Strategie Naville

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 12

Les arguments sociaux de la strategie

Author(s): Pierre Naville


Source: Revue Française de Sociologie, Vol. 2, No. 2, Guerre, Armée, Société, (Apr. - Jun.,
1961), pp. 4-14
Published by: Éditions OPHRYS et Association Revue Française de Sociologie
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/3319731
Accessed: 31/05/2008 05:48

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of JSTOR's Terms and Conditions of Use, available at
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp. JSTOR's Terms and Conditions of Use provides, in part, that unless
you have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and you
may use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use.

Please contact the publisher regarding any further use of this work. Publisher contact information may be obtained at
http://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=ophrys.

Each copy of any part of a JSTOR transmission must contain the same copyright notice that appears on the screen or printed
page of such transmission.

JSTOR is a not-for-profit organization founded in 1995 to build trusted digital archives for scholarship. We enable the
scholarly community to preserve their work and the materials they rely upon, and to build a common research platform that
promotes the discovery and use of these resources. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

http://www.jstor.org
R. franc. Sociol., I96I, II, 2, 4-14.

Les arguments sociaux


de la strategie
par Pierre NAVILLE

Qui a mieux defini la strategie que Clausewitz ? C'est, dit-il, l'usage du


combat aux fins de la guerre. Cela signifie qu'une stratdgie ordonne l'enchai-
nement de combats qui ont leur tactique propre, de facon a atteindre un but
determine. Liddel-Hart, apres bien d'autres, regrette que cette definition lie la
strategie a la bataille. A son avis, la strategie ne vise pas a rompre en tous
les cas par la violence une resistance (sauf celle qu'opposent les obstacles
naturels) mais a diminuer la possibilite de la resistance en exploitant certaines
situations comme le mouvement et la surprise. Potirtant, si l'on retient
l'observation de Clausewitz : aue la menace de la bataille est l'equivalent
strategique ou tactique de celle-ci -ce que nous rappelle chaque jour la
politique de dissuasion nucleaire - il devient clair qu'abattre une resistance
ou detruire la possibilite de cette resistance sont aussi des equivalents.
La strategie, ainsi conque, est une forme d'action dont le modele existe
bien ailleurs que dans la guerre. N'est-elle pas le schema sous-jacent de
presque toutes les activites sociales ? Ne parle-t-on pas de strategie econo-
mique, politique, sociale, religieuse meme ? Ce modele est d'ailleurs decelable
aux echelles les plus differentes : la strategie peut se developper dans de
vastes spheres (terrestres, et meme cosmiques aujourd'hui) aussi bien que dans
des lieux et milieux restreints, sans perdre son caractere; elle s'assigne des
objectifs de portee tres variable: souvent lointains, mais parfois tout pro-
ches. Ne pourrait-on alors formuler une theorie generale de la strategie,
essence des actes sociaux commandes, des mouvements contradictoires qui
agitent les Etats et les societes, dont l'importance et la signification furent
longtemps estompes aux yeux des analystes par le caractere alternativement
fige ou bouleverse que l'on imputait aux institutions et aux constitutions ?
Certaines theories modernes des jeux s'efforcent en effet de ramener a
quelques regles simples une science de la strategie applicable a tous les cas
possibles d'activite sociale, ou plusieurs adversaires se disputent un enjeu en
vertu de certaines regles, et ou les decisions des joueurs font office de
bataille. En tout cas les strategies, quel qu'en soit l'objet, supposent des
adversaires ou des competiteurs aux prises, des obstacles a vaincre, un but
a atteindre, et un enchainement de tout cela (I).

(I) Les vulgarisateurs de la theorie des jeux insistent sur cette extension des prin-
cipes de toute strat6gie. Kaufman, Faure et Le Garf, par exemple, ecrivent (Les jeux
d'entreprises, ig6o) : Une strategie est une suite de d6cisions tenant compte de toutes
les decisions passees, pr6sentes ou futures du ou des competiteurs. Une strategie est, en
fait, une collection ordonnee de ddcisions de caractere combinatoire. On ne confondra
pas une decision, un plan, une politique, une tactique, une strategie.. (p. 13).

4
Les arguments sociaux de la strategie
S'il y a en effet des caracteres strategiques communs a toutes les grandes
activites humaines, qu'il s'agisse de celles des personnes, des groupes ou des
institutions, il devient interessant de rechercher, a notre epoque de ramifi-
cation et d'integration calculee de toutes ces activites, comment les facteurs
sociaux influent sur l'elaboration des strategies. Ainsi, quelle est la signifi-
cation militaire des strategies economiques et sociales d'aujourd'hui, et, a
l'inverse, quel est au juste le sens social des strategies militaires dont
l'elaboration accapare actuellement l'attention des Etats et de leurs chefs
politiques ? De ce vaste sujet nous ne retiendrons ici que le second aspect.
Y a-t-il des elements sociaux dont le role va croissant dans l'elaboration des
strategies de guerre ? Quels sont-ils ? Contribuent-ils a inflechir les strate-
gies dans un sens determine ? Conferent-ils reellement aux guerres en
suspens ou en cours une portee et une allure particulieres que n'avaient pas
connues les guerres du passe ?
Bien entendu, les grands strateges n'ont jamais manque de tenir compte -
a toutes les epoques - des donnees economiques et sociales dans l'elaboration
et la combinaison de leurs decisions. Toutefois, jusqu'a la revolution russe
d'Octobre 1917 aucun Etat ou chef de guerre n'avait proclame sans ambages
ses fins economiques et sociales comme < but de guerre >, ni calcule expres-
sement ses demarches en fonction de ces fins. Aucune guerre n'a ete menee
publiquement au nom du capitalisme, de la bourgeoisie, ou de tels de leurs
interets partiels, alors que le socialisme s'est employe, quelquefois sans
detour, et d'autres fois moins ouvertement, a proclamer ses propres fins justi-
fiant des guerres x justes >.
Par tradition, les preoccupations que la societe imposait a la strategie
se ramenaient aux bilans du recrutement des troupes, de la fabrication des
armes, de l'entretien des fortifications, des ressources alimentaires et indus-
trielles, des disponibilites financieres, enfin du moral des civils et des soldats.
Mais tout cela concernait les moyens de la victoire, et non les fins de la
guerre. Les facteurs sociaux des conflits jouent, comme ils l'ont toujours
fait, un r6le imprescriptible dans la marche des operations strategiques, mais
l'objet final de la lutte etait place bien ailleurs, dans le domaine des ideaux
politiques, philosophiques ou religieux. En ce sens les institutions militaires
se comportent le plus souvent comme les autres institutions qui incarnent
par d6finition ou hypothese, le droit, la justice, l'honneur ou la gloire; elles
ne representent pas ouvertement des prerogatives sociales, des appetits mate-
riels, des interets economiques.
Les institutions d'Etat, constitutionnelles, ne sont d'ailleurs pas, a l'excep-
tion notable de l'Armee, des institutions strategiques, car elles ne poursuivent
pas a proprement parler une fin: elles sont a elles-memes leur propre fin;
tandis que les institutions garantes d'interets patentes cherchent a atteindre des
objectifs economiques moyennant certaines regles de comportement qui sup-
posent la mise en ceuvre d'une strategie au sens propre. Les institutions mili-
taires ont toutefois des traits qui les distinguent de toutes les autres institu-
tions politiques et sociales, dont le principal est le suivant: leur fonction
a un caractere latent, ou un aspect actif, selon que les Etats ou groupes
sociaux sont en paix ou en guerre. Les phases de latence et d'activite se com-
binent d'ailleurs de mille manieres, par exemple dans ce qu'on appelle aujour-
d'hui la ? guerre froide>>, et qui n'est qu'une fagon de designer une vieille
pratique : amorcer un conflit dans des conditions avantageuses sous couleur
de l'eviter. La fonction latente des institutions militaires, c'est de preparer la
nation (ou le groupe social) a confier son sort, le moment venu, aux forces
armees qui la defendront contre un adversaire. Leur fonction active, c'est de

5
Revue franpaise de sociologie
faire la guerre, lorsqu'il faut en venir la. La strategie militaire empruntera
done deux formes a ces deux types d'existence des institutions militaires:
une elaboration en temps de paix, et une execution en temps de guerre. C'est
peut-etre ce qui la distingue des autres strategies sociales, dont la mise en
ceuvre n'est pas subordonnee a une situation aussi dramatique et explosive
que le recours a la violence armee, a la destruction des biens et au sang
verse. II ne faut pas confondre cette elaboration (en periode de latence) et
cette execution (en periode d'activation) avec la distinction, courante en
sociologie comme en economie, entre la statique et la dynamique. II s'agit
ici de phases distinctes, de deux etats reels, et non d'une division ana-
lytique relevant de la methode. C'est pourquoi une etude des facteurs sociaux
de la strategie mise en ceuvre par les appareils militaires modernes
devrait considerer ces facteurs au cours des deux phases separement, et bien
entendu aussi dans les etats intermediaires ou combinaisons de ces etats. En
periode de latence, le poids et l'efficacite des facteurs sociaux doivent etre
estimes et apprecies tout autrement qu'en periode d'activation. Pourtant, le
r6le de ces facteurs doit etre prevu dans les deux cas de faqon solidaire. Des
plans strategiques qui ne tiendraient pas compte des transformations profondes
que subissent les relations sociales au cours de l'activation guerriere se
heurteraient dans l'execution a des situations humaines impossibles a mai-
triser. C'est precisement a quoi tendent les plans strategiques de chaque
antagoniste vis-a-vis de son ou ses opposants: acculer l'adversaire au
desordre social et par suite a la defaite, tout en maintenant la cohesion de
son propre ordre social.
Les facteurs sociaux de la strategie ne se manifestent pas seulement
selon des periodes de latence et d'activation; ils ont aussi des effets tout
differents selon que la strategie envisage une phase defensive ou offensive.
Sous cet angle, les facteurs sociaux de la vie combattante sont aussi variables
que les facteurs proprement psychologiques : traverser une region urbaine ou
agricole au cours d'une retraite ou a la suite d'une attaque entraine des
reactions qui peuvent etre de sens oppose dans les populations, qu'il s'agisse
de compatriotes ou d'ennemis, de coreligionnaires politiques ou d'adversaires
de classe. Napoleon remontant de Frejus a Paris en I814 emprunte la voie
des Alpes republicaines et non la vallee du Rhone royaliste. Trotsky prepare
en I919 une offensive contre Denikine a travers le Donetz proletarien et non
dans les steppes cosaques du Kouban. Ce sont deux exemples ou une strategie
offensive est conque par reference a des preoccupations politiques et sociales
estimees prioritaires. Quant a la defensive, les retraites russes de 1812 et de
I94I restent l'exemple de manceuvres appuyees sur les profondeurs paysannes
du pays plut6t que sur des bastions urbains. Les guerillas statiques, les har-
celements qui ne sont ni offensifs ni defensifs, s'accommodent aussi de ter-
rains sociaux varies, denses ou rarefies selon les cas, grandes villes ou mon-
tagnes peu peuplees. Dans les pays bilingues ou multi-ethniques, une partie
de la population sert a tenir l'autre : Flamands contre Wallons en Belgique,
Hongrois contre Tcheques dans l'ancienne Autriche-Hongrie, Mandchous
contre Chinois dans la Chine antique, etc.
De nos jours, les elements sociaux que peut impliquer l'elaboration des
strategies, latentes ou actives, defensives ou offensives, ne se laissent pas
manier aussi lachement que par le passe. La sociologie des theatres de guerre
potentiels est d'ailleurs mieux connue, bien que les directives qu'on en puisse
tirer soient fort sujettes a contestation. Certains critiques militaires estiment
par exemple que l'exces relatif de population en Chine serait un element de
succes pour ses ennemis; les populations chinoises pourraient etre plus facile-

6
Les arguments sociaux de la strategie
ment reduites a la famine par les moyens modernes de destruction des recoltes,
de pollution des eaux, de contamination de l'atmosphere, de perversion des
climats. D'autres soutiennent au contraire que les reservoirs humains, inepui-
sables malgre leur misere, permettent une resistance plus durable, gage ine-
vitable de victoire. On voit quelles redoutables alternatives pose la conside-
ration du seul parametre demographique.
Ajoutons que la strategie est liee a l'exploitation de trois grands domaines
en dependance mutuelle, mais qu'il faut nettement distinguer au point de vue
technique : les terres, les mers et les airs (atmosphere, stratosphere et espace
cosmique). La distinction de ces trois domaines est legitimee, du point de
vue social, par l'ecologie humaine particuliere qui leur est associee. En effet,
les terres sont par nature des regions de peuplement stable. Les mers ne sont
occupees par l'homme que temporairement, et d'ordinaire en mouvement.
Quant a l'espace atmospherique ou cosmique, il ne peut qu'etre traverse a
grande vitesse. Les mers et les airs seraient-ils un jour habites, ce ne serait
qu'episodiquement, et par fort peu de gens. Sur terre, les structures sociales
prennent tout leur relief; sur mer elles affectent des formes etroitement limi-
tees par les relations entre equipage de navires ou par la cohabitation
sur chaque navire; dans les airs, leur allure est tout a fait fugace, car elles
ne peuvent se manifester que dans des populations d'une tenuite extreme.
La distinction de ces domaines physiques se ramene d'ailleurs a une combi-
naison dont le sol detient toujours la cle. En effet, les navires, les avions ou
les fusees doivent partir, jusqu'a present tout au moins, de bases terrestres.
Les populations a terre detiennent ainsi le controle, a plus ou moins lointaine
distance ou echeance des mouvements de tous les vehicules qui se detachent
du sol. Cette relation technique entre les trois domaines physiques essentiels
dont la strategie doit tenir compte aujourd'hui souligne la signification per-
manente dont les structures sociales sont chargees comme conditions humaines
de la guerre. C'est pourquoi les remarques que nous ferons plus loin sont dans
une large mesure independantes du domaine geographique, atmospherique ou
cosmique envisage. Qu'il s'agisse de l'un ou de l'autre, ou de leur combinaison,
il faut bien en fin de compte en revenir a l'action des groupes humains la oi
ils forgent les armes, elaborent les strategies et decident de leur mise
en ceuvre, c'est-a-dire avant tout sur terre.
Essayons maintenant de classer quelques-uns des grands facteurs sociaux
qui pesent aujourd'hui sur l'elaboration des strategies, sans nous referer
d'ailleurs expressement a l'un ou l'autre des grands <<camps ? qui divisent
militairement le monde actuel, ni aux diverses coalitions assez fluides qui
leur sont plus ou moins subordonnees.
Mais il faut auparavant preciser ce que nous entendrons ici par facteurs,
ou mieux: arguments sociaux. II s'agit des arguments qui decoulent de la
prise en consideration, dans la preparation et l'execution d'un plan strate-
gique, des structures sociales. Ces arguments excluent donc les elements pro-
prement techniques, et ceux qui relevent de l'economie au sens etroit, tout
comme ceux que l'on considere habituellement comme psychologiques, encore
que ni les uns ni les autres ne soient etrangers aux fonctions sociales elles-
memes. Nous employons le terme d'argument plut6t que celui de facteur,
parce qu'il parait mieux designer l'emploi de certains elements previsionnels
qui entrent dans l'elaboration d'une strategie. L'efficacite d'un < facteur >
social suppose une causalite directe qui n'appartient pas a l'essence de la stra-
tegie. Par contre l'argument est l'element qui justifie, plut6t qu'il ne cause
ou determine, la decision strategique ou domine la teleologie, le souci du but
a atteindre par un enchainement approprie des mesures a prendre. Nous

7
Revue franfaise de sociologie
dirons donc que les elements sociaux entrent dans la strategie comme argu-
ments, sans craindre de heurter une opinion etablie. Nous pourrions aussi
justifier cet usage par la remarque suivante: en strategie, les facteurs sont
avant tout les elements d'une combinaison, et c'est a ce seul titre que leur
effet se trouve determine et determinant. Par exemple, la composition socale
des troupes et le mode de formation qui a ete le leur sont des elements, ou
facteurs, qui peuvent entrer dans l'elaboration d'une combinaison strategique
ou tactique, par leur c6te latent. Mais une fois entres en action, en fonction
du but poursuivi, ces facteurs deviennent des arguments deployes au cours de
l'action reciproque entre les deux adversaires dont le jeu logique decidera de
l'issue du conflit. La distinction que nous introduisons entre facteur et argu-
ment depend done pour une part significative des transformations que subit
la strategie entre sa phase latente et sa phase active: de l'une a l'autre le
facteur devient un argument. En termes de propagande, cette modi-
fication illustre le passage du . qui nous sommes > au ? pourquoi nous com-
battons >, des moyens sociaux de la guerre aux buts sociaux de celle-ci.
Les arguments que nous allons tres brievement passer en revue, ainsi
conqus, sont loin d'etre limitatifs. De plus, c'est leur combinaison, plutot que
leur singularite, qui en fait toute l'importance relative. Toutefois, cet aspect
de la sociologie des strategies guerrieres d'aujourd'hui n'ayant jamais ete
clairement aborde, il ne sera pas inutile de proceder a un recensement prea-
lable de quelques concepts analytiques susceptibles d'expliquer la formation
des concepts strategiques synthetiques eux-memes. Nous limiterons notre
examen a huit concepts principaux : ceux d'adversaire, de but de guerre, de
waneauvre et operation, de bataile, de potentiel, de gain, de cout et de
decision.

I. Le concept strategique essentiel est celui d'adversaire. Toute strategie


definit un adversaire social, souvent sans l'admettre. C'est en fonction de la
nature et de la position de l'adversaire designe que le plan strategique s'ar-
ticule: traditionnellement (tout au moins depuis la Revolution franqaise en
Europe), l'adversaire etait qualifie politiquement. Aujourd'hui, la qualification
politique ne s'entend plus sans une qualification sociale. Meme les strateges
qui repugnent a ces qualifications se voient obliges d'en tenir compte dans
leurs plans. L'adversaire e rouge >, < imperialiste ,, ou ? neutraliste ? offre
toujours aux manceuvres d'un belligerant une structure sociale dans laquelle
il doit insrere ses leviers. Cette structure ne se presente pas seulement sous la
forme d'une ideologie : elle offre un certain champ de relations humaines. Ce
que la strategie envisage, c'est l'action sur ces relations, tout autant qu'un
effet direct sur l'Etat. Plus exactement, la strategie cherche a susciter un
dechainement des elements qui assurent la stabilite simultanee de l'Etat et de
la societe adverses. Cette conception s'accorde avec la theorie du perturbateur
(mise en avant par l'amiral Castex): strategiquement, chaque belligerant
s'efforce de designer l'adversaire comme le perturbateur de l'ordre qui pre-
vaut chez lui-meme, et de l'attaquer comme tel. La designation du perturba-
teur (le ? meneur > des luttes sociales) vise a isoler les structures sociales
les plus vulnerables, qui peuvent etre de nature economique et profession-
nelle, raciale, gouvernementale ou meme religieuse, tout autant que militaire.
En tout cas, la vertu essentielle d'une designation strategique de l'adversaire
consiste a concentrer sur celui-ci le maximum de forces contraires efficaces.
Le changement d'adversaire au cours d'une guerre, et par suite la modi-
fication de l'argument social en strategie, se presente toujours comme une
operation delicate. II entraine des modifications dans l'opinion, comme par

8
Les arguments sociaux de la stratqeie

exemple lorsque la Prusse continua, contre la Republique, une guerre victo-


rieuse contre le Second Empire en I870, ou lorsque l'Allemagne hitlerienne,
apres avoir assailli les Etats d'Europe occidentale en I938-39, se retourna
contre I'U.R.S.S. en I94I. Plus l'envergure du conflit latent est grande, plus
la designation de l'adversaire social est complexe et variable (et du meme
coup souvent confuse). Dans les guerres locales et subordonnees, en particu-
lier les conflits coloniaux et les guerres civiles, la designation de l'adversaire
n'est pas plus facile, pour d'autres raisons: la pulverisation des conflits
accroit souvent la confusion sociale (exemples recents : le Vietnam, Chypre
ou l'Algerie).

2. Au concept d'adversaire s'associe celui de but de guerre, qui ne lui est


pas identique. L'adversaire est une collectivite humaine, ou une fraction de
celle-ci. Le but de guerre est l'objet que les deux adversaires se disputent,
c'est-a-dire ce que chacun d'eux entend substituer a l'existence sociale de
l'autre. II ne s'agit donc pas forcement d'un objet physique. Aneantir des
colons ou eliminer la colonisation ne sont pas une seule et m~me chose.
Detruire une administration et instaurer un ordre social nouveau sont deux
choses differentes. Les U.S.A. et 1'U.R.S.S. ont affronte cette difference
entre adversaire et but de guerre apres 1945 en Allemagne, au Japon, en
Pologne, en Yougoslavie et dans bien d'autres regions. L'adversaire abattu
par les armes laissait pendante la question des buts de guerre. La strategie
sociale, en effet, ne se limite pas a la destruction de l'adversaire : encore faut-
il preciser ce qu'on entend faire d'une collectivite sociale reduite a merci. On
peut admettre en effet que les bouleversements sociaux consecutifs a la fin des
hostilites sont en rapports etroits avec la crise des structures sociales qui
avaient motive les hostilites. Il reviendrait alors a la sociologie des stratdgies
d'eclairer le genre d'ecarts qu'entraine, dans les rapports sociaux, le retablis-
sement de la paix par rapport aux buts de guerre initiaux. On verrait que la
designation sociale de l'adversaire y joue un r6le preponderant. Strategique-
ment, tout but de guerre social implique la mise en place, au cours mme
des operations, d'elements d'un pouvoir social nouveau chez l'ennemi. C'est
la une caracteristique des guerres modernes, bien qu'on en trouve toute sorte
d'equivalents dans le passe. La notion operationnelle qui correspond au but
de guerre est celle de centre de gravite. Le centre de gravite peut fort bien
prendre un caractere nettement social (2).

3. L'adversaire et le but de guerre etant fixes, au moins dans leurs grandes


lignes et sous reserve de modifications du plan strategique, ce sont la
manoeuvre et les operations qui constituent la notion essentielle a retenir.
Les theoriciens de la strategie ont generalement ramene cette notion a une
alternative purement militaire entre strategie a objectif total ou a objectif

(2) C'est ce qui se produit en particulierdans les conflits coloniaux et revolution-


naires. En voici un exempletypique:
< Pour reduire [les Kabyles] il faut attaquer leurs inter&ts. On ne peut y parvenir
en passant comme un trait; il faut s'appesantir sur le territoire de chaque tribu; il
faut s'arranger pour avoir assez de vivres pour y rester le temps necessaire pour
detruire les villages, couper les arbres fruitiers, brfiler et arracher les recoltes, vider les
silos, fouiller les ravins, les rochers et les grottes, pour y saisir les femmes, les vieil-
lards, les troupeaux et le mobilier; ce n'est qu'ainsi que l'on peut faire capituler ces
fiers montagnards. Si l'on se contente de suivre une ou plusieurs routes, on ne verra
que les guerriers, on combattra avec plus ou moins d'avantage, mais on n'atteindra ni
les populations, ni les richesses, et les resultats seront presque negatifs. > Marechal
BUGEAUD. De la strategic, de la tactique..,. 1842. ((Cuvres militaires, I883, p. 91).

9
Revue franpaise de sociologie
limite (Clausewitz), ou entre strategie d'aneantissement et d'usure (Delbriick),
ou directe et indirecte (Liddel-Hart). Toutefois, si l'on met au premier plan
l'argument social, la strategie incline a l'objectif limite, a l'usure, au style
indirect. L'utilisation de forces sociales chez l'ennemi, la pression differentielle
sur ses differentes classes, la perspective de transformations sociales et eco-
nomiques consecutives a la victoire, conduisent en effet a rechercher la
manoeuvre qui atteindra le but aux moindres frais sociaux. La difficulte
consiste alors a envisager des transformations sociales tout en respectant
certaines structures deja etablies: la guerre, qui provoque le chaos, ne
s'accommode cependant pas du chaos.
A cet egard, l'appreciation de la resistance et de la cohesion opposees par
les structures sociales traditionnelles necessite des etudes poussees. Cette
appreciation souleve une question sociologiquement capitale: quelle est la
hierarchie de force des institutions sociales attaquees ? D'ou : dans quel ordre
doivent-elles etre ebranlees par le plan strategique ? Et dans quel ordre doivent-
elles etre amenees a resister au plan ennemi ? Hitler s'est heurte a un pro-
bleme de ce genre lors de la penetration allemande en U.R.S.S.: fallait-il
detruire sans delai les kolkhozes, abolir la propriete d'Etat ? Napoleon avait
connu la meme hesitation : il ne tenta meme pas de liberer les serfs en
1812.

4. L'execution d'un plan strategique suppose des combats et des batailles,


dont l'issue pesera toujours sur le deroulement du plan. L'argument social
ne se manifeste pas seulement ici dans la capacite de combat des troupes
directement engagees dans le duel physique. De nos jours, les batailles sont
un processus qui se deroule en profondeur dans le temps et dans l'espace, et
non un coup de des joue en un ou deux jours. L'alimentation de la bataille,
la logistique generale des combats, l'exploitation du succes, supposent l'enga-
gement de groupes sociaux (en particulier de travailleurs professionnels de
tous ordres), dont l'action echelonnee doit etre minutieusement mise au point.
Les problemes poses sont de nature encore plus sociale que psychologique; ils
ne peuvent etre correctement resolus que moyennant une connaissance detail-
lee de la nature et de la composition sociale des troupes a pied d'ceuvre, mais
aussi des relations existant entre les divers elements de ces troupes et leur
support logistique externe. La situation relative et reciproque de < l'arriere >
et de << l'avant> manifeste clairement l'etat de ces relations. Le polymor-
phisme des combats reflete alors sous bien des aspects celui des conflits
sociaux dans lesquels ils baignent.

5. La cinquieme notion a envisager est celle de potentiel, c'est-a-dire de la


qualite et de la quantite des ressources mobilisables de toute nature. L'im-
portance croissante accordee au potentiel, a son entretien et a sa protection,
souligne l'intrusion toujours plus profonde de l'argument social dans la
strategie. De la notion de potentiel derive celle des <<rserves >, humaines
au premier chef. Les reserves ne sont pas seulement celles qui fourniront
des combattants; ce seront aussi bien - et surtout - celles ou se
recrutera la population apte au travail oriente vers la guerre. La strategie
des reserves humaines entraine une action preventive sur les differentes
categories de la population, et par consequent un effet sur les structures
sociales elles-memes. Les modifications que l'execution strategique provoque
dans ces structures ne peuvent etre improvisees. Aussi bien l'Etat se preoc-
cupe-t-il, dans le cadre de la strategie latente, de prevoir les alterations
qu'apporte l'ouverture du conflit aux structures sociales fondamentales : celles

I0
Les arguments sociaux de la strategie

qui reglent les rapports de travail, la vie des families, le fonctionnement des
institutions locales et regionales, l'enseignement, le ravitaillement. Bien
entendu, le phenomene des pertes (surtout en prevision des attaques nucleaires)
entre aujourd'hui comme une grandeur decisive dans le calcul strategique des
reserves; la dimension des pertes estimees peut entrainer certaines metamor-
phoses des structures sociales fondamentales, un peu comme une greve
generale agira sur l'ensemble des structures de travail d'un pays donne.
6. Deux concepts interviennent ensuite: ceux de gain et de cout. A
cet egard, les principes militaires ressemblent a ceux qui gouvernent les jeux
industriels et economiques selon les techniques de la <recherche operation-
nelle ?, d'autant mieux qu'ils sont a l'origine de ces jeux. La perspective du
gain entre dans la determination du but de guerre et de l'adversaire; strate-
giquement, sa valeur propre se presente sous la forme d'un enjeu. On observe
a cet egard un glissement, depuis deux siecles environ, depuis les preoccupa-
tions territoriales et politiques vers les ambitions sociales. La grande strategie
n'a plus que rarement comme but avoue l'annexion de terres etrangeres oui
l'extension du territoire national; elle ne vise pas non plus un simple renver-
sement du regime politique de l'ennemi (par exemple la substitution d'une
Republique a une Monarchie ou d'une < Democratie populaire a une
Republique). Elle vise de plus en plus franchement la defense ou l'extension
de structures sociales liees a certains rapports economiques. Si meme elle
met en avant un enjeu de caractere territorial, politique, religieux, ou meme
racial, c'est le plus souvent pour eviter de preciser la nature sociale qui s'y
dissimule. L'enjeu social lui-meme peut se presenter sous de multiples formes,
mais il est constant que les rapports de travail en constituent le noyau. Les
guerres antiques avaient comme enjeu la soumission de peuples, c'est-a-dire le
travail potentiel de nouveaux esclaves. Les guerres d'aujourd'hui cherchent
une fin dans l'instauration de nouveaux regimes de travail et d'appreciation
de leurs fruits, que ce soit sous l'embleme de la liberte, du nationalisme, de la
democratie, du federalisme ou du socialisme. Cet enjeu, pour n'etre pas tou-
jours le plus apparent, est pourtant celui qui finalise les strategies a long
terme dans un monde qui conqoit son evolution sur le modele de la ? crois-
sance economique >. Le gain envisage ne peut etre le simple solde d'un
bilan ou les pertes et destructions figureraient d'un c6te, et les acquisitions,
le butin, de l'autre. Il faut que les bouleversements provoques chez le vaincu
offrent la possibilite d'instaurer un regime de travail (avec toutes ses conse-
quences economiques et sociales) que le vainqueur estime favorable ou
superieur. C'est la raison pour laquelle certains auteurs (en particulier
F. Sternberg) estiment - a tort selon nous - que l'ampleur previsible des
pertes humaines et industrielles dans la guerre nucleaire annulent tous les
gains possibles, et du meme coup suspendent ou interdisent le conflit dans la
perspective d'une strategie rationnelle.

7. L'estimation du cout, de son cote, deborde evidemment les simples


parametres economiques ou financiers. a L'economie des forces ,, principe
strategique classique, conduit ici a l'argument social qu'est < l'economie des
forces productives o. L'appareil technique de production n'est rien sans une
mise en oeuvre appropriee par des masses humaines fortement structurees. Le
r6le majeur qui revient aux ingenieurs et techniciens dans cette mise en
ceuvre n'amoindrit en rien l'importance des fonctions executrices de masses
ouvrieres differenciees au maximum. Le cofit probable optimum d'une stra-
tegie s'evalue donc en fin de compte selon l'economie des forces humaines

II
Revue francaise de sociologie
qu'elle necessitera. D'ou les problemes aujourd'hui classiques de la mobili-
sation industrielle, de la formation de specialistes militaires, du renouvelle-
ment et des allocations de la main-d'oeuvre, avec tout ce qui en decoule dans
les domaines les plus varies des relations sociales. L'execution du plan
strategique fera alterner des phases de tension et des phases de relachement
dans l'application des forces sociales aux productions prioritaires en cas de
guerre. Le rendement de cette application ne peut, cela va de soi, dependre
des memes criteres qu'en temps de paix, et c'est justement pour cela que
revient aux strateges la mission d'en estimer le couit selon diverses variantes.
De trop graves erreurs de calcul, dans la periode finale d'un conflit plus encore
que dans sa phase initiale, conduisent a de telles perturbations dans l'economie
des forces, que son cofit pese enfin de faqon completement negative dans la
balance du destin. Tel fut le cas pour les forces hitleriennes a partir de I943.

8. Peut-on considerer la decision comme un argument social de la stra-


tegie ? D'un point de vue general la decision est un moment de toutes les
activites humaines et sociales; elle suppose un choix, et surtout l'execution
pratique des modalites d'action choisies. En guerre comme ailleurs, la deci-
sion est d'autant plus lourde de consequences que l'enjeu est gros et que ses
effets sont irreparables. Mais c'est en strategie beaucoup plus qu'en tactique
que la decision revet ces caracteres. Sociologiquement, le point important
est donc de savoir comment s'elabore le pouvoir de decision et qui le detient,
c'est-a-dire quels groupes ou institutions en disposent et l'appliquent, et
comment. La encore, les elements specifiquement politiques et militaires de la
genese des strategies en masquent souvent l'armature sociale. L'experience
recente indique cependant, et dans tous les pays du monde, qu'une vigilance
de plus en plus alerte s'exerce sur la structure et la signification sociale des
centres de decision en matiere strategique. Les remaniements incessants de la
structure des gouvernements, des partis dirigeants, des etats-majors et des
hauts commandements militaires sont en partie l'effet de cette vigilance. Si
les decisions strategiques ne sont pas acceptees et comprises par les groupes
sociaux les plus etroitement interesses, il y a de fortes chances pour que leur
execution se heurte a des obstacles qui peuvent l'entraver ou la mettre en
peril. A ce point de vue la haute strat6gie recherche, dans des conditions de
tension exceptionnelle, l'instauration d'equilibres sociaux analogues a ceux qui
permettent en temps de paix l'exercice du pouvoir gouvernemental lui-meme.
La concentration extreme des pouvoirs en temps de guerre ne supprime pas
cette necessite bier qu'elle en estompe ou vicie les formes et les manifesta-
tions pour un certain temps. Et lorsqu'il se produit un relachement ou
meme une dissolution des centres de decision militaires, il apparait alors qu'ils
ne sont pas seulement I'effet d'erreurs, de revers, ou de defaites : leur ebranle-
ment annonce sans equivoque la perturbation des relations sociales cristal-
lisees par l'etat de guerre, et par suite l'apparition possible de nouvelles rela-
tions qui permettront le retour a I'etat de paix fonde sur de nouveaux equi-
libres. I serait aise d'illustrer l'argument social de decision en strategie par
l'evolution des objectifs strategiques fixes de part et d'autre en Algerie.
*

Les differents arguments sociaux de la strategie que nous venons de


passer en revue presentent-ils des traits vraiment neufs ? A certains egards
ils sont de tous les temps, comme les principes militaires de la strategie eux-
memes. Ils prennent cependant un relief inconnu jusqu'a present, et c'est l'une

12
Les arguments sociaux de la strategie
des raisons pour lesquelles les chefs militaires et les gouvernements se preoc-
cupent aujourd'hui de sociologie apres avoir mis a contribution la psycho-
logie. Definissant la guerre comme la continuation de la politique par de
nouveaux moyens, sanglants ,, Clausewitz visait a la fois la politique exte-
rieure et interieure. Aujourd'hui, on peut dire que politique interieure et
exterieure se confondent dans la politique sociale; c'est d'ailleurs le sens vise
par Clausewitz, comme on le voit dans ses analyses de la politique militaire
de la Revolution frangaise et de Bonaparte. En definitive, aucune strategie de
grande portee ne peut etre elaboree aujourd'hui sans la contribution de
ce que nous appelons des arguments sociaux. C'est ce qui rend cette strategie
si redoutable. Les arguments techniques et purement militaires seraient-ils
seuls en cause, il deviendrait sans doute plus facile de demontrer l'inanite de
certaines strategies ou la prevision des pertes l'emporte sur le calcul des
gains, ou l'enjeu n'est plus la victoire mais la destruction, ou le moyen cesse
d'etre domine par la fin. Mais ces arguments se trouvent maintenant surdeter-
mines par des arguments sociaux, et ceux-ci semblent avoir un privilege
encore plus exclusif que les arguments psychologiques. L'argument social est
en effet lie, plus que d'autres, a ce qui fait la tenue, la cohesion, la force des
Etats et des societes, c'est-a-dire ce que tout groupe social est le moins enclin
a ceder de bon gre, ou a s'adjuger sans y mettre le prix. La violence est deve-
nue le ressort des arguments sociaux dans la meme epoque ou elle affaiblissait
ses manifestations dans le domaine psychologique ou politique. Tant que les
relations entre Etats, classes ou societes resteront fondees sur des tensions
et des antagonismes, il est des lors inevitable que les strategies visent au
premier chef le bouleversement du contenu social de ces relations.
En ce sens la strategie, sous ses aspects sociaux, deborde de loin les
preoccupations classiques de la geopolitique, dans l'acception que lui ont
donnee par exemple Haushofer ou Mahan. La geopolitique a manie des
concepts d'origine geographique, ou tire d'une < psychologie des peuples
assez sommaire, comme ceux d'espace, de frontiere, d'expansion, d'autar-
chie, etc. Son expression la plus interessante se trouve dans les theses de
Mahan. C'est d'ailleurs dans le domaine geographique que la geopolitique a
fourni sa contribution la plus efficace. Sa c psychologie des peuples :, par
contre, penetree de vagues generalisations sur l'esprit des races, sur le sen-
timent national, le respect de la force ou la crainte du chatiment, n'a con-
duit ceux qui s'y sont fies qu'a de profondes erreurs (dont on pourrait citer
comme exemples recents les affirmations du genre : le chinois n'a jamais
ete soldat >, ou ? le musulman ne respecte que la force >>). Sous cet angle,
on assiste aujourd'hui a l'effacement des themes < sociaux ? de la geopolitique
devant l'etude plus serieuse des structures sociales et economiques. Deux
ordres de questions se poseront donc desormais aux strateges (qui inclueront
par consequent des sociologues) : d'abord, comment notre structure sociale
peut-elle favoriser l'execution d'un plan de guerre, et comment le plan de
guerre peut-il ebranler la structure sociale de l'adversaire ? Ensuite : quelles
transformations sociales peut-on escompter d'apres l'issue de la guerre chez
le vainqueur et chez le vaincu ?
I1 va de soi que de tels raisonnements supposent que la guerre reste au
moins possible... Mais il n'etait pas dans notre objet d'examiner ici comment
elle pourrait, du moins a breve echeance, devenir superflue, seule faqon de la
rendre vraiment impossible.

P. NAVILLE,
Centre National de la Recherche Scientifique.
Revue franCaise de sociologie

NOTE BIBLIOGRAPHIQUE

Nous avons aborde certains des themes evoques plus haut dans les ecrits suivants:
La guerre du Vietnam, Paris, Editions de la Revue Internationale, 1948.
La Chine future, Paris, Editions de Minuit, x95I.
? La guerilla dans la guerre modeme *, Observateur, septembre I950.
z La guerre nationale d'apres Engels, Blanqui et Bakounine , Revue internationale,
octobre-deembre 195o.
c Le travail et la guerre 2, Cahiers internationaux de Sociologie, 27, 1959, pp. 27-53.
< Clausewitz et la theorie de la guerre , introduction a CLAUSEWITZ, C. von. De la
guerre, Paris, Ed. de Minuit, 1955.
< La guerre psychologique et le role economique de l'Armee,, Tribune marxiste (6),
mai I959.
Les ouvrages suivants apportent d'importantes contributions ai notre sujet:
MAHAN, Alfred T. The influence of sea-Power upon history, 1889 (reimpression
New York, Sagamore Press, 1957).
ROUGERON, C. La prochaine guerre, Paris, 1948.
EARLE,E.M. Makers of modern strategy. Princeton, Princeton University Press, 1944.
LIDDELHART, Basil H. Strategy. The indirect approach. New York, Praeger, 1954.
KISSINGER,Henry A. Nuclear weapons and foreign policy, New York, Council on
Foreign Relations, 1957.
GARTHOFF, Raymond L. Soviet strategy in the nuclear age, New York, Praeger, 1958.
POKaOVSKY,G.L. Science and technology in contemporary war. New York, Praeger,
1959. (traduit du russe).
STERNBERG, Fritz. Die militirischle und die industrielle Revolution, Frankfurt, 1958.
(Traduction anglaise: The military and industrial revolution of our time, New York,
Praeger, I959.)

REVUE
DE DEFENSE NATIONALE

LES GRANDS PROBLEMES


NATIONAUXET INTERNATIONAUX
MIUTAIRES, iCONOMIQUES, POLITIQUES,
SCIENWIIIQUES

PUBIUCATION MENSUELLE
Abonnement 1 an
France et Communaute .............................. 20 NF
Etranger ........................................... 25 NF
DIRECTION et ADMINISTRATION: 1, place Joffre, Paris-VII?
C.C.P. Paris 516-57
T6elphone: INValides 83-10

Vous aimerez peut-être aussi