35 Ainsley Booth Secrets Et Mensonges T1 Tentation
35 Ainsley Booth Secrets Et Mensonges T1 Tentation
35 Ainsley Booth Secrets Et Mensonges T1 Tentation
Avant-propos
1. Hazel
2. Sam
3. Sam
4. Hazel
5. Sam
6. Sam
7. Hazel
8. Sam
9. Hazel
10. Sam
11. Hazel
12. Sam
13. Hazel
14. Sam
15. Hazel
16. Sam
17. Hazel
18. Sam
19. Hazel
20. Sam
21. Hazel
22. Sam
23. Hazel
24. Sam
25. Hazel
26. Sam
Épilogue
Épilogue
Recueil de poèmes inspirés par Sam Preston
Les sons que j’imagine dans ta bouche
Aujourd’hui
Je ne l’ai pas revue. Elle m’a évité pendant tout un trimestre
et n’est même pas venue à la remise des diplômes.
Alors, quelles étaient les chances qu’elle s’assoie sur le siège
en face de moi, une décennie plus tard ?
Elle m’a donné un faux nom, et c’est très bien comme ça. J’ai
joué le jeu. J’ai fait semblant de ne pas la connaître, mais je
la connaissais – ou du moins, je l’avais connue. Sauf qu’elle
aussi jouait un jeu.
Et merde.
Maintenant, elle me regarde comme si j’avais tout gâché.
Encore.
— Laisse tomber, dit Hazel, les yeux brillants et
provocateurs. Tu as commencé à jouer, alors j’ai continué en
montant d’un cran. Dommage pour tous les deux que tu
n’aies pas pu t’y tenir.
Je pensais sincèrement que je ne reverrais jamais cette
femme.
Je n’étais pas du tout préparé à cette soirée.
Et pourtant.
Et pourtant, je peux encore le sentir. Ce crépitement, cette
connexion. Ce qui a failli exister, mais qui n’a jamais pu être.
Il faut dire qu’en fait d’occasions manquées, il n’y a pas eu la
moindre étincelle pendant l’immense majorité du temps où
nous nous sommes connus.
C’était la meilleure amie de Regan, et aussi complexe et
puérile qu’ait été la relation que j’ai entretenue avec ma
petite amie de la fac, je n’avais d’yeux que pour elle.
Et pour les cartes, aussi.
Mais pour aucune autre femme.
Quand tout a mal tourné, entièrement par ma faute, Hazel
m’en a voulu d’avoir fait du mal à Regan. C’était de bonne
guerre.
Alors, nous avons été surpris tous les deux quand un jour,
c’est arrivé.
Le crépitement.
Les étincelles.
Une connexion qu’aucun de nous n’a vue venir. Une pique
acerbe s’est changée en taquinerie enjouée dans la
bibliothèque, et patatras, tout à coup j’ai vu Hazel
McLaughlin sous un tout autre jour.
Il lui a fallu plus de temps pour l’admettre, c’est tout. Trois
semaines de plus, précisément.
— Ça ne va pas le faire, Sam. Si jamais tu me revois un jour, fais
comme si tu ne me connaissais pas.
Elle avait raison. Ça ne pouvait pas le faire. Pas à ce
moment-là.
Quand elle s’est assise en face de moi, ce soir, j’ai fait de
mon mieux pour respecter cette requête qui datait pourtant
de dix ans. Je l’ai laissé travailler en silence, profitant qu’elle
avait la tête baissée pour la regarder.
Je pouvais très bien faire comme si je ne la connaissais pas.
Je ne pouvais pas m’empêcher de la regarder, en revanche,
lui décocher des coups d’œil gourmands et passionnés
chaque fois que j’en avais l’occasion, quand elle était perdue
dans son travail. Je devais encaisser le choc de sa
réapparition, aussi temporaire, fugace et précaire qu’elle
soit, par petites touches.
Ses cheveux sont plus longs, aujourd’hui. Plus foncés, aussi.
D’un blond aux accents de miel, avec beaucoup de brun en
dessous. Elle a une grosse frange qui lui va bien. Tout me
plaît chez elle, autant que je puisse dire cela d’une femme
qui n’a pas voulu de moi dans sa vie.
Je n’aurais pas dû reluquer les courbes de son corps quand
elle s’est installée en face de moi. Elle portait une parka
légère et bou ante par-dessus un pantalon de yoga et un
sweat à capuche confortables pour son voyage en train.
Chaque parcelle m’a paru douce et délectable au toucher...
pour quelqu’un d’autre que moi, bien sûr, et d’ailleurs, ce
truc du glaçon était déjà hors-jeu.
C’est à la hauteur du rôle imaginaire que je me suis créé,
celui d’une bête indomptée.
Parce que je suis une bête, c’est vrai.
Et Hazel...
Nous ne pourrions pas être plus di érents l’un de l’autre.
Comme autrefois à la fac, elle me paraît d’une réalité
implacable. Elle me donne l’impression d’être un idiot en
tenue de travail, dans un train du soir, en pleine tempête de
neige.
Elle me donne l’impression d’être un idiot parce que j’avais
oublié à quel point elle est belle – et elle l’est encore plus
qu’à l’époque.
Je veux apprendre à connaître cette femme. Je veux savoir
pourquoi elle rêve de démons de glace, et ce qui la fait
frissonner.
Je veux m’excuser pour le passé, la convaincre que je vaux la
peine d’être connu maintenant, même si j’ai gâché notre jeu.
Peut-être pas, du coup.
C’est un point aussi bon qu’un autre pour commencer.
— Tu as gagné, dis-je clairement. Je n’ai pas pu tenir. J’ai
oublié, pendant une seconde, que je t’avais fait cette
promesse. Mais je m’en suis souvenu avant. Je m’en suis
souvenu quand tu t’es assise, et c’était di cile, parce qu’à la
seconde où j’ai réalisé que c’était toi, après toutes ces
années, j’ai eu envie de dire tellement de choses. Je voulais
me lever et te dire tout ce que j’avais sur le cœur.
J’ouvre mes bras en croix.
— Franchement, je ne suis pas très à l’aise avec ça. Même
maintenant. Putain, Sam. Elle n’a pas besoin d’entendre ton
histoire. C’est ce que je me suis dit. Alors, j’ai gardé la bouche
fermée, et si on ne s’était pas arrêtés, je n’aurais rien dit. Je
me suis souvenu de ma promesse, si ça vaut quelque chose.
Ses yeux vont et viennent comme pour m’évaluer. Enfin, elle
hausse les épaules.
— C’est une soirée bizarre.
C’est tout.
Je déballe tout pour elle, m’ouvrant comme jamais, et elle
hausse les épaules en disant simplement que c’est une soirée
bizarre.
— Tu as changé, dis-je avec toute l’admiration et
l’honnêteté dont je peux faire preuve.
Ça me plaît. J’aime son mordant, sa vivacité, sa force.
Elle acquiesce.
— Ça fait longtemps.
Une autre déclaration neutre et sobre.
— Tu as changé, toi ?
J’expire longuement. Voilà, c’est mon ouverture.
— Oui, un peu, dis-je. J’ai réalisé que j’étais accro.
Elle jette immédiatement un œil aux verres entre nous.
J’ai l’habitude. Sans me dérober à sa question tacite, je
reprends :
— Pas l’alcool, je ne bois pas beaucoup. Je n’ai pas besoin
d’une autre dépendance dans ma vie, et je n’aime pas
su samment ça pour en abuser. Non, je suis un accro au jeu.
Mais je suis en voie de guérison depuis presque quatre ans.
Elle écarquille les yeux.
— Les cartes ?
Et comment. À la fac, mes parties de poker étaient
légendaires. Elles passaient même avant Regan, avant le
sport, avant tout ce qui aurait dû avoir de la valeur à mes
yeux.
— Cartes, courses hippiques, argent. Je...
D’un geste, je désigne mon costume.
— Je ne suis plus vraiment dans les chi res, une bonne
partie du métier de banquier d’a aires. Je me suis e ondré il
y a quelques années. Mon frère a eu un tas d’ennuis. On en
est sortis mal en point, mais meilleurs aussi. Maintenant il
gère le côté investissement de la boîte, et moi, je rends visite
à nos clients les plus excentriques qui aiment mon côté
original.
Elle rit légèrement.
— Tu as l’air d’un gigolo.
— Presque, dis-je d’un ton bourru.
— C’est pour ça que tu vas à Ottawa ce soir ?
Il acquiesce.
— Nous avons une cliente là-bas. Je rentre demain matin.
— Tu y vas juste pour une nuit ? fait-elle, les yeux pétillants.
Alors, tu es vraiment un gigolo ? Je ne juge pas.
Je souris.
— Non, mais je devais passer la nuit avec elle.
L’expression sur le visage d’Hazel est impayable. Une pointe
de jalousie presque imperceptible, que j’apprécie, suivie
d’une curiosité franche et directe.
— Parce que c’est une noctambule, précisé-je. Nous dînons
tard, généralement, puis nous passons la nuit à étudier ses
comptes avant de prendre le petit-déjeuner ensemble.
Parfois, nous finissons tard dans la nuit et je dors un peu,
d’autres fois, c’est une nuit blanche jusqu’à ce que je
reprenne le train.
— Ça fait un long voyage aller-retour. Pourquoi ne pas
prendre l’avion ?
Je fais la grimace.
— Je, euh... je ne peux pas.
Elle écarquille les yeux et sa voix s’adoucit.
— Phobie ?
— Délit d’initié.
Elle ouvre la bouche et lâche un petit « hmm » intrigué.
— Oui, dis-je avant de m’éclaircir la gorge. Ce n’est pas
universel. Je peux prendre l’avion. Mais pas sur les deux
compagnies que j’ai mises en danger. Avec le recul, c’était
stupide de me mettre à dos les deux compagnies aériennes
nationales comme ça.
Puis un rictus amer me vient, parce que je sais que ça
pourrait être bien pire. Ça l’a été, pendant quelques années.
C’était violent, un vrai gâchis entièrement par ma faute.
Maintenant, ma vie est de nouveau sur les rails.
— C’est un inconvénient, mais ça va, je ne suis pas en
position de me plaindre. Je pourrais être en prison, alors l’un
dans l’autre...
— J’imagine que c’est une sacrée histoire, dit-elle, les yeux
encore écarquillés. Enfin, je ne veux pas être indiscrète.
— Si, vas-y. L’une des douze étapes consiste à prendre mes
responsabilités et à accepter ce que j’ai fait.
— À ce qu’il paraît, mais c’est la première fois que j’en ai
une représentation aussi honnête.
Elle fait une pause lorsque le chariot des repas s’approche de
nous.
— Dinde festive, saumon ou lasagnes, mademoiselle ?
— Des lasagnes pour moi, s’il vous plaît.
Je prends la même chose.
Elle me regarde avec curiosité pendant que nous mangeons.
— Pose-moi tes questions, proposé-je enfin.
— Sérieusement ?
— Ce n’est pas comme si tu étais une inconnue, dis-je à voix
basse. Tu m’as connu sous mon pire jour.
— C’était ton pire jour ? Et tu as fini par faire... commence-
t-elle avant de s’humecter les lèvres. Quelque chose qui t’a
fait bannir des avions ?
— Ça faisait partie de l’accord. C’est presque terminé. Je
pourrai prendre l’avion pour Ottawa l’année prochaine,
même si je suis sûr que j’aurai des ennuis les premières fois.
— Tu as l’air plutôt détendu à ce sujet.
Je pars d’un rire sans joie.
— Je me suis habitué au caractère surréaliste de ma
situation. Et encore une fois, c’est entièrement ma faute.
— Tu as besoin de le rappeler ?
Toujours. Je prends une profonde inspiration.
— J’ai gâché ma vie avant qu’elle commence vraiment. Je ne
veux pas refaire la même erreur. En général, je suis partisan
d’une honnêteté sans faille. Ça permet de rester humble.
— Mais ça ne t’a pas dérangé que je te donne un autre nom ?
Non, en e et. J’étais plus curieux qu’autre chose.
— Tu avais tes raisons.
Elle hésite.
— Non ? ajouté-je en arquant un sourcil.
Je m’en fiche un peu. Elle ne me doit rien. Lentement, elle
sourit.
— Honnêteté sans faille ? fait-elle.
— C’est une bonne politique.
Elle se lèche les lèvres, le bout de sa langue rose et preste.
— D’accord. Alors, tu vois, Aibhlin, c’est mon nom
maintenant. D’une certaine manière. Je suis écrivain. C’est
un nom de plume.
— Qu’est-ce que tu écris ?
— Des mots qui forment des phrases. Beaucoup de mots.
Je réprime un petit rire.
— Comme c’est mystérieux.
— Hmm.
Ses yeux pétillent, maintenant, alors je me lance :
— Tu appréciais notre petit jeu jusqu’à ce que je le gâche ?
Elle pince les lèvres, puis acquiesce.
— Oui.
— Dommage. Moi aussi.
Je repense à son histoire de démon de glace.
— Tu es une bonne conteuse. J’adorerais lire quelque chose
d’autre que tu as fait. N’importe quoi.
Ses joues rosissent un peu.
— Tu aimes l’érotisme et les dinosaures ?
Heureusement que je n’ai pas enfourné cette bouchée de
lasagnes avant qu’elle me dise ça, parce que j’aurais tout
recraché.
— Il y a une première fois pour tout.
Je ne peux m’empêcher de remarquer mon timbre soudain
rocailleux.
— Oh, tant mieux, fait-elle en clignant innocemment des
yeux.
— Est-ce que tu...
Je prends mon verre, attends un peu, et comme elle ne
complète pas ma phrase, je vide mon reste de whisky.
— Euh, c’est ce que tu écris ?
— Non, répond-elle avec un clin d’œil. Mais c’était drôle.
— C’est ça, mort de rire.
— Il n’y a rien de mal avec le dino porn, Sam.
— Il y a une di érence entre le porno et l’érotisme, Hazel.
Elle se fige.
— Oui, dit-elle lentement. En e et.
— On blague encore, là ?
— Oui, fait-elle tout en se passant nerveusement la langue
sur les lèvres. Ou plutôt, non. J’écris des livres érotiques. Ça,
c’était vrai. Sans dinosaures, cela dit, ni démons de glace.
— Dommage,
Mon pouls s’accélère à l’idée qu’Hazel puisse écrire quelque
chose d’érotique.
Au-dessus de nos têtes, le haut-parleur se déclenche :
— Toutes nos excuses pour cette longue attente, messieurs dames.
Malheureusement, en raison de la météo et d’autres
circonstances, nous devons faire demi-tour et retourner à
Toronto. Nous arriverons à vingt-deux heures. Si vous n’êtes pas
de Toronto et que vous avez besoin d’aide pour la nuit, veuillez
vous adresser aux agents de la gare pour connaître les possibilités
d’hébergement.
Hazel fait grise mine alors que le train commence à repartir
en sens inverse.
— Ça craint.
Je lance une nouvelle recherche sur Twitter. Aucune mise à
jour sur l’incident en cause.
— Oui.
— Tu vas essayer de reprendre le train demain ?
Je secoue la tête. Je suis déjà en train d’envoyer un e-mail à
ma cliente.
— Cette réunion sera reportée après le Nouvel An. Et toi ?
— Je pars en vacances et j’ai des réservations que je ne veux
pas annuler, alors je repars demain matin. Espérons que les
chambres qu’ils nous trouveront ne seront pas trop
éloignées de la gare.
Je hausse les sourcils.
— Tu n’habites pas à Toronto ?
— À Stratford.
Je ne l’aurais pas imaginée vivre dans une petite ville.
— Fascinant.
— Tu trouves ? répond-elle en riant. Pourquoi ?
— Je ne sais pas.
C’est mon tour de sourire.
— Où croyais-tu que j’avais atterri ? Enfin, tu n’as sûrement
pas pensé à moi.
— Si, j’ai pensé à toi. De temps en temps.
J’ai la gorge nouée, épaisse en pensant aux années
d’insouciance qui ont suivi la remise des diplômes.
L’ascension de Luke jusqu’au sommet dans le milieu de la
bourse, à Bay Street, le lancement de notre propre cabinet.
J’aurais dû penser à Hazel plus souvent, me rappeler sa
dérision envers moi et en tirer une leçon, au lieu de
l’apprendre à la dure, après avoir tout risqué.
— Je ne sais pas. Je me suis demandé ce que tu devenais. Je
n’ai pas pensé à une ville en particulier, cela dit. Je crois que
dans mes souvenirs, je nous ai figés dans le temps, ce soir-
là.
— Ce soir-là ?
Elle a sou é ces trois mots et une douce chaleur se propage
sur ma peau.
— Oui.
Elle cligne lentement des paupières, et bon sang, je tuerais
pour qu’on soit seuls dans ce train, en ce moment, pour qu’il
y ait un coin sombre, quelque part, où nous pourrions
rejouer la scène de ce soir-là, cueillir la chance d’un autre
baiser coquin pour tester ce crépitement encore très présent
entre nous.
— De quoi te souviens-tu ? demande-t-elle.
Mes bourses se resserrent contre mon corps lorsque je baisse
les yeux sur sa bouche.
— Je me souviens que je voulais parler. Le bruit était trop
fort et toutes les personnes qu’on connaissait étaient là,
alors tu voulais t’éloigner de la piste de danse.
Elle se passe la langue sur les lèvres.
— Tu te souviens de ce dont tu voulais parler ? J’ai essayé de
m’en souvenir, comment cette soirée a commencé.
— Regan sortait avec quelqu’un d’autre depuis peu, dis-je
lentement. Et ça m’allait. J’étais content pour elle, même si
c’était un peu amer parce que j’avais merdé et perdu une
super fille. On n’était pas destinés à être ensemble pour
toujours, mais je regrettais de ne pas avoir été un meilleur
petit ami pendant notre relation. Alors, je m’apitoyais un peu
sur moi, je me sentais mal pour elle, et puis tu es arrivée. Tu
étais juste... toi-même. Percutante, futée, provocatrice. Je ne
pouvais pas garder mes distances. Et je voulais savoir si tu
étais au courant pour le nouveau petit ami de Regan, si tu
savais qu’elle était passée à autre chose. Maintenant que je le
dis à voix haute, c’est vraiment très immature. Je le sais,
mais c’est comme ça. Bienvenue dans l’esprit d’un connard
de vingt et un ans.
— Je ne le savais pas, figure-toi. Je l’ai appris le lendemain.
Ses mots glissent comme de la soie, doux et secrets.
Une pensée troublante me vient à l’esprit. Est-ce que ça aurait
fait une di érence ? Mais c’est inutile de revenir en arrière.
— Sans vouloir trop insister, quand je pense à toi au fil des
ans, c’est toujours avec tendresse. La fille qui m’a tourné le
dos.
Je souris avant d’ajouter :
— Et c’est bien mieux comme ça. Il m’a fallu des années
pour me ressaisir.
— Tu l’as vraiment échappé belle, alors ? répond-elle avec
un clin d’œil. J’ai pensé à toi, moi aussi. Même si, dans mes
souvenirs, tu ne m’as pas tourné le dos.
— J’imagine, dis-je, un peu sèchement, mais avec a ection.
— Ce baiser, par contre...
Sa voix devient douce et rauque.
— J’y ai pensé. Je me suis demandé où ça nous aurait menés.
Et jamais parmi toutes ces éventualités je n’ai pensé à ça.
Elle écarte les mains.
— Quelles étaient les probabilités ?
Une fois de plus, elle cligne lentement des yeux. Ses cils ont-
ils toujours été de ce brun foncé si riche ourlé de pointes
blondes ? J’étais si bête, il y a dix ans, que je ne l’ai peut-être
pas remarqué. Elle sourit.
— Il y a certains éléments de cette soirée que j’ai utilisés
dans mes histoires. La façon dont tu...
Elle s’interrompt et regarde mes mains, puis remonte vers
mon visage.
Et elle rougit.
Je n’ai pas la chance de connaître la suite – la façon dont je
quoi ? –, car l’agent de bord passe récupérer nos plateaux
repas.
Après son départ, elle change de sujet.
— Tu es resté en contact avec des gens depuis la fac ?
— Il y en a qui sont restés en ville et qui se sont lancés dans
le monde des a aires. Je les vois de temps en temps. Je suis
resté en contact avec certains des gars jusqu’à ce que tout
implose. J’ai participé à quelques enterrements de vie de
garçon à Las Vegas, ce genre de trucs. Mais tout ça, c’est du
passé.
À l’exception d’une personne.
— Et je n’avais pas gardé contact avec Regan, mais je lui ai
écrit l’année dernière. Une partie de la réparation, dans le
processus de repentance, consiste à reconnaître avec
honnêteté le mal que j’ai causé. Elle m’a répondu en me
souhaitant bonne chance.
— Elle ne m’a pas dit que tu l’avais contactée, murmure
Hazel. On se parle régulièrement, et on suit la vie l’une de
l’autre en ligne.
Elle hésite avant d’ajouter :
— Elle est mariée. Elle te l’a dit ?
— Oui. Avec deux enfants. Elle a l’air heureuse. Je suis
content.
Hazel acquiesce.
— Oui, elle est heureuse.
— Est-ce qu’elle sait que nous nous sommes embrassés, à
l’époque ?
Ses yeux s’embrasent.
— Bien sûr qu’elle le sait. Je ne lui aurais pas caché ça.
Non, bien sûr que non. Mon cou rougit et mon ventre se noue
sous l’e et de la honte.
— Je lui parlerai de ça aussi, dit Hazel en prenant sa lèvre
inférieure entre ses dents. Bien que maintenant, je me
demande pourquoi elle ne m’a pas dit que vous vous étiez
contactés.
— Peut-être pour la même raison que je lui ai écrit à elle, et
pas à toi ? Tu as été très claire avec moi sur le fait que tu ne
voulais plus entendre parler de moi.
Elle sourit avec ironie.
— C’est vrai.
Puis elle fronce le nez.
— Quoi ? demandé-je.
— Tout ça, c’est assez... bizarre. Tu ne trouves pas ?
— Oh si, c’est sûr. Mes émotions sont dans tous leurs états,
là.
Elle s’escla e.
— Arrête.
— Ça ne se voit pas ?
Son regard coule sur moi. Elle prend son temps et je
commence à avoir envie d’autre chose que ses yeux sur mon
corps.
— Non, dit-elle finalement, reportant son attention sur mon
visage. Mais peut-être que je n’ai pas été assez attentive.
Qu’est-ce que tu ressens en ce moment ?
Rien d’approprié dans le cadre d’un train, même si nos
sièges sont privés.
— Que j’aimerais vraiment continuer cette conversation
quand nous serons de retour à Toronto. Tu pourrais...
Elle secoue la tête.
— Non.
— Écoute-moi. Ensuite, tu pourras dire non et nous
prendrons des chemins di érents si tu penses vraiment que
c’est mieux. La prochaine fois que je te verrai, si j’en ai le
plaisir, j’attendrai que tu te présentes, quel que soit le nom
que tu utiliseras alors.
Elle presse ses lèvres l’une contre l’autre et attend.
Je n’arrive pas à déchi rer l’expression de son visage, mais
je continue quand même.
— Nous sommes trois jours avant les vacances. Comme tu
l’as dit toi-même, quel genre de chambre est-ce qu’ils vont
te trouver ? Mon appartement n’est pas loin d’Union. J’ai une
chambre de libre. Tu es la bienvenue chez moi ce soir.
Comme ça, nous aurons le plaisir de poursuivre ce tête-à-
tête.
Je me penche et ajoute :
— J’ai apprécié d’apprendre à te connaître à nouveau, Hazel.
Pour ce que ça vaut.
— Une chambre d’amis ?
— Comme tu voudras.
Elle tourne la tête sur le côté et regarde par la fenêtre.
— Nous sommes presque arrivés. J’aperçois les lumières de
la ville.
— La gare va être en e ervescence. Tu as vraiment envie de
faire la queue pendant des plombes alors que je peux
t’o rir...
Je dresse un inventaire mental du contenu de mon frigo.
— Du vin, de l’eau, et peut-être même du thé, si mon lait
n’est pas périmé.
Elle ne répond pas tout de suite. Le haut-parleur annonce
que nous sommes à cinq minutes d’Union Station.
Au moment où le train s’arrête dans l’antre caverneuse de la
gare, je suis sûr qu’elle va refuser. Mon cœur se serre alors
qu’elle rassemble lentement ses a aires, puis m’adresse un
sourire doux-amer.
— Je vais t’accompagner dans le hall, dis-je, reportant de
quelques minutes le moment des adieux.
Elle ouvre la bouche, mais ce qu’elle allait dire s’éteint sur
ses lèvres. Au lieu de quoi, elle hoche la tête dans un
mouvement bref et décisif.
— Ça me plairait.
QUATRE
HAZEL
Aujourd’hui
Je suis presque arrivée au guichet quand je vois Sam faire
irruption par les portes de la gare. Sans se préoccuper de la
file d’attente, il se précipite vers moi.
— Alors, c’est tout ?
Je jette un coup d’œil à la personne derrière moi,
ostensiblement curieuse de ce petit mélodrame matinal.
— Tu es partie, dit-il d’une voix forte en agitant ma lettre en
l’air.
Elle est froissée maintenant.
Tous les autres clients dans la file d’attente tendent l’oreille
aussi.
— C’est toi qui es parti en premier.
Je hausse les épaules, mais il me regarde fixement comme si
ce n’était pas juste.
Je ne voudrais pas lui en donner plus, mais je l’ai dans ma
peau, que je le veuille ou non. Je soupire.
— Et puis, j’ai reçu une alerte sur mon téléphone me disant
qu’ils avaient ajouté un autre train aujourd’hui. Je pourrai
être à mon hôtel ce soir, tout compte fait.
Il lève son autre main en l’air. Elle est crispée autour de son
téléphone.
— J’ai eu la même alerte. Tu as oublié ? J’avais un billet, moi
aussi.
Oh. Voilà qui rend le contenu de la lettre un peu plus
embarrassant.
— Tu as manqué ta réunion à Ottawa. Pourquoi voudrais-
tu...
— Nous avons laissé quelque chose en suspens.
— Ça s’est conclu la nuit dernière. Et plusieurs fois, même.
Ma réponse suscite un murmure dans la foule. Voilà, je leur
ai donné leur frisson de la matinée.
La file se déplace vers l’avant. J’avance moi aussi, et Sam en
même temps. Apparemment, il n’a pas dormi du tout, parce
qu’il a passé la première moitié de la nuit à faire trois fois
l’amour avec moi, et la seconde à gérer un drame familial. Je
n’ai rien à voir avec cette dernière partie, mais oh, la
première était très bonne.
Je le préfère comme ça, plutôt que l’homme poli assis en face
de moi hier soir. Maintenant, il est tout chi onné et un peu
désespéré. Mais je l’aimerais encore plus s’il ne transportait
pas une tonne de bagages et de drames familiaux avec lui.
Cependant, cette file d’attente n’est pas l’endroit pour parler
de ça.
Pas plus que de notre relation inachevée qu’il a sinistrement
évoquée, mais sur laquelle il ne s’est pas étendu. Je parie que
notre public est déçu qu’il reste maintenant à côté de moi en
silence.
Lorsque nous arrivons au guichet, je donne mon nom et mon
numéro de billet de la veille. Sam se penche et fait de même,
comme si nous étions ensemble.
— Nous ne sommes pas ensemble, précisé-je.
— Nous avons acheté nos billets séparément, mais nous
étions assis ensemble hier, dit-il.
Ce n’est pas un mensonge. L’allusion claire au fait que nous
avons eu une sorte d’histoire romantique dans le train
fonctionne aussi sur la guichetière, qui adresse à Sam un
sourire aimable et radieux.
— S’il y a moyen de...
Mais son charme ne l’aide pas. La femme secoue la tête après
avoir consulté son ordinateur.
— Je suis désolée, il n’y a plus de sièges en classe a aires
dans ce train. Nous pouvons vous o rir des sièges en classe
économique et un crédit partiel pour une utilisation future.
La classe économique me convient parfaitement. Moins
intime que la classe a aires. Et je sais que Sam ne
s’entassera pas dans un train bondé.
— Ça me va, dit-il.
C’est faux. Je tourne la tête entre lui et l’employée, essayant
de trouver les bons mots pour lui demander de rentrer chez
lui, mais en la voyant froncer les sourcils devant son écran et
cliquer frénétiquement, je commence à m’inquiéter.
Enfin, un soupir lui échappe quand la radio à côté d’elle
grésille. La guichetière a che son visage le plus
compatissant. Je ne sais pas ce qu’elle regrette le plus,
bouleverser mes plans ou gâcher la romance que Sam semble
désespérément tenter avec moi.
— Je suis vraiment désolée.
Je sens déjà que mon billet de train s’envole.
Alors, je suis prête quand elle m’annonce qu’il y a un
problème avec l’un des wagons et qu’aucun autre billet ne
peut plus être émis pour ce train.
Je vais bien.
Le picotement chaud des larmes derrière mes paupières n’est
que l’e et d’une frustration compréhensible. En hochant la
tête, je m’éloigne du guichet. Je prends une profonde
inspiration, ignorant les sentiments qui se déchaînent en
moi, dus à ce nouveau voyage manqué plus qu’à la présence
trop imposante et trop confiante, juste à côté de moi.
Sam se penche et me dit, d’une voix basse et assurée :
— Je peux me procurer une voiture. Je te conduirai jusqu’à
Ottawa.
Cinq heures dans une voiture avec l’homme dont je viens de
quitter le lit sans même un au revoir. Ce ne sera pas du tout
gênant.
— Nous n’avons pas beaucoup dormi la nuit dernière. Je
comptais me reposer dans le train.
— Alors, on va chez moi et on fait une sieste d’abord.
— Sam...
Il m’attrape par le coude et me retourne. Nous nous
regardons fixement.
— Pourquoi es-tu partie, Hazel ?
Je détourne les yeux.
— Ne fais pas ça, murmure-t-il.
— Je ne fais rien du tout.
— L’indi érence froide, c’est un classique de Hazel
McLaughlin, dit-il d’un ton mordant. Ne m’ignore pas.
Je suis sous le choc. À la blessure que je perçois dans sa voix,
je sens qu’il a perdu toute son assurance. À peine a-t-il parlé
qu’il essaie de revenir en arrière.
— Je ne devrais pas...
— Pourquoi tu me dis ça ?
Pourtant, je le sais. Je sais que cet aboiement n’était pas pour
moi, mais parce que j’ai quitté son lit. Il est parti en premier.
— Je veux plus de temps avec toi, me dit-il.
— Moi, je ne sais pas trop.
— Laisse-moi réparer ça.
— Parce qu’il y a quelque chose à réparer ?
Au moins, il a la bonne grâce de paraître chagriné.
— Je ne sais pas, mais je l’espère.
— Ce que nous avons, c’est une seule nuit de sexe et une
décennie de lourds bagages. Comment veux-tu réparer ça ?
Un sourire inattendu passe sur son visage.
— Par une décennie de sexe.
— Sam !
— Ce sont des maths de base. Nous avons besoin de rétablir
l’équilibre.
Je ne survivrais jamais à une décennie de ça.
— Tu es trop bien pour moi, avoué-je.
Le manque de sommeil m’a rendue douloureusement
honnête.
Sa mâchoire se crispe.
— Je n’aurais pas dû partir hier soir.
Il ne me doit pas d’excuses. En même temps, ça n’en est pas
vraiment. C’est plutôt un constat d’erreur.
Je secoue la tête.
— De toute façon, j’aurais trouvé un moyen de te dire au
revoir ce matin.
Il cherche à croiser mon regard. Le sien est net, tranchant.
— Je pensais qu’on avait une connexion, tous les deux.
Bien sûr, et ça ne changera jamais. C’est bien ça le problème.
— C’était la tempête. On s’est laissé emporter.
— Alors, quel est ton plan maintenant ? Trouver un banc où
t’asseoir ?
Il fait un geste vers le hall principal de la gare caverneuse.
— Attendre ici jusqu’à ce que tu puisses trouver un siège ?
C’est tellement mieux que de passer quelques heures de plus
avec moi ?
Mon cœur me fait mal, parce que la réponse est non, bien
évidemment.
— Ma vie est une série de très mauvaises décisions, Hazel.
Il se penche. À présent, sa voix est basse et insistante.
— Le truc, c’est que je l’ai toujours su. Chaque fois. J’ai su,
sur le moment, que c’était une erreur de... à peu près tout,
n’importe quelle connerie que j’ai pu faire. Délaisser ma
copine pour des parties de poker. Parier jusqu’au dernier
centime que j’avais et même plus. Fantasmer sur la meilleure
amie de mon ex.
Un sourire amer étire ses lèvres.
— Mais seulement parce qu’elle ne voulait pas de moi
comme moi, je voulais d’elle.
Et si, pourtant.
— Me lancer dans un business avec mon frère. Dépendre de
mes gains. Forger des relations avec des gens qui pourraient
me donner des avantages injustes. Chaque décision. Des
erreurs que j’ai pourtant vues, claires comme le jour, mais
que j’ai embrassées quand même.
— Hier soir, chuchoté-je.
— Non, putain, ce n’était pas une erreur.
— Pour toi.
— Ah, fait-il en riant tout bas. Je ne peux rien objecter. Je ne
suis pas bon pour toi.
— C’est... commencé-je sans terminer ma phrase. Ne dis pas
ça.
— Tu dois le penser.
— C’est juste que je ne veux pas être tirée vers le bas. Mais je
ne regrette pas du tout la nuit dernière. J’ai adoré.
— Alors, je suis bon à quelque chose ?
— Plus que certains.
— Et si je te faisais une promesse ? Aucune attente. Personne
ne se fera avoir. Tu peux partir quand tu veux, mais laisse-
moi d’abord te conduire à Ottawa.
— Pourquoi ?
— Parce que j’ai perdu cinq heures la nuit dernière. Parce
que j’ai perdu une nuit il y a dix ans, qui aurait pu aboutir
quelque part. À cause de cette décennie de lourds bagages.
Peut-être que tu ne me donneras pas une décennie pour
réparer ça, mais laisse-moi au moins essayer de faire quelque
chose.
Je pou e.
— Tu viens de promettre que tu n’attendais rien.
— Je t’ai demandé si ça t’aiderait. Tu ne m’as pas pris au
mot.
Lâchant ma valise, je repousse son torse et il m’attrape les
poignets, me tirant contre lui alors que je proteste en
haletant, son prénom sur mes lèvres.
— Et ça, ça t’aiderait ? chuchote-t-il contre ma bouche.
— Je ne sais pas.
Il m’embrasse vigoureusement et je me blottis contre son
corps, enroulant mes bras autour de son cou. C’est une
erreur, mais c’est une erreur qui a bon goût. Et ça fait du
bien, aussi, ce qui est d’autant plus dangereux – car je
pourrais oublier que ça va mal finir.
Une nuit n’était pas su sante. Peut-être que trois autres
étancheront ma soif en ce qui concerne Sam.
Un murmure grasseyant
Un soupir enchaîné
Sou e court
Gémissement rauque.
Si ement enivrant
Murmure taquin
Je t’en prie
Oui
Ah
Ainsley Booth écrit des romances érotiques. Elle est l’auteure de trois best-sellers
au classement du USA Today. Entre ses deux noms de plume (romance
contemporaine sous le nom de Zoe York, deux fois auteure de best-sellers au
classement du New York Times), elle a publié plus de cinquante livres depuis
2013. Parmi ses romans à succès, citons Prime Minister et Hate F*@k. Hate F*@k
est disponible en français sous le titre P*tain D’Amour.