Meskhenet Et Les Sept Hathors en Egypte Ancienne

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Études de lettres 

3-4 | 2011
Des Fata aux fées

Meskhenet et les sept Hathors en Egypte ancienne


Cathie Spieser

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/edl/141
DOI : 10.4000/edl.141
ISSN : 2296-5084

Éditeur
Université de Lausanne

Édition imprimée
Date de publication : 15 décembre 2011
Pagination : 63-92
ISBN : 978-2-940331-26-0
ISSN : 0014-2026
 

Référence électronique
Cathie Spieser, « Meskhenet et les sept Hathors en Egypte ancienne », Études de lettres [En ligne], 3-4 |
 2011, mis en ligne le 15 décembre 2014, consulté le 18 décembre 2020. URL : http://
journals.openedition.org/edl/141  ; DOI : https://doi.org/10.4000/edl.141

© Études de lettres
MESKHENET ET LES SEPT HATHORS
EN ÉGYPTE ANCIENNE

Dans la littérature égyptienne, le papyrus Westcar relate l’intervention détermi-


nante des déesses Isis et Meskhenet pour le destin du nouveau-né. D’autres divinités,
apparaissant dans différentes sources, jouent un rôle très important dans la naissance,
la protection, la destinée et la durée de vie. A partir du Nouvel Empire et jusqu’à
l’époque ptolémaïque, Hathor et Meskhenet se démultiplient pour former des collèges
divins d’avatars qui, par leur nombre, accroissent leur puissance magique, mais aussi
leur nature ambivalente et redoutable. Bien qu’elles n’en soient pas, elles agissent à la
manière de « fées » veillant sur le nouveau-né. Comment s’articulent, dans les sources
à disposition, les phases de la naissance de l’enfant royal ? Quelles pratiques sociales et
rites de passage se reflètent à travers ces sources ?

1. Des « contes de fées » égyptiens ?

Dans la littérature égyptienne, des textes considérés comme des « contes »


relatent l’intervention de déesses annonçant le destin du nouveau-né 1.
Cette désignation relève cependant d’une catégorisation moderne qui
cherche à rapprocher les textes anciens d’un genre connu, quand bien
même il n’existe aucun terme qui corresponde au mot « conte » dans

1. Le terme « conte » est généralement employé pour désigner une catégorie bien spé-
cifique de récits merveilleux de l’Egypte pharaonique. Le premier ouvrage paru sur les
« contes » égyptiens est celui de G. Maspero, Les contes populaires de l’Egypte ancienne.
Le terme n’a cessé d’être employé jusqu’à aujourd’hui, par exemple : C. Lalouette,
Contes et récits de l’Egypte ancienne ; E. Brunner-Traut, Altägyptische Märchen.
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la langue égyptienne, contrairement à d’autres genres littéraires bien


documentés 2.
G. Lefebvre, dans son ouvrage Romans et contes égyptiens de l’ époque
pharaonique publié en 1949, établit même une typologie des « contes »,
en distinguant les contes-cadres (qui renferment des prophéties ou des
révélations), les contes mythologiques, les contes anecdotiques, les contes
philosophiques, les contes psychologiques, ainsi qu’une catégorie plus
large, celle des contes merveilleux, à laquelle appartiennent, selon lui, le
Papyrus Westcar et le récit du « Prince prédestiné » qui vont tout particu-
lièrement retenir notre attention. Ces compositions présentent aussi des
éléments mythologiques, notamment des déesses qui prennent la parole
et agissent, à l’instar d’autres personnages et même d’animaux fantas-
tiques. Il est donc hasardeux de les réduire à des catégories spécifiques.
Les « contes » égyptiens constituent, avant tout, des histoires ou des
récits ressortissant, pour beaucoup d’entre eux, du merveilleux mêlant
croyances, cultes et pratiques.
Certaines compositions, pour la plupart postérieures au Nouvel
Empire, se présentent comme des « récits populaires » 3. Il s’agit pourtant
de véritables compositions littéraires recopiées maintes fois par des per-
sonnes qui ne pouvaient qu’appartenir à la minorité lettrée de la société
égyptienne 4. Cependant, à travers cette volonté de présenter ces œuvres
comme « populaires », c’est surtout leurs destinataires que nous pouvons
appréhender. Comme l’a relevé J.-L. Chappaz, la présence de particules
communicatives dans les récits, placées souvent en début de paragraphe
pour introduire un nouvel élément du récit, telles que m . k, m .Tn que
l’on traduit par « vois-tu », « voyez », laisse à penser que ces textes furent
lus, ou contés, à un large public 5. A cela s’ajoute l’adverbe x r que l’on
traduit par « alors » qui sert souvent, lui aussi, à marquer le commence-
ment d’un récit ou d’une partie importante dans un récit et signale ainsi

2. J.-L. Chappaz, « Quelques réf lexions sur les conteurs dans la littérature
égyptienne ancienne ».
3. J. Baines, « Contexts of Fate ». Voir aussi W. Helck, « Die Erzählung vom
verwunschenen Prinzen ».
4. J. Baines, « Contexts of Fate ».
5. J.-L. Chappaz, « Quelques réf lexions sur les conteurs dans la littérature
égyptienne ancienne ».
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le caractère narratif du texte : « Alors, il arriva ceci, cela, etc. » 6. Enfin,


certains récits commencent par « Il était une fois » ou « Il y avait une
fois », comme dans l’histoire du Paysan éloquent qui débute par « Il était
(une fois) un homme » : s pw w n. Ainsi, ces histoires qui font appel au
merveilleux et au surnaturel servaient sans doute au divertissement d’un
large auditoire et rejoignent de ce fait la notion moderne de conte 7.
Pour les Egyptiens anciens, la naissance est un événement que l’on
doit protéger par des pratiques magico-religieuses parce qu’elle représente
le moment décisif où se cristallisent la personnalité et le destin de l’indi-
vidu. Les trois notions égyptiennes pour le sort, la chance (ou la fortune)
et la destinée sont désignées par trois termes égyptiens différents : SAjj,
rn n t et m s x n t. Elles sont également personnifiées par des divinités :
le dieu Shay et son pendant féminin, la déesse Renenet, présents à la
naissance, comme à la renaissance au moment de la pesée de l’âme, et
Meskhenet, « le lieu de naissance » soit les briques de l’accouchement 8.
Ces divinités ont toutes en commun leur pouvoir sur la durée de vie de
l’individu. Cependant, d’autres divinités pouvaient également intervenir
en jetant des sorts qui pouvaient avoir une influence directe sur le destin
d’un nouveau-né et sa durée de vie.

2. Un accouchement en musique

Dans le Papyrus Westcar, daté de l’époque Hyksos (vers 1600 av. J.-C.),
mais dont le texte semble remonter à la fin du Moyen Empire, ce sont
quatre déesses, Isis, Nephthys, Meskhenet et Héqet, qui interviennent
pour assurer le bon déroulement de l’accouchement de la reine Redjejet
et un destin favorable aux trois futurs pharaons de la Ve dynastie. Pour
passer « inaperçues » dans une forme terrestre, les quatre déesses vont
d’abord se transformer en danseuses musiciennes. Avant d’entrer dans
la chambre de la parturiente, elles agitent leurs sistres et leurs colliers

6. Cet adverbe se retrouve dans de nombreux récits : Sinouhé, le Naufragé, le Paysan


éloquent, etc.
7. H. Simon, « Die Jungfrau im Turm » : le texte, par sa structure, son style et sa
fonction de divertissement, justifie sa classification dans la catégorie des contes.
8. J. Baines, « Contexts of Fate » ; Ch. Seeber, Untersuchungen zur Darstellung des
Totengerichts, p. 83-88.
66 ÉTUDES DE LETTRES

Fig. 1 — Ostracon, Deir el Médineh, Nouvel Empire.

ménat 9. La musique, faite de cliquetis aigus, écarte les influences néga-


tives et invisibles. Des divinités musiciennes et protectrices sont fami-
lières des scènes de naissance égyptiennes, figurées généralement au
Nouvel Empire sur des ostracas (fragments de poterie) qui montrent
l’accouchée sur un lit ou assise sur un siège tenant son enfant sous un
kiosque orné de lierre (fig. 1) 10. La musique et la danse prophylactique
accompagnaient aussi les funérailles 11. La musique marquait à la fois
l’entrée dans la vie, ainsi que la disparition dans la mort qui devait
elle-même conduire à une renaissance à une forme de vie éthérée. La
musique accompagnait les accouchements des Egyptiennes et cette

9. Le collier ménat est composé d’un contrepoids métallique et de nombreuses ran-


gées de perles en fritte émaillée qui, par leur frottement, donnent un son similaire à
celui d’un sistre. E. Staehelin, « Menit ».
10. A. R. Schulman, « A Birth Scene from Memphis » ; E. Brunner-Traut, Die Alten
Aegypter, p. 56-60.
11. De l’Ancien Empire jusqu’au Nouvel Empire, c’est notamment le rôle des
« danseurs Muu » de danser et de surveiller à la fois le transport de la momie vers son
caveau. Voir, par exemple, la tombe thébaine de Reckmiré (Nouvel Empire) avec la
représentation de danseurs Muu : S. Hodel-Hoenes, Leben und Tod im Alten Ägypten,
Thebanische Privatgräber des Neuen Reiches, p. 130 et fig. 63. Ce sont aussi parfois des
couples de jeunes filles ou de jeunes hommes figurés en train de danser aux funérailles :
cf. E. Brunner-Traut, « Tanz ».
MESKHENET ET LES SEPT HATHORS 67

tradition, encore présente dans quelques sociétés africaines, notamment


chez les pygmées Aka, se rattache peut-être à un ancien fond religieux
africain. Enfin, cette musique bienfaisante et protectrice peut aussi être
rapprochée de celle que les prêtresses étaient chargées de dispenser dans
les temples, à proximité de la chapelle contenant la statue divine où l’es-
prit divin devait se réincarner quotidiennement 12. Il est connu que les
palais royaux et des maisons privées de hauts dignitaires étaient conçus
selon un modèle d’agencement des pièces rappelant les temples. Dans la
maison, la chambre à coucher correspondait au saint des saints, or c’est
justement l’endroit où accouche Redjejet.

3. Les déesses sages-femmes : des « bonnes fées » accomplissant des prodiges

Dans le papyrus Westcar, l’intervention des déesses Isis, Nephthys,


Héqet et Meskhenet est clairement décrite 13 : « Alors Isis se plaça devant
elle (Redjedet), Nephthys derrière elle et Héqet accéléra la naissance. »
Isis et Nephthys sont des déesses sœurs qui veillent sur Osiris, le proto-
type du roi défunt divinisé, et sur Horus, l’enfant héritier du trône royal.
Héqet, la déesse à forme de grenouille, incarne et protège tout à la fois, le
ventre et le mouvement des jambes repliées de la parturiente, rappelant
le saut des grenouilles, qui devait faciliter la délivrance. Héqet est liée
au principe de la fécondité de la vie, de la naissance et de la renaissance.
Les déesses jouent manifestement le rôle de quatre sages-femmes. Elles
déclarent d’ailleurs : « Nous savons faire un accouchement. » Ce pas-
sage qui décrit avec beaucoup de réalisme l’emplacement occupé par les
sages-femmes autour de la parturiente qui devait être maintenue presque
debout, et aidée pendant l’accouchement, reflète l’existence de sages-
femmes en Egypte ancienne, comme il en existait aussi dans d’autres
civilisations.
Lorsque l’enfant glisse dans les mains de la déesse Isis, elle fait alors
un jeu de mots qui forme le nom du premier enfant royal : Ouser-kaf,
dont le nom signifie « Son esprit ka est puissant ». La déesse fait de même

12. S. Sauneron, Les Prêtres de l’ancienne Egypte, p. 78-83 et 94 : la musique rythmait
les offices religieux mais il existait aussi une « aubade musicale qui réveille le dieu au
matin ». Un hymne était chanté le matin pour « réveiller » le dieu.
13. G. Lefebvre, Romans et contes égyptiens de l’ époque pharaonique, p. 86-90.
68 ÉTUDES DE LETTRES

pour les deux autres enfants. Le nom donné à l’enfant au moment de


sa naissance constitue déjà une forme de prédiction, une caractéristique
qui demeurera liée à l’individu. En fait, le mythe reflète ici une pra-
tique sociale : le nom de l’enfant était en principe attribué par la mère
et pouvait évoquer les premières paroles prononcées par la parturiente
considérées comme un signe à caractère magique et protecteur pour
l’enfant 14.
L’étape suivante consiste à laver l’enfant et cette purification constitue
un premier rite de passage : « Elles le lavèrent, après qu’eut été coupé son
cordon ombilical et qu’il eut été placé sur un cadre de briques. » Ce cadre
composé de deux briques, ou de quatre briques empilées par deux, pla-
cées de façon perpendiculaire et sur lesquelles la femme posait ses pieds,
était probablement recouvert d’un rembourrage d’étoffe pour éviter de
blesser l’enfant, comme l’indique un passage du papyrus Leiden I 348 15.
La déesse Meskhenet annonce ensuite sa première prophétie : « un roi
qui exercera la royauté dans ce pays entier ». Ce n’est pas un hasard si
l’intervention de la déesse se fait juste après le premier bain de l’enfant :
il est propre et on peut faire un pronostic vital. Ce pronostic devient
une prédiction. L’intervention du dieu Khnoum se fait après celle des
déesses. Il n’assiste pas aux accouchements de Redjejet, mais il intervient
juste après pour donner au nouveau-né la santé et la force. Khnoum n’est
autre que la transposition de la figure paternelle qui marque un autre rite
de passage : celui de la reconnaissance de l’enfant par le père.

14. P. Vernus, « Namensgebung » ; G. Posener, « Sur l’attribution du nom à un


enfant ». D’autres noms se rattachaient à des oracles, par exemple : « Le dieu X a dit
qu’il vivra » et sont à considérer comme de véritables talismans pour leur porteur, cf.
J. Sainte-Fare-Garnot, « Défis au destin » ; P. Vernus, « Namensgebung », col. 328 et
n. 25 à 28. D’autres noms indiquent que l’enfant est né grâce à l’intervention d’un dieu
ou d’une déesse auquel avait été adressée une prière, par exemple : « c’est à Mout que
j’ai demandé un rejeton », « le fils/la fille de la divinité X », etc. Cette dimension per-
formative de la parole caractéristique des cultures antiques se retrouve dans la plupart
des versions du conte de La Belle au bois dormant, comme le montre D. Haase dans sa
contribution à ce volume.
15. J. F. Borghouts, The Magical Texts of the Papyrus Leiden I 348, cf. 4, recto 2.9.,
p. 16 sq., pl. 2 et 19 : « une brique en tissu nd » ; A. Gnirs, « Nilpferdstosszähne und
Schlangenstäbe », p. 136, n. 62 ; E. Staehelin, « Bindung und Entbindung ». A. Macy
Roth, C. Roehrig, « Magical Bricks and the Bricks of Birth », p. 132, n. 62. Un texte
magico-médical mentionne clairement l’utilisation de deux briques pour l’accou-
chement. L’emploi de deux briques devait être plus fréquent si l’on tient compte des
parallèles ethnographiques.
MESKHENET ET LES SEPT HATHORS 69

Les opérations sont identiques pour les deux autres enfants royaux :
aide de Nephthys et Héqet, réception de l’enfant par Isis, prononciation
du nom par Isis, coupure du cordon en même temps que l’enfant est
placé sur les « briques », puis lavage du corps de l’enfant, et enfin prophé-
tie de Meskhenet et intervention finale de Khnoum. Redjejet respecte
ensuite une purification de quatorze jours. Les parturientes subissaient
également une période de purification de quatorze jours durant lesquels
elles demeuraient sans doute dans un kiosque construit spécialement
pour l’occasion et qui devait se situer dans la cour de la maison 16.
Ces étapes de la naissance des trois rois et le rite de purification de la
reine du papyrus Westcar sont clairement la transposition de pratiques
réelles. Le récit mentionne aussi un détail particulier : les déesses laissent
un sac d’orge renfermant les couronnes des trois rois et dont s’échappe une
musique de fête : « un bruit de chant, de musique, de danse, d’acclamations,
tout ce qu’on a coutume de faire pour un roi ». Ce fait intervient juste après
qu’Isis et les déesses, une fois retournées chez elles, manifestent le désir de
« faire pour ces enfants un prodige » qu’elles pourraient annoncer à leur père
véritable, le dieu Rê. L’orge servait à faire de la bière. Nous avons ici l’évo-
cation du retour des accouchées qui, au terme de leur purification, donnait
lieu à une fête particulière en l’honneur de la naissance des enfants.
Isis, Meskhenet et d’autres dieux ou déesses du panthéon égyptien
sont à même de faire des présages favorables à l’enfant royal. Les rôles des
dieux et déesses peuvent se recouper entre eux, même si les attributions
de chacun ne sont jamais tout à fait les mêmes et évoluent dans le temps.
Meskhenet joue cependant un rôle particulier dans la prédiction liée à
la naissance. L’idée même de la naissance était personnifiée par la déesse
Meskhenet dont le nom signifie « lieu d’accouchement », c’est-à-dire le
siège de parturition composé de deux ou quatre briques qui permet à la
femme d’accoucher en position accroupie. Meskhenet possédait un rôle
parallèle dans le domaine funéraire. Ainsi, dans le chapitre de la pesée
du cœur, elle figure, sous forme d’une brique à tête humaine, près de la
balance qui indiquera si le mort peut accéder à la vie éternelle ou s’il sera
jeté en pâture à la dévoreuse (fig. 2) 17. Elle représente le destin du mort
qui est momentanément mis en suspens.

16. Je rejoins tout à fait l’avis d’A. Gnirs, « Nilpferdstosszähne und Schlangenstäbe ».
17. Ch. Seeber, Untersuchungen zur Darstellung des Totengerichts im alten Aegypten,
p. 83-84, fig. 24 et 25.
70 ÉTUDES DE LETTRES

Cette déesse, très ancienne,


était déjà mentionnée dans les
Textes des Pyramides où son nom
a pour signe déterminatif un uté-
rus, probablement celui d’une
vache 18. Ce signe en forme de
crochet à double volutes sert aussi
d’emblème à la déesse qui le porte
Fig. 2 — Meskhenet sous forme de brique à
volontiers sur la tête. Que cet élé-
tête humaine. ment ait été emprunté à une vache
n’a rien d’étonnant : les Egyptiens
associaient cet animal, considéré comme aquatique car vivant dans les
marécages du Delta, à l’idée de beauté et de fécondité. La déesse Hathor
fortement liée à l’univers de la naissance peut aussi être figurée sous les
traits d’une vache ou avec des attributs de vache et elle possède un rôle
comparable à celui de Meskhenet.
Dans une formule magique du papyrus Berlin 3027, datant du Nouvel
Empire (1550-1070 av. J.-C.), destinée à « séparer l’enfant naissant du
corps de sa mère », à prononcer sur les deux briques d’accouchement,
Meskhenet est la déesse qui « procure l’esprit » à l’enfant qui est dans le
ventre de sa mère 19 :
[…] Il vient au monde l’enfant, tu sais (en ton nom) Meskhenet,
comment procurer l’esprit à cet enfant qui est au flanc de cette femme.
Tu lui procureras l’ordre royal donné à Geb, de créer l’esprit, l’âme et
tout ce qu’il faut de Nout, et les maillots pour l’enfant de cette femme.
Ne permets pas que soit prononcé aucun maléfice, car tu es bonne !
Que ceux qui sont pris par la faiblesse, n’arrêtent pas ce qui est juste,
avec de méchantes bouches ! […]. Cette formule doit être prononcée
par le lecteur des saints livres sur deux briques sur lesquelles est assise
la femme qui enfante.

18. J. P. Allen, The Ancient Egyptian Pyramid Texts, p. 139 : P 356 ; p. 159 : P 464 et
p. 326 : Nt 244. Le signe déterminatif est le signe non phonétique qui indique le sens
général du mot.
19. F. Lexa, La magie dans l’Egypte antique de l’Ancien Empire à l’ époque copte, II,
p. 29, V - 5/8 et 6/8.
MESKHENET ET LES SEPT HATHORS 71

Ainsi, la déesse insuffle non seulement « l’esprit », « l’âme » et « tout le


nécessaire », mais elle procure aussi les maillots pour l’enfant. Ces bandes
entourent son corps et lui offrent une protection magique. Meskhenet
doit aussi le protéger contre les maléfices qui pourraient être pronon-
cés contre lui. Ceci rappelle « le mauvais œil » si présent dans les pays
orientaux : on se méfie d’un mauvais regard, ou de mauvaises paroles, en
raison de la valeur créatrice attribuée aux mots écrits ou prononcés 20.
Dans les temples ptolémaïques, Meskhenet apparaît sous forme d’un
collège de quatre divinités (fig. 3) 21. La démultiplication de la déesse a
pour objectif de renforcer la puissance de son pouvoir magique et son
ubiquité : le chiffre quatre représente généralement les directions cardi-
nales et exprime une idée de totalité. Les quatre déesses possèdent des
épithètes distinctes qui les assimilent, dans leur nature, à des déesses
bien connues du panthéon égyptien. Ainsi, Meskhenet neferet (la belle)
est identifiée à Isis, Meskhenet ouret (la grande/la puissante) à Tefnout,
Meskhenet âat (la grande) à Nout et Meskhenet meneket (l’utile) à
Nephthys 22. Les quatre déesses assistent à la naissance d’Horus et sont
des compagnes de Khnoum qui crée le corps de l’enfant sur son tour de
potier 23. Les Meskhenet agissent ainsi à la manière de « bonnes fées »
pour le divin nourrisson en lui servant de nourrice et en déterminant
son héritage, ses héritiers, sa royauté et la durée de sa vie 24. Elles lui
accordent des bienfaits ou « dons » : courage, vie, santé, force. Au temple
d’Esna, une inscription qui accompagne leur représentation indique :

20. Voir n. 14.


21. Voir par exemple la belle illustration dans A. Mariette, Denderah, II, pl. 43b.
22. Elles sont appelées « Meskhenet neferet Isis », ainsi de suite.
23. Ce dernier pouvait aussi endosser le rôle de médecin accoucheur. Une inscription
du mammisi de Philae indique : « Il est celui qui a fait accoucher sa sœur ; celui qui a
affermi la couronne blanche sur sa tête, dans ses domaines sur terre. Il l’a fait se lever
sur les cuisses de sa mère, le jour de sa naissance… le jour de mettre au monde Horus »,
cf. F. Daumas, Les mammisis des temples égyptiens, p. 427-428.
24. Pour le rôle de Meskhenet à l’époque ptolémaïque : M. Derchain-Urtel,
Synkretismus in ägyptischer Ikonographie, p. 29-34.
72 ÉTUDES DE LETTRES

Fig. 3 — Dendera, les quatre Meskhenet.

Ce sont elles qui comptent le temps, qui conjurent le mal, qui embel-
lissent les lieux de naissance sur les quatre briques de naissance. Elles
(fixent) son destin auprès du Maître du Tour de potier, pour créer ta
famille dans […] 25

Un autre texte provenant du mammisi de Dendera montre le rôle fon-


damental des paroles de Meskhenet pour déterminer le destin du jeune
Horus :
Paroles prononcées par Meskhenet la belle : je suis venue et je t’ai
apporté toute la vie et le bien-être, toute la santé et toute la joie, tous
les aliments et toutes les offrandes. Je rajeunis (rnpj) […] l’enfant, qui
sort de ton corps. Je le place en tant qu’hériter du trône d’Horus et de
tout ce que le soleil entoure 26.

Le dieu solaire vieilli par sa course diurne est rajeuni par la déesse qui fixe
aussi la durée de la grossesse. Une autre inscription prête à Meskhenet

25. S. Sauneron, Le temple d’Esna, p. 228-229, no 311, 17-19 ; M. Derchain-Urtel,


Synkretismus in ägyptischer Ikonographie, p. 31, no 24.
26. Ibid., p. 32, no 29.
MESKHENET ET LES SEPT HATHORS 73

« l’utile » assimilée à Nephthys et, dans ce cas, aussi à Seshat, la déesse de


l’écriture, un rôle tout aussi déterminant :
Paroles prononcées par Meskhenet l’Utile, Nephthys, la sœur du dieu,
qui compte toute la durée de vie et toutes les années, le destin, la nour-
rice qui ordonne la venue à l’existence, qui fait des plans d’avenir pour
Ounnefer 27.

A travers ces divers exemples, Meskhenet semble prendre de l’importance


au fil du temps. Son rôle, au moment de l’accouchement, s’est étendu à
la durée de la grossesse et inclut le moment clé de la délivrance : c’est elle
qui déclenche l’accouchement. Elle contribue, par les nombreux bienfaits
octroyés au divin nouveau-né, à sa bonne destinée. Des découvertes
archéologiques récentes de sièges de parturition, les fameuses « briques
d’accouchement » comportant des représentations de divinités et proba-
blement réservées à l’élite de la société égyptienne, tendent à montrer
la continuité entre les données religieuses fournies par les temples et les
croyances privées 28.

4. Hathor et les Sept Hathors dans leur fonction de « fée »


pour le nouveau-né

Hathor, une déesse figurée sous forme de vache ou purement anthropo-


morphe, ou avec une tête de vache sur un corps humain, était mise en
relation avec l’amour, la joie, la musique, l’ivresse, la fécondité, la nais-
sance et les prédictions à la naissance 29. Toutes ces attributions sont aussi
étroitement associées à l’accouchement. La déesse Hathor est appelée à
Dendera « Maîtresse de Shaï et de Renenet », c’est-à-dire maîtresse du
destin et de son pendant féminin, qui signifie « la nourrice » 30, Renenet

27. Ibid., p. 30, no 16 ; A. Mariette, Denderah, II, pl. 43b.


28. Comme par exemple le siège de parturition découvert à Abydos : J. Wegner, « A
Decorated Birth-brick from South Abydos », p. 3 sq.
29. Sur Hathor, ses nombreuses variantes et épithètes : Ch. Leitz, Lexicon der
Aegyptischen Götter und Götterbezeichnungen, V, p. 75-86.
30. Le nom de Renenet est basé sur la racine rnn « nourrir, cultiver » et le détermi-
natif est celui d’une femme allaitant un enfant ou un serpent (Népri), cf. R. Hari, « La
grande-en-magie de la stèle du temple de Ptah à Karnak », p. 101 ; F. T. Miosi, « God,
Fate and Free Will in Egyptian Wisdom Literature », p. 75.
74 ÉTUDES DE LETTRES

étant la déesse de l’accomplissement, de la chance. Ces deux divinités,


qui obéissent à Hathor, sont particulièrement associées aux présages de
naissance et on les figurait parfois, à la fin du Nouvel Empire, comme
des briques à tête humaine à la manière de Meskhenet 31. Cette iconogra-
phie montre que, dans l’esprit des Egyptiens, le destin du nouveau-né se
jouait sur les briques d’accouchement, sur le lieu de son premier examen
physique qui permettait de poser un premier pronostic vital : l’enfant
était-il complet, normal ou atteint d’une anomalie, d’une difformité ?
Semblait-il en bonne santé ? Autant d’inquiétudes qu’il fallait écarter, en
priorité, par un examen minutieux de son corps.
Comme les quatre Meskhenet, Hathor se multiplie pour former un
collège puissant de sept déesses qui, à la manière des sept fées du conte
de Perrault La Belle aux bois dormant, vont se pencher sur le nouveau-né
pour délivrer leurs présages 32. Le chiffre sept (s f x) commun à de nom-
breux groupes d’entités divines, était sacré et peut-être lié à la notion de
« délier », comme dans des expressions telles que « se défaire du mal »,
« séparer l’enfant de la mère » 33. L’existence des Sept Hathors, attestée
notamment par des récits datant du Nouvel Empire, est cependant plus
ancienne que celle des quatre Meskhenet 34. Les Sept Hathors étaient
précédées par un groupe divin de sept vaches célestes mentionnées dans
les chapitres 141 et 148 du Livre des Morts 35. Ces vaches portent toutes
la ménat 36, un attribut d’Hathor, mais seules trois d’entre elles ont des
noms qui les rapprochent de la déesse, tandis que les autres évoquent

31. F. T. Miosi, « God, Fate and Free Will in Egyptian Wisdom Literature » ;
Ch. Seeber, Untersuchungen zur Darstellung des Totengerichts im Alten Aegypten, p. 85.
32. Le fait qu’elles n’aient pas de nom individuel comme les Meskhenet, mais uni-
quement des épithètes, ne diminue pas leur importance ; elles ne sont pas non plus des
« fées », contrairement à ce qu’affirme P. Hubaï, « Eine litterarishe Quelle der ägyptischer
Religionsphilosophie », p. 280.
33. A. Erman, H. Grapow, Wörterbuch der Aegyptischen Sprache, IV, 115.
34. Les premières mentions des Meskhenet (au pluriel) comme entités formant
un collège divin de nombre indéterminé datent du Nouvel Empire. Cependant les
quatre Meskhenet apparaissent à l’époque gréco-romaine : cf. Ch. Leitz, Lexicon der
Aegyptischen Götter und Götterbezeichnungen, p. 440-441.
35. R. El-Sayed, « Les sept vaches célestes, leur taureau et les quatre gouvernails ».
Une première mention des sept vaches se trouve sur une stèle abydénienne datant du
Moyen Empire. L’inscription, qui constitue un prototype du chapitre 148 du Livre des
Morts, donne les noms des sept vaches.
36. A propos de la ménat, voir n. 7.
MESKHENET ET LES SEPT HATHORS 75

leur fonction ou un lieu particulier de l’univers funéraire. Ces vaches


divines étaient invoquées pour assurer au mort la nourriture nécessaire
à son existence d’outre-tombe. Mais elles n’étaient pas uniquement des
nourrices pour le mort 37 ; elles étaient aussi chargées d’assurer sa renais-
sance 38. Les sept vaches célestes sont accompagnées d’un taureau et de
quatre gouvernails qui sont aussi des entités protectrices et nourricières.
L’une des vaches, appelée Khenemet ankh, « elle préserve la vie » ou « nour-
rice de vie », devait tout particulièrement permettre au mort de renaître à
la vie. Elle est parfois figurée avec un pelage rouge. Cette vache est aussi
désignée par le terme jnwtt, « la colorée » 39, et parfois aussi jns, avec déter-
minatif de l’étoffe, « la bandelette rouge » 40. Cette bandelette de couleur
rouge clair doit rappeler le sang, en vertu d’un symbolisme que nous
allons aussi retrouver chez Hathor. Les sept vaches célestes continuent à
exister, parallèlement aux Sept Hathors, jusqu’à l’époque ptolémaïque 41,
où leurs noms individuels changent, et où elles constituent désormais
un groupe divin plus étroitement lié à Hathor, celui des « Sept vaches
de la Dorée ». Ces vaches, qui ont probablement contribué à l’émergence
des Sept Hathors, resteront un collège divin distinct de celui des Sept
Hathors qui sont figurées de manière anthropomorphe.
On trouve les Sept Hathors dans deux histoires égyptiennes datant du
Nouvel Empire. Le « Prince prédestiné », du pap. Harris 500, datant des
XIXe-XXe dynasties (ramesside), raconte qu’un roi avait imploré les dieux
pour obtenir un fils 42. Après sa naissance, les Sept Hathors sont venues
pour lui fixer son destin (shaï) en prononçant des présages (shaw). Elles

37. Elles sont aussi les nourrices de Rê. Voir R. El Sayed, « Les sept vaches célestes,
leur taureau et les quatre gouvernails », p. 375-376.
38. Les formules doivent permettre au mort de « venir à l’existence sous vos croupes »,
cf. R. El Sayed, « Les sept vaches célestes, leur taureau et les quatre gouvernails », p. 359
et 373.
39. Par exemple, dans la tombe de Nefertari : H. Schmidt, J. Willeitner, Nefertari
Gemahlin Ramses’II, p. 139, fig. 200.
40. R. El-Sayed, « Les sept vaches célestes, leur taureau et les quatre gouvernails »,
p. 363-369. Voir aussi l’article de V. Dasen dans ce volume.
41. Elles sont figurées à Edfou, Kom Ombo et Denderah : cf. R. El-Sayed, « Les
sept vaches célestes, leur taureau et les quatre gouvernails », p. 385. Pour Dendera, cf.
E. Chassinat, F. Daumas, Le temple de Dendera, VII, p. 124 et pl. DCXLIII.
42. G. Lefebvre, Romans et contes égyptiens de l’ époque pharaonique, p. 114-124 ;
W.  Helck, « Die Erzählung vom verwunschenen Prinzen ». Ce récit est à caractère
politique. Voir ausi, H. Simon « Die Jungfrau im Turm ».
76 ÉTUDES DE LETTRES

Fig. 4 — Dendera, crypte sud no 2, les Sept Hathors précédées de la déesse Ouadjet.
MESKHENET ET LES SEPT HATHORS 77

prédisent un sort funeste : « il périra par le crocodile ou par le serpent,


ou encore par le chien ». Malgré ces prédictions, le récit, dont il manque
la fin, finit probablement bien. Ces mêmes déesses énoncent aussi un
destin fâcheux dans l’histoire « des Deux Frères » datant de la fin de la
XIXe dynastie, époque Mineptah-Siptah (pap. d’Orbiney, BM 10183, 9,
8-9) 43. Les Sept Hathors rendent visite à la femme que Khnoum a créée
pour le magicien Bata et annoncent que celle-ci « mourra par le glaive »
en raison de son infidélité. Les déesses incarnent à la fois le destin et le
retournement du destin contre ceux qui commettent des actes injustes.
Un héros peut aussi, par ses actions, déjouer les mauvais présages. Le rôle
des Sept Hathors consiste autant à fixer la durée de vie que le moment
de la mort, ainsi que les circonstances qui les entourent 44. L’histoire « des
Deux Frères » connaît, elle aussi, une issue heureuse.
Dans les temples et les mammisis (temples dédiés à la naissance
d’Horus et de ses avatars) gréco-romains, les Sept Hathors jouent un
rôle plus pacifique et même pacificateur (fig. 4) 45. D’un temple à l’autre,
ce ne sont jamais exactement les mêmes déesses, dont les épithètes peu-
vent varier, qui sont figurées 46. Leurs titres peuvent évoquer leurs qua-
lités, leur rôle et une partie d’entre eux sont des épithètes géographiques
construites sur le modèle : « Hathor, maîtresse du (lieu) ». Au temple
d’Hathor à Dendera, des reliefs de l’ouâbet montrent les sept déesses
qui dansent et jouent du tambourin pour accueillir et réjouir la déesse
Hathor appelée sous différents noms et épithètes : la Dorée, la Régente,
la Maîtresse des Deux Terres, l’Œil de Rê, la Vénérable et Puissante,
etc. 47. Ces épithètes rappellent la double nature de la déesse Hathor,
dotée d’une puissance redoutable lorsqu’elle revient du sud, incarnant

43. Le contenu de ce récit possède une valeur initiatique dans la mesure où le héros
meurt et renaît sous une forme différente ; il est ensuite « identifié » et « réintégré », c’est-
à-dire que le héros est reconnu dans sa nouvelle apparence, puis retrouve la place qui lui
revient. J. Assmann, « Das Aegyptische Zweibrüder Märchen ».
44. S. Morenz, Untersuchungen zur Rolle des Schicksals in der ägyptischen Religion,
p. 32-34.
45. F. Daumas, « Sur deux chants liturgiques des mammisis de Dendera » : un hymne
présent à la fois au mammisi de Nectanébo et au mammisi romain de Dendera scande
l’apaisement de la déesse Hathor : Htp.n.s « apaisez-la » suivi du nom de différents dieux/
déesses.
46. F. Daumas, Les mammisis des temples égyptiens, p. 415-416, note 3 ; voir aussi
M. Rochholz, Schöpfung, Feindvernichtung und Regeneration, p. 75-90.
47. S. Cauville, Dendera, IV, p. 30, 356-359, pl. XXV.
78 ÉTUDES DE LETTRES

le feu solaire qui brûle la terre et le désir de l’accouplement. Lorsque


l’inondation, qui marque le Nouvel An, fait son œuvre, la déesse se paci-
fie à l’approche de sa prochaine maternité. Les eaux rougies de l’inon-
dation évoquent un aspect ambivalent de son pouvoir : l’eau rouge
représente le sang que la déesse réclamait dans le mythe de la vache du
Ciel. Elle est aussi la bière rouge offerte à Hathor comme substitut du
sang 48. Hathor est alors appelée la Maîtresse de l’ivresse. C’est dans
une ambiance festive faite de vin, de bière, de musique et de danse, que
les Sept Hathors l’accueillent et lui procurent l’apaisement. Des chants
liturgiques montrent que la musique des Hathors servait à attirer le
divin époux Amon dans les mammisis de Dendera, pour son union avec
elle, ainsi que pour la reconnaissance par le dieu du fils de la déesse 49.
L’ivresse, la musique et la danse sont les signes annonciateurs d’une issue
heureuse : la naissance du jeune dieu solaire. Parmi les offrandes faites à
la déesse Hathor se trouve notamment l’« étoffe rouge de Tayt » 50. Tayt,
dont le nom signifie « étoffe », est la très ancienne déesse du tissage déjà
mentionnée dans les Textes des Pyramides : elle est celle qui « nouait »
le corps du roi défunt, en lui « attachant ses membres » afin de lui assu-
rer l’intégrité physique et la résurrection 51. Ce faisant, elle remplissait
aussi une fonction maternelle, en assurant la renaissance du roi mort 52.
Dans le rituel de l’embaumement, Tayt tisse les bandelettes qui servent
à momifier le roi défunt 53. Tayt est aussi le nom de l’étoffe rouge et ce
n’est pas un hasard si cette étoffe est « celle qui s’ajuste sur le corps » 54.

48. M.-Ch. Poo, Wine and Wine Offering in the Religion of Ancient Egypt, p. 155-158.
49. F. Daumas, « Sur deux chants liturgiques des mammisis de Dendera ». Voir aussi
l’évocation de l’accueil de la déesse Hathor en musique au temple de Philae, F. Daumas,
« Les propylées du temple d’Hathor à Philae ».
50. S. Cauville, Dendera, IV, p. 31-34.
51. J. P. Allen, The Ancient Egyptian Pyramid Texts, p. 22 : W 54 et p. 85 : T 220-221.
52. Au Nouvel Empire, Tayet a été assimilée à Isis sous la forme d’Isis-Tayet. Tayet
partage le rôle du tissage des bandelettes avec la déesse Neith de Sais. cf. H. El Saady,
« Reflections on the Goddess Tayet ».
53. J.-C. Goyon, Rituels funéraires de l’Ancienne Egypte, p. 146 et 155. Dans le
conte de Sinouhé, Tayt pourvoit le héros de vêtements qu’elle a tissés de ses mains,
cf. M. Lichtheim, Ancient Egyptian Literature, I, p. 229. Ce rôle de déesse du tissage
est aussi partagé avec la déesse Neith comme l’indique le Texte des Sarcophages,
sp. 608, cf. R. El-Sayed, « Les rôles attribués à la déesse Neith dans certains Textes des
Cercueils », p. 286-293.
54. S. Cauville, Dendera, IV, p. 34. Un rapprochement pourrait être fait entre Tayt
et Tabithet : D. T. M. Frankfurter, « Tabitha and the Apocalypse of Elijah ».
MESKHENET ET LES SEPT HATHORS 79

Elle joue un rôle identique aux bandelettes données par Meskhenet au


dieu nouveau-né et peut probablement être rapprochée d’une des sept
vaches célestes 55. Dans un texte magique provenant d’un ostracon de
Deir-el Médineh, les Sept Hathors sont également décrites comme por-
teuses de bandeaux rouges : « Salut à vous, vous les Sept Hathors qui êtes
ornées de bandeaux de lin rouges… » 56. Ce bandeau rouge évoque aussi
la création même de l’enfant dans le corps de la mère. La couleur rouge
est associée au soleil naissant dans l’horizon céleste et elle évoque aussi
le sang qui entoure la naissance, l’accouchement 57. Le bandeau en lui-
même doit représenter le fil de la vie qui se crée, qui se tisse et probable-
ment aussi le cordon ombilical, le lien qui unit la mère à l’enfant. Une
formule magique destinée à prévenir et à guérir des piqûres de scorpion
évoque les sept Hathors qui font sept nœuds avec leurs sept bandelettes :
[…] Les sept filles de Rê se lamentaient ; elles firent sept nœuds de
leurs sept bandeaux et sauvèrent celui qui avait été mordu (par un
scorpion). Puisse-t-il se redresser, guéri pour sa mère, comme Horus
s’est dressé, guéri pour sa mère Isis dans la nuit où il fut mordu ! 58

Ces nœuds sont protecteurs. De nombreuses formules magiques de


recettes destinées à la protection de la femme enceinte ou de l’enfant
mentionnent le recours à une amulette constituée d’un cordon que l’on
doit nouer de sept nœuds 59. Mais les sept déesses étaient aussi invoquées
pour la protection du corps en général :

55. Cf. infra.


56. S. Schott, Altägyptische Liebeslieder, p. 85 ; J. F. Borghouts, Ancient Egyptian
Magical Texts, p. 1, no 1 : ostracon Deir el-Médineh 1057 ; S. Morenz, Untersuchungen
zur Rolle des Schicksals in der ägyptischen Religion, p. 34.
57. C. Spieser, « Le sang et la vie éternelle dans le culte solaire amarnien ».
58. W. Pleyte, F. Rossi, Papyrus de Turin, pl. 135 et p. 12-13 ; J. F. Borghouts, Ancient
Egyptian Magical Texts, p. 78, no 108, ostracon Deir el-Médineh 1048. Les « sept filles de
Rê » sont probablement une autre désignation pour les Sept Hathors qui sont aussi asso-
ciées aux sept scorpions qu’Isis créa pour la protection d’Horus, d’après la stèle Metternich
(II. 51-62) : M. Rochholtz, Schöpfung, Feindvernichtung und Regeneration, p. 215.
59. N. Yamazaki, Zaubersprüche für Mutter und Kind, par exemple p. 30, texte L,
pour vaincre la maladie ssmj : après la formule à réciter, « l’enfant ou sa mère doit man-
ger une souris cuite. Ses os doivent être attachés à un cordon de lin fin à son cou, où
l’on aura fait sept nœuds ». Un autre exemple destiné à protéger le nouveau-né de l’es-
prit malfaisant d’un mort : « […] On doit prononcer ce texte sur un sceau et dire d’une
main : ce sera fait comme amulette, noué avec sept nœuds – avec un nœud le matin, un
autre le soir, jusqu’à ce que l’on ait sept nœuds », cf. p. 42 sp. Q. D’autres exemples avec
80 ÉTUDES DE LETTRES

[…] Les Sept Hathors : elles vont veiller à la protection du corps jusqu’à
ce que le corps soit sain [et …] comme l’apparition de Rê sur le pays 60.

A Dendera se trouvent deux reliefs consacrés aux Hathors qui sont liés
à l’intronisation de la déesse 61. Dans l’un, elles jouent du tambourin 62 ;
dans l’autre, ce sont trois Hathors qui frappent du tambourin et quatre
qui jouent à l’aide de sistres de types différents : un sistre naos et un sistre
hathorique 63. Les sept déesses, en plus de leurs attributs hathoriques,
portent la coiffe à vautour typique des déesses-mères. Hathor y reçoit
diverses épithètes, parmi lesquelles : « la maîtresse du sistre naos », « la
maîtresse du sistre crécelle ». La déesse est aussi appelée « Soleil féminin » :
« Nous jouons du sistre pour le Soleil féminin. » Le sistre est l’instrument
qui devait favoriser l’épiphanie de la déesse. Dans ce même temple de
Dendera, pas moins de douze Hathors musiciennes, associées à diffé-
rentes localités, jouant du sistre et du tambourin, sont encore figurées
dans la décoration entourant une niche (fig. 5) 64. Celle-ci servait de
réceptacle pour les statues divines de la déesse Hathor 65. Le décor de la
bordure inférieure de la niche montre que celle-ci est à interpréter comme
étant « soulevée » par quatre déesses célestes soulevant le signe du ciel.
Ainsi, la niche, destinée à contenir des effigies divines d’Hathor, consti-
tue un espace céleste propice à l’apparition d’Hathor. Le rôle des Hathors
musiciennes est clair : elles dansent et font de la musique pour favoriser sa
présence divine dans la statue qui doit lui servir d’habitacle. Les épithètes
de la déesse, la « Dorée », « celle qui brille comme l’or », la « Maîtresse du

utilisation de corde/bande avec un nombre de nœuds variable, à nouer autour du cou


de l’enfant : p. 32, sp. M ; p. 34 sp. N ; p. 36 sp. O ; p. 48-49, sp. U ; p. 32, sp. V (sept
nœuds).
60. J. F. Borghouts, Ancient Egyptian Magical Texts, p. 46, no 74, pap. Berlin 3038,
(190), 21, 3-9.
61. S. Cauville, Dendera, V-VI, p. 51, pl. LVI.
62. Ibid., p. 280-283 et pl. XXXXVI : crypte sud no 2, A, passages A-B ; A. Mariette,
Denderah, III, pl. 59.
63. S. Cauville, Dendera, V-VI, pl. LVI, p. 410 ; A. Mariette, Denderah, III, pl. 76.
64. E. Chassinat, Le temple de Dendera, III, pl. CLXXVI.
65. L’intérieur de la niche montre des représentations des formes animales d’Hathor,
d’Isis-Ounyt, d’Horus et d’Harsomtous-Rê, les statues d’Hathor et d’Isis-Hathor et
deux sistres sacrés, selon S. Cauville, Dendera, III, p. 5. Voir aussi S. Cauville, « Les
statues cultuelles de Dendéra d’après les inscriptions pariétales ».
MESKHENET ET LES SEPT HATHORS 81

Fig. 5 — Dendera, niche entourée par douze Hathors musiciennes.


82 ÉTUDES DE LETTRES

Fig. 6 — Mammisi romain de Dendera. Hathors allaitant le dieu-enfant Ihy face à


Khnoum créant l’enfant sur son tour de potier, et au roi offrant deux vases à lait.

ciel » montrent qu’Hathor est vénérée en sa qualité d’entité solaire 66. Elle


est le « disque solaire féminin égal du disque masculin ». Bien qu’aucune
déesse ne joue de la harpe, une inscription du côté droit du relief indique
qu’on lui joue de la harpe 67. Hathor est identifiée à « Meskhenet qui élève
son Horus ». Elle est aussi « Celle qui est pleine de vie, qui aime la ban-
delette rouge » 68, soit une allusion au lien protecteur unissant la mère à
l’enfant, probablement le cordon ombilical. Ce dernier trouve aussi son
expression dans une amulette en forme de lien rouge, destinée à la protec-
tion de la naissance et la renaissance. Ce cordon rouge est lié notamment
aux sept vaches du Livre des Morts, aux Sept Hathors, à Hathor, mais
aussi au dieu chacal Anubis, portant un tel cordon rouge à son cou et qui
joue un rôle important dans la renaissance des morts 69.
La naissance et la renaissance sont également signifiées par l’allaite-
ment. Au mammisi d’Edfou, un temple destiné à la célébration de la nais-
sance du jeune dieu solaire, les Sept Hathors sont figurées en présence

66. S. Cauville, Dendera, III, p. 81-85.


67. Ibid., p. 85.
68. Ibid., p. 85.
69. Article en préparation sur « L’ambivalence du lait et des figues en Egypte
ancienne », à paraître dans Mélanges dédiés à Françoise Dunand.
MESKHENET ET LES SEPT HATHORS 83

d’Hathor allaitant un avatar du jeune dieu solaire, Harsomtous 70. Au


mammisi romain de Dendera, elles allaitent l’enfant face au dieu Khnoum
figuré en train de créer l’enfant sur son tour, tandis que le roi fait une
offrande de lait (fig. 6) 71. Les déesses font partie du cycle narratif de la
naissance du dieu solaire. Dans un autre registre, les mêmes déesses allai-
tent l’enfant de leur lait divin, gage de vie éternelle, tout en lui donnant
différents bienfaits 72. Ces dons sont autant de présages heureux destinés
au jeune dieu. Au mammisi d’Edfou, au niveau du soubassement, c’est un
collège de vingt déesses figurées de façon identique, parmi lesquelles nous
retrouvons les Sept Hathors (nos 11 à 17) qui donnent différents bienfaits
destinés à assurer un bel avenir au dieu nouveau-né : « toute l’acclamation
(h nw), toute la joie, toute la santé, toute la vie, etc. » 73.
Au mammisi d’Edfou, l’accouchement de la déesse est conçu comme
une mort rituelle (fig. 7). Pour permettre à la déesse de retrouver les
forces qu’elle a perdues, le roi lui fait une offrande sous forme d’une
galette et d’un pot de miel :
Je t’offre la galette Ss r jointe au miel pour remettre en état ton ventre
après l’accouchement ; tu manges les pains que tu as faits de tes mains,
apaisée par les humeurs de ta majesté 74.

Ces pains sont aussi appelés ta-mesout, les pains de naissance. Les tra-
vaux d’Irini Papaikonomou ont permis de faire la lumière sur l’existence
de « pains de naissance », en Grèce ancienne, qui étaient assimilés au

70. E. Chassinat, Le mammisi d’Edfou, pl. XV, p. 32.


71. F. Daumas, Les mammisis de Dendera, pl. XLVIII.
72. E. Chassinat, Le mammisi d’Edfou, p. 29-30. Même chose pour le mammisi
romain de Dendera, cf. F. Daumas, Les mammisis des temples égyptiens, p. 415-418.
L’enfant solaire reçoit des Sept Hathors du lait divin « blanc » et « lumineux ».
73. E. Chassinat, Le mammisi d’Edfou, p. 11. Les Sept Hathors interviennent aussi au
temple d’Edfou, dans les rites du second jour épagomène qui correspond à la naissance
d’Horus : M. Alliot, Le culte d’Horus à Edfou au temps des Ptolémées, p. 369. Au mammisi
romain de Dendera, les Sept Hathors sont également figurées au niveau du soubassement,
jouant du sistre et du tambourin pour apaiser la déesse et protéger l’enfant divin, cf.
F. Daumas, « Sur deux chants liturgiques des mammisis de Dendara », p. 44.
74. E. Chassinat, « A propos de deux tableaux du mammisi d’Edfou ». Les « humeurs
de ta majesté » sont une autre manière de désigner les offrandes faites par le roi, à savoir
la galette et le miel. Les offrandes sont assimilées à des fluides précieux émanant du
roi lui-même. Le texte fait aussi allusion à une pratique égyptienne : l’accouchée, après
la délivrance, fabriquait une galette de ses propres mains et mangeait du miel afin
d’apaiser ses douleurs et de soigner son ventre.
84 ÉTUDES DE LETTRES

placenta, appelé le gâteau de la mère, en allemand Mutterküchen : l’in-


gestion d’un tel gâteau devait permettre une « restitution » de ce dernier
à l’accouchée 75. Or le repas de la veille du Nouvel An, qui correspond
au retour de l’inondation, était lui aussi composé de pain, le mesout tep
renepet : « pain de Nouvel An ». Une autre inscription d’Edfou indique que
le roi offrait aussi à Hathor le « pain wp-r3 », le pain de l’ouverture de la
bouche, en référence à un rituel destiné à réveiller les morts à la vie 76.
L’accouchement était comparé à une mort de la déesse qui devait retrou-
ver, à travers ces pains évoquant le placenta, la force vitale qu’elle avait per-
due. Après son accouchement, la déesse Hathor subissait, elle aussi, une
période de purification dans la hout ouâb, « le temple de la purification » 77.
Des monuments privés attestent que les Sept Hathors étaient invo-
quées de manière personnelle pour obtenir notamment la naissance
d’enfants, comme l’atteste une stèle-naos d’époque ramesside montrant
le grand prêtre de Thot Amenemhat, au crâne rasé, les mains levées en
signe de prière devant une niche dans laquelle se trouvent figurées en
ronde-bosse les Sept Hathors 78. Le texte dit ainsi :
Offrande que donne le roi, O vous les Sept Hathors ! Puissent-elles
donner ce qui provient d’elles, des liquides, des bœufs, des volailles, de
l’eau fraîche, du vin, de l’encens, toutes choses bonnes et pures, des-
quelles vit un dieu. Puissent-elles donner des enfants des deux sexes,
(ne pas) rester devant elles sans prononcer une offrande nombreuse par
les personnes qui sont en présence (de moi) chaque jour. Je sors (de
mon lieu ?) pour la nourriture et des aliments et faire le bien, pour le ka
du favori de son Maître… 79

La partie manquante de la stèle a été retrouvée ; elle comportait une repré-


sentation de l’épouse du grand prêtre, la chanteuse d’Amon, Tamerout 80.
Enfin, un godet à onguent conservé au Musée du Louvre (E 25298)

75. I. Papaikonomou, S. Huysecom-Haxhi, « Du placenta aux figues sèches ».


76. E. Chassinat, « A propos de deux tableaux du mammisi d’Edfou », p. 183-184.
77. Elle devait « purifier ses membres après l’accouchement », c’est-à-dire qu’elle
recevait une purification à l’eau et des fumigations.
78. F. W. F. von Bissing, H. P. Block, « Eine Weihung an die sieben Hathoren » ;
M. Rochholz, Schöpfung, Feindvernichtung und Regeneration, p. 64, doc. 21.
79. « Ne pas rester devant elles sans prononcer une offrande » signifie que les
personnes qui passent devant cette stèle sont exhortées à faire des offrandes.
80. D. Raue, « Die Sieben Hathoren von Prt ».
MESKHENET ET LES SEPT HATHORS 85

Fig. 7 — Mammisi d’Edfou. Hathor recevant une galette de naissance et du miel de la


part du roi.

montre sur quatre faces des scènes en rapport avec la renaissance d’un
mort 81. Les Sept Hathors sont figurées en présence d’une défunte
portant un cône funéraire et qui joue du sistre aux déesses ; une autre
face de l’objet montre l’égide d’Hathor, sa tête (disparue) encadrée d’un
collier, ainsi que deux génies du Nil et un poisson inet, c’est-à-dire un
tilapia nilotica qui pouvait représenter le corps du mort dans sa phase de
régénération/momification 82. Les animaux du désert figurés dans une
marche pacifique représentent les forces hostiles maîtrisées, tandis que la
scène de pêche au filet délivre un message identique : la défunte échappe
à tous les dangers de l’au-delà. Ces scènes étaient destinées à favoriser la
renaissance de la défunte placée sous la protection des Sept Hathors.

Conclusion

Pour conclure, différentes déesses, parmi lesquelles Isis, Meskhenet et


Hathor, jouent un rôle important en tant que « bonnes fées » à la naissance

81. Ch. Desroches-Noblecourt, « Un lac de turquoise, godets à onguents et destinées


d’outre-tombe dans l’Egypte ancienne ». M. Rochholz, Schöpfung, Feindvernichtung und
Regeneration, p. 70, doc. 34.
82. E. Hornung, Geist der Pharaonenzeit, p. 181-200. En outre le mot « corps »
s’écrivait avec le signe déterminatif du poisson.
86 ÉTUDES DE LETTRES

des enfants divins et royaux, un rôle qui demeure toutefois difficile à éva-
luer dans les croyances privées. Dans les sources écrites et monumentales,
les grandes étapes de la naissance et certains événements comme le place-
ment de l’enfant sur les briques qui correspond à l’examen de viabilité de
l’enfant ou encore le don du nom à l’enfant, sont révélatrices de pratiques
sociales et religieuses. Les déesses Hathor et Meskhenet se multiplient
en collèges divins afin d’accroître leur puissance magique. Ce sont ces
déesses qui fixent le destin du nouveau-né, mais aussi ses limites et même
les conditions de sa mort. Dans les récits égyptiens, les présages néfastes
ne sont pas fatals pour autant, mais ils peuvent être déjoués. Dans les
temples gréco-romains, les Sept Hathors vont accueillir par leurs chants
et leurs danses la déesse Hathor qui était partie en Nubie. Hathor, iden-
tifiée à Sekhmet, incarne la sécheresse mortelle précédant l’inondation.
Son retour en Egypte, qui marque le Nouvel An, est célébré par les chants
et les danses des Sept Hathors. L’apaisement ainsi procuré à la déesse
annonce son changement de statut par sa prochaine maternité. Les quatre
Meskhenet, tout comme les Sept Hathors sont à nouveau présentes au
moment de l’accouchement de la déesse qui se fait en musique et vont
procurer leurs bienfaits à l’enfant solaire. Le pouvoir des Sept Hathors est
particulièrement mis en relation avec un bandeau rouge qui représente le
lien unissant la mère à l’enfant, probablement le cordon ombilical, mais
aussi le destin dont l’élaboration est comparée à un tissage. La déesse
Tayt incarne l’étoffe rouge qui est à la fois un mode de renaissance et un
linceul. L’usage de liens rouges à sept nœuds dans de nombreuses recettes
médico-magiques destinées à la protection de la mère et de l’enfant fait
référence à ces données religieuses. Nous retrouvons ce même bandeau
rouge comme attribut des Sept vaches du Livre des Morts, d’Hathor et
du chacal Anubis. Enfin, les Sept Hathors transmettaient aussi des dons
et des bienfaits au nourrisson solaire par l’allaitement ; le lait était, en
effet, considéré comme un breuvage divin lié à la renaissance et à la vie
éternelle. Une dernière étape liée à l’accouchement d’Hathor, figurée
notamment au mammisi d’Edfou, consistait à lui offrir un « pain de nais-
sance » afin de lui restituer, par ce biais, le placenta et de lui permettre de
retrouver son intégrité et sa vitalité. Ce rite trouvait probablement aussi
un écho dans les pratiques religieuses privées.

Cathie Spieser
Université de Fribourg
MESKHENET ET LES SEPT HATHORS 87

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Crédits iconographiques

Fig. 1 :
D’après Brunner-Traut, Emma, Die Alten Aegypter, Verborgenes Leben
unter Pharaoh, Stuttgart/Berlin/Köln/Mainz, Kohlhammer, 19874,
p. 58, fig. 13.

Fig. 2 :
D’après Dondelinger, Emile, Le Livre sacré de l’Ancienne Egypte.
Papyrus d’Ani BM 10470, éd. par Ph. Lebaud, Vesoul, 1987, p. 28
(détail).

Fig. 3-4 :
D’après Mariette, Auguste, Denderah : description générale du grand
temple de cette ville, II, Paris, Franck, 1870, pl. 43b et 59.
92 ÉTUDES DE LETTRES

Fig. 5 :
D’après Chassinat, Emile, Daumas, François, Le temple de Dendera,
III, Le Caire, IFAO, 1972, pl. CLXXVI.

Fig. 6 :
D’après Daumas, François, Les mammisis de Dendera, Le Caire, IFAO,
1959, pl. XLIII.

Fig. 7 :
D’après Chassinat, Emile, « A propos de deux tableaux du mammisi
d’Edfou », Bulletin de l’IFAO, 10 (1912), pl. XXXII.

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