Je lui fais signe de se joindre à nous et elle secoue la tête,
mais quelque chose la fait changer d’avis et elle finit par
hausser les épaules.
Sa démarche est vraiment sexy. Comme si elle se foutait que
les gens pensent qu’elle est en colère. D’ailleurs, ce n’est pas
le cas. Hazel ne se met jamais en colère. Elle devient froide.
Le pire qu’Hazel puisse faire, c’est se montrer indi érente.
Et putain, ça pique.
Cela dit, si elle se fraye un chemin jusqu’à ma table, c’est
qu’elle n’est pas indi érente. Pas ce soir. Je souris lorsqu’elle
s’arrête à côté de nous.
— Cody, aboyé-je. Il y a une dame ici. Lève-toi et cède-lui ta
place.
Elle s’empresse de me contredire :
— Non, je ne reste pas. Je suis juste passée pour rappeler à
Sam qu’il a toujours un devoir à rendre lundi.
Nous avons suivi un seul cours en commun en quatre ans. Il
vient de se terminer. Enfin, il se termine lundi, mais la
blague se retourne contre Hazel.
— Je l’ai rendu cet après-midi.
Elle plisse les yeux.
— Tu n’as commencé à l’écrire qu’hier.
— Je sais, je n’ai pas l’habitude de passer autant de temps
sur un devoir, dis-je d’une voix traînante avant de me lever.
Cody essaie de se lever à son tour, mais il vacille.
Je le repousse dans son siège.
Il a salement interprété la situation, parce qu’il trouve que
c’est une bonne idée de dire à Hazel qu’elle devrait sourire
un peu plus.
Elle fait comme si elle ne l’avait pas entendu. Cette
indi érence, aïe ! Ça fait mal.
— J’ai dit... insiste-t-il.
Elle se penche juste devant son visage et hoche la tête.
— J’ai entendu ton conseil d’ami. Mais je m’en fiche.
— Mieux qu’un conseil d’ami, c’est un conseil de pro.
Il a voulu paraître intelligent. Bien sûr, ce n’est pas le cas.
Hazel grimace visiblement et quelque chose s’endurcit en
moi. Un besoin de lui prouver que je ne suis pas comme ce
mec-là, même si je le suis clairement – disons, du moins,
que je me fais un plaisir de boire l’alcool de ce type et de lui
prendre son argent.
— On peut parler ?
Elle cligne des paupières. Non. La réponse est non.
Forcément.
Je m’approche et baisse la voix.
— S’il te plaît.
Elle regarde ma bouche. Peut-être qu’elle ne m’a pas
entendu à cause de la musique. Je lui prends la main et
enroule mes doigts autour de son poignet. Elle ne se dégage
pas.
— Viens, dis-je.
Je calcule mes chances, fais mon pari.
Et quand je tire, elle me suit.
Nous nous faufilons de l’autre côté de la piste de danse, à
travers la foule en sueur, puis devant le bar. Au bas du
couloir.
Mon pouls bat la chamade, maintenant. C’est un rythme net
et rapide. Entêtant.
Elle se hisse sur un rebord en bois, dans un recoin, où il se
trouvait autrefois une cabine téléphonique et qui est
maintenant un endroit où les gens se retrouvent dans
l’ombre pour se peloter.
J’ai envie de peloter Hazel. Je veux enfouir ma main entre ses
cuisses nues et découvrir la sensation de son sexe. Si elle a
des boucles douces ou la peau nue, si elle est déjà mouillée.
Putain, je ne sais pas ce qui serait le plus torride. Qu’elle soit
déjà prête à ce que mes doigts s’enfoncent plus
profondément ou qu’elle ait d’abord besoin d’être amadouée.
Il n’y a aucune chance qu’elle me laisse la doigter en boîte de
nuit, mais j’en ai tellement envie que ça me brûle. Je veux
que ses fluides d’excitation imprègnent ma main, pour les
sentir quand je me branlerai plus tard.
— Tu as déjà fini ton devoir ?
— Bien sûr.
— Et il est bon ?
— C’est un aller simple direct.
Je baisse les yeux vers l’endroit où ses jambes nues luisent
dans la pénombre de notre recoin.
— Sam.
Elle a prononcé mon prénom comme si elle savait que je suis
un pervers. Ça ne l’impressionne pas.
— Tu voulais parler ?
Je voulais qu’elle soit seule pour pouvoir la convaincre de
faire une bêtise avec moi.
— C’était trop bruyant là-bas.
— Bruyant et dégoûtant. Ces types sont nases.
— Oui.
Mais ce sont les seules personnes qui peuvent encore me
supporter, alors... merde.
— Ce sont mes amis, tu sais. Désolé.
Elle n’émet aucun commentaire.
Elle n’en a pas besoin.
Merde.
— Ce n’est pas de ça que je voulais parler.
— Tu voulais parler, Sam ?
Son intonation est acerbe, ça s’entend. Ou tu voulais me baiser
dans un couloir sombre ?
Oui.
La réponse est oui, putain.
— On n’arrête pas de se croiser.
— On est dans la même fac.
— Ces deux dernières semaines, je t’ai vue plus souvent que
d’habitude.
— Peut-être que tu me remarques pour la première fois.
Pas du tout.
— On est amis depuis un moment, objecté-je.
Elle fronce les sourcils et je me rapproche.
— On n’est pas amis, Hazel ?
Elle s’humecte les lèvres, un rapide coup de langue rose, et
jette un œil sur le côté. Quand sa tête revient vers moi, je suis
encore plus proche. Il y a peu d’espace entre nous
maintenant et je respire bruyamment, inspirant son parfum.
— Peut-être qu’on n’est pas vraiment amis, chuchoté-je.
Elle frissonne, putain. C’est net, brut, et bien réel. Avec un
soupir, elle recule, mais elle est assise sur un rebord et ses
jambes sont su samment écartées pour que je puisse m’y
caler, mes bras de part et d’autre de son corps.
— Ne t’enfuis pas, grogné-je.
Elle me lance un regard noir.
— Ce n’est pas ce que j’appelle parler.
— J’en dis beaucoup, pourtant.
Je souris lorsqu’elle pose les yeux sur ma bouche. Oh, ce que
j’ai envie de lui faire avec mes lèvres, ma langue, mes dents.
— J’ai envie de toi. On peut en parler ?
— Pourquoi ?
— Parce que tu es jolie. Parce que tu es intelligente. Parce
que tu racontes les blagues les plus cochonnes que j’ai jamais
entendues, et ensuite, pendant que tout le monde rit, tu te
replies ailleurs. Tu deviens un peu rêveuse.
J’e eure sa joue de ma bouche.
— Je veux faire partie de tes rêves coquins.
— Je ne suis pas...
Elle s’interrompt, parce que si, elle l’est...
J’ai envie de chanter.
— Tu es une cochonne, pas vrai ?
— Comme tout le monde, murmure-t-elle.
Puis elle tourne la tête et m’embrasse de ses lèvres
rebondies, douces et parfaites.
Nous nous embrassons jusqu’à en perdre haleine, jusqu’à ce
que je sois dur, le cerveau un peu flou. Enfin, je pose mes
mains sur ses cuisses nues.
Elle tremble à mon contact.
— Tu me donnes envie de faire des choses dégoûtantes,
Hazel. Tu sais ?
Elle gémit alors que mes doigts remontent le long de ses
cuisses. J’y suis presque. Je veux qu’elle frissonne quand
j’atteindrai son entrejambe.
Je lui lèche le cou. Putain, elle a bon goût.
— Je voulais faire ça à la bibliothèque. Quand tu m’as rappelé
à l’ordre. Tu m’aurais laissé faire ?
Elle se fige.
— Tu me voulais dans la bibliothèque ? fait-elle d’une voix
cassée. Il y a des semaines ?
Je note un signal d’alarme, mais je me laisse emporter.
— Putain, oui.
Mauvaise réponse. Fait chier.
— Non.
Elle me repousse. Cette fille est plus forte qu’elle en a l’air.
En tremblant, elle fait deux pas en arrière vers la piste de
danse. Puis elle s’arrête et me lance un regard qui veut dire
laisse tomber, connard.
— Ça ne va pas le faire, Sam. Tu n’es qu’un enfoiré. Et si tu
veux un bon conseil... ces abrutis ne sont pas vraiment tes
amis. Mais tu le sais, et tu traînes quand même avec eux.
Alors, tu sais quoi ? J’en ai fini avec toi. Si jamais tu me
revois un jour, fais comme si tu ne me connaissais pas.
TROIS
SAM

Aujourd’hui
Je ne l’ai pas revue. Elle m’a évité pendant tout un trimestre
et n’est même pas venue à la remise des diplômes.
Alors, quelles étaient les chances qu’elle s’assoie sur le siège
en face de moi, une décennie plus tard ?
Elle m’a donné un faux nom, et c’est très bien comme ça. J’ai
joué le jeu. J’ai fait semblant de ne pas la connaître, mais je
la connaissais – ou du moins, je l’avais connue. Sauf qu’elle
aussi jouait un jeu.
Et merde.
Maintenant, elle me regarde comme si j’avais tout gâché.
Encore.
— Laisse tomber, dit Hazel, les yeux brillants et
provocateurs. Tu as commencé à jouer, alors j’ai continué en
montant d’un cran. Dommage pour tous les deux que tu
n’aies pas pu t’y tenir.
Je pensais sincèrement que je ne reverrais jamais cette
femme.
Je n’étais pas du tout préparé à cette soirée.
Et pourtant.
Et pourtant, je peux encore le sentir. Ce crépitement, cette
connexion. Ce qui a failli exister, mais qui n’a jamais pu être.
Il faut dire qu’en fait d’occasions manquées, il n’y a pas eu la
moindre étincelle pendant l’immense majorité du temps où
nous nous sommes connus.
C’était la meilleure amie de Regan, et aussi complexe et
puérile qu’ait été la relation que j’ai entretenue avec ma
petite amie de la fac, je n’avais d’yeux que pour elle.
Et pour les cartes, aussi.
Mais pour aucune autre femme.
Quand tout a mal tourné, entièrement par ma faute, Hazel
m’en a voulu d’avoir fait du mal à Regan. C’était de bonne
guerre.
Alors, nous avons été surpris tous les deux quand un jour,
c’est arrivé.
Le crépitement.
Les étincelles.
Une connexion qu’aucun de nous n’a vue venir. Une pique
acerbe s’est changée en taquinerie enjouée dans la
bibliothèque, et patatras, tout à coup j’ai vu Hazel
McLaughlin sous un tout autre jour.
Il lui a fallu plus de temps pour l’admettre, c’est tout. Trois
semaines de plus, précisément.
— Ça ne va pas le faire, Sam. Si jamais tu me revois un jour, fais
comme si tu ne me connaissais pas.
Elle avait raison. Ça ne pouvait pas le faire. Pas à ce
moment-là.
Quand elle s’est assise en face de moi, ce soir, j’ai fait de
mon mieux pour respecter cette requête qui datait pourtant
de dix ans. Je l’ai laissé travailler en silence, profitant qu’elle
avait la tête baissée pour la regarder.
Je pouvais très bien faire comme si je ne la connaissais pas.
Je ne pouvais pas m’empêcher de la regarder, en revanche,
lui décocher des coups d’œil gourmands et passionnés
chaque fois que j’en avais l’occasion, quand elle était perdue
dans son travail. Je devais encaisser le choc de sa
réapparition, aussi temporaire, fugace et précaire qu’elle
soit, par petites touches.
Ses cheveux sont plus longs, aujourd’hui. Plus foncés, aussi.
D’un blond aux accents de miel, avec beaucoup de brun en
dessous. Elle a une grosse frange qui lui va bien. Tout me
plaît chez elle, autant que je puisse dire cela d’une femme
qui n’a pas voulu de moi dans sa vie.
Je n’aurais pas dû reluquer les courbes de son corps quand
elle s’est installée en face de moi. Elle portait une parka
légère et bou ante par-dessus un pantalon de yoga et un
sweat à capuche confortables pour son voyage en train.
Chaque parcelle m’a paru douce et délectable au toucher...
pour quelqu’un d’autre que moi, bien sûr, et d’ailleurs, ce
truc du glaçon était déjà hors-jeu.
C’est à la hauteur du rôle imaginaire que je me suis créé,
celui d’une bête indomptée.
Parce que je suis une bête, c’est vrai.
Et Hazel...
Nous ne pourrions pas être plus di érents l’un de l’autre.
Comme autrefois à la fac, elle me paraît d’une réalité
implacable. Elle me donne l’impression d’être un idiot en
tenue de travail, dans un train du soir, en pleine tempête de
neige.
Elle me donne l’impression d’être un idiot parce que j’avais
oublié à quel point elle est belle – et elle l’est encore plus
qu’à l’époque.
Je veux apprendre à connaître cette femme. Je veux savoir
pourquoi elle rêve de démons de glace, et ce qui la fait
frissonner.
Je veux m’excuser pour le passé, la convaincre que je vaux la
peine d’être connu maintenant, même si j’ai gâché notre jeu.
Peut-être pas, du coup.
C’est un point aussi bon qu’un autre pour commencer.
— Tu as gagné, dis-je clairement. Je n’ai pas pu tenir. J’ai
oublié, pendant une seconde, que je t’avais fait cette
promesse. Mais je m’en suis souvenu avant. Je m’en suis
souvenu quand tu t’es assise, et c’était di cile, parce qu’à la
seconde où j’ai réalisé que c’était toi, après toutes ces
années, j’ai eu envie de dire tellement de choses. Je voulais
me lever et te dire tout ce que j’avais sur le cœur.
J’ouvre mes bras en croix.
— Franchement, je ne suis pas très à l’aise avec ça. Même
maintenant. Putain, Sam. Elle n’a pas besoin d’entendre ton
histoire. C’est ce que je me suis dit. Alors, j’ai gardé la bouche
fermée, et si on ne s’était pas arrêtés, je n’aurais rien dit. Je
me suis souvenu de ma promesse, si ça vaut quelque chose.
Ses yeux vont et viennent comme pour m’évaluer. Enfin, elle
hausse les épaules.
— C’est une soirée bizarre.
C’est tout.
Je déballe tout pour elle, m’ouvrant comme jamais, et elle
hausse les épaules en disant simplement que c’est une soirée
bizarre.
— Tu as changé, dis-je avec toute l’admiration et
l’honnêteté dont je peux faire preuve.
Ça me plaît. J’aime son mordant, sa vivacité, sa force.
Elle acquiesce.
— Ça fait longtemps.
Une autre déclaration neutre et sobre.
— Tu as changé, toi ?
J’expire longuement. Voilà, c’est mon ouverture.
— Oui, un peu, dis-je. J’ai réalisé que j’étais accro.
Elle jette immédiatement un œil aux verres entre nous.
J’ai l’habitude. Sans me dérober à sa question tacite, je
reprends :
— Pas l’alcool, je ne bois pas beaucoup. Je n’ai pas besoin
d’une autre dépendance dans ma vie, et je n’aime pas
su samment ça pour en abuser. Non, je suis un accro au jeu.
Mais je suis en voie de guérison depuis presque quatre ans.
Elle écarquille les yeux.
— Les cartes ?
Et comment. À la fac, mes parties de poker étaient
légendaires. Elles passaient même avant Regan, avant le
sport, avant tout ce qui aurait dû avoir de la valeur à mes
yeux.
— Cartes, courses hippiques, argent. Je...
D’un geste, je désigne mon costume.
— Je ne suis plus vraiment dans les chi res, une bonne
partie du métier de banquier d’a aires. Je me suis e ondré il
y a quelques années. Mon frère a eu un tas d’ennuis. On en
est sortis mal en point, mais meilleurs aussi. Maintenant il
gère le côté investissement de la boîte, et moi, je rends visite
à nos clients les plus excentriques qui aiment mon côté
original.
Elle rit légèrement.
— Tu as l’air d’un gigolo.
— Presque, dis-je d’un ton bourru.
— C’est pour ça que tu vas à Ottawa ce soir ?
Il acquiesce.
— Nous avons une cliente là-bas. Je rentre demain matin.
— Tu y vas juste pour une nuit ? fait-elle, les yeux pétillants.
Alors, tu es vraiment un gigolo ? Je ne juge pas.
Je souris.
— Non, mais je devais passer la nuit avec elle.
L’expression sur le visage d’Hazel est impayable. Une pointe
de jalousie presque imperceptible, que j’apprécie, suivie
d’une curiosité franche et directe.
— Parce que c’est une noctambule, précisé-je. Nous dînons
tard, généralement, puis nous passons la nuit à étudier ses
comptes avant de prendre le petit-déjeuner ensemble.
Parfois, nous finissons tard dans la nuit et je dors un peu,
d’autres fois, c’est une nuit blanche jusqu’à ce que je
reprenne le train.
— Ça fait un long voyage aller-retour. Pourquoi ne pas
prendre l’avion ?
Je fais la grimace.
— Je, euh... je ne peux pas.
Elle écarquille les yeux et sa voix s’adoucit.
— Phobie ?
— Délit d’initié.
Elle ouvre la bouche et lâche un petit « hmm » intrigué.
— Oui, dis-je avant de m’éclaircir la gorge. Ce n’est pas
universel. Je peux prendre l’avion. Mais pas sur les deux
compagnies que j’ai mises en danger. Avec le recul, c’était
stupide de me mettre à dos les deux compagnies aériennes
nationales comme ça.
Puis un rictus amer me vient, parce que je sais que ça
pourrait être bien pire. Ça l’a été, pendant quelques années.
C’était violent, un vrai gâchis entièrement par ma faute.
Maintenant, ma vie est de nouveau sur les rails.
— C’est un inconvénient, mais ça va, je ne suis pas en
position de me plaindre. Je pourrais être en prison, alors l’un
dans l’autre...
— J’imagine que c’est une sacrée histoire, dit-elle, les yeux
encore écarquillés. Enfin, je ne veux pas être indiscrète.
— Si, vas-y. L’une des douze étapes consiste à prendre mes
responsabilités et à accepter ce que j’ai fait.
— À ce qu’il paraît, mais c’est la première fois que j’en ai
une représentation aussi honnête.
Elle fait une pause lorsque le chariot des repas s’approche de
nous.
— Dinde festive, saumon ou lasagnes, mademoiselle ?
— Des lasagnes pour moi, s’il vous plaît.
Je prends la même chose.
Elle me regarde avec curiosité pendant que nous mangeons.
— Pose-moi tes questions, proposé-je enfin.
— Sérieusement ?
— Ce n’est pas comme si tu étais une inconnue, dis-je à voix
basse. Tu m’as connu sous mon pire jour.
— C’était ton pire jour ? Et tu as fini par faire... commence-
t-elle avant de s’humecter les lèvres. Quelque chose qui t’a
fait bannir des avions ?
— Ça faisait partie de l’accord. C’est presque terminé. Je
pourrai prendre l’avion pour Ottawa l’année prochaine,
même si je suis sûr que j’aurai des ennuis les premières fois.
— Tu as l’air plutôt détendu à ce sujet.
Je pars d’un rire sans joie.
— Je me suis habitué au caractère surréaliste de ma
situation. Et encore une fois, c’est entièrement ma faute.
— Tu as besoin de le rappeler ?
Toujours. Je prends une profonde inspiration.
— J’ai gâché ma vie avant qu’elle commence vraiment. Je ne
veux pas refaire la même erreur. En général, je suis partisan
d’une honnêteté sans faille. Ça permet de rester humble.
— Mais ça ne t’a pas dérangé que je te donne un autre nom ?
Non, en e et. J’étais plus curieux qu’autre chose.
— Tu avais tes raisons.
Elle hésite.
— Non ? ajouté-je en arquant un sourcil.
Je m’en fiche un peu. Elle ne me doit rien. Lentement, elle
sourit.
— Honnêteté sans faille ? fait-elle.
— C’est une bonne politique.
Elle se lèche les lèvres, le bout de sa langue rose et preste.
— D’accord. Alors, tu vois, Aibhlin, c’est mon nom
maintenant. D’une certaine manière. Je suis écrivain. C’est
un nom de plume.
— Qu’est-ce que tu écris ?
— Des mots qui forment des phrases. Beaucoup de mots.
Je réprime un petit rire.
— Comme c’est mystérieux.
— Hmm.
Ses yeux pétillent, maintenant, alors je me lance :
— Tu appréciais notre petit jeu jusqu’à ce que je le gâche ?
Elle pince les lèvres, puis acquiesce.
— Oui.
— Dommage. Moi aussi.
Je repense à son histoire de démon de glace.
— Tu es une bonne conteuse. J’adorerais lire quelque chose
d’autre que tu as fait. N’importe quoi.
Ses joues rosissent un peu.
— Tu aimes l’érotisme et les dinosaures ?
Heureusement que je n’ai pas enfourné cette bouchée de
lasagnes avant qu’elle me dise ça, parce que j’aurais tout
recraché.
— Il y a une première fois pour tout.
Je ne peux m’empêcher de remarquer mon timbre soudain
rocailleux.
— Oh, tant mieux, fait-elle en clignant innocemment des
yeux.
— Est-ce que tu...
Je prends mon verre, attends un peu, et comme elle ne
complète pas ma phrase, je vide mon reste de whisky.
— Euh, c’est ce que tu écris ?
— Non, répond-elle avec un clin d’œil. Mais c’était drôle.
— C’est ça, mort de rire.
— Il n’y a rien de mal avec le dino porn, Sam.
— Il y a une di érence entre le porno et l’érotisme, Hazel.
Elle se fige.
— Oui, dit-elle lentement. En e et.
— On blague encore, là ?
— Oui, fait-elle tout en se passant nerveusement la langue
sur les lèvres. Ou plutôt, non. J’écris des livres érotiques. Ça,
c’était vrai. Sans dinosaures, cela dit, ni démons de glace.
— Dommage,
Mon pouls s’accélère à l’idée qu’Hazel puisse écrire quelque
chose d’érotique.
Au-dessus de nos têtes, le haut-parleur se déclenche :
— Toutes nos excuses pour cette longue attente, messieurs dames.
Malheureusement, en raison de la météo et d’autres
circonstances, nous devons faire demi-tour et retourner à
Toronto. Nous arriverons à vingt-deux heures. Si vous n’êtes pas
de Toronto et que vous avez besoin d’aide pour la nuit, veuillez
vous adresser aux agents de la gare pour connaître les possibilités
d’hébergement.
Hazel fait grise mine alors que le train commence à repartir
en sens inverse.
— Ça craint.
Je lance une nouvelle recherche sur Twitter. Aucune mise à
jour sur l’incident en cause.
— Oui.
— Tu vas essayer de reprendre le train demain ?
Je secoue la tête. Je suis déjà en train d’envoyer un e-mail à
ma cliente.
— Cette réunion sera reportée après le Nouvel An. Et toi ?
— Je pars en vacances et j’ai des réservations que je ne veux
pas annuler, alors je repars demain matin. Espérons que les
chambres qu’ils nous trouveront ne seront pas trop
éloignées de la gare.
Je hausse les sourcils.
— Tu n’habites pas à Toronto ?
— À Stratford.
Je ne l’aurais pas imaginée vivre dans une petite ville.
— Fascinant.
— Tu trouves ? répond-elle en riant. Pourquoi ?
— Je ne sais pas.
C’est mon tour de sourire.
— Où croyais-tu que j’avais atterri ? Enfin, tu n’as sûrement
pas pensé à moi.
— Si, j’ai pensé à toi. De temps en temps.
J’ai la gorge nouée, épaisse en pensant aux années
d’insouciance qui ont suivi la remise des diplômes.
L’ascension de Luke jusqu’au sommet dans le milieu de la
bourse, à Bay Street, le lancement de notre propre cabinet.
J’aurais dû penser à Hazel plus souvent, me rappeler sa
dérision envers moi et en tirer une leçon, au lieu de
l’apprendre à la dure, après avoir tout risqué.
— Je ne sais pas. Je me suis demandé ce que tu devenais. Je
n’ai pas pensé à une ville en particulier, cela dit. Je crois que
dans mes souvenirs, je nous ai figés dans le temps, ce soir-
là.
— Ce soir-là ?
Elle a sou é ces trois mots et une douce chaleur se propage
sur ma peau.
— Oui.
Elle cligne lentement des paupières, et bon sang, je tuerais
pour qu’on soit seuls dans ce train, en ce moment, pour qu’il
y ait un coin sombre, quelque part, où nous pourrions
rejouer la scène de ce soir-là, cueillir la chance d’un autre
baiser coquin pour tester ce crépitement encore très présent
entre nous.
— De quoi te souviens-tu ? demande-t-elle.
Mes bourses se resserrent contre mon corps lorsque je baisse
les yeux sur sa bouche.
— Je me souviens que je voulais parler. Le bruit était trop
fort et toutes les personnes qu’on connaissait étaient là,
alors tu voulais t’éloigner de la piste de danse.
Elle se passe la langue sur les lèvres.
— Tu te souviens de ce dont tu voulais parler ? J’ai essayé de
m’en souvenir, comment cette soirée a commencé.
— Regan sortait avec quelqu’un d’autre depuis peu, dis-je
lentement. Et ça m’allait. J’étais content pour elle, même si
c’était un peu amer parce que j’avais merdé et perdu une
super fille. On n’était pas destinés à être ensemble pour
toujours, mais je regrettais de ne pas avoir été un meilleur
petit ami pendant notre relation. Alors, je m’apitoyais un peu
sur moi, je me sentais mal pour elle, et puis tu es arrivée. Tu
étais juste... toi-même. Percutante, futée, provocatrice. Je ne
pouvais pas garder mes distances. Et je voulais savoir si tu
étais au courant pour le nouveau petit ami de Regan, si tu
savais qu’elle était passée à autre chose. Maintenant que je le
dis à voix haute, c’est vraiment très immature. Je le sais,
mais c’est comme ça. Bienvenue dans l’esprit d’un connard
de vingt et un ans.
— Je ne le savais pas, figure-toi. Je l’ai appris le lendemain.
Ses mots glissent comme de la soie, doux et secrets.
Une pensée troublante me vient à l’esprit. Est-ce que ça aurait
fait une di érence ? Mais c’est inutile de revenir en arrière.
— Sans vouloir trop insister, quand je pense à toi au fil des
ans, c’est toujours avec tendresse. La fille qui m’a tourné le
dos.
Je souris avant d’ajouter :
— Et c’est bien mieux comme ça. Il m’a fallu des années
pour me ressaisir.
— Tu l’as vraiment échappé belle, alors ? répond-elle avec
un clin d’œil. J’ai pensé à toi, moi aussi. Même si, dans mes
souvenirs, tu ne m’as pas tourné le dos.
— J’imagine, dis-je, un peu sèchement, mais avec a ection.
— Ce baiser, par contre...
Sa voix devient douce et rauque.
— J’y ai pensé. Je me suis demandé où ça nous aurait menés.
Et jamais parmi toutes ces éventualités je n’ai pensé à ça.
Elle écarte les mains.
— Quelles étaient les probabilités ?
Une fois de plus, elle cligne lentement des yeux. Ses cils ont-
ils toujours été de ce brun foncé si riche ourlé de pointes
blondes ? J’étais si bête, il y a dix ans, que je ne l’ai peut-être
pas remarqué. Elle sourit.
— Il y a certains éléments de cette soirée que j’ai utilisés
dans mes histoires. La façon dont tu...
Elle s’interrompt et regarde mes mains, puis remonte vers
mon visage.
Et elle rougit.
Je n’ai pas la chance de connaître la suite – la façon dont je
quoi ? –, car l’agent de bord passe récupérer nos plateaux
repas.
Après son départ, elle change de sujet.
— Tu es resté en contact avec des gens depuis la fac ?
— Il y en a qui sont restés en ville et qui se sont lancés dans
le monde des a aires. Je les vois de temps en temps. Je suis
resté en contact avec certains des gars jusqu’à ce que tout
implose. J’ai participé à quelques enterrements de vie de
garçon à Las Vegas, ce genre de trucs. Mais tout ça, c’est du
passé.
À l’exception d’une personne.
— Et je n’avais pas gardé contact avec Regan, mais je lui ai
écrit l’année dernière. Une partie de la réparation, dans le
processus de repentance, consiste à reconnaître avec
honnêteté le mal que j’ai causé. Elle m’a répondu en me
souhaitant bonne chance.
— Elle ne m’a pas dit que tu l’avais contactée, murmure
Hazel. On se parle régulièrement, et on suit la vie l’une de
l’autre en ligne.
Elle hésite avant d’ajouter :
— Elle est mariée. Elle te l’a dit ?
— Oui. Avec deux enfants. Elle a l’air heureuse. Je suis
content.
Hazel acquiesce.
— Oui, elle est heureuse.
— Est-ce qu’elle sait que nous nous sommes embrassés, à
l’époque ?
Ses yeux s’embrasent.
— Bien sûr qu’elle le sait. Je ne lui aurais pas caché ça.
Non, bien sûr que non. Mon cou rougit et mon ventre se noue
sous l’e et de la honte.
— Je lui parlerai de ça aussi, dit Hazel en prenant sa lèvre
inférieure entre ses dents. Bien que maintenant, je me
demande pourquoi elle ne m’a pas dit que vous vous étiez
contactés.
— Peut-être pour la même raison que je lui ai écrit à elle, et
pas à toi ? Tu as été très claire avec moi sur le fait que tu ne
voulais plus entendre parler de moi.
Elle sourit avec ironie.
— C’est vrai.
Puis elle fronce le nez.
— Quoi ? demandé-je.
— Tout ça, c’est assez... bizarre. Tu ne trouves pas ?
— Oh si, c’est sûr. Mes émotions sont dans tous leurs états,
là.
Elle s’escla e.
— Arrête.
— Ça ne se voit pas ?
Son regard coule sur moi. Elle prend son temps et je
commence à avoir envie d’autre chose que ses yeux sur mon
corps.
— Non, dit-elle finalement, reportant son attention sur mon
visage. Mais peut-être que je n’ai pas été assez attentive.
Qu’est-ce que tu ressens en ce moment ?
Rien d’approprié dans le cadre d’un train, même si nos
sièges sont privés.
— Que j’aimerais vraiment continuer cette conversation
quand nous serons de retour à Toronto. Tu pourrais...
Elle secoue la tête.
— Non.
— Écoute-moi. Ensuite, tu pourras dire non et nous
prendrons des chemins di érents si tu penses vraiment que
c’est mieux. La prochaine fois que je te verrai, si j’en ai le
plaisir, j’attendrai que tu te présentes, quel que soit le nom
que tu utiliseras alors.
Elle presse ses lèvres l’une contre l’autre et attend.
Je n’arrive pas à déchi rer l’expression de son visage, mais
je continue quand même.
— Nous sommes trois jours avant les vacances. Comme tu
l’as dit toi-même, quel genre de chambre est-ce qu’ils vont
te trouver ? Mon appartement n’est pas loin d’Union. J’ai une
chambre de libre. Tu es la bienvenue chez moi ce soir.
Comme ça, nous aurons le plaisir de poursuivre ce tête-à-
tête.
Je me penche et ajoute :
— J’ai apprécié d’apprendre à te connaître à nouveau, Hazel.
Pour ce que ça vaut.
— Une chambre d’amis ?
— Comme tu voudras.
Elle tourne la tête sur le côté et regarde par la fenêtre.
— Nous sommes presque arrivés. J’aperçois les lumières de
la ville.
— La gare va être en e ervescence. Tu as vraiment envie de
faire la queue pendant des plombes alors que je peux
t’o rir...
Je dresse un inventaire mental du contenu de mon frigo.
— Du vin, de l’eau, et peut-être même du thé, si mon lait
n’est pas périmé.
Elle ne répond pas tout de suite. Le haut-parleur annonce
que nous sommes à cinq minutes d’Union Station.
Au moment où le train s’arrête dans l’antre caverneuse de la
gare, je suis sûr qu’elle va refuser. Mon cœur se serre alors
qu’elle rassemble lentement ses a aires, puis m’adresse un
sourire doux-amer.
— Je vais t’accompagner dans le hall, dis-je, reportant de
quelques minutes le moment des adieux.
Elle ouvre la bouche, mais ce qu’elle allait dire s’éteint sur
ses lèvres. Au lieu de quoi, elle hoche la tête dans un
mouvement bref et décisif.
— Ça me plairait.
QUATRE
HAZEL

Nous sommes les derniers à sortir du train, et dès que je


descends sur le quai, Sam est à mes côtés. Il prend mon
bagage à main, laissant nos bras se frôler pendant que nous
marchons côte à côte.
Je peux le sentir même à travers nos vestes d’hiver. Moi dans
ma parka, lui avec un pardessus en laine.
— Voilà, dis-je après que nous avons monté l’escalier.
Il y a déjà une longue file d’attente devant le guichet. Les
passagers ont tous l’air mécontents et un brouhaha furieux
se fait entendre, alors que des centaines de projets de
vacances sont remis en cause, modifiés et anéantis.
— Voilà, répète-t-il. Écoute...
— Je devrais faire quelque chose avec mon billet.
Mais je ne bouge pas. Je ne veux pas attendre mon tour dans
cette ligne.
Je ne veux pas dire au revoir, parce que nous sommes déjà
passés par là. Nous avons laissé cette histoire en suspens
pendant une décennie, et ça ne m’a pas plu.
— Tu voudrais coucher avec moi ? demandé-je tout à trac.
Ce n’est pas du tout comme ça que je l’aurais écrit dans un
livre. Mais rien ne se passe jamais comme je l’écris dans mes
livres, alors pourquoi serait-ce di érent ?
— Si je venais chez toi ? ajouté-je.
Il sourit et passe une main dans ses cheveux parfaits, les
ajustant de sorte qu’ils deviennent encore plus parfaits.
— Tu voudrais, toi ? Hazel, j’ai eu un baiser il y a dix ans et
j’en ai toujours voulu plus. Je ne vais pas faire semblant
d’être un boy-scout. Mais quoi qu’on fasse, tout dépend de
toi. On peut simplement parler. Ou peut-être qu’on
pourrait...
Il baisse les yeux sur ma bouche et je peux encore y sentir ses
lèvres. Le seul baiser que nous avons partagé. La raison pour
laquelle je ne voulais plus lui parler, plus jamais.
— Tu veux essayer un autre baiser ?
— Oui, chuchoté-je. Attends. Non.
Je regarde autour de moi. Pas ici.
Je lui tends la main, la referme autour de son poignet et
l’entraîne, l’éloignant du hall principal en direction d’un
couloir, après le salon de la classe a aires.
Ce n’est pas un recoin sombre en boîte de nuit, mais c’est un
peu plus privé.
Je m’arrête et me retourne, franchissant l’espace entre nous.
— Bon, sou é-je d’une voix légèrement chevrotante.
— Ça me dit quelque chose, murmure-t-il. Tu vas bien ?
— La journée a été longue et j’étais censée m’o rir une
petite escapade, mais j’ai croisé un garçon que j’avais
embrassé autrefois, dans le train, et puis un démon de glace
nous a arrêtés, et maintenant, je pense que je vais
l’embrasser à nouveau. Je me sens un peu submer...
Je déglutis lorsqu’il passe ses doigts sur ma joue.
— ... gée, ajouté-je dans un murmure.
— C’est une sacrée journée.
Il se penche en avant. Son sou e est chaud alors que nos
visages se rapprochent l’un de l’autre.
— Tu vas l’embrasser, ou tu veux qu’il t’embrasse ?
Je me dresse sur mes orteils, lui o rant ma bouche. Ses
lèvres sont chaudes et fermes, cédant à mon exploration. On
dirait qu’il sourit et ça me plaît. J’aime encore plus quand il
glisse ses mains dans mes cheveux.
Ces dix années ont changé sa façon d’embrasser. Le cadre est
aussi très di érent.
Mais je reconnais cette bouche. Pas très bien. Juste un
souvenir fugace et parfait. Un souvenir aigre-doux qui
ressurgit de temps en temps et fleurit à nouveau dans mon
esprit.
Il y a longtemps, alors que nous étions tous deux des
personnes très di érentes, nous avons voulu coucher
ensemble et, pour de très bonnes raisons, nous avons choisi
de ne pas le faire. J’ai choisi de ne pas le faire, en tout cas.
Ce soir, j’ai envie de faire un choix di érent.
Je m’adosse contre le mur, laissant un léger espace entre
nous. C’est trop, mais nécessaire pour une conversation.
— Alors, ta proposition...
— Oui.
Sam expire péniblement, puis il maintient son bras au-
dessus de ma tête et me regarde avec un sourire alangui
après notre baiser.
— Thé, et euh... de l’amitié. Une chambre d’amis si tu veux.
— Je ne veux pas de la chambre d’amis. Quand j’ai demandé
si tu voulais coucher avec moi, je voulais dire que moi, j’ai
envie. De coucher avec toi.
Il me regarde en clignant des yeux.
— C’est trop direct ?
Après un juron étou é, il me plaque contre le mur avec une
grande douceur, sa bouche chaude et exigeante sur la
mienne.
Non. Rien n’est trop direct pour Sam Preston.
Parfait.

Finalement, nous cessons de nous embrasser su samment


longtemps pour que je puisse passer rapidement dans la file
d’attente – plus courte, désormais – et échanger mon billet.
L’agent m’explique qu’ils essaient de prévoir un autre train
pour le lendemain, mais ils ne peuvent pas encore me dire à
quelle heure il passera.
À l’évidence, il sera trop tard pour que je rejoigne mon
luxueux chalet de Noël.
Mais je m’en fiche.
Quand je retourne auprès de Sam, il a une bonne nouvelle à
m’annoncer. Il y a bien eu un accident sur la voie ferrée,
comme la police provinciale vient de le confirmer, mais c’est
un miracle de Noël qu’il n’y ait pas eu de décès.
Cette fois, je l’embrasse en plein milieu du hall. Quand nous
nous séparons, Sam prend les devants et me guide vers
l’extérieur. C’est relativement calme, maintenant, seulement
quelques piétons qui marchent dans la neige boueuse sur
Front Street. Les flocons continuent de tomber sur la ville
depuis un certain temps, la recouvrant d’un joli silence.
Il fait signe à un taxi qui attend et m’aide à monter sur la
banquette. Puis il donne une adresse que je ne reconnais pas,
et lorsque nous nous dirigeons vers l’ouest, je comprends
pourquoi : Sam habite dans un quartier qui n’était qu’une
zone industrielle du temps où nous étions à la fac.
Aujourd’hui, c’est un véritable village en ville, avec des
maisons en enfilade magnifiques dans des rues toutes
nouvelles, des restaurants attrayants et des lofts réaménagés
dans les anciens entrepôts.
C’est devant l’un d’eux que nous nous arrêtons.
Malgré ses déboires avec la justice, Sam s’est bien débrouillé.
Il ne dit rien jusqu’à ce que nous soyons dans l’ascenseur.
Mais une fois que nous sommes seuls, il se penche et pose
ses lèvres sur ma tempe.
— Ai-je bien précisé que, même si j’ai joué et perdu
beaucoup d’argent, j’ai remboursé toutes mes dettes ? J’ai
vécu pendant deux ans sur le canapé de mon frère. J’ai
emménagé ici il y a six mois. Je ne te séduirais tout de même
pas en te ramenant dans un repaire acheté par des moyens
douteux.
Je penche ma tête sur le côté pour le regarder de profil.
— J’avoue que je me posais la question. Juste un peu.
— Je suis un livre ouvert, dit-il, sa voix vibrant contre ma
peau. Sur mes erreurs et n’importe quoi d’autre.
— Quoi donc ?
Ses lèvres esquissent un sourire.
— Pose toutes les questions que tu voudras.
Au lieu de quoi, je confesse un terrible et sombre secret :
— Je voulais tellement être avec toi, à l’époque. C’était
a reux, parce que je pensais que tu étais horrible...
— Je l’étais.
Il sourit et j’ai comme une boule au ventre.
— Mais je te voulais quand même. En fait, non, je te voulais
parce que tu étais horrible. Le charme impénitent du bad-
boy, je crois.
— Ne me dis pas que tu es déçue de découvrir que j’ai
retrouvé le droit chemin.
Je ris et me retourne pour pouvoir le regarder en face, pour
qu’il puisse voir mon visage.
— Pas du tout. Quand j’ai réalisé qui était assis en face de
moi, j’étais... méfiante. Le Sam que je connaissais présentait
un attrait un peu malsain, auquel mon moi écervelé de vingt
et un ans a succombé l’espace d’un instant, mais je ne serais
pas rentrée à la maison avec lui.
— Il ne te méritait pas, dit-il en se pressant contre moi,
écartant mes cheveux du col de ma veste. Mais je peux
toujours être méchant.
— Tant mieux, dis-je en humectant mes lèvres sèches. Moi
aussi, je peux être méchante.
— Je n’en doute pas. Je peux te demander quelque chose ?
Ce n’est que justice.
— Oui.
— Tu as commencé à me dire quelque chose dans le train. Ça
t’a fait rougir.
Le bout de ses doigts remonte le long de mon cou et se pose
sur mes joues.
— J’aime te voir rougir. Tu veux bien me dire ce que c’était ?
De quoi te souviens-tu de la soirée où nous nous sommes
embrassés ?
Mon pouls redouble de vigueur.
— Tu as pris mon poignet entre tes doigts. C’était... enfin,
bien sûr, tu l’as fait uniquement pour me faire traverser la
piste de danse, mais il y avait quelque chose dans la façon
dont tu tenais mon bras. C’était agréable.
Il gémit lorsque l’ascenseur s’arrête.
— Et ce souvenir t’a fait rougir ?
La chaleur m’envahit.
— Oui, clairement.
Il prend mon visage entre ses paumes et m’embrasse tout
doucement.
— D’accord, on peut jouer à ça...
Je ne suis pas naïve. J’ai passé les dix dernières années à faire
de mon mieux pour naviguer dans le marécage des
rencontres, mais trop souvent, le sexe s’est avéré une
expérience médiocre.
Quand c’était bon, c’était vraiment exceptionnel.
Mais quand c’était mauvais, en revanche, rebutant serait
encore un terme trop clément. Alors, j’ai appris à être directe
en matière de désirs. Certains mecs ont un peu de mal avec
ça.
Mais pas Sam. Pas ce Sam, en tout cas. Un adulte qui a
assumé ses erreurs et, comme je le constate quand il ouvre la
porte de son appartement, s’en sort avec un très beau loft.
Je si e en franchissant le seuil. C’est terriblement vide,
mais pas froid. Il y a un énorme canapé au milieu de l’espace
ouvert, avec de nombreux oreillers et un plaid épais. Il a l’air
doux, agréable au toucher. Le parquet de bois sombre, entre
le canapé et nous, est entièrement nu. En face, il y a une
télévision sur le mur et une large bibliothèque basse en
noyer, juste en dessous. C’est tout pour la pièce à vivre.
Partout où je porte le regard, le parquet s’étend, menant
d’un côté vers une cuisine à aire ouverte, et de l’autre, vers
plusieurs portes. Des tableaux d’art abstrait et des sculptures
décorent les lieux, donnant à son loft des allures de galerie
plus que de lieu de vie. C’est à couper le sou e.
— C’est un très bel appartement. Waouh, tu as une...
magnifique collection d’art.
— Presque tout est l’œuvre de ma belle-sœur. Ce sont des
peintures qu’elle m’a o ertes. C’était un cadeau de
pendaison de crémaillère, parce qu’elle était trop heureuse
de me virer de son canapé. J’ai abusé de son hospitalité un
peu trop longtemps, à m’apitoyer sur mon sort.
Je retire mon manteau d’un mouvement d’épaules et il le
prend. Pendant qu’il le suspend, je me rapproche d’une
sculpture, mélange de plusieurs matières. Elle représente
une femme.
— Est-ce qu’elle... se masturbe ?
Il rit avant de soupirer.
— Oui. La plupart ont une connotation érotique. C’est le truc
de Grace. L’art érotique centré sur la femme.
— J’adore.
Je passe à l’œuvre suivante, un tableau dont se dégage une
belle ambiance, puis je tombe en arrêt devant une statue
dressée contre un coin du mur.
— J’aime vraiment tout ça. Elle a beaucoup de goût.
— Elle sera ravie de ce compliment, et de la part d’une autre
créatrice, en plus.
Je tourne la tête et lui souris.
— Je ne t’ai toujours pas dit mon nom de plume. Peut-être
que j’ai inventé tout ça pour notre histoire de démon de
glace.
— Vraiment ?
Je ne réponds pas.
— Nous avons entamé une conversation intéressante dans
l’ascenseur.
Il a retiré sa veste de costume ainsi que son pardessus, et je
tends la main, pressant mes paumes contre la chemise en
coton blanc et souple qui recouvre son large torse. Il est plus
grand maintenant qu’à l’université. Mais son corps aussi
s’est développé.
— J’ai écrit un poème sur toi une fois, murmuré-je, mes
yeux vagabondant sur la forme de son corps.
Il frissonne.
— Il était une fois un connard à Toronto ? propose-t-il.
J’éclate de rire.
— Non. C’est joli. Ça s’appelle...
Je recule d’un pas sans terminer ma phrase. Il se rapproche.
Je recule encore et nous traversons le loft comme ça, dans un
jeu de prédateur et de proie.
Au moment où nous atteignons les baies vitrées de l’autre
côté, mon corps bourdonne.
— Hazel, fait-il d’une voix grave. Dis-moi.
— Les sons que j’imagine dans ta bouche, chuchoté-je alors
qu’il me coince contre la vitre froide. Un murmure
grasseyant / Un soupir enchaîné / Sou e court /
Gémissement rauque.
— Oh, je vais gémir pour toi, répond-il en baissant la
fermeture de mon sweat à capuche.
Je ferme les yeux lorsqu’il trouve la peau nue de ma taille,
puis glisse ses mains sous mon chemisier, sur mon ventre,
mes côtes, de part et d’autre de mes seins.
— À genoux devant toi / Ou au-dessus, la tête basse.
— Tu as envie de me sucer ? Je n’aimerais rien de plus que de
voir ma queue dans ta belle bouche.
Je souris et continue.
— Sous ton corps, plaquée / Mes poignets joints sur
l’oreiller.
Il gémit, à présent, pour de vrai, et enfouit son visage dans
mon cou. La bouche ouverte. Moite, avide. Alors qu’il suce
ma peau, la chaleur monte entre nous. Mais je n’ai pas
encore fini.
— J’aimerais soutirer ton plaisir / De mille et une manières /
Quand les sons que j’imagine dans ta bouche / Me
tourmentent, chaque fois.
Je termine dans un halètement.
— Sam, s’il te plaît.
Il lève la tête, ses yeux sombres et brillants.
— Dis-moi que c’est dans le poème. Sam, s’il te plaît. Rien ne
me rendrait plus heureux. Je pourrai mourir heureux.
Je souris.
— Ce n’est pas le cas, mais je le réécrirai comme ça si tu me
fais jouir deux fois ce soir.
— Et qu’est-ce que je recevrai pour le troisième et le
quatrième orgasme ?
— Toujours aussi arrogant, à ce que je vois.
— Ce n’est que mon envie de te satisfaire, petite poétesse
sexy.
Il m’embrasse à nouveau, profondément et intensément, sa
langue brutale absolument parfaite, avec une certaine
tendresse aussi.
— Tourne-toi.
Je me retourne dans ses bras, mon sweat à capuche
abandonné sur le côté, et je suis surprise. La tempête s’est
levée, sou ant une brusque rafale de neige blanche. Nous
sommes assez haut pour voir que les flocons ne tombent pas
seulement en direction du sol, mais qu’ils sont aussi
ramenés vers le haut par le vent. C’est un combat violent et
furieux entre les éléments.
— Le démon de glace n’est toujours pas content, murmure
Sam à mon oreille. Qu’est-ce qui ne va pas maintenant ?
— Peut-être qu’il n’est pas en colère, sou é-je. Peut-être
qu’il est énervé. Excité.
À travers son pantalon de costume et mon pantalon de yoga,
je peux sentir l’épaisseur rigide de la verge de Sam. Elle
tressaille et pousse farouchement contre l’arrondi de mes
fesses. Il me mord le lobe de l’oreille.
Je suis collée contre la vitre, et s’il ne neigeait pas, quelqu’un
dans la rue en contrebas risquerait de me voir. Mais pour
l’instant, nous sommes seuls ici. Deux amants dans une
boule à neige.
— Tu as envie de me baiser, Sam ? Là, contre la fenêtre ?
Ses dents m’éraflent la nuque.
— Je veux te mettre sur mon lit et me coucher sur toi.
Il trouve mes bras et referme ses doigts autour de mes
poignets.
— À moins que tu veuilles rester ici.
Je veux d’abord avoir son membre dans ma bouche. J’ai envie
de me pencher sur lui et de le goûter, le faire haleter.
— Oui, ici, si tu veux bien.
— Oh, je veux bien.
Il resserre sa poigne, mais ses pouces restent tendres et
caressent ma peau de haut en bas alors qu’il se presse contre
mon corps avec une sensualité a olante.
— Je veux te consommer de toutes les manières possibles,
me glisser entre tes cuisses et t’embrasser là aussi. Je veux
goûter tes seins, ton ventre, ton dos. Tes fesses. Chaque
parcelle de ton corps.
— Oui, dis-je dans un sou e.
Ce que nous faisons n’a pas d’importance. Pas vraiment, du
moins. Tout sera bon, parce que je ne peux plus faire
semblant.
Aussi bizarre que ce soit, c’est Sam qui m’a découragée, à
l’époque. Et c’est une bonne chose, mais mon corps s’en
fiche. Je suis de retour à la fac, prête à faire quelque chose
d’imprudent et de follement érotique. Une erreur aussi
magnifique que glorieuse.
Je tire sur ses mains toujours agrippées à mes poignets. Il ne
me lâche pas et mes cuisses tremblent, depuis mes genoux
jusqu’à cet espace moite et engorgé qui les sépare.
— Dis-moi, Hazel, susurre-t-il à mon oreille, inondant mon
intimité d’une nouvelle vague d’excitation. Dis-moi ce que
tu veux.
— Mets-moi à genoux, murmuré-je. Force-moi à te sucer.
CINQ
SAM

Le sang cogne violemment à mes oreilles. Entre mes jambes.


Au fond de mon ventre, où les nerfs menacent de prendre le
dessus.
Mais ce soir, ce que veut Hazel, Hazel l’obtiendra. Je pose
mes mains sur ses épaules et la retourne.
— C’est ce que tu veux ? demandé-je aussi brutalement que
je viens de l’empoigner.
Je suis dur, inflexible. Comme si c’était sa dernière chance de
dire non, même si, bien sûr, ce n’est pas le cas. Je serai doux
avec elle, si ce n’est par le corps, du moins par mon
intention.
Ses yeux sont grands ouverts, mais les coins de sa bouche se
recourbent en un sourire langoureux et complice alors que je
glisse les doigts sur le côté de son cou, mon pouce e eurant
sa gorge. Puis mes doigts s’enfouissent dans ses cheveux et
je serre le poing.
— Oui, sou e-t-elle. Fais-le.
Je baisse la main, la guidant vers le sol, et elle replie les
jambes pour tomber à genoux.
— C’est bien, lui dis-je en tirant sur ses cheveux pour la
forcer à me regarder.
De ma main libre, j’agrippe la bosse grossière de mon
pantalon.
— C’est ce que tu veux ? Tu veux entendre ce que ça me fait
de sentir ta bouche rose et toute douce le long de ma queue ?
— Oui, s’il te plaît.
— Très polie, c’est bien.
Je me balance sur mes talons, frottant mon entrejambe
encore habillé contre son visage.
— Sors-la, Hazel. Joue avec moi. Fais-moi... Qu’est-ce que tu
voulais entendre, déjà ? Que je gémisse ?
Elle hoche la tête avec enthousiasme tandis que ses doigts
tâtent déjà ma fermeture éclair. Je lâche ses cheveux assez
longtemps pour l’aider. Je ne défais que ma ceinture et elle
fait le reste, tandis que ses doigts tirent sur l’élastique de
mon boxer. Mon sexe se dresse rageusement entre nous. Une
érection épaisse, rouge, mon gland déjà humide à la
promesse de sa bouche.
Ses lèvres s’écartent et elle sort sa langue avant de m’avaler.
D’abord en partie, puis tout entier. Elle remue la tête,
aspirant un peu plus à chaque succion, et quand elle se
retire, c’est pour mieux me donner envie d’avancer les
hanches et m’enfoncer profondément dans sa gorge.
Je ne fais pas que gémir. Je si e, je grogne, je geins son
prénom, et ce n’est pas pour lui faire plaisir. Ma main a
retrouvé le chemin de ses cheveux, moins serrée cette fois. Je
ne tarderai pas à retrouver ma brutalité avec elle. Je vais
l’attirer sur mes genoux et la remercier comme il se doit
quand elle aura fini d’aspirer jusqu’à mon âme.
— Hazel.
Son prénom est rauque, brisé sur mes lèvres.
— J’y suis presque.
Elle redouble d’e orts, sa langue tournoyant sous mon
membre. Elle me trait, je ne vois pas d’autre terme. Je sens
l’orgasme monter du plus profond de moi, puis mes bourses
se contractent et des giclées obscènes se déversent dans sa
bouche, qu’elle avale à grandes gorgées.
Oh, putain de merde.
— Oui, dis-je avant de reprendre une grande bou ée d’air.
Oui, mon Dieu, oui. Hazel, c’était parfait, putain. Tu es une
femme splendide. Viens ici.
Je m’adosse contre la fenêtre et lui tire doucement les
cheveux pour l’encourager à se lever. Elle le fait et
j’embrasse sa bouche parfaite et gourmande. Sa glorieuse
petite langue qui a encore mon goût et ses douces lèvres
gonflées qui viennent d’opérer leur magie.
Je referme mon pantalon et la prends dans mes bras pour la
porter jusqu’au canapé.
— C’était torride, dis-je une fois qu’elle est installée sur mes
genoux.
Je caresse la courbe de sa poitrine à travers son chemisier.
— Est-ce que tu avais imaginé ces sons-là ?
Elle sourit et se trémousse sur mes cuisses.
— Oui.
— Aussi bon que ton fantasme ?
— Tu es si arrogant, fait-elle en souriant. Oui, figure-toi,
c’est même encore mieux.
Je brandis un poing en l’air et elle me pousse, amusée,
provoquant une réaction de ma part. Bientôt, nous nous
chatouillons.
Elle glousse et je glisse mes doigts plus haut sous son
chemisier, soupesant ses seins dans mes mains.
— Je veux voir plus de ta peau.
Elle retire son haut, puis son soutien-gorge. Je l’attire tout
contre moi, approchant ma bouche de ses tétons. D’abord
l’un, puis l’autre. Mes dents la frôlent et j’aspire sa chair
tout en pinçant l’autre pointe brune et tendue.
Je me frotte d’avant en arrière jusqu’à saliver, ivre de son
goût et de ses réactions entre mes bras.
Je la fais basculer sur le canapé et m’avance sur elle. Ses
jambes autour de mes hanches, je la plaque sous mon corps.
— Tu as été tellement sage, murmuré-je entre deux baisers.
Elle gémit en réponse.
— Et maintenant, c’est ton tour. Je vais lécher ton adorable
petite chatte maintenant, Hazel. Tu peux rester immobile
pour moi ?
Elle lâche un petit cri lorsque je descends le long de son
corps. J’attrape son legging à la taille et le tire vers le bas,
emportant sa culotte du même geste. Je la déshabille en un
instant et je suis récompensé en la voyant rougir, plus encore
que dans le train.
Hazel, nue et étendue sur mon canapé, est une œuvre d’art
plus précieuse encore que tout ce qui se trouve sur mes murs.
Je souligne ses courbes du bout des doigts.
— Tu rougis, commenté-je alors que mes doigts remontent
le long de son cou pour passer sur ses lèvres.
Elle me lèche la main.
— Vraiment ?
— Oui. Et ça me fait bander. Tu sais ce qui me fait bander
aussi ?
Elle secoue la tête en souriant.
— Dis-moi.
— Quand je te pince la peau, elle prend la même jolie teinte
rose. Et maintenant, chaque fois que je t’imaginerai en train
de rougir, je me souviendrai de...
Ma main redescend sur son buste et elle halète.
— Ce son. Mon Dieu, il est parfait.
— Étais-tu aussi charnel il y a dix ans ? demande-t-elle, les
yeux hagards, en se mordant la lèvre.
— Je crois même que je n’étais pas aussi charnel il y a dix
heures, Hazel. Mais il y a une véritable alchimie entre nous,
alors qui sait ce qui se serait passé ?
Je me penche sur elle et prends l’un de ses tétons dans ma
bouche avec un bruit humide de succion.
Putain, oui.
Je n’en peux plus d’attendre.
Je dois absolument connaître le goût de la partie la plus
sensible de son anatomie. Je me laisse tomber sur le sol et
l’attire au bord du canapé, ramenant sa jambe par-dessus
mon épaule.
J’embrasse l’intérieur de sa cuisse. En atteignant le pli de
son aine, je prends un moment pour la respirer, apprécier la
beauté douce et délicate de son corps. Ses boucles sont
blondes, légères sur la peau plus foncée de ses lèvres avant
de laisser place au rose délectable de son sexe lisse et moite.
Je passe mon nez sur sa toison, puis mes doigts suivent le
même chemin.
Elle frissonne, mais reste immobile, comme je le lui ai
demandé. Je lève la tête assez longtemps pour l’encourager à
continuer comme ça et je m’incline, reprenant ma tâche.
Le premier goût est musqué et léger, le second plus fort, plus
doux. Je lui donne un coup de langue jusqu’à son clitoris,
puis j’en fais le tour, d’abord lentement, en léchant
longuement, avant de refermer ma bouche autour du
renflement dur et palpitant, que je commence à sucer.
Elle se décolle du canapé, ses mains dans mes cheveux, et
murmure mon prénom :
— Sam...
C’est bien. Je veux qu’elle dise mon nom quand elle jouira
sur mon visage. Je veux qu’elle perde la tête sous ma langue,
tout comme j’ai perdu la tête près de la fenêtre.
J’écarte ses cuisses avec mes avant-bras, l’ouvrant tout
entière à ma bouche, mes doigts, mes dents, juste pour
l’attiser, tout en mordillant ses lèvres.
— Oh, mon Dieu, oui, crie-t-elle. Sam, s’il te plaît.
— Dis-moi, ordonné-je. Dis-moi ce que tu veux.
— Baise-moi.
— Les préservatifs sont dans la chambre, bébé. Tu dois jouir
d’abord, puis je te traînerai dans mon lit. C’est ce que tu
veux ?
Je glisse deux doigts dans son fourreau étroit et glissant.
— C’est ça. Baise ma main.
Je penche à nouveau la tête et reprends son clitoris alors
qu’elle se plaque contre ma bouche.
Son orgasme est fougueux et rapide, à son image. Elle inonde
ma langue d’une explosion de sensualité et de passion, avec
ce quelque chose d’unique propre à cette soirée si spéciale, à
cette femme si spéciale.
J’enfouis mon visage dans la peau douce et tendre de
l’intérieur de sa cuisse lorsqu’elle repousse ma tête. Cette
femme, qui voulait que je la mette à genoux et qui me
caresse à présent les cheveux.
Soudain, elle éclate de rire et nous nous rappelons que je lui
ai demandé de rester tranquille.
— Tu pourrais me punir, dit-elle en riant, tandis que je me
déshabille.
Une fois que je suis nu, je la soulève du canapé et, espiègle, je
la pousse vers ma chambre.
— Je vais clairement te donner la fessée, à la seconde où je
t’attraperai, grogné-je.
Elle crie et détale devant moi, mais elle s’arrête juste après
avoir franchi le seuil.
— Oh, cette chambre est encore plus belle, dit-elle. La vue
est incroyable.
Je l’attrape par la taille et presse mon visage dans son cou.
Elle sent la chaleur et la féminité, je ne m’en lasse pas.
— Je t’ai attrapée.
— Tu m’as piégée avec la vue sur la Tour CN par ta fenêtre.
— Tant mieux, si ça me permet de prendre le dessus.
Je la soulève et nous fais tournoyer, la dirigeant vers le lit.
— Mets-toi à genoux.
Elle s’exécute, puis remue les hanches vers moi. Aussitôt, je
bondis. C’est moins une fessée qu’une lutte, au cours de
laquelle j’enfonce mes doigts dans la chair souple de ses
hanches pour la maintenir en place. Elle aime ça encore plus
que les petites claques assenées sur ses fesses.
— Je suis désolée, murmure-t-elle, les yeux pétillants quand
je la coince enfin.
Elle est étendue sur le dos et je suis entre ses jambes. La
moiteur de son sexe attire résolument mon attention, contre
la longueur à nouveau rigide de ma queue.
— Non, tu n’es pas du tout désolée.
Elle secoue la tête en riant.
— Tu as raison, même pas un peu.
— Alors, si je veux que tu restes tranquille, je dois te forcer ?
J’arque un sourcil d’un air menaçant et son visage devient
grave.
— Oui, je crois, répond-elle avec sérieux. Oh, non !
Putain, j’ai trop envie d’être à l’intérieur de cette femme.
— Viens ici, petite coquine, murmuré-je en entremêlant ma
main dans ses cheveux pour l’embrasser.
Sa langue, son sou e, le raclement de ses dents quand elle
les enfonce dans ma lèvre inférieure... tout cela est magique,
mais ça ne me su t plus. Encore. J’en veux encore.
Je l’emmène avec moi, roulant sur le côté du lit, et elle
pou e. Après avoir récupéré un préservatif, j’en prends deux
autres. Juste au cas où.
C’est ainsi que je la pénètre pour la première fois, tous les
deux sur le côté, l’un en face de l’autre. Le temps ralentit
alors que mon pouls s’accélère. Elle enroule sa jambe sur ma
hanche tandis que je déroule le latex le long de mon membre.
Ses doigts se referment autour de ma longueur lisse et elle
me guide en elle tandis que je l’attire à moi.
Son expression en cet instant est inoubliable. Les yeux
grands ouverts, de plus en plus ronds, et les lèvres écartées.
— Oh, fait-elle dans un sou e.
Je le sens aussi. Son étirement extrême. Elle est humide,
mais encore serrée. Même si son sexe avide a envie de moi,
elle n’est pas tout à fait prête. Mais alors, sa chaleur cède, et
centimètre par centimètre, elle s’empale sur moi jusqu’à ce
que je sois complètement enfoui.
— Sam...
Nous nous prenons ainsi, entremêlés sur le flanc. De l’autre
côté de la fenêtre, la neige tourbillonne toujours, telle une
couverture blanche nous protégeant du monde. Il n’y a pas
de précipitation, jamais je n’y suis allé aussi lentement.
Chaque coup de reins est un moment béat. Hazel ondule dans
le cercle serré de mes bras comme si elle avait toujours été là.
Et moi, je lui donne tout, trouvant ses réactions les plus
intimes et insistant jusqu’à ce qu’elle crie.
C’est magnifique. Elle est belle, mais l’acte lui-même
ressemble à son poème. Elle m’a écrit un putain de poème. Et
puis elle me l’a récité, le sou e court, alors que je ne mérite
pas une telle douceur.
Je lui ai dit exactement qui je suis.
Elle sait.
Et elle m’attire toujours en elle, se laissant aimer.
C’est beau, mais c’est brutal, aussi. Vulnérable. Exposé.
Elle me regarde comme si elle voyait jusqu’à mon âme, ce
qui devrait m’épouvanter. Mon âme a été assez révélée pour
toute une vie. J’ai été mis en pièces et jugé, confronté à mes
lacunes de la pire façon.
Je suis un paria de la société. Une menace.
Pourtant Hazel est juste là, et elle me laisse faire.
Elle sourit.
— Sam...
Mon Dieu, oui.
— Tu baises comme un dieu.
C’est de la baise. Pas de l’amour. Reste réaliste, Sam. Notre
conversation dans le train me trotte dans la tête. Nous ne
sommes pas romantiques, tous les deux. Je ne peux pas
confondre le sexe, aussi époustouflant qu’il soit, avec un
attachement émotionnel plus complexe.
Je roule sur le dos, l’entraînant avec moi.
— Chevauche-moi, Hazel.
Ses yeux brillent alors qu’elle se trémousse sur mon corps.
— Oblige-moi, Sam.
J’agrippe ses hanches et la pousse vers le haut. Clignant des
paupières, elle se presse contre moi, ma queue disparaissant
à nouveau en elle.
Mon cerveau est subjugué. C’est trop délicieux d’être
entièrement enfoui dans son fourreau doux et étroit. Je la
hisse à nouveau vers le haut et le halètement qu’elle émet est
une magnifique récompense. Elle résiste encore, glissant sa
chaleur sur moi. Nous jouons à ce jeu pendant quelques va-
et-vient supplémentaires, puis je prends le relais, la retenant
fermement en place pendant que je la baise par en dessous
avec force et vigueur.
Cette fois, mes coups de bassin sont implacables et
exigeants. Prends ça, jouis pour moi, prends ça, sois plus
parfait. Une éruption de sensations engourdit mes pensées
alors qu’elle commence à trembler. Mon pouce trouve alors
son clitoris, lui donnant une butée contre laquelle se frotter
alors que je m’enfonce dans un dernier élan impitoyable.
Et puis elle s’e ondre, et je jouis. Je jouis au plus profond
d’elle, mes pensées sens dessus dessous.
Si parfaite, si chaleureuse, si réelle.
Hazel.
Notre deuxième partie de jambes en l’air commence dans la
douche.
Elle se termine par une baise brutale et rapide sur le sol, à un
mètre de la douche, Hazel perchée sur mes genoux, mon
sexe enfoui profondément dans son fourreau étroit.
Elle presse son front contre le mien, les mèches humides de
ses cheveux autour de nous.
Un autre cocon. Un autre havre de paix où je peux me perdre
en elle.
Me laisser croire que je ne suis pas coincé dans un endroit
bizarre de ma vie, désespérément reconnaissant pour tout ce
que j’ai – tout en détestant chaque chose.
— Jouis pour moi, Sam, chuchote-t-elle.
Je m’exécute. Avec ferveur, rapidement et aveuglément.
Après avoir terminé notre douche, nous nous retrouvons nus
dans mon lit.
Dehors, la neige a cessé. Je fais un geste vers le ciel sombre
et la lueur lointaine d’une étoile.
— Le démon de glace ne semble plus contrarié maintenant.
— Il a convaincu sa bien-aimée de retourner à sa forteresse
avec lui, dit-elle en se trémoussant dans mes bras. Ce n’est
pas une métaphore pour quoi que ce soit.
J’éprouve une douleur qui ressemble beaucoup à des spasmes
de regret dans la poitrine.
— Je n’en aurais pas tiré de conclusions.
— C’est juste une bonne histoire.
— Très.
Elle garde le silence pendant un moment et je passe mes
doigts dans ses cheveux.
— Sam ?
Avant que je puisse répondre, mon téléphone vibre sur la
table de chevet. C’est le milieu de la nuit.
Elle y jette un coup d’œil.
— Tu veux regarder ?
Non, je veux m’enfoncer dans son corps et faire comme si
ma vie et toutes les complications qui l’accompagnent
n’existaient pas.
— Je devrais.
— Vas-y.
Elle roule sur le côté, s’étalant au milieu de mon lit. Une
déesse nue, tel un surgissement du passé, quand j’étais
encore un enfoiré mais, d’une autre manière, moins
compliqué aussi.
Je prends le téléphone. C’est un texto de Grace, et cet a reux
regret dans ma poitrine me comprime encore plus fort. Je
n’ouvre pas tout de suite le message. Je n’en ai pas envie.
Quoi qu’ait fait Luke, s’il a disparu ou s’ils se disputent, je ne
veux pas m’en occuper maintenant.
Je me retourne vers Hazel. Sa peau nue, son regard sombre
fixé sur mon visage. Mon estomac se noue.
— C’est ma belle-sœur.
Elle acquiesce.
— Vas-y, fais ce que tu dois faire.
Je ne sais pas ce que je dois faire. Je ne l’ai jamais su, pas
vraiment. Mon cerveau me pousse à prendre toutes sortes de
mauvaises décisions.
— Mon frère est un connard.
L’expression d’Hazel ne change pas.
Je ne sais pas pourquoi je lui dis ça maintenant. Mon
téléphone vibre à nouveau.
— Je dois...
— Bien sûr. Prends ton temps.
Je baisse les yeux sur l’écran.
Message supprimé par l’expéditeur
— Je ne sais pas ce qu’elle veut, dis-je en me frottant le
visage.
— Reviens au lit, murmure Hazel. Viens ici.
J’en ai envie. Je le veux tellement que ça me fait mal. Mais
nous sommes trois jours avant Noël, et si je ne m’occupe pas
de cette histoire maintenant, ça va gâcher toutes les
vacances. Je secoue la tête.
— Je ne peux pas. Tu devrais dormir un peu. Je dois y aller.
— Sam...
Elle s’interrompt, puis elle sourit.
— Merci pour ce soir.
Je rampe sur elle. Je ne sais pas quoi dire pour le moment,
mais je sais quoi faire. Je l’embrasse comme jamais. Je la
coince jusqu’à ce qu’elle halète contre ma bouche, puis
j’avale ce son pour qu’il demeure en moi.
Ces petits bruits émis par Hazel sont tout à moi maintenant.
— Je reviens, chuchoté-je.
Elle se pelotonne sous mes couvertures, entièrement et
parfaitement nue, tandis que j’enfile des vêtements que je
n’ai aucune envie de porter. J’éteins les lumières, espérant
pouvoir revenir avant que l’aube n’éclaire le ciel.
Je n’y arrive pas.
Et quand je reviens, non seulement ma chambre est éclairée
par la lumière grise et froide du matin, mais elle est aussi
vide. Hazel m’a laissé une lettre intitulée « Cher Sam » sur
mon oreiller.
SIX
SAM

Quatre ans plus tôt


Je savais que cela arriverait. Mes avocats m’avaient prévenu
que c’était une possibilité, même s’ils allaient essayer de
plaider pour une période de transition.
La juge a clairement indiqué que c’était sans espoir. Elle n’a
trouvé aucune raison de m’accorder plus de compassion,
d’autant qu’elle m’avait déjà évité la case prison, et encore,
uniquement parce que mes biens couvraient ma dette envers
la société – de justesse, ne laissant que huit cents dollars à
mon nom.
C’était déjà plus que certains, m’a-t-elle fait remarquer.
J’ai dû remettre les clés de ma maison et de mes voitures,
puis j’ai quitté le palais de justice avec mon frère et ma
belle-sœur.
Grace est venue en voiture. Luke et moi, nous sommes venus
à pied depuis le cabinet de notre avocat. À présent, nous
marchons en silence vers le parking où elle s’est garée.
— Je vais trouver un point de chute, dis-je lorsque nous nous
arrêtons à côté de sa voiture.
— C’est bien, rétorque sèchement Luke.
Grace roule les yeux vers lui.
— Il peut rester avec nous aussi longtemps qu’il en aura
besoin.
Au regard de Luke, je devine qu’il me faudra d’abord lui
passer sur le corps. Si j’avais un autre endroit où aller, je
partirais tout de suite. Je lui laisserais de l’espace. Il ne veut
pas de moi, j’ai tout foutu en l’air.
J’ouvre la bouche, mais rien ne sort.
Je n’ai pas vraiment d’endroit où aller. C’était de la bravade,
et il s’avère que je n’ai plus rien à en tirer.
Grace secoue la tête.
— Tu restes avec nous. C’est décidé.
D’un mouvement de tête, Luke désigne Bay Street, derrière
nous.
— Moi, je vais au bureau. Il faut bien que quelqu’un
commence à planifier nos prochaines étapes.
Et ce quelqu’un ne sera pas celui qui n’est légalement pas
autorisé à s’approcher du bureau. Fait chier.
Grace hausse les épaules.
— Tu seras à la maison pour le dîner ?
— Oui, fait-il en fronçant les sourcils. Je vais essayer.
Elle déverrouille la Jeep et me fait signe de monter pendant
qu’il disparaît dans la cage d’escalier.
Je ne lui en veux pas d’être en colère. Je ne suis pas le seul à
avoir perdu beaucoup d’argent aujourd’hui. Tous nos biens
communs ont disparu lors de la sentence du juge. Les biens
qui lui restent sont ceux de Grace, acquis grâce à son début
de carrière artistique.
Elle s’est bien débrouillée, vraiment.
Mais ce n’est rien comparé à ce que nous avions.
Il va lui falloir toute la semaine maintenant pour renflouer
les comptes des clients.
Nous avons de la chance. La circulation reste fluide et il ne
nous faut pas longtemps pour arriver jusqu’à leur loft. Il y a
toujours cette odeur de neuf. Ils ont vendu leur maison de
Forest Hill dès que j’ai été accusé, à l’époque où Luke me
parlait encore.
À l’époque où il dépensait de l’argent pour blanchir mon
nom, jusqu’à ce qu’il réalise qu’il n’y avait rien à blanchir.
J’étais coupable de délit d’initié, coupable de jouer avec
chaque centime qui passait entre mes mains.
Il avait vendu la maison dans laquelle il voulait fonder une
famille, déménagé dans une usine sans âme, comme il
l’appelait, tout ça pour rien. Son minable de frère avait tout
gâché.
Grace aimait leur nouvel appartement, cependant.
C’était un petit côté positif. Il se trouvait à quelques pas de
son studio, au Waterfront Centre, près des galeries et des
magasins d’art qu’elle aimait.
Quelle importance pouvait bien avoir l’adresse de Luke, de
toute façon ? Il ne faisait que travailler.
Jaloux.
Oui, c’est vrai. Moi aussi, je travaillais, et maintenant, je n’ai
rien. Je n’ai pas de loft, pas de belle femme, pas de travail.
J’ai une chambre d’amis avec vue sur un gratte-ciel, et rien
d’autre que du temps libre pour contempler la merde que je
suis devenu.
— Tu veux parler ? demande Grace lorsque nous arrivons.
— Non.
Elle m’apporte quand même une tasse de thé, dix minutes
plus tard. Elle la pose sur la table de chevet et se roule en
boule à côté de moi sur le lit trop petit.
— Ça te dérange si je te parle ?
Je souris faiblement.
— Non.
— Toi et Luke, vous vous ressemblez beaucoup.
Je grommelle et elle rit.
— Mon Dieu, vous êtes tellement semblables.
Je tourne la tête pour la regarder. Son visage est doux, de
fines ridules soulignent sa grande bouche et ses yeux
fatigués. Elle est belle et gentille, mon frère ne la mérite pas.
— Qu’est-ce que tu lui trouves ?
Ses yeux deviennent tendres et tristes en même temps.
— Je l’aime. Je l’ai toujours aimé.
— C’est un connard.
— Toi aussi, et je t’aime bien. Alors, tais-toi et écoute,
d’accord ?
Je fais la grimace.
— Il est temps de parler à quelqu’un.
— J’ai passé l’année dernière à parler aux gens. Avocats,
médiateurs.
— Je parle d’un psychothérapeute. Un vrai, capable de te
faire suivre une thérapie pour régler le traumatisme de ton
enfance.
Sa remarque me fait rire. Nous avons été élevés dans
l’opulence et les privilèges, comme me l’a rappelé la juge
aujourd’hui. Tant de richesse, à vrai dire, que j’ai pu éviter la
prison parce que j’étais en mesure d’acheter mon billet de
sortie.
Grace ne mord pas à l’hameçon. Elle me laisse rire, puis
attend que je me taise.
— Non, dis-je enfin. Je n’ai pas besoin d’un psy. Fin de
l’histoire.

Ce n’est pas la fin de l’histoire, bien sûr. Elle laisse tomber,


mais revient à la charge quelques jours plus tard. Puis une
semaine passe. Une autre tentative.
J’ai arrêté de me raser et elle me dit que même les hommes
des montagnes ont besoin de parler de leurs sentiments.
Un jour, alors que j’entre dans son studio avec du café à
emporter, elle le formule autrement :
— Je pense que vous avez été maltraités. Luke et toi. Et rien
ne s’arrangera tant que tu n’auras pas a ronté ça.
Je ne sais pas ce que j’attendais qu’elle dise, mais
certainement pas cela.
— Putain, non. Personne ne m’a jamais frappé.
Son regard ne faiblit pas.
— Il y a plusieurs sortes de maltraitance. Est-ce qu’on t’a
déjà dit que tu étais aimé ? Est-ce qu’on t’a déjà fait un
câlin ?
Les coins de sa bouche s’abaissent.
— Non, fait-elle en soupirant. Et je suis désolée pour le petit
garçon qui n’a pas été assez câliné.
Assez ? Pas câliné tout court. Putain. Une boule de rage
tonitruante et déchirante déferle en moi.
Ne m’ignore pas.
— Tu as besoin de parler à quelqu’un.
— C’est à toi que je parle.
— Je ne suis pas la bonne personne pour t’aider.
— Grace, je sais que tu veux bien faire, mais crois-moi,
personne d’autre que toi ne me verra jamais comme une
victime. Pour payer ma dette à la société, il m’est interdit de
me présenter sous ce jour, d’accord ? Alors, laisse tomber.
Mais elle a mis quelque chose dans ma tête, et ça me
démange, maintenant. Comme une bardane avec ses
crochets.
Une autre semaine passe. Cette fois, je me rase, parce que la
barbe, ça gratte, mais ce n’est pas vraiment le problème. La
bardane est accrochée à l’intérieur. C’est Grace qui l’a mise
là.
— Tu suis une thérapie, toi ? lui demandé-je un jour, après
qu’elle s’est disputée avec Luke parce que je suis en
permanence dans leurs pattes.
Je suis au courant, connard.
— Pas encore. J’envisage toujours d’appeler un psy, mais je
remets ça à plus tard. Après ma prochaine expo, après mon
prochain voyage à l’étranger. Plus tard, après... tu vois l’idée.
— C’est di cile.
Elle acquiesce.
— Tu veux faire un marché ? On prend tous les deux rendez-
vous ?
J’ai envie de dire oui, mais je suis un menteur. Un bon à rien,
un crétin manipulateur. Je ne suis pas sûr de pouvoir
accepter avec sincérité.
Grace ne voit pas cela en moi, cependant. Elle m’adresse le
plus tendre, le plus honnête des regards.
— On pourrait réparer nos cerveaux ensemble.
Je contourne l’îlot de cuisine et la serre dans mes bras.
— Je ne te mérite pas, dis-je d’une voix rauque dans ses
cheveux. Je serai toujours là pour toi.
Elle se dégage, mais laisse ses mains sur mon torse. Elle est
minuscule et je ne veux pas partir.
— Oh, mon Dieu, j’espère que ce n’est pas vrai. J’espère que
tu t’en sortiras, que tu continueras ta vie et que tu seras bien
trop occupé pour te soucier de moi.
— Ce ne serait pas juste, pas après tout ce que tu as fait.
— La vie n’est pas juste, Sam. Sinon...
Elle ne termine pas sa phrase.
Je sais.
Si la vie était juste, tout serait di érent.
Le lendemain, je me rends à ma première réunion des
Joueurs Compulsifs Anonymes.
SEPT
HAZEL

Aujourd’hui
Je suis presque arrivée au guichet quand je vois Sam faire
irruption par les portes de la gare. Sans se préoccuper de la
file d’attente, il se précipite vers moi.
— Alors, c’est tout ?
Je jette un coup d’œil à la personne derrière moi,
ostensiblement curieuse de ce petit mélodrame matinal.
— Tu es partie, dit-il d’une voix forte en agitant ma lettre en
l’air.
Elle est froissée maintenant.
Tous les autres clients dans la file d’attente tendent l’oreille
aussi.
— C’est toi qui es parti en premier.
Je hausse les épaules, mais il me regarde fixement comme si
ce n’était pas juste.
Je ne voudrais pas lui en donner plus, mais je l’ai dans ma
peau, que je le veuille ou non. Je soupire.
— Et puis, j’ai reçu une alerte sur mon téléphone me disant
qu’ils avaient ajouté un autre train aujourd’hui. Je pourrai
être à mon hôtel ce soir, tout compte fait.
Il lève son autre main en l’air. Elle est crispée autour de son
téléphone.
— J’ai eu la même alerte. Tu as oublié ? J’avais un billet, moi
aussi.
Oh. Voilà qui rend le contenu de la lettre un peu plus
embarrassant.
— Tu as manqué ta réunion à Ottawa. Pourquoi voudrais-
tu...
— Nous avons laissé quelque chose en suspens.
— Ça s’est conclu la nuit dernière. Et plusieurs fois, même.
Ma réponse suscite un murmure dans la foule. Voilà, je leur
ai donné leur frisson de la matinée.
La file se déplace vers l’avant. J’avance moi aussi, et Sam en
même temps. Apparemment, il n’a pas dormi du tout, parce
qu’il a passé la première moitié de la nuit à faire trois fois
l’amour avec moi, et la seconde à gérer un drame familial. Je
n’ai rien à voir avec cette dernière partie, mais oh, la
première était très bonne.
Je le préfère comme ça, plutôt que l’homme poli assis en face
de moi hier soir. Maintenant, il est tout chi onné et un peu
désespéré. Mais je l’aimerais encore plus s’il ne transportait
pas une tonne de bagages et de drames familiaux avec lui.
Cependant, cette file d’attente n’est pas l’endroit pour parler
de ça.
Pas plus que de notre relation inachevée qu’il a sinistrement
évoquée, mais sur laquelle il ne s’est pas étendu. Je parie que
notre public est déçu qu’il reste maintenant à côté de moi en
silence.
Lorsque nous arrivons au guichet, je donne mon nom et mon
numéro de billet de la veille. Sam se penche et fait de même,
comme si nous étions ensemble.
— Nous ne sommes pas ensemble, précisé-je.
— Nous avons acheté nos billets séparément, mais nous
étions assis ensemble hier, dit-il.
Ce n’est pas un mensonge. L’allusion claire au fait que nous
avons eu une sorte d’histoire romantique dans le train
fonctionne aussi sur la guichetière, qui adresse à Sam un
sourire aimable et radieux.
— S’il y a moyen de...
Mais son charme ne l’aide pas. La femme secoue la tête après
avoir consulté son ordinateur.
— Je suis désolée, il n’y a plus de sièges en classe a aires
dans ce train. Nous pouvons vous o rir des sièges en classe
économique et un crédit partiel pour une utilisation future.
La classe économique me convient parfaitement. Moins
intime que la classe a aires. Et je sais que Sam ne
s’entassera pas dans un train bondé.
— Ça me va, dit-il.
C’est faux. Je tourne la tête entre lui et l’employée, essayant
de trouver les bons mots pour lui demander de rentrer chez
lui, mais en la voyant froncer les sourcils devant son écran et
cliquer frénétiquement, je commence à m’inquiéter.
Enfin, un soupir lui échappe quand la radio à côté d’elle
grésille. La guichetière a che son visage le plus
compatissant. Je ne sais pas ce qu’elle regrette le plus,
bouleverser mes plans ou gâcher la romance que Sam semble
désespérément tenter avec moi.
— Je suis vraiment désolée.
Je sens déjà que mon billet de train s’envole.
Alors, je suis prête quand elle m’annonce qu’il y a un
problème avec l’un des wagons et qu’aucun autre billet ne
peut plus être émis pour ce train.
Je vais bien.
Le picotement chaud des larmes derrière mes paupières n’est
que l’e et d’une frustration compréhensible. En hochant la
tête, je m’éloigne du guichet. Je prends une profonde
inspiration, ignorant les sentiments qui se déchaînent en
moi, dus à ce nouveau voyage manqué plus qu’à la présence
trop imposante et trop confiante, juste à côté de moi.
Sam se penche et me dit, d’une voix basse et assurée :
— Je peux me procurer une voiture. Je te conduirai jusqu’à
Ottawa.
Cinq heures dans une voiture avec l’homme dont je viens de
quitter le lit sans même un au revoir. Ce ne sera pas du tout
gênant.
— Nous n’avons pas beaucoup dormi la nuit dernière. Je
comptais me reposer dans le train.
— Alors, on va chez moi et on fait une sieste d’abord.
— Sam...
Il m’attrape par le coude et me retourne. Nous nous
regardons fixement.
— Pourquoi es-tu partie, Hazel ?
Je détourne les yeux.
— Ne fais pas ça, murmure-t-il.
— Je ne fais rien du tout.
— L’indi érence froide, c’est un classique de Hazel
McLaughlin, dit-il d’un ton mordant. Ne m’ignore pas.
Je suis sous le choc. À la blessure que je perçois dans sa voix,
je sens qu’il a perdu toute son assurance. À peine a-t-il parlé
qu’il essaie de revenir en arrière.
— Je ne devrais pas...
— Pourquoi tu me dis ça ?
Pourtant, je le sais. Je sais que cet aboiement n’était pas pour
moi, mais parce que j’ai quitté son lit. Il est parti en premier.
— Je veux plus de temps avec toi, me dit-il.
— Moi, je ne sais pas trop.
— Laisse-moi réparer ça.
— Parce qu’il y a quelque chose à réparer ?
Au moins, il a la bonne grâce de paraître chagriné.
— Je ne sais pas, mais je l’espère.
— Ce que nous avons, c’est une seule nuit de sexe et une
décennie de lourds bagages. Comment veux-tu réparer ça ?
Un sourire inattendu passe sur son visage.
— Par une décennie de sexe.
— Sam !
— Ce sont des maths de base. Nous avons besoin de rétablir
l’équilibre.
Je ne survivrais jamais à une décennie de ça.
— Tu es trop bien pour moi, avoué-je.
Le manque de sommeil m’a rendue douloureusement
honnête.
Sa mâchoire se crispe.
— Je n’aurais pas dû partir hier soir.
Il ne me doit pas d’excuses. En même temps, ça n’en est pas
vraiment. C’est plutôt un constat d’erreur.
Je secoue la tête.
— De toute façon, j’aurais trouvé un moyen de te dire au
revoir ce matin.
Il cherche à croiser mon regard. Le sien est net, tranchant.
— Je pensais qu’on avait une connexion, tous les deux.
Bien sûr, et ça ne changera jamais. C’est bien ça le problème.
— C’était la tempête. On s’est laissé emporter.
— Alors, quel est ton plan maintenant ? Trouver un banc où
t’asseoir ?
Il fait un geste vers le hall principal de la gare caverneuse.
— Attendre ici jusqu’à ce que tu puisses trouver un siège ?
C’est tellement mieux que de passer quelques heures de plus
avec moi ?
Mon cœur me fait mal, parce que la réponse est non, bien
évidemment.
— Ma vie est une série de très mauvaises décisions, Hazel.
Il se penche. À présent, sa voix est basse et insistante.
— Le truc, c’est que je l’ai toujours su. Chaque fois. J’ai su,
sur le moment, que c’était une erreur de... à peu près tout,
n’importe quelle connerie que j’ai pu faire. Délaisser ma
copine pour des parties de poker. Parier jusqu’au dernier
centime que j’avais et même plus. Fantasmer sur la meilleure
amie de mon ex.
Un sourire amer étire ses lèvres.
— Mais seulement parce qu’elle ne voulait pas de moi
comme moi, je voulais d’elle.
Et si, pourtant.
— Me lancer dans un business avec mon frère. Dépendre de
mes gains. Forger des relations avec des gens qui pourraient
me donner des avantages injustes. Chaque décision. Des
erreurs que j’ai pourtant vues, claires comme le jour, mais
que j’ai embrassées quand même.
— Hier soir, chuchoté-je.
— Non, putain, ce n’était pas une erreur.
— Pour toi.
— Ah, fait-il en riant tout bas. Je ne peux rien objecter. Je ne
suis pas bon pour toi.
— C’est... commencé-je sans terminer ma phrase. Ne dis pas
ça.
— Tu dois le penser.
— C’est juste que je ne veux pas être tirée vers le bas. Mais je
ne regrette pas du tout la nuit dernière. J’ai adoré.
— Alors, je suis bon à quelque chose ?
— Plus que certains.
— Et si je te faisais une promesse ? Aucune attente. Personne
ne se fera avoir. Tu peux partir quand tu veux, mais laisse-
moi d’abord te conduire à Ottawa.
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai perdu cinq heures la nuit dernière. Parce
que j’ai perdu une nuit il y a dix ans, qui aurait pu aboutir
quelque part. À cause de cette décennie de lourds bagages.
Peut-être que tu ne me donneras pas une décennie pour
réparer ça, mais laisse-moi au moins essayer de faire quelque
chose.
Je pou e.
— Tu viens de promettre que tu n’attendais rien.
— Je t’ai demandé si ça t’aiderait. Tu ne m’as pas pris au
mot.
Lâchant ma valise, je repousse son torse et il m’attrape les
poignets, me tirant contre lui alors que je proteste en
haletant, son prénom sur mes lèvres.
— Et ça, ça t’aiderait ? chuchote-t-il contre ma bouche.
— Je ne sais pas.
Il m’embrasse vigoureusement et je me blottis contre son
corps, enroulant mes bras autour de son cou. C’est une
erreur, mais c’est une erreur qui a bon goût. Et ça fait du
bien, aussi, ce qui est d’autant plus dangereux – car je
pourrais oublier que ça va mal finir.
Une nuit n’était pas su sante. Peut-être que trois autres
étancheront ma soif en ce qui concerne Sam.

Après quelques heures de sommeil chez lui et une douche


chaude réparatrice – que je prends tranquillement, pendant
qu’il passe quelques coups de fil pour trouver une voiture –,
nous nous rendons à son restaurant préféré pour un brunch
tardif. Alors que nous finissons de manger, l’un de ses amis
arrive.
Il serre la main de Sam, puis se tourne vers moi.
— Alex Acosta.
Ce nom me turlupine. Il me faut trois tours dans ma liste de
contacts mentale. Ça y est, il écrit des romans pour jeunes
adultes et son deuxième livre a figuré sur la liste des best-
sellers pendant quelques semaines.
— Le romancier ? demandé-je.
— Coupable.
Il sourit et se tourne à nouveau vers Sam.
— Tu as d’excellents goûts en matière d’amis, lui dit-il
avant d’ajouter à mon intention : Personne ne me reconnaît
jamais, sauf peut-être les autres écrivains.
Sam ricane et je vire au rose.
— Eh bien...
— Quoi ? fait Alex, souriant de plus belle. Vous êtes écrivain,
vous aussi ? Sam ne me l’a pas dit.
— Sam ne le sait pas. Enfin, pas vraiment. Je ne lui ai pas dit
mon nom de plume. Nous sommes de vieux amis de la fac et
nous avons repris contact hier soir, dans un train pour nulle
part. C’est une longue histoire. Bref, la version courte, c’est
que je suis une auteure de romances érotiques,
principalement. Vous n’avez sûrement rien lu de moi.
— N’en soyez pas si sûre.
Il se mord la lèvre avec amusement, et si je n’étais pas folle
de Sam, je serais folle d’Alex. Il est adorable, dans le genre
gentleman aux tempes grisonnantes.
— Je ne devrais pas l’avouer, ajoute-t-il.
— Votre secret est en sécurité avec moi.
— Et les vôtres seraient en sécurité avec moi, renchérit-il
avec un clin d’œil.
— Peut-être que je dirai à Sam mon nom de plume pour
Noël, et il pourra vous le transmettre.
Alex rit à cette idée, puis il tend un trousseau de clés à Sam.
— Elle est garée devant. Sois prudent.
— Bien sûr.
— Je te vois au réveillon de Noël ?
— Non, je ne reviendrai pas avant le 25, d’accord ?
Sam me regarde et je hoche la tête.
— Alors, je vais me moquer de ton frère tout seul.
— Bonne chance, lance Sam d’un ton bourru. Mais s’il se
comporte mal, laisse-lui de l’espace, d’accord ?
Alex agite la main d’un air évasif et je remarque que Sam ne
dit rien à propos de son déplacement en pleine nuit à la
rescousse de sa belle-sœur.
Quand nous sommes à nouveau seuls, il avance la main par-
dessus la table et frotte son index contre le mien.
— Tu n’as pas à partager ton nom de plume si tu ne veux
pas.
— Ce n’est pas vraiment un secret. Je ne voulais pas que tu
me cherches sur Google comme tu as cherché les raisons de
l’arrêt du train si rapidement, c’est tout.
Il gémit.
— Merde, j’ai trop révélé ma main, c’est ça ?
— Tu aimes tout savoir. Comme toujours. Ça me plaisait de
te déstabiliser. Mais tu connais la première partie de mon
nom de plume, de toute façon, et si tu te souviens d’un bout
du poème...
— Il est publié ? fait-il en haussant les sourcils. Waouh !
Je lève les yeux au ciel.
— Ton nom n’est pas dedans.
— Je voulais dire que j’étais impressionné.
Ça se voit à sa tête. Aussitôt, je m’adoucis.
— Merci.
— On retourne chercher nos sacs et on prend la route ?
— Avec joie.
La luxueuse Land Rover d’Alex est plus belle que toutes les
voitures dans lesquelles je suis montée.
Je passe mes mains sur l’intérieur en cuir pendant que Sam
navigue sur la QEW en direction de l’est.
— C’est dingue qu’il prête une telle voiture à son ami.
— Alex sait que j’en prendrai soin. Et ce n’est pas le genre de
gars matérialiste. Plus maintenant.
Quand je regarde Sam avec curiosité, il hausse les épaules.
— On a tous nos démons. Et certains apprennent à les
regarder droit dans les yeux et à les envoyer se faire foutre.
— Ça me plaît.
Je pense à mes propres démons. À la frustration et au
sentiment de tourner en rond. Ça pourrait me faire du bien
d’envoyer gentiment bouler certaines choses auxquelles je
me raccroche.
— Plus facile à dire qu’à faire, bien sûr.
Il désigne la sortie de Don Valley Parkway, puis continue :
— Tu as déjà rencontré mon frère ? Il était sur le campus
quand on faisait nos études de premier cycle. En école de
commerce.
— Je ne pense pas.
— On était très proches avant.
Il fronce les sourcils, son profil soudain tendu.
— Ça fait longtemps qu’on ne l’a plus été.
— Alex est aussi l’un de ses amis ?
— Oui.
Je prends ma lèvre inférieure entre mes dents. C’est lui qui a
abordé le sujet.
— Alex n’est pas au courant des problèmes avec Grace ?
— Personne ne le sait. Je n’en saurais rien moi-même si je
n’avais pas vécu avec eux.
Il déglutit et sa pomme d’Adam tressaute, puis il me jette un
coup d’œil rapide.
— C’est compliqué, et privé.
— J’ai compris. Alors, dis-moi... ils font une fête pour le
réveillon de Noël ?
— Grace se donne à fond. C’est assez chic. J’aimais bien,
mais j’avais des goûts douteux, à l’époque, alors... je ne sais
pas. L’année dernière, ce n’était pas aussi sympa, et
maintenant... C’est presque garanti que nous allons nous
disputer à un moment donné. Franchement, je suis au-
dessus de ça.
— Ton frère et toi ?
Il acquiesce.
— Vous ne travaillez pas ensemble ?
— Si, répond-il. Mais ça ne peut pas durer éternellement. Ça
ne durera pas. J’ai besoin d’une autre année pour me
remettre sur pied, et lui, il a besoin de temps pour
reconstituer son capital. Ensuite, il me rachètera les parts de
la société. Ou peut-être que je vais juste m’en aller.
— Ça a l’air compliqué.
— Oui.
Une fois de plus, il secoue la tête.
— Ce n’est pas un sujet festif, désolé. Discutons plutôt de ton
nom de plume, que tu dois m’avouer pour Noël.
Je ris.
— Ça t’a plu ? Tu as aimé ?
— J’ai adoré.
Avant de quitter la maison hier matin, j’ai pris l’un de mes
livres pour le laisser à la bibliothèque du chalet. Maintenant,
je suis presque sûre que je vais l’o rir à Sam à la place.
L’idée de ce que cela pourrait révéler me fait frémir, mais ce
n’est pas le pire sentiment du monde. Pas du tout, même.
Il tend la main par-dessus la console centrale et prend la
mienne.
— Dis-m’en plus sur cet hôtel où nous allons.
Je récite la liste des commodités et des divertissements par
cœur.
— C’est un grand chalet gothique en rondins. À mi-chemin
entre l’hôtel de luxe et le pavillon rustique, avec une
cheminée sur trois étages autour de laquelle tout le monde se
rassemble pour les chants de Noël et les cocktails.
— Ça semble sorti tout droit d’une ancienne époque.
— C’est le but.
Le reste du trajet de cinq heures jusqu’à la frontière du
Québec passe rapidement, entre « Tu te souviens de cette
personne de la fac ? » et « Je n’en reviens pas que tu n’aies
jamais regardé cette émission », ainsi que de nombreux
coups d’œil en coin qui me réchau ent le cœur.
Nous arrivons à l’hôtel en milieu d’après-midi, pile à l’heure
pour l’enregistrement que j’aurais manqué si j’avais dû
reprogrammer mon voyage en train.
Sam s’arrête devant le portique et remet les clés au voiturier.
Alors que nous nous dirigeons vers l’intérieur, je réalise que
le véhicule qu’il a emprunté – comme à peu près tout chez
lui, y compris sa coupe de cheveux élégante – est plus en
phase avec le décor que je ne l’aurais imaginé.
Il s’agit plus d’un hôtel de luxe que d’un chalet isolé. Et
pourtant, il s’en dégage toujours une impression gothique.
— Tout à fait approprié pour la forteresse d’un démon de
glace, tu ne trouves pas ? murmure Sam à mon oreille.
Il n’a pas tort.
Cette simple question m’excite à nouveau et me distrait
pendant que je donne mon nom à l’accueil. Notre fantasme
commun continue, dans un décor de cinéma bien réel à
présent.
Notre chambre est tout aussi majestueuse que la première
impression de l’entrée et du hall. Des poutres en bois foncé,
un lit king-size au linge blanc impeccable et la couverture à
carreaux en laine la plus douce que j’aie jamais vue de ma
vie. Les rideaux à la fenêtre sont d’un tissu écossais assorti
et, à l’extérieur, le soleil brille sur des champs blancs à perte
de vue.
— C’est mieux que d’avoir a aire à mon abruti de frère,
commente Sam en me tirant sur le lit.
— Et bien mieux que de travailler pendant les vacances. Que
veux-tu faire en premier ?
Sam passe la langue au coin de ma bouche, puis descend
dans mon cou.
— C’est toi que je veux me faire en premier. Dis-m'en plus
sur notre démon de glace.
Mon pouls palpite sous ses attentions.
— Qu’est-ce que tu veux savoir ?
— Pourquoi est-ce qu’il plaît tant à notre héroïne ?
Je sais ce qu’il demande. Qu’est-ce que j’aime dans ce
fantasme en particulier ? Je ferme les yeux et réfléchis. Un
démon plus grand que nature, furieux et possessif. Dans la
vraie vie, c’est une ordure. Dans le calme et la sécurité d’une
idée que je contrôle entièrement – et que je peux tordre dans
tous les sens –, c’est délicieux.
— Beaucoup de choses. Sa fureur. Sa peur. Cette réaction. Ce
serait dangereux en dehors d’une histoire, mais ce genre de
passion dévorante... dis-je sans terminer ma phrase.
Il s’écarte un peu. Ses yeux sont sombres, intrigués.
— Hazel, tu es toujours avec moi ?
Je lève les yeux vers Sam.
— Oui, sou é-je. Je suis avec toi.
— Où es-tu allée ?
Je l’embrasse doucement.
— Je pensais à la peur en moi.
— Et maintenant ?
— Maintenant, murmuré-je contre ses lèvres en m’avançant
à nouveau. Je ne veux pas que tu t’arrêtes avant que nous
soyons tous les deux épuisés.
HUIT
SAM

Après le sexe, et avant le dîner, nous allons faire des


raquettes. Si Hazel est très douée pour ça, pas moi. Elle passe
un excellent moment, et c’est tout ce qui compte.
Le dîner se prolonge par des verres dans le hall. Il y a une
énorme cheminée en pierre au centre de la salle et Hazel me
fait l’e et d’avoir été transportée dans un pays de conte de
fées magique.
Quand je reviens du bar avec notre deuxième tournée, elle
pianote furieusement sur son téléphone. Elle brandit un
index pour me faire patienter le temps de terminer sa
pensée.
Enfin, elle rougit en levant les yeux et me remercie pour le
verre, ce qui m’intrigue.
— Qu’est-ce que tu as écrit pour que tes joues deviennent
roses comme ça ?
Mon rougissement s’accentue.
— Une idée d’histoire.
— Je peux te demander quelque chose ?
Elle écarquille les yeux et je vois son pouls s’accélérer à la
base de son cou, mais elle finit par hocher la tête. Se
penchant plus près, elle me montre l’écran de son téléphone.
— Je sais que j’ai dit que je ne voulais pas travailler pendant
les vacances, mais parfois, ces choses me viennent comme
ça.
C’est une liste à puces énigmatique.
Un château
Une cheminée centrale
Cordes soutenant les tapisseries
Une captive attachée contre la tapisserie avec ces mêmes cordes.
Les cordes ont-elles une idée propre ? Sont-elles contrôlées par un
démon ?
Impression d’être retenue par plusieurs personnes. Les cordes se
frottent contre elle, excitées elles aussi ?

À mesure que je lis la liste, mon sexe durcit, s’allonge et je


change de position sur ma chaise, incapable de trouver un
angle plus confortable maintenant. Où son esprit va-t-il
chercher tout ça ? Et comment suis-je censé la ramener dans
la chambre et l’étendre sur le lit, sous mon corps, sans que
personne ne remarque que je me suis pratiquement
transformé en démon de glace ?
— Sam ?
Dans sa bouche, mon prénom est une question pantelante. Ça
te plaît ?
— Tu es... tout à fait surprenant. Et remarquable.
Je déglutis di cilement pour chasser l’épaisse boule logée
dans ma gorge.
— Tu as inventé tout ça rien qu’en restant assise ici ?
— Oui.
— Incroyable.
Comme je suis sûr que je vais devenir son fan numéro un, je
lui demande aussitôt :
— Tu as besoin d’écrire plus ? Je peux t’apporter ton
ordinateur.
— Non, répond-elle en riant. Il me su t de noter cette idée
pour l’instant. Elle pourrait bien infuser dans le fond de mon
esprit pendant des mois ou des années. Je ne l’écrirai peut-
être jamais.
— Tu dois écrire ça.
Je n’ai pas honte de mon intonation catégorique. Putain,
cette idée est un cadeau pour le monde. Ou du moins, pour
moi.
— Est-ce qu’il t’arrive de raconter des histoires à voix
haute ? Peut-être pour un public d’une seule personne ? Je
pourrais être un mécène des arts.
J’aime le rire avec lequel elle me répond. J’aime encore plus
son soupir et son regard, dardé sur moi.
— Je n’ai pas besoin d’un mécène, Sam. Que les choses
soient claires.
— Tu vas bien ?
Elle me renvoie un sourire confiant et mystérieux.
Hazel a plus d’une décennie de très bonnes raisons de ne pas
dévoiler ses cartes, je ne lui en veux pas, mais l’intimité que
nous avons pendant nos ébats – chaque fois des moments de
grâce, torrides et primitifs – me monte un peu à la tête.
Jusqu’où puis-je la pousser dans ses retranchements ?
Je ne veux pas trouver cette limite. Je ne voudrais surtout pas
gâcher ces quelques jours qu’elle m’a accordés.
J’ai jusqu’au jour de Noël pour trouver comment lui montrer
que je suis un homme neuf, digne d’une deuxième,
troisième, quatrième ou cinquième chance.
NEUF
HAZEL

Le jour suivant, c’est la même chose. Sexe, amitié,


reconnexion. Cuisine ra née, bon vin et joie de Noël. Nous
jouons même au Scrabble près de la grande cheminée et Sam
est à deux doigts de me battre à plates coutures.
— Grizel, ce n’est pas un mot, dis-je alors qu’il utilise cinq
de ses sept dernières lettres – y compris un joker qu’il a
gardé jusqu’à la fin – pour élaborer ce mot à partir de quiz
que je viens de jouer.
— Tu me défies ?
— Seigneur, pas du tout. Je suis à peu près aussi douée en
maths que tu l’es pour réarranger des lettres. J’ai assez de
points d’avance pour te céder cette victoire provisoire.
Il se penche par-dessus la table.
— Et qu’avons-nous décidé comme récompense pour le
vainqueur ?
Je franchis l’espace entre nous et approche mes lèvres de son
oreille.
— Le perdant doit lécher en premier.
La main de Sam exerce une pression sur ma nuque,
réajustant la position de nos têtes pour qu’il puisse à son
tour me murmurer des choses parfaitement inappropriées.
— Ça marche. Alors, je t’en prie, Hazel, gagne cette partie. Je
veux pouvoir descendre jusqu’à ta douce et succulente petite
chatte et m’en délecter pendant que tu cries mon nom.
À la table d’à côté, quelqu’un se racle la gorge. Mon visage
s’échau e, mais Sam ne rate pas une fraction de seconde.
— Oui ?
— On a remarqué que vous aviez disputé une partie de
Scrabble excitante.
Excitante ? Je m’e orce d’e acer l’image salace que Sam a
mise dans mon esprit et je tourne la tête pour découvrir qui
est sa nouvelle amie.
C’est une femme d’environ notre âge, avec un pull de Noël au
logo de Fair Isle. Un homme vêtu d’un pull assorti
s’approche avec deux tasses fumantes. Du cidre de pomme,
me dis-je quand il s’assoit.
S’ils jouent aussi au « perdant doit lécher en premier », je
suis sûre que c’est bien moins cochon.
La femme sourit à Sam. Peut-être qu’elle aime aussi ses
cheveux parfaits. Ça ne me dérange pas, je peux bien
partager ses cheveux.
— Si vous avez terminé, nous serions ravis que vous vous
joigniez à nous. On pourrait faire une partie de cartes ?
Je grimace. Nous n’avons pas reparlé de ses jeux d’argent,
mais ça ne me semble pas être une bonne idée.
Sam ne perd pas de temps.
— Nous avons rendez-vous, malheureusement, dit-il
aimablement. Mais merci pour la proposition.
Nous disputons les derniers tours, chacun utilisant une lettre
à la fois.
Je l’emporte.
Après avoir rangé précipitamment notre boîte, nous nous
éloignons comme si nous avions vraiment une réunion
importante. Sam ne dit rien à propos du jeu de cartes, mais
sa poigne sur ma main est forte et sa mâchoire est tellement
crispée que j’ai envie de l’embrasser tout doucement – mais
aussi, peut-être, de lui demander de me prendre sur ses
genoux pour qu’il puisse rendre mes fesses toutes roses.
Mes fesses sont volontaires pour être son lot de consolation.
Lorsque nous arrivons dans la chambre, il me pousse contre
la porte, se met à genoux et trouve la bande de peau nue
entre le haut de mon jean et l’ourlet de ma chemise. Sa
langue est une flamme chaude sur mon corps, des doigts de
feu auxquels je m’abandonne immédiatement.
Ses mains fermes contre mes cuisses m’obligent à écarter les
jambes. Je serre mes mains contre le bois de la porte derrière
moi quand je réalise qu’il va m’enlever mes bottes.
Fais-le, Sam. Prends-moi.
Il ne dit pas un mot. Il se contente de me déshabiller
impitoyablement, par des mouvements brusques et violents
qui me rendent toute moite et glissante.
Sam Preston est magique. Dur et tendre à la fois. Brutal.
Quand je suis prête et endolorie, sa langue murmure des
mots doux à mon clitoris.
C’est plus que je ne l’aurais jamais cru possible, pire que ce
que je craignais à l’époque. Sam est dangereusement tentant.
Je le savais déjà. C’est exactement pour cette raison que je
l’ai repoussé. Parce qu’après un baiser, j’ai su que si j’en
recevais un autre – juste un de plus –, je serais assez accro
pour faire quelque chose de stupide comme tomber
amoureuse de lui.
Et voilà que je l’ai embrassé à nouveau. Encore et encore,
pendant deux jours. Il m’avait fallu une décennie, mais
j’avais fini par oublier à quel point Sam est dangereux pour
mon cœur.
Et pourtant.
Et pourtant.
Je m’en fiche.
Il peut bien me consumer. Me brûler.
Ça en vaudra tout de même la peine.
Quel est le pire qui puisse arriver ?
Sa main remonte à l’aveuglette et me plaque contre la porte.
J’expulse un sou e frémissant alors qu’il fait passer ma
jambe gauche par-dessus son épaule et me pousse vers le
haut, décollant mes hanches de la porte pour les ramener
directement contre sa bouche enjôleuse.
Voilà le pire qui puisse arriver. Sam et son sourire complice.
Son passé complexe et mon absence totale de jugeote dès
l’instant où notre train s’est arrêté de manière inattendue.
Mon clitoris continue de palpiter dans sa bouche.
Mon sexe est lisse et chaud pour lui.
Parce que le pire est encore meilleur que ce que j’ai jamais
connu auparavant, et j’en veux plus, quel qu’en soit le prix.

Pendant les vingt-quatre heures qui suivent, je peine à


trouver un moyen de formuler ce que je dois dire à Sam.
Selon la règle tacite en matière de rendez-vous amoureux,
nous n’en sommes qu’à notre deuxième. Le premier, c’est
quand nous avons décidé de retourner chez lui. Le deuxième,
c’est quand je l’ai invité à ce voyage. Peut-être que le petit-
déjeuner entre les deux pourrait aussi être qualifié de sortie à
part entière, toujours est-il que maintenant, nous en
sommes à notre troisième « rencard o ciel ».
Quatrième, en comptant notre baiser d’il y a dix ans.
Les baisers éperdus entrent-ils en ligne de compte ? Le jury
n’a pas encore délibéré sur ce point.
— À quoi tu penses ? demande Sam en me tapant légèrement
sur le nez avec le bout de son doigt.
Je secoue la tête pour en chasser les toiles d’araignée et je
lève les yeux vers lui. Je me suis installée près de la cheminée
et j’étais au pays des songes pendant qu’il allait nous
chercher à boire au bar.
Maintenant, il nous rapporte des tasses de chocolat chaud –
très adulte. Je prends l’une des tasses qu’il pose devant moi,
avale une gorgée et soupire de plaisir.
— Merci. J’étais, euh... en train de compter le nombre de
rendez-vous que nous avons eus.
— Sept, répond-il sans hésiter.
Je pou e.
— Comment peux-tu en compter autant ?
Il me jette un regard impénétrable, puis il me fait signe de
me lever.
— Viens.
Curieuse, je me laisse conduire dans un coin plus intime, sur
la mezzanine donnant sur la cheminée.
— Quoi ?
Il m’attire à lui et prend mon chocolat chaud, qu’il dépose
sur la table rustique à côté du canapé que nous avons pour
nous tout seuls.
Puis il lève son index et commence la liste.
— Notre première fois, c’était un mois après que Regan et
moi avons rompu, et tu as certainement pensé que c’était
une séance de révisions, pas un rencard. Mais je t’ai payé un
café et je t’ai raccompagnée. Alors, techniquement, ça rentre
dans la définition.
Ma bouche s’ouvre. D’une part, il comptait de toute manière
se rendre à ce café, et de l’autre, nous allions dans la même
direction.
Techniquement, ce n’est un rencard que dans son
imagination. Et ça me fait me sentir toute drôle à l’intérieur.
Il se penche, m’embrasse sur la lèvre inférieure et remonte le
long de ma mâchoire.
— Le deuxième, c’était l’inverse, un mois plus tard. C’est toi
qui me cherchais et je ne m’en suis rendu compte que plus
tard. Tu as été très maline, d’ailleurs.
— Je n’ai rien fait de tel, protesté-je.
— Les rayons de la bibliothèque, cinquième étage. C’était un
jeudi soir. Tu m’as trouvé dans une salle d’étude et tu as
suggéré qu’on révise ensemble.
— Ce n’est vraiment pas un rencard, dis-je lentement.
Mais maintenant, je me souviens clairement de cette soirée.
C’est vrai que je l’ai cherché.
— Comment tu le savais ?
— Je ne le savais pas. Pas à ce moment-là. Pas jusqu’au soir
où on s’est embrassés, et où tu m’as demandé de faire
semblant de ne pas te connaître si je te revoyais. Et tu as dit
aussi...
Il me regarde d’un air penaud.
— Que j’étais assez bête pour faire comme si j’avais besoin de
compagnie pour réviser alors qu’en réalité je cherchais juste... Et
puis tu t’es interrompue, tu t’es dit que c’était complètement
stupide, sans doute, et tu es partie en trombe. Je me suis
repassé cette phrase en boucle dans ma tête et j’ai réalisé ce
qu’elle signifiait quelques jours plus tard.
Ma bouche s’ouvre pour la deuxième fois. Parce que je m’en
souviens, à présent. C’est exactement comme il l’a décrit.
J’étais tellement secouée, en colère contre moi-même de ne
pas avoir réalisé ce que je faisais, de m’être mise sur son
chemin alors que je le désirais depuis si longtemps.
Je le désirais depuis longtemps.
Tout le sang quitte mon visage. Oh, et puis, zut !
— Hazel ? sou e Sam en m’attirant à lui.
— Je te voulais déjà, murmuré-je par-dessus mon cœur au
galop. Quand tu étais le petit ami de Regan. J’avais envie
d’être avec toi. Seulement, je ne le savais pas. Je te jure, je ne
le savais pas.
Il grogne légèrement dans mon oreille.
— C’était il y a dix ans, Hazel. Ça n’a plus d’importance
maintenant.
Je sais qu’il a raison. Mais je ne l’ai jamais admis
consciemment auparavant. J’ai besoin d’une minute pour
prendre conscience de la culpabilité que j’ai portée dans une
partie isolée de mon cœur.
Je n’étais pas honnête à l’époque. Ni avec moi-même, ni avec
ma meilleure amie, et pas plus avec l’homme qui, une fois
célibataire, n’a cessé de revenir vers moi parce qu’il savait
que je le voulais.
Il n’y a rien que je puisse faire pour le passé.
Mais le présent est entièrement sous mon contrôle.
Je prends une grande inspiration, m’emplissant de l’odeur
familière de Sam.
— Alors, j’ai vraiment gâché notre troisième rendez-vous,
c’est ça ?
— C’était assez houleux, oui, dit-il en déposant un baiser sur
ma tempe. Il m’a fallu une décennie pour en avoir un
quatrième et j’ai même eu besoin de l’aide d’un démon de
glace.
— Tu comptes le train comme notre quatrième rendez-vous,
chuchoté-je.
— À la seconde où tu t’es présentée comme Aibhlin. Tu t’es
lancée dans un jeu de rôle un peu dragueur.
— À ton appartement, c’était le cinquième rendez-vous, le
petit-déjeuner le sixième, et ce voyage le septième.
Je ne sais pas quoi dire ensuite.
— Sam...
— Sept rendez-vous, c’est su sant, Hazel.
Mon cœur cogne contre ma poitrine. J’avais déjà imaginé
Sam dire quelque chose de ce genre – un rendez-vous, c’est
su sant, Hazel – mais pas comme ça. Pas aussi tendrement,
gentiment. Pas avec autant d’amour.
— Je t’accorde une bonne dose de doute sur les trois
premiers rendez-vous, parce que ça n’en était pas vraiment,
pas dans le bon sens du terme. J’étais jeune et stupide, et je
n’avais pas assez d’amour-propre pour être avec toi. Mais je
l’ai su au quatrième. J’ai su dans le train que je ne voudrais
plus te dire au revoir.
J’ai le cœur serré. La peau tendue. La bouche sèche.
Mais mon cœur. Oh, mon cœur. Il est si mou en ce moment,
presque spongieux.
— Que veux-tu dire, Sam ?
Ses doigts s’enroulent autour des miens, et son regard reste
fixé sur mon visage.
— Figure-toi que tu m’as manqué toutes ces années. J’ai eu
une vie assez mouvementée et je suis très content que tu
n’aies pas été là pour y assister. J’avais besoin de traverser
tout ce chaos par moi-même et d’en ressortir en tant
qu’homme digne de toi. Ce que je dis, c’est que je veux un
huitième rendez-vous. Un neuvième et un dixième, et
ensuite je veux commencer à te voir tout le temps. Je
viendrai à Stratford. On peut se retrouver dans le train. Si tu
as une raison quelconque de venir en ville...
Je l’interromps avec ma bouche, mes mains entremêlées
avec les siennes. Ce n’est qu’une légère pression. Une
étreinte pour lui faire comprendre qu’il ne doit plus jamais
me laisser, et il comprend cette allusion. Ses bras se
referment autour de moi, maintenant, m’emportant dans un
câlin passionné. Je me retrouve sur ses genoux et c’est
absolument parfait. Il est chaud, adorable, et sous mes
fesses, il devient dur.
— Oui, je veux bien au moins trois autres rendez-vous avec
toi, chuchoté-je contre la peau de son cou.
Puis je le lèche.
Parce que sept rendez-vous, c’est su sant pour moi aussi.
DIX
SAM

J’aurais pensé que le réveillon de Noël avait atteint son


apogée en milieu d’après-midi, quand Hazel et moi nous
sommes avoués depuis combien de temps nous nous
désirions l’un l’autre.
Mais ensuite, la journée n’en est devenue que meilleure.
C’est notre dernière nuit dans ce pays d’hiver merveilleux.
Nous partons demain, dans la matinée, pour retourner en
ville.
Retour à la réalité.
C’est peut-être parce que cela va se terminer que chaque
moment me paraît plus doux que le précédent. Franchement
magique, pour être honnête.
Avec Hazel, et ce cadeau que sont des vacances à la neige, je
ne prendrai aucun risque, sauf celui de la vérité. Pour moi,
pour elle.
J’ai été un menteur. Un tricheur. Un connard, un fumier, un
putain d’abruti.
Mais tout ça, c’est fini.
Nous faisons une promenade en raquettes jusqu’à ce que le
nez d’Hazel devienne rose et ses yeux brillants, puis nous
rentrons nous habiller pour le dîner. Elle porte un pull blanc
délicat parsemé de paillettes argentées qui souligne sa
poitrine, laissant apparaître le bord d’un débardeur noir bien
ajusté. C’est festif juste ce qu’il faut.
Sur le chemin de la salle à manger, je lui demande de passer
devant moi, parce que je dois m’éclipser aux toilettes. Mais
au lieu de ça, je me faufile dans le hall d’entrée, dans la
boutique de cadeaux que nous avons déjà visitée plusieurs
fois. Je lui achète un collier.
Le septième rendez-vous est le moment idéal pour
commencer à o rir des bijoux.
Elle a parlé d’acheter une sculpture, un huard en pierre pour
son bureau, alors je choisis un collier du même artiste.
L’oiseau sur le pendentif plonge en piqué, sur une pierre
polie parfaitement lisse, suspendue à une fine chaîne en or.
— Pouvez-vous me l’emballer, s’il vous plaît ?
— Oui, monsieur, bien sûr, répond l’employée en souriant.
Un cadeau de Noël de dernière minute ?
— Oui. Pour ma petite amie.
Je souris. Ça sonne bien.
— Auriez-vous des cartes de vœux ?
Elle m’en donne une, puis se détourne pour emballer la
petite boîte carrée.
Je regarde le carton vierge. Qu’est-ce qui pourrait mettre en
valeur ce moment où nous en sommes, entre désirs anciens
et nouvelles découvertes ?
Après réflexion, je gri onne un message rapide, puis je
l’attache au ruban.
Quand j’arrive dans la salle à manger, Hazel nous a
commandé une bouteille de vin. Elle est en train de nous
servir, mais suspend son geste lorsque je pose le cadeau
devant elle. Ses yeux s’y attardent un moment, puis elle lève
la tête vers moi.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un petit quelque chose pour marquer le meilleur Noël de
ma vie, dis-je d’un ton un peu bourru.
— Oh, Sam.
Elle plisse les paupières et ses yeux brillent à nouveau, mais
cette fois, ce n’est pas à cause du froid.
— J’ai quelque chose pour toi, moi aussi. Tu veux bien
commander pour nous ? Je vais le chercher ? À moins que tu
veuilles garder ça pour plus tard et nous pourrons les ouvrir
tous les deux dans notre chambre ?
Je regarde la courbe lisse de son cou, sa clavicule nue au-
dessus de son débardeur. Le collier irait à merveille avec son
pull.
— Tu peux l’ouvrir maintenant.
Elle secoue la tête.
— Alors, je vais chercher le tien aussi, ce ne serait pas juste.
Je reviens tout de suite.
Elle se lève, puis s’arrête à côté de moi.
— Merci, murmure-t-elle en se penchant pour frotter sa
bouche contre la mienne.
La chaleur inonde ma poitrine.
Il lui faut à peine un peu de temps pour revenir, avec un petit
paquet emballé dans du papier. Je me rends compte que ce
n’est pas du papier cadeau. Elle l’a enveloppé grossièrement
dans un journal de notre chambre.
— Je ne savais pas que tu allais m’o rir quelque chose, alors
j’allais te le donner comme ça demain.
Elle s’assoit en face de moi et me le tend.
— Joyeux Noël, Sam.
Je le prends. D’après son poids et sa forme, je devine que
c’est un livre.
Mon pouls s’emballe alors que je déchire le papier journal.
C’est le sien, je le sais. Lorsque la couverture est révélée, une
photo en noir et blanc d’un couple enlacé, je reste sans voix.
Il s’intitule Entremêlés.
C’est une preuve de confiance dont je reconnais la valeur.
J’e eure le nom sur la couverture. Aibhlin Moon.
— Alors, c’est ton nom de plume.
Elle acquiesce.
— Oui.
— Incroyable.
Je le retourne et consulte sa biographie au dos.
Aibhlin Moon vit seule dans une petite maison, dans une petite
ville, où elle gri onne de grandes idées.
— Combien de livres as-tu publiés ?
— Un tas.
— Je les achèterai tous. Je veux les faire dédicacer.
— Je vais te les o rir.
Je secoue la tête.
— Je les commanderai dès que je rentrerai à la maison. Je
connais bien une librairie.
— Sam...
Le sou e court, elle finit par acquiescer.
— Bon, d’accord. Je me ferai un plaisir de les signer pour toi.
— Toute nue.
Ses joues deviennent roses et elle regarde autour d’elle dans
la salle à manger.
— Oui, murmure-t-elle en se retournant. Toute nue.
— Bien. Maintenant, à ton tour.
Elle prend la boîte et regarde d’abord la carte. J’aime voir
qu’elle se mord la lèvre en lisant ce que j’ai écrit.
Pour Hazel, pleine de grâce et parfaite en tout point.
Avec amour, Sam
J’ai hésité un petit moment pour savoir si je devais ajouter ce
mot à la fin, mais ce n’est qu’une carte. Alors, on a le droit.
Elle retire soigneusement l’emballage et ouvre la boîte.
— Oh, c’est... waouh.
Elle prend une inspiration, puis lève les yeux vers moi.
— C’est joli. Vraiment, Sam, tu n’avais pas à le faire.
— J’en avais envie. Je voulais que tu gardes un souvenir de ce
séjour et tu avais l’air d’aimer les huards.
Elle se lève à nouveau et rejoint mon côté de la table.
— Tu m’aides à le mettre ?
Je me lève aussi, sans me soucier que les gens nous
regardent. Je lui prends la chaîne et la place autour de son
cou, bouclant d’abord le fermoir, puis déposant un doux
baiser sur la peau nue juste au-dessus.

Le reste de la soirée se déroule lentement, comme un film de


vacances. Du cidre chaud, un petit concert près de la
cheminée dans le hall, un long et tendre baiser sous le gui
que nous avons découvert devant l’ascenseur.
Et puis le film s’achève sur un fondu au noir alors que nous
tombons sur le lit, gardant ces moments torrides juste pour
nous.
Le jour de Noël, nous nous réveillons tout doucement. J’ai
envie de la prendre, de l’étreindre, de lui faire l’amour, mais
nous aurons le temps pour ça bien assez tôt. Quand nous
serons chez elle, ou peut-être chez moi.
Je me fiche de l’endroit où nous irons ensuite, du moment
que nous restons ensemble un peu plus longtemps.
Lorsque nous sommes tous les deux réveillés et qu’elle se
glisse sur moi, je l’embrasse. C’est long et lent, plein de
promesses.
Puis nous nous douchons, faisons nos bagages et nous
rendons à la salle à manger pour le petit-déjeuner avant de
partir. Nous sommes gâtés par le personnel de service. Café
haut de gamme, mimosas pétillants, et de grandes assiettes
garnies d’un vrai petit-déjeuner québécois. Crêpes,
saucisses, fèves au lard à l’érable, tranches épaisses de
jambon rôti et une sauce hollandaise exquise sur les œufs
pochés les plus parfaits que j’aie jamais mangés.
Hazel se moque discrètement de moi pendant que je dévore
mon repas.
— Quoi ?
— Tu es comme un enfant dans un magasin de bonbons ce
matin.
— C’est un délicieux petit-déjeuner.
— C’est le même que celui d’hier, fait-elle avec un sourire.
Je le sais. Mais c’est notre dernier, alors ça signifie... quelque
chose. Quelque chose d’incroyable, de spécial, quelque chose
que je ne veux pas oublier.
— C’est di érent ce matin.
Elle acquiesce et son regard s’attarde sur mon visage.
— Oui.
Tout est di érent maintenant.
Il est trop tôt pour en parler. Tant de choses se sont passées,
tant d’eau a coulé sous les ponts, mais nous deux, c’est
encore tout neuf.
ONZE
HAZEL

Sam me ramène chez moi à Stratford et reste dans mon lit


pendant deux jours de plus avant de partir finalement pour
retrouver le monde réel et son travail.
Nous ne parlons pas de cette relation naissante ni de ce qui
va suivre.
Nous parlons littérature, cuisine et cinéma. Nous passons
une bonne partie du temps à ne pas parler du tout, rien qu’à
nous câliner, faire l’amour et lire.
— Tu viendras en ville pour le réveillon du Nouvel An ? me
demande-t-il alors que nous sommes nus, me plaçant ainsi
dans une position terriblement désavantageuse.
Je lui réponds oui avec un immense sourire.
— Mais je dois d’abord travailler un peu.
— Je comprends.
— Comment allons-nous fêter le Nouvel An ?
— Alex organise une fête.
— Ça a l’air sympa.
Sam fait la grimace.
— Ah, dis-je. Ton frère sera là ?
— Oui.
Il grogne et m’attire à lui.
— Et beaucoup d’autres. Allez, ça su t.
Faire l’amour, des câlins, et lire ensemble.
Voilà le bonheur.
Quand il s’en va, j’ouvre mon ordinateur et je commence à
écrire.
DOUZE
SAM

Elle se présente sur le pas de ma porte quatre jours plus tard,


un jour avant son arrivée prévue pour le réveillon du Nouvel
An.
— Salut, dit-elle lorsque j’ouvre. Ça ne te dérange pas que je
sois là ?
Je la prends dans mes bras.
— Ramène ton cul à l’intérieur. Tu m’as tellement manqué.
Elle rit et se glisse contre mon corps, sa bouche chaude et
avide.
— J’espère que je n’ai pas interrompu tes plans ? Tu as dit
que tu préparais le dîner quand je t’ai envoyé un texto...
— J’essaie, en tout cas.
Elle me coule un regard timide.
— Je peux t’aider ?
Mon cœur se serre.
— Oui. Putain, oui. S’il te plaît.
Je la conduis dans l’appartement.
— C’est ma résolution pour l’année prochaine. Je commence
tôt. Je veux enfin utiliser ma cuisine et être un humain.
— Moins de plats à emporter, plus...
Elle s’arrête en regardant le chaos dans ma cuisine.
— Combien de casseroles di érentes as-tu sur le feu ?
— J’ai pensé que je pourrais cuisiner à l’avance pour ta
venue. C’est, euh... de la sauce à spaghettis, et là, ce sont des
légumes sautés. J’ai aussi des blancs de poulet au four et...
Je m’interromps avant de conclure :
— Toutes les casseroles, je crois.
C’est excessif, j’en suis conscient, mais nous avons beaucoup
de temps à rattraper.
— Eh bien...
Elle contourne l’îlot central, découvrant le désordre.
— Je peux commencer par ces champignons ? À quoi vont-ils
servir ?
— J’allais les farcir. En apéritif. Ou pour le dîner, pendant
que je t’enverrais des textos plus tard dans la soirée s’ils
n’étaient pas assez bons pour être conservés jusqu’à demain.
Elle rit en prenant un couteau de cuisine.
— Ça marche.
Comme j’avais presque terminé les autres plats, je me mets à
la vaisselle pendant qu’elle prépare les champignons, puis
change de couteau et commence à hacher l’ail pour la farce.
J’arrête de ranger et cède à mon envie de contempler ses
mains qui s’activent sur la planche à découper. Elle émince,
hache, découpe, verse... Enfin, elle lève la tête pour me
regarder.
— Tu peux saupoudrer de sel ?
Putain, ça me rend tellement heureux de cuisiner avec elle !
Je sale sa planche, puis je reste à côté d’elle pendant qu’elle
découpe l’ail.
C’est haché à la perfection.
— Bon travail, murmuré-je en l’embrassant avec ferveur.
J’aime comme elle rougit quand je m’écarte.
— Je ne cuisine pas beaucoup. Mais quand je le fais, j’aime le
faire bien.
— C’est sexy. Je bande presque en regardant tes mains, tes
bras. En te regardant travailler.
— Allez, va-t’en.
Je me place derrière elle, la coinçant contre l’îlot.
— Tu sens comme je suis excité en imaginant ces doigts
autour de ma queue au lieu du couteau ? Et tu aurais ce
même froncement de sourcils adorable, concentrée sur tes
caresses de plus en plus rapides pour essayer de me faire
jouir.
Elle frissonne.
— Ah, je vois ce que vous essayez de faire, Monsieur Je-
détourne-ton-attention.
Je l’embrasse dans le cou.
— Pas du tout. Je suis honnête, c’est tout.
Elle sourit.
— Ça me plaît. Je veux en entendre plus après le dîner.
J’ai compris l’allusion et je la laisse tranquille.
— De quoi d’autre veux-tu parler ?
Elle penche la tête sur le côté.
J’aime lire en elle comme dans un livre.
— Demande-moi n’importe quoi, Hazel. Je te l’ai dit quand
tu es venue ici la première fois et je le pensais. Il nous reste
dix minutes avant que le poulet soit prêt.
— Je...
Elle pince les lèvres.
— C’est...
Je sors une bouteille de vin et deux verres. Elle me regarde,
mais ne dit rien d’autre.
Je tends les bras vers elle
— Viens ici.
Aussitôt, elle se blottit contre moi.
— Pourquoi es-tu venue un jour plus tôt ? demandé-je.
Son doux soupir e eure ma chemise.
— Je me sentais un peu anxieuse. Je voulais te voir. C’est
di cile de se rappeler que c’est bien réel quand on est
ailleurs. Je ne sais pas si ce que je dis a un sens, je ne
voudrais pas te faire flipper.
— Non, je comprends. Tu ne sais pas si je suis une valeur
sûre à long terme. Tu n’as pas besoin de croire que j’ai
changé. Je vais te le montrer. Tout ce que je veux, c’est une
chance de continuer à te montrer qui je suis et ce que je
ressens pour toi. Et, tu sais, je veux surtout que tu te sentes
bien.
Elle rougit.
— Ça me plaît beaucoup.
— Surtout la dernière partie ?
— Oui.
— Comment veux-tu que je te fasse sentir bien ce soir ?
Elle me lance un regard interrogateur.
Je pose mon doigt sous son menton et incline son visage
pour pouvoir me pencher et l’embrasser. C’est doux, au
début, puis plus fort. Nos langues glissent et se taquinent.
C’est excitant.
— Je ferai tout ce que tu veux.
— Plaque-moi contre ton lit, murmure-t-elle. Impose-toi à
moi.
— Marché conclu, dis-je avant d’inspirer vivement. Je dois
éteindre la cuisinière ?
Elle secoue la tête, mais m’embrasse à nouveau avant de
répondre.
— Mangeons. Discutons. Nous aurons toute la nuit au lit
après ça.
Je sers le vin et elle met les champignons au four, puis je la
ramène dans mes bras.
— Que veux-tu savoir d’autre ?
— N’importe quoi. Tout. Je ne sais même pas par où
commencer.
— Tu veux savoir pour les jeux d’argent ?
Elle ne m’a pas interrogé. Peut-être qu’elle ne le fera jamais,
alors je mets le sujet sur la table.
Cette fois, elle me regarde avec franchise et détermination.
— Oui. Si tu veux partager.
Je hoche lentement la tête.
— Bien sûr.
Je lui serre un peu la hanche, puis recule. J’ai besoin d’un peu
d’espace.
— Tout a commencé au lycée. Ça a comblé un vide. Non,
beaucoup de vides, pas seulement un. Ma vie était plutôt
creuse. Je n’ai pas eu de petite amie avant la fac, et Dieu sait
pourquoi Regan est restée avec moi.
Une émotion transparaît sur le visage d’Hazel et elle
détourne le regard.
Une culpabilité nerveuse me traverse, sans raison véritable.
— Qu’y a-t-il ?
— Je ne comprenais pas non plus pourquoi elle restait avec
toi, murmure-t-elle.
Puis elle me regarde de nouveau, sous ses cils d’un noir
charbonneux. C’est un regard contrit.
— Je n’ai jamais compris son attirance pour toi.
Ses lèvres frémissent et le sentiment de nervosité s’envole,
remplacé par une humeur plus lubrique.
— Jamais ?
Elle fait la grimace.
— Non.
— Waouh.
— Mais...
Elle laisse sa phrase en suspens pour me faire un clin d’œil.
— Au fond de moi, je savais. Parce que je désirais cet
homme-là, moi aussi. Un Sam brisé, hors limites.
Dangereusement attirant pour les filles.
Merde.
— Ce n’est plus ce que je suis maintenant.
— Je sais.
Elle me frotte le bras et je pose ma main sur la sienne.
— Je ne veux plus de ce type-là. Je peux seulement admettre
que j’étais attirée par lui contre toute logique. Et maintenant,
je suis attirée par toi de tout mon cœur.
— Tant mieux, dis-je en lui caressant la joue. Je peux
t’avouer quelque chose qui ne me présentera pas sous mon
meilleur jour ?
— Toujours.
— Je ne croyais pas vraiment à cette relation. Ni à aucune
autre, pendant longtemps. Depuis, j’ai appris beaucoup de
noms pour expliquer ce qui m’animait alors. La
grandiloquence, c’est le meilleur terme, parce qu’il exprime
le pire. La vanité. L’envie de succès. La victoire. Mais c’est un
mensonge, parce que je n’ai rien gardé de tout cela. Aucun
sommet n’était assez haut et je ne cessais de me casser la
figure. Le prochain pari devait être toujours plus grand.
C’était... intense.
— J’en suis désolée, dit-elle doucement.
Je secoue la tête.
— Non. Merci, mais il ne faut pas. Je me suis fait ça tout seul.
Je me suis embourbé moi-même. Secrets, mensonges,
marchandage d’informations, dont j’ai appris les arcanes en
jouant aux cartes. Je pouvais voir la catastrophe arriver, mais
je m’en fichais.
Je pousse un profond soupir.
Elle s’avance et passe les bras autour de ma taille.
Un câlin. Pas de mots, pas d’excuses qu’elle n’a pas à
donner, ni moi à demander. Rien qu’une chaude et douce
étreinte.
Je l’embrasse sur la tempe et me laisse aller à cette délicate
attention.

Je me réveille au milieu de la nuit en prenant conscience


qu’Hazel est à côté de moi, bien réveillée. Je marmonne son
prénom en tendant les bras vers elle.
— Qu’est-ce qui ne va pas ?
— Rien.
Sa voix est légère, et quand elle tourne la tête dans ma
direction, je distingue l’esquisse d’un sourire.
— Parfois, je n’arrive pas à dormir, c’est tout. Je
réfléchissais.
— À propos de quoi ?
— Des histoires, dit-elle en se blottissant contre moi. Mais
tu devrais te rendormir.
— Je ne peux plus maintenant. Je veux connaître l’histoire.
— Elle est plutôt crue.
— D’autres poèmes inspirés par Sam Preston ?
Elle rit et se rapproche.
— On devrait mettre ton ego en bouteille et le vendre. C’est
un sacré produit, tu sais ?
Je frôle son cou de mes lèvres.
— Moins dernièrement.
— J’aurais pu croire.
— Je ne veux pas que tu te trompes sur moi, chuchoté-je.
Elle se retourne dans mes bras. Je l’embrasse avec fougue et
elle émet un petit son que j’aime, alors je recommence.
Puis je la fais basculer sous mon corps et me cale entre ses
jambes. Elle est moite, accueillante, mais je ne me précipite
pas. Ma verge palpite d’envie, impatiente de sentir la chaleur
de son corps. J’ai envie de me perdre dans ce moment.
Mais c’est elle qui n’arrivait pas à dormir.
— Qu’est-ce que tu veux ?
— Toi.
Elle étire ses bras vers le haut et les passe autour de mon cou.
— En moi, ajoute-t-elle.
— Je pensais la même chose.
Je présente mon sexe entre ses cuisses et elle se trémousse.
— Oui ?
Elle acquiesce.
Dès que j’enfonce mon gland en elle, mes bourses se
crispent. Elle est si bonne, incroyablement douce et mouillée,
et mon sexe essaie de prendre de l’ampleur entre ses parois
étroites.
Au gémissement d’Hazel, je sais qu’elle ressent intensément
cette invasion.
Mes bras de part et d’autre de sa tête, je l’enferme tout en
faisant pivoter mes hanches. Pressant mon sexe frémissant,
épais et dur contre son corps. Je suis en elle, mais peu
profond.
Quand elle oscille les hanches, je me retire et mon sexe se
détache d’elle avant de venir claquer sur son clitoris. Elle se
tend vers moi et je lui saisis la main.
— Attends, grogné-je.
Elle écarquille les yeux. Puis elle sourit et secoue lentement
la tête.
— Force-moi, murmure-t-elle. Si tu veux me torturer.
Je coince son bras au-dessus de sa tête et retiens ses
poignets à une main tout en caressant chaque centimètre
carré de son corps, de l’autre.
— Tu ne crois pas que j’ai déjà envie d’être enfoui en toi ?
— Je sais que tu le veux, dit-elle, le sou e court.
— C’est une torture pour nous deux. Mais ça fait du bien
aussi. N’est-ce pas ?
— Oui.
Je lui serre les poignets.
— Bien. Maintenant...
Je la taquine de nouveau entre les cuisses.
— C’était quoi, ton idée d’histoire ?
Elle halète, puis gémit mon nom.
— Tu n’as pas besoin de me le dire, chuchoté-je en éloignant
mon sexe de l’endroit où elle le voudrait pourtant
désespérément.
— Ce n’est pas juste.
— Je pourrais me rendormir.
Je feins de fermer les yeux et de laisser tomber ma tête à côté
de la sienne.
Elle glousse et se déhanche, essayant de forcer nos corps à
entrer en connexion.
Je m’écarte d’elle, m’e orçant de ne pas me frotter, lui
refusant ce que nous désirons pourtant tous les deux.
— C’était à propos de la corde, murmure-t-elle.
— L’idée du château ?
Elle hésite.
— Non. Oui, mais pas tout à fait. Quelque chose de di érent.
Je l’embrasse fort sur la bouche.
— Merci de t’être ouverte à moi.
J’aime le frisson qui la parcourt lorsque nous nous unissons
enfin et que je m’enfonce en elle, l’emplissant tout entière –
enfin.
— Merci de me l’avoir dit.
— C’est... ah !
Elle bascule la tête en arrière. Tout ce qu’elle allait dire est
perdu lorsque je passe ma langue sur la douce étendue de son
cou, la prenant dans mes bras pour nous faire osciller
ensemble, d’abord avec vigueur, puis avec frénésie. C’est une
baise puissante et rapide, qui nous emmène tous les deux
vers une conclusion pantelante.
Après quoi, le sommeil m’emporte à nouveau, cette fois avec
Hazel contre moi.
TREIZE
HAZEL

La chambre de Sam est baignée de lumière lorsque je


m’éveille. Un coup d’œil au réveil m’indique qu’il est
presque midi. Poussant un cri, je saute du lit et enfile des
vêtements.
Je le trouve dans le salon, a alé sur le canapé. Il est en train
de lire.
Quand je réalise ce qu’il est en train de lire, je m’arrête net.
Il lève les yeux, lentement, et m’adresse un sourire. C’est un
sourire entendu et coquin. D’après la répartition à peu près
égale des pages lues et des pages encore à lire, je sais qu’il se
trouve au milieu de mon livre. Il y a généralement du sexe à
ce stade. C’est bien, je suis fière de mon travail, mais c’est
quand même bizarre.
— Bonjour, murmure-t-il.
— C’est ça, rétorqué-je, mon regard revenant sans cesse sur
ses mains qui tiennent mon livre ouvert. Je ne voulais pas
faire la grasse matinée.
— Tu en avais besoin.
Il ferme le livre et le pose sur la table basse. À ma grande
joie, mais non sans un élan d’horreur – une étrange
combinaison de sentiments – je me rends compte que
l’exemplaire d’Entremêlés que je lui ai o ert n’est pas le seul
qu’il possède à mon nom. Il y en a toute une pile. Un recueil
de poésie, et quelques romans.
— Sam ?
Il me lance un regard innocent.
— Oui ?
— Est-ce que tu...
Je fais un geste vers les livres, parce que c’est évident.
— ... tu as acheté mes livres ?
— Je te l’ai dit, j’envisage de devenir un mécène des arts.
— Ça ressemble plus à une recherche qu’à un
investissement.
— Oh, c’est clairement un investissement, dit-il en se
levant. Tu as faim ?
Est-ce la fin de cette conversation ? Mais mon estomac
grogne déjà.
— Oui.
— Tu veux qu’on cuisine ensemble ou qu’on sorte ?
Je veux qu’il m’explique pourquoi il lit mes livres. Un
investissement.
— Tu sais que je ne suis pas mes livres, n’est-ce pas ?
— Bien sûr.
Il s’approche de moi, passe ses lèvres sur les miennes, puis
me retourne et me montre la cuisine.
— On va cuisiner ensemble. On fait des pancakes ?
— Ils mangent des pancakes dans ce livre !
— J’ai remarqué.
Je devine son rire silencieux dans mon dos alors qu’il enroule
ses bras autour de moi.
— Tu vas bien ?
— Non.
La façon dont il tremble, son corps grand et ferme, doux à la
fois, et d’une certaine façon, compréhensif, me laissent
entendre qu’il comprend les nuances que j’ai mises dans
cette seule syllabe.
— Est-ce que tu te sentirais mieux avec des pancakes ?
Je souris à part moi, heureuse qu’il ne puisse pas voir mon
visage.
— Oui.
— Tu vois, mon investissement est déjà rentable.
Il referme un bras autour de ma taille, me maintenant en
place, et utilise son autre main pour soulever mes cheveux
afin de pouvoir m’embrasser sur la nuque.
Les pancakes. C’est le premier « secret d’Hazel » qu’il a
retenu de la lecture de mes livres. Pas les conversations
érotiques, ni la fessée – j’essaie de me remémorer toutes les
scènes de sexe que j’ai écrites dans ce roman, mais je me
souviens sans aucun doute de l’importance accordée à la
fessée.
Ce n’est pas la première fois que j’imagine Sam me mettre
sur ses genoux.
Je me tortille contre lui alors qu’il m’embrasse dans le cou.
— C’est ma chérie, murmure-t-il. Elle aime les pancakes, les
baisers dans le cou, et les surprises.
— Les surprises ? dis-je d’une voix éraillée.
— Hmm, hmm. Par exemple, débarquer ici un jour plus tôt.
Tu ne pouvais pas t’en empêcher, et on a tous les deux adoré
cette surprise. Me surprendre en train de lire tes livres, aussi.
C’était une surprise et tu as aimé ça.
— Je pense avoir clairement a ché ma réaction.
— J’y ai vu une surprise ravie.
— Je suis presque sûre que c’était plus une incertitude
inquiète.
Il rit à gorge déployée.
— Incertitude inquiète ?
Il me retourne, m’attrape par les hanches et me hisse dans
les airs.
— Accroche-toi bien, ma belle.
Je crie et enroule mes bras autour de lui alors qu’il
m’emporte dans la cuisine et me dépose sur le plan de
travail.
Puis il place ses mains de part et d’autre de mon corps et se
penche, son front contre le mien.
— Hazel, murmure-t-il, ses yeux joueurs. J’ai un aveu à te
faire.
— Tu ne sais pas faire des pancakes ?
— Je suis sûr que je peux me débrouiller.
Il m’embrasse.
— Mais je vais avoir besoin que tu fermes les yeux pendant
une minute, le temps que je fasse une recherche rapide sur
Google.
Je ris et ferme mes paupières.
— Marché conclu.
Mais il ne bouge pas.
— Est-ce que tu me dévisages, là ?
— Coupable.
— Sam...
Il m’embrasse doucement, ses lèvres s’attardant sur les
miennes. Je garde les yeux fermés pendant tout ce temps,
ignorant les battements de mon cœur, mes sentiments
compliqués. J’ignore tout sauf la sensation de sa bouche, le
goût de sa peau, le glissement de sa langue. Simple, pur, bon.
— J’ai dix ans de baisers à rattraper, dit-il enfin. Et j’aime te
regarder. Ça te va ?
Je hoche la tête.
Et je garde mes paupières closes.
Ça me va plus que bien.
Alors, pourquoi ai-je été déstabilisée en le voyant lire mon
livre, un exemplaire que je lui ai o ert moi-même ?
L’un des clients de Sam est saisi de panique à cause de
l’évolution du cours d’une action l’après-midi même et il
doit s’absenter quelques heures.
Je travaille un peu, puis je m’installe sur son canapé et je
prends le recueil de poésie. Mon livre, dans l’appartement de
Sam. Mon livre, au dos craquelé. Malgré ses taquineries, ce
n’est pas sur le poème à son sujet que le livre s’ouvre.
C’est un poème sur l’amitié et le manque.
Un peu fâchée contre mon moi passé d’avoir été une
meilleure personne que mon moi présent, j’attrape mon
téléphone et envoie un message rapide à Regan.
Hazel : Salut, toi ! J’espère que tu passes un bon Noël.
Regan : Tes oreilles ont si é ou quoi ? Je parlais justement de toi.
J’appuie sur le bouton d’appel et elle répond tout de suite. Il
y a du bruit en arrière-plan, des rires et des discussions.
— Je tombe mal ?
— Pas du tout. Attends, laisse-moi m’échapper...
Elle soupire un moment plus tard.
— C’est mieux. La famille de ma sœur est ici.
— Sympa.
Je triture le plaid dans lequel je me suis enroulée.
— Dis donc, c’est... bizarre que tu sois en train de parler de
moi. Je pensais justement à toi.
— Oh, fait-elle, attendrie. L’univers et ses mystères. Tu as
deviné ma nouvelle ?
— Non.
Je prends une profonde inspiration, cherchant à ce que ma
poitrine se détende.
— Dis-moi.
— Je suis encore enceinte.
— Oh, waouh !
Je ris, puis je secoue la tête, heureuse qu’elle ne puisse pas
me voir.
— C’est formidable.
— Je suis enceinte de presque cinq mois, mais nous n’avons
rien annoncé aux gens cette fois-ci...
Elle ne termine pas sa phrase.
Je me rappelle que sa dernière annonce de grossesse a été
suivie d’une triste nouvelle.
— Je comprends, dis-je à mi-voix. Je suis contente pour vous
deux.
— Merci. Alors, pourquoi pensais-tu à moi ?
Je regarde le poème sur mes genoux.
— Il s’est passé un truc bizarre juste avant Noël. Je suis
tombée sur Sam dans le train. Ton Sam.
Ces deux mots me semblent sonner faux. Bon sang, je ne
m’attendais pas à me sentir comme ça, comme si j’avais
peut-être fait quelque chose de mal, mais aussi comme si
c’était une bonne chose, l’histoire ayant simplement pris un
autre chemin.
— Sam Preston ?
Elle si e.
— Ça alors. Comment va-t-il ?
Il est complexe, magnifique à la fois.
— En fait, je suis dans son appartement en ce moment. Il
est... ça va.
Elle ne répond pas tout de suite.
C’était une erreur.
Je ne cherche pas son autorisation.
— Vous êtes ensemble ? demande-t-elle enfin.
Je ne suis incapable de déchi rer son intonation au
téléphone.
— Oui.
— Ah.
— Reg...
— Je suis heureuse pour toi, dit-elle aussitôt. Je me suis mal
exprimée. Mais je suis surprise, c’est tout.
— Alors, on est deux.
Trois, probablement, mais ce n’est qu’une supposition.
Même si j’ai raison, je veux garder cette partie de Sam pour
moi.
— Il m’a écrit l’an dernier. Est-ce que tu sais... ?
— Oui, je crois. Il m’a parlé de ses démêlés avec la justice.
Elle expire.
— D’accord.
Après une autre pause, elle ajoute :
— Il a dû beaucoup changer en dix ans pour que tu lui
donnes une chance.
— Il a passé la matinée à lire mes livres.
— Vraiment ?
Je fronce les sourcils.
— Oui.
— Il a changé, alors. Il avait du mal à lire.
Maintenant, c’est moi qui suis sous le choc.
— Vraiment ? Je ne m’en souviens pas. Je le voyais tout le
temps à la bibliothèque.
Ce qui ne signifie rien, maintenant que je le dis à voix haute.
— Ne le lui répète pas. Mais... oui. C’était un vrai problème
pour lui, en grandissant. Il ne m’en a jamais parlé, mais il y
avait des indices un peu partout. Des remarques méprisantes
que sa famille lui faisait.
— Tu les as rencontrés ?
Elle prend le temps de réfléchir.
— Son frère était sur le campus. Il avait une petite amie... Je
l’aimais beaucoup. Grace.
— Ils se sont mariés, ajouté-je.
— Hmm.
C’est une réaction lourde de sens.
— Et ses parents ?
— Seulement en passant. Son père était venu faire une
présentation à l’école de commerce, puis il a emmené Sam et
Luke dîner. Sam a débarqué chez moi après. Il était
complètement saoul. Ce n’était... pas beau à voir.
J’ai assez creusé dans ses souvenirs. Si je veux en savoir plus
sur la famille de Sam, c’est lui que je dois interroger.
— Il a vraiment changé, dis-je à mon amie. Et il a demandé
de tes nouvelles.
— Dis-lui que je suis désolée de n’avoir jamais répondu à sa
lettre. Je ne savais pas comment la prendre.
— Je le ferai.
Avec un sourire, j’ajoute :
— Au fait, envoie-moi une photo de ton ventre rond,
d’accord ?
— Ça marche. Joyeux Noël.
QUATORZE
SAM

Hazel sort tout juste de la douche quand je reviens. Ses


cheveux sont humides. Avec un petit pantalon de soie, un
soutien-gorge à peine visible et sa culotte, elle est debout au
milieu de ma chambre.
On dirait qu’une bombe a explosé, pourtant je jurerais
qu’elle n’a pas apporté autant de vêtements en arrivant.
— Je peux t’aider à choisir une tenue ? demandé-je depuis le
seuil de la porte.
Elle sursaute.
— Oh.
— Tu ne m’as pas entendu entrer ?
— J’étais perdue dans mes pensées, dit-elle en désignant
l’étalage d’habits. Mais oui, aide-moi, s’il te plaît. Qu’est-ce
que tu portes, toi, ce soir ?
— Habituellement un costume, mais je peux être plus
décontracté si tu veux. Il y aura des gens en jeans.
Je jette un coup d’œil à ses options, toutes aussi jolies les
unes que les autres.
— Je préfère me coordonner avec toi plutôt que l’inverse.
Elle prend une robe noire et la passe par-dessus sa tête,
dissimulant ses sous-vêtements en soie.
Trop tard, je sais qu’ils sont là. Ils vont m’attiser toute la
nuit.
— Peut-être avec des bottes hautes ? Si je peux porter les
bottes dans sa maison ? Est-ce que...
Je la rejoins et l’embrasse pour la ralentir.
— Bien sûr. Personne n’enlève ses chaussures, là-bas.
Elle fronce son nez contre le mien.
— Ça doit salir partout.
— Alex peut se payer un cirage de parquet.
— Eh bien, dans ce cas...
Elle rit quand je l’interromps encore avec ma bouche. Puis
elle soupire alors que je remonte sa robe su samment pour
lui peloter les fesses et attirer tout son corps contre le mien.
— Je dois me coi er et me maquiller.
— J’aime ta culotte.
— Vraiment.
— Je l’aimerai encore plus sur tes chevilles quand on
rentrera de la fête.
Je passe mes doigts entre ses jambes.
— Ou pendant la fête, si tu es partante.
Elle pousse un soupir alangui.
— Y a-t-il des coins privés dans sa maison ?
— Très.

Toutes les fenêtres du manoir gothique d’Alex, près de


Dupont, sont illuminées. J’ouvre la porte sans frapper et fais
entrer Hazel.
Elle me lance un clin d’œil en me frôlant.
— Des coins très privés, tu dis ?
Je souris.
— Si tu es patiente.
Un escalier part du hall d’entrée et monte en arrondi jusqu’à
l’étage. Il est bondé. Je reconnais certaines personnes, mais
pas la plupart. Alex a un mélange d’amis éclectiques issus du
monde des a aires et de la littérature, ainsi que des
connaissances rencontrées au fil de ses di érents loisirs. Le
hockey, la musique...
La fête va se ramifier dans toute la maison, mais nous ne
montons pas tout de suite. Nous passons devant le bureau
d’Alex, une bibliothèque sombre et solennelle qui pourrait
nous servir de recoin, plus tard dans la soirée, puis dans la
grande salle ouverte au-delà. Il a abattu quelques cloisons
pour créer un espace ouvert, mi-salle à manger mi-cuisine,
avec des volumes très accueillants et propices aux fêtes.
Les conversations vont bon train, chacun essayant de se faire
entendre par-dessus le brouhaha ambiant. Je saisis quelques
mots çà et là. Investissement. Date de parution. Publicitaire. Les
yeux d’Hazel s’illuminent et je me souviens de ce qu’elle m’a
dit à propos de ses idées d’histoires. Elle voit des gens, capte
des bribes, et l’inspiration lui vient d’un mélange de tout
cela.
Alex tient séance d’un côté de la table. Quand il nous voit, il
nous fait signe.
— Hazel, dit-il en saluant chaleureusement ma compagne.
Tu as survécu au voyage ?
— On s’est bien amusés. Merci de nous avoir aidés.
— Avec plaisir, surtout pour une consœur d’écriture.
— Et moi, je suis quoi, de la pâtée pour chiens ? m’exclamé-
je en tendant la main, qu’il me serre.
Alex sourit.
— Tu as réussi à lui soutirer son nom de plume ?
— Oui.
— Et c’est... ?
Je regarde Hazel, qui pince les lèvres. Motus et bouche
cousue.
— Un secret, dis-je aussitôt.
Hazel se presse contre moi. Bien joué.
— Désolée, Alex, dit-elle. Mais j’aime entretenir le mystère.
Il rejette la tête en arrière et éclate de rire.
— Je comprends tout à fait. Laissez-moi vous présenter à
quelques personnes...
Après avoir fait le tour, nous entamons le repas qu’il a fait
préparer par un traiteur. Pendant les deux heures suivantes,
Hazel n’est jamais loin de moi. J’aime sa façon de me
toucher inconsciemment, avec de petites caresses et des
câlins du bras.
Je n’ai jamais invité de femme à une réception comme celle-
ci, et la soirée n’en est que plus intéressante. Le mieux, ce
sont les coups d’œil secrets. Hazel a une façon bien à elle de
se mordre la lèvre inférieure, qui me donne l’impression
qu’elle se concentre intensément en se retenant de rire.
J’ai envie de mordre cette lèvre moi-même.
D’avaler son rire et de partager ce qui semble l’amuser.
Alors que nous retournons au bu et pour nous resservir une
troisième fois, je surprends la même expression sur son
visage, mais cette fois, il n’y a personne autour de nous. Je
jette un coup d’œil à gauche et à droite, puis je baisse la voix
sur une note conspiratrice.
— Qu’y a-t-il ?
— Peut-être rien, murmure-t-elle. Mais je reconnais
quelqu’un ici, et c’est... Disons qu’Alex a un curieux mélange
d’amis.
— On peut le dire. De qui s’agit-il ?
— Ce type derrière toi... Ne regarde pas trop vite. À six
heures, celui avec la barbe. Je le reconnais.
Au moment où j’allais jeter un coup d’œil, j’entends mon
prénom. C’est une bonne excuse pour me retourner
rapidement et voir le barbu dont Hazel parle. La personne
qui vient de me saluer n’est autre que mon frère. Il vient
d’arriver avec Grace.
L’instant d’après, mon frère se dirige vers la cuisine pour
boire un verre.
Grace s’approche de moi – ou plutôt d’Hazel, la seule
personne dans la pièce qui attire son regard.
J’imagine qu’on ne va pas parler de la raison pour laquelle
Hazel connaît ce barbu.
Un élan de... non pas de jalousie, mais peut-être de
curiosité... me prend aux tripes. Comme si elle allait me
partager une anecdote qui m’intrigue déjà. Je veux que tous
ses secrets bizarres deviennent les miens aussi.
Mais ce n’est pas le moment. Je prends une gorgée de vin
pour nettoyer mon palais, avant de faire les présentations.
— Hazel, je te présente ma belle-sœur, Grace.
— J’ai tellement entendu parler de vous, dit
chaleureusement Hazel en tendant la main.
Grace la prend entre ses deux mains.
— Et moi, je n’ai pas assez entendu parler de vous. Sam vous
garde pour lui tout seul, et je proteste.
— Ah, bon ? dis-je en posant un bras sur l’épaule de ma
petite amie.
— Tu n’as pas besoin de la protéger contre moi, proteste
Grace. Hazel, je peux vous voler à lui une minute ?
Hazel me regarde d’un œil pétillant.
— Tu es d’accord pour que Grace me cuisine ?
— Ai-je le choix ?
Elle s’avance et m’embrasse.
— Je reviendrai bientôt pour finir notre conversation.
QUINZE
HAZEL

Je ne sais pas à quoi je m’attendais de la belle-sœur de Sam,


qui a rempli son loft d’œuvres d’art érotiques et qui l’appelle
aussi en panique au milieu de la nuit, mais certainement pas
à cette jeune femme pétillante et bondissante comme une
balle de ping-pong. Elle est petite, quelques centimètres à
peine au-dessus d’un mètre cinquante, et si Sam est très
élégant et soigné, sa belle-sœur est tout le contraire.
Quand il a dit que certaines personnes seraient en jean ce
soir, il voulait clairement parler de Grace.
Je crois même qu’elle a de la peinture sous les ongles.
Son jean a l’air hors de prix, bien sûr, tout comme sa coupe
de cheveux. Mais son visage n’est pas maquillé et le t-shirt
qu’elle porte sous un blazer en soie porte la mention
« Chiens bienvenus, humains tolérés ».
Ses priorités sont on ne peut plus claires.
Elle m’entraîne à l’étage, évitant les convives assis dans les
escaliers, jusque dans un salon plus décontracté que la salle
de séjour du rez-de-chaussée. Il y a un couple qui
s’embrasse dans un coin, mais Grace ne leur prête pas
attention. Elle s’assied dans un fauteuil et tapote le canapé à
côté d’elle.
— Viens. Assieds-toi. Raconte-moi tout.
— À propos de quoi ?
— À propos de toi. Tout ce que je sais, c’est que Sam t’a
croisée dans le train et que vous étiez à la fac ensemble. Ce
qui veut dire qu’on était techniquement à la fac ensemble,
aussi, mais j’avais quelques années d’avance sur toi.
— Le monde est petit.
Je souris, car malgré les préjugés que j’avais envers elle, je
l’aime bien, beaucoup même. Mais je ne sais pas ce que je
suis prête à lui raconter. Je ne sais pas ce que je veux
partager avec qui que ce soit, sur quoi que ce soit. Je suis
enfant unique et plutôt introvertie. Ma vie n’est pas obligée
d’être une expérience partagée avec le monde entier.
— Qu’est-ce que tu fais ?
— Je suis écrivain.
— Tu connais Alex, alors ?
— On s’est rencontrés une seule fois. Enfin, deux,
maintenant.
— Alors, tu n’évolues pas dans ses cercles ?
Mes lèvres se crispent.
— Non.
— Et qu’est-ce que tu écris ?
— De l’érotique. Sous un nom de plume secret.
Elle se récrie en tapant dans ses mains :
— Moi, je fais de l’art érotique !
— Je sais. Tes œuvres dans l’appartement de Sam sont
magnifiques.
— Il n’y a pas que mes œuvres, mais je les ai achetées pour
lui. Seulement parce qu’il s’en fichait et que je ne voulais pas
que son appartement soit sans âme, tu comprends ?
Il y a quelque chose dans sa façon de le dire, une certaine
urgence, un instinct de protection, qui me fait baisser ma
garde.
— Tu voulais que ce soit bien pour lui.
— Il le mérite.
Je hoche la tête.
— Il t’est reconnaissant, tu sais ?
Ses mèches blondes ondulées bougent lorsqu’elle hoche la
tête.
— Il ne rate pas une occasion de me le faire savoir. Il a
parcouru un long chemin.
C’est la seconde fois aujourd’hui que j’aborde ce sujet.
— Je sais. Je l’apprécie vraiment. Beaucoup.
— Tant mieux. Il est sensible, tu sais.
— Je sais.
Je regarde autour de moi. Le couple qui s’embrassait discute,
à présent, avec des rires à mi-voix.
— Alors, tu connais Alex par Luke ?
— Ils ont fait l’école de commerce ensemble.
— Ah.
Elle rit.
— C’est un ah qui en dit long.
— Oh, je suis désolée, tu étais à l’école de commerce, toi
aussi ?
— Mon Dieu, non. J’ai fait des études d’art. Et puis, j’ai laissé
les hommes d’a aires de mon entourage m’orienter dans la
mauvaise direction pendant un moment. J’ai travaillé dans
des galeries avant de revenir sur le terrain. Maintenant, je
me régale.
— Même chose pour moi, en quelque sorte.
Quand elle hausse les sourcils, impatiente d’en savoir plus,
j’abandonne mes dernières réticences.
— J’avais des parents de la classe moyenne très inquiets que
je ne sois pas capable de rembourser un crédit immobilier si
j’écrivais à plein temps, alors j’ai jonglé entre l’écriture et un
travail d’appoint pendant bien trop longtemps.
Ses yeux s’éclairent.
— Alors, toi aussi, tu es sur le terrain, maintenant ?
— Eh oui, on peut dire ça.
— C’est encore mieux.
Elle tapote sa lèvre inférieure avec son index.
— Je peux te demander si j’ai pu lire ton travail ?
— Ça dépend de ce que tu as lu.
— Alors, je peux te le demander, mais tu ne répondras pas ?
— Donne-moi quelques noms d’auteures que tu as lues, dis-
je en riant. Je t’indiquerai si tu es sur la bonne voie.
— Ton écriture est vraiment si secrète ?
Elle semble ravie à cette perspective.
— C’est... ces parents de la classe moyenne dont je t’ai parlé,
tu sais. Ils ne savent pas ce que j’écris. J’aime mieux comme
ça. Je préfère ne pas avoir à me demander ce que penserait
maman. Parce que maman ne le saura jamais. Je veux croire
que je ne serais pas sensible à ce filtre, mais je sais que je
serais influencée. Alors... mieux vaut que ça reste secret.
— Je n’essaierai même pas de deviner, dit-elle résolument.
Mais si jamais je le découvre, sache que ton secret sera bien
gardé avec moi.
— Merci.
J’aimerais pouvoir lui dire que son secret est en sécurité avec
moi aussi, mais je ne sais même pas ce que c’est, à part que
son mari est clairement un crétin.
— Je suis très contente pour Sam qu’il t’ait retrouvée. Il en
avait besoin.
En parlant du loup, il arrive juste à temps pour entendre cela.
Il porte deux verres de vin et m’en tend un. L’autre, il le
garde pour lui en jetant un regard de reproche à sa belle-
sœur.
— Alors, c’est quoi ces histoires ?
Grace agite la tête.
— Je le pense avec amour.
— Et cet amour est ressenti juste ici.
Il se désigne la poitrine en faisant mine d’être blessé.
— Ton mari se dispute sur des questions de hockey.
Elle fait la grimace.
— Bon, d’accord. Je vais voler à son secours... avec qui est-ce
qu’il se dispute ?
— Un attaquant des Maple Leafs.
Je ris, incapable de m’en empêcher.
— Désolée, murmuré-je lorsqu’ils me regardent tous les
deux.
Grace soupire.
— Non, c’est drôle. Je te vois plus tard ?
— D’accord.
Je prends sa main et la lui serre.
— Merci pour la discussion. C’était sympa d’apprendre à se
connaître un peu.
— Ce n’est que le début.

— Je pourrais te faire visiter le reste de la maison, profiter de


ce moment d’intimité ? propose Sam alors qu’il me ramène
sur le palier.
Un autre escalier mène au deuxième étage et il fait sombre
là-haut.
Cela ne l’empêche pas de m’y pousser.
— Est-ce qu’on cherche un coin privé pour batifoler, là ? Il
semblerait que ce soit le thème, ce soir, même si le couple
que j’ai vu n’a pas pris la peine de trouver un coin tranquille.
Il rit tout bas.
— Je n’aime pas avoir un public, ne t’inquiète pas.
Dès que j’arrive dans la pénombre de l’étage supérieur, Sam
m’entoure de ses bras et me serre contre lui.
— Nous avons une conversation inachevée.
— Vraiment ?
Je me retourne et l’embrasse dans le cou.
— Tu allais me dire quelque chose sur cet homme en bas.
— Oh, lui.
Sam me tire les cheveux dans une poigne à la fois souple et
ferme.
— Tu le connais ?
— Oui, je le connais.
— Qui est-ce ?
— Je ne suis pas sûre que je devrais te le dire. Je me suis
rendu compte en parlant avec Grace que certaines personnes
pouvaient être très secrètes.
— Est-ce son cas ?
— Je ne sais pas, dis-je en réprimant un étrange sentiment.
Je parlais de moi.
— J’aime ta discrétion, murmure-t-il. Ton mystère. Tu es
une énigme à résoudre.
— J’aime être ici avec toi, sans personne d’autre, chuchoté-
je.
Je me mets à genoux et cherche sa ceinture.
Il rassemble à nouveau mes cheveux dans ses mains. Je ne
peux pas le voir, mais je le sens. La tension de ses cuisses,
son sexe frémissant.
Je les entends aussi, ses paroles autoritaires qu’il chuchote
pour mes seules oreilles.
— Avale-moi. Redescends avec le ventre plein.
La chaleur s’enflamme en moi, l’éclat du désir. J’enroule mes
doigts autour de sa longueur, lourde et soyeuse, et
j’entrouvre mes lèvres. Je suis impatiente de le goûter, de
sentir ce poids sur ma langue. Il emplit ma bouche et même
plus, mais je peux le supporter.
Je prendrai tout ce qu’il me donnera.
SEIZE
SAM

Je baise sa bouche en silence en haut des escaliers. Nous


devrions aller dans une pièce, n’importe laquelle, et fermer
la porte derrière nous, trouver un mur contre lequel je
pourrais la plaquer, mais il est trop tard.
Dès qu’Hazel s’est mise à genoux, j’étais parti.
Sa bouche est fantastique, chaude et humide, et alors que je
murmure ce que je veux lui faire – jouir dans sa bouche, la
remplir, lui faire avaler jusqu’à la dernière goutte –, je me
laisse aller.
C’est rapide.
Fougueux.
Les coins de ma vision se brouillent, les ténèbres se
transforment en un kaléidoscope obscur alors que sa bouche
se relâche, m’accueillant toujours plus.
Elle gémit, un son désespéré et étranglé qui me donne
l’impression d’être un monstre répugnant, et je perds la tête.
Je donne un dernier coup de hanches, frottant ma queue
contre sa langue... Oh, oui ! Mon orgasme explose et je gicle
au fond de sa gorge.
Avec un soupir de délice, elle déglutit puis resserre ses lèvres
autour de mon sexe – si sensible – pour me nettoyer.
Putain. Tellement torride.
Je me détache de sa bouche et me soutiens contre le mur,
entraînant un nouveau tressaillement dans ma poitrine.
Toujours au sol, Hazel glousse doucement.
Je la saisis à l’aveuglette et la soulève, puis la presse contre le
mur.
D’en bas, le compte à rebours de minuit nous parvient. Dix,
neuf... Je glisse mes doigts en elle et mon pouce trouve son
clitoris.
— À ton tour, dis-je en embrassant sa douce bouche
malmenée.
Je suçote sa langue talentueuse et mordille ses précieuses
lèvres.
Alors que l’horloge sonne minuit et que tout le monde se met
à applaudir, je saisis Hazel et la pousse en titubant dans la
pièce la plus proche, une chambre d’amis. Je referme la porte
derrière moi. Elle atterrit sur le lit, sur le dos, et tout ce que
je peux distinguer, ce sont ses cuisses pâles qui se détachent
sur sa robe et ses bottes sombres.
— Mets-les sur mes épaules, murmuré-je en tombant sur
elle.
Ma bouche trouve d’abord sa culotte en soie, puis mes
doigts. Je l’écarte et m’enfonce dans sa douce moiteur.
J’aurai son odeur sur moi pendant le reste de la soirée, mais
ça m’est égal.
Elle a un goût de paradis. Comme une sorte de salut que
j’ignorais encore être en mesure d’espérer.
Mon Hazel.
La mienne.

Il est presque trois heures du matin lorsque nous montons


dans la voiture pour rentrer chez moi. Hazel est à moitié
endormie contre moi.
Mais quand nous arrivons à la maison, elle refuse de se
laisser border tout de suite dans mon lit.
Elle m’arrête alors que je lui retire ses bottes.
— Je voulais te dire... J’ai parlé de nous à Regan aujourd’hui.
Avant la soirée.
Je m’assois sur mes talons.
— Comment ça s’est passé ?
— Elle dit qu’elle a reçu ta lettre et qu’elle est désolée de ne
pas avoir répondu.
— Ah.
Je hausse les épaules.
— Ça ne fait rien.
Elle acquiesce.
— Je sais.
Je me lève et me déshabille. Ce n’est pas pour rien qu’elle a
attendu la fin de la soirée pour me rapporter cette
conversation.
— Il y avait quelque chose d’autre ?
Hazel se décale et glisse sous la couverture. Elle attend que je
la rejoigne avant de répondre.
— Elle a dit qu’elle ne voulait pas que je sois blessée.
— Je ne vais pas te faire de mal, dis-je d’un ton égal.
Ça ne me choque pas, parce que je connais ma propre vérité.
— Jamais.
— Je te crois, fait-elle avec douceur en e eurant ma
mâchoire du bout des doigts. Ça pourrait être moi qui te fais
du mal.
Notre résolution du Nouvel An pourrait être de ne pas nous
faire de mal mutuellement. Mais je ne le prononce pas à voix
haute.
DIX-SEPT
HAZEL

Les tempêtes hivernales et les horaires de train semblent


bien déterminés à conspirer pour gâcher une fois de plus
mes plans les mieux préparés. Sam vient à Stratford pour le
week-end, mais son train en provenance de Toronto est
retardé.
C’est l’histoire de notre relation, l’hiver dans le sud-ouest de
l’Ontario.
Notre vie de couple à distance n’est pas aussi di cile que
pour d’autres, mais c’est quand même di cile à gérer par
moments, surtout lorsque janvier cède la place à février et
que le travail devient encore plus intense. J’ai passé le mois
dernier à mettre les bouchées doubles pour respecter mes
délais et Sam a connu des épisodes houleux avec son frère
Luke, même s’il n’en parle pas beaucoup.
Quand il m’a envoyé un texto aujourd’hui pour m’annoncer
qu’il était enfin en route, avec presque deux heures de
retard, j’ai fondu en larmes, en proie à un intense
soulagement.
Il n’y a pas vraiment d’explication au fait que je me sente si
désespérée à l’idée de perdre quelques heures de notre week-
end. Nous passons plus de temps ensemble que je n’en ai
jamais passé avec aucun autre petit ami.
Mais il y a une anxiété tenace en moi, qui refuse de
disparaître. Comme si nous avions besoin de plus de temps
ensemble, de plus de conversations, de plus de connexion
avant de faire le saut final et d’admettre... tout ce que l’on
peut être réticente à admettre à un homme dont on est folle
amoureuse, nerveuse à la perspective de mettre cet
attachement en mots à cause d’un dysfonctionnement
profond.
Le sien.
Le mien.
Le nôtre.
Au lieu de m’appesantir sur des sentiments qu’il vaut mieux
ne pas nommer, j’essuie mes yeux humides et file sous une
douche chaude pour e acer les preuves de ma futilité. Et
pour être aussi propre que possible pour toutes les
cochonneries que Sam va passer l’après-midi à me faire.
Après ma douche, j’essaie de travailler un peu, mais
j’abandonne rapidement et je m’acquitte de toutes les tâches
qui précèdent la visite d’un petit ami, comme changer mes
draps, mettre de la bière au frais et remplir un bol de
préservatifs à côté du lit – ainsi que dans la salle de bain,
pour une éventuelle douche sensuelle.
Puis j’enfile de la lingerie sexy, et comme c’est l’hiver dans
le sud-ouest de l’Ontario, je recouvre le tout de deux couches
un peu moins glamour. Je ne suis qu’à dix minutes de
marche de la gare, mais dix minutes dans le froid glacial,
c’est encore trop.
Et pourtant, Sam en vaut la peine.
Sam qui, dix ans plus tôt, était l’horrible copain de ma
meilleure amie. Sam qui a pris les pires décisions possibles
pendant très longtemps.
Sam.
Je ne l’aurais jamais imaginé.
Et revoilà cette émotion, ce sentiment dont je veux taire le
nom.
Parce que c’est aussi mon premier petit ami qui assume tous
ses sentiments, les bons comme les mauvais, qui s’interdit
toute forme de mensonge et même de vérité arrangée, parce
qu’il sait que ce n’est pas ino ensif.
C’est aussi le premier homme avec qui je suis sortie qui soit à
mon écoute au lit. Il est prêt à faire ce que je veux faire – ou
ce que je veux qu’il me fasse. Par exemple, faire semblant
que j’ai peur de dormir seule et qu’il vient me sauver dans
une forêt sombre et interdite.
Pense à vos ébats sexy et béats, Hazel.
Oh, bien sûr que j’y pense.
Cette semaine, j’ai fait venir un ramoneur pour entretenir
ma cheminée, qui est rarement utilisée. Hier, j’ai acheté
deux sacs de bois de chau age pour que Sam puisse jouer
mon bûcheron privé ce week-end.
« Je t’ai écrit une autre histoire... » C’est devenu mon
invitation régulière. Elles ne sont pas toutes pour lui,
techniquement. Mais il en apprécie chaque mot.
Et moi, j’apprécie les réactions que je reçois.
Cette pensée heureuse me tient chaud jusqu’à la gare. J’y
arrive avec quelques minutes d’avance.
Elles s’écoulent comme des heures.
Les larmes chaudes, piquantes et troublées, menacent à
nouveau lorsque le train s’arrête enfin, mais la joie pure de le
voir franchir les portes – enfin – l’emporte immédiatement.
Je me jette dans ses bras alors qu’il dépose son sac à côté de
nous.
— Je suis désolé d’être en retard, murmure-t-il contre ma
bouche.
Je le serre fort. Aucune importance. Il est là maintenant.
— Tu m’as manqué.
Quatre petits mots. Pas les plus grandioses, ceux qui font
vraiment peur, mais ils sont bruts et honnêtes, et c’est déjà
assez e rayant. Il reste immobile autour de moi, puis ses
bras se resserrent. Il est grand, fort, rassurant. Mais il
tremble aussi, juste un peu.
— Sam ?
Il m’embrasse à nouveau, ses lèvres infiniment douces.
— Tu me manques aussi. Tout le temps. C’est di cile.
Nous sommes en plein milieu de la gare. Ce n’est pas
l’endroit idéal, mais peu importe. Nous étions censés ne plus
jamais nous parler. Il était censé ne pas me correspondre.
Peut-être que rien n’est censé se passer comme on le pense.
— J’ai pleuré quand tu m’as envoyé un message pour me
dire que ton train allait avoir du retard, avoué-je. J’ai
l’impression qu’on chaparde quelques heures par-ci par-là,
et en perdre une seule me met dans tous mes états. Plus qu’il
ne le faudrait, pour être honnête.
C’est reparti avec ce qu’il faudrait et ne faudrait pas.
Je prends une profonde inspiration, mes doigts dans ses
cheveux.
— Je veux plus de...
— Je t’aime.
— ... temps, chuchoté-je.
J’étais lancée dans mes pensées et je mets un temps pour
comprendre ce qu’il vient de m’assener.
— Pas de pression, ajoute-t-il.
Un instant. Quoi ?
Ses yeux sont incroyablement brillants. Il sourit maintenant,
avec circonspection. Je t’aime.
Nous sommes là, enlacés sur le quai, dans la petite gare de
Stratford. Heureusement que j’habite dans une ville pleine de
mélodrames en tout genre, parce que ça passe inaperçu ici,
mais ailleurs, cela pourrait être une vraie scène de cinéma.
Il m’aime ?
— Pas de pression, insiste-t-il d’un ton bourru.
— C’était ma réplique, ça, lâché-je.
— Bien joué.
— Sam.
— Hazel.
— Ne fais pas ce truc où tu dis juste mon prénom au lieu de
t’expliquer.
Je me mords la lèvre et me retiens de pleurer à nouveau. Je
vais avoir mes règles d’une seconde à l’autre, si ça se trouve,
histoire de rendre ce week-end encore plus spécial.
— Comment ça, tu m’aimes ?
— Je ne peux pas m’empêcher de penser à toi. Tu me
manques constamment. Le travail est un vrai bazar depuis
des mois, et ça ne me touche pas, parce que chaque fois que
je sors mon téléphone, tu m’as envoyé quelque chose de
drôle, de sexy ou de gentil, et ça illumine ma putain de
journée. Je veux camper sur ton canapé et travailler en
pantalon de jogging. Je veux...
Mon cœur explose. Il veut passer plus de temps avec moi. En
survêtement.
— Tu pourrais ?
— Oui.
— Tu as un pantalon de survêtement ?
— Je vais en acheter. On peut passer à Walmart.
Je ne pense pas que Sam ait déjà mis les pieds dans un centre
commercial de banlieue. Ça promet d’être amusant, comme
un voyage d’études en anthropologie.
Il passe son pouce au coin de ma bouche.
— Comment ça, tu veux plus de temps ?
— Plus de temps ensemble. Je pensais...
Mon cœur cogne fort contre mes côtes.
— Je pourrais rester chez toi plus souvent. Pendant la
semaine. Et peut-être le week-end...
— C’est moi qui vais venir ici.
Il m’embrasse à nouveau, plus fort cette fois, n’arrêtant que
lorsque je me retrouve pantelante et excitée, très ennuyée
que nous soyons toujours en public, parce que j’ai envie de
me faufiler sur son corps et de faire des choses crapuleuses
sans attendre. Mais ensuite, il continue de parler, et c’est
encore mieux que le sexe.
— J’ai commis beaucoup d’erreurs dans ma vie, Hazel. J’ai
perdu beaucoup de temps à être malheureux et à faire de
mauvais choix. Je ne veux pas perdre une autre chance de te
dire combien tu es spéciale pour moi, combien tu me rends
heureux.
— D’accord, dis-je avec un immense sourire. On peut aller
chez moi ?
— Bien sûr que oui.
Il jette son sac sur son épaule, l’autre bras autour de moi.
Une fois dehors, il fait glisser sa main le long de mon bras,
entremêlant nos doigts gantés.
— Je suis désolé que tu aies été aussi émue ce matin.
— Oui.
Je tourne mon visage vers le faible soleil d’hiver.
— Tout va bien maintenant. Et je me suis absorbée dans le
travail.
— Dis-moi.
Deux petits mots. C’est facile, rassurant. Que je lui raconte
mon histoire du moment, mon fantasme. Que je tisse une
histoire qui le fasse bander et qui mène à une incroyable
partie de jambes en l’air.
— J’ai commencé à écrire un roman, lui dis-je à la place.
C’est compliqué.
— Toutes les meilleures histoires le sont.
— Ça se passe à Toronto. Il s’agit d’amour, de secrets et de
douleur.
— Ça me plaît déjà.
— Tu aimes tout ce que j’écris.
— C’est vrai.
Il me serre la main.
— Ce livre parle de nous ?
Mes paupières se ferment pendant une seconde. D’intenses
sentiments m’envahissent.
— Peut-être un peu. Disons que ça m’a inspirée, mais pas
directement.
J’hésite.
— C’est une réflexion sur l’intensité de l’amour, sur ses
côtés surprenants.
Il s’arrête au milieu du trottoir, à mi-chemin de mon petit
chez-moi. Mon tout petit bungalow dans ma petite ville
tranquille.
Sam ne semble pas à sa place ici. Dans cette rue, dans ma vie.
C’est un homme de la métropole, du luxe. Moderne et
ra né.
Et pourtant, là, maintenant, ici... Je cligne des paupières.
J’étais tellement excitée de le voir jusqu’à présent que je ne
l’avais pas vu.
Il porte un nouveau manteau. Une parka. Grande,
rembourrée, pratique. Et à ses pieds, des bottes épaisses. Ses
cheveux parfaits sont toujours impeccables et je sais que son
jean ne vient pas de chez Walmart. Sam est habillé pour
l’hiver à la campagne.
Je ne l’avais pas remarqué.
— Tu as un nouveau manteau, dis-je bêtement.
— Je veux passer plus de temps ici.
— Tu me l’as déjà dit.
— Hazel...
Je prends sa main et l’attire à moi. J’ai besoin d’être à la
maison pour cette conversation. J’ai besoin d’être nue,
certainement. Je ne suis pas prête pour une honnêteté totale
et sans fard.
Sam ne dit rien d’autre. Il dépose son sac dans le couloir de
ma chambre, puis enlève son manteau et ses bottes et les
pose à côté des miennes, à la porte d’entrée. Les manteaux
suspendus l’un sur l’autre m’emplissent de sentiments.
L’amour est surprenant, en e et.
Je le conduis directement au lit.
— Je nous ai écrit une histoire, chuchoté-je pendant que
nous nous déshabillons mutuellement. À propos d’une jeune
femme perdue dans une forêt. Une forêt sombre et interdite.
Et un bûcheron la trouve. Elle est e rayée et détrempée – il
pleut. Il fait froid. Et il la ramène dans sa cabane.
Il n’y a pas de métaphore parfaite pour l’amour. Rien de ce
que j’ai écrit ne correspond exactement à ce que Sam me fait
ressentir. Mais cette histoire s’en rapproche.
— Qu’est-ce qu’il lui fait ?
Sam passe le bout de ses doigts sur mon joli soutien-gorge,
me donnant la chair de poule.
— Il lui fait couler un bain chaud. Il lui suggère de s’y
plonger et de se réchau er, mais quand il quitte la pièce, elle
se met à pleurer.
Sam me retourne et fait glisser le soutien-gorge sur ma
peau.
— Elle a peur ?
Je hoche la tête.
— Quand il revient dans la salle de bain, elle est juste là,
debout. Petite. Seule. Frissonnante. Alors, il la déshabille
soigneusement en détournant les yeux et l’aide à entrer dans
l’eau chaude.
— Est-ce qu’il la lave ?
— Pas cette nuit-là. Elle se contente de rester assise dans la
baignoire jusqu’à se réchau er, et ensuite il la sèche. Il lui
donne des vêtements à lui et il la met au lit. Mais la nuit
suivante, elle a besoin de se faire laver les cheveux. Et la fois
d’après, elle lui prend les mains pendant qu’il la sèche.
Il m’entoure de ses bras, ses mains sur mes seins alors qu’il
m’enlace par-derrière.
— Est-ce qu’ils tombent amoureux ?
Je secoue la tête.
— Non. Enfin, c’est prévu, bien sûr. Et il y a une attirance
certaine. Ils se désirent éperdument, mais ils ne peuvent pas
tomber amoureux. Pas encore. Parce qu’elle a des secrets. Et
peut-être que lui aussi.
— Il lui dira tout, me sou e Sam à l’oreille. Il lui confierait
tous ses secrets.
— Il a un passé sombre. Les raisons pour lesquelles il est
tout seul dans les bois.
— Et elle sera la seule personne à vraiment savoir ce qu’il
pense de ses erreurs.
Sam me retourne et me soulève dans ses bras, me portant
jusqu’à mon lit.
— Elle sait qui il est.
Je me blottis dans ses bras, refusant de le laisser partir.
— Elle lui fait confiance, quoi qu’il arrive.
— Il aimerait être un autre genre d’homme pour elle.
Il me dépose sur le lit et m’y rejoint. Il prend mon menton
entre ses doigts.
— Je veux être un homme di érent pour toi. Maintenant, et
pour toujours.
Oh, mon Dieu. Ces mots sont tout aussi e rayants que
l’amour. Pour toujours.
Je me roule sur le dos et m’étire.
— J’ai acheté du bois, pour faire un feu.
Il m’embrasse dans le cou.
— Est-ce que je dois faire semblant de l’avoir coupé ?
— Oui, s’il te plaît.
Il rit à gorge déployée, puis roule vers moi.
— Marché conclu.
— Sam ?
Il me sourit.
— Oui ?
— Je t’aime aussi.
— Dieu merci.
Il me donne alors tout son poids, sa bouche et, tandis que
j’enroule mes jambes autour de lui, son sexe de plus en plus
épais.
Nous nous racontons à mi-voix nos bribes de fantasme sur
l’histoire du bûcheron pendant que nous faisons l’amour.
C’est langoureux, sensuel, complice. Quand je jouis, mes
cheveux sont enroulés autour du poing de Sam et sa bouche
est contre ma gorge, grognant des obscénités qui me font
mouiller.
Une fois que les contre-coups du plaisir ont fini d’ébranler
nos deux corps, ses doigts sont tendres sur ma joue et ses
mots sont doux.
Pour toujours.
Je ne pouvais pas l’imaginer. Pas avant. Pas même ce matin.
— À quoi tu penses ? demande-t-il.
— Je me dis que tout est possible.
J’embrasse la courbe arrondie de sa lèvre inférieure et il émet
un grognement joyeux, à mi-chemin entre le murmure et le
gémissement.
— Tu sais... j’avais tort à propos des bruits que j’imaginais
dans ta bouche.
— Ah oui ?
— Les bruits pendant l’amour ne sont pas les meilleurs.
C’est excitant, bien sûr, et j’adore ton râle quand tu jouis.
— Je ne râle pas.
Chaque fois, et ça me rend folle.
— Si, mais les bruits qui me touchent le plus viennent après
le sexe, quand tu es comblé. Comme quand je t’embrasse, par
exemple.
Je recommence et il lâche le même soupir guttural.
— Ça.
— Ah, répond-il à mi-voix. Ce sont des sons tout
spécialement réservés à mon Hazel.
Je ferme les yeux quand il m’embrasse en retour et je me
laisse aller à cette joie inattendue. Avec des sons spéciaux
pour son Hazel.
C’est merveilleux.
Merveilleusement parfait, délicieux et inattendu.
DIX-HUIT
SAM

J’en suis à mon sixième livre d’Aibhlin Moon. Mais c’est la


première fois que j’en lis un en tenant l’auteure dans mes
bras.
Elle dort et je me suis réveillé de bonne heure. J’aurais pu me
faufiler en bas et la laisser dormir, mais comme elle m’a
avoué avoir fondu en larmes quand mon train a eu du retard,
j’ai juste envie de l’étreindre maintenant.
Cela m’étonne que cette femme douce et chaleureuse qui m’a
accueilli dans son lit soit également à l’origine de fantasmes
aussi sombres que tourmentés. Cela ne me surprend pas
qu’Hazel en soit capable, bien sûr. Elle est intelligente et
observatrice. Je l’ai toujours su, et j’ai remarqué qu’elle
n’avait aucune limite en matière de sexe.
Mais ces deux derniers mois, je suis aussi tombé
désespérément amoureux de sa douceur, de sa gentillesse.
Une femme tendre, bienveillante et créative, qui écrit des
livres sur les fantasmes les plus profonds et les plus obscurs
de l’humain.
Cette fois, il s’agit d’une femme en fuite qui s’est réfugiée
auprès d’un homme dangereux. En dépit d’une mise en
scène invraisemblable, je me suis passionné pour l’histoire
et j’espère que les deux personnages obtiendront ce qu’ils
veulent et ce dont ils ont besoin.
Je suis tellement passionné que je ne remarque pas le réveil
d’Hazel. Elle ne bouge pas, se contente de cligner
discrètement des paupières, ce dont je ne me rends compte
qu’après coup, lorsqu’elle dit d’une voix encore chargée de
sommeil :
— Oh, merde, il y a une coquille !
Je lâche le livre, pris au dépourvu.
— Bonjour, dis-je en embrassant le sommet de sa tête. Et je
ne le lisais pas pour trouver des erreurs. Je ne l’aurais pas
remarqué, même si tu me payais pour ça.
— On paye des gens pour ça, murmure-t-elle.
— Je ne vais pas postuler, alors. Je suis juste un fan absolu.
Elle enfouit son visage dans mon épaule.
— Génial.
— Oui, c’est génial, dis-je en l’attirant sur moi. J’aime tes
mots.
— Tous les garçons disent ça, répond-elle en riant, mais je
ne pense pas qu’elle plaisante.
Je tire ses cheveux et capte son regard.
— Je ne suis pas un garçon.
— Je le sais.
J’attends.
Elle finit par détourner le regard, puis se retourne.
— Je le sais. Ce que nous avons, tous les deux, c’est di érent.
Mais j’ai construit des murs assez solides, tu comprends ?
— Dis-m’en plus à ce sujet.
— C’est bizarre, tu sais ? Fréquenter un homme en étant
auteure de romans érotiques.
— Tu as trouvé les hommes grossiers à ce sujet ?
— Parfois. Pas toujours au début, mais quand je ne suis pas
exactement la même que...
Elle se lève de mes genoux, mettant un peu de distance entre
nous, et désigne le livre.
— J’aime certaines des choses que j’écris. Mais ce n’est pas
comme... ce n’est pas comme ça dans la vraie vie, du moins
pas pour moi.
— Explique-moi.
Il y a une pointe de nervosité dans ma voix, sèche et presque
insistante, mais ce n’est que du désir. Je la regarde dans les
yeux.
— S’il te plaît.
— Est-ce que tu as lu Pour son bien ? demande-t-elle avec un
regard plein d’appréhension.
Je pose les yeux sur la couverture, avec l’image d’une cage à
oiseaux.
— Pas encore, mais j’adore cette couverture.
Elle fait un signe de la main.
— Ne le lis pas.
Je le commencerai dès mon retour à mon appartement.
— Pourquoi ?
Elle enfouit son visage dans ses mains, puis marmonne :
— Bon, d’accord, lis-le. Mais avec un avertissement, parce
que je ne veux pas que tu te fasses de fausses idées sur moi.
— Je ne lis pas tes livres comme une sorte de raccourci pour
mieux te comprendre en tant que femme.
Je fronce les sourcils et me rapproche d’elle. J’ai besoin de ce
contact, et quand elle se love contre moi, douce et câline, je
sais qu’elle en a besoin aussi.
— Tu ne crois pas que c’est pour ça que je les lis, si ? Je sais
que tu n’es pas tes personnages.
— Alors, pour quelle raison est-ce que tu les lis ?
C’est une question qu’elle ne m’avait jamais posée
auparavant.
— Parce que tu es sacrément douée, dis-je d’une voix
éraillée. Parce qu’ils sont sexy, et qu’ils sont sortis de ton
imagination, mais je sais que c’est de la fiction. C’est un bon
divertissement. Je ne peux pas m’arrêter quand j’en ai
commencé un. C’est pour ça que je continue, c’est tout.
— Tu ne veux pas savoir si je...
Elle ne termine pas sa phrase.
Bien sûr que si. Je veux tout savoir sur elle. Mais pas à cause
d’un livre.
— Si ça ne tenait qu’à moi, on a le reste de notre vie pour
trouver des façons nouvelles et intéressantes d’être coquins
ensemble.
Elle m’entoure de ses bras, son visage dans mon cou.
Je la serre en retour. Avec force.
Nous devrons reprendre cette conversation, évidemment,
mais d’abord... le petit-déjeuner.
— Je peux te faire des œufs à la bénédictine ?
Elle acquiesce, un petit mouvement de tête dans les limites
de mes bras.

Je prépare pour Hazel un parfait œuf à la bénédictine, au


fromage de chèvre et à l’avocat, quand elle me pose sa
question. Il me faut une seconde pour répondre.
Et dans cette fraction de seconde, elle essaie de se reprendre.
— Laisse tomber, ce n’est pas...
— Non, dis-le encore.
Je pose le pot de sauce hollandaise et attrape un torchon. Elle
a aiguisé ma curiosité, maintenant.
Elle s’humecte les lèvres, les yeux écarquillés.
— Es-tu déjà allé dans un club libertin ?
— Non.
Je tends ma main et elle la saisit. Je la tire vers moi.
— Pourquoi cette question ?
— Hmm...
Son sou e devient plus court alors que je passe le bout de
mes doigts sur sa clavicule.
— Tu te souviens du barbu chez Alex, le soir du Nouvel An ?
— Hmm.
— Il dirige un club érotique.
Je suspends mes caresses aguicheuses.
— C’est vrai ?
Et surtout : Comment tu le sais ?
Hazel rit, répondant à ma question tacite :
— Je le suis en ligne. Pour des recherches. Je n’y suis jamais
allée, mais... je veux bien le faire. Si ça te tente.
Je prends son assiette et la pose sur la table.
— Assieds-toi.
Elle s’exécute.
Je me prépare rapidement une assiette sans me soucier de la
présentation.
— Bien sûr, si tu as envie d’y aller, j’irai avec toi. Tu veux
que je demande à Alex ? Il adore présenter les gens.
— J’ai remarqué.
Elle me regarde comme si je ne comprenais pas.
Parce qu’en e et, je ne comprends pas.
— Quelle est la pièce manquante du puzzle ici ? demandé-je.
— Est-ce qu’Alex aime des trucs bizarres ?
— Seigneur, m’escla é-je avant de désigner les œufs. Je
voulais juste profiter du brunch.
— Oups, désolée.
— Pas besoin d’être désolée.
Je prends le temps de réfléchir.
— Peut-être. En tout cas, s’il a des goûts spéciaux, il est
discret à ce sujet. Mais même s’il connaît ce type autrement,
il se ferait un plaisir de nous le présenter.
Elle prend une bouchée de ses œufs, puis une autre. Enfin,
elle pose sa fourchette dans un tintement.
— Ou alors, on pourrait juste y aller. Ce n’est pas un club
privé, tout le monde peut y entrer. Il faut juste signer une
décharge de confidentialité et les laisser prendre une photo
de son permis de conduire.
— Je vois que tu as fait tes recherches.
Hazel paraît plus timide, tout à coup. Ça ne lui ressemble pas.
— Oui. Mais ce n’est pas seulement de la recherche. Enfin,
avant, si. Dans le passé, quand j’ai rencontré des hommes
avec qui je suis sortie, j’ai toujours considéré les fantasmes
spéciaux comme un travail, un sujet de recherche, parce que
chaque fois que j’en parlais, ça devenait... compliqué. C’était
sympa au début, mais rapidement ça se gâtait. Salement.
Son regard est di cile à déchi rer.
— Et puis, il y a des échos du passé, entre nous. Tu m’aimes
bien parce que j’aime le sexe, aussi.
Eh bien, voilà qui est direct.
— Ça me plaît que tu aimes le sexe. Oui, évidemment. Mais je
t’aime parce que tu es honnête avec moi. Parce que tu me
tiens en plus haute estime que le crétin que j’étais avant.
Une fois de plus, elle écarquille les yeux. Elle n’est pas la
seule à pouvoir se montrer franche.
— Mangeons. Tu veux que je te donne la becquée ?
Elle rit et nos genoux se cognent alors que nous entamons
nos assiettes. Après quelques bouchées, elle tend la main et
enroule ses doigts autour de ma main libre.
— C’est vraiment bien. Ta cuisine, ta compagnie. Notre
relation. Ce que nous avons, c’est vraiment bien.
— Je suis d’accord.
— Je ne t’ai rien caché, pas exactement, mais disons que j’ai
peut-être essayé de tempérer ce que je dis à haute voix par
rapport à ce que j’ai dans ma tête. Seulement, à quelques
reprises, le monde dans lequel j’écris s’est heurté à ce que
nous vivons tous les deux, et je pense qu’il est temps d’en
parler plus ouvertement.
Putain, oui. Je suis tout ouïe.
— Vas-y, balance. À quoi est-ce que tu penses ?
— À beaucoup de choses. La douleur et... le bondage.
Ma queue tressaute avec impatience.
— D’accord. Oui, avec plaisir.
Elle rit.
— Mais il y a de bonnes façons de le faire. Des notions de
sécurité.
Je fronce les sourcils.
— Est-ce que quelqu’un t’a déjà fait du mal ?
— Oh, ça se peut. Rien de grave, mais des trucs stupides. Des
brûlures de corde, une fois, et une situation un peu flippante
du genre « je n’arrive pas à défaire ce nœud ». C’est à peu
près tout ce dans quoi je me suis aventurée en dehors de ma
tête.
— J’apprendrai tout ce qui doit être appris.
Je lui serre la main, mais ça ne su t pas. Je l’attire sur mes
genoux et la table est secouée, parce que je suis trop grand et
trop brutal, mais seulement avec la table. Jamais avec Hazel,
sauf si elle veut que je le sois.
Elle se met à califourchon sur moi, notre petit-déjeuner
momentanément oublié, et je l’embrasse.
— Tout ce que tu voudras, murmuré-je contre ses lèvres.
Parce que tu es à moi. Et j’aime tout chez toi. Ta douceur, ton
intelligence, et tes pensées les plus sombres aussi.
— Elles ne sont pas si sombres, dit-elle en riant. Mais peut-
être un peu dépravées ?
Je gémis.
— C’est à moi d’en juger.

Nous finissons par manger, mais dès que la vaisselle est


débarrassée, je suis à nouveau sur elle. Je la plaque contre le
plan de travail et l’embrasse sur la nuque.
— Tu avais d’autres projets pour la journée ?
— À part te parler de mes désirs les plus pervers ?
Hazel se racle la gorge.
— Je pensais qu’on pourrait aller acheter une nouvelle lampe
de véranda.
Je glisse mes mains sous son chemisier, ce qui la fait
frissonner.
— Je suis à ton service.
— J’aime être prise au piège, chuchote-t-elle. Ici, sur le plan
de travail. Et au lit, aussi.
— Je l’ai remarqué. J’aime bien, moi aussi.
— Tu pourrais être plus violent.
Ma queue est d’accord. Je me presse contre elle en même
temps que je resserre ma poigne sur son côté, juste en
dessous de son sein nu.
— Ah oui ?
Elle hoche la tête sans un mot.
— Je ne veux pas te faire de mal.
— Tu ne me feras aucun mal. Tu me feras du bien, au
contraire.
— Dis-moi comment je vais te faire du bien. Aide-moi à
comprendre pour que je puisse le faire correctement.
Son regard s’éclaire.
— Je pense que c’est comme se faire gratter le dos, une
démangeaison sur la peau. Parfois, tout est tellement...
centré sur la bouche, la poitrine, le sexe. Mais si l’intégralité
de ma peau était un organe sexuel ?
— Tu penses... et si...
Je m’accroche à elle, mes grandes mains brutales sur ses
hanches. Je couvre sa belle peau sensible le plus possible,
partout où je peux mettre mes doigts. Je fais glisser mes
mains le long de ses cuisses, puis je remonte sur son torse.
Quand je la serre juste en dessous des seins, elle en tremble.
— Hazel, tu n’as jamais joué à ça avant ?
— Pas vraiment.
Mes mains s’aventurent ensuite vers le haut et sur sa
poitrine, brutalement, puis de nouveau. C’est doux
maintenant. Je sais comment toucher une femme, mais elle
veut plus que ça.
— Je veux que tu te sentes aussi bien que possible.
— Je sais.
Elle me sourit, un vrai rayon de soleil, radieux et confiant.
— C’est pour ça que j’ai demandé.
— Tu es ma captive, alors, dis-je en mordant le côté de son
cou. Et je peux te mordre et te malmener comme j’en ai
envie...
Elle émet un son joyeux.
— Oui, s’il te plaît.
— Tu aimes ? Un peu de douleur ?
— Oui.
Elle prend ma lèvre inférieure entre ses dents.
— Peut-être plus qu’un peu ? Mais je n’ai pas...
C’est enivrant, de savoir qu’elle partage tout ça avec moi en
premier.
— Essayons.
Elle gémit. Putain de merde.
— Je peux te pincer ?
— Oui, sou e-t-elle.
— Tu veux que ça fasse mal ?
Elle halète.
— Oui.
— Un peu ou beaucoup ?
— Un peu.
Un sourire rêveur se dessine aux coins de sa bouche.
— S’il te plaît.
— C’est très poli, chuchoté-je.
Je resserre alors mes doigts, juste assez pour les enfoncer
dans sa chair souple et tendre.
Elle émet un autre sou e, plus long, plus soutenu, et son
regard paraît émerveillé.
Je presse sa chair entre mes doigts, attisé par le rapport
direct entre ce pincement et son plaisir, puis je la relâche.
Elle frissonne, un e et de vague qui se propage sur tout son
corps. Quand je laisse glisser ma main le long de sa cuisse, je
trouve sa vulve gonflée et ruisselante.
— Ça t’a plu ?
Elle acquiesce avec enthousiasme.
Je l’embrasse vigoureusement.
— Oui, grogné-je contre sa bouche. À moi aussi.
DIX-NEUF
HAZEL

Je suis en feu. J’ai besoin de Sam en moi, tout de suite. Mais


quand j’ouvre la bouche, tout ce qui en sort, ce sont des
geignements.
— Viens.
Il me soulève du plan de travail, retroussant mon haut sur
mes hanches et révélant ma fente humide.
Je sou e son prénom et il me pince à nouveau, cette fois à
l’intérieur de la cuisse. J’ai la tête qui tourne, le clitoris qui
palpite.
— Oui ?
— Oh, mon Dieu.
Je hoche la tête. Oui, un million de fois oui.
— Regarde comme tu me fais bander, grogne-t-il en
baissant son short.
Sa verge s’insère dans l’espace entre mes cuisses, sombre au
bout et plus épaisse que je ne l’ai jamais vue auparavant.
— Je vais prendre plaisir à te faire mal, Hazel.
Putain de merde. Je gémis lorsqu’il s’enfonce en moi, sans
prendre le temps de m’habituer à sa lourde épaisseur. Il
s’impose, me forçant à l’accueillir.
Je m’agrippe à ses épaules, me raccrochant à la vie tandis
qu’il me baise, ses mains crispées sur mes hanches, me
bloquant en place.
Je suis sa captive.
Sa petite chatte coquine. Sa soumise moite et consentante.
Mon esprit se déchaîne, une célébration incontrôlable à base
de « oui, c’est ça, enfin ».
Lui, enfin.
Le besoin me saisit, plus vif que la poigne de Sam, et je me
débats contre lui, contre cette puissante attirance en moi.
Plus je me débats, plus j’ai chaud, plus le sentiment
s’accentue, jusqu’à ce qu’il s’empare de moi.
J’éclate en mille morceaux lorsque Sam grogne qu’il va jouir
à son tour, en moi, que ça me plaise ou non – et ça me plaît
tellement que je me mets à rire.
— Je t’aime, murmuré-je contre sa peau humide.
Il me serre contre lui et je l’étreins en retour.
— Je t’aime aussi.
— C’était vraiment bouillant.
Il m’aide à me ressaisir.
— C’est bien, ma sauvageonne. Je peux faire mieux.
Je ris encore, plus béate et heureuse qu’il ne pourrait
l’imaginer.
— On fait la course jusqu’à la douche.

Une heure plus tard, nous sommes à la quincaillerie, en train


de regarder des lampes. J’ai pris des photos de mon
luminaire actuel, mais nous n’arrivons pas à en trouver
d’autre pour le remplacer. Ceux qui me plaisent le plus ont
une forme complètement di érente et le branchement n’est
pas le même.
Je fronce les sourcils en examinant les instructions sur le
côté de la boîte.
— Ça a l’air compliqué. Je devrais peut-être engager un
électricien pour l’installer.
Sam n’a pas l’air inquiet.
— On peut y arriver nous-mêmes.
— Non, je ne pense pas.
— Bien sûr que si, c’est facile. Il su t de couper
l’alimentation principale, puis de suivre les instructions
étape par étape. Tant que tu as une perceuse...
— Je n’en ai pas.
— Oh.
— Je devrais ?
— Eh bien, non...
Il fronce les sourcils et ajoute :
— Si tu n’en veux pas, ce n’est pas nécessaire. Mais c’est
toujours utile.
— Tu as des outils électriques, toi ?
— J’ai une perceuse et je l’utilise comme si je possédais une
collection entière d’outils.
— Alors, peut-être que je veux une perceuse, moi aussi.
Nous parcourons les allées, Sam fier comme un paon de
pouvoir me dire la di érence entre une perceuse à
percussion et une perceuse ordinaire, et pourquoi ce n’est
pas une mauvaise idée d’avoir les deux en réserve, juste au
cas où.
Mais c’est en arrivant à la section des ceintures à outils que
je suis vraiment enthousiasmée par cette petite aventure.
— Tu devrais en acheter une. Pour porter la perceuse entre...
deux perçages.
— Ça te plaît ? fait-il en souriant, une ceinture basique en
nylon noir à la main.
Un frisson de plaisir gourmand me parcourt.
Mais j’ai un fantasme spécifique à l’esprit, alors je secoue la
tête et désigne le modèle classique en cuir.
— Celui-là. Je te trouverai quelque chose à réparer aussi
souvent que tu voudras le porter pour moi.
— Ah oui ?
Son regard est de braise, maintenant, un laser dardé sur mon
visage. Les crépitements entre nous s’améliorent et
s’aggravent en même temps.
C’est vraiment torride dans l’allée six, et c’est clairement
inapproprié.
Mais je ne me soucie pas vraiment de ce qui est approprié en
ce moment.
— S’il te plaît, chuchoté-je.
Ses lèvres frémissent aux commissures, un brin de douceur
sur son visage autrement intense.
— Puisque tu le demandes si gentiment, gronde-t-il. Mais ce
projet pourrait être plus approfondi que ce que j’avais prévu
au départ. J’espère que vous serez en mesure de payer la
totalité de la facture pour cette visite à domicile, madame.
Je ne pourrai certainement pas payer la totalité de la facture.
— Et si j’en suis incapable ?
Son regard est empreint d’avidité.
— Nous trouverons une solution.
Il jette un coup d’œil autour de lui.
— Bon, tu penses qu’ils vendent de la corde dans cet
endroit ?
— Quoi ?
Je l’ai très bien entendu. Je sais pourquoi il demande cela.
Mais c’est un changement radical de sujet, et... j’aime ça.
J’adore, même.
— Sam, tu es sérieux ?
— C’est ce que tu voulais dire par bondage, non ? répond-il
avec un sourire ravageur. Si on achète tous ces autres trucs,
ils ne vont pas croire que c’est pour un projet douteux, si ?
— C’est ma quincaillerie de quartier !
— Bon, je ferai les achats de mon côté.
Il se penche et m’embrasse.
— Tu peux filer devant et avoir honte sans que ça se sache. Je
trouve que c’est plutôt sexy.
— J’ai créé un monstre.
J’ai droit à un autre baiser pour ma réflexion.
— Peut-être. Allons voir la corde.

De retour chez moi, Sam décharge silencieusement ses


achats. La nouvelle perceuse, la lampe que nous allons
installer, la ceinture à outils, deux types di érents de corde
en coton et une paire de ciseaux impressionnante.
— Question de sécurité, a-t-il dit en les prenant sur
l’étagère, au magasin.
J’ai bien cru faire une combustion spontanée.
Maintenant, je flotte presque à côté de lui, telle une
collection rafistolée de pièces surexcitées.
Il s’empare d’abord de la ceinture à outils et l’attache.
— Bon, mettons-nous au travail. Tu peux aller couper
l’alimentation principale ?
— Mais... et la corde ? lâché-je.
Il y jette un coup d’œil nonchalant.
— C’est pour plus tard. Après que j’aurai fait quelques
recherches de mon côté. On en discutera... mais d’abord,
coupe le courant.
— Quelle autorité.
— Tu aimes ça ?
— Seulement quand je suis attachée, je crois bien, rétorqué-
je.
Son sourire est si éclatant qu’il me remplit de joie, et je me
précipite au sous-sol vers le tableau électrique.
Il fait froid dehors, et mes doigts se raidissent
immédiatement, mais Sam ne semble pas s’en soucier. Il
retire délicatement l’ancienne lampe, puis suit les
instructions pour installer la nouvelle. Avant que je ne m’en
rende compte, il me renvoie en bas pour rallumer le courant.
Nous n’avons toujours pas évoqué le jeu de corde.
Quand je reviens, la nouvelle lampe est en place, étincelante
et neuve, plus imposante que l’ancienne. Plus en accord avec
le style de ma maison.
— J’adore, m’exclamé-je en tapant dans mes mains. Mais je
n’ai pas d’argent pour vous payer.
— Ah, voilà qui va poser problème, dit-il, prononçant
chaque mot avec sérieux. Retournons à l’intérieur pour
discuter de vos options.
— Mes options ?
J’ouvre la porte et il se presse contre moi, me bousculant un
peu.
— J’ai fait un travail pour vous, madame. Il est normal que je
reçoive quelque chose en retour.
Il jette un coup d’œil à la corde sur l’ottomane.
— Ou bien...
— Ou bien ?
J’ai l’air bien trop enthousiaste.
Il hausse les épaules.
— Je ne voudrais pas avoir à vous attacher. Histoire de
m’assurer que vous n’irez nulle part.
— Oh, dis-je dans un sou e. Eh bien...
Il désigne la ceinture à outils, qui souligne une érection dans
son jean.
— Les options, madame. Vous pourriez me distraire avec
cette jolie petite bouche. Elle a l’air chaleureuse et douce.
Mouillée, aussi.
Mon ventre se noue.
— Vous voulez ma bouche ?
Son regard vagabonde sur mon corps.
— Pour commencer.
— Et si je dis non ?
Son regard s’assombrit, presque e rayant. Oui, s’il te plaît.
— Vous ne voulez pas dire non.
— Mais je ne peux pas... murmuré-je en m’humectant les
lèvres. Je ne peux pas vous laisser ma bouche.
— N’oubliez pas que ce n’est qu’une option.
Il m’attrape brutalement et retire mon manteau, puis le sien.
— Attends, chuchoté-je.
Il se fige et ses mains se posent sur mes bras.
— Ferme la porte d’abord, ajouté-je.
Il étou e un rire en tirant le verrou, puis il me pousse dans le
salon, où je me laisse tomber sur le canapé tandis qu’il ferme
soigneusement les rideaux.
Il attrape un paquet de cordes et s’approche de moi,
m’imposant son corps massif.
— Voilà le problème, madame.
Il soupire et déroule la corde, la laissant tomber sur moi en
un tas lâche.
— Je vous aime bien. J’aime travailler pour vous. Mais un
homme a droit à des compensations, vous savez. Si vous
n’avez pas d’argent pour moi, et que vous ne me donnez rien
d’autre gratuitement, alors je vais devoir le prendre.
— Je vous en prie, ne faites pas ça, chuchoté-je.
Et Sam, parce qu’il est adorable, s’arrête à nouveau. Il me
regarde. Il me regarde vraiment. Nous aurions dû en parler
avant, nous le savons tous les deux, mais tant pis.
Je souris.
— S’il vous plaît, ne le prenez pas. Mais si vous m’attachez,
alors je vous donnerai ce que vous voulez. Tant que j’ai cette
excuse... au cas où l’on me découvre. Je ne peux pas être
considérée comme une dévergondée, vous voyez.
— Ne vous inquiétez pas.
Il frotte grossièrement son pouce contre ma lèvre inférieure,
me faisant ouvrir la bouche.
— Ce sera notre petit secret. Oui, comme ça. Léchez-moi.
Montrez-moi ce que cette petite bouche peut faire quand elle
n’a pas d’autre choix.
Je suce son pouce avec avidité et je gémis lorsqu’il se retire.
Il empoigne mes mains et presse mes poignets l’un contre
l’autre, les enroulant rapidement dans la corde. Il ne la serre
pas trop fort, la laissant pendre sur mes avant-bras et
répartissant la pression sur mes poignets.
C’est formidable. Comme un câlin. Ferme, mais pas dur,
restrictif mais pas trop.
— Tu vas bien ?
Sa voix a changé. C’est juste Sam, maintenant, pendant une
seconde, et je rencontre son regard.
Je hoche la tête.
— C’est parfait.
— Je le savais, dit-il en retrouvant son personnage. Il fallait
juste que je vous montre que vous n’avez pas le choix.
Ses pouces s’aventurent sur sa ceinture à outils et ses doigts
appuient sur le renflement de son sexe derrière sa braguette.
— J’aime te voir comme ça.
Je déglutis.
Il prend son temps pour défaire sa fermeture, se palper
d’abord à travers son jean, puis à l’intérieur, tout en
maintenant son sexe dissimulé à mon regard a amé.
Le temps qu’il baisse son boxer et le présente devant mon
visage, je suis pantelante. Je le prends avidement. Mon
incapacité à le toucher est une limite torride qui fait monter
mon excitation en flèche. Je me trémousse sur le canapé,
serrant mes cuisses l’une contre l’autre.
Sam le remarque.
— Tu aimes ça, hein ? Ma grosse queue dans ta bouche, rien
pour m’arrêter. Tu es si jolie comme ça, avec tes lèvres bien
rebondies et tes mains attachées. Regarde-moi, Hazel.
Regarde à quel point j’aime ça, moi aussi.
Je lève la tête vers lui, émettant un bruit de succion autour de
son érection. Ses yeux se voilent un peu, sa propre bouche
semble prête à toutes les cochonneries, comme la mienne.
Je suis contente de te l’avoir dit, tenté-je d’exprimer par mon
regard.
Il sourit – un sourire en coin qui me fait chavirer.
— C’est tellement bon, murmure-t-il. Mais je ne veux pas
jouir comme ça.
J’étou e un cri lorsqu’il se retire.
— Je veux voir si tu aimes ça, aussi.
C’est plus di cile qu’il n’y paraît pour lui de me repousser
et d’enlever mon jean alors que mes mains sont attachées.
Elles nous gênent un peu, mais il parvient à soulever mes
bras liés par la corde, dévoilant mon corps à lui.
Je suis ligotée, étendue sur le canapé, pendant qu’un
plombier me prend de force. C’est exactement comme je
l’avais fantasmé, et bien mieux encore.
C’est insensé, torride et inattendu.
Sa main me paraît gigantesque et rugueuse lorsqu’il
m’écarte les cuisses.
Je ferme les yeux en imaginant ce qu’il voit, mon sexe rose,
humide et luisant dans la lumière hivernale de l’après-midi
qui inonde la cuisine.
C’est calme dans ma maison et je suis intensément
consciente de sa respiration. Un peu laborieuse, très excitée.
Mon clitoris palpite sous ses caresses, je le sens tressaillir.
Sam gémit. Il s’en est rendu compte, aussi près qu’il était.
Puis je sens sa bouche sur moi, brûlante et avide. Sa langue
se déplace sur ma chair sans rien rater du festin. Il l’enfonce
en moi, attise mon renflement nerveux. Mes jambes
commencent à flageoler, des tremblements désespérés, et
j’oscille des hanches, désireuse de plus.
Pourtant, une fois encore, ce n’est pas comme ça qu’il veut
que ça se termine.
Avec un grognement, il me saisit les bras et relâche la corde.
— Oh, sou é-je alors que mes épaules se dégagent.
Je n’avais pas réalisé à quel point je tenais mes bras serrés
l’un contre l’autre.
Sam me frotte les poignets, puis me retourne.
— Fais comme si tu étais toujours attachée, susurre-t-il à
mon oreille en me recouvrant, sa verge épaisse trouvant mon
sexe moite et prêt. Fais comme si tu n’avais pas le choix, que
je prenais ça en guise de paiement. Mais nous savons tous les
deux que tu en as envie. Nous savons tous les deux que tu as
l’argent pour me payer et que tu le caches quelque part dans
cette maison.
— Ah ! me récrié-je en me pressant contre lui, mes hanches
ondulant de leur propre initiative, maintenant. Putain,
putain, oui !
— J’ai besoin de te prendre comme ça.
— Oui.
— Dis-le.
— J’ai besoin de toi, moi aussi. Comme ça. C’est brutal. J’en
ai besoin.
Je continue à murmurer ces mots – j’en ai besoin, j’en ai
besoin, j’en ai besoin – alors que la ceinture à outils s’enfonce
dans mes hanches, m’appuyant douloureusement, tandis
que son membre va et vient entre mes replis sensibles. À ce
rythme, j’aurai mal à la fin de la journée.
Je ne peux plus attendre.
— Fais-moi jouir, murmuré-je en mordant le coussin du
canapé.
Je ne sais pas s’il m’entend, mais c’est sans importance.
L’image mentale de son corps derrière le mien, tous deux
encore partiellement habillés, me fait basculer. Je passe une
main entre mes cuisses pour trouver mon clitoris et je
décolle dès que mon doigt entre en contact avec ma chair.
Un gémissement monte de ma poitrine, et derrière moi, Sam
y fait écho en s’enfonçant profondément.
Mon bien aimé, le gardien de mes secrets et de mes sons les
plus intimes.
VINGT
SAM

— Qu’est-ce que je vais lire la prochaine fois ?


— Sam !
Je souris à Hazel. Nous sommes au milieu de la gare, où nous
nous disons au revoir. Le train a quelques minutes de retard.
Ça ne me dérange absolument pas si ça nous fait gagner un
peu plus de temps.
— Allez. Donne-moi matière à réfléchir sur le chemin du
retour.
Elle se mord la lèvre inférieure, regarde à gauche et à droite,
puis se penche et baisse la voix.
— Je veux une fessée. Pour de vrai.
— Comme une punition ?
— Comme une récompense.
— Fascinant.
Mon pouls cogne à tout rompre dans mes veines.
— J’attends avec impatience le week-end prochain.
— Moi aussi.
Elle m’embrasse à pleine bouche, une douce promesse que
notre séparation sera studieuse.
D’ailleurs, dès que je suis dans le train, j’envoie un texto à
Alex, le prévenant deux heures à l’avance que je le rejoins
dès mon arrivée. Je descends du train et monte directement
dans le métro pour me rendre chez lui avant toute chose.
Il jette un coup d’œil à mon sac à dos.
— Tu arrives ou tu pars ?
— Je rentre tout juste d’un week-end à la campagne.
— Hazel tolère toujours ta présence ?
Je ne peux pas nier la vérité.
— Moi aussi, son attachement me laisse perplexe, mais je
fais de mon mieux pour être un bon compagnon. C’est pour
ça que je suis ici.
— Ta mystérieuse et urgente demande d’audience.
D’un geste, il désigne son hall immense et froid.
— Entre. Tu veux du café ?
— Avec plaisir.
Je le suis dans la cuisine.
— Alors, c’est quoi ce sujet urgent dont on doit discuter ?
— Ma petite amie a reconnu quelqu’un à ta fête. Je voudrais
que tu nous présentes.
— Bien sûr. De qui s’agit-il ?
— Zeke Devereaux.
L’expression d’Alex est impassible lorsqu’il répond :
— D’accord.
— Tu n’es pas curieux de savoir pourquoi ?
— Non.
— Pourquoi ça ?
— Parce qu’elle écrit des livres érotiques et que Zeke possède
un club libertin.
— C’est ça.
Alex change alors d’attitude, abandonnant sa nonchalance
prudente pour exprimer une franche curiosité.
— À moins qu’il y ait plus que de la recherche.
— Non, uniquement de la recherche.
— Une recherche... de première main ?
— Tu demandes ça en tant qu’ami curieux ?
Les coins de sa bouche frémissent.
— Pas vraiment. Je demande plutôt en tant que partenaire
anonyme de Zeke dans les parts du club.
— Quoi ? m’exclamé-je avant de passer une main sur ma
bouche. Dis donc, on croit connaître quelqu’un...
— Tu me connais très bien. Mais je ne pense pas que tu
veuilles connaître tous les détails de ma vie sexuelle.
— Non.
— Bien.
— Bien.
— D’accord.
Il hausse les épaules.
— Je vais arranger ça. Zeke est un type bien. Sa femme est
l’une des personnes que j’aime le plus au monde, mais elle
n’apprécie pas mes fêtes tous azimuts. Zeke n’a pas
l’habitude de venir, lui non plus, mais je voulais qu’il
rencontre quelqu’un.
— Qui ?
Alex secoue la tête.
— Ce n’est pas à moi de te le dire.
Il se dirige vers un immense meuble en bois à nombreux
tiroirs, contre le mur du fond, le déverrouille et en sort une
carte de visite.
— Tiens. C’est une invitation pour deux personnes en soirée
VIP. Chaque week-end, une nuit est ouverte au public, et
l’autre est réservée aux personnes munies de cette carte.
C’est une ambiance di érente. Zeke et Caro s’impliquent
beaucoup auprès du public. Ils éduquent les gens à la
pratique de leurs fantasmes en toute sécurité et de manière
responsable, mais c’est toujours mieux sans badauds.
Je prends la carte et le remercie.
— Hazel voulait aller à la soirée ouverte au public.
— C’est sympa aussi. Mais ces nuits-là sont encore
meilleures.
— Est-ce que tu... tu y vas, toi ?
— Rarement. Tu ne m’y verras pas, ne t’inquiète pas.
N’oublie pas l’aspect anonyme de ce partenariat anonyme. Je
n’y vais que sur convocation de Caro.
Je hoche la tête.
— Au fait, une autre question. À des fins de recherche. As-tu
des sites web ou des livres à recommander sur le bondage ?

Le lendemain soir, je suis au téléphone avec Hazel quand on


frappe à la porte de mon appartement. Comme seule une
poignée de personnes peuvent passer devant le portier sans
qu’il ne m’appelle, j’ouvre sans cesser de parler.
C’est Grace, et je lui fais signe d’entrer. Hazel, articulé-je
tout en montrant le téléphone. Elle a un sac de repas à
emporter dans sa main, qu’elle brandit pour désigner la
cuisine.
Je réalise un peu tard que j’ai laissé la carte VIP du
Wheelhouse sur le plan de travail et je m’élance après elle.
Dans mon oreille, Hazel parle d’autres projets
d’amélioration de la maison que nous pourrions faire
ensemble, et je dois l’interrompre.
— Chérie, je dois y aller. Je te rappelle tout de suite.
— D’accord. Tout va bien ?
Je regarde Grace, qui tient la carte, et je gémis.
— Oui, tout va bien. C’est juste Grace qui fourre son nez dans
mes a aires privées. Donne-moi cinq minutes pour la virer
et ensuite je serai tout à toi.
Grace se moque alors que je pose le téléphone sur le plan de
travail, là où se trouvait la carte un instant plus tôt.
— Tu n’étais pas obligé de raccrocher pour moi.
— Qu’est-ce que tu fais ici ?
— Je te nourris.
— J’ai de quoi manger.
— Alors, je me nourris en ta présence parce que Luke
travaille tard et que je me sentais seule.
— Ah, dis-je en baissant les yeux vers le téléphone.
— Rappelle-la. Je me fiche que tu sois occupé, j’aime juste
l’activité d’une autre présence dans mon espace.
Je fronce les sourcils, mais Grace n’a pas remarqué. Elle est
toujours en train de glousser sur la carte.
— Tiens tiens, le Wheelhouse ? Je n’aurais jamais imaginé
que ce soit ton genre.
— N’en parle même pas, lancé-je.
Elle laisse tomber la carte, surprise.
— Je sais que tu veux bien faire, et je t’aime pour ta
prévenance, mais... je discutais avec ma petite amie, là. Cette
carte... c’est parce que je veux y aller avec elle. Tu ne peux
pas débarquer chez moi et me compliquer la tâche.
Elle fait un pas en arrière, puis acquiesce.
— Bien sûr.
— Grace...
— Non, je comprends. Je vais prendre mon repas et aller au
studio à la place. Il y a des gens là-bas toute la nuit, en
général.
Je me sens minable.
— Je me suis mal exprimé.
— Sans doute, dit-elle, la voix un peu triste.
Bien sûr qu’elle est triste, je viens de lui crier dessus. Mais y
a-t-il une bonne façon de rappeler à quelqu’un qu’il dépasse
les limites ? Peut-être pas.
— C’est bon. Je vais y aller. Je t’enverrai un message la
prochaine fois que je chercherai de la compagnie pour le
dîner.
Elle récupère le sac à emporter, qui sent vraiment bon, et
passe devant moi en me tapant gentiment sur le bras.
Putain de merde.
Alors que la porte se referme, je prends mon téléphone et
rappelle Hazel.
— Salut, marmonné-je quand elle décroche.
— Oh, oh.
— J’ai été sec avec Grace. Et elle sait que j’ai une carte pour
la Wheelhouse.
Hazel rit.
— Je suis désolée, ça craint.
— Je pourrais aller la chercher, l’accompagner au studio.
C’est là qu’elle va, apparemment.
— D’accord. Envoie-moi un message quand tu rentres.
— Je t’aime.
— Moi aussi. Allez, va rattraper le coup.
Je rejoins Grace alors qu’elle monte dans sa voiture, garée
dans la rue.
— Attends, crié-je.
Elle s’arrête et regarde derrière elle. La façon dont son visage
s’illumine me tue. Mon frère est un vrai connard.
— Je suis désolé, j’ai mal réagi. Tu veux revenir à l’étage ? Ou
tu veux de la compagnie au studio ?
Elle presse ses lèvres l’une contre l’autre, puis penche la tête
sur le côté.
— En fait, j’aimerais te montrer quelque chose. Si tu es
d’accord ?

Au lieu de passer sous l’autoroute, Grace dirige sa voiture


vers le quartier de la mode. Après avoir pris la direction de
l’est, puis descendu une rue latérale, elle tourne sur
Richmond et se gare devant une galerie d’art.
— J’expose ici le mois prochain, m’annonce-t-elle. J’en ai
parlé à Luke aujourd’hui, et il a dit – je cite : « Tant que
mon nom n’y est pas associé. » Tu te rends compte ?
— Je suis désolé.
— Oui. Moi aussi.
Elle soupire et coupe le moteur.
— Viens. J’ai une clé.
Après nous avoir fait entrer et saisi le code de sécurité pour
sécuriser la porte, elle me conduit à travers l’exposition
actuelle jusqu’à une porte donnant sur une arrière-salle.
Quand elle allume, une blancheur aveuglante me saute aux
yeux. Il me faut une minute pour m’y accoutumer, puis je me
rends compte que je ne suis pas seulement en train de
contempler les œuvres de Grace. Je reconnais
immédiatement quelques-unes de ses sculptures, des corps
féminins voluptueux, mais il y a aussi des tableaux, des
corps anguleux enlacés. Et à l’autre bout de la pièce,
j’aperçois un enchevêtrement de métal dur et massif.
Il me faut encore une minute pour comprendre ce que je
regarde, car toutes les œuvres sont entreposées pêle-mêle en
attendant d’être mises en scène. Au milieu de cet
enchevêtrement se trouve une cage à oiseaux presque aussi
haute que le plafond.
Une cage à oiseaux comme sur la couverture du livre d’Hazel.
Je me retourne vers Grace et ses sculptures.
— C’est... une exposition commune ? Le mois prochain ?
Elle acquiesce, visiblement ravie. C’est bien normal.
— Alex m’a mise en contact avec un mécène local, qui aidait
déjà les deux autres artistes à organiser l’exposition. Quand
Alex lui a dit que j’avais travaillé dans le monde des galeries
et que j’avais peut-être quelques pièces à proposer, je... eh
bien, j’ai sauté dans le grand bain. Je ne savais pas que j’en
avais envie. Je pensais que mon petit commerce en ligne était
su sant, mais il n’y a rien de tel qu’une exposition, Sam. Je
suis...
— Et puis, Luke a tout gâché.
— C’est ça.
— Et moi, je t’ai crié dessus pour avoir interrompu mon
coup de fil.
Elle part d’un petit rire.
— Oui. Mais je pense que tu étais surtout gêné que je voie la
carte VIP, non ?
Je me force à ne pas détourner le regard.
— Oui, sûrement.
— C’est pour ça que je voulais te montrer ça. C’est Deke, le
propriétaire, qu’Alex voulait que je rencontre. Alors, si tu as
cette carte, sache que tu pourras voir mes œuvres dans son
club. Et... tu pourrais aussi me rencontrer là-bas.
Ma bouche s’ouvre toute grande.
— C’est un secret, dit-elle avec empressement. Il ne faut pas
non plus le dire à ton frère.
— Grace...
— Je ne fais rien de mal, dit-elle avant de se détourner. Je ne
voulais pas que tu sois surpris, c’est tout.
— Je ne sais pas quoi dire.
— Tu n’as rien à dire. Tu écoutes et puis... voilà.
Je serais bien la dernière personne à donner des conseils en
matière de relations ou à juger quelqu’un pour ses choix.
— Je suis fier de toi. Voilà ce que je sais.
Elle jette un coup d’œil en arrière, par-dessus son épaule.
— Merci.
— Et je suis mort de faim. On peut manger ?
— Avec joie.
Elle tire la toile qui recouvrait l’une des sculptures et la
déplie sur le sol.
— Ça te dérange de pique-niquer par terre ?
— Non.
Je fronce les sourcils en regardant la sculpture.
— C’est la tienne ?
— Oui.
— Ce n’est pas une femme.
— Je me diversifie parfois.
C’est un homme, la tête basse. Son visage n’est pas visible,
car son corps lourd est tordu, de biais. Il y a deux mains dans
son dos. Des mains petites et douces.
Quelque chose me retient de l’interroger plus, alors je
m’assieds et mange avec elle. Mais en rentrant chez moi, je
me promets de consulter son site web, où elle tient un
catalogue de toutes ses œuvres.
J’ai le cœur gros.
VINGT-ET-UN
HAZEL

Sam ne me rappelle pas avant quelques heures. Quand il le


fait, il a l’air fatigué.
— Luke n’est pas fier d’elle, déclare-t-il.
Je me sens mal pour elle.
— Quelle tristesse.
— Je pense qu’elle a mis fin à leur relation, et c’est peut-être
mieux. Pour elle, en tout cas. Ça risque de devenir compliqué
avant de s’améliorer. C’est sa première grande exposition
publique, et l’une des pièces s’intitule Mort d’un mariage.
— Oh.
J’ai envie de le rassurer, de lui rappeler que l’art ne reflète
pas toujours la vie, et que c’est un thème auquel les créateurs
sont souvent confrontés. Mais Sam connaît ce couple mieux
que quiconque. S’il est inquiet, je ne vais pas minimiser cette
peur.
— Je suis désolée. Pour eux, et pour toi. Ça fait beaucoup de
stress à supporter.
— Oui.
— Et ça fait du bien d’en parler ?
— Je ne sais pas.
— Tu veux que je te divertisse ?
Il rit tout bas à mon oreille.
— Oui.
Je lui raconte ce sur quoi je travaille en ce moment, précisant
que j’attends le week-end avec impatience. Ce soir-là, nous
ne parlons plus de sa famille.

Je prends le premier train vendredi matin et Sam me


retrouve à la gare. Il porte son uniforme de Bay Street, un
costume hors de prix, avec les cheveux gominés.
Nous devons former un drôle de couple, tous les deux, moi
en pantalon de yoga et chaussures de randonnée, un sac à
dos sur l’épaule, en train d’embrasser avec enthousiasme un
requin de la finance.
— J’ai le temps de t’accompagner chez moi avant ma
prochaine réunion, dit-il en me serrant contre lui pendant
que nous nous frayons un chemin dans la foule agitée. Et je
serai de retour pour le dîner. Ça te va ?
— Ce serait super.
J’expulse un sou e que je n’avais pas conscience de retenir.
Il m’étreint avec force, comme s’il l’avait remarqué, et je
laisse aller ma tête contre lui.
— Au fait, j’ai fait quelques recherches, murmure-t-il une
fois que nous sommes à l’arrière d’un taxi.
Je tourne la tête pour pouvoir lui répondre à mi-voix :
— À quel propos ?
— Le bondage.
— Intéressant.
— Certaines personnes trouvent que le fait d’être attaché
aide à apaiser l’anxiété.
Je pou e.
— Alors, tu vas m’attacher à ton lit pendant que tu es au
travail ?
— Ce ne serait pas très raisonnable.
Il passe la main dans mon dos, sur ma nuque.
— Mais que dirais-tu de porter une laisse ?
Je cligne des paupières, surprise.
— Tu as fait de bonnes recherches.
— Tu trouves ?
— Oui.
— Bon, dit-il en m’embrassant la tempe. Tu as dix minutes
pour décider si tu en veux une cet après-midi.
Je n’ai pas besoin d’y penser.
Je vibre déjà d’excitation quand nous arrivons en haut. Sam
est adorable. Il a regardé des vidéos YouTube, m’explique-t-
il, mais il veut les visionner pendant qu’il m’attache la laisse.
— Ça ne te dérange pas ? Ça n’enlève pas un peu de plaisir ?
— Pas du tout.
Je me sens plus légère que l’air, sachant qu’il va le faire et
qu’il tient à le faire correctement. Je le lui dis :
— Fais comme tu voudras.
Il a acheté la même corde que chez moi. J’essaie de
l’imaginer en train de faire ses courses dans une
quincaillerie en costume et chaussures cirées, et je me mets à
rire.
Sam prend mon visage entre ses mains et m’embrasse,
avalant mon rire qui se change en gémissements faibles. Puis
il me retourne et se concentre. La corde est doublée et la
pression est délicieusement agréable quand il la tire autour
de moi. En haut et sur mes épaules, entre mes seins. Elle est
par-dessus mon haut, pourtant chaque e eurement du bout
de ses doigts contre ma peau, même à travers le tissu, me
donne le frisson.
— Voilà, dit-il en disposant soigneusement les extrémités. Si
ça te dérange, à tout moment, tu peux te détacher. Mais si tu
l’as toujours quand je rentre, je te détacherai. Tu me diras
quel e et ça te fait.
Après son départ, je me promène dans son loft. J’aime sentir
la corde qui enlace doucement mon corps. Je la regarde dans
le miroir de sa salle de bain, fais glisser mes doigts sur les
brins épais, les reliefs rugueux.
Puis je sors mon ordinateur portable et me prépare à
travailler sur son lit, avec cette vue à un million de dollars
par la fenêtre.
Les heures passent et je suis surprise de constater que le
soleil se couche. Je m’extirpe du nid d’oreillers et de
couvertures dans lequel j’écrivais pour rejoindre sa pièce à
vivre en songeant au dîner.
L’une des peintures sur le mur attire mon attention, un
tableau abstrait.
C’est là que Sam me trouve.
Il s’approche de moi et tire sur l’arrière de la laisse, me
retournant pour m’embrasser avec intensité.
— Tu m’as manqué aujourd’hui.
Je souris contre sa bouche.
— Toi, tu ne m’as pas manqué, parce que je t’avais tout
autour de moi.
Il gémit.
— Putain, j’adore ça.
— Moi aussi.
— Alors, ça fait du bien ?
— Oui.
— Je peux te la retirer maintenant ?
Quand j’acquiesce, il recule, enlève sa veste et retrousse ses
manches jusqu’aux coudes. Puis il attrape ma laisse et
reprend prudemment les étapes en sens inverse.
Je fais rouler mes épaules pendant qu’il pose la corde, puis il
me demande de lever les bras et retire mon haut.
En dessous, j’ai de légères marques de frottement. Il se
penche pour embrasser une épaule, puis l’autre. Je frissonne
à ce contact, réalisant que ma peau est devenue sensible
maintenant qu’il l’e eure de ses lèvres.
Il lève la tête en fronçant les sourcils.
— Ça va ?
— Oui, très bien, dis-je, concentrée sur les sensations. Je me
sens détendue, parfaitement sereine, et en même temps j’ai
la peau sensible.
Il m’enveloppe tout doucement dans ses bras, puis désigne le
tableau.
— Tu étais plongée dans tes pensées quand je suis entré.
— C’est l’un de ceux de Grace ?
— Non. Mais c’est elle qui me l’a o ert. Pourquoi ?
— Je ne sais pas. Je me demandais, c’est tout. Peut-être que
je devrais passer plus de temps avec elle. Apprendre à la
connaître...
— Elle adorerait.
— Et toi ?
Il se renfrogne.
— Bien sûr. Pourquoi ?
— Cette relation a l’air compliquée.
— C’est plutôt avec mon frère, pas avec elle. Grace est la
sœur que j’aurais aimé avoir. Bien sûr, c’est parfois tendu,
mais dans le sens familial du terme.
— Est-ce que je peux demander...
Je fais la grimace.
— Elle est artiste. Di érente de toi et de Luke.
Il acquiesce.
— Et moi, je suis... une artiste, en quelque sorte. Di érente
de toi.
Une fois de plus, il hoche la tête, mais cette fois, les muscles
autour de sa bouche se contractent, pincés, et ses lèvres
s’étrécissent.
Autant tout déballer, maintenant.
— Est-ce que tu n’étais pas amoureux de ta belle-sœur, au
fond ? Est-ce que je suis une remplaçante ? Tu es attiré par
moi parce que je suis... comme elle ?
Sam me dévisage en silence. Il a l’air presque incrédule,
silencieux. Je crois qu’il tombe des nues.
Puis il éclate de rire.
— Non. Oh, non. Seigneur, pas du tout.
— C’est ridicule ? Je ne sais pas d’où ça sort, dis-je en me
frottant la poitrine, à l’endroit où les cordes étaient nouées.
Je n’étais pas vraiment inquiète.
— Ce n’est rien. Mais tu as tout faux. Enfin, peut-être, mais
à l’envers. Oui, tu es un peu comme Grace. C’est elle qui te
ressemble beaucoup. Je l’ai toujours appréciée, en partie
parce qu’elle me faisait penser à toi. Je l’aime, mais je ne suis
pas amoureux d’elle et je ne l’ai jamais été. C’est à toi que je
réserve ça. Peut-être même depuis toujours.
Mon visage devient brûlant de honte.
— Je suis désolée.
— Il ne faut pas. Au moins, les choses sont claires. Ça va
mieux, maintenant ? demande-t-il en souriant. Tu as
d’autres questions sur les personnes pour lesquelles je
pourrais avoir des sentiments ?
— Non.
C’est un petit mot, prononcé par une toute petite personne.
Je n’aurais jamais dû exprimer cette peur à haute voix.
C’était sûrement blessant, même s’il l’a balayée d’un revers
de main, et je le sais mieux que quiconque. La jalousie peut
surgir de la manière la plus inattendue et la plus absurde qui
soit. Il faut la raisonner avec logique. Sans oxygène, elle
s’étou e.
Sam se renfrogne.
— Je devrais te dire quelque chose. C’est à propos de mon
enfance, et ça n’excuse rien, alors je n’en parle jamais. Mais
il est temps que tu le saches. Je ne bafouerai jamais, jamais,
la confiance que tu as placée en moi, parce que je suis le
produit de ce genre de négligence.
— Comment ça ?
— Luke et moi, on ne se ressemble pas. Je suis brun, il est
blond. Il est plus musclé que moi. Il avait des taches de
rousseur quand il était petit, alors que moi, je bronzais
facilement.
— Qu’est-ce que tu dis ?
Sa mâchoire se contracte.
— Ni lui ni moi ne ressemblons à notre père.
— Oh, Sam.
Il s’éloigne du tableau et se laisse tomber sur le canapé.
— Que sais-tu de ma famille ?
Je secoue la tête et le suis pour m’asseoir non loin de lui,
mais pas trop près. Je suis présente, mais je ne sais pas ce
que j’ai fait en ouvrant cette boîte de Pandore. Je ne sais pas
s’il a besoin d’espace.
— Pas grand-chose. Je sais que tes parents sont riches.
Il acquiesce avec une grimace.
— Le problème avec les grandes fortunes, c’est qu’il faut des
héritiers. Il y a trente-cinq ans, mon père a fait un pacte avec
le diable en fermant les yeux sur la première grossesse de ma
mère. Il s’est convaincu de pouvoir le supporter.
— Luke.
— Il s’est avéré que ce n’est pas la première grossesse qui a
détruit notre confortable unité familiale. C’était la seconde.
Parce que je ressemblais exactement à son meilleur ami, et
pas du tout à mon frère. Il ne m’a jamais pardonné ça.
— C’est n’importe quoi ! m’exclamé-je spontanément. Sam,
ce n’est pas juste.
— Oh, je suis au courant.
— Je suis vraiment désolée.
— Eh oui, dit-il en désignant son appartement d’un geste.
Quand j’ai ruiné notre entreprise, tu comprends pourquoi
nos parents n’étaient pas enclins à nous aider. C’est pour ça
que tu ne les rencontreras probablement jamais. Nous
n’avons pas de relation.
— Même pas ta mère ?
J’ai du mal à l’imaginer. Et je me sens incapable de le
soutenir dans cette épreuve.
Il gémit et un autre rictus lui vient aux lèvres.
— Alors, tu comprends pourquoi je suis si attaché à Grace. Ce
n’est pas de l’amour, pas comme ça, en tout cas. C’est qu’elle
est la seule personne qui m’ait jamais aimé comme un
membre de la famille.
Je pleure maintenant, des gouttes humides et impuissantes
qui ruissellent sur mon visage.
Il me sourit.
— C’était avant toi. Et ça... ce que nous avons... c’est encore
mieux.
Je me jette à son cou. L’élancement des traces de corde sur
ma poitrine me rappelle tendrement à quel point je l’aime et
lui fais confiance.
Il devrait pouvoir me faire confiance, lui aussi.

Lundi, quand Sam part au travail, je me rends au Waterfront


Centre et retrouve Grace. Je frappe à la porte de son studio. Il
lui faut une minute pour ouvrir.
— Hazel !
Elle a l’air surprise, mais elle recule et me fait signe d’entrer.
— J’espère que je ne te dérange pas ?
— Non, pas du tout. J’aime la compagnie, répond-elle en
désignant les lieux. Je peux te faire visiter rapidement. Tu as
mes sculptures par ici, mais aujourd’hui j’essaie de peindre.
Je n’y arrive pas très bien.
— Je trouve ça génial, au contraire, lui dis-je. Écoute, c’est
un peu gênant... mais je te dois des excuses.
— Pourquoi ?
— Pour avoir pensé que Sam était peut-être amoureux de
toi.
Je grimace. Ça me semble ridicule, quand je le dis à voix
haute.
Son visage s’adoucit.
— J’aimerais bien. Enfin, non, je ne suis pas amoureuse de
lui. Je suis éperdument amoureuse de son frère. Mais Sam
est... disons qu’il a fait un gros travail sur lui. C’est un bon
parti.
Elle penche la tête sur le côté.
— Pourquoi voulais-tu me dire ça ?
— Sam et moi, nous en avons discuté. Et il m’a parlé de sa
famille. Je sais qu’il a horreur des secrets et qu’il t’estime
beaucoup. Je voulais tirer les choses au clair, parce que je
l’aime plus que je ne l’aurais jamais cru possible.
— Il ressent la même chose, je le vois bien.
Elle passe la main sur sa joue, y laissant une trace de
peinture.
Quand je le lui fais remarquer, elle rit.
— Je suis une peintre plutôt médiocre, tu sais ? Toutes mes
œuvres qui se sont bien vendues étaient des sculptures. Mais
je continue à essayer. Je veux être douée et ça me frustre de
ne pas y arriver.
— Exactement comme moi avec la poésie.
Je fouille dans mon sac et en sors le livre que j’ai apporté.
— En parlant de ça. Tiens. C’est pour toi.
Elle s’immobilise et je prends conscience qu’elle bougeait en
permanence. Son inertie est choquante, di érente. C’est
nouveau. Enfin, elle inspire brusquement et se dirige vers un
lavabo sur le mur. Elle prend tout son temps pour se laver les
mains, puis pour les sécher. Le soin qu’elle apporte à ces
deux gestes me frappe en plein cœur.
Je suis venue pour m’excuser, et en retour, elle traite mon
livre – dont, à vrai dire, peu de personnes se soucient – avec
le plus grand honneur.
— Ça ne fait rien, murmuré-je. C’est juste un livre de poche.
Elle le prend et passe son doigt sur mon nom de plume.
— C’est toi ?
— Oui.
Il s’agit de mon premier recueil de poésie. Vingt-quatre
pages, un petit condensé de rêves.
— L’un d’eux est sur Sam.
Elle le presse contre sa poitrine.
— J’adore.
Moi aussi.
— Maintenant, tu as un extrait de mon travail. La preuve que
je suis sur le terrain, moi aussi !
Elle rit.
— J’en ai la preuve depuis ton arrivée. Ce que tu as fait, ça ne
ressemble pas du tout aux Preston.
— Quoi donc, avouer mes faiblesses ?
Elle hausse les sourcils, même si elle s’e orce de rester
impassible.
— Oui.
— Tout le monde est imparfait, on essaie juste de faire de
notre mieux.
Son visage se ferme, juste une seconde, puis elle a che un
grand sourire. À ce moment-là, je comprends l’instinct
protecteur de Sam à son égard.
— Grace, je suis en ville toute la semaine. Ça te dirait qu’on
déjeune ensemble un jour ? Ou... plusieurs fois même ?
Jusqu’ici, ça m’a bien plu.
VINGT-DEUX
SAM

Pendant le dîner, ce soir-là, Hazel m’annonce qu’elle a


décidé de ne pas retourner à Stratford en milieu de semaine.
— Si tu viens travailler chez moi pendant une semaine ou
deux, je pourrais rester ici en attendant que tu sois prêt à
revenir.
— Formidable ! Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
— Je suis allée voir Grace aujourd’hui. J’ai envie de passer
plus de temps avec elle, et avec toi. Quand tu viens chez moi,
c’est une évasion. Mais je ne veux pas seulement t’aider à
t’échapper. Je veux être avec toi ici, dans le chaos de la vraie
vie.
Je jette un coup d’œil à mon loft plutôt sympa.
— Tu vois très bien ce que je veux dire ! s’escla e-t-elle.
— Oui, et j’apprécie. En fait, pour te remercier, je me
demandais si tu avais un autre fantasme auquel tu voudrais
que je cède. Je ferai tout ce que tu voudras.
Ses yeux s’illuminent.
— Vraiment ?
Comme si c’était une épreuve.
— Oh, oui.
— J’ai beaucoup de fantasmes avec toi, Sam.
— Je suis tout ouïe.
Elle se redresse légèrement.
— Puis-je être ta secrétaire pour une journée ?
Je soupire. Bon sang, elle est tellement sexy ! Comment fait-
elle pour me surprendre encore ?
— Oui, dis-je d’une voix rauque. Samedi, ça te va ?
VINGT-TROIS
HAZEL

Avant que Sam parte au bureau le samedi matin, il me remet


la laisse. Je la porterai sous mes vêtements cette fois. Je suis
en soutien-gorge et en culotte, le même ensemble léger et
presque inexistant qu’il a tant aimé le soir du Nouvel An. Il
m’attache avec une nouvelle corde qu’il a commandée, assez
fine pour passer inaperçue.
Il ne devrait y avoir personne au bureau, m’a-t-il dit, mais
sait-on jamais.
J’aime beaucoup cette idée.
Après son départ, j’enfile une tenue que j’ai achetée hier. Une
jupe moulante. Pas courte, jusqu’aux genoux, mais si Sam
veut la déchirer, ça me va. J’ai pris un pantalon de yoga que
je peux mettre pour le trajet de retour.
Un chemisier blanc et un cardigan gris complètent la tenue.
Je prends le tramway jusqu’à Bay, comme n’importe quelle
employée. Lorsque j’arrive à son immeuble, je suis ses
instructions à la lettre et utilise la carte qu’il m’a laissée
pour entrer dans l’ascenseur. Son bureau est au vingt-
deuxième étage. Lorsque je sors de l’ascenseur, le couloir est
silencieux, mais les lumières sont allumées.
C’est là que s’arrêtent ses instructions.
Je ne suis pas sûre de la direction que je vais prendre, alors je
me dirige vers la droite. À la recherche d’un bureau d’angle,
peut-être. Comme je ne trouve pas Sam, je me retourne. Il
est là, debout au bout du couloir.
— Je peux vous aider ?
— Je viens de l’agence d’intérim, dis-je timidement. Hazel
McLaughlin.
Il me fait signe de m’approcher.
— Je suis l’un des associés ici. J’ai appelé pour une
intérimaire il y a une heure. Vous êtes en retard.
— Je suis désolée, monsieur.
— Ce n’est rien, mais j’ai une conférence téléphonique dans
dix minutes. Venez avec moi.
Quand il se retourne et s’en va, je le suis. Comme c’est
réaliste et amusant !
— C’est ici, dit-il en s’arrêtant devant une salle de réunion.
C’est très clair, d’après la plaque sur la porte. Contrairement
au reste du bureau, qui n’est constitué que de parois de
verre, cette pièce n’a aucune vitre donnant sur le couloir.
Il ouvre la porte et me fait signe d’entrer.
— Êtes-vous douée pour la prise de notes, Mademoiselle
McLaughlin ?
— Oui, monsieur.
Il y a un bloc-notes sur la longue table en bois poli. Il
s’arrête à côté un moment, tapotant ses doigts sur la surface.
Puis il acquiesce.
— Bien.
Sa voix est brusque. J’adore ça.
L’ennui, c’est que je ne sais pas prendre de notes. Ce n’est
pas très grave, sauf qu’il y a un écran sur le mur et une
personne bien réelle. Il est vraiment en train de tenir une
réunion.
— Sam, chuchoté-je.
Il me lance un regard. Il est torride et autoritaire, suggérant
que je ferais mieux de ne pas le questionner. Je prends le
bloc-notes et je m’assieds.
Quand il commence à parler à son client, je n’arrive pas à
suivre le va-et-vient. C’est entièrement la faute de Sam.
Il ne me prête pas la moindre attention, et pourtant il me
tape sur les nerfs. Il est très grand dans son costume, sa
mâchoire est carrée et il a un côté intransigeant qui fait
trembler mes cuisses.
Je me surprends à gri onner des idées d’histoires érotiques
au lieu de prendre des notes. Les idées volent dans ma tête à
un kilomètre à la minute.
J’essaie de me concentrer, de bien faire mon travail.
Mais j’échoue lamentablement.
Surtout quand il enlève sa veste et se met à l’aise, s’adossant
dans sa chaise. Je ne peux pas voir ses jambes sous la table,
mais j’imagine qu’elles sont écartées, ses cuisses solides
tendues. Son sexe épais et lourd, juste là, encore hors de
portée pour l’instant.
Le stylo m’échappe des mains pour aller rouler sur le sol
quand je redouble d’énergie sur le papier. Sam me jette un
regard sévère et j’esquisse un rictus contrit. Je fais une
piteuse secrétaire.
Peut-être qu’il me donnera une fessée plus tard.
Je grimace en repoussant ma chaise, me penchant pour
ramasser le stylo qui est tombé. Mais ma jupe est trop serrée
et elle restreint su samment mes mouvements pour que je
n’arrive pas à l’atteindre. J’aimerais tendre la jambe pour
contrebalancer mon bras et le haut de mon corps, mais je n’y
arrive pas. Je recule et me lève avec précaution, essayant de
jouer le rôle de la parfaite assistante de Sam. Je m’agenouille
prudemment et attrape le stylo, mais je m’arrête net. Là,
sous la table, Sam est en train de faire quelque chose
d’incroyablement sensuel.
Il retrousse ses manches. Les poignets sont déjà défaits et
ses doigts – ces doigts épais et forts qu’il aime plonger dans
mon corps – enroulent agilement le coton blanc sur son
avant-bras.
Tout doucement.
Avec soin. Avec une précision érotique.
Je prends une profonde inspiration et les cordes avec
lesquelles Sam m’a attachée une heure plus tôt s’enfoncent
dans ma chair.
Combien de temps va-t-il me torturer comme ça ?
Sept minutes de plus, apparemment.
Après que j’ai récupéré mon stylo, et alors que la discussion
se poursuit, il parvient à faire accepter à son client deux
conditions – que je note consciencieusement – avant de
mettre fin à l’appel.
Mon sou e reste suspendu dans ma gorge quand il se lève et
fait le tour de la table. Il regarde le bloc-notes. J’en suis à la
quatrième page, les autres sont retournées.
Sur la feuille qu’il regarde, il y a un vrai travail.
Sur les autres... pas tellement.
Il s’empare du bloc-notes et acquiesce lentement.
— Bien.
Mais ça ne va pas durer longtemps.
Il revient à la page précédente, puis celle d’avant.
— Qu’est-ce que c’est ?
Il n’y a qu’une seule réponse possible. Un mensonge.
— Le compte-rendu de la réunion.
— Ses cuisses sont pressées sur le siège en cuir luxueux,
contractées par la tension quand elle décroise les jambes. Il a
envie de relever sa jupe et de décoi er son chignon...
Mademoiselle McLaughlin, c’est vous qui avez écrit ça ?
— Je...
Je récupère mes notes, mais Sam m’attrape le poignet en
plein vol. Il serre les doigts, et lentement, dans un geste
menaçant, repousse ma main sur la table. J’étou e un cri et
recule, mes fesses heurtant la surface dure. Il se penche, me
forçant à reculer, à me hisser sur la table pour essayer de me
dérober à son approche menaçante.
Enfin, il me relâche et s’assied dans le fauteuil en cuir que je
viens de quitter.
Maintenant, nous sommes exactement dans la position que
je viens de décrire. Il est assis, ses jambes écartées encadrant
sa lourde érection. Quant à moi, je suis perchée sur la table
de la salle de conférence, en face de lui.
Alors, je croise les jambes.
Pour mieux les décroiser.
Le regard de Sam se concentre sur l’ombre entre mes
cuisses.
Mon clitoris palpite. Je me sens comme une garce éperdue,
prête à faire n’importe quoi, à aller n’importe où avec cet
homme.
— De quelle agence d’intérim avez-vous dit que vous
veniez ? demande-t-il d’une voix rocailleuse, chaude et
intense.
— Je ne m’en souviens pas.
— Je crois que vous êtes venue ici pour me tenter.
C’est tout à fait exact.
— J’ai fait de mon mieux, monsieur.
— Vous avez fantasmé sur moi en train de vous écarter les
jambes et d’enfouir mon visage dans votre petite chatte
brûlante. C’est comme ça que vous considérez votre intimité,
j’imagine ? Comme une chatte en manque et ruisselante ?
Vous feriez n’importe quoi pour ça ?
Je n’arrive plus à respirer.
— Oui.
— Montrez-moi.
Mes jambes tremblent.
— Vous montrer quoi ?
— Votre chatte.
J’essaie de retrousser ma jupe, mais elle est trop serrée. Sam
se redresse et me pousse sur le dos.
— Je vais vous aider.
Il retrousse le tissu sur mes cuisses, assez brutalement pour
me faire un peu mal et m’exciter follement.
Mes cuisses s’ouvrent en grand, parce que je suis aussi
dévergondée qu’il me l’a reproché.
Sam se penche et fait glisser ma culotte sur le côté. Il renifle
lentement, s’imprégnant de mon odeur. J’en tremble de
désir. Après quoi, il lèche une lèvre gonflée entre mes
cuisses, puis l’autre, avant de les aspirer avec avidité.
Ses coups de langue sont langoureux, dépravés, furieux.
Il est a amé, sans retenue.
Torride, aussi.
Sa langue virevolte sur mon clitoris à la fin de chaque
succion, et quand je me déhanche contre son visage, il
referme sa main puissante sur ma cuisse et me presse contre
le bois froid.
— Ne bougez pas, aboie-t-il.
Force-moi, pensé-je avec insolence.
C’est ce qu’il fait.
Il m’immobilise. Je suis incapable de contrôler l’action de sa
bouche sur ma peau.
J’ai envie de hurler et de gémir, mais je ravale cette
frustration et me laisse aller. J’abandonne mon désir de
précipiter l’orgasme, je renonce à la panique et je me laisse
porter par les sensations. Les cordes de Sam contre ma peau,
sa bouche entre mes jambes.
J’abandonne les derniers vestiges de contrôle que je pensais
conserver sur ce fantasme fougueux et érotique, et je me
laisse aller à ce qu’il me donne.
Tout.
Mon orgasme gonfle comme une bulle, scintillante et
frémissante. Je le sens venir, de plus en plus impressionnant.
Soudain, avec un dernier coup de langue a amé, Sam me fait
voler en mille morceaux et la bulle éclate de façon
spectaculaire.
— C’est bien, sou e Sam, son visage contre l’intérieur de
ma cuisse.
Il respire fort.
— Très bien, ajoute-t-il en se levant. Ça ira pour l’instant.
Vous devriez vous redresser, notre prochaine réunion
commence dans quinze minutes.
VINGT-QUATRE
SAM

Après le deuxième entretien, je la persuade de me laisser


déboutonner son chemisier, mais je suis trop brutal et
quelques boutons volent. Je tire sur la corde qui l’enserre et
pince ses tétons jusqu’à ce qu’elle se trémousse, puis je la
prends à même mon bureau.
Après la troisième réunion, je lui annonce que je vais avoir
besoin de ses services tout le week-end et qu’elle devra
rester avec moi dans mon appartement.
Alors qu’elle proteste, prétextant une autre mission
d’intérim, je nous appelle un taxi.
Il s’est mis à pleuvoir à verse lorsque nous sommes sortis.
— J’adore, me confie-t-elle en attendant sous le porche avec
moi.
— La pluie ?
— Le jeu de rôle.
Cela me plaît plus que je ne le pensais, à moi aussi.
— C’est aussi bien que dans tes fantasmes ?
Son sourire étincelle dans la lumière déclinante.
— Mieux.
— Comment ça ?
— Je ne sais pas ce que tu vas faire ensuite.
C’est la surprise. Je déglutis pour chasser une boule logée
dans ma gorge. C’est devenu habituel depuis qu’Hazel est
dans ma vie.
— On peut recommencer le mois prochain quand on
reviendra en ville. Mais di éremment, pour que tu restes
émoustillée.

Trois semaines plus tard, Hazel l’intérimaire se présente à


nouveau à mon bureau. Cette fois, c’est plus tard dans la
journée. Je veux que nous dînions ensemble. Elle porte un
costume noir, un pantalon ajusté et un blazer sur mesure.
Elle est sexy. Ses dessous en soie le sont encore plus.
— Mademoiselle McLaughlin, nous avons un code
vestimentaire. Vous avez déjà travaillé ici.
— C’est tout ce que j’ai, dit-elle à mi-voix, avec la pudeur
d’une sirène tentatrice.
— Je me souviens d’une jupe la dernière fois. Un chemisier
avec des boutons jusqu’au cou.
— Ils sont tous les deux déchirés.
Je ne pense pas avoir déchiré la jupe, mais cette idée me fait
bander.
— Bon, commençons. Si quelqu’un entre, tu devras te cacher
sous le bureau.
Elle rayonne à cette idée. Ma petite coquine.
Je lui donne un bloc-notes.
— Vous êtes encore en réunion ce soir, monsieur ?
— Pas aujourd’hui. Aujourd’hui, nous allons...
Je suis interrompu par mon téléphone qui vibre sur le
bureau. Pile à l’heure. Je me lève et me rapproche d’elle,
posant mes mains sur ses épaules.
— Laisse-moi t’aider à te mettre un peu plus à l’aise.
— Tu veux que j’enlève ma veste ?
— Oui, chuchoté-je, e eurant de mes doigts la peau nue de
son cou. J’aime te regarder pendant qu’on travaille.
— Et en quoi consiste ce travail aujourd’hui ?
— Je veux que tu finisses l’histoire que tu as commencée la
dernière fois. Que se passe-t-il ensuite, après que le patron
cruel s’est jeté sur sa secrétaire ?
— Ce n’est pas pour ça que j’ai été embauchée, proteste-t-
elle.
Je fais glisser la veste de ses épaules et me penche pour
passer ma langue sur sa peau.
— Vous avez été engagée pour me tenir compagnie les soirs
de cocktail. Vous avez été engagée pour être belle, très
tentante, et quand j’ai besoin de me soulager, pour m’o rir
un petit trou bien serré.
Elle halète et sourit en même temps.
— Oui, monsieur.
— Maintenant, écris.
Son stylo vole sur la page. Je prends sa veste et la suspends à
l’autre bout du bureau, à côté de la mienne, puis je
m’assieds.
Au même moment, l’ascenseur tinte dans le hall et Hazel
sursaute.
Je lui lance un coup d’œil intrigué. Que vas-tu faire ?
Sans perdre un instant, elle saute et se glisse sous mon
bureau. Je protège sa tête avec ma main pendant que je
rapproche ma chaise. En même temps, j’attire son visage
contre l’érection dans mon pantalon. Elle enroule ses mains
autour de mes cuisses, et je m’e orce de faire semblant de
travailler.
Alex entre.
— Heureusement que j’étais en ville pour l’expo, dit-il. Me
demander de jouer les livreurs, c’est un peu fort.
— Excuse-moi, dis-je avec un sourire reconnaissant. Tu sais
ce que c’est. Je dois terminer ça avant ce soir. Mais je te vois
là-bas. Merci de m’avoir apporté de quoi manger, tu me
sauves la vie.
Il me décoche un regard suspicieux, mais me salue et s’en va.
Hazel appuie son visage contre ma cuisse et rit tout bas alors
que j’attends que l’ascenseur redémarre. Puis je me lève et
vais fermer la porte de mon bureau.
Je la verrouille pour plus de sûreté.
Elle est recroquevillée dans mon fauteuil quand je me
retourne.
— C’était vraiment inattendu. Je suis surprise que tu ne
m’aies pas forcée à te sucer pendant que j’étais là-dessous.
— Je dois d’abord te nourrir, grogné-je en la mettant debout
pour l’asseoir sur mes genoux une fois que je suis de
nouveau sur mon fauteuil.
— Est-ce qu’Alex sait que je suis ici ?
— Non. Je savais qu’il était dans le coin pour une exposition
ce soir et je lui ai demandé s’il pouvait passer me chercher à
manger dans un resto que j’aime près de chez lui, mais qui
ne livre pas.
— Malin.
Elle redresse les épaules avant de demander :
— Que voulez-vous que je fasse ensuite, Monsieur Preston ?
— Mange. Après, on sort.
Hazel écarquille les yeux.
— Sam...
— Oui ?
— Je ne suis pas habillée pour sortir.
Je sors un cadeau du tiroir du bas. Une boîte fine. À
l’intérieur, il y a un long foulard en soie. Rouge.
— Tu peux le porter, l’attacher en dos nu sous ta veste.
Elle se mord la lèvre.
— Alors, la soirée ne se termine pas à la sortie des bureaux ?
Je l’attire à moi et l’enveloppe dans mes bras, l’étreignant
avec force.
— La nuit ne fait que commencer.
— Comme c’est excitant.
Ses yeux pétillent.
— J’en suis ravi. Maintenant, penche-toi sur le bureau.
Elle se lève et je déboutonne son pantalon. Alors qu’elle se
penche en avant, je le baisse le long de ses hanches, révélant
l’arrondi clair et rebondi de ses fesses divisées par son string
sexy. Je tire la bande de tissu, la frottant contre sa vulve
avant de lever à nouveau la main.
— C’est la récompense.
Sur ce, j’abats ma paume pour une légère gifle.
— Récompense de quoi, monsieur ?
— D’avoir été audacieuse.
— Oh... fait-elle avec un soupir. Merci.
Ce mot me va droit à l’âme. Je lui caresse les fesses, de
gauche à droite, d’avant en arrière, tout en lui disant qu’elle
a mérité six bonnes claques, aussi rares que cinglantes.
Elle se trémousse, dans l’attente.
Je les assene rapidement, mon cœur battant à tout rompre.
Un, deux, trois. Putain, elle aime ça. Quatre, cinq, six. Ma
queue me fait mal, mais je ne veux pas la baiser ici. Pas ce
soir.
J’ai envie de garder ça pour la fin de la soirée, après toutes
mes surprises.
VINGT-CINQ
HAZEL

C’est une belle nuit, exceptionnellement chaude pour la


saison, alors nous sortons du bureau de Sam. Je suis
étroitement enveloppée dans l’écharpe en soie rouge qu’il
m’a o erte, et si je n’enlève pas mon blazer, c’est une tenue
parfaitement acceptable pour être en public.
Mes fesses endolories sont cachées à la vue de tous, mais
Sam s’assure d’e eurer l’endroit où il m’a donné la fessée.
Oui, très prévenant comme mec.
Nous nous dirigeons vers l’ouest et mon petit ami refuse de
me dire où nous allons. Au lieu de ça, Sam parle de
rénovation et je n’écoute qu’à moitié.
— Qu’est-ce que tu en penses ?
— Quoi donc ?
— De retourner au chalet à Noël prochain.
Nous sommes en mars. Je ne planifie pas ma vie aussi loin,
mais l’idée me plaît.
— Pourquoi pas ?
— Je sais que tu n’aimes pas prévoir si longtemps à l’avance.
Je pou e.
— Tu lis dans mes pensées.
— Mais je me suis dit qu’on devrait peut-être fixer ces dates.
Juste pour être sûrs.
— La date est vraiment si importante ?
— Eh bien...
Sam s’arrête dans l’ombre d’un théâtre et les lumières de la
marquise illuminent le trottoir derrière lui.
— J’ai eu une idée.
— On va voir un spectacle ?
Il jette un coup d’œil dans son dos.
— Oui, mais pas celui-ci.
— Oh, un indice ?
— Hazel.
— Sam.
— Je peux avoir ton entière attention pendant une minute ?
Il me sourit et m’entraîne plus loin, passant devant le
théâtre.
— Où allons-nous ?
— C’est une surprise. Mais je veux d’abord te demander
quelque chose. Au sujet des maisons. La tienne et la mienne,
si on doit garder les deux et combien de temps y passer.
Comment y passer du temps, aussi.
Il s’arrête à nouveau dans la rue suivante, contourne un
groupe de piétons et me conduit dans une rue transversale
plus calme.
— Hazel, j’essaie de dire que je veux être avec toi. Tout le
temps et pour toujours. Depuis le moment où nous nous
sommes retrouvés, je n’ai pas voulu te quitter. Et ça va te
paraître bizarre, mais j’aime travailler sur ta maison avec toi.
J’aime t’avoir chez moi. Et je veux avoir une conversation sur
ce que tu veux, ce que tu aimes, pour qu’on soit sur la même
longueur d’onde.
— Je...
Il requiert mon attention pleine et entière pour cette
conversation, alors je la prends très au sérieux. J’y réfléchis.
— J’aime les deux maisons. Si ça ne te dérange pas de faire
des allers-retours, moi non plus. Et il y a de vrais avantages
à vivre en ville. Le jeu de rôle du bureau coquin, par exemple.
Et ce théâtre. On pourrait aller voir des concerts. Ce serait
génial. Tu as peur que je veuille que tu déménages à
Stratford ?
— Je... je l’espérais, plutôt. Que tu aies envie de quelque
chose comme ça.
— Oh.
Je me tais pendant un moment avant de reprendre :
— Sam, je t’aime tellement. Je t’aime vraiment. Je me fiche
de l’endroit où on vit. Si tu veux garder un pied à terre en
ville, parce que c’est plus facile pour le travail...
Il avait parlé de laisser la société d’investissement derrière
lui, mais quelque chose l’en empêche. Et c’est à lui de faire
ce choix, si tant est que ce soit un choix qui lui convienne.
— Eh bien, la question est un peu plus personnelle que ça.
Parce que je veux t’acheter quelque chose. Une bague de
fiançailles, en quelque sorte. Mais c’est un peu plus gros
qu’une bague. Trop grand pour ta maison, en fait. Si tu
l’aimes, on devra peut-être garder mon appartement pour
pouvoir garder le cadeau. Je pensais te surprendre avec ça,
mais je ne voulais pas que tu penses que je t’enferme en ville.
Il m’attire à lui.
— J’aime te surprendre, mais j’aime encore plus quand on
en a discuté à l’avance, au moins dans les grandes lignes.
Je reste sans voix. Pas seulement à cause du cadeau mystère,
mais aussi de tout le reste. Une bague de fiançailles, en quelque
sorte. C’est si doux, si innocent que ça me coupe le sou e.
— Est-ce que c’est...
Sam pose un doigt sur mes lèvres.
— N’essaie pas de deviner. On y sera bientôt. Encore
quelques pâtés de maisons.
Je passe mes doigts dans les siens.
— Alors vas-y, je te suis.

C’est une galerie d’art. Et je reconnais l’un des noms sur


l’a che en vitrine.
— Grace donne une expo ?
Sam m’ouvre la porte et des brouhahas nous parviennent.
— C’est une avant-première VIP. Le vrai vernissage a lieu la
semaine prochaine.
— C’est ici qu’Alex allait ! dis-je en désignant l’ami de Sam,
puis Grace que je repère juste après lui. Pourquoi tu n’as pas
dit...
C’est alors que je la vois.
Je sais avant qu’il ne dise quoi que ce soit que la cage à
oiseaux de près de quatre mètres de haut est à moi, si je la
veux. Si je l’accepte de sa part.
— C’est pour ça, chuchoté-je.
Il frotte sa main au bas de mon dos.
— Tu veux aller la voir de plus près ?
Je crois que je vais pleurer.
Je ne sais pas pourquoi, mais je vais me couvrir de honte
dans un instant. Je me tourne vers son torse et y presse mon
front.
— Ça te plaît ?
— J’adore.
Je prends une grande inspiration et me ressaisis. Quand je
me retourne, la foule s’est séparée, et nous nous dirigeons
vers l’œuvre. Je m’arrête à mi-chemin pour féliciter Grace,
mais quelqu’un d’autre vient lui parler et je suis alors libre
de me déplacer jusqu’au fond de la galerie.
— Ce n’est pas le travail de Grace, si ?
Sam s’arrête juste derrière moi, son bras autour de ma taille.
— Non. Un des autres artistes. Un métallurgiste qui s’appelle
Damien Noble.
— Même si je n’avais pas déjà accepté de faire des allers-
retours, je viendrais m’installer en ville rien que pour vivre
avec ça.
Sam rit.
— Et pour moi, aussi.
— Et pour toi. Bien sûr, et pour toi.
Je lève les yeux vers lui.
— Qui d’autre me mettrait dans cette cage et me laisserait
écrire ?
Ses yeux s’illuminent et sa bouche se ferme.
J’a che une innocence naïve en demandant :
— Quand pourrons-nous la rapporter à la maison ?
— Ils la livreront après l’exposition.
— Qui se termine...
— Dans trois semaines.
Il dépose un baiser sensuel et prometteur sur ma bouche.
— Mais j’ai une autre surprise qui t’attend chez nous.
Chez nous.
Je l’imagine aisément. Son loft devient un peu plus moi, un
peu plus nous. Cette cage à oiseaux dans le coin. Je ne
plaisante pas en disant que j’aimerais y écrire, peut-être
pelotonnée sur un coussin de velours.
Détournant mon attention de la cage, je la reporte vers les
autres œuvres du métallurgiste.
— Tout ça est très, très... pervers, chuchoté-je à Sam.
— Il y a une raison à ça, murmure-t-il en retour.
L’exposition a été organisée par le propriétaire du club que
tu as vu chez Alex le soir du Nouvel An. Il était là pour
rencontrer Grace.
— Quoi ?
Sam me fait pivoter jusqu’à ce que Zeke Devereaux
apparaisse dans ma ligne de mire.
Cette soirée est de mieux en mieux.
— Tu le connais ?
— Je n’ai jamais rencontré cet homme. Mais nous avons une
carte pour son club, c’est sûrement un bon moyen de briser
la glace.
Je rougis. J’en suis bien consciente. On a décidé de ne pas
aller au club, ou du moins, pas encore. Pour l’instant, on
s’amuse à trouver nos propres jeux pervers. Mais
maintenant, je me retrouve submergée et cet homme que j’ai
suivi en ligne – véritable star dans ce milieu – est juste là,
devant moi.
Je n’ai plus à faire semblant d’ignorer qui il est.
— Je risque de me ridiculiser, murmuré-je.
Sam pince mes fesses encore sensibles.
— Peut-être qu’il aime ce genre de choses.
Mais je ne me ridiculise pas et Zeke se montre professionnel
et parfaitement décontracté pendant toute la conversation. Il
n’a rien d’e rayant.
Je vibre encore d’émotion lorsque nous retrouvons Grace
pour prendre congé, quand j’aperçois le frère de Sam qui
franchit la porte d’entrée.
Il a l’air un peu gauche, pas à sa place, et surtout épuisé. Il
nous rejoint et donne à Grace un baiser furtif.
Le regard de cette femme me tue. On dirait qu’elle en attend
tellement plus, qu’elle est prête à lui donner n’importe quoi
s’il le lui demandait. Ils ont d’innombrables problèmes dont
je ne sais absolument rien.
Sam est aussi très tendu. Mon nouvel objectif est de le faire
sortir d’ici sans que lui et Luke n’échangent plus de quelques
mots.
Mais je ne suis pas si discrète que ça et une fois dehors, Sam
me dit :
— Tu n’as pas à intervenir auprès de lui.
— Peut-être que je te poussais à sortir pour mes propres
raisons ?
Je fronce le nez.
— Non, ajouté-je, ce n’est pas le cas. En fait, tu t’es crispé et
ça ne m’a pas plu. C’est tout.
— Il aime Grace, commente Sam. À sa façon. Chaque fois que
je pense qu’il ne l’aime pas, il se montre attentionné et je me
dis que, cette fois, ce sera peut-être di érent.
Je tends la main.
Je n’ai rien d’intelligent à dire, mais je peux tenir la main de
Sam pendant qu’il appelle un taxi pour qu’on puisse rentrer
chez nous.
Ensemble.
VINGT-SIX
SAM

Quand on arrive à la maison, je détache le foulard en soie


d’Hazel, puis je l’aide à se déshabiller. Mais au lieu de la
conduire à la douche, ou au lit – notre lit, maintenant –, je la
ramène dans le salon.
Toutes les lumières sont éteintes dans l’appartement. Nous
nous déplaçons dans la pénombre, éclairée seulement par la
lueur de la ville à l’extérieur, jusqu’à l’endroit où je pense
faire installer la cage à oiseaux.
— Juste ici, murmuré-je. C’est ici que je vais décorer ta cage
à oiseaux de tapisseries et de cordes.
— Je veux un coussin en velours, dit-elle en se balançant
contre moi.
— On va t’en trouver tout un tas.
Je la presse contre le mur de briques. À la fois doucement et
brutalement. Les deux en même temps, exactement comme
elle l’aime.
— Imagine-toi attachée et ouverte à moi, pour que je puisse
t’explorer à loisir.
— Oh, je l’imagine.
J’enfouis mon visage dans son cou.
— Tu écrirais sur le sujet ?
— Absolument.
— Un géant de glace ?
— Un dragon, dit-elle immédiatement. Avec de gros doigts
noueux.
Je resserre ma poigne sur son côté.
— Et qui est son grand amour ?
— Une fille qui se sent plus en sécurité quand elle est
attachée.
— Sa femme, peut-être ?
Elle fredonne en réfléchissant.
— Je ne l’aurais pas écrit comme ça.
— Ce n’est plus ton histoire. C’est la nôtre.
Je hume son délicieux parfum, puis je pose un genou au sol.
— Et toi, Hazel ? Voudrais-tu être ma femme ? Me laisser te
protéger pour toujours ?
Elle inspire vivement. C’est stupide de faire ça dans le noir,
alors que je ne peux pas voir son visage correctement, mais
je tends la bague dans la faible lumière. Les filaments de la
corde en or et le diamant brillant étincellent.
— Avec toi, je me sens entier, lui dis-je. Et rien ne m’apporte
plus de joie que d’être ton compagnon. Explorer la vie et
l’amour avec toi serait le plus beau des cadeaux.
— Oh, Sam.
Elle tend ses doigts, pâles et délicats, et étou e un soupir en
touchant la bague.
— Oui. C’est aussi ce que je veux.
— Veux-tu m’épouser, alors ?
— Oui.
Elle acquiesce et me tombe dans les bras.
— Oui.
Je la berce contre mon corps et nous tombons au sol. Oui.

La cage à oiseaux nous est livrée trois semaines plus tard,


pendant que nous sommes à Stratford. Je ne le dis pas à
Hazel et le frisson de cette surprise, ce secret profond et
enivrant, me fait prendre conscience que je ne suis pas
simplement en train de la suivre joyeusement dans cette
exploration perverse que nous faisons.
Je suis à fond dedans. Je suis vraiment irrécupérable.
Elle ne sait pas combien ça me plaît de la garder captive, de
savoir que c’est moi qui décide si elle est autorisée à partir.
Du moins à un certain niveau, tant qu’elle n’utilise pas le
safeword dont nous avons commencé à parler aussi.
Je suis rempli d’excitation quand nous rentrons ce soir-là. Ça
doit se voir dans mes gestes tactiles. Mon excitation pour
Hazel est palpable, mais si elle a réalisé que quelque chose se
passait, elle n’en laisse rien paraître.
Elle parle d’un article qu’elle a lu dans le journal lorsque
nous entrons dans le loft.
Dès qu’elle la voit, elle se tait.
Il fait noir à l’extérieur. Le loft est plongé dans l’ombre, mais
sa forme est nette. Je jurerais qu’on la sent aussi, l’odeur du
métal nu, des charnières graissées sur cette porte.
Je lui ai acheté les coussins en velours qu’elle voulait aussi.
Elle sou e mon prénom en se retournant dans mes bras. Je
la soulève, la serrant fort, et l’emmène de l’autre côté de la
pièce, abandonnant nos sacs près de la porte.
Tout ce qui compte, c’est ça. Ma fiancée dans mes bras, son
frisson lorsque j’ouvre la porte de la cage à oiseaux. Son
hésitation quand je la dépose et lui ordonne de se
déshabiller.
Ce trouble me ravit aussi.
Je referme les doigts autour d’une barre, lui bloquant le
passage.
— Hazel.
Elle tourne sur elle-même.
— J’adore, dit-elle rêveusement. C’est tellement...
— J’ai envie de te prendre ici. Maintenant.
Je la suis et la porte se referme derrière moi.
Hazel enlève son chemisier.
Je la regarde, les yeux mi-clos, pendant qu’elle se déshabille.
Une fois qu’elle est nue, je pose ma main sur son épaule, une
main lourde et autoritaire. Je la pousse à genoux, me
rappelant ce qu’elle m’a dit lors de notre première nuit
ensemble. J’aurais dû le savoir à l’époque, et c’était peut-
être le cas à un certain plan, mais pas comme ça.
Je ne comprenais pas combien cela pouvait être puissant.
Qu’elle me demande de la forcer, de partager ce fantasme.
Faire de ce fantasme une réalité pour la femme que j’aime.
— Tu aimes tes coussins ?
Elle s’y trémousse.
— Oui. Ils sont magnifiques.
— Bien. Reste dessus. Si tu as des bleus ce soir, je veux que
ça vienne de ma main, pas du sol.
Elle déglutit péniblement.
— Très bien.
Je défais la fermeture éclair, puis je lui empoigne les
cheveux. Elle s’ouvre à moi, sa bouche avide et humide, et je
m’y enfonce profondément. Ce n’est que le début. Je vais la
prendre ici même. J’ai déjà en tête mille et une manières de
l’aimer dans cette cage, contre cette cage. Nous allons toutes
les explorer avec le temps.
Mais pour l’instant, je veux la faire mienne. Rapidement,
farouchement, brutalement.
Quand mon membre est dur comme l’acier, je m’écarte et
m’agenouille devant elle. Je l’embrasse si violemment que
cela pourrait sembler punitif, mais elle émet le plus doux des
soupirs contre ma langue, mes lèvres. Elle est heureuse de
prendre tout ce que je lui donne.
— Tiens-toi à la cage, ordonné-je d’une voix grave avant de
la soulever par les hanches.
Elle halète et se retient aux barreaux derrière elle alors que je
m’enfonce dans son fourreau accueillant. Nous avons déjà
fait l’amour tout à l’heure et elle est encore gonflée. Je savais
pourtant ce qui nous attendait à l’appartement, mais j’étais
trop excité pour attendre.
Putain.
Son sexe se comprime autour du mien lorsque je suis en elle,
menaçant de me faire capituler avant même qu’on
commence.
— Ça va être rapide, l’avertis-je. J’ai besoin que tu jouisses
pour moi.
Elle gémit.
— Ça ne va pas m’empêcher de me déverser en toi avant que
tu jouisses, lui dis-je. Ce gémissement me donne juste envie
de t’utiliser.
— S’il te plaît, s’il te plaît, oui. Utilise-moi, murmure-t-elle.
Je ne le ferai pas. Jamais. Je veux m’assurer que tout soit
parfait pour elle, chaque fois, ce qui ne m’interdit pas de
fantasmer. Je resserre ma poigne sur sa hanche et fais glisser
l’autre main sur son ventre, jusqu’à son mont de Vénus.
J’aime le haut de sa vulve, où son clitoris se niche et durcit
quand elle est excitée.
C’est un renflement maintenant, gorgé et fier, déjà enduit de
ses fluides de plaisir. Putain, c’est torride. Mon pouce oscille
de gauche à droite, un roulement lent qui lui donne toujours
la pression qu’elle aime. Elle ondule contre ma main et gémit
à nouveau.
— Gourmande. Fais-toi plaisir, parce que j’y suis presque.
Ma petite salope captive. La prochaine fois, je t’attacherai
pour que tu ne puisses pas te tortiller autant.
Elle pousse un cri à ce moment-là, tout son corps se
contracte et je plaque mon bassin contre le sien, allant et
venant en elle par trois autres coups de reins saccadés avant
de la suivre dans un orgasme qui fait exploser des points
blancs dans ma vision.
— Oh. Sam... sou e Hazel.
Oui...
— C’est ça, dis-je en haletant. Crie mon nom.
Elle rit.
— Mon amour. Je crierai toujours ton nom.

Le lendemain matin, je me réveille seul. Je sens l’arôme du


café, pourtant Hazel ne se lève jamais avant moi. Après
m’être étiré, je pars à sa recherche.
Elle est dans sa cage, avec une grande tasse de café sur une
petite table qu’elle a installée à l’intérieur, et elle écrit sur
son ordinateur. Je la laisse faire et vais chercher le café
qu’elle a préparé.
Je vais peut-être m’asseoir sur le canapé un moment et la
contempler. Cette femme est merveilleuse.
ÉPILOGUE
SAM

Noël, encore une fois


La femme en face de moi dans le train est perdue dans sa
concentration, elle travaille dur.
Ce serait impoli de ma part de l’interrompre pour lui dire
combien elle est belle. Combien elle me rappelle mon coup de
foudre à la fac, le fantasme secret qui m’a permis de
surmonter le dernier trimestre de l’année universitaire alors
que ma vie s’e ondrait – la deuxième fois, mais pas la
dernière.
Je devrais vraiment laisser ma femme travailler. Nous avons
une semaine de lune de miel devant nous, après tout.
— J’entends tes pensées d’ici, murmure-t-elle. J’ai presque
fini.
— Je n’ai rien dit... je réponds avec un sourire.
— Pas la peine. Je sais que j’ai promis de ne pas travailler
pendant ce voyage, mais...
Je sais. Mais Grace a demandé à Hazel de l’aider.
— Ça ne fait rien. J’aime te regarder faire. La concentration,
c’est très sexy.
Ses lèvres frémissent et elle lève enfin les yeux.
— Je peux te donner l’un de tes cadeaux en avance ? C’est
quelque chose à lire.
Je me redresse sur mon siège. J’ai un bracelet pour elle dans
ma poche.
— Excellente idée.
Elle se penche et sort un fin rectangle de son sac à dos. Il est
léger et ressemble à du papier quand elle me le tend.
À mon tour, je sors l’écrin et le lui remets.
— C’est pour toi, mon amour.
Un doux et somptueux sourire éclaire son visage.
— Joyeux Noël.
J’attends qu’elle l’ouvre en premier et elle étou e un petit cri
admiratif en ouvrant la boîte. C’est un bracelet en corde
dorée assorti à sa bague – un rappel et une promesse.
— C’est magnifique.
Elle tend son poignet pour que je puisse le lui attacher, puis
elle fait un geste vers mon cadeau.
— Allez, à toi.
Je décolle soigneusement le papier.
C’est un livre. Un petit volume, peut-être le seul exemplaire
existant.
Un recueil de poèmes inspirés par Sam Preston.
— Une reliure en édition limitée ? dis-je, lisant le sous-titre
à voix haute.
— Très limitée, répond-elle tout bas. Uniquement pour toi.
Mon soupçon était exact.
— Un merveilleux cadeau, dis-je en déglutissant pour
chasser le nœud épais dans ma gorge, plus serré que tous
ceux que j’ai utilisés avec elle. Et une distraction parfaite.
Elle se lève de son siège et se penche pour m’embrasser.
— Je serai rapide, promet-elle. Ensuite, nous pourrons jouer
à un jeu pour la dernière étape du voyage.
— Quand vais-je découvrir le secret sur lequel Grace et toi
travaillez ensemble ?
Elle hausse les épaules.
— Je ne sais pas. Quand elle sera prête à le partager avec le
monde. Ce qui pourrait être la semaine prochaine, ou peut-
être pas avant des mois.
Je laisse tomber et m’adosse dans mon siège. J’ai un livre
précieux à lire, un verre de whisky à siroter, dans un wagon à
moitié vide sans personne autour.
ÉPILOGUE
HAZEL

Lorsque Sam retourne à son verre et au livre que j’ai fait


imprimer juste pour lui, je regarde le dernier e-mail que
Grace m’a envoyé.
Je vais bien. Enfin, disons que ça va aller. S’il te plaît, ne le dis pas
à Sam. Je ne veux pas gâcher vos vacances. Je suis désolée que tu
l’aies appris comme ça.
Elle n’a rien à se reprocher. C’est la faute de son mari.
Je regarde mon propre mari, de l’autre côté de la tablette. Le
demi-frère de l’homme que Grace aime – pour des raisons
qui me dépassent.
Sam tuera Luke quand il le découvrira, alors je dois
absolument m’assurer qu’il ne l’apprenne jamais.

Merci beaucoup d’avoir lu Tentation ! Tournez la page pour


découvrir quelques poèmes d’Hazel sur Sam.
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ainsleybooth.com/francais. J’ai également des traductions en
français de mes romances contemporaines sous la plume de
Zoe York, auteure de best-sellers au classement de USA
Today : www.zoeyork.com/francais
RECUEIL DE POÈMES INSPIRÉS PAR
SAM PRESTON

Recueil de poèmes inspirés par Sam Preston


édition limitée
LES SONS QUE J’IMAGINE DANS TA
BOUCHE

Les sons que j’imagine dans ta bouche


par Aibhlin Moon

Un murmure grasseyant
Un soupir enchaîné
Sou e court
Gémissement rauque.

À genoux devant toi


Ou au-dessus, la tête basse.

Sous ton corps, plaquée


Mes poignets joints sur l’oreiller.
J’aimerais soutirer ton plaisir
De mille et une manières

Quand les sons que j’imagine dans ta bouche


Me tourmentent, chaque fois.
TOUS TES SONS, MON AMOUR

Tous tes sons, mon amour


par Aibhlin Moon

Avant de connaître tous tes sons intimes,


J’ai imaginé, j’ai rêvé

Fantasmé les soupirs et les râles


Autant d’audaces mises en chanson

Mais tous tes sons, mon amour


Sont incomparables à cela

Sou e d’extase dans le plaisir


Gémissement doux dans ton sommeil

Quand tu m’enlaces et m’étreins


Ton bras pesant contre mes côtes

Si ement enivrant
Murmure taquin

Quand tu m’ouvres avec emphase


Et m’embrasses délicatement

Tous tes sons, mon amour


Ne sont que gloire et magnificence
MES SONS POUR TOI

Mes sons pour toi


par Aibhlin Moon

Tu connais mes rêves avant qu’ils ne soient dits


Tous mes désirs secrets

Dans mon silence, brève parenthèse,


Tu cueilles une étincelle, une envie...

Je t’en prie, prends mon cœur, que je puisse pleurer.


Je t’en prie, prends mon être, que je puisse voler

Je t’en prie
Oui
Ah

Ce sont mes sons pour toi, parce que tu m’aimes


Des secrets que je garde, parce que tu m’aimes

Un plaisir débridé, libre et sans entraves


Pour un amour si rare et précieux
Amour
Mes sons pour toi, mon mari
À PROPOS DE L’AUTEURE

Ainsley Booth écrit des romances érotiques. Elle est l’auteure de trois best-sellers
au classement du USA Today. Entre ses deux noms de plume (romance
contemporaine sous le nom de Zoe York, deux fois auteure de best-sellers au
classement du New York Times), elle a publié plus de cinquante livres depuis
2013. Parmi ses romans à succès, citons Prime Minister et Hate F*@k. Hate F*@k
est disponible en français sous le titre P*tain D’Amour.

Suivez Ainsley sur Instagram à l’adresse : www.instagram.com/


ainsleyboothwrites
Facebook: www.facebook.com/ainsleybooth.com

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