Dossier Jeune Afrique - Le Drian - Juin 2021

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DOSSIER

Jean-Yves Le Drian –
Business, famille, patrie
Le patron du Quai d’Orsay a-t-il fait jouer ses réseaux et son entregent
pour favoriser les intérêts de son fils Thomas et des entreprises de sa
région d’origine, la Bretagne ? D’Abou Dhabi à Bamako en passant par
Paris, enquête sur un ministre VRP.

POLITIQUE

France-Afrique : Jean-Yves Le
Drian a-t-il fait jouer ses réseaux
au profit de son fils ? (1/2)
RÉSERVÉ AUX ABONNÉS | 24 juin 2021 à 10h00 | Par Mathieu
Olivier et Vincent Duhem
Mis à jour le 24 juin 2021 à 15h58

« Jean-Yves Le Drian – Business, famille, patrie » (1/2).


D’Abou Dhabi à Bamako en passant par Paris, « Jeune
Afrique » a mené l’enquête sur les possibles liens entre
les activités du patron du Quai d’Orsay et celles de son
fils Thomas. Premier volet de notre enquête exclusive.
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Sous le soleil d’Abou Dhabi, un étrange véhicule attire les regards. Avec ses
six roues motrices tout-terrain et ses deux portes avant ouvertes qui
laissent entrevoir un cockpit à la pointe de la technologie, l’engin a des
allures d’insecte des sables. Autour de ce dangereux scarabée doré, équipé
de deux mitrailleuses légères, l’étrange ballet du commerce d’armement
bat son plein.
Des représentants de Renault Trucks Defense vantent les mérites de leur
coléoptère géant. Des militaires en treillis insistent sur l’intérêt de son
camouflage en zone désertique. Quelques Français en costume se sont
quant à eux réfugiés un peu plus loin, sous la protection climatisée du hall
d’exposition, où lance-roquettes chinois, blindés biélorusses et fusils
d’assaut américains se disputent la vedette.
En cette fin du mois de février 2015, Jean-Yves Le Drian a fait le déplacement.
Pour le ministre de la Défense de François Hollande, l’International Defence
Exhibition & Conference (Idex), le plus important salon d’armement du
Moyen-Orient, est un rendez-vous à ne pas manquer.
Lorsqu’il débarque à Abou Dhabi, le patron de la sixième armée du monde
(300 000 hommes environ) a une nouvelle fois mis le paquet : le pavillon
tricolore est le deuxième le plus imposant chez les Européens (derrière
l’Allemagne mais devant le Royaume-Uni).

Le Drian père… et fils

Des légionnaires du 2e régiment étranger de parachutistes ont été


réquisitionnés pour faire la démonstration de leur équipement. Jean-Yves
Le Drian a endossé ses habits de représentant de commerce. Tout sourire,

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il se comporte à Abou Dhabi, où il se rend déjà pour la neuvième fois en


tant que ministre, comme s’il était chez lui, sur un marché de Bretagne.
Poignées de mains et tapes dans le dos, l’ancien édile sait y faire. Quelques
pas derrière : un jeune homme discret, qui n’a que 31 ans.
Fine moustache et barbe de quelques jours, Thomas Le Drian détonne un
peu dans cet aréopage d’industriels plus âgés, de militaires à la retraite et
d’acheteurs émiratis. Peu le connaissent. Officiellement, il n’exerce aucune
fonction auprès de son père.
Diplômé de l’Institut supérieur de commerce de Paris en 2008, il a certes
été contrôleur de gestion chez le fleuron français du transport maritime CMA-
CGM pendant un an, de juin 2006 à juin 2007, mais il a ensuite poursuivi sa
carrière comme consultant chez KPMG Advisory (janvier 2008-décembre
2012), avant de devenir conseiller de Jean-Pierre Jouyet, avocat et haut
fonctionnaire proche de son père et intime de François Hollande, à la
direction générale de la puissante Caisse des dépôts et consignations
(CDC).

LE MINISTRE FRANÇAIS A-T-IL SAISI L’OCCASION D’UNE


VISITE AUX ÉMIRATS POUR FAIRE PROFITER SON FILS
DE SON CARNET D’ADRESSES ?

À la CDC, il s’est alors orienté vers l’immobilier, au sein de la Société


nationale immobilière (SNI, devenue CDC Habitat en 2018). Quand il
arpente les allées de l’Idex d’Abou Dhabi, Thomas Le Drian est directeur de
cabinet du président du directoire de la SNI, André Yché.
Ce dernier a été directeur adjoint du cabinet d’Alain Richard, ancien ministre
de la Défense du président Jacques Chirac, mais la présence du fils de Jean-
Yves Le Drian à Abou Dhabi n’a malgré tout rien à voir avec la SNI, qui
s’occupe de la politique de logement social de l’État français. « On savait
que Thomas avait un poste officiel dans l’immobilier, mais aussi un rôle
officieux dans les affaires, où le carnet d’adresses de son père était
essentiel », se souvient un participant français de l’Idex.
Quelle était la raison de la présence de Thomas Le Drian à Abou
Dhabi ? Jeune Afrique a bien entendu posé la question – ainsi que quelques
autres – à l’intéressé. Mais nos interrogations sont restées sans réponse.
Alors que nous avions transmis notre message, le 1er juin dernier, via le
réseau social LinkedIn (réseau sur lequel nous étions en relation depuis
plusieurs mois sans communiquer), le profil de Thomas Le Drian nous est
brusquement devenu inaccessible. Canal coupé et silence radio.

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« Raisons personnelles »
Interrogé par Jeune Afrique dans le cadre de cette enquête, Jean-Yves Le
Drian nous a fait savoir que la présence de son fils tenait à des « raisons
personnelles » et que celui-ci ne faisait pas partie de la délégation officielle
et n’avait participé à aucun autre déplacement que celui d’Abou Dhabi en
neuf années de présence à la Défense et au Quai d’Orsay.
Une image de l’Idex 2015, dont l’existence nous avait été suggérée par un
connaisseur ouest-africain du milieu de la défense et que nous avons pu
retrouver après quelques semaines de recherche, avait pourtant attiré notre
attention. À gauche : un quinquagénaire aux fines lunettes, Mohammed Ben
Zayed Ben Sultan (MBZ), prince héritier et ministre de la Défense d’Abou
Dhabi. Face à lui, lui serrant la main avec un grand sourire : Thomas Le
Drian.
Entre les deux hommes, Jean-Yves Le Drian joue les intermédiaires,
visiblement fier de présenter son héritier à celui de la famille Al Nahyane,
qui règne sur Abou Dhabi, le plus riche des sept Émirats arabes unis.
Le ministre français a-t-il saisi l’occasion d’une visite aux Émirats pour faire
profiter son fils de son carnet d’adresses ? MBZ, qui a lui-même présenté sa
famille à son homologue français lors de l’édition précédente, en 2014,
s’est-il brusquement intéressé à la politique de logement social de la CDC ?
S’agissait-il d’une simple poignée de main de courtoisie ? Thomas Le Drian
a choisi de ne pas nous répondre.

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« Personne ne posait vraiment de questions, se souvient un industriel


présent en 2015. Jean-Yves Le Drian est très discret. Un jour, lors d’une
visite, son fils a commencé à lui parler affaires dans une voiture. Le ministre
l’a coupé en lui disant de faire attention aux oreilles indiscrètes et qu’il ne
fallait être sûr ni du chauffeur ni de l’hôtel. »
Mais les « oreilles indiscrètes » sont légion, que ce soit au Moyen-Orient ou
en Afrique, où la présence de Thomas Le Drian ne saurait passer longtemps
inaperçue. Plusieurs sources nous ont ainsi confirmé que le fils du ministre
s’est peu à peu lancé dans des activités de conseil en rapport avec le Golfe
et sur le continent africain.

« Papa-m’a-dit »
« Tout le monde imagine la main de Jean-Yves Le Drian derrière lui. En
Afrique, on le voit un peu comme un “Papa-m’a-dit” », nous explique un
homme d’affaires familier des réseaux d’affaires -franco-africains (ou
françafricains). La référence à Jean-Christophe Mitterrand, surnommé ainsi
par Le Canard enchaîné dans les années 1980, n’est pas, a priori, des plus
flatteuses.
Depuis le début de l’année 2020, Thomas Le Drian a quitté le cocon de la
CDC, où il travaillait depuis sept ans. Gérant de l’entreprise Kaïros Feeling,
basée dans les Hauts-de-Seine (Île-de-France), il a fondé avec Edwin
Racine, un ami ayant longtemps travaillé pour la Société nationale des
chemins de fer français (SNCF), la société Build-Up, dont il est aujourd’hui
le directeur général.

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Les contours de cette entreprise, « détaillés » dans des statuts dont Jeune
Afrique s’est procuré la copie, sont assez vagues. Build-Up, enregistrée au
registre du commerce de Rennes, a pour objet « la réalisation de toutes
prestations de consultants, de conseil, de services, d’apporteurs d’affaires,
d’assistance et d’accompagnement auprès de toute entreprise et tout
véhicule d’investissement quel que soit leur domaine d’intervention, auprès
des particuliers ainsi que de tout organisme public ou parapublic,
notamment en matière immobilière, d’investissement ou stratégique, ainsi
que la négociation de tous types de contrats ».
Quelles sont donc les prestations exercées par Thomas Le Drian ? Là encore,
l’intéressé a préféré ne pas répondre. Selon nos sources, le jeune Breton
n’a toutefois pas délaissé le secteur de l’immobilier et partage son activité
entre l’Île-de-France et la région Bretagne. Mais son champ d’action se
limite-t-il au logement ?

Un partenaire de choc : Bernard Squarcini


Visiblement non. Voici quelques mois, Thomas Le Drian a participé à
plusieurs rendez-vous ayant pour thème les secteurs français de la défense
et de la sécurité. Dans les discrets bureaux parisiens des entreprises
françaises, où anciens militaires, espions de toujours et jeunes loups de la
Macronie se côtoient sans forcément s’apprécier, le fils de ministre a même
disposé d’un partenaire de choc : Bernard Squarcini, l’ancien patron de la
Direction centrale du renseignement intérieur française (DCRI), de 2008 à
2012, reconverti dans les affaires, notamment en Afrique. Étrange tandem
que celui formé par un ancien chef espion familier de la Corsafrique et un
jeune homme d’affaires biberonné aux réseaux de centre gauche bretons.

C’EST ÉTRANGE DE VOIR LES RÉSEAUX DE


DROITE DE SQUARCINI SE MÊLER À CEUX
DE CENTRE GAUCHE DES LE DRIAN »

Contacté par Jeune Afrique, Bernard Squarcini a confirmé connaître Thomas


Le Drian. Selon l’ancien commissaire des Renseignements généraux, cadre
des réseaux Sarkozy né au Maroc, ils se seraient rencontrés par
l’intermédiaire d’une connaissance commune voici « moins d’un an », alors
que le plus jeune exerçait des activités « dans l’immobilier en Île-de-France
et en Bretagne ».
Mais la relation ne serait pas allée plus loin. En tout cas officiellement. Car,
selon les informations recueillies par Jeune Afrique, les deux hommes se
connaîtraient en réalité depuis plusieurs années et ont déjà été en contact
bien avant l’année 2020. D’après un témoignage recueilli par l’une de nos
sources auprès de l’un des deux intéressés, Thomas Le Drian et Bernard
Squarcini collaborent au minimum depuis l’année 2016.

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À l’époque, François Hollande est en perte de vitesse. Pénalisé par une


courbe du chômage qu’il ne parvient pas à inverser, il est en mauvaise
posture à un an d’une présidentielle à laquelle il n’a pas encore renoncé à
se présenter. Dans son propre camp, un certain Emmanuel Macron fourbit
ses armes, et un autre cadre de la majorité ne fait plus mystère de ses
ambitions, en la personne du Premier ministre, Manuel Valls.
Ce dernier le sait : l’Afrique est un passage obligé pour un présidentiable.
Valls n’y est pas particulièrement à l’aise, préférant le terrain sécuritaire
français, mais il met en place ses réseaux, notamment en Afrique de
l’Ouest, et s’active sur le terrain médiatique, se confiant même longuement
à Jeune Afrique en septembre 2016.
« Les réseaux Le Drian et Squarcini se sont rapprochés à cette époque pour
contrer la montée en puissance de Manuel Valls en Afrique, qui ne plaisait
ni à François Hollande ni à Emmanuel Macron », explique notre source
auprès du duo. L’aventure présidentielle de Valls, à qui Jean-Yves Le Drian
s’était déjà opposé en 2013 alors que le Catalan souhaitait réduire le budget
de la Défense, tournera court.
Le tandem a-t-il continué à fonctionner ? Bernard Squarcini nie cette version
des faits, s’en tenant à une unique rencontre, quasi fortuite, avec son cadet,
tandis que Thomas Le Drian, contacté le même jour, s’est muré dans le
silence. Seulement, malgré toute leur discrétion, les deux hommes
réapparaissent bel et bien ensemble sur les écrans radars au début de
l’année 2021.

Discrétion et renvoi d’ascenseur


Il n’est alors plus question d’immobilier, qu’il soit parisien ou breton. En ce
premier trimestre de 2021, la pandémie de Covid-19 a fermé les restaurants
et compliqué les déjeuners d’affaires. Mais le business continue de tourner,
en particulier dans un secteur de la défense qui ne fonctionne jamais mieux
que dans des pièces sécurisées, où les téléphones portables sont bannis.
Thomas Le Drian et Bernard Squarcini comptent bien profiter de cette
discrétion.
Le discours, tenu lors d’une réunion courant 2021 et dont JA a eu
connaissance, est rodé : le Squale, comme chacun surnomme Squarcini,
met en avant ses réseaux issus de la DCRI et évoque son expertise dans le
domaine de la sécurité, via l’entreprise Kyrnos, qu’il a fondée lors de sa
reconversion dans le privé. Thomas Le Drian, lui, n’a pas besoin de
beaucoup en dire. Son patronyme parle pour lui.

JEAN-YVES LE DRIAN S’EST OFFERT


UNE IMAGE DE CHAMPION NATIONAL
QUE PEU SOUHAITENT ÉGRATIGNER.

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À leurs interlocuteurs, les deux hommes proposent de faire jouer leur


entregent. Ils se disent disposés à faire la promotion de l’entreprise qui les
accueille auprès de Jean-Yves Le Drian. La technique est loin d’être
nouvelle : dans un milieu où chacun tente de faire son trou, l’accès direct
au meilleur vendeur d’armement de France (dixit l’industriel Serge Dassault
en 2016) n’a pas de prix. Ils ne réclament officiellement rien en échange,
si ce n’est de la discrétion et une promesse non formulée d’un futur renvoi
d’ascenseur lors d’un autre contrat.
« C’est fréquent dans le milieu des apporteurs d’affaires. Un carnet
d’adresses, c’est une possibilité de rendre des services à quelqu’un et de
s’en faire un obligé dans l’optique d’un futur marché », résume un fin
connaisseur du milieu.
Thomas Le Drian a-t-il durablement quitté le secteur de l’immobilier ? Selon
nos informations, son nom est actuellement associé à l’entreprise de
sécurité numérique Idemia, basée en France et née de la fusion de Morpho
et d’Oberthur Technologies, au point que Thalès, concurrent attitré de cette
dernière, s’en agace aujourd’hui ouvertement.
Quant à son duo avec Bernard Squarcini, il en a décontenancé plus d’un.
« Squarcini passe encore, car il a une expertise dans la sécurité. Mais
Thomas Le Drian est censé être dans l’immobilier. Tout ce qu’il a, ce sont
les réseaux de son père. Et puis c’est étrange de voir les réseaux de droite
de Squarcini se mêler à ceux de centre gauche des Le Drian », confie une
source dans le milieu.
D’autres entreprises ont-elles bénéficié des services du tandem ? Dans un
milieu où la grande muette est omniprésente, le silence est resté d’or,
d’autant que le ministre breton a fait de la discrétion sa marque de fabrique
politique, qui lui permet bien souvent de se tenir éloigné des soubresauts
médiatiques.
Enfin, il a pour lui un atout de taille : en seulement trois ans à l’Hôtel de
Brienne, il avait fait passer le montant des ventes d’armes françaises de 4,8
à 16 milliards d’euros (« Le Phénomène Le Drian », Les Éditions du coin de
la rue, 2016). De quoi s’offrir une image de champion national que peu
souhaitent égratigner.

Le deuxième volet de cette enquête,


« [Enquête] Mali-France : Jean-Yves Le Drian,
VRP breton à Bamako », sera en ligne le 25 juin
sur notre site.

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DIPLOMATIE

Enquête – Mali-France :
Jean-Yves Le Drian, VRP
breton auprès d’IBK (2/2)
RÉSERVÉ AUX ABONNÉS | 25 juin 2021 à 10h09 | Par Mathieu
Olivier et Vincent Duhem
Mis à jour le 25 juin 2021 à 10h53

« Jean-Yves Le Drian – Business, famille, patrie »


(2/2). En 2015, une entreprise basée en
Bretagne, la région d’origine de l’actuel ministre
français des Affaires étrangères, obtenait le
marché de la fabrication des passeports
biométriques au Mali. Selon plusieurs sources,
elle aurait bénéficié du soutien actif de celui qui
était alors ministre de la Défense.
Dans le milieu des affaires, chez les grands industriels français et les géants
de l’armement, Jean-Yves Le Drian est une valeur sûre. Et pour cause : la
vente d’armes, il s’y prépare depuis 2006. À l’époque, la gauche n’est pas
encore au pouvoir, et Ségolène Royal s’apprête à affronter Nicolas Sarkozy.
Le Breton vient de décider de ne pas se présenter de nouveau aux
législatives de 2007 et de se consacrer à sa région.
Mais l’ancien secrétaire d’État à la Mer n’entend pas se couper de Paris. Lors
d’un déjeuner – « Chez Françoise », près de l’Assemblée nationale – avec
Cédric Lewandowski, conseiller au Parti socialiste qui deviendra son

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directeur de cabinet, Le Drian évoque la nécessité de rester attentif à des


opportunités gouvernementales. Lewandowski – franc–maçon du Grand
Orient comme son futur patron – suggère la Défense. Le Breton, qui a
commencé à travailler en tant que député au sein de la commission Défense
de l’Assemblée dès 1978, acquiesce.
Pour l’ancien maire de Lorient, le domaine militaire est une évidence. Né
dans cette ville d’après-guerre en ruines, il s’est formé politiquement au
sein de la Jeunesse ouvrière chrétienne, dont ses parents sont militants, et
a grandi au contact de l’arsenal de la ville, qui a longtemps produit les
navires de combat de la République française.

Réseau
La guerre et l’industrie. En 2006, ces deux piliers deviennent l’alpha et
l’oméga de son ambition ministérielle, que quatre hommes se chargent de
concrétiser : Lewandowski, évidemment, l’énarque François Roussely, son
futur conseiller spécial Jean-Claude Mallet (aujourd’hui directeur des
affaires politiques chez Total) et l’ancien officier de l’armée de terre Jean-
Michel Palagos.
Ce groupe, baptisé Sémaphore, prépare officiellement les éléments de
langage de la candidate Royal sur la défense. Mais il travaille en réalité pour
Le Drian, qui multiplie déjà les rencontres avec les industriels et les
militaires. Cela paie : en 2007, le Breton est appelé par Nicolas Sarkozy, qui
a battu Royal, et travaille à un gouvernement d’ouverture. Le socialiste
refuse. Il patientera cinq ans de plus, jusqu’à l’élection de François
Hollande.
Mais le travail de Sémaphore, qui se réunit environ une fois par mois autour
d’une bonne table durant le quinquennat de Sarkozy, a porté ses fruits. De
l’avis de tous, Le Drian est devenu l’un des meilleurs connaisseurs du
système militaro-industriel français, en particulier au sein d’une gauche
française où l’utopie antimilitariste a encore ses adeptes.
Grâce à son Comité ministériel des exportations de défense (Comed, piloté
par Lewandowski), il fait passer le montant des ventes d’armes françaises
de 4,8 à 16 milliards d’euros lors de ses trois premières années à l’Hôtel de
Brienne (« Le Phénomène Le Drian », Les Éditions du coin de la rue, 2016).
Pour les industriels de la défense, le VRP breton fait figure de champion. Un
statut largement assumé par l’intéressé, qu’il a continué à endosser après
son passage à l’Europe et aux Affaires étrangères, en 2017, où il a embrassé
sans rechigner le concept de « diplomatie économique » vanté par l’un de
ses prédécesseurs, Laurent Fabius.

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LE « MINISTRE DE L’AFRIQUE » EST REÇU


COMME UN CHEF D’ÉTAT, TUTOIE LA
PLUPART DES DIRIGEANTS DU CONTINENT
S’il y a bien un endroit où la parole de Le Drian pèse, c’est en Afrique,
particulièrement francophone. Quand il prend ses fonctions à la Défense, il
ne connaît pourtant pas plus que ça ce continent où la France possède ses
plus importantes bases militaires. Il y multiplie les déplacements, bénéficie
de ses réseaux bretons et socialistes, et s’érige peu à peu en une figure
incontournable du petit monde de la Françafrique.
Celui que l’on surnommait lors du mandat de François Hollande « le ministre
de l’Afrique » est reçu comme un chef d’État, tutoie la plupart des dirigeants
du continent qui connaissent ses liens forts avec Hollande, apprécient ce
politique pragmatique, « à l’ancienne », et lui font une confiance quasi
aveugle.
Au point qu’un maître escroc franco-israélien, imitant sa voix à la
perfection, parviendra à piéger au téléphone quelques chefs d’État du
continent afin de leur extorquer de l’argent en guise de contribution au soi-
disant paiement de la rançon d’otages français au Mali. Quand Jean-Yves
demande, on ne dit pas non. Alors on se plie en quatre pour obtenir ses
faveurs, quitte parfois à lui rendre quelques services. Et le regretter par la
suite.

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« Quel ingrat ! »

Dans l’Airbus qui l’emmène ce 30 juin 2018 à Nouakchott, où doit se


dérouler le 31e sommet de l’Union africaine (UA), Ibrahim Boubacar
Keïta rumine. Le chef de l’État malien n’a pas digéré les propos tenus par
Jean-Yves Le Drian à son égard.
« Dans les accords d’Alger, il y a tout ce qu’il faut pour retrouver la paix au
Mali et plus globalement au Sahel. Encore faut-il avoir la volonté politique
de traduire ces accords dans la réalité. Ce n’est pas encore le cas, je
souhaite que ce le soit après l’élection présidentielle. S’il y a un message à
faire passer au président [malien] – à celui-là ou un autre, je n’ai pas à
prendre parti dans un processus électoral –, aux candidats, c’est de faire en
sorte qu’ils s’engagent solennellement pour la mise en œuvre des accords
d’Alger », a lancé le chef de la diplomatie française en marge d’un
déplacement à Stockholm.
Nous sommes à quelques semaines du scrutin, et, en prenant connaissance
de cette déclaration, IBK se sent définitivement lâché par Paris. Il fulmine.
« Quel ingrat ! » lance-t-il, en parlant de Le Drian, à l’un de ses plus proches
collaborateurs.
Les deux hommes se connaissent pourtant bien. Ils se sont rencontrés à
Paris en 2013. Mais leur relation, d’abord sans nuage, s’est progressivement
tendue. Lorsque le chef de l’État malien retrouve ses pairs dans la capitale
mauritanienne, le hasard des agendas présidentiels fait qu’Emmanuel
Macron, le président français, doit lui-même effectuer une visite en
Mauritanie les 2 et 3 juillet. En marge du sommet de l’UA, il doit s’entretenir

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avec Mohamed Ould Abdelaziz et prendre part à une réunion de travail avec
les dirigeants du G5 Sahel.

 QUAND C’EST POUR ME DEMANDER UN


SERVICE, CE N’EST PAS LA MÊME
HISTOIRE
Arrivé le 1er juillet à midi, Macron participe illico à un déjeuner à huis clos
avec les chefs d’État présents. IBK est l’un d’entre eux. Assis à côté du
sénégalais Macky Sall, il n’a pas décoléré : il lance une pique remarquée au
président français. Repu, chacun retrouve ensuite sa délégation, mais
Emmanuel Macron n’a pas vraiment apprécié la remarque de son aîné. Le
cadet demande des explications.
« Cela ne t’était pas destiné. C’était pour Le Drian », répond le chef de l’État
malien, qui se tourne ensuite vers l’intéressé breton, le regardant droit dans
les yeux : « Quand c’est pour me demander un service, ce n’est pas la même
histoire. »
Les quelques personnes qui assistent à cette scène inhabituelle dans le
monde si souvent feutré de la diplomatie s’interrogent. Mais que peut-il bien
vouloir dire ? Ibrahim Boubacar Keïta fait en réalité référence à un épisode
bien précis.
Il concerne l’obtention, en 2015, du marché de la fabrication des passeports
biométriques maliens par la société française Oberthur Technologie,
devenue Idemia. Depuis 2001, c’est la Canadien Bank Note (CBN, une
société canadienne) qui est chargée de leur confection. Mais son contrat
arrive à échéance à la fin de l’année 2014. Les dirigeants d’Oberthur, qui
ambitionnent de s’implanter au Mali depuis plusieurs années, se
positionnent rapidement et bénéficient d’un important lobbying de l’État
français.

Insistance
À la fin de 2013, l’ambassadeur français à Bamako, Gilles Huberson, est
reçu par Ibrahim Boubacar Keïta au palais de Koulouba. Il n’y va pas par
quatre chemins : il serait de bon goût que le dossier d’Oberthur soit étudié
avec bienveillance, dit-il au président malien. IBK n’est pas particulièrement
surpris par la démarche. Il l’est en revanche un peu plus quand le dossier
Oberthur est cette fois abordé directement par le ministre de la Défense
Jean-Yves Le Drian, et ce, selon nos sources, à plusieurs reprises au cours
de l’année 2014.
« Le Drian y tenait tellement qu’il a mentionné l’engagement militaire
français au Mali lors des négociations, expliquant que les soldats des deux
pays mourraient ensemble au front. Il était déjà arrivé que Hollande
demande d’aider les entreprises françaises, mais jamais de manière si
insistante. Alors on s’est posé des questions. Le président n’avait rien contre

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les Canadiens, il était d’abord réticent à changer », raconte l’un des plus
proches collaborateurs d’IBK.
Mais l’axe Paris-Bamako fonctionne à plein, et l’issue apparaît inéluctable.
« Finalement, le président a cédé », conclut notre source.
Informé du non-renouvellement du contrat de la Canadian Bank, Ottawa
tente malgré tout de s’accrocher à son bien. Son ambassadeur à Bamako,
Louis de Lorimier, s’en émeut à deux reprises devant le ministre de la
Sécurité, Sada Samaké, aujourd’hui décédé. Il s’étonne notamment
qu’aucun appel d’offres n’ait été lancé pour renouveler le marché. Rien n’y
fait.
« Les autorités maliennes se sont contentées de prendre acte de mes
démarches », raconte le diplomate. Selon un ancien de l’entreprise, le
Français Thalès (à l’époque concurrent d’Oberthur) a également tâté le
terrain pour se positionner, mais a rapidement fait demi-tour : « On nous a
fait comprendre que le dossier était verrouillé », explique notre source, qui
précise que « le montant des commissions (fixé à 3 % du montant global
chez Thalès à l’époque) était aussi trop élevé ».

Lobby breton et soupçons de corruption

Une convention de collaboration est finalement signée en janvier 2015.


Contrairement à l’accord avec la Canadian Bank, c’est désormais Oberthur
qui vend directement les passeports et non l’État malien. « Les passeports
fournis par les Français étaient de meilleure qualité mais considérablement
plus chers. On est passé du simple au double », précise une source au

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ministère de l’Économie et des Finances ayant travaillé sur le dossier à partir


de janvier 2015.
Un dossier brûlant : le contrat Oberthur fait en effet jaser dans la presse
malienne, qui pointe du doigt le rôle du ministre de la Sécurité et va jusqu’à
l’accuser de corruption. Dans les couloirs du palais de Koulouba, on se veut
plus pragmatique : au vu de l’engagement militaire français dans le pays,
impossible de faire autrement. « Tous les gouvernements font du plaidoyer
pour les entreprises de leur pays. Cela n’a rien d’exceptionnel ni de
répréhensible », juge un important ministre d’IBK.
Certains avancent tout de même une autre raison susceptible d’expliquer
l’intérêt prononcé de Le Drian pour un contrat qui n’entre pas en théorie
dans ses attributions de ministre de La Défense : Oberthur n’est pas une
simple société française, mais un fleuron de la région Bretagne, si chère à
Jean-Yves Le Drian.
Spécialisé dans la production de billets de banque et de documents
sécurisés, son principal site de production se situe près de Rennes.
L’hypothèse bretonne explique-t-elle l’activisme du ministre français ?
« C’est ce qu’on m’a dit quand j’ai pris mes fonctions », tranche un ancien
ministre d’IBK.
Contacté, le ministre français des Affaires étrangères réfute : s’il admet
avoir conseillé à l’État malien de se doter d’un système moderne de
documents sécurisés, il affirme ne jamais avoir mentionné Oberthur ou une
autre entreprise à quelque interlocuteur que ce soit.
Avec Jean-Yves Le Drian, le lobby breton tient son meilleur représentant,
au point d’être parfois accusé de pratiquer une sorte de préférence
régionale. Sous son impulsion, Safran, spécialiste de l’aéronautique basé à
Fougères et plus important employeur de ce coin breton, a bénéficié de
deux importantes commandes d’avions de l’Égypte.
Le ministre suit également l’évolution de Sabena Technics, implantée à
Dinard et spécialisée dans l’entretien d’aéronefs, notamment africains.
Thalès, Naval Group, ou encore Arquus (l’ex–Renault Trucks Defense, qui
faisait sa promotion à Abou Dhabi en 2015 et qui équipe nombre d’armées
africaines) ont également toutes des sites de production en terres
bretonnes.
Le Drian n’a en outre jamais hésité à côtoyer le fameux Club des trente, un
cercle créé en 1988 et rassemblant le gratin du patronat breton, soucieux
de se réunir pour influencer les décisions prises à Paris. Vincent Bolloré et
François Pinault y ont leur rond de serviette, bien que leur envergure soit
en réalité suffisante à elle seule pour influencer le monde politique de Paris.
Le Drian y entretient surtout d’excellents rapports avec le milliardaire Louis
Le Duff (Brioche dorée, Del Arte, Bridor), à qui il a décerné la légion
d’honneur en 2012, et a pu croiser au sein du Club Jean-Pierre Le Roch
(Intermarché, aujourd’hui décédé), Daniel Roullier (Groupe Roullier),
Claude Guillemot (Ubisoft) ou encore Brice Rocher. Ce petit-fils d’Yves

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Rocher, fondateur du groupe de cosmétiques très présent en Afrique, a


d’ailleurs vu son directeur de cabinet, Pierre Roussette, recevoir l’insigne de
chevalier de la Légion d’honneur en janvier 2020, à Vannes, des mains du
ministre des Affaires étrangères.

L’Afrique, un débouché « essentiel »

Le « duc de Bretagne » a également régulièrement fréquenté l’Institut de


Locarn, un discret centre de prospective économique créé en 1991 (où
s’active également Louis Le Duff). L’Institut, rebaptisé Keréden cette année,
s’est notamment donné pour mission de « fédérer les Bretons du monde
entier pour qu’ils participent activement à l’essor économique de la région ».
Un credo que Jean-Yves Le Drian ne peut que partager. Si le Keréden est
classé à droite (il a longtemps été animé par le patron de TF1, Patrick Le
Lay), et a été décrit comme une « officine indépendantiste et nationaliste »,
le socialiste n’a jamais rechigné à y faire des apparitions. En 2004, il y a
prononcé un discours devant près de 300 décideurs bretons, aux côtés de
Pierre Méhaignerie ou de François Goulard, cadres régionaux de l’UMP de
Nicolas Sarkozy.
Chiffre révélateur : entre 2012 et 2015, selon son agenda officiel, Jean-Yves
Le Drian a effectué 153 déplacements en province en France, dont 53 pour
la seule Bretagne. Lorsqu’il était ministre de la Défense, deux membres de
son cabinet étaient également directement affectés aux affaires bretonnes,
et le patron de l’hôtel de Brienne réunissait aussi régulièrement les
parlementaires de sa région à son ministère ou participait souvent aux
réunions de Bretagne commerce international (BCI).

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Le 12 janvier 2018, à Rennes, alors qu’il effectue une énième visite sur ses
terres, le ministre n’y va d’ailleurs pas par quatre chemins. Devant les
représentants de 200 entreprises adhérentes de BCI, il résume son action
en deux phrases : « Il faut que nous prenions toute notre place dans le
développement de l’Afrique. Pour l’exportation, c’est une destination
essentielle. » Pour la France. Et pour la Bretagne.

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