Dossier Jeune Afrique - Le Drian - Juin 2021
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DOSSIER
Jean-Yves Le Drian –
Business, famille, patrie
Le patron du Quai d’Orsay a-t-il fait jouer ses réseaux et son entregent
pour favoriser les intérêts de son fils Thomas et des entreprises de sa
région d’origine, la Bretagne ? D’Abou Dhabi à Bamako en passant par
Paris, enquête sur un ministre VRP.
POLITIQUE
France-Afrique : Jean-Yves Le
Drian a-t-il fait jouer ses réseaux
au profit de son fils ? (1/2)
RÉSERVÉ AUX ABONNÉS | 24 juin 2021 à 10h00 | Par Mathieu
Olivier et Vincent Duhem
Mis à jour le 24 juin 2021 à 15h58
Sous le soleil d’Abou Dhabi, un étrange véhicule attire les regards. Avec ses
six roues motrices tout-terrain et ses deux portes avant ouvertes qui
laissent entrevoir un cockpit à la pointe de la technologie, l’engin a des
allures d’insecte des sables. Autour de ce dangereux scarabée doré, équipé
de deux mitrailleuses légères, l’étrange ballet du commerce d’armement
bat son plein.
Des représentants de Renault Trucks Defense vantent les mérites de leur
coléoptère géant. Des militaires en treillis insistent sur l’intérêt de son
camouflage en zone désertique. Quelques Français en costume se sont
quant à eux réfugiés un peu plus loin, sous la protection climatisée du hall
d’exposition, où lance-roquettes chinois, blindés biélorusses et fusils
d’assaut américains se disputent la vedette.
En cette fin du mois de février 2015, Jean-Yves Le Drian a fait le déplacement.
Pour le ministre de la Défense de François Hollande, l’International Defence
Exhibition & Conference (Idex), le plus important salon d’armement du
Moyen-Orient, est un rendez-vous à ne pas manquer.
Lorsqu’il débarque à Abou Dhabi, le patron de la sixième armée du monde
(300 000 hommes environ) a une nouvelle fois mis le paquet : le pavillon
tricolore est le deuxième le plus imposant chez les Européens (derrière
l’Allemagne mais devant le Royaume-Uni).
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« Raisons personnelles »
Interrogé par Jeune Afrique dans le cadre de cette enquête, Jean-Yves Le
Drian nous a fait savoir que la présence de son fils tenait à des « raisons
personnelles » et que celui-ci ne faisait pas partie de la délégation officielle
et n’avait participé à aucun autre déplacement que celui d’Abou Dhabi en
neuf années de présence à la Défense et au Quai d’Orsay.
Une image de l’Idex 2015, dont l’existence nous avait été suggérée par un
connaisseur ouest-africain du milieu de la défense et que nous avons pu
retrouver après quelques semaines de recherche, avait pourtant attiré notre
attention. À gauche : un quinquagénaire aux fines lunettes, Mohammed Ben
Zayed Ben Sultan (MBZ), prince héritier et ministre de la Défense d’Abou
Dhabi. Face à lui, lui serrant la main avec un grand sourire : Thomas Le
Drian.
Entre les deux hommes, Jean-Yves Le Drian joue les intermédiaires,
visiblement fier de présenter son héritier à celui de la famille Al Nahyane,
qui règne sur Abou Dhabi, le plus riche des sept Émirats arabes unis.
Le ministre français a-t-il saisi l’occasion d’une visite aux Émirats pour faire
profiter son fils de son carnet d’adresses ? MBZ, qui a lui-même présenté sa
famille à son homologue français lors de l’édition précédente, en 2014,
s’est-il brusquement intéressé à la politique de logement social de la CDC ?
S’agissait-il d’une simple poignée de main de courtoisie ? Thomas Le Drian
a choisi de ne pas nous répondre.
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« Papa-m’a-dit »
« Tout le monde imagine la main de Jean-Yves Le Drian derrière lui. En
Afrique, on le voit un peu comme un “Papa-m’a-dit” », nous explique un
homme d’affaires familier des réseaux d’affaires -franco-africains (ou
françafricains). La référence à Jean-Christophe Mitterrand, surnommé ainsi
par Le Canard enchaîné dans les années 1980, n’est pas, a priori, des plus
flatteuses.
Depuis le début de l’année 2020, Thomas Le Drian a quitté le cocon de la
CDC, où il travaillait depuis sept ans. Gérant de l’entreprise Kaïros Feeling,
basée dans les Hauts-de-Seine (Île-de-France), il a fondé avec Edwin
Racine, un ami ayant longtemps travaillé pour la Société nationale des
chemins de fer français (SNCF), la société Build-Up, dont il est aujourd’hui
le directeur général.
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Les contours de cette entreprise, « détaillés » dans des statuts dont Jeune
Afrique s’est procuré la copie, sont assez vagues. Build-Up, enregistrée au
registre du commerce de Rennes, a pour objet « la réalisation de toutes
prestations de consultants, de conseil, de services, d’apporteurs d’affaires,
d’assistance et d’accompagnement auprès de toute entreprise et tout
véhicule d’investissement quel que soit leur domaine d’intervention, auprès
des particuliers ainsi que de tout organisme public ou parapublic,
notamment en matière immobilière, d’investissement ou stratégique, ainsi
que la négociation de tous types de contrats ».
Quelles sont donc les prestations exercées par Thomas Le Drian ? Là encore,
l’intéressé a préféré ne pas répondre. Selon nos sources, le jeune Breton
n’a toutefois pas délaissé le secteur de l’immobilier et partage son activité
entre l’Île-de-France et la région Bretagne. Mais son champ d’action se
limite-t-il au logement ?
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DIPLOMATIE
Enquête – Mali-France :
Jean-Yves Le Drian, VRP
breton auprès d’IBK (2/2)
RÉSERVÉ AUX ABONNÉS | 25 juin 2021 à 10h09 | Par Mathieu
Olivier et Vincent Duhem
Mis à jour le 25 juin 2021 à 10h53
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Réseau
La guerre et l’industrie. En 2006, ces deux piliers deviennent l’alpha et
l’oméga de son ambition ministérielle, que quatre hommes se chargent de
concrétiser : Lewandowski, évidemment, l’énarque François Roussely, son
futur conseiller spécial Jean-Claude Mallet (aujourd’hui directeur des
affaires politiques chez Total) et l’ancien officier de l’armée de terre Jean-
Michel Palagos.
Ce groupe, baptisé Sémaphore, prépare officiellement les éléments de
langage de la candidate Royal sur la défense. Mais il travaille en réalité pour
Le Drian, qui multiplie déjà les rencontres avec les industriels et les
militaires. Cela paie : en 2007, le Breton est appelé par Nicolas Sarkozy, qui
a battu Royal, et travaille à un gouvernement d’ouverture. Le socialiste
refuse. Il patientera cinq ans de plus, jusqu’à l’élection de François
Hollande.
Mais le travail de Sémaphore, qui se réunit environ une fois par mois autour
d’une bonne table durant le quinquennat de Sarkozy, a porté ses fruits. De
l’avis de tous, Le Drian est devenu l’un des meilleurs connaisseurs du
système militaro-industriel français, en particulier au sein d’une gauche
française où l’utopie antimilitariste a encore ses adeptes.
Grâce à son Comité ministériel des exportations de défense (Comed, piloté
par Lewandowski), il fait passer le montant des ventes d’armes françaises
de 4,8 à 16 milliards d’euros lors de ses trois premières années à l’Hôtel de
Brienne (« Le Phénomène Le Drian », Les Éditions du coin de la rue, 2016).
Pour les industriels de la défense, le VRP breton fait figure de champion. Un
statut largement assumé par l’intéressé, qu’il a continué à endosser après
son passage à l’Europe et aux Affaires étrangères, en 2017, où il a embrassé
sans rechigner le concept de « diplomatie économique » vanté par l’un de
ses prédécesseurs, Laurent Fabius.
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« Quel ingrat ! »
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avec Mohamed Ould Abdelaziz et prendre part à une réunion de travail avec
les dirigeants du G5 Sahel.
Insistance
À la fin de 2013, l’ambassadeur français à Bamako, Gilles Huberson, est
reçu par Ibrahim Boubacar Keïta au palais de Koulouba. Il n’y va pas par
quatre chemins : il serait de bon goût que le dossier d’Oberthur soit étudié
avec bienveillance, dit-il au président malien. IBK n’est pas particulièrement
surpris par la démarche. Il l’est en revanche un peu plus quand le dossier
Oberthur est cette fois abordé directement par le ministre de la Défense
Jean-Yves Le Drian, et ce, selon nos sources, à plusieurs reprises au cours
de l’année 2014.
« Le Drian y tenait tellement qu’il a mentionné l’engagement militaire
français au Mali lors des négociations, expliquant que les soldats des deux
pays mourraient ensemble au front. Il était déjà arrivé que Hollande
demande d’aider les entreprises françaises, mais jamais de manière si
insistante. Alors on s’est posé des questions. Le président n’avait rien contre
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les Canadiens, il était d’abord réticent à changer », raconte l’un des plus
proches collaborateurs d’IBK.
Mais l’axe Paris-Bamako fonctionne à plein, et l’issue apparaît inéluctable.
« Finalement, le président a cédé », conclut notre source.
Informé du non-renouvellement du contrat de la Canadian Bank, Ottawa
tente malgré tout de s’accrocher à son bien. Son ambassadeur à Bamako,
Louis de Lorimier, s’en émeut à deux reprises devant le ministre de la
Sécurité, Sada Samaké, aujourd’hui décédé. Il s’étonne notamment
qu’aucun appel d’offres n’ait été lancé pour renouveler le marché. Rien n’y
fait.
« Les autorités maliennes se sont contentées de prendre acte de mes
démarches », raconte le diplomate. Selon un ancien de l’entreprise, le
Français Thalès (à l’époque concurrent d’Oberthur) a également tâté le
terrain pour se positionner, mais a rapidement fait demi-tour : « On nous a
fait comprendre que le dossier était verrouillé », explique notre source, qui
précise que « le montant des commissions (fixé à 3 % du montant global
chez Thalès à l’époque) était aussi trop élevé ».
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Le 12 janvier 2018, à Rennes, alors qu’il effectue une énième visite sur ses
terres, le ministre n’y va d’ailleurs pas par quatre chemins. Devant les
représentants de 200 entreprises adhérentes de BCI, il résume son action
en deux phrases : « Il faut que nous prenions toute notre place dans le
développement de l’Afrique. Pour l’exportation, c’est une destination
essentielle. » Pour la France. Et pour la Bretagne.
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