Retranscription PI
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Le droit d’auteur
Introduction générale :
La propriété intellectuelle est en France une branche spéciale du droit privé. Elle s’intéresse
à la protection des richesses immatérielles de notre société, celles qui sont issues de
l’imagination humaine. La propriété intellectuelle est un terme générique qui désigne en
réalité plusieurs catégories de droits intellectuels. On distingue traditionnellement la
propriété littéraire et artistique (PL&A) de la propriété industrielle (PIndus). La PL&A
regroupe les règles juridiques applicables au droit d’auteur et droits voisins. Les droits
d’auteur concernent les œuvres littéraires, musicales, graphiques, plastiques ou encore les
logiciels. Les droits voisins concernent exclusivement les artistes interprètes, les producteurs
de vidéogrammes et de phonogrammes et les entreprises de communication audiovisuelle.
Quant à la propriété Industrielle, elle regroupe les règles juridiques applicables aux créations
techniques, telles que les brevets, mais aussi les certificats d’obtention végétales et les
topographies de semi-conducteurs. La propriété Industrielle concerne aussi les créations
dites ornementales telles que les dessins et modèles ainsi que les signes distinctifs tels que
les marques, dénomination sociales, nom commercial, enseigne, nom de domaine,
appellation d’origine, ou encore indication de provenance. En France cette distinction entre
PL&A et propriété Industrielle a le mérite de rappeler que les droits sur les marques, sur les
inventions ou sur les dessins et modèles s’acquièrent par les formalités du dépôt et de
l’enregistrement. A l’opposé, les droits d’auteur et droits voisins s’acquièrent sans aucune
formalité obligatoire, du fait même de la création de l’œuvre. On tend surtout à distinguer
plusieurs catégories de droits intellectuels parce que chacune créée un monopole
d’exclusivité obéissant à un régime spécifique, lequel régime est adapté à sa fonction
sociale. Ainsi le régime juridique du brevet protège les inventions pour leur nouveauté. Celui
des marques de fabriques et de commerce protège ces signes pour leur distinctivité. Le
régime des dessins et modèles protège ces créations ornementales pour l’originalité de leur
forme extérieure. Celui des droits d’auteur pour récompenser l’effort créateur de l’auteur.
La propriété intellectuelle est régie par le principe de territorialité. Chaque pays détermine
dans son ordre interne le régime juridique applicable aux droits intellectuels. Les premières
lois sont apparues au XVIIIe siècle pour interdire à quiconque d’utiliser une œuvre ou une
invention sans payer une redevance à son auteur ou inventeur. La première règle écrite a
été adoptée en Angleterre en 1710 pour que le Roi puisse accorder aux auteurs
compositeurs des redevances ou « royalties ». Pour promouvoir la création et l’innovation
aux États-Unis, les constituants américains de 1787, ont expressément donné au Congrès, au
pouvoir fédéral, compétence pour conférer un monopole au profit des auteurs et
inventeurs. La première loi fédérale sur les brevets est ainsi née sur le territoire américain en
1790 précédant de peu la promulgation du « Copyright Act ». En France les premières lois en
matière de propriété intellectuelle ont été adoptées à l’issue de la Révolution. En 1791, le
législateur français est venu protéger le brevet au profit des inventeurs ainsi que le droit
d’auteur au profit des écrivains, des peintres, des dramaturges et compositeurs. En
Allemagne, il a fallu attendre un siècle de plus et la fin des privilèges accordés par les
monarchies souveraines pour que la première loi d’Empire reconnaisse en 1870 les droits
d’auteur. Dans tous les pays la protection des marques s’est imposée plus tardivement avec
l’essor des activités économiques, et dans une optique plus consumériste, pour garantir aux
consommateurs l’origine des produits. L’évolution industrielle et technologique a ensuite
conduit l’ensemble des pays industrialisés à élargir le champ d’application de la propriété
intellectuelle, mais aussi à compléter, modifier les règles existantes pour les adapter aux
nouvelles formes d’exploitation des droits intellectuels. Il résulte du principe de territorialité
qu’il existe des divergences entre les droits nationaux de propriété intellectuelle. Ces
divergences nationales persistent en dépit des nombreux efforts d’harmonisation de la
matière. Les jalons de la protection internationale de la propriété intellectuelle ont été posés
dès la fin du XIXe siècle et n’ont jamais été remis en cause, on peut citer les deux grandes
conventions internationales ayant imposé aux États adhérents des règles minimales de
protection : en matière de propriété industrielle, la Convention d’union de Paris de 1883, en
matière de Propriété Littéraire & Artistique son alter ego, la Convention d’union de Bernes
de 1886. Ces textes fondateurs du droit international conventionnel en la matière reposent
sur deux principes essentiels communs. D’une part le principe d’indépendance des droits de
propriété intellectuelle par rapport à la protection apportée dans le pays d’origine. D’autre
part le principe du traitement national identique aux ressortissants nationaux et étrangers.
Ce dernier principe cherche à éviter les discriminations tenant à la nationalité en imposant
aux signataires de traiter les demandes de ressortissants d’un pays membre comme celles
émanant des nationaux. Aujourd’hui la plupart des conventions internationales en matière
de propriété intellectuelle sont gérées par l’OMPI, l’Organisation mondiale de la propriété
intellectuelle, instituée en 1967 et chargée de promouvoir la propriété intellectuelle dans le
monde grâce à la coopération entre les États. De nombreux pays, dont la France, ont signé
des traités multilatéraux pour permettre aux personnes établies dans les pays signataires
d’obtenir une protection géographique élargie en matière de propriété industrielle tout en
respectant une procédure de dépôt unique. Ainsi, en matière de propriété industrielle où le
dépôt est obligatoire, il existe désormais plusieurs voies de dépôt et plusieurs stratégies de
dépôt. A l’échelle européenne, les efforts d’harmonisation et d’unification du droit de la
propriété intellectuelle au cours des 30 dernières années ont considérablement réduit les
divergences existantes entre les droits nationaux des États membres de l’Union européenne.
En 1957, le traité de Rome a institué la CEE sans pour autant régler le sort des droits
intellectuels susceptibles de gêner la réalisation de ses grands objectifs libertaires. De
nombreuses directives ont alors dû être adoptées pour rapprocher les régimes nationaux de
protection et lever ainsi les barrières à l‘établissement d’un marché unique. En matière de
propriété industrielle, ces efforts d’harmonisation ont permis au législateur européen
d’imposer des régimes juridiques unifiés protégeant des titres communautaires délivrés sur
les marques, sur les dessins et modèles et sur les brevets. Ces titres de propriété sont
unitaires c’est à dire valables sur tous les territoires des États membres. Malgré les
rapprochements opérés par le biais des directives d’harmonisation, malgré les règles
matérielles unifiées imposées par les règlements européens, il subsiste des différences
notables entre les droits nationaux de l’Union européenne. Ainsi pour être protégé sur le
territoire français, par exemple, il faut remplir les conditions de protection du droit français
aussi harmonisées ou aussi unifiées soient elles. Il est donc important d’étudier et de
comprendre les exigences et particularités du droit français de la propriété intellectuelle. La
discipline de la propriété intellectuelle exprime aujourd’hui une certaine unité comme en
témoigne en France l’existence depuis 1992 d’un Code de la Propriété Intellectuelle ou
encore comme en témoigne à l’échelle internationale, l’accord de 1994 sur les aspects des
droits de la propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Néanmoins ce cours ne
propose pas une approche unitaire de la matière ; il a pour objet l’étude des principales
règles juridiques applicables en France aux grandes catégories de droits intellectuels : les
droits d’auteur, les marques, les dessins et modèles et les brevets. Leurs différents régimes
juridiques seront tour à tour exposés dans leurs grandes lignes. Les thèmes qui seront
développés dans le cadre de ce programme permettront de comprendre la spécificité des
régimes applicables à chacune de ces catégories de droits intellectuels. A cette fin il est
vivement recommandé de compléter les enseignements qui font l’objet de cet
enregistrement par une étude des documents de TD et des livres du fascicule.
b) Tempéraments
Le cas de l’auteur salarié
L’auteur d’une œuvre peut exercer en indépendant et décider de céder son œuvre ou de ne
pas la céder, même décider et s’engager à l’avance à céder son œuvre en vertu d’un contrat
de commande. Mais lorsqu’il salarié, en vertu d’un contrat et en présence d’un lien de
subordination, ce qui est d’ailleurs souvent le cas dans le monde du spectacle, du dessin
industriel et des médias et bien cette qualité de salariés n’écarte pas l’application de la règle
générale. Et l’article L111-1, alinéa 3 du CPI le rappelle expressément. Autrement dit en
France en l’absence de cession expresse de ses droits patrimoniaux, le salarié demeure
titulaire des droits sur l’œuvre qu’il crée pour le compte de son employeur. A cet égard le
régime juridique des droits d’auteur du salarié est distinct du régime du copyright américain.
Autre particularité française, la cession globale d’œuvres futures est interdite par l’article
L131-1 du CPI. Une jurisprudence constante de la cour de Cassation, constante depuis un
arrêt de la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation du 16 décembre 1992, n’admet pas la
possibilité d’une cession anticipée en faveur de l’employeur. De nombreux pays adoptent
des solutions radicalement différentes à cet endroit, y compris au sein de l’Union
européenne où la question n’a pas été harmonisée sans doute parce que le régime juridique
des créations salariées dans chaque pays est le résultat de positions socio-culturelles,
idéologiques, économiques qui sont difficiles à concilier. L’une des critiques doctrinales
envers le droit positif français fait justement valoir qu’avec la bonne intention de protéger
l’auteur salarié, l’auteur salarié est encore moins servi que le créateur salarié d’une
invention ou d’un dessin et modèle.
Œuvre de collaboration
Outre le cas particulier des œuvres collectives, l’attribution de la qualité d’auteur obéit à des
règles spéciales en présence d’œuvre de collaboration. Ces dernières sont le résultat du
concours de plusieurs personnes. L’article L113-2 du CPI ne les définit pas précisément mais
la doctrine considère unanimement qu’il s’agit d’une collaboration au sens étymologique du
terme, en latin « cum laborare », littéralement « travailler avec ». Pour parler de
collaboration, il faut une inspiration commune et une concertation sans rapport
hiérarchique. A la différence des œuvres dites composites, les auteurs ont agi en même
temps et non successivement. Pour résumer par une image empruntée à Pierre-Yves
Gauthier, « l’œuvre collective correspond à une structure de création verticale, l’œuvre de
collaboration à une structure horizontale comme une bande dessinée qui requiert une
collaboration et une concertation entre le dessinateur et l’auteur du scénario ou du dialogue
». Les œuvres de collaboration sont aujourd’hui majoritaires. Quel est leur régime
juridique ? Chacun des coauteurs a un droit indivis sur la propriété commune et ce selon
l’article L113-3 du CPI et les règles du droit commun de l’indivision trouvent à s’appliquer en
la matière. Il faut dès lors l’accord de l’ensemble de coauteurs pour prendre une décision et,
en cas de désaccord, le juge civil saisit du litige entre coauteurs peut décider de passer outre
une opposition sur le fondement de l’article L113-3 qui lui reconnaît cette compétence
lorsque le désaccord porte sur la gestion des droits patrimoniaux. L’intervention du juge
lorsque le désaccord porte sur l’exercice du droit moral impliquerait plutôt alors selon la
doctrine le recours à la théorie de l’abus de droit. En tout cas cette règle de l’unanimité peut
être source de blocage pour l’exploitation de l’œuvre. Rien n’interdit cependant aux
coauteurs de prévoir des aménagements et de convenir des modalités exactes de gestion de
l’indivision. Un auteur peut-il utiliser sa propre contribution ? Par exemple l’auteur d’une
musique de film peut-il se livrer à l’exploitation autonome de sa musique ? L’article L113-4
du CPI y répond par l’affirmative à condition pour l’auteur de ne pas porter préjudice à
l’exploitation de l’œuvre commune. Cela veut dire que l’exploitation autonome ne doit pas
faire de l’ombre à l’exploitation de l’œuvre commune. Cela signifie que l’auteur de la
musique de film pour reprendre l’exemple cité, ne doit pas tirer un avantage personnel indu
de la situation. Il est à noter que le code a prévu des régimes quelque peu aménagés de
collaboration pour tenir compte des particularités des œuvres audiovisuelles,
cinématographiques, télévisuelles et vidéogrammes, mais aussi pour tenir compte des
particularités des œuvres radiophoniques. Ainsi l’auteur des œuvres adaptées est considéré
par la loi comme étant fictivement coauteur de l’œuvre radiophonique nouvelle. La
protection des œuvres radiophoniques a pu susciter un contentieux important surtout à
l’époque du transistor. Le statut de l’œuvre audiovisuelle a été introduit en France par une
loi de 1957 pour remédier aux discussions engendrées par un arrêt important de la Cour de
cassation du 10 novembre 1947, la Cour a pu décider que le film cinématographique ne
répond pas à la qualification d’œuvre collective. Sur le fond, la loi reconnaît la qualité
d’auteur à toute personne qui réalise la création originale. Mais la preuve se trouve
grandement facilitée pour les catégories visées par le texte. Car l’article L113-7 a posé une
présomption de qualité de coauteurs de l’œuvre audiovisuelle en visant expressément 5
métiers : l’auteur du scénario, de l’adaptation, du texte parlé, des compositions musicales et
le réalisateur. Ce qui veut dire que tous les autres intervenants : producteur, monteur,
caméraman, maquilleur, accessoiriste, bruiteur etc. pourront toujours établir leur qualité
mais ils devront prouver qu’ils ont participé à la réalisation de l’œuvre commune. Le statut
de l’œuvre audiovisuelle reste l’une des questions controversées du droit d’auteur. A
l’origine du trouble se trouve le principe selon lequel l’auteur de l’œuvre originaire bénéficie
de la qualité d’auteur par une fiction de la loi. Cette qualité ne semble pas pouvoir lui être
retirée à la différence des autres auteurs du film. En conséquence les œuvres successives, les
remakes d’un film par exemple impliquent un nombre de coauteurs importants car tous les
créateurs du premier film seront considérés comme coauteurs du remake n°1 mais aussi
comme coauteurs du remake n°3. Il est donc aisé de comprendre que l’assimilation de
statuts complique considérablement l’appropriation de tous les droits nécessaires à la
production et à l’exploitation des œuvres audiovisuelles dérivées. On l’aura compris il est
important de faire entrer la création issue du travail de plusieurs auteurs dans l’une des
catégories prévues par la loi : œuvres collectives, œuvres de collaboration ou œuvres
composites laquelle est visée à l’article L113-2 du code.
Œuvre composite
C’est une œuvre nouvelle à laquelle a été incorporée une ou plusieurs œuvres préexistantes.
Par exemple il peut s’agir d’un roman porté au cinéma ou d’une adaptation musicale dérivée
d’un roman, il peut s’agir aussi d’un film qui utilise des extraits d’opéra eux-mêmes
composés d’après une œuvre littéraire. A la différence de l’œuvre de collaboration, l’auteur
n’aura pas travaillé avec l’auteur de l’œuvre originaire. A la différence des œuvres
collectives, l’auteur aura pris seul l’initiative de l’œuvre composite qu’il a créé de façon
indépendante. Il n’y a cependant pas toujours de position évidente entre toutes ces
qualifications et il se peut même qu’une œuvre composite puisse être aussi une œuvre
collective ou une œuvre de collaboration : c’est le cas par exemple d’une comédie musicale
dérivée d’un roman. Or l’une de ces qualifications doit prévaloir sur l’autre pour déterminer
le régime juridique applicable. Le célèbre procès des années 70 qui illustre cette difficulté est
l’opéra « Le Prince Igor », qui a été commencé par Borodine qui est décédé avant d’achever
sa création, deux autres artistes, Rimsky-Korsakov et Glazunov ont achevé l’opéra de
Borodine en composant les parties manquantes. La version définitive était-elle une œuvre
composite ou de collaboration ? La Cour de Paris a opté pour la qualification d’œuvre
composite car l’œuvre de Borodine a été incorporée dans l’œuvre nouvelle. Elle a considéré
que l’œuvre nouvelle était bien le résultat d’une collaboration entre Rimsky-Korsakov et
Glazunov mais sans la collaboration de Borodine. Si plusieurs auteurs sont bien à l’origine de
l’œuvre composite, le droit n’envisagera que le résultat final pour considérer que l’œuvre
n’a en réalité qu’un seul auteur. Il n’y a aucune copropriété ou indivision entre l’auteur de
l’œuvre première et l’auteur de l’œuvre composite. De ce fait l’œuvre dérivée doit être
originale pour faire naître un droit d’auteur. Dans un arrêt du 15 février 2005, la 1ère
chambre civile de la Cour de cassation a précisé à cet égard que l’originalité de l’œuvre
première ne permet pas d’établir l’originalité de l’œuvre composite. L’auteur d’une œuvre
dérivée originale jouit pleinement de ses droits d’auteur sous la réserve du respect des
droits d’auteur de l’œuvre préexistante comme cela est indiqué à l’article L113-4 du code.
De manière sans doute un peu redondante l’article L112-3 impose exactement la même
réserve, logique, pour les traductions, transformations et les arrangements. Si une personne
traduit un roman suédois en anglais mais à partir de sa traduction française, cette personne
devra au préalable obtenir l’accord du traducteur français. Autrement dit, il faut
l’autorisation de l’auteur de l’œuvre première avant de réaliser l’œuvre seconde.
Concrètement il faut un contrat autorisant la création d’une adaptation. Ce rapport de
dépendance confère alors un certain pouvoir de contrôle important à l’auteur de l’œuvre
première et ce d’autant plus qu’à la différence de ce que connaît le droit des brevets, aucune
licence de dépendance n’existe en matière d’œuvre composite, même si certains peuvent le
regretter, le contrat liant les auteurs est nécessairement du reste en France à durée
déterminée.
Le droit à la paternité
Ce droit comprend le droit au respect du nom et de la qualité de l’œuvre, c’est un droit
perpétuel. A la télévision par exemple, l’animateur se doit de dire que l’œuvre entendue est
de tel compositeur et ceci même si l’œuvre est tombée dans le domaine public. Certains
aménagements sont cependant admis par la jurisprudence pour se caler sur les usages de la
profession en question. De manière générale on peut avancer que les conventions relatives à
la paternité sont valables car il s’agit après tout pour l’auteur d’un droit et non d’une
obligation. Le droit au respect du nom permet de s’opposer à un tiers qui apposerait son
propre nom sur l’œuvre de l’auteur. Mais il permet aussi à celui qui a créé une œuvre sous le
nom d’autrui de révéler à tout moment sa paternité même s’il a pu accepter de ne pas
figurer sur les exemplaires par le biais d’un contrat, ce contrat peut être dénoncé à tout
moment ad nutum. L’usurpation de l’œuvre peut être sanctionnée en tant que violation du
droit moral mais l’usurpation du seul nom peut être sanctionnée civilement et dans certains
cas pénalement pour violation du droit au nom, droit de la personnalité, ou dans le domaine
de l’art pour faux artistique, qui est puni par la loi française depuis 1895. Si on prétend qu’on
a écrit « le zèbre » d’Alexandre Jardin, il y a atteinte au droit moral de cet écrivain
contemporain car on s’accapare un travail qui n’est pas le fruit de notre création. C’est une
usurpation d’œuvre. Si on écrit un roman et qu’on dit qu’il est d’Alexandre Jardin, on se rend
coupable d’usurpation de nom, car on utilise indûment le nom d’autrui. Mais comme la
fraude ne porte pas sur l’œuvre d’Alexandre Jardin, le droit moral de celui-ci n’est pas en
cause. Le droit au respect de la qualité consiste concrètement à faire mention des titres,
grades, distinction de l’auteur, par exemple romancier, sculpteur, prix Nobel. Toutefois ce
droit n’est pas une obligation et en conséquence, l’auteur a le loisir de garder l’anonymat ou
encore celui de publier sous un pseudonyme, qu’il peut par ailleurs abandonner à tout
moment. La question de l’auteur introuvable ou de l’œuvre orpheline est bien distincte. Elle
se pose uniquement lorsque l’utilisateur de l’œuvre n’a pas pu en identifier l’auteur. Et dans
ce cas aucune présomption d’anonymat n’est consacrée par le droit positif français. Il faut au
contraire que l’utilisateur de l’œuvre puisse prouver les recherches vaines qu’il a entreprises
pour identifier l’auteur. A cette fin on peut même envisager de saisir la justice pourquoi pas
pour faire constater l’absence de paternité de l’œuvre. C’est une proposition doctrinale. Le
droit moral comprend en outre le droit au respect de la création
Le droit de divulgation
C’est un élément crucial du droit moral qui indique la faculté discrétionnaire de l’auteur à se
défaire de sa création et de la communiquer au public au moment et selon la forme de son
choix. L’exercice de cette faculté de divulgation a pour effet juridique d’épuiser ce droit. La
question de l’épuisement du droit de divulgation est discutée en doctrine, controversée par
la jurisprudence, elle est en outre plus complexe dans le concret qu’en pure théorie. Si
l’auteur a autorisé la représentation de sa pièce, a-t-il pour autant épuisé son droit de
s’opposer ultérieurement à la reproduction de cette pièce. L’étude du droit positif français
incline à penser que la divulgation qui s’épuise selon un mode particulier de communication
publique, la représentation, n’épuise pas le droit de divulguer l’œuvre sur d’autres modes, la
reproduction par exemple. Ainsi même si l’auteur a déjà autorisé la diffusion de l’œuvre par
un premier mode, cette autorisation première laisse subsister son droit de s’opposer à la
diffusion de son œuvre par un autre mode. Le droit de divulgation comporte un élément
matériel, la divulgation, et un élément moral, l’intention. Et le contentieux en la matière en
France porte surtout sur la preuve de l’intention de divulgation de l’auteur. Laquelle preuve
peut être établie à l’aide d’un faisceau d’indices concordants laissés à la libre appréciation
des juges du fond. La constatation en justice de la divulgation présente finalement un enjeu
pratique majeur pour l’auteur. Si le bien n’est pas divulgué, l’auteur a un pouvoir de vie et de
mort sur sa création, à savoir que le bien ne peut pas être saisi, le bien peut évoluer, être
détruit même par l’auteur. Avant la divulgation, aucune exécution forcée n’est possible, pas
même par le créancier qui pourrait envisager de saisir les œuvres non encore divulguées. En
revanche si le bien a été divulgué, le droit est épuisé et l’auteur garde certains pouvoirs mais
ils doivent s’exercer dans le cadre contraignant du droit de retrait et de repentir. L’auteur
peut-il à tout moment retirer son œuvre ou la remanier suivant sa volonté ?
b) Droits patrimoniaux
L’auteur a vocation à tirer profit de son travail et a donc des droits patrimoniaux qui lui sont
universellement reconnus. En France ce sont les lois de 1791 et 1793 qui sont à l’origine de
la distinction faite traditionnellement dans les ouvrages et le CPI entre droit de reproduction
et droit de représentation. Il s’agit là de parler des droits d’exploitation, c'est-à-dire de
l’ensemble des prérogatives qui permettent à l’auteur de subordonner l’utilisation de ses
œuvres au paiement d’une rémunération. Mais on peut noter que cette distinction n’est plus
très opportune et que les accords ADPIC ont d’ailleurs préféré adopter une approche
unitaire des droits patrimoniaux en mettant tous les actes de communication publique dans
le même panier quelques soient les techniques de diffusion. Il est vrai que cette approche
unitaire est bienvenue à l’ère du numérique où se mélangent pour mieux se confondre tous
les actes de reproduction et de représentation. Pour respecter la dichotomie traditionnelle
française fondée sur le procédé de contact au public, on présentera successivement le droit
de représentation puis le droit de reproduction. On évoquera ensuite l’existence du droit de
suite qui est propre aux œuvres plastiques avant de préciser le contenu des droits
patrimoniaux post mortem.
Le droit de représentation
Les actes de représentation visés à l’article L122-2 du CPI englobent tous les actes opérant
une communication du bien au public quel qu’en soit le procédé. La définition légale est
certes lacunaire mais il est acquis que le public peut être passif et que la notion doit être
entendue au sens large. Un hôtel qui télédiffuse un signal à ses clients installés dans leurs
chambres communique avec eux aux yeux de la jurisprudence tant française qu’européenne.
Toute communication en ligne sur internet qu’il s’agisse de podcasting, ou de vidéo à la
demande est aussi une communication au sens de la loi française mais à condition que le
récepteur ne puisse pas conserver l’œuvre transmise en la téléchargeant sur un support
durable. A cet égard on peut relever que l’expression anglaise de « streaming » permet de
rendre compte de cette notion de représentation via un réseau électronique. La
représentation peut être vivante comme une représentation théâtrale, elle peut être non
vivante comme une projection cinématographique, mais dans les deux cas un public a
directement accès à l’œuvre. Et la représentation doit être directe. Le fait de regarder chez
soi le DVD d’une représentation théâtrale ne peut être considéré par la loi comme une
représentation. Toute représentation au sens juridique du terme ouvre droit à une
redevance distincte. Il y autant de rémunération distincte que de mode de représentation.
Ainsi le film qui sera diffusé en salle de cinéma, à la télévision et qui sera projeté à partir
d’un DVD dans un bar, permettra à l’auteur de toucher une rémunération pour chaque
utilisation nouvelle de l’œuvre. Toute représentation au sens juridique du terme est aussi
soumise à l’autorisation de l’auteur sous réserve des exceptions et aménagements apportés
par le droit positif français à la libre jouissance du bien intellectuel. La plus symptomatique
est l’exception légale de représentation privée et gratuite effectuée dans le cercle familial. La
représentation des œuvres audiovisuelles par satellite connaît aussi certains aménagements.
Le terme de télédiffusion regroupe trois modes de communication : la voie hertzienne, le
câble et le satellite et s’il est prévu que l’auteur puisse percevoir une redevance distincte
pour chacun de ces modes, la loi précise les exceptions à ce principe comme les cas où
l’auteur n’a pas besoin de donner une autorisation pour chaque représentation. Et pour
tenir compte du régime international du satellite, l’article L122-2-1 du CPI expose par ailleurs
une règle de conflit de lois imposant d’appliquer le droit français dès lors que l’émission du
signal vers le satellite se fait à partir du territoire français.
Le droit de reproduction
L’article L122-3 définit la reproduction comme « la reproduction consiste dans la fixation
matérielle de l'œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d'une
manière indirecte. » Le code ajoute une liste illustrative d’actes de reproduction : «
imprimerie, dessin, gravure, photographie, moulage et tout procédé des arts graphiques et
plastiques, enregistrement mécanique, cinématographique, magnétique, etc. » Le code
rattache divers modes d’utilisation de l’œuvre au droit de reproduction. Ainsi l’article L122-4
précise qu’est illicite « Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans
le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de
même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la
reproduction par un art ou un procédé quelconque. » La reproduction qui requiert
autorisation est en définitive une fixation matérielle du bien intellectuel qui permet sa
communication indirecte au public. C’est la diffusion des supports qui permet au public
d’accéder à l’œuvre. Il arrive cependant que la distinction entre reproduction et
représentation s’avère difficile. Ainsi dans plusieurs procès ayant opposé la société des
auteurs-compositeurs-éditeurs de musique (SACEM) à des discothèques, la Cour de
cassation a qualifié de reproduction l’utilisation des phonogrammes du commerce pour
sonoriser les soirées dansantes. Pourtant la diffusion publique d’une musique enregistrée
sur phonogramme constitue bien une représentation mais la Cour de cassation a ajouté dans
son arrêt du 22 mars 1988, une nouvelle composante au droit de reproduction : le droit de
destination selon lequel chaque nouveau mode d’exploitation doit donner lieu à une
nouvelle autorisation et ouvrir au profit de l’auteur une nouvelle redevance. En l’espèce il a
été jugé que la cession par l’auteur de son droit de reproduction mécanique à un producteur
de phonogramme en vue de leur vente au public ne comprenait pas le droit de les diffuser
publiquement dans le cadre d’une discothèque. Ainsi c’est aussi en application de la théorie
du droit de destination que l’auteur d’une bande dessinée peut percevoir une rémunération
pour avoir cédé ses droits de reproduction à l’édition d’une librairie et peut percevoir une
autre rémunération pour avoir vendu ses BD en promotion dans une station-service. Cette
théorie du droit de destination a connu une certaine consécration par la jurisprudence
française mais aussi par le droit européen de la propriété intellectuelle. Le droit de
destination englobe désormais le droit de location et de prêt imposé en droit interne par la
directive 92-100 du 19 novembre 1992. La location des phonogrammes est un mode
d’utilisation des exemplaires de l’œuvre distinct de leur vente. Le CPI a échafaudé une série
d’exceptions au droit de reproduction suivant que la reproduction est réalisée pour un usage
public ou un usage privé. Ainsi, par exemple en 2006, le législateur a introduit une exception
d’enseignement pour faciliter l’utilisation des œuvres à des fins pédagogiques. Cette
exception étant assortie d’une rémunération forfaitaire. Mais la principale exception est
celle de la copie privée prévue à l’article L122-5, 2° du CPI qui permet une reproduction à
l’usage privé du copiste lorsque la copie n’est pas destinée à une utilisation collective.
L’exception n’est pas gratuite et l’article L122-10 du CPI a instauré un mécanisme de gestion
collective chargé de percevoir les redevances pour les copies privées. On relèvera que
l’exception de copie privée ne joue plus une fois que l’œuvre est tombée dans le domaine
public. En matière de reproduction à usage public, on peut citer la dérogation concernant les
reproductions provisoires ou éphémères faites sur les réseaux numériques, les
reproductions qui sont accessoires à la transmission en ligne. Cette dérogation a été
imposée dans l’ordre interne par la directive européenne du 22 mai 2001. Les transmissions
en ligne qui permettent de feuilleter les parties d’un livre dans une librairie en ligne,
regroupent plusieurs opérations techniques qui sont autant de reproductions mises à
disposition du public que l’on songe au transfert du fichier contenant un site ou encore au
routage de serveur à serveur. Ces reproductions qui sont difficiles à contrôler sont
considérées comme juridiquement neutres au regard du droit d’auteur. Jérôme Passa
explique que c’est parce qu’elles n’ont aucune autonomie et qu’elles correspondent à une
simple étape d’un procédé technique de communication des données. Ce sont surtout les
droits patrimoniaux reconnus à un auteur de logiciel qui connaissent de nombreux
aménagements spécifiques.
Le droit de suite
Il est quant à lui une sorte de restriction au droit patrimonial. Il est d’origine française, il est
spécifique aux arts plastiques et plus précisément aux œuvres originales créées par l’artiste
lui-même : photographie, dessin, sculpture, collage etc., ainsi que toute création plastique
sur un support audiovisuel ou numérique. Ce droit de suite découle de la volonté du
législateur de protéger l’auteur contre les mirages du marché. Il confère à l’auteur le droit de
bénéficier du surcroît de valeur acquise par son œuvre depuis sa mise sur le marché. Ce droit
de suite qui figure aujourd’hui à l’article L122-8 du CPI n’est pas un droit d’autoriser, c’est le
droit de percevoir un pourcentage sur le prix de revente de l’œuvre. A cette fin le
professionnel de la vente de l’œuvre doit délivrer à l’auteur ou à la société de perception et
de répartition du droit de suite toutes les informations permettant l’évaluation de ce droit
de suite selon les critères fixés par voie réglementaire. Les taux fixés sont progressifs et sont
fonction du prix de vente. Et ajoutons que le système ne s’applique pas aux transactions
portées sur des œuvres d’un montant inférieur à 10.000 euros. Le droit de suite a été
imposé aux États membres à l’échelle européenne par une directive du 27 septembre 2001.
Sa transposition a nécessité en France certains aménagements non négligeables qui ont été
apportés par la loi du 1er août 2006. Dans le système antérieur appliqué uniquement en
France, seules les ventes aux enchères étaient soumises à ce droit de suite et le taux était
unique, fixé à 3% et il était sans plafond. En dépit de la réforme qui paraît favorable aux
plasticiens, il n’est pas démontré qu’ils soient mieux servis par le nouveau système.
c) Mesures préventives
Le droit français de défense du droit d’auteur présente aussi certaines particularités,
s’agissant notamment de la défense du droit patrimonial en amont de la contrefaçon. Depuis
la loi du 1er août 2006, l’auteur a le droit d’utiliser des mesures préventives destinées à
empêcher les utilisations illicites de son œuvre. Deux sortes de mesures préventives lui sont
offertes. D’une part les mesures techniques de protection (les MTP) et d’autre part les
mesures d’information et d’identification des œuvres qui sont visées à l’article L331-2 du
CPI. On envisagera seulement les MTP ou encore DRM (Digital Right Management).
b) le droit européen
En dépit de toutes ces avancées, les principales divergences entre les droits persistent, y
compris à l’échelle européenne où de nombreuses directives sont apparues dès 1991.
Jusque-là force est de constater que l’harmonisation de la propriété littéraire et artistique
n’a jamais été la préoccupation du législateur européen, et elle n’est toujours pas sa priorité.
L’harmonisation européenne concernant les droits d’auteur s’est développée au cours de 20
dernières années dans le respect de l’acquis international. Elle s’est développée au moyen
de l’instrument de la directive qui oblige les États Membres à modifier leur législation
interne de façon à éliminer autant que possible les différences de traitement des droits
intellectuels qui empêchent la réalisation des objectifs libertaires du Traité sur le
Fonctionnement de l’Union européenne, tel qu’issu du Traité de Lisbonne de 2009. Dans le
domaine de la propriété littéraire et artistique la directive de 1991 a porté sur la protection
juridique des programmes d’ordinateurs, anticipant de la sorte l’obligation faite par l’ADPIC
de protéger ces œuvres là sur le terrain du droit d’auteur. C’est non seulement la première
directive mais aussi la seule dont le champ d’application est restreint au droit d’auteur
stricto sensu. Celle de 1992 porte sur le droit de location et de prêt. Celles de 1993 portent
l’une sur le satellite et le câble et l’autre sur la durée des droits, et cette dernière directive a
été modifiée par une directive en 2006. La directive de 1996 impose un régime de protection
des bases de données créant une nouvelle catégorie de droits voisins et un droit sui generis
sur l’information, texte, musique, image appartenant aux entreprises productrices de bases
de données. Les directives de 2001 concernent le droit de suite, et la protection des droits
d’auteurs et droits voisins dans la société de l’information. Il y a deux directives de 2001. La
directive « société de l’information » s’inscrit dans le droit fil du Traité de l’OMPI de 1996,
elle en reprend d’ailleurs de nombreuses dispositions. Elle a pour objectif d’inciter à des
réponses nationales harmonisées aux questions posées par la diffusion et la piraterie des
œuvres sur des supports numériques. Au-delà de son contenu vivement débattu,
controversé dans son application pratique, la directive de 2001 n’a vraisemblablement pas
atteint son objectif. En témoignent les remarques doctrinales parfois acides engendrées en
France par la transposition de la directive de 2001 par les lois de 2006 DADVSI et de 2009
HADOPI. Outre ces mesures qui témoignent d’une transposition originale et franco-française
d’une directive européenne, on peut dire sans crainte aucune que la directive de 2001 n’a
pas remédié aux disparités de traitement des droits d’auteur d’un pays à l’autre. Parce que
les nombreux points à la source des plus grandes disparités n’ont pas été traités. Ainsi par
exemple, la notion d’originalité n’a pas été définie, ou encore les questions de titularité ou
de droit moral n’ont pas été résolues, laissant subsister le grand écart entre le régime des
copyrights et celui des droits d’auteur. Depuis 2001, le droit dérivé du traité de Rome, porte
surtout sur les questions communes au droit intellectuel et sont surtout destinées à trouver
des solutions nationales harmonisées quant aux moyens de lutte contre la contrefaçon. En
effet, l’inflation de ce phénomène mondial en fait la préoccupation première des institutions
de l’Union européenne. Ainsi un règlement du 22 juillet 2003 est venu augmenter le champ
d’action des autorités douanières pour limiter l’entrée en Europe de marchandises
contrefaisantes. Une directive du 29 avril 2004 est par ailleurs venue renforcer l’efficacité
des procédures sanctionnant les atteintes au droit de la propriété intellectuelle qu’il s’agisse
de la propriété littéraire et artistique ou de la propriété industrielle.
Propriété intellectuelle
Brevets
La propriété industrielle est l’ensemble des règles relatives aux dessins et modèles
industrielles, aux brevets d’invention, aux marques, aux appellations d’origine et aux
indications de provenance. Il s’agit de droits privatifs portant sur des objets immatériels,
utilisés principalement dans le commerce et l’industrie mais aussi dans l’agriculture et
l’artisanat voire dans d’autres activités civiles ou publiques. Les monopoles sont accordés
aux titulaires de droit de propriété industrielle par dérogation au principe de liberté du
commerce et de l’industrie, si certaines conditions sont remplies au nombre desquelles
figure le dépôt obligatoire. Comme le droit d’auteur, le brevet est un titre de propriété qui
est apparu en France pendant la période révolutionnaire et concomitamment dans les autres
pays économiquement avancés de l’époque. L’Ancien Régime proposait des privilèges
d’exploitation et c’est en 1971 que la loi a instauré le brevet considérant que ce serait
attaquer les droits de l’homme dans leur essence que de ne pas récompenser les créateurs
de produits et de procédés nouveaux. Le droit des brevets trouve aujourd’hui sa source
française dans une loi de 1968 maintes fois réformée et codifiée depuis 1992 dans le livre 6
du CPI. Les brevets appartiennent à la catégorie des créations industrielles purement
utilitaires. Les dessins et modèles appartiennent quant à eux à la catégorie des créations
ornementales. Leurs régimes sont bien distincts en droit français comme dans l’ensemble
des systèmes juridiques. L’inventeur est un créateur mais il ne jouit pas d’un droit sur son
invention du seul fait de sa création, il doit impérativement demander à l’office compétent
un titre lui conférant un monopole d’exploitation temporaire sur sa découverte. Créé en
1951, l’INPI est l’office français habilité à recevoir les dépôts et à délivrer les titres nationaux
de propriété industrielle. Pour simplifier les démarches de dépôt dans chaque pays où la
protection est recherchée, de nombreux États comme la France n’ont pas tardé à signer des
traités multilatéraux permettant à leurs ressortissants ou résidants d’obtenir une protection
dans plusieurs pays en suivant une procédure unique, moins contraignante et moins
coûteuse. La convention de Paris signée en 1883 a posé quelques principes et quelques
règles applicables aux biens industriels. Outre le principe d’indépendance et celui de
réciprocité, présentés dans l’introduction générale de ce cours comme des constantes en
droit international de la propriété intellectuelle, la convention de Paris a instauré un délai de
priorité qui confère, on le verra, un avantage pratique considérable aux déposants de biens
industriels, marques, brevets ou dessins et modèles. La convention de Munich de 1973 a
quant à elle créé l’office européen des brevets et le traité de coopération signé à
Washington en 1970. La convention de Munich a instauré une procédure centralisée de
dépôt et d’examen des brevets que l’on dit européens. En pratique, que le dépôt soit
effectué directement auprès de l’INPI ou qu’il le soit directement auprès de l’office européen
des brevets, ce sont peu ou prou les mêmes conditions de brevetabilité qui s’appliquent
dans plus d’une trentaine d’États adhérents dont la France et dans tous les États Membres
de l’Union européenne. L’office européen des brevets qui comprend des organes
juridictionnels, une chambre de recours, constitue également une importante source
jurisprudentielle du droit européen des conditions de brevetabilité. Pour être enregistré à
titre de brevets, une création doit être déposée mais elle doit aussi répondre à certaines
caractéristiques au regard de ses qualités intrinsèques mais aussi de l’ordre public et des
bonnes mœurs. Une fois le titre délivré, son titulaire va pouvoir l’exploiter et faire
sanctionner les atteintes à son monopole. Toutefois certains droits et obligations spécifiques
pèsent sur le propriétaire du brevet. Nous étudierons d’abord les conditions de la protection
du brevet puis la teneur de ce droit de brevet. Les principaux apports du droit international
et du droit européen en matière de brevets seront précisés au fur et à mesure des
développements.
I. Conditions de la protection
a) Conditions de fond
La protection juridique de l’innovation participe de l’idée même du progrès. Le droit
résultant du brevet constitue un monopole qui restreint la circulation des connaissances
techniques et du commerce industriel. Ainsi le monopole n’est accordé que si certaines
conditions sont réunies. Outre les conditions de fond dont il sera ici question, la protection
est soumise à des conditions de forme qui seront envisagées plus tard. La présentation des
conditions de fond nous conduit d’abord à préciser qui peut prétendre à la titularité et
ensuite nous verrons les conditions de brevetabilité.
Conditions de brevetabilité
Les inventions brevetables sont celles qui répondent aux conditions de brevetabilité. Ces
dernières regroupent les qualités intrinsèques du bien intellectuel, celles lui permettant de
faire l’objet d’une appropriation par le droit du brevet. L’article L611-10, alinéa 1, pose les
critères positifs puis les exclusions du champ des brevets. Et ces dispositions reprennent
celles de la Convention sur le brevet européen. Ces dispositions ont été harmonisées à
l’échelle de l’OMC via l’accord ADPIC. Il y a pour ainsi dire 4 conditions quasi universelles de
brevetabilité. Première condition, on doit être en présence d’une invention laquelle n’est
pas définie positivement. Au contraire, le législateur indique les objets qui n’en sont pas.
Ainsi l’invention ne peut inclure ni les programmes d’ordinateur, ni les créations purement
esthétiques, ni les présentations d’information, ni les découvertes scientifiques ou méthodes
mathématiques. Les programmes d’ordinateurs tels que les logiciels ne sont pas des
inventions car ils sont protégeables sur le seul terrain des droits d’auteurs. Pour l’instant car
c’est un sujet vivement discuté. Les créations purement esthétiques ne sont pas non plus des
inventions car elles sont protégeables sur un autre terrain de la propriété intellectuelle. Les
découvertes et théories scientifiques ou méthodes mathématiques sont exclues de la
définition car elles sont des produits naturels de l’intelligence. Les plans, principes et
méthodes ne sont pas des inventions soit du fait de leur caractère abstrait, soit du fait de
l’absence de caractère technique, soit du fait encore de l’absence d’activité inventive. Les
présentations d’information ne sont pas des inventions non plus soit car elles se limitent à
une idée et une idée n’est pas brevetable soit parce qu’elles sont des œuvres de l’esprit,
comme par exemple le journal. La deuxième condition est celle, essentielle, de la nouveauté.
L’invention ne doit jamais avoir été rendue accessible au public. La loi précise qu’est
nouvelle une invention qui n’est pas comprise dans l’état de la technique, et que l’état de la
technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de
dépôt de la demande de brevets. L’état de la technique englobe également les dépôts de
demandes de brevets antérieurs. L’état de la technique correspond à une notion très large et
aucune restriction n’est prévue quant au lieu géographique, au mode de divulgation, à la
langue de divulgation, à la date à laquelle la divulgation a eu lieu. Il faut simplement qu’elle
soit antérieure à la date de dépôt de la demande de brevet. L’antériorité est donc
susceptible de faire obstacle à la nouveauté. L’antériorité est en principe constituée par la
divulgation de la même invention, peu importe que le déposant ait vraiment inventé lui-
même l’objet qu’il dépose. Il n’y aura pas d’antériorité si l’invention a seulement été
communiquée à une personne sous le sceau du secret. Il y aura antériorité si l’invention a
été divulguée au public. C’est cette notion de public qui permet donc de dire s’il y a ou non
antériorité. Par ailleurs, le document antérieur sera pertinent s’il contient suffisamment
d’informations pour permettre à l’homme de métier de réaliser l’invention en cause. En effet
selon la jurisprudence, une divulgation ne fait entrer l’invention dans l’état de la technique
que si elle est faite de manière à ce que les professionnels soient à même de la réaliser, ce
qui suppose qu’ils puissent discerner avec précision les composantes de l’invention. Enfin le
dépôt d’une demande de brevet est assimilé à une invention selon le texte de loi. En effet
bien que le brevet ne soit pas encore délivré ni publié, le simple dépôt de la demande
constitue une antériorité qui détruit la nouveauté. Lorsque deux personnes ont créé la
même invention, cette règle permet de donner la priorité au premier déposant. Quant à
l’auteur de la divulgation, il peut être toute personne y compris l’inventeur lui-même. Pour
obtenir le brevet, l’inventeur doit donc se garder de la révéler au public. Pour résumer,
l’invention nouvelle est celle qui n’a été ni rendue accessible au public, ni déjà déposée par
un tiers au jour du dépôt de la demande. Des exceptions au système de l’antériorité ont été
prévues par la loi. Les divulgations ne sont pas considérées comme des antériorités dans 3
cas. Premier cas, celui de la divulgation abusive : un tiers divulgue l’invention alors qu’il n’en
avait pas le droit par exemple car il était tenu par le secret. Si la demande de brevet est faite
par le véritable inventeur dans les 6 mois de la divulgation cette dernière ne vaudra pas
antériorité. Si la personne tenue par le secret a déposé l’invention, nous savons que cette
démarche vaut divulgation. Mais le véritable inventeur pourra revendiquer son invention
selon l’article L611-8 du CPI au plus tard 3 ans après la publication de la délivrance du titre, si
le déposant est de bonne foi ou bien après l’expiration du titre si le déposant est de
mauvaise foi. Et le revendiquant prendra alors la place de l’usurpateur selon l’article L611-13
du CPI. Autre cas, les divulgations officielles et les expositions publiques ne sont pas
considérées comme des antériorités par la loi. L’inventeur dispose alors d’un délai de 6 mois
pour déposer sa demande de brevets. La dernière hypothèse dans laquelle la divulgation ne
vaut pas antériorité du brevet, concerne celle où le droit de priorité peut jouer. Dans l’ordre
international on le sait, le droit de priorité unioniste a été consacré à l’article 4 de la
convention d’union de Paris. Le jeu de cette priorité est important dans l’appréciation de
l’antériorité opposable. Le déposant de brevet dans un État membre dispose d’un an pour
étendre sa demande telle quelle, dans d’autres États. Si la demande est acceptée le brevet
sera valable dans les autres États à la date du dépôt effectué dans l’État d’origine. L’article
L612-3 du CPI consacre par ailleurs un droit de priorité interne qui permet à l’inventeur de
faire une 1ère demande de brevet sommaire et de la compléter dans l’année. La 2nde
demande complète remplacera la première avec effet rétroactif. La condition de nouveauté
étant centrale et universelle, elle mérite encore quelques observations portant sur son
appréciation. L’appréciation de la nouveauté est délicate pour plusieurs raisons. D’abord car
elle est effectuée a posteriori. Avec des documents qu’il faut analyser comme l’aurait fait un
homme de métier à une date antérieure à la date de dépôt de la demande. L’appréciation
est aussi délicate car elle est subjective. En effet l’analyse des documents doit se faire au
regard de ce qui est explicitement exposé mais aussi au regard des connaissances inhérentes
à l’homme de métier. L’appréciation de la nouveauté est enfin délicate en présence d’une
antériorité. Parce que la nouveauté s’apprécie alors par rapport à l’antériorité et il faut
vérifier de plus que l’antériorité est certaine quant à son existence, sa date et son contenu.
S’il subsiste un doute à cet égard il doit en principe bénéficier au demandeur du brevet. Au
contentieux, l’appréciation de la nouveauté tend à répondre à des méthodes de
comparaison singulière en présence de certaines inventions telles que les inventions dites de
sélection ou encore les inventions pour la nouvelle application d’un médicament. Les
inventions de sélection font l’objet d’une appréciation technique à l’aide de critères
spécifiques. Pour aller ici à l’essentiel, on dira que les inventions de sélection sont réalisées
par la sélection d’éléments individuels qui n’ont pas été mentionnés explicitement dans l’art
antérieur. Pour apprécier la nouveauté d’une sélection, il faut rechercher si les éléments
sélectionnés ont été divulgués ou non antérieurement sous une forme individualisée. Si la
sélection s’est faite dans une liste unique déjà divulguée la condition de nouveauté n’est pas
remplie. Si en revanche la sélection des composantes a été établie à partir de deux ou
plusieurs listes, la condition de nouveauté est remplie. La question de la brevetabilité de la
seconde application thérapeutique a pu faire l’objet de débats importants en droit français
dans les années 80 et 90. Ce débat est définitivement clos depuis la révision de la
Convention sur le brevet européen en l’an 2000 et une loi française du 4 août 2008 qui
permet d’obtenir un brevet pour la nouvelle application d’un médicament. Il faut considérer
comme nouvelle l’application d’une substance comprise dans l’état de la technique pour une
utilisation quelconque qui n’est pas quant à elle comprise dans l’état de la technique. Les
médicaments sont brevetables selon le droit commun des brevets en France depuis une loi
1968 pour inciter la création de nouveaux médicaments. La loi de 2008 poursuit le même
objectif. Mais pour des raisons d’intérêt général tenant à des considérations de santé
publique, certaines restrictions ont été édictées par la loi du 25 juin 1990 relative à la durée
du brevet de médicament. Ces restrictions ont vocation à s’appliquer au brevet pour la
nouvelle application d’un médicament. En fait l’appréciation de la nouveauté se fait
différemment selon le type de brevet demandé. La loi en distingue 4 : Les brevets de
produits, les brevets de procédés, l’application de moyens connus, et la combinaison
nouvelle de moyens connus. Cette classification théorique conserve un intérêt pratique non
négligeable lorsqu’il s’agit d’apprécier la nouveauté mais aussi et surtout pour déterminer
l’ampleur de la protection sur le terrain de l’action en contrefaçon. Les brevets de produits
concernent des corps certains au moment où l’invention est réalisée. Des corps certains
ayant une composition mécanique ou une structure chimique particulière qui les distingue
des autres corps. Sont par exemple des brevets de produits le jouet RubixCube, l’ordinateur
ou la carte à puce. Les brevets de procédés visent pour la plupart des procédés de
fabrication qui ne doivent pas être confondus avec les produits fabriqués. Par exemple
Pasteur a pu breveter le procédé de fabrication du vinaigre grâce à certaines bactéries
permettant la fermentation du vin. Il existe d’autres procédés que la fabrication et
notamment la communication, par exemple le langage morse est un brevet de procédé de
communication. Lorsque le produit n’est pas breveté, seule l’utilisation du procédé sans
l’autorisation du titulaire du brevet constitue une contrefaçon. L’application nouvelle de
moyens connus peut par ailleurs être brevetée. Ce type de brevet vise l’emploi d’un moyen
connu pour obtenir un résultat industriel auquel ce moyen n’avait pas encore servi. Par
exemple un antibiotique déjà connu comme médicament pour l’homme peut être breveté
s’il permet à l’époque de son appréciation de favoriser la croissance des animaux. C’est une
application nouvelle d’un moyen connu. L’application nouvelle d’un médicament tombé
dans le domaine public, permise par la loi française du 4 août 2008, entre dans cette
catégorie. La combinaison nouvelle de moyens connus est un autre type de brevet consacré
par le législateur. Si la combinaison permet d’aboutir à l’invention d’un produit nouveau,
l’inventeur pourra déposer et protéger non seulement le brevet de produit mais aussi le
brevet de combinaison. Il est en France de jurisprudence constante qu’il y a combinaison et
non simple juxtaposition lorsque l’ensemble considéré a une fonction propre caractérisée
par la production d’un effet technique distinct de la somme des effets techniques de ses
composantes. Par exemple le crayon gomme n’a pas été jugé brevetable car il y a avait
simple juxtaposition de moyens. En réalité le rejet d’une demande de brevet au motif d’une
juxtaposition de moyens s’explique par le manque d’ingéniosité de l’idée même de
juxtaposition pour un homme de métier. Le brevet pourrait tout aussi bien être rejeté pour
manque d’activité inventive. Précisément, l’activité inventive est la troisième condition de
brevetabilité posée par les textes. L’activité inventive est une quasi-redondance par rapport
à la l’exigence d’invention, en nous rappelant que les simples découvertes sont exclues du
champ de la protection. Elle est beaucoup plus intéressante en ce qu’elle complète
l’exigence de nouveauté en ajoutant que l’invention doit être aussi en quelque sorte non
évidente pour mériter la protection. Comme l’a souligné André Françon, il y a un degré de
banalité et de simplicité au deçà duquel l’innovation technique ne mérite pas le titre
d’invention. Le critère de l’évidence technique qui ne laisse pas de place à l’aléa, doit aussi
être apprécié par l’homme de métier, la démonstration de l’activité inventive revient à
comparer l’invention à l’état de la technique antérieure et ce à l’aide de méthodes
probatoires éprouvées et de faisceau d’indices concordants démontrant la non-évidence de
l’invention. En cas de litiges, il convient de recourir à un expert du problème technique voire
le cas échéant à une équipe de recherche ou de production plutôt qu’à une seule personne,
notamment en matière de technologies avancées. Le litige peut avoir lieu après le dépôt et
ce d’autant plus qu’en France l’examinateur de l’INPI ne prend guerre en considération le
critère de l’activité inventive. En témoigne le nombre élevé de brevets français déposés puis
annulé pour manque d’activité inventive. La pratique de l’office européen des brevets est à
cet égard plus sérieuse car l’office européen s’efforce d’apprécier le critère de l’activité
inventive indépendamment du critère de nouveauté. Quatrième condition, l’application
industrielle. Elle a connu une évolution en France sous l’influence du droit international et de
la convention sur le brevet européen. Initialement la loi française imposait la condition de
l’effet industriel. L’article L611-15 lui préfère la possibilité d’application industrielle en
écartant les créations purement abstraites sans aucune application dans la vie concrète. Une
invention est susceptible d’application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé
dans tous genres d’industries y compris l’agriculture. L’évolution du droit français est
marquée par une indulgence dans l’appréciation de l’application industrielle, peu importe la
qualité du résultat technique ou les difficultés d’exploitation du bien. En pratique peu de
demandes de brevets sont écartées pour défaut d’application industrielle sans doute parce
que cette condition est en définitive peu exigeante. On notera que le Code édicte une règle
spéciale à l’article L611-16 pour dire que ne sont pas susceptibles d’application industrielle
les méthodes thérapeutiques applicables au corps humain. Si toutefois l’application d’une
telle méthode produit à la fois un effet esthétique et thérapeutique, le brevet ne sera valable
que si ces deux aspects sont dissociables. Ainsi par exemple il a été jugé que le procédé de
blanchiment des dents a ce double effet. Mais la Cour de cassation dans un arrêt remarqué
17 juin 2003, a rejeté la demande de brevet au motif que les deux effets étaient
inséparables. Telles sont les conditions de fond de brevetabilité de l’invention. Il convient
d’ajouter pour clore le sujet que l’influence de la révision de la convention sur le brevet
européen est importante. Le droit français a ajouté au texte de l’article L611-10 alinéa 1er la
référence au domaine technologique. Cette expression n’est pas anodine car elle a été
ajoutée pour prévenir un élargissement du domaine de la brevetabilité aux innovations non
technologiques et en particulier aux méthodes commerciales, aux « business methods » par
ailleurs protégées aux États-Unis. Le droit des brevets en Europe est pour l’heure
hermétique à cette évolution. On ne peut plus ignorer que l’évolution du domaine de la
brevetabilité est en France largement dictée par les mesures d’harmonisation prises soit à
l’échelle internationale dans le cadre de l’OMPI soit surtout à l’échelle plus réduite de
l’Union européenne. Ainsi la directive 98-44 du 6 juillet 1998 a consacré la brevetabilité des
inventions biotechnologiques, en permettant aux États membres de breveter la technique
qui consiste à utiliser des mécanismes biologiques ou des particules vivantes comme des
séquences de gênes ou des micro-organismes, pour créer des produits particuliers ou pour
produire des nouveaux procédés de fabrication. Autrement dit, on brevette le résultat. Ce
sont seulement les procédés ou les produits obtenus par ces procédés qui sont brevetables.
Cette mesure d’harmonisation a permis de rapprocher l’Europe des États-Unis sur la
brevetabilité du vivant. Cette mesure a aussi permis de valider la pratique de l’Office
européen des brevets qui accordait depuis longtemps des brevets aux inventions
biotechnologiques. Ainsi la souris Harvard, génétiquement modifiée a pu être brevetée en
1990. L’introduction de gènes cancérigènes dans la souris a permis de la transformer en un
animal de laboratoire destiné à faire avancer la recherche scientifique sur les traitements
contre le cancer. Or la pratique de l’Office européen des brevets pouvait sembler contraire,
ou entrer en contradiction à l’article 53 de la Convention sur le brevet européen qui compte
parmi les inventions non brevetables, celles portant sur les produits du corps humain ainsi
que celles portant sur les obtentions végétales et races animales. Cet article 53 dont on
retrouve les dispositions dans le texte français, a été imposé par la nécessité de santé
publique c’est à dire pour laisser à tous le droit d’utiliser les inventions nécessaires à la
protection de la santé et de la vie. Il semblerait pourtant que d’autres objectifs l’aient
emporté sur cette nécessité. Notamment l’objectif d’encourager les investissements
étrangers en Europe et promouvoir l’innovation, la recherche et le développement
scientifique dans le domaine des biotechnologies en y accordant des monopoles
d’exploitation. Désormais la Cour de justice est conduite à fixer les limites de la brevetabilité
du vivant en Europe. Ainsi dans l’affaire Monsanto tranchée par la Cour de justice le 6 juillet
2007, la Cour a rappelé que seul l’enseignement technique est brevetable et non l’être
vivant lui-même. Cette affaire concerne un brevet européen sur une séquence de gènes qui
rend le soja résistant aux herbicides. Le brevet porte sur la plante, le soja matière vivante, et
la question est quelle est l’étendue de sa protection. Est-ce que le brevet sur la plante
permet d’interdire à autrui d’utiliser un produit dérivé ? En l’occurrence il s’agissait d’une
matière morte, la farine contenant des traces de soja. L’affaire posée par la juridiction
néerlandaise à la Cour de Justice est intéressante sur le fond mais aussi parce que c’est la
1ère qui est venue préciser les limites à l’étendue de la brevetabilité du vivant en Europe. On
en retiendra qu’il n’y a pas de protection absolue du vivant, et que la brevetabilité est
limitée à l’utilisation prévue sans pouvoir s’étendre aux utilisations autres et dérivées.
Concernant le domaine de la brevetabilité, on vient de voir que l’Union européenne a pris
position sur les « business methods » et sur les biotechnologies. On peut ajouter qu’elle a
pour l’heure prévue d’écarter les inventions mises en œuvre par ordinateurs. En effet, la
proposition de directive européenne du 20 février 2002 qui visait à élargir le champ de la
brevetabilité aux logiciels n’a pas reçu l’accueil escompté et n’a donc pu aboutir. L’ADPIC n’a
pourtant pas interdit la brevetabilité du logiciel, à l’article 27, paragraphe 2. Toutefois
l’article 52, paragraphe 2, de la Convention sur le brevet européen a bien prévu que les
programmes d’ordinateurs ne sont pas des inventions mais sans autre précision. L’exclusion
des logiciels n’étant pas clairement énoncée dans le texte, l’Office européen des brevets a en
quelques sortes tiré profit de ce vide juridique ou de ce silence de la loi pour délivrer des
brevets européens sur les logiciels à condition qu’ils soient insérés dans un ensemble
technique. Sans entrer dans la polémique sur le sujet, on peut constater qu’en Europe,
comme aux États-Unis, il est possible d’obtenir un brevet sur les algorithmes mis en œuvre
par ordinateur. On peut constater aussi que la situation est source d’insécurité pour les
déposants dans les États membres de la Convention sur le brevet européen parce que tous
ne protègent pas les brevets logiciels qui sont délivrés par l’office européen. Et aussi parce
que, parmi les États qui les protègent, l’étendue de la protection n’est pas la même d’un
pays à l’autre.
b) Conditions de forme
La délivrance du brevet est conditionnée par le dépôt devant un office national ou un office
régional. Le dépôt est une condition d’existence du monopole. La délivrance du titre
commence par le dépôt d’une demande dont la date marquera la date d’acquisition du droit
de propriété le jour de la délivrance définitive du titre de propriété. Le formalisme revêtant
une importance particulière en matière de brevets, il faut apporter quelques précisions
concernant les trois étapes de la procédure, la demande, l’instruction de la demande et
enfin la décision de l’office.
Formalisme de la demande
La demande de brevets doit être déposée par le demandeur ou son mandataire. Les
personnes dont le domicile ou l’établissement est situé en dehors du territoire où le titre de
propriété est applicable peuvent jouir de la protection sous condition de réciprocité.
Toutefois l’article L611-1 du CPI prévoit que la personne non domiciliée sur le territoire de
l’Espace Économique Européen doit obligatoirement faire faire son dépôt par un mandataire
ayant son domicile, son siège ou un établissement dans un État parti à l’Espace Économique
Européen. Quel est le contenu de la demande ? La demande de brevet, qui depuis 2003 peut
s’effectuer en ligne, implique le dépôt de plusieurs pièces dans la langue de travail de
l’office, le français pour l’INPI, le français, l’anglais ou l’allemand pour l’Office européen des
brevets. Devant l’INPI, la langue étrangère peut être utilisée pour le dépôt mais une
traduction devra être fournie dans les deux mois. De même lorsqu’une pièce fait défaut, le
dossier peut être régularisé dans les deux mois. La demande comporte obligatoirement une
requête permettant non seulement d’identifier le demandeur et l’invention mais aussi de
préciser si la demande porte sur un brevet ou sur un certificat d’utilité. La demande doit
comporter en outre une description verbale et éventuellement graphique de l’invention.
Cette description doit être suffisamment claire et complète pour qu’un homme de métier
puisse exécuter l’invention. Cette exigence de clarté posée à l’article L612-5 du CPI
s’explique par la double fonction de la description : permettre la divulgation de l’invention et
d’autre part permettre d’interpréter les revendications. Les revendications forment le cœur
de la demande de brevets car elles ont pour objet de décrire le domaine de la protection. Le
déposant doit sur un document séparé définir l’objet de la protection demandée avec clarté,
précision, et en cohérence avec la description. Car les revendications font l’objet d’une
interprétation restrictive du fait que le brevet confère un monopole d’exploitation exclusif
sur un territoire défini par dérogation à la liberté du commerce et de l’industrie. Par
conséquent tout ce qui n’est pas expressément revendiqué est automatiquement exclu du
monopole d’exploitation du brevet. Le formalisme est poussé, le préambule doit désigner
l’objet et ses caractéristiques techniques nécessaires à la définition des éléments
revendiqués mais qui combinées entre elles font partie de l’état de la technique. La partie
suivante expose les caractéristiques techniques pour lesquelles la protection est recherchée.
La demande de brevet ne peut concerner qu’une seule invention ou bien plusieurs
inventions mais alors à condition qu’elles soient liées entre elles ne formant qu’un seul
concept inventif général. Par exemple, si l’invention est un procédé nouveau permettant de
fabriquer un produit nouveau, l’inventeur pourra déposer une seule demande globale pour
protéger le procédé et le produit. Il n’est en revanche pas permis de décrire plusieurs
inventions dans une seule demande. Autrement dit, la demande qui ne porte pas sur un
concept inventif unique est une demande complexe et à partir du moment où elle est une
demande complexe, elle doit être divisée. Si la demande est jugée complexe par l’office, un
délai est imparti au demandeur pour diviser sa demande ou limiter ses revendications. A
titre facultatif le dossier peut comporter un abrégé du contenu technique de l’invention ainsi
que le cas échéant une copie des dépôts antérieurs dont les éléments sont repris. L’abrégé
qui peut éventuellement être rédigé par l’office ne contribue pas à préciser l’étendue de la
protection. La demande de brevets est publiée par l’INPI au Bulletin officiel de la propriété
industrielle, le BOPI, dans les 18 mois à compter de la date de son dépôt, cette publication
constitue une opération de divulgation car elle permet au public de consulter la demande de
brevet. Quels sont les effets du dépôt ? Le dépôt ne fait pas naitre directement et à lui seul
le droit de propriété mais il produit plusieurs effets juridiques. On relèvera à cet égard que la
date du dépôt fait naître le droit de priorité ainsi que le droit d’agir en contrefaçon pour une
durée de 20 ans à condition que le brevet soit effectivement délivré à la suite de la phase
d’instruction de la demande. Le droit de priorité au bénéfice du demandeur, naît à la date du
dépôt, il est l’un des apports principaux de la Convention d’union de Paris. Le déposant jouit
en vertu de l’article 4 d’un délai pour effectuer le dépôt pour le même bien intellectuel dans
tous les États membres. En substance cet article permet de déposer une demande dans un
pays membre tout en bénéficiant dans ce pays d’une priorité à la date du dépôt effectuée
dans le pays d’origine on l’a vu. Il faut cependant que le déposant agisse dans le délai qui lui
est imparti c’est à dire dans le délai d’un an s’il dépose un brevet. Ce délai de priorité est
étendu depuis les accords ADPIC à l’ensemble des pays membres de l’OMC. La convention
sur le brevet européen et le CPI ont prévu que le demandeur qui souhaite se prévaloir de la
priorité du dépôt antérieur sera tenu de produire une déclaration de priorité et de justifier
de l’existence de la demande antérieure. La déclaration de priorité précise la date du dépôt
antérieur, mais aussi l’État dans lequel il a été effectué et le numéro qui lui a été attribué.
Elle peut être corrigée dans un délai de 16 mois à compter du dépôt de la déclaration. De
même, les dispositions de l’article L612-16-1 du CPI, ont prévu la possibilité pour le
demandeur qui n’a pas respecté le délai de priorité de présenter un recours pour motifs
légitimes en vue d’être restauré dans son droit de priorité. Ce recours n’est recevable que s’il
est présenté avant la publication de la demande de brevet. Ce droit de priorité unioniste
n’est pas un accessoire de la demande de brevet, c’est un élément indépendant de la
demande qui peut être cédé à un tiers, en effet l’exercice de la priorité n’est pas
nécessairement le fait du déposant initial. Ce droit de priorité unioniste est distinct de la
priorité de 12 mois accordée pour effectuer un nouveau dépôt concernant une invention
totalement ou partiellement identique tout en bénéficiant de la date de dépôt de la
première demande, c’est la priorité interne dont on a parlé et qui permet de profiter d’un
délai pour parfaire sa demande ou la corriger, son régime est fixé en France à l’article L612-3
du CPI. La date de dépôt est aussi le point de départ du calcul de la durée du monopole sur
le brevet. Théoriquement, c’est aussi la date à partir de laquelle il est possible d’engager une
action en contrefaçon. Or en pratique à la date du dépôt, personne d’autre que l’inventeur
ne connaît l’invention et personne ne peut par ailleurs prédire avec certitude la décision de
l’office. Les législateurs européen et français ont donc prévu une même solution de
compromis entre les intérêts de l’inventeur et ceux des tiers. Le titulaire de la demande est
recevable à agir en contrefaçon sans attendre la délivrance du brevet pour des faits
antérieurs à la publication de la demande mais à condition de porter la demande de brevet à
la connaissance du contrefacteur et ce par une copie certifiée conforme. A partir de ce
moment, le tiers ne peut plus prétendre ignorer l’existence de la demande. Cependant parce
que le brevet n’est pas encore délivré, l’article L612-15 du CPI impose au demandeur du
brevet de solliciter au préalable l’établissement d’un rapport de recherche visant à se
prononcer sur la nouveauté et l’activité inventive. Par ailleurs l’article L615-4 du CPI impose
au tribunal saisi d’une action en contrefaçon de surseoir à statuer jusqu’à la délivrance du
brevet. Et si la demande de brevet est rejetée par l’Office, le tribunal devra débouter le
demandeur du chef de la contrefaçon. Toutefois si le demandeur a pris le soin d’agir en
parallèle sur le terrain de la concurrence déloyale ou des agissements parasitaires, le
tribunal pourra décider de condamner le défendeur sur ce fondement. Est une contrefaçon
au regard des articles L613-1 et L615-4 l’exploitation de l’invention par un tiers non autorisé
et ce, à partir de la publication de la demande de brevet ou à défaut de la notification du
dépôt par le déposant au tiers défendeur. Le dépôt produit également des effets sur
l’obligation d’exploitation qui incombe au titulaire du brevet. Puisque le droit exclusif prend
effet rétroactivement à la date de la demande de brevet, on peut aussi se demander si le
déposant a l’obligation d’exploiter son brevet dès la date du dépôt. En effet le breveté doit
exploiter ou faire exploiter son monopole sous peine de se voir imposer une licence non
volontaire. La loi n’impose pas pour autant une exploitation immédiate du brevet. Au
contraire l’article L613-11 dispose que la licence ne pourra être imposée qu’après un délai
de 3 ans après la délivrance du brevet ou de 4 ans après le dépôt de la demande, et en cas
de contentieux il convient de retenir le délai le plus long des deux. Le dépôt produit enfin
des effets sur la liberté de divulgation. A compter de la date de dépôt, il est possible de
divulguer l’information, de la publier, de la présenter au tiers. L’article L612-8 du code
prévoit toutefois que l’INPI porte ces demandes de brevet à la connaissance du ministre
chargé de la Défense. Il prévoit aussi que les inventions doivent se voir accorder une
autorisation du ministre chargé de la propriété industrielle pour pouvoir être exploités et
ensuite divulgués librement. Cette autorisation est acquise de plein droit au terme d’un délai
de 5 mois à compter du jour du dépôt de la demande de brevets. Le contrôle de la
divulgation par le ministère de la défense peut aboutir à ce que l’État demande soit à se faire
consentir une licence auquel cas l’inventeur ne peut pas la lui refuser, soit à exercer son
pouvoir discrétionnaire d’expropriation du bien. L’article L613-20 autorise l’État à exproprier
les inventions à tout moment et par décret à des fins militaires ou plus généralement pour
répondre aux besoins de la défense nationale. Il s’agit ici en définitive de permettre une
expropriation mobilière, ce qui est peu commun. La procédure prévue par le droit français
est sans doute moins protectrice du droit de propriété que ne l’est la procédure
d’expropriation immobilière. A défaut d’accord amiable entre l’inventeur et l’État,
l’indemnité d’expropriation est fixée par le TGI, il n’y a pas de procédure de contrôle de
l’utilité de l’expropriation telle que celle prévue pour les immeubles.
Examen de la demande
Même si l’État a un droit de regard sur les dépôts, une fois la demande régulièrement
déposée, son instruction relève de la compétence de l’Office. Sous l’empire de la loi
française de 1844, le brevet était délivré sans examen préalable de la brevetabilité, les
demandes étaient tout simplement enregistrées sauf si elles étaient contraires à l’ordre
public et aux bonnes mœurs. C’était un système bien moins contraignant pour le déposant
que celui de l’examen préalable qui a été mis en place en 1968 pour donner plus de sécurité
et de valeur au brevet. L’examen préalable que l’on connaît porte sur la recevabilité du
dossier et sur certaines conditions de brevetabilité mais non sur les antériorités. De fait, il ne
garantit pas la délivrance d’un titre incontestable. L’INPI se prête néanmoins à un examen
technique et de recherche assez long, ce double examen débouche sur une décision de
délivrance ou de non-délivrance d’un titre de propriété opposable aux tiers. Dans le cadre de
la Convention sur le brevet européen, l’office européen est chargé des principales missions
des offices nationaux à l’exception de la délivrance d’un titre de propriété opposable
puisque cette mission demeure de la compétence exclusive des offices nationaux. La
procédure d’examen simplifiée devant l’office européen des brevets permet néanmoins
d’obtenir un titre valable dans chacun des pays membres de la Convention sans avoir à subir
un nouvel examen auprès des offices nationaux. La procédure est simplifiée et plus rapide.
Toutefois la création d’un brevet unitaire européen s’accompagnera nécessairement de la
consécration de la compétence de l’office européen des brevets pour délivrer ce titre unique
opposable aux tiers sur tout le territoire européen. Dans le cadre d’un premier examen
formel, technique et sommaire de la demande de brevet, l’office filtre les demandes, il peut
rejeter les règles pour non-conformité aux exigences de forme posées en France par les
dispositions législatives et réglementaires. L’office rejettera la demande dont la description
et les revendications ne permettent pas d’établir un rapport de recherche. L’office
examinera sommairement les conditions de fond de la brevetabilité à l’exclusion de l’activité
inventive et de l’application industrielle. L’office ne pourra pas rejeter la demande en raison
de l’existence d’une antériorité. De même il refusera toute demande portant sur un objet
exclu du domaine brevetable par la loi, par exemple les obtentions végétales ou les
découvertes scientifiques. Après ce 1er examen formel, l’office établit un rapport de
recherches approfondies sur les éléments de l’état de la technique qui peuvent être pris en
considération pour apprécier la brevetabilité de l’invention. La recherche effectuée permet
de révéler l’existence d’antériorités. Elle n’a qu’un rôle informatif et ne produit pas d’effets
juridiques. L’INPI délègue ce travail à l’Office européen des brevets situé à La Haye, chargé
d’établir un rapport en deux étapes. En premier lieu un rapport de recherches préliminaires
qui doit citer les documents pour apprécier la nouveauté de la demande, l’objet de la
demande et l’activité inventive. Depuis 2007, le rapport est obligatoirement assorti d’une
opinion sur la brevetabilité. Le rapport et l’opinion sont notifiés au déposant et publiés en
même temps que la demande de brevet. Le déposant devra tenir compte de ce rapport pour
y répondre en modifiant sa demande. S’il ne présente pas ses observations ou si les
observations ne sont pas retenues, l’office pourra rejeter la demande. En deuxième lieu,
l’office doit établir le rapport de recherche définitif qui tient compte des modifications et des
observations du déposant ou des tiers. Ce rapport permet de renseigner sur la nouveauté et
l’activité inventive de l’invention. L’Office a l’obligation de délivrer le brevet même en
présence d’antériorité révélée dans le rapport. En définitive, l’Office national prendra sa
décision de délivrance ou de rejet en se fondant sur l’examen technique et le rapport
préliminaire.
On ajoutera ici quelques mots sur les stratégies de dépôt de brevet pour tenir compte de la
procédure internationale dite PCT, issue du Patent Cooporation Treaty, signée à Washington
en 1970 mais aussi pour tenir compte de la procédure communautaire aboutissant à la
délivrance d’un brevet unitaire européen. La convention PCT a mis en place depuis 1978 un
système de dépôt international administré par l’OMPI. Son objectif est de réduire le coût et
de faciliter l’obtention des titres de propriété dans différents États en mutualisant la
procédure entre pays y compris la recherche documentaire. Le déposant fait sa demande
auprès de l’office national ou de l’office européen qui peut déléguer la recherche
documentaire et faire procéder à la demande du déposant à un examen préliminaire des
conditions de brevetabilité. En France les demandes internationales doivent être en vertu de
l’article L614-18 du CPI, formulées auprès de l’INPI par des personnes physiques ou morales
ayant leur domicile ou leur siège social en France. La demande peut désigner tous les États
membres sachant qu’il y en a actuellement près de 140 dont les États-Unis et maintenant la
Chine mais pas le Japon ni la Grande Bretagne par exemple. Seul un dépôt national est donc
possible dans les pays non-membres de la convention PCT. La priorité unioniste peut être
invoquée dans le délai d’un an fixé par la Convention d’union de Paris. L’OMPI adresse aux
offices désignés les résultats du test PCT et chaque office décide librement de la délivrance
d’un brevet couvrant son territoire. Autrement dit les offices nationaux ne sont tenus par les
résultats au test PCT, ils demeurent souverains quant à la délivrance du titre de propriété. Si
les États désignés sont membres de la convention de Munich, la convention sur le brevet
européen, le déposant pourra faire ce que l’on appelle une demande de dépôt Euro-PCT,
c'est-à-dire une demande internationale comportant une désignation européenne. Cette
procédure Euro-PCT n’est pas administrée par l’OMPI mais par l’OEB. Elle est moins couteuse
que la procédure PCT dès lors que plus de 10 pays sont visés dans le dépôt. Dans le cadre de
la procédure Euro-PCT, l’office européen décide de la délivrance du brevet dans tous les pays
membres, dans tous les 34 pays membres de la Convention sur le brevet européen.
Autrement dit le brevet européen éclate en un faisceau de brevets nationaux, les offices
désignés sont liés par les résultats du test effectué par l’office européen. Les deux
procédures présentent des avantages communs par rapport à la procédure de dépôt
national. En effet, le déposant peut demander une protection dans tous les pays membres et
bénéficier d’un délai de 30 mois pour valider cette demande internationale dans chacun des
États où la protection a été automatiquement demandée. Ce temps de réflexion permet
d’éviter d’importantes dépenses pendant les 30 premiers mois sans jamais renoncer à la
possibilité de protéger son invention dans un grand nombre de pays, tout en bénéficiant le
cas échéant d’un droit de priorité unioniste qui aura été activé dans le délai de 12 mois à
compter de la demande de dépôt dans le pays d’origine. L’avènement du brevet unitaire
européen permettra de remédier aux inconvénients des brevets européens qui en dépit
d’une procédure centralisée restent régis par les lois nationales en cas de contentieux. Le
brevet unitaire européen relèvera d’une loi unique et d’une juridiction unique. Son
avènement permettra par ailleurs de créer un lien entre le système PCT et la procédure
communautaire de dépôt de sorte que les déposants auront une possibilité supplémentaire
en termes de stratégie. Faire une demande internationale désignant un brevet unique
valable sur tout le territoire de l’UE et vice versa, c’est à dire faire une demande de brevet
unitaire désignant les pays membres de la convention PCT. La communautarisation du droit
des brevets est envisagée depuis 1975 mais l’Europe a rencontré une série de points de
désaccord et de blocage politique, en dépit de l’évidence de l’intérêt d’un brevet unique
pour encourager les investissements privés en recherche et développement en Europe.
Outre l’insécurité juridique liée à l’absence d’une juridiction centralisée chargée des litiges et
d’un droit unifié applicable à tous les brevets européens, force est de constater que de nos
jours un brevet européen coûte jusqu’à dix fois le prix d’un brevet américain. Il est question
avec le brevet unique de réduire de près de 80% les coûts actuellement supportés par les
entreprises notamment en évitant nombre de frais de traduction. La proposition de
règlement du Conseil du 1er août 2000 a prévu de donner au dépôt du brevet unique un
effet déclaratif de droit, a également prévu un dispositif de droit international privé
spécifique quand l’inventeur est un salarié. Évidemment tout le régime du brevet a été
réfléchi et défini, des conditions du dépôt à la durée du monopole fixée à 20 ans en passant
par le paiement des taxes annuelles, le régime des licences, le contenu et les limites du
monopole etc. La juridiction exclusive chargée des litiges relatifs à la validité du brevet
unitaire et à la contrefaçon devait à l’origine s’intituler « juridiction du brevet européen et
du brevet communautaire », il est désormais question d’un tribunal du brevet unique
européen dont le siège serait à Paris. Le désaccord sur le siège du tribunal est cependant
désormais à l’origine du blocage politique à la signature de l’accord sur le brevet unitaire
valable dans 25 pays de l’Union, l’Espagne et l’Italie n’y participeront pas.
Droit patrimonial
Exceptions
Au titre des exceptions au droit de propriété, le CPI a prévu à l’article L613-5 que certains
actes ne nécessitent pas d’autorisation en considération de leur finalité. Il en va ainsi des
actes accomplis dans un cadre privé et à des fins non commerciales, il en va ainsi des actes
accomplis à titre expérimental et aussi des préparations magistrales, un médecin peut par
exemple prescrire à ses patients une préparation exécutée par une officine de pharmacie, le
titulaire du brevet sur la préparation ne pourra pas s’y opposer. Ensuite l’exploitation de
l’invention peut être permise à un tiers en considération de sa personne. Il peut s’agir de
l’inventeur qui n’a pas déposé son invention à temps. L’antériorité et la possession du brevet
de bonne foi lui confèrent le droit d’exploiter son invention selon l’article L613-7 alinéa 1. Si
la possession personnelle antérieure est établie, l’inventeur premier n’encourt pas la
contrefaçon même si un autre inventeur a pu déposer avant lui la même invention qu’il
aurait créée de son propre fait. Il est acquis que la charge de la preuve de l’antériorité et de
la bonne foi incombe à celui qui invoque le bénéfice de la possession. En France il n’est pas
nécessaire que l’invention fasse l’objet d’une exploitation pour revendiquer la possession. En
revanche il existe une contrainte territoriale pour les titres obtenus en France, il faut prouver
la possession sur le territoire français, il est impossible de revendiquer cette exception au
droit de propriété pour une possession personnelle antérieure acquise sur un autre
territoire. La reconnaissance de la possession antérieure de bonne foi ne permet pas
cependant pas en l’état du droit positif français de revendiquer la paternité de l’invention. Et
certains auteurs peuvent le regretter. Au nombre des autres exceptions au droit patrimonial
du brevet, il faut compter le jeu de la règle de l’épuisement du droit. Règle commune à
toutes les catégories de droits intellectuels et règle qui est consacrée en droit interne
comme à l’échelle de l’Union européenne. Il s’agit en effet d’une règle transversale et elle
est à l’origine une construction de la Cour de Justice. La Cour de Justice continue depuis que
sa règle a fait l’objet d’une consécration législative, à en préciser le sens et l’étendue. Donc
selon cette règle de l’épuisement consacrée pour le brevet national à l’article L613-6 du CPI
la première mise en circulation sur le marché français d’un produit couvert par un droit
intellectuel épuise le droit d’autoriser la commercialisation du bien. Cela signifie que pour
l’avenir, les ventes et reventes successives seront libres pour les tiers, l’autorisation donnée
au premier distributeur vaudra pour les autres. On retrouve cette règle de l’épuisement dans
le droit dérivé du traité. Les textes d’harmonisation et d’unification de la propriété
intellectuelle l’ont en effet consacré. La règle de l’épuisement intracommunautaire pose une
limite au droit de s’opposer aux importations parallèles en provenance d’autres pays. Ainsi la
première mise en circulation du bien intellectuel dans le commerce de l’Espace Économique
Européen par le titulaire ou avec son consentement épuise le droit d’autoriser ou d’interdire
la commercialisation des produits au sein du marché unique. En cas d’épuisement, le
propriétaire du bien intellectuel conserve néanmoins le droit de s’opposer aux importations
en provenance des pays extérieurs à l’Espace Économique Européen. Autrement dit, si le
droit de 1ère mise en circulation à l’intérieur de l’Espace Économique Européen est
épuisable, ce droit est inépuisable en cas de première mise en circulation à l’extérieur de cet
espace européen. L’autorisation donnée pour le premier franchissement du territoire
national vers un autre territoire de l’Espace Économique vaudra pour tous les autres
franchissements. Il existe des situations particulières qui font exceptions au jeu de
l’épuisement. Ainsi par exemple c’est le cas en matière de brevet, comme l’a précisé la Cour
dans l’affaire Farmon c/ Heuscht de 1985, lorsque l’exploitation en cause fait l’objet d’une
licence imposée, en l’espèce il s’agissant d’une licence obligatoire. Dans ce cas en effet
l’exploitation du brevet échappe au titulaire du droit. Cette règle de l’épuisement apporte
une limite à l’exercice libre du droit de propriété. Et cette règle n’est pas pour autant
consacrée par le droit conventionnel international. Au contraire, l’ADPIC a volontairement
dans son article 6 laissé aux pays membres de l’OMC toute latitude pour mener leur propre
politique sur les importations parallèles. Et pour cause, un tour d’horizon des politiques
nationales sur le sujet montre à quel point la solution européenne fait figure d’exception.
b) Portée du droit
Une fois que le brevet est délivré, le titulaire va pouvoir l’exploiter pécuniairement, être plus
offensif et le défendre contre les tiers sur le terrain de la contrefaçon. Autrement dit, il va
pouvoir mettre en œuvre son droit de brevet. Pour cerner l’exacte portée du droit de brevet,
nous allons envisager successivement le régime de l’exploitation du droit puis celui des
sanctions.
Exploitation libre
Le breveté peut exploiter son bien et il a le loisir de le faire lui-même directement en gardant
l’usage et la jouissance du brevet. Cependant le breveté a aussi et surtout un devoir
d’exploitation. A défaut de l’exécuter, il risque d’être forcé d’octroyer une licence au tiers
demandeur. Nous ne parlerons pas d’obligation d’exploitation dès lors que la sanction n’est
pas l’exploitation forcée par le titulaire ni même l’exploitation forcée par le tiers demandeur,
sauf pour le cas des licences d’office dans l’intérêt de la défense nationale. Si aucun tiers ne
fait la demande de licence, le brevet reste inexploité jusqu’à ce qu’un candidat se présente.
Certaines règles sont propres à l’exploitation libre, d’autre à l’exploitation forcée. On parle
d’exploitation libre lorsqu’elle est l’objet de contrat de cession ou de licence. Le premier est
une vente, le second une variété de louage. Le brevet peut aussi être nanti au profit d’un
créancier du breveté. Le brevet peut aussi être apporté à une société et le breveté recevra
en contrepartie de cet apport en nature des parts ou des actions au lieu d’une rémunération.
Quels qu’ils soient, les contrats portant sur les brevets sont soumis à des règles communes.
Tout d’abord les contrats sont soumis à une condition de forme, ils doivent être constatés
par écrit sous peine de nullité. Ensuite pour être opposables aux tiers, les contrats doivent
être inscrits au registre national des brevets, selon l’article L613-9 du CPI. Cette formalité
revêt une importance pratique non négligeable en cas d’opérations successives sur le même
brevet car c’est alors le premier contrat publié qui l’emportera quelle que soit la date de
conclusion des autres contrats sauf bien sûr en cas d’une inscription au registre effectuée de
mauvaise foi. La formalité d’inscription est par ailleurs essentielle pour agir en défense du
brevet car le cessionnaire ou licencié qui n’a pas publié ne peut pas agir en contrefaçon
contre les tiers. Il existe aussi des règles spéciales applicables aux différents types de
contrats. La cession de brevets présente quelques particularités. Ainsi par exemple l’article
L613-8 du CPI permet la cession partielle de l’invention. L’étendue de la cession peut être
limitée et ne porter que sur certains aspects de l’invention. La licence de brevet obéit aussi à
des règles spéciales, par exemple l’INPI offre au breveté la possibilité de faire une offre
publique de licence par son intermédiaire. On parlera alors de licence de droit. La licence
contractuelle consiste quant à elle en une autorisation d’exploiter tout ou partie des droits
résultants d’un brevet ou d’une demande de brevet. La jurisprudence a pu édicter certaines
règles applicables aux licences contractuelles. Elle a notamment adopté une position
particulière dans le cas où le brevet est annulé en justice. Au lieu de considérer que le
contrat n’a jamais existé parce que l’annulation produit un effet rétroactif, la Cour de
cassation a refusé de restituer les redevances versées avant l’annulation au motif que la
cause de l’obligation de payer les redevances résidait dans les prérogatives dont le licencié a
pu jouir jusqu’à l’annulation. Cette jurisprudence en date du 28 janvier 2003 déroge au droit
commun des contrats selon lequel la cause du contrat, condition de sa validité, est
considérée comme n’ayant jamais existé avant l’annulation. Quant aux effets spéciaux de la
licence contractuelle, on retiendra que le contrat n’a pas pour effet de transférer le droit
réel, mais se limite à créer des obligations à la charge des parties. La licence peut être
exclusive, le concédant a alors l’obligation de ne pas consentir d’autres licences sur le même
brevet à des tiers. Mais dans le silence du contrat, la licence est réputée simple. En France
on relèvera que la jurisprudence est divisée sur le point de savoir si le concédant peut
exploiter lui-même l’objet d’une licence exclusive. Plusieurs auteurs dont Albert Chavanne et
Jean-Jacques Burst se prononcent en faveur du droit d’exploiter que la licence soit simple ou
exclusive.
Exploitation forcée
L’exploitation du brevet peut être forcée. Outre le cas d’expropriation pour les besoins de la
défense nationale dont on a déjà parlé, il y a les règles propres aux licences obligatoires à
l’article L613-11. Ces règles sont applicables à la situation où une personne désirant exploiter
un brevet se heurte au refus du propriétaire. Il peut sous certaines conditions, obtenir du
TGI une licence d’exploitation, trois ans après la délivrance du brevet ou quatre ans après le
dépôt de la demande. Le demandeur devra surtout établir les insuffisances de l’exploitation
ou son inexistence et fournir la preuve qu’il détient quant à lui les moyens d’exploiter
l’invention. Il y a un cas particulier de licence obligatoire, le cas où l’invention a fait l’objet
d’un perfectionnement qui est breveté au profit d’une autre personne que le titulaire du
brevet d’origine dit « brevet dominant ». En pareil cas, le titulaire du brevet de
perfectionnement doit pour pouvoir l’exploiter obtenir auprès du TGI, une licence de
dépendance, laquelle est prévue à l’article L613-15 du CPI. Le régime des licences
obligatoires lui est applicable et il l’est aussi depuis la loi du 6 août 2004 aux brevets portant
sur les biotechnologies et ce même en l’absence de perfectionnement. D’autres dispositions
s’appliquent enfin aux licences d’office sachant qu’il existe 3 régimes distincts selon qu’elles
sont délivrées dans l’intérêt de la défense nationale, de la santé publique ou de l’économie
nationale. En bref on peut dire que plus l’intérêt est grand plus ces licences-là sont faciles à
obtenir.
Régime des sanctions
Mesures préventives
Comme pour la propriété littéraire et artistique, la sanction du droit de propriété industrielle
est la contrefaçon. Généralement précédée d’une mesure provisoire, dont la saisie-
contrefaçon, que le code envisage comme un moyen de preuve de la contrefaçon. La
juridiction civile peut être saisie en référé ou sur requête pour ordonner toute mesure
préalable de nature à faire cesser la contrefaçon. Le code ouvre aux industriels une action
préventive nommée « action en déclaration de non-contrefaçon ». Il s’agit de leur éviter par
ce biais la menace que constitue pour eux l’action en contrefaçon qui serait intentée par les
titulaires de brevets. Cette mesure préventive permet de vérifier que les produits ne sont
pas contrefaisants et de mettre un terme aux doutes sur la régularité des actes
d’exploitation. En effet, l’interprétation des revendications contenues dans les demandes de
brevets n’est pas toujours aisée. Cette action préventive est soumise à deux conditions qui
devront être remplies. L’industriel demandeur doit d’une part justifier soit d’une exploitation
industrielle, soit de préparatifs sérieux, et d’autre part l’industriel doit demander son avis au
titulaire du brevet. Si le titulaire du brevet émet un avis favorable et ne s’oppose pas à
l’exploitation demandée, il s’engage en quelque sorte par la même à renoncer pour l’avenir
à intenter une action en contrefaçon. C’est en tout cas ce que pense la majorité de la
doctrine française. Si le titulaire du brevet ne répond pas au bout de 3 mois ou s’il émet
explicitement un avis négatif en s’opposant à l’exploitation, l’industriel peut soit renoncer à
l’exploitation, soit saisir le TGI en vue de faire juger que le brevet ne fait pas obstacle à
l’exploitation en cause. Le juge est ici conduit à se prononcer sur la contrefaçon mais
seulement dans une certaine mesure. Si le juge déclare qu’il n’y a pas contrefaçon, le
titulaire du brevet n’aura plus le droit d’agir en contrefaçon à l’encontre de l’industriel mais
si le juge refuse de faire cette déclaration, le juge ne dira pas pour autant qu’il y a
contrefaçon. L’exploitant qui était dans le doute aura alors intérêt à cesser son exploitation
litigieuse ou bien à obtenir l’autorisation expresse du titulaire des droits sur le brevet.
I. Conditions de la protection
Tous les signes ne peuvent pas être choisis comme marque. Certaines conditions doivent
obligatoirement être remplies. Puis d’autres conditions permettent le maintien du droit de
propriété. Au sein de cette partie du cours consacrée aux conditions de la protection, on
exposera d’abord les conditions d’acquisition de la protection, d’appropriation de la marque
en distinguant les conditions de fond des conditions de forme. Nous verrons ensuite les
conditions de la perte du monopole. En France la marque n’est protégée sur le terrain du
droit des marques que si elle a été déposée à l’INPI ou devant l’OHMI s’il s’agit d’un titre
communautaire. Le dépôt français comme le dépôt communautaire produit un effet
constitutif de droit. Le droit appartient au premier déposant et non au premier usager. Ni la
convention d’union de Paris, ni l’ADPIC, ni la directive de 1988 n’ont cependant imposé cet
effet constitutif de droit au dépôt ce qui explique les divergences nationales à cet endroit. Le
dépôt pourra dans certains pays comme aux États-Unis ou en Allemagne produire un effet
déclaratif de droit. Le dépôt est obligatoire et fait présumer la propriété mais le droit de
propriété sur la marque appartient au premier usager. A l’échelle de l’Europe, la directive de
1988 n’a pas imposé le principe de dépôt constitutif de droit mais elle a en revanche
harmonisé presque tout le régime des marques national dont notamment les conditions de
fond de la validité du titre. Bien que la directive n’ait pas définie la marque, on trouve dans
le texte des indications sur les signes susceptibles de constituer une marque en Europe.
Nous exposerons d’abord les trois principales conditions de fond avant d’exposer
séparément la condition supplémentaire de représentation graphique. Toutes sont
communes au droit français et au droit européen.
a) Conditions de fond
Conditions de distinctivité, de disponibilité et de licéité
Le signe choisi doit être distinctif, disponible et licite selon les dispositions du droit français
conformément aux dispositions de la directive de 1988 et le règlement de 1994 sur la
marque unitaire.
La distinctivité
Qu’est-ce que la distinctivité ? Le signe doit servir à distinguer les produits ou services selon
les articles L711-1 du CPI et article 4 du Règlement. La fonction essentielle de la marque est,
en effet comme l’a énoncée la cour de justice, de « garantir à l’utilisateur final l’identité
d’origine du produit ou service désigné par la marque ». On ne parle pas de nouveauté
comme en matière de brevet ou d’originalité comme en matière de droit d’auteur, on parle
de distinctivité qui peut présenter plusieurs degrés. Mais il suffit que la marque soit
suffisamment distinctive pour être protégée. La condition ne fait pas l’objet d’une définition
positive par les textes, néanmoins le législateur a prévu d’exclure de la catégorie des signes
distinctifs tous les signes descriptifs, nécessaires ou usuels qui doivent rester à la portée de
tous, qui ne sont pas susceptibles d’appropriation sur le terrain des marques. Il en va ainsi
par exemple du terme « magasin de meubles » pour désigner un commerce d’objets
mobiliers. Sont également exclus de la protection des signes, les signes constitués par la
forme ou la fonction du produit. Cette hypothèse vise essentiellement les marques
tridimensionnelles ainsi que la forme d’une tablette de chocolat, par exemple, ne peut pas
constituer une marque par exemple, les concurrents ont besoin d’utiliser cette forme
fonctionnelle pour vendre un chocolat que l’on puisse sectionner en morceaux ou en barres.
La forme de la bouteille de Perrier peut en revanche constituer une marque distinctive car
les concurrents peuvent utiliser d’autres formes de récipients. En définitive, la distinctivité
s’apprécie de manière globale. Pour être valable, la marque doit être composée d’un ou de
plusieurs éléments arbitraires par rapport aux produits ou services qu’elle désigne. Toutefois
il est prévu dans les textes que la distinctivité peut s’acquérir avec le temps et l’usage qui en
est fait, c’est à dire qu’un signe qui n’est pas intrinsèquement distinctif, par exemple un
signe totalement descriptif, peut avec le temps devenir distinctif et donc protégeable. C’est
d’ailleurs souvent le cas que l’on songe aux Pages Jaunes ou à American Airlines. Cette règle
de l‘acquisition de la distinctivité par l’usage se retrouve aussi dans l’ADPIC et elle trouve en
réalité sa source originelle dans la convention d’union de Paris dans l’article 6 quinquies C.
Cette voie d’appropriation est particulièrement précieuse pour des produits dont la
consommation a permis de développer un caractère distinctif et donc de justifier
l’acquisition d’un monopole d’exclusivité. Il appartient à celui qui invoque l’acquisition du
caractère distinctif par l’usage d’en rapporter la preuve. L’analyse de la jurisprudence de la
Cour de justice permet d’indiquer qu’il est permis de faire valoir aux fins d’établissement de
la preuve, la part de marché détenue par la marque, l’étendue géographique et la durée de
l’usage ainsi que l’importance des investissements faits par l’entreprise pour promouvoir la
marque ou encore la proportion des milieux intéressés qui vont identifier le produit ou
service comme provenant d’une entreprise déterminée. Comment s’apprécie la
distinctivité ? Que le signe soit intrinsèquement distinctif ou que la distinctivité soit acquise
par l’usage, la condition de distinctivité s’apprécie au moment du dépôt au regard de la
spécialité, mais aussi au regard du libellé de la marque. Peu importe que le signe soit en tant
que tel ordinaire, « Orange » par exemple est un mot ordinaire mais il peut être utilisé à titre
de marque pour désigner des services de téléphonie car il est parfaitement arbitraire au
regard de la spécialité concernée. L’arrêt « Baby-Dry » de la CJCE du 20 septembre 2001,
peut servir ici d’arrêt de référence. Non seulement quant aux modalités d’appréciation de la
condition de distinctivité des marques verbales mais encore quant à la méthodologie du
contrôle de cette condition. Néanmoins il semble que le contrôle opéré par les juridictions
françaises tend généralement à moins de sévérité ou à moins de rigueur que celui auquel se
prête la CJCE. Encore récemment l’affaire Glaverbel tranchée par le Tribunal de 1ère
Instance en 2007 illustre les difficultés sur le terrain probatoire de l’acquisition d’une marque
par l’usage, en l’occurrence d’une marque figurative. La CJCE a confirmé que c’est dans tous
les pays de l’Union européenne qu’il faut prouver que la marque figurative, en l’occurrence
utilisée depuis 30 ans par la société a acquis un caractère distinctif. La CJCE a aussi exigé la
preuve de l’acquisition du caractère distinctif auprès du grand public et non seulement
auprès du public spécialisé dans l’industrie en cause. Il s’agissait de l’industrie du verre. On
peut noter une autre exigence inhérente à l’appréciation de la distinctivité de la marque
communautaire, cette appréciation doit se faire à l’échelle de l’Union européenne. La
marque nominale doit être distinctive dans toutes les langues de l’Union pour pouvoir y être
protégée en tant que titre unitaire. Pour augmenter ses chances d’obtenir un titre unitaire
valable au regard de l’article 7 paragraphe 2 du règlement, le déposant doit vérifier que le
signe ne puisse pas être compris comme la désignation nécessaire ou usuelle d’un produit
dans chacune des 20 langues européennes. La distinctivité est donc une condition centrale
de la protection des marques, elle en est la raison d’être, elle est tellement importante que
le droit français et le droit européen ont fait du défaut de distinctivité un motif absolu de
refus de la marque, c’est à dire que c’est un motif examiné par l’office, c’est aussi un motif
de déchéance et un motif de nullité absolue.
La disponibilité
La marque doit être distinctive mais elle doit aussi disponible c’est à dire qu’elle ne doit pas
avoir fait l’objet d’appropriation antérieure. Le CPI n’offre pas une liste limitative,
exhaustive, des antériorités, il expose certaines d’entre elles que l’on retrouve d’ailleurs
dans le règlement à l’article 8 paragraphe 4. Cette condition de disponibilité se rapproche de
la condition de nouveauté propre au droit des brevets. Ici le signe ne doit pas être déjà
utilisé par autrui dans la même spécialité. Le signe ne doit pas non plus être un élément déjà
protégé par un autre droit de la propriété intellectuelle ou par un droit de la personnalité. Là
encore il existe une difficulté inhérente à la protection de la marque communautaire, le
signe doit être disponible dans chacun des États membres de l’Union européenne. Autant
dire qu’en pratique la tâche n’est pas aisée et il est pratiquement impossible de faire une
recherche exhaustive. Or cette tâche appartient au déposant. En effet, ni l’INPI ni l’OHMI ne
font cet examen préalable de la disponibilité. L’OHMI établit seulement un rapport de
recherches qui est communiqué au demandeur. Un conflit peut toujours naître
ultérieurement c’est à dire après la délivrance du titre. Ce conflit peut naître soit entre deux
droits de propriété intellectuelle soit entre la marque et un droit de la personnalité. Ce
conflit peut naître au contentieux, après l’enregistrement mais il peut aussi naître avant
l’enregistrement, au stade de la procédure d’opposition au dépôt. Les tiers ont quelques
mois à compter du dépôt national ou communautaire pour s’opposer à l’enregistrement. Ils
ont ensuite 5 ans pour demander la nullité de l’enregistrement. L’antériorité est donc d’une
part un motif relatif de refus de dépôt car le motif n’est pas examiné par l’office et d’autre
part l’antériorité est un motif de nullité relative c’est à dire qu’elle ne peut être invoquée
que par le titulaire de l’antériorité. Envisageons tout d’abord les antériorités constituées par
un droit de propriété intellectuelle.
Les antériorités constituées par un droit de propriété intellectuelle. L’antériorité peut être
une marque identique ou similaire valable sur le même territoire dans une même spécialité.
Depuis le règlement de 1993, un signe déposé comme marque communautaire devient
indisponible sur tout le territoire de l’Union européenne dans la même spécialité. Il
constitue une antériorité opposable au dépôt national comme au dépôt communautaire. En
France l’antériorité opposable à titre de marque est uniquement constituée par une marque
enregistrée. Ailleurs qu’en France le droit peut décider que l’usage d’une marque est
créateur du droit de propriété car le droit européen n’est pas harmonisé à l’endroit des
effets du dépôt. En conséquence, l’antériorité peut être constituée par une marque utilisée
si le droit national reconnaît une telle marque utilisée comme une antériorité. Le règlement
de 1993 l’a prévu à l’article 8 paragraphe 2c. En l’absence d’identité entre les marques et/ou
les spécialités concernées l’appréciation de l’antériorité implique le respect d’une analyse en
plusieurs étapes, une analyse de construction prétorienne. Il convient en effet de définir tout
d’abord le territoire en cause, de déterminer ensuite le public pertinent à prendre en
considération, on peut s’inspirer ici des enseignements de l’arrêt Lloyd de la CJCE du 22 juin
1999. Il s’agit ensuite de comparer les produits et services selon la méthode utilisée par la
CJCE dans l’arrêt Canon du 29 septembre 1998. Et enfin de comparer les signes, c’est ici
l’arrêt Sabel/Puma de la CJCE du 11 novembre 1997 qui peut servir de référence. En
définitive le signe ne sera pas considéré comme antériorité s’il existe un risque de confusion
dans l’esprit du public. Ce risque peut être direct dans les cas où le consommateur pourrait
être fondé à croire, en présence du signe contesté, qu’il est en présence de la marque
antérieure. Ce risque peut être indirect dans les cas où le consommateur peut considérer
que les marques proviennent de la même entreprise ou d’entreprises économiquement
liées. On parlera alors plutôt de risque d’association qui selon les propos de la Cour dans
l’affaire Sabel/Puma n’est pas une alternative à la notion de risque de confusion mais sert à
en préciser l’étendue. Mais attention ce risque d’association avec la marque antérieure n’est
pas un risque suffisant pour établir le risque de confusion. L’appréciation du risque de
confusion est globale, et elle est d’autant plus subtile qu’elle implique une certaine
interdépendance entre tous les facteurs pris en compte. Au nombre des marques
antérieures il faut compter la marque notoire même non déposée. Qu’est-ce qu’une marque
notoire ? La notoriété peut être définie comme connue du grand public et dotée d’un
pouvoir d’attraction propre indépendant des produits ou services que la marque désigne. A
l’échelle internationale la notoriété a une influence sur l’appréciation de la disponibilité du
signe comme sur l’étendue de la protection. C’est à l’échelle internationale que la notoriété
à une influence sur l’appréciation de la disponibilité du signe comme sur l’étendue de sa
protection. Une marque notoire non déposée peut constituer une antériorité dans la même
spécialité, l’article 6bis de la convention d’union de Paris a imposé cette exception au
principe du dépôt. Une marque de renommée déposée peut par ailleurs constituer une
antériorité en dehors de la spécialité. L’article 16 paragraphe 3 de l’ADPIC a posé cette
obligation minimale de protection des marques de renommée aux États. La marque notoire
ou de renommée jouit ainsi d’un régime de protection dérogatoire, dérogatoire non
seulement au principe du dépôt mais encore au principe de spécialité. Ainsi par exemple ont
été considéré comme indisponible les marques Waterman pour des lames de rasoir ou
encore Michelin pour des pâtisseries. Un débat persiste néanmoins en France dans le silence
de la loi sur la définition de la marque notoire et de la marque de renommée. Est-ce que la
marque notoire est synonyme de renommée ou est ce qu’il existe une différence de degré
permettant de les distinguer ? En France la discussion sur le sujet porte sur le public
pertinent auprès duquel il faut apprécier la notoriété. Michel Vivant fait partie de ceux qui
considèrent que la marque de renommée doit l’être auprès du public de la spécialité
concernée pour pouvoir être protégée en dehors de sa spécialité. Et que la marque notoire
doit l’être auprès du grand public pour pouvoir déroger au principe du dépôt. Cette position
est cependant controversée. Dans l’affaire General Motors du 14 septembre 1999, la CJCE
est intervenue en interprétation de la directive de 1988 pour dire que la marque de
renommée est celle connue d’une partie significative du public concerné par les produits ou
services. En 2009 dans l’affaire NASDAQ, la CJCE a indiqué à propos du public pertinent, qu’il
suffit qu’il soit prouvé que la renommée de la marque dépasse les frontières du public
spécialisé. C’est dans cette affaire l’application de l’article 8 paragraphe 5 du règlement qui
était en cause. Celui qui permet à une marque antérieure de renommée de s’opposer au
dépôt d’une marque communautaire dans une autre spécialité. La position débattue en droit
français devrait à terme s’aligner sur la position adoptée en droit communautaire. En
l’absence d’harmonisation européenne sur ce point, les exigences concernant l’antériorité
constituée par la marque notoire risquent cependant de ne pas être les mêmes d’un
territoire à l’autre. Outre les marques antérieures, l’antériorité peut encore être constituée
par une œuvre ou un dessin ou un modèle protégé ou une appellation d’origine et encore
par d’autres signes de la vie des affaires : dénomination sociale ou nom de domaine. Certains
dépôts devront ainsi être soumis à l’autorisation de l’auteur si les marques sont constituées
d’éléments qui sont protégés par le droit d’auteur ou le droit des dessins et modèles par
exemple. Certains noms géographiques sont indisponibles parce qu’ils constituent une
appellation d’origine dans ce cas l’indisponibilité est absolue. Ainsi l’appellation «
Champagne » ne peut plus être déposée comme marque. La dénomination sociale d’un tiers
ne peut pas être choisie comme marque s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du
public. Ce qui suppose que la dénomination soit largement connue. Le nom commercial ou
l’enseigne ne sont pas davantage disponibles s’il existe un risque de confusion. Il est souvent
difficile de déterminer avec exactitude le moment où le droit sur le nom ou l’enseigne a été
acquis. Contrairement à la marque, de tels droits résultent du simple usage. Le nom de
domaine internet peut également constituer une antériorité. La jurisprudence tend à
subordonner l’opposabilité du nom de domaine à son dépôt sur un site d’enregistrement et
à son exploitation effective. L’antériorité peut enfin tenir à l’existence d’un droit de la
personnalité, droit au nom ou droit à l’image. A moins d’en obtenir l’autorisation, on ne peut
pas choisir comme marque l’image, le nom de famille ou le pseudonyme d’une personne
sans son consentement. Chacune de ces nombreuses limites à la disponibilité réduit un peu
plus la possibilité d’obtenir une marque ou de la maintenir en vie.
La licéité
La marque doit être distinctive, disponible et enfin licite. L’absence de licéité est un motif
absolu de refus d’enregistrement selon les articles L711-3 du CPI et l’article 7 paragraphe 1
du règlement sur la marque communautaire. Cette condition vise deux prohibitions. Sont
interdits les signes contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs comme les mots
injurieux ou les images racistes ce qui n’a rien à voir avec les marques de mauvais goût,
immorales ou osées. Ainsi « Opium » a été admise comme marque pour un parfum. En
pratique les offices refusent rarement une marque de ce chef et les tribunaux annulent
encore plus rarement une marque car elle est contraire à l’ordre public et aux bonnes
mœurs. Sont exclus de la protection les signes interdits comme les drapeaux et les
emblèmes et cette exclusion a été prévue par l’article 6ter de la Convention d’Union de
Paris. On signalera ici que l’article L141-5 du Code du Sport énonce que le comité national
olympique et sportif français est propriétaire des emblèmes olympiques et dépositaire de la
devise de l’hymne du symbole olympique et des termes « jeux olympiques » et « olympiades
». Le fait de déposer à titre de marque, de reproduire, d’imiter, d’apposer, de modifier ou de
supprimer les emblèmes, hymnes etc. sans autorisation est donc punissable sur le terrain de
la propriété industrielle. Cette précision est venue répondre aux questions soulevées par
l’arrêt « Olymprix » de la chambre commerciale du 11 mars 2003, à savoir cet arrêt qui a
annulé le dépôt de la marque « Olymprix » sur le fondement du dépôt parasitaire. Pour lever
définitivement le doute, l’arrêt du 15 septembre 2009 de la chambre commerciale a inclus
les emblèmes visés à l’article L141-5 du Code du Sport dans la liste des signes interdits par le
CPI. Sont également interdites les marques de nature à décevoir ou à tromper le public
notamment sur la nature, la provenance géographique ou la qualité. Ainsi en serait-il du
dépôt d’une marque « Vaisselle de Limoges » pour distinguer de la vaisselle en réalité
fabriquée en Chine. La déceptivité du signe s’apprécie au moment du dépôt au regard des
produits et services ciblés dans le libellé de la marque en tenant compte de la perception du
signe par un consommateur d’attention moyenne. En revanche la marque n’est pas
trompeuse s’il est évident que les qualités ne se retrouvent pas dans les produits ou services.
La CJCE a pu retenir qu’il appartenait dans ce cas au juge national de vérifier s’il n’existait pas
une manœuvre, une intention dolosive de la part du déposant.
b) Conditions de forme
Sous réserve de la protection réservée aux marques notoires non déposées, protection de
l’article 6bis de la Convention d’Union de Paris, la propriété sur la marque s’acquiert par
l’enregistrement. La procédure est conduite en France par l’INPI et par l’OHMI à l’échelle
européenne ou par l’OMPI si la protection est recherchée par les pays membres du système
de Madrid. Examinons tout d’abord la procédure de dépôt devant l’INPI et l’OHMI avant
d’évoquer les particularités de la procédure de dépôt devant l’OMPI.
Déchéance
Dans les systèmes de dépôt déclaratifs de droit, l’usage de la marque est une condition de
fond de la délivrance de l’enregistrement. Ce système interdit le dépôt de marques dites
dormantes ou de marques de barrages. Dans les systèmes de dépôt constitutifs de droit ce
n’est pas le cas, l’exploitation n’est pas une condition de délivrance du titre ni même de la
protection du droit sur la marque. Néanmoins dans les systèmes de dépôt constitutifs de
droit, il existe une obligation d’exploitation dont le non-respect peut être lourdement
sanctionné, c’est-à-dire, il peut être sanctionné par la perte du monopole. Cette obligation
d’exploitation a été posée à l’échelle internationale dans l’accord ADPIC. On la retrouve à
l’échelle européenne dans la directive de 1988 et dans le règlement sur la marque
communautaire. Ce n’est pas l’INPI ou l’OHMI qui ira reprocher au titulaire le défaut
d’exploitation. Ce n’est pas l’Office qui ira vérifier si la marque est effectivement utilisée
dans le commerce. C’est le tiers qui pourra trouver un intérêt à soulever le défaut
d’exploitation. La déchéance pour non-exploitation peut être demandée en justice par toute
personne intéressée. Si la déchéance concerne une marque communautaire, elle peut être
demandée auprès de l’OHMI à titre principal et auprès des tribunaux nationaux à titre
reconventionnel. Cette sanction permet de fonder une antériorité, de demander la nullité.
Elle est aussi une cause exonératoire de contrefaçon et un moyen de défense dans le cadre
d’une action en contrefaçon. Il reste que c’est seulement à l’initiative d’un tiers que la
déchéance du droit de marque peut être encourue pour défaut d’exploitation sérieuse. On
distinguera ce cas de déchéance de celui qui vise la dégénérescence de la marque.
La dégénérescence
La déchéance peut aussi être encourue pour dégénérescence lorsque le titulaire de la
marque l’a laissée dégénérer. Les articles 12 paragraphe 2 de la directive, l’article L714-6 du
CPI et l’article 51 du règlement sur la marque communautaire ont prévu deux cas. La marque
est devenue par le fait du titulaire, la désignation usuelle d’un produit. Elle a alors perdu son
caractère distinctif comme cela a été jugé pour la marque « Caddie » qui est devenue la
désignation usuelle des chariots de supermarchés. La dégénérescence est ici en quelques
sortes la perverse rançon de la renommée. La marque est devenue par le fait de son titulaire
trompeuse ou déceptive, c'est-à-dire propre à induire en erreur le public notamment sur la
nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service. Il s’agit de
sanctionner ici la marque qui a perdu par l’usage qui en a été fait une qualité essentielle.
Autrement dit la marque n’était pas déceptive au moment de son enregistrement. C’est le
cas en France pour la marque « Inès de la Fressange », la Cour de Paris a le 15 décembre
2004 jugé que la marque était devenue déceptive en raison de la modification des conditions
de son exploitation, la modification étant que la créatrice n’était plus à l’origine des produits
commercialisés sous la marque constituée de son patronyme. La jurisprudence française
rare et récente en la matière accepte cependant difficilement la déchéance. Il est important
de retenir que la déchéance pour dégénérescence est une sanction du comportement du
titulaire. Autrement dit, il est possible pour le titulaire d’agir pour maintenir son monopole.
En prenant des précautions pour informer le public que la marque est protégée ou encore
par des lettres ou des actions en justice. C’est pourquoi la marque « Frigidaire » n’a pas été
sanctionnée en France par la perte du monopole. Son propriétaire s’est battu pour maintenir
le monopole sur la marque en vie. Si en revanche le titulaire de la marque est resté passif, la
dégénérescence fait tomber la marque dans le domaine public de sorte que tout le monde
peut l’utiliser librement et que plus personne ne peut se l’approprier.
Les actes soumis à autorisation et la condition d’usage dans la vie des affaires
L’article 5 paragraphe 1 de la directive de 1988 retient que le propriétaire d’une marque ne
peut interdire aux tiers l’usage de son signe que si ce dernier s’effectue dans le cadre de la
vie des affaires. Il faut un usage dans la vie des affaires. L’article L713-2 et 3 du CPI n’a pas
repris directement cette expression à l’inverse du règlement sur la marque communautaire.
Il ne fait cependant aucun doute sur le fait que la condition d’usage dans la vie des affaires
est une condition préalable à la mise en œuvre de la protection du droit sur la marque. La
CJUE a donné un sens à cette formule « usage dans la vie des affaires » en précisant par
exemple dans l’arrêt « Arsenal » qu’il y a usage dans la vie des affaires lorsque cet usage se
situe dans le contexte d’une activité commerciale visant un avantage économique et non
dans le domaine privé. Dans sa décision « Google c/ Louis Vuitton », du 23 mars 2010 la CJUE
constate un usage dans la vie des affaires dès lors que l’usage n’est pas perpétré par un
consommateur final agissant de bonne foi. Certes le comportement de l’annonceur qui
proposant un service de référencement et choisissant en tant que mot clé un signe identique
à une marque d’autrui n’est pas assimilable à un usage dans le domaine privé. La CJUE a
indiqué que pour la condition d’un usage dans la vie des affaires soit remplie, il faut que
l’usager fasse lui-même un usage des signes dans la vie des affaires, ce qui n’est pas le cas du
prestataire de service de référencement. En effet, l’annonceur, c'est-à-dire celui qui met son
annonce sur le site de référencement ne fait pas lui-même un usage commercial des signes
peu importe qu’il soit rémunéré par ses clients pour son service. Il ne fait pas lui-même un
usage commercial des signes. La situation est différente a précisé la CJUE, si l’annonceur
utilise la marque dans le cadre d’une publicité comparative. Dans ce cas l’annonceur peut
être passible de contrefaçon ou de concurrence déloyale. La CJUE en conclut que Google ne
fait pas un usage dans la vie des affaires au sens de l’article 5 de la directive. Dans l’affaire «
L’Oréal-Lancôme » en date de juillet 2011, le distributeur de produits cosmétiques
reprochait à Ebay l’exploitant d’un marché électronique de ventes mondiales sur internet
son implication dans les infractions au droit des marques commises par les utilisateurs du
site. L’Oréal avançait que les mesures prises par Ebay pour filtrer les annonces
n’empêchaient pas la vente de ses produits dans les Etats tiers. La CJUE a de nouveau dans
cette affaire rejeté la possibilité d’engager la responsabilité indirecte du prestataire de
service sur le terrain du droit des marques au motif que le seul usage d’un signe dans le
cadre d’un service de référencement n’est pas suffisant à remplir la condition de l’usage
dans la vie des affaires. Cette position de la CJUE a été étendue au contentieux opposant les
propriétaires de marques notoires aux annonceurs de publicité. Ainsi dans l’affaire « Mark &
Spencer c/ Interflora » du 22 décembre 2011, la CJUE fait référence à la jurisprudence
Google pour rappeler que si l’annonce publicitaire peut créer un risque de confusion passible
de la sanction de contrefaçon, le seul usage d’un signe dans le cadre d’un service de
référencement ne le peut pas. Il n’est pas exclu pour autant qu’un tel usage puisse être
sanctionné sur le terrain de la protection spécifique des marques de renommée. Dans cette
affaire, la CJUE a considéré en ce sens qu’il appartenait à la juridiction nationale de vérifier si
l’usage litigieux du mot clé Interflora sur le site de vente et de livraison de fleurs Mark &
Spencer pouvait mettre en péril la réputation d’Interflora. Autrement dit, le défaut d’usage
dans la vie des affaires est un obstacle à la mise en œuvre de la protection traditionnelle des
marques mais elle n’est pas en soi un obstacle à la protection spécifique des marques de
renommée pour parasitisme ou dilution. Le recours au critère de la vie des affaires permet
par ailleurs de faire une place particulière à la parodie en droit des marques. A la différence
du droit d’auteur, aucune exception de parodie n’a été prévue par le législateur français ou
européen. Le détournement d’un signe pour des raisons militantes ou parodiques peut sans
doute être analysé comme un usage hors de la vie des affaires et échapper ainsi à la
sanction. La CJUE n’a pas eu à le confirmer encore, en droit français il existe un contentieux
depuis 2001 sur le sujet alimenté par des affaires comme « Greenpeace c/ Esso » qui
montrent que c’est le critère de l’usage dans la vie des affaires qui a permis de régler le
conflit entre liberté d’expression et droit de propriété au profit de la liberté fondamentale. Il
reste que les auteurs de parodie peuvent engager leur responsabilité civile si leurs actes sont
jugés fautifs pour dénigrement ou abus de liberté d’expression. Il y a les actes soumis à
autorisation sans exigence d’un risque de confusion. Outre les contraintes imposées par le
critère de la vie des affaires, il y a en droit des marques les actes interdits par la loi et les
actes qui par nature pourraient constituer une contrefaçon mais que le législateur autorise
expressément.
Les actes soumis à l’autorisation du propriétaire de la marque par la loi même s’il ne
résulte pas un risque de confusion
L’article L713-2 du CPI cite à cet égard les actes de reproduction, d’apposition et d’usage de
la marque dans la même spécialité que celle de la marque enregistrée. Ainsi, le
contrefacteur peut être coupable du simple fait d’avoir fabriqué des flacons ou d’y avoir
apposé la marque même s’il ne les a pas vendus. Il sera coupable du délit de contrefaçon par
reproduction, il sera coupable pour n’avoir pas demandé l’autorisation. L’usage est toléré
par la jurisprudence lorsque la marque est mentionnée aux fins d’information ou dans un
roman par exemple. La reproduction totale ou partielle de la marque consiste en une copie
servile, il s’agit de la reproduire à l’identique. On peut noter une évolution de la
jurisprudence française depuis 2000 liée à l’interprétation faite par les juges de l’article
L713-2 à la lumière de l’article 5 paragraphe 1 a) de la directive de 1988. Il n’y a pas
reproduction mais imitation selon l’article L713-3 si le signe reproduit et/ou utilisé n’est pas
identique à la marque enregistrée mais diffère quelque peu aux yeux du consommateur
moyen. Cette interprétation restrictive a été entérinée par la CJUE dans l’affaire « Arthur et
Félicie » du 20 mars 2003. Ainsi la marque Arthur et Félicie ne reproduit pas à l’identique la
marque Arthur en raison d’une adjonction qui n’est pas insignifiante aux yeux du public.
L’acte d’imitation exigeant la preuve d’un risque de confusion, on comprend bien quel est
l’intérêt pratique d’une telle position pour le titulaire. Est aussi un acte de contrefaçon qui
requiert autorisation, le dépôt à l’INPI d’un signe déjà approprié à titre de marque. En
revanche le dépôt d’un nom de domaine auprès d’un organisme spécialisé ne constitue pas
une contrefaçon tant que le nom de domaine reste inactif. Seul l’usage du nom de domaine
correspondant au signe approprié comme marque est éventuellement constitutif d’une
contrefaçon. Certains actes sont soumis à autorisation mais à la condition qu’ils créent un
risque de confusion. L’imitation existe aussi bien pour des produits ou services identiques
que pour une spécialité similaire à celle désignée dans l’enregistrement. Selon les critères
dégagés par la CJUE dans l’affaire Sabel, en date du 11 novembre 1997, l’imitation résulte
d’une similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle entre les deux signes. En l’absence
d’identité entre les produits ou services, un autre type d’actes est visé par la loi, la
reproduction, l’usage et l’apposition d’une marque pour des produits ou services similaires à
ceux désignés dans l’enregistrement. Le risque de confusion est la clé de voûte de la
protection des marques. Il y a risque lorsque le public est porté à croire que les objets ou
services en concurrence dans la même spécialité proviennent de la même personne. Il
ressort de la jurisprudence de la CJUE que ce risque s’apprécie de façon globale en
considération de l’impression d’ensemble produite par les signes utilisés sur un
consommateur d’attention moyenne qui n’a pas simultanément les deux marques sous les
yeux au moment où il consomme les produits ou au moment où il utilise les services.
L’important est que la confusion soit possible pour le public de référence, il en est de même
pour l’appréciation de la similarité des produits et services.
Le dénouement de l’action
Au civil, le tribunal pourra prononcer contre le défendeur diverses interdictions comme celle
d’utiliser la marque contrefaisante, la radiation de la marque contrefaisante, la publication
du jugement, le retrait des objets contrefaisants des circuits commerciaux mais aussi et
surtout des dommages et intérêts. Sachant que depuis la loi du 29 octobre 2007, l’article
L716-14 permet de fixer les dommages et intérêts à hauteur des bénéfices réalisés par le
contrefacteur, et ceux-ci dépassent souvent le manque à gagner du propriétaire de la
marque car le propre de la contrefaçon est de rapporter davantage que la vente des biens
authentiques. Il y a donc ici rupture avec le principe indemnitaire classique, pour lequel on
indemnise tout le préjudice rien que le préjudice. C’est pourquoi on parle aussi de
dommages et intérêts punitifs en matière de contrefaçon de marque. Au pénal, le tribunal
correctionnel peut prononcer diverses confiscations et la fermeture de l’établissement du
délinquant. Quant aux peines, l’article L716-9 prévoit 400 000 Euros d’amende et 4 ans de
prison. Lorsque la contrefaçon a été commise en bande organisée, les peines sont portées à
500 000 Euros d’amende et à 5 ans d’emprisonnement. Depuis la loi du 5 février 1994, il
existe en outre un délit douanier de contrebande sanctionné par l’article 414 du code des
douanes, et les amendes prévues par ce code peuvent se cumuler avec celles de droit
commun. Depuis la loi du 9 mars 2004 sur l’adaptation de la justice aux évolutions de la
criminalité, les agents de douanes peuvent s’infiltrer dans les milieux délinquants en se
faisant passer pour des complices pour mieux les surveiller. On peut observer que le régime
de l’action en contrefaçon de marques est national mais qu’il évolue dans une certaine
mesure sous l’influence du droit supranational, lequel est soucieux d’inciter les États à
prendre des mesures destinées à lutter plus efficacement sur le terrain de la contrefaçon. Au
civil ou au pénal, les juridictions nationales sont chargées de la mise en œuvre de la
protection des titres nationaux et communautaires sur le terrain de l’action en contrefaçon
de marque. Ces juridictions nationales sont aussi chargées du contentieux de la nullité, de
l’épuisement ou encore de la déchéance des titres de marques lorsque ces demandes sont
faites dans le cadre d’une action connexe ou reconventionnelle. Le règlement sur la marque
communautaire a prévu la possibilité pour le titulaire de demander un renvoi de l’affaire en
nullité devant l’OHMI invitant dans ce cas le tribunal national à surseoir à statuer. En France
tout le contentieux de la contrefaçon au civil est dévolu au tribunal de Grande Instance de
Paris devenu le tribunal français de la marque communautaire. Dans d’autres pays membres,
comme l’Allemagne il existe 18 tribunaux compétents pour gérer le contentieux de la
marque communautaire ce qui multiplie sans doute les risques de divergences entre les
solutions. Mais la situation est peut-être seulement transitoire. En effet il est question de
confier un jour le contentieux de la contrefaçon de la marque communautaire à une
juridiction supranationale. L’avenir nous le dira.
Propriété intellectuelle
Les dessins et modèles
I. Conditions de fond
La protection légale est réservée à certaines personnes sur certains objets correspondant à
la catégorie juridique des dessins et modèles. Quelques mots tout d’abord sur la titularité.
a) La titularité
Si le dépôt du dessin et modèle est, du reste en France, obligatoire, le titulaire est le
créateur. C’est ce qu’énonce l’article L511-9 du CPI. L’employeur ne peut être investi des
droits qu’en vertu d’une cession expresse. La personne morale peut être titulaire de l’œuvre
collective c'est-à-dire réalisée à l’initiative d’une personne qui rassemble les contributions de
plusieurs auteurs qui ont travaillé en parallèle et sans concertation. Enfin, un groupe de
créateurs peut effectuer un dépôt de dessin et modèle en copropriété. On dit qu’ils sont
coauteurs d’une œuvre de coopération. La preuve de la titularité pose souvent difficultés. Le
code a alors prévu une présomption qui joue en faveur du déposant, le premier déposant est
considéré comme le créateur. Ainsi le dépôt français du dessin et modèle produit, comme le
brevet, un effet déclaratif de droit. Le véritable propriétaire a la possibilité d’intenter une
action en revendication selon les modalités prévues à l’article L511-10 du CPI. Comme en
matière de marques le régime des titres non enregistrés n’est pas harmonisé. S’agissant du
principe d’appropriation, la directive a en effet posé le principe de la protection par le dépôt
sans imposer les effets de ce dépôt. Cela permet à la France de faire présumer que le
premier déposant est le créateur du dessin et modèle tandis que la propriété du titre peut
appartenir dans un autre pays membre à son premier déposant sans que ce dernier puisse
renverser la présomption en prouvant sa qualité de créateur. Peu importe dans ce cas si le
dessin et modèle est la création d’une autre personne que le déposant lui-même.
Apparence
La création doit remplir la condition d’apparence. Le domaine d’appropriation est limité aux
seuls éléments visibles. La forme doit être visible, apparente pour l’utilisateur final. Cette
condition au départ de construction prétorienne, a été consacrée par le nouvel article L511-1
du CPI, qui a transposé l’article 1er de la directive de 1998 laquelle a défini le dessin et
modèle protégeable au moyen de la notion centrale d’apparence. On retrouve cette notion
dans le règlement de 2001 sur le dessin et modèle communautaire. Cette notion signifie que
le dessin et modèle doit être perceptible par la vue et non par le toucher. Ne sont pas non
plus protégeables les éléments dissimulés à l’intérieur d’un objet. Ainsi la texture d’un tissu
n’est pas protégeable parce qu’elle n’est perceptible que par le toucher, un logiciel ne l’est
pas non plus à l’exception des interfaces graphiques qui sont indépendantes du logiciel et
qui sont visuellement perceptibles par les utilisateurs. La condition d’apparence explique
donc que l’article L515-5 ait écarté de la protection les éléments non visibles d’un produit
complexe. Cette condition d’apparence qui est étrangère au droit d’auteur est de nature à
réduire considérablement le champ d’application des dessins et modèles. Il rappelle
davantage la règle de la représentation graphique propre au droit des marques qui écarte
comme on l’a vu la possibilité de protéger les signes olfactifs, gustatifs et dans une certaine
mesure les signes sonores.
La condition de nouveauté
C’est une condition importante. La nouveauté est une notion courante de la propriété
intellectuelle, on l’a en effet étudiée en droit d’auteur mais aussi en droit des brevets. La
condition de nouveauté est posée en droit des dessins et modèles par la loi française mais
aussi par la directive et par le règlement sur le dessin et modèle communautaire, à l’article 5.
En France selon l’article L511-3, la nouveauté existe si à la date du dépôt de la demande
aucun dessin ou modèle identique n’a été divulgué. Il n’est pas nécessaire de démontrer une
activité artistique. La nouveauté de la forme extérieure du produit s’entend de la différence
par rapport à l’état de l’art antérieur au dépôt. Ainsi le dépôt effectué à l’étranger constitue
une antériorité. Un gobelet gallo-romain exposé dans un musée américain constitue une
antériorité. Le CPI et le règlement précisent les conditions du contrôle de la nouveauté. Des
dessins et modèles sont considérés comme identiques lorsque leurs caractéristiques ne
diffèrent que par des détails insignifiants. Ce contrôle s’impose aux offices comme aux juges.
Il est plus ou moins délicat selon les secteurs considérés de l’art, de l’industrie ou de
l’artisanat. Un dessin et modèle est différent de ses prédécesseurs s’il est nouveau de
mémoire d’hommes sans aucune limitation de temps ni même de territoire. S’il n’est pas
nouveau, on dit qu’il est antériorisé. Il doit être antériorisé de toutes pièces pour ne pas
pouvoir bénéficier de la protection spécifique. Ce sera seulement le cas si aucun des
éléments essentiels de la forme extérieure du produit n’est différent de ce qui a pu exister
par le passé. Il est acquis que la création doit produire sur l’utilisateur averti une impression
visuelle globale différente. Il n’est pas question d’imposer une analyse caractéristique par
caractéristique du produit en cause. Seule une appréciation d’ensemble est acceptable.
L’expression « impression visuelle d’ensemble » n’a toutefois pas le mérite de la clarté. Le
Tribunal de 1ère Instance a rendu sa première décision en matière de dessins et modèles
communautaires le 18 mars 2010 dans l’affaire « Grupo c/ Pepsi Cola ». Il a fait droit à la
demande de nullité d’un enregistrement au motif que les produits concernés en l’occurrence
des articles promotionnels pour jeux ne produisaient pas une impression globale différente
sur l’utilisateur averti mais présentait au contraire certaines similitudes qui n’étaient pas le
résultat d’une restriction de la liberté du créateur. Force est de constater que l’opération de
contrôle de la nouveauté est encore plus délicate s’il faut l’apprécier au regard du degré de
liberté du créateur dans le secteur industriel concerné et ce pour décider si les produits
produisent une impression globale différente. L’article L511-4 dispose que pour
l’appréciation du caractère propre, il est tenu compte de la liberté laissée au créateur dans la
réalisation du dessin et modèle. L’article 6 du règlement rappelle que la nouveauté
s’apprécie de pair avec le caractère propre. En effet il est nécessaire que le créateur ait pu
exprimer une certaine liberté pour arrêter la forme extérieure du produit. A défaut de quoi
la forme imposée ne peut pas avoir de forme propre. Pour autant la liberté de création n’est
pas la même dans tous les secteurs d’activité, il convient d’en tenir compte pour apprécier la
condition de nouveauté. Le cumul de l’exigence de caractère propre avec l’exigence de
nouveauté semble soulever des difficultés d’articulation des deux critères quand il s’agit
d’apprécier la liberté d’exploitation du créateur. L’antériorité dont on vient de parler n’est
opposable que si elle a été divulguée, c’est à dire rendue accessible au public mais aussi
raisonnablement connue des professionnels du secteur concerné. L’article L511-6 du CPI et
l’article 7 du règlement ont défini ainsi la notion de divulgation : « Un dessin ou modèle est
réputé avoir été divulgué s’il a été rendu accessible au public par une publication, un usage
ou tout autre moyen ». Il n’est pas nécessaire que le public ait effectivement accédé à la
création. Comme en droit d’auteur la divulgation est donc l’acte qui rend la création
accessible au public. Les formes de la divulgation importent peu. Une liste illustrative est
avancée par le législateur, la divulgation peut être faite par publication, par usage ou par
tout autre moyen. Cette présentation large de la divulgation rend d’autant plus difficile la
possibilité d’une nouveauté. Toutefois l’article L511-6 ajoute qu’il n’y a pas divulgation
lorsque le dessin ou modèle n’a pu être raisonnablement connu selon la pratique courante
des affaires dans le secteur intéressé par des professionnels agissant dans l’UE avant la date
du dépôt de la demande d’enregistrement ou avant la date de la priorité revendiquée. On
retrouve la même limite à la divulgation dans l’article 7 du règlement. L’état de l’art se
trouve limité dans son territoire et dans un milieu de référence. A cette première limite
s’ajoute une autre limite posée à l’article L511-6 le dessin ou modèle n’est pas réputé avoir
été divulgué au public du seul fait qu’il a été divulgué à un tiers sous condition explicite ou
implicite de secret. Cette limite à la divulgation est imposée par la nécessité de respecter les
accords de confidentialité. Ainsi dans le cas où le bien est divulgué en violation d’une
obligation contractuelle de secret, il est possible d’enregistrer le dessin et modèle. Enfin, il
existe une dernière hypothèse prévue par la loi, dernière hypothèse où la divulgation n’est
pas prise en considération pour détruire la nouveauté. Lorsque la divulgation a eu lieu dans
les 12 mois précédant la date du dépôt de la demande ou avant la date de priorité
revendiquée. Peu importe à cet égard que la divulgation soit le fait d’un tiers ou du créateur
lui-même. Ainsi la commercialisation d’un produit précédant de peu le dépôt du modèle
n’est pas destructrice de la nouveauté, nouveauté condition de fond de la protection des
dessins et modèles. L’antériorité non divulguée ne représente donc pas un danger pour le
dépôt d’un dessin et modèle. Peut-on pour autant impunément déposer une antériorité non
divulguée ? Le déposant risque la fraude par usurpation permettant au créateur d’agir en
revendication. Cela est prévu à l’article L511-10 du CPI. La preuve de l’antériorité est
toujours à la charge de celui qui l’invoque pour contester la protection d’un dessin et
modèle. Très souvent en défense dans le cadre d’une action en contrefaçon. Cette charge
est lourde, il faut prouver l’antériorité de toute pièce, il faut prouver la divulgation. Un
dessin et modèle doit-il être de surcroît original ? Avant la réforme de 2001 la jurisprudence
a fait un amalgame entre nouveauté et originalité et ainsi la Cour de Cassation a pu exiger du
dessin et modèle qu’il soit nouveau et qu’il exprime la personnalité de l’auteur. Après la
réforme, cette juridiction a cultivé l’ambiguïté. Frédéric Pollaud-Dulian fait justement
observer que la condition d’originalité découle de la notion même de création.
Concrètement, il est vrai que l’on a du mal à concevoir un dessin et modèle nouveau mais
banal. Il reste que l’empreinte de la personnalité n’est pas une condition de fond de la
protection des dessins et modèles en France. Néanmoins la preuve de cette condition peut
servir à établir la nouveauté.
Publication
Lorsque le dépôt est recevable il est publié sur un registre mentionnant pour chaque dépôt
l’identité du titulaire ainsi que les éléments permettant l’identification du dessin ou modèle :
représentation des biens intellectuels, référence administrative du dépôt etc. Ces indications
sont inscrites à l’initiative de l’office et en cas de décision judiciaire définitive sur réquisition
du greffier ou sur requête de l’une des parties. Aucune inscription n’est cependant portée au
registre tant que le dépôt n’est pas rendu public. Toute inscription fait l’objet d’une mention
au sein d’une publication officielle. L’OHMI inscrit le dessin ou modèle au registre des
dessins et modèles communautaires. Ensuite l’enregistrement est publié par l’office dans un
bulletin ouvert au public. En France la publication est faite au BOPI et le dépôt est
mentionné au Registre national des dessins et modèles. Toutefois si le déposant a demandé
un ajournement de la publication pour ménager une certaine confidentialité, la publication
n’intervient qu’au terme d’une durée de 3 ans. Par la suite les actes modifiant la propriété
ou la jouissance des droits attachés au dessin ou modèle tels que cession, concession d’un
droit d’exploitation, saisie etc., sont inscrits à la demande de l’une des parties à l’acte ou s’il
n’est pas parti à l’acte du titulaire du dépôt au jour de cette demande. La publication marque
une date importante car l’action en contrefaçon n’est recevable qu’à partir du moment où le
dépôt a été publié. Cette précision est apportée par l’article L512-12 du CPI. Tant que la
publicité est différée, le déposant ne peut pas assigner valablement une personne en
contrefaçon.
Recours
Les décisions des offices peuvent faire l’objet de recours. Les recours contre les décisions de
l’INPI sont portés devant la Cour d’Appel du lieu de résidence de la personne qui a formé le
recours. Les recours contre les décisions de l’OHMI sont portés devant la Chambre des
recours et peuvent être formés dans les deux mois à compter du jour de la notification de la
décision litigieuse. La décision de la Chambre des recours est susceptible d’un recours
devant la Cour de Justice qui sera alors compétente pour annuler ou réformer la décision
attaquée.
Création du salarié
L’article 14, paragraphe 3, du règlement concerne explicitement les créations du salarié. Il
n’est pas des plus clairs sur le régime d’appropriation du dessin ou modèle par l’employeur
mais il est acquis en jurisprudence que cet article doit être interprété à la lumière de l’article
88 du règlement en ce sens que le titulaire du droit au dessin ou modèle créé dans le cadre
d’un rapport contractuel autre qu’un rapport de travail subordonné tel que les dessins ou
modèles réalisés par un prestataire pour le compte d’un maître d’ouvrage doit être
déterminé d’après la volonté expresse des parties et la loi applicable au contrat. Cette
interprétation résulte de l’arrêt FEIA de la CJCE du 2 juillet 2009. Suivant cet arrêt, le dessin
ou modèle communautaire appartient au créateur même lorsqu’il est réalisé dans le cadre
d’un contrat de commande. Seul le contrat de travail stricto sensu déroge à cette règle à
moins que le transfert n’ait été effectué par contrat à un ayant-droit. Mais pour que le
régime de l’article 14, paragraphe 3, s’applique il est nécessaire que le modèle ait été créé
par un salarié. Il n’est pas envisageable d’y soumettre un mandataire social, un stagiaire ou
encore un consultant indépendant. La création doit être réalisée dans l’exercice des
obligations du salarié ou suivant les instructions de son employeur. L’article 14, paragraphe
3, ajoute une autre limite à l’application de sa règle « La règle ne peut s’appliquer qu’à
défaut de solutions en droit interne ». Précisément la difficulté pour le droit français relève
du silence de la loi nationale. On peut se rallier à la doctrine française qui regrette que la
réforme française de 2001 n’ait pas permis de trancher cette question et d’apporter une
solution claire au problème de la dévolution des droits sur les dessins ou modèles lorsque la
création est le fait d’un salarié. La revendication du droit de propriété sur le dessin ou
modèle est envisagée par le régime français à l’article L511-10 et par le régime unifié aux
articles 15 et 16 du règlement. Si le titre de propriété a été déposé en fraude des droits
d’auteur ou en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui s’estime
en droit de revendiquer la propriété peut le faire en justice. Il se peut en effet que la création
protégée au titre des dessins ou modèles ait un titulaire qui ne soit pas celui du droit
d’auteur. Dans ce cas la revendication permet à l’auteur de revendiquer le cumul des
régimes. En ce sens l’article L512-4 pose que le droit de propriété est nul s’il porte atteinte
au droit d’auteur d’un tiers qui pourrait éventuellement être un salarié ou un prestataire de
services. L’auteur qui n’a pas cédé ses droits d’auteur ou qui voit un tiers déposer son œuvre
à titre de dessin ou modèle peut ainsi s’opposer à cette appropriation sur ce fondement.
L’article L511-10 tranche les questions de procédure attachées à cette action en
revendication qui se prescrit par trois ans à compter de la publication de l’enregistrement du
dessin ou modèle ou en cas de mauvaise foi à compter de l’expiration de la période de
protection. L’enregistrement ouvre en outre le droit d’agir en contrefaçon mais aussi le droit
à être protégé sur ce terrain pendant une durée de 5 ans à partir du dépôt. La durée étant
renouvelable par périodes identiques jusqu’à un maximum de 25 ans. Le régime français de
la durée de protection a considérablement évolué sous l’influence du droit supranational
quand on songe par exemple que sous la loi de 1909 la durée totale de protection du dessin
ou modèle pouvait atteindre 50 ans.
Nullité
La question de la nullité est liée à la procédure de délivrance du dessin ou modèle et il
convient donc de l’envisager ici. En droit d’auteur, l’absence de procédure de dépôt conduit
à envisager la nullité pour défaut d’originalité dans le cadre du seul contentieux judiciaire
comme moyen de défense à une action en contrefaçon. En matière de dessins ou modèles la
nullité est aussi, comme en droit des marques et en droit des brevets, un argument du tiers
pour s’opposer à la validité du titre de propriété. Mais à la différence du droit des marques
ou des brevets, il n’y a pas de procédure d’opposition devant l’office national ou régional en
droit des dessins ou modèles. Le titre bénéficie d’une présomption de validité et il appartient
aux tiers de la faire tomber. L’absence de contrôle au fond dans le cadre d’une procédure
d’opposition n’écarte pas toute compétence de l’OHMI pour apprécier la validité post-dépôt
du titre de propriété communautaire ou unitaire. En droit français l’article L512-4 a écarté la
compétence de l’INPI et a prévu que la nullité peut seulement être faite en justice à titre
principal ou à titre reconventionnel. Le règlement a prévu que dans le cadre d’une action en
contrefaçon, la nullité d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré peut être
prononcée par le tribunal national communautaire des dessins ou modèles, en France le TGI
de Paris. Mais si le dessin ou modèle est enregistré, l’article 24 du règlement a prévu que la
demande en nullité peut être formée au principal devant l’OHMI et dans le cadre d’une
action en contrefaçon à titre reconventionnel devant le tribunal national des dessins ou
modèles communautaires. La décision de l’OHMI est susceptible d’un recours devant la
chambre des recours et en dernier ressort devant la CJUE. Cette solution a été prévue pour
assurer une interprétation uniforme des conditions de validité des dessins ou modèles
unitaires enregistrés. Les causes de nullité du titre français comme les causes de nullités du
titre unifié sont celles de l’article 11 de la directive de 1998, cet article a été transposé à
l’article L512-4 du code français et on le retrouve à l’article 25 du règlement. Ces deux textes
proposent une liste exhaustive des causes de nullité relative et absolue. Le non-respect des
conditions de fond de validité des titres est sanctionné par la nullité absolue : absence de
caractère propre ou individuel, absence de nouveauté par exemple. Les causes de nullité
absolue sont celles qui peuvent être invoquées par tout intéressé. Elles sont identiques en
droit français et en droit européen unifié. Les causes de nullité relative sont celles qui ne
peuvent être invoquées que par une catégorie limitée de personnes, en pratique celles qui
détiennent une antériorité opposable et qui n’ont pas donné une autorisation au déposant.
Il existe 4 causes de nullité relative communes au droit français et au droit européen unifié.
D’abord le dépôt effectué en violation des droits du créateur ou de l’ayant-cause, c'est-à-dire
le dépôt frauduleux permettant au créateur ou à l’ayant-cause d’exercer une action en
revendication de propriété. Ensuite la nullité en violation des droits d’un dessin ou modèle
antérieur, divulgué après la date de dépôt ou de priorité de la demande d’enregistrement.
C'est-à-dire qu’il est possible de demander la nullité en cas de conflits dans le temps entre la
période de dépôt et la date de divulgation du bien intellectuel. Deux hypothèses sont visées :
celle où le dessin ou modèle déposé est en conflit avec un dessin ou modèle antérieur
divulgué après le dépôt ou après la date de priorité du dessin ou modèle. Celle où la priorité
unioniste est revendiquée à une date antérieure correspondant à l’enregistrement ou à la
date du dépôt d’un dessin ou modèle dans un pays origine. L’atteinte à un droit d’auteur
antérieur et il s’agit ici de sanctionner l’utilisation d’une œuvre protégée sur le terrain du
droit d’auteur. Dans ce cas, le dépôt constitue une reproduction non autorisée de l’œuvre
antérieure. Est aussi une cause de nullité relative, commune au droit français et au droit
européen unifié, l’atteinte à un signe distinctif antérieur. Cette cause de nullité figurant
parmi les causes facultatives de nullité prévues dans la directive de 1998 a été imposée
comme antériorité opposable par le CPI et par le règlement. L’expression de signe distinctif
recouvre les marques, l’enseigne, le nom commercial, le nom de domaine ou encore la
dénomination sociale, le conflit peut surgir dès lors qu’un dessin déposé reproduit l’un de
ses signes antérieurs qui ont été appropriés par un tiers. Le règlement prévoit une cause
supplémentaire de nullité que l’on ne retrouve pas en droit interne, il s’agit de l’usage
abusif. L’article 25 du règlement g) énonce qu’il est permis de demander la nullité d’un
dessin ou modèle communautaire s’il constitue un usage abusif de l’un des éléments
énumérés à l’article 6 ter de la convention d’union de Paris ou encore s’il constitue un usage
abusif de signes, emblèmes ou armoiries autres que ceux visés à l’article 6ter à condition
qu’ils présentent un intérêt public particulier pour un État membre. En droit français, nul
doute que l’atteinte à l’ordre public et aux bonnes mœurs pourrait constituer un fondement
légitime et suffisant pour permettre une annulation du dessin ou modèle français intégrant
des symboles ou emblèmes. Le droit français et le droit européen unifié des dessins ou
modèles envisagent tous deux la possibilité pour les pouvoirs publics d’engager d’office une
action en nullité. L’article L512-4 a accordé cette compétence au ministère public et l’article
25 du règlement a confié cette action à l’autorité compétente de l’État membre concerné.
S’agissant enfin des effets de la nullité, il est acquis que la décision du juge ou de l’OHMI
concernant les dessins ou modèles unitaires enregistrés porte sur l’ensemble du territoire
concerné. La nullité produit un effet rétroactif et le titre de propriété est tenu pour ne jamais
avoir existé emportant résolution des contrats qui ont pu être passés pour l’exploitation du
bien. C’est à cet égard que l’article L512-6 signale l’effet absolu de la décision d’annulation.
Toutefois l’effet absolu de la nullité n’affecte pas les décisions en contrefaçon ayant acquis
autorité de chose jugée avant la décision d’annulation et l’effet absolu de la nullité n’affecte
pas non plus les contrats conclus et exécutés antérieurement à la décision d’annulation. Il
convient par ailleurs d’indiquer que les effets de la nullité peuvent être partiels si les motifs
de nullité n’affectent le dessin ou modèle qu’en partie seulement. Dans ce cas le droit
français et le règlement admettent la possibilité de maintenir l’enregistrement sous une
forme modifiée. Cela signifie que le titulaire aura renoncé pour l’avenir à une partie de la
protection jusque-là accordée. Une telle décision de nullité partielle ou une telle
renonciation partielle de la part du déposant fait nécessairement l’objet d’une inscription au
registre national ou régional.
d) Le système de la Haye
L’arrangement de la Haye de 1896 opérationnel depuis 1928, est géré par l’OMPI et propose
un système de dépôt international des dessins et modèles qui peut à ce jour être régi par
deux actes. L’acte de Londres de 1934 n’est plus en application depuis le 1er janvier 2010
mais il reste l’acte de 1960 qui a régi la plupart des dépôts entre 1934 et 2004 et depuis
2004 c’est l’acte de Genève de 1999 qui régit la plupart des dépôts et compte le plus grand
nombre de membres à savoir une cinquantaine dont les États membres de l’Union
européenne, le Japon, les États-Unis, la Corée, le Canada et l’Australie. Depuis 2004 la
couverture géographique des dessins et modèles internationaux est stratégiquement très
intéressante. Cette procédure simplifiée dont la langue est le français ou l’anglais permet des
économies de coûts importantes. Les traductions de documents ainsi que le paiement d’une
série de taxes nationales ne sont en effet plus nécessaires. Cette procédure permet
également d’encourager les entreprises européennes à renforcer leurs échanges
commerciaux avec les pays tiers. Il y a désormais un lien entre le système de la Haye et celui
de l’OHMI. Deux règlements ont en 2006 relié le système d’enregistrement des dessins et
modèles communautaires au système international géré par l’OMPI. Grâce à ce pont entre
l’acte de 1999 et l’OHMI, les entreprises peuvent obtenir, moyennant une demande unique
effectuée auprès du bureau de l’OMPI la protection d’un dessin ou d’un modèle non
seulement au travers de l’Union européenne mais aussi dans les pays partis à l’arrangement
de la Haye et vice versa. L’enregistrement international qui doit être demandé directement
auprès de l’OMPI selon l’acte de 1999 peut depuis 2008 produire ses effets sur l’ensemble
des États membres de l’Union européenne mais encore sur l’ensemble des États membres
de l’organisation africaine pour la protection de la propriété intellectuelle. L’OMPI se
contente de publier la demande d’enregistrement international et de la transmettre à
l’office ou aux offices qui pourront la refuser ou l’accepter. Si aucun refus n’est notifié par
l‘office à l’OMPI, l’enregistrement du dessin ou modèle produira les mêmes effets qu’un
enregistrement national ou régional. Les personnes ayant un lien avec les membres en
termes de nationalité, de domicile ou d’établissement peuvent introduire une demande
internationale auprès de l’OMPI même si son pays n’est pas lui-même membre du système :
Royaume-Uni, Pologne ou Suède par exemple. Et à la différence du système de Madrid dont
on a parlé en matière de marques, il n’est pas nécessaire d’avoir déjà déposé son titre dans
un pays membres pour pouvoir utiliser le système centralisé administré par l’OMPI.
b) Prérogatives
On définira le contenu du droit de propriété en abordant d’abord la question non
harmonisée du cumul de protection puis nous allons définir les prérogatives du titulaire du
dessin ou modèle communautaire non déposé pour mieux distinguer ses prérogatives de
celles attachées au dessin ou modèle enregistré.
Cumul de protection
S’agissant du cumul de protection, la règle de l’unité de l’art est facultative. Une divergence
de taille entre les pays européens porte sur le cumul de protection du dessin ou modèle sur
le terrain de la propriété industrielle et sur celui du droit d’auteur. La règle du cumul n’a pas
été imposée, elle est pour les États une simple possibilité. L’article 17 de la directive contient
en effet des dispositions facultatives. Et à l’échelle internationale la convention d’union de
Paris, l’ADPIC ont laissé aux États membres une totale liberté de choix à cet endroit, les
États-Unis protègent à ce jour les dessins et modèles industriels par un brevet spécifique le «
design pan ou patent ? » et depuis 1998 les dessins et modèles de coques de bateaux sur le
terrain du copyright. En Europe, la directive a cherché à encourager les États membres à
donner des droits d’auteur ad vitam à l’artiste qui créé la forme ornementale sans formalité,
en plus des avantages conférés par le dépôt à titre de dessin et modèle. Cette autorisation
de cumul est un avantage certain pour l’auteur si le dépôt du dessin et modèle est annulé ou
quand la durée de protection du dessin ou modèle est expirée. Si l’œuvre est tombée dans le
domaine public, les ayants droit de l’auteur pourront la déposer comme dessin ou modèle et
cumuler les deux durées de protection à savoir 70 ans post mortem et 25 ans depuis le
dépôt. Le dépôt donne aussi une date certaine à partir de laquelle nul ne peut pendant un
temps, copier ou imiter l’apparence extérieure du produit ornemental. La publication du
dépôt est une divulgation qui déclenche une présomption de la qualité d’auteur en vertu de
l’article 113-1 du CPI. Le droit d’auteur permet quant à lui de bénéficier du droit moral
absent de la propriété industrielle. A titre de rappel, en France, le droit moral donne en
outre à l’auteur le droit au respect de son nom et de la qualité de son œuvre, il est
perpétuel, inaliénable, imprescriptible, il ne peut pas faire l’objet d’une renonciation, ni
même d’un transfert par voie contractuelle. En France le cumul de protection est possible
selon l’article L513-2 du CPI, les dessins ou modèles sont protégeables par le droit d’auteur
s’ils constituent des œuvres de l’esprit en dépit de leur destination industrielle. L’article
L112-2 en prend acte et vise expressément comme protégeables par le droit d’auteur les
œuvres des arts appliqués. Le critère de l’originalité conçu traditionnellement de façon
subjective comme étant l’empreinte de la personnalité de l’auteur a été assoupli et pour les
dessins et modèles la jurisprudence française se contente d’un « effort créatif personnalisé »
c’est à dire d’un apport intellectuel. La contrefaçon d’un dessin ou modèle en droit d’auteur
consistera soit à le reproduire à l’identique totalement ou partiellement soit à en faire une
imitation. Comme la règle du cumul est une mesure d’harmonisation facultative en Europe,
les États membres gardent toute latitude pour continuer comme l’Italie ou l’Allemagne à
interdire le cumul avec le droit d’auteur ou comme le Royaume-Uni à autoriser le cumul de
la protection du design non industriel sur le terrain du copyright mais selon un régime de
Propriété Littéraire et Artistique (PL&A) aménagé pour une durée de 25 ans, à la condition
que le design ne fasse pas l’objet d’une production industrielle.
Il en résulte une grande insécurité juridique pour le titulaire du dessin ou modèle. Même si
demain le cumul devenait pratique courante dans tous les pays voisins, force est de
constater que nombre de disparités de traitement des dessins et modèles sont de nature à
subsister tant qu’il n’y aura pas de véritable harmonisation des régimes nationaux des droits
d’auteur en Europe.
IV. Les règles concernant la mise en œuvre du droit de propriété sur les dessins
ou modèles
Le monopole sur les dessins ou modèles est mis en œuvre de façon active par l’exploitation
qui en est faite, c’est à dire la cession (la vente), la licence (louage de chose), la vente et le
louage étant les deux types de contrats d’exploitation habituellement pratiqués. En
l’absence de dispositions spéciales, on applique ici le droit commun des contrats. Toutefois
afin de se réserver le bénéfice des droits patrimoniaux d’auteurs les cocontractants sont
tenus au respect du formalisme particulier imposé aux articles L131-1 et suivants du CPI. Ces
dispositions concernent le droit d’auteur. Ainsi le contrat sera écrit, contiendra la mention
de chacun des droits cédés, le territoire concerné, la durée de cession ou de concession et sa
destination. Il faudra par ailleurs prévoir une rémunération proportionnelle. La cession
globale d’œuvres futures sera en outre proscrite. Le monopole sur les dessins ou modèles
est mis en œuvre de façon défensive par le recours à l’action en contrefaçon civile et/ou
pénale qui sanctionne les utilisations sans autorisation. Les juridictions nationales des États
membres sont exclusivement compétentes pour sanctionner les actes de contrefaçon
concernant les dessins ou modèles communautaires enregistrés et non enregistrés. Comme
pour la marque unitaire européenne, les États membres ont attribué la compétence en
matière de contrefaçon de dessin ou modèle à un ou plusieurs tribunaux des dessins ou
modèles communautaires à qui revient le soin de statuer sur les faits de contrefaçon commis
ou menacés d’être commis, mais aussi sur les actions en nullité d’un dessin ou modèle
communautaire non enregistré ainsi que sur les demandes reconventionnelles en nullité
d’un dessin ou modèle communautaire, demande présentée dans le cadre des actions en
contrefaçon. En France, le dépôt est une condition de recevabilité de toutes les actions
susceptibles d’être entreprises par le titulaire au civil comme au pénal. Il en résulte que les
faits antérieurs au dépôt ne permettent pas de défendre le titre de propriété. Les faits
commis entre le dépôt et l’enregistrement ne le permettent pas davantage sauf si le
déposant a pendant cette période notifié aux tiers, copie du dépôt de son dessin ou modèle.
Ce sont les faits postérieurs à la publicité de l’enregistrement qui sont susceptibles d’être
sanctionnés. L’action civile est ouverte à son déposant ou à son cessionnaire de même qu’au
licencié exclusif mais à condition que le propriétaire concédant n’ait pas réagi à la mise en
demeure du licencié. Le déposant peut agir en amont de l’action en contrefaçon pour
violation du droit sur le dessin ou modèle afin de se pré-constituer une preuve de l’infraction
ou d’y mettre un terme. Il peut selon l’article L512-4 adresser une requête au président du
tribunal de grande instance en vue d’une saisie-description ou d’une saisie-réelle des objets
ou matériels contrefaisants. En vertu de l’article L521-14, il peut également solliciter la
retenue en douanes des marchandises contrefaisantes. Au pénal, les officiers de police
judiciaire peuvent intervenir sur demande du déposant pour saisir les produits ou matériels
litigieux, cela est prévu à l’article L521-9. A partir de la publication de l’enregistrement, le
titulaire du dessin ou modèle pourra saisir le TGI au civil et le Tribunal Correctionnel au
pénal. La juridiction territorialement compétente étant définie par décret. Le Tribunal
administratif pourra être compétent si le défendeur est une personne publique telle une
université par exemple. Toute action est bien entendue exclue pour des faits postérieurs à la
durée de protection. Pour des faits antérieurs, l’action se prescrit au civil par trois ans à
compter des faits générateurs selon l’article L521-3. Il en va de même au pénal en
application du droit commun. Le point de départ du délai de prescription est constitué par
chacun des actes délictueux car la contrefaçon n’est pas un délit continu. Quelles preuves
doit fournir le titulaire du titre de propriété pour mettre en œuvre l’action en contrefaçon ?
Tout d’abord il doit établir un élément moral au pénal, c’est à dire qu’il doit prouver que le
contrefacteur a agi sciemment. Au civil l’élément moral n’a semble-t-il pas à être établi
depuis l’abrogation de l’ancien article L521-2. Au civil comme au pénal le titulaire doit
prouver l’élément matériel du délit à savoir une exploitation sans autorisation. Le plus
souvent il s’agit d’une reproduction mais en cas de reproduction partielle les juges devront
se livrer à une appréciation de la contrefaçon et se fonder sur des motifs tirés de «
l’impression d’ensemble qui se dégage de l’examen du dessin ou modèle ». Il n’y a
contrefaçon que s’il existe un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle celle-ci
pouvant être constituée de professionnels ou de non-professionnels. On rappellera ici à
toute fin utile qu’un titre enregistré pourra être protégé à la fois contre la copie
systématique et le développement indépendant d’un dessin ou modèle similaire tandis
qu’un dessin ou modèle non enregistré pourra être protégé mais uniquement contre la copie
systématique effectuée à des fins commerciales. Dans ce dernier cas les juges n’ont pas à se
livrer à une appréciation de la contrefaçon au regard de l’impression d’ensemble et du
risque de confusion. Quels sont les arguments de défense ? Invoquer l’absence de
matérialité de la contrefaçon ou hormis le cas du dessin ou modèle communautaire non
enregistré, invoquer l’invalidité du dépôt en invoquant le non-respect d’une condition de
fond telle l’existence d’une antériorité par exemple. Le défendeur peut également invoquer
l’une des exceptions ou limitation à l’exercice du monopole que nous avons étudié. Ces
moyens de défense ne le mettent pas pour autant à l’abri d’une action en concurrence
déloyale ou en parasitisme économique. Le demandeur devra alors prouver l’existence de
faits distincts de la contrefaçon, c’est à dire d’agissements fautifs différents de la
contrefaçon. Quel est le dénouement de l’action ? Au civil, la contrefaçon peut donner lieu à
réparation sur le fondement de la contrefaçon en soi et/ou le cas échéant sur celui des
articles 1382 et suivants du Code civil. Le fait générateur du dommage, c’est la contrefaçon.
Le préjudice, c’est le manque à gagner généré par la vente des objets contrefaisants à la
place des objets protégés c’est à dire des objets contrefaits. Le préjudice commercial peut
aussi découler d’une dépréciation des dessins ou modèles contrefaits dans le cas où les
objets contrefaisants sont vendus moins chers ou sont de moindre qualité. Ainsi par exemple
le fait d’offrir des modèles de lunettes de luxe dans un catalogue de vente à distance bon
marché peut déprécier les modèles protégés. L’article L521-7 du CPI prévoit la possibilité
pour le tribunal d’allouer à la victime une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure aux
redevances que le contrefacteur aurait dû lui verser. Au pénal si la contrefaçon est établie le
tribunal pourra prononcer les peines prévues par l’article L521-10 du Code. Un maximum de
3 ans d’emprisonnement et/ou 300.000 euros d’amende. Comme pour la contrefaçon en
propriété littéraire et artistique, les peines ont été augmentées par la loi du 9 mars 2004
portant à 5 ans la prison et à 500.000 euros d’amende si le délit est commis en bande
organisée. Les peines encourues peuvent également doubler en cas de récidive ou si le
délinquant est lié ou a été lié au demandeur par convention. Ceci est prévu à l’article L521-
13. L’article L521-14 du CPI a enfin prévu la possibilité d’une retenue en douanes. Nous
venons d’étudier le régime franco-communautaire des créations ornementales à vocation
industrielle et commerciales. Nous avons pu constater que le régime d’appropriation et de
protection est bien distinct de celui des autres créations industrielles que sont les brevets,
mais aussi de celui des signes distinctifs que sont les marques et de celui des droits d’auteur.