Les Bêtes Tueuses D'afrique - Philippe Palem

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Les

Bêtes tueuses de l’ultramonde


Tome II
Les bêtes tueuses d’Afrique
Philippe Palem




Chapitre I
Prologue



Comment s’imaginer aujourd’hui que des territoires de la superficie du
Grand-Duché de Luxembourg puissent vivre sous l’épouvante supranaturelle que
des lions mangeurs d’hommes leur imposent ?
Actuellement, en 2019, aux Indes et en Afrique, des populations entières
vivent dans l’angoisse la plus complète sous la férule de démons carnassiers
avides de sang humain, et ce dans le plus grand silence médiatique, sans
qu’aucun journal, même régional, n’en fasse mention. Le sujet fait-il si peur ?
Dans leurs cases d’argile séchée et au toit de paille, les villageois, les
membres paralysés par une peur panique, avec, comme unique défense une
enceinte bordée par une barrière de boma épineuse, espèrent arriver vivants
jusqu’à l’heure où l’aube pointe, l’heure bénie, l’heure que les lions magiques
ne supportent pas, l’heure où les vampires regagnent leurs cercueils !
Dans les cases, le sommeil est lent à venir, heureusement les enfants
dorment, silencieux, évitant ainsi aux princes des ténèbres de les localiser et de
les cueillir comme on glane des bourgeons !
Le matin, heureux d’avoir été épargnés, les habitants partent en groupes,
parcourent la campagne, en quête des compagnons, femmes, enfants, victimes
comme eux des puissances de la nuit.
Plusieurs centaines de décès annuels endeuillent les campagnes du Kenya et
du Mozambique, mais le black-out exigé par les États est si total que les
journaux, bâillonnés, se taisent et qu’ainsi les victimes des Diables roux
meurent deux fois.
Un ou des lions mangeurs d’hommes peuvent sévir jusqu’à plusieurs
années.
C’est dans le sud de la Tanzanie, district de Nimbé, qu’environ quinze cents
personnes perdirent la vie sous la griffe de mangeurs d’hommes entre 1932
et 1947 !
L’explication officielle de cette boucherie sans précédent serait qu’elle
aurait été due aux restrictions douanières imposées par deux pays voisins, le
Malawi et la Zambie, restrictions tentant de freiner la propagation de la peste
bovine entre Afrique orientale et australe, ce qui aurait créé un manque à
manger pour les lions du Sud Tanzanien.
Les explications scientifiques vont toujours dans le même sens : le
manque de viande pour les lions. D’après ces commentaires, ce défaut de
protéines animales serait provoqué le plus souvent par les éléphants qui
pullulent tellement qu’ils réduisent à rien la couverture végétale permettant
aux herbivores de se sustenter suffisamment et aux lions de se nourrir, mais
aussi suite aux épidémies frappant le bétail.
Quant à leur goût pour la chair humaine, les responsables en seraient les
caravanes et leurs esclaves morts en chemin et abandonnés le long des pistes.
Quand les deux phénomènes se superposent, c’est le Drame avec un D
majuscule.
Cette double observation est celle proposée pour expliquer les carnages du
Tsavo.
La science ne prend jamais en compte l’opinion des populations locales qui
est la même pour toutes les régions touchées par ces étranges épidémies,
opinion qui soutient que les félins incriminés sont possédés par des entités
psychiques intelligentes qui transforment les lions en spadassins de haut vol.
Ces observations venant d’indigènes “ignorants” ne sont jamais naturellement
prises en compte par nos scientifiques de salon qui traquent les tueurs du plus
profond de leurs rocking-chairs ! D’ailleurs, d’après ces messieurs, c’est à
cause de l’esprit rétrograde de ces “primitifs” qu’il est si difficile aux chasseurs
de venir à bout des mangeurs d’hommes. Comment voulez-vous que ces
professionnels réussissent, allèguent ces messieurs, alors que leurs guides
indigènes en sont encore à faire confiance aux “hommes-médecine” quand
ceux-ci leur affirment que les tueurs, avec ou sans crinière, ne sont pas des
lions mais seulement des apparences…
Cela va tellement loin que les villageois ne craignent nullement les vrais
lions mais seulement ceux qui sont censés faire respecter la volonté de sorciers
courroucés.
Il est vrai que cette croyance, enracinée au cœur des villageois, amène
parfois à des excès dramatiques. Des lynchages s’organisent ici et là, prenant
comme victimes de pauvres hères accusés de collusion avec l’esprit possesseur
des mangeurs d’hommes. Ce fut le cas en Mozambique du Nord.
Dans de nombreuses régions de l’Afrique de l’Est où les ravages des lions
tueurs sont nombreux, certains scientifiques de terrain ont noté que lorsqu’un
sorcier à la réputation “bénéfique” était en fonction, et de nombreux rapports
officiels en font foi, les attaques des félins mangeurs d’hommes cessaient
comme par enchantement. Peu de temps après sa mort, les agressions
reprenaient souvent leurs cours habituels.
D’autre part, même lorsque les proies habituelles sont nombreuses, les lions
sont capables de franchir des distances journalières de dix-huit à trente
kilomètres pour se procurer les protéines humaines, ce qui réduit à bien peu la
thèse qui affirme que les mangeurs ne s’attaquent aux hommes que lorsqu’il y a
pénurie d’autres gibiers.
Un homme est plus désarmé, face à un lion ou tout autre grand fauve, qu’un
bébé qui vient de naître face à son accoucheur. Charles Guggisberg dans son
livre sur la vie des lions écrit : « L’homme ne peut pas courir aussi vite qu’une
gazelle, il n’a pas les cornes du buffle, les défenses du phacochère, et il ne peut
pas porter des coups terribles comme la girafe. » Et il ajoute : « Même si les
populations (de lions) ont été considérablement réduites ces dernières
décennies, les lions subsistants mangent encore régulièrement des hommes. En
Tanzanie par exemple, des tableaux de cent humains pour une fratrie de lions
sont encore observés de nos jours. »
Le plus souvent, les gouvernements intéressés exercent une censure totale,
afin de ne pas faire fuir le tourisme. La réputation de certains mangeurs
d’hommes a pourtant réussi à franchir les frontières. Ces tueurs se nomment
entre autres “the Cunning one” avec quarante humains à son palmarès près de
Kasawa en Zambie, ou “Paper Lion” en Tanzanie, tant il vagabondait, errant de
village en village, de meurtre en meurtre, imprévisible comme une feuille de
papier au vent.
Selon le biologiste Craig Packer de l’université du Minnesota, les lionnes
sont aussi tueuses d’hommes mais de manière plutôt occasionnelle. Même
après avoir tué plusieurs fois des humains, elles reviennent à leurs ancestrales
habitudes.



Chapitre II

Les lions du Tsavo





1898

Le gouvernement colonial anglais décide de construire un pont permettant
le passage d’une voie ferrée sur la rivière Tsavo, voie ferrée devant relier la
ville kenyane de Mombassa aux rives du lac Victoria. Les problèmes
d’ingénierie et de logistique sont énormes. Ne pensons qu’à l’eau, à la
nourriture et à toutes les choses indispensables à des milliers d’hommes, le plus
souvent des Indiens, venus de l’Afrique de l’Est. Le sous-officier sergent-major
John Henry Patterson (1865-1947), ingénieur des ponts et chaussées, est chargé
d’en superviser les travaux.
Plusieurs fois celui-ci manque d’être assassiné, tant le mécontentement est
grand au sein de la communauté indienne qui prétend très probablement à juste
titre, d’être sous-payée.
Ce coin perdu d’Afrique de l’Est devint tristement célèbre lorsque deux
lions mâles prirent pour proies les ouvriers du chantier, causant la mort de cent
quarante hommes.
Le désarroi fut tel que Patterson fut obligé d’arrêter les travaux.
Le premier lion fut tué le 9 décembre 1898, le deuxième lion trois semaines
plus tard.
Le 3 mars 1900, sur les indications de Patterson, le journal Spectator fait
découvrir à ses lecteurs l’existence des lions tueurs d’hommes. C’est alors que
débute la légende des lions raffolant de chair humaine, pour eux une véritable
drogue qu’ils auraient contractée par la consommation de cadavres de
caravaniers, nombreux à l’époque, hâtivement enterrés sous quelques
centimètres de terre poussiéreuse1.
Écoutons Patterson lorsqu’il découvre ce qui subsiste du corps sans vie de
la première victime, enlevée en pleine nuit dans sa tente : « Le sol tout autour
était couvert de sang et de morceaux de chair et d’os, avec la tête de la victime
laissée intacte, exception faite pour les trous des canines du lion. Les yeux
écarquillés dévoilaient un regard horrifié ». Cette description, nous l’avons
déjà rencontrée souvent avec les Bêtes d’Europe.
C’est en 1907 que Paterson publia un ouvrage traitant de ces tueurs en série
d’un nouveau genre. Cette histoire extravagante, digne du réalisme fantastique
le plus affolant, eut un succès énorme, comme si, sous ce récit, somme toute
plutôt banal, se cachait une vérité sous-jacente fabuleuse ! Curieusement,
jusqu’aux environs de l’an 2000, personne n’avait cherché à savoir si cette
narration était bien réelle. Il fallut, pour l’authentifier, que deux chercheurs
américains, Julian C. Kerbis Peterhans et Thomas Pareick Gnoske fassent
paraître leurs études sur le sujet dans le Journal East African Natural History.
Leur travail est fouillé, se basant entre autres sur les carnets de notes laissés
par Paterson.
Pour approfondir leurs recherches, ils se rendirent à Chicago pour y étudier
de plus près les squelettes et peaux des corps des deux lions exposés au Field of
Natural History Museum de Chicago qui y sont exposés depuis plus de quatre-
vingt-dix ans ! C’est en comparant le collagène des os et la kératine des poils
des deux animaux avec celle de lions actuels qu’ils sont arrivés à leurs
conclusions.
Mais comment les carcasses des deux lions ont-elles atterri dans ce
musée ? Pour une question de gros sous… Patterson, qui avait fait traiter les
trophées de ses victimes par le célèbre taxidermiste Julius Friesser, les a
vendus au musée pour le montant de cinq mille dollars, somme rondelette à
l’époque. C’est ainsi que les squelettes et les peaux de “Fantôme” et “Ombre”,
les sobriquets donnés à nos deux lions par les ouvriers de race noire du
chantier, nous sont parvenus en bon état, permettant ainsi de pouvoir encore
les analyser !
Pour la petite histoire, signalons que les autorités kenyanes aimeraient les
récupérer afin de les inclure dans un musée rappelant la sinistre odyssée de nos
lions tueurs.
D’après la mesure des peaux, la taille des deux animaux atteignait trois
mètres de longueur pour un mètre vingt-deux de hauteur au garrot, ce qui est
très supérieur au gabarit habituel qui ne dépasse guère deux mètres soixante de
long pour quatre-vingt-quinze cm à hauteur d’épaule.
Après qu’il les eut tirés, Paterson prit une photo des deux animaux. Elles
figurent dans son livre écrit en 1907.
Deux détails anatomiques des plus révélateurs attirèrent l’attention des
chercheurs. En examinant le crâne d’un des deux fauves, ils remarquèrent
qu’une canine manquait, déformant la mandibule supérieure. De plus, cette
malformation paraissait dater de quelques années. Sur l’autre crâne, une canine
brisée révélait une surface polie, ce qui ne pouvait qu’indiquer une date
également éloignée2.

Le nombre de victimes se discute, débutant, selon les dires de Paterson, à
cent sept individus, pour se clore à cent quarante3 selon d’autres sources.
Quant à l’administration coloniale, elle n’en reconnut que vingt-quatre !!!
Mon postulat qui ose affirmer que ces deux lions tuaient pour le plaisir, ou
par vengeance ou par raison politique, paraît conforté par Patterson lui-même,
lorsqu’il mentionne dans son livre qu’après avoir découvert une caverne près
du fleuve Tsavo (fleuve portant le même nom que la région où sévissaient les
félins et traversant celle-ci en son milieu), il y trouva plusieurs crânes
d’hommes qui lui firent présumer qu’il s’agissait de trophées plutôt que de
débris humains. Ceci rappelle les crânes disparus lors de certaines attaques de
la Bête du Gévaudan.
En novembre 2009, une équipe de chimistes du Field Museum de Chicago
et de l’Université de Californie, ayant analysé les deux dépouilles, en conclut
que le nombre de malheureux ayant succombé devait tourner aux environs de
135 individus. Mais comme le groupe a effectué ses recherches sur de faux
spécimens, on en tirera aucune conclusion !
Certains lions du Tsavo sont dépourvus de crinière. Pourquoi ? Quatre
hypothèses existent. La première soutient que le lion sans crinière est le
descendant du lion des cavernes (le félin géant du livre La Guerre du feu de
Rosny aîné), plus grand, plus haut sur pattes, plus pesant et pourtant plus
svelte. Or, fait exceptionnel, les deux fauves avaient élu domicile dans une
caverne où se retrouvèrent de nombreux débris de squelettes humains !
La deuxième se basant sur le fait que la région, surtout à cette époque
(1890) où la chasse à l’éléphant pour l’ivoire, faisait rage, n’était plus qu’une
terre tapissée d’un roncier gigantesque aux épines énormes, longues de
plusieurs centimètres, excluant ainsi la moindre pénétration en son sein de lions
à crinières.
La troisième hypothèse soutenue par Craig Packer et Peyton Ouest,
spécialistes des lions du Serengeti, constate que les lions, aux organes génitaux
endommagés, perdent leurs crinières. Le phénomène est le même pour les lions
affectés par l’une ou l’autre déficience physique.
Enfin Gnoske du Field Museum et Julian Kerbis Peterhans de l’Université
Roosevelt de Chicago (déjà cités), après compilation des données prises sur
trois cents lions, ont constaté que plus l’altitude était élevée et les températures
plus fraiches, plus les crinières ont tendance à s’étoffer ! Ils ont remarqué
également que la présence d’eau en plus ou moins grande importance jouait un
rôle dans l’existence ou pas d’une crinière.
Devant l’intelligence et la férocité de nos deux fauves mangeurs d’hommes,
les ouvriers sikhs, indiens, et aussi les villageois, en vinrent vite à la conclusion
que ceux-ci, sous leur apparence de félins, cachaient en réalité des démons
réincarnés qu’ils surnommèrent “The Ghost” et “The Darkness”, qui en
français, se traduisent par “Fantôme” et “Ténèbre”.
Michel Louis, l’auteur du livre exceptionnel traitant de l’énigme de la Bête
du Gévaudan, a repris le harnais si je puis dire, en s’attelant à celle des lions du
Tsavo. Comme pratiquement ses seules sources fiables viennent du personnage
qui a vécu cette tragédie, John Henry Patterson, Les Mangeurs d’hommes du
Tsavo aux éditions Montbel, il ne faut pas s’attendre à des révélations
surprenantes. Patterson, ingénieur de formation, a plutôt écrit un livre de
grande chasse africaine avec, accessoirement un chapitre traitant de deux
mangeurs d’hommes. L’intérêt de cet ouvrage s’arrête là. Malgré ce handicap,
Louis a écrit un livre très bien fait, mais ne sortant pas des chemins battus.
Avec aussi peu de matériel à sa disposition, Michel Louis, pourtant historien de
qualité (son livre sur la Bête du Gévaudan le prouve amplement), n’a pu guère
faire montre d’originalité, mais il ne faut pas lui en vouloir, car, se refusant de
quitter les chemins bénis des explications cartésiennes, il lui était virtuellement
impossible d’agir autrement. Il a fallu toute mon intuition exacerbée pour
dénicher l’élément perturbant, le petit fait camouflé sous le voile d’un rationnel
sclérosé, le détail qui dérange, qui pose question.

Michel Louis écrit : « Les deux lions ont bel et bien tué cent quarante
personnes sans qu’il y ait eu un Chastel ou un Morangiès pour les
dresser ! » Appréciant son sérieux, ce chiffre est à adopter sans hésitation.
On est loin des vingt-quatre meurtres recensés par l’Administration
coloniale !
Ce ne fut pas le sergent-major Patterson qui arriva le premier sur le
chantier. Ronald O. Preston, un autre bâtisseur, le précédait, un ingénieur civil
de grande expérience, spécialisé dans l’édification de routes en pays lointains,
au contraire de Patterson qui avait comme domaine la construction de ponts.
Preston, gâté par les dieux, était accompagné de son épouse appelée Florence.
Détail dérangeant, Patterson, qui termina sa carrière en tant que lieutenant-
colonel, n’était à ses débuts, bien qu’ingénieur, modeste sous-officier, alors
qu’il aurait dû être détenteur au minimum du grade de lieutenant, ce qui met en
doute son diplôme.
Pour le lecteur qui admet que la courte incursion dans l’histoire de nos deux
mangeurs d’hommes est un fait sortant, oh combien, de l’ordinaire, il ne
s’étonnera pas quand il apprendra que Tsavo se traduit en langage Akamba :
« lieu d’abattage, lieu où l’on massacre, tuerie ». La coïncidence est trop belle
pour qu’elle ne soit que cela. La région était maudite bien avant que les lions
tueurs fassent parler d’eux. Elle était l’antre de démons, esprits mauvais et
autres djinns4. Elle était région bénie pour les sorciers qui pouvaient y pratiquer
avec succès, leurs maléfices, possessions et autres envoûtements.

Mars 1898

Arrivée de Patterson à Mombasa. Lorsque, arrivé au camp, il entendit mugir
les lions, il ne s’imaginait pas qu’ils étaient différents des lions traditionnels.
Le sergent-major avait-il le pressentiment de ce qui l’attendait ?
Le camp doit compter plus de trois mille ouvriers : Indiens, Swahili ainsi
que quelques Wa Kamba… Les hommes, refusant de se mélanger, exigent de
rester entre eux. Chez les Indiens, chaque caste a sa tente. Qui plus est, ils se
supportent si peu qu’ils exigent qu’elles soient loin l’une de l’autre avec,
comme résultat, que les habitats s’étalent le long de la rivière sur plusieurs
kilomètres.

9 mars 1898, le lendemain matin



Venu tard en soirée, le sergent-major n’avait pas remarqué que sa case était
entourée d’une haie impénétrable. Profitant, pour sortir, d’un sas assez étroit, il
s’y engagea sans crainte. Mal lui en prit car, à peine engagé, il se trouva
encerclé par un amas de ronces armées d’épines de la taille d’un doigt majeur,
n’ayant d’autre choix pour s’en sortir que d’y abandonner sa chemise. Il venait
pour la première fois d’affronter une boma.
Patterson possède trois armes de chasse5, dont, dans le lot, une carabine de
calibre 3036. Suivi de son contremaître Ungan Singh, Patterson passe près d’un
enclos chargé de protéger le bétail7 destiné à nourrir la communauté.

18 mars 1898 (Aux environs du…)



Des bruits sinistres se colportent au sein des ouvriers africains. Ils affirment
que plusieurs d’entre eux ont disparu8. Les premières attaques débutent. Pour
eux, le tueur est un lion aux mensurations énormes qui n’a de lion que l’aspect
extérieur. En réalité il n’agit que sous l’influence de l’esprit d’un sorcier. Il est
manipulé9.

19 mars 1898

Un ouvrier indien, affecté au forage du tunnel, n’a pas répondu à l’appel.
Cette fois, c’est l’entièreté de la colonie indienne qui est au courant. Qu’un
manœuvre africain disparaisse ne vaut pas que l’on fouette un chat, mais un
Indien…

21 22 mars 1898, pendant la nuit



Une bande de lycaons10 force l’entrée d’un parc où stationnaient chèvres et
moutons. Les dégâts sont importants11.

23 mars 1898, en matinée



Patterson et le capitaine Haslem prennent leur petit-déjeunent sous l’œil
attentif du serveur sikh. Un contremaître indien demande à parler à Patterson. Il
l’informe que depuis le 19 mars, trois ouvriers manquent à l’appel. Il se raconte
qu’ils ont été arrachés de leur tente par un lion gigantesque.
Le capitaine Haslem dirigeait un petit groupe de soldats chargé de
maintenir l’ordre.

25 mars 1898, vers midi



Patterson, qui ne s’est guère ému jusque-là, commence à s’énerver. Jusqu’à
ce jour, il avait attribué ces disparitions à des règlements de compte entre
travailleurs. Mais trop c’est trop. Cette fois, c’est un ouvrier du camp avancé
qui est porté disparu. Dans le doute, il décide de rencontrer O Preston, patron
des têtes de ligne. Celui-ci lui raconte : « Apparemment vous l’ignorez, mais
j’ai déjà perdu un homme, il y a une semaine, trois jours après que nous ayons
terminé la construction du pont provisoire. Ses compagnons de tente l’ont
encore vu dans le camp une heure avant le dîner, puis il a disparu. Son corps a
été retrouvé le lendemain matin près de la rivière : il ne restait plus que les os,
à part les pieds et la tête12 qui étaient intacts. Personne n’a aperçu le lion,
mais nous avons nettement vu ses empreintes autour des cadavres et au bord de
la rivière : des empreintes immenses, Patterson ! J’ai vu des tigres de belle
taille, en Inde, mais aucun ne laissait des empreintes aussi larges. Ce lion doit
être gigantesque.
Les ouvriers ont commencé tout de suite à paniquer, d’autant que les
autochtones sont poltrons comme des poules et considèrent Tsavo comme un
lieu maudit où diables et mauvais esprits sont à l’affût. Je me suis lancé à la
poursuite du lion avec trois hommes armés mais sans succès et plus rien ne
s’est produit pendant une semaine. Cette nuit, vers une heure du matin, j’ai été
réveillé en sursaut par des ouvriers indiens qui hurlaient “Sheer, Sheer” (un
tigre). Un lion venait de pénétrer dans une tente pour se saisir d’un ouvrier et
l’emporter. Je suis sorti à toute allure avec mes compagnons, carabine en
main, tandis que retentissait le son des tambours donnant l’alarme. Mais le
lion et sa victime avaient déjà disparu. Maintenant les ouvriers ont peur et ça
n’arrange pas mes affaires. Il faudrait que la voix progresse d’au moins un
kilomètre par jour, et on en est loin. »
Toute ouïe, Patterson ne perd pas une miette de la conversation.
Même jour, fin d’après-midi Patterson quitte son confrère et rejoint sa tente.
Sur le chemin du retour, des bruits inquiétants lui parviennent aux oreilles. Là,
en face de lui, un gros animal qu’il ne parvient pas à situer13 s’avance droit sur
sa personne. Patterson prend sa carabine et vise… La bête s’esquive avant qu’il
ne fasse feu !

29 au 30 mars, l’aube se lève



Un autre mauvais coup du sort pour le sergent-major Patterson. Cette fois,
dix ouvriers l’informent que c’est son propre contremaître, presque un
camarade, Ungan Singh qui vient d’être arraché à sa tente et dévoré quelques
mètres plus loin, malgré la défense désespérée du colosse. Son voisin de hamac
lui décrit l’effroyable spectacle : « Il était à peu près minuit, je venais de me
réveiller ; brusquement un lion énorme a passé sa tête par l’ouverture de la
tente. C’était un lion grand comme une vache. Il a saisi dans sa gueule la
gorge de l’homme le plus proche, c’est-à-dire Ungan Singh qui s’est mis à
hurler et à enserrer le cou du lion dans ses bras. Mais le lion l’a sorti de la
tente à reculons. Pendant peut-être une minute, nous avons entendu des bruits
de lutte et des grondements féroces, puis plus rien. »


Patterson accompagné du capitaine Haslem part à la recherche du lion… A
quelques mètres des pauvres débris humains, la tête du contremaître est
intacte… les yeux grands ouverts ont conservé une impression de terreur. Le
crâne est à l’écart de ce qui subsiste du corps, un peu comme le fait le chasseur
avec son trophée14, tentant ainsi de le préserver du sang et des déchets du
découpage. Cette tête, posée précautionneusement à l’écart, que veut-elle
signifier, quelle abomination sous-entend-elle ?
« Mon Dieu, ils sont deux… ils ont dû se battre. » Patterson comprend
pourquoi le sol, tout autour, a été comme labouré… Les lions doivent être
deux. Ungan est peut-être leur sixième ou septième victime.

Nuit du 30 au 31 mars 1898



Les lions n’auraient jamais dû s’attaquer à Ungan Singh. Alors que
Patterson ne s’était guère ému jusqu’ici des ravages commis par ceux-ci, cette
fois, c’est différent, ils ont tué son bras droit, l’homme en qui il avait placé une
part de sa confiance !
Armé de sa carabine 303, Patterson grimpe et s’installe du mieux qu’il peut
sur la branche d’un arbre bien situé, lui permettant de voir ce qui reste de
l’infortuné contremaître.
Après un long moment d’attente, les rugissements d’un lion dominent les
bruits habituels de la jungle. Le fauve ne doit pas être loin tant les modulations
stridentes de ses hurlements sont perceptibles. Mais comme s’il prenait plaisir à
se faire désirer, le félin prend tout son temps. Une vraie diva de la forêt
vierge… Les grondements du fauve ont-ils un effet “assoupissant” sur le
chasseur ? Peut-être, car, l’espace de quelques minutes, Patterson perd
conscience. Un craquement sec le rappelle à la réalité. Dans la profondeur des
fourrés, un œil jaune topaze scrute la pénombre éclairée d’un mince quartier de
lune. La vision est si fugitive que l’ingénieur n’a pas le temps d’esquisser le
moindre geste. Puis c’est le silence total, même les bruits discordants de la nuit
africaine se sont arrêtés. Autant le lion s’était approché en fanfare, autant il
s’éloigne dans un silence de mort.
Complètement réveillé, tous ses sens en éveil, Patterson guète. Le fauve va-
t-il revenir ?
Brusquement des cris de souffrance, des râles, des grondements féroces
déchirent le silence nocturne, sortant définitivement Patterson de sa torpeur.
Les hurlements d’épouvante doivent provenir de l’autre côté de la rivière…
L’affûteur devine que le félin a frappé ailleurs. Premier doigt d’honneur de
“Fantôme” à Patterson. Il y en aura bien d’autres.

Matin du 31 mars 1898



Le meurtre s’est accompli pas loin de l’arbre servant de mirador à
Patterson, quelques centaines de mètres au plus. La boma15 n’a pas résisté et
encore moins la toile de tente…
Patterson, malgré sa nuit blanche et les obligations qui l’attendent tout au
long de la journée, décide de remettre la donne la nuit suivante. Il faut arrêter le
plus vite possible l’hémorragie avant que le grand corps formant la
communauté des travailleurs indiens et africains ne se vide de toute son
énergie. C’est une question de vie ou de mort16 pour l’entreprise dont Patterson
a la responsabilité.

31 mars 1898, soirée et nuit



Patterson décide de pratiquer de la même façon que la nuit dernière. Il
sélectionne un arbre lui donnant vue sur le cadavre ou plutôt ce qu’il en
subsiste et fait installer une plateforme à l’intersection de deux branches,
accessible par des barreaux cloués sur le tronc.
Pour affiner plus encore le piège, une chèvre17 est liée pas loin de l’arbre
sur lequel Patterson va affûter.
Lorsque tout est terminé, la nuit s’installe, Patterson aussi ! L’attente va
durer plusieurs heures. Patterson a beau scruter les alentours, rien ne bouge.
Une fois de plus, il doit lutter contre le sommeil. Il doit absolument y résister,
sinon c’est la chute presque assurée !
Tout à coup, des gémissements abominables l’arrachent à sa somnolence.
Une autre victime subit la loi du fauve. Malgré les restes du cadavre et les
effluves de la malheureuse chèvre, le félin n’est pas venu au rendez-vous.
Patterson croit avoir affaire à de simples lions, il les chasse donc comme on
le lui a enseigné. Malgré sa détermination sans faille, il ne sait plus où donner
de la tête. Il est seul à chasser, aucun de ses compagnons ne pratiquant ce
sinistre sport. D’autre part, les lions exercent leur emprise sur un domaine de
quinze kilomètres de long, quinze kilomètres de chaque côté de la rivière
Tsavo. C’est sur ces trente kilomètres que les camps s’échelonnent. À moins de
posséder le don d’ubiquité, il ne peut être partout en même temps, car les lions
frappent, eux, chaque fois dans un camp différent.
Dans son livre Terreur dans la brousse, Michel Louis18 montre une fois
encore le fond de sa pensée ! Lisons-le donc : « Mais Patterson est surtout
décontenancé par leur extraordinaire faculté de deviner à l’avance tous ses
plans. Quoi qu’il fasse, quels que soient la manière ou les lieux où il les attend,
ils se jouent de lui invariablement et attaquent une victime dans un autre
camp. »
Cette faculté psychique, je l’ai retrouvée mainte et maintes fois dans les
diverses chroniques que j’ai traitées, dont celle traitant de la Bête des Vosges
racontée magistralement par Gaston Picard qu’on ne saurait trop remercier pour
son ouvrage capital et irremplaçable. Il est bien dommage qu’à la place de
Patterson, nous n’ayons pas eux l’équivalant d’un abbé Pourcher, d’un Michel
Louis ou d’un Gaston Picard. Quelle masse d’indications n’auraient-ils pas
mise à la disposition du chercheur !
Souvent, lorsque ça lui était possible, il suivait les traces du lion mangeur
d’hommes. Celles-ci le conduisaient chaque fois vers la rivière. Mais, hasard
ou volonté, les lions choisissaient19 toujours un trajet où la roche dominait :
« qu’ils semblaient choisir systématiquement pour regagner leur tanière20 »,
écrit Michel Louis.
La description du compagnon de tente qui a assisté au rapt du contremaître
Ungan Shing est significatif : « Il était grand comme une vache et n’avait pas
de crinière ! »
Même Patterson s’étonne. Leurs traces laissent penser qu’ils sont plus
grands que les plus grands tigres qu’il a chassés lors d’un séjour aux Indes. Or
il est scientifiquement reconnu que les tigres affichent une taille supérieure à
celle des lions. Qu’en déduire ? Qu’ils forment une espèce à part ?

Avril 1898 (début du mois)



Un marchand indien circulant de nuit sur son âne est attaqué par un de nos
deux fauves. Infortuné âne va-t-on penser ! Eh bien non, c’est le marchand qui
fut mangé21 !
Preston, l’ingénieur plus spécialement chargé de l’établissement de la voie
du chemin de fer, collègue de Patterson, trouvait, au contraire de celui-ci, que
les attaques des lions avaient du bon : « Nous étions en général assez rapides
pour changer de campement, mais notre départ du Tsavo fut sans nul doute un
record. »

“Fantôme” et “Ténèbre”

“Fantôme” et “Ténèbre” sont les sobriquets que les ouvriers africains ont
donnés à nos deux mangeurs d’homme.
Ils sont révélateurs de leur état d’esprit. Ils savent que ces tueurs d’hommes
ne sont pas vraiment de leur monde, du nôtre non plus d’ailleurs. Évidemment,
venant d’indigènes arriérés selon nos normes, il est évident que ces surnoms ne
peuvent rien nous apprendre. Et pourtant… Ils prouvent sans ambages que ces
“sauvages”, vivant encore en symbiose avec la Nature, avaient beaucoup pour
ne pas dire tout compris du mystère des Bêtes du Tsavo et que les primitifs ne
sont pas ceux qu’on croit mais ceux qui s’imaginent tout connaître parce qu’on
leur a appris à lire et à écrire.

Avril 1898, début du mois toujours



Le nombre de victimes augmente de jour en jour à une cadence énorme.
L’affolement ne fait que croître. Chaque nuit, ou presque, les trépas s’ajoutent
aux trépas…
La pression s’accentue. Les lions doivent à tout prix stopper l’avancement
de la ligne…


17 avril 1898

Combien de morts depuis que nos lions s’en sont pris au marchand indien et
à son âne ? Une grosse dizaine probablement… Patterson n’en parle pas… par
contre, il nous informe de l’arrivée à Tsavo du médecin Brock chargé d’épauler
le médecin Rose, complètement dépassé par les événements ! Il est vrai qu’il
est temps. L’hôpital ou ce qui en tient lieu dégorge de blessés ! Il est nécessaire
d’y apporter bon ordre car le chantier ne progresse pas comme il faudrait, tant
s’en faut !22 Mais qu’importent les morts, qu’importent les blessés, la ligne doit
avancer.

Conclusion

Lorsque j’ai commencé l’étude des meurtres accomplis par les lions du
Tsavo, c’était avec une idée bien précise dans la tête : établir les similitudes
existant dans la façon de massacrer des soi-disant loups des campagnes
françaises et la manière d’opérer des deux lions. Michel Louis y avait
probablement pensé avant moi sinon pourquoi ses deux livres ? La seule
différence entre nos recherches, c’est que je les ai poussées au maximum de
l’admissible, sans crainte d’un retour de flamme, si j’estimais qu’il fallait aller
jusqu’à prendre ce risque pour tenter de percer le mystère de nos félins. Quant à
l’approche de Michel Louis, elle est cartésienne à la différence de la mienne
qui est très proche du Réalisme Fantastique.
Au fond, j’aurai pu appeler mon livre, « les faux lions », car de lions,
“Fantôme” et “Ombre” n’en ont que l’aspect extérieur. Qui agit au travers eux,
quelle est l’énergie, bonne ou mauvaise selon les points de vue, qui les
manipule ? Énergie positive pour les noirs qui se voient déposséder peu à peu
par l’envahisseur blanc, énergie négative pour les mêmes blancs qui ne
supportent pas de se voir entraver dans leur rôle d’envahisseurs. Héros pour les
uns, criminels pour les autres, “Fantôme” et “Ombre” jouent le rôle des Robin
des Bois d’autrefois.
Quand vous aurez lu ce livre, vous comprendrez pourquoi j’insiste fort sur
ce point car le livre de Paterson, l’homme qui a soi-disant tué “Fantôme” et
“Ombre”, a inspiré pas mal de vocations de tueur de lions, puisque, comme
chacun sait, ce sont les lions qui mangent les hommes. Quant aux chasseurs
invétérés, qu’ils se pressent de satisfaire leur appétit de trophée, car des lions,
ils n’en restent plus beaucoup.




Chapitre III

La Boma


La Boma

L’hôpital est entouré, comme chaque camp d’ailleurs, d’une boma, cette
enceinte épineuse plus infranchissable qu’un rempart de château fort. À vol
d’oiseau, il se situe à environ mille mètres de la case de Patterson. Il l’a fait
entourer d’un boma dont il a surveillé personnellement l’exécution. Plus épais,
plus haut qu’à l’habitude, il est chargé de protéger le bâtiment.
Jamais, de mémoire de Masaï, aucun lion n’est jamais arrivé à franchir une
telle enceinte, plus insurmontable qu’un mur de forteresse. Si vous entrez dans
un village masaï, m’a raconté un ami, les villageois vous montreront parfois
des empreintes de lions ayant désespérément tenté d’y pénétrer23… ou de
l’escalader. Des touffes de poils, des lambeaux sanguinolents de peaux
accrochés aux épines, sont les seuls témoins de ces essais infructueux
Le camp hôpital compte douze lits… pour trois mille ouvriers ! Depuis
l’arrivée des lions, leur nombre est passé à quarante-huit. Trente-six lits
supplémentaires uniquement pour les blessés. C’est uniquement par déduction
que l’on sait qu’il y a des blessés car Patterson n’en fait jamais mention !

17 avril 1898 en soirée



Patterson reçoit le docteur Rose à dîner. Tout se passe bien jusqu’à un peu
avant minuit. C’est alors que des bruits étranges attirent leur attention.
Inspectant par la fenêtre les alentours du bungalow, ils ne remarquent rien. Un
peu plus tard, les hurlements d’un homme à l’agonie trouent le silence de la
nuit. Patterson empoigne sa carabine, tente d’ouvrir la porte mais le docteur
Rose le retient : « Que voulez-vous faire, risquer votre peau pour rien ? C’est
la nuit. De toute manière l’homme est mort. Vous ne pouvez plus rien pour lui,
alors à quoi bon vouloir jouer les héros. »
Mais ce n’est pas fini. De nouvelles clameurs se font entendre. Ils
apprendront le lendemain qu’un ouvrier swahili, étant sorti pour satisfaire un
besoin naturel, a rencontré la mort sur son chemin.
Lorsque les deux hommes sortiront du bungalow, il ne leur faudra pas
longtemps pour remarquer que les alentours de leur case sont marqués par les
empreintes d’un lion énorme. Malgré la Boma…24
Rencontrant le docteur Brock, celui-ci leur signale que sa petite chienne
Kindy n’a pas cessé de se plaindre, complètement apeurée, entre minuit et une
heure du matin.

18 avril 1898, le matin



Patterson, quittant ses compagnons, part en direction du chantier principal.
Quelle n’est pas sa stupéfaction de n’y trouver personne. Montant au sommet
de la colline qui surplombe l’entièreté du chantier, il aperçoit une foule énorme
en train de discuter. Pressé d’en savoir plus, il se dirige en hâte vers le groupe.
Étonné, il constate que, au fur et à mesure qu’il avance, les jacassements aigus
font place à un silence total, pesant, lourd de menaces.
S’adressant à un contremaître qu’il connaît de vue, il s’informe du pourquoi
de cette grève sauvage ? L’Indien lui explique que les ouvriers ne veulent plus
travailler, qu’ils se refusent à vivre plus longtemps dans cet endroit maudit, que
le Tsavo est la propriété des magiciens, que ceux-ci refusent leur présence plus
longtemps. Ils doivent obéir, partir au plus vite, sinon les lions les massacreront
jusqu’au dernier… Patterson a beau jurer ses grands dieux qu’il aura la peau
des lions, le contremaître lui explique que quoiqu’il tente, il n’arrivera à rien.
« Ils connaissent ton courage, Sahib, mais contre “The Ghost” et “The
Darkness”, tu es comme un enfant. “Fantôme” et “Ombre” ne sont pas des
lions, ils n’en ont que l’apparence. En réalité, ce sont des démons contre
lesquels tu ne peux rien. N’as-tu pas entendu parler de ces deux chefs de tribus
qui ont été assassinés par ton peuple parce qu’ils refusaient de vous aider dans
la construction du chemin de fer ? Leurs esprits se sont emparés des lions, ce
sont eux qui les dirigent. »
Patterson s’esclaffa. « Tu ne vas pas me dire que toi tu crois à ces
sornettes ? » Le contremaître ne se laisse pas démonter pour si peu. « Le diable
est venu à Tsavo, tu n’y peux rien Sahib mais c’est ainsi ! Beaucoup de pays
appartiennent aux démons, mais Tsavo est le pire de tous, c’est le royaume des
ténèbres. Il n’y a pas si longtemps, quand les caravanes s’arrêtaient ici pour se
réapprovisionner en eau, les chefs caravaniers le faisaient, forcés et contraints,
car ils n’ignoraient pas que le tribut à payer serait lourd, que chaque fois deux
caravaniers devaient y laisser la vie, qu’on ne retrouverait plus d’eux que leurs
sandales et leurs pagnes ! Il y a deux esprits du mal à Tsavo, ils s’appellent
“Fantôme” et “Ombre”. Contre eux, pas de salut. Ils envoûtent aussi bien les
hommes que les animaux, pénètrent en eux, les possèdent, les obligeant à
accomplir ce qu’ils veulent. Ce sont des shaitainis, des démons de la nuit, des
djinns ».
Patterson ne réagit pas sur le coup. Trop de choses dites par le contremaître
collaient si bien avec ce qu’il avait constaté lui-même. D’abord l’intelligence
des fauves, leur capacité à frapper là où il ne se trouvait pas, en un mot leur
prescience. Mais en homme blanc assuré de sa supériorité raciale, il balaya de
son cerveau toutes les stupidités qu’il venait d’entendre. « Je vais te faire une
proposition. Nous allons installer des boma autour de chaque camp à l’égal de
celui qui entoure l’hôpital, veiller à ce qu’il n’y ait aucun passage qui puisse
aider les lions à pénétrer… »
Le contremaître, bien que pas trop rassuré, alla raconter à la foule ce que
Patterson venait de lui dire. Apaisé, le groupe se disloqua. Patterson avait
gagné mais pour combien de temps ?

Il ne faudra que quelques heures pour que chaque camp se trouve protégé
par les impénétrables enceintes.
Nous savons tous que les indigènes sont de grands enfants, qu’ils sont
dénués du moindre raisonnement rationnel, qu’ils ne croient qu’à des
enfantillages et qu’ils ont eu bien de la chance de nous rencontrer. Mais est-ce si
sûr ? Pourquoi aurions-nous raison et eux tort, surtout dans des domaines qui
nous sont devenus étrangers sous l’influence de notre civilisation industrielle ?
Vivre sans électricité ne peut que leur apporter une prescience des forces de la
nuit.

Nuit du 18 au 19 avril 1898



Sont-ce les boma, les mesures renforcées comme le feu entretenu tout au
long de la nuit, les bidons de métal qu’un ouvrier, spécialement préposé,
entrechoque sans cesse, la chance, le hasard, nul ne le saura mais aucune
attaque n’est à porter au crédit de “Fantôme” et “Ombre”. Patterson a-t-il
trouvé la parade ? En tout cas, juché sur son arbre, il n‘a rien entendu et encore
moins vu !

20 avril 1898

Lors de l’appel journalier, il est constaté qu’un swahili manque à l’appel.
Son corps, dévoré en partie, est retrouvé au bord de la rivière. Pour une raison
qui ne s’explique pas, il ne serait pas rentré au camp.

Nuit du 21 au 22 avril 1898, deux heures du matin



Le drame va se dérouler dans l’hôpital, l’endroit le mieux protégé de tout le
campement. Sa boma renforcée, surélevé, épaissie, le met à l’abri des attaques
des félins.
Le médecin auxiliaire dont la chronique ne nous dit rien, un Indien
probablement, est réveillé par des bruits inhabituels. Confiant dans la boma qui
entoure l’infirmerie, il ouvre la porte de la tente. Mal réveillé, il pense
cauchemarder. Un lion le regarde, le fixant de son regard couleur topaze. Oui,
c’est certain, des lions de cette taille n’existent pas que dans les mauvais rêves.
Il n’a pas le temps de raisonner plus que déjà le félin géant est sur lui.
Terrorisé, il recule aussi vite, s’accroche à une armoire qui s’ouvre, laissant
tomber moult instruments médicaux et bocaux divers, le tout créant un vacarme
indescriptible. Le lion, un instant apeuré, quitte les lieux, se dirigeant vers un
autre endroit du camp sanitaire. L’homme est sauvé.
Le fauve aperçoit une autre tente où reposent sept malades, l’escalade de
toute sa hauteur, déchire de ses griffes énormes le sommet de grosse toile
imperméable, y crée un trou par lequel il accède à l’intérieur. Quelques longues
secondes plus tard, le félin s’extirpe de la tente effondrée sur elle-même, un
malade dans la gueule. L’homme est probablement mort car les voisins de lits
qui assistent à la scène ne remarquent aucun mouvement de sa part.
Les deux médecins européens, réveillés en sursaut par les cris d’agonie, se
rendorment difficilement !!!
Cinq malades échappés aux griffes et aux dents du fauve parviennent à
s’extraire de la tente démembrée et vont se réfugier dans celle du médecin
auxiliaire. Deux autres, trop mal en point pour bouger, attendront le matin
qu’on vienne les secourir ! Séchés par la peur, les six rescapés attendront l’aube
avant de réveiller Patterson et Broch qui s’étaient rendormis du sommeil des
justes…
Patterson est désespéré ; on ne sait si c’est parce qu’il s’est levé trop tard ou
parce que la boma n’a pu empêcher la tragédie, mais le fait est là. Patterson
ignore à quel dieu s’adresser !
Après examen minutieux de la Boma, il est constaté que l’enceinte épineuse
n’a pas résisté au lion qui a pénétré juste en face de la tente où loge le médecin
auxiliaire. Comment un lion à la taille aussi colossale a-t-il pu se frayer un
passage au travers d’une haie aux épines acérées et aussi grosses qu’un pouce
d’homme, c’est à n’y rien comprendre. Les empreintes laissées par le tueur
dans le sable humide de la nuit confirment son gabarit hors norme25. Quelques
touffes de poils et quelques fragments de tissus sont les seules traces de son
intrusion26. Des deux ouvriers étant restés sous les débris de la tente, un seul
survivra après une longue convalescence, l’autre mourra pendant la nuit.

22 avril 1898

On n’expliquera jamais pourquoi quelle mouche a piqué Patterson, lorsque
le même jour, il décide de changer le camp hôpital de place. À quelle étrange
intuition a-t-il obéi ? En une journée, tout est terminé. Patterson en a profité
pour renforcer encore plus s’il se peut la boma.
Puisque les autochtones affirment que les mangeurs d’hommes reviennent
toujours sur le lieu de leurs méfaits, Patterson décide d’affûter la nuit suivante
dans ce qui subsiste de l’ancienne infirmerie. Pour augmenter ses chances, il
décide d’exposer quelques bovins et d’en sacrifier d’autres dont il fait
entreposer les quartiers dans des tentes non démontées pour l’occasion27. Il
profite de l’abattage pour épandre le sang des bêtes autour de celles-ci.

Nuit du 22 au 23 avril 1898



La nuit d’affût débute. Patterson n’explique pas où il passa la nuit. Si
c’est au sol, il faut lui reconnaître un sacré cran, mais il est plus probable
qu’il affûta sur un croisement de branches d’un arbre situé aux environs. En
milieu de nuit, les rugissements habituels se firent entendre. Les fauves
commençaient leur chasse nocturne. Il est probable que, à cet instant,
Patterson frôla la gâchette de son arme.
Quelques dizaines de minutes plus tard, des cris d’effroi lui apprennent que
le tueur a non seulement éventé son piège mais qu’il a réussi à frapper malgré
tout. Bien que Patterson n’en ait pas la certitude, il jurerait que les hurlements
proviennent du nouvel hôpital mais il se refuse à admettre une pareille
éventualité.

23 avril 1898

À l’aube, toujours armé de sa carabine, il se précipite vers la nouvelle
infirmerie. Là, il apprend que c’est un jeune porteur d’eau qui a fait les frais de
la voracité du tueur. L’emportant, comme le chat avec une souris, le lion
parcourt la boma renforcée, cherchant l’issue. « Il a fini par traverser les
épines, emportant l’infortuné bhisti (porteur d’eau) », déclare un témoin.
Patterson écrit : « Il s’y engouffra (dans la boma), emportant sa victime
avec lui et en laissant des morceaux d’étoffes et de chair révélant d’une
manière terrible son passage au travers des épines. »28
Quelques minutes plus tard, le docteur Brock et le capitaine Haslem
rejoignent le sergent-major complètement dépassé…
Michel Louis, qui déclare dans sa préface avoir eu accès aux notes
personnelles de Patterson ajoute : « Les trois hommes se livrent à un examen
attentif de la boma. La trouée pratiquée par le lion dans l’épaisse clôture pour
sortir en emportant sa victime est bien apparente… Comment parvient-il à se
forcer un passage dans un tel enchevêtrement de branches épineuses ? C’est
incroyable… »
Lorsqu’ils localisèrent le trou de sortie, ils remarquèrent qu’il était en forme
d’entonnoir, ce qui excluait la possibilité d’être entré par le même endroit !
Scrutant pas à pas, l’extérieur de la Boma, ils en conclurent que la bête avait dû
sauter par-dessus29.
Le moral de Patterson est complètement à plat. Il ne sait plus comment
réagir devant ces félins qui paraissent se moquer de lui tant ils percent à jours
ses desseins et déjouent ses traquenards. Même lui se pose des questions, a-t-il
vraiment affaire à des lions ?
Tout à coup le courage lui revient, il croit enfin avoir trouvé la solution. Il
rassemble ses contremaîtres et décide la construction d’un troisième camp
hôpital dotée d’une boma super-renforcée.
À l’instar de la nuit dernière, il laisse quelques tentes au milieu de la boma
abandonnée et attache quelques vaches à leurs montants. Cela fait, les ouvriers
amènent un wagon dont le toit est fermé mais dont la face est munie d’une
porte où le dessous est fixe et dont le haut peut basculer, permettant d’avoir une
vue sur l’ensemble, tout en gardant une certaine protection en cas d’attaque
inopinée.
Pour s’éviter des questions inutiles, découvrons ce qu’il est arrivé à un
collie qui a eu beaucoup de chance !

Récit du collie

23 avril, fin d’après-midi



Un chauffeur de train raconte à Patterson qu’il a sorti un collie d’une
périlleuse situation. En effet, pendant qu’il conduisait sa locomotive, quel ne
fut pas son étonnement d’apercevoir un collie juché sur un arbre autour duquel
tournaient deux lions. Actionnant sa trompe d’alarme au maximum et freinant
de même, le chauffeur, grâce au tintamarre produit, réussit à faire décamper les
félins. Voici ce que le collie lui narra : « Je suivais les rails de la ligne de
chemin de fer, m’évitant ainsi de marcher sur le chemin de terre adjacent bien
plus fatigant à emprunter. Pas trop à l’aise, je tournais souvent la tête. Bien
m’en pris car je découvris ainsi que deux lions me suivaient au petit trop.
Abandonnant là mon chargement, j’ai escaladé le premier arbre venu et, assis
au croisement de deux branches, j’ai attendu patiemment. Voyant que je leur
échappais, le plus haut sur pattes des deux lions a tenté de grimper sur l’arbre
sur lequel j’avais trouvé refuge… Bien que placé pas bien haut, il a eu beau
bondir et bondir, il n’est pas arrivé à m’accrocher… »
Patterson demanda alors au chauffeur à quelle hauteur il estimait que le
collie se trouvait. « Difficile à dire mais trois mètres me semblent un
maximum »30, lui répondit le conducteur !
Ce qui, dans l’histoire, inquiéta le plus Patterson, c’est que les lions
attaquaient maintenant de jour.

23 avril 1898, vers les vingt heures



Le sergent-major Patterson invite le capitaine Haslem et le docteur Brock à
dîner en sa compagnie. Ceux-ci le pressent de questions. Ils désirent savoir
pour quel motif Patterson a changé sa méthode de chasse. Pourquoi un wagon
plutôt que le mirador habituel ? « Tout simplement, répond Patterson, parce
qu’aucun piège n’a fonctionné jusqu’à maintenant. Nos lions ne s’intéressent
qu’à la chair humaine31, c’est évident sinon il y a longtemps qu’ils auraient
faibli devants nos appâts, qu’ils s’agissent de chèvres, de moutons ou de bœufs.
J’ai donc décidé que cette nuit, ce sera moi la chèvre… »
Devant l’expression horrifiée de ses amis qui veulent tous deux
l’accompagner, il accepte, à contrecœur, la présence du docteur Brock, à
contrecœur oui, car affirme-t-il, « à l’affût, un seul chasseur, c’est déjà de
trop ! »

Même jour, peu avant minuit



Les chasseurs sont en place mais l’obscurité est presque totale. Ils ont beau
fixer la boma, ils la devinent plus qu’ils ne l’aperçoivent. Vers les deux heures
du matin, le silence de la nuit est interrompu par le craquement d’une branche
morte le long de la boma. Scrutant celle-ci, les yeux écarquillés, il leur semble
voir une ombre gigantesque planer au-dessus de la muraille d’épines puis ils
entendent comme un bruit amorti. Le meuglement terrorisé des bovins
enfermés dans l’enceinte de la boma leur confirme qu’ils n’ont pas halluciné.
Mais comme, après un moment, les beuglements s’arrêtent, ils ne savent plus
vraiment quoi !
Puis c’est à nouveau la peur qui prédomine, une masse plus noire que le
noir de la nuit s’approche d’eux, plus silencieuse que la mort. Terrorisés, ils
pointent le canon de leur carabine vers l’ombre qui paraît décoller. Sans viser,
l’obscurité est trop dense, ils tirent au hasard. Quand le bruit des détonations
s’estompe, la sérénité nocturne a repris tous ses droits. Les lions ont vidé les
lieux, conscients qu’ils avaient échoué !
Essayons maintenant de visualiser la scène, si c’est possible, tant le récit de
Patterson est malaisé à décrypter. L’infirmerie abandonnée a gardé son enceinte
de boma à l’intérieur de laquelle on a parqué quelques infortunés bovins et où
quelques tentes ont été conservées.
Si j’ai bien compris, le wagon où le sergent-major affûte est situé à
l’extérieur du camp infirmerie, face à la boma, de façon à ce que l’enceinte soit
visible entièrement de sa porte guillotine. Je ne vois pas comment c’est faisable
mais passons puisque, de toute manière, il fait si noir que les affûteurs sont
dans l’incapacité de rien distinguer. Drôle d’idée d’ailleurs que d’affûter par
une nuit sans lune.
Puis c’est le bond supposé, puisqu’invisible, d’un des deux lions au-dessus
du mur d’épines suivi du bruit amorti de la chute, si chute il y a. Le lion est
donc enfermé dans le camp hôpital. Ayant constaté qu’à part les bovins qu’il
n’apprécie pas, il n’a rien à se mettre sous la dent, le félin traverse ou retraverse
la boma et vient affûter à son tour les deux hommes qui ne se doutent de rien.
Quand le félin est sûr de son fait, il bondit sur les chasseurs. Les coups de feu
l’ayant dérangé dans son saut, il manque sa cible d’un cheveu, ne lui restant
donc plus qu’à disparaître !

Remarques et singularités

A. Il s’agit du second camp infirmerie, celui qui a été bâti après que le
premier ait été ravagé par le couple de lions et dans lequel deux hommes y
laissèrent la vie. Ce camp, pompeusement appelé hôpital, a été dressé avec
l’idée de le rendre inexpugnable, inattaquable par les lions. Sa boma a été
surélevée, épaissie, renforcée au maximum
Voyons comment Patterson arrive à expliquer l’inexplicable et comment,
avec de la mauvaise foi, l’impossible devient possible. Mais lisons-le, cela en
vaut la peine. Pour expliquer pourquoi le lion est sorti sans encombre de sa
prison de ronces aux griffes acérées, le sergent-major qui ne manque pas de
culot, écrit : « des ordres avaient été donnés pour que les issues de la boma
soient fermées et nous écoutions donc dans l’attente du moment où nous
entendrions le lion forcer son chemin aux travers des épines avec sa proie mais
il est clair que l’entrée n’avait pas été fermée correctement et pendant que
nous nous demandions ce que le lion pouvait bien faire à rester ainsi à
l’intérieur de la boma, il était à l’extérieur repérant silencieusement notre
position ».
Donc, si je lis bien, Patterson s’en est allé affûter avec son compère le
médecin Brock, sans vérifier la bonne fermeture de l’entrée de la boma, le seul
point faible de la ceinture épineuse. Par sa négligence que l’on peut qualifier de
criminelle, il a non seulement risqué sa vie mais celle de Brock. Cette façon
d’agir d’un ingénieur jouissant de la meilleure des notoriétés, à la réputation
d’organisateur hors pair, capable de diriger des milliers d’ouvriers est
inconcevable, inimaginable, en un mot impossible. Je crois que l’on peut
affirmer, sans grand risque d’erreur, que Patterson a menti. Il a tout
scrupuleusement vérifié et plus spécialement le sas d’entrée. Pourquoi ce
mensonge ? Parce que, probablement, il n’a pas voulu terrifier plus encore les
ouvriers du chantier et peut-être aussi se refuser à se terroriser lui-même.
Comment peut agir un homme pragmatique lorsqu’il se heurte à l’irrationnel, à
l’Ailleurs comme je l’ai écrit dans un de mes livres ? D’une seule façon, le
refus d’admettre « qu’il y a plus de choses sur la terre et dans le ciel, Horatio,
qu’il n’en est rêvé dans votre philosophie. » Hamlet Shakespeare Le cas est
trop habituel pour que l’on s’y attarde !
B. Pourquoi Patterson a-t-il fait enfermer des bovins dans le camp-mouroir
alors qu’il sait pertinemment que nos lions méprisent ce genre de proie ? Pour
la même raison qu’il a prétendu que le sas d’entrée de la boma avait été mal
fermé ! Pour ne pas terroriser la communauté. On peut s’imaginer la peur
existentielle qui se serait emparée de la population si elle avait appris que le
boss allait affûter “Fantôme” et “Ombre” sans autre appât… que lui-même. Des
lions mangeurs d’hommes, qui ne dévorent que des hommes, ne pouvant être
que des démons, mieux vaut passer sous silence cette sinistre particularité !

Désertions

Les travaux de la ligne de chemin de fer traînent en longueur. Malgré cette
lenteur, les chantiers avancés en tête de voie s’éloignent de plus en plus du
camp principal. D’autre part, les désertions se font nombreuses. La peur, de
plus en plus intense, crée des ravages dans le mental des ouvriers, qu’ils soient
indiens ou swahili. Les travailleurs ont acquis la certitude que les blancs sont
incapables de les défendre contre les démons qui se sont emparés de l’esprit des
deux lions. Résultat, il faut faire venir de la côte d’autres hommes qui ignorent
tout des travaux à effectuer. La pagaille s’intensifie.




Chapitre IV

Le piège



Patterson a mis au point un piège tellement sophistiqué qu’il a fallu quatre
pages à Michel Louis pour en expliquer le fonctionnement…
L’horreur atteint des sommets. Philip Stevens est un ingénieur venu depuis
peu travailler sur la ligne. Marié et père de famille, il a laissé femme et enfant à
Mombasa le temps de s’installer plus confortablement. Ceci réalisé, la petite
famille va pouvoir se réunir à nouveau.
La nuit même de leur arrivée, leur boma protectrice est prise d’assaut par
les deux lions, ce qui n’est encore jamais arrivé. Déchirant la tente familiale,
“Fantôme” emporte le mari, “Ombre” la femme. C’est seulement lorsque le
calme fut revenu que les habitants des tentes voisines osèrent intervenir32. Ils
trouvèrent le garçonnet la tête à moitié sectionnée33. Les corps du couple
restèrent introuvables.
Avec ce dernier carnage, la célébrité des lions devint internationale. De
Mombasa à Londres, on ne parlait plus que des lions mangeurs d’hommes.
Comme au temps de Louis XV, une prime de deux cents roupies sera accordée
au chanceux qui viendra bout des monstres.

Mois de juillet 1898, vers sa fin



L’ingénieur Preston, l’équivalent en responsabilité de Patterson, mais plus
spécialement attaché au montage de la ligne, regarde ses ouvriers travailler au
rythme d’un chant de leur pays. Les hommes cassent des cailloux dans une
carrière qui longe le bush constitué de hautes herbes. Brusquement, sans crier
gare, un lion a la taille inhabituellement grande, sort du taillis. Preston, qui
pourtant connaît les lions, est stupéfait de constater la vitesse à laquelle ce lion
gigantesque se déplace.
Un soldat le prend aussi vite dans sa ligne de mire et tire. Constatant qu’il a
manqué son coup, il laisse son arme sur place pour mieux s’enfuir !
Preston, quant à lui, se précipite vers sa carabine posée sur un piquet à
quelques mètres de distance. Lorsqu’il épaule et tire, le fauve est déjà loin,
entrant dans les hautes herbes, un infortuné swahili dans la gueule.
Preston, ivre de colère, commet alors ce qui aurait pu être irréparable. Il
pénètre dans la brousse à la poursuite du félin. Il n’a pas marché cinquante
mètres que deux rugissements brefs, l’un derrière et l’autre face à lui, lui font
comprendre qu’il est cerné. Il n’est plus le chasseur mais la proie.
Gardant son sang-froid, ne cédant pas à la panique, carabine épaulée, il
parvient à rejoindre les rails du chemin de fer.
Arrivé là, il est sauvé. Les lions connaissent les armes à feu et n’ont garde
de le suivre en terrain dégagé.

Fin juillet 1898



Trop, c’est trop. Les désertions sont quotidiennes et les déserteurs
nombreux. Preston ne sait comment réagir face à ce fléau. Il fait appel à
l’armée mais les messieurs du Foreign Office font la fine bouche. Ils craignent
trop les railleries de leurs confrères des affaires étrangères françaises et
allemandes. Ils lui envoient quand même une vingtaine d’hommes.
La récompense passe de deux cents à cinq cents roupies. Les chasseurs de
prime viennent d’un peu partout. Quelques lions passent de vie à trépas, mais
comme ils se trouvaient en dehors des limités imposées pour l’octroi de la
récompense, celle-ci n’est pas due34.

10 août 1898

Le soir tombe. Patterson et Haslem, qui viennent de terminer leur repas, le
clôturent par un bon whisky, avant de s’endormir dans leur tente ! Autour
d’eux, nombre d’ouvriers, profitant de la douceur de l’atmosphère du soir,
préfèrent dormir au grand air plutôt que dans leurs abris encore surchauffés par
la chaleur du jour. Leurs lits de camp s’éparpillent donc un peu partout autour
des tentes. Malgré la chaleur résiduelle de la journée, un grand feu, sensé
garder les fauves à distance, flambe au milieu du camp.
Bientôt des cris lamentables réveillent les deux hommes. « Simba, Simba ».
C’est le veilleur de nuit qui a lancé l’alarme. Là, à vingt mètres, un lion se fraie
un passage à travers l’épaisseur de la boma35 ! Les ouvriers s’enfuient pour la
plupart tandis que d’autres, moins peureux, lancent sur le fauve des pierres et
des brandons enflammés. Mais rien n’y fait, la bête est bientôt au milieu du
camp. Comme des ouvriers le décriront plus tard, il ne possède qu’un embryon
de crinière, mais sa taille est supérieure à tout ce qu’ils connaissent. Le fauve a
vite repéré sa victime, un Swahili. Tenant sa tête entre sa mâchoire, il sort par
où il est venu, la boma ne paraissant le gêner en rien. À peine sorti, un autre
lion le rejoint. La curée commence.
Un contremaître, hors de lui, tire plusieurs coups de fusil dans leur
direction. Le bruit des os qui craquent le rend fou. Il tire pour les éloigner, ne
plus entendre ce son horrible. Mais le soir étant là, il les repère surtout au bruit.
L’aube éclaire leur tente d’un jour incertain que déjà Patterson et Haslem se
lèvent. Ils ont hâte de découvrir l’ampleur du drame. Ils ne peuvent que constater
qu’une fois encore, “Fantôme” (le lion le plus souvent impliqué dans les
attaques) a forcé deux fois la Boma et que, accompagné d’“Ombre”, ils ont
mangé leurs victimes à moins de dix mètres de la barrière épineuse. Ils
constatent aussi que les ouvriers errent de-ci de-là, rendus aphasiques par les
évènements nocturnes.
Patterson, pour tenter de rendre un peu de moral à ses hommes, ordonne
que l’on ne touche pas à ce qui subsiste du corps du Swahili. Il fait savoir que,
dès le soir, il va reprendre ses affûts nocturnes.

10 au 11 août 1898 (nuit du…)



Juché sur un mirador élevé non loin des reliefs du dernier repas des lions,
Patterson attend. Le scénario ne varie pas : silence jusqu’à minuit, puis
rugissements sporadiques des fauves en chasse, enfin à nouveau le silence
lorsque les tueurs ont repéré leur nouvelle victime.
Une hyène se montre. Patterson la chasse par de grands cris. Puis il
réfléchit : si la hyène est là, c’est que les lions n’y sont pas. Découragé, il
rejoint son abri de toile. Quelques heures de sommeil ne seront pas de trop.

Même nuit (dans un autre camp)



Patterson ne dormira pas longtemps. Son contremaître, gris de peur,
l’informe que les fauves ont frappé à nouveau ! Ils ont agi exactement comme
la nuit précédente. Après avoir franchi la boma36, “Fantôme” a capturé sa
proie, a retraversé la haie et, accompagné d’“Ombre”, ils ont festoyé à quelques
mètres de l’enceinte.
Patterson veut en avoir le cœur net. Il va aller constater sur place. Il sait que
traverser la Boma est strictement impossible, alors comment fait “Fantôme”
non seulement pour traverser le mur épineux mais pour le franchir à nouveau,
un corps humain dans sa gueule.
Une fois sur place, il inspecte minutieusement les lieux.

11 au 13 août (nuits du)



Les carnages se poursuivent. Les deux nuits suivantes, Paterson applique sa
tactique préférée qui est d’affûter là où le couple a frappé. Mais à chaque fois,
ceux-ci évitent le piège et s’en vont trucider ailleurs. Ils vont jusqu’à tuer un
Indien chargé de l’entretien du feu37.
Enfin Patterson se décide de varier sa façon d’agir. Quand les lions ont tué
dans un camp, il affûte dans un autre. Il va s’obliger pendant les trois nuits
suivantes à opérer ainsi. En vain. Trois morts, un pour chaque nuit, sont à
ajouter au palmarès des lions tueurs. Quel appétit38 !


17 au 18 août 1898 (dans la nuit du…)

Patterson affûte dans son propre camp, le camp où il dort. L’arbre, sur
lequel il est installé, est situé en dehors de la boma et n’en dévoile qu’une
partie. II n’en voit donc pas l’entièreté.
À une heure non précisée, les rugissements des fauves se font entendre, puis
le silence. Patterson n’y croit plus, quand, Tout à coup, des hurlements de
souffrance jaillissent de l’autre côté du camp, mêlés à des rugissements
rauques. Énervé au possible, négligeant la prudence la plus élémentaire, il
descend du mirador et fonce vers le lieu du drame ! Pour pénétrer dans le camp,
il lui faut d’abord trouver le sas d’entrée de la boma et le dégager. Lorsqu’il
débouche dans le dortoir, il n’aperçoit aucun lion… et pour cause. “Fantôme”39
ne l’a pas attendu et a déjà retraversé la boma avec sa proie dans la gueule.
Quelques minutes plus tard, le broiement caractéristique des os se fait entendre.
Hors de ses gonds, Patterson asperge l’endroit où les lions ripaillent d’une
volée de balles 303. Comme il n’y voit pas grand-chose, le résultat est à
l’avenant !
Infatigable, Patterson escalade l’arbre le plus proche et affûte jusqu’au
matin, inutilement comme à l’habitude.
Découvrant le cadavre en fin de matinée, il constate avec dégoût que les
félins l’ont dépiauté à certaines places pour en lécher le sang frais ! Avec la
chaleur du jour, la chair sous-jacente est déjà momifiée40.
Les Indiens se sont entendus entre eux pour se prévenir du danger. Quand
les rauquements débutent, ils s’avertissent d’un camp à l’autre. « Attention mes
frères, le Diable41 arrive. »
Un contremaître bien connu de Patterson l’accoste pendant son petit-
déjeuner : « Sahib, les hommes n’en peuvent plus. Tu perds ton temps en
chassant un lion qui n’en est pas un. Que peux-tu faire contre le Diable ? »

25 août 1898, en fin d’après-midi



Quatre ouvriers, préposés à la surveillance du bon déroulement des travaux,
inspectent la ligne pour vérifier si rien ne cloche. Ils en profitent pour ramasser
les outils oubliés.
Brusquement, « surgissant d’on ne sait où »42, un lion s’attaque à l’un
d’eux, le prenant par la nuque. Les cris de peur des ouvriers alertent aussitôt
Patterson et Haslem, qui, empoignant leurs carabines, se précipitent vers
l’endroit d’où proviennent les hurlements. Mais ils arrivent trop tard et
l’obscurité s’installant vite dans les tropiques, il est trop dangereux de les
pister. D’après les témoins, le lion a rejoint son compagnon et ils ont dévoré le
corps du malheureux de concert. Les deux félins incriminés sont sans crinière
et énormes.

26 août 1898, tôt le matin



Risquant une nouvelle fois sa vie, Patterson suit les empreintes laissées par
les fauves. Le bush, trop épais, l’empêche d’aller bien loin. À son grand regret,
il ne retrouvera pas le corps de l’ouvrier.

26 au 27 août (nuit du…)



La série noire continue. Cette fois c’est un Swahili qui est victime des
tueurs. Le mur d’épine est à nouveau franchi par “Fantôme” avec la même
facilité.
Patterson, toujours aussi combatif, reprend l’affût. Peine inutile…

15 septembre 1898

Les lions n’ont plus donné signe de vie depuis plus de deux semaines, mais
Patterson ne s’en réjouit guère. Ce laps de temps entre deux carnages est trop
courant pour qu’il s’en réjouisse vraiment. Il n’a pas tort car les lions vont à
nouveau faire parler d’eux. Comme le plus souvent, c’est “Fantôme” qui
déclenche les hostilités. C’est lui qui traverse la boma, qui ouvre la tente, qui
s’empare de l’homme qui s’y repose, qui retraverse le mur d’épines. C’est
“Fantôme” le responsable de ces horreurs, “Ombre” ne fait que suivre et
profiter des initiatives de son compagnon.

Sept malheureux périront d’identique façon dans les deux semaines qui
suivent.
Patterson affûte une fois sur un mirador, une fois dans le piège qu’il a mis
au point, dans lequel il joue à l’appât vivant. Rien ne fonctionne, à tel point que
s’il se laissait aller, il se mettrait à croire lui aussi que ces lions diffèrent de
leurs congénères, qu’ils sont habités par une puissance supérieure en
intelligence à la sienne, au moins pour l’un des deux, “Fantôme”, l’organisateur
des meurtres en série, le serial killer en chef…
Un détail atroce. Un ouvrier souffrant de fièvre se dirige vers le camp
infirmerie. On le retrouvera assis sur une fourche d’arbre, exsangue, une jambe
arrachée. Le tronc de l’arbre est rouge de sang. L’homme n’a pas trouvé refuge
suffisamment haut pour échapper aux griffes des démons.

Du 1er au 13 octobre 1898



Les lions ne font plus parler d’eux.

14 octobre 1898

Le bref crépuscule des tropiques s’installe.
Alors que la masse des ouvriers se dirige vers leurs tentes, plusieurs d’entre
eux papotent avec quelques employés du chemin de fer qui, profitant de l’arrêt
du train, sont descendus de leur wagon.
Chargés de fermer la porte de la gare derrière eux avant d’y dormir, deux
Indiens et un swahili pénètrent dans la station qui doit leur servir de dortoir. Ils
n’ont pas avancé de plus de vingt mètres qu’ils se retrouvent à un angle du
chemin, face à face avec les lions tueurs d’hommes. La réaction des fauves est
fulgurante ; le swahili se trouve encagé dans les mandibules d’un des deux
monstres sans pouvoir esquisser le moindre geste. Les deux Indiens profitant de
ce court répit ouvrent la porte d’un bureau, y entrent et s’y enferment. Seule
une fenêtre renforcée de solides barreaux de fer apporte un peu de la lumière
des étoiles aux hommes terrorisés. Ils n’ont pas le temps de souffler qu’une tête
aux yeux fous bouche l’embrasure, mordant à pleines dents les barres de métal.
Mais lorsque l’ivoire s’en prend au fer, il est toujours perdant… Les babines en
sang, le monstre abandonne, cherchant une autre faille. N’en trouvant pas, il
rejoint son compagnon et là, enfournant le corps du swahili dans sa gueule, il se
dirige non pas vers la forêt mais vers… le camp dortoir, celui où logent
Patterson et Haslem43. Arrivé aux pieds de la boma, le couple dévorera le
malheureux à grands bruits de mâchoires !

14 octobre 1898

Le crépuscule s’est effacé, faisant place à la nuit.
Le médecin auxiliaire, remplaçant le docteur Bock toujours absent, avance
vers sa case. Il revient d’une visite au camp des maçons. C’est la première fois
qu’il se retrouve si tard au dehors et il est inquiet. Il n’a pas tort car, à
cinquante mètres de lui, une masse énorme bouche le sentier. Qu’est-ce que ça
peut être ? Le toubib n’a pas connaissance de travaux dans le coin, donc l’amas
noir qui lui bouche le passage n’a aucune raison de se trouver là…
Un œil, d’un beau phosphorescent jaune, lui fait comprendre que sa vie, mis
à part un très gros coup de pot, ne tient plus qu’à un fil. Tétanisé par la peur, il
fixe les monstres qui, étrangement, l’ignorent complètement44. Totalement
abasourdi, il constate que les lions avancent vers le camp où repose leur plus
mortel ennemi… et non pas vers la brousse, où, selon toute logique, ils
devraient se diriger. Récupérant un peu son sang-froid, le docteur tourne les
talons et s’enfuit à toutes jambes.
Un des ouvriers, parmi ceux qui ont assisté à la scène, glacé par l’effroi,
perdant tout son bon sens, se met à courir vers le dortoir de Patterson,
n’hésitant pas, pour aller plus vite, à dépasser les lions qui, pas plus qu’avec le
médecin auxiliaire, ne le gratifient du moindre regard.
Arrivé face à la boma fermée, l’homme supplie à grands cris qu’on la lui
ouvre car les démons arrivent. Les domestiques, ne tenant nullement à laisser
entrer les diables dans le camp, ferment l’oreille. Il faudra le coup de gueule
scandalisé du capitaine Haslem pour qu’ils se résolvent à entrouvrir l’huis.
Patterson qui prend son bain n’a rien entendu.

14 octobre 1898, 18 heures trente



Comme il fait trop sombre pour intervenir, Patterson et Haslem dégustent
leur premier whisky de la soirée, de quoi les remettre de leurs émotions et de
leurs déceptions. Les tueurs ne sont-ils pas de retour ?
Ils n’auront pas le temps de terminer leur verre que déjà le bruit atroce
qu’ils connaissent trop bien leur taraude les oreilles, le bruit d’os qu’on croque.
Les monstres consomment leur festin à quelques mètres de la boma qui entoure
le camp dortoir où séjournent Patterson et Haslem.
Malgré l’obscurité de la nuit, les fauves, méfiants, pour mieux déguster à
l’aise, se cachent derrière un vaste bosquet !
Patterson lance à Haslem un regard incrédule. Pourquoi ces lions
poussent-ils l’audace jusqu’à venir manger leur proie à sa barbe ? Pourquoi
ont-ils pris la peine de traîner le cadavre du swahili sur plusieurs centaines de
mètres pour le mener jusqu’à lui ? Que signifie cette outrecuidance ? Est-ce
une fois de plus un message qu’il est seul à pouvoir décoder ?45 Patterson ne
dit rien de ses réflexions à Haslem ; à quoi bon, il ne comprendrait pas. Il faut
avoir lutté pied à pied avec ces diables pendant des dizaines de nuit, s’être
tant imprégné d’eux qu’il en est quasi arrivé à se mettre à leur place, à
déchiffrer la symbolique de leurs comportements46.
Lorsque j’ai débuté ma recherche sur les lions du Tsavo, j’ai craint tout un
temps de n’enquêter que sur du vide, tant la traduction française du livre de
Paterson était à cent lieues de ce que j’espérais découvrir. Le traducteur,
chasseur lui aussi, et non repenti, ne s’est manifestement pas intéressé une
seconde à l’aspect furieusement énigmatique de cette histoire. Seul son goût
pour la « grande chasse d’Afrique » a attiré son attention. Ce n’est pas un
reproche que je lui fais, sauf, qu’à mon humble avis, il est passé à côté de ce
qui aurait pu faire l’intérêt de cette traduction. Heureusement que j’ai eu,
comme pour la Bête du Gévaudan, la chance de découvrir Michel Louis. Oh, je
ne veux pas dire que l’écrivain se soit beaucoup mouillé quant à la résolution
de l’énigme, mais en historien digne de ce nom, il n’a pas craint de regarder par
le bon bout de la lorgnette l’extraordinaire aventure de Patterson. C’est ce qui
m’a permis de soulever, du moins je le crois, une grande partie du mystère des
“Bêtes” qui ont trop souvent ravagé certaines périodes et certains lieux de notre
espace-temps.
Les fauves avaient faim. Le lendemain matin, on ne retrouvera de
l’infortuné swahili que quelques esquilles d’os.

A partir du 14 octobre 1898



La stratégie des félins tueurs change après le meurtre du 14 octobre 1898.
Alors que jusqu’ici, “Fantôme” était le seul à traverser les boma, à partir de
cette date, ils les franchissent à deux47. Bien que ni Patterson ni Michel ne
s’expriment sur le sujet, il est plus que probable que c’est “Fantôme”, le
meneur, qui trace la voie au travers des murs végétaux, “Ombre” se contentant
de le suivre… comme son ombre !

Du 15 octobre à la fin novembre



Les fauves mettent les bouchées doubles comme s’ils pressentent que le
temps leur est compté ! Leurs assauts deviennent pratiquement journaliers48 !
Mis à part cette constatation, aucune attaque n’est explicitée.

Fin octobre 1898



De nombreux chasseurs appâtés par la prime et la gloriole d’avoir tué les
deux lions, viennent prêter main-forte à Patterson qui n’est pas fâché de cette
aide supplémentaire. Si certains d’entre eux ne sont que des amateurs, d’autres
s’avèrent de vrais professionnels spécialement sélectionnés par le gouvernorat
de Mombasa pour venir en aide au sous-officier. Malgré cet apport de dernière
chance, aucun ne parviendra à venir à bout des monstres.
Parmi les chasseurs envoyés par Mombassa, l’un d’eux requiert
particulièrement l’attention de Patterson. C’est un vieux coureur de brousse au
palmarès impressionnant. Il a, entre autres, la mort de quarante-cinq lions sur la
conscience. On ne lui connaît pas de nom, ses amis et connaissances l’appellent
Alex.
Il intrigue tellement Patterson que celui-ci l’invite à venir partager sa table
le temps d’un dîner aux chandelles.
Un dialogue s’installe vite entre les deux hommes.
« Quel est l’animal le plus dangereux à chasser, » s’informe Patterson
« Le lion mangeur d’homme, sans l’ombre d’un doute !
Pourquoi ?
C’est un tacticien hors pair. Le mangeur d’homme est aussi un chasseur
d’homme, ne l’oubliez pas. Si vous le pistez suffisamment longtemps pour qu’il
comprenne que vous en voulez à sa vie, il va à son tour vous épier, vous
étudier, vous percer à jour. Tôt ou tard, il découvrira votre point faible. Alors
Prenez garde à vous, votre vie ne vaut plus tripette. Il y a huit mois que vous
les traquez, m’avez-vous dit ? C’est suffisant pour qu’ils vous connaissent par
cœur.
Puis faites attention, Patterson, quand il vous chargera, si vous lui en
laissez l’opportunité, ce n’est pas avec votre jouet de carabine 303, que vous
allez l’arrêter. Même avec une balle de gros calibre logée en plein cœur, il lui
faudra plus de cinquante mètres avant de s’effondrer. Si vous êtes plus près,
tant pis pour vous, c’est la mort assurée. »
Ils se séparèrent bons amis.
« Vous ne me verrez plus avant sept à huit jours, je vais les chasser là où ils
s’y attendent le moins, chez eux, sur leur propre territoire, en plein bush… »,
lui annonça-t-il avant de sortir.
Huit jours plus tard exactement, le porteur noir, chargé d’aider Alex dans
ses expéditions, revint au camp, seul. Fou de peur, il lui fut impossible de rien
expliquer. Il ne récupérera jamais la raison. Quant à Alex, on n’en entendra
plus parler. Il n’ajoutera pas deux victimes de plus à son lugubre palmarès, nos
deux lions ayant mis un terme définitif à sa sanglante carrière !
Les chasseurs et hommes de troupe, chargés d’épauler Patterson, sont priés
de regagner Mombasa. Ils ne l’ont aidé en rien, ayant accumulé échecs sur
échecs. La disparition d’Alex n’a pas arrangé les choses. Patterson et Haslem
sont à nouveau seuls à protéger trois mille hommes transis de crainte.

Entre le 15 octobre et le 1er novembre



Nous sommes en période de pleine lune. Un demi-jour argenté baigne la
rivière et les camps qui l’environnent. Comme chaque fois que les lions ont
décidé de frapper, ils émettent des mugissements propres à terroriser le plus
courageux des hommes. Les lions ne doivent pas être loin du camp principal.
Les dortoirs sont tellement proches l’un de l’autre que leurs logeurs peuvent
entendre les rugissements annonceurs de mort. Une seule pensée obsessionnelle
les domine « quand sera-ce mon tour ? ».
Comme les monstres attaquent chaque nuit, on s’imagine aisément l’état de
terreur constante qui règne sur le chantier. Comment travailler sérieusement
dans de pareilles conditions ?
Six ouvriers logeant dans une tente commune sise dans le camp principal,
se posent la même effroyable question : « quand sera-ce mon tour ? »…
Ils n’ont guère le temps de se torturer plus l’esprit qu’une paroi de leur abri
de toile se déchire de haut en bas et que deux démons en furie y font irruption.
La tuerie ne dure qu’une minute ou deux que déjà quatre morts jonchent le sol,
qu’un cinquième ouvrier, blessé gravement et qui mourra dans les heures qui
suivent, geint doucement, et que le sixième, blessé aux jambes, tente
désespérément de sortir de la tente.
Quand les deux tueurs49 jaillissent de l’abri démembré, avec, chacun, un
corps désarticulé dans l’étau des mâchoires, la lune pleine s’enfonce dans
l’horizon, le petit jour se pointe, entre chien et loup !
Patterson et Haslem, réveillés en sursaut par les cris d’agonie, décident de
profiter de la lueur de l’aube pour se saisir de leurs carabines et de tenter de
tuer les bêtes de sang avant qu’elles ne regagnent la brousse et ses massifs
épineux. Longeant la boma sur son pourtour50, ils entrent enfin dans le camp
dortoir. Un silence absolu règne, les tentes restent closes. Il faut que Paterson et
Haslem tirent chacun une balle dans l’air rose du matin, pour qu’enfin des
hommes au visage gris de peur acceptent de sortir de leurs abris de toile.
Enfin, quand Patterson et Haslem arrivent sur les lieux, ils ignorent
complètement si les lions se trouvent encore dans le camp où non. Dans
l’hypothèse où ils y sont encore et qu’ils veuillent en sortir, je vois mal
comment les deux hommes, empêtrés dans les ronces de la boma, feraient pour
se défendre de l’assaut des félins.
Ce dernier carnage fut la goutte de trop. Les travailleurs décident d’arrêter
le chantier et de rentrer chez eux. « Sahib, annoncent-ils à Patterson, nous
cessons de travailler pour toi. Le contrat de travail que nous avons signé,
n’exige pas que nous mourions sous les griffes de démons déguisés en lions. Si
tu ne comprends pas que ces lions sont des sorciers chargés d’arrêter le
chantier, tant pis pour toi mais nous, nous savons et nous ne servirons pas plus
longtemps de pâture à ces diables… »
Suite à cette nuit d’épouvante, les ouvriers désertèrent le chantier en grand
nombre à un point tel que l’ouvrage fut stoppé pendant trois semaines, période
dont Patterson profita pour faire remplacer les fragiles tentes par des huttes
aptes à résister aux assauts de “Fantôme” et “Ombre”.
Par cette amélioration de la protection des ouvriers restants, l’ingénieur
espère les inciter à ne pas déserter eux aussi et, cerise sur le gâteau, à faire
réintégrer les fuyards. Le camp, avec ces abris fabriqués avec toutes sortes
de matériaux, parfois les plus hétéroclites, en acquiert un aspect des plus
bizarres. Certains sont juchés en hauteur, sur des toits, des citernes, des
pilotis, n’importe où du moment qu’ils protègent les travailleurs des
incursions nocturnes des fauves. D’autres, se rapprochant des tanières, sont
creusés dans le sol sous forme de tranchées que l’on recouvre la nuit de
pesants et solides rondins. Les commodités sont loin d’être au rendez-vous
mais rien que le fait de pouvoir dormir le cœur tranquille vaut tous les
conforts !
Même les arbres sont réquisitionnés. Chaque nuit, les hommes s’installent
sur les branches principales, y plaçant des refuges de fortune.
Une nuit, lors d’une attaque des lions, un arbre aux branches énormes fut
tellement sollicité que son tronc craqua sous le poids des corps, les entraînant
dans sa chute ! “Fantôme” et “Ombre”, occupés déjà à un autre et tragique
festin, ne purent en profiter…

16 novembre 1898

Le capitaine Haslem surveille les travaux d’achèvement des piliers chargés
d’étayer le pont qui doit être capable de soutenir le passage des trains.
La fin de la journée de travail est proche, les ouvriers vont bientôt rejoindre
leurs dortoirs respectifs.
Deux travailleurs indiens qui se dirigent vers lui attirent son attention. Leur
air sombre lui fait redouter le pire. Mais le malheur n’est pas vraiment encore
au rendez-vous. Un ouvrier a fait une mauvaise chute. Haslem se rend sur place
et lui donne les premiers soins.
Le travail se terminant, il ne lui reste plus qu’à regagner son gîte. Carabine
au creux du coude, il prend la route. Il n’a pas marché cent mètres qu’une
pression énorme lui enserre la nuque. Perdant conscience très vite, il tombe sur
les genoux, pressant d’un geste involontaire la détente de son arme. En même
temps qu’une explosion aiguë lui taraude les oreilles, la pression sur son cou
s’arrête… La raison lui revenant, il n’a que le temps de voir un lion disparaître
dans un tournant du chemin. Le coup de feu a-t-il effrayé le félin ?
Probablement… Mais si Haslem a gardé la vie, il n’en résulte pas moins que le
fauve l’a méchamment blessé, lui perforant l’épaule et le bas de la nuque. Son
sang se perd dans la poussière de la route.
Informé, Patterson se réjouit car, malgré ses blessures, son ami ne mourra
pas, il ne sera pas la cent trente et unième victime morte sous les dents des
monstres du Tsavo.
Sur les quelques centaines de travailleurs qui rejoignaient leurs abris, ce fut
Haslem que “Fantôme” prit en ligne de mire. Pourquoi lui et pas un autre ? Le
lion n’avait-il pas vu qu’il portait une carabine, un bâton de feu comme le
surnomment les Swahilis ? Pourquoi cette erreur apparente de jugement ?
L’importance de Haslem dans la bonne gestion du chantier est-elle tellement
prépondérante qu’il faut l’éliminer à tout prix, quitte à risquer un mauvais coup
de feu ?
D’autre part, on retrouve ici la même façon de procéder que dans Les bêtes
tueuses de l’ultramonde, tome I. Comment Haslem n’a-t-il rien vu venir, lui qui
pousse la défiance jusqu’à se promener carabine armée dans la main droite ?
On croirait se retrouver quelques siècles en arrière lors des apparitions
instantanées et inexplicables de la Bête du Gévaudan !
Patterson met les bouchées doubles. Mis à part quelques heures à superviser
les travaux, il passe la plupart de son temps à tenter d’éliminer les tueurs. Le
jour, il se risque de plus en plus à parcourir la savane d’épineux malgré les
risques énormes encourus. La nuit, il affûte en haut des arbres avec tout
l’inconfort que cela représente. Épuisé par ces veilles inconfortables, il fait
monter devant de nombreux camps dortoirs, des plateformes sur quatre
robustes piliers. Hauts de trois à quatre mètres, ils évitent ainsi à l’affûteur de
se faire cueillir par un fauve désireux de battre son record du saut en hauteur. Il
va même jusqu’à se promener la nuit, hors des camps et de la protection des
boma, lanterne dans une main, carabine dans l’autre.
Mais à quoi bon, malgré tous ses efforts, les lions n’arrêtent pas de tuer. Là
où il faudrait dix chasseurs, il est seul à assumer. Il faut vraiment qu’on soit
inconscient au Foreign Office pour ignorer la gravité de la situation. Chaque
jour, de nouveaux déserteurs prennent le large.
Les coolies ne lui font plus confiance à un point tel que certains
contremaîtres ne le saluent même plus. Il suffirait d’un rien pour que la sainte-
barbe que devient le chantier explose, ruinant en quelques jours un colossal
travail de plusieurs mois.

25 novembre 1898 (aux alentours du…)



Trop, c’est trop, Patterson craque. Une nouvelle fois, il fait appel à
l’officier de district Whitehead. Il le prie de venir sans coup férir avec un
maximum de soldats pour l’aider à en terminer avec les mangeurs d’hommes.

Nuit du 27 au 28 novembre 1898



Les lions attaquent de nouveau en duo. Malgré une boma renforcée, les
tueurs pénètrent dans un dortoir, s’octroyant chacun un ouvrier. L’un des deux
hommes sera emporté de suite et ne sera pas retrouvé. L’autre sera récupéré,
moribond et geignant dans la boma, le corps écorché vif par les longues et
épaisses épines du rempart végétal. Le malheureux décédera avant d’arriver à
l’hôpital.

29 novembre 1898, tôt en matinée



Les travailleurs en ont par-dessus la tête des belles promesses de Patterson
qui ne se concrétisent jamais. Purshotam, un des contremaîtres parmi les plus
appréciés du sous-officier, est chargé par ses compagnons de travail de lui
annoncer qu’à moins d’une refonte totale des mesures chargées de protéger les
hommes, le chantier s’arrêterait définitivement le lendemain. Purshotam
accorde quelques heures de réflexion à Patterson.
Si celui-ci n’arrive pas à trouver enfin la solution-miracle, c’est l’entièreté
de l’entreprise qui meurt51.
Autant vouloir résoudre la quadrature du cercle. Patterson, à bout d’idées,
complètement dépassé, cherche réconfort et assistance près de… Purshotam
lui-même. Celui-ci, bien qu’il sache être dans son droit, respecte Patterson. Il
n’ignore pas non plus ce que cette grève, que les Anglais taxeront de rébellion,
risque de coûter à ces hommes à bout de souffle : la prison, la vie peut-être, et
surtout la honte de ne plus pouvoir apporter de quoi survivre à la famille qui
attend aux Indes. Tout à coup, une idée lui vient et il la communique tout de
suite à son sahib. Pourquoi ne pas fondre les campements restants en un seul,
dont la boma serait encore plus élevée, plus épaisse, plus profonde, en un mot
infranchissable, avec un seul point faible gardé de jour comme de nuit par des
tireurs sélectionnés pour leur courage d’abord, pour leurs qualités de tireurs
ensuite. « Quant à vous Sahib, pour que vous ne soyez pas l’objet de mauvaises
intentions, je vous conseille de dormir dans votre case actuelle. »
Patterson n’a pas besoin de beaucoup réfléchir pour admettre que son
contremaître a raison. Il lui donne donc son blanc-seing, à lui de convaincre ses
coreligionnaires…

30 novembre 1898 fin de journée



Le travail est terminé. Patterson inspecte une fois encore la boma. Tout
dépend-elle ! Il a beau chercher la faille, il ne trouve rien. Grâce à elle, le camp
dortoir est transformé en forteresse. Elle frôle les trois mètres d’élévation et
elle est si dense que même un léopard ne parviendrait pas à s’y faufiler !
Mais ce déploiement de force ne rassure pas Patterson pour autant. Tôt ou
tard, le couple démoniaque détectera le maillon faible et alors… Dubitatif, il
rejoint sa case.

30 novembre 1898, la nuit est là !



Une ambiance heureuse enveloppe le dortoir. Les hommes sont joyeux, ils
rient comme de grands enfants. Il fait si chaud que la plupart d’entre eux ont
sorti leurs lits de camp et s’endorment sous les étoiles. Trois tireurs sont déjà
de garde à l’endroit où la boma possède son point faible, l’entrée. Des torches,
malgré le danger d’incendie, éclairent chichement les environs !
« Soudain, surgissant d’on ne sait où52 », les lions flingueurs entrent en
action. Ils n’ont nul besoin d’armes à feu, leurs mâchoires suffisent. Pourtant
certains collies gardent leur sang-froid, enflammant des torches préparées
depuis longtemps. Ils savent que face à un brandon enflammé, les fauves
hésitent, connaissant trop la morsure des flammes des feux de brousse. Mais
pour “Fantôme” et “Ombre”, c’est une autre chanson. En quelques coups de
pattes bien appliqués, le couple enlève les flambeaux improvisés des mains de
ces courageux, en arrachant une du même coup. Une torche tombe sur une
tente, l’enflamme… D’autres s’embrasent à leurs tours, c’est la pagaille
absolue. “Fantôme” s’empare d’un ouvrier africain. Suivi par “Ombre”, ils
disparaissent au fin fond du camp, sortant par où ils sont entrés.
Le désarroi des hommes est si total que plus aucun d’entre eux ne parle.
Transformés en zombies, ils errent de-ci de-là, pire que des âmes en peine.
C’est alors qu’un bruit d’enfer monte de la nuit, déchire le silence,
insupportable, démoniaque. Les diables sont là, près de la boma. Les babines
retroussées de satisfaction, ils dépiautent et dévorent à pleines dents. Les os
craquent si fort que personne dans le camp, ne peut pas ignorer les bruits
sinistres des crocs qui s’entrechoquent, le tout dominé par des ronflements,
feulements, grommellements de satisfaction.
Un certain inspecteur appelé Dalgairns, nouvellement arrivé, les nerfs à vif,
téméraire jusqu’à l’inconscience, sort de la boma, s’approche des fauves et, se
fiant au son, vide ses chargeurs dans leur direction. Puis il écoute, espérant
entendre des râles d’agonie. Au lieu de cela, des grognements irrités lui
répondent, suivis directement des abominables craquements causés par le
broyage des os53…

1er décembre 1898



Revenant d’avoir suivi les lions sans résultat dans la brousse, Patterson
aperçoit de loin, à la gare, une agitation inaccoutumée. S’approchant, il
découvre un spectacle qui le laisse pantois. Un train de marchandises est bloqué
par des dizaines d’Indiens couchés sur les rails. Il s’agit d’une manœuvre
concertée car, en même temps, des centaines d’autres s’installent tant bien que
mal sur les wagons, les retardataires s’accrochant là où ils peuvent. Le train
ressemble bientôt à une gigantesque chenille chamarrée.
Le chantier de Tsavo est mort ; les lions l’ont-ils emporté ?

Même jour, dans le courant de l’après-midi



Patterson, désabusé, lit le télégramme que lui a envoyé l’officier de district
Whitehead. Celui-ci sera à Tsavo le lendemain deux décembre, la troupe suivra
le surlendemain.
Le Foreign Office recense le décès de quatre Britanniques et d’une trentaine
de coolies. Si l’on ne tient compte que des morts du chantier situé à Tsavo, les
chiffres ne mentent pas. Ils négligent simplement les Indiens tués dans les
camps extérieurs au cours des mois de mai, juin et juillet. Quant au nombre de
swahili décédés, il n’en est même pas tenu compte. Curieuse arithmétique.
Patterson, quant à lui, dénombre quatre Britanniques, quarante Indiens et une
grosse centaine de Swahili !

2 décembre 1898

Vers dix-sept heures trente, Patterson envoie son homme de confiance,
Roshan Khan chercher Whitehead à la gare, avec ordre de l’aider à porter ses
bagages. Vers dix-huit heures trente, l’Indien est de retours… seul. Il est gris de
peur. Il bafouille, balbutie. Reprenant un peu de son sang-froid, il parvient
enfin à informer son sahib qu’il n’y a personne à la gare, que tout le monde a
disparu… sauf un énorme lion qui déambule sur le quai. Patterson ne peut
s’empêcher d’ironiser, tant ce que lui raconte Roshan Khan lui paraît insensé.
« C’est ça, il attendait Whitehead aussi, je suppose. Tu es sûr qu’il ne l’a pas
dévoré ». Comme quoi, parfois, il vaut mieux tourner sa langue sept fois
soixante-dix-sept fois dans la bouche avant de parler. Car ce jour-là, Whitehead
ne viendra pas.

Même jour, 18 heures trente



Comme à son habitude, Patterson monte sur un de ses miradors, s’assied,
attend, sa carabine entre les jambes. Sans le chercher bien sûr, il a choisi le bon
emplacement. À quelques dizaines de mètres de lui, les lions font ripaille. Le
craquement habituel des os ne peut le tromper. Il s‘étonne, s’interroge. Si la
proie était un homme à lui, il le saurait. Des hurlements terrorisés annonçant le
rapt domineraient les bruits nocturnes.
Tout à coup, de belles pupilles phosphorescentes brillent sous la clarté des
étoiles, de gros yeux le fixent. Patterson n’a que le temps d’épauler et de tirer
que déjà la lueur s’éteint. Aucun râle ne répondant à son tir, il en conclut qu’il
l’avait manqué ! Pourtant il lui semble avoir tiré juste !
À l’aube, profitant du jour qui se lève, il se dirige vers l’endroit où il
présume que les lions se sont gobergés. Qu’elle n’est pas sa surprise de
rencontrer Whitehead, lui toujours tiré à quatre épingles, plus dépenaillé qu’un
fêtard au petit matin.
Celui-ci lui explique que le train chargé de le mener à Tsavo ayant pris
beaucoup de retard, il n’y avait plus personne à la gare pour l’attendre, lui et
son fidèle Abdullah. « Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, je décidai de
me rendre à pied et en pleine obscurité jusqu’à votre refuge. Mal m’en a pris.
Nous n’avions pas parcouru quelques centaines de mètres, Abdullah et moi,
que votre fichu lion, le diable ait son âme54, me sautait dessus. Le temps
d’épauler ma carabine que déjà il me plantait ses quatre griffes dans le dos et
me broyait le cou. Heureusement pour moi, j’ai pressé la détente. La balle lui
est passée si près des oreilles qu’il a dû en souffrir, m’abandonnant pour mieux
s’emparer de mon pauvre boy. J’ai risqué un second coup que je loupai
également. Pourtant je l’ai tiré de prêt. Ramassant la lampe d’Abdullah, je suis
parti à sa poursuite. C’est stupide mais la colère est toujours mauvaise
conseillère… »
Rencontrant le chef de gare, celui-ci confirma à Patterson qu’un lion
gigantesque avait débarqué sur le quai, comme s’il attendait quelqu’un55…

3 décembre 1898

Patterson décide de donner sa chance une nouvelle fois au piège de son
invention, celui où les hommes servent d’appâts vivants. Whitehead lui
conseille de choisir deux soldats réputés pour la précision de leurs tirs.
Patterson teste leurs capacités, le résultat dépasse ses espérances.
Le soir, le piège est enclenché. Mais Patterson ne compte pas que sur lui
pour arriver à un résultat probant. Le piège est posé de telle sorte qu’il est cerné
d’une « ceinture de feu ». Plusieurs miradors en effet l’entourent avec, sur
chacun, un tireur à l’affût. Le silence est absolu. Brusquement le bruit causé par
la lourde porte du piège qui se referme le déchire. Le lion est encagé56.
Une énorme cacophonie monte de l’engin. Le félin, fou de rage et de peur,
se lance de toute sa force contre les barreaux et le toit. Sa force colossale risque
de désosser le dispositif qui n’a été prévu que pour résister un court moment à
la furie dévastatrice d’un fauve. Que se passe-il, pourquoi les deux soldats ne
tirent-ils pas ? L’ordre de faire feu, hurlé par Whitehead les rappelle à la réalité.
La réponse est immédiate, un grand nombre de balles sont tirées dans la minute
qui suit. Aucune ne touchera le félin, par contre l’une d’elles frôlera Patterson
tandis qu’une autre cassera le système de fermeture de la porte d’entrée du
piège, permettant à “Fantôme” de se sortir de ce très mauvais pas57.
Pauvre Patterson. Complètement perdu, il ne reconnaît plus son chantier.
Que sont devenus les camps tirés au cordeau, les ouvriers chantant leur joie
d’œuvrer à un si beau projet, les tentes blanches moutonnant jusqu’à l’horizon,
les feux de camp… Rien ne reste de tout cela. Il ne subsiste qu’un dortoir, déjà
tellement rétréci, mais encore trop grand pour le peu de travailleurs
s’accrochant à l’ouvrage.
Les survivants, terrorisés au plus haut point, ont abandonné le travail, se
réfugiant à nouveau dans les caches de fortune qu’ils avaient érigées il y a peu,
juchées un peu partout, depuis les branches des arbres jusqu’aux plateformes
des citernes pour les plus chanceux, en passant par les tranchées aux toits de
rondin. Une vraie misère, un véritable cauchemar. Un peu partout, au bord de la
boma réduite à quasi rien, les tireurs veillent, de jour comme de nuit.
L’ingénieur qui ne craignait pas d’affirmer à ses supérieurs qu’il ne lui faudrait
pas plus de quatre mois pour terminer l’ouvrage, où en est-il à cette heure ? Qu’en
est-il de ses rêves, rien ou si peu. Aujourd’hui, le chantier est à l’arrêt, rien n’est
terminé malgré neuf mois. Voici la conclusion que tire Michel Louis : « Durant la
première période des attaques il a bien ri, Patterson, à propos de “Fantôme” et
“Ténèbres” (“Ombre”) et autres superstitions… Aujourd’hui, cela ne le fait pas
rire du tout ». Oui, oui, amis lecteurs, vous avez bien lu, c’est Michel Louis qui
s’exprime, l’historien en qui l’on peut faire confiance…

4 décembre 1898, le soir tombe



Tout autour de la boma, les rugissements débutent. Plus encore qu’à
l’habitude, on y devine de la rage, mais aussi une froide détermination.
“Fantôme”, qui n’a pas oublié qu’hier soir, il a manqué d’y laisser la peau, fait
preuve d’encore plus de prudence qu’à l’habitude. Suivi d’Ombre, il fait
plusieurs fois le tour de la boma, inspectant chaque mirador, repérant ceux qui
sont habités. Il a bien dû remarquer qu’ils le sont tous. Comment dans ces
conditions risquer une attaque éclair ?

5 et 6 décembre 1898

Pendant ces deux jours, Whitehead et ses soldats quadrillent le bush. Peine
perdue. Pas le moindre tueur en vue si ce n’est quelques feulements agacés.

7 décembre 1898

Mauvaise nouvelle pour Patterson : pour des questions de logistique,
Whitehead et ses hommes doivent retourner à leur cantonnement… Un certain
monsieur Farquhar, subordonné de Whitehead, prête à Patterson sa carabine
double express58 d’un calibre plus puissant que le 303 qu’il possède.

Même jour, en soirée



Depuis l’arrivée des soldats, les lions ne font plus parler d’eux. Certains
travailleurs ont à nouveau sorti leur lit pour profiter de la fraîcheur nocturne.
Aussitôt les militaires partis, les félins réitèrent leurs forfaits.
Patterson, fidèle à sa mission et acharné en diable, est posté sur un mirador.
Nous sommes en début de nuit et des petits groupes d’hommes encore debout
parlent entre eux. Puis c’est à nouveau le mystère complet. Sans même qu’on
les ait entendus, les lions-sorciers sont là. Comment ont-ils opéré pour franchir
la boma hyper-renforcée sans le moindre bruit, le plus minime craquement ?
C’est inexplicable59 ! Les ouvriers, terrorisés, montent sur un vieil arbre que
l’on a laissé à l’intérieur de la boma pour l’ombre qu’il apporte. Ils sont si
nombreux à s’y accrocher qu’il casse en son milieu… Les lions n’en sont guère
incommodés, occupés qu’ils sont à se disputer le cadavre d’un infortuné
Swahili. C’est avec une dignité toute royale qu’ils sortent du camp par où ils
sont entrés, le mur d’épines.
Après avoir suivi les traces des tueurs, Patterson constate, avec un malaise
qu’il a difficile de maîtriser, que les lions ont pénétré la boma à l’emplacement
exactement contraire à celui où il se trouvait, lorsqu’il affûtait dans son
mirador60.

8 décembre 1898 (pendant la nuit)



Le piège a été remis en état, il fonctionne à nouveau. Cette fois c’est
Patterson qui joue le rôle de la chèvre. Héra Singh, son contremaître, est posté
sur le mirador qui surplombe le traquenard.
Rien ne se passe avant deux heures du matin puis c’est le chant de mort
habituel, le De Profundis léonin qui éteint tous les autres bruits du bush.
Lorsque les lions arrêtent leur terrorisante mélopée, Patterson les situe à un peu
moins de cinquante mètres de lui. L’ont-ils senti, savent-ils qu’il est proche
d’eux ? En tout cas, ils n’insistent pas et s’éloignent. Les sonorités nocturnes
habituelles s’imposent à nouveau aux oreilles.
Patterson est anéanti. Il devine ce qui va se dérouler. Les lions vont percer à
nouveau la boma et massacrer le premier humain qui leur tombe sous la patte.
Que peut-il faire pour contrecarrer la manœuvre démoniaque ? Rien,
strictement rien. Il doit attendre que la nuit s’efface, que l’aube s’éveille, pour
agir. Désespéré, il se couche sur une paillasse qu’il a emmenée. Il n’a plus qu’à
patienter dans l’attente du matin.
Au fur et à mesure que le temps passe, Patterson se rend compte que les
évènements se déroulent tout autrement qu’il l’avait prévu !
Il a raison car, contrairement à leur habitude, les fauves ne pénètrent pas
dans le camp. Au contraire, ils se dirigent vers le machan (mirador) sur lequel
Patterson a passé la nuit précédente. À cette heure le machan est occupé par
deux Swahilis cherchant à se protéger des attaques. Fous de terreur, ils entendent
les craquements des branchettes sèches se rapprocher d’eux. Ils ne distinguent
pas les lions, tant le noir de la nuit est absolu, mais ils savent qu’ils sont
repérés… Ils restent néanmoins relativement confiants jusqu’au moment où un
choc formidable ébranle leur fragile plateforme. C’est probablement “Fantôme”,
le meneur, le fauve à l’intelligence aiguë, qui se lance à l’assaut. Il y en aura
plusieurs jusqu’au moment où, lassés, les félins abandonnent leurs travaux de
sape pour en revenir à leurs manœuvres habituelles, l’entrée dans le camp par la
boma, mais ils ont beau parcourir le dortoir de long en large, ils ne trouvent rien
à se mettre sous la dent. Pénétrant dans une tente, là où ils s’attendaient à
découvrir de quoi se sustenter, ils ne trouvent personne. Pourtant l’endroit est
imprégné d’une affriolante odeur d’hommes. Que se passe-t-il pour que là où ils
flairent l’homme, ils ne le trouvent pas ? Pas un instant ils ne tenteront de
soulever la lourde dalle de bois qui clôt la tranchée dans laquelle quatre hommes
séchés de peur prient leurs dieux dans l’espoir qu’ils les protègent61.
Un des lions, “Ombre” plus que probablement, se précipite vers l’étable, y
brise la palissade, s’empare d‘un âne, lui fait traverser la boma puis disparaît62.
Souvenons-nous aussi des enclos dans lesquels de nombreux ovins, caprins
et bovidés attendaient paisiblement de terminer leurs vies dans l’écuelle des
ouvriers. Bien que les clôtures, vu leurs légèretés, ne les protégeaient d’aucune
attaque, jamais, au grand jamais, aucun des deux lions ne s’est intéressé à ce
pactole viandeux !
Certains d’entre vous, amis lecteurs, allez me rétorquer que les lions sont
affamés et que ne trouvant plus rien à se mettre sous la dent, ils s’attaquent au
premier mammifère venu ! C’est peut-être vite oublié que leur dernier et
substantiel repas composé d’un corps d’homme entier date du 7 décembre et
que nous sommes le 8, c’est-à-dire le lendemain ! Cinquante kg de chair au
minimum à se partager à deux alors qu’il ne faut pas plus de sept kg à un mâle
adulte pour se sustenter !


9 décembre en début de matinée

Quand Patterson rejoint le campement et qu’on l’a mis au courant des
évènements de la nuit, il décide de pister les fauves, estimant que ceux-ci, tout
entier à leur festin, risquent moins de l’entendre s’approcher.
Jugeant l’occasion excellente pour tester la carabine double express
qu’on lui a prêtée, il la prend avec lui et part en chasse, suivi de son fidèle
boy. Il ne lui faut pas longtemps pour entendre le bruit tristement habituel
des os qui cèdent sous la pression formidable des mâchoires des carnassiers.
Les jambes fléchies, le dos courbé, il s’avance… C’était sans compter avec
son boy, Mahinda, qui marche par mégarde sur une branche sèche. Aussitôt les
bruits de mastications s’interrompent, le silence s’installe. Dépité, Patterson
regagne le camp, engage un nombre indéterminé d’hommes chargés de traquer
les fauves, les armant de tam-tam, casseroles et autres objets en fer-blanc
capables de produire un maximum de tintamarre.
Patterson a repéré la zone ou festoient les lions, un bosquet d’une centaine
de mètres de diamètre. Avec un peu de chances, ils devraient être toujours là63
(A) !
Arrivés à pied d’œuvre (B), les traqueurs se placent d’un côté de la parcelle
tandis que Patterson s’installe sur l’autre bord. Il n’aura ainsi plus qu’à attendre
que les fauves, traqués par les collies, se présentent bien gentiment aux canons
de sa carabine double express.
Il est tellement sûr de sa bonne étoile qu’il ne prend même pas la peine, du
moins si j’en crois Michel Louis, de prendre le vent (C).
À peine le sergent-major est-il en place qu’un des lions sort du bosquet,
grand, les pattes longues, sans crinière. On dirait voir une énorme lionne.
Patterson a tout le temps de l’admirer, de le viser (D). Le lion en prend tout à
son aise. Il s’arrête, redémarre… jusqu’à se trouver à moins de quinze mètres
de son futur bourreau. Il agit un peu à la façon de la fausse Bête du Gévaudan
qui s’assied face à Jean Chastel. On s’attendrait presque à ce que le lion
s’assoie lui aussi. Attention, Patterson est à peine caché, ce qui n’empêche pas
le lion de s’en approcher dangereusement, lui qui a déjoué ses manœuvres les
plus retorses. Encore une fois, l’impensable est au rendez-vous ! Mais le plus
extraordinaire est encore à venir (E).
Patterson vise entre les deux yeux puis appuie sur la première gâchette. Un
clic est la seule réponse qu’il obtient (F). Le percuteur ne fonctionne pas.
Perdant son contrôle, il oublie de tirer sa deuxième cartouche. Le lion, ayant
tout son temps, se décide seulement alors à charger (G), mais le tintamarre des
casseroles et des tam-tam est tel et si près de son arrière-train qu’il change
d’idée au dernier moment, préférant se réfugier dans la brousse (H).

Remarques et singularités

A. J’aimerais ne pas devoir attenter à la bonne réputation du sergent-major
et futur lieutenant-colonel Patterson, mais cette histoire ne tient pas debout,
mais alors absolument pas.
“Fantôme” et “Ombre” ont échappé à tous les traquenards qu’on leur a
tendu. Ils ont même à leur actif la peau d’un vieux traqueur de fauve connu
pour son expérience et son sinistre palmarès, le célèbre Alex. Ils connaissent
Paterson et sa volonté forcenée de les supprimer sur le bout des griffes. En
plus, à cause de Mahinda, ils ont repéré sa présence et se permettent de rester
cloîtrés dans un minuscule bosquet à attendre qu’une bande d’Indiens et
d’Africains, morts de trac, les pousse vers Patterson et sa carabine.
Aucuns lions, même les moins habitués à l’homme, ne réagiraient ainsi ; se
laisser conduire à l’abattoir un peu comme la Bête du Gévaudan face au vieux
sorcier Jean Chastel. Alors, quand il s’agit des félins surdoués que sont “Fantôme”
et “Ombre”, la péripétie devient caricaturale pour ne pas dire gênante.
Combien de fois la Bête du Gévaudan n’a-t-elle pas remonté la ligne des
traqueurs, alors qu’ils étaient parfois des milliers, se faufilant entre eux sans
souci qu’on la remarque, échappant ainsi aux battues les plus sophistiquées ?
Pourquoi le lion n’en fait-il pas autant alors qu’il est tout aussi intelligent que la
Bête ?

B. Les traqueurs Indiens et Swahilis qu’a embrigadés Patterson, supportent
depuis neuf mois les attaques meurtrières et ininterrompues de félins qu’ils ne
considèrent pas comme tels mais comme des démons contre lesquels il est
impossible de lutter ! Et voilà tout à coup que, comme sous l’effet d’une
baguette magique, ces hommes, fous de terreur, séchés sur pied de panique,
acceptent d’affronter les deux démons avec comme seules armes, des tam-tam
et des casseroles, tout ça pour les beaux yeux de Patterson, alors qu’ils ont
perdu toute confiance en sa personne, lui dont les lions se jouent depuis bien
trop longtemps ! C’est proprement délirant !

C. Le premier réflexe d’un chasseur est de prendre le vent, de façon à ne
pas être senti par le gibier convoité, par exemple ici le lion. L’odeur de
l’homme, pour l’odorat des bêtes sauvages doit être proche de celle du purin
pour notre nez ! C’est la principale précaution à prendre… Sans cela,
impossible de s’approcher du moindre animal…

D. Lorsque notre félin remarque enfin la présence du sous-officier, il…
Mais prenons connaissance du texte de Michel Louis. « Surpris par cette
apparition, (celle de Patterson), il plante ses pattes dans le sol et se ramasse
sur lui-même comme un chat prêt à bondir, il gronde férocement en fouettant
ses flancs de sa queue et lance au chasseur un regard d’une intensité terrible. »
Si les lions devaient procéder ainsi devant les chasseurs, il y a longtemps qu’ils
auraient disparu de la surface terrestre ! Non, un lion n’agit pas ainsi ; soit il se
sauve, soit il charge mais jamais il ne se laisse contempler. S’il charge et qu’il
est à moins de quinze mètres du chasseur, celui-ci, s’il en a le temps, n’a plus
qu’à réciter son acte de contrition et à remettre son âme au Père Éternel. En
effet, même le cœur explosé par une balle de 416 Rigby, un lion ne tombera
qu’après avoir parcouru une cinquantaine de mètres, c’est-à-dire au moment où
il aura perdu l’entièreté de son sang. Le tir en plein front, s’il arrête plus
rapidement l’animal, est rarement efficace, car la cervelle du lion est placée de
façon telle qu’elle offre peu de surface frontale, rendant ainsi le tir à la tête des
plus aléatoires.

E. Alors que Patterson, confus, explique à ses hommes que le premier coup
de la carabine express n’a pas fonctionné, Heera Singh lui explique, avec
l’infinie patience que l’on accorde aux faibles d’esprit : « Tu n’es pas
responsable, Sahib, quand comprendras-tu que tu es incapable de t’attaquer à
ces lions ? Tes balles sont impuissantes contre des démons ». Cela signifie,
dans le langage de Heera Singh, que “Fantôme” et “Ombre” jouissent d’une
protection occulte, les rendant insensibles aux attaques dont ils sont l’objet.
Mais une protection, cela peut se retirer…

F. Le lion se décide donc à charger juste après que Patterson ait pressé la
première détente. Que voilà un lion peu pressé d’attaquer mais, par contre,
désireux de partir “ad patres”.

G. Alors que “Fantôme” ne craignait pas de s’en prendre à des travailleurs,
même au milieu de centaines d’autres, qu’il se jouait des torches enflammées
qu’on lui mettait sous le nez, qu’il n’avait peur de rien ni de personne, ne voilà-
t-il pas qu’il s’effraye au point de s’enfuir devant quelques misérables coolies
dépenaillés tremblant de tous leurs membres, munis de tam-tam et de casseroles
en fer-blanc !
Pourquoi Michel Louis ne s’est-il pas étonné lui aussi devant cet étalage de
contre-vérités me diront certains lecteurs ? À mon avis parce qu’il n’est pas
chasseur, ce dont, entre parenthèses, je le félicite. Quant à moi, c’est bien la
première fois que mes expériences cynégétiques ne me font pas honte et même
me servent.
Patterson, au début de son livre, nous a signalé très sommairement que les
lions responsables des carnages du Tsavo s’appellent “Fantôme” et “Ombre”
que l’on peut traduire aussi par “Ténèbres”. Ces surnoms d’outre-tombe
auraient été attribués à ces animaux par des sorciers locaux qui affirmaient que
les lions étaient possédés par le psychisme toujours vivant d’anciens rois de la
région, rois momifiés64 de telle façon que leurs doubles survivent, doubles
irréductiblement adversaires de la pénétration européenne sur leurs terres.

H. Par le procédé de la momification, dit de l’embaumement, si celle-ci est
réalisée selon des règles magiques strictes oubliées dans nos pays d’Occident,
le corps de l’embaumé accède à l’immortalité.

9 décembre toujours, la nuit s’annonce



Patterson examine le corps de l’âne. Il constate que seul l’arrière-train a été
consommé. Il en déduit que les lions reviendront achever leurs repas de nuit
(A). Pour avoir toutes les chances de son côté (B), il fait construire un machan
de trois mètres cinquante de hauteur. Pour plus de sûreté, il fait arrimer l’âne à
l’aide d’une corde attachée à un solide piquet profondément enfoncé dans le
sol.
À dix-huit heures, il est au poste.
Vers onze heures du soir, des bruits anormaux attirent son attention, des
craquements légers mais des craquements quand même, puis enfin le feulement
d’un félin dont l’estomac crie famine.
Au lieu de se diriger vers le cadavre de l’âne, le fauve tourne autour du
mirador. Patterson prend peur. La plate-forme sur laquelle il est assis a été
montée à la hâte. En cas d’attaque du fauve, elle risque de ne pas résister bien
longtemps.
À un moment, le carnassier se trouve à moins de cinq mètres de lui.
Patterson le prend en joue le plus minutieusement possible puis fait feu (C).
Sous le tir, le lion s’écroule tout d’abord, se relève ensuite, court dans tous les
sens. Patterson l’aperçoit à nouveau à dix ou quinze mètres, tentant de pénétrer
dans un bosquet. Il double son coup. De poignants hurlements d’agonie y
répondent, diminuant de secondes en secondes, puis à nouveau le silence. Un
des deux rois de la nuit vient de rendre l’âme.

Remarques et singularités

A. Malgré des dizaines et des dizaines de nuits passées sur ses miradors,
Patterson, jusqu’à ce jour, n’a jamais eu l’occasion de tirer le moindre coup de
carabine en direction des tueurs. Alors pourquoi, malgré son expérience, tente-
t-il aujourd’hui ce qui ne lui a jamais réussi ?

B et C. Pourquoi Patterson s’est-il acharné au fil des mois à affûter de nuit,


alors que la nuit, sauf clair de lune, on y voit goutte. La preuve de ce que
j’avance, c’est que les quelques fois où il a été réveillé par les cris d’épouvante
des hommes lui signalant que l’un d’entre eux venait de trépasser sous les
griffes des lions, il ne s’est jamais déplacé sous le prétexte légitime que quand
il fait noir, on est dans l’incapacité de viser, donc de tirer. Non, je crois que les
séances nocturnes de Patterson servaient surtout à tranquilliser ses hommes,
avec, en plus, le petit espoir de visualiser les fauves au crépuscule et à l’aube,
ce qui, par malheur, ne s’est jamais produit.
Actuellement en Belgique, (je ne parle que de ce que je connais) l’affût de
nuit, sauf dérogations particulières, est strictement interdit. Pourtant vous ne
verrez jamais une carabine de tir sur mirador sans sa lunette de visée. Ces
lunettes, toujours de très grande qualité, permettent d’augmenter la clarté
diffuse régnant à l’aube et au crépuscule, aidant ainsi le tireur à mieux ajuster
sa visée et à tuer « proprement » ! J’ai bien écrit à l’aube et au crépuscule,
c’est-à-dire à des moments où il subsiste encore une certaine luminosité. Or,
Patterson, par nuit noire, sans l’aide de la moindre lumière, pas même celle de
la lune, alors que sa vision est réduite à zéro, parvient à placer son coup non
seulement à cinq mètres mais aussi à quinze !
Mais alors, pourquoi ces contre-vérités, ces mensonges camouflés ? Amis
lecteurs, soyez très attentif. Le dénouement est proche, accrochez-vous !
Profitez-en aussi pour vous asseoir, deux précautions valent mieux qu’une !
Cela fait plusieurs jours que le lion survivant fait entendre des cris qui
ressemblent à des plaintes ; pleure-t-il son compagnon disparu, c’est probable !
Le camp s’est encore rétréci. Patterson a fait monter en son milieu un
machan. Ainsi, si le lion survivant parvient à pénétrer dans le dortoir, il lui sera
plus aisé de le contrer. Pour éviter toute panique en cas d’entrée intempestive
du félin, le sergent-major a ordonné à ses hommes de ne quitter sous aucun
prétexte leurs abris de fortune les mettant à l’abri des agressions du fauve. Il lui
sera ainsi plus facile de le situer si la luminosité ambiante le lui permet65.

14 décembre 1898, en soirée



Un certain Dalgairns, inspecteur d’une gare qui ne fonctionne plus, est
réveillé par des bruits inhabituels. Soupçonnant des ouvriers indiens de se
quereller, il décide de ne pas intervenir. Bien lui en prit car, le lendemain
matin, réveillé par Patterson, il constate, au vu des traces laissées, que c’est le
lion survivant qui a tourné autour de sa case et non pas des coolies ivres !

15 décembre 1898, au matin



Supposant que l’animal reviendrait peut-être rôder autour de la case de
Dalgairns, Patterson décide d’affûter dans un petit bâtiment de tôles situé non
loin de là. Une lucarne idéalement placée donne directement sur la case de
l’inspecteur.
Pour parfaire le traquenard, il fait attacher trois chèvres à un morceau de
rail frôlant le quintal.

16 décembre, à l’aube

La nuit se traîne quand, à l’aube, les trois biquettes commencent à montrer
des signes d’inquiétude. Puis tout s’accélère. Le fauve s’empare d’une chèvre,
l’enfourne entre ses mâchoires et traverse la boma66, traînant en même temps
les deux autres caprins et le rail de métal. Malgré que le petit matin pointe,
Patterson n’y voit pas grand-chose67. Se disant que le lion risquait plus que lui,
il vide son chargeur dans sa direction, avec comme unique résultat, de tuer une
des deux chèvres rescapées !
Une fois le jour arrivé, accompagné de quatre ouvriers et d’un subordonné
blanc, armé lui aussi, il piste le fauve. Quelques centaines de mètres plus loin,
des feulements de colère les avertissent que le félin est proche. Celui-ci, de très
mauvaise humeur, accepte mal d’être dérangé dans ses orgiaques occupations.
Il charge, feulant à pleine gueule. En même temps que les deux blancs
épaulent, attendant que le lion se place en situation idoine pour faire feu, les
quatre Indiens, sans même les consulter, se retrouvent, comme par magie,
juchés sur les branches hautes d’un arbre tout proche. Le lion, moins stupide
qu’il n’y paraît, bifurque au dernier moment et s’efface dans la brousse
avoisinante.

Même jour

Selon sa nouvelle tactique68, Patterson décide de faire construire un mirador
pas loin de l’endroit où se situent les dépouilles de nos infortunées biquettes.

17 décembre 1898 au crépuscule



À peine installé, le lion apparaît. Il est grand temps car dans moins de deux
à trois minutes, le soleil va se coucher et la lune n’est pas souvent là pour
remédier à son absence ! Patterson s’est-il rendu enfin compte que le fait de
tirer un lion par nuit noire est difficile à faire avaler ? Amis lecteurs, vous allez
probablement me taxer de médisant mais tant pis, car vouloir me faire prendre
pendant trop longtemps des vessies pour des lanternes m’a mis les nerfs à vif !
Donc, il est quasi dix-huit heures et l’obscurité n’est pas encore totale.
Brusquement, son boy touche Patterson du coude et, du doigt, lui signale une
masse sombre qui n’a pas sa place dans le paysage. Patterson, alerté, son fusil à
demi-épaulé69, examine les bosquets qui bordent l’arrière de l’endroit où gisent
les chèvres. Il ne lui faut pas longtemps pour remarquer le fauve sortant du
bush, et à découvert s’il vous plaît ! L’animal est si confiant qu’il ne craint pas
de se glisser en dessous du machan où siègent les deux hommes. Patterson tire
avec les deux canons en même temps70 ! Le lion tombe sous l’impact puis se
relève aussitôt, si vite que Patterson n’a pas le temps de se saisir de sa
carabine71.

18 décembre à l’aube

Bien qu’ayant réussi à suivre le lion sur près de deux kilomètres, Patterson
doit abandonner la poursuite quand la bête s’engage sur un terrain rocailleux de
couleur brique où les empreintes et les traces de sang se marquent moins !

Une semaine plus tard


Le lion n’a plus fait parler de lui depuis que Patterson l’a blessé. Est-il
mort, disparu ou bien encore vivant ?…

26 décembre 1898, en cours de nuit puis à l’aube


Des hurlements dans la nuit. Patterson s’arrache de son lit de camp. Son
assistant, appelé Winkler, l’attend déjà devant sa tente. Tous les deux sont
armés. Winkler l’informe : « Le lion assiège les hommes réfugiés sur un des
arbres situés en dehors du camp. Regardez… » En effet, le félin s’en donne à
cœur joie, tentant d’escalader l’arbre de toutes ses griffes.
Les deux hommes sont dans l’incapacité de les secourir car la lumière de la
lune éteinte par de gros nuages empêche de rien distinguer à plus d’un mètre72.
En désespoir de cause, Patterson tire en direction de l’arbre sans trop y croire.
Cependant, le stratagème semble réussir car les rauquements du lion s’arrêtent.
À l’aube, quand les ouvriers regagnent leurs tentes, ils constatent,
épouvantés, que le félin les a toutes visitées. Même un lourd plancher de bois
chapeautant une tranchée a été déplacé… Ce n’est qu’après s’être aperçu que
les tentes étaient vides que, franchissant à nouveau la boma, l’animal s’était
attaqué aux coolies juchés dans l’arbre.

Ma méfiance augmente

27 décembre 1898

La nuit est tombée. Heureusement le ciel est vide de nuages et un


magnifique clair de lune éclaire le paysage. L’ingénieur, et Mahina, son porteur
d’arme, se sont installés sur une plateforme placée pas loin de l’arbre où les
coolies ont été assiégés la nuit dernière par le mangeur d’homme.
La nuit s’étire, lente, monotone ; seuls les bruits coutumiers à la brousse se
font entendre. Vers deux heures du matin, Mahina prend son temps de veille.
Patterson en profite pour s’assoupir. Après quelques dizaines de minutes de
sommeil, il se réveille brutalement. Interrogateur, il regarde Mahina. Celui-ci,
tranquille, tout à son observation, ne montre aucun signe d’inquiétude… Et
pourtant. Sans faire signe à son porteur, Patterson examine les alentours. Le
mirador surplombe une étendue caillouteuse vide de végétation, mis à part
quelques arbustes desséchés, sauf que… à moins de vingt mètres, une tache
plus sombre se dessine sur la surface du bush. À la grande satisfaction du
sergent-major, la tache sombre ondule, tremble, s’ébroue. Un instant plus tard,
un grand fauve se dévoile. Sous la lumière de la pleine lune, son pelage prend
une couleur argent. Il avance, ventre au sol. Patterson, qui devine qu’il va
bondir, ne lui en laisse pas le temps et lui tire une balle de 303 en plein coffre.
Mahina, qui n’a rien remarqué, sursaute violemment. La cartouche était-elle
défectueuse ? Probablement, car le lion ne paraît pas marquer le coup, se
contentant de déguerpir par bonds immenses. La luminosité est si bonne que
Patterson peut encore risquer trois balles. La dernière doit avoir touché son but
car le fauve y répond par un long feulement tragique.
À l’aube, Patterson et Mahina rejoignent le camp. Le sous-officier se
munissant de nouvelles cartouches, reprend la piste de la bête blessée, suivi de
Mahina, armé d’une carabine Martini-Henry à un coup, et d’un swahili connu
pour ses qualités de pisteur.
La piste laissée par le fauve est facile à suivre puisque des traces sanglantes
égrènent son parcours. Ils n’ont pas parcouru quelques centaines de mètres qu’un
grognement menaçant les avertit que le lion les a repérés. Fouillant des yeux la
surface couverte de ronces épineuses, Patterson repère le félin qui les fixe de ses
gros yeux dorés. Comme il l’écrit, « la bête est juste devant lui ! » Patterson
épaule, tire. C’est seulement après le coup de feu que le félin charge les trois
hommes73. L’ingénieur lâche un second coup de carabine dont l’impact freine
l’animal dans sa charge. Un troisième tir, manqué probablement, n’arrête pas le
fauve74. À court de munition, du moins je le suppose, le sergent-major cherche à
se saisir de l’arme de Mahina. En vain, le courageux porte-fusil a grimpé dans
l’arbre le plus proche… sa carabine Martini-Henry à l’épaule ! Patterson, n’ayant
pas d’autre solution, saute dans l’arbre lui aussi75 !
Une fois en lieu sûr sur sa branche, il reprend son souffle…
Reprenons la chronologie des deux tirs de Patterson pendant l’attaque du
lion. Pendant que le félin le charge, il vise et tire une première fois, ce qui lui
demande deux secondes. Ensuite il doit désépauler, ouvrir le verrou de son
arme afin d’éjecter la douille tirée, puis vérifier qu’elle est bien éjectée,
refermer le verrou afin de réintroduire une autre cartouche dans la culasse,
enfin réépauler, viser, tirer à nouveau.
Selon l’entraînement et la rapidité des réflexes du chasseur, cela peut varier
de deux à trois secondes. Or, comme tout chasseur de gros gibier en solitaire, si
Patterson affûtait très souvent, il tirait peu. On peut donc lui attribuer une note
de trois secondes à laquelle il faut ajouter les deux secondes du premier tir.
Mais ce n’est pas tout, comme le fauve persévère dans sa charge, il lui faut
aussi mettre son fusil à l’épaule (à moins qu’il ne s’en débarrasse), rejoindre
l’arbre où s’est réfugié son boy, y grimper suffisamment haut pour que le félin
ne puisse le crocher (3 mètres 50 de saut en hauteur pour un lion de taille
normale…) Il lui faut en plus arriver à hauteur de Mahina, s’y installer de façon
non précaire, prendre l’arme du boy tout en lui remettant la sienne (s’il l’a
toujours avec lui), la charger probablement et s’en servir !
Combien de temps faut-il pour ce dernier exploit ? Soyons généreux,
accordons-lui dix secondes. Total général quatorze secondes ! C’est très long
quatorze secondes, alors qu’il n’en faut guère plus que trois à notre mangeur
d’homme pour être pendu aux basques de l’ingénieur.
Vous allez me dire : « il est blessé, il doit donc se déplacer plus
lentement ! » C’est oublier qu’il faudra encore trois balles pour en venir
définitivement à bout et aussi qu’un lion blessé, même mortellement, est bien
plus rapide qu’un lion sain de corps, vu la colère vengeresse et le plus souvent
justifiée qui l’habite !
Que déduire de ces singularités, sinon qu’elles paraissent impossibles, mais
comme impossible n’est pas français, du moins le dit-on, j’avais décidé de
laisser le bénéfice du doute à Patterson.
Je n’ai pas l’âme d’un accusateur publique, je ne me sens nullement habilité
à jouer les procureurs mais les faits sont les faits et contre eux il n’y a pas
d’échappatoires ! Mais avant d’accuser le futur lieutenant-colonel Patterson de
faux en écriture, je demande à mes lecteurs de prendre connaissance de l’article
de Wikipédia.
« Le fusil militaire britannique Martini-Henry… est un fusil se chargeant
par la culasse à un coup, dont celle-ci est actionnée par un levier de sous-
garde. Adopté en 1871 par la British Army… le Martini-Henry fut l’arme
symbolique de l’ère victorienne et de la politique expansionniste de l’Empire
britannique…
Son fonctionnement est très simple et fiable. Pousser le levier de sous-garde
vers le bas ouvre la culasse en faisant pivoter son bloc de fermeture ; poser la
cartouche pointe en avant dans l’auget et la pousser dans la chambre assure le
chargement. Relever le levier de sous-garde garantit le verrouillage de la
chambre et l’armement du chien : arme prête au tir ! Après le tir, pousser le
levier de sous-garde vers le bas entraîne l’ouverture de la culasse et l’éjection
de l’étui vide.
Le contenant de la poudre noire employée par cette arme est en carton et
non en métal comme pour les munitions modernes, d’où l’expression “étui”.
La cadence de tir du M-H, fusil à un coup mais au chargement simple et
rapide, est de 10 à 12 coups par minute. Wikipédia. Soit cinq à six secondes
par déchargement-chargement. Vu l’état de fatigue de Patterson et sa
méconnaissance de l’arme, (la carabine M-H était réservée à la troupe), huit
secondes me paraît un chiffre plus réaliste !
De nouveau, récapitulons chaque phase de la confrontation.
Après avoir échappé aux griffes du fauve, capitalisons le temps que
Patterson a dû mettre pour atteindre la branche ou est juché Mahina, puis celui
qu’il lui a fallu pour s’y installer, lui remettre sa carabine, prendre la sienne…
Je pense qu’avancer le chiffre de dix secondes n’est pas exagéré.
Maintenant que Patterson est sur sa branche, il lui faut charger la carabine
Martini-Henry, épauler, mettre en joue, viser, tirer. En théorie, Il lui faut pour
réaliser tout ceci, onze secondes, mais comme il est en position précaire,
quatorze secondes ne doivent pas être de trop.
Le lion, n’apercevant plus son tourmenteur, bifurque à angle droit et
s’éloigne. Ce qui n’empêche pas Patterson de s’emparer de l’arme de Mahina,
de viser l’arrière-train du fauve, de tirer. Le lion s’effondre. Le croyant mort,
sans même doubler son tir (quelle inconscience), Patterson descend de son
perchoir, s’approche ! À son grand désarroi, le lion se relève. Vu l’état
d’excitation bienheureuse dans lequel le sergent-major se trouve, il n’a très
probablement pas rechargé son arme, mais soyons beaux joueurs, accordons-lui
le bénéfice du doute (sinon il serait mort). Il descend donc pour s’apercevoir, à
son fort désappointement, que le lion se relève et le charge. Il lui tire alors une
balle en pleine poitrine et une seconde, écrit-il, dans la tête, ce qui régla
définitivement le problème du Simba, celui-ci tombant foudroyé à moins de
cinq mètres de lui ! Quand on le lit, Patterson semble sous-entendre qu’il tira
ses deux derniers coups sans le moindre intervalle. Hélas, trois fois hélas, il
avait oublié qu’il se servait d’une carabine à un coup et non pas d’un double
express. Entre la balle de poitrail et celle de tête, il manque un espace de temps
de onze secondes, onze longues secondes, durée pendant laquelle notre félin
aurait eu tout le temps de changer notre sous-officier en charpie sanguinolente.
Et je ne prends pas en compte le cas très vraisemblable ou il n’aurait pas
rechargé son arme lorsqu’il était à califourchon sur sa branche d’arbre car,
alors, il faut ajouter onze secondes de plus.
Que déduire de tout ceci ? Deux possibilités : Patterson, lorsqu’il a écrit son
livre neuf ans plus tard, en 1907, a des trous de mémoire et s’emberlificote les
pinceaux, ou il maquille les faits. Pourquoi ce maquillage ? Je reviendrai très
longuement sur cette nouvelle énigme dans le paragraphe traitant de « l’affaire
Patterson ».
La mort du dernier lion fut saluée avec la plus grande joie par ce qui restait
du personnel, qui, à cette occasion, baptisa Patterson de « tueur du diable ».

Courant février 1899


Le chantier s’achève, notre ingénieur a de plus en plus de temps libre et


s’adonne à son activité préférée, la chasse. C’est ainsi qu’il découvre un plan
d’eau bordé d’une plage de sable fin. Jouxtant le plan d’eau « une cavité
d’aspect inquiétant qui semblait s’enfoncer très loin sous le banc de rochers.
Comme je m’en approchai, je fus frappé de stupeur : tout autour de l’entrée et
à l’intérieur de cette caverne76, il y avait quantité d’ossements humains avec
ici ou là un bracelet de cuivre tels qu’en portent les indigènes. Sans nul doute
le repaire des mangeurs d’hommes ! Ce fut de cette façon tout à fait fortuite
que je trébuchai sur la tanière de ces démons si redoutés, alors que j’avais
employé tant de jours à leur recherche à travers une jungle exubérante et sans
limite, du temps où ils terrorisaient le Tsavo. »
Une légende tenace affirme que John Henry Patterson était ingénieur.
Ingénieur en quoi  ? Ça, c’est une autre histoire ! Après m’être renseigné selon
mes faibles moyens, j’appris que tout ingénieur que l’on prétendait qu’il fut, il
était entré à l’armée à l’âge de dix-sept ans, en 1884 exactement. Or en 1898,
après quatorze ans de service, il n’était encore que sous-officier avec le grade
de sergent-major. S’il avait été réellement ingénieur, soit des mines soit des
ponts et chaussées, il aurait dû être officier depuis longtemps, officier de grade
supérieur même. Ceci n’ôte rien à ses qualités de meneur d’homme et de
technicien, mais cela rétablit une certaine vérité.




Chapitre V

Une autre vérité sur le sergent-major





D’autre part, Patterson que l’on présente comme un paladin auréolé de
toutes les vertus, présente dans sa vie une zone sombre pour ne pas dire noire.
Cette histoire servit de trame à Hemingway dans son film L’affaire Macomber.
Dans ce film, Robert Wilson, un chasseur de gros gibier, et Margaret
Macomber sont interrogés par la police après la mort suspecte de Francis,
l’époux de Margaret, retrouvé tué par une balle dans le dos… Quelques mois
auparavant, Francis et Margaret avaient demandé à Wilson, dont c’était le
métier, d’organiser un safari. En fait, le but des époux était de repartir à zéro,
pour donner une dernière chance à leur couple alors en pleine crise…
Le scénario du film d’Hemingway est fourni par un épisode de la vie de
l’écrivain britannique John Henry Patterson. Wikipédia.
Mais la véritable histoire, en quoi consiste-t-elle ? En 1922, Patterson est
guide de chasse en même temps que lieutenant-colonel dans l’armée anglaise. Il
peuple ses moments creux qui doivent être nombreux, par l’organisation de
safaris. Un jour, un couple désireux de mettre à leurs palmarès quelques têtes de
gros gibiers le contactèrent. Curieusement ce fut la tête de son mari que la veuve
accrocha à son tableau de chasse. Celui-ci, que l’on se serait attendu plutôt à voir
périr sous la dent d’un lion, la corne d’un rhinocéros ou d’une patte d’éléphant,
succomba… d’une balle dans le dos. Sans se poser trop de questions,
flegmatique en diable et sans autre forme de procès, Patterson fit enterrer le
malheureux et poursuivit le safari en compagnie de la nouvelle veuve. Lors de
l’enquête qui suivit (un homme qui met fin à ses jours en se tirant une balle dans
le dos, ça ne court pas les morgues), un témoin affirma que lorsque le coup de
feu avait retenti, le mari était seul dans sa tente, au contraire de Patterson qui
occupait la tente de celle qui n’était pas encore veuve. Juste après le coup de feu,
le témoin la vit sortir de celle-ci en hurlant !
De retours en Angleterre, Patterson ne fut pas trop inquiété, malgré les
soupçons d’adultère puis de meurtre qui pesaient sur ses épaules ! L’armée ne
pouvant admettre que son dernier héros en titre fut un assassin, un tribunal
militaire l’acquitta au bénéfice du doute. Mais, est-ce un hasard, il quittera le
service militaire actif peu après.
Coupable ou non, sa réputation de beau chevalier blanc en resta ternie
définitivement.
Ma méfiance s’aiguise !
Que déduire de tout ceci ? Deux possibilités : Patterson, lorsqu’il a écrit son
livre neuf ans plus tard en 1907, a des trous de mémoire et s’emberlificote les
pinceaux…, ou il maquille les faits.

Commentaire :
Pourquoi cet artifice ? Si, à ce moment de l’enquête, j’ai la certitude que
Patterson a falsifié ses rapports, les preuves concrètes me manquent. Si grâce à
mes connaissances cynégétiques, j’ai pu prouver son mensonge, il n’en ira pas
de même pour le lecteur lambda, pas obligé, lui, de me croire sur parole !
Dans mon livre Voyage dans les Mondes obscurs (JMG Éditions le Temps
présent) je me suis trouvé exactement dans le même cas ! Je savais que nous
étions influencés par une Intelligence supérieure et étrangère à notre dimension,
mais j’ignorais le pourquoi de cette manipulation. Quand, brusquement la
chance m’a souri. Il faut dire que ce coup de pouce était énigmatique, comme
s’il venait d’ailleurs, comme un clin d’œil qui me confirmait que j’étais dans le
bon. Le même processus étrange et inespéré a joué ici avec les lions du Tsavo !
J’étais aussi dans la perplexité la plus complète, lorsqu’un autre « hasard
providentiel et mystérieux » m’a sauvé de l’incertitude dans laquelle je me
trouvais. Mais inutile d’en dire plus, amis lecteurs, lisez plutôt !

Des lions anthropophages analysés. Hervé Morin, journal Le Monde.



« Pour faire la lumière sur cette question, Justin Yeakel (université de
Californie à Santa Cruz) et ses collègues ont étudié les concentrations en azote
15 et en carbone 13 dans les os et le pelage des deux félins, que Patterson avait
cédés au Musée de Chicago en 1924. Ces mesures donnent en effet des
indications précieuses sur l’alimentation, pendant les années (os) et les mois
(poils) précédant la mort. Le taux d’azote 15 augmente avec le niveau de
l’animal dans la chaîne alimentaire, les carnivores étant à son sommet. Le
carbone permet de distinguer leurs proies en fonction des espèces végétales
que celles-ci ingèrent.
Les chercheurs ont établi un modèle qui se fondait sur des analyses des
lions vivant actuellement dans la région, et sur la composition isotopique
d’ossements de l’ethnie Taita. L’ethnie Taita, au vu de sa situation proche du
Tsavo où sévissaient “Fantôme” et “Ombre”, a compté de nombreuses victimes
du fait de ces lions tueurs !
Considérant qu’un lion a besoin de 6 kg de nourriture par jour, qu’environ
20 kg étaient prélevés sur la victime après chaque attaque, ils concluent que,
au cours des neuf mois de crise, le premier lion a consommé 10,5 humains, et
le second, 24,2. Le total, 34,7 victimes…

Commentaire :
Qu’est-ce dire ? Que Patterson a menti sur le nombre d’hommes tués par
“Fantôme” et “Ombre” ? Certainement pas. L’histoire comprend tellement
d’acteurs, donc de témoins, qu’il ne lui était pas possible de camoufler à un tel
point ! Cela signifie simplement que les lions du Field of Natural History
Museum de Chicago n’ont rien à voir avec les tueurs du Tsavo. Si les lions
du Museum sont bien de même sous-espèce que leurs cousins, ils ne devinrent
mangeurs d’hommes que contraints et forcés. En effet, leurs mâchoires étaient
en si mauvais état que pour survivre, ils n’avaient plus qu’une solution, s’en
prendre au mammifère le plus faible de la création, l’homme ! Rien de tel pour
“Fantôme” et “Ombre” qui croquaient si allègrement les os de leurs victimes,
qu’on les entendait grommeler de satisfaction dans un rayon de cent mètres !




Chapitre VI

Une possibilité parmi d’autres !





Je sais maintenant avec certitude que le sous-officier n’a pas dit toute la
vérité, que ses rapports concernant la mort des deux lions ne collent absolument
pas. Pourquoi ce faux en écritures ? La seule façon d’y voir un peu plus clair
est de proposer une hypothèse la plus crédible possible ! Voici peut-être
pourquoi Patterson a manipulé son monde !
Après neuf mois de tueries incessantes, l’ingénieur est sur les genoux. À
force de veilles nocturnes, de courses sans fin, Il est au bord du burn-out,
comme on dit aujourd’hui. Complètement épuisé, il n’en peut plus. Les lions se
jouent de lui avec une telle impudence qu’il ne comprend plus. Ses supérieurs
s’énervent. C’est tout juste s’ils ne le soupçonnent pas d’être un incapable, bien
qu’il n’en puisse rien. N’oublions pas que Patterson n’est encore qu’un simple
sous-officier, un vague mammifère pour ces beaux messieurs du Foreign
Office, tout juste bon à leur cirer les bottes. Il sait qu’au Tsavo, il n’est pas à sa
place, que c’est par manque, sur le terrain, d’ingénieurs civils qualifiés qu’il a
eu la chance, vu sa bonne réputation de gestionnaire et de technicien des ponts
et chaussées, de se trouver là où il est. Le moindre faux pas et il risque de
perdre tout. Le traçage du chemin de fer, c’est sa chance de sortir de sa
situation pitoyable de sous-officier corvéable à merci. Il le sait et c’est ce qui
explique sa volonté forcenée de venir à bout des deux monstres qui risquent de
gâcher sa vie professionnelle.
Puis, à partir du 17 décembre, date à laquelle il a blessé un de nos deux
lions, et ce jusqu’au 26 du même mois, plus de nouvelles, les lions ont disparu.
C’est Patterson qui signale, dans ses notes, que les deux lions ne se sont plus
montrés du 17 au 26 décembre, mais est-ce bien vrai ? Comme il était seul à
consigner, il n’est pas interdit de soupçonner que cette absence fut bien plus
longue, ce qui expliquerait sa panique.
Pour Patterson, c’est une autre catastrophe. Comment expliquer à ses
supérieurs que les félins, responsables de l’arrêt total du chantier, se sont fait la
malle ? On ne le croira pas. Pire, on le soupçonnera d’avoir affabulé dans le but
de camoufler son incompétence. Mais cette incapacité à bien faire ne va pas
seulement jouer contre lui mais aussi vis-à-vis de ses patrons de Mombasa. Eux
également vont encaisser, Londres ne leur passera rien. Adieu la belle carrière !
Il ne se fait pas d’illusion, son compte est bon, son avancement est clôturé,
jamais il n’accédera au royaume béni du corps des officiers. Par contre, s’il tue
les lions, c’est la gloire certaine, son avenir assuré. Sa décision est vite prise, il
va tuer deux lions, qu’importe si ce ne sont pas les bons.
Mais il n’y a pas que Patterson à être mal dans ses souliers, un certain O.
Preston, le patron des têtes de ligne, est aussi en mauvaise posture, très
mauvaise même. Bien que Patterson ne le signale pas dans son ouvrage, c’est
Preston son supérieur, un vrai ingénieur celui-là. Lui aussi a subi les attaques
de “Fantôme” et “Ténèbre”, lui aussi n’a pas su les éliminer. En réalité, il est
encore plus mal pris que le sous-off. Quand il apprend que les lions se sont
taillés depuis quelque temps déjà, il se pose aussi des questions pour sa
carrière. Comment, va-t-on lui demander, a-t-il si longtemps et sans réagir,
supporté un âne bâté du style Patterson ? Il entend déjà ses chefs s’en donner à
cœur joie. Mombasa a besoin de têtes à couper et ne va pas s’en priver. Et la
sienne, en forme de parapluie, ferait bel effet sous le climat pluvieux de
Londres.
Une idée vint alors à Patterson : pourquoi ne se mettrait-il pas de mèche avec
son supérieur hiérarchique, lui annoncer la nouvelle, tâter le terrain en quelque
sorte. Des bruits alarmants ne lui ont-ils pas indiqué qu’en tête de ligne, des lions
de même type que “Fantôme” et “Ombre” opéraient eux aussi, mais sans trop de
succès. Ils ont quelques victimes à leur actif, mais sans commune mesure avec les
résultats obtenus par les démons qui opèrent sur ses terres. Ils ne sont que de
pauvres infirmes aux mâchoires endommagées les rendant de ces faits incapables
de se nourrir autrement que sur l’homme. Sa décision est prise. Il invite Preston à
déjeuner. Étant tous deux dans le même pétrin, ils s’entendent très vite sur ce qu’il
y a lieu de faire. Tout d’abord, Ils vont profiter de la prime de quatre cents roupies
allouées à celui qui tuera les lions mangeur d’hommes. C’est une somme
importante même pour un Européen, que dire alors pour un Indien. Avec une telle
carte à jouer, ils vont pouvoir se payer toutes les aides qu’ils désirent, toutes les
protections dont ils ont besoin, par exemple quelques Indiens qui sauront tenir
leurs langues. Pas un Indien qui ne donnerait sa vie pour deux cents roupies, alors
pour quatre cents…
Le chemin de fer, sous la direction absolue de Preston, va aussi beaucoup
les aider…
Revenu dans son domaine, Preston tue le premier lion qui passe à sa portée.
Comme aucun n’a de crinière, il n’a que l’embarras du choix. Celui-ci est
transporté de nuit par wagon puis porté pas loin du mirador ou Patterson et
Mahina se trouvent. Le boy, ravi à l’idée de la somme qu’on lui a promise, ne
trahirait son sahib pour rien au monde. C’est le lion qui servira la nuit du
17 décembre.
Ceci fait, Preston réitère son tir, mettant bas un second lion, toujours sans
crinière. C’est celui du 27 décembre 1898 !
Le tour est joué, Patterson est sauvé. Pas tout à fait cependant car les vrais
tueurs peuvent être de retours. Par chance pour les deux hommes, à l’instar des
autres Bêtes tueuses, ils ne montrèrent plus jamais le bout de leur museau.
Ce scénario – qui n’est qu’un scénario – peut présenter de nombreuses
variantes, mais il y a un canevas qui ne changera jamais, c’est que “Fantôme”
et “Ombre” n’ont rien à voir avec les lions exposés au musée de Chicago… car
cela est prouvé scientifiquement.
Évidemment, si le coup monté éclaire en partie la saga des Lions du Tsavo,
il en laisse la plus grande part dans l’ombre.

La malédiction pèse sur le territoire du Tsavo



Année 1931

La malédiction persiste sur le Tsavo. Finch Harton, à l’époque amant de la
célèbre écrivaine Karen Blixen, survolant la région du Tsavo, perd, sans raisons
connues, l’usage de son avion et s’écrase. Les sorciers attribuèrent cette
catastrophe aux anciens rois chargés de protéger le Tsavo de l’influence
blanche.

18 juin 1947

Mort de Patterson, héros du Tsavo, à l’âge de quatre-vingts ans.



1980

Les lions du Tsavo conservent leurs hideuses habitudes. Même des minibus
sont victimes de leurs attaques à un point tel que l’industrie du tourisme baisse
de façon dramatique.
Un léopard, devenu mangeur d’homme, s’en prend aux voyageurs.

1991

Suite à deux catastrophes ferroviaires majeures, responsables de plusieurs
centaines de morts, le personnel déserte et les touristes ne viennent plus visiter
le mémorial érigé en mémoire des lions. Résultat, celui-ci est abandonné aux
pillards.

Remarques :
Cette suite de catastrophes qui endeuille le Tsavo tente à confirmer que
cette région de malheur est un sas reliant notre dimension à d’autres. Retenez
bien ami lecteurs, UN SAS, un de ces lieux mystérieux par où pénétreraient
chez nous des objets mal identifiés. Notre astre est parsemé de ces endroits
singuliers. Et ce n’est pas ce que je vais aborder maintenant qui risque de me
faire changer d’avis. Mais soyez sur vos gardes, dites-vous bien que notre
Europe elle aussi est truffée de ces « endroits hors de notre monde ».




Chapitre VII

Autres lions sorciers célèbres




Année 1909

“Chiengi Charlie”
“Chiengi Charlie” était un curieux lion. D’abord il lui manquait la moitié de
la queue, ensuite son pelage était si clair que les Africains l’appelaient aussi “le
lion blanc” !
On lui attribue une petite centaine de meurtres. Pour arriver à cet
extraordinaire résultat, il s’était acoquiné avec deux autres compères. Leurs
victimes venaient de villages différents, ce qui confirme que, grands
randonneurs, ils ne frappaient jamais au même endroit deux fois de suite.
Les tueurs ont échappé à une multitude de chasseurs et pièges divers.
L’histoire a retenu que seul Chiengi Charlie a succombé à un piège à feu dont
j’ignore tout, mais qui devait être armé d’un fusil chargé jusqu’à la gueule dont
la détente s’actionnait sous la poussée du fauve lorsqu’il ouvrait la porte de la
cage. Le même genre de piège que celui mis au point par Patterson
probablement.
“Chiengi Charlie” était le nom d’un bureau de poste situé sur une frontière
de la Rhodésie du nord (aujourd’hui Zambie).

Années 2002 à 2004



“Oussama”
Pourquoi ce curieux sobriquet ? À cette époque, Oussama ben Laden était
célèbre en Tanzanie. À l’instar de celui-ci, le lion “Oussama” était aussi
tristement connu. “Oussama” n’agissait probablement pas en solitaire, mais
c’est à lui que les cinquante victimes ont été attribuées tant les indigènes le
considéraient comme le “diable en chef”. Lorsqu’“Oussama” mourut… ou se
volatilisa comme un nuage d’orage, le pays fête la date de sa disparition à
l’égal d’une fête nationale.

Allen Hosek
Allen Hosek, un américain, avait comme idée fixe l’envie de s’affronter à
un félin tueur d’hommes. Depuis tout jeune, il s’entraîna dans le maniement
des armes à feu afin de pouvoir réaliser, non pas son rêve, mais son fantasme.
Cette fréquentation assidue des stands de tir lui fit fréquenter puis se prendre
d’amitié avec deux champions du monde sur cible, ce qui ne fit qu’augmenter
ses capacités de tireur. Il est à noter que ces spécialistes étaient aussi des
adeptes de grande chasse africaine. C’est ainsi qu’il put se spécialiser dans tout
ce qui concernait la chasse au grand gibier.
Un jour, une opportunité lui permit de partir en safari en Afrique de l’Est.
Comme il avait le choix, il choisit la vallée de Luangwa là où sévissait le lion
de Mfuwe. Cette région englobe encore aujourd’hui trois parcs nationaux.

Fin août 1991, en soirée


Lors de sa première soirée au camp de chasse, Wayne Allen Hosek


rencontra un chasseur japonais venu spécialement pour tuer le lion de Mfuwe.
Pour être certain de supprimer le véritable tueur d’homme, le japonais ne fit pas
dans la dentelle. Comme il était de notoriété que le tueur n’avait pas de
crinière, il abattit toutes les lionnes qui passaient à sa portée.
Ce carnage peut éventuellement s’expliquer par le fait que certains
spécialistes attribuaient les tueries à une famille composée d’un mâle et de
quelques femelles. C’est ainsi qu’après avoir abattu une sixième lionne, le
chasseur japonais affirmait avoir réduit à rien la dynastie tueuse.
Malheureusement, une sixième victime allait infirmer ses certitudes.
Le japonais ne fut pas le seul à avoir échoué ; un certain Carr en fit aussi la
désagréable expérience, car le tueur de Mfuwe, à l’instar de tous ses confrères
et consœurs, étant doué du don de double vue, évitait soigneusement les
villages ou le tireur affûtait.
Nombre de chasseurs professionnels avaient été contactés par les autorités
tanzaniennes afin d’éliminer une fois pour toutes le lion de Mfuwe. Détail des
plus dérangeants, malgré des émoluments plus que gratifiants, aucun de ces
grandes carabines n’avait répondu présent. On peut se demander pourquoi, alors
que la mission d’abattage est bien payée, aucun professionnel ne répondit à
l’appel ? Ces chasseurs, bien que le plus souvent de race blanche, sont malgré
tout des Africains puisque nés la plupart du temps en Afrique !
Est-ce justement parce qu’ils n’ignorent rien du continent noir et de ses
sortilèges qu’ils se méfient comme la peste de ces lions supra naturels ?
Malgré les trente-cinq heures de voyage séparant Los Angeles du Luangwa,
Wayne Allen Hosek trouva le courage de se lever à l’aube afin d’explorer la
concession sur laquelle il avait le droit de chasse, accompagné de trois hommes
natifs de la région et chargés de l’épauler dans ses recherches. Sur son circuit,
long de plusieurs miles, sa quête consistait essentiellement à inspecter les
appâts empoisonnés accrochés çà et là. Bien que sa prospection ne lui apportât
rien de concret, sinon la rencontre avec quelques jeunes lions encore dépourvus
de crinières, elle lui permit de se plonger dans l’ambiance de chasse qui serait
sienne les semaines suivantes.
Il l’avoue d’ailleurs « peu à peu, malgré les mouches Tsé Tsé et la chaleur
écrasante, je pénétrai au pays du cauchemar ».

Les deux jours suivants


Allen, aidé de ses guides, alla visiter les villages où la bête avait frappé.
C’est ainsi qu’au bourg de Ngoko, il rencontra la famille de la dernière victime,
une femme appelée Jesleen. C’est alors qu’il découvrit la peur dans les yeux
des enfants !
Les villageois lui décrivirent comment le fauve, après avoir tué la
villageoise, s’était emparé de sa proie en même temps que de son sac blanc lui
servant de besace à commissions.
Un jour après son retour de Ngoso, des villageois rapportèrent à Allen que
le lion avait été vu avec le sac de Jesleen dans la gueule comme s’il le
considérait comme un trophée77…

Quelques jours plus tard



Le félin abandonna son jouet dans le lit asséché de la rivière Lupande. Mais
les jours suivants, on remarqua, par des traces laissées sur le sable, que le sac
blanc avait été déplacé de quelques centaines de mètres et qu’ainsi il avait été à
nouveau l’objet de toutes les attentions du fauve.
Le sac blanc devint bientôt le point de mire des villageois. Par son
déplacement, ils pouvaient dire par où le lion était passé.
Ce jeu que l’on peut considérer comme provocateur avait fait conclure aux
anciens du village que le félin n’était autre que l’esprit d’un sorcier ou qu’il
était la proie d’un démon.
L’attitude du fauve devint bientôt aberrante. Non content de déplacer la
besace chaque nuit, il en vint bientôt à s’exhiber devant les villageois, jouant
avec le sac comme un chat le fait avec une pelote de laine, se délectant
manifestement de l’épouvante qu’il inspirait. Devant cette stupéfiante
manifestation il est aisé de comprendre pourquoi les sages du village avaient
acquis la certitude que le monstre face à eux, s’il était vêtu d’un corps de lion,
n’en possédait pas l’esprit.
Il n’y avait pas que les habitants à verdir de peur sous la vue du sac
ensorcelé, Allen lui-même avoue : « C’était le spectacle le plus étrange auquel
j’ai jamais assisté. Mon sang ne fit qu’un tour, me rendant blanc d’angoisse.
Malgré ma carabine calibre 458 au creux du bras, j’étais comme un enfant
devant une sorcière prête à le dévorer. Malgré la fournaise extérieure, mon
corps était glacé comme vidé de mon sang, mon visage si cireux que mes
compagnons s’en émurent. »
L’atmosphère surchauffée du lit asséché mais encore humide de la rivière,
entourée toujours de sa forêt galerie, intensifia son désarroi. Il avait
l’impression, à la vue de ce sac de toile, de s’enfoncer dans une dimension
autre que la sienne, un univers psychique délétère…
Ses aides réagirent mieux. Malgré l’épouvante qui les séchait sur pieds, ils
ne cessaient de scruter la forêt galerie d’où la Bête pouvait jaillir à tout
moment.
Au bout de quelques instants, Allen reprit son sang-froid. Aidé de ses
compagnons, il décida de placer un appât sept cents mètres plus en amont du
sac, aux pieds d’un petit arbre que la sécheresse n’avait pas réussi à faire
mourir et qui surplombait de neuf mètres le lit mort de la rivière.
Pressés par le soir qui s’annonçait, se plaçant à cinquante mètres de l’appât
– un cuissot d’hippopotame -, ils aménagèrent hâtivement un refuge qui allait
leur servir d’affût.
L’emplacement donnant sur l’appât dégageait un champ de vision d’une
soixantaine de mètres de largeur. Mais mis à part la visite d’un hippopotame,
rien ne fut à signaler.

Après de nombreuses nuits…



Charles et Willie, les servants d’Allen, ont placé à côté du cuissot
d’hippopotame la besace de toile blanche dérobée au lion le jour avant.
En fin d’après-midi, les trois hommes sont au poste. La résistance nerveuse
d’Allen s’érode au fil des nuits blanches. Le manque de sommeil le ronge. Il
sommeille mais ses oreilles restent aux aguets. De plus en plus, il a
l’impression de flotter dans un univers autre.
Pas de trace du lion mais un éléphant passe tout proche, tellement près que
les hommes ont craint de devoir le tuer. Heureusement l’énorme bête s’est
détournée juste à temps.
Rentré au village, Allen apprend que le félin l’avait traversé cette même
nuit, un phacochère en gueule. Il s’était même accordé la satisfaction de le
dévorer sur place.
Charles, devant l’attitude stupéfiée d’Allen ne put s’empêcher de lui dire :
« Il sait ce que nous faisons ». Allen perçut alors dans les yeux de son
compagnon de chasse comme de l’égarement. Il comprit que le lion les
conduisait sur un chemin miné, un chemin au bout duquel son mental risquait
de craquer. Son mental ou son âme ? Il ne savait pas, par contre il se rendit
compte qu’un combat de psychisme à psychisme s’installait entre le fauve et
lui. S’il ne voulait pas sombrer spirituellement, il devait arriver très vite à bout
de la bête.
Pour se reconstituer, il visita les villages frappés par l’animal. Devant le
nombre d’enfants estropiés à vie, devant aussi leurs existences si misérables,
une telle colère le submergea qu’il en vint à accuser le lion de l’entièreté de
leurs maux. Cette ire salvatrice va le sauver de la dépression qui le menace. Il
lui faut à tout prix venir à bout de la bête de Mfuwe. Son adrénaline joue à
plein… Il cherchait son graal, il l’a trouvé, ce serait lui ou l’animal.
Pour déjouer les ruses léonines, il fut décidé qu’on établirait un nouvel affût
chaque fois qu’un appât frais serait accroché. De plus, l’affût ne serait pas
occupé pendant deux jours. Le lion, s’habituant au piège, pourrait
éventuellement perdre un peu de sa méfiance, le premier jour lui permettant de
tester les environs, de déceler les dangers éventuels, les odeurs parasites. Ne
constatant rien d’anormal, il était possible qu’il revînt la nuit suivante. Ainsi
dit, ainsi fait…

Le lendemain

Un nouvel emplacement est érigé sur un terrain plat, et une lanière de
viande fraîchement découpée, accrochée sur un piquet solide, tremblote sous le
vent Brulant. Le piège se trouve à une cinquantaine de mètres des tireurs.
La veille, un garçon de quatorze ans a échappé de peu à la mort. Entendant
du bruit dans un buisson proche, sans réfléchir plus et sans demander son reste,
il piqua un tel sprint que le fauve ne put le rattraper avant que le garçon ne lui
fermât la porte à la truffe.
Les villageois ayant assisté à la scène, affirmèrent tous que le lion ne portait
pas de crinière78.
La menace est telle que les autorités locales instaurent un couvre-feu à
partir de 17 heures.
Allen a une telle certitude que le lion le manipule, qu’il décide, en plus des
affûts de nuit, de l’approcher de jour. Protégé par la lumière solaire, il croit que
le lion perdra de son aura maléfique.


Le surlendemain

Après inspection de la proie, les chasseurs constatent que le tueur a mordu à


l’hameçon, car de nombreux morceaux de chair manquent. Il n’a pas été loin
pour les dévorer, quelques mètres…
Allen, désirant filmer les empreintes, casse sa caméra qui lui envoie le
message « Lights Out ». Vivant dans un état frôlant fort le mysticisme, il en est
à se demander si, par l’intermédiaire de la caméra, ce n’est pas un message que
le destin lui envoie. Ses guides ne sont pas loin d’en penser autant. Mais cet
inquiétant message, à qui s’adresse-t-il, aux trois hommes ou au lion ? Après
tout, les villageois n’ont-ils pas affirmé que l’animal est manipulé par l’esprit
d’un sorcier ou pire d’un démon ? Les antiques certitudes cartésiennes du
monde occidental se fissurent au contact de la vieille Afrique. Ce qui semble
superstition aux Amérique devient, dans l’Afrique profonde, sinon une réalité,
du moins une plausibilité. Pour lutter contre la folie qui le gagne peu à peu,
Allan s’impose une discipline mentale sévère. Ne plus évoquer le mangeur
d’homme sous aucun prétexte, surtout ne plus en parler79, réfléchir seulement
aux préparatifs qui vont le conduire à sa perte.
Pourtant confusément, sans qu’ils se l’avouent, les trois hommes ont la
terrifiante sensation qu’un « esprit » les observe dans tous leurs gestes. Allan
écrit : « nous sentions qu’il pouvait nous voir à chaque instant (le lion), que ce
soit quand nous étions dans sa zone de chasse privée, sur notre chemin d’aller-
retour ou dans notre tente80. »

9 septembre 1991, 16 heures 15



La chaleur est suffocante. Assis dans leur abri, les hommes scrutent les
hautes herbes qui entourent le piège. Brusquement Charle tend un doigt sur ses
lèvres. En même temps, de l’autre main, il désigne un emplacement où la
pointe des herbes tremble plus qu’à l’accoutumée. L’endroit où le lion pourrait
observer les environs est très proche, quinze mètres au plus ! Le silence est
absolu.
Brusquement Charle se lève et incite ses collègues à en faire autant. Il
murmure : « Regardez, il est derrière l’arbre. » Allen, en se soulevant, se saisit
de sa carabine 375 H & H.
Découvrant un peu tard que ses ennemis sont là, le lion démarre en trombe
et fuit de toutes ses pattes, pas vite assez cependant pour échapper aux tirs
conjugués de Allen et de Charles. Sous l’impact des balles de la 458
Winchester et de la 375 Holland-Holland, la mort est immédiate. Le « lion-
démon » ne tuera plus81.
J’ai eu beau me renseigner sur la mort du lion de Mfuwe à diverses sources,
pas une fois il n’est fait mention de sa principale particularité, son absence de
crinière, absence pourtant confirmée par l’entièreté des témoins l’ayant vu !
Pourquoi ce pesant manque d’informations ? Est-ce parce que le lion tué par
Allan en possédait une ? L’énigme ne sera jamais résolue car il n’existe aucune
photo du lion mort. Charles, à l’instar d’Allen lorsqu’il voulut photographier
les empreintes du tueur, dut constater lui aussi que son appareil était tombé
mystérieusement en panne !
Mais le plus fantastique, dans cette histoire de photo manquante, c’est
apparemment qu’il n’y avait personne d’autre parmi les spectateurs, dont
plusieurs Occidentaux, à posséder un appareil photo !
Comme le prouve Lyall Watson, la « Surnature » camoufle bien ses
manipulations. Pour tenter d’y voir un peu plus clair, je vais procéder, dans le
chapitre suivant, comme je l’ai fait dans le tome I, en relevant les indices
permettant d’émettre quelques hypothèses explicatives.




Chapitre VIII

Indices


Hérédité venue du fond des âges : 9 indices


Les lions tueurs du Tsavo sont-ils des lions de cavernes attardés (Panthera
leo spelea) ou de banals lions (panthera leo) ?
À la page 232 de son livre, Michel Louis écrit : « La sous-espèce des lions
du Tsavo descendrait plus directement du lion des cavernes du Pléistocène
(panthera spelea) qui est apparu 200 000 ans avant notre ère. Il s’agissait
d’animaux plus grands et notamment plus hauts sur pattes que nos lions
actuels ; ils possédaient un crâne plus petit et étaient dépourvus de crinière. »

Commentaire :
Une taille en longueur de trois mètres cinquante pour un poids variant de
250 à 320 kg. Une crinière absente. Le poids d’un lion mâle actuel tourne
autour des 190 kg.


Voyons maintenant en quoi les lions du Tsavo peuvent être considérés
comme des résurgences des fauves du tertiaire.
Pour autant que j’en sache, les lions africains de savane dorment au grand
air. Pourquoi nos mangeurs d’hommes ont-ils choisi une tanière, ou plutôt une
caverne, comme le découvrira Patterson. Ce n’est seulement une énigme que
pour celui qui refuse l’hypothèse « lion des cavernes » ! On peut supposer
qu’ils étaient plus proches du lion des cavernes préhistorique que du lion actuel
pour trois raisons.
a) ils sont de taille et de poids supérieurs aux lions actuels
b) ils sont dépourvus de crinières à l’instar de leurs cousins du Tertiaire.
c) ils ont élu domicile dans une caverne.
Même Patterson s’étonne. Leurs traces laissent à penser qu’ils sont plus
grands que les plus grands tigres qu’il a chassés lors d’un séjour aux Indes. Or
il est scientifiquement reconnu que les tigres affichent une taille supérieure à
celle des lions. Qu’en déduire ? Qu’ils forment une espèce à part ! D’après la
mesure des peaux, la taille des deux lions atteignait trois mètres de longueur
pour un mètre vingt-deux de hauteur au garrot, ce qui est très supérieur au
gabarit habituel qui ne dépasse guère deux mètres soixante de long pour quatre-
vingt-quinze cm à hauteur d’épaule.
Même si les lions exposés au musée ne sont pas les vrais tueurs, ils étaient
eux aussi d’une taille supérieure à la moyenne.

Indice 1
« Il était à peu près minuit, je venais de me réveiller ; brusquement un lion
énorme a passé sa tête par l’ouverture de la tente. C’était un lion grand comme
une vache et il n’avait pas de crinière. »

Indice 2
Jamais, de mémoire de Masaï, aucun lion n’est jamais arrivé à franchir une
telle enceinte, plus infranchissable qu’un mur de forteresse.
Ces deux indices ne peuvent que confirmer que les félins du Tsavo sont
différents de leurs congénères à crinières.

Indice 3
Les empreintes laissées par le tueur dans le sable humide de la nuit attestent
de son gabarit exceptionnel. L’hypothèse du « félin géant » s’actualise.

Indice 4

Mois de juillet 1898 vers sa fin



Brusquement, sans crier gare, un lion a la taille inhabituellement grande, sort du taillis.

Indice 5
Comme des spectateurs le décriront plus tard, il n’a qu’un embryon de
crinière mais sa taille est supérieure à tout ce qu’ils connaissent.

Indice 6
Les deux félins incriminés sont sans crinière et énormes.

Indice 7
Rencontrant le chef de gare, celui-ci confirma à Patterson qu’un lion gigantesque avait débarqué sur le
quai, comme s’il attendait quelqu’un…

Indice 8
À peine le sergent-major est-il en place qu’un des lions sort du bosquet,
grand, les pattes longues, sans crinière. On dirait voir une énorme lionne.

Indice 9
C’est ainsi que Patterson découvre un plan d’eau bordé d’une plage de sable
fin. Jouxtant le plan d’eau « une cavité s’enfonçait très loin sous le banc de
rochers. Tout autour de l’entrée et à l’intérieur de cette caverne, il y avait
quantité d’ossements humains avec, ici ou là, un bracelet de cuivre tels qu’en
portent les indigènes. Sans nul doute le repaire des mangeurs d’hommes ! »

Commentaire :
Vous remarquerez, amis lecteurs, comme je l’ai découvert à ma grande
stupéfaction, que les lions tueurs d’hommes présentent tous les mêmes
caractéristiques : peu ou pas de crinière, taille largement supérieure à celle des
lions habituels, pattes plus hautes, poids plus élevé… Mais il y a un hic ! Le
lion préhistorique Panthera spelae n’a jamais vécu en Afrique ni dans aucune
région chaude. Il est originaire d’Europe du nord et, pour une autre variante, du
continent nord-américain. C’est un animal de climat tempéré froid ! Alors que
vient-il faire en Afrique de l’Est ? C’est un nouveau mystère à ajouter à cette
fantastique saga ! Cette énigme est inexplicable pour la science. Si on essaye de
l’aborder par le biais du réalisme fantastique, on peut éventuellement proposer
une explication, mais alors il faut accepter que cet animal ne soit pas un fauve
terrestre… peut-être même pas un fauve du tout, mais une machine
dimensionnelle copiée sur un de nos anciens fauves préhistoriques ! Je sais,
c’est difficile à avaler mais, amis lecteurs, si vous voyez une autre explication,
écrivez-moi vite…

Champs bioplasmiques : 27 indices


Par champs bioplasmiques des fauves, j’entends que leur champ vital est
vampirisé par un autre champ énergétique doté d’une volonté et d’une
intelligence supérieure au leur.

Indice 1
Devant l’intelligence et la férocité des lions mangeurs d’hommes, les
ouvriers sikhs, indiens, et aussi les villageois, en vinrent vite à la conclusion
que ceux-ci, sous leur apparence de fauves, cachaient en réalité des démons
réincarnés…

Indice 2
Comme on va le constater, les deux lions tueurs ne s’intéresseront jamais
aux bovidés, non plus d’ailleurs qu’aux chèvres et moutons (à l’instar de la
Bête du Gévaudan entre autres)…

Commentaire :
S’il ne s’agit ni de faim ni de plaisir, qu’elle est leur motivation ? Seraient-
ils là pour une mission précise ? Évidemment oui, et le plus fantastique dans
tout ceci, c’est qu’ils connaissent au bout des doigts la manière d’agir pour
arriver à leur fin, sauf quand les deux démons prennent le large et se voient
remplacer par deux compères n’ayant pour eux que leur simple intelligence de
lion.

Indice 3
Œuvreraient-ils ici pour inspirer la terreur, briser l’avancée du chemin de
fer ?

Indice 4
À quelques mètres des pauvres débris humains, la tête du contremaître est
intacte… Cet humour macabre situe bien l’intellect aigu du tueur.

Indice 5
Cette tête, c’est un défi à Patterson, une intimidation.

Indice 6
Le nombre de victimes se discute, débutant, selon les dires de Paterson, à
cent sept individus, pour se clore à cent quarante selon d’autres sources. Si l’on
sait que ces meurtres se déroulèrent de mars à décembre 1898 (trois cents jours)
et si l’on prend un chiffre moyen de cent vingt-cinq victimes offrant trente kg
de chair utilisable, cela donne un poids de trois tonnes cinq cent à pouvoir être
avalés par nos deux lions pour cette période, soit onze kg six cents journaliers,
ce qui est totalement disproportionné quand on sait que le poids moyen de
viande ingurgité par un lion mâle adulte en bonne santé ne dépasse pas sept
kg ! Ce calcul indique que s’ils n’avaient occis que pour manger, ils auraient
tué beaucoup moins !

Commentaire :
Mon postulat, qui ose soutenir que ces deux lions tuaient pour raison
politique, me paraît fortement conforté par ce simple calcul !

Indice 7
Pour les ouvriers africains, le tueur, un lion aux mensurations démesurées,
n’a de lion que l’aspect extérieur. Pour eux, il n’agit que sous l’influence de
l’esprit d’un sorcier. Il est manipulé.

Commentaire :
Cette croyance des indigènes, à première vue pusillanime, ne peut que se
renforcer au fil des agissements des félins. Ils agissent exactement comme le
feraient des hommes s’ils avaient décidé de détruire le chantier.

Indice 8
Cette fois, c’est un ouvrier du camp avancé qui est porté disparu. Dans le
doute, Patterson décide de rencontrer O Preston, le patron des têtes de ligne.
Celui-ci lui raconte : « J’ai déjà perdu un homme… Il ne restait plus que les os,
à part les pieds et la tête qui étaient intacts. Les ouvriers ont commencé tout de
suite à paniquer… »

Commentaire :
Preston est lui aussi visé par les fauves, la tête intacte le confirme. Il craint
pour la bonne suite de l’ouvrage.

Indice 9
Il faut arrêter l’hémorragie avant que le grand corps formant la
communauté des travailleurs indiens et africains ne se vide de toute son
énergie.
Les indigènes savent que la confrérie des féticheurs se refuse à voir son
royaume coupé en deux par une ligne de chemin de fer… Quel meilleur moyen
pour eux de stopper l’entreprise sacrilège des blancs qu’en leur mettant dans les
pieds une arme magique, deux lions nantis d’un intellect d’homme ! Quel
cocktail fantastique : la force colossale d’un lion des cavernes unie à une
intelligence active !

Commentaire :
Les hypothèses « champs bioplasmiques » s’étoffent.

Indice 10
Le nombre de victimes augmente de jour en jour à une cadence énorme. La
pression s’accentue.

Commentaire :
Les lions pris par le temps doivent à tout prix stopper l’avancement de la
ligne…

Indices 11
L’Indien lui explique que les ouvriers se refusent à vivre plus longtemps
dans cet endroit maudit, que le Tsavo est la propriété des magiciens. « Les
hommes connaissent ton courage, Sahib, mais contre “The Ghost” et “The
Darkness”, tu es comme un enfant. Ils ne sont pas des lions, ils n’en ont que
l’apparence. Il y a deux esprits du mal à Tsavo, ils s’appellent “Fantôme” et
“Ombre”. Ce sont des shaitainis, des démons de la nuit, des djinns ». Patterson
ne réagit pas sur le coup. Trop de choses dites par le contremaître collaient si
bien avec ce qu’il avait constaté lui-même. D’abord l’intelligence des fauves,
leur capacité à frapper là où il ne se trouvait pas…

Commentaire :
Le pays des magiciens, l’endroit où deux dimensions peuvent se rejoindre,
la porte, le sas !

Indice 12
Tout ce que l’on sait, c’est que les chasseurs venus avec l’idée de tuer les
deux bêtes ne sont pas des amateurs. La preuve en est que plusieurs lions sont
tombés sous leurs balles. Pas les bons malheureusement.

Commentaire :
Cette anecdote ne fait qu’une fois de plus témoigner que nous avons affaire
à des bêtes supérieurement douées, puisqu’elles échappent là ou leurs
congénères y laissent la vie !

Indice 13
Ce qui, dans l’histoire, inquiéta le plus Patterson, c’est que les lions
attaquaient maintenant de jour.

Commentaire :
Les Anglais étant toujours là, les lions ne peuvent plus se contenter de
frapper seulement de nuit.

Indice 14
Philip Stevens est un ingénieur venu depuis peu travailler sur la ligne.
Marié et père de famille, il a laissé femme et enfant à Mombasa le temps de les
installer plus confortablement. Ceci réalisé, la petite famille va pouvoir se
réunir à nouveau.
La nuit même de leur arrivée, la boma protectrice est prise d’assaut par les
deux lions, ce qui n’est encore jamais arrivé… Déchirant la tente familiale,
“Fantôme” emporte le mari, “Ombre” l’épouse.

Commentaire :
Pourquoi cette attaque simultanée des deux lions, la première depuis le
début des massacres ? C’est simple, ce jeune ingénieur va devenir l’un des
dirigeants du chantier, le seul accompagné d’une femme et d’un bébé. Puisqu’il
y a trois personnes à éliminer, pour réussir ils ne seront pas trop de deux…
C’est la confirmation de ce que j’avance : les fauves tuent d’abord et avant tout
pour écarter tout ce qui peut empêcher la réussite de leur commune mission,
interdire à la ligne de progresser.

Indice 15
15 septembre 1898

Patterson affûte une nuit sur un mirador, une autre nuit dans le piège qu’il a
mis au point, dans lequel il joue à l’homme-appât vivant. Rien ne fonctionne, à
un point tel que s’il se laissait aller, il se mettrait à croire lui aussi que ces lions
diffèrent de leurs congénères, qu’ils sont même habités par une puissance
supérieure en intelligence à la sienne…

Commentaire :
Même Patterson s’interroge !

Indice 16
Les Indiens se sont entendus entre eux pour se prévenir du danger. Quand
les rauquements débutent, ils s’avertissent d’un camp à l’autre. « Attention mes
frères, le Diable arrive. »
Un contremaître bien connu de Patterson l’accoste pendant son petit-
déjeuner : « Sahib, les hommes n’en peuvent plus. Tu perds ton temps en
chassant un lion qui n’en est pas un. Que peux-tu faire contre le Diable ? ».

Commentaire :
Remplaçons Diable par champ bioplasmique délétère et l’énigme
s’éclaircit.

Indice 17
Les fauves mettent les bouchées doubles comme s’ils pressentaient que le
temps leur est compté ! Leurs assauts deviennent pratiquement journaliers.
Fantôme n’a plus de temps à perdre. Il embauche “Ombre” à plein temps.

Indice 18
Les travailleurs n’ont guère le temps de se torturer plus l’esprit qu’une
paroi de leur tente se déchire de haut en bas et que deux diables roux en furie y
font irruption…

Commentaire :
Ce carnage de concert est bien la preuve qu’en attaquant à deux, les lions
vont améliorer de spectaculaire façon leurs quotas.
Ce dernier carnage fut la goutte de trop. Les ouvriers décident d’arrêter le
travail et de rentrer chez eux.

Commentaire :
Suite à cette nuit d’épouvante, les ouvriers désertèrent le chantier en grand
nombre à un point tel que l’ouvrage fut stoppé pendant trois semaines…

Indice 19
Patterson et Haslem dégustent leur premier whisky de la soirée ! Ils
n’auront pas le temps de terminer leur verre que déjà le bruit atroce qu’ils
connaissent trop bien leur éclabousse les oreilles : le bruit d’os qu’on croque.
Les fauves, méfiants, pour mieux déguster à l’aise, se cachent derrière un vaste
bosquet !

Commentaire :
Attaque psychologique typique. Les fauves savent comment opérer pour
briser le moral de leur adversaire. Le bruit des os qu’on croque ne convient
guère avec la dégustation d’un bon whisky !

Indice 20
Revenant d’avoir suivi les lions sans résultat, Patterson aperçoit de loin, à la
gare, une agitation inaccoutumée. S’approchant, il découvre un spectacle qui le
laisse pantois. Un train de marchandise est bloqué par des dizaines d’Indiens
couchés sur les rails, pendant que des centaines d’autres s’installent tant bien
que mal sur les wagons, les retardataires s’accrochant là où ils peuvent.

Commentaire :
Le chantier de Tsavo est mort ; les lions l’ont-ils emporté ?
« Sahib, annoncent-ils à Patterson, si tu ne comprends pas que ces lions
sont des sorciers chargés d’arrêter le chantier, tant pis pour toi mais nous,
nous savons et nous ne servirons pas plus longtemps de pâture à ces
diables… »

Indice 21
Le capitaine Haslem surveille les travaux d’achèvement des piliers chargés
d’étayer le pont… C’est le soir, les ouvriers rejoignent leur dortoir respectif.
Il ne reste plus à l’officier qu’à regagner son gîte… Il n’a pas marché cent
mètres qu’une pression énorme lui enserre la nuque…

Commentaire :
“Fantôme” s’en est pris à l’un des principaux responsables du chantier.
Pourquoi lui et pas un autre ? L’importance du capitaine dans la bonne
gestion de l’ouvrage est-elle tellement prépondérante qu’il faille l’éliminer à
tout prix ? Sans aucun doute. Mais le plus extraordinaire ici, c’est que
“Fantôme” a repéré l’officier au milieu de centaines d’hommes. Rien que ce
détail prouve avec surabondance le mystère des félins tueurs. Amis lecteurs,
certains d’entre vous vont me rétorquer que le capitaine portait peut-être
l’uniforme ? Si c’était le cas, je trouverais l’anecdote encore plus incroyable.
Un lion capable de reconnaître un uniforme. Cela dépasse l’entendement !

Indice 22
Lui qui ne craignait pas d’affirmer qu’il ne lui faudrait pas plus de quatre
mois pour terminer l’ouvrage, où en est-il à cette heure ? Aujourd’hui, le
chantier est à l’arrêt.

Commentaire :
Voici la conclusion qu’en tire Michel Louis : « Durant la première période
des attaques il a bien ri, Patterson, à propos de “Fantôme”, “Ténèbres”
(Ombre) et autres superstitions… Aujourd’hui, cela ne le fait pas rire du tout. »

Indice 23
Vers dix-sept heures trente, Patterson envoie son homme de confiance,
Roshan Khan chercher Whitehead à la gare… Vers dix-huit heures trente,
celui-ci est de retours… seul. L’Indien est gris de peur. Il bafouille, balbutie.
Reprenant un peu de son sang-froid, il parvient enfin à informer son sahib qu’il
n’y a personne à la gare… sauf un énorme lion qui déambule sur le quai.
Patterson ne peut s’empêcher d’ironiser, tant ce que lui raconte Roshan Khan
lui paraît insensé. « C’est ça, il attendait Whitehead aussi, je suppose. Tu es sûr
qu’il ne l’a pas dévoré ? »

Commentaire :
Comme quoi, parfois, il vaut mieux tourner sa langue sept fois soixante-
dix-sept fois dans la bouche avant de parler. Patterson aurait dû s’inspirer de la
recommandation biblique car, ce jour-là, Whitehead ne viendra pas.

Indice 24
À l’aube, profitant du jour qui se lève, Paterson se dirige vers l’endroit où il
présume que les lions se sont nourris. Qu’elle n’est pas sa surprise de
rencontrer Whitehead, lui toujours tiré à quatre épingles, plus dépenaillé qu’un
soldat fêtant la quille.
Celui-ci lui explique qu’un lion l’a manqué de peu.
Rencontrant le chef de gare, celui-ci confirme à Patterson qu’un lion
gigantesque avait débarqué sur le quai, comme s’il attendait quelqu’un…

Commentaire :
Whitehead est un officier de métier, responsable d’une troupe d’hommes
disciplinés. Bref, Whitehead représente un danger mortel pour nos spadassins
déguisés en lions. Et, comme par hasard, alors que Whitehead est attendu pour
dix-huit heures, voici que “Fantôme” est présent sur le quai, ne s’intéressant
nullement au chef de gare qui a tout le temps de s’enfermer dans son bureau.
Plus fort encore, “Fantôme”, se rendant compte qu’un de ses plus mortels
ennemis est absent, lui tend une embuscade à l’endroit même où celui-ci devra
nécessairement passer s’il veut se rendre chez Patterson. Vous avez pensé
télépathie ?

Commentaire :
Il faut être de sacrée mauvaise foi pour ne pas remarquer que “Fantôme” est
un extraordinaire joueur d’échecs. Avec un peu de chance, Whitehead était mat.

Indice 25
“Fantôme” et “Ténèbre” sont les sobriquets que les ouvriers africains ont
donnés à nos deux mangeurs d’homme.

Commentaire :
Ils savent que ces tueurs d’hommes ne sont pas vraiment de leur monde, du
nôtre non plus d’ailleurs.

Indice 26
“Fantôme” rejoint son compagnon et là, enfournant le corps du swahili dans sa
gueule, il se dirige non pas vers le bush mais vers… le camp dortoir, celui où
logent Patterson et Haslem.
Tétanisé par la peur, l’homme fixe les monstres qui, étrangement, l’ignorent
complètement. Totalement abasourdi, il constate que les lions avancent vers le
camp, là où dort leur plus dangereux adversaire…
Arrivés aux pieds de la boma, ils dévoreront le malheureux à grands bruits
de mâchoires !

Commentaire :
Avec ce doigt d’horreur magistral à l’encontre de Patterson, “Fantôme”
dévoile ici sa vraie personnalité, toute différente de celle d’un lion normal !

Indice 27
Huit jours plus tard exactement, le porteur noir, chargé d’aider Alex dans
son expédition, revint au camp, seul. Fou de peur, il lui fut impossible de rien
expliquer. Quant à Alex, on n’en entendra plus jamais parler.

Commentaire :
Alex a commis une erreur de jugement. Il croyait avoir affaire à de simples
lions ! Pauvre Alex qui ne savait pas à qui il s’en prenait !

Nos lions sont-ils télépathes ?


Champs bioplasmiques ou dimension parallèle ?

Indice 1
Dans son livre Terreur dans la brousse, Michel Louis dévoile une fois
encore son désarroi ! Lisons-le donc : « Mais Patterson est surtout
décontenancé par leur extraordinaire faculté de deviner à l’avance tous ses
plans. Quoi qu’il fasse, quels que soient la manière ou les lieux où il les attend,
ils se jouent de lui invariablement et attaquent une victime dans un autre
camp. »

Commentaire :
Cette faculté psychique, je l’ai retrouvée mainte et maintes fois dans les
diverses chroniques que j’ai traitées, plus spécialement celles des Bêtes du
Gévaudan et des Vosges.

Indice 2
Patterson ne réagit pas sur le coup. Trop de choses dites par le contremaître
collaient si bien avec ce qu’il avait constaté lui-même. D’abord l’intelligence
des fauves, leur capacité à frapper là où il ne se trouvait pas, en un mot leur
prescience…

Indice 3
Les carnages se poursuivent. Les deux nuits suivantes, Paterson applique sa
tactique préférée qui est d’affûter là où le couple de félins a frappé. Mais, à
chaque fois, ceux-ci évitent le piège et s’en vont trucider ailleurs.
Enfin Patterson se décide de varier sa façon d’agir. Quand les lions ont tué
dans un camp, il affûte dans un autre. Il va s’obliger pendant les trois nuits
suivantes à opérer ainsi. En vain. Trois morts, un pour chaque nuit, sont à
ajouter au palmarès des lions tueurs. Quel appétit !

Commentaire :
Quelle que soit la Bête étudiée, il est constaté qu’elle se joue le plus
souvent des hommes chargés de la détruire, que, quasiment chaque fois, elle se
rit de leurs plans, aussi élaborés qu’ils soient.

Indice 4
Après avoir suivi les traces des tueurs, Patterson constate, avec un malaise
qu’il a difficile à maîtriser, que les lions ont pénétré la boma à l’emplacement
exactement contraire à celui où il se trouvait, lorsqu’il affûtait dans son
mirador.

Commentaire :
Télépathie ? Télépathie toujours !

Indice 5
Là, en face de lui, un gros animal qu’il ne parvient pas à identifier s’avance
droit sur sa personne. Patterson prend sa carabine et vise… La bête s’esquive
avant qu’il ne fasse feu !

Commentaire :
Épisode incompréhensible. Comment le chasseur chevronné qu’est
Patterson, en plein après-midi, ne situe-t-il pas l’animal qui le charge ? Enfin,
comment n’a-t-il pas le temps de presser la détente alors qu’il tient le félin dans
son point de mire ?

Indice 6
Souvent, lorsque ça lui était possible, l’ingénieur suivait les traces du lion
mangeur d’hommes. Celles-ci le conduisaient chaque fois vers la rivière. Mais,
hasard ou volonté, les lions choisissaient immanquablement un trajet où la
roche dominait « qu’ils semblaient choisir systématiquement pour regagner
leur tanière », écrit Michel Louis.

Commentaire :
L’hypothèse « champs bioplasmiques » s’avère largement dominante.
Malheureusement les indices qui suivent restreignent son importance.

Dimensions parallèles (bilocation) : 2 indices


Indice 1
30 novembre 1898

La nuit est là ! « Soudain, surgissant d’on ne sait où », dixit Michel Louis,
les lions flingueurs entrent en action.

Commentaire :
Je n’ai pas compté combien de fois Michel Louis emploie cette expression
surgissant d’on ne sait où, mais elles sont nombreuses.

Indice 2
Brusquement, « surgissant d’on ne sait où », un lion s’attaque à l’un d’eux,
le prenant par la nuque…

Commentaire :
L’expression est toujours de Louis Michel. Combien de fois cette
constatation n’est-elle pas revenue depuis le début de mes recherches sur les
“Mâlebestes”, de trop nombreuses fois pour l’attribuer uniquement au hasard.
Un fantôme n’a-t-il pas la particularité d’apparaître où et quand il veut ?

L’énigme de la Boma (dimensions parallèles) : 16 indices



S’est-on déjà demandé pourquoi les Swahilis surnommaient “Fantôme” le
lion qui franchissait la boma sans encombre ? En principe un fantôme ne
possède-t-il pas la faculté de traverser murs, portes et fenêtres ?
Si nos félins viennent d’une dimension aux lois différentes, tout est
possible !

Indice 1
Fantastique. Le lion, traînant derrière lui trois chèvres dont deux vivantes,
plus un rail de fer d’approximativement un quintal, réussit pourtant à s’évader
par la boma !!!

Commentaire :
Aucun carnivore, si énorme soit-il, n’est capable d’une pareille
performance : traverser une boma avec trois chèvres dont une dans la gueule et
accrochées à elles un rail de chemin de fer de cent kilos. Une fois de plus
l’Ailleurs pointe le bout de l’oreille.

Indice 2
Pourquoi cette invulnérabilité de la boma mise en échec par nos deux tueurs
est-elle la grande inconnue sur fond de laquelle se dessine l’énigme des lions
du Tsavo. À première vue, il y a deux solutions :
a) les lions sont si hauts sur pattes qu’ils parviennent à franchir la plus
élevée des enceintes.
b) Souvenons-nous de la Bête du Gévaudan et même de la Bête des Vosges.
Elles aussi se sont montrées capables de franchir l’infranchissable.

Commentaire :
Nos lions sont doués de facultés telles qu’elles ne peuvent que faire
soupçonner qu’ils proviennent d’un monde aux particularités physiques
différentes, sinon leur résistance aux épines monstrueuses de la boma ne
s’explique pas.

Indice 3
Une bande de lycaons force l’entrée d’un parc où stationnaient chèvres et
moutons. Les dégâts sont importants.

Commentaire :
Alors que les lycaons, dont le poids maximum ne dépasse pas vingt kilos,
arrivent à forcer l’entrée de l’enclos au bétail, pas une seule fois nos tueurs ne
prendront la peine d’en faire autant ! Pourtant ici pas la moindre boma aux
épines acérées. Non, nos lions préfèrent pénétrer là ou même un chien n’y
parviendrait pas. C’est encore un message de l’Ailleurs. Jamais, au grand
jamais, Paterson et ses confrères n’ont trouvé le moindre début d’explication à
cette énigme.

Indice 4
9 mars 1898 :

Le lendemain matin…

Commentaire :
Patterson a loin de posséder la carrure d’un lion, surtout d’un lion des
cavernes. Et pourtant, malgré le sas, à peine engagé dans la boma, il est obligé
d’y abandonner sa chemise. Comment font “Fantôme” et “Ombre” pour réaliser
pareil exploit, eux qui n’ont pas la moindre entrée à leur disposition.

Indice 5

Commentaire :
Pour tenter d’expliquer comment s’exécute “Fantôme” pour traverser la
boma la plus dense et infranchissable, on postule qu’il sautait par-dessus ! C’est
simple, net et sans bavure. D’accord, mais alors comment se fait-il que ce soit
seulement ici, dans ce chantier du Tsavo, que les lions sont capables de telles
prouesses alors que, partout ailleurs où la technique de la Boma est d’actualité,
jamais aucun village n’a eu à souffrir de pénétrations nocturnes. Dieu sait
pourtant si les boma de villages n’ont rien à voir avec les boma super-
renforcées et hautes de plus de trois mètres de Patterson. Comment fait
“Fantôme” quand il sort de la boma avec trois chèvres dans la gueule, attachées
à un rail d’acier d’un gros quintal ? À dire vrai, ces prouesses sont
inexplicables selon nos ukases ! Pour les comprendre, il faut aller plus outre, il
faut s’égarer dans les chemins perdus du réalisme fantastique !

Indice 6
L’hôpital est entouré, comme chaque camp d’ailleurs, d’une boma
impénétrable. Plus épaisse, plus élevée qu’à l’habitude, elle est chargée de
protéger le bâtiment. Jamais, de mémoire de Masaï, aucun lion ne parviendrait
à franchir une telle enceinte, plus insurmontable qu’un mur de forteresse.

Commentaire :
Cette invulnérabilité de la boma mise en échec par nos deux tueurs est une
des grandes inconnues sur fond de laquelle se dessine l’énigme des lions du
Tsavo. Pour l’élucider, il faut faire fi de tout ce qu’on nous a appris sur les
bancs de l’école, admettre l’inadmissible…

Indice 7
Le drame va se dérouler dans l’hôpital, l’endroit le mieux protégé de tout le
campement. Sa boma renforcée, surélevée, épaissie, devrait la mettre à l’abri
des attaques les plus virulentes des félins.
Le médecin auxiliaire est réveillé par des bruits inhabituels. Confiant dans
la boma qui entoure l’infirmerie, il ouvre la porte de toile de la tente. Mal lui en
prend, un lion le regarde, le fixant de son regard couleur d’or rouge-brun.

Commentaire :
Après examen minutieux de la Boma, il est constaté que l’enceinte épineuse
n’a pas résisté au lion. C’est à n’y rien comprendre.
La pénétration du fauve au travers de la boma n’offre aucune explication
rationnelle. Pourquoi ici au Tsavo et nulle part ailleurs en Afrique de l’Est ? Le
Tsavo est-il vraiment le territoire enchanté que les autochtones prétendent…
Est-il générateur de phénomènes parapsychiques ? Est-il une porte qui ouvre
sur l’inconcevable ?

Indice 8
Patterson écrit : « Il s’y engouffra (dans la boma), emportant sa victime
avec lui et en laissant des morceaux d’étoffes et de chair révélant d’une
manière terrible son passage au travers des épines. »
Michel Louis, qui déclare dans sa préface avoir eu accès aux notes
personnelles de Patterson ajoute : « les trois hommes se livrent à un examen
attentif de la boma. La trouée pratiquée par le lion dans l’épaisse clôture pour
sortir en emportant sa victime est bien apparente… Comment parvient-il à se
forcer un passage dans un tel enchevêtrement de branches épineuses ? C’est
incroyable… »
Lorsqu’ils localisèrent le trou de sortie, ils remarquèrent qu’il était en forme
d’entonnoir, ce qui excluait la possibilité d’être entré par le même endroit !

Commentaire :
Patterson écrit que seuls des lambeaux de chair et de tissus lui permirent de
localiser la sortie du lion au travers de la boma, ce qui ne peut que laisser
entendre que le fauve n’a rien abandonné de sa fourrure aux épines de la Boma,
que seul le corps du porteur d’eau a souffert du contact épineux…

Indice 9
Il s’agit du second camp infirmerie, celui qui a été bâti après que le premier
ait été ravagé par le couple de lions. Ce nouvel hôpital a été dressé avec l’idée
de le rendre encore plus inexpugnable aux lions. Sa boma, une nouvelle fois, a
été surélevée, épaissie, renforcée au maximum.
Pour expliquer pourquoi le lion est sorti sans encombre de sa prison de
ronces aux griffes acérées, le sergent-major qui ne manque pas de culot, écrit :
«… il est clair que l’entrée n’avait pas été fermée correctement… »
Donc, si je lis bien, Patterson s’en est allé affûter sans vérifier la bonne
fermeture de l’entrée de la boma, le seul point faible de la ceinture protectrice.
Alors qu’il change trois fois d’infirmerie afin de mieux rendre la boma
inexpugnable, il oublie de fermer l’entrée. Son mensonge peut s’admettre
quand il s’adresse à ses ouvriers afin d’éviter la panique, mais pas quand il écrit
son livre… !

Indice 10
Bientôt des cris lamentables réveillèrent les deux hommes. « Simba,
Simba ». C’est le veilleur de nuit qui a lancé l’alarme. Là, à vingt mètres, un
lion se fraie un passage à travers l’épaisseur de la boma !

Commentaire :
“Fantôme” traverse la Boma. Il ne l’escalade pas !

Indice 11
Les fauves ont frappé à nouveau ! Après avoir franchi la boma, “Fantôme”
a capturé sa proie, puis retraversé la muraille de griffes végétales.
Patterson va constater sur place. Il sait que traverser la Boma est strictement
impossible, alors comment fait “Fantôme”, non seulement pour traverser
l’enceinte, mais pour le franchir à nouveau, un corps humain dans la gueule ?

Commentaire :
Voici ce qu’écrit Michel Louis «… impénétrable ! Le seul fait qu’un animal
aussi grand qu’un lion puisse forcer un passage à travers est sidérant. Mais
qu’il puisse le faire aussi vite et presque sans un bruit, est quasiment
incroyable. »
Il aurait été juste qu’il ajoute : « surtout avec un homme dans la gueule ! »

Indice 12
Patterson affûte à proximité de son propre camp, le camp où il dort. Tout à
coup, des hurlements d’horreur jaillissent… Pour pénétrer dans le campement,
il lui faut d’abord trouver le sas d’entrée de la boma et le dégager. Lorsqu’il
débouche dans le dortoir, il n’aperçoit aucun lion… et pour cause. “Fantôme”
ne l’a pas attendu et a déjà retraversé la boma avec sa proie dans la gueule.

Commentaire :
Amis lecteurs, vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les Swahili
surnommaient “Fantôme” le lion qui franchissait la boma sans encombre ? En
principe un fantôme ne possède-t-il pas la faculté de traverser murs, portes et
fenêtres ? Je sais que remplacer une énigme par une autre est inutile, mais, dans
ce cas précis, comment faire autrement ?

Indice 13
La série noire continue. Le mur d’épine est à nouveau franchi par
“Fantôme” avec la même facilité.

Indice 14
Nuit du 27 au 28 novembre 1898

Les lions attaquent de nouveau en duo. Malgré une boma super-sécurisée,
les tueurs pénètrent dans une des chambrées, s’octroyant chacun un ouvrier.
L’un des hommes sera emporté de suite, l’autre sera récupéré, le corps écorché
vif par les longues et épaisses épines du mur végétal.

Commentaire :
Comment opère “Fantôme” pour entrer et sortir des différents boma sans la
moindre griffure, alors que sa pauvre victime a le corps écorché vif ? Porterait-
il une cuirasse de cuir à l’instar de la Bête du Gévaudan ? Rions. La grimace
est plus belle !

Indice 15
30 novembre 1898, fin de journée

Le travail est terminé. Patterson inspecte une fois encore la boma. Tout
dépend-elle ! Il a beau chercher la faille, il ne trouve rien. Grâce à elle, le camp
dortoir est transformé en château fort. Elle frôle les trois mètres d’élévation et
elle est si dense que même un lycaon ne parviendrait pas à s’y faufiler !
Mais ce déploiement de force ne rassure pas Patterson pour autant. Tôt ou
tard, le couple démoniaque réussira à passer et alors… dubitatif, il rejoint sa
case.

Indice 16
30 novembre 1898, la nuit est là !

Cet épisode interroge au plus haut point.
Tâchons de visionner la scène. Depuis le matin, des centaines d’hommes
travaillent à l’érection de la boma. Ils sont si nombreux par rapport à la surface
à entourer, qu’ils ne peuvent faire autrement que se marcher sur les pieds…
Malgré la boma surdimensionnée, montée, vérifiée, revérifiée, nonobstant
les trois hommes armés chargés de surveiller son seul point faible, l’entrée :
sans se soucier des centaines d’hommes qui circulent en tous sens, les lions
sont là, surveillant de près le chantier, guettant la faille… sans que personne ne
se doute de leur présence. Les fauves l’ont-ils trouvée ? Peut-être ! En tout cas,
ils réussirent à se faufiler là où un gros chien, déclara Patterson, ne parviendrait
pas à passer…

Commentaire :
Nous sommes en pleine fantasmagorie. Quiconque, s’il veut être de bonne
foi, ne pourra dire que j’exagère.

Chiengi Charlie (1909)


Champs bioplasmiques et (ou) dimensions parallèles

Indice 1
Ses proies provenaient de villages différents, séparés entre eux par de très
longues distances, ce qui laisse supposer que, grand randonneur, il ne frappait
jamais au même endroit deux fois de suite.
Le tueur a échappé à une multitude de chasseurs et pièges divers.

Le mangeur d’hommes de Njombe (1932-1947)


Hérédité venue du fond des âges


Indice 1
Ce lion, à l’instar de l’entièreté des autres lions tueurs d’hommes, ne porte
pas non plus de crinière. Il est donc lui aussi un parent proche du lion des
cavernes.


Champs bioplasmiques

Indice 1
Avec le lion de Njombe, « l’infestation » du psychisme des fauves par une
psyché humaine ou supranaturelle revient une fois de plus en compte. La
chronique affirme qu’un sorcier nommé Matamula Mangera, exclu de sa tribu,
avait décidé de se venger. Le chef de tribu, responsable de son éviction, devant
l’horreur des massacres, tenta bien de lui restituer son poste, mais le sorcier
refusa et les carnages continuèrent.
Pour les paysans, ce ne fut nullement le chasseur américain Rushby le
responsable de l’arrêt du carnage, mais le fait que le sorcier Matamula Mangera
venait d’accepter d’être réintégré dans l’intégralité de ses fonctions.

Le mangeur d’homme de Mfuwe (1991)



Hérédité venue du fond des âges : 1 indice


Indice 1
C’était un grand lion, de même gabarit que ses confrères du Tsavo, peut-
être même plus long. Comme eux, il ne possédait pas de crinière !

Champs bioplasmiques : 1 indice


Indice 1
Ce fauve était doué d’humour… noir. Après avoir tué une lavandière, il
s’était emparé de son sac à linge et chaque fois qu’il pénétrait dans un village,
il se pavanait avec lui dans la gueule, comme s’il s’agissait d’un trophée. Cette
attitude hors-norme et provocatrice ne fit que confirmer l’opinion des Africains
qui était que le lion de Mfuwe n’était pas un lion mais un animal supra naturel.

Mort du lion de Mfuwe (9 septembre 1991)



Hérédité venue du fond des âges : 1 indice


Indice 1
Lors de mes recherches, je n’ai pas rencontré un seul mangeur d’homme
portant crinière !

Champs bioplasmiques : 3 indices


Indice 1
Ce jeu du sac de toile, que l’on peut considérer comme provocateur, avait
fait conclure aux anciens du village que le félin n’était autre que la victime de
l’esprit d’un sorcier ou qu’il était la proie d’un démon.
Il n’y a pas que les habitants à verdir de peur sous la vue du sac ensorcelé,
Allen lui-même avoue : « C’était le spectacle le plus étrange auquel j’ai jamais
assisté. Mon sang ne fit qu’un tour, me rendant blanc d’angoisse. Malgré ma
carabine calibre 458 au creux du bras, j’étais comme un enfant devant une
sorcière prête à le dévorer. Malgré la fournaise extérieure, mon corps était
glacé comme vidé de mon sang, mon visage si cireux que mes compagnons s’en
émurent. »

Indice 2
Mais cet inquiétant message, à qui s’adresse-t-il, aux trois hommes ou au
lion ? Après tout, les villageois n’ont-ils pas affirmé que l’animal était
manipulé par l’esprit d’un sorcier ou pire d’un démon ?
Allan écrit : « Nous sentions qu’il pouvait nous voir à chaque instant (le
lion), que ce soit quand nous étions dans sa zone de chasse privée, sur notre
chemin d’aller-retour ou dans notre tente. »

Indice 3
Ne plus en parler sous peine que le félin ne mette à jour leurs projets le
concernant.
Une antique révélation ésotérique stipule qu’il ne faut jamais parler d’un
démon si on ne désire pas le retrouver un jour ou l’autre sur son chemin. Sans
le savoir, Allan venait de redécouvrir une antique loi magique vieille de
milliers d’années.
Replongé en pleine nature sauvage, il ne faut pas longtemps à l’homme
hypercivilisé qu’est Allan pour retrouver des intuitions restées latentes
jusqu’ici !

Champ bioplasmique ou dimension parallèle : 7 indices


Indice 1
Nombre de chasseurs professionnels avaient été contactés par les autorités
tanzaniennes afin d’éliminer une fois pour toutes le lion de Mfuwe. Détail des
plus dérangeants, malgré des émoluments plus que gratifiants, aucun de ces
grands fusils n’avait répondu présent.
Pourquoi, alors que la mission d’abattage est bien payée, aucun
professionnel ne répond à l’appel ?

Commentaire :
Ces chasseurs, bien que le plus souvent de race blanche, sont avant tout des
Africains, puisque nés et élevés la plupart du temps en Afrique ! Est-ce
justement parce qu’ils n’ignorent rien du continent noir et de ses sortilèges
qu’ils se méfient comme la peste de ces lions supra naturels ?

Indice 2
Allen l’avoue d’ailleurs : « peu à peu, malgré les mouches Tsé Tsé et la
chaleur écrasante, je pénètre au pays du rêve ».

Indice 3
Au village de Ngoso, il rencontra la famille de la dernière victime, une
femme appelée Jesleen.
Les villageois lui décrivirent comment le fauve, après avoir égorgé la
villageoise, s’était emparé de sa proie en même temps que de son sac blanc lui
servant de sac à linge.
Un jour après son retour de Ngoso, des fermiers rapportèrent à Allen que le
lion avait été vu avec le sac de Jesleen dans la gueule comme s’il le considérait
comme un trophée…

Commentaire :
Une attitude plus proche de l’homme que du félin.

Indice 4
Il avait l’impression, à la vue de ce sac de toile, de s’enfoncer dans une
dimension autre que la sienne, un univers psychique délétère…

Indice 5
Il sommeille mais ses oreilles restent aux aguets. De plus en plus, il a
l’impression de flotter dans un univers autre.

Indice 6
Allen, désirant filmer les empreintes, casse sa caméra qui lui envoie le
message « Lights Out ». Vivant dans un état frôlant fort le mysticisme, il en est
à se demander si, par l’intermédiaire de la caméra, ce n’est pas un message
venu dont il ne sait où qu’on lui envoie. Ses guides ne sont pas loin d’en penser
autant.

Indice 7
Sous l’impact combiné des balles de la 458 Winchester et de la 375
Holland-Holland, la mort est immédiate. Le « lion-démon » ne tuera plus.

Commentaire :
Est-ce le vrai tueur d’homme qui périt le 9 septembre 1991 ? J’en doute très
sérieusement car, très étrangement, lors de la dissection du lion, aucun reste
humain ne fut découvert !
J’ai eu beau me renseigner sur l’aspect du lion mort de Mfuwé à diverses
sources, pas une fois il n’est fait mention de sa principale particularité, son
absence de crinière, absence pourtant confirmée par l’entièreté des témoins
l’ayant vu ! Pourquoi ce pesant manque d’information ? Est-ce parce que le
lion tué par Allan en possédait une ? L’énigme ne sera jamais résolue pour la
simple raison qu’il n’existe aucune photo du lion mort, car Charles, à l’instar
d’Allen, lorsque celui-ci voulut photographier les empreintes du tueur, dut
constater lui aussi que son appareil était tombé mystérieusement en panne !
Mais le plus fantasmatique dans cette histoire de photo manquante, c’est
apparemment qu’il n’y avait personne d’autre parmi les spectateurs, dont
plusieurs Occidentaux, à posséder un appareil photo !
Comme l’écrit Lyall Watson, la « Surnature » camoufle bien ses
manipulations.

Oussama. (2002-2004)
Champs bioplasmiques et (ou) dimensions parallèles

Indice 1.
Cinquante victimes. Les indigènes le considéraient comme « le diable en
personne ! »
En certains endroits de la Tanzanie, le jour de sa mort est fêté à l’égal de la
Fête nationale !

Résumons
Avec les lions du Tsavo, je suis, comme pour nombre de Bêtes
européennes, dans une impasse. Champs bioplasmiques ou univers parallèle ?
That’s the question ? Un peu des deux, probablement.
Tâchons de résumer la situation. Une ligne de chemin de fer traverse le
territoire du Tsavo, territoire qui a la réputation d’être magique et maudit. Pour
ma gouverne, un territoire magique est un endroit où le ciel et la terre se
mélangent ; pour parler plus prosaïquement, un endroit où deux univers
s’interpénètrent. Ils sont nombreux sur cette terre, bien trop pour être repris
dans cet ouvrage, mais ils existent, alors pourquoi pas le Tsavo ? N’oublions
pas que les indigènes le considèrent comme un « lieu d’abattage », expression
sinistre qui dit bien ce qu’elle veut dire. D’ailleurs, ce qui s’y déroule encore en
2019 prouve à foison que c’est un territoire maudit, un pays où règne la magie
rouge, la magie du sang. C’est possiblement par le fleuve que les échanges
interdimentionnels s’effectuent.
Les sorciers d’alors, encore tout puissants, grands maîtres dans les arts
noirs, n’ignoraient pas qu’avec le chemin de fer, ils allaient laisser pénétrer
chez eux une autre magie, pourrissante, nécrosante, bien plus nocive à long
terme.
Allaient-ils jusqu’à connaître les méthodes leur permettant d’accéder à une
autre dimension ? Si oui, il n’existe alors pour eux aucun problème de faire
passer dans ce monde-ci, des monstres indestructibles (voir l’énigme des boma)
auxquels on adjoindra, par agrégation de champs bioplasmiques, l’esprit d’un
sorcier décédé, en son temps ennemi juré des démons blancs.
Évidemment, les explications peuvent être différentes. On peut privilégier
soit le scénario « dimensions parallèles » uniquement, soit celui des champs
bioplasmiques sans intervention d’un univers autre. Mais après tout, quelle
importance ? Ce qui compte essentiellement, n’est-ce pas le réalisme
fantastique sous-jacent qui nous est dévoilé, ce réalisme fantastique sans lequel
les odyssées des Bêtes, de toutes les Bêtes sans aucune exception, nous
resteraient impénétrables, à moins d’y appliquer les méthodes scientistes
habituelles qui « élucident » tout sans rien expliquer ?

Le clonage : 9 indices

Par clonage, j’entends que les Bêtes d’aspect félin et canin qui ont sillonné
et sillonnent toujours notre astre ne sont en réalité qu’un seul et même
« animal » frappant de siècle en siècle. Pourquoi ces incursions ? Impossible à
préciser mais, au vu de tout ce qui a été découvert, la thèse qui veut que ces
irruptions soient volontaires et programmées ne me semble guère contestable.
Des expérimentations en quelque sorte, des manipulations un peu à la façon de
nos laboratoires, lorsqu’ils testent sur rats et souris.
Le plus fort, c’est qu’elles évoluent avec le temps. De sanglantes et
barbares au début, ne s’attaquant qu’aux humains, les Bêtes ont modifié leur
façon d’agir. Dans la seconde moitié du XXe siècle, elles ne s’en prenaient plus
qu’au bétail alors qu’aujourd’hui elles se montrent complètement inoffensives,
ne buvant et ne se sustentant plus ! C’est cette modification dans le
comportement qui m’incite à penser qu’il y a, derrière cette fantasmagorie, un
plan bien tracé, mais, amis lecteurs, ne m’en demandez pas plus.

Performances physiques hors normes terrestres



Ces performances fantastiques, qu’elles soient du Gévaudan, des Vosges ou
du Tsavo apportent aussi beaucoup d’eau à mon moulin.

Les Bêtes sont protégées



Cela ne fait aucun doute. Si elles ne jouissaient pas d’une protection
particulière, aucune ne serait arrivée à bout de sa mission.




Chapitre IX

Autres félins fantômes





Depuis des décennies, les félins fantômes défrayent l’actualité. On en
trouve en Orient, en Afrique, mais aussi en Europe.
Je vous propose d’étudier quelques cas qui, à eux seules, mériteraient une
étude approfondie.

Entre la fin du XIXe siècle et le début. du XXe



La tigresse de Champawat

Cette tigresse mangeuse d’hommes porte le nom de la ville indienne de


Champawat. Selon les différentes sources, elle aurait fait entre 430 et 438
victimes.
La ville de Champawat se souvient des tragiques exactions de la mangeuse
d’hommes. Un petit mémorial érigé près du pont Chataar sur la route de
Lohaghat, rappelle que, à cet endroit, Jim Corbett mit fin à la funèbre carrière
du fauve.
Le nombre de morts dont la tigresse de Champawat est responsable est si
élevé que ses exploits ont été repris dans le Livre Guinness des records.
C’est au Népal, aux environs de l’Himalaya, à la fin du XIXe siècle, que la
Tigresse commença sa sanglante carrière. Elle aussi chassait à l’affût, tendant
des embuscades aux paysans lorsque ceux-ci travaillaient dans la jungle. Ses
victimes comprenaient aussi bien des enfants que des femmes et des hommes.
Ces embuscades étaient si méticuleusement organisées que les gens de la
région ne tardèrent pas à voir en elle la réincarnation d’un démon chargé de les
punir de leurs péchés. Ses réussites étaient si nombreuses et fructueuses que les
villageois commencèrent à abandonner leurs travaux en forêt, pourtant leur
principale source de subsistance
Elle fut responsable de si nombreux carnages que l’armée népalaise s’en
mêla. À défaut de mettre fin à ses crimes, la troupe réussit toutefois à l’obliger
à changer de région. C’est ainsi que la tueuse exporta aux Indes, le long de la
rivière Sarda, dans le district de Kumâon, ses cruelles habitudes.
Après chacun de ses féroces guets-apens, elle améliorait sa tactique, comme
si elle en pesait le pour et le contre.
À l’égal de la Bête du Gévaudan, la tigresse, au fil de ses forfaits, avait
acquis une si grande pratique qu’elle n’hésita pas à sortir de la forêt et à
s’attaquer aux habitants en plein village.

Début du XXe siècle à 1910


Le léopard de Panar

Ce léopard se montra le plus meurtrier mangeur d’hommes qui ait jamais
vécu. Il réalisa son effroyable record aux Indes, quatre cents personnes, plus
précisément dans le district de Panar.

Années 1918 à 1926


Le léopard de Rudraprayag

En Afrique, selon les explications scientifiques traditionnelles, les lions
deviennent des mangeurs d’hommes lorsqu’ils goûtent aux cadavres de
caravaniers et d’esclaves abandonnés le long des innombrables pistes qui
joignent les lieux où s’échangent des denrées aussi précieuses que le sel, le
poivre et autres épices rares. En Asie, le processus est très proche sauf qu’ici,
les esclaves sont remplacés par des individus mourant de faim ou, au début du
siècle dernier, par des victimes de la grande pandémie grippale de 1918 qui
ravagea le monde sous le nom de grippe espagnole.
Aux Indes, pays de la crémation, les décès furent si nombreux – des
millions de personnes – que cette technique d’incinération ne suffisait pas à
endiguer le trop grand nombre de victimes tuées par la grippe. Les corps en
surnombre, ensevelis dans des fosses communes sous une fine couche de terre,
devenaient alors la proie de nombreuses bêtes charognardes dont les léopards
appelés aussi panthères. Le léopard de Rudraprayag fit partie de ces apprentis-
nécrophages.

9 juin 1918, 14 avril 1926



Ce fut à Banji, le 9 juin 1918 que le léopard mangeur d’homme fit sa
première victime. Le 14 avril 1926, à Bhainswara, il clôtura sa macabre série.
Le lieu de ses exploits se situait principalement aux environs d’une route qui
reliait le sanctuaire hindou de Kedarnath à celui de Badrinath. Il opérait de nuit.
Sa façon de pratiquer était commune à celle des lions et tigres mangeurs
d’hommes. À coups de griffes, il brisait portes et fenêtres, ou éventrait les murs
de chaume.

Automne 1925

Bien des chasseurs célèbres, attirés par les primes énormes offertes par le
gouvernement britannique, se sont cassé les dents dans leurs tentatives de
détruire l’animal.
Exaspéré devant leurs piètres résultats, le Foreign Office délégua sur place
les meilleurs tireurs de l’armée des Indes, accompagnés d’un bataillon de
Gurkhas. Peine perdue…
Les pièges les plus perfectionnés, les poisons les plus mortels furent
employés en vue de sa destruction. Rien n’y fit…
Le désordre dans la population devint tel que le Parlement britannique fit
appel à un tueur de fauves spécialisé dans l’élimination des tigres mangeurs
d’homme, Jim Corbett, rendu plus tard célèbre par ses livres.
Ayant pourtant à son actif quelques fauves mangeurs d’hommes connus
pour leurs ravages dont la célèbre tigresse de Champawat, Jim Corbett fut à
deux doigts d’abandonner tant la bête se montrait retorse. Jamais, durant sa
carrière de chasseur, il n’avait affronté félin plus habile. Jamais, il ne lui aura
fallu tant de temps pour arriver à bout d’un tueur d’hommes. Mais ce tueur
d’homme, ce 26 mai 1926, jour où Corbett lui fit la peau, était-il encore lui-
même ? N’était-il pas redevenu un humble félin comme tous les autres, ayant
perdu l’entité de l’ultramonde qui le manœuvrait depuis si longtemps. C’est
pour cela que Corbett l’a enfin emporté. Il est évident que, quel que soit le
continent où les massacres se déroulent, le processus reste égal à lui-même.
Que ce soit en Gévaudan, dans le fin fond de l’Afrique ou les forêts d’Asie,
c’est le même scénario qui se joue.

Années 1990 à 2014


“Gustave”

Quel surprenant sobriquet pour un crocodile du Nil, qui plus est mangeur
d’hommes ! Alors que l’entièreté des mangeurs d’hommes décède rapidement,
“Gustave”, âgé, du moins on le suppose, d’une bonne centaine d’années, a
coulé des jours heureux au Burundi dans le Haut Nil jusqu’en 2014, date de son
exécution par l’armée burundaise.
“Gustave” était un champion toutes catégories. Non seulement sa taille
dépassait les huit mètres et son poids une tonne, mais il était aussi soupçonné
d’avoir tué un hippopotame, le contraire le plus souvent de ce qui arrive. Il fut
probablement le plus grand crocodile recensé dans le monde.
Bien qu’âgé d’un bon siècle, ses dents étaient si peu abîmées qu’elles
étaient plutôt celles d’un crocodile n’ayant pas dépassé les soixante printemps.
Ce qui met à mal la théorie qui veut qu’un tueur d’homme n’est jamais qu’un
malheureux possesseur d’une mâchoire abîmée. 100 ans et toutes ses dents,
bravo “Gustave” !
Son charmant surnom lui fut donné par un certain Patrice Faye, résident au
Burundi et naturaliste passionné. Ce fut ce même Patrice Faye qui filma
l’expédition chargée de capturer vivant le monstrueux reptile à l’aide d’un
énorme piège. Ce film s’intitule “le Monstre du Tanganyika”. Diffusé en 2004,
j’ai eu la chance de voir ce documentaire sur Géographique Magasine.
Mais si Patrice Faye filma l’expédition, il n’eut pas la chance de capturer
des images de l’acteur principal, autrement dit “Gustave”. Il dut attendre le
21 août 2007 pour qu’en compagnie de son fils Gaël, il pût prendre des clichés
du seul mangeur d’homme méritant vraiment son appellation de “Monstre”.
Faye, jamais à court d’imagination, construisit un piège colossal dans lequel
une chèvre vivante était enfermée. Plusieurs fois, “Gustave” en fit le tour mais
son intérêt s’arrêta là. Une nuit pourtant, le piège fut visité, mais ce ne fut que
pour montrer le lendemain matin qu’il n’avait pas résisté au visiteur nocturne.
Une prise de vue montre la chèvre éventrée, à moitié retournée sur la berge.
“Gustave” or not “Gustave” ?
La chair de l’homme était un des mets préférés de “Gustave” qui en fit une
abondante consommation. Les victimes, spécialement des femmes82,
fréquentaient les rives de la rivière Rusizy ainsi que les rivages situés au nord
du lac Tanganyika.
Il serait responsable de plus de trois cents agressions, mais comme “à tout
seigneur, tout honneur” affirme le proverbe, il est probable qu’on lui attribue
des forfaits qui ne sont pas les siens !
Selon les natifs, “Gustave” tuait plus par satisfaction que par faim. La
preuve, affirment-ils, est qu’il lui était arrivé de tuer plusieurs fois sur une
même journée.
Souvent “Gustave” aimait changer de secteur. Parfois c’était la rivière,
parfois les berges du lac. On ne savait jamais où il affûtait, disparaissant de
temps en temps de longs mois83.
Le corps du monstre était plus couturé qu’une armure de reître à la retraite.
Des traces de coups de couteau, de lances et même d’armes à feu parsemaient sa
cuirasse de cuir. Une balle de carabine bien placée au milieu du front plat du
crocodile n’avait eu comme résultat que de lui laisser une cicatrice noirâtre.
Aucun chasseur n’étant arrivé à bout du saurien, il fallut pour cela une équipe de
soldats burundais tirant à la mitrailleuse84 !
Évidemment chacune de ces tragiques épisodes mériterait à elle seule un
livre entier !

La panthère de Fontainebleau

21 novembre 2007

La forêt de Fontainebleau compterait-elle, en plus de ses cervidés et suidés,


un fauve de grande taille ayant l’apparence d’un léopard (panthère) noir ?
Mystère.
Depuis début novembre, c’est possible car plusieurs témoins ne se
connaissant pas, affirment avoir vu un animal qu’ils ne sauraient mieux
comparer qu’à une panthère atteinte de mélanisme (pelage noir).
Un de ces témoins a été tellement terrorisé qu’il a préféré plonger dans le
canal du Loing au village d’Écuelle, en bordure de la forêt de Fontainebleau,
alors que la nuit était tombée (20 heures). Son chien, aussi terrorisé que le
maître, a pris la fuite, ne réintégrant son domicile qu’au petit matin85. Bien que
l’homme affirme qu’il a été agressé, aucune morsure ni griffure ne confortent
sa déclaration.
Faisant suite à ce témoignage, l’ONC (Office National de la Chasse), munie
d’un puissant éclairage nocturne, organise une battue qui, comme à l’habitude,
ne donne rien.
L’ONC, bien qu’aucune attaque n’ait été signalée, conseille la prudence aux
promeneurs en forêt.
La description de la bête reste des plus imprécises car elle varie fort selon
les témoins. Sur les quatre témoignages reçus, aucun ne concorde. Que ce soit
sur la longueur de la queue, la taille, la couleur du pelage86…
L’histoire de la Bête s’arrête là.

La panthère noire de Meurthe et Moselle


24 août 2009

L’histoire de la panthère ou du jaguar ou du puma commence le 24 août
2009. Un témoin la rencontre lors d’une promenade en forêt. Il signale le fait
aux forces de police.

29 août 2009
Secteur de Chênières, Mexy et Rehon
Les forces de l’ordre de Longwy ont été contactées par deux passants
affirmant avoir croisé le chemin d’une panthère noire.
Malgré une enquête dans les villages environnants, les forces de l’ordre
n’ont découvert personne ayant vu ni même entraperçu le fauve. On ne leur a
pas non plus signalé le moindre cadavre d’animal ayant pu lui servir de repas87.
Les zoos français, belges et luxembourgeois contactés ont indiqué n’avoir
pas perdu le moindre animal. Même réponse pour les cirques travaillant dans la
région.

30 août 2009
Rehon, Chênières, Cutry
L’ONCFS sous les ordres du préfet de Meurthe et Moselle, prend les choses
en main. Sa première décision est d’autoriser sa capture. La plus vive prudence
est conseillée aux promeneurs en forêt.
Un avis est envoyé à chaque famille, lui prescrivant de prévenir les
autorités si jamais elle apercevait l’animal mystérieux.
Un moulage d’empreinte du fauve est envoyé par la mairie de Rehon pour
analyse au muséum d’histoire naturelle de Paris.
La forêt où a été vue la Bête couvre environ cent cinquante hectares. Des
panneaux indiquent : « L’accès à la forêt est momentanément déconseillé ».

31 août 2009
Petit-Failly et Grand-Failly
Vers 9 heures trente du matin, Marie Thérèse Steure, épouse de l’adjoint
communal de Cosnes-et-Romain, alors qu’elle était à vélos, croisa, à quatre
mètres d’elle « une forme massive et toute noire. Je n’ai pas vu sa tête mais
seulement son corps très allongé d’un beau pelage noir brillant. Je me suis dit
qu’il ne s’agissait pas d’une race de chien. L’animal a grimpé une butte et a
disparu dans les arbres. À aucun moment je n’ai eu peur de la bête et celle-ci
ne s’est pas montrée agressive ».
L’ONCF décide d’organiser une battue. Les cages et autres pièges sont déjà
de la partie. On pense que la panthère, si panthère il y a, a peut-être été
abandonnée par son propriétaire88.

3 septembre 2009

La “panthère” étend son champ de prospection. Plusieurs communes du
Pays-Haut ont reçu sa visite.
Après consultation chez les gens ayant témoigné avoir vu le fauve, un
fonctionnaire de l’ONCF conclut que depuis le 24 août 2009, quelque chose
d’inhabituel se passe dans la région.
Monsieur Hautier, le sous-préfet de Briey, réunit à la même table, à Rehon,
les maires des communes où a été vu l’animal, des responsables de la police, de
la gendarmerie, de l’ONF, de l’ONC ainsi qu’une faune bigarrée de chasseurs
et piégeurs.
Sa conclusion est celle-ci : « Nous avons interrogé tous les cirques, tous les
zoos de la Grande Région y compris à l’étranger, résumait M. Hautier. Il n’y a
pas eu de disparition de félin. Notre conclusion, c’est que cet animal,
formellement identifié par ses empreintes, appartient à un particulier89. De
toute évidence, ce félin n’est pas agressif. Nous n’avons retrouvé aucun animal
blessé, attaqué ou même dévoré90. Nous poursuivons le piégeage avec un appât
dans une cage et nous ferons tout pour le prendre vivant. L’animal, qui peut
parcourir plusieurs dizaines de kilomètres la nuit, survit avec deux
kilogrammes de nourriture au quotidien. Mais le mystérieux animal peut tout
aussi bien s’établir aux trois frontières et en Meuse. Dans ce cas, l’attente de
sa capture risque d’être plus longue que prévu. »

5 septembre 2009

Montigny-sur-Chiers
Vu les villages parcourus en peu de temps, le félin se montre bon marcheur.
Il est dix-neuf heures, Madame X, femme de ménage, commence son
travail. Une heure plus tard, une ombre derrière une fenêtre l’intrigue. Inquiète,
elle regarde à travers la vitre, une panthère, assise à une dizaine de mètres,
l’observe avec attention. Elle estime sa longueur à un mètre et sa hauteur à
60 cm91. Sa tête est grosse et noire.
Bien que le carnassier ne se montre pas hostile, Mme X le menace de son
balai. Sans se presser et sans le moindre signe de colère, l’animal s’en va.

6 septembre 2009

La Bête fait son apparition du côté de la ville belge d’Habay-la-Neuve, près
de la très giboyeuse forêt d’Anlier. S’y nourrit-elle ? Les gardes-chasses des
Eaux et Forêts, ainsi que les gardes privés n’ont pourtant rien signalé
d’anormal. Aucune bête tuée ou blessée n’a été signalée92 !

Quelques jours plus tard



À Léglise, petit village typique des Ardennes belges, elle rend visite aux
habitants d’un quartier de vacances !

Mi-septembre 2009

Caravaning de Rulles. Un vacancier la voit s’approcher de son mobile-
home. Elle est si près qu’il remarque qu’à travers son pelage noir, on distingue
les ocelles93 typiques des léopards classiques. Sa queue est longue.

Fin septembre

Elle se fait remarquer à Freylange, banlieue de la ville frontière belge
d’Arlon. Ses traces recueillies et envoyées au Musée des sciences naturelles à
Bruxelles sont analysées. Le Musée confirme que les empreintes reçues sont
bien celles d’un félin. Elles sont exactement pareilles à celles étudiées par
l’Office Français de la Chasse et de la Faune sauvage.

Début octobre 2009



Meix-le-Tige et Udange, villages près d’Arlon, reçoivent sa visite.

22 octobre 2009

Fin octobre, la panthère se promène du côté de la petite ville touristique de
Bouillon. C’est un policier communal qui affirme avoir surpris l’animal entre
Cugnon et Dohan, villages très touristiques situés le long de la rivière Semois
et distants du Grand-Duché de Luxembourg d’une soixantaine de kilomètres.
D’après le policier, la bête mesurerait un mètre vingt de long et septante-cinq
cm au garrot94. Des traces de félin ont été relevées dans l’herbe humide, une
photo en fait foi.

25 octobre 2009

Un témoin raconte avoir vu le fauve à Bascharage au Grand-Duché de
Luxembourg dans les faubourgs de la capitale, Luxembourg ville, et dépose son
témoignage auprès de la police communale. Aussitôt renseignée, celle-ci
organise vainement une vaste recherche, employant entre autres une caméra
thermique95.

26 octobre 2009

Quartier de Merl, Luxembourg-ville


Une conductrice, suite au témoignage du 25 octobre l’incitant à témoigner
aussi, déclare à la police qu’elle a croisé sur l’autoroute reliant le Kirchberg à
la Belgique la célèbre panthère noire. Malgré des recherches organisées
immédiatement, la bête reste invisible.

4 novembre 2009

La panthère aurait-elle quitté les frontières du Grand Duché de Luxembourg
et de la France pour l’est de la Belgique, du côté de Malmedy ?
Le journal liégeois La Meuse a publié le récit d’un habitant de Malmedy,
Jean-Claude Gabriel. Le 3 novembre, accompagné de son épouse, il cueillait
des champignons dans la forêt de Pont-Ligneuville. Il déclara « que son chien
était devenu comme fou96 (1) à la vue de l’animal ! ». Monsieur Gabriel,
vidéaste amateur, a eu la présence d’esprit de filmer l’animal, (film-cassette
remis à la gendarmerie).
Il décrit l’animal, précisant qu’il était nettement plus gros que son chien qui
pèse quinze kilos.

6 novembre 2009

Rue des Vieux Prés, Malmedy


C’est encore au journal La Meuse que Claude Caquard a confié sa
rencontre.
« La panthère a traversé devant mon capot. Elle était à un mètre de moi.
C’est alors qu’elle a tourné la gueule dans ma direction. Ses yeux ont brillé
comme ceux des félins quand ils sont éclairés. Elle a effectué un bond vers
l’autre côté de la route, puis un second et a disparu dans le bas-côté. Cela a
été vite. Mais pour moi ce fut très long97 ».
Depuis le 6 novembre 2009, la bête s’est volatilisée, ne faisant jamais plus
parler d’elle !

La panthère noire ou puma de la forêt de Salles



Mercredi 17 août 2011



Un chasseur pratiquant l’approche, s’avance à bon vent d’un brocart en
train de brouter. Brusquement, sans raison apparente, le chevreuil démarre en
force, se perdant dans la profondeur des futailles. L’homme ne met pas
longtemps à comprendre le pourquoi de cette fuite ; une forme féline se
dévoile, ondoyant à la manière des fauves. Le chasseur, délaissant son fusil
pour son appareil photo, a le temps de prendre deux clichés. Il les enverra à
l’ONCF et à la gendarmerie de Belin-Béliet.
L’homme est un photographe animalier professionnel… Il reconnaît
immédiatement un puma malgré la couleur noire de sa fourrure !
L’histoire se passe dans le parc naturel régional des Landes de Gascogne,
dans le département de la Gironde.
Le pircheur n’est pas le premier à avoir entraperçu l’animal. Le même
témoignage a été apporté par d’autres coureurs de bois.

Jeudi 18 août 2011



La mairie de Salles publie un arrêté stipulant qu’il est déconseillé à la
population de déambuler dans la forêt de Salles.

Vendredi 19 août 2011



Le commandant de gendarmerie Vidalo, d’Arcachon, précise que, selon
plusieurs témoignages de chasseurs, il doit s’agir d’un félin non domestiqué !
Le major Patrick Bernard, grand patron de la brigade territoriale de la
gendarmerie de Belin-Béliet tente de calmer le jeu, face à une population
inquiète ! Malheureusement, les deux clichés pris le 17 août 2011 ont été pris
de trop loin, à au moins deux cents mètres de distance. Cependant, dans le peu
qu’elles laissent deviner, ces photos laissent soupçonner, par la position du
corps et de la queue de l’animal, qu’il peut s’agir d’un félin. Ces clichés
transmis en laboratoire sont étudiés par des spécialistes.
La mairie de Barp signale qu’aucun animal mort ayant pu servir à nourrir
l’animal n’a été trouvé98 ! Aucun zoo, aucun cirque n’a signalé la fuite d’un
félin. Pascal Gauci, sous-préfet de la Gironde, demande que l’on presse les
recherches.

Lundi 22 août 2011



Voici ce qu’écrit le journal Sud-Ouest : «… des chasseurs de Salles où les
battues de sangliers ont été stoppées, nettoient chaque soir les chemins dans ce
bois de Lavignolle afin d’observer d’éventuelles traces… »
Malgré les caméras thermiques placées à proximité de points d’eau, la Bête
reste invisible depuis le mercredi 17 août.

Mardi 23 août 2011



Un témoin qui demande l’anonymat déclare à la gendarmerie de Belin-
Beliet avoir aperçu le félin ce dimanche 21 août 2011. « Il était 7 heures 45, je
prenais mon petit-déjeuner devant la télévision quand je vois au travers de la
fenêtre le haut d’un animal jaunâtre99. Ce qui a attiré mon attention, c’est le
mouvement de l’épaule, elle se déboîtait comme un félin. »

Mercredi 31 août 2011



La gendarmerie de Belin-Béliet reçoit le rapport que lui fait une jeune
maman. Celle-ci loge dans une caravane à Salles-Caplanne.
Elle raconte : « Rentrant d’Arcachon vers une heure du matin, j’ai aperçu
le bas du dos d’un animal… Ce n’était ni un sanglier ni un chevreuil, il
ressemblait à un gros chat. Jusqu’à ma visite à la gendarmerie, j’ignorais qu’il
y avait un félin dans le bois de Salles. Le lendemain, j’ai vu l’empreinte d’une
patte avec des griffes. J’ai pensé à un très gros chien ! »
À partir du 31 août, on ne parle plus du puma de la forêt de Salles.

Le puma des monts de Lacaune



14 janvier 2012, vers 18 heures 30



Rentrant chez eux en début de soirée, un couple de retraités aperçoit un
« puma » sur la route, près de la ville de Lacaze. L’animal était tapi sur le bas-
côté de la route, dans des fourrés, en lisière de forêt. Il avait une longue queue
et une petite tête ronde. Pour le mari, la bête était trop grosse que pour la
confondre avec un lynx. « Je n’ai jamais vu un lynx avec une longue queue.
D’ailleurs cet animal ne dépasse pas vingt-cinq kilos. La bête que j’ai vue était
bien plus grosse, avec un long corps et des poils ras couleur fauve100… J’ai
aussitôt averti les pompiers pour qu’ils préviennent les gendarmes ! »

15 janvier 2012, au matin



Des agents de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, jugeant
suffisamment crédible le témoignage du couple, se rendent sur place le
lendemain dans la matinée. Ils ne peuvent que confirmer les allégations du
retraité, découvrant sur place des fèces et des empreintes qui ne peuvent
provenir que d’un félin. Les excréments sont envoyés à un laboratoire de
Toulouse.
L’ONCFS explique : « Il ne s’agit pas d’un lynx… »101
L’enquête auprès des zoos et cirques est négative. Aucune perte de fauve
n’a été signalée.
L’histoire du puma des monts de Lacaune s’arrête là !

La panthère des Alpes de Haute Provence



Juin 2012

Le félidé est localisé pour la première fois à Oraison en juin 2012.

Août septembre 2012



On l’entrevoit ensuite dans une zone dans laquelle se situent La Bégude et
Bras-d’Asse.

Ouverture de la chasse 2012102



Dérangée, elle quitte le secteur et monte jusqu’à Mézel où elle passe l’hiver
sur le plateau de Valensole103.

Vendredi 22 février 2013


Parc de la Valmasque
La panthère de Villeneuve-Loubet est visionnée par des promeneurs, au
parc de la Valmasque.

Lundi 25 février 2013



Les empreintes observées font penser à celles d’un félin. Fantastique, les
laboratoires les plus spécialisés n’arrivent pas à définir s’il s’agit d’un félin.
Elles font penser…

Mardi 26 février 2013



La zone est défendue au public en vue de tranquilliser l’animal, afin qu’il
ne change pas trop vite de territoire. La préfecture y interdit même la
chasse.104 !
Seuls des gendarmes dûment mandatés sont autorisés à se rendre dans le
parc afin d’y pratiquer des moulages de plâtre des empreintes observées.

Mars 2013

Les empreintes moulées au plâtre témoignent qu’elles sont bien d’un félidé
d’un poids d’environ cinquante kilos105.

Trois mois plus tard, Dimanche106

Un animal à l’aspect de panthère noire s’est fait admirer une première fois
ce dimanche. C’est un adepte de l’accrobranche qui a eu la chance d’avoir
aperçu l’animal dans un secteur embroussaillé et ardu à souhait de Villeneuve-
Loubet.

Même jour, 17 heures



Plusieurs adhérents du club canin de Villeneuve-Loubet soutiennent avoir
vu « un animal de forme noire d’une longueur d’environ un mètre cinquante à
la démarche féline ! » Isabelle Clément, une des témoins, émerveillée, se
contente d’affirmer : « C’était magique ! Je l’ai vue environs vingt secondes.
On était en train de travailler avec les chiens. Puis, alors que je discutais avec
quatre clients, mes yeux se sont portés face à moi. Un animal était là, sur la
colline… À cent mètres je me suis dit, c’est bien gros pour être un chat. Et une
fraction de seconde plus tard, je lançais, mais c’est une panthère ! »
Entendant l’exclamation d’Isabelle, quelques proches lèvent la tête et
s’exclament : « Tu as raison, c’est une panthère. L’animal s’est assis en face
de nous, entre deux rochers, et a regardé dans notre direction, vingt secondes,
pas plus, poursuit la jeune maman de 38 ans. Puis la panthère est repartie, très
nonchalamment, avec une démarche chaloupée. Ça fait bizarre, on ne s’attend
pas à ça. On se demande qu’est-ce que ça fait là107. »
Parmi les cinq témoins se trouve un policier municipal.
Pour la petite histoire, Isabelle Clément a un hobby, l’éducation canine.
Pourtant, Isabelle doute. Était-ce bien une panthère ? Et pourquoi pas un gros
chien ? Elle doute si fort qu’elle s’empêche d’en parler ! C’est un des cinq
autres témoins qui décide de lancer l’alerte, il craint des accidents, ce félin est
peut-être dangereux.

Lundi 1er juillet 2013


Dans l’après-midi du lundi, l’ONCFS entreprend une « chasse » aux


indices, épaulé par les gendarmes de Villeneuve-Loubet. Les recherches sont
positives, des traces sont relevées près de l’ancienne décharge de la Glacière.

Mardi 2 juillet 2013


C’est dans la soirée de mardi que l’animal se montre à nouveau.


Ce même jour, un hélicoptère armé d’une caméra thermique, « ausculte » la
zone !

Mercredi 3 juillet 2013 après-midi


Même scénario. La pseudo-panthère continue à parader !


Les recherches par hélicoptère entreprises mardi et abandonnées dans la
soirée vont reprendre ce jour.

Jeudi 4 juillet 2013


Un félin se promènerait au hameau des Pomets sur les hauteurs de Toulon.


Un certain Christian, déclare Jean-Pierre Georges, chef animalier du zoo du
Farona, a vu « la bête faire un bond de trois mètres pour se hisser sur un talus
et se sauver ».
La police nationale décide d’envoyer un hélicoptère de reconnaissance,
chargé de quadriller la zone où l’animal est censé s’abriter.
La vétérinaire-chef des sapeurs-pompiers, Véronique Vienet s’exprime :
« Il pourrait s’agit d’une panthère, d’un cougar ou d’un puma ».
Il est étonnant qu’une vétérinaire ne sache pas que cougar et puma sont
synonymes, mais il s’agit probablement d’une mauvaise retranscription
journalistique de ses propos.
L’analyse des empreintes découvertes lors de la recherche d’indices du
lundi premier juillet n’apportent rien de concluant, vu les détériorations dues à
la pluie108.
Qu’est-ce que les autorités cherchent à camoufler ?
Les caméras thermiques n’ont, elles non plus, filmé rien d’intéressant.
Aucun témoignage nouveau n’est venu corroborer les dépositions précédentes.
Les autorités sollicitent des analyses complémentaires auprès du Muséum
d’histoire naturelle109.

Dimanche 18 août 2013


Oraison
La panthère noire est prise en photo !
Mauvaise nouvelle pour les contempteurs de la panthère. Cela fait
maintenant quatorze mois qu’elle se joue de toutes recherches, qu’elle se refuse
à se faire démasquer.
Le chanceux tireur de portrait, Thomas de son prénom, est pédicure-
podologue de métier et photographe animalier passionné de surcroît ! L’animal
a été photographié à une distance approximative de deux cents mètres. Deux
cents mètres, c’est loin mais un téléobjectif de 200 mm, ça rapproche quatre
fois. C’est donc comme si la panthère avait été filmée éloignée de cinquante
mètres ! À cette distance, un matou tout de noir vêtu serait minuscule.
Sur le cliché, on remarque indubitablement qu’il s’agit bien d’une panthère
atteinte de mélanisme !
Thomas et son épouse passent leurs vacances dans un des gîtes appartenant
à Madame Muriel Diouloufet qui se refusait, jusqu’à la prise de la photo,
d’admettre la présence d’un fauve dans sa région. Virulente, elle ne craignait
pas d’apostropher le maire, Michel Vittenet, qui lui, au contraire de son
électrice, y croyait ferme.
Lorsque Thomas prend sa photo, des témoins honorablement connus sont
présents. Ceux-ci sont catégoriques, l’animal qu’ils ont sous les yeux est bien
une panthère !
Ci-joint le récit de Thomas : « Mon épouse (Karine) aperçoit par la fenêtre,
à une trentaine de mètres une grosse bestiole allongée dans un champ
moissonné. Elle pense tout d’abord à un gros labrador. Mais lorsque l’animal
s’est levé, elle a changé d’avis, le labrador s’était transformé en panthère. Le
fauve jouait dans le champ, s’éloignant, revenant, exécutant des virages. Elle
n’était pas inquiète, heureuse plutôt… Quand Karine m’a appelé, le temps de
prendre et de régler mon appareil photo, l’animal s’était fortement éloigné. La
distance qui me séparait de lui était maintenant de deux cents mètres. Elle doit
faire cinquante kilos »
Depuis lors, plus personne n’aura la chance de photographier la panthère
des Alpes de Haute Provence !

Un tigre aux portes de Paris !



Mi-Novembre 2014

Parking d’un Intermarché situé à Montrévain, aux portes de Paris,
8 heures 30 du matin. Madame J B sort de son véhicule pour se rendre au
magasin quand une silhouette inquiétante attire son attention. Ce qui lui
parait comme un chat de taille imposante et d’aspect tigré baguenaude dans
un terrain vague voisin. Soupçonnant l’animal d’être un lynx, aidé de son
smartphone, elle filme la scène. Zoomant au maximum des possibilités de
l’appareil, la peur la saisit. Ce n’est plus un lynx qu’elle voit mais un félin à
la taille impressionnante. Elle hésite entre un tigre et un puma. Prenant peur,
elle réintègre d’urgence son véhicule, s’y enfermant à double tour. Apaisée,
elle téléphone à son mari, qui, heureuse coïncidence, n’est autre que le
gérant du magasin.
En fin de journée, alertée, la gendarmerie se présente.
C’est ainsi que l’histoire débute. Elle fera le tour du monde des journaux et
des réseaux sociaux. L’affaire du “tigre de Seine-et-Marne” débute.
On reproche les réactions trop hâtives de la préfecture. Pourquoi tout ce
bruit pour des photos qui ne sont même pas de bonne qualité, pourquoi tout ce
foin ? Le cabinet du préfet se défend, arguant du fait qu’il existe d’autres
témoignages tous concordants. Il signale aussi qu’il existe plusieurs parcs
animaliers dans la région ! En plus, il y a moins de dix jours, un cirque s’était
installé sur la commune de Montrévrain. Cela fait beaucoup de possibilités de
fuite pour un fauve ! La priorité n’est-elle pas de protéger la population en
l’informant du danger.

Grands risques, grands moyens

Dans les jours suivants, l’animal est aperçu dans plusieurs endroits. Les
grands moyens sont de rigueur. La sécurité civile mobilise un hélicoptère armé
d’une caméra-vidéo thermique, pendant que 200 hommes, gendarmes,
pompiers, agents de l’ONCFS ratissent la campagne, aidés par un chien policier
dressé à la chasse à l’ours !!!
Robert Picaud, président départemental de la Louveterie déclare à l’AFP
que pour lui, vu les renseignements portés à sa connaissance, il n’y a pas de
doute, l’animal en rupture de ban est bien un tigre. La traque commence.
Bien qu’aucune disparition de félin ne soit signalée, par avis imprimé, la
commune signale la situation aux habitants. La théorie habituelle est toujours à
l’ordre du jour : ne s’agirait-il pas d’un animal apprivoisé relâché dans la nature
par son propriétaire ? Ordre est donné de ne transporter les enfants qu’en voiture
ou car scolaire. Même Bison futé incite à la prudence.
En attendant, Montrévain, commune de 9 000 ressortissants, est envahie par
une horde de journalistes et de curieux.
Quelques jours plus tard, le “tigre” traverse l’autoroute A4. Il est 7 heures
du matin. Une station-service reçoit sa visite peu après.
Coup de théâtre : le tigre n’est pas un tigre, plutôt un croisement entre un
gros chat et un lynx. Ce renseignement est communiqué par les “spécialistes”
d’un parc de félin110.
Mais, quand même pas trop sûrs d’eux, les chercheurs demandent conseil à
Dominique Pontier, professeur à l’université de Lyon, spécialisé dans les chats.
Celui-ci est encore plus dubitatif, privilégiant la piste du chat sauvage, vu la
tête ronde de l’animal entraperçu. La rondeur de la tête lui fait penser à un chat
forestier de 6 à 8 ans. À cet âge, les petits félins attrapent de grosses bajoues.
Évidemment, ce pourrait être un chat haret ou un chat perdu ! Problème, le chat
sauvage est peut-être l’animal le plus insaisissable du monde. Demandons-le à
un photographe animalier, il nous le confirmera. En 30 ans de chasse, j‘ai
croisé un chat sauvage ; j’étais sur un haut mirador, mon odeur corporelle se
dissolvant avant d’arriver au sol. J’étais donc dans une situation parfaite pour
voir et ne pas être vu. Malgré ces conditions idéales, je ne l’ai observé qu’une
fraction de seconde… En 30 ans de chasse ! D’autre part, affirme-t-il, nous
sommes au mois de novembre, période des chaleurs, ce qui le rend le chat
moins discret !

En période de reproduction les chats sont en recherche de femelles en
chaleur. Ils sont plus mobiles, moins discrets… »
En bref, une fois encore, le mystère est complet.




Épilogue



Avant de vous quitter, amis lecteurs, je me suis amusé à taper sur Google :
robots animaux. Le résultat a dépassé toutes mes espérances. Alors que nous
n’en sommes qu’aux prémices, les animaux robots présentent déjà des
caractéristiques si stupéfiantes qu’on peut se demander où nous en serons dans
cinquante ans.
Une vidéo YouTube attire plus spécialement mon attention. L’on y voit un
promeneur avec son… tigre à dents de sabre en laisse. La bête se promène
gentiment avec son maître, saluant au passage la foule de sa patte. On devine
que le promeneur est le concepteur de cette machine bien sûr encore fort
imparfaite. Si je termine mon ouvrage par cette anecdote, c’est pour tenter de
vous prouver une dernière fois que mon hypothèse « dimensions parallèles »
n’a rien de fantastique, qu’au contraire elle colle au plus près à notre science
actuelle et qu’il ne faut pas être nécessairement un attardé mental pour y
adhérer !
Nous nous quittons ici, amis lecteurs. Un long voyage au travers de l’espace
et du temps, un long voyage que vous pourrez continuer seul. Il suffit pour ce
faire de vérifier vos journaux favoris. Il ne vous faudra pas un mois avant que
vous ne découvriez l’une ou l’autre bête terrorisant la population avant de
disparaître dans le néant d’où elle vient !

Du même auteur :

VOYAGE DANS LES MONDES OBSCURS
Éditions Le temps Présent, 2016

LES BETES TUEUSES DE L’ULTRAMONDE – 1. LES BETES TUEUSES D’EUROPE
Éditions Le temps Présent, 2019

L’ULTIME FRONTIERE Voyage au-delà de la Vie
Éditions Le temps Présent, 2019





© éditions Le Temps Présent 2019


ISBN papier : 2-35185-294-1

SAS JMG éditions
8, rue de la mare
80290 Agnières
Tel. 03 22 90 11 03

e-mail : [email protected]
Site : www.parasciences.net

Notes
[←1]
Sans vouloir sombrer dans l’humour noir, il suffit de s’imaginer dans quel état de maigreur se
trouvaient ces collies sous-alimentés et manquant de tout, même d’eau par ces chaleurs torrides, pour
comprendre qu’une antilope, ou même une chèvre, ne pouvait qu’être bien plus ragoûtante pour les
félins. Il est probable que cette accusation de mangeur d’homme était voulue, car, en reprochant aux
deux lions de tuer l’homme par goût, on occultait une caractéristique bien plus dérangeante et
pourtant réelle cette fois, c’est qu’ils ne mangeaient pas le plus souvent leurs proies, comme s’ils
prenaient plaisir à seulement les occire.

[←2]
Une malformation de ce type ne pouvant qu’apporter une faiblesse dans la prédation, il est
logique de soupçonner que ce genre d’infirmité sous-entend une obligation pour l’animal de se
nourrir de proies plus faciles à surprendre. Ou alors que de s’attaquer à des êtres sans défense,
l’homme plus particulièrement, surtout si l’on y ajoute une épidémie de peste bovine ayant décimé
dans la région un nombre incalculable de zèbres, gazelles et autres espèces herbivores.
Une radio du crâne d’un des deux spécimens révèle en plus, un abcès à la racine supportant la
canine cassée. La moindre pression sur la zone devait être extrêmement douloureuse, rendant
impossible l’habituelle morsure à la nuque ou à la gorge, indispensable à la mort rapide de la proie.
Pour les scientistes, ce fut l’explication rêvée. Canines brisées, mâchoires endommagées, tout
cela corroborait l’avis qui affirme qu’un fauve mangeur d’hommes est toujours en mauvaise santé.
Mais l’histoire était trop belle et la suite du récit nous prouvera au contraire que nos deux lions tueurs
d’hommes étaient dotés de mandibules d’acier.
Car, amis lecteurs, et ce livre vous le prouvera abondamment, les lions vendus par Paterson n’ont
rien à voir avec les véritables félins tueurs. Les scientifiques auraient quand même dû se douter
qu’avec de pareilles infirmités, “Fantôme” et “Ombre” auraient été bien incapables de réaliser leurs
extraordinaires exploits. Mais voilà, il est tellement plus facile d’extrapoler…

[←3]
Cependant, si l’on sait que ces meurtres se déroulèrent de mars à décembre 1868 (trois cents
jours) et si l’on prend un chiffre moyen de cent vingt-cinq victimes offrant trente kg de chair
utilisable, cela donne un poids de trois tonnes cinq cents avalés par nos deux lions pour cette période,
soit onze kg six cents journaliers, ce qui est totalement disproportionné quand on sait que le poids
moyen de viande ingurgité par un lion mâle adulte en bonne santé ne dépasse pas sept kg !
Il pourrait donc sembler que le chiffre de cent vingt-cinq victimes soit exagéré, à moins bien sûr
que ces animaux ne tuassent par plaisir, par vengeance ou pour un autre motif encore plus
extravagant…

[←4]
Les djinns sont des créatures surnaturelles. Ils sont en général invisibles, et peuvent prendre
différentes formes (végétale, animale, ou anthropomorphe) ; ils sont capables d’influencer
spirituellement et mentalement le genre humain (contrôle psychique : possession), mais n’utilisent
pas forcément ce pouvoir. Wikipédia.
[←5]
Quelques notions pour la future bonne compréhension du texte.
Fusils ou carabines ? Un fusil est le plus souvent une arme destinée à la chasse au petit gibier. La
cartouche employée est remplie de petits plombs ou grenaille… Doté d’un ou de deux canons lisses,
sa portée utile est limitée à une quarantaine de mètres au maximum. Contrairement au fusil, une
carabine, munie d’un canon rayé, tire des projectiles (balles) dont la portée utile peut atteindre des
centaines de mètres. Une carabine est l’arme privilégiée des chasseurs de grand gibier.

[←6]
La cartouche 303 et ses variantes fut réservée aux armes de guerre jusqu’en 1960. À partir de
cette date, le calibre 303 est tiré par des armes de chasse. Mise au point pour tuer de l’humain, elle
manque de puissance pour la chasse aux grands fauves. Elle exige donc de la part du tireur une forte
précision et beaucoup de sang-froid.

[←7]
Comme on va le constater par la suite, les deux lions tueurs ne s’intéresseront jamais aux
bovidés, non plus d’ailleurs qu’aux chèvres et moutons, parqués dans des enclos beaucoup moins
protégés pourtant que les tentes entourées de haies de boma où dormaient les hommes. Avec les lions
du Tsavo, nous nous retrouvons en terrain de connaissance. Les Bêtes d’Europe, elles non plus, ne
s’attaquaient jamais au bétail, exception faite pour la Bête des Vosges. Nous allons rencontrer
exactement le même scénario ici.

[←8]
L’énorme problème qui se pose pour le chercheur lorsqu’il effectue des investigations traitant des
lions du Tsavo, est le manque désolant de données. Patterson, manifestement, ne s’est jamais
intéressé aux agressions des lions tant que ceux-ci n’ont pas freiné le bon avancement des travaux. Il
n’a commencé à s’émouvoir que lorsqu’il a constaté que ceux-ci risquaient de péricliter. Le côté
métapsychique de l’histoire lui a complètement échappé. Les lions du Tsavo n’auront pas la chance
de bénéficier du chroniqueur hors pair que fut l’abbé Pourcher pour la Bête du Gévaudan.

[←9]
Pourtant il y a quelqu’un qui a tout compris, Stephen Hopkins, le réalisateur du film “l’Ombre et
la Proie”.

[←10]
Le Lycaon est un mammifère carnivore de la famille des canidés. Il vit exclusivement en Afrique
subsaharienne australe et centrale… Wikipédia

[←11]
Il faut vraiment que nos lions aient une énorme aversion envers les animaux domestiques. Alors
que les lycaons, dont le poids maximum ne dépasse pas 20 kg, arrivent à forcer l’entrée d’un enclos,
pas une seule fois nos tueurs ne prendront la peine d’en faire autant ! Pourtant, ici, pas la moindre
boma aux épines acérées autour des corrals. Non, nos lions préfèrent pénétrer là ou même un homme
n’y parvient pas. C’est un message qu’ils nous envoient, nous indiquant qu’ils sont capables de
réaliser des prouesses inaccessibles aux humains. Jamais, au grand jamais, Paterson et ses confrères
n’ont trouvé le moindre début d’explication à cette énigme. Même Michel Louis ne s’y risque pas !
[←12]
La tête était restée intacte comme trop souvent lors des meurtres perpétrés par la Bête du
Gévaudan. Est-ce un nouveau message que “Fantôme” et “Ombre” nous envoient en travers du
temps, comme pour nous faire comprendre que, malgré les siècles, eux et les Bêtes d’Europe forment
un tout ?

[←13]
Épisode incompréhensible. Comment le chasseur chevronné qu’est Patterson, en plein après-
midi, ne situe-t-il pas l’animal qui le charge ? Cela me fait penser à nombre de chasseurs européens
qui, face aux Bêtes, ne les reconnaissent pas.

[←14]
Le lion a agi exactement comme l’a fait plusieurs fois, la Bête du Gévaudan. La longue liste des
sinistres ressemblances ne fait que débuter.

[←15]
Le mystère de la boma s’appesantit. Comment le fauve parvient-il à percer cette enceinte qui, par
définition, est infranchissable. La réponse est très simple va-t-on me rétorquer, il saute par-dessus.
Oui mais alors comment se fait-il que ce soit seulement ici, dans ce chantier du Tsavo, que les lions
soient capables de telles prouesses alors que, partout ailleurs où la technique de la Boma est
d’actualité, jamais aucun village n’a eu à souffrir d’attaques nocturnes réussies. Non, il y a autre
chose… Ne négligeons pas que Tsavo se traduit en langage Akamba : « lieu d’abattage, lieu où l’on
massacre, tuerie ».

[←16]
Évidemment, pour les personnes de bon sens, cette affirmation n’est qu’anecdotique et macabre
coïncidence. Par contre, pour les indigènes, cette allégation n’a rien de conjoncturel, elle est réalité.
Par leurs ancêtres, ils n’ignorent pas que la contrée du Tsavo est le pays des magiciens. Ils savent
aussi que cette démoniaque confrérie se refuse à voir son royaume coupé en deux par une ligne de
chemin de fer… Quel meilleur moyen de stopper l’entreprise sacrilège des blancs que de terroriser la
population ouvrière ? Comment s’y prennent-ils ? C’est ce que nous allons voir tout au long de ce
texte.

[←17]
Si Patterson avait un tant soit peu réfléchi, il aurait dû savoir que la chèvre n’avait pas la moindre
chance d’attirer nos tueurs. Des chèvres, il y en a pléthore dans les différents camps, accessibles sans
le moindre problème à nos deux félins, car les enclos ne sont protégés par aucune haie de boma,
seulement un solide grillage, complètement insuffisant cependant pour contenir les fauves.

[←18]
Cette constatation, ce n’est pas seulement dans la saga des lions du Tsavo que Louis l’a faite mais
aussi dans son livre La Bête du Gévaudan. Celle-ci n’évente-t-elle pas le plus souvent les plans de
ses persécuteurs ?

[←19]
Si le fait d’emprunter un terrain dur où les empreintes n’apparaissent pas n’est pas dû au hasard,
il est alors la preuve que nos félins font preuve d’une faculté de raisonnement qui dépasse
l’entendement…

[←20]
Pour autant que j’en sache, les lions africains de savane dorment au grand air. Pourquoi nos
mangeurs d’hommes ont-ils choisi une tanière ou plutôt une caverne, comme le découvrira plus tard
Patterson, reste pour moi une énigme. Peut-on supposer qu’ils étaient plus proches du lion des
cavernes préhistorique que du lion actuel ? Trois indications pourraient le faire penser.
a) ils sont de taille supérieure aux lions actuels,
b) ils sont dépourvus de crinières,
c) ils vivent dans une caverne.

[←21]
Cet exemple prouve formellement que nos fauves préfèrent se nourrir de chair humaine. Est-ce
par goût, haine, volonté de vengeance, ou sous l’influence d’un ordre supérieur ? En tout cas, les
similitudes avec la façon d’agir de certaines Bêtes européennes, plus particulièrement celle du
Gévaudan, sont frappantes.

[←22]
Si les lions sont les instruments chargés de mettre à mal les travaux de pénétration du pays par le
biais du chemin de fer, leurs maîtres, si maîtres il y a, ne peuvent que se montrer satisfaits.

[←23]
Au fond, cette invulnérabilité de la boma mise en échec par nos deux tueurs est la grande
inconnue sur fond de laquelle se dessine l’énigme des lions du Tsavo. À première vue, il y a deux
solutions :

a) Les lions sont si haut sur pattes qu’ils parviennent à franchir la plus élevée des
enceintes. Cette observation, à première vue pleine de bon sens, suppose que les félins
du Tsavo sont différents de leurs congénères. Comment expliquer cette transformation
qui suppose une manipulation génétique telle que, franchissant les millénaires, elle a
mis au monde deux lions très proches du lion des cavernes. Qui est capable, à la fin du
xixe siècle d’une pareille opération, qui, même à notre époque, serait bien difficile à
réaliser ? Mais, dans cette histoire, rien n’est à négliger, l’avenir le prouvera !
b) Souvenons-nous de la Bête du Gévaudan et même de la Bête des Vosges. Elles
aussi se sont montrées capables de franchir l’infranchissable. Souvent, la Bête du
Gévaudan tombe sur sa victime sans que celle-ci la voie arriver. Les deux phénomènes
sont trop répétitifs que pour les attribuer au hasard, que pour en faire de vulgaires
coïncidences.

Les deux suppositions sont inexpliquées, ce qui ne signifie pas qu’elles sont inexplicables. Mais
pour les élucider, il faut faire fi de tout ce qu’on nous a appris sur les bancs du collège, admettre
l’inadmissible…

[←24]
Toujours la même énigme. Si l’on peut suspecter parfois que le rempart végétal n’est pas toujours
parfaitement étanche dans les camps des ouvriers, il est difficile d’envisager le même scénario pour
la case du grand patron du chantier !
N’est-il pas aussi plus qu’étrange que ce soit le bungalow de Patterson qui ait été en premier lieu
choisi par le lion, comme si le fauve savait que c’était là qu’il fallait frapper en premier lieu, suivi de
celui du médecin Brock. Si le félin avait réussi à éliminer ces hommes, c’est le chantier tout entier
qui se trouvait décapité.

[←25]
Il ressort de plus en plus que les lions du Tsavo sont gratifiés d’une taille hors du commun.
L’hypothèse du félin géant s’actualise.

[←26]
La pénétration du fauve au travers de la boma n’offre aucune explication rationnelle. Pourquoi ici
au Tsavo et nulle part ailleurs au Tanganyika ? Le Tsavo est-il vraiment le territoire enchanté que les
autochtones prétendent… Est-il générateur de phénomènes parapsychiques ?

[←27]
Il est à noter que Patterson n’a toujours pas remarqué que nos deux lions n’ont aucune appétence
pour les viandes d’animaux d’élevage et peut-être aussi sauvages. Seule la chair humaine trouve
grâce à leurs yeux !

[←28]
Patterson écrit que seuls des lambeaux de chair et de tissus lui permirent de localiser la sortie du
lion au travers de la boma. Au contraire de Michel Louis qui écrit qu’il y avait aussi des touffes de
poils.
Si l’assertion de Patterson est la bonne, elle ne peut que sous-entendre que le fauve n’a rien
abandonné de sa fourrure aux épines de la boma, que seul le corps du porteur d’eau a souffert du
contact épineux…
Si, maintenant c’est Michel Louis qui est dans le vrai, que quelques touffes de poils ont été vues
accrochées aux épines, le canevas devient plus raisonnable, plus crédible. Mais il n’empêche, le
mystère est toujours au coin du bois. En effet, que l’on m’explique pourquoi il n’a jamais eu qu’au
Tsavo que la boma a capitulé devant un lion ?

[←29]
Le saut d’un lion pouvant atteindre trois mètres de hauteur affirme-t-on, il n’y a pas non plus de
mystère sauf se demander pourquoi il n’y a qu’au Tsavo que pareille prouesse s’accomplisse ? Mais
un lion peut-il vraiment sauter aussi haut ? Personnellement j’en doute, sinon Patterson serait décédé
depuis longtemps, lui dont les plateformes n’atteignaient jamais plus de trois mètres. Il y a une
grande différence entre le saut en longueur et le saut en hauteur. En saut en longueur, l’homme frôle
les neuf mètres tandis qu’il ne dépasse pas les deux mètres cinquante en hauteur.

[←30]
Cette anecdote est tellement exemplative qu’il est inutile de continuer à se poser plus longtemps
des questions quant à la possibilité qu’avaient “Fantôme” et “Ombre” de bondir par-dessus les boma
installées sur les indicatives de Patterson. La seule réponse sensée est que nous n’en savons rien !

[←31]
Il lui en aura fallu du temps pour comprendre !

[←32]
Pourquoi cette attaque simultanée des deux lions, la première depuis le début des massacres ?
Est-ce pour ne laisser aucune chance au trio ? Est-ce par volonté délibérée de frapper à la tête,
d’éliminer tout individu capable d’aider jusqu’au bout à la réalisation du gigantesque projet ?

[←33]
Pourquoi aussi ce crime gratuit, pourquoi avoir massacré sans raison un garçonnet de neuf ans ?
Ce meurtre ne donnerait-il pas à penser que ces mangeurs d’hommes tuent pour une tout autre raison
que celle de manger de la chair humaine ? Comme cette tuerie sans raison apparente nous rapproche
des forfaits perpétués par les Bêtes d’Europe, ces forfaits qui ne peuvent s’expliquer que par la haine,
la soif de vengeance ou pour un motif qui nous est inconnu !

[←34]
Personne ne sait comment s’est déroulée cette opération censée éliminer les deux tueurs.
Patterson n’en dit mot et Michel Louis guère plus. Tout ce que l’on sait, c’est que les chasseurs venus
avec l’idée de tuer les deux bêtes ne sont pas des amateurs. La preuve en est que plusieurs lions sont
tombés sous leurs balles, pas les bons malheureusement.
Cette anecdote ne fait qu’une fois de plus confirmer que nous avons affaire à des bêtes
supérieurement douées puisqu’elles échappent là ou leurs consœurs y laissent la vie !

[←35]
Il est nécessaire de trouver une explication, aussi fantastique semble-elle ! C’est une des clés du
mystère des lions du Tsavo.

[←36]
Voici ce qu’écrit, à la page cent et six de son livre, Michel Louis qu’on ne peut soupçonner
d’extrapolation, à l’inverse, amis lecteurs, de votre serviteur juste bon à colloquer ! «… Impénétrable
! Le seul fait qu’un animal aussi grand qu’un lion puisse forcer un passage à travers est sidérant.
Mais qu’il puisse le faire aussi vite et presque sans un bruit, est quasiment incroyable. »
Si nous supprimons le prudent “quasiment”, il reste que Michel Louis est dans l’incompréhension
la plus totale du phénomène. Merci Michel Louis, d’avoir reconnu, même implicitement, que la saga
des lions du Tsavo n’est pas seulement une histoire de grande chasse comme il y en a tant, mais aussi
le récit d’une affaire dont l’énigme est inexplicable, du moins si l’on essaye de la résoudre autrement
que par le réalisme fantastique.

[←37]
Tous les fauves craignent le feu, sauf les lions du Tsavo !

[←38]
En cinq nuits, cinq exécutions. Poids moyen par homme, 70 kg, quantité ingérée inconnue mais
qui, pour un lion « normal », ne devrait pas dépasser sept kg par jour et par lion c’est-à-dire 7 kg X 2
lions X 5 nuits = 75 kg. Or, nos lions, pour ingérer ce poid, ont massacré 5 hommes de 70 kg de
poids moyen soit 350 kg de chair humaine alors qu’un seul corps, à 5 kg près, devait leur suffire.
Alors ? Ce calcul approximatif prouve qu’ils tuent pour tuer ou parce que c’est leur mission !
[←39]
Amis lecteurs, vous êtes-vous déjà demandé pourquoi les Swahili surnommaient “”Fantôme le
lion qui, le plus souvent, franchissait la boma sans encombre ? En principe un fantôme ne possède-t-
il pas la faculté de traverser murs, portes et fenêtres ? Pas sots ces indigènes !

[←40]
Nos lions sont-ils un peu vampires sur les bords ? Non, il ne faut pas ajouter de l’horreur à
l’épouvante. Non, ils n’ont pas faim tout simplement, alors comme quiconque a le ventre plein, ils
dégustent plus qu’ils ne mangent. Qu’ils tuent pour d’autres raisons que simplement tuer, c’est
indéniable, mais pas au point de se passer de certaines petites satisfactions gustatives, un peu comme
nous qui massacrons d’énormes esturgeons pour savourer quelques kg de caviar, ou qui torturons de
pauvres canards pour se délecter de leurs foies hypertrophiés !

[←41]
À l’instar des Africains, les Indiens savent à qui ils ont affaire.

[←42]
L’expression est de Louis Michel. Amis lecteurs, si vous êtes arrivés à cette page de mon livre,
vous comprenez certainement pourquoi je la cite. En effet, combien de fois cette constatation n’est-
elle pas revenue depuis le début de mes recherches sur le “Malebêtes” ; de trop nombreuses fois pour
l’attribuer uniquement au hasard.

[←43]
Avec ce doigt d’honneur magistral à Patterson, “Fantôme” dévoile ici sa vraie personnalité, toute
différente de celle d’un lion dit “normal” ! Cette action nous fait comprendre que le félin raisonne en
homme qui sait comment agir pour mettre son adversaire à bout !

[←44]
Autre doigt d’horreur. “Fantôme”, habité d’une haine corse à l’encontre de Patterson, ne trouve
rien de mieux pour la lui exprimer, que venir croquer sa victime sous son nez. Sa vindicte est si
virulente qu’il manque à sa mission première, tuer le maximum de travailleurs. En effet, pour
l’assouvir, il épargne deux hommes dont un médecin auxiliaire.

[←45]
Mais dans le fond, que croit avoir compris Patterson ? Dans son livre, il ne s’étend pas sur le
sujet. C’est grâce à Michel Louis et aux archives auquel il a dû vraisemblablement avoir accès, que
l’on apprend que l’ingénieur s’est posé des questions dont il ne fait pas part dans son livre, du moins
dans sa traduction française.

[←46]
Mais pourquoi Patterson s’interroge-t-il ? Se rend-il compte enfin que les lions qu’ils traquent
n’ont rien à voir avec ceux qu’il chasse habituellement. Il lui aura fallu longtemps pour se rendre à
l’évidence, mais maintenant il ne peut plus douter. Ces lions, ou plutôt le lion surnommé “Fantôme”,
vient de le mettre au défi.

[←47]
Pourquoi cette pratique nouvelle ? Réfléchissons : le pont enjambant le Tsavo avance à grands
pas, la ligne du chemin de fer en fait autant. “Fantôme”, malgré le génie du mal qui le possède,
n’arrive pas, à lui seul, à arrêter le projet de relier par train la région à Mombasa. Si “Ombre” s’en
prend à son tour aux ouvriers, les tueries doubleront, augmentant du même coefficient la terreur de
ceux-ci, avec comme possible conséquence, l’arrêt définitif des travaux.

[←48]
L’époque des attaques sporadiques est terminée. Le chantier, en bonne voie d’achèvement, exige
des lions des attaques multipliées. La suite de l’histoire va le prouver. En effet, le chantier fut à deux
doigts de s’arrêter. Il faut pourtant attendre l’hécatombe du 1er décembre et les réactions de
désespoir des ouvriers qui en découlent, pour admettre que mes supputations sont infiniment moins
farfelues qu’on pourrait le supposer !

[←49]
Ces meurtres de concert sont bien la preuve qu’en attaquant à deux, les lions vont augmenter de
spectaculaire façon leurs résultats.

[←50]
Dans son livre, Patterson ne s’explique pas sur sa façon de franchir la boma. Pour moi, la manière
la plus logique de pénétrer dans un camp protégé par une boma est d’en trouver l’entrée et de couper,
pour gagner du temps, les cordes végétales la fixant à l’enceinte proprement dite. Mais Michel Louis
avance une autre solution : pour lui Patterson et Haslem sont entrés par le passage créé par les lions
dans l’enceinte ! J’avoue que cette façon d’agir me laisse sceptique car, s’il n’y a rien de bien
compliqué de traverser une boma par une porte d’entrée fabriquée pour cet usage, il doit être
autrement difficile et dangereux de se glisser, armé d’une carabine de surcroît, dans un tunnel de
fortune créé par le passage des deux fauves et de leurs victimes. Souvenons-nous de Patterson lors de
son premier contact avec une boma, contact qui l’avait obligé d’ôter sa chemise !

[←51]
“Fantôme” et “Ombre” seraient-ils sur le point d’emporter leur challenge ?

[←52]
Cet épisode est singulier. Tâchons de visionner la scène. Depuis le matin, des centaines
d’hommes travaillent à l’érection de la boma. Ils sont si nombreux par rapport à la surface à entourer,
qu’ils ne peuvent faire autrement que de se bousculer…
Malgré la boma surdimensionnée, montée, vérifiée, revérifiée, malgré les trois hommes armés
chargés de surveiller son seul point faible, malgré les centaines d’hommes qui circulent en tous sens,
les lions sont là, surveillant de près le chantier, guettant la faille… sans que personne ne se doute de
leurs présences. Les fauves ont-ils détecté le point faible ? Peut-être ! En tout cas, ils réussissent à se
faufiler « là où un gros chien, déclare Patterson, ne parviendrait pas à passer »…
Nous sommes en plein cauchemar. Quiconque, s’il veut être de bonne foi, ne pourra dire que
j’exagère.

[←53]
La fantasmagorie continue. D’après Michel Louis, l’inspecteur Dalgairns a tiré plus de cinquante
fois en direction des lions sans même en égratigner un ! Les félins seraient-ils protégés ? Les Bêtes
d’Europe le furent quasi toutes, alors pourquoi pas eux !
[←54]
Whitehead ne croyait certainement pas si bien dire !

[←55]
Il faut avouer que si coïncidence il y a, elle est de taille, tellement même que si l’on veut se
montrer honnête avec soi-même, il est difficile de l’évoquer ! Voyons de plus près : Whitehead est un
officier de métier responsable d’une troupe d’hommes disciplinés, aguerris, bons soldats, bien armés
et excellents tireurs de surcroît. Bref, Whitehead représente un danger mortel pour nos spadassins
déguisés en lions. Et, comme par hasard, alors que Whitehead est attendu pour dix-huit heures, voici
qu’un des deux lions, “Fantôme” probablement, est présent sur le quai, ne s’intéressant pas au chef
de gare qui a tout le temps de s’enfermer dans son bureau.
Plus fort encore, “Fantôme”, se rendant compte que son plus mortel ennemi est absent, lui tend
une embuscade à l’endroit même où celui-ci devra nécessairement passer s’il veut se rendre chez
Patterson. Il faut être de sacrée mauvaise foi pour ne voir là que l’effet du hasard. Par contre la
télépathie y a son sacré mot à dire !

[←56]
Patterson a usé plusieurs fois de son piège. Il n’en a jamais été récompensé, chaque fois
“Fantôme” éventant sa ruse ! Pourquoi cette fois-ci, alors que tout aurait dû le porter à la méfiance, a-
t-il faibli ? Lui si défiant à l’habitude, comment n’a-t-il pas entendu le bruit des tireurs montant sur
leurs affûts, le vacarme des tirs d’essais des deux askaris, le tapage inhérent à tout rassemblement
humain ? Il y a dans cette attitude quelque chose qui manifestement ne colle pas avec ce que l’on
connaît de lui. “Fantôme” commence-il à perdre ce qui l’a si longtemps différencié de ses
congénères, cette faculté qui l’a tant aidé à imposer sa loi aux hommes, en un mot son intelligence ?
Est-ce le même scénario qui a joué en Gévaudan ?

[←57]
Si Fantôme perd de sa ruse, il bénéficie toujours du mystérieux appui qui l’a protégé jusqu’ici,
cette énigmatique protection que l’on retrouve partout et toujours, quelles que soient la contrée et
l’époque où ont sévi les “Mâlebestes”. Ce dernier exemple en est la preuve flagrante. Deux soldats,
bons tireurs, armés de l’excellente carabine Martini-Henry, tirent chacun dix à quinze cartouches sur
un lion énorme distant d’eux d’un à deux mètres. Pas un projectile ne fera mouche. Mais ce n’est pas
tout, non seulement les soldats manquent leur cible mais ratent de peu Patterson, l’ennemi juré des
lions, en même temps qu’ils brisent la serrure qui tenait le fauve enfermé. Hasard, rétorqueront les
scientistes… Comme il vient bien à point le hasard pour expliquer de si fantastiques coïncidences !

[←58]
 Une carabine double express est le nec plus ultra des armes de chasse destinées au gros gibier.
Elle permet de tirer deux coups sans désépauler, ce qui est primordial si un lion vous charge ! Elle est
de même aspect qu’un fusil de chasse, sauf que les canons lisses usinés pour le tir de la grenaille sont
remplacés par des canons rayés fabriqués pour user de balles destinées au gros gibier.
Alors qu’en 1898, les fusils et carabines à poudre noire étaient encore d’usage courant, les
carabines doubles express employaient déjà la poudre sans fumée. Cette poudre est toujours
d’actualité aujourd’hui !
Les calibres (diamètres) principaux étaient le 500 nitro express (12, 7 mm de diamètre) ou le 600
(15, 2). Bruit assourdissant, recul phénoménal… Et épaule en bouillie pour le tireur ! On cite
d’ailleurs un vieux lord anglais qui, lorsqu’il tirait un éléphant, un lion, un buffle ou autre, avait
coutume de dire à sa victime « console-toi, j’aurai plus mal que toi ».

[←59]
 Cette observation serait unique qu’elle suffirait déjà à montrer le mystère qui entoure les lions du
Tsavo. Que dire alors quand elle se répète ?

[←60]
Télépathie ?

[←61]
 L’incapacité des lions à comprendre comment soulever la lourde dalle de bois qui protège les
hommes de leur prédation m’incite à soupçonner que l’influence qui les a obligés à agir comme ils
l’ont fait jusqu’à aujourd’hui, s’estompe. Mais ce n’est peut-être qu’une impression.

[←62]
Pendant neuf mois, plus précisément depuis mars 1898, les deux fauves se sont nourris
exclusivement d’hommes. Rappelons-nous la séquence tragicomique de ce négociant indien en
voyage sur son âne. Attaqué par les deux lions, il n’avait dû son salut qu’à un tonitruant bruit d’un lot
de casseroles tombé à bas du dos de l’âne. C’est ainsi que l’on a pu être informé que les monstres ne
s’étaient nullement souciés de l’âne mais uniquement du marchand.

[←63]
 Les lettres A, B, C, etc. reportent à la partie (page suivante) « Remarques et singularités ».

[←64]
 La magie dans la civilisation des Anciens Rois sert à protéger le pays de ses ennemis. Le rôle
fondamental de cette technique est de se concilier certaines forces invisibles afin de les astreindre à
protéger le royaume des vieux rois de toutes influences extérieures.

[←65]
On connaît mon opinion sur le sujet. La chasse de nuit, sans l’apport d’une aide lumineuse est
une impossibilité. La preuve absolue en est que les braconniers professionnels, que j’ai bien connus
pour les avoir combattus longtemps, n’opèrent jamais sans l’aide de puissants projecteurs fixés sur le
capot de leurs 4/4 ou de leurs remorques !
J’en déduis une nouvelle fois que si Patterson opère de nuit, avec comme seul éclairage une
lampe fumeuse, ce n’est pas pour tuer le lion mais uniquement pour empêcher ce qui lui reste
d’hommes d’être gagnés par la panique.

[←66]
Fantastique. Le lion, traînant derrière lui trois chèvres dont deux vivantes plus un rail de fer
d’approximativement un quintal, réussit à s’évader par la boma !!! Une fois encore l’invraisemblable
nous rejoint. Un félin, traînant cent cinquante kg derrière lui, dont deux chèvres vivantes, folles de
peur et donc se débattant tant qu’elles peuvent, passe au travers de la boma sans le moindre
problème. Il existe deux solutions à cette énigme ; ou bien elle est fausse ou bien elle est inexplicable
selon les normes de notre dimension…
[←67]
Patterson reconnaît lui-même que, même à l’aube, il n’y voit goutte, à tel point qu’il tue une
chèvre en lieu et place du lion ! Édifiant non… Alors comment a-t-il eu la peau du premier lion alors
qu’il faisait une nuit d’encre ? Un sacré mystère qui sent l’arnaque à plein nez.

[←68]
Il est ardu de comprendre le pourquoi de cette nouvelle technique de chasse alors qu’elle ne lui a
servi qu’une fois, lorsqu’il a tué le premier prédateur. Jusqu’à ce jour mémorable, elle ne lui a jamais
rien rapporté ! Jusqu’ici, le couple ne mangeait que de l’humain, puis, tout à coup, il change de
régime sans qu’on en sache la raison ! Pourtant il existe une raison mais, amis lecteurs, il vous faudra
encore patienter quelque peu pour la découvrir.

[←69]
Alors que Michel Louis ne fait mention que d’une arme, en réalité Patterson, selon son récit à lui,
en avait deux en sa possession, un fusil à doubles canons lisses et une carabine calibre 303 mono
canon, de type à verrou probablement. Le fusil était chargé de cartouches à chevrotines dont il ne
nous précise pas le nombre. En général, les cartouches à chevrotines employées sont de cinq types,
28, 21, 18, 12 et 9 chevrotines. Quel que soit le nombre de chevrotines utilisées, le poids de la charge
de plomb en calibre 12/70 est d’approximativement 32 grammes. Le tir à chevrotines sur un lion
n’est acceptable que pour un tir rapproché, quinze mètres de distance étant un maximum à ne pas
dépasser tant leur pouvoir de pénétration est faible. Bien qu’interdit la plupart du temps, ce type de
munitions est toujours fabriqué aujourd’hui. C’est une des minutions de base des polices antiémeutes,
sauf qu’ici les chevrotines sont en caoutchouc dur et non en plomb !

[←70]
Dans son livre, Patterson indique qu’il tire des deux canons, c’est-à-dire qu’il presse les deux
détentes de l’arme en même temps. Cette pratique est extrêmement dangereuse vu le risque
d’explosion de la bascule du fusil !

[←71]
C’est par cette constatation que j’ai pu en déduire que Patterson avait deux armes en sa
possession.

[←72]
Encore une constatation qui interroge ! Comment Patterson et Winkler peuvent-ils voir le lion
essayer d’escalader l’arbre qui doit se situer approximativement à une trentaine de mètres puisqu’il
se trouve en dehors du camp, alors que la lune n’arrive pas à traverser le champ nuageux, rendant de
ce fait la luminosité nulle à partir de quelques pas ?

[←73]
En général, pour ne pas dire toujours, un lion, surtout quand il est blessé, charge à vue. Il n’attend
jamais le bon plaisir du chasseur.

[←74]
Patterson est un champion de la gâchette. Bien qu’usant d’une carabine à répétition dont la
lenteur de chargement est telle qu’elle a été à la base de la création de la carabine double express qui,
elle, permet de tirer deux fois quasi simultanément, il parvient néanmoins à tirer trois fois sur un lion
« juste devant lui » ! Manifestement, le futur guide de chasse se moque de son lecteur, à moins qu’il
ne tente de le tromper ?

[←75]
Non seulement il a le temps de tirer deux balles avec une carabine à verrou sur un lion qui le
charge, comme il l’écrit, juste devant lui, mais aussi de monter dans l‘arbre et rejoindre Mahina, alors
qu’il a toujours sa carabine entre les mains… ou à l’épaule ! Mais sa performance, digne d’un
acrobate, ne s’arrête pas là, car, pour en arriver à un pareil tour de passe-passe, il faut en plus qu’il
soit parvenu à s’asseoir juste à côté de son boy… tout cela pendant qu’un « félin géant » fonce sur lui
sur moins de quinze mètres.
Lisons ce qu’écrit Wikipédia : « Très musclés et longs, ils (les lions) peuvent faire des sauts
remarquables, de l’ordre de 3,70 mètres en hauteur et 11 mètres de longueur. »

Oui, amis lecteurs, vous avez bien lu, onze mètres en longueur… Wikipédia ne se prononce pas
sur le nombre exigé de secondes pour ce faire, mais trois secondes, même pour un lion blessé, me
semble déjà fortement exagéré.

[←76]
Est-il dans les habitudes des lions, non seulement d’y trouver refuge, mais d’y poser leurs
trophées ? Non, cent fois non ! Évidemment, si l’on admet que nos deux bêtes soient proches des
lions des cavernes, l’énigme s’éclaire.

[←77]
Une attitude plus proche de l’homme que du fauve.

[←78]
Je n’ai pas rencontré dans mes recherches un seul mangeur d’homme portant crinière !

[←79]
Ne plus en parler sous peine que le félin ne les entende et mette à jour leurs projets.
Replongé en pleine nature sauvage, il ne faut pas longtemps à l’homme hypercivilisé qu’est Allan
pour retrouver des intuitions restées latentes jusqu’ici !

[←80]
C’est un aveu des plus extraordinaires surtout de la part d’un Occidental, en général réfractaire à
ce genre de spéculation.

[←81]
Est-ce le vrai tueur d’homme qui périt le 9 septembre 1991 ? J’en doute très sérieusement car,
très étrangement, lors de la dissection du fauve, aucun reste humain ne fut découvert dans son
estomac !

[←82]
Ce qui est logique puisque dans ces pays où la machine à laver est peu présente, les lavandières
sont nombreuses à battre le linge le long des cours d’eau.

[←83]
Il est étonnant de constater que la Surnature est capable de manipuler un animal au cerveau peu
développé, obéissant plus à l’instinct qu’au raisonnement (cerveau reptilien). Cela ne signifie-t-il pas
que ce n’est pas l’intellect de la Bête qui entre en jeu mais autre chose de bien plus fort !

[←84]
Qu’on s’imagine le tableau. Il aura fallu une mitrailleuse pour arriver au bout du monstre. Si
Patrice Faye avait réussi à le capturer, la destinée de “Gustave” eut été toute différente. Il eut terminé
sa vie en tant que reproducteur hors ligne dans un parc nautique spécialement aménagé pour lui. Il
aurait ainsi aidé à une conservation de qualité du crocodile du Nil.
Le plus navrant dans l’histoire est que le refuge de “Gustave” situé dans le Parc National du
Ruzizi, était prêt à le recevoir… mieux qu’on accueille un roi. Mais le crocodile mitraillé et occis par
l’armée était-il vraiment Gustave ?

[←85]
L’homme n’a rien vu ; pourtant mort de trouille, il se jette à l’eau. Or, n’ayant rien distingué, il ne
devrait pas, selon toute logique, agir de la sorte. C’est donc quelque chose de plus fort que lui qui a
imposé cette conduite suicidaire (nous sommes le 21 novembre) ! Pourquoi cette peur irraisonnée ?
Sont-ce ses cellules qui ont discerné que, en face d’elles, d’autres cellules n’ayant rien à faire dans
notre monde étaient présentes ici ?
Quant à l’attitude terrorisée du chien, on la retrouve si fréquemment dans l’histoire des Bêtes,
qu’il devient fastidieux d’en parler.

[←86]
Cette dérangeante particularité des témoignages qui divergent sur l’aspect des animaux, se
retrouve trop généralement dans l’étude des Bêtes féroces de France pour qu’elle ne camoufle pas
une singularité difficilement explicable selon nos normes traditionnelles.

[←87]
Cette absence de victimes est la grande énigme des bêtes appelées panthères que nous allons
découvrir tout au long des années deux mille. En effet, de quoi se nourrissent ces supposés fauves au
fil de leurs pérégrinations ? Aucun chercheur ne s’est posé la question ! On peut les comprendre car,
pour expliquer cette extraordinaire anomalie, il faut faire appel au réalisme fantastique, et ça
personne n’aime… sauf quelques excentriques dans mon genre !

[←88]
C’est l’explication à la mode, la préférée, celle qui explique tout ! Les fauves ne seraient rien
d’autre que des animaux de compagnie abandonnés par leurs maîtres ! Si c’était le cas, ces infortunés
félins, le ventre désespérément vide, auraient cherché refuge depuis longtemps chez la première
personne charitable rencontrée… Or, rien de tout cela. Non seulement ils ne tentent pas de se trouver
de nouveaux maîtres mais en plus, ils ne cherchent pas à se nourrir ! Comprenne qui pourra !

[←89]
La solution de facilité toujours !
[←90]
La panthère ne mange pas !

[←91]
La désinformation débute. L’animal vu par Mme X tient plus du gros chat que de la panthère,
d’autant plus que l’on ignore si la longueur d’un mètre qu’elle lui attribue comprend la queue ou pas
! Pourquoi est-ce que je parle de désinformation ? Parce que d’autres témoins le décrivent comme
beaucoup plus gros.

[←92]
La bête vivrait-elle d’amour et d’eau fraîche où n’est-elle qu’une apparence, un leurre permettant
une étude sociologique de notre société à un moment bien précis ? Mon hypothèse concernant la Bête
des Vosges prend forme (voir le tome 1 de cette étude).

[←93]
Cette réflexion, par sa justesse d’observation, est importante. Elle tend à confirmer que l’animal
est bien un léopard atteint de mélanisme.

[←94]
Mesures à comparer avec celle données par Mme X de Montigny-sur-Chiers ! Mais, ici aussi, on
ignore si la queue est comprise ou non !

[←95]
Au cours de ce chapitre, on remarquera que ce genre d’appareil est souvent employé. Pourtant,
pas une fois cette caméra ne captera la lumière infrarouge émise par la température corporelle du
félidé. Un fauve qui ne mange pas et qui n’émet rien dans l’infrarouge ne peut être qu’un très étrange
quadrupède !

[←96]
Attitude habituelle des chiens confrontés à toutes les bêtes étudiées.

[←97]
C’est ainsi que se termine l’intrusion dans notre espace-temps de la Bête de Meurthe-et-Moselle !
Pas une fois, elle n’a tué, pas une fois elle n’a mangé, pas une fois elle n’a émis de l’infrarouge et ce
du 24 août au 6 novembre !

[←98]
On remarquera que tout au long de la saga des “panthères” en France, celles-ci ne tuent ni ne se
sustentent.

[←99]
Pour le chasseur photographe, la « panthère puma » est noire alors que pour ce témoin, elle est de
couleur jaunâtre ! La voit-on comme on désire la voir comme cela arrive dans certains épisodes
« ovniens » ? Mais alors ? Et oui, mais alors…
[←100]
Les félins de couleur uniformément fauve ne sont pas légion. Je n’en vois que deux, le puma et
le… lion !

[←101]
 Les laboratoires, qu’ils soient belges, français ou suisses, se montrent tous d’une imprécision
étonnante. Si les empreintes étudiées ne sont pas celles d’un lynx, de quel fauve alors s’agit-il ?
Puisque les laboratoires sont capables d’éliminer l’hypothèse lynx, pourquoi ne sont-ils pas en
mesure de nous en dire plus ? Les traces laissées par le « fauve » sont-elles si différentes, si
dérangeantes des empreintes habituelles ?

[←102]
Comment peut-il se faire que pas une seule fois pendant toute la durée de la saison de chasse, elle
ne s’est retrouvée dans le point de mire d’un chasseur ?

[←103]
Il ne doit pas faire bien chaud sur le plateau de Valensole l’hiver avec son altitude de cinq cents
mètres. Pauvre animal, de quoi survit-il, d’autant plus qu’il ne s’attaque à personne pas même au
gibier et encore moins au bétail. La très singulière singularité de ce fauve est donc qu’il n’absorbe
rien.

[←104]
Faut-il que les autorités craignent, soit pour la vie de leurs concitoyens, soit pour un autre motif
qu’elles préfèrent ne pas divulguer. En effet pourquoi craindre que le fauve attente à la vie des
personnes puisqu’il ne s’alimente pas !

[←105]
Mystérieux félidé sur lequel on ne peut mettre un nom ?

[←106]
Où est passé l’animal pendant ces trois mois ?

[←107]
Intuitivement cette femme a ressenti l’incongruité de cette présence : « on se demande ce que ça
fait là ! »

[←108]
Pour endommager si fort une empreinte, il faut de fortes pluies ! En général, au mois de juillet,
dans ces régions, c’est plutôt la sécheresse qui sévit !

[←109]
À quels examens se rapportent les autorités, puisque mis à part les déclarations des témoins, elles
n’ont rien à faire analyser ? Pourquoi cette tentative de rassurer la population ?

[←110]
Nous avons déjà étudiés plusieurs exemples d’animaux inconnus pour lesquels les laboratoires
les plus pointus (Bruxelles, Lausanne, Genève) n’ont jamais su mettre un nom sur les traces fournies,
malgré les mois et même les années d’analyse. Ici, en quelques jours, un “laboratoire” d’un parc
animalier commercial annonce son verdict ; il ne s’agit pas d’un tigre mais d’un chat. De vrais
champions de l’éprouvette et du scalpel. Ayant à leur disposition diverses empreintes, ils n’ont plus
eu que le choix pour sélectionner. Pas trop certains d’eux quand même, ils demandent l’avis d’un
scientifique éminent qui leur indique que la tête ronde du fauve est typique du chat sauvage. Mais il
ne se prononce nullement sur les empreintes.

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