Dangres Des Discours Haineux
Dangres Des Discours Haineux
Dangres Des Discours Haineux
UNIVERSITAIRE ET AU DELÀ
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Que devrait-on entendre par « discours de haine » ?
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La suite est hélas trop bien connue. En l’espace de 10 ans, 8 mois et 28
jours de leadership politique, militaire, culturel, économique et technologique
(entre autres domaines) sur l’Allemagne (du 2 août 1934 au 30 avril 1945), les
dirigeants du 3ème Reich ont envoyés à la mort, à partir des camps de
concentration et d’extermination, près de 3 millions de juifs, au motif que ces
derniers seraient des « sous-hommes » nuisibles à l’épanouissement de « la
glorieuse race aryenne allemande ».
Pour celles et ceux à qui cela pourrait servir de leçon, Voici rappelés ci-
dessous les conséquences et le bilan du lugubre discours de haine nazi passé
de la parole aux actes entre 1933 et 1945.
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La tragique conséquence de sa première mise en œuvre fut le
déclenchement du conflit Hutu contre Tutsi de 1959, qui se soldat par l’exil
de 300 000 Tutsi du pays.
Dans les deux cas choisis, ce qui apparaît comme une irréfutable
évidence, c’est la finalité meurtrière et cauchemardesque à laquelle conduisent
les discours de haine d’Allemagne et du Rwanda. Plusieurs centaines de
milliers de morts.
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Parmi beaucoup d’autres, au moins trois causes principales pourraient
être retenues pour tenter d’expliquer la percée spectaculaire du discours de
haine dans nos sociétés contemporaines.
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intra-sociétales (Télévision, radio et presse écrite confondues). Au lieu
d’éclairer l’opinion par des explications permettant aux citoyens de
comprendre les contours des temps difficiles qui sont les leurs, une minorité
de media se transforme en procureurs, censeurs, juges, donneurs de leçon et,
plus grave encore, vecteurs assumés de haines inter-tribales ou inter-
culturelles au sein de la nation.
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asseoir et à affermir le discours de haine qui s’installe dangereusement dans
notre société.
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et non rationnels. En deuxième lieu, les fruits de la recherche les plus acceptés
sont ceux qui résolvent les problèmes concrets auxquels les êtres humains
(tout court) sont confrontés, sans référence de race, d’ethnie ou de culture.
Revisitons ces trois critères essentiels de la vie, de la déontologie de la
recherche scientifique en milieu universitaire.
L’université comme lieu par excellence de la sublimation et de la
positivation de la différence
S’il est un endroit où tenir un discours différent, soutenir une pensée
dissidente mais originale constituent un incontestable avantage, c’est bien
l’Université. En effet, que ce soit dans les sciences dures (mathématiques,
physiques, chimie par exemple) ou dans les sciences sociales (droit, sciences
politiques, sociologie, économie, etc…) ou dans les sciences humaines
(philosophie, anthropologie, histoire, linguistique, etc…) les habitants de la
galaxie universitaire sont pratiquement tous d’avis que c’est précisément de
la juxtaposition des idées contraires, du choc des positions antagonistes que
naît le progrès scientifique, par définition.
Les deux nations qui ont produit le plus grand spectacle planétaire en
matière de rivalité scientifique au XXe siècle, les Etats-Unis et l’Union des
Républiques Socialistes Soviétiques (URSS)- à travers la course pour la
conquête de l’espace – ont pu le faire en s’appuyant sur leur incroyable
diversité humaine, ethnique, culturelle et scientifique.
Comme nous le rappelle le savant camerounais de regretté mémoire, le
père Engelbert Mveng,
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Voir Engelbert Mveng, B.L. Lipawing, Théologie, libération et cultures africaines. Dialogue sur 8
l’anthropologie négroafricaine, Yaoundé/Paris, Editions CLE/Présence Africaine, 1996, P.152
Ces deux pays ont pu dominer le monde au XXe siècle en très grande
partie grâce à leur puissance scientifique, à la qualité du savoir produit qui,
elle-même était renforcée par l’incroyable diversité de leurs universitaires
originellement issus des cinq continents (pour ce qui est des USA).
Par contraste, un savoir étriqué, recroquevillé sur ses propres certitudes
étroites, reposant sur une unilatéralité culturelle ethnique et scientifique, ne
saurait en aucun cas prospérer à l’échelle mondiale. Si le discours de haine
conduit par définition à un inéluctable repli sur soi, l’on voit mal comment il
pourrait être le bienvenu dans un milieu réellement académique, donc
scientifique.
L’atteinte des bons résultats de la recherche : un processus qui ne
connait ni race, ni tribu, ni nationalité.
Il va de soi que tout bon universitaire se doit d’être un bon chercheur
qui produit des travaux utiles au progrès de son environnement humain et
matériel. La rigueur des procédures de recherche, l’attachement que celles-ci
montre pour une grande neutralité, exclue d’emblée, l’option de la distorsion
des faits, comme méthode scientifique dans et par la communauté
universitaire.
En s’appuyant sur un excellent ouvrage récemment écrit et publié par
le Dr Jacques Chatué de l’Université de Dschang, il apparait clairement que
l’éthique de la recherche contient de très nombreux éléments pour éviter de
sombrer dans une dérive tribale, raciste ou comportementale, telle que
caractérisée par les tenants du discours de la haine.2
L’étude du Dr Chatué présente avec minutie les sept principes clés
auxquels tout chercheur universitaire sérieux doit s’astreindre : ce sont les
principes de véracité, de publicité, de collégialité, de précaution, de recevabilité
patriotique, de laïcité et de labeur.
A titre d’illustration, le principe de véracité, retenu en premier « se donne
comme adversaire la fraude scientifique, la falsification des données, faits et
chiffres, témoignages et expériences »3. A partir de ces seules indications, l’on
2
Voir Jacques Chatué, L’éthique de la recherche en 7 points. Approche déontologique et contextuelle. Préface 9
de Jean-Emmanuel Pondi, Yaoundé, les PUY, 2018.
3
Ibid, P.25.
comprend bien que l’esprit universitaire, le vrai, et l’authentique, ne peut que
désavouer tout discours de haine, dont le socle et la philosophie sont
contraires à la déontologie de l’enseignant-chercheur universitaire.
A la vérité, les bons résultats ne connaissent pas de frontière raciale,
ethnique, linguistique, sociale ou nationale. Les bons fruits de la recherche
profitent à toute l’humanité. Sans discrimination aucune.
L’Université comme lieu de défense de la diversité humaine et de sa
complémentarité positive
Loin de verser dans la production des « savoirs déviants » (ceux qui
renforcent les thèses racistes et tribales que la vraie science a réfuté depuis
très longtemps), les universitaires de métier se doivent de combattre ces graves
dérives qui, plusieurs fois dans notre histoire, ont déjà causé la mort de
millions d’individus innocents.
Les universitaires que nous sommes, ou que nous prétendons être,
devraient bien comprendre la nature des deux réalités incontournables qui
sont les nôtres en ce XXIe siècle de tous les dangers pour notre cohésion
sociétale : l’importance de notre conscience professionnelle d’une part et la
lourdeur de notre responsabilité historique d’autre part. C’est de notre
capacité individuelle et collective à transcender nos petites querelles
quotidiennes, à nous hisser à la hauteur des enjeux que représente notre
statut « d’éclaireur des consciences », et surtout, à accepter de nager à contre-
courant des appels inacceptables à la haine contre d’autres concitoyens,
d’autres groupes ethniques et raciaux, que dépend le sort de notre pays le
Cameroun et la destinée de l’Afrique.
Aux personnes qui soutiennent qu’une idée d’une épuration ethnique
est nécessaire pour atteindre le bonheur des tribus restantes, qu’il me soit
permis de livrer le récit véridique suivant : il existe en effet un pays parmi les
cinquante-cinq (55) nations du continent qui est constitué d’un seul groupe
ethnique, qui parle une seule langue, qui pratique une seule religion et qui est
issu de la même civilisation. Ce sont là les conditions « idoines » pour nos
avocats de la suprématie ethnique. Ce pays est la Somalie, dont le parcours
laisse pourtant à désirer, puisque le groupe homogène tant sublimé s’est divisé
en clans et sous clans qui se combattent à longueur d’années. Ils ont
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totalement détruit leur nation. La Somalie occupait en 2018, l’avant-dernière
place des cinquante-cinq Etats sur le plan économique selon une enquête de
Jeune Afrique4. La dernière place étant tenue par le Sud Soudan.
Ces résultats obtenus par la Somalie contredisent de manière claire et
ferme la thèse du triomphe de la paix et du développement par l’élimination
des autres cultures et ethnies.
Par nos gestes quotidiens, par nos paroles, nous devons nous constituer
en rempart au détestable et avilissant discours de la haine. Nous devons nous
opposer avec force au discours de l’exclusion des autres qui, si nous n’y
prenons garde, nous consumera tous, comme ce fut le cas des sociétés qui
optèrent pour sa mise en œuvre dans les années 1930 et 1940 pour
l’Allemagne et dans les années 1990 pour le Rwanda. En tant que citoyens
responsables, le choix de notre avenir commun (brillant ou sombre à dépend
pleinement de nous. Allons-nous opter pour mettre notre intelligence, en tant
qu’universitaires, au service de la paix et de la construction d’une humanité
plus juste, ou allons-nous au contraire choisir de l’utiliser pour perpétrer la
ruine, le chaos et la désolation ?
Telle est la question cruciale qui se pose à notre conscience en ces temps
cruciaux de la vie de notre Nation.
Ne disons surtout pas que nous « ne savions pas ».
A bon entendeur, salut !
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Voir Jeune Afrique