Décadence Et Symbolisme
Décadence Et Symbolisme
Décadence Et Symbolisme
Décadence et Symbolisme.
Introduction
1880 : Parnasse s’épuise.
Mais bientôt cette tendance sombre et négative se convertit en une orientation plus
lumineuse et positive : la publication, par Jean Moréas, du « Manifeste du Symbolisme », en
1886, constitue l'acte de naissance du mouvement, qui se fédère autour du projet de quête
d'une poésie nouvelle, capable de se substituer au modèle romantique, et identifie ses
maîtres et modèles : Baudelaire, le grand intercesseur, pour avoir exploré les
Correspondances dans ses poèmes ; Richard Wagner, inventeur à l'opéra d'un "art total" qui
allie mots et musique. C'est surtout Stéphane Mallarmé qui va organiser et fédérer le
mouvement, en tenant salon chez lui, rue de Rome à Paris. La mouvement symboliste couvre
toute la fin de siècle et culmine en 1902 avec la création de Pelléas et Mélisande, opéra de
Claude Debussy composé sur une pièce du Symboliste belge Maurice Maeterlinck - idéale
association de la musique et des mots pour suggérer ce que les mots ne savent plus dire.
Plan du chapitre
Las du rationalisme officiel et/ou s’estimant méprisés, les artistes se tournent vers
des spiritualités hétérodoxes, syncrétiques ou ésotériques.
Lancé dans les années 1870, celui-ci tire son nom de la toile Impression, Soleil levant de
Claude Monet. Ses principes : l'impressionnisme cherche à représenter des impressions. Il
faut tenter de rendre sur la toile les miroitements de la lumière, la palpitation des couleurs,
la fluidité éphémère et fluctuante des paysages, les changements de contours et de couleurs
– d'où la multiplication, chez les impressionnistes, des "séries" prenant pour objet un
paysage ou objet identique, soumis aux variations de la lumière, de la couleur, du climat (ex.
la cathédrale de Rouen ou les Nymphéas de Monet) Comme lui, le symbolisme tentera de
saisir par les mots, les impressions éphémères et fugaces.
Une des plus importantes sources d’inspiration du symbolisme est la révolution musicale
engagée par le compositeur allemand Richard Wagner. Écrivant le livret des opéras qu'il met
lui-même en musique, puis en scène, poète, compositeur et scénographe, il rêve d’un art
total mêlant poésie & musique, cherche la fusion des arts et des moyens artistiques.
« L’œuvre la plus complète du poète doit être celle qui, dans son dernier achèvement, serait
une parfaite musique » (Wagner, Correspondance).
Il inaugure un art de la suggestion fondé sur une nouvelle structuration du langage musical :
des phrases et thèmes musicaux remplacent les vieilles structures classiques (concerto,
symphonie, récits & airs à l’opéra), fonctionnant comme symboles. Ainsi le prélude de son
opéra Tristan et Isolde n'hésite pas à malmener les repères classiques des tonalités,
inaugurant certains accords volontairement dissonants ("l'accord de Tristan" qu'on entend
dès les premières notes) pour suggérer le drame à venir ; il conjugue différents thèmes
musicaux ("leitmotive") qui, accompagnant le texte, serviront d'éléments suggestifs pour le
public, rappelant ici le thème du filtre d'amour, suggérant là le désir, la mort, la passion...
Vous pouvez écouter cette page magistrale ici
L'œuvre de Wagner invite à mettre en relief la musicalité, l’harmonie dans les textes
poétiques : cette recherche, initiée par Verlaine et son fameux « De la musique avant toute
chose » (« Art poétique »), poursuivie par les Symbolistes. II. LA MODE DÉCADENTE
(DÉCADENTISTE).
Dans les années 1860-70, un mouvement confus prend la relève d’un romantisme défunt
depuis longtemps : la "Décadence", ou décadentisme. Rassemblant des éléments disparates,
il forme un carrefour d’influences plutôt qu’une école ou un mouvement.
L'idée majeure défendue par ce courant décadent, c'est qu'on peut jouir esthétiquement de
l’apocalypse, trouver dans l’art de quoi supporter la vulgarité du monde moderne.
Salons et cafés.
La mouvance, hétéroclite et diverse, s’élabore autour de divers lieux de sociabilité :
les salons, notamment celui de Nina de Villard (fréquenté par Verlaine, qui y rencontre son
épouse Mathilde Mauté de Fleurville, mais aussi Mallarmé) et surtout les cafés !!
L’émergence du décadentisme doit beaucoup à l’essor de la presse, qui connaît son âge d’or
en France dans les années 1870-1914 grâce à la loi du 29 juillet 1881 (proclamant la liberté
d’expression, d’édition et de publication : c'est la première fois qu’il n’y a plus de censure !)
Journaux d’actualités, presse à sensation, revues littéraires : tous vont accorder à
l’information littéraire et aux écrivains un intérêt exceptionnel. Ceux-ci y écrivent en tant
que critiques, chroniqueurs ou nouvellistes (Barrès, Zola, Anatole France…)
Dans les années 1880 se multiplient les revues décadentes ou symbolistes : Le Chat noir, Le
Décadent, La Vogue (qui, dans sa série de 1886, publie Verlaine, Mallarmé, Villiers et révèle
l’œuvre de Rimbaud).
Verlaine affirme en 1883 : « Je suis l’Empire à la fin de la décadence », en référence au Bas-
Empire romain. Il publie Les Poètes maudits en 1884 : cet essai, consacré à Tristan Corbière,
Rimbaud & Mallarmé, célèbre les représentants de la poésie fin de siècle, maîtres à penser
des décadents. Le mouvement prend alors conscience de sa propre existence.
Mais c'est surtout Joris-Karl Huysmans qui va, malgré lui, lancer la mode décadente avec son
roman A Rebours (1884) qui définit le héros décadent type : dandy, esthète, le protagoniste,
Floréas-Jean des Esseintes, choisit de se retirer de la société pour cultiver la beauté et l'art
les plus raffinés. Détaché du monde, il cultive la nostalgie du passé révolu et la détestation
mêlée de fascination pour le monde moderne. Confiné dans un univers artificiel, voué à la
recherche d’émotions & de sensations rares, il sombre dans d'intenses rêveries nourries par
les œuvres de Poe, Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Gustave Moreau : ils deviennent les
références de la fin de siècle ! Sa lucidité extrême le condamne à une angoisse sans retour.
Des Esseintes devient le type du dandy décadent dans lequel toute une génération se
reconnaît.
Essentiellement critique, négatif, la tendance décadente est vouée à une fin prochaine ; dès
1885 elle fait l'objet de railleries. De nombreux textes satiriques la prennent pour cible,
comme le recueil parodique Les déliquescences, poèmes décadents d’Adoré Floupette, 1885.
Un article du Temps d’août 1885 taxe les Décadents de névrose, de misanthropie, de
mysticité perverse, de fumisterie...
L’école proprement symboliste est active à compter de 1885 et perdure pendant une dizaine
d’années – jusqu’à la création de Pelléas et Mélisande de Debussy en 1902, opéra composé
sur un texte de Maurice Maeterlinck. L'école regroupe des auteurs mineurs, souvent oubliés
aujourd’hui ; mais elle a permis de reconnaître de grands auteurs – Verlaine, Mallarmé,
Rimbaud, qui cependant dépassent les frontières du mouvement.
Le Manifeste de Moréas (1886).
Usé et appauvri, devenu péjoratif même vers 1885, le mot "décadent" est remplacé par
« symboliste » dans une déclaration fracassante de Jean Moréas au Figaro littéraire du 18
septembre 1886. Cet article, intitulé "Un manifeste littéraire" constituera le manifeste du
mouvement.
L'accent est mis sur la valeur suggestive du langage ; l'emploi sûr et savant (voire précieux ?)
des mots, seuls capables de représenter l’idée, restaure la fonction poétique du langage,
médiateur magique entre le réel et l’idéal. Cette théorie fait écho au propos célèbre de
Mallarmé :
« Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que
quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée rieuse ou altière,
l’absente de tous bouquets » (Mallarmé, Avant-Dire au Traité du Verbe de René Ghil,
1886)
Le rôle du poète est repensé. Hiérophante, il est considéré comme seul capable de déchiffrer
les mystères de l’univers, de repérer les « correspondances », les affinités latentes,
mystérieuses entre la nature et l’âme. La mission du poète est de pénétrer à l’intérieur des
choses, d'en saisir l’âme, le mystère évanescent. Il n'y a donc pas de thème privilégié chez les
Symbolistes : paysages, villes, moment du jour, peuvent servir à représenter une réalité
complexe, ou refléter une perception originale (cf. impressionnisme).
Le symbolisme opère ainsi une réhabilitation du poète, dans une période où les romanciers
(réalistes et naturalistes) prédominent. Il renoue avec l’ambition romantique, qui
reconnaissait à la poésie des pouvoirs illimités : le Symbolisme est en quête d’une poésie
« pure », sans anecdote, sans description, libérée de la pensée logique (rationelle) – car la
poésie peut suggérer sans avoir à expliciter.
Cette réflexion sur le rôle et les pouvoirs du poète engage un renversement de la hiérarchie
des genres littéraires. La distinction entre vers et prose ne suffit plus à fonder une identité
poétique :
« Le vers est partout dans la langue où il y a rythme (...) Toutes les fois qu’il y a effort au
style, il y a versification » affirme Mallarmé, dans sa Réponse à l’enquête littéraire de
Jules Huret.
A la distinction prose / poésie, Mallarmé substitue l'opposition littéraire / non littéraire, qui
annonce celle de l’écrivant et de l’écrivain. Mallarmé renvoie le roman du côté de l’ «
universel reportage » – parce que le récit, la description, le rattachent davantage à l'écriture
journalistique, commerciale, qu'à la recherche esthétique qui doit animer les poètes.
Autrement dit, la fonction poétique du langage (la recherche esthétique, musicalité, images,
rythme...) doit l’emporter sur la fonction référentielle (la description du monde) pour qu’il y
ait littérature : la poésie est ainsi, pour Mallarmé la seule littérature.
Les poètes symbolistes s’opposent ainsi aux romanciers, en particulier les réalistes et les
naturalistes. Mallarmé les expulse même de la littérature. Contre des romanciers
matérialistes (Zola, etc.), les poètes se posent comme idéalistes. Ils se revendiquent comme
artistes, càd qu'ils affirment l’autonomie du beau par rapport au vrai et au bien, de l’art par
rapport à la société, aux idéologies et à la politique.
Le Symbole est donc une expression verbale caractérisée par sa dimension suggestive, sa
capacité à porter des images, qui elles-mêmes génèrent des impressions, analogies,
rapprochements.
Le poète, seul capable de déchiffrer les mystères du monde, doit se dégager des contraintes
logiques et de la description réaliste : les mots sont choisis pour exprimer
les impressions perçues par le poète, pour suggérer un sens. Cette poésie est éminemment
subjective, tout comme le sont les toiles des impressionnistes et des peintres symbolistes !
Ils travaillent d'abord sur les images & analogies, s'inspirant du travail mené par leurs grands
prédécesseurs :
o Baudelaire, qui inaugure le travail sur la synesthésie, la théorie des
correspondances, le culte de l’image ;
o Nerval, le maître du Surnaturalisme romantique, que son illuminisme pousse
à explorer les domaines secrets de la pensée, tout comme sa fascination pour
les cultes antiques, et l'ésotérisme. « Je crois que l’imagination humaine n’a
rien inventé qui ne soit vrai »
o Mallarmé, pour sa théorisation du langage et des pouvoirs du mot ;
La poésie – et même toute littérature –, est avant tout musique de mots : il faut « de la
musique avant toute chose » (pour citer Verlaine). La musicalité des vers soutient l’évocation
des sensations. Les sonorités propres du mot, mais aussi l'harmonie qui naît de sa place dans
le vers, ou du rapprochement avec d’autres mots : tout cela compose une symphonie, qui
est aussi une « alchimie du verbe » (Rimbaud) aux pouvoirs magiques, capable de suggérer
des impressions évanescentes et de donner accès aux mystères du monde.
Chez Verlaine, déjà, on assiste à l'assouplissement de la rime (remplacée par l’assonance par
ex). A la suite de la romantique Marceline Desbordes-Valmore, Il emploie audacieusement le
vers impair, refuse l’alternance classique des rimes masculines/féminines. Il modifie les
rythmes, déplace les coupes, inaugurant ainsi un « vers libéré » : assoupli, mais qui conserve
encore ses contraintes de structure (notamment le nombre fixe de syllabes).
les décors qui célèbrent la fin d’un monde : la beauté réside dans la mort. On note
une prédilection pour des thèmes comme le crépuscule, la mort… ainsi que pour des
figures privilégiées de femmes fatales, souvent chargées d'un poids mythique et
symbolique, associant désir et mort, comme la Salomé biblique, Lilith, la première
Eve mortifère, ... La poésie, habitée de nostalgie, s’efforce d’évoquer le monde,
comme Orphée évoque Eurydice.
Dès 1880, pourtant, on tient salon rue de Rome chez Stéphane Mallarmé, le maître à penser
et inspirateur du mouvement (mais qui refuse toute identification de chef de file), qui
engage la révolution poétique dans ses recueils majeurs : Igitur ; Un coup de dés jamais
n'abolira le hasard... Lire impérativement ses textes majeurs : le "Sonnet en -yx", prouesse
verbale et poétique, le sonnet "Brise marine".
A chacun de ces "mardis", Mallarmé initie les nouveaux adeptes et permet d’élaborer une
doctrine commune. Mais les visées sont différentes : le groupe est traversé de conflits
internes, les trajectoires individuelles se démultiplient. Le mouvement n'en fleurit pas
moins : sa diversité s’exprime à travers un certain nombre de revues dont les plus célèbres
sont La Plume (1889), Le Mercure de France (1890), La Revue blanche (1891).
L'invention d'un théâtre symboliste constitue cependant une gageure : l’art de l’allusion, de
la suggestion prôné par le mouvement se contente mal des contraintes de la représentation
scénique. Ni Verlaine ni Mallarmé ne rejoignent Paul Fort. Mais l'expérimentation compte de
belles réussites : citons par exemple
CONCLUSION.
Dès 1895, le mouvement symboliste est en crise : Mallarmé et Verlaine disparaissent après
Laforgue et Rimbaud. Le symbolisme s’épuise peu à peu dans l’artifice, la préciosité et
l’ésotérisme.
Pourtant son influence aura été déterminante, notamment auprès des jeunes auteurs de la
fin de siècle – la génération de 1870, âgée de 20 ans lors de la naissance du mouvement.
Paul Claudel, André Gide, Paul Valéry, Pierre Louÿs, Francis Jammes, Alfred Jarry… Habitués
de la rue de Rome (le salon de Mallarmé), ils se libèrent des routines symbolistes, tout
comme le jeune Marcel Proust. C’est chez ces derniers héritiers, auteurs alors confidentiels,
que le symbolisme trouvera son accomplissement : cf. au théâtre, Tête d’or de Claudel
(1890) ; en poésie, La Jeune Parque de P. Valéry (1917) ; dans le roman, A la recherche du
temps perdu de Proust (1913-1927) ou Les Faux-monnayeurs (1926) de Gide doivent
beaucoup à ce mouvement.