La Couronne Et La Lyre

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La Couronne et la lyre : Présence du roi David dans la

littérature française de la Renaissance


Dominique Vinay

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Dominique Vinay. La Couronne et la lyre : Présence du roi David dans la littérature française de la
Renaissance. Sciences de l’Homme et Société. Université François Rabelais - Tours, 2002. Français.
�tel-00583138�

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abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
UNIVERSITÉ FRANÇOIS-RABELAIS, TOURS
CENTRE D’ÉTUDES SUPÉRIEURES
DE LA RENAISSANCE
Année universitaire 2002/ 2003

THÈSE POUR OBTENIR LE GRADE DE


DOCTEUR DE L’UNIVERSITE DE TOURS

Discipline!: Lettres modernes

présentée et soutenue publiquement par

Dominique Vinay-Gilbert

La Couronne et la lyre!:

Présence du roi David dans la littérature française de la


Renaissance

Thèse préparée sous la direction de

Marie-Luce DEMONET

— JURY —

Max ENGAMMARE Professeur Université de Genève


Marie-Madeleine FRAGONARD Professeur Université de Paris-III Sorbonne Nouvelle
Marie-Luce DEMONET Professeur Université François-Rabelais, Tours
Hélène MICHON Professeur Université François-Rabelais, Tours
Dominique Vinay-Gilbert

La Couronne et la lyre!:

Présence du roi David

dans la littérature française de la Renaissance

Tome I
REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier ceux qui, de près ou de loin, ont rendu possible


l’accomplissement de ce travail. Ma grande reconnaissance va à mes directeurs de thèse,
d’abord monsieur Michel Simonin, dont les encouragements ont stimulé nos recherches
alors qu’elles n’étaient qu’à leurs débuts. Ce travail garde la trace de sa présence parmi
nous. Avec une grande délicatesse, madame Marie-Luce Demonet a pris le relais de la
direction d’un travail déjà en cours. Par son dévouement, son érudition et son grand souci
scientifique, elle a ranimé nos recherches et permis qu’elles connaissent une fin heureuse.
En sa qualité de médiéviste et de directeur adjoint, le père Benoît Lacroix nous a éclairé sur
la littérature patristique et la tradition chrétienne médiévale qui ont orienté les
interprétations données au roi David à la Renaissance. Ce travail doit beaucoup à ses
lumières et sa confiance de chaque instant.

Je désire également remercier mes autres professeurs du Centre d'études


supérieures de la Renaissance, messieurs Pierre Aquilon, Gérald Chaix, Pascal Brioist,
ainsi que le professeur Franck Dobbins, de l’Université de Londres. Leurs judicieux
conseils nous ont permis de résoudre un certain nombre de questions de paléographie et
de bibliographie. Enfin, ce travail n'aurait pas été possible sans le soutien du Fonds
Canadien d’aide à la recherche (F.C.A.R.) et du Conseil de recherches en Sciences
humaines du Canada (C.R.S.H.).

Il serait impossible de passer sous silence la présence active, chaleureuse et fidèle


de toute ma famille et de mes amis qui, au fil de cette étude, m'ont offert leur affection et
leur soutien. Les mots manquent pour leur témoigner toute ma gratitude.
À Camille et à Laure-Emmanuelle j’offre cette histoire!:
«!un roi vivait, il y a très, très longtemps, dans un pays
lointain…!»
SOMMAIRE

TABLE DES ILUSTRATIONS ................................................................................. 10

INTRODUCTION ................................................................................................. 11
Etat des recherches ...................................................................................... 16

PREMIERE PARTIE
DAVID ET SES SOURCES ................................... 21
Chapitre I La Bible, livre et source .............................................................. 26
Le fondement scripturaire de l’histoire de David ..................................... 28
Le témoignage de Samuel et des Rois ..................................................... 29
Le parfait David des Chroniques ............................................................. 34
Les psaumes et leur auteur ...................................................................... 37
Chapitre II!: Un livre, des livres!: David et la prolifération des éditions bibliques 41
David et l’édition biblique 1450-1500 ..................................................... 41
David dans l’édition biblique après 1500 ................................................ 48
David et Goliath (I Sam. 17, 40-51) dans quelques traductions de la Bible 51
Chapitre III!: aux marges de la Révélation,
les Antiquités juives de Flavius Josèphe .................................................. 64
L’avis des préfaciers ............................................................................... 64
L’approche historiographique de Josèphe ................................................ 69
Chapitre IV!: David comme repère chronologique!:
le témoignage des compilations ............................................................... 77
La tradition historique chez les successeurs de Josèphe ........................... 77
David dans les âges de l’humanité .......................................................... 79
L’histoire du roi en mois et en jours ........................................................ 83
Les contemporains mythiques de David .................................................. 86
Chapitre V!: de l’Histoire aux histoires!: vers un folklore biblique ............... 92
L’Histoire continuée ............................................................................... 92
David et Goliath, un folklore ................................................................... 93
De quelques légendes dans les Bibles glosées et historiales ..................... 94
L’enfant et le géant au théâtre ................................................................. 102
Le Mistère du Vieil Testament ................................................................ 102
Le Bonimée de David et Goliath ............................................................. 106
Un autre texte en prose, les Hardiesses de Pierre Sala ............................. 115
Autour de David musicien ...................................................................... 122
SOMMAIRE 6

DEUXIEME PARTIE
DAVID DANS LES PROPHETIES AU TEMPS DE CHARLES VIII ........ 127
Chapitre I!: Prophéties françaises ................................................................. 128
Le témoignage de la cour ........................................................................ 133
Le Vergier d’honneur d’André de la Vigne ............................................. 139
La Prophétie de Guilloche de Bordeaux .................................................. 145
Chapitre II. Messianisme biblique et espérances de conquête ....................... 147
Le témoignage iconographique du diurnal de René II de Lorraine ........... 147
Une succession de prophéties messianiques ............................................ 152
Chapitre III. Autour de l’ascendance davidique des rois de France .............. 161
Origines et développement du thème ....................................................... 161
Un contexte favorable, l’apport des intellectuels juifs ............................. 162
Filiation charnelle, filiation spirituelle!: quelques précédents ................... 166
Chapitre IV. l’Opus davidicum d’Angelo Terzone de Legonissa .................. 169
L’œuvre et son auteur ............................................................................. 169
Sur les origines bibliques des rois de France ........................................... 172
Les origines «!israélogalliques!»
de la France selon Viterbe!: quelle influence? ..................................... 175
De Noé aux rois d’Israël, les ancêtres de la France .................................. 178
L’héritage davidique du royaume ............................................................ 183
Le Christ, roi de France ........................................................................... 187
Contre le mythe des origines troyennes, la diaspora juive ........................ 190
La prophétique histoire de France ........................................................... 193
Des signes pour l’avenir .......................................................................... 197
Chapitre V. Une première piste de rapprochement
entre le Valois et David!: le mythe du prêtre-Jean ................................... 201
David ou prêtre-Jean? Fortune d’une légende .......................................... 201
Survivance de la légende du prêtre Jean à la Renaissance!:
le témoignage iconographique du Ms lat. 10491 ................................. 207
Chapitre VI!: David, héros national!en Italie!:
une seconde piste pour la fortune politique de David ............................... 216
«!David florentinus!»: l’exemple de Donatello ........................................ 218
Quelques réactions italiennes à la fortune du David Valois ..................... 224
David et Charles VIII dans la Bible de Florence ...................................... 226

TROISIEME PARTIE
DU CHEVALIER COURTOIS AU HEROS A L’ANTIQUE,
L’EPOPEE BIBLIQUE OU LES METAMORPHOSES D’UN ROI ........... 235
Chapitre I. Le corpus épique ........................................................................ 236
Constitution d’un corpus ......................................................................... 239
Les précurseurs ....................................................................................... 242
David «!héroïque!» au temps de François Ier ............................................ 244
Après 1550. David et Goliath .................................................................. 248
David et Bethsabée ................................................................................. 252
David en tous ses exploits ....................................................................... 254
Problématique ......................................................................................... 257
SOMMAIRE 7

Chapitre II. Du guerrier biblique au guerrier des Temps nouveaux,


modalités d’un passage ........................................................................... 262
Succession des hauts faits attribués à David ............................................ 262
Premier livre de Samuel .................................................................................................. 262
Deuxième livre de Samuel ............................................................................................... 264
Le berger et le musicien .......................................................................... 265
Le chevalier errant .................................................................................. 274
Le roi ...................................................................................................... 282
Chapitre III. Le David courtois de la légende des Preux ............................... 289
La légende des Neuf Preux ...................................................................... 290
Le chevalier Bayard ................................................................................ 293
Samuel comme un roman ........................................................................ 295
L’archétype du chevalier courtois ........................................................... 298
Les débuts glorieux ................................................................................. 299
Idéalisation de la vie de cour ................................................................... 301
La quête chevaleresque, amour et gloire .................................................. 303
Le masque de l’hagiographie .................................................................. 306
Le chemin du relèvement ........................................................................ 309
Du héros au mythe .................................................................................. 313
Chapitre IV. David, Énée chrétien dans la Davidiade de Marc Marulle ........ 316
La découverte de l’Italie ......................................................................... 317
La structure de l’ouvrage ........................................................................ 318
La dédicace à Grimani ............................................................................ 320
La tentation de l’antique ......................................................................... 322
La matière biblique ................................................................................. 324
La Rome ancienne .................................................................................. 328
Pétrarque et l’Italie ................................................................................. 331
Chapitre V. Quelques surgeons des compilations au temps de François Ier ... 339
Le don au roi de la fronde ....................................................................... 340
Les Hardiesses de Pierre Sala ................................................................. 343
Chapitre VI. La harpe couronnée!:
le symbolisme musical du Penser du royal mémoire ............................... 349
La gravure dédicatoire ............................................................................ 351
Le parangon biblique .............................................................................. 352
La monarchie à l’école du psalmiste ........................................................ 354
Musique et éducation du prince ............................................................... 359
Sur la harpe comme instrument ............................................................... 364
Le roi porte la harpe à son cou ....................................................................................... 367
Le roi joue de la harpe ..................................................................................................... 370
Précédents théoriques au Moyen Âge et chez Érasme ............................. 372
Le maniement de la harpe par François Ier ............................................... 384
1. David accorde la harpe ............................................................................................... 389
2. David range la harpe dans son étui ............................................................................ 392
Chapitre VII. David dans l’arène ................................................................. 396
La Monomachie de David et Goliath de Du Bellay ................................. 396
Pierre de Brach ....................................................................................... 400
Les Trophées de Du Bartas ..................................................................... 405
SOMMAIRE 8

Les Amours de David et de Bersabée ...................................................... 413


Conclusion .............................................................................................. 418

QUATRIEME PARTIE
DAVID ET LE THEATRE DE LA REFORME ....................... 420
Chapitre I. Définition d’un corpus ............................................................... 423
Les pièces élogieuses .............................................................................. 425
Les portraits clairs-obscurs ..................................................................... 427
Un engagement religieux ........................................................................ 430
Le rôle du psautier huguenot ................................................................... 432
Le miroir de la Réforme .......................................................................... 437
Problématique ......................................................................................... 442
Méthodologie. Une rhétorique de la personne ......................................... 444
Qu’est-ce qu’un prophète? ...................................................................... 449
Le porte-parole de l’Éternel ............................................................................................ 450
L’homme de l’action ........................................................................................................ 454
Chapitre II. David, prophète dans les tragédies saintes!? .............................. 458
Portrait de David en prophète .................................................................. 461
Dans l’attente d’un prophète ............................................................. 462
Je viens au nom de Dieu!»!: premiers éléments de l’identité prophétique 463
Temps humain, temps divin!: rapport de David à l’histoire ................. 468
Entre l’ange et l’homme ............................................................................................. 468
Le fardeau humain ..................................................................................................... 470
Celui qui marche vers la crise ............................................................. 472
Le masque des apparences ........................................................................................ 474
«!Je me retire!» ........................................................................................................... 476
Le don prophétique ............................................................................ 478
L’épreuve du faux prophétisme ............................................................... 481
L’égide de la prophétie feinte ............................................................. 482
Critères de vérité ................................................................................ 485
La certitude intérieure ............................................................................................... 486
Le sain ......................................................................................................................... 487
La prière ..................................................................................................................... 490
Le miracle ................................................................................................................... 493
L’art prophétique ......................................................................................... 495
Le refus de l’ornemental ......................................................................... 499
La parole en temps de guerre .................................................................. 503
L’épée et la plume .................................................................................. 506
Écrire sur l’écorce du cœur ..................................................................... 509
Quel type prophétique!? .......................................................................... 512
Chapitre III. Prophétie et musique dans La musique de David ...................... 514
Le prédicateur de la foi nouvelle ............................................................. 517
Le prophète comme pasteur ................................................................ 518
Abraham et Moïse .............................................................................. 519
David ........................................................................................................................... 521
Du pasteur au prophète ............................................................................................. 523
Musique et prophétie messianique .......................................................... 525
Le musicien, figure du Christ ............................................................. 526
SOMMAIRE 9

Les «!effets!» de la musique sacrée ......................................................... 532


Puissance et impuissance de la musique .................................................. 536
Chapitre IV. Prophétisme et décadence!:
David ou l’adultère d’Antoine de Monchrestien ...................................... 542
Prophétisme et finitude dans la Bible ...................................................... 545
Circonstances de la chute ................................................................... 546
Indignité prophétique et fragilité humaine .......................................... 548
Aux antipodes de l’expérience prophétique ............................................. 554
L’envers de l’Écriture!: altération à rebours ........................................ 556
La reconquête de soi ........................................................................... 558
Possession .......................................................................................... 560
La vie pulvérisée ................................................................................ 564
Dissimulation contre révélation .......................................................... 565
Du tragique au biblique ........................................................................... 569
Affinités de David ou l’adultère avec la vision tragique des humanistes 570
Une «!théologie!» du tragique ............................................................. 572

CONCLUSION .................................................................................................... 581

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................. 586

ANNEXE ........................................................................................................... A-1


TABLE DES ILLUSTRATIONS

Figure 1. BnF, ms. lat, 774, fol. 1. Psautier de Charles VIII (vers 1490

Figure 2. BnF, ms. lat. 10491, fol. 147 v. Diurnal de René II de Lorraine (1492 et

1494), ps. 26.

Figure 3. BnF, ms. lat. 10491, fol. 7 r. Diurnal de René II de Lorraine.

Figure 4. BnF, ms. lat. 10491, fol. 154 v. Diurnal de René II de Lorraine , ps. 51.

Figure 4 bis. Chester Beatty Library, Dublin, Add.11735, f. 9v. Coran, (Ibn al-Bawwab,

Bagdad, 1013).

Figure 5. Donatello, David, (Florence, entre 1428 et 1430).

Figure 6. Bibliothèque Laurentienne, ms. Plut. 15, cod. 17, fol. 1v. Biblia (Florence,

1489-90).

Figure 7. Bibliothèque Laurentienne , ms. Plut. 15, cod. 17, fol. 2 r. Biblia (Florence,

1489-90).

Figure 8. Bibliothèque municipale de Metz, ms. 14, fol. 1. Psautier glosé et hymnaire.
INTRODUCTION

Dans les récits de voyage du XVIe siècle, Jérusalem est souvent décrite comme le centre de

la terre, le berceau spirituel de l’humanité. Jérusalem, c’est aussi la Jérusalem céleste, le

lieu de la résurrection et de la re-naissance, un gage du salut pour tous les croyants. Elle

est une origine géographique, religieuse, et également chronologique!: le temps s’organise

autour de ses murs depuis l’avènement de Jésus, l’un de ses enfants. Or, si l’on se

rappelle que Jérusalem est appelée la « Cité de David!» et que le Christ dans la Bible

choisit de s’incarner dans la lignée de ce grand roi en devenant, comme lui, un fils de

Jessé, on comprend aisément que David ait été l’une des figures de l’Ancien Testament les

plus sollicitées, avec Salomon et Saül, par les hommes de la Renaissance. Son nom

apparaît un millier de fois dans l’Écriture et son histoire, consignée d’une part dans les

deux livres de Samuel et d’autre part dans le livre des Chroniques, alimenta la réflexion

d’érudits et de créateurs tant dans l’exégèse biblique que dans la politique, la poésie et les

arts.

David!: une institution en soi. Il est le faible qui triomphe du fort, l’homme de

Dieu qui terrasse le païen, un élu, un prédestiné qui fait mentir les apparences qui le

donnent perdant d’avance. On envie sa puissance, lui, le conquérant d’un vaste empire.

Son rôle politique fait de lui un archétype royal!: artisan, avec Saül, du passage d’un mode

de gouvernement dominé par des prêtres, les Juges, à un gouvernement central dominé par

un seul homme, il incarne le monarque de droit divin, oint par un prophète, lui-même

membre du clergé. Les chrétiens voient en lui une préfiguration du Christ, les Juifs un

symbole messianique porteur d’espérance dans les domaines politique et eschatologique,

les musulmans, un prophète. On le connaît aussi, comme Marie-Madeleine, en tant que


INTRODUCTION 12

pécheur et repentant, une figure d’abaissement et de relèvement d’une humanité déchue.

Avec son testament poétique, les psaumes, sa qualité de mystique éclate au grand jour!; il

est, par cette accumulation de facettes variées et parfois contradictoires, le type même de

l’homme universel, l’homme accompli dans une multitude de directions que l’on ne

manque pas d’évoquer dans des circonstances les plus variées.

Un simple survol de l’horizon social dans lequel ce personnage biblique occupe

une place symbolique importante suffit à évoquer la prolixité du fils cadet de Jessé dans

les repères culturels du XVIe siècle. Chez les théologiens, le psalmiste est un repère

biblique qu’on ne se lasse pas d’étudier, selon le mode d’exégèse à quatre niveaux propre

à l’herméneutique médiévale!: les sens littéral, allégorique, tropologique (ou éthique,

moral) et anagogique (métaphysique). À la cour de France, les scènes à caractère narratif

du livre de Samuel renvoient comme dans un miroir l’image que la monarchie se fait

d’elle-même, elles lui servent de repère et justifient sa légitimité sacrée aux yeux du

peuple. Le vainqueur de Goliath est un symbole royal, un alter ego d’Hercule!; sa

popularité finit même par éclipser l’auteur des douze travaux lorsqu’il s’agit de

représenter la force temporelle et spirituelle des princes très-chrétiens. Ceux-ci

apparaissent comme l’image vive du Christ, leur représentant temporel sur la terre!; ils sont

les fils spirituels de David. La prégnance du modèle davidien est telle qu’elle alimente «!de

véritables phénomènes d’identification ou d’incorporation imaginaire!»1. Poètes et artistes

dépeignent leur roi comme le dixième preux à côté de David, de Josué et de Judas

Maccabée.

Avec les réformés, un glissement des formes s’opère qui touche les symboles

traditionnels du pouvoir. Bientôt les rois ne sont plus les seuls à se réclamer de David!:

avec Luther puis Calvin, les protestants traduisent les psaumes malgré l’opposition de

Rome. L’Église en interdit le chant tandis que Calvin fait de l’édition française du psautier

la plus grande entreprise éditoriale de la seconde moitié du XVIe siècle. Sous la plume de

1 Cl.-G. Dubois, «!David et Saül!: l’onction et le droit dans la tragédie biblique française (1563-1601)!»,

Revue de théologie et de philosophie, no 133, 2001, p. 403.


INTRODUCTION 13

Théodore de Bèze, de Blaise de Vigenère et de Jean de la Ceppède se répand un genre

littéraire dominant en ces temps de conflits, la paraphrase des psaumes, dont l’exégèse

devient un point majeur de dissension au cœur de toute la chrétienté. Parallèlement à cette

récupération déchaînée d’un des plus vieux modèles de la nation, le théâtre protestant met

en scène le personnage de David pour en faire le symbole des aspirations religieuses et

politiques de la nouvelle Église. Plus que simple effigie à l’honneur de la France,

l’imagerie davidique en pleine mutation montre comment un symbole national change de

sens avec l’histoire et comment, réciproquement, elle participe à son évolution.

La ‘polysémie’ qui s’organise autour de ce personnage hissé au rang de symbole

s’enrichit encore du fait de sa valeur poétique. La Bible raconte que dès sa jeunesse David

fut un artiste, le poète et le musicien de la cour d’Israël. Premier «!prince des poètes!»,

David incarne dans la société des lettres l’idéal néoplatonicien de l’auteur divinement

inspiré. Érasme revendique sa valeur littéraire devant ceux qui se consacrent exclusivement

aux auteurs latins dans la préface qu’il compose en 1596 pour les poèmes de son ami

Guillaume Herman. En écho au Contra Poetas impudice scribentes de Gauguin, il prône

un retour de la jeune génération d’hommes de lettres aux figures vétérotestamentaires!:

J’éprouve toujours une sourde colère lorsque je vois nos jeunes poètes,
chrétiens cependant, choisir pour modèles (archetypis) Catulle, Tibulle,
Properce et Ovide[…] plutôt que Moïse, David ou Salomon2.

La nature sacrée de l’inspiration biblique est un défi lancé au modèle antique des

fureurs et le point de départ de parangons qui tournent, le plus souvent, à l’avantage du

psalmiste. Dans la préface qu’il place en tête de sa traduction des psaumes, Marot dit

2 «!Quare recientoribus his poetis atque adeo christiani, subirasci mecum interdum soleo quod in

diligendis sibi archetypis Catullum, Tibullum, Propercium, Nasonem quam divum Ambrosium, quam
Paulum Nolanum, quam Prudentium, quam Iuvencum, quam Mosen, quam David, quam Salomonem sibi
proponere malint tamquam non sponte sint Christiani.!» (Opus epistolarum D. Erasmi, éd. Allen,
Oxford, 1906-1958, tome I, lettre 49).
INTRODUCTION 14

préférer David à Horace3. Lorsque les humanistes célèbrent le retour des bonnes lettres en

terre française, ils signifient donc la renaissance des modèles classiques avec la perspective

que leur apporte la matière religieuse et, en arrière-plan, le modèle davidique.

Cette forte récurrence du modèle davidique à la Renaissance indique qu’on ne peut

comprendre l’image que la nation française se faisait d’elle-même en limitant son étude

aux modèles rationnels de l’époque. Il est clair que les motifs religieux, politiques et

culturels qui traversent la Renaissance s’accommodaient parfaitement d’un sujet biblique

où le berger abat un géant (David et Goliath) et où le roi est à la fois prophète et poète.

Mais encore faut-il chercher à savoir dans quel(s) cercle(s) intellectuel(s) et académique(s)

le thème de David prit le plus d’importance et comment il s’y est développé et

métamorphosé, car il ne suffit pas d’évoquer l’imaginaire d’un siècle et le goût pour les

modèles bibliques pour rendre raison de la convergence et des glissements des motifs en

un même lieu rhétorique et figuratif!: il faut qu’à un moment donné des enjeux nationaux

et un projet esthétique et spirituel se rencontrent. L’imaginaire qui forge l’idéal

idéologique et culturel d’une nation ne se soutient pas sans objet ni discours qui le porte et

le prince, le dramaturge et le poète ne parlent pas nécessairement le même langage!; leur

recours à une même thématique, qui ne saurait être le résultat d’un hasard, est donc

intéressant.

Nous nous sommes arrêtés à un certain nombre de documents historiques et

littéraires qui s’attachent à David peut-être moins en tant que psalmiste, que comme figure

archétypale, celle du berger, du roi pieux et fort, du pécheur, du héros. Un travail de

regroupement systématique, de réflexion épistémologique et esthétique était de longue date

réclamé par Marc-René Jung4 et Claude-Gilbert Dubois5. Sans prétendre épuiser un sujet

3 Dédicace «!Au treschrestien roy de France!», in [G. Defaux], Clément Marot, Oeuvres, t. II, Paris,

Garnier, p. 560., v. 129-34.


4 Hercule dans la littérature française du XVIe siècle. De l’Hercule gaulois à l’Hercule baroque, Genève,

Droz, 1966. David pouvait selon Jung fournir la matière d’une monographie.
5 Op. cit., p. 404!: «!Nous laisserons de côté ces extensions diversifiées [de la fortune littéraire de David]

dont la relation, pour le seul XVIe siècle, mériterait un livre entier.!»


INTRODUCTION 15

chargé de deux mille ans d’histoire, nous avons esquissé quelques pistes de recherches et

dégagé des lignes de forces susceptibles de contribuer à l’étude de la réception d’une

figure récurrente dans les débats et la pensée de la Renaissance. Il s’agissait d’ouvrir un

champ d’investigation qu’il reste encore, dans de multiples directions, à approfondir.

Puisqu’il s’agissait pour nous de rendre compte de l’évolution d’un motif

religieux dans différents lieux d’expression de la pensée, les frontières chronologiques de

cette étude délimitent un champ assez vaste à l’intérieur desquelles s’opèrent des choix

thématiques. Elle s’étend de la fin du XVe siècle jusqu’à la première publication du David

ou l’Adultère d’Antoine de Montchrestien en 1601. Le milieu des années 1490, époque

des incunables et des guerres d’Italie, permettait de mettre en valeur la continuité de

l’héritage médiéval, où David apparaît comme un tout grand modèle monarchique, dans la

culture moderne. La publication de la tragédie de Montchrestien marque pour sa part un

certain aboutissement de la métamorphose littéraire du personnage, dont l’éloignement

avec les textes sacrés dans certaines œuvres davantage destinées au savant divertissement

qu’à l’édification des mœurs fait de lui un motif poétique et littéraire, le héros d’une belle

histoire. Le terme «!Renaissance!» plutôt que «!Réforme!» pour désigner cette période

rend compte de cette diversité. Certes, depuis les travaux fondateurs d’historiens comme

Jean Seznec, Erwin Panofsky et Edgar Wind, qui dit Renaissance pense davantage à une

«!survivance!» de la culture gréco-latine et des héros mythologiques qu’à un regain

d’intérêt pour les Écritures. L’expression «!temps des Réformes!» choisie par Guy

Bedouelle et Bernard Roussel semble convenir davantage à l’histoire d’une matière

biblique en ce qu’il campe cette dernière dans une époque de crise spirituelle, de l’affaire

des Placards à la conclusion du concile de Trente. Elle désigne cette époque de

changements et de ruptures amorcés par l’imprimerie et la multiplication des éditions

bibliques, et dont la littérature religieuse se fait le prolongement. Dans la période qui nous

intéresse, il s’avère néanmoins que le David des poètes cumule à la fois une dimension

religieuse, qui le tire du côté des Réformes, qu’une dimension mythique, légendaire, qui

justifie sa place dans la «!Renaissance!»!: l’épopée le compare à Énée et à Hector!; ailleurs,

son histoire se superpose à la légende du prêtre Jean, roi d’un royaume chrétien
INTRODUCTION 16

d’Éthiopie qui aurait envoyé au XIIe siècle des émissaires au Pape Calixte II. Le terme de

Renaissance, moins connoté dogmatiquement, paraissait convenir à ces aspects bigarrés du

personnage, d’autant que la philologie fait dériver ce terme du latin «!renascitur!», dont

l’origine est elle-même biblique6.

État des recherches

La flamboyance du roi d’Israël dans les lettres de la Renaissance contraste

vivement avec la pénurie d’études consacrées à son sujet. Dans l’état présent des

recherches thématiques, personne n’a encore envisagé dans son ensemble la fortune de

l’histoire de David au XVIe siècle, comme si ce repère biblique s’éteignait avec le Moyen

Âge pour rejoindre les arcanes célestes. Deux ouvrages très généraux, couvrant l’immense

période du moyen âge à nos jours, lui consacrent quelques pages!: l’étude sommaire de

Simone Maser, L’image de David dans la littérature française7, et le recueil d’articles

réunis par Raymond-Jean Frontain et Jan Wojcik, The David Myth in Western

Literature8. Ces ouvrages constatent la richesse d’un corpus étendu sur au moins dix

siècles et nous ont été utiles pour leurs indications bibliographiques.

Pour la fortune médiévale de David, nous disposons en histoire de l’art de

l’imposante thèse de Hugo Steger, David Rex et Propheta9. Elle constitue la seule

véritable étude d’ensemble sur l’iconographie davidique, que les travaux de Louis Réau

6 Jean, 3,3 et 7.

7 Orléans, éditions David, 1996.

8 West Lafayette, Purdue U. P., 1980.

9 David, rex et propheta. König David als vorbildliche Verkörperung des Herrschers und Dichters im

Mittelalter, nach Bilddarstellungen des achten bis zwölfen Jahrhunderts, Nuremberg, Erlanger Beiträge,
1961.
INTRODUCTION 17

sur l’art biblique dans l’Ancienne France complètent avantageusement10. Dans une étude

portant sur une période assez vaste (elle couvre environ huit siècles et l’ensemble de

l’Empire chrétien), Steger analyse les principaux attributs de David dans l’illustration des

psautiers et les décorations des églises, en particulier germaniques!: le trône, la couronne,

le sceptre, la nuée, les instruments de musique tels que la harpe, le psaltérion, les clochettes,

etc. L’étude révèle les dimensions prophétique et politique du personnage mises de l’avant

dans ses représentations artistiques!; David sur le trône apparaît comme le type du Christ

en majesté, conformément à l’interprétation allégorique et anagogique des Pères, mais

aussi comme un modèle pour les princes chrétiens et l’Empereur, auxquels on fait porter

dans l’art officiel de la cour, des attributs similaires. Le roi David apparaît comme un

symbole impérial incontournable. Il restait à compléter ce tableau prestigieux par une étude

davantage consacrée à la France médiévale. Aryeh Graboïs l’a fait dans un riche article sur

«!Le roi David précurseur du roi très-chrétien!»11 qui démontre l’existence d’un «!mythe

du roi David!» au service de l’idéologie politique de la France depuis les Mérovingiens

jusqu’aux XIVe siècle. Puisque la fortune du mythe s’éteint, dans son analyse, avec

l’extinction des Capétiens directs, il restait à en écrire la suite. Il fallait montrer que ce

mythe survit encore à la Renaissance et perpétue chez les rois un exemple de

comportement d’une royauté sacrée.

En ce qui concerne les lettres françaises du XVIe siècle, une étude de David en tant

que personnage à part entière de la littérature restait à faire. Jusqu’à présent, la critique

s’est surtout consacrée à l’étude des psaumes, que ce soit dans ses nombreuses

traductions, ses méditations en vers et en prose, ses paraphrases, ses adaptations poétiques

et autres commentaires qui sont légion à l’époque. La formation du psautier huguenot est

10 Iconographie de l’art chrétien, tome 2, Iconographie de la Bible et de l’Ancien Testament (vérif. titre),

Paris, PUF, 1955, pp. 253-99.


11 Aryeh Graboïs, «!Un mythe fondamental dans l’histoire de France au Moyen Âge!: Le ‘roi David’,

précurseur du roi très-chrétien!», Revue historique, 116e année, tome 287, vol.1, 1992, pp. 11-31.
INTRODUCTION 18

désormais connue grâce aux travaux de Pierre Pidoux12. Dans son ouvrage magistral sur

la Poésie et tradition biblique au XIVe siècle13, Michel Jeanneret étudie en détail la fortune

littéraire de ce psautier et confronte diverses adaptations des psaumes!; traductions et

paraphrases apparaissent comme un véritable laboratoire des styles, de la langue et de la

pensée. Dans ces ouvrages, le roi hébreu s’éclipse derrière son testament poétique!: les

regards se tournent vers son œuvre et non vers l’homme.

Seule l’étude du chercheur américain Edward Gosselin (The King’s Progress to

Jerusalem, 197614) rejoint de près notre intérêt pour le personnage de David au XVIe

siècle. Par le biais d’une étude des procédés herméneutiques à l’œuvre dans divers

commentaires de psaumes, Gosselin esquisse la distance parcourue entre l’interprétation

allégorique des Pères, l’époque de Lefèvre d’Étaples, où le psalmiste apparaît selon lui

«!dénué de toute personnalité!»15 comme une «!marionnette du Saint-Esprit!»16 enfermée

dans le «!cul-de-sac herméneutique!» de la lecture allégorique des Pères de l’Église17, et

celle d’un Calvin notamment, qui libère littéralement le potentiel théologique du

personnage et lui redonne sa dignité «!d’homme sanctifié par l’Esprit Saint!», doué d’une

«!importance théologique achevée!»18. Nous ne pouvons suivre cette conception

évolutionniste du personnage, passé au fil du XVIe siècle des ténèbres médiévales à la

lumière de la Réforme!; les diverses occurrences littéraires du berger d’Israël semblent

plutôt indiquer que son personnage a une dimension religieuse forte susceptible d’inspirer

des réponses différentes à des théologiens d’horizons et d’intérêts différents.

12 Le Psautier huguenot, Basle, Barenreiter, 1962, 2 tomes.

13 Poésie et tradition biblique au XIVe siècle. Recherches stylistiques sur les paraphrases des psaumes de

Marot à Malherbe, Paris, José Corti, 1969.


14 The King’s Progress to Jerusalem. Some interpretations of David during the Reformation Period and

their Patristic and Medieval Background, Malibu, Undena publications, 1976.


15 Idem, p. 53

16 Idem, p. 55.

17 Idem, p. 52

18 Idem, pp. 4 et 5
INTRODUCTION 19

Nous devons beaucoup au recueil d’articles publiés par l’Association catholique

française pour l’étude de la Bible (A.C.F.E.B.) sur les Figures de David à travers la

Bible19, dont l’analyse du personnage tel qu’il apparaît dans chacun des chapitres de

l’Ancien Testament se situe au carrefour de l’histoire, de la lecture de textes des deux

Testaments, de la tradition juive et du Coran. Le Temps des réformes et la Bible20 nous a

guidé dans le domaine protestant. Le dernier essai de Laurent Cohen, Le Roi David, une

biographie mystique21, est également incontournable en ce qu’il met en valeur le David

des commentaires du Talmud, du Midrash et de la Kabbale. Son livre, écrit comme un

roman, est un indispensable guide dans les dédales de la culture hébraïque. Le Saint roi

David, la figure mythique et sa fortune de Robert Couffignal22 envisage le personnage

avec les outils de la mythocritique. Il comble une lacune sur la fortune littéraire du

personnage. Nos recherches sur la Renaissance française nous ont donné peu d’occasions

d’exploiter l’ouvrage de Jean-Louis Déclais, David raconté par les musulmans23, qui

complète pourtant admirablement les regards posés sur David par les juifs et les chrétiens.

Une remarque d’ordre lexical enfin!: même si cet essai porte essentiellement sur

un personnage vétérotestamentaire, nous avons parfois utilisé le mot «!Bible!» pour

désigner l’Ancien Testament, autrement dit les Écritures, de même que le terme

«!Écritures!» pour désigner la Bible, Ancien et Nouveau Testament ensemble. Cette

imprécision anachronique qui pèche par étroitesse de champ permettait d’alléger l’écriture

de redondances superflues.

L’histoire des civilisations, qui procède aujourd’hui de la réévaluation en

profondeur des facteurs culturel et politique dans l’enchaînement des affaires humaines,

devait mettre à l’honneur le rôle d’une grande figure de l’Écriture dans l’imaginaire

19 Paris, Cerf, 1999.

20 Op. cit.

21 Paris, Seuil, 2000.

22 Paris-Caen, Minard Lettres modernes, 2003.

23 Paris, Cerf, 1999.


INTRODUCTION 20

français de la Renaissance, et à plus forte raison, son rôle dans la construction d’une

identité linguistique, poétique et religieuse. Il suffit pour s’en convaincre de lire les travaux

de Colette Beaune sur la Naissance de la nation France à l’époque médiévale24, ceux de

Percy Ernst Schramm25 sur les insignes et les gestes symboliques du pouvoir en Europe

ou, dans un registre comparatif, l’étude de Frances Yates sur les images symboliques des

Tudor et des derniers Valois26.

La réflexion que nous nous proposons d’entreprendre s’inscrit dans le regain

d’intérêt actuel pour la mise en forme emblématique des civilisations, comme celles qu’a

entreprises, entre autres, Anne-Marie Lecoq27 au sujet de François Ier. Avec beaucoup

d’érudition Mme!Lecoq rassemble en douze séquences, douze thèmes, tous les symboles,

l’imagerie, les mythes qui ont marqué les premières années du règne du roi de France. La

création d’une véritable mythologie nationale dans la première moitié du XVIe siècle trouve

ici une très haute expression. En nous limitant à la figure de David, nous voudrions éviter

que le regard se disperse sur une multitude encyclopédique de symboles qui, coupés de la

tradition qui les a fait naître, perdent en qualité de signification. Si nous voulons voir des

symboles du pouvoir autre chose qu’une écorce, besoin est de dépasser la frise élégante et

rythmée d’une succession d’images-repères afin d’apprécier, par une approche

diachronique, la spécificité et la couleur de chacun des éléments qui le composent. Le roi

David, à cet égard, nous servira de tremplin. Il s’agira de voir, en posant un certain nombre

de jalons, comment cette référence biblique et culturelle se transforme, s’enrichit et fait

sens chez ceux qui se l’approprient.

24 Paris, Gallimard, 1985.

25 Die Zeitgenössischen Bildnisse Karls des Gossen, Hildesheim, Gerstenberg, 1973.

26 Frances Amelia Yates, Astrée, le symbolisme impérial au XVIe siècle (1975), Paris, Belin, 1989.

27 Lecoq, Anne-Marie, François Ier imaginaire, Paris, Macula, 1987.


PREMIÈRE PARTIE!: DAVID ET SES SOURCES
PREMIERE PARTIE 22

Par quelles voies connaît-on David à la Renaissance? Au premier chef, de façon médiate

ou immédiate, l’ouvrage qui est à la source même de toutes les traditions sur David est

évidemment l’Ancien Testament, et plus précisément les premier et second Livres de

Samuel (I et II Rois dans les notations grecque et latine1), le début du premier livre des

Rois (III Rois, Septante et Vulgate), les Chroniques ou Paralipomènes 2 et les Psaumes.

Le récit de sa vie tel tiré de l’Écriture est donc une histoire sacrée, indissociable dans

son contenu de ce qu’en dit la Bible et partie prenante de son histoire matérielle, celle

de l’Écriture en tant que livre. À côté de cette source, féconde entre toutes, d’autres té-

1 On sait que le XVI e siècle ne suit pas la notation hébraïque qui appelle «!premier et deuxième livres de
Samuel!», ce que les Septante, la Vulgate et la tradition orale ont plutôt nommé «!premier et second livre
des Rois!» ou «!des Règnes!» (Septante). Ce tableau de correspondances peut être établi!:
Tradition hébraïque Vulgate
I Samuel I Rois
II Samuel II Rois
I Rois III Rois
II Rois IV Rois
La distinction entre Chroniques et Paralipomènes vient d’une autre source!: Voir [A. Robert et A. Tricot],
Initiation biblique!: introduction à l’étude des Saintes Écritures, 3e éd., Paris, Société de Saint Jean
l’Évangéliste, 1954, pp. 125-26.
Par mesure de clarté, nous adopterons la notation aujourd’hui d’usage dans la Bible de Jérusalem (Paris,
Cerf, 1994) pour indiquer les passages de l’Écriture auxquels nous ferons référence!; lorsque des éditions
originales seront citées, nous conserverons cependant la notation en vigueur dans l’ouvrage.
2 Le terme «!Paralipomènes!» qu’on trouve dans la Bible grecque et dans la Vulgate, signifie ‘les livres
qui donnent les choses omises’, qui apportent un complément.
PREMIERE PARTIE 23

moignages anciens venus d’Orient pénètrent en France dès le Moyen Âge et tiennent

lieu de référence!: dans la tradition issue des milieux juifs, les Antiquités juives de Fla-

vius Josèphe et les Antiquités bibliques du pseudo-Philon3 offrent un regard compl é-

mentaire sur la vie du monarque, un héritage très tôt revendiqué comme le leur par les

chrétiens dès les premiers siècles. Les fragments d’Eupolémos chez Eusèbe n’entraînant

aucune véritable tradition au XVIe siècle, ils peuvent, jusqu’à nouvel ordre, être mis de

côté4. Des voies parallèles, plus ou moins anciennes, traversent également les frontières

culturelles du royaume et servent de raccourcis au récit biblique!: d’une part, les com-

mentaires des Pères, encore souvent juxtaposés au texte biblique, en orientent la lecture

autour de moments clés!; d’autre part, des compilations savantes (tels la Mer des histoi-

res, les Miroirs ou encore l’Histoire scolastique de Pierre Le Mangeur) ou populaires

(le Mystère du Vieil Testament, le Bonimée de David dans les Flandres), abrègent la

Bible de manière plus ou moins libre pour un lectorat respectable en quête de générali-

tés. Ici, les références sacrées de l’Occident se fondent dans de plaisants récits où

l’attrait d’une écriture agréable vient édifier et convaincre, ouvrir l’intelligence d’un

3 Nous incluons cette source, dont l’édition princeps provient de Johannes Sichardus (XIV e
siècle), en
raison de la réimpression dont elle fut l’objet à Lyon par S. Gryphe en 1552 sous le titre de Philonis Iu-
daei Antiquitatum Biblicarum Liber. Cf. [C. Perrot et P.-M. Bogaert], Les Antiquités bibliques, Paris,
Cerf, 1976, tomes 1 et 2.
4 Præparatio evangelica, IX, 30 P.G., t. XXI, col. 748-49. Il faudrait également mentionner dans le cycle
des sources l’apport de la Haggadah, du Midrash et du Talmud. Il nous est impossible d’entrer ici dans le
détail du rapport des chrétiens avec les sources juives identifiées comme telles au XVIe siècle. Nous nous
permettrons donc de renvoyer le lecteur aux travaux de G. Dahan, Les Intellectuels chrétiens et les Juifs
au Moyen Âge, Paris, Cerf, 1990!; E. Beltran et G. Dahan, «!Un hébraïsant à Paris vers 1400!: Jacques
Legrand!», Archives juives, 17, 1981, pp. 41-49!; G. Dahan, «!L’Exégèse juive de la Bible!», Le Temps
des Réformes et la Bible, Paris, Beauchesne, 1989, pp. 401-25 (en particulier p. 421 ss.)!; enfin,
l’introduction de [R.-J. Frontin et Jan Wojick], The David Myth in Western Literature, West Lafayette,
Purdue U. P., 1980, pp. 1-10.
PREMIERE PARTIE 24

public laïc, avide de belles histoires, aux mystères cachés de la théologie. Dans le do-

maine iconographique, les illustrations bibliques, les «!figures!» de la Bible et autres

recueils illustrés d’exempla vétérotestamentaires sont autant d’aides à la lecture – lors-

qu’ils mettent fidèlement en images des descriptions architecturales ou matérielles de

l’Écriture – que de commentaires- lorsque l’illustrateur y ajoute des éléments extratex-

tuels de son cru. Les limites de notre sujet ne nous permettront malheureusement pas de

nous aventurer sur ce chemin de connaissance pourtant bien riche5. Ainsi non seulement

David habite-t-il l’Écriture, où il investit un aspect de la révélation divine, mais encore

l’écriture et la culture, ces lieux de contacts avec le message révélé, lesquels le ra-

content, le transmettent, par la médiation d’une interprétation. Les premières fournissent

les éléments fixes de l’historia, la part d’éternel du héros dont l’histoire immuable se

coule dans une Révélation!: elles dégagent une figure sacrée, le modèle de l’élu et du

saint roi d’Israël. Les secondes la déchiffrent, la rendent intelligibles par le biais d’une

explication, l’enjolivent même parfois au gré d’une leçon didactique ou simplement du

folklore. Elles présentent le personnage comme archétype humain, le transforment

même parfois comme un sujet de fable. Nous aimerions montrer comment, prises dans

leur ensemble et dans leur complémentarité, toutes ces sources fondent la pensée du

5 Les travaux de Max Engammarre sont une mine de renseignements sur cet aspect de la culture rel i-
e e
gieuse!: cf. «!Les figures de la Bible. Le destin oublié d’un genre littéraire en image (XVI -XVII siè-
cle)!», Mélanges de l’école Française de Rome (divis. Italie et Méditerranée), no 2, 1994, pp. 549-91!; du
même auteur, «!Les représentations de l’Écriture dans les Bibles illustrées du XVIe siècle. Pour une her-
méneutique de l’image imprimée dans le texte biblique!», Revue française d’histoire du livre, 86-87, pp.
118-189!; «!La morale ou la beauté!? Illustrations des amours de David et Bethsabée (II Sam. 11-12)!»
dans [Bertam Eugene Schwartzberg et François Dupuigrenet-Desroussilles], La Bible imprimée dans
l’Europe moderne, Paris, Bibliothèque nationale de France, 1999, pp. 447-76.
PREMIERE PARTIE 25

XVIe siècle sur David et participent à sa fortune littéraire, la référence majeure restant

évidemment la Bible.

À cet effet, nous ouvrirons notre exposé par un triptyque!: d’abord un survol des

sources bibliques (que nous supposons connues6) d’où émerge la figure théologique,

puis par l’examen de quelques traditions anciennes parallèles à l’Écriture mais néan-

moins rattachées à elle, celle d’un Père comme Ambroise de Milan et de Flavius Josè-

phe. Il s’agira ici de mettre en lumière quelques aspects héroïques et historiques de

l’homme-David qui trouvent encore une place dans la culture chrétienne à l’orée du

XVIe siècle. La rencontre de ces deux courants nous conduira à un troisième volet

consacré à ce que nous appellerons la légende de David, élaborée autour de quelques

aspects folkloriques du personnage en France et dans un certain nombre d’ouvrages en

français de son voisin du Nord. Dans l’ensemble de ces sources, le bethléemite apparaît

autant comme une référence hiératique, sacrée et historique que comme le miroir d’une

époque qui s’approprie parfois le personnage dans des directions étonnantes, voire

étrangères à celles dégagées dans l’Écriture!: elles font état des contrastes dans les diffé-

rentes traditions qui caractérisent le personnage lorsqu’il atteint la Renaissance.

6 Cf. [L. Desrousseaux et J. Vermeylen], Figures de David, op. cit.


PREMIERE PARTIE 26

Chapitre I

La Bible, livre et source

À l’aube de la Renaissance, alors que le texte de la Vulgate est définitivement fixé dans

le correctoire des Dominicains depuis trois siècles et que prospèrent les universités, les

livres des Rois, des Paralipomènes et des Psaumes consacrés à l’histoire de David se

présentent déjà comme autant de parties complémentaires et presque indissociables d’un

seul ouvrage, parfois commenté et glosé dans ses marges et entre ses lignes!: les lieux

qui gardent trace de la vie du psalmiste, pagina sacra, sont devenus un livre!; transfor-

mation révélatrice, le vieux pluriel bibliµ, «!livres!» de la Bible, est désormais considé-

ré comme un féminin singulier. Non que l’unité de ces livres soit apparue comme une

nouveauté dans les murs des monastères, les Pères de l’Église, dès les débuts du chris-

tianisme, l’avaient perçu, mais que les différents textes touchant de près ou de loin

l’histoire du roi hébreu et sa postérité jusqu’au Christ sont désormais perçus et organisés

comme une seule histoire7, un ouvrage savant appelé à être feuilleté, commenté, poss é-

dé, certaines Bibles portant le nom et les notes de leurs possesseurs ou de leurs lecteurs.

Les Écritures sont désormais un livre.

7 Cf. G. Dahan, L’exégèse de la Bible en Occident médiéval , Paris, Cerf, 1999, pp. 7 ss., ainsi que l’article
de P.-M. Bogaert, «!La Bible latine des origines au Moyen Âge. Aperçu historique, état des questions!»,
Revue théologique de Louvain 19 (1988), pp. 137-57 et 276-314.
PREMIERE PARTIE 27

Avec l’imprimerie, les textes bibliques sont également devenus des livres, des

ouvrages imprimés à lire et à regarder, pour le plaisir ou pour l’étude. La vieille distinc-

tion entre les deux catégories de la société médiévale, les litterati et les illiterati, ceux

qui savent écrire et les analphabètes, laquelle recoupait grosso modo l’opposition clercs-

laïcs, s’estompe progressivement au profit d’un lectorat un peu plus vaste, favorisant

l’apparition d’une riche littérature religieuse. On s’accorde même aujourd’hui à dire que

la constitution d’une classe de litterati qui ne sont pas des clercs est un critère permet-

tant de caractériser la période moderne. C’est donc d’une manière nouvelle que David,

de même que Saül, Salomon et tout le cortège des Rois s’introduit dans la culture du

royaume!; les clercs n’étant plus nécessairement les intermédiaires entre l’homme du

peuple et les Écritures, les formes traditionnelles de la présence du psalmiste se diversi-

fient et bouleversent les circuits traditionnels de l’accès au savoir. Désormais,

Parce qu’on dispose [de la Bible], on pourra revenir à elle comme à une source!:
telle est l’exigence de l’humanisme et de la Réforme, ce qui est une revendication
étonnante pour la psychologie médiévale rebelle à la précision et même encline à
une indécision radicale, au niveau populaire, quant aux limites des dogmes. Le
XVIe siècle est l’époque de ce changement majeur des frontières qui s’opère en
premier lieu au profit et à propos de la Bible.8

Bien sûr, la conception nouvelle de la Bible comme une source accessible, re-

cueillie dans les précieuses amphores des livres imprimés et offerte en principe de vie à

la multitude, reste encore toute relative, le lot d’une minuscule élite éduquée et fortunée,

familière avec le nouveau monde des libraires. La tradition médiévale faisant de

l’Écriture un tout cohérent, lu et étudié en particulier par les savants reste encore pré-

8 Cf. G. Bedouelle et B. Roussel, Le Temps des Réformes, op. cit., p. 38.


PREMIERE PARTIE 28

sente à l’esprit des nouveaux traducteurs et du public lettré!; elle détermine l’aspect

matériel, la présentation et l’ordonnance des Bibles imprimées et colore le rapport des

litterati au plus jeune fils de Jessé9. L’évolution du rapport aux textes sacrés place donc

le lecteur du XVIe siècle en présence d’un personnage biblique, certes, mais aussi d’un

héros d’un livre, au sens de récit imprimé, souvent traduit dans une langue vernaculaire

où transparaît la confession du bibliste. De ces deux axes s’élève la figure religieuse du

roi d’Israël, chacun concourant à faire du personnage un sujet noble, divin, susceptible

de fournir un fondement aux poètes épris de grands et prestigieux modèles.

Le fondement scripturaire de l’histoire de David

Contrairement à Moïse ou à Abraham, dont l’histoire apparaît dans un récit uni-

que, suivi et homogène, de l’Ancien Testament, deux récits distincts relatent le règne de

David sur la terre de Judée!: Samuel et les Rois d’une part et les Chroniques d’une autre,

9 En vertu de ce principe didactique qui fait des personnages bibliques les dépositaires du savoir et
l’ancrage de la théologie, l’histoire de David offerte à l’examen des nouveaux lecteurs, en français ou en
latin, se présente rarement dans les textes de l’Ancien Testament dans sa nudité, mais précédée de prolo-
gues (généralement de saint Jérôme pour Samuel et les Rois, de Jérôme et d’Eusèbe pour les Paralipomè-
nes ou Chroniques et d’Eusèbe encore pour les Psaumes), d’arguments, de sommaires (en tête des chapi-
tres, présentant des sous-titres plus ou moins longs reprenant l’essentiel du texte), de lexiques (notamment
des traductions des noms hébreux), et de tables qui vont en faciliter la lecture. Le corps de texte lui-même
ne se présente pas en bloc compact mais vise, par sa présentation visuelle, à en faciliter l’examen!: sou-
vent divisé en chapitres et en versets, parfois accompagné de commentaires, il offre plusieurs marques
utiles à la lecture permettant de s’y retrouver rapidement. Cf. Samuel Berger, « Les Préfaces jointes aux
livres de la Bible dans les manuscrits de la Vulgate!», Mémoires présentés […] à l’Académie des Inscrip-
tions et belles-lettres, 1re série, 11/2 (1904), pp. 1-78!; [D. de Bruyne], Préfaces de la Bible latine, Namur,
1920!; D. de Bruyne, Sommaires, divisions et rubriques de la Bible latine, Namur, 1914!; du même auteur
enfin, Histoire de la Vulgate latine pendant les premiers siècles du Moyen Âge, Paris, Hachette, 1893, pp.
307-15 («!Chapitres et sommaires!»).
PREMIERE PARTIE 29

que complète le testament poétique des Psaumes. Il en résulte une diversité de points de

vue qui étoffe la biographie officielle du roi hébreu en réalisant la rencontre de versions

différentes. Pour la rédaction du deutéronomiste seulement, la mise en forme s’est exer-

cée à partir de traditions orales ou de documents écrits, différents en âge et en caractère,

mais néanmoins regroupés ensemble en dépit de certains décalages. Pour Samuel et les

Rois, il y eut au moins deux rédactions, l’une au lendemain de la réforme de Josias,

l’autre pendant l’Exil. C’est seulement à l’époque postexilique que prend forme le té-

moignage des Chroniques. Pour cette raison, les différents livres (ou de grandes sections

d’entre eux) dévolus à David gardent leur individualité et présentent des témoignages

contrastés sur son règne.

Sans étudier David et l’histoire d’Israël dans la diversité de chacun de ces livres

(d’excellents théologiens ont déjà fourni des études précises sur le sujet10), il n’est pas

inutile d’en évoquer les principales lignes de force. David y apparaît sous des jours dif-

férents!: il est une figure héroïque, sainte, pécheresse, poétique. Un bref survol de ces

attributs, constitutifs de la culture sacrée à son sujet, nous permettra de montrer la va-

riété de voies qui font du «!chantre des cantiques d’Israël!»11 un repère biblique co m-

plexe, un défi pour les poètes férus de sujets d’envergure.

Le témoignage de Samuel et des Rois

La première esquisse du règne de David, point de départ de toutes les traditions davidi-

ques, apparaît sous un angle historique dans Samuel (I et II) et les Rois, trois livres qui

10 Nous pensons en particulier à [L. Desrousseaux et J. Vermeylen], Figures de David, op. cit.
11 II Sam. 23, 1.
PREMIERE PARTIE 30

cristallisent autant de siècles de tradition orale. Dans la Bible hébraïque, Samuel I et II

ne constituent qu’un seul livre dont l’unité dérive de la paternité de l’ouvrage, attribuée

au prophète lui-même. La division en deux livres est le fait des éditeurs grecs. En réali-

té, l’auteur de ces textes est un groupe de prêtre, des «!réviseurs deutéronomistes im-

primant à leur œuvre un caractère théologico-sapiential!»12, qui raconte la geste prov i-

dentielle du melek et met en relief la part de Yahvé dans sa montée au trône. La

structure narrative du récit emprunte quelques éléments aux scénarios symboliques des

mythes, que l’on pourrait résumer de la manière suivante!: un inconnu, d’apparence

jeune et frêle, combat un monstre (Goliath) et en récompense de sa victoire épouse la

fille du roi (Michol)!; bientôt, une hostilité naît entre lui et son beau-père!; il traverse

une période d’exil dont il sort victorieux et grandi13. Il devient roi et étend son pouvoir

sur tout le pays. Le personnage est partie d’un système narratif si puissant qu’un simple

regard sur la configuration de son destin évoque d’emblée un grand nombre de figures

mythiques élevées, elles aussi, de l’anonymat à la gloire.

À cette structure mythique et héroïque se greffe également la lecture religieuse!:

elle forge le personnage sacré, peut-être fortement idéalisé, de l’élu. Dans cette source,

l’histoire de David reflète l’esprit dans lequel elle fut écrite!: elle apparaît comme une

histoire du salut. Une intervention divine en faveur du garçon au moment de l’onction

12 André Caquot et Philippe de Robert, Les livres de Samuel , Genève, Labor et Fides, 1994, p. 22.
L’hypothèse du deutéronomiste (ou plus précisément, de son école) comme auteur de Samuel et des Rois
est en effet la plus probable!: «!Ces rapports avec le Deutéronome […] sont étendus dans les Juges, très
limités dans Samuel, dominants dans les Rois, mais ils sont toujours reconnaissables. On a donc fait
l’hypothèse que le Deutéronome était le début d’une grande histoire religieuse qui se poursuivait dans les
Rois.!» Bible de Jérusalem, «!Introduction aux livres de Josué, des Juges, de Ruth, de Samuel et des
Rois!», op. cit., p. 243.
13 I Sam. 22-26.
PREMIERE PARTIE 31

par le prophète Samuel14 suggère que dès l’enfance, il se laisse guider par Dieu!: Yahvé

écrit avec lui les grandes lignes de leur alliance commune, de sorte que le héros ressort

grandi, sur le plan théologique, de cette proximité avec le divin. Tout cela engendre une

reconnaissance de David comme héros du peuple Juif, appelé à devenir un chef puissant

et pieux, un modèle humain mais aussi un peu plus qu’humain, le lieu d’une médiation

entre Dieu et les hommes. Un oracle de Nathan confirme l’efficacité de la bénédiction

spéciale dont il est l’objet, appelé à paraître dans la construction du royaume d’Israël et

dans la promesse d’hégémonie politique étendue à toute la descendance du psalmiste!:

Ainsi parle Yahvé Sabaot. C’est moi qui t’ai pris au pâturage, derrière les brebis,
pour être chef de mon peuple Israël. J’ai été avec toi partout où tu allais!; j’ai sup-

14 I Sam. 16, 1-13. Une autre cérémonie de l’onction par les hommes de Juda est évoquée en II Sam. 2, 4
et II Sam. 5, 3.Une vieille légende rabbinique a transformé en conte le récit de l’onction pour mieux met-
tre en évidence la part de Dieu dans le choix de son Élu. Fantastique, imaginaire, cette histoire est intéres-
sante en ce qu’elle enlève à Nathan toute participation dans le choix de l’enfant, levant les doutes possi-
bles quant à l’origine divine de l’élection. La légende va comme suit!: Lorsque Samuel rencontra les fils
de Jessé, il pensa d’abord qu’Éliab, le frère aîné de David, était celui que Dieu avait choisi pour roi. Lors-
qu’il tenta de verser l’huile sainte sur sa tête, l’huile refusa de sortir de la fiole!; tous les frères de David
se présentèrent devant Nathan, mais l’huile ne se répandit sur aucun d’eux. On appela alors David. Dès
qu’il entra dans la pièce, l’huile coula d’elle-même de la fiole et les gouttes qui se répandirent sur sa tête
se transformèrent en perles et en diamants!; lorsque l’onction fut accomplie, la corne était encore pleine.
Alors David grandit en force et en sagesse. (Cf. Ephraem Syrus, Commentaire de I Sam., cité dans la
Jewish Encyclopedia, [sans nom d’éditeur], 1909, p. 453 b.) Dans la Haggadah également, peu de rabbins
se satisfont du récit biblique selon lequel le choix de Yahvé se posa sur David peu après les infidélités de
Saül. Certains font remonter cette élection au moment de la conception de David (Midrash, Ps. 54, 3),
d’autres encore affirment que Dieu aurait favorisé David dès la sortie d’Égypte et aurait conduit son peu-
ple en Terre Sainte «!à cause du royaume et de la maison de David!» (Mek. Exod. 15, 13). Enfin, certains
suggèrent que la création du monde fut réalisée en vue de son règne (b. Sanh. 98b) et qu’Adam avait
prédit son avènement (Num. R. 14, 12). Cf. Bassler, J., «!A Man for all Seasons. David in Rabbinic Lite-
rature!», Interpretation, vol. XL, 1986, p. 157.
PREMIERE PARTIE 32

primé devant toi tous tes ennemis15. Je te donnerai un nom comme le nom des plus
grands de la terre. […] Quand tes jours seront accomplis et que tu seras couché
avec tes pères, je maintiendrai après toi ton lignage issu de tes entrailles et
j’affermirai sa royauté. C’est lui qui construira une maison pour mon Nom et
j’affermirai pour toujours son trône royal. Je serai pour lui un père et il sera pour
moi un fils.16

La figure théologique du roi d’Israël naît de cette alliance divine!: trouvant en

David un «!homme selon son cœur!», Yahvé le prend (II Sam. 7, 8), en fait son fils et

demeure avec lui jusqu’à sa mort (II Sam. 13, 12)17. Pour cette raison, David se présente

comme un roi sacré, un mashiah (l’oint, le messie), dont la dignité spéciale investit non

seulement sa personne mais aussi son trône et sa descendance, source du salut. Il y a

dans ses œuvres un aspect d’exemplarité et de perfection, une empreinte divine apposée

à l’entreprise humaine. Sa fonction n’est pas seulement celle de chef d’un empire, mais

celle d’un allié de Dieu, de sorte qu’il incarne la notion fondamentale de sacerdoce

royal18. En lui se réalise l’archétype biblique du souverain doué d’un corps politique et

15 Le royaume de David a en effet pris des dimensions quasi impériales!: il a conquis Moab, Ammon,
Damas et Edom, conclu des alliances avec Tyr et Hammath!; son autorité s’étend de l’Oronte au Golfe
d’Aqaba et de la Méditerranée à la haute Euphrate. La dynastie davidide régnera sur ces territoires pen-
dant quatre siècles consécutifs. Cf. [André-Marie Gérard], Dictionnaire de la Bible, Paris, Laffont, entrée
«!David!».
16 II Sam. 7, 8-15.
17 Je souligne. Les psaumes royaux (Ps. 2,18, 20, 21, 45, 72, 89, 101, 110, 132) rappellent les termes de
l’alliance de Yahvé avec David. Part exemple, le psaume 89!:
J’ai trouvé David mon serviteur,
je l’ai oint de mon huile sainte!;
pour lui ma main sera ferme,
mon bras aussi le rendra fort.!» (Ps. 89, 21-22)
18 Cf. II Sam. 6, où David dirige personnellement le transfert de l’arche d’Alliance, offre des sacrifices et
bénit le peuple au nom de Yahvé Sabaot.
PREMIERE PARTIE 33

d’un corps mystique, dont la fortune politique se ramifie dans les conceptions monar-

chiques de l’Empire chrétien, aussi longtemps (au moins pour la France) que régneront

ses rois19.

Pourtant, dans Samuel, cette dignité particulière de l’élu n’éclipse pas ses fai-

blesses, ses erreurs et ses errances!: Samuel et les Rois ayant pour principal sujet les

rapports d’Israël avec Yahvé, la fidélité mais aussi l’infidélité du peuple choisi à la pa-

role des prophètes, le personnage cumule les contradictions!: on sait que malgré son

élection, il pèche contre Yahvé lors de son adultère avec Bethsabée et lors du recense-

ment de son peuple, qu’il se repent mais paie toute sa vie ces fautes à travers les crimes

de ses fils. Sa transparence politique est également sujette à caution!: lui, l’ennemi de

Goliath, un Philistin incirconcis, n’hésite pas à se réfugier auprès de ces mêmes Philis-

tins dans leur ville royale, à Gath, au temps de la persécution saülienne!; il mène leurs

guerres, jusqu’à accepter de s’engager avec eux contre Israël20. Seule la méfiance de ses

nouveaux frères d’armes lui épargnera la bataille. Il est homme de guerre et d’ambitions

dans tous ses conflits avec les nations voisines et avec ses rivaux hébreux, et ce encore

au moment de mourir!: sur le point de passer de ce monde à l’autre, il demande à Salo-

mon de commettre pour lui un crime posthume, l’assassinat de Shimei (I Rois II, 9), que

David lui-même avait pourtant qualifié jadis d’«!homme de sang!» (II Sam. XVI, 8). À

la fois éprouvé et repentant, être de faiblesse mais aussi de puissance, il réalise dans ses

déboires la rencontre éprouvante de l’humain et du divin. En ce sens, il n’est pas Dieu

19 Nous pensons bien sûr aux travaux d’Ernst Kantorowitz, Les deux corps du roi , (1957), Paris, Gall i-
mard 1989!; à Jacques Krynen, L’Empire du roi. Idées et croyances politiques en France, XIIIe-XVe siècle,
Paris, Gallimard, 1993!; à la thèse de Philippe Buc, L’ambiguïté du livre. Prince, pouvoir et peuple dans
les commentaires de la Bible au moyen âge, Paris, Beauchesne, 1994!; etc.
20 Cf. I Sam. 22.
PREMIERE PARTIE 34

fait homme, comme le sera le Christ, mais un intermédiaire laissé par Dieu à sa condi-

tion d’homme et à travers lequel il se fait conducteur de l’histoire. Les livres de Samuel

font de David une figure théologique tout en contrastes, et donc intéressante pour des

lecteurs et des auteurs autant sensibles aux récits d’aventures qu’aux mystères spirituels

enserrés dans chacun d’eux.

Le parfait David des Chroniques

La seconde source biblique qui évoque le roi hébreu se présente comme un pa-

norama prophétique de l’histoire juive depuis la création du monde jusqu’à la captivité

de Babylone. Écrites six siècles après le règne de David, au temps de la désillusion et de

l’espérance – espérance que Dieu libérera son peuple annexé à l’Empire romain et

qu’un davidide montera à nouveau au trône – les Chroniques exaltent en David le type

même du libérateur, le dépositaire d’une promesse de salut à la clé du temps biblique et

de l’avenir des hommes. À l’origine de cet ouvrage se trouve un paradoxe, reçu par les

Anciens comme un écueil théologique important!: l’incompatibilité de la débâcle politi-

que d’Israël avec la fidélité de Yahvé pour son peuple, auquel Dieu avait pourtant pro-

mis un règne et une stabilité éternels21. Pour cette raison, ce livre dit ‘historique’ de la

Bible propose de relire certains aspects de la vie du bethléemite sous un angle messiani-

que!: il reformule en termes nouveaux l’alliance de Yahvé avec son serviteur, laquelle

n’engage plus sa lignée au complet mais un unique descendant de la dynastie des davi-

dides, une figure du Sauveur!:

21 II Sam. 7, 8-15.
PREMIERE PARTIE 35

Je maintiendrai après toi ton lignage!: ce sera l’un de tes fils dont j’affirmerai le rè-
gne. C’est lui qui me bâtira une maison et j’affirmerai pour toujours son trône. Je
serai pour lui un père et il sera pour moi un fils. (I Chr. 17, 11-12).

Désormais, ce n’est plus l’ensemble de la lignée davidique qui tient lieu de fils à

Yahvé (II Sam. 7, 8-15) mais bien «!l’un de tes fils!», attendu comme un libérateur na-

tional!: la promesse de Samuel est devenue prophétie.

Le type messianique qu’incarne David amène également le chroniqueur à polir

le récit de sa vie dans le sens d’une moralité accrue. Les fautes du monarque sont pas-

sées sous silence22!: le cadet de Jessé est le type même du roi parfait, à l’image de son

successeur messianique. En revanche, son rôle politique et religieux est l’objet d’une

surenchère et fait l’objet d’une étude de détail et de longues énumérations!: fondateur du

royaume23, il est l’Élu qui n’a jamais régné que sur «!tout Israël!» (I Chr. 11, 1) et son

intronisation à Hébron, qui préfigure le banquet messianique, rassemble quelque

340!000 guerriers de toutes les nations conquises pour une fête, prophétique, de trois

jours24. S’il laisse à Salomon la construction du Temple, lui-même en est le véritable

22 Les démêlés du jeune roi avec Saül sont omis de même que son adultère et le meurtre d’Urie. La seule
faute qu’on lui impute est le dénombrement de son peuple, une faute qu’efface son repentir exemplaire
devant toute la nation.
23 Dans les Chroniques, l’histoire de la royauté ne commence qu’avec le règne de David. Après l’onction
à Hébron, le jeune roi règne tout de suite à Jérusalem!; il mène des guerres contre les Philistins, les Am-
monites, les Syriens et les Moabites. De nombreuses listes nous renseignent sur les noms des héros de
l’époque avec, parfois, une anecdote à leur sujet. D’autres chapitres nous initient aux secrets de
l’organisation militaire, civile, administrative et financière du royaume. Domine surtout ce qui a trait au
culte.
24 Le compte exact est de 337 824 guerriers, identifiés selon leurs chefs et leurs tribus. La volonté du
compilateur semble être ici de présenter sous une forme synthétique et organisée les peuples auxquels
David s’unit, pour inclure chacun d’eux dans la promesse de salut.
PREMIERE PARTIE 36

organisateur. Les chiffres, certes exagérés par le chroniqueur, parlent d’eux-mêmes!: sur

les 38!000 lévites de trente ans et plus, David en nomme 4!000 pour les fonctions de

chantre, et ils «!louaient Yahvé avec les instruments que David avait faits à cette inten-

tion!» (I Chr. 23, 1). Il désigne pour les diriger un maître de chœur, Héman, fils de Co-

ré25, et lorsque celui-ci se retire pour devenir le théologien du roi, Asaph 26 lui succède.

Il les répartit en trois guildes, selon leur appartenance familiale aux lignées lévitiques

d’Héman, d’Asaph et de Yedutûn, et «!ils chantaient tous sous la direction de leur père

dans le temple de Yahvé!» (I Chr. 25, 6)!; à chacun des vingt-quatre fils de ceux-ci est

confiée la direction d’un groupe de douze chantres, ce qui nous amène au nombre de

288 choristes officiels du Temple de Jérusalem27. Le rôle du monarque dans

25 Les ‘Fils de Coré’ sont les descendants d’un lévite ambitieux, Coré, bien connu pour sa rébellion
contre Moïse et pour sa mort violente (Nbr., XVI, XXVI, 11). Lavés de la faute de leur ancêtre par leur
assiduité au service du Temple (I Chr. IX, 17-27!; XXVI, 1-9), ils furent chargés par David de constituer
sous Héman l’une des chorales cultuelles.
26 Le chroniqueur affirme qu’Asaph composa des «!paroles!» que des Lévites du temps d’Ézéchias cha n-
tèrent en l’honneur de Yahvé, de concert avec les «!paroles de David!» (II Chr. XXIX, 30). Il le décrit le
grand chantre Asaph comme un «!prophète!» (I Chr. XXV, 2) et un «!voyant!»(I Chr. XXIX, 30).
27 L’un des manuscrits découverts à Qumrâm (inconnu évidemment au XVI e
siècle), issu d’une secte
juive du IIe s. av. J.C., renforce le travail du Chroniste dans le sens d’une amplification de la figure théo-
logique de David. Il comporte, sur l’une de ses Colonnes, une «!liste des compositions de David!» desti-
née à embellir la liturgie du Temple. Cette liste ne doit pas être considérée comme un catalogue
d’archives mais elle témoigne de la solidité de la tradition hébraïque concernant l’œuvre du psalmiste
depuis l’Antiquité. Elle attribue à David non pas cent cinquante psaumes mis en musique, mais quatre
mille cinquante morceaux lyriques!:
«!David, fils de Jessé, fut un sage et une lumière comme la lumière du soleil, et un écrivain!; / et il fut
intelligent et intègre dans toutes ses voies devant Dieu et devant les hommes. Et (le Seigneur) donna!/ à
lui un esprit intelligent et lumineux. Et des louanges, il en écrivit!/ 3 600!; et des chants à chanter devant
l’autel lors des holocaustes!/ perpétuels, jour après jour, tous les jours de l’année, 364, / et pour l’offrande
des sabbats, 52 chants!; et pour l’offrande du début des!/ mois, et pour tous les jours de fête et pour le jour
des Expiations, 30 chants.!/ Et tous les chants qu’il exécuta furent [au nombre] de 446!; et les chants!/ à
PREMIERE PARTIE 37

l’organisation du culte fait de lui une figure de fondateur religieux et de réformateur, un

modèle d’intérêt donc pour ceux qui prônent au siècle des Réformes non seulement une

rénovation du culte mais une connaissance plus intérieure de son monument poétique,

les psaumes. Le pécheur de Samuel est devenu le plus pieux des rois d’Israël, il a acquis

dans les Chroniques une envergure morale et théologique majeure.

Les psaumes et leur auteur

Le dernier recueil canonique consacré à David est enfin les psaumes. L’image du

roi-poète lui est bien sûr liée. Dans la Bible hébraïque28, le recueil des Psaumes porte le

nom de sêfer tehillîm!; la racine étymologique de ce dernier mot, hâlal, signifiant

‘louer’, cette dénomination sert à désigner le livre des louanges attribué, en tout ou en

partie, à David29. À la Renaissance, plusieurs théologiens s’interrogent néanmoins sur la

part véritable du fils de Jessé dans la rédaction du recueil, sans pour autant remettre en

interpréter dans les infortunes, 4. Le total est de 4 050.!/ Et tous [ces chants], il les réalisa avec le don
prophétique, qui lui fut donné par le Très-Haut.!»
(Louis Jacquet, Les psaumes et le cœur de l’homme!: étude textuelle, littéraire et doctrinale, Duculot
(Belgique), 1979, t. 1, p. 86, et J. A. Sanders, The Psalms Scroll of Qumrân Cave 11, Oxford!; Clarendon
Press, pp. 48, 91-93.)
Imposante et pleine de ressources, l’ordonnance cultuelle assurée par David est passée avec le temps de
l’Histoire à la légende.
28 La mise en forme du psautier a recouvert une période de six siècles. Comme la plupart des poèmes de
l’Antiquité, ils furent d’abors chantés puis transmis oralement, enfin transcrits, retranscrits et sensible-
ment modifiés à plusieurs reprises dans l’histoire, avant de trouver leur place dans la version juive dite
massorétique!; vus sous cet angle, ils sont en quelque sorte, l’œuvre collective de l’humanité.
29 En tête de son commentaire du Ps. 1, Origène transcrit l’hébreu en grec!: spharthelleim!; dans sa pr é-
face du Psalterium juxta Habraeos, saint Jérôme conserve également la destination juive du psautier en
précisant!: « […] titulus ipse hebraicus sephar tallîm, quod interpretatur volumen hymnorum!» (P. L. 28,
col. 1124).
PREMIERE PARTIE 38

cause sa part dominante dans sa composition. Puisque celui-ci fut l’auteur incontestable

du plus grand nombre de chants religieux d’Israël, le plus célèbre des psalmistes et

l’inspirateur de toute l’école d’écrivains qui en perpétuèrent le genre littéraire, l’ancien

usage prévaut de lui attribuer la paternité du psautier tout entier, conformément à

l’ancienne tradition juive, et de reconnaître en lui le «!chantre des cantiques d’Israël!»30.

C’est ainsi que dans la liste des livres saints recensés dans les bibliothèques médiévales

et renaissantes, on désigne volontiers l’ensemble des 150 psaumes sous le nom de

«!Psautier de David!»31, s’appuyant sur l’autorité d’une majorité de Pères (Ambroise de

Milan, Philastre et d’autres32) et en particulier, de saint Augustin!:

Ils me semblent faire une estimation peu crédible, ceux qui attribuent ces cent cin-
quante psaumes à l’œuvre de celui-ci [David].33

30 II Sam. 23, 1.
31 Le texte massorétique, les Septante, la Vulgate s’accordent à dénombrer 150 psaumes davidiques. C e-
pendant les Septante et l’édition critique de la Vulgate latine consignent un 151e fragment poétique dit
«!de David!», mais avec cette mention!: «!hors nombre!», qui confère un caractère apocryphe au psaume
surnuméraire. Le XVIe siècle ne le retient pas. Issu de la tradition rabbinique, il se présente comme une
autobiographie ancienne du roi David, un remaniement poétique du récit de I Sam. xvi, 1-13. Le psal-
miste y évoque à la première personne sa jeunesse champêtre et les événements qui l’amenèrent à prendre
les armes contre les Philistins. Même dans sa version la meilleure que donne les LXX (le manuscrit de
Qumrân le consigne également), le psaume surnuméraire est inférieur aux versions qu’il pastiche. Cf. L.
Jacquet, op. cit., p. 70.
32 Philastre, Liber de haeresibus , in Migne, P. L., tome 12, ch. CXXX, col. 1259!; Ambroise, Enarrat. in
ps. I et XLII, P. L., t. XIV, col. 923!; Augustin, De civitate Dei, XVII, 14, in P. L., t. XLI, col. 547-48!;
etc. Les titres, dans le texte hébreu, attribuent cependant à David soixante-treize psaumes. D’autres titres,
qui se lisent dans la version grecque des Septante et dans la Vulgate, lui reconnaissent quinze psaumes
supplémentaires.
33 «! Mihi credibilius videntur existimare, qui omnes illos centum et quinquaginta Psalmos ejus operi
tribuunt.!» Augustin, Enarrationes in Psalmos.
PREMIERE PARTIE 39

Cet usage, qui prévaut dans l’Église grâce au soutien de saint Thomas et Cajetan

notamment, constitue une pierre d’achoppement pour les biblistes au moins jusqu’au

concile de Trente34!: la paternité de David de la totalité du psautier se trouve en effet

ébranlée au sein même de l’Écriture par l’école de psalmistes mentionnée dans les titres

des psaumes, remettant en cause leur titre de testament spirituel exclusif du roi hébreu.

Certes, un mouvement de sceptiques amorcé dès l’Antiquité (Eusèbe de Césarée, Jé-

rôme et d’autres35) remettait déjà en question cette tradition ancienne, arguant que D a-

vid n’aurait écrit que soixante-treize psaumes36. Les positions d’un saint Hilaire sont

mêmes formelles!: «!D’où il est absurde de dire!: ‘les Psaumes de David’, ou de les dé-

signer par son nom, alors que leurs auteurs sont inscrits dans les titres eux-mêmes!»37.

Des théologiens plus tardifs tels que Nicolas de Lyre et Bonfrère abondent dans le

même sens, mais d’autres, dont Robert Bellarmin38, n’osent se prononcer. Mais la que s-

tion restera en suspens!: la tradition scolastique identifiant l’auteur principal de la Bible

à Dieu et son auteur instrumental, David, et la notion de propriété intellectuelle se po-

34 Cf. Thomas d’Aquin, Expositio in Psalmos Davidis, in Opera omnia S. Thomae , Paris, Vivès, t. XVIII,
pp. 228-56.
35 Hippolyte, In Psalmos, in Migne, t. XII, col. 1066!; Eusèbe Césarée, Comment. in psal., proœ., in Psal.
XLI, LXXII et LXXVII, in Migne, t. XXIII, col. 73, 368, 821, 901!; Athanase, Arg. in Psalm., in Migne,
t.!XXVII, col. 57!; du même Père, la Synopsis Scripturae Sacrae, in Migne, t. XXVIII, col. 322!; Hilaire
de Poitiers, Tract. super Psalmos, prol., in Migne, t. IX, col. 233!; Jérôme, Epist. CXL, no 4, t. XXII, in
Migne, col. 1169!; etc. Sur l’opinion des Juifs à ce sujet, nous renvoyons à L. Wogue, Histoire de la Bible
et de l’exégèse biblique jusqu’à nos jours, Paris, Imprimerie nationale, 1881, pp. 38-42.
36 Les titres rapportent en effet 73 psaumes à David, 12 à Asaph, 11 aux fils de Coré, et des psaumes
isolés à Hémân, Etân (ou Yedutûn), Moïse et Salomon. Trente-cinq psaumes sont sans attribution. Cf.
L’!«!Introduction aux psaumes!» de La Bible de Jérusalem, op. cit., p. 712.
37 «!Unde absurdum est Psalmos David dicere, vel nominare, cum ibi Auctores eorum ipsis inscriptionum
Titulis comendantur.!» Hilaire de Poitiers, Tractatus super Psalmos, in [CLCLT5], Library of Latin Texts,
Turnhout, Brepols, 2002, Cl. 0428, par. 2, l. 4.
38 Cf. Cornelius, A Lapide, Commentaria in scripturam sacram, Paris, 1868, 6, 5.
PREMIERE PARTIE 40

sant dans l’ancien régime en des termes relativement souples, la question de l’unicité de

l’auteur reste ouverte jusqu’au Concile de Trente. Dans son décret De canonicis Scrip-

turis, le Concile laisse de côté l’appellation Psalterium Davidis et, sans véritablement

trancher la question, opte pour la dénomination Psalterium davidicum39. David apparaît

encore comme le père de la poésie biblique, un modèle d’écriture auxquels reviennent

les nombreux traducteurs du psautier et les auteurs de littérature spirituelle.

Selon les livres de la Bible et l’identité des scripteurs, une diversité de points de

vue s’organise donc autour de David, selon qu’on privilégie l’une ou l’autre référence.

Cette disparité inhérente aux textes de l’Écriture est un trait essentiel de la source sacrée

consacrée à David!; loin d’enfermer le personnage dans l’étau implacable d’une unifor-

mité rigoureuse, elles en font un être polymorphe.

À cette abondance s’ajoute aussi une autre. Plus que simple narration, l’histoire

de David et de ses commentaires exégétiques est partie prenante d’une autre histoire,

celle de la Bible en tant que texte imprimé, vendu ou échangé sur le commerce. À la

Renaissance, la multiplicité des éditions bibliques pose la question de l’un et du multi-

ple, elle n’est et ne sera jamais plus un monolithe. L’attrait du nouveau lectorat pour

David y joue d’ailleurs un rôle certain puisqu’il associe le roi des Juifs à la genèse et au

développement de l’imprimerie.

39 Cf. [Stephan Ehse], Concilium tridentinum , vol . 5, Fribourg, Herder, 1911, pp. 33 et 41. Voir égal e-
ment Pietro Sforza Pallavacino, Histoire du Concile de Trente, Paris, Montrouge, trad. Migne, t. II, livre
VI, ch. XIV, col. 89.
PREMIERE PARTIE 41

Chapitre II

Un livre, des livres!:

David et la prolifération des éditions bibliques

David et l’édition biblique, 1450-1500

Plutôt qu’une simple conséquence de l’émergence du livre, la floraison d’éditions mo-

dernes consacrées à David au XVIe siècle répond, dès la naissance de l’imprimerie, à

une demande prononcée pour son œuvre. Le fils cadet de Jessé est en effet une figure de

proue de l’histoire du livre, il est une référence non seulement sur le plan spirituel mais

aussi sur le plan matériel!: l’intérêt qu’il suscite joue un rôle moteur dans le développe-

ment de l’imprimerie40.

Au temps de Gutenberg, le souci de réaliser une édition de la Bible au complet,

Ancien et Nouveau Testament ensemble, entraîne le développement de la technique

éditoriale!; cet élan technique inaugure une époque de plus vaste diffusion de Samuel,

des Chroniques et des Psaumes, dont les éditions ne cesseront plus par la suite de se

multiplier. La première pierre de cette fortune éditoriale de David est apportée par Gu-

tenberg, qui réalise dans les années 1452-53 l’impression de la Bible en 42 lignes, en

40 L’outil indispensable pour localiser les Bibles de la Renaissance conservées dans les bibliothèques
parisiennes est le catalogue collectif de Martine Delaveau et Denise Hillard, Bibles imprimées du XVe au
XVIIIe siècle conservées à Paris, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2002.
PREMIERE PARTIE 42

association avec un bailleur de fonds, Peter Fust, et probablement Peter Schöffer, futur

gendre de Fust. Comme il se doit, le bethléemite apparaît dans les livres de l’Ancien

Testament qui lui sont consacrés. La prouesse technique porte fruit!: lors de la rupture

de l’association en 1455, un second atelier concurrent de celui de Gutenberg, fondé à

Mayence par ses anciens associés, reprend le projet d’édition biblique. Un intérêt parti-

culier pour le psalmiste soutient alors tous leurs efforts!: une de leurs premières réalisa-

tions, laquelle porte la date la plus ancienne de l’histoire du livre imprimé, est le Psau-

tier dit de Mayence!; le chantre d’Israël est à l’honneur. Gutenberg entreprend de son

côté, avec les caractères de la Bible à 42 lignes, un psautier dont il ne subsiste qu’un

seul feuillet!; avec d’autres caractères, il réalise enfin la Bible à 36 lignes. Les premiers

pas de l’imprimerie en Occident se résument donc à deux psautiers et à deux Bibles

entières, soit deux ouvrages de David et deux autres où il y figure. Ces débuts sont

exemplaires du destin éditorial du psalmiste, qui ne cessera de s’étoffer au fil du siècle

suivant.

Dans la masse des incunables imprimés avant 1500 (estimée à 15 000 textes), la

source maîtresse racontant l’histoire de David occupe encore une bonne place. Copinger

énumère 124 Bibles latines41, avec ou sans commentaires et gloses de Walafridus Str a-

bo, de Raban Maur, d’Alcuin ou d’Anselme de Laon!; éliminant les éditions douteuses,

Léopold Delisle en compte 9942. À côté de ces éditions latines, surtout destinées aux

théologiens et aux universitaires, figurent un certain nombre de traductions en langues

vernaculaires (11 en allemand, 3 en bas allemand, 4 en italien!; Chambers en recense 4

41 W. A., Copinger, appendice des Incunabula biblica, or the First Half Century on Latin Bible de Léo-
pold Delisle, Paris, Imprimerie Nationale, 1983. En appendice, l’auteur cite 437 éditions de la Bible pu-
bliées au XVIe siècle.
42 L. Delisle, op. cit.
PREMIERE PARTIE 43

en français totalisant 14 éditions43), sans compter les traductions partielles de l’Écriture,

encore plus nombreuses et impossibles à dénombrer de façon valable, au premier rang

desquelles figurent selon Lucien Febvre les Psaumes, suivis de près par l’Apocalypse et

le livre de Job44. De manière indirecte encore, et en quantité infiniment plus importante

que ces éditions bibliques, le bethléemite se profile également dans les livres de prière

et dans les ouvrages liturgiques indispensables à la célébration du culte, dominés une

fois de plus par les psaumes. Impossibles à dénombrer de façon valable en raison de la

quantité importante d’éditions disparues, un grand nombre de bréviaires et de missels, et

plus encore de livres d’heures, absorbent l’activité des presses françaises et européen-

nes, du XVe au XVIe siècle45. Avec les psaumes et les premières éditions de Samuel et

des Rois dans les Bibles latines, David devient le personnage de l’Ancien Testament le

plus diffusé au temps des incunables.

Par ailleurs, relativement à l’idée répandue selon laquelle la Renaissance assiste

au passage d’une Bible «!encombrée!» à une Bible «!délivrée!» des commentaires pa-

tristiques et médiévaux, on constate que deux conceptions du texte saint survivent, pa-

43 Bettye Chambers, Bibliography of French Bibles . Fifteenth and Sixteenth Century , Genève, Droz,
1983, nos 1 à 14. Il s’agit d’une Bible abrégée (9 éditions), d’une Exposition de la Bible (2 éditions), d’un
Nouveau Testament (2 éditions) et de la Bible historiale dans la traduction de Guyart des Moulins (1291),
avec une seule édition. Entre 1500 et 1530 paraissent 39 autres éditions bibliques!; à la fin du siècle, 554
éditions de la Bible en français circulent dans le royaume!: elles peuvent donc, à juste titre, être qualifiées
de premier grand succès de librairie de l’histoire du livre.
44 L. Febvre et H.- J. Martin, L’apparition du livre, Paris, Albin Michel, pp. 351-54.
45 Paul Lacombe estime qu’à Paris seulement, au moins 79 éditions de livres d’heures voient le jour avant
1500, lesquelles sont aujourd’hui disséminées à travers les bibliothèques parisiennes. L’année 1500 en
voit apparaître environs 23 éditions supplémentaires et les années 1500-1530, 289. Le rythme de publica-
tion de ces ouvrages de dévotion décline avec le siècle. Entre 1531 et 1600, seulement 104 nouvelles
éditions sortent des presses parisiennes, en majorité imprimées vers le milieu du siècle, pour tranquille-
ment voir s’éteindre le genre au XVIIe siècle. LACOMBE, P., Livres d’heures imprimés au XVe et au
XVIe siècle conservés dans les bibliothèques de Paris, Paris, Imprimerie nationale, 1907.
PREMIERE PARTIE 44

rallèles, au temps des incunables!: celle de la Bible glosée et savante, qui sertit l’histoire

de David dans une frise de commentaires médiévaux, et celle préférée par une grande

partie de la nouvelle génération de biblistes, la Bible épurée de toute glose et de tout

commentaire, dans sa version latine ou dans ses traductions. Dépositaire de la tradition

de l’Église en matière d’exégèse, la première demeure un outil épistémologique de tout

premier ordre, un instrument utile pour connaître la pensée des Docteurs de l’Église

relative à des épisodes précis de la vie de David. À partir du XVe siècle cependant, les

Postilles de Nicolas de Lyre reçoivent la préférence sur la Glose (fixée par Walafridus

Strabo)!; Guy Bedouelle et Bernard Roussel recensent au moins 800 manuscrits de la

Glose enrichie des Postilles de Nicolas de Lyre entre les XIVe et XVIe siècles, et quel-

que 21 éditions en français de la Bible glosée et/ou accompagnée des Postilles selon le

recoupement des bibliographies de Copinger et d’Edward Gosselin46. C’est ainsi que la

tradition de l’Église continue d’exercer sur les érudits son ancienne influence!: la Bible

glosée fait son apparition dans l’univers imprimé en 1480 dans la généreuse édition

strasbourgeoise de Rusch47, et celle augmentée avec des commentaires de Nicolas de

Lyre, à Nuremberg en 148448. L’intégration dans un seul ouvrage de la Glose et des

Postilles autour du texte de la Vulgate apparaît à son tour en 1489 : il s’agit de la Biblia

latina vénitienne de Scot, en quatre volumes49. Son influence s’exercera encore au si è-

cle suivant!: on connaît pour la première moitié du XVIe siècle trois éditions de la Bible

46 Cf. G. Bedouelle et B. Roussel, op. cit., p. 50!; E. A. Gosselin, «!A Listing of the Printed Editions of
Nicolaus de Lyra!», Traditio, 26, 1970, pp. 399-426!; Copinger, op. cit.
47 Biblia latina cum glossa ordinaria Walafridi Strabonis et interlineari Anselmi Laudunensis , sine nota,
Strasbourg, A. Rusch, 1480. 4 vol. in-fol.
48 Biblia latina, cum comment. Nicolai de Lyra, Nuremberg, A. Koberger, 1484, 2 vol. in-fol.
49 Biblia latina, cum glossa ordinaria Walafridi Strabonis, et Nicolai de Lyra postillis , Venise, O. Sc o-
tum, 1489. 4 vol, in-fol.
PREMIERE PARTIE 45

latine glosée et commentée par Nicolas de Lyre, dont une à Bâle et deux à Lyon50, qui

seront encore réimprimées et traduites après 154551. De Gutenberg au Concile de Trente

il n’y a donc pas véritablement de passage d’une Bible «!encombrée!» à une Bible

«!délivrée!», mais bien une cohabitation des deux modèles, la tradition de la Bible glo-

sée étant encore si forte que les imprimeurs réussissent à peine à répondre à la de-

mande52.

Les raisons de cet engouement pour des éditions du David biblique, lequel se maintient

d’ailleurs dans les premières décennies du XVIe siècle, sont multiples. En ce qui

concerne les psaumes d’une part, l’idée qu’en plus d’un livre de prières, l’œuvre de Da-

vid présente un compendium de l’Écriture Sainte motive certainement la demande pour

le psautier53. Cette ancienne idée, héritée des Pères 54, fait son chemin non seulement au

XVe siècle mais encore au XVIe siècle car elle revient chez Bellarmin!:

50 Édition de Sébastien Brandt publiée chez Froben à Bâle en 6 vol. in-fol, 1498-1506 (réed. en 1506-
08)!; une autre édition de Conrad Leontorius paraît chez J. Mareschal à Lyon, en 7 vol. in-fol entre 1520
et1528, de même que celle de G. Treschel à Lyon, 7 vol. in-fol., 1545.
51 L’une des rééditions les plus remarquables en est la Biblia sacra cum Glossis, interlineari & ordinaria,
Nicolai de Lyrani Postilla & Moralitatibus, Burgensis Additionibus, & Thoringi Replicis, à Lyon, chez
Antoine Vincent, 7 vol. in-fol, 1545.
52 Cf. G. Bedouelle et B. Roussel, op. cit., pp. 127-28.
53 On peut ajouter aux témoignages d’Augustin et d’Athanase précédemment cités celui, plus tardif, de
Thomas d’Aquin!:!«!Ce livre, à la différence des autres écrits bibliques, embrasse en son universalité la
matière de toute la théologie […] La raison pour laquelle il est le Livre biblique de beaucoup le plus utili-
sé dans l’Église, c’est qu’il contient en lui-même toute l’Écriture […] Sa caractéristique est de redire sous
forme de louange et de prière tout ce que les autres livres exposent selon les modes de la narration, de
l’exhortation, de la discussion.!» (In Psalmos Davidis Expositio, Paris, Vivès, pp. 228).
54 Cf. Athanase, Épître à Marcellin , P.G. 27, col. 11. Louis Jacquet a traduit ce passage ( op. cit., p. 67)!:
«!Des trésors des autres livres, concentrés en lui-même comme en leur paradis, le livre des Psaumes fait
un Chant, et il y ajoute le chant de ses propres trésors!». Dans son prologue «!In librum psalmorum!»,
Augustin présente aussi le psautier comme le compendium de l’Écriture!: «!Il annonce les faits à venir,
consigne les exploits des Anciens, fixe aux vivants un idéal à atteindre, leur indique comment y parvenir.
PREMIERE PARTIE 46

Le livre des psaumes constitue un abrégé de l’Ancien Testament. Tout ce que


Moïse a raconté dans son histoire ou ordonné dans sa Loi, tout ce que les autres
Prophètes ont laissé de prédiction de l’avenir ou d’exhortations à la vertu, David le
rappelle en peu de mots […] Et non dans un style ordinaire, mais dans une poésie
variée, remplie d’images sublimes, présentées avec tant de feu qu’elles entraînent
les cœurs à aimer et à louer Dieu. Je ne crois pas qu’on puisse rien chanter ou en-
tendre chanter de plus doux et de plus salutaire à l’âme.!55

Quelques décennies plus tard, avec la Réforme, les protestants partageront cet

attrait pour le psalmiste, comme en témoigne leur attachement au Psautier huguenot.

Par ailleurs, en ce qui concerne Samuel, les Chroniques et les Psaumes ensemble,

l’intérêt des philologues à leur égard contribue certainement à leur diffusion. Au tour-

nant du siècle, le mouvement de l’humanisme qui prend corps en Italie gagne tout

l’Empire!: la Bible, et tout particulièrement l’Ancien Testament, devient l’objet

d’examen des ‘grammairiens’ et son évolution se présente en termes inédits. On lit, cor-

rige, traduit les livres historiques et deutéronomiques tantôt en comparant entre eux les

meilleurs exemplaires de la Vulgate, comme le fait Lorenzo Valla, tantôt en remontant

au grec de la Septante ou directement à l’hébreu, sur les traces de Konrad Pellikan et de

Reuchlin56. L’attrait pour le fils cadet de Jessé joue même un rôle dans ces recherches

Bref, c’est une anthologie de la bonne doctrine à la portée de tous, qui excelle à offrir à chacun ce dont il
a besoin.!» P. L. 26, col. 63. Voir également Hipp., Dav., 1, 1 et 11, 2!; Ambr., In psal. 118, 10, 32.
55 Cf. Cornelius, A Lapide, op. cit., VI, p. 3.
56 Le rêve de l’ Homo trilinguis qui prend forme en 1517 et en 1530 avec les encouragements
d’humanistes tels que Nebrija, Reuchlin, Guidacier, Münster et Clénard, remonte à une époque bien anté-
rieure à ces deux années!; Gilbert Dahan en a étudié les racines médiévales. On rencontre ainsi assez tôt
des caractères hébreux et grecs dans les incunables, dont plusieurs destinés aux communautés juives. Les
premières presses hébraïques voient le jour en Italie, où le premier incunable en hébreu est la Stella Mes-
chiah (1477) du dominicain Peter Schwatrz (Nigri). Après l’expulsion des juifs d’Espagne en 1492,
l’imprimerie hébraïque connaît un ralentissement mais continue de se développer, de manière marginale,
PREMIERE PARTIE 47

linguistiques et philologiques puisqu’il mène, indirectement, à la création du collège

trilingue de Louvain en 1517, et en 1530, à celui des Lecteurs royaux de Paris57: les

chaires d’hébreu enseignent la langue de David à même les Écritures et à cette fin, Gui-

dacerius et Vatable choisissent l’étude des Psaumes comme principal objet de leur en-

en Italie, en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas, en Angleterre et même France. On évalue à 200, pour le
XVe siècle, et à 4000 pour le XVIe, le nombre des éditions sorties de ces presses. De ce nombre, 100 in-
cunables proviennent d’Italie. La Bible y est imprimée en entier à quatre reprises et trente fois partielle-
ment. Les commentaires de la Bible et les livres de piété, également très en demande, recouvre plus de
80!% du total de ces éditions.
Au contact des ouvrages sortis de ces presses, les humanistes développent leur connaissance de la langue
d’origine de l’Ancien Testament. À Paris, le premier livre contenant de l’hébreu est une grammaire de
François Tissard (c. 1460-1508) publiée chez Gilles de Gourmont, également premier imprimeur parisien
à faire tailler et à utiliser des caractères grecs. Cet ouvrage est suivi par celui Jean Reuchlin qui, par la
publication en 1509 du De rudimentis linguae hebraicae, donne aux humanistes de nouveaux outils pour
aborder le texte hébreu de la Bible. Il avait le sentiment de faire œuvre de pionnier en procurant une mé-
thode pour apprendre l’alphabet, une grammaire et un lexique qui surpassait le De modo legendi et intel-
ligendi Hebraeum que Pellikan avait fait imprimer quelques années plus tôt. Le but de sa méthode était de
faire lire l’Ancien Testament dans sa langue originale, «!la plus douce de toutes!» puisque choisie pour
que s’incarne l’inspiration divine. Au XVIe siècle, outre les éditions savantes de la Bible (Bible polyglotte
d’Alcalà (Nebrija), Bible d’Anvers (Plantin), Bible hébraïque (Robert Estienne), etc.) les manuels
d’initiation à l’hébreu affluent!: au total, on peut dénombrer 28 éditions de grammaires hébraïques parues
entre 1497 et 1529, dont les plus célèbres (à côté de celle de Reuchlin) sont celles de Nebrija, Capiton,
Jean Eck, Clénard, Sanctes Pagninus, Elie Levita et Sebastien Müster. L’étude de l’hébreu comme moyen
d’accéder directement à l’Ancien Testament est donc autant à l’honneur que l’étude du grec, langue des
Évangiles et du Nouveau Testament. Voir, pour la période médiévale, G. Dahan, Les Intellectuels chré-
tiens, op. cit.!; aussi E. Beltran et G. Dahan, «!Un hébraïsan à Paris vers 1400!: Jacques Legrand!», Archi-
ves juives, 17, 1981, pp. 41-49. Pour la Renaissance, G. Bedouelle et B. Roussel, op. cit., pp. 63-68 et pp.
401-25. Enfin L. Febvre et H.-J. Martin, op. cit., pp. 375-78.
57 En attendant la publication de la thèse de Jean-Claude Saladin sur le Collège trilingue, voir H. de
Vocht, History of the Foundation and Rise of the Collegium Trilingue Lovaniense, 1517-1550, notam-
ment t. 1, Louvain, 1951, et II, Louvain, 1953!; A. Lefranc, Histoire du Collège de France, Paris, 1893!;
G. Dahan, «!Une liste de professeurs d’hébreu au collège de royal, du XVIe siècle au début du XVIIIe
siècle!», Archives juives, 14, 1978, pp. 1-4.
PREMIERE PARTIE 48

seignement. Or dans ces cercles, aucun livre des Écritures, Ancien et Nouveau Testa-

ment confondus, n’est plus traduit que le psautier.

David dans l’édition biblique après 1500

Au siècle de l’humanisme et de l’affirmation de la réforme, la Bible glosée apparaît de

moins en moins comme la principale source à laquelle puisent les auteurs chrétiens pour

s’enquérir de l’histoire de David!: si les plus traditionalistes des hommes de lettres et

des artistes y trouvent encore de l’or, une majorité d’autres s’en méfient, ne voyant dans

les gloses que matière à s’embrouiller. On connaît le passage de Montaigne au chapitre

«!De l’expérience!» des Essais, dans lequel il résume les griefs de ses contemporains

contre les gloses de tous ordres, aussi bien celle des livres de droit que celles de la Bi-

blia cum glossa!:

Qui ne diroit que les glosses augmentent les doubtes et l’ignorance, puis qu’il ne se
voit aucun livre, soit humain, soit divin, auquel on s’embesongne, duquel
l’interpretation fasse tarir la difficulté? Le centiesme commentaire le renvoye à son
suivant, plus espineux et plus scabreux que le premier ne l’avoit trouvé. Quand est-
il convenu entre nous!: ce livre en a assez, il n’y a meshuy plus que dire? […] Nous
nous obscurcissons et ensevelissons l’intelligence!; nous ne la descouvrons plus
qu’à la mercy de tant de clostures et barrieres.58

Pour celui qui disait que «!nous ne faisons que nous entregloser!», la Bible sertie

dans ses commentaires patristiques et médiévaux est certainement le dernier des modè-

les littéraires. Certes, elle appelle une ‘interprétation infinie’, mais l’infinité même des

58 Montaigne, Essais, livre 3, Paris, Garnier-Flammarion, 1979, p. 278.


PREMIERE PARTIE 49

commentaires qu’elle suscite est devenu un poids et tend à faire écran au contenu des

Écritures. Chez la plupart des auteurs chrétiens du plein XVIe siècle, l’intelligence mé-

diévale des quatre sens de l’Écriture s’est perdue59!: on se tourne donc vers les Bibles

modernes, traduites et dénuées de commentaires, pour retrouver la source de l’histoire

de David. À titre indicatif, un simple regard comparatif jeté sur la même page de

l’Écriture – celle du combat de David et Goliath – dans quelques éditions postérieures à

1500 de la Bible permet d’apprécier la nouveauté que représente le texte épuré, sur les

plans herméneutique et théologique. Nous avons mis en parallèle deux traductions de la

Bible composées en marge de la Réforme (l’Exposition et declaration de la Bible de

Nicolas de Lyre (1480)60 et la traduction de 1530 de Lefèvre d’Étaples 61) deux Bibles

protestantes (celles d’Olivétan dans une édition de 153562 et celle de Castellion impr i-

59 Tel est du moins le constat d’Henri de Lubac!: «!Après avoir occupé le centre de la vie chrétienne, elle
[la doctrine des quatre sens] s’est survécue trop longtemps, une fois sa sève épuisée, hors de l’exégèse
vivante aussi bien que de la théologie ou de la spiritualité vivante, pour qu’on n’en ait pas fini, là même
où on la pratiquait encore, par en perdre l’intelligence.!» (Les Quatre sens de l’Écriture(1959), Paris,
Cerf, 1993, t.1, p. 102).
60 Exposition et declaration de la Bible tant du Vieux que du Nouvel Testament, selon Lyra et autres,
corrigé par Maistre Julien Macho, Lyon, 1480 (aucune foliotation).
61 La Saincte Bible en Françoys translatee selon la pure et entiere traduction de Sainct Hierome, conf e-
ree et entierement revisitee selon les plus anciens et les plus correctz exemplaires…, Martin Lempereur,
Anvers, 1530, fol. 105v
62 La Bible, qui est toute la Saincte escripture. En laquelle sont contenus, le Vieil Testament et le No u-
r
veau, translatez en Françoys. Le Vieil de Lebrieu!: et le Nouveau du Grec., s.l.n.d., fol. 84
PREMIERE PARTIE 50

mée en 155563) et deux Bibles catholiques (celles des théologiens de Louvain (1550)

dans une édition de 160864 et celle, bilingue, de Benoist, dans une édition de 156865).

63 La Bible nouvellement translatee, Avec la suite de l’histoire depuis le tems d’Esdras iusqu’aux Macc a-
bées!: e depuis les Maccabées iusqu’au Christ, Bâle, chez Jean Hervage, 1555, colonnes 540 et 541.
64 Biblia sacra . La Saincte Bible. Contenant le Vieil et Nouveau Testament, en Latin selon l’édition Vu l-
gaire, et en François de la traduction des Docteurs Catholiques de l’Université de Louvain…, à Paris,
chez Rolin Thierry, Nicolas Du Fossé et Pierre Chevalier, 1608, pp. 266-67.
65 La Sainte Bible, contenant le Vieil et Nouveau Testament, Latin François, chacune version correspo n-
r v
dante l’une à l’autre, verset à verset…, Paris, Gabriel Buon, 1568, fol. 194 et 194 .
PREMIERE PARTIE 51

David et Goliath (I Sam. 17, 40-51),

dans quelques traductions de la Bible.

Nicolas de Lyre, Exposition et declaration de la Bible tant du Vieux que du Nouvel


Testament, selon Lyra et autres, corrigé par Maître Julien Macho, [Lyon, vers
1480], in-4. (sans foliotation)

[…]!David vint devant saul et luy demanda la bataille contre golias. Lequel fina-
blement lui octroia et le fist armer de ses armes mais pour ce quelles ne lempechas-
sent a combatre il les gecta ius et en prist daultres. David signifie ihesucrist qui en-
voie de dieu le pere vient devant le peuple des iuifz pour batailler contre lennemy
mais les iuifz vouloient quil bataillast selon leur entendement rude et a la lectre
mais ihesucrist les mist ius car il donna en lieu le sens espirituel.

Quant golias et david furent au champ david se hasta et prist une pierre quil avoit
mise en sa panetiere et la mist en la fonde et la gecta fort contre golias. Et luy ficha
tellement dedens le front que golias cheut a terre. David signifie ihesucrist qui vient
encontre lennemy a tout son baston de la croix et a la pierre de levangille de quoy il
fist cheoir la vertu de lennemy.

Et golias cheut a terre et david navoit point despee pour le tuer, il corut sus golias
et le mist soubz soy et prist sa propre espee et luy coppa la teste. Cecy signifie que
ihesucrist par trespuissante obedience et humilite iusques a la mort mist au bas lor-
gueil de lennemy. Et par le boys mesme par lequel il voult ihesucrist leur monter
ihesucrist le vainquist cest par la croix.
PREMIERE PARTIE 52

La Saincte Bible en Françoys de Lefèvre d’Étaples, Anvers, Martin Lempereur,


1530, fol.!105v:

Et esleut pour soy cinq pierres pres du torrent, et les mist en sa malette pastorale,
quil avoit avec luy!: et aussy porta la fronde en sa main, et sen alla a lencontre du
Philistien. […] Ladolescent estoit roux, et de beau regard. Et le philistien dist a
David!: Suis ie ung chien, que tu viens a moy, avec ung baston? Le Philistien aussy
mauldict David par ses dieux. Et dist a David!: Viens a moy, et ie donneray tes
chairs aux volailles du ciel, et aux bestes de la terre. Mais David dist aux Philis-
tiens!: Tu viens a moy avec lespee, la hace, et le bouclier!: mais ie viens a toy, au
nom du Seigneur des batailles, au nom du Dieu des congregations Disrael, les-
quelles tu as auiourdhuy deffie. Le Seigneur te donnera en ma main, ie te frappe-
ray, et osteray ta teste de toy!: et donneray auiourdhuy les corps mortz du siege des
Philistiens, aux volailles du ciel et aux bestes de la terre!: affin que toute la terre sa-
che, quil y a ung Seigneur Dieu en Israel![…] Quant donc le Philistien fut leve, et
quil venoit et approchoit contre David, David se hasta, et vint au devant en la ba-
taille, alencontre du Philistien. Il mist sa main en sa malette, et print une pierre, et
la ietta de la fonde!: et en le conduisant frappa le Philistien au front. La pierre fut
fichee en son front, et tumba sus sa face par terre. Et david eut la victoire contre le
Philistien, par la fonde et la pierre!: et mist a mort le Philistien qui estoit frappe.
Mais David navoit pas despee en sa main, parquoy il courrut, et se mist sus le Phi-
listien, et print son espee, il la tira hors du fourreau, et le tua, et luy trencha la teste.
PREMIERE PARTIE 53

Bible d’Olivétan, maz. 663, fol.84r!:

«![…] Et print ung baston en sa main!: et esleut du torrent cinq pierres bien unies,
et les mist en la mallette pastoralle quil avoit, et en sa poche!: et avoit sa fonde en
sa main, et sapprocha du Philistin. Et le Philistin sen vient sapprochant de David, et
son coustillier estoit devant luy.

Quant le Philistin eut veu, et regarde David, il le desprisa!: car ce nestoit que ung
enfant, rousseau, et beau de visage. Et le Philistin dist a David!: Suis ie ung chien,
que tu viens a moy avec bastons ? Lequel mauldict David par ses dieux. Et le Phi-
listin dist a David: Viens a moy, et ie bailleray ta chair aux oyseaulx du ciel, et aux
bestes des champs. David respondit au Philistin!: Tu viens a moy avec ung glaive,
lance, et bouclier!: et moy ie viens a toy au nom du Seigneur des armees, du Dieu
de lordonnance de Israel, lesquelz tu as deffie. Auiourdhuy le Seigneur te serrera
entre mes mains, et te frapperay, et osteray ta teste de dessus toy!: et auiourdhuy ie
bailleray les corps des armees des Philistins aux oyseaulx du ciel, et aux animaulx
de la terre!: affin que tous ceulx de la terre sachent que Israel a ung Dieu. Et toute
ceste assemblee sache que le Seigneur ne sauve point par le cousteau, ou par
lance![…]

Advint, quand le Philistin se fut leve, et venoit, sapprochant de David, David se


hasta, et courut de la bataille au devant du Philistin. Et David mist sa main en la
mallette, et print dela [sic] une pierre, et la ietta dune fonde, et frappa le Philistin en
son front!: tellement que la pierre fut fichee en son front, et cheut sur sa face en
terre. Ainsi David fut plus fort que le Philistin avec une fonde et une pierre!: lequel
frappa le Philistin et mourut. Or David nayant point de glaive entre les mains, cou-
rut!: et se tint sur le Philistin, et print le glaive diceluy, et le tira de sa gaine, avec
lequel luy coppa la teste.66!» (Fol. 84 r).

66 Note du traducteur!: «!David mect par terre Goliath et luy tranche la teste de sa propre espee. Psal. 78
d. Macha. 4 d.!»
PREMIERE PARTIE 54

Bible de Louvain, (1550), Paris, R. Thierry, N. Du Fossé et P. Chevalier, 1608, pp.


266-67.

40. Et prist son baston, qu’il avoit tousiours en ses mains!: Et esleut cinq pierres
tres-claires du torrent, et les mit en sa malette pastorale, qu’il avoit avec soy, et
prist la fonde en la main!: et s’en alla à l’encontre du Philistien. 41. Or le Philistien
alloit cheminant, et s’approchant à l’encontre de David, et son escuyer devant luy.
42. Et quand le Philistien l’eut regardé, et qu’il eust veu David, il le desprisa. Or il
estoit adolescent roux, et de beau visage. 43. Et le Philistien dit à David, Suis-ie un
chien, que tu viens à moy avec un baston ? Et le Philistien maudit David par ses
dieux. 44. Et dit à David!: Viens à moy, et ie donneray tes chairs aux volailles du
ciel, et aux bestes de la terre. 45. Mais David dist au Philistien!: Tu viens à moy
avec l’espée, et la lance, et le bouclier, mais ie viens à toy, au nom du Seigneur des
armées, Dieu des bandes d’Israël, lesquelles tu as auiourd’huy defiées. 46. Et le
Seigneur te donnera en ma main, et ie te frapperay, et osteray ta teste de toy!: et
donneray auiourd’huy les corps morts du camp des Philistiins, aux volailles du ciel,
et aux bestes de la terre!: à fin que toute la terre sçache, qu’il y a un Dieu en Israël.
[…] 48. Quand donc le Philistien fut levé, et qu’il venoit, et approchoit contre Da-
vid, David se hasta, et vint au devant en bataille, à l’encontre du Philistien. 49. Et
mit sa main en la malette, et prist une pierre, et la jetta de la fonde, et en tournoyant
frappa le Philistien au front!: Et fut la pierre fichée en son front, et tomba sur sa
face en terre. 50. Et David eut la victoire contre le Philistien par la fonde et la
pierre, et mit à mort le Philistien qui estoit frappé. Mais David n’ayant point
d’espée en sa main, 51. Courut, et se tint sur le Philistien, et prist l’espée d’iceluy,
et la tira hors de son fourreau, et le tua, et luy trecha [sic] la teste. Et les Philistiins
voyans que que le plus fort d’entre-eux estoit mort, ils s’enfuyrent.
PREMIERE PARTIE 55

La Bible nouvellement translatee de S.Castellion, Bâle, Jean Hervage, 1555, col.


540 et 541.

[David] print sa houlette en sa main, et choisit cinq cailloux bien polis de la riviere,
lêquels il mit en son macaut et sachet qu’il avoit, e print sa fonde en sa main, e
s’approcha du Palestin. Et quand le Palestin marchant e s’approchant de David, e
ayant un homme qui portoit son bouclier devant, eut avisé e veu David, il le mépri-
sa, a cause que ce n’étoit qu’un enfant, rousseau et beau!: si lui dit!: Suis ie un
chien, que tu viennes a moi a tout un bâton, e a tout des pieres? Non, dit David,
mais pire qu’un chien. Alors le Palestin le maugrea par ses dieux, et lui dit!: Vien a
moi, e ie donnerai ta chair aux oiseaux de l’air, e aux bêtes des chams. E David lui
dit!: Tu viens a moi a tout un’épée, une pique, e une lance!: ie vien a toi a tout le
nom du Seigneur des armées, Dieu de l’ôt d’Israel, lequel ôt tu as laidengé. A ce
iourdhui / le Seigneur te fourre entre mes mains, e te tuerai e t’ôterai la tête de des-
sus les épaules, e donnerai auiourdhui les charognes de la gendarmerie des Pales-
tins, aux oiseaux de l’air, e aux bêtes terrestres […] Alors le Palestin demarcha e
s’approcha pour aller contre David. Mais David courut vîtement pour combattre le
Palestin, e mit la main en son sachet, e en tira un caillou, lequel il ietta a tout la
fonde, e en frappa le Palestin au front de sorte que la pierre lui finça l’armet, e lui
entra au front, si qu’il bailla du nés en terre, Et parainsi David vint a bout du Pales-
tin.
PREMIERE PARTIE 56

Bible de Benoist (1566), Paris, Gabriel Buon, 1568, fol. 194r etv

40. Et print son baston, qu’il avoit tousiours en ses mains. Et eleut cinq pierres tre-
sunies du torrent, et les mit, en sa malette pastorale, qu’il avoit avec soy, et print la
fonde en la main!: et s’en alla alencontre du Philistien. 41. Or le Philistien alloit et
cheminoit en s’approchant a l’encontre de David, et son paré67 devant luy. 42. Et
quand le Philistien l’eut regardé, et qu’il eut veu David, il le desprisa. Or il estoit
adolescent roux, et de beau visage. 43. Et le Philistien dit à David!: Suis ie un
chien, que tu viens à moy avec un baston ? Et le Philistien maudit David par ses
dieux. Et dit à David!: 44. Vien à moy, et ie donneray tes chairs aux volailles du
ciel, et aux bestes de la terre. 45. Mais David dit au Philistien!: Tu viens à moy
avec l’espée, et la halebarde, et le bouclier, mais ie viens à toy68, au nom du Se i-
gneur des armées, au nom du Dieu des bandes d’Israel, lesquelles tu as auiourd’huy
deffiées. 46. Et le Seigneur te donnera en ma main, et ie te frapperay, et osteray ta
teste de toy!: et donneray auiourd’huy les corps mortz du siege des Philistiins, aux
volailles du ciel, et aux bestes de la terre!: à fin que toute la terre sçache, qu’il y a
un Dieu en Israel […] 48. Quand donc le Philistien fut levé, et qu’il venoit, et ap-
prochoit contre David, David se hasta, et vint au devant en bataille, à l’encontre du
Philistien. 49. Et mit sa main en la malette, et print une pierre, et la ietta de la
fonde69, et en tournoyant frappa le Philistien au front. Et fut la pierre fichée en son
front, et tomba sur sa face en terre. 50. Et David eut la victoire contre lePhilistien
par la fonde et la pierre, et mit à mort le Philistien qui estoit frappé. 51. Mais David
n’ayant point d’espée en sa main, courut, et se mit sur le Philistien, et print son es-
pée, et la tira hors de son fourreau, et le tua70, et luy trancha la teste. Et les Phili s-
tiins voyant que que le plus fort d’entre eux estoit mort, ils s’enfuirent.

67 «!Celuy quy luy portoit son bouclier.!»


68 «!En la vertu du Seigneur etc. C’est, ton appuy est en ton glaive et en tes armes!: Le mien est en la
vertu de Dieu tout-puissant, qui abatra ton orgueil.!»
69 «!L’usage des fondes estoit en ce temps entre les gens de guerre, comme on peut voir en Iuges, 20,
16.!»
70 «!Ainsi que Goliath mesprisant David est deffaict par son glaive, auquel il avoit sa fiance et son r e-
cours!: au semblable ceux qui constituent leurs forces au bras de la chair seront ruïnés quand ils repugne-
ront à la petitesse de ceux qui ont le Dieu vivant pour leur force.!»
PREMIERE PARTIE 57

La première évidence qui s’impose à la lecture de ces six versions différentes du

duel de David contre Goliath, est que la Bible ne se présente plus aux lecteurs de la Re-

naissance comme un monolithe!: la diversité des versions place chacun d’eux devant un

choix qui l’engage personnellement et qui reflète ses convictions religieuses. La Bible

est devenue l’objet d’examen non seulement des théologiens, mais aussi des laïcs

croyants et des philologues!; le rapport au caractère sacré des Écritures a changé, entraî-

nant avec lui la possibilité pour les croyants de découvrir plus facilement les textes de

l’Ancien Testament.

Le passage de la Bible commentée par Nicolas de Lyre à la Bible moderne re-

flète les transformations épistémologiques qui s’opèrent avec l’avènement de la Ré-

forme et de la contre-réforme. Dans la première traduction, la lecture allégorique de II

Sam. 17 perpétue la lecture des Docteurs de l’Église portant que David préfigure le

Christ et la fronde, la croix. Le commentaire est même comparable en longueur au texte

de l’Écriture. Chez les nouveaux traducteurs, cette mise en valeur de la tradition chré-

tienne s’efface en général à la faveur du récit non commenté du combat!: pour un pre-

mier contact, l’Ancien Testament se suffit à lui-même. Seuls quelques outils de lecture

se greffent progressivement au fil des éditions!: la Bible d’Olivétan renvoie dans une

note marginale au psaume 78 et aux Maccabées!; les Bibles de Louvain et de Benoist

insèrent une indication des versets. L’apparat critique le plus abondant vient de Be-

noist!: une note donne une définition au mot comme «!paré!», jugé difficile, une autre

explique le sens du parallélisme «!Tu viens à moy avec l’espée […] ie viens à toy au

nom du Seigneur des armées!», d’autres donnent des indications d’ordre historique ou

moral. Là où les traducteurs protestants s’ingénient (sans plus) à offrir au lecteur des

outils d’ordre philologique, ou renvoient en annexe des renseignements supplémentai-


PREMIERE PARTIE 58

res, un catholique comme Benoist continue à orienter l’interprétation du passage de

l’Écriture, mais d’une manière plus discrète que la glose!: la morale de l’histoire, dit la

note du verset 45, est que «!ceux qui constituent leurs forces au bras de la chair seront

ruïnés!».On constate sur ce point un repentir par rapport à la rupture des Bibles moder-

nes, en majorité huguenotes, avec le commentaire biblique. Chaque confession cherche

à se démarquer de l’autre par la présentation matérielle de ses éditions.

Sur le plan du contenu de l’Écriture, de l’historia, toutes les versions

s’accordent!:si des écarts par rapport au déroulement du combat surgissent parfois au

XVIe siècle dans certains textes littéraires, la source de ces originalités est ailleurs.

Parce que l’affrontement du Térébinthe relève davantage du récit de type historique que

de l’exposition dogmatique, il présente sur le plan de la narration, dans les éditions bi-

bliques du temps des réformes, une indéniable homogénéité. Dans le corps du texte, les

nuances qui viennent rompre cette apparente homogénéité se situent surtout au niveau

des sources et au niveau stylistique.

Au cœur du débat autour des traductions de la Bible, la question des sources di-

vise les intellectuels!: faut-il travailler uniquement à partir de la Vulgate, comme Lefè-

vre, ou lui préférer les originaux hébreux et grecs, plus proches de la «!vérité hébraï-

que!»? Les enjeux de la réponse sont importants!: dans la mesure où la distance prise

avec la Vulgate remet en cause la tradition de l’Église, les traditionalistes y voient une

critique du travail effectué à travers les siècles par les Pères de l’Église et le clergé. Il

faut attendre un disciple de Lefèvre, Guillaume Farel, pour que soient rassemblés les

moyens financiers et éditoriaux pour réaliser une traduction s’appuyant sur la diversité

des sources. Déjà à Strasbourg, dans l’entourage de Lefèvre d’Étaples, il était question

de traduire la Bible directement des langues originales, mais aucune trace n’est restée de
PREMIERE PARTIE 59

cette première tentative. L’examen philologique mené par Horst Kunze sur la Bible de

Lefèvre montre cependant que «!le travail réalisé est une translatio [de la Vulgate] au

sens strict, un simple passage du latin au français!»71. Farel confie donc son projet de

traduction sur plusieurs sources à Pierre Louis Olivétan, parent et ami de Calvin. Dans

sa préface, Olivétan dit avoir conféré «!toutes translations anciennes et modernes, jus-

qu’à l’italien et allemand, en tant que Dieu m’en a donné à congnoistre!». Fin connais-

seur de l’hébreu, du grec et des langues modernes, Olivétan cherche un juste milieu

dans ce vaste corpus et respecte autant que possible le sens littéral de chacune de ses

références.

Les différences entre Olivétan et Lefèvre d’Étaples par exemple proviennent de

certains détails omis dans la Vulgate mais mentionnés dans les sources grecques ou jui-

ves, comme la mention des pierres bien unies (une qualité absente dans la Vulgate et

chez Lefèvre) que David glisse, dans la version réformée, non seulement dans sa

«!mallette pastoralle!» mais aussi «!en sa poche!». Ce souci de serrer au plus près les

sources anciennes de l’Écriture s’exprime également dans un mot à mot serré avec les

originaux, parfois au détriment du style!: ainsi, dans la même phrase, David prend «!ung

baston en sa main!» et « avoit sa fonde en sa main!». Le souci de fidélité prime sur la

lourdeur de la répétition. Par ailleurs, la diversité des originaux sur lesquels s’appuie sa

traduction lui permet de remplacer les «!volailles du ciel et bestes de la terre!» de Lefè-

vre, calquées sur la Vulgate («!volatilibus coeli, et bestiis terrae!») par une formulation

plus élégante, «!oyseaulx du ciel et bestes des champs!». Maintes fois remaniée et révi-

71 Kunze, H., Die Bibelübersetzungen von Lefèvre d’Étaples und von P. R. Olivétan vergleichen in ihrem
Worstchatze, Leipzig, Leipziger Romanistiche Studien, I, II, 1935, rapporté par P.-M. Bogaert, op. cit., p.
63.
PREMIERE PARTIE 60

sée dans le siècle par Calvin, Louis Budé et Théodore de Bèze, ces partis pris de la Bi-

ble d’Olivétan inspirent les versions des Bibles à l’épée (1540), de Robert Estienne

(1553), de Genève (1559, 1560)!; ils reviennent enfin en 1588 dans La Bible des pas-

teurs et professeurs de Genève.

Sur le plan stylistique, des différences évidentes distinguent les traductions fran-

çaises les unes des autres. Ainsi, la confession des auteurs joue un rôle sur les choix

lexicaux!: dans les Bibles catholiques de Benoist et de Louvain, David invoque le Dieu

des «!bandes d’Israël!»!; ces «!bandes!» renvoient à une réalité tribale, politique, elles ne

sont pas la marque d’une appartenance religieuse particulière. Par ailleurs, un protestant

comme Olivétan évoque le Dieu de l’«!ordonnance de Israel!»!: il choisit un terme aussi

bien militaire que cultuel qui marque son intérêt plus marqué pour l’identité religieuse

des troupes de Saül. Lefèvre traduit ce passage par le Dieu des «!congregations Di-

srael!»!: chez lui, la dimension spirituelle du combat est au centre du récit, elle ne laisse

aucun doute sur la place prépondérante de la foi dans l’issue du duel. Les convictions

religieuses de certains traducteurs apparaissent également plus loin, en particulier chez

Olivétan!: alors que la quasi-totalité des traductions ici conférées, David apostrophe

Goliath en lui annonçant que le Seigneur le «!donnera en ma main!», le pasteur protes-

tant choisit une expression qui insiste davantage sur le rôle prépondérant de Dieu dans

l’accès des hommes à la délivrance et au salut!: «!Aujourdhuy, menace David, le Sei-

gneur te serrera entre mes mains!». Il est encore plus que catégorique dans ses choix

que Castellion, qui donne au verbe ‘donner’ des catholiques un synonyme, le verbe

‘fourrer’!:«!le Seigneur te fourre entre mes mains!». Le rôle instrumental du garçon dans

la défaite du géant contraste chez Olivétan avec le rôle moteur que lui confèrent les ver-

sions parallèles de Samuel!: le Très-Haut s’est approprié les mains du berger pour vain-
PREMIERE PARTIE 61

cre le Philistin, il est le véritable maître des événements et le berger, un élu prédestiné à

vaincre.

Parfois, l’état de la langue d’arrivée justifie le choix d’un terme sur un autre. Si

maîtriser les langues anciennes est une chose, posséder à fond la langue d’arrivée en est

une autre. Or le français du XVIe siècle est en pleine évolution!: «!faire parler à

l’éloquence hébraïque et grecque le langage françois!», c’est vouloir «!enseigner le doux

rossignol à chanter le chant du corbeau enroué!»72, déplorait Olivétan. Parfois, les v a-

riations lexicales proviennent du choix d’un synonyme sur un autre!: il est amusant de

remarquer que Goliath manie tantôt «!lespee, la hace, et le bouclier!» (Lefèvre), tantôt le

«!glaive, [la] lance!» (Olivétan), tantôt encore avec «!la halebarde!» (Benoist) et, chez

Castellion, «!une pique!». Parfois, certaines traductions font entrer des régionalismes

dans le texte de l’Écriture. C’est le cas de Castellion, dont l’Avertissement de la Bible

nouvellement translatée (1555) porte qu’«!au lieu d’user de mots Grecs ou latins qui ne

sont pas entendus du simple peuple, j’ai quelquefois usé des mots François, quand j’en

ai peu trouvé!: sinon j’en ai forgé sur les François par necessité!»73. Aussi utilise-t-il les

régionalismes «!macaut!» et «!vitement!», «!laidenger!» et d’autres termes régionaux

qu’il définit à la fin de son ouvrage dans sa Déclaration de certains mots. Véritable la-

boratoire de la langue, sa traduction propose aussi une adaptation partielle de

l’orthographe encouragée au milieu du siècle par Ronsard et par les réformés!: il omet

plusieurs lettres inutiles telles que le z et le t final, remplace le s étymologique par

72 Préface à sa traduction de la Bible de 1535, cité après P.-M. Bogaert, op. cit., p. 49.
73 «!Avertissement touchant cette translation!» dans la Bible nouvellement translatée (1555). Extrait cité
après P.-M. Bogaert, op. cit., p. 84.
PREMIERE PARTIE 62

l’accent circonflexe dans des mots comme «!lêquels!»!; son système orthographique est

hardi et radical.

Le plus hardi à retoucher certains détails du combat biblique est, une fois encore,

Sébastien Castellion. Son souci de clarifier à même le texte le sens de certains passages

ambigus est un cas isolé chez les protestants. La plupart des amplifications perceptibles

dans sa traduction se font au nom de la vraisemblance. Alors que toutes les autres ver-

sions bibliques évoquent le coup fatal porté au géant sans mention du heaume de Go-

liath, comme on le lit par exemple dans la bible de Louvain!: «!Et mit sa main en la

malette, et prist une pierre, et la jetta de la fonde, et en tournoyant frappa le Philistien au

front!: Et fut la pierre fichée en son front, et tomba sur sa face en terre!», Castellion

évoque le trajet de la pierre défonçant son casque, un élément d’armure évoqué à la

première apparition du Philistin dans toutes les versions de Samuel. David «!frappa le

Palestin au front de sorte que la pierre lui finça l’armet, e lui entra au front, si qu’il

bailla du nés en terre.!» La mention du casque transpercé provient non de la Torah ni de

la Septante, mais de commentaires juifs rapportés, nous le verrons plus loin74, dans une

glose de Guyart Desmoulins à l’Historia scolastica de Petrus Comestor. Quant à la

chute du géant le «!nés en terre!», ce détail pittoresque est une fantaisie personnelle du

traducteur!: elle donne de la couleur à un récit déjà fort mouvementé, elle est la signa-

ture, peut-être involontaire, de Castellion dans son œuvre.

À la lecture de ces différentes traductions, il apparaît que les Bibles françaises de

la Renaissance posent un problème jusqu’alors étranger aux fidèles du moyen âge!: ce-

lui de l’un et du multiple, de l’unicité d’une vérité révélée, nécessairement une, et des

différentes formes qu’elle épouse selon les traducteurs et les confessions. Même si les

74 Voir supra, p. 98.


PREMIERE PARTIE 63

auteurs feignent de ne pas faire œuvre personnelle – certains comme Lefèvre d’Étaples

vont jusqu’à garder l’anonymat dans la traduction – les choix mêmes qui dictent leur

style révèlent leurs positions religieuses, de sorte que la Bible devient non seulement un

lieu d’expérience sur la langue, mais un révélateur de la foi. Les réactions du public

lettré attestent aussi, désormais, que le choix d’une version de David plutôt qu’une autre

devient une affaire personnelle de goût et de conviction. La variété des ouvrages entre

lesquels il est plus ou moins demandé aux lecteurs de choisir rend impossible l’unité

qu’assurait auparavant la Vulgate!: chaque école confessionnelle nourrit des attentes

précises à l’égard des sources et de la technique de traduction75. Elle suscite de la part

des lecteurs une prise de décision à laquelle il est devenu impossible de se soustraire.

75 Au grand découragement de certains traducteurs, qui voient toujours leur tentative vouée à un échec
partiel!: «!Comme les goûts et les opinions des gens sont multiples et souvent inconciliables, le traducteur
doit affronter les critiques les plus contradictoires. Les uns en effet souhaitent un mot à mot intégral et
scrupuleux, au point de ne pas supporter une transpositon conforme aux usages de la langue d’arrivée.
D’autres ont la même exigence, mais moins servile à l’endroit de la source. D’autres encore demandent
qu’on s’attache à la signification des énoncés plus qu’au mot à mot. D’autres enfin veulent qu’on
s’exprime dans une langue impeccable et belle, pour ne pas ennuyer le lecteur. […] Bref, autant
d’appréciations que de lecteurs! Pour ne rien dire de ceux qui pensent qu’il est malencontreux de faire une
traduction nouvelle …!»75 «!Petrus Cholinus Lectori!», Biblia sacrosancta Testamenti Veteris et Novi… ,
Zurich, 1543, fol. aa 2r Pierre Cholinus est le traducteur des Apocryphes dans la Bible latine de Zurich.
Cf. G. Bedouelle et B. Roussel, op. cit., p. 459.
PREMIERE PARTIE 64

Chapitre III

Aux marges de la Révélation,

les Antiquités juives de Flavius Josèphe.

L’avis des préfaciers

Dès les débuts de la diffusion de la Bible imprimée en langue vernaculaire, la vive po-

lémique qui divise les théologiens au sujet des traductions amène plusieurs d’entre eux à

se tourner vers les Histoires Saintes. S’il ne se trouve personne, même chez les catholi-

ques les plus intransigeants, pour nier la nécessité ni l’utilité des traductions bibliques,

la division qui s’opère autour du caractère sacré des Écritures rend polémique le recours

des lettrés à telle ou telle version scripturaire. Les plus conservateurs pensent que seul le

latin, langue de la liturgie et des textes sacrés, doit porter la Révélation divine!; attitude

inverse des protestants qui, comme Luther, veulent combler le fossé qui sépare les

clercs et les laïcs en traduisant l’Écriture en langues vernaculaires. Au cœur de ce débat

épineux, les éditeurs catholiques voient dans l’édition des Antiquités juives une solution

temporaire à la demande pour les Bibles en français, en particulier auprès des lecteurs

qui, sans être clercs, s’intéressent aux Écritures mais n’osent défier la censure. Leurs

préfaces en témoignent.

Certains, comme Antoine de la Faye, expliquent en avant-propos que l’ouvrage

de Flavius Josèphe peut sans réserve faire l’objet d’une édition en français, étant une

paraphrase de la Torah!; sa diffusion demeure le meilleur moyen de fournir aux laïcs les

bases d’une solide culture scripturaire. La compilation flavienne présente en effet les
PREMIERE PARTIE 65

épisodes de la Bible sur le ton du récit plaisant et commode, brossé à grands traits en

dehors de toute polémique confessionnelle!; elle rend l’Écriture accessible à un public

présumé ignorant, comme l’étaient à l’origine les Grecs et les Romains du premier siè-

cle76. À leur intention, l’ouvrage présente le contenu de la Révélation sur le mode de la

succession des faits, de la chronique, aplanissant ainsi les difficultés inhérentes aux cou-

ches de rédaction et aux inévitables divergences qui en résultent.

Le docteur de la Faculté de Théologie de Paris, Gilbert Génébrard, spécialiste de

l’hébreu et auteur d’une traduction en langue vernaculaire de l’Histoire de Flavius Jo-

sephe (1578), voit dans la compilation flavienne une alternative efficace à la diffusion

massive et dangereuse de l’Ancien Testament en français. Parce qu’elle raconte la Bible

comme une histoire, un peu à la manière de la Bible historiale de Guyart des Moulins, la

somme historique de Josèphe présente une propédeutique intéressante à l’étude des li-

vres saints et un lieu de contact privilégié avec le monde de la Bible. Elle donne

l’essentiel du contenu de l’Écriture, allant même jusqu’à l’expliquer, mais sans atteindre

à ses mystères ni au sacré. Aussi le préfacier ne tarit-il pas d’éloges pour l’antique histo-

rien!:

76 Ainsi explique Antoine de la Faye, auteur d’une traduction des œuvres de Flavius Josèphe en 1597! :
«!L’intention de l’auteur n’a esté de servir seulement à ceux de sa langue et nation, lesquels s’en pou-
voient passer, puisqu’ils avoient les Saincts escrits, publiez par les prophetes inspirez de Dieu!: mais il a
voulu communiquer aux Grecs (c’est-à-dire à tous les autres peuples) la cognoissance des choses les plus
anciennes, les plus generales, et les plus certaines qui aient esté. De sorte que cest’ouvrage a donné quel-
que goust, et fait ouverture à ces peuples-là, pour recognoistre la verité de Dieu […]!» Préface aux Œu-
vres de Flave Iosephe, fils de Matthias. A savoir, Vingt Livres de l’Ancienne Histoire Iudaique. Sept Li-
vres de la Guerre des Iuifs. Deux Livres contre Apion de l’Ancienneté des Iuifs. Un Livre touchant les
Macchabées. La Vie de Ioseph descrite par lui-mesme. Le Tout nouvellement [translate] de Grec en
François, par Antoine de la Faye, à Paris chez Jean le Preux, 1597, fol. A5v.
PREMIERE PARTIE 66

[…] Les livres d’iceluy sont comme une Bible historiee, escrits en langage com-
mun et populaire et accommodés à la capacité de toutes personnes, utiles aux doc-
tes et diligens rechercheurs de l’estat du viel Testament et de la premiere antiquité,
tant de nostre Eglise Chrestienne, que des Empires et Royaumes de l’Univers. […]
Non seulement Iosephe a eclarci, et mis en brief et bon ordre ce qui est d’un stile
haults et obscur dans les livres sacrés, mais aussi il fait mention de plusieurs choses
qui servent pour entendre la continuation de l’Histoire sacrée, et du peuple de Dieu
dés le commencement du monde iusques au temps dudit Iosephe, c’est à dire, ius-
ques apres la ruine et desolacion de son pays de Iudee, quarante ans apres la mort
de nostre Sauveur77.

Des motivations historiographiques expliquent aussi l’engouement des libraires

et des lecteurs pour Flavius Josèphe. Pour les lecteurs friands de vastes chroniques du

passé, les Antiquités approchent l’Écriture sous l’angle de l’histoire universelle, ce qui

avait d’ailleurs valu à Josèphe l’admiration de Jérôme souvent rapportée dans les préfa-

ces78. «!Composée de parties liées et adhérentes, tissues d’un même fil, continuel et non

interrompu!»79, la compilation «!joint et coud!» ensemble l’histoire judéo-chrétienne et

77 Histoire de Fl. Iosephe, sacrificateur Hebrieu, mise en François. Reveuë sur le Grec, et illustrée de
chronologie, figures, annotations, et tables, tant des chapitres, que des principalles matieres, par Gilbert
Genebrard, Docteur en Theologie de Paris, et Professeur du Roy és lettres Sainctes et Hebraiques, Paris,
Michel Sonnius, 1578, fol. ir
78 Les livres de Josèphe, rappelle François Bourgoing qui cite Jérôme, valurent à leur auteur un trio m-
phe!à l’antique!: «!… [Ses livres, à commencer par la Guerre des Juifs,] pour leur excellence et autorité
furent mis en la librairie publique, et à luy auteur fut meritoirement elevée à Rome une statue d’honneur à
son image, et semblance!: pour la gloire, et dignité de son esprit. Il a aussi escrit vingt autres livres des
Antiquités, deduisans l’universelle histoire ancienne depuis le commencement, et premier creacion du
monde, iusques au quatorzieme an de l’Empire de Domician Cesar…!». Extrait du «!Tesmoignage de
sainct Hierome pour Iosephe!» rapporté dans l’Histoire de Fl. Iosephe, sacrificateur hebrieu, escrite pre-
mierement par l’Auteur en langue Grecque, et nouvellement traduite en François par François Bour-
going, Lyon, par les heritiers de Jaques Jonte, 1562, fol. A5r
79 Antoine de la Faye paraphrasant Jérôme, idem.
PREMIERE PARTIE 67

l’histoire classique, illustrant la manière dont les desseins de Dieu s’actualisent à travers

les siècles chez les peuples croyants comme chez les non-croyants. C’est ainsi que dans

la partie qui lui est dévolue, David apparaît comme le fondateur de Jérusalem, ville à

laquelle Homère aurait fait allusion (vii, 3, §!2)!; il vainquit les plus excellents des rois

et des ennemis d’une rare puissance, selon le témoignage araméen de Nicolas de Da-

masce (vii, 5, §!2). Ses exploits créent un véritable Empire en même temps qu’un état

fort et organisé, dont nul n’ignore la renommée80. Les davidides, dans leurs malheurs

comme dans la paix, héritent de cette grandeur!: le destin national croise celui

d’Alexandre le Grand, d’Artaxerxes et de Jules César, celui des héros loués par Tite-

Live et depuis rendus immortels. Avec Josèphe, l’histoire ancienne consignée dans

l’Ancien Testament rivalise de prestige avec celle du monde antique. À ce titre, la

somme de Flavius crée un précédent, elle façonne le modèle d’histoire providentielle

que retiendront, dans l’ère chrétienne, les historiens chrétiens. Pour eux, les héros bibli-

ques jouent le rôle d’archétype et de patriarche!; aux lecteurs de discerner dans la vie de

chacun la part de Dieu, vrai maître des événements, et celle de l’hommes. Telle est,

croit comprendre Antoine de la Faye, la visée première de Josèphe!:

Car outre les recits historiques du premier monde, peri par le Deluge, et celui du
second, iusques a la totale subversion de Ierusalem, [Josèphe] a descrit la loy tant
Morale, que Ceremoniale, que Politique. Il a puis apres continué le cours de ses
narrations, escrivant pas à pas les choses advenues sous les Iuges, sous les Rois

80 Chez Josèphe, le récit de sa vie est même hellénisé pour mieux rivaliser avec l’historiographie antique.
À la tête d’une longue lignée et dépositaire des vertus des anciens héros, David plaît à Dieu non pour son
cœur mais pour sa vertu (vi, 8, §!1!; vii. 5, §!4) et se voit promis à une charge royale et sacrée (idem et vi,
13)!; aussi bon orateur que combattant (vi, 8, §!2!; vii, 4, §!2), il remporte plusieurs victoires contre les
Philistins, dont il tranche les têtes plutôt que les prépuces!(vi, 10, § 2). Son règne a un caractère mythique
(vi, 9, §!3). Il sera enterré en grandes pompes, avec tous ses trésors, à Hébron (vii. 15, §!3).
PREMIERE PARTIE 68

[…] iusques au temps d’Artaxerces Longue-main, toute laquelle deduction peut


estre appelee histoire divine plutost qu’humaine, en tant que l’on y doit remarquer
d’aage en aage les faicts de Dieu, parlant et assistant aux siens, poursuivant et pu-
nissant ses contraires. Montrant par là à ceux-là les effects de sa misericorde, et à
ceux-ci les punitions de sa vengeance, autant iuste que severe.81

Conformément à la valeur édifiante que doit investir l’histoire chez les auteurs

classiques, c’est enfin en vertu de sa portée morale que les Antiquités attirent les grâces

d’un nombre respectable de traducteurs!: «!car tous bons exemples prouffitent, servent

et attirent le hault degré de plus iuste perfection!»82. Les exemples et les contre-

exemples consignés dans l’Écriture fournissent une sorte de typologie des vices et des

vertus qui doivent servir de guides aux lecteurs de toutes extractions!: aux rois, ils pro-

posent une véritable institution du Prince fondée sur les heurs et les malheurs de la mo-

narchie d’Israël, avec David en tête 83!; pour les simples, ils trient le bon grain et l’ivraie

81 A. de la Faye, op. cit., fol. A5 v. François Bourgoing partage cet avis, mais sur un ton plus sévère!: pour
lui, les Antiquités sont «!un miroir vif pour montrer quelle fin ou iugement doyvent attendre tous mo-
queurs de la grace de Dieu, et tous ceux qui s’endurcissent contre la bonté d’iceluy, tous ceux qui faisans
de leurs vices vertuz, et de leurs ordures puantes des senteurs souëfves, reiettent orgueilleusement toutes
saintes admonicions […] Or un tel spectacle est generalement proposé devant les yeux de tous les hom-
mes du Monde!: à fin que tous le plus grand iusque au plus petit tremblent, et soyent persuadez que n’y a
chose si ferme et si bien establie icy bas, que Dieu ne sache bien renverser, quand l’heure de l’execucion
de ses iugemens est venue.!» Op. cit., fol. 3Ar et 3Av.
82 «!Prologue du translateur!», Ioseph iuif et hebrieu, hystoriographe grec, de Lantiquite Iudaique. No u-
v
vellement translate de latin en vulgaire françoys, Paris, Estienne Caveiller, 1539, fol. A4 .

83 «!Car en le lisant, ils apprendront, comment il faut heureusement regner, et à honneur et à profit!: et
que leur Maiesté ne doit pas estre seulement illustree d’armes et prouësses, fournie et armee de loix et
iustice, mais sur tout embellie et comblee de pieté et religion […] Ie n’en veux discourir davantage,
d’autant que notre Iosephe […] monstrera à l’oeil, que les affaires d’Estat sont tellement unis et meslez
avec la loy de Dieu, qu’il est impossible de les separer et demesler d’ensemble, sans qu’il en advienne ce
PREMIERE PARTIE 69

de l’héritage antique et servent ainsi de repère, de «!chasse-vice!»84, conformément au

rôle traditionnellement dévolu à l’histoire de dégager les leçons du passé. Les Antiquités

juives allient ainsi l’utile à l’agréable, elles enseignent des éléments essentiels de

l’héritage biblique avec la grâce du récit historique. Elles s’avèrent, à ce titre, un im-

portant outil de diffusion de la culture sacrée en Occident.

L’approche historiographique de Josèphe

Dans son prologue aux Antiquités, Josèphe précise la nature du public auquel

s’adresse sa compilation!: en réponse aux attaques formulées à l’encontre de son peuple

par des Romains tels Apion85, l’auteur s’adresse aux Gentils et brosse à leur intention un

portrait élogieux de la civilisation juive et du judaïsme!; il érige à cette fin les figures de

son histoire en héros, dont il fait l’apologie et la glorification. Par ailleurs, Josèphe

s’adresse également aux Juifs puisqu’il les porte garants de la fidélité de sa paraphrase

des livres de l’Écriture, en particulier pour les onze premiers chapitres de son ouvrage!;

à nul autre que ces fins connaisseurs de la Torah peut s’appliquer la morale de

l’ouvrage, axée sur le devoir d’obéissance des croyants au Décalogue et à l’ordre civil!:

qui est advenu à Ioas, Antioque, Herodes, aux Babyloniens, Perses, Grecs, Romains, et autres Altesses de
ce monde, qui n’apparoissent plus, par faute de ce poinct.!»!Cf. Gibert Genebrard, op. cit., fol. 1r et 1v.
84 Selon Antoine de la Faye, l’histoire telle que la raconte Josèphe est salutaire pour l’âme comme la
médecine pour le corps, « tellement qu’entre les epithetes qu’on attribue à l’histoire, i’estime que conve-
nablement celui de Chasse-vice lui peut estre attribué, si on la rapporte à son droit usage. I’enten de celle
qui est vrayement digne de ce nom, estant la bouche de verité, ne controuvant rien de faux, et ne dissi-
mulant rien de veritable. Car les narrations fabuleuses telles que sont celles de Crestias, de Heliodore, de
Philostrate et leurs semblables, engendrent erreur et mal.!» Op. cit., fol. A4v.
85 Cf. son traité Contre Apion (écrit entre 93 et 100 ap. J.C.).
PREMIERE PARTIE 70

La principale leçon à tirer de cet ouvrage est que les hommes qui font la volonté de
Dieu ne s’enhardissent pas à transgresser ses excellentes lois [… et] prospèrent en
toutes choses, à un degré parfois étonnant. Au contraire, lorsqu’ils s’écartent de
l’observation minutieuse de ces lois, ce qui leur semblait auparavant accessible de-
vient pour eux irréalisable, et tout ce qu’ils se représentent comme un bien se trans-
forme en une insupportable calamité.86

De cette double intention posée au cœur de la compilation flavienne, celle de

rappeler le peuple juif à ses devoirs en même temps que d’en assurer la défense et

l’illustration, l’ouvrage trouve son partis-pris historiographique!; l’historien, affirme

Flavius dans son introduction87, en écho à Tite-Live 88, doit offrir un enseignement à la

fois respectueux de la vérité historique et de la morale, il doit, par la force de l’exemple

et du récit, à la fois plaire et édifier89.

La peinture de David dans les Antiquités est exemplaire de l’allégeance de Josè-

phe aux historiographes antiques et aux objectifs qu’il s’est fixés dans son prologue. Peu

de figures de la Bible devaient cependant lui poser un problème aussi difficile que le

fondateur d’Israël, en particulier en raison de son lien ancestral avec le Messie, le libé-

rateur politique encore espéré par les Hébreux. Josèphe écrivait pour les Romains et la

dimension messianique du personnage risquait de nourrir la révolte juive contre

l’Empereur et l’espoir de création d’un état hébreu indépendant. Contrairement à la tra-

86 Ant. 1, 14. Toutes les citations françaises de Flavius Josèphe qui suivront, identifiées par l’abbréviation
Ant., sont notre traduction de la version anglaise de William Whiston!: The Works of Josephus, New up-
dated edition, USA, Hendrickson publishers, 1995, pp.27-542.
87 Ant. 1, 14 et 20.
88 Notamment à la préface de Tite-Live à son Histoire romaine en 142 livres (26 av. J.C.)
89 Louis H. Feldman, «!Josephus’ Portrait of Saul!», Hebrew Union College Annual , 53, 1982, pp. 45-99!;
«!Josephus’ Portrait of David!», Hebrew Union College Annual, 60, 1989, pp. 129-74.
PREMIERE PARTIE 71

dition rabbinique, Josèphe évite toute allusion au David eschatologique, appelé à régner

jusqu’à la fin des temps sur toutes les nations90. Le patronage historiographique

d’Aristote allait lui permettre de résoudre cette position conflictuelle en l’amenant à

modifier légèrement le récit biblique, en accord avec la règle de vraisemblance. Nous

l’évoquerons dans ses grandes lignes.

Afin d’épargner au portrait de David toute connotation politique, Josèphe entre-

prend de composer une Vie du héros d’Israël en choisissant à même les livres des Rois

et des Chroniques les passages les moins sujets à polémique. Les libertés qu’il prend à

l’égard de la Bible se traduisent dans un premier temps par l’omission de certains élé-

ments du récit fondateur!: pour contourner la question du roi universel prophétisée dans

Samuel, il évite par exemple d’évoquer la pérennité politique promise à la maison de

David dans l’oracle de Nathan91!; le David des Antiquités92 se réjouit simplement de ce

que son pouvoir passera après sa mort à ses fils et restera célèbre dans l’histoire, sans

aucune mention d’un règne éternel. De même (et contrairement au récit du même épi-

sode par un contemporain de Flavius, le pseudo-Philon d’Alexandrie93), le messianisme

politique est évacué de la scène de l’onction par le prophète Samuel94!: celui-ci ne dés i-

gne jamais le cadet d’Isaïe en termes d’oint du Seigneur (sanctus christus) ni de Messie

(mashiah) conformément à la tradition rabbinique!; il est le «!roi appelé par Dieu pour

régner avec droiture et obéir à ses décrets!», le roi soumis auquel est promis, dans une

90Sanhedrin 98 b.
91 2 Sam. 7, 16 et 1 Chr. 17, 12.
92 Ant. 7, 94.
93 Les Antiquités bibliques, op. cit., t. 1, ch. LXI, 1-4, p. 365.
94 I Sam. 16,12-14.
PREMIERE PARTIE 72

courte digression, un long et glorieux règne95. Le rôle de rebelle politique de David à la

tête d’une armée de « tous les gens en détresse, tous ceux qui avaient des créanciers,

tous les mécontents!» du temps de Saül96 est également minimisé dans le récit flavien,

peut-être en raison du rapprochement possible entre cette classe de gens et celle qui,

dans la Guerre des Juifs, fomenta la révolte contre les Romains et brûla les archives de

Jérusalem pour détruire les registres des dettes97!; approximatif dans sa paraphrase b i-

blique, Flavius place le psalmiste à la tête de «!ceux qui étaient dans l’indigence ou qui

avaient peur du roi Saül!»98, omettant toute ressemblance avec le désordre politique

contemporain. Nombreux sont les passages où l’auteur abandonne les termes potentiel-

lement porteurs d’un rapprochement avec le conflit judéo-romain (omission, par exem-

ple, du terme biblique d’«!étranger incirconcis!» pour désigner Goliath99 et des prépuces

de Philistins réclamés par Saül en signe de victoire100), dans le but de circonscrire

l’histoire de David dans une antiquité lointaine et révolue, sans qu’aucune relation ne

puisse être établie avec les événements contemporains.

Pour accentuer le caractère noble et héroïque de son personnage, Josèphe enri-

chit également sa paraphrase d’un certain nombre de d’éléments narratifs qui ne figurent

pas dans l’Écriture. Pour ne mentionner qu’un passage, la relation exemplaire du com-

bat du Térébinthe recèle de détails dramatiques ajoutés à la matière biblique, visant à

intensifier le contraste entre l’humilité de David et la terreur inspirée par son opposant.

95 Ant. 6, 165.
96 I Sam, 22, 2.
97 La Guerre des Juifs, 2, 427.
98 Ant. 6, 247.
99 Ant. 6, 183.
100 Ant. 6, 201-202.
PREMIERE PARTIE 73

Là où la Bible ne mentionne par exemple que la présence d’un seul écuyer aux côtés du

Philistin101, les Antiquités amplifient la force de l’adversaire en évoquant une multitude

d’hommes marchant à la suite de Goliath pour porter son imposante armure102. David,

pour sa part, s’illustre moins par sa force que par la vertu de ses paroles et de ses ges-

tes!: la tendance à l’amplification amène Flavius à développer les quelques mots échan-

gés entre le fils de Jessé et Saül dans Samuel!en un véritable discours, digne d’une dé-

clamation homérique103!: alors que le berger de l’Écriture déclare simplement au roi!:

«!Que personne ne perde courage à cause de lui. Ton serviteur ira se battre contre ce

Philistin!»104, le personnage flavien dévoile, dans une harangue publique, son mépris

pour l’orgueil, déclarant qu’il châtiera l’insolence de son adversaire et tournera son vice

au ridicule jusqu’à soulever l’hilarité des Hébreux105. Le récit de ses exploits de je u-

nesse, que l’historien évoque afin de justifier l’audace de ce propos, se trouve également

enrichi d’éléments folkloriques!: le berger raconte à Saül qu’un jour qu’il faisait paître

le troupeau de son père, un lion s’attaqua à un petit agneau (plutôt qu’à une commune

brebis, comme on lit dans Samuel106). Il empoigna aussitôt le prédateur «!par la queue!»

et le mit à mort en le fracassant tout entier contre le sol (plutôt qu’en le rouant de coups,

tel un simple berger). L’enfant, à mains nues, a terrassé la bête.Cette confiance donnée

par l’expérience oriente la suite du récit!: parce qu’elle ne sied pas à la modestie que

doit avoir le serviteur du roi et parce qu’il sait pouvoir s’en passer, David se défend de

101 1 Sam. 17,7.


102 Ant. 6, 171.
103 Cf. Feldman (1982), op. cit., p. 141.
104 1 Sam. 17, 32.
105 Ant. 6, 179-80.
106 I Sam. 17, 35.
PREMIERE PARTIE 74

revêtir l’armure royale107, alors que dans la Bible seul son manque de force et

d’entraînement justifient ce refus108. Yahvé lui-même intervient dans l’affrontement en

plaçant aux côtés de son protégé un personnage nouveau, «!un allié invisible, qui n’était

autre que le Dieu Lui-même!»109, de sorte que c’est le Tout-Puissant qui donne à David

la victoire sur l’armée des Philistins et scelle son alliance avec Israël. La figure héroïque

du personnage en ressort agrandie!: il mène ensemble les guerres des hommes et les

guerres du ciel.

Ces digressions et ces ajouts que les Antiquités mêlent à la paraphrase biblique

visent également, dans la plupart des cas, à donner des renseignements supplémentaires

sur la personnalité du héros et à dévoiler des aspects de sa psychologie à peine esquissée

dans la source scripturaire. La recherche de cohérence qui structure l’enquête biogra-

phique de Flavius l’amène ainsi à faire des choix, comme l’illustre l’épisode du recen-

sement du peuple hébreu. Aux prises avec un passage hautement problématique,

l’historien s’attribue une position d’arbitre!; contrairement aux rabbins et aux théolo-

giens, il ne tente pas de concilier l’inconciliable et d’expliquer l’indéchiffrable, il tran-

che ou se tait. C’est ainsi qu’au livre de Samuel, Yahvé en colère pousse David à dé-

nombrer son peuple, un événement difficilement compatible, sur les plans moral et

théologique, avec la liberté fondamentale de l’homme et du roi110!; au contraire, les

Chroniques font de Satan le véritable instigateur de la curiosité du héros111. Par une

démarche qui le caractérise, l’auteur des Antiquités tranche le débat!: du roi seul vient

107 Ant. 6, 185.


108 I Sam. 17, 39.
109 Ant. 5, 189.
110 II Sam. 24, 1.
111 I Chr. 21, 1.
PREMIERE PARTIE 75

l’initiative du recensement112 et à lui seul revient donc la responsabilité du châtiment.

Les impératifs de cohérence et de clarté inhérents aux genres biographique et historique

appellent ainsi certains écarts par rapport à la matière biblique, lesquels écarts permet-

tent néanmoins à l’Écriture de servir de référence pour la mise en forme de l’histoire des

hommes.

Il ressort du David des Antiquités juives qu’un certain nombre d’historiens grecs,

en particulier Isocrate et Aristote, orientent l’inscription du personnage dans ce genre à

part qu’est l’Histoire sainte. Toute la partie dévolue à l’Ancien Testament le confirme.

D’Isocrate, Flavius retient une conception de l’histoire ouverte à l’introduction de dis-

cours fictifs dans la narration, à l’usage de digressions d’apparence très libres mais uti-

les à l’économie du récit, enfin à l’introduction d’éléments tragiques dans le fil de la

narration. L’importance qu’Isocrate accorde à la dimension morale et à la valeur exem-

plaire des héros de l’histoire l’amène aussi à introduire des éléments panégyriques dans

son récit et dans son portrait de David, dans lesquels l’ajout de certains éléments extra-

bibliques confère au personnage une dimension légendaire. D’Aristote, ce théoricien du

traitement de sujets aussi vastes que l’histoire et de la biographie, Josèphe hérite d’un

intérêt marqué pour les Vies, qu’il distingue de la poésie en tant que genre à part en-

tière113. Certains Péripatéticiens tels que Théophraste l’avaient sensibilisé à cet intérêt

du maître pour l’étude et la classification de différents types de vies, lesquelles avaient

permis aux Grecs de discerner dans la conduite des individus un puissant moteur de

112 Ant. 7, 318.


113 Aristote, Poétique, ch. 9, 51a 36- 51 b 10, dans l’édition de [Roselyne Dupront-Roc et Jean Callot],
Paris, Seuil, 1980, p. 65.
PREMIERE PARTIE 76

l’histoire114. À leur instar, Josèphe abandonne la distinction séculaire établie entre hi s-

toire et biographie et compose, à partir des récits bibliques, une véritable biographie

antique, un document humain construit autour de figures fortes davantage qu’autour

d’une nation et d’une civilisation prise dans son ensemble115!; David et les grandes figu-

res de l’antiquité juive font désormais l’objet d’une narration rigoureuse et chronologi-

que, moins souple peut-être que l’Écriture, dont la logique narrative permettait la

coexistence de différentes versions d’un même événement, mais parfois plus riche sur le

plan des émotions, des mœurs particulières et de la psychologie que le récit biblique lui-

même. L’histoire sainte devient compilation biographique et raisonnée, un tissu

d’humanité revu et corrigé par la plume de l’écrivain.

114 Cf. Feldman (1982), op. cit., pp. 48-49.


115 Cette division s’inspire de Denys d’Halicarnasse, auteur d’ Antiquités romaines en vingt livres (1 er
s.
av. J. C.), qui racontent l’histoire de Rome à travers la fortune particulière de plusieurs protagonistes.
PREMIERE PARTIE 77

Chapitre IV

David comme repère chronologique!: le témoignage des compilations

La tradition historique chez les successeurs de Josèphe

La grande chronique d’histoire ancienne composée par l’historiographe juif avait donné

aux beaux esprits le goût de ces panoramas historiques dans lesquels les lecteurs,

comme devant un récit plaisant et édifiant, trouvaient dans les figures du passé biblique

des motifs de prestige. Tout le travail de Josèphe allait en effet dans le sens de

l’historiographie classique et fondait une approche de l’Écriture où David et les patriar-

ches, davantage que dans leur dimension théologique juive, apparaissaient comme des

relais dans l’histoire de l’humanité, des figures ayant une place dans la culture de

l’Empire et partie prenante du patrimoine historique universel. L’ouvrage eut un succès

immédiat, consacré par l’érection d’une statue à la mémoire de l’historien116 et par

l’intense circulation de son ouvrage dans les milieux cultivés de Rome, qui lui valurent

auprès des érudits respect et considération117.

Dans les ouvrages médiévaux qui circulent encore à l’aube de la Renaissance, le

désir inspiré par Flavius Josèphe d’inscrire David dans une chronologie universelle de-

116 Saint Jérôme, De viris illustribus , ch. 13, P. L., t. 23, col. 629!: «! Ob ingenii gloriam, statuam quoque
meruit Romae.!»
117 Eusèbe, Hist. Eccl., livre 3, ch. 9.
PREMIERE PARTIE 78

meure vif. Plusieurs compilations résument l’histoire de sa vie et celle d’autres héros

célèbres afin de les rendre plus facilement accessibles et surtout, de les inscrire ensem-

ble dans une histoire universelle. Dans ces sources qui tiennent lieu d’outils,

l’ancienneté du bethléemite n’apparaît plus, comme au temps des Pères, tel un argument

contre le paganisme. Le parangon est dépassé. Saint Augustin, dans la Cité de Dieu,

l’avait à plusieurs reprises formulé!: dans la réalité de l’histoire, cité terrestre et cité de

Dieu sont constamment mêlées, Juifs et païens cohabitent, et l’époque de David

n’échappe pas à la règle. Sur la mer du monde, tous nagent pêle-mêle118. L’historien

doit donc, pour entrer dans le dessein du Créateur, les évoquer ensemble, comme Josè-

phe, dans leur mélange119. Il ne s’agit plus d’opposer, mais de juxtaposer!: lorsque D a-

vid habitait parmi les hommes, quels étaient ses contemporains? Comment l’histoire en

laquelle Dieu s’est fait connaître a-t-elle jadis jailli au sein de l’histoire séculière? Ces

questions nouvelles permettent aux historiographes de voir en David un repère histori-

que important et de prolonger le projet d’écriture de l’histoire esquissé dans les Anti-

quités juives. Elles habitent les compilations érudites et commodes des XVe et XVIe

siècle, qui retiennent à titre informatif pour les lecteurs en quête de généralités, quelques

éléments narratifs essentiels de l’Ancien Testament.

Des premiers éléments de réponse avaient déjà étés apportés par Eusèbe, princi-

pal continuateur de Flavius, lequel devait laisser aux chroniqueurs de la Renaissance

sinon une solution définitive à l’établissement d’une chronologie universelle, du moins

une méthode. Dans la deuxième partie de sa Chronique (début du IVe s.), il présentait

118 Cf. Civ. Dei, XVIII, 56.


119 «!Perplexae sunt istae duae civitates in hoc saeculo invicemque permixtae donec ultimo judicio dir i-
mantur.!» Civ. Dei, I, 35!; X, 32!; XI, 1.
PREMIERE PARTIE 79

une série de tables synchroniques disposées en colonnes parallèles, où étaient indiqués

les événements les plus importants de l’histoire des Chaldéens, des Assyriens, des

Égyptiens et des Grecs, y compris ceux de l’histoire sainte, avec des références à diffé-

rents computs (dates de naissance des patriarches!; Olympiades!; années de Rome!; dates

des dynasties). David régnait à Jérusalem peu de temps après la ruine de Troie et la fuite

d’Énée!; à Athènes, la magistrature avait succédé à la monarchie, Albe allait être fondée

chez les Latins et l’Italie était comme en travail de l’enfantement de Rome. Chez les

Syconiens régnaient Pelasgos, chez les Assyriens, Tautane. Avec Eusèbe,

l’historiographie chrétienne tendait à abandonner le canon de l’historiographie classique

(en vigueur chez Thucydide), qui prescrivait de s’en tenir à la seule histoire contempo-

raine!; ses schémas comparatifs permettaient de dépasser les tendances tout juste cos-

mopolites des milieux de l’époque hellénistique ou du temps d’Auguste, pour embrasser

un horizon spatio-temporel encore plus vaste. Des repères chronologiques tirés de

l’Ancien Testament allaient permettre la sacralisation de l’écriture de l’histoire, par op-

position à la division profane du temps en âges de pierre, de fer ou de bronze. David

devenait un utile auxiliaire à la recherche historique, un repère dans le temps propre à la

chronologie chrétienne.

David dans les âges de l’humanité

Les manuels d’histoire et les encyclopédies de la fin du Moyen-Âge et de la Re-

naissance s’inspirent des Antiquités juives et d’Eusèbe pour présenter le roi d’Israël

comme l’initiateur du quatrième âge de l’humanité. Tel est le parti pris par Vincent de

Beauvais dans son Miroir historial (1257-1258) et de Brunetto Latini dans le Tesoro
PREMIERE PARTIE 80

(1266), tel est également celui du Supplément des Chroniques (1483) de Jacques de

Bergame. Leur division du temps en âges de l’humanité vient d’Augustin et d’Isidore,

qui poursuivent les recherches historiographiques d’Eusèbe!: de même qu’une semaine

de six jours ouvriers avait mesuré la création de la terre, de même une époque de six

âges mesurerait l’activité de l’homme ici-bas!: de la Création au Déluge!; du Déluge à

Abraham!; d’Abraham à David!; de David à la Captivité de Babylone!; de la Captivité

de Babylone à la naissance du Christ!; à partir de cette naissance jusqu’à la fin du

monde120. Inaugurateur d’une époque, David n’apparaît pas seulement comme un ‘o b-

jet’ historique, il en est un élément de mesure, un repère qui structure le temps du

monde en permettant d’organiser, autour de la vérité biblique, l’histoire universelle!:

Le quatrième âge du monde, que nous faisons durer dans le présent livre quatre
cent quatre-vingt-cinq années, conformément au témoignage d’Isidore, fut le temps
des prophètes et débute au second livre des Rois. David, prince de tous les prophè-
tes, fils d’Isaï de la tribu de Juda, fut le deuxième roi des Hébreux […]121

120 Cette division, dont l’intuition remonte à Jules l’Africain, fut notamment avancée dans le dernier
paragraphe de la Cité de Dieu. Augustin néglige toutefois de s’engager dans cette voie qui alourdirait un
ouvrage déjà long!: «!En effet le premier âge, que nous comparons au premier jour, se prend depuis Adam
jusqu’au déluge, et le second du déluge jusqu’à Abraham, tous deux égaux, non par le nombre des jours,
mais par celui des générations!: car il y en a dix dans chaque période. Depuis Abraham, selon la supputa-
tion de l’évangéliste Matthieu, trois âges suivent jusqu’à la venue du Christ, qui comprennent chacun
quatorze générations, l’un depuis Abraham jusqu’à David, l’autre de David jusqu’à la captivité de Baby-
lone, et le troisième depuis cette captivité jusqu’à la naissance temporelle du Christ!: en tout cinq âges. Le
sixième s’écoule présentement […] Après le sixième âge, Dieu se reposera comme en un septième jour,
lorsqu’il fera reposer ce septième jour, nous serons nous-mêmes, dans sa divinité. Traiter ainsi en parti-
culier de chacun de ces âges serait trop long…!» Civ. Dei, XXII, 30, traduit par Louis Moreau in La Cité
de Dieu, Paris, Seuil, 1994, p. 357.
121 Foresti, Jacopo Filippo [= Jacques de Bergame], Supplementum chronicarum , Brixiae, per B. de B o-
ninis, 1485. Nous nous sommes référés à l’édition espagnole (valencienne, très exactement) de 1516,
traduite sans nom d’éditeur et sous le titre de Suma de todas las cronicas del mundo!: «!La quarta edad del
mundo la qual en el presente libro ponemos duro segun isidoro 485 anos en el qual tiempo fueron los
PREMIERE PARTIE 81

Dans le Supplément des Chroniques, cette répartition des époques permet

d’inscrire dans la temporalité biblique l’histoire de David à côté de celles rapportées par

les auteurs grecs et latins, Hérodote, Diogène Laërce, Plutarque, Valère Maxime, Pline,

Suétone, sans oublier les auteurs chrétiens plus tardifs122. L’histoire des Hébreux alterne

avec celle des Anciens, dont Jacques de Bergame décline une courte liste!: au temps de

David régnait Médone, fils d’Eodoro, qui fut roi d’Athènes, Lupalle l’Assyrien, Agi,

premier fils du roi des lacédémoniens Euristée, enfin Agaste, second roi d’Athènes. Se-

lon un procédé courant, les personnages historiques alternent également avec les figures

mythologiques, placées parmi les hommes en raison de l’origine humaine que leur prê-

tait alors la tradition évhémériste!: pendant que David cède son trône à son fils Salomon,

prophetas, adonde aun començo el libro secundo de los reyes. David principe de todos los prophetas fijo
de Isai del tribu de Iuda fue el secundo rey de los hebreos…!» (fol. 71r)
122 Cette manière d’écrire l’histoire s’inscrit en continuité avec la Cité de Dieu , qui parvient à la postérité
comme l’ouvrage historique et philosophique le plus directement applicable par les chroniqueurs comme
Jacques de Bergame. Dans le dix-huitième livre de la Cité de Dieu, Augustin explique comment, à
l’époque des premiers rois bibliques, « la cité rivale!» s’est projetée dans l’histoire par le biais de fables
transcrites par Varron, Suétone et autres historiens mythographes. Saül, David et Salomon régnèrent dans
une époque fertile en fabrications de faux-dieux!de toutes sortes!: à la mort d’Énée après la ruine de Troie,
les Latins se firent de lui une idole (XVIII, 19)!; ils apprirent l’histoire de Samson et le firent passer pour
Hercule, en raison de sa force prodigieuse (XVIII, 19). Chez les Athéniens, Codrus mourut sous le glaive
des habitants du Péloponèse (cf. Énéide, V, 11)!; il passa alors pour un dieu et fut honoré de nombreux
sacrifices (XVIII, 19). Vincent de Beauvais et Jacques de Bergame perpétuent cette manière de faire
coexister l’histoire juive et l’histoire païenne. Ni pour eux, ni pour Augustin, n’y a t-il lieu de décrire la
fondation mythique de Rome par Rémus et Romulus «!comme une seconde Babylone!» (XVIII, 22). Ils
alignent les connaissances historiques et légendaires comme de simples faits de culture.
PREMIERE PARTIE 82

Pygmalion, Didon et Sichée participent à la construction de Carthage et Rémus et Ro-

mulus permettent l’enfantement de Rome123.

Le cas du précepteur de Dante Brunetto Latini, dont le Trésor avait une belle

place dans la bibliothèque de François Ier, est encore plus étonnant124. En aucune m a-

nière David n’apparaît-il dans la section théologique du Trésor, il figure uniquement

dans la section historique de l’encyclopédie (à titre d’inaugurateur du quatrième âge de

l’humanité) à la jonction des chapitres sur la théologie et ceux dévolus à la physique, la

géographie, l’architecture et l’histoire naturelle. Ici encore, l’histoire d’Israël apparaît

comme un fait de culture, comme jadis chez Josèphe!; contrairement aux Antiquités ce-

pendant, le fil chronologique ne structure que partiellement la logique de l’ouvrage!: à

Adam, Ève (1er âge), Noé et ses fils (2e âge), Abraham et Isaac (3e âge) succèdent les

rois d’Égypte, de Perse, de Grèce, et quelques personnages historiques ou fabuleux

(Nemrod, son fils Celum, puis Saturne et ses enfants, Jupiter et ses douze fils, Ménélas,

Agamemnon, Alexandre le Grand). L’auteur évoque les premiers rois de Troie issus de

Jupiter, Danaum et Dardanum, puis la fondation de Rome par Rémus et Romulus, après

quoi règnent César dans l’Empire et les rois de France, descendants des Troyens. Après

ce rapide survol des 4e, 5e et 6e âges l’auteur revient en arrière avec David, dont il dé-

cline la descendance dans l’Ancien et le Nouveau Testament. Le bethléemite inaugure

123 L’évhémérisme appliqué à la mythologie rattache l’origine des dieux à des hommes immortalisés par
leurs exploits sur la terre. C’est à ce titre que les divinités trouvent une place dans l’histoire universelle.
Un des plus beaux exemples de la cohabitation des dieux et des personnages bibliques nous vient de Pe-
trus Comestor, dont l’Historia scolastica fait alterner Écritures et mythologie. Cf. J. Seznec, La survi-
vance des dieux antiques, Paris, Flammarion, réed. 1993, pp. 21- 48, particulièrement p. 26.
124 La BnF conserve un bel exemplaire du Trésor relié en veau fauve aux armes de François I er!: Il Tesoro
di M. Brunetto Latini, […] precettore del divino poeta Dante, nel qual si tratta di tutte le cose che a
mortali se appertengono, Venise, par Marchio Sessa, 1533. In-8. Cote!: BNF Rés. Z-3574.
PREMIERE PARTIE 83

un temps sacré, alors qu’à Isaac succède le fabuleux. On ne lui trouve pas de contempo-

rains mais seulement une descendance. Dans ce foisonnement de mythologie, d’histoire

profane et d’histoire sainte, le récit biblique sert moins à délimiter la vérité et de la fable

qu’à être un auxiliaire à la mise en forme des événements, aussi bien sacrés que légen-

daires. Il émerge au milieu d’un gigantesque mélange des genres, où l’unique lien

commun entre chacun des éléments semble être sa place dans la culture universelle.

L’histoire du roi en mois et en jours

Le plus zélé des continuateurs de Flavius et des historiographes chrétiens est

certainement Jean des Courtils. Peu d’historiens peuvent en effet prétendre rivaliser

avec ce traducteur du Rudimentum noviciorum (1475) et auteur de La Mer des hystoires

(1488), qui à partir de l’année de naissance de David et les calculs de ses prédécesseurs

voulut déterminer l’année exacte de la naissance du Christ, depuis la Création. En croi-

sant les renseignements fournis à leur sujet par les Bibles grecque et hébraïque, Flavius

Josèphe, Vincent de Beauvais et la patristique, il mesure l’âge de la terre, l’époque ré-

elle où vécurent les grandes figures de l’histoire et la contemporanéité de certains

d’entre eux. L’auteur du «!Prologue aux lecteurs!» de l’édition parisienne de 1550 an-

nonce donner une version révisée de tous les chiffres, augmentée d’indications voulant

«!accorder les aages et temps, cotter les dattes selon les vrayes computations, verifier et

reveoir la table et indice a la verite, et enfin additionner et augmenter oultre les prece-

dentes impressions, les evenements merveilleux et grandes fortunes du regne du tres-


PREMIERE PARTIE 84

chrestien roy de France Francoys premier de ce nom!», de même que ceux d’Henri II125.

Rarement l’Ancien Testament avait-il fait l’objet de si savants calculs, dont nous livrons

ici quelques extraits!:

David «!naquist selon la verite hebraique lan du monde ii.m.viii cent liv [2854].
[…] Son regne commenca lan du monde ii mille viii cent iiii vingt & ix [2889] se-
lon la verite hebraique, qui est mil lxxiiii [1074] ans devant la nativite de ihuscrist,
mais selon les lxx interpretes & expositeurs. Aussi selon eusebius & bede qui les
ensuivent, son regne commença lan du monde iiii mille cent & xxv [4125] car ilz
nombrent iiii mille cent & lxx [4170] ans depuis le commencement du monde ius-
ques a ledification du temple. Or est il ainsi que david commenca xli [41] ans de-
vant salomon. Et salomon ou [au] iiiie an de son regne fist le commencement de le-
difice du temple comme appert ou chapitre lxxvie du iiie livre du mirouër hystorial.
Doncques se [si] de iiii mille cent lxx [4170] ans / sont ostez, xlv [45] ans qui furent
depuis le commencement de regne de david iusques a ledification du temple, il ap-
perra & sera manifeste que david commenca a regner lan du monde iiii mille cent
xxv ans [4125]. Ausquelz ce mil & xxix [1029] ans sont adiouste, comme dit euse-
bius & bede, on pourra congnoistre clerement le nombre qui devant a este souvent
remembre & note, cest assavoir que depuis le commencement du monde iusque a la
nativite de ihuscrist sont nombrez v mille cent iiii vingt & xix [5199] ans. De ceste
chose est parle plus amplement ou commencement de la vie aage & en la fin de la
seconde ou chapitre de thare.126

125 Jean des Courtils, La Mer des hystoires, augmentee en la fin du dernier volume de plusieurs belles
hystoires, Paris, s.n., 1550, (exemplaire BNF, rés. G 456). Dans le «!Prologue au lecteur!», il compare sa
chronologie avec celle de Vincent de Beauvais (Le Miroir historial, Paris, A. Vérard, 1495-96), qui suit la
tradition hébraïque et fait remonter la création du monde à 3963 années avant le Christ. Il évoque égale-
ment les choix de ses prédécesseurs!: Prosper de Césarée, Eusèbe de Césarée et Jérôme comptent 1228
ans avant l’avènement du Christ. Isidore au sixième livre et dernier chapitre des Etymologies compte
5210 ans. Bède et Orose, 5189. (vol. 1, fol. 2v.)
126 Op. cit. Les folios de cet ouvrage ne sont pas numérotés!: ce passage correspond aux première et
deuxième colonnes du premier folio (recto) du chapitre 131.
PREMIERE PARTIE 85

David a bel et bien sa place dans l’histoire séculière!; il lui fournit sa chronolo-

gie. Mais le plus étonnant n’est pas encore le singulier exercice arithmétique auquel se

livre, à son sujet, des Courtils. Reprenant la méthode comparative de Bède, notre auteur

dresse un imposant tableau comparatif des principaux rois et empereurs ayant vécu à

cette même époque de l’humanité. Sous la forme de chaînes généalogiques juxtaposées

les unes aux autres, la lignée de David apparaît parallèlement à celles de ses prédéces-

seurs et de ses contemporains chez les Athéniens, les Assyriens, les Corinthiens et au-

tres peuples voisins, le tout dans une disposition synoptique apparentée aux tables syn-

chroniques de Bède. Mais en matière de zèle, des Courtils dépasse le maître. Il ne laisse

pas au lecteur le souci d’en déchiffrer lui-même la teneur, il explique lui-même la leçon

à tirer du panorama historique illustré. De sa plume nous arrive le condensé historique

le plus détaillé du contexte historique qui vit régner David, que nous reproduisons dans

son intégralité pour donner à voir la rare ampleur de son souci historiographique!:

En outre david commenca a regner apres le deluge mil ii cent xxxv [1235] ans.
Apres123

la nativite de phalech [ sic], la confusion des langaiges & primatie & domination de
heber mil cent xxxv [1135]. Apres la nativité de Abraham, ix cent xli [941] ans
comme est escript ou chapitre lxxie du du iiie livre du mirouër hystorial. Toutesfoys
henry de hervordia y compte ix cent vliii ans [943], & depuis la premiere permis-
sion dabraham faicte ou chemin de mesopotamie, viii cent lx viii [868] ans. Apres
linstitution de la circoncison viii cent xliiii ans [844 ans]. Apres lentree disrael en
egypte, vi cent liii ans [653 ans]. Apres lissue degypte & de lordonnance de la loy
baillee a moyse iiii cent xxx viii [438] ans. Apres le premier jubile du temps de
abraham, vii cent lx [760] ans. Apres la destruction de troye cent vii [107] ans.
Aussi lan xxxiiie [33]de dertilus [sic] roy des assyriens. Lan cent &viiie [108e] de la
xxe dinascie & souveraine puissance des egyptiens. Lan xviii [18e]de codrus roy des
atheniens. Lan viie [du] premier roy des lacedemoniens. Lan viie semblablement de
alethes premier roy des corinthiens. Lan xxxiiie [33e] de eneas silvius, iiie roy des
PREMIERE PARTIE 86

albains. Item lan xlve [45e] devant la fondation du temple. Lan iii cent &iii [303]
devant la premiere olympiade. Lan iii cent xxiie [322e] devant rome. Lan iiii cent
iiii vingt & iii [483] devant la transmigration de babiloine & lincession & brusle-
ment du temple. Lan cinq cent cinquante troisiesme [553] devant la restauration &
reparation du temple. La vii cent xl v [745] devant la monarchie de alexandre ma-
cedonien. Et devant le temps de grace de lincarnation du filz de dieu mil septante et
quattre [1074] ans. Il regna premierement en la cite de hebron sur la lignee de iuda
vii ans & vi mois, temoin le cinquiesme du iie des roys. Apres ce regna en hierusa-
lem sur toutes les lignes de israel lespace de trente quattre ans, nonobstant que les-
cripture die quil regna xl [40] ans et ne parle point des vi mois [6 mois] pour plu-
sieurs causes.127

Si l’Écriture attribue à David un règne de quarante ans et passe sous silence les

derniers six mois, nul historien ne peut, sans le moindre péril, prétendre la corriger.

Mais des Courtils persiste, justifiant en ces termes la cause de l’imprécision biblique au

sujet de la demie année manquante!:

La tierce raison et principale est pource que lescripture saincte na point gaires
acoustume de nombrer les minutes & petites parties du temps, parquoy na point
parle diceulx vi [6] mois.128

Puisque la Bible ne se mêle pas des poussières de l’histoire, son serviteur peut,

comme la Cananéenne de l’Evangile, récupérer les miettes.

Les contemporains mythiques de David

127 Idem, chapitre 131, deuxième colonne du premier folio.


128 Idem.
PREMIERE PARTIE 87

Conformément aux thèses évhéméristes, le souci de vérité et d’exactitude qui

traverse la Mer des histoires n’exclut pas d’évoquer à côté de la Bible le cortège my-

thologique, comme cela avait d’ailleurs été le cas dans l’Histoire scolastique de Pierre

le Mangeur et son adaptation par Guyart des Moulins dans la Bible historiale. David est

bien un personnage de l’Histoire, mais cela ne l’empêche pas de voisiner avec les héros

des histoires. Pour des Courtils, les prédécesseurs de David au temps des Juges ont leur

lot de contemporains mythiques!: Tola vit au temps «!de Carmentis la nymphe qui trou-

va les lettres latines!»129, Jephté au temps «!de Pigmalion frere de Dido et Agame m-

non!»130 et Ibçân, en même temps qu’Hercule 131. David est le contemporain de Codrus

et précède de quelques générations à peine l’époque des dix Sibylles. Parallèle à

l’Histoire Sainte, l’histoire profane se joint à elle sans jamais lui être subordonnée!: au-

cune pénétration, aucune mainmise de la première n’infléchit le récit de la seconde. La

Renaissance s’en souviendra.

La Fleur des princes (1502) de Symphorien Champier132, placée en toute fin de

la Nef, évoque ainsi la carrière de David dans la foulée de celles de Philippe de Macé-

doine, d’Alexandre le Grand et de Jules César, mais aussi du philosophe et roi des La-

cédémoniens Lygurgus et de Zoroastre, inventeur de la magie et des arts libéraux. De

même, le Miroir d’éternité de Robert le Rocquez 133 et la Prosopographie ou Chronique

129 Jg. 10. Mer des hystoires, op. cit., ch. 110.
130 Jg. 10, 6 – 12, 7. Idem, ch. 112.
131 Jg. 12, 8. Idem, ch. 113.
132 Symphorien Champier, La Fleur des princes, ou sont declairez en brief les faictz et vertus daucuns
anciens nobles princes […], in Robert de Balsac, La Nef des princes et des batailles de noblesse […],
Paris, Pierre le Dru pour Geoffray de Marnef, s.d., fol. 28v.
133 Le Miroir d’éternité , comprenant les sept aages du monde, les quatre monarchies, et diversité des
regnes d’iceluy, Caen, Pierre Chandelier, 1589, fol. 39r-40v.
PREMIERE PARTIE 88

du monde d’Antoine du Verdier134, dans un cadre chronologique d’une apparente r i-

gueur, nous présentent David au quatrième âge, entre les Anciens et les personnages

mythologiques. Le point charnière que représente David dans l’histoire du monde conti-

nue d’être garanti. La Bible scelle la vérité de l’histoire, dût-elle inclure dieux et légen-

des.

Mais les catégories, en particulier à la Renaissance, sont loin d’être herméti-

ques!: s’il est rare que les dieux antiques prennent des allures bibliques, l’inverse n’est

pas vrai!: il arrive que l’histoire profane vienne déteindre sur l’histoire sacrée et lui don-

ner un sens. Dans le Miroir d’éternité, le récit de la mort de Codrus, roi d’Athènes, pour

le salut de son peuple dans la guerre du Péloponnèse sert de prétexte à évoquer la Grèce

ainsi qu’une curieuse généalogie poétique de David. Celui-ci apparaît comme le succes-

seur direct d’Homère et d’Hésiode, dont la gloire et le prestige rejaillissent, en vertu de

cette proximité, sur son testament poétique – et en particulier sur l’élégie posthume qu’il

consacre au fils de Saül, Jonathan (II Sam. 1, 17-27). Placé comme un contemporain des

plus illustres auteurs helléniques, le psalmiste forme avec les plus célèbres d’entre eux

un trio dont le point de rencontre est le déclin du troisième âge!:

Lorsque Saül regnoit devant David.


Le docte Homere estoit, qui escrivit
Son Iliade, en quoy il a comprise
Des forts Troyens, et des Grecs l’entreprise,
Entremeslant trop plus de fictions,
Que verité, en ses inventions,

134 Prosopographie ou Description des personnes, patriarches, prophètes, dieux des gentils, roys,
consuls, princes, grands capitaines, ducs, philosophes, orateurs, poètes, jurisconsultes et inventeurs de
plusieurs arts, avec les effigies d’aucuns d’iceux…, Lyon, Paul Frelon, 1604. David apparaît au second
livre, pp. 210-24.
PREMIERE PARTIE 89

Pleines en tout de moult grave sentence.


De tres-beaux dits, et de toute eloquence.
Au mesme temps, Hesiode excellent
Poëte, vivoit, qui par carme recent,
Fut le premier lequel print soing et cure,
Escrire en vers l’estat d’Agriculture.
Saül, avoir la vertu emploué
De ses enfans sur le mont Gelboé, /
En poursuyvant Philistiens à la lance
Y fut occiss, et navré à outrance,
Et ses enfans!: dont David lamenta
Son vray amy le loyal Ionatha,
Fils de Saül, duquel la destinee
A l’aage tiers a mis fin terminée.
§ Fin du tiers aage du monde.135

La présence simultanée en Grèce des auteurs de l’Odyssée et des Travaux et les

jours n’a rien d’étonnant. En effet, la composition du Combat d’Homère et d’Hésiode

les avait imaginés se rencontrant par hasard dans ces luttes décrites par Gannitore, pour

célébrer les funérailles du père Anca, où le poète de l’agriculture et de la paix l’avait

remporté sur celui qui avait chanté la guerre. Mais celle de David à leur côté surprend

davantage!: la chronologie des Paralipomènes avait fixé le début de son règne mille ans

avant notre ère, soit plus de deux siècles avant Homère et Hésiode, et même les Chroni-

ques de l’époque situaient ces derniers à la fin du quatrième âge, après l’édification de

Carthage par Didon136. Leur apparition à l’époque de Saül vise à faire marcher David

135 Robert le Rocquez, op. cit., fol. 38-39r-v.


136 Dans la Prosopographie, le règne de David commence vers l’an du monde 2896, alors qu’Homère et
Hésiode apparaissent vers l’an du monde 3189.
PREMIERE PARTIE 90

sur les traces de prestigieux ancêtres, à faire retomber sur lui la renommée de ses pairs,

dont la reconnaissance poétique semble surpasser la sienne137.

Un glissement du sacré vers le profane apparaît également chez Antoine du Ver-

dier, dans le médaillon qui représente David!: buste nu, herculéen, les épaules drapées

d’un manteau flottant au vent et les hanches couvertes d’une jupe à l’antique, David

ressemble curieusement à Hercule, une autre conséquence de l’évhémérisme omnipré-

sent dans l’ouvrage où dieux et prophètes se côtoient sur terre et au ciel. David est le

contemporain de Druis, expert en l’art de la magie, et fondateur de l’ordre des Druides,

«!gens pleins de superstition, habitans dans les foretz, et desertz, comme font les her-

mites, y sacrifians en tout temps, avec opinion qu’ils avoyent de sçavoir cognoistre tous

les secrets et vertus de la nature, et tels estimez qu’estoyent les Mages, ou sages Per-

sans, les Caldees des Assyriens, les Scribes des hebrieux, etc.!»138. Il précède de deux

siècles Homère, proclamé fils de Calliope et placé au ciel avec les muses, et est promis à

l’immortalité en raison du modèle monarchique, poétique et religieux qu’il lègue à

l’humanité.

137 Ce désir de décloisonner le temps trouve également un écho dans la Prosopographie (op. cit., p. 224),
où David n’initie pas seulement le quatrième âge, mais prend une figure d’éternité!:!
Un David a esté Roy, Poëte et pasteur,
Et maintenant encor’ sert d’exemple à ces trois.
Car il apprend aux Rois à rendre un iuste honneur
A celluy qui est Roy par dessus tous les Rois.
Il apprend au Poëte à n’employer sa voix
Qu’à chanter du treshaut l’excellente grandeur!:
Et apprend aux pasteurs les chemins les plus droicts,
Pour guider leurs troupeaux és voiyes du Seigneur.
138 Op. cit., p. 225.
PREMIERE PARTIE 91

Ainsi, la Renaissance ne fait que confirmer la place des figures bibliques à côté

des personnages nés de la civilisation, tirant tout ce beau monde vers le haut, par un

transfert de qualités!; au contact des dieux et des hommes, l’Histoire Sainte gagne en

fantaisie, mais elle le leur rend bien en offrant une caution à leur place dans l’éternité. Il

n’est pas excessif de dire qu’elle leur donne même une maison dans le ciel, comme le

suggère ce conseil de Zwingli adressé à François 1er en 1531 :

Si tu suis les traces de David, tu verras un jour Dieu lui-même!; et près de lui tu
dois espérer de voir Adam, Abel, Énoch, Paul, Hercule, Thésée, Socrate, les Ca-
tons, les Scipions…

Dans les recueils des historiens et des poètes, le héros d’élection d’un livre sacré,

la Bible, et le héros de livres au pluriel, les Bibles imprimées, s’impose à l’esprit des

lecteurs comme un repère de l’Histoire. La démarche de la pensée qui apprécie David

non seulement sous l’angle de la révélation divine, mais sous celui du temps humain,

contribue à son épanouissement dans une littérature souvent peu encline à relayer

l’héritage de quinze siècles de théologie, mais en quête de sujets nobles et prestigieux.

Cette approche laïque du bethléemite trouve une autre forme d’expression dans le

folklore religieux qui circule encore à la Renaissance!: plusieurs sources intertestamen-

taires brodent autour de David un certain nombre de fables qui font du roi des juifs le

héros d’une belle histoire. Dans les ouvrages qui les rapportent, le roi biblique apparaît

au cœur d’un travail poétique d’embellissement et d’imagination. Ce dernier aspect du

monarque nous transporte de la théologie à la littérature, il fournit la trame d’un rapport

libre à l’Écriture que l’on rencontre dans certaines œuvres de la littérature chrétienne.
PREMIERE PARTIE 92

Chapitre V

De l’Histoire aux histoires!: vers un folklore biblique

L’histoire continuée139

L’histoire de la culture biblique à la Renaissance est celle d’une familiarité de plus en

plus importante avec la matière scripturaire dans différentes couches, plus ou moins

érudites, de la population. Jusqu’où, en dehors des églises et des monastères, est allée

cette connaissance, et en particulier la connaissance des histoires de l’Ancien Testament

consacrées à David? A-t-elle pris la forme d’un folklore religieux qui se serait inscrit

dans le sillon d’une tradition populaire médiévale? Quelques ouvrages écrits sur le

mode du «!texte continué!» laissent soupçonner l’existence d’un corpus (souvent oral)

139 Nous empruntons ce sous-titre à la distinction importante formulée par C. Perrot et P. M. Bogaert
entre les deux principales approches de l’Écriture qui caractérisent la littérature extrabiblique!:«!Dans la
littérature intertestamentaire, deux types de lecture, au moins, semblent avoir été pratiquées, celui du texte
expliqué et celui du texte continué. Que le texte en question soit oral ou écrit, peu importe en l’occurence.
Précisons rapidement. Dans le premier cas, celui du texte expliqué, le point de référence est le texte même
de la Bible. Le texte écrit est la base de la tradition targumique, des commentaires oraux et, plus tard, des
Midrashim haggadique et halakhique explicitant l’Écriture en fonction du moment présent du salut. Dans
le second cas, celui du texte continué, le point de référence est l’histoire sainte, connue à la fois par les
rouleaux et par la tradition orale relevant aussi de Moïse (la Torah de la bouche dira-t-on plus tard). À
l’époque intertestamentaire surtout, plusieurs productions littéraires s’inscrivent dans ce cadre midrashi-
que particulier – en donnant au mot Midrash un sens large, celui d’une explicitation et actualisation de la
Révélation divine.!» [Charles Perrot et Pierre-Maurice Bogaert], Pseudo-Philon, Les Antiquités Bibliques,
t. 2, Paris, cerf, 1976, pp. 24-25.
PREMIERE PARTIE 93

de récits de types folkloriques et permettent d’aller dans le sens de cette proposition. Ce

folklore est constitué d’un certain nombre de récits (ou simplement de thèmes) qui

complètent, ajoutent ou mettent en scène le témoignage des Rois et des Chroniques, le

plus souvent à la lumière du patrimoine littéraire rabbinique. Les sources hébraïques les

plus anciennes qui traversent ce corpus de vaste diffusion sont Antiquités bibliques du

pseudo-Philon (70 ap. J. C.), auxquelles il faut rajouter les commentaires du Midrash,

du Talmud et de la Kabbale, autant de sources écrites ou orales qui dévoilent les

conceptions spirituelles des chefs de la synagogue. Plusieurs textes en prose ainsi que le

théâtre ont largement contribué à diffuser ces thèmes, comme on peut le constater dans

certains passages du Mistère du Vieil Testament ou du Bonimée de David et Goliath, qui

agrémentent le récit canonique d’éléments issus de la culture juive. Ces œuvres adjoi-

gnent à leur chronique davidique des éléments de récits dont l’origine déborde du cadre

de la théologie chrétienne et concernent, dans leur grande majorité, le combat de David

et Goliath.

David et Goliath, un folklore

Des légendes juives autour de David et Goliath ont-elles survécu dans la culture

populaire chrétienne de la Renaissance sous la forme d’un folklore, et si oui, par quelles

voies? Les récentes études de Gilbert Dahan indiquent qu’une certaine exégèse rabbini-

que140 a pu atteindre les théologiens du Moyen Âge et de la Renaissance non seulement

140 Gilbert Dahan a retracé l’histoire de cette présence dans «!Juifs et chrétiens en Occident médiéval. La
rencontre autour de la Bible (XIIe-XIVe s.)!», Revue de synthèse, no 110, 1989, pp. 3-31. Du même auteur,
Les Intellectuels chrétiens…, op. cit., pp. 289-307, et L’Exégèse chrétienne…, op. cit., pp. 359-87. Aussi!:
PREMIERE PARTIE 94

grâce à des écrivains comme Flavius Josèphe, mais aussi dans certains passages de saint

Jérôme et de la Glossa ordinaria, chez Hugues, André et Richard de Saint-Victor, et

chez les maîtres de l’école biblique morale (Pierre le Mangeur, Pierre le Chantre et

Étienne Langton)141. En revanche, la survivance de ces idées sous la forme d’un folklore

judéo-chrétien en Occident est moins connue. Pour l’aborder, la méthode qui nous a

semblé la plus concluante a consisté à examiner quelques histoires saintes, commentai-

res de la Bible et pièces de théâtre connus au XVIe siècle pour voir si un David de lé-

gende y figurait en bonne place.

De quelques légendes dans les Bibles glosée et historiale

Paradoxalement, c’est d’abord dans les Postilles de Nicolas de Lyre, enserrées

dans les commentaires de la Bible glosée la plus traditionnelle, que nous parviennent les

premiers signes de vie d’un folklore scripturaire conçu sur le modèle de l’histoire sainte.

Mine de renseignements, l’exégèse littérale du postillateur s’élève contre un héritage de

fables bibliques dont la Renaissance avait encore une connaissance au moins indirecte.

Il arrive en effet au postillateur de stigmatiser la présence de mythes hébraïques dans

certains commentaires de la Vulgate. Or, en voulant les dénoncer, le commentaire s’en

fait parfois le porte-voix. Signalons à titre indicatif l’une de ces histoires, laquelle sans

venir directement des Antiquités bibliques du pseudo-Philon (réimprimées quatre fois

H. Hailperin, «!The Hebrew Heritage of Medieval Christian Biblical Scholarship!», Historia Judaica, 5,
1983, pp. 133-54!; B. Smalley, «!L’exégèse biblique du XIIe siècle!», dans [M. de Gandillac et É. Jeau-
neau], Entretiens sur la Renaissance du XIIe siècle, Paris-La Haye, 1968, pp. 273-93.
141 G. Dahan. «!Les Interprétations juives dans les commentaires du Pentateuque de Pierre le Chantre!»,
dans [K. Walsh et D. Wood], The Bible in the Medieval World. Essays in memory of Beryl Smalley, Ox-
ford, 1985, pp. 131-55!; L’exégèse chrétienne, op. cit., p.377 ss.
PREMIERE PARTIE 95

entre 1538 et 1599142) s’apparente à la version philonienne du combat du Térébinthe

dans la valeur allégorique qu’elle donne au nombre de cailloux dont se munit David.

Les Antiquités philoniennes143, une histoire de la Bible enrichie de discours et de

légendes écrite dans les années qui ont suivi la destruction de Jérusalem, en 70 ap.

J.C.144, racontent, dans une perspective mystique, que David choisit dans le lit d’un to r-

142 Références de ces quatre réimpressions!:


1) Philonis Iudaei Alexandrini, (cuius doctrinae et orationis sublimitatem gravissimi autores etiam ipsi
divino Platoni aequarunt) omnes quae apud Graecos et Latinos extant, libri, Antiquitatum. Quaestionum
et solutionum in Genesin. De Essaeis. De nominibus Hebraicis. Basileaem per Henricum Petrum, 1538.
2) «!Philonis Judaei antiquitatum liber, quaestionum et solutionum in Genesin liber, liber de statu Essaeo-
rum i.e. Monachorum, qui temporibus Agrippae regis monasteria sibi fecerunt!; de nominibus hebraicis
N.et V. Testamenti liber, latine,!» dans Mikropresbutikon, Veterum quorundam brevium Theologorum,
sive Episcoporum, sive Presbyterorum. Basileae, apud H. Petri, 1550.
3) «!Philonis Iudaei Antiquitatum Biblicarum Liber. Incerto interprete!», dans Antiquitatum Variarum
Autores, Quorum catalogum sequens continet pagella. Apud S. Gryphium. Lugd. [Lyons], 1552.
4) «!Philonis Iudaei Antiquitatum Biblicarum Liber, Incerto interprete!», dans Historia Antiqua hoc est
[…] Philonis Iudaei Antiquitatum Biblicarum Liber. Accessit Censura Gasperis Varrerii in Berosum, Ab
eruditis pridem desiderata. Ex Bibliopolio Commeliniano, [par Iuda Bonutius à Heidelberg], 1599.
143 Le titre de l’ouvrage remonte à l’humaniste allemand Jean Sichard (1499-1552), le premier éditeur à
fournir une édition scientifique de l’ouvrage en 1527, avec d’autres œuvres du véritable Philon, les
Quaestiones et solutiones in Genesim et un fragment du De Vita Contemplativa. L’attribution de
l’ouvrage à Philon d’Alexandrie, philosophe juif du premier siècle, est assurément erronée mais
s’explique du fait que son livre parvient aux humanistes dans un certain nombre de manuscrits compor-
tant d’authentiques traductions de textes de Philon. Le titre Antiquitatum biblicarum, qui n’est pas sans
rappeler les Antiquitatum judaeorum de Flavius Josèphe, n’est pas non plus authentique!: il dérive du titre
du manuscrit du XIVe siècle sur lequel se fonde l’édition princeps de Sichard, le Liber Philonis antiqui-
tatum (Codex Fulda-Cassel Theol. 4˚, 3). C’est néanmoins sous cette forme que le pseudo-Philon gagne
la faveur d’un certain public lettré de la Renaissance.
144 Les spécialistes s’accordent à y voir une histoire sainte, «![…] formée dans la même école que les
Quatre livres d’Esdras et que l’Apocalypse de Baruch, et écrite comme eux dans les années qui ont suivi
la destruction de Jérusalem en 70 ap. J.C. Elle est par conséquent contemporaine de certains écrits du
Nouveau Testament, et jette un éclairage sur la pensée religieuse des Juifs de cette époque […] En aucune
manière, cette source ne doit être négligée par tous ceux qui s’intéressent aux origines de la pensée chré-
tienne et de la pensée juive.!» Montague Rhode James, The Biblical Antiquities of Philo, London, Society
PREMIERE PARTIE 96

rent non pas «!cinq pierres bien lisses!» (I Sam. 17, 40), mais sept, sur lesquelles il grava

des formules secrètes, peut-être même incantatoires!: «!David partit et prit sept pierres!:

il écrivit dessus les noms de ses pères, Abraham, Isaac et Jacob, Moïse et Aaron, le sien

et celui du Très-fort. Et Dieu dépêcha Zervihel, l’ange préposé à la force.!»145 La ver-

sion de l’affrontement que rapportent les Postilles apparaît comme une adaptation chré-

tienne de ce symbolisme numérique, également cher aux kabbalistes!: l’enfant n’aurait

pas lancé une seule pierre au front de Goliath, ni sept, chiffre sacré par excellence de la

religion juive, mais bien trois, par référence aux trois tentations du Christ dans le dé-

sert!:

7. Et il prit son bâton!: [Un certain commentaire de] Matthieu, 4 dit que le Christ a
vaincu le diable au cours des trois tentations, comme David a vaincu Goliath, avec
trois pierres. Mais ce commentaire n’est pas très authentique, parce qu’il n’y est
pas dit de qui il est, et pour cette raison, il semble être un commentaire magistral,
parce qu’il doit davantage faire corps avec le texte sacré de l’Écriture, qui semble
ici indiquer que David a vaincu le Philistin avec une seule pierre.146

for promoting Christian Knowledge, 1917, pp. 7, 33, 65, cité après Guido Kish, Pseudo-Philo’s Liber
Antiquitatum biblicarum, Notre Dame (Indiana), Publ. in Medieval Studies of the University of Notre
Dame, 1949, p. 3.
145 Les Antiquités bibliques (que nous abbrévierons par LAB), 61, 5 traduit par J. Cazeaux dans l’édition
de D.-J. Harrington publiée à Paris, Cerf, 1976, t.1. Pour plus de précision, nous donnerons ici les réfé-
rences aux LAB de cette édition en chapitre et en versets plutôt qu’en page.
Plusieurs légendes juives de l’Antiquité font également état du symbolisme dont David investit les cail-
loux, certaines établissant un lien entre les cinq cailloux et les cinq livres de la Torah. Des ouvrages plus
tardifs racontent pour leur part que David écrivit non pas sept, mais cinq noms sur les cailloux, ceux de
Dieu, des trois patriarches et d’Aaron, et que ces pierres vinrent d’elles-mêmes à la main de David!; elles
se fondirent alors en une seule pierre et eurent raison de Goliath (cf. Jewish Encyclopedia, op. cit., art.
«!David!», pp. 453-454). Dans ces légendes comme dans celle rapportée par le ps.-Philon, l’évocation des
piliers d’Israël montre que le héros ne se fiait pas à sa force, mais au secours de Dieu.
146 «!7. Tulitque baculum suum! : Matt. iiii dicit quaedam glossa, quod Christus vicit diabolum tribus
tentationibus sicut David Goliath tribus lapidibus. Sed illa glossa non est multum autentica, quia non
PREMIERE PARTIE 97

Authentique ou non, ce commentaire de la glose ordinaire associée à Matt. 4, 3

dans la Biblia sacra cum glossa (encore imprimée en 1617 chez Balthazar Belleri)

mentionne en effet trois pierres, alors que la Vulgate n’en mentionne qu’une seule. Ce

détail inusité montre que les traces d’un folklore scripturaire infiltrent les commentaires

de théologiens médiévaux. Nicolas de Lyre le dénonce mais ce faisant, il en garantit la

postérité. Or lorsque son sens littéral n’est pas au départ respecté, la Bible tend, petit à

petit, à revêtir des atours de légende147.

Ce jet de trois pierres n’est pourtant pas moins dénué de fondement historique!:

il provient d’une histoire sainte arrivée en terre chrétienne grâce à l’Histoire scolastique

de Pierre le Mangeur, vaste résumé des livres saints traduit en langue française au XIIe

siècle par Guyart des Moulins, chanoine d’Aire, sous le titre bien connu de Bible histo-

dicitur ibi cuius sit, et ideo videtur esse quaedam glo. magistralis, proter quod magis est adhaerandum
textui sacra scripturae, qui videtur hic innuere, quod David uno tantum lapide Philistaeum vicit.!» Pos-
tille de Nicolas de Lyre rapportée dans la Biblia sacra cum glossa ordinaria, primum quidem a Strabo
Fuldensi Monacho benedicto collecta…, Baltazar Bellerus, Anvers, 1617, tome 2, p. 431.
147 Ajoutons qu’en plus de cette allusion à la légende des trois pierres, une glose interlinéaire de la Biblia
cum glossa dont il est ici question rapporte un fragment des Antiquités juives de Flavius Josèphe (livre 6,
ch. 9, v. 4-5). Ce fragment greffe également au récit biblique des éléments étrangers au récit scripturaire
et issus de la tradition juive. Nous avons souligné ces ajouts!: «!Alors qu’il tentait de venir à la hâte, le
Philistin, retardé par le poids de son armure, n’approchait que lentement de David et il le maudissait,
comptant bien l’égorger, lui, un enfant désarmé, sans aucune difficulté. Mais le jeune homme alla à la
rencontre de son antagoniste accompagné d’un assistant invisible qui n’était autre que Dieu lui-même.
Saisissant une des pierres qu’il avait prise dans le ruisseau et mise dans sa pannetière, il la plaça dans sa
fronde et la lança contre le Philistin. La pierre heurta son front et s’enfonça dans son cerveau, de sorte que
Goliath fut étourdi et qu’il tomba sur son visage […] Saül et toute l’armée des Hébreux poussèrent un cri
et se ruèrent sur les Philistins, tranchèrent la tête à un grand nombre d’entre eux et poursuivirent les autres
jusqu’aux frontières de Gat […] de sorte que chez les Philistins, trois mille homme furent tués et le double
fut blessé. […] David transporta la tête de Goliath dans sa propre tente, mais consacra son épée au Sei-
gneur.!»
PREMIERE PARTIE 98

riale148. Il semble que Pierre le Mangeur, qu’évoque Nicolas de Lyre, ait introduit cette

histoire au contact de récits exégétiques des rabbins de Troyes (école de Rashi) répon-

dant au problème soulevé par le commentateur Joseph Kimhi, lequel, à l’instar du

pseudo-Philon, se demandait comment il était possible qu’une seule pierre perçât le cas-

que du géant et l’assommât149. La force réunie de plusieurs pierres, auxquelles s’attache

un puissant symbolisme religieux, offre un éclairage mystique à la prouesse du guerrier.

Voici l’extrait du «!maistre en hystoires!» traduit par Guyart des Moulins dans une édi-

148 Petri Comestori Historia Scolastica , in Migne, Patr. Lat., t. 198, 1855, col. 1311-1312. Le lancer des
pierres est évoqué en ces termes!: «!Cumque jecisset lapidem, funda percussit eum in fronte. Secundo
quoque, et tertio lapide percussit in eodem loco, et tertio jactu dejecit eum, et currens eduxit gladium illis,
et praecidit caput ejus.!» (col. 1312). Guyart des Moulins traduit l’ouvrage de Comestor en 1291. Sa ver-
sion connaît une diffusion extraordinaire à partir du XIIIe. Cf. S. Berger, La Bible française au Moyen
Âge. Étude sur les plus anciennes versions de la Bible écrites en prose et en langue d’oïl, Paris, Imprime-
rie nationale, 1884, pp. 157 ss.
149 Cf. Christian Cannuyer, «!Le Bonimée de David et Goliath!», Cercle d’histoire et d’archéologie d’Ath
et de la région, tome 50, 1986, pp. 208-09. Pour sa part, S. T. Lachs («!The Source of Hebrew Traditions
in the Historia Scholastica!», Harvard Theological Review, 66, 1973, pp. 385-386), croit à l’influence
d’autres sources non juives. On trouve par exemple une allusion à ces trois pierres dans deux vieilles
recensions arabes et dans une ancienne version éthiopienne du psaume (apocryphe) 151. Certains manus-
crits de la Septante consignent ce psaume, dont l’original hébreu incomplet a été retrouvé dans la grotte
XI de Qumrân. Cette tradition arabe ancienne du jet de trois pierres, attestée aussi dans la Chronique de
Tabari (IXe siècle), a certainement des rapports avec la tradition midrashique à la quelle semble se ratta-
cher Comestor.
La légende musulmane, d’un genre apparenté au récit philonien, raconte que les trois pierres grâce aux-
quelles David obtint la victoire avaient une importance historique!: la première pierre serait celle-là même
qu’Abraham jeta au démon qui le dissuadait de sacrifier son fils Isaac!; la seconde, celle que l’ange Ga-
briel utilisa pour faire jaillir la source d’Ishmaël!; la dernière enfin, celle avec laquelle Jacob combattit
l’ange envoyé contre lui par son frère Esaü. Après la victoire de David, Saül et son successeur auraient
vécu dans la paix, partageant entre eux le gouvernement du royaume d’Israël. Nous renvoyons également
à l’ouvrage de Jean-Louis Déclas, David raconté par les musulmans, op. cit., pp. 132-140, où l’auteur fait
état de cinq légendes différentes au sujet des fameux cailloux, ainsi qu’à l’article sur «!David!» dans la
Jewish Encyclopedia, op. cit., p. 457, qui présente un résumé sommaire des légendes musulmanes sur cet
épisode.
PREMIERE PARTIE 99

tion de 1505, correspondant (à l’exception de la «!Glose!», qui est de Guyart) à cette

page de l’Historia Scolastica dénoncée dans les Postilles!:

David […] print son baston de pasteur avec cinq pierres rondes et les mist en sa
pennetiere que il avoit avec luy!: et si print la fonde et sen alla ainsy encontre le
philistien. Et le philistien vint a lencontre de david et son escuyer devant luy. Quant
il vit david il en eut grant despit et luy dist. Et ne suis ie pas ung chien qui vient a
moy atout ung baston. Et lors mauldist david au nom de ses dieux.

[…] Lors alla le philistien encontre david et david vint encontre luy en haste pour
combattre et print lune de ses pierres et la mist en sa fonde et gecta de si grant vertu
quil ferit le philistien emmi le front. Et lors sicomme dit le maistre en hystoires
[Pierre Le Mangeur] gecta david la seconde pierre et ferit le philistien au mesme
lieu sur la premiere pierre. Et tantost regetta la tierce pierre et le farit au mesme
lieu sur les deux pierres premieres et abatist le philistien de la tierce pierre a terre!:
et l’occist de sa fonde et dune pierre.

§ Glose. Les iuifs dient que en flambant le fer du heaulme et du haubert se ouvrit et
fist lieu et la pierre pour entrer au front de golias pour le occire!: et servit ainsi cy le
fer a nostre seigneur. Et pour ce ont ilz depuis fait la circoncision dung cousteau de
fer!: et devant le faisoient ilz de pierre comme on treuve en en iosue au chapitre de
de la circoncision en galgalis. 150

150 Guyart Des Moulins, Le [Premier -] Second volume de la Bible en francoiz!: historiee [et] nouvell e-
r v
ment imprimee, [à Paris], [Antoire Vérard], [circa 1505], fol. 112 et 112 . Le texte de Pierre Comestor
(Migne, op. cit, col. 1311-1312) donne la version suivante!: «!Et tulit in manu baculum pastoralem, et
elegit de torrente quinque lapides limpidissimos, id est planos et volubiles, et misit eos in peram pastora-
lem, id est vas quo lac mulgebat vel ferebat panem, et fundam manu tulit et processit adversus Philis-
taeum. Qui contempsit David, et ait!: «!Nunquid ego canis sum, quia tu venis ad me cum baculo. Cui
respondit David. Tu venis ad me cum armis, ego autem venio ad te in nomine Domini, ut sciat hodie
universa ecclesia haec, quia non in gladio salvat Dominus. Cumque jecessit lapidem, funda percussit eum
in fronte. Secundo quoque, et tertio lapide percussit in eodem loco, et tertio jactu dejecit eum, et currens
eduxit gladius illis, et praecidit caput ejus.!»
PREMIERE PARTIE 100

De l’aveu même du traducteur, la source juive des éléments narratifs qui

s’immiscent, à côté de la Bible, dans les histoires saintes de Pierre Le Mangeur ne fait

aucun doute. Ce terreau de légendes connut probablement une certaine gloire à la fin du

Moyen-Âge et même plus tard puisqu’il inspira plusieurs récits du même type comme la

Cronicque margariticque (ca. 1517) du polygraphe belge Julien Fossetier, une vaste

compilation retraçant toute l’histoire du monde depuis ses origines, et qui mentionne le

jet de trois pierres 151. Or c’est précisément contre l’apport de ce folklore en ébullition

que s’élève le postillateur, redressant les faits lorsque le sens littéral de l’Écriture est

compromis. Il n’est donc pas étonnant que l’histoire du ‘fer miraculeux’ du heaume de

Goliath, dont l’inefficacité à protéger le porteur fit, selon de Lyre, couler beaucoup trop

d’encre, soit également dénoncée dans les Postilles. L’exégèse littérale que pratique

Nicolas de Lyre est une démarche consciente d’elle-même qui n’hésite pas à remettre en

151 La Cronicque margariticque (ou Conicque Athensiienne, après Ath, en Belgique, lieu de sa compos i-
tion, ou encore Universel Recoel de toutes Cronicques) de Julien Fossetier est une somme composée de
1508/09 à 1517 et conservée (du moins pour le tome 1) à la Bibliothèque Royale Albert 1er à Bruxelles,
sous une forme manuscrite. Elle traite de l’épisode biblique au chapitre intitulé «!De la victoire que David
eut sur Goliath. Et de laliance faicte de Jonathas et David.!Et de lentendement spirituel de cette histoire.!»
(Cf. tome 1, Ms. BR 10509). La partie du texte dévolue au duel n’est qu’une paraphrase de l’Historia
Scolastica de Petrus Comestor. Voici l’extrait en question!:
«!Puis print son baston pastoral et chinq pierres du torrent rondes pour plus alaise tourner et attaindre et
les mist en sa pannetiere et sa fonde. Goliath qui illec avoit son escuyer dist à david arrivé à luy!: Suy ie
ung chien qui vins a moy avvec [sic] ung baston. […] Mais david le prevint telement que le premier cop
rué de la fonde luy embarra la pierre au milieu du front. Et la seconde et la tierce cheirent lune sur laultre
dont chut le geant et david isnel saillit sus et tira lespee diceluy et luy trencha le col.!» (Ms. BR 10509,
fol. 274v.)
Cf. L. Deward, Julien Fossetier, Sa vie, son œuvre. Étude d’histoire littéraire, mémoire dactylographié,
Louvain 1932 (2 vol.)!; les extraits de ce mémoire publiés dans L. Deward, «!Julien Fossetier, polygraphe
athois (1455-vers 1532)!», Annales du cercle royal d’histoire et d’archéologie d’Ath, t. 26, 1940, pp. 1-
48!; cf. également C. Cannuyer, «!Le Bonimée de David et Goliath!», op. cit., pp. 206-07.
PREMIERE PARTIE 101

cause le genre même de l’histoire sainte, surtout lorsque les récits qu’il véhicule contre-

viennent à la lettre de la Bible!:

8. Et la pierre s’est enfoncée dans son front!: Quelques uns disent que le fer du cas-
que fut rompu miraculeusement par la pierre. Il peut aussi être dit d’un tel miracle,
que le casque était fait de telle sorte que le visage était découvert, à l’exception des
parties recouvertes d’une lame de fer descendant sur le nez, comme il est dit plus
haut.152

Les Postilles amendent les amplifications et les extrapolations apportées par la

tradition orale («!dicunt aliqui!») à l’Écriture, laquelle comme chacun sait, ne mentionne

pas le trajet de la pierre dans le casque du géant. Elles signalent les écarts de la Glose

incompatibles avec le texte de la Vulgate dans le folklore populaire, plus proches de la

fable que de l’exégèse. L’analyse littérale maintient l’explication spirituelle à l’intérieur

de fermes limites, en dehors desquelles se perd le contact entre l’histoire sacrée (ou le

commentaire) et la vérité révélée. Cependant, loin d’éradiquer le folklore biblique en

Occident, ce parti pris exégétique s’avère, par essence, un merveilleux canal de diffu-

sion!: en cherchant à le dénoncer, la Biblia cum glossa et Nicolai de Lyra Postillis es-

quisse discrètement l’existence un David mythique, légendaire, que l’on rencontre dans

certains cycles de Mystères, dans des Cronicques comme celle de Julien Fossetier et

dans d’autres récits en prose, tissu de mythes sur lesquels seul le retour massif et exclu-

sif au sens littéral des Écritures –qu’effectueront, plus tard, les protestants– pourra, un

jour, avoir prise.

152 «!8. Et infixus est lapis un fronte eius !: Dicunt aliqui quod ferrum galeae cessit lapidi miraculosè. Vel
potest dici absque tali miraculo, quod galea sic erat facta quod facies erat discooperta illa parte excepta
qua operiebatur lamina ferrea descendente super nasum, ut dictum est supra.!» Nicolas de Lyre, postille
rapportée dans la Biblia sacra cum glossa ordinaria, op. cit., p. 431.
PREMIERE PARTIE 102

L’enfant et le géant au théâtre

Après ce regard sur la Bible et les mythes, nous avons recherché des œuvres

dramatiques, dialoguées ou non, dans lesquelles les traces d’un folklore vétérotesta-

mentaire ont pu se développer. Deux articles de Christian Cannuyer153 sur le folklore

davidique belge nous ont permis, en prenant toujours pour référence l’épisode de Go-

liath, de mettre en lumière un certain nombre d’ouvrages propices à familiariser les laïcs

avec l’Écriture et, en particulier, avec ses marges. Dans le théâtre destiné au peuple aus-

si bien qu’aux savants, deux pièces ont porté à la connaissance d’assemblées hétérocli-

tes des histoires bibliques!: le Mistère du Vieil Testament et le Bonimée de David et Go-

liath, consacrées en partie ou en totalité au personnage de David et jouées en langue

vernaculaire.

Le Mistère du Vieil Testament

Quarante-neuf mille vers et la totalité de l’Ancien Testament!: telle est l’ampleur

recouverte par l’immense drame cyclique du Mistère du Vieil Testament, véritable mo-

nument de la production de Mystères médiévaux. Rédigé dans sa forme définitive vers

1450154, il est représentée intégralement deux fois, vers 1500 et 1542.

153 Idem, pp. 191-247, et du même auteur,«!Miettes sur la ducasse d’Ath. Notre «!Samedi de la d u-
e
casse!»!: tradition ancienne ou innovation du XIX siècle?!» dans Tradition Wallonne, t. 4, 1987, pp. 79-
93.
154 Le Mistère est une courtepointe de plusieurs pièces de théâtre issues de la plume de différents auteurs.
Cf. l’introduction de James de Rothchild à son éd. du Mistère du Vieil Testament, Paris, Société des An-
PREMIERE PARTIE 103

L’épisode de la rencontre entre David et Goullias occupe les vers 29 838 à 30

096. Comme dans les bibles moralisées, la narration est ponctuée de commentaires

d’ordre typologique ou moral, bien que dans ce cas-ci, l’écrivain anonyme ait davantage

eu dans l’esprit de donner à voir un combat spectaculaire, comportant une mise en scène

adaptée à l’intensité de l’événement et à sa portée dramatique. Il est ainsi probable, si

l’on en croit René Meurant, que la mise en scène eût nécessité, pour figurer Goliath, un

mannequin ou, à tout le moins, une tête postiche155. Tant sur le plan visuel qu’au niveau

du texte lui-même, l’œuvre se rattache à la tradition du ‘texte continué’, elle ajoute à la

narration biblique des traditions parallèles qui l’illustrent, l’expliquent ou la commen-

tent.

Une première originalité permet de mesurer la manière dont le Mistère véhicule

des thèmes présents dans la culture biblique populaire, notamment dans la scène de

l’échange entre le père de David et son fils, avant le départ de ce dernier pour le camp

de Saül. Pour l’auteur du drame, Isay (et non Jessé, comme dans la Vulgate), l’homme

qui envoie David à la cour, est un Ancien, il compte parmi les gens importants du

royaume. Ce conseil qu’il prodigue à son fils montre qu’il possède une certaine pratique

de l’entourage royal, ce que la Vulgate elle-même ne dit pas!:

Isay!:
Il te fault montrer enfant saige
David car es cour des seigneurs

ciens textes français, t. 1, pp. V-VI!: «!Vers le milieu du XVe siècle, [le compilateur] a réuni en corps les
mystères bibliques que l’on représentait de son temps, [… et] s’est borné à les retranscrire tels qu’ils les a
trouvés, en leur laissant l’étendue que les auteurs leur avait primitivement assignée. Il n’a fait que ratta-
cher les épisodes entre eux par queslques vers de sa composition.!»
155 R. Meurant, «!Contribution à l’étude des géants processionnels et de cortège dans le nord de la France,
la Belgique et les Pays-Bas!», dans Arts et Traditions populaires, XV, 2, 1967, pp. 119-60, en particulier
pp. 102-103.
PREMIERE PARTIE 104

Enuye est sur les gouverneurs


Sur chevaliers et escuyers
Mesmement sur les officiers
Conclusion pour faire court
Et pource donne toy bien garde
De ton cas advise et regarde
Tousiours de deux poins le meilleur156

Cette digression, le type même des ajouts à visée moralisatrice de la pièce, véhi-

cule une image de Jessé propre aux cultures grecque et hébraïque. Selon la Septante,

Isahaï, père de David, était à l’époque de Saül un personnage public, il «!s’imposait

parmi les gens célèbres!»157. Dans la littérature rabbinique, Ishaï dirigeait même le tr i-

bunal de Bethléem. «!Ce fut l’une des plus grandes personnalités spirituelles de son

temps!»158, et «!il appartenait à une confrérie de dévots et de savants!» 159. Contrairement

à son fils, dont l’Écriture nous dit qu’il était relégué aux bêtes et aux pâtures, «!Ishaï,

lui, était constamment entouré dans ses déplacements!»160!; il avait une bonne connai s-

sance des milieux proches de la cour et représentait auprès d’elle, les intérêts de

l’establishment religieux. De manière allusive mais néanmoins révélatrice, le Mistère du

Vieil Testament – sans entrer dans le détail de la vie du personnage!– véhicule autour de

Jessé des traits de caractère et d’expérience que ne retiennent pas, dans leur exégèse du

156 Les passages que nous relevons ici proviennent de l’incunable sorti des presses de Pierre le Dru!: le
Mistere du Vieil Testament par personnages ioue a paris hystorie et imprime nouvellement audit lieu
auquel sont contenus les misteres ci apres declairez, Paris, impr. par Pierre le Dru pour Geoffray de Mar-
nef, (s.d.), fol. 196v.
157 Dans la Septante, I Sam. 17, 12. Trad. L. Cohen, op. cit., p. 13.
158 Moussar-ha-néviim [L’éthique des prophètes]. Cité après Cohen, op. cit., p. 14.
159 Rabbi Isaïe de Taranie, cité après Cohen, idem.
160 Radak, après Cohen, ibid.
PREMIERE PARTIE 105

passage, les Pères et les Docteurs de l’Église. Il rapporte, en même temps qu’il les dif-

fuse, des thèmes religieux extérieurs à la théologie chrétienne mais qui progressivement

se mêlent à la culture des spectateurs, au fil des représentations.

Seconde originalité (qui n’en est plus vraiment une, après ce que nous avons dit

des Bibles glosées et de la Bible historiale), l’épisode du combat fait encore état d’un jet

de trois pierres à l’encontre de Goliath!; il marque la préférence de l’auteur pour le fol-

klore et l’histoire sainte plutôt qu’à l’épure et à l’allégeance au canon biblique. Voici

l’extrait en question, marqué par le mélange d’éléments de la liturgie chrétienne

(«!chantera l’en a l’eglise!», écrit l’auteur), de piété populaire (le «!dyable!» participe au

combat) et de fable (marquée par les trois pierres)!:

David!:
Il n’y auta nulz contredis!:
Faict sera comme le devise,
Et chantera l’en a leglise
Que Dieu ne sauve, en substance,
Nul par espée ne par lance,
Car, ainsi qu’il nous apparest,
Toute la bataille a luy est.
Deffens toy!!
Goullias!:
Mais pense à ton cas.
David!: (Il gette.)
Pour le premier cop, tu en as!;
Ton cas est tresmal pratiqué.
Goulias!:
Dyable!! qu’esse qui m’a piqué?
Oncques ne sentis tel doulleur.
David!: (Il gette la seconde.)
Or va, de par nostre Seigneur,
Qui sçait pour qui je fais la guerre!!
PREMIERE PARTIE 106

Goullias!:
Le dyable y ait part à la pierre!!
Elle m’a quasi estourdy.
David!:
Lourt entendement assourdy,
Cuide tu contre Dieu regner?
Encore te vouldray donner
Ce cop, c’est pour ton dernier mès.
(Il chet mort.) (v. 30041-30061)161

La véritable innovation du Mistère réside dans le type de mort prêté à Goliath,

qu’une didascalie («!Il chet mort!») attribue au lancer de la troisième pierre plutôt qu’à

la décapitation du géant par sa propre épée (v. 30061-30065)!; le héros lui coupera cer-

tes la tête, par la suite, en signe de victoire, mais déjà le combat aura pris fin. La valeur

symbolique du jet de pierre l’emporte donc sur l’allégeance sans faille de l’auteur au

récit scripturaire, conformément au type d’écriture associé au genre littéraire de

l’histoire sainte!; le souci d’édification des masses et de vulgarisation de la matière bi-

blique permet certains ajouts ou écarts issus de divers horizons, et dont la succession

permet, dans la culture populaire, la formation de légendes.

Le Bonimée de David et Goliath

En France comme dans les royaumes frontaliers, il y eut sans doute de la fin du

moyen âge au XVIe siècle un grand nombre de jeux-combats entre David et Goliath

destinés à un public laïc et populaire. Des recherches récentes ont notamment fait

161 Op. cit., fol. 198v.


PREMIERE PARTIE 107

connaître une saynète représentée au Puy-en-Velay, les 22, 23 et 24 mai 1575, annoncée

en ces termes dans les mémoires d’un bourgeois du lieu!: «!Audict an 1575, les troys

jours de la Penthecoste, fut jouée l’Histoire de David et Golias, jeant, audevant de

l’eglise, noblesse et habitans de la ville, en grand rejouyssance.!»162. On sait également

qu’une telle création dramatique intitulée Comment David occhist Golias fut jouée à

Mons, en 1470, à l’occasion de la Joyeuse Entrée de Marie de Bourgogne et de Margue-

rite d’York163. Malheureusement, la plupart de ces textes sont aujourd’hui perdus, ce qui

rend difficile l’étude des jeux-combats bibliques dans le folklore ancien. Christian Can-

nuyer fait néanmoins état d’un très ancien jeu athois du titre (picard) de Bonimée de

David et Goliath, confié de génération en génération de bouche à oreille de comédien et

transmis par écrit par Emmanuel Fourdin en 1869164. Il s’agit d’une petite pièce biblique

de 40 vers intégrée aux cortèges processionnels de géants165 et directement héritée des

mystères médiévaux, bonimée que nous nous permettons de reproduire dans son inté-

gralité!:

Goliath!:
Pied d’haut, assuré chien,
Que veux-tu me poursuivre,

162 Mémoires de Jean Burel, bourgois du Puy , publ. Par A. Chassaing, Le Puy-en-Velay, 1875, p. 41.
Nous remercions Christian Cannuyer d’avoir porté à notre attention cette saynète. Le lecteur trouvera une
exposition plus complète des pièces dont il est question dans cette partie dans les deux articles de C. Can-
nuyer cités en bibliographie.
163 A. Lacroix, «!Relation en prose et en vers de la Joyeuse entrée à Mons en 1470 de Marguerite d’York
et de Marie de Bourgogne!», dans Mémoires et publications de la Société des sciences, des arts et des
lettres du Hainaut, Mons, 1841-1842, pp. 117-38.
164 E. Fourdin, «!La Procession et la foire communales d’Ath!», dans Annales du Cercle d’archéologie de
Mons, t. IX, 1868, pp. 63-64, et plus récemment repris par M. Van Herk, Les Géants processionnels
d’Ath, [Mons, 1984], p. 23.
165 Le cortège qui nous intéresse s’appelle communément ‘cortège Gouyasse’, par référence à Goliath.
PREMIERE PARTIE 108

Une pierre à la main?


Es-tu donc las de vivre ?
Jeune sot, petit tamareau,
Tu ne porteras plus
Ton flambeau, no mon bau
Ta tête sera foulée!;
Tes yeux de lion,
Tes oiseaux cajolés
Assurent mes frions.
David
Approche seulement,
Ennemi des Hébreux,
Le mutin affronté!;
Tu jases contre Dieu!!
L’avantage est pour moi!:
J’ai pour escorte,
Un Dieu toujours vainqueur,
Sa main justement forte.
Goliath!:
Quand Dieu tendrait son arc,
Et moi dessur la terre,
Te livré-jou la guerre?
Non pas toi, petit objet.
Quant tu saurais un Dieu,
Avec autant de pages,
Oserais-tu me combattre
Avec tant d’avantages?
David:
Ah!! Blasphème!! tu en serais puni!:
Un Dieu qui se pique,
Couronné de bonheur,
Ne peut rien souffrir
Contre son sang et son honneur.
Ah!! Seigneur!! donnez-moi
La force et la puissance
PREMIERE PARTIE 109

De mon bras
Que j’en tire la vengeance!!
Lançant sa fronde
Il en a le vilain!!
Il est mis en ce lieu!;
Il a sentu la main de Dieu!!
Goliath!:
Je n’en sus point co mort!!166

Le bonimée ainsi que le ‘cortège Gouyasse’ qui l’accompagne furent certaine-

ment l’une des manifestations folkloriques belges les plus appréciés des Athois. Leur

pérennité en témoigne!: ils s’inscrivent dans une très ancienne tradition qui daterait au

moins du XVe siècle et que l’on remémore encore aujourd’hui. La pièce est rejouée

chaque année le dimanche de la ducace (le 4e dimanche d’août) au cours d’une très

curieuse cérémonie, d’origine incertaine, consacrée à un événement unique et sans fon-

dement biblique!: le mariage de Goliath avec Mam’zelle Victoire, une allégorie de la

ville d’Ath, et les festivités célébrant leur union. Ainsi se déroulent la procession du

traditionnel mariâch’Gouyas’ et les réjouissances au cours desquelles est jouée la

saynète!:

À 15 heures, au son de la grosse cloche de Saint-Julien, l’édilité communale es-


corte Goliath, son épouse et le berger David précédés des ‘bleus’, c’est-à-dire
l’ancienne compagnie des canoniers-arquebusiers de Sainte-Marguerite, depuis
l’Hôtel de Ville jusqu’à l’église où le clergé chante les vièp’Gouyas’. Après quoi,
les géants, les bleus et les autorités s’en retournent à l’Hôtel de Ville, devant la
bretèche duquel a lieu le jeu-combat opposant le Philistin au berger biblique, sur un

166 Comme dans l’ Histoire scolastique et la Bible historiale , c’est suite au lancer de trois pierres
qu’expire le géant. Nous retranscrivons cet extrait de la pièce tel que l’a consigné C. Cannuyer dans «!Le
Bonimée…!», op. cit., p.194.
PREMIERE PARTIE 110

texte (le bonimée) remontant probablement, dans sa rédaction actuelle, au milieu


du XVIIe siècle.167

Bien que le texte de la pièce qui nous est parvenue ne soit qu’une mise par écrit

moderne (XVIIe siècle) d’une source (probablement orale) beaucoup plus ancienne168, le

témoignage des archives de la ville d’Ath certifie que la tradition du jeu-combat ainsi

que la procession dans laquelle il s’inscrit remonte au moins à 1487169. Dans cette s e-

conde moitié du XVe siècle, plusieurs jeux bibliques ou mystères inspirés de la légende

dorée sont mentionnés dans les archives d’Ath170. La cérémonie du samedi de la ducace

s’inscrit dans cet imaginaire populaire et religieux qui reste encore, pour une partie, à

documenter!: nous ignorons presque tout de l’ancien déroulement du combat biblique

sinon qu’il s’inscrivait dans le cadre d’une fête religieuse ponctuée par les vêpres et

qu’il nécessitait, de la part de l’acteur, la possession d’une fronde et de trois pierres. De

siècle en siècle, le déroulement de la fête évolue. Des témoignages du XIXe siècle indi-

quent qu’à la suite du jeu-combat, le Magistrat offrait un repas à l’Hôtel de Ville aux

autorités locales, repas dont il est question en détails dans une relation de l’événement

datée de 1810!: pour célébrer l’union des époux, on y dégustait en guise de gâteau de

noces la «!tarte Goliath!», une tarte au fromage d’une recette hétéroclite et imprécise,

167 C. Cannuyer, «!Miettes sur la Ducasse…!», op. cit., p. 80.


168 Cf. Cannuyer, «!Le Bonimée…!», op. cit, p. 246.
169 Archives de la Ville d’Ath, Compte de la mambournie de Saint-Julien, petit œuvre, Noël 1486 ju s-
v
qu’au tel jour 1487, fol. 22 .!: «!A un wanthie pour avoir fait un nouviau getois pour gettter gollias et pour
trois gros estues [i.e. balles] payé ensemble 2 s. 6 d.!». Idem, p. 297, note 12.
170 L’histoire de Daniel (1462), la Nativité (1467), le martyre de saint Étienne, (1467), l’histoire de saint
Jean Baptiste (1487) et celle de Marie-Madeleine (1487). Idem, p. 198, note 14.
PREMIERE PARTIE 111

arrosée de vins et de liqueurs du pays171. Les porteurs de Goliath figuraient alors parmi

les invités – ce qui laisse supposer que le géant accompagnait les autorités civiles au

banquet!– mais nulle mention n’est faite du petit David ni de Madame Goliath dans

cette partie des festivités172. Ce n’est qu’une trentaine d’années plus tard que le combat

de l’enfant contre le géant attire les commentaires (plutôt désobligeants) de la critique!;

le texte est devenu «!inintelligible!» et le combat, un simple épisode de la fête en

l’honneur de la cité. L’union de Goliath et de Mam’zelle Victoire demeure le cœur de la

cérémonie, la raison d’être de perpétuer la traditionnelle réjouissance173.

Nous n’avons trouvé aucun écho, dans les histoires saintes chrétiennes, juives et

musulmanes, d’un mariage de Goliath!; ses racines véritables sont encore tout entières à

éclaircir. La présence de Madame Goliath dans les fêtes de la ducace des XVe et XVIe

siècle est peu probable, nous ne nous étendrons donc pas sur le sujet174. En revanche, la

symbolique du jeu-combat où le géant (et non David) apparaît comme le personnage

171 Pour un délicieux développement sur ladite recette, cf. Cannuyer, «!Miettes…!», op. cit ., p. 89, note
55.
172 Il en va de même pour cette description de la fête dans La Gazette d’Ath !» no 46, 25 août 1844!: «!En
ces temps-là, les cœurs s’épanouissaient à l’approche de la kermesse!: les fiançailles du Géant Goliath se
renouvelaient le samedi, au bruit des fanfares et des détonations de nos arquebusiers au costume martial.
Après l ‘office des vêpres, le Mayeur, ses échevins et le clergé reconduisaient à la Mairie les géants fian-
cés. Là, la tarte Goliath, arrosée de vins exquis, était offerte aux diverses autorités!; c’était l’ouverture de
la fête, ouverture simple et cordiale où les magistrats de la grande famille athoise avaient plaisir à porter
des toasts à l’heureuse union des enfants d’Ath, au bonheur de la commune cité…!»
173 Un autre article de 1842 (l’ Écho de la Dendre , no 167, 2 e année, 1 er août 1842) fait état du jeu-combat
en ces termes!: «!Samedi, à 2 h., a été joué le prologue de la pièce. Les fiançailles de Goliath, scène inté-
ressante qui débute par des vêpres, se complique dans un dialogue pathétique et peu intelligible, et se
dénoue par une tarte au fromage!; nous vous signalons que le dénouement est du meilleur goût… mais il
faut beaucoup de beurre. Pour rendre l’effet saisissant, on tire nombre de coups de fusils, avant, pendant
et après la cérémonie et, pour perfectionnement, on avait joint cette année un canon qui, du haut de la tour
St-Julien, répondait aux salves des arquebusiers. C’était parfait.!»
174 C. Cannuyer, «!Miettes…!», op. cit.,p. 92.
PREMIERE PARTIE 112

principal (ne parle-t-on pas d’un ‘cortège Gouyasse’?) est ancienne et avérée!: comme la

plupart des Mystères médiévaux, elle investit une dimension typologique qui lui donne

tout son sens. Selon Christian Cannuyer175, l’insistance à mettre au premier plan le

géant s’éclaire dans la mesure où on ne le dissocie pas de David, figure et ancêtre du

Christ. Ce serait donc moins le gigantisme de Goliath que la relation typologique avec

le Messie qui motiverait sa position privilégiée dans le folklore hennuyer, où il symboli-

serait, indirectement, le combat de Dieu pour les hommes!: l’irruption du colosse évo-

que celle du berger, elle-même figure du Christ venu délivrer les âmes des limbes. Cette

interprétation du géant signe de la puissance divine est tout à fait plausible!; elle rend

d’ailleurs plus recevable ses fiançailles avec la Ville d’Ath, personnifiée par Mam’zelle

Victoire. bien que la typologie biblique permette également d’appréhender autrement la

sémiotique du personnage gigantesque.

Depuis les Pères de l’Église, l’opposition de forces inégales dans la vallée du

Térébinthe évoque le combat, tout aussi inégal, du Christ contre le Malin176!; et l’on sait

également, Delumeau l’a montré, que le diable déchaîné mais vaincu occupait une place

prépondérante dans la mentalité médiévale et ses manifestations sociales et religieu-

ses177. Plutôt qu’une allusion directe à la puissance de Dieu, ne serait-il alors pas poss i-

ble de voir dans le héros du bonimée une impressionnante allégorie du Mal vaincu par

la foi, l’illustration simple mais importante de l’issue d’un combat eschatologique?

175 Idem., pp. 85-86.


176 Cf. Hippolyte de Rome, De David et Goliath . Traduction française de Solange Bouquet dans [A. -G.
Hermann et S. Bouquet], Les Figures bibliques, Desclée de Brouwer, 1984, pp. 223-236, et Augustin, De
Golia et David, et de contemptu mundi, (sermon XXXII sur le psaume 143). Édition bilingue de [MM.
Peronne. Vincent, Écalle et Charpentier], Œuvres complètes de Saint Augustin, Paris, L. Vivès, 1876.
Tome 16, pp. 147-62.
177 Jean Delumeau, La Peur en Occident!: XIVe-XVIIIe siècles, Paris, Hachette, 1985.
PREMIERE PARTIE 113

Dans le Bonimée, les répliques du Philistin visent justement, pour l’essentiel, à in-

culquer cette illusion d’invincibilité du Mal sur le Bien («!es-tu donc las de vivre?!», v.

4!; «!Quand tu saurais un Dieu, … oserais-tu me combattre?!», v. 24-26, et après le jet

de pierre, «!Je n’en sus point co mort!!!», v. 40), laquelle aboutit bien sûr à la défaite de

l’Ennemi. Le revers essuyé par Goliath pourrait remplir la fonction de rassurer

l’humanité sur le Malin sous toutes ses formes (guerres, épidémies, tentations, mort), et

illustrer la promesse de Dieu à ses élus!: celle que le vice ne triomphera pas du monde

mais laissera la place, un jour, à une humanité sauvée. Bien sûr, cette lecture et celle

qu’en fait Cannuyer ne s’excluent pas l’une l’autre, elles se complètent. Il faudrait creu-

ser la question, mais cette façon de penser le Philistin non pas comme un signe positif

du divin, mais comme l’envers du «!christotype!», l’image du Mal terrassé, lui confère

une dimension spirituelle qui justifie sa place dans une procession au sein de laquelle il

n’apparaît pas seulement comme un élément folklorique, mais comme le vecteur d’un

didactisme religieux dominant. Envisagé sous cet angle, l’union carnavalesque de

Mam’zelle Victoire, une David au féminin, avec ce géant qu’on devine déjà dominé par

sa femme trouve bien sa place dans un défilé populaire, à la rencontre d sacré et du pro-

fane, où le rire et la dérision sont à l’honneur. Elle rappelle les géants de Rabelais, eux-

mêmes issus du folklore, qui alliaient la profondeur de la pensée à un support comique

et à la dérision.

Par la médiation d’une œuvre populaire telle que le Bonimée, les laïcs sont ainsi

mis en contact avec un univers religieux plus ou moins fidèle à l’orthodoxie biblique!:

un univers qui fournit des récits et alimente un folklore, parfois bien éloigné du canon

scripturaire (c’est le cas du mariage de Goliath) mais qui appelle aussi la médiation

d’une interprétation. Travail de retour aux sources qu’il faudrait encore mener plus
PREMIERE PARTIE 114

avant, par une sorte d’enquête archéologique et historique des sources à l’origine des

légendes qui gravitent autour des Écritures.

D’autres canaux de diffusion grâce auxquels circule encore un peu de la culture

biblique populaire nécessitent également la même entreprise!de fouilles!: il s’agit de la

littérature profane en langue vernaculaire, où l’on croise parfois des mythes sur le saint

roi d’Israël nous transportant de plain-pied dans la légende.


PREMIERE PARTIE 115

Un autre texte en prose, les Hardiesses de Pierre Sala

Faute d’un répertoire thématique consacré à l’imaginaire biblique dans les œu-

vres en prose de Moyen Âge et de la Renaissance, il est encore assez difficile de se faire

une idée juste de la survivance et de l’imprégnation de mythes bibliques dans la culture

des écrivains de l’ancien Régime. Bien sûr, les histoires saintes en tant que telles, entiè-

rement consacrées à tel ou tel épisode de l’Écriture et identifiables par leur titre, restent

assez simples à repérer!; autour de David (comme on l’a vu), elles concernent principa-

lement le théâtre mais peu la littérature en prose. Non que celle-ci soit dépourvue

d’allusion au folklore biblique!: certains ouvrages, croisés çà et là dans les bibliothèques

royales souvent destinés à un public restreint, enchâssent volontiers dans des récits

courtois des épisodes de l’histoire de David parfois sans équivalent dans le livre des

Rois!; ils sont simplement difficiles à localiser, l’intitulé des ouvrages et leur description

dans les catalogues n’indiquant que rarement – et pour cause!– la nature des allusions

bibliques disséminées dans chacun. On trouve pourtant les traces d’un véritable folklore

biblique dans un recueil (resté manuscrit) tel que les Hardiesses de plusieurs roys et

empereurs de Pierre Sala, mélange de récits et de légendes aussi bien issus des chroni-

ques historiques que des romans de chevalerie, qui couvrent un certain nombre de hauts-

faits allant de David contre Goliath à la riposte de François Ier contre l’attaque d’un san-

glier178.

178 Pierre Sala, Les Prouesses [ou Hardiesses] de plusieurs roys, dédiées au roy François Ier , BNF Ms.
fr. 10 420. Microfilm 476. Pierre Servet, éditeur du Chevalier au lion de Sala, signale l’existence de deux
manuscrits des Hardiesses!: «!Les Hardiesses de plusieurs roys et empereurs (B.N., ms. fr. 584). Ouvrage
connu par un second manuscrit sous le titre!: Les Prouesses de plusieurs roys (B.N., ms. fr. 10420) Les
Hardiesses sont un manuscrit de 92 feuillets au format in-fol., dont la décoration n’a pas été achevée!;
PREMIERE PARTIE 116

Figure exemplaire du pré humanisme lyonnais du tournant du XVe siècle, Sala

accomplit une carrière de courtisan au service de Charles VIII et de Louis XII. S’étant

retiré à la fin de sa vie dans sa ville natale, il se fit construire entre 1512 et 1514 une

somptueuse demeure dénommée l’Anticaille sur une vigne de la colline de Fourvière!;

c’est dans ce logis propice au calme, au souvenir et à l’écriture qu’il rédige ses Hardies-

ses, dont l’action se déroule dans sa retraite champêtre.

Dans son introduction, l’auteur feint de voir sur son chemin, un petit matin de

mai, trois demoiselles accompagnées «!seulement de leur femmes!» (fol. 3r), qu’il re-

connaît aussitôt comme ses parentes. Sortant à leur rencontre il les invite à dîner, une

offre qu’elles acceptent pour le soir même, à leur retour de promenade. La fin du jour

venue, les dames dînent joyeusement puis passent ensuite à la bibliothèque, «!ou il y

avoit des livres largement, / Dont lune va choisir premierement […] le volume.!» (fol.

3v) Il s’agit d’un livre intitulé Des Rois, lequel occupe aussitôt le centre de la conversa-

tion. Pour distraire ces dames, un peu à la manière de Boccace, l’auteur propose à cha-

cune de faire, à tour de rôle, le récit d’une prouesse d’un personnage célèbre (notam-

ment Alexandre le Grand, Clotaire, Pépin, saint Louis, et les rois jusqu’à François Ier),

puis de décider ensemble lequel d’entre eux s’est montré le plus vaillant. La séquence

commence par une exposition de trois prouesses de David, «!Car plus hardy de luy [sic]

seules deux miniatures ont vu le jour, pour les exploits de David et pour ceux d’Alexandre!; les initiales
ornées n’ont été réalisées que jusqu’à la moitié du livre. Les Hardiesses s’achèvent par l’épisode où Fran-
çois Ier combat contre un sanglier. Le manuscrit des Prouesses comprend 144 feuillets avec une miniature
représentant l’auteur en train d’offrir son livre au roi dans les jardins de l’Antiquaille. Les deux manus-
crits débutent par une épître dédicatoire en vers à François Ier, tandis que le reste du texte est essentielle-
ment écrit en prose. S’il faut en croire ces épîtres, le livre a été composé parce que Sala, déjà vieux, ne
pouvait plus servir physiquement son roi. Les épisodes racontés vont de la lutte de David contre Goliath
au combat du roi régnant contre un sanglier.!»!Cf. Pierre Servet, intro. au Chevalier au lion de Pierre Sala,
Paris, Champion, 1996, p. 13.
PREMIERE PARTIE 117

homme ne vit.!» (fol. 8v)!: la lutte du berger assailli par un ours, le combat du Térébinthe

et le vol de l’épée de Saül, contés et dramatisés avec force détails sur le modèle de

l’histoire sainte179. À ces exploits, l’auteur ajoute une curieuse prophétie de Merlin

l’enchanteur (« ung compte!», selon l’expression de Sala180) au sujet d’une couronne

ornée de quatre pierres précieuses que portera l’Antéchrist à sa venue sur terre. Cette

dernière, la plus révélatrice de la survivance d’un folklore populaire autour de David,

raconte comment une pierre incrustée dans le heaume que Goliath portait lors du duel

fatal tombera entre les mains du Malin aux derniers jours du monde.

En voici l’étonnant récit, que nous reproduisons dans son intégralité!:

§ A lheure ie reprins mes parolles et leur dis. Mes demoiselles il mest prins envie
avant de commancer la tierce hardiesse que vous demandez [… d’évoquer] ung
compte venant au propoz de notre matiere que iay leu es propheties de Merlin qui
dit ainsy. […]

179 Les trois prouesses de David sont une dramatisation de la matière biblique, inspirée d’une part de la
Bible historiale et d’autre part d’histoires saintes basées sur l’Écriture, sur le modèle des Antiquités
pseudo-philoniennes. Voici, à titre d’exemple, la hardiesse de David aux prises avec l’ours, riche en dé-
tails extra-scipturaires: «!Advint une iournee ainsi quil sen alloit esbatant de lieu en aultre, il ouyt le cry
de lung de ses pastoreaulx / qui fort se gementoit en demandant ayde [:] David regarde celle part. Voyt
ung grant ours yssu de la forest prochain, lequel avoit une brebis troussee et lemportoit. § Le gentil david
qui ne voult laisser la pauvre brebis en ce dangier se meit a courrir apres. Et si bien se hasta quil atteignit
lours, au quel il donna sur la teste dung petit baston quil tenoit en sa main. § Lours courousse et despit de
ce coup, lache sa prinse et vient furieusement sus david en soy eslevant pour le cuyder embrasser et mor-
dre!: mais le gentil david plain de cueur et de force selon sa ieunesse va empoigner lours dune main par
soubz la machoire, et de l’aultre main luy arrappa [sic] le museau, et tellement luy serra la gorge et si
longuement et fermement le tint en cest estat!: qui en convint a lours perdre son allayne et tomber mort
par terre, tout suffocque et esteinct. !» (fol. 9r et 9v)
Sala amplifie considérablement le récit de cet épisode, un peu à la manière de Guyart Des Moulins, op.
cit., fol. 112r
180 Fol. 13r
PREMIERE PARTIE 118

§ Merlin dit que Antecrist viendra jusques sur le fleuve iordain et amenera avec-
ques luy tous les plus sages et expers lapidaires et orfevres que lon sache. Et leur
dira telles parolles. Maistres, vous scavez comme ie vous ay commandé a me faire
la plus riche coronne de tout le monde, et ne entens de y faire enchasser fors quatre
pierres precieuses tant seullement, dont vous avez desia les trois. Icy dedans se
fleuve est la quarte qui vault mieulx que les autres trois.

§ Lors commandera a estre mis ung rez en leaue si en sera tire ung pois-
son dedans lequel sera trouve la riche pierre dont les lapidaires seront fort esmer-
veillez, pour ce que ilz la verront si vertueuse et de si hault pris. / Et pour venir
maintenant a mon propoz!: ie vous advise que celle pierre dont est question, ainsi
que dit Merlin, estoit posee sus le heaulme de Golias par la vertu de la quelle il
gouvernoit et veoit [sic] son ost de nuyt comme de iour, pour la grant clarté et res-
plandisseur que delle yssoit.

§ Mais quant david leut abbatu et arrache son heaulme et gette au loing comme ie
vous ay desia dit. Se pendant quil entendoit a luy coupper la teste lescuyer [de Go-
liath] print ledict heaulme, et sen fuyt iusques sus le fleuve de Jordain ou il trouva
une petite barquete a la ryve, si entra dedans pour passer le fleuve!: mais avant, eut
il tiree du heaulme icelle riche pierre. § Et quant il fut pres de laultre bort il se
voulut haster de saillir en terre tant pour le doubte quil avoit destre suyvy que pour
la convoitise de la pierre, si se empeignit si fort que la nacelle qui foible estoit fon-
dit dessoubz ses piedz dont il chut en leaue. Mais il se print à ung arbre, pour quoi
il fut contrainct de lascher la pierre de la main, dont il eut si grant dueil quant il la
vit tombee au parfont de leaue, que il mesme, comme desespéré, / se gecta apres
pour la cuyder reprendre, dont il fut noyé. Or vous ai-je voulu faire ce compte pour
vous donner à entendre que Golias qui ung precieulx escarboucle portoit sur son
heaulme estoit grant seigneur sur les Philistiens. § Et ce que David en luy arrachant
son heaulme le gecta ainsi loin de luy signifie que la bataille quil avoit faicte contre
le geant nestoit pour nulle convoitise davarice!: mais seullement pour la gloire de
Dieu.» (13r -14v)

Cette histoire de pierre précieuse nous transporte en plein mythe, dans l’univers

prophétique et eschatologique enchâssé dans la littérature arthurienne!: elle fait réfé-


PREMIERE PARTIE 119

rence à une vision prémonitoire du vieux sage consignée dans Livre de Merlin avec les

propheties, un recueil d’histoires de chevalerie dont une première édition française

paraît à Paris chez Antoine Vérard en 1498181. L’origine de ce recueil remonte aux Pro-

phéties de Merlin, une suite de pronostications écrites en 1276 sous le pseudonyme de

Maître Richard d’Irlande!; derrière l’identité de cet Irlandais se cachait en réalité un

franciscain (anonyme) de Venise, prophète et visionnaire, qui soutenait à travers les

aventures de son héros à la fois la cause des guelfes et l’idéal de vie chrétienne et spiri-

tuelle des franciscains. En France, le personnage de Merlin devient célèbre dans la litté-

rature courtoise grâce à Robert de Boron, lequel reprend des passages de Maître Richard

dans un ouvrage intitulé Merlin!; il y poursuit le récit du Graal, mêlant à la chronique de

la fondation de la Table ronde quelques récits prophétiques de son prédécesseur véni-

tien, en particulier ceux ayant trait à l’intervention de démons182.

Un regard comparatif jeté au texte de Pierre Sala et à la prophétie eschatologique

consignée dans le roman de Merlin confirme la nette dépendance du premier envers le

second, la digression sur Goliath n’étant qu’une minutieuse paraphrase des chapitres

207 et 208 du Merlin de Robert de Boron. L’unique ajout de Pierre Sala, qu’on ne sau-

181 La première édition française de l’ouvrage, imprimée en 1498, donne le ton aux éditions suivantes du
e
XVI siècle, qui ne diffèrent pas de la première quant au texte. Il existe également deux manuscrits ita-
liens du XVe siècle et une édition princeps italienne de 1480, réimprimée une fois au XVe et plusieurs fois
au XVIe siècles. De nombreux manuscrits des Prophecies de Merlin circulaient également à la fin du
Moyen-Âge. Nous ensuivrons l’édition critique de Lucy Allen Paton du manuscrit de Rennes (Les Pro-
phecies de Merlin, ms. 593 de la Bibliothèque municipale de Rennes, ouvrage publié pour la MLA of
America, London, Oxford U.P., 1926, 2 tomes), ouvrage recensé dans l’inventaire des bibliothèques de
Charles V et Charles VI établi par Léopold Delisle. Le recensement exhaustif des manuscrits et des édi-
tions des Prophéties a été entrepris par L. A. Paton, op. cit., t. 1, pp. 1-56.
182 Cf. Dictionnaire des lettres françaises. Le Moyen-Âge , Paris, Fayard, 1964, article «!Merlin!», pp.
1008-1010.
PREMIERE PARTIE 120

rait cependant qualifier d’original et de personnel tant il rappelle les commentaires pa-

tristiques et médiévaux sur le sens moral de la victoire de David sur Goliath, réside dans

l’enseignement dégagé de la légende de la pierre précieuse trouvée au fond du Jour-

dain!: le conte illustrerait l’absence d’orgueil et d’avarice chez David, dont le mépris

pour le joyau n’aurait d’égal que son amour pour Dieu. Ainsi donc raconte Merlin au

sujet de «!La pierre qui estoit fichiee desus le heaume du gaiant Geulias!» (titre du ch.

208), source évidente et reconnue de la seconde moitié de la «!prophétie!» de Sala183!:

En ceste charte que Meliadus aporta au Sage Clerc tesmoingne Merlin que a celui
tens que Geulias, li grant gaiant, avoit une pierre fichiee desus son heaume, qui
estoit si vertueuse que au droit mie nuit, quant il portoit son heaume sus sa teste ou
celle pierre estoit, que il gouvernoit sa gent et ca et la comme si par cler jour. Et sa-
chies, fet Merlin, que a celui tens n’estoit nus si grant joiant que Goulias ne fust
graingner de lui pie et demie. Mes lors quant David le feri de la pierre dont il
[l’]occist, son escuier qui a celui point estoit avecques Goulias, quant il vit mort
son saigneur il li esracha li heaume forz de la teste et s’en ala fuiant. Et tant foui

183 Le passage des Hardiesses correspondant à la légende de la couronne de l’Antéchrist occupe le chap i-
tre 207 des Prophécies de Merlin. Nous le reproduisons en note en raison du lien bien indirect qu’il en-
tretient avec notre véritable propos, consacré à David!:
«!D’un ennemy qui s’en yra au font de l’eaue pour prendre la pierre.
La quarte pierre sera du flun Jourain, dont li Dragons meismes s’en ira cele part, et quant il sera ve[n]us
desus celui flun la droitement ou la pierre sera, il dira as mestres lapidierres que il aura menes avecques
lui, Seigneurs, se je vous doing une quarte pierre aussi vertueuse comme sont celes trois, sera ma coronne
plus riche? Et il responnent oil. Celui qui sans grant compaignie d’anemis ne sera mie ne pres ne loing, et
qui dedens son cors en aura a grant plente, commandera a un des anemis que maintenant prengne la figure
d’un poisson et s’en aille desous l’eve et prengne la pierre. Celui poisson anemi s’en ira erraument desous
l’eve el fons et fera le commandement de celui a cui il sera obeissant. Et lors fera venir li Dragon[s] de
Babilloinne une rois et geter en l’eve dont il traira li poissons a seche terre. Et quant il sera a terre, il
commandera que l’en li cherce les bruielles.
Que vous diroi-je? Il sera fet selonc son commandement, dont il trouvera la pierre aussi vraiement comme
les autres, dont li lapidierres et li autres pueple[s] qui avecques lui sera, tendront ceste chose a grant mer-
veille. Et se savoir voules comment celle pierre fut getee ou flun de Jourdain, je le vous conterai selonc
les prophecies de Merlin.!» [Lucy Allen Paton], op. cit., t. 1, ch. 207, pp. 249-50
PREMIERE PARTIE 121

[que il vint] desus le flun(s) Jordain(s). Lors trouva a la rive une petite barge. Il en-
tra ens pour passer le flun(s). Mes quant osta il la pierre du heaume, et quant il fu a
l’autre rive venus, et il vont issir a terre seche, la barge(s) qui mout estoit petite
fondi sous lui et dessous ses pies, dont l’escuier jeta ses .ii. mains et se prist a un
arbre, et au monter que il fist li chai la pierre en l’eve, dont il fut durement courou-
cies, que onques puis ne se parti d’illecques, ains mourut desous le flun Jourdain,
ainssint comme je vous ai conte, ce dit li contes, et si comme li Sages Clers lisoit
en la charte, ce que Merlins avoit mande.184

Même si Sala fait remonter à Robert de Boron sa digression prophétique sur la

pierre précieuse du Philistin, il nous semble peu probable que l’origine première de cette

histoire soit le fruit de l’invention du créateur de Merlin. Il est peu probable qu’un tel

écart par rapport à l’Écriture provienne directement de l’exégèse des Pères, les com-

mentateurs chrétiens ne s’aventurant jamais à la créer de toutes pièces des légendes bi-

bliques. En revanche, la culture chrétienne hérite, on le sait, de la tradition juive. Or de

nombreuses fables, contes, aphorismes, apologues, contes fantastiques qui font partie du

patrimoine hébraïque s’apparentent tant par leur forme que par leur visée didactique à la

prophétie de Merlin!: ces légendes rabbiniques, dont la fonction était de mettre en lu-

mière, par l’artifice d’une belle histoire, des aspects plus ou moins obscurs de l’Écriture,

ont certainement pu servir de source et de modèle à Richard d’Irlande. La présence de

l’Antéchrist dans une légende sur David suggère cet amalgame entre le récit de Pierre

Sala et des sources rabbiniques!: le messianisme juif voit en effet dans le successeur de

David l’ultime vainqueur des forces du mal, contrairement aux chrétiens, dont les

conceptions eschatologiques valorisent davantage l’opposition Jésus-Christ/Antéchrist

que celle David/Antéchrist. Par ailleurs, le seul texte qui développe, à notre connais-

184 Idem, p. 250.


PREMIERE PARTIE 122

sance, le thème d’une pierre précieuse dans la carrière de David vient des Antiquités

juives. Flavius mentionne en effet, au chapitre de la guerre des Hébreux contre les Am-

monites, l’existence d’une pierre précieuse et mythique, la sardonyx, fichée non sur un

heaume, mais sur la couronne du roi de Rabah185. À la chute du royaume des Ammon i-

tes, explique l’historien, David s’empare du joyau et fait de la couronne de son ennemi

l’attribut distinctif de sa qualité royale. Le livre de Samuel nourrit ce récit!: vainqueur

du roi Milkom, le chef d’Israël retire de la tête de son opposant «!la couronne qui pesoit

un talent d’or ainsi qu’une pierre précieuse!», que la Bible n’identifie pas (II Sam. 12,

30). La légendaire sardonyx de Milkom, brillante comme le soleil, est bel et bien deve-

nue, dans la prophétie de Merlin, la pierre d’un autre adversaire du roi messianique,

Goliath. Le transfert du roi Ammonite à Goliath puis de Goliath à l’Antéchrist, tous

ennemis d’une figure du Sauveur, était facile, surtout pour des savants rompus à la mise

en forme de légendes bibliques comme l’étaient jadis les rabbins. Nous suggérons

qu’une source juive a donné naissance à la légende que nous rapporte Pierre Sala et qui

couronne d’une sardonyx, cette agate blanche et orangée, le prince des ténèbres.

Autour de David musicien

Bien sûr, la célèbre histoire du combat de David contre Goliath n’a pas le mono-

pole des légendes bibliques qui circulent chez les auteurs chrétiens du XVIe siècle. Au-

tour du psalmiste et du musicien circulent également des histoires qui plongent leurs

racines dans l’antiquité juive. Un ouvrage ambitieux de Guillaume Telin visant à faire la

185 Ant., livre 7, ch. 8, par. 161.


PREMIERE PARTIE 123

somme des connaissances de son temps rapporte, au chapitre sur La Loenge de musique,

une légende sur l’inspiration dont bénéficiait David lors de la rédaction du psautier!:

Cela appert au livre des Thalmistes, si verite est en cela trouvee, qui disent que
quant David se couchoit au soir, il mettoit pres de luy sa harpe pendant à un croc
pres de la fenestre, sperant et attendant le matin pour achever ses pseaulmes com-
mencez, affin que quant le vent sentiroit frapper sur ses cordes, il congneust laspi-
ration du sainct esperit et la descente de son armonye, qui luy favorisoit en toute la
composition de son psaultier186.

Il ressort clairement de cet extrait qu’un certain nombre de commentaires talmu-

diques («!thalamiques!», dirait Telin) constitue une autre source à laquelle puisent des

humanistes de la Renaissance. En ce qui a trait à cette légende, un passage des Antiqui-

tés bibliques du pseudo-Philon lie la composition des psaumes à la tombée du jour.

Cette source fait état d’une fable selon laquelle David aurait composé et joué la plus

grand nombre de ses psaumes pour exorciser les angoisses nocturnes de Saül. Le psal-

miste écrit et joue de la cithare au milieu de la nuit et ce sont ces arpèges qui aident le

roi en titre à retrouver une bribe de sens dans le réel!:

En ce temps-là, l’esprit du Seigneur fut enlevé de Saül et l’esprit mauvais


l’étouffait. Saül envoya chercher David, et, la nuit, il exécutait un psaume sur la
cithare. Voici le psaume qu’il exécutait pour Saül, afin que l’esprit méchant
s’éloignât de lui!: «!Ténèbres et silence il y avait, avant que le monde fût. / Mais le
silence devint parole et les ténèbres clarté. / Alors ton nom a été prononcé lors de

186 Guillaume Telin, Bref sommaire des sept vertus, sept ars liberaulx, sept ars de poesie, sept ars m e-
chaniques, des philozophies, des quinze ars magiques. La louenge de musique. Plusieurs bonnes raisons
a confondre les Juifz qui nyent ladvenement nostre seigneur Jesuchrist. Les dictz et bonnes sentences des
philosophes!: Avec les noms des premiers inventeurs de toutes choses admirables et dignes de scavoir,
Paris, Galliot du Pré, 1538, fol.74r
PREMIERE PARTIE 124

l’agencement de l’espace. / L’En-Haut fut appelé ciel et l’En-bas désigna la


terre.187

Le psaume de la Création rapportée par le pseudo-Philon est sans équivalent dans

l’Ancien Testament. Il en va de même pour la légende de David déchirant le silence de

la nuit avec ses instruments188. Le pseudo-Philon l’emprunte aux temps reculés du j u-

daïsme babylonien, où différents récits faisant de David un musicien illuminé – en par-

ticulier de nuit!– s’étaient imposés dans la mémoire collective juive. Selon certaines,

l’Élu consacrait tellement de temps à étudier la Bible et à mettre ses prières en musique

qu’il se satisfaisait volontiers, chaque jour, de soixante secondes de sommeil seule-

ment189. Une autre version de l’histoire raconte que sur le coup de minuit, les cordes de

sa harpe, fabriquées avec les nerfs du bélier qu’Abraham aurait sacrifié à Yahvé à la

place de son fils Isaac sur une montagne de Moriyya (Gn. 22, 1-19), se mettaient à vi-

brer toutes seules!; David alors se réveillait et se mettait à étudier la Torah190. Dans le

court passage des Antiquités bibliques auquel fait allusion Guillaume Telin, c’est une

très ancienne légende talmudique, emblématique de la représentation mystico-musicale

de David qui a traversé les siècles et les cultures, qui est évoquée!: dans les ténèbres de

la nuit, lorsque le doute et les angoisses torturaient l’âme de Saül, l’instrument à dix

cordes réveillait David et l’avertissait de la détresse du roi. Alors David se levait et ins-

187 LAB 60, 1-2.


188 On lit au psaume 77 (76), v. 6, dans les traductions basées sur la Septante et la Bible syrienne, que
David «!murmure dans la nuit en mon cœur!». La Torah écrit!: «!je me souviens de ma musique!». Il n’est
pas question d’exécution musicale aux heures nocturnes. Cf. La Bible de Jérusalem, op. cit., p. 956, note
f.
189 The Jewish Encyclopedia, op. cit., p. 455.
190 Idem.
PREMIERE PARTIE 125

piré par l’Esprit, il méditait l’Écriture et mettait en musique ses réflexions sous la forme

de prières et de psaumes, jusqu’au lever du jour!:

Comment David savait-il qu’il était minuit? David avait un signal, selon ce que R.
Hana b. Bizna a dit au nom de R. Siméon le Pieux!: une harpe était suspendue au-
dessus de son lit, et, à minuit exactement, un vent du nord venait souffler sur
l’instrument et le faisait vibrer. Aussitôt David se levait pour s’atteler à l’étude de
la Torah jusqu’à l’aube. […] Et c’est par l’action secrète de son étude d’après-
minuit que David suscitait l’éveil de l’aube191.

Une certaine culture juive a bel et bien déteint sur un nombre non négligeable de

poètes chrétiens de la Renaissance comme Pierre Telin et Pierre Sala!: elles permettent

l’irruption dans la littérature d’un personnage certes biblique et sacré, mais également le

héros de fables dont l’origine dépasse largement les limites de la culture chrétienne. Les

sources qui mènent à l’élaboration du David des poètes sont plus variées qu’il n’y para-

ît, elles relèvent de la Bible et de ses commentaires autant que des Histoires saintes,

chrétiennes ou juives.

L’histoire sainte pratiquée par plusieurs poètes du début de la Renaissance trace un portrait de David non

seulement sacré et hiératique, tributaire de la lettre de la révélation biblique, mais aussi doté de facettes

populaires qui remontent à la littérature intertestamentaire. Non seulement l’aspect prestigieux et magna-

nime du David de la Bible trouve-t-il une bonne place dans les œuvres qui lui sont consacrées, mais on

n’hésite pas à embellir son image par des ajouts parfois extra-canoniques visant à rehausser sa grandeur,

que ce soit par l’ajout de fables ou par une insistance sur sa dimension messianique. Avant l’avènement

de la Réforme, il semble bien qu’on fait appel à des sources hybrides, aussi diverses que l’Ancien Testa-

ment, les Pères, Flavius Josèphe et le pseudo-Philon pour faire du personnage biblique une figure lé-

gendaire. Même si le monarque se pare dans certaines occasions d’ornements sans fon-

191 Extrait du Talmud rapporté et traduit par L. Cohen, op. cit., p. 39.
PREMIERE PARTIE 126

dement scripturaire, la diffusion des ouvrages qui le présentent ainsi n’est pas compromise. Bien plus,

les poètes trouvent dans cette variété de visages une richesse attrayante.

La Bible, devenue livre, puis livres, ancrée dans l’Histoire, puis sujet de belles

histoires, fournit aux hommes de lettres les bases d’une culture sacrée. Le folklore reli-

gieux, à l’époque de Charles VIII, perpétue cette souplesse qui concilie Écritures et

mythes!: le mythe du roi de France comme nouveau David, chef de Croisade monté

contre les infidèles, y puisera le thème du jeune roi appelé à défendre l’Église contre les

usurpateurs et les hérétiques. Dans le cercle de la cour, l’exemple de David nourrira de

grands rêves politiques.


DEUXIÈME PARTIE

DAVID DANS LES PROPHÉTIES AU TEMPS DE CHARLES VIII


DEUXIEME PARTIE 128

Chapitre I!: Prophéties françaises

Au printemps de 1494, Charles VIII prend le titre de roi de France, de Sicile et de Jéru-

salem, rapatriant à la couronne de France l’héritage du roi René d’Anjou. Héritage bien

symbolique, car l’emprise du roi chrétien sur le berceau de la Chrétienté et sur la Sicile

relève alors de la fiction!: Jérusalem avait été perdue depuis longtemps aux mains des

musulmans et l’Empire chrétien d’Orient s’était effondré sous les coups des Turcs. De

même, le royaume napolitain continuait de porter le nom de royaume de Sicile bien que,

depuis l’émeute des «!Vêpres siciliennes!» en 1282, l’île fût tombée aux mains du roi

d’Aragon, Pierre III, puis à sa dynastie. Par conséquent, les quartiers de noblesse dévo-

lus à Charles évoquaient une réalité juridique sans application immédiate dans la sphère

politique!; elle nourrissait un puissant imaginaire, un rêve de conquête que la thémati-

que biblique déployée à cette occasion allait abondamment illustrer. La croix potencée

en Terre sainte proclamait le devoir prioritaire du souverain de s’approprier l’ancien

royaume de Jérusalem dont il était titulaire, de délivrer les lieux saints de l’emprise des

Turcs, enfin de rendre à la nation très-chrétienne la patrie du Christ, la source de sa foi.

Dans le climat d’attente messianique marquant le règne de Charles VIII, entrete-

nu par divers textes circulant lors de l’expédition italienne de part et d’autre des Alpes,

l’histoire de David fit tout au long du périple l’objet d’étonnantes récupérations idéolo-

giques, et ce en quantité importante!: les chroniqueurs voyant en Charles l’Empereur des

derniers jours (et donc un précurseur de l’Apocalypse), on chercha encore dans le livre
DEUXIEME PARTIE 129

des Rois et dans les Psaumes, mais aussi dans la culture populaire1, des correspondances

prophétiques avec son périple pour réunir les nations autour de la Ville sainte.

L’espérance d’être à la fois le libérateur et le conquérant de la cité de David, cité des

prophètes, devait stimuler l’ardeur du jeune roi, lequel trouva sans doute dans la no-

blesse de ce motif et dans son patronage, une source supplémentaire de légitimation2.

Plusieurs ouvrages de dévotions royales et textes de propagande, riches en références

bibliques, font appel au psalmiste pour conforter, dans la «!scénographie eschatologique

de la fin des temps!s», l’image sainte du roi croisé. Le thème médiéval de la dignité

davidique des rois de France3 connaît de nouveaux développements, avec la particularité

que la littérature de l’époque insiste davantage sur l’aspect prophétique du rapproche-

1
Marjorie Reeves, Prophecy in the Later Middle Ages!: a Study in Joachimism, Oxford, Clarendon Press,
1969.
2
Fr. Bacon, Historia regni Henrici septimi Angliae regis , 1643, cité dans la traduction de Y. Labande-
Mailfert, Charles VIII et son milieu, Paris, Klincksieck, 1975, p. 180.
3 e
La tradition qui fait descendre le roi de David date du plus haut Moyen-âge. Dès le IV siècle, à l’instar
de ses prédécesseurs du Bas-Empire, Ambroise trouve dans le roi d’Israël un lumineux archétype qu’il
propose comme modèle à Théodose, l’invitant à amender sa conduite et à imiter le psalmiste en criant
«!Peccavi Domino!» (Lettre 51,7: «!An pudet te, Imperator, hoc facere quod rex propheta [...] fecit
David? [...] cognito quod in hoc ipse argueretur, quia ipse fecisset, ait : Paccavi Domino.!»). Sa volumi-
neuse Apologie de David en développe le thème ([Madot, Robert], Apologie de David, (latin-français),
Paris, Cerf, 1977). Après ce précédent il n’est plus rare de trouver, sous la plume des évêques du conseil
des empereurs, l’image du psalmiste orné de la couronne aux lys et des armes bleu et or. Dans l’un des
plus importants Miroirs des princes carolingiens, la Via Regia (ca. 819-830), Smaragde proposait ainsi
aux princes chrétiens l’imitation de rois tels que Josué, David, Ézechias, Salomon et Ozias. Dans ces
anciens chefs d’Israël Smaragde trouvait une somme des vertus nécessaires à un roi!: timor domini,
sapientia, prudentia, simplicitas, patientia, iustitia, iudicium, misericordia, humilitas, zelum rectitudinis,
clementia, consilium (Patrologie latine, vol. 102, col. 934 ss.). Après le sacre de Pépin, le Pape Étienne II
célèbre le «!Novus David!», l’oint du Seigneur et le protecteur de l’Église. La correspondance d’Alcuin
avec Charlemagne, lequel ne pouvait s’adresser au roi sans lui donner le nom de David, file le parallèle,
repris par la suite par Charles le Chauve et Frédéric II. David est le type idéal de l’empereur chrétien. Cf.
Aryeh Graboïs, «!Un mythe fondamental dans l’histoire de France au Moyen Âge!: Le ‘roi David’,
précurseur du roi très-chrétien!», op. cit.
DEUXIEME PARTIE 130

ment que sur la tradition médiévale faisant du roi, comme jadis avec Charlemagne,

l’émule de David.

Depuis les travaux fondateurs d’Yvonne Labande-Mailfert4, on sait aujourd’hui

combien le voyage d’Italie déchaîna de résistance!dès l’époque de ses préparatifs!: le

projet souleva au départ une hostilité presque générale à la cour, dans l’ensemble de la

noblesse et de l’opinion publique!: le duc et la duchesse de Bourbon, fidèles à la politi-

que de Louis XI, le désapprouvent, ils se défient des princes italiens, des Aragonais et

de Ludovic le More. D’autres grands personnages comme Louis Malet, sieur de Gra-

ville, amiral de France, Philippe de Commynes, et le cardinal André d’Espinay s’y

opposent par dépit, d’autres ambitieux ayant décidé l’affaire avec le roi. Seuls le futur

Louis XII, alors duc d’Orléans, qui espère entrer en possession du duché de Milan, et

les conseillers intimes du roi, Étienne de Vesc et Guillaume Briçonnet, évêque de Saint-

Malo et général des finances, lui offrent leur appui. Ils reçoivent le soutien énergique

des exilés napolitains, nombreux à la cour de France, et du duc de Bari qui dès 1492,

charge des ambassadeurs de se rendre à la cour pour inciter le roi à aller de l’avant avec

son projet de conquête5.

4
Op. cit.
5
Témoins des oppositions, ces propos de l’orateur florentin Francesco delle Casa (1494) recueillis par
Yvonne Labande-Mailfert!: «!L’entreprise est ici l’objet des conversations et des jugements les plus
divers. Les premiers princes du sang et la plupart des autres seigneurs, les conseillers, les prélats, les
grands officiers de finance et tout le peuple la condamnent et la blâment comme impossible et dange-
reuse. S’ils le pouvaient sans encourir la disgrâce du roi, ils l’arrêteraient volontiers. La plupart des
gentilshommes et des gens d’armes qui sont désignés pour passer en Italie pensent aller à leur perte et
destruction certaine.!» Aussi Commynes : «!L’entreprise sembloit à toutes gens saiges et expérimentez
très déraisonnables, et n’y eut que luy seul [Charles VIII] qui la trouvast bonne et ung appelé Estienne de
Vers [...]!». Enfin de l’ambassadeur de Ludovic Sforza, Belgioioso : «!C’est vraiment un miracle que le
roi, jeune comme il est, ait persévéré dans son dessein, malgré toutes les oppositions qu’il a rencontrées!».
Cf. «!Oppositions au projet du roi!», in Charles VIII et son milieu, op. cit., p. 219 sqq.
DEUXIEME PARTIE 131

À la descente vers Naples il fallait donc un motif noble et des garanties éclatan-

tes, ce qui en cette fin de XVe siècle signifiait un aval direct et indiscutable de Dieu sur

le projet du roi!; il lui fallait, en somme, un but irréprochable, la Croisade, et des signes

favorables, des prophéties6. Le projet de mener à bien une guerre sainte se prêtait à

l’éclosion d’une littérature prophétique dans laquelle David allait être mis à contribu-

tion!: son aval permettait d’établir le bien-fondé de la descente outre-monts et de

l’inscrire dans une vision de l’histoire où de manière indissociable, la volonté politique

s’articulait avec une mission sublime impartie par Dieu.

Les antécédents de ce formidable essor prophétique ont déjà inspiré les travaux

de plusieurs spécialistes. Les recherches de Marjorie Reeves ont montré que la survi-

vance de la tradition joachimite et d’un autre courant prophétique attribué à Saint-Ange,

carme du XIIIe siècle, avaient engendré cette irruption de prophéties eschatologiques

annonçant notamment, avec la descente de Charles en Italie, la venue imminente de

l’Antéchrist de même que celle de l’empereur des derniers temps7. Son plus célèbre

écho nous vient d’un intime de la cour, le médecin du roi Jean Michel, lequel affirmait

avoir entendu de la bouche même de Dieu qu’à Charles VIII, son «!trecher amy!s»8,

6
«!In point of fact, during the years in question, prophecy seems to have constituted a unifying sign
connecting nature to religion and religion to politics, and coordinating all the scattered shreds of a culture
that in the end turned out to be an integral way of knowing, embracing observation of nature, political
analysis, and religious reflection. If God is the lord of history and of the cosmos, to seek the orribeli
segnali of nature, and in the voices of the prophets, signs of his judgement of human history, becomes at
once a scientific, political, and religious process.!» Ottavia Niccoli, Profeti e popolo nell’Italia del Rinas-
cimento, Rome, G. Laterza, Biblioteca di cultura moderna, 1987, p. xvi.
7
Cf. M. Reeves, op. cit., pp. 295-319.
8
«!Ecoute terre. Entendez cieulx ce que ie parle. [...] Attendez le reformateur de toutes choses le roy mon
trescher amy, lequel desperit de vertu et de ma force iay esleu, lay appelle et amene et lay constitue sur
tous les royaumes de la terre. Cest charles roy des francoys auquel iay donne ma benediction et ma grace.
Il ma ainsi pleu. Escoutes le et lobservez en toutes choses.!» (fol. 1). La prophecie, vision, et revelacion
DEUXIEME PARTIE 132

reviendra le contrôle de tous les royaumes du monde, en commençant par la Terre

sainte, ultime étape avant la réunification des peuples préparant l’Apocalypse!:

Tu destruiras les iniques, et convertiras les pecheurs. La Terre des infideles mettras
en ruine, et tous ceulx qui mont delaisse seront totalement consumez.9

Même Commynes, dont on connaît pourtant les réticences, accrédite ce courant

prophétique lorsqu’il affirme que le voyage fut «!vrai mystere de Dieu!s»10. Issue

d’anciennes traditions monastiques, cette première famille d’oracles s’attache pour

l’essentiel à un phénomène visionnaire empreint de réflexions johanniques, où

l’illumination d’hommes de fort charisme et passionnés d’observation de phénomènes

naturels – astrologie, médecine et climatologie – nourrit les plus hautes ambitions à la

cour de France.

Mais les guerres d’Italie permettent également l’essor d’une autre famille

d’oracles, davantage axée sur l’Ancien Testament, qui marque un tournant dans la

pratique médiévale du recours politique à David. Dans ces prédictions inspirées plus ou

moins fidèlement de la Bible, prophètes et rois bibliques ne s’unissent plus dans le seul

but d’annoncer typologiquement le Christ-roi, modèle des rois très-chrétiens, ils pré-

sentent également Charles VIII sous les traits du Sauveur d’Israël, un libérateur par qui

s’accomplit une part secrète des Écritures. Certains ouvrages accréditant d’anciennes

pronostications se tournent avec beaucoup de liberté vers le psalmiste pour nourrir les

divine revelée par treshumble prophete Jehan Michel. De la prosperite et victoire du treschrestien Roy de
France Charles viii. De la nouvelle reformacion du siecle. Et du recouvrement dela terre sainte a luy
destinee, s.l. n.d., fol. 2r.
9
Idem., fol. 3v.
10
Philippe de Commynes, Mémoires, Paris, Belles lettres, 1925, livre VIII, ch. 2.
DEUXIEME PARTIE 133

scénarios imaginaires entourant l’approche de la fin des temps. C’est par exemple le cas

de l’allégorie du Vergier d’honneur!du secrétaire d’Anne de Bretagne, André de la

Vigne, imprimée à la tête de sa chronique du voyage de Naples. D’autres, plus fidèles

au texte biblique, nourrissent simplement l’attente messianique à grand renfort de cita-

tions vétéro-testamentaires. Nous avons voulu examiner cette seconde tendance par

laquelle, au gré des auteurs et des circonstances, la figure du psalmiste se transforme en

dehors des Écritures pour devenir le prophète des victoires de la France contre les

Turcs. Un regard d’ensemble sur ce symbolisme biblique révèle combien, à l’orée du

XVIe siècle, les récupérations politiques de David s’éloignent du personnage de Samuel.

Le Bethléemite devient le saint patron de l’expédition de Naples, comme le suggèrent

plusieurs traces écrites en France et en Italie, depuis la préparation jusqu’à

l’aboutissement du voyage.

Le témoignage de la cour

L’entourage royal, rompu à l’exercice de la typologie biblique et nourri de la

chronologie des derniers temps, atteste que le voyage est une réponse du roi et de la

France à une vocation particulière d’en haut. Les principaux chroniqueurs qui écrivent

au moment de la descente évoquent le verset du psaume 32, «!Beata gens cujus est

Dominus Deus ejus, populus quem elegit in hereditatem!s», qu’ils utilisent comme

support à d’anciennes prophéties promettant à Charles, outre Constantinople, le

royaume de Jérusalem!; l’accent est mis sur l’espoir de ramener à l’unité les chrétiens

d’Orient et d’Occident, de manière à opposer ensemble un rempart efficace contre le

Mal.
DEUXIEME PARTIE 134

Les entrées royales qui marquent les premières années de Charles VIII avaient

préparé cette lecture allégorique de la Bible!: David, puis David et Goliath, figurent

ainsi pour la première fois dans les entrées de Charles dans les villes de Rouen (1485) et

de Troyes (1486)11, où ils construisent l’image biblique du jeune roi qui marquera son

règne. Dans l’entrée rouennaise, David-Charles VIII est présenté dans le huitième écha-

faud comme le jeune élu victorieux de Goliath, une allégorie du sort réservé aux infidè-

les et un présage de la fin des maux qui accablent le royaume. Une fois le géant occis,

dit le placard décrivant la scène, «!sera un peuple vivant / Soubz luy en paix, sans nulle

guerres!s». De même que le règne de David, fait de grandeur et d’humilité, annonce

prophétiquement celui du Christ vainqueur du Mal, souverain universel dans le monde

nouveau, le roi très chrétien trouve dans le bethléemite un archétype et un prophète de la

stabilité du royaume. Le même thème revient dans l’entrée de Troyes, où un arbre de

Jessé montre la lignée reliant David au Christ et rejoignant, spirituellement, le roi de

France. Celui-ci n’est plus seulement un élu aux exploits comparables à ceux des Par-

triarches, il est un fils de David sur le plan symbolique. Tout, dans le déroulement de

son règne, a été annoncé par la Bible et y trouve sa correspondance!: sa montée au trône

est un effet du Ciel, un événement depuis longtemps prédit!; il est le lieutenant de Dieu

venu défendre son Église sur la terre et dont a été prédite la victoire sur les peuples

hérétiques12.

11
Cf.[Jean Jacquot et Élie Konigson], Les fêtes de la Renaissance , Paris, C.N.R.S., 1975, t. III, pp. 58-64
et76.
12
L’insistance sur la prédestination du roi à mener un règne prospère apparaît également dans l’entrée de
Rouen, où un échafaud intitulé «!onction des roys!» détaille les prolégomènes de l’allégorie politique!:
dans un tableau vivant où David désigne lui-même son héritier, le vase d’huile que tient le prophète
Sadoch pour oindre Salomon «!represente la sainte ampoulle dont le roy nostre sire a esté enoint a
Rayns!», et pour que nul ne s’y trompe, le placard précise qu’en David est représenté le «!noble roy
DEUXIEME PARTIE 135

Il n’est donc pas étonnant que dès la mise en branle de l’expédition vers la Si-

cile, Charles ait lui-même placé son voyage sous la protection du psalmiste. En 1494, il

dévoile formellement ses intentions en demandant à toutes les paroisses de son royaume

de faire «!des processions et des prières publiques!s» et de chanter des psaumes pour

attirer la protection divine «!sur l’entreprise qu’il méditoit contre les Infidèles!»13. Ce

sont les termes précis d’un chanoine contemporain, auteur d’un court texte manuscrit

placé à la fin d’un commentaire de Cassiodore sur les cinquante premiers psaumes ayant

appartenu à la bibliothèque de l’église cathédrale de Laon14. Le roi faisait ainsi écho au

programme tracé un siècle plus tôt par Philippe de Mézières, lequel fondant son art de la

guerre sur le principe de l’imitatio davidis, appelait le roi à organiser avant toute croi-

sade «!generale assemblee de penitence et procession!» et à chanter les psaumes, «!en

Louis!», père du roi Charles, et en Salomon «!Charles huitiesme de ce nom triumphant!». Fils de David et
successeur de Salomon, la tradition biblique dans laquelle il s’inscrit se veut garante de la stabilité du
royaume. Cf. B. Guenée et F. Lehoux, Les entrées royales françaises de 1328 à 1515, Paris, CNRS, 1968,
p. 25512.
13
‘Eodem anno (1494), Carolus Octavus jussit suffragia pro eo fieri & felici progressu ejus contra Arag o-
nes!; videlicet processiones ter in ebdomadam, in ecclesiis collegationis & conventualibus. & primam
Dominicam mensis vel die, voluit esse generales!: voluitque, in ecclesiis campestribus fieri diebus Domi-
nicis!; etiam, Salve & Veni Creator cantari cum aliquibus collectis de SS. Virgine, pro Rege, de Angelis
& defunctis.!» Ce fragment, qui contient la valeur de 3 pp. in-4, a été écrit par un chanoine de Laon
dénommé Baudequin, qui se nomme lui-même comme ayant été témoin d’un fait de 1494. Nous le citons
après Foncemagne, «!Éclaicissemens [sic] historiques sur quelques circonstances du voyage de Charles
VIII en Italie!; et particulièrement sur la cession que lui fit André Paléologue, du droit qu’il avoit à
l’empire de Constantinople!», Mémoires de littérature, tome 17, 1751, (pp. 539-60), p. 542.
14
Nous en avons une autre formulation dans ce sizain tiré de la Prophécie de Charles VIII de Guilloche
de Bordeaux (1494)!: «!Et vous, presbtres seculiers, / Voz psaultiers / Dire tousiours vous devez!;/ Et
moyne[s] dans voz moustiers, / Vous requiers / Que pour le roi Dieu priez!». Cf. [Marquis de la Grange],
La Prophetie du roy Charles VIII, par Maître Guilloche Bourdelois, Paris, Acad. des bibliophiles, 1869,
p. 46.
DEUXIEME PARTIE 136

priant a Dieu pour [son] peuple, comme fist David, qui disoit a Dieu!: ‘Sire, ta correc-

tion et la verge tournes sus moi, et veuilles espargner cestui simple peuple!»15.

Non seulement les édits mais les images qui émanent de la cour renforcent le pa-

rallèle. Dans la première enluminure du Psautier de Charles VIII réalisée vers 149016

(fig. 1), le roi se fait représenter à côté de David en tenue de croisé, tandis que le psal-

miste, en tenue d’hermine et de velours cramoisi, accompagne au son de sa harpe le

psaume Beatus vir. Par son vêtement de toile, Charles est une figure d’humilité, valeur

essentielle du guerrier de Dieu, un roi qui s’apprête à abandonner son palais pour une

simple tente brodée de lys (représentée au second plan, à droite). Il est également une

figure de magnanimité qui n’hésite pas à occuper le premier plan de l’image alors que le

psalmiste, pourtant à l’origine de ce Psautier, occupe le second plan. À la différence du

Songe, le roi n’accompagne pas son peuple dans les processions, mais il retrouve néan-

moins dans cette attitude de grandeur et de retrait la pensée de Philippe de Mézières!: le

15
Philippe de Mézières, dont le projet de renouveler une croisade en Europe avait inspiré la rédaction du
Songe du Vieil pélerin, fondait son ‘art de la guerre’ sur le principe de l’imitatio davidis. L’enfant armé de
sa seule foi, remettant à Dieu l’issue du combat, apparaît chez lui comme un type et un modèle!: type du
combattant fidèle dont la lutte est l’image de la royauté victorieuse du Christ, et modèle aussi des princes
chrétiens appelés à vaincre les ennemis de l’Église en marchant fidèlement à la suite du saint roi. Méziè-
res dégage de l’exemple de David, certains préceptes applicables par le prince lors des croisades. Ainsi
dit-il au roi!: «!Tu doys faire toutes les fois que emprens aucune grosse besoigne, touchant a ton gouver-
nement, ou un grant voyage pour fait d’armes ou autrement, [...] generale assemblee de penitence et
procession pour apaisier mon Pere Jesuscrist des grans pechiez et offenses de toy et de ton peuple galli-
can. En laquelle assemblee de penitence, Beau Filz, tu doys aler a pie et en simple habit, et aucunesfois
deschaus, ou millieu de ton peuple, comme faisoit le tresvaillant David, et la recongnoistre devant Dieu
tes pechiez et les pechiez de tes peres, en priant a Dieu pour ton peuple, comme fist David, qui disoit a
Dieu!: ‘Sire, ta correction et ta verge tournes sus moy et sus mon hostel, et veuilles espargner cestui
simple peuple, comme sont les ouailles’.!» Philippe de Mézières, Songe du Vieil pélerin, d’apres le ms.
Fr. 22 542, Genève, Droz, 1955, t. 2, p. 263.
16
Paris, B.N.F., ms. lat, 774, fol. 1. Cf. Leroquais, Psautiers manuscrits latins des bibliothèques de
France, Macon, Protat et Frères, 1940-41, pl. 135.
Figure 1. BnF, ms. lat, 774, fol. 1
Psautier de Charles VIII (vers 1490).

inserts photo 1 23/10/03, 11:59:36


DEUXIEME PARTIE 138

roi porte son royaume dans la prière, comme l’indiquent les trois lys couronnés appa-

raissant dans l’écu porté par deux anges. La scène se déroule sous le regard de Dieu qui

tient l’orbe, surmonté (conformément à la tradition iconographique) de la croix du

Christ et de Jérusalem, tandis que la tente suggère l’expédition de Naples mais aussi le

séjour en Terre Sainte. La tente du croisé revêt aussi une dimension sacrée puisque dans

le livre de Samuel, elle abrite pendant plusieurs années l’arche d’Alliance, au regret

d’ailleurs David!: «!J’habite une maison de cèdre et l’Arche de Dieu habite sous une

tente de toile!!!» (II Sam. 7,2) Le psaume Beatus vir, de même que l’ensemble du psau-

tier, apparaît ainsi comme la prière particulière du Valois engagé dans sur les traces du

souverain biblique et décidé à mettre fin au conseil des hérétiques.

La tendance est donc nette, à la veille du départ, de vouloir harmoniser la dé-

marche de croisade avec les souvenirs de l’Ancien Testament!; car plus le projet de

descente vers les lieux saints devient une réalité, plus les similitudes avec le monde et

les lieux de la première Alliance semblent s’imposer pour garantir spirituellement

l’entreprise. L’étape vers Jérusalem que représente le voyage en Sicile ouvre la voie à

l’accomplissement d’un double voyage, l’un, pèlerinage espéré vers Jérusalem et

l’autre, progressif, une marche sur la trace des prophètes!; enfin, dans cette expédition

où le roi veut suivre l’exemple de David, c’est le cheminement de la cité de Dieu vers la

Jérusalem céleste qui est ici figurée, préparée, hâtée17.!Voyage temporel ou spirituel, la

17 e
C’est ce qu’enseignait dès le XI siècle Paschase Radbert, dont les paroles inspirées de saint Augustin
ne furent pas perdues!: «!Cette Jérusalem terrestre dont tu parles, [Dieu ] l’a choisie pour un temps, afin
qu’elle soit la figure de cette Jérusalem céleste, jusqu’à ce que vienne de la semence de David le Roi qui
régnera sur elle pour l’éternité.” Expos. in Mattheum, liv. 1, ch. 1, P.L., CXX, c. 68. Cité après Paul
Alphandéry et Alphonse Dupront, La Chrétienté et l’idée de croisade, Paris, Albin Michel, rééd. 1995, p.
22.
DEUXIEME PARTIE 139

descente en Terre sainte implique une réappropriation publique et collective de l’univers

biblique.

LeVergier d’honneur d’André de la Vigne

On comprend alors que lorsqu’ils feront le récit détaillé de l’expédition, les

poètes se tournent vers ce réseau d’images et d’allégories scripturaires pour y trouver

des symboles porteurs des espoirs du roi. La Ressource de la Chrétienté d’André de la

Vigne, grande allégorie politique au centre de laquelle s’inscrit le Vergier d’honneur, y

trouve la matière d’une prophétie!: le rêve de croisade trouve voit dans le psalmiste le

messager du glorieux avènement de Charles et du prompt retour de la paix, conformé-

ment à l’étymologie hiéronimienne de Jérusalem, visio pacis.

Le poème allégorique d’André de la Vigne s’ouvre dès les premiers vers sur une

peinture assez sombre de la situation des chrétiens d’Orient, pris en otage par la puis-

sance ottomane. L’auteur raconte qu’une nuit, dans un songe, il crut être transporté dans

un lieu inconnu d’Orient, au milieu d’un désert aride, où il rencontra une Dame d’une

beauté sans pareille qui désolait le pays par ses cris de douleur!: c’était Chrétienté. Elle

se rappelait son ancienne grandeur, pleurant à présent la misère dans laquelle elle était

tombée!:

Depuis ce temps ie suis tumbee es mains


dun tas de turqs et de chiens inhumains,
qui mont de maulx cent milliers fait souffrir,
Et qui pis vault les chrestiens humains
DEUXIEME PARTIE 140

Dautre coste nen ont fait gueres mains.!18

Pour trouver du secours, elle prit le parti de franchir le mont Cenis pour aller qué-

rir en France un remède à ses maux. Arrivant au pied de la montagne, elle trouva un

jardin exquis, «!distillant souefve manne celeste!», où une «!parangonne princesse!»

nommée Dame Noblesse, «!primoginée de limperialle et priamide lignee troyenne!»,

l’interroge sur ses malheurs. Dans un consistoire tendu de fleurs de lys, elle confie à

Majesté Royale l’oppression dont elle fait l’objet et la nostalgie qu’elle conçoit de voir

le temps des preux bibliques, Gédéon, Mathatias et le jeune David vainqueur de Go-

liath, à jamais révolu19.!Elle presse Sa Majesté de lui apporter un prompt secours!: le

prince n’est-il par le libérateur annoncé par la sibylle, laquelle avait prédit cinq cents

ans plus tôt qu’elle atteindrait le sommet de la gloire par les exploits d’un jeune monar-

que du nom de Charles, qui aurait reçu le royaume et la couronne à l’âge de treize ans

seulement? La prédiction pouvait en effet s’appliquer à Charles VIII, né en 1470 sacré

en 1483. Pour appuyer encore le témoignage de la sibylle, Dame Noblesse ajoute même

18
André de la Vigne, Le Vergier d’honneur nouvellement imprimé à Paris. De l’entreprinse & voyage de
Naples!; auquel est comprins comment le roy Charles huyctième de ce nom à Bannière desployée passa &
repassa de journée en journée, depluis Lyon jusques à Naples & de Naples jusques à Lyon. Ensemble
plusieurs aultres choses faictes & composées par Révérend Père en Dieu Monsieur Octavien de St Gelais
evêsque d’Angoulesme, & par maistre Andry de la Vigne Secretaire de la Reyne & de Monsieur le duc de
Savoye, avec aultres. Paris, s.d., fol. Aiiv.
19
«!O roy David, tresexcellent psalmiste,
en guerre preux & en science miste
Pasteur subtil, proesse decoree
Qui iadis fustes si vaillant arquemiste
Que Golyas dune fronde funyste
Fut rue ius sus terre labouree [...]
Pourquoy apres sur vostre vieil aage
Moyennant dieu les pars occidentalles
Vous conquestistes et les orientalles.
Las, vostre temps present ne regne plus
Car maintenant tousiours de plus en plus
Mon bien se pert et mon temps si se passe [...]!» (Vergier, fol. 5v.)
DEUXIEME PARTIE 141

que David en personne avait annoncé l’avènement du roi en marquant prophétiquement

l’année de sa naissance dans un verset de psaume20 dont la somme des lettres numérales

devait donner 1470!: In stILLICIDIIs eIVs LætabItVr gerMInans, beneDICes Coronæ.

D’une Sibylle de haulte extraction


Jadis à Rome prénostication
Cinq cens a, fut ès Rommains donnée!;
Disant qu’un jour viendroit sans fiction,
Ung jeune Charles, qui coronation
Prendroit en France, sur la treizième année!:
Par qui seroye si très hault couronnée
De vraye gloire & louange immortelle,
Qu’on n’en lit point ès Chroniques de telle,
Et pour garder que personne n’en hongne,
En son psaultier David nous le tesmoigne!:
[...] Dedans un pseaume de pensée jolye,
Il a posé cette douce omelye,
In stillicidiis ejus laetabitur germinans,
Benedices coronae, aux oyans!;
Et aux lisans qui trouveront encombre
De l’exposer, toutes lettres de nombre
Qui sont dedans, mettent en ordonnance!;
Si trouveront de Charles la naissance.21

Le verset du psaume et le témoignage sibyllin constituent la substance de la

vision prophétique d’André de la Vigne. En soi, l’association assez classique de David

et de la sibylle qui officiait sur les rives du Tibre n’a rien d’étonnant!: on sait notam-

ment que de concert avec le psalmiste, la sibylle médiévale avait prévu le retour du

Christ et l’avènement du jugement dernier dans un oracle célébré en l’Église dans le

20
Il s’agit du psaume 65 (64), v. 11-12.
21
Vergier, fol. 5r.
DEUXIEME PARTIE 142

Dies irae depuis le XIIIe siècle22!; les deux personnages apparaissaient aussi ensemble

comme prophètes du Messie sur les bas-reliefs d’édifices religieux depuis le XIIe siècle.

Leur mise à contribution autour d’un roi de France, en revanche, est novatrice, d’autant

que jamais, à notre connaissance, le psalmiste n’avait jusqu’alors servi de garant à une

prédiction populaire liée à l’avènement d’un successeur de Charlemagne.

Le texte sibyllin auquel le David du Vergier donne sa consécration semble avoir

eu beaucoup d’échos pendant les guerres d’Italie!: il s’agit d’un oracle attribué à la

sibylle tiburtine (c’est-à-dire de Tivoli, près de Rome) qui fut en réalité écrit au XIe

siècle en Italie du Sud, à partir d’un original grec lui-même composé entre la fin du IVe

et le début du Ve siècle de notre ère23. Il y est question de la série de rois devant préc é-

der l’arrivée de l’Antéchrist!; dans certaines éditions de la prophétie, l’un de ces rois,

français, est désigné par une simple majuscule, K (notamment dans le ms. BnF fr. 25

407), tandis qu’ailleurs (BnF ms fr. 375) sont nom complet, Challes, apparaît dans la

prophétie. Cette dernière version est celle à laquelle se réfère de La Vigne24. Dans la

22
Les paroles du Dies irae («!Dies irae, dies illa, solvet saeclum in favilla!: teste David cum Sibylla!»)
composées par Tommaso da Celano sont un écho déformé de la prophétie sibylline. Nous renvoyons à
l’introduction de Josiane Haffen, Contribution à l’étude de la sibylle médiévale. Étude et édition du ms
B.N. fr. 25!407 fol. 160v. -172v. : Le Livre de sibile. Paris, Belles-Lettres, 1984.
23
Cf. André Vauchez, Saints, prophètes et visionnaires, Le pouvoir surnaturel au Moyen Âge , Paris,
Albin Michel, 1999, pp. 115-133, p. 101, note 23.
24
L’essentiel de la prédiction sibylline au sujet de Charles concerne la série de prodiges entourant son
règne!: «!Aprés celui Henri vendra un rois qui Challes avra non, et sera nés de France. Riens ne lui souf-
frira!; touz jours voudra saillir sus gens a force d’armes. Celui rois Challes sera nobles, haus et puissant
rois!; sera debonneres, piteus, plains de douceur et de misericorde!; aussi fera justice des riches comme
povres. Et soiés certains que en celui tens vendra si grant merveille, quant celui roi regnera, que les
rainssiaus des arbres s’enclineront vers lui, les yaues des rivieres s’aresteront encontre lui. Et sachiés
certainement que devant celui Challes, non avant ni aprés, ne fu rois son pareil ne ja mes ne sera par le
siecle des siecles.!» Cf. Jeanne Baroin et Josiane Haffen, La prophétie de la sibylle tiburtine. Édition des
mss. B.N. fr. 375 et Rennes B.M. fr. 593, Paris, Belles-Lettres, 1987, p. 121, v. 224-237. Évidemment, le
DEUXIEME PARTIE 143

prophétie médiévale, Challes apparaît comme une figure eschatologique mais non le roi

des temps derniers, attendu sous le nom de Constance (ou Constant). La conquête de

Jérusalem appartient en propre au roi Constant, et sa descente dans la cité sainte signera

l’accomplissement des temps. Dans le Vergier d’honneur cependant, de la Vigne prend

ses libertés par rapport au texte original et abolit la distinction des rôles au profit du

projet politique!: la licence poétique permet la fusion des figures de Charles d’Anjou

(Challes) et de Constant, identifiés l’un à l’autre dans un même appel vers la Terre

Sainte. Ce sont les exploits mêmes de Constant que relèvera Charles VIII, comme sem-

ble le confirmer l’anagramme numérique du Valois dans le psautier. La prophétie sibyl-

line porte!:

Il brisera Mahomet,
détruira leurs temples,
et de tous les païens il fera des chrétiens.
Dans les temples il fera élever
et adorer la croix de Jésus,
rendant grâces il tendront
leurs mains vers Dieu,
les Éthiopiens deviendront chrétiens. [...]
En ce jour il arrivera
que Juda sera sauvée. 25

En partie sibyllin, en partie biblique, le Vergier reprend en réalité le scénario

d’un texte encore lu et médité au XVe siècle par les adeptes de Joachim de Flore (1135-

1202), le De ortu et adventu Antichristi d’Adson de Montier-en-Der (v. 954), lequel

situe avant la venue de l’Antéchrist le règne exceptionnel d’un empereur de la fin des

père de Charles VIII ne se prénommait pas Henri, conformément à l’oracle, mais Louis.
25
Haffen, Josiane, op. cit, pp. 153-155.
DEUXIEME PARTIE 144

temps qui déposerait son sceptre et sa couronne sur le mont des Oliviers26. L’étonnante

inscription de la date de naissance de Charles dans le verset du psaume, laquelle fixe

définitivement l’époque où viendra le précurseur du Christ, a pour fonction de mettre fin

aux siècles de spéculations eschatologiques qui entourèrent le traité d’Adson, spécifiant

hors de tout doute l’identité du roi vainqueur. L’anagramme numérique empruntée à

David, si habile soit-il, pose cependant une petite énigme.

Des deux références prophétiques, bien que pour nous superficielles, celle à

David est, de loin, la plus problématique. Un rapide calcul de la somme de toutes les

lettres numérales donne 2470, soit 1000 ans de trop par rapport à la naissance de Char-

les VIII. Comment comprendre ce décalage important!? L’explication vient probable-

ment du fait qu’André de la Vigne aurait tenu compte, dans le psaume acrostiche, des

années écoulées depuis l’époque de sa rédaction!: dans ce cas, supposant David a précé-

dé le Christ de 1000 ans, comme l’attestent la plupart des auteurs de compilations de

l’histoire universelle, il reste 1470 pour la date de la naissance de Charles!; le psalmiste

apparaît bien, sous cet angle, comme son prophète.

Mais le plus inattendu de la prophétie reste son extrême liberté par rapport à la

source biblique. Le recours assez suspect à David comme prophète non pas du Christ,

mais du roi de France a de quoi étonner, en particulier dans le cadre d’une Croisade où

la fidélité du roi à la Parole de Dieu est au centre de sa mission sainte. Doit-on y voir un

signe des temps? La prophétie de La Vigne n’est pas un cas isolé, et quelques indices

26
L’abbé champenois y affirme la venue prochaine d’un empereur, roi des Francs, qui reconstruira
l’Empire et délivrera la ville Sainte du joug des Turcs. Cet empereur de la fin des temps, qu’Adson de
Montier-en-Der attendait encore, déposerait ses attributs royaux au mont des Oliviers ; après lui viendrait
l’Antéchrist qui s’imposerait à Jérusalem jusqu’à l’ultime victoire du Christ sur le mal. Cf. A. Vauchez,
op.cit., p. 101.
DEUXIEME PARTIE 145

montrent que la récupération, parfois même l’interprétation déformée des Écritures au

service des guerres d’Italie, est un véritable motif dans la propagande engagée.

La Prophétie de Guilloche de Bordeaux

Dans certains ouvrages issus de la cour, les parallèles dessinés entre les Écritures

et la figure du roi restent superficiels, dictés par les besoins de la propagande!; c’était le

cas notamment du Vergier d’honneur, ce sera encore celui de la Prophétie de Charles

VIII (1494) écrite par Guilloche de Bordeaux, laquelle montre à l’instar de la Vigne que

le roi accomplit par son expédition d’antiques prophéties (dont certaines sacrées) lui

promettant non seulement l’Empire de Constantinople, mais le royaume de Jérusalem27.

La plus curieuse a trait aux Évangiles!: selon Guilloche, l’étoile qui guida les rois mages

à Bethléem, ville natale de David, apparut à nouveau dans le ciel à la naissance de

Charles VIII, marquant prophétiquement l’enfant du double sceau du premier roi

d’Israël et du Messie. Associé à la venue du Sauveur, l’astre annonçait les victoires de

Charles sur l’hérésie, qu’un écu frappé d’un soleil d’or (écu de la croisade) marquait

symboliquement!:

27
«!Il fera de si grant batailles
Qu’il subiuguera les Ytailles [...]
Ce fait, d’ilec il s’en yra
Et passera delà la mer [...]
Entrera puis dedans la Grèce,
Où, par sa vaillante prouesse
Sera nommé le roy des Grectz [...]
En Jherusalem entrera,
Et le mont Olivet montera.!» (Prophécie de Charles VIII, op. cit., pp. 5-8).
DEUXIEME PARTIE 146

Quant Jhesus nasquit, aux troys roys


L’estoille parut de déité!;
Ny plus ny moins au roy Francoys
Parut le don de divinité!;
L’estoille parut à merveil,
Et de là vindrent, en verité,
Les escuz qui sont au soleil. 28

En revanche, d’autres parallèles tracés entre le roi David et le climat prophétique

entourant les guerres d’Italie puisent davantage au texte de l’Écriture, notamment dans

certains ouvrages de dévotion à l’usage de la noblesse engagée. L’une de ces œuvres,

pensée autant comme une prophétie politique que comme un ouvrage sacré, si l’on en

croit les travaux de Christian de Mérindol, fait état d’un autre type de rapprochement

entre le climat messianique développé par les prophètes vétéro-testamentaires et

l’expédition italienne, avec cette fois discrètement en retrait, dans les marges, les pré-

dictions sibyllines!: le diurnal – ou bréviaire de jour à l’usage des laïcs – de René II de

Lorraine, concurrent de Charles VIII pour la conservation du titre de roi de Sicile et de

Jérusalem.

28
Idem, p. 10.
DEUXIEME PARTIE 147

Chapitre II

Messianisme biblique et espérances de conquête,

Le témoignage iconographique du diurnal de René II de Lorraine

Le diurnal BnF lat. 10 491, selon F. Avril, le «!plus ambitieux du point de vue artisti-

que!qui ait été conçu pour le duc René II de Lorraine!»29, est un ouvrage remarquabl e-

ment moderne pour son temps. Dans sa décoration, il mêle héraldique et thèmes bibli-

ques!: plusieurs peintures à pleine page réalisées entre 1492 et 1494 par l’enlumineur en

titre du duc, Georges Trubert, sont marquées des emblèmes de René II30. Certaines

reprennent aux quatre coins le monogramme RE de René (fol. 147v), en filets argentés

29
Cf. Avril et Reynaud, Les manuscrits à peinture en France, Paris, Bibliothèque nationale, 1993, notice
215, p. 379. Il ajoute!:«!Le diurnal est un véritable chef-d’œuvre de librairie, tant par les matériaux
employés que par le raffinement de son exécution!: modèle de sobriété élégante où l’écriture, une gothi-
que ronde à l’italienne, joue un rôle primordial, il est calligraphié à l’encre noire sur un parchemin d’une
finesse, d’une blancheur et d’un poli inaccoutumés, avec des paragraphes entiers de fin azur!; l’absence
de toute décoration marginale aux pages de texte met en valeur la pureté du parti. Cet Elzine [calligraphe
de l’ouvrage] – que l’on trouve documenté à Grasse en 1479, où les syndics de La Napoule lui comman-
dent un missel, et qui signera en 1501 un missel de Villeneuve-lès-Avignon – avait déjà écrit en Provence
le livre d’heures lat. 1157 de la Bibliothèque nationale, peint par Trubert, collaboration qui laisse suppo-
ser que c’est sur la recommandation de son enlumineur que le duc a fait venir en Lorraine cet écrivain
remarquable.!»(pp. 379-380)
30
Cf. Avril et Reynaud, op. cit, et C. de Mérindol, «!L’imaginaire du pouvoir à la fin du Moyen-âge!»,
Représentation, pouvoir et royauté à la fin du Moyen-Âge, Paris, Picard, 1995, (pp. 65-92), pp. 65 ss.
DEUXIEME PARTIE 148

ou dorés!; d’autres sont décorées de branches noires et rouges à ses couleurs et enlacent

son emblème personnel du chardon (fol. 7) au milieu d’un décor végétal de fraises et de

pensées. D’après l’analyse de Mérindol, ce recoupement de l’héraldique et de

l’emblématique dans les encadrements décoratifs, de même que le contexte politique qui

vit gouverner le duc de Lorraine, permettent d’éclairer le sens des peintures du diurnal31.

Les remous entourant les titres de roi de Sicile et de Jérusalem que réclamait pour lui

René II, en concurrence avec Charles VIII, ainsi que le projet de croisade qu’il nourris-

sait depuis 1480, seraient une clé de lecture de plusieurs enluminures32.

En effet, dans certaines peintures, ces rapprochements sont assez clairs. C’est le

cas d’une enluminure du roi David remerciant Dieu après la victoire sur ses ennemis,

placée en tête du psaume 26, Dominus illuminatio mea33 (fig. 2)!: selon Mérindol, le

31
Christian de Mérindol, «!La politique du duc de Lorraine René II (1473-1508) à l’égard de la seconde
maison d’Anjou, de la France et de la Bourgogne, d’après le témoignage de l’emblématique et de la
thématique!», [Comité des travaux historiques et scientifiques de France, section d’Histoire médiévale et
de Philologie], Les pays de l’Entre-deux au Moyen Age. 113e congrès national des Sociétés savantes,
Strasbourg, Histoire médiévale et philologie, Paris, CTHSt, 1990, pp. 61-114.
32
En 1491, un traité rédigé par Liénard Baronnat (B.N.F., ms. fr. 5742) s’appuie sur des documents
orignaux pour trancher la question sicilienne. Une commission du Parlement, après analyse de ce traité,
valide les droits de Charles VIII et dresse un parallèle entre la Maison de France et la Maison de David
(fol. 34-36). Elle exige de René II l’abandon des titres de roi de Sicile et de comte de Provence. À la
veille de son expédition, Charles VIII veut cependant conserver l’appui du duc de Lorraine dans la prépa-
ration de la conquête de Naples, un projet qu’étudiait le duc depuis 1480. Les intrigues du pape compli-
quent l’affaire!: le 28 janvier 1492, Innocent VIII se réconcilie avec le fils illégitime d’Alphonse Ier,
Ferrant Ier, qui régnait alors à Naples. Le 21 juin de la même année, René II proteste à Rome et au mois
de janvier suivant, prend le titre de roi de Sicile et de Jérusalem. C’est dans ce contexte qu’est exécuté le
diurnal de René II de Lorraine. Au printemps de 1494, Charles VIII prend le titre de roi de France et de
Jérusalem!; son expédition italienne s’achève l’année suivante. Dès 1496, un accommodement avec le roi
de France concède à René II 36 000 livres, en dédommagement de ses pertes. Mais le prince garde,
malgré les vives protestations du roi, le titre de roi de Jérusalem et de Sicile, qu’il transmettra par testa-
ment à son fils aîné. Cf. Mérindol, op. cit. (1995), pp. 70-71.
33
BNF ms. lat. 10491, Ps. 26, fol. 147v.
Figure 2. BnF ms. lat. 10491, fol. 147v
Diurnal de René II de Lorraine (1492 et 1494), ps. 26.

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DEUXIEME PARTIE 150

décor et les choix iconographiques feraient allusion à la victoire du duc de Lorraine sur

Charles le Téméraire, laquelle permit à René II de se consacrer essentiellement à ses

droits sur le royaume de Naples34. Une seconde enluminure, sur laquelle nous revie n-

drons ultérieurement, évoque le triomphe de la chrétienté sur les Infidèles avec pour

décor, un temple sarrasin35. Ailleurs, l’allusion historique semble plus subtile, mais un

élément demeure!: les passages de l’Ancien Testament portent une double espérance,

celle de l’avènement du Christ, assurément, mais aussi le rêve de conquête partagé par

toute l’Europe, à l’origine des guerres d’Italie. C’est donc sur la question de l’Ancien

Testament en tant que miroir de l’histoire humaine que réfléchissent les enlumineurs,

d’une manière à la fois classique et problématique.

Une peinture du diurnal de René II de Lorraine (fig. 3) illustre tout particuliè-

rement cette rencontre de la Bible et de l’histoire, indissociable du contexte prophétique

de la fin du Moyen Âge. Elle condense l’espérance principale de tous les livres de

l’Ancien Testament, l’attente d’un libérateur pour Israël, dans un horizon politique dicté

par l’imminence de la conquête de Naples!: David et les prophètes qui l’entourent appa-

raissent comme les ‘prophètes en actes’ d’une promesse de salut, et le psalmiste comme

le type du prince chrétien auquel en incombera la mission. L’importance accordée à la

promesse de Yahvé à David et sa récurrence dans les révélations faites aux grands et

aux petits prophètes de la Bible méritent qu’on s’y arrête, car elles évoquent les princi-

34
«!Le rapprochement avec certains événements importants de la vie de René II est évident, notamment la
victoire sur Charles le Téméraire, les prétentions au royaume de Naples – René prend le titre de roi de
Sicile et de Jérusalem en janvier 1493, pendant l’exécution des peintures – enfin la transmission des
pouvoirs à son héritier.!» Mérindol, op.cit. (1995), pp. 83-84.
35
BNF, ms. lat. 10491, ps. 51, fol. 154v.
Figure 3. BnF ms. lat. 10491, fol. 7r
Diurnal de René II de Lorraine.

inserts photo 3 23/10/03, 11:59:38


DEUXIEME PARTIE 152

paux passages vétéro-testamentaires où s’érige la figure de David-Sauveur, dans un

contexte joachimite de fortes espérances messianiques et politiques.

Une succession de prophéties messianiques

Marquée de l’emblème du chardon, l’illustration représente en tête du diurnal, en

pleine page, le roi David orné d’une couronne d’or et soutenant sa harpe au centre de

son palais, en compagnie de quatre prophètes!: Moïse, Isaïe, Habaquq et Jérémie. Dans

les marges latérales de la page, en retrait, cinq ou six sibylles en camaïeux de bleu

encadrent la scène. Les prédictions sybillines convergent vers celles des prophètes dans

l’attente d’un Sauveur et chaque personnage tient un phylactère contenant une prédic-

tion messianique!:

David [Ps. 71 (72), 6]!: Descendit ut pluvia super vellus.


Moïse [Ex., 4, 13]!: Mitte quem missurus es.
Isaïe [11,1]!: Et egredietur virga de radice Iesse.
Abaquq![2,3]: Veniet et non tardabit.
Jérémie (33, 17)!: Non interibit de David vir [qui sedeat super thronum domus isra-
hel].

Sibylle 1!: sibilla persica. XXX annorum de futuro salvatore.


Sibylle 2!: sibilla libica36. XXIV annorum de adventu. Ecce veniet deus.
Sibylle 3!: sibilla cumana37. XXVIII annorum de nativitate.
Sibylle 4!: sibilla ancisa38. Annorum XII de annuntiatione.
Sibylle 5!: sibilla europa annorum 21 de fuga pueri.

36
C’est la sibylle de Lybie.
37
C’est la sibylle romaine.
38
C’est la sibylle phrygienne.
DEUXIEME PARTIE 153

Sibylle 6!: [elle n’annonce rien.]


Cette fresque prophétique propose au lecteur, par le biais d’une enluminure, une

petite leçon sur les liens qu’entretiennent entre elles les prophéties vétéro-testamentaires

au sujet du roi messianique, si important dans le contexte des guerres d’Italie. L’image

développe le thème central de la venue du Sauveur – Christ et Messie des derniers jours,

les références bibliques et les sibylles le suggèrent, mais peut-être aussi celle du libéra-

teur croisé de la Terre Sainte – en la personne d’un nouveau David, un thème maintes

fois repris, précisé et enrichi par les hérauts d’Israël. Contrairement à l’iconographie

habituellement sollicitée pour illustrer les psaumes, davantage axée sur le contenu de la

prière ou sur un événement explicatif issu des Rois ou des Chroniques, la réunion de

trois grands et d’un petit prophète autour de David permet en quelque sorte de faire le

point sur ce héros tant attendu et d’insister sur l’imminence de son retour sur la terre,

offrant ainsi au climat eschatologique si fort dans les années 1490, des fondements

bibliques. Sans nous attarder particulièrement au témoignage des sibylles, dont les

prévisions ne font que conforter les espérances messianiques, nous nous attacherons au

témoignage de chacun des messagers d’Israël afin de dégager les traits du Libérateur

davidique depuis longtemps espéré, et que plusieurs identifieront par la suite en France

et en Italie, comme le jeune Charles VIII.

La première famille de prophète, David, Isaïe et Jérémie, pose les bases scriptu-

raires de l’espérance de salut. Le premier d’entre eux, le psalmiste, porte sur son phy-

lactère un extrait du psaume messianique 72 (71). Il y exhorte Dieu d’exercer sa puis-

sanc et d’envoyer au monde un sauveur pour faire régner le droit et la justice!:

Montagnes, apportez, et vous collines,


La paix au peuple.
Avec justice il jugera le petit et le peuple.
DEUXIEME PARTIE 154

Il sauvera les fils de pauvres.


Il écrasera leurs bourreaux.
Il durera sous le soleil et la lune
Siècle après siècle!;
Il descendra comme la pluie sur le regain,
Comme la bruine mouillant la terre. (Ps. 72 (71), v. 3-6).

Dans ce psaume, David rattache l’avenir et le bonheur du peuple élu à la venue

d’un envoyé divin. L’«!alliance de sel!»(II Chr. xiii, 5) conclue entre Dieu et Israël

implique cette attente eschatologique, cette espérance pour le temps présent et pour

l’avenir. Le psaume promet d’ailleurs à celui qui doit venir la domination de la terre

entière, un souhait auquel font écho les croisés en marche vers la Terre Sainte, ce lieu

unique qui apparaît alors comme le cœur du monde et le centre de l’univers!:

Il dominera de la mer à la mer,


Du fleuve jusqu’aux bouts de la terre. (Ps. 72 (71), v. 8).

Le témoignage de David place le lecteur dans une attente aussi bien spirituelle que

politique, celle du grand libérateur, porteur tous les espoirs du peuple élu.

Le second personnage de l’enluminure, Isaïe, est connu dans la Bible pour avoir

développé le thème de la royauté éternelle de David après la déroute de Jérusalem au

temps des prophètes pré-exiliques39. C’est sur ce nouveau regard posé sur la dimension

39
En effet, à l’époque où écrit Isaïe, les périls et la mauvaise conduite de la plupart des successeurs de
David paraissent démentir la stabilité du royaume et contredire la promesse de Dieu faite au fils de Jessé!:
l’Assyrie, qui menace Juda et Israël, met en tutelle le royaume du nord en 734, précipitant sa ruine. Après
l’annexion de Juda, la Samarie tombe aux mains des Assyriens en 721. De vaines alliances politiques,
trouvées irrecevables par Isaïe, affaiblissent encore la maison de David!; en 701, Sennachérib ravage la
Palestine. Ézéchias, roi de Juda, veut cependant défendre Jérusalem et se tourne vers Isaïe pour invoquer
le secours de Yahvé.
DEUXIEME PARTIE 155

messianique du roi qu’insiste l’illustration du diurnal40!: d’une bénédiction s’étendant à

toute la descendance de David, Isaïe annonce l’élection particulière d’un homme né

d’une vierge, «!Dieu parmi nous!», qui se distinguera de la lignée de ses pères. En lui

s’accompliront l’alliance davidique, la délivrance du peuple et la chute des rois infidè-

les. (vi, 9-17). Ce libérateur n’appartiendra toutefois pas à la lignée dominante des

davidides régnants, mais à une branche marginale de la souche dynastique, et c’est sur

ce point qu’insiste le phylactère!:

Un rejeton sortira de la souche de Jessé,


Un surgeon poussera de ses racines.
Sur lui reposera l’esprit de Yahvé [...] (Is. xi, 1-2)41

40
Trouvant Jérusalem dans l’anarchie la plus complète au temps de la menace assyrienne, Isaïe rappelle
au Davidide incrédule les termes de l’alliance qui fonde le salut d’Israël sur sa seule fidélité à Dieu!: «!Si
vous ne croyez pas!», révèle le prophète à Achaz, «!vous ne vous maintiendrez pas!» (Is. vii, 9). En signe
qu’il continuera de protéger et de bénir Juda, Yahvé annonce la naissance d’un fils, d’un sauveur!: «!C’est
pourquoi le Seigneur lui-même vous donnera un signe!:Voici, la jeune femme est enceinte, elle va enfan-
ter un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel.!» (Is. vii, 14).
Ce thème du davidide espéré revient encore en Isaïe viii et ix, au temps où l’Assyrien a conquis les
régions frontières du royaume d’Israël, la Galilée et la Transjordanie, et que l’oracle de Nathan semble à
nouveau compromis. Le prophète annonce alors un brusque renversement de situation!: le joug de
l’oppresseur sera brisé par le règne imminent d’un Davidide aux titres les plus magnifiques, et il amène
avec lui la paix!: «!Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné, il a reçu le pouvoir sur ses épaules
et on lui a donné ce nom!: Conseiller-merveilleux, Dieu-fort, Père éternel, Prince-de-paix, pour que
s’étende le pouvoir dans une paix sans fin sur le trône de David et sur son royaume, pour l’établir et pour
l’affermir dans le droit et la justice. Dès maintenant et à jamais, l’amour jaloux de Yahvé Sabaot fera
cela.!» (Is. ix,5-6) Le fils attendu, le nouveau roi envoyé par Yahvé est appelé par trois noms qui décri-
vent à la fois la nature humaine et souveraine du Davidide (Conseiller-merveilleux, prince, David) que sa
filiation spéciale avec Dieu, dont il accomplira l’œuvre durable de justice et de salut (Dieu-fort, Père-
éternel, paix sans fin).
41
Xet enfant doué «!de sagesse et d’intelligence!» (xi, 2) jugera avec droiture, profondeur et discern e-
ment!: «!La justice sera la ceinture de ses reins, et la fidélité la ceinture de ses hanches!» (xi, 5). Il créera
une nouvelle relation de paix et de fidélité entre les hommes et Yahvé et fera régner la concorde dans la
plénitude de la création. Le renouvellement de l’alliance davidique ne viendra toutefois pas abolir la
DEUXIEME PARTIE 156

L’espérance de salut s’est transformée. Née du choc entre l’infidélité des rois

d’Israël et la promesse d’une élection éternelle, elle se réalisera par une rupture, la

préférence d’un rejeton marginal aux branches maîtresse de l’arbre de Jessé, et par une

continuité!: le maintien de l’alliance du peuple élu avec Yahvé qui lui promet un sau-

veur. C’est cette nouvelle espérance d’un libérateur de la Terre Sainte, successeur de

David, dont on cherche à hâter le nouvel avènement, qui nourrit encore les visées politi-

ques de René II et celles de Charles VIII, alors en concurrence pour le titre éminemment

biblique de roi de Jérusalem!; en position centrale dans l’illustration du diurnal, elle

rappelle une seconde fois les racines religieuses et dynastiques de cette attente qui nour-

rit les projets des croisés.

Si le souvenir d’Isaïe rappelait la promesse d’un surgeon de Jessé pour régner

sur Israël, le diurnal tient à cerner encore plus profondément le halo davidique du Sau-

veur dont les partisans des guerres d’Italie et de la Croisade préparent déjà la venue. La

parole de Jérémie inscrite sur son phylactère («!Jamais David ne manquera d’un des-

cendant qui prenne place sur le trône d’Israël!», Jér. 33, 17), doit être mise en relation

avec un autre passage célèbre du même livre, Jér., 30, 8-9!:

Ce jour là, dit Yahvé, je briserai le joug qui pèse sur ta nuque [...] Alors les étran-
gers ne t’asserviront plus, mais Israël et Juda serviront Yahvé leur Dieu et David
leur roi que je vais leur susciter.”42

promesse initiale confiée à Nathan!: Yahvé révèle à Isaïe que le pacte conclu avec David sauvera Jérusa-
lem, au moment même où le roi d’Assyrie a mis le siège aux portes de Jérusalem!: «!Je protégerai cette
ville et la sauverai, dit Yahvé, à cause de moi et de mon serviteur David!». Malgré les périls du royaume,
l’alliance davidique continue de régir l’histoire, affirme le prophète, et la délivrance de Jérusalem en 701
sera vue comme la preuve de la fidélité de Yahvé à l’égard de David et de son peuple.
42
Jérémie décrit, dans des termes qui rappellent ceux d’Isaïe, l’œuvre de salut que mènera le nouveau
David, présenté comme le Sauveur!:!«!Voici venir des jour – oracle de Yahvé –où je susciterai à David un
DEUXIEME PARTIE 157

De manière très claire, David est le nom désigné pour ce roi de Terre Sainte à qui

Dieu promet la pérennité dynastique. Il sera un David authentique que le peuple servira

dans le même esprit qu’il servira Yahvé, son Dieu. Par conséquent, depuis Jérémie, le

Sauveur qui doit venir n’est plus nécessairement le descendant d’un davidide déjà au

trône, mais un nouveau David, un alter ego spirituel que Dieu se choisira lui-même

parmi ses élus et pour son peuple43. À cause de lui, l’espérance de sauver Israël s’élargit,

elle inclut l’humanité entière et l’appelle à participer à l’attente messianique et eschato-

logique qui habite Israël.

En somme, avec David, Isaïe et Jérémie, l’illustration du diurnal postule, au

temps même où les ambitions des rois chrétiens autour de la Terre Sainte se manifes-

tent, le lien étroit qui rapproche David et le Libérateur, ce Messie dont le roi croisé,

dans les catégories symboliques de la guerre juste et pieuse, renvoie l’image la plus

vive.

Les deux autres prophètes issus de l’Exode et du livre d’Habaquq auxquels Tru-

bert fait référence ne concernent pas directement le roi David, du moins dans les passa-

ges de l’Ancien Testament qui les racontent, mais l’évoquent par juxtaposition. Rappe-

lons que Moïse vécut plusieurs siècles avant l’avènement du fils de Jessé au trône et que

Habaquq, prophète cultuel, prédit en termes généraux l’avènement d’un temps de

germe juste!; un roi règnera et sera intelligent, exerçant dans le pays droit et justice. En ses jours, Juda
sera sauvé et Israël habitera en sécurité. Voici le nom dont on l’appellera!: Yahvé-notre-justice.!» (Jér. 23,
5-6) Le nom symbolique donné au Messie, ‘Yahvé notre justice’, contraste avec la signification du nom
du roi Sédécias qui régnait au temps du prophète, ‘Yahvé ma justice’. L’héritier légitime de David exer-
cera sur terre une justice non plus exclusive, étroite, mais destinée à tous!; une justice qui ne sera plus
celle des hommes, mais divine.
43
Suite à l’annonce d’un «!Germe juste!», Jérémie ajoute!: «!Comme l’armée des cieux qui ne peut être
dénombrée, comme le sable de la mer qui ne peut être compté, ainsi multiplierai-je la postérité de David
mon serviteur, et les lévites qui assurent mon service.!» (Jér. 33, 22)
DEUXIEME PARTIE 158

guerre, puis de paix éternelle en Judée, sans référence à un roi en particulier. Intégrés au

petit groupe de prophètes, leur témoignage apporte un éclairage historique!: il spécifie

l’époque où doit se réaliser la promesse faite à David, elles font jaillir du passé vétéro-

testamentaire les oracles divins pour rejoindre dans le diurnal des préoccupations de

première actualité.

Le troisième verset du second livre d’Habaquq inscrit sur le phylactère, dans

lequel Dieu demande au prêtre de graver sur des tablettes l’oracle qu’il lui donne, pos-

tule l’imminence du temps où la Parole touchera à son accomplissement!; elle insiste sur

la pertinence des prophéties pour une époque immédiate, pour l’histoire présente en

laquelle le lecteur doit croire sans douter!:

Car c’est une vision qui n’est que pour son temps!:
elle aspire à son terme, sans décevoir!;
Si elle tarde, attends-la!:
elle viendra sûrement, sans faillir!!44

En d’autres termes, pour le prophète biblique et l’enlumineur qui le dépeint, la

promesse d’un nouveau David venu sauver la Palestine est sur le point de se réaliser à

très court terme, une prédiction que le duc de Lorraine pouvait aisément ramener au

contexte politique qui régnait alors en France et en Italie. Les paroles de Moïse, libéra-

teur du peuple juif dans sa captivité égyptienne, vont également dans le sens de cette

urgence puisqu’elles formulent un appel, une prière à Dieu pour que se manifeste dès à

présent le souverain qui trônera sur le siège de David!:

Seigneur, envoie, je t’en prie, qui tu voudras.!45

44
Habaquq, 2, 3.
DEUXIEME PARTIE 159

Il apparaît difficile, dans le cadre des rivalités princières qui entourent le choix

du chef désigné pour diriger l’expédition, de ne pas entendre dans ce passage un appel

presque politique à la Providence, appel à la participation de Dieu dans la préparation de

la descente en Sicile puis à Jérusalem. Le flou entourant l’identité de cet envoyé, qui

aurait pu être, dans le contexte des années 1490, le roi de Hongrie Mathias Corvin (†

avril 1490), Maximilien d’Autriche, René II ou Charles VIII, ne trouve sa réponse que

dans la volonté suprême du Dieu des armées. Les démêlés du duc de Lorraine avec

Charles d’Anjou pour le titre de roi de Sicile et de Jérusalem prennent une dimension

sacrée, Dieu seul en sera l’arbitre. La parole de Moïse veut mettre un terme aux querel-

les et grandir la royauté du chef de droit divin d’un incomparable prestige mystique.

Ainsi, du témoignage des prophètes et des patriarches, deux vecteurs importants

se dessinent, vers lesquels convergent les espérances du voyage outre-monts!: l’attente

d’un royal successeur sur le trône de David et l’imminence de sa venue pour accomplir

les Écritures. La frise des sibylles, discrètes dans l’encadrement, cautionne par le procé-

dé courant du recoupement prophétique ces prédictions antiques!: l’enlumineur retient

de chacune d’elles les visions concernant la naissance du surgeon de Jessé et l’époque

de sa venue, comptées en quelques dizaines d’années seulement!: entre 12 et 30, selon

les oracles particuliers des prophétesses. Leur mise en rapport avec les prédictions

vétéro-testamentaires étant assez classique, comme nous l’avons constaté dans le poème

allégorique du Vergier d’honneur, nous ne nous y attarderons pas!; on remarque qu’ils

appuient d’une façon toute conventionnelle les prophéties bibliques, permettant à la

peinture inaugurale du diurnal de René II de raviver en David cette dimension messia-

45
Exode, 4, 13
DEUXIEME PARTIE 160

nique dont les rois chrétiens cherchent à être les émules dans la nouvelle Alliance. Les

préparatifs des guerres d’Italie mobilisent, semble-t-il, de fortes attentes messianiques!:

au sein d’un ouvrage de dévotion princière où une large place est accordée aux préten-

tions de plusieurs puissances sur l’Italie, ils lient de manière indiscutable l’expédition

sicilienne et la figure de David.


DEUXIEME PARTIE 161

Chapitre III

Autour de l’ascendance davidique des rois de France

Origines et développement du thème

S’il est vrai que les prophéties bibliques évoquées sur le diurnal ne furent pas que passe-

temps d’exégète, et si la politique s’en servit pour convaincre le peuple, il faut égale-

ment penser qu’elles rencontrèrent un terrain préparé à leur diffusion!; elles ne pou-

vaient être nouvelles aux Français. Une connaissance même imprécise de l’Ancien

Testament et les courants prophétiques médiévaux les y préparait!; les contacts et les

échanges d’information entre des juifs et des chrétiens préoccupés par des questions

théologiques analogues, bien réels encore à la fin du Moyen Age46, avaient également

rendu familières aux chrétiens de l’Empire les grands thèmes de l’eschatologie juive –

la légende de la sardonyx de l’Antéchrist évoquée dans les Hardiesses de Pierre Sala, on

le sait, en témoigne – et en particulier celui d’un David de la fin des temps, Sauveur

d’Israël et du monde.

46
Cf. Gilbert Dahan, Les Intellectuels […], op. cit.
DEUXIEME PARTIE 162

Un contexte favorable, l’apport des intellectuels juifs

Parallèlement au formidable réveil des croyances dans la vocation eschatologi-

que de la maison royale française dans les dernières années du Moyen Âge, les espéran-

ces messianiques à la base de la structure idéologique de la culture juive s’intensifient

avec les guerres d’Italie et s’expriment dans une attente de salut imminente, laquelle

déborde des milieux juifs. Cette attente, des calculs kabbalistiques précis en plaçaient la

réalisation dans les dernières années du XVe siècle et les premières du XVIe siècle!: les

années 1490 et 1492 étaient déjà considérés comme des années fatidiques dans les

schémas eschatologiques qu’avaient élaborés les auteurs de deux ouvrages kabbalisti-

ques, le Séfer ha-Peliah et le Séfer ha-Kanah47. De la même manière, les observations et

les calculs astrologiques d’un Abraham Zacuto avançaient les dates d’une ère messiani-

que qui devait s’étendre de 1518 à 1530 dans un traité qu’il publia quelques années

avant 149248. Depuis les travaux amorcés par Amnon Linder, chacun sait que

l’immigration des Juifs en Terre sainte dans les dernières décennies du XVe siècle fut

une manifestation de cette exaspération des espérances messianiques, dont la cause

principale relève de la crise que traversa la Diaspora d’Occident à l’époque de Charles

VIII!; les mesures d’expulsion et de discrimination qui frappèrent les communautés

juives d’Espagne et de certaines régions d’Italie aboutirent, à partir de 1492, à la dispa-

47
Cf. Amnon Linder, «!L’expédition italienne de Charles VIII et les espérances messianiques des juifs :
témoignage du manuscrit B.N. lat. 5971 A!», Revue des Études juives, tome 137, 1978, p. 180!; aussi
Samuel Krauss, «!Le roi de France Charles VIII et les espérances messianiques!», Revue des Études
juives, tome 51, 1906, pp. 89 ss.
48
Idem, p. 180. Linder précise que ces dates apparaissent déjà dans le Tratado breve en las influencias el
cielo dédié au Grand-Maître de l’Ordre d’Alcantara. Il renvoie à C. Roth, «!The Last Years of Abraham
Zacut!», Séfarad, 9, 1949, pp. 445-455.
DEUXIEME PARTIE 163

rition de ces communautés. Selon Linder, une certaine vision de l’histoire très populaire

chez les croyants persécutés donnait un sens à cette épreuve, l’ouvrait sur une perspec-

tive de salut, «!la conviction que ces souffrances faisaient partie d’un processus histori-

que, d’un plan cohérent que devaient couronner la victoire finale du Messie et la ré-

demption du peuple juif!»49. Aussi le kabbaliste Abraham ben Eliézer Halevy avait-il

fait coïncider les débuts de l’ère messianique avec l’événement déclencheur des souf-

frances juives dans la Péninsule ibérique, la montée sur le trône d’Isabelle la Catholique

de Castille en 1475, et en plaçait l’accomplissement en 1530, date de la venue du Sau-

veur.

Si ces attentes chrétiennes et juives de la fin du XVe siècle coïncident par la

chronologie, elles connurent également de part et d’autre l’influence de la péninsule

italienne, laquelle joua le rôle de plaque tournante et de foyer d’irradiation des idées

dans la diffusion des prophéties messianiques juives dans la culture occidentale. Cette

coïncidence ou échange d’influences apparaît notamment dans la fresque de l’Antéchrist

à la chapelle Saint Brice d’Orvieto, où les réminiscences des attentes apocalyptiques

juives organisent la composition de l’œuvre50!; elle apparaît également dans le colophon

du Ms. hébreu du Vatican in-folio no 187 (Catalogue Assemani), écrit par un kabbaliste

juif à Rome entre 1495 et 1503 auquel Samuel Krauss fut le premier à s’intéresser51. Ce

kabbaliste versé dans les spéculations messianiques identifiait Charles VIII avec le

«!Roi du Nord!» de Daniel, XI!; il interprétait son entrée à Naples le 22 février 1495

comme l’époque des «!Souffrances du Messie!» qui devait être suivie de la délivrance,

49
A. Linder, op. cit., p. 180.
50
Cf. André Chastel, «!L’Apocalypse en 1500 : La fresque de l’Antéchrist à la chapelle Saint Brice
d’Orvieto!», B.H.R., 14, 1952, pp. 124-36.
51
Op, cit., pp. 87-96.
DEUXIEME PARTIE 164

en somme le début d’une période difficile pour les Juifs marquant le début de l’ère

messianique. Dans les milieux chrétiens, l’un de ceux qui se montrèrent le plus proches

de cette lecture des événements fut certainement le prieur du couvent Saint-Marc à

Florence, Jérôme Savonarole!: ce dernier annonçait avec un enthousiasme tout prophéti-

que le commencement d’une nouvelle époque théocratique dont Charles VIII serait

l’initiateur. Savonarole prêchait une ère nouvelle, annonçait la venue du royaume de

Dieu sur la terre, mettait en garde toute l’Italie et avant tout, l’Église corrompue contre

le jugement dernier. Il revêtait ses appels à la conversion de la toge antique des prophè-

tes et d’ailleurs, s’en arrogeait lui-même le titre. Pour lui, Charles VIII était un nouveau

Cyrus qui passerait les Alpes, défiant toutes les armes sur sa route!; pour cette vision il

s’appuyait sur Isaïe 45, dont la prophétie devait se réaliser au sens littéral et dans son

intégralité. Aucun chrétien n’aurait pu mieux accommoder les espérances messianiques

juives avec la descente du roi de France vers Naples et à destination de Jérusalem.

Dans quelle mesure l’attente juive d’un Messie-sauveur, héros de la rédemption

d’Israël préconisée par la Torah, influença-t-elle les espérances chrétiennes de 1494?

Malgré les travaux récents de Gilbert Dahan sur les contacts des intellectuels chrétiens

et juifs du Moyen Âge52, la part de l’influence de l’un sur l’autre et de ce qui reste spéci-

fique à chaque culture reste encore aujourd’hui difficile à départager avec exactitude.

Certes, les rapports de Pic de la Mirandole et de Reuchlin avec certains juifs pratiquants

ou convertis témoignent d’échanges bien réels des deux communautés, de même que

certains cas d’influence exercée à sens inverse par des chrétiens sur des érudits hébreux

(comme Juda Arabanel), mais les vecteurs de force de ces échanges culturels, leur

structure et leurs limites, restent encore mal connus.

52
Op. cit.
DEUXIEME PARTIE 165

Même s’il ne résout pas la part de chacun dans le climat messianique qui entoura

l’expédition française, le témoignage d’un document manuscrit entièrement consacré à

l’avènement du fils de David en Italie, établit le lien entre la circulation des idées dans

les milieux juifs et l’espérance qui animait les troupes du roi croisé au moment de

l’expédition vers la Sicile. Alors que les croyants des synagogues enracinaient leur foi

dans l’attente d’un Messie juif né de la tribu de Juda, l’auteur chrétien de cet imposant

ouvrage, l’Opus davidicum (1494), défend l’idée que ce fondement de la foi d’Israël se

réalise en la personne de Charles VIII!: la primauté des droits de la France sur la Terre

Sainte relève de l’origine juive de ses rois, dont Charles VIII est le plus illustre déposi-

taire. En lui se réalise l’œuvre de salut tant attendue par les communautés juives!:

Car c’est chez les Juifs que la France a tiré son origine, parce qu’au témoignage de
l’Évangile, «!le salut vient des juifs!». La maison de France descend de ces rois
d’Israël, parce que le Roi, chantre du Christ, dit!: «!Et leurs fils siègeront sur notre
trône pour les siècles!».53

Une telle thèse implique des difficultés et des contradictions que d’autres avant

nous ont déjà tenté de mettre en lumière54, notamment les sentiments de haine profonde

à l’égard des juifs de la Diaspora, incompatible avec l’admiration des Italiens pour le roi

de France, ou encore dans le rôle peu glorieux imparti aux juifs dans le schéma escha-

tologique des derniers temps. Parallèlement, elle implique aussi une réflexion sur la part

de Dieu dans la manière dont se fait et se défait l’histoire, à une époque où les hommes

voient dans les événements politiques des signes que cette histoire touche à son épilo-

53
Angelo Terzone de Legonissa, Opus Davidicum (vers 1494), BNF ms. lat. 5971 A, fol. 12v.
54
C’est le propos de l’article d’Amnon Linder, op. cit.
DEUXIEME PARTIE 166

gue. L’idée que les rois de France purent descendre des juifs par David connut néan-

moins à la fin du Moyen-Âge un certain succès,

Filiation charnelle, filiation spirituelle!: quelques précédents

Le rejet des origines troyennes des Francs au profit d’un mythe davantage fondé

sur la Bible n’était pas complètement nouveau aux cercles intellectuels franco-italiens,

certaines ébauches esquissées à grands traits ayant vu le jour dans les milieux monasti-

ques.

À la fin du Moyen Âge, un regain d’intérêt pour certains textes patristiques,

notamment l’œuvre de Justin Martyr (dont l’influence sur saint Augustin fut notoire),

avait remis au goût du jour les rapprochements du peuple chrétien et du peuple hébreu.

Or l’un de ses traités, le Dialogue avec Tryphon, transmis et retransmis pendant 1400

ans de mémoire collective, rappelait précisément l’ascendance spirituelle juive des

premiers chrétiens et la dette des disciples du Christ envers leurs prédécesseurs de

l’ancienne Alliance!; il était donc facile aux cercles monastiques de réactiver ce texte

dans une optique de Croisade, d’autant qu’on y identifiait totalement au verus Israel de

la nouvelle Alliance la communauté universelle des croyants 55:

De même donc que le verbe appelle le Christ, Israël et Jacob, de même nous aussi
qui avons été comme taillés du sein du Christ, nous sommes la véritable race

55
Le thème de l’Eglise des chrétiens en tant que second Israël a été étudiée par M. Simon dans un o u-
vrage qui demeure d’actualité!: Verus Israel, Etude sur les relations entre chrétiens et Juifs dans l’Empire
romain, Paris, E. de Boccard, 1964.
DEUXIEME PARTIE 167

israélite.[...] Ainsi, il nous faut ici entendre qu’il y a deux postérités de Juda et
deux races, comme deux maisons de Jacob!: l’une est née du sang et de la chair,
l’autre de la foi et de l’esprit.56

Les origines bibliques du royaume ne pouvant être que spirituelles, nées «!de la

foi et de l’esprit!», rares furent les intellectuels chrétiens à soutenir une véritable ascen-

dance israélo-gallique des croyants de France. La communauté d’élection des deux

peuples élus convainquant davantage, le thème de leur enracinement spirituel commun

en David connut un succès particulièrement marqué dans les derniers temps du Moyen

Âge. À la fin du XIIIe siècle, Guillaume de Sauqueville composa ainsi pour le roi un

sermon intitulé Hosanna filio David57. Il appuyait cette filiation sur divers arguments!:

les chrétiens ont succédé aux juifs, la France est le plus noble et le plus saint de tous les

royaumes chrétiens, elle est une nouvelle Terre Promise qui préfigure la Jérusalem

céleste. Image du psalmiste en tant que monarque de droit divin, le roi en est le fils

spirituel, comme le Christ lui-même est image et fils de Dieu58.

Il faut attendre la fin du règne de Louis XI pour que l’idée d’une filiation plus

forte du roi de France avec la lignée de David apparaisse en France, quoi que de ma-

nière encore assez sommaire, dans Le Jardin des nobles. Dans cette sorte

d’encyclopédie des connaissances théologiques et politiques de son temps qu’il écrit

pour son roi, Pierre Desgros décrit la filiation du «!plus noble de tous les roys du

monde!», d’Adam au Christ et du Christ à Louis XI. Ses conclusions d’amènent à rap-

procher la couronne de France de celle de David!:

56
Justin Martyr, Dialogue avec Tryphon, in Œuvres complètes, Paris, Migne, 1994, pp. 308-309.
57
Guillaume de Sauqueville, Hosanna filio David, ms. lat. 16 495 fol. 96v.-98r.
58
Mise au point par Colette Beaune, Naissance de la nation France, op. cit., pp. 288-89.
DEUXIEME PARTIE 168

Oultre plus nous devons tenir que le plus noble roy de tous les roys du monde a
este le roy disrael car se oncques noblesse fut en humaine nature elle a este en lhu-
manite du filz de dieu nostre redempteur ihesuscrist, et ceste noblesse a pris [chair]
des roys disrael et de judas. [...] Pour quoy devons dire que la noblesse du roy de
france est venue du roy david, des saincts patriarches et roys de Judee, des quelz
est descendu Ihesuschrist selon nostre humanite et la sienne. Et devons considerer
que la noblesse vraye qui est en humaine nature, a parler de noblesse politicque, fut
a adam donnee en lestat dinnocence.59

Puisqu’il critique vigoureusement et qu’il réfute dans son ouvrage les origines

troyennes de la nation, nous pouvons supposer que Pierre Desgros pense à une filiation

authentique de la France à David. Mais son argumentation s’arrête à ces quelques li-

gnes, elle ne nous en apprend pas plus. L’identification complète de Charles VIII en tant

que descendant de David avait été préparé par cette tradition historiographique médié-

vale. Elle fut développée en détail par un moine franciscain, Johannes Angelus Terzone

de Legonissa.

59
Pierre Desgros, Le Jardin des nobles , B.N.f. ms. fr. 193, fol.24 v. Nous avons trouvé, à un siècle d’écart,
un écho à ce passage de Desgros dans l’édition de Jean Pinart (Paris, 1579) de l’ouvrage de Sulpice
Sévère, La saincte Bible reduicte en epitomes, par l’histoire divine et sacree de Severe Sulpice, commen-
çant dés la creation du monde : Translatée fidelement de langue Latine en la Françoise. Pour notre
traducteur, il existe une vraie ressemblance entre la monarchie d’Israël et la monarchie de France. L’une
ressemble à l’autre comme le fils à son père. Sulpice : «!David a soutenu guerres fréquentes contre les
Philistins, desquels l’issue a esté fort heureuse : tellement qu’estant tous domptez par guerre, & les
emotions tant estrangeres que domestiques reprimees, gouvernoit en paix un royaume tres florissant.
Alors une convoitise soudaine luy survint de nombrer son peuple, a fin de mesurer et cognoistre les
forces de son royaume (a).!»
Note marginale : «!(a) La monarchie de France approche pour la maniere de succeder plus pres de celle de
David que toute monarchie qui soit au monde Recours au histoires.!» (fol. 36 verso)
DEUXIEME PARTIE 169

Chapitre IV

l’Opus davidicum d’Angelo Terzone de Legonissa

L’un des plus curieux traités de propagande à thématique biblique parus à l’époque des

guerres d’Italie, l’Opus Davidicum de Jean-Ange de Legonissa, est un cas unique dans

la masse d’ouvrages d’eschatologie faisant de la France très-chrétienne une nouvelle

Terre Sainte et de son jeune roi, le réformateur prédestiné de l’Église et l’élu des der-

niers jours. Issu de la plume d’un auteur italien engagé aux côtés des Français60, il nous

est parvenu dans un manuscrit unique et hautement décoratif de la Bibliothèque Natio-

nale de France, le ms. lat. 5971 A, dédié à Charles VIII et conservé dans la bibliothèque

royale du vivant de celui-ci61.

L’œuvre et son auteur

Une grande part de mystère plane encore sur cet ouvrage mal connu, notamment

quant à sa genèse textuelle et à la carrière de son auteur, que seuls quelques indices

60
L’auteur se déclare «!miles domus Francie hasta et gladio lingue!», fol. 2v.
61
Léopold Deslile, Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale , III, Paris, Imprimerie imp é-
riale, 1868, p. 95.
DEUXIEME PARTIE 170

disséminés au fil des cahiers laissent entrevoir62.!Certains passages laissés tels quels

dans l’édition finale permettent néanmoins d’évaluer les dates de sa rédaction, comme

ce vibrant appel évoquant l’attente tourmentée des troupes royales parmi le peuple

italien et les prodiges remarqués au temps de la mise en branle de l’expédition!:

Ne crains plus, Italie, gloire du monde, dans peu de temps, Charles te rassemblera
dans l’unité de la foi, comme la poule rassemble ses poussins sous ses ailes, après
avoir arraché la racine de tes maux, et avoir brisé la lance de Goliath![...] Le coq /
gaulois63, fier et immaculé, te réveille de ton sommeil charnel de pourriture et
d’infidélité. C’est pourquoi ce Charles, vraiment grand, accomplit de si nombreux
miracles, car la main du Seigneur est avec lui!! 64

Commencée vers 1494, la rédaction de l’Opus se poursuivit apparemment durant

tout le voyage puisqu’elle décrit les événements marquants du périple jusqu’à la bataille

de Fornoue, puis le retour de Charles en France et les derniers retentissements de

l’expédition du côté italien. Le dernier événement recueilli par l’ouvrage fut la descente

62
Cf. Amnon Linder, «!Ex mala parentela bona sequi seu oriri non potest ; the Troyan Ancestry of the
Kings of France and the Opus davidicum of Johannes Angelus de Legonissa!», B.H.R., 40. 1978, pp. 502
ss.
63
L’image du coq assimilée à la Gaule constitue un lieu commun de la rhétorique médiévale, laquelle lie
l’adjectif gallus (gaulois) et le substantif gallus (coq) non seulement en vertu de l’homonymie, mais en
raison de propriétés de l’animal qui selon un compilateur tardif de Reinard l’ermite, sont triples : «!Les
premieres sont mauvaises : car il est superbe, criant, luxurieux, et inconstant / prest à la guerre, et à la
paix. Ceux qui ont ces proprietez sont à blasmer. Les bonnes proprietez du Coq sont qu’il est beau, et plus
beau quand il est orné de belles plumes, il est ioyeux, hardy, amoureux, et liberal. Ceux qui ont ces
conditions sont de la noble lignee des François. Les tres-bonnes proprietez du Coq sont, qu’il est prudent,
veillant, chantant, bien conduisant ses subiects, fecond, ostant le grain hors de la paille, et le departissant
à ses poulles. Le Coq est le degré spirituel en l’Eglise!» J. Baret, Le chant du coq François, Paris, Denys
Langlois, 1621, pp. 122-23.
64
Fol. 3 v-4r. Pour la version latine de tous les passages de l’ Opus davidicum cités dans cet essai, nous
renvoyons le lecteur à notre annexe contenant une transcription complète de cet ouvrage.
DEUXIEME PARTIE 171

avortée de Maximilien Ier en Italie à l’automne de 149665. Selon toute probabilité,

l’Opus fut donc terminé entre cette date de 1496 et la mort du roi le 7 avril 1498, la-

quelle n’apparaît nulle part dans l’ouvrage. Dans les derniers passages de l’ouvrage,

Jean-Ange appelle encore le roi à revenir en Italie pour accomplir le rêve de conquête

qui avait tourné court quelques années plus tôt!:

Revertere, revertere, quare rare retro reversus es, cum te universi populi orbis cla-
ment, rogant, orant et supplicant, dicentes!: veni domine et noli tardare. Nec refor-
matione tua indiget Francia. Veni festinanter…66

Du mystérieux personnage que fut Jean-Ange de Legonissa nous savons très peu

de chose, les seules informations que nous détenons de lui dérivant en tout et pour tout

de son Opus sur David. Elles se résument à deux éléments, son nom et son statut dans la

hiérarchie ecclésiale!: il s’identifie comme «!Iohannes Angelus Terçonis de Legonis-

sa!»67, nom que les recherches les plus fouillées n’ont encore pu rapprocher des no m-

breux ‘Johannes Angelus’ ou ‘Anglicus’ déjà connus des historiens68. Il appartenait à

l’ordre des Franciscains où il était un simple frère, «!frater [...] minorum Seraphyci

ordinis minimus!»69 dans le couvent tranquille la petite ville de Leonessa, à trente kil o-

mètres au sud-est de Spolète, dans la province de Rieti. La paix apparente de sa condi-

tion monastique recouvre toutefois une frontière fragile entre l’obédience franciscaine

65
«!De mense autem septembris Maximianus (sic) cesar in Italiam venisse [...]!»!(fol. 81r).
66
Fol. 83r.
67
Fol. 2v.
68
C’est du moins ce qu’il ressort des recherches d’Amnon Linder dans la liste qu’il drersse de «!Quelques
maîtres de l’Université de Paris vers l’an 1500!» in Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen-
âge, 18, 1950/1951, pp. 234-36.
69
Fol. 2v.
DEUXIEME PARTIE 172

du frère Ange et son allégeance politique, qui rappelle celle d’un Savonarole. Loin de

vivre détaché du monde et des guerres, il s’implique personnellement dans l’expédition

française, aiguisant sa plume pendant que roi s’absorbe dans les préparatifs de la lutte

armée et réfutant ses adversaires du côté italien, auteurs de «!libelles infâmes” et de

«!chansons méprisables!»70. Pour définir sa mission, il multiplie les métaphores milita i-

res, se désignant lui-même à plusieurs reprises comme “soldat au service de sa louange

et de sa race éternelle!», «!soldat très fidèle du descendant de David, le Roi Charles”,

«!glaive de l’amour [du Christ] pour le très grand Charles”71, en somme comme un

mercenaire de Dieu au service de la France.

Sur les origines bibliques des rois de France

De ses idées, l’Opus davidicum nous livre la principale et la plus originale, celle

que le mythe des origines troyennes de la France cache une supercherie, indigne de la

majesté véritable de ses princes. Une filiation réelle, charnelle, fait descendre Charles

VIII non pas du «!très infidèle Troyen Priam!», mais de l’Israélite roi David, de sorte

qu’il est le véritable empereur des derniers temps annoncé par les prophètes et le délé-

gué du Christ, choisi pour annoncer et préparer le salut messianique. Ainsi affirme-t-il,

en substance!:

Le seigneur a suscité son serviteur Charles pour qu’il confonde les adversaires de
la chrétienté. Il est celui-là qui, issu de la maison de David, devait être envoyé à

70
Fol. 4v.
71
Respectivement aux fols. 5r, 16r et 17r.
DEUXIEME PARTIE 173

notre époque [...] Et le seigneur lui-même le conduit comme un agneau plein de


douceur pour être le dominateur de la terre.72

Il est vrai que les origines troyennes des nations européennes, formées au VIIe

siècle dans l’Historia Francorum de Frédégaire, étaient des origines païennes qui

s’accordaient mal avec la dignité du roi très-chrétien!; cette légende fut rejetée en Italie

vers 1450 et c’est dans ce contexte qu’Angelo Terzone conçut, comme d’autres écri-

vains avant lui, sa version rivale73. Les conflits religieux et l’exégèse des textes avaient

déjà fait connaître l’existence d’une autre civilisation plus ancienne que celle du peuple

troyen, celle des Hébreux, à laquelle la Bible rattachait la naissance des civilisations.

C’est à ce berceau que notre Franciscain rattache son mythe des origines hébraïques de

la France, qui se propagea jusqu’en France dans l’œuvre de Lemaire de Belges74.

L’humanité entière descend de Noé, le seul survivant, avec ses fils, du Déluge!; le ca-

ractère sacré de la Bible ne permet pas de le mettre en doute, les Anciens ont donc

menti. Dorénavant, les Francs ne peuvent plus se glorifier d’ancêtres moins illustres que

les Patriarches, il faut les rattacher à la famille de Noé. C’est à ce thème majeur, annon-

cé sans détour par son titre, que s’attache l’Opus davidicum.

72
Fol. 3 v. L’auteur ajoute : «!Verum enim ex bono melius ac optimum derivatur!: ex Davidica Israelit i-
cave familia christianissima fieri possibilitatem actualem esse cernimus. Hoc quidem veritatis causa in
lucem produximus.!»(fol. 2r).
73
Mise au point par C. Beaune, op. cit., pp. 46-48.
74
Avec Lemaire de Belges, la question de l’origine des Francs laisse la place à celle de l’origine des
Gaulois, qu’il fait descendre de Noé, et ce une astuce inspirée de textes français et italiens de la seconde
e
moitié du XV siècle, en particulier les travaux d’Annius de Viterbe. Cf. Claude-Gilbert Dubois, «!La
composante hébraïque dans les mythes d’origine de la France au seizième siècle!: autour du ‘règne
israelogallique’ de Guillaume Postel!», in [P. Carile, G. Dotoli, A.-M. Raugei, M. Simonin et L. Zilli,
Parcours et rencontres. Mélanges de langue, d’histoire et de littérature françaises offerts à Enéa Balmas,
Paris, Klincksieck, 1993, (pp. 247-61), en particulier pp. 248-54.
DEUXIEME PARTIE 174

Nous pourrions résumer la thèse d’Angelo Terzone de la manière suivante!: les

Français en général et la maison de France en particulier descendent en droite ligne de

la souche royale de David!; Dieu les a exaltés au-dessus de tous les grands de la terre

pour que s’accomplissent les promesses de salut annoncées par Daniel (2,44)75 et Isaïe

(9,6)76. En Charles VIII se lèvera un chef à jamais vainqueur, un David des temps no u-

veaux, appelé à régner sur la terre entière pour réaliser l’harmonie et l’unité de la foi,

conformément la promesse des psaumes et à l’oracle de Nathan. Assurément, cette idée

d’une mystérieuse filiation de Charles avec le roi des Juifs, intensifiée par le dessein de

conquête, servait un dessein de prime abord bien général, celui de montrer la dimension

sacrée du prince que la vocation royale et chrétienne appelait à combattre les Infidèles.

En revanche, dans le contexte de la descente en Sicile, les prétentions de la France de

posséder tout l’héritage davidique ainsi que les terres qui y mènent, la Palestine et le

royaume de Naples, trouvaient aussi dans ce nouveau mythe un argument de poids.

L’élément hébraïque inhérent au mythe des origines juives du royaume apportait à la

déclaration juridique qui reconnaissait à Charles des droits sur la Terre Sainte une cau-

tion religieuse, des témoignages anciens et inspirés assurant la noblesse des prérogatives

royales par leur antiquité et leur octroyant un fondement sacré. Comme naguère Jeanne

d’Arc le fit avec le roi de Bourges, il convenait d’assurer les rois de France qu’une

mission divine justifiait leur marche vers Israël, où les appelait le devoir de rétablir

l’harmonie universelle en restaurant sur le trône la figure puissante et sainte du plus

illustre ancêtre du Christ. L’espérance d’être à la fois le libérateur et le conquérant d’un

75
Opus : «!Nam iam cognoscunt illud Danielis esse probatum : Non auferetur sceptrum de Iuda, id est
regale dominandi imperium per truncationem lilii in altaribus positi, scilicet Christi floris. Quo autem
lilius truncatus est plantatum in terra semen perpetuo eius duraturum, de quo Karolus est.!» (fol. 82r)
76
Opus, II, 9 : «!Super solium David et super regnum eius in eternum sedebitis.!» (fol. 36r)
DEUXIEME PARTIE 175

État qui lui appartenait de droit devait flatter l’ambition du roi, que la qualité de très-

chrétien et d’Élu destinait à sauver l’Église. Les paroles des prophètes bibliques sur les

prolégomènes de l’ère messianique devaient se réaliser au cours de son règne et lui

permettre de préparer, à très court terme, l’hégémonie du royaume de France sur toute la

terre.

Les origines «!israélogalliques!» de la France selon Viterbe!: quelle in-

fluence?

Du côté italien, un humaniste contemporain de notre auteur tenta également de

rattacher l’origine des gaulois à la famille de Noé!: il s’agit bien sûr d’Annius de Vi-

terbe, moine de l’ordre des Prédicants et célèbre compilateur de documents apocryphes

(des faux en réalité) qui devaient connaître au XVIe siècle un retentissement considéra-

ble77. Les faux d’Annius répondaient au besoin, partagé avec notre franciscain, de d é-

placer le mythe des origines troyennes des peuples d’Europe en dépouillant l’antiquité

classique de ses prétentions fondatrices, donnant au peuple de l’Alliance la véritable

paternité du monde civilisé. En se basant sur des prétendus fragments d’historiens anti-

ques comme Bérose, Manéthon, Myrsilus, Caton et quelques autres, Annius amorçait la

recherche des origines fondées sur le rattachement à l’Écriture78. De Bérose, prêtre

77 e
Cf. Claude Gilbrert-Dubois, Celtes et Gaulois au XVI siècle!: Le développement d’un mythe nation a-
liste, Paris, Vrin, 1972, pp. 24-30.
78
L’ouvrage d’Annius de Viterbe fit le tour de l’Europe, sujet à de nombreuses publications. On en
signale la première apparition à Rome en 1497, puis à Venise un an plus tard. À Paris, l’œuvre fut publiée
en 1511, en 1512 et en 1515!; à Bâle, en 1530!; à Anvers, en 1545 et 1552!; à Lyon, en 1554, 1591 et
DEUXIEME PARTIE 176

chaldéen, contemporain d’Alexandre, Nanni retient ce que fut le peuplement de

l’Europe après le Déluge!: Noé, monarque universel, établit son fils Japhet en Europe,

lequel!choisit à son tour son fils aîné Samothes pour régner sur la Gaule. La lignée des

rois gaulois puis celle des Francs descendent de ce tronc commun, lequel aboutit à un

véritable syncrétisme entre judaïsme et paganisme.

Dans quelle mesure l’Opus davidicum entretient-il des affinités avec les travaux

d’Annius Viterbe? Si l’on compare les dates de rédaction de l’Opus (1494-1497) et celle

de la première publication de l’ouvrage de Nanni (1497), leur quasi-simultanéité témoi-

gne d’un souci commun, apparemment issu d’un changement d’état d’esprit des Italiens

au temps de la conquête française!: le désir partagé de renouveler la crédibilité de la

matière dont sont faits les mythes et, par le fait même, d’épurer l’histoire de l’emprise

de la fable. Contre les fictions poétiques et mensongères des païens, Annius et Terzone

opposent ensemble la Bible, dépositaire de la Vérité. Là où l’Antiquité touche à ses

limites, ils appellent l’Histoire Sainte. À la fin du XVe siècle, la chute de l’Empire

chrétien d’Orient fait rechercher l’unité du monde dans le berceau de la foi et dans la

vision d’un monde chrétien uni, une cité supranationale fondée sur des vertus religieu-

ses et humaines universelles. Les recherches et les reconstitutions historiques de Nanni

et du franciscain, issues de cette souche commune, prennent toutefois des directions

singulières lorsque s’affirment les choix herméneutiques respectifs des auteurs et la

forme imprimée à leur pensée. Alors que l’Opus se présente comme une tentative de

réécriture, résolument moderne, de l’histoire avec pour sources exclusives la Bible et

des chroniques de France, les textes publiés par Annius exhument une série de docu-

ments anciens prétendus authentiques, trouvaille de moines arméniens, et dont on attri-

1598!; à Wittenberg, à Cologne, enfin à Venise dans une édition en italien datée de 1588. Cf. Idem, p. 25.
DEUXIEME PARTIE 177

bua la paternité à des autorités légendaires (comme Bérose) suivant une tradition qui

avait autrefois inspiré les récits de Dictys de Crète et de Darès le Phrygien. Cette diver-

sité de sources faisait accepter à Nanni les thèses evhéméristes!; pour sa part, Angelo

Terzone s’y oppose, ne reconnaissant pour véridiques que les faits avérés par l’Histoire

sainte et l’Histoire de France. Là où le Romain renouvelle et enrichit le répertoire des

sources historiographiques de l’Occident, le Légonissien soumet aux exigences de la

foi, l’historiographie de son temps. Chez les deux hommes cependant, la vérité de

l’histoire naît désormais d’un mythe des origines des peuples aux racines aussi vieilles

que la Création avec, pour commun dénominateur entre les hommes, leur enracinement

dans l’Ancien Testament.

Forte de cette tendance à redonner à la Bible sa place dans l’histoire de France,

une double argumentation organise donc l’Opus de Jean-Ange de Legonissa!; l’une

positive, traçant la filiation charnelle de Charles VIII avec David, et l’autre négative,

que nous avons évoquée, conçue comme une attaque de la légende des origines troyenne

des nations européennes79. La plus importante réside dans la première, car elle lie de

manière indélébile les prétentions de Charles VIII sur l’Italie et la Palestine avec la

réalisation des promesses de l’Ancien Testament, dans un esprit qui rappelle

l’illustration du diurnal de René II de Lorraine. Sa méthode consiste à reprendre pas à

pas la généalogie du roi, d’abord en évoquant ses ancêtres du temps de la Genèse puis

en déclinant sa lignée jusqu’à sa naissance. Dans chacune de ces étapes, l’écrivain

dégage des signes d’un enracinement davidique.

79
Pour une étude spécifique de ce thème dans l’Opus, cf. Amnon Linder, op. cit. (1978), pp. 497-512.
DEUXIEME PARTIE 178

De Noé aux rois d’Israël, les ancêtres de la France

Les deux premiers livres de l’Opus davidicum retracent la lignée qui relie Adam

au Christ à travers les cinq premiers âges de l’humanité, avec pour objectif le désir de

prouver que Charles VIII descend véritablement d’Adam et de la création directe de

Dieu. Les débuts sont classiques!: Adam, Abel, Noé, Melchisedech, Héber, «!dont les

reins portèrent les rois très-chrétiens!»80. Parmi les Hébreux, la lignée d’Abraham et de

Moïse jusqu’à David et Salomon se perpétue jusqu’à Marie et au Christ. Enfin, la dias-

pora juive après la destruction du Temple entraîne la maison de Juda en Gaule, où ils

vécurent en convertis. Jusqu’à la naissance du Christ, cette généalogie est relativement

conforme au récit biblique consacré au peuplement du monde après le Déluge et à

l’origine de l’espèce humaine!; du point de vue théologique et spirituel, elle dote le

peuple français d’une ancienneté extraordinaire, aussi lointaine que l’époque de la

Genèse. Elle rehausse la dignité nationale en faisant des ancêtres des Francs les tout

premiers protagonistes de l’Histoire Sainte. Du Christ à Charles VIII par ailleurs, la

filière dynastique est moins sûre et demande une solide argumentation!; frère Ange s’y

consacre dès son survol initial de l’Ancien Testament, recherchant dans les moindres

détails de l’Écriture les signes d’une ressemblance entre les protagonistes vétérotesta-

mentaires et les héros de l’histoire de France. Tout le travail de l’historien est là, prou-

ver que dans l’Écriture se profilaient déjà les moments forts de la geste nationale, la

nation très-chrétienne conservant de génération en génération les traits héréditaires

reçus de ses prédécesseurs hébreux comme des fils devant leur père.

80
Fol 6v.
DEUXIEME PARTIE 179

L’originalité du franciscain apparaît sous son jour le plus vif dans le procédé

herméneutique qu’il choisit pour parvenir à son but, celle d’une double lecture allégori-

que de la matière biblique, menée tout au long de cette première partie de manière libre

et désinvolte. Il faut l’examiner en détail.

Dès l’époque de l’Ancien Testament, prophètes et patriarches auraient figuré non

seulement l’avènement du Christ mais aussi celle des rois de France, de sorte que cha-

que événement vétérotestamentaire trouve non seulement sa correspondance dans le

Nouveau Testament, mais aussi dans le règne de Charles VIII. Ainsi, l’ivresse de Noé

racontée dans la Genèse81 est l’occasion d’un premier parallèle avec la maison de

France!: contrairement à Bacchus, dieu des excès et de la démesure, l’ébriété de Noé fut

toute spirituelle, signe d’un amour débordant pour le Christ82. Pour cette raison, le père

de Sem, Cham et Japhet peut être également considéré comme le patriarche des rois

très-chrétiens, eux-mêmes «!enivrés de la douceur de la religion chrétienne!»83. Plus

loin, le symbolisme de l’arche et de l’après-déluge file le rapprochement!: l’arche figure

à l’avance la maison de l’Église militante de Dieu, la résidence du Pape, et la relation

privilégiée de Noé et de Sem, le prêtre suprême, le lien privilégié qui unit les rois de

France et la papauté. Lorsque les eaux se furent retirées et que la paix fut rendue au

monde, Noé et Sam habitèrent ensemble l’Asie, qui s’étend de l’Euphrate à l’Océan,

avec en son centre, la cité sacrée de Jérusalem. De cette lecture allégorique de la Bible,

l’italien déduit la mission qui incombe désormais au royaume!: le nouveau Noé Charles

VIII doit reconquérir sa ville en vertu de ses droits de premier occupant et y restaurer la

foi de Noé et de ses descendants chrétiens. Cette double interprétation du récit de la

81
Gn. 9, 20-27.
82
«!Ivre d’un divin amour pour le Christ!», fol. 6r.
83
Fol.6r.
DEUXIEME PARTIE 180

Genèse culmine dans une curieuse évocation du roi croisé affublé du manteau du héros

biblique, évocation qui reflète bien l’ambiguïté inhérente au parti pris exégétique de

notre auteur!:

Noé reste toujours le Roi très-chrétien de France qui garde et conserve notre re-
nom.![...] Voilà pourquoi le roi très-chrétien doit gouverner et posséder cette illus-
tre Jérusalem, en considération de son droit de premier occupant.84

La récupération de l’Ancien Testament et sa double interprétation allégorique, si

déroutantes de la part d’un exégète, ne s’embarrassent pas des exigences scientifiques

du commentateur aux prises avec un texte à la fois immuable et riche d’une longue

tradition exégétique!: elle sert avant tout un but politique, celui d’apporter au voyage

d’Italie des arguments sacrés avec la Bible pour témoin. Pour soutenir la cause royale

dans ces différents aspects, le procédé se décline en une multitude de nuances et de

variantes. Dans le récit noachique par exemple, l’allusion à l’entreprise napolitaine est

directe, elle invite le roi à passer sans tarder à l’action. Cela n’est pas toujours le cas car

il arrive aussi que le commentaire, de manière plus implicite, parvienne à ses fins par le

chemin détourné du panégyrique. L’exposition du moine de Rieti utilise alors l’étoffe

scripturaire comme un canevas tendu pour broder un éloge de la maison de France, avec

pour motif sous-jacent sa dignité d’accomplir les plus hauts exploits. En raison de sa

place privilégiée dans le plan de Dieu, le royaume apparaît alors comme le successeur

de la nation juive au temps de la nouvelle Alliance, sous-entendu la seule vraie puis-

sance apte à rallier les chrétiens d’Orient et d’Occident au sein d’un empire universel.

84
Fol. 6v.
DEUXIEME PARTIE 181

La première pierre apportée à cet édifice apparaît avec le thème de la «!divine

préordination!» des rois de France, dont l’auteur trouve une claire préfiguration dans

l’histoire des fils jumeaux d’Isaac, Jacob et Esaü. De même que Yahvé bénit Jacob de

préférence à son frère, le royaume des Francs occupe la première place au rang des

nations chrétiennes. De ce choix divin, le chapitre III du premier livre de l’Opus tire une

maxime morale que l’auteur extrapole à ses fins partisanes!: l’élection (symbolisée par

Jacob) doit toujours avoir le pas sur la nature (symbolisée par Esaü), en d’autres termes

la France doit se rendre maîtresse de toute la Création. Selon le moine, l’argument

majeur en faveur de cette thèse apparaît dans la curieuse lutte des jumeaux au moment

de leur naissance85!: Esaü aurait voulu sortir le premier, selon l’ordre de la nature, et

s’assurer ainsi des avantages de la primogéniture. Mais dans le sein de sa mère, Jacob

lui saisit le pied. «!L’élection a contraint et dominé la nature elle-même.!» L’issue de

cette rivalité apparaît encore dans l’épisode du plat de lentilles vendu par Jacob à Ésaü

de retour de la chasse, en échange de son droit d’aînesse!: le plus jeune y gagna les

quartiers de noblesse de son frère. Dans cette aventure, la place privilégiée de la France

se trouverait comme préfigurée!; parce que ses rois défendirent toujours leur primogé-

niture contre les envieux et les infidèles, s’engageant aux côtés des Papes et résistant à

l’hérésie, elle est véritablement l’aînée des chrétiens de la terre. De plus, en raison de

leur élection divine respective, un certain mimétisme rapproche Jacob et la France et la

filiation directe de l’un à l’autre ne ferait aucun doute. L’interprétation allégorique du

85
Gn. 25, 19-26. En réalité, la naissance des jumeaux illustre la prophétie selon laquelle le plus jeune fils
né de la maison d’Abraham dominera l’aîné, comme le surgeon de Jessé règnera sur les branches maîtres-
ses!; cet oracle du Seigneur à Rébecca le révèle!: «!Il y a deux nations en ton sein, deux peuples, issus de
toi, se sépareront, un peuple dominera un peuple, l’aîné servira le cadet.!»(Gn. 25, 23).
DEUXIEME PARTIE 182

Franciscain conclut à la prééminence de Charles VIII sur toute l’Église, le cadet d’Isaac

figurant le royaume de France et sa dignité particulière sur l’ensemble ses voisins!:

Tous les autres monarques se sont fatigués à pourchasser les richesses et les autres

vanités de ce siècle et à piller les populations. Mais cette maison très libérale, caritative

et catholique s’est toujours tenue aux côtés de sa mère, l’Église86, et n’a pas voulu s’en

éloigner un jour, chassant les autres vanités du monde.87

Bien qu’il mette de côté toute allusion directe à l’expédition du roi, l’éloge

s’ouvre à nouveau sur un devoir, condensé dans une remarque étonnante parce qu’à la

fois peu chrétienne et chargée de l’idéal de conquête et de Croisade auquel se destinait

Charles VIII!:

Si la nature se rebelle contre l’élection, l’élection doit prendre sa place par


n’importe quel moyen.88

Cette formulation constitue peut-être la clef de lecture qui permet de comprendre

la manière si étonnante par laquelle Angelo Terzone défend les racines davidiques du

royaume, en dépit de la logique et des changements dynastiques qui se sont succédé au

fil des siècles. L’élection divine du peuple franc se transmet à travers les générations

royales «!par n’importe quel moyen!»!: si les liens du sang ont été rompus, la filiation

spirituelle s’est maintenue. Outrepassant les lois de la nature, elle a imprimé sa trace

dans la chair, assurant aux rois de France une filiation directe, de génération en généra-

tion, avec le roi David.

86
Sous-entendu : comme Jacob aux côtés de sa mère, Rébecca, qui a été sa conseillère.
87
Fol. 9r.
88
Fol. 8 r. Pour notre auteur, l’histoire de Joseph vendu par ses frères illustre également l’idée de l’élection
de la France au cœur du monde. Le fils de Jacob «!vit très véritablement en songe qu’il commanderait à
ses frères!», symbole du Christ descendant d’Abraham et de l’élection de Charles VIII.
DEUXIEME PARTIE 183

L’héritage davidique du royaume

Lorsqu’il arrive enfin à David, le moine toscan se montre, paradoxalement, peu

loquace. Le maintien de l’oracle de Nathan dans le royaume de France, même s’il appa-

raît en bonne place dans les conclusions à laquelle parvient l’Opus davidicum, ne retient

son attention que de manière distraite et superficielle. La promesse du Seigneur faite à

David, «!c’est à partir du fruit de tes entrailles que j’établirai mon trône!»89, est d’abord

évoquée en termes généraux au cinquième chapitre, puis elle revient ponctuellement

dans l’ouvrage pour glorifier sous les traits de Charles la figure du «!nouveau David!».

Peu de place est ainsi accordée au personnage central de l’Opus, le roi d’Israël lui-

même!; la descendance de David en France semble importer plus que la figure du roi

biblique lui-même, allant jusqu’à éclipser partiellement la figure centrale du patriarche.

Une double prise de position résume l’attitude de l’auteur à l’égard de David. La

première, négative, consiste à retirer au peuple élu de l’ancienne Alliance la promesse

de Yahvé de maintenir les fils de David sur le trône. La seconde, positive, postule son

transfert vers la France. Terzone réfute à sa manière l’argument avancé par de nom-

breux exégètes après Augustin sur le sens à donner à cette promesse!: il ne s’agit pas

seulement d’une promesse accomplie dans le Christ et en attente de se voir à nouveau

réalisée dans la gloire de la Cité céleste, mais d’une promesse pour ici-bas, avec pour

horizon la royauté de la maison de France. La royauté temporelle incombe à la «!race

très-chrétienne de David!», appelée à siéger devant toutes les autres. Tel est l’aspect

89
Fol. 11r.
DEUXIEME PARTIE 184

essentiel de la thèse d’Angelo Terzone, tel est aussi l’aspect le plus problématique de sa

pensée.

La pérennité de l’oracle de Nathan dans le royaume de France, principal fleuron

des rois très-chrétiens, absorbe Angelo Terzone dans une lecture tourmentée de

l’Ancien Testament. Alors que dans la deuxième moitié de son Opus, chaque victoire de

la France sur ses ennemis apporte une preuve de la bénédiction éternelle que Dieu étend

sur son royaume, la première partie du traité sonde le destinataire véritable de l’oracle,

en l’occurrence la France, et cherche dans l’Écriture d’improbables preuves de

l’élection du royaume pour régner à jamais sur la terre d’Israël. L’onction de David par

le prophète Nathan et les victoires du jeune roi sur les armées philistines et sur Saül

auraient pu construire le rapprochement et servir la cause du moine, conformément à la

tradition royale développée au Moyen Âge, mais pour des raisons que nous ne nous

expliquons pas, il s’y attarde très peu. En revanche, c’est la parabole des vignerons

homicides qui soutient la thèse négative du retrait d’alliance entre Yahvé et son peu-

ple90!: la vigne du Seigneur Sabaoth était la maison d’Israël et le peuple d’Israël l’a

déshonorée, mettant à mort le Christ son roi. Par conséquent, le royaume de Dieu fut

retiré aux Juifs et donné à la France, qui en porte désormais les fruits91.

Comment alors fonder sur l’Écriture l’apparition de la France dans le processus

du salut? À cette étape voulue positive de l’argumentation, l’Opus davidicum s’enlise

dans un écueil inévitable, celui de traiter avec la Parole de Dieu comme s’il s’agissait

d’une encyclopédie politique. Certains passages répondent à cette question en estom-

90
Mc 12, 1-12.
91
Fol. 9v. et 10r.
DEUXIEME PARTIE 185

pant par exemple les limites de l’Écriture et du commentaire, en multipliant les raccour-

cis saisissants jusqu’à trahir les extraits auxquels ils se réfèrent. Celui-ci par exemple!:

Je l’ai juré, dit le Seigneur, à David mon serviteur. Je t’assurerai une descendance
pour l’éternité. Je te bâtirai un trône de génération en génération.[...] Je l’ai juré en-
core et encore sur ma sainteté, comme si je pouvais mentir à David!! Et sa race sera
pour l’éternité dans la maison de France.92

Voilà pour Yahvé et son projet sur la France. Ailleurs, des généralités à outrance

amènent le frère Ange à des conclusions hâtives, notamment dans ce propos crucial

livré sans explication!:

Le roi chantre du Christ [David] dit!: “Et leurs fils régneront sur notre trône pour
les siècles des siècles”. Et voilà qu’est manifestée la promesse divine concernant
les rois très-chrétiens.93

Tous les passages de l’Écriture relatifs à la promesse de Yahvé de maintenir une al-

liance éternelle avec le peuple élu, qu’ils viennent de David lui-même ou d’épisodes

tirés de la vie d’Abraham et des prophètes, servent de passerelle plus ou moins solide au

commentateur pour construire le panégyrique royal94. Bien sûr, la démonstration cha n-

celle à plusieurs reprises, comme l’a d’ailleurs remarqué un lecteur du traité dans un

savoureux commentaire manuscrit placé dans une marge!: «!sauvaige à congnoistre!»95.

Il semblerait que la succession de prophéties concernant la France doive aller de soi et

92
Pour la première partie ce la citation, cf. ps. 88 (89), v. 4-5. Fol. 16v.
93
Fol. 12v.
94
Fols. 7r et 7v, 12r et 12v, 16v, 20r, etc.
95
Fol. 24.
DEUXIEME PARTIE 186

ne supporter pour tout éclairage que la lumière de l’évidence. «!Que ceux qui ont des

oreilles entendent, et ceux qui ont des yeux voient!!!», affirme notre auteur!:

Et le prophète [Isaïe], vrai héraut du Christ, dit plus loin!: “Et je présenterai leur
œuvre dans la vérité, je conclurai une alliance perpétuelle avec les miens et l’on
connaîtra leur race parmi les nations. Et tous ceux qui les auront vus sauront pour
quelle raison ceux-ci sont la race bénie du Seigneur.” Avec quel grand génie le
prophète raconte cela!!96

Quelles que soient les difficultés du moine de Rieti à mener à bien en toutes

circonstances sa double lecture des Écritures, la conviction que les rois de France héri-

tent d’une promesse qui garantit leur primauté parmi les nations oriente le rôle que

l’Opus davidicum octroie au jeune Charles. Comme David-roi était un guide pour son

peuple en temps de paix et de guerre, et comme le Christ, son fils, était pour les siens le

bon berger, le roi doit s’acquitter de ses devoirs et prendre la tête de sa nation. De même

également que le roi d’Israël fit périr Goliath et sut dompter Saül, et que le Christ scella

par sa mort sa victoire sur le Mal, Charles vaincra les Turcs et tous les tyrans de la terre

seront anéantis. Dieu ayant enfin promis sa fidélité éternelle au plus illustre roi d’Israël

et à toute sa maison, l’ascendance davidique des rois de France apparaît comme une

garantie de l’issue de l’expédition italienne, elle annonce la prise de Naples et la victoire

prochaine des Français en terre de Judée.

96
Fol. 20 r. Référence à Is. 55, 3-5. Nous n’avons pas trouvé le passage biblique correspondant à la de r-
nière partie de la citation ; il s’agit certainement d’un extrait tronqué, simplement juxtaposé à la prophétie
d’Isaïe.
DEUXIEME PARTIE 187

Le Christ, roi de France

Une fois établie la corrélation entre le roi d’Israël et le roi de France, il était

facile pour Angelo Terzone de tirer le fil biblique reliant le fils de Jessé à Marie et à

Jésus de Nazareth, puis de glorifier Charles de sa filiation ancestrale avec le Christ97. De

cette proximité, l’auteur vante les nombreux!avantages!: puisqu’il en est le fils spirituel

et le frère en David, le roi de France trouve dans le ciel un puissant défenseur, un divin

avocat en mesure de faire fléchir le cours de l’histoire en faveur des croisés. En tant que

lieutenant de Dieu sur la terre, le monde entier doit rendre hommage à Charles et fléchir

le genou sur son passage, reconnaissant en lui une figure du Sauveur. L’ascendance

davidique commune du Christ et du roi de France dans l’Opus amène même l’auteur à

réaliser un amalgame étonnant, ce dernier procédant sinon à l’identification complète,

du moins à une interpénétration des héros scripturaires et princiers dans un éloge en-

thousiaste, où la gloire du royaume se confond avec celle du Christ et de son ancêtre en

Jessé!:

La maison de France a été élevée sur le sommet de la foi au-dessus des autres col-
lines [i.e. au-dessus des autres princes du monde]. Ce Jésus-Christ descendant
d’Israël et de David est le premier de la maison de France, à partir duquel ses rois
sont très-chrétiens, poussés devant lui par ce seigneur. Cette race-là n’est plus dite

97
«!De même que le rejeton de David, avec sa substance corporelle est exalté dans le ciel au-dessus de
tous les anges et que le Christ, par Marie, se rattache à la race et à la racine de David, lui au nom duquel
toutes les créatures fléchissent les genoux, de même sur la terre la race de David devait être placée avant
toutes les autres. Et nulle autre parentèle n’a fait constamment de si nombreuses et de si grandes actions,
surtout dans cette foi [chrétienne] que dans la maison de France, de même que ces anciens héritiers de
David ont constamment dépassé les autres. Qui oserait dont douter que cette illustre maison de France ne
descende de celle de David?!» Fol. 14r-14v.
DEUXIEME PARTIE 188

de Abraham ni de David, mais désormais, du Christ-Roi. La race de Dieu est la


race très-chrétienne.98

Où Angelo Terzone veut-il en venir? Par quel moyen cette démonstration éton-

nante présentée sous la forme d’un récit à saveur biblique et spirituel pouvait-elle inter-

peller des hommes soucieux de conquêtes et de pouvoir en Italie? À partir du modèle

idéal constitué par la descendance de David, avec en amont Noé et en aval le Christ, le

moine de Rieti veut lancer un appel aux peuples de l’Europe chrétienne à reconnaître en

Charles l’envoyé de Dieu, pour lutter avec lui contre le Satan des temps modernes, qui

est le Turc. L’entreprise n’est donc pas gratuite, elle vise une proposition diplomatique!:

celle de pousser à une action commune les peuples d’Europe sous la forme d’un appui

concerté à la descente du roi très-chrétien en Italie, dans le but ultime de faire Croisade.

Le personnage de Marie, patronne du royaume et «!véritable reine des Juifs!» issue de

David99, joue dans ce projet un rôle stratégique. Jusqu’à elle, si la Bible avait permis à

notre franciscain d’établir les droits du roi de France sur la Judée et sur le monde, elle

n’avait encore fait aucune allusion spécifique à la destination primordiale de Charles

dans sa descente outre-monts, l’Italie. Bien sûr, la conquête de Naples ne pouvait être

exclue du plan de Dieu sur la France et encore moins passée sous silence, il lui fallait

une légitimité et donc une place dans l’immense fresque prophétique de l’Ancien Tes-

tament. Un court mais important passage sur la Vierge pallie cette lacune de manière

originale car elle mélange la tradition biblique avec une référence à Homère. La pre-

mière étape du processus de légitimation consistait à faire valoir l’ascendance mariale

98
Fol. 17v.
99
Fol. 15r.
DEUXIEME PARTIE 189

du royaume par David et le Christ, puis dans un second temps, à en tirer des conséquen-

ces politiques.

Terzone décrit Marie «!régnant temporellement sur toutes choses!» et par écho à

l’héraldisme de son temps, note qu’elle avait «!les lys pour arme!»100. Les fleurs de lys

ne sont-elles pas les armes des rois de France, rappelle le moine? À ce titre, tous les

royaumes consacrés à la vierge doivent revenir à Charles VIII, à commencer par

«!le!Royaume Parthénopéen de Naples!»101. La légende sicilienne développée dans

l’Odyssée raconte en effet que la sirène Parthénope se suicida avec ses sœurs quand

Ulysse eut échappé à leurs sortilèges!; son corps fut rejeté sur la côte où plus tard fut

fondée Naples. Or, rappelle Terzone, «!Parthenos, en grec, c’est virgo, en latin!»102, et la

Vierge Marie est, à la face du monde, reine de France. Cette légende cautionnée par le

ciel confirmerait ainsi de manière prophétique les droits de Charles sur la Sicile, elle

appelle la nation à prendre les armes.

L’assimilation de la matière biblique à la figure royale en vue d’illustrer le mo-

narque et de légitimer ses ambitions est certainement le trait le plus caractéristique et

peut-être le plus commun de la première partie de l’Opus consacrée à l’Ancien Testa-

ment. Vanter les mérites de Charles et sa ressemblance avec les protagonistes de

l’Histoire Sainte revenait tout simplement à mettre par écrit les rapprochements offerts

aux regards sur les tréteaux des entrées royales, peints dans les ouvrages de dévotion et

proférés dans de nombreux sermons depuis le XIIIe siècle. Vu sous cet angle, l’auteur

recycle dans la tradition du panégyrique royal des thèmes remis au goût du jour auquel

il donne, il est vrai, une nouvelle consistance puisqu’ils s’appliquent à l’être de chair et

100
Idem.
101
Fol. 19r.
102
Idem.
DEUXIEME PARTIE 190

de sang que fut la personne de Charles VIII. L’originalité de l’Opus tient cependant à

une tentative essentielle, celle de démontrer comment la lignée de David s’est perpétuée

dans le sang royal malgré les changements dynastiques et les aléas de l’histoire de

France.

Contre le mythe des origines Troyennes, la diaspora juive

Les troisième et quatrième livres de l’Opus davidicum, consacrés à la réfutation

des origines troyennes de la France et aux moments clés de l’histoire nationale, substi-

tue à la légende de la migration des fils de Priam vers le Nord une autre légende tout

aussi incertaine, celle de la diaspora de l’une des douze tribus d’Israël, la maison de

Juda, en France, et son ascension progressive aux plus hautes dignités du royaume.

Cette nouvelle légende prend curieusement pied sur les légendes préliminaires à la

fondation de Rome et à la geste de Troie, en même temps qu’il en prend le contre-pied!:

elle en retient le schéma narratif et l’applique à une matière nouvelle, destinée à débar-

rasser le récit des origines de la nation des scories des fables et des mythes. Dans

l’histoire d’Énée, le destin du héros suit le schéma de la fable!: sur un fond de désastre,

le héros, doté d’une mission divine, échappe à la mort, accomplit une odyssée avec des

escales tragiques et finit par se sédentariser en un lieu choisi par le Destin, où il fonde

une nouvelle lignée. C’est là le modèle de l’épopée virgilienne, ce sera celui du Roman

de Troie de Benoît de Sainte-Maure, des Illustrations de Gaule de Lemaire de Belges,

de la Franciade ronsardienne, bref le fondement du récit des origines troyennes de

Francus.
DEUXIEME PARTIE 191

L’histoire des origines hébraïques de la Gaule, telle qu’elle s’établit dans

l’ouvrage d’Angelo Terzone, se constitue selon une succession d’événements compara-

bles à celle que traverse Énée. Comme dans la légende troyenne, on retrouve le récit

d’une catastrophe, la destruction du Temple de Jérusalem, puis l’émigration vers l’ouest

d’une tribu de rescapés, leur sédentarisation en un point de l’Europe occidentale et enfin

la fondation d’une nouvelle lignée, celle de la maison très-chrétienne de France. À cette

structure narrative calquée sur un modèle classique, un double élément destiné à chris-

tianiser le récit s’ajoute au schéma virgilien, celui d’une malédiction divine à l’origine

des malheurs d’Israël, mais ouvert sur une promesse, annonce de l’heureux dénouement

des événements et de la fondation d’une lignée nouvelle. Terzone la construit de toutes

pièces grâce à un pot-pourri de passages de l’Écriture et de menus ajouts personnels,

auxquels il donne un ton résolument biblique!:

Le royaume très-chrétien de Dieu vous sera enlevé et il sera donné à une nation qui
lui fera produire son fruit. Je vous ai envoyé dans ma vigne pour la cultiver et la
garder, à la façon de Dieu, et je vous ai donné ce qui était juste. J’ai dit également!:
‘Venez à moi, vous tous qui avez travaillé dans ma vigne de la chrétienté et je refe-
rai vos forces’!; mais vous m’avez fait défaut. Et moi, je vous ferai défaut à mon
tour. J’ai dit à vos pères et à vos rois que s’ils observaient mes commandements,
‘je serai pour eux un père et qu’ils seraient pour moi des fils’ et s’ils se gardaient
des dieux étrangers, c’est-à-dire des désirs du monde, ‘vous siégerez sur le trône de
David et sur sa royauté pour l’éternité’. Néanmoins je vous rassemblerai, et je ne
vous disperserai pas puisque vous êtes de ma maison. Et la maison du Christ
concerne mon salut.103

103
Fol. 36 r. Cette longue parabole mêle Ancien et Nouveau Testament : Genèse, psaumes, parabole des
ouvriers de la dernière heure, parabole des vignerons homicides, etc.
DEUXIEME PARTIE 192

Dans cette adaptation de la matière biblique, le dénouement de l’histoire juive

épouse les grands traits des mythes fondateurs. Selon le moine italien, au moment où,

après la mort du Christ, Jérusalem, avec toute la Judée, a été transformée en ruine par

Titus et Vespasien, comme le raconte Flavius Josèphe104, les Juifs n’eurent d’autre

solution que de fuir. Onze mille hommes périrent par le glaive et par la famine, quatre-

vingt dix mille autres furent dispersés dans le monde entier, certains à Gog et à Ma-

gog105!; d’autres, qui avaient été témoins de la foi des martyrs et s’étaient réjouis de

leurs persécutions, se répartirent dans les pays d’Occident où ils furent traqués et mau-

dits. Seuls épargnés par la colère de Dieu, ceux de la tribu royale et davidique de Juda,

par ordonnance céleste et parce qu’ils avaient aimé le Christ (témoins Marie de Magda-

la, Lazare et Marthe), se transportèrent en Gaule. À la race de David, Dieu, selon sa

promesse, donnait pour l’éternité l’héritage des nations106!; la semence de David y fut

donc littéralement préservée et transmise chez les premiers convertis et dans leur des-

cendance, donnant naissance à la race des chrétiens107. Constantin, premier empereur à

recevoir le baptême, fut l’un de ces chrétiens de souche juive, mais la gloire de la lignée

davidique ne réapparut dans toute sa gloire qu’avec Pépin et Charlemagne, lesquels

détrônèrent de l’Empire d’obscurs barbares germaniques et firent mériter à la France

son titre de nation très-chrétienne.

Dans la geste nationale que reconstruit le moine de Rieti, une longue enquête

généalogique utilise le filon hébraïque pour renouveler l’identité nationale des Français,

104
Antiquités Juives, 12, 3.
105
Symboles des puissances du Mal dans la littérature judéo-chrétienne. Quant aux chiffres qu’avance
Angelo Terzone, ils proviennent de la Guerre des Juifs de Flavius Josèphe.
106
Cf. Ps. 88, v. 4-5!et 29-30.
107
Fol. 37r et 37v.
DEUXIEME PARTIE 193

alors en pleine construction. L’entreprise est ardue car les changements dynastiques au

sein du royaume rendent intenable la thèse d’une continuité de la race de David sur le

trône très chrétien, de Constantin à Charles VIII. Terzone contourne cependant le pro-

blème en s’appuyant sur une paraphrase biblique, érigée en principe à l’occasion de

l’avènement des capétiens, avec la montée au pouvoir de Pépin. À Dieu rien

d’impossible, sa fidélité s’étend d’âge en âge!:

Dieu seul, qui est immuable, comme le montre toute l’Écriture, dit!: “Moi, je suis le
Seigneur et je ne suis pas sujet au changement. Il n’y a pas d’autre Dieu que moi,
moi, le Seigneur.” [...] Bien que la lignée de Pépin nous semble changée, la puis-
sance de Dieu, de même qu’elle crée à partir du néant, transforme une chose en une
autre!; et il est manifeste que c’est la même, puisque les Rois très-chrétiens accom-
plissent les antiques prophéties et même les dépassent. [...] La voix du monde en-
tier, avec la permission divine, proclame que la maison de France est celle de la
Vierge Marie, Reine des Cieux et de la Terre.108

La prophétique histoire de France

Les «!antiques prophéties!» que les rois réalisent de génération en génération,

Terzone les évoque comme autant de preuves de la constance de Dieu auprès des fils de

David en France, et elles sont nombreuses. En premier lieu, Yahvé promit à Israël

qu’aucun davidide ne manquerait au trône et comme de fait, l’extinction de la lignée

mérovingienne n’entraîna pas la chute de la royauté davidique dans le royaume!: Pépin

reçut l’onction royale de saint Boniface et sa «!descendance israélite [fut] bénie au

108
Fol. 37r.
DEUXIEME PARTIE 194

nombre des élus!»109. Le Seigneur promit également au psalmiste la royauté sur les

peuples de la terre, or Charlemagne fut promu César par l’autorité du Pape Léon en l’an

815 et n’eut de cesse de soumettre les hérétiques en Espagne et dans l’Empire. D’autres

promesses du ciel se réalisèrent encore à son égard!; une manne de légendes populaires

ne racontent-t-elles pas que l’Empire se construisit grâce à l’assistance de nombreux

miracles? Terzone raconte par exemple que l’apôtre Jacques serait apparu à Charlema-

gne lors d’une croisade en Espagne alors que la route de la Galice était infestée

d’infidèles, prophétisant qu’il lui serait toujours une aide en toutes circonstances. À

l’issue des trois mois que dura le siège de Pampelune par l’armée des Francs,

l’empereur aurait invoqué le saint et demandé assistance, disant!: «!Seigneur Jésus-

Christ, pour la foi duquel je me suis transporté ici, donne-moi cette ville, et toi saint

Jacques, pour que je me dise que ton apparition est véritable, sois-moi propice, pour

qu’elle tombe entre mes mains!»110. À cette parole, les murailles de la ville s’écroulèrent

et la cité connut le sort de Jéricho. La nouvelle se propagea et les autres villes assiégées

se rendirent à Charlemagne, lui envoyant clés et tribut. Les sarrasins qui acceptèrent le

baptême furent épargnés, les autres périrent par l’épée.

Les parallèles trouvés entre la vie des rois et l’Histoire Sainte, au fil de cette

seconde moitié de l’Opus davidicum, ne manquent donc pas. Ils sont de plusieurs types.

Certains, comme le récit de la prise de Pampelune, évoquent une promesse de Dieu ou

d’un bienheureux qui s’accomplit dans le royaume, signe de l’élection éternelle des rois

français. La pérennité de l’Alliance avec les davidides gaulois y trouve un argument de

poids. D’autres recourent davantage à la prophétie comme à un miroir, une scène de

109
Fol. 31r.
110
Fol. 32v.
DEUXIEME PARTIE 195

l’Ancien Testament en préfigurant une autre tirée des annales nationales ou des légen-

des populaires. L’étonnante lutte de Roland contre Ferracutus d’Assyrie en est un

exemple. Ainsi raconte Terzone!: lorsque le roi de Babylone envoya Ferracutus

d’Assyrie et ses deux cent mille chars défier l’autorité impériale, le duel de David

contre Goliath vit à nouveau le jour. L’imposant hérétique avait une stature de douze

coudées et une figure longue d’une coudée!; quant à ses doigts, ils avaient une longueur

de trois palmes111. Ses exploits faisaient frémir l’armée chrétienne, laquelle n’osait le

provoquer au combat. Ne disait-on pas qu’il avait soulevé de terre d’une seule main

trois combattants des premiers rangs, Renaud de Montauban, un certain Constantin de

Rome ainsi qu’un autre comte, et les avait jetés en prison avec vingt autres chrétiens,

dans la cité des Ostrogoths? Toutefois, à l’instar du géant biblique fragile de la tête,

l’assyrien avait un point de vulnérabilité, et un seul!: une blessure au nombril pouvait lui

être fatale. Le courageux Roland, combattant pour l’empereur avec l’ardeur du jeune

David, usa de ruse et le prenant par surprise, lui enfonça l’épée en son point faible. Le

dénouement de la scène rappelle la Bible!: sans avoir renié ses dieux, Fer-aigü expira

comme jadis Goliath devant l’armée d’Israël, pour le plus grand honneur du peuple de

Dieu et de son empereur Charlemagne. Et Angelo Terzone d’en tirer sa conclusion

habituelle!:

Qui en effet pourrait affirmer que celui-ci [Charlemagne] n’est pas Israélite, ni
même très-chrétien? Il a opéré non seulement des miracles sur la terre de
Cham![i.e. des païens] mais des choses étonnantes de façon prodigieuse en tout
lieu, au service d’une foi indubitable.112

111
Respectivement 2m20!; 0m44!; 0m21.
112
Fol. 33v.
DEUXIEME PARTIE 196

La réminiscence d’un bel exploit biblique sur la scène contemporaine constitue

le côté porteur des prophéties historiques développées par Jean-Ange, les victoires des

Anciens servant de caution aux victoires de leurs fils dans le royaume de France et de

preuve de l’ascendance davidique des rois chrétiens. Appliqué aux pages lumineuses de

l’histoire nationale, l’Opus davidicum en recèle d’innombrables exemples. En revanche,

lorsque Dieu dans l’histoire semble avoir abandonné son peuple, un nouvel éclairage

prophétique s’impose. Il arrive alors que les prophéties fonctionnent à l’envers, un

événement contemporain (généralement pénible) figurant a posteriori un événement

ancien dans un but précis, celui d’écarter les doutes quant à l’infaillibilité de Dieu à

l’égard des siens. Le sort que connut Charles le Chauve à la fin de sa vie illustre ce

dernier type de recours, que nous qualifierons de paradoxal, aux prophéties. Le roi et

empereur que Terzone identifie comme un fils de Louis le Bègue113 fit fonder un grand

nombre de monastères en France et en Italie, mais ses œuvres pieuses ne furent pas

récompensées!: un certain juif nommé Sédécias l’emprisonna et trancha le fil de sa vie.

Le roi très-chrétien fut-il abandonné par son Dieu!? la France a-t-elle déjà partagé la

malédiction que connut le peuple d’Israël?!Frère Ange évoque ce jour de malheur à la

lumière d’un sens mystique et transforme la défaite française en un signe de salut!:

Les Juifs en effet [en firent autant] à leur Messie israélite sur le mont Calvaire!:
après avoir bu le fiel et le vinaigre, [celui-ci] déclara qu’il était totalement consu-
mé114. En effet, de même qu’auparavant Il avait voulu que les mystères du Christ
fussent préfigurés dans la lignée davidique et dans celle d’Israël, Notre Seigneur

113 er
Il s’agit d’une confusion puisque Charles le Chauve fut, en réalité, le fils de Louis I le Débonnaire!;
les approximations généalogiques de Terzone sont courantes dans l’Opus davidicum.
114
Interprétation curieuse du «!Consummatum est!» prononcé par le Christ en croix.
DEUXIEME PARTIE 197

Jésus Christ n’a pas refusé, par la suite, d’être parfois rappelé par ses rois chré-
tiens.!»115

Grâce à cette explication de l’histoire enracinée dans un terreau mystique, les

déroutes les plus fracassantes de l’histoire nationale trouvent une justification, elles

deviennent une réminiscence sublime des persécutions dont fut victime le Christ et un

signe positif que l’élection du royaume se maintient en dépit des apparences.

Des signes pour l’avenir

C’est dans ce regard prophétique porté sur les grandes figures de la France de

dynastie en dynastie que les prouesses attendues de la part de Charles VIII revêtent,

chez le Légonissien, un sens sacré, indissociable de l’histoire du salut. L’origine hébraï-

que que l’auteur assigne au roi des Francs l’entraîne à mettre le voyage de Naples en

parallèle avec les attentes messianiques partagées tant par les chrétiens que par les Juifs

de son temps, qu’il évoque à trois reprises au moins dans les dernières pages de l’Opus.

Commentant en faveur de la France le passage de l’Écriture selon lequel «!le salut vient

des Juifs!», il affirme tout d’abord que non seulement les disciples du Christ, mais

«!Iudei omnes de tribu regali quae olim eorum fuerat domum sanctam christianissimam

Francie affirmant!»116. Les peuples de l’ancienne comme de la nouvelle Alliance a u-

raient également compris, depuis l’arrivée des troupes du roi en Italie, que les prophé-

115
Fol. 35r.
116
Fol. 60r.
DEUXIEME PARTIE 198

ties anciennes, celles de sainte Brigitte, de l’Apocalypse de Jean, mais surtout les oracles

vétéro-testamentaires, sont en train de se réaliser dans la personne de Charles VIII!:

Car déjà, ils connaissent que ce passage de Daniel a été vérifié!: «!le sceptre ne sera
pas ôté de Juda!», c’est-à-dire le pouvoir royal de régner, grâce à la brisure du lis
posé sur les autels117, c’est-à-dire de la fleur du Christ. Mais là où ce lis brisé a été
planté en terre, sa semence, d’où Charles est issu, est destinée à durer toujours.118

On retrouve une fois de plus, au cœur même de la révélation de Daniel, le thème

de la pérennité du pouvoir promise aux davidides par l’oracle de Nathan et reformulée

poétiquement dans les psaumes en termes de domination éternelle des élus sur le

monde. L’opinion partagée par les Juifs et les chrétiens qu’une dimension messianique

habite en vérité l’œuvre française revient une nouvelle fois dans le dernier appel à la

croisade et à la libération de la Terre Sainte que l’auteur adresse à Charles VIII. Il rap-

pelle, à ce propos, que les prédictions eschatologiques ne sauraient être accomplies par

les Juifs déchus de l’ancienne Alliance!; car ces Juifs «!qui ont été expulsés de France,

d’Espagne et de Russie, […] attendent en effet dans un très proche avenir un chef capa-

ble de les libérer!: ils se rassemblent dans les pays d’Orient et là, il y aura un grand

pseudo-prophète qu’ils éliront pour leur chef, comme [le fut] jadis Moïse.!»119 L’intérêt

de ce passage réside dans la description de l’effervescence messianique qui s’étend bien

au-delà des frontières géographiques et confessionnelles de la France, et dont l’auteur

relève les manifestations caractéristiques. Le prophète imposteur) arrivera de proximo,

entraînant un mouvement de masse vers le Levant (la Judée) de manière spontanée et

117
Symbole de l’immolation du Christ.
118
Fol. 82r.
119
Fol. 81v.
DEUXIEME PARTIE 199

désorganisée, presque anarchique (ex se ipsis). Le frère Ange intègre ce scénario pro-

phétique bien connu dans sa propre structure eschatologique en l’assimilant aux signes

annonciateurs de la venue de l’Antéchrist sur la terre!; l’invasion de l’Italie en tant

qu’étape décisive vers la Terre sainte doit préparer les croyants à l’avènement de la

Jérusalem céleste, lequel instaurera le règne éternel du premier-né de tous les davidides

ressuscités, celui du Christ-Roi.

Dans les discussions animées qui occupèrent pour un temps les puissances ca-

tholiques au sujet du roi destiné à mener à bien la nouvelle Croisade, le frère Angelo

Terzone de Legonissa s’efforce de placer le roi de France au premier rang à partir de

deux arguments phares!: la revendication de «!primogéniture!» ou d’antériorité tempo-

relle de la France, dont les ancêtres remontent à Adam par David et Noé, et celle de

l’élection divine de la nation en vertu de son ascendance charnelle avec ce même David,

le premier roi d’Israël. La première, politique et religieuse, se calque sur les lois qui

régissent l’héritage aristocratique, tandis que la seconde est de l’ordre du sacré et se

fonde sur une lecture de l’histoire qui interprète chaque événement à la lumière de choix

providentiels. Avec l’avancée de l’armée française en Italie, il apparaît que non seule-

ment les hommes pensent hâter l’avènement prophétique du Messie sur la terre en y

restaurant l’unité de foi, mais qu’au ciel se prépare le dernier combat du surgeon de

David contre les forces du mal. Dans la formation du mythe des origines bibliques de la

France, la figure de David apporte une double garantie, celle que le Ciel protège la

France en vertu d’une promesse ancienne et prophétique, laquelle par sa dimension

biblique revêt un caractère irréversible!: à la mission à laquelle il se destine, le royaume

ne faillira jamais. Bien sûr, il ne suffit pas d’y croire, il faut également le prouver!: en

retraçant la généalogie royale depuis la Création du monde jusqu’à Charles VIII,


DEUXIEME PARTIE 200

l’auteur se risque à le montrer, faisant appel aux mystères de Dieu et aux miracles lors-

que la simple logique dément la filiation davidique directe. Mais la fragilité de la dé-

monstration réside précisément dans ce recours au magique!: que signifie une preuve

lorsqu’elle se subordonne à une croyance? La croyance donne la confiance et la force,

mais non des arguments. Au moment du voyage vers la Sicile cependant, c’est précisé-

ment armées de foi et de confiance que les troupes royales franchissent les monts et

croisent le fer avec les Napolitains. Les croyances religieuses construisent une vision

cohérente du passé, une prescience de l’avenir et la puissance du présent, elles partici-

pent de la manière dont s’écrit l’histoire et guident Charles VIII vers les royaumes qui

mènent en Judée.
DEUXIEME PARTIE 201

Chapitre V

Une première piste de rapprochement entre le Valois et David!:

le mythe du prêtre-Jean

David ou prêtre-Jean? Fortune d’une légende

Si la prédominance de la figure de David non seulement dans l’Opus davidicum, mais

aussi dans divers ouvrages à saveur prophétique fut aussi déterminante dans l’esprit des

apologistes royaux et si elle s’avéra, sur le plan politique, un formidable argument de

persuasion, on peut raisonnablement penser qu’elles connurent un véritable retentisse-

ment en France dans la mesure où elles trouvèrent un horizon d’attente préparé à de

telles prédictions. Nous avons déjà évoqué les prédispositions favorables à ces prophé-

ties dans les milieux juifs de la Diaspora, où de la lignée davidique on attendait inces-

samment le Libérateur d’Israël. Ces prédictions recoupaient les espoirs chrétiens et

pouvaient donc justifier en partie l’omniprésence du roi hébreu dans la propagande

politique et religieuse de Charles VIII, bien qu’en l’absence de contacts intenses entre

les deux communautés d’alors, l’assimilation pure et simple du mouvement prophétique

chrétien à la mystique juive s’avère pour le moins fragile et incertaine. Une autre piste

peut également éclairer la relation établie entre le roi David et le dessein de croisade

fomenté par Charles VIII dans la préparation de son expédition, la légende du prêtre

Jean, dit David, née en Orient à l’époque de la cinquième croisade et diffusée en Europe

dans la seconde partie du Moyen Âge.


DEUXIEME PARTIE 202

À l’époque du rassemblement de la milice chrétienne aux portes de Damiette,

dans sa chronique de 1220, Aubry de Trois-Fontaines raconte que circulaient dans les

temples sarrasins une prophétie ancienne rédigée en caractères chaldaïques annonçant

qu’un jour sortirait de l’Orient un roi nommé David, et de l’Occident un autre roi, ano-

nyme, qui uniraient leurs armées pour détruire l’empire des Sarrasins et reprendre par la

force la ville de Jérusalem120. Cette prophétie, au rapport même du chroniqueur, fut

traduite de l’arabe en latin par le pape Pélage et commentée aux troupes, puis envoyée

de Rome jusqu’en Angleterre pour soutenir l’opinion chrétienne. Ainsi fixée dans le

texte et diffusée à travers l’Empire, la tradition médiévale en conserva le souvenir.

La légende trouva un écho notamment chez Jacques de Vitry, lequel rapporte

d’après le Chronicon Turonense l’imminente venue de ce roi David, roi des deux Indes,

avide de porter secours aux troupes croisées et qui entraînait à sa suite des peuples

d’une férocité sans égale, assoiffés comme des bêtes du sang des Sarrasins sacrilèges121.

David, appelé vulgairement «!Prêtre Jean!» selon Vitry, devint une figure de légende!:

chef du royaume chrétien d’Éthiopie, prêtre et monarque d’immenses empires122, son

120
«!Huiusmodi enim prophetia, licet in aliquibus verum dicat, in multis tamen decipit. Notabatur etiam in
illa prophetia, quod a parte orientali debet venire quidam rex, qui vocabitur nomine David, et a parte
occidentali debet venire alius rex, qui terram Sarracenorum usque Ierusalem destruet, et quod mense Iulio
debet fieri bellum apud Kayrum in Egypto inter Sarracenos et christianos.!» Aubry de Trois-Fontaines,
Chronica Albrici Monachi trium fontium, a monacho ovi monasterii hoiensis interpolat, dans [Societatis
aperiendis fontibus rerum germanicarum medii aevi], Monumenta Germaniae Historica - Scriptorum, éd.
Paulus Scheffer-Boichorst, t. 23, Hanovre, 1823, p. 910.
121
Ce détail, nous est rapporté par Paul Alphandéry et Alphonse Dupront, op. cit., p. 394. Selon Dupront,
il se dissimule derrière l’énigmatique David le personnage de Gengis Khan qui, à la tête des Tartares,
étendit en 1221 son empire jusqu’à la mer Caspienne et mobilisa de fortes attentes eschatologiques. «!Au
delà de l’histoire et jusque dans le mythe, la réalité de Gengis Khan éveille, des profondeurs des tradi-
tions, une autre certitude de l’accomplissement des temps.!» (p. 394)
122
Aubry de Trois-Fontaines avait déjà insisté sur ce point : «!In litteris etiam, quam miserunt Templarii,
DEUXIEME PARTIE 203

nom fut rapporté de voyageur en voyageur, de l’évêque de Gabala de Syrie (1145)

jusqu’à Marco Polo123. Sous l’effet de cette transmission orale naquirent des variantes

au mythe, comme celle de la Relatio de rege David écrite au début du XIIIe siècle, où le

prêtre-roi Jean est appelé «!roi d’Israël!» et où David devient son fils. Dans les milieux

juifs circulèrent également des versions parallèles, certaines voyant dans le personnage

de Jean le Libérateur venu délivrer les tribus perdues d’Israël de leur interminable sujé-

tion. Le rex Indorum devint alors pour plusieurs d’entre eux le rex Iudeorum annoncé

par la Torah, un descendant de David et de Salomon né de la lignée de Juda et maître

d’un extraordinaire empire124. Dans ce syncrétisme de traditions qu’entraîna le mythe du

legebatur, quod idem rex David in partibus Orientis iuxta Persidem quoddam regnum acquisivit, in quo
sunt 300 civitates, exceptis castellis et casalibus, et alius regnum, in quo sunt 300 circiter cum castellis,
flumina 66 currentia, et quod exercitum suum in 40 partibus divisit, et qualibet parte 100 000 pugnatorum
constituit.!» Chronique de 1221, op. cit., p. 911.
123
Le monarque fabuleux avait d’abord été placé en Abyssinie, mais les relations de Mandeville, Marco
Polo, de Rubruquis, de Jean Carpin, le firent reléguer dans l’Asie centrale et le gratifièrent d’un empire
e
immense, d’armées invincibles et de trésors dignes des contes d’Orient. Un voyageur du XIII siècle, Jean
e
de Hesse, lui assigna enfin l’Inde pour demeure. Voir G. Brunet, La France du XV siècle, Paris, A.
Franck, 1865, p. 149.
124
Ainsi se présente David dans les Lettres du serenissime David Roy d’Ethiopie, au tressainct Seigneur
e
Pape Clement VII [...], rapportées par conseiller royal du XVII siècle: «!Ie Roy, au nom duquel les lions
portent reverence, nommé par la grâce de Dieu au Baptesme Atani tingil!; c’est à dire, encens de la
vierge, mais depuis que ie fus parvenu à la Couronne, l’on m’appelle David, bien-aymé de Dieu, colomne
de foy, de la lignee de Iuda, fils de David, / de Salomon, fils de la colomne de Sion, fils de la semence de
Iacob, fils des mains de Marie, & par charnelle succession fils de Nahu Empereur de la grande & haute
Ethiopie, de grands royaumes, Iuridictions & terres, Roy de Xoa, de Cassate, de Fatigar, Angote, de Baru,
de Balaliganze, de Adea, de Vangue, de Goyame, d’où sort le Nil, d’Amara, de Bagamidri, de Ambea, de
Vague, de Tigremabon, de Sabain, d’où est sortie la Royne de Saba, de Barganas, & Seigneur iusques à la
Nubie, qui confine avec l’Egypte. Toutes ces provinces sont sous ma puissance [...]!»!G. Bonnet, Recueil
chrestien ou sont une prophecie de Ste Brigide Royne d’Escosse [...], Paris, Pierre Chevalier, 1611, p. 15.
DEUXIEME PARTIE 204

David éthiopien, où bien des contradictions s’harmonisent, David resta toujours une

figure de l’élu-sauveur, «!l’exécuteur de la vindicte divine!»125.

On peut alors penser que les Français du XVe siècle, appliquant de préférence

aux Français et à leur roi ce qui avait été prévu en termes généraux d’un monarque

occidental, purent voir en Charles VIII l’envoyé du Nord sur le point de réaliser la

prophétie antique!; il apparaît même probable que d’autres, comme Jean-Ange de Lego-

125
Op. cit. p. 395. Voici ce que rapporte le Dictionnaire encyclopédique du moyen-âge au sujet du David
de la légende : «!Prêtre Jean. Souverain légendaire. C’est par un évêque latin de Jabala qu’on apprit à
Rome, en 1145, qu’un Jean, «!roi et prêtre!» régnant dans les Indes, avait vaincu le sultan Sanjar et allait
venir au secours des Francs d’Orient. [...] On s’interroge sur ce nom de Jean, où certains ont vu la trans-
position d’un vocable éthiopien désignant le négus d’Abyssinie, d’autres évoquant la visite à Rome d’un
Jean, «!patriarche des Indes!», en 1122!; il reste discuté. En 1177, le pape Alexandre III reçut un message
d’un «!Jean, roi des Indes!» qu’on a supposé venir d’Ethiopie. Mais en 1165 était apparue une lettre du
«!Prêtre Jean, roi des Indes!», adressée soit à l’empereur de Byzance, soit à celui d’Occident, soit au pape,
selon les versions. Elle décrivait la puissance de ce souverain, régnant sur le pays converti par Saint
Thomas, et les merveilles de ce pays. Des versions hébraïques circulèrent aussi, faisant référence aux
tribus perdues d’Israël. Le texte eut un grand, et durable succès!; mais son origine n’est pas définitivement
élucidée.
Avec l’invasion de la Perse par les Mongols, des informations parviennent aux Francs par
l’intermédiaire des chrétiens d’Orient (1221). Elles attribuaient des conquêtes à un «!roi David!» dont on
fit le fils du Prêtre Jean, mais qui était au départ le Naïmann Küclüg, que l’on confondait avec Gengisk-
e
han. Tout au long du XIII siècles, les voyageurs ont cherché à identifier ce «!roi des Indes!», roi chrétien,
tantôt vaincu par les Mongols, tantôt leur tenant tête, dont le royaume, parfois identifié au pays d’où
venaient les Trois Rois, est situé soit à proximité de la Chine, soit dans l’Inde. Tout cela traduit la réalité
d’une chrétienté de rite nestorien qui avait eu ses rois avant la conquête mongole et dont les Occidentaux,
e
grâce à celle-ci, découvraient l’existence. Au XIV siècle, certains continuent à situer ce royaume en
Asie, mais avec Jourdain de Séveras, on commence à le chercher en Afrique et à l’identifier avec
l’Ethiopien qui était regardée comme une des «!Indes!». Les Éthiopiens fréquentaient les lieux saints!; on
espérait que leur roi pourrait aider les chrétiens dans leur lutte avec l’Égypte. Des voyageurs ont essayé
d’atteindre le royaume du prêtre Jean par l’Inde ou à travers l’Afrique. Les Portugais, par la circumnavi-
gation autour de ce continent. Toutefois l’Eglise de Rome, quand elle prit contact avec les Éthiopiens au
milieu du XVe s, avait cessé d’évoquer le Prêtre Jean.!»(André Vauchez et Catherine Vincent, Diction-
naire encyclopédique du Moyen Âge, Cambridge, James Clarke, 1997, t, 2).
DEUXIEME PARTIE 205

nissa, amalgamèrent dans le seul roi de France la figure du roi nordique et celle du

prêtre Jean, dont on n’avait plus de nouvelles depuis longtemps. Mais encore fallait-il

que sa légende circulât encore dans les milieux proches des Valois et que la mémoire en

fût conservée dans l’Empire chrétien!: quelques éléments d’histoire éditoriale permet-

tent d’aller en ce sens, l’histoire du negus d’Éthiopie apparaissant à l’époque des incu-

nables parmi les premières réalisations de la presse écrite dans le royaume de France.

Pour la fin du XVe siècle et le tout début du XVIe siècle, le Manuel du libraire men-

tionne trois éditions d’ouvrages consacrés au prêtre Jean!: les Nouvelles de la Terre de

prestre Iehan, s.l.n.d., petit in-quarto que l’on situe autour de l’année 1498!; deux autres

éditions parisiennes non-datées, celle de Jean Trepperel et de Petit Laurent, auraient vu

le jour dans la première décennie du XVIe siècle126. On peut donc penser que Pie II

faisait déjà allusion à la prophétie chaldaïque lorsqu’écrivant à Louis XI, prédécesseur

de Charles VIII, il l’assurait qu’il était réservé aux rois de France de délivrer les lieux

saints, pour l’exhorter à prendre les armes contre les Turcs!:

C’est le propre des rois de France de faire la guerre aux Turcs, de vaincre et de ré-
cupérer la Terre Sainte.127

Une curieuse version de la prophétie chaldaïque circulait également en France

dans une lettre que la mère du prêtre-Jean, la reine Hélène, aurait écrite du temps de sa

régence au roi de France pour l’exhorter à s’unir à son fils!: elle portait que des moines

du monastère de Bisan, qui signifie Vision, descendirent de leur haute montagne

126
Une description complète des ouvrages apparaît dans Ch. Brunet, Manuel du Libraire , Genève, Sla t-
kine Reprints, 1990, t. 4, col. 119-120 ainsi que dans G. Brunet, op. cit., p. 149.
127
«!Nam pugnare cum Turcis & vincere, & Terram Sanctam recuperare, Francorum regum proprium
est.!» Propos recueilli dans Nicolas de la Vigne, De la Noblesse, ancienneté, remarques et mérites
d’honneur de la troisiesme maison de France, Paris, Abel Langelier, 1587, p. 162.
DEUXIEME PARTIE 206

d’Éthiopie à la rencontre du jeune David (alors âgé de 17 ans) pour témoigner d’une

croyance répandue chez les moines!:

Et disoient [les religieux] que la descente des Chrestiens avoit esté par eux pieça
affectueusement desiree!: pour autant que leurs propheties chantoient (comme ils
nous dirent) que les Chrestiens devoient aborder à ce port [...] et que les Maures se-
roient contraincts de vuider le pays!: avec plusieurs propos à cestuy-cy conformes,
qu’ils nous alleguerent.128

La dimension musicale de la prophétie est importante, nous y reviendrons. Dans une

lettre au pape Clément VII, le negus rapporte que le David de la Bible aurait lui-même

scellé mystérieusement cette prophétie lyrique dans un psaume!:

Ils a esté anciennement predit du Prophete au livre de la vie & passion de sainct
Victor, & au livre des Saincts Peres, qu’un grand Roy Chrestien se devoit conioin-
dre avec le Roy d’Ethiopie en bonne paix & union, &c. Comme dit le Psalmiste,
Dieu accompagne les desirs des Roys qui desirent choses iustes, &c.129

Pour cette raison, le prêtre-Jean se serait dit prêt à donner aux Francs mille fois

cent mille drachmes d’or et le même nombre de combattants pour qu’ils viennent le

rejoindre en Orient, de sorte (dit-il) «!que nous assemblerons nos forces, [car] ie ne

doubte point que destruisions tous les pays des Maures. De mon costé, ajoute-t-il, ie ne

desire autre chose de vous [...]!130”.

128
G. Bonnet, sieur et Baron d’Aumelas, Recueil chrestien ou sont une prophecie de Ste Brigide Royne
d’Escosse : Promettans au Roy, et autres Chrestiens!; par sa Majesté : une grande prosperité, et élevation :
Et conseillant, et enseignant, la sienne premiere spirituelle [...], Paris, Pierre Chevalier, 1611, pp. 4-5.
129
Idem, p. 10.
130
Idem, pp. 12.
DEUXIEME PARTIE 207

Survivance de la légende du prêtre Jean à la Renaissance!: le témoignage

iconographique du Ms lat. 10491

Dans quelle mesure l’entourage de Charles VIII était-il familier avec cette ver-

sion de la prophétie, et dans quelle mesure alimenta-t-elle les espérances de conquête

dans les troupes dépêchées à Naples? Peu de textes de propagande proprement dite

permettent d’établir avec certitude la survivance de l’oracle dans l’imaginaire de croi-

sade, tant les prophéties de sainte Brigitte, de l’ermite Reinard, des sibylles et des Pères

de l’Église occupent le premier plan131. En revanche, témoignage d’une peinture à pleine

page provenant, une fois de plus, du diurnal de René II de Lorraine132, et que Leroquais

intitule (peut-être à tort) «!Dans le temple, David couronné est accompagné d’un chœur

de musiciens!»133, s’approche du récit de la Reine Hélène!: il s’agirait en réalité d’une

illustration de la prophétie éthiopienne, mise en relation avec le projet royal de croisade.

L’image (fig. 4) se présente en deux plans. Dans la partie gauche de

l’illustration, le roi-psalmiste David, vêtu de pourpre et d’hermine et surmonté d’un

131
Un chanoine de l’Eglise Saint Marcel de Paris, dénommé ClaudeVillette, résume dans son Extraict des
propheties et revelations des saincts Peres [...] (Paris, Claude Percheron, s.d., pp. 2-3) la liste des «!Peres
revelatifs de ce que les hommes doivent veoir & souffrir avant que le Turc embrasse avec nous la Croix
de nostre Sauveur, & obeissance au S. Siege apostolicque!: asçavoir S. Hiposite [sic] & Merodius, eves-
ques martyrs y a plus de 1300 ans, en leurs sermons en la consommation du monde, S. Augustin, au
traicté de l’Antéchrist, Sainct Severin, Archevesque de Cologne, S. Bernacobus martir Evesque de Patare
au rapport de S. Hierosme, S. Vincent confesseur, qui vivoit l’an 1418, les Sibilles Grecque et de Creste,
S. Brigitte, Reinard l’Ermite, l’Abbé Cyrille dit Ioachim & plusieurs autres, & les Ephemerids enciens &
modernes qui lisent dans les astres la cholere de Dieu [...]!» On voit que la prophétie du prêtre Jean, peut-
être moins reconnue que les autres parce de source populaire, n’apparaît pas dans l’énumération.
132
BNF, ms. lat. 10491, ps. 51, fol. 154v.
133
Cité après C. de Mérindol, op. cit. (1995), p.78.
Figure 4. BnF, ms. lat. 10491, fol. 154v
Diurnal de René II de Lorraine , ps. 51.

inserts photo 4 23/10/03, 11:59:41


Figure 4 bis. Chester Beatty Library, Dublin, Add.11735, f. 9v
Coran, (Ibn al-Bawwab, Bagdad, 1013).

inserts photo 5 23/10/03, 11:59:42


DEUXIEME PARTIE 210

chapeau-couronne aux fleurs de lys, insigne de la France, sonne une petite cloche134 en

compagnie de deux musiciens, l’un touchant de la lyre à bras et l’autre une cithare

décachorde en forme de delta, posée sur la table. La scène se déroule en Orient dans un

temple ayant appartenu aux Sarrasins, comme l’indiquent des inscriptions arabes figu-

rant sur la frise murale parcourant la pièce. Le dessin d’un soleil inséré entre deux ins-

criptions situe également la scène dans un contexte de Croisade, l’écu du soleil faisant

référence à l’insigne de l’armée française en marche contre les hérétiques135. Un groupe

de personnages dans la partie gauche, probablement des moines ou des prêtres d’après

leur uniforme, est attroupé autour d’un livre tenu par leur supérieur (son bonnet est

relevé) monté sur une estrade qui fait office de lutrin. L’un d’entre eux chante ou lit à

voix haute le manuscrit!: ses compagnons écoutent, bouche close. Deux éléments sont

importants dans cette scène!: d’une part, l’homme tenant le livre est représenté avec

l’attribut de la harpe, dont il ne joue pas puisqu’elle est posée contre lui, sur le sol. Cette

harpe, attribut particulier de David dans toutes les enluminures des psaumes au Moyen

Âge, permet donc d’identifier le supérieur des religieux en la personne de David, non

pas celui de la Bible puisqu’il paraît déjà à gauche, mais son double!; il s’agit très cer-

tainement du prêtre-Jean d’Éthiopie. D’autre part, les inscriptions du livre autour duquel

les moines forment un chœur sont en caractères étrangers, comme en pictogrammes, ce

qui appuie l’hypothèse d’une représentation de l’oracle de Damiette!: il ne s’agit ni de

latin, ni d’arabe, mais d’une troisième langue, qui pourrait bien être du chaldaïque.

134
David jouant des clochettes est un motif courant des enluminures des psaumes. Dérivée de cette
iconographie, la cloche évoque pour sa part la vie au monatère. Cf. Louis Réau, Iconographie de l’art
chrétien, tome 2, Paris, P.U.F., 1955, p. 283 et 285.
135
Ainsi l’atteste notamment cette devise rappelée dans l’ Extrait des propheties et revelations des saincts
Peres!: «!C’est le Soleil de France nostre Roy tres-Chrestien, qui poindra de bon matin & fera choir a plat
les brouillards de la nuict ennuieuse. C’est la devise prophetique du Chevalier François.!» Op. cit., p. 16.
DEUXIEME PARTIE 211

Ainsi pourrait-on donc lire cette illustration du diurnal!: un roi couronné de lys, image et

fils spirituel du David de la Bible, réalisera la prophétie chantée dans le monastère de

Bisan et proclamée par le prêtre-Jean!: dans les derniers temps, d’un pays de Franquie,

un noble conquérant s’unira aux chrétiens d’Éthiopie et renversera de leur trône

d’Orient la nation infidèle des barbares et des Maures. Les tribus de Juda et la terre

d’Israël connaîtront alors la paix et la justice, conformément à la promesse faite au

psalmiste et à sa descendance à jamais.

De ce rapprochement prophétique entre un David sauveur (negus oriental ou

héros de la Bible) et le roi de France, nous pourrions encore ajouter que les XVI et

XVIIe siècles en conservent la mémoire. Le roi Emmanuel du Portugal crut ainsi rece-

voir en 1509 une lettre d’une certaine reine Hélène, grand-mère et gouvernante du

prêtre-Jean, lui annonçant la déroute prochaine des Turcs grâce à une intervention ar-

mée d’un roi du Nord136. Il s’agissait bien sûr d’un faux, ou plutôt d’une copie d’une

lettre légendaire à l’adresse trafiquée afin de relancer la machine de croisade à

l’intérieur de l’Empire chrétien. Quinze ans plus tard, cette première missive fut suivie

d’une autre, apparemment de la plume même du prêtre-Jean, l’assurant de la collabora-

tion des chrétiens d’Orient s’ils relançaient le rêve de faire périr les Turcs137. Dans le

136
Le chevalier Bonnet, qui rapporte l’événement à un siècle de distance, explique que la lettre envoyée
au roi du Portugal!contenait «!ceste prophetie, que ladite Royme y dit estre dicte, et recogneuë par les
Turcs mesmes, en ces mesmes mots :!“Nostre Seigneur Iesus-Christ et sa saincte mere et vierge Marie ont
predit, qu’ès derniers temps és un pays de Francquie, viendroit à naistre un Roy qui en peu de temps
destruiroit de dessus la terre l’universe nation des Barbares, et Maures.”!» Op. cit., fol. aa iiir.
137
Extrait de la lettre «!audit Roy Dom Jean, de l’an 1524, au feuillet 327!: «!Ne veuillez Seigneur delai s-
ser les glorieuses entreprises contre les Maures & Gentils, & ne vous excusez de n’avoir forces sembla-
bles à celles du Roy vostre pere, m’asseurant que les aurez bien grandes, si que avec l’ayde de Dieu, les
pourrez mettre au bas : Vous promettant fournir or, & vivres, autant comme le sablon de la marine, & les
estoiles du Ciel. De sorte que nous assemblerons nos forces, ie ne doubte point que destruisions tous les
DEUXIEME PARTIE 212

premier quart du XVIIe siècle, et dans ce même contexte d’appel à la croisade, la lé-

gende se perpétue encore!: le chevalier Bonnet, conseiller de sa Majesté et trésorier

général de France, publiait dans son Recueil chrestien de prophéties une obédience du

prêtre-Jean au Pape Clément VII (1342-1394), rassurant les troupes d’une généreuse

collaboration du roi mythique à l’occasion d’une attaque des positions turques. Comme

dans l’illustration du diurnal de René II, il fait un parallèle entre la promesse de victoire

émise par le David éthiopien et celle les psaumes, l’une devant permettre la réalisation

prochaine de l’autre. Cette citation du psaume 102 (101) s’enchaîne ainsi sans transition

après l’«!Epistre du Prete-Ian!» adressée au prélat pour confirmer, «!comme une Pro-

phecie!», les propos du premier!:

Tourne donc (te levant) tes regards debonnaires


Sur Sion!: c’est le temps d’alleger ses miseres,
Son terme est approché!:
Car ses pierres encore a tes servans sont cheres,
Et de la voir en pouldre il ont le cœur touché.
Lors toutes gens craindront ton nom et ta puissance,
Et les rois de la terre auront en reverence
La Maiesté de Dieu [...]138

Le florilège prophétique mélange sans complexe prophéties populaires et oracles

sacrées!: serti entre une évocation de la prophétie de sainte Brigitte et un extrait de

l’Historiale description de l’Éthiopie attribuée au prêtre-Jean139, un poème sur le roi

pays des Maures : de mon costé ie ne desire autre chose de vous [...]”!» Cf. G. Bonnet, op. cit., p. 12.
138
Adaptation du psaume 101. G. Bonnet, op. cit., dans la table des contenus non paginée.
139
Il s’agit d’un extrait de l’Historiale description de l’Ethiopie, contenant vraye relation des terres, &
païs du grand Roy, & Empereur Prete-Ian [sic], l’assiette de ses royaumes & Provinces, leurs coutumes,
loix, & religion, avec les pourtraicts le leurs temples & singularitez, cy devant non cogneües, une traduc-
DEUXIEME PARTIE 213

compare celui-ci à David qui doit vaincre le Turc Goliath avec cinq cailloux, «!cinq

ronds de fleurance!»140.

Il faudrait enfin souligner que la mémoire de la prophétie du prêtre-Jean s’est

perpétuée à Constantinople, s’il est vrai que parmi les prédictions qu’évoquent les

voyageurs en terre d’Orient, il en existe une qui porte que les Français doivent un jour

chasser les Sarrasins de l’Europe et de la face de la terre. Elle tisse le parallèle déjà

évoqué par Jean-Ange de Legonissa entre gallus le coq et gallus le Gaulois, appelé à

alerter le Turc de sa ruine prochaine!:

Ouy, ouy, il faut en venir là!; pour la ruine des Turcs, et l’accomplissement de la
Prophecie, Dum Gallus cantabit, turca perebit. / Ils la tiennent certaine [...] Ce
brave Coq, qui de son chant fait trembler cet horrible Lyon, N’est-ce comme une
autre grande prophetie, et certain divin tesmoignage, que ces propheties seront ac-
complies?141

Les moines abyssins dévoués au prêtre David auraient également transmis aux voya-

geurs la chronologie précise des événements associés à la chute de l’Islam en Orient,

tion de Jehan Bellère de la version portugaise de l’ouvrage légendaire attribué au prêtre-Jean par Dom
François Alvarez, publiée à Anvers chez Christophe Plantin en 1558.
140
G. Bonnet, op. cit., p. 28.
141
Op. cit., pp. 38-39. On retrouve un écho de cette expectative turque dans un Extraict des propheties
(op cit., pp. 10-11)!: «!Toutes Prophecies & revelations demeurent d’accord & les Turcs mesme si atten-
dent, qu’un roy de France levera les armes en mainforte contr’eux, et leur fera lascher prinse de tout ce
qu’ils avoient conquis sur toutes les terres des Chrestiens. & en l’Orient, en l’Occident, & les reduira en
son obeissance & en l’Eglise catholique. & leur fera embrasser le Baptesme, & vivront en union de
religion & fraternité Catholique avec nous. Ce roy reünira l’Empire divisé en l’Orient et en l’Occident, &
sera seul empereur du monde, aymé & redouté de tous les hommes. Iamais ne c’est veu monarque si zelé
à l’honneur de Dieu, si victorieux, si puissant, ny si heureux en terre [...] tous les Royaumes Chrestiens
auparavant desolez de toutes miseres, seront relevez & retablis en grande / splendeur, par luy ny aura au
monde qu’un Pasteur et qu’une Bergerie.!»
DEUXIEME PARTIE 214

laquelle aurait d’abord circulé de bouche à oreille durant plusieurs siècles puis été don-

née par écrit au roi du Portugal en 1509!:

Ils ont encores deux autres propheties!: l’une desquelles ils disent estre de Sainct
Ficatore, & l’autre de Sainct Sinode, qui fut Hermite en Egypte!: qui predirent que
les Franques de l’extremité142 de la terre viendroient par mer se conjoindre les
Abyssins, & destruiroient Tor, Zidem, & la Meque, avec un si grand nombre de
gens qui surviendroient pour la deffaire, que les mescreans se turoient eux-mesmes
à coups de pierres, & se ietteroient dans la mer. [...] Puis s’empareraient de
l’Egypte, & la grande cité du Caire [...]143

Après quoi les Abyssins laisseraient «!volontairement iouyr les Francques de ceste

region!: Et qu’alors s’ouvriroient les chemins pour aller seurement de Franquie aux

terres des Abyssins.”144 On retrouve là, dans ses grandes lignes, le projet médité par

Charles VIII de conquérir la Terre Sainte et de la délivrer de l’emprise turque. Les

prédictions du prêtre-Jean au Moyen-Orient auront même la vie longue d’un bout à

l’autre de la Renaissance puisque, encore au temps de la Ligue, le bruit court que le roi

de France est le seul ennemi véritable que redoutent les Turcs, depuis la mort du negus

David. Le seul nom du royaume très-chrétien, raconte-on encore en 1587, ravive chez

les Maures le souvenir des croisades du terrible Charlemagne et font naître des inquié-

tudes de défaite et de confusion, conformément aux prédictions qui circulent entre eux,

dans les cercles politiques et religieux!:

[...] Depuis ce temps là, non seulement le nom des François fut en telle reputation
envers tous les peuples d’Orient, qu’ils le feirent entre eux general à tous les peu-
ples d’Occident, comme s’ilz n’eussent recongneu qu’eux. Mais aussi leurs Roys

142
Note du texte, en marge : «!Ceste extremité tesmoigne encor que ce seront les François.!»
143
Op. cit., p. 5.
144
Op. cit., p. 6.
DEUXIEME PARTIE 215

devindrent tellement formidables à toutes les nations Mahumetiques, que tous les
autres Roys & Monarques de la Chrestienté ensemble, ne leur ont jamais rien sem-
blé au pris d’eux. Dont ie m’en rapporte à ce qu’ils / en disent en leurs histoires &
Propheties qu’ils ont entre eux.145

Louer dans le personnage du roi de France l’allié du David abyssin tant attendu,

ou mieux encore concentrer sur ce roi toutes les espérances liées au libérateur davidique

de la prophétie musulmane et des Écritures bibliques, fut donc une manière d’inscrire le

voyage d’Italie sous des augures convaincants, recevables de la part des croyants

comme des lettrés familiers aux récits des grands voyageurs. Mais pour en comprendre

l’essor en France comme en Italie, où les éloges de Charles VIII comme un nouveau

David ne tarirent pas, il faut également s’arrêter un instant sur les symboles de la politi-

que médicéenne, où la figure du berger achevant d’une pierre le géant Goliath avait

fourni à la famille régnante une image du pouvoir dont Charles VIII put bénéficier en

tant que libérateur attendu du royaume de Sicile.

145
Nicolas de la Vigne, De la Noblesse, ancienneté, remarques & merites d’honneur de la troisiesme
maison de France, Paris, Abel Langelier, 1587, pp. 135-36.
DEUXIEME PARTIE 216

Chapitre VI

David, héros national!en Italie!:

une seconde piste pour la fortune politique de David

Dans l’Italie de cette fin du XVe siècle, le succès que semble avoir remporté la propa-

gande royale française axée sur l’Ancien Testament, chez un Angelo Terzone par

exemple, répond également à un horizon d’attente favorable à une telle mise en scène

du pouvoir et de l’histoire. Il correspond, entre autres, à l’éclosion dans la sphère politi-

que de plusieurs thèmes bibliques, notamment celui de la cité italienne en tant que

Jérusalem en marche. Diffusé non seulement par Savonarole, selon lequel Florence

devait participer à la conversion de tous les infidèles et de tous les païens de la terre en

dehors de ses frontières comme à l’intérieur des murs de la ville146, mais également par

les poètes sensibles à sa prédication, ce thème avait ramené Florence au modèle de la

nation élue en la situant dans le contexte de l’histoire sacrée, c’est-à-dire, selon les idées

de l’époque, dans les conditions appropriées à l’accomplissement d’un événement

unique et surprenant. Comme l’a montré Donald Weinstein147, ceux qui écoutèrent assez

146
La comparaison de Florence et de Jérusalem abondent dans les sermons de Savonarole, notamment
dans sa prédication sur les psaumes où il met en valeur le lien privilégié qui unit la ville de Florence à son
Dieu!: voir Prediche sopra i Salmi, Rome, éd. V. Romano, 1969, vol.1.
147
Donald Weinstein, Savonarole et Florence. Prophétie et patriotisme à la Renaissance , Princeton,
DEUXIEME PARTIE 217

le moine pour encourager la réforme morale et constitutionnelle prédirent l’avènement

d’un monde nouveau, spirituel, qui rayonnerait à partir de la capitale médicéenne au

temps de la descente de Charles VIII en Italie. On connaît notamment les vers de Giro-

lamo Benivieni, poète de l’entourage de Laurent le Magnifique, portant que Florence est

en voie de devenir le centre d’une réforme religieuse qui gagnera toute la péninsule

italienne et rassemblera la chrétienté dans une unité retrouvée, comme un seul troupeau

conduit sous la houlette d’un seul pasteur!:

Lève-toi, ô Jérusalem, et vois


ta reine et ton fils bien-aimé.
De toi, cité de Dieu, aujourd’hui immobile et affligée,
naîtront bientôt joie et splendeur telles,
qu’elles te pareront ainsi que tout l’univers.
De ces jours de béatitude,
tu verras le monde entier venir à toi,
tous pleins de dévotion et de foi,
attirés par le parfum du lys de ta sainteté. 148

L’analogie scripturaire avec Jérusalem appelait inévitablement le thème de

David régnant sur sa cité sainte de Florence!; aussi les apologistes de la cour ne man-

quèrent-ils pas l’occasion de développer le symbolisme politique du roi d’Israël dès le

début du XVe siècle à la cour des Médicis, où il devint un puissant symbole du pouvoir.

La sculpture et la peinture lui conférèrent une dimension civique149, laquelle vit le jour

Princeton U.P., 1970, en particulier le chapitre IV sur «!Florence, nouvelle Jérusalem!».


148
G. Benivieni, Commento sopra a piu sue canzoni et sonetti dello amore e della belleza divina, Fl o-
rence, 1500, cité après Weinstein, op. cit.
149
Selon Janson, l’image isolée du David victorieux fut conçue à Florence!; sa première apparition
connue se trouve sur la fresque d’Agnolo Gaddi à S. Croce. et le premier exemple en sculpture nous vient
de Donatello lui-même, dans un David de marbre exécuté pour figurer dans la cathédrale de la ville. Cf.
DEUXIEME PARTIE 218

avec la statue de David en bronze réalisée par Donatello (fig. 5). Cette œuvre inspira de

nombreuses commandes royales (dont une, célèbre, passée à Léonard de Vinci) et peut-

être aussi le projet de Marc Marulle de composer une Davidias150. Un compte-rendu du

mariage de Laurent de Médicis révèle qu’elle occupait en 1469 un emplacement straté-

gique, le centre de la première cour du palais Médicis, où elle demeura jusqu’en 1495,

après l’expulsion de la famille régnante. C’est là que Charles VIII et sa suite purent

contempler le David à l’occasion de l’escale des troupes à Florence du 17 au

28!novembre 1494151, et rendre compte de la manière italienne de traiter la matière

biblique à des fins patriotiques et politiques.

«!David florentinus!»: l’exemple de Donatello

Sur l’iconographie du David de Donatello ainsi que sa dimension politique, les

analyses Horst W. Janson, Alessandro Parronchi, John Pope-Henessi, Christine M.

Sperling et d’autres tirent quelques conclusions intéressantes. Elles montrent que David

triomphant de Goliath était, bien avant l’arrivée de Charles VIII en Italie, un symbole du

pouvoir florentin!: l’arrivée d’un roi davidique français à Florence faisaient coexister

deux lectures politiques différentes d’un même épisode biblique. Ces conclusions méri-

tent d’être brièvement évoquées car elles mettent en perspective à la fois l’effort

H. W. Janson, «!La signification politique du David en bronze de Donatello!», Revue de l’art, 39, 1978,
pp. 35 ss.
150
Marco Marulic, Davidias, in [Branimir Glavicic], Marci Maruli Opera omnia , Split, Knjizevni krug,
1984.
151
Le roi, évidemment, logea au palais des Médicis même. Cf. Yvan Cloulas, op. cit., pp. 85-88.
Figure 5. Donatello, David, (Florence, entre 1428 et 1430).

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DEUXIEME PARTIE 220

d’Angelo de Legonissa de voir en Charles un descendant de David et l’immense travail

des panégyristes franco-italiens pour acclamer le roi sous les traits du vainqueur de

Goliath.

Selon Janson, la clé de l’œuvre réside dans le casque ailé de Goliath, lequel

évoquerait le conflit qui opposait Florence aux Gibelins à l’époque de Donatello. Le

premier à avoir adopté le casque ailé, réminiscence des ailes de l’aigle impérial, fut le

seigneur de Vérone, Can Grande della Scala, qui gouvernait Florence comme un fief

impérial. Avec lui et à partir de la seconde moitié du Trecento, ce casque était devenu

un symbole gibelin bien établi. Au Quattrocento, Filippo Maria, qui convoitait la ville,

avait repris cet emblème à son compte, d’où la conclusion de Janson!: la statue de Do-

natello, et en particulier le casque du géant, identifiait Goliath avec les Visconti, enne-

mis traditionnel des Florentins, et en particulier avec Filippo Maria!; elle fut l’objet

d’une commande publique passée par la Seigneurie lors de la crise de 1423-1428 pour

symboliser la résistance civique et patriotique de Florence à une époque où la cité était

en danger, puis acquise par les Médicis pour trôner au palais seigneurial.

D’autres éléments découverts après l’étude de Janson appuient, tout en les affi-

nant, les conclusions de l’historien. Au moment des noces de Laurent de Médicis, une

statue de Judith et Holopherne par Donatello faisait face au David dans le jardin du

palais. Un manuscrit florentin daté des années 1466-1469 découvert par Christine Sper-

ling rapporte qu’un petit poème inédit en vers saphiques, pourtant jamais gravé sur le

socle du David, circulait déjà à cette époque dans l’entourage de Pierre de Médicis152!;

152
Christine M. Sperling, «!Donatello’s Bronze David and the Demands of the Medici Politics!», Bur-
lington Magazine, vol. 34, no 1069, 1992, pp. 218-24. Il s’agit du ms. 660, fol. 85r, de la Bibliothèque
Riccardiniana de Florence.
DEUXIEME PARTIE 221

ces quelques vers font écho à une autre inscription, bien connue cette fois, gravée sur la

base de la Judith. On pouvait en effet lire sur les statues de David et de Judith!:

Le vainqueur est celui qui défend la patrie. Dieu a anéanti la colère d’un énorme
adversaire. Voyez!! un garçon a vaincu un grand tyran. Soyez vainqueurs, ô ci-
toyens!!

Les royaumes sont abaissés par le luxe, les cités s’élèvent grâce aux vertus,
contemplez la tête de l’orgueil tranchée par la main de l’humilité.153

Les quelques vers concernant David en rappellent d’autres, composés également

sur le mode saphique par Francesco Filelfo, un humaniste engagé avant les années 1435

aux côtés de Côme et de Laurent de Médicis, alors leur mécène, et bientôt tombé en

disgrâce. Chaque strophe de son poème (antérieur à 1435) se termine par «!Vincite,

fortes!» et célèbre l’entrée des Médicis dans la cité. Plusieurs indices indiquent que

Filelfo se serait inspiré des vers dédiés à David pour écrire son poème (et non l’inverse),

et donc que les vers associés à la statue de David avaient déjà été rédigés en 1434 à

l’intention de la famille régnante. Par conséquent, conclut Sperling, Janson vit juste

lorsqu’il fit un lien entre le David et le conflit opposant Florence à la famille milanaise

des Visconti, mais la statue fut exécutée pour la famille Médicis, directement interpellée

par la scène biblique et sa devise, et non pour la Signoria. La commande proviendrait

153
Sur le David de Donatello:
«!Victor est quisquis patriam tuetur
Frangit immanis Deus hostis iras
En puer grandem domuit tiramnum Vincite cives.!»
Sur Judith :
«!Regna cadunt luxu, surgunt virtutibus urbes
Cesa vides humili colla superba manu.!»
Christine Sperling, op. cit., p. 218.
DEUXIEME PARTIE 222

même des Médicis puisqu’en mars et en avril 1428, Côme fut nommé comme «!Prior!»,

un poste qui le retint quelque temps au Palazzo Vecchio, où il eut l’occasion de voir le

David de marbre de Donatello dans la grande salle du palais154. Or, ce marbre portait

une inscription qui rappelle les vers saphiques de Filelfo!: «!À ceux qui se battent avec

force pour sauver leur patrie, Dieu vient en aide, même contre les plus terribles adver-

saires!»155. Lorsque la guerre contre les Visconti de Milan se termina en 1428, avec la

signature du traité de Ferrare, aucune autre devise ne put mieux célébrer la victoire des

Médicis156. Le bronze de Donatello aurait donc été une commande de Côme pour cél é-

brer la victoire de Florence contre l’impérialisme gibelin, et l’inscription du David

marmoréen aurait inspiré l’artiste dans la réalisation de son monument patriotique et

civique. Le poème de Filelfo serait une évocation directe à ses anciens protecteurs

médicéens et situerait l’exécution de la statue vers les années 1428-30.

Une troisième interprétation du David de Donatello, développée par Colin Ei-

sler157, fait un lien entre le berger vainqueur du géant et l’iconographie de l’athlète de la

vertu. La culture classique avait fait de la force physique un signe extérieur de la vertu,

selon le sens accordé à cette qualité par Cicéron!: «!le terme ‘vertu’ dérive du mot

‘homme’, et la qualité première de l’homme est la force d’âme!»158. Aristote fait égal e-

ment le lien!: «!l’exercice du courage (fortitudinis) est la vertu!»159. Le lien entre la force

intérieure et la vertu ainsi posé, l’association de l’athlète et de l’homme de vertu allait

154
Le David de marbre fut transféré de S. Maria del Fiore à la grande salle du palais en 1416.
155
«!Pro patria fortiter dimicantibus etiam adversus terribilissimos hostes deus praestat auxilium!»
156
À l’origine de ce traité était l’oncle de Côme de Médicis, Averardo di Francesco de’Medici.
157
Colin Eisler, «!The Athlete of Virtue, The Iconology of Ascetism!», De Artibus opuscula. Essays in
Honor of Erwin Panofsky, vol. 1, New York, N.Y. University Press, 1961, pp. 82-87.
158
Tusculanarum disputationum ad Brutum, I, xi, 18.
159
Cf. J. Rickaby, «!Fortitude!», Catholic Encyclopedia, New York, VI, 1909, pp. 147-148.
DEUXIEME PARTIE 223

presque de soi!: Xénophon comme Aristote fit du premier l’équivalent du second160.

Dans la culture chrétienne, ce même parallèle fut justement mis en avant par Prudence

au sujet de David!: la Psychomachie fait du combat de David et Goliath une allégorie du

combat de la vanité contre l’humilité, un signe que Dieu donne sa force aux petits plus

qu’aux orgueilleux161. Chrysostome, dont les ouvrages grecs étaient étudiés par un ami

de Donatello, Coluccio Salutati, à Florence, avait également décrit la couronne

d’amarante ou de laurier (dont est orné le chef de David) comme la récompense légitime

de l’athlète de vertu162. Donatello put certainement s’inspirer de ce passage pour justifier

la nudité de sa statue, peu commune pour un personnage biblique. L’œuvre serait donc

une évocation de la force corporelle tant prisée par les Grecs et spiritualisée par les Père

et les philosophes, la force de la vertu victorieuse du mal.

La familiarité des Florentins avec la connotation politique du roi David suggère

qu’au moins du côté italien, à l’occasion du voyage de Charles VIII, la référence au

psalmiste a trouvé dans le vocabulaire symbolique local, des accents appropriés pour

faire l’éloge d’un libérateur. On peut alors se demander dans quelle mesure le symbo-

lisme rattaché à David dans la ville de Florence a influencé la représentation de Charles

VIII en roi biblique, de l’autre de côté des Alpes.

160
Cf. «!Ascèse!» et «!Ascétisme!» dans le Dictionnaire de spiritualité , Paris, Marcel Villar, I, 1937, col.
393 sqq.
161
Prudence, Psychomachia, Paris, Belles-Lettres, 1992, ll. 290-305.
162
Cf. réf. d’Eisler, op. cit., p. 86, note 23.
DEUXIEME PARTIE 224

Quelques réactions italiennes à la fortune du David Valois

Y a-t-il eu un impact de l’appropriation politique de David par les Médicis sur

certaines descriptions d’origine italienne de Charles VIII? Quelques indices permettent

de le penser. Les rapprochements sont parfois lointains. Lors de la victoire française à

Naples, le thème des Neuf preux permit par exemple de célébrer en Charles l’égal du

fils de Jessé et de Juda Macchabée163!: le symbolisme politique rattaché à David rejai l-

lissait sur le roi. Une autre harangue que la fille du seigneur Jehan de Soullier164 pronon-

ça en l’honneur du roi lors de son passage à Quiers, sur le chemin du retour, va dans le

même sens. Dans un long compliment sur l’heureuse issue du séjour royal à Naples,

Anna Solaro salue particulièrement l’homme envoyé par Dieu pour combattre les Infi-

dèles et accomplir les prophéties des anciens, ainsi qu’il aurait été «!pronostiqué à bon

163
Voici le rondeau composé par André de la Vigne sur le succès de l’entreprise française à Naples!:
Bien venu soit le second alixandre
Laultre cesar, lheritier charlemaigne
Le trespuissant iosue de brehaigne
Qui iadis mort fist en terre descendre
Le noble hector, godefroy doulx et tendre
Qui porta aux champs la deificque enseigne
§ Bien venu soit.
Le roy david ou na riens que reprendre
Machabeaus et artus de bretaigne [sic]
Qui a de naples plat pays et montaigne
En peu de temps fait a luy condescendre
§ Bien venu soit.!»
(Vergier d’honneur, op. cit., fol J 5v).
164
Jean Forbin, seigneur de Soliers ou Soulliers. La branche de Forbin qui a pris le nom de Soliers,
commence à Palamède, surnommé le Grand, second fils de Jean I. Ce fut à la persuasion de Palamède de
Forbin, que Charles d’Anjou, roi des deux Siciles, institua Louis XII son héritier.
DEUXIEME PARTIE 225

droit et à juste titre!»!; son renom l’élève au-dessus de tous les rois de la terre, et elle

ajoute!:

Vrayement ta premiere nation, o roy des roys terriens, descendue est de si mer-
veilleuse renommee quelle approche singulierement lexcellence de celle au patriar-
che Abraham et de David roy des Hebrieux, des quels est descendue la mere du roy
des cieulx [...]165.

Le rôle d’instrument de la justice divine ainsi que la qualité d’élu que revendique

le roi inspire à plusieurs panégyristes des rapprochements très divers avec les Chroni-

ques et les Rois, mais c’est cependant dans un manuscrit corvinien de la Bibliothèque

Laurentienne, la Bible de Florence166, que les thèmes de David-roi de France et du

David florentinus (le berger vainqueur de Goliath et défenseur de Florence) se ren-

contrent de la manière la plus directe et la plus originale. Les trois volumes de la Bible

de Florence, exécutés en Italie mais commandés par le roi de Hongrie, contiennent de

superbes enluminures en lien avec l’expédition d’outre-monts!; le premier volume fut

illustré par Atavante, et le second ne contient que du texte!; le troisième, l’un des plus

beaux ouvrages enluminés de la collection de Matthias Corvin, conserve des chefs-

d’œuvre de Gherardo et Monte di Giovanni. Dans ce dernier volume, réalisé au temps

des préparatifs de l’expédition, deux peintures, complémentaires par leur thématique

biblique, évoquent directement le projet de croisade et le représentent comme la réac-

tualisation contemporaine, en Italie, des guerres d’Israël menées contre les Philistins.

165
La mer des histoires, avec les faits et gestes de Charles VIII et le martyrologue des saints, Lyon,
Claude l’Aoust, dit de Troyes, 1506, vol. 2, fol. CLXXVr.
166
Biblia conservée à la Bibl. Laurentienne, Ms. Plut. 15. Cod. 15, 16 et 17. Il s’agit d’une Bible flore n-
tine des années 1489-1490 commandée par le roi de Hongrie Matthias Corvin. Pour une description
complète de l’ouvrage, cf. [Csaba Csapodi], Bibliotheca corviniana, The Library of King Matthias Corvi-
nus of Hungary, Budapest, Magyar Helikon, 1969, p. 52, notices 58-60.
DEUXIEME PARTIE 226

David et Charles VIII dans la Bible de Florence

Dans la foulée de la tradition patristique167, l’illustration de la page de titre du

troisième volume (fig. 6)168 met en relation la victoire de David sur Goliath – jusque-là

associée en priorité, par les esprits cultivés et sensibles aux enjeux politiques, aux Mé-

dicis – et celle des princes chrétiens de la dernière décennie du quattrocento sur les

hérétiques. La composition audacieuse, de style résolument Renaissance, apparaît en

pleine page, bordée de part et d’autre par deux colonnes verticales qui évoquent un arc

de triomphe. À l’avant-plan, le psalmiste en prière (identifié en toutes lettres) implore le

secours de Dieu le Père, lui-même représenté au cœur d’un halo de séraphins azurés,

dans la partie droite supérieure de l’image. David auréolé porte le manteau royal mais sa

couronne et sa lyre jonchent le sol, en signe d’humilité!; au plan intermédiaire, deux

scènes rappellent sa vie tumultueuse. À gauche, on le voit se pencher près d’un ruisseau

pour ramasser les pierres destinées à frapper Goliath!; à droite, il tranche la tête du

géant. Derrière lui, une troupe de cavaliers mettent en déroute une foule enturbannée. Le

combat se déroule devant une ville identifiée en deux endroits et en toutes lettres

comme Jérusalem, bien que la vue imposante sur la cathédrale de Florence, dont le

dôme réalisé par Brunelleschi entre 1420 et 1436 faisait la fierté de la cité (il s’élevait à

167
Le rapprochement entre David combattant Goliath et les chrétiens s’opposant aux Maures est ancien.
Théodoret avait déjà fait le lien, comme en témoigne ce commentaire qui lui est attribué dans la Biblia
cum glossa, op. cit., pp. 430-31!: «!Membra veri David cum superbientes haereticos et sacrae scripturae
sententias deferentes eisdem sententiis quas proferunt vincunt, quasi elatum Goliam suo detruncant.!»
168
Plut. 15, cod. 17, fol. 1v.
Figure 6. Bibliothèque Laurentienne, ms. Plut. 15, cod. 17, fol. 1v
Biblia (Florence, 1489-90).

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DEUXIEME PARTIE 228

114 mètres, une altitude jamais atteinte jusque-là), ne laisse aucun doute sur l’amalgame

entre la ville sainte et la ville italienne. Des militaires armés y sont également attroupés.

Enfin, dans la marge inférieure de l’image, l’onction du berger David au milieu de ses

frères par le prophète Samuel évoque la cérémonie royale du sacre célébrée par l’évêque

et la protection du ciel donnée aux souverains à cette occasion.

Le caractère remarquable de l’œuvre tient entre autres à l’émergence d’un élé-

ment séculier dans cette scène somme toute traditionnelle!: un groupe de trois personna-

ges royaux placés légèrement en retrait à la gauche du psalmiste et qui contemplent une

bataille se déroulant devant Jérusalem. Deux d’entre eux peuvent facilement être identi-

fiés grâce à leur profil bien typé, Matthias Corvin au centre et Charles VIII à sa gauche,

orné de la couronne aux lys et du sceptre royal. L’identité du troisième personnage, vêtu

d’une robe bleue fleurdelysée, n’est pas encore déterminée avec certitude à ce jour. Ses

traits portent à croire qu’il s’agit d’une femme, sinon Anne de Beaujeu du moins une

allégorie de la France!; des spécialistes ont également suggéré qu’il s’agirait de

Louis!XI169. La scène de la bataille aux portes de la ville est également frappante car elle

juxtapose plusieurs éléments disparates!: devant la Jérusalem florentine, la troupe

royale, reconnaissable à son armure de fer, brandit un drapeau marqué de la croix de

Jérusalem. Elle met en fuite des musulmans arborant le drapeau rouge au soleil d’or. La

signification de cette peinture est claire!: le roi de Bohème et de Hongrie Mathias Cor-

vin, l’un des chefs pressentis en 1490 pour descendre vers la Sicile et mener la Croi-

sade, s’apprête avec l’appui de Charles VIII à suivre l’exemple du berger vainqueur de

Goliath et à assurer la victoire des chrétiens sur les infidèles. On sait cependant que le

169
Cf. Iliona Berkovits, Illuminated manuscripts from the Library of Matthias Corvin , trad. par Susan
Horn, Budapest, Corvina Press, 1962, p. 60.
DEUXIEME PARTIE 229

projet prendra une tournure toute différente avec la mort subite de Corvin, à l’âge de

quarante-sept ans, le 6 avril 1490, à l’époque même où Gherardo et Monte di Giovanni

illuminent la Bible florentine!: Charles sera dépêché pour prendre la tête des croisés et

ce sera lui le nouveau David, adversaire du nouveau Goliath.

L’aspect florentin de Jérusalem (sans aucune évocation de cet élément iconogra-

phique traditionnel de la Ville sainte qu’est le mont Golgotha surmonté d’une croix)

pourrait bien être le fruit d’une simple convention si elle ne revenait encore, de manière

plus précise, dans une seconde enluminure. Il s’agit de l’illustration placée au tout début

des Psaumes dans le même ouvrage, un folio seulement après la peinture précédente

(fig. 7)170. La page en question est divisée en trois parties!: un encadrement de motifs

végétaux, d’emblèmes et de blasons (les trois couronnes et les trois lions de l’alliance

Hongrie-Dalmatie-Galice, sur la colonne de gauche, et le blason et la croix spécifiques à

Matthias Corvin, sur la colonne de droite) et de personnages bibliques (Moïse, les prê-

tres Melchisédec et Aaron, les psalmistes Asaph, Heman et Iditum) entourent la compo-

sition centrale. Dans la moitié inférieure de la page, une miniature de David à la harpe

placée au début du texte biblique (psaume Beatus vir), évoque le roi-musicien, bien qu’à

la gauche et à la droite de son trône figurent un casque et une épée, rappel de sa carrière

de combattant.

Dans la partie supérieure, la confrontation entre les troupes d’Israël et l’armée

philistine file le thème des guerres d’Israël. La scène se déroule dans un champ rocail-

leux avec en son centre un piton rocheux!; à gauche, un roi couronné et sa milice vont à

170
Plut. 15, cod. 17, fol. 2r.
Figure 7. Bibliothèque Laurentienne, ms. Plut. 15, cod. 17, fol. 2r
Biblia (Florence, 1489-90).

inserts photo 8 23/10/03, 11:59:46


DEUXIEME PARTIE 231

l’encontre d’une troupe armée, disposée sur la droite, arborant un drapeau sur lequel est

écrit Philistei. Spectateur du combat, un chevalier vêtu de noir et monté sur un cheval

blanc observe l’arrivée de la troupe. Malgré une seconde inscription de Philistei sur une

tente, l’ennemi n’est pas Turc mais bien occidental!: aucun turban cette fois, seulement

un chef au teint clair et blond. L’inscription sur la tente et la ressemblance frappante

entre ce chef sur un cheval blanc, et le David musicien de la lettrine, renvoient à I Sam.

29 et 30, c’est-à-dire à l’époque où, pour fuir Saül, David s’était réfugié chez les Philis-

tins et menait leurs guerres. Il faut par ailleurs souligner que David, ici, ne se bat pas.

Un autre élément intéressant de cette illustration relève de la ville dépeinte en ar-

rière-plan, qu’une inscription sur les murs identifie comme Hébron, mais que ses prin-

cipaux monuments permettent assurément d’identifier comme Florence!: on reconnaît la

Place de la Seigneurie avec à gauche, le palais des Médicis (Palazzo Vecchio), surmonté

de son beffroi caractéristique, la loge de la Seigneurie (Loggia della Signoria) avec en

façade non pas trois, mais quatre arches, et tout au fond, à l’horizon, la cathédrale de

Florence.

Dans cette fresque à la fois politique et biblique, il semble bien que la nouvelle

Hébron (Florence) célèbre le premier acte de ce qui doit être un scénario de l’expédition

française, la défaite des rois de Sicile et la victoire du roi du Nord, pressenti par le

commanditaire de l’enluminure comme étant Matthias Corvin. En effet, la présence

simultanée de l’armée d’Israël, des Philistins, le piton rocheux et la mention de la ville

d’Hébron évoquent la bataille qui précipita la mort de Saül sur le mont Gelboé, à la-

quelle le psalmiste ne prit pas part, et le sacre de David qui s’ensuivit presque aussitôt à
DEUXIEME PARTIE 232

Hébron171. Si cette enluminure, comme le laissent croire sa thématique et son style, a un

lien avec la précédente, et si toutes deux confèrent aux espérances de 1490 des accents

bibliques, alors il semblerait que la peinture insérée au début des Psaumes (fig. 7) revête

la signification suivante!: le roi en titre mais contesté (de Sicile) perdra, à l’instar de

Saül, la guerre contre les nations voisines!; un nouveau roi prendra sa place, sera accla-

mé à Florence et rétablira la paix dans toute la péninsule.

Le symbolisme politique de David, si populaire dans la capitale médicéenne,

semble bien avoir rayonné grâce aux peintres italiens non seulement en France, mais

aux confins de l’Empire, en Hongrie, où il recouvre un spectre de significations plus

large avec l’avènement de la nouvelle croisade. La première peinture biblique, où les

rois chrétiens observent l’exploit de jeunesse de David, déplace un symbole important

de la puissance des Médicis vers les chefs pressentis pour mener l’expédition. Florence,

nouvelle Jérusalem puis nouvelle Hébron, est assurément appelée à jouer un rôle straté-

gique dans ce combat qui engage toute la chrétienté. Le symbole du berger oint par

Samuel et vainqueur de Goliath évoque la part d’honneurs et de gloire qui reviendra de

bon droit à la cité dans la victoire, honneurs qu’elle partagera avec les princes alliés

venus se battre outre-monts. Les armoiries disposées dans les marges de la seconde

enluminure évoquent l’étape décisive que représente, pour Corvin et son royaume, la

reconquête de la Sicile et l’affrontement avec les princes d’Aragon, ces nouveaux Saül

que d’aucuns (tels le Pape172 et Savonarole) considèrent déjà comme déchus de la grâce

171
2 Sam. 1 et 2; I Chr. 10 et 11.
172
Lorsque le petit Charles VIII monte sur le trône, le pape Innocent VIII est en guerre avec l’aragonais
Ferrante, qui refuse de payer son tribut annuel à Rome. Il l’excommunie et appelle à son secours Charles
VIII, qui reçoit l’épée bénite et le bonnet d’honneur le 24 janvier 1490!: l’appel lui est lancé d’intervenir à
Naples. Cf. Cloulas, op. cit., pp. 17-18.
DEUXIEME PARTIE 233

divine et par conséquent, usurpateurs du titre royal173. Dans cette fresque à la fois polit i-

que et biblique, la nouvelle Hébron (Florence) célèbre le premier acte de ce qui doit être

la prise de Jérusalem, la défaite des Maures et la réunification de l’Orient et de

l’Occident en un même troupeau et sous la conduite d’un même berger. C’est tout

l’imaginaire davidique, avec les connotations que l’on sait chez les Florentins et dans la

tradition chrétienne, qui s’élargit pour recouvrir une réalité diplomatique et eschatologi-

que.

Il ne fait plus de doute que le grand déploiement des guerres d’Italie soit

l’occasion de raviver le lien qui unit les rois croisés, et en particulier le roi de France,

avec son ancêtre spirituel dans l’Ancien Testament, David. Il ressort de ce retour massif

au roi biblique deux éléments caractéristiques du retour politique et stratégique aux

Écritures, à l’aube de l’époque des réformes. En premier lieu, sa liberté extrême par

rapport à la «!vérité!» biblique. Le David des chroniqueurs et des apologistes de la

couronne est un prophète, ce que l’Écriture ne dit pas. David est un roi, il est au centre

des prophéties de Samuel et de Nathan, mais non l’auteur de prédictions comme le

furent, par exemple, Jérémie ou Isaïe. Certes, il a écrit des psaumes récités et accomplis

par le Christ, mais cela ne lui donne, nulle part dans l’Écriture, le titre de prophète. On

préfère celui de poète. En revanche, les Pères et les Docteurs de l’Église l’appellent

prophète, comme ils le font aussi pour Abraham et pour Moïse, dans la mesure où la

173
Ce titre, on le sait, était rattaché à la couronne de Naples depuis 1277 à la suite de l’acquisition de Tyr,
Tripoli et Saint-Jean-d’Acre par Charles Ier d’Anjou. Mais Naples n’était pas seule!: outre le traité de
Liénard Baronnat prouvant les droits de la France sur Jérusalem, la Hongrie y était également liée depuis
que le roi René hérita en 1435 de la reine Jeanne II de Naples des droits et des prétentions sur la totalité
du royaume napolitain, soit les royaumes de Hongrie, de Jérusalem et de Sicile. L’union de la fille de
Ferdinand d’Aragon, Béatrix, avec Mathias Corvin en 1475 confirmait cet état de fait. Cf. Christian de
Mérindol, op. cit., p. 67-68.
DEUXIEME PARTIE 234

totalité de l’Ancien Testament annonce de manière plus ou moins voilée, les événe-

ments du Nouveau Testament. Mais il n’est assurément pas question de voir un autre

que le Christ au cœur de ces prédictions. L’Église accepte une certaine exégèse à

l’intérieur de limites très fermes.

En second lieu, on constate que le travail que les écrivains effectuent à partir des Écritu-

res en est un de distanciation qui met le sacré au service de l’homme et de ses politi-

ques, et non l’inverse. Au temps des guerres d’Italie, et en dépit de l’élan donné en ce

sens par Nicolas de Lyre, le rôle du croyant dans le monde semble moins d’entreprendre

une démarche de foi qui part des Écritures pour rejaillir sur le sens donné à chaque

existence, que de répondre à un appel, celui du Pape de mener une Croisade, celui d’un

roi mobilisant la nation pour s’engager avec elle dans une ‘œuvre de justice’. Cette

démarche conduit à un pararadoxe, à l’origine des réformes du siècle suivant!: à mesure

qu’ils invoquent une autorité sacrée, les écrivains s’éloignent du «!vrai!» David, le roi

de la Bible. Les textes de propagande qui émanent de l’entourage de Charles VIII le

montrent, on ne le reconnaît plus. Devant cette métamorphose, les poètes et les écrivains

des décennies suivantes auront des réactions contrastées, propres à leur sensibilité reli-

gieuse, au contexte social et aux genres littéraires qu’ils choisiront comme support. Le

désir de revenir au personnage en lui-même et de raconter, sous une forme poétique,

l’épopée que fut sa vie, nourrira de grandes ambitions et donnera le jour à des projets

d’écriture de Davidiade et d’Israéliade.


TROISIÈME PARTIE

DU CHEVALIER COURTOIS AU HÉROS À L’ANTIQUE.

L’ÉPOPÉE BIBLIQUE OU LES MÉTAMORPHOSES D’UN ROI


TROISIEME PARTIE 236

Chapitre I

Le corpus épique

Le poème héroïque moderne d’inspiration biblique apparaît au moment où la littérature

nationale prend conscience d’elle-même. L’élite intellectuelle appelle à une célébration de

la langue du roi, dont il s’agit de mesurer les fruits à l’aune d’œuvres magistrales du pas-

sé!; égaler Homère et Virgile!; renouveler le souffle épique par la verve religieuse. Vau-

quelin de la Fresnaye, comme Du Bellay avant lui et plus tard le Tasse, recommande

qu’on puise pour l’épopée des sujets historiques recensés dans l’Histoire Sainte autant

que dans les anciennes chroniques et les romans médiévaux. La noblesse et la grandeur

des saints personnages, la profusion des événements qui les conduisent à se distinguer

contribuent à la qualité épique du poème!; la valeur morale et l’élévation d’esprit qu’ils

incarnent correspondent aussi au souci d’édifier les lecteurs, appelés à rechercher dans

l’épopée «!des raisons, des discours, pour y former leurs mœurs!»1. C’est en ces termes

que Vauquelin se prononce en faveur du développement d’une poésie héroïque chrétienne

qui plonge ses racines non plus dans les fables, mais dans la vérité des Écritures. L’Art

poétique (1605) couronne de lauriers ceux qui ont annoncé le Christ, l’archétype même du

saint héros!; qu’ils détrônent donc avec lui les dieux antiques et!les guerriers mythiques

pour honorer le poème épique des richesses qui lui reviennent!:

Portez donc en trophé les despouilles payennes


Au sommet des clochers de vos citez Chrestiennes.
Si les Grecs, comme vous, Chrestiens, eussent escrit,

1 J. Vauquelin de la Fresnaye, L’Art Poétique (1605), éd. G. Pellisier, Paris, Garnier, 1885, livre premier,
v. 459-466.
TROISIEME PARTIE 237

Ils eussent les hauts faits chanté de Iesus Christ.


Doncques à les chanter ores ie vous invite,
Et tant que vous pourrez à despouiller l’Egipte,
Et de Dieu les autels orner à qui mieux mieux
De ses beaus parements et meubles precieux. (ed. Genty, p. 135)

L’épopée de la Renaissance aura donc recours, pour une part, au merveilleux de la

Bible. Non sans difficulté. Dans la première moitié du siècle, on ne trouve personne qui

remette ce principe en cause. Jusqu’à la Judit de du Bartas (1575), l’Ancien Testament est

la source sacrée à laquelle puisent les auteurs chrétiens. En revanche, la veille du grand

siècle ne voit plus cette ferveur aussi bien partagée!: le genre se codifiant, le recours aux

héros de la Bible semble de moins en moins aller de soi. Klàra Csürös l’a montré, à me-

sure que s’élabore la théorie de l’épopée, les réticences se multiplient sur le recours aux

Écritures. L’articulation délicate entre le caractère sacré, intouchable, des Écritures et

l’inventio poétique devient un point d’achoppement théorique majeur, et avec lui l’idée

que l’épopée biblique ne doit être autre chose qu’un fidèle miroir des livres saints. Les

synodes successifs n’insistent-ils pas dès 1559 sur le respect dû non seulement à l’esprit

mais aussi à la lettre de l’Écriture, interdisant «!aux hommes, ne mesmes aux Anges d’y

adjouster, diminuer ou changer!» quelque chose, et au nom de ce principe de fidélité de

«!n’y mesler pas de fables poétiques […] et s’en tenir aux propres termes du texte sa-

cré!»2?

Pourtant, ces réticences ne découragent pas un bon nombre de poètes chrétiens, qui

s’inspirent amplement de David pour donner matière à l’épopée moderne. Pour une ques-

tion d’affinité, certainement. Le David des Écritures est un peu à l’image de ces ardents

défenseurs de l’épopée, à la fois enrôlé dans le combat pour l’affirmation d’une identité

nationale et pour l’émergence d’une littérature noble, reflet de celle-ci, écrite dans la lan-

gue du peuple sur un sujet divin. Le choix de la lyre comme symbole des poètes impliqués

2 Confession de foi des Eglises protestantes de France, 1559, art. V, et Actes du IXe synode, 1578, art.
XX, in [Haag, Eugène et Haag, Émile], La France protestante, Genève, Slatkine, 1966, t. 10, pp. 32 et
158.
TROISIEME PARTIE 238

dans la redéfinition du genre épique révèle d’emblée une proximité. Le titre de la Lyre

chrétienne n’évoque-t-il pas autant la harpe de David que celle d’Orphée, qu’elle christia-

nise? Du Bellay ne cesse de stimuler Ronsard en des termes qui évoquent autant le modèle

de la poésie biblique et davidique, où le Dieu unique insuffle son Esprit Saint à son élu,

que Pindare et les autres poètes grecs et latins, guidés par les fureurs et par les Muses!:

Sus donques, ce pendant que le Dieu de ta lyre


De ta saincte fureur heureusement t’inspire,
Escry, ose et fay tant, Ronsard, à ceste fois,
Que le Grec et Latin cede à nostre François.3

On sait qu’au XVIe siècle, ses talents de psalmiste font du roi hébreu le poète bi-

blique le plus prisé, le plus traduit et paraphrasé de tous, la référence suprême en matière

de dévotion et de piété dans le royaume de France!; son histoire personnelle ponctuée de

grandes victoires militaires et de guerres contre les Philistins forge également l’image du

chevalier de Dieu, prophète du Messie. Figure prophétique et légendaire, habile combattant

et de surcroît, poète, il cumule les atouts héros du héros de légende. On ne s’étonnera

donc pas que dans l’ensemble des œuvres épiques inspirées de la Bible publiées au XVIe

siècle, celles consacrées à David tiennent une place honorable. Le genre héroïque étant un

genre composite, englobant un éventail d’œuvres allant de la poésie au roman, aux balla-

des, à la pastorale, à la fable, il est parfois délicat de déterminer si telle ou telle œuvre ap-

partient à la grande famille épique!; cas par cas, il faut justifier leur statut. Mais déjà, cer-

tains chiffres peuvent être avancés à titre indicatif. Dans la première moitié du siècle, six

poèmes au moins de longueur variable s’intéressent au bethléemite. Entre 1550 et 1600,

l’intérêt qu’on lui témoigne ne faiblit pas!: dans la répartition des thèmes bibliques les

plus sollicités, si l’on se fie à la remarquable mise au point effectuée par Csürös, les œu-

3 Ad P. Ronsardum lyrae gallicae principem, épître traduite par du Bellay lui-même!; cf. ses Œuvres
poétiques, éd. H. Chamard, Paris, Hachette, 1923, t. 5, pp. 360-65.
TROISIEME PARTIE 239

vres qui lui sont consacrées apparaissent au troisième rang4!: le psalmiste arrive loin der-

rière Marie-Madeleine (avec 20 épopées ou épyllia) et le Christ (16 poèmes), qui tiennent

la vedette, mais tout de suite après eux avec 5 œuvres à son sujet. Il se classe donc ex

æquo avec Judith, une héroïne de l’Écriture au moins autant appréciée que Bethsabée,

devançant Suzanne (3 œuvres), Esther (2 œuvres), les patriarches, les prophètes et les

apôtres, qui n’ont chacun qu’une ou deux œuvres dans la seconde moitié du siècle. La

raison de cette constance tient peut-être au fait que les auteurs sont en très grande majorité

de confession catholique, mais tolérants, comme si l’invention d’un David épique servait

de contrepoids au recours massif des protestants à ce personnage biblique, sans intention

toutefois d’en faire le lieu déclaré d’un combat!: avant 1550, nos six auteurs sont catholi-

ques!; l’autre versant du siècle compte quatre catholiques (Joachim du Bellay, Pierre de

Brach, Rémi Belleau et J. Vauquelin de la Fresnaye), pour la plupart très tolérants vis-à-vis

de la Réforme, pour un seul protestant confirmé, Du Bartas. De part et d’autre de la fron-

tière confessionnelle, David apparaît donc comme une figure de prédilection pour les va-

leurs universelles qu’il incarne, mais dans l’épopée c’est bien les modérés qu’il semble

davantage fasciner. On peut se demander pourquoi et comment on le sollicite de manière

si égale au moment où se renouvelle l’intérêt pour l’épopée chrétienne, au point d’en être

une image clef, ce que, sans doute, peu de gens soupçonnaient. C’est cette enquête que

nous avons menée, en nous appuyant sur un certain nombre d’œuvres représentatives des

métamorphoses qu’il encourt.

Constitution d’un corpus

Un simple survol des terminologies utilisées pour désigner l’épopée en vers ou en

prose suffit à rappeler que nous sommes en présence d’un genre particulier, composite!:

poème héroïque, romanesque, poème sacré, roman, même tragédie se chevauchent réguliè-

4 Klàra Csürös, Variétés et vicissitudes du genre épique de Ronsard à Voltaire, Paris, Champion, 1999, p.
205.
TROISIEME PARTIE 240

rement pour désigner des surgeons du genre épique traditionnel. Les poèmes bibliques

sont parfois des hybrides composés en partie d’éléments allégoriques et historiques, par-

fois de petites compositions insérées dans des poèmes encyclopédiques où le thème guer-

rier côtoie celui de l’amour. La matière épique, elle aussi, varie d’une œuvre à l’autre et

dans le temps!: dans la première moitié du XVIe siècle, l’idée que l’on s’en fait est souvent

loin des modèles classiques et fortement imprégnée du modèle de la chanson de gestes!:

elle s’apparente à la définition du genre auquel se risque le prologue de la Belle Helaine,

un récit d’exploits guerriers réalisés d’abord contre les païens - prises de châteaux et de

forteresses, combats et conversions - ayant pour horizon géographique la Terre Sainte et

associant, selon la formule consacrée dans les remaniements épiques, ‘armes et amours’.

À ce stade de son évolution, l’épopée chrétienne s’apparente aux récits de Croisade!:

Seigneurs, faittes chi paix, plaise vous d’escouter,


Et vous orrés histoire qui moult fait à loer.
Chest d’armes et d’amours, et des fais d’oultremer,
De paiens convertir, de mescreans tuer
Et de chasteaux abatre, de villes conquester,
Et de sains et de saintes c’on doibt moult honorer. 5

Vers le milieu du siècle, sous l’impulsion de la Pléiade, la définition du genre

s’élargit pour embrasser la représentation du monde dans tous ses états. L’Art poétique

(1555) de J. Peletier du Mans l’évoque en des termes qui rappellent les définitions cou-

rantes du genre dramatique!:

Voilà comment les infortunes parmi les félicités, les joies parmi les tristesses!:
sont le jeu du théâtre de ce monde!: dont le poème est le miroir.6

5 Prologue de La Belle Helaine, BNF. ms. fr. 14889, cité après François Suard, «!La Tradition épique
aux XIVe et XVe siècles, Revue des sciences humaines de Lille III, 1981, no 183, p. 105.
6 J. Peletier du Mans, Art poétique (1555), éd. Boulanger, Paris, Belles Lettres, 1930, p. 201. Nous
avons modernisé l’orthographe.
TROISIEME PARTIE 241

Refléter le monde, le dépeindre au plus juste pour en approfondir le sens est un de-

voir du poète épique. Cette mission, il la partage avec les théologiens, pour qui l’image du

miroir désigne la Bible dans les préfaces des livres saints!; avec les tragiques également,

qui font de l’avant-scène un théâtre du monde. Dans l’épopée néanmoins, le devoir spé-

culaire s’entend moins dans le sens spirituel du miroir de l’âme, ou encore dans le sens

du ‘naturalisme’ poétique, de la copie «!améliorée!», que dans sa dimension idéale, celle

de proposer un modèle exemplaire d’existence. Vauquelin de la Fresnaye, un demi-siècle

plus tard, revient à cette même métaphore dans sa définition du ‘grand genre’, fortement

tributaire de celle de Peletier. La première partie de son propos évoque la conception mé-

diévale de l’épopée, pétrie de rêves de conquête et de valeurs chevaleresques, et la seconde

annonce un retour à la vision virgilienne du monde empreinte d’un sens du divin. De tous

les genres nobles de la littérature, le genre épique se distingue par sa capacité à évoquer la

vie dans tous ses aléas, les réponses des mortels aux coups du destin!; mais il se mêle

aussi des rapports entre l’homme et Dieu, entre l’homme et la nature, de ce qui échappe à

l’emprise de la vaillance et relève du mystère et de la métaphysique. Il n’est aucune ma-

tière qui ne puisse y entrer!:

C’est un tableau du monde, un miroir qui raporte


Les gestes des mortels en differente sorte.
On y void peint au vray le gendarme vaillant,
Le sage capitaine une ville assaillant,
Les conseils d’un vieil homme, escarmouches, batailles,
Les ruses qu’on pratique au siège des murailles,
Les joutes, les tournois, les festins et les jeux. […]
Les enfers ténébreux, les secrettes magies,
Les augures par qui les citez sont regies!:
Les fleuves serpentants, bruyants en leurs canaux!;
Le cercles de la lune, ou sont les gros journaux
Des choses d’ici bas, prieres, sacrifices
Et des Empires grands les loix et les polices.7

7 J. Vauquelin de la Fresnaye, L’Art poétique (1605), éd. G. Pelliser, Paris, Garnier, 1885, livre premier,
vv. 471-77 et 491-96.
TROISIEME PARTIE 242

En d’autres termes, l’épopée décrit ce qui se passe sur terre et ce qu’en pense le

ciel!; elle raconte une histoire sur le mode narratif de la chronique et décrit la nature grâce

aux charmes de la poésie. Elle célèbre des héros en rappelant leurs actions exceptionnelles,

ce qui l’apparente au discours démonstratif, tributaire de la louange et du panégyrique.

L’épos, peinture du monde, met aussi sous les yeux, par l’art du récit, une représentation.

Des procédés allégoriques, des épisodes anecdotiques renvoient à des réalités plus vastes!;

le poème guerrier cède même parfois la place au chant contemplatif. L’épopée est donc un

art total, mais un art si vaste qu’il se cherche, inlassablement, comme le souligne à juste

titre Olivia Rosenthal!: «!il se dessine […] d’abord comme un idéal, un modèle certes mais

un modèle à faire, quelque chose à inventer!»8. Et il ne cessera de le faire. Nous avons

tenu compte de cette ouverture conceptuelle pour esquisser à grands traits la fortune épi-

que de David, aussi bien dans des œuvres qui racontent toute sa vie dans un style élevé, en

vers ou en prose, que dans certaines œuvres et marquées au sceau du mélange, où le mer-

veilleux de l’Ancien Testament n’occupe qu’une place secondaire dans une ensemble à

dominante profane. Dans chaque cas, nous justifierons nos choix.

Les précurseurs

Il faut remonter au tout début du siècle pour que les premières tentatives plus ou

moins innovantes par rapport aux romans médiévaux présentent David non seulement

comme un héros exceptionnel, mais comme l’alter ego sacré d’Énée et d’Hector, dont on

célèbre les exploits. Conformément à l’usage, le genre héroïque dans lequel il s’illustre se

caractérise par la démultiplication des topiques, des matières et des formes. Les éléments

épiques ou courtois qui se mêlent à la matière biblique engendrent dans le récit une déme-

sure formelle. C’est ainsi qu’à l’aube du XVIe siècle, l’auteur anonyme d’une œuvre de

compilation, le Livre des neufs preux (publié d’abord à Abbeville chez Pierre Gérard en

8Olivia Rosenthal, «!Aux frontières de l’épique et du lyrisme!», Revue de Littérature comparée, vol. 70,
no 4, 1996, p.458.
TROISIEME PARTIE 243

1486 puis à Paris pour Michel le Noir en 15079) reprend la tradition médiévale des preux

très en vogue aux XIVe et XVe siècles pour réunir autour de David l’univers arthurien et

l’histoire d’Alexandre. Ces neuf héros, dont trois bibliques (David, Josué, Judas Macca-

bée) trois antiques (Hector, César, Alexandre) et trois héros du Moyen Âge (Arthur,

Charlemagne et Godefroy de Bouillon) situent David dans un univers de vertu et de cou-

rage au sens large où la Bible apparaît comme une Histoire Sainte, une chronique vénéra-

ble et authentique dont le prestige profite au cycle arthurien et aux chroniques nationales

qui lui sont annexés. Ils composent une véritable fresque humaine dont la multiplicité des

personnages et la juxtaposition d’exploits hétéroclites diluent peut-être la spécificité et les

enjeux de la quête «!chevaleresque!», laquelle peut engendrer une impression de fourre-

tout héroïque que Jean-Philippe Beaulieu qualifie de «!démesure actancielle!»10. Elle des-

sine néanmoins un modèle idéal et durable du chevalier courtois liant la prouesse et la foi

dans la matière biblique, les faits d’armes et d’amours des héros antiques et chez les chré-

tiens, la défense de l’Église et de la nation.

À peu près à l’époque où l’anonyme des Preux décrit par le menu chacun des

hauts-faits de David, l’humaniste croate (cessons d’en faire un italien!!11) le plus souvent

comparé à Érasme, Marc Marulle (Split, 1450-1524), relève un défi similaire dans une

œuvre latine dense et originale qui augure des développements ultérieurs de l’épopée bi-

blique en France. Le rayonnement de son auteur fut tel de l’avis de Charles Béné que dès

9 On connaît trois versions différentes de cette oeuvre du XVe siècle, remaniées au début du XVIe siècle
dans les Trois grands. L’édition de 1486, Le Livre intitulé le Triomphe des neuf preux, avec lystoire de
Bertrand du Guesclin, fut peut-être suivie par une autre en 1487, si l’on en croit le catalogue des incuna-
bles. Par souci de conformité avec la période que nous avons choisi d’étudier, nous nous intéresserons à
l’édition la plus tardive, celle de 1507, dont les planches viendraient de Jean du Pré. Pour une bibliogra-
phie, voir François Suard, «!La Tradition épique aux XIVe et XVe siècles!», Rev. de sc. hum., no 183,
1981, p. 101!; plus anciens mais toujours utiles, les ouvrages de G. Brunet, La France du X Ve siècle,
Paris, A. Frank, 1865, et la Bibliothèque des Romans, juillet 1775, tome 1, p. 141.
10 J.-P. Beaulieu, «!Où est le héros? La vacuité de la quête chevaleresque dans les Angoysses douloureu-
ses d’Hélisenne de Crenne!», in Héroïsme et démesure dans la littérature de la Renaissance. Les avatars de
l’épopée, Publ. de l’univ. de Saint-Étienne, 1998, p. 135.
TROISIEME PARTIE 244

l’époque des Réformes, sa réputation et sa notoriété n’étaient plus à faire en Europe12.

Les dix dernières années de sa vie, il emprunte la voie ouverte par le Tasse et écrit une

Davidias13 versifiée, en latin, dans l’espoir de fournir une alternative chrétienne aux ama-

teurs de l’Iliade et des autres «!fables!mensongères!». Le poème, comparable en longueur

aux grands modèles du genre (quatorze chants de 6 756 hexamètres dactyliques)14, fut

découvert en 1924 à la bibliothèque nationale de Turin!; il est resté manuscrit jusqu’en

1957 lorsque des extraits ont été publiés à Zagreb, puis en totalité à Mérida en 1957 et à

Split en 1984. La Davidiade est à classer dans la lignée des rejetons tardifs de l’épopée

virgilienne et chrétienne, celle qui plonge ses racines dans le premier Moyen Âge et se

ramifie jusqu’au XVIIe siècle. Elle a valu à Marulle le titre de secundus Vergilius auprès

de ses condisciples du cercle humaniste de Split.

David «!héroïque!» au temps de François Ier

Les retombées de ces deux œuvres charnières qui coulent l’Écriture dans le moule

épique commencent seulement à se faire sentir dans la première moitié du siècle. Lorsque

les poètes proches de François Ier convertiront à leur tour la Bible en support d’une litté-

rature nationale, ils reconnaîtront à David une valeur héroïque indéniable. Parmi les poè-

mes les plus connus, on rencontre les Hardiesses de plusieurs roys et empereurs (ca.

1519)15 de Pierre Sala, une compilation d’exploits antiques calquée sur le modèle du De-

11 Dans sa langue originale, son nom est Marko Marulic et non Marullo, comme il nous est arrivé de lire
dans l’un ou l’autre article consacré à l’épopée de la Renaissance.
12 Leo Kosuta, «!Fortunes and misfortunes of a book by Marko Marulic!: De institutione bene vivendi
per exempla sanctorum, Venise, 1507!», dans Most/ Bridge Literary Magazine, nos 1-4, 1999, p. 140.
13 Davidias, in [Branimir Glavicic], Marci Maruli Opera omnia, Split, Knjizevni krug, 1984. On connaît
également une édition plus ancienne procurée par Miroslavus Marcovitch, M. Maruli Davidiadis, Libri
XIV, Merida (Vénézuela), publ. de la dirección de cultura de la universidad de Los Andes, 1957
14 À titre indicatif, l’Énéide compte près de 10 000 vers en douze chants et la Chanson de Roland, un peu
plus de 4 000.
15 Les Hardiesses de plusieurs roys et empereurs, BNF ms. fr. 584.
TROISIEME PARTIE 245

cameron, dont on connaît une seconde version manuscrite sous le titre de Prouesses de

plusieurs roys16. Dans la grande tradition des compilations épiques ou historiques en

prose, celle du Roman des neuf preux mais aussi du Miroir des histoires de Jean

d’Outremeuse et des Grandes chroniques de France, une succession de récits constituent

un véritable palmarès d’exploits royaux. Les hauts faits du psalmiste inaugurent une ky-

rielle d’autres faits d’armes qui conduisent à ceux du roi en titre, lequel trouve dans cette

longue généalogie héroïque un motif d’émulation et de gloire. Les sources sont hétérogè-

nes, bibliques, historiques, parfois même issues de légendes dont l’origine n’est pas tou-

jours connue, et témoignent de la propension de la grande fresque épique à regrouper des

contenus différents pour intensifier le caractère héroïque de l’ensemble de la narration.

Plus homogène et plus court, on connaît également un petit épyllion en forme de

ballade composé par dom Nicole Lescarre qui s’appréhende comme une authentique mo-

nomachie sur le thème de David et Goliath. La résistance et la victoire de David sont évo-

quées sur le mode de la description versifiée qui condense le récit biblique pour n’en gar-

der que l’essentiel de l’action!: David surprenant les paroles de Goliath, le duel, la victoire

et la fuite des Philistins. Seul l’envoi ramène à la France, la directe héritière des armes

spirituelles de David!:

Si cueurs françoys sont endormis


Soubz crainte humaine et transitoire
Dieu pour leur deffence a commis
Fonde qui rend au roy victoire.

Le motif de la résistance armée au géant païen semble convenir à merveille au des-

sein moral et chevaleresque de l’épopée puisqu’en 1547, Marguerite de Navarre envoie

une épître sur ce thème à François Ier emprisonné en Espagne. Klàra Csürös n’hésite pas

à la décrire comme «!une monomachie!de David et Goliath!»17, mais il faut reconnaître que

16 Les Prouesses de plusieurs roys, BNF ms. fr. 10420.


17 Op. cit., p. 239, et «!Sainte sagesse et diabolique démesure d’un roi!: Les Amours de David et de
Bersabée (1572), épyllion de Rémi Belleau!», in Héroïsme et démesure dans la littérature de la Renais-
TROISIEME PARTIE 246

l’appartenance de cette lettre au genre épique nous a d’abord fait hésiter. S’agit-il réelle-

ment d’une épopée? La première partie (vv. 1-41) s’apparente à un poème héroïque mini-

ature, un épyllion!: elle raconte comment David, voulant porter secours au roi, remet sym-

boliquement à Marguerite sa fronde et ses pierres qu’il destine à François Ier. Au don des

armes succède un long panégyrique royal visant à réconforter le prisonnier dans sa dé-

tresse!: de même que jadis, fort de ces armes, le berger abattit Goliath (vv.15-18 et 21-28),

le roi devrait à son tour vaincre les géants de son siècle, à savoir ses ennemis et les traîtres

de la couronne de France. La suite et fin de la lettre, qui représente les trois quarts de

l’épître (v. 41-180), se borne à énumérer les vertus morales qui font du Valois un roi très-

pieux, selon le motif traditionnel de l’éloge. Le sujet choisi par Marguerite de Navarre

nous amène à la frontière délicate de la poésie encomiastique et du poème héroïque.

Pourtant, des quatre éléments qui composent «!l’armature universelle!» de

l’épopée, dégagés dans l’importante mise au point de Daniel Madelénat18, trois sont ré-

unis!: David incarne l’instance régulatrice de l’action, qui assigne au héros sa mission!;

François Ier figure le sauveur, celui qui précipitera la déroute des ennemis du royaume!; la

mission dont David l’investit comporte une fin partielle, la remise en liberté et le retour en

France, et une fin dernière, l’acquisition de gloire et de renommée pour le héros, le peuple

et Dieu. En revanche, le parcours héroïque du monarque, son action violente, ascendante,

positive, ne figure pas dans l’épître. Alors que l’épopée se consacre au récit de batailles

révolues, closes et enserrées dans l’histoire, Marguerite de Navarre annonce une victoire,

celle du roi français détenu en Espagne sur ses ennemis, avec l’aide de David. La guerre

n’a pas encore eu lieu, mais les éloges royaux cherchent à la faire advenir. D’un côté, le

rapide parallèle avec le combat du Térébinthe plonge le lecteur dans une époque mythique

et révolue, et peut constituer en soi le lieu d’un court passage épique. Mais pour le reste, la

temporalité de l’action ne coïncide pas parfaitement avec celle de l’épopée. Elle place le

lecteur à la croisée des chemins. À la faveur du jugement de Klàra Csürös, on peut néan-

sance. Les avatars de l’épopée, Actes du colloque international (21-23 octobre 1994) réunis par Denise
Alexandre, Publication de l’Université de Saint-Étienne, 1998, p. 168.
TROISIEME PARTIE 247

moins admettre que la remise des armes est une étape décisive vers la guerre, dont elle peut

constituer un épisode. La narration coïncide alors avec un autre aspect essentiel du temps

épique dégagé par Guy Demerson, peut-être suffisant pour faire lever les doutes qui font

questionner le genre littéraire du poème!:

Le ‘moment’ épique est rupture d’un équilibre historique intenable […] Une
action est ressentie comme épique quand elle rompt la trame d’un temps paisi-
ble!: les ripailles de la Saint-Martin s’interrompent brusquement!: les moulins
flambent. Cette promptitude ostentatoire signale l’éveil des forces, humaines ou
divines!: c’est l’actus qui est fonctionnel ici!; la virtus est subordonnée à cette
manifestation ponctuelle. 19

L’épître montre bien le roi David surgissant dans une situation stable mais dange-

reuse, défavorable au chevalier français!: sa venue providentielle opère précisément cet

«!éveil des forces!» censé accompagner François à la victoire, ce retour de fortune si por-

teur d’espoir et susceptible de révéler, dans la personne du roi, les vertus guerrières dont il

a tant besoin. À ce titre, il ne semble pas déplacé de considérer l’épître de Marguerite

comme une forme particulière de l’épopée, tout au moins comme un proche parent de

l’épopée renaissante dont le regard se tourne vers l’avant pour faire advenir des faits

d’armes mémorables et de beaux coups d’épée.

La remise symbolique des armes du psalmiste au roi semble un motif dominant de

cette première moitié de siècle puisqu’on la retrouve intégralement dans un autre poème

héroïque dédié à François Ier, le Penser du royal mémoire du grand rhétoriqueur Guil-

laume Michel. La première partie de cette longue exhortation à la croisade consiste une

fois de plus en une épître de David au roi dans laquelle il lui remet d’abord sa harpe, prin-

cipale offrande, pour l’aider à apaiser les dissensions qui ébranlent son royaume, puis sa

fronde et ses cinq pierres pour lutter contre les Maures. La harpe mobilisera les effets de

la musique exercés jadis sur l’âme agitée de Saül!; la fronde symbolise la croix et les cinq

18Daniel Madelénat, L’épopée, Paris, PUF, 1986, pp. 40-45.


19 Guy Demerson, «!Paradigmes épiques et collision des genres!: à propos du De Bello huguenotico de
Remy Belleau!», Revue de littérature comparée, vol. 70, no 4, 1996, pp. 447-48.
TROISIEME PARTIE 248

plaies du Christ, soit les armes choisies par Dieu pour combattre Satan. Le transfert des

attributs symboliques du psalmiste au roi dessine un art de la guerre et annonce les victoi-

res du roi au sein de l’Empire.

De toute évidence, ce poème allégorique à haute saveur didactique soulève les mê-

mes difficultés que celles qui nous ont occupées pour l’épître de Marguerite de Navarre,

de manière peut-être plus aiguë encore!: il s’agit moins d’un récit circonstancié d’actes de

bravoure à venir que d’une institution du Prince ou d’une éducation au pouvoir, d’un dis-

cours versifié sur l’art de gouverner et de faire la guerre. David se fait le précepteur du roi

en matière d’héroïsme et de mise en déroute des ennemis du royaume, ses réussites sont

un modèle, mais les actions d’éclat du héros véritable, François Ier, restent en instance de

réalisation et floues quant à leur nature et à leur forme exactes. Il faut donc encore voir

dans le Penser un de ces hybrides qui mêlent des thèmes, des motifs, des couleurs de

l’épopée biblique dans une outre nouvelle. Il peut être apprécié comme une œuvre allégo-

rique relativement proche du courant épique traditionnel, voire dérivée de celui-ci, ressem-

blante au modèle ‘classique’ par certains traits (et en particulier le thème de la guerre et le

souci didactique) mais aussi autre par la forme du poème, moins encline à évoquer une

action qu’à disserter sur le bon usage des armes et attributs du psalmiste. Quoi qu’il en

soit, son intérêt demeure entier.

Après 1550. David et Goliath

Au temps de la Pléiade, de tous les visages de David que retiennent les poètes,

c’est évidemment l’éternelle figure du combattant qui remporte les suffrages et pousse le

bethléemite sur le devant de la scène épique. Évidemment, car cet épisode, le plus connu de

la biographie de David, est le plus susceptible de fournir une matière intéressante à

l’épopée. Robert Couffignal20 a montré comment il s’intègre de manière parfaite au

20 Robert Couffignal, Le ‘Saint roi David’, op. cit., pp. 16-21.


TROISIEME PARTIE 249

schéma canonique des contes merveilleux dégagé par Vladimir Propp21 et A. J. Grei-

mas22!: un inconnu traverse une un certain nombre d’épreuves, «!la forme la plus impor-

tante en étant le duel contre le dragon!», et manifeste son courage pour accéder à un état

supérieur et aux plus grands honneurs. L’épreuve du géant correspond précisément au

moment où le monstre de légende «!assiège la ville, apparaît avec des menaces!»!: le Phi-

listin, écaillé d’une lourde cuirasse de bronze qui rappelle les bêtes féroces (ours et lion)

évoquées dans I Samuel 17, 34, frappe de terreur les Israélites et les injurie pendant une

période symbolique de quarante jours23. C’est cette épreuve «!qualifiante!» qui amène

David à être acclamé comme héros par les filles de Jérusalem!: «!Saül en a tué mille et

David, dix mille!». Il s’agit bien de l’épreuve constituante et qualifiante qui consacre Da-

vid comme héros.

La vogue étonnante des Monomachies de David et Goliath célèbre la victoire du

parti du Bien sur celui du Mal et commence véritablement avec le poème de Du Bellay

publié pour la première fois dans un recueil hétéroclite à Paris, en 1552!: le Quatriesme

livre de l’Eneide de Vergile […] et autres œuvres de l’invention du translateur. Il est

réédité après sa mort en 1560 dans une édition de Philippe Morel24 et dans La Lyre

chrestienne avec la Monomachie de David et Goliath et plusieurs autres chansons spiri-

tuelles25. Ce dernier recueil, attribué au protestant Guillaume Guéroult, est introuvable

aujourd’hui!; il replaçait le poème de Du Bellay dans un ensemble vétérotestamentaire

plus cohérent que le premier, dans lequel des pièces de Guéroult mais aussi de Théodore

21 Vladimir Propp. Morphologie du conte, Paris, Seuil, 1970, p. 55.


22 Algirdas Julien Greimas, Sémantique structurale, Paris, Larousse, 1966, p. 197 ss.
23 Couffignal (op. cit., p. 20) remarque que l’échange d’injures qui précède le combat – «!Je donne ta
chair aux oiseaux du ciel et aux bêtes sauvages!» (I Sam. 17, 44), «!Je donnerai le cadavre de l’armée
philistine aux oiseaux du ciel et à la faune terrestres!» (I Sam. 17, 46) – est un topos traditionnel qu’on
retrouve par exemple dans l’Iliade entre Pâris et Ménélas, et entre Ajax et Hector (Iliade, III, vv. 16-20,
86-94, etc.).
24 La Monomachie de David et Goliath, ensemble plusieurs autres œuvres poétiques de Joach. Du Bellay
angevin, Paris, Ph. Morel, 1560.
25 Cf. Daniela Boccassini, le biographe de Guéroult, in La parola riscritta, Guillaume Gueroult, poeta e
traduttore nella Francia della Riforma, Florence, La Nuova Italia, 1985, p. 80.
TROISIEME PARTIE 250

de Bèze louaient, outre le psalmiste, Suzanne, Jonas, Judith et Holopherne. La Monoma-

chie est le seul fragment qui reste du projet inabouti de Du Bellay d’écrire en langue ver-

naculaire une Davidiade sur le modèle d’Homère, de Virgile et de l’Arioste, qui devait

encore prendre place dans un ensemble résolument épique et encore plus vaste!: «!Non

l’Odissée, ou la grand’Iliade, / Mais le discours de l’Israëliade!»26, dont il nous est parve-

nu le plan!:

Lors je diray ce grand pasteur Hebrieu


Qui s’opposa pour le peuple de Dieu!:
Les saincts accords de sa lyre faconde,
Le certain coup de sa fidele fonde,
Avec’ l’honneur de son premier butin,
Et le grand tronq du brave Philistin.
Je chanteray par combien de traverses
Il sceut tromper les embusches diverses
De ses hayneux, ains que Dieu l’eust assis
Pour commender au peuple circoncis.
Heureux vray’ment si l’oeil de Bersabée
Sa liberté n’eust onques desrobée,
Et s’il n’eust mis en proye à l’estranger
Celuy qui feut de sa mort messager27.
Las, ce qu’on voit de bonheur en ce monde,
Jamais constant et ferme ne se fonde,
Et nul ne peut suyvre d’ung cours entier
De la vertu le penible sentier.28

Le petit epyllion de cinq mille décasyllabes seulement répartis en huitains auquel ce

projet ambitieux a donné le jour s’étend de l’installation des troupes philistines dans le

Térébinthe à la mort du géant décapité. Les imitations qu’il a suscitées font d’ailleurs re-

26 Hymne chrestien, v. 129-30. Si l’on en croit la structure de l’Hymne en question, cette Israëliade devait
comprendre, en plus du récit de la vie de David, des poèmes évoquant la Création, le Déluge, la vie
d’Abraham, la captivité en Égypte, la vie de Moïse, Josué, Gédéon, Samuel, Saül et Jonathan, Salomon
et enfin la déroute des davidides. Cf. J. du Bellay, Œuvres poétiques, tome 1, éd. D. Aris et F. Joukovsky,
chez Bordas, classiques Garnier, 1993, pp. 214-19.
27 Il s’agit du messager de la mort de Saül et non du messager de la mort de l’enfant de Bethsabée.
TROISIEME PARTIE 251

gretter que l’auteur se soit arrêté en si bon chemin!: sur le modèle de Du Bellay, le catho-

lique tolérant Pierre de Brach, traducteur du Tasse, familier de Du Bartas, de Montaigne,

de Peletier du Mans et de Florimond de Raemond a répondu au poète en 1576 par une

seconde Monomachie de son cru, intitulée presque à l’identique!: La Monomachie de

David et de Goliat29, dédiée à Montaigne. L’absence du ‘h’ final dans le nom de Goliath

ne doit pas nous troubler, d’autant que la graphie du nom n’est pas encore fixée au milieu

du siècle!; elle ne révèle pas l’attachement de l’auteur à une confession particulière. Le

parallèle avec Du Bellay est notoire, d’autant qu’il a amené Guillaume Colletet à risquer

une comparaison hardie dans un commentaire qui dénigre la première au profit de la se-

conde!:

Son poëme de la Monomachie de David et de Goliat l’emporte, à mon avis, de


si loin sur celuy-là mesme du fameux Joachim du Bellay, que le mont Cenis
l’emporte en hauteur sur nostre butte de Montmartre![…]30.

À l’instar de son prédécesseur, seul l’épisode du duel retient l’attention de Pierre

de Brach. Actualité politique et religieuse, dans un pays ébranlé par les guerres civiles, ou

simple occasion de rompre un moment avec l’inspiration des fables païennes? L’une et

l’autre, certainement, mais aussi et surtout désir de s’inscrire dans l’air du temps et de

laisser sa marque sur un sujet qui remporte l’adhésion de tous les camps. Chez les pro-

testants en effet, les émules de la première Monomachie sont légion. Ils l’expriment sim-

plement dans une plus grande variété de genres!: Du Bartas introduit le combat de l’enfant

et du géant dans sa Seconde Semaine!; les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné l’évoquent au

chapitre des «!Vengeances!», où les chefs réformés se défendent comme autant de «!David

28 Hymne chrestien, v.133-48.


29 P. de Brach, La Monomachie de David et de Goliat, in Poemes… divisés en trois livres, livre 1, fol.
92r. -102r, Bordeaux, Millanges, 1576!; nous utiliserons l’édition moins ancienne de R. Dezeimeris,
Œuvres poétiques de Pierre de Brach, Paris, Aubry, 1861-62, vol. 2.
30 Histoire des Poëtes françois, cité dans l’introduction de R. Dezeimeris aux Œuvres de P. de Brach, p.
XIV.
TROISIEME PARTIE 252

triomphans!»31. Le glaive du géant Goliath, pamphlet du protestant et ministre en l’île

d’Arvert Charles Léopard, accentue encore la dimension politique du combat en retournant

contre l’Église les rôles du bon et du méchant32!: Goliath signifie la papauté et David, la

petite troupe huguenote. Rappelons qu’avant même cet engouement qui balaie toute la

France, l’évangélique Marguerite de Navarre encourageait son frère emprisonné en Espa-

gne dans un épyllion de 1547 sur le même passage de l’Écriture33. C’est néanmoins au

théâtre, davantage que dans la poésie, que le combat du Térébinthe séduit en priorité les

réformés!: nous verrons plus loin que les dramaturges lui consacrent au moins trois pièces

importantes34.

David et Bethsabée

Les œuvres de Brach et Du Bellay nous donnent un aperçu de l’idée que se font

les poètes de la matière épique d’inspiration davidique!: un récit de prouesses guerrières

effectuées contre les païens - combats et victoires du peuple élu sur les nations voisines,

dissémination des tribus hérétiques, vaillance chevaleresque - et se déroulant, évidemment,

dans une Terre Sainte qui rappelle la France contemporaine. D’autres œuvres associent

également armes et amours, dans la pure tradition du chevalier courtois. Si ce rêve

d’héroïsme et de romance semble en retrait, et pour cause, des Monomachies, il est mis à

31 Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, in Œuvres, éd. H. Weber et al., Paris, Gallimard, 1969, au chapitre
des «!Vengeances!», vers 334.
32 Léopard, Charles, Le Glaive du geant Goliath, philistin et ennemy de l’eglise de Dieu. C’est un recueil
de quelques certains passages, par lequel il sera aisé à tous les fideles qui le liront, de connoistre que le
Pape ha la gorge couppée de son propre glaive, s. l., 1561, 55 p. in-8.
33 Il s’agit encore de l’ «!Epitre II, envoyée par la Royne de Navarre, Avec un David, Au Roy Françoy,
son Frère, pour ses estreines!», in Les Marguerites des marguerites des Princesses, Lyon, Jean de Tour-
nes, 1547, éd. F. Frank, Paris, Librairie des bibliophiles, 1873, t. III, pp. 209-16.
34 Joachim de Coignac, La Déconfiture de Goliath, Genève, Adam et Jean Riverez, 1551!; Jean des Caur-
res, David combattant Goliath, Anvers, 1584!; Louis des Masures, David combattant, première pièce des
Tragédies saintes, Genève, chez François Perrin, 1566.
TROISIEME PARTIE 253

l’honneur dans l’épyllion de Rémi Belleau consacré aux Amours de David et de Bersabée

qui conclut la Seconde Journée de la Bergerie (1572). D’après Klàra Csürös35, cette pièce

de 488 vers aurait bien pu figurer dans le recueil des Amours et nouveaux échanges des

pierres précieuses, dont les pièces maîtresses furent composées avant 1572!: l’amour y

est présenté comme un «!eschange!», à la fois métamorphose et aliénation, et à plus forte

raison lorsqu’il s’oppose à la volonté divine. Mais à sujet divin, moule chrétien!: le poème

termine comme une clé de voûte la Seconde bergerie.

Les Amours de David et Bersabée marquent le retour de Belleau (protestant re-

converti au catholicisme) à l’Écriture sainte!: l’année même de sa publication, il avait mis

en vers quelques chapitres du livre de Job36, comme pour réagir (selon Eckhart) au dé-

chaînement sanglant de passions qui secoue alors la France. Ce regain d’intérêt pour la

Bible ne révèle cependant pas grand-chose de l’engagement personnel de l’auteur à

l’époque des débats qui font rage dans le royaume!: dans les Amours, l’intérêt qu’il porte

à David est moins idéologique qu’esthétique!; l’épisode tragique, sur le plan théologique,

de la faiblesse du roi pour Bethsabée n’est qu’un prétexte à chanter Éros, le fils de Vénus.

L’imitation des modèles antiques qui l’amène à glorifier le petit dieu ailé prédomine lar-

gement sur le souci de restituer la vérité biblique. D’aucuns ont suggéré que cette peinture

de l’amour profane serait une réminiscence des Argaunotiques d’Apollonius de Rhodes,

mais la persistance du motif de Cupidon décochant ses flèches sur les grands de ce

monde, fussent-ils des rois bibliques, est si courante à l’époque que le rapprochement

demande à être étayé pour convaincre37. Il reste que l’empressement de Belleau à ne pas

concevoir son héros épique sans amour l’amène à sacrifier la dimension théologique de

son personnage!; ses aventures sont devenues un enjeu d’écriture, celui de l’appropriation

de la culture antique et de sa restitution dans un cadre nouveau.

35 Op. cit., p. 241.


36 Cf. Alexandre Eckhart, Rémi Belleau, sa vie, sa bergerie, Budapest, Librairie Joseph Németh, 1917, p.
93.
37 Idem.
TROISIEME PARTIE 254

David en tous ses exploits

Deux autres poètes s’intéressent enfin à David dans une perspective plus large où

chaque aspect de sa vie vient révéler un versant de l’épopée. Le premier, Vauquelin de la

Fresnaye, ne nous en laisse qu’un projet commencé avant 1570, celui de l’Israëlide que

les troubles civils l’empêchèrent de mener à terme. Nous n’en connaissons que les cin-

quante vers qu’il en cite dans son Art poétique38, dans lesquels il invoque pour son projet

l’assistance de l’Esprit saint!:

Inspiré de l’esprit qui, divin, tout inspire,


Muse, fay moy chanter sur la celeste lire,
Les faits et la valeur du magnanime Hebrieu,
Qui berger fut choisi par le conseil de Dieu![…] (v. 135-38)

L’évocation de David devait permettre au poète de faire surgir de ses cendres un

personnage biblique et historique, le fondateur d’un puissant empire. Dans le plan annon-

cé par Vauquelin, le roi apparaît comme celui qui éleva Jérusalem au rang de capitale de la

Terre sainte et comme un redoutable conquérant. Il est aussi un repère pour les chrétiens

dans la mesure où l’époque de son règne prépare symboliquement les développements de

la foi chrétienne. Le fils de Jessé est bien l’ancêtre spirituel et exemplaire de l’ensemble

des chrétiens, il est à l’origine d’une longue lignée qui ne s’étend pas seulement aux fils

de ses fils, mais à tous les destinataires de l’Israëlide:

[…] Ainsi par mainte guerre


Il endura beaucoup pour asseurer la terre
Ou il devoit fonder l’admirable Cité
Qui aux Peres croyants promise avoit esté.
Cité qui devoit estre en son contour assise,
Pour figurer du Christ l’universelle Eglise,
Dont chrestien nous venons!: et ce nom ancien

38 Vauquelin de la Fresnaye, Art poétique, éd. de 1605. Nous utilisons l’édition de Georges Pellisier pu-
bliée à Paris, chez Garnier, en 1885.
TROISIEME PARTIE 255

Par dessus tous retient nostre Roy treschrestien


Henry, soubs lequel puisse Europe, Asie, Afrique,
Couronner de ce nom du monde la fabrique. (A. P., v.151-60)

En ce sens, l’Israëlide s’annonce bien comme une épopée dans la grande tradition

du genre!: comme aux XIVe et XVe siècle déjà, «!toute prose épique est une généalogie

imaginaire!»39, la chronique biblique et poétique de Vauquelin invite à son tour le lecteur à

reconnaître comme ancêtre ce David qui a illustré les grandes vertus chrétiennes par ses

prouesses morales et guerrières. La mission de dire le vrai grâce à un récit biographique

aux fondements bibliques, irréfutables, en détermine la structure annoncée!; elle est le type

même de l’histoire exemplaire.

Outre le combattant, c’est enfin le poète et le musicien qui fascinent Vauquelin de

la Fresnaye!: le talent de David dépasserait celui des harpeurs mythiques, dont on raconte

«!Qu’au mouvoir de leurs doigts les fleuves s’arrestoient / Et qu’ils estoient souvis des

arbres et des plantes / marchant aux doux accords de leurs voix souspirantes!!!»40. La

théorie des effets de la musique antique aurait donc trouvé dans l’Israëlide un terreau

propice, sans doute, comme l’a suggéré Frances Yates, dans l’idée que la restitution de la

métrique authentique de la musique davidique soit une source d’apaisement des passions

et des violences, devenues le pain quotidien de la dernière partie du XVIe siècle41. David

pourrait bien ouvrir la voix à un retour de l’harmonie civile que l’auteur appelle de toute

son âme.

Si les développements du dessein de Vauquelin d’offrir à la littérature nationale un

héros chrétien ‘complet’ semblent avoir été perdus, il nous est en revanche parvenu une

version intégrale du même projet par un grand ami de Pierre de Brach, Du Bartas. Ce

protestant modéré, qui compte aussi parmi ses proches Guy du Faur de Pibrac, homme

39 F. Suard, art. cit., p. 103.


40 V. 182-85.
41 Cf. F. Yates, Les Académies en France au XVIe siècle, trad. Thierry Chaucheyras, Paris, PUF, 1996.
TROISIEME PARTIE 256

politique et moraliste catholique, un abbé et un grand prieur de France42, nous offre dans

les Trophées de la Seconde Semaine (1591) un millier d’alexandrins retraçant la série des

principales prouesses de David. Ce poème résolument épique, qui se refuse pourtant à en

porter l’étiquette, envisage la Bible dans une architecture poétique plus vaste, où l’Écriture

côtoie des sujets scientifiques, historiques et littéraires, conformément à l’esthétique du

mélange chère au poète!:

… ma Seconde Semaine n’est (aussi peu que la Première) un œuvre purement


épique, ou héroïque, ains en partie héroïque, en partie panegirique, en partie
prophétique, en partie didascalique.43

Le sommaire de l’édition de 1591 fait pourtant le rapprochement entre le Trophée

consacré à David et les projets de Davidiade qui marquent la fin du siècle, chers à Du

Bellay et Vauquelin de la Fresnaye. La biographie poétique du psalmiste procurée par Du

Bartas rappelle le désir partagé de voir l’épopée chrétienne s’illustrer par un sujet vétéro-

testamentaire tiré du livre de Samuel!:

Car une Davideide vaudroit bien le cours d’une Eneide, où le nombre des livres
de l’Iliade et de l’Odissée ensemble, si quelque chrestien et docte Poëte Fran-
çois vouloit y employer le temps et l’estude!: comme si noble et fertile sujet le
merite. Mais le sieur Du Bartas, qui ne vouloit ainsi s’estendre, ains visoit à se
maintenir en sa bienseance accoutusmée, s’est convenablement enclos en ce
cercle d’un petit nombre de vers [1095 vers], […] sous le nom de TROPHEES
ou marques des victoires de David…44

Les retentissements énormes de cette somme se mesurent au nombre de rééditions

et de traductions de la Sepmaine!: quarante-huit éditions françaises jusqu’en 1585 et une

soixantaine encore dans les vingt années suivantes, sans compter les éditions en italien,

42 Cf. l’introduction de Marie-Alexis Colin aux Quatrains du sieur de Pybrac, Tours, Centre de musique
ancienne, 2000, p. 7 sqq.
43 Cf. Brief advertissement sur sa Première et Seconde Sepmaine, Lyon, Linker, Holmes, 1935-40, p.
220.
TROISIEME PARTIE 257

allemand, suédois, espagnol et d’autres encore45. Les Trophées évoquent le combat sin-

gulier de I. Sam. 17, les persécutions infligées par Saül pour lesquelles la musique de la

harpe se montre bientôt impuissante et les premières années du règne davidique. Le jeune

berger descendu des montagnes de Judée s’éclipse alors derrière le jeune noble épris de

pouvoir et d’amours, dont l’ascension fulgurante amène autant de gloire que d’épreuves.

C’est ainsi que l’épisode embarrassant de l’adultère n’est pas écarté du portrait pourtant

flatteur que Du Bartas fait de son héros!: on retrouve là le poète encyclopédique46, sensi-

ble à tous les savoirs, aussi bien historiques, artistiques et moraux.

Problématique

L’émergence et le développement de la poésie héroïque à sujet biblique nous pla-

cent devant un paradoxe. D’un côté, une véritable profusion qui propulse David au pre-

mier rang des héros de l’Écriture fournit en matière première les auteurs d’ouvrages de

chevalerie moderne. De l’autre, une hésitation à se tourner vers l’histoire sainte pour en

faire un récit merveilleux, soumis à l’invention du poète et aux artifices de l’art, entrave

son développement. Dans un monde qui sourcille encore à la vue des traductions de la

Bible en langue vernaculaire, la mise en parallèle de David avec les modèles homériques et

virgiliens ne pouvait qu’entraîner certaines réticences. Certes, les éclaircissements apportés

par Klàra Csürös sur la difficulté du sujet biblique, en particulier les jalons qu’elle pose

dans l’évolution des mentalités, circonscrivent la vague d’opposition à la poésie inspirée

de l’Ancien Testament à la toute fin du XVIe siècle. Les problèmes théoriques «!ne surgis-

sent pas dès les premiers poèmes sacrés!», la Judith de Du Bartas (1574) pouvant encore

s’épanouir librement!; ils «!se présentent au fur et à mesure que s’élabore la théorie de

44 «!Sommaire!» à l’édition 1591 des Trophées, in Guillaume Saluste Du Bartas, Les Suittes de la Se-
conde Semaine, éd. Yvonne Bellanger, Paris, Société des Textes Français Modernes, 1994, pp.187-88.
45 Idem, pp. 136-37.
46 Cf. C. Csürös, op. cit., chapitre IV, pp. 135-202.
TROISIEME PARTIE 258

l’épopée!»47. Le premier à avoir formulé les écueils inhérents au sujet biblique a été le

Tasse (1594), figure importante de la Contre-Réforme mais héritier selon Sayce48 des

principes réformés de Du Bartas!; il préconisait le recours à l’histoire de l’Église davan-

tage que la Bible pour donner matière à l’épopée chrétienne!:

Il faut donc que l’Argument du Poëme Epique soit tiré d’une Histoire de la
Religion, et que nous tenions pour veritable. Or est-il que ces Histoires sont, ou
tellement sacrées et venerables, que l’establissement de nostre Foy estant fondé
sur elles, l’on ne peut les alterer sans impiété!; ou bien elles ne sont pas sainctes
jusques à ce poinct, qu’il faille tenir pour articles de Foy ce qu’elles contien-
nent. Si bien qu’en tel cas, si l’on en retranche quelque chose, pour y en ad-
jouster une autre, ou pour la changer, l’on ne pourra point legitimement estre
blasmé de temerité, ou de peu de zele envers les choses qui touchent la Reli-
gion. […] Qu’il puise donc l’argument de l’Epopée dans les Histoires qui se
fondent sur la vraye Religion, sans que toutesfois on les authorise jusqu’à ce
point, que de ne les pouvoir alterer, à moins que de faillir contre la Piété.49 (p.
208)

Cette idée, formulée et reformulée dans la dernière décennie du siècle, aura la vie

dure puisque le Père jésuite Pierre le Moyne, auteur d’un Saint Louis, y fait encore allu-

sion en 1658!: «!Ces véritez immuables et immobiles qui ne laissent point de lieu à la Fa-

ble, ne sont pas propres à la structure du Poëme qui doit estre fabuleuse…», écrit-il, mais

non sans s’empresser de faire cette concession, appliquée à la triade Gédéon-Josué-David

que l’on retrouve dans la tradition des Neuf preux!:

… il est permis aux Muses chrestiennes de travailler sur de saints sujets, de tirer
des Livres sacrez des matieres…, d’escrire mesme en Vers les actions des Heros
du peuple de Dieu. Neantmoins elles doivent tellement orner leur matiere
qu’elles ne luy fassent point changer de forme. Elles peuvent parer Gedeon, Jo-

47 Op. cit., p. 206.


48 R. A. Sayce, The French Biblical Epic in the Sixteenth Century, Oxford, Clarendon Press, 1955, p.
35.
49 Torquato Tasso, Du Poëme heroïque, Discours LXXI, trad. par Jean Beaudoin in Les morales de Tor-
quato Tasso!: De la vertu héroïque, Paris, A. Courbé, 1632, p. 591.
TROISIEME PARTIE 259

sué, David de toutes les richesses de la versification!: mais il leur et deffendu de


faire un Josué, un Gedeon, un David sur leurs idées.50

Embellir sans transformer – même au nom du vraisemblable historique – telle est

l’impossible voie vers laquelle s’acheminent, à l’aube du grand Siècle, les ressusciteurs

d’épopées. Dans les premiers temps du XVIe siècle, l’enthousiasme est plus franc!: le rejet

des fables moisies au profit d’une poésie épique inspirée de la Bible est le cheval de ba-

taille des auteurs chrétiens et résonne dans leurs œuvres comme un refrain inusable. Pour

la plupart, David est un tout grand modèle épique, celui à l’imitation duquel la langue

française trouvera à s’illustrer. Dans la liste de poètes que David surpasse, Marot n’hésite

pas à mettre hors jeu Homère, le père de l’épopée, dans sa préface au psautier de 1541 :

Quant est de l’art aux muses réservé,


Homere Grec ne l’a mieux observé.51

Pierre de Brach invoque des arguments semblables pour justifier la rédaction de sa

Monomachie de David et de Goliat!: se tourner vers la Bible, c’est reconnaître sa supério-

rité sur la matière profane ainsi que sa valeur épique, c’est aussi montrer une voie de re-

pentir à ceux qui ont jadis consacré talent et plume à encenser des faux-dieux et à forger

des fictions!:

Si ma muse autrefois a voulu faire voir


Dans l’ame de mes vers quelque peu de sçavoir,
Alors que pour farder ma jeune poesie
Je n’avois pour sujet qu’une fable moësie,
Si ma muse jamais print plaisir de chanter
Un Pluton, un Neptune, un Mars un Jupiter,
En parlant des enfers, des eaux ou de la guerre,
Ou d’un foudre élancé par l’esclat du tonnerre,

50 Traité du Poëme Héroïque, in Saint Louys…, Paris, A. Courbé, 1658, cité après K. Csürös, op. cit.,
p. 84.
51 Dédicace «!Au treschrestien roy de France!», v. 115-16, in [G. Defaux], Clément Marot, Œuvres, t.
II, Paris, Garnier, p. 560.
TROISIEME PARTIE 260

C’est ores qu’elle doit d’un plus digne argument


Et d’un plus grave son s’enfler plus hautement,
Pour trompeter le los du grand Dieu qui domine… etc.52

L’engouement pour la matière sacrée n’invalide pourtant pas les réticences expri-

mées plus tard!; le plaisir manifeste de Pierre de Brach à décrire encore «!le foudre élancé

par l’esclat du tonnerre!» rivalise honorablement avec celui d’évoquer «!le los du grand

Dieu qui domine!» au son de trompettes qui rappellent celles de Jéricho. La juxtaposition

hardie du Dieu d’Israël aux côtés de Jupiter et des héros de l’Olympe montre que le mer-

veilleux biblique, alors même qu’il veut se substituer à l’univers païen, se passe difficile-

ment d’évoquer des éléments étrangers qui, invariablement, mettent l’Écriture à distance.

Elle reflète ce grand conflit de l’époque qu’est le passage d’un monde admiratif de

l’héritage païen à un monde imprégné de l’esprit des Réformes et déchiré pour ses princi-

pes. Dans le genre héroïque qui renaît, la part d’éternel et d’immuable portée par

l’Écriture s’allie à des considérations ponctuelles, en lien avec les débats qui font rage

dans une civilisation qui, elle aussi, se renouvelle. Ce qui relève de la permanence des mo-

tifs, de la continuité avec le passé et qui semble aller de soi, ressort transformé au contact

des préoccupations et des questions auxquelles elle semble apporter une réponse. Il reste à

questionner ce qui provient de la Bible et ce que l’écriture lui adjoint. Dans les œuvres

majeures de l’épopée davidique, qu’en est-il donc de la fidélité et des infidélités à la

source scripturaire!? Quelle est la part de ce qui appartient au passé, biblique mais aussi

médiéval, et de ce qui appartient au présent, aux déchirements civils de la France et du re-

gard nouveau qu’elle porte sur les Écritures? Que nous disent ces ajouts sur le rapport à

David, que nous disent les vieux et les nouveaux réflexes sur les enjeux d’une écriture qui

cherche la consécration dans un genre en pleine redéfinition? Et pourquoi donc David!?

John Sayce, spécialiste de l’épopée biblique du XVIIe siècle, a tracé les contours de cette

question lorsqu’il évoque le psalmiste, mais y a répondu de manière allusive, l’essentiel de

son corpus débordant du cadre étroit de la seconde moitié du XVIe siècle!:

52 Pierre de Brach, La Monomachie de David et Goliath, in [Reinhold Dezeimeris], op. cit., p. 9, v. 1-11.
TROISIEME PARTIE 261

Il est remarquable que les quatre poèmes bibliques venus de la Pléiade concer-
nent l’histoire de David. Il ne fait aucun doute que le sujet était dans l’air du
temps, mais des raisons plus précises doivent être évoquées. Les Hébreux et les
Philistins pouvaient représenter les deux partis dont les dissensions ravageaient
le pays, et le réalisme des scènes de bataille et de carnage vient probablement de
la violence qui régnait alors. Le thème du combat singulier liait la Bible avec
l’épopée classique et la romance italienne. Une autre explication, peut-être
fantaisiste, tiendrait à la printanière et bourgeonnante jeunesse du David dans la
Bible qui stimula tant l’imagination de Donatello et de Michel Ange, et qui était
en harmonie avec l’esprit de la Pléiade.53

D’un côté, un phénomène d’époque!; de l’autre, les charmes de la narration bibli-

que. D’où vient donc cet intérêt presque exclusif pour David au temps de la genèse de

l’épopée moderne? Afin d’y apporter des éléments de réponse, nous effectuerons une

lecture diachronique de la littérature héroïque consacrée au psalmiste en mettant en avant le

dialogue que chacun noue avec la tradition biblique d’une part et avec les autres œuvres

épiques dont les thèmes sont similaires. Mais d’abord, un retour à la tradition biblique

s’impose pour replacer poétiquement et historiquement la figure épique digne du ‘grand

genre’.

53 R. A. Sayce, op. cit., p. 37. Nous traduisons.


TROISIEME PARTIE 262

Chapitre II

Du guerrier biblique au guerrier des Temps nouveaux,

modalités d’un passage

Dans sa thèse sur Antoine de Montchrestien et Les débuts de la tragédie héroïque54,

Françoise Charpentier a proposé un découpage assez large de l’institution de la dynastie

davidique. Sa répartition de la matière nous a semblé habile et utile pour comprendre tou-

tes les implications du règne du psalmiste!: notre propre découpage de la Bible suit le sien

pour une bonne part mais le complète par un certain nombre d’éléments biographiques

qu’elle a mis de côté et qui nous semblent importants. Nous essaierons de retracer les

principaux motifs qui ont placé le roi David sur la grande scène biblique et de voir com-

ment des espérances tout autres, propres à la France du XVIe siècle, se sont cristallisées

sur lui pour le hisser, par des relectures successives, au premier rang des héros-cultes de la

nation.

Succession des hauts faits attribués à David

— Premier livre de Samuel

u David garde les troupeaux de son père et tue l’ours et le lion, son premier exploit.
Cette double prouesse est le prélude du duel mené contre Goliath!: «!quand un lion
ou un ours venait enlever une de mes brebis, je courais après lui et lui arrachais la

54 F. Charpentier, Les Débuts de la tragédie héroïque!: Antoine de Montchrestien (1575-1621), Lille,


Service de reproduction des thèses de Lille III, 1981, pp. 265-67.
TROISIEME PARTIE 263

brebis de la gueule. S’il se dressait contre moi, je le prenais à la gorge, je le frappais


et le tuais.!» (I Rois 17, 34-36).

u Le Seigneur qui a rejeté Saül fait oindre le garçon au milieu de ses frères. «!L’Esprit
de Yahvé fondit sur David à partir de ce jour-là et dans la suite!» (I Sam. 16, 13)!: il
devient l’archétype de l’homme inspiré. Cette onction ne doit pas être confondue
avec le couronnement de David, qui n’a lieu qu’après la mort de Saül.

u Débuts de David à la cour!: il entre au service de Saül au titre de page et d’écuyer sur
les chaudes recommandations d’un serviteur!: «!il sait jouer, c’est un vaillant, un
homme de guerre, il parle bien, il est beau et Yahvé est avec lui!» (I Sam. 16, 18). Saül
apprécie particulièrement ses talents de musicien!: toutes les fois que l’Esprit malin
tourmente le roi, David prend sa harpe et chasse ses accès de mélancolie.

u Les Philistins déclarent la guerre au peuple élu!: David relève le défi lancé par Goliath
et l’étourdit d’un coup de fronde en plein front. Il l’achève par sa propre épée. Le
refus des armes de Saül, l’invocation du Dieu des armées et la simplicité de son arme
entrent dans la légende. Signalons que cette histoire est répétée littéralement en II
Rois 21, 19 à propos d’Elchanan, qui tua lui aussi un dénommé Goliath de Gath55.
Toujours est-il que le peuple l’acclame par des chants «!Saül a tué ses milliers, et Da-
vid ses myriades!» (I Sam. 18, 7). Éveil de la jalousie de Saül.

u Acharnement de Saül qui poursuit le héros de sa haine. Bien qu’il lui eût donné sa
fille Michol en mariage, le roi attente à la vie du musicien d’un coup de lance. David
accomplit un nouvel exploit!: il rapporte à Saül le tribut symbolique de cent prépuces
de Philistins. Cette victoire ne convainc pas le roi!: l’amitié nouée avec Jonathan et la
complicité de Michol sauvent David d’un nouvel attentat.

u David trouve refuge auprès des Philistins, les ennemis d’Israël. Il ruse!: pour échapper
à leur vengeance, il feint d’être fou (en Orient, les fous sont traités comme des êtres
sacrés)!: «!il tambourinait sur les battants de la porte et laissait sa salive couler sur sa
barbe.!» (I Sam. 21, 14).

u L’errance. David est confronté à la misère humaine et prend la tête d’une armée de
malheureux, en rupture avec le pouvoir!: «!tous les gens en détresse […] se rassemblè-
rent autour de lui et il devint leur chef.!»(I Sam. 22, 2). Cette attitude annonce
l’œuvre du roi messianique venu apporter la paix et la guérison. Mais les persécutions

55 Ce doublet indique que le rédacteur a certainement usurpé à Elchanan, en faveur de David, la victoire
contre Goliath. La coupure qu’introduit le duel est un élément étranger qui a été déplacé tardivement dans
le livre de Samuel. Cet ajout a posteriori explique pourquoi, dans la narration biblique qui suit la défaite
de Goliath, David (qui jouait déjà pour Saül à la cour) est officiellement présenté au roi une deuxième fois
à titre de musicien. Avant et après la rencontre avec le géant, David occupait le poste d’écuyer et de musi-
cien de Saül.
TROISIEME PARTIE 264

continuent!: David épargne deux fois Saül, dans une caverne et sous sa tente!: il
prouve à son beau-père sa loyauté à l’égard d’un pouvoir encore en place et le
conjure de mettre fin à ses attentats meurtriers. Les Philistins épargnent de justesse à
David une guerre contre Israël.

— Deuxième livre de Samuel

u Mort de Saül et de Jonathan. David exprime sa douleur en déchirant ses vêtements et


en faisant mettre à mort l’Amalécite qui lui annonce la nouvelle (II Sam. 1). Le règne
de David commence officiellement. Il a alors trente ans.

u Sacre de David à Hébron. Il est oint une nouvelle fois par les hommes de Juda comme
roi de la maison de Juda, puis reconnu roi d’Israël par toutes les tribus. Cette onction
d’honneur marque la fondation de l’État d’Israël.

u David ramène l’Arche d’alliance à Jérusalem, rendue par les Philistins. (II Rois 6 et I
Chr. 15). Il danse presque nu devant elle et par ce geste politique et religieux, consa-
cre la ville comme capitale sainte du royaume. Nathan prophétise la pérennité de la
dynastie davidide sur le trône!: «!je maintiendrai après toi ton lignage et j’affermirai
sa royauté!» (II Sam. 7, 13), mais ne permet pas au guerrier d’ériger lui-même un
Temple dans la Ville Sainte. Le roi réforme l’organisation du culte (Chroniques)!; il
multiplie les guerres.

u Faute de David dans l’épisode de Bethsabée. L’ayant vue au bain, David désire cette
femme au point de faire assassiner son mari Urie pour la posséder. Nathan lui repro-
che son adultère en lui prédisant que lui et sa lignée n’échapperaient pas au châti-
ment divin. David fait pénitence mais l’enfant conçu meurt. Bethsabée engendrera
néanmoins un deuxième fils, Salomon. Guerre contre les Ammonites.

u David, jadis fort et triomphant, accumule alors les déboires. Il devient un antihéros
marqué par les intrigues politiques et la tragédie familiale!: son fils Absalon, après
avoir assassiné son demi-frère Amnon, coupable d’avoir violé et abandonné sa sœur
Tamar, prend les armes contre son père et se fait tuer par Joab. Affliction du roi. (II
Sam. 13-19)

u Devenu vieux, David ordonne le dénombrement de son peuple et est puni par Dieu,
qui lui propose par l’entremise du prophète Gad le choix entre trois fléaux!: la peste,
la guerre et la famine. D’après une autre version, c’est le prophète Nathan qui aurait
menacé David (II Rois, 24).

u David est épuisé par les intrigues autour de sa succession. Les Saülides l’ayant défié
en donnant la mort aux Gabaonites, David les fait exécuter (II Sam. 21). Il rend
l’âme après avoir nommé Salomon pour successeur.
TROISIEME PARTIE 265

Ce découpage schématique du livre de Samuel fait état de quatre grandes périodes

qui déterminent le type de héros!incarné par David!: celle du berger, qui s’étend de la jeu-

nesse à la défaite de Goliath, celle du chevalier errant, engendrée par la jalousie de Saül,

celle de la consécration royale, qui va de la mort de Saül à l’adultère avec Bethsabée, et

celle du déclin enfin, marquée par la succession des intrigues familiales. Dans une très

grande majorité, les poètes trouveront matière à épopée dans les trois premières périodes,

constituées de faits d’armes et d’amours, et laisseront généralement la dernière aux bons

soins des auteurs tragiques!: le David persécuté de Thierry de Montjustin56 et l’Adonias

de Philone57 montreront le vieux roi aux prises avec les querelles de sa progéniture et ter-

miner sa vie sur une fausse note. Chacune des séquences phares de l’ascension davidique

construit un visage particulier du héros épique, dont l’ensemble des traits n’aura cesse de

nourrir sa représentation dans la postérité. Ces traits, les hommes de lettre s’y référeront

pour une infinité de motifs d’ordre politique, religieux ou même poétique. Le prestige du

personnage au sein du genre héroïque répond à cette brûlante actualité, au point que l’on

peut dire, sans hésiter, que son destin littéraire lui est intimement lié.

Le berger et le musicien

Le récit de la jeunesse du psalmiste montre qu’il y a plusieurs David. Il y a le pâtre

et le guerrier!; parfois, dans l’iconographie notamment, il arrive que la première tendance

domine l’autre, mais l’intention du rédacteur du livre de Samuel est bien de faire

s’entremêler ces dimensions contrastées. Les exploits du berger contre les prédateurs du

troupeau, l’ours et le lion, annoncent le vainqueur de Goliath et le combattant accompli des

tribus païennes environnantes. Les rôles ne font pas que se chevaucher, ils

s’interpénètrent. Il n’y a d’ailleurs qu’à relire les termes par lesquels le serviteur de Saül

56 Pièce publiée pour la première fois dans les Œuvres premières du Sieur de Mon-Justin, Pontoise, s.n.,
1601.
57 Lausanne, Jean Chiquelle, 1586.
TROISIEME PARTIE 266

décrit le fils de Jessé pour se rendre compte du mélange que réalise, dès le temps de sa

jeunesse, la personnalité de celui qui n’est encore, dans le récit biblique, qu’un gardien de

troupeaux!: «!il sait jouer [de la cithare], c’est un vaillant, un homme de guerre, il parle

bien, il est beau et Yahvé est avec lui!»58. C’est probablement cette formidable concentra-

tion d’éléments légendaires et disparates dans lesquels l’humilité va de pair avec les ac-

tions d’éclat, cette juxtaposition de signes contradictoires mais avant-coureurs de la gloire

de David, qui amena un Ronsard à voir dans le personnage du berger les traits annoncia-

teurs du souverain et un augure de son extraordinaire destin. Pour lui, la Bible rappelle

Homère!:

Les rois et les pasteurs ont le mesme estat de vivre!:


L’un garde les troupeux, et par l’autre sont conduits
Les peuples, sous la loy de leurs sceptres reduits.
Pource Homere, qui vit par longues renommées,
Appelloit les grans rois les pasteurs des armées.
David d’un simple pastre, et de bas rang issu,
Par les prophetes oingt, au thrône fut receu!:
Puis desirant l’honneur où tout monarque aspire,
Plus outre par la guerre augmenta son empire.59

Outre les exploits pastoraux du gardien de brebis, l’activité musicale et poétique du

jeune David trouve une place dans l’élaboration littéraire dont il fait l’objet au XVIe siècle.

La remarque que Françoise Charpentier applique à l’univers du théâtre peut tout aussi

bien s’étendre à celui du genre épique!: «!il est possible que ce caractère de roi-poète in-

flue sur la tonalité même des tragédies sur David. Le langage, s’il est théâtral, tend cons-

tamment vers la poésie à mesure qu’apparaît ce personnage!»60. L’épopée se définit préci-

sément par la recherche d’une parole inspirée, elle!suppose une «!voix vive!»

d’ascendance divine!: «!l’épos, absolu, soustrait à la contingence évanescente de la com-

58 I Sam. 16, 18.


59 Ronsard, Dédicace à François de France, duc d’Anjou (1584), des Éclogues, cité après H. Chamard,
Histoire de la Pléiade, Paris, Didier, 1961, tome 3, pp. 51-52.
60 Op. cit., p. 269.
TROISIEME PARTIE 267

munication quotidienne, nomme les choses et donc l’être par le langage!»61!: elle se nour-

rit de modèles poétiques forts et n’hésite pas à faire du lyrisme un talent apprécié de ses

héros. À la période qui nous intéresse, le psalmiste représente justement une figure poéti-

que forte, traduite et paraphrasée plus qu’aucun autre auteur dans le siècle. Les hommes

de lettres qui se sont sentis attirés par lui l’ont exprimé par une écriture souvent dominée

par la tentation du lyrisme, marquée par la variété des images, la variété des formes, la va-

riété du discours. Le langage coloré des effusions du berger à la lyre, à la jonction de la

prière et du chant, guidait leur recherche d’un style noble et élégant, vivant, en quête d’une

richesse et d’une variété!d’expression. Elle donnera naissance à un savant mélange, un

peu à l’image de ces psaumes qu’on ne cesse de traduire et de paraphraser dans toutes les

langues!: «!Le poème épique est un poème par nature orné et orné de toutes sortes de

beautés!»62.

Si l’épopée se souvient autant du berger poète, c’est aussi parce qu’une longue

tradition remontant aux Pères de l’Église l’y préparait. D’abord saint Augustin, qui voyait

en «!David le plus ancien de tous les poètes!»63, et aussi Jérôme, dont le commentaire sur

le psautier apparaît encore dans certaines éditions latines de l’Écriture imprimées en

France au début du siècle, avaient transmis aux chrétiens une appréciation décisive!:

David, qui est pour nous Simonide, Pindare et Alcée, Horace aussi, Catulle et
Sérénus, chante le Christ avec sa lyre, et sur le psaltérion décachorde célèbre
son réveil et sa résurrection des lieux infernaux. 64

61 Daniel Madelénat, op. cit., p. 19.


62 O. Rosenthal, art. cit., p. 467.
63 Épistre XXXVII.
64 Extrait de la lettre de Jérôme à Paulin de Nôle sur l’étude des saintes Écritures (in Saint Jérôme, Let-
tres, trad. J. Labourt, Paris, Les Belles-lettres, 1953, t. 3, ép. LIII, p. 21). On retrouve notamment ce
passage dans la grande édition biblique publiée chez Robert Estienne à Paris en 1528, fol. 9r On peut
signaler que cette déclaration de Jérôme s’appuie elle-même sur des témoignages anciens!: le docteur de
l’Église l’atteste dans sa préface au livre de Job, où il revient sur les autorités qui consacrent le psalmiste
comme un authentique poète sacré!: «!Si quelqu’un trouve incroyable qu’il y ait des vers chez les Hé-
breux, à la manière de notre Horace, du grec Pindare, d’Alcée et de Sappho, ou que le Psautier, les Lamen-
tations de Jérémie, ou la quasi totalité des cantiques des Écritures soient ainsi composés, qu’il lise Philon,
TROISIEME PARTIE 268

Pour l’un comme pour l’autre, David a marqué l’histoire par un talent lyrique de

tout premier ordre, de sorte qu’aucun «!classique!» ne lui donne matière à envier!; la com-

paraison de Jérôme accréditant ce parangon favorable avec les auteurs gréco-romains

connaîtra d’ailleurs une longue postérité. Le XVIe siècle n’y échappe pas. Il faut savoir

qu’à cette époque, les termes de la formule hiéronimienne sont compris à peu près égale-

ment de deux manières!: soit en faveur du psalmiste et de son génie poétique, qui vaut bien

à lui seul celui des plus grandes plumes de l’Antiquité, soit en faveur des poètes lyriques

mis à l’honneur par la comparaison – une option qui, selon Jean-Eudes Girot, à contribué

à soutenir l’intérêt des lecteurs pour Pindare avant 155065. Le genre épique adopte la pre-

mière et voit en David le Père des belles-lettres!: dans la grande allégorie du Penser du

royal mémoire, le prestigieux parallèle profite essentiellement à David et donne un trait

distinctif au portrait du talentueux héros!:

Dieu minspiroit car entre tous prophettes


Jestoys le chois!: pourtant a cinq poetes
Le bon docteur Hierosme me compare!:
Pour la raison qua mon psaultier ie pare
De certains vers par mode poetique
Selon le traict de facon hebraicque.66

D’un même élan, l’admiration partagée pour le berger poussera un Du Bartas à se


faire le continuateur de Jérôme. Alors même qu’il s’apprête à évoquer le plus célèbre
combat biblique, le duel contre Goliath, c’est au chantre qu’il s’identifie et dans le sillage
duquel il inscrit sa propre voie. Comme jadis furent comparés Pindare et Horace au psal-
miste, il aspire lui aussi à ce que figure sa lyre à côté du psaltérion!:

Dieu, puis que je ne puis aspirer aux tiares,


Trainer après mon char tant de peuples barbares,

Josèphe, Origène, Eusèbe de Césarée, et grâce à leur témoignage, il reconnaîtra que j’ai raison!». Cf.
«!Hieronymi in Librum Iob Praefatio!», Biblia Sacra Vulgata, Stuttgart, Deutsche Bibel gesellschaft,
1983, p. 731, trad. Girot, op. cit., p. 82.
65 Pindare avant Ronsard. De L’émergence du grec à la publication des Quatre premiers livres des Odes de
Ronsard, Genève, Droz, 2002, pp. 81-88.
66 Op. cit., fol. xxr
TROISIEME PARTIE 269

Et, comme ton David, de trophees sanglans


Honorer les rameaux de mes pouces tremblans,
Hé!! donne-moy ses vers, fay-moi present, ô Sire,
Non des nerfs de son arc, ains des nerfs de sa lyre,
Baille-moy non sa lance, ains son luth doux-sonneur,
Pour chanter dignement ta gloire et son honneur.67

L’autre alternative de lecture de Jérôme, celle qui consiste à faire rejaillir la gloire de

David sur les auteurs classiques, caractérise moins les poètes épiques soucieux de revenir

aux Écritures que les auteurs engagés dans la relecture des Anciens. Pourtant, elle profite

également au prestige du psalmiste, qu’elle gagne pour des raisons évidentes à entretenir.

La dimension morale du psautier, sa proximité avec une histoire personnelle de bravoure et

de conquête où se profile le combat du vice contre la vertu est un lieu commun des préfa-

ces à Simonide, Pindare et Alcée, le psalmiste servant de caution aux auteurs qui lui sont

comparés. Elles confirment le jugement flatteur porté sur la personne du psalmiste et sur

son œuvre, emprunté en grande partie aux épisodes narratifs que lui consacre l’Ancien

Testament. On trouve une formulation de ce recours à David pour justifier qu’on relise les

classiques dans la préface du gendre de Melanchthon, Caspar Peucer, à l’édition bâloise

de 1558 des œuvres de Pindare, où l’usage de comparer le psalmiste à des auteurs consa-

crés justifie qu’on lise le grand poète de Thèbes!:

Encore que dans Pindare, comme je vais le dire tout à l’heure, il y ait des
maximes sur les mœurs, sur les châtiments des scélérats, en accord avec la loi
divine – parce que la notion de loi naît en même temps que nous – et qu’il y en
ait d’identiques dans les Psaumes[!;] cependant, la sagesse des Psaumes est fort
différente. Avec celle-ci, nous sommes conduits vers le Dieu véritable, et non
vers de fausses divinités!; on y rappelle la promesse touchant le fils de Dieu,
Notre Seigneur Jésus-Christ, et la réconciliation. C’est cette différence entre les

67 «!Les Trophées!», dans Les suittes de la Seconde semaine cité dans l’édition d’Yvonne Bellenger et
alii, Paris, S.T.F.M., 1993 p. 215.
TROISIEME PARTIE 270

Psaumes et Pindare qu’il faut d’emblée considérer. Songeons ensuite à l’utilité


de Pindare.!68

Il est remarquable que ce retour à David comme référence suprême en matière

d’écriture revient aussi bien chez les admirateurs du psalmiste, ceux qui voient dans ses

actes de bravoure du jeune pâtre une authentique matière héroïque, que chez ses détrac-

teurs, ceux qui se montrent moins enclins à élever un berger aux nues qu’à encenser les

poètes gréco-latins. Dans une célèbre et provocatrice boutade d’Ange Politien relevée par

le même Gaspar Peucer, même un propos sacrilège portant sur la supériorité universelle de

l’art de Pindare ne passe sous silence l’idée répandue que le psalmiste est un poète ex-

ceptionnel!: qu’il concentre dans son chant un morceau de l’histoire de l’humanité, qu’il

commémore ce que les livres sapientiaux racontent sur le mode de la chronique et réalise

dans ses vers le portrait d’une époque!:

Comme on interrogeait Politien pour avoir son opinion sur les Psaumes de Da-
vid!: «!moi, répondit-il, je trouve que ces vieux poèmes sont pleins de sagesse. Il
y a des rappels de la providence, des menaces de châtiments à l’encontre des
criminels, des promesses de récompenses et de protection pour les justes. On y
trouve aussi les histoires anciennes de ce peuple, à la fois pour que soit transmis
le souvenir de cet ancien temps aux descendants et, en même temps, pour que
ces exemples de châtiments et de protection soient sous tous les yeux. Je fais
grand cas de cette sagesse, dit-il, utile à la vie et aux mœurs!; je considère en
outre que les figures, dans leur langue originale, sont élégantes!; et parfois, on y
a ajouté des harmonies propres à exciter les mouvements de l’âme. Mais dans
Pindare, dit-il, les mêmes choses sont racontées de manière plus douce, et plus
splendidement illustrées d’exemples.!» Voilà pour Politien.69

La part de vérité et de fiction dans cette déclaration de Politien est difficile à dé-

terminer, le texte original de ce jugement n’apparaissant selon Jean-Eudes Girot dans au-

68 Préface de Caspar Peucer à [P. Mélanchthon], Pindari thebani lyrico rum veterum […], Bâle, chez
Johann Oporinus, 1558, trad. J.-E. Girot, op. cit., pp. 184-85.
69 Idem, trad. J.-E. Girot, op.cit., p. 83.
TROISIEME PARTIE 271

cune édition connue de ses Oeuvres70. Il est probable que l’auteur de la première partie de

cette comparaison soit Caspar Peucer lui-même, que la tâche de combattre l’hérésie devait

faire hésiter à citer intégralement Politien où à répandre des propos déplacés sur l’Écriture,

au risque d’en perpétuer la mémoire. L’éloge adoucissait la critique. Il reste que

l’admiration vouée à David, devenue un lieu commun, a eu à ce titre de nombreux émules!;

hormis dans le cadre de querelles de théologiens, la préférence donnée à Pindare n’a pas,

pour sa part, suscité d’imitation. De ces avis partagés par les lecteurs de Jérôme, il ressort

que David ne se lasse pas d’apparaître comme l’alter ego des poètes classiques, et que la

figure du combattant ne fait jamais oublier celle du compositeur.

Avec l’impulsion de la Réforme, la figure du poète gagne même encore en poids

car là où Jérôme réalisait un rapprochement, Guy Demerson l’a montré, les humanistes

chrétiens et un bon nombre d’auteurs d’épopée opposent et discriminent71!: si David vaut

bien un Pindare ou un Catulle, autant s’épargner de les suivre à la trace et s’attacher di-

rectement aux vrais poètes et à leurs héros, à ceux qui ont pour but, selon une expression

de Jodelle, «!le seul éternisant!». Le psalmiste devient le symbole d’une inspiration spiri-

tuelle hostile aux sujets et aux auteurs païens. Pétrarque lui-même affronte ce dilemme

entre la fidélité au modèle de l’inspiration chrétienne, souffle et Esprit, et de préservation

de l’héritage antique et profane. Le choix est difficile. D’une nature souple et conciliante,

il opte pour une triple allégeance!: allégeance à Laure, sa muse, et allégeance à Virgile, son

modèle!; allégeance enfin à Dieu, qui prend notamment corps dans sa traduction des

psaumes pénitentiels72. Mais ce partage d’intérêt le soucie. La première églogue du Buco-

licum Carmen (1346) intitulée Parthenias (une allusion au surnom qu’on avait donné à

Virgile), et le commentaire qu’il en fait à son frère chartreux deux ou trois ans plus tard,

ouvre le débat. Comment justifier devant un moine le partage des genres, devant celui qui

70 Cf. J.-E. Girot, op. cit., p. 83, n. 73.


71 Guy Demerson, La mythologie classique dans l’oeuvre lyrique de la Pléiade, [Paris], texte dactylogra-
phié de la thèse de doctorat, 1970, pp. 253-56.
72Cf. Pétrarque, Les Psaumes pénitentiaux, publiés d’après le ms. de la bibliothèque de Lucerne, éd. Henri
Cochin, Paris, L. Rouart et fils, 1929.
TROISIEME PARTIE 272

l’appelle à reconnaître en David le plus grand poète Hébreu, sans pour autant renoncer à

suivre les traces de l’inimitable Virgile? Son frère, en la personne du pâtre Monicus,

s’adresse à lui dans l’églogue pour le convertir sans partage à la poésie des psaumes!; il

en ressort ce qui nous semble le plus bel éloge du psalmiste issu de la plume de Pétrar-

que!:

[Le poète que j’aime] chante cet unique Dieu qui fait trembler la foule vaincue
des dieux, qui d’un signe de tête fait régner la mesure dans le ciel nourricier,
équilibrant l’éther limpide, qui accumule la rosée et répand les neiges glacées,
qui de la salubre nuée exprime les pluies souhaitées par la soif des herbages,
qui tonne et qui de ses flammes rapides frappe les airs tremblants, qui donne de
son temps à chaque astre et sa semence à chaque terre, qui à la mer ordonne
d’ondoyer, aux monts de se tenir debout, qui nous a donné le corps et l’esprit,
et qui leur ajouta les arts innombrables. […] C’est ce Dieu qu’il [David] chante
pour moi, et ne dis pas, je t’en prie, que sa voix est rauque. Elle est pleine et
pénètre les esprits d’une secrète douceur.73

En réponse aux objections de Monicus, il ne suffit pas à Pétrarque d’invoquer le

charme et l’inspiration des poètes païens. Il lui faut les défendre. Pour ce faire, il remonte

à Aristote et à un passage de Suétone sur l’origine de la poésie qu’Isidore de Séville et

Raban Maur avaient jadis cité, donc aux sources classiques de la culture chrétienne elle-

même74. Il montre que même les Pères n’ont pas envisagé de renoncer aux charmes de la

poésie des Anciens et que ceux-ci furent même, en leur temps, des théologiens avant la

lettre!; que bien sûr le christianisme s’est ajouté, mais que cela ne justifie nullement qu’on

doive renier Virgile. La coexistence de la beauté profane et de la beauté sacrée fonde la

culture chrétienne… Mais les choses devaient-elles en rester là, simples et articulées? À

73 Traduction des vers 91 ss. du Bucolicum carmen par Alain Michel in Pétrarque et la pensée latine.
Tradition et novation en littérature, Avignon, Aubanel, 1974, p. 95. On trouvera le texte latin de
l’églogue dans Il Bucolicum Carmen e suoi commenti inediti, a cura di Antonio Avena, Bologne, Forni,
1969, pp. 95-99.
74 Le passage apparaît dans l’explication de Pétrarque à Parthenias exposée dans sa lettre De familiari
adressée à son frère Gherardo. Cf. «!Lettre familière!» 10, 4, in Lettres de Pétrarque à son frère, tome I,
trad. Victor Develay, Paris, Librairie des bibliophiles, 1884, p. 83.
TROISIEME PARTIE 273

l’automne de ses jours, dans une autre lettre adressée à son frère, Pétrarque fait un examen

de conscience qui traduit une hésitation quant à sa réussite à concilier harmonieusement,

l’âme intacte, l’inspiration sacrée et l’inspiration profane. Dans ce trouble se profile celui

d’un bon nombre de pétrarquistes reconvertis tôt ou tard à la poésie religieuse. Les paro-

les de son frère qui l’appelait au retrait pour se consacrer uniquement à la psalmodie lui

reviennent en mémoire!; il se rappelle leur dialogue allégorique du Bucolicum carmen, à la

croisée des chemins de la poésie et de la théologie, et médite sur sa réussite à faire de

l’ensemble de son œuvre une authentique prière!:

Mon frère a donc chanté comme il faut en élevant son âme vers le ciel!; moi,
j’ai chanté en songeant aux choses terrestres et courbé vers la terre. Peut-être
n’ai-je pas reconnu la main libératrice, peut-être ai-je compté sur mes propres
forces […] Vous aurez pitié de moi, Seigneur, afin que je sois encore plus digne
de votre pitié.75

En France, l’évolution donnée à la poésie par les partisans de la Réforme devait

faire entendre favorablement l’appel de Monicus. De nombreux traducteurs humanistes

des psaumes rejettent l’idéal de tolérance et de conciliation incarné par Pétrarque. Ils

fixent le mythe de David comme symbole de la poésie vraie, symbole épique aussi des

pourfendeurs des fables ‘moisies’ et des propositions erronées qu’il faut recouvrir

d’allégories, ou rejeter en bloc. Dès 1537, Salmon Macrin réclame dans son hymne De

Sancto Spirito76 le plectre et la harpe de David le Tue-Géant (Davides Gigantoletes) pour

renverser de leur trône les héros de la fable antique. Dans un Cantique de 1552 sur le

même thème, Nicolas Denisot perpétuera la densité de la formulation77. C’est aussi ce

même élan qui pousse Marot à renverser de leur trône les princes de l’épopée antique

dans les vers dédicatoires de sa traduction aux Vingt premiers psalmes!:

75 «!Lettre familière!» 1, à son frère, op. cit., pp. 46-47.


76 Salmon Macrin, Hymnorum libri sex, Paris, Robert Estienne, 1537, p. 109.
77 Nicolas Denisot, «!Cantique II!» des Cantiques du premier advenement de Jesuchrist, Paris, vve M. de
la Porte, 1553 : «!David le Tue-Geant!».
TROISIEME PARTIE 274

Icy n’est pas l’adventure d’Aenée


Ne d’Achiles la vie demenée.
Fables n’y sont plaisantes, mensongieres,
Ny des mondains les amours trop legieres.78

Le talent et le goût du psalmiste pour les arts poétiques, articulés au souci de

chanter pour l’Éternel sont certainement liés au respect qu’exerce chez les auteurs épiques

le David de la jeunesse. Pour les chercheurs d’épopée, cette propension au lyrisme, asso-

ciée à un temps de paix, semble d’autant plus attrayante que dans la Bible, elle ne fait ja-

mais ombrage à l’audace que l’Hébreu déploie en temps de guerre. La harpe apaisante se

transforme en arc ou en fronde dès lors que la stabilité du peuple élu est menacée!: c’est

cette tension constante entre douceur et force qui a hissé le bergerot au rang des hommes

forts et vertueux de la civilisation chrétienne.

Le chevalier errant

Les années les plus difficiles de la carrière de David, celles de l’exil et des persé-

cutions, construisent ce que nous appellerons, bravant l’anachronisme, le type biblique du

chevalier errant. Cette période nomade, pleine d’angoisse pour l’élu qui vient néanmoins

de prendre la tête d’un groupe de dissidents armés, est la conséquence de la jalousie et de

la folie de Saül après sa victoire sur Goliath, qui valut à David les acclamations de tout le

peuple. À ce stade de son existence, le bethléemite fuit sans trouver d’issue, n’étant lui-

même pas encore fixé sur son avenir!: la signification politique de l’onction reçue de Sa-

muel est encore pour lui une énigme. Tant que Saül reste en place sur le trône, il le consi-

dère encore comme son roi. Le paradoxe est d’autant plus visible que des soldats de sa

troupe, lucides quant à sa vocation, le pressent de liquider celui que Dieu a rejeté. David

s’y oppose avec vigueur, comme en témoignent les paroles qu’il tient à son allié Abishaï

78 Clément Marot, «!Au treschrestien roy de France, Françoys premier de ce nom!», in Trente premiers
psalmes de David, Œuvres poétiques, tome II, éd. Defaux, Paris, Garnier, 1993, pp. 558-59, v. 53-56.
TROISIEME PARTIE 275

lorsqu’il sauve la vie du souverain pour la deuxième fois!: «!Qui pourrait porter la main

sur l’oint de Yahvé et rester impuni?![…] Aussi vrai que Yahvé est vivant, c’est Yahvé qui

le frappera.!» (I Sam. 26, 9-10). Et même si le fils de Jessé s’engage à épargner le roi en

toutes circonstances, il en vient à le supplier de faire la paix par des termes qui marquent la

démesure!du combat!:

Après qui le roi d’Israël s’est-il mis en campagne, après qui cours-tu? Après un
chien crevé, après une simple puce? […] Maintenant, que mon sang ne soit pas
répandu à terre loin de la présence de Yahvé!! En effet, le roi d’Israël est sorti à
la quête de ma vie, comme on pourchasse la perdrix dans les montagnes. (I
Sam. 24, 15 et 26, 20)

Couffignal l’a montré79, l’importance littéraire de cette époque du chevalier errant

tient pour une part au fait qu’elle représente un moment clef de la structure des contes.

Elle est typique du schéma narratif du conte dégagé par Frazer!: «!Le beau-père et le gen-

dre sont ici de véritables ennemis!»80, et Propp!: «!L’agresseur devient un parent du hé-

ros!»81. Après la victoire contre Goliath, deux alliés s’opposent et forment un contrepoint

à l’épreuve qualifiante!; le dénouement de cette nouvelle épreuve pour le plus vaillant est

néanmoins nécessaire car elle sert de confirmation irrévocable de sa condition exception-

nelle. Pour Greimas, «!les deux [sujets] se superposent pour donner lieu à une confronta-

tion qui constitue un des pivots du schéma narratif!»82. Dans l’histoire de David, c’est cet

événement même qui fait basculer le destin du berger vers la sphère royale!: conformément

à la structure de la fable, «!le poursuivant tente de tuer le héros!»83 et met ce dernier en

fuite, mais échoue à l’écarter du trône. La conclusion de cette crise d’opposition s’insère

parfaitement à la succession habituelle des contes populaires!: «!Le conte, comme

79 Op. cit., pp. 24-29.


80 James George Frazer, Le Rameau d’or, vol. 1, Le roi magicien de la société primitive, Paris, Laffont,
1982, p. 414.
81 Vladimir Propp, Les Racines historiques du conte merveilleux, Paris, Gallimard, 1983, p. 104.
82 A. J. Greimas, dans sa préface à J. Courtès, Introduction à la sémiotique narrative et discursive, Paris,
Hachette, 1976, p.21.
83 V. Propp, Morphologie du conte, op. cit., p. 70.
TROISIEME PARTIE 276

l’histoire fait mourir le roi à la guerre. […] Le roi est tué avec sa famille!»84. Ce rempla-

cement du chef en titre par un nouvel élu confirme le statut héroïque de David et met celui-

ci au premier plan des personnages bibliques susceptibles de donner matière à l’épopée.

Si le bethléemite est une référence constante dans la littérature épique, c’est bien que la

structure narrative de Samuel l’induit au départ. Bien sûr, elle ne sera pas seule en jeu.

D’autres facteurs davantage liés au contexte religieux des Réformes vont également rendre

le fils de Jessé extrêmement populaire en le propulsant sur le devant de la scène politique.

Les plus sensibles à l’actualité religieuse du personnage sont les protestants, pour la

communauté de destin qui les unit au déserteur. Pour eux, David apparaît comme

l’archétype de la victime innocente mais loyale d’un authentique tyran, un modèle de

droiture et d’espérance qui leur suggère d’innombrables parallèles. Dans les Trophées de

sa Seconde Semaine, l’imagination de Du Bartas le suit dans un dédale de déserts et de

forêts obscures!:

David doncques fuyant la fureur de son Prince,


D’un bout à l’autre fuit l’Isacide Province,
Se retire ore à Nobe, ores en Odollan,
Or’au desert de Zif, en Maon, en Cillan!:
Pour toit il a du ciel les arches estoillées,
Et son repas despend des forests esbranlées. 85

Il faut se rappeler que dans les années qui suivent la Saint-Barthélemy, la réflexion

sur le tyrannicide fait rage et place aux premières loges du débat l’épisode exemplaire de

la fuite de David dans les provinces reculées de Judée. Personne n’y est indifférent.

L’attitude respectueuse du gendre de Saül devient même un l’argument classique des par-

tisans d’un respect inconditionnel du roi, ou d’une attitude modérée envers des injustices

qui peuvent apparenter ce dernier au tyran. La déroute exemplaire de l’élu est l’occasion

de lire l’histoire contemporaine comme la réactualisation d’une épopée biblique!; les dé-

84 V. Propp, Les Racines historiques…, op. cit., p. 450.


85 Guillaume de Saluste du Bartas, Les Trophées, v. 45-64 in Les Suittes, op. cit., p. 209.
TROISIEME PARTIE 277

boires des convertis prennent sens à la lumière de l’institution de la monarchie en Israël, et

chaque camp disserte de l’épisode aussi bien dans des récits bibliques calqués sur le mo-

dèle de l’épyllion que dans des ouvrages dogmatiques. À l’époque où le modéré du Bartas

publie ses Trophées (1591) et fait de David un modèle courageux de respect de la condi-

tion royale86, d’Aubigné avait déjà ouvert la trace dans son Debvoir des Roys et des sub-

jects, comme son titre l’indique une réflexion morale née d’une analyse sur le pouvoir et

destinée à renforcer la stabilité perdue du royaume. L’exil du vainqueur de Goliath ap-

porte un éclairage sur les persécutions infligées aux réformés!; il justifie l’attitude qui

consiste à tempérer l’usage des armes, à supporter les offenses et à rendre le bien pour le

mal. «!Qui verse le sang ne bastit pas le temple!»87, dit Nathan à David!: l’errance devient

la condition inévitable des figures de proue de la foi nouvelle mais aussi une marque de

grandeur d’âme qui fait des disgraciés les David des temps nouveaux!:

Saül fut choisi de Dieu!; David le bien aimé, le fidèle, l’oinct du Seigneur, type
du Sauveur, s’oppose à ce Roy, maintient son droict, le deffend avec sa vie, en
vient aux armes, nous donne la loy avec l’exemple jusques où la patience, et
puis quand et comment nous pouvons, debvons arrester la fureur de nos supe-
rieurs. Cestuy là respond pour nous aux questions de ce temps, qu’il faut pre-
mierement venir par gemissements à Dieu et puis par trés-humbles supplica-
tions et remonstrances au Roy, qu’il faut fuir aux deserts, se cacher aux
cavernes, user de deffenses sans offences, respecter, distinguer la personne
Royale parmi les ennemis, ne faire pas ce qu’on peut, mettre le droit de nostre
costé. 88

86 Il place en effet dans la bouche de David exilé une leçon de conduite politique pour son temps à
l’intention de ses correlégionaires persécutés!:
De vray c’est un tyran, mais il porte la marque
De prince legitime, et l’eternel Monarque
Ne veut que le vassal trampe jamais sa main,
Quel pretexte qu’il ait, au sang du souverain. (Op. cit., p. 210, v. 495-98)
87 Tragiques, «!Vengeances!», v. 122, in Œuvres, op. cit., p. 191. Allusion à l’oracle de Nathan, II
Sam. 7, 8 ss.
88 Agrippa d’Aubigné, Debvoir des Roys et des subjects in Œuvres, idem, p. 471. Ajoutons que cet appel
à la non-violence débouche, dans la méditation du poète sur le psaume 84, sur une espérance!: «!Le
mesme qui avoit caché David entre les brebis, le fit triompher glorieux à la teste de son armee, quand il
TROISIEME PARTIE 278

Du Bartas ne renoncera pas pour autant à la résistance!: sa plume sera sa fronde89.

Il est plus étonnant que d’autres réformateurs, aux méthodes moins pacifiques, se

exploitent l’errance de David comme une incitation à la guerre. En 1575, Théodore de

Bèze, ensuivi sur ce point quatre ans plus tard par Junius Brutus90, l’évoque dans son

Droit des magistrats (1575), où il distingue soigneusement et sans s’opposer fondamen-

talement aux termes de la tradition, la notion de roi de celle du tyran91. La nouveauté vient

de ce que la résistance de David et sa bande armée à Saül apparaît chez le réformateur

comme un motif de légitime défense du fait que Saül oublia ses devoirs royaux pour s’en

prendre à un juste!; son gendre s’est opposé à lui de plein droit du fait qu’il n’agissait pas

en son nom propre et en tant que personne privée, mais comme un officier du royaume à

la tête d’une petite milice d’opprimés, «!outre ce qu’il avait par Dieu la promesse de la

fut temps!; et pour un temps l’ayant deprimé en la caverne d’Odollan, le combla de splendeur sur le
throsne d’Israël.!» Cf. Méditations sur les psaumes, ibid., p. 517.
89 Cf. la préface des Tragiques (notamment v. 236-241), où le combat de David armé d’une fronde est une
allégorie du combat protestant pour un certain rapport aux Écritures. Les vers du poète sont un hommage
à ceux qui donnent leur vie pour cette cause, en particuliers aux vers 115 à 140!: «!Vous defendez à coups
de fonde / Les logis de la vérité.!» Sur ce passage, cf. M. Soulié, L’inspiration biblique dans la poésie
religieuse d’Agrippa D’Aubigné, Lille, service de reproduction des thèses de Lille II, 1980, pp. 164-66.
90 L’interprétation de Philippe Duplessis-Mornay et d’Hubert Languet dans les Vindiciae contra tyrannos
(1579) de l’épisode biblique rejoint celle de Th. de Bèze!: David réunit autour de lui un bande d’hommes
armés «!non pas pour ôter la vie à Saül, mais pour conserver la sienne!»!; Jonathan ne trahit donc pas
les siens lorsqu’il fait alliance avec le persécuté car il comprend que «!David fait la guerre de Dieu!». Cf.
H. Languet et Ph. de Mornay, De la puissance du Prince sur le peuple et du peuple sur le Prince, (trad.
française des Vindiciae) par François Estienne, s.l., 1581, p. 78.
91 Voir par exemple le manuscrit des Institutions monastiques, et les collations des peres, traduits du latin
de Cassien par Jehan Golein au XIVe siècle (BNF ms. fr. 6839, fol 1r, prologue)!: «!Dominus virtutum
ipse rex gloriae. Ps. XXIII. Le noble roy David de Dieu eslus, oingt et inspiré, dist ces paroles en voulant
faire distinction des roys desquels les ungs regnent par un bon gouvernement et par vertus conquierent
proesses, honneurs, louanges et pais, et tiennent justice tant au petit comme au grand, sans exceptations
de personnes, et mectent en leurs royaulmes Dieu aistre [sic] roy principallement!; le contraire est des
mauvais roys, qui, par tirannie regnent et ne font nulle vertueuse justice. De tels regnans, dit saint Augus-
tin, ou quart livre de la Cite de Dieu!: ‘Quant justice aux vertueux sera forclose, les royaumes ne seront
fort que larronieres’!».
TROISIEME PARTIE 279

succession du royaume!»92. Cette mise au point étant faite, Bèze présente l’indulgence à

l’égard de Saül comme un acte de modération exemplaire, un idéal de tempérance proposé

à ceux qui veulent mener une opposition active mais cautionnée par l’Éternel, dans le res-

pect de la vocation et des limites de chacun. L’épisode se termine sur une sentence de la

«!sage Abigaïl!»!: «!David, injustement assailli, menait les guerres de l’Eternel, c’est-à-dire

usoit d’une juste défense!»93. Marguerite Soulié a souligné que les huguenots ont pu faire

le parallèle avec Henri de Navarre, lorsqu’il est apparu, par un concours de circonstances

assez extraordinaires, comme un nouvel élu du ciel qui devait conquérir le trône, un prince

légitime évadé de la Cour, chevauchant dans tout le royaume, guerroyant et menant la vie

précaire d’un chef exilé entouré d’une poignée de fidèles. De tels parallèles historiques (et

on en connaît d’autres) ont certainement contribué à renouveler l’intérêt pour la figure

héroïque du jeune David. Les catholiques comme Étienne Pasquier94 et Jean Bodin95 s’y

ont aussi essayé, défendant l’idée que la rébellion contre le roi était non seulement un acte

de lèse-majesté, mais un crime contre Dieu.

Si David est un héros pour les catholiques, le roi de France, parce qu’il est son

émule, l’est aussi. Le parallèle millénaire qui les rapproche reste un lieu commun d’un

bout à l’autre du siècle et si l’on en croit bon nombre de panégyriques, la figure du cheva-

92 Cf. Marguerite Soulié, op. cit., p. 104.


93 Du Droit des Magistrats sur leurs sujets, 1574. Fac simile avec introduction et notes par M. Marabuto,
St Julien de l’Ars, France, 1966, p. 27.
94 «!La Théologie Gallicane n’est point carnaciere. Elle nous enseigne d’obeyr à nos Roys, soient bons
ou mauvais (encore que graces à Dieu, nous n’en ayons jamais eu, que de bons.) Leçon qu’elle a apprise
du Sage [Salomon] dans ses Proverbes, de Saint Pierre en sa premiere Epistre, de saint Paul aux Romains
[…] du bel exemple de David persécuté à tort par son roy Saül. Nous estimons que tels que Dieu donne
les Princes Souverains, tels les faut-il recevoir par les sujets sans entrer en cét examen, s’ils sont Roys ou
Tyrans.!»!Étienne Pasquier, Les Recherches de la France, tome 3, livre III, ch. 44, Paris, Champion,
1996, p. 863.
95 « David estoit esleu de Dieu, et sacré par les mains de Samuel, pour estre roy du peuple, et avoit es-
pousé la fille du Roy!: et neantmoins il eut en horreur de prendre qualité de Roy, et plus encore d’attenter
à sa vie, ni à l’honneur de Saül, ni se rebeller contre lui, ains il aima mieux se bannir soy mesme hors du
royaume. […] Il n’y a rien plus frequent en toute l’Escriture saincte, que la defense, non pas seulement de
TROISIEME PARTIE 280

lier errant n’y est pas étrangère. Le respect de David pour Saül, le roi en titre, est un argu-

ment classique visant à assurer l’irrévocabilité politique des princes de France sur le trône.

L’épisode de sa résistance passive à Saül conforte les positions de la cour sur la dignité

sacrée du monarque et avalise en quelque sorte tout ce que sa qualité de roi très-chrétien

l’amène à intenter, même si ses décisions peuvent être contestées. C’est ainsi que Jean de

Monluc se lance dans une défense en règle de François Ier alors même que ce dernier avait

indigné la totalité de l’Empire pour avoir accepté le soutien des Turcs en 1542, au moment

du conflit qui l’opposa à l’empereur germanique. L’exil de David chez les ennemis

d’Israël servent de parade aux arguments avancés par les détracteurs de la couronne!:

Et soubs ce pretexte, veulent par leur calomnies passionées forger un nouveau


article de foy, disant qu’un prince pour sa deffence ne peut ny ne doit s’aider
du secours de ceux qui sont de contraire religion à la sienne!: ne s’advisans pas
qu’en blasmant le Roy, mon seigneur, ils taxent David, roy valeureux et sainct
prophète, lequel se trouvant poursuyvy par Saül, s’enfuit vers le roi Achis, ido-
latre et ennemy de la loy de Dieu. Et quelque temps après, luy-mesme se ren-
gea parmy les escadrons infidelles qui marchoient pour combattre le peuple de
sa propre loy.96

Après la saint Barthélémy, il convient néanmoins de nuancer l’enthousiasme des

catholiques à se servir de l’élu persécuté pour chanter les louanges de la couronne. Si cette

page délicate de la vie du bethléemite reste plus que jamais d’actualité, la lecture que les

plus extrémistes en font devient soudainement défavorable au monarque et un argument

pour remettre en cause sa légitimité. Lorsque Henri III s’attire la haine de tous les ligueurs

pour avoir conclu une entente secrète avec Henri de Navarre, les thèses tyrannicides

s’embrasent et se retournent contre le roi et son successeur pressenti. Après l’assassinat

du duc de Guise en décembre 1588, les prédicateurs les plus virulents dénoncent ce qui est

reçu comme une infidélité du roi et comme certains protestants militants, contestent la

tuer, ni attenter à la vie ou à l’honneur du Prince!: ains aussi des Magistrats, ores (dit L’Escriture) qu’ils
soyens meschans. (Les Six livres de la République, livre second, ch. 5, Paris, Fayard, 1986, p. 78)
96 Discours de Jean de Monluc dans Commentaires de Blaise de Monluc, Paris, Gallimard, 1964, p. 82.
TROISIEME PARTIE 281

sacralité de sa personne!: ne persévère-t-il pas dans le vice, comme David tombé dans

l’adultère jusqu’à en commettre en meurtre97? Jean Boucher, l’auteur de l’Apologie pour

Jean Chastel, évoque même la fuite de David devant Saül pour affirmer que le respect

sacré dû au roi très-chrétien ne s’étend qu’aux rois légitimes et non aux tyrans. Il est donc

désormais «!loysible à chacun peuple de les tuer!», conclut-il en 159598. On préfère trans-

poser chez le régicide Jacques Clément l’ombre du véritable successeur de David!:

Un jeune moine, un autre Aod, plus courageux qu’Aod et vraiment inspiré par
le Christ, par la charité, a renouvelé l’œuvre de Judith sur Holopherne, l’œuvre
de David sur Goliath.99

Simone Maser a par ailleurs souligné à juste titre que le psautier a lui aussi servi à

discréditer le roi de France aux yeux du peuple!: dans le Journal de Pierre de l’Estoile, on

trouve en effet le commencement de huit cantiques en latin avec leurs arguments «!qui sont

plaisants et notables, pource qu’ils contiennent des miracles de la sainte Union et de leur

martir F. Clément!»!:

Psalm. tertius
Deus, laudem meam ne tacueris […]
Argum. Le Pseaume est particulièrement dressé contre le Tiran de la France,
principal chef (quoique couvert) de tous ceux qui répugnent et se bandent
contre la Sainte-Union. […]
Psalm. quintus
Fudamenta urbis in montibus sanctis […]

97 Cf. Frederic J. Baumgartner, Radical Reactionnaries!: the Political Thought of the French Catholic
League, Genève, Droz, 1975, p. 111.
98 Jean de Vérone (pseudonyme de Jean Boucher), Apologie pour Jehan Chastel Parisien, Exécuté à mort
pour les pères et escolliers de la Société de Jésus bannis du Royaume de France, s. l., 1595, p. 83. Les
mêmes idées reviennent dans un autre traité de Boucher dans lequel le parallèle avec David profite à Jacques
Clément!: De Justa Henrici tertii Abdicatione e Francorum regno libri quatuor, Paris, N. Nivelle, 1589.
Cf. Baumgartner, op. cit., p. 227.
99 On trouve ce passage dans une conclusion du De Justa Abdicatione de Jean Boucher, rapportée et tra-
duite dans D. C. Labitte, Les Prédicateurs de la Ligue, Paris, H. Fournier, 1841, p. 96.
TROISIEME PARTIE 282

Argum. Coment un petit religieux, le plus simple des hommes, s’eslève entre
tous contre le Tiran tout prest à ruiner la ville capitale de la Sainte-Union
[…]100

On peut remarquer que conformément aux thèses monarchomaques, les ligueurs

prennent soin de distinguer le roi légitime du tyran, et qu’ils empruntent sans relâche au

légendaire combat de David et Goliath l’image de l’acte de vengeance de Jacques Clément

sur Henri III. Par ailleurs, l’esprit dans lequel s’effectue le rapprochement, lui, a changé!:

alors que pour Agrippa d’Aubigné, Du Bartas et avant eux Des Masures, David est un

compagnon d’infortune et une figure d’espérance et de consolation, le modèle achevé du

juste persécuté et mis en fuite, le David des ultra-catholiques reste une abstraction, un

exemplum, la justification biblique de positions politiques. C’est de cette manière encore

que le modèle royal de David, celui des années de gloire, surgit à la Cour!; généralement

invoqué en dehors des contextes de contestation, il sert à renforcer la suprématie du mo-

narque au sein de l’Empire.

Le roi

Lorsque Saül meurt après avoir été encerclé par les Philistins, David paraît à Hé-

bron et se fait sacrer roi de la tribu de Juda par ses partisans. Il reçoit la récompense de sa

victoire contre le monstre et contre son beau-père le roi!: comme dans les mythes, «!le

héros monte sur le trône!», après avoir épousé la princesse101. Il devient alors le type

même du héros épique, le conquérant de haut lignage cumulant l’approbation du clergé et

remportant par sa bravoure légendaire l’estime de tout le peuple. David, «!oint!» par les

prêtres et non seulement «!proclamé!» par l’Assemblée (comme le fut par exemple Isbo-

seth102), apparaît auprès des siens non seulement comme le candidat politique opposé aux

100 Journal de Pierre de l’Estoile, livre III, cité par S. Maser, op.cit., p. 90.
101 V. Propp, Morphologie du conte, op. cit., p. 79.
102 II Sam. 2, 1-4.
TROISIEME PARTIE 283

saülides, mais comme le candidat du sanhédrin. Au mythe du conquérant s’ajoute celui du

roi de piété. Le respect de son peuple ajouté à celui des autorités religieuses construit

l’image du prince providentiel doté d’un double corps, politique et spirituel, dont ne cesse

de se nourrir la monarchie très-chrétienne!; on la trouve formulée dans le Recueil des rois

de France au sujet du roi, l’«!aisné et par dessus tous les rois de la terre pour la fermeté

de la vraye religion, en laquelle le Roy de France a esté successeur de David!»103. Son

œuvre politique à la tête du royaume apparaît dans la Bible comme le signe efficace de

cette bénédiction encore nouvelle en Israël104. Ses exploits le consacrent véritablement en

tant que héros national, que roi selon le cœur de Dieu, béni dans chacune de ses entrepri-

ses, et c’est dans cet esprit que Ronsard compare le jeune Charles IX au roi hébreu!:

Lequel [Dieu] nous supplions vous tenir en sa loy,


Et vous aimer autant qu’il fit David, son roy,
Et rendre comme à luy vostre sceptre tranquille!:
Sans la faveur de Dieu la force est inutile.105

Sans aucun doute, l’un des actes majeurs qui rendit David célèbre a été d’installer

la monocratie en Israël!: les projets de Davidéide et d’Israéliade devaient s’y consacrer en

s’appuyant sur le deuxième livre de Samuel et les Chroniques. La Bible s’étend longue-

ment sur les gestes du héros pour confirmer sa victoire au sein de la nation, des gestes

typiques des conquérants légendaires!: elle raconte que malgré sa promesse faite à Saül106,

David fait condamner la mémoire du défunt roi sur la demande des Gabaonites en faisant

mettre à mort tous ses descendants (sauf un infirme)107, puis il réunit autour de lui tous les

partis dissidents du royaume, avec l’appui du clergé. Des mains de Jébuséens, il arrache

103 Cf. Jean du Tillet, Recueil des Rois de France, leurs couronne et maison […] (1580), Paris, Jamet et
P. Mettayer, 1602, 2 tomes en 1 vol., p. 180.
104 Seul Saül, bien sûr, avait déjà été sacré par Samuel (I Sam. 10, 1-8).
105 Pierre de Ronsard, Institution pour l’adolescence du Roy tres-chrestien Charles IXe de ce nom, v. 183-
86, in [Jean Céard, Daniel Ménager et Michel Simonin], Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1994, vol.
2, p. 1011.
106 I Sam. 24, 22.
TROISIEME PARTIE 284

Jérusalem, la seule ville importante de Canaan, et y établit sa capitale. Il y érige une forte-

resse et s’y fait construire un palais grâce au concours de charpentiers et de tailleurs de

pierres de Tyr. Son projet (relayé par Salomon) d’édifier un Temple pour Yahvé l’amène

également à faire transporter l’Arche d’alliance dans la ville, une scène que les peintres et

les artistes ne manquent pas de reproduire pour glorifier le «!saint roi de France!». La

première tenture de la célèbre série de tapisseries de David et Bethsabée (attribuée à Jan

van Roome, Bruxelles, ca. 1510-1515)108 dépeint cette scène comme le point culminant de

sa carrière!: le souverain d’Israël scelle par ce geste l’union du pouvoir de Dieu et celui du

roi. Toutes ses guerres contre les tribus païennes visent à élever son royaume au-dessus

de la puissance des nations voisines et lui donnent la réputation d’être l’ennemi juré du

paganisme aux quatre points cardinaux!: à l’Ouest, il a défait les Philistins!; à l’Est, les

Moabites ont pour les deux tiers été massacrés et le dernier tiers couche à même la terre!;

au Nord, les peuples d’Aram sont asservis, tout comme au Sud, ceux d’Édom. Comme

jadis sous Charles VIII, les exhortations à la Croisade (celle du Penser du royal mémoire

par exemple) en perpétueront le motif. C’est cette dimension guerrière, consubstantielle au

héros épique, qui nourrit les exhortations royales à la guerre et aux Croisades. Elle servira

par exemple la cause de Charles Quint lors de son entrée à Paris en 1539!:

Prince puissant, soubz ta subjection


Tu tiens tous ceulx qui te ont esté rebelles,
Depuis les tiens jusques aux infidelles,
Comme permect Divine volunté!:
David aussi l’avait dit et chanté.109

107 II Sam. 21, 1-14 et 9, 1-4.


108 Cf. Thomas Campbell, «!Henry VIII and the château of Écouen History of David and Bathsheba ta-
pestries!», Gazette des Beaux-Arts, vol, 128, 1996, pp. 121-40!; Guy Demarcel, «!De Wandtapijten met
de geschiedenis van David en Betsabee!», in Bulletin des Musées royaux d’art et d’histoire, tome 49,
1977, pp. 129-51!; Elisabeth Dhanens, «!The David and Bathsheba drawing!», Gazette des beaux-arts,
avril 1959, pp. 215-24!; Geneviève Souchal, «!La Tenture de David du musée de Cluny!», Revue du
Louvre, 1972, pp. 43-50.
109 Cf. V.-L. Saulnier, «!Charles V traversant la France!» in Fêtes et cérémonies au temps de Charles
Quint, Paris, CNRS, 1957, p. 220.
TROISIEME PARTIE 285

Tout n’attire cependant pas l’attention des conteurs d’épopées dans la carrière

royale de David. On ne peut s’étonner que les détails relatifs à la réforme des institutions

qu’il mène en Israël au temps de son règne n’apparaissent pas dans les poèmes épiques

du XVIe siècle!; les protestants les évoquaient alors dans de tout autres contextes, comme

justification aux innovations cultuelles prônées par les réformés. Pourtant, le livre des

Chroniques y consacre la quasi-totalité des pages consacrées à David. Habile politique,

celui-ci le montre en formant un gouvernement central dans son royaume110. Il s’appuie

avant tout sur son armée, qu’il regroupe en troupes selon leurs tribus et répartit en douze

divisions, dont chacune prend le service pendant un mois, sous les ordres d’officiers

royaux. Les troupes d’Israël cessent ainsi d’être la réunion des armées des tribus. David

fait participer l’armée au gouvernement, qui comprend les principaux chefs militaires, un

chancelier, un scribe, un conseiller et deux prêtres, le grand-prêtre et son second, qui

l’assistent en tant que ministres officiels.

Un autre élément absent des épopées est le passage que réalise David d’un mode

de gouvernement dominé, à l’époque des Juges, par l’interpénétration du politique et du

clérical, vers le système monarchique où le roi règne seul. Les raisons, cette fois, sont plus

évidentes. La collusion entre le roi de France et le Pape est encore telle qu’on imagine mal

le roi de France, au temps des Réformes, assujettir le Pontife à son autorité et opérer à sa

guise des réformes dans l’Église. Les Chroniques révèlent en effet que parallèlement à la

puissance royale, David organise la puissance du clergé dans ce qui est en passe de deve-

nir un véritable empire111. Il confirme les prêtres dans leurs pouvoirs mais spécifie désor-

mais qu’ils relèvent de la couronne!: il entend manifestement réunir entre ses seules mains

la totalité du pouvoir, temporel et spirituel. À la fin de son règne, il organise lui-même le

clergé, répartit les lévites en classes et désigne le rôle et la place de chacun dans la maison

de Yahvé. Pour s’assurer de l’interpénétration du pouvoir et de la foi, il introduit dans la

gestion des biens sacrés, qu’il confond à dessein avec celle du monarque, des agents

110 I Chr. XXVII, 1-34.


111 I Chr. 26, 20-32.
TROISIEME PARTIE 286

royaux. Le grand prêtre, qui au temps d’Élie et des Juges s’était élevé à une dignité quasi-

royale, est désormais réduit au rôle de ministre royal, au même titre que les chefs de

l’armée. Or, l’étoile de l’épopée n’est pas un réformateur mais bien un conquérant.

En revanche, la sacralité du roi biblique perçue comme l’auréole et l’aboutissement

de sa gloire légendaire reste dans tous les esprits. Les princes de la Renaissance s’en sou-

viennent et se l’approprient!; ils sont des êtres quasi divins qu’on élève au rang de fils de

Dieu, comme dit le psaume!: «!Je t’ai moi-même engendré aujourd’hui!»112. Ils perpétuent

cette filiation symbolique dans le port de la couronne, l’insigne suprême que David avait

substitué aux anciens insignes royaux, la lance et le bracelet113. Dans les dédicaces des

psaumes, bon nombre de poètes placent leur œuvre sous la protection du roi en évoquant

les similitudes entre le David des victoires et le destinataire de l’ouvrage. Le cas le plus

étonnant est celui de l’ancien ligueur Jean Métezeau, chargé d’affaires de Catherine de

Bourbon, duchesse du Bar, auprès d’Henri IV. Au lendemain de l’assassinat du roi par

Ravaillac, il dédie à ce dernier une traduction des psaumes114 composés pour une partie

lors d’un séjour en prison du temps d’Henri III. La dédicace au roi, qu’une gravure re-

présente comme un héros antique, monté sur un cheval blanc, couronné de lauriers et te-

nant un bâton de commandement115, fait l’éloge du roi sage et conquérant. Elle s’applique

à tracer un long parallèle (il relève 56 similitudes) entre la vie d’Henri IV et celle de David

sur le thème du David redivivus. Il n’est pas un aspect de la vie de David qui échappe au

regard intéressé du poète!: comme David était «!prevoiant, prompt, il n’ignoroit rien, estoit

eloquent, concis en ses discours!», le roi de France «!a le sien vif, est admirable en ses

conceptions, et reparties, discourt de tout, a de belles pointes!»116!; l’un et l’autre «!furent

112 Ps. 2, v. 7.
113 II Sam. 12, 30. La lance est l’insigne royal des Hittites ( II Sam. I, 10).
114 Les CL psaumes de David, Mis en vers françois, & rapportez verset pour verset selon la vraye traduc-
tion latine receue en l’Eglise catholique, par Jean de Metezeau, Secretaire et Agent des affaires de feu M. la
Duchesse de Bar Sœur unique du Roy, pres sa Magesté, Paris, Robert Fouet, 1610.
115 Fol. 3v
116 La dédicace au roi n’est plus foliotée après le fol. 3. La comparaison entre Henri IV et David com-
mence à ce qu’une numérotation manuelle peut situer au fol. 4r et s’étendent sur une quinzaine de folios.
TROISIEME PARTIE 287

amenés à la cour très jeunes!» où ils brillent par «!la prudence de son gouvernement, et la

reputation qu’elle acqueroit aux armes!»117. Tous deux ont pris la fuite devant!la persécu-

tion mais ont glorieusement fait face à des armées de rebelles!:

DAVID, deffeit par deux fois les Philistins entrez dans son Royaume pour luy
oster le sceptre d’Israël, Et vostre Maiesté, a deffait aussi par deux fois, deux
puissances armées Espagnolles, conduites par le duc de Parme, pour luy oster la
couronne de France.118

Les ambitions impériales sont même permises pour l’ancien protestant monté envers et

contre tous sur le trône. Il n’est aucun aspect de la gloire du psalmiste à laquelle il ne

puisse prétendre. Une seule ombre se détache du tableau!:

DAVID, estoit un peu suiet aux femmes, c’est tout ce que les ennemis de vostre
Maiesté peuvent dire d’elle, mais au moings, elle a cest avantage sur ce sage
ROY, en toute autre chose, de n’avoir iusques icy, attiré l’ire de DIEU, n’y sur
elle, n’y sur ses peuples par aucuns sang espandu pour ce suiet, qui fait croire
qu’elle en fait penitence agreable a DIEU, qui nous est incongneüe.119

Même les erreurs du David, son adultère avec Bethsabée, n’affectent en rien le symbole

qu’il incarne au sein du royaume de France. Le plus subtil à le montrer est François Ier

qui, en réponse à l’épyllion de 1547 que lui destinait sa sœur Marguerite, feint de récuser

toute similitude entre David et sa personne pour mieux la confirmer ensuite dans la figure

du pénitent, celle qui implorait le pardon pour l’adultère et pour le recensement de son

peuple!:

Point ne suis au bon David semblable,


De qui le cœur à Dieu fut agréable!;

117 Idem.
118 Idem.
119 Idem.
TROISIEME PARTIE 288

Je suis pecheur, et cela je confesse,


Dont le congnoistre est ma seure r’addresse120.

Le roi tient son pouvoir de Dieu, et cette puissance divine, il la trouve en lui-même,

malgré la faiblesse de son humanité!: c’est à ce titre que David sert de modèle à tous ceux

qui cherchent dans le passé des figures nobles et attrayantes. Il reste le type même du mo-

narque de droit divin jadis dégagé dans l’Apologie de David de saint Ambroise, le souve-

rain fort et exemplaire auquel puise comme à un flot continuel l’épopée biblique.

Dans toutes ces interprétations et relectures de la Bible qui font de David un héros

de première actualité, une question se pose donc!: à quel David se réfèrent les auteurs

d’épopées, celui de la narration (le David historique étant insaisissable) ou celui du mythe,

dont la culture littéraire, religieuse et politique avait fait ressortir les aspects les plus glo-

rieux!? Comment exploitent-ils l’Écriture et les contradictions qu’elle porte à son égard!:

un être saint et assoiffé de conquêtes, respectueux de Saül mais adversaire de la plupart

des saülides, roi exceptionnel mais également pécheur!? Si David devient l’archétype

chrétien du héros épique, c’est bien qu’il s’insère dans un processus d’idéalisation déjà à

l’œuvre dans la structure narrative de l’Écriture et qui se poursuit au gré des siècles dans

les diverses interprétations dont il est l’objet. Ce processus, il faut en suivre minutieuse-

ment le fil et examiner comment une figure aussi sollicitée dans la France chrétienne, par-

fois même à des fins contraires, en vient à incarner un modèle littéraire de vertu chevale-

resque dans la lignée des héros mythiques de la plus haute Antiquité.

120 Response envoyée par le Roy Françoys a ladite Dame, avec une Sainte Catherine pour ses estreines,
in Les Marguerites de la Marguerite des princesses, op. cit., pp. 217-18.
TROISIEME PARTIE 289

Chapitre III

Le David courtois de la légende des Preux

Dans son étude sur l’épopée après Ronsard, Klàra Csürös insiste sur la révolution litté-

raire et esthétique que représente la naissance de l’épopée moderne!: «!Le genre qui nous

intéresse est sans doute un produit neuf, né au XVIe siècle, et ne peut, en France non plus

qu’ailleurs, être considéré comme une continuation de l’épopée médiévale!»121. Si

l’affirmation est particulièrement vraie pour les épopées historiques et encyclopédiques,

elle demande à être nuancée en ce qui concerne l’épopée biblique. Son renouvellement

formel ne s’est pas fait en un jour. En ce qui concerne les poèmes vétéro-testamentaires, le

Roman des neuf preux, l’épître de Marguerite de Navarre à son frère, la ballade de Nicole

Lescarre et d’autres œuvres du genre, la matière épique emprunte encore à l’habitude mé-

diévale de se tourner vers David pour en faire le modèle du chevalier courtois. Les moda-

lités par lesquelles poètes et compilateurs puisent dans les Écritures pour en dégager des

modèles d’envergure restent fortement ancrées dans les habitudes de pensée!; au début, on

décrit encore David vêtu en habits de chevalier, avec sa cotte de maille, son heaume et son

épée, relayant ainsi la culture médiévale en matière d’idéalisation des sources scripturaires.

Ce n’est que le siècle avançant qu’il apparaîtra dans un contexte antique, mais tout aussi

mythique, où il s’apparentera à un nouveau Hector ou à un second Énée. La légende des

Neuf preux, très vivace dans la première moitié du siècle, voit en David le combattant lé-

gendaire et le fondateur d’un royaume puissant et redouté!; c’est à elle que le bethléemite

doit une bonne part de sa couleur épique.

121 Op. cit., p. 65.


TROISIEME PARTIE 290

La légende des Neuf Preux

Depuis les éclaircissements apportés par Huizinga et Van Hemerlyck, et grâce à

l’éclairage iconographique jeté par les expositions d’Aurillac (1981) et de Langeais

(2003) sur les Preux122, l’origine et l’évolution de la légende des preux n’est plus un

mystère. Ce groupe de neuf héros dans lequel David, avec Josué (le successeur de Moïse,

vainqueur des Amorréens à Gabaan) et Judas Maccabée (dernier grand chef national des

Juifs, qui résista aux rois grecs de Syrie au IIe siècle av. J.-C.), côtoie trois héros païens

(Hector, César, Alexandre) et trois chrétiens (Arthur, Charlemagne et Godefroy de Bouil-

lon, roi de Jérusalem) trahit un rapport étroit avec le cycle arthurien et le roman de chevale-

rie. On en retrouve une première évocation dans le long poème des Vœux du Paon de Jac-

ques de Longuyon, vers l’an 1312, mais Pierre Meyer, qui a découvert ce texte, indique

que d’autres poètes, en Provence, avaient déjà procédé par le passé à de tels rapproche-

ments123. Le succès ne s’est pas fait attendre!: entre le XIVe et le XVe siècle, Meyer dé-

nombre dix-neuf exemplaires du poème et de nombreuses illustrations de son thème dans

des formes d’art les plus variées. Au XVe siècle, les tapisseries et les xylographies multi-

plient les représentations des preux!: on retrouve ces dernières dans des ouvrages aussi

différents que des romans (Le Chevalier errant)124, un registre de comptes125, et un re-

cueil de Généalogie des rois de France126. On leur adjoint également neuf héroïnes, les

trois femmes fortes de l’Ancien Testament (Déborah, Judith, Esther), et d’autres héroïnes

antiques dont les identités ne se sont jamais stabilisées!: parfois Sémiramis, Hippolyte,

122 Johan Huizinga, L’automne du Moyen Âge, Paris, Payot, 1989 (2e éd.), pp. 73-78!; T. Van Hemer-
lyck, «!Où sont les neuf preux? Variations sur un thème médiéval!», Studi francesi, 42 (124), pp. 1-8!;
Les Neuf preux, catalogue de l’exposition d’Aurillac, imprimerie du Cantal, Aurillac, 1981.
123 P. Meyer, «!Les Neuf Preux!», Bulletin de la Société des Anciens Textes Français, 1883, pp. 45-53.
124 Ms. fr. 12 559, fol. 125r Le catalogue d’Aurillac (op. cit.) en donne une reproduction au no. 1 de ses
illustrations.
125 Registre des comptes des années 1461 à 1464. La xylographie fut découverte en 1861 par Louis
Proth, archiviste de Metz. Cf. Catalogue d’Aurillac, op. cit., ill. 5.
126 Ms fr. 4985, fol. 199-201-203, et également le Catalogue d’Aurillac, op. cit., ill. 12-14.
TROISIEME PARTIE 291

Penthésilée, Deyphile, Sinope, Etiope, Teuca, Lampeto, Tamaris, ou encore Tamaris, Por-

cia, Lucrèce, Monime ou Jocaste.

Au XVIe siècle, c’est d’abord dans les entrées royales que le thème connaît son

plus fort développement dans l’Empire. Lorsqu’il s’agit d’accueillir un roi dans ses

‘bonnes villes’ ou d’élever un combattant à la dignité de héros, les panégyristes du pou-

voir n’hésitent pas à décliner tous les parallèles faisant du souverain le successeur des

héros romains, grecs et hébreux. On connaît notamment la relation de Calvete de Estralla

de 1552127 de l’entrée de Philippe II à Louvain, où l’imagerie des preux!s’unit à celle des

géants pour célébrer l’arrivée au pouvoir du fils de Charles Quint. Des tableaux vivants

comparent le prince à Hector, à Alexandre le Grand, aux trois preux bibliques et aux trois

héros médiévaux associés au Graal et à la Croisade. Filant encore le symbolisme numéri-

que du chiffre 3, trois échafaudages évoquent les victoires du prince sur les ennemis de

l’Empire par une référence au duel de David contre Goliath. Ils évoquent le mouvement

caractéristique de la destinée épique, celui qui fait évoluer un personnage d’une situation

de crise jusqu’au rétablissement de la paix et à la consécration. Le premier tableau évoque

le défi insensé lancé par Goliath et la hardiesse de David qui lui répond, soulevant

«!l’admiration et l’épouvante dans la foule!»!:

L’orgueilleux et superbe Goliath appelant à la bataille les Israélites pour qu’ils


sortent combattre contre lui, mit en danger sa propre tête!; car David sortit vi-
goureusement à sa rencontre après avoir laissé de côté les armes de Saül128.

L’attachement des organisateurs à cette épreuve décisive de l’initiation juvénile (se-

lon la structure du conte) révèle un souci de préserver le caractère mythique de la valeur

guerrière de David. Calvete fait un parallèle avec le tyran Gorgias vaincu par Judas Mac-

127 Juan Calvete de Estrella, El felicissimo viaie d’el moy alto y muy poderoso Principe Don Phelipe…,
Anvers, chez Martin Nucio, 1552, fol. 82r- 87v
128 «!El soberbio y vanaglorioso Golias llamando a batalla a los Isrraelitas que saliesen a combatir con
el, puso en riesgo su cabeça!: porque David animosamente le salio al encuentro aviendo primero dexado
las armas de Saul.!» Fol. 84v
TROISIEME PARTIE 292

cabée, que Dieu punit pour son orgueil. La scène célèbre la victoire de la prudence sur

l’orgueil et de la foi sur l’hérésie!:

Adolescent au physique fragile, David mit sa confiance dans le Dieu d’Israël,


combattit Goliath avec une grande prudence et le mit à mort à l’aide de sa
fronde. Par quoi celui qui s’en remet à Dieu excelle en toute chose129.

Elle se conclut sur une note célébrative qui élève le combattant biblique au titre de

héros d’Israël, au même titre Judas Maccabée entrant à Jéricho avec l’Arche d’Alliance.

Dans le dernier tableau, un chœur de belles filles richement vêtues et jouant des instru-

ments de musique acclame le vainqueur et sort dans les rues pour l’accueillir130. Par cette

entrée victorieuse de David à Jérusalem, la procession de Philippe II à Louvain revêt un

caractère mythique et sacré!: l’empereur est bien ce second David, non plus juif mais

chrétien, fortifié par l’épreuve et acclamé pour chef par ses sujets. La fresque humaine

ainsi dessinée offre au successeur de Charles Quint une lignée symbolique et prestigieuse,

saturée de conceptions religieuses qui permet une relecture de l’histoire contemporaine!;

elle sous-tend un discours politique qui réclame dans l’avènement du prince Philippe la

montée au pouvoir de celui qui calmera adroitement les dissidences au sein de l’Empire.

Le triptyque affermit un état de fait, la royauté du souverain, que le parallèle avec la Bible

et la légende cherche à idéaliser et donc à renforcer. Cette haute espérance fondée sur la

noblesse tend un masque vénérable à l’empereur qui dissimule bien les soucis que son

arrivée au pouvoir a pu susciter dans les provinces du Nord.

129 «!El moço David de tiernos miembos confiando en el Dios de Isrrael combatio con Golias con gran
prudencia, y con su honda le dio la muerte. Por lo qual haze muy bien qualquiera, que en Dios confia.!»
Fol. 84v
130 Fol. 85r
TROISIEME PARTIE 293

Le chevalier Bayard

Il ne faut pas s’étonner de ce que la comparaison avec les preux, courante dans les

milieux gravitant autour de la cour, ait aussi débordé du cadre politique pour servir de mo-

dèle aux ordres de chevaliers. Dans la petite biographie épique des Gestes ensemble la vie

du preulx chevalier Bayard de Symphorien Champier131, l’écuyer de Charles VIII est tour

à tour comparé à un certain nombre de preux parmi les neuf «!classiques!» mais également

à un certain nombre de héros extérieurs à la tradition!: au rapprochement avec le «!bon roy

David!» s’ajoutent d’autres du même type où se succèdent Judas Maccabée, Roland et

Godefroy de Bouillon, mais aussi des figures nouvelles comme Samson, Thésée, le

«!carthagien et preulx Annibal!», Scipion l’Africain, même le «!preulx et hardy monsieur

de la Palisse mareschal de France!»132.

Contrairement à l’usage des entrées royales, où les preux sont un miroir idéal ten-

du au souverain pour le conduire à imiter de si nobles archétypes, la comparaison avec

David sert ici d’instance de confirmation des vertus exemplaires du valeureux Bayard. À

partir d’un personnage déjà mythique, il s’agit d’en créer un autre, Bayard. Il ne s’agit

pas pour Champier, et pour cause, d’amener le personnage vers un idéal mais d’en faire

une sorte d’hagiographie par accumulation qui lui donne une bonne place dans les annales

nationales. Certes, il faut reconnaître que plusieurs rapprochements ne vont pas de soi, en

particulier celui avec le fils de Jessé, et que c’est à ses dépens que le capitaine trouve à se

glorifier. Les exemples montrant que Bayard l’aurait à plusieurs reprises surpassé se suc-

cèdent!: jadis, le berger tua Goliath!; Bayard, dans de pires conditions encore, «!d’une

courte dague et avec de la fievre, tua le vaillant espaignol Alonce, lequel après sa mort

131 Les Gestes ensemble la vie du preulx chevalier Bayard, avec sa genealogie, comparaison aulx anciens
preulx chevaliers, gentilx, Israelitiques, et chrestiens. Ensemble oraisons, lamentations, épitaphes dudit
chevalier Bayard. Contenant plusieurs victoyres des roys de France Charles VIII, Loys XII et Françoys
premier de ce nom. cité dans l’édition procurée par Denis Crouzet, Paris, Imprimerie nationale, 1992.
132 Idem., pp. 227-34.
TROISIEME PARTIE 294

moult il pleura!»133. Son courage dans l’adversité et la maladie n’a d’égal que sa compas-

sion pour sa victime, signe d’une grandeur d’âme que même le roi biblique n’a pas mon-

trée en pareille occasion. David était homme charitable!: Bayard le fut plus encore lors-

qu’un jour, entendant soupirer un gentilhomme désargenté qu’on entretenait du vol d’un

trésor d’environs dix mille francs, il ordonna qu’on lui verse une pareille somme sur le

champ «!affin, dit-il, que ne trouvés auculne excuse que ne soyés homme de bien!»134.

Même la mort de Bayard est trouvée plus glorieuse que celle de David!: tout ce que

l’auteur retient de la mort du psalmiste évoquée dans Samuel, c’est que le roi en sa vieil-

lesse «!en son lict mourust!»135. Bayard, «!pour la chose publicque deffendre!»136, consa-

cra ses dernières heures à prier et à faire pénitence, à rendre grâce à Dieu avant de lui ren-

dre son esprit. La comparaison avec les preux apparaît moins comme le lieu de l’exaltation

de l’idéal chevaleresque de vertu et d’honneur que comme l’instrument rhétorique de

l’exaltation d’un individu que Champier tente de transformer en légende. Ce type de récu-

pération est à des lieues de l’esprit de la représentation populaire qui a donné le jour au

culte des neuf preux!: le rêve de chevalerie se nourrit à ses dépens en même temps qu’il en

perpétue la mémoire. Le Roman des neuf preux, par un mouvement contraire, contribuera

davantage à fixer le mythe original en juxtaposant, comme dans une galerie de portraits, le

récit détaillé des exploits de chacun!: il opère un retour aux sources en vue de retrouver

par-delà les diverses récupérations de la fable, une authentique matière héroïque.

133 Idem, pp. 229-30.


134 Idem, p. 230.
135 Idem.
136 Ibid.
TROISIEME PARTIE 295

Samuel comme un roman

À l’aube de la Renaissance, on connaît trois versions différentes de ce roman épi-

que!: une première publiée à Abbeville chez Pierre Gérard en 1486, une autre édition en

1487 (Le Livre intitulé le Triomphe des neuf preux, avec lystoire de Bertrand du Gues-

clin) et une dernière de 1507 publiée à Paris chez Michel le Noir, illustré par des planches

de Jean du Pré. Selon François Suard, il aurait encore été remanié au XVIe siècle dans un

ouvrage intitulé les Trois grands, où se rajoute Pompée137. Le courant épique auquel ap-

partient le Roman des preux est à rapprocher de la vogue des compilations qui s’exprime

dans les proses manuscrites de la fin du XVe siècle (avec le Myreur des Histors de Jean

d’Outremeuse, la Genealogie […] du trespreux et prince G. de Bouillon de Pierre De-

srey, etc.138) et qui continue de se répandre au début du siècle suivant sous la forme de

manuscrits (les Hardiesses de Pierre Sala en sont un exemple) et d’incunables. Il s’agit

d’une de ces œuvres ‘attrape-tout’ affichant des intentions historiques et juxtaposant des

sources de provenance très diverse. C’est son aspect d’anthologie qui la distingue des

autres puisqu’elle n’esquisse que les prouesses de ceux qu’elle croit déceler de meilleurs

dans l’histoire universelle!: les trois piliers de l’édification et de la protection d’Israël (Jo-

sué, David et Judas Maccabée), trois valeureux conquérants de l’histoire ancienne (Hector,

Alexandre et Jules César) et quatre héros chrétiens, les habituels Artus, Charlemagne et

Godefroy de Bouillon, auxquels l’auteur ajoute un dixième personnage, Bertrand du

Guesclin. Le récit de la vie de David se conforme en longueur à celui des autres preux et

constitue exactement un dixième de l’œuvre!; elle fait intervenir des sources aussi diverses

que la Vulgate, la Bible historiale et les Antiquités juives, qu’elle organise de manière à

offrir au lecteur une véritable hagiographie du personnage.

137 Art. cit., p. 101.


138 Idem., p. 100.
TROISIEME PARTIE 296

Même si le Roman des neuf preux est anonyme, à l’instar des chansons de geste

jusqu’à la fin du Moyen Âge, le prologue donne des indices sur l’époque d’écriture et sur

l’auteur à l’origine de la compilation. Adressé à Charles VIII alors qu’il règne sur la

France depuis un certain temps, il apparaît clairement que la rédaction de l’ouvrage à

l’époque remonte au règne de ce dernier. L’identité précise de l’auteur (dit «!le compi-

leur!») est inconnue mais quelques informations dispersées çà et là nous éclairent sur sa

condition sociale. Il s’agirait d’un homme de haute naissance, laïc, car il se présente à son

interlocutrice Dame Triomphe en des termes qui ne s’accordent pas avec le travail d’un

théologien!: «!ie suis rude, non clerc ne lettré!»139. On peut en revanche conjecturer qu’il

s’agit d’un noble et d’un preux chevalier, car il se fait dire au même endroit par sa Dame

la réputation dont il jouit auprès de ses contemporains!: «!par renommee, ma chambriere,

iay entendu que en autres grans effetz tu as servy les dames par cy devant. Et dont ta main

en demourra en louenge perpetuele!»140. Il est aussi probable qu’il a voyagé dans des

contrées lointaines, et pas nécessairement italiennes, comme le révèle encore Dame Triom-

phe lorsqu’elle réclame de lui le roman!: «!Car tu as este par si longtemps repost et absent

de nous que en une terre ou pou ou gaire ne hantons, plains de palus infins, que veoir ne te

pouions pour ceste œuvre [nous] fournir!»141. Un preux écrira donc l’histoire des Preux!:

l’expérience de l’un donnera du relief au récit des exploits et perpétuera par l’écriture

l’idéal chevaleresque encore vivant en cette fin de XVe siècle.

Le «!compileur!» explique la genèse de l’ouvrage par une petite mise en scène!: un

nuit qu’il dormait «!les yeux clos et l’entendement ouvert!», neuf grands personnages

d’époques et d’origines diverses, mais «!contendans comme il me semble tous a une

139 Le Livre des neufs preux, Paris, pour Michel le Noir, 1507, fol. AAiiv Il sera difficile pour cet ou-
vrage de donner la foliotation exacte des références citées, le texte étant tantôt folioté, tantôt doté de quel-
ques indications ponctuelles de cahiers, tantôt privé de toute numérotation. La chronologie biblique reste
le repère le plus sûr pour retrouver les extraits évoqués. Dans la mesure du possible, nous indiquerons
néanmoins la référence des passages cités.
140 Idem.
141 Ibid.
TROISIEME PARTIE 297

fin!»142 lui apparurent en songe. Les trois premiers et plus anciens étaient juifs, «!de

grande et singulière présentation!»!: le premier, Josué, était de grande stature, le second,

David, portait une couronne d’or fin sur la tête. Le troisième, Judas Maccabée, avait un

physique également imposant. Avec les six autres, trois héros païens et trois héros chré-

tiens, ils suivaient une Dame dénommée Triomphe, «!qui en son maintien et vesture sem-

bloit bien de grande reverance et autorite, portant entre ses mains une riche couronne de

laurier!»143. Voyant le compileur au repos, elle lui apparut en songe et lui exposa son di-

lemne. Le jour de sa naissance, un sort («!don fatal!») voulant que sa main ne soit jamais

accordée à un autre qu’au plus vaillant homme ayant vécu l’avait plongée dans la plus

grande perplexité. Or elle admirait chacun des preux qui marchaient à sa suite et aurait

bien voulu leur donner à tous la couronne de laurier, mais la fatalité l’en empêchait et elle

ne savait lequel d’entre eux élire. Pour cette cause, elle demanda à l’auteur endormi de

mettre par écrit «!tous les fais, proesses, vaillances au moins la fleur des fais diceulx per-

sonnages, […] sans rien adiouster ne diminuer, ou y estre parcial!», sur la foi «!des pru-

dens hystoriographes!»144. Roman des Preux est donc une commande officielle et com-

porte des mises en gardes explicites, annonciatrices des préoccupations du Tasse et des

théoriciens de l’épopée biblique visant à préserver la matière sacrée des scories de

l’invention poétique. Lorsque le narrateur ouvre les yeux, il s’installe à son écritoire et

couche sur sa feuille ce que lui dicte sa vision, laissant à Charles VIII le soin de juger du

plus grand d’entre les Preux. Le récit commence par la vie de Josué et se poursuit par la

vie du roi David.

142 Ibid.
143 Ibid.
144 Ibid.
TROISIEME PARTIE 298

L’archétype du chevalier courtois

Si l’on en croit le jugement que la Bibliothèque des romans porte sur la partie

dévolue aux héros bibliques, on peut imaginer que le devoir d’objectivité imposé au com-

pilateur par Dame Triomphe a porté fruit!: «!L’auteur, en s’écartant de la Bible et de

l’Histoire dans la première partie, n’a pas imaginé des traits assez remarquables pour mé-

riter qu’on les rapporte. Son imagination, ou les anciens Romains qu’il a copiés, l’ont

mieux servi dans la vie d’Hector.!»145 L’auteur a donc pu s’écarter (quoique légèrement)

de la Bible!; il a également pu s’écarter de l’Histoire (encore qu’il faille définir ce qu’il

entend ici par «!Histoire!» lorsqu’il s’agit de la Bible), mais, si l’on en croit la critique, les

changements seraient minimes. On aurait pourtant tort de ne voir dans les Preux que la

compilation servile de sources bibliques. Le passage de l’Écriture sainte à l’épopée ne se

fait pas sans réflexion et sans apport personnel de la part du rédacteur. Au départ, la Bible

présente des personnages aux caractères contrastés, jamais complètement bons ni com-

plètement mauvais!; ils prennent part au processus de Révélation du Dieu unique qui seul

est saint et ce, alors même que coexistent chez eux des vertus contraires. L’épopée pré-

sente pour sa part des héros conformes à la conception médiévale du chevalier, des hom-

mes qui vivent pour l’action et pour l’honneur, dépourvus «!du hiatus entre un moi et une

persona, entre conscience libre et corps aliéné!» selon la formulation de Daniel Madelé-

nat146. Ils portent à leur sommet des vertus homogènes requises par l’action!: force et cou-

rage pour dépasser l’infortune, piété et modération lorsqu’il s’agit de faire preuve de sa-

gesse. Le traitement apporté au personnage de David vise précisément à tirer son humanité

du côté du grand homme, de l’élu adonné aux œuvres de guerre et de paix, avec la déme-

sure propre aux êtres exceptionnels!: de métamorphoser un pécheur en modèle de vail-

lance et de droiture, sans égard pour les scories de sa faiblesse tout aussi légendaire que sa

force. Les exigences de l’épopée biblique ne demandent-elles pas que la figure du preux

145 Bibliothèque universelle des romans, juillet 1775, p. 142.


146 Op. cit., p. 55.
TROISIEME PARTIE 299

rejoigne celle du saint? Pour y arriver, le compilateur nourrit sa réflexion autant dans la

Bible que dans les histoires saintes, la Bible historiale et aux Antiquités Juives, face aux-

quelles il reste toujours libre. Un regard comparatif sur le traitement de quelques scènes

importantes de la vie du bethléemite tant dans le roman que chez Guyart des Moulins et

Flavius Josèphe permet de distinguer les chemins par lesquels l’Écriture croise l’univers

de la chevalerie, les lieux où les Preux s’écartent de la Bible pour donner une réponse

personnelle aux difficultés narratives que pose la figure du pécheur. Comment le roman

anonyme se situe-t-il par rapport aux histoires saintes médiévales telles que la Bible histo-

riale et les Antiquités Juives, et où ancre-t-il son originalité!? Pour répondre à cette ques-

tion, nous avons sélectionné une dizaine d’épisodes importants du roman et tenté de me-

surer l’écart qu’ils dessinent entre les sources annexes. Ils recomposent le chemin par

lequel un protagoniste biblique se métamorphose dans l’espoir de revêtir les atours du

chevalier courtois.

Les débuts glorieux

L’Écriture met en scène autour de David une multitude de personnages répartis

dans la totalité du territoire de Judée. Plus ramassé, le chapitre de l’épopée qui lui est

consacré retient de son origine orale une propension à ne pas multiplier les personnages

secondaires!; elle réduit le microcosme épique à un héros principal et à quelques compa-

gnons d’influence147. L’un des premiers soucis du Roman des Preux tient précisément à

cette volonté de centrer l’attention du lecteur sur le héros qu’il s’agit d’élever aux nues et

de soigner son apparition sur la scène épique pour mieux le révéler dans toute sa gran-

deur.

D’emblée, la scène de l’onction de David par Samuel devait poser au compilateur

une difficulté liée à la multiplicité des personnages qui pèsent dès sa jeunesse sur le destin

147 Idem., pp. 52-53.


TROISIEME PARTIE 300

du psalmiste. Israël a déjà un roi, Saül, oint par Samuel!; Dieu l’a rejeté et demande à Sa-

muel de transférer les signes d’élection sur un autre, un inconnu. La Bible montre Samuel

«!pleurant!» Saül148, et dans Flavius Josèphe «!se lamentant!» pour lui. Guyart des Mou-

lins explique ce désarroi par la prise de conscience par le prophète de la réversibilité de la

parole de Dieu, dont la liberté absolue de revenir sur ses décrets peut briser des engage-

ments généreux!: «!Samuel plouroit moult pour Saul de ce que nostre Seigneur se repen-

toit quil lavoit fait roy!»149. Pour compliquer la chose, la préférence du prophète, arrivé

chez Jessé, ne va pas vers David mais spontanément vers les sept frères aînés de la famille,

en particulier Éliab, Abinadab et Shamma. Le gardien de bêtes, que son père ne prend

même pas la peine d’appeler, est enfant du mépris.!C’est Yahvé qui freine l’élan de son

envoyé, précisant que Dieu juge d’après les cœurs et non sur les apparences. Soucieuses

de transmettre aux païens un minimum d’intelligence des Écritures, les Antiquités

s’étendront longuement sur cet aspect du discernement divin qui révèle l’originalité du

judaïsme par rapport aux religions païennes. C’est donc bien dans un contexte de tristesse

et de confusion que point mystérieusement, dans la Bible, le destin extraordinaire d’un

élu.

Le Roman des preux réserve pour sa part à David une moins sinistre entrée en

matière, digne cette fois d’un noble personnage. Ici, aucun état d’âme ne vient obscurcir la

mise en route du prophète!: Dieu «!commanda a samuel quil sen alast en la cite de Be-

thleem!», et aussitôt il se met en route!: «!et prist un pou duille en une petite phiole, a la-

quelle faire il appeleroit a soy ysay ou iesse qui est tout ung!»150. La réponse du prophète

est immédiate, exemplaire, comme celle d’Isaïe qui fait appeler ses fils. Trait original, le

regard de Samuel ne s’arrête sur aucun d’entre eux, il ne les appelle même pas par leur

nom!: les limites posées par l’épopée les relèguent au rôle de figurants. Seul David, dont il

148 Antiquités Juives (A. J.), éd. cit., livre 6, ch. 8, 157.
149 Bible historiale (B. H.), éd. cit., fol. 104v
150 Preux, fol. B 4v La Vulgate et les A. J. désignent le père de David sous le nom de Jessé!; la B. H. le
nomme Ysay. L’usage le plus courant au XVe siècle est de l’appeler Isaïe!: c’est le prénom choisi par le
Mistère du Vieil Testament et d’autres œuvres contemporaines.
TROISIEME PARTIE 301

s’agit d’agrandir le caractère, focalise l’attention du narrateur. Il attire à lui seul tous les

regards et cumule non seulement les qualités du cœur indispensables à Dieu, mais les

qualités du corps, conformément à la conception médiévale de la beauté qui rayonne de

l’intérieur pour illuminer tout l’extérieur!:

David estoit roux et beau a merveilles pitoiable et debonnaire au regard de


tous.151

Le David héroïque est un héros complet, agréable d’essence comme d’apparence.

Idéalisation de la vie de cour

Autre transformation par rapport à l’histoire sainte, le Roman des Preux se définit

moins par le souci de répandre, sans barrière linguistique, la bonne nouvelle des Écritures

que par son thème de prédilection, celui d’un parcours polysémique parsemé d’épreuves

dans lequel s’illustre un être exemplaire et exceptionnel. Les Antiquités Juives et la Bible

historiale appartiennent à la première catégorie!: aussi soucieuses d’établir une chronolo-

gie biographique que d’approfondir les sens cachés de ses exploits, le souci théologique

entame parfois la fidélité au sens littéral de l’Écriture. Le passage où David apaise en mu-

sique la mélancolie de Saül apparaît ainsi comme le signe évident du transfert de la grâce,

ce que la Bible laisse seulement sous-entendre. Le harpiste apparaît tantôt sous les traits

du thérapeute et du médecin capable de soulager le roi de ses accès chroniques de suffo-

cation152, tantôt comme le dépositaire de l’étincelle divine, car «!David avoit lesprit receu

qui faisoit prophecie!»153. Moins porté sur l’exégèse que sur le récit de faits d’armes et de

151 Fol. B. 5r
152 A. J., l. 6, ch. 8, 166-169.
153 B. H., fol. 111r L’édition de la Bible Historiale (op. cit.) que nous suivons fait succéder à la foliota-
tion des fols. 1 à 111 le système de la pagination!: les citations qui suivront seront donc désormais indi-
quées en termes de pages.
TROISIEME PARTIE 302

bravoure, le roman des Preux dissocie l’épisode musical de l’onction prophétique et le

reporte au début du chapitre sur le combat du Térébinthe pour lui faire introduire le duel

avec Goliath. La déroute des démons accomplie par le psalmiste annonce les faits d’armes

accomplis contre le géant. Le manichéisme structurel qui caractérise la scène amplifie alors

l’antagonisme!: la lutte oppose l’intemporel (Dieu agissant en David) et le temporel (le

mal incarné dans l’homme) dans un même processus de bipolarisation qui caractérise le

modèle épique médiéval154.

L’élément le plus nouveau que le roman introduit dans cette scène mythique tient

certainement à sa reformulation du rapport du vassal au seigneur, qu’elle harmonise aux

usages de la cour. Il est intéressant de remarquer qu’au moment où l’entourage royal

presse Saül de trouver remède à ses accès de fureur, l’auteur ne suit pas la Bible, ni même

les Antiquités ni la Bible historiale. L’un des buts poursuivi par l’épopée est bien de pro-

poser aux lecteurs des comportements exemplaires susceptibles d’êtres reproduits dans

les cercles de la noblesse et de la chevalerie. La transformation opérée par le compilateur

par rapport à ses sources montre que la manière dont l’entourage presse Saül d’appeler

un musicien dans la Bible ne cadrait pas avec le decorum en usage à la cour de France. La

folie d’un monarque ne se dénonce pas aussi impunément!:

B. H.!: Les servans de Saul dirent a leur seigneur. Le mauvais esprit te demaine
moult grievement!: si te louons que faces querir ung homme qui saiche bien
harper!: et quant le maulvais esprit tesmouvera!: il harpra devant toy et si le
porteras et si le souffriras plus legierement. 155

Preux!: Pourquoy aucuns de ses plus prochains luy dirent que pour oublier les
peines et travaulx quil souffroit, il seroit bon quil eust aucun iouvencel qui
iouast daucun instrument melodieux, et saultast et dansast devant luy.156

154 Madelénat, op. cit., p. 174.


155 Fol. 111r
156 Fol. B 5r
TROISIEME PARTIE 303

Il aurait en effet été indélicat à un subalterne de porter un jugement critique sur

l’indisposition mentale du roi. Aussi le compilateur reformule-t-il l’épisode pour accen-

tuer davantage les talents de David. Non seulement celui-ci est-il un musicien accompli,

aussi doué pour la pratique instrumentale que pour la danse (que la Bible ne mentionne

pas avant la procession de l’Arche à Jérusalem), mais pour sa sagesse et son discerne-

ment. L’éloge fait du berger dans l’épisode de l’onction revient encore ici, légèrement

amplifié, pour appuyer à nouveau les vertus qui amènent le psalmiste à se distinguer entre

tous!: «!moult bien estoi instruit en la harpe dicelle moult doucement touchoit les cordes, si

estoit roux a merveilles beau fort et homme batailleux ayant lesprit de Dieu avec luy!»157.

Prodige de la nature, le divin artiste cumule des qualités qu’il reviendra à la victoire contre

Goliath d’illustrer au-delà de toute espérance.

La quête chevaleresque, amour et gloire

Au chapitre du duel avec le géant, le projet de l’auteur de couler la matière biblique

dans le grand moule épique l’amène à reproduire des procédés narratifs courants dans les

romans du cycle breton - notamment la quête de la belle et de la gloire comme ressort du

parcours romanesque. Vers le XIVe siècle, le glissement des chansons de gestes vers les

cycles romanesques s’opère en effet «!par hypertrophie des motifs empruntés à la vie

privée!»158. L’amour profane envahit la carrière héroïque et tend progressivement à se

substituer au service de Dieu et du seigneur comme but ultime de la prouesse. Cette mi-

gration envahit même le roman des Preux puisque même s’il est généreux et magnanime,

le David du roman agit principalement pour mériter la main de Mérob.

On sait que le récit biblique, repris par Guyart des Moulins, raconte l’indignation

de David devant les injures du Philistin lancées à l’armée royale!: il se demande qui est le

157 Idem.
158 Madelénat, op. cit., p. 211.
TROISIEME PARTIE 304

Philistin qui ose «!lancer un defi aux troupes du Dieu vivant!»159!; or pendant ce temps, le

bruit court que le roi donnera sa fille au libérateur du peuple. Les motivations du berger à

investir le champ de bataille sont donc de deux ordres, religieuses et personnelles. Cette

juxtaposition des motifs a certainement troublé Josèphe car dès les premiers cris de Go-

liath, le David des Antiquités se propose gratuitement de vaincre l’infidèle pour le seul

honneur de Dieu. La promesse de mariage se trouve reléguée à l’arrière-plan, n’étant elle-

même évoquée qu’une fois la prouesse accomplie. Quinze siècles plus tard, dans le roman

des Preux, ce sont au contraire les motifs de l’hymen et de l’ascension sociale qui entraî-

nent initialement le fils de Jessé dans la mêlée. Les paroles indignées de David en réponse

aux injures du géant apparaissent tardivement, au milieu du duel160!; le désir de promotion

sociale mêlé à l’enthousiasme guerrier précède largement le motif théologique. Il est le

véritable déclencheur de la prouesse, comme en témoigne cette légère amplification de la

source biblique!:

David qui illec estoit de nouveau survenu entendit daucun que sil avoit homme
si preux qui osast combatre goliath le philistiim (sic) et le vainquist, le roy saul
prometoit lenrichir de moult grandes richesses, et luy donneroit sa fille en ma-
riage, et si annobliroit la maison de son pere, et affranchiroit de tout tribut. A
ces parolles survint Heliab, etc. (fol. B 5v - B 6r)

C’est ainsi que le dévouement spontané à la cause divine se recouvre du manteau

bigarré et hétéroclite des intérêts mondains. L’élément véritablement extraordinaire du

combat contre le géant tient désormais à la formidable offensive déployée par David!:

d’une pierre il assomme le colosse et le fait tomber «!face contre terre!»!; la légende des

trois pierres rapportée par Pierre Comestor et Guyart des Moulins et évoquées plus

haut161 est également évoquée pour hisser l’exploit au rang du mythe162. C’est son habi-

159 I Sam. 17, 26.


160 La Bible, pour sa part, établit une simultanéité entre la réaction indignée de David aux outrages profé-
rés par Goliath et l’annonce de la récompense promise au héros. Cf. I Sam. 17, 26-27.
161 Voir plus haut, p. 98.
162 Fol. B. 6v
TROISIEME PARTIE 305

leté sociale et martiale qui consacre désormais le héros!; la cause de Dieu lui sert

d’ornement supplémentaire, de valeur ajoutée à des qualités humaines déjà hors du com-

mun.

La recherche de la gloire et de l’honneur chevaleresque sont encore indissoluble-

ment liés dans le doublet de la seconde introduction de David à la cour. Il y a manifeste-

ment dans cet épisode biblique une redondance, quelque chose en trop ou de déplacé, et

dans un cas semblable il convient toujours de reconnaître à cette curiosité son importance

toute spéciale!: or il s’agit de l’amour, ou plus précisément des rapports amicaux de Saül

et de David et du premier succès de ce dernier auprès des plus nobles des nobles.

Dans la Bible, le récit du séjour du fils de Jessé à la cour est celui d’une dé-

chéance!: ravi des talents pacifiant d’un si bon musicien, combattant de surcroît, Saül

l’introduit auprès de sa famille en fait son écuyer par-dessus 1000 hommes d’armes.

Mais l’admiration cède à la jalousie et transforme l’ami en banni. Comment le thème de la

disgrâce parvient-il à s’accorder avec la glorification du héros propre aux récits exemplai-

res? Chez le chroniqueur juif, le récit se construisait par exemple autour de la haine. Lors-

que David va trouver Saül après sa victoire sur le Philistin, le monarque est déjà jaloux!:

c’est pour le mettre en première ligne des guerres contre les ennemis d’Israël et l’éloigner

de sa garde rapprochée, qu’il le fait capitaine sur cent hommes d’armes et feint de

l’estimer. Mais David ne meurt pas. C’est alors que profitant de la naïveté du garçon, Saül

tente de le transpercer de sa lance, mais échoue. Il ne restera plus à l’écuyer que l’espoir

de la fuite. Le roman des Preux, qui fonde pourtant à deux reprises son propos sur les

idées de Josèphe, choisit paradoxalement de donner au thème de l’amour une importance

plus grande que dans la Bible, mais d’en suivre néanmoins la chronologie. L’idéal épique

l’amène à rester plus proche des valeurs dégagées par Samuel.

En effet, à l’origine de la conception chevaleresque de la gloire gît, selon Huizinga,

l’orgueil163. L’orgueil, stylisé jusqu’à la beauté et exalté en vertu, a donné le jour à

l’honneur qui est au centre de la condition du héros épique. Sensible à leur différence,

163 Op. cit., p. 70.


TROISIEME PARTIE 306

l’auteur de la compilation joue sur ces concepts pour exalter la figure de David au détri-

ment du roi. Le retour de David à la cour construit précisément l’image du chevalier au

sommet de sa gloire, apprécié et admiré, de sorte que tout le récit illustre l’unanimité qu’il

remporte!: Saül le prend à ses côtés «!et le festoya!», se prend «!en tant grant amour quil le

fist et constitua par dessus ses escuiers!». Le compilateur insiste lui-même sur cet honneur

en lui apposant un doublet!: il en fait un «!tribun par dessus mil hommes darmes ou il se

gouverna si bien quil estoit ayme de tout le peuple disrael et de judée!».!Jonathan «!layma

comme son ame!» et bien vite, cette admiration gagne le peuple!: «!il estoit de tous amé!».

Ce sera de l’ultime acclamation des filles de Jérusalem que procédera la fin de l’idylle. De

part et d’autre de la narration nous trouvons donc deux fiertés en opposition, l’honneur

(dans la personne du vainqueur glorifié) et l’orgueil, celui de Saül qui succombe progres-

sivement à la jalousie. Le preux véritable, celui de l’épopée mais aussi, cette fois, celui de

la Bible, est d’afficher contre vents et marées des sentiments à la hauteur de la dignité à

laquelle Dieu l’appelle. Il est l’homme fier qui a droitement mérité le respect dû à son

rang, celui auquel Saül ne sert plus, au fond, que de plan repoussoir.

Le masque de l’hagiographie

Les choses auraient pu rester aussi simples si quelques chapitres plus loin, la Bi-

ble ne mentionnait pas un événement moins propice aux louanges du héros!: le refuge

auprès d’un prêtre de Nob nommé Abimélek. Devenus déserteurs, David et ses frères

d’armes et de sang ont faim. Le premier demande donc au prêtre de lui donner des pains

d’oblation sous le faux prétexte que Saül l’aurait envoyé dans ce pays éloigné pour une

affaire secrète. Abimélek, étonné, déroge alors de l’usage et lui donne le pain béni réservé

aux prêtres!: David frôle - c’était du moins le point de plusieurs théologiens de l’Ancien
TROISIEME PARTIE 307

Régime - le sacrilège164. Flavius Josèphe est le premier à ressentir un malaise face à cet

épisode, si peu digne du chevalier de Dieu!: dans ses Antiquités juives, il choisit de

s’épargner le récit d’un geste si contestable en ne précisant pas la nature de la nourriture

que le fugitif réclame au saint homme!: il réclame au prêtre «!quelque chose à manger!» et

reçoit de sa main «!ce qu’il désirait!»165. La Bible historiale, non sans embarras, fait au

contraire du sacrilège un exemplum!: dans la pure tradition de la Bible des pauvres, une

illustration de l’édition d’Antoine Vérard (ca. 1505) fait un parallèle entre David mangeant

le pain et la participation des chrétiens à la Communion166. David a réellement le sens du

sacré. Le texte donne d’ailleurs une précision (évidemment absente des Écritures) qui

avalise la hardiesse du héros!: «!Par necessite peuvent ilz en menger, car necessite na nulle

loy!»167, auquel précepte se greffe un long développement extra-canonique sur les notions

de pur et d’impur!: si les corps ne sont pas «!nets!», ils seront sans aucun doute sanctifiés

par les pains. L’épisode suscite indéniablement un grand trouble dont ne pourra

s’accommoder l’auteur d’une épopée.

La solution adoptée par le compilateur se trouve à mi-chemin entre celle des deux

historiographes qui l’inspirent. Fidèle à son dessein d’écrire une véritable hagiographie

du roi David, il use d’une formulation raccourcie mais peu crédible qui laisse croire que

David touche de bon droit au pain d’oblation. À elle seule, l’abstinence permet au laïc de

goûter aux privilèges réservés aux clercs!:

Le prestre luy dist quil navoit aucun pain qui fut propice aux lais, mais tant
seulement avoit ung pain saint, pourquoy se tes enfans son netz especiallement
de femmes, il peuvent bien en menger. Lors print David le saint pain168.

164 Des recherches modernes ont fait valoir qu’au temps de David, une dérogation à la loi qui réservait aux
prêtres le pain d’oblation était possible, mais il fallait pour cela être rituellement pur. Cf. Bible de Jérusa-
lem, op. cit., p. 416, note d.
165 A. J. livre 6, ch. 12, 243-44.
166 Fol. 113r
167 Idem.
168 Fol. Cv
TROISIEME PARTIE 308

La vaillance chevaleresque, saturée de conceptions religieuses, résiste à transiger sur

le respect des lois divines. Pourtant, ce même idéal de dévouement et de fidélité à Dieu

s’accommode mal d’une mise en forme littéraire de la «!vérité!» biblique… Le glissement

de la matière scripturaire vers le modèle épique implique, pour des raisons d’idéal éthique

qui dominent tout, des contradictions aussi grandes que de faire entorse aux Écritures. Le

David de l’épopée nourrit des rêves et se fait l’écho des aspirations, et c’est pourquoi il

s’écarte de son archétype biblique.

Mais d’autres occasions mettent également en cause, dans la Bible, la moralité

irréprochable de David, freinant ainsi la métamorphose du héros biblique en modèle idéal

du chevalier épique. L’épisode d’Abigaïl, célèbre pour la bienveillance avec laquelle le

guerrier se range aux arguments d’une femme et accepte d’épargner un mari insensé, joint

à l’éloge du bethléemite une réserve de taille!: la suppliante reproche à David «!d’avoir

versé du sang à la lègère!»169, d’avoir attenté à des vies innocentes en menant les guerres

de Yahvé!; or, l’esprit chevaleresque inscrit les faits d’armes dans le contexte d’une dé-

fense héroïque de valeurs justes et chrétiennes et glorifie dans la personne du soldat celui

qui donne sa vie pour une cause juste!: «!ne possédant que sa vie seule, et prêt à tout mo-

ment à la risquer, si la cause l’exige, il est le représentant de l’intégrale liberté orienté vers

des directions idéales!»170. Mais David manque à l’éthique due à son rang…

Il ne faut pas s’étonner que le dessein apologétique des Antiquités juives amène

l’historiographe à ne retenir dans la supplique d’Abigaïl que les éléments flatteurs!; Dieu

a retenu le guerrier de verser inutilement le sang de Nabal et ses propres misères retombe-

ront sur sa tête. À David d’avoir pitié de sa servante et de laisser Dieu faire lui-même jus-

tice. La Bible historiale, dont l’objectif didactique et moral permet une plus grande sou-

plesse dans l’élaboration du personnage, profite au contraire de la remontrance de

l’épouse pour donner une leçon de conduite à David. Elle prend la défense de son mari et

169 I Sam. 25, 31.


170 William James, The varieties of religious experience, Gifford lectures, 1901-02, Londres, Longmans,
Green and co., 1929, p. 318.
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rappelle au soldat ses devoirs171. La sagesse féminine l’emporte sur la colère du cheva-

lier!: David capitule!; il épousera la veuve. Évidemment, la liberté prise par Guyart des

Moulins ne pouvait convenir à une épopée biblique dans laquelle le bien de tous doit pro-

venir du seul héros. On s’y attendait!: l’élaboration du personnage mythique, parfait, du

saint chevalier, amène le compilateur à transformer la requête d’Abigaïl en éloge de David.

L’évocation de Nabal, dont l’étymologie onomastique évoque l’«!insensé!», per-

met au Roman d’opposer symétriquement le camp du bien et le camp du mal, conformé-

ment à la bipartition morale du schème épique. Le modèle épique médiéval formule

l’antagonisme des forces non plus en termes d’examen de conscience dans l’être, dans

l’intériorité lucide de David, mais entre deux êtres, avec Yahvé d’un côté et Satan de

l’autre. C’est ainsi qu’Abigaïl fait succéder sans transition l’éloge du vertueux et

l’invective!cinglante contre le fou!: «!Ne veuilles il te prie, monseigneur et mon roy, mettre

ton noble cueur sur ce mauvais homme nabal, car il est fol et ingrat.!»172 La bénédiction

d’Abigaïl s’étend entièrement à la personne d’un héros sans faille, dont la manière de

combattre pour Dieu dégage dans l’idéal chevaleresque un certain nombre d’éléments

éthiques!: compassion, piété, justice. Cela étant, alors même que la démonstration de clé-

mence virile élève le modèle héroïque du fils de Jessé à la conception d’une vie droite et

sensible aux plus démunis, ce même faible pour la vulnérabilité féminine l’amènera à sa

perte, jusqu’à la négation des vertus dont il est le dépositaire. La rencontre avec Bethsabée

ne permettra plus au compilateur d’innocenter de tout vice un personnage voulu exem-

plaire!: il lui faudra s’attaquer au problème du péché et de la rédemption.

Le chemin du relèvement

171 «!Nostre seigneur te fera roy sur israel si ne dois pas espandre sang que rien ne meffait. Mon mary ne
ta nul mal fait, fors quil a follement parle et ne te veult donner le sien [= ce qui lui appartient]. Si te
requiers sire mercy que tu ne luy faces nul mal, et ton ame sera en la compaignie des sainctz.!» B. H.,
fol. 114v
TROISIEME PARTIE 310

La difficulté que représente l’enchaînement des crimes dans l’épisode de David et

Bethsabée n’a d’égal que la force désespérée avec laquelle les exégètes et historiographes

médiévaux ont tenté d’y voir une source d’espérance!: le saint n’est pas l’homme de la

perfection, il est l’homme de la contrition et l’icône du relèvement. Il faut néanmoins

croire que le chemin menant de la honte à la sérénité n’est pas apparu d’emblée à un bon

nombre de chroniqueurs qui ont cherché, par des routes obliques, à diluer l’épisode dans

une foule de détails secondaires. L’exemple typique est celui de la Bible historiale, où un

certain nombre de digressions extra-canoniques détourne, dans les gloses, l’attention du

lecteur des agissements de David. Un premier développement est consacré aux «!fleurs!»

de Bethsabée, l’épanchement du sang qu’on associait alors à la nourriture de l’enfant à

naître. Une première légende, dont nous ignorons la source, raconte que la conception du

fils bâtard de David fut un miracle de Dieu destiné à mettre David devant sa culpabilité!: la

femme conçut à l’époque la moins favorable pour elle d’enfanter, mais au contact du roi,

les lois de la nature cédèrent à un décret surnaturel173. Une seconde légende, dirigée cette

fois vers la personne de Nathan, met en question l’impuissance de Nathan à freiner David

pendant qu’il en était encore temps. Saint Épiphaine aurait suggéré qu’averti par le Saint-

Esprit, le prophète se serait mis en route vers le palais, mais le diable l’empêcha de chemi-

ner!: un homme mort gisant nu sur la terre battue lui bloqua la route et le força à rebrous-

ser chemin. La signification de cette funeste rencontre est assez simple à dégager!: le mo-

narque avait déjà commis le péché mortel et un triste sort planait sur les jours de l’enfant à

naître, il devait mourir en bas âge174. C’est ainsi que la curiosité de la fable détourne

l’attention du lecteur sur la succession factuelle des gestes répréhensibles!: le merveilleux

chrétien distrait le lecteur des facéties royales. Il reste que la faute sera bien pardonnée!;

David fera pénitence et engendrera Salomon.

Les Antiquités juives sont certainement l’ouvrage le plus habile à dédouaner David

de l’horreur de son crime par un souci de montrer comment la chute ne fut qu’une fai-

172 Fol. 103v


173 Fol. 119v
TROISIEME PARTIE 311

blesse passagère dans le cœur d’un saint homme!: «!David tomba alors dans un très grave

péché combien même il était d’une nature fondamentalement droite, un homme religieux

qui observait fermement les lois écrites par nos Pères.!»175 La suite des événements

s’attache à le montrer. David s’éprend un jour d’une femme exemplaire et d’une terrible

beauté. Alors qu’elle se lavait «!chez elle dans sa maison!», chastement à l’abri des re-

gards indiscrets, le roi l’aperçoit et tombe «!victime!» de l’amour. Bethsabée, elle, devient

enceinte. Le monarque s’en émeut!: coupable d’adultère, elle risque la mort et celle de son

enfant par lapidation, la punition traditionnellement appliquée en Judée dans un pareil cas.

C’est donc pour lui éviter le supplice qu’il poussa Urie à retrouver promptement sa

femme. Le plan échoua!: il ne resta plus comme solution à David de le conduire à une

mort glorieuse!; aussi le désigne-t-il pour combattre aux premiers rangs dans un assaut

dirigé contre les Ammonites, lui procurant ainsi une mort digne d’un authentique héros.

Réprimandé par Nathan, le pécheur fait pénitence et part peu après pour Rabbah, où son

armée meurt de faim. Là, il relève ses troupes et lance l’assaut contre la capitale, qu’il as-

siège brillamment. Yahvé qui le protège ne l’a donc pas abandonné!: du roi déchu, le be-

thléemite saisit la couronne ornée d’une pierre précieuse appelée Sardonyx, et retrouve

intact son honneur perdu.

Les choix qui s’offrent au rédacteur anonyme du roman incluent donc au moins

deux possibilités!: celle d’invoquer un tissu de légendes pour détourner l’attention du

lecteur, celle aussi d’invoquer un contexte légal cruel à ses victimes. Aucune des deux ne

le satisfera pleinement, la première s’opposant trop ostensiblement à son serment de fidé-

lité à la Bible, la seconde ne permettant pas à des chrétiens de la noblesse de s’identifier

avec le contexte social et culturel juif. C’est donc une solution moyenne qu’il adoptera.

Le passage consacré à l’adultère conserve de la Bible sa formulation succincte,

qu’il tend néanmoins à polir pour des raisons morales. Le récit de la passion irrépressible

du roi pour la dame dégage une conception chevaleresque de la beauté qui place l’amour

174 Idem.
175 A. J., livre 7, ch. 7, 130.
TROISIEME PARTIE 312

au centre des préoccupations. Les termes du récit rappellent d’abord ceux qui reviennent

dans les histoires d’amour courtois, où la beauté de la femme conduit le chevalier à braver

tous les obstacles. C’est ainsi que David aperçoit à sa fenêtre «!une belle et iosne damoi-

selle lavant ses piedz!», épouse d’un «!fort et beau chevallier en lost avec ioab!». Il

l’appelle et la dame, soumise au roi comme il sied, «!ne losa refuter!». Elle conçoit. La

suite des événements reprend la narration succincte de l’Écriture!: il convoque Urie et lui

dit, en écho avec ce qui précède!: «!Va en ta maison, lave tes piez et si te repose!».

L’indocilité d’Urie ne lui laisse bientôt plus le choix, il l’envoie au front et y trouve la

mort, et « de ces nouvelles david fut moult ioyeulx!». Réprimandé par Urie, il fera péni-

tence jusqu’à la mort de l’enfant, conformément au livre de Samuel.

Là où l’auteur s’écarte plus franchement des Écritures tient à la suite et fin qu’il

propose au récit. La naissance d’un second fils devient, pour le roi, le lieu d’un retour

définitif vers Dieu!: il scelle sa conversion dans sa manière d’élever Salomon, «!lequel

tantost apres quil fut hors de son enfance il envoya au prophete nathan, affin de lintroduire

et enseigner de nostre seigneur en bonnes meurs!»176. Le dommage moral trouve donc sa

réparation auprès de Dieu et du grand-prêtre. Mais le récit ne s’arrête pas là et dénote une

forte influence de Flavius Josèphe!: ce n’est pas la naissance de Salomon mais bien la

prise de Rabbah qui sert de dénouement au récit de la faute. Pour que la victoire contre les

Ammonites lui soit attribuée et restaurer son honneur de chevalier, David tue le roi ennemi

et s’empare de sa couronne, ornée (conformément aux légendes) de plusieurs pierreries.

Plutôt que d’asservir la population vaincue (II Sam. 12-31), il porte le ravage en son sein

et scelle ainsi sur elle sa victoire. Son entrée victorieuse à Jérusalem rappelle ici la proces-

sion de l’arche à Jérusalem, le premier geste religieux et politique que posa David après

son sacre comme roi d’Israël!:

176 Fol. D. 6v
TROISIEME PARTIE 313

Il mist sa couronne sur sa tête qui pesoit ung talent dor, et moult pierres pre-
cieuses y avoit. Puis fist occire de diverses mors les habitans, et apres sen re-
tourna charge de moult grandes et riches proies en sa cite de iherusalem.177

Le retour à la vertu morale s’accompagne ainsi d’un retour à l’honneur royal.

L’itinéraire typique de la pénitence chrétienne qui fait succéder la chute, la pénitence, le

pardon et le retour à la grâce dédouane désormais le roi de son errance. Si David a péché,

Dieu lui a donc deux fois pardonné, personnellement et politiquement!: sa faute est effa-

cée. Le héros du Roman des Preux retrouve dès lors son privilège de servir de modèles

aux grands de ce monde!: rien ne rompt son alliance avec Dieu qui assure la pérennité de

sa gloire par delà les soubresauts de l’histoire.

Du héros au mythe

Ce culte du héros suit David jusqu’à sa mort, puisant au besoin dans les fables et

les ouvrages qui nourissent l’imaginaire chrétien. David reste un personnage d’exception,

un héros dont l’histoire appartient au répertoire «!classique!» du panthéon sacré dès les

débuts de l’épopée religieuse. Signe de cette vie d’éclat que le compilateur ne se résout

pas à voir s’éteindre, le roman se clôt sur un mystère qui ouvre vers l’avenir, celui des

trésors fabuleux de David dont cinq restent encore à trouver. Pour le chevalier désireux de

retrouver les traces du prophète, une aventure se dessine et conduit ses pas vers la ville

sainte de Jérusalem!:

Salomon le fit ensepvelir avecques ses peres en la cite de David, environ le se-
pulchre duquel il mist huit petis tresors, desquelz les deux apres mil et trois cens
ans furent trouves par ircanus levesque, et le tiers par herode, les autres demeu-
rerent ancores a trouver, car on dit quilz furent muces [sic!: cachés] par art ma-
gicque.178

177 Fol. D 7r
178 Fol. E 7r
TROISIEME PARTIE 314

Adaptée de Flavius Josèphe179, la légende des trésors cachés de David projette le

passé biblique sur la scène contemporaine!: comme la quête du Graal, la quête des vestiges

de l’ancien roi invitent encore les hommes aux rêves de conquêtes. Si la carrière mouve-

mentée du héros touche à sa fin, sa légende, elle, ne meurt pas, elle se perpétue autant dans

les actions qu’elle appelle à voir se produire que dans les compilations héroïques qui le

propulsent dans le cercle des chevaliers légendaires. L’épopée nourrit la représentation du

combattant mythique à laquelle elle s’abreuve!; elle invite au voyage et à la conquête, par

un long processus d’intériorisation. Les conceptions médiévales de l’epos survivent donc

encore dans le traitement fait à David dans le Roman des Preux!: à un héros exemplaire

succéderont d’autres chevaliers assoiffés de sacré et de magie qui continueront, suivant le

modèle d’Arthur et des chevaliers de la table ronde, la recherche effrénée des vestiges de

l’antiquité biblique.

L’influence de la tradition des Preux sur la poésie épique de la Renaissance fran-

çaise est mesurable à l’aune des choix établis par les poètes de s’inspirer autant de la Bi-

ble que du cycle arthurien et de l’histoire antique. Le grand Du Bellay garde ostensible-

ment la nostalgie de cette frise légendaire de héros de l’humanité!: alors même qu’il

espère voir «!renaître au monde une admirable Iliade et laborieuse Énéide!»180, il suggère

qu’on s’inspire de «!quelqu’un de ces beaux vieux romans français comme un Lancelot,

un Tristan, ou autre!»181, ces héros de la quête du Graal qui donnèrent le jour aux trois

preux médiévaux!; pour lui-même cependant, il s’inspire des Écritures dans sa Monoma-

chie de David et Goliath. La Bible reste pour plusieurs une Histoire Sainte qui offre un

complément ou une alternative aux cycles romanesques.

179 A. J., livre 7, ch. 15, 392-94.


180 Deffense et illustration de la langue françoise, II, 5, in [Olivier Millet et Francis Goyet], Joachim du
Bellay, Œuvres Complètes, Paris, Champion, 2003, vol. 1, pp. 56-59.
181 Parallèlement, Peletier recommande que l’on recherche dans « nos romans!», «!les aventures des
chevaliers, les amours, les voyages, les enchantements et semblables choses!». L’Art poétique (1555),
op. cit., p. 201.
TROISIEME PARTIE 315

Vers le milieu du siècle, après François Ier, l’épopée chrétienne se désintéressera

néanmoins pour un temps des preux de la Croisade, les troubles civils mobilisant davan-

tage les esprits autour du rêve de résurgence d’un David-combattant français. Au chevalier

courtois succédera, sur la scène idéologique et politique, le modèle du combattant armé de

convictions théologiques!; il ne dissimulera plus la réalité d’une société empreinte de

conflits confessionnels et de violence. Mais auparavant, l’influence de Pétrarque et

l’admiration des humanistes pour l’antiquité classique donneront un souffle nouveau au

personnage biblique, qui s’illustrera dans un monde idéal pétri de références gréco-

romaines. Chez ces poètes, avec au premier chef Marc Marulle de Split, David quitte la

compagnie du petit cercle des Preux et rejoint sans regret les champions de l’Olympe.
TROISIEME PARTIE 316

Chapitre IV

David, Énée chrétien dans la Davidiade de Marc Marulle

Le passage de l’épopée biblique médiévale à un modèle épique plus proche de la sensibi-

lité esthétique de la Renaissance n’atteint la France qu’assez tardivement, vers le milieu du

XVIe siècle. Au moment où ils formulent le vœu de doter la littérature française de poèmes

chrétiens dignes des précurseurs de l’épopée, un certain nombre de poètes des nations

voisines s’appliquent déjà à raconter la Bible à la manière d’Homère et de Virgile. C’est

ainsi qu’une douzaine d’années seulement après la dernière publication du Roman des

preux, dans la petite ville croate de Split, l’une des plus grandes figures de l’humanisme

européen avec Érasme et Thomas More, Marc Marulle (1450-1524), compose en latin et

en hexamètres dactyliques la première véritable épopée biblique moderne consacrée à

l’histoire de David. La Davidias (ca. 1517), «!chef-d'œuvre de sa poésie latine!» selon le

jugement des spécialistes182, crée un précédent que ses imitateurs et ses émules (il faut le

reconnaître) auront du mal à égaler. Elle se situe à un moment de l’histoire où la fascina-

tion pour l’Antiquité est source de création et d’ouverture d’esprit chez les humanistes!;

ce double recours aux modèles anciens et à l’invention poétique ouvre une brèche dans

l’évolution du genre épique et réussit de manière remarquable à préserver le passé -

!novateur et conservateur à la fois!- tout en créant l’avenir.

182 Mirko Tomasovic, Marko Marulic - Marcus Marulus, Split, Knjizevni Krug, et Paris, Almae Matris
Croaticae alumni, 1996, p. 29.
TROISIEME PARTIE 317

La découverte de l’Italie

La nouveauté que représente la Davidiade n’est pas étrangère au parcours intel-

lectuel de l’auteur, dont les contacts fréquents avec l’Italie ont certainement sensibilisé le

poète avec une esthétique nouvelle, autant sensible à l’héritage religieux qu’à la beauté

profane de la mythologie aux auteurs classiques. Lorsque naît Marulle en 1450 à Split, la

ville est depuis trente ans sous le pouvoir de la République Sérénissime de Venise. Il fré-

quente d’abord l’école humaniste du maître italien Tideo Acciarcini, où il s’initie assez

bien au latin pour composer des poésies de jeunesse!; il découvre en même temps ce mou-

vement spirituel venu du Nord qu’était la devotio moderna, courant de renouveau religieux

par un retour aux sources de l’Écriture et aux Pères de l’Église. Il se rend ensuite à Pa-

doue, alors en pleine mutation idéologique (la scolastique y a fait son temps), où il étudie

probablement le droit, ce qui lui permettra plus tard d’occuper diverses fonctions impor-

tantes dans l’administration municipale de Split. C’est alors que s’accomplit un grand

brassage d’idées dont ses poèmes gardent la trace. Il se familiarise avec les nouveaux cou-

rants de la littérature italienne (Dante, Pétrarque, Boccace, Bembo) et enrichit sa bibliothè-

que de livres de Lorenzo Valla, de Poggio da Bracciolini, également des premières œuvres

d’Érasme, pour lequel il s’enthousiasme. À leur exemple, il développe une écriture origi-

nale sous le double signe du présent et de la mémoire, de la rétrospective et de la durée, qui

lui permet de nourrir son intérêt pour la poésie chrétienne du Moyen Âge et de jeter un

regard neuf sur les sources du catholicisme. Cette situation historique et intellectuelle ex-

plique et détermine pour une grande part la genèse de son œuvre, aussi bien attachée aux

matières religieuses (son De Institutione bene vivendi per exempla sanctorum, publié à

Venise en 1507183, sera abondamment rééditée à travers l’Europe184) qu’aux sujets poéti-

ques, comme l’illustre son Dialogus de laudibus Herculis (1524).

183 La date imprimée sur le manuscrit porte le 10 février 1506, ce qui correspond, selon notre calendrier, à
la même date en 1507.
184 Cf. Mirko Tomasovic, op. cit., p. 16.
TROISIEME PARTIE 318

Lorsqu’il retourne à sa Dalmatie natale, Marulle trouve une province toujours en-

cerclée par les Turcs et profondément affectée par les conquêtes et les dévastations de leur

armée, en marche vers l’Occident. C’est en rapport avec cette menace qu’il écrit dans sa

langue maternelle son premier poème biblico-virgilien, la Judith (1501), qui lui vaut le titre

de «!père de la littérature croate!». Parallèlement, il traduit en croate saint Bernard, saint

Bonaventure, de même que ce monument de la Devotio moderna que fut l’Imitation de

Jésus Christ de Thomas a Kempis (1499). Outre ce goût marqué pour la spiritualité, son

talent d’humaniste l’amène à faire œuvre variée!: à l’épopée de Judith il ajoute la Davi-

diade, mais aussi des élégies, des hymnes, des lettres, de nombreux écrits en prose à ca-

ractère moral, théologique et apologétique. Homme de finesse et d’esprit, on aurait même

trouvé dans le répertoire de ses écrits des recueils d’énigmes. Au début du XVIIe siècle,

ses œuvres sont imprimées un peu partout en Europe, à Venise, à Bâle, Cologne, Rome et

Anvers, Paris, donnant à son œuvre une envergure qui dépasse les frontières185.

La structure de l’ouvrage

Marulle entreprend d’écrire la Davidiade à une période de pleine maturité (entre

1510 et 1516), un temps où les livres de l’Ancien Testament l’interpellent personnelle-

ment!: il s’était intéressé à Judith mais aussi, dans la foulée, à Suzanne, sur laquelle il

compose un poème de sept cent quatre-vingts vers186. Il!manquait Bethsabée à ces héroï-

nes d’Israël!: elle apparaîtra dans la Davidiade comme personnage secondaire. Marulle

consacre à son grand’œuvre quelque dix années de sa vie, pendant lesquelles il élabore

une conception nouvelle de l’épopée dominée par un retour admiratif aux modèles classi-

ques. Le dalmate formule l’idéal épique en des termes nouveaux qui ne cesseront de reve-

nir plus tard dans le siècle!: il cherche à illustrer le genre à la manière d’une Énéide chré-

185 Cf. Charles Béné, Études maruliennes. Le rayonnement européen de l’œuvre de Marc Marulle de Split,
éditions Erasmus et du Cercle littéraire de Split Marulianum, Zagreb-Split, 1998.
186 Cf. Mirko Tomasovic, op. cit., p. 38.
TROISIEME PARTIE 319

tienne où la matière biblique s’élèverait à la dignité intemporelle des chefs-d’œuvre anti-

ques. On reconnaît là le même élan qui engendrera, en France, les projets d’Israéliade et

de Davidéide!; mais la Davidiade est le seul grand poème épique qui en accomplira le

programme.

L’ouvrage s’ouvre sur une dédicace au Cardinal Domenico Grimani, puis aborde,

en quatorze chants et 6 756 hexamètres dactyliques, la vie tumultueuse du second roi des

Juifs!: l’envie, le désarroi et les actes de vengeance de Saül et la fuite du bethléemite à tra-

vers la Judée (chants I à IV)!; la mort tragique de Saül et la chute de sa lignée (chants V-

VI)!; les guerres de David, contre les nations voisines mais aussi contre ses propres fils

rebelles (chants VII, X-XII, XIV)!; les démêlés avec Bethsabée et son mari Urie (chant

IX)!; sa mort enfin qui permet à Salomon de monter sur le trône (chant XIV). Le poème

présente enfin, relégué en annexe et postérieur à la rédaction de l’ouvrage, un supplément

en prose (Tropologica Davidiadis expositio) où le poète dégage de chaque personnage

une dimension allégorique et tropologique conforme à la lecture qu’en faisait saint Au-

gustin!: David y est décrit comme la figure du Christ et Goliath, des forces diaboliques!;

Saül signifie les juifs qui ont persécuté le Christ. S’agit-il là d’une manière de justifier

rétroactivement l’orthodoxie d’un poème dont les digressions poétiques ont pu être jugées

trop importantes par rapport à la sobriété biblique!? Bon nombre de spécialistes sont de

cet avis187. L’usage de l’allégorie, depuis Augustin, depuis Prudence, faisait autorité, elle

dominait la poésie chrétienne où elle tendait à jouer le rôle qui était dévolu aux mythes

chez les platoniciens!: faire voir que la réalité n’est qu’apparence, mais une apparence qui,

chez les théologiens, sert de signe pour remonter du sensible à l’intelligible, voire même

jusqu’au mystère des êtres et de Dieu. L’Expositio étant de rédaction tardive par rapport

au corps de l’épopée, il constitue un élément à part et n’appartient pas directement à la

structure épique du chef-d'œuvre de Marulle!; aussi ne nous y attarderons-nous pas da-

vantage.
TROISIEME PARTIE 320

Bien qu’elle n’ait jamais trouvé d’éditeur pour la publier et malgré les susceptibili-

tés qu’elle n’a pas su éviter de choquer, il reste que la Davidiade remporte un succès en-

viable et immédiat auprès de la majorité des humanistes, comme en témoigne l’éloge que

lui a réservé le poète Franciscus Natalis!:

L’Énéide sera éternellement célébrée sur la terre toute entière,


Et ton nom, ô Virgile, sera exalté jusqu’aux étoiles.
La sombre Thébaïs vivra à jamais dans le royaume épique!:
Avec elle, Statius s’est mérité l’estime éternelle.
Mais la généreuse Davidiade ne brillera pas moins entre celles-ci!:
Ainsi, sinon le premier, Marc, tu seras sûrement le second. 188

La dédicace à Grimani

Lorsqu’il écrit sa Davidiade, Marulle est déjà un poète reconnu et estimé, et son

renom est établi dans le cercle des humanistes de Split. Il connaît les goûts de ses contem-

porains en matière de poésie et de culture, les devance même, cherchant à rendre possible

une nouvelle vision de l’antiquité biblique. Mais comment percevait-il son travail

d’écriture, le face-à-face avec la Bible qui devait l’amener à porter la plume sur une ma-

tière sacrée afin de lui donner des allures épiques? Des travaux précis sont encore à écrire

sur cette question que nous ne pouvons épuiser!; il reste que des indices de réponse dis-

187 Nous renvoyons à la mise au point apportée à ce sujet par Mirko Tomasovic, «!Dimensions ans
Literary Aspects of Marko Marulic’s Davidias!», The Most / Bridge Magazine, A Journal of Croatian
Literature, vol, 1-4, 1999, pp. 115-17.
188 Aeneis in toto memorabitur orbe perennis
Tolleturque tuum nomen ad astra, Maro.
Tetrica Maeonio vivet dictamine semper
Thebais!: aeternum Statius inde viget.
Nec minus has inter Davidias alma nitebit!:
Quod, si non primus, Marce, secundus erit.
Francisci Natalis Carminum, cod. Spalatensis saec. XVI, fol. 93r, in M. Maruli Davidiadis libri
XIV, op. cit., p.XIII.
TROISIEME PARTIE 321

séminées dans le poème permettent d’élaborer des pistes de recherche, notamment dans la

dédicace du poète au cardinal Grimani, patriarche d’Aquilée. Cette dédicace, très brève,

formule en quelques phrases le but que s’est fixé le dalmate au moment d’entreprendre

son grand poème épique!: dire le vrai, l’embellir poétiquement, et plaire (le terme revient

trois fois)189. C’est dans ce sens qu’il explique son projet de donner une forme lyrique à

un sujet de l’Écriture!:

J’ai mis en vers les faits et gestes du roi David, respectant le récit qui en est fait
dans les Saintes Écritures, dont je ne doute pas de la vérité. J’ai entrepris d’en
embellir l’histoire au moyen du mètre poétique et de la douceur des Muses,
dans l’espoir de vous offrir un présent aussi digne de votre Éminence et aussi
plaisant à votre Sainteté qu’il m’est possible de faire.190

Unir la Bible et les Muses pour plaire!: telle est l’ambition première du poète de

Split, celle à laquelle la Davidiade apportera une réponse. D’un côté, la poésie religieuse

apparaît pour lui comme un point d’ancrage et une expérience de plénitude, une manière

de jeter un pont entre littérature et Écritures pour mieux s’approcher de la lumineuse

«!vérité!». Par elle, le lecteur élève ses pensées vers Dieu, vers l’idéal, vers l’Absolu. Elle

constitue une approche, une médiation du sacré. D’un autre côté, elle est aussi offrande et

travail d’invention, source de plaisir pour celui qui la lit. Magnifiée par le langage, elle

reste, selon l’idéal classique développé par Aristote et Cicéron, accord du fond et de la

forme!: l’art, tel que le conçoit Marulle, n’est pas seulement de nommer la vérité, mais de

la voiler avec la convenance que lui inspirent les Muses pour la rendre vraiment belle. Le

sacré ne se livre pas brut, il se pare des ornements du style écrit et d’une tradition poétique

pour apparaître au lecteur. D’où, peut-être, une ombre qui semble avoir plané sur le destin

189 Un concours de circonstance ne nous ayant pas permi de consulter une édition complète de la Davi-
diade, nous citons l’épopée dans le recueil d’extraits publiés en anglais sous la traduction de Sanja Matesic
dans The Most / Bridge, op. cit., pp. 32-45. La dédicace apparaît sous «!To the most Reverend Cardinal,
Bishop of Porto and Patriarch of Aquilea, Domenico Grimani, Marco Marulic sends greetings in the
Lord!», p. 32.
190 Idem.
TROISIEME PARTIE 322

de son épopée, que le refus d’imprimatur aujourd’hui soupçonné191 a peut-être bien sé-

vèrement exprimé!: la tentation de privilégier dans la poésie biblique le voile au détriment

du vrai, de s’attacher au reflet et à l’ombre, distrayant peut-être trop le lecteur par une vé-

rité scripturaire trop bien parée.

La tentation de l’antique

Quoi qu’il en soit, l’importance du voile poétique allait amener Marulle à réfléchir

sur la tradition des poètes antiques, donc païens, par rapport à laquelle il cherche une posi-

tion conciliante. Dans la première moitié du XVIe siècle, Guy Demerson l’a montré, la

question des muses inspiratrices divise déjà les plumes humanistes. S’il est un mythe

essentiel pour les adeptes de la fable antique, c’est sans doute celui des fureurs inspiratri-

ces!: car «!c’est en ranimant les divinités de la poésie que les poètes érudits garantissaient

la profondeur et la permanence de leur souffle!»192. Pour Marulle, comme Du Bellay en

France quelques années plus tard, le regard critique porté sur les fables mythologiques

consiste moins dans le constat d’une certaine obscurité ou insincérité des allusions rhéto-

riques, qu’à un refus des substituts païens de la grâce et de l’Esprit à laquelle ils rattachent

leur enthousiasme. Comme plusieurs de ses contemporains, l’humaniste reprend à son

compte l’objection faite à Ausone par Paulin de Nôle!: «!Negant Camœnis, nec patent

Apollini / Dictata Christo pectora!»193. Auteur d’une œuvre biblique et chrétienne, Ma-

rulle place son inspiration en marge des fureurs antiques, comme pour confirmer

l’enracinement sans partage de la Davidiade dans l’univers de l’Ancien Testament!:

Je n’ai pas chanté avec l’aide savante d’Apollon,


Ni fut-ce l’Hélicon qui inspira mon chant,
Ni même le célèbre chœur des sœurs au nombre de neuf.

191 Cf. Mirko Tomasovic, art. cit., pp. 115-17.


192 Op. cit., p. 253.
193 Paulin de Nôle, Carmina, «!Carmen 10!», v. 17, in CLCLT 5, op. cit., cl. 0203, pp. 24-25.
TROISIEME PARTIE 323

C’était le Saint-Esprit
Descendu des hauts sommets éthérés
Qui d’une lumière divine a illuminé
Mon esprit et me donna à chanter, non
D’étrangères fictions poétiques, ou les formes variées
Dans lesquelles les hommes et les dieux furent jadis transformées,
Mais d’après ce que consignent les livres anciens,
Les Écritures de notre foi, et tout ce qu’elles renferment,
J’ai tenté d’imaginer des vers adaptés
Au chant. Et je serai toujours reconnaissant
De cette grâce à l’Esprit.194

Pourtant, à l’époque où il écrit, il n’est pas sérieusement question pour Marulle de

mettre au placard les fables et les mythes dont se délectent ses contemporains. La réserve

qu’il exprime à l’égard des Anciens ne signifie en rien la rupture car l’ensemble de son

poème est une tentative de parer le roi hébreu de toutes les grâces des vieux héros épiques.

La matière primordiale, sacrée, se fait le centre d’une vaste fresque où l’élément antique

nourrit le vocabulaire épique et donne un ton érudit au poème. C’est ainsi que l’invocation

initiale du premier chant joue sur le rapport ambigu au monde des mythes à la fois pour

distinguer l’épopée chrétienne de l’épopée gréco-romaine et pour réaliser leur rapproche-

ment. La peinture du «!pieux!» David présage l’irruption d’un nouvel Énée, les guerres

civiles romaines annoncent le récit du sang versé dans les guerres d’Israël, sans compter le

lieu commun de l’imploration du poète au Dieu inspirateur qui rappelle, bien sûr, un pro-

cédé de l’Énéide!:

Je raconterai maintenant les œuvres glorieuses de David,


le roi pieux. […]
Je ne chante pas la chute de Troie, ni de Thèbes,
Ni les champs de Thessalie, tachées de rouge
Par du sang romain dans les conflits civils, mais des œuvres
Dévotes et consacrées aux saints mystères.
Dieu fort, unique Créateur, viens en aide à mon chant!!195

194 Livre XIV, v. 412-25. Traduit d’après l’anglais de Most!/Bridge, op.cit., p. 45.
195 Livre I, v. 1-11. Idem, p. 33.
TROISIEME PARTIE 324

La modernité de Marulle se manifeste particulièrement sur ce point. Comme Boc-

cace, comme Pétrarque, il tend à combiner deux merveilleux. Par la richesse des images et

du réseau lexical, il demande à la mythologie païenne de symboliser la vérité chrétienne.

Les nombreuses comparaisons faites avec l’Antiquité tendent à cela!: le fils de Vénus et

d’Anchise devient une image de David, en Bethsabée se profile une nouvelle Hélène, en

Goliath, les Titans… Pour Marulle, tout est possible aux poètes, à condition qu’ils soient

profonds. Cette manière de voir conduit à de très belles réussites. Marulle conçoit son

écriture comme une superposition de références poétiques et de symboles qui confèrent de

la vigueur à son réalisme!: ses vers traduisent une osmose avec une longue tradition poéti-

que qu’il n’hésite pas à s’approprier comme moyen d’expression d’une pensée transcen-

dante. Il travaille, pour une grande part, dans le style de Virgile!; mais s’il arrive si bien à

créer l’avenir, c’est aussi grâce à son attention pour le présent!: il adapte son écriture à la

sensibilité de la Renaissance, gagnée d’admiration pour Pétrarque, et répond à la sensibi-

lité des théologiens qui cherchent à perpétuer l’héritage des pères et des auteurs médié-

vaux. Il investit ainsi trois traditions poétiques aux sensibilités très différentes et tente de

les réconcilier dans une œuvre nouvelle.

La matière biblique

Marulle est un fin connaisseur de l’histoire juive, doué de toute l’érudition d’un

exégète accompli. Dans le prologue de la Judith, il révèle que l’Ancien Testament était

pour lui une lecture obligatoire du Carême, fruit des idées nouvelles apportées par la devo-

tio moderna. Aussi inscrit-il les événements de la Davidiade dans l’intervalle allant de I

Sam. 15 à I Rois 2, 11, qu’il suit consciencieusement dans son mouvement général, dans

sa chronologie et le caractère général des personnages. Bien sûr, à cette matière biblique se

mêlent des éléments impropres à l’écriture d’une épopée (scandales, violence, inceste)

mais en tant qu’humaniste et que poète, il extrait de sa source tout ce qui est susceptible de
TROISIEME PARTIE 325

se fondre dans le moule épique. Les qualités qu’il prête dans l’épilogue à son héros sont

donc conformes à celles que lui reconnaît le rédacteur biblique dans la mesure où elles

procèdent d’une sélection, comme c’est d’ailleurs le cas dans le portrait qu’en dresse le

livre des Chroniques!:

… Nous avons raconté


Tout ce que le fils de Jessé accomplit à la guerre comme en temps de paix!:
Comment il supporta courageusement l’adversité et comme il resta modéré
Lorsqu’il devint plus fortuné.
Comment il se repentit promptement de ses péchés
Et, ayant supporté de terribles malédictions,
Comment il pardonna souvent et facilement
À tous ceux qui imploraient son pardon pour tout ce qu’ils avaient fait.
Et avec quelle piété il adorait Dieu…
Aujourd’hui encore il règne,
Béni pour toutes ses vertus et ses œuvres,
Non pas dans un royaume fragile, mais une cour durable,
Où on le voit au-dessus de l’éther tenant compagnie à son Christ.196

En David se profile l’âme authentiquement héroïque. Mais il est aussi, davantage,

l’élu de Dieu lui-même!: le fil généalogique qui fait descendre le Christ de sa lignée appa-

raît également dans le poème comme son attribut particulier dans le récit (de source extra-

canonique) de la construction du palais royal à Jérusalem. Parmi les détails iconographi-

ques de la façade que le poète évoque avec un œil d’architecte, un arbre de Jessé scelle

prophétiquement le lien généalogique reliant la royauté de David avec celle du Christ grâce

à la naissance de la Vierge dans la lignée de Juda197. Ce type de lecture chrétienne du livre

de Samuel reste un cas isolé, la narration s’attachant davantage à montrer l’éclat par lequel

David mène une vie de combats que les liens spirituels susceptibles d’alimenter une inter-

prétation anagogique.

196 Livre XIV, v. 410 ss. Idem., p. 45.


197Livre VIII, v. 1-69. Idem, p. 39.
TROISIEME PARTIE 326

Si l’on compare, sur le plan narratif, le texte biblique avec l’épopée, il apparaît que

Marulle amplifie et enrichit spontanément l’histoire de détails et de descriptions afin de

dynamiser la composition d’ensemble. La superstructure du récit biblique est, d’une ma-

nière significative, plus prolixe, l’auteur ne se limitant pas à imiter sa source mais à

l’amplifier pour engendrer une œuvre personnelle et originale. Il réduit, parfois même

omet des éléments scripturaires qu’il considère secondaires par rapport à la trajectoire

épique de son héros!: dans le duel de l’enfant contre Goliath par exemple, les propos inju-

rieux du géant et la réplique du berger invoquant le nom du «!Dieu des armées!» est pas-

sée sous silence, le narrateur préférant s’étendre davantage sur les détails du combat et le

grondement de l’étreinte que sur des échanges verbaux qui ne font que repousser

l’imminence du conflit. Les amplifications qu’il apporte au texte original sont plus nom-

breuses, elles servent des intérêts poétiques et favorisent l’introduction d’un certain nom-

bre de conventions de l’épopée. L’agilité avec laquelle David manie la fronde et les dom-

mages qu’il fait subir au géant sont ainsi l’occasion pour Marulle de croquer au vif une

scène d’affrontement d’une ampleur, d’un réalisme et d’une violence digne des prouesses

d’inspiration homérique. Le Philistin a l’aspect d’un taureau écumant, comme il se doit

dans la tradition épique198!; la terre tremblant sous sa chute rappelle la chute des Titans

foudroyés par Jupiter. Le mélange d’éléments bibliques et d’éloquence antique, la des-

cription incisive qu’il fait du colosse rendant l’âme réussit à donner au passage le plus

évoqué de Samuel une vigueur rarement atteinte jusque-là, assez représentative du style

marulien!:

Il lança une pierre qui, tournoyant, siffla dans l’air


Et percuta le heaume du géant!; elle le transperça par sa force
Et le frappa au front, qu’il déchira par le milieu.
Atteint par ce coup mortel,
Goliath mugit comme un taureau devant la mort,
Abattu devant le saint autel.
Alors son sang se mêla à son cerveau et coula à flot,
Couvrit sa misérable face et sa brillante armure.

198 Énéide XII, v. 103-06 et Arioste, Orlando Furioso, XVIII, xix, v. 1-4.
TROISIEME PARTIE 327

Dans sa chute, il tenta en vain de s’appuyer


Sur sa lance recourbée pour rester sur ses pieds, mais en vain!!
Car bientôt sa gigantesque stature s’affaissa en entier
Et frappa le sol. La terre trembla sous son poids
Et son armure, en se cassant, résonna bruyamment.
Agile, David courut en sa direction et tomba sur lui.
Empoignant les cheveux du guerrier agonisant,
Il saisit d’une main son épée et trancha sa gorge bestiale,
Sépara sa tête de son cou colossal
Et l’éleva bien haut, d’un geste triomphal,
Pour la montrer à l’armée de Saül.199

Si les innovations de Marulle sur le plan narratif l’emportent souvent au-delà de la

lettre des Écritures, certains emprunts stylistiques rappellent, par des voies souterraines, les

racines chrétiennes de son œuvre. L’analyse de Darko Novakovic à ce sujet montre bien

que le réseau de références lexicales de la Davidiade permet de la rattacher à la tradition

didactique de l’époque proto-médiévale200. Marulle, en effet, n’est pas l’homme d’un seul

livre et par une volonté de ne pas rompre avec l’héritage des Pères, il perpétue le flot

continu de la tradition des paraphrases poétiques de la Bible et des premières épopées

chrétiennes dans la lignée de la Psychomachie de Prudence. C’est ainsi qu’il emprunte à

Juvencus, Sedulius Scotus, Arator et aux auteurs latins201 (dont les œuvres apparaissent

dans sa bibliothèque personnelle) un certain nombre de notions d’origine chrétienne qui

apparaissent dans leurs œuvres, telles que la vie éternelle, l’omnipotence divine, la colère

du démon, l’holocauste, de manière à se différencier morphologiquement de certains équi-

199 Livre I, v. 478-98. Idem, p. 33.


200 Darko Novakovic, «!La Davidiade di Marulic e gli epici protomedievale latini!», Colloquia Marulia-
na IX, 2000, pp. 205-18.
201 On peut citer, à titre d’exemple, ces emprunts à Juvencus!: Davidiade 2, 302!: «!Atque indigna nimis
pravae molimina mentis!». Iuv. 1, 521!: «!Occulta internae frenant molimina mentis.!» Iuv. 2, 308!: «
Ille sed internae cernens molimina mentis!». Davidiade 10, 12!: «!Gentibus infidis, sed quos meliore
relatu…!». Iuv. 1, 650!: «!Gentibus infidis terrenam linquite curam.!» Iuv. 3, 602!: «!Gentibus infidis
celsa dicione potestas.!» Idem., p. 210, note 24.
TROISIEME PARTIE 328

valents païens202. Cette imitation, si elle l’amène parfois à reprendre intégralement certai-

nes expressions de l’un ou l’autre de ces auteurs, à la manière d’un bricolage, appartient

néanmoins aux normes de l’écriture humaniste et donne une couleur chrétienne et érudite

à l’épopée. Elle témoigne d’une connaissance approfondie des commentaires latins mais

aussi du désir de les doter d’une vie nouvelle!: en les replaçant dans un contexte moderne,

le Dalmate en fait les dépositaires d’une nouvelle vision de l’Antiquité. Par ailleurs, étant

lui-même poète, c’est dans un style neuf et personnel, à la rencontre des procédés classi-

ques du genre épique et de sa propre inspiration qu’il raconte l’histoire de David. Son

grand modèle sera Virgile.

La Rome ancienne

«!Cecini pascua, rura, duces!»!: la poésie de Virgile, autant enracinée dans la dou-

ceur du monde, des pâturages et des campagnes, que dans les parcours et les souffrances

héroïques, constitue pour Marulle une source intarissable. Il faut dire que le type héroïque

incarné par David, ce jeune et fervent guerrier pourchassé par Saül, passant par la douleur

et la peine pour arriver à la gloire, se prêtait particulièrement bien à un héros virgilien.

Comme Énée, tout en David fait écho à la grandeur et à la grandeur d’âme puisque même

l’expérience du mal ne l’isole pas, comme Saül, du Très-Haut. Comme Énée, David est

imprégné de Divin et il inscrit sa vie «!au point de brisure où l’humain rencontre le sacré,

où la souffrance hésite à devenir passion, où la nostalgie de l’idéal erre parmi les souve-

nirs…!»203. Sa vie est un élan douloureux vers Yahvé, mais également le lieu d’une douce

familiarité avec les fleuves et les campagnes, les déserts et tout ce qui compose

l’expérience humaine. Lorsque le poète de Split cherche un parangon poétique sous

202 Novakovic multiplie les comparaisons comme celles-ci (art. cit., p. 208, note 13):!Davidiade 10,
138!: «!Contemptumque sui. Stulta est dilectio charos.!» Paul. Nol. Carm. 31, 441!: « totus enim
dulcedo, deus, dilectio, Christe, es.!» Prud. Apoth. 1027!: «!Tantus amor terrae, tanta est dilectio nos-
tri!!!» Paul. Petric. V Mart. 1, 55!: «!ipsos subdiderat dilectio vera priores!», etc.
TROISIEME PARTIE 329

l’égide duquel inscrire sa Davidiade, il se tourne spontanément vers le savio gentil che

tutto seppe.

Les signes de cette proximité de Marulle avec son modèle apparaissent dans un

certain nombre de procédés qu’il adapte à son goût et sa matière. Selon Miroslav Marco-

vich, éditeur de la Davidiade, les trente premiers vers du chapitre VIII seraient une

«!version chrétienne!» du premier chant de l’Énéide (v. 421-29 et 466 ss.)204. Mirko To-

masovic recense pour sa part dans l’épopée marulienne trente-deux comparaisons

d’influence virgilienne (identifiées en tant que comparatio), contre dix-sept dans la Ju-

dith205. Ces figures de style sont typiques des épopées antiques et induisent un certain

nombre de ressemblances avec les chants à la gloire d’Énée. Les réminiscences avec

l’Antiquité sont partout présentes, notamment dans les descriptions des armées d’Israël et

de leurs stratégies romaines, alors même que résonnent dans la plaine le bruit des armes et

la pluie des flèches (livre 6, v. 74-83). Lorsque dans le combat qui l’oppose aux Philistins

sur le mont Gelboé, Saül s’enlève la vie et que son écuyer se sacrifie avec lui (I Sam. 31,

1-13), l’exploit du serviteur est l’occasion d’un parallèle historique entre des événements

contemporains et l’histoire romaine!:

Si l’histoire de Rome est vraie, tel était Philocrates,


L’ami de Graccus, digne de ce nom,
Et aussi Pandarus, que Cassius, comme on raconte,
Appela auprès de lui après sa défaite, par crainte d’Auguste. […]
Ne désirant pas survivre à leurs maîtres,
Ces serviteurs se transpercèrent les entrailles avec leurs propres épées.
Grand était leur amour!; plus grand encore
L’exemple de cet écuyer!: pour éviter de se souiller les mains
Avec du sang royal, il refusa de faire la volonté de son maître,
Mais le trouvant sans vie, il ne désira plus vivre.206
Dans la peinture du roi vainqueur on croirait encore voir un général romain re-
cevant de son peuple les honneurs de la victoire!:

203 Alain Michel, La Parole et la beauté, Paris, Albin Michel, 1994, p. 89.
204 Miroslav Marcovitch, introduction à son édition de M. Maruli Davidiadis libri CIV, op. cit., p. XVI.
205 «!Judita!: A Biblical, Humanist and Renaissance Epic!», in Bridge, op. cit., p. 109.
206 Livre VI, v. 103-19, op. cit., p. 38.
TROISIEME PARTIE 330

David victorieux, dans un char tiré par deux coursiers,


Sortit triomphalement, accompagné de frères d’armes,
Sur sa tête un rameau de lauriers verdoyants.
Marchant derrière lui, son armée, tambour battant,
Chantait des airs de victoire […] 207

Par un processus d’osmose, il arrive également que quelques vers ou figures de

style appartenant à l’Énéide soient déplacés dans un nouveau contexte. Ceux-ci peuvent

consister en emprunts d’épithètes, de tropes, de vaticina ex eventu!; David multiplie les

invocations divines208, utilise même à cette occasion des adjectifs référant à Jupiter selon

l’usage courant dans le vocabulaire poétique du premier XVIe siècle209. Des personnages

mythologiques – Mars, Vénus, Bacchus, Cerès, Apollon – apparaissent aussi dans

l’épopée à titre de métonymies, de symboles ou d’allégories, où ils dénotent le répertoire

typique du style raffiné. C’est cependant dans ses descriptions de la nature, et particuliè-

rement de la mer, que Marulle se rapproche le mieux de son modèle. Certaines comparai-

sons avec la navigation et la panique des matelots viennent de l’Énéide, mais Marulle les

développe toujours en y ajoutant un tissu de détails pratiques et une authenticité nourris

par l’expérience personnelle. La métaphore maritime apparaît notamment pour illustrer

des états d’âme, comme le trouble de Nabal lorsqu’il apprend, par Abigaïl, la colère de

David in extremis évitée. Le malheureux pâlit,

[…] comme un homme qui, sur la haute mer,


Échappé de justesse à un orage violent,
Son fragile vaisseau heurté par la vague et la houle,
Tremble encore lorsqu’il se souvient de son danger,
Incapable de retrouver la paix.210

207 Livre II, v. 209-12, op. cit., p. 119.


208 Davidiade I, 1-11!; VII, 4-8!; XIV, 417-24.
209 Davidiade I, 11.
210 Livre V, v.42-47, op. cit., p. 37.
TROISIEME PARTIE 331

On reconnaît encore le poète des grands espaces dans ses descriptions des paysa-

ges, du mouvement des astres et de la tombée du jour, où chaque parcelle de lumière élève

les pensées humaines vers les divinités211.

Mais l’héritage et la fidélité aux anciens qui font corps avec la Davidiade ne relèvent

pas d’un réflexe mécanique visant à reproduire un dispositif rhétorique qu’il maîtrisait par

ailleurs très bien. Marulle sait donner des traits personnels à des lieux communs et injecter

dans son style un peu de la modernité de Pétrarque.

Pétrarque et l’Italie

Dans l’épopée marulienne, la dignité biblique côtoie des goûts littéraires mon-

dains. Les prières, jeûnes, pénitence se parent d’embellissements rhétoriques liés à une

recherche de l’élégance antique!; cette jonction de la matière vétéro-testamentaire et du

langage poétique, de l’idéal chrétien et de tout ce que l’écriture était susceptible de véhi-

culer de profane et d’ornemental, conduit inévitablement Marulle vers le poète du Vau-

cluse. L’un comme l’autre imprègnent leurs vers latins de cette double fidélité aux passés,

chrétien et païen, se réservant la question de l’opposition et de la complémentarité de la

théologie et de la mythologie en dehors de leurs ouvrages poétiques212. Nouveau fonda-

teur du langage païen que devaient parler un grand nombre de poètes après lui, le chantre

de Laure donne prise à l’imitation et fournit à Marulle un modèle d’écriture et de sensibi-

lité.

211 Livre V, v. 1-4.


212 Dans la Lettre familière (X, 4) que Pétrarque écrit à son frère, il en présente une justification détail-
lée!: «!En vérité, la poésie n’est pas le moins du monde contraire à la théologie. Tu t’étonnes!? Il s’en
faut de peu que je dise que la théologie est une poésie parlant de Dieu!» Familiares, X, 4, 1, trad. A.
Michel, In Hymnis et canticis, Louvain, Publ. universitaires, 1976, p. 235. Marulle consacre à ce même
sujet son Dialogus de Hercule a Christicolis superato, écrit entre 1519 et 1520. Nous renvoyons à l’étude
de Bratislav Lucin, «!Herculis and the Poets!», in Most/Bridge, op. cit., pp. 121-26.
TROISIEME PARTIE 332

L’influence de Pétrarque se prolonge dans la Davidiade lorsque les amours de Da-

vid placent le roi devant sa propre vérité!: sa vie de guerres et de victoires contre les enne-

mis d’Israël n’exclut pas que face à lui-même, David soit son plus redoutable ennemi.

L’échec à vaincre la passion, à placer un choix de liberté au-dessus de sa propre faiblesse

d’homme, à mettre en œuvre un renoncement digne de l’alliance qui l’attache à Yahvé

conduisent Marulle à une amplification poétique dont le modèle se trouve en Italie. Le

‘style nouveau’ développé par le poète toscan l’amène à exalter l’amour humain, tout

l’amour, en le spiritualisant bien sûr par des allusions lexicales à Platon et à Virgile, mais

aussi en s’attachant à son écorce terrestre, à la beauté qui opère la séduction et à ses effets

sur l’âme de l’amant. Le coup de foudre est un motif hérité de Pétrarque!: dans le Can-

zionere, Cupidon décoche la flèche au cœur qui liera le poète à Laure. Le motif rhétorique

du feu dévorant et de l’embrasement amoureux amène Marulle à décrire la passion de

David pour Bethsabée dans des termes résolument modernes, avec la même souplesse qui

le fait évoquer la mythologie!:

Lorsque le fils de Jessé l’aperçut, son cœur s’embrasa


D’amour pour elle!; et quand les flammes de l’amour l’eurent consummé,
Il s’enquit de cette femme.[…]
Sa beauté surpassait toutes les autres,
Et sa peau était blanche comme neige.
Si l’on en croit les anciennes légendes,
Une telle Titanesse se baignant dans la claire onde
De la fontaine de Gargaphian avait été surprise par le fils d’Aristée.
On dit aussi que l’arbitre de Troie contempla une semblable déesse
Rivalisant de beauté, et longtemps ne sut décider
Laquelle déclarer la plus charmante entre toutes.213

Cette exaltation des sentiments humains, qui rejoint les conventions poétiques de

l’époque, indique combien le poète recherchait les effets du style de Pétrarque. On la re-

trouve intégralement dans la première rencontre de David et de Michol (II, 130) où le sou-

ci de rendre l’émotion l’amène encore à évoquer les ravages de la passion!: David,


TROISIEME PARTIE 333

«!invaincu en temps de guerre!», devient la «!victime de ce feu d’amour!» qui

l’«!embrase!» et le tourmente214!; il échange avec elle des regards dérobés, tente de lui

parler, la taquine, «!et en son absence soupire et se lamente, / le cœur inquiet, incapable de

trouver la paix!»215.

Si Marulle a un talent, c’est bien le génie de s’entendre sur ce que le rédacteur bi-

blique ne fait que suggérer!: il a le sens des ‘scènes à faire’. Aussi son souci d’investir

son poème d’une sensibilité propre à la Renaissance l’amène-t-il à développer le livre de

Samuel dans le sens de la prolixité. L’attention portée à libérer l’amour des contraintes de

l’abstraction lui donne notamment l’intuition d’imaginer de manière vivante et toute en

sensibilité le mariage de David et de Michol, dont l’Écriture, bien sûr, ne donne aucun

détail. Là où Samuel laisse évidemment supposer un cérémonial juif, le Dalmate s’inspire

de la célébration des mariages princiers de la Renaissance et d’une esthétique résolument

moderne pour croquer une scène de cour au goût du jour et dans laquelle les époux

échangent leurs vœux en présence du prêtre. L’amour profane rejoint l’amour sacré dans

ces vers où la jeune fille s’avance devant l’autel:

Alors une foule déferla dans la cour du roi,


Des dames avec leurs maris, de fragiles garçons
Et de jeunes hommes dans la vigueur de l’âge,
Des demoiselles d’une merveilleuse beauté. […]
Au sommet d’un trône d’ivoire était assis Saül.
Alors, sortant de sa chambre solitaire, apparut Mikhal,
Parée d’ornements exquis et couverte de précieux bijoux,
Plus belle elle-même que tous ceux-là. Autour d’elle, des garçons
Portant chacun d’une main une torche allumée
Et de l’autre, conduisant la fiancée.
Le prêtre était là, dans une aube tissée de pierreries,
Une mitre sur son vénérable chef.
À David, puis à la charmante Mikhal, il demanda
S’il voulait la prendre pour épouse, et si elle

213 Livre IX, v. 163-231, op. cit., p. 42.


214 Livre II, v. 130-132, op. cit., p. 34.
215 Livre II, v. 134-35, op. cit., p. 34.
TROISIEME PARTIE 334

Le souhaitait pour mari. Les trouvant tous deux


Du même avis, il leur demanda de confirmer leurs vœux
Par le rite solennel du mariage.
Une main se tendit vers l’autre, une alliance
Enlevée du doigt du marié pour enserrer
Le doigt de la mariée d’un nœud de lumière,
En promesse d’une fidélité de toute la vie.
Élevant alors à Dieu des prières, il les bénit tous les deux
Et leur souhaita du bonheur dans leur descendance.
Après que le prêtre eut parlé, le silence tomba.216

L’attention accordée à l’atmosphère de la cérémonie, au mouvement des nobles in-

vités amassés au parterre que domine la figure hiératique, marmoréenne, de Saül, celle

accordée à l’ivoire du trône, aux bijoux de Michol, aux précieuses incrustations du vête-

ment du prêtre, tout cela donnent une efficacité visuelle à la description qui n’est pas sans

rappeler cet autre poème de Marulle qui relève de l’éloquence pétrarquiste, Judith. Lors-

que celle-ci part trouver Holopherne (livre IV, 79-108), couverte de bijoux, parfumée, coif-

fée, vêtue d’étoffes précieuses, à la mode vénitienne, l’abondance de détails donnait à une

scène assez crue une dignité et un air de chasteté capitale pour Marulle!; il insiste sur ce

point dans une note marginale217. De la même manière Michol, dont l’Écriture retient

surtout la honte qu’elle conçut en apercevant son mari dans son plus simple appareil, dan-

sant au sein de la procession d’entrée de l’Arche à Jérusalem, apparaît comme une épouse

chaste et sincère, bénie lorsqu’elle se donne à David!; elle accomplit un geste noble, pres-

crit par les autorités religieuses et par Dieu, et dont la grâce doit rejaillir sur une longue

descendance. Le style imagé marquant la pureté, l’amour et la lumière, les gestes replacés

sur une scène contemporaine, permettent bien à Michol de réaliser, dans un contexte certes

idéal, le rêve de Pétrarque sur Laure!; elle apparaît comme une seconde Béatrice élevée en

gloire. La suite n’en sera que plus efficace, tant sur le plan narratif que sur le plan poéti-

216 Livre II, v. 222-50, op. cit., pp. 34-35.


217 Cf Mirko Tomasovic, «!Judita…!», art. cit., p. 113.
TROISIEME PARTIE 335

que!: après le transfert de l’Arche, David punira sa femme de son mépris en la répudiant

symboliquement. Il ne la reverra plus et ne lui donnera pas d’enfant.

D’autres embellissements stylistiques doivent encore retenir notre attention car ils

témoignent de l’appartenance de Marulle à cette Renaissance fascinée par l’Italie du pre-

mier Cinquecento. L’importance accordée à la peinture et à l’architecture, notamment dans

la description du palais que le roi se fait construire à Jérusalem, témoigne de la connais-

sance de Marulle des courants artistiques arrivés d’Italie. Étape par étape, le poète consa-

cre le début du chant VIII à décrire l’édification d’une authentique villa romaine, depuis

l’excavation des fondations jusqu’à l’application de mosaïques et de frises sur la façade,

en passant par la préparation du mortier, la consolidation des colonnes, des arches et du

porche, jusqu’au système de ruissellement des eaux. C’est néanmoins dans les précisions

iconographiques que le poète rappelle les nouvelles exigences picturales de son temps,

celle de reproduire la nature et ses prodiges avec un art et une précision telles que la copie

rivalise de vie avec son modèle218!:

On pouvait voir des visages animés surgir du marbre inerte,


Et des limbes savamment entremêlés qui bougeaient doucement,
Et chacun à sa manière comme si muets, ils parlaient.
Si les pierres avaient une voix, celles-ci auraient sûrement parlé!!219

De son séjour à Padoue, Marulle tire des leçons des nouveaux principes qui régis-

sent la vie artistique. On sait que dès le Quattrocento florentin, Alberti donnait aux pein-

tres le conseil de fréquenter les poètes et les rhéteurs, les uns pouvant s’instruire des au-

tres pour ce qui est de l’invention et de la manière de traiter des thèmes picturaux. C’est

dans cet esprit que Botticelli choisit Politien pour son conseiller. Ce même rapport des

hommes de lettres aux artistes permit à Split au peintre Celestin Medovic de trouver dans

l’écriture marulienne l’inspiration pour ses peintures bibliques220. C’est en s’adaptant à

218 Cf. Anthony Blunt, La Théorie des arts en Italie (1450-1600), Brionne, Gérard Montfort, 1988.
219 Livre VIII, v. 30 ss., op. cit., p. 39.
220 Cf Mirko Tomasovic, art. cit., p. 113.
TROISIEME PARTIE 336

cette variété de goûts et de sensibilités que Marulle réussit à renouveler l’écriture épique.

Sa poésie et son érudition le libèrent du réalisme et du naturalisme!; elles montrent chez lui

l’écrivain en passe de s’affirmer comme un poète complet, aussi attentif à l’élément déco-

ratif et ornemental qu’à saisir au vif tel qu’il se les imagine, les sentiments, les paysages,

les scènes de guerres, voire même les plus horribles souffrances.

En marge de ces nombreux emprunts, l’originalité de la Davidiade tient enfin à

certains ajouts bien personnels dont Marulle enrichit la matière biblique. Dans la série

réussie des scènes à faire, l’une d’entre elles semble particulièrement percutante en ce

qu’elle laisse entrevoir ce que pouvait être, dans l’Europe du premier XVIe siècle, le ravage

des grandes épidémies. La description de la peste envoyée en Israël en punition du recen-

sement entrepris par David est le lieu d’une relation poignante du deuil qui ravageait alors

des villages entiers, du sentiment d’impuissance et de fatalité lié à de tels épisodes. Les

catastrophes contemporaines sont une source d’inspiration pour celui qui décrit

l’enchaînement d’embûches caractéristiques de la trajectoire du héros épique, et il arrive

alors que le récit s’apparente à la chronique, avec un souci de précision psychologique qui

scelle le passage du Moyen Âge à la Renaissance!:

La peste noire ne pardonnait à personne dans son droit,


Contre tous les âges et tous les sexes elle se lançait furieusement.
De tous côtés résonnait le sanglot, de tous côtés, les cris de plainte.
Aucune maison ne se passait de funérailles.
Orpheline de père, la foule confuse gémit.
Le père, privé de descendance,
Proteste contre le décret divin de n’être pas mort,
Étant plus âgé, avant que ses fils.
La mère, privée de ses enfants,
s’arrache les cheveux, se lacère le visage de ses ongles sanglants,
Se frappe des poings le torse et, comme folle, tonne des cris violents,
Pendant qu’elle appelle par son nom chacun de ses morts,
Qu’à ses bien-aimés, muets, elle prononce de vaines paroles,
Recherchant la vie parmi la mort. […]
Les mains manquaient pour qu’un si grand nombre de cadavres
Gagnât les fosses creusées et retournent à la terre.
Ce désastre s’étendait à la longueur et à la largeur
TROISIEME PARTIE 337

Des confins du royaume, […]


On dit que soixante-dix milliards de personnes périrent,
Depuis le lever du soleil jusqu’à ce que l’astre cache son visage,
Fuyant sur son quadrige sous la plaine de la mer221.
La description apocalyptique de la douleur, de la ruine humaine dans laquelle les

cris des femmes s’ajoutent au désespoir des maris, en écho aux gémissements des pestifé-

rés, est un morceau d’anthologie. Elle rappelle la misère civile encourue les Hébreux peu

avant la prise de Masada dans le IVe livre de la Guerre des Juifs de Flavius Josèphe!: la

folie de douleur s’empare des vivants qui n’arrivent même plus à mettre en terre les

morts222. Seulement ici, la cause du mal est le péché du roi et l’ennemi est la peste en-

voyée par Dieu!: seul le repentir poignant de David mettra fin à l’épreuve civile. Elle inspi-

rera l’iconographie de David pénitent vêtu d’un sac et assis dans la poussière que l’on

retrouve si souvent chez les graveurs et les peintres223.

Si la Davidiade rend un son très moderne, la superposition d’emprunts littéraires à la fois

variés et cohérents, des motifs anciens et des figures nouvelles, la cohabitation de ce qui

ressort des usages poétiques et ce qui appartient à l’expérience personnelle en supportent

essentiellement la responsabilité. Sa nouveauté apparaît exemplaire car elle accomplit, plus

qu’aucune autre épopée avant elle, le grand dessein que Pétrarque et Dante avaient rendu

possible!: réconcilier la tradition des lettres antiques avec la création de son temps, et faire

ainsi d’une figure hiératique comme David le type même du héros de la Renaissance, non

plus seulement dans les arts (Michel Ange et Donatello l’avaient imaginé en athlète grec)

mais au cœur même de l’écriture et de la poésie biblique. C’est parce qu’il est fidèle au

passé que Marulle parvient à fonder l’avenir, et s’il laisse une aussi forte impression, c’est

bien parce que face aux innovations qu’il déploie, il préserve pour les transmettre ensem-

ble les traditions virgilienne, chrétienne et pétrarquiste. Son œuvre donne corps à une

conception de l’épopée qui rend possible un éclectisme vrai, c’est-à-dire un dialogue entre

221 Livre XIII, v. 311-39, d’après la traduction espagnole de F. J. Juez Gàlvez, in «!Marko Marulic Dàl-
mata!: Davidiada!», Studia Croatica, no 145, 2002.
222 De Bello judaico, livre 4, ch. 5 et 6.
223 Mirko Tomasovic, op. cit., p. 37.
TROISIEME PARTIE 338

différentes écoles littéraires qui créent un pont entre tradition païenne et tradition chré-

tienne.
TROISIEME PARTIE 339

Chapitre V

Quelques surgeons des compilations au temps de François Ier

De tous les princes de la Renaissance, François 1er fut certainement celui dont le

règne devait le mieux rappeler, par l’abondance de traits communs, celui du roi biblique!:

fréquemment sur les champs de bataille, instigateur d’un régime politique renouvelé, il est

également à l’origine de l’épanouissement des lettres du royaume, au sein duquel il

s’adonne à un puissant mécénat artistique. Le rayonnement royal s’étend autant au gou-

vernement de la nation qu’à l’essor de la poésie et de la musique, laquelle assiste à la ré-

vélation de compositeurs prestigieux!: Jean Mouton, Clément Janequin, Claudin de Sermi-

sy, Albert de Rippe224. Chez les poètes, Marot bouleverse les esprits en traduisant les

Trente premiers psalmes (Lyon, s.d., entre 1527 et 1531), qu’il complète par Vingt psal-

mes envoyes au roy (Genève, Jean Gérard, 1543). C’est d’ailleurs pour s’attirer les fa-

veurs du «!Père des arts et des lettres!» que d’autres intellectuels de la cour s’attachent à

parfaire le parallèle entre le roi François et David, tous deux habiles combattants et grands

amis des arts. Le ms. Fr. 2088 de la Bibliothèque nationale est exemplaire du type de rap-

prochements bibliques appliqués au règne de François Ier!: au retour de son fils de la ba-

taille de Marignan, Louise de Savoie le fait représenter en habits de chevalier par François

Demoulins et Godefroy le Batave, pour illustrer chacun des versets du psaume XXVI225.

Les motifs amenés au goût du jour dans l’Imitation de Jésus Christ se déclinent aussi en

224 Cf. Christelle Cazeaux, La Musique à la cour de François Ier, Paris, École nationale des Chartes, pro-
gramme Ricercar, 2002.
225 BNF Ms Fr. 2088. Pour la bibliographie, cf. Paul Durrieu, «!Une suite de dessins de Godefroy le
Batave (circa 1516)!» Archives de l’art français, 1916, pp. 23-39!; Anne-Marie Lecoq, François Ier imagi-
naire, op. cit., pp. 315-23!; Marie Holban, «!Quelques remarques critiques sur François de Moulins!»,
B.H.R, Tome LII, 1990, no 1, pp. 23-36.
TROISIEME PARTIE 340

termes d’imitation du roi David, victorieux en temps de guerre et fervent dans sa prière.

Les panégyristes du pouvoir se tournent précisément vers les thèmes du combat et du re-

cueillement pour multiplier les allusions au roi chrétien émule de David, dans le droit sil-

lage des glorifications princières médiévales.

Le don au roi de la fronde

Dans ce contexte favorable aux relectures de la Bible, qu’en est-il donc de

l’épopée biblique!? Il semble que le type de rapprochement entre David et la culture anti-

que entrepris par la Davidiade se fait d’abord attendre, les psaumes symbolisant très tôt

en France, on le sait, une source d’inspiration hostile aux modèles païens. Aux fils de

Jupiter on oppose David,

Affin que du monde s’en volle


Ce Dieu inconstant d’amour folle,
Place faisant à l’amyable
Vray Dieu d’amour, non variable. 226

En revanche, avant la Pléiade, le genre médiéval des compilations d’histoires profa-

nes et sacrées s’impose comme le lieu privilégié de premières continuations. Une première

série de poèmes adressés au roi, les plus courts du corpus épique, retient ce qu’il est pos-

sible de considérer comme des fragments de ces fresques imposantes caractérisées par

une succession de récits, comme des pièces détachées!: le modèle, ou plutôt un modèle de

roi de droit divin (et il y en a d’autres, Salomon, Élisée, Osée) dont les victoires et la pros-

périté présagent de la pérennité du royaume de France. C’est le cas de la ballade de dom

Nicole Lescarre, davantage épyllion qu’épopée par sa forme et sa longueur (trois huitains

octosyllabiques suivis d’un quatrain d’envoi, conformément à la structure de la ballade),

226 Clément Marot, «!Aux Dames de France, humble salut!», in Vingt psalmes nouvellement mis en
françoys, et envoyes au Roy, in Œuvres, op. cit., pp. 629-30, v. 59-62.
TROISIEME PARTIE 341

dont les strophes et l’envoi se limitent au rapprochement «!classique!» entre la bénédiction

divine qui protégea jadis Israël et celle dont bénéficie le royaume depuis le baptême de

Clovis. David signifie la France très-chrétienne, second peuple élu, Goliath et les Philis-

tins, les ennemis de la couronne et du «!franc territoire!»!; seule la fronde est le lieu d’une

dérive analogique importante puisqu’elle symbolise la Vierge donnant la victoire aux ar-

mées françaises!:

Le roy David pour soy deffendre


Et garder ses loyaulx amys
Par fonde vint le fronc dur fendre
De Golias despoit demys
Dont philistins noz ennemys
Sont chassez du franc territoire
Ou Dieu pour force avoit promis
Fonde qui rend au roy victoire.227

L’épître de louanges que «!la Marguerite des princesses!»228 envoie à son frère pri-

sonnier en Espagne perpétue sur un ton épique ce type d’allégories appliquées au combat

du Térébinthe. David est figure du Christ et mène les luttes de François, «!son second

David!» (p. 215)!; en Goliath se profile «!tout homme qui veult estre / Du roy François ou

ennemy ou maistre!», en l’occurrence Charles Quint229. La princesse de Navarre éprouve

elle aussi le besoin d’imaginer poétiquement que le roi son frère, si fidèle à ses devoirs

chrétiens, est l’incarnation du plus grand roi biblique sur la terre. À ces topoi nationaux,

elle ajoute également un petit développement plus original où David évoque lui-même ses

exploits, puis dote symboliquement le roi de «!la fonde de la Foy!» qui le rendra vainqueur

«!de tous malheurs qui peuvent advenir!» (pp. 215 et 216.). La description des prouesses

de jeunesse du berger s’apparente à un petit épyllion sur le modèle d’une monomachie qui

concentrerait en quelques vers la substance de ses batailles légendaires!:

227 Nicole Lescarre, Palinods, chants royaux, ballades, rondeaux et épigrammes en l’honneur de
l’Immaculée conception, BNF Rés. Ye 2992 et recueil Vidoue, Paris, s.d., fol. LXVv et LXVIr
228 Les Marguerites, op. cit, pp. 209-16.
TROISIEME PARTIE 342

J’ay deffait l’Ours, qui est cruelle beste.


Sans espieu, espée ou arbaleste!;
Moins n’en feray de ceux qui se tiendront
En ces haults montz, quand contre moy viendront.
Ce Goliatz, geant espouventable,
D’un tout seul coup, cela est veritable,
Je mis à mort, au temps de mon enfance,
Estant tout nud!; et n’avois pour defense
Qu’un tel chaillou qu’en ma fonde je tiens.
Et le vilain qui ne m’estimoit riens
Je mis à mort!: moins donques n’en feray
Du grand Geant, lequel je defferay. (p. 210)

Les petits poèmes allégoriques de Lescarre et Marguerite de Navarre sont les par-

faits témoins de l’époque où une certaine tradition épique commence à se dissoudre en

métaphores. Le roi de France, embourbé dans des luttes sans fin jusqu’à être fait prison-

nier, ne peut, pour surmonter des apparences peu glorieuses, que raviver le souvenir de ce

jeune David placé entre les mains de la toute-puissance divine. Mais à condition de ne

considérer le héros d’Israël que dans la force de sa jeunesse, comme le guerrier de Dieu et

le représentant de la foi d’Israël qui conquiert les nations grâce à son alliance avec le Dieu

unique, et non le David du déclin et des intrigues familiales. Le croyant exemplaire en

habits de conquérant, comparé point par point au psalmiste par Marot230, tout empreint du

mysticisme évangélique de Marguerite de Navarre, Louise de Savoie et François Demou-

lins, se faisait volontiers dépeindre sous les traits du poète d’Israël. Il devait bien prétendre

à ce modèle idéal.

229 Idem, p. 210.


230 «!Au Treschrestien Roy de France, Françoys premier de ce nom!», in Œuvres poétiques, op. cit., v.
15-38, pp. 557-58.
TROISIEME PARTIE 343

Les Hardiesses de Pierre Sala

C’est néanmoins dans une seconde famille de poèmes, dominée par les Hardies-

ses de plusieurs roys et emprereurs de Pierre Sala231, que la postérité des compilations

épiques médiévales à sujet mi-profane, mi-sacré devait trouver son plus tangible dévelop-

pement. La rédaction de cette œuvre, connue sous deux manuscrits consciencieusement

décrits et mis en lumière par Anne-Marie Lecoq232, remonte à 1519, donc aux débuts glo-

rieux du règne de François Ier. Comme le Roman des preux, les Hardiesses de Sala sont

elles-mêmes une compilation, une généalogie symbolique des rois de France visant à re-

placer la victoire de Marignan dans une longue tradition de prouesses légendaires!: celles

de David (l’unique héros biblique) et d’autres combattants mythiques, Alexandre le

Grand, Jules César, Arthur, Godefroy de Bouillon, mais aussi de figures nationales aussi

variées que Pépin le Bref, Louis le Gros, Philippe de Valois, Charles VIII, jusqu’à

Louis!XII.

De l’enracinement de l’ouvrage dans la poésie épique, Sala retient d’abord

l’oralité!: aux origines du genre, dans l’Antiquité puis dans les narrations populaires mé-

diévales, les poèmes épiques ont en effet une existence orale qui influence leur composi-

tion!: l’épopée «!classique!» est épisodique, marquée par la concentration de traits som-

maires, et requiert des qualités stylistiques propres au langage parlé (simplicité, feu,

mouvement)233. Les Hardiesses miment les juxtapositions naïves de l’oralité dans

l’organisation et le cadre narratif du recueil. Sala imagine en effet que quatre amies, ve-

nues dîner avec lui dans son domaine, se retrouvent avec lui dans la bibliothèque et passent

une agréable soirée à deviser, chacune son tour, des prouesses des plus grands hommes de

l’histoire. Les commentaires spontanés des convives qui entrecoupent le récit de chacun

231 Nous tirons nos références du second manuscrit de cette œuvre possédée par la BNF, Les Prouesses de
plusieurs roys, dédiées au roy François Ier, Ms. Fr. 10420.
232 Op. cit, pp. 208-10.
233 Cf. Madelénat, op. cit., pp. 23-28.
TROISIEME PARTIE 344

font office de transition. Du roi David, premier de la liste, le narrateur conte trois exploits

ainsi que la légende de la pierre fichée sur le heaume de Goliath évoquée plus tôt, et dont

une origine avérée est une prophétie de Merlin234!: le merveilleux chrétien se mêle à la

matière biblique pour laisser place, dans l’assemblée, à l’étonnement et à la rêverie. Il ne

s’agit donc pas, comme dans le Roman des preux, de faire un récit circonstancié de la vie

de David offrant l’illusion de suivre la Bible dans ses moindres méandres et à la lettre!; la

convivialité et le caractère spontané, ludique, de l’échange, postule une amplification du

récit biblique dans le sens de l’expressivité, de la clarté et du dynamisme. Ils sont

l’empreinte d’un vrai talent de conteur.

La première prouesse de David, sa confrontation avec l’ours qui menaçait d’enlever

l’une ses brebis, concentre quelques-uns des procédés typiques du passage de la Bible à

l’Histoire sainte!: le recours à des explications extra-bibliques pour éclairer certains points

obscurs de l’Écriture, à agrémenter le récit de détails, au gré de l’interprétation du narra-

teur. La scène se passe à Bethléem, dans la campagne avoisinant la propriété de Jessé!:

La premiere [hardiesse] fut quand luy estant une iournee aux champs avecques
les ieunes pastoreaux gardant le bestial de son pere dont sa quantite estoit
grande, car en ce temps la richesse des haulx hommes estoit a nourrir les bestes
domestiques et avoir grandz pastorages, ce estoit leur tresor. Les riches hommes
commectoient lung de leurs enfans comme chef et cappitaine des pastoreaulx
qui estoit grant honneur. Doncques le gentil David comme seigneur par dessus
tous se alloit deduisant avecques eulx et se esprouvoit en toutes habillitez et for-
ces… (fol. 9 r)

La source biblique ne mentionne guère l’exploit contre l’ours que comme un argu-

ment pour convaincre Saül de laisser un berger défier un géant, et ne donne bien sûr aucun

de ces renseignements contextuels. Au contraire, on sait que la scène de l’onction – la plus

riche de détails sur la vie champêtre de David – décrit la marginalité de David par rapport à

ses frères!: dernier-né d’une grande famille, méprisé par son père, il est frappé

d’exclusion et relégué à la garde du troupeau. Seuls ses frères sont appelés à s’illustrer

234 Voir plus haut, p. 118.


TROISIEME PARTIE 345

dans la milice royale. Les débuts du psalmiste sont l’antithèse même du parcours consacré

des rois et des empereurs. Sala s’empresse donc de métamorphoser l’Écriture, et en parti-

culier l’entrée en scène de son héros, pour la rendre plus seyante au cadre épique!: gardien

de la fortune du plus noble propriétaire de Judée, chef et capitaine d’une légion de bergers,

gentil seigneur «!par-dessus tous!» – la gradation est éloquente – David est le type même

de l’homme de confiance. La suite du récit, à l’image de cette démesure, jaillit entièrement

de l’imagination de l’auteur!: un jour que le fils se promène aux champs, le cri d’un pas-

toureau le tire de sa rêverie. Il accourt et

Voyt ung grant ours yssu de la forest prochaine lequel avoit une brebis troussee
et lemportoit. Le gentil david qui ne voult laisser la pauvre brebis en ce dangier
se mect a courrir apres. Et si bien se hasta quil atteignit lours auquel il donna
sur la teste dung petit baston quil tenoit en sa main. Lours courousse et despit
de ce coup lache sa prinse et vient furieusement sus david en soy elevant pour
le cuyder embrasser et mordre. Mais le gentil david plain de cueur et de force
selon sa ieunesse va empoigner lours dune main par soubz la machoire, et de
laultre main luy arrappa [sic] le museau et tellement luy serra la gorge et si
longuement et fermement le tint en cest estat!: quil en convint aloure perdre son
allayne et tomber mort par terre tout suffocque et esteinct.235

Cette description, représentative de la manière dont l’Histoire devient mythe par ad-

dition de détails et amplification de l’exploit, rappelle par certains traits les Antiquités bi-

bliques du pseudo-Philon évoquées plus haut236. Les détails ajoutés aux récits sont un

exemple de la tradition du «!texte continué!» dont l’abondance de précisions fournit un

surcroît de vitalité au récit fondateur. Sala ne suit pourtant pas Philon dans l’ensemble de

ses digressions, ce dernier racontant la même scène d’une manière toute différente!: un

lion sauvage sorti de la montagne se joint à une ourse pour enlever les taureaux de David.

David les poursuit jusqu’au cœur de la forêt et les tue à jet de pierres237. Ailleurs, pour-

tant, il s’y emploie plus directement, notamment dans le passage précis où David abat Go-

235 Fol. 9v
236 Voir plus haut, p. 96.
237 Pseudo-Philon, Les Antiquités bibliques, LIX, 5, op. cit., p. 367.
TROISIEME PARTIE 346

liath avec sa fronde. Au récit fortement inspiré par Samuel s’ajoute un détail tiré du com-

mentateur juif!:

Et en disant ces parolles tira de son sain lune des cinq pierres quil avoit choisies,
si la mist en sa fronde!: et a tour de bras tant que sa force ce peut estandre rua
celle pierre a golias si droit que elle lateignit en my le fronc. Et pour ce quelle
fut empeincte au nom de dieu!: le geant fut si estourdi de ce coup que il luy fut
force de tomber a revers.

Ni les Antiquités juives, ni l’Histoire scolastique de Pierre le Mangeur, ni la Bible

historiale n’évoquent de pierre «!empeincte au nom de dieu!». Ses racines sont ailleurs.

Dans la religion juive, nul ne peut ni ne doit prononcer le nom de Yahvé!: l’orthographe de

son nom est tout simplement imprononçable, de sorte que le Très-Haut ne s’appréhende

jamais qu’à travers une série d’appellations qui l’évoquent par ses qualificatifs ou

l’approchent phonétiquement. Mais son nom véritable s’écrit, et le David de Sala l’écrit

sur un caillou. Il fixe dans la pierre l’essence de la toute-puissance divine. Philon est le

seul à évoquer ce détail, qu’il étend non seulement au nom du Créateur mais à celui des

patriarches du peuple juif!:

David partit et prit sept pierres!: il écrivit dessus les noms de ses pères, Abraham,
Isaac et Jacob, Moïse et Aaron, le sien et celui du Très-Fort.238

On connaît la suite!: la pierre où est écrit le nom de Dieu donne la victoire au ber-

ger qui décapite le géant. Philon ajoute (et Sala ne le suit pas jusque-là) qu’alors l’ange de

Dieu relève lui-même le visage de David penché sur sa victime. Saül s’étonne, il ne le re-

connaît plus!: l’enfant est transfiguré239: chez Sala, il est reste simplement un vainqueur

acclamé.

238 LAB, LXI, 5, p. 371.


239 LAB, LXI, 9, p. 373.
TROISIEME PARTIE 347

La dernière hardiesse fait directement suite à la légende biblique inspirée des Pro-

phéties de Merlin240. Peut-être par souci de revenir à davantage de fidélité envers la Bible,

elle ne comporte pas de différence majeure par rapport au passage de Samuel qui

l’inspire. Elle raconte simplement d’une manière vivante le vol de la lance et de la gourde

de Saül, un soir qu’il campait avec sa suite sur la colline de Hakila (I Sam. 26, 1-25). Le

seul écart à signaler est l’indulgence que le narrateur témoigne envers David!: un héros

épique ne prend pas la fuite comme un vulgaire voleur, aussi le fils de Jessé n’évite la

compagnie du monarque que par respect pour sa personne!:

David, qui de tout cecy fut adverti, se retira es lieux fors dedans les montaignes,
non par maniere de fuitte, mais il ne vouloit en nulle fasson contrister a son sei-
gneur le roy saul qui par tout le cherchoit.241

Le reste de l’histoire, que nous connaissons, est une simple transposition en style

direct, oral, de la scène biblique!:

Alors, Abizai dit a David!: Or est temps maintenant de vous vangier de vostre
ennemy qui a votre mort iuré, car iamais ne le trouverez si a point!: despeschez
vous [auprès] de luy si serez deslivre de grant peine. David alors luy respondit.
Abizai, ie ne plaize a dieu que ie atouche a mon roy qui est sacre et enoingt. Je
lairray faire a dieu le tout puissant la vengence dentre luy et moy. Ja de ma
main ne mourra!: mais prendz sa couppe et sa lance et retournons!: ses deux
choses porteront tesmoignage que iusse assez fait de luy ma volunte se il meust
pleu. Si prindrent leur chemin droit a leurs gens sans trouver ne empeschement
ne encombre.

La fut experimentee la grande noblesse du cueur du gentil david qui point ne


voulut user de trayson envers son seigneur qui tant de mal et de peine luy avoit
fait souffrir.242

240 Voir plus haut, p. 118.


241 Fol. 15r etv
242 Fol. 16v
TROISIEME PARTIE 348

Par sa forme, le genre épique auquel appartiennent les Hardiesses de Pierre Sala

procède autant de la compilation que de la tradition des trouvères et des troubadours, les-

quels rapportaient à haute voix les exploits de héros légendaires pour offrir à une noble

assistance un agréable passe-temps. La prouesse se transforme en gloire dans la mesure

où elle inspire un récit vivant et envoûtant, sujet – comme la légende!– aux amplifications

de toutes sortes, nourries de traditions juives et de procédés stylistiques en lien avec

l’oralité originelle de l’épopée. C’est sous le masque d’embellissements passés dans la

culture chrétienne que les exploits de David ouvrent la voie d’une longue série de faits

d’armes, plus incroyables les uns que les autres. Le retour à la sola scriptura se fait en-

core attendre, il donne à l’histoire sainte quelques belles années à vivre.


TROISIEME PARTIE 349

Chapitre VI

La harpe couronnée!: le symbolisme musical

du Penser du royal mémoire

Le rapprochement établi sous Charles VIII entre le roi, la croisade et David ne s’efface pas

avec le changement de siècle puisque trois ans après la bataille de Marignan paraît, à Paris,

une nouvelle exhortation à défier les Turcs, de la plume du grand rhétoriqueur Guillaume

Michel!: le Penser du royal mémoire. Auquel penser sont contenuz les epistres envoyez

par le royal prophète David au magnanime prince, céleste champion et tres crestien roy

de France Françoys premier de ce nom avecq aucuns mandemens, et autres choses

convenables à l’exortation du soulèvement et entretiennement de la saincte foy catholi-

que243. Depuis l’étude d’Anne-Marie Lecoq sur les images symboliques ayant marqué le

règne de François Ier244, les principaux sujets abordés par cette œuvre de glorification

royale sont connus!: dans ce long poème allégorique composé essentiellement de vers

décasyllabiques, le poète fait adresser au roi de France quatre épîtres, la première par le roi

David, les suivantes par les filles de Jérusalem, Jeanne d’Arc et le dieu Mars, et une cin-

quième destinée à Léon X par «!Polynia!», parfois assimilée à Mnémosyne, appelant à la

réforme intérieure du royaume et à la reconquête de la Terre Sainte. Quelques opuscules

secondaires étaient également, sur le mode allégorique, cet appel à la croisade et au redres-

sement de la France et de l’Église, comme ce «!Mandement de Lucifer!» daté du 27 mai

1518 où Michel fait du sultan un suppôt de Satan mis en garde contre ses plus terribles

adversaires, François Ier et le Pape Léon. Seuls un royaume vertueux et une Église aux

243 Paris, 1518.


244 Op. cit.
TROISIEME PARTIE 350

mœurs redressées seront garants de la victoire de François à la tête d’une croisade!: aussi

le peuple tout entier est-il convié à marcher dans les traces héroïques du berger d’Israël

sous la houlette du roi de France, auquel David remet les insignes de son pouvoir, la harpe

et la fronde!:

Pourtant, chier filz, ma fonde, mes cinq pierres,


Ma harpe dor, chantant damour les erres,
Et ce que ieu en la possession
De royaulte au pais de Sion,
Je te transmetz, et en ce iour present
Divinement ten faictz loyal present.
Prendz les en gre!: et en ton cueur les pose
Sy que ton faict en vertu te dispose. (fol. 2r corr)

La remise au roi des attributs de David est certainement le motif caractéristique des

poèmes héroïques inspirés de Samuel dans la première moitié du siècle. Après Marguerite

de Navarre et Nicole Lescarre, Guillaume Michel entreprend à son tour d’en décliner le

motif à une fin politique!: conduire la nation à défendre sa foi sur les routes qui condui-

sent à Jérusalem. L’ouvrage qui en résulte, sans appartenir directement à la famille de

l’épopée – c’est un poème didactique – entretient donc avec le grand genre un certain

nombre de points communs permettant de l’aborder en regard des œuvres épiques

«!traditionnelles!»!: un thème guerrier, des valeurs chrétiennes, une refonte poétique de

passages de l’Écriture sur le mode allégorique, un appel à la prouesse et à l’action. Ce qui

le distingue tient au lien établit entre le désir de croisade et la musique de David, entre les

arts et les armes!: la harpe du psalmiste apparaît comme l’alliée spirituelle des guerriers de

Dieu, celle qui donnera victoire au roi dans son élan d’entraîner le royaume vers la stabilité

intérieure et vers l’hégémonie. Le symbolisme dégagé dans l’«!Épître de David!» est le

type même du prolongement des théories musicales des Pères dans!les images de la

guerre dans la première moitié du siècle. Il témoigne du passage d’un monde encore em-

preint de l’intelligence médiévale des Écritures vers une esthétique nouvelle.


TROISIEME PARTIE 351

La gravure dédicatoire

L’héritage médiéval de l’épître se manifeste d’abord dans l’appel à la guerre

sainte. Celui-ci apparaît dès l’iconographie dédicatoire, une gravure sur bois des plus inu-

sitées dans le contexte d’une dédicace. Elle se rapporte à la guerre d’Israël contre les

Ammonites, qui se conclut par la victoire des Hébreux et le siège de Rabbah!; on le sait,

c’est également au cours de cette guerre sainte que David, resté à Jérusalem, commit

l’adultère avec Bethsabée, dont il fera assassiner le mari. En rapport avec II Sam. 11, 14-

17, l’image décrit cet épisode terrible. Elle montre un David remettant à Urie un billet,

l’ordre d’exécution qui entraîna la mort du Hittite aux portes de Rabbah!: la remise de la

lettre rappelle le motif traditionnel du rédacteur offrant son livre au roi. On peut s’étonner

du choix de l’épisode, si peu flatteur à la fois pour Michel, dans le rôle du bourreau, et

pour le roi, second Urie envoyé sur le front poursuivre la guerre contre la nation païenne.

David, ses trois valets et deux soldats ont une mine atterrée, ils n’osent regarder le soldat

en face!; seul Urie sourit et accepte d’un air résigné la lettre qu’on lui tend. On reconnaît

bien là l’influence de Flavius Josèphe245. David ne joue pas, sa harpe est sur le sol. Témé-

raire iconographie pour illustrer le cadeau d’une épître de David à François Ier, que Michel

s’apprête à comparer en grâce et en vertus à son ancêtre symbolique. L’appel du rhétori-

queur à s’armer pour partir en Croisade explique-t-il ce choix insolite, ou s’agit-il sim-

plement d’une illustration malheureuse de l’offrande à François d’une lettre signée du

psalmiste? L’un et l’autre, probablement. Toujours est-il que l’Épître du roi David246, à

notre sens la plus intéressante des quatre pour la richesse de son dispositif symbolique, ne

laisse aucun mystère sur l’identité dissimulée derrière le personnage principal de la gra-

vure et sur le sens de la lettre tendue:

245 A. J., livre 7, ch. 7, 130.


246 Op. cit., fols. 1-23.
TROISIEME PARTIE 352

Le roy David peult representer en ce lieu tout euvre royal et pensement quung
prince doibt avoir!: et son epistre toute maniere dinspirations royalles aux ver-
tus de David conformées. (fol. 20v )

L’Épître de David consiste essentiellement en un curieux programme d’éducation

du prince au gouvernement du royaume et à la Croisade dans laquelle la musique tient une

large place. Le rhétoriqueur, que le mélange des genres ne déconcerte pas, entreprend de

glorifier le pouvoir royal en évoquant chacune des ressemblances qui rapprochent le héros

juif et le roi très-chrétien. Dans un premier temps, les traits communs de l’un et de l’autre

font l’objet d’une énumération succincte mais minutieuse!; plus loin, le rhétoriqueur énu-

mère d’abondance les qualités qu’ils reste encore à François Ier à acquérir pour devenir le

véritable miroir de son prédécesseur!: il doit apprendre à jouer de la harpe dorée du psal-

miste, allégorie des vertus, pour guérir le royaume comme le psalmiste avait jadis guéri

Saül, et à manier la fronde et les cinq pierres pour décimer les Maures, assimilés à Goliath.

Par la remise d’objets symboliques, Michel inscrit son œuvre dans la droite ligne de

l’allégorie didactique médiévale, la même empruntée par Jean Thenaud dans ses Trium-

phes de vertuz et Pasquier le Moyne dans son Couronnement du Roy François247!: la

valeur du don fait à François tient à la mémoire du passé qu’il renferme, en particulier la

mémoire des actions nobles et des valeurs extraordinaires qui lui furent rattachées, sus-

ceptibles de revivre en François et d’infléchir à travers lui l’écriture du présent. Le roi

deviendra ainsi un David redivivus, le dixième preux, après le saint roi d’Israël, Josué et

Judas Maccabée.

Le parangon biblique

Le réflexe séculaire de comparer le roi en titre à son archétype biblique ancre éga-

lement l’épître dans une longue tradition monarchique. Les qualités davidiques acquises

247 Cf. Lecoq, op. cit., p. 279.


TROISIEME PARTIE 353

par le roi, depuis peu de temps monté sur le trône, se rapportent essentiellement à sa vic-

toire militaire de Marignan qui lui permit de reconquérir rapidement le Milanais!: comme

le berger a vaincu l’ours qui menaçait son troupeau, François a mis en déroute l’ours

suisse qui menaçait «!le parc des lys!»248, et pour cet exploit il s’est acquis une renommée

immortelle. De «!semblables vertus et dons de grâce!»249 lui permettent de «!se parer de

David![…] sans emprunter louange d’autruy!»250!: il a démontré sa force, conformément à

l’étymologie prêtée par Isidore de Séville au nom de David, manu fortis251, «!fort à la

main!»252. La réputation de valeureux chevalier qui ne le quitte plus confirme d’ailleurs le

soutien divin dont il bénéficie depuis le sacre, où il reçut sa «!coronne qui vint des

cieulx!»253!: Dieu l’a élu roi et ne l’abandonnera pas, il le soutiendra comme jadis son

prophète.

En dehors des indices biographiques, d’autres éléments, d’ordre purement allégo-

rique cette fois, raffermissent le parallèle!: Saül, dont l’étymologie isidorienne signifie

«!demande!»254, désigne «!le royaume de France qui fust demande à Dieu a estre fait cres-

tien par la royne Clotildis!»255, et sa folie, «!lerreur diniustice qui est en ung royaume!»256

- celui de France, où le peuple est si «!pressé!» et «!foullé!» qu’il est aussi faible qu’un

248 Fol. 2v
249 Fol. 1r
250 Fol. 1v
251 Isidore de Séville, Mysticorum expositiones sacramentorum seu Quaestiones in Vetus Testamentum,
in [CLCLT 5], op. cit., Cl. 1195, In Regem I, ch. 9, par. 1, col. 398, ligne 50. La lecture étymologique
des noms bibliques se répercute longtemps chez les auteurs chrétiens et traverse les siècles pour devenir un
procédé classique de l’interprétation de l’Écriture. Raban de Maur, dans son Opus de Universo (livre 3, ch.
1) répercute ainsi les propos d’Isidore!: «!David interpretatur fortis manu utique!: quia fortissimus in
proeliis fuit!: ipse et desiderabilius in stirpe scilicet sua!: de quibus praedixerat propheta, veniet desidera-
tus cunctis gentibus.!» Nous utilisons l’édition strasbourgeoise de J. Mentelin publiée vers 1467 sous le
titre de [Opus de Universo] Epistola Rabani ad Ludovicum regem.
252 Fol. 1v
253 Fol. 1r
254 Etymologies, livre 7, ch. 6, par. 62, in CLCLT5, op. cit., cl. 1186. Raban Maur (op. cit., livre 3,
ch. 1) confirme!: «!Saul petitio interpretatur.»
255 Fol. 9v
TROISIEME PARTIE 354

petit enfant.!Jonathan est «!bon conseil!»257, dont l’image biblique est la colombe, et Ab-

salon l’ennemi de la paix, figure de l’orgueil258. Enfin, Michol sauvant son époux des

attaques de Saül «!represente la puissance du royaume de France qui de luy [David] pre-

cede comme la fille de son pere!»259. Il revient donc au second David de réaliser le vœu de

son double archétypal, d’opérer lui-même la guérison du royaume afin de le rendre digne

de décimer les Maures. Pour ce faire, le prophète lui promet le renfort d’autres vertus

qu’il acquerra sans tarder!:

Veu que pour vray tous les dons que iavoye


Quant iestois roy et pasteur en la voye
Tu obtiendras, et les graces acquises
Telles que moy divines et exquises. (fol. 1v )

La monarchie à l’école du psalmiste

La promesse faite à François se réalise dans le transfert au roi des attributs parti-

culiers du bethléemite, la harpe et la fronde, dont l’auteur définit la signification allégori-

que d’un bout à l’autre de l’épître - certes de manière inégale, puisque des deux offrandes,

c’est la harpe qui mobilise l’essentiel de sa pensée!: plus des deux tiers de l’épître sont

consacrés aux significations morales de l’instrument de musique, envisagées en rapport

avec l’acquisition des vertus princières et l’exercice du pouvoir, contre deux feuillets à

peine pour la fronde. La référence biblique est bien sûr II Sam. 16, 23, où le chroniqueur

reconnaît à la lyre de David une puissance curative certaine. En bon pédagogue, Guillaume

Michel évoque cette page célèbre de l’Écriture pour inviter le roi à perpétuer le motif de

David musicien et à s’instruire de son art, c’est-à-dire à apprendre à manier l’instrument

(toujours au sens allégorique) pour engendrer chez ses sujets des effets moraux et bénéfi-

256 Fol. 6v
257 Fol. 16r
258 Fol. 19r
259 Fol. 8r
TROISIEME PARTIE 355

ques sur le plan politique. François est comme appelé à dépasser son rôle de mécène et de

mélomane pour restituer lui-même les effets de la musique ancienne et joindre à l’exercice

du pouvoir celui de l’imitatio davidis, ce modèle de piété!:

Jouer te fault comme moy de la harpe


Pour deschasser lesprit malin qui serpe
Dedens le corps du roy Saul et rempe.
De bien harper prendre doibs mon exemple
Car a cela iestois mellodieux
Jusques au cueur et ouie des cieulx. (fol. 2v )
[…]
Par ce moyen comme moy tu seras!:
Et ce qui est commence metteras
A bonne fin selon Dieu proprement. (fol. 2r)

Pour le grand rhétoriqueur, la maîtrise instrumentale est bien une affaire royale.

Elle s’entend néanmoins davantage au sens figuré!qu’au sens propre!: faire résonner les

cordes de la harpe, c’est d’abord pour le roi s’attaquer aux errances morales qui guettent

le royaume et veiller à ce que ses administrateurs soient tous «!parfaictz et bons iusti-

ciers!»260!; c’est également s’assurer du châtiment des malfaiteurs et favoriser l’harmonie

de toutes les parties du royaume. David aurait d’ailleurs prêté jadis sa lyre à d’autres

puissants personnages pour qu’ils mènent à bien leur mandat politique, faisant de sa harpe

un insigne du pouvoir!: à Rome, l’empereur Trajan et l’empereur Théodose, en France, le

bon Clovis, le grand Charlemagne, qu’on entendit jouer «!iusques en Arragon!»261, et saint

Louis, réputé pour sa «!merveilleuse iustice!»262, lequel atteint les notes les plus hautes.

On reconnaît bien là l’habitude consacrée de rattacher à la gloire du royaume très-chrétien

l’exécution de psaumes mis en musique, mieux connue depuis les travaux des musicolo-

260 Fol. 11r


261 Idem.
262 Idem.
TROISIEME PARTIE 356

gues Donat Lamothe et Jean-Paul Montagnier263. Elle traverse de part en part le XVIe siè-

cle de sorte qu’on la rencontre encore en 1610 dans le Discours sur les modes de musi-

que de Pierre Maillart!:

L’histoire de France nous raconte, que le Roy Robert, fils de Hugues Capet, a
souvent chanté, et commencé les Pseaumes, et avoir un iour, cependant qu’il
s’exerçait en tel office, obtenu une grande victoire. Zonaras nous recite, que
Leon Armenien, Empereur de Constantinople, a faict le mesme. Socrates, livre
7, chapitre 22, dict le semblable de l’Emprereur Theodose le Ieune!: Imperator
verò (dit-il) medius inter eos, Psalmos, et Hymnos ordiebatur. Nicephore, livre
14 chapitre 13, escrit de mesme, du mesme Empereur. […] Voire [David] ne
recommande rien tant que ceste psalmodie à ce qu’elle soit bien faicte. Psal.
46. Psallite Deo nostro, psallite Regi nostro, psallite quoniam Rex omnis terrae
Deus, psallite sapienter. […] Et partant les Roys luy doibvent bien cela264.

Dans les premiers temps de l’Église, le réflexe de lier la psalmodie à l’exercice du

pouvoir était une manière de confirmer le lien étroit et stratégique entre le pouvoir spirituel

et le pouvoir temporel, entre monarchie et papauté. En retour, ce rapprochement préserva le

chant sacré du soupçon d’immoralité lié à la musique en général, et en particulier à la mu-

sique populaire265. La nécessité de démarquer la musique de David de tout autre genre

musical revient chez Michel, comme il revient d’ailleurs dans!la plupart des prologues au

livre des psaumes266: les joueurs de lyre païens (Apollon, Orphée, Amphion, Terpandre,

Mercure, etc.), écrit-il, ne rivalisent pas en noblesse avec le créateur des psaumes!; les

263 P. Donat Lamothe, «!La réinterprétation royaliste des textes bibliques, et surtout des psaumes, dans
le répertoire religieux de la cour de France (1560-1610), in La Musique et le rite sacré et profane. Actes du
XIIIe congrès de la Société Internationale de Musicologie, Strasbourg, 29 août - 3 septembre 1982, Stras-
bourg, association des publications des Universités de Strasbourg, 1986, vol. 2, p. 418 sqq!; Jean-Paul
C. Montagnier, «!Le Te Deum en France à l’époque baroque. Un emblème royal!», in Revue de Musico-
logie, 84/2, 1998, pp, 199-233.
264 Les Tons, ou discours sur les modes de musique, et les tons de l’Eglise, et la distinction entre iceux,
de Pierre Maillart, valencenois, chantre et chanoine de l’eglise cathedrale de Tournay, à Tournay chez
Charles Martin, 1610, pp. 255-56.
265 Cf. T. Gerold, Les Pères de l’Église et la musique, Paris, Félix Alcan, 1931, pp. 125 ss.
266 Notamment dans la dédicace au roi de Marot des Trente premiers psalmes, op. cit.
TROISIEME PARTIE 357

vieux arguments en faveur de la supériorité de la psalmodie sur la musique d’agrément

surgissent à nouveau pour juger, dans la cohorte de musiciens légendaires, les vivants et

les morts. Orphée ne descendit-il pas aux enfers pour n’avoir joué que des airs profanes,

impropres à louer Dieu? Avec les autres musiciens de l’antiquité classique, il n’est pas

digne de servir de modèle aux princes. Seul David et les rois chrétiens à qui il transmit sa

harpe accèderont à la vie immortelle!: «!cest linstrument qui faict au ciel monter / Le bien

souvant, et au ciel surmunter!»267. Il ne s’agit toutefois pas pour le rhétoriqueur de bannir

tout rapprochement avec les modèles traditionnels de la mythologie et de la légende, inhé-

rents à l’expression poétique. Lorsque le mythe abonde dans le sens de la matière biblique

et confirme que la musique engendre des effets concrets sur la scène du monde, Michel

reconnaît aux fables une valeur positive.!Il évoque pour mémoire Écho, dont le chant pé-

nétrait l’air pour réjouir bois et vallées, et Amphion, dont la légende raconte qu’il bâtit les

murs de Thèbes en charmant les pierres au son de sa lyre, de même que «!les brebix, beuz

et thoreaux!»268!; Alithie également, que David présente comme sa parente de souche

royale, qui protégeait ses brebis par les pouvoirs de sa musique. Le son de la harpe péné-

trera dans l’âme des auditeurs comme elle le fit jadis dans celle de la création!; elle main-

tiendra le monarque dans une voix vertueuse et toute la France dans son sillage. Il in-

combe alors au roi très-chrétien de faire œuvre nouvelle en perpétuent le genre religieux,

musical et littéraire du psaume, par des actions de grâces et des compositions lyriques de

son cru!:

Faire tu doibs et pseaulmes composer


Autant que moy!: cela tu doibs disposer.
Ung psaultier feiz contenant cent cinquante
Pseaulmes patens de volente sequente.
Les beaulx dittiers que tu composeras
Sont les honneurs qua Dieu tu rendras
En tous tes faictz en le remerciant
Que tu es Roy, soys le regraciant. (fol. 20r)

267 Fol. 11v


268 Fol 3r
TROISIEME PARTIE 358

Conformément à l’iconographie médiévale, où la lyre apparaît comme un emblème

royal de David au même titre que l’orbe et le sceptre 269, la harpe et le psautier deviennent

avec Michel un attribut spécifique de François Ier!; ce dernier doit donc se familiariser

davantage avec l’art de la psalmodie, mais aussi prendre exemple sur le psalmiste et re-

mettre à l’honneur le chant des psaumes à la cour de France. La pratique musicale s’avère

ainsi une école princière de vertu et d’honnêteté et un remède sûr, efficace, aux malaises de

la chrétienté dénoncés par Michel!; on reconnaît bien, sous une forme christianisée,

l’héritage de la philosophie platonicienne («!L’art éducateur par excellence, celui qui au

moyen des sons s’insinuant dans l’âme la forme à la vertu, a reçu le nom de musi-

que!»270) que les Pères tournèrent en faveur de la psalmodie pour en faire un gage de no-

blesse!:

Celui qui chante les psaumes a, par la mélodie déjà, une grande jouissance, ainsi
que consolation et soulagement, et cela octroie au chanteur une sorte de digni-
té.271

Le réseau de significations et de symboles attachés à la lyre de David s’inscrit

ainsi dans un premier contexte, le prolongement des théories musicales antiques dans la

culture musicale de la cour de France. L’allégorie que développe Guillaume Michel fonc-

tionne en tant qu’elle s’appuie sur un fondement solide, sur la capacité du souverain à

apprécier le langage et les références musicales tant anciennes que contemporaines, ce qui

lui permettra ensuite d’accéder à une signification plus large, moins orientée vers la prati-

que musicale que vers le symbolisme dont l’instrument à corde est porteur!; l’affinité ré-

elle du roi avec la musique et l’intérêt certain de sa part pour la connaissance du monde et

des êtres qu’elle est susceptible de transmettre lui ouvrent l’accès au sens figuré de

l’épître, celui-même que s’attache à dégager son rédacteur. Cela suppose, au moins en

269 Cf. Steger, David rex et propheta, op. cit, pp. 125-38.
270 Lois, III, 673, cité et traduit par T. Gerold, op. cit., p 83.
271 Jean Chrysostome cité par T. Gerold, op. cit., p. 84.
TROISIEME PARTIE 359

théorie, un horizon culturel préparé à l’interprétation allégorique de la musique et la re-

connaissance de sa valeur pour l’élaboration d’un art de gouverner.

Musique et éducation du prince

L’idée selon laquelle la connaissance de la musique (sa théorie, sa pratique, ou

peut-être même seulement la connaissance qu’elle renvoie du monde) est propice à la for-

mation du monarque et une propédeutique à l’exercice du pouvoir n’est, bien sûr, pas

nouvelle!; elle est un prolongement de l’échafaudage pédagogique du Moyen-Âge et un

fondement théorique de la pédagogie humaniste. Rappelons le rôle central que joue la

musique à la cour des rois de France, où elle participe aux rites de la monarchie!: les nais-

sances royales, qui se déroulaient habituellement en public, étaient célébrées au son de

motets272!; baptêmes, sacres et couronnement, souvent suivis d’une entrée solennelle à

Paris, faisaient également une belle part à l’art lyrique!: l’importance de la musique exé-

cutée à ces occasions allait de pair avec l’ampleur et la pompe croissante des cérémo-

nies273. Même les processions expiatoires de 1528 et de 1535274, en réaction aux attitudes

jugées sacrilèges par le roi qui accompagnèrent les premières manifestation de la Réforme,

se déroulèrent au son de hautbois, de clairons et de trompettes, sans oublier les membres

du clergé «!chantans de musicque du Saint Sacrement!»275. Du sacre aux obsèques, la

musique participait au decorum destiné à exprimer esthétiquement et symboliquement la

272 Jean Mouton semble avoir accompagné la naissance de Renée de France en 1510 par son motet Non
nobis Domine, et la naissance de Louise de France, premier enfant du couple royal, par un autre motet du
même compositeur, Exalta regina Galliae. Cf. Cazeaux, op. cit., p. 164.
273 Idem, p. 167.
274 En juin 1528, une Vierge à l’Enfant placée dans une niche à l’angle des rues des Juifs et Roi-de-Sicile
fut décapitée, suite à quoi Francois Ier organisa une procession qui eut lieu le jour de la Fête-Dieu. La
seconde manifestation religieuse organisée par le roi fait suite à l’affaire des Placards. Cf. Cazeaux, op.
cit., p. 176.
275 Chantilly, musée de Condé, ms. 1485, après Cazeaux, idem, p. 177.
TROISIEME PARTIE 360

dimension religieuse de la vocation royale et à magnifier le prestige sacral du monarque et

de sa famille.

Les textes témoignant de l’éducation musicale de François Ier lorsqu’il était dau-

phin sont moins connus. Certains ouvrages comme le Penser révèlent pourtant que

l’initiation du prince à la musique était un motif courant du répertoire d’œuvres célébrati-

ves des jeunes rois appelés à gouverner depuis le trône. L’élément musical y recèle sou-

vent une valeur de symbole!; selon Nicoletta Guidobaldi, il faut y voir une référence cou-

rante des ouvrages de glorification princière du XVIe siècle, à laquelle s’ajoute souvent, par

un effet de mode d’origine italienne, la reconnaissance des talents réels du roi pour la pra-

tique instrumentale!:

La nécessité pour le prince d’avoir des connaissances en musique, afin d ’ y


trouver non seulement une agréable récréation mais aussi une fonction éduca-
trice pour la responsabilité du gouvernement donna lieu à une considérable
production littéraire. Alors que les réflexions sur l’éducation musicale princière
font l’objet de traités moraux et politiques, la compétence musicale du Sei-
gneur, et notamment sa capacité de pratiquer le chant «!all’antica!», va bientôt
devenir un topos de la poésie célébrative de l’époque276.

En France, à la différence des autres arts, il n’y a pas encore sous François Ier de

volonté de retour à l’esprit de l’Antiquité dans les performances musicales!; il faut atten-

dre l’Académie de poésie et de musique de Baïf et Courville pour voir les musiciens re-

monter aux Anciens et tenter l’expérience de la musique mesurée. En revanche, le Penser

du royal mémoire en témoigne, les qualités lyriques de David et la référence prestigieuse

aux musiciens mythiques pour la valeur pédagogique et morale de leur art sont un thème

276 Nicoletta Guidobaldi, «!La Musique du Prince!», Médiévales, no 32, 1997, p. 62. Sur la diffusion de
ce thème dans les cours italiennes de la Renaissance, voir F. Gallo, Musica nel castello. Trovatori, libri,
oratori nelle corti italiane dal XII al XV secolo, Bologne, Il Mulino, 1992, ch. 2 (pp 76-78) et ch. 3 (pp.
95-140).
TROISIEME PARTIE 361

important des ouvrages de glorification du roi, comme déjà par le passé277!: elles filent le

thème du souverain instruit en musique et susceptible d’y trouver un miroir de l’art de

gouverner.

Le principal ouvrage de référence liant éducation princière et musique au temps de

François Ier est encore le!De regimine principum (ou De la conduite des princes) de Gil-

les de Viterbe, l’Institution du prince de Guillaume Budé négligeant la part de la musique

dans le programme éducatif du monarque. Cet oubli ne doit pas nous étonner, d’autant

qu’il s’accompagne d’autres, non moins importants!: Budé se passe par exemple de citer,

dans la liste des lectures indispensables au roi, la Bible et ses commentaires, deux référen-

ces pourtant jugées indispensables dans tous les traités de pédagogie royale de l’Ancien

Régime278. Il faut donc se tenir aux ramifications du Moyen-Âge dans la première moitié

du XVIe siècle pour retrouver le fil liant pouvoir royal et musique, gardant à l’esprit que

l’influence du «!classique!»!de Gilles de Viterbe reste d’actualité à la Renaissance, comme

en témoignent les nombreuses rééditions de l’ouvrage en France, en Italie et dans le reste

de l’Empire. Elle a aussi laissé sa trace dans plusieurs traités sur l’éducation princière,

celui Des mœurs de l’adolescence dignes d’un homme libre et bien né (1402) de l’italien

Pier Paolo Vergerio279 par exemple, composé pour le fils du Seigneur de Padoue, Ubertin

277 Cf. G. Kirkwood, «!Kings, Confessors, Cantors and Archipellano!», in [Philippe Vendrix], Johannes
Ockeghem, Actes du Xle colloque international d’études humanistes, Paris, Klincksieck, 1998, pp. 128-
37.
278 Il faut néanmoins reconnaître que Budé se sert de citations de l’Ancien Testament dans son Institution
du Prince et mentionne trois pères de l’Église importants!: Hilaire, Jérôme et Augustin. Le passage qui
les évoque se poursuit cependant par une critique acerbe des théologiens, incapables de comprendre ensem-
ble le grec et le latin. Cf. Cl. Bontems, L.-P. Raybaud et J. P. Brancourt, Le Prince dans la France des
XVIe et XVIIe siècles, Paris, P.U.F., 1965, pp. 45-50.
279 On en trouve une édition moderne sous le titre de Petri Pauli Vergerii ad Ubertinum de Carraria de
ingenuis moribus et liberalibus adolescentiae studiis liber, éd. C. Miani, in Atti e memorie della Società
istriana di archeologia e storia patria, N. S. XX-XXI, 1972-73, pp. 183-251. On peut également rappeler
l’attention portée à la musique dans les académies italiennes par Guarino Veronese, précepteur de Lionel
d’Este, et par Vittorino da Feltre, fondateur de la Ca’Gioiosa à Mantoue, dont les idées gagneront plus tard
la France grâce au cercle d’érudits gravitant autour de Baïf. Cf. P. O. Kristeller, «!Music and learning in
TROISIEME PARTIE 362

de Carrare. C’est en raison de son extraordinaire rayonnement que le Régime du prince

demeure une référence.

Inspiré de la Politique d’Aristote, qui incluait la musique au nombre des quatre

disciplines essentielles à la formation des jeunes nobles, avec la grammaire, la gymnasti-

que et le dessin, et des passages sur la musique contenus dans les Lois de Platon, le De

regimine principum place l’art lyrique au cœur du parcours intellectuel du monarque.

Viterbe rappelle la nécessité pour le prince et le noble d’être instruit dans la pratique musi-

cale et décline un vaste programme d’éducation princière. Après avoir affirmé que « la

musique convient aux jeunes gens eux-mêmes et aux fils des hommes libres et des no-

bles!»280, il précise que «!c’est un bon loisir d’intercaler (entre les études) les plaisirs de la

musique, qui sont permis et innocents. C’est surtout convenable aux fils de personnes

libres et nobles qui, ne s’occupant pas des arts mécaniques, resteraient oisifs s’ils ne

s’adonnaient aux disciplines libérales et s’ils n’intercalaient, entre leurs exercices, les plai-

sirs de la musique qui sont licites et honnêtes!»281. Mais il ne s’agit pas uniquement d’un

plaisant divertissement!: le jeune noble doit «!connaître ces sciences par lesquelles l’on

sait se conduire et se gouverner, ainsi que les autres!; les sciences morales sont de cette

sorte!»282, et à ce très haut niveau encore il lui importe de maîtriser des connaissances par-

ticulières, « car au sujet de la musique également, selon le philosophe de la Politique, il

convient qu’ils en soient instruits dans la mesure où elle se consacre aux bonnes

the Early Renaissance!», in Studies in Renaissance Thought and Letters, Rome, 1956, pp. 451-70, en
particulier pp. 459-60.
280 «!Musica […] convenit ipsis iuvenibus et maxime filiis liberorum et nobilium.!»
281 «!Otium bonum est aliquando interponere delectationes musicales que sunt licite et innocue. Maxime
autem hoc decens est filiis liberorum et nobilium qui, non vacantes mœchanicis artibus, remanerent otiosi
nisi studerent liberalibus disciplinis et nisi suis exercitiis interponerent delectationes musicales que sunt
licite et honeste.!» Egidio Romano, De Regimine principum, Rome, Bartholomaum Zannettum, 1607,
p. 307.
282 «!… illas scientias scire per quas quis se et alios novit regere et gubernare!; huiusmodi autem sunt
scientie morales.!» Ibid., p. 310.
TROISIEME PARTIE 363

mœurs!»283. Le programme d’éducation musicale s’effectue en trois temps!: avant l’âge

de sept ans, quand il commence à bien maîtriser le sens des paroles mises en musique, il

peut commencer à réciter des poèmes et à chanter «!certains chants honnêtes!»284. De sept

à quatorze ans, l’instruction concerne la grammaire, la dialectique et la «!pratique musi-

cale!» qui consistera dans «!certaine modulation des voix!», probablement la pratique mo-

nodique. Après ses quatorze ans, lorsqu’il maîtrise l’usage de la raison, il poussera plus

loin l’apprentissage de diverses disciplines en continuant l’exercice de la pratique musi-

cale, qui consistera alors «!en l’accord des voix!», par conséquent dans la technique poly-

phonique.

Dans l’état actuel des recherches, il est encore difficile d’apprécier dans quelle

mesure le studieux parcours imaginé par Gilles de Viterbe fut celui de François Ier, les

connaissances réelles du souverain en matière musicale demeurant un point obscur que

même le Penser du royal mémoire n’éclaire pas complètement. La dédicace latine d’une

édition musicale sortie des presses d’Adrian Le Roy et Robert Ballard en 1555 louent son

savoir et sa générosité qui permirent l’épanouissement en France des arts libéraux et par-

mi eux de la musique, jadis réservée à une minorité mais grâce à lui devenue l’objet d’un

essor sans précédent285. On connaît son faible pour les nouvelles compositions, et no-

tamment son admiration pour la voix et les œuvres de Jean Mouton286. D’autres sources

d’archives témoignent que le roi possédait dans sa chambre une épinette qu’il avait ache-

tée au prix de 99 L. 10 S., et «!trois caisses de bois recouvertes de cuyr esquelles estoient

assemblées plusieurs flûtes, cornets, cors et hautbois […] pour son passe temps et plai-

sir!»287!; mais il manifestait surtout un goût prononcé pour les instruments de la famille

des cordes pincées, ces «!bas instruments!» qui furent à la cour l’objet d’un véritable en-

gouement et dont il fait une acquisition massive!: parmi les plus prisés, Christelle Cazeaux

283 «!…nam et de musica, secundum Philosophum in Politicis, eos scire decet in quantum deservit ad
bones mores.!» Ibid.
284 «!aliqui cantus honesti!», ibid., p. 330.
285 C. Cazeaux, op. cit., p. 47.
286 Idem, p. 58.
TROISIEME PARTIE 364

signale la harpe, le luth, la mandore et la guiterne288, des instruments propices à

l’accompagnement des psaumes comme à l’exécution de la musique profane. On constate

que l’offrande imaginée par Guillaume Michel de la harpe davidique correspond aux

goûts du souverain en matière d’instruments!; elle fait écho au renouveau d’intérêt pour

les psaumes, manifesté à la cour par les adeptes de la piété évangélique, et pour le person-

nage de David lui-même, lesquels «!fournissaient [encore] aux rois de quoi exprimer leur

piété personnelle, mais aussi la symbolique de la dimension religieuse de leur pou-

voir!»289, confirme Donat Lamothe. En rapport avec la couronne, la harpe construit une

image du roi ami des arts et ami de Dieu!; elle perpétue le motif du roi musicien, succes-

seur des davidides.

Sur la harpe comme instrument

Si l’on se tourne maintenant vers le texte biblique qui a suggéré au rhétoriqueur

l’offrande d’une harpe, on peut s’étonner du choix de l’instrument privilégié par Michel.

Les Écritures placent en effet dans les mains du psalmiste un kinnôr (en hébreu!; le grec

des LXX dit kithara, kinura ou psalterion)290, que Jérôme traduit par lyra et les traduc-

teurs français, par ‘lyre’ ou ‘cithare’, mais très rarement par ‘harpe’. Dans Samuel,

l’entourage de Saül propose au roi de prendre un musicien qui joue d’un instrument qui

lui fasse du bien pour apaiser l’esprit malin qui tourmente son âme, ce qui laisse à penser

combien les vertus apaisantes et curatives de la lyre-cithare devaient être estimées par les

peuples sémitiques du temps biblique!:

287 Cité après E. de La Gournerie, Histoire de François Ier et de la Renaissance, Tours, 1847, p. 233.
288 Op. cit., p. 35.
289 P. Donat Lamothe, art. cit., p. 418.
290 Un grand nombre de variantes de dénomination et d’évocations littéraires et iconographiques de la
harpe sont recensées par M. Van Schaik, The Symbolism of the Harp in the Middle Ages, Amsterdam-
Atlanta, Rodopi, 1992, au chapitre 1, «!Name and object!», pp. 16-37.
TROISIEME PARTIE 365

Les serviteurs de Saül lui dirent!: «!Voici qu’un mauvais esprit de Dieu te tour-
mente. Que notre seigneur parle. Tes serviteurs sont à ton service. Ils cherche-
ront un homme qui sache jouer de la cithare!: quant un mauvais esprit de Dieu
t’assaillira, il en jouera et tu iras mieux!». (I Sam. 16, 15-16)

Le choix de la harpe ne doit toutefois pas nous surprendre. Les enluminures de la

fin du Moyen-Âge présentent souvent David jouant indifféremment de la lyre, du psalté-

rion, du nable, de la harpe, et même parfois des clochettes291. La Renaissance italienne

préfère même le représenter jouant de la lyra da braccio, l’ancêtre de toute la famille des

violes et des violons, cet instrument dérivé de la rote ou de la vièle dont les cordes distri-

buées sur le manche central et doté d’un archet rappellent le temps des trouvères, des

troubadours et des jongleurs292. La harpe en arc, fruit de l’évolution de l’arc musical, se

joue verticalement, comme la lyre, qui peut également être jouée horizontalement lors-

qu’elle accompagne la psalmodie. Certains ont souligné l’opposition formelle et trou-

blante entre la lance de Saül, l’arc de Jonathan et l’arc musical de David, aussi antithéti-

ques dans leur fonction que la musique s’oppose à la guerre!; également la similitude qui

s’installe entre David et Apollon, autre célèbre joueur de lyre, lorsque le psalmiste touche

les cordes et en obtient des effets pacifiant293. Le Penser du royal mémoire ne manque

pas d’évoquer ce dernier trait et de doter ensemble ces musiciens d’une harpe. Le roi de

France ne devra jamais en être séparé!: il portera l’instrument «!en [son] col en es-

charpe!»!:

Par ce moyen quant tu lauras bien cointe


Tu sembleras apollo de corinte.

291 Sur David représenté indifféremment avec la lyre, la cithare ou le psaltérion, voir «!Musique et musi-
ciens français dans les anciens manuscrits!», in A. Gastoué, Les trésors des bibliothèques de France,
Paris, éd. Van Oest, 1934, pp. 74-75!; Louis Réau, dans l’Iconographie de l’art chrétien, t. 2, op. cit.,
pp. 255-56, ajoute à cette liste un orgue!; enfin, Van Schaik, op. cit., p. 16-37.
292 Une représentation de David jouant de la lira da braccio est reproduite par Emmanuel Wintermitz dans
Gli strumenti musocale e il loro symbolismo nell’arte occidentale, Turin, Boringhieri, 1982, pp. 263-75,
fig. 30, au chapitre dédié à cet instrument.
293 Cf. Bernard Forthomme, La folie du roi Saül, Paris, Seuil, 2002, p. 98.
TROISIEME PARTIE 366

Sy beau nestoit ou ses rains de laurier


Quant il iouoit pour se letiffier!:
Car sil estoit du verd laurier terrestre
Branche adonq tu les du lys celeste. (fol. 20r)

Le rapprochement avec la harpe-lyre apollinienne accentue le fait que chez David,

la maîtrise de la musique s’accompagne des qualités des héros divins, la beauté, l’aisance

rhétorique et l’aptitude à mener des combats!: «!il sait jouer, et c’est un vaillant guerrier.

C’est un bel homme et Yahvé est avec lui!» (I Sam. 16, 18). David est également ce second

Apollon, rendu célèbre par la mythologie non seulement pour avoir dompté les fauves

mais pour sa victoire contre le satyre Marsyas, joueur de flûte qui finira écorché, comme

Saül démembré. Contrairement à la harpe-lyre, la flûte occupe la bouche et prive son mu-

sicien de l’usage de la parole. L’image du roi-musicien qui se dégage du Penser est celle

du bel homme autant capable de tirer des sons de son instrument que doué d’éloquence!;

il présente l’idéal du souverain capable de faire régner l’ordre par la puissance d’une pa-

role sage et harmonieuse. Lorsque celle-ci aura atteint ses limites, alors seulement troque-

ra-t-il la harpe contre l’arc ou la fronde. Comment ne pas faire le rapprochement entre

cette conception des pouvoirs de la musique avec les vertus de la parole efficace dégagée

dans le Projet d’éloquence royale de Jacques Amyot, lequel attribuait à la parole bien dite

et bien pensée, la vertu d’épargner l’usage de la force?

J’avoue que c’est grand’chose d’amener les hommes par force à la raison que
l’on veut!; mais c’est plus de les y conduire de gré, sans coup férir, sans perte
ni danger, et à leur consentement294.

C’est l’union de ces qualités de douceur et de persuasion réunies dans la harpe qui

amènera le roi à faire du bien autour de lui et à initier un règne de concorde. Ce qui nous

amène à une seconde remarque. Dans la Bible, David remédiant à la souffrance du roi

pose un geste thérapeutique et aussi politique!: contrôler l’esprit mauvais et faire du bien à

Saül, c’est aussi prendre le contrôle du roi malade, c’est poser un geste politique. L’art

294 Jacques Amyot, Projet d’éloquence royale, Paris, Belles Lettres, 1992, p. 44.
TROISIEME PARTIE 367

permet de remédier à une souffrance mais dresse en même temps le constat que le malade

s’est montré incapable, seul, de remédier à un état de crise!; elle place l’autre en position

dominante par rapport à celui qui trône encore sur la Terre Sainte. Demander au roi de

France de prendre la harpe, même symboliquement, pour gouverner la nation et remédier à

ses difficultés, c’est dégager une conception «!lyrique!» du pouvoir adaptée à la mission

diplomatique confiée au monarque!; c’est aussi perpétuer le lien très ancien qui unit en-

core dans l’empire, comme jadis à Constantinople puis dans l’iconographie médiévale du

plus jeune fils de Jessé, le sceptre et la lyre295. Une nouvelle impulsion est donnée à

l’instrument artistique et religieux en tant qu’effigie du pouvoir très-chrétien!: elle est un

signe d’élection divine et une promesse d’hégémonie politique.

Lorsqu’il explore la richesse allégorique du passage de l’Écriture dans ses moin-

dres détails, le rhétoriqueur dégage quatre moments dans la scène biblique que

l’iconographie médiévale des livres saints avait déjà envisagés!: David-François 1er tient la

harpe contre lui, sans encore en jouer!; il joue de son instrument, il l’accorde puis le range

dans son étui. De chacun de ces moments, l’auteur dégage une lecture précise que le

poème développe. Nous aimerions nous arrêter sur chacun d’eux et identifier comment

Michel reprend et transforme la tradition interprétative que le Moyen-Âge liait à chacun de

ces épisodes.

1. Le roi porte la harpe à son cou

L’allégorie musicale développée par Guillaume Michel ne peut qu’évoquer les

précédents iconographiques rapprochant musique et pouvoir. Les représentations médié-

vales tardives des rois et des empereurs chrétiens avec dans une main un attribut du pou-

295 Cf. Steger, op. cit., pp. 107- 110. Les origines de cette représentation chez les chrétiens remontent
aux IVe et Ve siècle!; elles montrent l’influence de l’iconographie de l’empereur byzantin sur celle du roi
chrétien, parfois représenté comme novus David.
TROISIEME PARTIE 368

voir (l’orbe ou le sceptre) et dans l’autre, posé sur sa poitrine, la harpe ou la lyre sont lé-

gion dans les enluminures des psaumes, en particulier sur les frontispices!: un exemple

typique, conservé dans un psautier du XIIIe siècle (d’origine incertaine) conservé à la Bri-

tish Library, nous montre par exemple un David tenant dans la main droite le sceptre et

dans l’autre, une harpe296. David incarne l’image du roi chrétien sage et puissant, pieux et

juste. La division règne cependant entre les spécialistes au sujet de la valeur de la harpe

comme insigne du pouvoir!: l’instrument a-t-il réellement, dans ces cas, une dimension

politique ou sert-elle simplement à identifier David sous les traits du monarque? Pour

Steger, la harpe a bel et bien une valeur politique297!; pour Van Schaik298, l’idée demande

à être davantage appuyée, la fonction symbolique de la harpe ne pouvant être confondue

avec celle du sceptre!; pour d’autres encore, la harpe est un insigne du pouvoir seulement

dans la mesure où il figure dans les mains du roi David, précurseur du roi éternel dans

l’arbre de Jessé299. Le Penser du royal mémoire apporte un éclairage intéressant à cette

question par son témoignage certes tardif, mais encore fortement empreint de la culture

iconographique antérieure, sur la fortune de ce motif à l’aube des temps modernes.

Lorsque David fait don de sa harpe à François, le sens à prêter au transfert

d’ornement ne pose aucune ambiguïté!: «!La harpe d’ung roy est sa dignité royalle!»300.

Son cadre d’or convient aux plus grands rois!; ses cordes de nerf et de boyaux, de matière

charnelle et animale, suggèrent qu’ils la gardent tout près du corps, en signe de sanctifica-

tion. L’instrument apparaît donc comme un insigne du pouvoir dans la mesure où il établit

un lien de parenté spirituelle et de mimesis entre le monarque très-chrétien, son archétype

biblique et le Dieu chanté par le psalmiste. La harpe fait du souverain le successeur de

296 Londres, B. L., Add. 44874, fol. 37v , initiale D du psaume 26.
297 Telle est la thèse défendue par Steger dans David rex et propheta, op. cit., en particulier pp. 103-46.
298 Op. cit., pp. 38-61.
299 Hans Zingel, König Davids Harfe in der Abendländischen Kunst. King David’s harp as represented in
European art, Cologne, 1968, p. 18!; Genette Foster, The Iconology of Musical Instruments and Musical
Performance in Thirteenth-Century French Manuscripts Illuminations, (Ph. D. diss., City University of
New York), Ann Arbor, 1977, pp. 30-31.
300 Fol. iiiv
TROISIEME PARTIE 369

David, elle est le signe des racines divines de sa royauté très-chrétienne, du règne de Fran-

çois Ier sur la France et de ses droits sur Jérusalem!; on peut dire qu’elle est l’équivalent

symbolique et religieux de la couronne, voire ici son substitut puisque le rhétoriqueur

n’évoque l’ornement en aucune occasion, à ceci près qu’elle renvoie plus directement que

la première aux Écritures et qu’elle donne autant à voir qu’à entendre sur la nature de la

dignité royale!:

L’instrument tel nommer puis la harpette


De royaulte!: de divers sons reppette!:
Linstrument tel la dignite royalle
Signer te peult sus toute specialle.
Cordes et nerf luy font pluralite
Pour embellir l’art de sonorite. (fol 3v )

Le port royal de la harpe permet d’ailleurs à Michel de dégager un type monarchi-

que précis!: le rang de François Ier à la tête de la nation doit non seulement venir d’un droit

légal lié à la naissance et au lignage, mais également de qualités authentiques du cœur qui,

dans les traités sur l’institution monarchique de l’époque, sont le sceau du roi véritable.

C’était l’opinion de Josse Clichtove dans son Livre et traicte de toute vraye noblesse

(1512), où il se réclame de Jean Chrysostome!: le roi accompli «!doibt estre noble, hault et

illustre, et doibt penser sa noblesse estre entiere, lequel a desdaing de servir aux pechez et

vices et destre vaincu diceulx!»301. Clichtove fait de ce critère l’élément principal que doit

acquérir le chef du royaume et celui auquel il doit consacrer une grande part de ses ef-

forts!: «!la noblesse de vertus est toute nostre gloire et nostre bien, laquelle nous advient

par nostre vigilance et labeur, et non pas par succession et heritaige de noz parens!»302.

Chez Guillaume Michel, la représentation du roi à la harpe, tenue en écharpe autour du cou

avec un appui sur le buste, est le signe de cette conformité de l’âme du monarque avec son

301 Josse Clichtove, Le livre et traicte de toute vraye noblesse, nouvellement translatée de latin en fran-
çoys, Lyons, Thibault Payen, 1533, fol. A3v
302 Idem.
TROISIEME PARTIE 370

statut de souverain. Si la condition royale tient à des questions de lignage et de naissance,

c’est néanmoins l’origine des vertus «!germées!» dans un cœur noble qui fait le roi!:

Tu la prendras au col sans ruine


La porteras, pendent sus ta poitrine.
Pource quel est a la façon semblable
De lestomach, sus lestomach notable
La doibz porter, donnant signifiance
Quel la au cueur quelque traict daliance!:
Cela sentent que les vertuz ornees
Sortent du cueur et au cueur sont germées. (fol. 4v )

Comme David fut élu roi selon le cœur de Dieu, le bien qui adviendra du règne de

François Ier procédera de ses qualités personnelles, garantes de l’âme du royaume.

2. Le roi joue de la harpe

Si le roi porte soigneusement à son cou l’instrument de son règne, c’est bien sûr

qu’il en joue («!Joue souvent, et tire les cordelles, / Qui ont vertu et grand soulas en el-

les!», exhorte le rhétoriqueur) 303 et que la musique ainsi modulée est un gage de puis-

sance. Il s’agit bien sûr, nous l’avons suggéré, d’un écho au livre de Samuel (I, 16, 23) où

David jouant de la harpe procure à Saül un remède musical. Lorsqu’il reprend ce passage

et l’explique sur le mode allégorique, Guillaume Michel assigne dans le rôle du malade le

royaume de France, en proie au combat légendaire du vice et de la vertu, de l’injustice et de

l’équité304, et dans celui du médecin, son roi très-sage qui ne tourne pas ses armes contre

son peuple mais!seulement la puissance d’une musique inspirée alliant l’éloquence royale

(le chant) et la performance instrumentale (la harpe). Les propriétés des antidotes dont il

dispose sont claires!: pour soulager les crises intérieures, l’enchantement lyrique reste le

303 Fol. 3r
304 La place de David dans ce combat a été dégagé dans la Psychomachie de Prudence. Cf. [M. Lavarenne
et J.-L. Charlet], Prudence, tome 3, Paris, Les Belles-lettres, 1992, pp. 63-64, v. 386-406.
TROISIEME PARTIE 371

remède de prédilection. La fronde et les pierres, d’action plus violente, conviennent aux

maux venus de l’étranger!; ils serviront à la Croisade!:

Le roy Saul son Royaulme signiffie


Fort tormente du dyable qui lespie
Par grant exces et maulvais exercice
Cest assavoir du vice diniustice
Qui maintenant corrompt trop equite!;
Par quoy il est bien de necessite
Pour le chasser et fuir de ton Royaulme
Chanter adonc!: non pas prendre ton heaulme.
Chanter te fault ou la harpe damour!:
Harper comment de vertu la clamour!:
A celle fin que du corps de ce regne
Faille de tout ce vice qui y regne. (fol. 6v -7r corr)

Dans la Bible, le recours aux vertus curatives de la musique s’applique particuliè-

rement bien au drame du premier successeur des Juges. Forthomme, auteur d’une belle

étude biblique sur La Folie du roi Saül, a récemment fait valoir que non seulement le gar-

dien d’ânesses de jadis souffrait de surdité, d’«!un manque d’inspiration continu!»305,

parce que Dieu ne s’adressait jamais à lui directement comme aux autres prophètes, mais

ses assauts violents de jalousie faisaient aussi planer sur lui un soupçon de démence. Son

entourage s’en inquiète, pose un diagnostic et préconise la nature du remède306!: la musi-

que, réputée à l’époque pour ouvrir l’accès à l’extase prophétique307 et pour calmer les

excès de fureur en remplaçant l’explosion désordonnée du ressentiment par la grâce

d’une expression harmonieuse et articulée. Lorsque David joue pour le roi, sa musique

produit donc des effets!: elle éloigne l’esprit mauvais de Saül et elle fait venir l’esprit pro-

phétique qui fait défaut à Saül, et qui le transforme l’espace d’un instant en «!un autre

homme!»308, un prophète. L’effet de la musique de corde, cette musique qui occupe les

305 Op. cit., p. 100.


306 I Sam. 16, 15-16.
307 2 Rois 3, 15.
308 I Sam. 6, 10.
TROISIEME PARTIE 372

mains et laisse la bouche libre (l’expression littérale que les Hébreux utilisent pour «!jouer

de la musique!» est «!jouer de la main) est de chasser le mauvais et faire venir le bon,

qu’elle laisse s’exprimer!; elle apaise d’un côté celui qu’elle enchante de l’autre!: «!la

musique exerce un impact dans la mesure où elle est perçue comme une sonorité qui

configure une inspiration divine et dont une forme de réconciliation pacifiante!»309. Il reste

que d’après ce que nous dit Samuel, la lyre permet de réguler un mal, non de le guérir

définitivement. Saül s’en trouve néanmoins dominé par son trouvère, capable, lui, de com-

poser des psaumes et d’entretenir avec Dieu un lien durable de proximité. Tout l’avantage

de David est concentré dans ce trait!: son chant accompagné est une manifestation de la

toute-puissance divine qui fait et défait les empires. La détérioration tragique de l’équilibre

de Saul fait émerger les effets salutaires et thérapeutiques d’un rapport souple et direct à

l’inspiration divine, qui seule maintient les puissants sur leur trône.

Précédents théoriques au Moyen Âge et chez Érasme

Cette tradition clinique à laquelle réfère le Penser du royal mémoire pour figurer la

guérison du royaume par François Ier s’appuie ainsi, en tout premier lieu, sur une assise

théologique. Mais elle renvoie également à la fortune que connut le mythe des effets de la

musique sur l’âme chez les Anciens, Aristote et Platon notamment, et chez les Pères et les

auteurs chrétiens du Moyen-Âge qui les christianisèrent. Sans refaire l’histoire de cette

idée des effets de la musique, écrite et réécrite tant de fois déjà310, il peut s’avérer utile de

rappeler les moments phares qui forgent le mythe de David musicien auquel fait référence

le rhétoriqueur du roi.

309 Forthomme, op. cit., p. 101.


310 L’ouvrage de synthèse le plus complet à notre connaissance sur ce sujet reste celui de Herbert M.
Schueller, The Idea of Music. An Introduction to Musical Aesthetic in Antiquity and the Middle Ages,
Michigan, Western Michigan University, 1988.
TROISIEME PARTIE 373

Dès l’époque d’Aristote, l’idée que les rythmes et les successions mélodiques

reflètent et agissent l’esprit est acquise!: «!dans les compositions musicales elles-mêmes il

y a reproduction des états de l’âme!», affirme le Stagirite dans la Politique!; les auteurs

chrétiens, qui ont porté une grande attention à cette question, lui impriment un caractère

nouveau. Nous en trouvons un premier exemple chez Athanase!:

En accordant les auloi311 selon les lois de l’harmonie, on obtient une conso-
nance unique. Or, dans l’âme se produisent divers mouvements, celui du juge-
ment, du désir, de la passion, et de ceux-ci proviennent également les mouve-
ments des membres du corps. […] La raison exige donc que l’homme ne soit
pas dans un état de disharmonie et divisé en lui-même.312

Un peu plus tard, Augustin livre dans ses Confessions que «!toutes les passions de

notre âme ont, selon la différence qui existe entre elles, des sons qui leur sont propres

dans la voix et dans le chant, par lesquels elles sont excitées, d’après je ne sais quelle pa-

renté occulte!»313. De ces rapports entre les états de l’âme et ceux de la musique provien-

nent l’intuition que celle-ci est susceptible d’exercer une influence majeure sur les hom-

mes. C’était déjà une idée de Platon!: «!Le rythme et l’harmonie, s’ils pénètrent de bonne

heure dans l’âme, l’atteignent jusqu’au fond et la rendent vraiment belle!»314. On trouva

dans la musique de David la parfaite illustration de ce principe, auquel il fut ajouté une

quantité incalculable d’autres vertus dérivées de la première!:

Le psaume calme la colère, délivre des soucis, allège la tristesse!; dans la nuit,
c’est une arme, dans le jour, une règle de conduite!; un bouclier dans les mo-
ments de peur, un soutien de la sainteté, une image de la tranquillité!; un gage
de paix et de concorde!; de même que la cithare qui, avec plusieurs sons divers
et de différente sorte ne produit qu’une seule mélopée315.

311 Traduire.

312 Ep. ad. Marcell., 27, cité et traduit par T. Gerold, op. cit., p. 82.
313 Confessions, livre X, ch. 33!: «!omnes affectus spiritus nostri, pro sua diversitate, etc.!», idem.
314 République III, 401 D, idem., p. 83. La même idée revient encore dans Lois III, 673.
315 Ambroise, Comment. Ps., idem., p. 103.
TROISIEME PARTIE 374

Parmi les vieilles légendes de guérisons miraculeuses parsemées ici et là dans les

commentaires patristiques, c’est évidemment l’épisode de David chassant les démons de

Saül qui comporte le plus grand nombre d’occurrences316. Dans ses Antiquités juives,

Flavius Josèphe qualifie David ni plus ni moins de «!médecin du roi!»317. Philon

d’Alexandrie (25 av. J.-C.-50 ap. J.-C.) se réfère à ce précédent pour exposer sa version

chrétienne de l’équilibre harmonieux de l’âme et du cosmos, auquel il attribue un rôle

analogue au concept grec de l’harmonie de l’âme. Il est le premier à décrire Dieu comme

un musicien jouant de l’âme des hommes comme d’un instrument bien accordé. Un siècle

plus tard, dans son Exhortation aux Grecs, Clément d’Alexandrie (150-215) confère pour

la première fois à la performance légendaire de David à la cour du roi d’Israël une dimen-

sion politique!: il relie l’organisation du microcosme et du macrocosme au successeur de

David-musicien, le Christ, qui tempère les éléments du monde et des hommes à la manière

du psalmiste restaurant l’harmonie chez le roi Saül. La métaphore du médecin universel, à

l’origine de l’allégorie de la harpe dans le Penser, rejoint alors celle du maître suprême de

l’univers!: «!celui qui provient de David!», écrit-il, «!a atténué la force du feu par l’air,

comme s’il combinait le mode dorien avec le mode lydien, et a adouci le désagréable froid

de l’air en le mélangeant avec le feu, mêlant ainsi les sons extrêmes du tout, non pas

d’après la musique de Thrace [Orphée], imitation de celle de Jubal, mais selon la vérité

paternelle de Dieu, pour laquelle David s’est enthousiasmé!»318. Une célèbre illustration

du psautier hymnaire de Metz319 (fig. 8) témoigne de la vitalité du thème au Moyen Âge

tardif!: elle montre précisément un David en gloire jouant de la lyre en compagnie de deux

316 Il n’y a qu’a consulter les innombrables passages patristiques que Gerold a rassemblé pour apprécier la
vitalité extraordinaire du thème, en particulier autour des effets bénéfiques de la psalmodie pour la santé du
corps et de l’âme. Idem., pp. 81-105.
317 Antiquités Juives, livre 6, ch. 9, 168.
318 Protreptikos, I, 5, trad. T. Gerold, op. cit., p. 74.
319 Psautier glosé et hymnaire provenant de la cathédrale de Metz, Bibliothèque municipale de Metz, ms.
14, fol. 1. Voir la notice du chanoine Victor Leroquais dans Psautiers manuscrits latins des bibliothèques
de France, Mâcon, Protat et frères, 1940-41, pl. XXII et p. 210.
Figure 8. Bibliothèque municipale de Metz, ms. 14, fol. 1
Psautier glosé et hymnaire.

inserts photo 9 23/10/03, 11:59:49


TROISIEME PARTIE 376

musiciens et entouré de deux co-psalmistes et de quatre personnages allégoriques repré-

sentant l’eau, l’air, le feu et le sang!: la lyre est l’instrument royal permettant à David de

faire régner l’ordre dans la création par l’harmonie des éléments de la même manière qu’il

tempère dans le sang les humeurs du corps humain par l’alliance savante de l’eau, de l’air

et du feu. La lyre est ici l’attribut royal par excellence de David, celui par lequel il fait ré-

gner l’ordre dans le monde et qui l’illustre en tant que Rex et propheta320.

L’auteur latin dont hérite le plus directement Guillaume Michel et qui contribua

fortement à perpétuer en Occident la théorie alexandrine de l’harmonie de l’âme et du

monde est certainement Isidore de Séville. Il fait précisément allusion à la cure musicale de

Saül lorsqu’il évoque la question des effets thérapeutiques de la musique!:

La musique apaise aussi les esprits excités, comme on le lit à propos de David
qui débarrassa Saül de l’esprit immonde, au moyen de l’art de la musique. Les
animaux eux-mêmes, comme les serpents, les oiseaux et les dauphins, la musi-
que suscite en eux l’écoute de sa propre mélodie. Mais tout ce que nous profé-
rons par la parole et tous les mouvements que nous sentons à l’intérieur de
nous-mêmes par le pouls des veines est associé, comme on le montre, aux vertus
de l’harmonie par l’intermédiaire des rythmes musicaux.321

Cette description du pouvoir de la musique de faire régner l’ordre dans ce corps

harmonieux qu’est l’homme, microcosme de l’harmonie musicale de l’univers, rejoint la

croyance en les effets thérapeutiques de la musique. C’est un fait aujourd’hui avéré que la

mention du pouls des veines et des mouvements intérieurs fait écho au médecin antique

Asclépiade, dont la cure symphonique d’un homme malade s’était développée à la suite du

principe de la thérapie musicale véhiculé par la tradition aristotélicienne. On lit ainsi chez

Théophraste!: «!Asclépiade aussi, le médecin, rendit à sa santé première un frénétique

grâce à la symphonia!»322. Aux sons et aux rythmes obtenus par le jeu de la harpe est liée

l’idée de la puissance du musicien à faire régner l’ordre dans les humeurs et les passions

320 Cf. C’est le titre de l’ouvrage majeur de Steger, op. cit, qui fait le point sur la question.
321 Étymologies, III, 17, 3. Trad. Pigeaud, in B. Forthomme, op. cit., p. 106.
322 Théophraste, Fragment 87, IV, 13, trad. Forthomme, op. cit., p. 106.
TROISIEME PARTIE 377

de l’auditeur. Pour Isidore, la fureur de Saül apparaît non seulement comme une indispo-

sition passagère, mais comme une maladie qui nécessite un traitement médical!; elle place

Saül dans un rapport de dépendance vis-à-vis de son soignant, qui tient entre ses seules

mains le sort réservé à la vie de son patient. La harpe confère à son musicien une aura de

puissance susceptible d’être réinvestie dans la personne du roi, médecin de son peuple par

le toucher des écrouelles et médecin du royaume exerçant sa loi et sa justice pour la pré-

servation du bien et de l’ordre social. Elle ajoute une pierre à l’édifice idéologique assi-

milant le roi-thaumaturge à Dieu, celui-là même dont David le cithariste est l’image323.

Lorsqu’elles atteignent le XVIe siècle, les ramifications de cette conception politi-

co-médicale de la musique de David se sont encore enrichies d’autres conceptions du

Moyen Âge, qu’elles traversent comme un trait de lumière. Aux enluminures des psautiers

antérieurs à 1500, auxquels Réau et Leroquais324 ont consacré des ouvrages remarquables,

Michel semble emprunter sa lecture allégorique du mal dont souffre Saül, mélange de

vices et de déraison diabolique qu’il ne fait qu’élargir à l’ensemble de la France!: un cer-

tain nombre de peintures anciennes montrent en effet David jouant de la lira a braccio et

de la harpe devant un Saül alité et mélancolique – dans le Psautier de la reine Ingeburge

du Danemark (vers 1200)325, au pied de l’arbre de Jessé (Psautier du nord de la France)

par exemple326, ou devant un Saül allongé, soutenu par des courtisans (Psautier Glozier

anglais daté du XIIIe siècle327)!; d’autres illustrations montrent David jouant près d’un

Saül moins malade que fou, assis sur le trône et déchirant ses vêtements328. C’est à cette

323 Sur ce sujet, voir Marc Bloch, Les rois thaumaturges, Strasbourg, Publication de la faculté des lettres
de Strasbourg, 1924, rééd. Paris, Gallimard, 1993.
324 Louis Réau, op. cit., et V. Leroquais, op. cit.
325 Chantilly, bibl. du musée de Condé, ms. 9 (1695), fol, 14 v, reproduit dans Leroquais, op. cit., pl.
LV.
326 Paris, Bibl. nat., ms. lat. 238, fol. 132 v., reproduit dans Leroquais, op. cit., pl. LI.
327 Cf. N.-I. Morgan, Early Gothic manuscripts I (1190-1250), Oxford, 1992.
328 Cf. fac-similé de la Bible moralisée (XIIIe s.) du Codex Vi. 2554 conservé à la Bibliothèque nationale
de Vienne, Londres, 1995. Une Bible illustrée du XIIIe siècle du nord de la France va jusqu’à représenter
Saül avec un diable dans la bouche, déchirant ses vêtements, faisant fuir la colombe de l’Esprit qui prend
son envol droit vers le ciel!: cf. Ms 631 conservé à New York, Pierpont Morgan Library. Louis Réau
TROISIEME PARTIE 378

tradition que réfèrent les Quadrains historiques de la Bible de Claude Paradin (1553)

dans la gravure représentant Saül en pleine crise de possession démoniaque, se débattant

entre deux serviteurs alors que David joue de la harpe329. Dans ce contexte, le harpeur se

livre à une sorte d’exorcisme musical qui devient un topos des ouvrages de médecine

Enfin, signalons parmi les traités à l’usage des clercs et des juristes à partir du XVe

siècle évoquant des cas de possession démoniaque, le Malleus maleficarum330, où

l’apaisement exercé par David sur l’âme de Saül est l’objet d’une critique nuancée de la

part du rédacteur. Si la harpe du psalmiste produit quelque effet sur l’âme du malade,

c’est qu’elle rappelle, par sa forme et ses cordes tendues, la tension du corps du Christ

fixé sur la croix. Seul le corps musical du Christ annoncé prophétiquement par David était

susceptible d’opérer un miracle en la personne de Saül!:

La raison pour laquelle l’esprit mauvais se retirait quand David jouait de la ci-
thare, c’était à cause de la vertu de la croix. On le dit assez expressément dans
la Glose sur ce texte!: David expert en musique, habile en sons et concerts har-
monieux, était le signe de l’unité de l’essence qui chaque jour résonne sur des
modes divers. Il repoussait l’esprit mauvais par la cithare, non qu’il y aurait pa-
reille vertu dans la cithare, mais dans le signe de la croix!; sur le bois de la
croix, les cordes de veines tendues, pendait celui qui chassait les démons.!331

Cette lecture exégétique de l’épisode biblique n’était bien sûr pas nouvelle!: Nicète,

évêque de Remesiana (le Bela Palanka actuel), mort en 414, fut le premier à associer la

forme de la cithare à celle du Christ en croix. Selon lui, le bois du cadre de l’instrument

révèle la croix et les cordes tendues, faites de boyau, symbolisent la mort de la chair332.

(op. cit., p. 264) recense une illustration similaire dans le psautier de la reine Mary conservé au British
Museum.
329 «!Quadrains du Livre des Rois!», au passage consacré à I Rois XVI in Quadrains historiques de la
Bible, Lyons, Jean de Tournes, 1553.
330 H. Institoris et J. Sprenger, Le Marteau des sorcières (1486), trad. Danet, Grenoble, J. Millon, 1990,
première partie, question 6. Forthomme (op. cit.) a fait état de ce passage consacré à la maladie de Saül!;
nous renvoyons à son commentaire, pp. 109-111.
331 Op. cit., p. 171.
332 De utilitate hymnorum 4 (P.L. 68, 371 C-D).
TROISIEME PARTIE 379

Elle revient également dans le commentaire du psaume 32 de Rémi d’Auxerre333, chez le

pseudo-Haymo de Halberstadt (Halbertville?)334, Honoré d’Autun335 et bien d’autres. Le

Malleus enrichit cette première interprétation par l’idée que David-musicien est un signe

de la présence divine et de son unité, principe d’harmonie, et que l’échec de Saül à guérir

définitivement traduit une incapacité à percevoir de manière durable cette unité divine ré-

conciliante, à connaître Dieu. Toute la puissance artistique de David vient de ce qu’il est

habité par l’Esprit et qu’il est doué pour assumer la fonction royale, servir d’intermédiaire

entre Yahvé et son peuple.

Mais c’est peut-être surtout grâce à Marsile Ficin que ces théories sur la portée

symbolique de l’instrument bien accordé se propagent en France dans l’entourage royal.

Dans une lettre adressée à son confrère Cerubino Quarquagli, lettre où l’influence pytha-

goricienne est particulièrement forte, il s’étend encore sur le lien qui unit médecine et mu-

sique et insiste sur l’harmonie qui doit régir le musicien dans l’exercice de son art!:

Le devoir du médecin quand il rend visite au patient est de toujours garder à la


conscience qu’une vie est en jeu, de sorte qu’il n’essaiera rien sans dessein pré-
cis ni sans raison. […] Le devoir du musicien est de traduire la beauté d’une
chanson en sons, et la justesse d’un discours en chanson. Il est également de
son devoir de se souvenir que l’harmonie dans les mouvements de l’âme est de
loin plus utile que l’harmonie des voix. Car étranger aux muses et en mal
d’équilibre intérieur est le musicien dont l’esprit est discordant alors que la
voix et la lyre sont en harmonie. David et Hermès Trimégiste commandent que
lorsque Dieu nous incite à chanter, c’est Dieu seul qu’il faut chanter336.

333 P. L. 131: 306.


334 Commentaire du Psaume 56, v. 9, conservé dans le ms. Bodley 737, fol. 100r, de la Bodleian Library
(Oxford). Il est daté du XIIe siècle. «!Citharam dicit propter mortificationem, quia in passione extensus
fuit in ligno, sicut corium mortui animalis!».
335 De figura psalterii, conservé à la Bibliothèque nationale de Vienne, cod. Vinob. 927, fol. Lv ! :
«!Psalterium, quod Christum et Ecclesiam concinit, forma sua corpus Christi exprimit. Dum enim infe-
rius percutitur, superius resonat, et corpus Christi, dum ligno crucis percutitur, divinitas per miracula
resonat.!»
336 M. Ficin, lettre 53 (De officiis) à Cherubino Quarquagli, in [P.-O. Kristeller], The Letters of Marsilio
Ficino, vol. 2, Grande-Bretagne, Shepheard-Walwyn, 1988, p. 64. Trad. anglaise P.O. Kristeller, que je
rends en français. Il faut mettre cette lettre en parallèle avec une autre du même auteur sur la musique
TROISIEME PARTIE 380

Dans une autre lettre adressée cette fois à son ami Francesco Berlinghieri, nouvel-

lement promu à une charge d’état importante, il étend ce principe d’harmonie au gouver-

nement des principautés. Il insiste sur le fait que la direction d’un royaume ne peut se

passer du recours à la grâce divine!: il recommande donc à ceux qui, comme Berlinghieri,

assument des responsabilités diplomatiques, de recourir souvent au chant comme à la lec-

ture des psaumes. Il érige même le règne du psalmiste en modèle pour les chefs de l’état,

affirmant que «!David se servit des psaumes comme de rennes pour réguler le gouverne-

ment de son royaume. Car il savait que ‘Si Dieu ne garde pas la ville, le guetteur veille en

vain.’!»337

Du temps des humanistes, les lettrés qui font référence aux pouvoirs curatifs de la

harpe biblique évoquent généralement la thérapie musicale de la mélancolie saülienne sous

cet angle de l’allégorie morale. C’est le cas dans le Penser du royal mémoire, ce l’est

également dans une épître contemporaine qu’Érasme envoie au pape Adrien VI (elle est

datée des calendes d’août 1522, alors que le Penser est de 1518)338 et dans laquelle, par

un heureux hasard, il envoie à son tour au prélat une harpe, celle du Christ, le fils de David

annoncé par les psaumes. Pour mieux saisir l’originalité de la comparaison de Michel, il

est intéressant de dévier un instant de notre parcours pour le mettre en parallèle avec la

correspondance d’Érasme.

Dans sa missive adressée au pape, Érasme joignait son édition des Commentaires

sur les psaumes d’Arnobe le Jeune, dont il vantait les mérites. Le présent plut tant à

adressée à Antonio Canigiani, et dans laquelle il développe cette idée. Les premiers mots de Ficin (traduits
par Kristeller) au premier volume de sa correspondance donnent le ton de l’épître!: «!You ask, Canigiani,
why I so often combine the study of medecine with that of music. What, you say, has the trade of phar-
macy to do with the lyre?!» Le reste de l’épître est une réponse à cette interrogation. cf. Ficin, Lettre 92
(De musica), op. cit., vol 1, p. 141.
337 M. Ficin, op. cit., vol. 5, p. 50, lettre 30 à Francesco Berlinghieri (Publica nequeunt recte feliciterque
absque divino auxilio gubernari).
338 Lettre 1304, «!À notre très Saint Père Adrien, sixième du nom, Pape de Rome récemment élu!», in
[Aloïs Gerlo et Paul Foriers], Correspondance d’Érasme, Paris, Gallimard, 1976, t. 5 (1522-24), pp. 124-
40.
TROISIEME PARTIE 381

Adrien VI qu’on raconte qu’il offrit six ducats de récompense au messager public de Bâle

qui le lui avait apporté339. On retrouve dans cette correspondance la plupart des thèmes

évoqués par Guillaume Michel, du recours aux vertus curatives de la musique pour guérir

la chrétienté du malaise du siècle aux effets de la harpe de David et des Anciens. De cette

lettre, nous reproduisons quelques extraits significatifs, éclairants quant à l’inscription de

l’allégorie de Guillaume Michel dans l’horizon culturel de son temps. Ces extraits se

trouvent dans la seconde moitié de la lettre!: après avoir salué l’élection récente du Pontife,

Érasme lui fait part de son intérêt pour les psaumes et pour la lecture qu’en fait Arnobe!; il

fait ensuite allusion à la crise de la chrétienté suscitée par Luther et celle de toute l’Europe,

déchirée à sa suite par les dissensions et les menaces de schismes. «!Et pendant que nous

nous laissons aller à de tels désordes!», ajoute-t-il, «!le Turc menace!»340!:

Dans des circonstances aussi désespérées, [… et] pour effacer la grande souil-
lure née des mœurs les plus corrompues, il faut de puissantes incantations, il
faut en outre un artiste en magie, habile aux enchantements. Pour ce faire, nous
t’avons procuré un instrument nouveau [son édition du Commentaire des
psaumes]!; non que le Psaltérion341 de David soit insuffisant, mais parce qu’il
restait inactif chez la plupart. La musique humaine a, dit-on, le pouvoir
d’exciter ou de modérer les passions des hommes, lorsqu’un artiste module
habilement certaines harmonies. […]342 David, par les sons de sa harpe, soula-
geait Saül, chaque fois qu’il devenait la proie de l’esprit mauvais du Seigneur.

Si la musique humaine est assez puissante pour guérir les affections


des corps et des esprits, combien devons-nous croire plus efficace cette musique

339 Idem, p. 124.


340 Idem, p. 136.
341 Jeu de mot sur psalmus (psaume, chant accompagné du psaltérion ou de la harpe), psalterium
(l’instrument) et psalmista (joueur de harpe ou musicien en général).
342 Nous épargnons au lecteur les exemples classiques tirés de l’Antiquité sur lesquelles s’étend Érasme. Il
évoque Timothée enflammant Alexandre à la guerre à l’aide de modes musicaux, Pythagore ramenant à la
raison un amoureux fou par la vertu du mode phrygien, Empédocle calmant un jeune homme en colère,
sur le point de commettre un meurtre, au son d’une musique pacifiante. Érasme poursuit avec les pouvoirs
mythiques de la cithare de Mercure et d’Orphée, les vertus curatives des instruments de Terpandre et
d’Arion et enfin les effets de certains chants magiques évoqués par un passage des Bucoliques de Virgile
(Buc. 8, 71). La référence à I Sam. 18, 10 clôt cette énumération.
TROISIEME PARTIE 382

divine, pour purifier les âmes des maladies spirituelles et des esprits malins de
notre siècle? C’est une grave maladie que l’ambition!: ce sont les esprits les
plus malins que la jalousie et la haine. Or, la plupart des chrétiens sont la proie
de tels fléaux!; souvent, n’en sont pas à l’abri, ceux qui devraient guérir les au-
tres. […]

Et pourtant, chacun pourrait être son propre musicien. Le Saint-Esprit assistera


celui qui frappera les cordes, et il lui insufflera une force secrète, pourvu qu’il
ait en lui une âme pure et ardente, c’est-à-dire si les oreilles de son esprit sont
purifiées. Plaise à Dieu que Ta Sainteté nous ramène ce David, si expert en
semblable musique!! David, qui n’a pas seulement harpé lui-même, mais a for-
mé bien d’autres chanteurs. Oui, David était le premier précurseur de Jésus-
Christ, notre palmiste, qui lui, tandis que son corps, comme un nable343, était
tendu sur la croix, n’a rendu aucun son vulgaire ni terrestre, mais a chanté la
mélodie la plus agréable au Père, la plus efficace pour nous!! […]

Mais, pour en venir enfin à une conclusion, très bienheureux Père, le peuple
chrétien te supplie et attend avant tout de toi que tu saisisse le Psaltérion du
Christ et que tu entonnes une mélodie vraiment apostolique qui unira princes et
peuples par la concorde chrétienne, qui mettra fin aux pernicieuses luttes
d’opinions, qui enflammera d’amour pour les biens célestes tous ceux qui sont
destinés au royaume des cieux. […] Pour toi qui t’efforces dans cette voie, ma
prière est que t’inspire le Seigneur Jésus, Prince des pasteurs. Amen.!»344

Il est remarquable que la cure musicale que réclame Érasme partage avec celle du

Penser plusieurs éléments communs. La mention du Turc et de la crise de la chrétienté

d’une part, auxquels semble invariablement lié le désir de voir surgir un second David!; la

croyance aux effets de la psalmodie, qu’Érasme replace dans la perspective christologique

médiévale. La puissance thérapeutique qu’il prête à la musique est également entendue

dans le sens allégorique, puisqu’il n’est pas question ici de saisir au sens littéral du terme

une lyre, mais bien de faire résonner la lyre de l’Écriture et de ses commentaires. C’est au

Pape, un contemporain, que semble revenir la mission de perpétuer les accords du psal-

miste, entendons de favoriser l’accès des croyants à l’intelligence des Écritures, véritable

343 Instrument de musique de la famille de la lyre et de la harpe.


344 Op. cit., pp. 136, 137 et 140.
TROISIEME PARTIE 383

clef de David!; la réforme morale de l’Empire ne découlera que d’elle, inaugurant une

époque marquée par la fin des jalousies et de la haine, la réconciliation des princes et des

peuples et le retour du règne des vertus, garantes de la paix.

L’élément peut-être le plus frappant vient de la conception érasmienne du mal dont

souffre, comme Saül, la chrétienté. S’il est bien réel (les «!maladies spirituelles!» et les

«!esprits malins!» rongent les âmes, d’où l’explosion des vices), reprend la conception

platonicienne de l’âme comme harmonie qui structure le Penser. Érasme reprend l’idée du

corps musical développée dans le Phédon, qu’il étend au corps social et pour laquelle il

réclame la cithare de David, par un procédé similaire à celui qu’il utilisera encore dans sa

préface au Concio in Psalmum «!quum idvocarem!» (Bâle, 1525)!:

Comprenons que la musique la plus agréable à Dieu est l’absence de disso-


nance entre notre vie - dans toutes ses parties - et ses préceptes, la concordance
entre nos discours et notre vie, l’absence de divisions ou de discordance
d’opinions qui troublent la si douce harmonie de la concordance frater-
nelle![…] Telle est la musique par laquelle est chassé l’esprit du mal qui agitait
Saül et grâce auquel se gagne le bon esprit de Dieu […]345

Si l’antique psalterion de David est devenu inactif, et donc inefficace, c’est que les

psaumes se heurtent désormais à une surdité générale!; en latin ou en grec, ils ne sont plus

compris par la plupart!: souvent même ignorants des commentaires patristiques et médié-

vaux, les lecteurs ne franchissent plus le seuil du recueil, qui n’atteint plus l’âme et

n’oriente plus la vie des croyants. Seule une compréhension éclairée et partagée de la Bi-

ble et l’incarnation de ses principes dans les décisions du Pape et du clergé permettra

d’imprégner les esprits et de remédier au mal du siècle. Il est alors possible d’étendre la

spécificité de la musique de David à tous les hommes et d’envisager que chacun (Adrien

VI, comme François Ier et la nation des chrétiens qui composent le corps de l’Église)

«!pourrait être son propre musicien!»!: le bon musicien, celui dont David fournit

l’archétype et dont la science a apaisé Saül, celui même dont l’âme «!pure et ardente!» est

345 Érasme, Œuvres, éd. Blum et alii, Paris, 1992, p. 400, trad. J-C. Margolin.
TROISIEME PARTIE 384

ordonnée et dont les actions et le langage sont en rapport consonant avec l’âme, comme le

microcosme est en harmonie avec le macrocosme!; celui qui saura, par l’exercice de sa vie

et la conformité entre celle-ci et le message évangélique, inciter à la concorde et l’harmonie

universelle. Dans cette relecture chrétienne de Platon, le souffle de l’Esprit, le même qui

guide les prophètes et les contraint à proférer le message de Yahvé partout où ils se trou-

vent, n’est pas le privilège d’un seul homme, mais le bien de tous, il est le principe vivant

susceptible d’accorder dans l’absolu le Très-Haut et le Très-Bas, l’homme et Dieu, et

d’étendre l’impact de la cure davidique au grand nombre. Il est donc possible d’espérer

l’avènement d’un second psalmiste qui sera médecin des âmes et qui purifiera les mœurs

en promouvant l’intelligence des Écritures, encore prisonnière de la nuit dans laquelle

certains clercs la tiennent confinée.

Le maniement de la harpe par François Ier

Là où Érasme, plus théologien que poète, réclamait l’avènement de la concorde

universelle et le retour des vertus par un retour éclairé aux Écritures et à ses commentaires,

le Penser du royal mémoire lie le salut de la nation directement aux vertus du prince, le-

quel sera ainsi en situation de restituer au royaume très-chrétien son ancienne harmonie.

L’épître du roi David est un éloge politique, elle ne réfère aux Écritures que dans la me-

sure où elles servent les intérêts du roi et lui donnent un modèle efficace de gouvernement.

La référence à la thérapie musicale suscite un intérêt parce que le royaume, ce «!corps!»

souffrant que Michel associe à Saül346, semble plus que jamais dans l’attente d’un méde-

cin de type davidique. Car le sort de la nation dépend toujours du bon vouloir du Prince!:

Chanter te fault ou la harpe damour!:

346 Cf. fol. 8r!: «!Devant tes sons de vertu equitable


peche fuira comme faisoit le dyable
Du roy saul quant ma harpe frappois
Sy que pour vray de son mal lechappois.!»
TROISIEME PARTIE 385

Harper comment de vertu la clamour!:


A celle fin que du corps de ce regne
Faille du tout ce vice qui y regne. (fol. 6v et 7r)
[…]
Regard par tout, pour tout deffaict congnoistre!:
Lequel347 ira te requerir a lheure
Pour adoulcir le roy Saul qui pleure.
Quant tu auras de ce cas congnoissance
Tu chanteras devant son excellance
Si haultement par tes chants iubileux
Que ces esperit de lenfer nubilleux
Sendormira, et pour vray chasseras
Le vice qualors tu enchanteras. (fol. 7v )

C’est également dans son orientation épistémologique que le rhétoriqueur bifurque

de la voie choisie par Érasme. Pour ce dernier, dans le sillage du néo-platonisme, la chré-

tienté en perdant le sens des Écritures s’est éloignée de la musique archétypique et vraie

donnée par le Créateur, celle qui assure la concordance de toutes choses entre elles

d’après un ordre et une mesure précises. Guillaume Michel retrouve en revanche dans

l’action curative du psalmiste la théorie pythagoricienne de l’âme, faite de rapports numé-

riques consonants. Dans cette théorie de l’univers, qu’on retrouve également chez Aristote

et plus tard chez Augustin et ses émules348, l’homme réagit et prend plaisir aux rythmes et

à la musique parce qu’ils renferment en eux-mêmes des nombres perceptibles et réguliers

qui provoquent en nous des mouvements ordonnés349. Cette faculté d’agir étant du do-

maine de l’éthique, la musique est susceptible de former et de réformer le caractère moral,

et donc d’édifier les vertus du prince pour qu’il entraîne à sa suite le reste de la nation.

347 Il s’agit du conseiller de Saül qui manda qu’on aille chercher David pour apaiser le roi.
348 Cf. De Musica, l.!1 et 6, et De doctrina christiana, livre 2, ch. 17, où Augustin développe une théo-
rie de l’éducation des clercs qui place côte à côte la science des nombres et la science de la musique, no-
tamment pour l’inflence qu’ils exercent sur les mouvements de l’âme. Cf. Gerold, op. cit. pp. 79-81.
349 Rappelons que la référence pythagoricienne ne fut pas le seul privilège d’Aristote puisque Platon la
reprend également lorsqu’il affirme que l’âme humaine équilibrée est faite d’intervalles musicaux conson-
nants qui peuvent être exprimés par de simples relations numériques. Nous renvoyons au développement
de Van Schaik sur la question, op. cit., p. 40.
TROISIEME PARTIE 386

C’est pour cette raison que le David de Guillaume Michel exhorte le monarque à jouer de

sa harpe dotée non pas du nombre traditionnel de cordes pour un tel instrument

(l’iconographie fait le plus souvent état d’instruments à 3, 4, 7, 10 ou 12 cordes!; lorsqu’il

s’agit de la cithare en forme de delta, ce qui n’est pas le cas ici, on peut en trouver 24) 350,

mais bien d’une vingtaine de cordes auxquelles l’auteur attache une valeur morale et allé-

gorique dérivée de l’ancienne théorie de l’harmonie numérique!de l’âme!:

Cinq, six ne sept cordes ny sont posees


Tant seullement!: mais plus de ving trouvees!:
Signifiant quen ung roy si antier
Don de vertu ny est point singulier. (fol. 3 v corr)

Chacune des cordes reproduit en son et en consonance une vertu princière. Le rhé-

toriqueur en énumère exactement 22, que l’on peut répartir en trois catégories: celles qui

évoquent la douceur, quantitativement la plus importante des trois (douceur, mansuétude,

compassion, paix, benignité, bonté, confiance, modération, patience, amour - deux fois cité,

il compte pour deux cordes)!; le bon gouvernement et l’aptitude à rendre justice (rectitude,

justice, droit, sagesse ou «!advis!», équité, véracite, pitié)!; la grandeur enfin, consubstan-

tielle à la dignité royale (force d’esprit, magnanimité, libéralité et fidélité)351. Van Schaik a

montré que le principe de relier le nombre de cordes de la harpe à un symbolisme numéri-

que était une habitude courante des enlumineurs!: les artistes médiévaux dépeignent sou-

vent David jouant un instrument à 10 cordes pour symboliser les 10 commandements!;

lorsqu’il manie la cithare, les 24 cordes évoquent le double exact du nombre d’apôtres!;

elles font référence également aux viginti quatuor seniores, les vingt-quatre anciens de la

Révélation de saint Jean352. Le classement des effets de la harpe en fonction des vertus

royales témoigne ici d’un désir d’ériger l’instrument de musique en instrument de pou-

voir. Les propriétés lénifiantes des premières cordes favorisent la paix du prince avec son

350 Cf. Van Schaik, op. cit., pp. 76-81.


351 Fol. 4r
352 Livre 1 des Paralipomènes, ch. 15, PL 113, 652 A.
TROISIEME PARTIE 387

royaume, elles sont une parade contre les troubles civils!; elles sont aussi une manière de

rapprocher François Ier avec le Dieu de bonté. Celles qui permettent l’exercice de l’ordre

et de la justice renvoient au rôle de médecin du monarque, appelé à délivrer le peuple des

excès qui la rongent en faisant régner le bien et le droit - manière d’évoquer le pouvoir de

la musique à préserver au corps social son intégrité et sa pérennité, dont elle se porte ga-

rante. Elles rappellent ce passage tiré de la Sagesse de Salomon dans lequel le Dieu appa-

raît comme le maître et le législateur de l’univers, celui qui règle «!toutes choses avec me-

sure, avec nombre et avec poids!»353. Les cordes de magnanimité glorifient enfin la

grandeur et la force du roi à la tête du royaume, facteurs de protection et de stabilité. Les

effets procurés par la harpe royale viennent surtout de cette dimension symbolique appli-

quée aux cordes. À chaque vice du royaume correspond son contraire, chacune des cordes

de la harpe mobilisant l’influence d’une vertu royale susceptible d’exercer une action

curative au sein de la nation!:

[…] Autant quatoucheras


De cordes lors autant tu chasseras
De faulx espriz et de vices enormes
Qui vont gastant de ton royaulme les normes.
Contre ce cas pusillanimite
Laccord prendras de magnanimite
En appetant selon Dieu et raison
Tous vrays honneurs de royalle maison.
Contre lesprit et vice dinsolence
Tu chanteras la chanson de prudence. […]
Tu choisiras laccord de pascience
Contre labeur, peine, travail, nuisance. […]
Brief tu pourras toutes vertuz acquerre
Sus linstrument soit aux champs ou en guerre!:
Pour vray quantant y a de roys de roynes
Cordes, ou nerf, autant de vertuz plaines. (fol, 12v - 13r. corr)

353 Sagesse 11, 21.


TROISIEME PARTIE 388

Le principe de relier la musique à des effets vertueux est un procédé classique à la

Renaissance. L’habitude de rapprocher les vertus et les cordes a une longue histoire, elle

remonte à Jean Chrysostome comparant la cithare à une symphonie de vertus354!; il y

voyait le symbole de l’amour!: «!De même que les sons de la cithare sont différents entre

eux, dit-il, mais qu’il n’y a qu’une seule consonance et qu’un seul musicien qui la manie,

ainsi la cithare représente l’amour, et ses différents sons symbolisent les paroles bienveil-

lantes inspirées par l’amour!»355. Par la musique de ces vertus, disait aussi Ambroise, la

lyre qui accompagne les psaumes est un facteur d’unité dans l’être et d’unité entre les

hommes356. Il comparait les sons de la cithare de David au concert des sept dons de

l’Esprit qui permettent au croyant de triompher des vices pour mieux faire advenir le règne

des bonnes œuvres357. Cette propension du lyrisme à faire aimer la vertu aux jeunes gens

était le rôle que Platon assignait aux citharistes358, et qu’Aristote évoquait en affirmant que

la musique peut orienter vers le bien359. C’est bien la fortune de ces théories musicales qui

trouve à s’exprimer dans le Penser. Le choix de la vingtaine de cordes, en revanche, sem-

ble répondre à des considérations moins anciennes. Dans son traité sur la Dignité et les

effets de la musique dédié à Béatrice d’Aragon, Jean Tinctoris de Nivelles, cet ancien di-

plômé de la faculté de droit de Louvain devenu chef de chœur et professeur de musique à

la cour de Ferrante à Naples, ramène au nombre de vingt les principaux effets de la musi-

que, qu’il développe longuement!: ils sont essentiellement religieux et permettent à

l’homme de purifier son cœur pour servir Dieu et s’élever à la contemplation des choses

divines360. Dans son Dialogo, Galilée en énumérera à son tour pas moins de dix-huit361.

354 Ps. 149, P. G. 55.494.


355 Cf. T. Gerold, op. cit., p. 130.
356 H. M. Schueller, op. cit., p. 233.
357 Comm. au ps. 1, v. 11, in P. L. 14. 926.
358Protagoras, 326.

359 Politique, VIII, 5, 1340 B.


360 Johanne Tinctoris, Complexus effectuum musices, intégralement reproduit et traduit par J. Donald
Cullington et Reinhard Strohm dans Egidius Carlerius et Johannes Tinctoris, On the Dignity and the
Effects of Music. Two fifteenth-century treatises, Institute of Advanced Musical Studies, King’s College,
London, 1996, pp. 51-79. Les effets évoqués sont les suivants!: 1) plaire à Dieu — 2) agrémenter les
TROISIEME PARTIE 389

Les effets sélectionnés par Guillaume Michel ont pour caractéristique d’être moins mysti-

ques que le fruit d’une allégorie morale et politique!: les sons obtenus par la harpe obli-

gent le monde à ressembler à son souverain, lui-même image de Dieu, et à fonctionner

ainsi que lui-même fonctionne, par aimantation vers le bien et la vertu. Ils transforment le

peuple et font de lui un autre que lui-même, le reflet du roi idéal, et c’est cette mimesis qui

permet une guérison!:

Sonne souvant, sonne contre lerreur


Qui ton pays detiens, faictz luy terreur.
Faictz que tous ceulx qui feront tes offices
Soyent parfaictz et bons iusticiers
A celle fin que tout cas impropice
Soit mis a bas par Royalle pollice.
Sonner te fault ces sont harmonieulx
Et pour certain tu ten trouveras mieulx. (fol. 11r)

1. David accorde la harpe

Nulle part dans la Bible n’est-il question de David accordant sa lyre. Ce thème a

pourtant connu une fortune immense362 et Guillaume Michel s’en fait, pour une partie, le

prières — 3) augmenter la joie des bénis de Dieu — 4) souligner la ressemblance de l’Église militante et
de l’Église triomphante — 5) préparer à recevoir les bénédictions divines — 6) favoriser la dévotion — 7)
bannir la tristesse — 8) ramollir la dureté du cœur — 9) mettre le démon en déroute — 10) apporter
l’extase — 11) élever les pensées terrestres — 12) faire échec aux désirs pernicieux — 13) rendre heureux
— 14) guérir les malades — 15) soulager la peine — 16) stimuler l’esprit des hommes à combattre le mal
— 17) attirer l’amour — 18) accentuer le plaisir d’une réjouissance — 19) rendre hommage aux bons
musiciens — 20) amener les âmes au parfait bonheur.
361 Vicenzo Galilei, Dialogo della musica antica et della moderna, Florence, Giorgio Marescotti, 1581, p.
86.
362 Cf. Van Schaik, op. cit., p. 44!: «!In present-day musical iconography David tuning the harp is
ascribed a symbolic meaning. Researchers are unanimous that the act of tuning is related to the phenome-
non of imposing order. The question of what sort of order is imposed is not, however, aswered with the
same unanimity!». L’explication fournie par Van Schaik met en relation l’action de David accordant sa
TROISIEME PARTIE 390

porte-voix. Pour préserver la France de la menace d’effets dissonants, le psalmiste re-

commande à François d’accorder la harpe à l’aide de broches et d’une clé, que Michel

revêt encore de valeurs symboliques en rapport avec celles choisies pour les cordes!:

Les broches sont tous les honneurs royaulx


Qui les vertuz, cordettes et boiaulx
Doibvent roidir et lascher par mesure
Bien saigement sans quil y hait fracture.
Quant les vertuz sont en ung roy trop lentes
Roidir les doibt pour estre mieulx sonantes!:
Et les tirer ou ses vrays honneurs propres
Honneurs royaulx, qui ne luy sont impropres. (fol. 4 v corr)

La manière dont la médecine musicale agit dans le corps du roi est limpide. Si ce-

lui-ci se trouve faible et voit les vertus diminuer en lui, il doit recourir à un aiguillon qui le

ramène à ses mérites premiers qui font le bon monarque!: le spectacle des honneurs dûs à

son rang. Le roi se redressera devant le respect qu’il inspire à ses ministres et à son peu-

ple, lit-on dans un argument qui fait de la célébration du prince l’ennemi du vice et de la

paresse!:

Quant ung seigneur et prince regarde


Les grans honneurs que son peuple luy garde,
Les dignitez, la haulte révérence,
Plus est esmeu à vertu, et semence
De bien ouvrer, veu que d’honneur la gloire
De vertu est loyer et salaire [sic]. (fol 5r)

Et pour actionner les broches, David offre à François une clef mystique, l’honneur de

Dieu, car toutes les victoires et les honneurs remportés par le roi proviennent d’abord de

Lui!:

harpe avec la légende de Pythagore découvrant des rapports numériques dans les intervalles musicaux, et
donc le principe d’ordre régissant la musique. David a également assuré l’ordre dans l’organisation des
chants et de la musique du culte (Chroniques)!: c’est en tant que réformateur des cérémonies religieuses
TROISIEME PARTIE 391

[…] Par ceste clef misticque


Princes et roys estans larges donneurs
Le nom de Dieu doibt tourner voz honneurs
Le nom de Dieu et honneur souverain
Doibt preferer, car il est primerain. (fol. 5v )

L’action d’accorder la harpe trouve donc encore son accomplissement dans

l’exercice du pouvoir royal!: en ajustant son instrument à la musique des honneurs qu’il

reçoit, le roi se réforme lui-même, en se rapprochant de Dieu!; il peut alors rectifier l’ordre

qu’il souhaite pour le monde, harmonieusement et à son idée. L’analogie nécessaire du

microcosme (en l’occurrence la personne royale) et du macrocosme (le royaume) est pré-

servée, et avec elle l’emprise universelle des effets de la musique. Une fois encore, Michel

perpétue à la cour de France de très anciennes théories musicales selon lesquelles le prince

doit s’accorder lui-même avec la musique des sphères, la musique divine, afin d’accorder

le monde à son image et à celle du Très-Haut.

Puisque les Écritures ne font pas état de David accordant sa cithare, il est légitime

de questionner les sources qui amènent le Penser à dégager cette lecture politique du

psalmiste accordant sa harpe. Une fois encore, il faut remonter à l’école d’Alexandrie

pour trouver l’origine première de ce motif apocryphe. Lorsque le rhétoriqueur évoque

François Ier accordant ses vertus au diapason des honneurs et de la toute-puissance divine,

il renvoie à Philon, celui qui comparait l’homme de bien à un musicien ayant accordé son

âme à la manière de la lyre!: or cet instrument parfait qu’est l’homme, «!s’il a été bien

accordé, produit la meilleure des symphonies, qui ne consiste pas dans le mouvement et

les sons d’une voix mélodieuse, mais dans la concordance des divers actes de la vie!»363.

Cette harmonie atteinte, l’esprit humain est susceptible de s’élever vers les régions célestes

et à prendre part aux ronds des planètes et des étoiles, d’après les lois de la musique par-

faite instituée par l’Éternel. Cette conception de l’ordre musical du monde qui tire ses

d’Israël, dit Van Schaik, qu’il joue un rôle similaire à celui de Pythagore, celui d’instigateur de l’ordre
musical.
363 Quod Deus immutabilis sit, par. 24-25, cité après Gerold, pp. 61-62.
TROISIEME PARTIE 392

accords de Dieu-Créateur, roi de l’univers dont le roi très-chrétien veut devenir le type, ne

cesse de se développer chez les Pères. On la retrouve chez Clément d’Alexandrie!: celui

dont David est le prophète, écrit-il, «!a accordé la dissonance des éléments en rapports

consonants, pour que le monde entier soit en harmonie!»364. L’image revient chez Michel

de Meaux, qui décrit les broches de la harpe davidique comme des états d’âmes que la clé

de la grâce peut ajuster et rendre conforme à l’harmonie primordiale365!; on la rencontre

presque à l’identique dans l’Ars musica de Johannes Aegidius de Zamora (c. 1300)366.

C’est ainsi que les représentations du psalmiste accordant son instrument deviennent le

reflet symbolique du Christ-Logos régissant le macrocosme ainsi que le petit monde, le

corps de l’Église dont chaque chrétien est une corde. Par le même principe d’analogie, le

roi est alors prêt à être considéré comme le microcosme de cet univers plus grand qu’est le

royaume!: l’équilibre de l’un influence l’autre, d’où l’importance que les vertus du roi

François soient fermes et bien tendues.

2. David range la harpe dans son étui

Lorsque le corps du royaume et le corps du roi sont enfin assurés en leur intégrité,

François Ier peut enfin se reposer et ranger la harpe dans son étui, symbole de la constance

dans la vertu!:

Prendz doncq en gre ma harpe tant infuse


De sy beaulx sons!: mais affin quelle ne suse
Tu doibs avoir ung estuy ou custode
Pour la loger en sa royalle mode.

364 Protreptique, I, cité après Gerold, p. 74.


365 Michel de Meaux, Commentaire du psaume 97 (v. 5-6) conservé à Oxford., bibl. de New College
sous la cote Ms 36, en particulier les fols. 54r-v . Le passage auquel nous nous référons est reproduit dans
Christopher Page, Voices and Instruments of the Middle Ages, Instrumental practice and songs in France
1100-1300, Londres et Melbourne, J.-M. Dent & Sons, pp. 231-32.
366 Ed. Robert-Tissot, 1974, en particulier p. 118.
TROISIEME PARTIE 393

Lestuy sera continuation


La conservant bien de corruption
De fraction [sic], dordures, et broilleure
De la gaster, et tomber en fracture. (fol. 12v corr)

L’importance accordée à la «!continuation et perseverance de vertu!» est bien sûr

un lieu commun dans les ouvrages sur la dignité royale. Dans la Somme le roi, le frère

Laurent la désignait comme le cinquième degré de la vertu royale!: «!C’est une vertu qui

faict le cueur ferme et estable en Dieu comme tout fondee sur ferme roche et comme arbre

enraciné en bonne terre qui ne se crolle pour nul vent qui puisse venter!»367!; il faisait

même du David des psaumes, celui qui n’avait de cesse d’invoquer Dieu «!lors lassault du

dyable!», son principal modèle368. L’allégorie du Penser transpose simplement dans un

langage musical cette dernière valeur de noblesse que toute poésie célébrative ne pouvait

négliger. Mais il y a plus. Le soin attentif que Michel porte à l’instrument est révélateur du

trésor de significations morales et politiques qu’il y insère. L’importance de le garder à

l’écart de tout mal et de toute corruption extérieure, en sûreté dans un écrin de vertus, il-

lustre admirablement son rôle dans le retour du royaume à l’intégrité spirituelle et morale!:

manière de suggérer que la harpe, même au repos, s’oppose par essence à toute forme de

putréfaction qui pourrait aussi bien dégrader un corps d’homme qu’un corps social. Ma-

nière encore d’insister que la métaphore musicale reste liée à celle de l’organisme sur la

voie de la guérison.

À ce point de notre analyse, il apparaît donc qu’en bon rhétoriqueur, Michel atta-

che au symbolisme afférant à une image simple et agréable une valeur complexe, mesura-

ble à l’aune des auteurs chrétiens et des théoriciens auxquels il fait référence, et qu’il faut

décrypter. En tant qu’attribut royal, il confère à la harpe la valeur de l’objet de mémoire si

important à l’époque scolastique - ce dispositif permettant, par un système d’images, de

fixer dans la mémoire princière des connaissances fondamentales et de donner une forme

367 Frère Laurent, Somme le roi (1464), BNF ms. fr. 958, fol. 77v
368 Idem.
TROISIEME PARTIE 394

concrète à des intentions morales et spirituelles en vue d’un bon gouvernement369. En tant

qu’instrument biblique, il la charge d’un réseau complexe de significations auxquels on

peut remonter en réunissant les témoignages d’une multitude de Docteurs de l’Église.

Dans le domaine du symbolisme politique, où il s’agit de fabriquer une image idéale du

roi, le rhétoriqueur apparaît donc comme le détenteur d’une tradition «!tacite!» qui le ren-

voie, comme par automatisme, au riche héritage chrétien qu’il lui revient aussi de perpé-

tuer. Ce type de jeu intellectuel mêlant événements contemporains (la montée au trône de

François Ier et la nécessité de réformer le royaume), légendes antiques sur la musique,

patristique, numérologie, éléments de pratique musicale, était certes inscrit dans la menta-

lité de l’époque et donnait matière à disserter!; mais il visait en même temps à s’affranchir

des modes et de la barrière du temps, comme en témoigne le précieux imprimé, de toute

évidence destiné non seulement à François Ier, mais à la postérité.

Il faut reconnaître qu’au moins indirectement, et surtout à la suite de théoriciens

plus influents comme Marsile Ficin, une telle appréciation de la musique de David a eu

des émules plus tard dans le siècle. On en voit des traces dans le milieu raffiné des

«!politiques!», ces hommes de lettres modérés qui appelaient de tous leurs vœux le retour

de la concorde en France au moment des guerres civiles. Lorsque le poète hébraïsant Guy

le Fèvre de la Boderie, dont on connaît le rôle essentiel à Anvers dans l’édition de la Bible

polyglotte, invoque dans sa Galliade les talents du psalmiste en la personne du «!divin

harpeur!», il renoue précisément avec la tradition curative associée à la harpe et aux théo-

ries politiques dérivées de cette dernière dans la tradition chrétienne. David apparaît

comme l’homme qui a pénétré les lois de l’harmonie universelle fondée sur les nombres,

celui aussi qui permet d’espérer de voir un jour cette harmonie reproduite à nouveau sur la

terre. Sa musique, rendue sublime par le souffle de l’Esprit, a fait résonner à l’unisson

toutes les extrémités de l’univers, le macrocosme!; à qui la retrouvera, il sera donné de

369 Cf. F. Yates, «!La mémoire médiévale et la formation d’un système d’images!», in L’Art de la mé-
moire, Paris, Gallimard, 1975, pp. 119-43.
TROISIEME PARTIE 395

réaliser à nouveau, par une chaîne d’effets et de correspondances, la concorde et au sein

du microcosme. Prenant comme anagramme «!L’un guide Orfee!» et comme devise «!Le

saint David revit orphiquement en Guy!», Le Fèvre a déplacé l’accent sur la figure du prê-

tre!: le saint prophète orphique, tel un nouveau David, engendre musicalement l’harmonie

universelle et permet la conciliation d’une tradition scripturaire et d’une prisca theologia.

Parallèlement, le milieu des académies où se rencontrent le roi, les courtisans, les

poètes, les musiciens, poursuivra aussi la recherche des effets apaisants de la harpe de

David sur Saül dans sa quête de la «!musique mesurée!». C’est dans l’Académie de poé-

sie et de musique fondée par Jean-Antoire de Baïf et Joachim de Courville que Claude Le

Jeune, musicien calviniste, met en musique les psaumes de Baïf en vers mesurés.

L’académie toulousaine des Jeux floraux gratifiera d’ailleurs Baïf d’une statue de David

en argent pour l’impulsion qu’il imprima sur la traduction et l’harmonisation des psau-

mes370. Le type de collaboration qu’il encourage entre poètes et musiciens est un nouveau

surgeon de l’idéal lyrique dégagé par David lorsqu’il soulageait Saül, décrit en ces termes

dans les Trophées de Du Bartas371!:

Et peut-estre qu’aussi de David le saincts mots


Doucement animez de passages dévots,
Exorcistes, chassoyent l’ennemy de nature
Qui, traistrement, l’âme du roy torture.

De la même manière, Frances Yates l’a montré372, les académiciens espéreront

hâter le retour de l’harmonie et de la paix qui manquent cruellement dans la seconde moi-

tié du XVIe siècle!: non plus par les armes, dont on ne compte plus les ravages, mais par

les pouvoirs curatifs du chant accompagné.

370 Cf. F. Yates, The French Academies in the Sixteenth Century, Londres, Warburg Institute, 1947, éd.
française aux P.U. F. en 1996. Retrouver le passage concerné.
371 Les Trophées, op. cit., v. 405-408.
372 Op. cit.
TROISIEME PARTIE 396

Chapitre VII

David dans l’arène

Les gigantomachies et les théomachies exercent une fascination sur les poètes de la

Pléiade qui devait les amener, on s’en doute bien, à relire le combat de David et Goliath.

Ce déplacement des géants antiques vers les géants bibliques avait d’ailleurs été préparé

par l’exégèse et la poésie médiévales!: selon Françoise Joukovski373, les auteurs chrétiens

assimilent très tôt les colosses mythologiques à leurs équivalents bibliques en tant

qu’incarnation symbolique de l’orgueil et du péché. Lorsque le motif atteint le XVIe siè-

cle, les géants n’ont donc rien perdu de leur force d’attraction!: Du Bellay les place au

premier rang des sujets gréco-latins pouvant conférer l’immortalité au poète. Ronsard lui

répond, l’année suivante, par une ode rappelant la noblesse du thème depuis l’Antiquité.

La ferveur qui conduit plusieurs d’entre eux à renoncer avec Marulle aux «!fables men-

songères!» propulse naturellement Goliath sur le devant de la scène épique!: Du Bellay,

Pierre de Brach et Du Bartas lui consacreront des vers célèbres, non pas en moralistes

mais en chercheurs du potentiel poétique et esthétique des Écritures. Ils redécouvrent dans

le Philistin la beauté de l’ancienne titanomachie en questionnant sa ressemblance avec ses

alter ego de la fable et des lettres classiques.

La Monomachie de David et Goliath de Du Bellay


TROISIEME PARTIE 397

Lorsque Du Bellay entend renoncer aux Muses et aux charmes des fables, le parti

qu’il choisit est à des lieues de l’abandon intransigeant du grand modèle antique. Certes,

aux attaques des militants de la vérité scripturaire contre les histoires mythologiques et

païennes, il répond dans la Monomachie de David et Goliath en s’inscrivant dans le droit

fil de la poésie chrétienne, mais non sans recourir aux figures de style des poètes classi-

ques!; à l’instar de Marulle, il compte résister à la séduction des Muses sans pour autant

renoncer à leur chant ensorceleur.

Les références épiques de la Monomachie s’appuient, au départ, sur des intentions

chrétiennes. Les premiers vers s’élèvent comme une prière!:

O Dieu guerrier, Dieu que je veulx chanter,


Je te supplye, tens les nerf de ma lyre!:
Non pour le Grec, ou le Troyen vanter,
Mais le Berger, que tu voulus eslire.374

et les derniers se closent sur la mention d’une «!saincte fantaisie!» (v. 231) Dans cet inter-

valle, la fascination pour la mythologie antique se superpose au dessein chrétien et sa trace

pourtant jugée «!discrète!» par Guy Demerson375 marque fortement l’ensemble du poème.

Du Bellay emprunte à ses modèles l’allure jovienne du Dieu des armées faisant tonner le

ciel à l’Orient (à sa «!dextre!», v. 126) en présage d’événements favorables aux siens

(v.126-128)376 et persistant à «!accabler sou’sa foudre!» (v. 166) ceux contre lesquels il

déchaîne «!le feu vengeur des offenses du monde!» (v. 204). L’intuition de Pindare selon

laquelle la force divine laisse une empreinte surnaturelle sur les êtres qu’elle visite trouve à

s’exprimer chez chacun des protagonistes. David, on le sait, partage avec le triomphateur

373 Françoise Joukovski, «!La Guerre des dieux et des géants!», Bibliothèque d’humanisme et de la Re-
naissance, t. 29, 1967, pp. 55-92.
374 J. Du Bellay, La Monomachie de David et de Goliath, éd. Critique E. Caldarini, Genève, Droz, 1981,
p. 41, v. 17-20.
375 Op. cit., p. 392.
376 Cf. Énéide IX, v. 630-31, et Ovide, Fast., IV, v. 833-34.
TROISIEME PARTIE 398

pindarique son éblouissante luminosité et emprunte au chef de l’Olympe la posture du

grand altitonnant!:

Finablement courbé sur les genous,


Panché à droit, d’un pié ferme il se fonde
Ainsi que Dieu, lorsqu’il darde sur nous
Le feu vengeur, etc. (v. 201-04)377

Goliath, «!flambant d’armes insignes!» (v. 37) incarne également les forces maléfiques

grâce à un réseau de métaphores ignées qui qualifie jusqu’à sa tenue et son heaume, lumi-

neux «!comme un brillant escler!» (v. 73). Il emprunte également aux procédés épiques

ses traits repoussants. L’horrible panache qui flotte (v. 73), selon la formule homérique378,

son corps «!tout hérissé d’écailles!» et de plumes (v. 119) qui rappelle le monstre marin

d’Andromède, la description du bouclier enfin, empreint aux armes infernales!:

Nembroth estoit protraict en son boucler!:


Sa main bransloit l’horreur d’une grand’hache. (v. 76-76)

À la Gorgone figurant sur le bouclier d’Agamemnon succède Nemrod et ce renvoi est un

signal formel permettant d’identifier le genre héroïque. La main qui menace de la hache

jaillit pour sa part du vocabulaire virgilien379, tout comme les allures de «!fier taureau!» (v.

115) écumant de rage et grondant du tonnerre, et d’autres allusions au règne animal que

l’on retrouvait déjà chez Marulle!:

Ce diable adonq’tonnant horriblement,


Et tout baveux d’écumeuse fumiere,
Grinça des dents espoüantablement,
Et en fronçant nez, et front, et paupiere,
Blasphema Dieu, le ciel, et la lumiere. (v. 169-73)

377 Cf. Demerson, op. cit., p. 393.


378 Odyssée, XXII, v. 124.
379 Énéide, XI, v. 651!: «!nunc validam dextra rapit indefessa bipennem!».
TROISIEME PARTIE 399

Le théomorphisme qui fait apparaître Dieu sous une écorce humaine est ici inver-

sé!: Goliath prend la forme imaginaire du «!diable!», chef de ces ténèbres où ne résonnent

«!que pleurs et grincements de dents!»380. Le génie personnel de Du Bellay apparaît en-

core plus clairement lorsque dépassant la topique du genre, il puise à un terreau philoso-

phique contemporain de quoi enrichir sa description du philistin. Guy Demerson381 a fort

judicieusement remarqué que Goliath sature ses blasphèmes de thèses évhéméristes, scep-

tiques et épicuriennes jugées hérétiques au temps de la Pléiade. Le géant se présente

comme l’émule des Géants, que leur puissance physique divinisait!:

Je suis celuy, qui avec ces deux mains


Me feray voye au celeste habitacle. (v. 89-90)

Sceptique, il reste sourd aux appels de l’au-delà et récuse pour lui-même le modèle

d’obéissance et d’enchantement de l’Hercule gaulois!:

Ce n’est pas moy, que la voix d’ung oracle


Si doucement tire par les oreilles. (v. 95-96)

Il décrit enfin la foi dans le Dieu unique dans des termes chers à l’allégorie morale des

Épicuriens, comme «!une extériorisation superstitieuse d’impulsions instinctives!»382!:


Est-ce ton Dieu, ou bien faulte de cœur,
Qui te defend descendre à la campagne!? […]

Qui autre Dieu, que ma force nadore!? (v. 107-08 et 100)

Ses propos sacrilèges retournent contre Yahvé les arguments que les mythographes oppo-

saient aux dieux païens pour en prouver l’inexistence. À ces blasphèmes, David oppose

l’inversion du rapport de force développé dans le Magnificat. Du Bellay insiste sur l’être

«!chétif!» et le «!petit bout d’homme!» (v. 146) qu’est le «!gay berger!» (v. 136), peu

rompu aux exercices guerriers, et le contraste obtenu avec «!le grand Colosse!» (v. 211)

380 Matt. 8, 12 et Luc 13, 28.


381 Op. cit., p. 393.
TROISIEME PARTIE 400

révèle le merveilleux chrétien!; par lui, un cas de disproportion évidente devient le lieu avé-

ré d’un miracle!:

Et sur le champ apparoistre l’on voit


Un bergerot à la chere eveillée!:
Sa pennetiere en escharpe il avoit,
Et à son bras sa fonde entortillée. (v. 129-32)

Dieu agira envers David comme un «!boucler [bouclier] de ferme esperance!» (v. 164),

conformément à l’allégorie paulinienne de la grâce!: face à cette armure spirituelle le Géant

se trouvera impuissant et ses armes retomberont sur lui-même. Elles sonneront sa défaite

(«!son harnois tonne!», v. 213), conformément à la formule homérique383. C’est ainsi que

le langage des mythes et le verbe biblique s’enchevêtrent chez Du Bellay lorsqu’il tente

d’ouvrir une voie nouvelle dans l’épopée biblique!: Pierre de Brach s’en souviendra et lui

empruntera le procédé lorsqu’il se mesurera à lui dans son épyllion sur le même sujet.

Pierre de Brach

Si, pour Du Bellay, l’argument du livre de Samuel offrait au poète une matière plus

sainte et donc plus noble que celle choisie par «!le sonneur des Pergames de Troye!» (v.

232), Pierre de Brach, dans sa dédicace à Montaigne384, confesse se tourner vers le combat

du Térébinthe moins par souci poétique que pour des raisons politiques!: les Muses,

même lasses de chanter «!l’horreur de Bellone!», ne peuvent se passer de se faire miroir

du monde!:

Or que la France cruelle

382 Idem.
383 Iliade, IV, v. 504 et V, v. 42.
384 «!Ode sur la Monomachie de David et Goliat, à Monsieur de Montagne, chevalier de l’Ordre du
Roy!», in Reinhold Dezeimeris, Œuvres poétiques de Pierre de Brach, tome 2, Paris, Auguste Aubry,
1862, pp. 3-8.
TROISIEME PARTIE 401

Retourne son fer contre elle, […]


Que pourroi je mieux chanter, […]
Que l’horrible son des armes!? (v. 53-70)

Las, ce temps à toute forçe


Chanter la guerre me forçe,
Car, par-mi tant de soldars,
Qu’eusse je chanté que Mars!? (v.49-52)

Les guerres civiles sont impies, à tous les sens du terme!: elles sont une révolte

contre le pouvoir divin du monarque et un refus de reconnaître la religion établie. Par cette

notion de sacrilège, le rapprochement de la crise française avec le duel biblique est rendu

possible, l’«!heureuse victoire!» de David fournissant à la nation éprouvée un motif

d’espérance. Mais il faut également croire que derrière!l’intention politique, des enjeux

d’écriture sont en lice. La Monomachie de Du Bellay devait lui avoir plu pour qu’il inti-

tule son épyllion de 1576 presque à l’identique de celle-ci, et pour qu’il en relève le même

défi, celui de délaisser la «!fable moësie!» (que Du Bellay récusait déjà, mais dans une

orthographe différente385) pour «!trompeter le los du grand Dieu qui domine!» (v. 11).

L’émulation de la seconde par la première est nette!: le poème s’ouvre sur la traditionnelle

invocation à Dieu, Père, Fils et Esprit (v. 16), et se termine exactement là où Du Bellay

interrompait son récit!: la mise en fuite des Philistins devant la tête décapitée de leur chef.

Là où l’Angevin consacrait 230 vers au récit, Pierre de Brach en écrit plus du double, soit

574 vers. Risquant le parangon, l’épopée de Brach provoque en quelque sorte l’autre en

duel!: elle prolonge le pont lancé par son prédécesseur entre l’univers des mythes et la

matière biblique, au point de construire une histoire antique à partir d’un sujet sacré. La

nouveauté du poème se situe précisément là!: elle explore les limites ultimes jusqu’où un

sujet d’Écriture peut rester lui-même tout en intégrant des éléments dérivés d’un univers

poétique étranger.

385 Monomachie, v. 225-29!: «!Chantez mes vers, cest immortel honneur, / Dont vous avez la matière
choisie!: / Ce vous sera plus de gloire et bonheur, / Que les vieux sont d’une fable moisie!».
TROISIEME PARTIE 402

L’enracinement dans l’univers de la poésie antique s’effectue d’emblée sous le

signe du petit dieu de la guerre, que la troupe philistine adopte pour sa divinité. Les

«!horreurs de Mars!» (v. 70) dévastent la Judée, son feu s’embrase partout où passe

l’armée adverse (p. 241). Elles transportent le lecteur en plein univers mythologique!:

Et, du temple de Mars descroullant les cent portes,


Elle [l’armée philistine] se fit assembler ses guerrières cohortes. (v. 43-44)

Conformément au topos développé dans les titanomachies antiques386, l’évocation

d’un conflit martial prélude à une confrontation de dimension cosmique, traditionnelle.

David, héraut de Dieu, porte sa lumière, conformément à la représentation plastique du

maître des dieux imaginée par l’anthropomorphisme mythologique. Il se lève avec le jour

et chacun de ses gestes lui rend témoignage!:

Aussi tost lendemain que Venus la courriere


Eut annoncé du jour la prochaine lumière,
David ayant laissé dans son lict le sommeil
Commença son voyage avecques le Soleil. (v. 263-66)

Goliath, investi d’une tout autre lumière, («!Ses yeux tous enflammés ressambloient à

l’esclair/ Que Jupin fait briller par le vague de l’aer!», v. 173-74), est la cause d’une

éclipse symbolique. Lui-même voit mal, ou partiellement, tant il ressemble au «!Cyclope

amoureus, le borgne Pollipheme!» (v. 156) Ses injures professées en rafale, «!comme les

soufflets du forgeron boîteux!» (v. 186), répercutent le gouffre qui l’habite. Elles font

régner la ténèbre dans le camp des Hébreux, rendant pour eux le jour aussi sombre que la

nuit!:

Car jà quarante fois dans l’abîme des eaux


Phoebus avoit plongé le nés de ses chevaux
Pour obscurcir du jour la grand torche alumée,
Qu’il avoit châque jour deffié leur armée. (v. 277-80)

386 Cf. F. Joukovski, op. cit., p. 82.


TROISIEME PARTIE 403

La description des combattants s’apparente fort à celle de Du Bellay car elle ré-

pond aux mêmes conventions épiques. Goliath, tel «!Briaré, le géant aux cent bras!» (v.

153), ressemble au «!taureau grand et fier, […] suant et meuglant!» (v. 518), impatient

d’écraser une bête plus jeune, «!corne et teste baissée!» (v. 520). À l’image du taureau

succède celle du monstre, accréditée par la Bible («!Suis-je un chien!?!» I Sam. 17, 43),

dont l’allure repoussante reprend le topos antique de la bête écumante!:

Tel estoit Briaré, le Geant aux cent bras,


Qui roidis et muscleus renverssoient tout à bas. (v. 153-54)
[…]
En marchant à grands pas la terre il arpentoit!;
De sa levre baveuse une escume sortoit!;
Une épesse sueur, qui du chef lui degoute
Par ses rides du front s’avaloit goute à goute. (V. 169-172).

Les termes qui décrivent l’apparition du berger ne visent, comme chez Du Bellay, qu’à

creuser le fossé qui sépare la force orgueilleuse du Titan et la rusticité de celui qui relève le

combat. La figure de l’enfant sans défense l’emporte sur celle du berger habile et coura-

geux, délivrant ses brebis des griffes de l’ours et du lion (v. 323-52). L’inégalité physique

des protagonistes attestée dans la Bible reste l’élément le plus sollicité pour mobiliser le

merveilleux chrétien:

Quand David arriva. Lors châcun le regarde!;


Avec un hausse-bec un châcun le brocarde.
Et sur tout Goliat, qui le vit jeune et beau,
De fraile et simple taille, et de taint damoiseau,
D’un humble et dous regard, n’ayant en son visage
Rien qui peut remarquer un homme de courage. (v. 407-12)

En revanche, Pierre de Brach prend véritablement ses distances avec Du Bellay lors-

qu’il évoque la manière dont le duel trouve à s’accomplir!: moins fidèle à l’esprit de la

Bible qu’à l’art de Virgile en matière de combat, la toute-puissance divine joue davantage

le rôle de témoin que celui d’acteur dans la confrontation qui oppose les protagonistes.

Chez De Brach, le berger remporte la victoire grâce à son adresse et à son agilité!; ce sont
TROISIEME PARTIE 404

ses qualités personnelles qui en font un héros davantage que la protection divine dont il est

investi. C’est un véritable art de la ruse que le poète dégage de la tactique militaire!:

D’un costé le Geant l’attaque roidement!;


David d’autre costé se couvre habilement,
Se desrobant des coups que l’ennemi lui lance!;
Ore un pas il recule, ore un pas il avance,
Or s’estant avancé il recule un petit,
Ores il se fait grand, ore il se fait petit,
Amusant Goliat par cete ruse experte,
Jusqu’à ce qu’il a veu sa teste descouverte. (v. 529-36)

Les préparatifs des Hébreux au combat sont également le lieu d’une imitation fidèle

de Virgile387!: on retend les arcs par des cordes tirées, on remplit les carquois de flèches

aiguisées, on fortifie les murs de la cité, creusant des fosses et élevant des remparts. La

sentinelle fait le guet toute la nuit, les détails de la guerre fascinent le poète au point que le

motif religieux se perd dans l’abondance de détails entourant la vie martiale. Autre élément

significatif, au moment où Saül tente de décourager l’enfant d’entreprendre un dangereux

combat, c’est à la philosophie morale davantage qu’à la religion que le discours emprunte

ses arguments rationalistes pour juger de la pertinence de l’action!:

Desiste, povre enfant, desiste de vouloir


Attenter où ne peut ton pouvoir. (v. 305-06)

David répondra par un argument du même ordre en faisant intervenir un troisième élément,

la supériorité absolue du devoir sur les exigences de la volonté et du pouvoir!:

Ainsi diverçement la crainte et le vouloir


Se contre-balançoient avecques mon devoir. (v. 349-50)

L’inspiration biblique se trouve, pour ainsi dire, concurrencée par des éléments

philosophiques mais aussi poétiques qui amènent De Brach à s’éloigner franchement du

387 Énéide, VII, v. 624 ss


TROISIEME PARTIE 405

récit d’origine. Ce que David gagne en héroïsme et en valeur guerrière, il le perd en pro-

fondeur théologique. Moins qu’un repère sacré dans le vaste programme qui conduit

l’homme de l’épreuve au salut, il incarne la logique humaine et ses ressources aussi bien

physiques qu’intellectuelles. La Monomachie calque le fils de Jessé sur le modèle du

guerrier antique et sur le canon des vertus héroïques dégagé par Homère et Virgile.

Les Trophées de Du Bartas

De tous les auteurs français d’épopées bibliques évoqués jusqu’ici, Du Bartas est

le premier poète protestant à consacrer à David une authentique épopée, et non un épyllion.

Contrairement au théâtre protestant sur le même thème, le genre dans lequel il s’illustre

l’amène moins à dogmatiser qu’à ‘poétiser’ la matière biblique!: en l’espace de 1095 vers

alexandrins, seules deux ou trois courtes allusions dévoilent ses convictions politiques et

religieuses. Son ambition de revenir à la Bible comme à une source intarissable de poésie

et d’élévation l’amène à s’étendre davantage sur la description des lieux, des émotions et

des personnages, à donner un surcroît de vie aux Écritures par une accumulation de détails

pittoresques. Les Trophées cherchent à unir art et foi d’une manière certes engagée mais

peu polémique, fortement tributaire de la tradition épique chrétienne.

La dette de Du Bartas envers ses prédécesseurs apparaît notamment dans la pein-

ture de l’affrontement contre le géant, un combat épique calqué sur le modèle antique où

plusieurs métaphores employées intégralement par Du Bellay et Pierre de Brach ponctuent

ses vers388. Comme eux, son Goliath est un personnage repoussant, mi-homme, mi-bête!:

il est un «!un Dragon escaillé!» (v. 77), un «!Cyclope effroyable!» (v. 111), un «!monstre

idolatre!»(v. 152), «!un beuf caché!» (v. 265)!: «!il n’a pour parole / Qu’un grincement de

dents.!» (v. 264-65). À ces comparaisons d’usage s’ajoute aussi un certain nombre de son

cru!: le Philistin est la terreur des bois, un «!sanglier hagard!» (v. 156) et un «!loup contre

388 Sur la nature et l’occurrence de ces emprunts, cf. Jasmine Dawkins, «!Du Bartas’ Debt to Pierre de
Brach!», French Studies, vol. 26, no 4, oct. 1972, pp. 385-393.
TROISIEME PARTIE 406

le Ciel hurlant!» (v. 138), et le géant du désert, un «!grand dromadaire!» (v. 80) transpor-

tant le lecteur dans la plaine sablonneuse et rougissante de Judée. Les métaphores liées à

la lumière reviennent aussi, le personnage incarnant la forme païenne du feu sacré!: «!Sa

menassante voix est telle qu’un orage / Qui roule, armé d’esclairs, dans un malin nuage.!»

(v. 87-88). Les attributs de sa virilité (crin, barbe, stature) font de lui un personnage hy-

bride partageant avec les créatures infernales de Jérôme Bosch le savant mélange de bes-

tialité et d’humanité déchue. La scène oppose à la lumière du ciel un bon nombre

d’images associées par le peintre à l’Antéchrist, prêt à aspirer les témoins de la scène au

royaume des ténèbres!:

Son crin noir, aspre, long, crasseusement se dresse


Jusqu’à ses larges flancs, sa barbe flotte, espesse,
Ses mains, ses bras, son sein sont comme un hérisson,
Couverts au lieu de poil de maint aigu poiçon,
Sa blasphemante bouche est la bouche d’un antre,
Ses yeux deux grands brasiers, un abysme son ventre,
Ses jambes deux piliers, et le voyant marcher,
On le prendroit de loin pour un tremblant clocher. (v. 59-66)

Pour l’anéantir il faudrait un «!Nemrot!» (v. 157), mais à sa place se présente à lui

l’enfance et l’innocence, un «!gentil pastoureau!» (v.153) semblable à ceux qui peuplent

l’églogue, mais que Goliath, conformément à la tradition épique, couvre d’injures en

l’appelant «!petit Damereau!» (v. 241) et «!pucelle affectée!». Un garçon, donc,

Qui est de basse taille, et qui sent croistre à peine


Sur son jeune menton une folastre laine. (v. 159-60)

Et je voy d’autre part un jeune, un tendre fils,


Où la grace et beauté combatent pour le prix.
Qui raseroit l’honneur dont son menton le frise,
Le prendroit aisément pour l’amie d’Anchise.
Il sembleroit Amour, moyennant qu’on ravist
L’arc d’yvoire à l’amour et la fronde à David.
L’or luit dessus son chef, etc. (v.217-21)
TROISIEME PARTIE 407

Le chérubin aura pourtant raison du géant, mais contrairement aux épopées antérieu-

res, il n’aura presque pas à combattre. La foi et non les armes donne la victoire car Du

Bartas, en bon protestant, retient dans son écriture la conception calviniste du salut, soit la

liberté totale de Dieu qui seul sauve ses élus, indépendamment des œuvres. Certes, David

déploie toute l’agilité de sa condition et avec l’adresse d’un «!galion!» (v. 279) prenant

d’assaut sur la haute mer «!une horrible carrague!» (v. 280), il projette le caillou sur le

front de son ennemi!: mais «!ce monstre est abatu avant même de combatre!» (v. 356) par

la main «!lance-tonnerre!» (v. 363), la main divine qui guide la sienne propre.

L’un des intérêts majeurs de l’œuvre de Du Bartas vient de ce qu’elle se ne ter-

mine pas sur le duel du Térébinthe. D’autres aspects qui confèrent à David son étonnante

actualité dans le siècle trouvent aussi une bonne place dans son poème. On retrouve bien

sûr l’image du musicien et avec elle, le poète scientifique de la Première Semaine!: Du

Bartas rappelle la théorie des effets de la musique mesurée et associe la cure de Saül aux

changements de mode musical (phrygien, dorien, etc.) réalisés par David. La théorie des

nombres qui explique l’âme en terme d’intervalles numériques revient pour expliquer le

désordre psychique dont souffre Saül et le type d’intervention du harpiste!:

Si nostre esprit est nombre (ainsi qu’on a chanté)


Il doit estre souvent du nombre alimenté,
Ou s’il est fait par nombre (et de vray je l’estime)
Il le faut r’amener par une douce rime
A quelque bon accord, tout ainsi que la voix
Qui chantant un trio s’esgare quelques fois,
Est ramenée au son par la voix mesurée.
Qui coule selon l’art d’une bouche asseurée. (397-404)
À cette image du musicien, Du Bartas greffe également celle du psalmiste, fon-
damentale pour les réformés. Son très bel éloge du psautier décrit le prince des
poètes comme le chantre de la nature consignant chaque grâce de la Création
dans des vers sublimes!: nulle merveille ne lui échappe, du vol du rossignol al-
lant se «!nicher dans son berceau!» (v. 804), au «!rayon chambrillé de sa Manne
sucrée!» de la butineuse abeille. Le principal sujet de ses vers reste bien sûr «!le
los du Souverain!» (v. 802), la source et la matière de ses «!celestes chants!» (v.
800). David apparaît bien comme le grand modèle littéraire de Du Bartas, celui
dont il enviera toujours les lauriers éternels!:
TROISIEME PARTIE 408

O vers dignes vrayment d’une eternelle vie!! […]


Miracle dont le chef tout en Astres rayonne,
J’ay peur en te voyant, j’ay peur de [sic] ma couronne. (v. 830-34)

Même l’engouement répandu pour la traduction de la Bible et des psaumes trouve

une place dans les Trophées, et avec lui le rêve des protestants de voir David entendu par

chacun dans sa langue maternelle. L’effort partagé pour traduire le psautier dans toutes les

langues est l’hommage suprême que lui offre le XVIe siècle, et le signe certain que même

l’épreuve du temps ne saura triompher de son génie poétique!: «!Ô volume divin!», écrit

Du Bartas,

… Tu vivras en tout aage,


Et ployable apprendras à parler tout langage. (v. 865-66)

Les traits par lesquels David apparaît comme un modèle humain de premier ordre

se prolongent également dans la peinture que propose le poète du «!chevalier errant!», celle

des années noires du bethléemite marquées par l’exil et le nomadisme. Devant Saül389,

David rend le bien pour le mal!; il refuse d’attenter au caractère sacré de la personne

royale, qu’il appelle «!mon Christ!» (v. 525), «!le saint, l’Oint du Seigneur!» (v. 476). Les

positions politiques modérées de Du Bartas apparaissent ici au grand jour!: la distinction

entre le roi et le tyran, au cœur des attaques des monarchomaques contre un souverain

jugé inique, trouve une réfutation dans la réponse de David au dilemme qui lui est posé de

vaincre ou d’épargner son seigneur légitime. L’attitude de David permet à du Bartas de

formuler une règle générale de conduite politique qui, même s’il dépend d’une lecture

littérale de l’Écriture, déborde du contexte biblique et donne une piste de réflexion à ceux

qui s’interrogent sur le respect inconditionnel du vassal!:

De vray c’est un tyran, mais il porte la marque


De prince legitime, et l’eternel Monarque
Ne veut que le vassal trampe jamais sa main,

389 Saül est tantôt nommé par son nom courant (ex!: v. 439), parfois nommé «!Roy Isac!» (v. 367).
TROISIEME PARTIE 409

Quel prétexte qu’il ait, au sang du souverain!:


Il me poursuit à tort, mais l’Eternel ordonne
Que je pare ses coups, mais non point que j’en donne. (v. 495-500)390

Les fruits que David récolte de son obéissance aux décrets divins – d’ailleurs un tel

retour des choses n’est-il pas l’espérance des réformés en temps de crise!? – sont le lieu

de louanges qui servent de transition entre la vie d’errance et la consécration royale. De-

puis son choix de suivre Yahvé jusqu’au bout de l’épreuve, «!tout rit à David!» (v. 765), et

ses exploits n’ont rien à envier à ceux d’Hercule, au contraire. Déjà, comme c’est le cas à

mesure que le siècle avance, le personnage biblique fait ombrage à la popularité de l’auteur

des douze travaux, et le poète n’est pas le premier à revendiquer sa supériorité de David

sur le colosse antique391!:

[…] Il fausche l’Ammonite,


Extermine Soba, racle le Moabite,
Le Jébuséen efface, et presque chaque mois,
Victorieux combat l’orgueil Palestinois!:
Si qu’à peine d’Hercul les masses acharnées
Ont donné tant de coups que David de journées. (v. 757-62)

La gloire qu’il en retire permet également le passage de la période héroïque du jeune roi,

bientôt à la tête d’un royaume aux dimensions impériales, à la description de l’épreuve

que constitue Bethsabée, marquée par la poésie idyllique. La description de la belle est

l’occasion pour Du Bartas de revenir au langage des mythes et à faire rivaliser une mor-

telle avec Vénus, dans la droite ligne de la poésie marullienne. Elle est également

l’occasion d’un véritable blason de la femme au bain!:

Tandis qu’elle se lave, et que tantost assize


Sur un banc de noir jaspe elle peigne, elle frise,
Elle oingt ses cheveux d’or, qu’elle plonge tantost

390 Je souligne.
391 Cf. Marc-René Jung, op. cit. Guy Demerson consacre également un chapitre entier au parallèle entre
David et Hercule dans La Mythologie classique dans l’œuvre de la Pléiade, Droz, 1972, p.p. 395 ss.
TROISIEME PARTIE 410

De son corps bien formé l’Albastre sous le flot,


Telle qu’un lis qui tombe au creu d’une phiole,
Telle qu’on peint Venus quand lascivement molle
Elle naist dans la mer, et qu’avecques les Thons
Jà le feu de ses yeux embrase les Tritons. (v. 905-11)

Montchrestien (David ou l’adultère) s’inspirera de ces vers de Du Bartas lorsqu’il décrira

à son tour Bethsabée comme une Vénus aux cheveux d’or jaillie de l’onde au moment

même où y plonge l’astre du jour392. À sa vue, le roi d’Israël traverse la pire des épreuves

décrite dans la Divine comédie de Dante, celle du gel et du froid, réservée aux pires des

pécheurs au dernier cercle de l’Enfer (chant 33). David, d’abord bouillonnant, «!devient

tout flamme!» (v. 951) puis de glace!; il fait une expérience d’aliénation qui le rend aussi

étranger à lui-même que la morsure hivernale à la brûlure du soleil!:

[…] Ô clairs bains!! si vos eaux


Gelées vont roulant, d’où sortent ces flambeaux
Qui consomment mon cœur!? si vostre onde bouillonne,
D’où vient ce froid Hyver qui mon ame glaçonne,
Estourdit tous mes sens, et fait que je ne puis,
Lethargique venin connoistre qui je suis!? (v. 935-40)

Cette division intérieure qui le rend méconnaissable à lui-même, Nathan la dénonce-

ra violemment («!Tu as Dieu dans la bouche, et dans le cœur Satan!», v.!988), allant même

jusqu’à traiter le roi de «!sépulchre blanchi!» (v. 987). À la mort de l’enfant de Bethsabée

et à la déchéance morale de sa famille prédite dans le récit biblique, Du Bartas lie à

l’adultère toutes les malédictions des dernières années de David!: la révolte de ses fils (v.

1025-30), le viol de Thamar (v.1015-23), la mort d’Absalon pendu à un arbre par les che-

veux (v. 1035-45), même l’envoi de la peste en Judée, contrairement aux Écritures qui en

font une punition pour le dénombrement du peuple (II Sam. 24). La description de cette

peste n’est pas sans rappeler encore celle de Marulle, à ceci près que Du Bartas choisit de

392 David ou l’adultère, in [Petit de Julleville, L.], Les Tragédies de Montchrestien, Paris, Plon, 1891, v.
65-80.
TROISIEME PARTIE 411

filer les métaphores du feu et du froid évoquées plus tôt pour souligner poétiquement le

lien entre l’adultère et cette seconde malédiction, placée ailleurs dans la Bible!:

Las!! en haine de toy l’air paresseux engendre


Un mal non paresseux, l’aage vieil, l’aage tendre
Luy sont indifferens […]
Le malade ne peut souffrir la molle couche,
Un feu sort de ses yeux, un retraict de sa bouche,
Son chef pese à son col, à ses jambes son corps,
Dedans il est en flamme, et tout en eau dehors,
D’une profonde toux ses poumons il agite,
Il vomit tout ensemble et sang et pituite […]
La femme ne poursuit d’une funebre voix
Son espoux au tombeau, chacun son malheur pleure,
Le vif avec le mort pesle-mesle demeure. (v. 1049-66)

La pénitence que conçoit David en réaction au jugement divin est également pour Du

Bartas le lieu d’une amplification du récit biblique. La scène de 2 Sam. 12, 7-14 rapporte

sous la forme d’un dialogue l’accusation de Nathan et le mea culpa du roi!: les détails

visuels de la scène sont laissés à l’imagination!; Du Bartas exploite largement cette liberté

et greffe des éléments extrabibliques à sa description de la pénitence!:

David oyant tonner ce sacré truchement,


Appréhende de Dieu l’horribe jugement,
Est tout matté d’effroy, et n’a point d’autres armes
Pour vaincre ses ennuis, que les perleuses larmes.
Il despouille son or, il va du pié foulant
Son glaive, son bandeau, son sceptre estincelant!:
Il jeusne, il prie, il crie, et dans la proche grotte
Anime une chanson si tristement devote,
Que le marbre en souspire, et fendu de douleurs,
Mesle ses pleurs nitreux avec ses tièdes pleurs. (v. 1071-80)
TROISIEME PARTIE 412

Le motif des «!larmes pieuses!» provient de Cassiodore (ca. 490-585)393, qui mentionne

également le roi descendant de son trône pour s’humilier devant le prophète. À la Renais-

sance, ce détail est à tel point enraciné dans la tradition iconographique qu’il permet tou-

jours de déterminer le moment de la scène dépeinte par les artistes394!; si Du Bartas s’en

empare, c’est néanmoins pour donner à la scène un surcroît d’émotion et retrouver un

autre grand modèle, Pétrarque. Dans la Vie de solitude en effet395, ce temps de recueille-

ment et de repentir symbolise la valeur incomparable du retrait du monde et de la contem-

plation. Au motif des «!perleuses larmes!», il ajoute également dans son Triomphe de

l’amour celui de la grotte, le lieu de retrait et de pénitence de Marie-Madeleine. Pour le

Toscan, l’entrée de David dans la grotte symbolise les débuts du psalmiste dans la vie de

solitude396!; il n’est d’ailleurs pas étonnant que l’ouvrage du même nom se termine par

une paraphrase d’un psaume pénitentiel, le psalmiste et l’ermite étant chez lui deux figures

intimement liées. On voit bien que Du Bartas suit les traces de son prédécesseur et que

son traitement de la Bible ne jaillit pas seulement de convictions religieuses, mais égale-

ment d’un parti pris poétique que le personnage même de David, le poète, accrédite. Si le

héros des Trophées constitue un modèle pour Du Bartas, c’est qu’il renferme à ses yeux

(comme à ceux de Pétrarque) un talent lyrique impérissable, au moins égal à celui des

poètes antiques, et que par sa conduite (envers Saül notamment, mais également par ses

fautes) il offre des repères à un monde en crise. Les derniers vers de l’épopée présentent

d’ailleurs les fléaux et la solitude de David comme le miroir fidèle du temps présent,

comme un lieu de méditation pour tous ceux que la Réforme éprouve par la guerre civile!:

Dieu, mon Dieu, mon bon Dieu, puisque pour nos offences

393 Migne, P. L. 70!: 359.


394 Cf. Charles A. Huttar, «!Frail Grass and Firm Tree!: David as a Model of Repentance in the Middle
Ages and the Early Renaissance!», in [R.-J. Frontain and Jan Wojick], The David Myth in Western Lite-
rature, West Lafayette (Indiana), Purdue University Press, 1980, pp. 38-54.
395 Pétrarque, La Vie de solitude, II, v. 4.
396 Wyatt et l’Aretin retiennent également l’image de la grotte pour dépeindre la pénitence de David!: ils
lui joignent simplement l’image de la tombe, la grotte étant le lieu d’une mort symbolique du pécheur et
de renaissance spirituelle. Cf. Huttar, art. cit., pp. 52-54.
TROISIEME PARTIE 413

Tu verses les torrens de de tes aspres vengeances


Sur le champ porte-lis, que ton juste courroux
Bruit, canone, foudroye à tous momens sur nous,
Que la faim, que la peste, et que l’horrible guerre
Marchant sous un drapeau, ravagent ceste terre!:
Fay profiter en nous tant de sortes de fleaux,
Fay que nous esteignions dans nos larmeuses eaux
Le feu de ton courroux!; saincts detestions le vice,
Et reformez changions en douceur ta Justice. (v. 1085-94)

Seules les larmes de pénitence versées par les protestants à l’image de David sem-

blent donner au «!champ porte-lis!» quelque espoir d’apaisement. Au rang des modèles

poétiques, humains et moraux qu’offre l’Antiquité, le psalmiste est bien le principal qui

laisse espérer la fin du courroux divin et une réconciliation entre Dieu et les hommes. Le

«!plus ancien de tous les poètes!» est également celui de la plus grande actualité pour

l’auteur des Trophées, celui qui ouvre le passage de l’ombre à la lumière.

Les Amours de David et de Bersabée

Dans les textes littéraires produits par la Pléiade, la majorité des épopées

s’attardent à la «!monomachie!» de David et Goliath comme un élément déclencheur du

récit épique, voire comme seul et unique sujet. Rémi Belleau est le seul à échapper à cette

règle puisque ses Amours de David et de Bersabée (1572)397 ne traitent pas du célèbre

duel biblique. Elles esquissent en revanche une véritable théomachie entre le «!petit Dieu

ailé!» (Éros) et le Dieu d’Israël, puisant dans le genre épique traditionnel ses deux sujets

les plus prisés, la guerre et l’amour.

Depuis la savante analyse de Klàra Csürös sur ce poème héroïque398, les compo-

santes épiques du poème sont connues et ne nécessitent pas qu’on s’y attarde dans le

397 «!Les Amours de David et de Bersabee!», Seconde iournee de la Bergerie, in [Ch. Marty-Laveaux],
Œuvres poétiques de Remy Belleau, tome 2, Genève, Slatkine reprints, 1965, p. 138.
398 Art. cit., pp. 165-79.
TROISIEME PARTIE 414

détail. Il reste néanmoins à montrer qu’avec Belleau, l’ancrage de David dans l’univers

sacré s’estompe prodigieusement tant l’atmosphère, les milieux et les personnages répon-

dent à des topoi étrangers au canon de l’Écriture. Le fils de Jessé «!s’est en quelque

sorte!laïcisé et n’est plus qu’un enjeu d’écriture!», constate Simone Maser399!: contraire-

ment aux protestants qui s’attachent à lui comme à l’emblème de leur foi, le poète de la

Pléiade transforme les malheurs du roi biblique en un agréable passe-temps et chante la

gloire d’Éros, fils de Vénus, alors même qu’il écrit sur la Bible.

Le pluriel du titre, Les Amours, annonce d’emblée la couleur de l’épyllion!: il nous amène

à des lieues de l’amour sacré, qui est unique, pour traiter de soubresauts amoureux dignes

des passions de l’Olympe. Le vrai maître de la destinée du psalmiste est ici Cupidon, dont

le récit des manigances constitue le cœur de l’épyllion. La construction du récit reflète ce

parti pris!: dans un poème qui compte 380 vers, les cent quarante premiers sont exclusi-

vement consacrés à Cupidon, les cent quarante suivants aux fruits de ses intrigues et à la

colère de Dieu, les cent derniers enfin au repentir du roi adultère. Le poème débute

d’ailleurs par l’apparition du petit dieu ailé dans le ciel de Judée, à la recherche d’une

nouvelle victime!; l’adverbe de temps «!déjà!» place le lecteur dans le temps immuable et

révolu de l’épopée et donne à Cupidon un air d’éternité!:

Dessina ce petit Dieu de ses aisle couplees


Avoit ramé du ciel les plaines estoilées.
Couru l’air et la mer, et ses feux descouvers
Se monstroyent peu à peu par ce grand univers. (p. 138)

Le principal acteur de la tragédie de David est et restera Éros, le premier n’étant que

l’enjeu passif de son complot maléfique. Son discours d’ouverture le présente comme une

divinité aussi puissante que Dieu!: il s’attribue le Déluge et la pluie de soufre sur Sodome

et Gomorrhe400, le «!bras armé!» de Dieu401 (l’expression est biblique), son omniscience

399 Op. cit., p. 107.


400 Op. cit., p. 139.
401 Idem.
TROISIEME PARTIE 415

aussi car «!il sçait!» que David doit un jour «!tomber sous l’audace / Des forces de Sa-

tan!»402 et succomber à une femme, précipitant la ruine de sa famille. Les principales vic-

times de l’amour énumérées dans les Triomphes de Pétrarque (Samson, le roi Ninus de

Babylone, époux de Sémiramis, Hector, etc.) reviennent sous la plume de Belleau pour

montrer l’étendue de ses pouvoirs, et dans une série d’invectives guerrières Cupidon se

promet d’y ajouter aussi David!:

Moy doncques (dist Amour) n’auray-je la puissance


D’esbranler de ma main. La royale constance
Et le fort de son cueur!? (p. 139)

Il ne fait bien sûr nulle doute que le petit Cupidon arrivera à ses fins. Dans le cadre

des Bergeries, la foudre qu’il déchaîne permet de chanter les lois cruelles de l’amour vo-

lage, convoitise, péché et crime, et de faire des attraits féminins le lieu, ni plus ni moins,

d’un plaisant divertissement.

La description toute en clichés des charmes de Bethsabée met l’accent sur la mé-

tamorphose de la dame, d’abord chaste puis devenue coquette sous l’emprise du petit

dieu. Petit à petit, elle «!contregarde son teint, / Commence à s’attifer, à se tenir en point!»

(p.140)!; Belleau évoque «!le coural soupirant de ses levres molettes / Doublement rempa-

ré de moyennes perlettes!», et «!le teint frais et vermeil et la gorge et le sein / semez à

l’envi et de lys et de roses» (p. 140). À sa vue, David se métamorphose en amant, il perd

les sens avant de se perdre lui-même!:

La voyant, aussi tost se transforme et s’altere


En un corps fantastic, sans veine et sans artere.
Sans foye, sans poulmon, sans tendons et sans chair,
Invisible, venteux, et de substance d’air… (p. 140)

402 Idem,. 138.


TROISIEME PARTIE 416

Selon Csürös, Belleau cherche à représenter ici un état de possession diabolique403.

Sans pour autant aller si loin, on peut au moins reconnaître qu’il prend lui-même les appa-

rences de son bourreau à mesure, que la passion brûle son âme de l’intérieur. Pour la

première fois dans l’épopée biblique, le psalmiste lui-même voit s’inverser en lui l’ordre

de l’anthropologie mythologique qui représente les dieux d’après les attitudes humaines.

L’apparence physique de l’élu du Seigneur se calque, ailes en moins, sur celle du petit

Dieu voltigeur!:

Pour sceptre dans la main il porte le flambeau,


Qui luy donne la vie et le guide au tombeau.
Pour sa lyre un carquoi, et au lieu de couronne
De ce bandeau fatal son beau chef environne. (p. 142)

Ce ne sont plus désormais des éléments extérieurs à David qui campent la Bible

dans l’univers de la mythologie, c’est le psalmiste lui-même qui empoigne la lyre de

Cupidon et oublie ses devoirs pour devenir «!l’adultère assassin!». Le Grand Dieu ne

restera pas de marbre devant cette métamorphose!: il en subira même, lui aussi, l’influence.

Les métaphores de feu utilisées par Du Bellay et Brach pour décrire la colère de Goliath

s’appliquent désormais à dépeindre celle de Yahvé. Pour réagir à la faute, il déchaîne la

foudre et tel un second Jupiter, il «!fait trembler sous ses pieds la terre et les Enfers!» (p.

145). Monté son «!throsne d’or fin, riche de Diamans, / De perles, de saphirs, de rubis

flamboyans!» (p. 145), industrieux chef-d'œuvre de Vulcain, il réunit autour de lui un

conseil homérique composé de «!la troupe ailée!» des «!petits dieux moyens!». Deux figu-

res allégoriques, Clémence et Justice, apaisent le courroux divin et envoient à Nathan un

messager ailé qui n’est pas Mercure, mais un Ange. Le Dieu d’Israël devient bel et bien,

sous la plume de Belleau, le roi de l’Olympe. Tous les lieux communs de l’épopée sont

réunis pour donner à l’épyllion l’allure d’un poème antique, au détriment, évidemment, de

la fidélité à la Bible.

403 Art. cit., p. 172.


TROISIEME PARTIE 417

Seuls les derniers vers de la Seconde iournee de la Bergerie rendent à David un

peu de sa profondeur théologique. Un peu, car si la figure du pénitent apparaît ici pour

marquer le retour du roi à sa ‘sainteté’ d’origine et la fin de l’errance morale du souve-

rain, elle s’inspire (comme chez Du Bartas) davantage de Pétrarque que de la Bible. David

se retire dans «!un antre solitaire, / un caveau tenebreux, une fosse, un rocher!» (p. 150),

ajoutant à la punition divine la volonté de se châtier aussi par une vie sombre et austère!:

«!Toy desormais caverneuse maison / Tu sera mon palais, et ma noire prison!» (p. 151).

Le poète lie lui aussi ce séjour de réclusion dans la «!valee!» des «!ombres et des nuits

eternelles!» (p. 150) la composition des psaumes pénitentiels!:

Ayant fait ses regrets, prend sa lyre d’yvoire,


Baigne ses yeux de pleurs, sacrant à la memoire
De son peché commis, les larmes et les sons,
Et les vers animez de ses tristes chansons. (p. 151).

Ayant perdu le roi au profit du petit dieu Amour, Belleau retrouve, après maintes tri-

bulations, un psalmiste!; non pas celui de Samuel, qui ne dit presque rien sur la composi-

tion du psautier, mais celui de Pétrarque. Le personnage de David s’est donc vidé de sa

dimension théologique, il est devenu un motif poétique élégant mais sans véritable profon-

deur.
TROISIEME PARTIE 418

Conclusion

Le traitement de l’épopée biblique par Du Bellay, de Brach et Belleau, empreinte de réfé-

rences aux poèmes héroïques grecs, est exemplaire des métamorphoses encourues par la

figure de David dans la seconde moitié du siècle. Le berger biblique, d’abord simple pro-

tagoniste d’une série de héros antiques dans les compilations tardives (Roman des Neuf

preux, Hardiesses de Sala) est devenu le lieu d’une attention spécifique et soutenue, au

point que gravitent progressivement autour de lui des projets de Davidiade ou d’une

Israëliade susceptibles (l’espère-t-on) de rivaliser en qualité poétique avec des chefs-

d'œuvre tels que l’Iliade et l’Odyssée. Même si un bon nombre de ces épyllia ont une

valeur narrative et littéraire indéniable, il faut néanmoins reconnaître que leurs succès

ponctuels ne les ont pas tous rendus immortels, peut-être pour une question de méthode.

D’une part, la manière de revêtir la Bible du manteau de l’épopée classique reste fortement

tributaire de l’imitation, et comme rarement la volonté de faire du neuf avec de l’ancien

produit d’œuvres impérissables, ces poèmes héroïques, pourtant promis à une brillante

destinée, franchissent tant bien que mal l’épreuve du temps. D’autre part, l’approche pro-

fane des Écritures engendre un essoufflement du genre épique et suscite de vifs mouve-

ments de contestation qui ne favoriseront pas l’attrait pour le ‘grand genre’!; Max Enga-

marre l’a constaté, «!la veine de l’assimilation de certaines histoires de l’Ancien Testament

à des fables va parcourir tout le XVIe siècle chez certains que les uns et les autres, protes-

tants et catholiques, vont qualifier d’achristes, d’athéistes, d’épicuriens, de libertins spiri-

tuels et de quelques autres sobriquets bien sentis!»404. La critique acérée que Boileau di-

rige contre les surgeons de l’épopée biblique au XVIIe siècle est symptomatique de ces

réactions épidermiques qui stigmatisent un corpus peinant à trouver ses propres lettres de

noblesses!:

404 «!David côté jardin!: Bethsabée, modèle et anti-modèle littéraire à la Renaissance!», in Mélanges
Daniel Ménager, Genève, Droz, 2003, p. 539.
TROISIEME PARTIE 419

Le Jonas inconnu seche dans la poussiere.


Le David imprimé n’a point veu la lumière.
Le Moïse commence à moisir par les bords.405

Dans le placard des ‘fables moisies’, le poème biblique se range relativement tôt à

côté d’œuvres des «!affabulateurs!». Cette condamnation sans appel est certes bien sévère,

mais elle montre combien la postérité n’arrive pas à dépasser les modèles consacrés de la

poésie épique par la seule force de l’imitation, pourtant si bien pratiquée par le cercle de la

Pléiade. Au lieu de lui donner des ailes, le désir de renouveler l’héritage de l’Antiquité

conduit la poésie biblique à une forme d’impasse dont la Seconde Journée de la Bergerie

de Rémi Belleau révèle les limites!: en recouvrant David du masque des dieux antiques, le

héros se laïcise et perd l’intérêt théologique pourtant à l’origine de sa fortune littéraire.

Dans l’épisode de Bethsabée, il devient l’un de ces «!putti dodus et frisés!» qui, selon

l’expression de K. Csürös, «!voltigent par essaims!»406!: autant dire qu’il se banalise et

devient, de même que la Bible, méconnaissable. Le siècle de Boileau hâtera le déclin

d’intérêt pour cette forme spécifique de l’épopée biblique. En revanche, il s’intéressera

davantage au personnage sacré et archétypal du roi d’Israël. La vigueur que les protestants

comme Du Bartas et Agrippa d’Aubigné instillent au psalmiste ouvrira son avenir littéraire

et le théâtre, avec la traduction des psaumes, en sera le principal artisan. Les tragédies des

dramaturges réformés sont la réponse personnelle et engagée à la crise des valeurs qui

secoue le royaume comme au passage malaisé du merveilleux chrétien au merveilleux

païen!: elles mettront en lumière un autre aspect du bethléemite, celui du croyant.

405 Boileau, Satire IX, v. 92-94. Cité après Csürös, p. 9. Jonas, ou Ninive pénitente (1663) et David, ou
la vertu couronnée (1665) sont de J. de Coras, le Moyse sauvé (1653) est de Saint-Amant.
406 Art. cit., p. 170.
QUATRIÈME PARTIE!:

DAVID ET LE THÉÂTRE DE LA RÉFORME


QUATRIEME PARTIE 421

Dans l’avis «!Aux lecteurs!» de son Abraham sacrifiant, Théodore de Bèze fait mention, par-

mi «!tous ceux qui nous sont mis en avant pour exemple au vieil Testament […] [de] trois

personnages ausquels il me semble que le Seigneur a voulu representer ses plus grandes mer-

veilles, à sçavoir Abraham, Moïse et David, en la vie desquels, si on se mirait aujourd’hui, on

se connaîtrait mieux qu’on ne fait!». Il est significatif que dans cette liste de trois, ni Abraham,

ni Moïse, dont les histoires furent un important sujet de réflexion pour les instigateurs de la

foi huguenote, ne servirent de prototype aux héros tragiques de la seconde moitié du siècle1 .

L’art de la tragédie, en pleine ébullition, semblait s’accommoder de cette étonnante discrétion!:

selon Alexandre Lorian2 , auteur d’une étude sur les protagonistes du théâtre réformé, Abra-

ham et Moïse devaient trop ressembler aux héros des vieux mystères et des moralités pour

former de véritables prototypes des héros tragiques. Les exploits de ces hommes d’âge mûr

1
Abraham, préfiguration de Dieu le Père s’apprêtant à livrer son fils unique, intéressa surtout les premiers
auteurs dramatiques de la Réforme, notamment Théodore de Bèze, auteur d’un célèbre Abraham sacrifiant
(1550). Après la publication de cette œuvre majeure, le patriarche n’occupe un rôle central dans aucune pièce
française de grande envergure!; il se profile davantage dans littérature lyrique et la réflexion philosophique, où
ses méditations théologiques semblent trouver un meilleur terrain d’expression. Il en va de même pour Moïse.
Si l’Exode fut pour les convertis un récit exemplaire de nature à fortifier l’espérance les fidèles, fréquemment
cité dans la littérature pamphlétaire, l’épisode des tables de la Loi et les débats autour de son herméneutique
rendait peut-être difficile sa représentation dans un théâtre destiné aux laïcs. Une bibliographie moderne classée
par personnages bibliques reste à faire. À titre indicatif, pour Abraham, signalons outre l’Abraham Sacrifiant
la Tragédie de Pharaon de François de Chantelouve, (Paris, chez Nicolas Bonfons, vers 1579)!et la Comédie du
Patriarche Abraham et sa servante Agar de Gérard de Vivre (Anvers, chez Antoine Tyron, 1589).
2
Lorian, Alexandre, « Les protagonistes dans la tragédie biblique de la Renaissance!», Nouvelle revue du
seizième siècle, no 12/2, (pp. 197-208), p. 198.
QUATRIEME PARTIE 422

auraient nécessité la mise en scène de Dieu lui-même, contraire à l’esthétique protestante, et

l’intervention de personnages surnaturels, anges ou démons, plus propre à la dramaturgie

médiévale qu’à la nouvelle manière dramatique. On comprend alors que le personnage de

David, dont les exploits n’impliquent jamais d’intervention directe, physique, de Dieu, et dont

l’élection comme les déboires à la cour devaient parler au cœur des nouveaux fidèles, obtint

les suffrages d’un plus grand nombre de dramaturges plus ou moins proches des milieux

réformés.
QUATRIEME PARTIE 423

Chapitre I

Définition d’un corpus

C’est ainsi que de 1552 à1601, un véritable ‘phénomène David’ s’empare du théâtre. Le

théâtre latin de collège, à visée plus didactique que théâtrale, fait état d’une dizaine de pièces

mettant en scène le personnage entre 1500 et 1618, selon le relevé d’André Stegmann repris

par Françoise Charpentier3 . Ces œuvres, d’une quantité non négligeable, constituent un riche

fonds culturel et pédagogique auquel purent puiser les dramaturges réformés. Indépendam-

ment de leur valeur littéraire, on peut considérer qu’elles contribuèrent de près ou de loin à

leur formation. Un rapide survol de cette production néolatine, à destination d’un jeune public,

réserve peu de surprises!: les pièces isolent du sujet biblique des épisodes pittoresques sus-

ceptibles de plaire, d’instruire et d’édifier, des exploits et des aventures hors du commun où

l’anecdote, la charge émotive et le pathétique sont au centre de l’action et répondent au souci

d’éducation du public!: la Monomachia Davidis et Goliae de Jacob Schoeffer4 , comme

3
A. Stegmann, Appendice de L’Héroïsme cornélien […], Paris, 1968, cité après F. Charpentier, Les Débuts
de la Tragédie héroïque!: Antoine de Montchrestien (1575-1621), Lille, Service de reproduction des thèses,
1981, p. 269. L’édition Rothschild du Mistère du viel Testament (Paris, Paris, Firmin Didot, 1878-91) pro-
pose également une bibliogaphie de pièces bibliques écrites du XVIe au XVIIe siècle et ayant pour objet le
livre des Rois. Nous y renvoyons le lecteur pour sa liste de pièces latines, italiennes, espagnoles, anglaises et
néerlandaises qui relatent la vie de David. (pp. lvii-lxxxii.)
4
Anvers, Ioannes Latius, 1551.
QUATRIEME PARTIE 424

L’Histoire de David et Golias, jeant5 d’une plume anonyme contemporaine et d’autres pièces

encore mettent en scène les épisodes les plus marquants du règne du psalmiste!: elles dramati-

sent l’épisode mythique de la victoire de l’enfant sur le géant et les hauts faits du jeune roi à la

guerre. D’autres tragédies mettent davantage l’accent sur le conflit entre Saül et David, sur la

fin tragique de Saül et sur l’envergure messianique du héros dans cette période de troubles.

Elles visent à dégager le lien qui unit l’Ancien et le Nouveau Testament. Bien sûr, on ne

s’étonnera pas de ce que les aspects moins glorieux du règne de David (les tensions au sein

de sa propre descendance, l’épanchement du sang qui caractérise son règne, les démêlés avec

ses concubines, etc.) sont laissés dans l’ombre par les dramaturges des collèges. Pour sa part,

le théâtre français d’inspiration biblique ne montrera pas toujours la même discrétion.

À partir du milieu du siècle, le théâtre en langue française s’empare pratiquement du

héros biblique!et fait de lui un personnage de premier plan!: dès 1552, non pas six, comme

l’estime Charles Mazouer6 , mais bien huit dramaturges au moins, issus pour la plupart de

cercles réformés, partagent le vœu de Théodore de Bèze et mettent en scène David dans une

dizaine de tragédies écrites en français. Ces œuvres se répartissent à peu près également entre

celles qui s’attachent au versant lumineux de la carrière de David, celui du guerrier victorieux

– lequel intéresse en particulier les auteurs dramatiques avant la Saint-Barthélemy – et celles

qui font état d’un roi pécheur ou amoindri. Elles montrent autant l’homme de la chute que

l’homme du relèvement. Nous évoquerons ici cette matière tragique selon l’ordre des épiso-

des de la Bible auxquelles chaque pièce s’attache.

5
Cette pièce, dont le texte a été perdu, fut jouée au Puys-en-Velay les 22, 23 et 24 mai 1575. Cf. Henri
Mosnier, Le Théâtre au Puy-en-Velay, Paris, Champion, 1880, in-16, 8.
6
Mazouer, Charles, «!La Figure de David dans les Tragédies de la Renaissance!», in [Marie-Thérèse Bouquet-
Boyer et Pierre Bonnifet], Claude Le Jeune et son temps, en France et dans les états de Savoie (1530-1600),
Actes du colloque de Chambéry (4-7 nov. 1991Chambéry, Institut de recherche et d’histoire musicale des états
de Savoie, P. Lang, 1996, (pp. 253-61), p. 253.
QUATRIEME PARTIE 425

Les pièces élogieuses

Le combat de David contre Goliath, récupéré comme symbole de la résistance des ré-

formés à la curie romaine, intéressa le premier Joachim de Coignac, dont la Déconfiture de

Goliath 7 («!tragi-comédie!» au ton anti-papiste) dramatise l’épisode de I Sam. 17. Il fut suivi

par Jean des Caurres dans une pièce scolaire perdue, rédigée à Anvers avant 1584, David

combattant Goliath8 , et probablement par d’autres auteurs tragiques dont les noms ne nous

sont pas parvenus. Rappelons qu’un David et Golias fut joué au Puy-en-Velay les 22, 23 et

24 mai 1575, selon le témoignage des Mémoires de Jean de Burel, bourgeois du Puy, publiés

par Augustin Chassaing9 !; le texte de la pièce, issue d’une plume catholique, ne nous est pas

parvenu!; nous la laisserons donc de côté. Le David combattant de Louis des Masures, pre-

mier volet de la trilogie des Tragédies saintes10 destinées aux élus d’«!Israël en Quercy!»11 ,

reprend enfin le même épisode, à la fois pour sa signification christologique et son symbole

de la piété chrétienne, ou plutôt calviniste, et pour la moralité qui en ressort.

La référence à cet épisode dramatique de la vie de David ne pouvait que séduire les

auteurs engagés de la Réforme. Plusieurs eurent néanmoins le mérite de puiser leur inspira-

tion au-delà de cet épisode inusable du règne de David. La trilogie desmasurienne, par exem-

ple, juxtapose la figure de l’humble pâtre à d’autres facettes du héros!: David triomphant

7
Genève, Adam et Jean Riverez, 1551, B.N. rés. Yf 4349.
8
Cette pièce disparue de Jean des Caurres est mentionnée par Alexandre Lorian (art. cit., p. 200, n. 7). Nous
n’avons trouvé aucun détail supplémentaire sur cette pièce.
9
«!Audict an 1575, les troys jours de la Penthecoste, fut jouée l’Histoire de David et Golias, jeant, audevant
l’eglise Sainct George, ou y eust grande compaignie de l’eglise, noblesse et habitans de la ville, en grand
rejouyssance.!» Cf. Henry Mosnier, op. cit., p. 8.
10
Louis Des Masures, Tragédies sainctes. David combattant, David triomphant, David fugitif, Genève, chez
François Perrin, 1566.
11
David combattant, «!Épître au Seigneur Philippe le Brun!», v. 84.
QUATRIEME PARTIE 426

aborde les retombées de la mort de Goliath (I Sam. 18)!: David devient l’objet de l’admiration

de la cour, notamment des filles de Saül et du prince Jonathan, à l’origine d’une folle jalousie

et d’une soif de vengeance de la part de son beau-père, en qui il faut voir le roi très-chrétien de

France. David fugitif montre le héros prenant la fuite devant Saül et à deux reprises et résistant

à la tentation de mettre fin à son règne. À partir de I Sam. 26, le personnage investit l’ancien

stéréotype de l’homme brisé par la roue de la fortune, d’où peut-être les quelques accents

tragiques que l’auteur entend prêter à son œuvre. La trilogie s’achève sur une note positive!:

devenu chef de bande, conquérant de tribus amalécites, philistines, moabites et d’autres, David

se réconcilie avec son persécuteur et fait la paix avec lui. La déroute et les victoires de David

acquièrent chez des Masures une valeur triplement prophétique!: non seulement signifient-

elles la fin du règne de David, marquée par la fuite du roi aux prises avec les ambitions politi-

ques de sa propre progéniture, mais encore laissent-elles entrevoir les épreuves et les persécu-

tions que traversa le Christ et après lui, le peuple réformé. L’œuvre de des Masures est certai-

nement celle qui consacre le plus de place au personnage de David. Elle méritera donc, de

notre part, une étude approfondie.

Les talents de psalmiste du premier roi d’Israël n’auraient joué qu’un rôle secondaire

dans la dramaturgie renaissante si l’auteur anonyme et méconnu de La musique de David12

ne leur avait consacré une pièce entière, une œuvre mineure que l’auteur ne qualifie d’ailleurs

pas de tragédie mais de «!petit traité!»13 . Le titre qui d’emblée annonce une œuvre tout entière

consacrée aux Psaumes dissimule toutefois le contenu véritable de la pièce, plus proche de

l’exposé dogmatique des piliers de la foi protestante que du drame lyrique inspiré de l’œuvre

du psalmiste. Le chant des psaumes alterne d’ailleurs à part égale avec des cantiques compo-

12
La Musique de David, où est demonstrée la reiection des iuifs, et la reception des gentils, Lyon, chez Jean
Saugrain, 1566. L’unique exemplaire de cet ouvrage signalé par Laurent Guillo (Les Éditions musicales de la
Renaissance lyonnaise, Paris, Klincksieck, 1991, no 78) se trouve à la Herzog Anjust Bibliothek à Wolfen-
büttel (434 Theol. 7).!
QUATRIEME PARTIE 427

sés par d’autres auteurs bibliques. Même si la pièce s’attache moins à illustrer un passage de

l’Écriture qu’à porter au jour les fondements du credo huguenot, elle méritera que nous lui

accordions quelques pages ne serait-ce que pour racheter le manque d’attention qu’elle a sus-

cité jusqu’à ce jour.

Les portraits clairs-obscurs

Le livre de Samuel, qui ne brosse évidemment pas seulement un portrait élogieux du

roi d’Israël, fait succéder à la seconde rencontre de Saül et de David au désert le séjour de ce

dernier chez les ennemis jurés d’Israël, les Philistins. Si cet épisode intéressa jadis certains

auteurs de romans courtois, les dramaturges de la Renaissance choisirent au contraire, à notre

connaissance, de l’ignorer. Le théâtre sacré postérieur à 1550 passe volontiers sous silence ce

qui pourrait bien être interprété comme une trahison de David pour mettre davantage en valeur

les aspects mieux connus de son règne. C’est ainsi que les étapes de la construction du

royaume unifié de Jérusalem (seconde onction de David à Hébron, nombre de luttes tribales

menées en rafales jusqu’à la consécration de Jérusalem comme capitale, l’entrée de l’arche

d’alliance dans la ville sainte, etc.) sont mises à part au profit de la figure hégémonique de

David sur le trône, monarque omnipotent, modèle de foi et de libéralité, mais aussi faible et

pécheur, homme pervers et hypocrite.

Parmi les dramaturges qui donnent une image mitigée du personnage, Jean de la Taille
14
brosse du monarque deux tableaux contradictoires. Le dernier acte de Saül le furieux lui

donne un rôle noble, un cœur broyé plein de compassion devant le malheur de Saül (1 Sam.

13
Cf. Prologue, v.1.
14
Jean de la Taille, Saül le Furieux, tragedie prise de la Bible, faicte selon l’art et à la mode des vieux
Aytheurs Tragiques, Paris, Frédéric Morel, 1572.
QUATRIEME PARTIE 428

28, 31 et 2 Sam. 1), tandis que la suite donnée à cette tragédie dans La Famine15 le noircit en

s’inspirant de 2 Sam. 21!: de mauvais conseillers poussent le roi à faire peu de cas de la des-

cendance de Saül, laquelle sera livrée aux mains des Gabéonites et crucifiée en plein jour en

punition des mauvais traitements jadis infligés à leur encontre par Saül.

Les pièces plus tardives consacrées à David vont encore plus loin dans le dénigrement

du personnage biblique!: Antoine de Montchrestien ose se tourner vers l’adultère de David et

Bethsabée et vers la préméditation du meurtre d’Urie (2 Sam. 11 et 12) pour monter au théâtre

un être homicide et amoral. Avec lui s’opère une rupture profonde avec le théâtre édifiant et

moralisateur de la Réforme!: l’Écriture intègre l’esthétique baroque, plus encline à émouvoir et

à choquer qu’à édifier ou à parfaire par l’éloge d’une vertu exemplaire. Des traces de

l’ancienne esthétique subsistent néanmoins dans le souci du dramaturge de décharger en par-

tie la conscience du héros en transférant sur le courtisan Nadab (sans équivalent biblique) la

responsabilité du crime. Si David ou l’adultère (1601 et 1603)16 prend des libertés par rap-

port à la source biblique (II Sam. 11 et 12), elle lui reste néanmoins fidèle dans le portrait du

pénitent admonesté par Nathan et lavé de ses fautes qu’exécute Montchrestien!: la pièce

n’abandonne pas son ancrage biblique mais retrouve le lien lâche avec l’Écriture que les pa-

négyristes royaux du début du siècle entretenaient dans leurs écrits. Elle nous intéressera tout

particulièrement.

15
Jean de la Taille, La Famine, ou les Gabéonites, tragedie prise de la Bible, et suivant celle de Saül. Paris,
Frédéric Morel, 1573.
16
David a d’abord été publié dans Les tragédies de Ant. De Montchrestien, plus une bergerie et un poème de
Susane, Rouen, Jean Petit, 1601, in-8!; l’ouvrage fut réimprimé en format in-12 chez le même éditeur en
1603. Nous utilisons l’édition de [Petit de Julleville], qui consigne David ou l’adultère dans Les Tragédies de
Montchrestien, Paris, Plon, 1891, pp. 203-33.
QUATRIEME PARTIE 429

Pour Thierry de Montjustin, le châtiment divin encouru par le roi ne prend pas fin avec
17
l’intervention du prophète Nathan. Fondé sur 2 Sam. 13-19, son David persécuté montre le

sort s’acharner sur le roi et le châtiment inéluctable le poursuivre jusque dans ses enfants. Les

conséquences de l’égarement de David passeront de génération en génération. Messer Phi-

lone18 , dont l’Adonias présente brièvement David sous les traits du vieillard agonisant, relègue

pour sa part le fondateur d’Israël au second plan. Trop éloigné des soucis du monde et

anéanti par la guerre que se déclarent ses fils pour peser véritablement sur le destin d’Israël,

David se borne à oindre Salomon avant de rendre l’âme, laissant à son successeur un lourd

héritage de luttes fratricides (1 Rois 1-2).

Le présent chapitre repose sur le postulat d’une réalité double, celle de l’Écriture et de

la tradition patristique et médiévale d’une part, laquelle forge et creuse une figure messianique,

et la réalité dramatique d’autre part, qui invente une instance prophétique certes façonnée par

l’arrière-plan biblique, mais aussi par les règles de l’écriture dramatique, par la disposition de

la matière, par les tonalités et l’agencement du discours, par la foi enfin de l’écrivain qui

donne couleur et relief à chaque tragédie. En faisant de David le héros d’une tragédie reli-

gieuse, les dramaturges coulent la matière sacrée dans des formes nouvelles, chargées des

espérances et des convictions des auteurs de la Réforme. C’est ainsi que l’élaboration du per-

sonnage de David est tributaire des convictions de ceux qui le mettent en scène ainsi que de la

17
Sieur Thierry de Montjustin, David persécuté, tragédie reproduite dans les Oeuvres premières du Sieur de
Mon-Justin, Pontoise, s.n., 1601. Il y aurait un décalage d’un an entre la date de publication et celle inscrite
au bas du titre de la tragédie, laquelle porte la date de 1600. L’ouvrage est accessible seulement à la British
Library (cote 11 475 aa 32).
18
Messer Philone, Adonias, Lausanne, Jean Chiquelle, 1586, B.N. Yf 10 bis. La tragédie traite l’histoire du
fils rebelle et usurpateur de David, Adonias, que le sous-titre replace sur la scène contemporaine!: «!Vray
Miroir, ou Tableau, & Patron de l’Estat des choses presentes, & que nous pourrons voir bien tost ci-apres!:
Qui servira comme de Memoire pour nostre Temps, ou plutost de leçon et exhortation a bien esperer. Car le
bras du Seigneur n’est point accourci.!».
QUATRIEME PARTIE 430

place que lui accordent ces derniers dans le culte et la spiritualité naissants. Ces convictions

méritent que l’on s’y arrête.

Un engagement religieux

Dans leur immense majorité, les auteurs qui choisissent David comme personnage

principal sont de nouveaux convertis. Les seules exceptions portées à notre connaissance sont

des poètes mineurs, Jean des Caurres et l’auteur anonyme du David et Golias cité plus haut.

Louis des Masures, un proche de Théodore de Bèze, de Viret et de Calvin, exerçait à Metz des

activités «!quasi-pastorales!»19 !; Joachim de Coignac était pasteur en Berry, et l’auteur ano-

nyme de la Musique de David de conviction nettement protestante. Leurs œuvres attisent un

sentiment de répulsion contre le catholicisme que partagent de nombreux réformés, dont Mes-

ser Philone20 . Elles reflètent les convictions de leurs auteurs et elles ont une portée morale!: la

Déconfiture de Goliath campe ainsi son propos en réaction contre le «!monstre grand, qui

PAPAUTÉ se nomme!»21 . L’auteur des Tragédies saintes reconnaît pour sa part dans le

prologue de sa trilogie vouloir amener les spectateurs à demeurer fidèle au Seigneur, à garder

confiance et à s’appuyer «!cette faveur de Dieu promise à notre foi!»22 pour résister aux as-

sauts!; il tire même de ce projet didactique et militant la raison d’être de sa trilogie!:

De Dieu, et des siens en son nom, les victoires

19
Dassonville, Michel, introduction aux Tragédies saintes dans La tragédie à l’époque d’Henri II et de Charles
IX, première série, vol.2, Paris, PUF, 1989, p.219.
20
L’Adonias déplace dans la sphère politique la question religieuse!: selon Mazouer, la tragédie refléterait les
espérances des réformés au moment de la Ligue en opèrant une réflexion sur le tyrannicide. Art. cit., p. 255.
21
Joachim de Coignac, «!A tres-humain, et Tres magnanime Roy Edouart VI!», dans La Déconfiture de
Goliath, Genève, Adam et Jean Riverez, 1551, BN Rés. Yf 4349, fol. A2.
22
À Brun, v. 79.
QUATRIEME PARTIE 431

Me font écrire en vers ces tragiques histoires


Qui serviront aussi pour instruire et former
A craindre le Seigneur et de vertu s’armer.

Les convictions de Thierry de Montjustin restent encore à déterminer, mais les indices

laissés dans certains passages de sa pièce laissent deviner un partisan de la Réforme. Son

David illustre le thème essentiellement calviniste de l’incapacité du pécheur à se sauver lui-

même. Il montre comment une faute en engendre une autre et entraîne d’elle-même sa puni-

tion, laquelle se répercute de génération en génération!: la fin des châtiments dépend de

l’absolue miséricorde de Dieu, la seule espérance de salut pour l’homme. Il n’en va pas de

même pour la Taille, dont les tragédies ne semblent illustrer aucune position dogmatique pré-

cise, et pour Montchrestien, qui à l’époque de la rédaction de David ou l’adultère, n’a pas

encore montré de sympathie pour la religion réformée!; la Bible apparaît dans sa pièce comme

une matière noble, antique, justifiant l’écriture d’une tragédie, un laboratoire en quelque sorte

pour l’élaboration d’une esthétique à la fois chrétienne et tragique. Dans ces deux derniers

cas, les convictions religieuses des auteurs restent opaques.

De quelque côté que l’on se tourne, le choix même du personnage de David distille un

parfum de réforme, plus ou moins prononcé certes selon les auteurs et leurs milieux, mais

néanmoins présent. Les convictions de des Masures et de l’auteur de la Musique de David ne

laissent aucun doute sur leur engagement. Si le cas de Montchrestien reste le plus problémati-

que, le thème que son David choisit d’illustrer est partie prenante du contexte idéologique

dont il est pétri et dont aucun dramaturge postérieur à la Saint-Barthélemy ne peut

s’affranchir. Il apparaît donc que la place accordée au psalmiste dans le nouveau culte, que les

pièces elles-mêmes répercutent en faisant résonner sur la scène certains morceaux du psautier

huguenot, a contribué à cette émergence, au fil du siècle, de la connotation huguenote du théâ-

tre sur David.


QUATRIEME PARTIE 432

Le rôle du psautier huguenot

S’il ne peut être réduit à un poème sacré, le texte dramatique tisse des liens avec cette

profération poétique et musicale que sont les psaumes dans le service religieux23 !: il y trouve

un mode de discours au sein duquel la rhétorique se place au service de la Parole et un mode

commun de persuasion. De la reprise des psaumes au milieu de l’assemblée dominicale et

dans la cité à la représentation publique de pièces de théâtre à visée didactique et religieuse, il

n’y avait qu’un pas24 . Plusieurs de nos dramaturges le franchissent, faisant de la récitation

des poésies de David une des sources anciennes de leur théâtre religieux25 .

Avant même la publication de la première tragédie sur David (1551), le chant des

psaumes, dans la traduction de Théodore de Bèze et de Marot, a acquis une dimension large-

ment performative. Il devient, pour reprendre une expression de Patrice Viet, le «!fondement

de la culture huguenote!»26 . Comment l’œuvre de David renaît-elle pour acquérir cette nou-

velle jeunesse? Florimond de Roemond, écrivain régional converti dès sa jeunesse aux idées

de Calvin puis reconverti au catholicisme, note que la version des psaumes faite par Marot

23
« La prise de parole en public […] flirte avec la situation de l’acteur!: discours public et sermons, qui iso-
lent l’orateur bien en vue, ne sont pas ‘théâtraux’ parce que le discours n’est pas mimésis de la parole directe,
mais ils ont en commun cette fois la mise en scène, la mise en vue, dont les sermons de la Contre-Réforme
exploiteront le caractère spectaculaire […] Or donc, si l’on s’était contenté de réciter en public, il y aurait déjà
eu théâtre, et ce modèle de représentation sera et resera le premier utilisé par les auteurs du XVie au XIXe
siècle. » Fragonard, Marie-Madeleine, Par ta colère nous sommes consumés. Jean de La Taille auteur tragique,
Orléans, Paradigme, 1998, p. 9.
24
Cf. l’article de Jeanne Bovet qui se penche sur cet aspect de la théorie d’Aristote dans la dramaturgie du
XVIe siècle!: « Rhétorique et théâtralité!: aspects de la déclamation dans la tragédie humaniste », dans Les
Arts du spectacle au théâtre, Paris, Champion, 2001, (pp. 51-67), p. 54.
25
Ce que regrettait notamment Raymond Lebègue (cité après M.-M. Fragonard, op. cit., p. 131)!: «!On se
croirait, dit-il, non au théâtre mais au service dominical!».
26
Cf. Patrice Viet, «!Le Chant, la Réforme et la Bible!», in Le Temps des Réformes et la Bible, op. cit., p.
678 ss.
QUATRIEME PARTIE 433

connut une indéniable notoriété dès sa première publication, de part et d’autre de la frontière

religieuse!: «!à ce commencement, dit-il, chacun les chantoit comme des chansons spirituelles,

mémes les Catholiques ne pensant pas faire mal!: car ce n’étoit encores le formulaire de la

religion calviniste!»27 . Dès 1537, Calvin et Farel orientent à jamais le destin de la psalmodie en

français en réclamant au Magistrat l’introduction du chant des psaumes dans le culte réfor-

mé28 . C’est dans cet esprit que deux ans plus tard, Calvin publie pour la communauté franco-

phone de Strasbourg Aulcuns psaumes et cantiques mys en chant, avec douze psaumes de

Marot, qui n’aura de cesse d’évoluer jusqu’à la révision définitive du psautier huguenot en

1587. L’usage se consacrant, la connotation réformée du chant des psaumes devient à ce point

ancrée dans les esprits que selon le même Florimond de Raemond, «!aprèz qu’ils les eurent

accouplés aus cathechismes calviniens et génevois, l’usage en fut du tout interdit![aux catholi-

ques]!»29 . Entonnée au cours du service liturgique, à l’occasion de rassemblements de pro-

testants, en public, en privé, hommes et femmes à l’unisson30 – réminiscence du vœu de saint

Jérôme, repris par Érasme et par les nouveaux prédicateurs – la poésie de David tournée en

français s’entend rapidement comme une Parole engagée et dissidente, un signe distinctif de

la piété réformée. Calvin lui reconnaît une efficacité de conversion sans égale pour la qualité

d’émotion (movere) qu’elle suscite chez le croyant!:

Et, à la vérité, nous connoissons par experience que le chant a grande force et
vigueur d’émouvoir et enflammer le cœur des hommes, pour invoquer et louer
Dieu d’un zèle plus véhément et ardent. […] Par quoi Chrysostome exhorte tant

27
Fl. de Raemond, L’Histoire de la naissance, progrez et decadence de l’heresie de ce siècle, Paris, Ch. Chas-
tellain, 1605, fol. 283v .
28
Dans les «!Articles baillés par les prescheurs!» cité par Pidoux, Bâle, Baerenreiter, 1962, vol. II, p. 1.
29
Idem.
30
Cf. l’analyse d’Oliver Millet sur l’évolution de la pratique musicale des psaumes dans le culte réformé!:
«!Marot et Calvin!: chanter les psaumes!», dans [G. Defaux], Clément Marot, «!Prince des poëtes fran-
çois!», 1496-1996, Actes du Colloque international de Cahors en Quescy, 1996, Paris, Champion, 1997, pp.
463-76.
QUATRIEME PARTIE 434

hommes que femmes et petits enfants, de s’accoutumer à chanter [les psaumes],


afin que cela soit comme une méditation pour s’associer à la compagnie des an-
ges31 .

Plaire et émouvoir jusqu’à enflammer les cœurs!: telle est la force rhétorique que le

pasteur genevois prête au chant des psaumes en langue vernaculaire. Telle est également la

mission que se donne le théâtre protestant de la Réforme, dont le but édifiant et didactique

impliquait nécessairement le concours d’une rhétorique approuvée par les pasteurs de la foi

nouvelle. La psalmodie des huguenots, consensuelle auprès des autorités et fort appréciée des

convertis de toutes extractions, devait fournir un support artistique et théologique appréciable.

L’un des moyens de mesurer cette pénétration du psautier huguenot dans le monde du

théâtre et son influence sur le développement de la tragédie biblique est de mesurer ses occur-

rences dans les œuvres religieuses de la période qui nous intéresse. Parmi ceux qui puisent

incontestablement une partie de leur inspiration dans le psautier huguenot (Joachim de Coi-

gnac, Louis des Masures, le mystérieux auteur de La Musique de David) l’auteur de La Des-

confiture de Goliath fait figure de pionnier. Certes, l’Abraham sacrifiant de Théodore de

Bèze, que Lebègue qualifie de «!première tragédie française qui n’est pas une traduction des

anciens!»32 , avait déjà, un an auparavant, accordé un rôle important à la musique sacrée!; au-

cune des éditions qui nous sont parvenues à ce jour n’inclut cependant les airs destinés au

chœur. Il n’en va pas de même pour la Desconfiture, où le rôle de David consiste en grande

partie en une série de prières, de sermons, de psaumes et cantiques qu’un héros d’armes ap-

pelle à chanter «!en langue de tous entendue!»33 . Pour Frank Dobbins, l’analyse musicologi-

que de ces chants (dont on ne connaît pas le compositeur) indique qu’il s’agirait

31
Calvin, Jean, «!Sur les psaumes de David traduits en françois par Clément Marot!» (1543), dans Théodore
de Bèze, Oeuvres françoises de Calvin, Paris, librairie de Charles Gosselin, 1842, p. 325.
32
R. Lebègue, La Tragédie religieuse en France, Paris, Champion, 1929, p. 318.
33
Joachim de Coignac, op. cit., p. 50.
QUATRIEME PARTIE 435

d’adaptations de mélodies de musique sacrée ou profane, semblables aux nombreuses adapta-

tions que Loys Bourgeois fit pour le psautier huguenot34 . La pièce de Joachim de Coignac file

la tradition des drames liturgiques médiévaux, qu’elle adapte aux pratiques religieuses et mu-

sicales de l’église naissante.

Le rapprochement entre le personnage de David au théâtre et le chant des psaumes était

donc déjà en germe dans la dramaturgie réformée lorsque parurent les Tragédies Saintes de

des Masures. La trilogie ne fait que perpétuer ce qui s’impose progressivement comme un

usage partagé et répandu. Au seuil de David combattant, Isaïe et David entonnent ensemble

un cantique à Dieu composé de huitains et d’heptasyllabes, empruntant à Théodore de Bèze la

métrique qu’il avait choisie pour sa traduction du psaume 150. Les psaumes de louanges qui

s’y succèdent semblent encore recréés à partir de mises en musique répandues du psautier

genevois. Dans David triomphant, la troupe israélite entonne encore des hymnes de joie et

trois «!cantiques à danser de la trouppe!» inspirés des nouvelles adaptations de la Bible35 . Ces

hymnes sacrés forment une part importante de l’économie de la pièce puisque conformément

à I Sam. 18,7, ils provoquent le dénouement de l’action!: des louanges destinées à David naît

la jalousie de Saül, qui promet une vengeance sans égal. L’ultime morceau de la trilogie, Da-

vid fugitif, contient trois cantiques du psalmiste dont le premier est un assemblage de mor-

ceaux de l’Écriture!; le second est «!le Pseaume CXL!» et le troisième rappelle par ses sizains

hétérométriques (6 et 8 syllabes) la métrique des traductions de Marot et Bèze. S’ajoutent

enfin à cela des pièces lyriques d’Abiathar et de David formées d’expressions venues des

psaumes. Conformément à la manière dont les protestants envisageaient le chant des psaumes,

aucune indication d’instrument de musique n’apparaît dans le texte.

34
La ligne mélodique des psaumes et des cantiques serait similaire à celle recueillie par P. Pidoux , op. cit.,
tome 1, p. 128, psaume 144b. Cf. Dobbins, Frank, «!Music in French Theatre of the Late Sixteenth Centu-
ry!», Early Music History, vol. 13, 1994, (pp. 85-122), p. 91.
35
Idem., p. 93.
QUATRIEME PARTIE 436

La nouvelle tendance protestante associant théâtre et musique sacrée atteint l’apothéose

dans La Musique de David. Le dialogue, versifié, alterne avec neuf pièces de musique dont

plusieurs reprennent des hymnes réformés. C’est ainsi que dès l’ouverture, Moïse entre en

scène en entonnant un quatrain heptasyllabique, «!Leve le cœur, ouvre l’aureille!», qui s’avère

être la traduction de Marot des Dix commandements harmonisée sur un air de Loys Bour-

geois extrait du psautier de Genève36 . Après un dialogue entre Abraham et Moïse, David fait

son apparition et entonne avec les patriarches un quatrain de l’auteur puis une harmonisation

du psaume 115 de Marot, ‘Non point à nous’, publié par Goudimel en 1564. Jésus se joint

alors au trio et David l’accueille comme l’élément parfait pour compléter le chœur!:

Nostre chapelle est maintenant fournie


Pour bien chanter la celeste musique. (Réf?)

Deux cantiques inspirés de Bèze et Marot et mis en musique par Goudimel sont alors

repris par le quatuor!: un contrafactum du psaume 59 («!La loy de grace et de concorde / Est

venue au temps de discorde!») sur l’air que Goudimel avait écrit pour la traduction de Théo-

dore de Bèze de ce même psaume, «!Eripe me de inimicis meis!»!; et la traduction du Nunc

dimittis de Marot, «!Or laisse Créateur!». Le rôle didactique et théologique que le dramaturge

octroie à la musique apparaît dans la conclusion morale que David donne à la pièce!:

… Ainsi qu’en musique


Sont quatre parts unies sans discords,
Les saints escrits sont en parfaits accords
Malgré l’erreur et sa troupe heretique. (Réf?)

À la lumière de ces nombreuses occurrences musicales, il apparaît que les causes du

‘phénomène David’ dans le nouveau théâtre ont partie liée avec le succès du psautier hugue-

not. Le roi d’Israël permet l’introduction sur la scène de refrains connus et appréciés, il ap-

36
Cf. Dobbins, Frank, Music in Renaissance Lyons, Oxford, Clarendon Press, 1992, p. 269 sqq.
QUATRIEME PARTIE 437

porte une dimension artistique et même spectaculaire à des œuvres certes destinées à plaire,

mais dans le seul but de renforcer la foi des auditeurs et leur adhésion à la Réforme. Plus que

tout autre personnage biblique, David et son œuvre offraient simultanément plaisir et édifica-

tion!: ils devaient permettre à la tragédie religieuse d’atteindre son principal objectif, celui de

familiariser les fidèles avec les mystères de l’Écriture, tout en inscrivant cette approche dans le

cadre des transformations du service religieux apportées par l’Église dissidente.

Le miroir de la Réforme

Le théâtre présente ainsi le psalmiste comme un grand modèle protestant de prière et

d’espérance, comme la figure biblique d’élection à suivre à la trace et à prendre pour exemple.

Il fait écho aux réflexions des pasteurs invitant les croyants à établir un parallèle entre le re-

gard que la Bible porte sur sa vie et son œuvre et la situation historique des réformés du

royaume. David apparaît comme le type même de l’élu aux prises avec une époque troublée, le

reflet antique de ce qu’était et s’efforçait d’être, la petite communauté éprouvée. Le psalmiste

renvoie aux réformés une image biblique, prophétique, d’eux-mêmes, qui déborde du cadre

strict du cantique et de la prière. On lui confère volontiers la stature du prophète, prophète non

seulement du Christ mais aussi, et plus humblement, prophète des huguenots. Or, cette facette

du personnage se prolonge jusque sur le devant de la scène en raison d’un contexte idéologi-

que qu’il ne faut pas ignorer.

Édouard Gosselin l’a montré, il existait effet, chez les premiers théologiens réformés,

une tendance nette à l’identification des protestants avec le bethléemite37 . La persécution et

37
«!The Reformers found themselves surrounded by enemies, external and internal (though there are different
degrees of the expression of this struggle against material foes in the reformes we shall study). They felt
themselves to be the ‘faithful remnants’ which was preaching the true doctrine to a religious world that had
become lax and had fallen away, and the anguish of the spirit which is so apparent in Luther (and which is
QUATRIEME PARTIE 438

l’exil, les déboires politiques, la place importante accordée à la prière, la certitude d’être élu de

Dieu, tous ces éléments pointaient vers une communauté de destin qui devait rapprocher les

nouveaux croyants et le héros biblique. Un exemple frappant apparaît chez Aggripa

d’Aubigné, qui réfléchit à la détresse des huguenots dans ses Tragiques et à leurs positions

politiques dans son Debvoir des Roys et des subjects. Son œuvre témoigne du processus

d’identification à David qui s’effectue au nom d’un certain nombre de similitudes historiques.

Comme le psalmiste avait jadis parcouru la Terre Sainte pour échapper à Saül, les protestants

fuient dans les campagnes et les montagnes des Cévennes pour échapper à la répression

royale. Mais David, mettant sa foi en Yahvé, a triomphé de son persécuteur!: son exemple est

source d’espérance pour les huguenots. «!Cestuy là respond pour nous aux questions de ce

temps!»38 , affirme d’Aubigné dans les Debvoirs, érigeant David en modèle et en mentor!:

Comme David, nous avons fui aux Royaumes estrangers et mesmes outre les
mers!; comme luy, nous avons caché nos vies dans les cavernes et forests, et là
présenté nos cœurs et requestes à Dieu pour luy, et puis pour nous. Si comme
luy, nous avons muni d’armes nostre innocence, comme luy, nous les avons mi-
ses bas autant de fois que le Prince a fait semblant de poser son courroux […]!;
comme David, nous avons combattu pour eux et rendu le bien pour le mal.39

Les motifs invoqués (persécutions communes, foi, éthique politique) appartiennent à

une tradition religieuse bien établie lorsque d’Aubigné et les dramaturges de la seconde moitié

du XVIe siècle publient leurs œuvres engagées. De nombreux pasteurs filent déjà l’image de

David et Goliath et s’en approprient le topos!: c’est ainsi que durant la guerre des paysans de

also found in other reformers) nicely parallels the anguished cries of David. The historical resemblance bet-
ween the Age of Reformation and the time of David could in this way have contributed to the realization of
the Protestant and Protestantized David in the expositions of Luther, Melanchthon, Calvin and Beza.!». The
King’s progress to Jerusalem, op. cit., p. 68.
38
Agrippa d’Aubigné, Debvoir des Roys et des subjects in Oeuvres, coll. de la Pléiade, Paris, Gallimard,
1969, p. 471.
QUATRIEME PARTIE 439

1524-1525, Thomas Müntzer encourageait ses troupes en les convainquant de l’invincibilité

des élus de Dieu!; il comparait leur combat à ceux de David et de Gédéon. Lorsque Luther

assista à la conférence inaugurale de Mélanchthon à l’université de Wittenberg le 29 août

1518, il évoqua également le combat du Térébinthe pour décrire la scène qui se déroulait sous

ses yeux!: la vigueur et la détermination du pasteur l’apparentaient à «!un David (pré)destiné à

foncer sur le Goliath de la scolastique!»40 . Le cas le plus troublant est certainement celui de

Calvin, dont la préface au Commentaire sur les psaumes (1557) montre le théologien

s’identifiant complètement au psalmiste. Alors qu’il donne les raisons qui l’ont poussé à en-

treprendre une Exposition sur le psautier, il met le parallèle sa propre biographie avec celle du

psalmiste!:

[…] J’ay souffert les mesmes choses [que David] et semblables des ennemis
domestiques de l’Eglise. Car combien que j’ensuive David de bien loing, et
qu’il fale beaucoup que je soye à accomparer à luy![…] toutefois si j’ay quel-
ques choses de commun avec luy, je suis content de les considerer et faire quel-
que comparaison de l’un à l’autre. Ainsi doncques, jà soit qu’en lisant les tes-
moignages de sa foy, patience, ardeur, zèle, et intégrité, je me soye souventesfois
mis à gémir et souspirer que je n’en approchoye que de bien loing, toutesfois
ç’a esté une chose qui m’a beaucoup servy, de contempler en luy, comme en un
miroir, tant de commencemens de ma vocation, que le discours et la continua-
tion de ma charge. […] Vray est que ma condition est beaucoup moindre et plus
basse, et n’est pas besoin que je m’arreste à le montrer!: mais comme il fut prins
d’apres les bestes, et eslevé au souverain degré de dignité royale, ainsi Dieu de
mes petis et bas commencemens m’a advancé jusques à m’appeler à ceste
charge tant honorable de ministre et prescheur de l’Evangile. […]41

39
Idem, p. 472.
40
Cité après Gosselin, op. cit., p. 68.
41
Commentaires de Jehan Calvin sur le Livre des pseaumes, Paris, Librairie de Ch. Meyrueis et cie, 1859, t.
1, pp. vii-viii.
QUATRIEME PARTIE 440

David miroir de Calvin!: le rapprochement est saisissant, d’autant qu’il repose sur une

similitude de parcours et d’expérience personnelle plutôt que sur un motif grave, théologique

ou politique, généralement évoqué par les adeptes de la Réforme. Il apparaît dès lors que la

conception linéaire de l’histoire, allant de la Création au Jugement dernier, n’empêcha pas les

réformés de composer avec une conception apparemment cyclique du temps qui permettait de

superposer des situations personnelles et collectives avec celle, lointaine, de David. Les grands

enjeux, les combats du passé semblent resurgir sur la scène contemporaine, l’idée du cycle se

combinant avec celle d’une actualisation progressive, dans l’histoire, d’une Parole originelle.

Se comparer à David, c’est faire sienne sa gloire comme ses déboires, c’est participer à

l’économie du salut avec le sentiment de rejouer, en se l’appropriant, une histoire prophétique.

Il n’est donc pas étonnant que les tragédies, dont le propre était de représenter les mal-

heurs des grands hommes du passé dans un style élevé, sublime, et susceptible d’offrir un

reflet de l’histoire contemporaine, se soient appliquées à faire du psalmiste le type même du

héros protestant. La tragédie religieuse du XVIe siècle est à l’image du monde42 , et les titres

des œuvres elles-mêmes tendent à la rappeler. Le sous-titre de l’Adonias de Philone, pour ne

citer que lui, insiste sur la dimension spéculaire et mimétique de l’histoire d’un fils du roi

d’Israël, puni de mort pour ses ambitions politiques de la main de Salomon!: «!Vray Miroir,

ou Tableau, & Patron de l’Estat des choses presentes, & que nous pourrons voir bien tost ci-

42
«!Jusqu’à la fin du XVIe siècle, […] la représentation!– qu’elle fût fête ou savoir!– se donnait comme
répétition!: théâtre de la vie ou miroir du monde, c’était là le titre de tout langage, sa manière de s’annoncer et
de formuler son droit à parler. » Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 32. Cf.
également Louise Frappier, «!Spectacle tragique et conception de l’histoire!», dans (M.-F. Wagner et C. Le
Brun-Gouanvic), Les arts du spectacle au théâtre, Paris, Champion, 2001, pp. 35-50, dont voici les conclu-
sions!: «!La conception de l’histoire perceptible dans la tagédie de la Renaissance combine donc l’idée du
cycle avec celle de l’actualisation progressive d’une Parole originelle, actualisation qui, lorsqu’elle se donne à
voir en spectacle, apparaît commme la métaphore du mécanisme de l’histoire réelle. […] Le spectacle tragique
devient cette Parole fondatrice que l’actualité ne fera que rendre effective. Voir une tragédie, c’est voir se dérou-
QUATRIEME PARTIE 441

apres!: Qui servira comme de Memoire pour nostre Temps, ou plutost de leçon et exhortation

a bien esperer!». «!Miroir!», «!tableau!», «!patron!», la descendance du psalmiste fournit à la

vie ses doubles, imite le réel et le reproduit!; «!mémoire!», «!leçon!», la pièce propose, par des

exemples et contre-exemples, une direction morale pour instruire et édifier. La tragédie reli-

gieuse devient ainsi une Écriture faite acte43 , la réalisation dans le moment présent de ce qui a

déjà été raconté par le passé dans la Bible!: arrive aujourd’hui est ce qui a déjà été dit. Cette

structure circulaire n’est pas sans rappeler la fatalité platonicienne évoquée par le davidide

Qohélet, dont les versets de l’Écclésiaste apparaissent en exergue sur le frontispice de

l’édition originale44 de l’Adonias de Philone!:

Qu’est-ce qui a esté? ce qui sera. Qu’est-ce qui a esté fait? ce qui se fera. Et il
n’y a rien de nouveau sous le Soleil. Est-il quelque chose de quoi on puisse
dire!: Regarde, cela est nouveau, il avoit ja esté és Siecles, qui nous ont precedez?

(Qo. 1, 9-10)45

Puisque le présent imite le passé, que la matière biblique prend le relais de la réalité

dans ce monde où «!le principe analogique est considéré comme la base!»46 , les correspon-

dances que les dramaturges s’efforcent de tracer entre les ‘grands’ de la scène contemporaine

et les héros de l’Écriture impliquent un retour sur les Rois. La Bible acquiert une allure pro-

phétique supplémentaire en ce qu’elle renvoie aux nouveaux convertis comme le théâtre imite

le monde. Chaque auteur prêtera cependant à ses protagonistes un visage différent, fonction

ler devant soi le cours de l’histoire, et c’est s’entendre prononcer un arrêt qui, par définition, ne peut être
qu’insoutenable.!» (p. 50)
43
Nous faisons ici allusion à Claude-Gilbert Dubois qui écrit au sujet du Commentaire de Martin Luther sur
Daniel le Prophète (1555)!: «!Si la prophétie est volonté de Dieu faite Parole, l’Histoire est la Parole de Dieu
faite Acte.!» (La conception de l’Histoire en France au XVIe siècle, 1560-1610, Paris, Nizet, 1977, p. 395.
44
Lausanne, Jean Chiquelle, 1586.
45
Philone, op. cit.
46
Claude-Gilbert Dubois, L’imaginaire de la Renaissance, Paris, PUF, 1985, p. 53.
QUATRIEME PARTIE 442

des croyances des uns et des autres, de leur conception de ce que doit être une tragédie et de

l’épisode biblique choisi dans les pièces.

Problématique

En raison de la position centrale qu’elles accordent au personnage de David et du

tournant qu’elles représentent dans la dramaturgie qui lui est consacrée, nous avons entrepris

de réfléchir sur la Musique de David, les Tragédies saintes et David ou l’adultère. Ces pièces

questionnent l’identité du héros en tant qu’homme d’élection, son caractère lumineux et édi-

fiant comme ses contradictions internes, humaines, ces contours plus sombres de sa person-

nalité dont on arrive même, à mesure que le tragique théâtral s’impose (notamment chez

Montchrestien), à s’étonner de la prise de distance par rapport à l’Écriture. L’art de la tragé-

die, que les auteurs dramatiques redécouvrent notamment en relisant Horace, commandait

qu’on traite cette richesse théologique et dogmatique avec mesure et parcimonie. La fable doit

être simple, les personnages de préférence peu nombreux et les actes courts47 , contrairement à

la tradition des mystères qui, en l’espace de plusieurs jours, pouvaient se permettre de suivre

l’itinéraire spirituel de tel ou tel héros biblique à la trace, depuis son enfance jusqu’à son der-

nier souffle. Aussi les dramaturges choisissent-ils dans l’arrière-plan biblique des aspects

47
Vauquelin de la Fresnaye, pour ne citer que lui, rappelle dans son Art Poétiqueles règles auxquelles le théâ-
tre doit désormais être assujetti. Il insiste sur les unités de temps!: « Le Tragic, le Comic, dedans une journee
/ Comprend ce que fait l’autre au cours de son année » (II, 255). Et il ajoute!: «!Le Theatre jamais ne doit
estre rempli / D’un argument plus long que d’un jour accompli!» (II, 257). Les tragédies doivent compter cinq
actes et n’admettre à la fois que trois personnages prenant ensemble la parole sur la scène!: «!La brave Trage-
die au Theatre attendue, […] / Ne doit point avoir plus de cinq actes parfaits!» (II, 465) ; «!Et ne parle un
quatriesme en l’Etage avec trois!:/ Trois parlant seulement suffisent à la fois.!» (III, 349). Enfin, la pièce doit
faire preuve de vraisemblance. Cf. L’Art Poétique de Vauquelin de la Fresnaye, Paris, Garnier frères, 1885.
QUATRIEME PARTIE 443

précis de l’histoire de David sur lesquels ils construisent la vérité poétique du héros!: nous en

rechercherons les occurrences et le sens.

À travers le fils de Jessé, le théâtre réformé semble mener en particulier une réflexion

sur le prophétisme biblique. Bien sûr, il existe différents types de prophéties dont l’Écriture

retrace l’histoire, qu’il ne s’agit pas d’envisager successivement dans leur rapport avec la

prophétie proprement davidique!: Abraham, Osée, Jérémie, les psalmistes prophétisent chacun

à leur manière!; leur révélation, leur prophétie, est leur livre. André Néher donne néanmoins

une définition minimale de l’expérience prophétique qui permet d’aborder le phénomène de

plus haut!: «!le prophète est un contenant du message!; l’expérience prophétique est non seu-

lement le lieu d’une révélation mais le chantier de toute expérience révélée.!»48 Tous les pro-

phètes sont les dépositaires d’un savoir qui cherche inlassablement à être entendu. David se

constituerait-il au théâtre en tant que révélateur!? Il semble que les dramaturges, qui inscrivent

le personnage à la limite du temps humain et du temps divin, l’investissent d’une parole à la

fois sociale et enracinée dans une vocation métaphysique. Ils créent non pas une, mais des

figures prophétiques en fonction des points de vue divin, humain et religieux qui structurent

leur écriture dramatique. Leur David est le fruit d’un questionnement sur Dieu qui choisit

l’homme.

48
André Neher, Prophètes et prophéties, Paris, Bibliothèque Payot, 1995, pp. 10-11.
QUATRIEME PARTIE 444

Méthodologie. Une rhétorique de la personne

L’étymologie latine faisant dériver «!personnage!» de persona, masque de théâtre, et

que l’usage métonymique finit par désigner l’acteur lui-même puis son rôle social, son per-

sonnage, sous-tend une notion qui peut s’avérer utile. À l’époque dorée de la rhétorique, le

personnage de théâtre tire son nom et son identité dramatique de son rôle de porte-voix, de

porte-parole, qui masque l’auteur véritable de ce qu’il prononce tout en révélant son message.

Il apparaît comme une instance de légitimation d’un discours aux origines obscures, parfois

multiples!; la Renaissance fera de cette notion le point de départ d’une réflexion sur l’homme

dans son discours, ce que Lecointe appellera la «!rhétorique de la personne!», la rhétorique de

l’èthos. De ce cadre théorique, Samuel Junod49 a tiré un concept tout à fait intéressant pour

l’étude du théâtre biblique, celui d’èthos prophétique, avec lequel il a lui-même étudié les Tra-

giques d’Agrippa d’Aubigné!: son modèle nous a semblé prometteur pour envisager les diffé-

rentes formes de présence de David au théâtre.

Le terme d’èthos, qu’on peut considérer comme «!le fondement […] de toute réflexion

sur la personne dans la critique de la Renaissance!»50 , permet d’envisager ensemble le per-

sonnage et tout ce qui construit son expression. Avant Érasme, il revêt le sens très général de

«!caractère!» propre à chacun, de nature individuelle, et se réfère à un certain nombre de traits

de personnalité considérés comme le principe vital à l’origine de toutes les actions humaines.

Cet èthos peut s’exprimer en mots ou en actes, en faits et en dits!: verbal ou non-verbal, tout

acte de communication impliquant une affirmation de soi repose sur cette donnée constitutive

de l’être de langage. Cette notion postule que la force de persuasion qu’exerce sur son audi-

49
The Prophetic Ethos : The Creation of a Figure of the Enunciation in Agrippa d’Aubigné’s Les Tragiques,
Baltimore, UMI publications, 1999.
QUATRIEME PARTIE 445

toire celui qui prend la parole dépend des mœurs oratoires du conférencier, en d’autres termes

de l’harmonie entre ce que le discours montre du personnage qui s’exprime et le logos de ce

même discours. Elle est pour Aristote un facteur de crédibilité par la cohérence qu’elle ins-

taure entre l’orateur et son expression de soi, dont elle assure la force et l’efficacité!:

«On persuade par le caractère quand le discours est de nature à rendre l’orateur
digne de foi, car les honnêtes gens nous inspirent confiance plus grande et plus
prompte sur toutes les questions en général, et confiance entière sur celles qui ne
comportent point de certitude, et laissent une plus grande place au doute. Mais il
faut que cette confiance soit l’effet du discours, non d’une prévention sur le ca-
ractère de l’orateur.» (Aristote, ibid.)(p. 384)51

Plutôt que d’ancrer la personnalité de celui qui parle dans un ensemble de conventions

extérieures, le véritable èthos s’érige en art de la persuasion dans la mesure où sur la scène, le

dire et le faire de l’orateur construisent un personnage dont les manières et le propos

l’assimilent à l’honnête homme. Si l’orateur est un prophète, il aura ainsi des manières, des

attitudes et des propos qui pris ensemble, attesteront de son identité hors du commun!; les

paroles qui sortiront de sa bouche prendront une tonalité qu’aucun autre contexte ne saurait

leur attribuer. Au théâtre comme sur la tribune, il ne suffira donc pas à un personnage comme

David de se dire envoyé de Dieu pour remporter l’adhésion de l’auditoire!: son caractère pro-

pre et l’économie même de chaque tragédie, le contexte dans lequel il évolue et au sein duquel

il prend position, devront le révéler comme un homme de bien et lui attribuer des signes dis-

tinctifs de l’instance prophétique. L’èthos aristotélicien implique encore un principe de

50
Jean Lecointe, L’idéal et la différence. La perception de la personnalité littéraire à la Renaissance, Genève,
Droz, 1993, p. 376.
51
Aristote, Rhétorique I, 1356 a., trad. Lecointe, p. 384. Le Stagirite ajoute : «!Il ne faut donc pas admettre,
comme quelques auteurs de Techniques, que l’honnêteté même de l’orateur ne contribue en rien à la persua-
sion!; c’est l’éthos qui, peut-on dire, constitue presque la plus importante des preuves.!» (Aristote, Rhétori-
que, II, 1395 b, trad. Lecointe, op. cit., p. 383)
QUATRIEME PARTIE 446

concordance, le decorum!: à chaque èthos correspondent un style et une manière qui lui est

proportionnée et qui assure la «!magnanimité!» – et donc la crédibilité – de l’orateur. Un souci

de convenance en donne la mesure!: un style pour la jeunesse, un style pour l’âge mûr et ses

entreprises belliqueuses, un style pour l’âge mûr et sagesse, autant de styles et de types géné-

raux issus de l’époque hellénistique et que redécouvre le XVIe siècle52 .

L’étude de ces mœurs apparentes, véhiculées par les actions de l’acteur comme par la

couleur et le relief de ses propos, permet d’entrer dans le mystère de la dynamique théâtrale!;

elle nous intéressera donc pour comprendre la figure de David. Ce cadre théorique sera en

revanche avantageusement complété par la notion de decorum peculiare, de manière d’être et

de s’exprimer spécifique au locuteur en tant qu’individu, adjointe par Érasme à la notion

d’èthos!et de decorum!: les poètes ne reçoivent pas simplement tel quel l’héritage aristotéli-

cien, ils l’assimilent et le transforment, ils élargissent le spectre des styles oratoires de la per-

sona au profit d’une plus grande reconnaissance de l’expression personnelle.

À l’occasion d’une réflexion sur le testament dramatique de Térence, Érasme raffine,

au-delà des limites imposées par les types moraux traditionnels, le système d’appropriation

des propos des personnages de théâtre à leur propre caractère. Il insiste sur l’identité pro-

fonde et originale de chaque persona dans le discours, en lien avec le decorum peculiare, et

l’envisage en marge de tout classement systématique et de toute prescription générale!:

Dans la comédie, il faut d’abord observer le decorum, et l’imitation de la vie or-


dinaire, en sachant qu’y dominent des affects peu intenses, et plus enjoués
qu’ardents. Et tout d’abord il faut prendre garde, en fait de decorum, non seu-
lement à ce decorum en général, qui veut que les adolescents soient amoureux,
que les entremetteurs se livrent à l’usure, que les courtisanes flattent, que les
vieillards récriminent, les esclaves trompent, les soldats fanfaronnent, et cetera,
mais bien ce decorum pour ainsi dire particulier (quoddam peculiare) que le
poète individualise à sa guise selon les personnages. Ainsi dans l’Adrienne, il

52
Lecointe, op. cit., p. 437, note 323.
QUATRIEME PARTIE 447

introduit deux vieillards de tempéraments très opposés. Simon est véhément, un


peu lent, sans être sot ni malhonnête. Au contraire, Chrémès est civil, toujours
calme, toujours maître de soi, cherchant à apaiser autant qu’il peut les affaires,
conciliant sans être pour autant stupide.53

Dans la notion très générale d’éthos, Érasme fait la part entre le type commun, ce

masque générique d’un rôle social prédéterminé (en l’occurrence, ici, le prophète), et son al-

lure particulière dans l’œuvre de tel ou tel auteur, dont Érasme définit l’expression en terme

de decorum peculiare. Après le De ratione instituendi, la prise en compte de la variété des

tempéraments, qui s’ajoute aux marques distinctives des personnages induites par la physio-

nomie (ou le masque antique), ne peut plus être ignorée. Elle détermine l’aspect tout à fait

unique que revêt chaque orateur dans chaque situation de communication!; elle devient le

sceau de sa présence individuelle. Aussi l’étude d’un type (le vieillard, le roi, ici le prophète)

au théâtre, du fait qu’il revêt un caractère différent et particulier de pièce en pièce, nécessite

qu’on envisage non seulement ses mœurs génériques, mais ses mœurs spécifiques et dans

chaque cas, les traces de son caractère individuel. Il s’agit de prêter attention à la variété des

«!physionomies intérieures de l’âme!»54 , si diverses parmi tous les types théâtraux!;

… c’est-à-dire les mœurs qui, exposées avec simplicité, plaisent et émeuvent, et


d’autant plus qu’elles sont traitées avec art. Comme elles sont inscrites dans la
nature, elles sont reconnues de tous. […] Mais il ne suffit pas de les connaître et
de les observer en général, car il existe des différences particulières (peculiares)

53
Érasme, De ratione instituendi, cité et trad. in Lecointe, p. 437. Ce passage constitue selon Lecointe la
marque de l’originalité d’Érasme sur l’usage traditionnel : «!Outre le fait que nous n’ayons jamais rencontré
avnat Érasme ce genre de considérations, l’utilisation du quoddam [peculiare] et le mouvement général du para-
graphe donne bien l’impression qu’il a forgé lui-même une notion dont son lecteur n’est pas familier. »
(Idem).
54
«!Interna specie animi », Érasme, Ecclesiastes, cité après Lecointe, op. cit., p. 440. Lecointe traduit spe-
cies par «!physionomie!»!: nous préférons les termes «!qualité!» ou «!type!».
QUATRIEME PARTIE 448

de tempérament qu’il est permis d’observer dans la comédie, où elles paraissent


comme dans un miroir. 55

Par mesure de clarté, Érasme illustre cette diversité de caractères présente dans la na-

ture par différents exemples tirés du Nouveau Testament. Il prend l’exemple des apôtres, dont

le ‘rôle social’ (le type) ne met pas en jeu une seule, mais bien plusieurs manières d’être!:

Saint Pierre «!était plus libre et avait une foi plus ardente que les autres!», Jean était «!plus

familier et paisible!», Jacques et Jean «!plus orgueilleux!»56 , bref chacun possédait des traits

de caractère marqués et induisait un decorum contrasté. Dégager l’èthos apostolique, ce n’est

pas aborder ensemble les amis du Christ comme autant de représentants d’un seul et même

type, c’est accepter la variété inhérente au decorum peculiare!: il faut déduire de la littérature

consignant leurs faits et gestes (Évangiles et Actes) la marque de leur génie propre et discerner

dans les paroles de chacun les marques de l’individualité, comme l’astronome décrypte et

donne sens au mouvement de chaque astre avec une assurance qui échappe au néophyte. La

même méthode nous amènera à étudier les différents aspects de David comme prophète au

théâtre!: pièce par pièce, selon les restrictions que nous avons opérées dans notre corpus, et

sans pour autant négliger l’arrière-plan scripturaire, nous relèverons les passages les plus

significatifs à notre avis pour l’élaboration de la figure de messager divin!; nous tenterons

ensuite de mettre en lumière, dans chaque cas, la personnalité du prophète telle qu’elle surgit

de la parole qu’il profère et de son rapport aux autres personnages. Il s’agira donc, avec

comme arrière-plan une définition restrictive du prophète d’origine chrétienne et biblique, de

reconnaître dans le dire et le faire de David les signes d’une constitution du héros en tant que

55
Idem, p. 438.
56
«!Comune erat apostolorum diligere dominum, et tamen Petrus era liberior et ardentior fidei, quam coeteri,
Johannes familior et quietior, Jacobus et johannes ambitiosiores […]!». Passage de l’Ecclesiastes cité et tra-
duit par Lecointe, op. cit., p. 439.
QUATRIEME PARTIE 449

dramatis personae, avec un èthos prophétique et un decorum peculiare propre à chaque œu-

vre qui se proposent de le mettre en scène.

Un retour à la tradition biblique s’impose néanmoins pour situer théologiquement

cette notion de prophète. Elle nous fournira des outils pour comprendre et analyser le traite-

ment d’un texte sacré, familier aux dramaturges, dans l’univers a priori profane du théâtre.

Qu’est-ce qu’un prophète?

David fut-il un prophète? Cette question préalable oriente l’analyse que nous entrepre-

nons car elle soulève un problème!: l’Ancien Testament ne le désigne nulle part comme tel, du

moins ne le compte-t-il pas parmi les prophètes canoniques de l’Écriture. David est une figure

messianique, l’objet d’une prophétie de Nathan!; on lui prédit une glorieuse descendance,

mais lui-même n’est le sujet d’aucune vision métaphysique57 . Ses psaumes, dont plusieurs

ont été repris et accomplis par le Christ, revêtent cependant une dimension prophétique pour

les lecteurs du Nouveau Testament dans la mesure où Yahvé en est l’inspirateur58 et où ils

mettent en lumière certaines paroles du Christ59 . Si le christianisme et le judaïsme attestent

que David est un prophète, c’est donc en raison de cette proximité du poète avec l’esprit de

Dieu. Cette conception s’appuie sur une vision précise du prophétisme, selon laquelle le pro-

phète dit et fait, révèle et agit en tant qu’intermédiaire entre Dieu et le monde!: dans la tradition

biblique qui l’a fait naître, ils s’apparentent au messager qui porte et incarne la parole de

57
Cf: Gen. 49, 10!; Is. 6, 9-17!; 7, 14!; 9, 5-6!; 11, 1-2!; Jér. 22, 30!; 29, 16-19!; 30, 8-9 et 18-21!; 23,
5-6!; Amos, 9, 11!; Éz. 17, 22-24!; 37, 24-26!; Zach. 3, 10!; 9, 9, etc.
58
Cf. II Sam. 23, 3.
59
Il faut rapprocher, par exemple, le ps. 118,v. 2 et Matt. 21, 42!; le verset 26 de ce même psaume à Matt.
23, 39 et Rom. 11, 25 sqq.!; le ps. 8, v. 3 de Matt. 21, 17!; les ps. 113, v. 118 et 31, v. 6 de Matt. 26,
30!; 27, 46!; Mc 15, 35!; Lc 23, 46!; etc.
QUATRIEME PARTIE 450

l’Autre sur la grande scène du monde. Précisons d’emblée que ce mode de révélation érigé,

comme au théâtre, en diptyque autour du dire et du faire ne constitue qu’un aspect du fait pro-

phétique, tant il est vrai que la Bible recèle d’une grande variété de types de prophètes, irré-

ductibles à un canon. Aucune définition ne parvient à rassembler sous une même enseigne les

profils prophétiques d’un Nathan, d’un Osée et d’un Jean Baptiste60 . Le survol de différents

extraits de théologiens fondateurs, antérieurs à la Renaissance, permettra d’esquisser l’aspect

restrictif du prophétisme auquel semble participer le roi David et d’appuyer la thèse selon

laquelle la tragédie biblique de la Renaissance est susceptible de réfléchir, dans les faits et

gestes de son principal héros, sur la condition du prophète dans le monde.

Le porte-parole de l’Éternel

Le mot hébreu nâbi, c’est-à-dire interprète, héraut, porte-parole, définit le prophète en

tant qu’orateur. Le prophète est celui qui parle pour un autre, dans l’Écriture celui qui parle

aux hommes au nom de Dieu. Dans les psaumes, David rend grâce à Yahvé des paroles qu’il

met en sa bouche!: «!ma langue est le roseau d’un scribe agile!»61 . Dieu est l’auteur véritable

des parole prononcées et le prophète, l’auteur secondaire sans plus62 !; il est l’instrument vé-

60
Selon André Neher, «!la Bible apparaît comme une véritable somme du prophétisme.!» (Prophètes et pro-
phéties, op. cit., p. 12) Elle inscrit dans une perspective commune la masse d’aspects particuliers propres aux
différentes modalités de la Révélation. Samuel Junod insiste aussi sur ce fait!: «!Cette notion [de prophétie]
n’acquiert pas sa définition au terme d’une enquête diachronique qui, à son aboutissement, révélerait le noyau
(plus petit dénominateur commun) véridique de son «!essence!», mais qu’elle change pour s’adapter è chaque
système synchronique et révéler ainsi les préoccupations du moment en termes de connaissance providen-
tielle.!» (op. cit., p. 21).
61
Ps. 45 (44) v. 2. Le thème revient au ps. 40 (39), v. 4.
62
La question de l’inspiration prophétique occupe encore les érudits du XVIe siècle. Témoin ce passage de
Henri de Gant que Josse Bade reproduit dans une édition de 1520 du Summa quaestionum ordinarium, où les
prophètes de la Sainte Écriture sont appelés, comme chez Thomas d’Aquin, «!auteurs secondaires!», ceux qui
s’expriment et écrivent seulement à partir de l’Esprit qui a été infusé en eux!: «!Solus ergo deus proprie po-
QUATRIEME PARTIE 451

loce au service de l’inspiration. Le type poétique qu’incarne le psalmiste correspond à la défi-

nition globale que donne l’Ancien Testament du nâbi!dans l’exercice de ses fonctions!: «!la

prophétie consiste en une action extraordinaire ou surnaturelle, par laquelle Dieu communique

au prophète certaines lumières ou connaissances, avec mission de les transmettre aux hom-

mes!»63 .

Chez les Pères, le rôle d’intermédiaire entre Dieu et les hommes place David en posi-

tion d’énonciateur et de transcripteur. C’est en ce sens que «!l’auteur de ces psaumes, ou

plutôt l’instrument dont l’Esprit saint s’est servi pour nous les donner!»64 apparaît sous la

plume d’Augustin comme un prophète destiné à faire résonner dans le monde un peu du lo-

gos divin. C’est à ce titre qu’il investit sa définition du prophète exposée dans les Quaestio-

nes in Heptateuchum, 2, 17, où l’évêque d’Hippone s’appuie sur la mission de parole donnée

dans l’Exode!pour définir le locuteur inspiré comme un être à part!:

Les prophètes de Dieu disent ce qu’ils entendent de lui et le prophète de Dieu


n’est rien d’autre que l’énonciateur du verbe divin aux hommes, lesquels ne
peuvent entendre Dieu ou ne le méritent pas65 .

Le Verbe qu’elle communique ayant une valeur d’éternité, la prophétie concerne au-

tant l’avenir que le passé ou le présent. De nombreux Pères de l’Église, il est vrai,

test dici auctor huius scientiae. Quia tamen […] per homines ministratae sunt scripturae, qui eas conscripse-
runt et contemplati sunt ipsam sapientiam quantum potuit humanis cordibus contingi, et sic regulas artis
huius quam conscripserunt perfectissime intellexerunt […] non solum organa et canalia, ut per quae transierunt
verba huius scientiae, aut tanquam manu artifices sive pictores inquantum ipsam conscripserunt, immo veri
licet secundarii debent dici auctores ex thesauro artis sibi infusae eam describentes.!» (Paris, t. 1, fol. 71v .)
63
Cf. Louis Pirot, Dictionnaire de la Bible, Paris, Letouzey, 1212-26, t. V, art. «!Prophétie!», col. 728.
64
Augustin, Sermon 32 « De Goliath et de David!», ch. 1, dans [Peronne, Vincent, Écalle et Charpentier],
Oeuvres complètes de saint Augustin, Paris, L. Vivès, 1876, tome 16, p. 147.!
65
«![…] Ea loqui prophetas dei quae audiunt ab eo nihilque aliud esse prophetam dei, nisi enuntiatorem ver-
borum dei hominibus, qui deum vel non possunt vel non merentur audire.!» Commentaire de l’Exode 4, 16,
dans le Corpus christianorum, series Latina, vol. 33, Turnhout, 1958, p. 77.
QUATRIEME PARTIE 452

n’entendirent pas le rôle de David-prophète en ce sens, donnant à tort à la racine étymologique

de propheta le sens étroit de révélation d’événements futurs contingents, souvent à la suite

d’Isidore66 !: rares furent néanmoins ceux qui n’en mesurèrent pas la portée trans-

historique67 . C’est précisément le caractère universel de l’acte prophétique qu’Hippolyte de

Rome prête aux paroles du psalmiste!: pour ce père latin de l’Église, l’exemple du bethléemite

permet de dissocier la prophétie de la vulgaire divination ou de la vision prophétique et de la

hisser au niveau d’une extraordinaire connaissance des événements dans toute l’épaisseur du

temps!:

Pourra-t-on ne pas admirer la vérité évidente de ses paroles? Dieu a fait de lui un
roi juste et un prophète choisi, qui nous a fait connaître non seulement le passé
et le présent dans lequel nous vivons, mais encore les choses à venir.68

Si elle embrasse à force égale trois temps, le présent, le passé et l’avenir, la prophétie

davidique doit se définir comme la mise en lumière d’événements enfouis dans l’histoire!: elle

est une révélation au sens général et abstrait du terme. L’acte de «!connaître!» repose sur la

transmission orale d’une certaine intelligence du projet de Dieu sur le monde. Se pose alors la

question qui consiste à se demander si on peut voir dans ce don de connaissance l’aptitude à

révéler des causes cachées de manière à donner du sens au présent et au passé, et donc si on

peut lire dans le talent de David la faculté de prononcer des paroles extraordinairement lucides,

susceptibles de jeter un éclairage divin sur l’histoire. Pour Thomas d’Aquin, la chose ne fait

66
Etymologies, VII, 8.
67
Le cas exemplaire de Grégoire le Grand, lequel donna au fait prophétique le sens général de révélation mal-
gré l’approximation étymologique, fait école!: «!Quia cum ideo prophetia dicta sit quod futura praedicat,
quando de praeterito vel praesenti loquitur, rationem sui nominis amittit, quoniam non prophetatur quod ventu-
rum est, sed vel ea memorat quae transacta sunt, vel ea quar sunt. » Homilia in Ezechihelem, I, 1, éd. et trad.
Charles Morel, Sources chrétiennes no 327, Paris, Cerf, 1986.
68
Hippolyte de Rome, David et Goliath, in [A. G. Hamman], Les Figures bibliques, Desclée de Brouwer,
1984, p. 223, trad. Solange Bouquet.
QUATRIEME PARTIE 453

aucun doute!: la parole inspirée est révélation pour le monde69 . Il en va de même chez Calvin!:

les prophéties de David ne sont pas une divination!; elles sont un miroir divin tendu à

l’homme pour se connaître en vérité. En dévoilant l’homme à lui-même, elles le situent dans

l’histoire du salut!:

Le reste de l’Escriture contient les enseignements que Dieu a enjoinct à ses ser-
viteurs de nous annoncer!: mais icy les prophètes [auteurs des psaumes],
d’autant que parlans à Dieu ils descouvrent toutes les affections interieures, ap-
pellent ou plutost tirent en chacun de nous à examiner soy-mesme, afin que rien
de tant d’infirmitez ausquelles nous sommes sujets, et de tant de vices desquels
nous sommes pleins, ne demeure caché. C’est certes un excellent et singulier
proufit, quand toutes les cachettes descouvertes, le cœur est produit en lumière
bien purgé de ceste meschante infection d’hypocrisie. Brief […] l’invocation de
Dieu [dans les psaumes] est un des principaux appuis de nostre salut.70

La mission d’un prophète tel que David est de dire et faire comprendre, bref de révéler un

mystère, dans la plénitude de sens donné à ce verbe!: à la fois communiquer au grand nombre

une parole d’inspiration divine et de mettre en pleine lumière le sceau de Dieu sur la mysté-

rieuse surface de l’histoire. Partout où elles seront évoquées, les paroles de David auront donc

un èthos particulier, composite!: elles réalisent l’alliage entre un logos d’origine surnaturelle

(Dieu l’«!enjoinct!» à parler) et une mise en mots humaine, et par conséquent ne font sens que

dans la mesure où elles reflètent la rencontre de deux personnalités, Dieu et l’homme. L’un

des enjeux du théâtre réformé sera donc de montrer la manière dont cette fusion investit la

personne du prophète et colore sa personnalité ‘oratoire’!: le texte dramatique donnera une

forme aux modalités de l’union du fini et de l’infini dans la parole et opérera, en ce sens, une

réflexion théologique.

69
Somme théologique, Q. 171, art. 1.
70
J. Calvin, «!Préface au livre des psaumes!» dans les!Commentaires de Jehan Calvin sur le Livre des
pseaumes, Paris, librairie de Ch. de Meyrueis, 1859, p. vi.
QUATRIEME PARTIE 454

L’homme de l’action

La tradition chrétienne reconnaît également à certains prophètes une autre dimension,

celle de faire porter non seulement aux mots, aux paroles, le logos divin, mais à en investir

également leurs gestes, qui gagnent alors la valeur d’une prophétie. Ce concept de

«!prophéties en actes!» prend racine dans les récits bibliques de la Création, soit le célèbre

passage de la Genèse où Dieu fait exister les choses en les nommant (Gn. I) et d’autre part, sa

reformulation dans l’introduction de l’Évangile de Jean!:

Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe


était Dieu. […] Tout par lui a été fait, et, sans lui, rien n’a été fait de ce qui a été
fait. (Jean I, 1-3)

Ces récits des origines, qui constituent pour Claude-Gilbert Dubois un des «!fondements de

toute explication théologique du langage humain au XVIe siècle!»71 , reconnaissent à la Parole

de Dieu une efficacité sans égale!: «!la création du monde est en même temps une création

verbale, la Parole de Dieu se confondant avec l’acte créateur!»72 .!Verbe de Dieu et acte de

Dieu se renvoient l’un à l’autre, chaque mot appelant une naissance et chaque naissance re-

flétant le Créateur. De manière analogue, chez les hommes remplis de la Parole divine, la pré-

sence agissante de l’Esprit peut entraîner des gestes extraordinaires faisant office de prophé-

tie!: leurs actions sont une émanation de Dieu, un prolongement évident de son Verbe, et ren-

voient à une réalité toute autre qu’humaine. Aussi certains personnages de la Bible, dont Da-

vid, sont également des prophètes en actes.

Une instance de confirmation du ministère prophétique généralement approuvée est le

miracle, irruption incontestable du surnaturel dans l’histoire. Dieu se justifie et justifie le pro-

phète. Moïse ouvrant un passage dans la mer Rouge ou faisant jaillir l’eau d’un rocher dans

71
Claude-Gilbert Dubois, Mythe et langage au XVIe siècle, Bordeaux, Ducros, 1970, p. 21.
72
Idem, p. 23.
QUATRIEME PARTIE 455

le désert sont autant de signes et de prodiges accompagnant la parole prophétique!: par

l’action de son envoyé, Dieu entre dans le monde et fait éclater sa justice, la sienne propre et

celle de son prophète. Les victoires de David contre l’ours, le lion et plus tard Goliath, sans

être des «!miracles!» au sens propres du terme, furent aussi dans certains cercles juifs (la Mi-

drash en témoigne73 ) et pour quelques commentateurs chrétiens74 des occasions où le pro-

phète fut relayé par Dieu, opérant une sorte de captatio benevolentiae des spectateurs. Les

occasions de miracle dans la vie du nabi restent des événements isolés dans l’Écriture.

La distinction entre «!prophétie déclarative!», tout entière contenue dans les paroles

prononcées par le prophète, et «!prophétie figurative!», exprimée par ses faits et gestes extra-

ordinaires, est dégagée par Jean Chrysostome dans ses Homélies sur la Pénitence75 . Et pour

s’assurer d’être bien compris, il donne un exemple de chacune d’elles!: la brebis conduite à

l’abattoir qu’évoque Isaïe (Is. 53,7) et la brebis que sacrifia Abraham à la place de son fils

Isaac (Gn 22, 13) annoncent l’une et l’autre une même réalité, la passion du Christ!: la pre-

mière le fait «!avec des mots!» et la seconde, «!en actes!». La raison de ce double langage pro-

phétique, précise Chrysostome, serait d’ordre didactique!: les prophéties par le discours

s’adressent aux esprits «!sages!», capables d’une connaissance essentiellement intellectuelle,

tandis que les prophéties «!en actes!» visent pour l’essentiel «!les ignorants!», plus sensibles

aux images qu’aux abstractions de l’esprit. De cette conception herméneutique est née

l’exégèse typologique de l’Écriture, selon laquelle une réalité de l’Ancien Testament est per-

çue non seulement comme un modèle digne d’imitation, mais un «!type!», une image sensible

73
Cf. Jewish Encyclopedia, op. cit., p. 453 col. a.
74
Ces commentaires sont abondamment relayés par l’iconographie de cet épisode biblique. Nous renvoyons le
lecteur à l’explication et les exemples fournis par Louis Réau (qui fait un rapprochement avec certains passa-
ges tirés d’Augustin et d’Adam de Saint-Victor) dans son Iconographie de l’art chrétien, t. 2, Paris, P.U.F.,
1955, p. 258.
75
Jean Chrysostome, Hom. VI sur la pénitence, dans les Oeuvres complètes de saint Jean Chrysostome, trad.
J. Bareille, Paris, Louis Vivès, 1864, t.3, pp. 528-530.
QUATRIEME PARTIE 456

d’une réalité éloignée, le plus souvent messianique, ancrée dans l’histoire du Nouveau Testa-

ment76 . Le propre de la prophétie en actes, muette par essence, est donc aussi de dévoiler de

manière spectaculaire, extraordinaire, un mystère qui fait sens dans le présent mais appelle sa

confirmation dans un avenir indéterminé!: «!celui qui doit venir!» accomplira la scène énoncée

par le passé et consacrera véritablement son messager en tant que prophète de la vérité.

Il ressort de ce second versant de l’expérience prophétique que non seulement la puis-

sance persuasive des paroles, mais également l’actio, la dynamique oratoire du messager et les

gestes qu’il pose, constitutifs de ce que la rhétorique désigne en terme de decorum, revêtent

chez les hommes de la Bible une dimension transcendante. La personnalité prophétique

(l’ethos) concerne l’être total, à la fois l’homme dans ce qu’il a de limité et dans ce qui en lui

aspire à la transcendance, dans l’être humain en tant que point de rencontre de ce qui relève de

l’histoire et de ce qui, mystérieusement, la dépasse. Samuel Junod a d’ailleurs bien insisté sur

cette verticalité fondamentale lorsqu’il reprend ce propos de Léo Strauss au sujet de la pro-

phétologie!:

Si la révélation n’était rien qu’une action miraculeuse de Dieu, elle serait pure-
ment et simplement soustraite à toute saisie humaine. La Révélation n’est com-
préhensible que dans la mesure où l’acte révélateur de Dieu s’accomplit à tra-
vers des causes secondes, où il trouve sa place dans la création, dans la nature
créée […] Le moyen par lequel Dieu accomplit l’acte révélateur est le prophète,
c’est-à-dire l’homme qui sort de l’ordinaire et qui l’emporte sur tous les autres,
mais en tout état de cause un homme.77

76
Cf. Jean-Noël Guinot, «!La typologie comme technique herméneutique!», dans Figures de l’ancien Testa-
ment chez les Pères, Cahiers de Biblia Patristica 2, Centre d’analyse et de documentation patristiques, Stras-
bourg, 1989, pp. 1-34.
77
Leo Strauss, Maïmonide, Paris, PUF, Épiméthée, 1988, pp. 104-105, cité après Samuel Junod, op. cit., p.
31.
QUATRIEME PARTIE 457

S’il s’intéresse véritablement, comme nous le croyons, à la personne de David en tant que

prophète, le théâtre de la Réforme devra se prononcer sur cette double dimension de

l’ambassadeur de Dieu sur la terre, à la jonction du fini et de l’infini. Il portera un regard de

foi sur l’homme, sur ce qui le fonde et aussi, et surtout, sur ce qui le dépasse.
QUATRIEME PARTIE 458

Chapitre II

David, prophète dans les tragédies saintes!?

Le personnage de David se présente-t-il, dans l’œuvre de des Masures la plus représentative

de la crise politique et spirituelle du protestantisme à ses débuts, comme un prophète scriptu-

raire, comme l’énonciateur du verbe de Dieu auprès du peuple élu? Cette question, qui oblige

à réfléchir sur l’attachement de la tragédie religieuse à la culture biblique qui l’a façonnée, ne

semble pas avoir toujours attiré l’attention des spécialistes. L’idée (tout à fait juste) selon la-

quelle les Tragédies saintes sont d’abord et avant tout un miroir des préoccupations hugue-

notes a, jusqu’à présent, tendu à éclipser les dimensions vétéro-testamentaire et théologique du

personnage telle qu’elles apparaissent dans la pièce. Ainsi, pour Marguerite Soulié,

la figure de David qu’illustrent les Tragédies de Louis des Masures répond à


une actualité!: le moment où le peuple de la Réforme fait face aux persécutions
par la résistance armée. […] David était le champion de Dieu pour maintenir son
peuple!; ensuite il apparaît comme l’élu, le chef charismatique en face de Saül,
le roi rejeté […] David est le vivant exemple de cet évangile de la grâce qui est le
centre rayonnant de la prédication réformée.78

L’«!actualité!» à laquelle répond effectivement le héros de des Masures, emblématique

de l’angle sous lequel les Tragédies saintes sont le plus souvent abordées aujourd’hui, donne

au personnage un caractère moderne!; on s’intéresse à sa qualité de symbole de l’«!évangile


QUATRIEME PARTIE 459

de la grâce!» plutôt qu’à la réflexion qu’il permet sur l’essence du prophétisme de l’Ancien

Testament. Les termes employés par Marguerite Soulié reprennent néanmoins certains élé-

ments constitutifs du fait prophétique. Le David ici évoqué apparaît comme l’archétype de

l’inspiré!: il est un être à part, investi d’une mission surnaturelle qui le place en position

d’intermédiaire entre Dieu et son peuple. Sa force charismatique témoigne de la présence de

l’esprit de Dieu en lui et devant lequel Saül, l’interlocuteur ingrat, joue un rôle de repoussoir!;

son message enfin, moins prédiction d’un avenir nécessairement incertain que révélation active

et dynamique de la grâce, font de lui le porte-étendard du Divin. Si le héros n’est pas directe-

ment désigné en terme de prophète ni la vérité qu’il incarne comme une prophétie, les princi-

pales qualités que l’érudite prête au héros de la trilogie concourent néanmoins, de manière

implicite mais indéniable, à lui en donner l’aspect. D’ailleurs, ajoute Soulié, le théâtre de des

Masures préféra toujours au tragique des Anciens une esthétique au service «!du dessein du

Dieu vivant […] qui garde son alliance à un petit reste ranimé par la parole prophétique!»79 .

C’est bien qu’il pose, de manière même indirecte, la question de cette parole aussi ancienne

que vivifiante au théâtre.

L’œuvre de des Masures tend d’ailleurs à valoriser le potentiel prophétique de son

héros. L’épître préliminaire À Brun, rédigée alors que le dramaturge avait en commun avec

David le sort du réfugié politique et du persécuté, insiste sur la lecture typologique qu’il faut

faire de la pièce autant que sur sa dimension de symbole de la Réforme!:

David, endurant toujours nouvelle plaie,


Joue une tragédie assiduelle et vraie […]
[Il] Est figure du Christ, et des enfants de Dieu
Qui par croix, et misère, et peine rigoureuse,
Contendent vaillamment à la victoire heureuse. (v. 217-22. Je souligne.)

78
Marguerite Soulié, «!Le Théâtre et la Bible au XVIe siècle!», dans Le Temps des réformes et la Bible,
Paris, Beauchesne, 1989, pp. 643-645.
79
Op. cit., p. 657.
QUATRIEME PARTIE 460

David comme «!figure!». Dès le Moyen-Âge, affirme Erich Auerbach dans son étude

intitulée Figura80 , un lien s’établit dans la littérature religieuse entre la notion de figure et celle

de prophète. Le mot figura revêt souvent chez les chrétiens le sens de «!signification plus pro-

fonde de ce qui doit venir!»81 !; appliqué aux personnages de l’Ancien Testament, il envisage

ces derniers «!comme des prophéties en actes, des préfigurations du Nouveau Testament et de

l’histoire du salut!»82 . Le philosophe ajoute!: «!c’est dans ce sens de prophétie en acte qu’il

[figura] apparaît le plus souvent, de loin!»83 . Dans la prophétie figurative de des Masures,

David et le Christ se font signes l’un de l’autre et tous deux pointent vers quelque chose qui

dépasse l’histoire, un mystère qui concerne bien sûr le temps présent mais qui implique aussi

un accomplissement surnaturel encore à venir. L’événement historique qu’incarne le héros est

une figure voilée qui sollicite l’intervention d’une révélation!; il participe à la transmission

d’une connaissance de Dieu.

Il y aurait ainsi deux pôles dans l’identité paradoxale du David desmasurien. Un

homme endurant des souffrances personnelles et historiques, et une «!figure!» annonçant la

répétition de ces mêmes souffrances dans le contexte mystérieux de l’histoire du salut. Le

personnage désigne trois réalités!: le roi de l’Ancien Testament dont le règne remonte à deux

millénaires avant Jésus Christ!; Yahvé qui donne à connaître à travers lui!; le fidèle huguenot,

enfin, dont on persécutait la foi au temps de la Réforme. L’hétérogénéité ontologique du per-

sonnage donne à ses actions et à ses propos une valeur polysémique qui correspond exacte-

ment aux traits qui ressortent des discussions précédentes sur l’homme de Dieu. Dans ce que

le héros donne à voir et à entendre, un au-delà se donne à connaître, un au-delà certes poétique

80
Paris, Belin, (1944) 1993.
81
Idem., p. 39.
82
Idem, p. 33.
83
Idem, p. 42.
QUATRIEME PARTIE 461

mais dont les modalités de la révélation rejoignent celles, théologiques, que nous avons évo-

quées plus tôt.

Le fait prophétique dans son sens large, constitutif de la spiritualité réformée mais

aussi et d’abord de l’Écriture, détermine l’èthos dramatique du David des Tragédies Saintes.

Son originalité vient de ce que le type prophétique qu’incarne le héros est plus complexe que

le type messianique qu’on lui prête habituellement, en particulier après une lecture des psau-

mes!: il comporte certains traits qui le rapprochent de l’expérience propre à une poignée de

personnages canoniques, d’Isaïe à Malachie, dépassant ainsi le cadre des Rois et des Chroni-

ques. Telle un triptyque, notre analyse s’articulera en trois volets!: elle abordera d’abord

l’identité prophétique de David dans la trilogie, puis la situera par rapport à la menace que

représentent les faux-prophètes. Elle soulèvera enfin la question d’un «!art prophétique!»84 , de

l’existence d’une manière particulière d’agir et de parler propre à la sensibilité et au génie de

David en tant qu’individu inspiré. La réflexion du dramaturge sur cet aspect de la littérature

biblique ne présentant pas de rupture importante d’une tragédie à l’autre, nous aborderons les

pièces de la trilogie non pas l’une après l’autre, mais ensemble, en fonction des critères thé-

matiques adoptés pour la conduite de notre analyse.

Portrait de David en prophète

Le récit biblique retraçant l’histoire de David s’ouvre sur l’onction du jeune berger au

milieu de ses frères. Des Masures passe littéralement sous silence cet épisode clé de la vie du

héros et fait commencer sa pièce au temps de l’irruption de Goliath en Terre Sainte, dans une

période marquée, dans Samuel, par l’impuissance de Saül à trouver une issue au défi que lui

lance le camp philistin. Lorsqu’elle évoque cette époque troublée, la Bible ne dit rien sur les

84
Cf. Samuel Junod, op. cit., p. 61 sqq.
QUATRIEME PARTIE 462

agissements du prophète Nathan!; mis à l’écart des événements qui se déroulent dans la vallée

du Térébinthe, il ne joue aucun rôle dans la résolution de ce conflit mythique. Les Tragédies

saintes, pour leur part, questionnent cette absence et font de ce vide dans la scène politique un

événement déclencheur.

1. Dans l’attente d’un prophète

Il est significatif que David combattant, première pièce de la trilogie de des Masures,

évoque le contexte d’apparition de David à la cour de Saül comme une véritable nuit prophéti-

que pour la monarchie de droit divin. Les Hébreux frôlent la défaite aux mains des Philistins

et Nathan ne vient pas. Dieu persiste dans son silence malgré les prières du roi et les appels de

son peuple. Les hésitations de Saül révèlent la détresse d’un royaume théocratique en mal de

proximité avec Yahvé!:

Dieu au pouvoir duquel sans plus nous confions


Ne nous a révélé son vouloir sur le point
De marcher et combattre ou ne combattre point.
Plus ne vois le voyant qui soulait en maint lieu
M’annoncer le vouloir et bon plaisir de Dieu. (D. C., 389-94)

Ce vide laissé par Nathan revient encore pour expliquer les hésitations de Saül face au

défi de guerre lancé par Goliath!: l’impossibilité des combattants du roi à répondre à la ques-

tion d’Abner, «!quel conseil ou signe t’a donné le Seigneur?!»85 commande la suspension de

toute entreprise belliqueuse.

Cette utopie historique et politique, une amplification personnelle et figurée de

l’Écriture, transpose en réalité dans l’histoire du peuple Juif un motif omniprésent dans les

livres consacrés aux prophètes canoniques!: d’Isaïe à Malachie, comme d’ailleurs dans les

85
D.C., 470-71.
QUATRIEME PARTIE 463

Rois, le surgissement des prophètes se produit toujours dans un temps de trouble où les va-

leurs de la civilisation juive semblent ébranlées86 . Cette particularité de la littérature prophéti-

que, celle de montrer un trouble et un combat pour faire éclater au cœur même de l’incertitude

temporelle, une révélation divine, constitue la toile sur laquelle se détache l’arrivée de David

sur la scène biblique. Nathan ne se manifestant pas, son apparition au milieu d’une crise

prend l’aspect d’une réponse de Dieu aux angoisses du peuple élu!; elle présente d’emblée le

héros comme un personnage prophétique, comme une manifestation personnelle mais indi-

recte de Dieu au cœur même d’une humanité menacée.

À chaque fois qu’un prophète fait son apparition dans l’Écriture, la question de la

spécificité de sa mission et des modalités d’accomplissement de celle-ci se pose inéluctable-

ment. Quel est donc le type prophétique qu’investit le David de des Masures? S’agira-t-il

d’un voyant comme Élie, homme parmi les hommes mais responsable de la loi de Dieu en un

temps d’abandon de celle-ci? D’un surhomme, comme Samson, dont la force physique ren-

voie à la toute-puissance divine, ou d’un législateur comme Moïse, venu prendre acte des vo-

lontés du Seigneur et les imposer dans le gouvernement des hommes? Son inspiration

l’apparente-t-il à l’existence des anges, des envoyés de Dieu, des malakhim? Les trois tragé-

dies consacrées à David construisent l’identité particulière du psalmiste et interrogent son

statut d’intermédiaire entre le Ciel et le peuple. Elles érigent un personnage à la frontière de

l’humain et du divin dont il importe, d’entrée de jeu, de dégager les traits essentiels.

2. «!Je viens au nom de Dieu!»!: premiers éléments de l’identité prophétique

Le propre du prophète biblique, les Pères l’ont montré, est d’abord et avant tout d’être

le porte-étendard de la volonté divine. Le statut qui le caractérise vient de la révélation qu’il

reçoit, laquelle le façonne autant comme homme de paroles que comme sujet doté d’un im-

86
Cf. Bible de Jérusalem, «!Introduction aux prophètes!», op. cit., pp. 1261-87.
QUATRIEME PARTIE 464

mense potentiel actif. L’aspect peut-être le plus évident de la mission dont des Masures inves-

tit son héros est précisément sa propension à condenser cet impératif de communication de

Dieu aux hommes dans une manifestation onomastique du nom divin. Lorsqu’il apparaît sur

la scène, David se présente d’emblée comme l’envoyé du Seigneur, celui que le Seigneur dé-

lègue pour faire résonner son nom!: «!Je viens au nom de Dieu!»87 , dit-il. Délégation divine,

délégation prophétique. En invoquant le nom de Dieu, c’est le mystère même de l’en-soi divin,

contenu dans le simple acte de nommer, que David entreprend de révéler. Or, ce fait de devoir

nommer implique également une mise en route de l’homme vers les siens, une mobilisation

complète de la personne qui s’engage à agir. Il est une instance qui la dépasse!: il est celui qui

vient.

Comme Moïse et Abraham, le héros de notre tragédie a donc pour caractéristique de

cumuler les qualités du prophète en paroles et du prophète en actes. Le héros de des Masures

apparaît dans la pièce ni plus ni moins comme lieu d’enracinement de la volonté divine sur la

terre, le lieu de la parole faite acte!: c’est en effet Dieu qui dresse la main de David à la ba-

taille88 , Dieu qui le «!guide en [sa] sente!»89 , Dieu encore qui le délivre de la main de ses op-

presseurs au moment de l’exil90 . Le personnage est le prolongement humain d’une réalité

indépendante de lui dans sa conception mais tributaire de son concours pour sa réalisation.

Ses gestes impressionnent, déconcertent!; ils conduisent les spectateurs au seuil d’un mystère.

Une lecture un peu serrée de David combattant permet d’ailleurs de distinguer un certain

nombre de signes par lesquels le héros révèle le divin qui l’habite.

1. L’effacement de soi. Tout au long des Tragédies Saintes, David récuse pour lui-même

l’initiative de ses actions!: il adopte un èthos qui porte l’auditoire à croire que tout ce qui

87
D.C., v. 1679.
88
D.C., v. 1691.
89
D. C., v. 513.
90
D.F., v. 591-94.
QUATRIEME PARTIE 465

émane de sa parole et de ses gestes provient de Yahvé, dont il ne serait que le porte-étendard.

David apparaît comme prophète dans la mesure où Dieu lui-même répond à la détresse de la

nation sainte par son intermédiaire et manifeste par lui l’efficacité de sa parole. Le souci di-

dactique qui préside à l’écriture de la trilogie amène d’ailleurs le dramaturge à marteler sans

relâche, au risque d’être redondant, que la force qui anime David ne vient pas de son génie

propre mais d’une instance supérieure qui le guide et qu’il se contente de faire sienne. Aussi,

dans la scène de la rencontre entre l’enfant et le géant, David se présente-t-il sous les traits du

rapporteur, il est l’envoyé de Dieu auprès de son peuple!; non pas le sauveur d’Israël, mais

l’ombre du Sauveur chargé de donner corps à l’alliance mosaïque et à sa promesse!: «!Le

Seigneur est puissant […] Il défendra Israël à jamais!» (D.C., 1185). En aucune occasion il ne

s’attribue à lui-même l’initiative de ses gestes!: c’est le nom de Dieu, proclamé à quatre repri-

ses en cinq vers, qui éclipse le sien propre!:

Je viens au nom de Dieu, du Dieu des exercites,


[…] afin que près et loin sache la terre toute
Qu’Israël a un Dieu et qu’ici nul ne doute
Que notre Dieu est puissant, non par glaive ni lance
Donne victoire aux siens, mais par autre vaillance […] (D. C., 1679-83).

Cette tactique de l’effacement superpose à la personnalité de l’homme de Dieu celle

de Yahvé, s’étend du transfert onomastique («!en son nom, je suis fort!», D.C., v. 1550) à la

prévalence de la force divine sur les ressources vitales de David («!Dieu qui m’a sauvé du lion

et de l’ours me sauvera!», D.C., ca. 1370). Le discours prophétique des Tragédies est donc

nécessairement hétérogène, il entraîne une ambiguïté sur l’identité du véritable acteur social

qui se manifeste aux siens. Contrairement aux allocutions communes où la singularité du

point de vue du locuteur, tel un principe unificateur, organise l’ensemble du discours, la

source de l’énonciation refuse ici d’être désignée comme une unique personne.
QUATRIEME PARTIE 466

2. Le sentiment d’étrangeté. L’interrogation lancinante des fils de Jessé à leur jeune frère,

«!Qui te meut ou pourquoi es-tu venu ici?!»91 , rappelle le questionnement qui habite les té-

moins de l’action prophétique. Leur interrogation fait écho à celle de Goliath sur le mandataire

du garçon («!Qui te meut de venir?!»92 ) et au constat de Satan sur ses ressources hors du

commun!: «!Cette force est d’ailleurs.!»93 . Les gestes que pose David dépassent largement sa

volonté particulière, ils pointent vers une force supérieure!; or lorsque les spectateurs du héros

la reconnaissent, la prophétie atteint son but. Tel est, chez des Masures, le critère de la réussite

prophétique et la vraie gloire du prophète!: donner à voir un Dieu qui se cache.

3. Le dédoublement. Le paradoxe inhérent à la mission du prophète, à savoir celui d’incarner

et de porter la parole d’un autre (qui parfois lui échappe) à la face du monde, en arrive même à

déposséder partiellement le prophète de ce qui émane de lui-même. C’est ainsi que dans la

scène du duel, sur le plan linguistique, deux identités s’unissent, se superposent!: le principal

acteur de la lutte (David) est alternativement désigné à la première et à la troisième personne,

c’est Dieu qui lutte et David qui vainc par la main d’un seul homme!:

Dieu combat, qui est ma garde,


Petit suis, le grand tiendrai. (D.C., 1572-73)

L’une des qualités de Des Masures est certainement d’avoir su tirer profit du flou

entourant l’identité de celui qui agit dans la pièce!: elle permet de donner corps au véritable

personnage principal de l’œuvre, Yahvé, lequel conformément à l’esthétique réformée, ne

paraît pas physiquement sur scène. Ce flou, cette démarcation difficile entre David et celui qui

agit à travers lui, pose le principe de ressemblance entre Dieu, l’Inimitable par essence, et son

91
D.C., v. 1263.
92
D. C., v. 1656 : «!Qui te meut de venir?!»
93
D. T., v. 599.
QUATRIEME PARTIE 467

ambassadeur. Un savant théoricien de l’interprétation figurative de l’Écriture, Théodore de

Monpueste, avait d’ailleurs insisté dans son commentaire sur le prophète Michée, sur cette

faculté de l’envoyé (ou du type) de faire connaître, par un rapport de proximité, la personne

qui l’envoie!: «!Tout type a une certaine ressemblance avec ce dont il est le type.!»94 Chez des

Masures, le degré de parenté entre le type et son archétype semble si élevé que certains passa-

ges de David triomphant suggèrent qu’en David deux personnes, l’homme et son Sauveur, se

profilent simultanément. L’auteur laisse néanmoins à l’auditoire le soin de faire la part entre

l’un et l’autre David dans!ces extraits où les expressions «!un!David!», «!un seul David!»

témoignent de la polysémie rattachée au nom du héros!:

Le peuple entier un seul David regarde


Comme son port, sa défense et sa garde. (D.T., 240-41)
Regardez un David pour le suivre à la trace,
Lequel est inspiré d’une divine grâce. (Prol. D. T., 53-54.)

Dans les vers 240-41, les mots «!un seul!» signifient à la fois «!à l’exclusion de Saül!»

que «!le véritable David!», celui qu’il revient au spectateur d’identifier!; de même, «!un Da-

vid!» (v. 53-54) peut renvoyer à la trilogie elle-même, la tragédie consacrée à David (et il y en a

d’autres), et au personnage lui-même, dont l’indétermination («!un!») suggère qu’il y en au-

rait soit plusieurs, hypothèse peu probable, soit un seul, mais avec des visages humains et di-

vins, liés à la présence inspiratrice de l’Esprit. L’essence composite de l’identité prophétique

offre un avantage stratégique!: elle permet d’expliquer les victoires et les épreuves de David

sans faire appel à la logique humaine et de rappeler, pour le profit des spectateurs, que

l’alliance avec Dieu est le véritable moteur de l’histoire. En tant que porteur d’une parole vraie

que ses actions illustrent, l’agent divin est la preuve radicale, défiant toute argumentation, que

Dieu fait cause commune avec l’homme et que rien de ce dernier n’échappe à la Providence.

94
Migne, P. G. 66, 364 D9-10. Nous renvoyons à la discussion de J.-N. Guinot (op. cit., pp. 15 sqq.) sur cet
QUATRIEME PARTIE 468

L’identité complexe du héros de des Masures recouvre la mystérieuse co-présence, dans un

seul être, de l’humain et du divin. L’homme n’est pas un avec lui-même, l’Esprit

l’accompagne et s’impose à lui!; il lui laisse le travail de le traduire, de l’annoncer, de

l’incarner dans l’histoire.

3. Temps humain, temps divin!: rapport de David à l’histoire

Les prophètes de la Bible se situent à la jonction du fini et de l’infini, ils sont le pro-

longement de la parole et de l’action de Dieu sur la scène du monde. Dieu a besoin de

l’homme pour réaliser ses desseins. La principale fonction que l’Écriture reconnaît au pro-

phète est d’inscrire dans la course du temps, dans l’histoire, la fidélité de Dieu à son peuple, et

d’incarner cette promesse par des paroles et des actions qui en témoignent. Cette situation

particulière du prophète, à la jonction de l’histoire et de ce qui la transcende, se traduit chez

des Masures dans le statut particulier attribué à David, qui le distingue du reste de l’humanité.

Son rapport à l’histoire et à sa condition humaine détermine certains aspects de son identité

prophétique

Ø Entre l’ange et l’homme

Le prologue de David Triomphant compare le rôle social du bethléemite à celui de

l’ange, ce messager par excellence que Dieu envoie du ciel soit pour annoncer aux hommes

une nouvelle – c’est le cas de Gabriel – soit, comme Raphaël, pour marcher avec eux sur une

route incertaine. La particularité du David desmasurien est d’assumer, de manière tout à fait

paradoxale, la condition du «!mortel homme!» et la mission du «!saint ange!»!:

Tel personnage ici vous verrez entre nous


Et le pourrez ouïr qui n’est pas tel que vous.
Tel que vous n’est David bien qu’il soit mortel homme,

aspect de la typologie biblique.


QUATRIEME PARTIE 469

Ainsi il va dessus la terre, comme


Un saint ange de Dieu. (Prol., D.T., 15-18)
Par le pélerinage de l’ange, le Très-Haut se manifeste en faveur de l’humanité et offre

des signes tangibles de sa divinité. Il permet l’irruption du surnaturel dans la création et

l’insertion de ce surnaturel dans l’écriture de l’histoire. Ce mouvement vertical, condescen-

dant, de Dieu vers l’homme, de Dieu vers David, fait du héros des Tragédies le lieu d’une

fusion idéale entre le divin et l’humain. Dans l’exercice de sa fonction prophétique, un

échange se produit entre David et celui qui l’envoie!: son humanité devient un reflet divin, elle

gagne en éclat et en force!; cette richesse ajoutée ne le transforme pas ontologiquement,

l’homme demeure ce qu’il est et réciproquement, Dieu conserve son unicité. En revanche,

l’alliance est féconde au niveau de la personnalité du héros, laquelle fait d’un être de chair le

lieu où se manifeste, où se révèle, la source du sacré.

L’èthos propre à David demeure par conséquent essentiellement humain, relatif à une

histoire personnelle et collective, et cette conscience est le principal fardeau qu’il sera donné à

David d’assumer. L’une des premières interventions de Satan dans la trilogie vise précisément

à assurer l’auditoire de la fragilité indissociable de la condition humaine qui gouverne

l’envoyé de Dieu!:

Il est homme et muable, il faut qu’il vienne aux termes


De perdre de son cœur l’espérance et la foi. (D. C.)

La force et la puissance de Dieu n’empêchent en rien sa fragilité et son indignité à accomplir

ce pourquoi Dieu le destine. «!Petit berger!», «!petit bergerot!»95 selon le dire de Satan,

«!homme de qualité basse!»96 aux yeux de son frère, le David de des Masures incarne

95
D. C., v. 273 et 275.
96
D.T., v. 151.
QUATRIEME PARTIE 470

l’humilité évangélique chère aux réformés97 !: «!Je n’ignore pas!», confesse-t-il au fils de Saül,

« mon état humble et bas!»98 . Ses racines, sa lignée le renvoient au bas de l’échelle sociale et

le placent en marge de tout ce qui construit la gloire humaine.

Ø Le fardeau humain

Un autre passage de David combattant, petite autobiographie du héros livrée sur le

mode de l’aveu, insiste sur le poids que représente pour David son humanité rétive et rebelle à

l’appel de Dieu. Ce récit de vocation, qui reprend un motif narratif propre au discours pro-

phétique, a pour but de légitimer la vocation du prophète devant lui-même et devant un audi-

toire sceptique!; il situe l’appel du prophète dans le cadre d’un projet divin auquel il ne peut se

soustraire, même s’il ne s’en sent pas digne!:

Dès mon enfance, aux jours adolescents,


je t’ai cherché selon que ta clémence
Me tire à toi par douce véhémence
Mais, misérable et pauvre je suis,
En lieu qui soit fuir je ne puis.
Toujours me suit cette nature forte,
Toujours me presse et le fardeau j’en porte. […]
Mais ton Esprit m’empresse à résister. (D. C., 491-501)99

Il est significatif que dans l’Écriture, en général, ce n’est pas tant l’humanité des pro-

phètes qui leur pèse, mais bien leur mission sur la face de la terre. C’est le cas d’Amos,

d’Isaïe, de Jonas, qui insistent dans leurs prophéties sur la souffrance du juste et sur l’âpreté

97
Notamment dans un passage où David se considère indigne d’être le gendre du roi (D.T., v. 130). Cette
opinion est sans équivalent dans le récit biblique.
98
D.T., 86-87.
99
Ce passage est à mettre en parallèle avec les vers 1029-30 de D.C.!: «!Il est vrai qu’en cette terre-ci / Tou-
jours chair est en peine et souci.!»
QUATRIEME PARTIE 471

de leur mission. L’appel de Dieu est un poids pour ceux qui le portent100 . Dans le cadre des

Tragédies saintes, un revirement s’opère par rapport à la tradition prophétologique et cons-

truit la singularité du David desmasurien!: le véritable fardeau, ce dont le prophète aimerait être

débarrassé, c’est de sa condition d’homme, «!cette nature forte!» à laquelle il ne peut se sous-

traire. Certes, le bethléemite partage avec les prophètes canoniques la tentation de fuir, comme

Jonas de se soustraire à sa vocation, mais ici c’est à lui-même qu’il voudrait échapper. La

mission dont Dieu le charge paraît plus légère au prophète que le fardeau de son humanité!:

elle implique une véritable mort à soi-même, mais le personnage l’accepte et trouve en elle un

lieu de réconfort. La peine, la querelle, la mort perdent de leur connotation négative lors-

qu’elles se rattachent au projet divin!; elles rejoignent les catégories antithétiques de douceur,

de plaisir et de bonheur.

Oh!! Combien douce et plaisante est la peine


A soutenir du Seigneur la querelle!!
Heureuse vie est de mourir pour elle!! D. C., 1024-26

L’acceptation de la vocation prophétique s’exprime en David par le choc résolu des

oppositions. Le renversement de perspective qui permet au héros de voir, en ce monde, les

souffrances récompensées et transfigurées en douceur – ce à quoi la plupart des prophètes

bibliques sont, en vérité, peu accoutumés101 – est le principal argument de des Masures pour

100
Samuel Junod insiste d’ailleurs sur ce fait!: «!Le mot hébreu qui entre dans la formule prophétique indui-
sant souvent les paroles de Yahvé, ne’oum, signifie à la fois «!oracle!» et «!fardeau, poids.!» L’oracle de
Dieu est un poids. La parole prophétique est simultanément parole et poids!: charge dans son sens plein.!»
Op. cit., p. 40.
101
«!La prophétie […] est un acte de souffrance qui commence par dévaloriser son énonciateur et qui ne le
laisse pas jouir de la charge de vérité de son propos. La réception de son message est caractérisée le plus sou-
vent par l’échec. La situation de communication est décalée, il ne peut profiter d’une réponse qui le mette en
valeur. D’autre part, il ne doit son pouvoir qu’à Dieu, à qui seul la reconnaissance est due. Le prophète ne
jouit pas de l’effet de ses paroles auprès de son ‘public’, mais il se retire.!» Junod., op. cit., p. 85.
QUATRIEME PARTIE 472

amener l’auditoire à imiter David et «!le suivre à la trace!» (Prol. D.T., v. 53)!: son héros in-

carne une vision paradoxale du bonheur selon laquelle l’épreuve et même le spectre de la mort

ne sont le dernier mot d’une vie donnée à Dieu, la grâce divine les transformant en lumière.

Il ressort de cette particularité un aspect de la personnalité de David qu’il convient de

souligner!: des Masures revêt son personnage du manteau des çadiqim, des justes de

l’Écriture102 . Cet artisan de la justice sociale et de la pureté morale représente dans la société

hébraïque une classe d’hommes appelée à coopérer au plan de Dieu dans l’histoire par leur

refus catégorique du mal qui pèse sur la condition humaine. Pour le juste, le fardeau de

l’humaine nature cherche un soulagement dans le désir de conformité avec la perfection di-

vine. Pratiquer le cédéq, c’est assumer une vocation éminemment religieuse et morale, celle de

rendre témoignage, en luttant contre le péché, de l’innocence de Dieu vis-à-vis du mal et

d’aider à la faire éclater à la face d’Israël. Les justes consacrent leur vie à combattre les imper-

fections en commençant bien sûr par eux-mêmes, puis en gagnant les autres à cet idéal de

perfection morale sans laquelle la justice de Yahvé ne trouve pas à s’incarner. L’empoigne du

fidèle et de l’impie de David combattant et l’humilité du vainqueur en temps de gloire comme

de déroute sont un exemple de cette propension de Des Masures à ériger son héros en figure

de la justice du Seigneur. David participe, par ses paroles et ses actions, au cédéq de Dieu!: il

en est le type et l’exemplaire.

4. Celui qui marche vers la crise

En même temps qu’elles assignent à son héros la condition mortelle de l’homme de

chair appelé à relayer auprès du peuple un message bâti sur une dialectique de l’humain et du

divin, les Tragédies saintes postulent l’enracinement social du prophète dans un lieu et un

contexte donné. Comme les prophètes de l’Ancien Testament, David s’exprime dans la langue

102
Cf. A. Neher, Prophètes et prophéties, op. cit., pp. 149-51.
QUATRIEME PARTIE 473

de son peuple, il recourt aux moyens courants d’action et d’expression pour donner une

forme sociale à une parole qui autrement, échapperait aux hommes. Les mots et les gestes qui

l’animent le portent vers autrui!: ils relèvent d’une habitude sociale ou alors, s’ils échappent à

la règle, ils se démarquent symboliquement du comportement général pour mettre en valeur un

dysfonctionnement. L’expérience prophétique cautionne ce rapport au monde!: rappelons que

dans la Bible, un simple voyageur, Jonas, se voit contraint de séjourner trois jours dans le

ventre d’une baleine avant d’annoncer à l’infidèle Ninive sa destruction prochaine103 !; Haba-

quq est contraint de signifier aux Babyloniens leur impiété par un ange qui lui empoigne les

cheveux et le transporte d’un seul souffle de Judée en Babylone,104 .

Le David de des Masures est également solidaire du tissu social, à mi-chemin entre

l’homme du commun et l’homme de Dieu. La première partie de David combattant le pré-

sente comme un bethléemite édifiant mais somme toute typique, désigné pour garder le trou-

peau de son père. Certaines actions inhabituelles font néanmoins de lui un signe pour ses

contemporains. On apprend qu’il est sorti vainqueur d’un duel avec un lion et un ours!: cet

exploit fabuleux n’apparaît que pour préfigurer l’issue du combat qu’il mènera contre Go-

liath. L’irruption même d’un géant mythique (le ‘porte-image’ de Satan105 ) en terre de Judée

est une atteinte portée au sacré, on verra par la suite qu’elle coïncide avec une crise sociale et

religieuse qui structure la trilogie de des Masures. Son entrée triomphale dans la ville sainte

figure la victoire de Dieu sur le mal!: le héros ne s’attribue aucun mérite de la victoire, contrai-

rement à l’usage consacré dans ce genre de cérémonies. Il préfère rendre gloire au «!Dieu des

armées!»106 . Voyageur au joug léger107 , il est l’envoyé qui va à la rencontre de son peuple

103
Jon. 2, 1-11.
104
Dan. 14, 33-40.
105
D. C., v. 268.
106
Tel est le thème principal de D. T.
107
Allusion à Matt. 11, 28-30.
QUATRIEME PARTIE 474

pour dénoncer une épreuve et pour l’en délivrer!; il surgit au milieu des troubles pour rétablir

l’ancien équilibre108 .

Mais quel est donc le dysfonctionnement auquel fait face David? Le texte biblique

formule le problème de manière assez sommaire!: les Hébreux ont «!peur!», ont «!très

peur!»109 , un sentiment que le rédacteur décrit comme étant «!la honte d’Israël!»110 . David

combattant réalise une anatomie de ce sentiment. Elle le situe d’abord au cœur, au pecus,

l’organe vital d’Israël!: la nation au complet est «!de cœur failli!» (v. 1128), elle a «!la peur au

cœur!» (v. 311)!; même la tête du royaume, le roi choisi par Dieu, n’arrive à « reprendre

cœur!» (v. 423 et 426). Il en concevra du dépit jusqu’à la toute fin. La menace que représente

Goliath vise le peuple de l’Alliance là même où bat la vie:

As-tu perdu le cœur, Israël? Où es-tu? […]


Que ne vient-il, ton Dieu, que ne vient-il pour toi […]? (v. 1213 ss)

La défaillance des Hébreux, et leur faiblesse principale, vient de ce qu’ils jugent le

monde sur sa strate superficielle et non, comme Dieu, au cœur des hommes et des choses!:

«!le Seigneur […] n’estime les traits dont le corps se façonne!» (v. 1349-50). Ils mesurent

leur force et celles de l’ennemi selon les apparences (D. C., v. 311 ss.), sans compter sur la

puissance de Dieu pourtant à l’origine de leur hégémonie politique.

Ø Le masque des apparences

De longs dialogues entre les frères de David dévoilent l’incapacité des troupes de se

fier, comme Yahvé, sur le fond des êtres – donc sur leur foi, leur amour de Dieu – plutôt que

108
La pièce insiste sur la valeur éternelle de la promesse de Dieu à l’égard d’Israël!(vers 1019-21)!: «!Je vais
au camp voir de Dieu les enfants / Qu’il a promis de rendre triomphants!/ Sur leurs voisins et, de force admi-
rable, / Toujours à eux se montrer secourable. »
109
I Sam. 17, 11 et 24.
QUATRIEME PARTIE 475

sur l’image mondaine qu’ils renvoient. Ils reprennent inlassablement le motif développé par

Samma!:

Surtout et effroyable à voir


Ce géant au visage noir
Qui tant ses menaces redouble
Et de peur les courages trouble. (D.C., v. 651-54)111

Or, dans les Tragédies saintes, les choses telles qu’elles se donnent à voir sont faus-

ses. David surgit dans un univers dont la couche apparente est volontiers maléfique et trom-

peuse!; elle inverse les valeurs et relève du mensonge112 . Le monde de l’illusoire interdit

l’accès ne serait-ce qu’aux vestiges de la vérité. Et les Hébreux s’y méprennent. Satan a per-

verti le monde en un espace dont les repères, les universaux, les évidences ont été recouverts

par des équivalents qui n’en sont qu’un simulacre, un fard, une imposture. «!J’ai mes illu-

sions vaines!»113 , déclare-t-il!: «!Je poursuis et sans cesse ainsi poursuivrai / Au faux ranger le

monde et détourner du vrai!» (D.T., 563-64). Un partage des pouvoirs a ainsi été opéré!: Dieu

règne «!en lumière et en la vérité!», le prince du Mal «!au faux et en l’obscurité!»114 . Ce qui se

donne à voir sur le plan horizontal n’est qu’un tissu de «!faux mensonges, de visages mas-

qués, de fables, de mensonges!»115 !: «!mal semble être bien, bien n’être au mal contraire.!»116

David a donc affaire à un scandale, à une trahison généralisée, une imposture à la mesure de

l’univers par laquelle la nuit peut imiter le jour et le Démon, prendre l’éclat de l’ange!:

110
I Sam. 17, 26.
111
Sur la peur qu’engendre la vue, du Philistin, cf. D. C. v. 311 ss., 587 ss., 646, 1502 ss., etc.
112
Ce thème revient chez Luther, notamment dans sa préface au Psautier de 1524 (in Œuvres, Genève, Labor
et Fides, tome 3, date, pp. 263-67) où la vue apparaît comme un sens moindre que l’ouïe.
113
D.C., v. 232.
114
D. C., 233-34
115
D.C., v. 244-45.
116
D.C., v. 242.
QUATRIEME PARTIE 476

Si qu’obscur imitant ma dignité première


Souvent je me transforme en ange de lumière. (D. C., 237-38)

Dieu choisit donc un berger «!selon son cœur!» pour confondre les apparences, pour

réaliser la remontée du vrai à la surface du monde. Contre les Philistins qui «!viendront [nous]

forcer en ce fort!»117 l’enfant réfute les illusions et redresse Israël selon la logique divine!:

«!En ta vertu, déclare-t-il, le fort je forcerai!»118 . Le fait est entendu, l’une des fonctions dont

des Masures investit son héros est d’incarner l’inverse des simulacres du monde et de défier

les règles qui consacrent, en surface, le puissant et le noble. Certaines caractéristiques bibli-

ques apparentent d’ailleurs David à l’antihéros, auquel il revient néanmoins de faire surgir la

vérité, à rebours!: il fuit la cour, s’exile de son peuple, refuse de triompher de Saül lorsqu’il en

a l’occasion, bref s’interdire les comportements propres à l’homme fort. Dans sa déroute, le

héros de des Masures s’attaquera donc à une échelle des valeurs pervertie!: il redressera un

état de crise pour ramener le peuple à sa vérité première.

Ø «!Je me retire!»!

Il ressort de ce qui précède que face à son peuple et à son histoire troublée, David se

montre lucide et engagé. Il a conscience du gouffre qui sépare l’essence et l’apparence, les

mots et les choses, mais il le traverse comme un météore de lumière. Ce sentiment que le pré-

sent est perverti, que l’état du monde n’est pas conforme à ce qu’il devrait être, caractérise sa

condition sociale. Du point de vue sociologique, cette relation conflictuelle avec la réalité

contemporaine l’amène à osciller entre la tentation de se retirer du monde et celle de s’y plon-

ger complètement, la tentation de recomposer pour lui seul l’ancien ordre et celle de tenter le

117
D. C., v. 610.
118
D. C., v. 543.
QUATRIEME PARTIE 477

corps à corps avec le réel119 . Il en résulte un être paradoxal. Le héros n’échappe pas à la réti-

vité face à l’appel que connaissent nombre des prophètes de la Bible120 . Seule le pousse la

volonté de Dieu qui le convoque et le contraint. Sa préférence est aux champs!:

Autrement seul et loin


Des hommes et du bruit je me retire au coin
De l’hôtel paternel et qu’au séjour champêtre
En gardant mon troupeau le voyant l’herbe paître.
De tes louanges, Sire, à la harpe, à la voix
Je fasse retentir la campagne et les bois.
Là, de nul entendu qui m’ennuie ou moleste,
Mes chansons seulement jusqu’en ton lieu céleste
Toucheront ton oreille. En telle solitude
A rien qu’à te louer ne mettrai mon étude. (D.T., 1077-85)121

Ainsi donc, dans sa modalité la plus schématique de mobilisation, le héros des Tragé-

dies s’arrache à son milieu, à sa famille, à ses conditions de vie, il se soustrait à ce qu’il aime.

Et il se met en route, il marche vers les hommes, il brise un état de fait. Il est le «!survenant!».

Cependant, par rapport à la dynamique sociale, il fait figure de marginal. À l’aise nulle part,

mécontentant par la force des choses les partisans du mensonge et des belles illusions, il n’a

d’autre solution que l’errance. David «!fuit dans un désert sauvage!»122 , se tient «!caché en la

119
Ce contentieux avec un présent en déroute caractérise, selon Northrop Frye, le rapport du prophète de la
Bible à l’histoire : «!Pour le prophète, le moment présent est un fils prodigue aliéné, un moment qui s’est
détaché de son identité propre, dans le passé, mais qui peut revenir à cette identité dans l’avenir.!»!Réconcilier
le passé et l’avenir en agissant sur le présent, telle est précisément l’action du David de des Masures!: en
s’opposant au règne des apparences et en lui substituant une vision du monde conforme à l’esprit de l’Alliance,
il ramène Israël au Dieu qui l’a choisi. N. Frye, Le Grand Code, La Bible et la littérature, Paris, Seuil, 1984,
p. 189.
120
Cf. S. Junod, «!Contrainte divine et rétivité du prophète!», op. cit., pp. 40 ss.
121
Ce passage est à mettre en parallèle avec celui où David justifie son séjour à la cour!: il voudrait bien
vivre en marge des grands, mais Dieu l’y appelle et l’y protège (D. T., v. 993 ss.).
122
D. T., v. 1670.
QUATRIEME PARTIE 478

forêt!»123 , erre parmi «!bois et rochers, […] champs et rivage!»124 . Le désert symbolique qui

l’abrite est l’endroit de la solitude, d’un retour sur soi-même et d’une rencontre avec Dieu,

mais aussi une mise à l’écart du monde et une dénonciation de ses mensonges. Et pourtant,

c’est dans cette même retraite qu’il refait des forces pour répondre à l’appel, pour aller à sa

rencontre!: il quitte ses brebis pour affronter le géant, il sort de la forêt pour surprendre Saül et

lui prouver son innocence. La vérité du message prophétique a besoin de ce retrait pour écla-

ter!: elle obéit à une dialectique de présence-absence au monde qui fait la condition du pro-

phète.

5. Le don prophétique

Le serviteur de Dieu sur la terre est conscient, dans les Tragédies saintes, du paradoxe

relatif à son statut. Il est fragilisé par l’appel qui le pousse vers l’avant et par sa rétivité qui

l’incite au retrait. Cette faiblesse constitutive montre qu’il est une simple créature, en totale

dépendance vis-à-vis du Créateur. Il est un simple instrument dans les mains du Seigneur et

c’est cette dépendance qui explique, dans la tragédie, la succession d’épreuves qui s’abat sur

David.

Nul n’est prophète par soi-même. Aucune détermination, si solide soit-elle, ne peut

obliger Yahvé à envoyer son Esprit!: le talent prophétique est pure grâce. Il est un don gratuit

et bénévole de Dieu à l’égard de son élu, et le bethléemite le reconnaît d’autant mieux qu’il a

été saisi par cette puissance après que Dieu l’eut oint et choisi en dépit de son rang social.

Tout ce que le David de des Masures possède de force, de talent, de discernement, il le doit à

Dieu seul, duquel il dépend intégralement!:

123
D. T., v. 1927.
124
D. F., v. 57-59.
QUATRIEME PARTIE 479

Car quel en moi, quel eût été le bien


Dont j’eusse pu mériter d’être sien [i. e. à Dieu]?
Par quel bienfait en nul jour de ma vie
Ai-je de Dieu la faveur desservie? […]
Donc de sa grâce et bonté le Seigneur
Est de sa crainte à mon cœur enseigneur.
Et ce qu’encor je l’ai en souvenir,
D’ailleurs ne peut que de lui me venir. (D.C., 86 -92)

Rapprocher le don prophétique de la pure grâce, d’un don gratuit et bénévole, c’est

affirmer la souveraineté absolue de Yahvé dans la dispensation de ce charisme. Or, cet état de

fait accentue la fragilité du prophète car la souveraineté complète de Yahvé, indissociable

d’une inhérente liberté, fait de l’envoyé un instrument et un moyen d’expression, non une fin

en soi. Dieu n’est en aucune manière l’obligé des hommes et de leurs désirs. Il peut en tout

moment retirer la grâce à ses élus, revenir arbitrairement sur ses décisions et renvoyer les pro-

phètes à leur statut d’instrument.!»125 .

Les Tragédies saintes illustrent cet aspect de la condition prophétique à travers la fi-

gure de Saül, dont la plainte dénonce essentiellement le repentir de Dieu à son égard et la tra-

gique misère qui en découle!:

[…] ô Sire!!
Veux-tu ainsi me faire exemple de ton ire?
Tu as donc de moi retiré ton esprit?
Tu m’as donc délaissé au Malin qui me prit
Et qui vient m’agiter à tous coups d’une rage? (D. C.)

125
C’est ce que constate André Neher, dans sa réflexion sur les Prophètes et prophéties!: «!La ruah [l’Esprit]
est terrifiante par sa liberté même!; elle apparaît et disparaît au gré de Dieu. Elle est l’altérité, et l’homme
surpris par elle a conscience qu’il est devenu autre.!» La liberté constitutive et absolue de Dieu accentue donc
la vulnérabilité de l’élu, lequel vit non seulement une métamorphose intérieure mais comprend la fragilité de
celle-ci, sans cesse menacée par la réversibilité de la parole divine. Cf. A. Neher, op. cit., p. 93.
QUATRIEME PARTIE 480

La triste histoire de Saül, cet «!homme laissé de Dieu!»126 que le personnage de Satan

compte dans David triomphant parmi les siens127 , ne laisse apparemment pas des Masures

insensible. Le sort de Saül semble ici un coup du destin, moins lié aux égarements du premier

roi cités dans la Bible – les Tragédies saintes passent sous silence les fautes de Saül – qu’à la

liberté consubstantielle à Dieu, laquelle dans la théologie protestante sauve ceux qu’Il choisit

et laisse ceux qu’Il décide d’ignorer. C’est ainsi que dans David fugitif, l’élu de jadis incarne

le déchu, et le dramaturge lui attribue les qualités inverses du nabi!: jadis oint par Samuel, sujet

comme David à l’inspiration divine, il est désormais non-voyant et malentendant, la caricature

même de l’anti-prophète et de l’anti-David. Jonathan s’étonne de le trouver sourd et aveugle

aux œuvres de son contemporain, métamorphosé par rapport à l’homme qu’il était!:

Où est le sens, où est le cœur,


Où sont les yeux de notre père
Qui ces choses ne considère?
Qui ne voit ni entend comment
C’est du Seigneur le jugement? (D. F., 1348-52)

Il est remarquable que des Masures ne fasse pas l’impasse sur le mystère entourant la

liberté divine. Dans l’absolu, si l’histoire n’avait pas été écrite comme elle l’a été, David aurait

donc pu voir l’Esprit l’abandonner. La Troupe des dames d’Israël prie pour la permanence de

la grâce en David!: leur cantique évoque à la fois la possibilité que Yahvé abandonne son ser-

viteur et leur désir de voir Dieu lui demeurer fidèle et loyal, quelles que soient les épreuves qui

se dessinent à son endroit!:

Que si cet heur il [Dieu] veut lui changer, comme


Tout est muable et rien ne dure à l’homme,
S’il veut le jeter bas,

126
D.F., v. 202.
127
D.T., 1457-58.
QUATRIEME PARTIE 481

Que néanmoins de sa crainte en la trace


Il le conduise et que de lui [David] sa grâce
Il ne détourne pas. (D.T., 445-50)

Les Tragédies saintes confèrent ainsi à David une double dimension de force et de

fragilité, de lumière et de pénombre, consubstantielle à sa condition de prophète. Cette dualité

est en soi le signe que seule la présence constante et fidèle de Dieu à celui qu’Il envoie peut

garantir l’authenticité du message qu’il porte et l’origine surnaturelle des actions qu’il doit

accomplir. Livré à lui-même, l’homme de Dieu devient l’envers de ce qu’il était au départ, il

devient un jouet dans les mains du Malin. David découvrira donc la nécessité de faire ses

preuves, il devra montrer à son auditoire que c’est bien Yahvé qui l’accompagne et qui guide

chacun de ses pas. Il lui faudra montrer qu’il est non seulement homme mais vrai prophète, et

qui plus est, prophète du Dieu vivant.

L’épreuve du faux prophétisme

Un certain nombre de prophètes bibliques sont, dans la Bible, suspectés de faux-

prophétisme par leurs contemporains128 . Il y a en Israël et en Juda des prophètes dont les ora-

cles sont à la mesure des pièces d’argent qu’on leur glisse sous le manteau. Amacia voit dans

Amos l’un de ces prophètes vénaux qui vivent de leurs visions et «!mangent le pain!» de

l’idole qui les envoie129 , et Jérémie est accusé de mentir et de s’être vendu à Baruch, fils de

Nériyya130 . Élie affronte pour sa part les prophètes de Baal, Michée les faux prophètes de

128
Cf. Dt. 13, 1-3 et 18, 15-22, qui donne des critères susceptibles de distinguer les vrais des faux-prophètes.
129
Amos, 7, 12.
130
Jér. 43, 1-3.
QUATRIEME PARTIE 482

l’Éternel!; il sera souffleté par l’un d’eux131 . Ni les Rois, ni les Chroniques ne suspectent

David de servir un faux Dieu et encore moins de porter un faux témoignage!; Saül, au plus,

redoute en son rival l’usurpateur du trône. Des Masures déborde pour sa part du cadre de

l’Écriture et soulève la question de l’authenticité prophétique de David!: il pousse, en quelque

sorte, le héros à présenter ses lettres de noblesse, à convaincre son auditoire qu’il appartient au

petit cercle issu du bon grain, dans un contexte où les motifs de son irruption à la cour ques-

tionnent les alliés de Saül. L’engagement du héros dans ce combat est certainement l’un des

aspects les plus originaux de la trilogie réformée!: nous aimerions en dégager les lignes de

force.

L’égide de la prophétie feinte

C’est d’abord Satan qui dénonce l’existence du faux-prophétisme parmi les Hébreux,

rendant obligatoire la vérification des intentions de quiconque se réclame du Très-Haut. Une

vaste lignée de prêtres et de ministres de Dieu, chargés de porter un peu du Verbe divin à la

face du monde, est sous son emprise et vit de corruption. L’allusion au conflit majeur de

l’histoire contemporaine est patente!:

Pour pervertir le sens de la Parole écrite


J’ai et j’aurai entre eux (les enfants du vrai Dieu) une race hypocrite
Qui, portant le manteau de religion sainte132 ,
Montrera par dehors une sainteté feinte. (D.T., 581-84)

Le trouble que ces hommes faux représentent pour la nation vient évidemment du fait que les

Juifs, on le sait, ne reconnaissent plus le bien du mal. Et le dramaturge y voit un miroir du

131
I Rois 22, 21-24.
132
Une allusion, bien sûr, au clergé et à la hiérarchie de l’Église catholique.
QUATRIEME PARTIE 483

temps présent. Satan et ses ministres usent d’un «!faux langage d’ange!»133 , ils masquent les

traits permettant d’identifier la race des faux-prophètes. Dans le destin de David, le scandale

prophétique prend des proportions étonnantes. Le catalogue de ce qu’on lui reproche est sans

fin!: on l’accuse d’être glorieux, faux, malhonnête, irrespectueux du droit d’aînesse, menteur,

de mauvaise foi, de se servir de Dieu pour dissimuler d’autres intérêts134 . L’envoyé passe

pour dévoyé, sous l’impulsion de Satan!:

Satan!: Il feint de Dieu la crainte…


Saül!: Il feint d’avoir à cœur la religion sainte. (D.T., 1627-28)135

En réalité, le prétendu «!beau parler!» de David est soupçonné de cacher des intérêts

politiques qu’une alliance avec Jonathan rendrait effective. Les fils de Saül le croient mu par le

désir de les priver d’héritage136 , de renverser Saül de son trône pour s’accaparer le pouvoir.

En d’autres termes, on le suspecte d’instrumentaliser Dieu afin de servir une insatiable soif du

pouvoir. L’accusation de faux-prophétisme prend l’allure d’une condamnation sans appel

d’intentions machiavéliques volontiers prêtées au héros!:

N’a-t-on pas vu par tel commencement


Un rien venir à grand avancement

133
D. F., 2330-31.
134
D. C. v. 635-37, 1271-73, D. T. v. 233-36, 255-62, D.F. v. 1659-64.
135
Le thème revient régulièrement dans D. T. :
«!Il fait doux, le gracieux, l’honneste,

Et à tous coups le roi il admoneste,

Proteste et dit que ce qu’il quiert n’est pas

Honneur à soi ni triomphe ici-bas.

A Dieu sans plus, selon qu’il donne à croire,

De tous ses faits il rend toute la gloire. »!(D.T., 255-62)


136
D.T., 233-36
QUATRIEME PARTIE 484

Et l’homme bas tendre par voie oblique


À usurper une grand’république? (D. T., 242-45)

Notons que les griefs dont la cour accuse David et l’hostilité manifestée à son égard

dans la trilogie sont sans équivalent dans Samuel et les Rois.

Le David biblique fuit Saül et sa folie et non l’aigreur d’une foule de courtisans. Le

contexte dans lequel la trilogie pose son personnage principal rappelle davantage celui de

marginaux comme Jérémie, en butte aux fausses accusations de la part des institutions au

pouvoir et à l’exclusion137 . Ce pan douloureux de l’expérience prophétique, pain quotidien du

David de des Masures, n’apparaît pas sans raison dans l’économie dramatique!: il permettra

de consacrer le héros en tant que prophète dans la mesure où le psalmiste réfutera les soup-

çons qui pèsent contre lui.!Or, sur ce point, la trilogie se heurte à un écueil théologique!: celle

de pallier le silence de l’Ancien et du Nouveau Testament sur les critères de l’authenticité

prophétique.

137
Nous pensons à Jérémie. Dans le livre qui porte son nom, son isolement est quasi total!: il est seul
contre les rois incapables qui se succèdent sur le trône de David, sa parole est source perpétuelle d’opprobre et
d’avanie. Il est un objet de mépris et d’insultes de parmi la cour et les militaires. Bien que les types prophéti-
ques qu’incarnent David et Jérémie diffèrent radicalement, le sort qui leur est respectivement réservé se rejoint
néanmoins sur certains points!: Jérémie quitte sa famille et se heurte, à Jérusalem, aux rois, aux prêtres, aux
institutions que le pouvoir consacre. Il attire sur sa personne une somme de châtiements, dont le bannissement
et une dizaine d’années passées dans la clandestinité. La seule protection qu’il connaîtra jamais lui vient d’un
notable de Jérusalem qui lui permet d’échapper au sort fatal qui atteint son confrère Ourya (Jér., 20). David,
lui, sera sauvé de la mort par Jonathan. Le lot du prophète biblique est bel et bien l’exclusion ou l’exil, et
c’est sur ce modèle que les Tragédies saintes mettent en scène le héros.
QUATRIEME PARTIE 485

Critères de vérité

La Bible laisse dans l’implicite la théorie de la prophétie vraie138 , Le véritable prophé-

tisme est une expérience à deux, un échange intime entre Dieu et l’homme, mais aucun indice

venu de l’extérieur ne permet d’attester de l’authenticité du prophète!: «!Une vraie prophétie

ne se distingue de la fausse que par l’intuition du vrai prophète!»139 . Puisque la prophétie ne

peut, par des critères objectifs, être prouvée véritable, elle devra au moins – dans un premier

temps!– apparaître vraisemblable pour attirer l’adhésion de l’auditoire. À l’envoyé de trouver

en lui-même les signes, les attitudes, l’èthos montrant que ce qu’il dit vient du Ciel. Au dra-

maturge d’établir, de même, son propre code de la vérité prophétique et d’investir David des

qualités qui rendront vraisemblable et crédible l’authenticité de sa mission. Un pan important

de l’art de des Masures consiste donc à dégager un certain nombre de critères (nécessaire-

ment subjectifs) qui autorisent le vrai, d’élaborer un réseau de signes jugés distinctifs de la

marque de Dieu sur l’expérience humaine. Ces critères, nous les estimons au nombre de qua-

tre!: la conviction intime du prophète, sa sainteté, son inclination à la prière!; le témoignage des

miracles enfin, qui confirment les dispositions intérieures de l’homme réellement habité par

l’esprit.

138
Deux extraits du Deutéronome fournissent un certain nombre de critères permettant d’identifier les faux-
prophète: les «!faiseurs de songes!» annoncent merveilles et prodiges qui ne se réalisent pas, ils se détournent
de Dieu pour suivre des idoles et leur parole reste sans effet. Yahvé les fera mourir (Dt. 13, 1-3 et 18, 19-22).
Matt. 7, 19 on les identifie par leurs mauvais fruits ou leur stérilité!: «!tout arbre qui ne donne pas un bon
fruit, on le coupe et on le jette au feu!». L’Écriture fournit donc un code du faux prophétisme, le reflet en
négatif de ce que n’est et ne sera jamais un vrai prophète. En revanche, elle reste paradoxalement silencieuse
sur les signes distinctifs par lesquels se reconnaîtra ce dernier.
139
A. Neher, op. cit., p. 99. Et il ajoute!: «!Il y a quelque chose de douloureux dans le fait que la vraie pro-
phétie ne se distingue de la fausse que par l’intuition du vrai prophète. Aucun signe estérieur de discrimination.
Rien ne manifeste à l’observateur que la ruah est ruah chéqér, mensonge. Seul le prophète connaît, dans
l’intimité de son expérience, que la ruah est vraie.!».
QUATRIEME PARTIE 486

Ø La certitude intérieure

En tant qu’expérience personnelle et relation sympathique qui procure au prophète une

connaissance privilégiée de Dieu, le prophétisme vrai se vérifie dans ‘le cœur et les reins’ de

l’Élu140 !: celui-ci ressent la certitude de l’appel en son for intérieur et se laisse transformer par

lui. Chez des Masures comme chez les prophètes canoniques, le premier élément permettant

de certifier l’origine proprement divine de la mission de David naît d’une conviction inté-

rieure, laquelle répond à l’exigence philosophique de se connaître soi-même!:

Je sais bien qui je suis et mon devoir honneste


Requiert par cette foi que je vous admoneste,
De vous connaître aussi. (D.T., 91-93. Je souligne.)

Le jeune David se sait prophète en vertu de la lecture religieuse qu’il fait de son propre

destin. Il reconnaît en Dieu celui qui l’a tiré du pâturage, l’a choisi, béni, transformé. De plus,

comme tous les élus, il marche vers son peuple au nom d’une mission surnaturelle, d’un appel

intransigeant et absolu qui altère son identité!: envoyé près de Saül par son père, arraché à son

cadre familier, à ses conditions de vie, à son destin de pâtre pour rejoindre la cour qu’il ne

convoitait pas et à travers elle, aider les siens. Son histoire est exemplaire de l’altération de la

vocation par laquelle Dieu lance l’homme sur une trajectoire qu’il ne soupçonnait pas141 . La

conscience lucide qu’il en conçoit!dégage suffisamment de force, est si pleinement réelle,

qu’elle permet à David de convaincre une partie de son entourage. C’est parce qu’il éprouve,

en lui-même, une présence qui le dépasse et l’entraîne, qu’il résiste sans se briser aux soup-

çons de son peuple.

140
«!Sonder les coeurs et les reins!»!: expression biblique qui désigne la vie intérieure du croyant, ps. 26
(25), v.2.
141
Sur l’altération prophétique, cf. Neher, op. cit., p. 277.
QUATRIEME PARTIE 487

Ø Le saint

La connaissance de l’Absolu amène le David de la trilogie à faire partager à ses

contemporains la lumière qui l’habite. L’adage de Matthieu selon lequel on reconnaît le faux

et le vrai prophète comme l’arbre à ses fruits trouve un écho dans David triomphant!: «!Il

convient que du cœur au dedans / Soient engendrés les effets évidents!» (v. 1434-35)142 . Au

nom de ce principe de convenance, ce système d’harmonies et de cohésions par lequel les

marques d’une extraordinaire noblesse témoignent de la qualité de celui qui les pose et vice-

versa, des Masures raffermit en David le lien entre l’être et le faire!: l’èthos du prophète

rayonne du principe divin qui le définit. Aussi David fait-il preuve d’un heureux caractère à la

hauteur de sa dignité de prophète!: les vices de David, son alliance avec les Philistins, son

adultère avec Bethsabée, bref tous les torts que lui prêtent Samuel et les Rois sont, au long de

la tragédie, passés sous silence au profit d’une sainteté totale du héros. Le «!saint ange de

Dieu!» des Tragédies saintes est humble, aimable, doux, loyal en toutes choses. Les atouts

que lui attribuent Mérob et Michol, beauté, force du corps, bonté, humilité, foi, sens de

l’honneur, découlent d’ailleurs de cette sainteté constitutive143 . David incarne la parfaite adé-

quation entre la personne intime du prophète (l’être) et le personnage qu’il donne à voir, il est

selon ses alliés le type même de l’homme sans tache épargné par le péché originel!:

142
Il est révélateur de la force que des Masures donne à cet argument que sa réciproque se vérifie dans David
triomphant. Ce propos attribué à Satan est à mettre en parallèle avec l’enseignement de l’évangéliste Matthieu
sur les faux-prophètes!:
«!La loi de Dieu feint l’hypocrite

Avoir dedans son coeur écrite,

Mais trop grande est la différence

De l’effet et de l’apparence » (D.T., 885-888).


143
Dans D. T. seulement, v. 605-08, 611, 620, 625 ss., 640 ss., 699.
QUATRIEME PARTIE 488

Nous en lui n’avons point


Vu jamais un seul point
De malheur ni de vice […]
Lui qui est saint et bon. (D. F., 681-87)
Il est à l’image de Dieu, saint comme Lui-même est Saint144 :
Nul n’aime plus ni ne garde en tous lieux
La loi, l’honneur, les mandements de Dieu. (D. C., 157-58)

Il est intéressant de noter que cette appréciation de l’élu en tant qu’idéal de perfection

n’a rien de biblique. David, on le sait, fut pécheur. De même, les plus grands prophètes ne

furent pas aussi purs que leur mission divine l’aurait porté à croire. Isaïe, par exemple, était

impur au sens à la fois rituel et moral du terme!: il habitait au milieu d’un peuple impur et

partageait son mode de vie145 . Ce n’est qu’au milieu du Temple que Dieu fondit sur lui!: pour

en faire son élu, il envoya un ange le purifier par l’action d’un charbon ardent pressé sur ses

lèvres. Seule la vierge Marie permet à Dieu de se creuser un chemin immaculé parmi les

hommes. L’exigence de perfection dont des Masures investit son David relève par conséquent

d’une influence parallèle au monde de l’Écriture, elle relève d’un aspect de sa foi.

La Réforme a en effet élaboré ce que l’on pourrait qualifier de code de déontologie

prophétique, lequel appelle le prophète (assimilé, chez Calvin, au prédicateur146 ) à la sainteté,

voire à la perfection. Dans un sermon sur la 22e Épître à Timothée, le pasteur de Genève ap-

144
Lév., 19, 1.
145
Is. 6, 5.
146
Olivier Millet a montré que chez Calvin, comme chez Luther, Augustin Marlorat, Illyricus et d’autres,
«!la prophétie est moins la connaissance de type spécifique et surnaturelle dont est doué un individu privilégié
qu’un certain type de discours adressant aux hommes, sur un mode particulier, la même parole de Dieu – le
même message!– que l’on entend dns la totalité de la Bible […] À une théorie de la connaissance comme
vision […] est substituée une doctrine de la parole divine dont la prophétie n’est qu’un mode d’exercice particu-
lier.!» «!Éloquence des prophètes bibliques et prédication inspirée!: la ‘prophétie’ réformée au XVIe siècle!»,
Prophètes et prophéties au XVIe siècle, Cahiers V. L. Saulnier no 15, Paris, Presses de l’E.N.S., 1998, pp.
67-68.
QUATRIEME PARTIE 489

pelle les ministres de la Bonne Nouvelle à être des exemples pour leurs ouailles, exigence

qu’il érige en condition essentielle à l’efficacité de la parole vraie. Dans la pure tradition aris-

totélicienne147 , Calvin définit le caractère moral de l’orateur comme la condition susceptible de

donner à toute prédication (donnée comme équivalent de l’acte prophétique) une force de vé-

rité, et donc de persuasion!:

Si je prêchais de constance et qu’il faut être ferme, et cependant qu’on me


connaisse couard, et qu’en toutes choses, là où il faut se montrer vertueux, je me
retire loin des coups, tout ce que je pourrais dire aurait-il quelque vigueur pour
émouvoir les auditeurs? Si je prêchais de sobriété, et qu’on me connût un ivro-
gne!; si je prêchais de chasteté, et que je fusse un paillard, bref, que la vie ne ré-
pondît point, de quoi servirait tout ce que j’aurais prêché, sinon pour mettre en
opprobre la doctrine que je porterais?148

Celui qui annonce une parole de Dieu doit, selon Calvin, vivre en conformité avec le message

qu’il porte et respecter le decorum peculiare lié à sa personne et à son rang. Son authenticité

apparente et sa force de conviction en dépendent. La même idée appliquée à David revient

également chez Luther dans la préface au psautier de 1524, qui érige David en modèle de

sainteté!: dans sa qualité de psalmiste, l’inspiré apparaît comme «!le chef même de tous les

saints!»149 , la figure messianique par excellence en laquelle toutes les vertus de Dieu trouvent

à s’exprimer. Le testament des psaumes suffit, selon lui, à faire l’éloge de l’artisan!: ils rap-

147
Cf. Rhétorique, I, II, 4!: «!C’est le caractère moral (de l’orateur) qui amène la persuasion, quand le dis-
cours est tourné de telle façon que l’orateur inspire la confiance.!». Trad. C.-E. Ruelle revue par P. Vanhemer-
lyck, Paris, Le Livre de Poche, Librairie Générale française, 1991, p. 83.
148
J. Calvin, 22e sermon sur la 2e épître à Timothée, cité après R. Stauffer, Interprètes de la Bible. Étude sur
les réformateurs du XVIe siècle, Paris, Beauchesne, 1980, p. 209.
149
«!Dans ce livre [des psaumes], en effet nous ne trouvons pas seulement ce qu’un ou deux saints ont fait,
mais ce que le chef même de tous les saints a fait, et que tous les saints font encore!; nous y voyons quelle
attitude ils prennent envers Dieu et les hommes, amis et ennemis, et quelle conduite ils tiennent dans tous les
QUATRIEME PARTIE 490

portent les œuvres excellentes et les paroles de David sous un jour propre à l’édification150 .

Comme son œuvre fut divine et parfaite, David fut aussi un personnage prophétique, une fi-

gure christologique incontestable. Conformément à ce double éclairage théologique, le héros

des Tragédies saintes se montre prophète en vérité en ce qu’il épouse en tous points, dans

son être, ce qu’il prêche par la parole et l’exemple!: le salut de Dieu pour le peuple qu’Il aime,

lequel commande à chacun de se montrer fidèle et de tendre vers la sainteté. La perfection

inhérente au personnage de David apparaît comme une condition pour que la tragédie atteigne

son but didactique!: elle inscrit définitivement l’esthétique desmasurienne du côté de

l’appréciation réformée du phénomène prophétique et dans un certain art de convaincre.

Ø La prière

Parmi les critères permettant d’authentifier la vérité prophétique de David, la propen-

sion à la prière et l’efficacité de celle-ci délivrent encore le héros des soupçons qui pèsent sur

lui. Comme la sainteté, elles participent également du decorum et des manières propres à

l’homme de Dieu. Le David de l’Écriture a beaucoup prié, inutile d’y revenir. Les prophètes

bibliques prient aussi et leur prière monte vers Dieu comme un cri personnel, non pas dicté

par l’Esprit mais par les assauts d’un cœur éprouvé. Elle est!l’irruption du spontané face à

l’obligation de la prophétie151 . Dans les Tragédies saintes, les prières sont de deux sortes!:

les prières d’action de grâce, les plus nombreuses, par lesquelles le héros remercie Dieu de

ses bienfaits et réaffirme sa certitude que tout bien vient de Dieu, et les prières de pétition,

dans lesquelles le héros implore un secours divin qui ne saurait faire défaut au véritable élu.

Ces deux types d’invocation placent immanquablement l’homme et son destin devant

périls et les souffrances!; de plus, le psautier renferme toutes sortes d’enseignements salutaires.!» Martin
Luther, préface au Psautier de 1524, in Œuvres, op. cit., p. 263.
150
Idem.
151
Cf. Neher, op. cit., pp. 307 ss.
QUATRIEME PARTIE 491

l’Éternel et soulignent le partenariat qui s’est établi entre le prophète et son Seigneur. Dieu

comble et sauve seulement le prédestiné152 duquel monte un appel sincère et ce, quel que soit

le péril dans lequel il se trouve!:

En ce désert nous consume et nous mine


La peur tremblante et la triste famine.
Près de la mort ici nous sommes mis.
Forte est sur nous la main des ennemis
Qui vient armée à force nous poursuivre.
Mais ton secours, ô Seigneur, nous délivre. (D. F., v. 409-14)

La marque, le signe que David n’est pas un loup déguisé en brebis vient de ce que chacune de

ses prières entraîne des effets immédiats qui sont le signe que Dieu l’accompagne là où il va.

L’efficace, dans la trilogie et tout particulièrement dans David fugitif, se réfère à la propriété de

la prière d’engendrer invariablement un sentiment de grâce chez l’orant qui le conduit vers

une victoire matérielle ou spirituelle!; ses mots ne résonnent jamais dans le cœur de l’élu véri-

table sans activer en lui le souvenir et le sentiment que Dieu l’exauce de toute éternité, et sur

cette certitude se fonde l’espérance du psalmiste. «!Le Tout-Puissant toujours de près assiste /

À quiconque de cœur à l’invoquer persiste!»153 , lit-on au prologue de la trilogie, et cette as-

sistance est un signe visible de l’élection!:

Jamais ne t’ai prié, mon Père, mon Sauveur,


Que je n’aie éprouvé envers moi ta faveur. (D. F., v. 1811-12)

Cette faculté d’identifier l’homme de Dieu grâce aux effets (intérieurs ou extérieurs)

de sa prière rappelle, une fois de plus, un paradoxe de Calvin. Dans son Institution chrétienne,

152
Plusieurs passages présentent David comme un fidèle d’exception que Dieu prédestine au salut!: cf D. C.,
1243-44, où Satan déclare!: «!Je crains fort David et que Dieu ne dispose / Dès le temps éternel en lui quelque
grand’chose!». Également D. C. v. 78-82, etc.
153
Ép. à Brun, v. 77-78.
QUATRIEME PARTIE 492

le pasteur affirme qu’aucune prière de supplication (bien qu’elle soit souhaitable et néces-

saire) ne saurait infléchir la volonté divine sur le destin des hommes et sur le cours des cho-

ses!: le Très-Haut accorde ses bienfaits volontairement, mais il «!veut que nous reputions les

benefices qui nous proviennent de sa liberalite gratuite avoir esté octroyéz à noz prieres!»154 .

La prière n’a pas de réelle incidence sur le déroulement de l’histoire mais elle permet aux

croyants de rendre à Dieu ce qui est à Dieu. En revanche, si une parole inspirée, qu’elle soit

prière ou parole d’Écriture (ou les deux, comme c’est le cas chez David), se révèle efficace,

elle est le signe que le croyant compte parmi les élus et que l’Esprit saint éclaire son intelli-

gence!:

La parolle de Dieu est semblable au soleil!: car elle reluyt à tous ceux ausquelz
elle est annoncée!: mais c’est sans efficace entre les aveugles. Or nous sommes
tous aveugles naturellement en cest endroit!; pourtant, elle ne peut entrer en
nostre esprit, sinon que l’Esprit de Dieu, qui est le maistre intérieur, luy donne
accez par son illumination.155

L’efficacité de la Parole, placée sous l’égide du maître intérieur, tient donc chez Calvin de la

doctrine de la prédestination. Le plus élégant des discours théologiques n’a en soi aucune

prise véritable sur ceux qui l’écoutent, et encore moins sur le monde, si une force supérieure

n’agit pour le rendre opératoire!: toute efficacité de la Parole est imputable à l’œuvre lumi-

neuse de l’Esprit chez ceux qu’Il a choisi d’éclairer. Ainsi, les passages des Tragédies sain-

tes où Dieu semble exaucer les prières de David sont un signe supplémentaire que le héros est

conforme à celui qu’il prétend être!: ses suppliques ont une force persuasive car ils engen-

drent des effets qui révèlent aux spectateurs qu’il est véritablement un envoyé de Dieu pour

154
Jean Calvin, Institution de la religion chrestienne, éd. J. Pannier, Paris, Belles Lettres, 1961, t. III, p.
137. Je souligne.
155
Idem, tome II (éd. Belles Lettres, 1961), pp. 31-32.
QUATRIEME PARTIE 493

opérer dans le peuple et à la cour de Saül une œuvre salutaire. Les mots ne requièrent ni fard,

ni artifice rhétorique. Ils sont simples et clairs, à l’image de l’élu qui les prononce.

Ø Le miracle

L’aptitude de David à opérer des miracles apparaît dans les Tragédies comme un ul-

time motif de crédibilité à l’endroit du jeune David. Une fois encore, pas plus qu’elle ne décrit

David en sa jeunesse comme un saint, la Bible ne présente aucun des succès de David comme

des miracles. Dans l’affaire de Goliath par exemple, elle se borne à aligner des faits héroï-

ques!; dans le récit de la mise en déroute de l’ours et du lion, la puissance et le courage de

David seuls sont exaltés!; Dieu accompagne son héros mais ne le délivre de ses ennemis par

aucune action surnaturelle. L’expérience du berger des Rois reste bien en marge de celle d’un

prophète comme Isaïe, auquel il fut donné de recevoir l’assistance divine sous la forme d’une

lueur vermeille, surnaturelle, au milieu d’une tempête (Éz. 1), ou de celle d’un Daniel, que le

Seigneur protégea des lions affamés de la fosse (Dan. 6). En David ce n’est pas l’impossible

qui se réalise, mais le possible. Il accomplit de grandes choses avec des moyens humains, en

invoquant l’aide du Très-Haut.

L’œuvre de des Masures présente un léger décalage avec l’esprit de la Bible. Elle dé-

signe certains exploits du héros comme autant d’événements extraordinaires qui!relèvent di-

rectement de l’action divine!: la victoire de l’enfant contre le géant est qualifiée par la Troupe

de «!miracle authentique!» (D. T., v. 459) et la tête du Philistin fichée au bout d’une lance est

l’illustration avérée de ce même «!miracle!», de cette action surnaturelle!:

Seigneur, la tête fière au bout du glaive jointe


A ton peuple aujourd’hui soit évident le spectacle
Pour de ton grand pouvoir témoigner le miracle. (D.T., 1528-30)
QUATRIEME PARTIE 494

L’homme David, en bon réformé, n’a rien accompli que Dieu n’ait préalablement dis-

posé à son égard. Si ses actions revêtent l’apparence du miracle, c’est le signe que Dieu lui-

même porte témoignage à son héros.

La réussite de David à couper un pan du manteau de Saül dans David fugitif, remar-

quable mais somme toute à la portée d’un stratège habile et rusé, compte également au nombre

de ces «!miracles!» que Des Masures dérive du texte biblique. On se serait attendu, à propos

du caractère divin et proprement miraculeux de l’exploit, à une solide argumentation mais la

tragédie s’y soustrait habilement. Les dehors de miracle suffisent ici à identifier l’irruption du

sacré dans l’histoire humaine. L’ombre d’un paradoxe herméneutique plane de ce fait sur

l’économie de la pièce!: les merveilles réalisées par David relèvent du paraître et de la catégorie

du vraisemblable, elles devraient donc s’apparenter au mensonge, or elles échappent à

l’accusation de fausseté qui traverse la trilogie. Le dramaturge résout cette obscurité par le

témoignage de Satan!: s’adressant à lui-même, le Malin reconnaît que les prodiges que David

fait dérouler sous ses yeux, notamment son incursion dans la tente du roi, ne relèvent pas de

son œuvre maléfique et échappe à l’emprise du faux et du mal!:

Il faut bien qu’en ce lieu


Soit du ciel un miracle et une œuvre de Dieu. (D. F., 2137-38)

Le témoignage de Satan sert de critère permettant de distinguer le faux du vrai prophète et de

placer ce vrai sous l’égide de Dieu et de son action miraculeuse. Ce que David a entrepris,

c’est bien Yahvé et Yahvé seul qui l’accomplit à travers lui, et ce qu’il donne à voir ne peut

induire la foule en erreur.

Il apparaît donc que l’action du Yahvé des Tragédies saintes est comparable à celle du

metteur en scène!: c’est lui qui dirige l’action sur le théâtre du monde, qui met en déroute

l’armée philistine, c’est lui qui confine les soldats de Saül dans une torpeur aveuglante, c’est

lui qui agit par l’intermédiaire d’un prophète dont l’action le révèle. Or ce mouvement specta-
QUATRIEME PARTIE 495

culaire d’un Dieu caché à travers la personne de son envoyé, cette approche divine du monde

doublée d’un retrait, des Masures l’appelle miracle. Il est l’irruption de l’en-soi divin dans

l’histoire, le sceau de vérité qui caractérise les œuvres accomplies par David. Le miracle appa-

raît comme le signe certain, adapté à l’intelligence de tous, de l’authenticité prophétique. Il est,

dans l’ensemble de la trilogie, la signature de Dieu sur l’œuvre vivifiante de son prophète.

L’art prophétique

L’èthos prophétique concerne la totalité de la personne, corps, âme, mise en œuvre des

forces vitales. L’impression favorable qu’il laisse sur les témoins convainc parce qu’il ac-

corde un bon caractère avec la noblesse d’une charge divine, conformément à la tradition du

«!vir bonus dicendi peritus!»156 et à l’harmonie induite par la notion de decorum. L’activité

prophétique relève ainsi de la faculté de convaincre, faculté qui concerne à la fois ce que le

prophète montre de son tempérament et aussi, bien sûr, de ses paroles et du style oratoire qu’il

adopte. Elle repose essentiellement, croyons-nous, dans les mains de l’élu. Cet aspect de

l’activité prophétique n’a d’ailleurs pas échappé à Samuel Junod lorsqu’il formule l’existence

d’un «!art prophétique!» au sujet du type d’énonciation favorisé par le narrateur des Tragi-

ques d’Aubigné!: le narrateur des Tragiques serait selon lui tout absorbé dans le travail de

révélation propre au processus prophétique qui lui demanderait de composer lui-même, pous-

sé par l’inspiration, les harangues à son peuple157 . L’esprit de vérité (la ruah) qui inspire

l’homme de Dieu laisse en effet à celui-ci le soin de choisir le style, les mots, le ton de la voix,

l’organisation du discours (ce que l’hébreu désigne appelle le davar)!: il n’est pas un porte-

parole passif du Très-Haut, dont il recevrait le mot à mot, mais l’artisan appelé à mettre en

156
Quintillien, Institution oratoire, 12, I, 1.
157
Op. cit., pp. 61 ss.
QUATRIEME PARTIE 496

forme un discours, reflet de son talent et de sa sensibilité. C’est ainsi que pour Thomas

d’Aquin158 , le souffle de Dieu touche prioritairement l’esprit du prophète et stimule son intel-

ligence afin qu’il comprenne ce qui lui est montré!: là, à cette étape de la révélation de Dieu à

son émissaire, s’arrête, selon lui, le processus prophétique. Reste alors à celui qui a reçu

l’intelligence d’un mystère à mobiliser sa voix et son style oratoire pour mettre en forme, par

des moyens qui lui sont propres, le message divin!: il portera en public une annonce, il se fera

prophète pour son auditoire. Cette manière tout à fait personnelle de s’exprimer constitue

l’essence du decorum propre au héros desmasurien. Aussi curieux que cela puisse paraître, il

existerait donc chez lui, à côté de l’inspiration divine, un art prophétique et des mœurs oratoi-

res susceptibles de promouvoir l’origine divine d’un discours provenant d’un être éclairé par

la grâce. Il place le prophète en position d’énonciateur et de traducteur, chargé de couler dans

les vases d’argile des mots une connaissance de Dieu sublime et impétrifiable.

Chez les contemporains de des Masures, l’existence d’un art prophétique ne semble

pas incompatible avec la notion d’inspiration. L’ambivalence du cardinal Bellarmin à ce sujet,

bien qu’elle provienne d’une autorité catholique, est d’ailleurs symptomatique de la conjonc-

tion entre l’intérêt que cette idée soulève chez ses contemporains et un certain air du temps.

Même si le prélat nie dans un premier temps toute participation personnelle des prophètes à la

mise en forme des divins oracles, il n’hésite pas à parler de «!génie!» et de «!mémoire!», et

donc d’une certaine forme d’art, lorsqu’il décrit l’activité prophétique de David!:

En effet, pour révéler les prophéties, les écrivains sacrés ne faisaient aucun travail
de pensée, de discussion, de mémoire!; ils disaient simplement, ou ils écrivaient
ce que Dieu leur faisait voir. […] [Mais] Lorsque David chantait dans ses psau-
mes les bienfaits de Dieu, ou ses propres disgrâces, ou les malheurs de son peu-
ple, il s’aidait, en composant ces récits, de sa mémoire et de son génie, bien qu’il
fut en même temps excité et dirigé par l’inspiration divine. S’agissait-il de pro-

158
Thomas d’Aquin, Somme théologique, question 171, art. 1.
QUATRIEME PARTIE 497

phéties, comme dans ce psaume? Il ne les regardait pas comme son ouvrage, il
reconnaissait n’y avoir contribué que par le secours de sa voix ou de sa main.159

Pour le théologien, le secours de la voix et de la main n’exclut pas l’apport du génie

personnel et de l’autobiographie. Les réformés reconnaissent également que dans son minis-

tère prophétique, l’instrument que Dieu s’est choisi pour porter sa Parole n’est pas une nature

neutre et encore moins une nature morte, une sorte de gramophone efficace amplifiant de ma-

nière mécanique un message déjà mis en forme jusqu’aux moindres inflexions de la voix. Le

rôle de prédicateur que Calvin, Luther, Flacius Illyricus, Génébrard et d’autres prêtaient, selon

Olivier Millet, aux prophètes du temps de la Réforme impliquait précisément une participation

active de l’homme dans l’énonciation de la connaissance divine, et donc le respect d’un cer-

tain decorum.160 . En revanche, dans l’esprit de la sola scriptura, il apparaît que le bon pro-

phète doit respecter intégralement la Parole biblique et ne rien lui ajouter de sa propre autorité.

Un protestant comme des Masures ne pouvait s’ériger comme porte-parole du protes-

tantisme et ignorer dans le même temps l’interdit calviniste pesant sur la notion d’auteur.

Toute œuvre de création, même la plus innocente, porte le sceau de la corruption si la marque

de la grâce ne vient l’en délivrer. Se vouloir auteur, créateur d’un discours personnel aussi

bien que littéraire, et s’en porter garant, c’est renouer avec le péché originel, c’est faire œuvre

de vanité. «!Qui invente […] ment!», affirme des Masures dans son épître «!À Brun!»161 . Son

David n’est donc pas un créateur!: il marche sur un chemin qu’un autre a déjà tracé pour lui.

159
[E. Daras], Explication des psaumes par le cardinal Bellarmin, Paris, Louis Vivès, 1855, t. 1, pp. 468-69.
Bellarmin analyse ici la dimension prophétique du psaume 44.
160
«!Dans ses sermons sur Ézechiel, Calvin souligne à plusieurs reprises le fait que les visions («!figures!»)
que ce livre contient n’ont de sens et d’utilité que dans la mesure où elles sont accompagnées de la parole, ou
«!voix!». […] À une théorie de la connaissance comme vision […] est substituée une doctrine de la parole
divine dont la prophétie n’est qu’un mode d’exercice humain particulier.!» O. Millet, op. cit., p. 68. Je souli-
gne.
161
Ép. Brun, v. 183, et sa reformulation dans le prologue de D. C., v. 15-17.
QUATRIEME PARTIE 498

Il est tentant de lire, dans cette réplique de David partant pour le camp de Saül, une métaphore

de la voie esthétique que choisit David. Il ne crée pas, il suit!:

J’irai sous toi, mon Dieu, qui marche le premier. (D. F., v.1868)

Le prophète n’ajouterait par conséquent à la Révélation rien de sa propre initiative!: son apport

dans l’annonce prophétique (verbale ou active) est passé sous silence, laissant aux spectateurs

le soin de faire la part entre ce qui vient de Dieu et ce qui vient de l’homme, soit la mise en

forme. Mais le dramaturge limite autant que possible la part personnelle du psalmiste, dans la

composition de ses psaumes par exemple. David revendique pour lui-même un statut

d’instrument, réservant au seul Artiste digne de ce nom honneur, louange et gloire!:

C’est lui [Dieu] qui met son honneur en ma bouche


Et à son los. Quand ma harpe je touche,
Ma main conduit et de chacune corde
Les différents accords il contr’accorde. (D. C., v. 93-96)

La trilogie fait donc de la mort à soi, de l’effacement du moi revendiqué en faveur de

l’absolu, une marque distinctive de la personnalité oratoire de David. Elle érige en principe

dramatique et artistique une metanoia du héros conforme à l’esprit de la Bible162 . C’est pour

cette raison qu’au fil de la trilogie, la part habituellement reconnue au bethléemite dans la

transmission de la connaissance divine (ne serait-ce que son véritable génie poétique) est

constamment niée au profit d’un idéal de transparence entre les paroles du prophète et celles

de son mandataire. Aucun artifice rhétorique ne filtre dans le discours du personnage, lit-on

162
Le récit de la montée au pouvoir de David dans les Rois comporte, comme la plupart des récits de vocation
prophétique, un récit de vérité qui dévoile à l’élu la part de l’Éternel dans les affaires touchant de près sa vie.
L’oracle de Nathan révèle la part de Dieu dans le destin de David!: « C’est moi [dit Yahvé] qui t’ai pris au
pâturage, […] j’ai été avec toi partout où tu allais, etc.!» ( II Sam. 7, 8 ss.) Le héros est l’instrument placé
dans les mains de Dieu. Il fait l’expérience d’une metanoia, d’un effacement de soi.
QUATRIEME PARTIE 499

dans le prologue de David triomphant. L’homme-David ne fait pas écran au mystère qu’il

révèle, il est au contraire possédé par un Esprit qui investit ses moindres expressions de l’effet

d’une sorte d’épiphanie divine, une expression directe de Dieu. David ne crée pas, il répercute

intégralement un divin apprentissage!:

Pensez-vous de David la geste et la faconde


Etre bien provenant de la terre féconde?
Non, non. Ce qu’il sait faire et parler il l’apprit
Du seul Père céleste et de son saint-Esprit. (Prol., D.T., 21-24)163

Dieu est le «!seul auteur!»164 de tout ce qui émane de David, le seul maître dans l’art de porter

aux autres un peu de l’essence divine. Le style de David, révélateur du decorum qui le

confirme comme prophète, sera donc dans l’esprit de des Masures un écho du «!style divin!»,

sa transposition par l’Esprit dans les limites du langage humain.

Le refus de l’ornemental

C’est un fait avéré que la langue des David témoigne de ce que Dassonville appelle la

«!conversion!» de Louis des Masures165 . Conversion certes religieuse (elle eut lieu vers 1530)

mais aussi et surtout esthétique. Lorsqu’il écrit ses Tragédies saintes, l’auteur d’un élégant

Discours jadis adressé à Ronsard abandonne les figures de style chères aux poètes de la

Pléiade pour mieux adopter un style simple, voire commun, dénué «!de néologismes, de mots

163
On peut mettre ce passage en parallèle avec cette réflexion de Calvin, selon lequel quand le prédicateur
parle, c’est Dieu lui-même qui s’adresse aux hommes!: «!Quand l’Évangile se prêche au nom de Dieu, c’est
autant comme si lui-même parlait en personne.!» Et il ajoute:!«!Ce n’est donc qu’un son qui s’évanouit en
l’air que la voix de l’homme, et toutefois, c’est la puissance de Dieu en salut à tous les croyants.!» Troisième
sermon sur l’élection de Job et la réjection d’Esaü, cité après Stauffer, op. cit., p. 185.
164
D. T., v. 389. Voir également D. C. 172-73 et 1701-04, D. T. v. 357-60 et 378-84, D. F. 1210.
165
Introduction aux Tragédies saintes, op. cit., p. 229.
QUATRIEME PARTIE 500

composés, d’adjectifs substantivés, de diminutifs, de termes techniques ou savants!»166 , bref

de toutes les fleurs de rhétorique fort appréciées des amateurs du Parnasse. La langue qu’il

prête à David est conforme au parler local des années 1560-1563 et résiste à l’éloquence poi-

gnante du style tragique. Pour Dassonville, elle répond au souci didactique cher aux hugue-

nots d’être compris de tous, «!grands et petits, hommes et femmes!». Dans l’économie de la

trilogie, elle correspond aussi à l’idée que le dramaturge se fait de l’éloquence de Dieu, une

parole sobre et dépourvue de fard, limpide comme une source.

L’opposition entre Dieu et Satan trouve un écho dans le parler des personnages de la

trilogie. La subversion du monde et des apparences opérée par le Malin au sein du peuple

hébreu amène les détracteurs du prophète à placer le mensonge sous le signe du langage doux

et poli. Nous en avons vu un exemple précédemment dans David fugitif!: le Malin use d’un

«!faux langage d’ange!»167 pour s’attirer des adeptes!: de la rhétorique céleste, il garde

l’écorce et jette le fruit. Le fin, le lisse, le délicat, toutes les catégories relevant d’un travail

d’artiste tiennent, dans la pièce, du mensonge. Les courtisans de Saül ont un «!parler flat-

teur!»168 , facile, léger. Doeg dissimule au roi ses funestes projets par un style léché, pris en

otage par Satan et la foule de ses courtisans!; il cherche davantage à enfoncer Saül dans ses

erreurs et son amertume qu’à aimanter son esprit vers un travail sur la vérité!:

Ma langue plate
À son gré [au gré de Saül] le traite et le flatte.
Demain au plus matin faut-il
Que d’art cauteleux et subtil
À l’œuvre entrepris je labeure. (D. F., 1003-07)169

166
Idem, p. 230.
167
D. F., v. 2330.
168
D.T., v. 103 et 176.
169
Ce passage fait écho aux moyens mis en oeuvre par Satan pour persécuter David!: «!Je ferai, caut et fin, /
Usant d’astuce et d’art, / Que plus en nulle part / Il ne trouve radresse / À sa peine et oppresse!». (D. F., v.
1606-10).
QUATRIEME PARTIE 501

Ce qui relève de l’«!art cauteleux et subtil!», deux adjectifs que la traduction de Marot

du «!Notre Père!» fait porter au Malin170 , des Masures l’associe donc au poison!: les paroles

de miel injectent du fiel dans l’esprit de l’auditeur, elles lui enlèvent petit à petit la vie et

l’acheminent vers une mort de l’âme171 . Elles ne sont douces que dans l’inversion de pers-

pective que permet l’emprise du Mal sur ce monde. Parallèlement, l’humanité même de la

personne est mise en cause par le discours des méchants!: dépourvu de fard, celui-ci équivaut

à «!braire!» et à «!crier!», il inscrit le locuteur dans un réseau lexical propre non pas à

l’homme, mais à l’animal. La bestialité déguisée de leur propos est une déformation du beau

au profit des catégories de la rudesse et de la brutalité. Par conséquent, ce n’est plus par la

parole que l’homme se distingue des autres animaux, comme l’affirmait Luther!dans sa pré-

face au psautier172 !: la parole ornée est ici le fait l’homme perverti en bête, elle est la négation

même de ce qu’est, par essence, l’être humain.

Dès lors, il coule de source que l’éloquence du prophète desmasurien, contrairement à

la rhétorique des flatteurs, se définit par son refus de l’ornemental. Le registre verbal de celui

qui porte la parole vivifiante de Dieu présente les qualités du remède!: ni goûteux, ni particuliè-

rement relevé, il se contente d’être ce qu’il est, peu élaboré mais salutaire. Le principal prota-

goniste des Tragédies n’agrémente ses propos d’aucun phénomène de mode, il choisit la

clarté, critère du vrai, comme de règle d’expression. Sa parole est à l’image de la rhétorique

desmasurienne,

[…] entièrement exempte des mensonges forgés et des termes nouveaux


Qui plaisent volontiers aux humides cerveaux

170
La traduction du «!Notre Père!» par Clément Marot porte!: «!Mais du Maling cauteleux, et subtil
[…]!». Cf. Œuvres poétiques, op. cit., t. 1, p. 390.
171
D. F., 1037-40.
172
«!Aussi bien n’y a-t-il en l’homme nulle oeuvre plus noble que la parole. C’est par la parole que l’homme
se différencie le plus d’autres animaux, plus que par l’apparence physique ou par d’autres oeuvres. »Op. cit., p.
264.
QUATRIEME PARTIE 502

Des délicates gens, voulant qu’on s’étudie


De rendre au naturel l’antique Tragédie. (Ép. Brun, v.170-74)

Le parler humble caractérise l’éloquence du prophète, en vertu d’un parti pris rhétorique érigé

en principe!: «!le parler et la façon modeste du cœur!» dira le dramaturge, «!souvent l’honneur

atteste!»173 . Aussi David s’exprime-t-il par des termes simples qui se veulent un écho au lan-

gage de la Bible. Le decorum qui le constitue en tant qu’orateur consiste à n’estimer aucun

des traits dont l’élégance se pare, il se contente d’une expression «!simple, innocente et

pure!»174 . Il fait écho à l’exigence de sobriété inhérente à la vérité contenue dans la définition

du style biblique selon Calvin!:

[…] les hauts secretz du royaulme céleste nous [ont] esté baillés soubz paroles
contemtibles sans grand’éloquence!: de peur que s’ilz eussent esté fondez et en-
richiz d’éloquence, les iniques eussent calumnié qu’en icelle toute sa vertu eust
esté colloquée. Or maintenant, puis que telle simplicité rude et quasi agreste
nous esmeut en plus grande reverence, que toute la faconde des Rhetoriciens du
monde, que pouvons nous estimer, sinon que l’Escriture contient en soy telle
vertu de verite qu’elle n’a aucun besoing d’artifice de paroles!?175

Pour Calvin, l’éloquence du ciel s’oppose à la manière des rhétoriciens, aussi corrompue que

le monde après la chute. Elle se passe volontiers du voile poétique et choisit le simple pour

confondre le fort. De la même manière, c’est par la vertu de la parole nue, sans fard ni parure,

que le David de des Masures résistera aux assauts de Satan!: il vaincra les forces du Mal en

offrant une opposition ferme aux procédés antéchristique de l’expression double et douce-

reuse. Il gagnera la guerre des mots non pas avec les armes du savant, mais avec celles, dé-

concertantes, de l’enfant.

173
D.T., v. 1406-07.
174
«!À!Brun!», v. 181.
QUATRIEME PARTIE 503

La parole en temps de guerre

L’opposition inévitable entre la parole dite ornée et la parole commune est le symp-

tôme d’un conflit plus profond, de la rupture entre deux ordres qui refusent de coexister et

conséquemment, s’affrontent. La division du monde entre une strate superficielle qui déguise

sous le manteau de l’honorabilité des intentions perverses et une strate souterraine qui aspire à

restaurer l’adéquation de l’être et du paraître ne peut qu’affecter l’homme du profond, celui

que Dieu envoie pour porter son message176 . Elle fait appel à ses qualités de guerrier, à son

engagement pour briser la couche superficielle des choses et faire surgir, enfouie sous une

montagne de décombres inutiles, la vérité en haillons. Les Tragédies saintes montrent effecti-

vement en David le combattant, le naziréen de la tradition hébraïque177 investi dans une lutte

sacrée pour la défense de la foi!: elles mobilisent en lui le maniement d’armes rhétoriques

comparables à celui de l’arme pastorale, des armes destinées à désarmer l’adversaire, à laisser

une marque et à vaincre. Les pièges rhétoriques auquel il s’attaque sont cependant de taille, ils

abritent la mort et déchaînent son empire.

Chez les alliés et les victimes de Satan, l’acte de parole est clairement envisagé comme

le prélude à une action meurtrière!: il évoque la métaphore tranchante du psaume 52, «!Ta lan-

gue, comme un rasoir effilé, / rumine le crime, artisan d’imposture!»178 . La profération est un

instrument de mort, elle pique, elle coupe, elle transperce l’esprit de celui qui l’entend. Dans la

175
Institution de la religion chrétienne, op. cit., tome 1, pp. 68-69.
176
Selon Neher, «!Cette disposition à la lutte sacrée est un trait dominant du prophétisme biblique!»!(op.
cit., p. 172) : elle est un autre trait de la mission prophétique de David.
177
Neher en donne la définition suivante!: «!Le naziréat a existé tout le long de l’histoire hébraïque, sans
cependant se manifester sous la même forme. La forme morale prédomine dans le code du nazir (Nb, 6)!; ail-
leurs, l’élément ascétique apparaît, mais on perçoit encore autre chose : le nazir est équipé pour le combat!;
l’acceptation des voeux décuple en lui les forces physiques!; c’est un lutteur. » Du temps des juges jusqu’aux
premiers rois, ces luttes sont essentiellement des guerres à vocation religieuse visant à délivrer les Hébreux de
l’invasion des infidèles. Elles sont «!un trait dominant du prophétisme biblique.!» Op. cit., pp. 171-72.
178
Ps. 52 (51), 4. La parole des faux est également comparée à une épé et à une flèche au Ps. 64 (63), v. 4-5.
QUATRIEME PARTIE 504

bouche de Doeg, elle est une flèche au curare décochée en direction de Saül pour l’envahir de

pensées morbides et l’attirer vers ceux que le Mal dirige. Sa langue atteint l’esprit du roi

«!d’un coup de trait!»179 et répand en elle sa liqueur maléfique!:

Mon venin goutte à goutte


coule au cœur du roi qui m’écoute. (D. F., v. 535-36)

Ailleurs, ses effets sont comparables à la morsure de la vipère!; son action perforatrice

déchire la chair de sa victime et paralyse ce qui reste en elle de sain d’esprit. David dira des

hommes de mauvais conseil que «!leur langue aiguë en serpent pique et mord!»180 . Une fois

lancée, la parole de fiel ne revient jamais à son locuteur sans avoir préalablement meurtri. Le

plus souvent, la victime est désignée d’avance, comme Saül que tourmente Satan par

l’intermédiaire de ses courtisans. Parfois, le doute plane sur celui qui succombera. C’est ainsi

qu’un échange animé entre la demi-troupe fidèle à David et la troupe de Saül réactive le motif

de la parole comme coup porté, mais laisse en même temps dans l’ombre celui qui en pâtira!:

Ils [la demi-troupe] cuident bien en leurs discours frivoles


Qu’en notre chef le mal de nos paroles
Et de nos faits à coup redondera.
Mais dessus eux premier il [Saül] tombera.» (D. F., 757-60).
L’arme rhétorique des discours frivoles apparaît ici comme l’équivalent du bras ven-

geur de Saül. La première transperce l’adversaire par des pointes destinées à l’esprit, la se-

conde tue par la lance enfoncée dans le corps. Il est significatif qu’à partir du moment où Saül

cède à la folie et au mensonge (en particulier dans David fugitif), l’analogie entre la parole

perforatrice et l’action mutilatrice s’érige en leitmotiv. Le discours du roi devient tranchant,

179
D. F., v. 996.
180
D. F., v. 1516.
QUATRIEME PARTIE 505

l’expression d’une volonté réitérée de briser le corps de David et de le disloquer de manière à

lui ôter toute force de parole et d’action. Il n’évoque plus que massacre et amputation!:

Non, que jamais de lui on ne me parle,


Que de lui ravir l’âme et de lui démembrer le corps. (D. F., 921-22)181

Plus loin encore Saül s’en prend à la langue de David, à l’organe par excellence de l’exercice

prophétique!:

Je lui ferai la langue qui babille


Vive arracher.!» (D. F., 1700-01)182

Le mal que le venin déverse dans sa victime se traduit donc par une soif de violence, une vo-

lonté irrépressible de trancher les corps. Il s’agit d’amputer la vérité, d’anéantir le corps qui la

porte et l’instrument qui la profère, de résoudre une tension spirituelle par une soustraction

anatomique. Cette persécution active intensifie la conformité de l’envoyé avec l’homme de

douleurs, inhérente à la condition prophétique!: pour avoir parlé et agi au nom de Dieu, Jéré-

mie ne fut-il pas rudoyé et condamné à une vingtaine d’années de prison183 ? Michée, dé-

181
Ce passage fait écho à un autre qui lui précède, dont nous rapportons les vers!:

«!On le veut sans vertu

Plat à terre abattu.

Écorché le veut-on

Des pied jusqu’au menton,

Condigne récompense

D’une cruelle offense.!» (D. F., 693-98)


182
Saül reprend à son compte un passage du Ps. 12, v. 4-5.
183
En prison, ou plutôt dans toutes sortes de prisons!: tantôt la cellule du détenu politique, tantôt le cachot
du traître, tantôt la geôle et les chaînes du criminel dangereux, avec son pain sec et sa cruche d’eau!; tantôt
QUATRIEME PARTIE 506

chaussé et nu, errera dans son pays184 . Moins bien lotis, Zacharie et Daniel furent condamnés

à des morts violentes185 . Le héros de David fugitif est donc solidaire de ce versant obscur de la

condition de prophète. Des Masures insiste sur les assauts dont il est victime et sur le complot

monté contre lui!:

On le veut sans vertu


Plat à terre abattu.
Écorché le veut-on
Des pied jusqu’au menton,
Condigne récompense
D’une cruelle offense. (D. F., 693-98)

Dans le clan de Saül, la volonté de blesser, de dépecer, est consubstantielle à la volonté de

parler. La mission de David s’inscrit en opposition à cette violence physique!: à l’acte de gra-

ver les corps, David répondra par le désir de graver les cœurs, mission plus appropriée à

l’éthos et au decorum prophétique, hissant à un niveau spirituel l’entreprise belliqueuse de

Saül.

L’épée et la plume186

La métaphore de la parole comme un glaive n’est pas une invention de des Masures.

Elle tire son origine de la Bible, où elle ne désigne pas seulement l’arme des méchants mais

aussi la parole de Dieu, celle-là même confiée aux prophètes!:

enfin la citerne du condamé à mort, remplie d’une boue qui eût tôt fait de l’engloutir complètement s’il n’en
avait pas été tiré à la dernière extrémité. (Jér. 38, 6)
184
Michée, 1 8.
185
Zach. 13, 7. Dan. 6.
186
Ce sous-titre reprend le titre de l’ouvrage de M.-M. Fragonard, La Plume et l’épée. La littérature, des
guerres de Religion à la Fronde, Paris, Gallimard, 1989.
QUATRIEME PARTIE 507

Alors je vis […] le Verbe de Dieu. Les armées du ciel le suivaient sur des che-
vaux blancs, vêtues de lin d’une blancheur parfaite. De sa bouche sort une épée
acérée pour en frapper les païens. (Apoc. 19, 11-14)

Vivante, en effet, est la parole de Dieu, efficace et plus incisive qu’aucun glaive à
deux tranchants, elle pénètre jusqu’au point de division de l’âme et de l’esprit,
des articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du
cœur. (Ép. Hébr., 4, 12.)

Telle que la présentent les Écritures, la parole de Dieu n’est pas seulement vivifiante!:

elle est exterminatrice. Elle fait voler en éclats les cœurs de pierre!; les cœurs de chair, elle les

traverse de part en part pour y tracer un passage et y laisser sa marque. En réponse à la bruta-

lité de ceux qui restent sourds aux appels des prophètes, Yahvé fait éclater sa force et renverse

tout ce qui constitue la strate apparente et mensongère du monde!; il saisit les justes et les

marque du sceau de la grâce.

La Parole est épée, mais elle est également plume. Dans les livres prophétiques, le

Verbe est également comparable à un stylet!qui ne signe pas les corps, mais les âmes. Elle

s’adresse avant tout au pectus sur lequel elle grave les tables de la Loi pour conclure avec les

hommes son alliance d’amour. Cette conception du cœur comme lieu d’inscription de la ré-

vélation est un motif biblique affirmé, récurrent187 !; pour ne citer que lui, Jérémie révèle que la

relation affective entre Dieu et l’homme repose sur la trace écrite que Dieu laisse dans les fors

intérieurs!:

Mais voici l’alliance que je conclurai avec la maison d’Israël […] Je mettrai ma
loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu et ils
seront mon peuple.188

187
Outre Jér. 31, 33 cité ci-après, voir Jér. 17,1 et les Proverbes!3,3!: «!Que piété et fidélité ne te quittent!
Fixe-les à ton cou, inscris-les sur la table de ton coeur!».
188
Jér. 31, 33.
QUATRIEME PARTIE 508

Lorsque Dieu parle par ses prophètes, il déchire l’homme de chair pour mieux écrire

sur les!tables du cœur. La correspondance avec la parole-glaive des Tragédies saintes est

toute trouvée!: contre la langue effilée et mortelle des proches de Saül, David oppose le stylet

rhétorique dont parle Jérémie, cette faculté extraordinaire de la révélation prophétique de tran-

cher l’âme à vif et d’y graver le sceau de vérité. Comme «!Dieu regarde le cœur lequel il tou-

che et point!»189 , comme le fidèle il «!sonde et tient son cœur en la main!»190 , les prophéties de

David ébranleront l’âme de ses adversaires pour en briser la dureté. De même que la plume

gorgée d’encre qui gratte le papier, ce que David révèle aux siens point dans les âmes et y

laisse une cicatrice éternelle. Aussi est-il tentant de voir dans l’épisode où David vole les ar-

mes de Saül, «!la lance et l’aiguière!», un symbole de la mise en échec des armes rhétoriques

de Satan au profit de l’efficacité d’un langage autre, propre à toucher au cœur le roi. C’est en

vertu de cette capacité à graver les cœurs, à répondre à la violence gratuite par la vertu d’une

violence d’origine divine dirigée vers l’intérieur des êtres, que l’homme de Dieu gagne sa

croisade contre le Mal. Dans la trilogie, elle est la marque de David et la signature du Très-

Haut sur ses œuvres.

Précisons d’emblée que l’arme rhétorique de David ne nécessite pas toujours, para-

doxalement, l’appui de la parole. Le discours le moins orné ne mène-t-il pas, inéluctablement,

à l’école du silence? Dans David fugitif, où le héros est directement confronté à la persécution

de Satan, rares sont pour lui les occasions de prendre la parole contre les auteurs de son mal-

heur. Sa condition de fugitif et son isolement partiel confinent la plupart du temps David à un

mutisme qui le rend plus effacé que dans les deux pièces précédentes. Ce sont davantage des

personnages secondaires comme Jonathan qui opposeront aux fausses accusations portées

contre l’errant des discours de vérité191 . En revanche, David formulera de nombreuses prières

189
Prol. D. C., v. 47.
190
D. C., v. 1055.
191
Notamment D. F. v. 1315 ss. et 1497 ss.
QUATRIEME PARTIE 509

de supplication visant à attirer sur lui la protection du ciel, que le dramaturge exhume du si-

lence de l’âme à des fins poétiques!: «!Car la Cité dont Dieu garde les portes / Sûre se tient

contre qui l’assaudra.!»192 . Condamné à la fuite, c’est donc un dialogue silencieux que David

entretient avec ses ennemis de la cour. Rappelons que dans la Bible, la voix de Dieu est par-

fois le silence, un silence non pas muet mais révélateur du mystère même de Dieu. Dans le

théâtre de des Masures, le silence s’impose comme langage dans la mesure où les gestes, les

prophéties en actes, prennent le relais de l’oralité et sont leur équivalent. Lorsque David part

en quête de la lance et de l’aiguière, son geste est son discours. Dans l’épaisseur de la nuit, les

faits parlent d’eux-mêmes. Les quelques paroles de vérité par lesquelles il confond par la suite

Saül et Abner193 ne sont rien d’autre que la mise en mots d’une action déjà accomplie!: elles

sont récapitulatives et non performatrices. La réplique de Saül à la leçon qui lui est infligée

témoigne d’ailleurs de l’efficacité de ce discours par l’action!:

David mon fils, ta patience gagne


Et rompt mon cœur dont l’ire est abolie. (D. F., 2232-33).

L’attitude de David vaut bien une harangue!: elle se fraye un chemin dans la dure en-

veloppe charnelle, brise le marbre du cœur et anéantit la colère. La vérité en actes choque,

blesse, tue. Mise en mots ou mise en geste, elle une arme. Elle est langage.

Écrire sur l’écorce du cœur

Mais David, par ailleurs, parle et la parole que l’Esprit suggère à son prophète n’est

jamais délivrée sans atteindre sa cible. Telle est la leçon de la victoire de David sur Goliath.

Lorsque le berger s’arme d’une pierre au nom du!Dieu puissant qui «!non par glaive ni lance

192
D. F., v. 814-15.
193
D. F., v. 2198 ss.
QUATRIEME PARTIE 510

/ Donne victoire aux siens!»194 , les mots ainsi prononcés se réalisent immédiatement!: le cail-

lou prolonge le verbe inspiré, il perce le front casqué du géant et le laisse sans vie dans la

poussière. Le propre de la Parole vivifiante, le propre du nom de Dieu, est précisément de lais-

ser sa marque dans ce que l’homme peut avoir de plus endurci, de plus résistant à sa Parole.

Ce peut être la tête. Ce peut être le cœur. Dès lors, la blessure reçue n’est plus seulement la

trace concrète d’un déploiement d’une arme spirituelle, elle est une signature indélébile, à

même le corps, de la volonté divine sur des êtres de chair. Dieu imprime son nom chez ceux

qu’il visite.

La trilogie de des Masures confère à David, certes à un degré moindre, cette propen-

sion à graver le cœur de ceux qui l’écoutent. Jonathan attache à jamais son âme à celle de Da-

vid (D.C., v. 1797), le cœur de Saül est vaincu par l’ardeur du héros. C’est cependant chez

Michol, dont le rôle politique est considérablement diminué dans David triomphant195 , que

l’empreinte de David sur les cœurs est la plus vive. Avant même d’avoir vu le héros, au seul

récit de ses paroles et de ses exploits, la fille du roi tombe amoureuse (une scène absente de la

Bible) et ne peut chasser de son esprit l’empreinte du nom de David!:

[…] Bien sais-je que depuis


Qu’on me nomma David, je n’ai pu et ne puis
Me garder qu’à toute heure au penser je ne l’aie.
Il faut bien que ce soit cette amoureuse plaie
Que je sens en l’esprit. […]
[Il] me semble qu’au cœur une pointe on me donne
Quand de lui on rapporte autre chose que bonne. (D.T., 1311-22)

Stylet de l’amour qui n’exclut pas la «!plaie!», la «!pointe!», la déchirure. Pour trouver

grâce dans le cœur de l’amante, il faut graver son nom sur l’écorce de son cœur et comme on

194
D. C., v. 1681-82.
195
Alors que dans Samuel, Michol trompe les soldats de Saül pour aider David à prendre la fuite, des Masures
occulte la part active de la fille du roi dans le destin de David.
QUATRIEME PARTIE 511

fait voler en éclats le rocher, en briser toute résistance196 . Il existe réellement, chez des Masu-

res, un effet bouleversant dans le langage prophétique!: il implique, il entraîne le sentiment

d’être possédé par quelqu’un!: pour Michol, par David!; pour David, par Dieu. La possession

vient de ce que l’Esprit qui habite le héros est éruptif, il éclate et ne laisse rien dans l’état

d’origine. L’Écriture compare le verbe prophétique au feu et à la tempête197 . Dans la trilogie,

il est la plume qui gratte la surface des âmes et le tourbillon de sentiments d’amour ou de

haine qui en résulte. L’expérience de Dieu fait passer le monde et les êtres d’un état à un au-

tre!: elle est métamorphose, elle est réécriture.

La scène de l’innamoramento de Michol montre bien que malgré son caractère tran-

chant, voire violent, ce qui émane du vrai prophète est également source de joie et d’exaltation.

La flamme divine dont il est dépositaire atteint et envahit son auditeur, lui procurant au-delà du

trouble, une «!vive étincelle!»198 dans le cœur, une joie vivante dans l’esprit. Ce qu’il faut briè-

vement souligner, c’est que le dramaturge pose l’enthousiasme comme la réponse d’un per-

sonnage (Michol) à un mouvement de David en faveur de son peuple. Ce faisant, il établit un

rapport de symétrie avec la mobilisation de Yahvé pour son peuple dans l’Écriture. Ce qui,

selon les théologiens, fait l’une des originalités de la Bible, ce n’est pas que Dieu aime les

hommes mais que les hommes sont appelés à aimer Dieu en retour. «!Il manque à Dieu d’être

aimé!», écrit André Neher, «!et c’est pour cela qu’il conclut l’alliance. Israël a été élu non pas

uniquement parce que Dieu l’aime, mais parce que Dieu attend d’être aimé par lui.!»199 Selon

la doctrine de la prédestination, le mouvement spontané des élus vers Dieu est celui de

l’attachement, et cet attachement est un signe que le croyant appartient, de toute éternité, à la

196
Allusion à Jér. 23, 29!: «!N’est-elle pas ainsi, ma parole, dit l’Éternel, comme un feu, comme un mar-
teau qui fait voler en éclats le rocher?!»
197
Jér. 5, 14!; 23, 29!; Ez. 21, 3. Le thème de la tempête revient encore une trentaine de fois dans le livre
prophétique de saint Jean, l’Apocalypse.
198
D. T., v. 1704.
199
Op. cit., p. 153.
QUATRIEME PARTIE 512

poignée des élus. L’amour de la jeune fille pour David, le seul aspect de la biographie de Mi-

chol que retient des Masures, est symptomatique de cette aimantation du bon avec le Bon!:

minoritaire dans la masse des appelés, le véritable élu se reconnaît à sa quête de Dieu et, par

extrapolation, du prophète authentique, une quête qui se vit en rupture avec l’élan de mépris

général à l’égard de l’envoyé. Le vrai prophète révèle à lui-même le véritable élu. Il est un

repère pour son peuple et un signe pour son temps.

Quel type prophétique?

Alors même que des Masures affirme que sa trilogie suit rigoureusement la Bible et

qu’il n’«!invente!» pas, il apparaît de ce qui précède, et en particulier des écarts que l’auteur se

permet par rapport aux livres de la Bible strictement réservés à David, que l’auteur des Tragé-

dies saintes confère à son héros un èthos prophétique qui s’apparente davantage à une mar-

queterie biblique qu’à une mouture consciencieuse, chronologique et exclusive, de Samuel,

Rois et Chroniques. Il emprunte aux différents prophètes canoniques, d’Isaïe à Malachie, des

traits de caractère qui font de lui, dans la sphère sociale, un être paradoxal, mais également sur

le plan théologique un signe de relèvement pour Israël, avec le decorum et le profil oratoire

qu’une si noble mission impose. Comme la plupart des prophètes canoniques, le David de des

Masures est une figure de l’Envoyé en ce qu’il se présente auprès de ses contemporains en

tant qu’un intermédiaire entre le Ciel et les hommes. Comme l’évoquait une allusion à une

prophétie messianique de Syméon200 , il est un «!signe de contradiction!»!: à la fois un margi-

nal et un homme du monde, un orateur prédestiné et un locuteur discret (en particulier dans

David fugitif), vrai prophète suspecté de faux-prophétisme!; il est un guerrier et un artisan du

salut.

200
Luc, 2, 34.
QUATRIEME PARTIE 513

Si elle déborde du cadre strict de Samuel, Rois et des Chroniques, le type prophétique

de la trilogie de des Masures se caractérise néanmoins par la fidélité dont elle fait preuve par

rapport à l’esprit de l’Ancien Testament. Les autres pièces consacrées à David ne se montre-

ront pas toutes aussi sensibles à préserver l’enracinement biblique du héros. Le souci dogma-

tique amènera certaines à privilégier la leçon de catéchèse sur la chronologie biblique!: ce sera

notamment le cas de la Musique de David.


QUATRIEME PARTIE 514

Chapitre III

Prophétie et musique dans La musique de David

L’année 1566 semble propice à la mise en scène du personnage de David puisque simultané-

ment à la publication des Tragédies saintes paraît encore à Lyon, chez Jean Saugrin (par An-

toine Cercia), un petit drame moins célèbre, d’inspiration luthérienne, intitulé La musique de

David, ou est demonstrée la rejection des Juifs et la reception des gentils. On peut convenir

que la pièce n’est pas un chef-d’oeuvre!: la pièce est didactique et dogmatique, plus proche du

sermon que du drame lyrique, et tranche avec le contenu poétique et musical si prometteur

annoncé par le titre. Les reproches que l’on peut lui faire ne justifient toutefois pas le traite-

ment que les siècles ont infligé à cette œuvre en la laissant trop longtemps dans l’ombre!: elle

est restée inconnue des bibliophiles jusqu’à ce qu’elle soit répertoriée dans la bibliographie

du musicologue Laurent Guillo, Les éditions musicales201 . Cette absence presque totale

d’attention motive l’attention que nous lui portons ici. La pièce est anonyme, bien que Dob-

bins ait suggéré qu’elle puisse avoir été l’œuvre de des Masures202 . Le contenu dogmatique,

201
Paris, Klincksieck, 1991.
202
Le propos de l’article de Dobbins est davantage de retracer l’histoire de la musique dans le théâtre français
de la seconde moitié du XVIe siècle que d’analyser le texte et l’auteur éventuel de la Musique de David. Aussi
son hypothèse concernant la paternité de la pièce se résume à cette observation!: «!The inclusion on this play
of parts of Goudimel’s recent psalm settings, as well as the style of the verse dialogue, may indicate that the
(clearly protestant) author was again Des Masures.!» Il faudrait démontrer la parenté stylistique (peu évidente)
entre la Musique de David et les Tragédies saintes pour confirmer l’hypothèse. Un dramaturge de l’entourage de
QUATRIEME PARTIE 515

la forme et le style diffèrent toutefois sensiblement des Tragédies saintes et il paraît plus sage

de suspendre, pour le moment, tout jugement concernant la paternité de la pièce. Soulignons

néanmoins que la distribution des rôles reprend le souhait de Théodore de Bèze évoqué dans

l’introduction l’Abraham sacrifiant, celui de représenter ensemble, sur scène, les trois piliers

de l’Ancien Testament, à savoir Abraham, Moïse et David203 .

Économie de la pièce

Ce petit drame biblique et allégorique d’environ 450 vers (majoritairement décasylla-

biques), composé d’un acte unique, se présente comme un dialogue entre Abraham (figurant

la Foi), Moïse (la Loi), David (le psalmiste), Jésus Christ (le prophète), un juif et un gentil, au

sujet de l’harmonie doctrinale et musicale reliant les ancêtres et prédécesseurs du Christ et

Jésus lui-même. Elle aborde la réception du Messie par le Juif et le gentil, le premier

s’obstinant à n’estimer que les héros de l’Ancien Testament et le second faisant bon accueil

au Christ et aux prophètes.

La première moitié de la pièce consiste en une petite introduction à l’intelligence pro-

testante des Écriture. Elle s’ouvre sur un monologue d’Abraham de quatorze vers décasylla-

biques sur le thème de la justice divine, suivi de trois courtes strophes hexamétriques dont la

première reprend le thème bien connu de la justification par la foi204 . Moïse, entonnant la tra-

duction marotique des Dix commandements sur la mélodie du psautier huguenot, entre ensuite

sur scène et se joint au patriarche pour entonner en duo une épigramme musicale sur le thème

de l’articulation entre foi et loi205 . David apparaît en troisième!: attitré par le chant des pères

d’Israël, il loue l’harmonie qui les unit et entonne un solo sur le thème du pardon206 . Les

des Masures aurait également pu écrire la pièce. Cf. F. Dobbins, «!Music in French theatre of the late six-
teenth century!», Early Music History, vol. 13, 1994, p. 101.
203
Voir plus haut, p. 422.
204
Mus., v. 1-14 et 23-49.
205
Mus., v. 50-51.
206
Mus., v. 52-64.
QUATRIEME PARTIE 516

protagonistes accueillent le psalmiste puis entonnent ensemble le premier couplet du psaume

115 («!Non point à nous!») dans une harmonisation de 1564 de Claude Goudimel207 . C’est

alors que le Christ fait son entrée en chantant «!Je suis le fils du Dieu vivant!» et propose

d’enseigner à la compagnie réunie de chanter «!sans discords, […] en vray parfaitz ac-

cords!»208 , la gloire de Dieu. David se réjouit de ce que le chœur est maintenant complet!et

Abraham rend hommage au «!second David chantre psalmodieux!»209 .

C’est alors que le thème essentiel de la pièce, à savoir l’harmonie de l’Ancien et du

Nouveau Testament, trouve son plus long développement, poursuivi et filé jusqu’à la fin du

drame. Jésus explique aux patriarches la raison de sa venue sur la terre, « pour accorder les

humains discordez!»210 et chanter au juif sa « loy nouvelle / pleine d’amour, de Iustice et mer-

cy!»211 .!Il suggère donc d’entonner un motet à quatre voix assignant la Foi (Abraham) au

pupitre de la basse, la Loi (Moïse) à l’alto, David-Roi au ténor et lui-même au superius,

«!accomplissant et profetie et loy!»212 . Au Juif qui arrive sur scène, le chœur entonne «!La loy

de grace et de concorde / Est venue au temps de discorde!», avec l’harmonisation de Goudimel

pour le premier couplet de la traduction du psaume 59 par Théodore de Bèze (Eripe me de

inimicis meis)213 . Dans le long dialogue qui s’ensuit, le Juif critique âprement le chant du

Christ en dépit des recommandations d’Abraham, de Moïse et de David!: «!Nul n’est pro-

phete en sa terre, ou païs!»214 . Jésus propose alors de se détourner de son interlocuteur incré-

dule et d’adresser au Gentil un autre chant («!Or laisses, Createur, en paix ton serviteur!»), qui

207
Mus., v. 65-103. Pour le chant du psaume 115, cf. Claude Goudimel, Oeuvres complètes, vol. IX, New-
York et Bâle, 1973, Pseaume CXV, pp. 118-19.
208
Mus., v. 104-113.
209
Mus., v. 126.
210
Mus., v. 134.
211
Mus., v. 142-43.
212
Mus., v. 154.
213
Mus., v. 201-02.
QUATRIEME PARTIE 517

s’avère être la traduction du Nunc dimittis par Marot dans l’harmonisation à quatre voix don-

née par Goudimel en 1564215 . Le Gentil se réjouit de ce nouveau chant et accepte d’être bapti-

sé dans la foi chrétienne et d’adopter la Bible et ses préceptes, l’union de la loi, de la grâce et

de la justice. Il récuse enfin ses idoles du passé, dont il dément l’efficacité et la valeur théolo-

gique. David conclut le drame par un épilogue de quatre vers!:

Ainsi qu’en la musique


Sont quatre parts unies sans discords,
Les saincts escrits sont en parfaits accords
Malgré erreur et sa troupe heretique!»216 .

Le prédicateur de la foi nouvelle

Par rapport à l’approche littérale de l’Ancien Testament (remise au goût du jour par

Nicolas de Lyre puis par Luther, et privilégiée notamment par des Masures), la Musique de

David fait figure de marginale. Elle adopte la lecture spirituelle de l’Écriture, indépendamment

de toute considération historique et biographique. Dans l’esprit de la tradition des moralités,

elle laisse de côté le récit chronologique des événements bibliques au profit d’une adaptation

théâtrale d’éléments du petit catéchisme destinés aux laïcs. David, Moïse et Abraham incar-

nent essentiellement des dogmes (la Prière, la Loi et la Foi, selon une didascalie initiale), ils

sont l’illustration biblique des piliers de la théologie réformée et jouent à cet égard un rôle

didactique. La réflexion sur la personne de David, sur l’évolution de son caractère et de sa

personnalité est, par conséquent, réduite au minimum. Le personnage est moins un homme de

214
Mus., v. 354.
215
Mus., v. 391-394.
216
Mus., v. 448-451.
QUATRIEME PARTIE 518

son temps, à la psychologie complexe et aux actions contradictoires, que l’incarnation rigou-

reuse d’une certaine idée de la foi, d’un concept théorique. Il ne donne donc pas prise à

l’élaboration d’un ethos particulier, et ne peut donc être étudié sous cet angle. Il en demeure

néanmoins prophète, sinon par son humanité et la force d’un appel, au moins par le contenu

théologique de ses paroles et par le symbolisme rattaché à sa performance musicale. Le dra-

maturge lui reconnaît une dimension messianique et religieuse par laquelle il devient le porte-

parole de la pensée huguenote. Le type prophétique qu’il incarne concerne l’un et l’autre volet

de ce rôle, exemplaire de la définition moderne du prophète dans la culture protestante.

1. Le prophète comme pasteur

La première fonction que la Musique de David confère au roi d’Israël est de porter

une parole éclairante, de présenter et d’expliquer à l’auditoire certaines vérités de la foi!: cha-

cune de ses interventions consiste à rendre accessible à tous l’un ou l’autre élément du credo

réformé. Dans la première moitié de la pièce, qui s’étend du prologue à l’apparition du Christ

sur scène, David joue ainsi un rôle comparable à celui du pasteur!: il expose des vérités déri-

vées de l’Écriture et les recadre dans le contexte de la foi réformée. Un texte phare, fonda-

mental dans l’élaboration de la pensée religieuse de notre dramaturge, lui sert de guide!: le

commentaire de Luther à l’Épître de Paul aux Galates. Le déroulement narratif de la pièce

épouse en effet les grandes lignes de la célèbre réflexion de Luther sur le testament de Paul!:

l’antagonisme de la Loi de Moïse et de la foi en Dieu (incarnée par Abraham), d’abord oppo-

sées puis réconciliées dans le commentaire de Luther, est intégralement exprimé dans la pièce

à travers l’image de l’harmonie musicale. L’articulation nécessaire, dans la foi, de trois expé-

riences du chrétien authentique, à savoir la prise de conscience, par la Loi mosaïque, que

l’homme est impuissant à se sauver lui-même, l’espérance indispensable dans la miséricorde

du Seigneur et le rayonnement de cette confiance en Dieu dans les œuvres, est symbolique-

ment évoquée par le chœur des patriarches (Abraham, Moïse, David) et du Messie, qui enton-
QUATRIEME PARTIE 519

nent ensemble divers airs liturgiques sur ces thèmes. La polyphonie qu’ils entonnent donne à

chacun une voix et une place bien distincte dans le chœur des saints, et réaffirme néanmoins

leur unité en tant que participants au processus de la révélation. Ce sont bien des vecteurs

dogmatiques, originaires du commentaire de Luther à l’épître paulinienne, qui structurent le

drame. Un rappel de ces vecteurs s’impose. Nous tenterons de le faire en évoquant tour à tour

le symbolisme théologique prêté à Abraham, à Moïse et à David chez le réformateur et dans le

drame, et terminerons par une réflexion sur le type prophétique qu’une telle approche sous-

tend.

2. Abraham et Moïse

Le commentaire de Luther sur l’Épître aux Galates postule, de manière définitive, la

primauté de la foi sur l’observance de la Loi dans l’économie du salut. La position du théolo-

gien peut être résumée en ces termes!: si Abraham avait été justifié par les œuvres de la Loi, il

aurait eu une justice et un sujet de gloire non devant Dieu, mais devant les hommes. Ce n’est

donc pas pour le sacrifice d’Isaac qu’il fut justifié, mais parce qu’il a cru. L’Écriture dit en

effet!: «!Abraham crut à Dieu et cela lui fut imputé justice.!»217

Dans la Musique de David, le père d’Isaac, premier personnage à faire son entrée sur

scène, illustre ce point fondamental de la pensée luthérienne!: il rend grâce au «!ferme espoir

armé de vive foy!»218 qui l’anima lorsqu’il offrit son fils et rend «!Gloyre au tres iuste Roy,

Iustifiant par foy!»219 . Ce n’est pas son respect de l’ordre divin qui fit de lui un patriarche!: il

est le type même de l’homme que l’espérance a sauvé!:

217
Rom. 4, 3. Cf. Luther, Commentaire de l’Épître aux Galates, in Oeuvres, Genève, Labor et Fides, 1969,
tomes 15-16, p. 234.
218
Mus., v. 1.
219
Mus., v. 15-16.
QUATRIEME PARTIE 520

Foy en espoir sous naturelle loy


M’a saintement en Dieu iuste rendu220 .

Dès les premiers vers, la Musique pose la primauté de la foi, plutôt que celle des œuvres,

comme le signe éloquent de l’appartenance du croyant à la communauté des élus. Le véritable

homme de Dieu se définit par l’être, le faire n’étant que sa conséquence.

Cette première affirmation en appelle une autre. Selon Luther encore, la Loi de Moïse

(de même que toutes les lois humaines) n’a pour véritable utilité que de permettre à l’homme

de se reconnaître pécheur et de désespérer de soi, l’amenant à reconnaître dans le sacrifice du

Christ la source unique du salut!: «!C’est pourquoi la loi ne montre que péché, elle terrifie et

humilie et, de cette manière, elle prépare à la justification et elle pousse vers Christ. Car Dieu a

révélé par sa parole qu’il nous serait un père propice.!»221 Le salut, pour Luther, s’opère dans

l’intervalle entre ces deux pôles (d’un côté, le désespoir induit par la Loi, et de l’autre, le ré-

confort nourri par la foi), la Loi poussant le chrétien vers ce Messie que la foi saisit.

Le drame biblique investit précisément Moïse de cet aspect du processus de justifica-

tion!: le législateur expose la loi d’Israël et sa dimension coercitive, la promesse de châtiment

qui lui est adjointe. Un dialogue entre Moïse et Abraham fait la part entre la stricte observance

du décalogue et la nécessité de la foi, la seconde sauvant de la mort le fidèle incapable d’agir

parfaitement!:

Moïse!: Qui un seul poinct de la loy passera


Sans l’accomplir, d’horrible mort mourra.
Abraham!: […] Ce neanmoins que chant espouvantable
Tu semble[s] avoir, tressaincte et delectable
Auras, si veux avecques moy chanter,
Homme sans foy ne pourras contenter
Chanter seul, veu qu’à mort la lettre occit

220
Mus., v. 3-4.
221
Luther, op. cit., p. 139.
QUATRIEME PARTIE 521

L’homme impuissant d’observer son récit.222

La lettre tue, mais l’esprit sauve!: pour le dramaturge, seule la musique arrivera à

concilier les positions contradictoires de Moïse et Abraham, que Luther sépare tout en invo-

quant leur complémentarité. C’est sur ce problème de fond, qui traverse toute la pièce,

qu’apparaît sur scène le personnage de David. Il investira la double fonction de musicien et de

prophète-prédicateur appelé à résoudre musicalement et dogmatiquement l’opposition luthé-

rienne de la foi et de la Loi.

Ø David

La première mission impartie à David dans le drame est de porter la bonne parole de la

Réforme. Il fait office de prédicateur appelé à dévoiler et à expliquer aux spectateurs le sens

profond des Écritures. Lorsqu’il entre sur scène, le psalmiste loue l’harmonie du duo Abra-

ham-Moïse. L’Esprit saint l’appelle à s’unir au petit chœur!; David entonne alors d’une voix

de ténor un chant sur le thème de la miséricorde, «!Combien plein de bonheur ie repute!/

l’homme à qui Dieu son péché point n’impute!»223 . Le Christ lui-même accomplira plus loin

la prophétie inscrite dans ce chant lorsqu’il se présentera au chœur en disant, «!Ie suis pour

vos fautes remettre!»224 . La foi de David correspond à celle que préconise Luther dans ses

écrits!: elle se nourrit de cette certitude que Dieu a le pouvoir de remettre les fautes et de don-

ner le salut en dépit des errements. L’expérience même de David dans la Bible montre que

l’homme pécheur est impuissant à respecter l’intégralité de la Loi mais peut implorer Dieu en

toutes circonstances. Le drame, on peut le regretter, ne s’aventure pas sur ce terrain miné de la

vie tumultueuse du héros, qui aurait pu donner un peu d’humanité à l’ensemble de la pièce.

222
Mus., v. 27-40.
223
Mus., v. 61-64.
224
Mus., v. 113.
QUATRIEME PARTIE 522

Les propos du psalmiste se cantonnent à énoncer des dogmes et à reprendre la substance du

commentaire de Luther sur l’Épître aux Galates!: c’est dans le Christ annoncé par les pro-

phètes que l’opposition de la Loi (Moïse) et de la foi (Abraham) trouve sa résolution. Le vi-

sage messianique du musicien apparaît d’ailleurs à l’occasion d’un chant à Dieu, qui réunit

dans une même harmonie la voix des protagonistes de l’Ancien Testament. Moïse le dit!:

Bien tu entend chanter le contre poinct


Ô roy David, figure du Messie.225

Chez David, le devoir exclusif d’expliciter les fondements de la foi réformée se ramifie

encore dans un discours sur les œuvres. Il ne peut en effet s’empêcher de répercuter

l’enseignement de Luther sur le rôle du bien agir dans la vie du chrétien. L’œuvre prescrite

par la Loi, dit-il, doit rester une manifestation gratuite de la foi, sans plus. Le personnage nie

d’ailleurs la valeur opérationnelle des bonnes œuvres dans le processus qui mène au salut!:

l’accomplissement de la Loi n’est qu’un miroir, un reflet, un signe et une manifestation de la

foi, et elle ne dit rien sur l’accès du croyant aux portes du ciel. L’impératif d’agir de façon

honnête n’est donc pas envisageable en dehors de la grâce. Aussi David n’hésite-t-il pas à

évoquer les deux piliers théologiques incarnés par Abraham et Moïse comme deux versants

d’une même réalité, l’«!œuvre!». L’opposition du dramaturge à la doctrine catholique est alors

évidente!:

L’œuvre de loy que tu chantes, Moyse,


L’œuvre de foi par Abraham chanté
Adoucit bien la rudde authorité
Qu’en sinagogue anonce la Pretrise.226

225
Mus., v. 65-66.
226
Mus., v. 86-89.
QUATRIEME PARTIE 523

C’est ainsi que l’auteur anonyme de la Musique assigne à David, au moins dans la

première partie du drame, la fonction de pasteur de la foi luthérienne. Il revient au psalmiste de

s’adresser directement aux patriarches pour mettre de l’ordre dans la confusion régnante entre

les œuvres, la foi et le salut. Il lui revient d’annoncer la Parole en même temps que de

l’expliquer en se jouant des astuces de l’art dramatique. Or, cette élaboration du caractère

prophétique de David devait trouver un appui solide dans la culture protestante, notamment en

matière de prédication ecclésiastique.

Ø Du pasteur au prophète

La Réforme a en effet développé une conception particulière du prophète à laquelle

semble adhérer le dramaturge, et qui rapproche cette fonction de celle du pasteur. Selon Oli-

vier Millet, elle adopte de la prophétie «!une définition fonctionnelle, marquée par l’idée d’une

parole éloquente plutôt que visionnaire!», et considère la prophétie biblique «!comme [des]

modèles éloquents à imiter dans le cadre de la prédication ecclésiastique, forme moderne et

chrétienne de la ‘prophétie’!»227 . La prophétie vétéro-testamentaire apparaît donc comme

l’archétype même de l’éloquence protestante au moment du prêche. Les racines de cette

conception remontent au passage de l’ancienne à la nouvelle Alliance!: depuis l’avènement du

Christ et les écrits des évangélistes, rappelle la jeune Église, la Révélation est déclarée com-

plète, définitive, exhaustive, accomplie dans le cadre des Écritures!; plus personne n’attend de

nouvel avant-coureur de la Révélation. La Bible contient tout ce qu’il convient au croyant de

connaître sur Dieu et sur l’avènement du salut!; ce que l’homme doit savoir du monde et de la

vie ici-bas, l’Écriture y répond de manière appropriée et définitive. Le temps des révélations

divines étant donc terminé, l’activité prophétique revient désormais à relayer les prophéties

bibliques auprès des croyants par la prise de connaissance de la sola scriptura. Prophétiser,

227
Op. cit., pp. 66 et 67.
QUATRIEME PARTIE 524

dans la culture protestante, consiste donc à enseigner la Bonne Nouvelle telle qu’elle apparaît

dans le canon biblique, et à l’expliquer, «!selon la necessité présente de l’Église!»228 . Être

prophète, c’est répéter aux hommes le même message qui s’entend dans la totalité de la Bible,

c’est également la rendre accessible aux chrétiens pour qu’ils comprennent leur foi dans le

Christ à la lumière de l’Écriture.

La Musique de David illustre cette conception didactique et moderne du prophétisme

du temps de la Nouvelle Alliance!; elle l’applique même, le fait est étonnant, au David de

l’Ancien Testament. Plusieurs éléments permettent l’émergence cette lecture de la Bible sur la

scène. D’abord, la temporalité de la pièce!: l’auteur dramatique inscrit la rencontre du Messie,

des patriarches et de David avec le Juif et le Gentil dans le temps de la vérité révélée et de la

Parole accomplie. Si l’Histoire et la chronologie les séparaient de plus de mille ans, le drame

en fait des dogmes, les réunit en tant qu’idées. De plus, les dialogues que nouent entre eux ces

protagonistes s’adressent à des interlocuteurs modernes et sont une mise au point sur la foi

des Anciens. Ensuite, le rôle de porte-parole de la foi protestante généralement accordé au

personnage de David au théâtre devait favoriser sa représentation sous les traits du prédica-

teur. Le psalmiste est, dans la pièce, l’orateur de la parole vraie. Il lui revient d’expliquer et

d’harmoniser, à la lumière des révélations apportées par Paul dans son épître aux Galates, la

référence définitive que sont l’Ancien et le Nouveau Testament. Il adapte à l’univers théâtral

l’interprétation luthérienne des Écritures telle qu’elle se transmet en chaire. Le personnage

cumule ainsi les fonctions de prophète scripturaire (par son origine vétéro-testamentaire) et de

commentateur de cet héritage de la Bible, de prophète ‘moderne’ dont les discours véhiculent

une intelligence de l’Écriture pour le profit de la communauté. Il est un double du prédicateur

huguenot.

Si l’on adopte une perspective plus large à l’échelle de l’histoire, il apparaît également

que la Musique de David, tout en reflétant de la conception réformée de l’activité prophétique,

228
Calvin cité après O. Millet, op. cit., p. 74.
QUATRIEME PARTIE 525

reprend un aspect du prophétisme plus ancien qu’il n’y paraît. Samuel Junod, après avoir

analysé divers types révélations dans la culture chrétienne, a par exemple rappelé que rappro-

chement entre prédication et prophétie avait été le fait, par exemple, de Savonarole dans son

Dialogus de veritate prophética en 1497229 . Savonarole s’était autoproclamé prophète et se

défendait contre ses détracteurs de l’authenticité de ses visions. Dans le Compendio di revela-

zioni de 1495, sa conception de la prophétie est essentiellement de type «!ethique!», c’est-à-

dire qu’elle vise à assurer l’harmonie de la pratique religieuse et de la foi chrétienne avec la

révélation biblique. Avant lui encore, François d’Assise et ses disciples érigèrent également

une représentation du prophète en prédicateur de tous les jours, laquelle était déjà au XIIIe

siècle devenue un lieu commun230 . Un siècle auparavant encore, Pierre le Vénérable composait

un Contra Saracenos où il confondait dans le vocabulaire les termes de prophète et de prédi-

cateur. Il désigne le prophète en terme de nuntius, de «!messager!», et utilise l’expression

«!prophetia vel praedicatio!» pour désigner son annonce231 . La Musique de David est tribu-

taire de cette tradition médiévale qui a forgé une définition parallèle du ministère prophète, à

l’origine de l’appréciation huguenote!: elle lui emprunte son lien avec l’annonce de la foi et la

prédication.

Musique et prophétie messianique

La fonction d’exégète de l’Écriture accordée à David se double encore, dans la se-

conde moitié de la Musique, d’un autre visage, plus classique, du prophétisme biblique!: celui

d’annoncer le Messie. La culture protestante, bien sûr, n’avait pas rompu avec cette concep-

229
Op. cit., p. 67.
230
Junod, op. cit, p. 68.
231
Texte publié par Migne, Pat. lat.,t. 189, 659-720.
QUATRIEME PARTIE 526

tion aussi ancienne que la Bible. Dans sa préface générale à la traduction allemande des livres

prophétiques de la Bible, Luther mentionne en première place le rôle messianique des pro-

phètes canoniques232 . Flacius Illiricus, dans la première moitié de sa Clavis, rappelle égale-

ment que les prophètes ne se sont pas contentés d’expliquer au peuple les Écritures, mais que

la prédication messianique les caractérise233 . Seul Calvin semble peu pressé de découvrir dans

le détail des livres saints qu’il commente une annonce systématique du Christ. La Musique de

David, comme son titre l’indique, insiste sur la contribution poétique et musicale de David

comme prophétie en acte du second David, le Christ. Musique et manifestation de Dieu vont

de pair. Le psalmiste est moins un individu qu’un type, l’ombre du Sauveur, et l’un de ses

principaux rôles consiste à préfigurer le Fils de Dieu. La pièce emprunte aux grands cycles du

théâtre médiéval sa lecture allégorique de l’Ancien Testament et relie, à leur suite, l’expérience

prophétique et l’annonce du Messie.

1. Le musicien, figure du Christ

Signalons d’emblée que la métaphore musicale structure l’identification prophétique

de David à son archétype, le fils de Dieu épousant les qualités lyriques de son prophète lors

de son avènement sur la terre. D’une part, pour l’auteur anonyme, l’Ancien Testament est

comparable à une partition de musique dont les chapitres contiennent «!de plain chant les not-

tes / De sainte Loy, nottées mais doctes!», avec le Christ à la clé234 . Le psalmiste participe de

sa composition. Il est appelé par l’Esprit à «!bien chanter […] de voix non fainte!»235 , il est le

«!chantre de vérité!»236 abondamment complimenté par Abraham et Moïse, celui «!qui faux

232
Cf. Olivier Millet, art. cit., p. 71.
233
Idem.
234
Il est appelé plus loin «!le livre sainct de celeste musique!».
235
Mus., v. 58.
236
Mus., v. 68.
QUATRIEME PARTIE 527

accords mesprise!»237 et qui entraîne les «!chantres bien appris!»238 de l’Ancienne Alliance à

faire résonner entre les hommes la gloire de Dieu, «!ce grand Altitonant!»239 . D’autre part, le

Messie qu’annonce David et qui surgit sur scène est, à l’instar du psalmiste, un authentique

maître de chapelle. Jésus explique être descendu du ciel pour «!accorder les humains discor-

dez!»240 , conformément au topos antique comparant la paix dans la cité à l’harmonie de la

lyre241 . Il appelle les élus à chanter avec lui et assigne à chacun sa partie, module les voix à sa

convenance, dirige le petit chœur d’une main de maître. Une didascalie présente d’ailleurs le

Christ comme «!le Prophète!», entendu au sens de porte-voix de Dieu venu accomplir

l’Écriture et faire connaître au monde, par un rapport analogique, l’identité du Père. Nulle

vanité d’auteur n’entache ainsi l’humilité du Christ!: le Créateur reste le seul véritable artiste et

ce dernier, bien qu’absent physiquement de la pièce, s’appréhende comme le seul compositeur

de l’harmonie des hommes dont Jésus ne serait que le «!dispositeur!», celui qui assure la

conformité du chant avec la partition initiale!:

Il [Jésus] nous conduit, et puis bas, et puis haut,


Subit remet le premier en defaut,
Bien fait chanter cil qui chante le pire,
Et conte aussi nos poses et souspirs.242

La dimension messianique de la pratique vocale est donc formulée, premier et second

David se répondant l’un l’autre en tant que choristes et musiciens.

La position centrale accordée à la musique dans l’élaboration du type messianique

incarné par David mérite qu’on s’y attarde, d’autant qu’elle étonne de la part d’un dramaturge

237
Mus., v. 140.
238
Mus., v. 97.
239
Mus., v. 103.
240
Mus., v. 134.
241
Cf. Platon, Timée, trad. L. Besson, Paris, Flammarion, 1992, v. 35-42.
QUATRIEME PARTIE 528

gagné aux idées luthériennes. Il est vrai que la dialectique de l’humain et du divin qui struc-

ture, dans la tradition chrétienne, le phénomène prophétique avait permis, dès le premier siècle,

le développement d’une conception de Dieu-musicien dont un type serait le roi David!; dans

les milieux réformés cependant, cette peinture du Christ en chef de chœur, évidemment apo-

cryphe, devait constituer une infraction à l’exigence d’authenticité scripturaire formulée par

l’exégèse protestante. Que David ait été un poète et un musicien d’exception, aucun réformé

n’en douta jamais. Mais que l’activité musicale de David pût annoncer prophétiquement la

venue d’un Christ-musicien, la chose n’a rien d’évident. L’idée ne contrevient-elle pas à la

grande loi de la sola scriptura? Rebelle aux prescriptions dramatiques de des Masures évo-

quées précédemment, la pièce «!invente!» donc «!elle ment!»243 , sauf s’il s’agit d’une allégo-

rie. Des conceptions contradictoires du prophétisme biblique coexistent dans la Musique, les

premières directement tributaires de la pensée luthérienne, les autres dérivées de la tradition

patristique. Elles pointent vers un de ces dramaturges encore entre deux mondes, gagné aux

idées de la Réforme mais esthétiquement proche de la tradition de l’Église et du théâtre mé-

diéval. Elles font du drame biblique un véritable hybride.

Puisque la Bible ne l’évoque pas, de quelles sources littéraires le type messianique

incarné par le personnage de David est-il donc tributaire? La représentation du Messie-

musicien est une représentation ancienne qui ne se contente pas de revêtir le Christ et son pro-

phète d’attributs flatteurs mais qui cherche, à travers elle, à en réactiver les qualités ontologi-

ques244 . Pour Clément d’Alexandrie, patriarche d’Orient, le roi du ciel fait régner l’ordre dans

242
Mus., v. 273-76.
243
Ép. Brun, v. 183.
244
Le premier à s’y être aventuré fut Philon d’Alexandrie. Dans son traité sur l’Immuabilité de Dieu, le phi-
losophe égyptien décrit Dieu comme un musicien tirant de la Création les sons d’une lyre bien accordée (Quod
Deus immutabilis sit, 6). Le monde, sous sa plume, est la mélodie de Dieu!; elle célèbre le Créateur. Son
successeur, Clément d’Alexandrie, fila la métaphore dans l’Exhortation aux Grecs 1, 5 et rapprocha à cette
occasion la musique de Dieu de celle de David. Les racines de cette représentation ont été étudiées par T. Ge-
QUATRIEME PARTIE 529

l’univers comme un musicien règle sa musique, et ce sont ces échos que recueille David dans

ses psaumes245 . C’est à lui que l’auteur de la Musique de David emprunte un langage pour

exprimer le pouvoir du Messie de mettre fin à la division humaine, comme en témoigne le

chant entonné par Abraham, Moïse, David et le Christ pour convaincre le Juif!: «!La loi de

grâce et de concorde / Est venue au temps de discorde!» (v. 201-02)246 . L’allégorie musicale

évoque l’aptitude de Dieu à soumettre et à gouverner le monde de la même manière qu’il tem-

père et organise la rencontre des éléments, à renverser les idoles pour mieux révéler le Dieu

unique!:

Dieu a organisé l’univers de façon harmonieuse et a accordé la dissonance des


éléments en rapports consonants, pour que le monde entier soit harmonie […] Et
le chant pur, le son fondamental du tout et l’harmonie de l’univers, allant du

rold, op. cit., pp. 72-80 et Herbert M. Schueller, The Idea of Music. An Introduction to Musical Aesthetics in
Antiquity and the Middle Ages, Michigan University, Medieval Institute publications, 1988, pp. 214-18.
245
Les Pères de l’Église ont relayé cette idée. Dans son Introduction aux Psaumes, Grégoire de Nysse rappelle
la doctrine selon laquelle la dispositon de l’univers est une harmonie musicale réglée de différentes manières
par l’ordre et le rythme. Un instrument habilement joué reproduit la musique des sphère, que l’âme entend
lorsqu’elle s’élève vers Dieu. C’est cette musique que David aurait entendu lorsqu’il institua l’accompagnement
musical des psaumes dans le service religieux, permettant ainsi aux croyants de percevoir, dans leur chant,
l’harmonie céleste. Ambroise, empruntant à Clément, reprit encore cette même idée en affirmant l’existence
d’une musique très agréable, produite par le mouvement des corps célestes, qui surpasse en suavité tout autre
chant. Dans l’introduction de son Explication des Psaumes, il se réfère aux Anciens pour expliquer que non
seulement les astres, mais l’axe du ciel se meut avec la douceur d’une sorte d’harmonie perpétuelle (cum qua-
dam perpetui concentus suavitate), dont le son s’étend jusqu’aux parties extrêmes de la terre. C’est en
s’inspirant de cette musique archétypale et vraie, issue de la sympathie et de la concordance des éléments, que
David institua la psalmodie lorsqu’il voulut donner à l’homme déchu un moyen de se relever (Migne, pat. lat.,
XIV, col, 966). L’efficacité de la prière tient à la rencontre entre l’harmonie céleste et la mélodie des chants
sacrés, grâce à laquelle le croyant et Dieu se trouvent symboliquement unis dans une même harmonie musi-
cale. Cf. T. Gerold, op. cit., pp. 65 sqq.
246
Cette discorde est invoquée à plusieurs reprises dans la pièce, notamment dans cette réflexion d’Abraham se
plaint au Christ de la difficulté d’être prophète!: «!En t’atendant avons esté cribles / Au crible grand de ce
monde passible / Lorsqu’en ton nom voulions être assemblez / Subit estions par les mechants troubles / Nous
livrant guerre au lieu d’accord paisible!» (v.127-31).
QUATRIEME PARTIE 530

centre aux dernières limites et des extrémités au centre, a harmonisé le tout, non
pas d’après la musique de Thrace, imitation de celle de Jubal, mais selon la vé-
rité paternelle de Dieu, pour laquelle David s’est enthousiasmé!»247 .

Et il ajoute!:

Celui qui provient de David et qui était avant lui, le Logos de Dieu, méprisant les
instruments sans âme, la lyre et la cithare, harmonisa le grand monde et son mi-
crocosme, l’homme, âme et corps!; avec l’esprit saint, il loue Dieu avec
l’instrument à plusieurs voix [l’univers] et associe à son chant un autre instru-
ment, l’homme. Car tu es pour moi cithare, aulos et temple!: cithare par la
consonance, aulos par le souffle, temple par la parole, pour que la première fasse
résonner, le second donne son souffle et le troisième réserve une demeure au
Seigneur.!»248

247
Protreptikos, ch. 1, 5, trad. T. Gérold, op. cit., p. 74. Je souligne. L’idée s’est propagée dans la tradition
chrétienne grâce à des théologiens comme Basile, qui écrit que «!le psaume […] est l’arbitre de la paix!»
(Homil. I in psalmos, in Migne, P. L. 29, col. 212. Trad. Gérold, op. cit., p. 102).
248
Protreptikos, ch. 5, trad. d’après la version anglaise de M. Van Schaik, op. cit., p. 41. Dans son analyse
du psaume 150, Clément pousse encore plus loin la comparaison entre l’homme et l’instument de musique.
Ainsi analyse-til les vers de David!: « ‘Louez-le au son du psalterion’, car la langue est le psalterion du Sei-
gneur!; et ‘ Louez-le avec la cithare’, car par cithare il faut comprendre la bouche, qui est mise en vibration
comme au moyen d’un plectre par le Saint Esprit!; ‘Louez-le avec le tympanon et des danses’ il parle de
l’Église qui pense à la résurrection de la chair lorsque la peau [du tympanon] résonne!; ‘Louez-le avec des
cordes et un instrument’, il appelle ‘instrument’ notre corps et ‘cordes’ les nerfs, par lesquels il obtient une
tension harmonieuse et en les faisant vibrer par l’esprit fait retentir les sons humains!; ‘Louez-le avec les
cymbales de la jubilation’, la langue est la cymbale de la bouche!; elle se joint au son des lèvres mises en
vibration.!» (Pédagogue II, ch. 4, 41. Trad. T. Gerold, op. cit., p. 126).
Plusieurs témoignages du XVIe siècle attestent de la survie de cette conception chrétienne et pythagoricienne
dans les milieux cultivés!; une dédicace à Diane de Poitiers contenue dans les Cinquante pseaulmes de David,
mis en musique, à quatre parties par Pierre Certon (Paris, Adrian le Roy et Robert Balard, 1555) atteste no-
tamment de sa vitalité dans les années 1550!: «!Madame, les Anciens ont eu la Musique en telle estime, que
Pindare, un des plus excellents poetes qui jamais furent, ha jugé ceulx estre hayz de Dieu, qui estoient ennemis
d’icelle. Et certes elle ha tel pouvoir aux esprits des hommes, que quelques uns des philosophes, à ceste occa-
sion, ont pensé nostre ame n’estre autre chose qu’une harmonie […] » Cité après P. Pidoux, op. cit., vol. 2,
p. 83.
QUATRIEME PARTIE 531

Le rapport d’analogie dégagé par les Pères entre le chant du Christ, la psalmodie et la

recherche de consonance au sein de l’humanité est intégralement repris dans le drame bibli-

que!; il donne sens à la figure de David-musicien. Cette proximité entre l’art du psalmiste et le

sacré était d’ailleurs devenue un lieu commun, elle avait été étayée et rapportée de siècle en

siècle par le biais des prologues et des commentaires ‘classiques’ du livre des psaumes, no-

tamment le commentaire d’Origène comparant l’âme à une cymbale sonore, à une cithare et au

psaltérion249 , et la glose du psaume 32 de Basile, qui comparaît la sensibilité des élus de Dieu

à une cithare bien accordée, et leur faculté d’intellection, au psaltérion250 . Pour notre drama-

turge, dans le droit fil de la tradition patristique, l’unité des voix de l’Ancien et du Nouveau

Testament, assurée par les premier et second David, évoque l’humanité appelée à harmoniser,

en Christ, l’adéquation entre l’être et le faire, la Loi et la foi. Elle est un reflet idéal de l’âme

humaine en quête d’élévation, du mouvement des passions que l’homme veut maîtriser

comme le musicien, sa mélodie. La valeur accordée à la psalmodie et aux cantiques, à tout ce

qui compose la «!musique de David!», s’apprécie donc dans un sens moral et spirituel!: la

musique, selon les termes mêmes du dramaturge, invite à entonner des «!mottets d’amour et

249
Ainsi écrit Origène!: «!Une cymbale bien sonnante, c’est l’âme active attachée au désir du Christ, la
cymbale de jubilation c’est l’esprit pur animé par le salut du Christ.!» (In ps. 150, trad. T. Gerold, op. cit., p.
131). Ailleurs, il arrive à des différences subtiles entre les instruments du même genre, comme la cithare et le
psalterion!: «!La cithare, dit Origène, est l’âme agissant pratiquement, quand elle est mise en mouvement par
les préceptes de Dieu, le psaltérion est l’esprit pur poussé par la connaissance spirituelle.!» (In psal. 32, trad.
T. Gerold, idem, p. 126). Il compare également le psaltérion décacorde au corps humain puisque celui-ci pos-
sède cinq sens et cinq forces énergétiques de l’âme (In psal. 91, v. 4). L’influence néoplatonicienne est impor-
tante.
250
«!En première ligne, il nous faut célébrer le Seigneur avec la cithare, c’est-à-dire : il faut qu’un accord
harmonieux soit à la base de nos actions corporelles. Il faut purifier celles-ci pour pouvoir arriver à contempler
les choses intellectuelles. On a probablement appelé ‘psalterion’ l’esprit qui cherche à s’élever vers les régions
supérieures, à cause de la structure de cet instrument dont la puissance de résonnance réside dans la partie supé-
rieure.!» (Basile, Hom. in Ps. 32, v. 2, trad. T. Gerold, op. cit., p. 127)
QUATRIEME PARTIE 532

de concorde, de la iustice et la misericorde!»251 , à célébrer par conséquent l’espérance délivrée

par David et Jésus par la vertu de ces mêmes airs qui régissent la concorde universelle. Elle est

facteur de paix.

2. Les «!effets!» de la musique sacrée

On ne saurait par conséquent voir dans cette volonté de porter sur scène le lyrisme de

David, des patriarches et même du Christ la simple expression d’un désir, de la part du dra-

maturge, d’adjoindre au plaisir des yeux l’ornement agréable d’airs sacrés connus et appré-

ciés de la petite église réformée. La preuve en est qu’elle posait également des problèmes

théologiques auxquels des œuvres plus «!classiques!» de la Réforme, comme les Tragédies

Saintes par exemple, avaient su éviter. C’est ainsi que les cantiques à trois et quatre parties, ne

serait-ce que parce qu’ils unissent la voix de personnages qui n’étaient pas contemporains, ni

même musiciens pour la plupart, impliquent un sacrifice et un écart par rapport à l’usage de la

dramaturgie réformée en pleine formation. Pourquoi, alors, cet attachement à faire chanter

ensemble David et ses pairs? Quel rapport cet attachement révèle-t-il entre l’exercice de la

prophétie et la musique?

Nous avons précédemment évoqué que le propre de la parole prophétique (littérale,

mais ici également musicale) est son efficacité et son infaillibilité!: ce qu’elle annonce est vé-

rité, elle doit donc s’accomplir. Son authenticité se mesure, dans le temps, à ses effets. Si la

musique sacrée occupe une position aussi centrale dans le drame biblique, c’est peut-être pré-

cisément parce que la théorie antique des «!effets!» de la musique, dont la fortune à la Renais-

sance, on le sait, fut immense252 , reconnaissait à certaines musiques une puissance surnatu-

relle!; il était facile de les comparer à l’efficacité relative au verbe prophétique. On sait que

251
Mus., v. 185-86.
252
Cf. Frances Yates, op. cit., pp. 47-123.
QUATRIEME PARTIE 533

l’académie de Baïf, fondée quatre ans seulement après la publication de la Musique, prêtait

aux mélodies composées «!à l’antique!» un pouvoir quasi religieux!: celui d’élever et de puri-

fier de leurs auditeurs, et grâce à cette purification, de les préparer à une accession aux niveaux

supérieurs et mystiques de la connaissance. Non seulement la mythologie, les exploits

d’Orphée et de Terpandre, accréditaient cette croyance, mais aussi la Bible, dans I Sam. 14, 23,

où David (oint par Samuel) se rend à la cour de Saül pour soulager, en jouant de la cithare, la

mélancolie du roi. Les maîtres de la Réforme avaient pour leur part restreint ce pouvoir salu-

taire de la musique au domaine des cantiques bibliques et de la psalmodie. Selon Calvin, le

chant des psaumes avait pour particularité de produire des effets bénéfiques sur les âmes

tourmentées!: il apportait la paix et la sérénité253 . Luther, quelques années plus tôt, avait lui

aussi souscrit à la théorie des effets de la musique des Anciens en se référant à David:

La musique, c’est l’art divin, le beau don de Dieu!; elle chasse les tentations et
les mauvaises pensées. Voyez comme David, par ses chants, calme les transports
du roi Saül!! C’est un baume sur les cœurs troublés, elle apaise l’âme, elle la ra-
fraîchit. Elle apporte partout la paix et la joie. La colère, l’impureté, l’orgueil, le
vice disparaissent devant elle. Après la théologie, c’est la meilleure et la plus
haute des sciences!; aussi David et tous les saints ont-ils mis en musique leurs di-
vines inspirations […] Les enthousiastes méprisent cet art!; je les en blâme, car
c’est un merveilleux bienfait de Dieu!; elle et une discipline dans la vie, elle
adoucit les mœurs, elle rend les hommes meilleurs.254

253
Cf. Pierre Pidoux, op. cit., pp. 1, 17 et 21. Calvin associe à la musique («!le chant, ou la mélodie!») une
puissance particulière qui échapperait à la poésie prise isolément («!la lettre!»), d’où sa mise en garde sur les
effets pernicieux de la musique profane. La musique sacrée, en revanche, exercerait sur l’homme un effet puri-
ficateur : «!Et à la verité, nous congnoissons par experience, que le chant a grand force et vigueur d’esmouvoir
et enflamber les coeurs des hommes, pour invoquer et louer Dieu d’un zèle plus vehement et ardent. » (Épistre
au lecteur de la Forme des prieres et chantz ecclesiastiques, recueillie dans Pidoux, op. cit., p. 17)
254
Luther, cité sans indication de source par J.-C. Margolin, Érasme et la musique, Paris, Vrin, 1965, p. 9.
J.-C. Margolin montre également que Luther insiste sur l’importance d’unir à la mélodie, la Parole de Dieu!:
«!Le roi David, ce grand maître-musicien, ce saint psalmiste, exalte la merveilleuse science des oiseaux dans
leur chant […] Mais comparé à la voix humaine, tout a l’air dépourvu de sens musical […] D’où tant de canti-
QUATRIEME PARTIE 534

Luther ne faisait que reprendre le catalogue interminable des bienfaits de la psalmodie

grâce auxquels les Pères, malgré les nombreuses accusations d’immoralité portées à

l’encontre de la musique, avaient assuré la survie de l’art musical religieux dans l’Occident

chrétien255 . C’est néanmoins sous cette forme que les mélodies sacrées devaient rester, pour

les luthériens, un outil efficace pour transmettre la foi, d’où l’appréciation de la musique reli-

gieuse en tant que sœur cadette de la théologie.

La Musique de David consacre aux ‘effets’ de la parole prophétique, envisagés

comme le substitut chrétien aux théories antiques sur les pouvoirs de la musique, une place de

choix. L’importance qu’attachait l’auteur anonyme du drame à ces pouvoirs apparaît notam-

ment dans la puissance que la musique déploie en présence du Juif et du Gentil. Le poète

christianise l’énumération classique et pythagoricienne des «!effets!» en s’inspirant des théo-

ries musicales médiévales256 !: parce qu’ils sont à l’image de l’harmonie divine, les airs du

ques et de psaumes qui, tant par la parole que par la voix, agissent simultanément dans le coeur, alors que la
musique seule ne provoque dans les corps animaux que des gestes.!»!Idem, p. 11.
255
Par l’intermédiaire des écrits patristiques, la philosophie pythagoricienne de la musique était entrée dans
l’Église, et avec elle, la notion d’utilisation religieuse de la musique en vue de l’obtebtion d’«!effets!» d’ordre
spirituels. La liste des bienfaits attribués à la psalmodie est interminable!(Cf. T. Gerold, op. cit., ch. 3, pp.
101-15). Contentons-nous de citer, à titre indicatif, un extrait de la première homélie de Basile sur les psau-
mes!: La psalmodie «!chasse les démons et attire l’aide des anges. C’est une arme contre les craintes noctur-
nes et un repos dans les fatigues du jour!; c’est une aide pour ceux qui sont encore faibles d’esprit, un orne-
ment pour ceux qui sont encore dans la fleur de la jeunesse, une consolation pour les plus vieux, la parure la
plus séante aux femmes. La psalmodie peuple les déserts, donne aux marchés un caractère sérieux. Pour les
débutants c’est un commencement, pour ceux qui sont plus avancés un moyen de progresser, pour ceux qui
sont déjà fermes, un soutien. C’est la voix de l’Église. Le psaume rend les fêtes joyeuses, il donne au deuil le
caractère qui lui convient selon Dieu. Le psaume peut même faire sortir des larmes d’un coeur de pierre. Il est
l’oeuvre des anges, la conversation céleste, l’encens spirituel, etc.!» (Homil. I in ps., in Migne, P. L. 29, col.
213-14, trad. T. Gerold, op. cit., pp. 102-03).
256
Les principales théories musicales antiques traversèrent le Moyen-Âge chrétien notamment par
l’intermédiaire de Pères comme Augustin, dont la fortune du De Musica, on le sait, fut immense. Nous ren-
voyons à ce sujet à l’admirable essai d’Alain Michel, In Hymnis et canticis, culture et beauté dans l’hymnique
chrétienne latine, Louvain, Publ. universitaires, 1976, ch. 5, pp. 67-82.
QUATRIEME PARTIE 535

psalmiste modifient de différentes manières, sur une échelle de degrés bien identifiée, les états

d’âme de son auditoire. D’une manière générale, la psalmodie purifie l’âme, «!chassant […]

fascherie et douleur!»257 . Ce baume sur le cœur est le signe que l’inspiration de l’Esprit de

Dieu est à l’œuvre dans l’office du prophète («!Douce armonie en esprit me ravit!»258 , dit

David) et que l’art qu’il répercute provient bien du Ciel. Plus remarquablement, la musique

des premier et second David a pour effet d’attaquer les forces maléfiques et de déloger « les

iniques espritz / Blessans de cœurs la fresle humanité!»259 , selon les termes mêmes du be-

thléemite. Moïse élargit encore cette œuvre de purification à l’extermination du mensonge!:

pour le législateur, les airs spirituels entonnés de concert par David et les patriarches ont la

force de renverser les idoles et de contribuer à l’annonce de l’avènement du Messie!:

[…] on verra en tous lieu


Dessous les cieux ruiner les faux dieux
Par le doux chant des chantres precieux
Qui constamment les rendront confonduz.260

Le degré supérieur d’efficacité des cantiques et de la psalmodie, ici liée à l’imaginaire escha-

tologique, étonne davantage. Il est décrit par le psalmiste comme la faculté de réveiller les

morts. Lorsque le chœur entonne un air authentiquement divin, le plus grand des miracles est

en effet susceptible de se produire!:

Morts en terre estenduz


Reprendront vie au ton psalmodieux.261

257
Mus., v. 94.
258
Mus., v. 92.
259
Mus., v. 100-101.
260
Mus., v. 189-92.
261
Mus., v. 186-87.
QUATRIEME PARTIE 536

La voix même du Christ, que semble répercuter intégralement le personnage de David, a pour

propriété de sceller la défaite du Mal et de relever de ses cendres le peuple des élus. Cet écho

du Messie est la «!Voix dont les saints on fait par leurs recors / Ressusciter des hommes plu-

sieurs corps!»262 . La dimension vivifiante de la Parole implique par conséquent la valorisation

de l’oralité, qu’elle soit parole ou chant. Elle a partie liée avec la production d’’effets’ spécifi-

ques auprès des hommes de la nouvelle Alliance!: le temps des miracles n’est pas encore

écoulé, il se conçoit dans la pièce comme la dispensation orale, par les prophètes, de la Bonne

Nouvelle destinée aux pécheurs263 . Cet attachement à la parole vive et à l’énonciation du

Verbe est révélateur de l’idée de l’activité prophétique dont se nourrit la Musique!:

l’importance de la profération révèle un désir de doter les figures messianiques d’une force et

d’une efficacité évocatrices de l’action créatrice!; elles adjoignent à la théorie des «!effets!» de

la musique des signes de l’œuvre transfigurante et sans cesse renouvelante de Dieu dans

l’Histoire.

3. Puissance et impuissance de la musique

Le pouvoir de réveiller les morts est, sans aucun doute, le versant le plus positif de la

puissance musicale des premier et second David. Le dénouement de la pièce, lequel montre le

Juif tout aussi empressé de faire bon accueil aux trois Pères d’Israël que de rejeter le Christ et

son chant nouveau, pose cependant la question délicate de la modalité d’efficacité de la parole

inspirée, prophétique aussi bien que divine, et des limites de son emprise sur le peuple des

262
Mus., v. 370-71.
263
Pour Calvin, la révélation orale est supérieure à la révélation écrite, la seconde n’étant que la communica-
tion différée et statique de la voix de Dieu adressée à son peuple!: «!Car c’estoit tout un comment ilz fussent
faictz participans de la parole divine, moyenant qu’ilz entendissent qu’elle estoit procédée de Dieu!; de laquelle
chose le Seigneur les a tousjours renduz certains, quand il a voullu donner lieu a la revelation d’icelle. Il s’est
QUATRIEME PARTIE 537

élus. Lorsque les Pères et les commentateurs médiévaux dissertaient de la théorie chrétienne et

pythagoricienne des «!effets!» de la musique, ils n’envisageaient pas, à notre connaissance,

l’éventualité d’un échec du Verbe à modifier les états de l’âme et du cœur. Le Seigneur est

tout-puissant à engendrer les effets qu’il souhaite!; ceux qui se ferment à sa Parole ne le peu-

vent que parce que Dieu leur en donne le pouvoir et la liberté. Le dénouement de La musique

de David, pour sa part, illustre cette incapacité du Juif à se laisser toucher par elle. La Révéla-

tion, fût-elle mise en musique, n’atteint pas son auditeur par la force, comme David lançant sa

pierre au front du Philistin ahuri. La rhétorique, dans la pièce, n’est pas une arme!; elle est un

art. Elle laisse à l’auditeur la liberté de recevoir ou non les effets de la musique inspirée, et

d’accéder ou non à la lumière.

David est donc un artiste. La seconde moitié de la pièce, marquée par l’arrivée du

Christ sur la scène, ne fait qu’effleurer ce visage essentiel du psalmiste pour mettre davantage

en valeur celui de son divin archétype, le Messie. La réflexion du dramaturge sur l’efficacité

de la prophétie mise en musique, condensée à la toute fin de la pièce, concerne essentiellement

ce dernier personnage!: la «!musique de David!» devient celle du Christ, du «!Prophète!» venu

accomplir la parole de ses prédécesseurs. Ce revirement d’identité autour de David commande

qu’on s’arrête en dernier lieu à cette musique entonnée par le Christ, laquelle nous permettra

de tirer certaines conclusions au sujet du prophétisme tel qu’il apparaît dans la pièce.

Comme dans la trilogie de des Masures, la musique du véritable David, le Christ, fonc-

tionne conformément au fondement de l’art oratoire dégagé dans l’Institution de Quintillien!:

selon la tradition du «!vir bonus dicendi peritus!», la force de conviction ne procède pas

d’emblée du discours lui-même mais, avant même la prise de parole, d’un jugement de

descouvert à peu de gens, leur donnant signe manifeste de sa présence […]!» Institution …, op. cit., vol. I, p.
62.
QUATRIEME PARTIE 538

l’auditoire sur la crédibilité personnelle de l’orateur (ou, ici, du musicien)264 . Les réactions du

Juif, à cet égard, sont révélatrices. Ses critiques d’ordre esthétique et intellectuel concernent

exclusivement l’histoire personnelle du fils de David et font peser sur les épaules du Christ

les reproches particuliers que portèrent à son encontre les Pharisiens dans le Nouveau Testa-

ment!: «!N’est-il pas le fils du charpentier?!»265 Plutôt que sa parole, c’est donc

l’enracinement social de Jésus qui empêche l’Israélite de se laisser toucher par la mélodie de

Dieu. Le Christ de la pièce se caractérise par son humilité!: il ne fréquenta jamais les milieux

cultivés et semble dépourvu de la belle érudition convenant à un roi!; aux yeux du Juif, sa jeu-

nesse lui est même opprobre tant elle contraste avec la sagesse patinée et respectable

d’Abraham, de Moïse et de David. Le «!chantre à claire alleine!» manquerait enfin de techni-

que, de talent et de toutes les dispositions essentielles à un personnage de haut rang. Écoutons

le Juif!:

Laissez aller ce chantre à claire alleine


(Assez de tels en ay a mon logis)
Lequel auroit travail et grande peine
S’il advenait qu’il fut chantre des Iuifs.266

Il ressort de cet échec de la musique à libérer des effets chez le Juif que le lyrisme

prophétique partage avec la parole même de Dieu des limites non pas intrinsèques, mais liées à

la bonne ou mauvaise disposition de l’auditoire. À l’auditeur revient essentiellement le pou-

voir de recevoir les ‘effets’ promis pas les prophètes. En revanche, ce bon vouloir de celui

auquel la musique s’adresse fragilise la position du locuteur prophétique car du point de vue

264
Il s’agit de la tradition du vie bonus dicendi peritus cité dans l’Inst. oratoire, 12, I, 1. Cette formule attri-
buée à Caton l’Ancien qui désigne l’orateur idéal nous ramène à la conception la plus ancienne de l’èthos,
entendue comme le tempérament magnanime, le bon caractère par excellence qu’Aristote reconnaissait par
exemple à Socrate.
265
Cf. Matt. 13, 53-58.
QUATRIEME PARTIE 539

de la foi, celui-ci est soumis à ce paradoxe qu’il énonce des vérités toutes-puissantes à trans-

former les hommes alors même qu’il échoue à émouvoir un représentant du peuple élu, pour-

tant davantage préparé à recevoir la Bonne nouvelle que le reste de l’humanité. Le dramaturge

fait porter à la question musicale le constat de Michée, «!La voix du Seigneur crye sur la cité,

et il y en a d’aulcuns seulement qui la recoipvent!»267 . Au sein de l’univers créé, transitoire, la

vraie puissance de Dieu revêt le manteau de la fragilité et de la discrétion!; à l’instar du Créa-

teur lui-même, les effets de la divine mélodie ne s’imposent pas à l’auditeur.

Ce problème, qui conserve dans la pièce toute sa difficulté, avait déjà tourmenté plus

d’un théologien. Dans sa série d’homélies sur Michée, Calvin avait par exemple tenté de

contourner la question de l’inefficacité possible du Verbe prophétique chez certains hommes

en refusant de remettre en cause la toute-puissance de Dieu!: si les appels du fils de David

sont parfois restés sans réponse, ce ne fut pas faute d’efficacité, affirme-t-il. Si les

«!meschantz!» se rebellent devant le Christ et les prophètes, c’est là un signe que la parole

reçue du Ciel inflige une plaie réelle et indéfectible à leur âme!: « car ceste parolle a telle viva-

cité, qu’il fault qu’ilz congnoissent qu’il y a une vertu puissante qui les tormente, et qui les

pique jusques au plus profond du cœur. Et voilà pourquoy ceste parolle n’est pas receue

[…]!»268 . La Musique pose ce même problème des effets inconditionnels du Verbe inspiré,

mais c’est cependant le commentaire de Luther, plutôt que les idées de Calvin, qui fournissent

encore à l’auteur ses éléments de réponse!: le Juif, dans le drame, se ferme librement aux mé-

lodies du second David parce que son attachement au Décalogue l’empêche d’accéder à la

grâce. La musique des prophètes, fût-elle de la bouche même du Messie, n’offre par consé-

quent aucune garantie d’efficacité. La vérité que dicte la raison (et que caractérise le Juif) fait

266
Vers 257-30.
267
Michée, 6, 9 cité après Calvin dans le 23e de ses Sermons sur le livre de Michée daté du 5 janvier 1551, in
[Jean-Daniel Benoît], Supplementa calviniana, Newkirchener verlag des erziehungsvereins, Neukircher, 1964,
tome 5, par. 180 a.
QUATRIEME PARTIE 540

obstacle au rayonnement intérieur de la foi!; sans l’adhésion libre et entière au Christ, l’une et

l’autre s’excluent mutuellement. La musique échoue alors à convertir les âmes, comme

l’affirme le Christ en s’adressant au rétif!:


Sourde ignorance empesche ton aureille
De nettement nostre musique entendre
Mais si ton cœur à ouir s’appareille
Tu iouyras je ioye nom-pareille
Et a moy seul l’honneur tu voudras rendre.269

Il ressort de ce qui précède que l’une des originalités de la Musique de David consiste

dans ce fait qu’elle adjoint à l’ancienne théorie des «!effets!» de la musique la conception

luthérienne de l’antinomie de la Loi et de la grâce. Sans la libre adhésion du croyant au Christ,

le strict respect de la Loi fait barrage aux effets de la grâce promus par le chant des premier et

second David. La parole des prophètes n’a de puissance qu’en vertu des dispositions intérieu-

res des hommes auxquels elle s’adresse. David, comme Moïse, Abraham et même le Christ,

ont pour seule mission de proférer un message et, au mieux, de le mettre en musique, sachant

que ses ‘effets’ leur échappent. Ils leur revient donc, dans les limites temporelles de la nou-

velle Alliance, de tenir aussi bien que possible leur rôle de porte-voix, cherchant uniquement à

refléter l’harmonie divine susceptible d’ouvrir les esprits et de convaincre.

Devenus allégories de dogmes religieux, les protagonistes de la pièce gagnent en puis-

sance d’évocation symbolique, mais perdent aussi en humanité. Ils sont les relais presque

impersonnels de concepts théologiques, mais non des élus auxquels les croyants de la Renais-

sance auraient pu passionnément s’identifier. Il est probable que le peu de retentissement que

la Musique de David semble avoir remporté ait été lié à ce caractère trop exemplaire pour être

émouvant. Mais la pièce est un drame, et non une tragédie, elle obéit à un genre à forte conno-

268
Jean Calvin, 6e de ses Sermons sur Michée daté du 25 novembre 1550, idem, par. 48 a.
269
Mus., v. 312-16. L’«!ignorance!» dont il est ici question est une évocation antonymique à la science du
Juif, laquelle nourrit l’esprit mais non le coeur.
QUATRIEME PARTIE 541

tation médiévale qui permet une telle expression des idées. La production dramatique de la

Renaissance fera néanmoins de cette pièce dissidente un cas unique et sans émules connus.

Elle manifestera sa préférence pour un théâtre davantage pétri d’humanité, même à l’excès!:

David ou l’Adultère d’Antoire de Montchrestien en sera une illustration flamboyante, d’autant

qu’elle place au tout premier plan les faiblesses d’un roi appelé à une dignité prophétique

devenue trop lourde à porter.


QUATRIEME PARTIE 542

Chapitre IV

Prophétisme et décadence!:

David ou l’adultère d’Antoine de Monchrestien

Un regard d’ensemble sur le tragique protestant de la seconde moitié du XVIe siècle

montre que l’épisode le plus déroutant de la vie du roi David, celui de Bethsabée, de l’adultère,

de la colère de Yahvé et de l’enfant destiné à mourir, n’a pas séduit les dramaturges les plus

engagés. Les entorses à la morale et les épisodes scabreux décrits par Samuel furent sans

doute jugés indignes de la vie chrétienne et de l’élévation propre à la tragédie. Seul Antoine de

Montchrestien, dont l’adhésion au protestantisme n’est pas avérée à l’époque de la rédaction

de David ou l’adultère, a l’audace de s’attaquer à cette page difficile de l’Écriture. L’homme

David, sa psychologie, sa faiblesse, ses dilemmes, le fascinent!; les contrastes de sa personna-

lité l’amènent à élaborer un ethos prophétique des plus étonnant, en rupture avec l’héroïsme

que les tragédies protestantes de la même époque lui avaient généralement prêté.

La source à laquelle se réfère Montchrestien est bien sûr la Bible, qui consacre à

l’adultère de David et à ses retombées un chapitre entier (II Sam. 11), et un autre à

l’intervention du prophète Nathan (II Sam. 12, 1-25). Françoise Charpentier a d’ailleurs

montré que la pièce ensuit assez fidèlement le récit biblique pour le déroulement narratif270 .

Mais la pièce s’en écarte lorsqu’elle s’attarde à des descriptions voluptueuses de la femme au

bain, des ravages de l’amour dans le cœur du roi et des déboires qui s’ensuivent. La tragédie

270
Françoise Charpentier, Les Débuts de la tragédie héroïque, op. cit., pp. 280-88.
QUATRIEME PARTIE 543

emprunte alors sa thématique à Rémi Belleau, que les amours du héros épique avaient fasciné,

et aux Triomphes!de Pétrarque, consacrés aux méfaits du petit dieu ailé sur les grands du

monde!: l’amour, «!nourry de doulces et souefves pensées, lequel est faict dieu et seigneur des

folz!», vainc « l’homme débonnaire, et saige, et frappe et navre le vieil!», d’où un certain tragi-

que qui en procède!: «!meine dure & aigre vie, celluy qui est feru de luy [i.e. amour] comme

s’il estoit cloué de mille clous!»271 . Les Triomphes, qui évoquent David et Bethsabée à la

suite de Jacob et Rachel, Abraham et Sarah, Samson et Dalida, donnent une forme embryon-

naire à ce qui sera, chez Montchrestien, le sujet de toute sa tragédie!:

Regardant ensuyvant comme amour est cruel & maulvais, qui a vaincu DAVID
et sa force, & contrainct à faire l’œuvre, dont apres se plainct et plore en lieu
obscur, par penitence!; car puis sa infime volunté, inefficace, eust insupérable af-
fection d’amour, ausquelle n’a esté possible que les grandes sciences et forces
de Hierusalem ayent peu resister, ensemble toutes les prophéties, avec les parol-
les aornés, par la grace du sainct esperit qui leur estoit donnée.272

Comme dans l’épyllion de Rémi Belleau, la tragédie de Montchrestien commence sur l’échec

de David à résister à la beauté de Bethsabée et se termine abruptement sur un repentir inspiré

des psaumes de la pénitence. Le héros est donc doublement vaincu!; malgré sa dignité royale

et prophétique (David est l’oint de Samuel), il est terrassé par l’amour fou et même par Dieu,

qui le réprimande durement – plus durement, même, que dans la Bible – dans l’intervention

lapidaire de Nathan. De défaite en défaite, il devient manipulateur, tyrannique et lâche, peu

crédible dans son repentir de dernière minute. Montchrestien noircit son personnage, quitte à

l’éloigner de l’univers scripturaire qui a pourtant immortalisé sa faute. «!Le David de Mont-

chrestien n’est pas un personnage biblique!»273 , va jusqu’à écrire Charles Mazouer. Il est vrai

271
François Pétrarque, Les Triumphes, Paris, Denis Janot, 1539, fol. 3r et v .
272
Fol. 24v .
273
Art. cit., p. 261.
QUATRIEME PARTIE 544

que la persistance du héros dans son amour criminel éclipse la figure du croyant, celle même

qui donna à la tradition chrétienne sa principale école du repentir. À mesure que le tragique

s’impose, le prophète David perd en sainteté, comme si la Bible et la tragédie ne pouvaient

coexister sans être altérés dans l’un ou l’autre de ses aspects essentiels.

Et pourtant, il faut bien reconnaître que David ou l’adultère, ne serait-ce que pour

l’épisode qu’elle choisit d’aborder, reste une tragédie biblique. Tragédie!: l’épisode choisi

par Montchrestien aborde le thème de l’homme et de sa finitude, fût-il grand roi et prophète

de l’Éternel. La séduction qui précipite sa chute et son malheur rappelle l’impossibilité pour

l’homme de s’affranchir, seul, du péché originel, de la faute. La situation ainsi décrite corres-

pond aux caractéristiques du héros selon la Poétique d’Aristote et au pivot essentiel de la tra-

gédie grecque à laquelle se réfère Paul Ricœur!: «!Dans la tragédie, le héros tombe en faute

comme il tombe à l’existence!»274 . Il n’échappe pas à lui-même, et Montchrestien s’attachera

à le montrer. Biblique!: par l’épisode que la pièce illustre, bien sûr, mais également par les

tourments qui agitent David, au moins au premier acte de la pièce. La tentation de céder à ses

passions, d’opposer à Dieu une résistance, n’est pas étrangère à l’expérience prophétique telle

qu’elle apparaît dans l’Ancien Testament!; on pourrait même dire qu’elle est canonique. Il

arrive en effet que les prophètes se rebellent (ouvertement ou non) contre Dieu, et le David des

heures noires en est un exemple. En même temps, et c’est là l’intérêt et le problème de la

pièce, c’est précisément lorsque Montchrestien s’emploie à montrer une figure d’élection en

proie à la révolte que David perd sa stature biblique. Le roi d’Israël s’enfonce à tel point dans

la perversité qu’il devient le double négatif du prophète, un homme coupé de Dieu dont les

actes sont en contradiction flagrante avec la Parole dont il est investi, et dont le retour vers

Dieu laisse pour le moins dubitatif. Il y a fidélité et infidélité à l’Écriture, celle-ci

n’envisageant pas le péché avec Bethsabée sous ce seul angle de l’enchaînement des fautes et

274
Paul Ricoeur, «!Culpabilité tragique et culpabilité biblique!», Revue d’Histoire et de philosophie reli-
gieuse, vol. 33, 1953, p. 288.
QUATRIEME PARTIE 545

de la complaisance. Comment comprendre, alors, la métamorphose que Montchrestien fait

subir à son personnage, source de contradictions entre l’univers biblique et dans l’univers

tragique? Pour démêler l’écheveau, nous choisissons le fil suivant!: relever, dans la page de la

Bible que la pièce s’attache à dramatiser, quelques traits de la psychologie prophétique – de

l’éthos – que l’histoire nous révèle!; analyser, ensuite le parti que Montchrestien en tire (ou

n’en tire pas) dans la pièce qu’il lui consacre. Nous réfléchirons ensuite sur les problèmes

que pose l’irruption du tragique dans l’univers biblique, et sur les choix du dramaturge à cet

égard.

Prophétisme et finitude dans la Bible

Du point de vue de l’éthos prophétique, l’histoire de David et Bethsabée telle que la

raconte l’Écriture est intéressante. Elle montre que même chez les plus grands saints, chez

ceux dont les cœurs ont ému Dieu au point de les élever au rang de prophètes (David ne fut-il

pas «!choisi selon son cœur!»?), il n’y a pas d’homme homogène. Le vertige de la tentation et

le malheur de la chute ne sont pas incompatibles avec l’existence prophétique, ils ne la dé-

mentent pas. L’Ancien Testament le dit en termes simples!: «!il n’y a aucun homme qui ne

pèche!» (I Rois 8, 46)!; et encore «!Il n’est pas d’homme assez juste sur la terre pour faire le

bien sans jamais pécher!» (Qo 7, 20). Il n’y a pas d’ascète total. David, comme de nombreux

héros bibliques, se trouve donc dans une situation dramatique que l’on pourrait résumer en

termes pauliniens!: «!je ne fais pas ce que je veux, mais je fais ce que je hais!»275 . La tragédie

de Montchrestien se place en aval de cette inéluctable faute!: elle ne montre pas le péché de

275
Rom. 7, 15. Cette phrase est à relier à une seconde, placée cinq versets plus loin!: «!Or si je fais ce que je
ne veux pas, ce n’est pas moi qui accomplis l’action, mais le péché qui habite en moi!». La tragédie de Mont-
chrestien se place précisément sur ce plan du mal qui agit dans l’homme de bien : elle met en scène le pécheur.
QUATRIEME PARTIE 546

David mais commence dès lors que son union est consommée avec Bethsabée. Elle en évoque

les conséquences. Le contexte théologique, psychologique, humain qui apparaît au moment de

la faute dans l’Écriture constitue donc la trame sur laquelle se nouent et se ramifient les motifs

de David ou l’adultère. Que révèle ce contexte de l’existence prophétique? Qu’elle implique

une confrontation de l’homme avec sa finitude et avec ses limites, et que la révélation divine

n’est possible qu’à l’intérieur de cet ancrage dans la vie telle qu’elle est.

Afin de mieux comprendre les choix que Montchrestien effectue par rapport à la

source biblique, nous nous proposons d’abord de rappeler les éléments essentiels qui

s’additionnent dans l’Écriture pour entraîner la faute du roi hébreu. Ils révèlent que

l’expérience d’une chute est indissociable, dans la Bible, de la vocation prophétique. Mont-

chrestien prendra le parti inverse!: sa tragédie fera de l’adultère l’écueil le plus terrible sur

lequel viendra s’échouer l’éthos prophétique de David. Nous essaierons d’en comprendre la

raison.

1. Circonstances de la chute

Dans l’Écriture, l’épisode stupéfiant qui unira David à Bethsabée n’est pas incompati-

ble avec l’identité prophétique du premier roi d’Israël. Il illustre simplement un aspect pénible

de sa condition de prophète. Il s’avère en effet que dans la Bible, malgré les efforts et le dé-

vouement des élus à l’égard du Très-Haut, Dieu ne leur épargne pas l’épreuve de la fragilité et

du doute. Le Tout-puissant est libre et les hommes, de simples instruments livrés à leurs limi-

tes existentielles. Au long de sa mission David sera confronté à son impureté, et cette même

impureté pourra le mettre en conflit avec Dieu.

Le récit de la faute survient, dans l’histoire de David, dans un contexte de profond

désarroi pour le roi. Il convient d’en rappeler l’essentiel. Pour conquérir Jérusalem, David se

bat sur tous les fronts!: il défie les Philistins, les Jébuséens, les Ammonites, les Araméens. Le

voilà plus que jamais confirmé dans son rôle de militaire au service du Dieu des armées. Mais
QUATRIEME PARTIE 547

David, en son for intérieur, aspire à autre chose!: il se voit déjà comme le bâtisseur à venir du

Temple276 . Or Dieu, par l’oracle de Nathan277 , ne lui accorde pas de construire le Saint des

saints. Comment David réagit-il à cette annonce? La Bible, discrète, évoque l’acquiescement

du guerrier, qui «!trouve le courage de faire une prière!» (II Sam. 7, 27). Le Midrash raconte

pour sa part que le refus de Dieu soulève le peuple contre David!: «!Quand donc mourra-t-il,

crie le peuple, et à quand l’apparition de Salomon, son fils, qui construira ce temple où nous

pélerinerons dans la joie?!»278 Sous le couvert de religiosité, on se serait donc mis à guetter la

mort de David. Dieu aurait voulu consoler David en lui annonçant que de toute éternité, l’un

de ses descendants est désigné pour ériger le Temple!: «!C’est lui qui construira une maison

pour mon nom!» (II Sam. 7, 13.) Il lui aurait même révélé ceci!: «!Sache que la Justice et la

Droiture que tu pratiques me sont plus chères que le Temple lui-même!»279 Ce qui apparaît

dans ce passage, et dans d’autres assez semblables qui insistent sur les tentatives divines

d’apaiser le roi, c’est que David aurait été tout bonnement inconsolable. Lui qui s’était cru

architecte de sainteté, il se voit ramené à la fonction de guerrier, de «!faiseur de chaos, un allié

du néant et de la mort!»280 . C’est à cette époque de solitude pour David que le scénario de la

chute de David commence, dans la Bible, à se profiler. Contrairement à son habitude (tel un

bon berger, il «!sortait et rentrait avec Israël!»281 ), David envoie ses troupes porter le ravage

276
II Sam. 7, 1!: «!Quand le roi habita sa maison et que Yahvé l’eut débarrassé de tous les ennemis qui
l’entouraient, le roi dit au prophète Nathan!: «!Vois donc! J’habite une maison de cèdre et l’arche de Dieu
habite sous une tente!!» Nathan répondit au roi!: «!Va et fais tout ce qui te tient à coeur, car Yahvé est avec
toi!»
277
II Sam. 7,5-17.
278
Cohen, op. cit., p. 103.
279
Idem, p. 104.
280
Ibidem.
281
II Sam. 5, 2. David obéissait à la parole de l’Écriture!: «!Moïse parla à Yahvé et dit!: Que Yahvé, Dieu
des esprits qui animent toute chair, établisse sur cette communauté un homme qui sorte et rentre à leur tête,
QUATRIEME PARTIE 548

chez les Ammonites mais ne se présente pas au combat!: «!Cependant David restait à Jérusa-

lem!», dit l’Écriture282 . Cet acte revêt un symbolisme tragique!: il laisse entendre que David

renonce à honorer ses responsabilités, qu’il ne se comporte plus comme le chef suprême du

peuple d’Israël. Il démissionne de la fonction royale et prophétique que Yahvé lui avait impar-

tie. La faute dont il va se rendre coupable avec la femme d’un soldat et l’échec de David à se

comporter en meneur militaire sont donc simultanés!: en se dessaisissant de ses devoirs politi-

ques, le roi échoue face à son peuple et face à Dieu. Sa lâcheté trahit son épuisement, un épui-

sement qui triomphera de sa conscience morale lorsque Bethsabée croisera son chemin.

2. Indignité prophétique et fragilité humaine

Les circonstances bibliques qui entourent sa chute sont riches d’enseignement pour la

compréhension de la personnalité prophétique de David. Elle montre d’une part que l’homme

de Dieu, avant même d’appartenir à Dieu, est un homme et rien qu’un homme. Un être que la

volonté divine peut dépasser, voire terrasser, de même qu’elle peut lui donner un supplément

de vie et de combativité. Le prophète, Montchrestien le sait bien, ne se défait jamais de

l’homme de chair, par opposition à l’homme de l’esprit, l’ordre surnaturel auquel il a part283 .

Si l’on doit envisager son destin sous un éclairage tragique, c’est précisément ici que se situe

la source de tous ses malheurs. Mais le David de Samuel n’est pas seulement un être écrasé

par sa faiblesse!: il est aussi davantage. Lorsque l’esprit de Dieu traverse l’âme de l’élu, un

supplément de vie et de présence amène celui-ci au-delà l’ordre de la nature. Il est empoigné

par une force nouvelle, il devient autre. Dans le cas de David, Dieu lui-même revendique cette

qui les fasse sortir et rentrer, pour que la communauté de Yahvé ne soit pas comme un troupeau sans pas-
teur.!» Nbres 27, 15-17.
282
II Sam. 11, 1.
283
La chair, dans la Bible, signifie l’homme, l’humanité!: «!c’est l’homme avec son indice de fragilité qui
tient à la poussière dont il est fait.!» Cf. Neher, op. cit., p. 92.
QUATRIEME PARTIE 549

métamorphose!: «!C’est moi qui t’ai pris au pâturage, derrière les brebis!; j’ai été avec toi

partout où tu allais!»284 . David passe de l’amour du monde, de la nature et des hommes à

l’amour de Dieu, lequel implique une rupture avec la vie antérieure et ses inclinations naturel-

les et l’accession à une existence différente, plus exigeante, plus lucide, tournée vers l’absolu.

C’est cette présence surnaturelle qui demande tout de l’homme, d’être vécue, assumée, énon-

cée et partagée, qui fait de lui un prophète.

La métamorphose de l’âme qui fait passer l’existence d’un simple homme à celle

d’homme de Dieu ne représente cependant jamais, dans la Bible, une garantie contre l’errance

morale et spirituelle. Il arrive en effet dans l’Ancien Testament que l’épreuve de la déception

et de la douleur fasse régresser le prophète de la pureté à l’impureté. Mais l’existence pro-

phétique du pécheur, en revanche, n’en sort pas altérée. L’âme souffre, mais le prophète lui

survit. C’est le cas de David, le petit pâtre fait prophète et organisateur du culte d’Israël, qui,

brisé de ne pouvoir construire le temple, tomba sous les charmes d’une simple femme. Les

épreuves l’amenèrent à écrire plusieurs psaumes, dont certains messianiques!: il demeure,

contre vent et marées, nabi, avec les caractéristiques du nabi. Le cas le plus extrême

d’altération prophétique est celui de Saül. Yahvé le choisit et le transforme dès l’enfance. Dès

le début de sa carrière, il sait que tous les chemins ne mènent pas à Dieu et ne s’y engage pas.

Il a le sens aigu du pur et de l’impur. Un jour, sa vie bascule. Yahvé exige de lui une lutte

contre Amalec qui dépasse son entendement. Elle visait des innocents!: femmes, enfants, bé-

tail. Conscience morale et politique, désir spontané de la générosité, tout en Saül est alors pul-

vérisé par l’exigence de l’absolu. Il est obligé de se soumettre, mais tout son être en est bles-

sé. Son comportement se dégrade!: le roi commet alors faute sur faute, et Dieu lui retire le

sceptre pour le confier à David. L’esprit divin qui l’habite est devenu le siège des contradic-

tions, du morbide. Il est désormais malade et le restera jusqu’à sa mort. Le grand paradoxe de

Saül vient de ce renversement total au cœur même de l’expérience prophétique. Certains bi-

284
II Sam. 7, 8.
QUATRIEME PARTIE 550

blistes affirment en effet que même dans cet état extrême, Saül reste un prophète car l’esprit

mauvais qui l’assaille, la ruah raa, est dérivé de Dieu!: car c’est bien l’Éternel qui l’a rendu

fou285 . Mais alors qu’ailleurs, le souffle qui habite l’élu vient épanouir la personnalité, ici il la

ronge. Saül mettra fin à ses jours détruit par lui. Sur le plan de la révélation, la ruah de Dieu

concentre sur elle le pouvoir spirituel à tous les niveaux, depuis la spiritualité abstraite jusqu’à

la magie, depuis la pureté jusqu’à l’impureté, depuis le bien jusqu’au mal. Dans la perspective

de l’inspiration, les extrêmes du monde existent dans la mesure où Dieu lui-même existe.

À l’origine de l’expérience prophétique, il y a donc une altération qui amène l’élu à ne

plus être seul, mais qui ne le préserve pas de la finitude que dicte la nature. Une tension

s’établit entre ces deux ordres, une tension qui ne fait pas du David de la faute un prophète de

deuxième classe, voire un prophète apparemment abandonné, mais un être pathétique que

Yahvé peut faire souffrir en même temps qu’il le comble, un être qui n’échappe pas à ses

contradictions ontologiques et qui ne comprend pas les décrets de l’absolu. Il peut revêtir une

dimension tragique. On saisit mieux, alors, pourquoi l’essence du prophétisme qui appelle

l’homme à rompre avec l’impureté n’exclut pas la conformité avec l’homme de douleur. La

révélation blesse et altère celui qu’elle atteint, exige de l’élu des sacrifices auxquels il serait

tenté, par moments, de se soustraire. La déchirure se manifeste en David dès le premier appel,

lorsque Dieu le retire de la maison de son père pour le faire régner sur Israël. Elle se prolonge

également dans le temps, elle traverse son existence de part en part. Car il y a deux David!:

celui de ses tendances personnelles, naturelles et spontanées, et l’autre, que la prophétie a

transformé. Les deux sont engagés dans une lutte sans merci, car ils sont antithétiques. Nul

n’a été plus prompt à s’attacher au monde que David. Petit berger, il aime son troupeau, se bat

à mains nues pour lui!; il aime ses frères et son roi jusqu’à risquer sa vie, il aime les femmes.

Prophète, David doit se séparer de ce qu’il aime, sa famille, sa vie de liberté, pour prendre la

tête de son peuple et embrasser la violence et la guerre. Et le psalmiste s’en plaint à Yahvé!:

285
Cf. Neher, op. cit., p. 89.
QUATRIEME PARTIE 551

«!Tu as éloigné de moi mes compagnons, tu as fait de moi une horreur pour eux!»286 . Tout

artiste qu’il est, il doit se montrer fort, livrer bataille sur bataille, et l’échec ne lui est pas per-

mis. Mais les psaumes le décrivent en proie aux tentations!: «!Une bande de forcenés pour-

chasse mon âme, point de place pour toi devant eux!»287 !; «!Vois mon malheur et ma peine,

efface tous mes péchés!»288 . Sa vie, et tout particulièrement ses démêlés avec Bethsabée, le

montrera vaincu par elles. Son accession à l’existence prophétique ne se fait donc pas sans

livrer une bataille dont l’issue restera indécise jusqu’à sa mort. Elle est inséparable d’une lutte

intérieure avec Dieu et une lutte intérieure avec lui-même. Le récit de l’adultère montre préci-

sément que l’altération prophétique n’exclut pas, chez David, la confrontation dans l’être. Or,

Montchrestien, nous le verrons, choisira de l’ignorer.

L’expérience se sa propre fragilité se double encore, dans l’histoire de David, d’un

doute sur la permanence de l’inspiration. Lorsqu’il est saisi par la puissance divine, le guerrier

ne se sent pas seul et l’insistance de l’appel l’amène à accomplir des actions héroïques. Il

terrasse des armées entières. Mais le prophète n’est prophète qu’en exercice et l’inspiration

prophétique est un phénomène ponctuel!: le souffle de Dieu bondit sur David, comme il fond

sur Samson et sur Saül289 . Il «!surgit!», «!descend!», «!tombe!»!: l’inspiration est un phéno-

mène intermittent, elle apparaît et disparaît au gré de Dieu. Les psaumes révèlent que David

s’est parfois senti coupé de Dieu, notamment aux moments de tentation!; mais dans ces cas,

aucune intervention humaine n’a amené l’Esprit à se révéler dans l’immédiat. Yahvé n’est

l’obligé de personne, pas même de son prophète, et ni prière, ni sacrifice, ni sollicitation ne

peuvent le contraindre à se manifester. Pourtant, le sort du poète repose entièrement dans les

mains de Dieu!:

286
Ps. 88 (87), v. 9.
287
Ps. 86 (87), v. 14
288
Ps. 25 (24), v. 18.
289
I Sam. 10, 6 et 10!; 16, 14!; 18, 10. Jg. 14, 6 et 19!; 15, 14.
QUATRIEME PARTIE 552

Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné,


insoucieux de me sauver, malgré les mots que je rugis?!
Mon Dieu, le jour je t’appelle et tu ne réponds pas,
la nuit, point de silence pour moi. (Ps. 22 [21], v. 2-3.)
Je m’égare, brebis perdue!;
viens chercher ton serviteur! (Ps. 119 [120], v. 176.)

La nuit de l’âme que David traverse lorsqu’il rencontre Bethsabée est terrifiante, préci-

sément parce qu’elle ne présage rien de la réaction d’un Dieu souvent discret à l’égard d’un

prophète qui dépend de lui pour tout!: «!j’ai péché contre Yahvé!!!». Dieu se laisse trahir et

jusqu’à l’intervention de Nathan, il se tait. David fait donc en solitaire une expérience dou-

blement morbide, d’abord pour lui, puisqu’il se coupe du Dieu vivant, puis pour son entou-

rage, pour Urie et le fils de Bethsabée, condamnés à mourir. Sa décision de s’isoler va jusqu’à

mettre son existence en péril, et il le sait!: les psaumes n’énoncent-ils pas le lien direct entre la

coupure avec Dieu et la mort de l’homme?!:

Tu caches ta face, […] ils expirent,


À leur poussière ils retournent.
Tu envoies ton souffle, il sont créés. (Ps. 104 (103), v. 29-30)

L’un des mérites de la tragédie de Montchrestien est de tirer parti du danger inhérent à

l’intermittence prophétique et de la tentation de révolte inhérente aux prophètes pour en faire

un moteur de tragédie. En effet, son David montre un élu mourant intérieurement. Jusqu’à

l’acte final, marqué par la remontrance de Nathan, le roi persiste dans sa coupure avec

l’Éternel!; Dieu, pour sa part, reste silencieux, pire encore il semble absent, absent jusque dans

les pensées du malheureux héros qui ne l’invoque pour ainsi dire jamais. Montchrestien fait

état d’un tarissement prophétique extrême, à la fois d’en haut, puisque Dieu se mure dans son

silence, et d’en bas, du fait d’un prophète qui persiste à ignorer les devoirs de sa condition et

perd en qualité d’âme à mesure qu’il se trompe. Le David de Montchrestien déserte sa dignité
QUATRIEME PARTIE 553

propre, il abandonne la foi et l’honneur par simple séduction. Il pose à l’univers biblique la

question de la possibilité – ou de l’impossibilité – pour l’élu de mourir à sa mission, de mou-

rir à son élection, de revenir à l’état d’homme commun sans égard pour la relation particulière

que Dieu a institué entre eux.

La Bible offrait à Montchrestien de nombreuses pistes de réflexion. Il n’est en effet

pas rare, dans l’Ancien Testament, que les élus n’aient plus envie d’être prophètes, qu’ils

aspirent à redevenir de simples citoyens. Mais tous les essais de se libérer du poids prophéti-

que y sont successivement brisés. Celui que Dieu a choisi dans la Bible est prophète, il n’a

pas le choix. C’est l’histoire de David et Bethsabée!: le roi sait qu’il offense Dieu, qu’il mar-

che en sens contraire de sa vocation. Il démissionne. Mais Nathan le rappelle à ses devoirs et

sanctionne sa conduite. David pleure et jeûne, s’isole, veut infléchir les décrets de Yahvé sur

l’enfant. Sa révolte est une tentative de faire revenir le Très-Haut sur sa parole et sur l’ordre

des choses qu’Il a lui-même institué. Mais l’Éternel reste inflexible!; il pardonne et rétablit

David sur le trône. David restera roi et prophète. Cette expérience du désarroi n’est pas uni-

que dans l’Histoire Sainte!: c’est un état de crise, consécutif à un échec, que connaissent bien

d’autres prophètes canoniques. Les exemples sont multiples. Après avoir brisé les tables de la

Loi dans un accès de colère contre son peuple, Moïse prend Yahvé à partie!: «!Efface-moi du

livre que tu as écrit!»290 . Dans son cri résonne une révolte profonde, alliée à un refus

d’assumer plus longtemps son élection prophétique!; il aurait préféré ne jamais être né.

Les premières journées de la vocation d’Ézéchiel sont un autre cas typique de rétivité prophé-

tique. Il faut que la Main de Dieu s’appuie sur sa nuque pour qu’il aille vers les hommes au-

près de qui Dieu l’envoie!; mais là-bas, à Tell-Abib291 , il s’enferme sept jours dans le silence.

Yahvé persiste néanmoins dans son dessein et rappelle son élu à la mission à laquelle il ne doit

290
Ex., 32, 32.
291
Ancien nom de Tel-Aviv.
QUATRIEME PARTIE 554

pas se soustraire!: Ézéchiel, têtu, ne fléchira que sous la menace292 . Les élus traversent ainsi

plus d’une nuit prophétique, mais leur vocation les tient très fermes jusqu’à la fin. Une tragé-

die qui fait de David un homme qui fuit l’appel de Dieu, qui désobéit à la Loi et tente

d’échapper à sa condition prophétique n’est par conséquent pas étrangère, du moins au départ

et dans l’esprit, à l’Écriture, même si elle comporte (chez Montchrestien) quelques décalages

avec le récit de II Sam. 11 et 12. Ce dessein, qui semble initialement donner corps à David ou

l’adultère, annonce une entreprise théâtrale vouée à l’exploration de l’univers vétéro-

testamentaire, qu’il s’agit désormais de confronter au cœur de la pièce elle-même. Elle envi-

sage, ni plus ni moins, l’envers de l’expérience prophétique.

Aux antipodes de l’expérience prophétique

Quel aspect, quelle difficulté de l’histoire de David et Bethsabée fascina-t-elle Mont-

chrestien au point d’y consacrer une tragédie entière? Le titre même de la pièce, David ou

l’adultère293 , postule une antithèse qui condense toute la richesse et la difficulté que semble

avoir rencontré le poète dans l’épisode biblique!: il adjoint, sans transition, à la réputation d’un

homme juste un comportement criminel, il fait cohabiter des éléments contradictoires d’une

manière qui répond, chez Montchrestien, à un goût prononcé pour les inversions – ce même

goût qui l’amena, vers la même époque, à dédier à sa maîtresse Suzanne Thézart, le jour même

de son mariage, son épithalame sur Susanne ou la Chasteté294 . La tragédie biblique, dans son

développement comme dans l’énoncé de son titre, explore ce qu’il y a d’incompatible dans

292
Éz. 3, 14-21.
293
Nous utilisons la version consignée par L. Petit de Julleville, op, cit.
294
Il s’agit de cette Suzanne Thézard devenue veuve que lui-même épousa tardivement en 1618, avec laquelle
il entretenait déjà une liaison assez mal dissimulée pour que le Mercure François l’évoque en termes
«!d’intimité scandaleuse!». Cf. F. Charpentier, op. cit., p. 261.
QUATRIEME PARTIE 555

une vie droite semée d’accidents qui ne lui ressemblent pas. Elle prend à son compte la fa-

meuse question de Nathan au roi dans l’acte V, écho de 2 Sam. 12, 9, qui préoccupa tant les

exégètes aux prises avec cet épisode difficile. Ainsi la formule Montchrestien!:

Pourquoy donc, lasche, ingrat, adultere excecrable,


Oubliant et toy-mesme et mon nom redoutable,
As-tu commis d’un coup deux forfaits furieux?
Pensais-tu me surprendre ou m’aveugler les yeux,
Yeux qui ne ferment point sur celui qui m’offence? (p. 231)

Ce problème initial, prometteur dans ses prémisses, aurait donné lieu à une pièce de

premier plan sur le plan exégétique si Montchrestien avait choisi d’y consacrer une réflexion

en profondeur. Ce n’est pas le cas!; la pièce arrête son questionnement au moment même où

pointe l’esquisse de sa réponse, à la fin du premier acte!: David est amoureux, tout simplement

amoureux. À ce seul titre, il multiplie les manigances et évacue les devoirs de sa condition.

Dès les tous premiers vers, le héros a déjà préféré une femme mariée au seul être auquel nul

n’est comparable, Dieu. David commence quand le mal est fait et s’arrête quand le mal ne

peut pas aller plus loin!; seule l’intervention de Nathan arrête inopinément le protagoniste

dans sa chute, d’une manière que la plupart des critiques, de Françoise Charpentier à Charles

Mazouer295 , ont trouvé plaquée et donc peu convaincante. À la question théologique qu’elle

pose et qu’elle esquive, la pièce greffe manifestement d’autres intérêts, placés sous l’égide de

l’amour profane, lesquels rejaillissent sur la métamorphose que Montchrestien fait subir à son

David. Est-ce dire qu’elle évacue toute réflexion sur la Bible? Peut-être pas. L’élément le plus

intéressant pour nous tient à l’éthos prophétique dont l’auteur revêt son personnage!: en rup-

ture flagrante avec celui du pécheur de l’Écriture, le héros de l’Adultère est, en tous points, un

anti-prophète. La relation du dramaturge à la source biblique est donc importante, elle se mani-

feste dans une stratégie – déjà éprouvée – du contraste et de l’inversion des valeurs, stratégie
QUATRIEME PARTIE 556

qui amène le poète à faire du roi hébreu ni un révolté de l’Ancien Testament, ni un inconsola-

ble de la littérature rabbinique, mais l’envers exact et redoutable de l’élu biblique. La pièce de

Montchrestien dépeint l’homme que David aurait pu être sans l’intervention de la grâce. Elle

prend l’Écriture à rebours et fait du roi d’Israël un signe de contradiction!; elle tente peut-être

de répondre par là aux exigences du genre tragique.

1. L’envers de l’Écriture!: altération à rebours

Le premier contre-pied biblique que prend la tragédie de Montchrestien concerne la

condition indispensable à l’existence prophétique, l’altération. On sait désormais que les pro-

phètes canoniques accèdent à un surcroît de pureté par une métamorphose qui les éloigne du

monde qu’ils aimaient et les conduit à l’amour de Dieu!; le propre de leur existence est

d’avoir été transformée, d’une manière irrévocable et définitive, par une rencontre avec

l’Éternel. Le héros de David ou l’Adultère fait, lui aussi, l’expérience d’un grand bouleverse-

ment dans l’être, mais dans le sens opposé!: celui de la chute. La métamorphose qui l’affecte

de l’intérieur le mène sur le chemin d’une régression!: David passe de l’amour de Dieu à

l’amour d’une femme, au point d’y risquer son âme!: «!Je me hays moy mesme en aymant

mes amours!», dira David dans l’un de ses derniers moments de lucidité. Sujet à ses failles,

ses transgressions, ses omissions, le triomphant de jadis succombe au vice au point de devenir,

par une inversion de l’expérience prophétique, étranger à lui-même. Les motifs qu’il alléguera

au fil de la pièce pour justifier ses actions seront pervertis par cette perversion initiale, laquelle

fera s’éclipser la figure du roi-prophète pour mieux laisser la place à la figure d’une humanité

déchue.

Du fait de cette dynamique infernale qui englobe tout l’homme et le conduit au bord

du néant, les démêlés avec Bethsabée signifient davantage, dans la pièce, qu’un épisode mal-

295
F. Charpentier, op. cit., pp. 284-85, et C. Mazouer, op. cit., pp. 258-60.
QUATRIEME PARTIE 557

heureux dans la vie d’un grand homme. Ils lèvent le voile sur une figure d’élection devenue,

au plus profond de soi, la contradiction d’elle-même!; elle cesse de faire sens en tant qu’entité

prophétique. Un monologue initial reprend, trait pour trait, ce processus inversé de l’altération

biblique, mais une altération qui au lieu d’élever une personnalité élue au point de la rendre

méconnaissable, dépossède l’homme de ses qualités antérieures et le ramènent au plus bas de

sa condition de mortel et de sa finitude!:

Qui me pourra connoistre en ce martyre extréme,


Moy qui suys maintenant estranger à moy mesme? (p. 203)
Suis-ie ce grand David appelé tant de fois
Un miracle de force, un oracle de loix?
Suis-ie ce grand David qui domta ce mutin,
Ce contempteur de Dieu rempart du Philistin, […]
Ie suis vrayment David, mais mon cœur n’est plus tel,
Que quand il aspiroit à l’honneur immortel. (p. 204)

En lieu et place de l’altération prophétique, Montchrestien charge David d’une aliéna-

tion non seulement de l’esprit, mais de l’être intégral, qui dépasse les limites de la psycholo-

gie. Non que le facteur psychologique soit écarté de la pièce, au contraire!: Claude-Gilbert

Dubois a déjà fait valoir que la complainte du héros témoigne d’une «!déstabilisation du cen-

tre intellectuel – facteur d’unité – de la personnalité, qui annonce la fracture psychique du

héros racinien («!moi-même je me cherche et ne me trouve plus, dit Hyppolite!»), et illustre,

avant la lettre, le principe pascalien selon lequel «!notre raisonnement se réduit à céder au sen-

timent!»296 . Le héros tragique est authentiquement dérouté, comme perdu en lui-même, mais la

métamorphose qui le caractérise dépasse encore le cadre de l’intellection et de l’émotion car

elle bouleverse jusqu’à l’éthos prophétique qui déterminait le David de Samuel. Le décalage

avec l’Écriture apparaît notamment au quatrième acte, alors que l’amant revient avec dédain

296
Claude-Gilbert Dubois, «!David et Saül!: l’onction et le droit!», Revue de Théologie et de Philosophie,
no 133, 2001, p. 415.
QUATRIEME PARTIE 558

sur l’affrontement messianique qui l’avait jadis confirmé comme l’« élu du Seigneur!»!: la

victoire contre Goliath. À ce point du dénouement dramatique, David est devenu véritablement

étranger à sa propre vocation, à son appel. L’altération de sa personnalité et de son rapport à

Yahvé est complète!:

Ie ne prise plus rien la celebre despoüille


Du superbe Geant ia couverte de roüille,
Ie ne fais plus nul cas du trophée érigé
Dans le champ Philistin par mon bras sacagé,
Cela m’est vil et vieil!; mais cette seule guerre [pour l’amour de Bethsabée]
M’aporte plus d’honneur que de vaincre la terre. (p. 222)

Le prophète a bien disparu et avec lui son ancrage actif dans l’Histoire Sainte, la mar-

que de son élection lui étant devenue «!vile et vieille!». La place de l’adultère dans la marche

de David vers le salut, que reconnaissent les chrétiens, est même remise en cause du fait que

David tourne la page sur la relation qui l’unissait au Dieu d’Israël. La tragédie de Montchres-

tien se limite donc à évoquer un triste événement non en tant qu’une source d’espérance, mais

pour lui-même et pour son caractère incroyable, scandaleux!; elle aspire avec elle les attributs

qui faisaient de David non seulement un grand homme sur le plan social, mais également

théologique.

2 La reconquête de soi

L’abandon de la lutte intérieure, autre signe important que le héros tragique s’écarte,

au plus profond de son être, du personnage biblique, ajoute à la rupture qui s’établit entre

l’univers dramatique et l’univers scripturaire. On peut d’ailleurs s’étonner du soin que mon-

tre le dramaturge à présenter un David indifférent aux appels de sa conscience. Les débats

intimes et la révolte contre Dieu, le corps à corps avec l’Ange qui caractérise la condition et

l’éthos des prophètes authentiques, attirent certainement l’attention de Montchrestien!: preuve


QUATRIEME PARTIE 559

en est son acharnement à en souligner l’absence. Soucieux d’opposer le David de la pièce à

son archétype de Samuel, le premier acte dépeint un héros vaincu par sa passion et, plus signi-

ficativement encore, renonçant à lui opposer davantage de résistance. La tragédie commence

lorsque la monomachie entre l’amour humain et l’amour divin est terminée, lorsque la révolte

du prophète contre Dieu et contre lui-même n’est plus à l’ordre du jour!: l’adultère est com-

mis!; l’amant de Bethsabée est un homme défait, perdu, soumis à sa passion, et le dénouement

peindra son inéluctable et prévisible déchéance à mesure que s’approfondit la rupture entre lui,

l’élu, et Dieu. Au moment même où commence la pièce, David se déclare d’emblée vaincu!:

Que n’ay-ie fait, ô Dieu!! pour m’arracher du cœur


La pointe de ce trait qui cause ma langueur?
Mon ame n’en peut plus, tant elle est affoiblie.
C’est force, pour l’amour il faut que je m’oublie,
Et que de mon Estat i’abandonne le soin.
Adieu, braves desseins, ie vous reiette au loin!;
Ie quitte le souci de sceptre et de couronne.
A toi seule, mon cœur, desormais ie me donne,
Ton amour est ma vie, et sans elle ie croy,
Que ie cesseroit d’estre, ou de n’estre plus moy. (p. 206)

L’altération que Montchrestien fait subir à son personnage vient précisément de ce

«!moy!» spécifiquement baroque que revendique David, diamétralement opposé au «!je!» pro-

phétique qui englobait, dans le même souffle, la parole de l’Esprit et la parole de l’homme.

Cette reconquête du «!moy!», comme arraché aux mains de Dieu, permet au dramaturge

d’imaginer une désacralisation du héros, impossible dans le contexte scripturaire. L’élection

divine, instituée par l’onction, conférait au David biblique une autorité fondée en transcen-

dance et une aura de sacré qui le rendait intouchable devant les hommes. Le héros de Mont-

chrestien rejette sceptre et couronne!: il se renie lui-même. On ne peut qu’admirer l’habileté

avec laquelle le dramaturge puise dans l’imaginaire biblique pour servir une fin qui lui est

étrangère!: l’image du roi déchu, jetant au loin avec ses «!braves desseins!», le sceptre et la
QUATRIEME PARTIE 560

couronne, est un motif récurrent des gravures illustrant les psaumes pénitentiels, au temps

d’Henri IV mais aussi avant et après son règne. Dans ce contexte littéraire et iconographique,

la vision du roi d’humilité, dépouillé des insignes de son règne, était une image du prophète en

face de la vérité!: elle symbolisait la sincérité de l’élu repentant et humble devant le Tout-

Puissant, le seul véritable roi sur le monde et les hommes. Elle montrait l’abandon total, hum-

ble et confiant, du «!je!» pécheur au profit du Tout-Autre, de «!Lui!», l’Éternel. Par l’astuce

d’une hypotypose et de la représentation, la même image surgit sur la scène de David pour

évoquer une réalité opposée!: l’inconstance d’un roi jetant les armes par trahison, qui se dé-

charge seul d’un pouvoir sacré qui ne relève pas de sa propre volonté, mais de celle de Dieu, et

qui croit reconquérir sa liberté en se vouant tout entier à l’amour profane. La tension entre ce

qui relève de la nature humaine et ce qui relève du surnaturel, de l’expérience prophétique, se

heurte chez Montchretien à une fin de non-recevoir!: le personnage de David se coule dans un

univers profane, laissant aux personnages d’Urie, de Bethsabée et au Chœur le soin de déve-

lopper le thème de l’amour sacré297 . Le héros ne s’affranchira qu’artificiellement de son an-

crage dans le profane qu’à la toute fin de la pièce, avec l’intervention de Nathan, le repentir

expéditif du pénitent et l’annonce du châtiment.

3. Possession

Dans les déformations que Montchrestien fait subir à la Bible, le portrait du prophète

en déserteur de sa condition est à mettre en parallèle avec la place plus importante attribuée au

récit de la séduction de David. La quasi-totalité du premier acte est consacrée à l’évocation de

la belle au bain, le reste de la pièce découlant de ce moment de séduction. Le récit scripturaire,

succinct, se contentait d’un récit sobre et factuel!:

297
Acte II, sc. 2.
QUATRIEME PARTIE 561

Et advint sur le soir que David se leva de son lit, et comme il se pourmenoit sur
la plateforme de l’hostel royal, il vit de dessus ceste plateforme une femme qui
se lavoit, et ceste femme-là estoit fort belle à voir. (II Sam. XI, 2)

Non heureux de faire de son héros un homme sensible à la beauté d’une femme,

Montchrestien développe le thème bien connu de l’amant possédé, épris par sa passion et

comme enchaîné à elle. Le dramaturge inscrit le thème de la possession de l’âme, omniprésent

dans la littérature prophétique pour symboliser le rapport de l’élu avec Dieu, dans le domaine

de l’amour humain. Ce n’est plus Yahvé qui accompagne David partout où il va, mais le désir

d’amours illicites qui détermine désormais sa conduite malheureuse298 . David perd son éthos

prophétique au profit de l’ éthos de l’amoureux transi et sujet à la séduction des apparences.

Le thème classique, néo-pétrarquisant, de la victoire de l’amour constitue dans David

ou l’adultère le point d’appui par lequel bascule le caractère du héros de l’univers sacré à la

sphère mondaine. Il construit le personnage de David en tant qu’anti-prophète. Le thème du

«!volage Demon qui possède mon ame!» (p. 203), dans la lignée des epyllia de Brach et de

Belleau, scelle, ni plus ni moins, la défaite de l’Éternel dans le cœur de l’élu!: David ne

l’invoquera, pour ainsi dire, jamais. Jadis pourfendeur des tribus idolâtres, le roi d’Israël entre

au service d’un petit dieu étranger. Les traits que Montchrestien prête à cet intrus de passage

rappellent en raccourci l’univers épique et donnent à la pièce l’aspect d’une théomachie.

Cupidon, armé de flèches et d’un carquois, détrône Yahvé dans le cœur de l’élu!: «!le traict

298
Le berger que Dieu choisit pour être son élu reçoit, dans l’Écriture, la ruah divine qui l’habite et ne
l’abandonne plus!: «!Et l’esprit de Dieu était avec lui!». L’amour sacré qui marque de son fer le coeur de
David est, dans la culture hébraïque, synonyme du mot berit, alliance, une alliance qui impose à l’homme un
certain nombre de devoirs et une fidélité indéfectible à l’Éternel, et réciproquement. Entre Dieu et son prophète,
comme entre Dieu et Israël, il y a donc un pacte d’union comparable à celui d’un homme avec sa fiancée ou
son épouse (Jér. 2, 2 et 31, 2!; Os. 2, 22.), qui souligne ce qu’il y a de mystérieux et d’inépuisable – et par-
fois même de violent – dans la rencontre avec le Créateur. Dieu a choisi David de toute éternité!: cette posses-
sion de l’un par l’autre est aussi infinie que Dieu lui-même. Toute sa vie, David restera donc sous son em-
prise.
QUATRIEME PARTIE 562

d’un bel œil penetra dans mon cœur!»299 . Le démon ailé est tyrannique, intraitable, volage,

artisan du malheur des hommes davantage que leur allié. Néfaste et païen, il est la négation

même de l’amour sacré, de Dieu, auteur d’une alliance irrévocable (la berit) mais porteuse de

vie avec le genre humain. Son intervention est peut-être l’expression la plus frappante, bien

qu’assez usée déjà, qu’offre la tragédie religieuse de la transmutation du merveilleux païen en

chrétien. Nul ne peut servir deux maîtres, et David le sait bien pour être l’impuissante victime

d’un esprit profane!:

Amour n’est qu’un enfant, mais sa puissance est grande.


C’est le plus grand des Rois puisqu’aux Rois il commande
Et que de son servage, il ne s’exempte rien. (p. 207)
L’amour vainc tout le monde et demeure invincible,
Fuy tant que tu voudras tu ne peux l’eviter.
Qui ne le sentiroit ne seroit point passible!:
Mais il est fol aussi qui s’y laisse emporter.! (p. 208)

L’irruption de fol amour sur la scène de l’Ancien Testament se manifeste essentiellement au

premier acte, dans le récit qu’entreprend David de sa rencontre avec Bethsabée. Le héros évo-

que la genèse de sa passion en se livrant à un étonnant blason de la femme au bain, dans un

style romanesque qui tranche avec le genre tragique. Françoise Charpentier en a relevé les

éléments traditionnels (eau «!vaguant!» puis «!ruisselant!» sur les cheveux dénoués, blancheur

du corps mouvant dans l’eau, jeu de reflets, etc.) déjà associée à Bethsabée dans les épopées

299
La description du héros vaincu par Cupidon rappelle bien sûr le passage correspondant dans les Amours de
David et Bersabée de Rémi Belleau, dans lequel Cupidon décoche une flèche au coeur du héros et lui fait traver-
ser une véritable aliénation!:
«!Ha! Roy qui ne sçait pas que ce Dieu [Cupidon] s’est fait maistre
De son coeur, de ses yeux, pour s’y faire congnoistre!:
Des yeux, ce trait doré entra jusqu’au dedans
Du foye et du poumon, et de mouchons ardans
Luy reschauffe le sang […].!»
QUATRIEME PARTIE 563

bibliques contemporaines, qui rappellent les descriptions classiques de la naissance de Vé-

nus300 . La double métaphore de la femme-soleil qui jaillit de l’onde au moment où s’y couche

l’astre du jour, et de la femme-déesse née de la mer et surgie de l’écume introduit le portrait

d’une Bethsabée mythique, que la Bible se contentait de trouver «!belle!»!:

[…] comme mes de mes yeux s’éloignait le Soleil


Un autre s’y presente en beauté nompareil,
[…] Il esclairait dans l’eau, et d’un esclat glissant
La pointe de ma veuë alloit esblouissant […]
Dans le cristal coulant ores il s’allongeoit,
Or sous les flots d’argent sa beauté se plongeoit […]301

Une kyrielle de métaphores orientales privilégiant la composante voluptueuse (or, ar-

gent, perles, Pactole, Orient, astres jumeaux [des yeux], etc) déplace également la tragédie dans

un univers de délices peu compatible avec la sobriété biblique. La tentation du romanesque

ancre le premier acte dans l’esthétique de la poésie amoureuse, tout entière vouée à décrire les

charmes de la femme. La caractéristique principale de Bethsabée, celle d’être une créature à la

fois interdite et désirée, est éclipsée par ces éloges dignes de l’Olympe. Elle tire le récit scrip-

turaire au seuil du récit mythologique, peut-être plus naturellement enclin à fournir

(Op. cit., p. 142)


300
Cf. les Trophées de du Bartas, éd. cit., v. 905-912 et v. 927 :
Tandis qu’elle se lave, et que tantost assize
Sur un banc de noir jaspe, elle peigne, elle frize,
Elle oint ses cheveux d’or!: qu’elle plonge tantost
De son corps bien formé l’albatre sous le flot,
Telle qu’un lis qui torne au creux d’une phiole,
Telle qu’on peint Venus quand, lascivement molle,
Elle naist dans la mer, et qu’avecques les thons
Jà le feu de ses yeux embraze les Tritons.
[…] Son oeil semble, brillant, l’estoile du matin, etc.
301
Vers 65-80.
QUATRIEME PARTIE 564

d’authentiques héros tragiques que la matière biblique, et qui restera sinon une tentation per-

manente, en tout cas presque le protocole initial de cette tragédie.

4. La vie pulvérisée

L’inversion par rapport à la possession divine et prophétique dont fait état le roi des

Juifs ressort encore du récit des effets pathétiques de la passion sur son personnage. Contrai-

rement au David de la Bible, le héros de la pièce est victime d’une double pulsion de mort, vis-

à-vis de lui-même, amoureux agonisant, et vis-à-vis d’Urie. En effet, le ton sensuel du blason

féminin cède rapidement à celui du tombeau et du morbide. Les traits de David dévoilent un

roi «!reduit tout en poudre au-dedans de mon corps!» (p. 204) non pour n’avoir pas eu accès

à celle qu’il aime, comme le commande généralement le ‘mourir d’amour’ de la poésie ga-

lante, mais pour s’être fait l’hôte d’une passion diabolique. Le projet du dramaturge semble

en effet être celui de montrer le versant infernal de l’amour profane et de la séduction. À me-

sure que David s’enfonce dans son forfait, ses forces vitales s’estompent, il montre des signes

de léthargie spirituelle qui le tirent davantage du côté du démon que de celui de l’ange. Le

héros d’Israël se mute en anti-héros, opposé dans sa stature héroïque et dans sa vitalité au

personnage qui fascina tant les dramaturges protestants antérieurs. On mesure le chemin par-

couru depuis la trilogie de des Masures!:

Les fleurs de mon visage ont perdu leur Printemps,


Et l’hiver de mes iours arrive avant le temps. (p. 203)
Mon teint terni, livide et iaunastrement blanc
Montre que ie nourri du souffre dans le sang!;
Et que l’esprit mouvant au creux de mes arteres
Languit comme privé de ses forces legeres!;
Que ma cervelle est cuite, et que mes os cavez
Ne sont comme ils souloient, de mouëlle abreuvez. (p. 204)
QUATRIEME PARTIE 565

Le portrait de David confessant son agonie annonce le trépas moral du prophète. Il

nous dévoile le nerf de la tragédie. Devenu l’ombre de lui-même, le héros de Montchrestien

est un homme manifestement affaibli, physiquement et spirituellement!: son jugement devient

tributaire des conseils de son vil confident Nadab, sans équivalent dans Samuel, qui joue le

rôle de ce que le théâtre élisabéthain a appelé le «!machiavel!». L’immoralité et les maniganges

du conseiller l’apparentent au mari d’Abigaïl, Nabal, l’homme vain dont l’étymologie ono-

mastique signifie l’impie, l’insensé302 . L’empire de son influence malfaisante s’étend sur le

roi, commande ses gestes et noircit ses pensées. C’est ainsi que non content d’esquiver,

comme dans l’Écriture, la franche confrontation avec Urie, David se réjouit encore du dé-

nouement violent qui achève son rival lors de la bataille contre les Ammonites. Sa transgres-

sion des commandements divins et les lois humaines l’amènent aux antipodes de son exis-

tence prophétique!: celui auquel la Bible avait confié une mission de révélation s’attachera

désormais à la dissimulation de ses crimes, à l’enfouissement de ce qui construit la vérité pour

sauvegarder les apparences.

5. Dissimulation contre révélation

Le statut royal du héros de Montchrestien exige que David soit un repère pour son

peuple, il ordonne que les apparences restent sauves alors même qu’elles l’accusent. Misère

des rois!: «!Sur un haut theatre estant ore monté!», se plaint David, «!Le peuple me regarde et

de si pres m’esclaire, / Que me voulant cacher ie ne le sçauroy faire!» (p. 215). Sa divine élec-

tion, au contraire, exige de sa part une transparence sans faille et un attachement vital à un

Dieu de vérité qu’il s’agit de révéler en paroles et en actes. La coexistence de ces devoirs in-

compatibles transporte le personnage devant un véritable dilemme qui aurait donné lieu à une

exploration théologique de premier ordre si Montchrestien n’avait choisi de trancher entre ces

302
Cf. Bible de Jérusalem, op. cit., p. 421, note ‘c’ portant sur I Sam. 25, 25.
QUATRIEME PARTIE 566

deux exigences. Le souci de montrer la déchéance morale du héros amène le dramaturge à

sacrifier l’attachement de celui-ci au processus de la révélation pour mieux élaborer le thème

de la couverture et du recouvrement de la vérité. Certes, au dernier acte, Nathan rappelle au roi

ses devoirs et le place devant sa vérité, mais la pièce sacrifie alors la confrontation biblique de

deux prophètes au profit de la confrontation du prêtre et de l’adultère, du représentant de Dieu

sur la terre et du simple pécheur. L’essentiel de la tragédie s’appréhende comme une succes-

sion d’arabesques qui tournent autour de la vérité et tentent de repousser au dernier plan – à la

dernière scène – le mirage d’une confession. Elle ne fait plus du prophète un révélateur!: elle

forge son antithèse, chargée d’œuvrer en tant que dissimulateur.

Les extrapolations auxquelles se livre Montchrestien par rapport au récit biblique dé-

veloppent largement la question du mensonge. L’Écriture enseigne que plus grande est la

persistance du psalmiste dans la faute et dans sa négation, plus considérable est le pardon de

Dieu et le miracle du salut. L’homme de la chute est celui-là même qui a besoin de la miséri-

corde divine et qui est sauvé en Israël. Le dramaturge, pour sa part, disperse la culpabilité du

roi biblique dans l’affaire entourant la mort d’Urie en partageant les responsabilités entre

deux personnages, Nadab et David. C’est bien Nadab qui, après l’avoir averti que Bethsabée

est enceinte, conseille au roi de faire endosser à Urie la paternité légitime de l’enfant. Souci

d’anoblissement de la tragédie, comme l’invoque Françoise Charpentier303 , ou d’avancer

l’ébauche d’une psychologie? Qui sait. Toujours est-il que l’intervention de Nadab joue un

rôle majeur, celui de rejeter au second plan la question du salut pour davantage mettre en relief

le thème de la dissimulation. Les modifications apportées au personnage de David vont aussi

dans ce sens qui consiste à ériger un héros en rupture avec les exigences de la vérité!: le secret

gardé comme priorité absolue détermine la plupart de ses répliques et contribue, on s’en

doute, à le montrer sous un jour des moins sympathiques. Plusieurs scènes le noircissent sans

merci au point de le rendre méconnaissable par rapport à Samuel. C’est ainsi qu’au deuxième
QUATRIEME PARTIE 567

acte, même si les propos de Nadab dérangent par moments le peu de conscience qu’il lui reste,

David consent à ses manigances et semble même se réjouir à l’idée d’abuser Urie. Les termes

qu’il utilise sont alors choquants pour tout lecteur de la Bible!: «!ce conseil me plaist fort!» (p.

207), rétorque le tyran avec un plaisir non dissimulé!; «!Arrachon nous du pied cette espine

moleste!» (p. 216). Sa détermination à entretenir la feinte le porte à des répliques qui ne lui

ressemblent guère et qui font de son personnage l’envers exact des prophètes du Dieu de

vérité, un dissimulateur dont on a du mal à entrevoir le repentir final!:

O quiconque tu sois dont la maudite envie


Trouble par son caquet le repos de ma vie,
Et divulgue en public mon plaisir amoureux,
Tandis que tu vivras vy tousiours malheureux. (p. 215)

L’exigence de sauver les apparences, véritable motif des agissements de David, amène

Montchrestien à lui joindre le thème de la transgression, celle des lois civiles d’une part et,

d’autre part, des commandements divins. Le stratagème du banquet visant à enivrer Urie ayant

échoué, David et Nadab ne voient plus qu’une manière de ne pas perdre la face, celle de faire

assassiner l’époux par une main étrangère. David se laisse aisément convaincre par cette as-

tuce qui lui épargne un geste criminel. Il sera ainsi coupable d’intention, mais non d’action.

Claude-Gilbert Dubois a fait le rapprochement entre ce passage de la pièce et la querelle des

Molinistes qui, après 1595, distinguaient dans les controverses sur la grâce la vérité

d’intention et sa réalisation304 . Pascal a résumé, non sans une pointe ironique, leurs convic-

tions en ces termes!: «!les molinistes sont des gens qui connaissent la vérité, la soutiennent

autant que leur intérêt s’y rencontre, mais hors de là ils l’abandonnent!»305 . David ou

l’adultère s’inscrit en effet dans l’air du temps en prêtant au duo David-Nadab un raisonne-

303
Op. cit., p. 285.
304
Op. cit., p. 416.
305
Fragment XXV des extraits polémiques rattachés aux Pensées, cit. après Cl.-G. Dubois, idem.
QUATRIEME PARTIE 568

ment sur la vérité opportune du côté du vainqueur!: «!Il vaut mieux perdre autrui que se perdre

soi-même!», dira Nadab. Le moyen d’y parvenir vient de David lui-même!: Urie mourra au

combat de la main des Ammonites, sauvant ainsi l’honneur compromis d’un roi.

Cette remise en cause de la vérité pour des raisons d’intérêt ou d’appartenance sociale

est enfin mise en valeur, grâce à un effet de contraste, à travers le personnage d’Urie!: l’époux

de Bethsabée que la Bible laisse dans l’ignorance des affaires qui se trament autour de sa

femme, détient, chez Montchrestien, toute la vérité!; il sait et défend son honneur jusqu’à la

mort, tranchant en cela avec le roi et son confident. Au nom de cette connaissance qu’il veut,

par devoir, garder secrète, il refusera de réintégrer sa maison et de retrouver sa femme. Il tra-

vestira les motifs de sa conduite en prétextant l’honneur des guerriers à ne se reposer qu’une

fois la bataille terminée. On retrouve les grandes lignes du récit scripturaire, avec un déplace-

ment d’intérêt majeur!: alors que Samuel n’aborde pas la raison du comportement d’Urie, la

tragédie les pose et les explique à la lumière de l’ancrage du personnage dans la dynamique

du voiler/dévoiler qui caractérise la pièce. Le propre des rois, dira le chœur, est d’inhumer le

vrai, et ceux qui comme Urie cherchent à l’exhumer et à le faire surgir du tombeau seront à

leur tour conduits à une mort certaine!:

D’une bonté feinte ils se masquent la face!;


D’une feinte douceur ils amorcent leur œil!;
Ils font luire leur grace!;
Mais c’est comme un flambeau qui conduit au cercueil
Celuy-là qui l’honneur à leur suite pourchasse. (p. 226)

David ou l’adultère propose une fossilisation de la vérité. La pièce montre comment

un roi élu par Dieu cherche à enfouir ses égarements et s’y enfonce au fur et à mesure, et

comment l’intervention d’un seul prophète (Nathan), extérieur au complot, fait surgir la vérité

en même temps que le repentir du coupable. La quête n’est pas plaisante, même si le héros

semble par moments prendre plaisir à dissimuler!; il fera une expérience de destruction inté-
QUATRIEME PARTIE 569

rieure le laissant, par le même procédé de dédoublement de l’essence et de l’apparence qui

irrigue la pièce, meurtri «!au-dedans de [son] corps, / Iaçoit qu’entier et sain ie reste par de-

hors!» (p. 204). Bien sûr, le roi ne mourra pas sur la scène car Nathan l’arrache à sa masca-

rade, déterre la vérité, la remembre pour amener le pénitent à avouer son tort et à renaître (sup-

pose-t-on) à sa vocation. C’est l’enfant de l’adultère qui sera sacrifié à sa place.

L’intervention de Nathan permettra à la figure du psalmiste de refaire surface, de renouer avec

le prophète de jadis, porteur d’un discours vrai qui seul compte dans la Bible. Montchrestien

fait résonner sur la scène la pression et la force de la réalité enfouie sous le mensonge, se fait

metteur en scène d’une réalité qui émane du dessous et force à se briser les couches supérieu-

res des apparences.

Du tragique au biblique

Quel contraste entre le David de Samuel et le David de Montchrestien!! L’éclairage de

ce qui précède montre que le projet dramatique de David ou l’adultère est précisément de

présenter un héros sacré devenu l’antithèse de lui-même, l’anti-prophète par excellence. Ce

constat pose le problème essentiel de la pièce!: comment comprendre le changement de point

de vue à l’égard d’une grande figure vétéro-testamentaire, cette appréciation déroutante de

l’homme-David qui n’hésite pas à compromettre sa dimension prophétique? La pièce elle-

même ne l’explique pas!: elle déroute, elle étonne. On peut néanmoins formuler une hypo-

thèse et se demander si Montchrestien n’a pas précisément mesuré les affinités qui existent

entre l’essence de la tragédie de l’essence du prophétisme, et si, pour des raisons d’écriture

dramatique et de conformité avec le genre qu’il s’est choisi, il n’a pas d’abord et avant tout

voulu imaginer le David de la Bible dans la peau d’un héros de théâtre, au sacrifice de tout le

reste – sans exception de sa dimension théologique. Le personnage du pécheur, comme

d’autres héros de l’Écriture, était en effet susceptible de s’apparenter aux grandes figures
QUATRIEME PARTIE 570

tragiques!: «!Parce que tu m’as méprisé et que tu as pris la femme d’Urie le Hittite!», dit

l’Éternel, «!je vais, de ta propre maison, faire surgir contre toi le malheur!»…306 Mais que ce

qui sépare inéluctablement le biblique du tragique, dans l’histoire de David et Bethsabée, exige

pour être dépassé dans l’écriture dramatique le sacrifice d’un peu de l’un ou de l’autre. La

négation de l’éthos prophétique du héros semble, chez Montchrestien, être la condition pour

que le David de l’adultère devienne non plus un modèle du repentant pardonné, mais un

homme juste victime d’un dieu volage et fait criminel par sa faute. Ce n’est plus, comme plus

tôt dans le siècle, l’univers de la Bible qui commanderait alors l’écriture dramatique, mais

l’inverse!: des considérations théâtrales semblent ici justifier les distorsions de la pièce par

rapport au texte sacré et permettre l’émergence d’une véritable tragédie biblique, au sens plein

et contradictoire de l’expression.

1. Affinités de David ou l’adultère avec la vision tragique des humanistes

Si l’on s’en tient, dans un premier temps, aux idées des théoriciens humanistes du

XVIe siècle sur la tragédie, il apparaît que les exigences du genre ne remettent pas a priori en

cause l’apparition d’un prophète sous les traits du héros. La tragédie doit essentiellement

offrir le malheur en spectacle, pour émouvoir et enseigner. Déjà en 1494, Antoine Vérard écri-

vait dans le Grant Boece de consolation!: «!Quelle autre chose déplore la clameur des tragé-

dies fors que la fortune tournant les royaulmes eureux par coup infortuné!»307 . L’idée que

s’en font les humanistes dérive de cette conception médiévale de l’acharnement de la mauvaise

fortune sur les justes!: Lazare de Baïf, qui définit la tragédie en 1537 dans la préface de sa

traduction de l’Électre de Sophocle, écrit que «!la Tragedie est une moralité composee de

306
II Sam. 12, 11.
307
Antoine Vérard, dans le Grant Boece de consolation nouvellement imprimé à Paris, (1494), cité par Louise
Frappier, «!Spectacle tragique…!», art. cit., p. 38.
QUATRIEME PARTIE 571

grandes calamitez, meurtres et adversitez survenues aux nobles et excellents personnai-

ges!»308 . La Taille reviendra en 1572 sur cette définition du genre, «!si pitoyable et si poignant

en soi!», qu’il ne traite que de « piteux désastres, […] de piteuses ruines de grands seigneurs,

que des inconstances de Fortune, que banissements, guerres, pestes, famines, captivités, excé-

crables cruautés des tyrans, et bref, que larmes et misères extrêmes.!»309 Les ouvrages théori-

ques de la fin de la Renaissance ne vont pas au-delà!: la tragédie raconte les malheurs de la

noblesse et introduit l’idée de la faute qui précipite les plus grands vers une fin malheureuse.

Cette exigence, on le constate, ne compromet pas l’apparition sur scène de personnages bibli-

ques!: Job pourrait en témoigner!; la vie de plusieurs prophètes, et même des plus grands,

abonde d’épreuves susceptibles de fournir une matière tragique intéressante. C’est là du

moins le sentiment de Montchrestien et de quelques-uns de ses contemporains!; David ou

l’adultère en est le fruit. Reste à s’entendre sur le sens que prend dans ce cas précis, le mot

«!tragédie!».

Dans le sens humaniste du terme, la pièce de Montchrestien est bien une tragédie!: elle

illustre une succession d’épreuves dont est victime la quasi-totalité des personnages de la

pièce. David est en proie à une culpabilité qui le pousse à multiplier les crimes!: abuser de la

confiance d’Urie, condamner le mari fidèle au mensonge et à la mort, retirer à Bethsabée la

jouissance d’une vie droite et paisible. Il en essuie également les conséquences puisque deve-

nu l’ombre de lui-même, miné de l’intérieur, Dieu le rejoint encore dans sa progéniture, qui

portera les marques de son infidélité. On retrouve là la fonction étiologique de ce genre dra-

matique particulier!: toutes les misères qui s’abattront par la suite sur la maison de David se

rapportent à cet événement unique, qui fut une désobéissance!:

308
Idem., p. 39.
309
Jean de la Taille, De l’art de la tragédie, éd. E. Forsyth avec Saül le Furieux et La Famine ou les Gabéoni-
tes,Paris, Didier, 1968, pp. 3 et 4.
QUATRIEME PARTIE 572

[…] Tes fils ta mort pourchasseront!;


Les meurtres desormais chez toi ne cesseront. (p. 231)
L’enfant qui te naistra d’un tel engrossement,
De son propre berceau fera son monument. (p. 233)

Tout n’est cependant pas noir dans cette tragédie biblique et la connaissance à laquelle elle fait

accéder passe aussi par des canaux autres que la souffrance. Samuel oblige, le personnage de

David a une fin à demi heureuse en dépit des séquelles de sa faute!: Dieu châtie le pénitent de

la dernière heure, mais lui pardonne l’adultère. Montchrestien se garde toutefois d’annoncer

la naissance de Salomon, second enfant de David et Bethsabée, qui constituera une ascendance

messianique. Il n’introduit aucun élément positif de l’Écriture indispensable à la cohérence de

son personnage biblique. On en déduit que la clémence de Dieu à son égard revêt un caractère

exceptionnel qui témoigne de la souplesse toute relative avec laquelle le dramaturge envisage la

dynamique intérieure du genre tragique. À cette exception près, et parce qu’elle est inévitable,

la pièce reste tributaire de la règle de l’issue malheureuse. Ce n’est donc pas la grande loi de

l’adversité et de la souffrance qu’il faut chercher la cause de la métamorphose infligée à

l’éthos prophétique de David. La pièce aurait pu préserver au héros sa dimension messianique

si d’autres intérêts n’avaient conduit le dramaturge sur un terrain peu propice à mettre en re-

lief l’espérance messianique. Ils nous conduisent à une descente plus approfondie dans la

profession de foi tragique, dans la réflexion sur le divin que représentait, dès l’antiquité,

l’écriture d’une tragédie.

2. Une «!théologie!» du tragique

La conception du tragique chez Montchrestien ne suit pas seulement les critères du

tragique humaniste, elle les dépasse aussi par certains aspects. Françoise Charpentier a montré

comment le poète se tourne, dans son choix de sujets empruntés certes à la Bible, mais aussi à

Ovide et à Homère, et dans le traitement dramatique de ceux-ci, vers les modèles anciens, et
QUATRIEME PARTIE 573

comment il observe avec plus de fidélité que ses prédécesseurs le schéma aristotélicien de

l’action tragique!: exposition (ici, l’adultère), nœud (Bethsabée est enceinte), péripétie (oppo-

sition d’Urie), catastrophe (punition divine). La pièce a également une unité de lieu (le palais

royal), de sujet (les conséquences de l’adultère de David) et de temps (il n’excède pas les

24!heures prescrites par les anciens et rappelées par La Taille). Elle affiche enfin une concep-

tion du genre qui ne se limite au spectacle des malheurs, mais qui cherche – comme le fai-

saient ses archétypes grecs – à questionner ce malheur par un effort d’intériorisation extrême

du personnage principal, ce qui fit dire à plusieurs spécialistes, et notamment à Claude-Gilbert

Dubois, que la pièce crée un précédent (une «!nouveauté!»310 ) en donnant une place centrale à

l’analyse psychologique. La recherche et la compréhension des causes du mal est aussi im-

portante que l’exposition de ses effets sur l’entourage de David, et tout l’art du dramaturge

consiste à faire en sorte que «!le drame repose sur une nécessité, mais il s’efforce aussi de

rendre cette nécessité intérieure, et non purement contingente!»311 . On est en droit de recher-

cher dans la dynamique tragique une explication à la métamorphose de l’éthos prophétique de

David et une réponse à l’énigme que représente l’inversion de son caractère au point de le

rendre méconnaissable.

Que dit donc le discours tragique de la cause des malheurs du héros, et comment

s’articule-t-il – ou ne s’articule-t-il pas – avec le message des prophètes? Selon Paul Ricoeur,

«!le secret de la tragédie est théologique!; et cette théologie a pour noyau la problématique du

"dieu méchant"!; là est la clé de l’anthropologie tragique!»312 . La tragédie postule

l’enracinement des catastrophes humaines dans la volonté d’une transcendance hostile, d’un

kakos daïmon qui fait tomber le héros dans l’épreuve et dans la démesure comme il tombe à

310
Cl.-G. Dubois, art. cit., p. 415, de même que F. Charpentier, op. cit., p. 625 sqq.
311
F. Charpentier, op. cit., p. 626.
312
Paul Ricoeur, «!Culpabilité tragique et culpabilité biblique!», Revue d’histoire et de philosophie reli-
gieuse, 33, 1953, p. 288.
QUATRIEME PARTIE 574

l’existence. Les images de l’oiseau pri au piège, du filet qui s’abat sur sa victime appartien-

nent à ce cycle de souffrance- malheur – châtiment. Elles font dériver l’existence du mal

d’une réalité supérieure et malintentionnée. Telle est l’origine de la fatalité qui caractérise le

destin tragique, cette ananchè que les Latins appelleront le fatum.

L’existence de David telle que la raconte l’Ancien Testament trace, pour sa part, un

portrait plus contrasté du Dieu vivant. Sans doute, Yahvé est un Dieu justicier et un Dieu ja-

loux!; l’annonce de son acharnement sur la lignée de David rappelle les termes par lesquels

Yahvé se présente à Moïse dans l’Exode!: il est

un Dieu jaloux, poursuivant la faute des pères chez les fils sur trois et quatre gé-
nérations – s’ils me haïssent – mais prouvant sa fidélité à des milliers de généra-
tions – si elles m’aiment et gardent mes commandements.

(Ex. 20, 5-6)

De même qu’il peut être terrible, Yahvé, si l’on s’en fie aux psaumes, est donc aussi

un Dieu de bonté, un Dieu saint et juste!: «!elle n’est pas jusqu’à la fin, sa querelle, / elle n’est

pas pour toujours, sa rancune!»313 . La crainte qu’il inspire au peuple juif ne vient pas unique-

ment de la force de son bras!; elle procède également de sa tendresse qui renvoie les hommes

à une exigence d’élévation qui les interpelle personnellement au fil de l’histoire!:

L’amour de Yahvé pour qui le craint


est de toujours à toujours,
et sa justice pour les fils de leurs fils. (Ps. 103 (102), 17)

L’image complexe du Très-haut construite sur cette dialectique de justice et de bonté

donne à la souffrance des hommes un sens qui échappe à la notion de fatalité. Le péché et la

chute sont le fait de l’humain, la situation de l’homme faillible devant un Dieu de sainteté prê-

313
Ps. 103 (104), 9.
QUATRIEME PARTIE 575

ché par les prophètes. Toute la conscience hébraïque de la culpabilité procède de cette situa-

tion de rupture de l’humain et du divin!: elle met fin à l’imbrication de la culpabilité des hom-

mes dans celle des dieux et aux mythes démonologiques construits autour de divinités mali-

gnes ou monstrueuses. L’homme coupable est responsable d’une blessure dans son rapport

personnel à un Dieu saint, et là réside son drame. L’histoire biblique de David démasqué par

Nathan participe de ce resserrement de tout le mal dans l’homme et dans un acte de l’homme,

et de son inévitable mise en accusation par un prophète, porte-parole du dieu de Justice.

En centrant sa tragédie autour d’un événement de l’Histoire sainte, Montchrestien se

heurtait donc à des conceptions théologiques contradictoires et incompatibles!: celle, avancée

par les tragiques, de la chute morale entraînée par la fatalité, et celle annoncée par les prophè-

tes, du péché lié à l’humanité!; d’un côté, la transcendance maléfique, de l’autre, le Saint

d’Israël. La prise de position de Montchrestien semble être la coexistence de ces deux visions

qui donnent à David ou l’adultère un aspect hybride, curieux, qui n’admet pas le caractère

prophétique du héros.

L’essence de la prophétie hébraïque implique la reconnaissance d’un Dieu unique. La

tragédie antique est souvent polythéiste et fait rejaillir sur les mortels les conséquences des

conflits divins. David ou l’adultère opte pour le credo tragique!: elle rompt avec la foi des

prophètes en présentant David invoquant Phébus («!O Phebus, di-ie alors…!»314 ) et se plai-

gnant du petit dieu Amour qui broie son cœur et pour laquelle il abandonne Dieu. Le héros de

Montchrestien est bien victime d’une transgression transcendante et se trouve ainsi projeté

dans la position du personnage tragique grec, celle d’être homme exemplaire écrasé par les

dieux. D’où ces trois observations sur les critères que le dramaturge conçoit comme indis-

pensables à l’écriture de sa tragédie biblique!:

1. Chez Montchrestien, les intrigues d’une puissance supérieure constituent un critère

consubstantiel au tragique, fût-il inspiré des saintes Écritures. Cette juxtaposition court-
QUATRIEME PARTIE 576

circuite inévitablement l’élaboration d’un éthos prophétique pour David car celui-ci se cons-

titue à l’envers de son caractère d’origine. Il incarne l’opposé de tout ce que l’Écriture témoi-

gne de sa personne, notamment dans ses guerres contre les peuples païens!: la foi mono-

théiste. La première faute grave, le premier néant, affirmait-il alors dans son conflit contre Go-

litah par exemple (et les prophètes canoniques après lui ne diront pas autre chose), c’est la

vanité, le néant des idoles. Yahvé est tout, l’alpha et l’oméga!; les idoles ne sont rien.

L’homme vain, que David est en passe de devenir dans la pièce, n’est rien parce qu’il invoque

le vide et que ce vide l’atteint peu à peu. La multiplication des instances supérieures rend donc

impossible la construction d’un David comme porte-parole du Dieu des juifs, comme figure

inspirée. Il devient d’abord et avant tout un héros tragique, et exception faite de la reconver-

sion abrupte et inévitable du dernier acte, il ne vit pas de sa foi.

2. La seconde constatation à laquelle nous conduit la construction du personnage de David

concerne la théologie de la douleur et de l’épreuve mise en œuvre dans la pièce!: Montchres-

tien opte pour l’explication grecque de la souffrance des hommes, à laquelle la Bible ne sert,

au fond, que de prétexte. Les quelques passages consacrés au Dieu d’Israël font en effet état

de la persistance d’une vision plutôt grecque du Dieu de David qui ampute le message pro-

phétique de sa vision consolante et lumineuse. Dans les quatre premiers actes de la pièce re-

vient le thème du Dieu juste et vengeur, du Dieu pantocrator en même temps que lointain, au

regard duquel nul ne peut se soustraire. Il est maître de l’univers et, comme Jupiter, prêt à

déchaîner tous les éléments sur ceux qui provoquent son courroux!:

Dieu reside là haut,


Qui me peut revanger si le pouvoir me faut!;
Sa main s’estend par tout, et la grandeur mondaine
Est un foible rempart, une deffence vaine!;
Car quand il veut punir, le Ciel, la terre et l’eau

314
P. 203
QUATRIEME PARTIE 577

Fournissent de tourmens, d’archers et de bourreau. (p. 210)


La toute-puissance divine s’accompagne chaque fois du constat de ses attributs terri-

fiants!: Nathan parle d’un Dieu de colère, de son «!effroyable courroux [qui] fait trembler les

Cieux!»315 , de l’«!Eternel qui darde le tonnerre!»316 . La description du Très-haut armé de la

foudre et des éclairs rappelle également celle de Jupiter, dont on avait l’habitude de représenter

la colère par le lancer de la foudre et de la tempête. Le thème de la mise en procès des hommes

par Dieu revient égalent dans l’intervention de Nathan («!Le juste Arrest de Dieu contre toy ie

prononce!»317 , dit-il à David), avant d’être adouci par David, mais sans conviction et de ma-

nière expéditive, lorsqu’il implore son «!Créateur!» et son «!Sauveur!»318 . On peut d’ailleurs

questionner la gratuité du pardon divin lorsque le pénitent gagne la miséricorde de Dieu en

échange d’une promesse d’écriture de quelques psaumes!: il sera alors rétabli dans sa dignité

de prophète de la révélation, mu par une action divine qui lui dictera ses vers!: «!Car ainsi que

le cœur, tu m’ouvriras la bouche!»319 . Il reste que la colère divine n’est pas encore apaisée

lorsque tombe le rideau car la condamnation de l’enfant à naître (la plus cruelle sentence di-

vine) s’impose comme le dernier mot de la pièce. L’insistance du dramaturge sur le courroux

de l’Éternel privilégie l’aspect le plus rude du Dieu des Juifs, qu’aucune allusion à son côté

amour ne vient adoucir. On voit que l’idéologie des tragiques infiltre l’histoire biblique pour

la couler dans un nouvel univers, et que le caractère du héros de Samuel s’en trouve fort altéré.

3. Dernière remarque enfin, la conception du tragique mise en œuvre dans la pièce postule

comme réponse à la théologie du malin génie (celle du petit dieu amour), une anthropologie de

la démesure qui n’est pas biblique. Dans l’épisode original de Bethsabée, on l’a dit, la chute

de David apparaît comme une étape, pénible mais nécessaire, de la rédemption!; elle esquisse

315
P. 229.
316
P. 230.
317
Idem.
318
P. 232.
319
Idem.
QUATRIEME PARTIE 578

la genèse du malheur qu’est l’adultère à partir du bonheur d’un roi victorieux. Sa dynamique

est simple!: la prospérité d’un roi réputé aimer son peuple engendre son appétit de surplus, ce

surplus entraîne sa démesure (la conquête d’un amour interdit), et celle-ci, le malheur de

l’amant, de la femme aimée et du mari légitime. La chute du roi découle d’un mélange des

genres entre l’amour sacré et l’amour profane et intervient dans un état préalable d’innocence

et d’inexpérience. Il ne s’agit pas d’un événement tragique. Chez Monthrestien, au contraire,

le malheur qui s’abat sur le roi et la cour est tragique!: David ne peut éviter la faute ni lui ré-

sister en raison des assauts non pas d’une passion née de l’intérieur, mais d’une divinité mé-

chante, une folie surnaturelle et par essence plus forte que sa raison. Le schéma biblique de la

faute évitable et de la responsabilité du roi adultère est par conséquent annulé par l’existence

d’une divinité qui le prédestine au mal. C’est ce mouvement dialectique qui pose la faute de

l’homme comme réponse à une injustice divine, et qui anéantit tout espoir de voir jaillir une

figure authentiquement prophétique, qui compose la dynamique tragique de Montchrestien. La

«!tragédie biblique!» que représente David ou l’adultère se caractérise donc par son para-

doxe!: elle est biblique par l’épisode qu’elle narre, mais également mythique par le combat des

dieux et des hommes qu’elle met en scène!; elle est tragique dans sa conception et sa distribu-

tion des forces surnaturelles qui font tourner le monde, mais également anti-tragique par

l’espérance de salut qu’elle fait porter à Dieu par le prophète Nathan. Elle procède d’une es-

thétique du conflit et d’un goût pour l’excès qui caractérise le style baroque.

Quel chemin parcouru, des Tragédies saintes à David ou l’adultère, dans l’élaboration

de ce tout nouveau genre dramatique qu’est la tragédie biblique, et comme le personnage de

David change à mesure qu’il investit l’avant-scène protestante!! L’approche comparative des

pièces de théâtre qui érigent le roi d’Israël en dramatis personae nous renseigne qu’il y a

bien eu une évolution des mentalités concernant le rôle du théâtre religieux dans la formation
QUATRIEME PARTIE 579

morale et spirituelle des spectateurs, un rôle que les traits prêtés au héros de Samuel tendent,

dans chacune d’elles, à refléter. La trilogie de des Masures reflète admirablement la concep-

tion que se font les humanistes de la tragédie biblique!: elle s’attache à montrer la noblesse

d’un héros injustement combattue par un roi ingrat, puis l’épreuve de l’exil, du nomadisme et

de la persécution qui l’affecte. Cette noblesse de David, qui n’est pas encore sacré roi à

l’époque des événements de la pièce, dérive précisément de son élection divine et de son en-

vergure prophétique!: Dieu l’accompagne et le protège!; sa victoire contre les épreuves préfi-

gure la victoire du Christ contre la mort et les difficultés que connaîtront plus tard les hugue-

nots, et dont ils doivent sans aucun doute sortir victorieux (c’est le message de la pièce). La

vision tragique de Montchrestien n’est pas assez ancrée dans la tradition antique pour que soit

niée la dimension prophétique du personnage. David demeure, conformément à la tradition

chrétienne, le porte-parole et l’image de l’Éternel, et son parcours humain et spirituel en té-

moigne.

La Musique de David n’est pas une tragédie!: elle est un drame, un genre plus souple

et moins codé. Le dramaturge a donc toute la latitude souhaitée pour véhiculer la conception

théologique de son choix. L’essence du prophétisme développée dans la pièce correspond à la

signification moderne et réformée du terme!; certes, elle fait de David une figure messianique,

tant par la lignée qu’il initie que par son testament musical, mais elle lui prête aussi les traits

du prédicateur protestant. Une telle liberté d’écriture l’amène à sacrifier l’éthos prophétique

du psalmiste, des considérations luthériennes prenant le pas sur la personne évoquée dans la

Bible. Ce sacrifice des attributs personnels de David cause, en quelque sorte, la mort du per-

sonnage!; devenu un concept, il ne reste plus de place pour son humanité, qui se confond en

tout dernier lieu avec celle d’un autre, radicalement différent de lui!: le Christ.

Le David de Montchrestien véhicule une conception tragique beaucoup plus exigeante

et élaborée, mais de ce fait, incompatible avec l’essence prophétique qui caractérise le David

des chrétiens. Le souci d’illustrer sa déchéance progressive et inévitable qui aboutit à la mort
QUATRIEME PARTIE 580

et se répercute dans l’histoire ne peut prendre en compte l’espérance de salut sous-jacente à la

succession de ses malheurs. Il conduit le poète à penser l’impensable, à concevoir son héros

biblique comme l’envers exact de la personnalité des prophètes canoniques. Le projet de re-

présenter David au théâtre, qui caractérise l’œuvre des premiers dramaturges protestants, a

cédé la place au désir, devenu primordial à la fin du XVIe siècle, de représenter une tragédie, et

qui plus est dans les règles de l’art. Cette évolution témoigne qu’un impératif religieux arrive

à donner naissance à une écriture, et qu’une fois engendré, ce souci d’écriture accapare à tel

point ses auteurs qu’il en arrive à oser la métamorphose de la matière sainte. Le David des

dramaturges varie selon les préoccupations immédiates de chacun. Contre l’unité monolithi-

que que plusieurs voudraient bien prêter à son personnage, il devient plus humain!; il évoque

le multiple, le contradictoire, l’insaisissable.


CONCLUSION
CONCLUSION 582

L’histoire de David présente un modèle de vie au travers duquel le héros joue un rôle

d’archétype. Par son inscription dans l’Ancien Testament, elle procure un langage sacré

dont se servent les hommes de lettres pour donner forme aux idées!; elle est source de

poésie. Elle constitue aussi un support de la foi lorsque qu’elle présente un élu, un croyant

de l’ancienne Alliance, consacré comme le dépositaire prophétique des mystères du

Nouveau Testament. Ces différents aspects de la figure biblique caractérisent le recours

fait à David dans les lettres françaises!: partie prenante d’un corpus lu, reçu, commenté et

médité, les auteurs s’appliquent à avoir envers lui une attitude objective (on l’étudie, le

questionne, dégage de sa vie des aspects significatifs en recourant au texte avec des outils

philologiques), mais aussi, parce qu’il est langage, source d’images, de thèmes et de topoi,

on l’aborde d’une manière subjective en l’intégrant à cet autre langage qu’est la littérature.

Dans un cas, on le prie, on le chante, on lui emprunte ses louanges dans les prières privées

comme dans les oraisons collectives du culte!; dans l’autre, on en fait un héros d’épopée

ou de tragédie, un modèle poétique et le lieu d’une réflexion politique. C’est surtout à cette

dernière facette du prophète d’Israël qu’est consacrée notre étude!: David comme modèle

de vie, comme archétype biblique du roi et du poète à l’origine d’une vaste littérature,

derrière lequel se profile cependant toujours en filigrane le premier aspect du personnage,

David comme prière, cœur selon le cœur de Dieu. Car dans les textes, ces dimensions sont

liées.

Nous avons tenté de rendre compte des motifs et des contextes par lesquels le héros

investit le monde des lettres. Le personnage vétérotestamentaire passe de la Bible à la fable

(chez Pierre Sala, Guillaume Telin et d’autres), sert de flambeau à la monarchie, puis à la

dissidence religieuse et à une révolte plus ou moins contenue chez les protestants. Les

raisons de cette prédominance ont été en partie décelées. Le témoignage le plus


CONCLUSION 583

représentatif des opinions de l’époque, celui qui touche le noyau autour duquel

s’articulent les textes sur le sujet, vient peut-être d’une ode liminaire que Jean Dorat écrivit

pour la traduction des Psaumes de son ami et disciple Jean Matthieu Toscano, en divers

mètres latins (1575). Pour féliciter son ami de son attirance pour le psautier et souligner le

bien-fondé d’une nouvelle traduction1, Dorat évoque le caractère universel du personnage,

qu’il hisse au titre prestigieux de petit miracle de l’Ancien Testament, et même de Protée!:

Le plus grand auteur des plus grands miracles est le Dieu tout-puissant […]
Cependant, parmi ses grandes actions, nulle part sa puissance n’est plus
étonnante que lorsqu’il fait passer le seul David par tant de visages différents,
comme un Protée. D’un berger sans défense, Il a fait le vainqueur illustré par le
meurtre d’un géant, et d’une fronde de deux livres, Il a fait un foudre puissant
comme une lance tourbillonante. Il a pris le chef d’une pauvre bande pour le
faire régner sur d’orgueilleuses tribus, ce David qui avait été un serviteur utile
en présence des fureurs d’un roi farouche. Mais parmi les stupéfiantes qualités
du fils de Jessé, le Dieu souverainement efficace a-t-Il rien réalisé de plus
stupéfiant que de faire d’un enfant mal dégrossi un prophète? Non seulement –
comme un prophète entre tous les autres!– plein de l’esprit céleste, il est capable
d’annoncer l’avenir, mais il est le seul qui puisse rassembler en une
récapitulation unique les différents avertissements des autres prophètes et tous
les récits concernant les saints ancêtres, synthèse des livres, somme des choses,
pour tout dire, Bible des Bibles. […] Qu’on lise donc avec zèle les autres grands
textes sacrés, qu’on les lise, mais qu’on chante ce que chante David dans ses
hymnes pleins de mémoire.2

David protéiforme! : telle est la clé, nous dit Dorat, de la fortune littéraire et de la

fascination d’une époque à l’égard du roi d’Israël. Insaisissable, ce héros condense en

1 L’entreprise de Toscano n’avait en effet rien d’original puisque dès 1538, Salmon Macrin publie à
Poitiers Septem Psalmi in lyricos numeros [...] versi (Psaumes 7, 32, 38, 51, 102, 103, 143, auxquels il
joint plus tard 1 et 146). Un quart de siècle plus tard (1566) paraît, chez Henri Estienne, un recueil
collectif de traductions latines des Psaumes!: Buchanan, les Italiens Flaminio et Rapicio, Eobanus Hessus
y avaient collaboré. Cf. l’introduction aux pièces XXXVII et XXXVIII des odes de Jean Dorat in
[Geneviève Demerson], Les Odes latines, édition bilingue, Faculté des lettres et Sciences humaines de
l’université de Clermont-Ferrand II, 1980, p. 369.
CONCLUSION 584

effet à lui seul tous les états de la société ancienne!: le paysan, le noble et le clerc. Il est

saint parce qu’élu par Dieu et il est pécheur par ses faiblesses. Le maître de Toscano

reconnaît en lui un être complexe, insaisissable, qui donne matière à réflexion, matière à

expression. Un Protée, donc, mais aussi un Pan, une figure d’unité inhérente au multiple.

Dorat lui-même le suggère!: dans le testament lyrique du prophète gît la totalité du savoir,

la somme de la Sagesse, l’intégralité des livres de la Bible. La richesse de son oeuvre est

facteur d’harmonie et de cohérence. On ne l’épuisera jamais.

L’univers de la littérature d’inspiration religieuse ne paraît pas être un monde à part,

autoréférenciel!; il est parallèle et ressemblant au monde biblique. Cette similitude, qui

n’est pas mimesis, veut elle aussi qu’on ne trouve pas dans le foisonnement d'oeuvres

poétiques un seul David, égal et homogène sous la plume des auteurs de la Réforme et de

la Contre-Réforme!; chaque oeuvre, chaque poète construit son roi d'encre et de papier,

sans équivalent ailleurs, dépositaire d'un point de vue théologique, historique, personnel,

bien particulier dans l'espace et dans le temps. Elle crée aussi, à sa manière, un être

protéiforme.

Notre choix de favoriser davantage les textes littéraires en dehors des adaptations

des psaumes a permis de remonter aux facettes essentielles du personnage, le berger, le

chevalier, le roi, l’amant. Il nous amène également à une troublante constatation!: on voit

très peu la figure du pénitent se profiler dans les œuvres de notre corpus. Faut-il penser

que cet aspect du héros n’existe au XVIe siècle qu’en rapport avec la diffusion des

psaumes pénitentiels!? Probablement pas. Déjà en 1885, E. Frémy donnait des pistes

appelées à nourrir des recherches en ce sens dans un ouvrage au titre éloquent!: Henri III

Pénitent. Études du rapport de ce prince avec diverses confréries et communautés

parisiennes3. Les ordres religieux créés ou rejoints par les princes véhiculent l’image du

roi de repentir qui s’apparente – il ne peut en être autrement- au pénitent de la Bible. Il

reste encore à rassembler les lieux précis de son expression.

2 «!Préface de Jean Dorat, poete royal, pour la traduction des Psaumes de David par Toscano!», in Les
Odes latines, op. cit., pp. 234-42.
CONCLUSION 585

La postérité exceptionnelle de David au sein de sources aussi variées que les

discours politiques, religieux, les poèmes épiques et tragiques montre comment, sous la

plume des savants, un grand modèle biblique pose des jalons dans une «!archéologie du

savoir » en investissant presque toutes les sphères de la pensée. Cette omniprésence est un

discours en soi et témoigne des mutations idéologiques qui s'opèrent autour des textes

sacrés. On les lit, on y revient comme à une source, on les transforme dans toutes les

directions, au gré des projets, des appartenances religieuses, des circonstances!; on le

canonise!; on le sécularise. C’est sous cette forme hydride que notre personnage envahit la

quasi-totalité des genres poétiques de la Renaissance. Ses métamorphoses successives

dans les documents littéraires et iconographiques gardent la mémoire d’un héros devenu

symbole, elles recueillent l’histoire des enjeux d’une époque.

3 Paris, 1885.
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Dominique Vinay-Gilbert,

en collaboration avec

Madame Mauricette Vinay

ANNEXE

Transcription du manuscrit latin BnF 5971 A,

OPUS DAVIDICUM

d’Angelo Terzone de Legonissa

— Tome 2 —
OPUS DAVIDICUM

Karolo Maximo Regi Regum et Domino dominantium christianissimo in speciali


Franciae, Apuliae et Jerusalem, F. Johannes Angelus de Legonissa Seraphici
or(dinis) Minorum humi(lis) sa(lutem) di(cit).

Non potens tuas ego laudes, christianissime Rex, quae, dum Martis arma
parantur, in hominum ora crescunt, proferre. Cum et interdum clamorosis in me vocibus
et armis ex opposito aemuli tui insultarunt, sed quoniam solus deus, veluti cordis
scrutator, ita et linguae refrenator est, benivolam servitutem, quam adversus Tuam
christianissimam Majestatem gero, silentio tegere non valeo. Et ut de principum factis
proeliisve loquamur, cuicumque est homini, propter rationis continuam cum sensu
pugnam, innatum et quamdam in generosis animis militiam specialiter allatam esse
cognoscimus.
Cur itaque ego te, Karole, Francorum Regem tanto a tenellis annis prosequar
amore miratus sum equidem. Credimus enim Angelum quemdam, prout theologicus
sermo demonstrat, alicuius hierarchiae provinciam aliter quam ab // [fol. 1v] homine
distinctam gubernare Regemque ex suo ordine constituere ac illi amicos ex diversis
regionibus adsignare. Nec hoc ab astrorum motibus, dumtaxat coinquinantibus,
necessitare vero minimum posse credimus, nisi quantum divina permissione disponitur.
Voluntas enim nostra, quae mere libera, hoc eligere, illud renuere est.
Cognita igitur tua bonitate, Karolum, Francorum Regem, sub ratione boni, recta
cum ratione, opto, alterum sub ratione mali respuo.
Idcirco voluntas mea te vult, te amat, animoque medullitus amplectitur, ea videlicet
christianitatis ratione qua malos confutare, justos erigere curas. Mos quidem Davidici
est «!deponere potentes de sede et exaltare humiles!», sanctam Dei Ecclesiam extollere.
Et cum hos meos conceptus manifestare temptassem et te praedecessoresque
tuos, christianissimos videlicet Reges, de Israelitica domo David Regis sumpsisse
ortum, quoniam, sicut enim ille ex fide incarnandi christianissimus fuit, ut ait de Jesu
ANNEXE!: Opus Davidicum A—2

Christo meo, ita(que) et tu de incarnato jam verbo prae ceteris mundi principibus, ut
totus clamat orbis, firmiter indubitanterque teneo.Nam in omni religiositate Domus
Franciae firmata est!: est enim domini firmiter aedificata, bene fundata est supra firmam
petram christianitatis!; petra autem est Christus. Haec quidem tutius T(uae)
christia(nissimae) M(ajestati) narrare quam // [fol. 2r] quibusvis ceteris putavi.
Nihil est enim quod ditamine clariore refulgeat quam recta fides in principe!; et dicitur a
Rege Salomone!: «!Cor Regis in manu dei est. Et ubi voluerit inclinabit illud!»1.
Quam cum Rex justus sederit supra sedem, non adversabitur sibi malignum et,
cum huiuscemodi sis, idcirco ad illam tam magni operis dicavi intentum, tum ut
summam meam in te noscas devotionem!; tum ut Franci ceterive perfecti solidentur,
aemuli detractoresve tui etiam de te captent benivolentiam!: tum ut illi qui domum tuam
ab infidelissimo Priamo troyano, poetico more, cupiunt emanare et ad illorum priscam
gentilitatem tuam Israelitam Genealogiam avertere confundantur. Huius magni ponderis
veritatem sumpsimus investigandam. Ex mala enim parentela bona sequi seu oriri non
potest, quia ex malo malum producitur!; et quoniam, teste Aristote(le), «!parvus error in
principio, maximus est in fine!». Verum enim ex bono melius ac optimum derivatur!: ex
Davidica Israeliticave familia christianissima fieri possibilitatem actualem esse
cernimus. Hoc quidem veritatis causa in lucem produximus. Quod non aspernaberis,
oro, quia «!veritas de terra orta est!» (scilicet de Domo tua sanctissima)2.Ego vero velim
ut hoc aeternum opus, sed noviter tuo tempore manifestatum, multi forent mortales.
Et tu, Rex, in aeternum sursum, etiam in Regno tuo, vive et T(ua)
christi(anissima) M(ajestas) hoc in Regno feliciter valeat!! // [fol. 2v]

Incipit Prologus in Opus Davidicum, per F(ratrem) Johannem Angelum Terçonem


de Legonissa minorum Seraphici ordinis minimum, militem domus Franciae, hasta
et gladio linguae.

Divina Providentia, Italicis finibus refranchandis3, in quibus totius orbis


praerogativa dignitatis residet, Karolum Regem hominem a deo missum ad relevandam
fidem christianorum, a diversis insidiis, rapinae praesertim, prostratam, et saluti

1
Proverbes, 21,1.
2
Ps. 84 (85), 12.
3
Néologisme (= refringendis!?)
ANNEXE!: Opus Davidicum A—3

destinavit et ordinavit. Terrarum enim principes Dii se modo fatebantur


irreprehensibiles. Nulla devotio, nulla pietas, nulla religio. Religiosi deteriores ad
gradus fere ordinantur. Opprimuntur justi, exaltantur mali. Clerus ad mala, clerus ad
avaritiam!: omnia per «!pecunia(m) falsa(m)!» fiunt!: simoniae approbantur profecto.
Quo primuntur peccata!? – Pecunia. Quis timetur!?- Pecunia. Quis deus!?-Pecunia.
Quamvis, nisi proprii, Romani Pontifices excludantur, cum verus Monarcha sit, reliqui
minime. Evangelium hodie despicitur. Et comoedias, Bucolica amatoriaque verba in
Ranarum fabulis poeticis in hebriati4 cantare sollicitant. Ad pristinam jam deorum
conversi idolatriam, pseudi prophetae // [fol. 3r] vates vaticinantes futura. Nefandum
Jovem nunc Maximum, modo tonantem appellant. Ad huiuscemodi homines perdere ac
confutare, inimicos crucis Christi, puerum suum misit.
In huiusmodi quidem studiis praelati hodie suos spirituales filios perdere tempus
tolerant ac permirantur propter quod Hely sacerdos sanctus cecidit ac moritur,
ignorantes omnem scientiam omnemque artem a sacris litteris, teste canone, habere
principium.
Noluit secundum nostra demerita solitam suam abscondere visitationem, sed per
Karolum Regem Davidicum, puerum suum prudentissimum, opprobria resecare et Petri
jam submergentem navim5, depositis metallis plumbi lamineisque gravantibus, ad
portum salutis et honorificentiae adducere.
Aperi igitur oculos tuos, Italia, mundi decus!: Davidicum Karolum,
christianissimum Regem, ad te missum intuere, in cuius gladio omnes tyrannos tuos
mulctabit deus. Aperi etiam oculos tuos, Italia!; omnes isti congregati sunt, venerunt
tibi, quia nullum violentum perpetuum est. Gallus te excitat!: noli amplius dormitare.
Surgamus ergo strenue!! Gallus jacentes excitat et somnolentes increpat. Gallus
negantes arguit!: cur hoc faciendum est!?— Quia, Gallo canente, spes redit aegris, salus
refunditur, mucro latronis conditur!; lapsis Teucris et infidelibus, fides revertitur. // [fol.
3v]
Noli timere, Italia, gloria mundi!: paulo post, Karolus in fidei unitatem
congregabit te, quemadmodum gallina congregat pullos suos sub alas, post radicis
malorum evellitionem, et Goliae hastae fractionem magnam. Excitavit dominus servum
suum Carolum, ut confundat christianitatis adversarios, quibus saepius dixisti!: «!Non

4
Il aurait fallu «!inebriati!».
5
Il aurait fallu «!navem!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—4

sic, impii, non sic, o Rectores Mundi!! Audite, caeli sapientesque!: loquor!! Audiat, terra
(videlicet populi rudes) diu ut avis vestris pravis cupiditatibus, divisionibus!: ad me, qui
sum via, veritas et vita, expectavi ut dirigeremini!: in me, ut homo, omnis philosophia!;
prout Rex, omne civile vis6!; prout pontifex, canonicum!; ut deus omnis theologia,
quoniam Dominus scientiarum deus est.!»
Modo ad vanitates, ad insanias falsas mundaverunt(se)7 et sanam doctrinam non
sustinent, sed ad sua desideria invenerunt malos magistros prurientes auribus, qui a
veritate quidem auditum avertent, ad fabulas autem convertentur. Et quia non est qui
faciat bonum,— non est usque ad unum!! — ideo Karolus Rex, puer Christi, mittitur
tunc Gallis, modo Italis, postea orientalibus.
Surgite, o orientales, qui diu in nocte caecitatis, ignorantiae, dormivistis!! Gallus
purus et candidus, christianissimas cantando laudes, te etiam a putrido, infidelissimo,
carnali somno // [fol. 4r] excitat. Quare tanta et tot mirabilia Karolus hic vere Maximus
facit!? Quia manus domini est cum illo. Quis enim opera quae Karolus facit facere
posset, nisi fuerit deus cum eo!? Brachium sibi dominus consignavit. Hic est enim ille
de domo David qui hac in tempestate mittendus erat, qui cogitatum suum jactat in
Domino. Et eum ipse velut agnum mansuetum Dominatorem terrae ducit. Quis ergo non
davidicum esse affirmare audet!? Quibus praemiis aut moribus quibusve meritis troyana
familia primatum christianorum habere debebat!? Novum quippe testamentum a veteri
prodiit!: christianissima domus8 ab Israelitica stirpe David descendisse congruum est. Si
quidem a pristinis suis christianorum Regem Davidicam prolem esse probare
voluerimus, generationem eius quis enarrabit!? Cum per tot Reges, Patriarchas, Duces et
Imperatores, tam in veteri quam in nova lege, descendat a Christo praesertim Magno, a
quo denominationem habet Domus Franciae christianissima, gloria Francorum
christianorum mundique totius lampas, lucerna et sol, «!lumen ad revelationem gentium
et gloria plebis!»Christi «!Israel!»9, qui dicit!: «!Ego sum lux mundi!» 10
. Dum igitur
Domus Franciae recordatur, hominem laetificat, // [fol. 4v] percutit infidelem, in qua
nomen dei scriptum est. Modo enim lux Trionum clarior(que) est per Karolum!: quid
sonat, nisi cara lux saeculis Domus Franciae, mundi gaudium!?

6
= omnis civilis vis.
7
Le texte porte!:!«!mundiverunt!», ce qui n’a pas de sens!; la correction «!mundaverunt!» implique un c. o.
d.!: «!se!».
8
= christianissimam domum (sujet de l’infinitive.)
9
Cf. Luc, 2, 32.
10
Cf. Jean 7, 12.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—5

Adversus quam quidam Italorum famosos libellos inhonestasque Cantilenas


machinarunt. Quod aequo animo de tam Regali et Nobilissima Christi progenie minime
potui gerere!; per hoc nostrum opus a tantis opprobriis veritatem retexendam, Tuam
Maj(estatem) christianissimam liberandam fore censui. // [fol. 5r]

Incipit Opus christianissimum seu Davidicum Domus sanctissimae Franciae,


Karolo Maximo Christianissimo Regi Regum et Domino Dominantium
dedicat(um) per eius devotum F(ratrem) Jo(hanem) Angelum de Legonissa,
militem laudis eius suique seminis aeterni.

In principio quidem ab Adam, totius terrestris Monarchiae princeps, in statu suae


innocentiae, Dominus universalis, post crimen vero vicem tantum gessit Dominii!: per
lignum quippe perdidit quod Christus in ligno recuperavit. Ab Adam enim usque ad
Karolum VIII, Regem Francorum Maximum, inchoandum est, per primogenita electa
solum deveniendum, quoniam per ea Davidica domus christianissima Franciae ab
aeterno mundo producitur, quae in omni loco potentiora fuere!; et in caelo et in terra
magna est.
Praesupposito et deum omnipotentem a quolibet, prout vult, aut ex demeritis,
dominia, auctoritatem et granditatem removere!; et cuilibet, ex praecognitione dei et
gratia, meritis aut quovismodo praecognitis amota condonare. In divina electione
constituti primi sunt. Nam electio immutat // [fol. 5v] naturam, ut volunt legistae.
Christiani enim, qui olim Gentiles fuerunt, in idolatriis maxime constituti, Cananes
dicebantur, circumeuntes corpora mortuorum idola possidentium. Et iste fuit populus
quem antea non cognovit, elegit11, qui in auditu auris apostolicae praedicationis
convertitur. Peculiarem quoque populum Judaicum, qui sceptrum dedit Regale, pavit
manna, mare transtulit et huiusmodi, ex eorum demeritis, quia «!in propria venit et ipsi
eum non receperunt!»12, sprevit. Et populus electus est gentilis qui in virtute seminis fuit
electorum.
Quae quidem electio in Abel, Seth, Enos, Caynan, Malaleel, Jaret, Enoch, Matusalem,
Lainechque. Promogenita in divina fuerunt electione per gratiam conservationis!: ii, in

11
On attendrait «!electus est!», mais l’actif met l’accent sur l’intervention divine.
12
La citation est tirée de Jean 1, 11.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—6

lege naturae constituti, terrestria laborantes conservati, in quibus primogenita


christianissima in ratione seminali praecipue erant. Uno ordine primates subsequere13
debent aut ex linea aut electione. Illi quidem tunc primi, isti vero nunc!; illi prae ceteris
populis, tum in sacrificiis, tum in proeliis praeponebantur, sicut christianissimi isti qui
primi Reges, primi milites, christianique primi et eximii. // [fol. 6r]

Quod christianissima Domus Franciae per primogenita


secundae aetatis descendit.
Cap. II

Secundae quoque aetatis Principes electi de Domo Christi quae a constructione


Arcae et a Noe fabricatore incepit!: Arca enim in fluctibus posita Ecclesiam sanctam
Dei, universalem fidem congregatam designat. Noe vero, vir justus, totius illius
congregationis custos, pater et Dominus, qui apud poetas Bacchus dicebatur, tum Liber,
celsa venit per sidera caeli. Jacens hic ebrius Noe divino amore in Christum sibi
futurum, dulcedini dilectionis Arcae fidei conservantis deditus, christianissimus ipse.
Sic etiam rex Franciae fidem, Ecclesiam custodit et defendat, inebrietatus dulcedine
christianitatis, arma ad tutandam ab aquarum fluctibus tum hereticorum Avarorumque,
tum tyrannorum, mittitur et sumit. Haec est enim illa Arca illa Domus dei militantis
ecclesiae, in qua Sem papa residet cum duobus imperatoribus, Cham scilicet et Japhet,
qui non per // [fol. 6v] hereditariam successionem, sed per congruam electionem in Arca
praeponuntur.
Noe tamen semper manet, christianissimus Rex Franciae, qui nomen nostrum
retinet et conservat. Nec Matusalem, nec alius extra arcam in qua omnis anima vivens
conservatur. Nam supra omnes Montes stetisse aquas affert Scriptura!; et dum pax fuit
redita mundo in signum olivae, Noe cum Sem, sacerdote summo, Asiam habitavit, quae
ab Euphrate Oceanum usque circuit, in ubi medio Jerusalem, quondam sacram
civitatem, a suo nomine, condidit!: inde sacerdotalis civitas dicebatur. Japhet quoque
partem europam habuit, quae a septentrionali plaga Athaneo Mannoque montibus
Ciliciae, Syriae usque Gadin est. Cham quoque Africam tenuit. Quare Rex
christianissimus illam debet Jerusalem gubernare ac possidere, respectu etiam

13
= subsequi.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—7

primitatis. Melchisemdech14 qui Elam genuit, a quo Elamitae dicti sunt!; ille vero Assur,
a quo Assirii Caldeique dicuntur!; ille Arphasat magnum, a quo Aradii!; ille quidem
Lud, a quo Lidii voca(n)tur!; Lud Aram genuit, a quo Siriaci denominantur et Persi!;
Aram Heber genuit, a quo Hebrei nomen habent, in quorum lumbis Christianissimi
Reges!: sanum est, quia in primogenitura, Dominio et dignitate illi illis in temporibus
praeponebantur, ita chrisianissimi Francorum reges in istis. // [fol. 7r]
Et plures Duces Provinciarumque principes a christianissimis oriuntur Regibus
in diversis mundi partibus.

Quod christianissima Domus Franciae provenit


ex primogenitis 3e aetatis.
Cap. III

Abraham, multarum gentium pater, cuius semen benedictum et exaltatum,


«!sicut stellas caeli et velut arena, quae est in litore maris, multiplicatum!»15 et in
perpetuis duraturum temporibus in generatione in generationem et in saeculum saeculi,
notum in codicibus est.
Etsi Doctores magni pro salvis in Regno beatitudinis collocandis exponant nihil
hominis, tanta est sacrae scripturae veritas et vivacitas quod etiam secundum sensum
litterae verificari debet, cum non impediat aliquid, sed magis ad decus et gloriam
observatur. Et sic semen Abrahae, etiam hoc in saeculo, in saeculis temporibus teneo
esse duraturum. Et non in alia domo haec dignitas, primitas et christianitas et
perseverantia esse cognoscuntur. Et veluti apud illos semen Abrahae primum erat ut
istud Regum Francorum est hodiernis // [fol. 7v] diebus istis apud christicolas
praecipuum est. Ait enim Abrahae Dominus deus, postquam a Loth divisus est!; «!Leva,
inquit, oculos tuos in directum et vide a loco in quo nunc es ad Aquilonem et ad
meridiem, ad orientem et occidentem!: omnem terram quam conspicis tibi dabo et
semini tuo usque in sempiternum. Faciam semen tuum sicut pulverem terrae!; si quis
hominum potest numerare pulverem terrae, semen quoque tuum numerare poterit. Surge

14
L’auteur l’identifie à Sem, ce qui explique peut-être cette orthographe.
15
Gen. 15,5 et 22, 17.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—8

ergo et perambula terram in longitudine et in latitudine sua, quia tibi daturus sum eam!»
(Haec in Geneseos)16.Sensus litteralis huius saeculi est!: et sempiternatio haec in Judeis
non fuit, qui subditi sunt!; et nullus de semine Abrahae orientem et occidentem,
meridiem ac septentrionem, nec in longitudinem nec in latitudinem terram habuit, nec
Christus cuius «!Regnum non erat de hoc mundo!»17. Verificari hoc debebat (ur), et in
nullo alio, ergo tantum in domo Franciae et in semine christianissimo stat veritas.
Isaac autem immolatio dei figura christianissimi!; qui filios gemellos, Jacob
Esauque, genuit. Esau naturam, Jacob vero electionem significat. Electio enim,
quocumque modo dato18, naturam praecedere debet. Jacob enim, antequam de matris
ventre exiret, electus est. Et cum // [fol. 8r] Esau, secundum ordinem naturae, prius
exire voluisset, seu temptasset, in matris utero eius pedem Jacob arripuit. Electio
naturam ipsam impedivit et superat. Electio quidem dei est natura, cum sit principium
motus in homine.
Rursus ex labore flexus, Esau, eidem a jacob promissis lenticulis in cibum, hereditariam
jurisdictionem, quam naturaliter habebat, renuit. Ex infima cibandi specie animive
lentitudine perdidit potestatem. Natura quippe in Esau, Electione in Jacob, tanta
hereditandi gratia invalescebat!; etiam favente Matre, caecutiente jam patre Isaac facto,
Jacob in electione pervenit, quamvis fraudulenter videatur. Hoc quidem est!: si natura
contra electionem insultaverit, omni via electio locum debet obtinere. Quamvis enim
christianissimum semen aliquando cecidit a dominio, paulo tamen post exaltatum esse
intueor. Minor quippe potestas majori cedere debet.
Jacob itaque, vice quadam, cum Angelo sumpto corpore, cuius pedem manu
tenens. Jacob, ter ei Angelus alloquitur!; inquit!: «!Dimitte me, quia aurora est!». Hoc est
quia antiqui patres per Angelos celestes instructiones habebant. Adveniente quoque
aurora quae parturit lucem, id est Virgo Maria Solem justitiae Christum parturiens.
Angeli modo // [fol. 8v] novita(te) mittuntur, quia sancti christiani et praecones
apostolique illi magni eorum officio functi sunt.
Abraham patrem, Isaac filium immolatum, Jacob spiritum sanctum, electionis
auctorem, designamus, qui Joseph genuit!; in Aegipti finibus habitantibus, qui in somnis
suis fratribus praeesse verissime vidit. Quid enim haec sonant authentica dicta!? Quae

16
Idem 13, 14.17.
17
Jean, 18, 36.
18
Il faudrait «!data!», se rapportant à «!electio!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—9

licet anagogice19 pro Christo intelligantur, historice tamen allegoriceve pro semine illo
corporeo. Christus enim in Abraham secundum seminalem rationem, testante supra
Geneseos (librum) Aurelio, non fuit, sed bene secundum substantiam. Et quia secundum
seminis proprietatem semen Abrahae in terris primum regnare debebat, quod ex Levi
est, qui secundum seminis rationem fuit in lumbis Abrahae, Rex vero christianissimus
seu christianissima Domus Franciae in primatum christianitatis electam esse scimus.
Saepius quisquis alius ut hanc dignitatem a Domo Franciae removere potuisset, tum
infidelis, tum invidus, contra statum christianissimae Domus laboravit. Quae etsi, ut
Jacob, declinari a christiana hereditaria20 videbatur jurisdictione, velut Ecclesia, in firma
petra aedificata fuit incolumis. Electio pedem a possessione mutat.
Fatigati ceteri principes terrarum circa terrena et propria, lenti celestibus curis!;
electio lenticulas naturae donavit ut ex // [fol. 9r] pauca cura bonorum lentum esse
signarent.
Christianissima Domus Franciae ceteris domibus non dignis ad tantam
denominationem super exaltata!; etsi dignae, ab ipsa tamen alta domo Franciae,
electione mediante, lentitudinem saepius susceperunt, quamvis enim multae Domus
nobilissimae congregaverunt divitias morum et praemiorum. Haec vero christianissima
Domus supergressa est universas alias.
Fatigatus rursus ex venatione, jussu patris, Esau, cui cibum parare debebat, qui
naturam designat pater!; at mater (Rebeccam do, id est gratia) Jacob auxiliatur.
Consiliatrice femina, perire debebat, quia ex femina plena gratiis salus fienda erat.
Fatigati ceteri principes venando divitias aliasque huius saeculi vanitates et in populos
depraedando!; haec enim liberalissima charitativa chatolicaque Domus semper cum
matre steterat Ecclesia nec ab ea discedere voluit per venationes et quaslibet alteras
mundi vanitates.
Joseph enim venumdatus corporaliter primo de Christo, seminaliter vero pro
christianissimo Rege dicitur!; duodecim enim Regna, veluti 12 in tribus distinctus est
mundus!:12 Reges esse debent tum primi. Et sicut in introitu maris rubri, Primus Juda
audacter praecessit, reliquae eum secutae sunt, meruit ex duodecim primatum possidere.
Domus enim Gloriosissima Franciae in // [fol. 9v] introitu illorum videlicet hereticorum
genus mare perturbat, sed per rubrum usque ad sanguinem denotatur. Quamvis aliqua

19
Corr du texte qui porte «!anagorice!».
20
On attend le substantif «!hereditate!» plutôt que l’adjectif.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—10

potentia aliquando infidelibus, pacis ut destructoribus, resistet, cum in confinibus eius


illos sentiat, Domus autem christianissima, quae non solum a confinibus, sed infra
Regna sua, omnes tum Judeos, tum hereticos exstirpat ac repulit.
Et hoc est quod Rex Israeliticus, vates divini spiritus, egregie memoratur!:
«!Memor fuit in saeculum testamenti sui, verbi quod mandavit in mille generationes!»
(finitum pro infinito, moris est scripturae), «!quod disposuit, ad Abraham et juramenti
sui ad Isaac, et statuit illud Jacob in praeceptum, et Israel (scilicet Joseph) in
21 22
testamentum aeternum. !» Quae omnia, ut diximus, secundum litteram quaerunt
veritatem. Subdit autem!: «!Et pertransierunt de gente in gentem et de Regno ad
populum alterum!» (scilicet gentilium Francorum)!». Non relinquet hominem nocere eis,
et corripuit23 pro eis Reges, dicens!: «!Nolite tangere Christos meos!» (scilicet
christianissimos Reges)!». «!Et salvavit eos de manu odientium et24 redemit eos de manu
inimici!»25, quod et in novo veluti in veteri testamento evenit eis. Sub Esau, infideles!;
sub Jacob Christianissimi ponuntur. Ergo ex semine Jacob esse scimus. // [fol. 10r]
Etiam vinea Domini Sabaoth Domus Israel est. Et, ut ponitur ab Ambrosio, hoc
ab Esaya commemorari, per alios quidem sensus ecclesiam, Sinagogam et Animam
intelligimus.
Quae domus a Judeis non honorabatur, quia et primum eius Regem necaverunt
deb(itores)26. Subdit ipse!: «!Auferetur a vobis Regnum dei(id est Regalis potestas et
domus Israelitica cui Regia Majestas comperit)!» et dabitur Genti!» (id est Francis)
«!facienti fructus eius.!»27

21
Cf. Ps. 105 (104) 8-10.
22
Id.,v. 13, mais interprétation contestable de ce verset.
23
Id.,v. 15.
24
Id.,v. 14.
25
Ps. 106 (105), 10.
26
Interprétation peu sûre!: l’allusion à la vigne permet de penser aux vignerons homicides pour n’avoir
pas voulu payer son dû au maître de la vigne.
27
Conclusion de la parabole des vignerons homicides!: Matt. 21, 41.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—11

Quod ex illis a Moyse!:


etiam per convenientiam operum suorum.
Cap. IV

(Moyses)28 quoque litteraturae auctor, Hebreorum populi Ductor et Custos, in


quo scripturae lex sumpsit initium!: leges in tabulis marmoreis scriptas in monte
recepit!; qui annis 40 aequissime populum rexit. Christianissimus Franciae Rex
christianorum primus, quamvis papa, ut Aaron, praeponatur. Et imperatores, ut Josue et
Urbis29 pugnatores, tamen Moyses praecipuus!; sic Francorum Rex primus post
pontificem Romanum. Imperator vero ut miles Christi est. Officium etiam Imperii in
Domo christianissima Franciae successive // [fol. 10v] in multis simul ac Regni
Primatum possedit, quod in nulla alia domo contigit. De quo posterius Gotomiel
quoque, filius eius, primus ex tribu Juda. Et Sanson, filius eius30 fortissimus, Christi
figura, christianissimus!: qui portas simul ac Philisteos fregit31, Christum tartareas portas
Regesque Franciae christianitatis adversarios superasse saepius praemo(nens) stravit.
Annis vero CC37 non numeratis, Eli sacerdos, arcae legis custos, quae de
Christo dicebant dicta servavit!; Rex quidem seu Domus Franciae conservantes arcam
legis (scilicet theologiae) parisius innuit. Per hos omnes Christi fautores, ii Reges
Francorum depingunt(ur)!; probabile videtur, non immerito igitur dicimus!:
«!Ecce Moysen, legum conservatorem in lapidibus, (id est in petram fidei) digito
Dei impressas in Domo Franciae, seu in magna urbe parisina, habemus. Et solem
videlicet veritatis X horis (id est in X praeceptis) per expositorum auctoritates, veluti
Josue milites, possidemus.
Sanson adversus Phylisteos decem milia hostes32 invictam fortitudinem Domus
Franciae conservat. Sicut enim in Christo omnia finem in plenitudine perfecere, sic
etiam post suum ad superos ascensum omnia Israelitici populi, Levi Judaeque tribuum
saltim33 virtutum, operum praemiorumque memoriae, non solum scriptae, verum etiam
actu in aliqua // [fol. 11r] Domo conservari justum est. Et in nulla alia perseverantiam

28
Début illisible!(photocopie noire).
29
«!Urbis!»!: il s’agit de Jérusalem.
30
Généalogie fantaisiste!!
31
Cf!. Juges, 16, 3.
32
Cf Juges, 15, 15!: le rédacteur biblique évoque pour sa part mille hommes.
33
Forme plus rare de «!saltem!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—12

fidei ac sinceram, claram indubitantemque34 veritatem, nisi in christianissima Domo


Franciae davidica invenimus, ut testis totus est orbis. Ergo domum hanc sanctam ex
semine benedicto et multiplicato Abrahae indubitanter tenere sanum et non absurdum
esse putamus.!»

O christianissima Domus Franciae ex David et respectu tum seminis et


promissionis, tum primitiae Regalis, et domationem tyrannorum.
Cap. V

David quoque, Rex primus, Juda Regali tribu, a deo electus, dictus Israelita, cui
dictum est!: «!O Rex David, de fructu ventris tui ponam super sedem meam!».35 Haec
enim in praeteritis veteris legis, in Christo et in posteris suis, Regibus Franciae, retinet
veritatem. Hoc etiam «!sedere!», non solum in beata gloria, sed in temporali Regno
intelligendum est. Data est Christo omnis potestas, etiam in terra, quae ut magis divina
potentia et apud nos elucescat, in terris debuit conservari.
Cum David primus Rex, Franciae primus mundi Rex de antiqua // [fol. 11v]
Regali Domo. Electus a deo electione David, Rex Juda!: electus divina electione Rex
Francorum,!» de fructu David sedere supra sedem dei!» christianissimam manifestum
est. Cur enim Israelitica diceretur seu christianissima Domus!? Ductor Judeorum David,
ductor christianorum Rex christianissimus. Congruum enim est ut christianissimus
christianos ducat!: sceptrum enim Regale christianitatis in Domo Francorum est. Domus
Franciae in praesenti regimine christianorum Regni illaque Domus davidica apud
priscos vocabatur. Non enim in veteri lege prophetarum imperatores fiebant qui a
paganis Romanis sunt derivati!: primitas aut Regia in Mosayca lege et in Christo residet,
viget et conservatur, qua Domus Christi fungitur ferme semper. David quoque Goliam
Saulque tyrannos domuit et perdidit!; christianissimi Reges Turcos Infideles ceterosque
tyrannos semper persequuntur et lacerant, ut hodiernis temporibus experientia perspicua
demonstrat. Haec est enim illa Regalis sedes in caelis terrisque non vacua, sed semper
firmior, «!sedes tua, Deus omnipotens, Rex, in saeculum saeculi.!»36 Virga directionis,

34
Le texte porte «!indubitantamque!».
35
Cf. II Samuel, 7, 12 et Ps. 131(132), 11.
36
Ps. 144 (145), 13.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—13

virga regni tui, etiam in terris regnare fecisti!; percussisque insidiatoribus, fugatis ex
Israel opprobriis, annis 40 regnavit. // [fol. 12r]
Solomon, filius eius sapientissimus, qui tam christianissimus fuit quod
Christum!» in lapide in caput anguli posito!» praedilexit.37 Intuens enim christum
«!locum ubi caput reclinet non habere!»38, gloriosissimum sibi palatium fabricavit et
templum in quo in figuram eius sacrificia offerre ordinavit. Audiensque quodam in
ligno esse moriturum, quod funditus in terram39 abscondit. In scribendo enim tot
volumina, tum sapientiae, tum proverbiorum, aliorumve librorum, quod in tanto Rege in
regendis provinciis occupato mirabile fuisse confitemur. Ceterosque principes ad
habendam sapientiam dictis incitavit et exemplis!; quam quidem sapientiam plurimi
Francorum Reges per hereditariam ab eo successionem ausi sunt, ex quibus beati et
sancti manifeste fuerunt.
Roboam, filius eius, qui tum in Judea regnavit christianum Regem solum in
Francis interdum regnare demonstrat. Postea linealiter secuti sunt Asa, Josaphat, Joram,
Ochozias, Zotholias, femina40, Josias, Amesias, Ozias, Joathan, Achaz!; Ezechias,
Amon, Manasses, Josias et Elyachym, ii Davidicae prolis lineam stirpem tenentes, nec
in factis possunt esse aequales, annis vero CCCCC et novem feliciter imperantes. Si
quidem in lumbis istorum Reges Franciae // [fol. 12v] steterunt, tanto magis in
Israeliticis Regibus viguerunt, videlicet Hyeroboam, Nadab, Baasa, Hela, Amri, Achab,
Ozzias, Joram, Jen, Joacab, Xiosas, Hyeroboam, Zacharias, Sellumelies, Manaem,
Faceas, Facee, Osee. Ii Davidici fuere seminis!; sicut enim hodie apud nos
christianissimi Reges per excellentiam in christicolis sunt, sic illi in populo Israelitico a
quibus Reges Franciae tale vestigium habuere. In Judeis enim stirps Franciae jacuit,
quia, teste Evangelio, «!Salus ex Judeis41 est ab istis quidem Israeliticis Regibus Domus
Franciae est, quia Rex Cantor Christi ait!: «!Et filii eorum usque in saeculum sedebunt
supra sedem nostram!».42
Ecceque manifesta sit divina in Regibus christianissimis Promissio. Qui enim
erraverunt, connumerandi non sunt.

37
Ps. 117 (118), 22.
38
Luc, 9, 58.
39
On attendait «!in terra!».
40
Il s’agit d’Athalie. Les noms ont été maintenus dans leur graphie originelle.
41
Jean, 4, 22.
42
Ps.131(132), 12.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—14

Per primogenita in transmigratione Babillonis,


quod etsi per peccata populi admiserunt Regale decus,
adhuc ex Israeliticis Regibus descendunt.
Cap. VI

Jerusalem, civitas Dei, dum vitiis dedicaretur altera Babilon facta, ideo
Babillonicis data est in rapinam templique tam magni spoliationem, divina // [fol. 13r]
ultione, templum domini spoliaverunt!; dignitatem et gloriam perdiderunt et dominio
Davidicum sceptrum privatum fuit, 70 annis captivitate durante. Hebreorum quoque
miseretur Chyrus, Persarum Rex!: 50 milia hominum in Judeam remisit. Post
transmigrationem Babillonis, Jeconias genuit Salatiel. Quo tempore, Alexander Macedo
Hebrorum Regnum occupat auferens43 quod a Chaldeis (relictum erat). Annis vero
quattuor ipse in Judea(m) rexit Regale Davidicum sceptrum. Centum et X9 annis
steterant sine Regno. Quid enim hoc sonat!? Nisi quod Davidici ut homines, quorum est
natura peccabilis, peccarunt, ex quo post modum privati sunt Dominio. Peccatum enim
gratiam expellit, quia duo contraria clamant Philosophi, simul stare nequeunt. Purgatis
vero sceleribus, in sede Regnandi restituuntur.
Abraham, David etiam et reliqui pericula in se Regnando passi sunt. Modo
restituti fuere. Et propter temporis distantiam et mutationem variam nomina mutaverunt.
Quae omnia in Francorum Regibus acciderunt. Videntes eorum se in tanta gloria
interdum locatos, superbi erunt!; post tempus aliquod, fuerunt a deo restituti. Pater enim
in suos filios corripit et castigat, non tamen illos penitus extirpare procurat, nec per hoc
virtus seminis perditur.
Machabei quippe Reges regnare // [fol. 13v] coeperunt, restituti a deo in Regno,
quos quidem de semine David fuisse scimus, quamvis nomen mutaverunt in eorum
tempore!: Judas primus, Jonatas frater, Simon frater, Johannes Hyrcanus Rex, filius
eius, Aristobolus!; Alexandra psalma, Hyrcanus pontifex, filius eius, annis CCC37
regnarunt, in quibus christianissimi Reges fuisse non dubitamus, ex quorum etiam
semine emanantur successive. Quamvis enim non per lineam primogenitalem essent,
sed bene per semen, quia non semper per primogenita descenderunt, ergo de semine
David. Jesus Christus autem per primogenita solum propagari nascique debebat, qui in

43
Le texte porte «!abstulens!», participe présent fabriqué sur la forme du parfait!!
ANNEXE!: Opus Davidicum A—15

tali generatione primus «!primogenitus fuit in multis fratribus,!»44 scilicet a tali recta
linea descensis. Jesus ipse, per Salatiel, Zorobabel, Abiud, Achym, Elyachym, Eliud,
Sadoch et Eleazar descendere debebat.45 Isti quidem Domini erant absque Regno. Ratio
est quia Christus ipse noluit Regnum de hoc mundo. Idcirco ab iis divitiis alienum esse
decebat, ideo in Regno illo caelorum pauperes istarum falsarum divitiarum Reges fecit
et instituit!; igitur de pauperibus nasci voluit. In isto vero terreno Regno, quod etiam!; ut
homo Davidicus, Regnare debebat, voluit Reges potentissimos // [fol. 14r] ordinare et
instituere, non quia in istis delectentur bonis transitoriis, sed per ista temporalia
spiritualia bona cognoscamus. Sicut Reges sui in terris sunt divites, ita in caelis qui ibi
regnare permittuntur, et ultra sinit.
Ordo enim est per notiora nobis ad notiora dei devenire in cognoscendo propter
sensus qui taliter positi sunt intellectuique representent omnes veluti Regi!: nam
invisibilia nobis per ea quae visibilia sunt evenire, teste Apostolo. Non ergo ridiculum
est per christianissimos Reges ad caelorum Reges perspici. Incogniti erant Davidicae
Domus, putati plebei eo maxime quia illi Herodes, alieni et advenae Ascolonita,
Tetrarcha, Agrippa, Agrippa filius, dignissimam Judeorum nobilitatem perdiderunt
eorumque Genealogiam et volumina comburi tradiderunt ignibus. Sicut enim semen
Davidicum per corpulentam substantiam in caelis supra omnes angelos exaltatur ut de
Maria ex semine David et stirpe et Christus unctus «!in cuius nomine omnes creaturae
flectunt genua!»46, sic in terris semen David praeponi ceteris debebat(ur). Et nulla alia
parentela tot et tanta perseveranter fecisse, praesertim in fide ista, sicut Davidici illi prae
aliis perseveraverunt, nisi in Domo Franciae. Ergo Domum illam // [fol. 14v] de Domo
David esse quis audeat dubitare!?
Ait enim Dominus!: «!Illuc, (id est in domo Franciae), producam cornu
David.!»47 Si quidem in persona Christi dixisset, non stat!: paravit lucernam (id est
lumen fidei christianae) Christo meo, scilicet uncto et Regi nostro. In illo autem
tempore Matan genuit Jacob48

44
Cf. Romains, 8, 29.
45
Cf. Matt. I, 12-15 (mais il s’arrête avant la fin!!)
46
Cf. Paul, Phil. 2, 10.
47
Cf. Ps. 132 (131), 17.
48
Reprise de la généalogie de Matt. I, 25. Ce Matan est le père de Joseph «!époux de Marie de laquelle est
né Jésus que l’on appelle Christ!». (I, 16)
ANNEXE!: Opus Davidicum A—16

Quod non ex Julio Caesare, nec Octaviano,


nisi in caelesti constellatione,
sed bene ex stirpe virginis gloriosae Mariae.
Cap. VII

Julius Caesar imperator, qui ex Jove aiunt sumpsisse initium, de Domo


Francorum penitus inimicus, qui Galliam totam Romanis subjecit, ut ipsemet de Bello
Gallico in Commentariis suis meminit. Et cum hoc non sibi conveniret, violenti morte a
suis fuit occisus, quia non aliorum fuit electione vocatus, sed sua voluntate in tanto fuit
imperio exaltatus.
Octavianus quoque divina electione quodam modo electus VIII° Idus Januari
(dies est Epiphaniae).
Joachim ex tribu Juda ex Anna de tribu Levi Mariam Israelitam gloriosam, de
praeclarissimo semine David, ut ipsamet // [fol. 15r] ait in Cantico!: «!Sicut locutus est
ad patres nostros, Abraham et semini eius in saecula!»49 (id est etiam per omnia nostra
saecula duratura) genuerunt!; quae quidem tribubus50 simul tum commiscebantur. Post
14 annis divinitus Joseph filio Jacob, desponsata est.
Maria, ex stirpe Regali, Davidico Regno, virginatis Prima Regina, praecedens
honestatis virtutisque, custodia tam corporis quam animae, prae ceteris mulieribus,
formosissima, armata liliis, omnium Domina, triumphanter regnans, Regis aeterni
sponsa purissima, praeservata.
Cui anno 42 Augusti ex aetheris polis supremus sibi nuntius mittitur Gabriel
Angelorum ut, sicut vera Judeorum erat Regina, ita in tanto Magni Dei sponsalitio
benedicerentur omnes, ut primogeniti patris aeterni esset Mater, qui caeli terraeque
Creator, a quo cuncta51 sunt Verbo quod dixit et facta sunt. Toto igitur orbe in pace
composito, nullum bellum nullaque scissura caelestia corpora producentia, temperata et
bene disposita. Universus tunc describebatur orbis et omnis in signum oboedientiae

49
«!Magnificat!»!; cf. Luc, 1, 55.
50
On attendrait «!tribus!».
51
Le texte porte «!quem cuncta sunt!» et «!quo dixit!», ce qui n’a pas de sens.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—17

supra caput tributum ferrent. Et quoniam52 haec universalis descriptio et oboedientia non
conveniebat Romanis, ille autem cui facienda haec erat oboedientia, taliter orbe
disposito, quia tunc agens formam suam inducit, quando patiens bene est // [fol. 15v]
dispositum!; idcirco «!dum medium silentium tenerent omnia, et nox in suo cursu
medium iter haberet!»53, Rex pacificus, Christus Jesus, a Regalibus sedibus in hunc
mundum in uterum huius Davidicae prolis Mariae venit, in rectam lineam Davidicam.
Reges quattuordecim, totidem Pariarchas et Duces in tali recta linea reperit. Verbum ibi
caro factum est. Abraham enim ex magna praecedenti fide et David de Domo Christi
esse meruerunt. Sic etiam Davidici ac christianissimi Francorum Reges ex posteriori se
subsequenti magna prae ceteris fide de Domo Christi esse meruerunt. Et veluti Joseph
sanctus Davidicus non fuit Mariam nobilissima(m) pauperem verecundatus accipere
virginem intactam, sic christianissimi Reges non dedignantur pro ecclesia sancta Dei
quoscumque subire labores!: universalem fidem Dei ecclesiam demonstramus. // [fol.
16r]

52
Rapport illogique avec ce qui suit. Ne faudrait-il pas lire plutôt «!quamquam!» ou «!quamvis!»,
logiquement meilleur!?
53
Cf. Sg., 18, 14.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—18

Incipit Prologus Militis Davidici Karoli Maximi Regis christianissimi


F. Johannis Angeli Terzoni de Legonissa
or. minorum Cruciferi fidelissimi
Liber II

Vidisti jam et audivisti, Christianissime Rex Karole Maxime, qualiter usque ad


incarnationis tempus processit tuum semen Davidicum. Modo autem quomodo succedit
et quod eidem semini nomen imponitur non ignorare oportet. Nam sicut aliquando
«!semen Abrahae!», aliquando «!semen Jacob!», interdum «!semen David!», post
Christum, «!semen christianissimum!» totus clamat mundus!; ecce domus tuae
dignitatem nosti!: te quoque Davidicum esse, ex semine Abrahae, Isaac et Jacob ortum
sane conspicimus. Ex isto Jove Christo descendet semen tuum. Historiographi
poetaeque errare solent saepius Deum omnipotentem sub nomine Jovis appellare, et
male!: illi quidem ipsum non sane percipiunt. Itaque Domum Israeliticam Davidicamve
esse certum est. Magis autem quam christianissimus es et nuncuparis!: gaudere simul et
laetari // [fol. 16v] debes, quod quidem Israelitam Davidicum esse includit.
Ceteri enim tum Reges, imperatores, tum Duces, christiani tantum dicuntur. Rex
Franciae solum christianissimus est!; tu, fidei nostrae lumen, tua Domus sancta, Domus
in qua habitare facit Deus unanimes in domo fidei!: «!Juravi, ait Dominus, David, servo
meo!: usque in aeternum praeparabo semen tuum. Aedificabo in generatione et
generationem sedem tuam!»54 In caelis non generantur!: una dumtaxat ibi stat generatio
divina. Ergo in generationibus istis promissum est. «!Iterum semel juravi in sancto meo,
si David mentiar!! Et semen eius in aeternum manebit!»55 in Domo (scilicet Franciae.)
Modo qualiter christianissimum semen sit procedendum est. // [fol. 17r]

54
Ps. 89 (88), 4-5.
55
Id. ib., 36-37.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—19

Liber 2°!: qualiter Domus sanctissima Franciae


a Christo re et nomine derivata,
Karolo Maximo Regi Regum christianissimo,
per fratrem Jo. Angelum, gladio Amoris militem.
Cap. Primo.

Jesus Christus, Rex Regum caelorum et Dominus Dominantium et Deus Deorum,


aeterni Regis filius et Davidica prolis, primogenitus prae Regibus terrae, per quem
Reges regnant, principes imperant, et potentes decernunt justitiam!; virga Jesse, Flos
Nazareus, «!cui data est omnis potestas in caelo et in terra!»56, teste evangelio!; sacerdos
summus et propheta magnus57, petra a Daniele monstrata statuam Dominorum
destruere!; «!lapis factus est mons magnus!»!; qui mons ab Isaia declaratur!:!«!Erit in
novissimis diebus (scilicet istis) praeparatus Mons domus Domini in vertice montium!;
et elevabitur supra colles!»58. Domus Franciae in vertice fidei elevata supra alios colles,
(id est supra alios mundi principes.) Hic Israelita Davidicus Jesus Christus primus de
Domo Franciae, a quo sui Reges christianissimi sunt, ab eo denominati. // [fol. 17v]
Semen enim illud non Abrahae amplius, non Davidis, sed Christi Regis. Jam dicitur!:
«!semen dei, semen christianissimum!». Et illud glossatores intelligant semen Jacob
regnare in aeternum!: illi enim sunt sancti beati qui, in caritate fundati et fide, per merita
in semine et Regno immarcessibili Jacob regnare merentur. Quod semen ex justitia,
caritate, praeceptorumque observantia fit. Et ex hoc semine nati, christiani dicuntur
Reges et illi de Domo gloriosissima Franciae ex eorum intensa fide in Jesus semine
possunt prae ceteris generari, cum habitudinem seminis naturalis possideant!; nec obstat
aliquem interdum Davidici seminis fuisse reprobatum. Omnis christianissimus in Regno
Jacob potest ascendere!; non autem omnis christianus in christianissimo semine esse per
essentiam potest. Domus itaque Franciae christianissima modo dicitur, quia sicut olim
apud veteres ab Israelita Israelitica, ita modo a Christo chrisianissima est denominata,
etiam respectu fidei culmitatem in tali Beatissima Domo conservatam. Nam dicitur a
Christo Magistro!: «!Qui credit in me, opera quae ego facio, ipse faciet et majora horum

56
Matt. 28, 18.
57
Daniel, 2, 34-35.
58
Esaïe, 2, 2.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—20

faciet!»59 Tanta est enim Domus Franciae credulitas quod // [fol. 18r] si majoritatem60 in
superlativo retinet, non est mirandum!: fides enim donum est dei!; quam si prae ceteris
Francis concedatur, ex aliquibus eorum praecognitis meritis est.
Venit autem Christus ille Magnus salvare oves quae perierunt de populo Israel
ex infidelitate deorum. Sic christianissimum semen oves quae perierunt de populo
christiano ab infidelitate hereticorum in suo ovili per veritatis lumen adducere oportet.
Est enim ipse Christus «!lux mundi!: qui sequitur eum!» per fidem in evangelica
Doctrina,!«!non ambulat in tenebris, sed habebit lumen vitae aeternae!»61, licet,
anagogico sensu, pro ipso Christo tale lumen intelligatur, pro tropologico de sacro
Canone, litteraliter autem pro Genealogia ipsius in Regibus sanctis Franciae. Est quidem
«!lux vera quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum!»62, (intellectum
videlicet agentem per gratiam). Domus christianissima Franciae, tamquam lumen
positum, ut per eum errantes per mare huius periculosi itineris, si expedit, etiam vi ad
portum orthodoxae militantis ecclesiae adducere63.
Christus enim huius mundi devicto principe, IX° Anno Tiberii, a Pilato prae fide
morti damnatur. Cum qua mortem nostram moriendo // [fol. 18v] destruxit.
Campisque spoliatis Aegyptis, Tartareis Elysiisque nemoribus, post tres dies a
mortuis resurrexit. Abraham, Isaac, Jacob, David et plures de semine suo a carcere
liberavit. Et in caelis, cum inenarrabili gloria, caelum ascendit empyretum ibique
aeternaliter ipsum semen corpulentum Davidicum sedet in caelis, regnans omnia,
(Davidicum semen ex puris sanguinibus Davidicae Mariae fabricatum corpus dumtaxat)
caro Christi caro est virginis, dicere potentis!: «!Caro mea vere est cibus!»64. Dominus
noster ad dexteram dei Patris sedet!; mater vero eius, virga Jesse, de stirpe David, supra
Angelorum choros, immo supra Seraphynos, locata est. Ecce semen davidicum olim,
modo christianissimum tuum, Karole Magnanime, qualiter regnat in aethera inter
Angelos ubique!; et quoniam ex quattuordecim Regibus, totidemque Patriarchis et
Ducibus Virgo Maria descendit, ex quo Christus ipse, ultimus Rex, ultimus Patriarcha
fuit et Dux Hebreorum.

59
Jean, 14, 12.
60
Mot fabriqué sur «!majora!».
61
Jean, 8, 12.
62
Jean, 1, 9.
63
On attendrait «!adducat!».
64
Jean 6, 55.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—21

Jam renovanda erat Jerosolumitana ecclesia in Romana. Et sic christianissimi


Reges, in terris devictis hereticis aliisque fidei nostrae hostibus, spoliatis Machumeti
simulacris ac idolatriis, et fideles ibidem liberando oppressos, in caelis hoc
christianissimum // [fol. 19r] semen magna cum gloria reportatur honoris65. Petro
ceterique Romani Pontifices, quibus canonica electione claves caelorum Regni dantur
ac terrenorum, tradidit Deus Petro omnia regna mundi. Et vicem seminis Jacob gerunt
vicemque sanctam rectae lineae et Patriarcharum!; imperatores vicem Ducum et militum
Christi!; ceteri mundi Reges, pro XI capitibus tribu(b)um66. Rex autem christianissimus
Franciae pro Juda Regali tribu est caput!; quae tribus reliquas excedebat in dignitate. Et
cum tribu sacerdotali Levi conjungebantur apud veteres!: hoc est quod Francorum Rex
cum Romanis pontificibus juridice electis ex fidei concomitantia copulantur. Et ut
magis ecclesiam coadjuvet Romanam eiusque miles sit et defensor, Partenopeum
Regnum Neapolim Regibus Franciae ut franchent67 securentque Romanum consistorium
datur Patrimonium illud. Nam πarqenoV graece, latine virgo est, quia Rex Franciae, qui
est de Domo virginis, merito est terrae signi virginis Dominator. Concomitantiam
affinitatemque Regalis tribus Judae Franciae cum summa Sacerdotali levitae
memorando, hoc divinitus factum esse quis audet dubitare!? // [fol. 19v]

Ex mirandis huius christianissimi seminis prodigiis


et orbis perfectione, datur etiam, et in seminibus, primitas!:
Prophetarum testimonia.
Cap. 2°

Et ut Francorum christianissima Domus de nobilissimo semine sit David,


manifeste patet in Scriptura. Potens divini fulgoris Rex ait!: «!In terra erit semen
eius!»68. Non quidem de caelorum potentia, sed terrestri exprimit, quia dicit!: «!in
terra!». Et de nulla alia Domo hoc probari potest!: igitur conveniens est ut Scripturae
veritas salvetur, quod de potentissima Domo Franciae intelligatur!: quae ita ut quando

65
On attendrait «!ceteris Romanis Pontificibus, mais, comme souvent, la phrase se transforme, d’où la
nécessité de la reprise de «!Petro!».
66
Le compte de XI tribus est démenti par les deux exceptions suivantes!: Le roi de France est lié à la tribu
de Juda, le Pape à celle de Levi!: les autres rois se partagent donc entre X tribus, et non XI.
67
Sic.
68
Renvoi à identifier.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—22

domus Israelitica seu Davidica dicebatur «!sola pro lege ut erat pugnatrix!», sic modo
quae christianissima nominatur assidua perseveraque est pro christiana protectrix.
Quamobrem sicut Christi mysteria veteribus illis in Regibus Israeliticis parabantur, qui
etiam in se ipsis figuras habendo praefigurabant, ita modo qui christianissimi dicuntur
eaque per Christum facta sunt renovantur in memoriis. Adhuc immo solo nomine dei69
vocantur christianissimi. Aeternitatem, propter hoc, // [fol. 20r] seminis huius confiteri
sanum est. Hoc vaticinio praeviditur Esaye!: «!Servavi, inquit, te et dedi te in foedus
populi, ut suscitares terram (scilicet aridam a fide) et possideres hereditates dissipatas!»
(scilicet ab infidelibus) quadragesimo 9° suo et in alio 61!: «!Populus autem tuus, omnes
justi, hereditabunt terram (id est christianissimus populus Franciae cum justis et bonis
christianis)!». Et ultra dicit Propheta, hic verus Christi praeco!: «!Et dabo opus eorum
(scilicet christianissimorum) in veritate. Et foedus perpetuum feri a meis. Et sciet in
gentibus semen eorum!», (id est in gentilibus!:!Gentes enim pro gentilibus capitur in
scriptura). «!Et germen eorum in medio populorum. Omnes enim qui viderunt eos
cognoscent illos!». Quare!? Quia «!isti sunt semen cui benedixit Dominus!». Quanto
ingenio hoc narrat vates!!70
Hoc quidem Christus, Judeorum Rex verus exprimit!:!«!Haha, Jerusalem,
Jerusalem, o quotiens ego volui congregare te quemadmodum gallina congregat pullos
suos sub alas (id est Domus Galliae) et noluisti. Dimittamus tot beneficia quae vobis, o
Hebrei, dedi. Ideo ecce relinquetur domus vestra deserta (quia Romae et Gallis erat
aedificanda) Et circumdabunt te inimici vallo et convastabunt te et ad terram prosternent
te, quia non cognovisti tempus visitationis tuae!»71, quae ad litteram // [fol. 20v] sonant
de Titu. O mirabile aeternis aevis!! Judea erat locus promissionis, ubi fluebat lac et mel
et modo terra mota est, quae sterilis facta est sine habitatoribus. Vere plorabat Jeremias
sanctus in spiritu suo!: «!Quomodo!? Sedet sola civitas plena populo!; facta est quasi
vidua gentium et non est qui consoletur eam, nisi tu, Deus.!»72. Quando vertentur ad
Christum, ut de Regali tribu Franciae pars Judae pareat!?
Nam Vespasiano, patre suo, Regum multorum ac Ducum oratu, Romanum
Imperium absumpsit ibidem, relicto Tito filio, qui Jerusalem subvertit et templum
destruxit. Et tam magna illa fuit persecutio ut Josephus qui aderat refert undecies

69
Le texte porte «!deum!».
70
Les références à Esaïe sont exactes (cf. 49, 8 et 61, 7-9). On peut également en rapprocher deux
passages analogues (42, 6 et 55, 3).
71
Cf. Luc 19, 43-44.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—23

centena milia gladio fameque periisse!; affirmat!reliquos in toto terrarum orbe


Hebreorum dispersos!: nonaginta milia fuisse invenimus. Quam quidem ruinam a
vatibus scriptam habuerunt. Illis vero dispersis, aliqui, divina electione, de Domo David
qui vivebant, in Gallis se contulerunt, praesertim qui Christo afficiebantur, ut de
Magdalena, Lazaro patet et Marta, nobiles Hebreorum!; et quam plures alii quos sacra
scriptura ex solita brevitate dereliquit nec tenet!: hoc scriptura non ponit, ergo non est!!
Et quia in paupertate fundandum novum testamentum erat, et fides nostra, et
simplicitate73. // [fol. 21r]
Quamobrem Davidica progenies et semen eius in paupertate et inopia fuisse
convenienter erat!: cultus Dei in paupertate relevandus foret, qui per Judeorum
cupiditatem ceciderat. Hoc quoque exilium Davidicae prolis ab eorum Rege propheta
David praedicitur!» Dedisti, ait, nos tanquam oves escarum et ingentibus dispersisti nos
in gentilibus!; posuisti nos opprobrium vicinis nostris, subsannationem et derisum his
qui in circuitu nostro sunt!; posuisti nos in similitudinem gentibus, commotionem capitis
in populis!». Subdit!: «!Haec omnia venerunt super nos, nec obliti sumus te!» et inique
non egimus in testamento tuo.!» Et quia semen David quod in Gallia erat, quamvis
persequeretur etiam a Deo, quoniam universalis illa erat punitio, concludebat enim ipse
poeta Hebreorum!: «!Exurge ergo, Domine, adjuva nos de semine tuo et redime nos
propter nomen tuum.!»74 Quod in tanta Regali Francorum dignitate adimpletum est et
imperio et christianissimo nomine et re. Nam post illam inopiam paulatim semen
Davidicum, tribus Regia, exaltari coepit et secundum carnem parentela Christi reservari
debebat(ur), ex eius mirificis factis. Et si quis eorum peccaverit, praemio et virtute
seminis salvatur. Nec obstat quod non vocentur ut prius, nam, // [fol. 21v] mutata
conditione75, lege et loco, mutantur et nomina. Tanti autem seminis Davidici inopis
substantiae aeternitas probabilis76 est a mundo. Ipse vero opiniones adhuc permisisse
putamus ante hoc evigilare et suscitare in christicolis, donec ipse modo Christus voluerit
per inutilem christianitatis servum77!; nam veritas, a quocumque dicatur, a spiritu sancto
est, etiam (quod absit!!) si a diabolo diceretur!: quod veritas sit, patet in his. Ergo,
Domine altissime, quam incomprehensibilia et ininvestigabilia sunt opera tua et viae

72
Lamentations 1, 1.
73
Le texte porte «!simplicitat!» en fin de ligne!; j’ai supposé l’oubli de la désinence.
74
Citations du Ps 43(44), passim.
75
On attendrait!: «!condicione!».
76
Correction du texte qui porte «!probalis!».
77
Cf Luc, 17, 10 («!inutile!» est ici traduit par «!quelconque!»). Il s’agit de notre auteur, bien entendu.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—24

semitae tuae nobis terrenis vermiculis superbis amplum est!! Non memoratis CC cum 30
annis, qui a Tito usque Silvestrem Papam fluxerunt, in quibus VIII fuerunt
christianorum persecutiones. Et sicut Romanum Pontificem tunc persequebantur et
clerum fugiebantque homines tribus sacerdotalis Levitae, sic semen Regale Davidicum
tribus Juda insimul relevari inceperunt, quae, sicut socii78 passionum, ita et
consolationum esse debebant. Ex quorum inopia et sanguine fundanda erat ecclesia,
Sinagoga nova Christi Magni.

Magnus Constantinus, veteri spoliato ritu Davidici seminis,


quod sine sceptro diu esse non de(be)bat,
christianissime exercuit.
Cap. III // [fol. 22r]

Sanctus Constantinus, vir dei christianissimus electus, qui ex femina stabularia natus
est!; o semen sanctum, quantum (in) te pro nostra doctrina humiliatum est!! Jam
incipiunt ad Regna redire qui diu fuerunt in verecundia et in hominum opprobriis
reputati, quia scriptum est!: «!Suscitans a terra inopem et de stercore erigens
pauperem!»79, citharedus 80 eorum. Hic est enim ille sanctus Israelita Imperator qui
reliquis mundi principibus viam christianitatis aperuit. Divina dispositione, recepto
baptismo et a lepra (id est peccato idolatriae) cum toto etiam orbe mundato, Imperio in
orientale occidentaleque diviso, Silvester divus Papa Romae in pontificali sede
restituitur, hoc fidei corpus in medio duorum imperatorum qui duo bracchia (sunt). Et
papa caput et corpus esse sanum perspicimus. Civitatem a suo nomine
Constantinopolitanam quae, cum antea Bizanzium vocaretur, instituit. Et in ea ecclesias
mirae magnitudinis fabricavit et condere jussit!: quarum prima osie sofhoV eorum
lingua, est (id est sancta sapientia, ad laudem videlicet filii dei patris sapientia81 et non
alterius // [fol. 22v] sanctae, ut vulgus opinatur.) O si, in primo Constantini sancti
accessu, Apollinis divinationem Heliconiadum Musarum, Deorum Dearumque templa
corrui oculis conspiceremus, equidem gauderemus!! Delphyci tripodes miris ornamentis
Constantinopolim in dedecus idolatriae jussit adduci. In Aegeas quippe Ciliciae

78
Correction du texte qui porte «!sotii!».
79
Cf. Ps 112(113), 7 et Sam. 1, 2, 8.
80
On attendrait «!a citharedo!».
81
On attendrait «!sapientiae!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—25

oraculum ad laudem deinde Veneris filii aeditum destrui fecit, cunctis populis de tam
mirabili mutatione dexterae Excelsi mirantibus expavescentibusque. In sui baptismi
memoria, Lateranense palatium in basilicam divi Johannis Baptistae convertitur. Si
deorum simulacra in sanctorum convertere templa, sacerdotesque Christi de clippeis
locis subterraneis exire vidisses, tu verus christianus ex laetitia lacrimas continere non
posses.
Helena quoque, Mater semper Augusta Dominicam Crucem divinitus invenit!; et
diem Veneris in crucis sanctissimae reverentiam, in qua pro nostra salute Christus Rex
crucifixus est, instituit venerari. Haec enim christianissimorum Regum opera sunt.
Sanctus hic Constantinus de Domo est christianissima quae Franciae hodie dicitur. Cur,
quaeso, Francorum Reges Crucem in spatulis portare totus dixit mundus!? Nam vox
populi, praesertim tantorum populorum, etiam // [fol. 23r] proborum hominum, stat
firma opinio et manifesta omnium locutio.
Quid sit respondemus de hac christianissima Domo!: Constantinum religionis
patrem fuisse innuimus!; in quo haec Domus Jesus Christi eius fide radicari firmarique
debebat(ur) et quod semen Davidicum, quod in medio hominum ignoratum steterat, toti
manifestaretur orbi. Nam cum filius eius, Constantinus etiam dictus, a patre in
Occidentali constitueretur Imperio, in Gallis82 mansit, qui, a Britannia revocato Romam
a Massentio tyranno liberavit. Tunc in frontibus suorum militum signum crucis
impressum est. In visione quoque eidem dictum est!: «!Eia age!! strenuissime Christi
miles!», (monstrato Crucis modulo)!«!in hoc signo vinces!». Item maximam Barbarorum
fugando multitudinem, suffoca(to) Caesare, circa Danubii flumen positam fuisse
legimus. Hoc es enim quia signat servos Dei nostri in frontibus eorum Crux illa quae in
christianissimorum Regum spatulis impressa dicitur, si quidem, ut fertur, possibile est,
quoniam tum ex eo verum in eis Davidicum semen ab aliis signatum cognoscatur ex
gratia.
Sed quae Crux haec sit!? Ratione a sensu semota, meditandum est!: Haec est
profecto illa christianissimi principis Crux quae, ut olim Atlas Gigas83 caelum
sustentasse astronomia // [fol. 23v] sua scientia humeris pingitur, sic christianissimus
Rex, accepta in suis spatulis Cruce, videlicet ponderis belli(que) gravamen!: paratis
armis, dispositis militibus, semper, ut expedit plus vel minus, arma pro christiana

82
Le texte porte!: «!galliis!».
83
Le texte porte!: «!gigans!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—26

religione sumit, alios (ut moris Galli est) ad hoc excitat84. Ipsi primo adversariis nostrae
rei publicae85 Crucem ostendunt dicentes!: «!Ecce Crucem Domini!: fugite, partes
adversae!!Vicit leo de tribu Juda. Radix David, progenies Franca86.!»
Secundum vero sensum nostrum de christianissimo Rege hoc verificatur.!Et quia
Christus omnes ad ipsam crucem accipiendam vocat, dicens!: «!Qui non accipit crucem
suam et venit post me, non est me dignus!»,87 Conveniens quippe erat ut ii primo signati
de suo germine essent. Et quia ad hoc ut christianissimi veri efficerentur, crucem
accipe(re) eos primitus oportebat, relicto crucis signo divino universali ab omnibus, in
christianissima Domo Franciae, non fractum, sed integrum reperitur!: ibi Crux
recolitur!; ibi totius88 conservatur. Gaudeat universus orbis de tanto ligno secus decursus
aquarum (rerum videlicet mutabilium) plantato!; gaudeat christiana religio quod tantum
thesaurum, in quo salus mundi pependit, invenit!; laetetur Francia devotissima ab hoc
signo // [fol. 24r] demonstrata!; jucundare et tu, filia Sion, christianissima, quod prae
ceteris ad hoc electa es, ut sanctissimam Crucem, nobile lignum, et omnia mea,
veteribus onerosa, mysteria complentur, possides. Sicut olim in medio Paradisi, in
figura huius, sic in te plantata est!; illud mortem, istud vitam donat. In hoc ligno a
fluctibus mundi omnis caro salvatur. Cum isto sceptro ligneo domus christianissima
adversarios, ut olim Moyses, superat et infidelium amaritudines convertit et mannam
fidelibus attulit. Hoc signum crucis christianissimam Domum prae aliis sublimem esse
signat, sicut inter cetera signa hoc praecipuum stat!; quod Deus portavit in carne
passibili, erit in caelo cum impassibilitate, quando ad judicandum venerit. Signum
Christi non leo, Aquila, aut serpens erit, sed sola Crux!; portabit in vexillo Justinus
Imperator, ex cuius sorore natus Justinianus, Caesar dictus est.

Galli ab eorum natura et quod sint Galliae


et quod sit Francia et unde dicitur.
Cap. IV // [fol. 24v]

84
Le texte porte «!excidat!»!; il n’est pas rare qu’un ‘t’ soit transcrit ‘d’.
85
Le texte porte «!rei publices!».
86
On attendait «!Francia!».
87
Cf. Matt.16, 24!; Marc 8, 34!; Luc 9, 23-27.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—27

Gallia, non a Gallo quodam Rege, sed Galli ab eorum natura feroces ingenioque
velociores dicuntur et ad bella promptissimi. Unaquaeque enim provincia, teste
Jeronimo, suas retinet proprietates!: Athenienses ingeniosi, Graeci leves, Itali
magnanimi, Ispani rixosi, Alemani procaces, Galli validiores et animosiores in armis,
quod Julius Caesar in commentariis De Bello Gallico (li. VI) ait. Galli rebus divinis
intersunt!: sacrificia publica ac privata procurant!; religiones interpretantur. Et in armis
potentes. Est enim tanti Imperatoris probatum et magnae auctoritatis testimonium. Nam
in omni lege observantissimi sunt Galli. Et quia in eis fundari radicarique debebat(ur)
fides, ideo semen Davidicum illis est tantum concessum. Et illud semen in terram
bonam seminari dignum erat, «!Ut fructum suum daret in tempore suo!»89, idcirco in
Gallis religiosis, devotis!: qui semper, etiam milites stipendiariique, omnes, aut libros
officii divini aut sertas Virginis assidue portant!; singuli ecclesias in mane cum
devotione visitant missisqe intersunt et sacro cultui, in terris genibus // [fol. 25r] flexis.
Quamvis enim diversi sint Galli, nam Gallia quidem triplex est!: Togata seu
Parisiensis, quae Francia!; Comata seu Cisalpina, quae a Pyreneis montibus (qui
pedemontes hodie dicuntur) et totam Lombardiam continens usque ad litus Adriaticum
est!; Brachiata seu Germania Senonensis a Senone urbe dicta, a quibus Senegallia
condita est. Veri tamen Galli seu vera Gallia, et de quibus loquimur, Francia est, quae
circum Parisius stat, prima, nobilissima nostra. Francia enim non Francio quodam,
Antenoris fratre, dicitur, ut a quibusdam historiographis scribitur, nec ab eo
denominatur, quamvis frivola et fantastica illorum sit opinio. In bene intuentibus
historias patet, immo non (ante) Christi ortum, sed post, non ab infideli Rege, sed
Romano Imperatore!:
Valentinianus quidem Caesar, dum Galli Alanos, gentem pessimam, in Meotidas
paludes superassent ac penitus destruxissent, eos «!Francos!suos!» ab animi
Franchytate90, et cordis audacia et ferocitate vivacitateque appellavit. Rursus christiani a
Mauris «!Franchy!» vocantur. Franciscus item Seraphycus ab illa lingua teste Voragine,
dictus est semper!; cum spiritus sancti ardore repleretur, ardentia foris verba eructans
gallice loquebatur. Quodam enim et speciali prodigio hoc agebat91, // [fol. 25v] ut
quoniam ipsa divini numinis, maxime sit expressiva, deo officiosa semper, divina

88
On attendrait «!tota!.
89
Cf. Matt. 21, 43.
90
Néologisme qui se retrouve assez souvent.
91
≠ agebant dans le texte.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—28

semper verba prorumpens, divinam in se elegantiam contineat, dulci suadendo et leni,


aspero et duro stilo redarguendo, praecipue polleat!; et nempe talis dominica est quo ad
modum securis vitiorum radices incidat, et eorum vincula disrumpat, virtutes fortificet
et extollat. Et enim francisci apud Romanos, instar securium signa, erant, quae in
terrorem, ut equidem vitiorum, et honorem, uti et ista dei et virtutum, ante consules
cunctipotentes primo et angelos atque sanctos, sicut ab et isto refrancatore magni dei
vexillum in corpus suum impressum, quali in carne sua christianissimum genus
signatum est, deferendo portabantur. Ab animi etiam franchitate gens ea utente92
nominata si(e)t!; animi quidem franchitate natali et innata, in bello feritate et in cultura
dei verae atque sempiternae veritatis confessione animorum suorum tormentis obstando.
Qua plurimum Galli natu magnanimitate vigent tali quippe nomine et lingua et vocari et
loqui congruit, qualem in eorum regis manibus aqua et spiritu sancto renati esse, virtute
et insigni atque opere perfecto irradiari et ornatum esse decebat, vigebat et splendebat.
O Domus supra domos exaltata!! (Nam sicut virgo Maria, quae de te fuit, // [fol.
26r] illud Canticorum dicitur)!: «!quam multae Domus congregaverunt divitias, tu
supergressa es universas!!!»93

Expressa rationum veritas intellectusque capacitas


quod christianissima Domus Franciae non a Troya,
sed a Jerusalem oritur.
Cap. V

Quam plures in rei veritate errant, qui hanc christianissimam Domum, totius
mundi Decus, a Troya derivatam esse balbutient emanatamque et a Priamo quodam
originem traxisse. Quod si recte conspicimus, falcitatis testimonium peribebimus94.
Troya enim civitas non fuit, sed patria et provincia!; illa enim quae hodie
Thurchya est, olim Troya erat!: Thurchy quippe Troiani sunt. Civitas illa, ad quam
Graeci fluxerunt, Ilion, non Troya, dicebatur!: Superbus Ilion95 fortissimus fuit. Cur
superbi illi habitatores ad christianissimam dignitatem exaltari debebant (ur)!? Si
quidem superbi ceciderint, amplius non relevantur!; Lucifer cum sequacibus e caelis

92
On attendrait «!utens!».
93
Nouvelle citation suspecte!: on ne trouve rien de tel dans le Magnificat!!
94
= perhibimus.
95
Cf. Virgile, Énéide III, 2-3!: «!Cecidit superbus Ilion!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—29

cecidit, ubi redire locus nusquam erit!; superbissimi idolatrae non debebant in
christianissimam sedem extolli. // [fol. 26v] Immo Romae Christi milites, Apostolis
venientibus, quicquid Troyanorum fuerat periit et in nihilum redactum est. Israeliti
Reges cum Ismaelitis (videlicet Troianis ceterisque gentilibus Cananeis) inimicitias
habuerunt et bella, sicut in hodiernum diem inter christianissimos Francorum Reges et
Troianos (videlicet Turcos) odia et proelia fiunt ferocissima. Absit ergo tantus error
quod quis in posterorum ausus sit Domum Franciae sanctissimam a Troia derivatam
asserere!: haec est enim Davidica illa progenies, quae supra sedem dei in saeculum
saeculi etiam in hoc mundo sedebit!; sedes christiana est, supra quam christianissima
Domus residet, praeponitur, in aeternum regnabit. A Priamo quoque illo produci (ut
hanc etiam seriem breviter96 conscribamus)!: Dardanus, filius Jovis lascivi, anno 35
Moysi, in provinciam troianam accessit, Eritthonium ex Electra, filia Atlantis genuit!;
qui Troyum genuit, a quo dicta est Troia, quae Dardania, a patre suo, dicebatur!; Troyus
genuit Ganimedem et iste Ilium genuit, a quo illa civitas Ilion97, Regina Troiae,
cognominabatur. Ilion genuit Laumedontem, patrem Priami!; quorum genealogia paulo
post periit. Si quispiam Romanos olim troianos // [fol. 27r] per Aeneam in Silvium
Ascanium Romulumve fuisse delatos assereret, quiescerem!! In quo etiam talis
progenies defecit!: Remus, prole in lumbis retenta,Romulus sine caris evanuit. Qui,
quanquam a Troyana familia venerit, nec propter hoc omnes Romani a Troia
descenderunt!: quidam Romani cives ex diversis partibus fluxerunt, sed mira aut
praeclara opera memoranda gesserunt. De Italia, Graecia, Judeaque fuerunt. Erat autem
Domus Franciae ab Hebreorum Israelitis descendens. Et totus Gallorum populus olim
semper paganus gentilisque fuit, sicut nec omnes Judei de Domo Abrahae, David,
Salomonis, Mariae et Christi fuerunt. Absit (absurdum enim est) quod divina propago
ab illa scelestissima Domo nasci debuisset!; nec troianum semen tam diu durari ex
demeritis congruum erat. Nam Priamus «truncato ingenti trunco»98 obiit!; in bello si
quidem troiano filii eius mortui sunt, praeter eos, quorum99 alterum Polidorum, Virgilio
teste, quem pater Priamus, cum jam diffideret armis et urbem cingi obsidione videret, se
in summis100 periculis cernens, ut saltem posteritas sua hoc in filio remaneret, vicino

96
Le texte porte!«!brevitem!».
97
C’est à direr «!Ilius!».
98
Cf. Énéide II,v. 557-558.
99
Tout ce récit est parsemé de citations de Virgile (Enéide, III,v. 49-54.)
100
Corr. du texte qui porte!: «!summi!»
ANNEXE!: Opus Davidicum A—30

affini et amico veteri, Regi Thraicio, seu Tratiae101 Polimnestori, // [fol. 27v] ut esset ei
quo regaliter juveret, auri cum pondere magno, ipse furtim eum mandarat alendum; qui
tamen infelix fuit, ut quem ex hostilibus armis eripuisse et filium in tuto collocari putat
et credit, ab avaro amico victricia arma sequente occididur eumque pater perdidit, quem
amici avari manus tela necavit. Alter vero Helenus, qui spiritalia sua et astrorum peritia
qua pollebat, Achillidem hostem a maris fluctibus futuris tutum et evasum reddidit.
Quam ob rem, nec immerito, gratitudinis officio recepto, non vitam dumtaxat, sed et
Regni Pyrrhi hereditariam partem, fratris Hectoris pristinam conjugem in suam habere
promeruit. Hunc quidem sacerdotem et Andromace conjugatum sine liberis mortuum
legimus102.

Ad reliquorum natorum mortem Priamum supervixisse historiae tradunt, etsi de


hac re variae historiographorum sententiae reperiantur quae tamen famosiores et
veriores subsecutus sum et imitatus: per aequivoca saepius historiae fallunt.
Fuit Priamus ergo troianus? – Non tenet: Priamus enim iste qui CCC°XI anno a
Christi nativitate, Gratiano imperante, Dux Francorum, et non Rex verus: vera Regum
unctio olim inter Hebreos a Jacob et // [fol. 28r] David, «oleo laetitiae» unctis a deo, et
inter christianos tantum instituta est. Aliae quidem nationes hos illicite imitant103.
Gilibertus vero, fidelis scriptor, hoc in coronicis Gallorum invenisse tantum asserit; nec
tamdiu durare Priami semen debuit. Quidam autem, dum alicuius parentelae, urbisve,
patriae, laudem magnam exprimere volunt, troyanas esse faciunt, ac si alter mundus
esset104 in majoritate 105. Troyani enim, ibi qui remanserunt, steterunt et Turchy sunt. Nec
semper propter bella discedunt homines. Dicat quis: «!Quod genus Turchae sunt?!»
—«!Certum est quod Turchorum genus esse,!» respondebitur. Item!: «!A quo orti sunt!?
– Non ab illa, nec ab ista generatione!; ergo ad se ipsam standum!». Turchia non solum
a Thurco106 illo troiano, sed a Troya dicitur, ut in historiis Turchorum Latinorumque
patet.

101
C’est à dire «!Thraciae!».
102
Ce passage résume un long développement de Virgile au livre III de l’Énéide,v. 294-355.
103
Ce texte porte «!invitant!» qui n’est pas satisfaisant.
104
Plutôt que «!mundus!», nous proposerions «!modus!».
105
Néologisme créé sur «!major!».
106
Sans doute Theucro (lère ligne du paragraphe suivant) ou mieux!: Teucro, l’ancêtre fondateur de Troie
(d’ou le nom de «!Teucri!» donné aux Troyens par Virgile).
ANNEXE!: Opus Davidicum A—31

Gallia igitur (illorum est opinio) de Theucro, Antenore, Francio fratribus, quod
primus Thurchiam, alter Venetias, tertius Franciam habuere in dominia. Si tempus
Antenoris cernatur, dato quid esset, et quid Gallia Francia dicatur, certificatibur.
Non igitur Troianos, sed Israelitas christianissimos Reges dicimus, qui et in
divitiis, nobilitatibus et armis potentiores fuere. Et eorum gesta, // [fol. 28v] non in
poeticis, sed in sacra scriptura approbata cernuntur et a prophetis, immo a Christo,
apostolis, doctoribus, ut authenticata.

Magna laus est etiam toti mundo


quod istud semen secundum suum proprium esse vigeat.
Capi VI.

Quis Abrahae, Davidis semen, immo et Christi Regis Summi affinitatem


spernere audeat et iniquorum se consanguinem fore affirmet!? Quis etiam tantae
Davidicae stirpis seriem aeternam esse non teneat, cum et virtutum et gratiarum simul
durationis cumulo perfectionem acquirat!? Respectu si quidem divinae potentiae parum
hoc profecto erat et ad decorem universi, et Davidicam progeniem aeternis temporibus
duraturam esse dignum est,!«!et propter mysteria mea in omni lege facta!» 107.
Et quo illius Priami Francorum Ducis progenies defecit, si usque ad Karolum
hunc Maximum ordinem recte videbimus et mutationem annotabimus!? Priamus ille,
qui annis V regnavit, et Marcomirus, filius eius, 30!; Rex Ferandus primus!; tunc Salicas
leges Franci recipiunt, anno Honorii108 // [fol. 29r] X109!;Clodius, filius eius, qui
Cameratum usque fluvium Somanas suum Regnum crevit!; Maravecus!; Chyldericus;
hi110 infideles fuerunt, qui non solum non christianissimi, sed nec christiani!; qua
dignitate privabantur et gratia. Rex vero Clodoneus, qui primus sacro baptismate renatus
a sancto Remigio antistite, uxoris persuasione, quam mirabiliter recepit, cum duobus111
sororibus eius,chatolicae fidei signa et exordia!! Exercitusque virorum plus quam tria
milia, ipsa die, cum toto Francorum populo baptizatur. Et dum qui Chrismae unctionis
oleum ferre non adesset, ecce subito Columba caelitus missa, ampullam portans

107
Citation de l’Écriture!? d’après «!mea!» c’est Dieu qui parle.
108
Le texte porte!: «!honorii!». Il s’agit de l’empereur Honoriens (1384-423).
109
X= decimo
110
Le texte porte «!hii!».!
111
On attendrait!«duabus!»
ANNEXE!: Opus Davidicum A—32

Chrismatis!; qua accepta, Antistes Regem in baptismo inoluit. Haec quidem ampulla in
Remensi urbe usque in praesens servatur.
Inde Francorum Reges unguntur!; cuius unctionis virtute tales Reges infirmitates
aliquas curant. Ecce enim divina unctio!: Christus enim graece «!unctus!» interpretatur!;
unctioni tria concurrunt!: Ungens pater, unctus filius, unctio spiritus sanctus. Spiritus
quidem velle dei est, talis enim unctio divinitus missa his regibus francis tantum est
idcirco divina electione tales Reges christianissimi sunt. Et dato quod naturaliter de
semine David non esset (quod absit asserere!!), quia electio naturam // [fol. 29v] mutat!:
idcirco Davidicae unctionis facti sunt, et plus!: «!oleo laetitae!», pro principibus tuis.
Columba illa spiritum sanctum signat!; antistes ille, Patrem!; Rex vero Davidicum
officium christianissimi uncti Franciae Regis. Quibus igitur meritis haec troyana domus
inter christianos talibus praerogativis irradiari convenerat!? Sed bene Domus David ex
qua Christus est. Et inter christianos prima teneri congruerat. Sileant de cetero illi qui
Domum Francorum troyanam esse affirmant112!! Nunc electio tanti seminis
praerogativam condet. Quis hunc Regem ex aliquo ex polulo Davidico natum non esse
asserat!? Sunt enim viae Domini in progenie sua a nobis pro sumptuosis, qui arcana
altissimi, in limo constituti, profundi temptamus interpretare difficiles ac impotentes,
nisi, speciali praerogativa, quispiam fuerit et privilegio et gratia decoratus. Voluit
quidem Christus ipse per me totam113 christianissimae domus hanc seriem in praesenti
tempore manifestare, ut christiani tanta perfida114 tormenta totque seductiones quae, ab
initio saeculorum usque modo, substulit, cernerent. O viri terrrigenae, si advertimus
orientalem ecclesiam, Constantinopolitanum Imperium in manibus canium infidelium
esse, // [fol. 30r] et occidentale bracchium infirmum et Romanam Ecclesiam
fluctuantem maxime cernimus.
Illius Regis sequamur lineam!: Lotharis filius!; Clippericus!; Lotharius!;
Clodoneus, pugnator magnus, qui Aggripinam civitatem, quae hodie Colonia dicitur,
cepit!; Lotharius!; Theodoricus frater sublimatur, a Francis vero repudiatur!: in sancti
Dionysii monasterio monacus religatur!; Hyldericus frater eius, post quem ille a cenobia
revocatur et Rex est!; Glodoneus!; Hildebertus!; Clodoneus!; Lotharius!; Chylpericus!;
Theodoricus!; Hyldericus, qui monacus factus est. Et finis horum Priamorum est.

112
Correction du texte qui porte!: «!affirmare!».
113
Correction de «!totum!».
114
Correction de «!perfide!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—33

Isti XXIII ex hac parentela tatum fuere Reges, qui annis trecentis octuagesimo
primo115 regnarunt. Quis igitur sequaces priamos troyanosve affirmet!? Jam finitam esse
cernimus116, nec durare debuit, etiamsi non ex troyanis esset, etiam a Christianis
originatam, quia tantum sua quaerebant, non quae Jesu Christi fideique suae. Saepius
enim pigris suis militibus et vineae suae117 laborantibus 118 dicit Salvator!:!«!Auferetur a
vobis Regnum Dei (id est christianissimum) et dabitur genti facienti fructus eius!».Ergo,
o miseri mortales, ad deteriorem partem tendentes, // [fol. 30v] quia119 stare
contemptemini!! Nam illud semen christianissimum semper in mundo stat, ex quo
secundum necessitatem fidei dei mittuntur pugnatores!; etsi aspectui nostro talis non
representetur ordo, est, quia, sicut in aliis, ita in his, non omnia manifestanda nobis sunt.
Modo autem Deo placuit mundo, nostris in mentibus talibus, memorari. Idcirco
gaudeamus!: A Troia (id est a miseria) totus mundus oritur!; a Jerusalem vero mundus
ipse clarificatur. Et sicut Jerusalem civitas est virtutum, ita et Troya vitiorum. Sensus
quidem est Troya!; intellectus autem et ratio Jerusalem, a qua haec sancta Domus
descendit. Troyani sensus sunt!; Graeci vero, ratio, quare Pallas dea auxiliata est Danais
(scilicet sapientia), quia cuncta sapientia agebantur!; Graeci Troyam (id est intellectus,
sensus) superavit!: Christi Regis omnia intellectualia sunt, quia, teste Aristotele, Deus
non cadit sub sensu. Et Domus haec semper in meditationibus posita, igitur magis ab
Hebreis contemplativis quam a Troyanis initiet.

Dominandi Sceptrum Davidicumque semen


Christianissimum in linea Pipinorum.
Exordium sit capitulo septimo. // [fol. 31r]

Et quia Deus ipse, cui nihil clausum est, in quo omnia relucent, Superiorum in
vinea sua Sabaoth cognita negligentia, alios elegit et misit electione sua, quoniam
naturalia manifestat et ducit in lucem, nobis quoque extraneum, longinquum, remotum
quod videtur.

115
Mélange curieux d’un adjectif cardinal avec deux ordinaux!: il eût vallu deux cardinaux.
116
Le sujet sous-entendu de «!esse!» est!«!seriem!».
117
Cette citation qui termine la parabole des vignerons homicides ( Mat. 21,43) revient comme un
leitmotiv à chaque changement de dynastie, comme elle l’a été lors du rejet des Juifs au profit des païens.
118
Le texte porte!: «!laboratoribus!».
119
Le texte porte «!ad quia!»!: la préposition ne se justifie pas.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—34

Pipinus, Francorum electione et apostolica auctoritate et a Bonifacio, Maguntiae


episcopo, consecratur in Regem, et a Stephano Papa eius progenies Israelitica, ut olim
Abrahae et Davidi generatio electorum) benedicitur!: Gloria et Divitiae in Domo
christianissima et justitia ei manet in saeculum saeculi!! Et quicumque contra Pipinam
generationem bella invasisset, apostolica erat maledictione interdictus.
Astulphus autem, Lombardiae Rex, papiensis Sedis Romanae hostis, Pipinus
Italiam in adjutorium Papae veniens, praefatum Astulphum expellit!; paenitens,
restituitur. Reverso jam Franciam Pipino, iterum contra Romanam Ecclesiam arma
sumpsit!: Pipinus iterum revertens eum penitus debellavit!: Ecce Israelitici Regis suae
legis et apostolicae sedis laboriosa defensio et semper illam tutare curando!; Hadriani
Papae exactum tempore. // [fol. 31v]

Imperii Majestas ad christianissimorum


Regum Francorum Manus mirabiliter devenit.
Cap. VIII120

Karolus quoque Magnus, Pipini filius, in Regalis successionis hereditate


benedicitur. Dum enim Roma a paganis obsideretur, a Christi vicario ei sepulcri
Apostolorum claves, cum multis muneribus, in signis benivolentiae mittuntur, ipsum ad
ecclesiam Romanam adjuvandam invitando, qui cum humilitate ac devote hoc
suscipiens ad christianam Rem publicam sustentandam devote accessit, Senatus quoque
Romani ut olim Octavianus factus patricius.
Hic vere Christi Miles 12 comites palatinos instituit, Christi Regis sectando
vestigia in 12 illos fidei capitaneos Apostolos, quorum primus Orlandus sanctus martyr
et alii qui divina permissione notissimi sunt, quamvis ab aliquibus fabulae reputantur.
Quod in sacris canonicis legibus Karoli contra Agolantem pugna ponitur et victoria, in
Decretis (23. 9. 8 ca121!:!«!Si in morte manifeste patet!»). Libri quoque historiarum ex
Divo Turpino Sanctorum catalogo adscripto, non tantum calamo, sed armis, Karoli
Magni Milite // [fol. 32r] qui aderat, et ab aliis latino et vulgari testantur eloquio, Leone
tunc pontificante. O vere Christi crucifer pugnator, Karole Israelita Magne!!
Hereticorum destructor, fidei sustentator, fidelium corroborator pro quibus meritis digne

120
Erreur!: C’est toujours le chapitre VII, fragmenté en plusieurs développements. Le chapitre VIII
commencera après le 3ième.
121
Capitulo. La citation suivante donne le début de ce chapitre.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—35

imperator!! Leonis etiam auctoritate, anno magni christi octo centeno122 XV, factus
Caesar, quia olim Romae Augusti eligebantur. Et a Graecis in Francis facta est imperii
mutatio.
Quid est enim Imperator, nisi Christi Miles et fidei defensor!? Datur enim
Imperii nomen praecipuo fideli Militi electo et a Romano pontifice, ut leges et jura
confirmant.
Annis vero triginta supra Francos regnavit!: tredecim autem supra Francos
Imperatoricae majestatis triumphanti gloria imperavit Karolus hic magnus. Et in
ecclesia triumphali Sanctus ex Berta christianissima, ut olim ex Bersabea123 Salomon,
mirabiliter natus.
Tantae enim perfectionis fuit quod divus Jacobus Apostolos sibi apparuit, ut iter
in Galitiam ab infidelitate mundaret!: «!et sibi semper in omnibus fore adjutorem!»!; et
in fine, ex parte dei, vitam sibi repromisit aeternam. Quamvis enim per Apostolos tota
Hispania convertentur ad Christum, reversa nihilominus ad infidelitates vomitum erat.
Karolus autem magnus, miles Christi, primo // [fol. 32v] civitate Panpaluna
tribus mensibus obsessa et quia adeo inexpugnabilis erat, nec eam capere posset, oravit
ad Dominum, dicens!: «!Domine Jesu Christe, pro cuius fide huc me contuli, da mihi
124
hanc urbem!; et tu, sancte Jacobe, ut veram tuam apparitionem reputem, ut sub
manibus meis veniat, esto propitius!!!» Tunc, quo dicto, muri colapsi funditus
ceciderunt.Quo audito, reliquae urbes tributum et claves mittebant. Saracenos autem
baptizatos vivere permisit!; alios omnes ense necavit. Visitato divi Jacobi tumulo, totam
Galitiam totamque Hyspaniam a mari usque ad mare suo Imperio subjugavit. Et facta
est illa patria sub tributo. Lucernam quoque, civitatem munitam, quattuor mensibus
obsessam et cum eam capere non potuisset, Summi dei invocato auxilio et divi Apostoli
Jacobi, cum tribus aliis civitatibus, quos Dominus, ut olim excommunicavit Jeryco,
usque in praesenti die destruxit. Quo facto, cum triumphanti victoria in Francia
revertitur Karolus.
Et ecce, paulo post, Rex quidam paganus de Africa, nomine Agolandus, omnes
christianos interficiebat in Hispaniis quas125 vastabat. At Karolus, cum furore rediens,
cum 144 milia militibus, Agolandus vero ducentum milia et post multa quae hoc // [fol.

122
Octagentesimo. Et le couronnement eut lieu en 800, et non en 815.
123
I.e. Bethsabea.
124
Le texte porte «!verum!».
125
Id. «!quam!» alors que «!Hispaniis!» est au pluriel (les différents royaumes d’Espagne).
ANNEXE!: Opus Davidicum A—36

33r] in loco ab aliis veridice narrantur miranda, et quare paganus Rex respuit
baptizari126et tantae fuerunt strages quod Agolandus cum 1000C occisus est. Tunc totam
Navarram Karolus expugnavit.
Ferracutus autem de Assiria a Babilloniae Rege missus cum 2000C curruum, de
genere Goliat!:statura cubitorum127 12, facies eius unius cubiti longa, tribus vero palmis
digiti lati, qui nec vulnerari, nisi in umbilico poterat. Et dum quosdam primos
christianorum superavisset, Raynaldum, Constantinum, Regem Romanorum, cum uno
alio comite, quos insimul tres ab eo de terra levatos tulit in carcerem, in civitatem
Osthrogorum128, cum viginti aliis ferocissimis christianis. Rolandus quoque, qui Italica
lingua dicitur Orlandus, sanctissimus, proelians cum ferocissimo Gigante Ferra(cut)o,
eum in umbilico fixit. Et facta disputatione de fide, moritur Gigas Ferracutus, ut olim
Goliat David. Occisi sunt autem paganorum 8000.
Redeunte modo Karolo adhuc duo Reges pagani, apud Cesaream Augustam
missi a Babilloniae Rege, Marsilus et Beligandus, frater eius, de Perside, qui ficte
Karolo subjugabantur. Ad quos Karolus legatum misit, nomine Gaynum, comitem, ut
baptizarentur, qui toti christianitati fuit proditor. Karolus vero ipse Magnus, // [fol. 33v]
Hungaris, Pollonis, Boemis heresiarcis et imperfectis semper christicolis devictis,
Septentrionem totum usque ad ferocissimos populos indomitosque Scitiae post
meridionalem pugnam!; vertens deinde se
versus orientalem plagam ferme in numeros paganorum potentias, Reges, exercitus,
omnes victrici manu, cum bracchio Dei excelsi exercituum, debellavit. Ad suam
Matrem ecclesiam, rediens, ducatum Beneventi et Spoleti eidem condonavit.
Pipinus frater in Regno ab eo constitutus!; Ludovicus et Lotarius filii praemiati.
Karolus Magnus iste in caelis modo regnat, de quo Erithea vaticinata est Sibilla129.
Si animadvertitur in ipsis, viri tales divinitus, non solum ab astris, monstrantur,
ut cavent130 mali solidenturque boni.Huic enim, dum Imperator erat et post, angeli
loquuntur. Qui octingentesimo XIIII anno Salutis, V° Kalendis Februarii, in aquis
grandis Lothoringiae, diem clausit extremum.
Quis enim istum non Israelitam, non et christianissimum esse affirmet!? Hic
miracula, non solum in terra Cham (id est paganorum), sed in omni loco mirabilia est

126
Id. «!baptizare!».
127
Id. «!cupidorum!»,!par inadvertance.
128
Corr. du texte, qui porte «!orthogorum!».
129
Il s’agit de la Sibylle Erythrée.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—37

mirifice operatus pro indubitabili fide!; nec de eo ulterius me extendam, quia facta eius
in toto orbe terrarum decantantur. // [fol. 34r]

Succesio Pipinorum sequitur.

Karolus Manus, Zacharia pontificante, monacus factus est et in monasterio divi Andreae
in montem Sirath habitabat. Tanta autem Francorum theotunicorum131 multitudo, pro
novitate rei et devotione conveniebat. Cognoscens sanctus ipse verus Imperator, qui suis
potentiis imperans Montem Casinum pro solitudine petens, post jejunia, orationes et
reliquam eius bonam vitam obdormuit in Domino. Cuius corpus in penetralibus terrae,
ne Sarraceni comburi fecissent, conservarunt!; tempore vero isto repertum esse asserunt
nonnulli.
Ludovicus, filius eius primogenitus, anno gratiae 829, regnare coepit!: tres
quoque filios habuit!: Lotarium, Pipinum et Ludovicum. Primus Caesar Italiam rexit!;
alius Aquitaniae Rex factus!; tertius Bavariae Germaniaeque Rex creatur. Ecce huius
christianissimae Domus Franciae fortitudo et auctoritas. Sicut enim illi in Hebreorum
Regna praeponebantur, ita isti inchristianorum Dominia. In Regalibus unctionibus //
[fol. 34v] semper subsecuti sunt et subsequentur.
In istis vero tribus fratribus divisio Imperii, anno natalitii132 Christi 133
, facta est
in orbe. Karolus cognomento Martellus, Francorum Rex, Pipini ex pollice natus, vir
ferocissimus et virtute bellica universam Saxoniam, Alemaniam, Vectigalem134,
Sueviam, Bavariam, Burgondiam debellavit. Moritur Parisius et vacuum eius sepulcrum
invenitur. Qui duplex fuit Israeliticus populus!: Israel sanctum et reprobatum!; quae
divisio adhuc inchristianissima Domo viget, ut olim Saul qui contra Divinum fecerat
praeceptum, periit. Si quis pipinorum horum fuit talis, non mirum est.
Karolus quoque, quartus filius eius, cum fratre suo Ludovico concorditer
regnavit!; deinde, post annos quinque, monasticam vitam gerens, et si quid mali
dominando egit, in religione evomuit. David enim Salomonque paenitentiam egerunt
aliique plures!: si, ut homines, errarunt, perfecti Israelitae. Majorem quippe laudem in

130
On attendrait le subjonctif «!caveant!».
131
Graphie fantaisiste pour «!teutonicorum!»
132
Néologisme pour «!natalis!»
133
Le chiffre est en blanc dans le texte.
134
Ainsi présenté dans le texte. Il s’agit, bien sûr, de l’adjectif «!vectigal!» qui peut porter sur
«!Alemaniam!» ou sur «!Sueviam!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—38

principem sanctum esse puto quam totum mundum superare, ex cupiditate et gloria
regnandi in hominibus innatam.
Ludovicus, huius nominis secundus, Lotarii filius, Rex Franciae et Imperator
135
mundi, a Sergio papa, octo centesimo 69 coronatus anno eorum primi uncti,
triumphanter regnans, in Italia diem clausit ultimum. // [fol. 35r]
Karolus, eius patruus, cognomento Calvus, Ludovici Balbi filius, Rex
Francorum et mundi Augustus, qui multa monasteria in Francia Italiaque136 condere
jussit. In montibus [quoque] Pyrenaeis a quodam Judeo, nomine Sedechyas, venenatus
est!; suae vitae fila truncantur. Judei enim Christum eorum Israelitam, in monte
Calvario, felle acetoque potato, «!Consumatum se esse!» dixit. Christi namque mysteria,
sicuti antea in Davidica Israelitarumque propagine praefigurari voluit, ita post modum
in suis christianis Regibus interdum memorari non recusavit Christus Jesus Dominus
noster.
Karolus, cognomento Grossus, et minor, Rex et Imperator, anno sui Imperii 2° ,
a Joane papa, 885° anno Christi, coronatus est. Hic, non solum vita, sed martyrii
testimonio, Christi suam(ve) fidem patefecit illustrem!: Deo deditus, in fine exul a
regno, ecce qualiter renovantur Christi mysteria, qui a patre suo totius fuit orbis in caelo
coronatus!; martyr et a Regno mutatus, quod in Abraham figuratum primo fuit, eo a
terra promisssionis ad Salzam Aegyptiacam regionem fugiente, ut Magnus Christus a
Supernis Empyreisque polis ad tenebrosas huius saeculi caligines descendit.
Karolus vero Arnulphus, Rex et Imperator, qui mirabili // [fol. 35v] aegritudine
percussus, nulla medicorum arte juvari potuit, quod quidem antiquorum malorum
memoriam persignabat!; ut non regnandi aviditate machinarentur, quia, in semine hoc,
quamvis inexistimabilia Altissimus exercuit, attamen etiam in potentatibus humanam
miseriam voluit demonstrare.
Ludovicus, huius nominis tertius, filius, Rex, quamvis Imperii coronatus non
fuisset, nihilominus annis VI regnavit. Hic ultimus de Domo christianissima fuit
Imperator.
Lotharius filius et Ludovicus, filius eius, tantum Reges. Karolus, filius suus137,
cum tardare electionem voluisset, non fuit electus, ut credidit.

135
= Octingentesimo
136
Le texte porte l’accusatif.
137
= Eius. On comprend mal ces fautes chez notre auteur, qui les évite parfois.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—39

Ecce istorum Pipinorum finis, qui exitus ducentis XXVIII annis regnarunt. In
noningentesimo octuagesimo138 VII° a Christi Nativitate anno defecerant. Qui apud
Heburones populos in vico Juppilia (quae Leodiensis est civitas)139 orti fuere.
Undecumque autem asportetur progenies, Seminis potestas nec mutatur, nec
admittitur. Nonne, in Babylonicis Aegyptisque finibus, persecutionibus tempore
generabantur, ut etiam de Daniele et Moyse patet? Inter Rhenum et Mosa flumina
situantur. Galli sunt Lydiae et non alibi orti antiquitus, nisi ab Hebreis Davidicis
descenderunt. Qualiter // [fol. 36r] autem ista linea finiri videtur, est quia non in tanto,
ut prius, fervore in vinea Domini operabantur nec laborabant, ideo eis solitum et
inevitabile Christi dictum contigit observari!: «!Auferetur videlicet a vobis Regnum dei
(scilicet christianissimum) et dabitur genti facienti fructus eius. Misi vos in vineam
meam (id est in cultum) divino tali modo custodire!», ait Christus, «!et quod justum fuit
dedi vobis140. Etiam dixi!: «Venite ad me, omnes qui in vinea mea christianitatis laborati
estis, et ego reficiam141!; vos autem defecistis!: quia oportet laborare et nunquam
deficere, et ego defeci vobis. Dixi priscis patribus vestris Regibus, si custodierint
mandata mea, ego ero illis in patrem et ipsi mihi in filios. Et si custodierint se a diis
alienis (id est modo a cupitatibus mundanis) super solium David et super Regnum eius
in aeternum sedebitis!; nihilominus ego corripiam vos, sed non dissipabo, quia estis de
Domo mea!».142Et Domus Christi, salutaris mei. Nec mirum si dei Domum dicimus,
quoniam omnia Dei sunt!: sui sunt caeli, sua est terra143!; orbem terrarum et
plenitudinem 144 eius fundavit. Dicitur eius tamen specialis Domus, quia prae ceteris //
[fol. 36v] ibi sua mysteria est operatus. Quis post Apostolos totum mundum ad
Christum convertit!? – Domus Franciae. Quis Hispanos ad fidem, Ungariam,
Pannoniam, omnem Alemaniam et universos populos convertit!? – Domus Franciae
christianissima. Quis Judeorum Regnum saepius pro christianitate acquisivit!? - Domus
ipsa sanctissima.

138
= Octogesimo
139
Il s’agit de Liège.
140
À la parabole des vignerons homicides se greffe celle des ouvriers de la onzième heure.
141
Cf. Matt. 11,98
142
Dans la dernière partie de ce discours, cf. Samuel II,7,4-16.
143
Le texte porte «!terram!».
144
Id. «!plenitudine!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—40

Magis in Gallis quam in aliis Regionibus


Domus sancta David venire debebat, et quoniam
Regnum Judeae et Hyerusalem quaerunt.
Capit. VIII.

Quia universaliter ab illis vanis fabulis paganorum, propter volumina poetarum


illas continentia, in quibus majorem curam parentelas illorum scriptores conservandi
habuerunt et quoniam pauci sunt qui ordinem posteritatis Christi Jesu Domini nostri
conservare, ultra Matteum et Lucam, breviter divinitus conscribentes, nemo advertit!; et
quia propter Christum Judei semen Davidicum persecuti sunt, quia Rex Messias in
propria patria Davidica venit «!et sui eum non receperunt!»145, videns autem Gallos
populos bene ad Christi // [fol. 37r] fidem recipiendam dispositos, quia «!quotquot
autem receperunt eum!» etiam naturaliter, «!dedit eis potestatem filios Dei fieri!», Franci
igitur primi in fide debebant esse, quia primos Isrealitas receperunt. Totius mundi,
divina permissione, vox est Domum Franciae esse Domum Virginis Mariae, Reginae
Caelorum ac terrenorum. Et quamvis pipina progenies mutari nobis videatur, potestas
autem dei, sicut ex nihilo creat,ita unum in aliud mutat, et quod idem sit manifeste patet,
quoniam antiqua praerogativa et majora horum Reges isti christianissimi faciunt!; et
quia solus Deus immutabilis, ut omnis Scriptura demonstrat, ait!: «!Ego Dominus et non
mutor. Non est alius Deus praeter me. Ego Dominus!»146. Et omnis homo est mutabilis!;
quam mutabilitatem, etiam in principibus suis electis, more policito, vult ut appareat.
Quomodo in Francis, seu Gallia, semen Davidicum pervenit tali via, Duce
Christo, persuadere tentabimus.
Dum Jerusalem et tota Judea a Tito et Vespasiano in ruinam abominabilem, ut
hodie patet, Judeis versa est, ut cum Josepho147 diximus, in toto orbe terrarum dispersi,
quidam in Goga Magoga148, aliqui hunc inde dispersi, alii qui dictis responsisve illorum
interfuerunt, qui dixerunt!: «!Sanguis eius // [fol. 37v] super nos et super filios nostros!»,
et isti qui in occidentalibus sunt viri, more femineo, singulis mensibus per virgam
emittunt sanguinem, quia patres eorum hanc pestem etiam «!supra nos et nostros

145
Citations tirées du Prologue de l’Evangile de Jean.
146
Cf. Isaïe, 45,21-22.
147
Le texte porte!: «!Josapho!»!: il s’agit de Flavius Josèphe.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—41

filios!»149 posteros acceperunt. Illi autem de tribu Regali Juda Davidica 150
in Gallis,
divina ordinatione, se contulerunt. Et sic ut semen David in aeternum, divina
promissione, («!det illis hereditatem gentium!»151), debebat, etiam secundum sensum
litterae, conservari, haec tanta dignitas cristianissimae Domus Francorum adesse
convenit et dominium in oriente, Graeciam, immo et Jerusalem, saepius et totum
Regnum etiam, post Christi passionem, acquisierunt. Quare christianissimi Reges
Jerusalem et sanctum Sepulchrum magno cum desiderio cupiunt obtinere. Sicut enim
leve sursum et grave deorsum, sua prae natura, esse appetunt, sic ii christianissimi in
Jerosolimitano Regno regnare sollicitant. Nisi quia illius patriae veri sunt Domini et
Reges, et saltim quaerunt locum ubi eorum primus Rex qui causa omnium suorum et
prius et post modum fuit mortis vitii et vitae salutis auctor.

Consuetudo benivolentiae honestae, quam fantastici // [fol. 38r] derogant,


Domum Franciae ex Judeis esse ostendit.
Cap. IX.

Ex consuetudine itaque accessus Davidicae prolis in Gallis probatur!: Mirantur


reliqui qualiter illa universalis conversatio mulierum et osculatio sit. Enormis
consuetudo videtur ceteris quam laudabilem conversationem ab Hebreis esse invenimus.
Quadruplici quoque illam consuetudinem convenientem esse probabimus. Nam, primo,
apud Hebreos Palestinosque talis mos conservabatur in utroque sexu deosculari. Et in
Evangeliorum codicibus hoc scriptum esse invenimus!: Cum Magdalena pedes Domini
osculavit, lex enim in facie talis actus exerceri erat!; Magdalena autem, cognita Christi
auctoritate, formositate inenarrabili, et suorum peccatorum copia, Christum in faciem
osculari ausa non fuit, sed ad pedes ivit eius. Immo Simonem convivantem!: «!Osculum,
ait, mihi non dedisti!», reprehendit et Mariam osculantem laudat et commendat, dicens!:
«!Haec autem!: ex quo intravi, non cessavit osculari pedes meos.!»152 // [fol. 38v]

148
Symboles du mal dans l’Ancien Testament ( Ezéchiel, 37 et 38) et dans l’ Apocalypse (20,7)!; ici
indique plutôt des lieux opposés.
149
Cf. Matt. 27,25.
150
Le texte porte «!Davidici!».
151
Cf. Ps. 2,8.
152
Cf Luc 7, 37-45.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—42

Franci enim illis qui olim Israelitae, modo christianissimis subjacent, eorum
consuetudinem servant!: dilectionis maxime signum est. Nam sicut ex femina omne
malum oritur, ita, si prudens fuerit inter homines, benivolentiam servabit. Rursus apud
Romanos, teste Valerio, mulieres a vino abstinebantur!: lici(ti)tum quippe erat ut in
faciem deoscularentur, quia si qua in tali olfa(c)tu vini reperta fuerat, vituperabile erat.
Consuetudo mulierum vinum non bibendi apud in Hispanos stat!; deosculandi vero inter
Francos viget, quod christianissimum esse putamus.
«!Hoc est praeceptum meum ut diligatis invicem!»!; et «!diliges proximum tuum
sicut te ipsum!»153. Et osculum potissimum signum amicitiae est. Ecclesia sancta Dei
pacem osculando assignat!; igitur catholicam esse dicimus, si causa honestae amicitiae
fiat. Franci enim, nobiles cum nobilibus, cum modestia osculantur. Et rusticum rusticis!;
et sacerdotum manus, Regum et Imperatorum deosculantur. Non mirum igitur si
mulieres sodalitatis causa ita publice osculantur!; quod etiam maxima cum modestia
inter eos sit, non actu venereo!: clanculum id fit!; talis usus in Italia est, sed non talis
dilectio.
Item 3°, per illam utriusque sexus // [fol. 39r] conversationem intimam
Francorum, amicitiam et mutuam in eis concordiam denotamus unitatem
benivolentiamque. Audeo quidem dicere nullam generationem in mundo hoc esse in qua
mutuus sit tantus universalis Amor, sicut in Francis est (postea Indis). Tanta est enim
concordia quod soli bella faciunt, superant, quam omnes ad ultimum tuti in genere sunt.
Hoc ex benivolentia esse dumtaxat credimus quia, teste divino eloquio!: «!ubi caritas et
Amor, deus ibi est!»154. Volunt enim cum mulieribus manifestam habere
conversationem, quia eas reclusas et custoditas zelotypias faciunt. Ex cuius timore tanta
est in talibus infiducia, quia non solum ad corporis necessaria ire non possunt!; sed
ecclesias et alia spiritualia bona impediunt. Franci, pleni fiducia ab huius modi curis
liberos esse volunt.
Ultimo, notandum, teste canone «!de duobus malis minori!», si evitari non potest
subjici, oportet ad vitium (enim) sodomiticum155evitandum!: nulla alia medicina sanctior
invenitur nisi conversatio et familiaritas mulierum. Videmus enim ubi inconversabiles
sunt, quod illud abominabile vitium intentissime crescit!: impeditur generatio, destruitur
amicitia, viri odiosi mulierum // [fol. 39v] fiunt et earum inimici, homines solitarii,

153
Cf. Jean 13,34!; puis Luc 10,27 et Lévitique l9,18.
154
Refrain d’un hymne encore chanté de nos jours.
155
Le texte porte «!subdomiticum!», mais plus loin, l’allusion à Sodome justifie la correction.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—43

despecti, malivoli efficiuntur. Ex mulierum familiaritate, viri vitium illud penitus


ab(h)orrent et pueri vicem feminarum gerentes156. In mulieribus est actus naturae et in
illo contra naturam, quod in toto etiam fere terrarum orbe praesertim morientem versus
Sodomam est. Franci enim, illud evitando, mulierum retinent conversationes.
Ecce igitur ex tali consuetudine (videlicet dilectionis mulierum), quia generatio
in praeceptum hominibus in veteri lege erat!; in novo autem virginitas caelum implet.

Incipit ordinis Fortificatio Parentelae Christianissimae Domus Franciae per


Ugonem Ciappetam et suos sequaces Reges,
et divo Ludovico tertii ordinis minorum.
Quae linea recta usque ad praesentem Karolum Maximum est.
Capit. X.

Ugo, Ciappeta cognomento, non plebeius, ut vulgus opinatur, sed ex sorore


primi Octonis natus, Dux erat Saxonum strenuus et Israelita. Nam tribus Juda, et quia
cum tribu Levi, ut dictum est, conjugebantur157, per totum occidens habitare poterant, ut
Judei, // [fol. 40r] usque in hodiernam diem stant. Hic quidem Ugo Rex Franciae
adunctus est, anno Christi millesimo, XIII dempto, haec electio facta est. Quae series et
ordo usque in praesentem diem maxima cum felicitate regnavit. Et in aeternum semen
eius potens in terra erit158. Iste enim, ex Pipini sanguine natus, et de tribu illa Judae
sancta est, tametsi hoc est mirabile oculis nostris. Ista profecto linea divina
christianissima, ut virtus divina condatur, usque in finem mundi de die in diem
prosperabitur. Ex ista enim Regali tribu christianissima, tam in veteri quam in novo
testamento, malum ab universo expulit et debellavit. Et per istos, non solum Teucros,
Soldanos, Babillonicos ceterosve hereticos infideles, sed, quod!plus est, Antechristus
per istos Reges interfici et lux in mundo christianitatis refulgi. Verum si ulterius sequi
voluerimus, Hugo ille XX annis regnat. Robertus filius eius dignus, 34. Herrigus etiam,
Rex terribilis, 30. Philippus, Rex magnificus, filius eius, 49, quo tempore Petrus
quidam, eremita gallicus, in Francia congregato crucis signatorum synodo, Jerusalem se
contulit!; cum Rege Philippo, praelati, Duces utriusque dignitatis gladii accesserunt

156
Si c’est bien «!abhorrent!» qu’il faut lire, il est construit transitivement («!illud vitium!»!: il faudrait
donc «!pueros!» au lieu de «!pueri!». Du latin classique, «!abhorreo!» est suivi de «!ab!»!: il faudrait donc
«!ab illo vitio… et a pueris…gerentibus!».
157
Il faudrait «!conjungebantur!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—44

principes. Ceperunt Jerosolimitanum // [fol. 40v] Regnum aliasque provincias!: cuidam


Regi ibidem de Domo christianissima electo subjacuerunt. Malas herbas et labruscas de
vinea Domini, quantum eisdem possibile fuit, evulserunt in Judeam.
Ludovicus, filius eius, cognomento Grossus, XXVIII annis regnavit. Cuius
filius, adhuc puer, nuper in Regem unctus, dum parisius equo sedebat, prope aedem divi
Gervasii, porcus inter pedes equi se intermittens, Regia proles cedidit moriturque!;
Francis quoque luctum intulit. Ludovicus, alius praefati filius, Rex divinus et in moribus
et vita 40 (regnavit). Philippus, filius eius, Rex magnus, cuius tempore Franciscus
sanctus in mundo apparuit, a Francia denominatus, ex Francorum lingua divinitus
infusa, annis 44 regnavit. Nam sicut tempore Israelitarum Regum prophetae mittebantur
in mundo, ita Franciscus, in quo quievit spiritus duplex prophetarum, in honorem
Franciae accessit.O vere felix Francia, in te christianissimum nomen viget et fides et
Francisci religio!! Tu Christum, in christianissimum retines!; novus Christus, nomine
tuo Franciae, divinitus appellari voluit. Utrumque Christum, Salvatorem et
Reformatorem tuis (v)ulnis amplexata, possides et nomen // [fol. 41r] in se conservat,
etiam in caelis regnat.
Ludovicus Sanctus Rex tertii ordinis fratrum minorum, 14 aetatis suae anno, Rex
ungitur. Qui adversus Teucros, Mauros, reliquosque infideles bis crucem cum
innumerabili multitudine accepit. Divinarum rerum contemplator, Seraphicus Doctor,
suas meditationes annotat. Miracula enim multa Rex iste, in libro vitae adscriptus,
monstravit per quem admiranda signa Deus ipse ostendit mortalibus. Annis vero 41
christianissimus regnavit.
Philippus159, filius eius, Rex justus et pius, non longe patri similis, qui cum
avunculo suo Carolo inter infideles castrametatus est et maxima bella egit. Ecce aeterna
inimicitia christianissimorum Regum cum Dei adversariis et pugna. Judaicus autem
populus per Davidicos Regales ab omnibus inimicis defendebatur!; et, quia in deorum
natura durissima est!: «!Video, dicebat Altissimus, quod populus iste durae cervicis
est!»160!; per tribum tamen Regalem Judae, nunc orando, nunc pugnando, semper
incolumes evaserunt!; odio habuerunt, // [fol. 41v] circa eos ingrati semper!: quare eos
modo ex omni Regno commemorantibus priscorum expellunt. Rex tamen iste pacificus

158
Cf. prophétie de Nathan à David (II Sam.7, 13-16).
159
Il s’agit de Philippe III, dit le Hardi, qui régna de 1271 à 1285.
160
Cf. Exode, 32,9.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—45

161
inter Januenses Venetosque, christianissimi Regis more, pacem composuit et, ut, se
Davidicum simul et christianissimum ostenderet, corpus divae Magdalenae argento
tabernaculo honorifice locavit. Annis IX regnavit. Sed ut christianissimae Domus rami
non praetermittantur, quomodo ex illa Israelica progenie in regnum Neapolitanum
succedat advertendum.

Regnum Neapolitanum christianissimis


Regibus Franciae convenit.
Cap. XI.

Leone Papa pontificante, in toto orbe terrarum Saraceni, seu potius Agareni,
Italiam, Romanam Sedem, invaserunt et Karolum illum Magnum, ut diximus,
vocaverunt. Suae Imperatoriae Majestati, ut prope Ecclesiam morasset, Siciliae
Regnum, quod hodie Neapolitanum dicitur, apostolica concessione et rogatione datum
est, omnibus etiam successoribus christianissimae Domus Franciae, perpetuis
temporibus. // [fol. 42r] Hoc enim divinitus factum, antiquam duarum tribuum (Levi
scilicet et Judae) firmando legem, ut, sicut antiquitus conju(n)gebantur, ita tribus Regia
Neapolim et tribus Sacerdotalis Romae vicinae starent, ordinatum est esse. Regnum
enim illud defensoribus Romanae apostolicaeve Sedis solummodo datur, et quia ex
conjunctione et earum tribuum affinitate, Regia tribus in defensionis162 Sacerdolatis ab
aeterno data est. Igitur merito christianissimis Regibus Franciae, qui tribus Judae sunt,
illud (merito) datur.
Karolus quidam praefati Regis avunculi163 in Regem Siciliae ve(l) Neapolim
ungitur, qui quadam Regina ex consensu Urbani expulsa, nomine Joana prima, ex malo
regimine, quae in urbe Neapolitana ex persecutione quorumdan cardinalium, quos
opprimebat, moritur. Et lites in Romana Curia seminabat. Praefactus autem Rex
ecclesiaeque Miles factus est. Philippus quoque, praefati Philippi filius, Franciae Rex,
cognomento Pulcher, cuius tempore in urbem Rhodum cuiusdam militis Petri
Daubusson Gallici solertia, cum crucis Christi, Mariae Baptistaeque Johannis, in signum
fidei, gratiae et baptismi vexillo ultra 40 Turcorum milia necati sunt. Qui Rex Israelita

161
Il s’agit des Gênois.
162
Ce devrait!être «!defensionem!».
163
Id!: «!avunculus!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—46

omni virtute ornatus // [fol. 42v] annis 29 regnavit, Israelitarum adversus Babillonicos
gentilesque idolatrias bellica gesta memorando.

Ludovicus, filius eius, catholicus Rex, dum in ecclesia sancta Dei, quae in
Avinione residebat, schisma magnum diu fuit, cardinales multos ex schismate per
Galliam dispersos congregavit Lugdunum, ut olim dispersos filios Israel colligebant in
amore, et alia multa bona pro Romana Sede operatus, annis quoque 14 religiose regnat.
Neapolitanum quoque Regnum in adjutorium fidei erat, dum in manibus erat eorum.
Regnum enim speciale patrimonium Apostolicae sedis est (ut in nonagesima quarta di.
Capi. valde patet) quod ecclesiae maxime succurrentibus datur. Etsi Alemani semel
ecclesiae Romanae subvenerunt, Imperium habuerunt et electores!; Franci vero non
semel, sed semper, pro fidei parati sunt, tamquam viri christianissimi. Quid unquam
fecerunt pro fide nec adversus Teucros, nec pro Romanae Sedis defensores duo
praeteriti Imperatores Alemani!? Sed magis contra christianos armis invadent.
Idcirco eis Neapolitanum Regnum ex concomitantia, tum firmae perfectionis
eorum, tum Sacerdotii et propinquitate et ea assueta et essentiali // [fol. 43r] eorum
christianitate tale Regnum debetur, ut in Italiam pro utilitate fidei venientes, deputatam
habeant sedem et quia Regi Regnum convenit. Igitur Regi Franciae illud debetur.
Ecclesiam cum tributo singulis annis recognoscere. Quare rex Neapolim sic intitulatur!:
Siciliae, Jerusalem Rex!? Siciliae, respectu inhaerentiae cum ecclesia!; Jerusalem, quae
Domum David clamat!; et Domus David nulla alia nisi Domus christianissima Franciae
est. Ab illo si quidem Regno usque Judaeam navigio per aequora facile accenditur!;
immo fines Apuliae Tarentinae sub clima164 terrae promissionis esse ex nimia fertilitate
tenetur.
Neapolitanum Regnum Cruce utitur pro insignia et liliis, quae quidem a domo
Franciae recipit!; et domus ipsa cruce fruitur, quia Judaici Regni est Regina, et liliis ac
floribus ex Christi Matrisve puritate possidet. Crux Neapolitani Regni ex humeris
Regum Franciae est et a spatulis Christi in arma eorum confluit. Lilius stirpis David est
arma et insignia. Et prope novam165 Jerosolimam Sacerdotalem Romam respectu
Siciliae est. Ergo merito divina providentia factum ut Regnum166 illud christianissimum

164
On attendrait l’ablatif «!sub climate!».
165
Faute d!‘inadvertance!: le texte porte «!navam!».
166
Id!: le texte porte «!Regicum!» au lieu de «!Regnum!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—47

sit inter Jerusalem et Renatam167 situm est!: versus orientem // [fol. 43v] Jerusalem,
versus occidentem Roma. Et quia bis alienigenae invidi, rapaces, illud Regnum habere
volentes ad ultimum confusibiliter expulsi!; itaque non solum Regnum, sed etiam vitam
perdiderunt. Primum exemplum in Alemanis fuit, de quibus in proximo dicemus!;
secundum in Aragonensibus, ut in 3° descendente168 tractabimus.

Regnum Neapolitanum a Theotunicis169


usurpatur et a Francis gloriose recuperatur.
Cap.XII

Philippus, Francorum Rex, praefati Ludovici filius, (qui) annis quinque regnavit.
Manfredus, imperialis proles, Regnum Neapolitanum usurpat. Karolus tamen, de Domo
Franciae, ad recuperandum suum Imperium, cum quibusdam militibus in armis expertis,
Italiam intravit. Et praefatum Manfredum apud sanctum Germanum in Agro
Beneventano interfecit et suum magnum exercitum destruxit, et totum Regnum statim
Karolus ipse potitus est. Manfredi invento spoliato corpore ad pontem praefati S.
Germani vilissime sepelitur, ubi jacet balista sepultus. // [fol. 44r] Hoc quidem M° CC°
LXVI, prima die veneris Martii factum est ibidem.
Conradus itaque Rex, injuriam fratris vindicare170 volens, maximum
Theotunicorum duxit exercitum171 et per Papiam, Pisas, Romae permanans tandem
applicuit. Et Senator Urbis, Regis Castellae frater, qui cum Karolo, propter quasdam
pecunias, cum eo etiam Romani animum gerebant hostilem, cum quibus Lombardi et
Thusci juxta Campi Palatini flumen consederunt172. Quod cernens, Karolus quingentos
milites strenuos, ad certamen probatissimos, secum elegit. Ceteros, cum milite quodam,
Regalibus induto vestibus, misit, quem Corradienses Regem fuisse credunt. Erat enim
Karolus orans in officio missae, ut olim Moyses quando pugnabat Josue, suppliciter.
Sub ficto Rege proeliantibus, percussis magno cum metu suis, et ipse fictus Rex
moritur. Corradienses vero de huiusmodi victoria gloriantur!; quod audiens, Karolus

167
Id!: le texte porte «!Ranam!».
168
Id!: «!descedente!».
169
=Teutonicis
170
Le texte porte «!vendicare!».
171
Id. «!exercitus!».
172
Id. «!consederatur!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—48

cum suis quingentis in armis peritis magno cum furore descendit. Illi, jam disordinatis
dissolutisve!; aliis ex ordine belli, Regem extinctum in campo jacere putantes, eos sic
dispersos insultat. Quod cernentes Corradini173, jam in bello flexi terga verterunt // [fol.
44v] fugientes. Senator ille Romanus capitur. Et Corradinus cum omni174 paene exercitu
ex navibus recluduntur in arce. Et sic reclusi in carceribus sunt. Carolus175 quoque per
viam legis procedere volens176, an (videlicet Corradum et ceteros) legitime cum
incitatione dementis IIII possit morti tradere, duo quidem pricipales articuli inventi sunt,
quod juste morirentur!: Primo, quia contra verum et legitimum Regem arma
sumpserunt, quia nihil eis pertinebat de Regno!; secundo, quia monasteria et alia loca
sacra ecclesiasque praedaverunt177. Cuiusdam juris periti accepta sententia, saluti
animarum ut consulere possent assignato spatio. Acta confessione, in Neapolitano
littore ducitur Corradinus Rex cum suis comilitonibus. Lecta sententia, veste exuta,
flexis orabat genibus, cervicem Regalem porrexit littori. Haec solum prorumpens178!:
«!Ha ha!! genitrix, quam profundi nuntium179 de me suscipies!!!» Dux vero Austriae, sibi
propinquus, dum Corradi caput cernu(ere) conspexerat, quantum valuit, voce indignatus
animae rugitum emisit ex dolore desperatus!. Nec erga Dominum culpam voluit
profiteri, et sic amborum capita fere pariter truncantur, Regis et Ducis. Grande
spectaculum!! Gerardus vero// [fol. 45r] et pater, Pisarum comites, fili in sinu patris
decapitantur.
Circum vero adstantes plurimi cum Carolo plangebant. Justitia pietatem superat.
Cadavera mortuorum in maris littore servabantur!: ne cui religioso ea licuit condere
cimiterio, cum ecclesias praedassent. O flebilis visio!! o venenosa regnandi cupiditas!!
O terrarum principes, quid hoc fuit!quod posteris memoriale derelictum!? Nec contra
sacra manus condere licet, Domino suo quilibet contentetur. Et pias diligite ecclesias,
quarum ultor est Deus!!
Neapolitanum quoque Regnum quod tantum christianissimis Regibus Franciae
pertinet, nemo amplius tangat!! Cum sit speciale ecclesiae assignatum ex eorum
conjunctione primis Regibus qui ecclesiae Romanae immediati milites esse debent et
non arma contra ecclesiam Dei sumere. Rex enim Neapolitanus solum fit ut ecclesiam

173
= Corradienses.
174
Le texte porte «!omne!».
175
Écrit jusqu’ici avec un K.
176
Ce mot «!volens!» a été ajouté à la main par un lecteur!; ce pourrait aussi être «!voluit!».
177
Le texte porte «!praedaverint!».
178
Id. «!prorupens!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—49

Romanam defendat, amicatur maxime et saepius pontificem visitare et inimicos


sacratissimi consistorii quantum potest perdere. Davidici enim saepius Golias, Saules
ceterosque tyrannos cum adiutorio dei dissipant!; Illud itaque regnum Siciliae cum
hyerusalem convenit!: est enim terra laboris, terra promissionis «!in qua fluit lac et
mel!»180 // [fol. 45v] et omnia terrae fertilia, etiam pars Apuliae. Dicitur a mathematicis,
teste etiam Virgilio, Neapolis Civitas est ad circumforentiam Civitatis hyerusalem mille
miliaria et septies centum cum quinquaginta sunt ad lineam. Est enim Jerusalem, teste
David eius, in medio terrae. Et propter convenientiam quam per rectam lineam diametri
181
conthraunt . Hyerusalem et Neapolis in eodem stet situ. Idcirco Christianissimi
tantum reges Franciae illa duo Regna de jure naturali et legum habere debeant.

De fortitudine essentiali et virtute in fide christianissimae domus


et de mirabili studio parisio praerogativa.
Cap. XIII.

Comes praefati philippi filius qui in regnum Franciae sustendandum multos


labores sustinuit (qui) christianissimae vitae fuit et devotionis!; nec mirum si non
deficiunt postquam Pipinienses regnare coeperunt182, in quibus davidica propago
regnandi potestatem iterum maiori virtute adepti sunt. Hoc est quia armati armis militiae
Christi // [fol. 46r] eorum corporaliter, pro cuius fide merito Galeam salutis super
eorum capita, gladium divini verbi, scutum veritatis fidei, et loricam iustitiae armati
procedunt183. A dextris et a sinistris pro fide pugnando non quietantur. Intus et extra (id
est contra tyrannos christianos et extraneos infidelesque omnes), quamvis ab aliis
interdum laedantur, ad ultimum per christianissimos Reges aut auxiliantes, aut quovis
modo aliquid interponentes, si recte conspicitur. Pugnant enim pro christiana re publica
sine respectu et rubore per infamiam malorum et bonam faman proborum. Ideo «!Beati
eritis, o sancti Reges, cum maledicerint vobis homines!: gaudete et exultate, quoniam
nomina vestra scripta sunt in caelis!»184. Ubi enim Francorum Regum nomen auditur, ibi
christianissimus!: fructus incitationis est.

179
Id. «!nunctium!».
180
Exode 3, 8!; Nbres 13, 27.
181
= contrahunt.
182
Le texte porte «!ceperunt!».
183
Cf. Éph. 16, 13-17. Saint Paul s’inspire lui-même d’Isaïe, 59, 17.
184
Cf. Matt. 5, 11.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—50

Studium quoque parisinum, sapientiae flumen, Musarum locus, scientiarum


fons, virtutum custodia, morum disciplina, veritatum origo, o vere studium illius qui
dicebat!: «!Ego sum via, veritas!»185. Cedant pierides, Dryadesve puellae!; cedant
Apollineae nomina falsa lyrae!! Non poetarum fabulantium // [fol. 46v] sub notitia
vocabulorum venena miscentium, sed catholicorum Doctorum cura conservatur. Supra
illud parisiense sacralissimum Gymnasium, Christum proferentem conspicio!: «!Si quis
sitit, veniat ad me, et bibat!! Haec est enim civitas totius Scripturae sacrae!; venite et
(h)aurietis aquas cum gaudio de latere Salvatoris. Qui biberit ex hac aqua, sapientiae
parisius fluente, non sitiet in aeternum.!»186
Cur itaque totius orbis principale ac unicum singulare studium in civitate parisius
Franciae positum sit et stet187, notandum est!: singulare mundi Gymnasium quatruplicem
mutationem habuit, invenimus!:
Primo, inter Aegyptios188 philosophari coeperunt, ubi humanae scientiae
susceperunt initium et astronomia et summam stellarum cognitionem motus crescere
coepit, ex eorum caelorum propinquitate, influxiones et alia harum scientiarum
mathematicarum initiata sunt.
Secundo, in Graecos translatum est mundi universale studium, in quo non solum
mathematicis utebantur scientiis, sed ad summam omnis philosophiae capacitatem
pervenerunt. Et sicut olim inter Aegyptios peritiores astronomi tantum Reges Ptolemei
eligebantur, ita et apud // [fol. 47r] Graecos sapientes Graeciae praecognominantur et
diversorum philosophorum septe(m) reperiabantur, praecipue Stoicorum,
Academicorum pater Plato, peripateticorum princeps Aristoteles!: primi moralem,
secundi divinam, tertii naturalem philosophiam authenticaverunt in summo. Mores,
motus, quidditatesque tradiderunt189. Fons Helicona dicebatur Parnassus.
Tertio, in Romanos totius mundi scriptura per viam legum devenit. Ubi omni,
praeter ethicam, relicta facultate philosophica, elegantiam Rhetorices etiam servantes,
imperiales leges a(r)gumentatae sunt et codicus190 Digestis, Sforzatum et tripartita
conservatae in maxima cura fuere. Romani quoque pontifices suas etiam leges, et sic

185
Cf. Jean 14, 6.
186
Cf. Jean, 7, 38!; Isaïe 12, 3!; Jean 19, 34 et 4, 14.
187
Le texte porte «!set!».
188
Id. «!Aegyptos!».
189
Id. «!traditerunt!».
190
= codex.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—51

leges constituebantur. Condiderunt Decreta ac decretalia tanta cum diligentia et poena et


canones, imperatorum praecepta parabantur et jura in homine.
Quarto postremo a Romanis in Francis universale orbis studium est mutatum,
Karolo illo Magno duce, ubi non solum aegyptiacae illis Musae et Graecorum habentur
scientiae philosoficae ac Romanorum uterque leges191 possidentur, sed divina theologia
ibi Parisius obtinet principatum. Duae divini eloquii partes distinctae sunt!: vetus scilicet
et novum testamenta certantur in lucem. Hanc // [fol. 47v] theologiam sanctam
facultatem ignorarunt Aegypti(i)!; hanc non invenerunt Graeci philosofantes!; hanc
propter cantilenas, fabulas Romani parvi pendebant!; hanc dei scripturam Franci solum
conservare digni fuerunt et reliqui ab eis reportare!; illa enim status huius perfecta
felicitas quae contemplatio dicitur substantiarum separatarum192 in Francis parisius
viget. Gaude ergo et tu, omnium studiorum Regina, ubi illorum duodenorum193
Apostolorum coetus viget, qui 12 fontes aquarum specie sunt conservantur. Vas quidem
electionis, Doctor gentium, praedicator veritatis, in universo mundo Apostolus, te,
Parisius, sacra visitavit. In te praedicavit!; in te sibi complacuit et quia theologus
maximus erat, Parisinum locum ad totam sacram theologiam conservandam
praesentialiter elegit ac dicavit Petro, tunc Romae pontificante, totius orbis principe,
cuius legatus erat a latere!; et quia verbum Dei alibi evangelizare oportebat, Dionisium
Areopagitam194 Atheniensem, phylosophum eximium, parisium dimisit.Et verba quae
homini loqui non licebat, eidem suo discipulo revelavit. Et illa quae in divinis
continentur nominibus et de Angelica hierarchia et mystica theologia revelationes
Apostoli Pauli esse // [fol. 48r] tenemus. Et merito is parisius creatur Antistes, ubi
Christi magni studium firmandum erat. Haec quidem convenienter facta sunt, ut ubi
Regale primum regnum locabatur, ibi etiam principale studium totius orbis esse
debebat, tum quia Imperatoricam Maiestatem non solum armis debet esse ornatam, sed
virtutibus decoratam!; tum ut fides firmanda in christianissimis erat, vigeret litteratura!;
tum ut Franci Christi195 dediti prae ceteris gloriarentur. Et sicut christianissimum ibi
genus residet christianissimam Doctrinam theologicam debent possidere, et loca pro
studere volentibus parata sunt.

191
= uterque lex possidetur.
192
Le texte porte «!seperatarum!».
193
= duodecim.
194
Le texte porte «!Ariopagitam!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—52

Regnem christianissimum Franciae divinitus


per virginem quandam196 recuperatur.
Et de regibus Franciis in Neapolim.
Capit. XIV.

Karolus, praefati Johannis seu Philippi filius, successit, cuius tempore Regnum
Franciae perditum est et ab Anglis sublatum. Deus enim qui suae tribus Regiae semper
misertus est, per quandam puellam virginem pauperem, ut olim per Delboram
prophetissam // [fol. 48v] populo Israelito197 missam et qui 198 Judit ab Holoferne et per
Hester a cruenta caede populum suum, quae de isto germine fuerunt, et per Mariam
mundum, sic per illam subulcam, Angelo Dei praemonitam, magno cum triumpho
liberavit, toto divinitus recuperato Regno. Neapolitanum Regnum Italiae hereditaria
jurisdictione tenebant. Tres itaque filios reliquit!; Absolonem, Salomonem et Sansonem,
id est Sanctum Ludovicum, ducem Kalabrum, qui, ut Absolon, in religione Seraphici
Francisci tonsoratur, primus Tholosanus Archiepiscopus. Et quia ecclesia sancta dei, de
eo gestis et divino officio, illud Salomoni cum, in Ecclesiastico, de suo semine
memoratur, Qui fuit quasi flos Rosarum et quasi lilia, quae sunt in transitu aquae, (id est
huius saeculi), scribit et approbat, de quo ego silentio transibo. Alter Robertus, qui in
Regno Siciliae successit, ut alter Salomon (suus) fuit in terris. In toto orbe gloriosus
omnium scientiarium usque ad sacrae theologiae penetralia mira perspicitate pervenit.
Et talis Rex fuit quod, post Salomonem, nullus Regum fuit doctior Roberto, firma
plurimorum peritorum opinione repertum est!: Bene enim Aristoteles De Regimine199
principum dicebat!: «!Rex sine litteris est asinus coronatus!».
Is // [fol. 49r] enim, antequam nasceretur, non patre solum, sed paternis
maternisque avis ac proavis Regibus christianissimis ortus, totius mundi dignioribus
educatus. In amplissima fortuna casuum variante, Maximus circumvectis periculis
aliquam diuque carcerem passus. Nec minis nec fortunae blanditiis nec inertia temporis
a studiis litterarum potuit abstrahi. Belli pacisve seu ardua in die negotia pertractaret!;
nocte vero ambulans, librorum edendoque prope se volumina volebat.

195
On attendrait «!Christo!».
196
= quamdam.
197
Le texte porte «!Israelitico!».
198
On attendrait «!per!».
199
Le texte porte «!regimimine!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—53

Suae aetatis ingenia Regia benignitate plus quam Maecenas amplexus est. Tanto
litterarum flagravit amore quod dicere solebat!: «!Tolerabilius me Regali diadema carere
quam sine litteris esse, quae mirum in modum dulciores carioresque sunt.!»
Religiosissime conjugi Reginae Santiae associatus est!; ecce plus quam Salomon
hic qui cum mulieribus non praevaricatus est.
Terreo simul colore induti200, Robertus autem, frater minor, tribus diebus prae
morte facta professione et, si supervixisset, in Seraphico Ritu perseverasset. Annis 33 in
Apulia et in toto Neapolitano Regno imperavit. M° CCCC° X° (anno), Joanna, eius
prima consobrina, Regia maiestate post eum annis201 regnavit.
Ladislaus Rex, Roberti frater, ut alter // [fol. 49v] Sanson, quamvis difficilite
nutritus esset, strenuus tamen pugnator fuit et in militaribus semper exercitatus.
Florentinorum quoque industria, ut fertur, cum quadam puella periit veneno, ut olim
Sansom per Phylisteam a Phylisteis mortuus est. In Ungaria bella plurima et in Thuscia
ministravit sibi Regnum Pannoniae ex maternis jurisdictionibus sit. Ceteri Neapolitani
Reges Ungariae intitulantur, pertinebat. Annis vero 29 in Regno Siciliae imperavit.
Joanna ipsa, uxor Regina, sola in Regno imperando successit et, quamvis
viriliter se, ut virago, esset, mulier vero quomodocumque sit, femina est, per quam
semper homo ab illis primis inchoando usque in fine jurisdictiones et Dominia dimittet
et Regna, si animadvertitur, periclitantur. Ista maxime erravit. Et si hoc ab astrorum
operationibus datum erat, ut Regnum illud in manibus alienigenarum deveniret,
removeri poterat. Si divina providentia ignoramus, voluntas nostra nos propria damnat.

Neapolitanum Regnum ad manus Aragonum Ispaniae astutia


cuiusdam Alphonsi pervenit.
Cap. XIV [XV]202 // [fol. 50r]

Karolus, Francorum Rex, praecedentis Karoli filius, sequitur, cuius tempore


praefata Regina Joanna Alphonsum quemdam Aragonum, militem fortunae, in filium
adoptivum recepit. Qui, paulo post ingratus beneficiis, contra praefatam Joannam
bellare coepit. Et dum agerentur proelia, illa in angustiis posita diem clausit ultimum;
qua mortua, totum Regnum Neapolitanum, ut olim Herodes ille alienigena, potitus est.

200
= indutus.
201
Le chiffre est laissé en blanc.
202
Le texte porte XIV, mais c’est une erreur!: il s’agit du chapitre XV.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—54

Renatus vero prius, a Regina vocatus, Regis Franciae frater, Italiam intravit. Dux
Raynerius, seu Rex alio nomine, dicebatur, qui ab Alphonso superatus et pulsus in
Franciam reversus est.
Mortuo enim sine legitima prole Alphonso, Ferdinandus, eius filius ex concubina
natus, regnum infestare bellis coepit et Regnum ipsum Neapolitanum capitur ab eo.
Cuius Regni Pius Papa eum Regali corona decoravit, quod dux Joannes, praefati
Raynerii filius, vir bonus, devotus, christianissimus, semper orabat, ita quod spiritum ab
oratione non relaxabat; et dum sic semel orans staret, ei quod prope se bellans
Ferdinandus // [fol. 50v] accederet refertur. Rex ait!: «!Quicquid Deus disposuit erit!»,
in divina providentia confidens, et «!alio domimum hoc permisisse nequaquam!».
Credo non huic Karolo Maximo de Aragoniis victoriam reponebatur203 a praefato
Ferdinando: nescio qua divina praeordinatione apud Sanguineas paludes dux iste
Joannes superatur.
Ex quo in illo Regno partes sectae vel ortae sunt. Amici Domus Christi «!Jovini!»
ab Duce Joanne, alii «!Aragonenses!» dicti sunt. Annis vero 30 rexit Ferdinandus ipse.
Alouisius Rex Franciae, praefati Karoli filius, MCCCCLVII in christianissimo
Regno successit; qui, dum in Francis regnasset, Ferdinandus in Apulia triumphanter
vigebat. Alouisius vero Rex semper et cum Anglis, Ispanis, praesertim cum Burgundis
Brittanisque continue bellando se gessit et parvas victorias reportavit. Non potuit ad
Regnum suum Neapolitanum exercitus dirigere. Hoc est quia non solum Francorum, sed
totius christianae rei publicae204 palmam dare ac generare debebat.
Magis enim ab omnibus, quia unicum unigenitum talem legitime ex puri
matrimonii t(h)oro matre sapientissima, Francorum Regina, nobis donavit quam (si)
cunctos occidentalium // [fol. 51r] Regionum subjugasset: de cuius fructu totus mundus
gaudeat, quia semen David exaltatur hodie! Jam omnis Jerosolima fides, maxime ex ulla
domus Israel, sperat in Domino: adjutor eorum christianissimorum et protector eorum
est!: Domus Aaron (id est Romani pontificis curia apostolica sedes) speravit in Domino
adjutor eorum et protectorem Karolus hic est.

203
On attendrait «!reponi!».
204
Le texte porte «!publices!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—55

Prologus in librum III per hastam laudis linguae,


christianissimae domus Militem,
F(ratrem) Jo(ann)em Angelum Terzonem de Legonissa.

Plura Prophetae, Karole Maxime Christianissime, per aenigmata, figuras et


praeterita tempora locuti sunt. Quae nihilominus praesentia modo sunt aliqua, quia non
minus de nobis hodie memoratur Dominus et curam habet, sicuti Israelitis priscis et
plus. Prophetae enim Hierusalem semper nominant, quae non solum pro illa in Judaea
posita, nec pro illa Civitate Jerosolima Paradisi, sed etiam pro ecclesia sacnta Dei et
christiana re publica intelligere oportet. Quid enim dicere intelligunt, dum Babillones
ipsam capiunt, // [fol. 51v] perimunt, rapiunt et destruunt, nisi quod mali christiani et
principes cum rapinis et tyrannidae subditos lacerant? Quod mirabilis propheta Ezechiel
(34)205 praedixit: «!Haec, ait, dicit Dominus: Vae pastoribus Israel, qui pascebant semet
ipsos! Lac comedebatis et lanis operiebamini. Et quod grassum206 erat occidebatis;
gregem autem meum non pascebatis. Quod infirmum fuit non consolidastis et quod
aegrotum non sanastis; quod fractum, non alligastis. Et dispersae sunt oves meae, eo
quod non esset pastor, et factae sunt in devorationem omnium bestiarum agri! Et
dispersae sunt.!» Quod de christianis sub Constantinopolitano Imperio verificatur.
Subdit: «!Erraverunt greges mei in cunctis montibus (scilicet vitiis) et in universo colle
excelso; et super omnem faciem terrae dispersi sunt greges mei et non erat qui
requireret!» (scilicet aut per praedicationes aut bella207 eos ab infidelitate Turchorum
liberaret aliorumque tyrannorum). Subdit propheta: «!Propterea, // [fol. 52r] pastores,
audite verbum Domini: Pro eo quod facti sunt greges mei in rapinam et oves meae in
devorationem, neque pastores (scilicet praelati et principes) quaesierunt gregem meum,
sed pascebant et alebant semet ipsos, et greges meos non pascebant; propterea, pastores,
audite verbum domini: haec dicit dominus deus: Ecce ego ipse sub pastores requiram
gregem meum de manu eorum et cessare faciam eos, ut ultra non pascant gregem, nec
pascent amplius pastores semet ipsos; et liberabo eos de ore eorum et non erit eis
amplius in escam!». Et subdit propheta iste mirabilis quae modo facit Deus: «!Ecce ego
ipse requiram oves meas et visitabo eas, sicut visitat pastor gregem suum in die quando

205
C'est la référence au chapitre d'Ezéchiel.
206
Confusion fréquente dans les manuscrits entre «!crassus!» et «!grossus!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—56

fuerit in medio ovium suarum; et sic visitabo oves meas.!» Et promittit Dominus multa
bona populo suo christiano, «!post has tribulationes!», ut ait is.
Quamobrem, Christianissime Rex, prophetas illos, inter quos primos de
novissimis istis temporibus tractatores Hebreorum: Jeremiam, David, Zachariam,
Danielem, Johannem Evangelistam principuum invenio, qui in gremio Salvatoris secreta
caelestia, quae in Patmos insula in actu exilii adscribit; et apostolus Paulus haec
tempora non praetermiserunt, et, quod majus est, de te memorant et tua Majestate
tractaverunt; et modernorum plures; nec Franciscus Seraphycus hanc tempestatem
silentio praetermisit; «!Quod scilicet quidam de domo sancta David surget et non solum
bracchium occidentale sanabit, sed orientale Imperium // [fol. 52v] solidabit.!»
Usque modo tardavit altissimus, modo suscitat prophetarum praesentis temporis
prophetias; nam sicut priscis nostris accidit, sic etiam et nobis: ipsi habuerunt plura
bella, sicuti nos habemus, illis peccatis subjiciebantur illi, sicut isti; solo tempore
differunt: illi fuerunt et isti sunt. Domus tua, Domus sancta quae tam in veteri quam in
novo testamento, semper victoriam reportavit et palmam: Judaeam patriam, Franciam
omnemque Galliam, Theotunicas208 Regiones, fortissimam Italiam, universam
Pannoniam, totam Graeciam, omnem Armeniam, Barbaras nationes, Cappadociam,
Pontum et Phrygiam, et partes Indiae, non semel tantum, sed saepe, saepius has partes et
plures ad manus suas in belli209 deduxerunt. Fidelissimorum historiographorum210 scripta
non cernentes stupent. Et quia «!parvae fidei homines!»211, magna Domus tuae Franciae
mysteria sufferre non possunt. Mirantur quod ex ignorantia provenit, et quia, teste
philosopho, «!omnis ignorans malus!», etiam ignorantes deridentes Domum tuam
sanctissimam esse Domum Christi et Matris Reginae Mariae. Quod Osee primo212
affirmat!: «!Domui Judae, ait Dominus, miserebor et salvabo eos in domino deo suo (id
est Christo)!»213.
Igitur in praesenti tempore hoc amplum patere non sine divina permissione // [fol.
53r] esse censeo.
Augustinus, in Sermone ad Judices: «!Vae vobis, o judices, vae vobis in aeternum
et ultra, quia non est in vobis veritas, non misericordia, non pietas, non justitia, nec

207
Sous-entendu «!ut!».
208
= Teutonicas.
209
Sous-entendu «!tempore!».
210
Le texte porte: «!istoriagraphorum!».
211
Matt. 8, 26.
212
Sous-entendre «!capitulo!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—57

scientia dei in vobis potest inveniri. Quid enim inter vos regnat? — Avaritia,
immunditia, Clamor, Apparentia, Perversio sacrae legis, dicentes «!malum bonum,
bonum malum!». Ecce addit in serius prophetando, inquit: «!Suscitabit enim dominus
spiritum David et ponet spiritum eius et sapientiam pueri sui Danielis in mentem
alicuius juvenis; et sicut fecit in Susannae Judicibus, confundet omnes falsos testes
214
cum judicibus.!»
Iste juvenis Karolus est. De quo nam alio putamus Augustini dictum fuisse, nisi
de Karolo, hoc puero domini, qui jam ut ante oculos habemus? Italiam redarguit
judiciumque requirit de manibus eius.

LIBER III

Christianissimi operis in speciali de Karolo Maximo Rege Regum terrarum et


domino dominantium eorum, Crucis signatorum impressore, Fr(ater) Joannes Angelus
de Legonissa minorum, devotus eius lingua et affectione Miles, praesente huius nominis
(VIII°), de domo David christianissimo, hodie miss(o) a deo. // [fol. 53v]
«!Beatus qui legit et audit verba prophetiae huius et servat ea quae in ea scripta
sunt: Tempus enim prope est.!»215
Karolus Maximus, huius nominis VIII°, miraculose natus, in cuius ortu major in
caelorum (h)armonia concordia fuit quam in quolibet citharedo in principis requisitione
pulsante. Et in Regum volumine legimus!: «!Cum dormieris cum patribus tuis, suscitabo
semen tuum post te, quod egredietur de utero tuo et firmabo regnum tuum et tronum
Regni tui in sempiternum!»216. Huius locutio ad litteram, de sensu nostro litterali, sonat.
Mirabiliter educatus et triumphanter regnans, Israelita Rex christianissimus, totius
mundi Reformator, aetatis suae anno 14 Rex unguitur. (N)unquam puer visus est:
maturitatem Regiamque Majestatem assidue secutus est. Facies quibusdam divinitatis
cernitur ornata; facies eius facies leonis de qua aemuli, (ut de illa olim Christi),
maledicebant. Posuit signum distinctum ab aliis in faciem eius, quia prae omnibus aliis

213
Osée, I, 7.
214
Id: «!con!» - lapsus italien!
215
Apoc. I, 3.
216
II Sam. 7, 12.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—58

est; de quo in Apocalipsi 17217 dicitur quod: «!Angelus 218


pugnabit et in X Regibus
iniquis // [fol. 54r] et angelus vincet illos, quoniam Dominus dominorum est et Rex
Regum, et qui cum illo sunt vocati et electi et fideles!»219. Hic enim qui (h)ereticatam
Babilloniam Constantinopolim levabit, et Reges adulteros et mercatores auri et argenti.
Et quod successive ponit220 IX in Karolo consummabitur: Nasus eius ad Regiam
majestatem conformis; archata supercilia alta divinorum contemplationem esse
ostendunt; frons eius spatiosa et magna hereticorum hosticulum221 primus ex signatis in
frontibus eorum; Dentes Karoli, dentes eburnei, quibus Bestiam orientalem et
fornicatores Matris Bizantii et nostrae mordeas. Oculi tui excelsi mirandique aspectus,
in longitudine albissimi ingenii claritatem ostendit. Facies eius leonis Draconem
vi(n)centis; vicit is leo de tribu Juda, proles David; laeta bonis facies et aspera malis,
grata amicis, odiosa reis.
Manus tuae candidae, in Deum saepe conjunctae, cernuntur pro navi ut non pereat
mare. Bracchia quoque eius tyrannos destruentia cernuntur. Ait enim: «!Dextera domini
fecit virtutem, dextera domini exaltavit me!»222. Et cum isto tuo bracchio fortissimo,
fidei adversariis Teucris ceterisque infidelibus malisve christianorum // [fol. 54v] dices:
«!Aperite mihi portas Justitiae et ingresssus in eas, confitebor domino. Haec porta
domini: justi intrabunt in eam.!»223
Collum tuum, ut turris formidabilis infidelibus. Spatulae quoque tuae cruce
candidissima fortificatae, quibus suppositis fidem, ut Atlas, sustentas, conservas et
retines. Ex corde ad spatulas per bracchia ad manus veniant! Et illud Ezechielis
adimples: «!Hic est amicus crucifixi, directus a domino ad signandum frontes virorum
gementium signo t(h)au!»224. Dicis enim cum David, Christo tuo: «!Ego autem
constitutus sum Rex ab eo supra Sion montem, scutum eius, praedicans praeceptum
evangeliorum eius. Postula quoque ab eo et dabit tibi gentes hereditatem totius orbis et

217
Sous-entendu «!capitulo!».
218
«!Angelus!» confondu avec «!agnus!»!: le début de la citation est une paraphrase (les dix Rois figurés
par les dix cornes de la bête). On trouve ensuite dans la traduction latine de l’Apocalypse!: «!Hi (les dix
Rois) cum Agno pugnabunt et Agnus vincet illos!». La suite de la paraphrase est exacte.
219
Apoc. 17, 14.
220
On attendrait «!ponitur!».
221
Le texte porte: «!Hostaculum!»; et pourquoi ce dimininutif!?
222
Cf. Ps. 118 (117), 16.
223
Id. ib., 19-20.
224
La citation vient d’ailleurs, un prophète hébreu ne pouvant évoquer le signe grec Tau, lui-même
assimilé à la forme de la croix.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—59

possessionem tuam terminos terrae. Reges omnes infideles in virga ferrea et tanquam
vas figuli confri(n)ges eos.!»
Tu unquam, Karole, per mille miliaria, teste Brigida225, in terram virginalem (id
est partenopem) extendes. Ecce qualiter non adulatorie te Maximum dico: major enim
illo Magno quocumque Karolo es, nec tanta ille magnus in sua virilitate fecerat sicut tu
in pueritia et juventute fecisti. Te quoque sub Venerem planetam natum esse in domo
sua, sub qua Caesarem Alexandrumve ortos fuisse notum est. Et, quod plus est, sub
stella fixa // [fol. 55r] quae Delboram dicitur firmatum226, ut olim Octavianum fuisse
invenimus. Si enim tuam Ma(jestatem) totius mundi Monarcham astra demonstrant, non
mirum est: corpora quidem caelestia et stellae tantum influunt et secundariae causae
quantum a prima causa causarum permittitur, quia, teste Aristotele, causa secunda non
agit, nisi in virtute primae. Venus enim, illa castissima Mater, deorum Germinatrix,
orbis totius vigor, Karolum, his227 temporibus, inter individua primum reinchoando
elegit. Est autem haec Amor intensus totius christianae Religionis circa quam venae eius
omnes in amorem prorumpunt. Stella quoque illa fixa Karolum supra firmam petram
Jesu Christi firmatum esse et supra Domum domini firmiter aedificatum228 bene
fundatum esse supra firmam petram montis Sion Salvatoris ostendit.
Audio te Mundi principibus dicere: «!Nunc, o Reges, intelligite, erudimini, qui
judicatis terram. Servite domino in timore et exultare ei cum tremore229 Apprehendite
disciplinam peccatorum, ne quando irascatur Dominus Jesus Christus; eidem honorem
et reverentiam sedulo condonate.!» // [fol. 55v]

De vestimentis Karoli Maximi et odoribus quibusdam eius:


sic pro hodiernis temporibus necesse est.
Cap. II.

Vestimenta eius non vana neque mollia, sed humillima sunt. David enim pastor
non sumptuosis vestibus usus est; Christus quoque, Rex Regum, universalis, de quorum
Domo es, vestem humilem inconsutilem desuper, more Regio,contestam per totum

225
Il s’agit de sainte Brigitte de Suède (1303-1373) et de ses Révélations concernant la Passion.
226
Si Delbora représente Deborah, prophétesse qui devint Juge, on attendrait «!firmatam!» (et il faudrait
«!qua!» au lieu de «!quae!»).
227
Le texte porte: «!hiis!».
228
Écrit «!hedificatum!».
229
Tout ce passage reprend la fin du Ps. 2. La suite du discours s'en écarte.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—60

uniformem portabat. Non vestes Regem, sed Rex vestes facit. Vestimentorum
apparentia non sapientiam, prudentiam, ceterave Regiae Majestatis convenientia dat, sed
justitia, et integritas. Quid enim vestes sunt, nisi lana? Si pastor bene vestitus apparenter
est, quia suarum ovium vellera sunt, earum devorationem demonstrat; humiliter quoque
vestiri suas non oves depastum esse praemonstrat. Non oportet eas laborare, ut Regem
pastoremve induant, si humilibus vestibus fuerit contentus. Lanifica enim et linea non
caelestia sunt, sed ex bestiis nascuntur et herbis, quibus ornatur homo; et tantam facit
amentiam. Spirituali igitur delectatione // [fol. 56r] suas oves satiare et sese indui sanum
est. Moribus nempe indutus es, Karole, et decorus. Et in loquendo summam modestiam
retines, more Regali conformem. Principem non decet esse multiloquum: aemuli de tuo
breviloquio susurrant, quia in vanis locutionibus vellent Tuam christianissimam
Majestatem, quae summopere est semota ab iis, quoniam, ait Deus in carne tua, «!de
omni verbo otioso tenemur reddere rationem in die Judicii!»230.
Tu vero misericors, amator proborum plenus dilectione, liberalis. Myrrah,
Gutta231, Cassia a vestimentis tuis sunt, ex quibus delectaverunt te filiae Regum in
honore tuo. Et si parvo elephante Magno cadenti supposito, Carolum laboribus non
paucis pro magna fide subjectum figuramus: non quidem parvus, sed omnium mundi
Regum imperatorumque hodie Maximus est; parvus quantitate moli(s), magnus
quantitate virtutis; parvus propter humilitatem, magnus propter virtutes.
Pedes eius pedes hominis, quibus universam terram reformando calcat. Flexis ad
precem genibus; calcis232 Draconem Gallus superat, Basiliscum, Leonem humiliat.
Ursum pacificat; avaritiam infructiferamve luxuriam confutat. Maximus omnium
Karolus piissimus; omnibus mitis, modestus, suavis, // [fol. 56v] cuius casto eloquio
scinduntur lapides; cuius oratione firmantur caeli; cuius aspectu gaudet mundialis
machina. O sanctissimum Regem, qui fidem sic magnificat, quem, «!velut ovem in
medio luporum!» illaesam, ducit deus, ut fortia facta de terrae suae233 mundo ostendat!

230
Cf. Matt. 12, 36.
231
Ps. 45 (44)v. 9!: «!Tes vêtements ne sont plus que myrrhe, aloès et cannelle!», etv. 10, «!des filles de
roi!».
232
Au lieu de ce génitif, on attendrait l'ablatif «!calce!».
233
«!Mundo!» est apparemment un datif en relation avec «!ostendat!»: il faut donc sous-entendre un
ablatif, comme «!recuperatione!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—61

De Galli natura, quamvis Davidicus sit Rex, et, progenie:


Et quare quidem bella Francorum Rex suscipit.
Cap. III

Galli natura propria est prae ceteris animalibus coronam naturaliter supra cilia
portare, quia Regia majestas Gallis populis prae aliis anteponitur suapte natura: dum
cantare vult, ut a cunctis audiatur, primo semet ipsum propriis alis percutit et alios
deinde ad vigilandum vocat. Petrus quidem, orbis terrarum princeps, ad tertiam Galli
cantus vocem, se in infidelitate fuisse illico novit. Tu enim, Karole, placatis insidiis
tuorum principum potentissimorum quorumdam, quod et pater minime potuit obtinere,
ad juste beateque vivere eos christianissimorum fidelium ritu duxisti. Ecce // [fol. 57r]
unctionis tuae laetitiam: Tu, Rex pacificus, non inimicitias causa praedandi seminas, sed
pacem; tuos ad tranquillitatem religasti et ad quietis portum, quia dilexisti justitiam et
odisti iniquitatem. Propterea «!unxit te deus tuus oleo laetitiae prae principibus suis!»234
et quia davidicus es. Adstitit Regina Anna christianissima, proles unica Britaniae,
divinitus tibi conjuncta, «!a dextris tuis, in vestitu deaurato!»235, circumdata suarum
virtutum varietate.
Quare hoc Anna dignissima? — Quia «!concupivit Rex speciem tuam!»236 et
decorem tuum et «!filiae aliae Regiae muneribus vultum tuum deprecabuntur!»237,
quoniam cum Rege christianissimo Franciae es copulata, «!omnes divites plebis!»238 et
quia modestissima es; idcirco «!adducentur Regi!»239 Karolo «!virgines primum dominiis
privatorum post te!» et proximae eius adducentur tibi «!in laetitia et exultatione!»240.
Sicuti enim de Salomone, ita prolem tuam Regiam, non modo Salomonicam, sed re et
nomine christianissimam fore non in dubium animum vertimus. Divina ordinatione et
mirabili sponsalitium241 illud factum fuit et prosperabitur.
Etsi mulierum amatores sunt Franci, de quo murmurant reliqui quod frivolum est,
legimus quidem primos de Domo christianissima // [fol. 57v] copiam mulierum, ut ex

234
Cf. Ps. 45 (44),v. 8.
235
Id. ibid.v. 14.
236
Id. ibid.v. 12.
237
Id. ibid.v. 13.
238
Idem.
239
Id. ibid.v. 15-16.
240
Idem.
241
= «!Sponsalicium!», au sens de «!matrimonium!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—62

eorum semine foedus sanctum procreassent, habuisse. Abraham enim, ultra propriam
uxorem, ancillas habuisse; Jacob vero uxores duas et totidem concubinas in sacris
codicibus invenimus. Ut christianissima Domus multiplicaretur in posteros, praesertim
cum de prole libera timeatur, nec sic malum facere in huiusmodi Regibus censetur, cum
causa sobolis procreandae fiat, sed bene in aliis: proborum semen semper mundo
multiplicare bonum est.
Gallorum igitur Rex hodie hoc in mundo missus est ut in fervorem fidei homines
disponat et pacificet. Et quia vulgares caeci et a sapientibus non luminati invidia, cum
bella nunc faciat Franciae Rex, ad malignitatem eius describunt, ignorantes quod bella
fiunt justa ut sine injuria et in pace vivatur. Et Deus deorum, Jesus Christus, dicebat:
«!Non veni pacem mittere in terram, sed gladium!» justitiae; «!veni separare242 hominem
adversus patrem suum et filium adversus Matrem suam!»243, quoniam in malo pacifice
vivebant inimici hominis domestici eius et terrenorum tantum crevit amor in quiete
quod dilectio dei praeteriit. Ideo «!qui amat patrem aut matrem plus quam me non //
[fol. 58r] est me dignus et qui amat filium aut filiam plus quam me non est me
dignus!»244. Hoc idem reversum erat in mundo: omnes quae sua sunt quaerunt, non quae
Jesu Christi. Missus est igitur Karolus hanc malam pacem destruere et bonam inserere.
Bona enim pax in bonis est et mala in malis, quam non solum Herodes et Pilatus
fecerunt, sed multi potentes ad alium destruere confederantur. Venit quidem ad hoc
perdere et facere cum Christo magno accipere crucem et ire post eum, ut simus digni
christiani.
Dicamus ergo: «!Benedictus qui venit in nomine domini!»245. Etsi per inimicos
fidei flagellati sunt prisci, nos per christianissimos reformamur, et non Barbaros. Nam
praeter Hebreos, Graecos et Latinos, reliquae nationes Barbarae nuncupantur. Semen
autem Franciae Hebreorum primum et Graecorum Dominus, Latinorum
Christianorumque caput: absit de cetero Barbarum nuncupari!

242
Le texte porte: «!seperare!».
243
Cf. Luc 12, 52 et Matt. 10, 34-36 (dont ce passage est tiré textuellement).
244
Cf. Matt. 10, 37!; Mc. 8, 34-35!; Lc 14, 26-27.
245
Cf. Jean, 12, 13.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—63

De virtutibus Karoli Maximi Regis et fortitudine sua mirabili.


Et quoniam ipse solus ad bene vivendum tendit.
Cap. IIII246// [fol. 58v]

Inter cetera tua Dona, Regibus convenientia, ut tuae virtutes narrentur, fortitudo
animi in te cum suis speciebus viget. Fides enim prae ceteris in te verbo, natu et opere
regnat. Magnanimitas summa animique securitas et in arduis tuis negotiis plurima
constantia. Fiduciam in Domino, ut tuos ducas exercitus, habes, quia Dominus
exercituum est et solus ducit exercitus; quam in tuis militibus conservas, qui prae ceteris
totius orbis sunt validiores. Quid enim in militaribus disciplinis sonat tam apud veteres
Israelitas Davidicos quam apud omnes christianissimos, nisi de militibus Regis
Franciae? Primo enim, nisi sint natu nobiles, nisi sint in bellis plurimis experti, probati
in armis, in militia Regia non adscribuntur. Hunc quidem ordinem tempore Davidis et
aliorum suorum susceperunt viri robustiores, Christi milites, ad confutandum
adversarios fidei nostrae; hos ducit Karolus Rex. Et non ita milites Francorum inhonesti,
sicuti ceteri sunt, sed devotione ornati: primo sancta templa visitant; clericos
helemosinis247 reficiunt, in ecclesiis // [fol. 59r] in orationibus perseverantes. Quare
judicat Dominus Rex nocentes te et expugnat impugnantes te. Apprehendit arma et
scutum et exurgit in adjutorium tuum. Et ut gloriosus est Deus in sanctis suis, ita Rex in
militibus suis. Unde hoc est quod te tantum sequuntur et amant commilitiones tui, nisi
quia ex tua liberalitate eis munera solvis? Et tibi Justitiae, dum vivacitas servabitur,
Fenix248 in terra monstraberis. Nam velut Israelitae populi potentissimi - et pauci fuere -
interdum a victoria declinabant, copiosiores nihilominus videbantur in bellis. A quibus
alii militandi artem addiscebant249, sicut hodiernis temporibus a Francis armiferis militia
dependet, et per multa prisca tempora. Tu enim, Christianissime Rex, ab Anglis, viris
strenuis, a Burgundionibus in armis nutritis, a Germanis ceterisve Alemanis, cum omni
Imperiali potentia, et a fortissimis Ispanis et a ferocissimis Bertonibus250, quos tu solus
subjugasti, triumphantem victoriam reportasti et palmam. Et quod magnanimum est
Pippinianum, ex liberalitate sponte donasti. Dicis enim: «!Dominus regit me et nihil

246
= IVe
247
= Eleemosynis.
248
= Phoenix.
249
«!Adiscebant!» dans le texte.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—64

mihi deerit251. Deduxit me super semitas justitiae 252


, propterea populi confitebuntur
mihi.!» Ezechiel propheta mirabilis de te ait: «!Terra, cum induxero super te gladium, et
// [fol. 59v] populus tulerit terrae virum unum de novissimis suis et constituerit super se
eum speculatorem. Et ille viderit gladium venientem super terram et cecinerit buccinam
et adnuntiaverit populo. Audiens autem, quisquis ille est, sonitum buccinae, non se
observaverit, veneritque gladius et tulerit eum. Sanguis ipsius super caput eius erit. Si
autem custodierit se, animam suam salvabit.!»253
Gladius hodiernus haec magna tribulatio est. Vir ille unus Karolus est; de
christianissimis novissimi sunt christiani, respectu prophetae vaticinantis. Qui autem
sonitum buccinae christianitatis non audierit, peribit. Qui autem audierit (id est
converterit se) a via sua salvabitur. Ergo consideranda sunt haec quae in istis praesentis
temporibus Deus per Karolum Maximum in saeculo isto caliginoso operatur et qualiter
totus oriens et Constantinopolitanum Imperium alienatum est a fide sancta Jesu Magni
Christi domini nostri, qui sit benedictus in saecula.

Quod Karolus iste Maxi(mus) Christi(anissimus) totius orbis Gubernator


Ezechiele et reliquis prophetis praemonstratur.
Cap. V. // [fol. 60r]

Non mirum si te christiani veri honorant, Judei omnes de tribu Regali, quae olim
eorum fuerat, Domum sanctam christianissimam Franciae affirmant, Te timent rapidi
Mauri, Teucri, tua sceptra leones jam ad loca deserta incipiunt fugere Infideles:
prophetia enim quae apud Teucros est, per Karolum, speramus, Maximum nunc debet
adimpleri, videlicet quod omnis Infidelitas revertatur ad Christum. Et quia
christianissimus Rex toto terrarum regnat in orbe, conveniens est ut, sicuti omnes
homines eum timent, ei omnes subjiciantur. Est enim omnis infidelitas eradicanda. Nec
hoc mirabilis Ezechiel silentio, vigesimo capi(tulo)254 praetermisit; «!Ecce ego
succendam in te ignem et comburam in te omne lignum viride (id est hereticorum vanas
interpretationes) et omne lignum aridum (videlicet «!a fide!»). Non extinguetur flamma
succensionis et comburetur in ea omnis facies ab austro usque ad aquilonem!», in quibus

250
=Britonibus?
251
Ps. 23 (22), 1.
252
Id. ib., 3.
253
Ez. 33, 2-5.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—65

partibus magis viget infidelitas. Ignis autem ille Carolus est, qui in ferventi amore eius
et suorum commilitonum illustrorumque Baronum, per quem amorem ignem sui amoris
in cordibus // [fol. 60v] eorum accensum designamus. Et in 22 (capitulo) de praesenti
tempore loquitur propheta: «!nec de Constantino aut Carolo magno hoc solum
intelligimus, sed praecipue de isto (tempore). Plus enim modo in omnibus universaliter
fides defecit quam nec in tempore cuiuslibet praedicatorum, quia tunc in clericis firma
stabat et martyribus, ut de Silvestro magno et de reliquis patet, quod modo nequaquam
cernimus et in militibus illius magni Karoli. Nulla quidem flagellatio, tam conveniens in
quacumque lege nostra, facta invenitur, nisi ista: Caldei, Assyrii, Aegyptiaci
255
Synagogam flagellarunt et Romani; Attila, Magumeth , et Teucri fidem sanctam
Ecclesiamque dei percusserunt, qui inimici omni modo256 erant. Modo vero per sanctum
Regem Christianissimum fidem a malis rectam permittit reformare. Quod Zachariae 12
suo257 monstratum est: «!In die illa, dicit dominus, percutiam omnem equum in stupore
et ascensorem eius in amentia; et supra Domum Juda (scilicet Franciae) aperiam oculos
meos; et omnem equum populorum percutiam caecitate. Et dicent Duces Juda
(christianissimi videlicet Reges) in corde suo: Confortentur mihi habitatores Jerusalem
(christianitatis) in Domino exercituum, Deo Deorum. Et ponam Duces Juda (id est
Reges Franciae) in die illa sicut caminum ignis // [fol. 61r] et facem in feno et
devorabunt omnes populos a(d) dexteram et a(d) sinistram et omnes populos in
circuitu!»258. Et quamvis omnes curiose possint ad libitum 259 prophetias exponere, tamen
cum veniunt, eas verius intelligimus. Sicut de Karolo Maximo patet, in quem omnis
equus in stupore et ascentior260 in amentia percutitur et in Regibus Neapolitanis
manifestabitur. Posuit enim deus arcum aereum in bracchio suo, dicis: «!Et inimicos
meos dedisti mihi deorsum et odientes me disperdidisti et comminuam eos, ut pulverem
ante faciem venti, quia praecingisti me virtute ad bellum et supplantasti omnes
insurgentes in me.!» Ergo, Maxime Rex, pro fide tua, cum tuis fortissimis Baronibus
adversus malos, quia tribulatio magna oritur, totum quidem aegri alteratur, dum
Medicus per medicinam ducere sanitatem procurat. Non potest non tristare261 mundus, si

254
Il s’agit en fait d’Ez. 21, 3.
255
= Mahomet.
256
Le texte porte: «!mode!».
257
Sous-entendu «!capitulo!».
258
Zach. 12, 4-6.
259
Id. «!allibidum!».
260
= «!Ascensor!», comme dans la citation de Zacharie.
261
= «!Tristari!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—66

malum Regimen ex eo removere disponis. Tuique Milites fortissimi omnia quaecumque


in domino facient, prosperabuntur.

Quod Karolum ad totum debellandum Mundum habemus et de


Malitia primatum et victoria Regis et Apostoli praevisione.
Cap. VI. // [fol. 61v]

Italorum Principum inimicitiis, dissentionibus, injuriis, Rancoribus, in corde


eorum portatis, consideratis et innata Dominandi cupidine, unum aliumque praedare,
quae te, potentissime Rex, in Italicis finibus attraxere. Si vero potentes Itali fuissent
concordes, universus orbis de ea victoriam non reportasset. Sed principum oppositiones,
civium seditiones te ceterosque flagellatores nostros attraxere, et quoniam vivere
nostrum marcidum erat et vitiosum, ad quod evellere missus est: facias ergo ut recte
vivant Itali et unicuique quod suum est red(d)ere, christianorum more, non luporum,
regnare. Nec semper vincere licet. Videtur quidem ingenio crassis vici Christus, qui
solum sic hostem et mundi huius principem debellavit. Si secumdum leges vixissent
Itali, eorum bonitate et rectitudine universus orbis particeps fuisset. Est enim Italia grex
ovium, cum pastore in medio posito, quam duo defendunt: Maria et altissimi Montes.
Sitis igitur unici, o Itali! Sitis, obsecro, et concordes et adversus proceram Turcorum,
Maurorum aliorumve infidelium // [fol. 62r] Crucem arma pro fide sumite! Nec a bono
praeposito Karoli deviatis, qui majora bona in orientalibus et dominia, nequaquam
vestra curans, acquiret, si veri, non Philistei, sed christiani eritis, o mirandi Itali, qui
magis hodie cum Teucro et Soldano facitis pacis confederationem, dando ac recipiendo
pecunias, quam cum christianissimo Rege!
Ait autem Deus deorum, Jesus Christus: «!Nihil opertum quod non reveletur, et
occultum quod non sciatur.!»262 Pacificamini igitur et Karolum, vos, ut ad infideles
festinet gressus, orate et magna et in terris et in caelis praemia reportabitis, si pax plena
atque perfecta in vobis erit, juxta Ciceronis sententiam!: «!Nihil turpius dici potest quam
cum eo bellum gerere, cum quo familiariter vixeris!»263. Et sic boni erimus cum pacifico
Rege, qui dicit: «!Beati pacifici christiani!»264.

262
Cf. Luc 8, 17!; Mc 4, 22!; Matt. 10, 26.
263
Référence à identifier.
264
Mt. 5, 9, auquel l’écrivain ajoute «!christiani!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—67

Etsi pristinis temporibus, christianissime Rex, ex tuis Gallis Italiam ad


Neapolitanum tuum recuperandum Regnum invaserunt265 nec victoriam semper
reportarunt, quod christianissimum factum esse arbitramus. Nam plures veteris
testamenti Prophetarum Patriarcharumve ad vineam Domini Sabaoth Dei Engadi
relevandam, ut fructum divini officii cultivationis in tempore suo redderent266 missi
sunt. Milites // [fol. 62v] strenui, qui omnes Hebreorum in pietate ac cupiditate mortui
sunt nec victoriam reportarunt, quia Christum in lege promissum venire oportebat, cui
salutis repromissio facta est: Is propria persona accessit et, in cruce regnando et poenis,
summa cum victoria de victo demoniorum principe sollemniter triumphavit. Si quidem
duces tui et bellatores interdum dedecus reportarunt et mortem, fuit quoniam tibi soli
victoria ab Italis servabatur!: tu es qui mittendus eras. Non enim per eos, sed, per tuam
invictissimam Majestatem et diadema Regni tui Italici, coronam et gloriam reportare
debebatur267, tunc namque sublimior triumphi corona et laus est, cum, jam victus, victor
evadat. Hoc si quidem certaminis genus in suis militibus et eorum palma esse voluit
deus, ut, cessi variis tormentorum generibus et occisi mundo, in mundo dominarentur,
illum super triumpharent et exultarent, maximam hanc palman Francis deus conservavit,
ut jam fortes victi, nunc parvum ad superba et humilem, debilem ad fortia, pauperem ad
divites debellandos mittat, quo victi victores vincant et, cum puero domini David,
eorum domino, de superbis Philisteis spolia reportent et dividant. Moribus et probitate
maturus, plurimorum vaticinio // [fol. 63r] praemonstratus, ut populum christi electum a
tyrannica liberes servitute, Te quoque inter principes mirabilem facis. Si autem (quod
absit!) a Justitia tua Serenitas separaretur268. ullam a quovis loco nec a Teucris
reportares. Ad hoc enim missus es, ad hoc te vocant christicolae in his pravis
temporibus, quae columna fidelium, Paulus ad Timotheum, prophetae fungens officio,
memoratur: «!In novissimis diebus instabunt tempora periculosa; et erunt homines se
ipsos amantes, cupidi, elati, superbi, blasphemi, parentibus non oboedientes, ingrati,
scelesti, sine affectione, sine pace, criminatores, incontinentes, immites, sine
benignitate, proditores, protervi, tumidi, caeci, voluptatum amatores magis quam dei;
habentes quidem speciem pietatis, virtutem autem eius abnegantes: et hos devita!»269.
Haec quidem magni Apostoli prophetia in istis temporibus adimpletur, si sapienter

265
On attendrait «!invasisti!» et «!reportasti!».
266
Le texte porte: «!rederent!».
267
Ce passif anormal a entraîné l'actif «!reportare!», au lieu de «!corona et gloria reportari debebat.!»
268
«!Seperaretur!» dans le texte, comme en d'autres passages.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—68

advertatur. Omnes enim prophetae remotissima tempora ista esse dicunt, respectu
eorum. Necesse igitur erat ut Karolus iste Maximus ad tanta vitia perdere venisset et
confutaret.

Quod evangelista Johannes Karolum Maximum in Apocalypsis


demonstrat et qualiter de eo dicat Brigida.
Cap. VII. // [fol. 63v]

Haec altissimus evangelista Johannes, imperialis praeco, cui in Salvatoris gremio,


tempore magni convivii cenae, dormienti secreta haec revelata sunt. Et Karolum hunc
Maximum Christianissimum, X9270 capitulo, monstravit: «!Et ecce equus albus et qui
sedebat super eum erat fidelis et verax, et cum justitia judicat et pugnat. Oculi autem
eius sicut flamma ignis; et in capite eius diademata multa, habens nomen scriptum, quod
nemo novit, nisi ipse!» (id est «!Christianissimum!»). «!Et vestitus erat veste aspersa
sanguine. Et exercitus, qui sunt in caelo!», (scilicet in fide Christi) «!sequebantur eum in
equis albis, vestiti bysso albo et mundo!» (id est puritate fidei). «!Et de ore ipsius
procedit gladius ex utraque parte acutus; ut in ipso percutiat gentes!» (scilicet potentia
sua). «!Et ipse reget eos in virga ferrea. Et ipse calcat torcular vini furoris dei
omnipotentis!» (id est auctor tanti belli). «!Et habet in vestimento et in femore suo
scriptum: Rex Regum et dominus dominantium. Et vidi unum Angelum stantem in sole
et clamabat // [fol. 64r] voce magna, dicens omnibus avibus quae volabant per medium
caeli: «!Venite, congregamini ad cenam magnam dei!» (id est boni fideles: cena enim
haec praeparamentum proeliorum est), «!ut manducetis carnes Regum et carnes fortium
et carnes tribunorum et carnes equorum et sedentium in ipsis et carnes omnium
liberorum ac servorum et pusillorum ac magnorum!» (quae omnia in malo et infideli
Regimine posita intelliguntur). Et subdit: «!Et vidi bestiam et Reges terrae et exercitus
eorum congregatos ad faciendum proelium cum illo qui sedebat in equo et exercitu
eius!». Per hanc bestiam novam hanc Romam intelligimus, quae more Romanorum
vivit. Daniel enim «!quartam bestiam magnam!» etiam Romanum illud Imperium
appellat. Subdit evangelista magnus: «!Et apprehensa est bestia et cum illo pseudo
propheta, qui fecit signa coram ipsa!» (scilicet bestia), «!quibus signis seduxit eos qui

269
2 Tm. 3, 1-5.
270
= XIX
ANNEXE!: Opus Davidicum A—69

acceperunt characterem bestiae et qui adorant imaginem eius!» (scilicet «!insigne!»271).


«!Vivi missi sunt hi272 duo in stagnum ignis ardentis Sulphure!» (qui Antichristus eius
praecursor novus est). «!Et ceteri occisi sunt in gladio sedentis super equum, qui
procedit // [fol. 64v] de ore ipsius!» (Karoli). «!Et omnes aves, saturatae sunt carnibus
eorum!»273. Aves velocissimae Milites Crucis signati sunt. Quidam autem modernus, sub
quercu quadam positus, Modernae prophetissae Brigidae volens Meditationem
exponere, deviat, quoniam Alemanus est. Ait illa: «!Dum seu quando puer super sedem
lilii sedebit, magna in ecclesia dei erit tribulatio.!» Ille vero ex defectu pueri sedentis
exponit: quod falsum est, ut ipsamet Brigida declarat, dicens: «!Potens est autem Deus
suscitare Francos adversus ecclesiam!» (scilicet «!male rectam!»). «!Non quod causa
mali sit sedens in lilio, sed reformationis: Medicus, nisi, dum a vulnere malum
marcidumque removet, dolorem generat, cuius medicus causa est bona. Pater filium
castigat, ut a vitio sit alienus.!»274
Benedicamus igitur Deum gloriosum in saecula, qui, per puerum suum, Karolum
Maximum Davidicum, Pauperem a potente liberavit et Pauperem cui non erat adjutor;
parcet pauperi et inopi, quia non eorum bona praedatur. Et animas pauperum salvas
facit, scilicet a dolore tyrannidis et tribulatione. Ex usuris et iniquitate redimet animas
eorum et honorabile nomen illorum pauperum coram illo, qui prius persequebantur. //
[fol. 65r] Iste enim et tota christianissima domus liberalissima est, helemosinas275
aliasque276 pia opera exercendo, ecclesias renovando, viduas, pupillos et pauperes
oppressos relevando, Veritatem et Justitiam defendando et sanctam christianitatem ne
cadat sustentando in virtute innatae perfectionis.

De natura et excelletia lilii et Scripturae laudibus eius.


Cap. VIII.

«!Ecce Prophetarum jam oracula adimplentur «!, ait enim de te Rex Altissimus,
«!Ego tuli te de progenitoribus antiquis, ut liberes populum meum de manu fortium.
Feci te Regalem in Regibus et Grandem prae ceteris et de verissima Domo Franciae,

271
Le texte porte «!insignie!».
272
Id.: «!hii!».
273
Apoc. 19, 11 et 21.
274
Référence à identifier dans les Révélations de sainte Brigitte.
275
= Eleemosunas (cf. la première note du chapitre IV).
276
= Alia.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—70

quae de progenie David, Salomonis et parentela Virginis Mariae illibatae et Christi


magni Regis es277!», itaque de magno lilio fragrante per orbem universum. Est enim
lilius278 iste non novus, sed apud digniores alios: Lilius virginitatem designat et
Castitatem animique puritatem. Albissima quidem dei genitris279 lilius flos est; ait:
«!Flores mei fructus honoris et honestatis.!» Lilius, in quo christicolae apes // [fol. 65v]
favum mellis suavissimi fidei fabricat280. Per mel quidem Divinam, per ceram vero
humanam281 in persona Unius de Domo David designamus: Flos enim, Nazareus est iste,
flos de radice virgae Jesse. Rursus282 per ceram vetus, per mel novum testamenta
conscribimus. Iste est enim «!flos campi et lilium convallium!» per cuius partus natura
in melius mutatur. Favum283 quippe mellis christiana est fides, ex duabus naturis factus.
Apes fructiferae in his284 liliis pausantur. Dicebat amorosus ille 285
: «!Favus distillans
labia tua, sponsa; mel et lac sub lingua tua!». Et Salomon suae stirpis cantans!: «!Erit
quasi flos Rosarum in diebus vernis et quasi lilia quae sunt in transitu aquae!»286. Rosa
enim alba reperitur et rubea287; unus plus color in lilio croce 288
quia Domus Franciae
Crucis meditationem et passionis dominicae memoriam semper exercent sui289. Quare
enim dicebat sanctus Salomon: «!sicut lilium inter spinas!», id est Domus
christianissima in medio tribulationum ac malorum persecutionum posita est. Fecerat
etiam inclitus ipse Salomon Candelabra quinque ad dexteram et totidem ad sinistram
contra oraculum et quasi lilii flores lucerent, ut in 3º Regum volumine continetur290. Non
aliud nisi quia // [fol. 66r] christianissima domus semper, cum divinis meditationibus ab
omni liberatur periculo. Domus et enim haec Franciae christianissima lectulus floridus.
«!Sicut lilium inter spinas!», sic Domus Franciae christianissima inter alias est. Ait
prophetissa nova: «!Lilius de Campo occidentali exibit et erit crescens in mille miliaria
in terra virginali!» (id est Partenope); res perditas recuperabit; suo odore res venenosas

277
On attendrait «!est!», mais Charles est identifié à sa Maison.
278
= Lilium.
279
= Genitricis.
280
= Fabricant.
281
Sous-entendu «!naturam!».
282
Le texte porte: «!Russus!»
283
= Favus.
284
Le texte porte!: «!hiis!».
285
Le «!bien aimé!» du Cantique des Cantiques.
286
Cantique des cantiques, …
287
Confusion avec «!rubra!»: rouge?
288
Mot difficile à identifier.
289
Se rappporte à «!domini!».
290
Le texte porte «!cantinetur!», ce qui n’a aucun sens.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—71

irrigabit eritque fortior cedro.!»Haec ipsa in te quidem, Karole mi Maxime, hoc291


verificabitur: tu adimpletor huius prophetiae es.
Lilius, flos pulchri aspectus, flos Castitatis, in terram virginalem ramos ostendere:
conveniens est; quis convenientior in partenopeo Regno Regnare debet, nisi qui signum
portat virginitatis? Tres quidem lilii Domus christianissimae sunt in insignia. Non sine
accurata investigatione in tali Domorum Regina ponentur: flores apparuerunt in terra
nostra huius mundi summopere redolentes in suavitate: Unus lilius Justitiam, alius
pacem, alter Majestatem significant. Per hos quidem lilios Fidem, Spem Charitatemque
habemus. Per istos tres lilios, tres orbis partes demonstrantur in quibus praedicta regnare
debent, in quibus Rex Jesus Regnat. // [fol. 66v] Speculum enim Religiosorum est lilius:
idcirco Oboedientiam, Paupertatem, Castitatemque demonstramus. Per Radices eius, in
quibus tota vis fundatur, Castitatem: Dicebat enim Virgo Gloriosa Maria in Canticis
Salomonis: «!Dilectus meus descendit in (h)ortum suum et collegit lilia!» (id est
Christus Rex, in uterum Reginae intactae, per humanitatem descendit et cum omni
castitate et virginitate sibi corpus absumpsit). Quae quidem in christianissima Domo
Franciae renovantur, ut in pluribus Regibus, Reginis monstratur et Ducibus qui, non
modo populo omni manifestis, sed in sanctorum catalogo adscriptis. Per hastam
paupertatem, per lilium florem album et Rubeum oboedientiam exprimimus. Fidem in
orientalibus partibus ubi frigidus in volutabro292 viget Maccumetus 293
et Charitatem
seminabit, calefaciet. Felix igitur lilius est, de quo tot mira praedicantur.

De Proprietatibus lilii et qualitatibus et quid


praestat in Christianissima Domo
Cap. IX.

Compos sum ab odoris huius lilii suavitate discedere. Cuius natura callida est et
humida, quae principia generationis // [fol. 67r] et conservationis in fide est. Tres enim
species lilii sunt: Crocus, Purpureus et albus. Efficacius esse dico, quos omnes
complectitur: in triplici quidem esse lilii considerabimus, videlicet in radice, hasta et
flore, quae si diligenter conspexerimus, mirabimur.

291
Paraît reprendre «!Haec ipsa (prophetia)!».
292
Le texte porte «!in volutabo!».
293
= Mahomet.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—72

Semen enim non emittit lilius, sed ex multis bulbis in radice nascitur, in qua virtus
est seminativa: ex unoquoque planta si transponatur, crescit et ad coctum pulverulenta
valet. Et apostematum si apponatur ungendo tumoris ventositatum repressiva294. Radices
etiam eius, teste Plinio, florem suum multis modis nobilitant: nam, cum vino positae,
ictus serpentum sanant et venenosam malitiam mortificat penitus. Quid enim hae295
virtutes sonant in moribus, nisi quod Domus Franciae e radice Jesse oritur? Per huius
lilii radicem fides radicata describitur. Osee ultimo296: «!Ero quasi flos et Israel
germinabit quasi lilium!», quia domus ista sanctissima Franciae Radix est omnis
perfectionis nostrae fidei; et qui veram habet fidem caritate reficitur, quae finis et decus
est fidei. Ideo, ait Rex Salomon, cum imperiali nostra ecclesia: «!Justus germinabit sicut
lilium et florebit in aeternum ante dominum!». Germinare, teste propheta297, est ex
calore scilicet charitatis quae // [fol. 67v] in christianissima domo stat. Et quod in
aeternum florescat, patet in successionem perpetuam huius christianissimae, propter
quam charitatem semen aeternaliter mittitur. Et quia Radix lilii est Radix Jesse, lilius est
virgo Maria; flos est Christus. Propter quod Domus Franciae lilia, Radicem, hastam et
florem habet. Et transpositis etiam in Gallis nata est et combusta christianitatis a malis
mitigat et peccatorum apostemata saepius etiam armis et exemplis purgat unguento
Regio; et venenosas hereticorum serpentum et fungorum mordacitates sanat; clavos
pedum unctione fortificat et pilos restaurat, id est ad christianissimum ritum nos ducit,
et pilos virilitatis et cognitionis et virtutis restituit. Ecce virtutes sacri lilii
christianissimae domus David in Radice eius.
Hasta quoque lilii, a radice procedens, interdum trium Cupidorum298nodosa est et
ita quibusdam parvis foliis hinc inde pulchro naturae opere ornata sollemni honore,
Regali consuetudine. et si ex gravedine floris se in terra curvetur emittit; et si a radice
amputetur et sub humore aut terra recludatur, in ipso stipite parvas pilas procreat. Quod
mirum est, amputato a radice, non siccatur, // [fol. 68r] immo majorem vigorem flori
suo praestat et flos tunc aperitur. Moralis et vera huius christianissimae domus Franciae
est. Nam hasta proeliorum suorum et in veteri et in novo testamento semper frondosa
fuit et fructifera. Et si a radice virtutis rumpatur, interdum exercitus semper remanet. In

294
Phrase difficile: L'auteur semble avoir refait les substantifs «!apostematum!» et «!ventositatum!» à
partir des pluriels «!apostemata!» et «!ventositates!»; quant à «!repressiva!», est-ce l'équivalent de
«!repressa!»?
295
Le texte porte «!hee!», qui n’existe pas.
296
Sous-entendu: «!In capitulo!».
297
Le texte porte en abrégé: «!propheto!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—73

huius lilii hasta positus est, id est in ligno crucis positus est Christus, flos odorum et
suavitatum, in campo seu agro Jerosolimitano, de quo Matteus (VI°) meminit:
«!Considerate lilia agri!» (scilicet a primo lilio Christo dependentia, quae ab alio sensu
de Beatis, alio de Regibus christianissimis demonstratur)!». Quod in canticis
Sapientissimi Salomonis Regis probatur!: «!Florete, inquit, flores, quasi lillium. Date
odorem et frondete!». Et ut Esther dicebat: «!Sancti tui, Domine, florebunt!», etiam ii
qui christianissimi sunt. Et alios fructus, non desperationis damni, sed gaudii generat et
flori suo Christo Nazareo praestat humilitatem, more Christi, Magni et aeterni Regis
qui, dum vinci et superari visus ab inertibus est, vicit potius et hostes penitus superavit.
Amputata etiam a terrenis radicibus, divinarum concupiscentiarum voluntate Intellectui
et flori suo Christo sollicitat aeternorum. Hac equidem lilii hasta Golias, // [fol. 68v]
Saul, Phylistei, daemones per Christum et vitia superata redduntur299. Hoc 300 stipite
omnes christianissimi Reges Infideles tot vicibus pro fide Christi superarunt. Hoc stipite
Karolus hic Maximus tyrannos, Teucros, Mauros omnesque fidei istis temporibus
adversarios superabit et stat.
Quod etiam a Jeremia praenosticatum301 esse, non antiqua significatione deleta,
sed tanta prophetici eloquii veritas quod ad prima tempora extenditur (4.VI)302 «!Vitula
elegans!» (id est moderna fides) «!atque famosa Aegyptus!» (id est obscura in tenebris
delectans vitiorum) «!stimulator ab aquilone veniet ei!» (id est prasens Karolus
Maximus); «!Mercenarii quoque eius!» (scilicet Rectores et principes orbis) «!qui
versabantur in medio eius!» (scilicet Aegypti praesentis), «!quasi vituli saginati, versi
sunt et fugierunt simul, nec stare poterunt, quia dies ultionis eorum venit super eos,
tempus visitationis eorum. Vox eius!» (scilicet Karoli quasi oris) «!sonabit, quoniam
cum exercitu properabunt et cum securibus venient ei, quasi caedentes ligna,
succiderunt saltum eius, ait Dominus. Qui supputari non potest: multiplicati sunt super
loquias303 et non est eis numerus. Confusare 304
, filia Aegypti et tradita in manus populi
Aquilonis!» (scilicet praesens Galliae305natio fidei). Dicit dominus Istael, Deus
exercituum: «!Ecce ego visitabo supra tumultum Alexandriae!» (scilicet principum) //

298
= Cupiditatum?
299
=«!Reduntur!» dans le texte.
300
Le texte porte!: «!hac!», ce qui ne convient pas.
301
= Praenotum.
302
= XLVI (v. 20-25).
303
= Eloquia.
304
D'un verbe «!confusor!», forgé sur ‘confusus, a, um’.
305
«!Guliae!» dans le texte.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—74

[fol. 69r] «!et supra Aegyptum!» (id est Populares seu vulgares) «!et supra Deos eius!»
(scilicet praelatos) «!et supra Reges eius et supra Pharaonem et supra omnes qui
confidunt in eo. Et dabo eos!».
Flos itaque lilii, supra hastam et radicem positus, id est supra terrena et caelestia,
et in ipsa divinitate stat. Flos enim prius viride est et absciso albescit; purgatur scilicet
ab humorum gravitate, suaviter redolens, si intactus permaneat; fractus vero, ac manibus
confricatus, foetet. Et quanto magis stipes ab aliquo erigitur, flos semper inclinari, per
modum Reverentiae et humilitatis, videtur.
Forma ipsius rotunda306; exterius planus, interius gravis: aureis granis in sua
concavitate respersus, quae plus quam crocus tingunt et colorant; quae grana 7 hastulis
sustentantur. folia vero, extra fila, candidissima: foris quidem suavi sunt tactu, intus
vero, aspero et venis texutis307. In totius autem floris medio semen quodam loco fructus
miro decore locatum. Teneritudo eius ab aere custoditur frigido. Et in aqua crescit. Et
sanctis in honore ponuntur. Splen oleo veteri purgat admixto unguendo308. Pulvis cum
aqua rosata faciem albificat et me(n)struum purgat. Lilius flos maritus est Rosae. Quid
enim tot proprietates in christianissima domo // [fol. 69v] Franciae semper est, nisi quia
semper est viridis et stat in hoc saeculo, quia, ut diximus, semen eius in terra manebit?
Et quid est quod albificatur a radicibus inciso, nisi quod postea in caelis hoc Regale
semen in virtutum candidate etiam in aeternum regnat? Fractus309 confricatusque
manibus generat (foetorem), et, non stimulatus, suavi redolens odore310: Domus scilicet
Franciae, si ab aliis per bella laedatur, ad ultimum et quamvis interdum serotinum sit,
superat omnes. Si vero non offendatur injuriis, tanta Jocunditate est in folio, quod
omnem generat delectationem. Item quanto magis in laudibus erigatur, tanto plus flos
per modum Reverentiae et humilitatis flectitur. Sicut enim Christus lilius ad terram
usque descendens, sic Domus ista sanctissima Franciae more lilii, semper humilis est et
oboediens Deo et pro fidei sustentatione semper est disposista. Rotunda lilii forma
circularem huius christianissimae Domus denotat perfectionem. Lenis extra, aspera
intus folia311 veram humilitatem et bonitatem ostendit et intrisecam 312
potentiam, si

306
«!Rotumna!» dans le texte.
307
=Textis.
308
=Unguento(?).
309
Le texte porte «!Fructus!» mais il faut le corriger d'après le fol. 69 r, ligne 8 et le compléter par un
complément direct de «!generat!», tiré de «!foetet!».
310
Le texte porte «!odoris!».
311
«!Folia!» semble considéré ici comme un féminin singulier.
312
= «!Intrinsecam!», adj. tiré de l'adverbe «!intrinsecus!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—75

laedatur, innuit. Aurea illa grana fortiter colorantia rubeo aureove colore virtutum
exemplorum, morum diversorum solari colore resplendet. // [fol. 70r] VII sunt
septenariam313 perfectionem et Dona spiritus ignitae charitatis, et totidem folia scientias,
VII et artes in Regum christianissimorum Regimen et operae designamus. Semen, seu
fructus, in medio stans, semen Davidicum christianissimum, quod in medio Mundi,
videlicet Jerosolimam, est. et certe tantae huius civitatis lilius flos et insigne314
dicebatur, ut in denariis quibus Christus venditus fuit, apparet, quia operatus est salutem
in medio terrae, ut ait propheta eorum , rursus in medio omnium bonorum. Et in hoc
saeculo, quia Domus prae ceteris est nobilior et in gloria Paradisi, in qua Davidica
propago etiam, Prima proxima regnans, aeterne regnat Christus cui et in caelo et in terra
Data est omnis potestas, et Maria, quae supra choros angelorum exaltatur in aeternis
locis. Teneritudo magnae nobilitatis a frigiditate hominum malorum turbatur. In aqua
sapientiae et baptismi crescit. Splenis invidiam sanat: nullis invidet ista Christianissima
Domus, quam omnes honorant, Potentes timent et Amant unguento Regiae unctionis.
Faciem cum aqua rosarum, conscientiam videlicet cum sua christianissima conditione,
mundat. Menstruales superfluitates modificat: // [fol. 70v] alios inhonestos actus Ipsum
memorando purgat.
Felix igitur, sanctissima Domus, quae tuis sacris mellifluisque liliis redderis
praemiata ecclesiastica. Nec apud Scripturam lilius praetermittitur ingens!: «!Florete,
flores, quasi lilium, date odores et frondete in gratia!», scilicet Regali. Lilius tuus
trinam, capit speciem et gaudet: Lilius, flos Christus; lilius Castitatis, Maria, lilius
Regum flos est et Regalis triumphus. Ait de lilio Nova prophetissa Brigida: «!Aquilae
majori lilius associabitur!» (id est universitati fidei)!» haec enim major duas alas
parvas!» (quae duo sunt Imperia, Orientale scilicet et Occidentale)!»habet!».
De quibus aquilis propheta praevidit Ezechiel, non a Jove, sed a divinitate esse
demonstrat. Subdit illa: «!Gallus sub Aquila illius!» (scilicet claris potitus insignibus315
et honoratus, exultans sub tali316 dignitatis decoratione 317 «!volabit!». Volabit Gallus et
somnolentos sub umbra alarum fidei diversis modis excitabit, et dispersas318 a vulpe
Machumetanea congrebabit. Nam sicut in veteri testamento philisteorum populi unius

313
«!Septerariam!» dans le texte.
314
«!Insignie!» dans le texte.
315
Le texte porte «!insigniis!» à partir, apparemment, du pluriel «!insignia!» pris pour un féminin.
316
«!Tale!» dans le texte.
317
Id. «!decoratu!» à partir de l'adjectif «!decoratus!»(?).
318
Sous-entendu «!gallinas!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—76

veri dei hereditati rebelles et infesti opponebantur, quos penitus David tuus eradicavit et
hereticos samaritanos Domus tua sanctissima semper expugnavit, ita modo Turcos et
reliquos hereticos, mordaces // [fol. 71r] volucres, pullorum Gallinarum rapaces, mordet
unguibus et Rostro divinae laudis pugnabit Incredulos, calcari acuto superat Invidos; et
sanctus lilius honorat Gallos. Et quia minus istis in temporibus perierat Gallus Francus,
ferens lilios in odorem suavitatis, mittutur divinitus Karolus christianissimus tam partes
quam Schismata devoret et Guelfos Gibellinosque maledictos dissipet; et Christus, pars
nostra, habeatur.

O Campus in quo stant tres lilii,


caelestem desigant(es) gloriam, trinitate caelica fulgita;
tres ecclesias: orientalis, occidentalis et Jerosoli(ma) Relevans.
Cap. X.

Illius Davidicae, Caelorum Terrarumve Reginae, virginis intactae Mariae,


Altissimi Induperatoris Christi Tonantis Matris, Franciae Domus lilii dictum verificatur:
«!Sicut locutus est ad patres nostros, Abraham et semini eius in saecula.!» Karole, tu qui
«!exurientes imples!» tuo modo «!bonis!» et «!divites dimittis inanes!»319, quasi illud
priscorum in te Romanorum dictum renovatur: «!Parcere subjectis et debellare
superbos.!» // [fol. 71v]
Siccam arborem infructiferam Machumetaneis Machinationibus privatam reddes.
Virebit sancta fides, vires resumet ac per te solidabitur, Paganorum jam sterilitate
remota. Arbor ipsa plena liliis, Rosis, ceterisve floribus jam videtur. Arbor fidei
orientalis, jam penitus desiccata facta in infidelitate frigida, caritate lilii irrigata,
caliditatem et humiditatem fidei radicalem suscipiet et fructificabit; et humoribus tuae
pietatis fecundabitur.
Ait prophetissa nova: «!Tunc lilius per montes christianitatis odoramenta sparget!»
(id est per potestates) «!et unietur Aquila orientalis et occidentalis. Et tunc puellae
virginales!» (scilicet partenopei regni) «!sertas flores facient de liliis!» (id est de
virtutibus et meritis christianissimae Domus hinc inde diffusis). Campus itaque caelesti,

319
Citations du!«!Magnificat!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—77

colore ornatus, in quo, uti in caelo stellae, locantur lilii, caelestes denotat in Domo illa
proprietates, vires et virtutes, quae, sicut in caelis disponunt, ita Magnus ille Campus
terram regit et gubernat. Quamobrem te, fidei nostrae sponsum, militem voluntarium et
defensorem, lilium sacrum portantem, Dominum elegisse totus clamat orbis. Quotquot
autem aut reformare aut indomitos sub christianitatis vexillo populos et nationes
diversas superatos redigere // [fol. 72r] faciliter adimplebitur, quoniam de invictissimo
Davidico semine es, quod potens in terra est. Gloria et divitiae in Domo Franciae et
Justitia eius manet in saeculum saeculi!!
Per te, enim, Karole, Aquila magna fidei sanctissimae, extensis in suis finibus alis,
volabit et volabit super pennas ventorum, (scilicet superborum), vento hereticae
pravitatis inflatorum. Jacuit paupercula Aquila in undis et quarum fluctibus, ut pennas
ad volandum praedictas et vires reassumeret. Et Navis Petri quae fluctibus et ventis
superborum Principum patiebatur et submergebatur, nec poterat ab aequore et ponto
transire ad portum; nautae autem quasi depilatam volucrum Reginam in maris littore
foventem puerulum, Regia diademate lilium portantem, et Gallum album liliis plenum
conspexerant. Conversa haec ad fortunae pericula, illum fortiter acclamarunt; nec erat
qui eos salvos faceret. Aiunt: «!Karole, salva nos, perimus, Domine!!» Puer autem ille,
non recusando laborem ex amore Aquilae, Navim versus et Nautas per undas
impetuosas illico intravit. Et quamvis aliquantisper laborasset plenus sudore,
nihilominus Navi adhaerens Aquila ipsa, grandire incipiens et propriis alis insignum
laetitiae, pausando aliquantulum, refocilata, spei suae // [fol. 72v] adventum evenire
signavit. Et Navim sic ponderibus leviatam, ferocissimis non potentibus contraire
piscibus, in salutis portum reduxit. Quietatis tunc ventis malorum hereticorum
tyrannorumve oppositionibus, per Karolum tranquillitas magna facta est in mari. Et
intrans, eum Aquila et Nautae inenarrabili osculantur laetitia. Et draco Navim
submergens victus est et in mari320 projectus. Tunc illi cantare Israelitico modo
coeperunt: «!Cantemus domino gloriose et enim offensores projecit in mare: liberasti
nos de manibus impiorum et odientes nos confudisti!». Et Israelitico more veniunt ad
portum, huius Inferni praesentis fractis ostiis.

320
On attendrait «!mare!», comme dans la citation suivante.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—78

Mores, seu demerita istorum Aragonum et Rapinae,


propter quae a toto Regno Siciliae desideratur Karolus,
qui ad liberandam etiam Romanam Sedem,
ab omnibus armis saepius obsessam, venit,
Florentiam a tyrannis et Pisas ingrata(s) liberavit et perdidit Aragones.
(Cap. X bis)

Neapolitanum quoque Regnum, quod christianissimae Domus Franciae ex


propinquitate vicinitateve ecclesiae Romanae, ut diximus, quod tribus Levi // [fol. 73r]
apud veteres, (scilicet Sacerdotalis Pontifex), cum tribu Juda Regali, licita divina
licentia, misceatur. Rex, nisi ille in tali Regno Regnans, Siciliae et Jerusalem intitulatur,
nam inter Jerusalem et Romam situatur, quod per Alphonsum Aragonicum vi et dolo
potitum et in Ferdinandum filium subsecutum et in Alphonsum, eius liberum, successit,
et quia scriptum est de malis acquisitis: «!Non gaudebit tertius heres!» quod in eo
verificatum est. Cuius patre mortuo februarii321, Alphonsus coronari procurat. Et quia
Regnum illud Regibus Franciae christianissimis, ut assiduis Romanae sedis Apostolice
stipendiariis, ut dictum est, convenit. Et quia praefati duo Reges Aragonici semper
adversus sanctam Romananam ecclesiam bellis plurimis et asperis saepius invadebant,
quamvis a Sixto IIIIº confusibiliter confunderentur, nihilominus sacrum primum
luminum Consistorium armis et discordiis disturbabant. Ideo omnes versus
Christianissimum Regem Karolum Maximum voces exercebant, omnes veritatis
Amatores, dicentes: «!Exurge, quare obdormis, Domine? Exurge et libera nos de
Aragonica servitute et de manibus alienis, quae nos spoliant bonis, nos privant divitiis et
sanctum Apostolicum infestant // [fol. 73v] Collegium!». Quid enim absurdius
christianis Regibus dici potest quam adversus Romanum pontificem, canonice electum,
arma sumere? Ille hereticus, ille sacrilegus et schismaticus, ac anathema dignoscitur. Et
Barones Neapolitani Regni, ut olim Herodes, expulit, aliquos necavit, alios carceribus322
mancipavit. Qui omnes, univoce et unanimes, ad Regem eorum christianissimum
acclamaverunt, dicentes: «!Accingere323 gladio tuo supra femur tuum, Rex
potentissime!» Tu autem, Karole Maxime, dicere poteras: «!Numquid custos fratris mei

321
Ce génitif laisse penser que la date exacte a été omise par le copiste.
322
Le texte porte «!careribus!».
323
Id. «!accigere!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—79

sum ego?!»324 Sed scelus Domus tuae, (scilicet fidei et Regni tui) comedit te, dispositis
ad tuum velle Italicis potentiis, auditis clamorosis vocibus et ululatibus in mille supra
quadringentos nonaginta IIII°325. Tu, Rex bone christianissime, ad liberandum nos 326
de
Impia Rapacitate accessisti et dispersos principes et nobiles cives ad propria coadunasti,
sine armorum strepitu, sed magna cum nobilitate et gratiositate Italiam intrasti. Et a
Ludovico Sfortia, dum, tunc gubernatore, gratiose fuisti receptus, te autem in civitate
Placentiae Jo. Galeas Sfortia, Milani Dux, Papiae XXII octobris eiusdem anni, circa
mediam noctem moritur. Pro quo tum, // [fol. 74r] respectu cognationis, quoniamve
ibidem christianissima majestas franciae in sua erat dictione, cumque piissima est, ab
omnibus ibidem Religiosis sacra exequia institui celebrari. Exinde post triduum
discedens, Pisas tandem applicuit. Desperatis (si quidem de tuo adventu) Italis
oppressis, Angelorum monitu ducitur et a Florentinis Pisas et ab eorum multimoda
servitute, Antiquo jam purgato crimine, liberavit. quod conjunctio Jovis et Martis cum
aspectu Saturni et quia Pisae in 12° Capricorni sint, demonstravit. Fortificamur nempe
per angelos in astra e quibus ad nos sua secundum nostra exercentur merita. Florentiam
quoque, quae non res publica erat, sed res particularis, salvavit et rem communem esse
fecit Rex Maximus: Hoc divina permissione factum est, quia sanguis pauperum
clamabat ad Dominum. Civitati quoque Senarum exules omnes restituit et, quantum ex
Majestate est, salva est. Aragonenses, ut, quamvis in provinciam Flaminiae, quae
Romandia dicitur, contra christianissimam Majestatem accessissent, fugierunt deinde ex
Francorum impulsu. Regia Majestate Romae intrante, ab Alexandro pontifice et toto
illustrium // [fol. 74v] patrum coetu honoratur et a toto populo Romano, ut olim Karolus
ille Magnus, suscipitur. Et, quod divinum est, pars Muri arcis Sancti angeli corruit in
laetitiae signum et aedificiorum locorumque mutationem ac Dominiorum.
Exercitus vero Aragonicus a suo aspectu in fugam semper exercebatur. O genus
Italiae ubi es? O Belligeri Itali prisci, ubi estis? Estne327 hoc ex italica familia, quae, non
solum a Marte, sed omni caelorum fortitudine producta est? Et modo in fugam
convertitur. Ecce christianissimae Domus auctoritas, cuius unus eius Rex Neapolim et
Jerusalem esse debet: quis ergo, si Regna sua propria possidere vult,contradicere
audebit? Per arma quoque Neapolitani Regni hoc esse cognoscimus. Quare quidem

324
Parole de Caïn au Seigneuuraprès le meurtre d’Abel.
325
Mélange de cardinaux et d'ordinaux (ceux-ci obligatoires avec une date, sous-entendu «année!»).
326
Il faudrait l’adjectif verbal accordé avec son complément d’objet!: ad nos liberandos.
327
Le texte porte «!esten!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—80

lilios habet, nisi quia naturaliter Francorum est Regnum. Crux enim illa Jerusalem est
quam in spatulis habent. Aragones autem temerarie Jerosolimitani etiam Regni sibi
titulum vendicarunt.

De Introitu Karoli in Italiam et situ Neapolitani328


Regni et expulsione Alphonsii Regis.
Cap. (XI)329 // [fol. 75r]

Neapolitanum Regnum proprium quaerens, christianissimus Rex Karolus, cum


suis Franchiis330, sed paucis Militibus, MºCCCCLXXXXVº anno, intravit, vix
Alphonsus coronationis suae mirabilem triumphum potuit adimplere, quod Karolus jam
Ducem C(h)alabrum Fernandinum de die in diem praeeuntem, sola propinquitate ne
audentem videre Regem, persequentibus Dorsum dabat, tuorum militum ligatis seu non
evaginatis ensibus, Civitatum ceterorumve habitationum catervatim venientibus tibi
obviam hominibus, claves portantibus, maxima et inenarrabili laetitia fuisti receptus,
sicuti unquam aliquis fuit tali modo Rex. Et quod inauditum est, sicut in veteri lege
mirabile fuit, Josue pugnante pro populo Dei, solem tribus diebus immobilem stetisse,
in diem noctem commutando, mirabilius fuit Karolo, cuius opere hiems331 in aestatem
mutatum est; ita quod omnes de tanta rei novitate mirabantur.
Coronato tunc Regni Alphonso et Fernandino, filio Regali, etiam Diademate
decorato, sed bellorum // [fol. 75v] auctor332, qui, solus in armis, in tota praeponebatur
Italia, Divitiarum copiosissimus, exercituum Ductor magnus, fortissimum tenens
Regnum omni et fertilitate et potentia finium, ex una parte oceanum mare et alia lit(t)us
Adriaticum habet et per Abrutium montes et transitus difficili accessu et versus Romam
reclusa valle. O divinae potentiae bracchium! A facie Karoli duo Reges, pater et filius,
fugiunt! In viginti ferme diebus, totum Neapolitanum Regnum, sine aliqua repugnantia,
et sedes eorum in terram collegisti333, minorasti dies temporis eius, perfudisti eos
confusione. O inauditum factum! O divinum judicium! O grande posteris principibus

328
«!Neapolitali!» dans le texte.
329
Le numéro est laissé en blanc.
330
Sic.
331
«!Hyemns!» dans le texte!; mot féminin (mutata est).
332
Renvoie aparemment à Alphonse d'Aragon; il semble manquer un membre de phrase avant «!sed!».
333
«!Collixisti!» dans le texte.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—81

spectaculum derelictum, quod tanta potentia in instanti334 fuerit, confusa et timida! Et


quia corruptio unius generatio est alterius, tunc omnes illi Barones. Duces, Principes,
comites et Nobiles in propriis sunt restituti et sub umbra alarum tuarum constituti. Et
exercitus, qui destrui secundum crudelitatem debebant, qui praesentis est temporis in
salutem et ab eo receptus est: ecce christianissimi Regis pietas et securitas, ecce
iniquorum devicta superbia, ecce inexsecrabilis consideratio, quae a memoriis
mortalium unquam335 removenda est; nihilominus // [fol. 76r] incredibile erit posteris,
Non ergo alterius Regna et Dominia acquirenda sunt, quorum parum durant. Et cum
peccato possessio et cum verecundia et dedecore, ac damno tum animae, tum corporis
perditiore.
Neapolitanum quoque Regnum, quod christianissimis Francorum convenit
Regibus, dimittatur. Ecce quomodo jam et Theotunici336 et Aragones confusibiliter
expelluntur.

De tam repentina victoria Veneti admirati contra Karolum.


Maximum paratur et per flumen Tarum337 dimicatur.
Cap. XII.

Devicto et fugato patre et filio Regibus Aragonicis et, acquisito Regno, volens
christianissimus Rex, adversus Jerusalem, alterius patrimonii sui Regnum, contra
Babillonicos338 se praeparaveratm, et fratrem Magni Teucri, qui in potestate Alexandri
Ponti(ficis) erat, secum ducere volebat. Quem illis diebus veneno mortuum esse ferunt.
Et tractatus cum Teucro ex Italicis potentiis erat virtute pecuniarum, ut accessus Karoli
ad partes ulta mare impediretur. // [fol. 76v] Carolus qui, cum Italorum crederet
auxilium habere, et eos non solum deficientes, verum etiam contra Regiam Majestatem
crimen conspirasse et ex invidia, timentes Carolum ultra mare accessurum eorum
Dominia eius juridictioni subjicere et cursus mercantiarum impedire: quod non fecisse
credimus, immo majora eis daturum jam fore tenemus. Talem confederationem et
proditionem cernens Sua Majestas, cum ex se non satis praeparatus videretur,

334
Id. «!Istanti!».
335
= «!Nunquam!».
336
=«!Teutonici!».
337
Écrit «!Tharum!» par notre auteur!: il s'agit du Taro, affluent du Po, qui coule près de Parme.
338
= Teucros.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—82

mirantibus d.339 Venetis de tam improvisa Apuliae Regni victoria, se totius etiam Italiae
Regem facturum dubitarunt; et iterum versus Franciam revertitur per Romam transiens
et Pisas accessit, ubi per dies340 stetit. Et dum Pontremulum cepisset, in eius securitatem,
d. Veneti ex altera parte versus Lombardiam, (tali utar, ut utitur, vocabulo) armigeris341
numero 60 milia et ultra, prope Parmam civitatem juxta flumen Tarum castrametati
sunt.
Miratus Rex Franciae de tanta rei novitate quia nihil cum D. Venetis agere
debuisset, eo quod semper eis christianissima Domus protectrix fuit et fautrix, cum per
vallem transire voluisset, transeundi non impedimentum per nuntios procuravit, quo ab
Italis illis negato, pace neglecta; considerato // [fol. 77r] etiam quod pauciores Italis
essent, numero 12 milia et quod in propriis erant et dum prope simul essent, et in tot
rerum discrimina se et universalem342 christianissimum statum esse intuens, Carolus,
nudato ense, ut olim Romanis Hanibal, ait: «!Heu, hem, mei commilitones, aut de
huiusmodi exire periclis aut morti subjici necesse est.!» At barones, qui incredibili
amore sunt cum eo comjuncti, malum etiam totius, non solum Franciae, sed
christianitati cogitantes, vibrantibus armis, unanimes responderunt: «!Magis tecum mori
et tuam curare salutem quam absque te vivere elegimus.!» Erat enim de tuis
commilitonibus magnis quidam ex vero genere Italorum, D. Joanes Jacobus de
Trivulcis, omni fidelitate ornatus, qui antea Regis illorum fuerat capitaneus seu Ductor
exercitus, cuius consilium non frustratum est, omni virtute decoris.

339
Cette lettre qui précède le nom des «Veneti!» (Vénitiens) à plusieurs reprises signifie peut-être
«!Doges!».
340
Il manque apparemment le nombre de ces jours.
341
Cet ablatif devrait être précédé de «!cum!».
342
Abbr. obscure.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—83

Bellum quod inter Regem Franciae, Karolum


Maximum christianissimus et Venetos circa Flumen Tarum
propre urbem Parmae exprimitur.
Cap. XIII. // [fol. 77v]

Ordinatis autem utriusque partis at(tentis)343!ad bellandum: Itali in tribus, pedones,


stradiotti, equites veloces, et totus deinde exercitus in eorum medio, parum retro,
praeparatus; Franci vero ex alio latere in tribus etiam partibus ordinantur ad proelia.
Salmae344 itaque munitionis 345
, in signum discessus, mittuntur a Gallis, qui, si non
impediebantur, pacifice discedebant. Itali autem qui magis hodie ad lucrum et
cupiditatem proni sunt quam ad victoriam, ut patet in non debitum dando militibus, -
scimus enim quod cum Avaritia victoria stare non potest - et modo missis346 salmis
munitionum cernitur, quas cum pedones nostri vidissent, ipsis protinus ad praedandum
adhaeserunt347. Quod cum vidissent stradiotti qui maxime divitiarum praedis assueti
sunt, etiam ad munitiones accesserunt. Et inter pedones nostros et stradiottos grande
certamen ortum est. Et ad invicem interficiebantur.
O divinum bracchium! Poterat tunc christianissimus Carolus illud Davidicum
dicere: «!Vindicavi de inimicis // [fol. 78r] meis. Cum inimicis meis et cum his qui
oderunt pacem, eram pacificus; cum loquebar illis, impugnabant me gratis.!»348
Hanc divisionem cernentes, prudentissimi proveditores D. Venetorum et Marchio,
Mantuae exercitus Gubernator, partim ad separandum illos, partim ad bellandum moti
sunt. Christianissimus autem Rex, cum suis paucis, sed in armis peritis, cum tanto
impetu et furore motus est ut toto hoste non pauciores, sed validiores in centuplum
cernerentur. Et, ut olim Israelita Sanson contra Philisteos, ita modo adversus Venetos
factum est. Itaque ex eorum proeliantibus 6 milia et ultra mortui sunt in strage, octavo
Idus Junii; alii in copia vulnerati; alii in fugam versi sunt. Nocturno vero aere
adveniente, omnes revertuntur ad castra. Timebant quoque Itali semper Gallos eis supra

343
Le texte porte «!at!». Abbréviation obscure.
344
Mot obscur.
345
Passage obscur!: sens de «Salmae!»!? «monitionis!» est-il mis pour «munitionis!» (cf. 1.14-15 et 18)!?
D'après les historiens, ce sont les bagages laissés au camp des Français qui ont suscité la soif du pillage et
le combat qui en résulta, mais cela n’éclaire pas le vocabulaire employé.
346
«!Mistis!» dans le texte.
347
«!Adeserunt!» dans le texte.
348
Citation ou paraphrase!? À chercher.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—84

venisse. Illi quidem eorum Regem salvare et in propria tutum read(d)ducere cogitantes.
qui ex alio latere fluminis Franciam versus transmearunt in sero; et transactis flumen
illud349, quod interdum in tanta aquarum copia crescit quod damnum circumquaque
impulit, sicut tunc fuit: tantus profecto extulit undas quod difficilis erat penitus // [fol.
78v] accessus. Et sic salvi facti sunt Francigenae.
O vere bracchium Domini! Nec eis victus defecit juxta illud quod scriptum est in
psalmo: «!Flumen dei repletum est aquis; parasti cibum illorum, quoniam ita praeparatio
eius!»350, victorias quas circa flumen Jordanem adversus adversarios Israeliticae tribus
Judae Regalis memorando. Quare hoc? Quia christianissimus Rex saltem in opere dicit:
«!Dominus regit me et nihil mihi deerit. In loco pascuae ibi collocavit me. Super aquam
refectionis educavit me. Quia Dominus illuminatio mea, ait Rex, et salus mea: quem
timebo? Dominus defensor vitae meae!: a quo trepidabo? Si consistant adversum me
castra inimicorum, non timebit cor meum; si exurgat adversum me proelium, in hoc ego
sperabo.!»351 Et sic Maximus Carolus evasit manus eorum in nomine 352 domini: Christus
enim potientior est Marco353

Cur pauci Galli tot multos Venetorum superasse.


Cap. XIV.

Itali, quamvis plures fuerint, tamen sine Imperatore regebantur et Duce proprio et
experto. Et licet plures // [fol. 79r] ibi armis periti fuissent, libertatem autem ducendi
exercitum non unus habebat. Et quoniam, teste philosopho, pluralitas principum,
praesertim in hostibus, abneganda est, unus ergo Ductor exercitus et expertus. Erat
tamen ibi totum robur Italicum: Ducum, Marchionum; aliorumve principum
potentissimorum qui omnes (n)unquam ita ad bella praeparati fuerunt, in quibus
prudentia maxime requiritur. Quod exemplum ab Apibus accipimus, quae unum tantum
Regem sequuntur. Rursus et in Gruis, quae unam etiam sequuntur principalem. Nec
nimia militum licentia sit, quae interdum damnosa cernitur. Arte quidem in exercitum
ducere354 habere omnino oportet, quae, sicut collectio est multorum ut etiam exercitus,

349
On attendrait!:!«!Flumine, illo ab eis transacto…!».
350
Idem.
351
Enchaîne les Ps. 22(23)v. 1-3 et 26(27)v.1 et 3.
352
«!Inomine!» dans le texte.
353
Saint Marc, patron de Venise.
354
On attendrait «!artem… ducendi exercitum habere… oportet. »
ANNEXE!: Opus Davidicum A—85

ita recta ratio agibilium simul et factibilium est in bellis necessaria. Nec cum minis
intrare, sed juste355 et audacter, cum timore Dei pugnare.
Erant secundo D. Venetorum discordes ibi aggregati: Itali, quibus in naturam est
ex partibus odium eorum; reliqui autem Graeci, Dalmatii, Albani et Theotunici356, quia
propria natura sunt aemuli et in moribus et in voluntate disconvenientes, ex quibus
victoriam concludere est difficile et arduum. Franci itaque pauci // [fol. 79v] et in armis
franchissimi357, universa vero natio, quam haec aetas Gallicam nominat, Martis studio et
Animorum ardet, impetuose conferendae pugnae alacritate impigra; alioquin simplex et
nulla morum malignitate degens. Ea propter si quis eos irritet, adunati pugnas pariter
ineunt; aperti quidem nihilque praemeditati: unde contra se militare volentibus mansueti
atque tractabiles sunt. Nam quo in tempore, et quo in loco, quamquam358, ex occasione,
quispiam illos lacessierit, eos in discrimen paratos habuit. Praeter vim et audaciam,
nullum ad proelia ferentes adjumentum. At enim persuasione ad(d)ucti, utilitati facile
cedunt: unde ad studia et disciplinas animos applicant. Ex corporum autem
magnitutidine ipsa vis inest. Ex gentium vero multitudine in unum ex facili frequentes
conveniunt; propinquis, quos per injuriam violatos viderint, maxime condolentes (ex
antiquis haec de Gallis accepimus).
Pauci hic erant Franci; nam docta paucitas promptior est quam rudis; et indocta
multitudo promptior est ad fugam. Paucitas enim Davidis X milia Saulistas
robustissimos percussit359, quia manus Domini erat cum illo. Quid Alexander ille
Macedonicus magnus cum docta paucitate Darium et omnes Persas superavit? // [fol.
80r] Plena exercitio fecit. Quid enim adversus Gallos paucitas Romana voluisset? Quid
adversus Germanicam proceritatem? adversum360 Ispanorum fortitudinem ac
multitudinem? Afrorum dolos? Graecorum sapientiam? Sed contra haec omnia Romani
quotidiani armorum roborati exercitio trimpharunt. Qui frui vult bello, utatur exercitio.
Christus etiam, Rex magnus, cum docta paucitate bissenorum Apostolorum, qui totius
orbis sunt Senatores et in omnem terram exivit sonus armorum eorum, et quia
christianissima Domus Franciae ab aeterno nutrita est in proeliis; idcirco nullus est qui
contra proprios de ea possit resistere: Dominus victoriae est Jesus Christus Crucifixus,

355
«!Juxte!» dans le texte.
356
= «!Teutonici!», synonyme de «!Germani«.
357
Adjectif forgé par notre auteur (cf. «!franchitas!» déjà rencontré).
358
Au sens premier de «!à quelque degré que!».
359
Le texte, par inadvertance, porte «!percusit!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—86

qui unitum malorum Regnum subvertit. Italos divisos potentissimos paucitas


christianissimi Regis superavit. «!Si enim Sathan in se divisus fuerit, quomodo stabit
Regnum eius?!» — Male, quia «!omne Regnum in se ipsum divisum desolabitur!», ait
altissimus.361
Post aliquam exercituum congregationem et recessum comitis Pitilliani, qui in
bello Parmesciano aufugit, et post restitutionem Novariae, et cum Ludovico Sfortia,
Mediolani Duce, pace et confederatione habita, et civitatis Januae assignationem, in
Francia362 honorifice // [fol. 80v] reversus est christianissimus Carolus Maximus.
Domini cum363 Venetorum ea (videlicet monitionum), in foro divi Marci omnium
aspectui appararunt, et de mense octobris364 haec omnia expedita fuere, pars Neapolitani
Regni, more volubilis, revertitur ad Ragonenses, praeter illum principem365 expulsum a
Ragonensibus, nomine366, Regi Franciae fidelissimum, et Regia Imperialisque civitas
Aquilana, a Francorum aedificata Regibus, cum tota ferme Aprutii patria ab ea capta. Et
urbis Romae praefectus, nomine Joannes D. Juliani, tituli sancti Petri in vincula
Cardinalis367, qui cum Rege Carolo Maximo pro discordia Curiae steterat. Frater Carnis,
Dux fore368 fidelissimus animi quietem pro conservatione status Francorum renuit, et
Dominus Virgilius Ursinus, qui totum Regnum etiam infestabat. Pars denique quaedam
Calabrum Carolum renuit; Veneti portus Marinos in lit(t)ore Adriatico Apuliae in
nomine Fernandini acceperunt, inter quos Brundisium fuit. Dominus autem Beroldus369
de Bonnino, Gallicus Baronus de consilio Regis Caroli, vice Rex Regni remansit pro
su(b)stentatione illius. Multis tamen factis rebellionibus370 civitatum, terrarum,
castrum371mutationibus, tota Italia, non solum Regnum illud, angustias patiebatur. Dux
autem Ferrariae, nomine Hercules, // [fol. 81r] a quo domini Venetorum Pollesimum
olim acceperunt, prudenter se gessit. De Mense autem Septembris, Maximianus Caesar

360
Bon exemple de graphies différentes d'un même mot (et sur la même ligne), qui surabondent dans tout
le texte.
361
Cf. Luc, 11,18, Marc 3,26, Matt., 12,26.
362
= In Franciam.
363
= Quom, ancienne graphie de «!cum!».
364
«!Octubris!» dans le texte.
365
«!Princepem!» dans le texte.
366
Le blanc est dans le texte.
367
Il s’agit de Saint-Pierre-aux-Liens.
368
Ce peut être le Duc de Ferrare mentionné plus bas ou un autre personnage. Une étude du contexte
historique le dira.
369
Une autre main a rempli un blanc: je déchiffre «!Beroldus!» suivi d’une abréviation à éclaircir. Une
étude du contexte le dira.
370
«!Ribellionibus!» dans le texte.
371
= Castrorum.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—87

in Italiam venisse, ductu prudentissimi Ludovici Sfortiae, vice comitis, ducis


Magnanimi. Mediolani dicitur ut ferme omnium voce erat. Alii autem alium fuisse
opinantes. Florentini quoque, amissa372 Pisanorum urbe, adventum Karoli, ut olim
antiqui electi patres in limbo expectabant, et aliq(ui) quamvis auxiliarentur, Pisis
nihilominus Florentini victoriam reportabant.
Stante autem in Francia Carolo Maximo Rege, aliqui eum expellerunt Itali, alii
autem non, sed maximo cum furore revertetur!: variae opiniones erant «!sed nondum
statum finis!». Illud Christi verificabant: «!Audituri enim estis proelia et opiniones
proeliorum!»373

Reverso Carolo Franciam, tota christianitas eum


ut revertatur clamat, ut liberet et a
rapina, luxuria et infidelitate.
Cap. XV.

Et ubi venit plenitudo temporis et omnis ab infidelitate praevaricatio, misit Deus


Militem suum Karolum ad confundendos erorres universae // [fol. 81v] christianitatis, ut
eos qui sub lege Christi erant a cultu Macchumetaneo revocaret. Jerusalem prima,
Regalis civitas eius, a qua ortus est, ubi David, Salomon, ceterive Israelitae cum gloria
triumpharunt, te, o Karole, Christianissime, clamat: in qua, etsi Christus tuus tantam
infernalis inimici victoriam acquisivit, nihilominus modo ut locum illum, ob
reverentiam, non dico solum Regum, patriarcharum, ducum et prophetarum, sed ipsius
magnipotentis Regis Christi tui et suae Matris Davidicae, im(m)o christianissimae, a
Mauris viciosis, pestiferis374, obnoxiis, liberes infideli(bu)s.
Tres quippe Ecclesiae te fortiter clamant, Karole Rex: Romana, Jerosolimitana et
Constantinopolitana. Prima a Simoniacis375 ambitiosis et indignis praepositis; secunda a
Mauris turpissimis, nostrum accessum privantibus, non per376 Judeos qui ex Francia,
Ispania et Russia persecuti sunt377, quia non habent, ut olim Moysem, Ducem populi, qui
eos coadunet!; idcirco, divina permissione, ex universis locis ex se ipsis congregantur.

372
« Ammisa!» dans le texte.
373
Cf. Matt. 24, 6 (l'ordre des deux citations est inversé).
374
«!Pestiforis!» dans le texte.
375
Ceux qui font trafic des chose saintes, comme Simon (Actes VIII, 18-24).
376
Ecrit «!nomper!»,- m devant le p, même entre deux mots disticts.
377
Au sens passif.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—88

Expectant enim de proximo Ducem qui eos liberet, in orientalibus Regionibus


congregantur. Et ibi erit quidam magnus propheta pseudus, quem in eorum Ducem, //
[fol. 82r] ut olim Moysem, eligent. Quem Antechristum378, vel suum praecursorum forte
censeo.
O miserabilis eorum condicio379! Christum respuunt Deum et hunc qui
Antechristus erit sequentur! Christum occiderunt et istum tenebunt! Hoc est quod
dicebat: «!Multi venient in nomine meo, dicentes: Ego sum, et multos seducent!».380
Tertiamque Constitantinopolitanam a T(h)eucris. Cum tribus tuis liliis has tres ecclesias
redoles. Cum autem in Hyerosolima eris, quia Jerusalem381 Rex es, ut dictum est,
commota erit universa civitas illa, quae est in medio orbis, motu tuo, Karole; jam totus
orbis est commotus (id est universa christianitas). Operabis salutem in medio terrae, ut
Christi mysteria in mentibus hominum vivifices et resuscitare facias et extremam tuam
sentiam, hodiernis temporibus, reformationem. Populi autem in tuo accessu, praesertim
Hebrei qui tuam Majestatem Davidicam esse tenent. Nam jam cognoscunt illud
Danielis382 esse probatum: «!Non auferetur sceptrum 383
de Juda!» (id est Regale
dominandi Imperium), per truncationem lilii, in altaribus positi (scilicet Christi floris):
quo autem lilius truncatus est plantatum in terra, semen perpetuo eius duraturum, de quo
Karolus est. De quo dicent: «!Quis est hic? // [fol. 82v] — Tu autem malis Jerosolimae
habitantibus dices: «!Attolite portas, principes infidelitatis, vestras et elevamini, portae
paganae et hereticae!!» Et introibit Rex Franciae. Dicent: «!Quis est iste Rex Franciae!»
Omnes christicolae univoce respondent: «!Dominus virtutum, Christi Miles. Rex missus
a Deo, davidicus, Israelita, Christianissimus, iste est Rex Franciae!»384. «!Tunc laudabit
Dominum suum Mons Sion et Hyerusalem!» (scilicet tota mundi potentia) «!quoniam
confortavit seras portarum suarum!», quae ab infidelium manibus aperiebantur
claudebanturque, «!qui ponet fines suos pacem!» (id est in confinibus), non infestantur a
Mauris. Tunc laetatus christianus populus erit in his quae dicta sunt ei: «!In domum
Domini ibimus!»385. «!Tunc stantes erunt pedes!» 386
volentium stare in sepulchrum in

378
Au sens d'Antichrist.
379
Ecrit «!contitio!» par erreur.
380
Cf. Matt. 24,5.
381
Distinction voulue: l'une, la ville actuelle, l'autre, la cité davidique.
382
Inexact (cf. Genèse, 49, 10).
383
Écrit «!scetrum!».
384
Tout ce passage est un pastiche du Ps. 23, 7-10.
385
Cf. Ps. 122 (121), 1-2.
386
Idem.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—89

atriis magnis Jerusalem. Tunc «!Hyerusalem aedificatur, ut civitas!»387, quae modo


opprobrium est hominum et abiebrio388 plebis. Tunc erit jubilans christiana Religio. tunc
boni gaudebunt. Tunc fideles solidabuntur. Tunc omnia in proprium esse juste in
domino revertentur.

Et qualiter telas invidorum christianorum truncare oportet,


deinde protinus saltim cum exercitu mitter(etur)
Cap. XVI. // [fol. 83r]

Revertere, revertere! Quare retro reversus es? Cum te universi populi orbis
clament, rogant, orant, et supplicant, dicentes:!»Veni, domine, et noli tardare! Nec
reformatione tua indiget Francia. Veni festinanter! Graeci, ut de falsa opinione liberes
processionis divinae; Madecones, Thessalonicences, Corinthi, Galatae, ut apostolorum
eis monita vivifices, quae usque modo mortua steterunt; (H)arabia ex laetitia diem tuum
videre et desiderio saltat, ut ubi pestis infidelitatis, (H)eraclii tempore, fuit exorta, fides
Christi, tuo opere, restituatur; Tartaria omnis te expectat, ut a manibus Can Canis389 et
ab eius adoratione eos evites; Scythia390, fortissimae gentes, quas te superare non
dubitamus, sub christianitatis Imperio Magno; Constantinopolis391, urbs tua, veniam de
praeteretis petit: peccavit et parvipensa est; Imperialis Aquila, ut Aquila392, juventus 393
sua sollicitat per te renovari. Nam cecidit, cecidit Babillon ipsa394, orientalis ecclesia, ut
olim Jerosolimitana, prae mala, tum principum, tum Sacerdotum vita, periit oriens;
peccatum suum modo cognoscit, quia cum // [fol. 83v] in honore esset, non intellexit.
Comparatus395 est jumentis et similis factus est illis status ille. Ideo in velamento alarum
Galli exultabit. Dicet: «!Ipsi (scilicet T(h)eucri) in vanum quaesierunt animam meam (id
est Dominia).!» Quid igitur erit de ipsis? Introibunt in inferiora terrae, tradentur in
manus gladii ferocissimorum Francorum. Tu vero laetaberis in deo et laudabuntur

387
Id.v. 3, début.
388
Peut-être à rapprocher de «!Abjicere!», rejeter.
389
S'agit-il du Kahn, titre turc équivalent à empereur, qui serait traité de chien? Ou «!Canis!» est-il un
nom propre?
390
Écrit «!Scitia!».
391
Écrit «!Constantinopolim!» (accusatif).
392
Cf. Ps. 102 (103), 5.
393
On attendrait «!juventutem suam!» - influence du Ps. 102 où l'on trouve «!juventus tua!».
394
Cf. Apocalypse XVIII, 2.
395
Écrit «!comperatus!».
ANNEXE!: Opus Davidicum A—90

tecum omnes qui sperant. Revertere igitur , revertere et laetetur cor quaerentium
sanitatem. fidei.
Sed te respondentem pro nunc audio: «!O fidelissimi! Sicuti enim naturalibus est,
quod a(g)gens formam suam impassum nequit inducere, nisi suum contrarium expellat
et medium disponat. Populi nihilominus iterum acclamant: «!Revertere, itaque revertere,
quoniam coram te procident Etypiopes396 et adorabunt te omnes Reges terrae Dulia 397
et
forsan hyperdulia adoratione, qui primo Deum et Dominum Jeseum Christum latria
adorabunt, postmodum duces. Et omnes gentes servient Karolo. Regnum vero Siciliae et
Jerusalem tecum aeternabitur.!»

Quid erit post haec omnia bell(a)398 et universales tribulationes.


Cap. Ultimo // [fol. 84r]

Post haec omnia erit firmamentum in terra (videlicet in populis et vulgis) et in


summis Montium (scilicet dominorum ac praelatorum Rapinis, Usuris, Simoniis
ceterisque publicis approbatisque vitiis expulsis). Tunc, Karole, superextolletur super
Libanum fructus tuus et florebit de civitate in civitatem, sicut fenum. Semen igitur
tuum, non solum Davidicum et Israeliticum, sed christianissimum, adhuc in aeternum et
in generatione et generationem Regnabit. Promissio enim quae Habrae et Semini suo399
facta est etiam secundum carnem verificari, ut supra dictum est, debebat(ur). Semper in
omni et lege et aetate haec potentissima christianissimaque Domus, quae modo dicitur
Franciae, praecipua fuit. Nec verecundari quis debet: si prius Judeus fuerit, deinde
christianus. Ex Judeis prophetae, patriarchae, duces, Reges et Christus Jesus, Maria,
Apostoli et domus Franciae, omnes ex Judeis sunt. Ex paganis autem idolatriam,
adversitatem in scriptura sacra habemus.
Gaude, et tu, Rex Regum Israelita christianissimus, // [fol. 84v] de habita, hoc in
tuo tempore, ista patefactione. Placuit domino, quando voluit, Domum hanc sanctam
manifestare ut Tua Majestas magis ac magis grata, non solum Christianis, sed Hebreis
erit. Cum Tuam effigiem videmus, de progenie Christi recordamur. Haec est enim

396
= Aethiopes!?
397
Ce mot vient du grec. En théologie on parle de «!doulie!» pour désigner le culte rendu aux saints et à la
Vierge, et pour le distinguer de l'adoration due à Dieu («!latrie!») - voir plus loin «!latria!», mot tiré aussi
du grec.
398
La désinence est en blanc.
399
= Eius.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—91

Domus ipsa Franciae, Domus sancta, Domus pia, Domus plena gloria, columna fidei,
speculum virtutis, plena omnium generibus odoramentorum , omnium honorum. O
domus dei! Domus Jesu Christi! Domus Virginis Mariae! Domus Davidica, Benedicta
sis, tu! Benedictus sit Deus patrum tuorum, et laudabilis et gloriosus in saecula!
Benedicamus Regem omnium, Jesum Christum, in Karolum Regem Regum terrae, per
quem dextera Domini magnificatur hodie in virtute et confregit inimicos, quia fecit
dominus magna et sanctum nomen eius in saecula saeculorum! Amen.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—92

De signis Caroli, Regis Maximi adventum in Italiam


praedicentibus, Fratris Joannis Angeli Gonessani400 Epistola.

Christianissimo Regi Regum et domino dominentium, Carolo Maximo frater


Joannes Angelus humillimam commendationem dat.401
Solet, christianissime Rex, Prima rerum Causa, dominus, cum quid magni prodigii
futurum sit, per angelos suos et astra per tempus ante, signa demonstrare. Crescente
autem istis temporibus hominum malitia ut jam supremum iniquitatis gradum
attigerit402, // [fol. 85r] et plurimis signis ac minis dominus ipse se eos nequaquam
retraxisse conspiciens, id vi tolli deduxit. Reliquos vero cunctos Reges hoc
exaequendum repulit et unicam vineae suae spem et refugium domum tuam davidicam
elegit: sic et in veteri lege perfecit. Ait enim propheta tuus: «!Et repulit tabernaculum
Joseph et tribum Effrem403 non elegit, sed elegit tribum Juda, montem Syon quem
elegit.!» Prae404 motum vero tui, qui super solium davidicum 405 sedes, ante faciem tuam,
quo iturus eras, signa praemisit praecesseruntque hoc tuum iter in Italiam: concursus
aquarum et inundationes supra modum insolitae quae non modicam populorum
multitudinem noctu, ut plurimum summerserunt, villas similiter et castra obruerunt.
Signabant aquae populos externos in nocte tenebrarum jacentem ac dormitantem Italiam
voraturos et sic pervigili Gallo excitandam fore. Quod ut verum fatear, expertus
loquor406, qui super Giganteis humeris divi Christofori et Regiae Katarinae adjutorio,
non nisi miraculo, eas pertransivi. Nuperrime vero fluviorum Rex Eridanus, qui et
Padus dicitur, cum Montis eius, quem Anibal rupit aceto407, ab eisdem (h)oris tuis
labens, te in Latium reproficisci tractante, (illius)408 plagam mirabiliter auxisse videret;
magnitudinem facti sentiens, terrore concussus, signa dedit. Mirabile dictu, post terrae

400
Seule forme attestée à la place de «!de Lagonissa!».
401
Cette lettre ne paraît pas faire partie de l' Opus Davidicum, mais se rapporte également à l'expédition de
Charles VIII. Ici l’abbréviation «!D.!» est plutôt «!dat!» (cf. S.D. = salutem dat) que «!dedicat!».
402
J'ai conservé «!attigerit!» qui est dans le texte plutôt que la correction «!attingerit!».
403
= Ephraïm, fils de Joseph, ainsi que Manassé; ces deux petits-fils de Jacob ont donné leurs noms à
deux tribus (alors qu'il n'y a pas de tribu Joseph). Celle d'Ephraïm est la plus importante de celles du Nord
et désigne souvent le Royaume d'Israël, après la séparation des deux Royaumes.
404
Plutôt que «!pro!» qui commanderait un ablatif: «!motum!» est dans le texte. L'abréviation «!P.!» est
d'ailleurs «prae!» également dans «!praemisit!» et «praecesserunt!».
405
L’abréviation (dd) signifie en général ‘dominici’, mais peut également signifier ‘davidici’. Ici, les deux
cas sont possibles.
406
Pourquoi changer «!loquor!» en «!loquar!»?
407
Fin d'un vers de Juvénal (à retrouver).
ANNEXE!: Opus Davidicum A—93

motus et incredibiles grandinum devastationes tantas, se extulit in undas, ut paene totam


Italiam summersurus videretur. Quod secundum tui adventum denotat atque post
adversitates, jam purgatis omnibus, fecundantem domini gratiam e caelo diffundendam,
dicit. Quare mentium nostrarum campos simul ac terrenos irrigabit, sicque duplici
ubertate domino deo condonata, in caelestem campum ubertatis suae aeternae nos
deducet.
Illi ergo sit laus et gloria, qui est «!alpha et (w), principium et finis.!»409 // [fol.
85v]

Christianissimi operis Tabula Feliciter Incipit.


Carolo Maximo Regi Regum Epistula410.

Davidicae Domus Franciae Prologus


Libri Primi
De primo genetis primae aetatis ab Adam, in quibus christianissum semen stetit.
Cap. I.
De primo genitis 2ae aetatis a Noe. Cap. II.
De primo genitis 3ae aetatis ab Abraham. Cap. III.
De primo genitis 4ae aetatis ab Moyse. Cap. IIII.
De primo genitis 5ae aetatis ab Babillonica transmigratione. Cap V411.
Quod non a Julio Caesare, Octaviano nec a Reliquis troyanis est, sed cum Beata
Maria christianissima Domus Franciae est. Cap. VI
Libri II
Prologus.
Qualiter a Christo derivetur denomineturque. Cap. I.
Dari inter semina praecipuum quod metros sit et mensura. Cap. II.
Sanctus Constantinus, a quo crucem habent in spatulis, huius christinanissimi fuit
seminis. Cap. III.

408
«!Illus!» dans le texte: ce pronom reprend «eius!» (ligne précédente).
409
Cf. Apocalypse, XXII, 13.
410
«!Epystola!» dans le texte.
411
Fusion entre le chapitre V (David) et VI (déportation à Babylone).
ANNEXE!: Opus Davidicum A—94

Cur dicitur Gallia et quot sint Galliae et cur Francia dicitur. Cap. IIII.
Errant multum a troyana Priami familia asserentes Domum Franciae descendere.
Cap. V. // [fol. 86r]
Dato quod troyani crinuti412 Reges fuissent, jam defecisse noscimus. Cap. VI413.
Sanctissima pipinorum linea Regale christianissimum semen exorsit. Cap. VII.
Imperium in christianissima Domo Franciae pervenit, in qua merito semper stare
debet successive; et de Carolo illo Magno Caesare semper Augusto. Cap. VIII.
Pipinorum successio miranda, et contra fidei inimicos ampla victoria. cap. VIIII.
Cur potius in Francis quam in aliis regionibus Davidicum christianissimumque
semen conservandum sit. Cap. X.
De honesta Francorum amicitia; etiam cum feminis mutua dilectio. Cap. XI.
Hugonis Capen vel ciappetae Nobilissimi propago Davidicum renovans semen.
Cap. XII.
Neapolitanum Regnum quomodo Regibus Francis convenit. Cap. XIII.
Neapolitanum Regnum ab Alemanis usurpatur et a Francis Regibus gloriose
recuperatur. Cap. XIV.
De fortitudine Christianissimae Domus; et magno studio parisino. Cap. XV.
Regnum Franciae ab Anglis capitur et per virginem mirabiliter recuperatum; et de
Regibus Francis in Neapolitano Regno. Cap. XVI. // [fol. 86v]
Neapolitanum Regnum ad manus Aragonum, astutia cuiusdam Alphonsi, pervenit
et de Alovisio Rege Franciae pugnatore. Cap. XVII.
Libri III.
De ortu et persona Karoli Maximi Regis. Cap I.
De moribus et natura Karoli. Cap. II.
De natura Galli volucris. Cap. III.
De fortitudine bracchii Karoli et Bonitate. Cap. IIII.
De condicione Karoli a prophetis praevisa. Cap.V.
De reformatione Karoli et principum iniquitate. Cap. VI.
Quid Johannes Evangelista et Brigida de Karolo dicant. Cap. VII.
De natura Lilii. cap. VIII.
De proprietatibus Lilii. Cap. IX.

412
Faut-il comprendre «!criniti!» (=chevelus)?
413
Ce chapitre VI ainsi que les deux suivants correspondent au chapitre VII du texte, ici réparti en trois
parties.
ANNEXE!: Opus Davidicum A—95

De campo Lilii et cur tres sint. Cat. X.


De introitu karoli ad Italiam. Cap. XI.
De expulsione Aragonum Regum. Cap. XII
De Venetis prope flumen T(h)arum Carolum obsidentibus414. Cap. XIII.
Bellum inter Karolum et totum robur Italicum prope flumen T(h)arum Parmae
Ligurum. Cap. XIV.
Cur tam pauci Franci tantas multitudines superarunt. Cap. XV.
Reverso Karolo Franciam, omnes ut revertatur clamant. Cap. XVI.
Quid post haec bella fiet: pronosticatio. Cap. ultimo415.

414
«!Absidentibus!» dans le texte.
415
On le voit, la lettre reproduite aux fol. 84v. et 85 r. ne fait pas partie de l'ouvrage.

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