Qu'est Ce Que L'urbanisme
Qu'est Ce Que L'urbanisme
Qu'est Ce Que L'urbanisme
Philippe Dehan
Naissance de l’urbanisme
Sommaire :
Qu’est ce que l’urbanisme ?
Naissance de l’urbanisme
Le pré-urbanisme
La ville idéale comme modèle
Des cités ouvrières aux HLM : émergence du logement social
Comme la ville, le concept d’urbanisme n’est pas facile à définir. Le terme d’urbanisme apparaît vers 1910 dans une
revue suisse. Quelques décennies auparavant, l’ingénieur espagnol Idelfonso Cerda avait déjà employé un terme
proche, celui d’urbanisacion, mais avec un double sens : à la fois urbanisme et urbanisation.
Selon Françoise Choay, dans son anthologie Utopies et réalités parue en 1965, l’urbanisme naît bien au tournant du
siècle : « vers la fin du XIXe siècle l’expansion de la société industrielle donne naissance à une discipline qui se
distingue des arts urbains antérieurs par son caractère réflexif et critique et par sa prétention scientifique ». Dans son
choix de textes, elle distingue d’ailleurs les pré urbanistes des urbanistes, qu’elle classe en trois catégories :
progressistes, culturalistes et organiques. Elle oppose donc cette discipline nouvelle, qui serait une science ou tout au
moins une technique, à l’art urbain qui aurait prévalu auparavant avec un souci esthétisant.
C’est peut être vrai en Europe pour la période juste antérieure, au XVII e et au XVIIIe siècles, en Europe où l’art urbain se
limite bien souvent à la création de places royales ou d’axes monumentaux. Mais ce n’est pas vrai pour toutes les
villes coloniales, par exemple les villes espagnoles d’Amérique du sud, qui sont des créations globales, à partir d’un
plan qui gère l’expansion de villes entières. Depuis les temps les plus reculés de la civilisation, et dès l’antiquité à
Sumer, en Egypte ou en Grèce, l’homme crée des villes entières et cherche à définir des dispositions ordonnées de
l’espace urbain selon différents concepts qui n’ont parfois rien à envier à ceux de l’urbanisme contemporain.
Ainsi, les romains avaient des pratiques de fondation des villes qui incluaient des rites religieux, ils dessinaient les
ensuite les voies qu’ils aménageaient avec des pavés, des trottoirs, des égouts, comme on peut le voir à Pompéi ou
Herculanum. Ils avaient des principes d’alignement et de régulation des hauteurs et savaient composer un forum et
des quartiers fonctionnels.
Les pratiques de planification des phénomènes urbains sont donc bien antérieures à l’apparition du mot urbanisme et
au moins une partie de l’objet qu’il recouvre existe donc depuis bien longtemps, même si on peut noter quelques
différences.
Définitions de l’urbanisme
Qu’est ce qui distingue l’urbanisme de la planification des villes ? Pour Françoise Choay, c’est la prétention
scientifique et réflexive de l’urbanisme. Dans Utopie et réalités elle explique que les doctrines de l’urbanisme se
fondent sur une analyse formalisée des besoins et des conditions de la réalisation urbaine. Ce serait donc le caractère
analytique des contraintes et des besoins qui distinguerait l’urbanisme des pratiques antérieures de planification des
villes.
La définition des dictionnaires est un peu moins précise. Le Larousse définit l’urbanisme comme « l’art d’aménager et
d’organiser les agglomérations humaines » et « l’art de disposer l’espace urbain ou rural (…) pour obtenir son meilleur
fonctionnement et améliorer les rapports sociaux ». Dans ces définitions il s’agit d’aménager, c’est à dire, de « disposer
avec ordre ». C’est un acte volontaire qui veut créer une situation ordonnée jugée préférable à celle résultant du jeu
spontané des acteurs. Cette définition est assez proche de ce que pouvait prétendre la planification des villes, sauf
peut-être la question de l’amélioration des rapports sociaux qui était rarement explicitement présente dans les
pratiques de planification antérieures. Bien qu’on en trouve des exemples, comme la création du Mellah, le quartier
juif de Marrakech, qui répond à une volonté de protection et de contrôle de cette population allant vers une
amélioration des rapports sociaux.
Le petit Robert est plus explicite. Il confirme l’apparition du mot en 1910 et propose la définition suivante : Etude des
méthodes permettant d’adapter l’habitat urbain aux besoins des hommes ; ensemble des techniques d’application de
ces méthodes. Cette définition est intéressante car elle se limite à la question de l’adaptation, sans parler directement
d’aménagement. L’urbanisme serait donc l’ensemble des méthodes et des techniques permettant de mieux adapter
la ville aux besoins des hommes que se soit pour la création ou la transformation.
1
Merlin Pierre, L’urbanisme, Que sais-je / PUF, 1991 p.7
2
Le mot planification lui-même est récent puisqu’il apparaît en 1938, appliqué à l’économie, selon le Robert. Mais la définition de
planifier, « organiser selon un plan » est celle qui convient le mieux pour décrire les pratiques antérieures de création et de développement
urbains. Il faut par contre éviter d’employer le terme de planification urbaine qui est généralement utilisé pour décrire des actions de
programmation complexes pour des opérations d’urbanisme.
A l’origine il y a le site avec ses atouts et ses contraintes ; lorsque les hommes s’installent sur le site, ils impriment au
site différentes dynamiques qui le transforment.
Le processus de planification de la ville commence par la décision politique de base, celle de la création, de la ville ou du
secteur urbain, qu’il s’agisse d’un choix collectif démocratique ou de la décision autoritaire d’un homme ou d’un groupe.
La planification de la ville passe ensuite par le processus d’élaboration du plan, que ce soit un damier ou une forme
plus complexe ; Les contraintes du site (relief, sol et sous-sol, végétation, hydrologie, cours d’eau, climat, vents
dominants) sont prix en compte de manière variable. C’est ainsi que la grille du plan de San Franscisco est
indifférente au relief et que, dans de nombreux plans des villes coloniales sud-américaines, c’est plus la cosmologie
solaire qui détermine les choix d’implantation que les particularités du relief ;
La réalisation concrète du plan sur le site implique la mise en œuvres des différentes techniques urbaines liées à la
création des voies : prise en compte des contraintes naturelles vents, des inondations, … ; conception et réalisation
des infrastructures. Voirie, ponts et réseaux sont les principaux objets car, la distribution d’eau (pas chez chaque
particulier) et l’assainissement existent depuis l’antiquité. Ces infrastructures peuvent être de dimension territoriale
comme le montre les grands aqueducs romains.
Les îlots créés par les infrastructures font ensuite l’objet
découpage parcellaire adapté aux différentes
programmes des bâtiments qui sont construits sur de
ce socle. La production bâtie intègre une dimension
spatiale, formelle et esthétique, qui prend forme dans la
géométrie du parcellaire et ses déformations, mais aussi
dans des desseins urbains volontaires : axes de
composition urbaine, etc. ; parallèlement les
règlementations d’alignement et de hauteur ont souvent
contribué (de manière plus ou moins contrôlée) à la
3
A ce sujet voir le livre de Giuliano della Pergola, Le città antiche cosmogniche, universale di Architettura, mars 2000 et l’article
de Marcello Fagiolo, « La fondazione della città latino-americane gli archetipi della giustizia et della fede », in Psicon n°5, Firenze, ottobre
decembre 1975 p 34
4
Vitruve 10 livres d’architecture, trad 1673 Claude Perrault, Balland, 1979 p 41
5
Venus déesse de l’Amour, Mars dieu de la guerre, Vulcain, dieu du feu
6
Leon Battista Alberti « L’art d’édifier », publié en 1485 (13 ans après la mort d’Alberti) traduit par Pierre Caye et
Françoise Choay, Seuil 2004 p197
7
Marcello Fagiolo, « La psicologia della colonizzazione e il mito dolare della ragione » in Psicon, architecttura e
simbolismo solare, n° 1 oct 1974 p22
La science de l’urbanisme
Sans doute peut-on encore trouver quelque référence à différent symbole et rites dans les créations contemporaines,
mais l’urbanisme se veut scientifique, il va donc chercher à oublier donc les dimensions rituelle et cosmologique. Il
cherche à appuyer la planification sur des analyses techniques et sociales à caractère « scientifique », pour connaître
l’état de l’existant et établir un diagnostic qui fonde les choix politiques de programmation, et le projet. Il cherche à
maîtriser le futur autrement que par un plan qui se remplit et se densifie. Il implique la recherche d’équilibres, d’un
meilleur confort pour les habitants : adapter l’habitat urbain aux besoins des hommes. Il faut insister sur le fait que ces
choix ne découlent pas naturellement des analyses. Le diagnostic conduit à un bilan à partir desquels, il faut faire des
choix, qui sont, par essence, politiques : la manière de répondre aux dynamiques sociales et économiques, ou de les
modifier (attirer des entreprises ou tel ou tel type de population par exemple) ne sont pas des choix techniques, mais
ils doivent s’appuyer sur une analyse de la situation qui permette aux responsables de faire leur choix.
L’urbanisme est donc une version élargie et scientifisée de la planification des villes. La programmation, urbaine, le
dessin du plan de la ville, l’art urbain et ses principes de composition urbaine et les techniques de réseaux doivent être
fondés sur des études qui leur donnent une justification scientifique. Il oublie par contre les pratiques rituelles de
fondation,
L’urbanisme ajoute donc aux pratiques de planification antérieures les notions essentielles d’analyse de l’existant, de
diagnostic, de prospective qui doivent fonder les choix politiques et la programmation urbaine qui en découle. Ces
analyse doivent permettent de connaître aussi bien la situation matérielle du site que ses dynamiques sociales et
économiques et doit conduire à définir les enjeux techniques (réseaux, ville durable) de l’opération.
8
Marcello Fagiolo, « La dondazione delle citta latino-americane gli archetipi della giustizia e della fede » in Psicon,
america latina : le citta coloniali, n° 5 oct 1975 p36
9
Riccardo Pacciani, « Heliaca simbologia del sole nella politica culturale di Luigi XIV », in Psicon, architecttura e
simbolismo solare, n° 1 oct 1974 p69
Les pré-urbanistes
10
CORBIN Alain, le Miasme et la Jonquille Aubier, Montaigne, 1982, réed Champ-Flammarion
11
Voir Bruno Fortier, L’amour des villes, Mardaga, Liège, 1994.
Formes de l’haussmannisation
L’haussmannisation se caractérise par la création de larges avenues plantées d’arbres avec des façades
d’immeubles très systématiques : balcons à certains étages, rythme parcellaire et décoration des façades de pierre,
systématiques. Elle se caractérise aussi par l’introduction du végétal dans l’espace public : les larges boulevards ou
avenues sont plantées, des parcs et jardins sont créés. Le végétal urbain passe du privé au public.
L’haussmannisation une grande influence, en France comme en Europe, sur les pratiques de transformations
urbaines de la fin du 19e siècle et du début du 19e. Françoise Choay qualifie Haussmann de pré-urbaniste. Il ne s’agit
en effet pas encore d’urbanisme au sens où les choix ne se fondent pas sur une analyse de la réalité physique et
sociale du lieu, mais plutôt sur une intuition sur les nouvelles nécessités du fonctionnement urbain et de l’économie de
la ville.
Mais c’est la première fois qu’on va modifier de manière aussi radicale des villes. Auparavant, les projets
d’embellissements étaient ponctuel : percement de quelques rues (le trident à Rome), création d’une place (des
Vosges, …). Avec l’haussmannisation des villes on change d’échelle : on transforme de manière volontaire et radicale
un tissu urbain pour le moderniser, le remodeler pour l’adapter aux évolutions des besoins.
Fondements l’haussmannisation
Les transformations de Paris sont généralement présentées comme l’action forte d’un pouvoir fort. Napoléon III a
effectivement fait modifier la constitution en 1852 pour se donner les pleins pouvoirs dans deux domaines : la
signature des traités de commerce et les grands travaux publics.
Haussmann disposait de grands pouvoirs ce qui va permettre la mise en place d’un processus d’expropriation très
efficace13. Mais je crois, avec le sociologue Maurice Halbwachs, que ce projet de remise en ordre fonctionnelle et
symbolique de la ville est, comme l’extension d’Amsterdam au XVIIe siècle, « l’expression d’un besoin collectif », celui
de la bourgeoisie qui a conduit Napoléon III au pouvoir14. Comme à Amsterdam, l’haussmannisation des villes
répond à une demande collective, qui est celle de la classe dominante, d’avoir une ville ordonnée et fonctionnelle qui
réponde à ses besoins, mais aussi à son image.
12
Yon Jean-Claude, « Le second empire, politique, société, culture », Armand Colin, Paris 2004, p.53
13
voir P. de Moncan et Cl. Heurteux, Villes haussmanniennes, Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, les éditions du Mécène, 2003 p. 16
14
Cité par Yankel Fijalkow, Sociologie de la ville, La découverte, Paris 2002 p. 20
15
P. de Moncan et Cl. Heurteux, Villes haussmanniennes, op. cit.
16
P. de Moncan et Cl. Heurteux, Villes haussmanniennes, op. cit.
17
Thomas More (1478 – 1535), L’utopie, Librio 1997, La dispute
18
LE CORBUSIER Vers une architecture ed Crès, Paris 1925
19
Thomas More, L’utopie, Librio 1997, La dispute
20
Thomas More op. cit. p. 70
21
Thierry Paquot, L’utopie ou l’idéal piégé, Hatier, Paris 1996, p24
22
Thierry Paquot, op. cit p.31
23
Thierry Paquot, op. cit p.37
24
Thierry Paquot, op. cit p.42
25
Thierry Paquot, op. cit p.43
C’est pourquoi, ce sera finalement le modèle de la maison unifamiliale, calqué sur l’habitat rural du pauvre, rationalisé
et systématisé, qui va être adopté par une majorité de patrons éclairés.
Dans un premier temps, depuis le début du 19e siècle, les compagnies minières réalisent, dans tout le nord de la
France, Lens ou Valenciennes par exemple, des opérations importantes de corons, c'est-à-dire de toutes petites
maisons accolées en séries. Les plus anciens projets de corons datent de 1820. Leur construction se poursuit
pendant tout le 19e siècle jusqu’entre les deux guerres mondiales. D’autres industriels, réalisent des lotissements
ouvriers comme ceux du Creusot (Schneider) ou à Noisiel (Meunier) 27. Ces projets cherchent à inventer une nouvelle
économie de la maison individuelle en créant de nouveaux types de maison économiques tout en préservant
l’indépendance des entrées pour éviter la promiscuité de la population, jugée dangereuse. Ainsi les maisons de
Noisiel sont jumelées permettant d’économiser un mur. Pour la Société des coopératives mulhousiennes, l’Architecte
Emile Muller invente « le carré mulhousien » dans une réalisation de 1240 maisons individuelles ouvrières. Ce projet
26
Devillers Christian et Huet Bernard, « Le Creusot, naissance et développement d’une ville industrielle 1782 – 1914 », Champ-Vallon, Seyssel 1981
p. 66
27
voir la bonne synthèse : Flamand J.-P., "Loger le peuple, essai sur l'histoire du logement solcial", ed la découverte, Paris 1989
La maison individuelle parait alors être la solution car elle permet d’éviter une trop grande concentration de familles
ouvrières, politiquement et moralement dangereuse. Elle apparaît aussi comme le moyen de faire accéder l’ouvrier à
la propriété, à une époque où la copropriété n’existe pas. Or cette « propriété » apparaît comme « une garantie morale
de bonne citoyenneté ». La possession de sa maison doit écarter l’ouvrier « de ses vices qui sont considérés comme
« ses pires exploiteurs » et « la cause de sa pauvreté »28.
Mais, comme la vente de la maison à l’ouvrier est peu rentable pour le patron constructeur, ce point fondamental de la
doctrine paternaliste reste souvent lettre morte. La maison est louée plutôt que vendue aux familles.
Quelque soit l’écart entre la doctrine et la réalité des expérimentations, il faut souligner que c’est à cette époque que la
maison individuelle devient « l’idéal à atteindre : propriété de l’ouvrier, lieu de la vie de famille, lieu d’un loisir utile et
laborieux dans la maison et surtout dans le jardin qui donne le « goût passionné du sol et permet un retour aux sûres
valeurs paysannes »29. La maison individuelle a donc beaucoup de qualités :
- elle permet à l’ouvrier d’améliorer son ordinaire grâce au jardin,
- d’occuper ses heures de loisir de manière à éviter qu’il ne fréquente les cabarets,
- de stabiliser la famille en le rendant propriétaire, donc responsable.
C’est ainsi que naquirent les premiers lotissements populaires. Ce modèle idéal d’habitat convainc rapidement la
population française, comme en témoignent le succès des lotissements entre les deux guerres, puis les enquêtes
d’opinion qui, dès la fin de la seconde guerre mondiale, et sans discontinuer, montrent que la maison individuelle est
plébiscitée et reste l’idéal d’une grande majorité de citoyens (de 70 à 82 % selon les périodes). Le concept de la
maison ouvrière s’oppose à la fois aux appartements des immeubles collectifs, qui ne disposent ni d’espaces
annexes appropriables, ni d’espace d’expansion familiale, et aux lotissements spéculatifs du 19 e siècles composés
d’habitations individuelles certes, mais très étroites, accolées, sans jardin et avec une cour très réduite donnant sur la
ruelle très étroite qui les distribue. Ce dispositif, dont témoignent par exemples certains quartiers de Levallois 30 ou des
ruelles de Paris 13e, présente alors une promiscuité proche de celle des immeubles surpeuplés.
La responsabilité de la création de ce logement va passer progressivement des patrons éclairés aux coopératives et
fondations hygiénistes (fondation Lebaudy, fondation Rothschild 31) à la fin du 19e et au début du 20e siècle, puis aux
collectivités locales dans les années 20 – 30 (Office public d’HBM de la Seine, OPAC de Paris,…), avant de devenir, à
partir des années 50 et leur transformation en HLM, une prérogative de l’Etat qui mettra en œuvre la construction à de
28
Devillers Christian et Huet Bernard, op. cit. p. 66
29
Devillers Christian et Huet Bernard, op. cit. p. 66
30
voir Gervaises Patrick, « Les passages à Levallois-Perret, ruelles pauvres en banlieue » in Faure Alain (Dir) « Les premiers banlieusards », éditions
Créaphis, Paris 1991, p 121 et suivantes.
31
Voir le livre de Marie-Jeanne Dumont, «Le logement social à Paris 1850-1930», Mardaga, Liège, 1991