Zidane Une Vie
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Zidane,
une vie secrète
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Du même auteur
aux Éditions J'ai lu
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BESMA
LAHOURI
Zidane,
une vie secrète
DOCUMENT
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© Éditions J'ai iu, 2009 pour la présente édition
© Flammarion, 2008
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Avant-propos
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« // est paifois moins admirable d'user
de son pouvoir que de se retenir d'en user. »
Henr>' de Montherlant
(La Reine morte)
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Prologue
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qu'un journaliste puisse suivre son parcours sans
l u i avoir au p r é a l a b l e d e m a n d é la permission.
Impossible, à ses yeux, d'imaginer que sa biogra-
phie puisse être entreprise par quelqu'un qui n'est
pas un fidèle, un fan, un adorateur. On l'adule ou
on se tait.
I l faut dire que l'ancien capitaine des Bleus,
p e r s o n n a l i t é préférée des F r a n ç a i s , a du génie
sur le terrain mais aussi du talent quand i l s'agit
de p r o t é g e r sa légende. Si, affectueusement, des
millions de fans l'appellent Zizou, comme s'il faisait
partie de la famille, ils sont loin de s o u p ç o n n e r
la puissance de ses réseaux. En d é c e m b r e 2007,
son agent, Alain Migliaccio', conseille par exem-
ple à l'auteur de ces lignes de mettre fin à son
enquête. Oue l u i propose-t-il en échange ? De ren-
contrer le grand homme... pour une simple inter-
view. Ah, la belle affaire ! Et pourquoi pas un
autographe, à encadrer et accrocher au-dessus du
lit, histoire de récompenser l'arrêt de la rédaction
d'un ouvrage ?
Zidane a pris soin de tout verrouiller. L'ancien
intendant des Bleus Henri Émile^, une sorte de
super-nounou en somme, qui a partagé la vie de
l'équipe nationale jusqu'en 2004, explique qu'il
n'est pas question pour lui de parler, puisque Zizou
le lui a « formellement interdit ». Un ex-coéquipier
comme Vikash Dhorasoo^, encensé par la presse
pour son courage et sa liberté de parole et dont les
mauvaises relations avec Zizou sont pourtant
connues du milieu, nous assène de son côté avec
verdeur : « Rien à branler de ton bouquin, je parle
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pas. » La plupart de ses autres coéquipiers font
preuve d'une semblable réticence : « S'il n'est pas
d'accord, on ne parle pas. » Même Guy Alba, le pré-
sident de l'association ELA que parraine Zidane et
donc à l'affût de la moindre médiatisation, préfère
se taire, « par pudeur ». De son côté, le président
de l'Agence française de lutte contre le dopage,
Pierre Bordry', demande à lire le manuscrit en
échange d'un entretien. Et pourquoi l'auteur ne
devrait-il pas en plus solliciter une autorisation
avec un tampon officiel ?
Quand nous disons que la r é d a c t i o n de cet
ouvrage n'est pas allée sans difficultés, nous ne
plaisantons pas. Ainsi, le dimanche 30 mars 2008,
vers 20 heures, des cambrioleurs fracassent la
porte pourtant blindée du domicile de l'éditeur de
cette biographie. Ils emportent notamment u n
ordinateur contenant des documents, dont une ver-
sion encore inaboutie du livre que vous venez
d'ouvrir. I l n'y a rien de grave, puisque le manuscrit
a été enregistré dans deux autres ordinateurs, de
m a n i è r e plus complète d'ailleurs. Au début, les
policiers suivent une autre piste. Mais, cinq jours
après le premier vol, l'appartement de l'une des
deux autres personnes à détenir un exemplaire du
manuscrit, une amie, est à son tour victime d'un
vol avec effraction. Les e n q u ê t e u r s de la police
judiciaire parisienne, ne croyant pas à un hasard,
décident d'interroger l'auteur de ces lignes. Une
fois n'est pas coutume, les circonstances de la
rédaction d'une biographie se retrouvent sur procès-
verbal avant m ê m e parution. L'avenir dira peut-
être s'il ne s'agissait que d'une très malheureuse
coïncidence ou si quelqu'un a voulu se renseigner
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sur le contenu d'un travail qui faisait beaucoup
parler de l u i bien avant d'atteindre le public.
I l faut dire que cette enquête, justement, nécessita
une belle débauche d'énergie. En charge de la com-
munication de multinationales et de grands patrons,
Jacques Bungert', qui veille sur l'image de Zidane,
n'accepte de rencontrer l'auteur qu'après plus de
vingt demandes d'entretiens. Finalement, i l se
contentera d'une question : « Quel intérêt d'écrire
un livre sur Zidane ? » Oui, tiens, quelle singulière
idée de s'intéresser à l'un des êtres humains les plus
connus de la planète ? Hormis l'imagerie d'Épinal,
que sait-on de la vie de cette icône du foot sacrée
idole mondiale ? Adulé par les foules, celui qui règne
en maître dans le c œ u r des Français depuis des
années est au final, paradoxalement, l'un des hom-
mes les plus secrets du pays.
Pour la première fois depuis la naissance de ce
mj'the planétaire, cette biographie lève le voile sur
les mystères d'un sportif devenu le héros de plu-
sieurs générations. Elle aura nécessité plus d'un an
et demi d'investigation à travers la France, les Pays-
Bas, l'Espagne, l'Italie et l'Algérie, exigé des centai-
nes d'heures d'entretiens avec les acteurs directs et
indirects de cette incroyable épopée qu'est devenue,
au fil des années, la vie de Zizou. Grands patrons,
e n t r a î n e u r s , anciens coéquipiers, amis d'enfance,
parents, journalistes, médecins, professionnels du
football, politiques, leurs témoignages dessinent le
portrait inédit d'un joueur au talent exceptionnel
et à la personnalité hors normes, tout à la fois
séducteur et caractériel, subtil et violent, généreux
et manipulateur.
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P R E M I È R E PARTIE
LE COUP DE TÊTE
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L'aveu
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pour les cinq jours de son périple. Un séjour de haut
dignitaire, avec toutes les prérogatives inhérentes
au statut, y compris la présence de goûteurs, char-
gés de s'assurer que les plats présentés au héros
sont comestibles. Un traitement digne d'un chef
d'État américain.
Au milieu de ce périple de cinq jours, une soirée
est organisée à Zéralda avec les siens. L'ancien
capitaine des Bleus est maladivement pudique,
mais, une fois n'est pas coutume, il semble heureux
d'être là. Simplement vêtu d'un jean et d'un tee-
shirt, i l accueille à bras ouverts les élus qui, triés
sur le volet, réussissent à franchir l'impressionnant
dispositif de sécurité. Assis dans le salon richement
décoré, le champion, entouré de son clan, apparaît
détendu. Son père, Smaïl, modeste ouvrier à la
retraite, a l'air de vivre un rêve éveillé : celui qui
quitta son hameau en Kabylie en septembix 1953
pour tenter sa chance de l'autre côté de la Méditer-
ranée assiste à la marche triomphale de son fils
prodigue. Pour la p r e m i è r e fois, i l constate en
direct l'aura p h é n o m é n a l e de son petit dernier.
Tout p o m p o n n é dans son complet gris, rehaussé
pour l'occasion d'une cravate à pois jaunes, Smaïl
Zidane n'en croit pas ses yeux. Quelques jours plus
tôt, le patriarche Zidane, attablé dans un café de la
gare de Lyon, expliquait de sa voix basse, colorée
d'un l é g e r accent marseillais : « Nous avons
accepté l'invitation du président Bouteflika car on
ne refuse pas l'hospitalité. Prions pour que tout se
pa.sse pour le mieux'. » Depuis, il n'a pas lâché .son
fils d'une semelle, se tenant toujours à sa gauche
et le couvant de regards inquiets. Sans doute a-t-il
été impressionné par le comité d'accueil. Mais cet
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homme pudique et discret n'en a rien montré, alïi-
chant, de réception officielle en visite au pas de
charge, le m ê m e sourire m e s u r é , observant le
m ê m e silence, attendant toujours qu'on vienne le
chercher, m ê m e quand, écrasé par la foule comme
à Bougie, les portes se referment sur l u i . À ses
côtés, Malika, sa femme, affiche la m ê m e retenue.
Pour elle non plus, pourtant, ce voyage n'est pas
anodin. « Je m'adapte à tout. J'ai l'impression de
ne jamais avoir quitté l'Algérie et, pourtant, je n'y
étais pas revenue depuis dix-sept ans. Et comme le
fils voulait que je l'accompagne, alors je suis venue.
Mais ça me fait très mal de voir tous ces enfants
démunis... I l faudrait une main magique, malheu-
reusement nous n'avons pas ce pouvoir' », nous
murmure-t-elle. À quoi peut-elle bien penser, assise
sept heures d u r a n t à la table du p r é s i d e n t
Bouteflika, lors de cet interminable déjeuner au
palais présidentiel ? Au menu : filet de poisson et
méchoui de mouton, le tout arrosé de jus de citron
et de limonade. Plus tard, Malika commentera
ainsi ce déjeuner présidentiel : « Le repas était très
agréable. Le président Bouteflika ? Je l'ai trouvé
très simple et très bon... communicant. » Impassi-
ble, la maman de Zizou, mais pas dupe. I l tarde
surtout à Malika de retrouver sa vie « normale ».
A Bougie, la capitale de la Basse-Kabylie, per-
sonne n'a r e m a r q u é la présence de Smaïl Zidane
lors de la visite du centre hospitaher de la ville :
bousculé par les fans qui se précipitaient dans le
sillage de sa star de fils, il a laissé passer la foule,
seul dans son coin. Mais, s'il semble un peu
dépassé par les événements, sa fierté est bien réelle.
Noureddine, son fils, l'alter ego de Zinedine, discret
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et pourtant indispensable, est toujours là. Ne lais-
sant rien paraître de ses émotions, sa seule pré-
sence suffit à rassurer le clan.
Et puis i l y a Akbou, un cousin de Zidane. Ce
pharmacien d'à peine quarante ans est l'un des
rares à avoir gardé contact avec les Zidane de Mar-
seille. Ce matin de décembre 2006, vêtu de son cos-
tume des grandes occasions, i l n'a pas hésité à faire
les trois heures de route qui séparent la Kabylie de
la capitale. Le fils aîné d'Akbou, un adolescent,
réclame depuis des années de serrer la main du
génie du ballon rond. Enfin, le jour est venu. À la
fin de cette étrange soirée familiale, Akbou prend
sur lui d'aborder le sujet qui brûle les lèvres d'une
partie de l'assemblée. I l évoque « ce coup de tête,
typiquement de chez nous' ». Le coup de tête
auquel i l fait référence, c'est celui auquel une
bonne partie de l'humanité a assisté presque en
direct. C'était le 9 juillet 2006, le soir d'une finale
de Coupe du monde entre la France et l'Italie. I l
restait quelques minutes à jouer à la fin des pro-
longations, quand le capitaine des Bleus a brusque-
ment enfoncé le haut de son crâne dans la poitrine
d'un défenseur italien, Marco Materazzi. Depuis, à
part les journalistes, personne, ou presque, n'a osé
évoquer le sujet en présence du joueur. Cinq mois
plus tard, ce soir à Zéralda, en Algérie, Akbou pro-
fite de l'occasion pour expliquer à son cousin qu'il
a bien fait d'agir ainsi. Ici, rappelle-t-il, « on défend
la famille quitte à en mourir ». Avec ces belles paro-
les, Akbou entend mettre du baume au c œ u r de
Zidane. I l lui prodigue même une accolade pudique
pour exprimer sa fierté. Le « n i f », ce fameux
orgueil algérien, est une valeur fondamentale.
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Stupeur. Zizou semble d é s e m p a r é . Avec une
pointe d'agacement, la star r é t o r q u e : « Ne dis
jamais que j ' a i bien fait de l u i mettre une tête, à
Materazzi. Ça n'était pas bien et je le regrette. »
Silence. Certes, le sportif s'est déjà excusé, mais
seulement auprès des « enfants du monde entier »
qui l'ont regardé. Jamais encore, i l n'a exprimé ses
remords pour le geste en lui-même. Akbou reste
sans voix, médusé par cette réaction contraire à
celle escomptée. Peut-êti"e pressent-il, à cet instant,
l'ampleur du drame qu'a vécu Zidane. S'il avait
su... Akbou réalise que cet aveu confessé à la tribu,
à ces gens tellement éloignés de sa « cour » habi-
tuelle, est un honneur. L'idole médiatique interna-
tionale a réservé sa confidence la plus sincère à un
cousin éloigné, vivant au « bled », loin de la planète
des stars. Enfin, cet aveu révèle à une partie de la
famille à quel point le mutisme princier de Zidane
l'a enfermé dans la pire des prisons. La liberté
s u p r ê m e d'un Zizou ombrageux déclarant, quel-
ques mois plus tôt sur Canal+, une semaine après
le coup de tête : « Je ne peux pas i^egretter mon
geste... Le coupable, c'est celui qui provoque »,
n'était qu'un faux-semblant. En reprenant la route,
Akbou se sent finalement plus proche de son cou-
sin de France. Le Zizou-Christ adulé par les foules
n'est donc qu'un homme, rien qu'un homme.
Peu après, à 300 kilomètres de la capitale, dans
le douar d'Aguemoun, en Kabylie, la liesse des
habitants est à son comble. C'est dans ce petit vil-
lage accroché aux collines et planté de figuiers, le
berceau de sa famille où i l compte encore une cen-
taine de cousins, neveux et parents éloignés, que
Zidane a choisi de terminer son voyage. Parents,
voisins, curieux, tous se sont mis sur leur trente et
un pour accueillir le fils prodige. Quelques mois
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après la finale maudite de la Coupe du monde, tous
font bloc pour soutenir l'enfant du pays, plus exac-
tement le descendant du pays. En ce jour tant
entendu, ils veulent eux aussi l u i expliquer leur
fierté d'avoir sauvé l'honneur de la famille en assé-
nant ce coup de tête à « l'Italien ». Ici, où le temps
semble a l'air de s'être arrêté, où l'électricité se
montre capricieuse, où les routes ne sont plus gou-
dronnées depuis des années, on le comprend mieux
que personne. Ou croit le comprendre. Car, jamais
révélée jusqu'à présent, la confidence faite quel-
ques jours plus tôt au cousin Akbou éclaire d'un
jour nouveau les incroyables plaidoiries publiques
mondiales déclamées à l'époque pour sauver le sol-
dat Zidane. Ici, dans le pays de ses ancêtres, Zizou,
porte-parole malgré l u i de tous les humiliés de la
terre, dément tout, se repent. I l ne veut plus enten-
dre les uns et les autres lui répéter qu'il a eu raison.
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une immobilité impressionnante. C'est à croire
qu'ils devinent que la dernière manche de la com-
pétition mondiale va prendre des airs de tragédie
grecque. À 20 heures, l'arbitre siffle le début du
match, à l'issue duquel un seul homme brandira
devant des millions d'êtres humains le trophée tant
rêvé, 3 kilos d'or 18 carats reposant sur une cou-
ronne de malachite : le joueur comblé sera soit
Zinedine Zidane, soit Fabio Cannavaro, le capi-
taine de l'équipe italienne.
Sur le terrain, les joueurs vont vite en besogne.
Fébriles, tendus, ils paraissent décidés à se montrer
virils. Dès la première minute de jeu, Thierry Henry
est visé. Fracassé au sol par Cannavaro, le joueur
se retrouve sans connaissance. Le médecin le presse
de questions : « Titi, on est oi^i ? », en lui examinant
le blanc des yeux. Mais comment oublier que nous
sommes en finale ? Thierry Henry à peine relevé,
le ballet continue. Vite, très vite. Dès la septième
minute, le défenseur italien Marco Materazzi tacle
Florent Malouda. L'arbitre siffle un penalty en
faveur des Bleus. Devant leurs écrans de télévision,
les spectateurs français vibrent d'optimisme. En
Italie, les supporters de la Squadra azzura retien-
nent leur souffle. Certains se cachent derrière leur
main. Ne pas voir. Dans le stade, le silence est
assourdissant.
Zidane s'avance dans la surface de réparation.
Face au gardien italien, i l est d'un calme olympien.
Soudain, surprise, le capitaine offre à ses fans une
panenka divine. La panenka est cette petite piche-
nette, cette frappe piquée exécutée en touchant
légèrement le ballon, qui arrive en plein milieu du
but, pour retomber lentement derrière la ligne, pas-
sant au-dessus de la tête du gardien. Voilà le pau-
vre Gianluigi Buffon, l'un des plus grands gardiens
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de but au monde, ridiculisé devant deux milliards
de téléspectateurs. Un moment hors du temps.
But ? Oui, non ? La balle a effleuré la ligne puis est
ressortie des cages. L'arbitre arrive en courant,
Zidane lève la main pour réclamer son officialisa-
tion. Le but est accordé. Cette panenka, Domenech
ne la pardonnera jamais. On ne met pas en danger
une équipe pour forger sa propre gloire. Avec un
« geste fou », selon les propres termes de Fabien
Barthez, qui mime l'action à l'autre bout du stade.
« Quel panache ! » répliquent en c h œ u r tous les
commentateurs sportifs de la Terre. Qu'importe.
Ce but offre définitivement au n u m é r o 10 le statut
d'un véritable héros de l'antiquité.
Les Italiens sont touchés mais pas atteints. Ils se
font de plus en plus pressants. Le rouleau compres-
seur azzura est temble. A la dix-neuvième minute, un
corner d'Andréa Firlo donne l'occasion à Materazzi
de se venger : du haut de son 1 mètre 93, i l se paie
le luxe de prendre appui sur le g é a n t Patrick
Vieira avec sa main et... de marquer de la tête.
But !!!!!!!!!! La première mi-temps se soldera sur ce
score nul.
Après la reprise, à la s o i x a n t e - d i x - h u i t i è m e
minute de jeu, l'Italien Fabio Cannavaro déboîte
l'épaule de Zidane. Un signe de Dieu ! Le médecin
de l'équipe de France accourt sur le terrain et sup-
plie Zidane de sortir : c'est une occasion de partir
en héros sous les applaudissements de la foule. La
mission serait plus que remplie... Mais l'orgueil-
leux refuse ce clin d'œil du destin. Souffrant, suant,
le n u m é r o 10 français préfère continuer à se battre.
D'autant que, bientôt, ce sont les prolongations qui
commencent. À la cent quatrième minute, un bal-
lon frappé de la tête mais arrêté par Gigi Buffon
marque la fin de la baraka du capitaine français.
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Zidane pousse un hurlement. L u i qui voulait tant
refaire la finale de 1998 et rééditer son doublé de
la tête semble soudain a b a n d o n n é des dieux. Ce
que tout le monde ignore, c'est que Domenech pré-
voit de sortir Zidane quelques minutes avant la fin
du match pour lui offrir une véritable standing ova-
tion. L'entraîneur, celui que Zizou nommait avec
mépris « l'autre », rêvait d'offrir le plus bel adieu
au n u m é r o 10.
Le voilà fatigué, affaibli, à bout de nerfs. Dans
le camp d'en face, Marco Materazzi est déjà un
héros : son équipe lui doit le premier but italien.
Est-ce cette assurance c r â n e qui exaspère tant
notre capitaine d'équipe ? Ce qui est sûr, c'est qu'à
ce moment du match Marco Materazzi, simple
défenseur, ne s'est encore jamais a p p r o c h é de
Zidane. Contrairement à ce que dira Zizou plus
tard, le défenseur italien ne l'a pas harcelé. Seul
le Calabrais Gennaro Gattuso, s u r n o m m é le Diable
rouge, l'a m a r q u é à la culotte durant ces cent sept
minutes de match. Mais ce n'est pas Gattuso qui
va recevoir un violent coup de tête. C'est Materazzi.
Est-ce parce que celui-ci vient de l u i t i r e r le
maillot ? Est-ce parce qu'il l'a insulté ? « Va te
faire enculer ! Donne-le à ta pute de sœur, ton
maillot. Pédé ! Pédé de Zidane' ! » aurait-il lancé,
après que Zidane l u i a d e m a n d é avec ironie : « Si
vraiment tu veux mon maillot, je te le donnerai
après. » Or, pour un joueur qui a usé autant de
crampons sur les pelouses des plus grands stades
du monde, ces insanités que d'aucuns prêtent à
l'Italien ne sont que peccadilles de cour de récréa-
tion. D'autant que Materazzi et Zidane se sont
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déjà chamaillés sur une pelouse par le passé, lors
d'un match de championnat italien à l'issue duquel,
pas rancuniers, ils ont... échangé leurs maillots !
Ce soir de finale, i l est 21 h 47 quand le coup de
tête part. A la hauteur du thorax. En onze secon-
des, l'Italien est à terre, et Zidane s'éloigne déjà,
le regard vide.
Le plus ahurissant, c'est que les deux milliards de
téléspectateurs n'ont rien vu. Aucune caméra n'a
saisi le coup de boule en direct. Perché, en tribune,
un photographe, un seul, assiste à la scène. Son
nom ? John MacDougall. Chargé par l'AFP de cou-
vrir la finale, John est distrait. Trop loin du terrain,
exceptionnellement muni d'une grosse optique, un
800 sigma - au lieu de son 600 habituel - , son
regard est attiré 40 mètres plus bas par un geste
qu'il pense anodin : « Zidane parlait à Materazzi en
se t r i t u r a n t le m a i l l o t . J'ai v u q u ' i l y avait
embrouille. Et quand Zidane a commencé à s'en
aller, j'ai cru que l'incident était clos, j'aurais donc
pu détourner le regard. Mais soudain, en quelques
secondes, je l'ai vu faire demi-tour. Et donner un
coup de tête à Materazzi, son poing serré. C'était
violent et totalement imprévisible. Je n'ai appuyé
qu'une seule fois sur le déclencheur, et non pas en
rafale comme d'habitude. Autour de m o i , mes
confrères n'avaient rien vu. Cela a duré trois secon-
des. J'étais choqué par la violence de ce geste'. » Sa
photo fera le tour du monde. Mais, sur le moment,
les commentateurs, faute d'images, tardent à réali-
ser ce qui vient de se prodtiire. Et pour cause :
l'arbitre n'a rien vu non plus et, par conséquent, ne
siffle pas d'arrêt du jeu. Le match continue, comme
si de rien n'était... Les observateurs s'agitent.
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s'interrogent : sur le terrain, Materazzi est au sol,
en train de se tordre de douleur. Le goal Buffon,
lui, sort de sa cage en éructant. L'action se pour-
suivant du côté français, i l interpelle ses coéqui-
piers et l'arbitre, à l'autre bout du terrain. Une
c a m é r a saisit les yeux remplis d'effroi de David
Trezeguet. Tous les regards se tournent alors vers
l'attaquant : a-t-il fait quelque chose ? Vu quelque
chose ? Le goaleador a l'air d'un coupable. Dans les
tribunes, Jean-François Lamour, le ministre des
Sports, pressent l'incident. Jacques Chirac, inquiet,
s'agite et le presse de se renseigner.
Zidane, lui, a l'air d'un enfant qui a commis une
énorme bêtise et espère passer inaperçu. I l cherche
le regard de sa famille, pour vérifier s'ils ont \ai la
scène. Justement, dans la tribune officielle, un pho-
tographe people a repéré Véronique Zidane. Arri-
vée en retard, juste après le début du match, elle
est, comme les autres membres de sa famille, pla-
cée près du poteau du corner gauche. Debout,
vêtue d'un chemisier bigarré et d'un jean clair, elle
serre les poings comme l'a fait Zizou quelques
secondes plus tôt. A sa gauche, son beau-frère
Noureddine, en polo noir frappé d'un écusson en
or, retient par les épaules Enzo, le fils aîné des
Zidane. La famille ne semble pas vraiment réaliser
ce qui s'est passé : stupeur, incrédulité, leurs coips
et leurs visages paraissent dire : « Non, il y a une
erreur. » Nous sommes à la cent neuvième minute.
À quelques mètres en dessous sur le terrain, Alou
Diarra, Claude Makelele et Lilian Thuram parlent
avec l'arbitre, Horacio Elizondo. Ils veulent s'expli-
quer, raconter, se défendre. Pendant ce temps-là,
Robert Duverne, le préparateur physique, continue
de vociférer et demande à Wiltord de jouer cette
maudite balle.
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Enfin, alors que l'on s'achemine tout droit vers
des prolongations, l'arbitre siffle l'arrêt du jeu. À la
cent dixième minute. Mais le flottement continue.
Que faire ? Qui punir ? L'arbitre de touche, Dario
Garcia, n'a rien vu. Finalement, c'est le réalisateur
allemand Wolfgang Straub qui, en projetant sur les
écrans de l'arbitre de touche le coup de tête filmé
par sa caméra, une des vingt-huit utilisées durant
ce Mondial, met fin à la confusion. Ironie du sort :
quelques instants auparavant, i l filmait Thierry
Henry, le rival déclaré de Zizou, sur le point de sor-
tir. Ainsi, lors d'un match, chaque objectif suit u n
joueur durant quinze minutes. Titi sorti, sa caméra
s'est portée sur Zidane seulement une minute avant
le coup de tête. Décidant ainsi du sort du numéro 10.
Le juge de touche espagnol. Luis Medina Cantalejo,
qui regarde les images, prévient l'arbitre Elizondo
et jure sur l'honneur avoir vu la scène. Quand
Elizondo convoque Zidane et brandit le carton rouge
sous les j'eux de deux milliards de téléspectateurs,
c'est le choc. Zizou qui, toute sa vie, a « refusé de
balancer quiconque » ne répond pas à l'arbitre qui
lui demande : « Qu'est-ce qui s'est passé ? » Tout
juste consent-il à murmurer : « Le rouge, je le mérite,
rassurez-vous, mais vous n'avez rien vu avant ? »
Frustrés, en colère, certains des joueurs, comme le
milieu de terrain défensif Alou Diarra, essaient de
parlementer. L'arbitre refuse de donner des expli-
cations sur le carton rouge. Même l'équipe ita-
lienne semble effondrée. Buffon dépose u n baiser
sur la tempe de Zidane. Ses coéquipiers &-ançais,
têtes baissées, l u i forment un passage. Le cham-
pion du monde donne le brassard de capitaine à
Willy Sagnol, lequel le confie à son tour à Fabien
Barthez. Le capitaine déchu, les larmes aux yeux,
déserte le terrain à quelques minutes du coup de
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sifflet final. Dans les gradins, Laurent Blanc, un
ancien Bleu, sait le sentiment d'impuissance qu'on
éprouve à ne plus faire partie de l'équipe à un tel
moment. L u i aussi expulsé lors du Mondial 1998,
ce qui le priva de la finale, i l connaît l'horreur
d'abandonner les siens.
Mais Zidane ne rate pas seulement une finale,
il rate aussi, et surtout, une sortie qu'il pi'évoyait
autrement moins piteuse. I l la voyait m ê m e gran-
diose... Ainsi, i l rêvait de marquer un deuxième
but, une autre panenka, comme i l le confiera au
président de la Fédération française de foot, Jean-
Pierre Escalette. Et puis i l y a le tee-shirt qu'il porte
ce jour-là, en secret : un blanc caché sous son mail-
lot de n u m é r o 10, qu'il a endossé lors de chaque
match éliminatoire depuis le début de la Coupe
du monde, au cas où ce serait le dernier. Dessus,
il a fait inscrire des remerciements pour exprimer
sa gratitude à son public, à sa famille, à tous ceux
qui ont cru en l u i depuis le début de sa carrière.
Pour fêter sa retraite et dire adieu au terrain, i l
comptait le dévoiler à la Terre entièi'e, l'exhiber
pendant un tour d'honneur qui marquerait les
esprits. Un baroud d'honneur p r o g r a m m é pour
être inoubliable.
Las ! Personne ne saura la reconnaissance qu'il
veut exprimer. Zidane se dirige vers la sortie, passe
à 2 mètres de la Coupe du monde, posée sur son
socle. Bientôt, des bras vont la soulever, l'embras-
ser, l'enlacer. Le t r o p h é e est sur la gauche du
joueur, si près qu'il pourrait presque le toucher.
Debout, Raymond Domenech, livide, costume bleu
marine, chemise blanche et cravate sombre,
applaudit. Quoi ? Qui ? Zizou n'a pas un regard
pour le trophée en or. I l avance de quelques mètres,
déroule lentement le long bandeau blanc, un strip
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comme on le nomme, qui l u i ceint le poignet et le
pouce - comme si sa vie en dépendait - et s'engouf-
fre vers le tunnel qui mène aux vestiaires. Un che-
min de croix. Les spectateurs n'en reviennent pas.
Dans un silence de plomb juste p e r t u r b é par le
bruit des ci-ampons de ses chaussures Predator sur
le sol, ils voient Zidane descendre la soixantaine de
marches. À cet instant, le joueur quitte le teiTain.
Pour toujours.
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Sur le ten-ain, en revanche, la partie continue. Pour
ne pas ennuyer Zizou, de l'autre côté de la cloison,
Repellini et Martin allument une télévision en
réglant le son au minimum. La partie de tirs au but
va bientôt commencer. Dans les vestiaires, les deux
hommes retiennent leur souffle. Le gardien fran-
çais, Fabien Barthez, refuse de prendre connais-
sance de la liste des tireurs italiens. Plus tard, i l
confiera qu'il préférait ne pas savoir, pour ne pas se
mettre la pression : « Je ne voulais m'en prendre qu'à
moi-même... si par malheur... » De leur côté, l'entraî-
neur Raymond Domenech et Pierre Mankowski,
son adjoint, s'interrogent pendant une dizaine de
minutes sur le choix des buteurs français. Qui doit
tirer ? La veille, seuls le défenseur Éric Abidal et
l'attaquant David Trezeguet se sont portés candi-
dats en cas de tirs aux buts. La foule attend dans
l'angoisse... Cinq gladiateurs sont finalement dési-
gnés. Reclus dans son sous-sol, Zizou continue de
garder le silence, ne prenant pas la peine de savoir
ce qui se passe dans le stade. I l y a une télévision
dans le vestiaire, mais i l ne l'allume pas. Sous son
crâne, la tempête est trop forte.
À l'extérieur, les joueurs français se dirigent vers
les buts. Après Pirlo, qui a marqué, c'est au tour de
Wiltord. Le score est de 1 partout. Quand David
Trezeguet s'avance, Buffon est inquiet. Les deux
hommes jouent ensemble depuis six ans en club, à
la Juve. C'est peut-être pour surprendre ce gardien
qui le connaît si bien que Trezeguet décide de chan-
ger sa façon de tirer en visant en haut, à gauche.
Hélas, la balle heurte la barre transversale. Dans
les gradins, le père du jeune joueur a les larmes aux
yeux. Comme le reste de la famille, que personne
n'ose regarder. La chance de David Trezeguet, si
l'on peut dire, c'est le coup de tête du célèbre
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n u m é r o 10, qui balaiera cette énorme « bévue ».
Zidane, l u i , n'entend pas les clameurs de la foule.
Pierre Repellini n'ose pas aller le voir : « Dans de
telles circonstances, on n'a pas besoin de parler, n i
de faire de grands discours. Plus on est transpa-
rent, mieux c'est pour tout le monde'. » I l ignore si
Zizou a xoi les larmes de Trezeguet qui s'essuie le
visage sur son maillot blanc et le désespoir de
Patrick Vieira. Alors que le joueur est toujours
prostré dans le vestiaire, Repellini hésite sur la
suite des événements. Intendant des Bleus et mem-
bre de la Fédération française de football, il doit
s'occuper de l'équipe et assister à la remise des
médailles. Ainsi lui faut-il remonter à la surface.
Mais i l souhaite que Zizou l'accompagne. I l pousse
la porte du vestiaire et pose la question. Peine per-
due, Zizou refuse. Le joueur déchu n'a pas la force
de venir chercher une médaille de perdant.
Repellini décide de laisser Zidane au sous-sol.
C'est Momo, le responsable de la s é c u r i t é des
Bleus, un Français d'origine algérienne l u i aussi
m a r s e i l l a i s , q u i p r e n d le relais a u p r è s d u
n u m é r o 10. Zidane attend donc le retour de ses
coéquipiers en compagnie de Momo et du kiné. N i
l'un n i l'autre n'osent lui dévoiler le score final : nul
besoin de l'achever. I l sait simplement que l'équipe
de France, celle qui le considérait comme un sau-
veur, a perdu. Par sa faute.
Vingt-sept minutes après l'expulsion de Zidane,
l'Italie est championne du monde. Sur le terrain,
les Bleus sont hagards. Fabien Barthez, le premier,
monte sur le podium pour recevoir sa médaille.
Raymond Domenech ferme la marche. C'est au
tour des Italiens de se voir remettre le trophée. Seul
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Thierry Henry, ainsi que cinq r e m p l a ç a n t s et
l'entraîneur restent pour applaudir les vainqueurs.
Dans l'histoire de la Coupe du monde, cette défec-
tion des perdants constitue une première : aucune
équipe n'a jamais refusé d'assister à la prise de tro-
phée par l'équipe gagnante. Pire encore : les Bleus
ne respectent pas le protocole de la FIFA en
n'acceptant pas de poser pour la photo comme il
est d'usage pour les vice-champions du monde.
Domenech tente bien un « prenez d'abord la photo
avant de partir », personne ne l'écoute. Ils rega-
gnent les vestiaires en ordre dispersé, vei"s 22 h 30.
Zidane a revêtu un sur\'êtement Adidas. Son cos-
tume de ville bleu foncé est accroché à la porte de
son casier. Désormais, i l connaît le score final. À cet
instant, seul Lilian Thuram a le cran de l u i deman-
der des explications. I l veut savoir si Materazzi a
tenu des propos racistes. Zidane répond que non.
Dhorasoo, qui a entrepris de filmer la Coupe du
monde avec sa petite caméra portable (ses images
deviendront un film, Suhstitute), enregistre la
scène, jusqu'à ce qu'un joueur le somme d'arrêter'.
Si Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur,
est interdit de vestiaires depuis le début de la finale,
Jacques Chirac, lui, est attendu par une équipe de
France a c c a b l é e . Q u a n d i l a r r i v e , le p r é s i -
dent prend Zizou à part et l u i parle dix longues
minutes. Ce que le chef de l'État veut savoir avant
tout, c'est si l'ancien capitaine des Bleus viendra
déjeuner à l'Elysée le lendemain, comme convenu.
Très vite, le ministre des Sports J e a n - F r a n ç o i s
Lamour sonne l'heure du départ pour la délégation
officielle. Aux regards fermés des joueurs, aux
pieds de Zizou qui trépignent, l'ancien champion
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olympique a compris qu'il est temps de les laisser
entre eux.
À huis clos, Zizou voudrait prendre la parole,
seul face aux joueurs, assommés par la défaite. I l
prie les membres du staff de s'éclipser. Raymond
Domenech aimerait ajouter quelque chose. En
attendant, Zidane se jette à l'eau : « Voilà, je voulais
vous dire que je suis désolé. » I l explique du bout
des lèvres qu'il regrette d'avoir laissé tomber ses
camarades alors que la devise du groupe était,
depuis le d é b u t des e n t r a î n e m e n t s , « Vaincre
ensemble, m o u r i r ensemble », comme l'avait
affirmé Makelele. Quand Raymond Domenech
prend la parole à son toui", ses premiers mots sont
pour Zizou, l'ancien capitaine. Devant les joueurs,
l'entraîneur tient à... remercier Zinedine Zidane.
Le costume à peine froissé, la gorge nouée face à
ses troupes, l'entraîneur exprime sa gratitude pour
ce que Zidane a apporté aux Bleus durant cette
Coupe du monde. Un discours d'une minute. « I l a
réagi de manière impulsive, raconte un proche de
l'entraîneur. I l n'avait pas envie de voir Zizou quit-
ter le foot ainsi. L'ambiance était dure. Certains
joueurs pleuraient de rage. D'autres étaient anéan-
tis. I l a compris que, s'il ne faisait rien, Zidane quit-
terait les Bleus la tête basse'. »
Décidément, Raymond Domenech, du début à la
fin de cette aventure, aura été surprenant. Au fond
de lui, l'entraîneur en a gros sur le cœur. Certains
des joueurs attendaient que le coach évoque le
coup de tête, mais rien. Quelques secondes plus
tard, i l se met à applaudir le capitaine. Seul. Léger
flottement puis Patrick Vieira tape des mains dou-
cement. Et soudain, c'est le tonnerre d'applaudis-
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sements. Certains avaient la chair de poule. Tous
les joueurs l u i rendent hommage. Certains, tel
Jean-Alain Boumsong', vont jusqu'à lui demander
de signer leur maillot. Les mains démentent parfois
les tripes. L'ancien capitaine des Bleus paraît lui-
m ê m e surpris d ' é c h a p p e r aussi facilement aux
reproches de ses coéquipiers. De fait, personne,
alors, n'ose l'eparler à Zidane de son forfait. Per-
sonne, en dehors de Lilian Thuram, ne lui pose la
question qui brûle toutes les lèvres : « Pourquoi ?
Pourquoi un tel geste ? Qu'est-ce que Materazzi t'a dit
pour déclencher une telle réaction ? » N i son entraî-
neur ni ses coéquipiers. Même Chiistophe Dugarry,
le vrai pote, le fidèle compagnon des fêtes noctur-
nes. Aujourd'hui, i l concède ne jamais avoir osé
l'interroger. Plus étrange encore : ni Noureddine, n i
Farid, ses frères les plus proches, n'oseront jamais
le questionner sur ce qui s'est vraiment passé.
Il est presque minuit. Nul n'imagine, parmi les
derniers spectateurs qui quittent l'Qlympiastadion,
qu'il règne, au sous-sol, comme une ambiance de
réveillon. C'est à peine si certains joueurs aperçoi-
vent, en sortant des vestiaires, Materazzi, qui
passe, une c h a î n e stéréo sous le bras, sans un
regard pour eux. Tous regagnent le Westin Grand
Hôtel de Berlin, où les attendent les familles. Par
superstition, aucune fête n'a été préxoie en cas de
victoire. Mais un goût étrange et amer est dans tou-
tes les bouches. Personne ne semble vraiment réa-
liser que le monde entier n'attend qu'une chose :
savoir ce qui s'est passé dans la tête de Zizou. Cer-
tains s'attardent au bar de l'hôtel, mais la plupart
rejoignent leur chambre. Zizou, lui, brille par son
absence.
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Depuis la fin du match, le téléphone de Zizou ne
cesse de sonner. Mais le joueur le plus célèbre du
monde ne répond plus. Même Alain Migliaccio, son
agent de longue date et homme clé de la PME
Zidane, ne sait pas où i l se trouve. En réalité, i l quitte
le stade en compagnie de ses deux frères, Noureddine
et Farid, venus le chercher à la sortie. Ensemble,
ils vont manger un morceau dans un modeste res-
taurant. À table, Noureddine et Farid se gardent de
demander à leur frère de s'expliquer, se contentant
d'essayer de le réconforter. En vain. À une heure
du matin, le trio est de retour à l'hôtel Westin.
Abattu, Zidane s'enferme dans sa chambre avec sa
femme. Christophe Dugarr^', l'ancien coéquipier de
1998, l'ami de toujours, l u i laisse un message .sur
son téléphone portable : « Je suis avec toi, je pense
à toi'. » Zidane ne répond pas.
A des milliers de kilomètres de là, dans son fief
natal d'Aguemoun, en Algérie, un homme devine le
séisme intérieur qui ravage le joueur. Madjid, le
seul frère de la famille à ne pas être à Berlin ce soir,
a regardé le match dans un café en compagnie de
tous les hommes du hameau. I l a fumé cigarette
sur cigarette, jusqu'au moment fatidique : quand,
sur l'écran, son petit frère a commis l'irréparable,
son visage émacié s'est décomposé. Aussitôt, il s'est
levé et a quitté le bar. Quelques heures plus tard, i l
annonce, lugubre : « Ziz va s'enfermer dans un
mutisme qui peut durer longtemps^. »
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Chronique d'un geste annoncé
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sportif espagnol Marca, avant de promettre que « le
coq gaulois va se faire déplumer' ». Ce ne sont pas
seulement des c o m m é r a g e s de journalistes. La
maigreur inhabituelle du joueur frappe, au point
d'inquiéter sa famille et ses amis. « I l m'a fait pen-
ser au cycliste Lance Armstrong durant le Tour de
France », se souvient Stéphane Mandard, journa-
liste au Monde^. Sur le terrain, ses performances
n'ont rien d'encourageant. Lors de ses derniers
matchs sous les couleurs du Real, les rares fois où
il a joué i l n'a pas marqué. Celui qui, en 2005, était
revenu en sauveur des Bleus n'est plus que l'ombre
de lui-même.
Le l'esté de l'équipe, la plus âgée de la Coupe du
monde, ne vaut guère mieux. Les Bleus, entraînés
par un Domenech contesté, ont certes passé le
stade des qualifications, mais sans briller, c'est le
moins que l'on puisse dire. Personne ne croit en
eux. Ce M o n d i a l sent t e l l e m e n t la d é b â c l e
qu'aucune marque française de prêt-à-porter ne
souhaite les sponsoriser, révèle un membre de la
Fédération française de football. Ironie du sort,
c'est une griffe italienne, Smalto, qui s'est dévouée
pour fournir les costumes.
Le premier tour du Mondial est catastrophique.
Les 13 et 18 juin, les rencontres contre la Suisse, à
Stuttgart, et la Corée du Sud, à Leipzig, se soldent
par deux matchs nuls (0-0 et 1-1). Zidane n'a pas
fait d'étincelles : le vieux lion, s'il continue à donner
quelques bons ballons à ses partenaires, semble
incapable de jouer plus d'une heure. Et quand i l
joue, c'est pour récolter un carton jaune, un à cha-
que rencontre. Le deuxième, face aux Coréens, le
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prive du prochain match contre les Togolais, pour-
tant décisif pour se qualifier. Les Bleus vont-ils
nous refaire le coup de la Coupe du monde en
Corée et au Japon, où ils n'avaient m ê m e pas h'an-
chi le deuxième tour ? Zizou lui-même n'y croit
guère. La veille de la rencontre, dans le plus grand
secret i l a préparé ses valises en cachette, prêt à
quitter l'Allemagne sur-le-champ en cas de défaite.
Seul le personnel technique de la Fédération est au
courant. Le 23 juin, à Cologne, la France retient
son souffle... et respire : les Bleus gagnent 2-0, avec
les deux buts d'écart nécessaires pour accéder aux
huitièmes de finale.
Celles-ci auront lieu quatre jours plus tard, le
27 juin, à Hanovre. La veille, lors d'une conférence
de presse, Raymond Domenech confie : « Ma seule
crainte, c'est qu'un joueur se fasse sortir bêtement
parce qu'on l'aura provoqué. » Personne ne prête
attention à cette mise en garde. I l est peu probable,
pourtant, qu'une telle phrase soit simplement le
fruit du hasard... Le lendemain, un miracle se pro-
duit. Avec un score de 3-1 contre les Espagnols, lar-
gement favoris, les Français sortent de sa torpeur
une Coupe du monde que l ' o n croj'ait j o u é e
d'avance. Le F"" juillet, le quart de finale France-
Brésil peaufine ce scénario hollywoodien avec un
score de 1-0 pour les Bleus et rappelle l'incroyable
épopée de 1998. Zidane s'est enfin, miraculeuse-
ment, réveillé. Ce match, i l l'a m e n é de bout en
bout, offrant, à la cinquante-septième minute, une
passe décisive magistrale à Thieri-y Henry, dont le
but a ravivé les espoirs les plus fous. Quelques
minutes à peine après le coup de sifflet final, les
célébrités se bousculent à la porte des vestiaires.
Michel Platini doit patienter une dizaine de minu-
tes avant de pouvoir entrer, ce qui le mettra dans
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une rage folle, raconte un membre du staff : Zizou
est tout simplement en t r a i n d'improviser une
danse frénétique sur la table de massage. Quant à
Jacques Chirac, i l réussit à forcer le passage, mais
se retrouve entouré de joueurs exultant de joie, cer-
tains totalement nus. À Paris, les Champs-Elysées
sont envahis une fois encore par une foule black-
blanc-beur qui, parée des couleurs tricolores et de
drapeaux algériens, se sent prête à revivre le grand
soir en chantant / Will Survive. Avec les espoirs de
victoire, le « plus grand joueur du monde » paraît
ressuscité. De Rio à Boston, d'Alger à Marseille, la
zizoumania se répand à la vitesse d'un ballon tiré
au but. La France est au sommet de l'Olympe par
la seule grâce d'un homme au jeu de jambes vir-
tuose.
Le 5 juillet, jour de la demi-finale contre le Por-
tugal, alors que les supporters tricolores sont en
transe, un joueur pressent pourtant que tout
pourrait d é r a p e r . Lilian Thuram, le compagnon
de 1998, vient glisser à l'oreille de Zinedine :
« Garde ton calme, s'il te plaît. » Comme Aimé
Jacquet, jadis... Mais, pendant le match, Zizou
garde son calme. La demi-finale, conquise à
l'arraché 1 à 0, ne fait qu'augmenter d'un cran la
pression et l'euphorie générales. Dans leur cœur,
les Français sont déjà les champions du monde.
Un peuple derrière le capitaine de son équipe.
Zidane, l'artisan modeste de ce revirement ines-
péré.
Le matin du 9 juillet, quand les joueurs se retrou-
vent autour de la table pour le petit déjeuner, ils
découvrent une feuille de papier déposée devant
leur bol de café. Ce sont les paroles de La Mar-
seillaise qu'a fait imprimer Thuram. Son souhait ?
Que chacun les apprenne et les chante le soir de la
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finale. Dans la journée, le jeune humoriste Jamel
Debbouze rejoint Zizou dans sa chambre d'hôtel.
Vêtu d'un survêtement bleu clair Adidas, le sportif
est allongé sur son l i t . À quelques heures de la
finale, le comique veut détendre l'atmosphère. « Tu
ne veux pas me dédicacer une roulette ? Tu diras
que c'est pour Melja [Jamel en verlan] ! » La rou-
lette, c'est cette action qui consiste à enrouler le
ballon du pied derrière son dos avant de le lancer
en l'air : un geste d'expert. « Je t'en mets deux si tu
veux ! » répond le joueur, en tapant dans la main
du comique. Jamel continue sur sa lancée : « M o i
j'suis toi, sur la tête de ma mère, je fais une roulette
sur la surface de réparation, je jette le maillot,
comme ça, et je pars... Ce serait bien de mettre en
scène ta sortie. Allez, tu mets un but et tu pars' ! »
Et Zidane de rigoler, avec l'assurance mêlée de
timidité de ceux qui ont déjà tutoyé les dieux. Une
roulette ? Pas de problème. Et pourquoi pas une
panenka tant qu'il y est ? Pourquoi pas, même, un
coup de tête ? Ce coup de tête, Zidane en rêve. Mais
en face, i l voit un but, pas un buste. Après tout, que
pourrait-il exister de plus glorieux que faire des
adieux en marquant de la tête, comme lors de la
finale France-Brésil du Mondial 1998 ? Las ! Le
symbole est trop beau et la fanfaronnade de Jamel,
hélas dramatiquement prémonitoire.
Le soir de la finale, avant qu'elle débute, le capi-
taine ne porte ni son bracelet rouge porte-bonheur,
qu'il embrasse souvent avant le début d'un match,
ni son alliance, qu'il n'a jamais quittée depuis son
mariage avec Véronique et qu'il remettra ensuite.
Pourquoi donc ? Pour une raison qui l u i appar-
tient. Zizou est donc énei-vé, très énervé. Personne
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ne le sait encore, mais un Italien va payer les pots
cassés !
Dans sa vie de footballeur, la bonne entente avec
V é r o n i q u e est essentielle. E n dix-sept ans de
mariage, le couple s'est construit autour d'une car-
rière hors normes. Véronique Lentisco-Fernandez,
l'ancienne ballerine qui a s t o p p é ses études de
danse pour é p o u s e r ce beau b r u n au regard
sérieux, est une maîtresse femme qui règne sur sa
famille avec l'autorité naturelle conférée par ses
origines espagnoles. Mais elle a consenti beaucoup
de sacrifices sur l'autel du football et a parfois du
mal à supporter l'aura planétaire de son champion
de mari, sollicité de toutes parts en permanence.
Le dernier match de son époux aura-t-il été la ren-
contre de trop ? Comme le rappelle un ancien de
l'équipe de France, « arriver sur un terrain en ayant
mal dormi peut vous pourrir un match ». Surtout
quand on prépare son baroud d'honneur de nou-
veau retraité. « Ce jour-là, i l semblait porter toutes
les misères du monde sur ses épaules' », confie
Christophe Dugarry. Mais ne pouvait deviner le far-
deau qu'il l u i faudrait porter plus tard...
Il est 20 heures. Des millions de suppoilers aux
visages bleu, blanc, rouge ont les yeux rivés aux
écrans géants. Les grands de ce monde interrom-
pent leurs activités pour se consacrer au dernier
match du samouraï français : George et Barbara
Bush à la Maison Blanche, Fidel Castro, e n t o u r é
de ses gardes du corps dans son bunker présiden-
tiel, à La Havane, le président iranien Mahmoud
Ahmadinejad, qui en oublie sa gueiTC contre Israël...
Même en Irak, les attentats cessent le temps d'une
trêve improvisée. A Berlin, l'arbitre siffle le début
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de la rencontre. Parmi les joueurs, la tension est
palpable. Et plus encore chez Zizou. La fatigue
physique ? L'excès de tension accumulée depuis le
début de la compétition ? Le souci de réussir sa
sortie, de raccrocher ses crampons de façon inou-
bliable avec ce tee-shii"t blanc qu'il espère exhiber
à tous en guise de remerciement ? L'obsession
d'être à la hauteur ? L'espoir fou de partir sur une
nouvelle victoire au Mondial ? Ce 9 juillet 2006, les
raisons de déraper ne manquent pas. Et le déra-
page a eu lieu.
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La gueule de bois
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finale. Auraient-ils gagné que les choses n'auraient
pas été faites en plus grand. Quelques minutes plus
tard, sur le perron de l'Elysée, le président est heu-
reux d'accueillir l'équipe au complet... Très ému, il
l i t u n discours r e t r a v a i l l é à la h â t e : « Cher
Zinedine Zidane, ce que je veux vous dire, au
moment le plus intense, peut-être à un moment dur
de votre carrière, c'est l'admiration et c'est l'affec-
tion de la nation tout entière, son respect aussi,
mais l'affection et l'admiration. Vous êtes un vir-
tuose, un génie du football mondial. Vous êtes
aussi un homme de cœur, d'engagement, de convic-
tion. Et c'est pour cela que la France vous admire
et vous aime. » Le tout dure à peine cinq minutes.
Les joueurs sont ensuite guidés vers la salle de
réception, où ils sont répartis sur plusieurs tables.
A celle d'honneur trônent, aux côtés de Jacques
Chirac, Zinedine Zidane et Raymond Domenech.
Dans la salle, les sportifs, le ventre noué et la tête
ailleurs, goûtent à peine aux plats senàs. Une heure
et quart plus tard, le repas est terminé.
En réalité, le président n'en laisse rien paraître
mais, sous ses dehors affables, i l est furieux.
Comme de nombreux Français, i l a été exaspéré
par le capitaine des Bleus. Plein d'amertume, i l
s'est d'ailleurs emporté devant quelques proches :
« Quel con ! Comment a-t-il pu donner un coup de
tête à l'Italien, en pleine finale ? » Lui qui rêvait de
quitter l'Elysée après une deuxième victoire en
Coupe du monde est dépité. N'avait-il pas prévu de
récompenser les joueurs avec une médaille, comme
en 1998, lorsqu'il leur avait remis la Légion d'hon-
neur ? Mais, cette fois, le cœur n'y est pas. I l ne leur
donne pas les décorations, préférant les remettre,
plus tard, à... sa propre escorte personnelle. Quant
au défilé sur les C h a m p s - E l y s é e s , p r o g r a m m é
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quelle que soit l'issue de la finale, i l est tout sim-
plement annulé. Le soir, les joueurs doivent se
contenter du balcon de l'hôtel Grillon, à Paris,
devant lequel se sont massés quelques milliers de
personnes. À 16 heures, un à un les joueurs vien-
nent saluer de la main la foule amassée sous le
balcon. Les larmes de Trezeguet, qui a l'air de
demander avec un geste pardon aux Français, le
sourire triste de Vieira ou le visage fermé de Zidane
d é c l e n c h e n t des applaudissements. Quelques
« Zizou on t'aime » fusent. Cependant, la fête est
évidemment gâchée.
Plus personne n'a envie de trinquer. Mais en
absolvant publiquement le capitaine des Bleus,
Jacques Chirac a coupé court à toute critique. Dans
les jours qui suivent, nombre d'hommes et de fem-
mes politiques expriment leur sentiment sur
« l'affaire ». Rares sont ceux qui, comme Philippe
de Villiers, demandent au joueur français « de
s'excuser, et dire ses regrets » pour « ce coup de
tête fatal à son image ». La plupart, au fond, com-
prennent et pardonnent au capitaine d'équipe. Le
11 juillet, sur LCL l'ancien Premier ministre Laurent
Fabius s'autorise une analyse lyrique : « I l y a les
dieux, il y a les humains et il y a les demi-dieux qui
s'appellent des héros. On croyait que Zidane était
un dieu et c'est simplement un héros. » Le député
socialiste poursuit : « I l est à la fois doté de qualités
extraordinaires et en m ê m e temps c'est un mor-
tel. » Le commentaire de Julien Dray, porte-parole
du PS, relève de la m ê m e veine : « On avait telle-
ment fait de Zinedine Zidane une sorte de dieu qu'il
est redevenu humain, c'est-à-dire un personnage
qui peut craquer'. » À droite, le son de cloche n'est
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pas différent. En témoigne une observation du
ministre de l'Outre-Mer, François Baroin : « On fait
porter sur les épaules de ces footballeurs une res-
ponsabilité absolument immense. On demande à
cette équipe de France de r é p o n d r e à toutes les
misères de la société fi^ançaise'. »
Pour un peu, certains approuveraient presque le
capitaine d'équipe. Candidate à l'investiture du
parti à la rose rouge, Ségolène Royal concède avoir
apprécié la capacité du sportif à « défendre farou-
chement les valeurs auxquelles i l tient profondé-
ment et en particulier le respect de sa sœur^ ».
Après les excuses télévisées du joueur, elle dit
encore : « J'ai vu un homme d'une grande intensité,
d'un grand souci éducatif. I l a exprimé du regret à
l'égard du spectacle de la violence donné aux plus
jeunes. I l en est conscient et s'est excusé. » Elle
ajoute enfin, rebondissant sur les interprétations
selon lesquelles les insultes éventuellement profé-
rées seraient à caractère raciste ou liées à sa famille
- pendant plusieurs jours, différentes versions
seront colportées : « I l y a des coups psychologi-
ques qui sont parfois plus douloureux que les
coups physiques (...) I l faut donc que les nouvelles
réglementations dans le sport international intè-
grent et sanctionnent ces coups psychologiques qui
ne font pas de bruit mais qui sont réels et n'ont pas
leur place dans le sport. » Abondant dans ce sens,
le président de SOS-Racisme, Dominique Sopo,
demande des sanctions contre les auteurs de pro-
pos racistes et singulièrement contre le joueur ita-
lien : « Nous ne pouvons pas laisser passer ce type
52
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de comportement parce qu'on voit bien depuis plu-
sieurs semaines, plusieurs mois, voire plusieurs
années d'ailleurs, que le foot est quand m ê m e gan-
g r e n é par ce type d'altercation raciste entre
joueurs, entre le public et les joueurs'. » En quel-
ques déclarations, Zidane est devenu, bien malgré
lui, un véritable justicier. Et l'élan de solidarité qu'il
a suscité n'a pas de frontières. En Algérie, son coup
de tête est accueilli comme une juste réponse « face
à ce qui ne pouvait être qu'une grave agression »,
p o u r r e p r e n d r e la d é c l a r a t i o n du p r é s i d e n t
Bouteflika. Zidane aurait m ê m e « réagi, d'abord,
en homme d'honneur avant de subir, sans sour-
ciller, le verdict », dit encore le chef d'État algérien.
Même le président cubain Fidel Castro affirme à la
télévision : « Je n'approuve pas qu'on ait sanc-
tionné l'Algérien. Je l'ai vu et i l a dû être fortement
insulté pour réagir ainsi. »
Mais pour parler de cette manière, voler à son
secours, ont-ils tous vérifié ce qui s'est passé ? Cette
fois encore, la n o t o r i é t é de Zidane l u i a servi
d'armure.
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ces chaussures m^^hiques posées sur l'herbe était
censée, sur les affiches et quatrièmes de couverture
des magazines, parler d'elle-même. Le scénario
était simple... Las ! Le 9 juillet 2006, à l'Olympias-
tadion de Berlin, à la cent septième minute du
match, l'homme-sandwich a quitté le terrain les
chaussures aux pieds... Chez Adidas, une cellule de
crise est montée en urgence. La décision tombe :
l'énorme campagne de publicité prévue de longue
date est annulée.
Anéantie également, la campagne qui devait
promouvoir, dès le lendemain de la finale, le jeu
de société Scrabble. Mattel, la société p r o p r i é -
taire de la marque, n'est pourtant liée par aucun
contrat au joueur. Mais l'annonceur comptait l u i
aussi, certes à moindres frais, surfer sur les exploits
du champion du monde, avec le slogan suivant :
« Maintenant, i l va falloir jouer avec la tête. »
Après le « coup de boule », la phrase tombe bien
mal.
L'opérateur de téléphonie Orange choisit, lui, de
faire le dos rond. « Nous avons décidé de ne pas
réagir du tout, raconte un responsable. D'ailleurs,
nous n'avons pas réussi à joindre le joueur pen-
dant plusieurs jours'. » En attendant des instants
meilleurs, un sobre « Merci Zidane » p l a c a r d é
dans les magazines fait l'affaire. Plus tard, lorsque
le contact sera r e n o u é , le sujet sera, d'après la
m ê m e source, toujours soigneusement évité. « Le
coup de tête de la finale ? Franchement, pour la
marque ce n'est pas méchant^ », commente de son
côté Marie-Christine Lanne, responsable de l'assu-
reur Generali.
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S'ils n'ont pas eu à torpiller leur campagne publi-
citaire, certains sponsors ont toutefois la peur au
ventre à la pensée d'un déchaînement médiatique
qu'ils pressentent virulent. Chez Danone, Jacques
Bungert, le coprésident de la prestigieuse agence
de pub Young & Rubicam France, est chargé du
brûlant dossier. Les situations de crise, cet ancien
Sup de Co les connaît sur le bout des doigts : l u i -
m ê m e a dû recoller les pots cassés après la ferme-
ture de l'usine LU à Nantes. Le regard angélique
mais le sourire carnassier, i l est à la fois excellent
homme de communication et fin connaisseur du
football. Mieux, ce Lorrain a m ê m e su apprivoiser
le farouche Zinedine... En ce lendemain de match,
le premier réflexe de Jacques Bungert consiste à
commander en catastrophe une batterie de sondages.
Comme le publicitaire a en m é m o i r e le rapport
réalisé par un cabinet de conseil marketing, Sport-
Lab, selon lequel Zizou serait l'un des rares athlètes
- peut-être m ê m e le seul - dont le nom suscite plus
d'appréciations sur sa personnalité que sur ses per-
formances sportives, qu'en bref l'homme importe
plus que le footballeur, mieux vaut le vérifier.
P a r a l l è l e m e n t , i l sait que l ' i n c o m p r é h e n s i o n
domine parmi les spectateurs français : dans un
sondage publié le 11 juillet par le quotidien Le Pari-
sien, 32 % des personnes interrogées reconnaissent
ne pas comprendre le coup de tête dans le torse du
défenseur italien. 27 % vont jusqu'à condamner le
mauvais geste du capitaine des Bleus. Dès lors, il
reste à convaincre les 41 % qui se disent prêts à
absoudre Zizou...
C'est à partir de ce double constat que se dessine
la stratégie de Danone, concoctée à la fois par
Jacques Bungert et Alain Migliaccio, l'agent de
Zizou, un Pied-Noir au carnet d'adresses phénomé-
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nal. Au diable les compétences sportives du cham-
pion du monde, les deux hommes misent sur sa
p e r s o n n a l i t é . Celle d'un homme à l ' h o n n e u r
bafoué, d'une victime que le sort fait passer pour
un coupable. Après tout, qui pourrait reprocher à
un homme de protéger l'honneur de sa famille,
puisque les propos de Materazzi seraient liés à elle,
comme d'aucuns l'avancent ? En poussant le bou-
chon un peu plus loin, le joueur le plus connu de
la terre, la star millionnaire, peut même devenir le
porte-drapeau, le justicier symbolique de toutes les
petites gens qui se sentent humiliées, insultées,
sans jamais oser riposter. À l u i seul, i l les a toutes
vengées ! Après tout, Zidane n'a-t-il pas agi comnne
chacun aurait, un jour, rêvé de le faire ? Se soula-
ger, donner libre cours à la colère au mépris de ses
intérêts immédiats... Le joueur n'a fait que céder à
ses pulsions, dans une société qui les contient de
moins en moins. Voilà pour le mobile. Reste à jus-
tifier la violence de la pulsion en question. Le publi-
citaire joue son va-tout : afin d'expliquer le coup de
folie de Zidane, i l invoque la supposée fierté des
Bei"bères.
Jacques Bungert plante le décor. À charge pour
Zizou, maintenant, de respecter la consigne. Celle-
ci est d'une simplicité redoutable : la pénurie de
parole. Autrement dit, l'ex-capitaine des Bleus doit
se mettre aux abonnés absents. Objectif : laisser
passer l'orage. Pendant trois jours, i l n'apporte
aucun démenti, aucune confirmation aux ques-
tions posées par les journalistes (et les spectateurs)
du monde entier. Résultat : la planète attend une
explication. Qui ne vient pas. Mais la rumeur se
répand. D'agi^essé, Materazzi se retrouve bientôt
habillé des oripeaux de l'agresseur. Les journalistes
étudient à la loupe les tatouages de celui que l'on
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a d é s o r m a i s r e n o m m é « le Boucher » : têtes de
Viking sur les bras, devises viriles sur la nuque, à
leurs yeux, l'homme a tout du hooligan. Hier
i n c o n n u , le v o i c i p r o p u l s é e n n e m i p u b l i c
n u m é r o un. Des vidéos de ses tacles violents enva-
hissent le Net. Dès le lundi, The Guardian s'inter-
roge : Materazzi n'aurait-il pas eu le mauvais goût
de traiter Zidane de terroriste ? Dans la journée,
TV Globo, un média brésilien, prend le relais et fait
appel à des sourds-muets pour déci"ypter ses pro-
pos : ce dernier aurait qualifié le n u m é r o 10 de
« fils d'une pute terroriste ». En Angleterre encore,
le Times convoque Jessica Rees, l'experte incontour-
nable en matière de lecture labiale. Cette collabora-
trice du prestigieux Scotland Yard croit elle aussi
pouvoir lire dans la bouche du défenseur italien :
« On sait tous que tu es le fils d'une pute terroriste. »
Mardi, l'Italien doit bien reconnaître, dans la
Gazzetta Dello Sport, qu'il a insulté le capitaine
français, trop arrogant à son goût, mais il nie avoir
porté atteinte à l'honneur de sa m è r e : pour ce
Latin, orphelin à l'âge de 14 ans, la figure mater-
nelle est sacrée. Trop tard : qui croira le défenseur
italien ? En quarante-huit heures Materazzi est
devenu un salaud doublé d'un raciste. Au point
qu'en Italie un député du centre gauche demande
au ministère des Sports de diligenter une enquête.
« Marco Materazzi a gardé le silence aussi long-
temps', révèle aujourd'hui Andréa Elefante, journa-
liste à la Gazzetta Dello Sport, coauteur de la
biographie du joueur italien, parce que, pour l u i ,
ce qui se passe sur un terrain reste sur le teiTain et
ne concerne que les joueurs. Surtout, il voulait ren-
contrer Zidane et s'expliquer entre hommes. »
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Erreur tactique. Car, pendant ce temps-là, alors
que Marco Materazzi attend une discussion qui
n'aura jamais lieu, voilà Zizou artificiellement
auréolé d'une réputation de justicier, simplement
« coupable » d'avoir botté les fesses (ou plutôt le
torse) d'un malotru.
Finalement, le 12 juillet, Zidane sort de son
silence. I l accorde deux interviews, à Canal+ et
T F l . Un jackpot pour les chaînes en question et les
deux journalistes vernis choisis. Le premier,
Michel Denisot, fait m ê m e partie du « contrat ». Ce
sera l u i ou personne, impose Zizou. La c h a î n e
cryptée est obligée d'obtempérer. En échange, pro-
mis, juré, Zidane dira toute la vérité. Denisot est
donc prié d'écourter ses vacances et de rentrer
dare-dare à Paris. Quant à Claire Chazal, sur T F l ,
accessoirement c h a î n e partenaire officielle des
Bleus, elle décroche la timbale car elle a dîné, quel-
que temps auparavant, avec l'un des frères de
l'idole. On est mercredi. Ce soir-là, les deux inter-
views s ' e n c h a î n e n t , la p r e m i è r e sur Canal+, à
19 heures, et la seconde sur T F l , à la grand-messe
du 20 heures. Au total, dix-sept millions de télés-
pectateurs (six millions pour la c h a î n e cryptée,
onze millions pour T F l , sans compter les rediffu-
sions à l'étranger) vont se presser devant leurs
écrans, suspendus aux lèvres du héros...
Sur le plateau de la chaîne cryptée, c'est l'effer-
vescence. D é b a r q u é vers 17 h 30 d'un 4 x 4 aux
vitres teintées en compagnie de ses frères, Zidane
entre, comme prévu, par le parking de la chaîne. I l
a posé ses conditions : arriver discrètement et ne
croiser personne. « Quand i l est apparu dans les
couloirs de la chaîne, raconte Karim Nedjari', jour-
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naliste au Parisien, la tension était à son maximum.
Personne n'osait lui parler. I l avait le visage fermé.
Ses frères le suivaient de près. Le silence était
assourdissant. » Dans la loge, i l grignote quelques
friandises avec Michel Denisot, le temps de se met-
tre d'accord sur le déroulé de l'entretien. Le jour-
naliste demande sa permission pour diffuser en
cours d'émission les images du coup de tête. Ouf,
le joueur accepte.
A 19 h 30, au moment de la diffusion en clair, les
téléspectateurs découvrent Zizou vêtu d'un tee-shirt
vert clair et d'une veste militaire kaki. Une tenue de
samouraï, travaillée au détail près par ses sponsors :
élégante sans être ostentatoire, vii^ile et modeste à la
fois. É m u et s'exprimant avec difficulté, le héros
semble s'agripper à l'énorme micro, siglé Canal+,
comme un naufragé à son radeau. Assis sur un
tabouret, i l est confi-onté aux images de la finale et
de la s c è n e fatidique. Quand Michel Denisot,
impressionné, lui demande de commenter ces quel-
ques minutes, le plus grand joueur du monde
n'arrive pas à lever les yeux vers l'immense écran qui
lui fait face. « Mais que vous a donc dit Mate-
razzi ? » interroge le journaliste. Aux bribes d'expli-
cations prononcées par le champion on comprend
que le joueur italien a tiré le maillot de Zidane avec
une insistance excessive. Que ce dernier, mi-irrité,
mi-goguenard, aurait alors proposé au défenseur
de le l u i offrir à la fin du match. Et que l'Italien,
ne supportant pas la moquerie, aurait r é p o n d u
avec « des mots très durs, des mots qui touchent à
la mère et à la sœur ». L'ancien capitaine des Bleus
ajoute : « J'aurais préféré recevoir une droite
qu'entendre les mots qu'il m'a dits. » C'est tout. On
n'en saura pas plus. Et Zidane ne demandera
jamais pardon.
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Certes, « pour les enfants du monde entier »,
Zizou regrette son geste. Mais il rappelle, toujours
sur le plateau, que le w a i coupable, c'est le provo-
cateur. « Vous pensez qu'en finale de Coupe du
monde, à quelques minutes de la fin de ma car-
rière, j ' a i agi comme ça sans raison ? », prend-il
Denisot à témoin. L'argument semble imparable
pour le journaliste. Pourtant, cet ancien responsa-
ble des sports de la chaîne, ex-dirigeant du PSG,
n'est pas né de la dernière pluie et connaît la bru-
talité récurrente de l'homme aux quatorze cartons
rouges. Des cartons rouges, Zidane en a accumulé
au cours de sa carrière plus que n'importe quel
autre joueur de son niveau : quatorze fois, l'arbitre
lui a administré la sanction fatale, contre seule-
ment trois à Michel Platini. I l fit preuve de violence
en 1993, en pulvérisant le nez d'un Marcel Desailly
trop moqueur à son goût. En 1998, i l écrasa ses
crampons sur le dos d'un joueur saoudien au sol.
Deux ans plus tard, i l se fendit d'un coup de poing
contre un adversaire en pleine Ligue des cham-
pions. Un geste qui l u i valut de louper son second
Ballon d'or et, surtout, lui attira les pires remon-
trances de sa carrière : « Tu as brûlé avec ta tête
tout ce que tu as construit avec tes pieds », l u i
asséna ainsi le patron de la Juve, Giovanni Agnelli.
Tel un métronome, Zidane ne cessa, par la suite,
de distribuer gifles et coups de poing. En 2005, il
se paya m ê m e le luxe de se faire expulser pour un
coup porté à un adversaire, malgré dix-sept camé-
ras braquées sur lui, chargées de le suivre pour un
film dont i l était le héros unique {Zidane, un por-
trait du xxf siècle), réalisé à l'occasion d'un match
du Real Madrid.
Autant dire qu'en 2006 son coup de sang estival
ne relève pas de la surprise totale : l'homme est un
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nerveux, Michel Denisot ne l'ignore pas. Mais pour-
quoi poser des questions qui dérangent ? Zidane
est devenu un héros national. Dès lors, comment
ne pas l'absoudre ? « Zizou est impulsif », recon-
naît Olivier Margot, journaliste à L'Équipe, témoi-
gnant d'un joli sens de la litote. « C'est un enfant
de la Castellane, un jeune qui a grandi dans les
mes^ », rappelle, tout attendri, son ancien patron
au Real, Florentino Peinez. Alors inutile de s'embê-
ter à l u i chercher des excuses ? « Zidane pourrait
tuer cinq personnes dans la rue, on l u i trouverait
des circonstances atténuantes^. » C'est un respon-
sable d'Orange, son sponsor, qui l'avance
Les fashion victims, elles, ne disent rien. Mais
elles agissent. Le jour de la prestation télévisée du
beau gosse, les accros de la mode n'ont d'yeux que
pour sa veste militaire kaki, de la marque Zadig
& Voltaire. Le lendemain, les boutiques de la griffe
sont dévalisées. Le modèle, baptisé « le tunisien »,
sera un véritable best-seller. Au point que la mar-
que de prêt-à-porter enverra un petit cadeau au
joueur pour le remercier de ce coup de pub ines-
péré.
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D E U X I È M E PARTIE
LA S U P E R S T A R
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Champions du monde
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du monde. C'e.st « à domicile », au Centre techni-
que national Fernand-Sastre, à Clairefontaine,
donc, que les joueurs viennent r é c u p é r e r et
s'entraîner entre chaque compétition.
Aux gamins que sont les joueurs, leur entraîneur
Aimé Jacquet peut encore parler comme un père
exigeant et impitoyable : « Ne venez pas m'emmer-
der, fixez-vous des objectifs ! Qu'est-ce qui se passe,
vous avez peur de gagner ? Alors, continuez
comme ça, les gars, et on va droit dans le mur ! »
En ce début d'été, la pression est au maximum
pour une é q u i p e c o n s t i t u é e par Aimé Jacquet
envers et contre tous. A la surprise générale, Eric
Cantona et David Ginola, les deux chouchous du
foot français, n'ont pas été retenus. Nicolas Anelka
non plus n'a pas convaincu. Jacquet leur a préféré
des joueurs moins « stars » comme Zinedine
Zidane, Youri Djorkaeff et Christophe Dugarry.
Duga... celui qui, selon de nombreux journalistes,
n'aurait jamais été choisi s'il n'avait été le copain
de Zidane. La presse ne ménage pas l'entraîneur.
« Jacquet était méticuleux, sérieux, rigoureux, se
souvient Philippe Tournon, l'un des responsables
du staff. La pression m é d i a t i q u e i n g é r a b l e .
L'Équipe s'est acharnée sur lui. Et comme ce quo-
tidien est en position de monopole, i l a influencé
toute la presse parisienne. Les dessins de Patrice
Delcourt é t a i e n t d'une c r u a u t é incroyable. Sa
famille proche a beaucoup souffert. En ce temps-
là, les résultats de l'équipe de France étaient cor-
rects, mais pas brillants'. »
Le sélectionneur n'en a cure. À l'époque, Zizou
est pourtant loin d'être la star qu'il est aujourd'hui.
Sélectionné pour les phases qualificatives du Mon-
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dial 1994, i l s'est fait remarquer en marquant deux
buts. Mais depuis, i l n'a pas vraiment fait d'étincel-
les. À l'Euro 1996, i l avait m ê m e un peu les pieds
dans la semoule. « Faut-il sacrifier Zidane ? »,
interrogeait d'ailleurs alors un article de L'Équipe
paru au lendemain d'un match de présélection
pour l'Euro contre l'Espagne. Autant dire qu'il n'a
pas encore fait ses preuves. Mais Jacquet garde en
mémoire cette rencontre de l'équipe de France en
1994 contre la République tchèque : « Nous étions
menés 2 à 0 et la rentrée de Zizou sur le terrain a
été plus que formidable. I l a marqué deux buts et
nous a permis de repartir invaincus. Ce jour, ce fut
un choc pour moi. Je me suis dit : i l y a quelque
chose de grand chez l u i ' . » Les qualités du futur
n u m é r o 10 ? « I l n'est pas donné à tout le monde
de maîtriser le ballon comme i l le fait, poursuit-il.
Ensuite, i l a une réelle facilité à lire le jeu, à l'orga-
niser, à s'impliquer dedans avec ses partenaires. »
Ainsi, selon Philippe Tournon, du staff des Bleus :
« Jacquet a tout de suite compris que Youri et
Zizou étaient les deux perles^. » L'entraîneur pro-
pose également à Cantona d'être le n u m é r o 9, mais
ce dernier refuse. Si la place est pourtant presti-
gieuse - c'est celle d'un Ronaldo, la star de l'équipe
du Brésil - , en France, elle a mauvaise réputation.
Qu'importe. L'entraîneur sait qu'il a forgé un esprit
collectif. « Le groupe s'est vraiment soudé à Noël
en 1997, lors du stage de Lignes, durant la présé-
lection. Toutes les familles étaient présentes, la
FFF a fait des cadeaux aux enfants. »
La p r e m i è r e rencontre avec l'Afrique du Sud
aura lieu le 12 juin 1998, à Marseille. « C'est une
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chance de jouer chez nous », martèle Aimé Jacquet
à ses troupes quelques heures avant l'heure H . Ce
rendez-vous qu'aucun d'entre eux ne veut manquer
est encore plus fort pour Zidane. Le Stade Vélo-
drome dont i l a tant rêvé quand i l tapait la balle à
la Castellane, il va en fouler la pelouse avec l'équipe
nationale, pour les championnats du monde.
Quelle revanche pour le minot dont l'OM n'a jamais
voulu ! Quelle fierté pour ses potes d'enfance et,
bien sûr, les membres de sa famille, venus en force
le soutenir. Dès le début du match, le destin semble
sourire au joueur marseillais. À la trente-quatrième
minute, i l offre à son frère d'arme, Christophe
Dugarry, une passe décisive. Le Bordelais marque.
Dans le Stade Vélodrome, c'est l'explosion de joie.
La foule, prompte à changer d'avis, acclame l'atta-
quant tant honni. Enfin reconnu, Dugarry s'auto-
rise un pied de nez à tous ceux qui ont osé le huer
un peu plus tôt, lorsqu'il a raté la cage de quelques
centimètres : i l leur tire la langue. Le joueur peut
tout se permettre : son but vient de procurer aux
spectateurs la première émotion d'une compétition
qui va réserver aux Bleus d'incroyables moments.
À l'intérieur de l'équipe, tout est parfaitement
organisé. Un ancien joueur, qui préfère garder
l'anonymat, raconte : « Deschamps, s u r n o m m é
"maxi-tête" pour sa propension à comploter en per-
manence, était le leader : négocier les primes, les
soucis avec la presse ou réduire les trop grosses
têtes de certains. C'était une grande gueule. » Lilian
Thuram, l u i , est déjà l'intello de la bande. Une
réputation qu'il doit à sa seule lecture du journal
Le Revenu français. « Pour l'ambiance, poursuit le
même footballeur, Duga et Candela étaient les rois. »
Le soir de la victoire contre l'Afrique du Sud, c'est
Vincent Candela qui entonne ces quelques notes
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qui vont se métamorphoser en hymne du Mondial :
« La, la, la, la, la, lalalalalala, la la la la, lalalala-
lala... » Le refrain de / Will Survive est sur le point
de devenir le « Haka » des Bleus, puis de la France
entière.
Sans être très populaire, Zidane, de son côté, est
déjà la mascotte des Français, le « leader affectif
du groupe', analyse Jean-Marcel Ferret, l'ex-docteur
de l'équipe de France. D'ailleurs, c'est l u i qui nous
a dégotté notre cuisinier italien. I l nous l'a fait venir
de Turin ». Grâce à l u i , ses coéquipiers peuvent
descendre du bus en toute tranquillité : la foule des
supporters n'en a que pour Zizou. M ê m e Aimé
Jacquet le nargue gentiment durant les séances de
préparation, à Clairefontaine : « T'as un peu exa-
géré, ces derniers temps. Je sais, t'avais en tête les
cinquante mille supporters, là-bas, au Maroc, qui
te disaient "Zizou, Zizou". T'as pas pu résister^... »,
faisant référence à la récente victoire de la France
au tournoi Hassan I I . Dans le bus, chacun a sa
place. Le trio composé de Candela, Duga et Zizou
est toujours assis au fond. Au centre technique, ces
deux derniers partagent la m ê m e chambre.
« C'était leur groupe, leur vie. D'un regard réproba-
teur, Zizou pouvait chasser l'importun^ », se sou-
vient Robert Pires. De fait, les vannes fusent, à
n'importe quel moment. Quand le n u m é r o 10 ne
lance pas, à propos de Youri Djorkaeff : « Trop gen-
til ! I l devrait rester chez l u i ! » i l se moque des
pieds plats de Guivarc'h. L'humour n'empêche pas
les dissensions. Les relations sont m ê m e parfois
tendues. Ainsi, entre Emmanuel Petit, l'un des
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chouchous d'Aimé, et Zidane, le courant ne passe
pas. En tout et pour tout, les deux hommes ne se
parleront que deux fois'. JVIais face au reste du
monde, le groupe est uni.
Le 12 juin, la France rentre dans la course avec
un match contre l'Afrique du Sud, qu'elle remporte
3 à 0. Dans les gradins, le père de Dugarry en pleure
d'émotion. Ces larmes, son fils les découvrira, bou-
leversé, quelques jours plus tard, en visionnant les
images de la rencontre dans sa chambre d'hôtel,
avec Zizou. Le 18 juin, le deuxième match du pre-
mier tour oppose les Bleus aux Saoudiens. L'équipe
de France se qualifie pour les huitièmes, par 4 à 0.
Mais perd Zidane, q u i a eu le mauvais g o û t
d'essuyer ses crampons sur Fouad Amin, capitaine
de l'équipe adverse. Ainsi est-il le premier joueur
français à être expulsé lors de cette Coupe du
monde 1998. I l écope, du m ê m e coup, de deux sus-
pensions de match. Aimé Jacquet est furieux, ses
mises en demeure n'ayant servi à rien. « N'allez pas
prendre bêtement des cartons rouges, gardez votre
calme », répète-t-il depuis le début du Mondial.
Didier Deschamps reproche, quant à lui, à Zidane
de mettre le groupe en danger : « Impardonnable !
Il se condamne, et nous condamne' ! » Zizou, l u i ,
est effaré et mortifié. Ce Mondial, il en rêve depuis
toujours et l'en voilà exclu. « Le pire des cartons
rouges est celui qu'on reçoit en Coupe du monde,
confiera-t-il à son biographe Dan Franck. Ça fait
mal. Atrocement maP. » Auprès de ses coéquipiers,
il se plaint de ce rouge donné par un « enculé ».
Seul Dugarry ose le railler sur cette maudite expul-
72
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sion. Le dernier match du premier tour, un France-
Danemark remporté 2-1, est presque une formalité.
La France, quoi qu'il arrive, a gagné sa place en
huitièmes.
Le 28 j u i n 1998, à Lens, Zidane, interdit de ter-
rain, et Dugarry, blessé lors de celui contre l'Arabie
Saoudite, trépignent sur leur banc, frustrés de ne
pas participer à ces h u i t i è m e s de finale contre
l'incroyable équipe paraguayenne. Pourtant, les
Français en sortent vainqueurs, grâce au but en or
de Laurent Blanc. « Pour fêter notre victoire, nous
avons organisé un banquet avec nos épouses dans
les... locaux du stade de Lens ! Notre cuistot nous
suivait partout et était capable de faire la cuisine
n'importe oià' », raconte Ferret. Les Bleus se sen-
tent des ailes, se prennent à rêver l'impensable : et
si les Italiens, qu'ils affrontent en quarts de finale...
perdaient ? Cette Squadra Azzura, trois fois cham-
pionne du monde, compte les meilleurs joueurs
européens, dont certains, tel Christian Vieri, jouent
à la Juve avec Zizou. Peu i m p r e s s i o n n é , Aimé
Jacquet estime qu'une qualification française serait
« extraordinaire mais logique ».
Le 3 juillet, les rues sont vides. Douze millions de
Français sont devant leur téléviseur. Au Stade de
France, à Saint-Denis, l'ambiance est électrique.
Zidane, enfin de retour sur le terrain, est pressé
d'en découdre. En fait, à la fin du temps réglemen-
taire, le choc des Titans se soldera par un score nul.
Les adversaires vont devoir se départager par une
série de tirs au but. Les téléspectateurs retiennent
leur souffle. Pour Trezeguet, huit ans avant Berlin,
la séance est insoutenable. I l se cache derrière le
maillot de Thien-y Henry, petit jeunot de 20 ans à
73
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l'époque. Avec flegme, Zidane s'avance et marque.
Dans le camp adverse, Roberto Baggio égalise aus-
sitôt. C'est au tour de Bixente Lizarazu qui tire et...
rate. Dugarry, assis sur le banc à cause d'une bles-
sure qui l'empêche de jouer, blêmit. Heureuse-
ment, Barthez arrête le ballon de l'Italien Demetrio
A l b e r t i n i . Les quatre joueurs suivants, David
Trezeguet et Thierry Henry côté français, Alessandro
Costacurta et Christian Vieri côté italien, mettent
dans le mille. Le score est de 3-3. Laurent Blanc
creuse l'écart à nouveau. Enfin, Luigi Di Biagio
tire... et rate. D é c i d é m e n t , Barthez aura é t é
l'homme du match. Le divin chauve, dont m ê m e
Jacques Chirac embrassera le crâne, a arrêté deux
buts. La France est qualifiée en demi-finale. Dans
les gradins, sur les terrasses des cafés ou chez soi,
tout un pays exulte de joie. Dans les rues, les dra-
peaux tricolores s'arrachent : jamais les fabricants
n'ont imaginé que la France irait si loin et ils ont
produit une quantité de drapeaux insuffisante. Les
supporters les plus exaltés n'hésitent pas à piller les
mairies, les préfectures et les casernes de pom-
piers, grimpant sur les façades pour voler un
fanion tricolore.
L'équipe a atteint sa vitesse de croisière. Rien ne
semble l'arrêter. Quant à Zizou, i l ronge son frein.
Ses passes ont beau être toujours aussi bonnes, i l
ne s'est encore illustré par rien de vraiment frap-
pant. « Concrètement, ce n'est pas le meilleur sur
le terrain. N i contre l'Italie, ni contre la Croatie' »,
analyse a posteriori Patrick Dessault, journaliste à
France Foot. « C'est vrai, r e c o n n a î t Ferret, que
Zidane est monté en puissance progressivement^. »
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Dans sa chambre, le n u m é r o 10 rêve pourtant de
beaux exploits. Le grand joueur est celui qui
entraîne son équipe au sommet. Et le sommet, les
Bleus ne l'ont pas encore atteint. Dans les vestiai-
res. Deschamps remonte les bretelles ou distille les
conseils. Pour parler à Zizou, i l étale sa ser\dette
par terre et s'allonge près du n u m é r o 10, les pieds
relevés sur le banc, lui chuchotant ses recomman-
dations à l ' o r e i l l e . C'est que la d e m i - f i n a l e
s'annonce ardue : les adversaires croates, qui ont
infligé aux Allemands une défaite humiliante de 3
buts à 0, sont redoutables.
Le 8 juillet, le Stade de France est plein à cra-
quer : les quatre-vingt mille places ont été vendues
en quelques heures. À la fin de la première mi-
temps, les deux équipes sont toujours à match nul,
Aimé Jacquet enrage. Durant les quinze minutes de
pause dans les vestiaires, i l laisse éclater sa colère.
« C'est quoi ce jeu ? Vous voulez i^entrer à la mai-
son défaits ? » tonne-t-il. Les Bleus baissent les
yeux. « Mémé », comme ils le surnomment affec-
tueusement, sait être dur. JVIais la délivrance arrive
à la deuxième mi-temps : à la quarante-huitième
minute, Lilian Thuram marque son premier but...
suivi d'un second, à la soixante-neuvième minute.
Un miracle ! Devant la Terre entière, Thuram s'age-
nouille et pose un index au-dessus de ses lèvres,
songeur et m u t i n . A la s o i x a n t e - q u a t o r z i è m e
minute, Laurent Blanc est expulsé. I l n'empêche, la
victoire n'est plus très loin. Quand l'arbitre siffle la
fin du match, c'est la folie. Pour la première fois de
son histoire, la France est qualifiée en finale. Dans
leurs vestiaires, les Bleus entonnent leur hymne,
« La, la, la, la, la, lalalalalala, la la la la, lalalala-
lala... », sous le regard sceptique de Lionel Jospin,
un peu crispé dans son costume passe-muraille au
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milieu de ces joueurs en culotte blanche fiers de
leurs corps. Jacques Chirac, m ê m e s'il ne connaît
pas tous les noms des footballeurs, a enfilé un
maillot de l'équipe : i l semble plus heureux encore
qu'Aimé Jacquet.
France-Brésil : voilà une affiche alléchante pour
la finale. Brazil, Brazil ! Le bus qui transporte
l'équipe nationale est d é s o r m a i s p r é c é d é de la
Garde républicaine, chargée d'ouvrir le passage.
Des milliers de supporters courent derrière les
champions. Le matin du dimanche 12 juillet, au
centre d ' e n t r a î n e m e n t de Clairefontaine, tout le
monde s'est levé très tôt. Impossible de dormir.
Jacquet, lui, s'est réveillé à 5 heures. Dans sa cham-
bre, Zizou passe quelques coups de fil, à ses parents
et SCS copains de quartiers. C'est le grand jour. I l
ne le sait pas encoi^e, mais cette finale sera la
sienne. À 18 heures, des voitures du Raid arrivent
pour escorter les joueurs jusqu'au stade. Quatre
motards ouvrent la procession, deux autres la fer-
ment. Rambouillet, Le Perray, Les Essarts : sur la
route, une foule compacte crie : « Allez, les
Bleus ! » Dans le bus, les joueurs se regardent,
incrédules. C'est bien eux qu'on acclame comme
des héros. Le car arrive avec une demi-heure de
retard au Stade de France. « Nous étions dans les
vestiaires quand nous avons r e ç u la feuille de
match, sur laquelle était inscrit : "Ronaldo, rempla-
çant" », raconte un membre du staff. Ronaldo, le
magicien, le meilleur joueur du monde, ne serait
pas certain de jouer ? Jacquet affirme : « Je n'y
crois pas une seconde, c'est un leurre. » De fait,
Ronaldo est malade, mais jouera quand même.
Avant d'entrer dans l'arène, Laurent Blanc prend
Zidane à part et l u i susurre : « À toi, maintenant.
Vas-y, fais nous gagner ! » Jamais La Marseillaise
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n'a r é s o n n é avec autant de puissance dans un
stade. Serrés les uns contre les autres, soudés en
un seul bloc, les Bleus chantent à tue-tête. Mal,
faux, à moitié ou dans leur cœur, mais ils la chan-
tent. Le sifflet retentit, i l est 20 h 50, la finale com-
mence.
Les Français jouent comme les Brésiliens : ils
dansent la samba. À la vingt-septième minute, sur
une passe de Petit, Zizou s'élève dans les airs et...
marque son premier but de la tête. « Incroya-
ble ! », hurlent les commentateurs. Ils n'ont encore
rien vu. A peine dix-huit minutes plus tard, le
n u m é r o 10 réalise l'inimaginable, sous le nez des
Brésiliens hallucinés : i l marque un deuxième but,
toujours avec la tête. Alors qu'autrefois, pendant
ses entraînements cannois, i l n'aimait pas les jeux
de tête... Son corps est parcouru de frissons. Lui,
Zinedine Zidane, vient de marquer deux buts en
finale de Coupe du monde à quelques minutes
d'intervalle. Avec ce doublé historique, le numéro 10
rejoint dans le p a n t h é o n du football Pelé et les six
autres joueurs qui ont été capables d'une telle
prouesse. À la mi-temps, quand le n u m é r o 10
entre dans les vestiaires, i l n'entend n i bravos ni
applaudissements. « Mais l'excitation est telle-
ment forte que tout le monde parlait en m ê m e
temps, raconte un ancien. C'est Aimé qui va nous
demander de nous taire et de nous calmer'. » Jacquet
en est convaincu : i l ne faut pas crier victoire trop
tôt, ne pas relâcher la pression. Le match reprend.
Lorsque Emmanuel Petit marque un t r o i s i è m e
but, quelques minutes avant la fin, enfin le public
laisse éclater sa joie. Et fait un triomphe à l'équipe
victorieuse. Coup de sifflet final. La France est
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championne du monde. La foHe s'empare du pays.
Au moment de soulever la coupe des vainqueurs,
les Bleus, ces jeunes hommes que le pays a appris
à connaître en ce mois d'été, ont conscience qu'ils
sont devenus des héros. Zizou cherche du regard
sa Véronique et leur fils, Enzo. I l se dirige vers
eux, les prend dans ses bras et pleure.
À 800 kilomètres de là, dans une petite maison
marseillaise, u n homme exulte en silence. Cet
homme, c'est Smaïl Zidane, le père du héros du
jour. Entouré de tout son clan, le patriarche n'a pas
été capable de regarder la finale en direct. Pour
tous les matchs de son petit dernier, c'est la m ê m e
chose : i l allume la télévision dans le salon et se
retire dans la pièce d'à côté. Trop dur. Trop peur
de voir son fiston se blesser, souffrir. Ce dimanche
12 juillet, à la minute où Zinedine a m a r q u é son
premier coup de tête, Smaïl était assis dans le jar-
din, o c c u p é à bercer son petit-fils Luca pour
l'endormir. À l'époque, le fils cadet de Zidane avait
deux mois. C'est Noureddine, accroché au télévi-
seur avec les autres membres de la famille, qui est
venu le prévenir, en hurlant de joie : « Papa, Papa,
Yazid a marqué ! » Smaïl n'a rien répondu. Pas un
mot. Mais son visage s'est illuminé d'un immense
sourire.
À Paris, la cohue commence à la sortie du stade.
« Des gens abandonnaient leurs voitures pour
courir derrière nous' », se souvient l'attaquant
Y o u r i Djorkaeff. A l ' i n t é r i e u r du v é h i c u l e qui
r a m è n e l'équipe à Clairefontaine, Zizou appelle un
copain d'enfance : « T'as vu ça ? Non mais t'as vu
ça ? » I l est visiblement ému, et pourtant sa voix
trahit une ceilaine tranquillité. Comme s'il avait
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prévu ce qui allait se produire. De retour au centre
d'entraînement, il e m m è n e femme et enfant fêter
l'événement dans le parc, où i l boit du Champagne
en admirant un feu d'artifice, entouré de ses coé-
quipiers. Laurent Blanc, Duga et Youri, eux, vont
fumer des cigares. Tous se répètent, inlassable-
ment : « Putain, on l'a fait. On est champions du
monde. »
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Zizou, président !
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cette foule qui hurle : « Zizou président ! » ? Quand
il se réveille, le garçon regarde, impressionné, la
foule survoltée qui se presse autour du véhicule et
acclame son papa. I l voit les milliers de mains qui
tentent de toucher, à son passage, le carrosse des
héros du jour. Ils sont six cent mille, sous le soleil,
à faire un triomphe aux joueurs sur les Champs-
Elysées. Au point que leur bus, bloqué par le flot,
doit faire demi-tour. Au milieu des saints, des sou-
rires échangés, des cris, des youyous, des klaxons,
des pétards et des himigènes, on se bouscule, on se
congratule, on se côtoie, on danse, on improvise
une « ola » et on entonne en refrain le slogan fédé-
rateur et symbolique de cette soirée de délire col-
lectif : « Zidane p r é s i d e n t ! » Des voitures sont
chahutées, on se serre la main, on n'en revient pas
d'être ensemble. Des drapeaux flottent sur la foule
et s'élèvent dans les airs au rythme des tam-tams
et des tarbourkas. I l y a, bien sûr, le drapeau fran-
çais. Mais aussi l'algérien, agité en hommage aux
origines de Zizou.
« Zizou président ! » Des centaines de milliers de
Français vont reprendre cette phrase en chœur,
exprimant ainsi une gratitude aussi méritée que
démesurée. « C'est fou, c'est trop », s'exclame, aba-
s o u r d i , le p r i n c i p a l i n t é r e s s é à des proches.
« Zidane président ! » Les deux mots retentissent le
soir au Lido, où les joueurs sont invités à dîner. Et
à nouveau le lendemain, lors de la traditionnelle
garden-party de l'Elysée du 14 Juillet. Beau joueur,
Jacques Chirac accepte avec le sourire cette nou-
velle forme de cohabitation politico-sportive dictée
par l'événement. Et pour cause : la victoire lui fera
gagner 20 points de popularité dans les sondages
et suscitera, de façon indirecte, 0,3 % de crois-
sance. Pour la p r e m i è r e fois de son histoire, la
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France « tricolore et multicolore » est championne
du monde : dans ces conditions, comment le prési-
dent de la République pourrait-il bouder son plai-
sir ? Comment pourrait-il m ê m e s'ofhasquer de voir
débarquer ses invités en tee-shirt-jean-baskets ?
Dans les jardins de l'Elysée, que les Bleus décou-
vrent au son du fameux « La, la, la, la, la, lalalala-
lala, la la la la, lalalalalala... », e n t o n n é pour
l'occasion par la Garde républicaine, Jacques Chirac
rései've aux champions un accueil enthousiaste, les
félicitant d'avoir « gagné le championnat de...
France » ! Étrange lapsus... C'est au tour de Zizou,
poussé par Didier Deschamps, de prononcer quel-
ques mots. Debout entre le chef de l'État et le capi-
taine de l'équipe de France de l'époque, le numéro 10
regarde, médusé, la foule des invités, politiques,
ministres, écrivains, stars du show-biz, qui lui fait
face et se met à scander : « Zidane président ! »
Zizou n'arrive plus à articuler un son...
De leur côté, les journalistes du monde entier
sont bientôt intarissables. Cédant à leur tour à
l'enthousiasme des Français, les magazines améri-
cains Time et Newsweek, généralement peu tendres
avec les habitants de l'Hexagone, titrent en couver-
ture, en français dans le texte : « Bravo la France ! »
et « Allez les Bleus ! ». Le New York Times évoque
cette France « ingérable, jamais d'accord sur rien,
éternellement divisée, profondément sceptique »,
qui « s'est retrouvée unie autour d'une équipe de
football... L'équipe est devenue le symbole positif
d'un pays qui retrouve la croissance après une lon-
gue période de blues ».
La chaleur de la réaction des Français, réputés
arrogants et râleurs, ainsi que la dignité de leur
équipe ont su déclencher la sympathie et l'estime
de la presse internationale. Une première. Et ce cli-
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mat délirant tient pour une grande part à la magie
de Zidane. I l confiera des années plus tard le choc
que fut pour lui ce moment incroyable du 12 juillet
et à quel point i l n'avait pas été p r é p a r é à ce
tumulte. Jamais deux buts n'ont autant changé la
vie d'un homme. Mais demain, de quoi sera-t-il
fait ?
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Champions d'Europe
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est de bon augure : quelques jours plus tard, les
Tchèques s'inclinent à leur tour et permettent à
l'équipe nationale d'accéder aux quarts de finale.
Ceux-ci ont lieu le 25 juin, contre l'Espagne. Tout
d'abord, l'équipe tricolore mène. Au moment des
arrêts de jeu, le score est m ê m e de 2-1 pour la
France, qui se voit déjà en demi-finale. Mais l'arbi-
tre siffle un penalty pour les Espagnols : Raul, le
jeune prodige ibérique, tire. Sa tête flanche, son
pied tremble et le ballon s'envole. Ça y est, les Bleus
sont en demi-finale.
Qui les oppose au Portugal, le 28 juin, à Bruxel-
les. Et ils se voient ballottés comme jamais depuis
le début de la compétition. Pour la première fois,
l'équipe adverse ouvre le score. L'attaquant Thierr>'
Henry égalise en deuxième mi-temps. Mais ensuite,
ses coéquipiers poussent vainement. ïï faut jouer
les prolongations. De sa ligne de touche, l'arbitre
assistant signale la main du défenseur Abel Xavier
dans la surface de réparation. Polémique et discus-
sions n ' e m p ê c h e n t pas le penalty. Que Zidane
transforme, portant le score à 2-1 : grâce à lui, la
France est en finale.
Dimanche 2 juillet 2000, à Rotterdam, les Bleus
affrontent donc les Italiens. Personne n'imaginait,
avant la compétition, que ces derniers iraient si
loin, mais leur organisation défensive a impres-
sionné depuis ce début d'Euro. En ce jour de finale,
ITtalie semble inattaquable. Dès le début de la ren-
contre, elle empêche le milieu de terrain Zidane de
rayonner sur le jeu. Elle marque en d é b u t de
seconde mi-temps. Puis elle défend, bec et ongles,
tête et jambes. En s'arc-boutant, elle s'approche
tout doucement de son premier titre majeur depuis
1982 et sa victoire en Coupe du monde. Sur les gra-
dins, à quarante secondes de la victoire, les tifosi
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entonnent leur chant national. Sur le terrain,
Desailly glisse à Deschamps : « C'est mort'. » Alors
qu'il reste seulement quinze secondes de jeu, l'atta-
quant Sylvain Wiltord égalise sur une passe de Daxdd
Trezeguet : son ballon est passé entre les jambes
d'Alessandro Nesta et sous le bras de Francesco
Toldo. Le suspens se maintient le temps des pro-
longations. À la treizième minute, sur un ballon de
Robert Pires, l'attaquant David Trezeguet inscrit le
« but en or^ ». Deux ans après la Coupe du monde,
les Bleus d é c r o c h e n t le titre au Championnat
d'Europe des nations. C'est la deuxième fois, après
la victoire tricolore en 1984, que la France rem-
porte cette prestigieuse compétition, qui regroupe
seize équipes nationales. Mieux, jamais aucune
équipe n'a réussi le doublé Mondial-Euro dans ce
sens. En outre, l'équipe tricolore gagne pour la pre-
mière fois un trophée important en jouant hors de
ses frontières, ici la Belgique. Cette année, Zizou
est consacré par la FIFA footballeur de l'année.
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déplacements déchaîne les populations locales. Le
groupe Danone, qui cornaque le footballeur dans
son nouveau métier itinérant, a embauché quatre
gardes du corps pour veiller sur lui. Muhammad
Yunus est m ê m e totalement éclipsé par la popula-
rité de son invité de marque.
La veille du retour, le stade national Bangha-
bandu est exceptionnellement illuminé. Vingt-cinq
millions de téléspectateurs s'apprêtent à suivre
chez eux la retransmission d'un match amical entre
deux équipes bangladaises. Devant la foule en
délire, le maestro français, vêtu simplement d'un
treillis de toile kaki et d'une chemise, improvise
quelques mouvements. Chauffé à blanc, i l se prend
au jeu et enfile un short orange, couleur du dra-
peau national, sur son pantalon, pour enflammer
le terrain de ses passes virtuoses. Exfiltré du jeu par
la sécurité après une dizaine de minutes, c'est un
Zidane en sueur et rigolard qui retourne à son
hôtel. L'espace d'un instant, i l a retrouvé les sensa-
tions de son récent passé de joueur international,
les hourras d'un public euphorique qui ponctuent
chacune de ses actions sur le terrain. Car, m ê m e
dans ce pays du sous-continent indien, à mille
lieues des réalités françaises, Zidane est une star.
Il le mesure seulement maintenant. « Je suis stu-
péfait, déclare-t-il à la chaîne de télévision NtV. Je
n'aurais jamais pensé que des gens vivant à des mil-
liers de kilomètres, dans des petits villages du Ban-
gladesh, savaient qui j ' é t a i s . » Anwarul Haque
Helal, secrétaire général de la Fédération de foot-
ball du Bangladesh, déclare à la presse : « Sa popu-
larité frôle l'idolâtrie et nous sommes très honorés
de l'accueillir parce qu'il va donner de l'inspiration
à nos jeunes joueurs. Les supporteurs du Bangla-
desh étaient très choqués par son exclusion lors de
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la finale du Mondial 2006, mais i l reste tout aussi
populaire qu'avant. Pour nous, i l est le messie du
football. » Rien que cela. Et m ê m e plus encore : le
président de la République, lajuddin Ahmed, l u i
propose n i plus ni moins que de revenir quelques
mois plus tard pour jouer le rôle d'« observateur
des é l e c t i o n s l é g i s l a t i v e s ». Un comble pour
l'ancien footballeur, venu, à l'origine, soutenir
l'image du groupe de Franck Riboud, désireux de
développer la vente de yaourts sur de nouveaux
marchés. Danone peut se frotter les mains : Zidane
le « musulman » vaut un million de campagnes de
pub.
Durant ce voyage, Zidane lui-même en prend
donc conscience : i l est un véritable dieu sur terre.
En j u i l l e t 2007, u n court séjou r en I n d o n é s i e
achève de le convaincre de son aura planétaire.
Susilo Bambang, chef d ' É t a t du premier pays
musulman du monde, le reçoit en personne. Un
cortège automobile est mis à sa disposition. Là
encore, on se prépare à l'affluence des foules. Dans
cet archipel aussi, Zizou compte de nombreux fans.
En 2006, des millions de personnes, dont le prési-
dent, se sont ainsi massées devant les écrans pour
voir la finale du Mondial en direct. Toutes ont veillé
tard dans la nuit pour assister, décalage horaire
oblige, à la retransmission en direct. Le lendemain,
la photo de Zizou a s s é n a n t son coup de tête à
Materazzi a m ê m e éclipsé, en une des quotidiens
indonésiens, celle de l'équipe gagnante d'Italie.
En cet été 2007, lors de sa visite au palais prési-
dentiel de Jakarta, le sportif a pris la peine d'enfiler
une chemise en batik, l'étoffe imprimée tradition-
nelle. Suivi de près par Jacques Bungert, Zidane
fait bonne figure quand le président Susilo Bambang
effectue quelques passes de ballon sous les applau-
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dissements de ministres et d'officiels. Mieux : i l
s'offre le plaisir de remettre au chef de l'État un mail-
lot des Bleus floqué de son nom et du n u m é r o 10.
Le président exhibe le trophée avec un grand sou-
rire. Nouveaux applaudissements. L'émotion est
palpable. Difficile de savoir qui est le plus impres-
sionné des deux : quand i l jongle avec la balle, la
vedette retraitée, c h a u s s é e d'Adidas d'un blanc
immaculé, le fait avec retenue, comme un passage
obligé. Ce petit geste vaut tous les cadeaux de la
terre.
Vatican, Bangladesh, Brésil, Thaïlande, Niger ou
États-Unis : partout, Zidane est accueilli comme un
ministre. Début 2008 aussi, quand le président bré-
silien Lula reçoit en personne celui qui est consi-
déré comme l'artisan des deux défaites du Brésil en
Coupe du monde, celui que la presse du pays a sur-
n o m m é le « bourreau de la sélection brésilienne ».
Partout, les mêmes scènes se reproduisent, témoi-
gnant de la popularité universelle du joueur fran-
çais. Contrairement à ce que l'on aurait pu prédire,
et pour le plus grand bonheur de ses sponsors, le
coup de tête de la finale de 2006 n'a en rien terni
l'image de l'icône. Bien au contraire ! À Bollywood,
Zayed Khan, le George Clooney indien, adulé par
des millions de groupies, n'hésite pas à p r é n o m m e r
son enfant... Zidane. Dans le pays du football, les
personnalités les plus diverses y vont volontiers de
leur couplet lyrique quand i l s'agit de parler de la
star du ballon rond. Ainsi Pelé, l u i - m ê m e dieu
vivant dans son Brésil natal, déclarait, quelques
mois avant le Mondial 1998 : « Tout le monde n'a
que du Ronaldo à la bouche. Moi, j'ai du Zidane. »
Au moment de quitter Madrid pour Los Angeles, un
autre joueur vedette, David Beckham, dit un jour à
Florentino Perez, le patron du Real : « Merci de
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m'avoir pennis de jouer avec Zidane'. » Christophe
Dugarry, le copain de Zizou, confirme à sa façon :
« Zizou n'est pas quelqu'un qui aime fréquenter les
stars, il ne se sert pas de son charisme pour avoir
sa cour. Mais i l pourrait être dix fois Beckham, s'il
le voulait^. » À son ancien entraîneur Aimé Jacquet,
le n u m é r o 10 a tout simplement a p p o r t é « la
lumière ». Encensé par tous, Zizou, désormais, ne
s'appartient plus.
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ques, Zidane se tient un peu en retrait. Pudique, i l
ne sait quelle attitude adopter à l'égard du souve-
rain pontife. I l d é c i d e finalement de s'effacer
quand le pape bénit affectueusement ses coéqui-
piers. Mais tenter la discrétion l u i devient chose
impossible. Zidane a beau faire mine de se dérober,
il est assailli par les cardinaux à la fin de la séance.
Lesquels lui réclament qui un autographe, qui un
cliché dédicacé. Cette scène vaticane est surréa-
liste. La star, fidèle à elle-même, sourit calmement
à ces hommes en robe rouge qui virevoltent autour
de lui excités comme des enfants.
Alors que la visite tire à sa fin, un dirigeant' du
club reçoit un appel téléphonique. A la vue du
numéro, il recule d'un pas, se dissimule d e n i è r e un
joueur et décroche en chuchotant. A l'autre bout
du téléphone : Juan Carlos en personne. Le r o i
d'Espagne est désolé de le déranger à un moment
si important, mais i l a une petite faveur à solliciter :
Zidane pourrait-il assister au d é j e u n e r officiel
prévu le 2 octobre en l'honneur du président algé-
rien Bouteflika ? « Bien sûr, bien sûr, je lui en parle
ce soir », r é p o n d le cadre m a d r i l è n e . De retour
dans la capitale espagnole, i l tâte le terrain auprès
du n u m é r o 5, qui l'a rejoint dans son bureau :
« Voilà, "Sissou", j ' a i reçu un appel du Palais. Le
président algérien arrive bientôt en Espagne. Sa
Majesté aimerait beaucoup que tu sois présent.
Qu'en dis-tu^ ? » Surpris, Zidane hésite. Avant de
refuser poliment : il a pris des engagements auprès
des Bleus et, à cette date-là, il sera en France. Mais
en quittant la pièce, i l se retourne, revient sur ses
pas et lance, avec un sourire légèrement ironique :
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« Tu sais, je suis français. » Le mot est lâché. Zizou,
fils d'immigré algérien, n'en peut plus d'être sans
cesse r a m e n é à ses origines maghrébines. Pourquoi
l'inviter avec Bouteflika ? Avec Chirac, éventuelle-
ment, mais avec Bouteflika ? Même en Espagne, i l
faudrait qu'il joue les porte-drapeaux d'une Algérie
de l'émigration heureuse ? Pas question. L'enfant
de la Castellane est avant tout un joueur de foot,
exceptionnel, certes, mais qui ne représente que
lui-même.
Le beau Kabyle aux yeux verts porte une histoire
trop lourde pour ses é p a u l e s pourtant larges.
L'Algérie ? Lors de son voyage en décembre 2006,
il dit ressentir envers elle « un sentiment de solida-
rité et d'amour ». Pour autant, à l'époque, i l n'y a
pas remis les pieds depuis l'âge de huit ans. Ses
racines, en réalité, sont dans les quartiers nord de
Marseille. Non que Zinedine ne se sente pas algé-
rien, mais i l est avant tout un petit gars d'ici. L u i
qui, au cours de sa carrière professionnelle, s'est
mis à l'italien et l'espagnol n'a jamais appris le
kabyle ou l'arabe. Après tout, à la maison comme
avec ses amis, i l parle français. Le benjamin de la
famille Zidane n'a pas effectué son serxdce militaire
en Algérie, contrairement à son frère, F a r i d .
D'autant que ce dernier n'avait pas gardé un excel-
lent souvenir de ces deux années passées à Dely
Ibrahim, près d'Alger. « C'était difficile d'aller là-
bas. À l'époque, on était autant immigré en France
qu'en Algérie. Je ne parlais pas l'arabe, je parlais
juste le kabyle... Pour mon père, l'Algérie, c'était
comme un paradis, alors je ne voulais pas donner
à Yazid une image différente. Je ne parlais pas du
bled avec l u i ' », explique Farid.
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Zinedine, l u i , a effectué son sendce militaire à
Joinville-le-Pont, en banlieue parisienne. « Cela
avait été si dur pour Farid d'être éloigné de nous
tous que je n'ai pas souhaité que Yazid fasse son
service national au pays' », explique son père,
Smaïl, dans un souffle. Lui-même, qui n'a pourtant
jamais demandé sa naturalisation et ne peut donc
pas voter, aime profondément la France. Mais i l a
toujours gardé un lien avec Aguemoun, ce petit
hameau kabyle où i l est né à la fin des années 1940.
I l va y passer ses vacances une fois par an, y cons-
truisant une maison pierre par pierre à chacun de
ses passages. L u i qui connaît bien la « gharba »,
l'exil en français, n'a pas souhaité que ses enfants
le vivent dans leur cœur. I l ne les a donc jamais
obligés à rentrer chaque été en Algérie. Madjid, son
fils aîné, est le seul à retourner régulièrement là-
bas : adulte, i l a éprouvé le besoin de se retrouver
sur la terre de ses ancêtres. I l s'y sent bien, heureux
dans ce paysage resté sauvage où tout le monde le
connaît. Madjid et Farid sont les seuls à avoir
épousé une fille du pays.
Pour Zinedine, ce pays situé de l'autre côté de la
Méditerranée fait davantage partie de son patri-
moine familial que de son identité. De l'Algérie i l
aime les plats que l u i prépare sa mère, comme le
couscous et le felfel, salade de poivrons noyés dans
l'huile d'olive que l'on mange avec la galette kabyle.
Du pays de ses ancêtres i l chérit également les his-
toires que racontait son père. Et puis i l garde un
souvenir merveilleux de ses vacances passées à
Aguemoun, de ces parties de football disputées là-
bas avec tous les cousins du bled. C'est beaucoup
et c'est peu à la fois. Un jour, Zidane demande à
1. /bld.
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l'un de ses amis algériens : « Pied-noir, ça veut dire
quoi ? » La question n'est pas de savoir s'il se sent
davantage français qu'algérien, mais s'il se sent
plus algérien que footballeur. De l'islam, la religion
de ses parents, Zidane, à l'opposé d'un Anelka ou
d'un Ribéry, tous deux convertis, ne connaît rien.
Pour lui, ramadan ou halal sont des notions abs-
traites. Guère pratiquant, i l mange du jambon et
apprécie le bon vin. « Quand je vois les jeunes
joueurs musulmans de l'équipe de France qui refu-
sent de manger de la viande qui n'est pas halal ou
d'autres qui prient avant d'entrer sur le terrain,
raconte un cadre des Bleus, je me dis qu'une épo-
que est révolue. » Tout comme la religion est, pour
ce non croyant et non pratiquant, une affaire de
valeurs et non de frontières, les origines familiales
sont avant tout une affaire de cœur. Pas de symbo-
les ni d'histoire.
« Je joue pour un peuple, un pays, un drapeau,
un symbole' », déclare le joueur en 1998. On est en
pleine Coupe du monde. Zidane prononce cette
phrase spontanément, sans aucune arrière-pensée.
I l joue avec les Bleus et i l défend les couleurs de
son é q u i p e , tout b ê t e m e n t . Aussi, quand i l se
retrouve, au lendemain de la finale, porte-parole de
la France black-blanc-beur, i l en est tout d'abord
étonné. L u i qui n'a jamais rien revendiqué de tel,
ne s'est jamais exprimé publiquement sur les pro-
blèmes de mixité et d'intégration, se retrouve au
centre d'un débat national qui le dépasse. « Dom-
mage que Materazzi n'ait pas vraiment traité la
mère de Zidane de pute terroriste, Zizou serait
devenu l'icône de l'antiracisme^ », regrette m ê m e le
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comique Jamel, pote du joueur. « Zidane n'a pas
besoin de faire de grands discours. Quand il met
deux buts en finale de la Coupe du monde, c'est un
acte politique' », dit-il encore peu après. Noureddine,
le frère du joueur, dénonce, au contraire les tenta-
tives de récupération dont Zidane est l'objet : « I l y
a trop de requins autour de l u i , trop de gens qui
veulent l'utiliser pour faire passer des idées poli-
tiques^. »
L'étonnement laisse bientôt la place à l'incrédu-
lité face à l'attitude de personnalités les plus diver-
ses, promptes à investir le joueur de multiples
vocations. Témoin la phrase du politologue Pascal
Boniface, selon qui le footballeur « va participer au
rayonnement du pays comme le firent les philoso-
phes du siècle des Lumières, nos écrivains du xix"
ou les grands intellectuels du xx"^ ». Un an après la
Coupe du monde 1998, Zidane confie, dans
l'ouvrage Zidane, Dugany. Mes copains d'abord^, de
Pierre-Louis Basse : « Cette victoire, c'est aussi
celle de mon père, celle de tous les Algériens fiers
de leur drapeau qui ont fait des sacrifices pour leur
famille mais qui n'ont jamais a b a n d o n n é leur pro-
pre culture. » Dans la deuxième édition du livre,
curieusement, cette phrase a été supprimée. À la
demande de celui qui l'a prononcée ?
Zidane refuse d'être instrumentalisé. Cela tombe
bien, ses sponsoi-s l u i en sont reconnaissants. On
le voudrait déchiré, partagé entre deux cultures,
celle de ses ancêtres et celle de la France. Le 6 octo-
bre 2001, quand, pour la première fois, l'Algérie
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affronte l'ancienne puissance coloniale sur le ter-
rain du Stade de France, certains journalistes pré-
tendent que Zizou éprouve un « pincement au
cœur ». Tous les commentateurs épient le joueur :
va-t-il chanter La Marseillaise - ce qu'il n'a jamais
fait durant toute sa carrière, du moins à haute
voix ? Va-t-il jouer contre son pays ou pour son
pays ? Et quel est son pays, justement ? Juste avant
le match, la tension est à son comble. Les attentats
du 11 septembre ont eu lieu quelques semaines
plus tôt. L'élection présidentielle qui se profile en
France achève de donner à ce match les allures
d'une précampagne. Les Renseignements généraux
craignent des « d é b o r d e m e n t s ». Le directeur
d'antenne de T F l , Etienne Mougeotte, met person-
nellement en garde Thierry Roland et Jean-Michel
Larqué, sommés d'obser\'er une neutralité absolue
durant toute la retransmission.
Le coup d'envoi est à peine donné que le malaise
s'installe : les sifflets, qui ont déjà couvert La Mar-
seillaise, i"etentissent dès qu'un joueur français tou-
che le ballon. Et ce que tout le monde redoutait
arrive : à la soixante-quinzième minute, alors que
l'équipe nationale algérienne est menée 1 à 4, une
foule de jeunes envahit le terrain, des drapeaux
algériens à la main. Zidane, remplacé au cours de
la seconde mi-temps, échappe à la confrontation.
Le lendemain, certains de ses coéquipiers n'hési-
tent pas à s'exprimer. Lilian Thuram, par exemple,
tente de soulever la question du malaise des jeunes
de banlieue. Zizou, lui, se tait. Et son silence paraît
assourdissant. En réalité, la star n'est pas certaine
de bien comprendre ce qui s'est produit. En ce len-
demain de match, le joueur demande à un ami de
l'emmener à Barbes : l u i le petit Marseillais des
quartiers nord n'a encore jamais mis les pieds
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dans ce quartier parisien que tous les Algériens
connaissent'. I l n'a m ê m e aucune idée de la façon
dont vivent les immigrés de la capitale, m ê m e s'il
connaît sa banlieue. I l découvre Barbés à travers
les vitres d'une voiture, dont le conducteur va pas-
ser plus d'une heure à sillonner, à vitesse réduite,
les ruelles de cette mini-Algérie en plein Paris.
Cette visite, personne n'en saura jamais rien. Sidé-
rés par ce qu'ils prennent pour de l'indifférence,
journalistes et diverses p e r s o n n a l i t é s des deux
« camps », français et algérien, lui reprochent de ne
pas prendre parti. « On aimerait que Zidane, qui
ne cache pas sa tendresse pour l'Algérie de ses raci-
nes, se dise clairement français. C'est-à-dire uni-
quement français^ », proteste l'éditorialiste du
Figaro, Ivan Rioufol. À l'inverse, Magyd Cherfi, le
charismatique chanteur du groupe Zebda, s'offus-
que : « Qui a vu Zizou sur le pont du Carrousel
venir rendre hommage au jeune Marocain noyé,
après s'être fait lyncher par quelques têtes pleines
d'eau du Front nationaP ? » Sourd aux reproches,
du moins pubhquement - jamais il n'aurait digéré les
attaques du chanteur, confie un de ses proches - ,
le joueur ne sort pas de sa réserve pour autant.
I l ne le fera pas, à de rares exceptions près. En
avril 2002, une semaine après la fin du pi-emier
tour de l'élection présidentielle qui a porté Jean-
Marie Le Pen au second tour, Zidane, pressé par
son entourage, prend la parole avec moult précau-
tions : « Je ne veux pas entrer dans un débat ni
m'étendre, mais je donne mon sentiment comme
beaucoup de monde peut le faire. I l faut dire aux
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gens qu'ils votent. C'est très important et surtout
qu'ils pensent aux conséquences de voter pour un
parti qui ne correspond pas du tout aux valeurs
de la France. Cela peut avoir des conséquences
très graves (...). C'est sûr que je suis fier d'être
français mais c'est vrai que l'on ne peut pas être
content de ce qui se passe. C'est grave quand on
voit qu'il y a 30 % d'abstention et qu'à l'arrivée
cela fait un d e u x i è m e tour entre Chirac et...
l'autre. Ce n'est pas jouable. » Et pour mettre fin
à une r u m e u r l a n c é e par le frontiste B r u n o
Gollnisch, qui pi-étendait que Smaïl Zidane était
harki, i l ajoute : « Je tiens à préciser une fois pour
toutes : mon père n'est pas un harki (...). Parce
que j'entends partout qu'on dit qu'il est harki (...).
Moi, je n'ai rien contre les harkis, je ne veux pas
me mêler de ce qui se passe mais simplement mon
père n'était pas un harki, mon père était un Algé-
rien, fier de l'être et je suis fier que mon père soit
un Algérien (...). Le seul truc, c'est que mon père,
il n'a pas combattu contre son pays'. » Sa démar-
che arrive trop tard. Le leader du groupe Zebda
tonne dans une tribune : « J'eusse aimé, c'est vrai,
que Zidane évoquât le droit de vote des immigrés,
son p è r e ne l'ayant pas, c'eût été pour nous,
enfants de la deuxième génération, du baume au
c œ u r , du baume au c œ u r et pas plus, mais...
silence radio. On n'apprend pas à devenir ça dans
les stages de formation^. » D'autres comprennent
la réserve du joueur. « Notre pays n'a rien à voir
avec les États-Unis des années 60, portés par le
mythe de l'athlète noir revendicatif. Le débat sur
l'intégration ne se pose pas dans les m ê m e s termes
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en France' », rappelle Malek Boutih, l'ancien pré-
sident de SOS-Racisme, qui justifie ainsi l'attitude
de Zidane : « L u i sait très bien quelle est sa place.
I l est l'homme le plus médiatique de France mais
aussi celui qui sait le mieux en éviter les pièges.
Il sait qu'une seule de ses paroles entraînerait iné-
vitablement mille questions, puis mille démentis
nouveaux. »
En novembre 2005, les émeutes font rage dans
les banlieues. Des joueurs comme Thuram et des
artistes tels que Jamel Debbouze interviennent
dans le débat public. L'Huma titre : « Zinedine
Zidane, ori es-tu ? » Mais, là encore, l'ancien capi-
taine des Bleus refuse de sortir de sa coquille. I l
rompt ce silence une deuxième et dernière fois en
d é c e m b r e 2006, lors de son voyage en Algérie.
Invité par les autorités, i l a aussi fait le déplace-
ment pour visiter des hôpitaux qu'il avait aidé à
financer en organisant un match amical en 2003.
Le sportif ne se risque à aucun commentaire poli-
tique. Pourtant, i l se voit remettre une médaille par
le président Bouteflika. Et pas n'importe laquelle :
la médaille Athir, la plus haute distinction, décer-
née aux héros de la guerre d'indépendance. Après
la lui avoir accrochée sur le veston, le président
enfonce le clou, en offrant au joueur une photo de
l'équipe de football du FLN. Présents dans la salle
de cérémonie, ces vétérans qui évoluaient en 1958
dans des clubs français avaient rallié clandestine-
ment Tunis pour se mettre au service du gouverne-
ment provisoire algérien. Le présent du cliché n'a
pas é c h a p p é aux a u t o r i t é s françaises. Le soir
même, Zizou est invité à la résidence de l'ambas-
sadeur de France. Ce dernier entend rétablir l'équi-
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libre : « Je suis heureux, dit-il, d'accueillir le grand
Français que vous êtes, dans cette maison où le
général de Gaulle avait préparé la libération de la
France. » À symbole, symbole et demi.
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y, toi, demande-hai un autographe'." » Cette fois-ci,
c'est sûr, ce n'est pas sa maman qui fantasme sur
cette simiUtude é t o n n a n t e . Le jeune homme de
34 ans (un an plus âgé que le champion) peut
savourer sa chance ! Timide et réservé comme son
idole, Mathias se décide, après moult hésitations,
à jouer le jeu : devenir sosie professionnel à ses
heures perdues. Pourquoi refuser de se faire payer
200 euros la soirée pour signer des autographes et
se faire embrasser la joue par des jeunes filles rou-
gissantes ? Après tout, ne s'est-il pas fait happer,
dans le sud de l'Italie, par une bande de jeunes
tifosi au féminin qui voulaient passer la soirée avec
le héros de la Juve ? « C'est dingue, mais les filles
aiment tellement son regard que j ' a i appris moi
aussi à baisser les yeux, comme i l le fait. Et je peux
vous dire : ça marche^ ! » Mathias a m ê m e failli
faire carrière. Une boîte de publicité a fait appel à
lui pour participer à un casting. « Je devais jouer
le rôle de Zidane pour un spot publicitaire de
Volvic. Malheureusement, de dos, je n'avais pas la
m ê m e carrure que lui ! » Peu importe. Galas à Can-
nes, tournées en province et m ê m e une participa-
tion au concours national des sosies où i l finit
parmi les premiers. La chance aidant, le jeune
homme réussit à rencontrer son idole. En 1999, à
Turin. Grâce à Jocelyn Blanchard, milieu de terrain
à la Juve dont Mathias connaît le fi-ère, i l tient enfin
son billet pour le mythique Stadio Grande Torino.
« Après avoir assisté au match Juve-AS Rome, j'ai
pu l'approcher, raconte-t-il. I l m'a non seulement
donné son maillot, mais nous avons pris des photos
ensemble. » Des clichés surréalistes où l'on voit les
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deux hommes bras dessus bras dessous, rigolards.
Un trésor que le jeune homme s'empresse de faire
encadrer une fois r e n t r é chez l u i . Après tout,
comme le dit un jour le comique Jamel, « tout le
monde rêverait d'être Zinedine Zidane' ».
Aux curieux, ou plutôt aux curieuses, qui veulent
savoir s'il existe bel et bien un lien de parenté entre
les deux hommes, Mathias répond, évasif : « Je n'ai
pas envie d'en parler. » Quand les admiratrices se
font plus insistantes, i l fait mine d'être susceptible :
« J'espère que tu n'es pas avec moi par intérêt. » L u i
arrive-t-il de profiter de la situation ? « J'ai toujours
refusé de me faire passer pour l u i . I l m'est déjà
arrivé de me faire refouler à l'entrée de certaines
discothèques. Mes amis me disaient : "Tu n'as qu'à
leur faire croire que t'es de la famille." Je n'ai
jamais accepté. » Laisser planer le doute, pourquoi
pas, mais mentir...
Son quart d'heure de gloire warholien, Mathias
le vit avec délectation, en j u i n 2007. Invitées à
Saint-Barth pour disputer un match de football
amical, quelques grandes stars du ballon rond ont
fait le déplacement. Parmi elles, Robert Pires, le
B r é s i l i e n Sonny Anderson ou encore D i d i e r
Drogba, la pointure de Chelsea. Le plagiste, origi-
naire de Bordeaux, footballeur à ses heures, attire
l'attention de José Touré. Ce dernier le convie à la
rencontre, le temps d'une mi-temps. C'est sous les
applaudissements d'une foule en d é l i r e que
Mathias le Bordelais entre dans un stade chauffé à
blanc au cri de « Zizou, Zizou ! » Incontrôlable
comme toujours, la rumeur avait couru pendant
plusieurs jours sur l'île : l'ancien capitaine des
Bleus allait venir jouer. Le soir, invité au cocktail
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d'après match, Mathias a presque l'impression de
faire partie de la famille. I l recueille m ê m e les
confidences de Robert Pires, l'ancien coéquipier de
Zidane, qui a tenu à partager avec le sosie le sou-
venir nostalgique qu'il gardait de son ancien copain
et de cette formidable épopée que fut la Coupe du
monde 1998. Mais Mathias, qui a si souvent rêvé
d'être à la place de son double légendaire, préfère
finalement sa vie à celle d'une star, fût-elle la plus
grande d'entre elle.
Ce n'est pas le journaliste Nour-Eddine Zidane
qui dirait le contraire. « . . . Depuis les locaux de la
brigade financière de Paris, Nour-Eddine Zidane,
pour France Info. » Cet homonyme sans lien de
p a r e n t é avec le champion porte de s u r c r o î t le
m ê m e p r é n o m que le frère de la star du ballon
rond. Ce pur hasard vire à l'obsession pour l'inté-
ressé. Depuis qu'il est entré à Radio France en
2004, le jeune homme de 29 ans doit répondre tous
les jours à l'inévitable question : « Vous êtes de sa
famille ? » I l lui arrive m ê m e que des associations,
telle Les Petits Frères des pauvres, le sollicitent
pour jouer les intermédiaires auprès de son soi-
disant cousin. Plus d r ô l e , certains c o n f r è r e s
essaient de passer par l u i afin de décrocher l'inter-
view du siècle. « Vous savez, chaque fois que le
sujet est abordé, c'est toujours pour se rapprocher
de Zidane. Ce n'est pas de la curiosité, mais de
l'intérêt' », explique-t-il un brin désabusé. Mais n'y
a-t-il pas quelques contreparties ? Par exemple,
peut-être est-il plus facile de trouver un logement
à Paris ? Le journaliste de Radio France dément :
« Vous rigolez ? D'abord, je suis noir, car ma mère
est soudanaise. C'est mon père qui est oranais. Et
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surtout, champion du monde ou pas, Nour-Eddine
Zidane reste un nom arabe. Et ça, croyez-moi, ce
n'est pas toujours un avantage'... »
Certes, Zinedine Zidane n'a pkis de problèmes
depuis des lustres pour se loger dans des maisons
cossues. Mais ces exemples prouvent combien la
notoriété à un certain niveau peut virer à l'enfer-
mement...
1. Ibid.
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star n'entame Hang up, sa chanson de final, au pied
de la scène, une silhouette courbée, bob sur la tête,
s'éclipsa discrètement par une sortie dérobée. Raté.
Derrière la scène, les danseurs de Madonna, qui le
guettaient, surgirent, l'entourèrent, le touchèrent.
Ils voulaient absolument savoir si le sportif a
apprécié leur show.
Règle numéro deux : disposer de plusieurs numé-
ros de portable en lieu et place d'un attaché de
presse. Soit un numéro unique attribué à la famille,
les autres étant distribués aux proches en fonction
du degré d'intimité. Mieux : ce numéro change tous
les six mois, soit plus souvent qu'un code d'immeu-
ble, Zidane se chargeant alors de rappeler les heu-
reux élus. Ceux-ci, conscients de la grâce qui leur est
faite, gardent jalousement le sésame à dix chiffres
qui leur a été communiqué. Pas question de le par-
tager avec quiconque, même pas sa femme ou son
meilleur ami. Le donner relève de la haute trahison
et revient à se griller à tout jamais aux yeux de
Zizou. Pourtant, détenir le numéro de l'idole n'est
pas un sésame absolu. Méfiant, le joueur ne décro-
che en effet qu'après avoir identifié son interlocu-
teur. Doté d'une m é m o i r e p h é n o m é n a l e , i l est
capable de retenir un nombre impressionnant de
n u m é r o s de téléphone. Au point que le meilleur
moyen de lé contacter reste quand m ê m e de passer
par les nombreux intermédiaires dont i l se sert pour
filtrer les sollicitations. Même Alain Migliaccio, le
propre agent de la star, doit parfois s'en remettre à
un tiers pour l'atteindre et conclure une affaire.
Témoin cet été 2001 où i l poursuivit en vain son
poulain de ses assiduités téléphoniques au moment
de finaliser le recrutement par le Real, avant de
l'accrocher - enfin - au bout du fil grâce au fidèle
Mustapha. Qui sont ces intermédiaires ? Mustapha,
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mais aussi Malek, un autre pote d'enfance de Zizou,
remplirent cette fonction informelle pendant plu-
sieurs années. Aujourd'hui, c'est Noureddine qui
assume ce rôle, avec un sens aigu des affaires. Lui-
m ê m e s'appuie sur une myriade de proches qui
jouent, à leur tour, les (sous-)intermédiaires. Tel
Hassan, un ami marseillais, chargé, lors du voyage
exceptionnel de la famille Zidane en Algérie, de
récupérer numéros de portable et doléances des fans
sur place. Et quand quelques-uns poussent le bou-
chon trop loin, allant par exemple chez Adidas pour
choisir des vêtements en déclarant, afin de ne pas
payer, « Mettez tout sur le compte de Zidane », ce
dernier ne se laisse pas faire. I l intervient en per-
sonne et dit aux vendeurs : « Je refuse. I l a pris trop
d'articles. Qu'il paie seul. » On n'abuse pas de ses
prérogatives.
Les sponsors sont logés à la m ê m e enseigne. Une
seule pei-sonne au sein de l'entreprise détient le
contact direct avec Zidane. Sa mission principale
est de veiller férocement à ce que ses propres col-
lègues ne l u i dérobent pas le précieux numéro. En
cas de fuite, le joueur retire aussitôt sa confiance.
Chez Adidas, cet heureux élu se nomme Grégory
Fernandez, a 35 ans et travaille pour l'équipemen-
tier sportif depuis dix ans. Devenu le responsable
marketing pour les joueurs de foot et, à ce titre,
l'interlocuteur unique de la star, i l reconnaît devoir
se battre quotidiennement contre sa propre entre-
prise, laquelle voudrait manger Zidane à toutes les
sauces. « J'assure un barrage, admet-il. Je sais,
pour l'avoir au téléphone toutes les semaines, ce
qu'il est susceptible d'accepter. Les galas et les soi-
rées internes, c'est non'. » M ê m e discours chez
115
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Orange, où Philippe Lahoun', autre trentenaire,
s'occupe du dossier « ZZ » : « J'évite au maximum
de le déranger. Je passe d'abord par un de ses frè-
res, Noureddine ou Farid, avec lequel je balise nos
campagnes et les sollicitations dont i l peut faire
l'objet. Je ne le contacte directement que pour
valider définitivement les projets, en toute fin de
parcours. » Chez Generali, l'homme fort est
l'incontournable Idriss Tsouli. Celui-ci fait parfois
office de véritable attaché de presse. Mieux : i l est
capable de deviner à un simple regard ce que veut
Zidane. L'animateur Laurent Boyer se souvient
encore d'un déjeuner avec Idriss et Zinedine, dans
les loges VIP du Stade de France. Alors que la dis-
cussion prenait un tour personnel, le joueur avait
lancé un coup d'œil à Idriss. Celui-ci avait immé-
diatement compris ce qu'on attendait de l u i et
d e m a n d é s é a n c e tenante à tous les serveurs
de quitter les lieux. Les serveurs ont, en effet, des
oreilles^.
Tenus à bonne distance, les proches et les spon-
sors de la star ne sont pas les plus mal lotis. Car i l
existe une troisième catégorie de q u é m a n d e u r s ,
constituée des journalistes et autres documentaristes.
En 2005, les cinéastes Douglas Gordon et Philippe
Parreno doivent passer par un tiers pour soumettre
leur idée de film à l'intéressé, Zidane, un portrait
du xxf siècle^. Personne, pas m ê m e l'agent de
Zizou, n'ose l u i parler du projet. Finalement, c'est
Frédéric Hermel, correspondant de L'Équipe à
Madrid, qui s'y colle. Ayant la chance de voir le
joueur tous les jours à l'entraînement, i l plaide la
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cause des deux réalisateurs. « Écoute Zidane, l u i
dit-il, je ne t'ai jamais rien demandé. Pas un service
personnel ou un autographe pour des amis. Mais
là, j'aimerais juste que tu rencontres deux cinéastes
exceptionnels qui ont une idée géniale : te filmer
durant un match du Real pour en tirer un long-
métrage'. » Message transmis, en moins de deux
minutes... Hermel, qui pratique alors Zidane
depuis quatre longues années, est au fait de la règle
n u m é r o trois : ne jamais dépasser le temps imparti
quand on s'adresse à la star. Avertis, Gordon et
Parreno s'efforcent de faire vite, quand enfin ils
rencontrent leur futur jeune premier. Au bout d'un
entretien de vingt minutes à peine, le numéro,5 du
club m a d r i l è n e accepte et prononce la phrase
magique : « Le Real, je m'en occupe. Dites-leur
juste que Zizou a dit oui. » I l a suffi de ce petit
laissez-passer verbal pour que dix-sept c a m é r a s
puissent venir s'installer à domicile au Bernabeu
Estadio, le stade du Real : une logistique pourtant
gigantesque pour un club de foot.
Évidemment, toutes les sollicitations ne connais-
sent pas le m ê m e dénouement aussi heureux. De
fait, les demandes les plus invraisemblables pieu-
vent sur le sportif : quand ce n'est pas une publicité
pour une marque de jardinage ou la Sécurité rou-
tière, c'est un dîner de gala au bout du monde, une
rencontre avec les r é s i d e n t s d'une maison de
retraite, l'inauguration d'une crèche ou un livre
people... Difficile, pour ce genre de requête, de
trouver un intermédiaire qui prendra le risque de
déranger l'idole. I l reste alors un seul recours, le
moyen ultime de toucher le footballeur : le fax. Là
encore, se procurer le n u m é r o de télécopieur du
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joueur est déjà, en soi, un parcours du combattant.
Mais le jeu en vaut la chandelle : Zinedine consulte
lui-même l'appareil dans le bureau de P-DG qu'il
s'est aménagé dans sa villa espagnole. Pas d'embal-
lement, cependant : rares sont les fax qui retien-
nent l'attention du joueur le plus célèbre du monde.
I l aura fallu quelques années et beaucoup de
mauvaises surprises pour que Zidane apprenne à
gérer pique-assiettes et sollicitations intempestives.
De très longues années. L'écrivain Dan Franck, qui
a rédigé pour le compte de Zidane son autobiogra-
phie, Zidane. Le roman d'une victoire\ vécu de
très près la ronde des requins. « Un jour de septem-
bre 1998, j ' a i r e n c o n t r é par l'intermédiaire d'un
ami un homme qui affirmait être l'agent de Zizou,
raconte-t-il. I l voulait que j'écrive sa biographie^. »
À chai-ge pour l'auteur de trouver un éditeur. Le
prix proposé à Dan Franck pour tenir la plume :
1,5 million de francs. Même pour un auteur réputé,
auteur de best-sellers, cela représente une somme
coquette. Mais l'écrivain n'est pas au bout de ses
aventures. De rendez-vous ratés avec Zidane en
coups de fil promis mais jamais reçus. Dan Franck
se demande vite si le sujet verrait le jour.
Enfin, après plusieurs mois de courses-poursuites,
il parvient à rencontrer la star du ballon rond à
Clairefontaine, le centre d'entraînement des Bleus.
Ce jour-là. Dan Franck apprend avec stupeur que
Zidane n'a jamais souhaité publier un livre. Plus
é t o n n a n t encore : livide, le joueur lui demande :
« Et moi, je touche combien ? » Le n u m é r o 10 ne
connaissait m ê m e pas le montant de son cachet,
soit 1,5 milhon de francs, comme l'écrivain. Et là.
1. Plon/LaffoiU, 1999.
2. Entretien avec l'auteur, mars 2008.
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Dan Franck découvre que l'homme qui l'a contacté
n'a comme lien avec le champion qu'une vague
licence l'autorisant à vendre des porte-clefs floqués
de son nom. Dan Franck : « Je n'en revenais pas.
En fait, Zidane est entouré d'intermédiaires qui
proposent en permanence de l u i dégotter des bons
deals sur lesquels ils e s p è r e n t se faire un peu
d'argent. Un de ses propres amis m'a demandé, une
fois le livre terminé, de l u i concéder les droits
étrangers. Quand j ' a i refusé, i l m'a proposé avec
insistance d'utiliser un des nombreux clichés qu'il
possédait de Zidane pour la couverture, espérant
en tirer quelque chose. Même les reportages photos
réalisés en vue de la promotion de l'ouvrage étaient
vendus. Son entourage exigeait des sommes folles
pour que les magazines puissent les publier. » Cer-
taines rédactions, comme celle de Paris Match,
refusent. D'autres payent j u s q u ' à 1 m i l l i o n de
francs. C'était en 1998. Zidane lui-même n'hésite
pas à faire payer ceux dont i l estime « qu'ils se font
de l'argent sur lui ». Ainsi, parle un journaliste qui
a très bien connu Zizou : « Un jour, alors qu'il
répondait à mes questions pour un grand hebdo-
madaire, quelle ne fut pas ma surprise à la publi-
cation de l'article, de voir Zidane me demander :
"Tu ne m'avais pas dit que c'était un article ?"
Étonné, le reporter lui propose : "Tu veux que je
leur demande de te payer l'interview ?" "Ben, oui",
répond le célèbre n u m é r o 10. » Depuis, l'amateu-
risme a dispam, l'ancien capitaine des Bleus a mis
en place un système bien rodé pour éviter d'être
pillé ou envahi.
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T R O I S I È M E PARTIE
HISTOIRES DE FAMILLE
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14
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once d'amertume. Qui ne comprend pas le par-
cours du père adoré ne pourra jamais comprendre
Zidane.
Algérien d é b a r q u é en France dans les années
1950, à la poursuite d'un avenir meilleur (de l'autre
côté de la Méditerranée, dans ses montagnes, i l gar-
dait les moutons), Smaïl est un chef de famille tra-
ditionnel, qui s'est fait tout seul, à la force du
poignet. Musulman pratiquant (ses enfants ne le
sont pas), marié avec une fille du pays (trois de ses
enfants ont choisi des conjoints français), fidèle à
son village kabyle d'Aguemoun (quand aucun autre
membre de sa famille, à l'exception de Madjid, n'y
met jamais les pieds) et très attaché à l'Algérie (où
seul son fils cadet, Farid, a effectué son sei-vice
militaire), i l n'a jamais dévié de la route qu'il s'était
tracée. Rien à voir avec le « Chibani » qu'il aurait
pu devenir, l'un de ces immigrés de la première
génération qui vieillissent sur le sol français seuls
et démunis.
Il y a déjà longtemps que sa famille a quitté le
petit appartement de la place Tartane qu'elle occu-
pait dans les années 1970, au cœur des quartiers
nord de Marseille. Désormais, les Zidane profitent
d'un joli et sobre pavillon aux tuiles roses offert par
Zinedine, situé dans la zone résidentielle des Penne
Mirabeau de la cité phocéenne. Mais au fond, ces
gens d'origine modeste, placés malgré eux sous les
projecteurs du monde entier, n'ont pas changé. Les
mots gloire, célébrité et richesse ne font pas partie
de leur vocabulaire. Smaïl, autrefois veilleur de
nuit chez Casino, continue de déjeuner régulière-
ment à la cafétéria du s u p e r m a r c h é , où i l a ses
habitudes. C'est à cette m ê m e cafétéria qu'il emme-
nait Michel Drucker, du temps où les deux hommes
étaient « proches ». Ce père de famille à la mise
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simple, toujours en chemisette claire, continue de
voyager en seconde classe. Comme si le succès pla-
nétaire de son benjamin était un rêve dont i l ris-
querait à chaque instant de s'éveiller.
D é p a s s é par l'aura de son rejeton s u r d o u é ,
impassible dans toutes les occasions, que son fils
marque le but de la victoire en Coupe du monde
ou qu'il soit reçu par le président algérien, Smaïl
reste un père comme les autres. Bien entendu fier,
mais aussi protecteur et inquiet. E n septem-
bre 2001, autour du terrain de foot de la Ciudad
Deportiva, le centre d ' e n t r a î n e m e n t du Real
Madrid, toute la presse européenne se presse der-
rière les grilles, attendant les premiers dribbles de
« Sissou ». Personne ne remarque un monsieur dis-
cret, aux lunettes légèrement teintées et à la fine
moustache : le père de Zinedine Zidane. Frédéric
Hermel, le correspondant du quotidien L'Equipe,
lui, l'a reconnu et vient se présenter. Presque timi-
dement, M . Zidane murmure : « Vous serez gentil
avec lui, monsieur ? » La question en dit long sur
le papa de la star la plus chère du football. Attentif,
ce lecteur assidu de L'Équipe n'oublie jamais un
visage, un article ou une mauvaise photo de son fils
parus dans la presse. À un journaliste de Paris
Match qui l'a interviewé durant la dernière Coupe
du monde, i l reprochera, huit mois plus tard,
d'avoir m a n q u é à sa parole : « Vous m'aviez promis
que vous m'enverriez l'article avant sa publica-
t i o n ! » Pour autant, l'homme garde ses é t a t s
d'âme. Les déclarations à la presse ? Non merci.
Avare de confidences, i l ne sort de son mutisme que
pour les grandes occasions. Quand Zinedine met
fin à sa carrière en 2006, par exemple, son père
s'exprime sur Canal+ : « Je suis content pour lui.
Ça s'est bien passé jusqu'à maintenant, je suis très
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content. Pour l u i , ses enfants et leur m è r e . La
maman a fait beaucoup de sacrifices. »
La maman, c'est Malika, une Marseillaise origi-
naire de Kabylie. C'est pour ses beaux yeux verts,
ceux qu'elle a légués à Zizou en m ê m e temps que
sa méfiance légendaire, que Smaïl a finalement
choisi de rester en France et d'y faire sa vie. Avec
pudeur, i l vous raconte leur rencontre. C'était i l y
a quarante-six ans. En 1962, après l'indépendance
algérienne, le jeune homme qu'il est alors souhaite
rentrer au pays. Fatigué par les neuf années pas-
sées sur des chantiers de la Seine-Saint-Denis, où
il dormait à m ê m e le sol, Smaïl n'aspire alors qu'à
une seule chose : retrouver la chaleur et le parfum
sucré des figuiers de barbarie de son village. Sans
états d'âme, i l prend son billet retour. À l'époque,
tous les immigrés en partance pour Alger embar-
quent à Marseille. « Là, je me suis arrêté quelques
jours pour saluer des cousins éloignés avant de
quitter définitivement la France. Mais j ' a i rencon-
tré ma femme. J'ai tout de suite d e m a n d é sa main
à ses parents, installés à Marseille avec leurs trois
filles. Ils ont accepté mais à une condition : que
nous restions vivre ici. J'ai hésité quelques jours,
mais l'amour a été le plus fort'. »
Comme son mari, cette femme, dotée pourtant
d'un certain charisme, fait preuve d'une discrétion
rare. En juillet 2006, alors que L'Équipe Magazine
prépare un gros dossier consacré aux Zidane, elle
est la seule qui refuse d'être prise en photo. « Faites
comme vous voulez, mais moi, j ' a i envie de conti-
nuer à faire mes courses tranquille ! » réplique
M a l i k a aux reporters. E n famille, elle laisse
l'intransigeance à son mari. Pas question, m ê m e
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pour Yazid, d'allumer une cigarette ou de boire un
verre d'alcool en présence du pater familias. Avec
la maman, en revanche, les relations sont plus sou-
ples depuis que ses petits sont adultes : les enfants
se confient, l'appellent à tout bout de champ. Lors
de la Coupe du monde de 2006, rangeant pour la
p r e m i è r e fois sa pudeur au placard, Zizou l u i
adresse des « Maman, je t'aime » par télévision
interposée, à chaque inter\'ievv donnée à Canal+.
C'est de cette femme simple et fière qu'il se sent le
plus proche. Un été, Michel Drucker fait le voyage
de Paris pour venir lui rendre visite chez elle, à
Marseille. L'animateur l u i avoue qu'il tient par-
dessus tout à offrir à ses nièces un maillot dédicacé
par Zidane. Spontanément, Malika se rue dans sa
chambre à coucher. Là, elle ouvre son armoire et
en s o r t q u e l q u e s e x e m p l a i r e s d u f a m e u x
n u m é r o 10 à l'intention de Drucker : « Tenez, je
vous les offre. Ils proviennent de ma collection per-
sonnelle. Prenez, j'en ai d'autres. » Elle reste une
mère, prompte à se laisser attendrir par l'amour
des fans de son petit dernier.
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L'influence de Noureddine Zidane
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celui qui a remporté dix fois le titre de champion
de France, est bien plus prestigieux que l'AS Can-
nes qui signera Zizou quelques années plus tard.
Mais Smaïl, le chef de famille, refuse. Pas question
de laisser partir son gamin, si jeune, à l'autre bout
du pays. Noureddine voit s'envoler son rêve de
gosse. C'est s û r e m e n t pour ne pas réitérer cette
erreur que ce p è r e anxieux accepta, quelques
années plus tard, la proposition faite à Zinedine,
m ê m e si celui-ci représentait son dernier espoir de
promotion sociale par les études, ses autres enfants
ayant emprunté des voies peu scolaires.
De fait, les quatre frères et sœur du sportif, mem-
bres très soudés d'un clan qui parle d'une seule voix,
sont aujourd'hui associés à parts égales dans la
société Zidane Diffusion. Toutefois, seul Noui^eddine
suit la star du ballon rond comme son ombre. Riva-
lité oblige, leur complicité n'a pas toujours été évi-
dente. Cependant, malgré ses rêves de gloire déçus,
il s'est intéressé très tôt au parcours de son cadet.
« J'ai toujours eu une grande admiration pour
Johan Cruyff. Maradona est pas mal non plus. Mais
le joueur du siècle, c'est mon frère, c'est Zizou' ! »,
confie-t-il un jour à des journalistes. Cet homme
discret, père d'un jeune enfant, a aujoui'd'hui réglé
son pas sur celui de son benjamin et mis une croix
à sa carrière sportive, devenant le bras droit de
Zinedine et son homme à tout faire : i l joue les
baby-sitters à Madrid pour que Véronique puisse
accompagner son champion de m a r i , trie les
demandes d'intei-\àew, veille avec un soin jaloux à
l'image de Zizou...
Noureddine est aussi le plus grand fan de Zidane,
celui qui assiste à ses matchs le plus souvent, le
1. ibid.
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grand frère protecteur qui veille au grain. Un jour,
en Italie, après une rencontre opposant les Turinois
à l'AS Roma, Zizou est pris à parti par des tifosi en
colère. Encerclé, bloqué contre une voiture, i l ne
s'en sort sans dommages, selon un témoin de la
scène, que grâce à Noureddine, qui assène un coup
de tête vengeur à un Italien excité. Une complicité
sportive indéfectible lie les deux hommes.
Les affres du joueur lors de ses matchs décisifs,
Noureddine les vit dans sa chair. Le 12 juillet 1998,
vers 15 heures, Yaz l'appelle. Quelques heures
avant la finale de la Coupe du monde, le n u m é r o 10
a besoin d'entendre la voix familière de son frère
pour arriver à dominer son stress. Surpris, ce der-
nier l u i r é p o n d : « Tu es fou de me téléphoner
maintenant ! Tai la pression ! Je vais me servir une
petite collation, après je regarderai le match. Ne
m'appelle plus. » Très superstitieux, le grand frère
n'a qu'une peur : porter la poisse à Zizou. I l refuse
donc d'assister en direct au match le plus impor-
tant de sa carrière. I l fait de même, quatre ans plus
tard, en Corée. En 2006, lors de la dernière Coupe
du monde, i l prend son courage à deux mains et
assiste en direct à la finale qui va sonner la retraite
de son g é n i e de frère. L u i qui d é t e s t e avoir
quelqu'un assis près de l u i lorsqu'il regarde un
match de son frérot doit composer avec quatre-
vingt mille supporters chauffés à blanc dans le
stade olympique de Berlin. L u i qui a toujours eu
peur de porter la scoumoune à son Yazid assiste,
impuissant, à son expulsion à la cent septième
minute du jeu. Un vrai coup du mauvais sort, qu'il
n'est pas près d'oublier.
La complicité des deux frères se prolonge sur le
plan professionnel. Jamais très loin de Zinedine,
Noureddine a su se rendre indispensable. Lors des
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sorties publiques de la star, i l se positionne de
manière que Zidane puisse l'avoir dans son champ
de vision. Amené à effectuer de nombreux déplace-
ments, ce phobique qui ne supporte pas de prendre
l'avion n'hésite pas à faire les huit heures de train
nécessaires pour rejoindre Madrid depuis VitroUes,
où i l habite. En d é c e m b r e 2006, alors que sa
famille survole la Méditerranée dans le jet prési-
dentiel algérien, lui fait la route... en bateau ! Mais
cette fidélité est payante. Ce n'est pas un hasard si
Zizou l'a choisi pour le seconder dans ses affaires.
Aujourd'hui, Noureddine demeure un i n t e r m é -
diaire obligatoire pour quiconque veut approcher
l'ancien capitaine d'équipe des Bleus. « Pour éviter
de déranger Zidane inutilement, je passe toujours
par son frère », explique un responsable d'Orange,
un des nombreux sponsors du sportif. Chez Adidas,
c'est le frangin qui appelle régulièrement afin de
régler les détails pratiques des prestations du
champion. Car Noureddine est un négociateur che-
vronné. Les ficelles du métier, i l les a apprises
auprès d'Alain Migliaccio, l'agent de son cadet.
Habile, i l connaît parfaitement la valeur de son
prestigieux nom de famille. « Ne vous fâchez
jamais avec lui, confie un proche. Cela reviendrait
à vous brouiller avec toute la fratrie. »
L'aîné de celle-ci est Madjid, 44 ans. I l travaille à
la piscine municipale de la Castellane, dont i l
assure l'entretien et la fermeture. Enfant, i l parta-
geait la m ê m e chambre que Yazid, qui dormait
avec son ballon serré entre ses jambes, comme un
doudou. Souvent, i l accompagna son petit frère en
tournoi, ou simplement pour tirer quelques ballons
dans l'usine à é l a s t i q u e s de S a i n t - H e n r i . Le
deuxième frère, Farid, 4.3 ans, a pratiqué le foot et
le judo, comme Yazid. Mais l u i a choisi le judo.
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jouant m ê m e en é q u i p e d'Algérie : deux fois,
en 1984 et 1986, i l fut vice-champion mihtaire pen-
dant son service national à Dely Ibrahim, en Algé-
rie. « Je suis rentré en France peu avant que Yazid
parte pour Cannes. J'insistais sur sa scolarité parce
que m o i , je rentrais d'Algérie sans d i p l ô m e ' »,
raconte Farid. Après avoir été vigile dans un super-
marché, il partage son temps entre la gestion d'un
petit club de football d'une cité marseillaise, La
Nouvelle Vague, et Zidane Diffusion.
Enfin, il y a Lila, 39 ans, la grande sœur née trois
ans avant Zinedine, frère dont elle est le plus pro-
che aujourd'hui. Enfants, ils jouaient tous deux
comme chien et chat. Lila, titulaire d'un DEUG
d'anglais, est la seule à être allée à l'université.
Mariée à Yannick Pellet, elle gravite, elle aussi,
dans les affaires de Zinedine. Les Zidane sont avant
tout un clan solidaire.
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Véronique et les enfants
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à lui évoluent un certain Marcel Desailly et un petit
blond grande gueule n o m m é Didier Deschamps.
Score final : 1-1. Zinedine perçoit sa p r e m i è r e
prime, 5 000 francs, une fortune pour un stagiaire
qui gagne 800 francs par mois. Avec cette somme
rondelette, le jeune homme s'achètera un jean, un
Levi's ! Le reste, i l l'enverra à ses parents. Grâce à
ce match, Zidane conquiert surtout le c œ u r de
Véronique : « Je n'aimais pas trop le football mais
je me suis quand m ê m e rendu compte qu'il jouait
bien. I l a d'ailleurs marqué un but. Je me suis dit
que c'était un signe' », racontera-t-elle des années
plus tard.
Bientôt, le jeune joueur quitte la chambre 207
pour le studio 223, au deuxième étage côté jardin,
avec t é l é p h o n e s'il vous plaît, luxe s u p r ê m e à
l'époque. I l demande à sa Véronique de venir vivre
avec l u i . Le conte de fées commence entre cette
bachelière, fille d'un employé des abattoirs de la
ville de Rodez et d'une secrétaire de direction à
l'usine Bosch, et Yazid, petit M a g h r é b i n de la
Castellane. Quand Alain Pedretti, le président de
l'AS Cannes, s'associe à l'un des concessionnaires
de la région pour offrir à Zidane sa première voi-
ture, une Renault Clio rouge, le joueur en profite :
convié au centre de formation de son club pour la
remise des clefs, Zizou est a c c o m p a g n é de sa
future femme. Pour cet homme que rien ne pré-
destine à la gloire, Véronique abandonne la danse
et ses projets d'une vie qu'elle imagine alors aussi
calme que le début de leur romance.
Elle deviendra sa femme. Le mariage a lieu le
28 mai 1994. Le faire-part annonce .simplement:
« Véro et Zizou ont décidé de s'unir pour la vie. »
1. fbid.
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Une jolie réception est organisée au château du
Haillan, dans les environs de Bordeaux, où il joue
désormais. Dans ce cadre bourgeois, payé rubis sur
l'ongle par Zidane, sont réunis tous ceux qui ont
m a r q u é ce début de parcours prometteur. Sur les
photos et les films de la noce, le jeune marié, en
costume noir et cravate à pois blancs, ne quitte
jamais son sourire éclatant. À côté de lui, Véronique
rayonne dans sa robe blanche à volants, une fleur
accrochée à son chignon, un rang de perles autour
du cou.
E n f i n , Zidane va pouvoir fonder sa propre
famille. Finis les week-ends solitaires de l'adoles-
cent qui avait quitté ses parents à l'âge de 13 ans
et passait ses soirées, à Cannes, à les appeler
depuis la cabine téléphonique du quartier. Le cou-
ple a élu domicile dans un modeste deux-pièces à
Caudéran, une banlieue chic de Bordeaux, encore
plus snob que le centre-ville. « Dire qu'à Marseille
j'étais un vrai petit diable... », laisse-t-il échapper
à l'écrivain Dan Franck. Au début, « je ne connais-
sais personne, confie encore le joueur. Ma vie,
c'était ma femme et moi. Plutôt que de rencontrer
des gens, boire des coups aux terrasses, j'étais
avec Véronique. On déjeunait ensemble à la café-
téria de Casino. On ne sortait jamais, sauf pour
aller au cinéma'. »
Aux yeux de Zidane, qui rentre fourbu de ses
entraînements, ce rythme tranquille n'est pas un
problème. Mais le footballeur s'inquiète pour sa
femme, un peu désœuvrée. L'opticien Alain Afflelou,
qui fonda son entreprise à Bordeaux, se souvient
du jour où i l vit arriver à son bureau le futur capi-
taine des Bleus. « I l voulait me demander une
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faveur : il souhaitait que Véronique travaille et vou-
lait savoir si je pouvais l'embaucher dans l'un de
mes magasins. Je lui ai trouvé une place de ven-
deuse dans notre boutique historique de la rue
Sainte-Catherine, au Bouscat, en banlieue borde-
laise'. » Personne n'a jamais rien su de cette courte
expérience professionnelle, en dehors des anciens
collègues de Véronique au magasin. L'un d'eux,
Mounir Zaidane, toujours employé par Afflelou,
évoque la jolie jeune femme de l'époque : « Je garde
d'elle un beau souvenir. Elle n'avait aucune expé-
rience de vendeuse mais voulait apprendre. Elle
nous regardait faire, parlant peu, toujours en
retrait. Zidane venait la chercher tous les soirs à la
fermeture. I l était si réservé qu'il fallait insister
pour qu'il renti-e dans la boutique. Lui préférait res-
ter sur le trottoir. Zizou était déjà très connu en
ville. Mais tous les deux étaient timides et très sim-
ples'. » Ce travail, toutefois, ne dure que quelques
mois. Car, bientôt, Véronique va devenir maman.
Le couple a toujours rêvé de fonder une famille
nombreuse. Leur premier enfant vient au monde à
Bordeaux le 24 mars 1995, à 10 h 12, pendant que
le sportif assiste à son e n t r a î n e m e n t quotidien.
Son nom est Enzo, en hommage au joueur Enzo
Francescoli, attaquant uruguayen de l'OM et héros
de Zizou.
Une seule fois, lors d'une interview avec Isabelle
Giordano, Véronique laisse échapper une confi-
dence : « Si j'avais su, en épousant mon mari, qu'il
allait devenir une telle star, je ne sais pas si je
l'aurais fait... J'ai toujours rêvé d'une vie calme. Je
n'ai janiais causé de soucis à mes parents, je n'ai
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jamais été une révoltée'. » En posant son dévolu, à
l'âge de 18 ans, sur le minot de la Castellane,
l'Aveyronnaise a, certes, scellé son destin. Mais
cette femme de caractère, avare de propos person-
nels, a tout fait pour en rester détachée. En fuyant,
autant que possible, les honneurs trop criants et
les plaisirs tape-à-l'œil. Jamais, de m é m o i r e de
journaliste, on ne l'a surprise dans une soirée peo-
ple. Le paparazzi Pascal Rostain raconte ; « Au
lendemain de la Coupe du monde 1998, j'ai réuni
toutes les femmes des joueurs de l'équipe natio-
nale pour une séance photo. C'était shopping cen-
ter, elles avaient toutes l'air d'avoir gagné au Loto !
Quand je leur ai d e m a n d é de retirer leurs lunettes
de soleil et de d é p o s e r les portables dans une
immense coupelle, il n'y avait que du Dior, du Cha-
nel et des téléphones portables hors de prix, dont
certains incrustés de diamants. Mais rien de tout
cela n'appartenait à Véronique. Elle était, de loin,
la plus discrète' . » Véronique n'a jamais oublié
d'où elle venait. Elle est restée la petite-fille de
Monsieur et Madame Ramirez, son g r a n d - p è r e
m a ç o n et une g r a n d - m è r e qui fut des a n n é e s
durant la nounou des familles bourgeoises de
Rodez. Le couple est aujourd'hui décédé mais
« Véro » n'a pas changé. Celle qui aimait danser au
Tango pour amuser les enfants g a r d é s par sa
mamie, préfère toujours le soleil d'Alméria à celui
de Saint-Tropez.
Aux m o n d a n i t é s Véronique préfère de loin les
repas en famille. Dans la capitale espagnole, quand
le footballeur joue au Real, les Zidane sortent rare-
ment de leur grande villa. Pas de boîtes de nuit ou
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de Restas toute la nuit. Quand i l était encore au
club, on pouvait voir Zinedine déjeuner de temps
en temps avec des cadres, y compris le podologue.
Et aujourd'hui, lorsque le couple reçoit ses amis à
la maison, il arrive que Zinedine lui-même se mette
aux fourneaux pour p r é p a r e r sa spécialité : des
pâtes, al dente naturellement. Son seul luxe consiste
à se faire livrer des blocs de parmesan d'Italie. Et
à remplir sa cave de grands cms. Quand Zinedine
et Véronique vont dîner dehors, c'est toujours sa
femme qui rései-ve, sous son nom à elle, dans des
restaurants « normaux » plutôt que branchés où i l
aime à commander du poulet grillé. En Espagne,
le sportif n'aspire qu'à une vie tranquille avec sa
famille, p r é f é r a n t aux m o n d a n i t é s les matchs
endiablés dans le jardin avec ses fils.
Ses fils... À un journaliste de Psychologies Maga-
zine', dont sa femme est une fidèle lectrice, qui lui
demande si Véronique et lui ont toujours voulu avoir
une famille nombreuse, Zidane répond : « C'était
obligatoire pour moi. Je viens d'une famille nom-
breuse, et avec m o n é p o u s e , nous aimons les
enfants. Nous avons dû nous arrêter à quatre parce
qu'elle doit subir une césarienne à chaque accouche-
ment, mais sinon nous en aurions eu plus. Nous
avons la chance d'avoir les moyens de pouvoir élever
beaucoup d'enfants. » Pour son é p o u s e , leurs
enfants constituent même le seul vrai port d'attache
dans une vie marquée par de nombreux déménage-
ments. En Italie est né Luca, le 13 mai 1998. En
Espagne, ont suivi Théo, en 2002, et Elyaz, en 2005.
Curieusement, ni Véronique n i aucun de ses fils
n'ont fait partie du voyage en Algérie de Zidane en
2007. Un jour, le joueur avait lâché à ses proches :
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« Tant que je serai avec elle, je ne retournerai pas
en Algérie... » Comme si le joueur, en vivant ce rap-
port fusionnel avec sa femme, avait aussi, incons-
ciemment, c e n s u r é une partie de son identité.
Selon Zizou, chacun doit construire sa propre his-
toire. Y compris ses fils, pour lesquels il nourrit une
obsession : « Qu'ils ne deviennent pas des héri-
tiers ! », répète-t-il souvent. « L'argent, c'est à papa
et à maman », entendent régulièrement de son côté
ses quatre enfants. Les plus jeunes ne réalisent pas
encore le statut qui est le leur, eux rejetons d'une
star planétaire du ballon rond.
Pour Enzo, l'aîné, dont Zidane est fier, c'est dif-
férent. Bon élève et déjà bon joueur de foot, le
gamin de 12 ans est scolarisé en classe de cin-
quième dans l'un des établissements les plus hup-
pés de la ville. Et certains parents d'élèves ne
cachent pas leur excitation de voir leurs bambins
côtoyer le fils de Zizou. « Pour Enzo, c'est parfois
dur, témoigne une maman française ayant inscrit
son enfant dans la prestigieuse école. À chaque
rentrée, plusieurs aficionados demandent au pro-
viseur si leurs gamins peuvent être dans la m ê m e
classe que "le petit Zidane'". » Du coup, les invi-
tations à des goirters pleuvent, m o t i v é e s par
l'espoir secret que Zidane en personne pourrait
venir récupérer son fils en fin d'api-ès-midi... Les
mamans qui se rabattent sur Véronique en sont
pour leurs frais : l'Aveyronnaise, qui est, par
ailleurs, très impliquée dans la vie de l'école, est
toujours aussi réservée et ne s'attarde guère après
les cours pour discuter. La seule personne avec
laquelle elle taille volontiers le bout de gras,
c'est... la secrétaire du proviseur.
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Sollicité par les filles qui ont toutes le béguin
pour lui et les garçons qui lui demandent des auto-
graphes, le petit Enzo fait face, avec la spontanéité
dont on est capable à son âge. Au seul enfant de sa
classe qui ne lui a jamais réclamé d'autographe de
son père, l'aîné des Zidane demande un jour : « Dis,
ton papa, i l aime pas le foot ? » Car le football est
la grande passion d'Enzo Allan Zidane Fernandez.
Membre de l'équipe benjamine du Real Madrid, le
jeune milieu de terrain, indubitablement doué, a
déjà des fans. Au journal espagnol Marca, la graine
de star confiait que c'était son papa, avec lequel i l
jouait beaucoup, qui l u i avait appris « quelques
trucs' ».
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La rumeur Nâdiya
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Coupe du monde. Mais là, c'est autre chose qui
surA'ient.
Pas encore rodée à l'arène cathodique, prise au
dépourvu, la jeune femme trouve assez de maî-
trise pour répliquer, sans prononcer le nom de la
star de foot : « I l faut arrêter tout de suite. C'est
aller dans le non-respect de cette personne et de
sa famille. Je ne l'ai rencontré qu'une seule fois.
M o i je suis mère avant tout. J'ai un petit garçon
et je veux qu'on respecte un peu mon intégrité. »
La gêne envahit le plateau en dépit de quelques
sourires m i - a m u s é s , mi-complices. Si certains
invités et l'animateur semblent satisfaits d'assis-
ter à cette corrida en direct, en régie c'est la cons-
ternation. Personne ne s'attendait à ce pavé dans
la mare. « Marco » est connu pour être agressif,
pas intrusif. La vie privée, normalement, i l ne
« fait » pas, ou alors, avec parcimonie. Le « outing »,
très peu pour l u i . . . La chanteuse, ex-athlète de
haut niveau (elle fut championne de France
junior du 800 mètres en 1989 et 1990), fait bonne
figure, mais quitte le studio furieuse et désem-
p a r é e . Chez Fogiel, on ne r é a l i s e pas encore
l'ampleur des dégâts. L'affaire « Nâdiya-Zidane »
est née.
« Nous n'avons jamais su pourquoi Nâdiya avait
été invitée sur le plateau de T'empêches tout le
monde de donnir pour faire la promo d'un album
sorti deux mois plus tôt », remarque un journaliste
de Voici souhaitant rester anonyme. Ce dernier
poursuit : « L'animateur est difficile à croire
lorsqu'il explique avoir abordé ce sujet sous pré-
texte qu'Internet colportait déjà la rumeur depuis
des semaines : à l'époque, il fallait accoler les deux
noms sur les moteurs de recherche pour trouver la
trace de cette information. »
144
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Reste que l'image de Zizou, père de famille
modèle, marié à la m ê m e femme depuis l'âge de
18 ans et heureux papa de quatre chérubins, est
écornée par cette rumeur. Celle du célèbre sportif,
homme-sandwich et poule aux œufs d'or sur
laquelle ont parié les plus grands annonceurs fran-
çais, aussi...
La contre-attaque ne se fait pas attendre. Dès le
lendemain, Tony Krantz', l'une des attachées de
presse les plus influentes de Paris, qui s'occupe
notamment de Nâdiya, téléphone à Fogiel pour
avoir une explication. « C'était un réflexe, explique-
t-elle aujourd'hui. J'étais abasourdie, je voulais
comprendre. » La programmatrice de Paf, la boîte
de production de Fogiel, fait les fixais de sa colère.
Cette fidèle parmi les fidèles, chargée d'organiser
la venue des people sur le plateau de l'émission,
tente de justifier l'attitude de son patron. Et si, dans
les bureaux de l'animateur, au cœur du IS*" arron-
dissement, c'est toujours la stupeur, à quelques
kilomètres de là, à Neuilly-sur-Seine, chez M6,
l'heure n'est pas non plus à la rigolade. Certes,
l'émission a connu un pic d'audience (plus de
un million de téléspectateurs malgré l'heure tar-
dive), et tout le monde ne parle plus que de cette
histoire. Mais quand Thomas Valentin, le directeur
général des aiitennes du groupe, convoque le pré-
sentateur vedette, ce n'est pas pour le féliciter. Ce
manager aux nerfs d'acier a perdu son sourire bon
enfant : i l est fou de rage. L'explication dure plus
d'une heure. Et pour cause : l'ancien capitaine des
Bleus n'est pas un simple joueur de football. I l est
le protégé des plus grands annonceurs de presse en
France.
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Las ! La machine est lancée. C'est France-Soir, le
quotidien populaire, qui ouvre le ban. Dans son
édition du L" nove'mbre, i l titre en une : « Marco,
touche pas à Zidane. » Sous la plume du journaliste
Omar Franz, on apprend que Fogiel « cherchait
depuis des semaines ce scoop pour booster son
audience ». Sous p r é t e x t e de condamner une
atteinte à la vie privée, le journal raconte sur deux
pages avec moult détails les quelques minutes de
l'émission. Surtout, il révèle que la vilaine rumeur
court dans les rédactions depuis plusieurs mois. Le
mal est fait.
À partir de là, les paparazzis, qui étaient déjà
sur le coup pour avoir entendu le ragot, redou-
blent de p u g n a c i t é . Ils « planquent » non-stop
devant l'appartement de la jeune femme, dans le
17" arrondissement, non loin de la place Pereire.
S'il leur est possible de prendre Zizou en photo
dans le quartier, très fréquenté et c o m m e r ç a n t , ils
ne peuvent obtenir un cliché des deux. Rageant.
Pour la réaliser, trois photographes d'une agence
se relaient durant dix jours et dix nuits devant le
domicile de leur « cible ». Sûrs d'eux, ils louent
une chambre dans l'hôtel en face de l'immeuble
de la jolie chanteuse au dernier étage. Et, histoire
de ne pas attirer l'attention, ces chasseurs d'ima-
ges se font passer pour des d é t e c t i v e s privés
auprès du personnel de l'établissement. Ils font
chou blanc.
Le 9 novembre, l'hebdomadaire Voici affiche en
couverture deux photos de chacun des protagonis-
tes, en prétendant qu'ils entrent dans l'immeuble.
Fidèle à son style caustique, le journal people pense
devancer toute procédure judiciaire en commen-
tant simplement : « Et dire qu'ils auraient pu se
rencontrer une deuxième fois... »
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Quand le magazine people paraît, Zidane est
avec Fi'anck Riboud au bout du monde, au Ban-
gladesh, pour le compte de Danone. En apprenant
une telle publication, le champion est totalement
paniqu é : cet hebdo, qu'il achète à chacun de ses
passages en France pour sa femme, relance un
ragot qui se murmurait dans Paris depuis des mois.
Que va-t-elle croire ? Comment l u i faire compren-
dre que ce n'est pas ce qu'elle va voir ? Impuissant
depuis ses pénates asiatiques, le joueur ne peut
rien faire. Pire, i l doit remplir ses engagements et
se retrouve dans un centre de planning familial au
fin fond d'un village bengalais de 400 habitants,
Kamar Basulia, obligé de répondre à des dames en
saris colorés qui lui demandent : « Combien avez-
vous d'enfants ? » « Quatre garçons », r é p o n d le
joueur. « Vous n'utilisez donc pas de contracep-
tifs ? Vous avez un système de dot en France ? » Le
« non » de Zidane déclenche des applaudissements
frénétiques dans l'assemblée féminine. « Pourquoi
n'êtes-vous pas venu avec votre é p o u s e ? » Et
Zidane, impassible, de préciser : « Elle s'occupe des
enfants. »
Autour de lui, les journalistes qui le suivent sont
alertés par leurs rédactions parisiennes. Mais nul
n'ose poser la question qui brûle leurs lèvres. La
visite se termine au pas de charge. Zidane s'éclipse
pour passer des heures suspendu au téléphone.
D'abord, expliquer à sa femme, Véronique, qui vit
à Madrid avec leurs enfants, qu'il s'agit d'un photo-
montage. Puis organiser la riposte. Une batterie
d'avocats est prévenue à Marseille. En Asie, le foot-
balleur tient conciliabule avec Jacques Bungert,
son ami publicitaire chargé de son image (et de
celle de... Franck Riboud), qui l'accompagne. Tous
interviennent au plus vite. L'affaire fera pschitt...
147
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Personne, hormis les autres titres de Prisma Presse,
Gala et VSD, ainsi que leur concurrent Closer,
n évoque à nouveau le sujet. A Voici, qui réalise une
de ses meilleures ventes avec ce n u m é r o (plus de
430 000 exemplaires écoulés, grâce à une formule
promotionnelle à 1 euro), on comprend que la
bataille judiciaire sera rude.
L'ancien capitaine des Bleus attaque au tribunal
de Marseille, sa ville natale. Dans la cité pho-
céenne, i l obtiendra 50 000 euros de dommages et
intérêts, pour atteinte à la vie privée. Et non pas
pour diffamation. Le 8 décembre 2006, la justice
lui donne raison et astreint l'hebdo à l u i payer la
somme en question. La direction de Voici ne s'exé-
cute pas, invoquant le « sursis à statuer ». Et rédige
m ê m e un article faisant l'apologie du rude métier
de paparazzi, qui épingle, au passage, le joueur.
Lequel assigne Voici à nouveau. En mars 2007, le
journal est c o n d a m n é par le juge des référés de
Marseille à verser au joueur 50 000 euros, majorés
d'une astreinte de 15 000 euros par semaine de
retard si le magazine persiste à ne pas faire état de
la publication judiciaire le condamnant. Une addi-
tion salée pour Voici qui aurait déjà d é b o u r s é
55 000 euros pour les fameux clichés.
Un an plus tard, l'affaire n'est toujours pas ter-
minée. Marc-Olivier Fogiel refuse de reparler de cet
incident. Dans une intei-view à VSD, i l admet seu-
lement : « Ce n'est pas ce que j'ai fait de mieux cette
année-là. » Inutile d'essayer d'en savoir un peu
plus : le sujet est désormais tabou. Les collabora-
teurs de Fogiel affichent un sourire gêné à l'évoca-
t i o n de cette é m i s s i o n , avec visiblement une
consigne : no comment. Quant au p r é s e n t a t e u r
vedette de M6 qui rappelle que ni Zizou ni la chan-
teuse ne l'ont appelé pour se plaindre, i l oublie un
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détail, d'importance, sur lequel les rares protago-
nistes au courant ont fait silence : mis en cause
publiquement, les concernés ont attaqué en justice
l'animateur et la chaîne de télévision. Une procé-
dure entamée en mars 2007, soit cinq mois après
les faits, histoire de limiter au maximum la publi-
cité faite à l'affaire. Zidane réclame 100 000 euros
de dommages et intérêts. Ce serait cher payé un
dérapage : soit 50 000 euros la minute d'une inter-
view embarrassante. Un record. L'information est
tenue dans le secret absolu. L'affaire suit son cours.
En attendant, les sites communautaires de diffu-
sion de vidéos tels YouTube et DailyMotion sont
s o m m é s de retirer tout extrait du passage incri-
miné. Impossible aujourd'hui de retrouver sur le
Web la trace des quelques minutes parmi les plus
célèbres de l'année télévisée 2006. Quant à la chan-
teuse, sa caiTière semble, depuis, en suspens. Son
dernier album a connu un véritable flop, et la tour-
née prévue en 2008 a été tout bonnement annulée.
Elle n'accorde plus d'interviews à la presse sans exi-
ger de les relire de la première à la dernière ligne.
Les journalistes qui l'ont rencontrée décrivent une
jeune femme visiblement anxieuse, qui se protège
de toute allusion à sa vie privée. D'après plusieurs
proches, elle ne se serait jamais remise de cette
p u b l i c i t é malencontreuse. Enfin, Tony Krantz,
l'attachée de presse de Nâdiya, ne souhaite plus
avoir affaire à la chanteuse : « Cette histoire a été
dramatique. Pour tout le monde. »
Et Zidane ? On le voit aux quatre coins du monde
au bras de son épouse : défilés de mode à New York
en février 2007 pour la griffe 3Y, participation aux
émissions caritatives sur T F l Tous ensemble pour
ELA (celle-là m ê m e où le footballeur avait croisé la
chanteuse pour la première fois trois ans plus tôt)
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en janvier 2008, épopée nautique pour le compte
de Generali en juillet 2007, jubilé de Karembeu en
Nouvelle-Calédonie, soirée promotionnelle pour une
grande marque de montres, voyage caritatif au
Niger... Véronique est de toutes les sorties. Ils ne
se quittent plus d'une semelle.
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Mercedes, une Porsche Carrera noire, avant d'investir
dans une Lexus RX 300. À Madrid, il s'est offert une
Bentley décapotable pour fêter son arrivée au Real.
Aujourd'hui, il circule dans une grosse Audi ou
dans sa Mercedes ML. Et, chaque fois qu'il quitte
l'Espagne, il embarque, le plus souvent aux frais de
ses sponsors, dans u n jet Citation de location,
quand i l n'utilise pas l'avion personnel de Franck
Riboud, le patron de Danone, ou celui de François-
Henri Pinault, le patron de PPR. Sa maison ? Une
magnifique demeure dans le quartier résidentiel
de Conde de Orgaz, le Neuilly madrilène, pas très
loin de l'école française où sont scolarisés ses
enfants. Derrière les hautes palissades noires qui
masquent la propriété, une belle bâtisse blanche,
estimée à 5 millions d'euros par un agent immo-
bilier du coin, s'étale sur 600 mètres carrés, avec
un petit jardin et un petit terrain de foot en gazon
synthétique destiné aux enfants. À l'intérieur, à la
demande de Zidane, l'architecte espagnol en charge
de la décoration s'est inspiré de celle de l'hôtel
George-V, à Paris, où le joueur prend souvent ses
quartiers.
Toutefois, Zidane n'a pas hésité non plus à meu-
bler une partie de sa jolie villa madrilène avec des
meubles achetés chez... Zara Home. Le détail en
dit long sur un homme aux apparences flambeuses
trompeuses. Certes, i l descend dans un palace à
chacun de ses séjours dans la capitale, mais i l n'a
jamais voulu acheter un appartement pour y habi-
ter. Et s'il aime, quand i l sort dîner, les adresses
ultra chic du 8" arrondissement, il lui arrive aussi
de manger des pâtes dans des petits restaurants ita-
liens du 17° arrondissement, à 20 euros le menu. À
Marseille, i l dort chez ses parents, dans leur
pavillon. En revanche, quand i l rend visite à ses
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beaux-parents installés près de Rodez, i l prend ses
quartiers dans une maison achetée dans la région,
plus apte à recevoir toute la famille. Pour en refaire
certaines pièces, i l a fait appel à Claude Dalle, le
d é c o r a t e u r tape-à-l'œil cité dans tous les polars
SAS. « I l nous a été conseillé par d'autres footbal-
leurs. Nous avons fait les travaux durant leur
absence, mais i l savait exactement ce qu'il vou-
lait », confie d'ailleurs l'agence de décoration.
En vacances, Zidane emmène sa petite tribu à l'île
Maurice, aux Seychelles ou en Argentine, mais aussi
dans la station thermale italienne de Merano ou à
Ibiza, en compagnie de la famille de Luis Figo, son
ancien coéquipier au Real. Ou encore aux Baléares,
dans la maison d'Alain Migliaccio, son agent. Plus
simplement, i l lui arrive de passer quelques jours à
Onet-le-château, p r è s de Rodez. Comme i l y a
quinze ans, quand i l n'hésitait pas à faire la vaisselle
chez les grands-parents de Véronique à l'époque où
ces derniers étaient encore vivants, Zidane apprécie
les moments de détente. Au programme : ballade à
vélo, pouponnage du dernier et barbecue. Le couple
vient de s'offrir une maison à Almerîa où habite une
grande partie de sa belle-famille. En prenant sa
retraite, Zidane souhaitait « se remettre dans la
vraie vie » et consacrer plus de temps à ses enfants, '
Véronique et ses parents. Aujourd'hui, i l semble s'y
employer avec entrain. Dernièrement, i l s'est même
acheté un petit bateau pour prendre le large avec les
siens, loin des remous terrestres.
Zidane aime ce qui brille, mais i l est économe.
Soucieux de ne pas se faire « pigeonner », i l
n'hésite pas à envoyer sa femme en éclaireur avant
de faire un achat important. I l est m ê m e capable
de demander à un proche d'aller négocier une ris-
tourne : sur une suite au George-V, louée 150 euros
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la nuit au lieu de 1500, sur un voyage aux Seychel-
les, payé 18 000 euros au lieu de 22 000, ou m ê m e
sur un appartement parisien au Trocadéro, dont le
prix, de 1 million d'euros pour 150 mètres carrés,
était jugé trop élevé par le joueur'. À l'inverse,
l'homme sait se montrer généreux... quand ce n'est
pas l u i qui doit sortir son portefeuille. Alain, un
chauffeur de taxi parisien, se rappelle très bien ce
soir d'été 1994 ori i l vit deux joueurs français de
l'équipe nationale, Bixente Lizarazu et Zinedine
Zidane, entrer dans son taxi. « Ils sortaient du Fou-
quet's et voulaient finir la soirée au Niel's, la boîte
de nuit des Champs-Elysées, raconte-t-il. Quand on
est arrivés, Lizarazu a insisté pour payer la course,
de 30 francs. Zidane a regardé le compteur et m'a
dit : "C'est tout ?" I l s'est retourné vers son copain
et lui a demandé : "C'est toi qui payes, alors ? Bon,
donne-lui 100 francs^." »
Qu'il soit à Madrid, Pai^s ou Marseille, Zidane
utilise rarement sa carte bancaire, préférant tout
payer en espèces. Chose rare, ce millionnaire n'est
jamais à court de petites coupures et peut sortir
deux billets de 5 euros pour payer un café à des
copains dans un centre commercial. Sans chichis,
amoureux des belles voitures, mais aussi amateur
de plaisirs modestes, c'est cet homme-là que connaît
Mustapha Mazouz^, le pote de la cité des M i n -
guettes. Les deux hommes se sont rencontrés par
l'intermédiaire de Luis Fernandez, quand Zidane
jouait encore à Bordeaux. I l avait alors 18 ans.
« Mus' », qui était un peu plus âgé, a roulé sa bosse
pendant des années dans le milieu du foot, de façon
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plus ou moins informelle. À force, il est devenu un
proche de Zizou, qui le salarie via sa société Zidane
Diffusion. Mus' se souvient d'un voyage en train au
départ de la gare Montparnasse, en 1999. Ce jour-
là, i l accompagne Zidane à Laval. Blessé, le joueur
part pour une semaine dans le chef-lieu de Mayenne
afin d'y être soigné par le kiné qui le suit depuis
toujours, Philippe Boixel, praticien dans un cabinet
privé de la ville. Quelques mois plus tôt, des ban-
deroles « Zizou président ! » flottaient à Paiis, sur
la plus belle avenue du monde. Pourtant, dans cette
petite ville de province, les deux hommes posent
leurs valises dans un modeste deux-étoiles, face à
la gare routière. Le champion partage une chambre
minuscule avec son ami Mustapha. Ensemble, ils
déjeunent dans la salle commune, sur les tables en
Formica, et regardent d'un œil distrait la petite télé-
vision accrochée au mur. « À peu près à la m ê m e
époque, poursuit Mus', Zizou avait l'habitude de
m'emmener au restaurant de l'aéroport d'Qrly, pour
y manger un steak haché à cheval en i^egardant les
avions décoller'. » C'était déjà dans les cafétérias
d'aéroport que le sportif déjeunait adolescent lors-
que, fauché, i l reprenait l'avion pour aller de Can-
nes au bataillon de Joinville oii i l faisait son sendce
militaire. I l avait 17 ans. Devenu une star mon-
diale, Zinedine Zidane a conservé le goût des petits
bonheurs tout simples de sa jeunesse.
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Un boute-en-train
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Hector Zidane, son cousin virtuel. Ainsi, après un
match du championnat d'Italie, i l lâche, pince-
sans-rire, sur le terrain : « C'était Hector, mon cou-
sin. De temps en temps, i l prend ma place. » En
1998, pendant le Mondial, alors qu'il est en train
de se faire masser par Philippe Boixel, i l s'amuse
devant des images de l u i diffusées au m ê m e
moment à la télévision : « Beau gosse, hein ?,
prend-il à témoin le kiné. Vous avez vu ces beaux
yeux? Bon, après, faut pas qu'il parle... » Même
chose des années plus tard, lors du visionnage du
film dont il est le héros, Zidane, un portrait du
xxf siècle. Alors que toute l'équipe de ce documen-
taire, tourné pendant un seul et même match du
Real, guette anxieusement la moindre de ses
remarques, Zizou revit le match comme si c'était
un simple débriefing. À la c i n q u a n t e - q u a t r i è m e
minute, le Real marque un but grâce à lui. La foule
est en délire. Ses coéquipiers se jettent sur l u i .
Pourtant, à l'écran, le joueur français reste imper-
turbable. En s'obsen'ant sur le terrain, impassible
au milieu des vivats, le champion lâche avec une
pointe d'accent marseillais, comme pour l u i -
m ê m e : « Vas-y, cache ta joie. »
À un journaliste qui l u i demande s'il arrive à
Zidane de se « lâcher », l'humoriste Jamel répond :
« Zidane, c'est la force tranquille. Non seulement i l
déconne, mais en plus, c'est l u i qui me fait rire.
Zizou est un vrai gamin des quartiers. I l a baigné
dans la déconnade. Zidane est un bon vivant'. »
Christophe Dugarry en sait quelque chose. Plus que
tout autre, ce joueur rencontré à Bordeaux sait dire
les mots justes et, surtout, a l'art de faire rire son
Zizou, qu'il appelle « l'Arabe ». C'est lui le fidèle
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compagnon des virées entre potes. À Paiis, le
Queen se souvient encore des folles équipées des
deux compères. Zizou et Duga adorent ces retrou-
vailles festives dans le carré VIP de la célèbre boîte
de nuit des Champs-Elysées. Musique, cigarettes et
whisky-Coca accompagnent ces sorties entre mecs.
Là, un ami dévoué du champion, véritable ange
gardien, nous révèle qu'il ne quittait pas des yeux
un seul instant le verre de Zidane, de peur que
quelqu'un de malintentionné n'y verse de la drogue.
Dugarry, plus expansif que Zizou, lui redit souvent,
entre deux tournées : « Moi, si j'étais à ta place, je
serais le roi du pétrole ! » Mais Ziz rechigne à flam-
ber. Pas son genre, m ê m e s'il a pris goût à la célé-
brité et au luxe.
À Madrid, Zidane mène une vie plus calme. À
l'époque du Real, i l était toujours fourré avec David
Beckham et Ronaldo, surtout pendant les déplace-
ments pour les matchs à l'extérieur. Puis, ses deux
copains sont partis, recrutés par d'autres clubs.
Aujourd'hui, i l l u i reste peu d'amis dans la capitale
espagnole. « Hormis sa femme et ses enfants, i l n'a
personne à Madrid », confirme Malek Kourane,
seul proche du joueur à lui rendre visite régulière-
ment là-bas. Quand Zidane jouait encore au Real,
Malek venait donner un coup de main à Véro, faire
les courses en sa compagnie, emmener Enzo et
Luca à l'école, jouer avec eux en attendant que leur
père rentre de l'entraînement. Aujourd'hui, Malek
travaille pour la municipalité marseillaise, au ser-
vice « Allô ! Mairie » chargé de l'enlèvement des
encombrants. Mais entre Zizou et l u i , rien n'a
changé : toujours les mêmes conversations compli-
ces, les mêmes fous lires. Parfois, ils vont simple-
ment rouler en voiture en é c o u t a n t la musique
préférée de Zizou : la variété italienne de façon
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générale, Eros Ramazotti en particulier, mais aussi
Francis Cabrel, Corneille, Madonna, qu'il adore, ou
encore Nâdiya et son tube Roc. D'autres fois,
Malek' regarde le joueur, qui adore danser, se tré-
mousser dans le salon avec les enfants. I l faut
croire que ses pieds le démangeront toujours.
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QUATRIÈME PARTIE
L'OMERTA
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grand public se cache l'homme qui gère le patri-
moine du joueur : un personnage clé de la galaxie
Zidane. Interrogé par le journaliste du mensuel
économique, i l confirme l'existence de placements
financiers réalisés par la star. Grossière erreur ! A
la sortie du magazine, les aveux de l'interviewé font
trembler le clan. Le jour m ê m e , à Amsterdam,
Grégory Fernandez', responsable du marketing
sportif d'Adidas et interlocuteur unique de Zizou
pour la marque aux trois bandes, se fait livrer le
mensuel par avion. Âgé de 35 ans à peine, mais
avec déjà dix ans de métier derrière lui, ce grand
brun au regard faussement timide fait partie du
« clan » Zidane au sens large. Quand Noureddine,
le grand frère de l'ancien capitaine des Bleus,
découvre le papier de Capital, c'est Fernandez qu'il
appelle aussitôt : « T'as l u le papier ? » s'étouffe
Noureddine, au bout du fil. Fernandez comprend
la colère de Zidane. I l n'aurait jamais commis
l'erreur de parler à la presse sans son autorisation.
« Vous voyez, c'est très important, la confiance. I l
ne faut jamais la trahir », justifie-t-il. Idriss Tsouli,
lui, le comprend un peu tard : le gestionnaire du
patrimoine est prié, séance tenante, de ne plus
jamais s'exprimer au sujet de Zizou.
« Je ne fais confiance à personne, confiait récein-
ment Zidane à l'un de ses proches. Pas m ê m e à
mon ombre^. » Plusieurs de ses proches ont m ê m e
été exclus de son cercle pour des crimes qu'ils
n'avaient pas commis. Un ami « de quinze ans »,
un pote des bons et des mauvais jours pourtant, en
sait quelque chose. « Un jour, raconte-t-il, j ' a i reçu
un appel de Zizou. Sa voix était glaciale. Après les
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salutations d'usage, il me lance : "Tu as entendu
des choses sur m o i r é c e m m e n t ?" » I n t e r l o q u é ,
l'autre répond : « De quoi tu parles ? » À l'autre
bout du fil, le joueur reste évasif et réplique : « T'es
sûr, t'as rien dit ? Bon eh bien, je te rappelle plus
tard. » Son ami attend depuis plus d'un an un coup
de f i l de son « frère » Zizou. Le camarade qui a
assisté tant de fois à des répudiations a réalisé que,
désormais, c'est son tour'.
La mise à l'index se fait toujours de façon expé-
ditive. Cela commence chaque fois de la m ê m e
manière. Un jour, en composant le n u m é r o de télé-
phone portable du joueur, vous n'entendez plus sa
voix sur le répondeur, mais un message imperson-
nel qui tourne en boucle : « Le n u m é r o que vous
avez composé n'est plus en service. » Traduction :
Zidane a changé de portable et n'a pas jugé bon de
vous confier son nouveau n u m é r o . Quelle faute
avez-vous commise pour mériter un tel black-out ?
Inutile de chercher à plaider votre cause : pour le
joueur, votre sort est scellé. Les conséquences sont
immédiates. Quand le présumé traître ne perd pas
son job, i l devient vite un pestiféré. Son téléphone
ne sonne plus, ses contacts ne le sollicitent plus
pour faire office d'intermédiaire avec la star. Per-
sonne ne sait, au juste, quel forfait i l a commis, mais
la rumeur gangrène son réseau de relations. Sur le
front du réprouvé, i l est écrit, aux yeux de tous, le
mot « balance ». Pour les plus anciens copains avec
qui Zidane s'est lié d'amitié dans les quartiers, cela
signifie l'adieu à tous les avantages que procure le
fait de graviter autour d'une star interplanétaire.
Finis les grands hôtels et les jets privés. Terminées
les loges VIP pendant les matchs. Oubliées les ren-
16.5
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contres avec les plus grands joueurs de foot et les
people. « Avec lui, j ' a i vécu des moments incroya-
bles, les plus beaux de ma vie. Aujourd'hui, c'est
bien fini' », regrette une ancienne relation d'affai-
res du joueur.
Difficile de renoncer à ce que l'on croyait acquis.
Au point que certains, frappés par la vindicte, pré-
fèrent nier l'évidence ou feindre l'indifférence. « Un
jour i l rappellera », répètent-ils d'abord à qui veut
bien les croire. Et puis ils finissent par craquer,
avouer ne pas saisir le silence de l'homme qu'ils
pensaient avoir apprivoisé. Témoin Michel Dmcker^,
une simple connaissance devenue, au fil du temps,
un intime de la famille. Même cette figure emblé-
matique du PAF, l'ami consensuel de toutes les
stars, a sous-estimé le caractère ombrageux de la
diva du ballon rond. Dans la loge qui l u i fait office
de bureau au sous-sol du Pavillon Gabriel, à deux
minutes des jardins de l'Elysée, l'homme au visage
lisse ne fait pas ses 65 ans. La chemise blanche près
du corps, un austère pantalon noir, i l ne cache pas
son trouble. La première fois qu'il a rencontré le
capitaine des Bleus, c'était en 1998, pendant la
Coupe du monde. « J'étais allé à Clairefontaine, le
centre d'entraînement des Bleus, pour rencontrer
Aimé Jacquet, à l'époque entraîneur de l'équipe de
France, raconte-t-il. Dans la discussion, Aimé m'a
confié : "Je crois que Zizou aimerait beaucoup vous
rencontrer." » Zizou, justement, loge à l'étage au-
dessus. L'animateur de Vivement Dimanche monte
et frappe à la porte du joueur. Un Zidane intimidé
le fait entrer. Assis sur l'un des deux lits de leur
chambre, Christophe Dugarrj', l'ami de toujours.
166
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s'éclipse. Après les politesses d'usage, Zidane se
lance : « Mes parents vous aiment beaucoup. »
Michel Drucker saute sur l'occasion : « Donne-moi
donc le téléphone de ton père et je lui passerai un
coup de fil. »
À l'évocation de ce souvenir, l'homme qui a inter-
viewé les plus grands noms du show-biz et du
monde politique, de Serge Gainsbourg à Jacques
Chirac en passant par Céline Dion ou Whitney
Houston, est é m u comme un d é b u t a n t . « Vous
savez, confie-t-il sous le regard affectueux de sa
chienne Olga couchée sur le canapé en cuir, j'en ai
vu, des stars. Rares sont celles qui m'ont fait un tel
effet. Pour moi, Zidane, c'est comme un Mohammed
Ali. Un homme exceptionnel, qui a m a r q u é son
siècle. » Le temps d'avaler une gorgée d'Évian, et
Michel Drucker reprend : « Après notre première
rencontre, i l m'a fait l'honneur de m'inviter à Turin,
en 1999. Je m'en souviens comme si c'était hier.
Allongé sur son lit, i l gambergeait. Déjà, i l voulait
laisser une trace, marquer l'histoire du football. I l
m'a confié son désir d'aller jouer en Espagne.
Quand i l a rejoint le Real, à Madrid, je suis allé le
voir. C'était super ! On a fait des photos, puis je l'ai
invité à mon émission Tapis rouge, à Paris. I l est
venu et i l est m ê m e resté assis trois heures d'affi-
lée ! » Entre-temps, Drucker a rencontré toute la
famille. Et d'énumérer les noms : le père Smaïl, la
mère Malika, la sœur Lila. « Vous savez qu'elle a
une licence d'anglais ? Je leur ai rendu visite sou-
vent à Marseille. Quelle famille formidable »,
lance-t-il, l'œil humide.
Le temps défile, le producteur de Michel Drucker
rentre dans la loge. « Michel, on t'attend pour le
montage. » Mais l'animateur a encore envie de par-
ler. Debout face à une figurine en carton grandeur
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nature à l'effigie du joueur, i l poursuit l'analyse :
« Moi, je le comprends tellement. J'ai commencé à
gagner ma vie à 17 ans, comme lui. Moi non plus,
je n'ai pas fait d'études. Après la finale de 2006, je
l'ai défendu, envers et contre tous. D'ailleurs on me
l'a reproché. Mais que voulez-vous, ce que l'autre
lui a dit est horrible [l'autre, c'est-à-dire Materazzi].
J'en ai m ê m e parlé à la télévision. Je sais que ses
parents ont apprécié mon comportement. »
Pourtant, la bénédiction des parents n'a pas suffi.
Quand on lui demande à quand remontent ses der-
niers contacts avec Zizou, l'animateur est embar-
rassé : « Heu... Nous ne nous sommes pas reparlé
depuis novembre 2006. J'ai essayé de l'appeler, lui,
ses parents, Noureddine, son frère. » Drucker mis
au piquet ? L u i préfère parler de « silence ». Pour-
quoi ce silence alors ? « Au cours de l'une de mes
é m i s s i o n s , Nicolas Canteloup a fait u n petit
sketch... C'était drôle. Enfin, j'espère que le papa
et la maman de Zizou l'ont bien compris. I l s'agis-
sait de se moquer de cette horrible rumeur propa-
gée par une certaine presse. » Où comment Nicolas
Canteloup, s'inspirant avec humour d'une couver-
ture de Voici dont nous avons déjà parlé, a préci-
pité la chute de Michel Drucker dans l'estime des
Zidane. « I l n'y avait rien d'insultant, plaide encore
le présentateur. Dans son sketch, Canteloup a sim-
plement fiancé Zidane à Adriana Karembeu, à
Mme de Fontenay... Je ne peux quand m ê m e pas
censurer u n h u m o r i s t e ! Les c o n s é q u e n c e s
auraient été pires. Mais je regrette un peu de l'avoir
laissé passer dans mon émission. Vous pensez que
je devrais leur envoyer un petit mot ? »
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qui lui sont chères », un « hommage à un cham-
pion qui a su rester lui-même malgré son incroya-
ble p o p u l a r i t é ». Dans le genre langue de bois,
difficile de faire mieux.
Il est loin le temps oii le jeune Zinedine de 20 ans
r é p o n d a i t : « Merci monsieur » au journaliste
Pierre-Louis Basse' qui venait de le gratifier d'un
compliment. I l avait alors les joues rosies par
l'émotion. Seize ans plus tard, la voix est toujours
aussi timide mais le ton a changé et les rôles se sont
inversés. L'ex-numéro 10 est devenu un as de la
communication, qui entend tirer toutes les ficelles
de la monumentale couverture médiatique qui l u i
est c o n s a c r é e . Trouver un article critique sur
Zidane ou un documentaire un peu fouillé ? Une
mission quasi impossible. Pour entretenir son
image de gendre idéal, le champion n'a m ê m e pas
besoin d'intervenir. Alors qu'il existe des clichés de
Zizou avec une cigarette à la bouche, un verre
d'alcool à la main, ou en virée en boîte de nuit, rien
ne fut n i ne sei^a jamais publié en France. En 1998,
tandis que des paparazzis le prennent en photo à
quelques mètres du palace parisien Le Raphaël dis-
cutant avec une ancienne animatrice de télévision,
les proches de Zidane s'activent pour e m p ê c h e r
une publication éventuelle de ces clichés que
d'aucuns pourraient mal interpréter. « Un jour,
raconte un ancien membre de la rédaction de l'heb-
domadaire Voici, je reçois un coup de f i l d'un
d é n o m m é Momo, un habitué des soirées people,
qui me fait passer le message : "Je voulais te pré-
venir que ça ne serait pas une bonne idée de publier
certains clichés dans ton magazine." » Message
reçu. Mais l'histoire ne s'arrête pas là. Quelques
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semaines plus tard, l'époux un peu trop possessif
de l'animatrice, furieux d'apprendre que sa tendre
moitié a été prise en photo discutant anodinement
avec Zidane, assène quelques gifles à sa femme.
L'affaire commence à s'ébruiter dans Paris. « Pour
la protéger et faire comprendre qu'elle connaissait
du monde dans les rédactions, nous avons m o n t é
un reportage photo sur elle. Son agression, avons-
nous écrit, images à l'appui, était due à une ten-
tative de braquage dans un parking souterrain de
Neuilly. Des voleurs auraient tenté de l u i dérober
sa voiture et elle aurait été frappée en tentant de
se défendre », poursuit cet ancien de Voici. Plus
personne n'entendra parler de l'ancienne anima-
trice.
Même Pascal Rostain', le paparazzi aux coups
les plus célèbres du monde, rechigne à tenter de
shooter celui qu'il qualifie d'« icône ». « Zidane est
sanctifié par le public, se résigne-t-il. I l peut faire
ce qu'il veut, les gens refuseront d'apprendre une
mauvaise nouvelle le concernant. C'est u n peu
comme avec l'Abbé Pierre. I l est intouchable. » Pas
de risque de dérapage à Canal+ : sous contrat avec
la chaîne cryptée, pour laquelle i l est le consultant
exclusif du foot, l'ancien joueur est é g a l e m e n t
coproducteur des magazines fournis par Stéphane
Meunier, l'un des réalisateurs maison pour tout ce
qui concerne les documentaires sur Zidane. Pas de
danger non plus du côté de T F I : la chaîne parte-
naire des Bleus n'a aucun i n t é r ê t à se mettre
l'ancien capitaine à dos. Seuls quelques journaux,
comme Le Monde ou Le Point, se sont risqués à
parler des sujets qui fâchent. Bref, l'autocensure
fonctionne d'elle-même. Et quand ce n'est pas
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l'autocensure, ce sont les clubs qui font pression.
En Espagne, par exemple, le directeur sportif du
Real aurait signé, lors de son transfert en 2000, un
accord avec Juan Cano, patron d'Hachette Espa-
gne, et surtout président de l'association des maga-
zines espagnols, stipulant qu'aucune photo privée
de Zizou ne pourrait être éditée. On ne touche pas
à un joueur et à un club mythique.
Réputé sourcilleux, Zidane a réussi à tout ver-
rouiller. Y compris la presse sportive, dont certains
journalistes se sont habitués à l'omerta. Ceux-ci
doivent montrer patte blanche et prouver leur
bonne volonté. Une couverture sur lui ou un long
entretien n é c e s s i t e n t parfois le trajet j u s q u ' à
Madrid du chef de service, voire du rédacteur en
chef. « C'était normal de se présenter à lui et de l u i
faire part de nos projets' », assure sans sourciller
Claude Droussent, l'ancien directeur des rédactions
du groupe L'Équipe, qui se souvient encore de la
« daurade grillée délicieuse » qu'il a dégustée avec
le joueur quand i l fit lui-même le voyage en Espa-
gne. I l convient de ne pas vexer le champion ou ses
puissants sponsors.
Quand ils se retrouvent face au sportif, certains
reporters prennent garde à ne jamais lui poser plus
de trois questions d'affilée. C'est que l'homme sait
se faire désirer. « Un entretien de l'ancien cham-
pion du monde vaut de l'or », admettent des jour-
nalistes sportifs interrogés. Depuis qu'il est à la
« retraite », i l faut compter au moins une année
pour obtenir une interview. Et quand l'heureux élu
décroche le gros lot, i l fait généralement preuve
d'un traitement plutôt clément. La couverture du
coup de tête asséné à Materazzi est un exemple
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parmi tant d'autres de ces liaisons dangereuses qui
unissent les deux parties.
Le rapport de certains journalistes avec le roi du
ballon rond tient m ê m e de l'adoration candide des
fans. Christian Jeanpierre, le p r é s e n t a t e u r de la
cultissime é m i s s i o n de T F l Téléfoot, affirme :
« Zidane ? Ma génération a une chance incroyable
d'avoir côtoyé le plus grand. Celle d'avant avait eu
la chance d'avoir les Rolling Stones. Zinedine et
moi avons été proches, m ê m e si je n'appartiens pas
à son cercle d'amis immédiat'. » La liste des incon-
ditionnels est aussi longue qu'un match sans le
n u m é r o 10. Au point qu'il est quasiment impossi-
ble de rencontrer un confrère l'ayant suivi de près,
d'émettre la moindre critique susceptible d'arriver
aux oreilles du dieu du stade. Certains n'hésitent
pas : « Zidane, i l sait que je n'ai écrit que 10 % de
ce que je sais de l u i . » En p r é a m b u l e à tous les
entretiens menés pour la rédaction de ce livre, la
m ê m e question nous a été posée : « I l sait qu'on se
voit ? » Ce dévouement, Zidane le récompense à sa
façon : i l s'inquiète par t é l é p h o n e de la s a n t é
d'Alexandre Ruiz, un ancien journaliste de Canal+
victime d'un accident de voiture ; i l orchestre une
r é c o n c i l i a t i o n p u b l i q u e avec u n reporter de
L'Équipe, Olivier Margot, qu'on disait mis en qua-
rantaine par le clan Zidane ; ou invite un autre
journaliste à le suivre à l'étranger pour une inau-
guration d'usine de Danone, son sponsor.
« Quand on est bien avec lui, c'est pour la vie !
On s'est très bien compris" », explique Patrick
Dessault, journaliste à France Football, pourtant
sans nouvelles de la star depuis décembre 2006. Un
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silence qu'il explique ainsi : « I l faut que cela vienne
de l u i . I l faut aussi être là au bon moment. » Un
autre prétend : « Notre relation est au-delà du jour-
nalisme. » Les quatorze cartons rouges de la car-
r i è r e de Zinedine ? De la p o é s i e pour Olivier
Margot : « En une seule prise, un soir de Real
Madrid-Villarreal (2-1) en avril 2005, Zinedine
Zidane s'était révélé tel qu'il est vraiment. Un pur
artiste, tendance Van Gogh à l'oreille coupée, creu-
sant son inconscient pour oser ce que les autres
n'osent m ê m e pas imaginer, jusqu'à ce que surgisse
sa part d'ombre, dans un soleil incandescent. Ce
que l'on appelle "voir rouge'". » Pour d'autres : « Ils
sont à la hauteur de son talent. Personne n'a pu le
dompter. C'est lui qui dompte. » En 2000, un jour-
naliste n'ose pas dire au joueur qu'il n'obtiendra
pas le Ballon d'or, un prix décerné par son maga-
zine. La faute à un carton rouge reçu pour un coup
de tête à un adversaire à terre, lors d'un match de
la Ligue. « Ce n'était pas ma faute s'il n'avait pas
obtenu le prix, se justifie le reporter, et d'ailleurs i l
a apprécié mon tact. Je ne l u i ai pas d e m a n d é
d'intendew pour ne pas avoir l'air de profiter de son
malheur. Et je sais qu'il a été touché par mon
geste. »
Certains vont jusqu'à jouer les imprésarios. En
voyage quasi p r é s i d e n t i e l à Alger en d é c e m -
bre 2006, alors que Zizou se retrouve à l'ambassade
de France pour un cocktail, un reporter d'un quo-
tidien prévient : « Écoutez, mettez-vous en petit
groupe et essayez de vous mettre d'accord sur les
questions que vous souhaitez l u i poser. » A qui
s'adresse-t-il ? À ses confrères, en l'occurrence des
reporters de M6, France Inter et L'Express. L'un
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d'eux réagit : « Pourquoi tu t'occupes de nos ques-
tions ? » Le reporter rétorque : « Écoute, je connais
Zizou depuis dix ans, c'est presque un ami et là je
sens qu'il est fatigué. Alors, j'essaie d'organiser les
choses pour lui. »
Des grandes figures sportives, Pierre-Louis Basse
dit : « Ils sont dans un monde à part. À moins d'être
leur esclave, tu ne l'intégreras jamais. » Ancien de
L'Equipe, aujourd'hui chroniqueur de l'émission
100 % foot animée par Estelle Denis (la compagne
de Raymond Domenech), Pierre Menés, journaliste
sportif, propose une définition pleine d'ironie du
journaliste sportif : « C'est un homme qui suit une
équipe locale depuis près de trente ans. Qui connaît
tout de la D l , D2, D3. Suit tous les matchs en voya-
geant avec un président de club qui l u i dit que
l'entraîneur est un gros nul et que les joueurs ne
valent pas un clou. Mais qui ne l'écrira jamais dans
son journal, car i l est trop fatigué pour le faire'. »
Cruel et stlrement un peu excessif.
Reste qu'aujourd'hui recevoir les coups de fil de
footballeurs professionnels à des heures indues
pour réclamer des explications sur un article, voire
un mot, fait partie du métier. Il est vrai que les stars
du ballon rond sont d'un type particulier. Nul ser-
vice de presse pour jouer les intermédiaires. Ici, on
préfère donner son n u m é r o de portable à trois
reporters q u i l ' u t i l i s e r o n t avec p a r c i m o n i e .
D'ailleurs, le B. A.-BA du bon correspondant sportif
se résume à trois règles d'or : ne téléphoner qu'en
cas d'urgence, préférer le texto et attendre d'être
rappelé. Le joueur de football a réussi à imposer
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cette idée forte : une fois son talent reconnu, i l n'a
nul besoin de la presse pour exister. En revanche,
le journaliste a besoin, lui, du sportif pour exister.
Quel que soit le média, le rapport de forces est le
même.
Zidane ne l'ignore pas. Passé maître dans l'art de
manier la carotte et le bâton, i l peut m ê m e être
féroce. Quant aux journalistes que le champion ne
connaît pas, ils doivent redoubler de précautions :
le moindre dérapage leur est encore plus fatal. En
cas d'intei-view trop agressive ou de question mal-
venue, la sentence tombe, implacable. Zidane ne
recevra plus jamais l'importun qui l'a défié. Gérard
Davet', grand reporter au Monde, s'en souvient
encore. Une interview du n u m é r o 10 parue dans le
quotidien du soir en 2004, pourtant relue et amen-
dée, mais dont le titre n'avait pas plu, a valu au
journaliste un savon m é m o r a b l e au téléphone :
« Allô, c'est monsieur Zidane à l'appareil. Ce que
vous avez écrit est honteux ! Vous avez sali mon
nom et mon image. Et ça, je ne l'oublierai jamais. »
Et pour être sûr que le message soit bien passé, un
de ses frères rappelle Gérard Davet : « T'es un en...
T'amuse pas à revenir à Marseille. » Mais la ven-
detta ne s'arrête pas là. Plusieurs mois plus tard,
les deux hommes se croisent à la sortie d'un entraî-
nement des Bleus. Le journaliste discute avec le
médecin de l'équipe de France quand il voit sou-
dain fondre sur lui un Zidane furieux. Le joueur
intime au médeci n l'ordre de couper court à la
conversation : « Faut pas lui parler, à celui-là ! Il n'est
pas réglo. » « Vous avez un problème ? » demande,
interloqué, Gérard Davet. Imperturbable, Zidane
réplique : « Un problème ? Moi ? Pourquoi j'aurais
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un problème ? Je suis jeune, je suis beau, je suis
riche ! Je t'avais prévenu, c'est tout. » Le Monde
n'aura plus jamais droit à un mot du joueur. Mais
le quotidien du soir n'est pas le seul à être « blac-
klisté ». Le Parisien, pour avoir publié un article sur
la mauvaise ambiance qui régnait dans l'équipe
nationale entre les pro et les anti-Zidane, n'aura
plus jamais d'intei-view du n u m é r o 10.
Pierre Menés', grand spécialiste des arcanes du
foot français, a aussi fait les frais de la colère de
Zidane. Pour la première fois, il raconte ce coup de
fil surréaliste reçu quelques mois après la Coupe
du monde. C'était en septembre 2006, après la dif-
fusion de l'émission Secrets d'actualités sur M6.
Dans ce documentaire consacré au coup de tête de
la finale, Pierre Menés, interrogé parmi d'autres
spécialistes du foot, donnait son avis sur les car-
tons rouges qui jalonnèrent la carrière de Zidane.
Rien d'insultant. Pourtant, trois semaines plus
tard, la voix qui le menace au bout du fil est froide
et furieuse : « On m'a répété les saloperies que t'as
racontées sur moi à propos de la finale à Berlin. »
Pierre Menés, en voiture au moment de l'appel,
freine et se gare. Le souffle court, ce grand gaillard
de 1 m è t r e 90 pour 100 kilos tente vainement :
« Mais, je te jure, j ' a i rien dit de mal. Si tu veux, je
te dépose une cassette de l'émission. Dis-moi oii je
peux te la faire parvenir et comme ça, on pourra
s'expliquer. » Peine perdue, Zidane ne voudra rien
entendre. Quelques jours plus tard, de passage à
Paris pour l'inauguration de la boutique Adidas sur
les Champs-Elysées, i l veut voir Pierre tout de
suite : « Tu viens me voir et je vais te dire comment
rectifier tes saloperies... sinon, je vais m'occuper
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de toi personnellement. » Un droit de réponse, un
peu violent. Pierre Menés ne se rendra jamais à la
convocation. Ses vingt ans de métier ne l'ont pas
préparé à ce genre d'intimidation. Mais jamais plus
i l n'aura les yeux de C h i m è n e pour la star des
pelouses.
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associé à « bizarre ». Lui, bizarre ? Pas question de
laisser passer ça. Au bout du fil, Frédéric Hermel,
correspondant du quotidien sportif à Madrid, désa-
morce aussitôt le conflit : « Zinedine, ce n'est pas
moi qui ai écrit ce papier. Mais si tu veux, on va
s'arranger, on peut faire passer u n d r o i t de
r é p o n s e . » I l a suffi d'un mot, d'un seul, pour
déclencher les foudres de la star. Et celles-ci ont le
don de faire frémir la rédaction de L'Équipe. « C'est
vrai qu'on a toujours eu peur de se fâcher avec lui,
reconnaît un journaliste du groupe. C'est vrai aussi
qu'une interview de lui assure des bonnes ventes. »
En novembre 2005, par exemple, l'hebdomadaire
France Football qui appartient au groupe L'Équipe,
organise les cinquante ans des Ballons d'or - l'équi-
valent des Oscars pour les footballeurs. À cette
occasion, le journal affrète un jet privé afin de faire
venir Zizou de Madrid et l u i réserve une suite à
l'hôtel Sofitel Le Faubourg, dans le 8"" arrondisse-
ment parisien. Au programme, cocktail et dîner
avec le gratin du foot, dont Franz Beckenbauer,
Raymond Kopa, Alfredo Di Stefano, Jean-Pierre
Papin, Marco Van Basten, Ronaldo et Michel Platini.
Tous restent jusqu'au bout, sauf Zidane, qui s'éclipse
au bout d'une petite heure. Un peu cher, le privilège
de voir le champion du monde boire un verre de
jus de pomme. Et tous les convives sont de cet avis.
« On était furieux, admet Claude Droussent, l'ancien
directeur des rédactions du groupe L'Équipe. Mais
que voulez-vous faire' ? »
Dans son bureau parisien, un œil rivé au grand
écran de télévision qui diffuse un match de tennis,
celui qui était alors le patron de la référence fran-
çaise du foot revient sur le coup de tête du joueur :
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« C'est vrai que la presse, dans son ensemble, a
épargné Zizou au lendemain de la finale. » Les che-
veux gris, la cinquantaine discrète, Claude Droussent
est loin d'être un bleu. En juillet 2006, au lende-
main du match France-Italie, lui-même a écrit,
dans la fièvre du direct, sur place à Berlin, un édito
plutôt critique : « Zinedine, savez-vous que le plus
difficile ce matin est d'expliquer à des dizaines de
millions d'enfants à travers le monde comment
vous avez pu asséner ce coup de tête à Marco
Materazzi ? » Rien de bien grave, a priori. Le len-
demain, à son retour au journal, le directeur des
rédactions obsei-ve pourtant les visages fermés de
ses collaborateurs et le silence qui règne dans les
couloirs. Soudain, i l devine avoir commis l'erreur
d'exprimer le fond de sa pensée. Dès l'édition sui-
vante, le quotidien fait machine arrière et s'excuse
de ses propos de la veille. « C'était la meilleure
chose à faire », dira Christophe Chenut, à l'époque
directeur général du groupe de presse, à Claude
Droussent. Chenut, par ailleurs bon camarade de
Franck Riboud, le patron de Danone, premier
annonceur publicitaire en France et, accessoire-
ment, sponsor principal de Zidane. Mais ce retour-
nement survient trop tard. Les r é t o r s i o n s sont
immédiates pour tous les journalistes du groupe,
qui comprend le quotidien L'Équipe, les hebdoma-
daires L'Equipe Magazine et France FootbalL Du
jour au lendemain, ceux qui suivaient le joueur
depuis ses débuts, comme Olivier Margot, ne par-
viennent plus à joindre la star. Quand ils l'appel-
lent, ils tombent sur un message les informant que
le n u m é r o n'est plus en sendce.
Aujourd'hui, Claude Droussent persiste à regret-
ter ce qu'il continue d'appeler « une boulette ». Le
remords porte sur le premier éditorial, pas sur son
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démenti. Pour l'expliquer, i l avance le trop-plein
d'émotions, le manque de temps pour se relire, les
quarante-cinq minutes qu'il avait pour é c r i r e
l'édito en question depuis Berlin et l'envoyer à
Paris. I l avoue la vérité aussi, tout simplement : à
savoir qu'il fut choqué par un geste contraire aux
règles du sport que véhicule L'Équipe.
Parfois, l'empathie est tellement forte que la
règle d'objectivité inhérente à la profession subit
quelques entorses. Lors d'un entretien réalisé en
janvier 2007, un reporter du magazine sportif
s'adresse ainsi à la star du ballon rond : « Avez-vous
des regrets par rapport à vous-même de vous être
laissé piéger par un voyou ? » Par « voyou », i l évo-
que JVIaterazzi. Les lecteurs, choqués par ce parti
pris, appellent l'auteur. Même au sein de la rédac-
tion, des journalistes sont révoltés par ce manque
de distance : « Vous imaginez si un journaliste poli-
tique traitait de voyou l'adversaire d'un politicien ?
Vous songez à la levée de boucliers que cela susci-
terait ? Chez nous, pas un mot de la direction ! »,
s'insurge un reporter. Zidane lui-même rappelle à
l'ordre son interlocuteur : « Le terme voyou ne me
p l a î t pas. » La complaisance, d'accord, mais
tâchons de rester discret.
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23
La question du dopage
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moins fiables'. » Sur les six joueurs contrôlés,
aucun ne se révélera positif. Officiellement. Alain
Garnier le confirme.
Marie-Florence Grenier-Loustalot est encore
plus circonspecte. La cinquantaine, de fines lunet-
tes posées son nez, cette brillante chimiste qui tra-
vaille notamment à l'amélioration des techniques
de dépistage des produits dopants, en collabora-
tion avec le Comité international olympique, se
souvient de l'affaire dite « de Tignes ». Dans son
bureau de Sophia Antipolis près de Nice, l'accent
légèrement chantant et les yeux pétillants, celle
qui a mis au point les analyses permettant de
détecter la prise de corticoïde, en l'occurrence la
cortisone, chez les athlètes, nous révèle : « À l'épo-
que, c'est m o i qui ai été contactée par le labora-
toire de Châtenay-Malabry en charge des tests
antidopage durant le Mondial 98. À cette date, on
m'avait d e m a n d é de m'occuper de l'expertise d'un
des six contrôles urinaires effectués à Tignes et
qui étaient tous anonymes^. » Un silence. Puis, la
voix basse, elle reprend : « Un des tests réalisés en
première instance présentait un taux suspect de
testostérone. Vous savez, si les contrôles sont fia-
bles, la contre-expertise a lieu plus d'un an plus
tard. Ce qui permet au sportif de contester les
résultats. I l peut affirmer que le flacon qui conte-
nait le prélèvement a mal été conservé, qu'il y a
eu un problème d'étiquetage... »
Jamais révélée, cette information semble avoir
été tenue au secret. Rien ne dit d'ailleurs qui était
le joueur concerné. Personne, y compris les res-
ponsables du ministère des Sports, ne semble être
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au courant. I l faut dire qu'en ces temps-là la FIFA
avait réussi à imposer ses règles comme le confirme
Marie-George Buffet, à l'époque ministre de la
Jeunesse et des Sports : « C'est vrai que le rapport
de force n'était pas totalement en notre faveur' »,
explique-t-elle aujourd'hui. Ainsi, les résultats des
contrôles effectués au laboratoire de Châtenay-
Malabry étaient d'abord envoyés au siège de la
FIFA puis retransmis au ministère.
Ce n'était qu'un début. Alain Garnier ne s'atten-
dait pas à devoir affronter un t i r de barrage contre
ses intentions : « Très vite, certains médias, Aimé
Jacquet et des joueurs sont montés au créneau :
nous étions les ennemis du football. À Matignon,
les responsables d u c a b i n e t de J o s p i n me
disaient : "N'allez pas gâcher la fête." » Traduc-
tion : n'allez pas e m b ê t e r l ' é q u i p e nationale.
Marie-George Buffet avait pourtant fait de la lutte
antidopage une priorité absolue. Mais devant le
tollé provoqué par ce contrôle inopiné, elle effec-
tuera une légère marche arrière. Alors qu'elle avait
prévenu publiquement que les contrôles étaient
décidés par la direction des sports^ de son cabinet,
la ministre se fend d'un c o m m u n i q u é à l'AFP au
lendemain de l'incident de Tignes : « C'est une ini-
tiative que je d é p l o r e », explique la ministre.
Aujourd'hui, elle revient pour la première fois sur
cette drôle d'affaire : « C'était tellement compli-
qué. Remettez-vous dans le contexte de l'époque.
La France organisait la Coupe du monde et pour
la première i l y avait une véritable volonté politi-
que de s'attaquer au fléau du dopage. Mais face à
185
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cette levée de bouclier médiatique et aux réactions
de l'opinion publique, je le reconnais, j ' a i douté.
Je me suis d e m a n d é si on avait fait une erreur en
s'attaquant aussi frontalement au p r o b l è m e des
contrôles. Si on n'était pas contre-productif. »
De fait, alors qu'Alain Garnier et son équipe
sont chargés de contrôler toutes les équipes de la
Coupe du monde, tous les vestiaires leur sont
ouverts à l'exception notable de ceux des Bleus :
« On ne pouvait pas y mettre les pieds », jure-t-il.
Ainsi, au premier tour, lors du match France-
Arabie Saoudite, Zidane est expulsé pour avoir
essuyé ses crampons sur un adversaire à terre.
Alain Garnier demande au directeur des compéti-
tions de la FIFA d'effectuer un contrôle antido-
page sur l u i , comme le règlement le préconise en
cas de carton rouge ou d'agressivité particulière
sur le terrain. Or ce contrôle ne se fera jamais.
« C'est vrai, i l n'a pas été réalisé, et je ne sais pas
pourquoi, confirme G é r a r d Rakocevic^, ancien
médecin de la Fédération française de football,
détaché à l'époque auprès de la FIFA, pour effec-
tuer les contrôles. Je me souviens d'avoir contrôlé
Desailly qui avait été expulsé en finale mais pas
Zizou. Je me souviens qu'on attendait les joueurs
à la sortie du terrain, avant qu'ils puissent rega-
gner leur vestiaire. On les dirigeait vers une petite
salle p r é v u e pour effectuer les tests urinaires.
C'était dur, car on les piivait de fête dans les ves-
tiaires avec leurs coéquipiers. Mais concernant
Zidane, je n'en ai aucune idée. »
La Coupe du monde à peine terminée par une
victoire française débute un scandale, public celui-
186
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là. I l a lieu de l'autre côté des Alpes. En Italie.
L'homme par qui le scandale arrive se nomme Zde-
nek Zeman. I l est l'entraîneur de la prestigieuse AS
Roma. Dans u n e n t r e t i e n à l ' h e b d o m a d a i r e
L'Espresso\l se dit « stupéfait devant l'explosion
musculaire de certains joueurs de la Juve ». C'est à
partir de cette interview qu'un procureur turinois,
Raffaele Guariniello, décide de s'attaquer au pro-
blème du dopage dans le Calcio et plus précisément
à la Juve. « C'est la déclaration de Zeman qui m'a
incité à ouvrir une enquête^ », nous explique le pro-
cureur italien. Quatre années plus tard, débute ce
que l'on appela le procès de la Juventus de Turin,
l'équipe la plus populaire d'Italie, celle qui fait
rêver onze millions de tifosi. Ce linge sale lavé en
public allait mettre un frein aux pratiques de
dopage qui ont provoqué pas moins de quarante-
sept décès dans le football italien. Le procureur^ y
consacra quatre années de sa vie dont le résultat
sera consigné dans quarante mille pages de procé-
dures.
A l'ouverture de l'audience, le 31 janvier 2002,
des centaines de badauds se pressent pour voir les
grandes stars du Calcio défiler à la barre. Parmi
ces grands joueurs convoqués en tant que témoins
assistés, Zinedine Zidane, ancien de la Juve de
1996 à 2001. Deux fois l'échéance aura été retar-
dée en raison d'un emploi du temps surchargé.
Quand il débarque de Madrid le 26 janvier 2004
pour être entendu par le juge italien Giuseppe
Casalbore, toute la presse e u r o p é e n n e l'attend.
Vêtu d'un Jean et d'un pull bleu, i l s'engouffre sans
1. 25 juillet 1998.
2. Entretien avec l'auteur, mai 2008.
3. Entretien avec l'auteur, mai 2008.
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dire un mot alors qu'une horde de journalistes se
presse sur les marches du palais. La voix hési-
tante, Zidane r é p o n d r a facilement aux questions
de la justice, confie le juge Casalbore, qui semble
encore sous le charme, des années plus tard : « Ce
q u i é t a i t frappant dans cette histoire, c'était
l'incroyable pharmacie que nous avons décou-
verte en perquisitionnant à l'infirmerie du club.
Plus de 270 m é d i c a m e n t s . I l y avait de tout'. »
Mais revenons au jour de la comparution de
Zidane, dans cette salle d'audience :
« Le juge interroge : Vous avez pris des complé-
ments alimentaires ?
Zidane : Oui, j ' a i pris des vitamines, j ' a i pris
des...
Le juge : Vous les preniez sous quelle forme, par
la bouche ? C'est-à-dire, c ' é t a i t des pastilles,
qu'est-ce que c'était ?
Zidane : Par la bouche...
Le juge : Aussi sous forme de piqûre ?
Zidane : Oui, des vitamines.
Le juge : Vous pratiquiez aussi des transfu-
sions ?
Zidane : Oui.
Le juge : Seulement de vitamines.
Zidane : Seulement de vitamines.
Le juge : Seulement de vitamines, rien d'autre ?
Pourtant, vous souriez.
Zidane : ...
Le juge : Dites-moi un peu. Vous faisiez des
transfusions d'Esafosfina ? Vous savez ce qu'est
l'Esafosfina ? Vous l'avez déclaré en 1998, je le lis
ici sur le procès-verbal.
Zidane : Oui.
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Le juge : Et ?
Zidane : Oui, peut-être, parce que le nom...
Le juge : Mais justement, vous considériez cela
seulement comme des vitamines.
Zidane : Oui.
Le juge : Et le Neoton ? Vous savez ce que c'est
le Neoton ? C'était un autre produit.
Zidane : C'est-à-dire que le nom ne me...
Le juge : Ne vous dit rien.
Zidane : Si. Et puis, si je l'ai dit...
Le juge : Vous l'avez dit.
Zidane : De toute façon, ce sont...
Le juge : Vous avez parlé aussi de Neoton.
Zidane : Ce sont...
Le juge : Donc, vous n'avez pris que des vita-
mines ?
Zidane : Oui, que des vitamines. Oui.
Le juge : D'autres types de compléments. Vous
avez pris de la créatine ?
Zidane : Oui.
Le juge : Quelle quantité preniez-vous ?
Zidane : Comment... Deux à trois grammes.
Le juge : Et quand ?
Zidane : Une fois par semaine.
Le juge : Deux fois par semaine ?
Zidane : Une ou deux fois par semaine. Quand
il y avait beaucoup de matchs.
Le juge : Pour augmenter le fer ?
Zidane : Parce que j ' a i une...
Le juge : Thalassémie.
Zidane : Thalassémie, c'est ça.
Le juge : Quelques vitamines. Vous avez cepen-
dant déclaré en 1998 : "Parfois, cependant, au lieu
de perfusion, je fais des piqûres par intraveineuse.
Je crois que, dans les deux cas, on utilise le m ê m e
189
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produit, dont je ne connais par ailleurs pas le
nom." Selon vous, c'était toujours des vitamines ?
Zidane : Oui.
Le juge : Vous avez dit aussi que ces perfusions,
"on les faisait en général dans notre chambre
d'hôtel, parfois, aussi, dans les vestiaires".
Zidane : Je... Je les faisais toujours à l'hôtel.
Le juge : D i t e s - m o i , une autre phrase m'a
frappé, vous aviez déclaré, lors de votre audition :
"Les perfusions sont utiles, sinon, comment
ferions-nous autrement pour jouer soixante-dix
matchs pendant l'année ?"
Zidane : Oui.
Le juge : Cela veut dire quoi ?
Zidane : Rien, que nous avons besoin de vitami-
nes pour jouer soixante-dix matchs.
Le juge : Qui vous l'a dit ?
Zidane : C'est moi qui le dis.
Le juge : C'est vous qui le dites.
Zidane : Oui.
Le juge : Mais vous avez fait des études ?
Zidane : Non. »
Chargé par le tribunal de Turin de l'expertise
des analyses sanguines des joueurs de la Juve,
dont celles de Zidane, Giuseppe d'Onofrio', héma-
tologue, est aujoui'd'hui enseignant à Rome. I l se
souvient : « Ce qui était étrange dans toute cette
affaire, c'est qu'il n'y avait pas de dossiers médi-
caux des joueurs, seulement des résultats des ana-
lyses sanguines r é a l i s é e s par le club dans un
laboratoire privé italien. Pour Zidane, j'ai pu avoir
accès à ses examens réalisés entre 1996 à 1999,
soit au total une vingtaine. Les médecins de son
club en prescrivaient environ un tous les deux
190
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mois. I l a reconnu s'être fait des injections intra-
veineuses avant les matchs dans sa chambre
d'hôtel. Parmi les produits injectés, i l y avait de
l'Esafosfina et du Neoton. Zidane justifiait ses pri-
ses de vitamines par un déficit en fer dû à sa mala-
die. Le problème est qu'il n'a pas de carence en
fer selon ses examens médicaux. I l y a là une ano-
malie. Surtout, ceux qui ont une t h a l a s s é m i e ,
comme lui, ont trop de fer. Donc ce n'est pas une
explication valable. »
L ' h é m a t o l o g u e p o u r s u i t : « Le j u g e m ' a
d e m a n d é d'évaluer les changements dans le temps
de l'hémoglobine. Ses taux étaient les plus cons-
tants, la variation allait de 12,7 à 14, soit une dif-
férence d'un point environ : c'est plutôt normal.
Zidane faisait parfois un examen et le refaisait
une semaine après. Mais le vrai p r o b l è m e s'est
posé avec Didier Deschamps : son taux passait de
9 à 16. Inexplicable. Sauf pour des raisons de sur-
m é d i c a l i s a t i o n . Enfin, concernant le fait que
Zidane a avoué avoir pris 2 à 3 grammes de créa-
tine par semaine... tous les joueurs interrogés ont
fait la m ê m e déclaration. À l'époque, la prise de
c r é a t i n e é t a i t t o l é r é e j u s q u ' à 3 grammes par
semaine. » Surmédicalisation n'est pas dopage.
On touche là à une problématique générale concer-
nant le sport de haut niveau. Tous ces sportifs
n'ont pas dépassé la ligne jaune, mais les rythmes
qu'on leur infligeait contraignaient les staffs
médicaux à trouver des aides pour qu'ils puissent
tenir.
Pour Marie-Florence Grenier-Loustalot, une des
scientifiques les plus réputées dans le domaine, la
question du dopage dans le sport devrait être com-
plètement remise à plat. « Comment voulez-vous
que les sportifs tiennent un tel rythme ? L'expres-
191
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sion "marche ou crève" prend tout son sens pour
eux. La créatine, par exemple, a pour but de cica-
triser très rapidement une déchirure du muscle.
Certes, elle augmente la masse musculaire, mais
faut-il pourtant l'interdire ? », s'interroge-t-elle à
haute voix. Un autre scientifique abonde dans son
sens : Gérard Dine. On doit à ce biologiste spécia-
liste des questions de dopage l'invention du pas-
seport biologique, un outil de contrôle des sportifs
plus efficaces. I l a été cité comme expert lors du
procès de la Juve. « J'ai la sensation que la justice
a mis le doigt sur un dérapage généralisé. J'ai eu
accès aux dossiers biologiques de tous les joueurs
et un bon tiers était... curieux'. » La carrure d'un
rugbyman, le regard bleu, Gérard Dine a été l'un
des rares à s'interroger publiquement au lende-
main de la Coupe du monde 2006 et notamment
sur la finale France-Italie : « Ce qui me p a r a î t
incroyable, c'est q u ' à l'occasion de ce match sur-
réaliste tout le monde a évoqué toutes les théories
possibles et inimaginables sauf une influence médi-
camenteuse^ », s'étonne-t-il. De Sophia Antipolis,
Marie-Florence Grenier-Loustalot ne semble pas
avoir cette pudeur-là. « En regardant à la télévi-
sion Zidane asséner son coup de tête au joueur
italien, je me suis dit que c'était une réaction
qu'on pouvait avoir à un moment de grande fra-
gilité psychologique. Dans ces cas-là, on sait que
la cortisone ajoutée à un stress très fort rebooste
certaines personnes, qui semblent prêtes à explo-
ser. P e u t - ê t r e que son organisme en a fabri-
qué'' ? »
192
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Tout ce qui touche au dossier Zidane semble
sensible. Ainsi, à la question de savoir si le joueur
a été contrôlé à sa sortie du terrain, comme le pré-
voit le règlement de la FIFA, peu de personnes
sont capables de r é p o n d r e . Alain Garnier a eu
l'assurance que le test a bien été effectué'. Pour-
tant, de Lausanne où i l vit, Jiri Dvorak, médecin
et responsable des c o n t r ô l e s antidopage de la
FIFA lors du dernier mondial, reconnaît : « Nous
ne l'avons pas contrôlé. D'abord parce que je n'ai
pas vu son geste quand j'étais sur le terrain et puis
ce n'est pas une obligation réglementaire^. » Mais
d'autres joueurs expulsés pour un tacle trop vio-
lent ont-ils déjà été contrôlés lors d'une grande
c o m p é t i t i o n ? «Laissez-moi réfléchir... Ça peut
arriver, précise-t-il. Ronaldinho l'a été en quarts
de finale en Corée, après avoir été expulsé^. » Le
magicien de la Seleçao avait été sorti après avoir
écrasé la cheville d'un joueur anglais, Mills. Lors
de l'Euro 2008, Abidal a subi lui aussi un examen
après son expulsion contre... l'Italie.
L'omerta semble tenace. Alors que certains jour-
nalistes p r é s e n t s en Allemagne s'interrogeaient
sur l ' é n i g m a t i q u e disparition durant quelques
heures de Zidane, la veille du match France-Togo
qu'il ne disputera pas, mille et une rumeurs circu-
lent. En réalité, le joueur, un peu mal en point, a
d e m a n d é l'autorisation à Raymond Domenech de
pouvoir consulter ce que quelques-uns appellent
son gourou, à savoir Philippe Boixel. Ostéopathe
réputé, Philippe a fait partie de l'ancienne garde
rapprochée des Bleus de l'époque 1998, congédiée
193
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par Raymond Domenech. « Tu veux le voir ? Pas
de souci mais pas question qu'il vienne ici dans
notre hôtel'. » Dépêché à Cologne, Philippe Boixel
a rejoint en catimini Zidane pour une séance de
massage. L'effet bénéfique sera rapide. « Inégal
jusque-là et c h a m b r é par l'immense colonie espa-
gnole, le capitaine se m i t à la hauteur de l'événe-
ment en inscrivant le troisième but^ », r é s u m a
L'Équipe au lendemain du match. Dans un entre-
tien à L'Équipe Magazine de janvier 2008, Zidane
s'offxisquait d'un propos de Johnny Hallyday pré-
tendant aller en Italie pour se faire changer le
sang^ suivant les conseils de... Zidane. «À aucun
moment, je ne me suis rendu dans une clinique
avec Johnny. Jamais de ma vie ! Le seul truc que
je fais depuis douze ans maintenant, c'est de me
rendre à Merano chez Henri Chenot. C'est un
genre de spa amélioré. Une cure de soins qui per-
met d'éliminer les toxines du corps. Pendant une
semaine, tu es pris en charge nutritionnellement,
avec des massages. »
Comme tous ceux qui ont osé briser le tabou du
dopage dans le football, Giuseppe d'Onofrio a
payé un lourd tribut. Sitôt le procès terminé, i l n'a
plus jamais été convié aux r é u n i o n s médicales
organisées par la Fédération italienne de football.
Alain Garnier, quant à l u i , est aujourd'hui à
l'Agence mondiale antidopage - un doux placard -,
après avoir failli perdre sa place au ministère des
Sports. Enfin, l'entraîneur Zdenek Zeman, par qui
le scandale arriva, fut licencié de l'AS Roma avant
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d'enchaîner une série de CDD d'entraîneur d'équi-
pes itahennes de deuxième dirision. On ne s'attaque
pas impunément aux monstres du footbal]. La majo-
rité des joueurs cités dans ce scandale connurent,
tel Zidane, gloire et succès. Cinq ans après l'ouver-
ture du procès de la Juve, la Cour de cassation ita-
lienne a déclaré prescrits, en mars 2007, les faits
de fi-aude sportive reprochés au médecin Ricai-do
Agricola et à l'administrateur de la Juve Antonio
Giraudo.
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CINQUIÈME PARTIE
L'ASCENSION
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24
199
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sa mère juste derrière lui. On imagine les efforts de
Smaïl, ancien ouvrier dans le BTP, pour économi-
ser de quoi l u i offrir son tricycle. Chez les Zidane,
on ne roule pas sur l'or. Toute la petite tribu vit au
n u m é r o 7 de la place Tartane, dans un apparte-
ment exigu malgré ses cinq pièces. Zinedine par-
tage la chambre de son frère Madjid, qui a neuf ans
de plus que l u i . Madjid raconte la jeunesse de
Zinedine : « À côté de son l i t , i l avait un poster
d'Enzo Francescoli', moi, j'avais un coucher de
soleil. I l dormait souvent avec son ballon serré
contre lui, comme un doudou^. »
Dehors, sur l'esplanade faisant face à son
immeuble, Yazid joue au football avec ses potes,
Yvon, Malek, Doudou ou encore Jean-François.
Interdiction de s'aventurer au-delà de la boucherie
et du centre social"^ : sa mère veut pouvoir le sur-
veiller depuis la fenêtre de sa cuisine. Quand
Malika descend faire les courses, elle embarque
Yazid pour ne pas le laisser seul trop longtemps.
Chaque fois, la scène se termine par une crise de
larmes : l'enfant ne veut pas s'arrêter de jouer, i l
aime trop ça. Le foot, une passion, déjà. Ce souve-
nir trotte toujours dans la tête du joueur : « Si on
était nombreux dans les équipes, on allait sur le
béton de la place Tartane. Les pelouses ? On ne
savait pas ce que c'était. On mettait des pots pour
marquer les l i m i t e s . Les cages, c ' é t a i e n t des
cailloux, des habits, n'importe quoi. Tout ce que j'ai
appris dans le ballon, je l'ai appris là. Dans la rue,
avec mes potes. On cherchait toujours à inventer
une nouvelle feinte. Celui qui découvrait quelque
200
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chose devait le montrer à tous les autres. C'est le
football des rues'. » Avant les matchs importants,
Smaïl réunit les garçons dans la salle à manger et
leur prodigue des encouragements accompagnés
d'un chocolat au lait et d'un morceau de galette
kabyle.
Un jour, alors que Yazid a dix ans, toute la
famille se réunit dans le salon pour l'ouverture du
carton monumental qu'un livreur vient de déposer.
À l ' i n t é r i e u r : la p r e m i è r e télévision du foyer
Zidane. C'est sur ce grand poste en couleur que le
garçon découvre, avec excitation, les premiers pas
de l'équipe nationale algérienne lors de la Coupe
du monde en Espagne. Cet été 1982, l'Algérie se
retrouve au premier tour contre l'Allemagne, l'une
des plus grandes équipes de l'époque. Évidemment,
les Allemands partent ultra-favoris. Mais l'incroya-
ble se produit. L'Algérie bat l'Allemagne 2 buts à 1.
Des deux côtés de la Méditerranée, l'euphorie est
collective. Les gens descendent dans la rue. Chez
les Zidane, la fierté le dispute à la joie. C'est un jour
mémorable.
Dans sa cité marseillaise, Yazid ne s'adonne pas
qu'au football. Le mardi, son père l'emmène parfois
au centre social de la Castellane pour y faire du
judo, son deuxième sport préféré. L'école ? Le petit
Yaz n'aime pas trop. La seule chose à laquelle i l
pense n u i t et jour, c'est le ballon. I l d é c i d e r a
d'ailleurs d'arrêter le judo à 11 ans pour mieux se
consacrer à sa passion p r e m i è r e . Le plus beau
cadeau de son enfance est une paire de chaussures
de sport Kopa, avec crampons intégrés : il les chérit
au point de dormir avec ! Pour lui offrir ces baskets
de rêve à 450 francs la paire, Smaïl a économisé
201
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une a n n é e durant. Mais son petit dernier les
mérite : à neuf ans, celui-ci a déjà signé sa première
licence dans le club de son quartier, l'AS Foresta.
Le garçon porte désormais le brassard de capitaine
avec une fierté manifeste. Les cheveux impeccable-
ment coupés par son père, une fois par mois dans
la cuisine, i l se distingue avec une posture toujours
différente de celle de ses camarades. Quand ceux-
ci ont les bras ballants, les siens sont croisés sur sa
poitrine. Quand les autres gardent les mains dans
le dos, l u i les laisse le long du coi-ps. La fierté, déjà.
Zinedine a 12 ans quand i l participe pour la pre-
mière fois à l'Euro, en juillet 1984. I l est ramasseur
de balles lors du match France-Portugal, au Stade
Vélodrome de Marseille. Bien entendu, pas ques-
tion pour l'adolescent de fouler la pelouse. L'année
suivante, i l i n t è g r e les Sports olympiques de
Septèmes-les-Vallons. Le garçon revêt le fameux
maillot jaune et rouge de l'un des plus importants
clubs de la banlieue nord de Marseille. Pour se ren-
dre aux entraînements du stade Pierre-Bechnini,
les gamins s'entassent dans la vieille 104 grise de
M . Centenero, l'un des dirigeants. Sur le terrain,
le petit est bon. Excellent technicien, i l maîtrise
parfaitement les dribbles et le jeu de tête. Mais ce
n'est pas assez pour les responsables locaux.
D'ailleurs, ses coups d'éclat sont aussi fulgurants
qu'irréguliers. Plus grand que la moyenne, Yazid
manque de rapidité et de puissance. Bref, a priori,
rien ne le distingue des jeunes talents qui jouent
à ses côtés.
Le petit Yaz est d'ailleurs d'une timidité pres-
que maladive, dans la vie comme sur le terrain.
Alors, qu'a-t-il de plus que les autres, ce jeune
sportif un peu fluet, virtuose par intermittence ?
« I l a une personnalité plus forte que celle de la
202
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plupart de ses camarades' », remarquait à 1 époque
M . Centenero. Entendre : une passion dévorante
pour le foot et la volonté de réussir. Car la force de
cette graine de star consiste à connaître ses faibles-
ses. A 13 ans, i l pressent déjà qu'il l u i faudra
s'entraîner plus que les autres : innover, inventer
pour faire la différence et, un jour, susciter la pas-
sion de supporters en délire. C'est cette lucidité,
étrange pour un minot de son âge, qui l u i vaut
d'être bientôt distingué.
Nous sommes en 1988. Lors d'un match sans
grande importance à Aix-en-Provence, Zidane
enchaîne passe sur passe. Sur le bord du terrain,
Jean Varraud, le recruteur de l'AS Cannes, l'observe
en silence. « J'ai vu un gars... I l a des mains à la
place des pieds ! », d i r a - t - i l plus tard. Sur le
moment, pourtant, le responsable du club ne se
manifeste pas. Varraud revient le 11 janvier à
Saint-Raphaël. Encore une fois, i l se tient près du
banc de touche, silencieux. Cette fois-ci, i l a
e m m e n é avec lui Gilles Rampillon, le président du
club cannois. Sur le gazon, le jeune Marseillais sait
qu'on le regarde. I l tente un petit pont près de sa
surface de réparation et marque un but... contre
son propre camp. Q u ' i m p o r t e : cette audace
conquiert le sélectionneur, qui le veut à Cannes, en
stage d'entraînement pour une semaine. Bingo :
l'essai est concluant. L'AS Cannes propose officiel-
lement à sa recrue d'intégrer l'équipe.
« Monsieur Rampillon, Pensez-vous qu'il peut
devenir footballeur professionnel ? » interroge
Smaïl Zidane. Pour le père, qui a déjà refusé une
telle opportunité à Noureddine, le grand frère de
Zinedine, quelques années auparavant, la décision
203
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est grave. Signer à l'AS Cannes pour son fils est un
choix lourd de conséquences. D'abord, i l va falloir
le laisser partir seul, l u i qui a à peine 15 ans, pour
vivre dans une ville à deux heures de train du domi-
cile familial. Cela veut dire aussi arrêter l'école en
vue d'une hypothétique carrière de sportif de haut
niveau. Sans filet de sécurité. Pour cet ouvrier qui
a tout sacrifié afin d'offrir à sa famille une vie
meilleure en France, i l faut donc renoncer à l'espoir
d'une certaine promotion sociale, celle d'un fils qui
aurait pu devenir avocat ou médecin, qui sait ?
Toute la famille étudie la proposition. Après plu-
sieurs semaines de réflexion, Smaïl et Malika rap-
pellent Rampillon. C'est d'accord, mais à une
condition : leur petit Yazid devra être hébergé dans
une famille d'accueil. Pas question qu'il soit livré à
lui-même dans un centre d'entraînement imper-
sonnel, loin des siens. Le 13 juillet 1988, le futur
champion prend un aller simple en direction de
Cannes. Son père Smaïl l'accompagne, sans se dou-
ter qu'il conduit son fils vers un destin exception-
nel.
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joueur. Nicole, la maman, garde également un bon
souvenir de ce gamin serxdable qui ne rechignait
jamais à débarrasser la table. Même si des années
plus tard, elle confiera son immense regret : Zidane
ne l'a jamais invitée à assister à un match de foot-
ball. Une blessure qu'elle conserve, aujourd'hui
encore.
Cette ambiance familiale n ' e m p ê c h e pourtant
pas les grands moments de solitude. Coupé de ses
amis de la place Tartane, séparé de ses frères et
de sa sœur, Yazid passe des heures pendu au télé-
phone avec ses parents, dans la cabine qui fait
l'angle de la rue, pas très loin du terrain de pétan-
que. « Vous venez bien samedi, hein ? » leur
demande-t-il r é g u l i è r e m e n t . Par souci d'écono-
mie (le billet de train coûte cher), Zinedine ne
retrouve les siens qu'un week-end sur trois. La
plupart du temps, c'est l u i qui les rejoint à Mar-
seille, généralement en fin de semaine, profitant
de rencontres amicales disputées par son club ou
de quelques permissions. Mais jamais i l ne
s ' é p a n c h e sur sa solitude. Pas plus q u ' i l ne
raconte ses nuits passées à pleurer en silence sur
son oreiller. Ses parents l'apprendront lors d'une
interview qu'il donnera quinze ans plus tard. À
aucun moment ils n'avaient s o u p ç o n n é un tel
désarroi.
La seule chose qui fait tenir Zidane, c'est le foot-
ball. Le rêve d'une carrière de haut niveau qui l u i
permettrait peut-être d'approcher cette galaxie de
stars qui arrivent du monde entier au moment du
festival de c i n é m a . Le petit Yazid, qui adore
Madonna, découvre les marches au tapis rouge et
assiste, derrière les barrières, à leur célèbre mon-
tée, plusieurs soirs de suite. S'il avait su que, vingt
ans plus tard, le film dont i l serait le héros, Zidane,
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un portrait du xxf siècle, serait projeté lors du fes-
tival... Luxe s u p r ê m e , ce jour-là, i l i^efusera de
monter les marches, préférant se concentrer sur la
Coupe du monde. À l'époque, i l tient bon. Et sa per-
sévérance se révèle payante. En 1988, Zidane est
sélectionné pour faire partie de l'équipe de France
des cadets lors du Championnat d'Europe. Comble
de bonheur, son club accède à la D l : la première
division, celle qui dispute le Championnat de
France. Le junior stagiaire, qui arbore avec plaisir
le maillot rouge et blanc, peut enfin approcher de
grands joueurs, comme Bruno Bellone, l'homme
qui marqua le deuxième but de la finale de l'Euro
1984. « Quand je suis entré au centre de formation
de Cannes, j'ai commencé à côtoyer des profession-
nels, à leur serrer la main tous les matins, j'ai pensé
que je deviendrais peut-être footballeur profession-
nel. Je me suis dit : "Pourquoi pas moi un jour ?"
I l me semblait que si je travaillais, si j'étais sérieux,
j'avais une chance. Les entraîneurs me faisaient
confiance'. »
Pour l'instant, le rêve patine. Certes, Zidane pro-
gresse de façon remarquable au fil des mois. Mais
pas au point d'intéresser les sélectionneurs, qui le
jugent encore trop irrégulier. La fin de la saison
se profile et, avec elle, la promesse d'un nouveau
départ. Yazid a 16 ans, il est temps pour l u i de
quitter la famille Elineau. Le jour du départ, Nicole
et Jean-Claude ont les larmes aux yeux. Pour
Yazid, c'est à la fois un déchirement et l'entrée
dans le monde des adultes. Ses valises sont bou-
clées en moins d'une heure. I l part s'installer au
foyer des jeunes travailleurs de Provence, où
vivent les stagiaires de l'AS Cannes.
1. Ibid.
207
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Le foyer est situé au 5, rue Mimont. I l s'agit d'une
immense résidence de cent quatre-vingts cham-
bres. Compter 460 francs par mois pour les studios
individuels. Pour ce prix, i l y a une cafétéria, une
salle de spectacles, une salle de danse et un grand
j a r d i n . Zidane occupe la n° 207. G e n e v i è v e
M o r i n ' , directrice du foyer cannois de la rue
Mimont, se souvient de Zizou, cet adolescent qui
jouait souvent au foot avec l'un de ses jeunes fils :
« I l a passé près de quatre ans chez nous. C'était
un garçon très discret. Jamais de bruit n i de cha-
hut. Son p è r e l u i rendait visite r é g u l i è r e m e n t
mais ce n'était pas quelqu'un qui aimait attirer
l'attention sur l u i . » Malika, sa mère, vient sou-
vent. Elle apporte chaque fois son r é c h a u d et de
la semoule p o u r l u i p r é p a r e r cette fameuse
galette kabyle qu'il aime tant. Pour être sûre que
« le fils », comme elle l'appelle en public, ne file
pas un mauvais coton, elle se met dans la poche
le gardien du foyer et la femme de m é n a g e de
l'étage. À ses heures de solitude, le jeune joueur
découvre enfin la ville. Finis, les quartiers nord
de Marseille et les petits villages de la banlieue
cannoise. Vive la Croisette et ses quartiers chics !
Terminés aussi, les repas familiaux à la table de
la salle à manger. À midi, le déjeuner a lieu dans
le réfectoire du collège des Mîiriers, près du stade
Pierre-de-Coubertin.
Les journées d'entraînement débutent à 9 heu-
res et finissent généralement à 18 heures. Pour le
dîner, la vingtaine d'aspirants footballeurs qui
vivent avec l u i rue Mimont se retrouvent dans la
cafét' du bâtiment, ou parfois dans la petite piz-
zeria du quartier. Comme tous les m i n e u r s .
208
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Zinedine est tenu de rentrer à 22 h 30. Avec le
temps, i l se lie d'amitié avec certains de ses coé-
quipiers : Lionel Firly, Nordine Mouka... mais ce
sont plus des collègues que des amis. Compéti-
teurs dans l'âme, les footballeurs ont du mal à
nouer des relations désintéressées. De fait, ces jeu-
nes stagiaires sont des rivaux. I c i , comme dans
tous les autres clubs, les dirigeants sportifs en
sélectionneront une poignée au terme des deux
ans de formation. Les autres verront leur rêve de
carrière professionnelle s'arrêter net. Voilà pour-
quoi ces nouveaux copains ne remplaceront
jamais Yvon, Malek ou Jean-François, les potes de
la place Tartane.
P a r a l l è l e m e n t aux e n t r a î n e m e n t s , i l l u i faut
poursuivre ses études. Durant les deux premières
années, le jeune Zidane est inscrit en CAP. Comme
tous ses camarades de l'AS Cannes, i l est scolarisé
au Centre de formation d'apprentis situé boule-
vard d'Alsace. Toujours assis au fond de la classe,
le futur champion attend la fin des cours avec
impatience. Comme tous les élèves en section
sportive, i l préférerait taper dans un ballon que
noircir un cahier. Démotivée par l'inertie de ses
élèves, la professeur de biologie refuse un jour de
faire la classe'. B i e n t ô t , Zinedine, si r é s e r v é
d'habitude, devient turbulent. Sur ses bulletins
solaires, les professeurs notent « a t t i t u d e à
revoir », « bavard », « peu de travail sérieux^ ». En
fait, l'école l'ennuie profondément.
En réalité, le futur champion du monde n'a
qu'une obsession : s ' e n t r a î n e r . L'histoire offi-
cielle veut que le sérieux Yazid passe alors son
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temps à s'exercer pour améliorer sa reprise de
volée en tapant des heures durant sur le ballon,
refusant d'aller au c i n é m a avec ses camarades,
boudant les virées en boîte de nuit et les rendez-
vous galants. Mais « ça fait partie de la légende »,
rigole aujourd'hui son ancien e n t r a î n e u r Guy
Lacombe : « I l est vrai qu'il travaillait beaucoup.
I l était le plus jeune de son groupe de D4 et devait
prouver aux autres qu'il était aussi bon qu'eux.
Mais je peux vous dire que c'était un adolescent
c o m m e les autres... » E n r é a l i t é , à 14 ans,
l'ancien gamin de la Castellane se passionne pour
une jeune fille. Cette réalité n ' a p p a r a î t r a jamais
dans la saga du champion. Sa rencontre avec
Véronique, trois ans plus tard, ne laisse pas de
place à son passé.
Sur le terrain, Zidane a déjà pris l'habitude de
s'agiter plus que de raison. Lors d'un match contre
Montpellier, i l est expulsé pour un coup asséné à
un adversaire. La sanction, implacable, ne se fait
pas attendre : interdiction de participer à toute
compétition durant trois semaines. Pour le dis-
suader de recommencer, son e n t r a î n e u r Guy
Lacombe invente la coi'vée des vestiaires : durant
son repos forcé, le joueur fautif est chargé de les
nettoyer de fond en comble. Une punition humi-
liante pour l'orgueilleux Yazid. Bien loin de le
ramener à plus de sang-froid sur le terrain, elle va
au contraire le conforter dans ses certitudes. Pour
le minot de la Castellane, ne pas i-endre coup pour
coup équivaut à faire la mauviette. Et rien ne le
fera jamais changer d'avis. « Yaz' ne s'est jamais
résigné à se laisser faire, analyse Guy Lacombe.
Le foot, i l l'a appris dans les quartiers nord. On
ne peut pas comprendre le personnage si l'on ne
sait pas ce qu'est le football des rues. Si vous ne
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répondez pas à une insulte, vous êtes mort, vous
êtes une femmelette. Le génie de Zidane, c'est ce
mélange de foot populaire et professionnel. Le
plus drôle quand on connaît sa carrière, c'est qu'il
n'aimait pas les jeux de tête, lors des entraîne-
ments du jeudi ! I l p r é f é r a i t jouer la balle au
pied... Alors, c'est vrai que sa réputation de ner-
veux sur le terrain a vite fait le tour dans le milieu.
Après, ses adversaires essaieront toujours de le
provoquer'. » Prémonitoire.
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et se voit octroyer un salaire de 50 000 francs. Le
reste correspond à l'achat de deux autres joueurs.
En j u i n 1992, le jeune Marseillais n'a donc pas
20 ans quand i l fait ses d é b u t s aux Girondins.
L ' é c r i v a i n et j o u r n a l i s t e Pierre-Louis Basse
raconte sa p r e m i è r e r e n c o n t r e : « E u r o p e 1
m'avait envoyé sur place pour couvrir un match.
Là, je vois un type au jeu extraordinaire. I l volait
littéralement. Je me souviens de m'être approché
de lui à la fin de la rencontre et de l u i avoir dit :
"Ne change surtout pas. Tu seras le meilleur
joueur du monde." I l avait l'air tellement gêné par
ce compliment, qui était un cri du cœur. I l m'a
répondu, d'une voix inaudible, les joues rouges :
" M e r c i monsieur." Je m'en souviens encore
aujourd'hui'. »
En attendant, la transition est difficile pour le
Marseillais, qui a bien du mal à trouver ses mar-
ques. Son salaire a beau avoir été multiplié par cin-
quante, le petit dernier de la famille Zidane se sent
très seul parmi les autres joueurs. « À Cannes,
j'étais entouré. À Bordeaux, c'était plus profession-
nel. Tout était plus dur parce qu'il fallait gagner sa
place. La p r e m i è r e année a été très difficile. Je
n'aimais pas du tout Bordeaux, je restais seul dans
mon coin^. » Zidane se referme sur lui-même. Lui
qui déteste l'inconnu est désorienté par cette ville
bourgeoise et orgueilleuse, oià tout ce qui vient de
l'autre rive de la Gironde est considéré comme
étranger. Le soleil de la Méditerranée l u i manque.
L'ambiance de ses années cannoises aussi. Son
humeur s'en ressent. Son jeu également. Physique-
ment, i l est épuisé par la saison précédente, qu'il a
214
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dû mener de front avec son service militaire à
Joimdlle-le-Pont, en banlieue parisienne. Pour la pre-
mière fois, i l comprend qu'il devra prouver, encore
et encore, sa capacité à être le meilleur. Roland
Gourbis l'aime bien. « C'est un Marseillais comme
moi, alors c'est vrai, j'avais un petit faible pour
lui », raconte d'ailleurs l'ancien e n t r a î n e u r des
Girondins. Pourtant, i l ne mise pas d'emblée sur
lui, préférant le ménager. Le voilà obligé de ronger
son frein sur le banc de touche. Et Yazid déteste
ça. I l l u i faudra patienter de longs mois pour
s'imposer au sein de l'équipe, réussir à se faire un
nom, ou plutôt un surnom.
C'est en entendant le j o u e u r J e a n - F r a n ç o i s
Daniel crier « Ziz » et « où » pour parler du ballon
que Roland Courbis accole les deux mots pour en
faire « Zizou ». Zizou, déjà, fait des siennes sur le
t e r r a i n . Lors d'un match d i s p u t é en septem-
bre 1993 contre Marseille, autrefois son équipe
fétiche, Zidane d é m o n t r e que les leçons de Guy
Lacombe n'ont servi à rien. Insulté par Marcel
Desailly, son futur coéquipier en équipe de France,
le défenseur profite d'un corner pour l u i décocher
un coup de poing au visage. Résultat : un œil au
beurre noir et deux points de suture à l'arcade sour-
cihère pour Desailly, un carton rouge pour Zidane.
« J'ai pété les plombs et je le regrette. J'ai été
insulté, chambré, et j'ai mal réagi en le fi-appant.
C'est le métier qui rentre. Je prends tout pour
moi », s'excuse-t-il ensuite. Des a n n é e s durant,
Desailly gardera gravé dans sa tête ce m é c h a n t
coup de poing en pleine figure. Pas rancunier,
pourtant, i l confiera à L'Équipe en 2006 : « La
m a t u r i t é aidant, Zidane est devenu moins ner-
veux. » Chacun a pu le constater lors de la Coupe
du monde cette année-là.
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Au sein de l'équipe, l'ambiance se détend pro-
gressivement. Notamment grâce au jovial Christophe
Dugarry, son coéquipier, u n Bordelais d'origine
qui évolue au sein des Girondins depuis quatre
ans déjà. Au début, le courant ne passe pas entre
le Marseillais taiseux et l'Aquitain extraverti, beau
garçon, séducteur et s û r de l u i . Pendant presque
un an, les deux hommes se regardent en chiens
de faïence, jaugeant mutuellement leurs qualités
sur le terrain. Mais « Duga » est un garçon enjoué
qui ne peut pas s'empêcher de faire des blagues
avec tout le monde. Pour r i g o l e r , i l appelle
Zinedine « Mohammed ». À force de vannes, i l finit
par dérider Zidane et devient son ami, le premier
de sa carrière de joueur. Avec leur collègue bas-
que Bixente Lizarazu, l u i aussi au club de Bor-
deaux depuis 1987, ils forment bientôt u n trio
d'inséparables.
Avec ses nouveaux camarades, Yazid se révèle
enfin. Pierre-Louis Basse, le journaliste d'Europe
1 qui avait prédit qu'il serait le meilleur joueur
du monde, a eu le nez creux. Irrégulier certes, le
f o o t b a l l e u r se distingue n é a n m o i n s par des
moments de génie. Coups francs sublimes, buts
exceptionnels et passes décisives l u i valent déjà
le surnom de « Zidane l'artiste ». C'est à ce
moment-là, à Bordeaux, que le joueur gagne sa
place en sélection nationale. À sa m a n i è r e : en
marquant les esprits. Le 17 août 1994, au parc
Lescure, à Bordeaux, pour son premier match en
équipe nationale, alors qu'il remplace Corentin
Martins à la soixante-troisième minute et que les
Bleus sont d o m i n é s deux buts à zéro, i l marque
à deux reprises, pour la p r e m i è r e fois de sa car-
rière. Inoubliable. Zidane montre qu'il peut se
transformer en véritable virtuose. Le sélection-
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neur des Bleus de l'époque, Aimé Jacquet, est
conquis : « Ce jour-là, ce fut un choc pour moi.
Je me suis dit : il y a quelque chose de grand chez
lui. (...) Zidane fait partie des gens qui, sans s'en
rendre compte, propulsent tout, bousculent tout.
Je pense que c'est une chance d'avoir, au sein de
l'équipe de France, ce p h é n o m è n e . Zidane est un
p h é n o m è n e , voire un extraterrestre'. » Dans les
gradins, la femme du joueur, V é r o n i q u e , ses
parents, Smaïl et Malika, applaudissent à tout
r o m p r e pendant plusieurs m i n u t e s . Yaz, le
« petit », joue enfin dans la cour des grands. La
magie Zidane : tout donner aux gens qu'il aime
quand ceux-ci sont p r é s e n t s et le couvent du
regard. A ces moments-là, i l offre le meilleur et
réalise l'incroyable.
Sur le terrain, Zidane brille. Le 19 mars 1996,
devant un stade Lescure e n f l a m m é par 32 500
spectateurs, le club girondin dispute un quart de
finale de la coupe de l'UEFA, en match retour
contre le prestigieux M i l a n AC de l ' h o m m e
d'affaires Silvio Berlusconi, d é t e n t e u r de multi-
ples t r o p h é e s dont celui de la Ligue des cham-
pions. Personne ne parie un kopeck sur la petite
é q u i p e bordelaise. Les Milanais alignent des
pointures du foot comme Paolo Maldini, Roberto
Baggio, George Weah ou... Marcel Desailly' ! Les
d é b u t a n t s que s o n t C h r i s t o p h e D u g a r r y ,
Zinedine Zidane ou Bixente Lizarazu ne sont pas
pris au sérieux par les Italiens. Et pourtant... dès
la q u a t o r z i è m e minute, Lizarazu effectue une
passe décisive en direction de Didier Tholot qui
ouvre le score. Le meilleur reste à venir. « Duga »,
galvanisé par ce d é b u t de rencontre flamboyant.
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offre un deuxième but aux Girondins sur un ser-
vice de Zidane. Dans le public, c'est l'euphorie
des grands soirs. I l n'en faut pas plus pour qu'à
peine six minutes plus tard le m ê m e duo marque
un t r o i s i è m e but. Incroyable. Miraculeux. Les
Milanais n'ont pas reçu une telle correction (3-0)
depuis 1978. Avec ce doublé, Dugarry et Zidane
font leur entrée dans la cour des grands. Ce que
Zidane ignore, c'est que Marcello L i p p i ' , l'entraî-
neur de la plus grande équipe du monde, la Juve,
est assis dans les gradins. Et regarde fasciné le
jeune Zidane.
Fous de joie, les deux c o m p è r e s veulent signer
à Bordeaux « à la vie à la mort ». Entendre pour
toujours. Ensemble, ils vont trouver Alain Afflelou,
le président du club. L'homme d'affaires, origi-
naire d'Algérie, qui les reçoit dans son bureau, se
voit proposer le m a r c h é suivant : « P r é s i d e n t ,
vous nous donnez un salaire de 500 000 francs
par mois [NDLR : soit le triple de leurs salaires
de l'époque], et on est Girondins à vie. » L'exi-
gence est exorbitante. « Je n'avais pas, n i aucun
club français d'ailleurs, les moyens de les r é m u -
n é r e r à ce tarif-là, précise le r o i des lunettes bon
m a r c h é . Bien s û r que j'aurais souhaité les gar-
der... Mais au fond, Zinedine rêvait de p a r t i r
sous de nouveaux cieux. La France é t a i t trop
petite pour l u i ' . » En effet, le petit Yazid, jugé
quelques années plus tôt trop « fragile physique-
ment », est d é s o r m a i s courtisé par Barcelone et
Milan ! La discrète Bordeaux n'a pas les moyens
de retenir la star. À la fin de la saison, Dugarry
part pour l'Italie jouer sous les couleurs du Milan
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AC. Après un sévère accident d'autoroute survenu
l'été 1996, Zidane s'exile lui aussi de l'autre côté
des Alpes en signant avec la Juventus de Turin,
l'un des cinq clubs les plus puissants du monde.
Il a 24 ans. La légende de Zizou commence vrai-
ment.
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SIXIÈME PARTIE
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se c ô t o i e n t les m e i l l e u r s joueurs du monde
(Alessandro de! Piero, Christian Vieri, Roberto
Baggio...), le Français est un Petit Chose qui va devoir
faire ses preuves. « Je suis content de jouer pour la
Juve. J'aimerais aussi y laisser mon empreinte. Je
crois que c'est vraiment une grande expérience,
m ê m e si, parfois, je ne le vis pas très bien, mais
c'est mon choix' », confie-t-il à la presse à l'époque.
Si Zidane n'est pas parfaitement à l'aise, c'est que
ses premières passes comme milieu de terrain turi-
nois sur le Stadio délie Alpi sont tellement calami-
teuses q u ' A g n e l l i , c o u t u m i e r des remarques
cinglantes, n'hésite pas à balancer : « C'est l u i que
j'ai payé si cher ? » Un jour, i l confie m ê m e à un
proche : « E s p é r o n s qu'il ne sera pas "ce truc"
qu'on a vu pendant l'Euro 96. » Durant le cham-
pionnat européen, Zidane n'avait en effet pas fait
de merveilles.
Heureusement, i l retrouve à la Juve Didier
Deschamps. Ce dernier n'est pas de trop pour lui
remonter le moral. « Didier a joué un rôle capital
les premiers temps^ », explique Paolo Forcoline,
journaliste à la Gazzetta Dello Sport. Installé dans
un fauteuil du salon de l'hôtel Best Western de
Turin, l'homme au blouson en cuir sans manches,
qui tranche avec son crâne dégarni, connaît tous
les joueurs de la Juve et a bien connu Zidane :
« Quand i l est an-ivé, nous étions curieux de le voir
mais pas particulièrement excités. On ne le connais-
sait pas vraiment et i l arrivait d'un petit club fran-
çais. Didier nous disait : "Vous verrez, i l est
incroyable." I l s'occupait de l u i . L'emmenait et le
ramenait de l'entraînement. I l l u i a fait découvrir
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notre ville. Les tifosi accordent au Calcio, le cham-
p i o n n a t i t a l i e n , une a t t e n t i o n d é m e s u r é e : à
l'exception de la Coupe du monde, aucune autre
compétition n'existe à leurs yeux. Si vous n'êtes pas
un génie sur le terrain, vous n'existez pas. I c i ,
Zidane n'est q u ' u n j o u e u r comme u n autre.
D'ailleurs, les supporters italiens ne l'appellent pas
Zizou, mais "il Francese", le Français. »
Un peu dépaysé dans cette ville à l'aristocratie
provinciale où les grandes familles se retrouvent
autour d'une tasse de chocolat chaud dans des
salons de thé cossus, Zidane a besoin de compagnie
et de soutien. I l fait venir son ami Malek Kourane
pour aider son couple à s'installer. Ce Marseillais
de 36 ans fait, encore aujourd'hui, partie des rares
intimes de Zizou. Comme l u i , Malek, s u r n o m m é
Diego (Maradona) à cause de ses longs cheveux,
vient de la Castellane, où les deux minots se sont
rencontrés à l'âge de 10 ans. Zizou habitait au 7 de
la rue Tartane, Malek au 5. C'est lui qui attendait
Zizou à la fin des matchs pour rentrer à la maison.
Ensemble, ils partaient à la plage en famille. Son
copain a beau avoir gravi tous les échelons de la
planète foot, jusqu'à atteindre des sommets, Malek
reste à ses côtés. A Turin, Malek fait les courses,
accompagne Zidane et garde le petit Enzo, qui a
tout juste deux ans. « Malek était plus doué que
Zidane pour les langues, raconte un ancien joueur,
il a appris plus vite l'italien'. » Peu à peu, la vie quo-
tidienne s'organise dans la maison que le couple a
achetée, au 364 de la Strada San Vito Revigliasco,
sur les hauteurs de la ville. Les Zidane ont pour voi-
sins r « av\'ocato », alias Agnelli, et le joueur Del
Piero. Isolé dans ce Neuilly turinois, où d'immen-
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ses portails en métal cachent derrière leurs grilles
de sublimes villas, perchées au-dessus d'un des
innombrables parcs de la r é g i o n , le F r a n ç a i s
découvre Turin.
Sitôt arrivé, le champion s'offre trois voitures : une
Fiat, sponsor oblige, pour se rendre au club, une
Mercedes pour les joies familiales et une Porsche
Carrera noire, un rêve de gosse. Voilà de quoi com-
penser les sacrifices qu'exige cette équipe hors du
commun. La devise du club - « Mourir mais finir » -
annonce la couleur. Les entraînements sont féroces.
C'est d'autant plus difficile pour Zidane qu'il se remet
à peine d'un grave accident de voiture qui a failli lui
coûter la vie en 1996 en i-entrant d'un match. Trop
maigre au goût des dirigeants, i l subit des séances de
préparation physique dignes des GI américains. Son
« bourreau » s'appelle Gianpiero Ventrone'. Le
coach de la Juve l'emmène à Chatillon, une petite
ville du Val d'Aoste, dans les Alpes italiennes, où se
trouve le centre de mise en forme du club. L'altitude
renforce encore la difficulté de la cure.
À 47 ans, le « Marines », comme l'appellent les
Italiens, qui habite aujourd'hui à Naples, est inta-
rissable quand on l u i souffle le nom de Zidane :
« Quand i l est arrivé à la Juve, techniquement je ne
trouve pas de mot pour qualifier son talent. Mais
physiquement, mamma mia, i l n'était pas aussi fort
qu'il aurait dû l'être^. » Le temps de reprendre sa
respiration, Ventrone poursuit : « Ce n'était pas un
sujet très rapide, n i très grand. Mais Zizou appar-
tient à cette catégorie de joueurs qui réussissent
grâce à leur "extraordinaire éducation^". » La voix
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teintée par la nostalgie, l'entraîneur à la retraite fait
remonter ses vieux souvenirs : « Le premier jour de
stage en altitude, Zidane a été effrayé en voyant la
salle de musculation qui fait 1 000 mètres carrés. I l
m'a d e m a n d é : " I l paraît que l'entraînement est dur
chez vous ?" Je sais qu'il a eu très peur. Les débuts
ont vraiment été féroces. I l s'en est sorti grâce à
la solidarité des autres joueurs tels Ciro Ferrara,
Alessandro Del Piero et l'Argentin Paolo Montero.
Ils l u i ont d o n n é un vrai coup de main. Tous
savaient que s'il parvenait à résister à cet horrible
entraînement, i l irait loin, très loin. La comparai-
son et la référence permanente à Platini ont été for-
tes et constantes'. »
Inlassablement, Ventrone fait travailler Zidane,
comme on entraîne un champion encore un peu
timide, comme on pousse un enfant qui ne veut pas
se jeter à l'eau. I l passe des heures à l u i répéter,
armé d'un porte-voix : « Vai, Vai » (« vas-y, vas-y »)
en lui faisant enchaîner des milliers de pompes, dès
potron-minet. Jusqu'au bout de l ' é p u i s e m e n t ,
jusqu'aux limites physiques de sa recrue. I l n'est
d'ailleurs pas rare que Zidane, exténué par les
enchaînements sans pause de musculation et de
marathon, les tripes retournées par l'effoi't, finisse
la séance en vomissant. Ce traitement dure plus
d'un mois. Mais le champion assume : « J'ai gagné
mes premiers titres avec la Juve. Or, ce que veut un
joueur de foot, c'est avoir des titres. La Juventus
est selon moi l'un des meilleurs clubs au monde^. »
Quelques années plus tai-d et des muscles en
plus, le n u m é r o 10 dira de ces années italiennes
qu'elles furent « impitoyables ». Un autre homme
Ï.Ibid.
2. Ibid.
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dévoile les difficultés des débuts : Marcello Lippi'.
Le regard bleu azur, la voix chaleureuse, celui que
l'on nomme Paul Newman à cause de sa ressem-
blance avec l'acteur américain veut bien nous par-
ler de « Z i z o u ». L ' e x - e n t r a î n e u r de l ' é q u i p e
nationale italienne, qui remporta la Coupe du
monde 2006, n'a d'yeux que pour le joueur français
qu'il connut à la Juve : « Quand tout ne fonction-
nait pas bien au début, je regardais le comporte-
ment de Zizou et sa façon de jouer. I l m'était
impossible de ne pas avoir envie de l'aider. Lors des
transferts, i l était très déstabilisé, ce qui est nor-
mal : on change de pays, on change de langue, on
change de club, on change de mentalité. Zidane
s'inquiétait, et moi je l u i disais toujours : "Sois
tranquille, ne t'inquiète pas, ça va aller, tu as besoin
de quelques mois pour t'acclimater mais ça va aller.
Tu ne joues pas encore ton plein niveau mais ça
viendra." Mais, m ê m e si je savais que c'était un
grand, entre les cris de ses petits enfants et le bruit
des vagues, personne à l'époque n'aurait pu prédire
la carrière qui allait être la sienne^. »
Pour que les critiques cessent, Zidane doit atten-
dre le match de la coupe intercontinentale contre
River Plate, une équipe argentine, à Tokyo. Ce jour
de décembre 1996, i l marque l'unique but turinois
et offre à son équipe une belle victoire. Mais le
magicien a encore un peu de mal à déployer son
talent. Paolo Forcoline, de la Gazetta Dello Sport,
analyse : « Qn lui disait : "Ma, Zizou, pourquoi tu
restes au milieu du terrain ? Pourquoi t u n'es pas
plus offensif ?" Quand i l marquait, i l restait
calme... Pas habituel en Italie : nous, on aime
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quand les joueurs courent autour du stade et sou-
l è v e n t leur m a i l l o t en c r i a n t . L u i , i l restait
sobre. Trop peut-être'. » En janvier 1997, la Juve
aplatit Parme. Pendant ce match, â p r e , deux
joueurs, Enrico Chiesa et Zidane, sont expulsés
parce qu'ils en sont venus aux mains. Pour ce
deuxième carton rouge italien, le Français présente
ses excuses aux tifosi furieux. Mais son étoile com-
mence vraiment à briller. Et voilà la demi-finale de
la Ligue des champions, contre l'Ajax, le 23 avril
1997. À la q u a t r e - v i n g t i è m e minute du match,
Zidane, à 5 mètres du goal néerlandais, effectue
une sublime feinte qui trompe trois joueurs. I l mar-
que ensuite l'un des buts les plus impressionnants
de sa carrière. La Juve gagne par 4-1.
Dans le stade la foule, debout, explose de joie.
« Bravooooooooooooooooo, Forza Zidaneeeeeeeeeee »,
hurlent les tifosi. Zidane est enfin réputé l'un des
plus grands joueurs du monde. Le 8 mai, l'équipe
turinoise est, certes, défaite en finale contre le
Borussia-Dortmund, mais, une nouvelle fois,
Zinedine a régalé l'Italie de son toucher de balle et
de sa « spéciale », la roulette.
Couvé par l'entraîneur Marcello Lippi, qui excu-
sera toujours son impulsivité sur le terrain, Zizou
devient une star. Même Michel Platini le pense : « I l
était le roi des fondamentaux. I l n'y avait personne
d'autre qui pouvait contrôler, amortir un ballon
aussi bien que lui. I l avait des bases exceptionnel-
les^. » En 1998, la Juve remporte un nouveau
Scudetto grâce à un match d'anthologie face à
Bologne (3-2) : pour la deuxième fois, Zizou est
champion d'Italie.
229
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Son jeu est de plus en plus beau : ses gestes fas-
cinent les spectateurs mais sa sobriété, son manque
de tonicité sur le terrain frustrent de nombreux
fans. Paolo Forcoline s'en souvient : « Un jour j ' a i
dit à Edgar Davids, son coéquipier hollandais : "Tu
veux pas l u i prêter tes couilles... ?" I l m'a répondu
en rigolant : "Non merci, je les garde'." » Au pays
du football paillettes, où les joueurs épousent des
chanteuses et des stars du petit écran, des Veline -,
comme on les appelle en Italie - les starlettes aux
formes explosives, Zidane fait figure de garçon
sage. Un proche de la Juve raconte : « Certes, i l
était ami avec son coéquipier, le beau Christian
Vieri, le joueur qui possède les clefs des boîtes de
nuit italiennes et aime tant accrocher les petites
culottes de ses conquêtes dans les vestiaires du
club. Mais si on demandait à Zidane de sortir boire
un verre ou d'aller dîner, i l nous disait toujours la
m ê m e chose. "Je dois d'abord appeler Véronique,
ma femme^." »
Après j u i l l e t 1998, lorsqu'il revient à T u r i n
auréolé du titre de champion du monde, Zizou ne
change pas grand-chose à ses habitudes. À la diffé-
rence des autres pères de l'équipe italienne, le foot-
balleur français continue d'aller chercher son fils
Enzo à la sortie de l'école, comme n'importe quel
parent d'élève. Le couple déménage tout de même,
mais parce que Véronique se sent trop isolée, là-
haut, loin du centre ville et de ses belles avenues.
Via Roma et ses boutiques de luxe lui semblaient
trop éloignées... Les Zidane choisissent un grand
appartement de la Via Carlo Alberto, située dans
un vieux q u a r t i e r de T u r i n , p r è s de la gare.
230
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L'immeuble, avec sa façade ocre plantée de balcons
travaillés, typique du style viennois, porte le nom
de Palazzo Carlo Alberto. Le 250 mètres carrés de
la famille se situe au dernier étage. À l'intérieur, le
plafond semble tutoyer le ciel, tant i l est haut,
comme souvent en Italie, et les portes-fenêtres
s'élancent vers les cimes. Entre ces murs blancs, la
seule touche de couleur vient des bouquets de
fleurs que les Zidane se font livrer et qui trônent
sur le poste de télévision. En dehors du canapé en
c u i r , peu de meubles r e m p l i s s e n t l'espace,
immense pour une famille de trois personnes. Dans
le salon, le jeune père a installé tout de m ê m e une
petite cage en plastique, afin qu'Enzo s'entraîne à
marquer ses premiers buts. Le soir, le couple aime
dîner chez Da Angelino, cours Moncalieri, sur la
rive gauche du Pô. Au menu : rigatoni au basilic,
l'indispensable pasta des sportifs de haut niveau, et
steak grillé en « second plat », selon la coutume ita-
lienne. Le matin, Zidane boit son café dans le bar
qui fait face à son immeuble. Comme n'importe
quel Italien.
Véronique, elle, veille à la bonne marche de la
vie de famille. Ses parents, qui tiennent une place
très importante dans sa vie, viennent souvent pas-
ser quelques jours à Turin. Antoine Fernandez, le
père de Véronique, est d'ailleurs un fou de foot.
Autrefois, « à un petit niveau », raconte-t-il sur son
blog, i l a porté les couleurs d'Onet, la petite com-
mune aveyronnaise où a grandi Véronique. Désor-
mais, Antoine n'hésite pas à prendre sa voiture
pour assister à un match de Zizou en Italie. La
Coupe du monde 1998, en revanche, i l a préféré la
regarder seul, chez lui : « J'avais la trouille qu'il
perde. » Au lendemain du Mondial, les Fernandez
ont reçu deux sacs postaux remplis de lettres, sou-
231
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vent rédigées par des jeunes, qui ont écrit, en guise
d'adresse : « Beaux-parents de Zinedine Zidane,
Rodez. » Dérangé, jusque tard le soir, par les appels
de solliciteurs en tout genre, le couple s'est m ê m e
inscrit sur liste rouge. À chacune des visites de son
gendre, qui se rend souvent, avec Véronique, en
Aveyron, c'est un petit événement dans le village.
Zinedine et Véronique prennent alors leurs quar-
tiers chez les Fernandez. Zinedine joue avec ses
enfants, se repose, à la grande fierté d'Antoine,
dans son canapé. Quand ils sortent se promener,
ils vont manger à l'Hacienda ou au Café de Paris,
comme le raconte le père de Véronique sur son
blog. Les badauds sont nombreux, qui à demander
un autographe, qui à prendre une photo. Mais pour
les Fernandez, ce n'est rien à côté de la foule que
le champion déplace à Turin, quand ils vont tous
en famille faire des courses dans une rue commer-
çante. Car Zidane ne peut plus se déplacer sans
provoquer des attroupements. Gianpiero Ventrone
révèle : « Avant de quitter définitivement Turin, à
Pâques 2001, Zidane est venu quelques jours avec
sa femme à Capri. Nous avions décidé de passer le
week-end en mer. Une fois arrivé à la Marina, i l a
fallu appeler les carabiniers pour qu'il puisse mon-
ter sur mon bateau. I l y avait une foule immense
qui l'encerclait et voulait le toucher. C'était de la
folie' ! »
En Italie, pourtant, les choses finissent par se
gâter pour le gendre des Fernandez. À partir de la
rentrée 1998, le club s'engage dans trois années
blanches, durant lesquelles l'équipe d'Agnelli ne
remporte aucune victoire marquante. Les Turinois
s'interrogent : Zidane serait-il maudit en compéti-
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tion européenne ? En 2000, la Juve ne parvient pas
à remporter la Ligue des champions pour la
seconde fois. En finale, le club italien s'incline
face... au Real (1-0). Mais ce que les Italiens ne par-
donnent pas à Zizou, c'est ce carton rouge, encore
un (le sixième qu'il récolte sous les couleurs de la
Juve), encaissé face à l'équipe de Hambourg : en
pleine Ligue des champions, i l n'a pu s'empêcher
de balancer un violent coup de tête à l'Allemand
Kientz. Suspendu pendant cinq matchs, le coupa-
ble se paie le luxe, la rencontre suivante, d'être
filmé assis dans les gradins, rigolant au téléphone
pendant que ses coéquipiers suent sang et eau.
« Aime-t-il vraiment notre club ? » s'interroge la
presse locale le lendemain. Pour ne rien arranger,
le Français ne trouve rien de mieux que d'accepter
une publicité pour... Ford, le concurrent de Fiat.
Pire : comme pour donner raison à ses détracteurs
italiens, i l réalise un Euro 2000 époustouflant avec
les Bleus, remportant la finale contre... l'Italie.
Qu'importe : Zizou lorgne déjà de plus en plus
vers l'Espagne et son football, « le plus libre
d'Europe », s'exclame-t-il un jour. À l'entendre, le
public ibérique serait m ê m e « le plus connaisseur
qui existe » et le Real, « le club qui me faisait rêver
quand j'étais gamin ». Véronique, de son côté, ne
cesse de parler de ses grands-mères qui habitent du
côté d'Almeria, dans le nord de l'Andalousie. Elle
n'a jamais apprécié Turin, bien qu'elle y ait goûté
pour la première fois le luxe dans toute sa splen-
deur : vacances aux Seychelles, jets privés, grosses
berlines et autres invitations dans les soirées chics.
Mais rien n'y fait : épouse attentive et autoritaire,
elle veut partir. En public, elle ne rate plus une
occasion de vanter le soleil espagnol et de critiquer
la « froideur turinoise ». Giovanni Agnelli, le
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patron de la Juve, finit par s émouvoir : « Mais qui
porte la culotte chez les Zidane ? L u i ou sa
femme ? » Un joueur de 1 équipe, l'Italien Filippo
Inzaghi, dit Pipo, s u r e n c h é r i t : « M o i , quand je
serai marié, ma femme fera ce que je dis. » Zidane
n'a cure de ces attaques. « I l n'aurait jamais dû
s'abriter derrière sa femme pour justifier son désir
de partir », reproche un ancien coéquipier. L u i qui
parle de son épouse avec tendresse, téléphone régu-
lièrement avant un match simplement pour lui dire
«je t'aime », réplique par presse interposée : « Ma
femme m'a donné deux enfants et elle choisit ce qui
est le mieux pour la famille'. »
Ils peuvent ricaner, les Itahens. En tout cas, le
monde de Zidane ne se réduit plus à la péninsule.
Désormais, ses mérites sont vantés partout sur la
planète. Depuis son sacre mondial en équipe natio-
nale, en 1998, Zidane a reçu une pluie de récom-
penses : Ballon d'or. Onze d'or, joueur FIFA de
l'année, joueur français de l'année et joueur étran-
ger du championnat d'Italie. Alors tant pis s'il a fini
par se mettre les tifosi à dos. Tant pis si ses coé-
quipiers se moquent de lui. Lui, i l part à Madrid.
Zidane quitte en outre le navire turinois à temps :
la justice italienne a décidé de s'attaquer au dopage,
avec, dans son viseur, Antonio Giraudo, adminis-
trateur délégué de la Juve, et Ricardo Agricola le
médecin du club.
I . Zidane. Cent dix minutes pour partir, Luca Caroli, éditions Pro-
longations, 2006.
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par une épaisse moquette beige, où seules les toiles
abstraites du peintre Luis Canelo apportent une
touche personnelle, i l veut bien, une dernière fois,
évoquer l'ex-prodige de son club.
Tel un chat qui se délecte d'avoir attrapé une sou-
ris, Florentino Ferez savoure encore le plaisir d'avoir
réussi à mettre la main sur le plus grand joueur du
monde. À quand remonte la première rencontre ?
Du tac au tac, i l répond avec une précision d'horlo-
ger : « C'était en 1998, le 12 juillet à 21 h 27. » Ce
soir-là, l'homme d'affaires espagnol est aux premiè-
res loges. Dans les tribunes VIP du Stade de France,
il profite avec son épouse Bettina de l'invitation de
son ami Jean-Claude Decaux, le roi français de l'affi-
chage. Une ambiance électrique règne en cette nuit
de juillet où la France, finaliste de la Coupe du
monde pour la première fois de son histoire, est aux
portes de la gloire. A la vingt-septième minute,
Zidane ouvre le bal et offre, d'une tête aérienne, son
premier but aux Bleus. Ferez se retourne vers son
épouse et lui promet solennellement : « Bettina, tu
vois ce numéro 10 ? Tu vois ce joueur incroyable ?
Si un jour je deviens président du Real, je te promets
que je le ramènerai à Madrid. »
Deux ans plus tard, le rêve du fils de tailleur est
devenu réalité. Alors qu'il \àent d'être élu à la tête du
club madrilène, sa première pensée va à « Sissou ».
Florentino n'a qu'une idée : redonner au Real la
splendeur de son âge d'or, celle des anciens dieux,
tels Kopa et Di Stefano, qui ont bercé l'enfance de
centaines de milliers de « merengue », comme on
appelle les aficionados du stade Bernabeu. Ces vir-
tuoses du ballon rond l'ont fait fi-émir de bonheur
quand, enfant, i l allait au stade avec son père. Et
voilà que le nouveau président a les moyens de réa-
liser son rêve de gosse. « Rendez-vous compte, j'avais
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quelque 36 milliards de pesetas dans la besace ! »
L'homme qui dirige un des fleurons industriels
e u r o p é e n s s'excuse. I l compte toujours dans
l'ancienne monnaie espagnole. Cela signifie que
son trésor de guen^e pèse alors plus de 200 millions
d'euros. À l'époque, en j u i n 2000, le Real vient déjà
de s'oflrir Luis Figo, racheté 60 millions d'euros à
l'éternel concurrent barcelonais. Mais ce n'est
qu'un début. Le Irère de Florentino Ferez, Enrique,
téléphone à Alain Migliaccio, l'agent de Zidane,
pour tâter le terrain et étudier son transfert de la
Juventus, où le joueur français évolue depuis 1997.
Au bout du fil, Alain Migliaccio, avec sa gouaille de
pied-noir algérien, se fait prier. I l laisse entendre
que, cette a n n é e , Zidane ne pourra pas quitter
Turin. Mais l'agent laisse une porte ouverte : son
poulain aime l'Espagne, dont sa femme est origi-
naire.
Le hasard faisant bien les choses, Florentino
Ferez et Zinedine Zidane se retrouvent quelques
mois plus tard à Monaco, lors d'un gala organisé
par la FIFA. Assis à sa table, le président du Real
rencontre enfin le footballeur de ses rêves. Jouant
le tout pour le tout, comme un écoher derrière le
dos de son instituteur, il lui fait passer un petit bout
de papier avec cette simple phrase : « Voulez-vous
venir au Real ? » Les convives, qui ont joué les
i n t e r m é d i a i r e s , meurent de c u r i o s i t é . Ferez :
« J'étais fébrile, excité comme un enfant. Le papier
est revenu et j'ai l u sa réponse, étrangement rédigée
en anglais alors que je parle français : "Yes, mais i l
ne faut pas le dire." » Avec cette missive, Zidane
vient d'amorcer le plus gros transfert de l'histoire
du foot mondial.
Les deux parties sont d'accord pour signer le
contrat de mariage. I l ne reste plus qu'à convaincre
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le chef de famille, l'ombrageux Giovanni Agnelli,
propriétaire de la Juventus de Turin. Pour réussir
les négociations avec le légendaire patron de Fiat,
une règle d'or s'impose : éviter de froisser son
orgueil. Dans le monde viril du football, personne
et surtout pas ]'« Awocato » n'apprécie de voir ses
joueurs faire les yeux doux à ses rivaux. C'est pour-
tant Zidane qui fait le premier pas en discutant avec
le directeur général de l'équipe turinoise, Luciano
Moggi. Son argument : « Ma femme ne veut pas
rester en Italie ! » C'est vrai - on l'a \ni - que la belle
et fière Véronique n'a jamais pu se faire à la gri-
saille de la capitale piémontaise et ne supporte plus
les pizzas et la pasta. La fin de l'année approche à
gi-ands pas et les discussions sérieuses commen-
cent. Florentino Ferez est sûr de lui. « Sissou » est
un enjeu stratégique et i l ne le laissera pas s'échap-
per. Avec son frère Enrique, le président du club se
prépare au marathon des enchères : « Florentino,
tu restes très calme, le rassure son benjamin. Et tu
dis que 60 ou 100 millions d'euros, c'est pareil. » Le
jour J, Florentino embarque dans son jet, direction
Monaco. Après tout, peut-on rêver mieux que la
Riviera pour décider du destin d'un minot des
quartiers nord de Marseille ? Comme dans un polar
américain, le roi du BTP espagnol, vêtu avec élé-
gance, retrouve les trois dirigeants de la Juve dans
un restaurant discret de la principauté. Embrassa-
des et salutations d'usage, chacun demande des
nouvelles de la famille et les résultats des clubs res-
pectifs avant de se mettre à table. Les Italiens se
jettent à l'eau : « On te le vend... 120 millions
d'euros. Voilà notre prix. » Impassible, Florentino
Ferez finit son déjeuner, boit un café, se lève,
remercie ses interlocuteurs et leur dit très calme-
ment : « N o n , merci. » De retour à M a d r i d , i l
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appelle aussitôt Zidane : « Ils sont fous ! Je crois
qu'ils ne veulent pas te vendre. » À l'autre bout du
fil, Zizou fait les cent pas, appelle son agent et
décide de monter au créneau tout seul comme un
grand. En réalité, sa décision est prise. Pas ques-
tion que Véronique et ses deux petits garçons pas-
sent une année supplémentaire à Turin. D'ailleurs
il n'a pas inscrit son fils aîné à l'école française
pour la rentrée prochaine. I l fait alors comprendre
aux dirigeants italiens qu'il n'a pas l'intention de
rester en Italie. Un joueur qui s'est mis en tête que
l'herbe était plus verte ailleurs n'est plus efficace.
Luciano Moggi se décide à rappeler Florentino.
Son nouveau prix ? 100 millions d'euros. Un chiffre
rond. Les d e r n i è r e s tractations ont lieu chez
Robert-Louis Dreyfus, le patron d'Adidas, entre-
prise sponsor du Real, dans sa maison de Lugano.
Finalement, les deux clubs se mettent d'accord sur
72 millions d'euros. Une somme inégalée dans
l'histoire du football. Zidane devient le joueur le
plus cher du monde. Trop cher ? Florentino est
heureux. Cette bataille lui a fait penser au film...
Pretty Woman, cette c o m é d i e romantique dans
laquelle Richard Gère jouait le rôle d'un riche
homme d'affaires à qui rien ne résiste et qui a aussi
pulvérisé les records... du box-office. Ce soir-là,
Florentino' pense à la fameuse réplique de Richard
Gère quand Julia Roberts lui annonce qu'elle est
prête à i-ester à ses côtés pour moitié moins cher
que le prix final : « J'étais prêt à payer le double. »
Florentino a le sourire du vainqueur : l u i aussi était
prêt à allonger beaucoup plus. S'ils savaient, les
dirigeants de la Juve, qu'ils ont sans doute perdu
au moins 30 millions d'euros...
i.Ibid.
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Zidane, l u i , n'en revient pas. I l est en vacances
avec sa femme et ses deux plus jeunes enfants.
Après une dernière saison particulièrement érein-
tante à la Juve, il se repose à l'autre bout du monde,
sous le soleil de Papeete, puis celui de Californie,
alors m ê m e que son avenir est en train de se jouer
en Europe. I l s'est m ê m e payé le luxe de se mettre
aux abonnés absents : c'est seulement en appelant
un ami, par hasard, qu'il apprend que son agent le
cherche comme un fou. Et c'est en rappelant Alain
Migliaccio qu'il a connaissance de l'incroyable épi-
logue des transactions menées avec le Real.
Quand i l découvre le montant de la transaction,
amputée de 10 % tout de m ê m e pour payer ledit
agent, le minot de la Castellane fait des bonds de
cabri et appelle immédiatement un ami d'enfance :
« Putain, tu te rends compte. Mus', de la folie de
cette somme ! s'exclame-t-il dans le combiné. Com-
bien de Boeing ils auraient pu acheter avec tout cet
argent ? Ils sont fous ! » À Turin, Ventrone n'en
revient pas non plus. I l se souvient d'un soir oij il
demandait à Zidane : « T'imagines, si un jour un
club te rachetait pour 30 millions d'euros ? » A
l ' é p o q u e , en 1999, Zidane l u i avait r é p o n d u :
« Arrête de dire des conneries' ! » Zidane l u i -
même, quelques mois plus tôt, trouvait encore ridi-
cule « de dépenser 400 millions de francs [NDLR :
60 millions d'euros] pour acheter un joueur », fai-
sant référence au transfert de Luis Figo dans le
m ê m e club. Et le voilà acquis à son tour pour
l'équivalent du budget d'Astérix aux Jeux olympi-
ques (dans lequel Zidane interprétera d'ailleurs un
petit rôle), le film le plus cher de l'histoire du
c i n é m a français. A 29 ans à peine, Zidane vaut
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72 millions d'euros - soit 471,6 millions de francs
à l'époque. Avec un salaire hebdomadaire de 1 mil-
lion de francs et des revenus publicitaires estimés
à 5 millions de francs par mois, i l est le footballeur
le mieux payé de la planète. Mieux payé, même,
qu'une star de cinéma...
Finies les vacances, les affaires reprennent !
Pressé par Migliaccio, Zizou rentre en Europe. À
l'aéroport de Roissy, i l sort par une porte dérobée
afin de fuir les photographes. Les journalistes sont
sur les dents, affolés par la rumeur qui court depuis
le début de l'été sur son éventuel départ vers le Real.
Le temps de déposer sa famille dans l'Aveyron, le
footballeur s'envole pour l'Espagne dans un jet privé
affrété par le club madrilène. I l atterrit à la base
militaire de Torjon de Ardoz, au nord de la capitale.
Sur la piste l'attend une berline noire aux vitres
fumées, dans laquelle patientent les deux hommes
clés du Real : le directeur sportif Jorge Valdano et
le président Florentino Ferez. En route vers le club,
tous discutent des dernières modalités d'un transfert
conclu à l'arraché. Le soir venu, Zizou et son agent
regagnent le luxueux hôtel de l'Eurobuilding, situé
à quelques mètres du stade Santiago-Bernabeu. Le
lendemain, à 12 h 30, après la traditionnelle visite
médicale dans une clinique privée, le joueur signe
enfin le contrat de quatre ans qui fait de lui le foot-
balleur le plus cher du monde. Nous sommes le
lundi 8 juillet 2001 et la nouvelle que tout le monde
du foot attend tombe enfin sur les téléscripteurs :
« Sissou » est madrilène et appartient désormais aux
Galactiques, comme on surnomme les stars du Real
qui font rêver le monde entier.
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La consécration espagnole
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les urgences. Quand les secours arrivent à l'hôtel,
les urgentistes locaux n'en reviennent pas de voir
descendre la plus grande star du football en jean et
sweat-shirt, son ami mal en point sous le bras. Tout
à leur excitation, c'est à peine si les médecins n'en
oublient pas le malade. Assis à l'arrière de l'ambu-
lance, Zidane se retrouve à signer des autographes
entre les tubes et les masques à oxygène.
Makelele, son coéquipier au Real, est le premier
à tirer la sonnette d'alarme : Zizou ne peut pas res-
ter livré à lui-même et vivre dans un hôtel pour
hommes d'affaires de passage. D'autant plus que sa
femme, qui n'a pas encore réglé tous les détails pra-
tiques pour le déménagement, effectue pour l'ins-
tant des allers et retours entre Turin et Madrid. Le
club décide alors de transférer la star au Palais
Santo Mauro : ce cinq étoiles au charme à la fran-
çaise comporte une bâtisse du xix" siècle rénovée
par l'architecte Louis Legrand, une immense pis-
cine découverte, une salle de sport digne d'un
grand club et un ravissant jardin. Véronique le
rejoint enfin dans ce havre de paix. Mais la pres-
sion extérieure ne retombe pas. Tout le monde veut
voir Zidane, le photographier, l'approcher, le tou-
cher. On cherche à savoir ce qu'il mange, où i l
s'habille, quel est son signe astrologique, s'il aime
le jamon ou préfère les pâtes à la bolognaise, ques-
tion sensible quand on sait que Zizou a dû laisser
derrière l u i son cuisinier et ami Roberto Falvo,
qu'il avait fait embaucher à la Juve. Très vite, le
champion choisit d'imposer des limites à la presse
people, très puissante en Espagne. La publication
d'un reportage photo de la petite famille en balade
est stoppée net. Zidane prévient son club : le res-
pect de sa vie privée est la condition sine qua non
de sa présence à Madrid.
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Pour que la transition se passe mieux, le Real
décide de l u i adjoindre un coach, Garcia CoU,
ancien basketteur du Real, parlant le français, qui
a fait ses preuves dans l'acclimatation de nouvelles
recrues. I l a pour mission de faire découvrir la ville
au joueur et de le décharger de toute la logistique.
La p r e m i è r e étape de l'installation de Zidane à
Madrid consiste à acheter une maison, le couple
refusant de louer. Après trois visites, les Zidane
optent pour le très chic quartier résidentiel de
Conde de Orgaz. Et arrête son choix sur une grande
propriété entourée d'un immense jardin. Leurs voi-
sins ? Raul, Luis Figo (ses coéquipiers au Real)
mais aussi Matîas Prats, le PPDA espagnol, et
d'autres stars encore. Bien placée, entre le lycée
f r a n ç a i s et le centre d ' e n t r a î n e m e n t Ciudad
Deportiva, cette demeure sonne comme un nou-
veau départ. Son époux a beau être le joueur le plus
cher de l'histoire du foot, Véronique ne change rien
à ses habitudes. Sa coiffeuse à Madrid apprendra
des années plus tard que sa cliente n'est autre que
Mme Zidane. La mère de famille continue égale-
ment à déposer ses enfants à l'école tous les matins.
Son mari étant souvent absent, cette femme de
c a r a c t è r e gère le foyer d'une main ferme. Elle
prend ainsi la liberté d'inviter ses parents à quitter
Onet pour venir s'installer quelques mois chez eux
en Espagne. Mme Zidane exerce aussi une énorme
influence sur l'entourage de son mari. Aux anciens
camarades d'enfance elle préfère mille fois, par
exemple, la compagnie du publicitaire Jacques
Bungert et de son épouse. Ou celle d'Alain Migliaccio,
l'agent de Zizou, avec lequel la famille Zidane passe
parfois ses vacances.
Côté vestiaire, le n u m é r o 5 fait ses premiers pas
en prenant garde à ne jamais jouer les divas et à
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respecter le caractère ombrageux de ses deux col-
lègues les plus puissants : Fernando Hierro, le capi-
taine, et Raul, la star des stars. À Madrid, i l n'est
plus le « taulier », comme chez les Bleus, oiJ son
expérience et son talent ont fait de lui un patron
naturel. Quant à l'autre enfant chéri de Florentine
Ferez, le Portugais Figo, i l n'ira jamais au-delà des
politesses d'usage avec lui. Ce dernier a mal vécu
d'avoir été racheté 12 millions d'euros de moins
que Zidane et ne supporte plus la zizoumania qui
s'est emparée du pays. Prudent, le n u m é r o 5 veille
donc à ne froisser aucune susceptibilité et se met
au travail. L u i qui a arrêté l'école au collège se met
même, après l'italien, à l'espagnol. L'ancien Mar-
seillais a compris que son adaptation serait longue
et qu'il lui faudrait être patient. Surtout quand éclate
un début de polémique liée à son absence de ren-
dement. I l faut dire que, depuis son arrivée, i l ne
brille pas sur les terrains.
Le 26 août 2001, lors de la première journée du
championnat d'Espagne, le club madrilène perd 3-
1 contre Valence. Le journal AS, la bible espagnole
du football, attaque bille en tête : « I l ne suffit pas
de dépenser des milliards et de se promener avec
des ballerines pour gagner'. » I l faut se battre, aller
décrocher la victoire avec les dents s'il le faut. Le
d e u x i è m e match est un n u l à domicile face à
Malaga. Le troisième se solde à nouveau par une
défaite, cette fois-ci contre le Betis Séville. Résul-
tat : début septembre, le Real se retrouve à la traîne
du championnat. Comble de malchance, alors que
le club madrilène aligne les succès en Ligue des
champions, Zidane est suspendu provisoirement à
246
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cause d'un carton rouge reçu quelques mois plus
tôt, quand i l était à Turin. Superstitieux, Zizou n'a
qu'une peur : être s u r n o m m é le chat noir, celui qui
porte la poisse. Une devinette fait fureur à Madrid :
« Pourquoi Sissou porte-t-il le maillot n u m é r o 5
alors qu'il a le 10 en France ? Parce qu'il joue à moi-
tié bien ! » Le rythme si p a r t i c u l i e r du pays
n'arrange rien. Déjeuner à 14 h 30, passe encore,
mais débuter une rencontre à 21 h 45, voilà qui est
difficile pour un couche-tôt comme lui. Plus tard,
il reconnaîtra m ê m e avoir eu envie de dormir au
moment de ces matchs tardifs.
Pourtant, les choses finissent par s'arranger.
Elles prennent m ê m e vite la tournure d'un scénario
hollywoodien, comme toujours avec Zizou. Le
5 janvier 2002, lors de la dix-neuvième journée du
championnat d'Espagne, à la neuvième minute
d'un match contre La Corogne, Zidane survole trois
d é f e n s e u r s et marque d'une frappe a é r i e n n e ,
devant soixante-quinze mille supporters abasour-
dis par la rapidité de son jeu. Résultat : 3-1 pour le
Real et une ovation exceptionnelle en faveur du
n u m é r o 5. La saga commence. Dans les tribunes,
le basketteur Magic Johnson, membre de la dream
team américaine, n'en revient pas : « Ce gars, c'est
Magic et Jordan en un seul joueur'. » Une allusion
à Michael Jordan, l'autre star de sa génération.
Mais les Espagnols n'ont encore rien vu. Ces rois
de la corrida vont pouvoir enfin commencer à
admirer l'ingéniosité exceptionnelle de ce matador
du football. Car le 15 mai 2002, le Real, qui a fêté
son centenaire le 6 mars, affronte, en finale de la
Ligue des champions, le Bayer Leverkusen, à Glas-
gow. Zidane attend ce moment depuis toujours.
247
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C'est le seul trophée qui manque à son palmarès.
Juste avant le début de la rencontre, Mus' qui, la
veille, a prié pour son ami à la mosquée, en France,
lui prédit au téléphone : « Vas-y, joue comme tu
sais, et tu verras. Dieu sera avec toi. Tu vas nous la
ramener cette coupe'. » À la quarante-cinquième
minute d'un match plutôt mal engagé, dans lequel
les Allemands ont égalisé à la treizième minute le
but marqué par Raul à la huitième, un miracle se
produit : le Brésilien Roberto Carlos, hésitant,
envoie un ballon flottant que Zidane, tel un chat
que personne n'avait repéré, récupère par magie
d'une volée de son pied gauche et, sans réfléchir
une seconde, projette en pleine lucarne sous le
regard médusé du goal adverse. Ce but, totalement
intuitif comme le dira son auteur, rentre aussitôt
dans la légende du foot. Hampden Park est en
délire. Au micro, les commentateurs espagnols
s'époumonent au son d'un « gooooooaaaaaaal ! »
répété inlassablement. L'un d'eux, en hurlant le
mot magique durant près de quarante secondes,
jusqu'à en perdre le souffle, rentrera m ê m e dans le
Guinness des records. « Vive la mère qui t'a mis au
monde !!!!!!!!!!!!!!!! », hurle un autre journaliste.
Sur le terrain, Zidane savoure sa revanche sur ces
fans impatients qui avaient douté de lui. Pendant
son tour d'honneur, i l leur lance en espagnol :
« Toma ! Toma ! » (« Prends ! Prends ! »).
Dans les vestiaires, Zizou apostrophe Florentino
Ferez en le regardant droit dans les yeux : « Tu vois
que je ne porte pas la poisse ! Tu n'as pas fait venir
un chat noir'. » Tout le monde en est désormais
convaincu. Le roi Juan Carlos en personne déboule
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pour prendre dans ses bras le prodige français.
Alors qu'à Salamanque, Alicante, Burgos et dans
toutes les grandes villes d'Espagne des milliers de
supporters envahissent les rues pour laisser éclater
leur joie, Zidane savoure ces instants d'éternité
sans oser y croire tout à fait. Malek, son ami
d'enfance, vit l u i aussi un rêve éveillé : « Pendant
le tour d'honneur, tout le monde courait vers lui. I l
m'a aperçu dans les gradins. I l est venu me tirer. I l
m'a amené dans le vestiaire. I l était épuisé. On s'est
assis par terre. On s'est regardés. On a changé deux,
trois mots. Michel Platini est venu le féliciter...
Yaz, c'est un généreux. C'est trop fort qu'il m'ait
permis de partager ça'. »
L'euphorie légèrement retombée, sur le sol des
vestiaires, Yaz n'en revient toujours pas. Désor-
mais, Zinedine a tout ce dont un grand footballeur
peut rêver. Le lendemain, le quotidien sportif
Marca titre en couverture « El Zid » (en référence au
Cid, ce grand d'Espagne immortalisé par Corneille),
puis, dans les pages intérieures, « le n u m é r o 5, c'est
Dieu ».
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30
La berezina de 2002
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Stadium de Séoul, soixante-cinq mille specta-
teurs attendent avec fébrilité le coup d'envoi. Sur
le terrain, les deux équipes se regardent en chiens
de f a ï e n c e . Dans le camp f r a n ç a i s , tous les
joueurs titulaires, à l'exception de Frank Lebœuf,
membre de l'OM, jouent d o r é n a v a n t dans les plus
grands clubs e u r o p é e n s , en Angleterre, en Alle-
magne et s u r t o u t en I t a l i e . Henry, Desailly,
Lizarazu ou encore Trezeguet font d é s o r m a i s
partie du gratin mondial du football. Autant dire
que les Français attendent beaucoup de cette équipe,
idéale sur le papier, qui les a tant fait rêver dans
le passé.
C'est compter sans la cuisse de Zidane, déclaré
forfait pour cause de ligament déchiré et qui assiste
au match seul sur le banc de touche. Est-ce pour
cette raison que, dès les premières minutes, les
Bleus apparaissent d é s o r i e n t é s ? Rarement, en
effet, une équipe a semblé aussi désemparée en
l'absence de l'un de ses leaders. Si bien que les
Sénégalais mènent la danse et réussissent à muse-
ler les Français. Ce qui devait arriver arrive : à la
trente-deuxième minute, Malik Diop surgit tel un
beau diable et marque un but. La France est à la
traîne et personne n'y peut rien. Privée de son cer-
veau, l'équipe erre et finit par s'incliner, 0 à 1.
C'est un véritable coup de tonnerre. La presse
française, encore traumatisée par l'effet Jacquet
qu'elle a tant dénigré juste avant le Mondial 1998,
demeure très réserv'ée. Dans un autre contexte, elle
se serait pourtant déchaînée. Ainsi du choix du lieu
où sont hébergés les Bleus : le Sheraton Walker Hill
de Séoul. Le restaurant est situé à 200 mètres de
l'établissement. « On y allait en bus ! » raconte un
joueur. I l y a aussi la salle de jeux au sous-sol, avec
ses machines à sous qui semblent aimanter les
252
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footballeurs, dont certains sont surpris, agrippés à
leur bandit manchot à... 4 heures du matin.
Un assistant de Roger Lemerre se souvient
encore : « Alors que Didier Deschamps jouait par-
faitement son rôle de capitaine, Desailly passait
beaucoup de temps accroché à ses quatre porta-
bles. » Un cadre de la Fédération française de foot-
ball raconte : « Des jeunes et jolies demoiselles
étaient présentes à certains étages de l'hôtel ori dor-
maient des membres de l'équipe'. » Le temps est
loin oià Aimé Jacquet imposait à ses poulains une
discipline quasi militaire. Son successeur, Roger
Lemerre, semble briller davantage par son absence
de choix tactiques et, surtout, son incapacité à
gérer ses stars. Zizou reconnaîtra à la fin du Mon-
dial qu'il a m a n q u é « quelqu'un pour taper du
poing sur la table^ ». Pour Ferret, le constat est
implacable : « C'était du n'importe quoi. L'organi-
sation était inexistante. Tous les jours, j'emmenais
Zidane dans les cliniques pour sa rééducation. On
passait des heures dans les embouteillages coréens.
Quant à l'ambiance dans l'équipe... On avait plus
nos leaders de 1998. Certains joueurs parlaient
sèchement à l'entraîneur. Du temps de Jacquet, ça
aurait été impossible^. »
Désireux d'en savoir plus, un journaliste du Pari-
sien décide de planquer à la sortie des vestiaires du
stade de Busan, oîi s'entraînent les Bleus. Posté
entre deux arbres, i l espère décrocher un scoop sur
la composition de l'équipe pour la rencontre sui-
vante. Surpris en flagrant délit par des membres de
l'encadrement français, i l doit décliner son identité.
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Son accréditation lui est retirée illico. La presse est
déclarée persona non grata.
À défaut de comprendre, tout le monde s'inter-
roge : quand Zizou sera-t-il remis de sa blessure ?
Celui-ci, astreint à un protocole de soins (lon-
gueurs à la piscine de l'hôtel, soins divers dans les
cliniques de Séoul), avec son ostéopathe Philippe
Boixel, participe peu à la vie des Bleus. Même l'ami
de Zizou, Bixente Lizarazu, est agacé des questions
continuelles sur l'état de santé de Zinedine. En
conférence de presse, i l explose : « Je ne suis pas
son attaché de presse, arrêtez donc de ne me par-
ler que de l u i . » Les statistiques sont pourtant élo-
quentes : en l'absence du n u m é r o 10 sur le terrain,
le taux de réussite de l'équipe tricolore tombe à
50 %. Et remonte à 70 % quand le champion est
de la partie.
Le 6 j u i n , au stade Asiad à Busan, les Bleus
savent qu'ils jouent gros face aux Uruguayens. Pour
la première fois, ils ont peur et cela se sent : Frank
Lebœuf, lui, se blesse dès le premier quart d'heure.
À la vingt-cinquième minute, l'arbitre mexicain
expulse Thierry' Henry, auteur d'un tacle dange-
reux. Pour finir, un coup franc d'Emmanuel Petit
atterrit sur le poteau après trente-cinq minutes de
jeu. C'est la d é r o u t e . L ' é q u i p e , r é d u i t e à dix
joueurs, ne fait plus que se défendre. Résultat :
match nul. Voilà les Français condamnés à gagner
contre le Danemark, leur prochain adversaire. Et
avec deux buts d'écart encore... Les sportifs quit-
tent le stade les larmes aux yeux. Jacques Chirac,
soucieux de soutenir le moral des troupes, écrit une
lettre au capitaine Marcel Desailly : « Je serai à vos
côtés comme tous les Français mardi prochain
pour la rencontre face au Danemark. » C'est dire à
quel point l'heure est grave.
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Le lendemain, l'espoir r e n a î t : Zizou reprend
enfin les entraînements. C'est Lizarazu qui balance
l'info. « Roger Lemerre va stlrement m'engueuler
d'avoir donné cette nouvelle, mais je m'en moque »,
lance-t-il aux journalistes. Le 12 juin, à Incheon,
Zidane est d'attaque pour le grand jour. Las ! Ses
capacités physiques ne sont pas au rendez-vous et
le champion a l'air écrasé par la chaleur. Quant aux
Vickings du camp adverse, ils semblent bien déci-
dés à battre les champions du monde. A la vingt-
deuxième minute, le Danois Dennis Rommedahl
ouvre le bal en trompant la vigilance de Barthez. À
la soixante-cinquième, Jon Dahl Tomasson inscrit
un second but. Quand l'arbitre siffle la fin du
match, les joueurs français semblent comme sou-
lagés. I l n'y a pourtant pas de quoi être fiers. Pour
la première fois depuis 1966, une équipe cham-
pionne du monde ne dépasse pas le premier tour.
Zidane est effondré et la France avec lui. S'il laisse
échapper des regrets, c'est à doses h o m é o p a t h i -
ques : « C'est difficile de sortir comme ça de la
compétition... ». Les Français prennent le premier
vol pour Paris. Les membres de la délégation, com-
posée d'environ quatre-vingts personnes, n'ont pas
pu obtenir de billet sur le m ê m e appareil : comme
ils n'avaient pas prévu ce départ p r é m a t u r é de la
compétition, ils restent coincés quelque temps en
Asie.
Ancien responsable de la communication des
Bleus, Philippe Tournon explique : « Aimé mettait
les joueurs en garde contre la notoriété : on prenait
exemple sur la génération de 1986, les Jean-Marc
Ferreri, Philippe Vercruysse ou Daniel Bravo. On
avait s u r n o m m é ces derniers les "coiffeurs" parce
qu'ils étaient trop attentifs à leur look. Les footbal-
leurs, i l ne faut pas les lâcher, sinon ils se fragili-
255
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sent psychologiquement. I l faut qu'il y ait une
parfaite adéquation entre le mental et le physique.
Il faut être costaud dans sa tête et dans sa vie, pour
être et rester au top'. » De fait, les Bleus de 2002
n'ont plus rien à voir avec les champions du monde
de 1998 : auréolés de leurs titres de 1998 et 2000,
ils sont devenus des stars, invitées des plateaux de
télévision et des soirées VIP, icônes publicitaires,
démarchées jusque dans le hall de leur hôtel à Séoul.
Comme le disait F r a n ç o i s Mitterrand, l'argent
poun-it tout, jusqu'à la conscience des hommes.
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31
La traversée du désert
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dant'. » Le 13 juin, à Lisbonne, dans le stade de la
Luz, les soixante-cinq mille privilégiés qui ont
réussi à s'acheter un ticket ne demandent qu'à le
croire. Les débuts timides des Français, pourtant,
laissent présager le pire. Tout le monde a en tête
le France-Sénégal de 2002. À la trente-huitième
minute, quand les tricolores encaissent un but sur
un coup franc, c'est la consternation sur le banc.
Pire, à la soixante-treizième minute, les Bleus
c o n c è d e n t un penalty. Quand David Beckham
s'approche lentement pour déposer le ballon, prêt
à tirer, tous les regards sont braqués sur Barthez.
Va-t-il les sauver de l'humiliation p r o g r a m m é e ?
Les deux hommes se connaissent : ils ont j o u é
ensemble à Manchester. Dans le stade, le silence
est total. David Beckham... rate son tir. Plus tard,
il fera porter la r e s p o n s a b i l i t é de son échec à
des... rongeurs qui auraient creusé des trous sous
le gazon. Mais l'heure n'est pas encore aux expli-
cations.
Les Anglais persistent à mettre la pression aux
« satanés » Français. A la fin du temps réglemen-
taire, la France est toujours menée 1 à 0. Sur les
écrans s'affiche le chiffre 3, indiquant trois minutes
de temps additionnel. Zidane qui, jusque-là, parais-
sait subir les attaques anglaises, décide de jouer son
va-tout. Sur un coup franc accordé à la quatre-vingt-
onzième minute, il réalise un tir si puissant qu'il loge
la balle dans les filets à gauche. Le goal britannique
ne peut rien faire. I l ne reste plus qu'une minute
quand l'arbitre siffle un penalty en faveur des Bleus,
grâce à Thierry Henry. Dans les gradins, tous les
supporters, anglais compris, sont debout ; on entend
hurler « Allez Zizou ! », un coq est brandi. Le temps
l.Jhid.
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additionnel est dépassé. Le n u m é r o 10, avec un
calme impressionnant, tire. « Et i l y est ! » hurlent
les commentateurs. Incroyable Zizou : i l est décidé-
ment le seul à pouvoir accomplir de telles prouesses.
La France est qualifiée. « Écœurés », titre le quoti-
dien anglais The Sun. « En rentrant chez eux, des
millions de supporters qui avaient suivi la rencontre
dans les pubs ont pleuré dans leur bière au lieu de
la boire », constate, amer, le plus vendu des tabloïds.
« On nous a volés, Zidane nous a mis deux coups de
poignard dans les trois dernières minutes », s'indi-
gne le quotidien britannique.
La route des Bleus doit désormais croiser celle
des Croates, une équipe qu'ils connaissent bien :
imprévisible, elle peut donner Iq meilleur d'elle-
m ê m e , mais elle n'est pas invincible. Les deux
camps s'affrontent le 17 j u i n , à Leira. Curieuse-
ment, la magie a disparu. Certes, le « héros de Lis-
bonne », comme on surnomme désormais Zidane,
fournit coups francs et m ê m e une superbe aile de
pigeon, mais l'équipe nationale concède pénible-
ment un match nul, 2 partout.
Quelques jours plus tard, la troisième rencontre,
contre les Suisses, a beau se solder par un respec-
table 3-1, elle annonce des lendemains sans
charme. Le journal Libération fait un état des lieux
sévère : « Le jeu des Bleus est à la limite du pathé-
t i q u e , j o n c h é d ' a l é a t o i r e s c o m b i n a i s o n s et
d'approximatifs mouvements, arrosés d'un zeste de
maladresse. L ' é q u i p e de France, n é e en 1998
(championne du monde), gravement malade en
2002 (éliminée au premier tour du Mondial), est
moribonde. Son collectif a coulé à pic. Les joueurs
jouent côte à côte, mais plus du tout ensemble'. »
1. 18 juin 2004.
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Zizou, lui, estime avoir accompli son devoir. Mais
il ne parle plus de plaisir ni de gagne.
Quatre jours plus tard, les Français sont élimi-
nés par les Grecs, une équipe banale et totale-
ment inconnue des compétitions internationales.
Le groupe achève d'imploser. Certains parlent de
complot. Les jeunes, tel Thierry Henry, en ont
assez de jouer les éternels figurants. L'attaquant
star d'Arsenal accuse dans la presse : « Zidane ne
me passe pas de balle'. »
N o m m é à la tête des Bleus le 12 juillet 2004,
Raymond Domenech procède aussitôt au grand
ménage. Philippe Tournon, l'homme qui accom-
pagne l'équipe nationale depuis 1982, raconte :
« I l m'a dit ; "Vous avez fait un excellent travail,
mais vous êtes tous là depuis trop longtemps."
Moi j'ai eu la chance d'être présent à Paris lors de
la nomination de Domenech et j'ai pu parler avec
lui. Pour d'autres, ce fut assez violent. L'intendant
des Bleus, Henri Emile, a laissé plus de trois mes-
sages sur son portable. En vain. Le pauvre, i l était
en croisière en Norvège. I l a appris par la presse
qu'il était remplacé^. »
Le nouveau coach sait q u ' i l faut r a j e u n i r
l'équipe. Peu d'élus sont retenus. Histoire de sortir
par la grande porte, Desailly et Lizarazu décident
de prendre les devants et annoncent qu'ils vont
raccrocher les crampons. Liban Thuram hésite.
Reclus à Madrid, Zizou espère être conforté dans
sa place, mais il doit prendre son mal en patience.
Selon la légende, Domenech aurait attendu vingt-
trois jours avant de laisser sur son portable un
message finalement pas très engageant : « Quel
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que soit ton choix, je le respecte »... En réalité,
l ' e n t r a î n e u r a très vite d e m a n d é au joueur de
rester en place. Une discussion a lieu quelques
jours après sa prise de fonction. « Zidane a dit à
Raymond, raconte un proche de l'entraîneur, qu'il
était fatigué et pensait arrêter. I l ne sentait plus
cette nouvelle équipe de France composée de jeu-
nes "inconnus'". » L ' e n t r a î n e u r fait le déplace-
ment jusqu'à Madrid. Certes, i l explique à l'ancien
capitaine des Bleus que, dorénavant, les règles
vont changer. Fini le r è g n e des joueurs stars.
Retour à la discipline façon Aimé Jacquet. Et sur-
tout Raymond refuse de faire revenir l'ancien
staff.
À Madrid, Zidane a le blues. I l ne se sent plus
désiré. Après en avoir longuement parlé avec ses
frères, i l prend une décision : « Je pense qu'à un
moment d o n n é i l faut savoir dire stop. » Le
11 août, c'est avec tristesse que le joueur, âgé de
seulement 32 ans, prend officiellement sa retraite
des Bleus. Zidane ne digérera jamais le fait que n i
Aimé Jacquet n i personne ne l'ait appelé pour ten-
ter de le faire revenir sur sa décision. Car i l ne,
tarde pas à regretter son choix. Le F r a n ç a i s
s'ennuie à Madrid, tous ses coéquipiers du Real
(Beckham, Ronaldo, Figo...) ayant quitté la ville
pour se consacrer à leur équipe nationale pour les
matchs qualificatifs de la prochaine Coupe du
monde.
Dans le m ê m e temps, les Bleus ne brillent guère.
L'équipe n'est m ê m e pas s û r e de se qualifier.
Résultat, le téléphone de Domenech sonne sou-
vent. Zidane tient peut-être sa revanche. Au bout
du fil, sponsors, politiques et autres responsables
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de la Fédération française de football s'efforcent
en effet de faire pression sur l'entraîneur, afin
qu'il rappelle l'ancien n u m é r o 10. Commencent
les tractations. Elles vont durer plus d'un an, car,
si Zidane veut revenir chez les Bleus, i l refuse de
perdre publiquement la face en affichant son
désir.
La presse s'en mêle. L'Équipe, surtout, met le
paquet, en publiant des sondages de plus en plus
alarmistes qui résonnent comme des cris du cœur :
74 % des Français réclament Zizou, annoncera l'un
d'eux en avril. En parallèle, le premier quotidien
sportif de France p r é p a r e u n n u m é r o spécial
Zidane. « Par hasard' », assure Claude Droussent,
alors patron du groupe, qui nie avoir voulu influen-
cer Domenech. Selon lui, la bible du football veut
juste surfer sur la vague nostalgique des années
Zidane, monter une sorte de mégacompilation réa-
lisée avec l'accord de Zizou.
A c c o m p a g n é d'Olivier Margot, Droussent se
rend à Madrid en janvier 2005 pour discuter du
projet avec le jeune retraité. Tout le monde se met
d'accord autour d'une table au restaurant du cen-
tre d'entraînement du Real. À la fin du repas, les
journalistes sautent sur l'occasion de d é c l a m e r
leur amour à Zizou : « Vous manquez aux Bleus,
aux Français, à nous tous. I l faut que vous reve-
niez^ ! » Attendri, l'ancien n u m é r o 10, pourtant si
méfiant d'habitude, se livre à des confidences et
laisse tomber avec nonchalance : « Ça serait bien
de revenir pour jouer la qualification à Dublin en
2006, c'est vrai. Mais vous savez bien que ce n'est
pas possible. » Décidément, Zidane, l'enfant des
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quartiers nord de Marseille, a tout du politicien
chevronné. Bien sûr, i l précise que cette confi-
dence doit rester off, comme on dit dans le jargon.
Tel u n signe des dieux, les Bleus jouent u n
match catastrophique contre Israël. La confidence
de Zidane tombe à pic. Olivier Margot décide de
sortir l'info le L"' avril, dans le quotidien L'Equipe,
soit deux jours avant la p a r u t i o n de l'hebdo
L'Equipe Magazine, n u m é r o spécial consacré au
sportif. Le journaliste se met d'accord avec Zizou
sur les termes exacts à utiliser en couverture et
dans le corps de l'entretien. « Et s'il revenait ? »,
titre L'Équipe. En page intérieure, au milieu de
l'interview, le footballeur glisse : « Si on avait su
me convaincre, j'aurais continué (...). Ça serait
bien que je revienne en équipe de France... Mais
je ne veux pas parler de ça. » Personne dans la
rédaction, en dehors de quatre personnes, n'est au
courant de ce retour quasi p r o g r a m m é . Les jour-
nalistes du quotidien, qui n'ont pas été avertis,
sont furieux et une assemblée générale est réunie.
Mais les dés sont jetés et Domenech n'a plus le
choix : i l doit se rendre à Canossa. C'est Zizou qui
fixe le lieu du rendez-vous, au George-V. À l'entrée
du palace parisien, un ami du joueur attend
l'entraîneur. I l le conduit dans l'un des salons pri-
vés, oij i l retrouve Zidane, mais aussi... Patrick
Vieira, le capitaine des Bleus. Zidane pose ses
conditions : i l revient avec Thuram et Makelele, et
surtout i l veut pouvoir l'annoncer lui-même aux
F r a n ç a i s . C'est ce dernier point qui est le plus
important pour lui. Revenir mais ne jamais perdre
la face publiquement. I l ne peut reconnaître qu'il
s'ennuie seul à Madrid. Et veut être perçu comme
le héros prêt à se sacrifier pour l'intérêt de l'équipe
de France. Le sélectionneur ne peut qu'obtempé-
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rer. Après une heure de discussions, i l quitte
l'hôtel par la sortie de secours pour éviter de ren-
contrer des journalistes. Pour le dieu Zidane, l'exil
forcé n'aura d u r é que trois cent cinquante-sept
jours. Jamais il n'aura été aussi puissant qu'au cré-
puscule de sa carrière. Mais jamais, non plus, i l
n'aura dû autant se battre pour se faire respecter.
Le 3 août, le sportif confirme sur son site Inter-
net son retour en équipe nationale. Au passage, i l
se charge d'officialiser aussi le retour de Thuram.
Celui-ci en sera tout de m ê m e un peu vexé. Le
mardi 9 août 2005, France Football révèle dans ses
pages les raisons de ce come-back, selon les ter-
mes de Zidane : « Une nuit, à 3 heures du matin,
je me suis soudain réveillé et là, j ' a i parlé avec
quelqu'un. [...] C'est quelqu'un que vous ne ren-
contrerez probablement jamais. Moi-même je ne
m'explique pas cette rencontre. [...] Et là, durant
les heures qui ont suivi, j'étais tout seul avec elle
et, chez moi, j ' a i pris la vraie décision de revenir. »
L'histoire de cette voix quasiment mystique jaillie
de la nuit, confiée au journaliste Patrick Dessault,
fait le tour du monde. Drôle de confession pour
un joueur de foot réputé d'une pudeur maladive.
La vérité est, semble-t-il, beaucoup plus amu-
sante. Le p r é s e n t a t e u r de Téléfoot, Christian
Jeanpierre, révèle s'être rendu en Autriche sitôt la
nouvelle connue, avec une équipe de T F l . I l y en
avait aussi une de Canal+, et Patrick Dessault, le
rédacteur en chef de L'Équipe Magazine, pour sui-
vre le Real Madrid. Selon Christian Jeanpierre',
Dessault est déconfit de ne pas avoir eu l'exclusi-
vité de l'information. I l dit à Zizou : « Maintenant
que tu as fait ton annonce aux télévisions, je n'ai
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pas d'informations s u p p l é m e n t a i r e s pour mon
papier. » E m b ê t é , Zidane, ne sachant pas com-
ment donner un coup de pouce à Patrick Dessault,
qu'il c o n n a î t depuis des a n n é e s , l u i dit alors :
« Bouge pas, je vais te trouver quelque chose. » Et
cela devient un scoop.
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32
La Ola finale
I . Le 29 avril 2005.
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Découragé, le joueur, dont le contrat ne doit
prendre fin qu'en 2007, décide qu'il est temps de
raccrocher les crampons. F r é d é r i c Hermel', le
correspondant de L'Équipe en Espagne, le pres-
sent. Alors qu'il le guette à la sortie d'un entraîne-
ment, Zizou, le visage fermé, refuse de parler. I l
se contente de lui glisser : « J'ai pas le temps, je
dois aller voir Florentino. Mais je t'appelle ce
soir. » Le journaliste attend en vain. Le lende-
main, Zidane présente ses excuses d'une phrase
énigmatique : « Désolé, je n'ai pas eu le temps,
mais viens au Sofitel, mardi vers 19 heures. » C'est
dans cet hôtel de la capitale que le n u m é r o 5
donne ses rendez-vous professionnels. Le 25 avril,
Frédéric Hermel est au rendez-vous. L'ambiance
est étrange. Des caméras sont installées dans le
hall d'entrée. I l reconnaît ses confrères de Canal+.
L'un d'eux lui intime de partir. « On a l'exclusivité,
tu n'as rien à faire ici. » Au m ê m e instant, le visage
aussi blanc que son tee-shirt, le joueur entre dans
l'hôtel, suivi par ses frères. I l s'interpose : « Laisse,
c'est moi qui l u i ai dit de venir. » Quelques minu-
tes a p r è s , dans un petit salon privé, le sportif
annonce, filmé par les journalistes de la chaîne
cryptée, son sponsor, sa décision de quitter le
Real. À la fin de son allocution, i l prend Fred,
comme i l l'appelle, à part. C'est à l u i qu'il décide
d'offrir l'exclusivité de ses adieux pour la presse
écrite. Lors de cette interview, Zidane ne cache
pas qu'il est fatigué, à bout. I l confie, avec une
franchise é m o u v a n t e : « I l ne faut pas tricher.
M o i , j ' a i toujours été h o n n ê t e avec m o i - m ê m e .
(...) J'ai toujours pensé à l'autocritique. Je ne dois
pas oublier que ces deux dernières années ont été
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un échec'. » À la fin de l'entretien, alors que l'émo-
tion est palpable, Zizou demande à Frédéric : « Et
toi, tu vas faire quoi, maintenant ? »
Trois semaines plus tard, le dimanche 7 mai,
dans u n stade Bernabeu plein à craquer - les
quatre-vingt mille places ont été vendues en deux
heures - , le n u m é r o 5 le plus célèbre d'Espagne
vient dire adieu aux merengue. Ses parents, ses
proches ont fait le déplacement depuis Marseille.
Tous sont bouleversés. En partant pour le stade,
Véronique, stressée, se rend compte qu'elle a jeté
par mégarde les billets d'entrée dans la poubelle de
sa cuisine. Elle est obligée de faire demi-tour pour
les récupérer. Enfin, les membres de la famille arri-
vent et s'installent sur leurs sièges, au premier rang.
Quand Zizou entre sur le terrain, une immense
mosaïque représentant son maillot est accrochée
sur les gradins. Tous les supporters brandissent
une feuille de papier blanc sur laquelle est inscrit
le chifb-e 5. Les écrans vidéo du stade diffusent un
montage d'une m i n u t e trente, c o n d e n s é des
meilleures actions du plus grand joueur d'Espagne.
Ovationné pendant le premier quart d'heure du
match chaque fois qu'il touche le ballon, Zidane
sait qu'il faudra tout donner pour éviter à son
équipe de perdre ce match, capital aux Madrilènes
pour décrocher la deuxième place qualificative en
vue de la Ligue des champions. Certes, le Real
ouvre le score à la vingt-deuxième minute mais à
la première occasion, Villarreal égalise. Pire, un
d e u x i è m e but est inscrit à la t r e n t e - h u i t i è m e
minute. L'équipe de Florentino est dominée. La
seconde mi-temps est déjà entamée et le Real m e n é
2 à 1 lorsque... Da\dd Beckham, l'ami, le compagnon
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des années espagnoles, offre une balle à Zidane, qui
marque de la tête à la soixante-septième minute.
C'est son quarante-huitième but sous les couleurs
m a d r i l è n e s et son v i n g t - h u i t i è m e à Bernabeu.
« Olaaaaaaaaaa ! » hurle le stade en liesse. Zizou a
encore sauvé son équipe. La magie Zidane a fait à
nouveau des merveilles. Pour la dernière fois.
Zidane quitte le terrain, à la quatre-vingt-dixième
minute, sur le score final de 3 partout. Debout, la
foule peut voir les larmes perler dans ses yeux pour
la première fois de sa carrière. En maillot de corps,
l'idole lève les bras vers ses enfants et sa mère, qu'il
embrasse de loin. Les hommes de la famille Zidane
baissent les yeux pour ne pas l u i montrer leurs
pupilles rougi es.
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SEPTIÈME PARTIE
L E BUSINESSMAN
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33
L'homme-sandwich
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pas très cher, nous avons sauté sur l'occasion.
C'est m ê m e lui qui nous a aidés à trouver le slo-
gan. La seule chose qu'il a refusée, c'était qu'on
mette sa photo sur nos sacs en plastique. Ils peu-
vent tramer par terre et il n'avait pas envie que les
gens l u i marchent dessus... I l était connu, bien
sûr, mais pas encore la star inabordable qu'il est
aujourd'hui. Nous l'avons eu pour un peu plus de
1,5 million de francs, vous vous rendez compte ?
Nous avons fait une excellente affaire ! » Le coup
du siècle, m ê m e !
En moins d'un an, le footballeur, devenu cham-
pion du monde en cours de route, fait passer la
notoriété de la marque tricolore de 23 à 74 % : du
jamais-vu dans l'histoire de l'agroalimentaire. « Les
clients volaient nos mannequins en carton qui le
représentaient. Moi-même, je me suis fait dévaliser
mon coffre de voiture qui contenait des tee-shirts
floqués de son visage, destinés à nos meilleurs
commerciaux' », raconte cet ancien dirigeant en
riant. Sept ans plus tard. Leader Price voudra réi-
térer l'exploit, en utilisant cette fois-ci la longue
tignasse de Ronhaldino, le célèbre joueur brésilien
du FC Barcelone. En vain : « Ce fut l'un de nos plus
gros flops^ », confie le m ê m e patron.
Zizou, l u i , assume difficilement ses d é b u t s
d'homme-sandwich. « Vous m'avez mis la honte
avec votre pub Leader Price, je n'aurais pas dû vous
écouter, tous comme vous êtes ! », accuse Zizou,
furibard. On est en 1999 et celui qui encaisse le
reproche, c'est Mustapha, l'ami d'enfance. Le
joueur de football a été raillé lors d'une émission
télévisée pour cette publicité un peu cheap. Mus',
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justement, a joué les intermédiaires entre le prince
du football et le roi du discount. « Si t'es gêné, t'as
qu'à dire que ta mère ne faisait pas ses courses chez
Fauchon », répond Mus' à son champion. Ce dialo-
gue à la Audiard en dit long sur le Zidane de l'épo-
que. Auréolé, depuis juillet 1998, de son titre de
champion du monde, le sportif souhaite se donner
une image plus conforme à son ascension sociale.
Ironie du sort, c'est sa « honteuse » campagne Lea-
der Price qui lui en donne l'occasion.
En 1998, la directrice des parfums Christian
Dior, en allant travailler avenue Hoche à Paris, est
t o m b é e en arrêt sur ces panneaux montrant le
champion du monde en train de vanter les mérites
des packs de lait du hard-discounter. Arrivée à son
bureau, elle d é c r o c h e son t é l é p h o n e et appelle
l'agence de mannequins Marilyn, à l'époque égale-
ment spécialisée dans les contrats publicitaires de
sportifs. Elle veut Zidane : cet homme à la fois viril
et sensible, figure grand public et fédératrice,
incarne à merveille l'image de son eau de toilette
Eau Sauvage. Cela tombe bien : Nathalie', une des
responsables de l'agence, connaît bien Mustapha,
l'ami de Zidane. Vérifications faites, i l s'avère que
le sportif cherche justement à pénétrer l'univers du
luxe qui le fait tant rêver. Banco pour Dior ! Devant
l'objectif du photographe Antoine Legrand, le
meneur de jeu de l'équipe de France, mis à l'aise
par Mus' qui lui raconte des blagues, adopte une
pose très naturelle. Le col cheminée en polyester a
cédé la place à un délicat col roulé de cachemire.
« Rien n'a été retouché, jure-t-on chez Air, l'agence
de publicité qui a réalisé la campagne. On a eu, si
l'on peut dire, de la chance, car Zidane était blessé
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à ce moment-là et il a pu nous consacrer trois heu-
res pour la séance photo. »
Pour ces trois heures de pose, Zidane touche
2 millions de francs. Pourtant, le joueur et son
agent n'ont pas encore conscience de leur valeur.
Pour la p r e m i è r e fois, Patrick Givanovitch', un
temps apporteur d'affaires pour Zidane, raconte les
débuts publicitaires de Zizou : « J'avais démarché
Canal Sat et ils étaient d'accord pour signer avec
Zidane pour une année. C'était juste après le Mondial
1998. J'avais obtenu 600 000 francs (90 000 euros).
J'étais content. Mais Alain Migliaccio m'a engueulé :
"Tu te fous de moi, c'est tout ?" » Le contrat sera
s i g n é t o u t de m ê m e . Rapidement, le j o u e u r
apprend à faire monter les tarifs, n'attendant plus
de se faire démarcher pour signer les contrats. En
septembre 1999, c'est Zidane et son agent, Alain
Migliaccio, qui viennent d é m a r c h e r le bouquet
Canal Satellite, par l'intermédiaire de Michel Denisot,
à l'époque responsable des sports de Canal+. Le
tandem vend l'image d'un homme accessible, un
bon père de famille... bref, celle d'une star qui tou-
che tous les Français, toutes les catégories de télés-
pectateurs. Canal Satellite signe tout de suite. Le
partenariat entre le bouquet crypté et le sportif
prendra fin au moment de la retraite de Zidane. I l
durera huit ans.
Entre-temps, i l y aura eu Ford, Adidas, Danone,
Orange, le Groupe Zannier, Grand Optical, Gene-
rali, autant d'entreprises qui transforment Zizou en
véritable locomotive publicitaire. En dix ans, les
sommes engagées par les nouveaux partenaires ont
été multipliées par cinq, voire dix. En 2002, par
exemple, l'opérateur de téléphonie Orange met sur
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la table 6 millions d'euros sur trois ans. Un chiffre,
selon certains, re\ai à la baisse depuis. Grand Optical
ou Generali, eux, continuent de payer 500 000 euros
par an. Tous ces contrats publicitaires, selon les
spécialistes du secteur, rapportent chaque année
3,5 millions d'euros au footballeur.
Mais attention, pas question d'être malléable à
merci pour l'homme qui fait stipuler, sur certains
de ses contrats, l'interdiction de le faire déjeuner
avec des inconnus. Telle une véritable star de show-
biz, Zidane sait imposer ses conditions. Des capri-
ces ? Pas vraiment. Plutôt une bonne connaissance
des rapports de force. Ainsi, Orange, qui ne compte
plus les millions d é b o u r s é s pour le champion,
peine à le faire venir en France. Les quelques jours
que lui doit chaque année l'ancien capitaine des Bleus
se passent en général à Madrid'. C'est d'ailleurs dans
la capitale espagnole, ori i l \rit, que tout se négocie.
Même chose pour le lunetier Grand Optical. Séances
photo, tournages de spots publicitaires ou séances de
travail... tout est « made in Spain ».
A l'avenir, ces prestations seront-elles aussi fré-
quentes ? Adidas le suit depuis 1996 et débourse
2,5 millions d'euros par an pour se payer les serxdces
du joueur. Comme pour Danone, le contrat court
jusqu'en 2017. Mais le champion aura-t-il autant de
valeur dans quelques années ? « I l faut veiller à ne
pas trop populariser son image, reconnaît un res-
ponsable de la marque à trois bandes. Il ne faudrait
pas le transformer en homme-sandwich bon mar-
ché. » De fait, si Zizou redevenait le porte-parole
d'un supermarché discount, cela ferait désordre.
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Coach de luxe
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gouaille aussi célèbre que ses costumes Dolce
& Gabbana, a réussi à convaincre le champion de
représenter une marque jusque-là anonyme. « Je
me souviens de la signature du contrat comme si
c'était hier, reprend la jeune femme. J'étais en com-
pagnie de Driss, et nous avions fixé rendez-vous au
cabinet d'avocats madrilène de Zizou. J'ai vu arri-
ver un dieu vivant. C'était le doge de Gênes à la
cour de Louis XIV. I l faisait nuit, mais sa tête était
couverte d'un bonnet de laine et i l portait des lunet-
tes de soleil. I l était avec Farid, son fi-ère, et Alain
Migliaccio, son agent. Quand i l s'est découvert la
tête, j ' a i eu l'impression qu'il rentrait en scène.
C'était Marilyn Monroe. I l dégageait quelque chose
de lumineux. Après la signature du contrat, nous
sommes tous allés dîner. » Le papier officiel engage
le footballeur jusqu'en 2011. Api-ès tout, une image
se construit sur la durée. « Faire un coup sur trois
ans, ce n'était pas digne de lui, ce n'était pas à sa
mesure' », s'enflamme la responsable de la commu-
nication de l'assureur. Avant de concéder : « I l est
vrai qu'à la signature du contrat nous ne connais-
sions pas la date à laquelle i l souhaitait arrêter sa
carrière. »
Selon ce contrat avec Generali, qui lui rapporte
un demi-million d'euros par an, Zidane doit assu-
rer une dizaine d'animations dans l'année, un peu
partout en France. Un jet privé vient chercher le
joueur à Madrid pour le conduire à La Plaine-
Saint-Denis, dans les Hauts-de-Seine, à Arcachon
ou à La Trinité-sur-Mer. Au programme de ces
séances, censées doper l'ambiance des séminaires
du groupe : questions-réponses avec les salariés,
quelques blagues et le tour est joué. A 50 000 euros
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la séance, l'opération est rentable ! « Lui-même ne
savait pas tout à fait ce que nous attendions de lui.
Vous savez, Zizou est un humble. La première fois,
il est juste venu saluer nos quatre mille collabora-
teurs au siège de Saint-Denis », raconte Marie-
Christine Lanne.
Le 24 janvier 2007, m ê m e Antoine Bernheim, le
P-DG de Generali monde et l'un des pontes de la
finance, a fait le déplacement de Milan. En cos-
tume trois-pièces de flanelle grise, cravate à rayu-
res et Légion d'honneur à la boutonnière, l'homme
d'affaires, serré de près par deux gardes du corps,
ne lâche pas d'une semelle le champion du monde.
Avec sa barbe de trois jours, le sportif affiche une
tenue d é c o n t r a c t é e , chemise blanche sortie du
Jean et veste de velours bleu nuit. À bonne distance,
les salariés peuvent admirer l'idole. Des mails de
mise en garde leur ont cependant été expédiés la
veille. La consigne : ne pas s'approcher de trop
près de la star, réputée timide, ne pas trop le pho-
tographier et éviter toute effusion... Ce jour-là,
Zidane provoque un délire digne d'une rock star.
Son discours consiste en quelques mots d'encou-
ragement et le récit de son expérience d'athlète de
haut niveau. De q u o i transformer les jeunes
cadres dynamiques de Generali en midinettes
fébriles. « Zidane a salué tout le monde très sim-
plement et signé des autographes t r è s genti-
ment », assure la directrice de communication. A
ses côtés, le banquier Antoine Bernheim, l'homme
qui fait trembler les financiers de la p l a n è t e ,
demande, comme un enfant : « Et moi, personne
ne veut mon autographe ? »
Une autre fois, Generali le convainc de faire une
bonne surprise à son public : alors que quatre cents
cadres parisiens en costumes-cravates chauffés à
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blanc attendent de voir apparaître le maestro sur
un écran, en duplex depuis Madrid, ils le voient
soudain soulever le rideau en direct live et débouler
en personne sur la scène ! Standing ovation assu-
rée, au milieu d'une nuée de téléphones portables
brandis pour immortaliser l'instant.
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35
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mais sont monnaie courante. Lolo, comme on le
surnomme, n'a pas son pareil pour animer des
séminaires en tout genre. De Cannes à Cherbourg,
il est capable de mettre de l'ambiance durant les
défilés de mode du Salon nautique ou d'enflammer
le dance-floor des anniversaires ou mariages de ses
amis les people.
Le gérant de portefeuilles du groupe Generali,
Idriss Tsouli, l'appelle durant l'été 2006 : « Allô,
Lolo ? C'est Idriss. Rappelle-moi tout de suite, c'est
pour Zidane. » Laurent Boyer' est à peine surpris.
Lolo n'hésite pas deux secondes. Le lendemain à
16 heures, rendez-vous est donc pris avec Idriss et
une responsable de la communication de l'assureur
italien. À peine installés à la cafétéria de la station
de la rue Bayard, Idriss attaque : « Bon, on va faire
des trucs ensemble. Tu sais que Generali est un des
sponsors de Ziz ? Bon, eh bien, c'est toi qu'il veut
pour les animations commerciales qu'il leur doit à
la rentrée. Discute pas, il t'a choisi sur une liste
d'animateurs qu'on lui a proposée. » Lolo est un peu
inquiet : « Tu sais, je ne m'y connais pas du tout en
foot. J'ai fait un seul Fréquenstar avec Emmanuel
Petit, Lilian Thuram, Bixente Lizarazu et Christian
Karembeu, en 1999. Depuis, rien ! » Bonne réponse.
« Justement, c'est ce qui nous plaît. En plus, je te l'ai
dit, i l te veut toi et pas un autre. L'idée, c'est que l'on
fasse des petits entretiens de vingt-cinq minutes à
une heure, sur le ton de la confidence, un peu
comme dans tes émissions de télévision. Sauf que là
il faudra que tu le fasses parler devant un public »,
réplique Idriss. Le deal est topé en vingt minutes.
Reste pour « Lolo » à se débrouiller pour trouver de
quoi remplir ses petites fiches de questions.
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Arrive le grand jour. Celui du fameux séminaire
destiné à booster les forces vives de l'assureur.
Quoi de mieux que le mythique centre d'entraîne-
ment de Claire fontaine ? C'est ici que les Bleus se
p r é p a r e n t à chaque c o m p é t i t i o n qui oppose les
équipes nationales. Direction le Centre technique
national Fernand-Sastre, situé à 50 kilomètres au
sud-ouest de Paris, au cœur de l'espace protégé du
Parc naturel régional de la haute vallée de Che-
vreuse. Derrière les immenses grilles en fer forgé
se cachent 56 hectares de surface, 66 000 mètres
carrés de terrains engazonnés, seize vestiaires, une
salle de musculation, des saunas, trois courts de
tennis. C'est là que Laurent Boyer débarque pour
la première fois. Le temps de constater l'efferves-
cence totale dans laquelle est plongé le personnel
de Generali. Le service de presse ne sait plus à quel
saint se vouer. Qn crie et on se bouscule à tout-va
dans l'immense hall tandis que les forces commer-
ciales jouent au foot. Soudain, Marie-Christine
Lanne fait irruption, c o m p l è t e m e n t à cran : « I l
veut te voir tout de suite, je t'accompagne. »
Quelques marches plus haut, Laurent Boyer,
entouré de quelques responsables, arrive dans la
chambre du m a î t r e . Une p i è c e immense de
50 mètres carrés avec un grand balcon surplom-
bant le parc. C'est ici qu'en 1998, durant la Coupe
du monde, Zidane avait posé ses valises. Laurent
Boyer a l'impression de pénétrer dans le saint des
saints : « J'entre et qui je vois, assis en tailleur sur
un des deux "plumards" ? Zidane, en Jean et sweat
bleu, Adidas blanches aux pieds. » L'animateur de
M6, é m u et intimidé, s'approche pour se présenter.
S'il est ravi de rencontrer le footballeur le plus célè-
bre de la planète, c'est visiblement r é c i p r o q u e .
Commence une discussion surréaliste. Assis sur un
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coin du deuxième lit, Laurent Boyer ne cache pas
sa joie : « Je suis très heureux de vous rencontrer,
monsieur Zidane. » Le plus célèbre n u m é r o 10 du
monde répond d'une voix timide : « Non, non, c'est
moi. Vraiment, je suis content de vous voir. » Sou-
dain, Idriss fait sortir tout le monde. « Je vous laisse
seuls, mes frères. À tout à l'heure. » Laurent Boyer
sent un léger flottement et panique. Personne n'a
été capable de l u i dire quelles questions i l est censé
poser. Dans le doute, l'animateur fait ce qu'il sait
le mieux faire. I l prend le ton qu'il utilise pour Fré-
quenstar, m ê m e si on l u i a interdit de poser des
questions personnelles : « Zinedine, ne vous
inquiétez pas, tout va super-bien se passer. Vous
voyez, j ' a i tout prévu. » Zidane rétorque : « Mais je
ne suis pas inquiet. D'ailleurs, c'est moi qui ai plein
de questions à vous poser sur Fréquenstar. J'adore
cette émission, je la regarde depuis des années.
Enfin, surtout les rediffusions ! »
Interloqué, Laurent Boyer se retrouve dans le
rôle d'une star face à un fan appelé Zidane. À peine
le temps de se remettre de ses émotions que revoilà
Idriss : « Alors, ça va, les jeunes ? » Et, s'adressant
à Ziz : « Et toi mon frère, ça va ? » Zidane, légère-
ment exaspéré : « Tu permets, tu vois bien que je
parle avec Laurent. » Le plus célèbre des n u m é -
ros 10 du monde se retourne. Et là, à propos d'une
émission enregistrée quelque temps avant avec un
célèbre champion de tennis, i l interroge, comme si
la question le d é m a n g e a i t depuis des a n n é e s :
« Quand t'es avec Yannick Noah, tu sais, dans la
cave de sa maison, le v i n , vous le buvez vrai-
ment ? »
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Ma petite PME
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bolants : 500 000 euros de revenus annuels que lui
assure chacun de sa poignée d'annonceurs (Audi,
Grand Optical, Generali, Orange, Volvic), les 2 mil-
lions d'euros annuels versés par Adidas et le million
alloué par Danone. Aux commandes de Zidane
Diffusion : les quatre frères et s œ u r du sportif,
aujourd'hui associés à parts égales. Seuls Farid,
Noureddine et Lila y exercent une activité réelle,
en échange d'une voiture de fonction et d'un salaire
confortable. Responsable c o m m e r c i a l , Farid
émarge à environ 75 000 euros annuels. Noureddine,
responsable commercial également, gagne, l u i ,
presque 80 000 euros. I l est par ailleurs le directeur
de la publication du site officiel du champion,
www.zidane.fr, propriété de Zidane Diffusion. Au
poste de secrétaire de direction, Lila perçoit un
salaire de plus de 81 000 euros. Son mari travaille
é g a l e m e n t chez Zidane Diffusion, tout comme
Antoine Fernandez, le beau-père de Zidane, qui est
a t t a c h é c o m m e r c i a l ( p l u s de 36 000 euros
annuels), ou encore un ami, Mustapha Mazouz
(même fonction, m ê m e rémunération).
Jusque-là, tout ressemble à une modeste gestion
tranquille. En réalité, le champion du monde tire
une autre manne financière de la marque ZZ (pour
Zinedine Zidane). Créée en 1999, à l'époque de la
Juve, cette griffe est gérée par Colyre SA, une
société anonyme de droit suisse au capital de
100 000 francs suisses (150 000 euros), elle-même
chapeautée par Welney Finances SA. L'ensemble,
basé à Fribourg, en Suisse, est administré par une
analyste financière que l'on retrouve à la tête d'une
myriade de sociétés. Le nom de Zinedine Zidane
n'apparaît sur aucun document officiel, mais c'est
lui qui la dirige. À l'origine, ZZ ne concernait que
quelques produits comme des sacs en cuir et des
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articles de sport. Mais, en quelques a n n é e s , la
gamme s'est considérablement étoffée et sigle doré-
navant les produits les plus divers, des p â t e s
d'amande aux programmes informatiques. Chaque
fois que l'image de Zidane est vendue quelque part
dans le monde, ce sont ces sociétés suisses qui
récoltent la mise.
En 2005, enfin, Zinedine s'est associé au groupe
français Zannier, leader mondial du vêtement pour
enfants, en prêtant son nom sous licence à une col-
lectiofi pour garçons, avec « N u m é r o 10 » et « Life
Style », deux lignes supei-visées, à l'époque, par le
capitaine d'équipe en personne...
Derrière Zidane se cache encore la Société civile
i m m o b i l i è r e ZIFERN, contraction de Zidane et
Fernandez, le nom de jeune fille de Véronique.
Créée en j u i n 2000, cette société au capital de
506 000 euros et basée à Onet, le fief familial de ses
beaux-parents, est spécialisée dans la location de
logements. En 2004, le champion du monde a
investi 8,2 millions d'euros dans l'achat d'une mai-
son de retraite. La pension, pouvant accueillir
quatre-vingts seniors, est située au cap Sicié, à La
Seyne-sur-Mer, dans le Var. Pour conclure cet
achat, Zidane a monté une structure dédiée, ELT, aux
initiales de ses trois garçons, Enzo, Lucas et Théo. Le
gérant n'est autre que son frère, Noureddine. Aujour-
d'hui, son placement rapporte : 500 000 euros
annuels provenant de la location des murs à un
groupe spécialisé dans le troisième âge. Par son
statut de « loueur en m e u b l é professionnel »,
Zidane profite de plusieurs avantages fiscaux pour
alléger sa feuille d'impôt. En outre, grâce à la for-
mule, ses enfants s'acquitteront des frais de succes-
sion réduits quand ils en hériteront. Un véritable
investissement de père de famille, en somme.
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Surtout, Zidane a pris soin de rester vivre en
Espagne et ne paie que très peu d ' i m p ô t s en
France. Ses contrats, notamment avec Danone et
Adidas, sont avant tout des actions humanitaires.
Là encore, la fiscalité n'est pas la même. Parfois,
Zidane sait se montrer modeste. Ainsi, pour son
rôle dans le documentaire qui l u i est consacré,
Zidane, portrait du xxf siècle, i l n'a d e m a n d é que
250 000 euros et un petit pourcentage sur la vente
des DVD.
Décidément, le jeune r e t r a i t é ne c h ô m e pas.
Homme-sandwich, c'est un métier. Sans compter
ses activités annexes, par le biais de sa société
Zidane Diffusion. Après avoir joué du pied, Zidane
doit d é s o r m a i s serrer des mains. « Paradoxale-
ment, i l est plus difficile de le joindre aujourd'hui
qu'il est à la retraite, confie un interlocuteur chez
Orange. Avant, je pouvais le voir à Claire fontaine.
Maintenant, i l découvre le monde de l'entreprise.
Pour la campagne de pub du Mondial du rugby, je
faisais des story-boards pour lui montrer comment
se découpe un film. I l m'a dit qu'il était en phase
d'apprentissage. » Le champion du monde, un
apprenti patron ? « La retraite des grands cham-
pions ressemble à la vraie mort, avec un mélange
de tragédie et d'espérance. Zidane a sûrement cons-
cience d'avoir incarné quelque chose qui le dépasse
et qui est de l'ordre du don et de la grâce », estime
l'écrivain Denis Tillinac. Sûrement juste mais pas
tout à fait vrai. Si Zinedine a conscience de son
aura, sa vie ressemble é t r a n g e m e n t à celle d'un
ancien patron qui aurait trouvé des occupations
aussi permanentes que le fut sa carrière. Le stress
en moins.
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Le marché global sera conclu seulement en 2004.
A cette époque, l'idylle prend un tour plus sérieux.
Quatre ans plus tai^d, en mars 2008, lors d'un déjeu-
ner d'affaires organisé par l'association nationale
Croissance Plus, sorte de Medef du high-tech, Franck
Riboud, attablé avec quelques autres patrons au res-
taurant de la Cité des sciences de la Villette, raconte
l'histoire, en imitant l'accent marseillais de Zidane :
« On était en vacances ensemble, à Évian, et je lui ai
demandé ce qu'il allait faire plus tard, après le foot.
Zidane m'a répondu : "Rien." Je lui ai dit : "Ce n'est
pas possible, au moins pour vos enfants." Alors je lui
ai parlé d'un autre grand sportif, Jean-Claude Killy,
trois fois médaillé aux JO. Sa mère s'inquiétait de le
voir faire des courses automobiles. Elle en avait parlé
à mon père, qui a beaucoup fait pour ce sportif. I l l'a
remis sur des skis en quelque sorte ! » Après Riboud
père, Riboud fils décide lui aussi de jouer les pygma-
lions avec le numéro 10, afin de l'aider, dès mainte-
nant, à préparer sa reconversion professionnelle. Et
qu'importe si Zidane, comme ce dernier le rappelle
timidement, a quitté l'école très tôt. Pour Riboud, « ce
n'est pas parce que vous n'avez pas fait de grandes
études que vous ne pouvez pas avoir de grandes res-
ponsabilités' ». Car i l y a une chose plus importante
encore que les diplômes : « Les frottements de la vie.
Parce que, dans la vie, il y a des frottements. Des ren-
contres qui font que vous apprenez, des expériences
aussi », explique Riboud, diplômé de Polytechnique
Lausanne, à un Zizou i m p r e s s i o n n é comme un
enfant par toute l'attention qui lui est portée.
Par frottement, donc, le joueur signe un contrat
qui le lie à Danone jusqu'en 2014 : « Une histoire de
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mecs, d'hommes, comme l'est Danone' », raconte le
patron du groupe laitier au moment de la signa-
ture. D'ailleurs, fait inhabituel, le contrat qui lie la
multinationale au joueur contient une clause : si
Franck Riboud venait à disparaître, le footballeur
pourrait résilier le contrat. I l pourrait également
être annulé par l'éventuel remplaçant de Riboud.
Cet accord, d'une durée exceptionnelle, fait du joueur
l'ambassadeur de tous les programmes d'enfance
de Danone. Quelle meilleure cible que des enfants !
Dans le cadre de cette fonction de prestige, le spor-
tif inaugure les usines de production de yaourts
du groupe un peu partout dans le monde, plus
p a r t i c u l i è r e m e n t dans des pays m u s u l m a n s
comme le Bangladesh ou l'Indonésie, parraine la
Danone Nation Cup, Coupe du monde de football
des benjamins qui réunit quarante nations et dont
la phase finale se déroule au stade Gerland, à
Lyon. Au passage, Zidane soutient divers projets
sociaux. Qu'il devise avec Emmanuel Faber, vice-
président de Danone, qu'il échange quelques pas-
ses de ballon avec des enfants, qu'il signe des
autographes ou qu'il serre la main du prix Nobel
de la paix bangladais Muhammed Yunus, i l est à
l'aise avec tous.
Bien stir, cet engagement humanitaire n'est pas
de la communication. « Tu ne fais pas de pub, on
s'en fout », le rassure ainsi Riboud. Reste que jouer
les Lady Di au chevet des plus démunis a un prix.
Zidane, lui, n'est pas un bénévole. Ce contrat avec
Danone, qui exige du joueur une quinzaine d'heu-
res de présence par an, personne n'en connaît vrai-
ment le montant. Dans le milieu, certains évoquent
la somme de 1 million d'euros annuels. Mais le
,1. fbid.
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patron de Danone refuse de confirmer : « Je ne
vous le dirai pas. On s'en fout. Et tout ce que j ' a i
lu sur ses rémunérations est à côté de la plaque.
Complètement faux. Dans un rapport de 1 à 20'. »
Et de finir de balayer la question en justifiant :
« Zidane i l n'est pas là pour Danone. I l est là pour
Zidane. I l est passionné par sa propre marque, par
son nom, par le marketing. Ce partenariat, il y pen-
sait depuis longtemps^. »
D'ailleurs, le joueur estime que cette fonction
d'ambassadeur de la marque laitière lui permet de
« l'aider à grandir », comme il le confie à des jour-
nalistes. « Plus ça va, plus je ressens le besoin de
m'ouvrir sur le monde. Avec le Real ou l'équipe de
France, je voyageais beaucoup mais je ne connais
rien des pays que je traverse^ » Bref, tout le monde
est gagnant dans cet accord d'image assez inhabi-
tuel. Un accord presque fusionnel, si l'on en croit
l'idée qui germe dans l'esprit du patron de Danone
à la rentrée 2006. En septembre, Riboud annonce
en effet qu'il compte faire entrer Zidane au comité
d'administration, qui est chargé d'établir la straté-
gie du groupe. I l n'a pas jugé bon de prévenir les
administrateurs en poste. Mais après tout, cela fait
déjà longtemps que tout ce qui touche à « Ziz »,
comme i l aime l'appeler, relève directement et uni-
quement du patron. I l n'empêche. Les administra-
teurs en question apprécient peu l'initiative. Au
p o i n t que Franck R i b o u d f i n i t par assurer :
« C'était une boutade ! »
Zinedine Zidane ne fait donc pas partie du big
board. Mais avec Danone, c'est à la vie, à la mort.
1. Ibid.
2. Ibid.
3. L'Express, 7 avril 2004.
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I l justifie, dans une séquence vidéo diffusée sur son.
site Internet, wwav.zidane.fr : « On se sert de moi,
bien sûr, mais j'ai signé un contrat pour ça. Et une
usine qui ne fait pas de profits, Danone fait ça. Si
c'est ça, être un homme-sandwich, ça m ' i n t é -
resse'. » Quand un journaliste lui demande un jour
s'il n'existe pas un risque à lier son image sur le
long terme avec un groupe industriel, en cas de
casse sociale notamment, le sportif répond : « Lors
de la fermeture de l'usine LU, nous avons beaucoup
parlé. I l [NDLR : Franck Riboud] m'a expliqué les
rouages d'une telle décision : les plans sociaux, la
réindustrialisation, le reclassement... I l m'a m ê m e
transmis la cassette de son intervention au journal
télévisé. J'ai confiance en l'homme et en ses
choix^. » Riboud, l u i , ajoute : « La vie industrielle
n'est pas un tapis de roses, mais on a décidé de faire
le chemin ensemble. Après tout, Zizou, l u i aussi,
est susceptible de prendre des cartons rouges^. »
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38
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production 2P2L. Quand, quelques mois plus tard,
Zidane doit tourner une publicité télévisée pour la
mai'que Volvic, c'est S t é p h a n e Meunier qui est
recruté. Idem pour le spot d'Adidas, dans lequel
joue la star peu de temps après. D'autres documen-
taires suivent : Les Yeux dans les Bleus. 2, Zidane,
comme dans un rêve et Le Dernier Match. A force,
le réalisateur devient le cinéaste officiel de Zidane.
Tous ses documentaires sont coproduits avec
Canal+. Et bientôt, avec Zizou lui-même, ce qui
commence à faire jaser dans les couloirs de la
chaîne cryptée. Car le réalisateur, conforté dans
son rôle de réalisateur attitré de la star, use de ses
prérogatives et décide à sa guise de ce qu'il donne
à la chaîne. Ainsi, Le Dernier Match, documentaire
pour lequel l'équipe de Stéphane Meunier a suivi
Zidane sans discontinuer pendant plus d'un an, de
2005 à la fin de l'année 2006, comporte peu de scènes
fortes. Canal+ l'a pourtant acheté 300 000 euros.
Mais, selon les reporters maison, l'auteur aurait
préféré stocker les moments exclusifs pour le DVD,
commercialisé quelques mois plus tard, en jan-
vier 2008. Qu'importe ; le réalisateur a réussi à
devenir un homme de confiance pour le clan
Zidane et revendique une proximité amicale dont
il certifie qu'elle n'a aucun rapport avec le business
qui les lie.
Pour Jamel Debbouze, le cas de figure est un peu
différent. « Parlez-moi de Zidane », lui demande un
journaliste lors de la promotion de son DVD Jamel,
100 % Debbouze. « C'est mon ami d'enfance depuis
peu ! Au Stade de France, je me suis évertué à lui
expliquer qu'il n'avait pas la science infuse du foot-
ball. C'est dans le bonus du DVD... », répond le
comique, qui ne perd jamais de vue ses intérêts. Le
trublion et le sportif se sont rencontrés à Clairefon-
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taine, le terrain d'entraînement des Bleus, en région
parisienne. « Je ne me souviens pas de la date, mais,
quand on s'est regardés, i l s'est passé un truc très
fort. On était aussi intimidés l'un que l'autre. Y a un
truc qui m'a tué. I l m'a dit que, lorsqu'il se mettait
au vert, i l emmenait toujours un DVD de mon spec-
tacle et de Jamel en vrai. Vous vous rendez compte ?
Deux DVD de Jamel Debbouze dans son sac' ! » Cer-
tes, l'exubérance du pitre professionnel n'a pas tou-
jours séduit Zinedine, discret de nature et peu attiré
par les gens prompts à « s'afficher ». Mais c'était
compter sans l'insistance de Jamel, prêt à tout pour
séduire son héros. A force de blagues, le gamin de
Trappes a réussi à le dérider. Soirées entre copains,
shopping ensemble à Paris, visites à Madrid : les
deux hommes sont désormais des proches. A tel
point que le trublion fait peu à peu partie du clan et
se permet m ê m e de jouer les éminences grises.
Quand l'hebdomadaire Voici pubhe des photos
volées d'une de leurs séances de shopping parisien-
nes, Jamel conseille aussitôt à Zizou de poursuivre
le magazine en justice. Juste avant la finale de la
Coupe du monde 2006, on voit encore Jamel, désor-
mais pote officiel de la star, poser à ses côtés en cou-
verture de Paris Match. À l'intérieur du magazine, le
comique lui adresse une ode émouvante : « J'ai vu
tout de suite que ce grand type avait une grâce extra-
ordinaire. C'était animal, ça n'était pas humain.
Zizou, il me fait le m ê m e effet qu'un lever de soleil.
Quand tu aimes le ballon, tu ne vois que lui^. »
Quelques mois plus tard, quand éclate la rumeur
Nâdiya, le comique, à l'époque en tournage au
Maroc pour Astérix, n'hésite pas à faire des allers-
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retours à Madrid. Proche de la famille, i l se flatte
aussi de bien connaître Smaïl et Malika, les parents
de Zizou. T é m o i n cette scène r a p p o r t é e par Le
Nouvel Observateur, lors de la tournée promotion-
nelle du film Indigènes, pour lequel Jamel Debbouze
parcourt toute la France. « À Marseille (...), dans
le hall du multiplex Les 3 Palmes, Debbouze
embrasse comme du bon pain un discret monsieur
aux cheveux blancs vêtu d'un costume gris. Serait-
ce un ancien goumier de l'armée d'Afrique ? Vous
apprenez que c'est le père de Zinedine Zidane. I l
vient assister à l ' a v a n t - p r e m i è r e d'Indigènes.
Mme Zidane n'est pas là, mille excuses, elle n'a pas
eu le temps d"'aller chez le coiffeur". "Appelez-moi :
je lui ferai envoyer une invitation", dit le samaritain
à l'auguste et timide géniteur. Puis, comme s'il se
rappelait soudain que Mme Zidane est à l'abri du
besoin : "Mais qu'est-ce que je raconte ? Elle n'a
pas besoin de moi'." »
Car c'est cela aussi, Jamel, une gouaille de titi
banlieusard et une â m e d'entremetteur. La partici-
pation de Zidane dans le dernier Astérix adapté au
cinéma, Astérix aux Jeux olympiques ? C'est lui qui
joue les intermédiaires, trop heureux de ramener
sa guest-star personnelle dans la superproduction
du moment. Durant la dernière élection présiden-
tielle, Jamel tentera, en vain, de convaincre Zizou
de soutenir officiellement Ségolène Royal. Dans
son pays d'origine, le comique a déjà signé des
contrats publicitaires pour Maroc Telecom. L'opé-
rateur téléphonique demande un jour à Jamel de
convaincre Zidane de vanter les mérites de son der-
nier produit mis sur le marché. Mais, cette fois-ci,
la force de persuasion du comique ne suffit pas. Le
300
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joueur rejette l'offi-e. Quand Djamel se marie au
printemps 2008, Zidane « l'ami », pourtant invité,
ne sera pas présent. Qu'importe, l'amitié jamelo-
zidanienne est bien au-dessus de tout ça. Quand ils
s'envoient mutuellement des textos, c'est pour
s'écrire : « Tu es le meilleur », comme Zizou le fait
en sortant du spectacle de Debbouze au Zénith, en
2005. Jamel en est si t o u c h é qu'il ne peut pas
s'empêcher de confier ce message privé à un jour-
n a l i s t e . T e l l e m e n t heureux de cette preuve
d'amour. « Pour m o i , c'est l u i le m e i l l e u r »,
s'empresse-t-il d'ajouter.
Avec Jacques Bungert', la rencontre remonte à
2001, sur le plateau de tournage d'une pub Volvic
- groupe Danone. Difficile de résister à l'homme
qui conseille une partie du CAC 40 et qui dit de
Zizou : « Je l'aime d'amour. » Les envolées lyriques
du publicitaire pour parler de son poulain valent
leur pesant de ballons de foot. Ziz ? Un « gué-
pard », un « esthète », un « homme fantastique ».
C'est à ce Sup de co de 40 ans que l'on doit cette
image d'un Zizou humaniste. Messin d'origine,
l'homme a fait ses premières armes chez Danone
avant de former, avec Frédéric Torloting, le duo qui
gère l'agence de p u b l i c i t é Y o u n g & R u b i c a m
France. C'est suite au contrat signé entre Danone
et Zizou, en 2004, qu'il a pris de l'importance dans
la vie du joueur. « Zizou a arrêté l'école à l'âge de
15 ans et n'a pas eu le temps de tout apprendre.
Nous sommes là pour l'accompagner dans sa nou-
velle vie^ », justifie Franck Riboud, le patron de
Danone et véritable partenaire de Bungert dans le
coaching de la star. À eux deux, ils ont réussi à faire
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de l'ancien minot de la Castellane une icône du
marketing particulièrement rentable. Mais, à la dif-
férence du patron du groupe laitier, le publicitaire,
lui, prend garde à ne jamais avoir d'intérêt finan-
cier direct dans les affaires qu'il entreprend avec le
sportif. Ne l u i dites surtout pas qu'il s'occupe de
l'image de Zidane. Non, c'est juste de l'amitié et de
l'admiration pour le joueur, « un Kabyle fier ». I l
faut dire que le grand-père Bungert a joué dans
l'équipe de France en 1927. Alors, le foot, l u i au
moins, i l connaît. Dans l'univers du football OIJ les
sollicitations sont permanentes, où les « gratteurs »
sont légion, Jacques, 1 mètre 75, le regard bleu
clair et un sourire mécanique accroché aux lèvres,
a réussi à devenir indispensable. I l l u i est m ê m e
arrivé de dormir sur le canapé de la villa madrilène
de la famille Zidane ou de partir un week-end à
New York avec femme et enfants. Autant de mar-
ques d'affection qu'il dispense généreusement, sans
rien attendre en retour. Ou presque.
Quand Zidane, en 2005, accepte de tourner sous
la houlette de deux cinéastes talentueux, Douglas
Gordon et Philippe Parreno, un long-métrage à sa
propre gloire, Zidane, un portrait du xxf siècle, c'est
une de ses sociétés. Lumière, qui distribue le film :
« Le fruit du hasard' », jure Jacques Bungert. Le
hasard fait bien les choses : le publicitaire trouve
que le film est un chef-d'œuvre. C'est encore le
publicitaire qui s'occupe du plan média et choisit,
un par un, les journalistes qui auront l'honneur
d'interviewer Zizou. Peu sont des spécialistes de
sport. La plupart des heureux élus sont d'éminents
critiques de cinéma. Le jour J, i l réserve la suite
238 du George-V et conseille au champion, pour
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cette journée de promotion, de troquer sa chemise
blanche pour un tee-shirt noir, plus mystérieux et
plus efficace contre les marques de transpiration.
Quand le DVD arrive enfin dans les bacs, i l en
achète lui-même plusieurs exemplaires pour les
envoyer, avec toutes ses amitiés, à l'entourage et
aux membres de la famille Zidane.
Au moment de l'Évian World Cup, un tournoi de
golf dans lequel i l a obtenu la participation de
Zidane, Jacques Bungert, dont cette compétition
est en quelque sorte le bébé, le suit comme son
ombre et fait office d'attaché de presse. En jan-
vier 2008, pendant que Zidane répond aux ques-
tions de L'Equipe Magazine, Bungert, encore, est
assis d e r r i è r e l u i . Et quand Fabrice Jouhaud,
l'ancien chef du service foot de L'Equipe, vient sou-
mettre au joueur un pi'ojet de biographie, i l inter-
vient à nouveau, déconseillant au journaliste de se
lancer dans une telle entreprise. Il a m ê m e une bien
meilleure idée : pourquoi le journaliste ne ferait-il
pas plutôt un ouvrage collectif sur les Bleus de
1998, dans lequel pourrait figurer... Bixente Lizarazu
par exemple ? Bixente... lui aussi un ami de Bungert.
Hasard encore, ce dernier gère les i n t é r ê t s du
retraité basque : c'est l u i qui a négocié le contrat
de consultant de Lizarazu avec L'Équipe. Juste une
histoire d'amitié, en somme.
Décidément, entre business et amitié, le cœur du
sportif balance. Aujourd'hui, si Franck Riboud,
Jacques Bungert, Stéphane Meunier et Jamel sont
prompts à se vanter de leur relation, le sportif,
quant à lui, reste extrêmement discret sur le sujet.
Lorsque, par extraordinaire, i l s'affiche avec eux,
c'est pour la bonne cause, lors de galas, de matchs
de foot et autres événements publics. Jamais, que
ce soit dans la presse ou dans tous les livres dont
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il est l'objet, Zidane ne parle de Franck, Jacques,-
Stéphane ou m ê m e de son pote « Melja » (Jamel en
verlan). Jamais i l ne se répand sur ce qui le lie à
ces hommes, pourtant si proches par bien des
aspects. Par pudeur, par indifférence ou plutôt, tout
simplement, par discrétion ? Ses nouveaux amis
n'en prennent pas ombrage. Peut-être parce qu'ils
n'auraient rien à y gagner.
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jour, le téléphone sonne. Martha, la secrétaire de
l'association décroche et entend : « Bonjour, je vou-
drais parler à M . Guy Alba. » M é c a n i q u e m e n t ,
Martha, l'assistante, réplique : « I l est en réunion. »
« C'est pas grave, dites-lui que Zinedine Zidane le
rappellera. » La jeune femme reste sans voix et rac-
croche sans rien dire. Dans les locaux, c'est la stu-
péfaction. Zizou rappellera comme promis, une
semaine plus tard. Celui-ci joue alors à la Juventus
de Turin. « À cette époque, raconte à la presse Guy
Alba, le chanteur Florent Pagny venait de nous
signer un chèque de 2 millions de francs. Nous ne
voulions pas d'argent, mais que Zizou s'investisse
personnellement, qu'il nous autorise à utiliser son
image pour des photos et un spot télé. I l était très
réticent, puis a fini par accepter. » Pour le plus
grand plaisir d'Alba, qui verra le joueur s'investir
au-delà de toutes ses espérances, m ê m e si ce der-
nier ne signe jamais aucun chèque.
Au total, le champion consacre sept journées par
an à l'association nancéienne, via une série d'évé-
nements et de programmes télévisés en tout genre.
C'est peu et beaucoup à la fois. Car Zidane, au fil
des a n n é e s , a su rallier à la cause un nombre
incroyable de personnalités. A commencer par des
sportifs, comme lui : les footballeurs Djibril Cissé
et Louis Saha, par exemple, participent régulière-
ment aux o p é r a t i o n s de la fondation. Le pilote
M i c h a e l Schumacher, sept fois c h a m p i o n du
monde de Formule 1, a l u i aussi apporté sa roue
au carrosse humanitaire, en venant faire quelques
tours de piste au Grand Prix de France de Formule
1, à Magny-Cours, pour sensibiliser le public aux
maladies orphelines.
Mais Zidane ne s'est pas contenté de convaincre
ses amis les sportifs. Pour trouver de nouvelles
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recrues h u m a n i t a i r e s , i l a aussi p u i s é dans
l ' é n o r m e vivier des people de façon g é n é r a l e .
Notamment pour le casting de Tout le monde se lève
pour ELA, sorte de Téléthon, qu'il coanime une fois
par an. Cette émission, retransmise en alternance
sur T F l et France 2, met en scène des stars qui doi-
vent, pour l'occasion, réaliser une performance à
contre-emploi de leur domaine de prédilection.
Parmi celles qui se sont prêtées au jeu, la journa-
liste Claire Chazal s'est improvisée danseuse de
cabaret, la chanteuse Jenifer a esquissé une choré-
graphie de samouraï, mais aussi Yannick Noah,
Kad et Olivier, Marc Lavoine et Florent Pagny.
Naturellement, Zidane aussi doit y aller de sa
prouesse. Lors de la dernière édition, les téléspec-
tateurs ont vu ainsi leur footballeur préféré monter
sur... un cheval.
Qviand i l ne joue pas les apprentis cavaliers,
Magic Zizou enfile la tenue de l'instituteur pour
l'émission La Dictée d'ELA, autre rendez-vous de
people auquel i l a convié, par le passé, des person-
nalités comme François Berléand, Benjamin Castaldi
et Sophie Thalmann. À charge pour le comédien,
l'animateur et l'ex-Miss France, dans les différents
établissements scolaires participant à l'opération,
de dicter le texte à des élèves de CM2. Zidane, lui,
passe dans les rangs, souriant, regardant par-
dessus une épaule de temps en temps, ravi de jouer
les maîtres d'école.
Car c'est avec les enfants qu'il donne toute sa
mesure. Danone ne s'y est pas trompé, en confiant
au joueur le titre d'ambassadeur de tous ses pro-
grammes liés à l'enfance. Un cynisme assumé par
une d é c l a r a t i o n é t o n n a n t e . «Moi je le dis par
pudeur, confiait r é c e m m e n t Franck Riboud, les
enfants malades, je ne peux pas les toucher, je n'y
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arrive pas. Ce sont des gamins qui vont mourir, on
le sait. Pas tout de suite, peut-être, mais les pro-
chaines années, très vite... Mais l u i , faut le voir,
c'est un ours en peluche, c'est une perfusion'. »
Voici donc Zidane réduit à jouer les perfusions
pour un fabricant de yaourts. L'homme qui a un
véritable don avec les enfants est ainsi utilisé pour
rendre humain le monde impitoyable des affaires.
Après tout, l'homme qui chuchote à l'oreille des
enfants, sait rameuter les sponsors. Quand son égé-
rie publicitaire, véritable « icône humaniste »,
selon Jacques Bungert, l u i a proposé de s'intégrer
à sa grande chaîne de solidarité, Riboud n'a pas
hésité longtemps. Depuis 2003, l'intégralité des
recettes de la Danone Nations Cup, ce tournoi de
football disputé par des enfants venus du monde
entier, est ainsi reversée à ELA. Au fil des années,
Danone, qui verse à l'association 150 000 euros par
an, est m ê m e devenu son premier contributeur.
Certes, leurs activités respectives sont radicale-
ment différentes mais elles ont le m ê m e public : les
enfants. Ainsi, la Danone Nations Cup et ELA, par-
rainées l'une comme l'autre par Zinedine Zidane,
poursuivent un but commun : « Donner de l'espoir
aux enfants », justifie Guy Alba. Le patron du
groupe laitier, qui a accepté, à titre personnel,
d'être membre du conseil de surveillance de la fon-
dation, ne saurait mieux dire. Dans ce contrat à
trois, chacun trouve son intérêt.
Quant à l'équipementier Adidas, i l a rallié le com-
bat en 2004, par le biais d'un livre, réalisé d'après
une idée de Gérard-Philippe Mabillard, un commu-
nicant suisse. Pour l'opération, inédite, pas moins
de quatre-vingt-huit personnalités ont enfilé des
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chaussures de sport de la marque aux trois bandes.
De Catherine Deneuve à l'Abbé Pierre, en passant
par Jean-Jacques Goldman, Jean-Louis Trintignant,
Audrey Tautou ou encore Max Gallo, toutes ont
posé, dans des mises en scène les plus diverses
(Jean Rochefort avec une basket sur la tête, Julie
Depardieu faisant fleurir ses tennis dans des légu-
mes, Jamel, ses petits petons confortablement lovés
dans la propre paire de Zidane, taille 44), sous
l'objectif du pliotographe Georges-André Cretton.
Ces clichés ont servi de base à Tous en baskets, un
ouvrage paru chez Flammarion et vendu au profit
de la Fondation ELA. Sans l'appui de Zidane,
jamais autant de stars n'auraient accepté de parti-
ciper au projet.
Retraité (mais toujours sponsorisé), Zidane sem-
ble au faîte de la gloire et de la reconnaissance. Son
seul nom agit aujourd'hui comme un talisman.
Prononcez-le et toutes les portes s'ouvriront. Son
ami Christophe Dugarry confie, en toute franchise :
« Nous, les joueurs, sommes tellement sollicités
qu'il est difficile de trouver la cause juste. On a tou-
jours peur d'être récupéré et de ne pas maîtriser
l'utilisation de notre nom. Moi, je n'ai jamais asso-
cié mon nom à des causes humanitaires comme
lui, je préfère m'impliquer dans des actions ponc-
tuelles. »
Et l'ancien capitaine des Bleus ne s'est pas
c o n t e n t é d'embrasser la cause d'ELA. Depuis
mars 2001, i l est également ambassadeur itinérant
du Programme des Nations unies pour le dévelop-
pement (PNUD). Son seul patronyme a réussi à
drainer d'autres champions tels le capitaine de
l'équipe d'Angleterre David Beckham, ainsi que les
Brésiliens Rivaldo et Roberto Carlos, avec lesquels
Zidane a organisé un match contre la pauvreté à
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Bâle, en Suisse. Les 800 000 dollars récoltés ont
servi à financer des projets du même genre dans
les pays en développement. Une main tendue, un
pied mis à l'étrier par le footballeur le plus célèbre
du monde, et le tour est joué. I l lui est m ê m e arrivé
de prêter son image à S œ u r Emmanuelle. Ainsi, en
2005, i l a accepté de devenir le héros d'une bande
dessinée, Champion de vie aux Éditions Casterman,
dont la recette des ventes est allée à l'association
caritative que préside la religieuse. « I l n'a pas tou-
ché un sou, raconte Alexi Noient', auteur de la BD.
Malheureusement je n'ai jamais pu le rencontrer,
mais ses frères, notamment Noureddine, ont joué
le jeu et ont supervisé mon travail. » La maison
d ' é d i t i o n s Casterman et S œ u r E m m a n u e l l e
rêvaient de lancer une collection « Champion de
vie ». Hélas, aucune star n'avait l'aura d'un Zidane.
Aucune star n ' é t a i t capable de faire vendre
120 000 exemplaires rien qu'en prêtant sa vie.
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Épilogue
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voulue qu'à moitié, est parfois vécue comme une
épreuve.
Parfois seulement. Car Zidane est un « excellent
stratège » malgré cet air un peu naïf qu'il affec-
tionne tant. Le joueur connaît la force de son cha-
risme et sait mettre ses adversaires dans la poche.
Ainsi, lors du procès de la Juve, auditionné par le
procureur Guariniello, i l t é m o i g n e r a de bonne
grâce, souriant et bafouillant légèrement : « J'ai été
très impressionné par Zizou, nous confie quatre
ans plus tard le magistrat. I l était très bon, très
sympathique. C'est un des rares à avoir joué cartes
sur tables. Je garde un bon souvenir de nos deux
rencontres. Je me souviens de l u i assis dans mon
bureau'. » Même son de cloche chez Jacques Liénard,
médecin fédéral à la Fédération française de foot-
ball. Chargé en 2004 d'effectuer les contrôles anti-
dopage durant les matchs préparatoires de l'Euro,
il se rappelle avec émotion l'ancien capitaine des
Bleus : « I l était tard et je n'avais toujours pas
déjeuné. Nous étions tous les deux assis dans la
salle de contrôle quand i l m'a gentiment offert la
moitié de son sandwich. Vous voyez, j ' a i eu l'hon-
neur de partager un bout de pain avec Zidane^. »
Le célèbre n u m é r o 10 déteste les conflits ? Qu'à
cela ne tienne, i l sait envoyer les autres au charbon
pour lui. Ainsi, lors de la Coupe du monde 2006,
sorti quelques minutes à la fin du match contre la
Corée par un Domenech en colère, i l se gardera
bien de faire un quelconque reproche à l'entraî-
neur. Mieux vaut laisser ses proches monter au cré-
neau : « C'est scandaleux d'avoir fait ça à Zizou,
reproche Christophe Dugarry. Vous vous rendez
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compte : l u i faire une chose pareille alors que
c'était peut-être son dernier match' ? »
Musulman malgré lui, pour convenir aux intérêts
de certains de ses sponsors, personnage calme et
réservé, pour coller à son image de gendre idéal,
globe-trotter pour tromper l'ennui, ce héros est
condamné à ne jamais fendre l'aiTnure. Y parvlendra-
t-il toujours ?
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Remerciements
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Table
Prologue 11
PREMIÈRE PARTIE
Le coup de tête
1. L'aveu 17
2. Le match le plus long 23
3. Les secrets du vestiaire 33
4. Chronique d'un geste annoncé 41
5. La gueule de bois 49
6. Panique chez les sponsors 55
DEUXIÈME PARTIE
La superstar
7. Champions du monde 67
8. Zizou, président ! 81
9. Champions d'Europe 85
10. Un dieu sur terre 89
11. Une couronne trop lourde 95
12. Dans la peau de Zinedine Zidane 107
13. L'art de gérer les sollicitations 113
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TROISIÈME PARTIE
Histoires de famille
14. Modestes parents d'un Dieu vivant 123
15. L'influence de Noureddine Zidane 129
16. Véronique et les enfants 135
17. La rumeur Nâdiya 143
18. La vie lambda de M . Zidane 151
19. Un boute-en-train 157
QUATRIÈME PARTIE
L'omerta
20. Comment je me suis disputé avec Zizou ... 163
21. L'enfant chéri des médias 169
22. Une belle Équipe 179
23. La question du dopage 183
CINQUIÈME PARTIE
L'ascension
24. Une enfance marseillaise 199
25. Cannes, la montée des premières marches 205
26. Bordeaux, un cru exceptionnel 213
SIXIÈME PARTIE
Dans la cour des grands
27. La Dolce Vita turinoise 223
28. La Pretty Woman du Real Madrid 235
29. La consécration espagnole 243
30. La berezina de 2002 251
31. La traversée du désert 257
32. La 01a finale 267
318
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SEPTIÈME PARTIE
Le businessman
33. L'homme-sandwich.. 273
34. Coach de luxe 279
35. Une â m e de midinette 283
36. Ma petite PME 287
37. Quand Zidane boit du petit-lait 291
38. Les nouveaux amis 297
39. L'homme qui murmurait
à l'oreille des enfants 305
Épilogue
La vie rêvée de Zidane ? 311
Remerciements 315
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Composition
NORD COMPO
Achevé d'imprimer en Italie
par GRAFiCA VENETA
le 21 mars 2014
ÉDITIONS J'AI L U
87, quai Panhard-et-Levassor, 75013 Paris
Diffusion France et étranger : Flammarion
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