Apport de L'analyse Tracéologique À La Compréhension de L'assemblage Lithique Atérien D'ifri N'ammar

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Bulletin d’Archéologie Marocaine, 24 (2019) : 23-36

Apport de l’analyse tracéologique à la compréhension de l’assemblage lithique


atérien d’Ifri n’Ammar : résultat d’une étude préliminaire sur l’assemblage
de l’occupation supérieure

Sonja Tomasso1, Abdeslam Mikdad2 et Veerle Rots3

Abstract

The existence of Aterian pedunculate tools within the North African Middle Stone Age techno-complexes
has been mentioned since the beginning of the last century. Since then, the Aterian has been studied mainly from a
typological and, more recently, a technological point of view. However, the functional data is extremely incomplete.
Here we present the preliminary results of a first functional study of the lithic assemblages of Ifri n’Ammar, a
rockshelter located in the Moroccan Eastern Rif. The archaeological corpus has provided a great diversity of lithic
tools, offering the opportunity to address the question of the fitting morphological adaptations. On a larger scale,
the main objective will be to improve and for a better understanding of the North African Middle Stone Age
assemblages supported by a functional analysis.

Résumé

L’existence d’outils pédonculés atériens parmi les techno-complexes du Middle Stone Age nord-africain est
mentionnée depuis le début du siècle dernier. Depuis, l’Atérien a surtout été étudié d’un point de vue typologique
et, plus récemment, technologique. En revanche, les données fonctionnelles sont extrêmement lacunaires. Nous
présentons ici les résultats préliminaires d’une première étude fonctionnelle des assemblages lithiques d’Ifri n’Ammar,
un abri rocheux situé dans le Rif oriental marocain. Le corpus archéologique a fourni une grande diversité d’outils
lithiques, offrant l’opportunité d’aborder la question des adaptations morphologiques pour l’emmanchement. À
plus grande échelle, l’objectif principal sera d’améliorer et d’enrichir la compréhension des assemblages du Middle
Stone Age nord- africain avec l’apport d’une analyse fonctionnelle.

Introduction

L’Atérien nourrit la recherche dès les débuts de l’archéologie préhistorique. Dès la fin du 19e siècle,
avec l’accroissement de l’intérêt concret pour la préhistoire et dans un contexte d’interventions militaires,
des chercheurs curieux, mais encore amateurs, prospectent au-delà du continent européen à la découverte
des premiers vestiges préhistoriques du Maghreb4. L’innovation majeure et le marqueur incontestable de
l’Atérien sont la présence de pièces pédonculées. Ces artefacts ont été analysés comme une des premières
preuves d’emmanchement et une adaptation morphologique intentionnelle pour la réalisation d’un
outil emmanché5. Depuis, plusieurs définitions ont été proposées6. Toutefois, ces premières définitions
étaient fondées sur des assemblages manquant pour la plupart de données chronostratigraphiques fiables,
représentant surtout des sélections d’artefacts lithiques pédonculés et d’outils fortement retouchés.

1
. TraceoLab/Prehistory, Université de Liège, Belgique/[email protected]
2
. Institut national des sciences de l’archéolgie et du patrimoine, Rabat, Maroc/[email protected]
3
. Chercheur qualifié du FNRS, Belgique/[email protected]
4
. Ruhlmann A. 1947, Balout L. 1955, Camps G. 1974, Debénath A. 1992, p. 711, Debénath A. et al. 1986, p. 233, Wengler L. 1997, p.
448, Aumassip G. 2004, Sarvan C.P. 1985, p.51.
5
. Clark J. D. 1970.
6
. Caton-Thomson C. 1946, p. 87, Balout L. 1955, Vaufrey R. 1955, Roche J. 1967, p. 16, Tixier J. 1967, p. 77, Borde F. 1976, p. 19,
Apport de l’analyse tracéologique à la compréhension de l’assemblage lithique atérien d’Ifri n’Ammar 

L’identification chronologique des assemblages du Middle Stone Age d’Afrique du Nord n’a commencé à
se clarifier que ces dernières années, indiquant des dates allant de MIS 6 à MIS7.
Ces industries lithiques sont caractérisées par différents modes de production, y compris une variété
de méthodes Levallois8. L’Atérien est aujourd’hui considéré comme un système technologique flexible9
et semble, avec le développement d’un débitage laminaire, bidirectionnel et bifacial10, représenter la
continuité technologique et comportementale des industries antérieures. Outre les outils pédonculés et
les pièces foliacées, les assemblages lithiques sont généralement composés de grattoirs, de racloirs, de
lames retouchées, de lamelles et de petits nucleus Levallois11. Aujourd’hui, les analyses typologiques et
technologiques ont contribué à une meilleure compréhension de ces assemblages lithiques. Cependant,
les données fonctionnelles restent fréquemment absentes, en dépit des nouvelles perspectives qu’elles
pourraient offrir12, surtout en ce qui concerne la compréhension de l’utilisation des différents outils et
l’identification de la présence ou l’absence d’emmanchement. Aujourd’hui, une grande majorité des
assemblages atériens sont des collections de surface. Dès lors, le matériel lithique a généralement souffert
d’une intense érosion éolienne, réduisant ainsi considérablement la pertinence et le potentiel d’une
approche fonctionnelle microscopique. Parmi les assemblages fouillés en position stratifiée, l’abri d’Ifri
n’Ammar offre un meilleur potentiel pour les études fonctionnelles.
Le but de la présente étude préliminaire est de fournir un aperçu de l’utilisation et des modes de
préhension des outils pédonculés et non pédonculés, des activités et de la fonction du site d’Ifri n’Ammar.
De plus, l’analyse fonctionnelle est combinée à une étude expérimentale permettant de tester différentes
possibilités d’emmanchements, en vue d’une meilleure compréhension des causes et implications possibles
de l’adaptation morphologique qu’offre le pédoncule.

1- Ifri n’Ammar : contexte

L’abri rocheux d’Ifri n’Ammar, situé dans le Rif oriental marocain, a été découvert lors d’une
prospection en 1996 dans le cadre du projet de coopération « Préhistoire et Protohistoire du Rif oriental
marocain » entre l’Institut national des sciences de l’archéologie et du patrimoine (Insap) et de la
Kommission für Archäologie Aussereuropäischer Kulturen (Kaak, DAI)13. L’abri s’ouvre sur une étroite
vallée formée par l’oued Selloum, un ancien affluent de la rivière Moulouya, face à la falaise Selloum (Fig. 1).
La vallée, offrant probablement un biotope favorable à la faune, a été exploitée périodiquement par les
chasseurs-cueilleurs depuis ~ 170 ka, dans des conditions climatiques généralement arides, mais également
avec des phases d’augmentation de l’humidité14. La faune retrouvée dans le site soutient l’observation
d’un climat aride à semi-aride, par la présence de grands mammifères (ex. : moutons de Barbarie, zèbres,
gazelles, antilopes, rhinocéros blancs) et de mammifères plus petits, amphibiens, reptiles et oiseaux (ex. :
tortues d’eau douce, autruches)15. Compte tenu de l’occupation discontinue du site et de la présence de
couches épaisses de croûte calcaire, il est d’autant plus important de considérer l’influence du climat, ainsi
que la position géographique de l’abri rocheux à proximité des sources d’eau16. À Ifri n’Ammar, l’épaisse

7
. Hawkins A. 2012, p. 157, Scerri E.M.C. 2013.
8
. Van Peer P. 1991, p. 107.
9
. Van Peer P. 2016, p. 147.
10
. Hawkins A. 2012, p. 157.
11
. Bouzouggar A. et Barton N. 2012, p. 93.
12
. Massussi M. et Lemorini C. 2004-2005, p. 19, Bouzouggar A. et al. 2007, p. 473, Bouzouggar A. et Barton N. 2012, p. 93.
13
. Mikdad A. et al. 2000.
14
. Pérez-Falgado M. et al. 2004, p. 113, Blome M.V. 2012, p. 563, Drake N. et al. 2013, p.103, Cancellieri E. et al. 2016, p.123.
15
. Hutterer R. 2010, p. 307.
16
. Bertz M. et al. 2017, p. 115.

24
Sonja Tomasso, Abdeslam Mikdad et Veerle Rots

couche stérile de concrétions calcaires sépare les niveaux supérieurs des niveaux inférieurs17 et se développe
sur une période de 15 ka. « L’Occupation supérieure » se situe chronologiquement entre 130 ± 8 et 83 ± 6
ka. Pour « l’Occupation inférieure », les estimations d’âge se situent entre 171 ± 12 et 145 ± 9 ka18 (Fig. 2).
Pour la fabrication des outils lithiques, les tailleurs d’Ifri n’Ammar ont principalement sélectionné
des matières premières locales: des gisements secondaires, tels que les galets de l’oued Moulouya ou de
l’oued Kert, mais aussi les rognons du site de position primaire Ain Zohra19. De plus, il ne semble pas y
avoir de changement au niveau de la stratégie d’acquisition : les outils pédonculés ont été produits à partir
du même matériel, disponible localement, que tout autre outil20.

2- Matériel et méthodes

Le corpus entier est composé d’assemblages de l’Occupation supérieure et de l’Occupation


inférieure21. La majorité des artefacts proviennent de la tranchée principale et de la zone qui s’étendait
vers la paroi gauche de l’abri, c.-à-d. de la collection précédemment publiée22, mais également de fouilles
récentes, du centre de l’abri. D’abord, le potentiel d’une analyse tracéologique a été évalué à l’œil nu et
sous la loupe binoculaire sur la quasi-totalité du corpus lithique (n = 6718). Ensuite, après avoir enregistré
l’état de préservation et les modifications post-dépositionnelles, une série de pièces autorisant la présence
de traces d’utilisation a été sélectionnée et examinée à la loupe binoculaire (n = 1394). L’analyse des 40
pièces pédonculées fait partie d’une étude fonctionnelle plus large pour laquelle près de 320 artefacts
lithiques, représentatifs de toutes les caractéristiques techno- et morphologiques, ont été exportés pour
une analyse plus détaillée au TraceoLab.
Au TraceoLab, les artefacts ont été examinés avec différents types de microscopes, utilisant différents
grossissements et techniques d’éclairage : un stéréomicroscope Zeiss Stemi 2000C ou Discovery V12
(grossissements jusqu’à 120x), un microscope Zeiss Macro-Zoom V16 (grossissements jusqu’à 180x), et
un microscope Zeiss métallurgique à lumière réfléchie Axio Imager (grossissements 50-500x) avec filtres
polarisants et DIC, ainsi qu’un microscope électronique à balayage couplé à la spectroscopie à rayons X à
dispersion d’énergie (SEM-EDS).

3- Expérimentations

Les interprétations fonctionnelles sont basées sur des études comparatives sur une vaste collection
de référence expérimentale disponible au TraceoLab. La collection comprend près de 3000 pièces
expérimentales représentatives des variabilités de production techniques (par exemple Rots 2010a), des
utilisations et des modes de préhension. Puisqu’il est démontré que les traces microscopiques produites
lors du débitage, de la manufacture, durant l’utilisation ou suivant le mode de préhension de l’outil sont
caractéristiques et distinguables, la comparaison des traces obtenues par expérimentation permet leur
interprétation avec les traces observées sur le matériel archéologique23.
Sur base des caractéristiques morphologiques et technologiques enregistrées sur les outils
archéologiques pédonculés d’Ifri n’Ammar, un programme expérimental spécifique a été conçu afin de

17
. Mikdad A. et al. 2000, Nami M. et Moser J. 2010.
18
. Richter R. et al. 2010, p. 672.
19
. Nami M. et Moser J. 2010.
20
. Nami M. et Moser J. 2010.
21
. Nami M. et Moser J. 2010.
22
. Nami M. et Moser J. 2010.
23
. Rots V., 2002a, Rots V. et al. 2011, p. 637.

25
Apport de l’analyse tracéologique à la compréhension de l’assemblage lithique atérien d’Ifri n’Ammar 

tester les systèmes d’emmanchement potentiellement utilisés, leur efficacité et leur effet en vue d’une
meilleure utilisation de l’outil24. Au cours des expérimentations, les variabilités de traces technologiques
(Rots V. 2002b)25 qui se sont développées sur les pédoncules lors de leur production ont été enregistrées et
évaluées en référence au matériel archéologique. Deux tailleurs expérimentés (Lepers C. et Coppe J.) ont
produit plus de 100 pièces pédonculées en silex provenant de Belgique (Harmignies) et du Maroc (Ain
Zohra). C’est alors sur la base des caractéristiques morphologiques et technologiques que les pédoncules
ont été reproduits. Les pédoncules ont été façonnés à partir de la partie proximale du support (partie
bulbaire), par une retouche bilatérale bifaciale (4 ou 3 directions), par percussion directe à la pierre tendre
(grès).
Après avoir été façonnées, toutes les pièces ont été examinées à la loupe binoculaire et au microscope
afin d’enregistrer les traces de production26 et d’éviter toute confusion avec des traces d’utilisation ou
d’emmanchement27 (Fig. 3). Plusieurs matériaux d’emmanchement ont ensuite été choisis, tous
potentiellement disponibles dans le contexte archéologique du MSA à Ifri n’Ammar28 (Fig. 4). Les outils
réalisés ont alors été utilisés pour diverses activités, tâches et gestes permettant d’étudier l’efficacité des
différents systèmes d’emmanchement (Fig. 5). L’utilisation des pièces pendant différentes durées et
sur différentes matières a également permis d’observer et d’enregistrer une variété de traces d’usure et
d’emmanchement caractéristiques qui ont rendu l’interprétation plus facile par rapport à ce qui a été
observé sur les outils archéologiques29.

4- Résultats préliminaires
4.1. Altérations

Les altérations post-dépositionnelles affectent souvent la surface des artefacts lithiques et peuvent
limiter une étude détaillée avec des conséquences sur les interprétations fonctionnelles30. À Ifri n’Ammar,
les altérations chimiques (ex. : lustre et patine)31 et les altérations mécaniques (ex. : traces de friction et
abrasion)32 sont fréquentes (Fig. 6).
Les altérations thermiques sont aussi très présentes et leur intensité varie fortement. La plupart de
ces pièces altérées ont été découvertes dans les niveaux de l’Occupation supérieure, généralement dans les
couches où la densité des objets retouchés est très élevée33. Il est probable que la plupart de ces outils aient
été affectés accidentellement par les foyers, ce qui, en même temps, reflète la présence d’une occupation
plus dense. Toutefois, les altérations thermiques semblent être plus intenses parmi les outils pédonculés
et les pièces foliacées34.

4.2. Les pièces pédonculées

À Ifri n’Ammar, les parties distales de plusieurs outils pédonculés ont été fracturées ou endommagées

24
. Tomasso S. et Rots V. 2017.
25
. Rots V. 2002b, p. 61.
26
. Rots V. 2010b.
27
. Rots V. 2002a, Rots V. 2010a, p. 51.
28
. Tomasso S. et Rots V. 2017.
29
. Tomasso S. et Rots V. 2017
30
. Grace R. 1990, p. 9, Levi Sala I. 1986, p. 229.
31
. Plisson H. et Mauger M. 1988, p. 3.
32
. Bordes F. 1950, Schutt J.A. 1979, p., Levi Sala I. 1986, p. 229.
33
. Nami M. et Moser J. 2010.
34
. Tomasso S. et Rots V. 2017.

26
Sonja Tomasso, Abdeslam Mikdad et Veerle Rots

(n = 18), alors que seulement trois fractures mésiales ont été observées. Les cassures s’expliquent par l’effet
thermique. Grâce à leur morphologie courte et robuste, les cassures proximales au niveau du pédoncule
sont absentes. Aussi les pédoncules ont-ils été produits à partir des parties proximales des supports,
centrés sur l’arête dorsale principale, maximisant ainsi leur résistance35. Après tout, les fractures liées à
l’emmanchement se produisent généralement autour de la limite du manche, étant donné que la plus
grande partie de la tension est exercée dans cette zone36. Cet effet de levier est limité pour les outils
pédonculés atériens en raison de leur petite taille.
Un premier objectif était de déterminer si les outils pédonculés d’Ifri n’Ammar analysés (n = 40)
étaient emmanchés ou non. L’interprétation des traces, telles que les polis ou les stries, était limitée par le degré
d’altération post-dépositionnelle. Toutefois, la combinaison de traces macroscopiques et microscopiques
a démontré la présence d’emmanchements sur un nombre important d’outils pédonculés dont la surface
était assez bien préservée. Certaines traces étaient modérément développées, tandis que d’autres étaient
plus prononcées. Ces traces correspondent à ce qui a été observé sur les outils pédonculés expérimentaux
et à ce qui a été décrit par Rots37. Selon Rots38, la section transversale influe sur l’emplacement des traces
d’emmanchement. Sur les pédoncules de section triangulaire ou trapézoïdale, la zone de contact avec un
manche mâle sera le plus intense sur les arêtes et les bords. En effet, à Ifri n’Ammar, les combinaisons de
traces (friction, abrasion) ont surtout été observées sur les bords latéraux, postérieur aux enlèvements de
façonnage du pédoncule, ou sur la partie proximale de l’arête dorsale (Fig. 7).

Fig. 1 : Localisation d’Ifri n’Ammar au nord-est du Maroc (Moser et Nami, 2010) ainsi qu’une photo aérienne de l’abri sous roche: vue vers le sud

35
. Hawkins A. 2012, p. 157.
36
. Rots V. 2010a.
37
. Rots V. 2003, p. 805.
38
. Rots V. 2008, p. 43.

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Apport de l’analyse tracéologique à la compréhension de l’assemblage lithique atérien d’Ifri n’Ammar 

Fig. 2 : La séquence stratigraphique d’Ifri n’Ammar (modifiée d’après Nami et Moser, 2010 ; Richter et al., 2010)

Fig. 3 : Production expérimentale d’outils pédonculés: a) le façonnage du pédoncule au percuteur en grès; b) détail du pédoncule(5.6x); c)
stries produites lors du façonnage (100x).

28
Sonja Tomasso, Abdeslam Mikdad et Veerle Rots

Fig. 4 : Exemples des outils pédonculés expérimentaux : a)+b) armatures emmanchées dans une corne d’antilope et os, ligaturées et collées
avec colle animale et tendons ; c)+d)+e) grattoir avec manche en peau sèche et ligaturé aux tendons, grattoirs aux manches en corne et os

Fig. 5 : Exemples d’utilisations : a) armature utilisé en thrusting dans une cible arti cielle composée d’une carcasse osseuse enfermée dans un gel
balistique, recouverte de peau de mouton ; b) utilisation d’un grattoir en percussion sur peau sèche ; c) perforation d’une coquille d’œuf d’autruche

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Apport de l’analyse tracéologique à la compréhension de l’assemblage lithique atérien d’Ifri n’Ammar 

Fig. 6 : Exemples de pièces altérées: a) altération par la chaleur (10,0×); b) patine; c) croûte de calcite (3,5×); d)
lustre post-dépositionnel et les négatifs de racines (100×)

Fig. 7 : Exemples de traces d’emmanchements: a) IA 1564, friction microscopique sur l’arête dorsale (100 ×) ; b) émoussé très développé
sur la partie proximale du pédoncule (20×); c) détail microscopique d’une strie liée à la friction du manche (100×) ; d) détail de
l’enlèvement burinant postérieur au façonnage du pédoncule (50×)

30
Sonja Tomasso, Abdeslam Mikdad et Veerle Rots

Fig. 8 : Exemples d’armatures : détail des enlèvements dans la partie distalede la pièce IA 1564, avec plusieurs terminaisons abruptes ventrales
(32 ×) ; b) explosion de la partie distale de la pièce IA 1535, avec di érentes terminaisons abruptes ou ssurées sur la face ventrale (12,5×)

Fig. 9 : Grattoirs aux di érentes morphologies, tous utilisés pour le travail de peau

31
Apport de l’analyse tracéologique à la compréhension de l’assemblage lithique atérien d’Ifri n’Ammar 

Fig. 10 : Deux grattoirs utilisés pour le traitement de la peau : a) grattoir pédonculéIA 1528, b) photo macroscopique du bord utilisé
(10,0×), c) détail microscopique de l’émoussé et du poli coupé par enlèvements de réa ûtage (100×) ; d) grattoir pédonculé IA 1520, c) photo
macroscopique de la partie distale de l’outil, d) détail microscopique de l’émoussé et du poli
(les dessins sont adaptés de Nami et Moser, 2010)

L’étude fonctionnelle a également confirmée que les pièces pédonculées ont été utilisées tout en étant
emmanchées39. Les résultats ont montré que les outils pédonculés n’étaient utilisés que pour l’exploitation
animale, c’est-à-dire pour la chasse et le traitement des animaux (travail de la peau, boucherie). En effet, la
plupart des pièces avec traces diagnostiques fiables se sont avérées être utilisées comme armatures (n = 17)40
(Fig. 8). Mis à part les armatures, 6 grattoirs ont été identifiés. Sur 3 grattoirs, les traces microscopiques
caractéristiques liées au travail des peaux fraîches étaient bien visibles41 (Fig. 9).
En général, les grattoirs et armatures pédonculés ont montré des traces d’emmanchement similaires,
bien que les armatures présentent des frictions et endommagements macroscopiques plus intenses, comme
les fractures proximales initiées en bending, postérieures aux aménagements des bords. Ces fractures
ont probablement été détachées à la suite de la contre-pression lors de l’impact. De telles fractures sont
absentes sur les grattoirs pédonculés. La matière d’emmanchement exacte n’a pas pu être identifiée à ce
stade de l’analyse, mais les traces comme l’abrasion, le poli ou les bright spots ont probablement été causées
par une matière plutôt dure42.

39
. Tomasso S. et Rots V. 2017.
40
. Tomasso S. et Rots V. 2017.
41
. Tomasso S. et Rots V. 2017.
42
. Rots V. 2002b, p. 61, Tomasso S. et Rots V. 2017.

32
Sonja Tomasso, Abdeslam Mikdad et Veerle Rots

5.3. Les outils aux morphologies « non pédonculées »

Des traces d’emmanchement et d’utilisation ont également été observées sur des outils non
pédonculés. À Ifri n’Ammar, il faut noter le nombre élevé de racloirs : alors qu’ils dominent à tous les
niveaux, ils sont nettement plus abondants dans les niveaux atériens d’Ifri n’Ammar43. Leur fréquence
peut être interprétée comme un indice de densité d’occupation, ou, alternativement, elle pourrait être liée
à la fonction du site.
Les résultats décrits ci-dessus montrent que les outils pédonculés n’étaient utilisés que pour
l’exploitation animale. En effet, l’étude en cours sur les artefacts non pédonculés indique que ceux-ci
ont été utilisés pour l’exploitation animale, mais également pour le traitement des plantes. De plus, les
catégories morphologiques ou typologiques ne semblent pas correspondre à des fonctions distinctes. En
effet, les traces d’utilisation évoquant un travail de peau ont été observées sur des grattoirs de différentes
morphologies : grattoirs pédonculés, racloirs et grattoirs sur lames (Fig. 10).

Conclusions

Le but de cet article est de présenter un premier aperçu des résultats de l’analyse fonctionnelle des
outils pédonculés de l’Occupation supérieure d’Ifri n’Ammar. L’analyse fonctionnelle de ce matériel, basée
sur une étude expérimentale, offre la possibilité de mettre à l’épreuve les hypothèses existantes au sujet de
l’emmanchement et de l’adaptation morphologique intentionnelle du pédoncule pour un manche.
À Ifri n’Ammar, les altérations de surface sont fréquentes et, lorsque l’examen de certains outils
se limitait à une analyse à faible grossissement, l’identification exacte des matériaux travaillés n’était pas
possible. Toutefois, des identifications fonctionnelles fiables pouvaient être faites sur certains outils. Les
résultats fonctionnels montrent que les outils pédonculés n’étaient utilisés que pour l’exploitation animale,
c’est-à-dire pour la chasse et le traitement des animaux (travail de peau, dépeçage), tandis que les outils
non pédonculés semblent avoir été utilisés également pour le traitement des plantes.
Les analyses tracéologiques en cours se focaliseront sur le corpus lithique entier d’Ifri n’Ammar
afin de mieux comprendre et évaluer la variabilité de l’assemblage et du lien potentiel avec l’utilisation et
l’emmanchement des outils.

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43

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Apport de l’analyse tracéologique à la compréhension de l’assemblage lithique atérien d’Ifri n’Ammar 

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‫ملخص‬
‫ و منذ‬.‫لقد مت ذكر وجود أدوات مذنبة يعود تاريخها الى العصر احلجري القدمي االوسط يشمال افريقيا منذ بداية القرن املاضي‬
‫ و من ناحية أخرى‬.‫ من زاوية تقنية‬، ‫ وفي اآلونة األخيرة‬، ‫ متت دراسة العاتيري بشكل رئيسي من وجهة نظر تصنيفية‬، ‫ذلك احلني‬
‫ و نقدم هنا النتائج األولية للدراسة الوظيفية للمجموعات احلجرية التي مت العثور عليها‬.‫ فإن املعطيات الوظيفية قليلة للغاية‬،
، ‫ وقد تضم اجملموعة األثرية مجموعة كبيرة ومتنوعة من األدوات احلجرية‬.‫ وهو مأوى صخري يقع بالريف الشرقي‬، ‫مبوقع إفري منر‬
‫ سيكون الهدف الرئيسي هو فهم أفضل للمجموعات‬، ‫ و بشكل أوسع‬.‫مما يتيح الفرصة ملعاجلة عالقة شكل األدوات و تثبيتها‬
.‫احلجرية للعصر احلجري القدمي االوسط بشمال أفريقيا بفضل التحليل الوظيفي‬

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