BAUMGARTEN, Esthétique (Trad. Pranchère, L'Herne, 1988)

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Prolégoménes PESTHETIQUE (ou théorie des arts libéraux, gno- séologie inférieure, art de la beaueé du penser, art de Tanalogon de la raison) est Ia science de la connaissance sensible, § 2: Le degré de perfection qu’apporce aux facultés de connaissance inférieures, prises 4 l'état de nature, leur seule utilisation, sans culture théorique, peut ére nommé ESTHETIQUE NATURELLE, Celle-ci se divise, de méme qu’a Tordinaite la logique nacutelle, en esthérique innée, qui reléve de Minnéicé du bel espric, et en esthétique acquise. Cerce demizre se divise derechef en doctrine esthétique et en esthétique appliquée, § 3 : Lesthétique arvifcielle qui compléte Testhétique naturelle aura notamment pour utifité: 1) d'appréver un matériau adéquat d destination des sciences dont le mode de connaissance est principalement intellectuel; 2)de mertte les connaissances scientifiques a la_portée de cour un chacun; 3) d'étendre le progrés de la connais- pouvons connaltre cies conséquents a ensemble des études contemplacives ainsi qu’aux arts libéraux; 5) d’assuret, dans les activicés de la vie quotidienne, une supériorieé sur Tensemble des individus. wt EsTHENQUE § 4: Elle se spécifiera done dans les utilisations sui- Vantes : 1) philologique; 2) herméneutique; 3) exégétique; 4) Faeries 5) homiletique ; 6) pokique; 7) musi eC, § 5 : On pourrait élever contte notre science les objections suivantes: 1) elle couvte un domaine «op vaste pour qu'un seul traité ou un seut exposé puisse en donner une Présentation exhaustive ~ je réponds que je suis d'accord, mais que quelque chose vaut mieux que rien - 2) elle fe fait qu'un avec la thétorique et la poétique — je séponds : 2) son domaine est plus vaste; b) elle comprenid des objets que ces deux sciences oat ea commun aussi bien avec d'autres arts libéraux qu’entre elles, et que notre traité soumetera une fois pour toutes, en la place qui leur convient, a un examen attentif qui permettra a tout art, pel gull soit, de cultiver son teria propre avec plus profit et sans tautologies superfiues. 3) Ble ne faie qu'un avec la critique — je réponds : a) il y a aussi ine critique logique; b) une certaine espace de critique consti tue une part de I'esthécique; ¢) cette derniére requiere, de fagon presque inévitable, une sorte d'idée préalable (prae~ aotio) de Vautre partie de Vesthétique, si 'on ne veut as, lorsquill s'agit de juger de la beauté des pensées, des paroles ct des écrits, disputer des godes seuls. § 6 : D'autres objections sont encore possibles. A l'ob- fection : 4) les sensations, les représentations imaginaires, les fables et les troubles passionnels ne sont pas dignes de philosophes, et se sieuene en dega de leur horizon — je teponds : 8) le philosophe ese homene parm les hommes, ecil n'est pas bon qu’il considére une partie si importante de la connaissance humaine comme lui éant érraagére; by objection confond théorie générale de la beauté des pensées et pratique, application singuligre. § 7 A objection : 5) la confusion est mére de l'ereur = je réponds : a) mais elle est 1a condition sine qua non de la découverte de Ja vétité, 18 oti In nature ne fait pas 1. Homiécique art de converses. 122 ESTHETIQUE THEORIQUE le saut de lobscurité a la clarté distincte. Pour aller de la nuit au midi il faut passer, par Vaurore; b) si la confusion doit éee objer de prévccuparic’, est afin a'éviter les erreurs, qui sont si grandes et si nombreuses, chez ceux qui n'en ont cure; ¢)on ne préconise pas la confusion, mais on corrige la connaissance dans la. mesure 08 quelque confusion lui est nécessairement méléc. § 8: A Sobjection : 6) cese la connaissance distincte qui a Ia préséance — je réponds: a) dans le cas d'un esprit fini, cette préstance ne vaut que pour les objets d'une importance supérieure; b) connaissance connaissance confuse n¢ s'excluent pas; <) c‘est pour cette raison que, conformément aux régles dont nous avons tune connaissance distincte, nous commencerons par sou- mectre la beauté de la connaissance a des. régles; la connaissance distincte en ressurgira d'autane plus parfaice pat Ia suite. §.9: A Vobjection : 7) il ese a craindre que le domaine de la raison et de Ja rigueur logique ne subisse quelque dommage de ce que I’on cultive I'analogon de la raison = je réponds : a) cet argument est au nombre de ceux ‘qui patlene plutde en notre faveur, puisque ‘est pré- cisément ce_méme danger qui, chaque fois que nous echerchons Ja perfection d'une composition, nous incice 4 Is citconspection saps aucunement nous conseiller de négliger la veaie perfection; b) il n'est pas moins néfaste Ala faigon et a sa stricte rigueur logique de ne pas culkiver T'analogon de la raison, ou pire de le laisser corrompre. § 10: A Vobjection ; 8) l'eschécique est un art, non une science ~ je réponds : a) ces deux aptitudes ne sont pas opposées. Combien d’arts, qui aucrefois étaient ants et sien d'autse, Sone désormais également des sciences? b) que notre art puisse faire V'objec d'une mise en forme démons- trative, Fexpétience le prouvera; c'est toujours evident @ priori, puisque la psychologie et les autres sciences qui s'y sattachenc disposene d’une abondance de principes 13 sTHETQUE, certains; et qu'il mérice d'éere élevé au rang d'une science, les utilisations qu'il permet, ec que nous avons mention” ages aux § 3 et 4, le montrent. § 11: A Vobjection : 9) on nait esthéticien, de méme Qu’on nait pode, on ne le deviene pas — je réponds Yoyez Horace (Arr poérique, 408), Cicéron (De Oratore, 2, 60), Bilfinger (Dilucidationes philosophicae, § 268) ex Breitinger (Von den Gleichnissen ', p. 6); une théorie plas complete, qui se recommandera davantage de l'antorité de Ta raison, qui sera plus exacte et moins confuse, plus avésée ec moins précaire, ne pourra qu’étre utile a Tes thécicien né § 12: A Vobjection: 10) les facultés infétieures — 1a chair ~ doivent étre combareues, plucdt que stimulécs e aguetries ~ je réponds: a) ce qui est requis est la sourission des facultés inférieures a une autorité, non 4 une tyrannie; b) esthétique, nous prenant pour ainsi dire par la main, nous conduira a ce résultat, pour autant qu'il puisse ére obtenu par des voies narurelles: ©) les esthéticiens n'ont ni a stimuler ni a aguerrir les faculeés inférieures dans la mesure ol elles sont cor fompues, mais doivent les diriger afin d’éviter que leur corruption ne soit aggravée par des exercices déplacts, ou, a Tinverse, que sous I'oiseux prétexte d’éviter les abus l'on ne réduise a néant toute utilisation d’un talent accordé par Dieu, § 13 : De méme que se sceur ainée Ia Logi esthétique se divise en: 1) nazoRIQUE, docttinale, géné- rale (premiéte partie); ses préceptes portent sur’ 1) les chases et les “pensées : chapicre 1", « Heuristique »; 2) Yordre clair : chapitre 2, « Méthodologie »; 3) les signes dans lesquels s'exprime la beauté des pensées et de leur agencement : chapitre 3, « Sémiotique »; II) PRATIQUE, appliquée, spéciale (deuxitme partie). Qu'il s‘agisse de Tune ou de autre, 1. Des paraboles (ou des méraphores). (Nd. 7:) ig BSTHETIQUE THEORIQUE Celui qui concenttera ses forces sur la chose NiiTéloquence ai Forde date ne lui ferone feu! Tes soins iront a la chase d'abord; a Vordre clair ensuite, aux signes en demier lieu. 1, Horace, Ep., 2, 3. PREMIERE PARTIE Esthétique théorique CHAPITRE PREMIER Heuristique Section 1: la beauté de ta connaissance § 14: Ta fin de esthétique est la perfection de Ja connais- sance sensible comme telle, c’est-a-dire la beauté. Elle doie éviter Timperfection de la connaissance sensible comme telle, cest-i-dire la laideut, §.15 : L'esthéticien, comme tel, ne s'occupe pas des per fections de la connaissance sensible qui sont si profon- dément cachées qu’ou bien elles restent pour nous tota- Jement obscures, ou bien n’acceptent de notre part d’aucre regard que celui de lentendement. §.16: Lesthéticien, comme tel, ne s‘occupe pas des imperfections de la connaissance sensible qui sont si pro- fondément cachées qu’ou bien elles restent pour nous toralement obscures, ou bien ne peuvent étre décelées autrement que par le jugement de 'entendement. § 17: La CONNAISSANCE SENSIBLE est, comme I'indique la dénomination qu'il est préférable de retenit, ensemble des représentations qui se situenc en degi de cute dis- tinction substantielle. Si en méme temps nous voulions, désormais la prendre, telle qu'elle existe, pour objet d'un tegard d'ensemble, et appliquer notre entencement a la fagon done procéde quelquefois I'amaceur au gode avert, 127 BTHENQUE it a la beaucé et a I'éloquence seules, soit & la seule laideur, alors la distinction nécessaire A la science succom- bberaie sous Ia masse des charmes ou des difformités & rendre en compte; beauté et taideue, réparties en dif- férentes classes, disposenc en effet d'un nombre imposant, de genzes, d'espéces et d’individus. C'est pourquoi nous considérerons en premier lieu Ia beaué en tant qu'elle ¢st commune & presque toutes les connaissances sensibles, €M cane que BEAUTE UNIVERSELLE; et en méme temps quelle nous aurons a étudier son contraire. § 18: La beauté universelle de ln connaissance sensible consistera 1) dans accord des pensées entre elles, abs- traction faite de leur ordre et des signes qui les expriment; Jeur unité en tant que phénoméne, est Ja BEAUTE DES (CHOSES ET Des PENSEES. On doit la distinguer de la beauté de la connaissance, dont elle est la premiere ec principale pattie, er de Ia beauté des objets et de Ja matiére, avec laquelle elle est souvent a tort confondue, bien que la signification du mot «chose » soit généralement teque. Des objets laids peuvent, en tant que tels, éere pensés de belle fagon, et inversement des objets qui sont beaux peuvent re pensés d'une maniére aide. $19; La beauré universelle de la connaissance sensible Consiscera, attendu qu'il n'y a pas de perfection sans ordre, 2) dans l'accord de ordre (Iui-méme destin & petmetere Vexamen séfléchi de ce que l'on a pensé de belle fagon) et avec Iui-méme, et avec les choses. Cet accoid, en tant que phénomene est la BEAUTE DE L'ORDRE et de l'agen- cement. § 20: La beauré universelle de la connaissance sensible Consistera, attendu que nous ne percevons pas les choses désignées sans leurs signes, 3) dans l'accord des signes ‘entre eux, avec Tordte et avec les choses. Cet accord, en tant que phénoméne, est la BEAUTE DEL'EXPRESSION PAR, SIGNES (significatio), comme par exemple celle du style (dictio) et de Ia faconde (elocntio), lorsque le type de signe utilisé ese le genre du discours ou de l'encretien, et encore celle de la diction ec des gestes, lorsque l'encretien se fait 18 ESTHETIQUE THEORTQUE de vive voix. Nous avons la les « crois Grices », les trois beautés universelles de la connaissance, §21: 1 y a un nombre correspondant de laidcurs, de défauts et de souillures de la connaissance sensible qui sone possibles, et que T'on s‘efforcera d'éviter, tant a Végatd des pensées et des choses qu’ Végard de la Liaison d'une pluralité de pensées, et qu’a l'égard de l'expression, par signes (pour reprendre l'ordre suivi par notre énu- mération au § 13). § 22: Toute connaissance atteint a perfection grice & Vabondance, la grandeur, la vérité, la daré, Ia certitude et la vitalité de la connaissance, pout autant que celles- ci s'accordent en une seule perception et entre elles ~ par exemple T'abondance et la grandeur avec Ia clarté, la vérité et la clareé avec Ia certitude et tour le reste avec la vitalité-, et pour autant que les autres variérés de la connaissance s'accordene avec elles, ces qualités, en tant que phénoménes, ont pour effet la beausé universelle de la connaissance sensible, avant tout celle des choses et des pensées, en lesquelles nous réjouissent Ia profusion, la noblesse, la sGire lumiére du Vrai en mouvement. § 23: La mesquinerie, la vulgatité, la fausseté, Pobscurité impénécrable, le lorcement de I'indécision et l'inertie sont les impetfections qui menacent toute connaissance; ca tant que phénoménes, elles ont généralement pour effec d'enlaidir la connaissance sensible, principalement lorsque ces défaurs affectent les choses et les pensées. § 24; La beauré de la connaissance sensible et I'élégance méme des choses sont des perfections qui résultene d'une composition, bien qu’elles soient universelles; ce qui est ailleurs évidene du faie qu'aucune perfection simple ne Soffte & nous en tant que phénoméne. L’on admet par suite un grand nombre d'exceptions, que Fon ne doit pas tenir pour des défauts, méme si elles sont phénoména- lement présentes, pourvu qu’elles n'empéchent pas que Vaccord des phénoménes soit le plus complet possible, 129 ssmutnque aucrement dit pourvu qu’elles soient les plus rates et les plus petites possibles. § 25: Ces conditions réunies nous donnent Ja beauté; si fous la nommons ELEGANCE, alors que les EXCEPTIONS ‘que nous avons décrites au § 24 ~ et qui se produisent lorsque par exemple une régle de beauté plus faible céde devane une regle plus forte, une régle moins productive devant une régle plus productive, une régle utile a plus court terme devant une régle utile & plus long terme, et 4 laquelle elle est subordonnée ~ seront dites NON INI LEGANTES. C'est en conséquence 4 bon droit qu’en éra- blissanc, par la connaissance, les régles de Ia beauté, on pprendra en méme temps en compte leur importance, $26: Une perception, en tant qu’elle est présentation ‘une raison, est un ARGUMENT. Ilya donc des arguments, qui enrichissent, qui rehaussent, qui démonurent, qui illuserenc, qui persuadenc; et d'autres enfin qui donnent vie et mouvement; T'esthétique exige d'eux qu’ils aiene non seulement de la force et de Mefficacité, mais encore de l'élégance. La partie de la connaissance en laquelle un ‘as unique d’élégance est mis au jour est le FIGURE (le schéma). Il y a done des figures : 1) des choses et des ppensées, a savoir les SENTENCES, 2) de Tordre, de I'ex- pression par signes, dont relevent les figures de style, I y a autane de types de figures — plus précisément de Seneences ~ que de gentes d’arguments. § 27: Puisque la beauté de la connaissance n'est ni plus grande ni plus noble que les forces wives de celui qui. pensant avec beauté, la produit, nous aurons avant tout @ esquisser en quelque manidre la genise et I'Tdée de celui dont Ia pensée doit avoir de la beauté; notre projet est le CARACTERISTIQUE DE L'ESTHETICIEN HEUREUX, qui consiste dans l'énumération des éléments qui par nature consticuent dans une ame les causes prochaines de la belle connaissance. Nous nous contenterons donc, pour les rai- sons invoquées au § 17, de la catactéristique générale et LUNIVERSELLE [earholied] que requiert, quel que soit son genre, la beauté des pensées, sans aller jusqu’a établir une 130 {ESTHETIQUE THEORIQUE caractéristique PARTICULIERE, qui est un complément de universe, et est destinge a la mise en ceuvce concréte d'une espéce déterminge de belle connaissance. Section IN: lestbétique naturelle § 28: La caractéristique générale de Vesthéticien heureux, (aous sous-entendons par la ses traits les plus généraux, cf, § 27) doit comprendee : 1) L'esTHETIQUE NATURELLE INNEE (pig, nature, cdyvia, dpyétem atorzeta yevecee '), qui est la disposition narurelle de !"ame tout enciére a penser avec Beauté, disposition avec laquelle elle nait. § 29: A la nature de lesthéticien doit appartenis, selon la détermination qui en a été présentée au § 28 : 1) UINNENTE DE LA GRACE BT DE L'ELEGANCE DE 'ESPRIT; nous visons ici l'innéicé de Vesprit au sens large, lesprit dont les faculeés inférieures sont stimulées avec plus de facilité qu'il n’est coutume, et conspitent, en une har- monie exacte, vers I'élégance de la connaissance. § 30: A Vespric gracieux doivent appartenir, selon la ‘détermination quien a éé présentée pat le § 29; A) les faculeés de connaissance inférieures et leurs dispositions naturelles, qui sone : a) la disposition a sentir avec acuité, qui permet a ’éme non seulement de ir, par les sens extemnes, la matiére premigre du beau-penser, mais encore de pouvoir éprouver, pat son sens interne et sa conscience intime, les changements ct les effets de len- semble de ses aucres facultés, qu'elle devra soumectre a des régles, Pour que la faculté de sentic conspire dans la suite avec ces autres facultés, i faut qu'en l’esprit gracieux son champ d'action soit délimicé de fagon a ce qu'elle n’opprime pas, en tout temps et cout lieu, par n'importe laquelle de ses sensations, les pensées, de quelque sorte quielles soient, qui lui sone hérérogénes. 1, gig: narure; siguts: bonne(s) dispositions); apytora oxougeta feted fines acheypiuee nes. 11 smHErique $31 +b) la disposition naturelle & imaginer, qui permet que Vespric graciewx soit ebpavexciatov' en’ effet | 1) objet du beau-penser est souvent le passé; 2) il arrive souvent que le présent passe avant que la belle pensée qui 'e pour objec n'ait regu sa forme définitive; 3) ce n'est pas a partir du seul présent, mais aussi a partir du passé que nous connaissons Je futur. Pour que I'imagi- nation conspire par ta suite avec ensemble des autres faculeés, il faur qu’ea V'espric geacieux son champ d'action soit délimité de facon a ce qu'elle a’obscurcisse pas, par Ses propres représentations imaginaires, l'ensemble des ‘autres perceptions, qui, sion les considére chacune iso lément, sone coutes par nacure plus faibles que chaque imagination prise & par, Ec si 'on rapporte a Vimagi- nation la faculeé d'invencer, ainsi que Font souvent Jes Anciens, alors i est doublement nécesstire qu'elle « connaisse en T'esprit gracieux un développement bien supérieur & la moyenne, § 32 : <) la disposition naturelle a Vesprit de finesse, qui permet pour ainsi dire de polis le matériau que fes sens, imagination, etc., ont pour téche de fournir; ses outils sone Vespric et le discernement, les facultés qui doivent produire d'une pare 1a beauté de la connaissance, pour aurant qu'elle exige Ia présence phénoménale des har- monies (proportiones) et exclut les disharmonies (dispro- ortiones), d'autre part Ja belle harmonie de Fesprit au sens large. C'est pourquoi, comme il n'est pas race que dertiére le nom d'esprit se tienne également le discerne- ment, Von artribue parfois a lesprit toute belle connais- sance. Il n'en reste cependnt pas moins que, pour pouvoir ppar Ja suite conspizer a son tour de facon adéquate avec Vensemble des aueres facuités de lasme, esprit de finesse doit voir son champ d'action délimicé de facon a ce qu'l ne puisse s'exercer sur aucun matériau qui o’ait été suf fsamment appréeé son usage, §.33: d)la disposition naturelle a reconnaftre et la mémoire. Les Anciens appelaient Mnémosyie la mére des 1, eiavrasiwrov : doré d'une imagination vive (Quine, inst, 6, 2, 29) 132 Estate mufonigus muses, car ils rapportaient aussi a la mémoire la repto- duction par Vimagination, Pourtant celui qui vise a la beauté, par exemple a la beauté d'une narration, ne peur se dispenser d'un recours a Ia faculté de reconnattre elle- méme; bien plusét convient-il qu'alors qu'il invente sa fiction, il use et dispose d'une bonne mémoire, afin d'éviter Ia laidenr d'une contradiction entre ce qui précéde ct ce qui suit. § 34 :€) la disposition poétique, qui est tel poine requise qu'elle a donné le nom de poétes a une classe particn- ligrement éminente d'esthéticiens (au sens pratique du mot). Le psychologue attentif ne s'éronnera donc pas en constatant combien est imporvante la part de la belle médisation qui doit étre formée par composition et dis- jonction des représentations imaginaires. En dépit touce- fois de son importance, la disposition poétique, pour conspirer de fagon adéquace avec l'ensemble des autres facultés, doit voir son champ daction délimicé de fagon ice qu’clle ne puisse soustraire le monde qu'elle a pour ainsi dire eréé au polissage qu'opérent les autres facultés, par exemple lesprie de finessc. § 35; f) la disposition du goat: nous n'entendons pas par Ja le gotic du public, mais Bien plutée le goat délicar, ui partage avec lesprit de finesse la tache de Ta juridiction inférieure des perceptions sensibles, des representations imaginaires, des fictions, ere. Son jugement est requis toutes les fois qu'il est superflu, en ce qui conceme la beauté, de soumertre chaque dérail au jugement de I'en- rendement. § 36: g) Ja disposition a prévoir ec a pressentit lavenie. Les Anciens, lorsqu'ils observaient la présence, en des esprits éminemment beaux, de cece disposition ‘portée & tune puissance rare, extraordinaire, la comptaient, comme une sorte de ptodige et de miracle, au nombre des choses divines. C'est par elle que les poétes sone aussi des voyants (vates). Ce n'est rouretois pas seulement pour je ne sais quels oracles esthétiques que cette disposition, lorsqu’elle passe dans Je domaine public, doit étre requise; car cest 133 STHETQUE Ja vie de toute connaissance, et est en premier lieu la beauté qui ia cequiérent. Pour enfin que cette faculté, avec 1a disposition a la divination, puisse conspiret avec Jes autres facultés, son champ d'action doie étre délimité de facon a ce que, au moment et a l'endroit of elle doit centrer en scéne, elle ne céde pas sa place a Ia sensation, ec encore moins a une imagination qui lui serait héré rogéne. § 37: h) la disposition a indiquer par signes ses propres perceptions, qui est plus ou moins nécessaire, selon le type d'esthéricien que l'on a en vue : celui qui se coatente de penser avec beauté dans le for de son ame, ou celui qui en sus divulgue publiquement ce qu'il a pensé de belle facon. Notons tSutefois que cette disposition ne peut faice cotalement défaut au premier type d'esthéticien. Pour qu'elle s‘accorde par la suite avec l'ensemble des aucres faculeés, son champ d'action ne doit pas étre évenda au poine d'abolir intuition, qui ese nécessaire dla beauté $38: A L'esprit gracieux doivent apparceniz, selon la décermination qu’en a présenté le § 29: B) les faculeés de connaissance supérieures, pour autant que a) il n'est pas tare que T'entendement et In raison, par le pouvoir gu'a Tame sur elle-méme, contribuent dans une large ‘mesure a stimuler les faculeés de connaissance inférieures; byil artive souvent que accord des faculeés inférieures et I'harmonie qui convient la beauté ne puissent étre obrenus aurrement qu’a I'aide de lentendement et de la saison; ¢) la conséquence nacurelle, pour I'Esprie (spiritus), de ia grande vitalité de I'analogon de la raison ¢st la BEAUTE de I'entendement et de la RAISON, de la cohésion de la connaissance extensivement distincte, § 39: L'espric gracieusx ese par nature ainsi disposé qu'il lui ese toujours possible de prendre en vue quelque état de choses fictif, comme par exemple un eat de choses furur, et ce non seulement & partie des états qu'il a vécus dans le passé, et que la mémoire peut cous réactiver, mais encore a partic des sensations externes elles-mémes, grice au pouvoir de l'abstraction; il tui ese donc possible de 134 ESTHENQUE THEORIQUE considérer cee état de choses furur, bon ou mauvais, avec toute Ia finesse de son esprit, et, en travaillant sous Tautorité de 'entendement et de la raison, de le rendre visible par Vencremise des signes appropriés § 40: Crest soit par jeu, soit A la suite d'une grave erreur que Démocrite interdit aux sages l'accés de I'Hélicon; mais il est encote plus déraisonnable d'espérer, comme Je faie une grande partie de humanité, obtcnir pour sécompense le titre d'homme gracieux, Si T'on oa jamais confié sa eéce — que toute Pellébore des trois Ancicyres ne sautait assainic ~ ‘Au barbier Licinus ' § 41: Les faculeés inféricures les plus imporcantes, et plus précisément celles qui sont telles par nature, sont néces- saires & celui done le but est Ia beausé du penser. De fait, non seulement il leur est possible de coexister avec les facultés supérieures, qui sont par nature importantes = mais bien plus: les faculeés supérieures requidrent les faculeés infésieures comme leut condition sine qua non. Crese done un préjugé que Vopinion qui préend que la beauté de Mesprit est par oacure incompatible avec les dons les plus sétieux de l'intelligence et du raisonnement, pour aurant que ces bienfaics sont par nature innés, $42: Tl est possible qu'existe un bel esprit qui ait malencontreusement négligé d’user de son entendement ct de sa raison, ou encore qu’existe un esprit philoso phique et mathématique insuffisamment insteuit pour ‘apprécier ornement des beaueés que nous offte l’analogon de la raison; il est méme possible qu'existe un esprit qui, ayant que peu de grice, soit toutefois incapable, en raison de sa nature méme, de s'adonner aux sciences plus sttictement logiques. Mais il ne peut pas exister d'esprit qui, né pour comprendre ces demires sciences, soit de naissance incapable de doter Ja connaissance de quelque gece. 1 Hone, Ep. 2.3, 3004 135

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