Constantes Économico-Esthétiques Du Cinéma en Côte D'ivoire
Constantes Économico-Esthétiques Du Cinéma en Côte D'ivoire
Constantes Économico-Esthétiques Du Cinéma en Côte D'ivoire
CÔTE D’IVOIRE
RÉSUMÉ
Les sources de financement sont nombreuses, les moyens de valorisation et les lieux
d’exposition multiples, et la forme générale des films, variée. Cependant, toute cette diversité
est un arbre qui cache une forêt de difficultés pour avoir accès à des financements. Malgré
quelques soubresauts de réalisateurs de la nouvelle génération, le cinéma en Côte d’Ivoire
reste sous le diktat des fonds occidentaux qui, jusqu’aujourd’hui, conditionnent la pratique
des réalisateurs ivoiriens. L’ascendance, ces dernières années, de financements privés tend
à rendre plus autonome les réalisateurs ivoiriens dans leurs décisions créatives, mais le
cadre informel dans lequel ils évoluent ne les met pas totalement à l’abri de l’influence des
financements publics et occidentaux. Dès lors, l’esthétique générale des films s’en trouve
profondément affectée. Cet article analyse les influences des modalités de financement et
de diffusion sur l’esthétique générale des films ivoiriens.
Mots-clés : Côte d’Ivoire – Cinéma – Économie – Esthétique – Réalisateur - Film
ABSTRACT
The sources of funding are numerous, the means of valorization and the multiple places
of exposure, and the general form of the films, varied. However, all this diversity is a tree
that hides a forest of difficulties to access funding. Despite a few ups and downs of directors
of the new generation, cinema in Côte d’Ivoire remains under the dictates of Western funds
which, until today, condition the practice of Ivorian filmmakers. The ancestry of private
financing in recent years tends to make Ivorian filmmakers more autonomous in their creative
decisions, but the informal setting in which they operate does not completely protect them
from the influence of public and Western funding. . From then on, the general aesthetic of
the films is deeply affected. This article analyzes the influences of funding and dissemination
methods on the general aesthetics of Ivorian films.
Keywords : Côte d’Ivoire – Cinema – Economy – Aesthetics – Director - Film
Lors d’une conférence sur le cinéma en Côte d’Ivoire, Bassori Timité6 affirmait
qu’un film n’est pas l’œuvre d’un seul individu, mais le résultat de plusieurs
compétences de domaines divers. Toutefois, la structure économique du cinéma
a modifié les logiques de la pratique cinématographique en Côte d’Ivoire. Les
frontières entre les circuits de la production, de la distribution et de l’exploitation se
brouillent. En plus, c’est une industrie du cinéma où un seul individu, généralement
le réalisateur, exécute à la fois la fonction de producteur et de distributeur et veille
aussi à l’exploitation de son film.
Dans un texte qui analyse le rôle des festivals dans la diffusion des films africains,
Denise Époté écrit à propos des réalisateurs africains : « En quête de perpétuel
financement, les réalisateurs sont tous aujourd’hui par la force des choses devenus
5 « Le cinéma industriel privilégie, surtout l’action et l’efficacité
du suspense, quitte à caricaturer les personnages en bons et en
méchants ». Idem, p. 17.
6 Bassori Timité, 2009, Conférence sur le thème Le cinéma en Côte
d’Ivoire, Abidjan, Conseil Economique et Sociale, p. 15.
Dans une interview accordée sur son film Bal Poussière, Henri Duparc énonçait
des conditions que les acteurs de la filière cinématographique devraient observer
pour prétendre à la mise en place d’une industrie cinématographique en Côte
d’Ivoire. Ainsi, affirmait-il :
Si tous les cinéastes font des films en se disant que quand on met des millions
dans une production, il faut la rentabiliser, nous allons conquérir d’autres
marchés. Mais si par contre on fait des films financés par les gouvernements
sans souci de rentabilité, c’est dommage. En période de crise, il faut s’occuper
de rentabiliser ce qu’on fait. L’industrie du savon doit vendre du savon ;
celle du cinéma le film. Cela exige que l’on traite des sujets intéressants qui
permettent de s’imposer sur les autres écrans.27
Une analyse de la trajectoire économique des films de « la nouvelle génération »
permet de mettre en évidence une coïncidence de leur logique économique d’avec le
propos d’Henri Duparc qui est la nécessité de rentabilité. En effet, selon Guy Kalou,
cette génération a structuré les différents processus de la filière cinématographique
de sorte à pouvoir prétendre mettre en place une industrie ivoirienne du cinéma dans
le plein sens du terme, c’est-à-dire un cinéma qui peut s’autofinancer, se vendre
valablement avec les mécanismes de diffusion qu’exige un cinéma autonome et
être apprécié du public.
Dès lors, avec cette génération, les financements quittent le modèle de la
gratuité. La conception mercantiliste du cinéma devient une réalité. Les sommes
sont investies en vue d’une rentabilisation. Comme cela a été souligné plus haut,
l’on quitte un cinéma de subvention pour aboutir à un cinéma qui se veut de plus
en plus autonome financièrement. Toutefois, la volonté d’autonomie financière
influence aussi l’esthétique des films. D’un cinéma de dépendance économique qui
se caractérise formellement par une esthétique dictée par les bailleurs de fonds, l’on
bascule progressivement vers un cinéma commercial avec des films dont la forme
est soumise aux logiques de rentabilité financière. Cela dit, quel est l’impact des
logiques économiques développées par les acteurs de « la nouvelle génération » sur
leurs films ? Owell Brown répond à cette question dans l’entretien qu’il a accordé
pour cet article :
En observant le cinéma ivoirien, on se rend compte que 90% des productions
sont le fait, le fruit de privés, ce n’est pas l’argent du ministère ; ce sont des
initiatives privées de quinze à vingt millions. Il arrive que le ministère donne
souvent, mais c’est en fonction des personnes. (O. Brown, Interviewé par
nous-même [Y. D. Camara], Abidjan, Janvier 2017).