Ali Boumendjel. Une Affaire Française, Une Histoire Algérienne by Malika Rahal

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Ali Boumendjel

Malika Rahal

Ali Boumendjel
(1919-1957)
Une affaire française,
une histoire algérienne
Préface inédite de l’autrice
Cet ouvrage a été précédemment publié en 2010 aux Éditions Les Belles Lettres.

Composition : Facompo à Lisieux


Dépôt légal : janvier 2022

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ISBN   978-2-348-07322-9

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©    Société d’édition Les Belles Lettres, 2010.


©    Éditions La Découverte, Paris, 2022.
34, rue des Bourdonnais, 75001 Paris
À ma mère, Sheryl Ehlers Rahal,
dont les filles dansaient autour d’elle
pour fêter le dernier chapitre de sa thèse,
et qui, toujours, veille.
En pensée avec mon père.
Cette ouverture forcée, conçue comme une
marche au progrès par la population coloniale,
a été ressentie par la population autochtone
comme un « viol » de son espace. Comme une
femme voilée qui se retrouverait brusquement
dans la rue sans ses voiles. Le retournement, c’est
le visage spatial du traumatisme colonial.
Marc Côte, L’Algérie ou l’espace retourné,
Paris, Flammarion, 1988.

According to Estha, if they’d been born on the


bus, they’d have got free bus rides for the rest of their
lives. It wasn’t clear where he’d got this information
from, or how he knew these things, but for years the
twins harboured a faint resentment against their
parents for having diddled them out of a lifetime
of free bus rides.
Arundhati Roy,
The God of Small Things, 1998.
Préface à l’édition de 2022

C ’est à l’automne 2010 qu’est parue la première


édition de cette biographie de l’avocat Ali
Boumendjel, militant de l’Union démocratique du Manifeste
algérien, enlevé par les parachutistes français durant la « bataille
d’Alger » de 1957 –  plus justement nommée par l’historien
Gilbert Meynier la « grande répression d’Alger ». La version
officielle, jamais contredite au moment où paraissait le livre,
affirmait qu’il s’était suicidé en se jetant du haut de l’immeuble
d’el-Biar (sur les hauteurs d’Alger) où il était détenu. Ni la famille
ni les camarades militants n’ont jamais cru à cette version.
Pour écrire la biographie, j’ai rencontré à partir de 2002 la
famille d’Ali Boumendjel : sa veuve, Malika Boumendjel Amrani,
et ses enfants, Nadir, Sami, Farid et Dalila. Au fil des entretiens,
des liens privilégiés se sont noués, d’autant que cette histoire
était encore vivante pour Malika, au sens où sa lutte pour la
vérité se poursuivait. Il était alors question de possibles actions
en justice pour obtenir la vérité. La famille avait d’ailleurs été
partie prenante des poursuites contre le général Aussaresses qui
affirmait, dans ses mémoires publiés en 2001, avoir fait tuer
Boumendjel sur ordre du général Massu : la France connaissait
alors une résurgence de la question de la torture à partir du cas
de Louisette Ighilahriz et à l’initiative de journalistes du Monde
et de L’Humanité1. Faute d’être poursuivi pour les crimes eux-
mêmes (crime contre l’humanité ou crime de guerre), il était
poursuivi pour complicité d’apologie de crime de guerre. Après
une première condamnation, il était condamné de nouveau en
février  2007 devant une cour d’appel au risque collatéral de
dissuader d’autres militaires de prendre la parole à leur tour.
10 Ali Boumendjel

Durant l’année 1957, Ali Boumendjel n’était pas le seul Algérois


à avoir été kidnappé : la disparition forcée était en effet l’un des
outils à la disposition des parachutistes français, sous les ordres
du général Jacques Massu, pour réprimer le Front de libération
nationale (FLN) qui avait lancé la révolution contre la coloni-
sation française en novembre  1954. Des milliers de personnes
étaient alors enlevées, souvent à leur domicile et devant leurs
familles, détenues dans des lieux informels et torturées. Les survi-
vants pouvaient être transportés vers les prisons et les camps.
Certaines familles n’apprirent alors le devenir de leurs proches
que lorsqu’ils furent libérés des camps de détention, après la
signature des accords d’Évian qui fixaient le cessez-le-feu au
19 mars 1962. D’autres n’ont jamais su ce qu’étaient devenues
les personnes enlevées en 1957.
En cela, le cas d’Ali Boumendjel n’est pas typique. En effet,
après quarante-trois jours de détention-disparition durant
lesquels son épouse cherche à le localiser, le corps est rendu
à sa famille pour un enterrement express, afin d’éviter qu’il
fournisse l’occasion d’une mobilisation. C’est après sa mort
qu’éclate le scandale, l’« affaire Boumendjel » dont il est question
dans ce livre. Mais de telles réapparitions d’un corps après son
assassinat en détention furent rares : Larbi Tebessi, président de
l’Association des oulémas, enlevé le 4 avril 1957, fait partie des
disparus dont le corps n’a jamais été localisé ; de même Maurice
Audin, mathématicien d’origine française, enlevé le 11  juin
1957. On sait en revanche le devenir d’Ourida Meddad, morte
défenestrée au cours d’une séance de torture à dix-neuf ans,
peut-être le 29  août 1957 ; l’un de ses proches put reconnaître
son corps à la morgue. Quant à Larbi Ben M’hidi, officiellement
« suicidé » et dont le corps aurait donc pu être rendu à sa famille,
ce n’est que plus tard, en parlant au colonel Bigeard, admiratif
du chef de la Zone autonome d’Alger du FLN, que son père
apprit qu’il avait été enterré dans l’une des tombes anonymes du
cimetière d’el-Alia, à Alger, sans que sa famille en fût informée2.
Saïd Khemissa, quinze ans, fut quant à lui déclaré « abattu lors
d’une tentative de fuite » dans une des rares réponses adressées
par l’armée aux familles qui cherchaient leurs disparus –  une
Préface à l’édition de 2022 11

phrase qu’alors les proches traduisaient par le fait que leur


parent était mort sous la torture, ou avait été tué ; son corps,
pourtant, ne fut jamais rendu à la famille ni son lieu d’inhu-
mation indiqué. De Belkacem Amrani, soixante-dix-huit ans,
postier et beau-père d’Ali Boumendjel, on ignore le sort, et l’on
ne connaît pas celui d’André Amrani, son beau-frère, ni celui
du fleuriste Lahcène Yassef, du marchand de charbon Rabah
Sadeg, du vendeur au marché Mohamed Himeur, du médecin
Slimane Asselah, de l’agriculteur Mohamed Dahmane, du peintre
en bâtiment Mohamed Bendris, ni de tant d’autres. Ces noms
sont tirés du site d’un projet en cours qui vise à collecter les
noms d’autres détenus-disparus de ce seul épisode de la « bataille
d’Alger », à défaut de pouvoir travailler de façon plus large sur
l’utilisation de la disparition forcée durant toute la guerre3.
Parmi ces disparitions forcées, celle du mathématicien Maurice
Audin a fait l’objet de poursuites judiciaires particulières, liées à
son statut de Français qui rendait cette disparition inacceptable
aux yeux d’une partie de l’opinion publique métropolitaine ;
le cas a été porté grâce à l’opiniâtreté de son épouse Josette
Audin, semblable en cela aux autres mères, épouses ou sœurs de
détenus-disparus mais disposant de relais en France ; il a bénéficié
enfin de l’appui du Parti communiste français et d’intellectuels,
parmi lesquels l’historien Pierre Vidal-Naquet. Le 13  septembre
2018, plus de soixante ans après les faits, le président français
Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de l’armée et
des autorités françaises dans la mort de Maurice Audin. Le texte
d’une longue déclaration – très juste du point de vue de l’exac-
titude historique – faisait de Maurice Audin le nom commun de
toutes les victimes de cet épisode de la guerre. La reconnaissance,
dont la mise en scène prévoyait une visite au domicile de Josette
Audin, personnifiait donc la disparition forcée et posait imman-
quablement la question des autres noms et des autres victimes.
Le choix était fait dans la déclaration de n’en nommer aucune.
Cette reconnaissance par un cas posait donc une difficulté  :
si les Européens engagés pour l’indépendance furent plusieurs
dizaines à avoir été arrêtées et torturées en 1957 à Alger, Maurice
Audin est le seul pour lequel les parachutistes allèrent jusqu’à
12 Ali Boumendjel

la mort et l’occultation du corps. Pierre Vidal-Naquet explique :


« Le plus souvent, les disparus musulmans non protégés par
un réseau d’amitiés européennes sont purement et simplement
passés par profits et pertes 4. » Choisir Maurice Audin comme
cas emblématique se comprend aisément, car c’est celui qui a
le plus choqué l’opinion française et c’est le mieux documenté
du fait de longues procédures judiciaires 5. Mais ne donner qu’un
seul nom a de fait prolongé les effets de l’inégalité qui séparait
en 1957 les victimes de la répression, quelle que soit la sincé-
rité de leurs engagements partagés, et a contribué à maintenir
l’anonymat colonial.
Cette première reconnaissance a été suivie, le 2 mars 2021, par
la reconnaissance de l’assassinat d’Ali Boumendjel. Elle figurait
parmi une série de gestes préconisés par l’historien Benjamin
Stora dans un rapport remis en janvier  2021 au président de
la République6. Les différences entre les deux reconnaissances
étaient remarquables : le texte d’Emmanuel Macron concernant
Boumendjel était plus court, porté vers la seule question de la
torture et de l’assassinat (pour mettre fin à la thèse du suicide).
Le cérémonial se limitait à une rencontre entre le président et les
petits-enfants d’Ali Boumendjel, porteurs d’un courrier de leur
famille. Celui-ci comportait notamment l’exigence que soient
mentionnés dans le communiqué trois autres disparus : le beau-
frère d’Ali Boumendjel, André Amrani, son beau-père Belkacem
Amrani et son ami et collègue, l’ingénieur Mohand Selhi. Il ne
pouvait être question d’une visite symbolique similaire à celle
effectuée au domicile de la veuve de Maurice Audin : à plus de
cent ans, Malika Boumendjel était décédée en août 2020, ayant
laissé amplement le temps aux autorités françaises de fournir
la vérité qu’elle avait toujours exigée sur la mort de mon mari.
Pas plus que Maurice Audin, Ali Boumendjel n’est un cas
typique de la disparition forcée durant la « bataille d’Alger »  :
si sa mort a fait scandale en France, c’est précisément en raison
du « réseau d’amitiés européennes » que son frère Ahmed
Boumendjel a été en mesure de mobiliser ; et parce que des
personnalités l’ont connu personnellement. L’on retrouvera
dans les pages de ce livre les interventions de l’ancien résistant
Préface à l’édition de 2022 13

et ministre du général de Gaulle René Capitant, des journa-


listes Albert-Paul Lentin ou François Mauriac, de l’historienne
et militante Madeleine Rebérioux, de l’homme politique Pierre
Mendès France, mais aussi d’anonymes qui, quelque douze
années après la fin de la Seconde Guerre mondiale, se sont
reconnus dans la figure d’un militant torturé et assassiné, ou ont
vu en lui un « Pierre Brossolette algérien ». Toutes les familles
algéroises touchées par la répression en 1957 ne disposaient d’un
tel capital social ; moins encore les familles d’autres régions du
pays, également victimes de procédés similaires durant toute la
guerre. Ces deux reconnaissances successives qui rapprochent la
vérité officielle de la connaissance des historiens, pour satisfai-
santes qu’elles soient pour ceux qui ont suivi ces deux affaires,
ne peuvent éteindre le désir de connaissance, de vérité voire de
reconnaissance des familles de disparus et l’aspiration – partagée
par les historiens – à les nommer.
Introduction

D ans son numéro daté du 24-25 mars 1957, L’Écho


d’Alger annonce à la une « Me Boumendjel s’est
suicidé en se jetant de la terrasse d’un immeuble ». Un tout petit
article en dernière page précise :

Me  Boumendjel, ancien avocat du barreau d’Alger et chef


politico-militaire du FLN 1, s’est suicidé samedi en début
d’après-midi. Me Boumendjel avait été capturé par des
« paras » et était détenu à El Biar.
Il a mis fin à ses jours alors qu’il devait être présenté à un
officier de renseignements. Pour éviter de le montrer dans
la rue, les militaires et les policiers qui l’escortaient l’avaient
fait passer sur la terrasse d’un immeuble de six étages, c’est
alors que Boumendjel essaya de se jeter dans le vide, mais
il resta suspendu, le pied coincé à une corniche. L’officier
qui le suivait s’élança pour le dégager. Boumendjel dans un
ultime sursaut, tenta d’entraîner avec lui l’officier. Il tomba
alors d’une hauteur d’une vingtaine de mètres.

Officiellement, Maître Boumendjel s’est suicidé.


L’information circule alors très rapidement, dans les milieux
« européens » d’Alger, parmi les militants nationalistes algériens
qui interprètent immédiatement le suicide comme un assassinat,
puis en métropole où cette mort suscite beaucoup d’interro-
gations et d’indignation. En mars et avril  1957, c’est l’un
des premiers grands scandales liés aux méthodes employées
par l’armée française dans la répression en Algérie. Au début
du mois de mars Jean-Jacques Servan-Schreiber publiait dans
L’Express le récit de son séjour en Algérie comme appelé du
16 Ali Boumendjel

contingent2. Le 18  février, le général Paris de Bollardière avait


déjà demandé à être relevé de son commandement en désappro-
bation des méthodes employées en Algérie. Pierre Vidal-Naquet
rappelle qu’après le « grand silence de 1956, à nouveau en 1957,
la protestation s’est élevée3 ». L’affaire Boumendjel a marqué le
réveil de l’opinion publique métropolitaine face à la « bataille
d’Alger » et aux méthodes utilisées par les militaires qui, depuis
le 7  janvier 1957, disposent de tous les pouvoirs de police à
Alger. L’affaire Boumendjel provoque des réactions spectaculaires
en France et des remous rapidement relayés –  et quelque peu
éclipsés  – par d’autres affaires. Plus tard, au mois de juin, un
jeune professeur de mathématiques, Maurice Audin, est arrêté
par les parachutistes et « disparaît » durant sa détention : selon
la version officielle, il aurait pris la fuite. Son camarade, Henri
Alleg, est lui aussi arrêté et publie, en 1958, un ouvrage qui
fait scandale : La Question, où il relate les tortures qu’il a subies
aux mains des parachutistes4. En 1957 également, c’est le cas
de Djamila Bouhired qui fait grand bruit  : concernant pour
la première fois une femme poseuse de bombes, il donne lieu
à un procès et mobilise des avocats parisiens –  dont Jacques
Vergès  – qui parviennent à empêcher son exécution5. L’affaire
Alleg-Audin touche, elle, des militants français et trouve une
caisse de résonance dans le Parti communiste français (PCF).
Ce caractère spectaculaire de l’un comme de l’autre ne doit
pas gommer cette renaissance de la contestation dès le mois de
mars : l’affaire Boumendjel initie en effet une réorganisation des
mouvements d’opposition aux méthodes de la « pacification »
et à la guerre coloniale pour gagner en efficacité.
Ce n’est qu’en 2001 que le général Aussaresses, comman-
dant et collaborateur du général Massu à Alger en 1957, publie
ses mémoires 6. Outre le grand nombre d’assassinats et de cas
de torture d’hommes et femmes anonymes qu’il revendique,
le général en retraite endosse la responsabilité de deux morts
classées officiellement comme des suicides. Au sujet de Larbi
Ben M’hidi, il raconte comment lui et ses hommes l’ont pendu
« d’une manière qui puisse laisser penser à un suicide 7 ». À
propos d’Ali Boumendjel, détenu dans l’immeuble d’El Biar où
Introduction 17

les parachutistes avaient installé leur centre d’interrogatoire et de


torture, il affirme avoir donné l’ordre de le précipiter dans le vide
du haut de la terrasse du 6e étage, tout en niant l’avoir torturé8.
Le nom de Boumendjel est donc réapparu en France à la
faveur du récit par le général Aussaresses de ses activités en
Algérie, dans le contexte d’un retour dans le débat public des
exactions commises par l’armée française. Un premier procès
avait déjà ramené les événements de la guerre sur le devant de
la scène : en octobre 1997, au cours du procès de Maurice Papon,
Jean-Luc Einaudi avait été invité à préciser le rôle de l’ancien
préfet de Paris dans le massacre du 17  octobre 1961 lors de la
manifestation organisée par le FLN9. Mais c’est le témoignage
de Louisette Ighilahriz sur les tortures et viols qu’elle a subis,
témoignage publié dans Le Monde en juin  2000, qui déclenche
un tourbillon dans la presse et l’opinion10. Le travail de journa-
listes –  parmi lesquels Florence Beaugé, du Monde, qui avait
recueilli le récit de Louisette Ighilahriz – donne lieu à plusieurs
articles et séries d’entretiens dont la publication des mémoires
d’Aussaresses est un premier aboutissement 11. Cette publica-
tion fait, en janvier  2001, l’objet d’un second procès, intenté
au général Aussaresses et à ses éditeurs, Perrin et Plon, pour
apologie de crime de guerre12. Dans ce contexte, la publication
des recherches de deux historiennes a un écho particulier dans la
presse comme dans l’opinion : il s’agit des ouvrages de Raphaëlle
Branche sur l’usage de la torture par l’armée française13, et de
Sylvie Thénault sur le fonctionnement de la justice dans la guerre
d’indépendance algérienne14.
L’actualité d’Ali Boumendjel est donc liée aux circonstances
de sa mort, dans le contexte de la « bataille d’Alger », et à la
résurgence des interrogations sur le rôle que les parachutistes
y ont joué à la suite des révélations d’un officier en retraite.
Si Boumendjel est identifié nommément dans les mémoires
d’Aussaresses, c’est bien parce que son arrestation mobilisa, que
sa détention fut connue et que sa mort fit scandale. Aussaresses
lui-même fait mine de s’en étonner : « La mort de Boumendjel eut
un incroyable retentissement et fit couler beaucoup d’encre15. »
C’est bien aussi parce que, d’emblée, la question de l’assassinat
18 Ali Boumendjel

fut posée dans la presse métropolitaine opposée aux méthodes de


la « pacification » : le 28 mars, France Observateur titrait sur cinq
colonnes à la une « Qui a tué Me Ali Boumendjel ? ». Et pourtant,
comme on le verra dans les pages qui suivent, l’arrestation de
Boumendjel, sa détention ne sont en rien extraordinaires. Lors
d’un entretien avec Henri Alleg, celui-ci raconte avec émotion
la banalité du sort de son ami :

J’ai appris sa mort par les bruits qui couraient à Alger à


l’époque de la bataille d’Alger. On s’y installait aussi avec
une pensée qui était celle de tous, je crois, que personne
n’était à l’abri d’un sort semblable. Il n’y avait plus aucune
loi, aucune protection de droit […]. Quand on a su que
Boumendjel était mort, j’étais dans la clandestinité, et on
était dans ce combat un peu comme des soldats au feu où
on voit tomber un des siens : on se dit que demain ce sera
moi ou un autre, on avançait en pensant que c’était terrible
mais sans avoir le temps ou la faculté de faire son deuil,
comme on dit aujourd’hui, ou de réfléchir à la perte terrible
que ça représentait. C’est la même chose quand des gens très
proches de moi comme Fernand Yveton, qui était un voisin,
un camarade, ou que Henri Maillot, qui travaillait avec moi
au journal, ou d’autres sont morts. Il y avait une expression
de l’époque chez les Algériens quand quelqu’un était mort,
c’est un shahid [un martyr]16.

La mort de Boumendjel, un cas parmi des milliers d’autres


–  le nombre fait toujours l’objet de débats17  –, et l’étude des
conditions de sa détention et de son assassinat auraient pu faire
l’objet d’une monographie permettant d’illustrer les mécanismes
de la torture, mis en lumière par Raphaëlle Branche, et l’impos-
sibilité pour la justice de protéger les individus aux mains des
militaires18. On verra que, dans ce domaine, le cas Boumendjel
est conforme à la norme. Il est en revanche un aspect où son
cas diffère largement de la banalité des morts de la « Bataille » :
la publicité qui lui est donnée fait de lui un cas extraordinaire.
C’est l’ampleur des réactions provoquées par sa mort, en Algérie
et en métropole, et l’influence des personnalités impliquées, qui
Introduction 19

invitent à la réflexion. Pourquoi la mort de Boumendjel a-t-elle


davantage d’écho en France que celle, quelques jours plus tôt, de
Larbi Ben M’hidi ? Pourquoi les intellectuels parisiens se sont-ils
mobilisés autour de son cas ?
Il s’agit de décrire les mécanismes de ce qui devient une
véritable affaire en métropole, tout en faisant l’hypothèse que la
biographie de Boumendjel peut en fournir l’explication. C’est un
pari d’historienne : si, parmi tous les assassinats de la « bataille
d’Alger », celui de Boumendjel fit ainsi scandale, c’est aussi du
fait de sa personnalité et des liens qu’il avait tissés au fil de ses
expériences politiques comme dans sa vie personnelle ; c’est
aussi en raison de l’image que se firent de lui les femmes et les
hommes qui l’avaient connu et qui sont, en 1957, en mesure
de témoigner. Comprendre l’affaire Boumendjel, c’est donc aussi
s’interroger sur le passé de cet homme, en dépassant la seule
dimension politique au profit d’une vision plus large de sa vie.
Explorer les diverses facettes du personnage, de sa vie politique
à sa vie privée, de ses études à son engagement politique, pourrait
expliquer la mobilisation autour de son décès et, au final, décrire
comment elle modifie l’opinion métropolitaine face à la guerre,
à la torture et l’image du FLN. L’analyse des manières dont se
construit l’image de Boumendjel après sa mort justifie à elle
seule cette approche  : l’on voit en effet se nouer les fils de sa
vie, lorsque ses amis, collègues et camarades politiques évoquent
sa mémoire pour contester l’action de l’armée en Algérie et
transformer l’image du FLN en métropole. En cela, la mort de
Boumendjel provoque une affaire qui est fondamentalement
une affaire française  : si Boumendjel devient une figure, c’est
du fait de son intégration parfaite dans le monde intellectuel
français, parce qu’il se mêle intimement au monde parisien de
la politique et des idées, offrant aux intellectuels français de
gauche un miroir dans lequel ils peuvent se reconnaître. Ce sont
eux qui s’expriment après sa mort. S’il ne s’agit donc pas ici de
proposer une biographie politique, au sens strict, mais plutôt une
biographie de l’homme, celle-ci n’en est pas moins politique  :
elle pose en effet pour autre hypothèse que la biographie, dans
toutes ses dimensions, y compris sociales –  et j’entends par
20 Ali Boumendjel

cela familiale, sentimentale, amicale, corporelle, linguistiques,


dimensions qui toutes participent à la construction sociale d’un
individu –, révèle des phénomènes de l’ordre du politique.
Ce pari biographique, pour donner une autre interprétation
de l’expression de François Dosse 19, est rendu possible par la
convergence de l’intérêt de l’historienne avec celui de la famille.
Boumendjel laisse en effet derrière lui une veuve et quatre
enfants qui sont, au début de ce travail, en quête d’histoire,
et convaincus que leur cher disparu « mérite » une biographie.
Ils ont pris contact avec des historiens, notamment Benjamin
Stora, par l’intermédiaire duquel j’ai pu les rencontrer. C’est la
volonté de cette famille –  même si les stratégies familiales et
les stratégies historiennes divergent bien souvent  – qui rend
possible l’approche biographique. Leurs intérêts convergent
parfois dangereusement. Là où la famille recherche un héros,
le biographe recherche volontiers un être sortant de l’ordinaire
pour justifier, en quelque sorte, le choix de l’approche biogra-
phique. Le cas atypique, le cas limite, pour reprendre l’expression
de Giovanni Levi, permet de mettre en lumière « les marges
d’un champ social à l’intérieur duquel ces cas sont possibles
qui sont mis en lumière20 ». Mais parfois, de façon bien plus
prosaïque, le biographe ne résiste pas à la tentation d’héroïser,
lui aussi, « son » personnage. Dans ce pari, c’est la mort et les
réactions qu’elle suscite qui éclairent la vie du personnage et
lui donnent sens, au risque d’une vision téléologique que la
recherche viendra infirmer.
Pour autant ce pari de l’extraordinaire ne peut pas en fait
être perdu. Peut-être n’y a-t-il rien dans l’affaire Boumendjel
qu’une série de hasards ou l’effet d’une conjoncture particu-
lière ; peut-être le grand homme politique que veut construire
sa famille n’est-il finalement qu’un homme ordinaire dont la
mort fait l’objet d’une publicité qui n’a rien à voir avec sa vie,
sa personnalité et son engagement politique. Alors la biographie
(ne) sera (qu’)une plongée dans le milieu des intellectuels franco-
phones nés dans les années vingt en Algérie ; une plongée dans
le milieu des militants du Manifeste du peuple algérien, dans
la sociabilité algéroise des années trente et quarante. Elle (ne)
Introduction 21

sera (qu’) un exemple des façons d’entrer en guerre aux côtés du


FLN lorsque l’on est un militant légaliste et (qu’)une illustration
de l’expérience de la lutte clandestine, de l’arrestation, de la
torture et de l’assassinat. En ramenant le parcours d’un homme
aux normes d’une époque, d’un milieu – ou plus vraisemblable-
ment d’une diversité d’univers sociaux –, elle montrera comment
le personnage « prend place dans le contexte historique qui
l’autorise », pour en fournir une « biographie modale 21 ». Ce
faisant, elle serait une histoire algérienne, celle d’une société
travaillée, transformée, burinée par la domination coloniale et
par les tentatives pour y échapper. Elle serait un exemplum, une
nouvelle, selon l’expression de Michel Foucault, « la vie d’un
homme infâme22 ».
Si elle n’était que cela, cette biographie serait déjà beaucoup.
1
Héroïsme et martyre en Algérie :
les espaces de contrainte de la biographie

A li Boumendjel est une figure discrète de la direc-


tion de l’Union démocratique du Manifeste
algérien. Issu d’une famille des Beni Menguellet, en Kabylie, son
père est devenu instituteur après être passé par l’école normale
de Bouzarea. La famille a quitté sa région d’origine ; les sœurs
d’Ali étaient, selon l’expression de l’époque, « émancipées » ; son
aîné Ahmed est devenu un brillant avocat au barreau d’Alger. Il
s’agit en somme d’une famille d’intellectuels comme les écoles
françaises, publiques ou religieuses, en ont produit en petit
nombre. De onze ans plus jeune que son frère aîné, Ali le suit
dans son engagement aux côtés de Ferhat Abbas, d’abord dans
l’Association des amis du Manifeste et de la liberté, en 1943,
puis au sein de l’UDMA, fondée par Abbas en 1946.
La forme particulière de l’engagement d’Ali Boumendjel au
sein de son parti éclaire les pratiques politiques en vigueur
dans son parti, son fonctionnement et le contenu idéologique
véhiculé par les militants et les élus. Son étude relance la discus-
sion sur le rapport de ces intellectuels francophones avec l’his-
toire officielle  : le parcours de Boumendjel révèle ainsi que,
contrairement au stéréotype, il existe à l’intérieur même du parti
de Ferhat Abbas une véritable radicalité politique, portée par un
courant militant dynamique. Par ailleurs, on le verra, le parti
propose sa propre définition de la nation algérienne et œuvre
à l’écriture d’une histoire nationale qui concurrencent celles
promues par le PPA de Messali Hadj.
24 Ali Boumendjel

Ali Boumendjel et le roman national :


biographie et nationalisme
La personnalité de Ferhat Abbas mérite que l’on s’y
attarde un moment. Avant la Seconde Guerre mondiale, il a en
effet appartenu à un courant politique héritier du mouvement
Jeune Algérien1. Il fut alors proche du docteur Mohammed-Salah
Bendjelloul et incarnait le courant assimilationniste, qui revendi-
quait pour la population « indigène » d’Algérie une citoyenneté
française pleine et entière. Influencé par la Nahda, le mouve-
ment de renaissance arabe, en même temps que par une tradi-
tion intellectuelle française, il avait défendu la possibilité d’un
compromis, d’une synthèse permettant aux colonisés d’exister
en France avec leur histoire et leur culture. Cette assimilation
s’appuyait sur la croyance dans la « vraie France », démocratique
et généreuse qui devait intégrer progressivement ses enfants
musulmans.

« Pour la liquidation de la colonisation »


Avec le Manifeste du peuple algérien, adressé aux
autorités françaises en février  1943, Abbas et ses partisans ont
basculé dans l’indépendantisme. Pourtant, l’accusation d’assi-
milationnisme à leur encontre s’est perpétuée jusqu’à ce jour.
Pour marquer la distinction, les anciens militants du PPA-MTLD
de Messali introduisent aujourd’hui encore dans leur discours la
subtile nuance entre les militants nationalistes – un terme qu’ils
se réservent  – des patriotes, appellation qu’ils concèdent aux
militants de l’UDMA, voire, parfois, aux communistes, dont ils
consentent à reconnaître la valeur2. Le parcours d’un homme
de la génération de Boumendjel permet de prendre la mesure de
l’importance du tournant que marque l’année 1943 dans l’his-
toire politique algérienne. Pour les jeunes de l’UDMA, l’entrée
en politique en 1942-1943 se fait sur la base de la revendication
d’indépendance d’une République algérienne, et en référence au
Manifeste du peuple algérien. Leur critique de la politique d’assi-
milation est acerbe et leur dénonciation de la colonisation dans
Héroïsme et martyre en Algérie… 25

la presse du parti tranche avec le ton plus policé utilisé avant


la Seconde Guerre mondiale.
Pour ces élèves de l’école française, l’indépendance n’est pas
synonyme de rupture violente, mais bien plutôt d’une évolution
historique nécessaire pour faire advenir les valeurs communes
de démocratie. Lorsqu’ils obtiennent, en 1946, des sièges à la
seconde Assemblée nationale constituante, leurs interventions
provoquent une forte tension et des incidents violents. Le
contraste est saisissant entre les attentes des élus du deuxième
collège, qui pensent pouvoir s’exprimer enfin au sein de la
démocratie française, et un auditoire choqué d’entendre pour
la première fois des « indigènes » formuler une opinion critique.
Ces hommes incarnent l’assimilation, ils sont le « produit de
l’école française », des « évolués », selon les termes d’époque. Ils
ne doivent ni sortir de leur position de colonisés, ni contredire
les stéréotypes paternalistes coloniaux. Alors que l’état d’esprit
des udmistes est résumé dans cette première phrase de Ferhat
Abbas, prononcée à la tribune de l’Assemblée nationale consti-
tuante  : « Cela fait 116 ans que nous attendons ce moment »,
l’auditoire l’invective dès qu’il commence à s’exprimer, le quali-
fiant d’antifrançais. Qu’attend-on de ces élus ? Une certaine
complaisance et, surtout, de la gratitude.
Certains élus du deuxième collège ont l’heur de ne pas
choquer, ils séduisent par leur « truculence » et leur « pitto-
resque ». Les élus de l’UDMA, eux, n’incarnent aucun exotisme
et refusent de se laisser inférioriser dans des relations empreintes
d’orientalisme et de paternalisme colonial. Ils jouent leur rôle
d’élus avec sérieux dans le but de promouvoir de réelles réformes,
et c’est leur présence même à la tribune qui est contestée.
Plus tard à la même tribune, les interventions des élus du
Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (réputé
plus radical) sont bien plus brèves : elles ont pour objet de nier
à l’Assemblée toute légitimité pour légiférer sur l’Algérie ; ils
exigent une Assemblée algérienne constituante pour déterminer
le nouveau statut de l’Algérie. Pourtant, jamais leurs interven-
tions ne suscitent de réactions aussi vives. Ce sont la person-
nalité même des élus UDMA, leur manière de porter la critique
26 Ali Boumendjel

dans les formes – pratiques, vêtement, sociabilité, langage – de


la vie politique démocratique, et cette intrusion de « l’indigène »
dans un champ réservé où il prend son autonomie, qui sont
intolérables.
De la même manière, la dureté du ton des articles de
Boumendjel dans le journal de l’UDMA, La République algérienne
vient autant du fond que de cette forme caractéristique. Car
l’homme est fait de ce bois-là. Il se glisse –  politiquement et
socialement – dans cet interstice de la colonisation où la critique
acerbe se nourrit de la maîtrise de la langue, des codes et des
valeurs de la puissance coloniale. Cet intervalle est mal connu :
il est étroit tout en étant complexe et multiple. Et surtout, il est
des contraintes politiques qui ont lourdement pesé sur l’historio-
graphie pour le maintenir dans l’ombre.

L’impossible pluralisme
Classiquement, la lutte de libération algérienne s’est
accompagnée d’un intense travail d’écriture de l’histoire qui
devait contribuer à la construction de la nation. C’est après
l’indépendance, sous le régime de parti unique, que se sont
cristallisés les éléments d’un récit national monolithique de la
guerre et du mouvement national, récit tout entier organisé
autour de la figure hégémonique du Front de libération nationale
(FLN)3. Sa trame narrative est définie à partir de plusieurs textes
tels que la Charte d’Alger, un texte à valeur constitutionnelle
qui, dès 1964, oriente le travail des chercheurs4.
Ce travail d’élaboration historique se lit, par la suite, dans
les manuels scolaires, dans les lieux de mémoire ou les noms
des rues, et combine plusieurs éléments mythiques  : la glorifi-
cation de la lutte armée ; la révérence constante au peuple – ce
populisme qui est au fondement du FLN ; la définition exclusive
de la culture algérienne par la langue arabe et la religion musul-
mane ; l’idée d’un peuple algérien homogène et unanime. Ces
mythes demeurent puissants dans l’État algérien issu de la guerre
de libération : ainsi, lors de l’élection présidentielle de 1999 qui
a vu la victoire d’Abdelaziz Bouteflika, les candidats nés avant
Héroïsme et martyre en Algérie… 27

le mois de juillet  1942 devaient attester de leur participation


à la révolution algérienne aux côtés du FLN ; ils devaient par
ailleurs être de confession musulmane.
Cette histoire officielle écrite par le vainqueur, c’est-à-dire par
le parti au pouvoir après l’indépendance, occulte la multiplicité
des héritages et des traditions politiques développées en Algérie
avant l’indépendance. Elle revendique une filiation unique et
linéaire qui part de l’Étoile nord-africaine (ENA), créée à Paris en
1926, passe ensuite par le Parti du peuple algérien (PPA), fondé
après l’interdiction de l’ENA par le Front populaire en 1937, et
son pendant légal le Mouvement pour le triomphe des libertés
démocratiques (MTLD), pour aboutir enfin au FLN. Elle véhicule
l’idée d’un « continuum magique5 », promoteur unique du natio-
nalisme, allant de l’Étoile nord-africaine au Front de libération
nationale. Parmi les laissés-pour-compte de cette généalogie
jalouse, l’UDMA à laquelle appartient Ali Boumendjel, et le Parti
communiste algérien (PCA) dont il est si proche.
Dès la décennie des partis politiques (1946-1956), les militants
de l’UDMA faisaient l’objet d’attaques de la part de leurs rivaux
du MTLD. Les dirigeants sont accusés d’une modération qui frise
la mollesse ; on reproche au parti de rassembler des politiciens
bourgeois travaillant en bonne intelligence avec des hommes
politiques français, coupés du sacro-saint Peuple et égarés dans
de vaines stratégies électoralistes. Les sarcasmes des militants
du MTLD visent à nier qu’il puisse même y avoir des jeunes à
l’UDMA. « Tiens, voilà la VUDMA [la Vieillesse de l’UDMA] ! »
pouffait Pierre Chaulet avec ses camarades à l’arrivée des
dirigeants de la Jeunesse de l’UDMA sur leur mobylette dans
les années 19506. Les épithètes nées à l’époque ont eu la vie dure
et ont servi de fondations à l’occultation qui a suivi de quelques
années l’indépendance. Jugeant l’histoire aux réussites et aux
échecs sur le chemin de l’indépendance, l’histoire officielle
néglige donc, comme elle le fait avec le PCA, l’apport politique,
culturel et militant de l’UDMA au mouvement nationaliste.
28 Ali Boumendjel

Ali Boumendjel ou l’autre nationalisme


Les articles d’Ali Boumendjel contribuent à la
définition de la société de la future République algérienne.
Contrairement à la définition qu’en donnent le PPA-MTLD
ou l’Association des ’Ulamâ, fondée sur la langue arabe et
l’islam, la société algérienne envisagée par l’UDMA englobait
la population de l’Algérie dans toutes ses minorités. Les juifs et
les « Européens » d’Algérie étaient explicitement cités comme
faisant partie de la société algérienne.
Or, la vie quotidienne de Boumendjel, ses fréquentations, ses
réseaux de sociabilité et ses choix de vie permettent de dépasser
le niveau du discours pour entrer dans cealui des pratiques, des
habitudes. Comment des hommes qui défendaient une autre
vision de la future République algérienne, une République où
tous les habitants de l’Algérie auraient la possibilité de devenir
citoyens, vivaient-ils au quotidien la relation coloniale ?
L’amour, l’amitié, le mariage, la naissance et la mort étaient-ils
différents chez ceux qui promouvaient un autre nationalisme
algérien et comment ces pratiques de vie se transformèrent-
elles, d’une génération à l’autre, dans le contexte colonial ? En
suivant un personnage sans souci de savoir s’il fut, ou non, une
personnalité de premier plan, et sans, surtout, se cantonner à
l’aspect politique de sa vie, mais en explorant les aspects les
plus matériels, en apparence anecdotiques voire futiles, c’est la
dimension concrète de la vie coloniale qui est restituée.
Les discours politiques, l’appel à rallier l’UDMA lancé de façon
répétée par les leaders de l’UDMA aux « Européens » prennent
une tout autre épaisseur lorsqu’ils sont mis en relation avec les
amitiés d’Ali Boumendjel avec des communistes, des chrétiens,
des socialistes. Si l’on considère les transformations de mode de
vie, de lieu de vie, de cercles amicaux et politiques d’une généra-
tion à l’autre dans la famille Boumendjel, le discours et l’écriture
deviennent des pratiques parmi d’autres, dans un milieu qui fit
l’expérience de changements considérables durant la colonisa-
tion française. Par ailleurs, au sein du mouvement national, et
à l’intérieur même de l’UDMA, les ouvertures politiques menées
Héroïsme et martyre en Algérie… 29

Illustration d’Égalité, le journal des Amis du Manifeste et de la


liberté, le 6 février 1947. La République algérienne à venir y est
représentée sous la forme d’un Parlement algérien à l’architecture
hybride, accueillant des citoyens de toutes origines et de tous
milieux sociaux. On y distingue des ouvriers en salopette, des
paysans en burnous, des hommes portant chapeau melon, fez
ou casquette, et aucune femme. La déclinaison de la faucille
et du marteau sur la façade du bâtiment est particulièrement
remarquable.

par un Boumendjel en direction des membres du PPA et surtout,


à l’égard de ses amis communistes témoignent des expérimenta-
tions possibles, des horizons alternatifs qui purent exister dans
l’esprit des militants de l’époque. La critique, parfois très vive de
son propre parti, à partir des années cinquante, est représentative
d’un courant Jeune-UDMA radical et attentif au fonctionne-
ment démocratique du parti, en opposition avec les figures de
30 Ali Boumendjel

la génération précédente, y compris son propre frère, secrétaire


général adjoint du parti. S’il serait inexact et caricatural de faire
de Boumendjel l’idéal type du militant de l’UDMA –  par bien
des aspects, son parcours est exceptionnel au sein même de
son parti –, son cas n’est pas unique et témoigne de la richesse
et de la complexité des possibles, en même temps que de la
profondeur des blocages de la société coloniale.
Suivre Boumendjel après le 1er  novembre 1954 permet de
s’interroger sur les formes de ralliement au FLN. Les historiens
ont déjà établi, dans les grandes lignes, les modalités selon
lesquelles le Front et les organisations politiques, l’UDMA, le
PCA et l’Association des ‘Ulamâ négocièrent leur ralliement,
le FLN parvenant à obtenir, en 19551956, l’effacement des
partis et l’appel aux ralliements individuels. Mais au sein de ce
mouvement général, quelles furent les trajectoires individuelles ?
Quelles furent les formes d’engagement politique entre le début
d’une insurrection qui changeait fondamentalement la donne et
celui de l’adhésion officielle ? Là encore, l’étude d’un parcours
individuel donne un éclairage nouveau sur cette période, en
révélant toute la gamme de stratégies qui existèrent, entre rejet
du FLN, indifférence et montée au maquis.

Ali Boumendjel est-il un héros ? Biographie,


hagiographie et martyre en Algérie
Biographie et martyre en Algérie
Au cours des entretiens, tous les témoins que j’ai
rencontrés ont fait allusion à la qualité de martyr que sa mort
a conférée à Ali Boumendjel. Une personnalité aussi peu suspecte
de religiosité qu’Henri Alleg le mentionne :

Il y avait une expression de l’époque chez les Algériens quand


quelqu’un était mort, c’est un shahid7

Le mot martyr, shahid (pluriel shuhada), est d’ailleurs en


Algérie employé de façon systématique pour désigner les morts
Héroïsme et martyre en Algérie… 31

de la guerre d’indépendance. Sa condition de martyr contraint


largement les formes dans lesquels le parcours de l’homme est
évoqué par ceux qui l’ont connu. Elle fait également de lui la
source d’une production littéraire, divers textes ayant été rédigés
à diverses époques qui reflètent ou influencent le récit produit
et transmis par sa famille.
Le texte le plus officiel est une petite brochure rédigée en arabe
à l’occasion d’un colloque autour du « martyr Ali Boumendjel,
l’avocat de la révolution algérienne8 », tenu au Centre d’études
et de recherche sur le mouvement national à El Biar (Alger), sous
l’égide du ministère des Anciens Moudjahidine (le ministère des
Anciens Combattants), le 24 mars 2001, le lendemain de l’anni-
versaire de la mort de l’avocat. Ce texte, photocopié et qui a fait
l’objet d’une diffusion très limitée, s’apparente à un genre litté-
raire florissant depuis l’ouverture de l’édition au marché privé
dans les années 2000, celui des biographies de héros nationaux.
La collection vendue dans les librairies en 2003-2005, au début
de cette enquête, s’intitulait par exemple Silsilat Abtal min watani
[la série/le feuilleton des héros de ma nation]9. La brochure du
ministère est explicite : Boumendjel est présenté non seulement
comme un héros (batal), mais comme un martyr (shahid) et sa
mort est istishhadun (la mort en martyr, passion).
C’est d’ailleurs un autre trait de l’historiographie officielle
algérienne  : la biographie n’y existe que pour les shuhada, les
martyrs, et selon les formes figées de l’hagiographie. Il n’est de
bons héros que les héros morts, et cette contrainte s’est appli-
quée à la fois aux narrations vernaculaires, aux commémorations
publiques et à l’écriture de l’histoire universitaire, imposant des
formes rigides et cloisonnées destinées à renforcer une histoire
officielle forte et dogmatique.

L’omniprésence des martyrs :


les martyrs reviennent cette semaine
Car depuis l’indépendance, les martyrs sont au centre
de la vie nationale. C’est sur le mode du martyrologe que se
racontent de nombreux épisodes de la guerre, y compris orale-
32 Ali Boumendjel

ment, au sein des familles, et leur commémoration occupe égale-


ment dans l’espace public une large place. Dans un contexte
où la lutte armée pour l’indépendance est glorifiée, le sacrifice
des martyrs est chose sacrée  : après l’indépendance, l’Algérie
devint ainsi blad milyun shahid, le pays au million de martyrs.
Dans la mythologie nationale, leur sacrifice est fondateur d’un
État né de la guerre. Sous ce régime populiste qui ne revendi-
quait qu’« un seul héros, le peuple », exception pouvait être
faite pour les martyrs, les shuhada n’étant plus là pour contester
le régime en place ou revendiquer une part de pouvoir 10. Les
seuls héros de la révolution ont donc été les martyrs, et, si les
deux catégories ne se superposent pas entièrement, elles ne se
distinguent pas non plus nettement. Les martyrs ont longtemps
été omniprésents dans les discours où leur sacrifice était sans
cesse rappelé, et dans les lieux publics où ils sont encore glorifiés.
Ils ont donné leurs noms aux rues des villes  : la plus grande
place du centre d’Alger, l’ancienne place du Gouvernement, est
devenue la place des Martyrs (Sahat Shuhada) ; en 1988, Maqam
ash-Shahid, le monument des martyrs, fut inauguré à Alger, où
il est toujours le monument le plus élevé, un peu à l’écart de la
ville, visible en tout point de la baie ; par ailleurs, depuis 1989,
une « journée nationale du shahid » a été instaurée. En 2009, le
président de la République affirmait à cette occasion dans son
discours : « L’Algérie est un don des shuhada11. »
Le statut de shahid a progressivement pris une importance
sociale par le biais de diverses mesures administratives. Le verse-
ment de pensions, et certains avantages accordés aux veuves
et aux enfants de shuhada les constituent en groupe social
susceptible de vouloir défendre ses intérêts. Ils sont d’ailleurs
intégrés dans les commémorations publiques et l’on désigne
bien souvent une personne comme « veuve de shahid » ou « fils
de shahid » dans la presse, plutôt que de faire référence à sa
profession, et quand bien même ce statut n’aurait rien à voir
avec l’information 12. La famille Boumendjel fait donc partie
de ces familles de shuhada, de martyrs de la « révolution »
algérienne, dont certains comportements sont attendus  : rares
sont par exemple les veuves de martyrs qui se remarient, surtout
Héroïsme et martyre en Algérie… 33

lorsqu’elles ont des enfants ; les veuves peuvent d’ailleurs se


voir exiger un « certificat de non-remariage » afin de continuer
à percevoir leur pension.
La force symbolique et la prégnance des shuhada sont telles
qu’elles peuvent devenir pesantes et encombrer la vie sociale
dans le jeune État algérien. L’écrivain arabophone Tahar Ouettar
écrivait déjà à leur propos, en 1974, une nouvelle, Les Shuhada
reviennent cette semaine, où il met en scène avec une mordante
ironie la mise à mal de la bureaucratie et de la société –  qui
ont leur mort même comme fondement – par leur improbable
retour13.
Dans le « pays au million de martyrs », l’hagiographie est
une pratique omniprésente. Or, comme le souligne Michel de
Certeau, « l’individualité dans l’hagiographie compte moins que
le personnage » puisque la vie d’un héros –  ou d’un saint  –
s’inscrit dans un groupe. Les hagiographies valent par les traits,
les épisodes, les combinaisons communes qu’elles présentent14.
Pourtant, aucune enquête n’a, à ma connaissance, porté sur les
évocations, orales ou écrites, des vies de martyrs de la guerre
d’indépendance au sein des familles algériennes ; il n’existe pas
non plus d’approche globale des hagiographies ou des récits
de martyres en Algérie, qui permettrait d’en décrire les traits
communs et les épisodes caractéristiques, comme il n’existe
d’ailleurs pas d’étude sur les familles de martyrs, les formes de
commémorations et les comportements sociaux associés à ce
statut.
Dans ce contexte, l’approche par la biographie demeure
– malgré les évolutions récentes – subversive. Alors que le slogan
qui prévaut est celui selon lequel il n’y a eu durant la guerre de
libération nationale « qu’un seul héros : le peuple », les parcours
d’hommes engagés dans les luttes de pouvoir d’après l’indé-
pendance doivent s’effacer. Jusqu’aux années  1990, les narra-
tions individuelles de la guerre d’indépendance ou du combat
politique préalable sont inexistantes : autobiographies, mémoires
mais également biographies académiques étaient absentes des
librairies avant la publication de la biographie de Messali Hadj
par Benjamin Stora, en 1986, une entreprise frondeuse tant sur
34 Ali Boumendjel

le fond que sur la forme15. Dans un État répressif, les historiens


éprouvaient les plus grandes difficultés à interviewer les témoins
très réticents, en particulier lorsque leur parcours s’écartait de
l’histoire dominante. Or, bien qu’il soit mort en 1957, entre les
mains des parachutistes et que sa vie soit donc « héroïsable »,
la biographie d’Ali Boumendjel n’est pas anodine au regard de
l’histoire officielle. Par bien des aspects, son parcours résiste en
effet aux représentations convenues du héros de la lutte pour
l’indépendance.
Parce qu’ils ont constitué une source privilégiée pour le travail
biographique, et parce qu’ils sont pris dans le contexte hagio-
graphique, il a fallu questionner le type de récits que la famille
Boumendjel donnait à entendre, et interroger leurs conditions de
fabrication dans les années qui suivirent l’indépendance. Mais au
delà de la nécessité historienne de s’interroger sur l’élaboration
des sources, la question se pose pour elle-même  : comment se
construisent les narrations individuelles, comment se racontent
les vies des individus, dans un contexte où les modèles du martyr
et du héros sont si puissants ? Quelles sont les contraintes qui
pèsent sur la façon dont leur vie (et leur mort) sont dites ?

L’élaboration d’un martyrologe


Désir de justice, désir d’histoire
C’est d’abord Sami, le second fils d’Ali que j’ai
rencontré, devant un copieux repas dans un café parisien, en
2002. Il voulait vérifier que j’étais la personne adéquate pour
entreprendre la biographie de son père. J’étais impressionnée
par cet homme au physique solide qui parlait beaucoup, avait
des idées très arrêtées sur ce que serait cette biographie. Ses
questions portaient sur ma famille et ses relations au gouverne-
ment algérien : ma position de fille de l’émigration joua – une
fois n’est pas coutume  – en ma faveur ; il était soulagé que je
ne connaisse pas personnellement le général algérien portant
mon nom et que je ne sois pas proche des autorités algériennes.
Dans son discours touffu et débordant, une chose était claire  :
Héroïsme et martyre en Algérie… 35

le second fils d’Ali Boumendjel jouait le rôle de défenseur de la


mémoire de son père. Tout en engloutissant son poulet rôti, il
répondait aux rares questions que je parvenais à poser. Au sujet
de sa mère, que j’allais interroger, il indiqua laconiquement  :
mon père, c’était l’amour de sa vie.
Quelques jours après avoir été ainsi intronisée par Sami, j’ai
pu rencontrer Malika Boumendjel, l’épouse d’Ali. Notre première
entrevue eut lieu dans son tout nouvel appartement de Puteaux,
en banlieue parisienne, en présence de ses enfants : elle venait
de vaincre un cancer, et avait quitté sa maison d’Alger pour se
rapprocher d’eux ; mais, jalouse de son autonomie, à 84 ans,
elle allait vivre seule. Dès les premiers mots, je pris la mesure
de l’importance de mon projet de recherche à ses yeux. Si Ali
avait été l’amour de sa vie, sa mort en avait été le drame et
elle recherchait toujours des explications, des réparations, la
reconnaissance, la justice et, surtout, elle les avait recherchées
toute sa vie. La situation n’est pas inédite pour l’historien(ne) du
temps présent que de se voir investi(e) de missions qui ne sont
pas les siennes ; elle n’en est pas moins complexe.
Au cours de nos discussions – entretiens ou discussions infor-
melles  –, en compagnie de ses enfants ou en tête à tête, s’est
élaboré un récit familial de la vie et de la mort d’Ali Boumendjel.
La version de Malika et celle de Sami différaient sur certains
points, l’autorité de Sami dans le domaine politique l’emportant
parfois sur les hésitations et incertitudes de sa mère. Mais elle
était toujours la jeune fille amoureuse : si elle se refusait à jouer
le rôle de la veuve éplorée, elle se voulait inconditionnellement
fidèle au souvenir de son époux.
Or, la situation est plus complexe qu’il n’y paraît. Son mari,
Ali Boumendjel n’entrait guère dans les catégories habituelles des
« martyrs de la révolution ». Il ne correspondait par exemple ni
à l’une, ni à l’autre des deux figures représentées, sous la forme
de statues, au pied du Maqam ash-Shahid, le monument des
martyrs : ni soldat de l’ALN, ni paysan en armes, dont les figures
sont centrales dans le récit dominant de la révolution algérienne.
Il n’était pas monté au maquis et n’était donc pas un fidaï, un
militaire, mort les armes à la main. Pour autant, il n’apparaît pas
36 Ali Boumendjel

dans les organigrammes du FLN qui feraient de lui un indiscu-


table chef politique. Et sa mort n’était pas de ces centaines de
morts et de disparitions anonymes qui témoignent de l’horreur
de la répression –  notamment pendant la « bataille d’Alger »
lorsque tous les Algérois devinrent suspects et pouvaient mourir
sous la torture au nom de la sacro-sainte recherche de renseigne-
ments. Son arrestation fut rapidement connue, sa détention fit
l’objet d’une relative publicité et la nouvelle de son « suicide »
fut immédiatement relayée par la presse. La forme même du
« suicide » de cette personnalité reste problématique : Henri Alleg
fait remarquer qu’à l’époque, en mars  1957, personne n’était
dupe d’une telle annonce 16. Il n’en reste pas moins que c’est
un des points sur lesquels la famille –  qui n’a jamais envisagé
sérieusement la possibilité d’un suicide – exige « la vérité ». Sami
Boumendjel dénonce cette fiction qui choque d’autant plus que
son père, dit-il, était croyant et que l’idée même du suicide lui
aurait été inacceptable. De plusieurs façons, le martyre d’Ali
Boumendjel résiste donc aux narrations balisées de la vulgate
nationaliste.

La commémoration officielle
Ali Boumendjel avait pourtant fait l’objet d’une forme
de commémoration publique  : son nom avait été donné à un
lycée, à proximité de sa maison, aux Sources, dans la banlieue
d’Alger ; par ailleurs, des rues avaient pris son nom selon un
principe simple appliqué, semble-t-il, dans plusieurs autres cas :
tout ce qui en Algérie s’appelait Dumont d’Urville – rue ou établis-
sement scolaire  – avait été rebaptisé Ali Boumendjel de façon
automatique, alors que les artères principales étaient réservées
aux grandes figures héroïques de la révolution. C’est ainsi qu’à
Alger, la rue Ali Boumendjel, anciennement Dumont d’Urville,
rejoint désormais la rue Abbane Ramdane juste devant le palais
de justice17. Mais Malika Boumendjel se souvient également que
son nom devait être donné au collège de Blida, l’ancien collège
colonial Duveyrier, où il avait fait ses études. C’est à son arrivée
à la cérémonie d’inauguration qu’elle apprit qu’on lui avait
Héroïsme et martyre en Algérie… 37

Malika Boumendjel au moment du dépôt de gerbe devant la


stèle à la mémoire de son mari, dans le palais de justice d’Alger,
en mars 2004, à l’occasion de la première journée nationale de
l’avocat. Il faut noter que la date indiquée sur la stèle pour la
mort est erronée. (Photographie de l’auteure)

finalement préféré un autre nom, plus consensuel parce que


plus lointain, dit-elle, celui d’Ibn Ruchd [Averroès]18. Visitant le
bâtiment d’El Biar où Ali Boumendjel était mort, et où lui-même
avait été torturé, Henri Alleg s’étonnait quant à lui de ne pas y
trouver la moindre plaque commémorative19.
Depuis 2004, c’est-à-dire après le début de la présente recherche,
le nom d’Ali Boumendjel est évoqué plus régulièrement : cette
année-là, le gouvernement algérien créa une « Journée nationale
38 Ali Boumendjel

de l’avocat », fixée au 23 mars, en commémoration de la mort


d’Ali Boumendjel. Lors de sa première édition, la commémo-
ration algéroise a rassemblé de nombreux membres des deux
Collectifs des avocats du FLN –  celui d’Alger et celui de Paris  :
Amar Bentoumi, Mohammed Hadj Hamou, Nicole Dreyfus,
Jacques Vergès, Jean-Jacques de Felice, parmi nombre d’autres,
se succédèrent pour recevoir la médaille célébrant leur participa-
tion à la défense des militants du FLN durant la guerre d’indé-
pendance. En présence du bâtonnier d’Alger, une couronne de
fleurs fut également déposée devant la plaque commémorant
la mort de Boumendjel dans le hall du palais de justice. En
dehors des interventions de ceux qui l’avaient connu directe-
ment – tels Amar Bentoumi –, le caractère succinct, vague, voire
franchement erroné, de la présentation de Boumendjel et des
deux Collectifs des avocats était frappant, faute de travaux sur
lesquels s’appuyer, et faute sans doute aussi de souci historique.
Il s’est confirmé d’année en année, chaque Journée de l’avocat
donnant lieu, dans toutes les grandes villes, à des cérémonies au
cours desquelles les discours prononcés se réduisent à quelques
généralités, souvent reproduites dans la presse. Le summum fut
atteint lorsqu’en 2006, le gouvernement célébra obstinément,
et avec un certain tapage, le 50e  anniversaire de la mort de
Boumendjel, en lieu et place du 49e.
Tout se passe donc comme si Ali Boumendjel avait fait d’objet
d’une commémoration somme toute convenue, sans aucune
authentique décision. C’est cette absence de volonté politique
que Malika Boumendjel vitupère et pour laquelle elle exige
compensation.
On voit donc les tensions fortes auxquelles le portrait que
brossait la famille d’Ali Boumendjel, constitué au fil d’une
douloureuse histoire familiale, était soumis. Dans un contexte
où les formes de l’héroïsation et la martyrologie révolutionnaire
étaient contraignantes, ce portrait devait satisfaire à diverses
exigences, en justifiant du rôle politique de Boumendjel, des
raisons de son arrestation et de son assassinat.
Héroïsme et martyre en Algérie… 39

La construction du roman familial


Or, ce récit familial est largement indirect  : sauf
lorsqu’elle parle de la vie familiale, Malika Boumendjel ne fut
jamais le témoin direct des événements qu’elle raconte, et ses
enfants, dont Nadir, l’aîné, avait 7 ans à la mort de son père,
moins encore. Leurs narrations s’élaborèrent donc par agglo-
mération d’informations accumulées bien souvent après la fin
de la guerre. Depuis la mort d’Ali, le 23  mars 1957, la famille
poursuivit en effet, sous une forme ou une autre, une authen-
tique quête. Chacun rencontra d’anciens militants, d’anciens
détenus aux mains des parachutistes qui avaient, plus ou moins
directement, appris des choses sur l’activité de Boumendjel, ses
conditions de détention, les tortures qu’il aurait subies. Il faut
se représenter à quelles règles tacites pouvaient être soumis
ces « témoins » qui vinrent présenter leurs condoléances ou
rencontrèrent la famille dans des circonstances sociales bien
éloignées des formes de l’entretien historien contrôlé et aseptisé.
C’est à partir de ces bribes que s’élabora le récit d’une famille
qui cherchait à donner sens et cohérence à la vie de l’époux et
du père en valorisant son engagement. Et c’est au résultat de
cette élaboration que j’ai d’abord été exposée.
Car la famille fut mon premier guide dans cette recherche : c’est
Sami qui m’indiqua d’abord une liste de personnes qu’il serait
intéressant de rencontrer ; c’est Malika qui prit son téléphone
pour prévenir ses belles-sœurs, neveux et nièces de mon arrivée.
Mais cette même famille, dotée de ses propres desseins, pouvait
aussi se révéler un obstacle à la recherche : certaines des person-
nalités politiques que Sami souhaitait que je rencontre, et dont
je ne comprenais pas le lien avec Ali Boumendjel, s’avérèrent
ainsi être ses propres relations politiques, qui s’apprêtaient à
donner, comme il finit par le dire lui-même un jour au sujet
de Hocine Aït-Ahmed, un « témoignage d’amitié ».
Prendre le temps d’examiner les récits existants pour en
comprendre l’élaboration, c’est donc à la fois mener un travail
classique de critique des sources, et analyser les traits de l’hagio-
graphie. Les deux approches ne se mêlent pas toujours. Afin
40 Ali Boumendjel

d’évaluer la crédibilité du récit familial comme source en vue de


l’écriture d’une biographie, il s’agit de valider ou non les éléments
du récit, ou d’en mesurer la probabilité. Il s’agit également de
déterminer quelles sont les sources des informations dont ils
font état dans l’espoir de pouvoir les vérifier par moi-même. Or
l’origine de l’information est bien souvent oubliée ; le témoin
est décédé ou perdu de vue. Beaucoup d’informations émergent
fortuitement dans les moments de discussions amicales, une
fois que des relations plus personnelles se sont nouées au fil
des années.
J’avais ainsi été invitée à assister avec Malika et sa fille Dalila
à une représentation de la pièce La Question, d’après l’œuvre
d’Henri Alleg20. Dans l’obscurité de la salle, Malika bouillonnait à
toutes les phrases prononcées par l’acteur. Lorsque le personnage
d’Henri Alleg est soumis au « sérum de vérité », le penthotal,
elle murmura  : oui, c’est ça qu’ils ont fait à Ali. Le penthotal. Je
sursautai  : il n’avait jamais été question de cela durant nos
entretiens. Après la représentation, elle n’était plus très sûre
de qui lui avait fait savoir que le penthotal avait été utilisé
sur son mari, mentionnant vaguement le nom d’un collègue
avocat d’Ali, qui pourtant n’avait jamais été détenu au même
endroit que lui. Peut-être avait-elle tout simplement considéré
l’utilisation du sérum probable, cette supposition devenant, au
fil des années, certitude.
Mais, comme le fait remarquer Louis Massignon dans son
étude sur le martyr persan du Xe siècle al-Hallaj, l’hagiographie
ne se prête pas à ce jeu du vrai, du faux et du probable. À moins
que le faux ne devienne significatif d’un trait de l’hagiographie.

[C]e que j’ai bien compris, maintenant, c’est qu’il est vain
d’appliquer, dans un pareil cas, les règles de prudence
normalisatrice de la critique hagiographique […]. Procéder
à la « toilette » décente des « acta martyrum », les expurger
de leurs « énormités », reparties « trop topiques » aux juges,
séances de tortures « excessives », charismes manifestés
« inutilement », – c’est se refuser à comprendre que la vraie
sainteté est forcément démesurée, excentrique, anormale
Héroïsme et martyre en Algérie… 41

et choquante,  – c’est interdire à l’âme en quête de Dieu


de s’évader de la prison des « civilités honnêtes » et des
« convenances reçues », des « habitudes respectables »  : en
perçant le mur21.

Il ne s’agit pas non plus de discréditer le récit familial, qui


donne par ailleurs des informations dont certaines se révéleront
exactes. Pour l’heure, il s’agit de se concentrer, à l’intérieur du
récit, sur les variations par rapport aux faits établis pour répondre
à la question suivante : quelles sont les distorsions nécessaires et
suffisantes pour qu’un homme puisse être considéré comme un
héros dans la mémoire collective et dans le discours officiel ? La
question n’est donc pas de savoir si Ali Boumendjel s’est conduit
en héros, mais plutôt de savoir à quelles conditions l’image
très officielle du héros de la guerre de libération s’applique à
un militant, de s’interroger sur la construction du héros dans
le contexte politique de l’indépendance algérienne, et donc de
mesurer les contraintes qui pèsent sur la fabrication du récit
héroïque.
La caractéristique du roman familial des Boumendjel est de
conduire à des récits écrits qui méritent que l’on s’y attarde. Pour
l’historien positiviste à la recherche de faits avérés, corroborés
par des sources écrites, ces textes sont une calamité. Il s’agit en
effet de formes assez rares d’hagiographie élaborée à partir des
sources orales amassées, sélectionnées et mises en forme par une
famille anxieuse de voir son récit passer à la postérité historique.
Parmi les témoignages sur lesquels Malika Boumendjel et
son fils Sami ont construit leur récit, il est un texte qui prend
une place toute particulière. Dès nos premières rencontres en
septembre 2002, Malika Boumendjel évoqua le témoignage d’un
certain Hadj Amar Toubal, qu’elle avait rencontré, à Alger, en
1996. Elle me donna à lire un texte dactylographié dont l’élabo-
ration avait été complexe, intitulé simplement « Témoignage de
Hadj Amar Tobbal en mars 1996 sur Ali Boumendjel », et auquel
la notice nécrologique de Toubal avait été agraphée.
Lors de leur rencontre, elle était accompagnée de la nièce
d’Ali Boumendjel, Anissa Bouhadef, militante du Front des forces
42 Ali Boumendjel

socialistes, le FFS : ce parti, créé en 1963 par Hocine Aït-Ahmed,


l’un des principaux leaders du FLN durant la guerre pour l’indé-
pendance, avait été recréé après l’instauration du pluralisme
politique à la suite des émeutes de 1988 à Alger. Anissa Bouhadef
témoigne aujourd’hui qu’Amar Toubal avait été un officier de
l’ALN avant de devenir un cadre du FFS à l’indépendance22. Il
semble que l’homme ait souvent fait référence à Ali Boumendjel
au cours de ses interventions publiques, le citant en exemple
aux militants et sympathisants du parti, attirant ainsi l’attention
d’Anissa. La discussion fit l’objet d’un enregistrement aujourd’hui
disparu, mais, au sortir de l’entretien, Malika Boumendjel en
rédigea une trace écrite, à mi-chemin entre texte et notes, d’après
ses souvenirs. C’est cette trace qu’elle me donna à lire.
Ce texte, précisément parce qu’il a sa source dans les paroles
d’un militant dont on ne sait comment il a connu Boumendjel
– ni même s’il l’a connu –, mais qui fit de Boumendjel un modèle
de militantisme, une icône, justement parce qu’il a pu être inter-
polé par Malika, justement parce qu’elle se sert de lui pour justi-
fier par la suite son récit, constitue la matrice du roman familial.
Certains détails particulièrement improbables dans ce que
j’appellerai désormais le « récit de Toubal » sont significatifs.
Ils sont révélateurs – du fait de leur inexactitude même – de la
façon dont se construit une image héroïque et/ou sanctifiée en
Algérie après l’indépendance. Pour reprendre Louis Massignon, il
ne s’agit pas d’expurger le texte de ses erreurs, mais au contraire
de les prendre pour ce qu’elles sont, des façons de sanctifier le
personnage. Y est agraphé une notice nécrologique, découpée
d’un journal, sans précision de source, qui indique :

La famille Toubal, parents et alliés, d’Alger et de Larba Nath


Irathen a la douleur de faire part du décès de son cher et
regretté El Hadj Amar Toubal le jeudi 17/8/2000 à El Alia.
Que Dieu le tout-puissant lui accorde Sa Sainte Miséricorde
et l’accueille dans son vaste paradis.

Le texte mérite, malgré sa longueur, d’être cité dans son


intégralité.
Héroïsme et martyre en Algérie… 43

Témoignage de Hadj Amar TOBBAL en mars 1996


sur Ali BOUMENDJEL23.

Il a connu Ali Boumendjel en 1936. Il a milité avec lui de


1936 à 1938, à l’Étoile nord-africaine (ENA). Il rapporte que
Ali Boumendjel était considéré par ses compagnons, et par
tous les militants comme un homme sincère, qui donnait
tout pour le militantisme, pour l’Algérie, homme respecté,
serviable, posé, mesuré, beaucoup de modestie, de simplicité.
Il était très actif au sein de la Direction de l’ENA.
Il a essuyé de nombreuses brimades de la part des autorités
coloniales françaises, pendant cette période.
Lors de la dissolution de l’ENA, il adhère ensuite naturellement
au PPA. Il sera avec son frère Ahmed Boumendjel, l’avocat
de Messali Hadj. Sur le plan politique il était très écouté
par Messali Hadj.
Sur le plan du combat nationaliste, il a toujours été celui
qui faisait le plus pour rapprocher les points de vue, et les
idées entre tous, pour souder les rangs des nationalistes…
Au point que lors de la fondation de l’UDMA, les militants
de Ferhat Abbas et en particulier un membre du BP [bureau
politique], comme lui, Ahmed Francis, se demandaient à
haute voix où se situait Ali au PPA ou à l’UDMA ?… Tellement
l’union nationaliste lui tenait à cœur. Abbas répondait sans
équivoque que : « … Ali est là où se situent les bonnes actions
pour l’unité nationale… » il était un rassembleur.
« … Si avant la lutte de libération nationale, (la révolution),
l’UDMA s’est rapprochée du PPA/MTLD, c’est grâce à Ali… »
raconte Hadj Amar Tobbal.
Peu avant le déclenchement de la lutte armée, (la révolution),
en septembre ou octobre 1954, Hadj Amar Tobbal rencontre
Ali Boumendjel à Belcourt pour savoir où en étaient la
situation politique et les « préparatifs »… Car les gens
étaient au désespoir avec les problèmes et les frictions entre
les Messalistes et les Centralistes du MTLD 24… Ils étaient
au courant du travail des « groupes clandestins » (ex. OS)…
Ali a répondu  : « … Patientez, les choses avancent dans le
bon sens, et bientôt vous aurez de bonnes nouvelles… »
Dans cette période, Hadj Amar Tobbal, comme bien d’autres
militants de l’époque en Algérie, tenait à rencontrer Ali
44 Ali Boumendjel

Boumendjel car il était fort de sa réputation d’être un homme


honnête et intègre, et qu’ils le savaient tous au courant de
tous les problèmes parce qu’il était considéré comme la seule
personne œuvrant avec courage et énergie, pour espoir que
l’Algérie ne soit pas divisée. Ali Boumendjel était le passage
obligé.
Lorsque la lutte armée démarre, Hadj Amar Tobbal témoigne
qu’Ali Boumendjel était en contact avec Didouche Mourad,
et qu’à sa libération de prison Abbane Ramdane, (en
janvier 1955), a tenu à rencontrer Ali Boumendjel pour qu’il
lui fasse le point de la situation politique intérieure et qu’il
tenait à s’adjoindre le potentiel militant d’Ali Boumendjel.
Ce qu’il obtient en février  1955 jusqu’à leurs fins, en tant
que conseiller politique principal de Abbane. Il collabore
directement avec Abbane Ramdane à l’élaboration de la
Plateforme de la Soummam en 1956. Selon Hadj Amar
Tobbal, Ali Boumendjel était le militant préféré, celui sur
qui il comptait le plus sérieusement.
Hadj Amar Tobbal rappelle qu’Ali Boumendjel est le fondateur
et qu’il a eu la responsabilité du Collectif des Avocats du FLN
et qu’il a, entre autres libéraux français, recruté pour la cause
algérienne Maîtres Stibbe, Garçon Cachin.
Il rappelle aussi toute son action pour la Paix en Algérie, au
sein du Mouvement de Paix, dont il est l’un des fondateur
avec Marie et Frédéric Joliot-Curie et de son discours devant
le Congrès mondial de la Paix à Helsinki 1956 ; combien
son discours fut brillant et combien il eut de succès pour
l’Algérie et les nombreuses sympathies qu’il a su attirer pour
les Algériens sur le plan international.
À la fin de 1956, en novembre ou en décembre, il témoigne
qu’il y a eu une discussion entre Abbane Ramdane et lui
concernant le « départ de la Direction du FLN » d’Alger et
surtout de celle de Abbane trop exposé. Abbane pensait que
c’était Ali Boumendjel qui devait partir pour Tunis, et Ali
disait que c’était à Abbane de partir car plus responsable,
donc plus exposé que lui. (Appréciation personnelle de Hadj
Amar Tobbal)
Abbane quitta Alger et fut assassiné. Lui le théoricien de
l’État moderne algérien fut assassiné par les « siens » en
décembre 1957 à la suite de dissensions internes graves dans
Héroïsme et martyre en Algérie… 45

la lutte de libération nationale, ça c’est la vérité, et non pas


tel que écrit dans sa nécrologie par un Rédha Malek aux
ordres dans un éditorial le journal El Moudjahid d’avril 1958 :
« … est tombé en martyr les armes à la main à la frontière
algéro-marocaine face à l’armée coloniale française. »
Ali Boumendjel resta à Alger et fut assassiné.
Hadj Amar Tobbal rappelle tout le travail d’Ali pendant
la Bataille d’Alger, et surtout l’avocat de tous ceux qui
se faisaient arrêter, et qui disparaissaient. Il rappelle son
arrestation, les tortures endurées sous la question de Bigeard
et Jean-Paul Lamy ; (Érulin son tortionnaire). Le courage dans
le silence d’Ali, qui malgré tout ce qu’il a subi n’a pas dit
un mot et n’a pas dévoilé un secret… et la mort d’Ali dans
les conditions atroces que l’on connaît.
On sait comment sa mort a été accueillie à Paris, par nombre
de Français, en particulier son professeur de droit M.  René
Capitant dont il avait été l’élève le plus brillant, qui a
interrompu ses cours à la Sorbonne à l’annonce du décès
tragique de son élève. Par Vercors grand résistant français
compagnon de la libération du général De Gaulle, qui a
rendu sur-le-champ et sans hésitation sa Légion d’honneur
et d’autres forts témoignages.
Hadj Amar Tobbal pense que d’autres compagnons algériens
pourraient apporter d’autres témoignages, l’ayant bien connu
comme : Cheïkh Larbi Khiar Abderrahmane Kiouane Maître
Bouzida Si Djijali Mohamed Ait Idir –  Aibouche  – Mohand
Akli – Cheïkh Lahbib (à vérifier).

Le récit de Toubal révèle le désir d’histoire de la famille


Boumendjel. La démarche même de produire les traces de l’entre-
tien (sous la forme de l’enregistrement aujourd’hui perdu et
des notes) et certaines annotations témoignent d’une volonté
d’accumuler et de vérifier les informations : les noms par lesquels
se termine le texte constituent une liste de personnalités suscep-
tibles d’informer sur les activités militantes de Boumendjel. Le
souci d’historicité se lit également dans le geste d’agrafer au texte
la notice nécrologique d’Amar Toubal, comme pour justifier de
sa réalité et de son identité, et distinguer ainsi le témoignage
de la rumeur.
46 Ali Boumendjel

Dans ce récit de Toubal, Ali Boumendjel est paré de toutes les


qualités du militant vertueux : il est dévoué, humble et le texte
décline également par une série de qualificatifs la sincérité de son
engagement, lequel se situe toujours du côté de l’union. Il travaille
inlassablement au rassemblement des nationalistes au point que
ses proches ne savent où le classer ; il a donc le mérite de s’élever
au-dessus des luttes stériles entre les factions du nationalisme.
Le récit est articulé autour de la personnalité d’Abbane
Ramdane, le lien entre Abbane et Boumendjel étant présenté
comme une relation privilégiée, à la tête du FLN « de l’inté-
rieur ». Le document fait de cette relation l’origine du projet
politique du Front formulé dans la plateforme de la Soummam.
Pour comprendre le sens de cette construction, il faut rappeler
que la figure d’Abbane est devenue le symbole de l’élaboration
politique du FLN, parce qu’il fut notamment l’organisateur du
congrès de la Soummam de 1956, dont la plateforme est l’un
des textes fondateurs de la révolution algérienne. Liquidé par
ses collègues du Comité de coordination et d’exécution du FLN,
il est également devenu pour l’opposition le symbole de l’idéal
politique du FLN, de la pureté de l’idéal révolutionnaire trahi
par les militaires au pouvoir. Or donc, Ali Boumendjel aurait été
très proche d’Abbane, au point d’avoir participé à la rédaction
de ce document fondateur. C’est une autre vertu de Boumendjel
qui lui permet d’endosser ce rôle. L’homme est aussi un intel-
lectuel  : élève le plus brillant de René Capitant (professeur de
droit et ministre du GPRF) ; il a été un orateur remarqué au
Congrès mondial de la paix. Le « militant préféré » d’Abbane
informe, soutient et participe à cette élaboration intellectuelle
qui, au bout du compte, échoue. Abbane est le chef politique,
Boumendjel son lieutenant. Et tous deux ont en commun d’avoir
été vaincus, l’un assassiné par les représentants de la puissance
coloniale, l’autre par les siens. C’est le point sur lequel le récit
de Toubal est le plus visiblement subversif, dans la mesure où la
mort d’Abbane est toujours officiellement attribuée à l’ennemi
colonialiste. Boumendjel incarne donc, avec Abbane, le projet
politique perdu du FLN, le contenu idéologique manquant,
victime à la fois de l’ennemi et des siens.
Héroïsme et martyre en Algérie… 47

En faisant de Boumendjel un modèle de militant nationaliste,


en mettant en avant ses vertus et sa qualité d’intellectuel et
d’orateur, et en plaçant le duo Abbane-Boumendjel au centre,
le récit souligne les crimes du FLN, et ses manquements : il dit
le vide politique, après l’indépendance ; l’exclusion ou la liqui-
dation physique des penseurs du mouvement national. Il corres-
pond en cela au positionnement du FFS, dont Toubal fait partie,
et participe de la critique d’un FLN ayant d’abord créé l’unité
avant de trahir la révolution. À des niveaux différents, Abbane
et Boumendjel sont donnés en modèles et leur parcours sont
racontés comme ceux de martyrs non seulement du colonialisme
mais du FLN lui-même.
Le parallélisme entre les formes du martyrologe religieux et
politique saute d’ailleurs aux yeux dès l’entame du texte de
Toubal. En passant à l’écrit, Malika Boumendjel tenta de recréer
une chaîne de transmission légitime de l’information, un isnad
rappelant les textes de la sunna, dont la validité est mesurable
en fonction de la brièveté de la chaîne de transmission et de
la proximité du premier témoin avec le prophète. Sans pouvoir
dire précisément qui était Toubal, elle affirme dans son texte
qu’il est en mesure de témoigner directement  : il a connu Ali
Boumendjel… Il a milité avec lui.
Quoique subversif dans sa critique du FLN, le texte reprend
dans ses approximations et ses erreurs mêmes les jalons du
roman national. Ainsi, l’appartenance d’Ali Boumendjel à l’Étoile
nord-africaine est improbable pour diverses raisons : le mouve-
ment fut fondé dans l’émigration algérienne en France métro-
politaine et ses ramifications en Algérie furent réduites ; d’autre
part, à la date de la fondation de l’ENA, Ali Boumendjel avait…
7 ans, et 17 ans en 1936, date mentionnée par le texte. Qu’il ait
été très actif au sein de la direction de l’ENA est donc invraisem-
blable. Néanmoins, on a dit le rôle fondateur de l’ENA dans la
mythologie nationaliste  : avoir été actif dans ce mouvement,
et même compter parmi ses animateurs place notre héros à
l’origine même du « continuum magique ». De la même façon,
on retrouve dans le récit de Toubal, l’appartenance au parti père
du nationalisme, le PPA – une appartenance constamment mise
48 Ali Boumendjel

en avant par la famille au cours de tous nos entretiens. Elle se


retrouve d’ailleurs dans la brochure éditée par le ministère des
Anciens Moudjahidine qui passe très vite sur la relation avec
Abbane sans bien sûr évoquer son assassinat par la direction
du FLN25.
La proximité avec Messali mise en avant dans le récit de
Toubal est en revanche plus complexe à analyser dans la mesure
où Messali lui-même devint, après 1954, l’ennemi du FLN et la
figure la plus complètement occultée de l’histoire contemporaine
du pays. D’un point de vue purement factuel, l’interpolation
s’explique aisément : on redira qu’Ahmed Boumendjel, le frère
aîné d’Ali, a été l’avocat de Messali pour la première fois en 1938,
sans pour autant adhérer au PPA. Ali, lui, n’a, semble-t-il, jamais
adhéré au PPA, mais, surtout, il ne pouvait pas être l’avocat de
Messali à cette date pour la bonne et simple raison qu’il était,
encore une fois, beaucoup trop jeune. Quant à l’idée qu’un
jeune homme de 19 ans ait pu être un conseiller très écouté de
Messali, elle n’est guère crédible. Alors pourquoi insister ainsi
sur la proximité des deux hommes ? Le FFS, fondé en 1963, est
un parti d’opposition ; de même, la famille Boumendjel se situe,
dans une certaine mesure, dans la contestation du régime FLN,
une contestation qui passe par la revendication, aux côtés de
figures consensuelles du mouvement national, du personnage
occulté de Messali considéré comme le père du nationalisme
avec lequel notre héros aurait donc eu une relation privilégiée.
Là encore, on n’est guère étonné que la brochure du ministère
des Anciens Moudjahidine ne mentionne guère Messali.
Durant la décennie des partis politiques qui sépare la Seconde
Guerre mondiale de la guerre d’indépendance et durant lequelle
les trois partis représentant la population colonisée s’allient ou
se concurrencent tour à tour, la question de l’unité des nationa-
listes avait été centrale26 : malgré les engagements militants et les
identités partisanes fortes, une véritable mystique de l’union se
développa et, selon un processus connu dans les pays européens,
les partis furent accusés de fractionner et d’affaiblir la popula-
tion. « Ali est là où se situent les bonnes actions pour l’unité
nationale. » Être au cœur de l’effort unificateur, au delà des
Héroïsme et martyre en Algérie… 49

identités partisanes, c’est donc être l’homme du bon combat et


l’on entend la dimension quasi religieuse de la phrase prêtée à
Ferhat Abbas formulée en termes de bonnes actions pour l’unité
– au risque ne n’être par reconnu par les siens.
Le passage du récit de Toubal faisant état de la relation avec
Didouche Mourad, qui place Boumendjel au cœur même du
FLN, appelle plusieurs remarques sur son caractère mytholo-
gique  : Didouche Mourad fait partie des six hommes du FLN
du 1er  novembre 1954, c’est-à-dire de l’insurrection (combien
de témoins disent simplement le Déclenchement !). Sa mort, en
1955, lui permit d’accéder très rapidement au rang de héros et
de martyr. Avec Didouche, l’on est donc au contact de l’ori-
gine mythique de la révolution ; avec Abbane, on est dans l’éla-
boration politique du FLN. Sa relation avec Abbane aurait été
si importante, selon le texte, que Boumendjel aurait été son
militant préféré, et l’on entend presque le disciple préféré. Tout se
passe comme si la proximité des grands hommes avait conféré à
Boumendjel une qualité analogue à baraka du wali ou du cheikh
(du saint), qualité qui lui confère légitimité politique et prestige.
Cette similitude avec un récit religieux est renforcée par la
dimension quasi prophétique attribuée ici, comme dans bien
d’autres récits et témoignages, au 1er novembre 1954, un événe-
ment attendu par la population et dont Boumendjel se fait
l’annonciateur, au sens évangélique du terme : bientôt vous aurez
de bonnes nouvelles. La référence aux « préparatifs », la représen-
tation d’une population qui vit dans l’attente du déclenchement
est un topos dans maints témoignages, nombre d’acteurs issus
de la population colonisée minimisant la surprise que l’insurrec-
tion a pu susciter chez eux. Il en résulte l’image d’une adhésion
instantanée, sinon par anticipation, au FLN.
Le récit de Toubal est étonnant par son caractère hybride.
L’on y retrouve à la fois des éléments de l’histoire dominante,
en particulier la généalogie mythique du mouvement national
et l’unanimisme nationaliste, et des éléments qui en font un
texte de contestation du FLN. Contestation du FFS, avec le choix
par Toubal de faire de Boumendjel un modèle ; contestation
également au sein de la famille Boumendjel. Boumendjel est-il
50 Ali Boumendjel

donc un héros et un martyr subversif ? La référence à Messali,


si elle est vraisemblablement apocryphe, et l’insistance sur le
lien avec Abbane Ramdane pourraient le faire penser. Pourtant
les différences sont limitées avec la brochure du ministère des
Anciens Moudjahidine. Limitées mais significatives. Les deux
textes, le récit de Toubal et la brochure ont en commun d’avoir
une tonalité nettement hagiographique et de présenter de ce
fait une seconde hybridité  : ils mêlent en effet les formes de
légitimité fondées sur l’imaginaire laïc et révolutionnaire du
FLN à une légitimité de type religieux. Cet entremêlement
résulte-t-il du contexte des années  1990 et de la montée de
l’islamisme ? On verrait alors les courants politiques, y compris
les plus laïcs comme le FFS, développer les argumentaires fondés
sur un imaginaire religieux, comme pour combattre l’islamisme
sur son propre terrain. Toutefois, et à défaut d’étude permettant
d’historiciser la construction des héros et des martyrs, on ne
peut écarter l’hypothèse que ce type d’argumentaire ait eu, dès
l’indépendance, une dimension de sanctification de la révolution
et de l’engagement politique. L’un et l’autre document consti-
tuent les formes les plus abouties de récit de martyre, tous deux
ayant un but d’édification.
Le martyre et son récit permettent ainsi de réunir un destin
individuel qui s’achève dans la souffrance, l’humiliation et la
mort, et un destin collectif et national. Comme le remarque
Pénélope Larzillière, le shahid fusionne les deux dans sa propre
mort27. La quête de Malika Boumendjel et la construction du
martyrologe n’est pas une vulgaire quête de gloire mais une
tentative, par l’inscription dans une narration nationale, de
donner du sens à une détention et une mort, dont, bien souvent,
elle évoque à mots couverts combien la dimension corporelle
et charnelle lui est insupportable. Ces récits, on le verra, sont
rarement un moyen d’arriver à l’histoire du martyre ; ils sont
cependant la trace du cheminement de deuil des acteurs.
2
Du fils de l’instituteur kabyle
à l’avocat algérien (1919-1943)

A li Boumendjel naît le 24  mai 1919 à Relizane,


dans l’Oranie, bien loin de la Kabylie d’origine
de ses parents. Quatre-vingt-dix ans après le début de la conquête
française, il voit le jour dans une Algérie qui connaît des change-
ments en profondeur. L’émergence d’un groupe social issu de
l’école française initie une lente mais puissante transformation
du rapport colonial, et le parcours de sa famille s’inscrit dans
cette évolution.
La politique, lancée en 1883, visant à appliquer en Algérie
la scolarisation de l’ensemble des enfants avec les mêmes
programmes qu’en métropole, s’était heurtée jusque-là à un
véritable « refus scolaire », une résistance de la population, sous
la forme d’un boycott. À partir de 1920-1922, l’attitude de la
population dans son ensemble s’est modifiée dans le sens d’une
acceptation de l’école française, puis d’une revendication d’ins-
truction, permettant à un petit nombre d’enfants colonisés d’y
faire leurs études1. Dès lors, ce qui empêchait le développement
de la scolarisation de ces enfants, ce n’était plus le refus de leurs
parents, mais davantage le manque d’écoles, lié à la politique
de l’administration française.
Dans le même temps, la relation des lettrés et des hommes
politiques issus de la population colonisée à la puissance
coloniale se modifiait. Face aux réformes de 1919, qui accor-
daient la naturalisation à des catégories choisies de « musul-
mans2 » sous réserve de l’abandon du statut personnel musulman,
le mouvement Jeune Algérien se divisa. Ces intellectuels issus
de la population colonisée commençaient à écouter les voix
qui provenaient de l’Orient arabe et musulman et parlaient de
52 Ali Boumendjel

réveil et de réformes. L’émergence d’un courant dans la pensée


puis dans la littérature arabe du Machreq. Derrière des journa-
listes comme Lutfi al-Sayyid, les questions de la langue arabe,
de ses usages et de son développement sont posées3. Qualifié
parfois de renaissance, de réveil ou de renouveau, de Nahda,
ce mouvement créa un « pôle d’attraction4 » qui concurrençait
l’influence française au moment même où celle-ci n’était plus
systématiquement refusée dans les écoles. L’existence de cette
double référence devint une donnée essentielle de l’évolution
de la vie politique « indigène » en Algérie.
Les sœurs d’Ali Boumendjel, Ghenima, Aziza et Louisa,
donnent une vision intime de la vie d’une famille de cette
minorité qui eut accès à l’école française, réussit et joua aussi
– malgré sa faiblesse numérique – un rôle politique considérable.
Le contenu comme les circonstances de chacune des rencontres
menées à l’occasion de ce travail biographique sont révélateurs
du parcours de la famille sur plusieurs générations. Évoquant
leurs parents et leurs grands-parents, les trois sœurs inscrivent
les itinéraires de leurs frères dans le parcours plus long d’une
famille qui, en trois générations, était passée de l’exploitation
de la terre en Kabylie à l’exercice de la profession d’avocat puis
à la participation au gouvernement de l’Algérie indépendante.
Les conditions des entretiens sont également significatives du
devenir de la génération qui suit celle d’Ali Boumendjel et
permettent de voir l’histoire familiale dans la longue durée.
Un jour de septembre  2002, j’étais ainsi accueillie par la
sœur aînée d’Ali Boumendjel, Ghenima Aït Khaled chez sa
fille, Louisette, médecin à la retraite. Les deux femmes, toutes
deux veuves, vivaient ensemble dans un appartement parisien.
Ghenima, une femme grande et massive, se déplaçait avec diffi-
culté jusqu’à la cuisine pour y préparer du thé et une assiette
de biscuits secs. Le malaise était palpable  : l’accueil était poli
mais froid. L’installation de mon carnet de notes et de mon
magnétophone, dont elle accepta l’usage, sembla ajouter à sa
raideur. Ses réponses à mes interrogations étaient brèves, souvent
monosyllabiques et je voyais ma liste de questions défiler sans
avoir jamais l’impression d’entrer en communication avec elle.
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 53

Dès la première question concernant directement son frère Ali,


elle se mit à pleurer, trahissant, outre l’émotion à l’égard d’un
frère tragiquement disparu, l’appréhension que lui avait causée
la perspective de notre entretien. Elle s’était manifestement
inquiétée depuis l’appel de sa belle-sœur Malika Boumendjel, la
veuve d’Ali, lui annonçant ma venue. L’émotion était tout aussi
forte lorsqu’il s’est agi du frère aîné de la famille, Ahmed, disparu
dans les années quatre-vingt. J’espérais que ces larmes pourraient
l’apaiser et donner un tour plus serein à notre conversation. Son
insistance à m’offrir de nouveaux petits gâteaux lui évitait de
finir ses phrases. Je n’ai rien à dire, je ne sais plus, c’est tellement
loin tout ça, il vaut mieux oublier, ne cessait-elle de répéter. C’est
seulement en remontant en arrière, pour parler plus générale-
ment de sa famille, qu’elle s’est livrée davantage, sans jamais se
départir de sa carapace. Les rencontres avec deux autres sœurs
d’Ali Boumendjel, Aziza Aït Si Selmi et Louisa Amrane, –  qui
se sont déroulées selon des modalités similaires – ont confirmé
cette grande réticence à parler directement de leurs deux frères
disparus, Ali et Ahmed.
Pour la première fois, j’avais l’impression de rencontrer une
famille meurtrie, non par un seul drame, mais par plusieurs, et
fragilisée par la disparition de l’un de ses piliers.

Le parcours d’une famille de Kabylie


Du paysan de Kabylie à l’instituteur
de l’école française
Le grand-père paysan. –  C’est la seconde fille de la
famille, Aziza, sœur aînée d’Ali Boumendjel, qui en dit le plus
sur l’histoire de la famille. Comme Ghenima, elle me reçoit
chez son fils, un employé de l’UNESCO à la retraite, à Paris, à
l’occasion d’une visite qu’elle lui rend, puisqu’elle vit à Alger.
Elle est seule à la maison et comme Ghenima, elle est très tendue
et verse des larmes dès la première évocation de son frère. En
revanche, autour d’un thé et de biscuits, elle est plus à l’aise
pour détourner la conversation des sujets gênants, se montrant
54 Ali Boumendjel

bavarde sur des sujets inoffensifs. Très proche de son grand-père


paternel, c’est de sa bouche qu’elle avait appris l’histoire de sa
famille et du mariage de ses parents  : « C’est mon grand-père
paternel qui me le racontait. J’étais près de mon grand-père.
Il vivait chez nous. Et moi je suis restée très longtemps chez
mes parents. […] Il a toujours vécu chez nous, jusqu’à l’âge de
105 ans 5. » En évoquant le berceau de la famille, en Grande
Kabylie, et la jeunesse de ses parents, elle se sent manifestement
plus en confiance.
Elle me raconte que le père d’Ali, Mohand Boumendjel, est né
dans le douar – le hameau – des Beni Menguellet dans le village
de Taourirt Menguellet, à un kilomètre seulement de Michelet
(aujourd’hui Aïn el-Hammam). Sa mère, Kelthoum Yacine était
originaire de Taourirt el-Hadjadj dans le douar des Beni Yenni,
tout près de Fort-National (Larba Nath Irathen). Aux dires du
grand-père lui-même, son mariage avec Mohand constituait pour
Kelthoum une mésalliance :

Chez les Beni Menguellet, ils étaient paysans […]. Les Beni
Yenni étaient beaucoup plus évolués […]. Ça c’est mon
grand-père paternel qui me l’avait raconté.

Et Aziza insiste sur l’avance des Beni Yenni dans le domaine


de l’éducation :

C’est un vent qui a soufflé dans le douar des Beni Yenni.


C’étaient les plus instruits à l’époque. Les autres douars
kabyles, c’étaient des ignorants complètement. L’idée d’aller
à l’école ne leur venait même pas. Chez les Beni Yenni, si.
C’était frappant. Les plus instruits, c’étaient eux. Le plus
grand nombre d’instituteurs, c’étaient chez eux. Et ceux qui
par la suite poussaient leurs études beaucoup plus loin, c’était
encore eux. Longtemps, pendant des années, c’étaient eux.

Il est vrai que les Beni Yenni étaient, en 1914, le douar le plus
scolarisé d’Algérie avec une école indigène par village6. L’union
d’une de leurs filles avec un homme des Beni Menguellet était
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 55

donc une stratégie matrimoniale improbable à l’époque. Deux


éléments sont intervenus ici pour changer la donne, de manière
à rendre possible le mariage : d’abord, Kelthoum avait dépassé
l’âge habituel du mariage pour une jeune femme, car il semble
qu’elle avait été promise à un autre, sans que ce mariage puisse
se faire  : « Et c’était un scandale que mon père ait épousé ma
mère. En principe, les parents de mon père auraient dû refuser
ma mère », dit Aziza. D’autre part, bien qu’originaire des Beni
Menguellet, Mohand Boumendjel était instituteur. « Elle était
pas mal tombée sur un instituteur, elle aurait pu tomber sur un
fellah [un paysan]… », ajoute-t-elle encore. De mésalliance, ce
mariage avec un homme des Beni Menguellet devenait, pour
une femme menacée de rester célibataire, une opportunité. Dans
la bouche de sa fille, elle n’était pas mal tombée. Quant à lui,
ses études et son métier lui permettaient de prétendre à un
mariage avantageux parmi les Beni Yenni. L’école française avait
donc modifié les stratégies matrimoniales et le jeu des alliances
à la fois à l’échelle régionale –  en jouant sur les réputations
des douars et les niveaux d’études  – et à l’échelle individuelle
en offrant des opportunités nouvelles à des individus qui en
auraient été privés.
C’est donc la famille de Mohand Boumendjel qui franchit
le seuil de l’école française. Mais qu’est-ce qui pouvait pousser
un père à envoyer son fils à l’école, dès les années  1890, à un
moment où ce geste est encore considéré comme particulière-
ment transgressif ?
Les sœurs d’Ali, toutes, avaient insisté, en évoquant leurs
grands-parents, sur leur vie austère et dure, caractéristique
des paysans de la fin du XIXe  siècle. Certes le père de Mohand
Boumendjel était un paysan, mais Amar Naroun, dans son texte
consacré à Ahmed Boumendjel, le frère d’Ali, le décrit plutôt
comme un paysan aisé et considéré7. Naroun, le futur adver-
saire politique des Boumendjel, était également né en Grande
Kabylie en 1907 et il est donc de la même génération qu’Ahmed.
Selon lui, le grand-père d’Ali possédait des terres, sans qu’il soit
possible d’en déterminer la superficie. Ce que les sœurs mettaient
donc en avant, plus que la richesse ou la pauvreté de leurs
56 Ali Boumendjel

grands-parents, c’est le profond contraste avec le mode de vie de


leurs parents, et la distance – géographique, culturelle, sociale –
d’une génération à l’autre.
Au cours de l’entretien, c’est en évoquant son grand-père – le
père de Mohand – qu’Aziza s’anime le plus. Elle en dessine un
saisissant portrait, teinté de l’affection qu’elle avait pour lui :

Je l’aimais bien. Un pince-sans-rire d’une intelligence


extraordinaire. C’était un genre de télé pour nous. Il nous
disait « ah, aujourd’hui, je vais vous raconter une histoire ».
Tous les gosses s’agglutinaient autour de son lit. On se mettait
tout autour de son lit pour l’écouter. Il était merveilleux. Il
parlait un arabe extraordinaire. Il récitait de la poésie arabe
pendant des heures. Il racontait des contes des Mille et Une
Nuits. Des poésies en vers qu’il racontait de mémoire. Parce
qu’il a beaucoup vécu en Tunisie. Il avait emmené mon
père en Tunisie.

Comme nombre des fils de Menguellet, Mohand Boumendjel


a donc partagé avec son père une période d’émigration, non
pour la France, mais pour la Tunisie. Pour les Kabyles, la Tunisie
constituait souvent une étape dans leur parcours migratoire. Il
pouvait s’agir d’une migration de court terme ou d’une halte en
attendant la migration vers la France. De façon plus générale,
dès l’époque de l’Empire ottoman, Tunis abritait une commu-
nauté algérienne importante et variée, comme le rappelle James
McDougall8. Depuis de début de la colonisation, les étudiants
arabophones venus d’Algérie sont nombreux9, mais on y vient
aussi pour trouver du travail. Cette migration était familiale,
comme dans le cas de la famille des poètes Jean et Taos
Amrouche10, ou masculine seulement, comme dans le cas du
grand-père Boumendjel. Celui-ci est resté en Tunisie plusieurs
mois, peut-être plusieurs années, en compagnie de son fils aîné
Mohand, laissant à sa femme la charge de la maison et de la
ferme. Quelle était alors son activité ? Personne n’en a gardé,
aujourd’hui, le souvenir. Interrogée sur le métier de paysan de
son grand-père, Aziza ironise :
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 57

Oh non, je me demande même s’il l’a été un seul jour. C’était


un grand joueur de dominos. Il était souvent à Michelet. Je
crois bien qu’il n’a pas été souvent paysan. C’était surtout
ma grand-mère qui faisait le travail de paysan. C’est à la suite
je crois d’une dispute avec ma grand-mère, il s’est sauvé en
Tunisie, en amenant son fils aîné qui était très attaché à sa
mère. Pour la punir un peu, il a pris le fils et il est parti en
Tunisie. Longtemps.

Une fois revenu en Algérie, le grand-père n’hésite pas à vivre


de façon quasi permanente chez ses fils qui ont quitté la région,
laissant, une nouvelle fois, sa femme en charge de l’exploitation.
L’absence des hommes dans les milieux paysans kabyles était
fréquente  : « Oui puisqu’ils partaient en France pendant des
années, affirme-t-elle. Ils revenaient, ils ne connaissaient même
pas leurs grands enfants. » Elle se lit dans les œuvres littéraires :
le père du héros de Mouloud Feraoun, dans son roman Le Fils
du pauvre11, est contraint de quitter son village à la suite d’une
longue maladie qui l’a obligé à s’endetter. Est-ce par néces-
sité que le grand-père Boumendjel a émigré ? Le récit familial
rapporté par les sœurs d’Ali ne le dit pas. Elles ne conservent
de lui que l’image fascinante d’un personnage haut en couleurs
et la légende de son extraordinaire verve.

Le père instituteur. – Au sujet de l’enfance de leur père, chacune


des sœurs connaît quelques anecdotes. Aziza, la plus proche de
son grand-père, se souvient que les deux hommes avaient été en
Tunisie ensemble. Louisa Amrane, la jeune sœur d’Ali, la plus à
l’aise au cours de notre rencontre, retrouve les détails au fur et
à mesure. Elle m’a accueillie dans l’appartement de la banlieue
parisienne qu’elle partage avec son mari, ayant arrangé que sa
fille Fadila, psychologue, soit présente. C’est vers elle qu’elle se
tourne pour raconter les histoires les plus cocasses : « Mon père
n’avait jamais été en France », affirme-t-elle. Puis elle se reprend :
« Si, il avait été en France, il venait d’être mordu par un chien
enragé. Il fallait le sauver. Mais il avait 10 ou 11 ans et ne s’en
souvenait même plus. »
58 Ali Boumendjel

C’est elle qui me révèle un détail que ses sœurs aînées semblent
ignorer : « Mon père était l’élève des Pères Blancs. Comme mon
mari, qui n’a jamais senti qu’ils voulaient le convertir. » Ainsi,
non seulement le père d’Ali a suivi une éducation dans une école
française, mais cette école est en fait l’école confessionnelle des
prêtres missionnaires. La société des Pères Blancs avait été fondée
en 1868 par le cardinal Charles Lavigerie, et ses écoles étaient
particulièrement bien implantées en Kabylie12. Et sa fille Louisa
a épousé un homme fondu dans le même moule.
À la question de savoir pourquoi leur père était finalement
devenu instituteur, c’est encore Aziza qui, grâce à ses conversa-
tions avec son grand-père, est en mesure de répondre :

Ça, c’est une question de mon grand-père. Ça, c’est mon


grand-père lui-même qui me l’a dit. Il voulait faire de son
fils un cadi. Il a demandé quelles sont les études les plus
courtes, être cadi ou être instituteur ? On lui a répondu,
c’est pour être instituteur que les études sont plus rapides. Et
c’est comme ça qu’il a choisi pour son fils, mon père, d’être
instituteur. Il voulait qu’il fasse quelque chose de rapide pour
subvenir aux besoins de la famille, car mon grand-père était
un peu serré. Il avait un grand nombre d’enfants et c’était
un petit peu difficile pour lui de subvenir aux besoins de
sa grande famille.

Selon son récit, c’est donc la nécessité de faire vivre sa famille


qui l’aurait conduit à pousser son fils Mohand dans cette voie et
à l’envoyer à l’école normale de Bouzarea, ce qui signifie qu’il
doit quitter la maison familiale pour être pensionnaire dans la
petite ville proche de la capitale.
Mohand Boumendjel n’est pas le seul à suivre ce chemine-
ment. Diverses autobiographies et fictions décrivent le même
type d’expérience, avec d’éventuels décalages chronologiques,
et montrent les processus à l’œuvre dans les phénomènes de
mobilité sociale ou d’acculturation. Ces parcours sont autant
d’exemples de bouleversements sociaux et culturels en l’espace
d’une génération. L’itinéraire de Mohand Boumendjel, né vers
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 59

1888, est à rapprocher, par exemple, de celui de l’écrivain


Mouloud Feraoun, né en 1913, à Tizi Hibel, dans la commune
mixte de Fort-National, en Kabylie. Feraoun, élevé dans une
famille de cultivateurs, élève de l’école primaire de son village,
partit pour Tizi-Ouzou poursuivre ses études avant d’être reçu
à l’école normale de Bouzarea pour devenir instituteur. C’est
ce même parcours qu’il fait suivre à son personnage, Le Fils du
pauvre, créé en 195413. Quant à Fadhma Aïth Mansour Amrouche,
née en 1882 et mère des écrivains Taos et Jean Amrouche, elle
fait, comme Mohand Boumendjel, la rencontre des Pères Blancs
par le biais de leur enseignement14. Cette rencontre se solde
pour elle par la conversion au christianisme et une ouverture
sur la culture de l’écrit.
Le contexte de l’entrée de Mohand Boumendjel à l’école est
néanmoins encore celui du refus scolaire qui voit l’essentiel de
la population boycotter l’école française, au risque de priver leurs
enfants de toute forme d’éducation, et ce, même en Kabylie où
le nombre d’écoles est pourtant plus élevé 15. Envoyer son fils
suivre l’enseignement des Pères Blancs –  même pour subvenir
aux besoins de la famille, comme dit le récit familial rapporté
par Aziza  – demeure une transgression majeure. L’histoire de
Fadhma Amrouche est, à cet égard, très révélatrice  : dans son
cas, l’entrée dans l’école chrétienne était liée à une position
marginale dans la société du fait de sa naissance hors mariage.
Sa mère avait choisi, pour la protéger de l’ostracisme dont elle
faisait l’objet, de l’exclure de son milieu familial en la confiant à
l’école des Français. Ce faisant, elle rendait définitive la rupture
avec la communauté villageoise d’une enfant qui ne pouvait de
toutes les façons y être intégrée, avec l’idée de saisir une oppor-
tunité inespérée. Son exemple rappelle le coût que peut avoir
pour cette génération la fréquentation de l’école française, en
même temps que les possibilités qu’elle peut offrir à ceux qui
n’ont plus rien à perdre16.
Comment s’est déroulée cette étape pour Mohand
Boumendjel ? Son père avait-il une assise sociale suffisante pour
lui permettre de franchir sans dommage les portes de l’école
française ? L’histoire familiale ne dit rien de plus sur les circons-
60 Ali Boumendjel

tances qui l’ont poussé à envoyer tous ses fils à l’école française
et à faire de chacun d’eux des fonctionnaires.
Dans le parcours d’ascension sociale d’une famille, qu’il
s’agisse des Boumendjel ou des Amrouche, parcours qui la place
au cœur des transformations sociales et politiques de l’Algérie,
l’entrée à l’école chrétienne constitue un tournant. Pour Le Fils
du pauvre, Fouroulou Menrad, l’entrée à l’école publique est le
moment-clé de sa vie. On voit d’ailleurs le personnage comparer
sa vie avec la vie de berger qu’il aurait eue s’il n’était jamais
allé à l’école :

Il était heureux et il bénissait Dieu. S’il ne pensa pas


longuement à son jeune frère, à ses sœurs, à ses parents, il
se rappela, toutefois son ami d’enfance, Akli, qui était resté
berger dans la montagne. Alors que lui, Menrad17…

Il y a indéniablement dans l’entrée à l’école républicaine,


comme dans l’entrée dans celle des Pères Blancs, une expérience
fondatrice qui place un individu, et avec lui une famille, dans un
processus de transformation sociale. Le processus d’acculturation
se caractérise par l’ouverture sur un univers nouveau et exaltant,
souvent décrit comme un monde de savoir, de pensée et de
liberté. En contrepartie, peuvent se perdre des savoirs ancestraux
et l’accès à l’ancienne langue de la culture, l’arabe classique. La
coupure se manifeste fréquemment par la difficulté de commu-
niquer avec la famille, et en particulier avec la mère, pour tout
ce qui concerne le monde de l’école et du savoir scolaire.
La mise en parallèle des parcours des différentes familles fait
apparaître un effet de génération  : la première génération est
celle qui franchit la barrière symbolique de l’école française,
publique ou confessionnelle. C’est la génération de Mohand
Boumendjel, de Mouloud Feraoun, de Fadhma Amrouche dont
l’expérience fondatrice lance l’ascension sociale de leurs familles.
Mais dans le contexte colonial, l’école n’a pas pour seul effet de
permettre de gravir les échelons : elle modifie profondément la
relation de la famille à la culture d’origine, ainsi que la relation
avec la culture dominante ; elle conduit bien souvent à un dépla-
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 61

cement géographique et à des sociabilités nouvelles. Cela fait de


la génération suivante, celle d’Ali et Ahmed Boumendjel, celle
aussi de Jean et Taos Amrouche – les petits-enfants du pauvre, si
l’on veut –, une génération dont le parcours doit se comprendre
à la lumière de cette transgression déjà commise par leurs parents
(généralement par leur père, Fadhma Amrouche demeurant une
exception).
Or, Mohand fait partie des rares qui, à son époque, font ainsi
connaître au mode de vie conventionnel des variations rapides :
sa réussite scolaire puis son statut de fonctionnaire sont liés
à une sociabilité originale et occasionnent des déplacements
d’un type nouveau, créant avec eux des relations d’entraide
économique et des liens affectifs nouveaux entre les parents
et les enfants.

Une famille en mouvement


Mohand a donc réussi une belle union, il est
instituteur, et ce métier implique une migration d’un type
nouveau : non plus l’habituelle migration de court terme – vers
le Constantinois, la Tunisie ou même la France  –, mais une
migration de longue durée pour l’ensemble de la petite cellule
familiale.
C’est Ghenima, l’aînée des sœurs, qui fait la liste des postes
tenus par son père et des naissances des enfants. Après la
naissance de son fils aîné, Ahmed, en 1908 à Michelet-Aïn
el Hammam, Mohand prend son premier poste dans le Sud
(1910)  : c’est là que naît Ghenima. Le départ de la Kabylie de
Mohand et Kelthoum constitue une coupure avec leurs parents
restés sur leurs terres et occasionne l’installation séparée d’un
noyau familial réduit, composé seulement des parents et de
leurs enfants. Après le Sud, Mohand prend son second poste
dans l’Ouest, à Relizane, vers 1912  : il y reste une douzaine
d’années, et c’est là que naissent deux filles, Djouher et Aziza,
puis le deuxième fils, Ali. Enfin, la famille s’installe à Larba, à
proximité d’Alger, vers 1923, où naissent Louisa et le dernier fils,
Menouer18. Lorsque je l’interroge sur ses études à l’école primaire,
62 Ali Boumendjel

Mohand et Kelthoum Boumendjel, les parents d’Ali Boumendjel.


(Photographies non datées. Archives familiales.)

Ghenima explique qu’elle a quitté l’école tôt. « Maman était


fatiguée. Sept enfants à charge, plus les beaux-frères. » Elle ajoute
simplement  : « À ce moment-là, on n’instruisait pas beaucoup
les filles. » Sa position d’aînée des filles et son rôle auprès de
sa mère font d’elle un excellent témoin de la vie quotidienne
de ses parents.
La vie de la famille s’organise dans des quartiers peuplés
presque exclusivement « d’Européens », raconte-t-elle, dans les
logements de fonction attribués par l’école au sein même de
l’établissement, toujours loin du « Village nègre », comme il est
nommé par ceux qui n’y vivent pas.
Les logements de fonction que décrit Ghenima, en particu-
lier à Larba, sont simples et dénués de tout luxe. Cependant,
ils sont pourvus de l’eau courante et de l’électricité, ce qui
n’est pas le cas dans la majorité des quartiers peuplés par
les colonisés. Ils contraignent à un voisinage plus ou moins
heureux avec les collègues instituteurs, dont la plupart sont
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 63

« européens ». Une telle proximité peut engendrer des tensions


lorsque s’ajoutent aux affinités personnelles des questions
politiques et le racisme ordinaire. Les conflits entre Mohand
Boumendjel et son directeur à Relizane, qualifié par Ghenima
de « raciste affreux », sont doublés par des conflits de voisinage
entre leurs épouses 19. « Pour couper l’eau à ma mère, la femme
du directeur mettait une serviette autour de son robinet et
le laissait couler toute la journée, comme ça elle savait que
ma mère n’aurait pas d’eau. C’était horrible. » Et elle répète
souvent, comme si elle avait peur que je me méprenne, « c’était
pas l’opulence… », comme sa sœur l’avait déjà fait au sujet
de leurs grands-parents. Même lorsque les relations avec les
collègues « européens » se passent bien, elles restent en général
limitées à des échanges courtois. La famille entretient principa-
lement des relations avec d’autres familles d’instituteurs issus
de la population colonisée, dont les épouses viennent passer
du temps avec la mère de Ghenima.
Bien que vivant à l’intérieur même de l’école où son père
enseigne à Relizane, Ghenima se souvient d’avoir dû marcher
tous les jours jusqu’à l’école française située à deux kilomètres,
lorsqu’elle suivait encore les cours. En effet, le père était alors
chargé d’une classe dite « indigène », constituée exclusivement
de garçons, et les filles devaient donc se rendre dans une autre
école. Aziza, plus jeune, a le même souvenir, à la différence qu’à
son époque, à Larba, classes « indigènes » et « européennes »
étaient situées dans la même école :

Parce qu’à l’époque, les filles n’allaient pas à l’école. C’était


rare, les filles dans notre cas, nous étions à peu près les seules.
Donc on était mélangées aux enfants de colons, tandis que
chez les garçons non, les garçons. Y’avait pas d’école de
filles pour les Algériennes. Mais y’en avait pour les garçons
indigènes, comme on disait20.

Elle sourit en disant que dans sa classe se trouvaient surtout


des Françaises, puis corrige : « Entre parenthèse, il n’y avait pas
beaucoup de Français. C’étaient surtout les Italiens, les Espagnols
64 Ali Boumendjel

et les juifs. Alors ça s’appelait les classes européennes. » Elle


décrit l’organisation spatiale de l’école :

C’était la même cour de récréation. Les instituteurs


indigènes, qui s’occupaient des indigènes, les instituteurs
européens qui s’occupaient des Européens. Mais, c’était le
même directeur d’école, c’était le même travail, la même
répartition pour surveiller les récréations de l’école  : c’était
le tour de l’Européen, c’était le tour de l’indigène ; c’était
pareil. Il n’y avait que les élèves qui les séparaient. Parmi
les élèves indigènes, il y en avait qui fréquentaient les écoles
européennes.

Dans ce système scolaire complexe, les sœurs ne se souviennent


pas très bien dans quel type de classe leurs frères se sont
retrouvés  : il est bien possible que, bien que n’étant pas fils
de citoyen français, ils aient également étudié dans des classes
« européennes », du fait de la qualité d’instituteur de leur père.
Elles décrivent le monde clos que constitue finalement l’école
et où s’établissent des relations de voisinage qui ne sont pas
sans rappeler celles qui ont cours dans un village. C’est d’autant
plus vrai lorsque, les filles grandissant, elles se marient avec
des instituteurs adjoints et s’installent parfois dans la même
école que leur père. Ghenima, l’aînée des sœurs, doit arrêter
ses études tôt, afin de pouvoir aider sa mère à s’occuper des six
autres enfants : « C’est moi, dit-elle tranquillement, qui ai aidé
à élever les derniers. » Elle est mariée, à quatorze ans, comme
sa sœur cadette Aziza : « C’était un adjoint de mon père », qui
habitait juste à côté, dit-elle. La sœur cadette, Louisa, qui s’est
marié plus tard également avec un instituteur formé chez les
Pères Blancs, est beaucoup plus sévère que ses aînées  : « Mon
père, que Dieu lui pardonne, avait marié ses deux filles très
tôt, elles n’avaient que 14 ans et demi, elles étaient maman à
15 ans et demi. »
Lorsque le plus jeune frère Menouer est né, Ghenima était
déjà mère d’une petite fille. Et quand le père, Mohand, quitta
Relizane pour s’installer à Larba, Ghenima et son mari aména-
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 65

gèrent tout à côté. La famille redevint donc une famille élargie


dans un contexte nouveau : ce n’était plus une famille paysanne
vivant dans la « grande maison21 » ancienne mais une famille
d’instituteurs vivant dans l’école, similaire à la grande maison
en ce qu’elle était constituée d’une cour entourée des classes et
des logements de fonction. À l’exception de Ghenima, toutes
les sœurs d’Ali sont d’ailleurs devenues institutrices, et toutes
sont mariées à des instituteurs. L’homogénéité familiale est
étonnante. Même le frère aîné Ahmed, avant de quitter l’Algérie
pour faire ses études de droit, est passé par l’école normale de
Bouzarea et est devenu instituteur. Ali fut le premier, et le seul,
à éviter complètement le métier d’instituteur. Quand elle évoque
son propre mari, et son changement de profession, Aziza, la sœur
d’Ali, exprime à la fois ses regrets d’une vie familiale organisée
autour du rythme scolaire, et l’ouverture que ce changement
a apportée :

Quand je l’ai connu, il était instituteur-intérimaire, puis il a


été mobilisé. Quand il est revenu en 1939-1940, il n’a jamais
voulu retourner dans l’enseignement. J’étais désespérée. Je
disais, moi, j’ai connu un instituteur. J’aurais voulu aller,
sortir avec lui, revenir avec lui […]. Ça m’a fait de la peine.
J’avais toujours l’habitude d’être avec mon père, instituteur,
quand j’étais jeune fille. Une fois mariée, j’étais avec un
instituteur, le changement m’a été pénible. Y’a que moi dont
le mari a changé.
Je n’ai pas regretté. Ça m’a fait voir un autre horizon, il me
sortait, il était souvent invité, moi qui étais si enfermée, je
voyais une autre atmosphère, d’autres personnes que des
instituteurs.

Aziza fait ressortir la proximité quotidienne entre les membres


de la famille, surtout ici le père et la fille qui partagent le même
métier, et l’attente exprimée par l’épouse de voir son mari
marcher dans les pas de son père. Dans cette société d’institu-
teurs se recrée ainsi une nouvelle normalité, différente de celle
de la génération paysanne, avec un mode de vie particulier.
Déroger à cette normalité sera, de nouveau, une transgression.
66 Ali Boumendjel

Les sœurs racontent également les relations avec la région


d’origine et la famille élargie. La distance impose de nouvelles
relations avec la Kabylie  : tous les deux ans, toute la famille
se rend dans sa région d’origine pour un mois, l’été, de préfé-
rence chez la grand-mère maternelle d’Ali, qui est veuve et dont
la maison est suffisamment grande pour les accueillir 22. Aziza
raconte :

C’est surtout ma grand-mère maternelle chez qui nous


allions. On passait rapidement chez mon grand-père et on
allait chez ma grand-mère, qui était veuve. Elle vivait avec
sa sœur qui était veuve également. Ma tante maternelle a été
veuve très, très tôt, elle avait 23-24 ans, elle ne s’est jamais
remariée et elle vivait avec sa mère. Et c’est ma grand-mère et
ma tante qu’on allait voir. On était plus libres là-bas, quand
même. Chez mon père, il avait quand même deux ou trois
frères qui étaient mariés, c’était compliqué, ils vivaient tous
ensemble. Là, on avait plus d’espace.

Par ailleurs, selon Ghenima, la moitié de la solde d’institu-


teur de Mohand était destinée à être envoyée à ses parents.
Les relations d’aide et de soutien n’ont donc pas été rompues
par la migration. Kelthoum, la mère d’Ali prépare aussi, pour
sa famille, des sacs qu’elle entrepose dans une des salles de
classe et où elle met de côté, chaque jour, une part de tout ce
qu’elle consomme. Lorsque le sac est plein, elle le coud pour le
fermer et le fait envoyer à sa famille par quelque connaissance.
Par ailleurs, le père de Mohand vient régulièrement passer chez
son fils plusieurs semaines, durant lesquelles il régale ses petits-
enfants d’histoires et, en particulier, d’histoires en arabe qu’il a
rapportées de son séjour en Tunisie.
Les discussions avec les sœurs d’Ali Boumendjel se déroulent
en français. Tout au plus émaillent-elles leurs histoires de
quelques mots de kabyle qu’elles traduisent au fur et à mesure.
Toutes racontent à ce sujet la même histoire  : le kabyle était
la langue d’usage à la maison, en particulier avec leur mère et
entre frères et sœurs. C’est cette langue qu’ils utilisent entre eux
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 67

aujourd’hui encore, des années après la mort de leur mère. Mais


à partir du moment où les enfants vont à l’école, ils introduisent
le français dans la maison et utilisent aussi cette langue pour
s’adresser à leur instituteur de père. Ghenima explique  : « On
parlait aussi bien le français que le kabyle. Et puis, par la suite,
on a appris l’arabe. Ça se mélangeait. Dans une phrase, y’avait
des mots français et des mots kabyles. » Aziza ajoute un détail
qui souligne le bilinguisme en usage dans la maison :

Ma mère parlait kabyle, baragouinait l’arabe et mais elle


comprenait absolument tout en français. […] La mère Amrani
quand elle parlait en français, c’était vraiment sauve qui peut.
Elle s’en fichait qu’on se moque d’elle. Mais ma mère, elle
voulait pas. Alors vous lui parliez, on lui parlait en français,
elle répondait en kabyle.

En revanche, aucune des filles ne parlait l’arabe dans l’enfance :


par la suite, nous avons appris l’arabe. Selon Ghenima, c’est avec
l’école que l’arabe intervient  : « On savait pas un mot d’arabe.
Et c’est en allant à l’école qu’on a fait de l’arabe parlé. » Louisa
minimise également cet apprentissage de l’arabe :

D’abord on ne parlait que le kabyle, pas l’arabe. Nous


ne savons pas très bien l’arabe. Moi je n’ai commencé à
apprendre l’arabe, non pas parce que je ne voulais pas, mais
parce que nous étions dans un milieu qui ne favorisait pas
l’apprentissage de la langue. Mon père était instituteur. Il
occupait des logements de fonction dans l’école. Or, le hasard
voulait qu’il n’y ait dans l’école que des instituteurs français.
Et nous avions comme voisins des instituteurs français. Je
pense que ça vient de là. On entendait parler que français
autour de nous. J’avais 22 ans quand je me suis mariée et j’ai
entendu autour de moi un peu l’arabe, je m’y suis mise. Je
parle un peu, mais pas très bien. Je fais des fautes grossières.
Je baragouine23.

On ne retrouve donc pas, dans l’histoire d’Ali, l’opposition


entre une langue nouvelle, le français, cantonnée à l’école, et une
68 Ali Boumendjel

langue maternelle purement familiale et villageoise, comme on


aurait pu le trouver chez son père Mohand, et les autres précur-
seurs de l’école française. Dans cette famille pour laquelle l’école
est l’espace familial, le français est aussi une langue quotidienne.
L’absence de l’arabe à la maison est significative, même si elle
n’est pas absolue  : elle témoigne de la coupure entre la sphère
de l’intimité familiale, où l’on communique dans la langue des
parents, et le monde colonisé des régions arabophones dans
lesquelles la famille vit. Entre les deux, il y a les murs de l’école,
les collègues et les quartiers « européens ». Volontiers provoca-
trice, Aziza s’enflamme : « C’est-à-dire, famille kabyle, c’est bien
gros comme mot. On n’avait rien de kabyle, on était plutôt
pied-noir. Aussi bien les Amrani que nous. C’est tout. » Puis elle
s’explique avec davantage de nuance :

On suivait les mêmes écoles que les pieds-noirs. On sortait


ensemble. On avait des copines… on était plutôt de leur
côté… on parlait leur langue, voilà, c’est tout. On était
très amies avec les filles de colons, quoi, c’était des gens
qui n’étaient pas riches, qui étaient exactement dans la
même situation que nous. On avait les mêmes affinités,
on était camarades de classe. J’avais de bonnes copines,
de très bonnes copines, d’ailleurs Louisa a dû vous le dire,
elle a encore des copines qui écrivent pour Noël. Moi j’en
ai plus… C’est normal, des camarades de classe, on était
ensemble…

La réflexion d’Aziza m’avait rappelé une remarque de Pierre


Vidal-Naquet, lors d’un entretien au sujet de l’affaire Boumendjel.
Il m’avait dit avoir déjà rencontré Malika Boumendjel, la veuve
d’Ali, et s’était étonné – même s’il comprenait très bien comment
tout cela était possible  – de voir à quel point elle avait l’air
d’une française24. C’est son étonnement qui est caractéristique :
quarante ans après l’indépendance, le degré de francisation
de ces enfants de l’école française ne cesse de surprendre, y
compris des connaisseurs de l’Algérie. On était plutôt pied-noir,
la phrase est déroutante, inexacte par bien des aspects. Peut-être
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 69

Aziza l’aurait-elle reniée finalement, mais elle est révélatrice de


la réalité complexe des francophones issus de la population
colonisée.
Le rôle des femmes dans la famille s’était considérablement
transformé en une génération, à l’instigation de Mohand
Boumendjel lui-même. Il se transforme même à l’intérieur de la
famille entre l’aînée, Ghenima, qui quitte l’école, et les cadettes,
qui deviennent institutrices. Louisa, la cadette, s’exclame :

Les filles, mais on était exceptionnelles ! Les gens venaient


trouver mon père en lui disant : « Mais tu es fou d’avoir mis
tes filles à l’école. Elles trouveront jamais à se marier. Elles
seront trop évoluées, personne ne les demandera jamais en
mariage. » Mon grand-père était affolé parce qu’on allait à
l’école. Pour moi moins, mais pour les deux aînées, mon
grand-père était fou. « Mais tu es fou de mettre tes deux filles
à l’école. Qui va les prendre en mariage maintenant. Tu vas
les avoir sur les bras », tellement c’était horrible d’envoyer
les filles à l’école à l’époque.
Mais après mon grand-père a évolué, hein. Et comment.
Quand j’ai reçu des demandes en mariage, j’avais pas fini
tout à fait, il refusait. « Quand elle aura terminé ses études,
vous demanderez, mais pas avant. » Pour dire l’évolution.
C’était une drôle d’époque25.

Plus encore que d’envoyer les garçons à l’école, y envoyer ses


filles est une décision qui ne se fait que progressivement et qui
peut avoir un coût. Mais les filles elles-mêmes ne sont pas les
mieux placées pour évoquer le regard des autres sur la famille
Boumendjel, ni pour évoquer le rôle politique des hommes de
la famille.

Et la politique ?
Car dans les récits des sœurs Boumendjel, certaines
questions demeurent sans réponse, et certaines informations
inaccessibles. Quelle était par exemple la maîtrise de l’arabe par
les garçons de la famille, davantage en contact avec l’extérieur
70 Ali Boumendjel

de l’école et de la maison ? Il est probable que, les sorties dans


le quartier aidant, ils aient maîtrisé plus vite l’arabe parlé. Une
autre question demeure relativement absente de leurs récits  :
celle des activités et discussions politiques au sein de la famille.
Ghenima raconte :

Mon père avait la direction des petits scouts à Larba. La


politique, il n’en faisait pas, pas que je sache.
M. R. : Il y avait des conversations politiques à la maison ?
Oh non, on ne faisait pas de politique. À part mon frère aîné
qui s’est mis là-dedans à sa sortie de l’école normale. Il en
parlait peut-être avec mon père mais avec la famille, motus.
On avait peur de la politique. On avait bien raison d’en avoir
peur, à quoi ça l’a mené26.

À les écouter, leur père Mohand n’avait donc aucune activité


politique et il n’était jamais question de cela dans la maison, de
même qu’Ali n’aurait eu aucun intérêt pour la chose politique.
Elles sont en revanche au courant de l’activité d’Ahmed, qui
trempait dans la politique, disaient-elles, « jusqu’au cou » ou
« jusqu’à la racine des cheveux », connotant très négativement
son engagement. Je demandais à Ghenima si son mari avait eu
une activité politique :

Non, il s’occupait de sa famille, de ses enfants c’est tout.


Lui aussi était un instituteur. On a épousé toutes les quatre
des instituteurs. Des gens qui n’étaient pas bornés, qui
maltraitaient pas leurs femmes, c’était déjà bien. On avait
tous les mêmes idées27.

Elles semblaient toutes soulagées que leurs maris n’aient


eu –  à leur connaissance  – aucune activité politique. On avait
bien raison d’en avoir peur  : la politique, intimement associée à
la tragédie familiale, devient dans leurs bouches l’objet d’un
virulent rejet. Ghenima révèle par ces mots le caractère rétros-
pectif de sa condamnation de la politique, sans qu’il soit possible
d’en conclure que la peur de l’engagement politique des hommes
n’existait pas antérieurement à la mort d’Ali.
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 71

Les discussions avec Fadila, la fille d’Ahmed Boumendjel,


donnent de son grand-père, Mohand Boumendjel, un portrait
bien différent, que confirment et complètent les archives de
surveillance policière. L’homme a en effet été l’un des rédacteurs
du journal La Voix des humbles durant les années vingt, journal
dont l’épigraphe indiquait « Pour l’évolution des indigènes par
la culture française » : cette feuille, l’organe de l’association des
instituteurs d’origine indigène d’Algérie, avait été fondée en
1921 par Rabah Zenati et Mohand Lechani, par ailleurs militant
socialiste. Des entretiens avec les sœurs d’Ali on pouvait donc
attendre qu’ils confirment cette activité de polémiste pour en
donner une vision « de l’intérieur ». Bien au contraire, elles
minimisent son action intellectuelle ou politique au profit de
sa seule activité professionnelle et n’ont aucun souvenir de
discussion à ce sujet. Interrogée sur l’un de ses frères, Ghenima
fournit en fait elle-même une explication : Il en parlait peut-être
avec mon père mais avec la famille, motus. Avec la famille, si ce
n’était pas avec leur père, c’était donc sans doute avec les femmes
de la famille. Ces conversations ont vraisemblablement lieu entre
hommes, et les femmes de cette génération n’en ont aucun
souvenir. La seule femme susceptible d’en parler appartient à
la génération suivante, et c’est, qui plus est, la fille de l’un des
hommes de la famille  : ce que Fadila Chitour Boumendjel a
appris de son grand-père, par l’intermédiaire de son père, est
une vision toute masculine de la vie familiale.
Pensant qu’il pourrait me parler d’Ali Boumendjel sous
l’angle de l’engagement politique, j’avais pris contact avec Sadek
Hadjerès sur le conseil de Sami Boumendjel, le fils d’Ali. De cet
ancien responsable du Parti du peuple algérien (PPA), puis, après
1951, du Parti communiste algérien (PCA), également président
de l’association des étudiants musulmans d’Afrique du Nord,
j’attendais qu’il évoque le contexte des relations entre partis,
en espérant qu’il ait eu des contacts directs avec Boumendjel.
Sadek Hadjerès me reçut dans son petit appartement de la région
parisienne  : vivant la plupart du temps en Grèce –  son épouse
est grecque  –, il fait des passages réguliers en France. Après un
long engagement politique, y compris au lendemain de l’indé-
72 Ali Boumendjel

pendance lorsqu’il a contribué à l’opposition politique, il a


quitté l’Algérie dans les années  1990, au début de la décennie
de terreur28. Autour d’un thé, dans la semi-pénombre de l’appar-
tement rempli de livres et interrompu par le passage régulier
du chat, Sadek Hadjerès donne en fait une autre version de
l’histoire de la famille Boumendjel. Contrairement aux sœurs
d’Ali, il n’est guère inquiet à l’idée de l’interview et il sent très
vite quels sont les sujets que je veux approfondir et ajuste son
propos. Il semble d’ailleurs avoir, en homme politique avisé,
mis de l’ordre dans ses idées puisqu’il me présente un récit
ordonné, chronologique, au cours duquel je n’ai presque jamais
besoin de poser des questions. Il explique d’emblée que s’il a
croisé Ali durant ses études, il a surtout bien connu sa famille.
L’homme est né à Fort-National (Larba Nath Irathen), en Kabylie,
d’un père instituteur, en 1928 : il a donc 10 ans de moins que
Boumendjel. Autour de 1940, son père obtient un poste à Larba
et les deux familles deviennent voisines : « On a habité dans des
appartements mitoyens, les cours communiquaient. On allait les
uns chez les autres. » Cependant à cette époque, Ali n’est plus
très présent à Larba  : il est lycéen pensionnaire à Blida et ce
sont les frères et sœurs plus jeunes, voire les neveux et nièces,
que Sadek Hadjerès voit davantage.
Néanmoins, sa fréquentation des Boumendjel lui permet de
remettre la famille dans le contexte de la petite ville de l’Algérois.
Il fait du père Boumendjel le portrait d’un homme très respecté :

Ses filles étaient parmi les seules qui étaient enseignantes,


dévoilées, donc. Y’en avait pas 36 à Larba, y’avait peut-être
les filles du cadi, la fille du propriétaire du café, un ancien
mutilé de guerre qui circulait en chaise roulante… de la
guerre de 14. Plus tard y’a eu la fille du coiffeur et la fille
d’un fonctionnaire des domaines originaire de Cherchell,
c’est pour ça, c’étaient des traditions citadines. Et c’est tout.
Et les filles Boumendjel et mes sœurs29.

Ainsi, à la fin des années trente, une importante transfor-


mation vestimentaire touche plusieurs catégories de la popula-
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 73

tion selon le récit de Sadek Hadjerès  : les filles de notables, de


fonctionnaires venus de grandes villes et porteurs de tradition
citadine et les enseignantes se dévoilent. Enseignantes, dévoilées,
donc. L’école provoque des mutations sociales, elle modifie le
jeu des positions sociales et intervient dans les comportements
les plus quotidiens et les plus intimes. Il ne s’agit pas seule-
ment du dévoilement  : il s’agit également pour ces femmes
de la possibilité de sortir de la maison et d’occuper l’espace
public. À ce propos, il introduit d’ailleurs une nuance de taille
en ajoutant qu’elles ne « sortaient pas de l’école, pratiquement »,
ne se rendant pas même au village pour y faire leurs courses.

Quand elles venaient d’Alger, le bus s’arrêtait à l’entrée du


village. Comme l’école était pas loin, elles descendaient
mais, en général, voilées ou pas, les femmes qui descendent
prennent des petites rues détournées pour aller au village30.

« Mais, ajoute-t-il, elles étaient respectées. De toute façon, elles


étaient enseignantes. C’était tout à fait admis. » Tout au long de
la discussion, il tisse donc un lien très fort entre la position sociale
de ces femmes en tant qu’enseignantes et filles d’une famille
respectée, et le dévoilement qui, dans un autre milieu, consti-
tuerait une transgression majeure. Ces informations complètent
enfin les récits fournis par les trois sœurs Boumendjel  : alors
qu’elles étaient en mesure –  avec leur regard de femmes  – de
me fournir un récit de l’intérieur de la vie familiale, un voisin,
un homme, peut situer les Boumendjel parmi les autres familles
du village, évoquer le regard que l’on portait sur elles et leur
façon de se déplacer dans les ruelles. En confrontant les regards
féminins et masculins, la vie quotidienne prend soudain une
tout autre dimension et dépasse la division des espaces et le
partage des tâches entre hommes et femmes. Cette mise en relief
révèle à quel point, au cœur même de la famille, et malgré la
transformation spectaculaire du rôle des femmes, les activités,
les lieux de vie et de sociabilité demeurent genrés.
74 Ali Boumendjel

La politique des années 1930 et 1940


Le témoignage de Sadek Hadjerès est donc très
précieux pour prolonger celui des filles de la famille Boumendjel
et les replacer dans le contexte social de l’époque. En donnant
cette vision plus large, il confirme ainsi que les femmes de la
famille ne peuvent témoigner que de ce qu’elles connaissent le
mieux  : la vie à l’intérieur de la maison davantage qu’à l’exté-
rieur. Il allait peut-être permettre de résoudre une question qui se
posait à la suite des entretiens avec les sœurs d’Ali : avaient-elles
raison de minimiser la place de la politique dans la vie de leur
frère ? Et dans ce cas, les discussions avec Malika Boumendjel et
ses enfants, qui au contraire insistaient sur son rôle politique,
m’avaient-elles conduite à surévaluer son engagement politique ?
Or, Sadek Hadjerès poursuit ses souvenirs de la famille
Boumendjel. À la fin de notre conversation, il me remet
également un texte inédit qu’il a rédigé sur la vie collective à
Larba dans les années quarante, au moment où les deux frères
Boumendjel ont déjà quitté la famille pour Blida et Alger.
L’ensemble donne de Mohand Boumendjel, et de son activité
associative et politique au sein de la ville, un portrait vivant d’un
homme beaucoup plus actif que ne le laissent entendre ses filles,
et qui permet de comparer l’engagement de deux générations
d’hommes, celle de Mohand et celle d’Ali, la première génération
de l’école française et la seconde.
Selon Hadjerès, à Larba, à la fin des années  1930, Mohand
Boumendjel est une figure locale. Il avait fondé, avec un certain
Mustapha Belarbi Sahraoui, un mouvement culturel important
pour la sociabilité et la politique locales, Nadi el-Islah, le cercle
de la réforme. Le cercle lança trois types d’activités. Tout d’abord,
une médersa privée, destinée à l’enseignement de la langue arabe
et de notions d’histoire et de géographie centrées sur le monde
arabe. Les enfants qui y suivaient des cours étaient ceux qui
n’avaient pas trouvé de place à l’école française, ou dont les
parents souhaitaient qu’ils aient un complément d’éducation. Le
Nadi el-Islah disposait également d’une salle de prière qui permet-
tait d’augmenter considérablement les capacités d’accueil en lieux
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 75

de prière dans la ville, la population ne disposant jusque-là que


de la petite mosquée du sanctuaire de Sidi Youcef, dont l’imam
était habilité par l’administration. Enfin, les Scouts musulmans
algériens (SMA) qui n’avaient d’abord disposé comme lieu de
réunion que d’un funduq31 du village avant de bénéficier d’une
cave. Selon Sadek Hadjerès, « l’utilité de telles activités ne coulait
pas de source pour certains conservateurs, pour qui la priorité
sinon l’exclusivité devait être réservée aux prières et à l’étude
de la langue sacrée32 ».
Dans son texte, Sadek Hadjerès distingue deux courants au
sein de ce mouvement culturel, courants entre lesquels la délimi-
tation n’est pas toujours nette. Il décrit d’une part un courant
« moderniste », dont faisaient partie des musulmans formés à
l’école française qui « ont beaucoup contribué à ce mouvement,
aussi bien pour son encadrement qu’en lui fournissant une
part substantielle de ses effectifs ». Ce courant a des aspirations
« qu’on peut déjà qualifier de nationales », affirme-t-il, liées à
leur désir de retrouver une personnalité culturelle ancestrale
dont ils avaient été privés au cours de leurs études. Cependant,
ce courant « moderniste » ne comprenait pas exclusivement des
francophones. Dans le propos de Sadek Hadjerès, ces franco-
phones ne s’opposent pas à des arabophones  : certains repré-
sentants du courant moderniste sont au contraire arabophones
et religieux. Le cofondateur du Nadi el-Islah, Mustapha Belarbi
Sahraoui, était en fait lié, par l’intermédiaire du cheikh al-Oqbi,
au mouvement des ‘Ulamâ. Il s’agit d’un propriétaire terrien aux
ressources importantes, aux réseaux de relations très développés
et attaché aux « signes extérieurs de réussite sociale 33 ». Si
Mohand Boumendjel incarne le courant laïc du mouvement
culturel, Belarbi Sahraoui fait donc partie du courant religieux
et, contrairement à ce qui est parfois dit, il n’en est pas moins
moderniste et pragmatique. L’un et l’autre se retrouvent locale-
ment dans la même association  : le Nadi el-Islah créé sur le
modèle du cercle du progrès, le Nadi-at-Taraqqi de l’associa-
tion des ‘Ulamâ à Alger. Sa naissance participe d’une vague de
créations de cercles réformistes dans les villes algériennes, à l’ini-
tiative des ‘Ulamâ qui se dotent partout de locaux, ou récupèrent
76 Ali Boumendjel

des associations existantes pour en modifier le contenu. Malgré


l’opposition qui apparaît toute naturelle entre les intellectuels
francophones laïcs et les tenants arabophones d’une réforme de
l’islam, il s’avère bien souvent, et Larba en est un exemple, que
les uns et les autres se retrouvent dans les mêmes associations
politiques, culturelles et religieuses34. Selon Sadek Hadjerès, les
tensions qui traversent bel et bien le mouvement culturel dont
Mohand Boumendjel est l’un des initiateurs, en particulier le
Nadi el-Islah, n’opposent pas arabophones et francophones, ni
même laïcs et religieux, mais bien plutôt ceux qu’il qualifie de
modernistes, laïcs ou religieux, favorables à une activité collec-
tive liée à la modernisation de l’islam, à la promotion de la
population colonisée et qui se retrouvent dans le Nadi, et les
« rétrogrades ». Le mouvement culturel dont Mohand est l’un
des initiateurs participe donc, et bien qu’il soit lui-même laïc,
d’un désir de rénovation et de réforme (Islah) de l’islam et de
restauration de la langue arabe. Lorsque, au sein de Nadi el-Islah,
un conflit oppose les membres du conseil d’administration du
cercle, Hadjerès, qui a été responsable des scouts dans l’asso-
ciation, s’est heurté à cette tendance « rétrograde ». Il avoue
qu’il reçut alors un soutien sans faille de Mohand Boumendjel
et des frères Sahraoui, ajoutant que le respect qu’inspire le père
Boumendjel contribue alors à éviter la division du mouvement
culturel entre les différentes tendances. Dans les années trente
et quarante, Boumendjel et Belarbi Sahraoui sont unis dans la
même association alors que Boumendjel se rapproche par la suite
de Ferhat Abbas, tandis que Belarbi Sahraoui adhère au MTLD,
le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, le
parti politique de Messali Hadj.
Ces événements propres à la ville de Larba se déroulent dans
les années trente, dans un contexte de très grande vitalité des
associations au sein de la population colonisée : celle-ci semble
s’emparer de cette forme d’organisation pour se donner une
vie collective –  vie culturelle, vie artistique, vie intellectuelle
ou religieuse.
Cette rencontre, dans les années quarante, de plusieurs
parcours représentant différents courants politiques et culturels
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 77

de l’époque, qui se prolongent par la suite dans les principales


forces politiques des années cinquante, est passionnant  : le
mouvement culturel de Larba constitue la matrice de pratiques
politiques nouvelles, pour la première fois organisées et vérita-
blement collectives. Il ne s’agit plus seulement, comme Mohand
Boumendjel le fait lui-même par ailleurs, de s’opposer à un direc-
teur d’école raciste ou un gendarme abusant de ses pouvoirs. Il
s’agit véritablement d’organiser des activités collectives variées
dans le but d’y rassembler la plus grande partie de la population.
Selon Sadek Hadjerès, Mohand Boumendjel a également été,
à partir de 1943, un des animateurs des Amis du Manifeste
et de la liberté qui revendiquent l’autonomie pour l’Algérie.
Il serait ensuite devenu un compagnon de route du parti de
Ferhat Abbas, l’Union démocratique du Manifeste algérien, dès
sa création en 1946, sans en être à proprement parler un militant
dynamique 35. Pourtant, Sadek Hadjerès se souvient, en 1946,
l’avoir entendu porter seul la contradiction dans une réunion
politique du MTLD et siffler l’orateur36, ce qui lui avait semblé
surprenant pour un homme d’âge respectable. Être à contre-
courant ne semble pas le déranger et il continue à bénéficier
d’un très grand respect de la part de la population et de ses
adversaires politiques, du fait de sa position d’instituteur, métier
prestigieux qui lui confère un statut de notable.
L’administration ne se trompe pas sur l’importance des cercles
culturels et leur dimension politique  : les archives concernant
les cercles et en particulier l’activité des scouts musulmans
sont encore sensibles et inaccessibles sans dérogation dans les
archives de l’administration coloniale au Centre des archives
d’outre-mer à Aix-en-Provence. Dans le dossier personnel de
Mohand Boumendjel, plusieurs rapports de police confirment
la surveillance dont font l’objet les membres des associations
culturelles et le danger qu’elles représentent aux yeux de la
police. Le dossier intitulé « Mohand-Mohammed Boumendjel »
contient divers documents administratifs entre 1938 et 1951  :
certains sont des rapports de surveillance, d’autres visent à
renseigner les autorités sur le « degré de confiance » que l’on
peut accorder à l’instituteur. L’un d’entre eux est particulière-
78 Ali Boumendjel

ment intéressant parce qu’il remonte à une période antérieure à


celle évoquée par Sadek Hadjerès. Selon ce rapport confidentiel,
datant d’avril  1938 et dont la source n’est pas indiquée, un
grand nombre d’« indigènes » ont formé un groupe « Jeunesse du
Congrès musulman », travaillant « contre la sûreté de la France »
et « guidé et conseillé » par Mohammed Boumendjel, l’institu-
teur37. La presque totalité de la population est en faveur de ce
mouvement, affirme l’auteur du rapport, qui note que le groupe
cherche une salle pour y installer ses activités de propagande
antifrançaise. Il note que des brochures rédigées par Chakib
Arslan ont été distribuées dans la ville annonçant le renouveau
de l’islam. Il conclut par un appel à la méfiance : « C’est la seule
ville de la région où l’on remue le plus sans bruit. »
Il faut bien sûr prendre ce type de document avec beaucoup
de précautions, tant la source en est difficile à évaluer. Il peut
s’agir de propos d’un indicateur rapportés à la police, ou d’un
rapport rédigé par un membre de l’administration d’après son
interprétation des faits, plutôt que d’après son observation
directe. Toutefois, plusieurs détails sont crédibles. Les brochures
ont certainement circulé dans la ville  : leur contenu n’est pas
décrit en détail mais d’autres exemplaires ont été saisis dans
d’autres villes ; à Alger où elles auraient été achetées chez un
libraire égyptien de la rue de la Lyre. L’auteur, écrivain druze, a
été formé à l’école de Jamal ad-Din al-Afghani et de Muhammad
Abduh. Il prône un nationalisme arabe et musulman et son
influence grandit au Maghreb, notamment parmi les person-
nalités éduquées, arabophones comme francophones. On ne
s’étonnera donc pas que le père Boumendjel en ait été un diffu-
seur, fût-il critique.
Quant au Congrès musulman dont le mouvement de jeunesse
se développe à Larba, il s’agit d’un regroupement de membres de
la Fédération des élus du docteur Bendjelloul, des communistes
et des ‘Ulamâ, formé en juin 1936 pour défendre l’assimilation
dans le respect du statut personnel musulman38. Dans les mois
qui suivirent le Congrès, des sections des Jeunesses du Congrès
se créèrent sur l’ensemble du territoire, constituant la première
organisation politique disposant d’un réel maillage local39. Que
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 79

Mohand Boumendjel y soit impliqué souligne encore le syncré-


tisme politique qui prend forme dans les années trente et dont
il est l’un des promoteurs. Il représente ce dialogue, voire cette
synthèse, entre un courant politique de gauche, proche du parti
socialiste et laïc, le mouvement de réforme de l’islam avec une
réflexion sur l’identité religieuse et l’émergence, au Maghreb,
d’un nationalisme arabe.
Par l’intermédiaire du père d’Ali, la famille Boumendjel est
donc prise dans cette transformation politique qui touche
l’Algérie dans les années trente. L’engagement de Mohand est
beaucoup plus important que ce qu’en disent ses filles et seule
une variété de sources, en apparence contradictoires, permet de
la restituer  : différents témoins racontent différentes histoires,
ou plus exactement, ils racontent la même histoire selon des
perspectives différentes. En effet, si les Boumendjel sont pris
aussi dans des transformations sociales concernant notamment
l’éducation des filles, comme l’on montré les entretiens avec
les sœurs d’Ali, la politique demeure –  dans cette famille et à
cette génération  – une affaire d’hommes  : de ce point de vue
là, les choses ne changent qu’à la génération suivante, celle des
petits-enfants de Mohand.

Ali à l’école républicaine


En trois générations, les Boumendjel connaissent une
ascension sociale passant d’un grand-père paysan à un père
instituteur puis à des fils avocats dont l’un devient ministre
après l’indépendance. Le terme de « mobilité sociale » est plus
riche puisque, outre l’idée d’une amélioration du niveau de
vie et du niveau social, ce parcours se double d’un phénomène
de mobilité géographique, voire d’acculturation, et en tout
cas de modification sensible du mode de vie. Que ce processus
se produise dans un contexte de colonisation générant des
modalités spécifiques ne doit pas faire oublier que des phéno-
mènes similaires de mobilité sociale existent en métropole par
le biais de l’école républicaine de la IIIe République et du métier
d’instituteur.
80 Ali Boumendjel

La lisibilité du parcours familial peut surprendre. L’homogénéité


à chaque génération permet de brosser un itinéraire schéma-
tique, presque caricatural, de la transformation sociale d’une
famille d’Algérie à partir d’un père, fils de paysan, devenu insti-
tuteur qui représente la première génération de l’école française.
À la génération de ses enfants, la seconde génération de l’école
française, la proportion d’instituteurs est considérable en parti-
culier parmi ses filles et ses belles-filles. Ce sont alors les garçons
qui sont porteurs de l’ascension sociale. La troisième génération,
celle des petits-enfants présente, elle aussi, une homogénéité
frappante : la quasi-totalité d’entre eux, quel que soit le métier
de leurs parents, exerce la médecine. Si l’on ajoute à cela le fait
qu’à l’heure actuelle, la majorité d’entre eux vit en France, l’on
prend conscience de la profondeur du bouleversement social
initié par leur grand-père. Cette remarque pose véritablement la
question de la relation avec la culture d’origine de la famille mais
aussi avec la culture que l’on appellera rapidement « française »,
véhiculée par l’école en particulier avec la langue française. Ces
questions, analysées à l’échelle de la famille, se posent égale-
ment à celui de l’individu, à travers le parcours personnel d’Ali
Boumendjel.
Rappelons qu’Ali Boumendjel est né le 24  mai 1919, à
Relizane, où son père est en poste. Il est le deuxième garçon,
mais, né 12 ans après son frère aîné et après trois filles, il est
accueilli avec une grande joie par ses parents qui espéraient
bien avoir un autre fils. L’on sait peu de choses de ses années
à l’école primaire. Comme ses frères et sœurs, et au titre de fils
d’instituteur, Ali Boumendjel fréquente probablement les classes
d’« Européens ».
À Relizane, cela signifie, nous l’avons dit, qu’il fallait marcher
plusieurs kilomètres pour assister à la classe dans une autre école.
La famille vit alors dans l’école où Mohand Boumendjel enseigne
exclusivement à des « indigènes ». À Larba, où son fils Ali
commence à suivre les cours, l’école dispose des deux systèmes,
les enfants sont donc dispensés d’une longue marche. Il suffit
pour le père et les enfants de sortir de la maison pour entrer
dans la cour. Le premier peut rejoindre ses élèves « indigènes »,
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 81

arabophones ou berbérophones, auxquels il enseigne le français,


pendant que les enfants se mélangent à leurs amis, pratique-
ment tous « européens »40. Sa sœur Aziza note toutefois qu’Ali
a l’originalité d’avoir aussi de nombreux amis arabophones
grâce auxquels il apprend des chansons populaires en arabe
qu’il ramène à la maison. Il sort en effet souvent, ne serait-ce
que pour de longues parties de football sur le terrain vague
voisin, puisqu’il peut, à la différence de ses sœurs, sortir du
milieu familial. Il n’en reste pas moins qu’il fréquente, à l’école,
comme dans son quartier, des enfants européens et quelques
enfants issus de la population colonisée, essentiellement des
fils de fonctionnaires.
L’expérience de l’école pour un enfant issu de la population
colonisée est encore exceptionnelle. Charles-Robert Ageron
rappelle que « la scolarisation dans l’enseignement primaire
public (écoles maternelles exclues) progress[e] relativement peu
de 1921 à 1931, de 46 000 à 69 000 élèves musulmans ». Il ajoute
que les élèves « musulmans » représentent environ un tiers de
l’effectif de l’école publique alors que la population colonisée
constitue 86,4 % de la population totale. Additionnant les élèves
des écoles publiques et des écoles coraniques, il conclut : « 18 %
des enfants algériens recevaient donc une instruction primaire :
celle-ci restait un privilège41 ». À la génération d’Ali, le passage
par l’école française est loin d’être vecu comme tel, dans la
mesure où le père en est lui-même le produit.
À cette époque, Ali est un jeune garçon très réservé, l’incarna-
tion de la timidité, disent en substance ses sœurs. Il correspond
bien en cela au tempérament de la famille que sa sœur Louisa
qualifie de « famille des timides ». Il faut dire que l’atmosphère
à la maison n’est pas dénuée d’un certain rigorisme. D’épaisses
lunettes, destinées à compenser sa très mauvaise vue, contri-
buent à donner à Ali un air vague en mangeant son visage et en
cachant ses yeux. Elles lui permettent au moins de s’adonner à
ses deux activités préférées : la lecture et le football. Les témoi-
gnages de ses sœurs ont une dimension nettement hagio-
graphique lorsqu’elles évoquent leur jeune frère, et les superlatifs
se multiplient. Pourtant, rien n’empêche de les croire lorsqu’elles
82 Ali Boumendjel

affirment que leur frère était extrêmement brillant et travailleur.


L’image de l’adolescent passionné, travaillant tout seul, toujours
fourré dans les livres et décrochant une bourse pour aller au
collège à l’âge de 10 ou 11 ans correspond à celle de l’intellec-
tuel cultivé que nous verrons se dessiner plus tard. Ce que font
ressortir les récits de ses sœurs, c’est cette soif de lecture et de
connaissance que rien n’étanche.
Les contemporains d’Ali Boumendjel ont évoqué leur
l’expérience de l’école française. On retrouve dans leur écrit
l’incompatibilité entre la langue, les sciences, le contenu de
l’enseignement qu’ils y reçoivent et la culture familiale. Ainsi,
Kateb Yacine, né en 1929, parle-t-il de « seconde rupture du
cordon ombilical » pour décrire la fracture causée par l’école
entre lui et sa famille : « Ainsi avais-je perdu tout à la fois ma
mère et son langage, les seuls trésors inaliénables, et pourtant
aliénés 42. » Quant à Sadek Hadjerès qui, comme Boumendjel est
originaire de Kabylie, il témoigne de son sentiment d’avoir été
privé de sa langue maternelle en étant privé de l’arabe classique
à l’école 43. Un fils Boumendjel, qui grandit dans une famille
francophone, ressent-il la même aliénation ? La langue française
est déjà une langue parlée dans la maison et le livre en français
n’y est pas un objet étranger. C’est au contraire un objet usuel
que son père et ses sœurs aînées manipulent naturellement,
tout comme les journaux que lit son père, lorsqu’il ne parti-
cipe pas à leur rédaction. De façon moins autobiographique et
introspective que dans les écrits de Kateb Yacine, les théma-
tiques de la culture familiale et la défense de la langue arabe
réapparaîtront, plus tard, dans les articles de presse publiés par
Ali Boumendjel.
Il est un autre point où son expérience diffère de celle d’un
Hadjerès ou d’un Kateb. Alors que beaucoup d’enfants issus de la
population colonisée fréquentant l’école française font générale-
ment aussi l’expérience de l’école coranique, aucun des enfants
Boumendjel n’y assiste, et l’on peut se demander quelle est, à
cette époque, l’étendue de leur instruction religieuse. Hadjerès
raconte comment sa famille, et en particulier sa mère, s’est
investie dans cette étape de sa vie :
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 83

Cette école nous offrait, sous une forme insuffisante, ce


que ne pouvait nous offrir l’école française  : des éléments,
bien pauvres certes, de notre propre culture. C’est pourquoi,
beaucoup de ceux qui fréquentaient l’école française, allaient
aussi à l’école coranique. Nous nous y rendions tous les
jours sauf le vendredi, dès 6  heures du matin, en sortant
vers 7  heures  30 pour aller à l’école française. Les jeudis et
dimanches, nous y restions plus longtemps, jusque vers les
10 heures 30 ou 11 heures, comme ceux qui n’allaient pas à
l’école française. Enfin, pendant les vacances, nous y allions
matin et soir. Si mon père avait surveillé étroitement mes
premiers pas à l’école française, ce fut ma mère qui insista
pour m’envoyer le plus tôt possible à l’école coranique. Elle
me remit, précieux legs de son père, un encrier semi-sphérique
en grès vernissé et une planchette44.

Ce texte amène plusieurs réflexions. Son auteur est issu d’une


famille de fonctionnaires, son père et son grand-père ont tous
deux fréquenté l’école française, et son père est, comme Mohand
Boumendjel, instituteur. Il appartient donc à la troisième
génération de l’école française. Il parle le français comme Ali
Boumendjel, et pourtant il évoque « notre propre culture », de
la même manière qu’il parle par ailleurs de l’arabe comme de
sa « langue maternelle ». Il souligne aussi le rôle des parents,
et en particulier de la mère dans l’éducation des enfants en ce
qui concerne la religion. Or, selon les témoignages recueillis,
la mère d’Ali Boumendjel n’a pas eu d’insistance particulière
en ce qui concerne la scolarité de ses enfants. Elle joue un
rôle dans l’éducation de ses filles en leur apprenant les tâches
ménagères mais ne semble pas avoir contrebalancé le caractère
laïc de son mari dans l’instruction. Il en résulte une éducation
résolument laïque des enfants. Par ailleurs, il n’est en aucun cas
question, ni pour Ali ni pour son père, de porter le vêtement
traditionnel. À la vérité, comme le souligne sa sœur Aziza, il y a
en apparence bien peu de différences entre Ali et ses camarades
« européens » sur les bancs de l’école. Ni l’accoutrement ni la
maîtrise de la langue ne les distinguent et il est comme chez lui
à l’école, puisque l’école est sa maison. En revanche, il semble
84 Ali Boumendjel

à cette époque ne pas partager avec ceux qui sont, comme lui,
issu de la population colonisée, ces expériences fondatrices
–  et parfois traumatisante  – liées à la première exposition à
une langue française étrangère, à une culture et à un système
scolaire nouveau. Pourtant, aucune source ne permet d’aller au
delà des apparences. L’on ne peut que constater la différence
objective entre Ali Boumendjel, le fils d’instituteur laïc, et ses
camarades, les premiers de leurs familles à s’asseoir sur les bancs
de l’école, qui ramènent à la maison une langue étrangère et
dont les parents insistent sur l’instruction religieuse. Les sources
qui nous permettent de connaître l’expérience personnelle et
le vécu lié à l’acculturation dans l’école française sont souvent
issues d’une introspection (autobiographie, mémoires…). Dans
le cas d’Ali, de telles sources n’existent pas, et ses impressions
et réflexions sur ces questions sont perdues.

Le collège de Blida : la pépinière nationaliste


À la fin de ses études primaires, Ali Boumendjel réussit
l’examen d’entrée en 6e où échouent la plupart de ses camarades
issus de la population colonisée. Les seuls chiffres que nous ayons
sont donnés par Charles-Robert Ageron, qui analyse les résultats
de cet examen, pour l’année  1948  : « L’accès à l’enseignement
secondaire était alors rendu difficile par l’existence d’un examen
d’entrée en 6e : en 1948, par exemple, 28,8 % des jeunes musul-
mans qui se présentèrent furent reçus (243 sur 844) et 42,9 %
des jeunes Européens (1636 sur 3812)45. » Vingt ans plus tôt,
lorsqu’Ali entre en 6e, les résultats étaient vraisemblablement plus
défavorables encore à la population colonisée. Par ailleurs, Ali
Boumendjel obtient, autre fait remarquable, une bourse qui lui
permet d’être logé à l’internat. Il quitte donc la maison de son père
à Larba pour rejoindre le collège colonial le plus proche, le collège
Duveyrier de Blida où il poursuit toutes ses études secondaires.
Il ne déroge pas à sa réputation d’élève brillant en obtenant, dès
la 6e, le prix d’excellence. De ses camarades de classe, Jean Daniel,
qui a son âge sans être très proche, et Sadek Hadjerès, de quelques
années plus jeunes, peuvent aujourd’hui témoigner.
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 85

L’épisode de Blida est déterminant dans le parcours d’Ali


Boumendjel comme il l’a été dans le parcours de plusieurs
autres. Le collège de Blida est d’abord le lieu de la poursuite
de l’éducation en français. Il est aussi le lieu de convergence
d’élèves venus de régions éloignées, aux modes de vie, et parfois
même aux langages différents. Pour beaucoup, il est le lieu
des premières expériences politiques, des discussions et de la
formation avec des aînés déjà engagés. Or, il suffit de regarder
la liste des camarades de promotion d’Ali et d’autres élèves
qu’il a pu également fréquenter pour comprendre qu’il y a
bien plus qu’un hasard dans la rencontre de tant de parcours
remarquables. Ch.-R.  Ageron fait remarquer que les étudiants
ont eu en Algérie un « rôle politique disproportionné à leur
petit nombre 46 ». Il faut élargir la remarque aux collégiens et
lycéens qui, eux aussi, jouent un rôle politique important et
utilisent les réseaux de relations formés pendant leurs années
d’études secondaires à des fins militantes, en particulier durant
la guerre.
Deux dimensions sont importantes en ce qui concerne le
milieu du collège de Blida et la pépinière politique qu’il constitue.
La première est l’importance de cet épisode pour la politique des
mouvements dits « indigènes ». Ali se trouve dans la même classe
que Benyoucef Benkhedda, Saad Dahlab et Abbane Ramdane,
trois des quatre futurs membres du CCE du FLN, le Comité
de coordination et d’exécution, créé en 1956. Par ailleurs, à
peine plus jeune qu’eux, M’hamed Yazid, futur ministre des
Affaires étrangères du GPRA, le gouvernement provisoire de la
République algérienne, est également élève du collège de Blida.
À l’époque de Blida, ces élèves se lancent dans la vie politique.
Au fur et à mesure qu’ils avancent dans leurs études, le groupe
prend un rôle de leader dans ces actions, soucieux de former et
d’éduquer les plus jeunes, et menant les revendications et les
discussions politiques. Il s’engage d’abord dans des luttes portant
sur leur vie quotidienne, la nourriture ou des conditions de
logement par exemple47, se confrontant parfois à une adminis-
tration hostile. Benkhedda évoque, dans un écrit, l’atmosphère
du collège colonial :
86 Ali Boumendjel

Mohammed Lassaker était un élève externe au collège. Il nous


mettait au courant, nous les internes, de ce qui se passait
dehors, en fait d’activités politiques. Il était le responsable
de la section de Blida de l’Étoile nord-africaine. Il arborait
sciemment une cravate verte ornée d’un croissant et d’une
étoile rouges comme pour défier l’Administration du collège.
En cette année, 1936 ou 1937, un événement nous marqua
profondément. Nous étions en classe quand soudain entra
inopinément le Principal de l’établissement, M.  Jacquin.
C’était un homme de droite, ouvertement hostile à l’accès
des jeunes Algériens à l’instruction. Porté sur l’alcool, il lui
arrivait de dépasser la dose. Ce jour-là donc, il se fendit d’un
discours qui nous était directement adressé. Nous étions en
tout quatre Algériens au milieu d’une vingtaine d’Européens.
« Vous, les indigènes, nous dit-il, vous voulez vous instruire
pour mieux nous poignarder… Vous êtes des poignards qu’on
aiguise contre la France »48…

Une rencontre est importante dans la politisation de ce groupe.


Leur maître d’internat est, durant plusieurs années, Ahmed
Lamine Debaghine, qui finance ainsi ses études. Il est alors déjà
militant du PPA, le Parti du peuple algérien de Messali49. Selon
l’expression de Benkhedda, rapporté par Amar Bentoumi, tous
ont été « contaminés » par lui. La vie politique dans les collèges
coloniaux et les lycées est essentielle pour la connaissance du
PPA et du mouvement national car les relations qui s’y nouent
perdurent et parce que des militants et de futurs cadres du FLN
y font leurs premières armes. Réunissant des lycéens et des
étudiants de régions diverses, les collèges coloniaux rassemblent
du même coup un potentiel politique et militant considérable
que la vie en commun et la confrontation/engagement dans la
culture de l’école républicaine réalise. Quelle est la place exacte
d’Ali Boumendjel dans le groupe de Blida ? Il est difficile de
le dire. Hadjerès, plus jeune qu’eux, les regarde alors comme
une entité et il ne fait entre eux aucune distinction. Aucun
témoignage ne permet cependant de confirmer la version de la
famille selon laquelle Boumendjel aurait été à cette époque un
militant du Parti du peuple algérien de Messali Hadj. Il aura
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 87

certainement subi la « contamination » de Lamine Debaghine et


probablement une première exposition au nationalisme, d’autant
qu’à cette époque, son frère aîné, qui fait ses premières armes en
politique, est proche du PPA. En 1938, Ahmed Boumendjel est
l’un des défenseurs de Messali lors de son procès à Paris, avant
de l’être de nouveau en 194150.
Si à Blida, c’est d’abord la rencontre avec d’autres camarades
issus de la population colonisée, plus ou moins religieux et plus
ou moins politisés, qui provoque une prise de conscience de soi
et la redéfinition de son identité, c’est la confrontation avec
l’altérité qui fait avancer ce processus, la rencontre avec des
lycéens « européens ». Ali Boumendjel noue des relations avec
des « Européens », des libéraux ou communistes. Il fréquente
ainsi la famille communiste d’une de ses camarades de classe,
Marie-José Ricco. Leurs relations sont suffisamment étroites pour
que les parents de Marie-José deviennent ses correspondants à
Blida et qu’il passe parfois le week-end chez eux. Par ailleurs, il
noue des relations durables avec certains de ses camarades de
classes, comme Pierre Grit, ou Guy Constantini51, ou de façon
moins intime avec Jean Daniel52. Malgré la proximité existant
à l’école primaire avec les « Européens », de telles relations n’y
avaient pas été possibles : seule l’atmosphère du collège colonial
permet à Boumendjel de nouer avec eux des relations amicales
durables.
Outre les rencontres avec des camarades de classe, Ali
Boumendjel sympathise également avec ses professeurs dont
certains ont, par leur enseignement ou par leur manière d’être,
une influence durable sur lui. Comme la plupart des lycéens de
Blida, il est profondément et durablement marqué par l’ensei-
gnement d’un professeur de français, Marcel Domerc. Lorsqu’en
1957, L’Express consacre un article à M’hamed Yazid, alors repré-
sentant du FLN à l’ONU, un long passage évoque le passage par
le collège de Blida :

D’autres professeurs d’histoire ou de lettres l’avaient


éveillé à la conscience révolutionnaire par le libéralisme
de leur enseignement. C’était l’époque où l’on ne parlait
88 Ali Boumendjel

en Algérie que de Marcel Domerc, un jeune professeur de


Blida, qui devait être le guide de nombreuses générations
d’élèves musulmans et français. C’est à lui que le Congrès
musulman de 1936 (celui qui demandait à Léon Blum de
faire des Algériens des Français) confia le soin de rédiger sa
proclamation.
À cette époque Yazid n’était qu’un gosse. Mais on ne parlait
autour de lui que de ce professeur français qui luttait pour
que les musulmans puissent avoir la nationalité française.
L’un de ceux qui parlaient avec le plus d’émotion de Marcel
Domerc était Ali Boumendjel, qui a été arrêté mardi dernier
à Alger  : un avocat (UDMA), frère de l’ancien conseiller à
l’Union française. Domerc « marquait » ses élèves53.

Quelques années après Boumendjel et Yazid, Hadjerès est assis


sur les mêmes bancs ; il en fait la description et confirme l’affec-
tion qu’éprouvait Domerc pour Boumendjel :

Certains d’entre nous eurent la chance d’avoir des professeurs


dont ils ne pourront, de leur vie, oublier le talent et le cœur.
Je voudrais évoquer l’un d’eux à qui des dizaines de ses
anciens élèves algériens gardent une profonde affection. Il
a guidé nos premières réflexions véritables, il a ouvert nos
yeux sur le monde, nous le présentant sans fard dans toute sa
dureté et sa beauté ; il nous a préparés à notre rôle d’homme
en nous encourageant à revendiquer et conquérir tout ce qui
fait la noblesse de l’être humain. […]
Ce professeur était socialiste (SFIO) ; il avait défendu à l’époque
la politique d’assimilation, mais dans son enseignement,
il était trop intelligent pour ne pas savoir qu’une culture
ne s’impose pas. Et à nous qui étions d’ardents patriotes
algériens, il fit aimer la culture française. […]
Patriote français, il comprenait bien nos préoccupations et
ne jugeait pas nuisible à nos relations de maître à élèves
que chacun restât attaché à sa patrie respective, nous
encourageant à une sincérité totale dans nos dissertations.
Sa plus grande joie était de rencontrer ses anciens élèves.
Il nous raconta un jour, comme venait de l’émouvoir sa
rencontre avec l’un d’eux qui l’avait remercié pour tout ce
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 89

qu’il lui devait. Cet élève était Ali Boumendjel, qui trouva la
mort douze ans plus tard dans les locaux des parachutistes
où il était torturé54.

Après 1943, à l’époque qu’évoque ce texte, Boumendjel


commence à écrire des articles dans Égalité où l’on trouve, presque
à chaque ligne, des références aux auteurs étudiés en classe avec
M.  Domerc. Ensemble, ils lisent Lucrèce, Montaigne, Diderot,
Montesquieu, Voltaire, Racine, Nerval, Baudelaire. Domerc leur
fait réciter des poèmes d’Aragon. Le cours de français devient,
grâce à lui, un cours où la libre expression est possible et où
la culture française devient une culture universelle qui permet
d’appréhender toutes les questions du monde, à commencer
par la question de la colonisation qui occupe l’esprit des élèves.
Revendiquer et conquérir ce qui fait la noblesse de l’être humain :
la phrase de Hadjerès fait écho aux articles de Boumendjel. Le
monde du savoir et de la politique n’a pas de frontière et ces
questions ne nous intéressent pas en fonction de notre apparte-
nance géographique mais parce que nous sommes des hommes.
Dans Égalité du 10 novembre 1944, Boumendjel rend hommage
à Malraux en même temps qu’à l’enseignant qui le lui a fait lire
une décennie auparavant, durant les années trente :

Une voix mâle, grave, que nous aimions, dans une salle de
classe. « La grève générale est décrétée à Canton. » Et les
révolutionnaires balbutiants que nous étions éprouvaient ce
choc que tout être éprouve devant un problème tragiquement
humain. Une véritable cristallisation s’opérait en nous : notre
conception simpliste avait trouvé une expression. Malraux
était présent. Il a pour ceux de ma promotion –  et pour
toujours – cette voix grave, frémissante, intensément vivante.
« Il est difficile d’être un homme. Mais pas plus de le
devenir en approfondissant sa communion qu’en cultivant
sa différence… », écrit quelque part Malraux.
Et parce qu’il a affronté la différence d’être un homme et
qu’il l’a vaincue pour sa part ;
parce qu’il a lutté par ses écrits et par ses actes ;
parce qu’il n’a jamais trahi la cause de l’homme,
90 Ali Boumendjel

qu’Égalité peut revendiquer à son tour Malraux.


Il a su –  comme le dit si bien M.  Domerc  – « imposer la
grandeur des quelques hommes qui ont choisi de vouer leur
vie à la liberté des peuples asservis ». […]
Et c’est pourquoi Malraux appartient aussi aux Algériens.
C’est pourquoi le résistant français Malraux, qui fut le
combattant Malraux de Chine, d’Espagne et de partout
ailleurs où règne la force nous appartient.
Ah ! si tous les Français étaient des Malraux ou des Domerc,
qui en parle avec tant d’émotion et de vérité, sans doute
verrions-nous « cette puissante et austère amitié éparse sur
la terre »55.

Domerc fournit à Boumendjel le premier exemple d’un intel-


lectuel français qui, comme Malraux, ne trahit pas son rôle mais
le joue pleinement dans la classe et dans ses articles. « Et c’est
pourquoi Malraux appartient aussi aux Algériens » : cette phrase
résume la relation qui se noue entre l’élève colonisé et le savoir
qui lui est enseigné à l’école de la colonisation. S’il est des pans
du savoir qui sont rejetés, discutés et en tout cas considérés
comme des savoirs étrangers, bien souvent le savoir est digéré
par des étudiants avides qui se l’approprient sans réticence. Cet
extrait illustre l’extraordinaire liberté face aux penseurs français :
c’est dans sa pratique que l’intellectuel se juge, et si sa pratique
va dans le sens d’une émancipation des hommes, l’intellectuel
devient une figure qui ne connaît pas les frontières et que tout
un chacun peut s’approprier et revendiquer.
Il est intéressant de confronter l’évocation du professeur de
français Domerc avec celle de Mohammed Hadj Sadoq, un ensei-
gnant en arabe, qui devient par la suite, comme M.  Domerc,
le professeur de Sadek Hadjerès. De la même manière que tous
ses camarades du collège, Boumendjel doit en effet choisir au
collège une langue étrangère. Sadek Hadjerès écrit à ce sujet :

Le lycée nous donna l’occasion d’étudier un peu l’arabe.


Une cruelle ironie veut que cette occasion nous fût offerte
par l’obligation où se trouvait chacun de nous de choisir la
langue « étrangère » qu’il désirait étudier : anglais, allemand,
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 91

espagnol, italien ou… arabe ! Les deux premières années,


nous dûmes piétiner dans les rudiments et dans la langue
parlée, que nous connaissions déjà, avant d’aborder la langue
littéraire. Contrairement à celui des autres langues, la qualité
de cet enseignement laissait à désirer56.

En effet, l’arabe est considéré comme une langue étran-


gère dans l’enseignement français. De fait, les élèves ayant
déjà commencé à apprendre cette langue à l’école coranique
doivent subir deux ans d’apprentissage fastidieux pour parvenir
aux textes littéraires plus intéressants. Par ailleurs, beaucoup,
comme ici Hadjerès, se plaignent de la qualité de cet ensei-
gnement 57. On imagine que Boumendjel arrive dans ce cours
d’arabe en débutant. Cependant, grâce aux qualités pédago-
giques de Hadj Sadoq, il acquiert un bon niveau d’arabe. Sadek
Hadjerès décrit l’enseignant en l’opposant aux autres profes-
seurs d’arabe  :

Par contre, plusieurs d’entre eux avaient pris à cœur


l’enseignement de leur langue. Ils y déployaient des
efforts remarquables, comme pour compenser les graves
insuffisances du système. Une complicité tacite s’instaurait
entre eux et nous  : profitez-en, apprenez votre langue,
semblaient-ils nous dire en redoublant d’attention et de
sévérité à notre égard. Et de notre côté nous faisions le
maximum pour ne pas les décevoir. Je garde un souvenir
ému du plus remarquable d’entre eux. Après avoir distribué
le premier jour un nombre impressionnant de zéros, là où en
temps ordinaire nous aurions pu prétendre à des 15, il obtint
instantanément l’attention voulue et très vite la correction
des défauts des gosiers européens les moins bien disposés,
utilisant les termes des grammairiens arabes, cependant qu’il
nous menait d’emblée au cœur de la littérature arabe, nous
plongeant dans la splendeur de la poésie anté-islamique qu’il
nous obligeait à déclamer à la manière des guerriers-poètes
qui concourraient pour la désignation des « mouallaqat ».
Il était plutôt réformiste et ne partageait pas nos vues
révolutionnaires. Mais avec quelle chaleur communicative,
à propos de la littérature des XIXe et XXe siècles, étudiée dans
92 Ali Boumendjel

les grandes classes, il s’étendait sur les rénovateurs de la


culture arabe, débordant sur le contexte politique, exaltant
les œuvres de Jamal ad-Din al-Afghani et de cheikh Abdou,
analysant la situation de la Tunisie à la veille de la conquête
française, apportant mille éclaircissements sur les dessous de
la révolte de Arabi Pacha, évoquant l’émir Abd el-Kader et
la poésie populaire de notre pays58.

Ce passage montre bien la relation d’enthousiasme que les


étudiants issus de la population colonisée entretiennent avec
la langue arabe, pour peu qu’elle soit bien enseignée. Langue
maternelle, disent beaucoup d’entre eux, elle n’est pourtant la
langue première d’aucun d’eux qui parlent l’arabe dialectal ou
le kabyle pour certains, comme Boumendjel ou Hadjerès. Et
pourtant, encore une fois, son absence dans l’enseignement crée
un manque, de la même manière que la pauvreté de l’ensei-
gnement en ce qui concerne les pays arabophones et colonisés
crée une frustration. Le texte de Hadjerès traduit le manque de
temps de Hadj Sadoq pour compenser le déficit de l’enseigne-
ment linguistique, historique et littéraire de ses élèves.
Au final, il est difficile d’évaluer le niveau en arabe de
Boumendjel au moment de son baccalauréat. Les œuvres
étudiées dans le cours de Hadj Sadoq sont bien sûr des textes
difficiles, présentant une grande variété de niveaux de langue
et de registres. L’arabe des mu‘allaqat, ces poèmes « suspendus »
déclamés par les poètes lors de la foire de La Mecque est un arabe
très classique, une langue ancienne très différente de l’arabe
bien plus moderne des œuvres de la Nahda, la renaissance arabe,
comme ceux de Muhammad Abduh ou Jamal ad-Din al-Afghani.
Il est donc vraisemblable que sa compréhension de la langue
écrite soit bonne et qu’il soit tout à fait capable de lire la presse
en langue arabe. La maîtrise de la langue arabe et le goût qu’il
a pour elle le différencient de son frère Ahmed. Lorsqu’il écrit
plus tard des articles dans Égalité ou La République algérienne, il
aborde fréquemment la question de la défense de la langue et
les outrages que la colonisation lui fait subir. Ainsi le 23  août
1946, alors qu’une proposition de loi, tendant à rendre la langue
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 93

arabe officielle, présentée à l’Assemblée constituante par l’UDMA


a été rejetée, il écrit :

Drôle de pays tout de même que l’Algérie. Pays de langue


arabe, où le vieil arabe classique est quasiment ignoré, et ceci,
grâce à une Administration qui s’acharne à nous étouffer
dans des patois dialectaux sans passé et sans avenir59.

Il conçoit donc l’arabe classique comme langue écrite et


langue de culture pour toute l’Algérie. Son article appelle d’ail-
leurs à lutter contre l’étouffement de la langue, de la culture
arabe, et au respect de l’islam. Comment ne pas penser, en lisant
cet article, à l’enseignement qu’il a reçu à Blida dans les cours
de Hadj Sadoq ? Grâce à l’enseignant, il se trouve en contact
avec les mouvements culturels et religieux du Moyen-Orient
dont l’empreinte dans le nationalisme arabe est déterminante60.
À l’époque du collège de Blida, Ali Boumendjel se distingue
par sa carrure déjà impressionnante  : sa grande taille et un
certain embonpoint le font ressembler à son frère aîné. Mais
Ahmed est blond aux yeux clairs, alors qu’Ali est brun, avec des
cheveux crépus. Son solide physique ne l’empêche pas d’être
toujours un sportif accompli, puisqu’il continue à pratiquer le
football à un haut niveau, faisant l’admiration de ses condis-
ciples. Il joue avant-centre dans l’équipe du collège et, à Larba,
au Ryada club qui débute à cette époque. Jusque-là, il n’y avait
qu’une équipe à Larba, et la création du club marque les débuts
d’une équipe musulmane. La question de l’identité des équipes
et des clubs sportifs, dont certains sont vus comme européens,
musulmans ou mixtes, est un enjeu important pour les suppor-
ters et les joueurs. Elle deviendra de plus en plus aiguë avec le
temps61. Le football est une véritable passion, Ali la communique
même à ses sœurs, en leur expliquant par le menu les règles et
les stratégies à l’œuvre sur le terrain62. Il s’éclipse fréquemment
de la maison de Larba, où il rentre en fin de semaine, pour
une partie de foot avec ses amis sur un terrain vague et son jeu
suscite l’enthousiasme : dans le public, le petit Sadek Hadjerès,
élève de 5e  quand Boumendjel est en terminale, fait partie des
94 Ali Boumendjel

supporters qui crient « allez Boum ! allez Boum ! » sur le bord du


terrain63. Le terrain de foot est le seul endroit où il apprécie de
se faire remarquer et de déclencher l’enthousiasme car, malgré
son apparence, c’est un jeune homme discret, presque taciturne.
Cette discrétion, liée à la timidité, n’est pas dénuée, lorsqu’il est
plus à son aise, d’une grande malice.
Ali revient parfois à Larba en fin de semaine et choisit alors
avec soin des livres qu’il fait lire ou qu’il lit à ses sœurs et à son
frère cadet. Il choisit des ouvrages dans des domaines très variés
et leur parle de littérature, de peinture, leur lit des romans. « On
était autour de lui à l’écouter, raconte sa sœur Aziza. C’était un
érudit. Vraiment, on l’écoutait avec admiration. » Un érudit,
un amoureux des livres : tous ses proches font de lui le portrait
d’un véritable intellectuel. Mais sa passion pour le football et
son goût pour les chansons à la mode donnent à son image
de l’épaisseur, en rappelant que le futur intellectuel est à cette
époque un adolescent algérien parmi d’autres. Ahmed a alors
quitté la maison, et Ali joue le rôle de fils aîné. Au sein de la
famille, il a une certaine assurance, et même un charisme qui
disparaît parfois lorsque, à l’extérieur, il est intimidé.

La rencontre avec les Amrani


Les années trente sont celles de la rencontre des
Boumendjel et de la famille Amrani. Une des sœurs d’Ali,
Djouher Aït Kaci, dont le mari a été nommé à Bir Ghabalou,
fait la connaissance du facteur-receveur du village, Belkacem
Amrani, et de sa famille avant de revenir s’installer à proximité
de Larba. Lorsque les Amrani viennent leur rendre visite, certains
d’entre eux sont logés à Larba, dans la maison des Boumendjel.
Belkacem Amrani, que tous décrivent comme un homme
original, sympathique et facétieux, est un ancien combat-
tant de la Première Guerre mondiale. Blessé au combat, il
reçoit une pension d’ancien combattant, envoie ses enfants à
l’école française et a bénéficié de la naturalisation. Comme les
Boumendjel, la sociabilité des Amrani est tournée vers la popula-
tion « européenne », mais à la différence de Mohand Boumendjel,
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 95

le tempérament extraverti et aventureux de Belkacem Amrani le


conduit à nouer des relations plus proches avec ses voisins. Il
donne, de façon inédite, à certains de ses enfants des prénoms
français  : alors que Malika porte Fatima-Zohra pour deuxième
prénom, l’une de ses sœurs se prénomme Suzanne et l’un de ses
frères est affublé d’une collection de prénoms : André, Maurice,
Jean-Marie. Les enfants, y compris les filles, fréquentent ainsi
beaucoup d’« Européens », se rendant chez eux et les invitant
à la maison, ce qui reste à cette époque rarissime. Jeune fille,
Malika Amrani, peut ainsi sortir avec des amies « européennes »
et se rendre au bal le samedi soir par exemple, ce qu’en aucun
cas les sœurs d’Ali ne font. Elle s’amuse, au cours de chaque
entretien, de la jeune fille coquette, pétrie de romans à l’eau de
rose et de fantaisie qu’elle était et qui tranchait avec le rigorisme
des Boumendjel64. Elle devient très vite l’amie des sœurs d’Ali
lorsque les relations entre les deux familles se prolongent au
cours de plusieurs séjours des Amrani à Larba pendant les
vacances scolaires.
D’un point de vue sociologique, la rencontre entre Malika
Amrani et Ali Boumendjel est très classique  : ils sont en effet
du même milieu social (leurs pères sont tous deux fonction-
naires), originaires de la même région (les deux familles sont
kabyles), même si les cultures familiales sont différentes. Ce
qui est intéressant ici, ce sont les modalités de leur rencontre :
loin du modèle matrimonial de la génération précédente, loin
aussi du modèle d’union établi par les sœurs d’Ali par exemple,
la relation entre les deux jeunes gens étonne. Le récit qu’en
fait Malika accentue certainement ce caractère, du fait d’une
culture très fleur bleue qui la fait rire encore aujourd’hui. Elle
fait le récit d’une véritable histoire d’amour qui ne manque pas
de surprendre, dans ce milieu d’instituteurs kabyles des années
trente. Il y est question de baisers volés, de marguerites effeuillées
et de promenades main dans la main, de chansons à la mode
fredonnées à l’unisson. Les parents ne semblent pas s’opposer
à cette relation, ni aux lettres échangées. Malika n’a pas été
élevée dans l’idée d’un mariage imminent et ne se soucie pas
d’officialiser les choses. Elle se contente alors de l’accord tacite
96 Ali Boumendjel

Belkacem Amrani, le père de Malika Boumendjel, est ancien


combattant de la Première Guerre mondiale où il avait été
blessé.
(Photographie non datée. Archives familiales.)

des parents d’Ali et se reproche aujourd’hui amèrement ce qu’elle


considère comme sa grande naïveté.
Comme dans les romans, les difficultés surviennent en effet et
proviennent des familles. Le temps venu de rendre cette relation
officielle, ne serait-ce que pour éconduire d’autres prétendants,
les deux pères ne parviennent pas à se mettre d’accord et
finissent en très mauvais termes. A-t-il été question d’un autre
mariage entre le frère de Malika et une des sœurs de Ali ? C’est
possible, mais c’est un sujet encore délicat. Cela tendrait à faire
penser qu’il y a, derrière l’histoire d’amour racontée par Malika,
des stratégies familiales plus coutumières. En dehors de Malika,
personne dans la famille Boumendjel n’a souhaité évoquer cet
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 97

épisode. Il est extraordinaire de voir s’opposer dans le récit,


selon un ressort dramatique bien connu, la logique sociale et
familiale d’un groupe en plein bouleversement de modes de vie,
et la logique sentimentale d’un couple dont l’amour est figuré
par cette série de gestes d’un romantisme imité des romans à
l’eau de rose en français que Malika fait lire aux sœurs d’Ali.
Il semble donc que la relation entre Malika Amrani et Ali
Boumendjel soit contrariée d’abord par le refus de Mohand
Boumendjel de voir son fils promis à la jeune fille, puis par le
mariage en août 1939 de Malika avec un autre homme, un insti-
tuteur, contre sa volonté. L’argument de Mohand Boumendjel
est que son fils doit finir ses études d’abord. Contrairement à son
frère, qui a été instituteur avant de faire son droit, Ali envisage
de faire directement des études de droit, sans passer par l’étape
de l’enseignement.
À la seconde génération de l’école française, on constate que
l’ascension sociale est le fait des garçons comme des filles de
la famille. Pour les sœurs d’Ali, être éduquées et avoir le même
métier que leur père constitue un changement radical. En effet,
il faut comparer leur situation non à celle de leur père, mais
à celle de leur mère, pour percevoir la transformation socio-
économique effectuée en une génération et le passage d’une
condition de femme au foyer, analphabète, à celle de femmes
instruites et actives. Pour les garçons, prolonger le parcours
d’ascension sociale, c’est sortir de la situation dans laquelle leur
père s’est établi, poursuivre leurs études et pratiquer une profes-
sion libérale. La distribution des métiers entre les sexes est ainsi
préservée d’une génération à l’autre, malgré le bouleversement
de mode de vie que connaît la famille.
Ahmed Boumendjel, le frère aîné d’Ali a, dans un premier
temps, suivi les traces de leur père en « faisant » l’école normale
de Bouzarea, près d’Alger, où il est interne de 1923 à 1926. Il fait
ensuite son service militaire avant d’enseigner durant quatre ans
en Oranie. Au mois d’octobre  1932, il quitte l’Algérie pour un
poste d’interne au collège Sainte-Barbe à Paris, où il commence
son droit. Son départ se fait sans l’accord de ses parents et sans
même qu’ils en soient avertis. Par la suite, il revient à Larba à
98 Ali Boumendjel

plusieurs reprises pendant l’été et, une fois diplômé, installe


son cabinet rue Vialar, à Alger, à proximité de la cathédrale
Ketchaoua. En 1938, il se marie avec Gilberte Charbonnier, une
enseignante originaire de métropole, qui accepte de le suivre à
Alger pour l’épouser.
Avant de commencer ses études, Ali Boumendjel travaille
pendant deux ans comme maître d’internat. Il passe une période
à Sidi Bel-Abbès65 mais aussi, selon M’hamed Yazid, au collège
de Blida66. Il est possible qu’il travaille à Blida en même temps
qu’il commence ses études de droit, dans le contexte de la
Seconde Guerre mondiale. Le choix de la filière dans laquelle il
s’engage n’est pas lié à un goût particulier. Il aurait préféré, selon
plusieurs témoignages, faire des études de médecine. Cependant
la durée de telles études restait fortement dissuasive pour les
étudiants issus de la population colonisée, en raison des dépenses
qu’elle imposait aux familles. Même si les carrières médicales
et pharmaceutiques leur étaient théoriquement accessibles, ils
préféraient donc bien souvent choisir des voies plus courtes. Pour
Boumendjel, ce sera le droit67. Sa nièce Fadila Chitour témoigne
également que son oncle Ali est féru de mathématiques. N’eût
été « l’autocensure du colonisé » qu’elle dit avoir ressentie chez
lui, il aurait peut-être choisi cette voie et, comme d’autres neveux
et nièces, elle témoigne qu’il aurait pu être un excellent ensei-
gnant. Cependant, Guy Pervillé fait remarquer que les carrières
d’enseignants et, plus généralement, de fonctionnaires ne
sont pas très attractives pour les étudiants dits indigènes du
fait des conditions de travail moins bonnes que celles de leurs
collègues français. Les passions d’Ali Boumendjel pour toutes
sortes de domaines, allant des mathématiques à la littérature
en passant par la peinture, contrastent avec ce choix, utilitariste
en somme, des études de droit. Ne pas choisir selon son goût
mais en fonction de données pratiques est une caractéristique
de l’orientation des indigènes dans leurs études68, de la même
façon que c’est une caractéristique des classes métropolitaines
modestes lorsqu’elles ont accès aux études.
Il s’inscrit à l’université d’Alger et fait partie, en 1939-1940,
des 89 étudiants « musulmans algériens » représentant 4,7 % du
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 99

total des étudiants, et des 14 étudiants en droit 69. Autrement dit,


il fait partie d’une petite minorité de colonisés ayant eu accès
aux études supérieures. Ses conditions de vie sont rendues plus
favorables à partir du moment où son frère aîné l’accueille dans
son appartement, contigu au cabinet d’avocat de la rue Vialar.
Durant ses études, il rencontre des « Européens » de tous
bords. Il est proche d’« européens » libéraux, comme Albert-
Paul Lentin avec lequel, à l’occasion, il ne recule pas devant la
confrontation avec les étudiants d’extrême droite, au poing si
c’est nécessaire. A.-P. Lentin écrit à son sujet :

Étudiants en droit de la même promotion, nous étions entrés


tous deux ensemble dans les luttes politiques, en 1941, en
faisant le coup de poing, devant les amphithéâtres de la
faculté, contre les jeunes fascistes du SOL (« Service d’ordre
légionnaire ») qui venaient chahuter les cours presque
ouvertement antipétainistes d’un professeur de droit public
très « engagé », René Capitant. La masse et le poids d’Ali
Boumendjel, autour duquel nous nous déployions en
voltigeur, constituaient, dans nos bagarres, l’élément lourd
et souvent facteur de succès.

René Capitant a quitté la métropole après s’être engagé dans


la Résistance. À son arrivée à Alger, en 1941, il devient profes-
seur à la faculté de droit et fonde un groupe de résistance avec
deux autres juristes de l’université. Ce groupe s’affilie rapide-
ment au grand réseau Combat, devenant Combat outre-mer, ou
Combat-Empire. Des étudiants comme Albert-Paul Lentin, l’ami
de Boumendjel, font partie de Combat et lisent avec attention la
feuille, elle aussi intitulée Combat, que Capitant rédige en grande
partie. La position de Capitant n’est un mystère pour personne,
surtout pas pendant ses cours, qui provoquent la réaction des
organisations pétainistes. Il est d’autant plus facile à Boumendjel
de s’entendre avec lui que Capitant a pris des positions en faveur
de l’application du projet Blum-Viollette en 193670. L’étudiant
a une réputation d’homme de gauche « communisant », selon
sa propre expression, ce qui semble d’ailleurs lui avoir évité le
100 Ali Boumendjel

Ali Boumendjel.
(Photographie d’identité non datée. Archives familiales.)

service militaire et le combat71. Ainsi, l’opposition au pétainisme


et la défense des droits de la population colonisée rassemblent
l’homme de gauche et le gaulliste dans une relation respectueuse.
En 1943, Boumendjel obtient sa licence de droit et s’inscrit au
barreau. Si l’on en croit les chiffres du Livre des diplômes juridiques,
cités par Charles-Robert Ageron, qui permettent d’avoir un ordre
d’idée, il n’y aurait eu que 52 musulmans licenciés de droit
de 1941 à 1954. « Ces chiffres expliquent, écrit Ch.-R.  Ageron,
qu’en 1951 les avocats musulmans étaient seulement au nombre
de 78 72. » À la faculté de droit, comme au collège de Blida,
les étudiants issus de la population colonisée constituent donc
une très petite minorité. Boumendjel en profite pour nouer des
relations durables avec des étudiants « européens ».
C’est aussi dans les années 1942 et 1943 qu’Ali recommence
à fréquenter Malika Amrani.

***
Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien (1919-1943) 101

On voit bien ainsi comment le parcours de Boumendjel suit


celui de sa famille et, en particulier, l’ascension sociale de son
père et la mobilité qui en résulte.
À l’origine de ce cheminement familial, dessiné par les
entretiens, il y a l’entrée à l’école des Pères Blancs de Mohand
Boumendjel, elle-même liée au contexte particulier de la Grande
Kabylie. En effet, on observe vers 1950 (seule date à laquelle une
telle enquête a été menée) une surreprésentation des Kabyles à
l’université d’Alger, conséquence de l’antériorité du développe-
ment de l’enseignement secondaire dans cette région73.
Dans ce parcours individuel, l’année  1943 constitue un
tournant comme elle est un tournant pour l’histoire de l’Algérie.
Sur le plan personnel, c’est l’année de la fin des études de droit
et un éloignement de la famille consécutif à sa liaison avec
Malika Amrani. Par ailleurs, le débarquement américain sur les
côtes algériennes et marocaines, qui prélude à l’instauration
d’un véritable protectorat américain sur l’Algérie, et la rédac-
tion du Manifeste du peuple algérien inaugurent une transition
des pratiques politiques dans la colonie. Ces changements vont
définir l’engagement politique d’Ali Boumendjel jusqu’au début
de la guerre d’indépendance algérienne.
3
L’avocat de la République algérienne
(1943-1957)

S aisir Ali Boumendjel dans sa vie d’homme et


d’avocat est délicat. Aucune étiquette ne lui
convient  : on le retrouve constamment où on ne l’attend pas
(proche des communistes), et pas forcément où on pense le
trouver (dans le Collectif des avocats). Son engagement politique
l’a souvent conduit vers des courants minoritaires, ses responsa-
bilités détonnant avec le désir de discrétion qu’il affichait dans
tous les domaines. La forme même de son engagement n’est pas
commune. Sa participation à des élections perdues d’avance,
ou au contraire son adhésion au Mouvement mondial de la
paix en font un militant hors du commun, sortant des carrières
politiques repérées par les historiens ou mises en valeur par les
histoires officielles. C’est pourquoi les témoins qui l’ont connu
en donnent une image contradictoire. Beaucoup l’ont fréquenté,
parfois régulièrement, mais aucun ne donne l’impression de
l’avoir connu intimement. Aucun en tout cas, pas même son ami
très proche, Amar Bentoumi, n’en brosse un tableau cohérent,
complet et satisfaisant pour l’historien désireux à tout prix de
donner un sens à la vie de son personnage. C’est justement la
complexité, la multiplicité du personnage et cette difficulté à le
saisir qui permettent d’enrichir, malgré les zones d’ombres qui
demeurent, la connaissance de la vie politique et sociale d’Alger
dans les années quarante et cinquante.
Sa vie privée comme sa vie politique et professionnelle ont fait
d’Ali Boumendjel un membre de ce qu’Annie Rey-Goldzeiguer
appelle le « monde du contact1 ». Loin de s’exclure radicalement,
population coloniale et population colonisée ont constamment
mordu, empiété l’une sur l’autre par le biais de nombreuses
104 Ali Boumendjel

interfaces  : monde bigarré, constitué de groupes hétéroclites,


dont les membres ne cessent de communiquer. L’analyse
dualiste, manichéenne de la colonie ne permet pas de rendre
compte du rôle essentiel que jouent ces passeurs, en particulier
dans la société citadine. Issu de la population colonisée avec
laquelle il ne rompt jamais, Ali Boumendjel est de ces « hommes-
frontières2 » qui redéfinissent et inventent de nouvelles relations,
notamment dans le domaine familial.

Un homme-frontière
Au sortir de ses études de droit, alors que la France
est vaincue, dirigée par le gouvernement de Vichy, que les
Anglais et les Américains viennent de débarquer en Afrique du
Nord, deux questions se posent à Ali Boumendjel. D’une part,
comme tous les jeunes avocats, il doit d’abord trouver un stage,
puis un cabinet où exercer son métier ; il doit, d’autre part,
résoudre l’épineux problème de sa relation avec Malika Amrani.
Or, son mariage, comme l’exercice de son métier d’avocat, vont
le pousser plus avant dans des réseaux de sociabilité mixtes en
distendant ses relations avec les siens. De ce phénomène, Malika
est le témoin privilégié. À ses fréquentations professionnelles et
amicales –  qui mélangent « Européens » et « musulmans »  – et
le font entrer de plain-pied dans le monde du contact, répond
sa contribution à la représentation de l’Algérie à venir  : à ses
yeux, la future citoyenneté algérienne devra englober tous les
habitants de la colonie, quelle que soit leur origine.

L’installation comme avocat


En 1943, Ali Boumendjel est licencié en droit. Il s’ins-
crit au barreau d’Alger et envisage, un temps, de commencer
un doctorat. Il choisit de faire son stage auprès de son frère
Ahmed. Le frère aîné prend donc la responsabilité d’ouvrir les
portes de son cabinet à ce frère cadet qui marche dans ses pas.
Le cabinet de la rue Vialar, en plein centre-ville, s’avère d’ail-
leurs un excellent choix  : c’est en effet un cabinet florissant,
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 105

mené d’une main de maître par un avocat brillant. Déjà actif en


politique, Ahmed a-t-il besoin de son frère pour le seconder dans
ses nombreuses affaires ? Ali continue de vivre chez son frère,
sa belle-sœur et ses deux nièces, dans l’appartement attenant
au cabinet.
Cependant, après la fin de la guerre, Ali n’y demeurera pas.
Malika Boumendjel se souvient d’une discussion entre les deux
frères à ce sujet. Ahmed semblait faire valoir qu’ayant lui-même
une famille à charge, il avait besoin de revenus suffisants pour la
faire vivre convenablement. Ali recherche donc un autre emploi.
Trouver un local est presque impossible et les pas-de-porte sont
extrêmement coûteux du fait de la très grave crise du logement
que connaît Alger durant les années de guerre et d’après-guerre.
C’est alors qu’Ali Boumendjel reçoit la proposition de travailler
dans un cabinet de Blida, à la suite du décès d’un collègue. Il
quitte Alger en 1946 ou 1947.
Parce que Malika Boumendjel, restée à Alger, est le principal
témoin pour cette période, il est difficile de savoir dans quelles
conditions il a exercé son métier à Blida, quels étaient ses collè-
gues et ses fréquentations. Néanmoins, il est certain que pendant
ce second séjour blidéen, il passe toute la semaine à son cabinet
et ne rejoint Malika que les week-ends. Il n’est pas étranger dans
la petite ville des roses où il a fait ses études ; il y noue même
des contacts politiques avec les nationalistes ou les communistes.
Mais certains de ses collègues du barreau de Blida sont plutôt
hostiles : ainsi les deux parents de Pierre Lagaillarde, alors adoles-
cent et qui fera partie des parachutistes engagés dans la « bataille
d’Alger », dix ans plus tard, sont inscrits eux aussi au barreau.
La période de Blida est brève, et Ali revient rapidement travailler
dans le cabinet de son frère ; lorsqu’au début des années 1950,
Ahmed décide de quitter Alger pour s’installer à Paris, avec son
épouse Gilberte et ses deux filles, Ali, reprend le cabinet de la rue
Vialar. Pourquoi Ahmed quitte-t-il à ce moment une situation
bien établie et une vie confortable ? Les raisons politiques au
départ d’Ahmed priment vraisemblablement toute autre consi-
dération  : il est chargé par son parti, l’Union démocratique du
Manifeste algérien (UDMA), d’organiser des sections en France.
106 Ali Boumendjel

Fadila Chitour Boumendjel, la fille d’Ahmed et de Gilberte,


aujourd’hui médecin endocrinologue, était alors enfant. Elle
me reçoit dans sa belle villa sur les hauteurs d’Alger. Avant de
pouvoir lui poser mes questions, je me trouve attablée devant un
café au lait et de la harcha – une galette faite, pour l’occasion, me
dit-elle, avec de l’huile d’olive de Kabylie. Mais peu importe, en
attendant, elle évoque sa mère, décédée quelques mois plus tôt,
son père auquel elle voue une immense admiration et son oncle
Ali, mes chers disparus comme elle les surnomme avec émotion.
Concernant le départ d’Alger, Fadila évoque aussi l’inquiétude
d’Ahmed pour son frère cadet, allant jusqu’à dire qu’une de ses
motivations était de laisser à son jeune frère une confortable
situation. L’explication est probablement exagérée, afin de souli-
gner le rôle central que jouait Ahmed dans la famille, mais elle
a le mérite de révéler la complexité des liens de solidarité qui
se nouent au sein d’une nombreuse fratrie, et en particulier les
relations très fortes qui unissaient les frères Boumendjel, non pas
comme deux frères de même âge, ou deux amis, mais bien en
tant qu’aîné et cadet. Cette importante différence d’âge semble
avoir donné à Ahmed un rôle quasi paternel à l’égard d’Ali,
rempli d’affection, d’inquiétude, et parfois d’agacement lorsque
le jeune frère ne montre pas assez de hargne dans son travail
d’avocat3. Son aîné le précède ainsi dans le travail comme il le
guide en politique, et il est probable, Malika Boumendjel le laisse
entendre, que l’ombre portée du très charismatique Ahmed a
parfois été encombrante pour son cadet.

À Alger, Ali Boumendjel mène la carrière banale des avocats


issus de la population colonisée. Comme ses collègues, il a
été, d’office, spécialisé dans le droit musulman, ce qui n’est
pas pour lui déplaire car il apprécie beaucoup les questions de
statut personnel. Rappelons que la justice française en Algérie
ne s’appliquait pas à tous les habitants de la même manière : les
habitants d’origine européenne, considérés comme des citoyens
français à part entière, relèvent du droit français. Les colonisés,
encore appelés « indigènes » à l’époque, relèvent d’un statut
personnel, c’est-à-dire qu’ils peuvent être jugés selon des lois
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 107

différentes pour tout ce qui concerne le mariage ou l’héritage,


selon un code dit musulman (et code kabyle, le cas échéant). Ces
codes sont autant de formalisations, parfois très approximatives,
établies par des légistes français, des formes de justice en usage
avant la conquête4. Ali Boumendjel plaide donc souvent non
devant la cour de justice, mais chez le cadi, le juge chargé du
droit musulman devant lequel les affaires se plaident en général
en arabe. Les actes doivent en tout cas être traduits dans cette
langue, ce qui n’est pas sans poser de difficultés à bon nombre
d’avocats. Ils sont rares, en effet, à être parfaitement arabisés
comme le jeune Ghaouti Benmelha qui est issu de la médersa
(l’école arabophone)5, tandis que la plupart ont appris l’arabe
classique à l’école française comme une langue étrangère. Bien
qu’il soit dans ce cas, Ali Boumendjel est à l’aise pour plaider
en arabe et tout à fait capable de rédiger les documents officiels.
L’enseignement de Hadj Sadoq au lycée de Blida lui a permis de
rattraper son retard et d’utiliser cette langue avec plus d’aisance
que ses collègues. À l’inverse, et contrairement aux avocats
citoyens français, les avocats « indigènes » ne s’occupent généra-
lement pas d’affaires « européennes ». Le renom et la stature
d’Ahmed Boumendjel en font une exception dans ce domaine,
mais les avocats plus jeunes – comme Ali – ne défendent jamais
des « Européens ». Mohammed Hadj Hamou raconte avec amuse-
ment comment il lui est arrivé d’être abordé au palais de justice
par un « Européen » qui, l’ayant entendu plaider, souhaitait être
défendu par lui : l’homme, trompé par le physique de l’avocat
et n’ayant pas entendu son nom, croyait avoir affaire à un
avocat « européen ». Maître Hadj Hamou – trouvant la situation
piquante – n’avait pas jugé bon de le détromper tout de suite6.
Boumendjel apprécie aussi les affaires commerciales, les
affaires foncières, les problèmes de loyers qui se plaident, eux,
devant la cour de justice. Au début de sa carrière, il est vérita-
blement connu comme l’avocat des petites affaires qu’il traite
avec beaucoup de cœur, étudiant les dossiers avec un sérieux
qui fait l’admiration de ses collègues. Et puis, même s’il est
plus réservé que son frère, ténor du barreau, on lui reconnaît
du talent. Seulement le cabinet de la rue Vialar n’est plus tout
108 Ali Boumendjel

à fait aussi prospère car Ali ne met pas la même fougue pour
gagner de nouveaux clients que son aîné, dont il n’a pas le
renom. Travaillant pour les petites gens, il est payé d’une pièce,
de quelques sous, parfois même en nature. Mohammed Hadj
Hamou aime à rappeler que lors d’une affaire devant le cadi
le paiement était versé sur-le-champ et représentait en général
quelques pièces de monnaie.
Ali l’avocat est un personnage mis en scène par Serge Michel,
dans son ouvrage Nour le voilé. Comme Boumendjel, il écrit
dans La République algérienne, l’organe de l’UDMA, et meurt
entre les mains des militaires français. L’auteur de l’ouvrage,
jeune aventurier et journaliste de gauche, parti pour un tour du
monde, s’est arrêté à Alger où il a travaillé pour La République
algérienne, qui a publié nombre de ses caricatures. Engagé dans
le FLN, il est ensuite devenu le conseiller détaché par le Front
–  dont la direction ne savait que faire de ce Français  – auprès
de Patrice Lumumba 7. Malika Boumendjel raconte qu’elle l’a
rencontré quelques fois, incidemment :

Il a offert un tableau à Ali qui représente une image un peu


abstraite d’un jardin. Ali parlait de lui, pour parler des choses
du travail, du journal. Il a débarqué à Alger avec ses caméras
pour faire Tartarin de Tarascon, il s’est fait voler ses affaires.
Comment il s’est trouvé à l’UDMA, je ne sais pas. Ils ont
sympathisé8.

Serge Michel publie, en 1981, cette étonnante autobiographie


dans un style incisif. L’avertissement en début d’ouvrage est
révélateur de l’ironie, de la distance et de l’humour avec lequel
il dépeint son cheminement, en Algérie puis au Congo, vers la
construction des États indépendants :

Qui croirait se reconnaître dans l’un des personnages de cette


histoire ne pourrait s’en prendre qu’à lui-même.

Alors que son ami Boumendjel prend les traits de l’avocat


encombré de sa serviette de cuir, lui-même se dépeint sous les
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 109

traits de Serge « Troisième-Collège », un surnom qui le situe à


l’extérieur de la grande fracture juridique qui divise l’Algérie. La
population de la colonie est en effet électoralement répartie en
deux collèges  : le premier regroupe principalement la popula-
tion « européenne » à laquelle s’ajoutent quelques colonisés
devenus citoyens ; dans le second est regroupée la population
colonisée masculine, les femmes n’ayant pas le droit de vote.
Serge Troisième-Collège conserve donc, tout en s’engageant dans
la lutte politique, une extériorité qui nourrit son ironie. C’est de
ce point de vue qu’il décrit le mouvement nationaliste, auquel
il participe, sans jamais sombrer dans la mythologie. Il met ici
en scène Sid Ali l’avocat :

— Aoh ! C’est Sid Ali, dit Arezki à Troisième-Collège.


Le marchand de journaux s’anime à l’arrivée de l’avocat.
Ali est toujours pressé, toujours gêné par sa corpulence qu’il
tente vainement de rendre discrète. Il ne sait pas non plus
comment tenir sa grande serviette de cuir noir à soufflets,
son couffin comme il dit, où il fourre pêle-mêle dossiers et
honoraires en nature.
— Alors, avocat, ça va ? bredouille Arezki.
Il n’arrive pas à exprimer autrement son estime pour l’avocat
des traîne-babouches qui, lui, n’en finit plus de tendre sa
main libre aux trop cérémonieux clients du kiosque9.

Paiement de quelques sous, honoraires en nature, on le voit,


la situation financière n’est pas florissante. Mais Boumendjel y
gagne sa réputation d’avocat des pauvres. Alors que je traver-
sais Alger en compagnie de Farid, le plus jeune fils d’Ali, un
jour de mai  2005, un homme s’est précipité pour lui serrer
la main avec effusion. Tu es le fils de l’avocat Boumendjel. Ce
client anonyme était bouleversé de reconnaître sur le visage du
fils les traits de son ancien avocat 10. Au gré de ces rencontres
de hasard avec les enfants de l’avocat, ses anciens clients,
souvent issus de milieux très populaires, leur racontent, avec
émotion, leurs souvenirs de lui, contribuant à la construction
de la mémoire familiale.
110 Ali Boumendjel

Mohand Selhi et Ali Boumendjel. (Photographie non datée.


Archives familiales.) L’ingénieur Selhi était l’ami de Boumendjel,
puis à partir de 1956 son collègue à la Shell. Les deux hommes
ont été détenus en même temps à la ferme Perrin en février-
mars 1957. Aucun des deux n’est revenu vivant.

Parmi ses collègues, Ali Boumendjel compte quelques amis


proches, amis personnels et, bien souvent, amis politiques.
Maître Kaddour Sator est, comme lui, très proche de Ferhat Abbas
au sein de l’UDMA  : il écrit dans La République algérienne mais
appartient plutôt à la génération d’Ahmed, et est issu d’une des
grandes familles algéroise d’origine turque. Amar Bentoumi, en
revanche, est un peu plus jeune : l’ancien ministre de la Justice
et membre de la Cour suprême algérienne m’accorde finale-
ment un rendez-vous à son cabinet algérois, alors que la salle
d’attente est pleine à craquer de clients et que son assistante a
pour consigne de les faire patienter. Il raconte comment les deux
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 111

hommes se sont rencontrés peu de temps après le retour d’Ali à


Alger, lorsque celui-ci est tombé très gravement malade. Pendant
trois mois, il est terrassé par une fièvre typhoïde qui manque de
l’emporter, l’empêchant d’accomplir son travail au cabinet de la
rue Vialar où il a recommencé à travailler. Il fait alors contacter
son jeune collègue Bentoumi qui consacre la suite de son stage
à faire tourner le cabinet Boumendjel durant plusieurs mois. Par
la suite, Ali Boumendjel laissera à son collègue, devenu un ami,
les affaires dont il ne peut s’occuper et qui lanceront sa carrière.
Les deux hommes n’ont que quatre ans d’écart, mais lorsque
l’on vient de terminer ses études, ce n’est déjà plus tout à fait la
même génération. Cet épisode les rapproche et pendant plusieurs
années, jusqu’à la mort d’Ali, ils se rencontrent presque tous les
matins au café Le Strasbourg, juste à côté du palais de justice.
Autour d’un café, ils parlent politique, bien sûr, sans être du
même bord  : Bentoumi est proche du MTLD, Boumendjel est
un fidèle de Ferhat Abbas. Cela n’empêchera jamais le dialogue
et l’amitié entre les deux hommes.

Un couple contre la famille


En 1942-1943, Ali Boumendjel recommence à
fréquenter Malika Amrani. Leur histoire se poursuit de façon
aussi inhabituelle qu’elle a commencé. Dans le contexte de la
guerre, la prégnance des normes sociales est affaiblie à Alger,
et Boumendjel peut exprimer tout son potentiel transgressif  :
calme et discret dans sa vie politique comme en privé, il risque
pourtant la critique et la désapprobation familiale et sociale en
entretenant cette relation avec la femme qu’il aime.
De ces conflits familiaux, seule Malika Boumendjel a accepté
de parler, les sœurs d’Ali éludant toute question à ce propos.
Au fil de nos nombreuses discussions, elle a livré les anecdotes
de son histoire d’amour. Entre-temps, elle en faisait également
un récit manuscrit destiné à ses enfants et petits-enfants. De ce
double récit, il ressort à la fois l’histoire très personnelle d’un
amour d’abord contrarié, qui résiste pourtant à l’adversité, et
celle d’un groupe social où toutes les relations sont en cours de
112 Ali Boumendjel

renégociation. Les étapes les plus intimes de la vie – le mariage,


l’habitat, la naissance des enfants, les relations avec les parents et
grands-parents – sont transformées au prix de grandes tensions.
En 1941, la famille Amrani profite de la retraite du père pour
s’installer à Alger. Malika, qui est toujours mariée, vit chez
ses parents, et sous leur autorité, depuis que son époux a été
mobilisé au début de la guerre. Les démarches pour annuler
son mariage sont freinées par les lois vichystes. Elle obtient,
par l’intermédiaire de relations de son père, un emploi à la
poste d’Alger qui lui permet de rencontrer Ali à plusieurs reprises
par hasard… à moins qu’elle n’ait poussé un peu le hasard en
se promenant du côté de la rue Vialar. Ils se croisent ainsi à
la Maison des livres Soubiron dans la rue Dumont d’Urville
(aujourd’hui curieusement rue Ali Boumendjel) en 1942. Leurs
premiers mots sont ceux de parfaits étrangers, éloignés qu’ils
sont par les malentendus et les conflits familiaux. L’image de
Malika dans la famille Boumendjel a été singulièrement écornée,
ce qui faisait son charme pour les sœurs –  son côté fantasque
et enfantin – se retournant finalement contre elle. Ali lui-même
semble avoir été sensible à l’opinion de sa famille, en particulier
de ses sœurs.
Dans le contexte de la guerre, leur relation se développe et se
transforme. Très vite, la ville connaît les pénuries, et la crise du
logement, endémique à Alger, s’aggrave du fait de l’arrivée de
nouvelles vagues de métropolitains fuyant la guerre. Et pourtant,
la vie quotidienne poursuit son cours. Ils ont l’occasion de
se rencontrer dans le quartier où ils travaillent tous deux et,
profitant des billets gratuits obtenus par Ahmed Boumendjel,
alors conseiller municipal d’Alger, vont au cinéma ou à l’opéra.
Ali l’emmène manger au Coq Hardi, rue Michelet, où Moufdi
Zakaria, alors militant du Parti du peuple algérien, le PPA de
Messali Hadj, ou Ferhat Abbas viennent parfois les saluer. Les
parents de Malika Amrani sont extrêmement mécontents de
savoir qu’elle a renoué avec Boumendjel. Cependant, si on suit
Malika dans son récit, il apparaît que plus elle a été engagée dans
sa relation avec Ali, mieux son père l’a acceptée, considérant que
« c’était sérieux ». D’ailleurs, elle peut compter sur la manière
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 113

d’être pragmatique et audacieux de son père, qui semble s’être


transmise de père en fille, pour s’accommoder de la situation.
Comment ne pas penser, à l’écouter, qu’il y a bien eu dans la
culture familiale des Amrani, une forme d’intrépidité ? Le goût
pour l’aventure et la transgression du père comme de la fille
colorent le récit des circonstances si particulières dans lesquelles
le couple Boumendjel s’est uni. Au fil de nos rencontres, le sens
de l’humour de Malika et sa façon de se moquer de certaines
conventions sociales sont d’ailleurs apparus de plus en plus
clairement, en même temps qu’elle racontait des détails plus
personnels.
À plusieurs reprises, elle dépeint l’extraordinaire atmosphère
de la guerre qui a finalement favorisé cette union. Lorsqu’elle
évoque les bombardements sur la ville, ce n’est pas pour parler
du danger, mais pour raconter qu’Ahmed et Gilberte avaient
rejoint Larba pour y être à l’abri, laissant ainsi le jeune couple
seul. La tranquillité est relative puisque le père Boumendjel,
rendant visite à son fils à l’appartement de la rue Vialar, se
rend compte de la présence de la jeune femme et se met dans
une violente colère. Malika se souvient avoir entendu, depuis
la pièce voisine, cette dispute et Ali expliquant très calmement
à son père qu’il ne s’agit pas « d’une femme » ou de « cette
femme », mais bien de « sa femme », et qu’elle ne partira pas.
Ce n’est que plus tard, à la naissance de son premier fils, Nadir,
que son beau-père accepte de la recevoir enfin.
Avec le soutien du père de Malika, les jeunes gens s’ins-
tallent ensemble. Ils demeurent ainsi plusieurs années, puisque
ce n’est que quelques semaines avant la naissance de Nadir, le
30  novembre 1949, que le jugement de divorce de Malika est
enfin rendu. Le couple peut être officiellement uni à la mairie
au cours d’un mariage qui ne respecte aucun protocole. Les
témoins en sont Abdelmalik Amrani, le frère de Malika, et Belaïd
Aït Khaled, le mari de Ghenima, la sœur aînée d’Ali. Personne
d’autre n’est invité pour ce que Malika appelle aujourd’hui
« cette régularisation11 ». Elle porte un petit tailleur simple qui ne
peut couvrir son ventre de femme enceinte. « On ne s’était pas
endimanchés. C’était pas la fête, crois-moi », ajoute-t-elle avec
114 Ali Boumendjel

amertume. Après la cérémonie, il part au travail, alors qu’elle


rentre à la maison.
De nombreux témoins ont manifesté leur étonnement devant
ce mariage, toujours qualifié de mariage d’amour. Kaddour Sator,
le collègue et ami de Boumendjel, lui aussi fidèle de Ferhat Abbas,
s’amuse au cours d’une promenade de les voir marcher main dans
la main. Il les taquine en les surnommant « les amoureux12 ».
« Vraiment à l’époque, insiste Amar Bentoumi, c’était raris-
sime13. » C’était l’amour de sa vie, avait dit Sami Boumendjel au
sujet de sa mère. Les lettres de Boumendjel à sa femme lorsqu’il
est à Paris pour le Mouvement mondial de la paix montrent, par
le choix des mots et leur façon explicite d’évoquer l’amour et le
manque, le caractère exceptionnel de cette relation.

L’absence a aussi l’admirable conséquence de nous faire sentir


la valeur de cet amour de deux êtres qui se sont tout donné.
Et chacun de nous deux, je parle pour les deux, doit tenter
de prendre la mesure du vide immense causé par l’autre. Le
meilleur de moi-même est resté à La Redoute avec toi […].
Ça doit être ça, l’amour14.

Ma femme chérie, lui écrit-il au début de ses lettres, mon


amour, je t’embrasse avec passion. Comme ce vocabulaire étonne
en Algérie, où les relations de couple demeurent aujourd’hui
encore si implicites15 !
On ne sera donc pas étonné que les relations entre les deux
familles se soient longtemps ressenties du caractère peu ortho-
doxe de cette union. Au moment de la première grossesse de
Malika en 1949, Ali Boumendjel renonce à un voyage en Chine,
pour lequel l’UDMA l’a mandaté. Compte tenu des relations
familiales tendues, il sent qu’il ne peut confier son épouse à
personne et préfère rester lui-même auprès d’elle16. Par ailleurs,
les proches de la famille Boumendjel, comme Sadek Hadjerès,
se rappellent qu’à cette époque Ali ne venait presque jamais
à Larba. Avec la naissance de Nadir, les tensions s’avivent. Le
jeune frère d’Ali lui écrit de Paris une carte postale affectueuse
qui souligne pourtant l’opposition entre père et fils :
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 115

Mon cher Ali,


J’ai appris la nouvelle par papa, bien avant que ta lettre
n’arrive. Ma joie est aussi grande que la vôtre. Lui, pour
des considérations de nom et de lignée, toi parce que tu es
le père et moi parce que vous êtes heureux. Il m’a écrit en
me disant qu’il regrettait que tu ne l’aies pas invité. Essaie
d’arranger ça. Il a besoin de ton affection et de ta présence
malgré tout ce que tu pourras penser. Embrasse le petit Nadir
pour moi et la maman de ce nouveau « Boum ». […] Mille
affections. Menouer17.

Le déroulement même de l’accouchement semble attiser la


discorde. Malika Boumendjel réalise aujourd’hui que ses belles-
sœurs ont à l’époque considéré très « snob » son choix d’accou-
cher en clinique, alors qu’elles avaient toutes donné naissance
à leurs enfants à la maison. « Je n’avais fait ce choix que pour
permettre à chacun de me rendre visite plus facilement 18 »,
ajoute-t-elle. Mais le message de Menouer indique au contraire
que le malentendu s’en est trouvé accru entre Ali et ses parents.
À son mariage, fait suite une longue période d’isolement au cours
de laquelle Ali s’occupe de son petit noyau familial : sa femme
et ses enfants. Une fois ses deux frères partis pour la métropole,
il ne peut plus compter que sur lui-même.
Et de fait, la question qui taraude Boumendjel dans les
premières années de sa vie professionnelle, et surtout depuis la
naissance de son fils Nadir en 1949, est de trouver une maison
pour mettre les siens à l’abri. C’est difficile, compte tenu de
ses revenus relativement modestes. Il en parle souvent à son
ami Bentoumi, le matin, lorsqu’ils prennent ensemble leur café.
Et lorsqu’il arrive un jour en annonçant fièrement qu’il vient
d’acheter un terrain aux Sources, Amar Bentoumi n’a qu’une
réponse  : « Tu es dingo ou quoi19 ?! » Il faut dire qu’alors, les
Sources étaient en pleine campagne. Au moment de la construc-
tion de la maison, une nouvelle ligne de trolleybus permettait
d’aller de la Grande Poste à Birmandreis, au fond du ravin dit
« de la Femme Sauvage ». Ensuite, il fallait marcher un kilomètre
et demi, en côte. Pendant les années qui ont précédé l’achat de
116 Ali Boumendjel

sa voiture, Boumendjel s’est ainsi levé souvent à 4 ou 5 heures


du matin, pour faire un kilomètre et demi de marche, prendre
le trolley pour le centre-ville avant de partir en train plaider
des affaires parfois à l’intérieur du pays… Mais l’homme, isolé
de sa famille élargie, semblait prêt à beaucoup de sacrifices
pour donner à ses enfants un foyer confortable  : la famille
s’élargit avec la naissance de Sami, en juin  1951, de Farid, en
septembre 1952, et de Dalila, en juillet 1955.
Histoire d’amour et tensions familiales montrent de quelles
familles il est question. Il est extraordinaire de voir se dessiner,
entre les lignes de l’histoire d’amour de deux individus, le
prolongement des histoires de familles aux prises avec un boule-
versement social et politique étendu sur plusieurs générations.
Aux expériences fondatrices des pères –  l’école républicaine,
pour Mohand Boumendjel et la participation à la Première
Guerre mondiale pour Belkacem Amrani  – répondent ainsi
les expériences transgressives des fils avec leurs mariages mal
acceptés et scandales familiaux.

Le choix d’un mode de vie


Comme son père Mohand avant lui, Ali Boumendjel
innove donc dans le domaine des relations familiales. Son
mariage, le choix de son métier et de son lieu de vie redéfi-
nissent ses relations avec ses parents, ses frères et ses sœurs. Son
isolement, probablement de plus en plus tangible entre 1942,
lorsqu’il renoue avec Malika Amrani, et son mariage en 1949, se
prolonge par la suite. La parentèle n’a pas pour lui l’importance
qu’elle a dans d’autres milieux. C’est une véritable individuation
de la cellule familiale fondée désormais sur le couple qui se
produit en deux générations20. Du côté des Amrani, les relations
persistent, avec les parents, elles sont même fortes, et peut-être
visibles notamment sur le plan matériel. Ainsi, avant que leur
maison soit construite, Ali et Malika ont-ils vécu quelques mois
chez les Amrani, mais Malika affirme aujourd’hui ne l’avoir
accepté qu’en raison du caractère provisoire de cette situation.
Quant au soutien financier que les parents d’Ali assuraient à ses
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 117

grands-parents, il n’avait pas totalement disparu à la génération


suivante. Selon Malika, Mohand Boumendjel venait régulière-
ment à Blida rendre visite à son fils, qui lui donnait une partie
de ses revenus. De même lorsqu’Ali tombe gravement malade,
souffrant de la fièvre typhoïde, c’est son jeune frère qui s’occupe
de lui, faisant le lien entre lui et ses parents. Pour autant, il
n’a jamais été question pour le père ou la mère Boumendjel
de s’installer longuement chez leur fils, comme l’avait fait
chez eux le grand-père d’Ali. Et de fait, dans un milieu qui
n’aurait pas connu de transformations aussi rapides en deux
générations, la relation d’Ali et de Malika aurait certainement
causé un scandale bien plus définitif. Il n’est pas question ici
de vendetta, ni d’honneur de la famille qui soit, à tout jamais,
entaché par le comportement des rejetons. Les garçons de la
famille ont tous formé des cellules familiales autonomes21, après
avoir contracté des mariages exogames, à l’inverse, les filles de
la famille ont toutes été mariées dans le milieu de leur père et
sont, dans les premières années du moins, restées vivre dans le
voisinage immédiat de leurs parents, voire dans la même école.
Les deux frères d’Ali se sont mariés avec des femmes françaises.
Ali s’est marié avec une femme issue de la population colonisée,
se détachant des comportements matrimoniaux attendus de lui
en s’opposant à la volonté de son père par le choix d’une jeune
femme issue d’une famille naturalisée et la nature scandaleuse
de leur relation. Les ponts seront ainsi coupés avec son père
pendant de longues années.
Malgré les conflits, il parvient à nouer des relations durables
avec certains de ses neveux et nièces, en particulier les filles
d’Ahmed. Il joue très souvent avec eux le rôle du professeur, les
aidant à faire leurs exercices de mathématiques ou leurs traduc-
tions en latin ou les faisant réviser leurs leçons. Fadila Chitour
Boumendjel se souvient d’un oncle doux et timide qui la faisait
travailler ; elle était très impressionnée par les vers de Virgile
qu’il récitait par cœur. Mais surtout, il lui parlait de peinture,
en particulier de Gauguin qu’il évoquait pendant des heures. Il
avait vraiment, dit-elle, la fibre enseignante et discutait avec eux
sur les sujets, très divers, qui le passionnaient, si bien qu’elle
118 Ali Boumendjel

voit en lui un véritable intellectuel. Lorsque, après son instal-


lation avec Malika, Ahmed et ses enfants lui rendent visite le
week-end, ils le trouvent tranquillement installé au milieu de
livres qui témoignent de l’éclectisme de son immense culture.
Ses neveux, quant à eux, le voient aussi sous un jour différent,
partageant avec lui son autre passion, le football. C’est le cas de
son neveu Hamid Aït Khaled, le fils de sa sœur Ghenima, qui
joue dans un club professionnel et s’identifie à cet oncle qui
était, bien avant lui, une star sur les terrains de foot22.
Cette autonomie de la cellule familiale, désormais fondée
sur le couple, l’ouvre sur des comportements nouveaux au
niveau alimentaire ou culturel qui ne sont plus ceux de la
génération précédente. Dans les souvenirs dont se délecte
Malika Boumendjel, le couple se rend parfois au restaurant, au
cinéma, à l’opéra, déguste des petits fours (en pleine pénurie de
la guerre, s’esclaffe-t-elle, tu te rends compte ?), bénéficiant des
largesses permises par la situation d’Ahmed Boumendjel, que
la leur ne leur aurait pas permises. Le prénom de leur premier
enfant, Nadir, sera choisi en souvenir de l’opéra de Bizet, Les
Pêcheurs de perles, qu’ils ont vu ensemble pendant la guerre.
Certes, certaines de ces activités en couple cesseront après la
venue des enfants, mais on la voit encore achetant un tailleur
pour aller à un cocktail de bienvenue lorsque son mari entre à
la Shell en juillet  1956. Le plus surprenant dans les souvenirs
de Malika, c’est le grand nombre d’Européens de diverses natio-
nalités figurant parmi les amis proches. Ainsi, juste avant la
naissance Nadir, en novembre 1949, les Boumendjel fréquentent
Yves Gonon, un confrère et ami avocat, qui, avec son épouse,
leur rend parfois visite. Quant à Herta Atlan, c’est une amie
autrichienne que le couple voit fréquemment, à laquelle Ali rend
parfois de petits services et dont il corrige le français pour l’aider
à progresser23. En 1955 ou 1956, elle aurait subi des pressions
de la part de la police pour mettre un terme à ses relations
amicales avec maître Boumendjel, se rebiffant de façon virulente
en refusant, non sans un certain humour, de boycotter son
professeur de français. Comme le montrent ses neveux et nièces
et les discussions avec ses amis, Boumendjel aime partager son
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 119

savoir et sa passion pour les subtilités de la langue française, la


peinture, les mathématiques ou les classiques latins.
En revanche, remarque un jour Malika avec un peu d’éton-
nement, Ali n’acceptait jamais les invitations aux mariages des
grandes familles algéroises, comme les Sator, les Hadj Hamou,
les Baba Amar, qu’il fréquentait pourtant, notamment dans le
travail. Était-ce le manque de goût pour ces soirées formelles ?
Un malaise dans la maîtrise des codes sociaux qui les régissent,
du fait de ne pas appartenir à ce monde très select ? Elle se
rend compte aujourd’hui qu’en comparaison avec les héritiers
de ces grandes familles, elle et son mari formaient un « jeune
couple qui démarre » et qu’elle-même ne possédait guère les
tenues et les bijoux nécessaires pour prendre part à ce genre
de d’événements24.
Peu d’amis d’Ali, de ses relations politiques et de ses collègues,
ont eu l’occasion de rencontrer son épouse. Après la naissance
de leurs enfants, il semble qu’elle ait pris de la distance avec les
activités de son mari pour se consacrer à sa famille, dans une
maison devenue étrangement close sur elle-même. C’est ainsi
qu’elle n’a rencontré Serge Michel qu’occasionnellement, malgré
l’amitié profonde qui le liait à son mari, comme elle ignorait
par ailleurs tout des rencontres quasi quotidienne d’Ali avec
Amar Bentoumi.
En tout cas, il semble bien qu’à partir du début de leur vie
commune, son épouse ait été écartée du milieu des militants. Le
partage entre domaines masculin et féminin est pourtant bien
différent de ce qu’il était à la génération précédente, ou chez
les sœurs d’Ali ; mais avec l’installation du couple, le partage de
l’activité politique entre homme et femme reprend ses droits.
Aujourd’hui encore, elle se souvient de quelques informations
politiques qu’il avait partagées avec elle et dont elle ne compre-
nait pas, alors, les tenants et aboutissants. Ce n’est qu’après la
mort de son mari qu’elle a cherché à reconstituer ces bribes, et
à les intégrer dans une compréhension plus large de l’histoire de
la guerre et de l’engagement politique de son mari. Son désir à la
fois de valoriser le rôle d’Ali Boumendjel dans la révolution, et
de témoigner en faveur de familles ou de personnalités maltrai-
120 Ali Boumendjel

tées par l’histoire officielle, a été constant dans nos discussions.


Souvent, elle a espéré que je contribuerai à donner du sens à ses
souvenirs ténus, me proposant des explications et des hypothèses.
Mais son œil critique s’étend aujourd’hui sur la façon dont son
mari considérait son rôle d’épouse : c’est ainsi qu’elle raconte à
plusieurs reprises – et avec une pointe d’amertume ? – comment,
après avoir obtenu son brevet élémentaire, elle avait envisagé
de passer une capacité en droit afin de poursuivre ses études ou
même de faire l’école normale. La réponse de son mari avait
alors été tranchante : « Je n’ai pas besoin d’une femme savante. »
Ce qui l’étonne le plus aujourd’hui, c’est qu’elle ait accepté si
facilement la décision de son mari25.
Elle est plus proche en revanche d’un petit groupe d’amis que
s’est constitué Ali, parmi lesquels les avocats Guy Constantini et
Pierre Grit, ses anciens camarades du collège de Blida. Certains
sont gérants de petites entreprises, d’autres exercent des profes-
sions libérales. Ils ont ensemble, en 1949 ou 1950, le projet
d’acheter un immeuble dans lequel chacun pourra disposer
d’un appartement. L’idée est attirante pour les Boumendjel qui
apprécieraient le voisinage d’amis avec lesquels ils se sentent à
l’aise. Une chose cependant les empêche d’accepter  : en tant
qu’avocat « indigène », Ali Boumendjel ne traite que de petites
affaires, et ses revenus ne sont pas à la hauteur de ceux de ses
amis « européens ». Il s’inquiète du coût de l’achat, et surtout
du train de vie que cette proximité géographique lui imposera
immanquablement. L’utopie d’une vie commune, répandue dans
les milieux de gauche de l’époque, se heurte ainsi à la barrière
entre les communautés, réintroduite par l’inégalité économique,
alors même que le désir de vivre dans un même espace est
très fort26. Ces anecdotes reconstituent, par petites touches, ce
fossé qui conduisait les intellectuels de gauche, « musulmans »
et « européens », à ne pas se fréquenter, ne pas se recevoir ou
ne pas vivre dans les mêmes lieux. Elles montrent cependant
comment il se réduit lentement  : dans le monde du contact,
vivre ensemble devient peu à peu concevable. Pourtant, si proche
que soit Ali Boumendjel de ses amis « européens », il est rattrapé
par sa différence.
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 121

L’homme du Manifeste
Ce dont Malika Boumendjel ne peut prendre la
mesure, c’est de l’activité politique de son mari. Je ne savais
rien, répète-t-elle avec une certaine frustration, il ne me disait
rien, il me protégeait. Dans ce silence conjugal, dès les années
quarante, alors qu’il a seulement une vingtaine d’année, l’enga-
gement politique d’Ali Boumendjel s’amorce, dans le sillage de
son frère, toujours auprès de Ferhat Abbas. Mais à mesure qu’il
s’affirmera dans l’action politique, son positionnement, d’abord
dans l’Association des amis du Manifeste et de la liberté (AML)
puis dans l’Union démocratique du Manifeste algérien (UDMA),
témoignera toujours de son originalité et le démarquera bien
souvent d’une direction politique à ses yeux inconsistante – au
risque parfois de s’opposer à son propre frère. Il demeure toute-
fois un véritable homme de parti durant toute la décennie où
cette forme d’organisation s’impose comme le vecteur le plus
efficace des revendications politiques. C’est toujours au nom de
ce parti, de son parti, qu’il utilisera son entregent, ses contacts,
sa capacité de négociation pour rassembler les nationalistes de
tous bords.

Durant la guerre : dans le sillage de Ferhat Abbas


À défaut de témoignages directs de ses proches, ce
sont les archives de surveillance policière qui représentent les
meilleures sources de l’engagement politique de Boumendjel.
Elles rendent compte de cette vie politique si particulière qui
se développe durant la guerre à Alger. Au moment où l’autorité
française est mise à mal par la défaite militaire, l’occupation
et le débarquement anglo-américain du 8  novembre 1942 en
Afrique du Nord, les courants politiques au sein de la population
colonisée se réorganisent, négocient et se transforment. Jusqu’à
cette date, c’était le gouvernement général de l’Algérie (GGA)
qui détenait l’autorité ; or les accords signés en novembre 1942
entre le général américain Clark et l’amiral Darlan instaurent une
forme de protectorat américain. Et la concurrence des pouvoirs
122 Ali Boumendjel

français et américain ne manque par de rejaillir sur les straté-


gies politiques des colonisés. Les activités politiques ou intellec-
tuelles restent donc très surveillées par la police française, et les
archives du gouverneur général regorgent de rapports qui – avec
les précautions de rigueur  – permettent de décrire l’ébullition
politique qui, parmi la population colonisée, accompagne les
bouleversements de la guerre. C’est ainsi qu’on voit les leaders
politiques des différents courants négocier la rédaction d’une
plateforme commune qui devait devenir la base d’une organisa-
tion collective rassemblant tout ce que l’Algérie comptait désor-
mais de nationalistes. C’est également par le biais de la presse,
en particulier d’Égalité, le journal des AML fondé en 1944 et
dont Boumendjel devient l’une des plumes les plus célèbres, que
l’on découvre l’intensité et la nature des débats et des pratiques
politiques qui se déroulaient à l’époque.
À la faculté de droit, en plein centre-ville d’Alger, l’atmosphère
était déjà électrique depuis la défaite française. Le témoignage
d’Albert-Paul Lentin révèle que la tension était très forte entre
les étudiants favorables au régime de Vichy et ceux, gaullistes ou
communistes, favorables à la Résistance, qui s’étaient réunis pour
l’occasion dans un même groupe minoritaire mais combatif ;
la tension encore accrue après le débarquement. D’autres se
souviennent d’avoir vu Boumendjel prendre les choses en main
lorsque, quelques heures après le débarquement du 8 novembre
1942, les étudiants se pressaient à l’entrée de l’université sans
savoir que faire  : il semble avoir eu alors pour rôle d’organiser
les plus volontaires afin de repousser les étudiants favorables
à Vichy et tenir l’université27. Les étudiants hostiles à la colla-
boration se retrouvaient volontiers dans les cours de droit du
jeune professeur gaulliste, René Capitant 28. Le futur ministre
de l’Éducation nationale dans le gouvernement provisoire de
la République française (GPRF) puis ministre de la Justice de
Charles De Gaulle, en 1968-1969, venait en effet d’être nommé
à l’université d’Alger en février  194129, après avoir enseigné à
Lyon où il avait été membre du réseau de résistance Combat30. Sa
critique virulente, exprimée avec fougue durant ses cours, divisait
tellement que les étudiants enthousiasmés par son discours
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 123

étaient obligés de protéger son amphithéâtre contre les étudiants


favorables à Vichy. Se créait ainsi un petit noyau estudiantin
sur lequel il pouvait s’appuyer. De son côté, Capitant créait
en Algérie le mouvement Combat-Empire. Les deux hommes,
Capitant et Boumendjel eurent ainsi de multiples occasions
d’entrer en discussion dans les salons où se développait la vie
politique algéroise.

Le tournant politique de 1942-1943. – Les premières années de


la guerre marquent un tournant politique considérable pour
la population colonisée algérienne. Durant cette période où
« le peuple se découvre nation », selon la belle expression de
Jean-Claude Vatin31, le problème central, à la veille du débar-
quement anglo-américain, est de se doter d’une organisation
politique efficace.
Les années trente avaient vu se multiplier à la fois des formes
originales d’organisations politiques et de nombreux débats
sur les formes les plus efficaces à adopter pour améliorer la
situation faite aux « musulmans ». En témoigne, en 1936, la
première tentative de front anticolonialiste sous la forme d’un
Congrès musulman 32 rassemblant les membres du Parti commu-
niste algérien (PCA), de l’Association des ‘Ulamâ d’Abdelhamid
Benbadis et de la Fédération des élus du docteur Bendjelloul.
Les partisans de Messali Hadj, réunis d’abord dans l’Étoile nord-
africaine puis dans le Parti du peuple algérien avaient refusé de
s’y joindre. Le PPA constituait alors le parti le plus structuré
et le mieux organisé, surtout après l’effondrement du Congrès
musulman ; il apparaissait comme le modèle à imiter pour son
efficacité. Même Ferhat Abbas, pourtant issu de la Fédération
des élus33, avait tenté de mettre sur pied un parti de masse en
créant, dès 1938, une éphémère Union populaire algérienne.
Toutefois, l’interdiction du PPA en 1939 et la mobilisation ont
dispersé les courants et organisations politiques existants rendant
moins visible l’expression des revendications politiques dans une
Algérie confrontée à la famine et aux épidémies. Les organisa-
tions politiques s’effacent : le Parti du peuple algérien demeure
sous une forme discrète, voire clandestine ; quant à l’Union
124 Ali Boumendjel

populaire algérienne, elle disparaît alors que les journaux cessent


de paraître.
Dès lors, en dehors de l’activité clandestine du PPA, l’acti-
vité politique des colonisés est cantonnée aux lieux privés où
se rencontrent les personnalités intellectuelles, politiques et
même financières du moment. Ces « salons » algérois sont le
lieu de l’ébullition politique et de la renégociation des formes
d’engagement des uns et des autres. Les réunions privées ou
semi-publiques se multiplient, avec une variété de modalités et
de motifs qui ne doit pas cacher leurs objectifs communs. Deux
questions sont en effet au cœur de toutes les discussions : celle
de la nécessaire unité de tous les « musulmans » pour lutter pour
l’amélioration de leurs conditions de vie, et son corollaire, à
savoir l’impérieuse nécessité de créer une organisation politique,
de préférence un parti, pour porter efficacement cette lutte.
Nombre de rencontres se déroulent donc dans l’intimité des
domiciles privés, dans des restaurants, souvent au Lucullus, en
contrebas du gouvernement général de l’Algérie, ou au Chapon
fin. D’autres réunions ont lieu au Cercle du Progrès, le Nadî
at-Taraqqi fondé dans les années vingt par le cheikh Tayyeb
al-Oqbi de l’Association des ‘Ulamâ à Alger. C’est parfois autour
d’un thé qu’on se rencontre : on célèbre ainsi, en 1943, la libéra-
tion de Messali, qui avait été condamné à seize ans de travaux
forcés par le régime de Vichy ; on fait honneur à un visiteur
venu de l’étranger. Ainsi, selon la police, en juillet 1944, Kaddour
Sator, l’un des amis de Ferhat Abbas, prend la parole lors d’une
réunion organisée par des militants du PPA, « dans le garage
de son beau-père M.  Bennouiniche [sic]34 », alors que quelques
jours plus tard, il déjeune au Chapon fin avec le cheikh Brahimi,
leader de l’Association des ‘Ulamâ, et en compagnie d’étudiants
musulmans d’Alger.

Vers Le Manifeste  : le marathon de négociations. –  Ce sont


des hommes de toutes tendances politiques qui se retrouvent.
L’on y aperçoit souvent des amis de Ferhat Abbas, des membres
de l’Association des ‘Ulamâ, mais parfois aussi des personna-
lités du PPA proches de Messali. La succession de rapports de
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 125

surveillance souligne la parenté de cette activité publique avec


les habitudes de la sociabilité citadine algéroise des grandes
familles : la mention de la famille Sator, vieille famille kouroughli
(d’origine turque), alliée à d’autres grandes familles, est sur ce
point significative, comme le choix des salons des appartements
privés pour tenir ces cénacles auxquels s’agrègent des personna-
lités de la bourgeoisie commerçante plus ou moins récente. Les
commerçants comme Moufdi Zakaria, du PPA, ou Mohammed
Tiar participent à de nombreuses entrevues35.
Quant à Ahmed Boumendjel, toujours présent aux côtés de
Ferhat Abbas, il est parfois accompagné de son frère Ali. À cette
époque, Ali termine ses études et vit toujours chez son frère : il
participe lui aussi à cette effervescence assistant à toutes sortes
de conférences et de réunions politiques. Avant la guerre, après
avoir commencé sa carrière d’avocat, Ahmed s’était lancé dans
la vie politique en se présentant aux municipales d’Alger le
27  novembre 1938 sur une liste « indépendant d’union et de
concorde », grâce – selon les archives de surveillance – aux voix
du PPA, dont il se défend pourtant d’avoir été membre36. Élu au
conseil municipal, il avait travaillé au rapprochement du PPA
et de l’Union populaire algérienne d’Abbas. Lorsque Messali fut
arrêté de nouveau, il reprit Ahmed Boumendjel comme avocat.
Mobilisé pendant la guerre, d’abord dans le Sud tunisien puis
sur le front européen, Ahmed reprend ensuite son activité en
participant à l’agitation politique qui secoue Alger. Il s’oppose
publiquement à l’abolition du décret Crémieux, par laquelle les
juifs d’Algérie sont écartés de la pleine citoyenneté française et
ramenés au statut « d’indigène », et tente de les aider à protéger
leurs biens en usant de sa situation d’élu municipal.
Avec le débarquement anglo-américain en Algérie, le
8 novembre 1942, cette diplomatie de salon s’intensifie : Ahmed
Boumendjel est très présent dans le salon du docteur Georges
Loufrani, où son frère cadet Ali est également aperçu37. Loufrani
s’est donné pour but de mettre en relation les hommes politiques
algériens et les autorités françaises, les membres du gouverne-
ment provisoire de la République française (GPRF) ou des respon-
sables de la Résistance présents à Alger. Il organise dans ce but
126 Ali Boumendjel

rencontres, repas et conférences réunissant le tout-Alger, person-


nalités « musulmanes » et représentants des autorités. Les deux
frères ont ainsi l’occasion de discuter avec certains responsables
politiques ouverts à la discussion avec les « indigènes », notam-
ment Jules Moch et René Capitant, le professeur de droit d’Ali
Boumendjel. C’est au titre de représentant gaulliste et de chef
de la Résistance que le professeur de droit est présent dans les
salons où l’on cause de l’avenir de l’Algérie au sein de l’Empire.
Il y retrouve ainsi, dans un contexte différent de l’université,
mais non moins politisé, son étudiant.
Par ailleurs, Loufrani, qui avait décidément ses entrées partout,
cherche à mettre Ahmed Boumendjel en relation avec les repré-
sentants américains. Suite au débarquement anglo-américain du
8  novembre 1942, et au prix d’une fiction originale, l’amiral
Darlan se pose comme le représentant du maréchal Pétain
« empêché » par l’occupation allemande, et joue ainsi le rôle
du représentant d’autorités françaises légitimes, plutôt que
collaborationnistes, en écartant Giraud. Néanmoins, depuis
les accords Darlan-Clark, ce sont les Américains qui contrôlent
effectivement l’Afrique du Nord par le biais d’une forme de
protectorat. Il devient donc envisageable de négocier avec eux
les réformes nécessaires à l’amélioration des conditions de vie
de la population colonisée. Mais, note l’auteur d’un rapport de
police, non sans une certaine satisfaction, Boumendjel aurait
refusé, ne voulant avoir affaire qu’à « sa patrie spirituelle », la
France, et souhaitant que les « musulmans » fassent preuve de
loyalisme à son égard.
Les Boumendjel rencontrent aussi de nombreux hommes
politiques algériens représentant les partis et les associations
« musulmanes », notamment Tayyeb al-Oqbi, de l’Association
des ‘Ulamâ, Mohammed el-Hadi Djemame, le président de
l’Association des étudiants musulmans, le docteur Bendjelloul,
Abdelaziz Kessous de la SFIO, le docteur Tamzali ou Moufdi
Zakaria du PPA… Les « indigènes » sont à la recherche d’unité
politique après une longue période de division et d’absence
d’organisation politique et les dirigeants du « parti des frères », le
PPA, prennent part à ce jeu complexe où la sociabilité bourgeoise
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 127

se mêle aux stratégies partisanes. Ali vit donc dans un univers


très politisé, fréquentant des élus de tous bords, des représentants
des étudiants et des associations qui participent à ces rencontres.
Le maître mot de cette époque, c’est l’entregent.
La proximité d’Ahmed Boumendjel, l’ancien avocat de
Messali, avec le PPA se révèle très utile dans le contexte des
négociations entre les différentes tendances politiques et à
l’occasion des discussions visant à rédiger un premier texte
commun. C’est d’ailleurs au cabinet de la rue Vialar qu’ont
lieu des réunions rassemblant, sans aucun représentant français,
des responsables du PPA (Hocine Asselah, mais surtout le
docteur  Lamine Debaghine, leader du parti clandestin), des
‘Ulamâ (Tewfiq al-Madani, Larbi Tebessi), Ferhat Abbas, le
docteur Bendjelloul, Ahmed-Cherif Saadane, Abdennour
Tamzali ou Abdelkader Cadi 38. De ces réunions naîtra le
Manifeste du peuple algérien.
C’est dans ce milieu qu’évolue Ali Boumendjel et qu’il opère
une partie de sa formation politique : lorsque ses amis politiques
parleront de lui en insistant sur sa capacité de dialogue, son
ouverture aux courants politiques rivaux et son entregent, cette
période de socialisation politique, éclectique et imaginative,
prendra tout son sens.

La création des AML–Le Manifeste, « naissance du peuple


algérien ». – De ces réunions, il ressort plusieurs textes successifs,
destinés aux autorités françaises. Selon Benyoucef Benkhedda,
l’un des premiers jets aurait d’ailleurs été rédigé par Lamine
Debaghine lui-même à la suite d’une rencontre à Sétif avec Ferhat
Abbas39. Remanié par Abbas, ce texte aurait été approuvé par les
représentants du PPA, des ‘Ulamâ et par les Élus, en particulier
Bendjelloul, et fait l’objet de discussions dans le cabinet de la rue
Vialar. Présenté aux autorités françaises en décembre 1942, il ne
reçoit aucune réponse40. Ces étapes intermédiaires aboutissent,
le 10  février 1943, à la rédaction par Ferhat Abbas, toujours
secondé par Ahmed Boumendjel, d’un texte intitulé L’Algérie
devant le conflit mondial : Manifeste du peuple algérien, surnommé
simplement le Manifeste.
128 Ali Boumendjel

Le Manifeste constitue, pour ses rédacteurs et ses signataires, un


virage fondamental : la plupart sont issus de l’école française et
apparaissaient comme les promoteurs de l’assimilation, à l’instar
de Ferhat Abbas qui en avait été le fervent défenseur avant la
guerre. Or, le texte contient une critique très véhémente de la
colonisation. Les mythes colonialistes, notamment la mission
civilisatrice de la France, sont attaqués :

[L]a colonisation ne relève ni d’un souci d’humanité ni


d’un souci de justice et encore moins de la civilisation et
du progrès. Elle est, dans son essence même, un phénomène
impérialiste. Et comme tel, elle exige pour se développer
et durer l’existence simultanée de deux sociétés, l’une
opprimant l’autre41.

La colonisation est décrite crûment, dans toute la dureté des


inégalités qu’elle crée :

Les Algériens musulmans seront à tel point dépossédés et


asservis qu’ils apparaîtront, dans leurs propres pays, comme de
misérables étrangers : services publics, armée, administration,
commerce, industrie, banque, presse, tout sera entre les
mains de la minorité européenne. L’indigène ne sera plus
rien. Sa langue même sera officiellement qualifiée de langue
étrangère. L’Européen, qui le domine et le gouverne, sera
tout. Il lui disputera même les emplois les plus subalternes :
cantonnier, garde champêtre, concierge, portier42…

Le discours tranche avec le langage policé d’un Ferhat Abbas


avant la guerre. Puisque la citoyenneté française a été refusée
avec constance au « musulman » d’Algérie, il ne la revendiquera
plus : c’est le rejet sans appel de la politique d’assimilation.

Il suffit d’examiner le processus de la colonisation en


Algérie pour se rendre compte comment la politique
« d’assimilation », appliquée automatiquement aux uns
et refusée aux autres, a réduit la société musulmane à la
servitude la plus complète. […]
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 129

Le caractère saillant et continu de la colonisation française


est la subordination de tout le pays avec son humanité, ses
richesses, son outillage, son administration, à cet élément
français et européen. La politique de rattachement de
l’Algérie à la métropole, dite « politique d’assimilation »,
trouve là sa source, sa justification et sa plus forte
expression 43.

Outre les libertés fondamentales et le droit à l’instruction,


le Manifeste revendique le droit du peuple algérien à disposer
de lui-même, exigeant, en référence au président Roosevelt, un
premier pas vers l’autonomisation de l’Algérie. La contestation
de la colonisation et le rejet de l’assimilation par les intellectuels
francophones engagés en politique est un tournant essentiel
dans l’histoire de l’Algérie ; la revendication de l’autodétermina-
tion en fait, selon l’expression de Benjamin Stora, la « majorité
politique du peuple algérien44 ».
Loin de la rejeter, les signataires affirment leur attachement à
la culture française. Ils se donnent néanmoins pour responsabi-
lité de parler au nom de la population algérienne musulmane et
de dénoncer une assimilation qui, appliquée à certaines catégo-
ries et pas aux autres, a constitué finalement un instrument
d’asservissement. « Désormais, un Musulman algérien ne deman-
dera pas autre chose que d’être un Algérien musulman45. » Sans
jamais que soit prononcé le terme d’indépendance, le contenu
du texte a une orientation nettement nationaliste : le fier rappel
de la résistance contre l’occupant français, la mobilisation de
figures de cette résistance, Moqrani par exemple, voisinent avec
le modèle revendiqué de la révolution kémaliste en Turquie
et avec l’exigence d’un droit à l’existence pour la population
pour donner au texte une tonalité toute nouvelle. Cette affirma-
tion nationaliste soutient les revendications concrètes allant de
l’abolition de la colonisation à la reconnaissance de la langue
arabe au même titre que le français en passant par la liberté
de culture et la libération des prisonniers politiques. « Ferhat
Abbas, note Annie Rey-Goldzeiguer, passe avec éclat dans le
camp nationaliste46. »
130 Ali Boumendjel

Mais les discussions se prolongent pour aboutir à l’Additif au


Manifeste, qui durcit le trait, rendant explicite la revendication
nationaliste :

Le peuple français a été un artisan de la libération en Europe


de toutes les minorités nationales […].
Ce peuple ne voudra pas refuser aujourd’hui l’appui de son
idéal national au peuple algérien musulman qui veut assurer
par la formation d’un État algérien démocratique et libéral
sa résurrection, sa sécurité et sa grandeur47.

Dans ces « salons politiques » de Loufrani, Ahmed Boumendjel


défend sans relâche les idées de Ferhat Abbas au point d’appa-
raître comme son principal lieutenant. Le 20  novembre 1943,
Ahmed et Ali sont d’ailleurs tous les deux présents au domicile
de Loufrani pour discuter avec Jules Moch du programme du
Manifeste du peuple algérien.
Second de Ferhat Abbas, Ahmed Boumendjel déroute les
informateurs de la police. Plusieurs fiches de synthèse lui sont
consacrées. L’une d’elles le décrit, non sans admiration, comme
« cultivé, intelligent, calme d’apparence [et] en tout cas l’un des
cerveaux musulmans les plus puissants d’Algérie 48 ». La préoccu-
pation des autorités devant la puissance mobilisatrice de cette
personnalité montante est patente. Certains commentaires
sont étonnants, comme cette autre notice de renseignement
où l’auteur laisse percer son propre désarroi :

Si Me Boumendjel, qui est beaucoup moins ambitieux et


beaucoup plus francisé de cœur que M.  Ferhat Abbas, s’est
peu à peu détaché de nous, à qui la faute ? En faisant appel à
ses sentiments français qui sont indéniables et en lui faisant
confiance, on pourrait sans aucun doute, l’amener à prendre
nettement position en faveur de la France. Mais ce n’est pas
en le considérant comme un antifrançais et en le traitant
comme tel qu’on y parviendra49.

Après avoir été l’avocat de Messali lors de son procès de 1938,


Ahmed Boumendjel le défend de nouveau en 1941 et lui rend
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 131

visite, notamment en décembre  1944, à Reibell en compagnie


de Ferhat Abbas et Aziz Kessous 50. Si l’on en croit une note
du 28  mai 1945, Ali Boumendjel s’y serait rendu à son tour
le 23  décembre également en compagnie de Ferhat Abbas et
Kessous, Ouamara et Mokri, tous deux membres du comité direc-
teur clandestin du PPA à Alger51. Le but de cette visite était de
discuter des accords entre les proches d’Abbas et le PPA, et de
jeter les bases d’une action commune avec les ‘Ulamâ. Ali semble
rester, à cette époque, dans l’ombre, ou dans les pas de son frère
aîné, dont le rôle politique est reconnu par tous.
Évoluant dans un milieu où il rencontre tout ce que l’Algérie
compte d’hommes engagés, c’est tout naturellement qu’Ali
Boumendjel adhère, dès leur création en mars 1944, aux AML,
les Amis du Manifeste et de la liberté. Ferhat Abbas lance cette
organisation pour défendre le programme du Manifeste et son
Additif. Il y propose, pour la première fois, de rattacher l’Algérie
à la France par un lien fédéral52. L’organisation doit également
être « une école de civisme pour inculquer à tous l’idée d’une
nation algérienne53 ». Rassembler, dans une même structure, des
membres du PPA, de l’association des ‘Ulamâ et des proches de
Ferhat Abbas est un « exercice de funambule », selon l’expres-
sion d’Annie Rey-Goldzeiguer54. Ahmed Boumendjel fait partie
du bureau central des AML, composé de douze membres dont
Kaddour Sator, un ami de Ferhat Abbas, et des membres du
PPA. Abbas Turqui est aussi du nombre 55. À la base, cepen-
dant, les militants du PPA sont particulièrement actifs dans les
sections, dont ils constituent les forces vives. L’organisation est
rapidement dotée d’un journal, Égalité, avec Ferhat Abbas comme
rédacteur en chef.

Égalité. –  C’est dans ce journal qu’Ali Boumendjel écrit ses


premiers articles. Il utilise à la fois son propre nom et divers
pseudonymes : il signe, sous le nom d’Ali Beaurond – une allusion
amusée à son physique –, une chronique humoristique que ses
amis se souviennent avoir lu avec délectation et attendu avec
impatience 56. D’autres textes sont signés Juba III, un pseudo-
nyme qui fait écho à celui utilisé par Gilberte, l’épouse d’Ahmed,
132 Ali Boumendjel

Juba II, du nom du roi de Maurétanie à l’époque romaine. Avec


les nombreux textes d’Ahmed Boumendjel lui-même, la contri-
bution de la famille Boumendjel à Égalité est conséquente.
Dans tous ses articles, et malgré la diversité des thèmes
abordés, Ali Boumendjel utilise des références littéraires et
politiques avec une adresse et un brio certains. Tous ses articles
dans Égalité sont fondés sur des valeurs et ses références qui sont
celles d’un pur produit de l’Université française. Pour autant, il
s’en sert comme autant d’outils au profit d’une critique acerbe
et d’une réflexion poussée sur la question coloniale. Loin de
donner l’image d’un homme enfermé dans une culture qui lui
aurait été imposée, Boumendjel apparaît, déjà, comme un intel-
lectuel dont il définit, dans un article du 11 novembre 1944, le
nécessaire engagement57. Il consacre à André Malraux un article
intitulé « Les clercs n’ont vraiment pas trahi58 ». Il y évoque les
cours de son professeur au collège de Blida, Marcel Domerc, qui
avait donné à lire quelques extraits de Malraux à ses élèves. Son
propos est que « les véritables clercs qui ne trahissent pas sont
ceux qui non seulement ne trahissent pas leur peuple, mais
ne trahissent aucun des peuples opprimés ». Puisqu’il a lutté
contre l’assujettissement, alors que le peuple algérien est un
peuple sujet, Malraux est aussi un défenseur du peuple algérien.
Comme Domerc, affirme-t-il, –  et, pourrait-on ajouter, comme
Boumendjel  –, les intellectuels qui ne trahissent pas sont ceux
qui souhaitent une « révolution libératrice », qui mènent « le
bon combat » pour les libertés individuelles.
Boumendjel définit là son propre engagement. La question
algérienne y est fondamentale, mais elle n’est pas la seule. Ce
qu’il admire chez Malraux, ce sont ses prises de position multi-
ples autour d’une idée unique, « la cause de l’homme ». Or,
Boumendjel ne peut se limiter à la question algérienne  : s’il
lutte contre la colonisation, c’est dans le contexte d’une trans-
formation fondamentale du monde et des relations entre les
pays dominants et les pays dominés.

Le 8  mai 1945 et la fin des AML. –  Au mois de mai  1945,


les campagnes algériennes sont traversées de fortes tensions
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 133

en raison de la famine. Dès le début du mois, des incidents


se produisent dans la région de Sétif, et la police procède à
des arrestations « préventives » de militants. Le journal Égalité
publie des appels au calme. La manifestation du 8 mai, organisée
par le PPA pour exiger la démocratie et la justice, dégénère
en émeutes qui durent trois jours. La terrifiante répression qui
s’abat sur la région est menée conjointement par la police et des
milices de colons. Le massacre dure huit jours et fait plusieurs
milliers de morts 59. Les leaders des AML, notamment Ferhat
Abbas et le docteur Ahmed-Cherif Saadane sont arrêtés. Les AML
implosent. Ahmed Boumendjel se réfugie chez ses parents à
Larba, à l’extérieur d’Alger, évitant ainsi l’arrestation. Malika
Boumendjel raconte :

J’ai entendu la nouvelle, je ne sais pas comment, alors j’ai


prévenu mes collègues, mais on nous a prévenues et on
nous a libérées. J’ai téléphoné au cabinet, c’est Ahmed qui
m’a répondu. Ali n’était pas là. Moi je suis descendue à la
Grande Poste, c’est là que tout le monde se réunissait. J’ai
marché quelques pas et je tombe nez à nez avec Ali […]. On
s’est rencontrés là. On est restés. Imagine le monde qu’il y
avait à la Grande Poste, les haut-parleurs qui ont entonné
La Marseillaise  : on en avait la chair de poule et les larmes
aux yeux […].
Quand on a appris le massacre de Sétif, c’était affreux, affreux.
Par la suite, on a vu arriver des anciens combattants estropiés,
un ami d’Ahmed et Gilberte, toute sa famille massacrée à
Sétif. Ahmed n’a pas été arrêté : sa famille était à Larba60.

Cette répression sanglante marque toute une génération de


militants et de leaders politiques. Elle inspire, en septembre 1946,
un des plus beaux textes de Boumendjel dans Égalité, qui reparaît
après plus d’un an d’interruption. L’article, intitulé « Le temps
des cerises » est signé Juba III :

Temps des cerises !


Moment délectable, triomphe du printemps, de l’amour.
Une chanson vieillotte, mais bien jolie en dit le charme éternel :
134 Ali Boumendjel

Chez nous, pendant ce mois de mai 1945, les belles ne sont


pas seules à avoir eu la folie en tête. La folie gagne, devient
collective, panique, homicide. Et ce ne sont plus les cerisiers
qui saignent.

Encore une fois, c’est en maniant cette culture française, qu’il


possède si bien, qu’il accuse l’armée avec une hargne particulière.
Il reproche aux politiques de ne pas chercher à savoir :

À la suite d’émeutes qui ont éclaté on ne sait toujours pas


comment, parce qu’aucune enquête n’a encore établi leurs
causes. Une répression aveugle et féroce s’abat sur des
populations innocentes. Des escadrilles d’avion crachent la mort
à grand rendement sur des douars entiers. La troupe est lâchée
à travers les mechtas. Sénégalais et Tabors font feu pêle-mêle
sur des vieillards tués sur leur paillasse, des paysannes affolées
qui meurent sans savoir pourquoi, des malades, des enfants.
[…]  Des officiers attisent sciemment parmi leurs hommes la
haine, la peur, la cupidité espérant par ce moyen conquérir sur
les champs de bataille d’Algérie les lauriers qu’ils n’ont cueillis
ni en Tunisie, ni en Italie, ni en France, ni en Allemagne.

Il exprime le désarroi, la révolte et l’injustice vécus par les


soldats de retour de la guerre et dont les familles ont été décimées
et les maisons détruites. Il exprime ainsi le choc que ressentent à
la fois les politiques et les francisés en Algérie, dans des termes
similaires à ceux qu’utilisent par exemple les élus représentant
la population colonisée au Parlement français après la guerre
pour exiger une enquête.

Temps des cerises 1945. On pourrait allonger à l’infini le


martyrologe de ce printemps rouge, de cet été tragique, de
cette année terrible.
C’est de ce temps-là
Que je garde au cœur
Une plaie ouverte
dit la vieille chanson. Oui, l’Algérie musulmane tout entière
garde au cœur une plaie ouverte qu’on tarde dangereusement
à panser.
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 135

L’homme de l’UDMA (1946-1956)


L’interruption de la vie politique. – La période allant de
mai 1945 à la libération des prisonniers politiques en mars 1946
a constitué une longue parenthèse dans la vie des organisations
politiques de la population colonisée. À la suite de la grande
répression de mai, les AML sont dissous, les principaux leaders
des différentes tendances qui les composent, Ferhat Abbas, Bachir
Brahimi, Ahmed Francis, Kaddour Sator ou le docteur Benkhellil
sont emprisonnés. Les militants restés libres évitent toute activité
politique qui pourrait les désigner aux autorités ; les sympa-
thisants n’ont donc plus de cadre pour manifester leur appar-
tenance politique ou développer une action de mobilisation.
Cette atmosphère de tension et d’attente précédant l’amnistie
de mars  1946 est difficile à imaginer, car, bien souvent, les
mémoires d’acteurs du mouvement national la restituent par une
ellipse. Ainsi, le militant du PPA, Belaïd Abdesselam, résume-t-il
d’une phrase : « Après 1945, il y a eu l’amnistie de mars 1946 61. »
Signe de la suspension de la vie politique devant la férocité de
la répression, la disparition des journaux  : ils sont interdits,
leurs animateurs étant de toutes les façons derrière les barreaux
ou dans des camps. Égalité, le journal des AML, dont le dernier
numéro était paru le 4 mai 1945, ne reparaît pas avant le mois
de juillet 1946, et Ali Boumendjel, qui n’est pas arrêté, est réduit,
comme ses camarades, au silence.
L’association des AML est dissoute le 14 mai 1945, une semaine
après la manifestation du 8 mai. Le divorce est consommé entre
la tendance messaliste du PPA et la tendance de Ferhat Abbas :
les proches d’Abbas reprochent – et reprocheront toujours – aux
messalistes d’avoir noyauté des sections des AML et d’avoir mis
en danger la population par l’organisation des manifestations du
8 mai 194562. Cette hostilité de la part des leaders du Manifeste
à l’égard des partisans de Messali sur la base des événements de
mai demeure un facteur fondamental de la division des natio-
nalistes durant toutes les années cinquante en Algérie.
Durant son emprisonnement, Ferhat Abbas rédige un Testament
politique qui constitue un récapitulatif des erreurs du mouvement
136 Ali Boumendjel

national et le bilan d’une vie politique qu’il croit terminée. Ce


texte sera repris en septembre  1948, à Sétif, lors du Congrès
national de l’UDMA, prenant ainsi valeur de programme. Abbas
y promeut l’émancipation des paysans en dénonçant l’emploi
de la violence comme un crime contre le peuple. Comme il
l’a fait auparavant, il défend l’idée de la fraternité entre les
communautés et rejette toute forme de racisme. Une nouveauté
apparaît dans ce texte : il n’y exprime pas d’anticommunisme,
ce qui explique qu’une frange d’hommes de gauche, dont Ali
Boumendjel fait partie, puisse se sentir à l’aise à ses côtés. En
revanche, il y avertit la jeunesse contre le danger d’un natio-
nalisme religieux63.
Après une parenthèse de près d’un an, c’est la libération des
dirigeants nationalistes en mars  1946, après le vote d’une loi
d’amnistie, qui marque la reprise d’une activité collective et
politique dans la population colonisée. Très vite, les dirigeants
du PPA, les responsables de l’Association des ‘Ulamâ, les anciens
membres du comité central des AML entament des négocia-
tions afin de définir les modalités de leur entrée en politique
à l’occasion des élections législatives de juin  1946. Quelques
jours seulement avant le scrutin, des tracts annoncent que des
partisans de Ferhat Abbas se présentent, dans le second collège,
sur les listes séparées intitulées Union démocratique du Manifeste
algérien.
Dans ce bref intervalle, les appartenances politiques, les
alliances, les amitiés et inimitiés ont plus que jamais fluctué.
La réforme électorale accroît encore l’ampleur de la recompo-
sition politique  : depuis l’ordonnance du 17  août 1945, les
« musulmans », rassemblés dans un collège électoral des non-
citoyens (collège qui demeure exclusivement masculin malgré
l’acquisition du droit de vote par les femmes françaises en 1944),
doivent disposer au Parlement du même nombre de députés et
de conseillers de la République que les citoyens, rassemblant
les « Européens » d’Algérie et les « musulmans » naturalisés.
Si elle élit le même nombre de représentants, la population
« musulmane » est pourtant neuf fois supérieure en nombre
à la population « européenne ». Rappelons, par exemple, que
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 137

Mohand Boumendjel n’était pas citoyen français et votait donc


dans le deuxième collège. La loi Lamine Gueye de mars  1946,
accordant à tous les colonisés de l’Empire français la citoyenneté,
n’y change rien : on n’évoque plus les citoyens et non-citoyens,
mais simplement le premier et le deuxième collège64. Les libérés
de mars se trouvent ainsi face à une situation politique dont les
règles ont changé, des enjeux électoraux nouveaux se dessinant
avec des élections législatives prévues à très court terme.

La création de l’UDMA : identification et distinction. – C’est donc


dans ce contexte de recomposition politique et de relative ouver-
ture électorale que les partisans d’Abbas décident de la création
d’un parti politique. Avant même de mobiliser ou de créer une
structure partisane, ils travaillent à définir leur positionnement
politique vis-à-vis des autres forces politiques actives au sein du
deuxième collège, et en particulier le PPA et les partis « mixtes »,
la SFIO et le PCA, qui recrutent dans les deux collèges. Pour
l’heure, ils doivent décider que faire des Amis du Manifeste et
de la liberté (AML)  : les faire renaître ou au contraire mettre
définitivement fin à cette expérience.
Les réunions se déroulent alors autour de Ferhat Abbas, à
son domicile de la rue Trolard, à Alger. Parmi ses visiteurs, on
retrouve d’anciens membres du comité central des AML, Larbi
Tebessi, Lamine Lamoudi, Abdelkader Mimouni, Abdelaziz
Kessous et des proches d’Abbas, comme les frères Boumendjel
mais également les docteurs Ahmed-Cherif Saadane et Ahmed
Francis, l’avocat Kaddour Sator ou Bachir Brahimi, qui dirige
l’Association des ‘Ulamâ65.
Abbas, « l’homme montant de l’après-guerre », comme le
surnomme Charles-André Julien, est particulièrement courtisé.
En effet, plusieurs candidats à l’alliance frappent à sa porte.
Dès la fin du mois de mars, le PCA définit, par exemple, une
ligne politique visant à réunir les différentes forces politiques
algériennes en un front démocratique uni, incluant notamment
les anciens AML et l’Association des ‘Ulamâ66.
Durant ces pourparlers tous azimuts, se forme autour de Ferhat
Abbas un groupe de lieutenants dont la fidélité ne se démentira
138 Ali Boumendjel

pas : pour désigner Ahmed Boumendjel, Ahmed Francis, Kaddour


Sator, Ahmed-Cherif Saadane, la police invente même le néolo-
gisme de « ferhatistes ». Ce groupe est confronté à plusieurs
problèmes au cours des discussions. Le premier est vite évacué :
il s’agit de l’éventuelle alliance avec la tendance Bendjelloul.
Mohammed Salah Bendjelloul, ancien dirigeant de la Fédération
des élus, dont Abbas était le second dans les années  193067, et
signataire du Manifeste du peuple algérien en 1943 68, est alors
député à la première Assemblée nationale constituante. Or, le
consensus est total, et « la participation du docteur Bendjelloul
à une combinaison quelconque aurait été rejetée à la quasi-
unanimité », affirme la police69.
Mais le problème demeure d’une éventuelle alliance avec les
« partis mixtes », PCA et SFIO, solution qui aurait la préférence
de Ferhat Abbas, Boumendjel et Aziz Kessous, ancien militant de
la SFIO. D’autres envisagent d’aller seuls à la bataille électorale,
ou de se rapprocher du PPA 70. La ligne politique des Boumendjel
les pousse à préférer également l’alliance avec les partis de
gauche. Dès la fin avril, Ferhat Abbas aurait été en pourparlers
avec les deux partis pour constituer des listes communes dans
le deuxième collège, un projet qui échoue finalement71.
Parmi les « ferhatistes », les réactions sont parfois très violentes
à l’idée d’une alliance avec le PCA. C’est que la stratégie du
PCA à l’égard des dirigeants nationalistes n’est pas totalement
éclaircie72  : à l’Assemblée nationale constituante, ils ont bien
défendu la loi d’amnistie pour les emprisonnés de mai  1945
–  loi finalement votée en mars  1946  –, mais leur leader, Amar
Ouzegane, avait d’abord proposé qu’en soient exclus « les
antifrançais », à savoir les dirigeants du PPA et des AML, ainsi
que les signataires du Manifeste 73. Les violentes réactions des
nationalistes ont finalement obligé les communistes à revenir sur
cette position. Mais ces incertitudes et volte-face communistes à
leur égard ont laissé des traces. Ferhat Abbas aurait donc refusé
de se retrouver en tête à tête avec le PCA, de la même manière
d’ailleurs qu’il refuse une combinaison avec le seul PPA.
Pour Emmanuel Sivan, l’explication de la rupture entre « ferha-
tistes » et communistes est à chercher ailleurs, dans l’euphorie
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 139

qu’ont provoquée, au sein du PCA, les récents succès électoraux


aux élections municipales de juillet 1945, aux départementales
de septembre puis aux législatives d’octobre74. En l’absence de
candidats nationalistes emprisonnés, les communistes avaient
obtenu des résultats parfois spectaculaires. Chez les socialistes
et les communistes, les dirigeants sont donc refroidis par ce
qu’ils considèrent comme des prétentions inacceptables de la
part de Ferhat Abbas au cours des négociations. Ni les uns, ni
les autres n’ont, semble-t-il, pris la mesure de la puissance du
courant de sympathie pour le Manifeste parmi les électeurs du
deuxième collège.
Les difficultés pour établir une stratégie sont confirmées par
la date tardive de la publication des listes électorales le 23 mai
dans le journal socialiste Le Courrier algérien. Elle est d’ailleurs
si tardive que les agents de surveillance y voient une stratégie
sournoise de la part de Ferhat Abbas :

Il est à remarquer que, tout d’abord incertain d’être autorisé


à se présenter sous l’étiquette du Manifeste, [Ferhat Abbas]
n’a pas démasqué ses batteries.
Toutes sortes d’informations parvenaient au sujet de la
décision qu’il était censé devoir prendre et de ses tractations
avec les autres partis. Peu loquace et s’entourant de
précautions, il ne laissait guère de prise aux certitudes et,
à vrai dire, on est resté dans le domaine des hypothèses
jusqu’au moment où il est entré en campagne.
Alors que le parti communiste déployait, déjà, depuis des
semaines, ses efforts, Ferhat Abbas tenait son jeu caché, ses
moyens en réserve pour son offensive75.

De ce fait, la campagne électorale est singulièrement raccourcie.


Elle en est d’autant plus étonnante d’intensité et d’organisation.

La grande victoire électorale des nationalistes. – Les « ferhatistes »


disposent pour mener campagne de moyens matériels très limités
et d’un temps très court. En l’absence du journal Égalité, toujours
interdit, Le Courrier algérien, dirigé par Lucien Angeli et Robert
Fong, donne aux amis de Ferhat Abbas un minimum de publi-
140 Ali Boumendjel

cité. Cet hebdomadaire d’inspiration socialiste, dont le premier


numéro paraît en janvier 1946, se veut « le seul journal français
qui se revendique du Manifeste »  : il publie d’ailleurs le texte
du Manifeste du peuple algérien ainsi que des appels à la libéra-
tion de Ferhat Abbas et des autres dirigeants AML emprisonnés.
C’est dans ce journal que paraissent au début du mois de mai,
deux textes signés Ferhat Abbas. Le premier est intitulé « Face
au crime colonial et à la forfaiture de l’administration. Appel à
la jeunesse algérienne française et musulmane » et « Les Amis du
Manifeste et de la liberté ont été victimes d’un guet-apens76 ».
L’un et l’autre ont pour objectif de dédouaner les AML de la
responsabilité des émeutes de mai 1945.
La campagne est fulgurante : en quelques jours, les rapports
de surveillance font état de réunions publiques organisées dans
les douars les plus reculés. Les administrateurs de communes
mixtes 77 et les commissaires de police notent avec grande
inquiétude que les orateurs des listes UDMA « exacerbent » le
« fanatisme » des populations, en s’adressant à elles en langue
dialectale (arabe ou berbère) et en utilisant un langage mobili-
sateur. Dans le département d’Alger où il est candidat, Ahmed
Boumendjel plonge dans la bataille électorale aux côtés d’Abbas
et ses talents d’orateur, mêlant éloquence et ironie, sont remar-
qués par les autorités  : il travaille efficacement à gagner les
voix de militants du PPA et dénonce avec virulence l’hostilité
de l’administration vis-à-vis des candidats des listes UDMA 78.
Dans l’Algérois, où le PPA est particulièrement puissant, la
carrure d’Ahmed Boumendjel permet bien souvent de sauver
une réunion agitée. Ainsi à Tizi-Ouzou, le 25  mai, devant une
salle comble et 600  personnes restées au dehors, il faut près
d’une heure à Boumendjel pour ramener la foule au calme  : il
doit rappeler qu’il a été personnellement l’avocat de Messali dont
la libération est l’un des points du programme de l’UDMA. Par
la suite, l’intervention de Ferhat Abbas est une grande réussite79.
C’est la première fois qu’un parti nationaliste mène ainsi une
campagne à l’échelle nationale et la réaction des autorités est à
la hauteur de l’enjeu : la surveillance est intense et les rapports
emplis d’inquiétude.
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 141

Les résultats sont un succès presque total : l’UDMA remporte


11 des 13 sièges du deuxième collège. Ferhat Abbas devient
député pour la première fois. Les seuls échecs ont lieu dans le
département d’Alger, où seuls sont élus le docteur Saadane et
Ben Keddache, mais où Ahmed Boumendjel échoue face à la liste
socialiste de Mohand Achour. La question de l’impartialité de
l’administration dans le département d’Alger est évoquée briève-
ment ainsi que le bourrage des urnes, mais très rapidement,
elle s’efface devant l’enthousiasme que provoque l’élection de
représentants nationalistes dont on imagine alors qu’ils pourront
réellement faire avancer les réformes algériennes à l’Assemblée.

L’autre nationalisme. – C’est sur la base de cette victoire électo-


rale qu’un véritable parti politique est créé. Ahmed Boumendjel,
ayant été battu, peut, à la différence des principaux leaders élus
au Palais-Bourbon, demeurer à Alger. Il prend naturellement en
charge la structuration de l’UDMA en organisant les premières
réunions partisanes. Les « délégués des anciennes sections des
AML », selon l’expression de la police, se réunissent dans l’ancien
local du journal Égalité, place Lavigerie à Alger, le 29 juin 1946,
quelques jours à peine après les élections législatives. Ils ont
pour tâche de fixer les modalités de création d’une nouvelle
organisation politique pour UDMA, qui sera officiellement
fondée au mois d’octobre de la même année. Au cours de la
réunion, deux rapports sont discutés, à la rédaction desquels
Ahmed Boumendjel a prêté sa plume  : un rapport politique et
le rapport sur l’organisation de Benali Boukort80.
Ce dernier confère au parti une organisation inspirée des partis
communistes européens, fondée sur les sections et fédérations
départementales représentées au congrès annuel, lequel doit être
souverain dans la prise de décision. Par ailleurs, la direction est
assurée par un secrétariat général et un comité central du parti.
Au congrès de Sétif, Ferhat Abbas donne la principale ligne
directrice du parti :

La présence de la France dans différents pays doit se traduire


par l’éducation de ces différents peuples et leur préparation
142 Ali Boumendjel

à l’exercice du pouvoir jusqu’au jour, qui ne saurait être


indéfiniment éloigné, où ils pourront se gouverner librement
et gérer démocratiquement leurs propres affaires.
Pour respecter ce principe aujourd’hui inscrit dans la
constitution française, l’Algérie doit évoluer dans le cadre
naturel d’un État algérien et non dans celui étriqué et factice
de trois départements français. Mais cet État ne devra être ni
un sultanat érigé au profit des musulmans, ni un dominion
monopolisé par les Européens. Ce sera une RÉPUBLIQUE
DÉMOCRATIQUE ET SOCIALE, unissant fraternellement tous
les Algériens quelles que soient leurs races et leurs religions
et donnant à chacun d’eux la parcelle de souveraineté à
laquelle il peut légitimement prétendre81.

Dans un contexte où la préoccupation principale des partis


nationalistes est la construction de l’État82, une part importante
de la vie du parti consiste à définir la représentation précise de la
future République. Le journal du parti change d’ailleurs de nom :
il cesse de s’appeler Égalité pour devenir en 1948 La République
algérienne. Or, et c’est dans ce domaine que l’UDMA diffère
du PPA, la citoyenneté algérienne sur laquelle sera fondée la
République doit accueillir l’ensemble des habitants du pays :

Notre position vis-à-vis des Français d’Algérie […]


Il y a tous les Français démocrates qui avec nos travailleurs ont
contribué à la transformation du pays, qui y ont fait souche
et qui se considèrent comme des Algériens authentiques.
Ceux-là sont nos frères. (Applaudissements.)
Ceux-là doivent venir à nous : notre famille est la leur.
Nous leur tendons une main loyale et fraternelle. Eux et
nous devons construire ensemble, avec le concours des forces
démocratiques françaises, la sécurité de tous étant assurée
par la présence de la France, la Cité algérienne, la Patrie
algérienne (Applaudissements.)83.

À cette position de principe pour l’Algérie indépendante


correspondent aussi des pratiques partisanes : les « Européens »
sont invités de façon répétée à adhérer à l’UDMA ; à chaque
grande réunion publique, un passage leur est spécifiquement
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 143

adressé et leur présence est toujours valorisée. Rares sont les


« Européens » qui adhèrent effectivement au parti mais certains
militants, au premier rang desquels Ali Boumendjel, se chargent
de maintenir de bonnes relations avec les responsables des
« partis mixtes », SFIO et PCA.
Enfin, le parti s’engage dans une stratégie résolument électo-
rale  : malgré les embûches, et en particulier l’impossibilité de
faire discuter la situation algérienne à la première Assemblée
nationale constituante, les dirigeants du parti sont résolument
légalistes. S’ils choisissent de ne pas se présenter aux élections
législatives de novembre  1946, c’est seulement pour laisser le
champ libre au mouvement messaliste, organisé à son tour dans
un parti légal, le Mouvement pour le triomphe des libertés
démocratiques (MTLD), et éviter ainsi la confrontation entre les
nationalistes. Les « udmistes84 » se lancent donc dans la course
électorale.
Ali Boumendjel recommence à écrire dans Égalité dès sa
reparution à l’été 1946. Il devient ensuite l’un des contribu-
teurs les plus réguliers à La République algérienne. À cette époque,
le rédacteur en chef officiel est Ferhat Abbas, assisté dans les
premiers mois d’Abdelaziz Kessous, puis d’Ahmed Boumendjel
qui prend la responsabilité de la parution de l’hebdomadaire
et rédige des articles fleuves sur la situation économique et
politique algérienne. Parmi les autres collaborateurs, outre Abbas
qui signe tous les éditoriaux, on trouve les principaux leaders
de l’UDMA, notamment Ahmed Francis, Ahmed Benzadi et
Kaddour Sator.
En première page, Ali Boumendjel signe de longs articles sur
des thèmes variés. Il y mène, avec un humour grinçant, des
charges en règle contre la politique coloniale de la France en
Algérie et contre les intérêts économiques qui la gouvernent.
Dans un numéro de novembre  1946, il attaque ainsi, sous le
pseudonyme de Juba III, la politique d’assimilation telle qu’elle
est menée dans la colonie :

En l’an de grâce 1946, l’indigène d’Algérie estime, en effet, que


« l’encombrante » politique d’assimilation est une conception
144 Ali Boumendjel

désuète, qui se rattache, dans l’histoire de l’Algérie, à une


époque révolue, celle du complexe d’infériorité.
Pendant longtemps, l’Arabe ou le Kabyle, à force d’être
traité par l’Européen en inférieur, avait fini par se juger tel.
Honteux de lui-même et de ses compatriotes, il allait, rasant
les murs et courbant l’échine, quelle que soit sa distinction,
sa richesse ou sa culture personnelle.
Tandis que la situation diminuée de la masse était sans
issue, on offrait à une « élite » infinitésimale une planche
de salut : « l’assimilation ». On lui demandait de renoncer à
son milieu originel, de s’en détacher, de s’en désolidariser,
pour se fondre dans un milieu nouveau. Il s’agissait, autant
que faire se peut, de perdre l’accent du terroir, de boire du
vin, d’apprendre à faire correctement un nœud de cravate et
à penser français. […] Être admis à jouir des droits de citoyen,
c’était un honneur, un principe, une situation désirable et
enviée. C’était atteindre la terre promise85.

Il se moque ensuite des assimilationnistes « de bonne foi » :

Ils étaient à la fois, touchants et agaçants […], volontiers


sectaires, criant au scandale, par exemple, quand l’assimilé
s’obstinaient à manger sur sa meïda [table basse] ou à
s’abstenir de porc.
La politique d’assimilation appartient désormais au passé.
Née avec le complexe d’infériorité, elle disparaît avec lui.

L’on retrouve dans ce texte de Boumendjel la condamnation


de l’assimilation portée par l’UDMA et déjà présente dans le
Manifeste lui-même. Malgré un titre accusant la « fausse assimi-
lation », destiné peut-être à adoucir la critique pour amadouer la
censure, c’est bien l’assimilation, « ce marché de dupes », qui est
ici visée. Et c’est un membre de cette « élite infinitésimale », qui
en a bénéficié, qui la met en accusation avec virulence, laissant
ressurgir les éléments de son propres parcours de vie :

Vous nous demandez d’apprendre votre langue, mais vous


n’apprenez pas la nôtre. Vous nous demandez de venir à
vous. Mais vos fils demandent-ils nos filles en mariage ?
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 145

C’est en tant que produit de cette politique d’assimilation,


élève de l’école française, étudiant de l’université, avocat, journa-
liste de langue française, qu’il peut, avec tant de force, dénoncer
la « trahison » que constitue l’abandon des émotions les plus
intimes, des goûts et des odeurs, des chants de sa mère, exigée
de lui par les assimilationnistes. À défaut d’accéder au ressenti
de Boumendjel sur sa propre acculturation, ses commentaires
émus sur certaines œuvres de Jean Amrouche révèlent à quel
point il est sensible à cette question :

Voyez-vous, assimilationnistes de bonne volonté, ce que


j’aime le mieux chez Jean Amrouche […] ce ne sont pas
ses poèmes mallarméens, pas même la prose, si pure de
« L’Éternel Jugurtha ». C’est la page émue qu’il consacre à
sa grand-mère paysanne illettrée du Djurdjura.

Par ailleurs, loin de se complaire dans une conception éternelle


de la nation algérienne – que l’on retrouve chez d’autres natio-
nalistes, notamment du PPA  –, Boumendjel développe ici une
vision historicisée de l’émergence de la nation, intimement liée
au phénomène de colonisation. Pour reprendre la distinction
faite par James McDougall, il ne s’agit donc pas pour les intel-
lectuels et les militants de « réaliser » ou de faire « renaître »
la culture nationale, mais de contribuer à produire un peuple86.
Ce faisant, il prend la défense de Ferhat Abbas et de sa
politique antérieure : celui-ci se voit reprocher par les militants
du PPA, après la rédaction du Manifeste en 1943, son passé de
défenseur de l’assimilation. L’un de ses articles est d’ailleurs
cité à l’envi par ses détracteurs. Ferhat Abbas y affirmait avoir
cherché en vain la nation algérienne :

L’Algérie en tant que patrie est un mythe. Je ne l’ai pas


découverte. J’ai interrogé l’histoire ; j’ai interrogé les morts
et les vivants ; j’ai visité les cimetières, personne ne m’en
a parlé87.

Boumendjel ajoute à ce propos :


146 Ali Boumendjel

On reproche à Abbas d’avoir changé. On lui rappelle sa


fameuse phrase : « J’ai cherché partout la nation algérienne…
et je ne l’ai pas trouvée. » C’est qu’alors, elle n’existait pas,
en effet. Et il le disait. Honnêtement. Aujourd’hui elle existe.
Il la trouve. Et il le dit. Honnêtement, toujours. La nation
algérienne en est au stade où l’être vient de sortir du néant
pour entrer dans la vie. C’est un organisme en formation et
dont le développement est particulièrement rapide88.

L’émergence de la nation est donc un phénomène datable,


sans que cela diminue en rien sa force et son importance. Il
ne s’agit plus de prendre au pied de la lettre les déclarations
de grands principes républicains pour exiger leur application à
l’Algérie, mais de dénoncer le paternalisme désormais inaccep-
table qui les sous-tend.
Grand lecteur de la presse et en particulier de la presse métro-
politaine, Boumendjel lance ses articles à partir d’une citation
ou d’une anecdote. Dans un article intitulé « Nationalismes
présomptueux », il entreprend de démolir pierre par pierre la
conception du nationalisme proposée par le conseiller de l’Union
française Riond89. Il y dénonce tour à tour le paternalisme, l’affir-
mation de la supériorité de la civilisation du colonisateur et
l’hypocrisie qui consiste à promettre un « self government » « qui
ne viendra sans doute jamais car les nationalismes demeureront
toujours, d’une manière objective, unilatérale et républicaine,
“des nationalismes présomptueux” ! ». Ali Boumendjel aboutit
toujours à son principal objectif : redresser l’histoire. Il s’attelle
à cette tâche en convoquant au besoin des historiens français.
Pour répondre à Jean Brune, réhabilitant le régime colonial dans
un article de La Dépêche quotidienne d’Algérie, il s’écrie, avec l’his-
torien français Maurice Wall  : « La conquête française n’a pas
trouvé l’Algérie à l’état de terrain vague. » Il utilise toujours des
faits précis, apprécie la valeur des statistiques pour fournir des
réponses argumentées et basées sur des informations fiables, dans
un effort de recherche documentaire scientifiquement fondée.
Ce faisant, il collabore à un effort collectif des rédacteurs de
La République algérienne pour s’opposer à une histoire colonia-
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 147

liste de l’Algérie en proposant une histoire nationale algérienne.


Sans que cette histoire ne soit jamais définie comme exclusive-
ment arabe, l’appartenance au monde arabe et musulman y est
constamment valorisée, comme pour contrebalancer l’histoire
coloniale.
La République algérienne se situe dans un courant d’arabisa-
tion de l’histoire et de l’histoire de l’Algérie en particulier. Tout
kabyle qu’il est, Boumendjel y participe largement, s’opposant
ainsi à la tendance des Européens d’Algérie à dénigrer la part
arabe de la civilisation nord-africaine. Toujours dans son article
concernant Jean Brune, Boumendjel ironise, à son habitude, sur
l’interprétation coloniale de la conquête musulmane :

De quoi donc vient se plaindre Mohamed. D’ailleurs, n’a-t-il


pas été victime de « l’agression orientale et de l’énorme
raz-de-marée de l’invasion hillalienne » (sic). […] comment
rester insensible devant une telle énormité  : « L’Afrique du
Nord agonisait sous le joug oriental », avec, un peu plus loin,
cette discrimination criminelle du Berbère et de l’Oriental90.

Il dénonce ainsi le « mythe kabyle », ou plus exactement le


« mythe berbère » qui oppose des Berbères assimilables et des
Arabes qui les avaient « conquis91 ». Pour autant, ni Boumendjel
ni La République algérienne ne nient jamais la culture berbère ni
ne la dévalorisent  : c’est en tant qu’elle est utilisée dans une
construction intellectuelle colonialiste, pour asseoir la domina-
tion politique et culturelle sur la population colonisée, que son
usage est dénoncé.
Ali Boumendjel et La République algérienne participent ainsi à
une entreprise d’écriture d’une histoire nationale –  habituelle
dans les mouvements nationalistes  – mais dont il est intéres-
sant de voir les caractéristiques plus spécifiquement udmistes.
Contestant l’histoire coloniale de l’Algérie, il contribue à une
forme nouvelle d’histoire où l’on reconnaît tour à tour le natio-
nalisme arabe et le communisme. C’est une histoire dénuée de
dogmatisme que propose Ali Boumendjel. Loin de stigmatiser
la France, il utilise les auteurs français, les références cultu-
148 Ali Boumendjel

relles apprises à l’école française pour lutter contre ce monde


ancien dont le colonialisme n’est qu’un des avatars. Par ailleurs,
l’opposition entre berbère et arabe y disparaît et l’Algérie se
rattache clairement au monde arabo-musulman. Cette orienta-
tion, qui peut surprendre pour un journal francophone, se lit
aussi dans certaines rubriques du journal : la Lettre du Caire par
exemple, permet à « l’envoyé spécial » de La République algérienne
dans cette ville, Mostafa Bechir, de donner des nouvelles de
l’ensemble du monde arabe. Le journal laisse également une
grande place aux discours d’Azzam Pacha, secrétaire général de la
toute jeune Ligue arabe, fondée le 22 mars 194592. Il faut égale-
ment rappeler la forte influence de courants de fond qui irradient
le monde arabe à partir du Machrek, notamment de l’Égypte et
de la Syrie, depuis la fin du XIXe siècle. Au développement d’une
littérature arabe moderne, avec le développement de nouvelles
formes d’écriture (notamment le roman et l’autobiographie),
s’ajoute la volonté de réformer l’islam pour le purifier et lui
permettre de faire face au monde contemporain93. Elle a large-
ment inspiré Ferhat Abbas et certains passages de Boumendjel
rappellent presque mot à mot les écrits d’auteurs orientaux sur
les relations avec l’Europe :

Nous ne serons pas assimilés. C’est nous qui assimilerons,


parce que nous avons besoin, pour progresser, d’emprunter
à l’Europe sa science et sa technique. Nous nous inspirerons
de son exemple. La reconnaissance de la personnalité algérienne
n’implique nullement repliement sur soi, stagnation, fanatisme
ou xénophobie94.

Maint article de Boumendjel porte sur les questions de la


défense de l’islam et de la langue arabe contre les tentatives de
l’administration de les contrôler et de les affaiblir. La République
algérienne défendue par l’UDMA n’est jamais présentée comme
une République musulmane ou islamique. Pour autant, la
défense de la religion musulmane comme bastion de l’iden-
tité, pour paraphraser Jacques Berque, est constante sous la
forme de la revendication que soit appliquée à l’Algérie la loi
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 149

de séparation des Églises et de l’État de 1905. Et d’ailleurs, la


proximité entre UDMA et Association des ‘Ulamâ est tout à fait
étonnante  : localement, les membres de la section de l’UDMA
sont bien souvent – y compris lorsqu’ils sont francophones – les
animateurs des médersas de l’Association qui ont pour but de
promouvoir un enseignement religieux et le développement de
la langue arabe95. On l’a vu pour la maîtrise de la langue arabe,
même chez des personnalités aussi laïcisées et francophones
que les frères Boumendjel, la question de l’identité religieuse et
linguistique est beaucoup plus complexe que l’image de parti
francophone et laïc de l’UDMA ne le laisse généralement croire.
Par ailleurs, la majorité des articles de Boumendjel sont consa-
crés à décrire l’évolution politique des pays étrangers, en parti-
culier des pays musulmans. Il se passionne pour la politique
menée par le docteur Mossadegh, le Premier ministre iranien,
qui lutte contre l’Anglo-Iranian Oil Company pour rendre au pays
la propriété de son pétrole 96 ; il s’inquiète de l’abdication du
roi Farouk d’Égypte, se demandant à quel type de pouvoir elle
ouvre la voie ; il vante le général Neguib, la figure de proue des
jeunes officiers qui renversent la monarchie en 1952, et auquel
il attribue la transformations des palais royaux en universités et
la suppression des titres de bey et de pacha97. Mais il réclame,
comme en Iran, un grand homme qui combatte la misère et le
paupérisme, s’attache à détruire les « immenses domaines des
sociétés et des businessmen sans patrie » et colle enfin « à la
réalité de tous les jours98 ». Ses textes ont autant pour objectif
l’information du lecteur, la transmission d’informations tirées de
la presse française ou étrangère sur les mouvements nationaux
voisins, que de défendre un point de vue nationaliste. Cette
volonté de transmettre le savoir se lit également dans sa parti-
cipation à diverses conférences : en mars 1952, il ouvre un cycle
de conférences organisé par la JUDMA, la Jeunesse de l’UDMA
à Alger, en parlant de la situation du nationalisme en Tunisie99.
Il participe par ailleurs à plusieurs reprises au programme de
conférences organisé par le parti chaque année au moment du
ramadan. Ainsi, en 1949, les sections d’Alger-centre et Belcourt
tentent de mettre sur pied un ambitieux programme comportant
150 Ali Boumendjel

une conférence tous les deux jours durant le mois de jeûne et


sollicitent pour cela les figures du parti, notamment les membres
du comité central. Ali Boumendjel fait partie des orateurs
invités100. Il est par ailleurs fréquemment invité par les leaders
de la Jeunesse de l’UDMA dont il semble avoir pris en charge
l’organisation dans les premiers mois de sa création, en 1950.
Il est également invité à parler devant d’autres auditoires, qui
montrent une fois encore l’étendue de ses réseaux de sociabilité et
la variété de ses contacts. Malika Boumendjel se souvient de son
inquiétude avant une intervention devant un groupe d’étudiants
en théologie, qu’il pense difficile à gagner à ses arguments. Ce
sont autant ses qualités d’orateur ou de politique qui sont appré-
ciées que l’étendue de son savoir, son travail et sa pédagogie.
La conception qu’il se fait de son rôle en tant que militant est
d’informer et de conscientiser ses lecteurs et auditeurs à l’inté-
rieur du parti, mais également de dialoguer avec l’extérieur.
Pour autant, les affaires marocaine et tunisienne lui permettent
des charges terribles contre la colonisation. Comme l’ensemble
de la rédaction de La République algérienne, il est très choqué
en décembre  1952 par l’assassinat du leader du syndicalisme
tunisien Ferhat Hached, suivi de près par des émeutes durement
réprimées à Casablanca. Il s’en prend alors à la presse « aux
ordres », qui, à l’instar de l’Agence France-Presse, justifie la
répression par la « collusion » supposée entre l’Istiqlal, le parti
nationaliste marocain, et le parti communiste101. Les événements
lui donnent l’occasion de s’en prendre de nouveau à la politique
coloniale :

Il n’en demeure pas moins que cette atroce misère existe


et que c’est elle qui pose le problème du colonialisme. Le
véritable crime est celui qui consiste à résoudre le mortel
problème de la misère des pays colonisés par les « ratissages »,
les déportations, les tanks et la mitraille. La question est là
et pas ailleurs.

À travers articles et conférences, Boumendjel offre donc sa


contribution à la lutte contre la colonisation, non sous la forme
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 151

d’une construction dogmatique, mais comme un polémiste


réagissant quotidiennement aux événements et fournissant, jour
après jour, ses analyses et attaques contre le colonialisme. Ce
faisant, il ancre l’Algérie dans le monde arabo-musulman, où
se développent des mouvements nationalistes et où les diffé-
rentes formes de colonisation sont remises en question. Mais
il serait réducteur de limiter sa contribution au nationalisme à
la définition d’une identité arabo-musulmane. Les articles de
Boumendjel rappellent sans arrêt que les « indigènes » d’Algérie
font partie des « colonisés », et qu’ils ont donc les mêmes intérêts
que les Vietnamiens, que les Iraniens ou que les Mau-Mau. Ce
qu’il pressent, ce n’est pas seulement la fin de la colonisation
en Algérie ou une révolution en Égypte. Il s’agit bien davantage
d’une révolution universelle, de l’avènement d’un monde où
l’ensemble des phénomènes coloniaux auraient disparu. Il se
fait le guetteur des signes annonciateurs de la fin prochaine
du monde ancien, sans manquer l’occasion de porter lui-même
une estocade.
Boumendjel est ainsi bien, dans différentes dimensions, un
militant de l’UDMA, parti dont le combat ne se comprend, selon
l’expression d’un tract de 1954, que dans le contexte d’une révolu-
tion universelle devant unifier l’humanité et libérer l’homme de
la contrainte et de l’injustice102. Résolument nationaliste, comme
l’est son parti, il défend un nationalisme qui diffère de celui du
PPA-MTLD de Messali Hadj, notamment par la volonté constam-
ment réitérée d’intégrer la population « européenne » d’Algérie
dans une citoyenneté algérienne ouverte. Le nationalisme de
l’Union démocratique du Manifeste algérien, c’est cet « autre
nationalisme algérien ».

Kebch ed-dahia –  le mouton du sacrifice. –  Le travail journa-


listique de Boumendjel est le plus visible. De l’avis général, il
a pourtant des activités diverses. Il est notamment l’infatigable
animateur de sections locales de l’UDMA : secrétaire général de la
section de Blida, l’une des plus importantes d’Algérie, il devient
ensuite membre de celle d’Alger-centre, avant de prendre, à partir
de 1954 davantage de responsabilités au sein du parti.
152 Ali Boumendjel

Dès la formation du parti, en 1946, Ali Boumendjel fait


vraisemblablement partie du comité de la section de Blida, où
il occupe son premier poste d’avocat. À l’occasion d’une réunion
de mars 1947, devant une assemblée de quelque 150 personnes,
il annonce son départ pour Alger 103. Un nouveau comité de
section doit donc être constitué selon un rapport de la Police
des renseignements généraux (PRG) particulièrement intéressant
parce qu’il laisse entrevoir que les militants sont parfaitement
conscients de la surveillance policière  : « Durant la réunion,
deux guetteurs ont stationné devant la porte du local, surveil-
lant les allées et venues des passants. » Mais l’existence même
d’un rapport, indiquant la composition du nouveau bureau,
la profession de ses membres et résumant les interventions de
chacun, indique que leurs précautions ne sont pas aussi efficaces
qu’ils l’espèrent.
Malgré son départ, ayant tissé des liens dans cette ville,
Boumendjel revient à plusieurs reprises à Blida comme orateur
missionné par le parti pour animer des réunions et des confé-
rences. En juin, il fait partie d’une délégation comprenant
également Abdelaziz Kessous et Kaddour Sator : accueilli par le
nouveau secrétaire général de la section, Mohammed Tabti, et
conduit au théâtre municipal, il présente devant 300 personnes
et en français une charge contre le colonialisme et le capitalisme
et explique le projet de statut défendu par l’UDMA pour l’Algérie.
Quant à Sator, il fait son intervention en arabe. Ensemble, ils
organisent ensuite le vote d’une motion de soutien aux dirigeants
du parti :

Au nombre de 500, l’AG de la section de Blida :


Après avoir entendu les différents exposés concernant le
projet de statut de l’Algérie de l’UDMA,
Prend acte de la bonne volonté et de la compréhension de
certains milieux démocratiques.
Affirme la volonté du peuple algérien de participer à la
gestion des affaires de l’Algérie sous une forme active par
l’organisation d’un gouvernement algérien responsable
devant un Parlement algérien.
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 153

Considère que ce nouveau statut s’inscrit dans le cadre d’une


évolution prévue par la constitution d’octobre  1946, tant
dans son préambule que dans son article 75.
Demande instamment au gouvernement de prendre
nettement position contre la grosse colonisation dont l’esprit
réactionnaire s’oppose à tout progrès.
Insiste pour qu’il soit mis fin à ses provocations constantes.
Fait confiance à leur secrétaire général Ferhat Abbas, aux
conseillers de la république de l’UDMA et à la délégation
permanente du parti pour mener jusqu’à son terme l’œuvre
d’émancipation du peuple algérien104.

De nouveau en décembre  1947, il est invité à participer à


la réunion destinée à commémorer la reddition de l’émir Abd
el-Kader, au local de la section. Parmi les orateurs, la PRG note
également l’intervention d’un membre actif de l’Association des
‘Ulamâ, dont la présence confirme qu’à Blida, comme ailleurs,
les comités des deux organisations se superposent pour partie105 ;
en septembre  1948, il revient encore à l’occasion de l’assem-
blée générale de la section pour organiser le renouvellement
du comité et propose une minute de silence à la mémoire de
Moncef Bey, qui est mort quelques jours auparavant106 : le bey
de Tunisie, dont l’attitude avait déplu aux autorités françaises,
avait été destitué. Dans son exil métropolitain, il était devenu
un symbole nationaliste pour tous les Nord-Africains107.
En suivant ainsi le parcours d’Ali Boumendjel et de sa section
de Blida, on voit se dessiner une typologie de réunions et d’acti-
vités collectives caractéristiques de l’UDMA et le rôle que jouent
les grandes villes (ici, Alger) dans l’animation des sections plus
modestes. Aux réunions de fonctionnement, destinées à établir
le comité de la section et à résoudre les difficultés quotidiennes,
s’ajoutent des réunions régulières qui scandent les dates d’un
véritable calendrier udmiste. L’on commémore ainsi le 8  mai
1945, mais également le 10 février, date anniversaire du Manifeste
du peuple algérien, ou la mort de personnages fondateurs du
nationalisme algérien (l’émir Abd el-Kader, mais également
Abdelhamid Benbadis, le fondateur de l’Association des ‘Ulamâ
154 Ali Boumendjel

et, après sa mort, le docteur Saadane, proche de Ferhat Abbas


et membre fondateur de l’UDMA). À ces occasions, des rituels
nouveaux sont inventés qui sont destinés à devenir les gestes
d’une liturgie nationale. Ces cérémonies politiques évoluent avec
leur temps  : alors que la minute de silence est instaurée dans
les meetings pour commémorer les victimes de la répression
de mai  1945, elle en vient à intégrer des événements extra-
algériens : dans l’exemple cité plus haut, c’est la commémoration
de la mort de Moncef Bey ; plus tard ce seront les victimes de
la répression au Maroc et en Tunisie.
Le rôle de Boumendjel est particulier dans ce dispositif  : il
n’est plus enraciné dans sa section de Blida après 1947, et n’est
responsable d’aucune autre section ; mais s’il n’a pas encore de
rôle national, il fait le lien entre la direction et l’une des sections,
en prenant en charge à la fois un contenu politique dont il se
fait le porteur et un rôle d’organisation, de mobilisation et de
coordination de la section avec les autres sections algéroises.
En 1951, Boumendjel se présente aux élections pour le renou-
vellement partiel de l’Assemblée algérienne dans la circonscrip-
tion de Blida. Sa candidature est décidée à la dernière minute
après un changement de stratégie de la part du MTLD qui choisit
de rompre l’accord électoral passé avec l’UDMA : sa décision de
s’abstenir finalement oblige le parti de Ferhat Abbas à aller seul
à la bataille et à nommer à la va-vite de nouveaux candidats108.
Aussi, en janvier et février 1954, Boumendjel se présente encore
à l’Assemblée algérienne, cette fois-ci dans la circonscription de
Maison-Carrée. Il est opposé à plusieurs candidats « indépen-
dants », c’est-à-dire soutenus par l’administration française, et à
un candidat du PCA, les discussions entre PCA et UDMA pour la
présentation de candidatures communes n’ayant pas abouti109.
C’est le candidat « indépendant » Halimi qui est élu.
Dans cette campagne comme dans d’autres, il ne semble pas
que Boumendjel ait déployé une activité débordante. Il assure
bien quelques meetings et réunions, portant parfois la contra-
diction dans les réunions du PCA, sans laisser en cela beaucoup
de souvenirs aux témoins. Son ami Amar Bentoumi fait de lui
le candidat des causes perdues. Il se présente dans une circons-
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 155

cription où l’UDMA n’a pas de réelles chances de l’emporter : à


l’intervention de l’administration pour bourrer les urnes s’ajoute,
en effet, la popularité locale du PCA. Me Bentoumi témoigne
du manque d’intérêt d’Ali pour les élections : il est inquiet des
résultats du parti, et en particulier par l’élection de son frère
qui est toujours candidat, mais lui-même n’est pas intéressé par
sa propre élection. Sa candidature dans des circonscriptions où
l’UDMA ne peut l’emporter est d’ailleurs un objet de plaisan-
terie pour ses amis. Lors de leurs rencontres matinales, Amar
Bentoumi le surnomme en riant « kebch ed-dahia », le mouton
du sacrifice110.
Le récit donné par Bentoumi est révélateur de l’histoire plus
générale du parti et des élections en Algérie. Dans les premières
années de l’UDMA, les élections avaient suscité un grand
enthousiasme et le parti avait remporté les élections législatives
de juin  1946  : les candidats pour les élections municipales de
1947 puis pour les élections à l’Assemblée algérienne semblaient
se précipiter. Nombre d’entre eux étaient alors des personna-
lités ayant une influence locale (familiale ou professionnelle),
qui espéraient que le parti servirait leur carrière politique en
leur permettant d’accéder à un siège. Or, le deuxième tour des
élections d’avril  1948 à l’Assemblée algérienne a mis un coup
d’arrêt à cette stratégie  : le trucage massif des élections, sous
la houlette du gouverneur général Naegelen, ôte toute chance
d’obtenir un siège aux candidats des partis nationalistes qui
n’ont pas été élus dès le premier tour 111. L’étiquette UDMA
devient dès lors un handicap dans la carrière de ces figures
locales et, lors du renouvellement partiel de février  1951 puis
de janvier-février 1954, nombre d’entre eux se présentent désor-
mais sous l’étiquette « indépendant » et avec l’aval notoire, voire
le soutien actif de l’administration. Parmi les nouveaux élus
de la nouvelle Assemblée, beaucoup sont d’anciens candidats de
l’UDMA. Il devient désormais plus difficile au parti de trouver
des candidats crédibles, qui acceptent le coût de la campagne
– travail militant, risque de répression et sacrifices divers – sans
aucun espoir d’être effectivement élus et sans les rétributions
symboliques ou matérielles attachées à un poste électif. Le profil
156 Ali Boumendjel

des candidats change en conséquence : si certains sont toujours


des figures locales demeurées fidèles au parti, l’on trouve davan-
tage de militants purs et durs de l’UDMA, prêts à se sacrifier pour
leur parti sans contrepartie112. Les candidatures de Boumendjel à
deux élections partielles successives dans deux circonscriptions
différentes révèlent son absence d’ancrage local et soulignent
qu’elles s’inscrivent dans une approche électoraliste qui perd de
son sens. Les élections deviennent donc, du fait du trucage, la
quadrature du cercle pour les partis légalistes : leur stratégie est
battue en brèche par les autorités elles-mêmes et ils y épuisent
leurs forces vitales.

Une position originale au sein de l’UDMA


Un militant du Mouvement mondial de la paix. –  La
grande originalité du parcours politique d’Ali Boumendjel avant
1954 est sa participation au Conseil mondial de la paix, dont
il est l’un des membres fondateurs113. Il s’agit d’un mouvement
d’intellectuels rapidement identifié comme un mouvement
communiste soutenu par l’URSS et les pays socialistes. Henri Alleg
remarque que son adhésion à ce mouvement suscite des opposi-
tions, y compris de la part de dirigeants au sein de l’UDMA qui
craignent de se faire piéger par les communistes dans une organi-
sation dont les buts n’ont rien à voir avec les leurs114. L’ancien
rédacteur du quotidien Alger républicain me reçoit dans sa maison
de la banlieue parisienne. Comme Sadek Hadjerès, il a mis de
l’ordre dans ses idées avant mon arrivée : il brosse le tableau d’un
homme dont il a apprécié le positionnement politique, l’attitude
d’ouverture à l’égard des communistes et pour lequel il avait,
bien qu’il ne le dise pas explicitement, beaucoup d’amitié. Pour
autant, Boumendjel et Alleg n’ont jamais été des amis intimes.
Mais Alleg insiste sur l’originalité et le courage de cette position
d’ouverture à gauche à l’intérieur du mouvement national.
Plusieurs documents retracent le parcours du Boumendjel dans
le Mouvement de la paix. En 1964, le Mouvement mondial de
la paix lui remet la médaille de la paix à titre posthume. À cette
occasion, Eugénie Cotton et Abderrahmane Bouchama, militant
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 157

communiste qui, à l’occasion de plusieurs conférences, fait partie


de la délégation algérienne, prononcent des allocutions retraçant
les principaux jalons de son parcours dans l’organisation115. Par
ailleurs, Malika Boumendjel a conservé certaines lettres écrites par
son mari durant ses voyages pour des réunions du Mouvement
de la paix. Ces lettres constituent une source unique puisque
ce sont les seuls documents privés où l’on peut lire Boumendjel
racontant ses impressions à la première personne116. La lettre la
plus étonnante est écrite durant le premier Congrès mondial des
partisans de la paix qui se tient en avril 1949, salle Pleyel à Paris.
Inconsolable d’avoir dû se séparer de Malika, alors enceinte de
Nadir, Boumendjel lui écrit une lettre de dix pages au fur et à
mesure des événements. Tout en écoutant les interventions qui
se succèdent dans la salle Pleyel, il fait le récit du congrès à son
épouse. Sa narration commence avec les réunions du Comité de
préparation – dont il fait également partie – pour se poursuivre
avec des descriptions d’un Paris qui reflète son enthousiasme.
Dès son arrivée, il constate que « Paris formait un pôle attractif
absolument prodigieux. Jamais Paris n’avait autant mérité son
titre de Capitale en joignant à ce titre celui de Capitale de la
Paix ». Pendant que parle le biologiste soviétique Pienkovski,
il s’exclame  : « Les plus grands esprits se sont mobilisés pour
sonner l’alarme. »
Le congrès s’ouvre le mercredi 20 avril :

Salle Pleyel. Un monde indescriptible et bigarré. Des costumes


nationaux, hongrois, chinois, polonais, des prêtres, près de
2 000 délégués déjà présents. Contrôle particulièrement
sévère à l’entrée. L’installation est terminée.
Le Professeur Joliot-Curie ouvre le Congrès Mondial de la
Paix aux applaudissements enthousiastes de toute la salle. À
la Tribune, des ministres, des anciens ministres, des hommes
d’État, des prêtres (on signale la présence du Métropolite
de Moscou), Pietro Nenni, Zilliacus, l’Abbé Boulier, Fadeïev,
Aragon, Picasso, Yves Farge…
Joliot-Curie adresse alors au Monde entier, par ses
représentants, un appel à l’action pour la Paix que tu pourras
lire par ailleurs117.
158 Ali Boumendjel

Le ton de la lettre traduit l’espoir, l’excitation et l’enthou-


siasme des délégués. Chacun découvre qu’il n’est pas seul et
certaines contributions suscitent une émotion toute particulière.
Ainsi, lorsque le travailliste britannique Konni Zilliacus cède son
tour de parole au chanteur Paul Robeson :

C’est alors une des choses les plus émouvantes auxquelles


j’ai assisté à ce Congrès jusqu’à aujourd’hui.
« Je viens ici vous apporter le salut des hommes noirs,
mes frères… » C’est ainsi que débute Robeson. Cette voix
profonde, basse, sortie d’un orgue véritable semble, dans
la salle Pleyel toute frémissante, non pas la voix d’un Noir
américain mais le cri de révolte de toute la race noire. Sur
un ton presque uniforme, avec quelques éclats pour mieux
souligner sa pensée, Robeson vient associer le Peuple noir
américain à la lutte pour la Paix. Sa voix a des résonances
insondables. La salle est électrisée118.

Il écoute Frédéric Joliot-Curie et Ilya Ehrenbourg, Martin-


Chauffier et Aragon, Yves Farge, le métropolite de Moscou, et
Pablo Picasso, qui donne au Mouvement de la paix son symbole :
la colombe. Il note quelques vers d’Aimé Césaire, venu lire un
poème, et raconte à son épouse : « Césaire est bien l’un des plus
grands poètes de langue française actuels. »

Il y a dans l’air la grande fraternité Humaine, il y a dans


l’air un vent de fraternité qui balaiera nécessairement « le
cœur des coffres-forts qui n’ont pas de cœur », c’est encore
un vers de Césaire qui me revient.

Il s’étonne que de nombreux orateurs avouent publiquement


ne pas être des communistes. C’est que la cause de la paix avance
et beaucoup voient dans le mouvement une action politique utile.
Pour les colonisés, elle est de toute évidence une tribune, une
occasion de se rencontrer et de confronter la question coloniale
à d’autres enjeux politiques contemporains. Ce n’est d’ailleurs
pas la question de la paix qui les mobilise autant que celle de la
colonisation et le propos des représentants algériens est de lier les
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 159

deux. Leur enthousiasme dans ce congrès doit être mis en relation


avec la frustration qui est la leur. Dépourvus de tout espace pour
s’exprimer à l’échelon national du fait de leur exclusion du jeu
politique, ils ont la possibilité de développer une activité efficace
à l’échelon international. Cela explique sans doute le sentiment
d’euphorie qui se dégage de la lettre d’Ali Boumendjel.
Durant le Congrès, les délégations des pays colonisés se
réunissent dans la salle Chopin de la Maison de la Pensée et
envisagent de grouper leurs interventions pour organiser une
« journée coloniale ». Mais finalement, sans que les raisons
apparaissent clairement, la délégation algérienne prépare sa
propre intervention. Vingt et une organisations participent à
la délégation, parmi lesquelles le MTLD, l’UDMA et le PCA,
« tous trois assortis des groupements apparentés à chacun d’eux
sur le plan social, syndical et notamment féminin », comme
le raconte André Mandouze qui fait partie de la délégation119.
Dans sa chambre d’hôtel, la veille de la réunion de la délégation,
Boumendjel dîne d’un sandwich et de limonade avant de rédiger
la contribution de l’UDMA.

Samedi 12 heures […]. Le texte de la déclaration algérienne


rédigée en grande partie par Mandouze qui a fait la synthèse
des apports de chacun ne me satisfait pas complètement.
Certains points, notamment suggérés par certains de nos
amis, étaient absolument inacceptables. Nous avons discuté
pied à pied pour un résultat que je crois positif. Mais les
débats sont à peine ouverts120…

S’il n’est pas parfaitement heureux du résultat, cette


occasion de discuter avec des forces politiques algériennes le
réjouit. André Mandouze est également d’avis que l’événement
politique de ce Congrès est la constitution d’un front des forces
algériennes de gauche, une opinion qu’il défendait encore au
cours d’une discussion en 2003121. Pourtant, l’enthousiasme ne
doit pas cacher les difficultés qu’ont les représentants Algériens
à se mettre d’accord à ce moment qu’ils estiment historique.
Boumendjel écrit à son épouse :
160 Ali Boumendjel

La discussion à la reprise, à 15 h, entre les délégués algériens


a été longue, harassante, compliquée, à croire que nous
discutions un pacte extraordinaire entre deux continents122.

C’est Mandouze qui est choisi pour prononcer l’allocution au


nom de la délégation.

Belle intervention, bien que la plupart des pays aient l’air


de considérer que le problème colonial n’a que des rapports
lointains avec celui de la Paix. L’intervention algérienne
impressionne vivement l’auditoire. Et il semble que
l’importance des questions coloniales apparaisse maintenant
nettement. La Paix est indivisible. Elle le demeure dans les
pays coloniaux. Le congrès condamne unanimement le
régime que nous subissons123.

L’intervention est en effet remarquée devant une assemblée où


les anciens résistants sont nombreux. Mandouze y déclare que
l’Algérie est « en état de résistance », elle est en guerre, ajoute-t-il
avant de demander l’aide du Congrès mondial de la paix :

Il faut que vous donniez la possibilité aux peuples colonisés de


conquérir leur liberté, et non de la recevoir, même de mains
fraternelles. Il faut promulguer la fin d’une ère policière et
militaire puisant sa force dans des armes étrangères, parfois
pénétrée encore de l’esprit nazi. […] Il faut enfin promulguer
le début d’un âge où tous les peuples, enfin majeurs, pourront
constituer souverainement leur État, le peuple étant enfin
souverain. La paix ne saurait être une nouvelle concession
camouflée à l’impérialisme avec des « unions » qui sont,
sous d’autres noms, la même chose que ce qu’on n’ose plus
appeler des « empires ». La Paix, pour les peuples colonisés,
est indissociable de la liberté124.

Par la suite, Boumendjel fait, chaque année, un ou deux


déplacements pour se rendre à des réunions du Mouvement
mondial de la paix, généralement accompagné par le commu-
niste Abderrahmane Bouchama. Au Congrès mondial de Vienne,
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 161

en décembre  1952, il est nommé au Conseil mondial de la


paix et prend la parole au nom de la délégation algérienne qui
comprend cette année-là son ancien camarade de Blida, Saad
Dahlab. Il développe devant l’assemblée l’idée du lien entre la
lutte pour l’indépendance et la paix125. Il reprend le même thème
lors de son intervention devant le Conseil mondial de la paix,
à Budapest, en juin 1953.

À gauche de l’UDMA. – Plusieurs témoignages concordent pour


situer Ali Boumendjel dans la tendance de gauche de l’UDMA.
Outre sa participation au Mouvement mondial de la paix, qui
nécessite de surmonter les préjugés anticommunistes répandus
à l’époque, Henri Alleg rappelle également que Boumendjel n’a
pas hésité à prendre position au moment de l’affaire des époux
Rosenberg. Julius et Ethel Rosenberg ont été accusés d’avoir
livré des secrets atomiques à l’URSS et condamnés à mort par
la justice américaine durant l’année  1951. Ils sont exécutés en
1953 malgré une campagne d’opinion internationale. Dans les
pays arabes, et en particulier en Algérie, l’affaire Rosenberg ne
connaît qu’une faible mobilisation. Le problème n’apparaît pas
concerner directement le peuple algérien. Selon Henri Alleg, la
confusion entre juifs et sionistes, quelques années seulement
après la proclamation de l’État d’Israël, alors que les affronte-
ments entre les sionistes et les armées arabes sont dans toutes les
mémoires, freine les mouvements en faveur des Rosenberg qui
sont par ailleurs juifs. Pourtant, une campagne exceptionnelle
est menée en Algérie autour du journal Alger républicain, avec des
pétitions et des télégrammes. Pour l’UDMA, le télégramme est
signé Ali Boumendjel126. « C’était montrer beaucoup de courage
que de prendre position pour les Rosenberg », ajoute Alleg127.
Le journal Alger républicain, de tendance communiste sans être
pour autant le journal du PCA, constitue d’ailleurs un lieu de
ralliement et de sociabilité politique où Ali Boumendjel retrouve
des amis de tendances politiques diverses.

Des avocats –  sans doute aussi parce que leur métier les
fait côtoyer tous les jours des victimes directes ou indirectes
162 Ali Boumendjel

du colonialisme  – comptent parmi les plus fidèles amis du


journal : Ali Boumendjel, Kaddour Sator (tous deux membres
de la direction de l’UDMA, aux côtés de Ferhat Abbas),
Amar Bentoumi, Ougouag128 (membre du MTLD), Ghaouti
Benmelha, Arezki Bouzida, Sidi Moussa (de Sétif) et, parmi
les Européens, Yves Gonon, un chrétien progressiste, et
ses confrères du barreau d’Alger, Guedj, Grange, Ramage,
Médioni, Teboul, Saïman, Smadja, etc.129

On retrouve ici encore ce réseau politique dans lequel Ali


Boumendjel se sent à l’aise. Il est composé de collègues, comme
Albert Smadja, d’amis politiques et personnels comme Kaddour
Sator, Amar Bentoumi ou Yves Gonon. Alger républicain est un lieu
privilégié d’Alger, où l’appartenance communautaire disparaît
complètement au profit de relations personnelles et politiques.
Quelles que soient les étiquettes politiques, les personnes qui
s’y retrouvent peuvent contribuer aux « tribunes libres » du
journal, discuter, développer une véritable vie culturelle. S’y
croisent des avocats, des médecins comme Sadek Hadjerès, des
artistes comme Omar et Mohammed Racim, des hommes de
théâtre comme Mahieddine Bachtarzi, des comédiens comme
Mohammed Touri ou madame Wahiba, des poètes comme Kateb
Yacine.
Et la ligne politique de Boumendjel semble être celle-ci. Faisant
fi des sectarismes, il agit toujours dans un esprit d’ouverture et
de rassemblement. Il est toujours présent dans les actions qui
réunissent diverses tendances politiques. D’ailleurs, sa position
politique est difficile à définir. À gauche de l’UDMA, dit en
substance Henri Alleg, alors qu’André Mandouze se demande
si Boumendjel n’a pas fait partie du PCA130. Critique à l’égard des
communistes, pense-t-on à la lecture du livre de Serge Michel.
Dans la tendance de l’UDMA la plus proche du PPA, affirme
maître Bentoumi. Résolument basé à Alger, alors que son frère
Ahmed était plutôt international, ajoute Mandouze. Ouvert sur
les questions internationales, pense l’historien qui lit ses articles
et voit son parcours dans le Mouvement mondial de la paix. Et
pourtant, il semble que Boumendjel n’ait jamais milité ailleurs
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 163

qu’aux AML et à l’UDMA, en tout cas toujours dans le courant


des amis de Ferhat Abbas. À la question de savoir pourquoi Ali
ne milite pas au sein du PPA plutôt qu’à l’UDMA, M’hamed
Yazid, ancien de Blida et futur représentant du gouvernement
provisoire de la République algérienne à l’ONU, répond qu’il
s’agit essentiellement d’une affaire de famille. Il y a en effet une
« identité UDMA » de la famille Boumendjel, avec le parcours
militant de Mohand puis d’Ahmed 131. Pourtant, il faut aussi
remarquer qu’Ali bénéficie au sein de ce parti d’une liberté
d’action qui lui permet d’exprimer toute la nuance de sa ligne
politique.
Dans son autobiographie, Serge Michel, qui a rejoint l’équipe de
La République algérienne, relate des discussions au sein du comité
de rédaction, révélant comment se positionne Ali Boumendjel.
Le tremblement de terre d’Orléansville, en octobre  1954,
quelques jours avant l’insurrection du 1er  novembre, donne
lieu à un échange complexe entre le rédacteur en chef Ahmed
Benzadi, Ali Boumendjel et Serge Michel. Devant l’injustice des
secours destinés exclusivement à la population coloniale, Ahmed
Benzadi s’emporte violemment.

— C’est un scandale ! dit le rédacteur en chef, les Arabes


n’ont droit à rien. Pas de médecin pour les Arabes ! Nos
blessés peuvent crever. Après ça, on s’étonnera qu’il y
ait trente-cinq morts musulmans pour un Européen. Les
secours arrivent à Orléansville du monde entier. Rien pour
les Arabes. Les Caïds exigent un bakchich de chaque fellah
pour l’établissement des listes de morts et des sinistrés.
— Serge tu me feras un encadré de ce que t’a dit ce type-là,
l’ancien combattant. Où est le papier… « Ancien soldat de la
France médaillé sept fois –  ça en gras  –, mes deux fils sont
encore sous les drapeaux… je suis prêt à déclarer devant
n’importe quelle autorité que les secours ont été réservés aux
Colons – en gras – et à leurs serviteurs… je n’ai reçu aucun
secours… je suis révolté… C’est un scandale132 ! »

La réponse d’Ali est significative de son refus de l’illusion


coloniale :
164 Ali Boumendjel

Ali sourit, et, d’une voix douce, dit :


— Non. Pas un scandale. Ça ne l’est plus depuis longtemps.
C’est tout simplement la réalité coloniale ordinaire…
— Bon, coupe Ahmed, avoue quand même qu’il y a de quoi
se révolter ! Voilà mon papier. Je lis la fin… « Les fossoyeurs
par impuissance de notre pays ne doivent plus faillir
impunément. Mitterrand s’engage à ce que la reconstruction
d’Orléansville soit un test de la rénovation française. Mais
étendra-t-il son expérience à tout le Chélif sinistré et,
ensuite, à l’Algérie ruinée par le pillage colonialiste ? Un
siècle de colonisation, de morale coloniale dispensée par
tous les moyens aura abouti à dresser plus que jamais le
colonisateur contre le colonisé… » Et voilà ma conclusion…
« L’administration coloniale comprend-elle qu’on ne dresse
pas impunément une fraction de la population contre une
autre ? Pourra-t-elle constater que le malheur mûrit l’homme
rapidement avec plus d’efficacité, que l’heure de rendre
compte n’est plus très éloignée ? »

La thématique de « l’heure des comptes » est très présente


dans le journal  : elle révèle l’impuissance des colonisés à faire
pression sur l’administration coloniale par l’absence de toute
menace effectivement formulée. Parti légal, cherchant à éviter la
censure, l’UDMA de Ferhat Abbas ne peut, ni ne veut, menacer
d’une révolte ou d’une révolution. Et pourtant, l’accroissement
de la répression, le trucage des élections et l’injustice sociale
permanente augmentent les tensions et conduisent les rédacteurs
de La République algérienne à ce discours d’impuissance vague-
ment menaçant dont Ali l’avocat n’est pas dupe :

Il a pris un ton pathétique et plein de sous-entendus pour


finir sa lecture. Ali n’a pas cessé de sourire.
— À qui vont-ils rendre des comptes ? demande l’avocat. Tu
y crois ou tu veux te faire peur ?…
Tu me fais penser aux moralistes de la gauche française qui
n’arrêtent pas de s’indigner au nom de la vertu. Tu en es
encore à te scandaliser comme si le scandale pouvait être
permanent. Comme s’il ne provoquait pas à la longue
l’écœurement et la honte. Tu attends que la France mette
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 165

Caricatures de Serge Michel (1922-1997) pour La République


algérienne (5 février et 30 juillet 1954). Le militant tiers-mondiste
avait débarqué à Alger au début des années  1950 avant de se
lier d’amitié avec les membres les plus actifs de la rédaction du
journal, en particulier Ali Boumendjel. Dans le premier dessin,
l’homme en burnous représente les bachaghas considérés
comme les sbires d’une administration qui organise la fraude
électorale.

au pas ses politicards, ses créatures, et pourquoi pas, ses pieds-


noirs ? Ce n’est pas en leur faisant la morale, au nom des
sempiternels principes dont ils se réclament et dont ils se
foutent éperdument, qu’on amènera un changement si
radical que ce serait une véritable révolution. Et puis ce
n’est plus notre problème. Le vrai problème, il y en a qui
le posent…
— Oh, s’il te plaît ! s’emporte Ahmed, de qui tu parles ? De
tes copains cocos ? Tu sais ce qu’ils préparent ? Une marche
des sinistrés du Chélif à Alger, une sorte de marche de la
faim…
— Tout le monde le sait, rétorque Ali, ce que je pense de
mes copains cocos, comme tu dis. Mais finalement, tu es
plus proche d’eux politiquement que moi. Une marche,
pacifique évidemment, avec le mot d’ordre rituel d’éviter
toute provocation comme d’habitude, et comme si c’était
possible, une telle marche est encore et toujours la recherche
166 Ali Boumendjel

d’un dialogue. On en attend au mieux la satisfaction partielle


des revendications, au pire on prétend mettre le pouvoir
colonial devant ses responsabilités avec le soutien du parti
père et de l’angélique prolétariat de la métropole ! Soyons
sérieux, je parle de ceux qui ont tiré la leçon de toutes ces
années d’agitation, ceux qui ont froidement constaté qu’il
n’y a pas de dialogue possible entre les colonisés et les
colonisateurs133.

Sans pour autant le mettre en procès, comme le feraient


peut-être les membres du MTLD, et sans rompre le dialogue,
Ahmed Benzadi est donc critique du positionnement politique
d’Ali Boumendjel. Pour autant, aux yeux de Serge Michel, il
ne peut le situer exactement  : son ouverture en direction des
communistes, sa radicalisation dans les mois qui précèdent
l’insurrection font de lui un militant « communisant », comme
il l’était déjà aux yeux de l’administration coloniale. Et surtout,
un militant critique à l’égard de la rhétorique de son propre parti
dans la mesure où il constate que la rupture est d’ores et déjà
consommée. En cela, il est rejoint par son ami Serge Michel,
qui, interrogé à son tour par le rédacteur en chef du journal,
est partagé entre la sincérité et l’affection immense qu’il a pour
ses amis :

— Et toi, Serge […], qu’est-ce que tu penses de nous ?


Il va falloir faire l’intelligent, pense Serge. Dire en quelques
mots, drôles si possible, ce qu’ils ne veulent pas avouer
depuis des années. Ça caresserait son orgueil, au chef, s’il
s’entendait traiter de pétroleur, mais un pétroleur frustré
qui n’arrête pas de crier au feu pour alerter des pompiers
incendiaires134.

Pour la réforme de l’UDMA. – À partir de 1951, l’UDMA entre


progressivement dans une période de crise politique et finan-
cière, qui culmine en 1954. La police elle-même ne parvient
pas à obtenir des renseignements globaux : la baisse du nombre
d’adhérents ou le nombre de sections encore en activité ne sont
pas mesurables avec les techniques de renseignement en usage.
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 167

Le siège de l’UDMA à Alger. En 1954, l’UDMA se dote d’un


supplément illustré, Afrique-Orient. Le 2  avril, il est consacré
aux inégalités en Algérie  : cette image, destinée à dénoncer
la pauvreté, est prise devant le siège du parti, à deux pas du
cabinet d’Ali Boumendjel.
168 Ali Boumendjel

Par ailleurs, cette défection des militants dépasse vraisembla-


blement la seule UDMA pour toucher les autres partis dévelop-
pant des stratégies électorales : le MTLD ou le PCA connaissent
des difficultés similaires à mesure que la répression se durcit,
augmentant le coût de l’engagement politique, alors que les
élections se multiplient sans résultat tangible, du fait du trucage
organisé par l’administration. L’activité des partis apparaît alors
bien vaine. Évoquant la baisse du nombre de militants du MTLD,
Gilbert Meynier évoque d’ailleurs « l’usure du politique » durant
cette période135. Pour l’UDMA, plusieurs phénomènes révèlent la
crise : les difficultés financières ; l’influence croissante d’Ahmed
Boumendjel dans le parti, malgré son installation à Paris en
1950-1951 ; l’apparition d’un courant contestataire « Jeune-
UDMA » dont Ali Boumendjel est l’une des voix ; l’impossibilité,
l’incapacité ou le refus d’organiser, après le congrès national de
1951 à Constantine, un congrès annuel du parti qui permettrait
de mesurer l’étendue de la désaffection et donnerait une tribune
aux contestataires.
Comme dans tout parti qui se veut un parti de militants, la
direction n’hésite pas à développer un discours encourageant le
sacrifice des militants, voire les culpabilisant pour leur manque
d’engagement136. Toutefois, au début de l’année 1951, la tension
se fait très vive entre les leaders de l’UDMA et les responsables
de l’Algérois accusés de ne pas être à la hauteur de leur tâche.
Au cours de diverses réunions des cadres, ils se voient reprocher
vertement par Ahmed Boumendjel leur « nonchalance137 » et leur
absence de combativité. Il use de tant de virulence pour leur
reprocher d’avoir dévié de la ligne politique de l’UDMA, que
l’agent de surveillance note dans son rapport l’effet « pénible »
produit sur l’auditoire138.
Le malaise dans l’organisation est effectivement profond. Déjà
au congrès national de septembre  1951 à Constantine, il était
question de prendre des décisions de fond. Ahmed Boumendjel
affirmait que ce congrès ne devait pas être celui de la « liquida-
tion » du parti, mais bien plutôt de sa réforme, trahissant par sa
dénégation même l’inquiétude des militants139. Il proposait une
démission en bloc de tous les élus de l’UDMA pour protester
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 169

contre l’ostracisme de l’administration, suggestion que Ferhat


Abbas parvint à contrecarrer en obtenant du parti qu’il prépare
normalement les élections suivantes140.
Selon l’expression des informateurs de l’administration, c’est
un « vent de désagrégation » qui souffle sur l’UDMA dans les
mois qui suivent141. En juillet 1952, Ferhat Abbas est vaincu alors
qu’il se présente à l’élection pour le remplacement du député
Kessous, décédé. La rumeur veut qu’il envisage un retrait de la
politique142. En réalité, il a été condamné le 28 juillet à trois mois
de prison, pour avoir frappé un administrateur de commune
mixte durant la campagne électorale et fait appel de la décision.
Que le coup ait ou non été porté, l’épisode est révélateur de
l’extrême tension qui règne désormais durant les campagnes
électorales, alors que sa condamnation illustre le durcissement
de la répression, y compris judiciaire. En attendant le procès
en appel, il est contraint de modérer son activité  : il ne rédige
plus les éditoriaux de La République algérienne, cédant la place à
Ahmed Boumendjel et accroissant ainsi les rumeurs. Le congrès
du parti, prévu à Tiaret, du 19 au 21  septembre, est reporté
sous le prétexte de difficultés matérielles, décision qui provoque
des réactions de mécontentement et d’incompréhension. C’est
surtout la section d’Alger-centre, nouvellement réorganisée à
la suite des dissensions avec la direction du parti, qui mène le
mouvement de contestation de la direction du parti et exige des
explications concernant le report du congrès :

La section d’Alger-centre en a réclamé les « raisons réelles »,


en reprochant aux délégués du parti à l’Assemblée algérienne
de ne pas verser une fraction de leur indemnité à la caisse
commune et en exigeant une reprise d’activité au sein du
« Front de la Liberté »143.

Dans le même temps, note l’administration –  et sans que


l’on puisse le confirmer  –, de nombreux militants rejoignent
les rangs du PPA, jugé plus radical que l’UDMA. La direction
de la section d’Alger-centre adresse un rapport au comité
central, posant des questions et menaçant de démissionner
170 Ali Boumendjel

si les réponses ne sont pas satisfaisantes. Les interrogations


portent sur l’indemnité des élus à l’Assemblée algérienne,
qui n’est pas toujours reversée au parti, et sur la politique de
l’UDMA à l’égard du Front algérien 144. Les accords visant à la
création du Front algérien pour la défense et le respect des
libertés (FADRL), rassemblant MTLD, UDMA, PCA et ‘Ulamâ,
sont signés en juillet 1951 sur la base d’un programme en cinq
points  : l’annulation des élections truquées ; le respect de la
liberté de vote dans le deuxième collège ; le respect des libertés
fondamentales ; la libération des emprisonnés politiques et la
fin de l’ingérence de l’administration dans les affaires du culte
musulman. Il s’agit de la énième tentative de rapprochement des
partis nationalistes, et Ali Boumendjel, champion de la négocia-
tion et du rassemblement, est bien sûr partie prenante de toutes
les négociations. Toutefois, les fissures apparaissent rapidement
au sein du FADRL, et, à l’intérieur de l’UDMA, tous ne montrent
pas le même enthousiasme : la génération d’Abbas, qui a connu
la répression de mai 1945, est très réticente au rapprochement
avec le MTLD, évoquant sans cesse le risque de noyautage du
Front par les messalistes. Nombre de militants reprochent en
revanche à la direction ce manque de bonne volonté, allant
jusqu’à reprocher à Abbas l’échec du FADRL début 1952. Or,
la réponse de Ferhat Abbas à cette demande d’explication ne
convainc que modérément 145.
Par ailleurs, il semble y avoir des tensions à l’intérieur même
de la section d’Alger-centre puisque le comité de la section
déchoit son secrétaire général pour « son manque d’activité
et d’organisation146 ». Un certain Tamedrari est nommé sur-le-
champ secrétaire général de remplacement. La fédération d’Alger
fait encore des siennes en août 1953, lorsqu’elle envoie un blâme
au bureau politique du parti pour lui reprocher son absence de
réaction à la déposition du sultan Mohammed ben Youssef.
La tension dans les deux protectorats voisins s’est considéra-
blement tendue depuis 1952  : à la répression et aux émeutes
en Tunisie succèdent des attentats et des manifestations ; au
Maroc, les manifestations et violents événements de Casablanca
en décembre  1952 ont permis aux autorités de multiplier les
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 171

arrestations et d’interdire le parti nationaliste Istiqlal, avant de


déposer le sultan147.
Les rumeurs de démission de Ferhat Abbas sont d’autant
plus vives qu’il laisserait alors sa place à Ahmed Boumendjel148.
Selon le rapport du préfet de Constantine, à Sétif, dans la ville
même de Ferhat Abbas, la rumeur est véhiculée par les jeunes
de l’UDMA qui le voient trop proche de l’administration alors
qu’Ahmed Boumendjel, jugé plus radical, a leur faveur. En
janvier  1953, plusieurs sections renvoient les cartes annuelles
du parti, avec des protestations contre les derniers mots de la
carte : « Notre raison d’être : libérer et s’unir. Une Algérie libre
au sein d’une Afrique du Nord fédérée, en coopération avec une
France libérale et démocratique149. » La formulation est jugée
beaucoup trop conciliante alors que ce qu’attendent les jeunes,
c’est une attitude de rupture.
Les difficultés du parti se ressentent également dans la produc-
tion du journal  : outre les difficultés financières permanentes,
en février  1953, plusieurs dirigeants appellent l’ensemble des
membres du comité central à écrire un ou deux articles par
quinzaine pour La République algérienne. Mais en 1954, faute
d’argent et de textes, la publication du journal devient mensuelle.
Dans ce contexte troublé, à partir de 1954, Ali Boumendjel
prend davantage de responsabilité au sein du parti. Il participe
aux activités de la section d’Alger-centre. Au mois de mars 1954,
au cours d’une réunion de la section, il prononce ainsi un
véritable réquisitoire contre le comité central « seul respon-
sable du malaise actuel ». C’est l’absence de communication
entre les sections locales et le comité central qui, affirme-t-il,
pose problème. Il propose la création d’une commission de
liaison avec le comité central et les élus, et ce, à l’échelle de
la section. Aussi les dirigeants se sentiront sous la surveillance
constante des militants de base. Au cours de la même réunion,
il est nommé secrétaire général de la section et se charge de la
liaison avec le comité central150. Ses attaques contre l’organisa-
tion se multiplient. Mais, s’il se montre très critique vis-à-vis
du fonctionnement du parti et de la politique menée par la
direction de l’UDMA, il ne veut en aucun cas que Ferhat Abbas
172 Ali Boumendjel

soit écarté ; bien au contraire, il propose son retour aux affaires


comme solution au profond malaise du parti151. Il affirme, dans
l’une de ses interventions, que c’est parce qu’il n’a pas craint
de transmettre à Ferhat Abbas le mécontentement de la base,
qu’une conférence des cadres a finalement été organisée du 11
au 13  avril 1954 avec, pour projet, la réorganisation du parti.
Une virulente lettre de Ferhat Abbas aux membres du comité
central leur reprochant leur inaction durant l’année écoulée doit
redynamiser davantage le parti.
Au cours de la conférence des cadres, une commission
d’organisation est effectivement désignée 152. Elle comprend
six membres, dont Ali Boumendjel : ses membres font d’abord
le bilan des critiques sur le fonctionnement du parti. Ahmed
Kaidi rappelle que le comité central devrait se réunir tous les
trimestres, le bureau politique toutes les semaines, alors que ce
n’est jamais le cas. « Quand un militant mandaté vient à Alger,
ajoute-t-il selon la police, il ne trouve qu’un nid d’araignées
plein de poussière. S’il fait preuve d’initiative on a vite fait de
le museler car dans notre parti on se plaît dans l’anarchie. » La
commission propose très vite des orientations  : le parti serait
dirigé par un secrétaire général assisté de trois secrétaires ; le
secrétaire général convoque le comité central chaque fois qu’il
le juge bon ; la contribution mensuelle des élus est fixée. D’autre
part, une seconde conférence des cadres est prévue au mois
de septembre pour évaluer les résultats de cette réforme 153.
Enfin, après avoir vanté les efforts d’organisation consentis par
la fédération d’Alger et la création de nouvelles sections, Ali
Boumendjel exige, comme appoint financier immédiat pour le
parti, la contribution mensuelle des élus. Il suggère également
une commission de sanctions qui agira de la base au sommet.
« Le Manifeste, affirme-t-il dans une intervention très applaudie,
n’a nullement épuisé sa substance vitale. Il a atteint son adoles-
cence et cet âge explique ses difficultés. Le peuple algérien se
tourne actuellement vers nous car il a été déçu par les autres
partis154. »
Cependant, ce vent nouveau n’aboutit pas à des réformes
concrètes dans le long terme. Au mois de mai, Ali Boumendjel
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 173

démissionne, par lettre adressée au bureau politique, de ses


mandats de secrétaire général de la section d’Alger-centre et de
responsable de la région algéroise affirmant qu’« aucun effort n’a
été fait pour donner une nouvelle impulsion à l’UDMA155 ». Il
est pourtant nommé de nouveau au bureau régional de l’UDMA,
avec son collègue et ami Kaddour Sator, mais l’élection ne se
déroule pas sans heurt puisqu’il faut plusieurs réunions pour
aboutir à la constitution du bureau156.
Telle est la narration des événements fournie par les services
de renseignements. Elle fait en tout cas d’Ali Boumendjel, à partir
de 1954, une des personnalités montantes du parti, et un anima-
teur de la tendance Jeune-UDMA. Il propose des changements
dans l’organisation du parti, exige une politique plus active
et intransigeante et menace lorsque les réformes ne viennent
pas. Dans un contexte où la direction du parti échappe à un
Ferhat Abbas qui semble bien las de la politique, et où certains
jeunes udmistes exigent qu’il cède ses prérogatives, Boumendjel
souhaite au contraire qu’il reprenne les choses en main. Cela
au moins est clair et crédible.
Quelle est la position de son frère Ahmed Boumendjel,
le secrétaire général adjoint de l’UDMA, dans toute cette
agitation ? Elle est en revanche moins claire. La lecture des
archives donne l’image d’un lieutenant auquel profite la perte
d’influence de Ferhat Abbas. Interrogé à ce sujet, Mahmoud
Hakimi, également membre du comité central et très proche de
Ferhat Abbas, minimise la crise au sein de l’UDMA et affirme
qu’Ahmed Boumendjel n’a jamais concurrencé le leader du parti
ni souhaité lui succéder157. Il faut noter que l’homme, le dernier
proche d’Abbas à pouvoir témoigner, se veut le défenseur de
la mémoire de l’UDMA  : admirateur d’Abbas, et plus encore
d’Ahmed Boumendjel, il insiste sur l’unité du mouvement, avant
finalement de laisser entendre que les tensions existaient, attisées
par les autorités. Y a-t-il eu un conflit de générations entre les
jeunes-udmistes, parmi lesquels Ali Boumendjel, et la généra-
tion des anciens du parti menés par Ahmed ? Ahmed mène-t-il
également la tendance favorable à la réforme comme le laissent
penser les réprimandes qu’il adresse à la direction de la section
174 Ali Boumendjel

d’Alger-centre ? Il est certain, et la suite du parcours du secré-


taire général adjoint de l’UDMA le montre, que ses ambitions
politiques sont limitées et qu’il préfère le travail de terrain aux
positions de pouvoirs.
En me raccompagnant à la gare après notre entretien, une fois
le magnétophone éteint, Henri Alleg, qui était demeuré sérieux,
sinon sévère, durant notre discussion, s’amuse un peu de la
comparaison entre deux avocats de l’UDMA, Ali Boumendjel
et Kaddour Sator. De ce dernier, il affirme : « Maître Sator était
différent d’Ali Boumendjel. Il était plutôt sec, d’une intelligence
mathématique. Un peu glacé (pas amical et sympathique comme
Ali). Il était très courageux dans la lutte contre le colonialisme.
D’une immense intelligence. C’était rigolo, on n’aurait pas dit
qu’il était algérien. » Et puis au moment d’ouvrir la porte de la
voiture, il ajoute simplement, comme pour conclure ce qu’il
avait voulu me transmettre durant tout l’entretien, et justifier
cette émotion non dite que j’avais cru percevoir : « C’est impor-
tant que vous fassiez ce travail. Ali Boumendjel, c’est une façon
de parler très importante, qui ne se lit pas dans des livres ou
dans des œuvres mais un parcours. C’est une pensée moderne
qui devrait être celle de tous les Algériens d’aujourd’hui158. »

L’avocat dans la révolution (1954-1957)


De la même façon que l’on connaît principalement le
FLN « tel que ses leaders le voulurent, le rêvèrent, non tel qu’il
fonctionna effectivement », selon l’expression de Jean-Claude
Vatin159, l’on connaît bien le ralliement de la population au FLN
tel que le mouvement national l’a rêvé, dans l’enthousiasme et
l’unanimisme. Or ce ralliement a parfois été douloureux, violent
et contraint, comme le montre l’étude des violences à l’encontre
des populations civiles160.
Les attentats du 1er  novembre 1954 marquent l’entrée en
scène du FLN ; l’insurrection d’août 1955 fait basculer l’Algérie
dans la guerre. Le durcissement de la répression, à la suite de
ces événements, conduit les militants à mener en secret une
part toujours croissante de leurs activités. Les négociations
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 175

entre partis, les discussions avec le FLN, fondamentales dans la


stratégie des diverses organisations, sont naturellement clandes-
tines ; le divorce est consommé entre l’activité visible aux yeux
des militants ou de la police (notamment la publication de la
presse) et l’activité souterraine, dont les adhérents des partis ne
peuvent être tenus au courant. Les sources manquent souvent
pour analyser en finesse la variété des cheminements conduisant
les militants à se rapprocher du FLN, en particulier lorsqu’il s’agit
de militants anonymes. Mais il est possible pour l’historienne
de retracer le parcours de personnalités plus connues. Le rallie-
ment d’Ali Boumendjel, à l’image de celui de l’UDMA en général
et de Ferhat Abbas en particulier, révèle, entre l’unanimisme
enthousiaste et la contrainte par la violence, d’autres modalités
d’adhésion au Front de libération nationale.
Il convient de noter la difficulté, pour l’étude de cette période
de sa vie, posée par le parasitage des mémoires de ses proches
par les prétendus « aveux » qu’aurait faits Boumendjel durant sa
détention chez les parachutistes : après son arrestation, la presse
publie en effet, à plusieurs reprises, les détails que Boumendjel
aurait « avoués » au cours des interrogatoires. Or, la connaissance
de l’activité clandestine est fondée largement sur des témoi-
gnages, directs ou indirects, qui se laissent aisément imprégner
de fausses informations, de rumeurs et de « on-dit », de sorte
que certains témoignages d’aujourd’hui peuvent artificiellement
corroborer les « aveux ». Malgré ces obstacles, la position d’Ali
Boumendjel à partir de l’insurrection apparaît, une fois encore,
nuancée, complexe, résolument celle d’un intellectuel engagé
dans une guerre d’indépendance.

Le 1er novembre 1954, une conscience inquiète


Le 30  octobre 1954, Ali Boumendjel siège au comité
central élargi de l’UDMA pour une réunion habituelle. Ce jour-là,
il est assis à côté de Mahmoud Hakimi, le délégué de Sétif. Ni
l’un ni l’autre n’imaginent qu’un petit groupe d’hommes est
alors en train d’organiser, pour le lendemain, une série d’atten-
tats à travers l’Algérie161. Le seul parti politique susceptible de
176 Ali Boumendjel

mener une action d’envergure, le PPA-MTLD, est alors affaibli


par la division entre les messalistes et les centralistes, membres
du comité central et opposés au culte de la personnalité de
Messali. Au mois d’août 1954, à Belcourt, au cours d’une réunion
clandestine des centralistes, l’utilisation de la lutte armée avait
été rejetée et le débat sur la question enterré162. Durant l’été, les
violences entre les deux factions du MTLD se sont aggravées au
point d’en arriver à des bagarres aux poings dans les rues d’Alger.
L’action armée semble donc alors totalement improbable.
D’ailleurs, c’est bien une organisation inconnue qui lance
l’action  : le FLN, le Front de libération nationale. Certes, les
six hommes qui le dirigent de l’intérieur du pays sont issus des
rangs du PPA-MTLD de Messali, mais les actions du 1er novembre
ont été organisées sans en référer au parti163, et aucun d’entre
eux n’est une figure nationaliste reconnue à l’échelle de l’Algérie.
Les attentats font sept morts, ce qui n’était pas le plan d’ori-
gine. L’étude des actions montre qu’elles sont très artisanales,
décevantes pour leurs auteurs en terme d’importance et, surtout,
qu’il n’y a aucune réserve logistique et humaine derrière le
mouvement164. Les hommes du 1er novembre ayant consommé
toutes leurs ressources, il leur faudra plusieurs mois pour être
en mesure de lancer de nouvelles opérations.

L’inquiétude du 1er  novembre. –  Mohammed Hadj Hamou


raconte le café pris en compagnie d’Ali Boumendjel au lende-
main du 1er  novembre, au sortir d’une plaidoirie chez le cadi.
Les événements qui viennent de se produire sont sur toutes les
lèvres. Maître Hadj Hamou trouve son collègue surpris, inquiet
et véritablement, ajoute-t-il après réflexion, ébranlé165. Dans son
agitation, il ne cesse de se demander « qui ? » et s’inquiète de la
terrible répression qui va s’abattre sur la population. Les discus-
sions politiques se multiplient avec ses collègues, notamment
ceux qui, comme Amar Bentoumi, font partie du PPA-MTLD166.
Bentoumi décrit un Boumendjel sceptique  : à ses yeux, cette
action n’a aucune chance d’aboutir. Le rapport de force est en
effet très défavorable au mouvement nationaliste, affaibli par la
scission du PPA. À la supériorité militaire de l’armée française
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 177

s’ajoute la présence sur le territoire algérien d’un million de


Français, laquelle condamne l’opération à l’échec. Alors que Hadj
Hamou met en avant la frilosité de son aîné, Bentoumi rappelle,
quant à lui, que cette position était finalement répandue au
lendemain du soulèvement, y compris parmi les militants
du PPA.
Pour le récit nationaliste algérien, le 1er novembre est le début
d’une révolution destinée à triompher de 132 ans de colonisa-
tion. La vision qui consiste à faire de cette date un point de
départ est une élaboration a posteriori. À l’époque, l’initiative
des attentats, revendiquée par un Front de libération nationale
alors inconnu, suscite la surprise, parfois l’enthousiasme, souvent
l’inquiétude et, selon Mohammed Harbi, « ce n’est que rétrospec-
tivement, dans le cadre d’une histoire tronquée et simplifiée, que
l’adhésion apparaîtra comme un élan unanime167 ». L’ensemble
des habitants de l’Algérie n’ont pas le sentiment d’être, du jour
au lendemain, entrés en guerre. Ce n’est qu’à partir d’août 1955
que de nouveaux événements dans le Constantinois font écho
au 1er  novembre et donnent véritablement le sentiment d’un
soulèvement ; c’est d’ailleurs aussi dans le courant de 1955
que les ralliements au FLN se multiplient, lançant les Algériens
dans une dynamique de rébellion et « c’est tourner le dos aux
faits que d’imaginer les Algériens de 1954 tels qu’ils seront en
1957 ou 1961 », ajoute Mohammed Harbi168. La construction
de l’histoire nationale a donc fait du 1er  novembre la date
symbole du début de l’insurrection, elle est désormais discri-
minante dans les parcours militants et combattants : il devient
en effet essentiel de s’identifier aux militants « d’avant » ou
« d’après » le 1er  novembre, de pouvoir affirmer que l’on était
dans l’expectative de l’insurrection, que l’on était en faveur de
la lutte armée, voire que l’on était dans le secret des dieux. Les
enjeux de mémoire deviennent très forts et l’on voit chacun des
acteurs chercher à se positionner et à situer Boumendjel dans
l’une où l’autre catégorie.
Sadek Hadjerès, au cours de la discussion à ce sujet, choisit
une anecdote concernant Abbane Ramdane, le responsable du
FLN pour la zone d’Alger, devenu un héros et martyr dans
178 Ali Boumendjel

la narration nationaliste officielle. Membre du PPA-MTLD


et condamné à une peine de prison, Abbane était détenu le
1er novembre et n’avait eu aucune responsabilité ni dans la prise
de décision, ni dans la réalisation des actions. Lors de sa sortie
de prison en 1955, il est mis au courant de l’organisation des
opérations et répond, en substance, à l’un des six instigateurs,
Krim Belkacem : vous êtes fous d’avoir lancé la révolution dans de
telles conditions. Hadjerès, qui rapporte l’anecdote et connaissait
Abbane personnellement, la tient pour vraisemblable, compte
tenu de ses positions politiques au cours de leurs débats. Peu
importe qu’elle soit vraie ou apocryphe  : l’important, dans la
stratégie discursive de Hadjerès, est la dimension politique de la
personnalité convoquée ici pour critiquer l’opportunité tactique
du déclenchement de la révolution. C’est que l’évaluation de
la rationalité –  et de la justesse historique  – de l’insurrection
demeure sensible : elle est si brûlante, qu’il faut se donner des
garants solides avant de l’aborder. Le 1er  novembre reste donc
un symbole fort, et la question de la réaction d’un militant à
l’annonce des événements, ou de la date de son entrée dans
le mouvement (avant ou après le soulèvement), est sensible et
piégée par les enjeux mémoriels169.
Au cours de certains entretiens, des informations indirectes
tendaient à montrer que Boumendjel était pour la lutte armée
dès avant le 1er  novembre. Malika Boumendjel en particulier,
à diverses reprises, a insisté sur le fait qu’il était au courant
de la révolution à venir, se fondant en cela sur des conversa-
tions qu’elle avait eues après sa mort avec d’anciens camarades.
Pourtant, les deux témoignages cités plus haut, concordent pour
montrer, avec le souvenir vivace de conversations précises avec
Ali Boumendjel, qu’à cette date, il était plutôt défavorable au
soulèvement armé immédiat. Cela signifie-t-il qu’il n’était pas
convaincu de la nécessité d’une lutte armée ? Pas forcément.
Il a ressenti, comme bien des intellectuels udmistes, le décou-
ragement des occasions maintes fois manquées, comme en
témoignent ses textes dans La République algérienne. Benjamin
Stora et Zakya Daoud notent que, parmi les leaders de l’UDMA,
Ferhat Abbas et Ahmed Francis « clament en vain dans le
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 179

désert français. Ils achèvent de perdre, pour leur part, ce qui


leur restait d’espoir170 ». Tous les témoignages concordent pour
donner de Boumendjel l’image d’un homme réticent à l’idée du
conflit armé. Mais ils soulignent aussi sa grande détermination.
Peut-être était-il convaincu de la fatalité d’un conflit armé dès
avant novembre 1954. Sa position dans la frange la plus radicale
et la plus à gauche de l’UDMA, sa relative proximité avec le PPA,
laissent en suspens une question à laquelle aucun document
ni témoignage ne nous permet de répondre, tout en rappelant
que la question elle-même est stérile, qui pose le 1er novembre
comme le début et la fin de toutes choses.
Maître Hadj Hamou distingue en tout cas la réaction de
Boumendjel de celle d’autres jeunes collègues avocats. Il se
décrit lui-même comme enthousiaste à l’annonce des atten-
tats du 1er  novembre et oppose, dans son récit, la fougue des
jeunes avocats et les responsabilités politiques importantes
de Boumendjel au sein de l’UDMA. Si nous le suivons, deux
formes de politisation apparaissent : la sienne, plus spontanée,
enflammée par les événements et celle de Boumendjel. « Ali
Boumendjel était plus politisé que nous au sens où c’était un
leader de l’UDMA », dit-il171. Il y aurait donc un fossé généra-
tionnel, une différence d’âge et de responsabilité, entre les uns et
les autres et, en novembre 1954, Boumendjel fait véritablement
figure, à ses yeux, d’homme politique.

De l’inquiétude au ralliement. –  L’inquiétude de Boumendjel


devant le risque de répression transparaît dans un dialogue
mis en scène par Serge Michel entre Ali l’avocat et Serge dit
Troisième-Collège, personnage central de son ouvrage autobio-
graphique. On y voit aussi un avocat lucide sur les mécanismes
de la guerre de rébellion et en particulier sur l’utilisation qui doit
être faite de la population dans ce type de conflit. Ali l’avocat
rencontre son ami :

— Depuis ce matin, dit-il à Serge qu’il entraîne dans la


galerie, tout le monde me saute au cou. Ça n’arrête pas.
Partout on s’embrasse sans un mot. C’est à croire que c’est
180 Ali Boumendjel

l’Aïd, que ce qui vient de se passer marque la fin du grand


carême. Moi, je crois que ça ne fait que commencer…
— D’après toi, c’est sérieux ?
— Oh que oui, c’est très sérieux ! Tu n’as qu’à lire les
journaux. Les clairons des colons sont persuadés de
l’efficacité de l’Organisation qui vient de se révéler. Ils ne
savent rien, mais, tout de suite, ils exigent des têtes. Leur
vieille peur les contraint à imaginer le pire, à voir en chaque
Arabe un terroriste farouche. C’est eux qui vont faire notre
unanimité nationale. L’Organisation, d’après moi, ça n’existe
pas vraiment, c’est tout au plus un anticorps. Combien
sont-ils ? Quelques dizaines ? La répression traditionnelle va
les multiplier dans la pure logique coloniale. Ce sera tout le
pays qui sera touché, tous les Arabes et non plus seulement
ceux de Sétif ou de Guelma comme en 1945. Nous sommes
déjà un peuple de suspects, nous allons devenir un peuple
de coupables de non-dénonciation de malfaiteurs, avant de
devenir un peuple tout court. Inch Allah !
Tout à son discours, Ali marche de plus en plus vite, ne
s’arrête plus quand on le salue. Il ne voit que le futur.
— Qui sont-ils ? demande Serge.
— Oh, ça pourrait être n’importe qui, celui qui vient de
nous croiser, ceux-là, plus loin, qui parlent à voix basse et
semblent préoccupés… […] Ce qui est important c’est qu’ils
revendiquent les attentats du 1er novembre, qu’ils présentent
comme le début d’une lutte révolutionnaire…
— La lutte révolutionnaire, hein ? Avec qui ?
— Avec qui veux-tu que ce soit ? Avec le peuple, évidemment.
— Le tract, tu l’as ?
— Non.
— Alors comment peut-on le lire ?
— C’est ça le problème. Moi, j’ai pu le lire par un hasard pas
si objectif que tu pourrais le croire. Ont-ils les moyens d’une
véritable diffusion ? On peut en douter. Mais là on peut compter
sur le téléphone arabe pour transmettre la bonne parole. Elle
sera naturellement déformée, amplifiée… C’est peut-être le
but recherché ? Chacun deviendra alors propagandiste de
l’Organisation… Le Front de libération nationale, ça s’appelle…
Et, encore une fois, on peut compter sur le bâton colonial pour
nous transformer tous en militant de ce FLN-là.
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 181

En traversant la place du Square, Ali ralentit l’allure, change


sa lourde serviette de main et prend le bras de son ami.
— Serge, dit-il d’une voix curieusement fêlée, souviens-toi
bien de ce que je vais te dire. Je ne suis pas un devin,
encore moins un prophète et je n’ai aucune vocation pour
le martyre… Ce sera dur, très dur. Pire que tout ce que nous
avons pu connaître… Je ferai mon devoir, comme les autres,
jusqu’au bout. Mais si j’en réchappe, quand ce sera fini, je
fous le camp. Souviens-toi172.

On nous répliquera avec justesse que ce texte a été écrit bien


des années plus tard avec le recul permettant une lecture plus
fine des événements  : les considérations de Boumendjel sur
le FLN et la révolution s’apparentent à une sédimentation de
visions anachroniques. Mais accuser Serge Michel d’anachro-
nisme, c’est supposer le problème résolu en affirmant qu’il ne
pouvait exister, en 1954, d’adhésion critique, ou de critique
nuancée de l’organisation nouvelle. Encore une fois, il faut se
départir de la question du vrai et du faux pour considérer qu’Ali
Boumendjel fournit l’inspiration pour ce personnage inquiet et
clairvoyant  : Ali l’avocat ne s’oppose pas à la révolution qui
se profile mais il est sans illusion sur son compte. Ce qui est
fulgurant ici, comme dans d’autres passages du livre de Serge
Michel, c’est le regard que porte Ali l’avocat sur sa propre
relation avec la rébellion naissante. Il s’y rallie sans enthou-
siasme, sans joie, presque à regret et, en tout cas, sans illusion.
Il y a du fatalisme et de la sérénité dans sa manière d’affirmer
je ferai mon devoir, sans se départir d’un certain pessimisme.
Il est vrai que Boumendjel n’a jamais été porté par les grands
transports d’enthousiasme révolutionnaire, pas plus qu’il n’aime
les « mots ronflants173 ». L’attitude de Ferhat Abbas, décrite par
Benjamin Stora et Zakya Daoud, est similaire174. Sa posture est
celle d’un homme qui abandonne sa conception de la politique
et certains de ses idéaux parce qu’il n’a jamais trouvé l’ouver-
ture qu’il souhaitait, non sans avoir tenté un dernier voyage à
Paris, avec l’accord des responsables du FLN. Il s’en remet donc
à d’autres, se met à leur service en avouant qu’il n’est pas un
182 Ali Boumendjel

combattant, et qu’il fera ce qu’on lui demandera de faire. Il y a


entre les deux hommes plus qu’une différence de génération  :
Ali Boumendjel ne possède ni le parcours politique d’un Ferhat
Abbas, ni bien sûr sa longévité ; d’autre part, leurs positions
politiques sont différentes, au sein même de l’UDMA. Mais
il y a ici un phénomène qui se dessine, un moment tragique
où, devant une situation qu’ils ne maîtrisent pas, des hommes
engagés dans une lutte politique choisissent, avec réticence,
regret, amertume peut-être, une voie dont ils pressentent les
embûches auxquelles elle mène, mais qu’ils sont contraints par
l’histoire d’emprunter au nom de certains de leurs objectifs.
Peut-être ce moment n’est-il pas commun à tous les membres
de l’UDMA, cependant il est partagé par d’autres militants. Il
caractérise l’une des formes de ralliement au FLN et est essentiel
pour comprendre ce qu’est le Front.
Pour autant, et quelle qu’ait peut-être été sa réserve lors du
1   novembre, le métier de Boumendjel l’oblige à plonger tête
er

baissée dans les événements du fait de la nécessité d’assurer


la défense des victimes de la répression en faisant son métier
d’avocat. Moins que d’autres, peut-être, l’avocat ne peut
détourner son regard  : dès le 1er  novembre, il est confronté à
la guerre.

L’avocat des nationalistes


Le 1er  novembre prend les autorités françaises par
surprise. Ne sachant précisément à qui attribuer les attentats,
elles ne tardent pas à fondre sur les militants du PPA-MTLD,
le parti de Messali. Les fichiers de police et la surveillance du
parti étaient opérationnels  : la plupart des responsables et de
nombreux militants sont victimes de la répression. Très vite, le
parti est interdit.
Les avocats habitués à défendre les militants entrent donc
dans l’action ; les nationalistes arrêtés ont en effet besoin d’une
défense devant la justice française. Dès les premières arrestations,
les responsables nationalistes font appel à Amar Bentoumi, qui
avait déjà eu l’occasion de défendre les militants du PPA-MTLD.
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 183

Il est contacté par Salah Louanchi puis par Rabah Bitat dès la
première semaine de novembre afin de prendre en charge la
défense des détenus175. Après les arrestations consécutives au
1er  novembre, de nouvelles vagues d’arrestations ont lieu en
décembre et les affaires affluent devant la cour d’appel d’Alger.
Maître Bentoumi n’est pas le seul avocat constitué. Des avocats
français se mettent également au travail pour défendre les
accusés  : maîtres Stibbe, Braun, Douzon, Dechezelles qui sont
des avocats parisiens et l’avocat algérois Louis Grange. Les
Parisiens viennent à Alger de façon espacée pour prendre en
charge certaines affaires, mais ils ont leurs cabinets en métro-
pole et doivent donc s’absenter durant de longues périodes. Au
moment où la plupart des dirigeants du MTLD sont arrêtés, qu’ils
soient messalistes (Moulay Merbah, par exemple) ou centralistes
(Kiouane ou Benkhedda), les lettres de constitution, ces lettres
par lesquelles les détenus demandent un avocat, se multiplient :
maître Bentoumi les répartit parmi un groupe de jeunes avocats
du barreau d’Alger.
Les avocats algérois chargés de la défense des militants
commencent à s’organiser. Durant l’été 1955, plusieurs d’entre
eux se retrouvent au cabinet de l’avocat communiste algérois
Louis Grange. Parmi eux, outre Louis Grange, Amar Bentoumi,
Mohammed Hadj Hamou, Nefa Rebbani, Élie Guedj 176… Les
réunions se succèdent ensuite, alternativement au cabinet de
Louis Grange, de Mohammed Hadj Hamou ou d’Arezki Bouzida,
afin de répartir les lettres de constitution 177. C’est ce groupe
d’avocats, organisé de façon sommaire et informelle, qui est
appelé le premier Collectif des avocats.
Ali Boumendjel ne participe pas aux réunions du Collectif.
Encore une fois, Mohammed Hadj Hamou explique  : « Nous,
nous étions jeunes », insistant sur la différence de génération
entre les avocats appartenant formellement au Collectif et dénués
de responsabilités, et Boumendjel qui ne peut s’y investir, du fait
de son rôle au sein de l’UDMA  : c’était un homme politique,
militant d’un parti organisé indique-t-il. Il laisse dans son récit
planer une ambiguïté : est-ce le manque de temps qui l’empêche
de participer ? Il semblerait, selon Hadj Hamou, que ses responsa-
184 Ali Boumendjel

bilités politiques l’empêchent de prendre des risques inconsidérés


en participant officiellement à un Collectif trop clairement lié au
FLN. Comme Bentoumi, il ajoute toutefois qu’Ali Boumendjel
participe à certaines activités. Lorsque besoin s’en fait sentir,
Amar Bentoumi lui fait parvenir des lettres de constitution et
Boumendjel défend ces militants à titre personnel, non au titre
du Collectif.
L’ouvrage de Serge Michel, Nour le voilé, donne en quelques
lignes l’essence du travail de l’avocat des militants à cette
époque. Il y évoque encore une fois son personnage, Ali l’avocat.

Ali, l’avocat constitué légalement au nom des familles par


un parent supposé et très soucieux de garder l’anonymat, n’a
retrouvé que difficilement la trace des deux disparus. Il n’a pu
les visiter que beaucoup plus tard à l’infirmerie pénitentiaire.
Ils étaient conscients mais incapables de parler. Ali posait
des questions, ils répondaient par des signes.
L’avocat est persuadé qu’ils sont déjà condamnés à mort, que
le procès ne sera qu’un simulacre et que son rôle, s’il en a un,
est celui de visiteur des prisons. Il ne peut plus cacher son
dégoût de ceux qui, de près ou de loin, vivent de la justice et
de ses lois. Mais il continue de traîner sa sacoche et sa lourde
toge de parloir en prétoire. Il est maintenant le confident
fraternel des emprisonnés, voit les familles, transmet des
messages qu’il ne comprend pas toujours à des inconnus
qui deviennent vite des amis solides.
— L’Algérie, dit-il en réponse à Ferhat Abbas qui l’avait
perdue de vue dans sa jeunesse, je l’ai trouvée entre la taule
et le cimetière.
Son monde – il est trop pudique pour se permettre d’employer
le mot peuple inconsidérément  – est celui d’hommes
apparemment tranquilles qui font la révolution comme on
fait un boulot quotidien et qui ne sortent de l’anonymat
que pour affronter la torture178.

On retrouve dans ce court extrait bien des choses qui font


écho aux entretiens et aux témoignages des avocats des natio-
nalistes. D’abord, le rôle plus que restreint de la défense face à
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 185

la justice. Pour les avocats, se pose d’ailleurs la question de la


stratégie à adopter pour la défense des militants, question qui
n’est pas sans provoquer de conflits. En effet, de la position de
l’avocat par rapport à la cause nationaliste dépend, pour part, la
tactique qu’il adopte au procès. La question sera formalisée plus
tard en termes de « stratégie de connivence » et de « stratégie de
rupture » par Jacques Vergès, membre du second Collectif des
avocats du FLN, celui fondé en France après l’éradication du
Collectif algérien par la répression179. C’est à ce titre qu’il joue
un rôle dans la défense de Djamila Bouhired. Définissant, en
1968, le procès de rupture, Vergès écrit :

Dans la plupart des procès de rupture, le but de la défense


n’est pas tant de faire acquitter l’accusé que de mettre en
lumière ses idées. Socrate pourrait, alors qu’on lui propose de
choisir lui-même la peine qui lui sera appliquée, accepter un
compromis et proposer l’exil ou une amende ; au contraire,
il se moque de ses juges et sacrifie sa vie180.

Il fait dire à Socrate :

Je ne regrette pas maintenant de m’être défendu de la sorte ;


j’aime bien mieux mourir après cette défense que vivre à
votre piège181.

Dans le procès de rupture, l’accusé défend ses actes au nom


d’un autre ordre que celui auquel se réfèrent ses juges ; il s’iden-
tifie à un autre univers que le leur, sans chercher à minimiser
la peine. C’est le cas, affirme-t-il, dans les procès ultérieurs du
FLN en France.
Toutefois, la question de la stratégie à adopter se pose déjà
aux membres du Collectif à Alger dès les premiers procès. Au
cours des entretiens, Amar Bentoumi et Mohammed Hadj
Hamou stigmatisent ceux de leurs collègues qui pratiquent une
« défense de connivence » en recherchant, par tous les moyens,
la peine la plus légère pour leurs clients. Ils leur préfèrent ceux
qui plaident « historique », rompant avec le système judiciaire
186 Ali Boumendjel

en utilisant le tribunal comme une tribune politique, quitte à


risquer la vie de leur client. Alors que le choix était d’abord laissé
individuellement aux avocats, Bentoumi affirme qu’à partir de
1956, les membres du Collectif reçoivent de la part d’Abbane
Ramdane, responsable de la zone d’Alger, une circulaire sur les
méthodes de défense devant les tribunaux français, devenant
ainsi, de façon plus claire encore, les agents du FLN182. Vergès
confirme l’existence de directives qui sont une étape en direction
du procès de rupture :

Cette maturation s’est faite progressivement, au fur et à


mesure du développement de la guerre de libération, mais
il est possible cependant de dater officiellement la naissance
de cette Défense nouvelle. Elle résulte d’une directive aux
prisonniers algériens émanant du comité de coordination
et d’exécution – alors organe suprême du FLN – en date du
mois de décembre 1956. Les avocats du premier « collectif »
n’eurent guère le temps d’engager cette offensive judiciaire ;
ils seront arrêtés et internés trois mois plus tard. Ce sera la
tâche du deuxième collectif183.

En dehors des prétoires, les avocats jouent un rôle essen-


tiel auprès des prisonniers, celui que Serge Michel appelle le
rôle de « visiteur des prisons » d’Ali l’avocat, sur lequel tous
insistent au cours des entretiens et témoignages, les membres
du premier Collectif comme ceux du second, celui qui se
constitue en France après l’arrestation des avocats algérois 184.
Chacun raconte les conditions de détention difficiles et les
conséquences des sévices sur les clients. Serge Michel décrit
des détenus devenus incapables de parler à force de tortures,
mais qui peuvent communiquer par signes avec leur avocat.
L’avocat crée le lien entre l’intérieur et l’extérieur de la prison.
Les militants prisonniers, considérés comme détenus de droit
commun, n’ont le droit de recevoir ni journaux, ni publications
et c’est l’avocat qui constitue leur principale source d’informa-
tion 185. D’ailleurs, les renseignements circulent dans les deux
sens. Les détenus peuvent, grâce à l’avocat, faire connaître
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 187

leurs besoins matériels à des familles qui ne bénéficient pas


toujours d’un droit de visite. L’avocat est aussi en mesure
de transmettre des données vitales à l’organisation du FLN à
l’extérieur : il lui arrive d’apprendre, par exemple, quels noms
ont été donnés sous la torture, permettant à des militants
d’échapper à l’arrestation en prenant le maquis, ou la locali-
sation d’une cache d’armes qui peuvent ainsi être récupérées.
Il arrive donc qu’il soit lui-même contacté par des militants
restés à l’extérieur.
Tous les avocats insistent sur l’importance morale de ce
soutien pour les militants emprisonnés, qui expriment leur grati-
tude dans des lettres. La lettre de Redouane Benani à son avocat
maître Michel Bruguier, par exemple, est empreinte de ce ton
très personnel qui caractérise la relation nouée, non seulement
entre l’avocat et son client, mais entre un groupe d’avocats et
un groupe de détenus186. Adressée à « mon cher ami Michel »,
elle est très affectueuse et familière. L’importance du courrier
pour les détenus est rappelée à toutes les lignes. « Ah oui, Briki a
reçu ta charmante lettre, que nous avons lue aussi avec plaisir »,
écrit-il. Loin d’être un objet personnel, la lettre est un bien
précieux, elle doit donc être partagée avec ses codétenus. Tous
écrivent ou font écrire à leur avocat, même si leur français n’est
pas bon, même s’ils font des fautes –  ils s’en excusent, d’ail-
leurs. Chacun prend des nouvelles de l’autre, de sa famille, de
ses collègues et passe sans transition des nouvelles concernant
la défense (« Beaucoup de frères vantent vos plaidoiries »), à
des nouvelles plus politiques (« J’ai fait un vœu pour descendre
condamnés à morts [sic] ») et à des informations quotidiennes
(« On nous a donné des couvertures pleines de taches d’huile »
ou « Ma sœur est depuis quelques jours la maman d’une petite
fille »). Les avocats de France ont retrouvé la même atmosphère
lorsque, après l’arrestation des membres du Collectif d’Alger, un
nouveau Collectif s’est créé en France. Jean-Jacques de Felice
a participé à la défense des détenus en France  : au cours de
notre discussion, il fait d’ailleurs de ce soutien, très intime, au
cours duquel l’avocat paye de sa personne, le rôle primordial
de l’avocat du Collectif187.
188 Ali Boumendjel

Malheureusement, aucun document écrit ne permet de dépasser


les considérations générales sur le rôle des avocats pour savoir
quelle était l’attitude de Boumendjel. Il a certainement reçu des
courriers similaires que celui reçu par Michel Bruguier. Quelle a
été son attitude face à la stratégie de la plaidoirie ? Il est impos-
sible de le savoir. En effet, les archives du cabinet ont disparu
après la mort de Boumendjel  : l’appartement de la rue Vialar,
où se trouvait le cabinet, a été perquisitionné à plusieurs reprises
par la police avant d’être réquisitionné par l’armée. Quant aux
documents restés dans la maison familiale, aux Sources, Malika
Boumendjel raconte comment, voyant la menace se rapprocher,
son mari a pris la décision de tout détruire. À une date qu’elle
situe approximativement en janvier 1957, elle se souvient d’avoir
brûlé avec lui tous les documents concernant son travail et son
activité militante.

Quand il sentait l’étau se resserrer, il disait, il faut qu’on


détruise tout. Il était à Berlin, à Vienne, dans tous ces pays
socialistes, y compris il avait ramené une photo de Ben
Badis. Il a fallu tout brûler. Il avait ramené des photos de
ces villes détruites par la Seconde Guerre mondiale, comme
des squelettes. Il a fallu tout brûler. Donc il ne reste rien.
Toute la collection des journaux était à l’appartement de la
rue Vialar. Un commissaire est venu après l’arrestation, pour
perquisitionner. Ils ont aussi perquisitionné rue Vialar sans
jamais rien trouver en dehors des journaux188.

Ali Boumendjel ne fait donc pas officiellement partie


du Collectif. Les règles concernant les stratégies de défense
s’appliquent à lui, mais qu’en est-il des règles sur les honoraires ?
Les avocats du Collectif reçoivent de l’argent du FLN, dans un
premier temps, une somme forfaitaire de 5 000 F. « En 1955,
écrit maître Hadj Hamou, c’était mon confrère maître Arezki
Bouzida qui nous remettait à chacun la somme de cinq mille
francs lors de nos réunions de Collectif, tenues d’une manière
tournante dans nos différents cabinets189. » Par la suite, cette
somme devient notoirement insuffisante. Lors de sa rencontre
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 189

avec Benyoucef Benkhedda, membre du CCE (le Comité de


coordination et d’exécution du FLN), en 1956, maître Hadj
Hamou lui explique la situation. La situation financière des
avocats est d’autant plus grave que le FLN tente d’imposer sur
la population colonisée le boycott de la justice française, les
privant de leurs revenus habituels. En dehors de la défense des
prisonniers politiques, les avocats n’ont aucun revenu. Le forfait
des avocats est élevé à 25 000 F, auxquels s’ajoutent des défraie-
ments pour leurs nombreux déplacements à l’intérieur du pays.
En dehors de cela, ils ne doivent pas toucher un centime des
familles des militants emprisonnés. Dans le cadre de cet arran-
gement financier, quelle était la position d’Ali Boumendjel ?
Est-il possible qu’il ait reçu lui aussi de l’argent du FLN ? Sinon,
a-t-il reçu de l’argent des familles ? Les entretiens avec les autres
avocats montrent qu’avant même les accords avec le FLN, la
plupart des avocats répugnaient à se faire payer pour la défense
des militants emprisonnés.
En juillet  1956, un événement surprenant interrompt l’acti-
vité de l’avocat. Avec la bénédiction du bâtonnier Perrin,
Boumendjel quitte d’ailleurs le barreau pour commencer un
stage au sein de la compagnie pétrolière Shell, installée sur le
boulevard Saint-Saëns. Il semble que son ami Mohand Selhi,
ingénieur qui venait d’y être embauché, ait facilité la prise
de contact entre Boumendjel et la compagnie. Les difficultés
financières que connaît le couple Boumendjel, au début de la
guerre, sont-elles la cause de la reconversion de Boumendjel ?
C’est une possibilité. Plusieurs autres ont été évoquées par des
témoins au cours des entretiens à titre d’hypothèse. Mohammed
Hadj Hamou, qui ne s’explique pas ce départ, se demande si
Abbane Ramdane lui-même a souhaité disposer, au sein de la
Shell, d’hommes favorables au FLN190. Amar Bentoumi évoque
la création d’une radio nationaliste dont auraient été chargés
Boumendjel et Selhi, éventuellement en lien avec l’ingénieur
de la SFRA (la Société française de radiodiffusion algérienne),
Abdelmalik Amrani, le beau-frère de Boumendjel. L’existence
de cette radio est rapportée dans la presse, après l’arrestation
d’Amrani le 18 février 1957. Il pourrait donc s’agir d’un parasi-
190 Ali Boumendjel

tage de la mémoire des témoins par les articles de presse, car ni


l’une ni l’autre hypothèse n’a été confirmée par d’autres sources.
Toutefois, compte tenu du caractère clandestin qu’aurait eu une
telle activité, ne pas en trouver de trace ne permet guère de
l’exclure à coup sûr. Quant à Malika Boumendjel, elle souligne
les difficultés d’argent et l’hypothèque sur la maison et y voit
l’explication de la nouvelle orientation professionnelle de son
époux. Il en résulte en tout cas que, lorsque, en janvier  1957,
à la veille de la grève des huit jours, les avocats du Collectif
se répartissent les secteurs de la ville d’Alger, Boumendjel ne
s’occupe plus de la défense des militants.

Le soutien au FLN
La participation d’Ali Boumendjel à la défense des
militants nationalistes correspond à une évolution de son senti-
ment à l’égard du FLN  : « Comme tout le monde, raconte son
ami Amar Bentoumi, il a évolué et assez rapidement191. » En effet,
les deux hommes se rencontrent toujours le matin au café de
Strasbourg et continuent à échanger considérations et analyses
sur les événements. Progressivement, Boumendjel se rapproche
de la position du FLN. Selon maître Bentoumi, le tournant
qui a lieu durant l’année  1955 est lié à deux événements. Le
premier a lieu en janvier 1955 : il s’agit de l’arrivée de Abbane
Ramdane à Alger. Les responsabilités de son ancien camarade
de classe au sein de l’organisation semblent avoir eu raison des
préventions de Boumendjel contre la lutte armée. Le second
événement déterminant est le soulèvement lancé le 20 août par
Zighout Youcef dans le Nord-Constantinois192. Pour Bentoumi,
il est clair qu’à cette date, son ami est rallié au FLN. Pourtant,
Ali Boumendjel ne lui donne aucune information précise sur
son activité et, surtout, il ne lui raconte jamais les contacts
qu’il a au sein du FLN. Mais il tient des paroles de soutien au
mouvement. C’est la situation en Tunisie et au Maroc qui lui
donne des arguments : alors que les Marocains et les Tunisiens
se sont lancés dans la lutte, il considère que les Algériens sont
restés trop longtemps passifs193.
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 191

Les discours et articles de l’époque ne renseignent pas avec


finesse sur la position par rapport à la lutte armée et à l’indé-
pendance. Si Ali Boumendjel mène une activité clandestine,
il n’est pas lui-même clandestin  : il continue à mener sa vie
en toute légalité. Dès lors, il lui est toujours impossible de
s’exprimer librement sur ces questions, notamment dans ses
articles pour La République algérienne. Henri Alleg, le rédacteur
en chef d’Alger républicain, témoigne de la nécessité d’adapter le
vocabulaire du journal pour éviter la censure, selon des codes
que les lecteurs comprennent194. Cette autocensure est difficile
à mesurer aujourd’hui à la lecture des articles, mais on ne peut
espérer trouver les traces d’un rapprochement du FLN dans les
publications officielles de l’UDMA.
Cependant, deux changements sont remarquables. Tout
d’abord, à partir de 1954, les articles de Boumendjel dans La
République algérienne se font rares. Compte tenu de sa position
très critique à l’égard de son parti, on peut penser qu’il se désin-
téresse du journal. Cependant, de plus en plus d’articles du
journal sont anonymes, probablement en raison de la répres-
sion. Il se peut donc que sa production ne diminue pas, en
réalité, mais qu’elle se fonde dans la masse. Par ailleurs, dans les
lettres qu’il envoie toujours à son épouse lors des conférences
du Mouvement mondial de la paix, le bel enthousiasme qu’il
avait à Pleyel en 1949 a disparu. Boumendjel s’ennuie dans ces
réunions et sent que l’action politique est ailleurs.

Les interventions au Conseil mondial de la paix. – Il fait pourtant


encore quelques interventions remarquées devant les assemblées
du Mouvement mondial de la paix pour expliquer la situation
en Algérie. En décembre 1954, à la réunion du Conseil mondial
de Stockholm, il dénonce la position du garde des Sceaux
Mitterrand qui refuse la négociation et engage le Conseil à lancer
une campagne internationale pour l’ouverture de discussions.
En juin  1955, au grand Congrès mondial d’Helsinki, il mène
la délégation algérienne. À ce titre, il préside une rencontre
entre les délégations algériennes et françaises, rencontre qui lui
donne l’occasion de se trouver face à son ancien professeur, René
192 Ali Boumendjel

Capitant. C’est à Boumendjel qu’incombe la charge de présenter,


devant l’assemblée plénière, la situation de l’Algérie avec pour
objectif de convaincre l’assemblée d’agir contre la répression195. Il
épingle la contradiction de la politique d’assimilation française :

Au moment où la Constitution française proclame la volonté


du peuple français de conduire les peuples dépendants
dans la voie de la liberté de telle sorte qu’ils puissent gérer
eux-mêmes leurs propres affaires, on fait de l’Algérie « trois
départements ». En vertu de cette fiction, à l’époque de la
charte des Nations unies et de la conférence de Bandoeng, on
entre dans le cycle infernal de la violence et de la répression
collective dans sa forme la plus aveugle, la plus injuste, pour
arriver à une impasse.

Comme à son habitude, ses références sont celles des luttes


de décolonisation. La mention de la charte des Nations unies
et de la conférence de Bandoeng souligne qu’il se situe dans
un mouvement tiers-mondiste naissant. Il dépasse rapidement
le face-à-face colon/colonisé en Algérie pour s’inscrire dans le
cadre plus large de la décolonisation. Il cherche aussi à montrer
que la question de l’indépendance nationale est intimement
liée à la paix. Face aux représentants de 68 pays, il déclare  :
« L’Algérie s’installe peu à peu dans une guerre véritable. » Son
ami Albert-Paul Lentin écrit à ce propos :

Six mois après le déclenchement de l’insurrection, à


l’occasion d’une confrontation internationale organisée par
le Mouvement de la Paix, à Helsinki, Ali prit la parole lors
d’un débat spécial consacré à l’Algérie (il y avait, entre autres,
dans la salle, si j’ai bonne mémoire, Ehrenbourg, Constantin
Fédine, Anna Seghers, Sartre, d’Astier, Louis Vallon et René
Capitant), et il prophétisa que la guerre qui s’annonçait
en Algérie, si elle n’était immédiatement stoppée, serait
beaucoup plus effroyable que la guerre d’Indochine196.

En avril 1956, il prend l’avion pour Stockholm afin de parti-


ciper au nouveau Conseil mondial de la paix. Il part seul, car le
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 193

second membre de la délégation algérienne, son ami le militant


communiste Abderrahmane Bouchama, est arrêté juste avant
le départ.
Il apparaît qu’à l’âge de 37 ans, Boumendjel est en train
de prendre une dimension politique nouvelle. Il s’affirme
comme l’un des porte-parole des partis nationalistes dans le
Mouvement mondial de la paix. Mais au même moment, son
regard sur ce type d’action se modifie  : à l’enthousiasme des
années quarante succède la conviction que le combat politique
véritable ne se joue pas –  ou plus  – dans une telle arène. Il
est vrai que, dans le même temps, il s’engage dans une autre
forme d’action.

Le contact avec Abbane Ramdane. –  Il faut dire que durant


cette période, l’un des anciens amis de Boumendjel, aux temps
du collège de Blida, joue à l’intérieur du FLN un rôle de plus
en plus important. Depuis sa libération le 19  janvier 1955,
Abbane Ramdane est devenu responsable de la région d’Alger
et la tête politique du FLN197. Dès son arrivée, il recherche tous
les contacts possibles. Il a pour objectif de rallier au FLN toutes
les forces politiques existantes et dynamiques, lançant d’ailleurs,
en avril  1955, un appel à l’union et à l’engagement du peuple
algérien198. Il est également, avec d’autres responsables algérois
–  Larbi Ben M’hidi notamment  – le principal organisateur du
congrès de la Soummam. La réunion se déroule en Kabylie, en
août 1956, et aboutit à l’adoption d’une plateforme qui consacre
la victoire des principes défendus par Abbane :

2°)  La doctrine est claire. Le but à atteindre, c’est


l’indépendance nationale. Le moyen, c’est la révolution par
la destruction du régime colonialiste.
3°)  L’union du peuple est réalisée dans la lutte contre
l’ennemi commun, sans sectarisme :
Le FLN affirmait au début de la Révolution que « la libération
de l’Algérie ser[ait] l’œuvre de TOUS les Algériens et non pas
celle d’une fraction du peuple algérien, quelle que soit son
importance ». C’est pourquoi le FLN tiendra compte dans
194 Ali Boumendjel

sa lutte de toutes les forces anticolonialistes, même si elles


échappent à son contrôle.
4°) La condamnation définitive du culte de la personnalité,
la lutte ouverte contre les aventuriers, les mouchards, les
valets de l’administration, indicateurs ou policiers. D’où la
capacité du FLN à déjouer les manœuvres politiques et les
traquenards de l’appareil policier français.

L’une des prises de position fortes du congrès de la Soummam


est l’affirmation de la primauté du politique sur le pouvoir
militaire. Or, au moment où le fer de lance de la lutte pour
l’indépendance est l’Armée de libération nationale (ALN) et où,
par ailleurs, la plateforme elle-même appelle tous les Algériens à
unir leurs efforts pour contribuer à la lutte armée, la position est
délicate à tenir. Pour valoriser le rôle politique du FLN, Abbane
est en mesure de présenter les résultats de son travail de négocia-
tion à Alger. Passant sous silence l’opposition du Mouvement
national algérien de Messali, le texte affirme :

Le FRONT DE LIBÉRATION NATIONALE, malgré son activité


clandestine, est devenu aujourd’hui l’unique organisation
véritablement nationale. Son influence est incontestable et
incontestée sur tout le territoire algérien.
En effet, dans un délai extrêmement court, le FLN a réussi le
tour de force de supplanter tous les partis politiques existant
depuis des dizaines d’années.

Abbane est en effet le principal artisan du ralliement des partis


politiques au FLN et de l’unité politique derrière le Front. Il
vient de réaliser le ralliement de l’UDMA et du PCA. À ce titre,
il est une des figures centrales de la révolution algérienne. Pour
autant, son évocation est affaire complexe  : lors de son assas-
sinat, en décembre 1957, El Moudjahid (organe du Front) annon-
çait sa mort « au champ d’honneur199 ». Or, c’est à l’instigation
des « 3B », Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar
Bentobbal (colonels et tous membres du Comité de coordination
et d’exécution), qu’il a été assassiné. Après l’indépendance, les
causes de sa mort deviennent un secret de polichinelle. Abbane
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 195

a donc joué un rôle central dans la construction du FLN en


tant que véritable front politique et autour des principes de la
Soummam ; son assassinat, suivi par la liquidation des principes
de la Soummam et l’émergence d’un pouvoir militaire puissant
ont fait de lui un personnage à la fois héroïsé et maudit. Pour
beaucoup d’Algériens, sa mort matérialise un tournant de l’his-
toire du FLN dont elle rappelle la face obscure, donnant corps
à leur mécontentement et leurs frustrations200.
Dans ce contexte mémoriel particulier, l’activité clandes-
tine d’Ali Boumendjel, en particulier ses contacts avec Abbane
Ramdane, avait constitué une part essentielle et symboliquement
très chargée des discussions que j’avais eu avec sa veuve, Malika,
et son fils Sami. À les écouter, Boumendjel avait été le lieutenant
d’Abbane et son conseiller politique. Au fil des années qui ont
suivi l’indépendance, ce récit familial s’était cristallisé au gré des
rencontres avec d’anciens militants. Certains d’entre eux étaient
des anonymes, beaucoup étaient morts depuis. La narration était
empreinte des prises de positions politiques des membres de la
famille et de leurs relations complexes et conflictuelles avec le
régime algérien. Dans cet état d’esprit, grande était la tentation
d’accorder à Boumendjel une part de l’aura du héros maudit en
insistant sur la relation entre les deux hommes et leur proximité
de vue. Ce récit familial devait donc être pris, de prime abord,
avec précaution – voire avec un certain scepticisme.

***

Quoi qu’il en soit, lors de son arrivée à Alger, Abbane Ramdane


a pour objectif de rassembler les forces politiques restantes à
l’extérieur du FLN, notamment le PCA et l’UDMA. La position
du parti communiste n’est pas sans poser des difficultés au leader
nationaliste. En effet, depuis l’insurrection, les adversaires du
nationalisme n’ont de cesse de décrédibiliser les auteurs du
soulèvement en les qualifiant de communistes, la manœuvre
ayant pour but de montrer qu’ils sont manipulés par la main
de l’étranger – davantage par la main de Moscou que par celle
du Caire. Il s’agit d’effrayer et d’éloigner du mouvement national
196 Ali Boumendjel

les pieux musulmans qui peuvent être effarouchés par l’athéisme


des communistes. Le FLN est également soucieux de ne pas
attiser contre lui l’anticommunisme existant en Europe  : les
contacts avec le PCA sont donc ténus et lents à s’organiser. En
revanche, l’approche de l’UDMA est plus rapide. Si les grandes
lignes de ces négociations, en particulier les discussions indivi-
duelles avec Ferhat Abbas sont connues, le détail des rencontres,
leur chronologie, et leur contenu –  notamment les points sur
lesquelles elles achoppent – ne le sont pas201.
La documentation de cette activité souterraine est extrême-
ment délicate : elle ne laisse, par définition, que des traces écrites
minimales. L’on y dépend essentiellement du témoignage oral
alors même que le savoir des témoins est cloisonné, du fait de
l’organisation de la vie clandestine et des mesures de sécurité.
Le décloisonnement des mémoires après l’indépendance se fait
au gré des relations sociales et des contacts entre les anciens
militants, dans un contexte où les tensions politiques contem-
poraines pèsent lourdement sur la circulation de l’information,
inhibant bien souvent le désir des témoins de raconter, ou les
contraignant à trier leurs souvenirs. « La reconstruction, écrit
Denis Peschanski au sujet de la source orale dans l’histoire de
la Résistance française pendant la Seconde Guerre mondiale,
est le processus le plus classique, dans la mesure où qui dit
mémoire dit construction, opérant sous l’effet des systèmes de
représentations postérieurs202. » Henry Rousso discute quant à
lui la possibilité même d’accéder à des sources pour connaître
l’activité clandestine : les sources sont rares, parcellaires et font
bien souvent l’objet de polémiques203, à l’image des désaccords
opposant Amar Bentoumi et Mohammed Hadj Hamou au sujet
de la direction effective du Comité des avocats du FLN : il n’y a
guère de notoriété publique sur laquelle s’appuyer. Il est parfois
possible de relier les réseaux, de remonter les hiérarchies de
l’organisation du FLN. Cependant, lorsque l’activité se déroule
hors réseau, ou que les membres du réseau ont disparu, elle peut
disparaître complètement de l’histoire. Un seul témoin suffit
à fournir le récit d’événements insoupçonnés jusque-là ou à
confirmer une information ; il ne peut presque jamais l’infirmer
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 197

à coup sûr. La disparition des acteurs est toujours une perte


irréparable d’information  : c’est au début de cette recherche,
alors que le premier séjour à Alger était déjà prévu, que la mort
de Benyoucef Benkhedda a été annoncée, en janvier 2003. Très
proche d’Abbane à la direction de la Zone autonome d’Alger,
et ancien du collège de Blida, son récit aurait été une source
irremplaçable et dont il fallait bien, pourtant, tenter de pallier
l’absence.
C’est dans sa maison d’Alger que j’ai rencontré Brahim
Chergui, ancien militant de la Zone autonome d’Alger, qui était,
durant la guerre, en contact régulier avec Abbane. Inquiet, sans
doute, de n’avoir guère d’informations roboratives à donner au
sujet d’Ali Boumendjel, il avait invité pour l’occasion maître
Hadj Hamou. Il explique d’abord longuement qu’il n’y a jamais
eu de relation entre Abbane et Boumendjel, avant de raconter
longuement son propre rôle dans l’organisation de la Zone. Ce
n’est qu’à la fin de l’entretien qu’il ajoute, en passant, que dans
le contexte de la répression, si les deux hommes avaient été en
contact, il n’aurait – de toutes les façons – pas été au courant204.
On le voit, le témoin de la lutte clandestine, comme celui de la
résistance, n’est pas toujours en mesure de confirmer, mais son
témoignage permet rarement d’infirmer une information. Il est
donc facile pour l’historien de passer à côté d’une série d’évé-
nements, de relations, d’activités clandestines. S’il est chanceux,
le hasard des rencontres lui fera entrevoir ce qu’il ignore. Mais
il peut acquérir la conviction qu’il a fait le tour de la question
alors même qu’une dimension essentielle dans le parcours d’un
personnage est en train de lui échapper.
Les doutes concernant l’affirmation de Brahim Chergui sont
confirmés par deux proches d’Ali Boumendjel, Sadek Hadjerès
et Amar Bentoumi qui, sans fournir un témoignage aussi direct
qu’aurait pu le faire Benkhedda, donnent une autre vision des
choses. Ils insistent sur le ralliement progressif d’Ali Boumendjel
au FLN. Selon eux, son scepticisme du début de l’insurrection
s’est transformé en adhésion lorsque sont arrivés à la tête du FLN
à Alger ses anciens camarades de Blida. La prise en main d’Alger
par Abbane Ramdane a constitué un tournant pour l’avocat  :
198 Ali Boumendjel

à partir de cette date, il se sent naturellement en phase avec


le mouvement car il y trouve des interlocuteurs avec lesquels
il n’a aucun mal à communiquer. Abbane, comme Benkhedda,
est loin d’être un aventurier  : ils ont une expérience politique
et un parcours intellectuel auquel Ali peut s’identifier. C’est par
leur intermédiaire qu’il noue avec le FLN des contacts qui ne
cesseront qu’à sa mort205.
Abbane trouve en effet un contact de choix dans la personne
de Boumendjel. Sadek Hadjerès, qui les a connus tous les deux,
remarque qu’ils sont faits pour s’entendre. Le premier est un
homme ouvert, qui pose des questions et écoute attentivement
les réponses. Il a des « conseillers » partout, des hommes qui
l’informent, avec lesquels il discute longuement pour connaître
la situation et leurs opinions. Il ne s’agit pas seulement pour lui
de rallier des militants en nombre, note Hadjerès, mais aussi de
construire le contenu politique qui manquait au mouvement
à ses débuts. Abbane n’est pas le seul à considérer qu’il faut
pousser à l’élaboration d’un projet politique : les « centralistes »
qui, comme Benkhedda, sortent tout juste de prison après la
répression du 1er  novembre, souhaitent également orienter le
FLN en ce sens. Libéré en avril  1955, Benyoucef Benkhedda
rejoint le Front et devient le principal collaborateur d’Abbane,
son camarade de classe du collège de Blida206.
Alors que « Abbane cherch[e] tous azimuts ce qui [peut] donner
une consistance politique à l’insurrection », selon l’expression
de Hadjerès, Boumendjel –  un autre ancien de Blida  – devient
son interlocuteur privilégié dans l’UDMA. Loin des positions
partisanes obtuses qui peuvent exister au sein du nationalisme,
y compris dans son parti, Boumendjel est lui aussi un homme
de discussion et d’écoute. Sa position d’homme de gauche, son
dynamisme au sein de l’UDMA, ses contacts avec les commu-
nistes et avec les libéraux européens en Algérie et en Europe,
font de lui une source précieuse d’informations. L’un et l’autre
ont en commun de désirer avant tout l’union des nationalistes.
Se développe entre eux une relation politique particulière, dont
le secret est resté parfaitement gardé jusqu’à leur mort, en 1957,
et dont l’existence n’est connue, après l’indépendance, que d’un
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 199

petit nombre. Après le décès des quelques témoins qui en ont


eu connaissance directement, les seuls témoignages accessibles
aujourd’hui sont indirects.
Cette relation est attestée par Amar Bentoumi : « [Boumendjel]
avait une relation tout à fait secrète avec Abbane Ramdane. Il n’a
jamais montré, même à mon égard, qu’il avait un lien particulier,
qu’il connaissait Abbane de longue date. » Pourtant, Bentoumi
était également en contact avec Abbane à partir de 1955 : il avait
été son avocat dans l’affaire de l’OS207 et connaissait donc les
deux protagonistes. Mais ce n’est qu’après l’indépendance qu’il
apprend de la bouche de ses amis, Benyoucef Benkhedda et
Saad Dahlab, aujourd’hui décédés, l’existence de cette relation.
Dahlab faisait également partie des centralistes au moment de
la scission du PPA ; comme Benkhedda, il a été libéré en 1955
et rejoint le Front ; lui aussi était au collège de Blida et a fait
partie de la délégation algérienne au Mouvement mondial de
la paix. Les anciennes relations et le passé commun de militant
sont ainsi réactivés pour fonctionner au profit du FLN, y compris
entre des hommes de tendances rivales. Henri Douzon, avocat,
ami d’Abbane et son défenseur au moment de son procès de
1950, évoquait également, dans un ouvrage publié en 1981, les
contacts entre les deux hommes :

Abbane vise à rallier la petite bourgeoisie commerçante, les


quelques représentants algériens des professions libérales ;
au delà des centralistes, il se rapproche des dirigeants de
l’UDMA. Il est facile de prendre contact avec des avocats
d’Alger comme maîtres Ali Boumendjel et Kaddour Sator.
Ce dernier siège régulièrement à l’Assemblée algérienne avec
le docteur Ahmed Francis, autre proche de Ferhat Abbas.
Boumendjel et Sator pourront permettre sa difficile, parce
que peu sûre, approche des élus « administratifs »208.

Les contacts entre Boumendjel et Abbane conduisent en


effet ce dernier à organiser une action spectaculaire. Il s’agit
d’encourager les élus, notamment les élus « préfabriqués » par
l’administration, à prendre position contre la politique d’assi-
200 Ali Boumendjel

milation et la colonisation. Qu’ils soient parvenus à gagner le


docteur Mohammed Bendjelloul est particulièrement remar-
quable  : l’ancien compagnon de Ferhat Abbas, avec lequel la
séparation fut consommée durant la Seconde Guerre mondiale,
s’était depuis rapproché de l’administration tout en demeurant
un symbole vivace de la politique d’avant-guerre et de la défense
de l’assimilation. Sa prise de distance vis-à-vis de l’administra-
tion française lorsqu’il met en avant une revendication natio-
nale désormais, dit-il, incontournable, la mesure avec laquelle il
évoque le FLN, rompent avec l’hostilité traditionnelle des élus
« administratifs » à l’égard des « terroristes » et constituent une
cuisante défaite pour l’administration. Par ailleurs, les respon-
sables de l’UDMA, Ali Boumendjel, Ahmed Francis et Kaddour
Sator, travaillent à obtenir des élus la signature de la fameuse
« déclaration des 61 ». « Abbane Ramdane est tenu au courant
de l’évolution des esprits grâce aux contacts qu’il entretenait
avec Ali Boumendjel », ajoute Henri Douzon209. Le résultat de
ces manœuvres est la publication le 26  septembre 1956, d’un
texte au terme duquel :

en raison de la gravité des événements qui traversent l’Algérie


[…] analysant les raisons profondes des troubles actuels, [les
élus] affirment solennellement qu’elles sont essentiellement
d’ordre politique. Ils sont ainsi conduits à constater que la
politique « d’intégration » […] est actuellement dépassée.
L’immense majorité des populations est présentement
acquise à l’idée nationale algérienne. Interprètes fidèles
de cette volonté, les élus soussignés croient de leur devoir
d’orienter leur action vers la réalisation de cette aspiration210.

Ce retournement des élus « administratifs » fait sensation. Sans


constituer une force d’appoint stratégique pour le FLN, il coupe
l’herbe sous le pied de l’administration française en Algérie.
Les contacts directs entre Boumendjel et Abbane Ramdane
sont donc attestés et l’on comprend mieux, grâce au témoignage
de Sadek Hadjerès, qui a joué un rôle similaire vis-à-vis du PCA,
ce que signifie son rôle de « conseiller » d’Abbane Ramdane  :
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 201

négocier le ralliement de l’UDMA au FLN et ses modalités,


discuter du contenu politique de la révolution, travailler à unir
les forces au sein d’une organisation unique tout en défendant
l’identité de son parti politique.
Par ailleurs, Ali Boumendjel donne à Amar Bentoumi quelques
informations sur son autre mission 211  : il est en effet chargé
de maintenir le contact entre la direction algéroise du FLN et
son frère Ahmed à Paris. À plusieurs reprises, Ahmed fait le
voyage à Alger. Les deux frères vont à des rendez-vous, dont
la teneur demeure inconnue. L’organisation de ces séjours
est plus complexe à mesure que la répression s’accroît. Leur
neveu, Hamid Aït Khaled, avec lequel Ali Boumendjel jouait au
football lorsque Hamid était enfant, se souvient leur avoir servi
de chauffeur lors de certains de leurs déplacements212. Le frère
de Malika Boumendjel, André Amrani, qui sera arrêté au même
moment qu’Ali Boumendjel, les conduit également à certains
rendez-vous. L’un ou l’autre les déposent parfois en cours de
route afin qu’ils soient ensuite pris en charge par une autre
voiture, afin de déjouer la surveillance policière. L’absence de
rapport de police de ces déplacements confirme que ses stratégies
ne sont pas inutiles. Quant à la police, elle semble ignorer le
détail des contacts entre Ahmed Boumendjel et la direction de
la Zone autonome d’Alger.
La tension de ces séjours, liée à la crainte qu’Ahmed soit
arrêté, marque tous les membres de la famille. Fadila, la fille
d’Ahmed, se souvient d’ailleurs que les retrouvailles des deux
frères sont l’occasion pour eux de confronter des opinions
parfois divergentes sur la stratégie du Front. Cet affrontement
la surprend et la touche au point qu’elle s’en souvient encore
aujourd’hui avec émotion. Ainsi, à l’été 1956, à l’occasion d’un
des voyages d’Ahmed, les deux hommes s’opposent violemment
sur la question de la grève des étudiants : cette grève, organisée
par le FLN par l’intermédiaire de l’UGEMA (l’Union générale
des étudiants musulmans algériens, fondée en 1955), avait
commencé en mai 1956 et se prolongea jusqu’en octobre 1957.
Elle a pour but de toucher l’opinion publique internationale
et a pour conséquence l’augmentation des recrutements d’étu-
202 Ali Boumendjel

diants dans les maquis213. Ahmed est contre, évoquant Ho Chi


Minh, qui, dit-il, a protégé les jeunes étudiants dans son pays :
« Nous avons une responsabilité à l’égard des étudiants », dit-il
en substance. Il est hors de question de les envoyer dans des
maquis où ils risquent de devenir des victimes expiatoires,
affirme-t-il, comme s’il pressentait déjà ce qu’on nommera plus
tard la « bleuite », l’hostilité à l’encontre des intellectuels qui,
attisée par la désinformation propagée par l’armée française,
conduit à des règlements de compte et des assassinats dans les
maquis214.
Pour la première fois, Ali s’oppose donc frontalement à son
aîné, l’englobant dans un « vous » méprisant par lequel il désigne
les intellectuels tardivement ralliés et dont la grande faute est
d’avoir proposé pendant des années de tièdes réformes. On
s’étonne de voir Ali Boumendjel, si mesuré, réfléchi et conscient
du rôle que doivent jouer les « clercs », défendre cette grève
des étudiants. D’autres incidents contredisent ou nuancent sans
doute ce souvenir de Fadila Chitour, bien que la chronologie
des uns par rapport aux autres soit difficile à établir. Il semble
en effet qu’Ali Boumendjel se soit opposé de façon très nette à
la volonté de l’une de ses nièces, Anissa Aït Kaci, la fille de sa
sœur Djouher, de prendre le maquis, lui enjoignant au contraire
de demeurer à Alger. Stratégie familiale opposée à une position
politique ? Évolution intellectuelle entre les deux événements ?
Il est impossible de trancher. Mais les deux anecdotes sont
révélatrices des tensions considérables auxquels sont soumises les
représentations politiques et stratégiques d’hommes qui, comme
les Boumendjel, gagnent le FLN ; elles rappellent qu’alors même
que les journaux disparaissent, qu’il n’existe plus aucune forme
de libre expression en Algérie, la pensée politique de ses hommes
évolue considérablement sous la pression des événements, sans
que les traces de cette transformation ne demeurent pour l’his-
torien. Dès lors, l’histoire dominante en Algérie a beau jeu de
décrédibiliser les intellectuels en général, les francophones et les
udmistes en particulier, en soulignant l’inadéquation de leurs
prises de position publiques d’avant la guerre avec la situation
d’après 1956  : c’est que les nouveaux positionnements sont
L’avocat de la République algérienne (1943-1957) 203

bien difficiles à décrire. La dispute dont se souvient Fadila peut


n’avoir été qu’un moment dans les relations entre les deux frères,
un temps de positionnement relatif, à partir duquel on ne peut
conclure de façon affirmative à une radicalisation du plus jeune.
Mais on ne peut écarter l’hypothèse d’une opposition de généra-
tion entre deux frères qu’onze années séparent ; on ne peut non
plus éviter de se poser la question d’un positionnement plus
radical d’Ali Boumendjel, qui n’est ni, à l’image du secrétaire
adjoint de l’UDMA, un chef de parti ni un homme de pouvoir.
Il apparaît donc qu’au moment de son ralliement au FLN, Ali
Boumendjel demeure fidèle à ce qu’il a toujours été. C’est d’abord
un intellectuel : si l’on peut parler de son rôle de « conseiller »
d’Abbane, au sens où Hadjerès a employé ce terme, c’est bien
parce qu’il est profondément nationaliste et capable de réflexion
à la fois sur la conduite de la révolution et sur la construc-
tion d’un État indépendant. Sa pensée et sa culture politiques
constituent un apport dans l’élaboration d’un contenu politique
pour cette révolution. Par ailleurs, son entregent et ses contacts
politiques sont essentiels à un moment où le FLN cherche à
rallier et à faire valoir un large soutien. Le rôle qu’il joue de fait
au sein de la Zone autonome d’Alger est donc le prolongement
de toute sa carrière politique. Il est, en cela, non seulement
un des conseillers d’Abbane, mais, selon l’expression d’Amar
Bentoumi, son agent au sein de l’UDMA. À cette occasion, l’on
voit réapparaître des réseaux de relations anciennes, en parti-
culier à travers le rapprochement tout à fait remarquable des
anciens de Blida à l’intérieur de la direction de la Zone autonome
d’Alger : Dahlab, Benkhedda, Abbane et Boumendjel.
Est-il vraiment étonnant de trouver Boumendjel dans un rôle
de rassembleur, travaillant sans relâche pour créer l’union du
mouvement national ? On le reconnaît immanquablement dans
ce désir d’être dans l’action en créant des contacts, en facilitant
la communication autour du FLN, comme il l’avait fait aupara-
vant autour de l’UDMA.
C’est là, véritablement, sa ligne politique.
4
L’affaire Boumendjel

D epuis 1955, la situation s’est durcie en Algérie,


et pour certains le soulèvement dans le
Constantinois en août 1955 marque d’ailleurs le véritable début
du conflit. Il a donné aux habitants d’Algérie le sentiment d’être
effectivement en guerre. La presse nationaliste a été interdite,
c’est le cas d’Alger républicain et La République algérienne. Par
ailleurs, les partis politiques disparaissent de fait  : alors que le
MTLD avait été interdit dès novembre 1954, le PCA s’est rallié
au FLN en 1955 ; en janvier  1956, Ferhat Abbas a à son tour
annoncé, depuis le  Caire, son ralliement au FLN et la dissolu-
tion de l’UDMA. Dès lors, les anciens militants des partis sont
en apparence devenus des électrons libres, les organisations qui
canalisaient leur action ayant disparu. Lorsqu’ils participent à
de nouvelles activités, elles sont généralement clandestines et,
autant que faire se peut, invisibles pour éviter les arrestations
qui se multipliaient. Par ailleurs, la violence urbaine s’est accrue
avec l’apparition des premiers attentats au cœur même d’Alger :
en août 1956, l’attentat rue de Thèbes, qui a visé la population
colonisée de la Casbah, a encouragé le FLN à poser des bombes
notamment au Milk Bar et à la Cafétéria, deux établissements
fréquentés par les « Européens ».
Au début de 1957, un pas vient d’être franchi : le 7 janvier,
les pouvoirs de police ont été remis à la 10e Division parachu-
tiste du général Massu. Il s’agit pour le ministre résidant Lacoste
de faire ramener l’ordre dans la ville, alors que la police est
débordée 1. Nombre de ces militaires qui prennent en charge
la sécurité reviennent du Viêtnam, où ils ont expérimenté
des méthodes contre-insurrectionnelles. La fin de la guerre
206 Ali Boumendjel

d’Indochine leur a par ailleurs laissé un goût amer et une


rancœur particulière contre les hommes politiques accusés
d’avoir bradé le fleuron de l’Empire français en Asie. À Alger,
la confusion s’accroît dans une situation qui n’est pas officiel-
lement la guerre, avec une armée se comportant comme si tel
était pourtant le cas.

Les paras contre la grève


En janvier 1957, lorsqu’ils prennent le contrôle de la
ville d’Alger, l’objectif prioritaire des parachutistes est la grève
générale ordonnée par le Comité de coordination et d’exécution
(CCE) du FLN, au retour du congrès de la Soummam. Organisé
le 20 août 1956, par Abbane Ramdane, ce congrès a marqué une
étape essentielle de la constitution du FLN  : en l’absence des
leaders du Caire (en particulier Ahmed Ben Bella qui le récuse2),
il a donné la primauté au FLN de l’intérieur sur l’extérieur, et
a doté l’organisation d’une charte fondatrice et de structures
décisionnaires, dont fait partie le CCE3. Plusieurs hypothèses ont
été discutées au sein du CCE quant à la durée et aux modalités de
cette grève, dont tous les membres n’approuvaient d’ailleurs pas
l’opportunité. Cependant, le FLN a décrété pour la fin du mois
une grève générale dans les 26 principales villes algériennes4.
Depuis le congrès de la Soummam, la ville d’Alger est organisée
en Zone autonome (ZAA) : le CCE en a la responsabilité directe
sous la houlette de Benkhedda ; Mohammed Larbi Ben M’hidi
est plus spécialement chargé de l’organisation des actions dans
la ville ; c’est sous ses ordres que travaille Yacef Saadi5. Le début
de la grève est fixé au 28 janvier, à la veille du débat de l’assem-
blée générale de l’ONU sur la question algérienne. Un tract a
été distribué pour expliquer les buts et les modalités de cette
opération instiguée par Ben M’hidi :

Le peuple algérien devra :


a) Montrer d’une façon encore plus décisive l’adhésion totale
qu’il manifeste au Front de Libération Nationale, son unique
et authentique représentant.
L’affaire Boumendjel 207

b) Donner par cette démonstration une autorité incontestable


à nos délégués encore à l’ONU afin de convaincre les rares
diplomates de certains pays étrangers encore hésitants ou
ayant des illusions sur la « politique de la France »6.

Il s’agit en effet pour les responsables du FLN de mener une


action d’éclat avant la discussion à l’ONU. Par la grève non insur-
rectionnelle, ils veulent montrer leur audience dans la popula-
tion et, surtout, s’affirmer comme ses représentants exclusifs. Si
le tract indique que l’action s’adresse aux diplomates étrangers,
elle vise aussi la population, pour délivrer le même message : le
FLN est un interlocuteur légitime parce qu’il représente le peuple
algérien, et que toute concurrence avec d’autres mouvements
nationalistes est désormais écartée. La restructuration du FLN et
son affirmation dans le courant de l’année 1956 lui ont permis,
il est vrai, de s’imposer face à son concurrent le plus puissant, le
Mouvement national algérien de Messali Hadj7, après les rallie-
ments de l’UDMA et du PCA.
Cette grève à Alger est donc un coup de poker politique et
militaire. Beaucoup s’inquiètent de livrer la population à la
répression en l’obligeant à prendre ouvertement parti, et de
mettre ainsi en danger l’organisation du FLN dans une ville qui
représentait jusque-là un sanctuaire politique pour les princi-
paux chefs du Front8. Ali Boumendjel fait partie de ceux-là. À
l’occasion d’une discussion avec son épouse, elle lui demande
s’il « leur » a dit qu’il n’était pas d’accord avec l’idée même de la
grève. Il lui répond, faisant un geste pour désigner un revolver,
qu’il n’a pas « ce qu’il faut » pour être écouté9.
La grève intervient alors que la violence urbaine en Algérie
atteint son paroxysme. Le nombre d’attentats organisés dans les
villes n’a cessé d’augmenter au fil de l’année 1956. Alger a connu
ratonnades et chasse à l’homme en marge du cortège funèbre
d’Amédée Froger  : le président de l’interfédération des maires
d’Algérie, représentant des colons, a été victime d’un attentat du
FLN le 29 décembre 195610. La tension entre les communautés
est de plus en plus forte et chacun tente de s’organiser en vue
du début de la grève  : dès le 28  janvier, Ali Boumendjel se
208 Ali Boumendjel

présente à la direction de la Shell, où il est désormais employé,


pour solliciter l’autorisation de rester chez lui durant la grève,
une autorisation qu’il obtient sans difficulté11.
Le déclenchement de la grève provoque la répression, dure et
prévisible  : les arrestations par les parachutistes se multiplient.
Leur stratégie consiste à faire feu de tout bois, et à utiliser chaque
renseignement collecté tout en profitant de l’immobilité provo-
quée par la grève pour traquer les militants. Les renseignements
sont extorqués par tous les moyens ; la torture est donc utilisée
à grande échelle. Les personnes arrêtées ne sont remises ni à la
justice, ni même à la police, mais gardées entre les mains des
militaires, qui peuvent ainsi utiliser leurs méthodes « d’interro-
gatoire » sans limite de temps12. Il est dès lors impossible pour la
justice de fournir une quelconque protection aux détenus. Très
rapidement, note Raphaëlle Branche, le nombre de détenus est
tel qu’ils doivent être rassemblés dans des camps. C’est le début
de la « bataille d’Alger », que Gilbert Meynier qualifie quant à
lui à juste titre de « grande répression d’Alger13 ».
Massu a organisé l’état-major de la 10e  DP en y rassemblant
deux officiers par régiment, chacun s’étant vu attribuer un
secteur de l’agglomération 14. Il ajoute à cela un état-major paral-
lèle qu’il confie au lieutenant-colonel Trinquier et au comman-
dant Aussaresses, chargés des « tâches délicates15 ». Trinquier
est chargé du renseignement, Aussaresses de l’action16. Somme
toute, affirme Aussaresses dans ses mémoires, cette organisa-
tion parallèle était chargée d’accomplir les « corvées », et de les
couvrir lorsqu’elles avaient été accomplies par d’autres. Il écrit :

Le couvre-feu décidé par Massu fut rapidement mis en place.


Les patrouilles exécutèrent les ordres et tirèrent sur tout ce
qui bougeait. On laissa les morts sur place. On n’avait pas le
temps de s’en occuper et il fallait qu’on les voie bien. Pour
être crédibles, les parachutistes devaient en effet se montrer
plus redoutables que le FLN17.

Alger entre donc en guerre en ce mois de janvier et Ali


Boumendjel est inquiet. Il fait l’objet d’une surveillance presque
L’affaire Boumendjel 209

constante. Lorsqu’il retourne au travail après la grève, il profite


souvent de la pause de midi pour aller manger chez sa sœur. Il
sort du bâtiment de la Shell, boulevard Saint-Saëns (aujourd’hui
boulevard Mohammed V), par la porte de derrière, pour prendre
les ruelles et les escaliers, et atteindre le boulevard du Telemly,
le plus souvent sans être vu. Mais sa nièce le trouve nerveux.
Avant de repartir, il lui demande de vérifier si quelqu’un fait le
guet au bas de l’immeuble, et elle se souvient aujourd’hui avoir
vu des hommes étrangers au quartier attendre au coin de la
rue18. Sa maison aussi est surveillée, Malika s’en rend compte :

J’avais coutume le matin d’aller tôt à la boulangerie acheter


le pain et les croissants. Ce matin-là en passant près d’un
pylône électrique au coin de notre rue, j’ai eu une frayeur,
fondu dans l’encoignure un parachutiste, le premier que je
voyais qui adhérait au pylône, j’ai poussé un cri en disant
« Vous m’avez fait peur. » Il faisait le guet. En janvier à
8 heures du matin, il fait à peine jour. Je l’ai mentionné à Ali.
Selhi était rentré. Il venait chercher sa voiture garée chez
nous, il a été pris à partie par un des parachutistes stationnés
devant la maison. On les voyait déjà rôder par là. Du balcon
de notre villa j’arrivais à suivre un peu le dialogue et je me
rendais compte combien l’autre faisait tout pour humilier
Selhi qui lui avait décliné son identité et sa fonction. Il le
rabrouait, méprisant19.

Alors que les disparitions se multiplient, sa famille presse


Boumendjel de monter au maquis. Comme pour se rassurer
lui-même, il répond que personne ne s’en prendrait à un avocat
appartenant au Mouvement mondial de la paix 20. Mais il est
soucieux. Sans pouvoir dater son souvenir, son collègue commu-
niste Albert Smadja se rappelle avoir croisé Boumendjel dans le
hall du palais de justice. Boumendjel était venu lui demander s’il
avait un moyen de lui faire quitter le pays21. Malika Boumendjel
confirme que son mari a cherché en vain des portes de sortie pour
échapper à l’étau qui se resserrait. Entre amis, on plaisante sur les
sujets les plus graves. Ali dit un jour en riant à Amar Bentoumi
qu’il l’utilisera comme lanterne rouge : lorsque Bentoumi se fera
210 Ali Boumendjel

arrêter, lui-même saura qu’il est temps de prendre la poudre


d’escampette. « Mais malheureusement, raconte Bentoumi dans
un soupir, au lieu que ce soit moi qui lui sauve la vie, c’est lui
qui m’a sauvé la vie22. »
Dans cette tension grandissante du mois de janvier  1957,
se déroule un événement qui a marqué tous les témoins qui
l’ont vécu. Ahmed Boumendjel, toujours installé à Paris, fait
un dernier voyage à Alger  : après cette date, le risque est trop
important d’être arrêté. Comme d’habitude, c’est Ali qui s’occupe
du contact entre lui et les personnalités qu’il doit rencontrer,
sans que l’on sache s’il s’agit de rencontrer Abbane Ramdane ou
Benyoucef Benkhedda. La fille d’Ahmed, Fadila, est restée à Paris
où elle fait le relais, d’heure en heure, entre le Caire, où Ferhat
Abbas et Ahmed Francis sont transis d’inquiétude, et Alger 23.
Ahmed est reçu dans la maison familiale à Belcourt, en présence
de presque toute la famille, dont son frère Ali. Leur nièce, Anissa
Bouhadef, se souvient que la maison était surveillée, mais que
chacun entrait et sortait24. Hamid Aït Khaled et André Amrani,
qui jouent comme à leur habitude les chauffeurs, profitent de
la confusion pour faire sortir Ahmed, accompagné, peut-être,
d’Ali, et les conduire à un rendez-vous25. Selon toute probabi-
lité, il s’agit de rencontrer un leader du FLN à Alger, Benyoucef
Benkhedda ou Abbane Ramdane. Le rassemblement de toute la
famille et les allées et venues ont en effet pour but de camou-
fler le départ d’Ahmed vers sa réunion, la bonne humeur des
retrouvailles familiales cachant mal la peur d’une rafle ou d’une
arrestation des deux frères. Lorsqu’Ahmed quitte enfin Alger,
tous poussent un soupir de soulagement relatif. Au moins l’un
des deux frères –  le plus exposé sans doute  – est désormais à
l’abri. Après l’annonce de la mort de son jeune frère, Ahmed
Boumendjel, au désespoir, se reprochera amèrement son voyage
du mois de janvier26.
À partir du mois de février, la répression s’abat sur les familles
Amrani et Boumendjel. En l’espace de quelques jours, trois
frères de Malika sont d’abord arrêtés, puis c’est au tour d’Ali
Boumendjel d’être appréhendé dans les bureaux de la Shell.
Malika écrit :
L’affaire Boumendjel 211

Nous sommes le 8 février 1957. Pour faire connaître ces deux


nouveaux cadres aux autres, un cocktail a été prévu au siège
de la Shell. Madame Selhi et moi-même y étions conviées,
atmosphère sympathique au demeurant […].
Le vendredi 8  février, le cocktail. Puis nous sommes
rentrés ensemble à Belcourt. Au matin du samedi 9  février,
embrassades avant de partir au travail, Dalila, notre bébé
s’accrochait à son père, presque désespérément. Il a eu un
geste d’impatience involontaire pour la remettre dans mes
bras. Il craignait de se mettre en retard.
Midi, treize heures pas encore rentré, à quatorze heures
nous recevons un coup de téléphone de monsieur Selhi
m’informant que des parachutistes étaient venu cueillir Ali
au travail et qu’ils l’ont emmené en jeep.
Depuis ce jour nous ne l’avons plus jamais revu27.

Ce n’est que le 26  mars que sa mort est annoncée dans la


presse et que la famille est ainsi mise au courant.
Suivre Boumendjel, c’est se plonger dans une double
mécanique. En Algérie tout d’abord, son cas est exemplaire et
révélateur des relations entre les différents acteurs de la « bataille
d’Alger »  : les militaires, la justice, les autorités civiles. Mais il
rappelle également que les victimes de la répression ne sont pas
réduites à leur seule condition de victime  : malgré la férocité
des traitements infligés, elles peuvent conserver une marge
de manœuvre –  infinitésimale parfois  – pour déployer une
stratégie de résistance. En France, ensuite, l’affaire Boumendjel
se déploie selon une temporalité spécifique  : elle permet de
décrire comment l’événement se construit, influence l’opinion
et devient un point nodal de la mobilisation contre les pratiques
de l’armée française en Algérie.

De l’arrestation à l’assassinat
Pour comprendre pourquoi Ali Boumendjel a été
arrêté, il faut se pencher sur les premiers interrogatoires et plus
encore sur ceux de ses beaux-frères, les frères de Malika. L’un
d’entre eux, Djamal Amrani, publia en 1960 aux éditions de
212 Ali Boumendjel

Minuit un ouvrage, Le Témoin, où il faisait le récit de sa détention


et des tortures qu’il avait subies. En 2003, alors qu’il travail-
lait pour le commissariat de l’« Année de l’Algérie » en France,
il me reçut dans les bureaux de la villa Pouillon, à quelques
pas du monument des martyrs, à Alger. Il était entre-temps
devenu l’un des grands poètes algériens de langue française.
La veille, son amie, la poétesse Samira Négrouche, rencontrée
par hasard dans une librairie algéroise m’avait prévenue de son
inquiétude à la perspective de l’entretien. L’homme était très
nerveux ; à la mention de son beau-frère Ali, sa voix s’étrangla.
Il me raconta comment il avait été arrêté dans le courant de la
première semaine de février  1957 au cours d’une grande rafle
menée dans le quartier des Sources, où il habitait28.
Ses frères, André, Abderrahmane et Ali, sont arrêtés en même
temps que lui. Conduits d’abord à la caserne du génie d’Hussein
Dey, les frères Amrani sont déplacés à plusieurs reprises, puis
séparés. Djamal est conduit « dans un lieu entre Hydra et Sidi
Yahia 29 ». C’est là qu’il est « interrogé », c’est-à-dire qu’il est
torturé à l’électricité.
Son récit constitue un témoignage saisissant sur la manière
dont les tortionnaires fabriquent un récit cohérent et placent
les mots dans la bouche de leurs victimes. Or les aveux qui leur
sont imposés tournent largement, dès le début, autour de la
personnalité d’Ali Boumendjel. Avant son premier « interroga-
toire », Djamal Amrani avait pensé que les relations de son père
(qui connaissait Borgeaud lui-même30 !) et celles de son beau-frère
avocat pourraient le sortir rapidement des mains des parachu-
tistes. Il se rend compte qu’au contraire, Boumendjel ne va pas
tarder à le rejoindre. Il rapporte le dialogue suivant, lors de son
interrogatoire par un sergent :

— Écoute-moi, je te conseille maintenant de parler. Tu


comprends, on en a vu de plus durs que toi, et n’oublie
pas qu’on a fait l’Indochine… Connais-tu Ali Boumendjel ?
— Naturellement, c’est mon beau-frère.
— Pourquoi se cache-t-il ?
— J’ignorais qu’il se cachait.
L’affaire Boumendjel 213

— Il habite bien la villa sur la route de Kouba, qui fait l’angle ?


— Oui.
— Ce n’est pas lui qui vous poussait à… ? Tu le voyais
souvent, pourtant ?
— Bien sûr. D’abord parce que c’est mon beau-frère, et
ensuite parce qu’il me faisait travailler : il m’aide à préparer
mes examens.
— Et André [Amrani] le voyait souvent aussi. Ils étaient
toujours ensemble avec un ami de Boumendjel…
— Oui, c’est M.  Selhi, qui travaille à la Shell avec mon
beau-frère. C’est André qui les véhiculait parce qu’ils
n’avaient pas de voiture31.

Sous la pression, Djamal Amrani finit par « avouer » qu’il fait


partie du FLN, et que la maison des Sources est pleine d’armes.
D’autres jeunes gens du quartier, arrêtés en même temps, sont
également interrogés et forcés, sous la torture, à impliquer Ali
Boumendjel. Un ami de Djamal, Mohamed Alloum, que Djamal
rencontre quelques jours plus tard, lui raconte sa propre contri-
bution forcée à la fresque  : il s’est accusé d’avoir donné à Ali
Boumendjel des renseignements sur les allées et venues à la mairie
où il travaille, laissant penser, sans doute, que l’avocat préparait
un attentat32. À la suite de ces « aveux », le frère de Djamal,
André, qui a également subi la torture, est conduit à la maison
de ses parents. Les « interrogatoires » l’ont rendu méconnais-
sable, ses dents sont brisées, ses mâchoires gonflées. La famille
se presse autour de lui, sa mère manque de se trouver mal. Mais
les parachutistes le bousculent. Il leur indique un endroit dans
le sol du jardin, dans lequel ils trouvent une arme enterrée. C’est
la dernière fois que les parents Amrani voient leur fils André33.
Cette arme, qui appartiendrait à Boumendjel, semble être
la pièce permettant aux parachutistes de l’arrêter. Le vendredi
8  février, la veille de l’arrestation d’Ali Boumendjel, Djamal
Amrani est interrogé de nouveau :

Le vendredi je fus encore confronté avec André, et je dus


avouer que je lui remettais l’argent que je collectais, qu’il
versait à son tour… à notre beau-frère, Ali Boumendjel. […]
214 Ali Boumendjel

On me demanda aussi où travaillait Ali Boumendjel. Il


m’était difficile de ne pas le dire, d’autant que c’était de
notoriété publique :
— Au service contentieux de la Shell, boulevard Saint-Saëns.
— Tiens, me dit l’inspecteur qui m’interrogeait, il ne fait
donc plus partie du Collectif des avocats du FLN ?
On me ramena à ma cellule. Nous constations qu’une
semaine après notre arrestation, les interrogatoires avaient
repris avec autant de brutalité qu’au premier jour34.

Les parachutistes pensent que Boumendjel fait partie du


Collectif ; il était déjà suivi plusieurs semaines avant l’arrestation
de Djamal Amrani ; il est par ailleurs le frère d’une personnalité
politique vivant à Paris et qui a des contacts avec le FLN à Alger
et au Caire. Il est donc repéré depuis longtemps, et cette arme,
dont les parachutistes affirment qu’elle lui appartient, se révèle
pour eux une divine surprise.
Le samedi 9  février, Malika et Ali Boumendjel sont installés
depuis plusieurs jours chez ses parents, à Belcourt. Sous la
pression des filatures, il a en effet préféré mettre sa femme et
ses enfants à l’abri dans sa famille. Ce matin-là, il quitte la
maison pour rejoindre les bureaux de la Shell, boulevard Saint-
Saëns avant d’être arrêté dans la matinée à son travail. C’est
son collègue Mohand Selhi qui prévient Malika par téléphone.
Cette idée que Boumendjel a été arrêté pour une question de
revolver fut souvent mise en avant par les militaires dans les
récits rédigés ultérieurement. Massu se défend en 1971 :

Il faut préciser que Boumendjel n’a pas été arrêté en tant


qu’avocat, mais parce qu’il avait fourni deux pistolets au
tueur [André] Amrani35.

Dans ses mémoires, le général Aussaresses mit également


l’accent sur les « aveux » extorqués aux frères Amrani. Si on
le suit, des « voyous » avaient avoué, avant d’être exécutés,
des assassinats ordonnés et financés par Ali Boumendjel. On
peut penser que se trouve parmi lesdits « voyous », André
Amrani, le beau-frère de Boumendjel, qui « disparaît » durant
L’affaire Boumendjel 215

sa détention. Aussaresses se livrait à un exercice de psycho-


logie militaire  :

Comme d’autres leaders du FLN, et notamment Yacef Saadi,


Boumendjel était exaspéré par la popularité du truand Ali
la Pointe qui commençait à passer pour le Robin des bois
algérien et échappait régulièrement à nos patrouilles en
s’habillant en femme.

Boumendjel souhaite donc, selon le général Aussaresses,


« substituer une légende de terroriste à l’image d’intellec-
tuel mondain qui lui coll[e] à la peau 36 ». Ces remarques
sont d’importance parce qu’elles constituent les éléments de
base d’une interprétation militaire tardive de l’arrestation de
Boumendjel, selon laquelle il joue le rôle d’un médiocre terro-
riste souffrant d’un souci d’image de soi, d’une légère folie des
grandeurs. L’on y retrouve un double mépris haineux. Le mépris
à l’égard des intellectuels d’abord, qui apparaîtra au cours de la
confrontation organisée entre Boumendjel et Djamal Amrani.
« La loi, on la connaît mieux que vous », dira l’officier pour
affirmer le pouvoir du militaire sur la justice et la domination :
en faisant référence à la connaissance, il fait davantage que de
dire la loi, c’est moi et signifier une domination absolue ; face
au juriste, il ironise sur l’inversion de la relation de hiérarchie
sociale que lui permet la détention. Djamal Amrani, comme
bien d’autres, a été interrogé par des militaires qui, voyant
qu’ils ont affaire à un étudiant, lui font citer Montesquieu,
avant de l’humilier, en tant qu’étudiant. Henri Alleg témoigne
également de cette haine dont les intellectuels et les étudiants
sont l’objet de la part de l’armée 37. Dans le cas de Boumendjel,
cette haine de l’intellectuel se double du ressentiment vis-à-vis
de l’intelligentsia politique.
Aussaresses ajoutait en effet avec amertume que Boumendjel
était fiché sympathisant du FLN, mais rendu intouchable par son
« carnet d’adresses » comportant nombre de figure intellectuelles
et politiques métropolitaines. De même, Massu déplorait-il, dès
juin  1957, que dans cette affaire, « les demandes d’enquêtes
216 Ali Boumendjel

[soient] faites, non pas en fonction des possibilités d’erreur dans


les arrestations, mais en fonction des appuis dont jouissent les
gens arrêtés, et en fonction des dangers que les enquêtes faisaient
courir aux gens qui fournissaient ces appuis38 ». La défiance des
militaires à l’égard de la classe politique française, accusée de ne
pas soutenir les militaires, de ne mener qu’une politique trouble
et dénuée de courage, déborde sur les hommes politiques et les
intellectuels algériens. On retrouve à l’égard de Boumendjel,
comme à l’égard d’autres notables ou d’autres intellectuels, une
rancœur tenace liée à la prétendue mansuétude dont ils sont
l’objet de la part des autorités. Il semble donc bien que l’infor-
mation concernant les revolvers tombe à point nommé.
Une semaine après la mort de Boumendjel, le 1er avril 1957,
le lieutenant-colonel Albert Fossey-François rédigea un courrier
au général Massu rassemblant divers documents sur l’« affaire
Boumendjel39 ». Dans la lettre qui accompagnait le dossier, il
faisait de Boumendjel un « chef de bande » et « complice d’assas-
sins pour le compte du FLN ». On est stupéfait, à la lecture, par la
précision du récit qui décrit la « section FLN » organisée préten-
dument par Boumendjel, et dans lequel se retrouvent, à des
« fonctions » différentes, trois hommes (André et Djamal Amrani,
et un certain Halloun, sans doute Mohammed Alloum). Selon
le compte rendu, les armes « furent remises par Boumendjel
à Amrani André pour lui permettre l’exécution des missions
d’assassinat qui lui étaient données par l’intermédiaire de son
chef de cellule40 ». Pourtant, et à la différence du récit fourni
ultérieurement par Massu et Aussaresses, ce dossier par lequel
les militaires tentaient de se justifier multipliait les accusations
contre Boumendjel, au point qu’il n’est plus possible de savoir
pour quel motif exact il avait été arrêté et détenu par les parachu-
tistes. Loin de rendre plus clair le rôle de Boumendjel au sein du
FLN, ce dossier l’obscurcit davantage, fournissant une possible
source de certaines des rumeurs qui circulèrent par la suite,
y compris parmi les proches des Boumendjel. Il est toutefois
révélateur des mécanismes de la détention, de la torture et des
« disparitions » de la grande répression d’Alger, mécanismes qui
se retrouvent dans maints contextes répressifs41.
L’affaire Boumendjel 217

Examiner ces mécanismes concrets ne doit toutefois pas faire


disparaître la vue d’ensemble. L’arrestation de Boumendjel et,
simultanément, celle de son collègue maître Mahieddine Djender
sont les premières d’une série d’arrestation d’avocats, membres
du Collectif des avocats du FLN ou défenseurs individuels de
militants arrêtés. C’est le début de ce que Patrick Kessel et
Giovanni Pirelli appellent « l’élimination des avocats » :

Les personnes les plus aptes à dénoncer l’aggravation de la


répression, surtout à Alger, à alerter l’opinion, sont les avocats
qui habituellement défendent les Algériens devant les
tribunaux français. C’est ainsi que des mesures spéciales vont
être prises afin de les neutraliser, afin de leur interdire autant
que possible, les contacts avec les victimes de la répression
et avec leur famille42.

Dans les jours qui suivent l’arrestation de Boumendjel, les


avocats du Collectif sont arrêtés un à un. Seuls ceux qui ont
la chance de se trouver à l’étranger échappent à la répression.
La séquestration de Boumendjel n’est donc pas un cas isolé  :
de ce point de vue, le revolver dans le jardin, les voyous du
quartier, les jeunes beaux-frères constituent une aubaine pour
les militaires dans leur volonté de s’en prendre aux figures
intellectuelles et politiques qui soutiennent le FLN devant les
tribunaux et lui apportent leur caution politique et morale. Ce
faisant, ils vont contribuer à déconstruire l’idée qu’ils cherchent
pourtant à promouvoir selon laquelle le FLN – cette organisation
de brigands – n’est en rien un véritable mouvement politique.

« 43 jours de pacifiante agonie43 »


Entre son arrestation, le 9  février, et sa mort, le
23 mars 1957, Boumendjel a passé 43 jours entre les mains des
parachutistes. Il est conduit à la caserne du génie à Hussein Dey
où il est d’abord interrogé. 43 jours plus tard, son corps s’écrase
au pied d’un bâtiment en construction, avenue Clemenceau à El
Biar. Entre ces deux dates, entre ces deux lieux, il est repéré en
218 Ali Boumendjel

différents points de cette géographie si particulière de la déten-


tion et de la torture que décrit l’historienne Raphaëlle Branche 44.
Retracer son cheminement dans les affres de la « grande
répression d’Alger » consiste à collecter une information éparse,
éparpillée entre un nombre de témoins qu’il est impossible de
recenser de façon exhaustive. Tous ceux qui ont pu rencontrer
Ali Boumendjel au gré de ses déplacements d’un lieu de déten-
tion à l’autre, ou qui ont entendu dire, durant leur propre déten-
tion, qu’il était ici ou là, qu’il avait subi tel ou tel traitement
sont dépositaires d’une part de la vérité. Cette information peut
être de première main ou indirecte ; compte tenu des conditions
mêmes de la détention, elle est souvent de l’ordre de la rumeur ;
les détenus se croisent, se reconnaissent parfois, échangent des
nouvelles sur les uns et les autres, remarquent les blessures et les
contusions sur les corps de leurs codétenus ; les rumeurs naissent
et se propagent encore après l’indépendance, et ces informations
qui circulent se transforment et se déforment.
Amar Bentoumi raconte par exemple les informations qu’il a
collectées et mises bout à bout au sujet de la détention de son
ami dans le bâtiment d’El Biar :

— Lui était isolé, mis dans une cuisine du bâtiment,


fil fouq, en haut du bâtiment. Le bâtiment n’était pas
complètement terminé, n’avait pas été habité encore. C’est
les types de Bigeard qui occupaient ce bâtiment. Et, qalu-li
[ils m’ont dit] il était isolé dans une cuisine, quelqu’un l’a
vu à travers le trou de la serrure, il était barbu. Il devait être
entre leurs mains depuis plusieurs jours parce qu’il avait
une barbe. Et il ne pouvait pas se lever. Il était adossé, il
ne pouvait pas se lever. […] Huwa [lui], ils l’ont tellement
abîmé, et je crois que c’est ce qui fait qu’ils ont été obligés
de le tuer pour camoufler leur crime parce qu’ils lui ont
brûlé les jambes avec le chalumeau. Tout ça, c’est pas un
témoignage direct. J’ai appris des choses, je demandais
des nouvelles.
M.R. : Quand vous étiez au camp ou après ?
— Après, après.
M.R. : Avant l’indépendance quand même ?
L’affaire Boumendjel 219

— Très peu avant l’indépendance mais après. J’ai eu comme


ça des entretiens avec des gens qui ont connu mes relations
avec lui, oulla [ou bien] qui sont venus me dire,  etc. Y’en
a même un qui m’a demandé au centre de transit de Beni
Messous, qali [il m’a dit] « donne-moi un pull. J’ai donné le
mien à ton collègue qui était chez les paras, il grelottait de
froid, je lui ai donné mon pull, alors donne-moi un pull ».
Je lui ai donné le pull.

Sans donner ici la moindre certitude sur le cas de Boumendjel,


Bentoumi décrit précisément la construction de ce qu’il sait sur
le sort de son ami, la multiplicité de ses sources, l’interpolation
des récits de différentes époques  : cette « contamination » des
narrations les unes par les autres est une façon pour les témoins
d’obtenir, de conserver et de transmettre les informations.
Lorsqu’il rapporte la rumeur selon laquelle Ali Boumendjel
a eu les jambes brûlées (« On dit même qu’ils lui ont brûlé
les jambes au chalumeau 45 »), il n’y a pas de certitude que
Boumendjel lui-même ait subi ce traitement, même si l’émotion
qui terrasse alors Bentoumi est stupéfiante. D’anciens détenus,
rencontrés des années plus tard, dans son club de sport par Farid,
le fils cadet de Boumendjel, racontaient comment la nouvelle de
l’arrivée de l’avocat à Hussein Dey s’était répandue comme une
traînée de poudre dans la caserne, l’historien orthodoxe se déses-
père de l’absence de noms et de dates qui authentifieraient ses
sources46. Faut-il alors rejeter complètement toutes ces miettes
de savoir ? Cela reviendrait à se priver de la principale source
permettant de retracer le parcours d’un détenu aujourd’hui
disparu. Il resterait ensuite les archives militaires, dont on sait
bien qu’elles ne gardent pas les traces détaillées du chemine-
ment d’individus que l’armée cherche à soustraire à la justice.
D’autre part, même lorsqu’elle est inexacte, toute information
renseigne de façon générale sur la grande répression d’Alger,
sur la connaissance qui circule alors dans la population, sur les
peurs et les stratégies des colonisés face à la répression qui s’abat
sur eux. Henri Alleg, pour ne citer que lui, confirme l’usage du
chalumeau pour brûler les corps des détenus47. Dans son analyse
220 Ali Boumendjel

de la violence durant les guerres de religion en France, Denis


Crouzet souligne que les narrations de la violence elles-mêmes
participent de l’exercice de la violence48 : les traces visibles sur
les corps, les rumeurs qui circulent avec les prisonniers vers les
camps de transit puis de détention propagent les effets de la
violence infligée dans les salles de torture.
À chaque phénomène historique son type de trace : la grande
répression d’Alger par les parachutistes, accompagnée de l’usage
de la torture, de la détention illégale et de la disparition de
milliers d’individus, produit des récits oraux qui, durant 50 ans,
se sont élaborés continûment, au risque de l’interpolation, de la
déformation ou de l’inexactitude. La journaliste Florence Beaugé
a montré comment une enquête longue et approfondie permet
–  par des interviews systématiques  – de reconstituer quelques
épisodes racontés par plusieurs témoins directs49. Enquêter sur
un seul homme parmi tous les détenus de la « bataille d’Alger »,
retrouver les « témoins sources » des autres récits, les témoins
directs qui ont croisé la route d’Ali Boumendjel, s’apparente à
la recherche de quelques aiguilles dans une botte de foin.
Le cas de Boumendjel a ceci de particulier qu’il a donné lieu,
presque immédiatement, à plusieurs textes retraçant sommaire-
ment sa détention. Le premier dans l’ordre chronologique, mais
également le plus difficilement accessible, est le dossier compilé
par le lieutenant-colonel Fossey-François, qui comporte, outre
les interrogatoires et le rapport d’autopsie, une chronologie de
sa détention et divers témoignages sur le moment de la mort
de l’avocat50. La lettre qui l’accompagne, datée du 1er avril 1957,
est adressée au général Massu. Il s’agissait clairement de faire
face aux interrogations suscitées par la mort de Boumendjel.
À qui le dossier a-t-il été communiqué ? Il est possible que le
gouvernement en ait eu connaissance ; la presse cite le rapport
d’autopsie mais ne semble néanmoins pas avoir eu accès au
dossier dans son intégralité.
Il est donc surprenant de constater que la documentation
fournie par Fossey-François est utilisée dans deux autres textes
constituant des tentatives de rassembler les différents témoi-
gnages en vue de dénoncer les autorités françaises, le premier
L’affaire Boumendjel 221

ayant sans doute inspiré le second : Ahmed Boumendjel rédige


un document intitulé « Le cas Boumendjel Ali », qui se présente
sous la forme d’une chronologie incomplète, et conservé dans
les archives de la famille51 ; quant à l’article de Francis Jeanson
dans Esprit, intitulé « Para-pacification », il retrace les événe-
ments de l’arrestation de Boumendjel à sa mort 52. Les deux
hommes étaient politiquement proches et liés par des relations
d’amitié ; Francis et Colette Jeanson avaient rencontré les deux
frères Boumendjel à Alger avant de rédiger L’Algérie hors la
loi53. « Para-pacification » semble bien avoir été une entreprise
collective menée par les deux hommes. Comment se sont-ils
procurés le dossier de Fossey-François ? Rien ne l’indique. Une
note du texte de Jeanson est toutefois remarquable  : « Il s’est
même trouvé un parachutiste pour juger la situation intenable :
il a soulagé sa conscience en racontant tout ce qu’il avait vu54. »
Qui est cette source ? Pourquoi n’a-t-elle pas été utilisée plus
abondamment ? Je n’en ai trouvé aucune autre trace.
Enfin, le dernier document est lié à la création d’une
Commission de sauvegarde par le président du Conseil, Guy
Mollet, en mai 1957 pour enquêter sur les exactions commises
en Algérie55. L’histoire de la commission est complexe, et ses
résultats discutés. Toutefois elle a permis la collecte de nombreux
documents, et la rédaction par chacun de ses membres de rapports
individuels, parfois contradictoires. L’un de ses membres, maître
Maurice Garçon, a travaillé sur le cas Boumendjel pour rédiger
un compte rendu qui n’a pas été repris dans le rapport final de la
Commission. Ses archives fournissent donc une trame narrative
tout en permettant l’accès à des documents originaux56.

De l’arrestation à la « tentative de suicide ». –  Dès son arresta-


tion, Boumendjel est confronté à son beau-frère Djamal Amrani.
On trouve dans Le Témoin le récit de cet interrogatoire par un
certain capitaine Leborgne.

À midi, une traction noire entre dans la cour, et nous en


vîmes descendre Ali Boumendjel, encadré de parachutistes.
Nous fûmes de nouveau confrontés successivement avec mon
222 Ali Boumendjel

beau-frère, envers qui on faisait preuve, semble-t-il, d’un peu


plus d’égards que pour nous, puisqu’on ne le gifla pas une
seule fois en notre présence.
Je dus à mon tour reconfirmer mon crime : collecte d’argent,
et signer ma déclaration, pendant qu’un parachutiste, posté
derrière moi, m’appuyait un poignard dans les fesses.
Ali dit seulement :
— Nous savons tous très bien comment vous avez obtenu
ces déclarations.
Et le capitaine répondit, sur un ton enjoué :
— Ah, maître, la loi, on la connaît mieux que vous !
Les dernières paroles que j’entendis en sortant du bureau
furent celles de l’inspecteur qui disait :
— Pour les armes, vous allez maintenant nous expliquer
d’où elles venaient […]. Ali Boumendjel fut enfermé dans
une chambre du 1er étage, au secret.
À 14 heures, une jeep vint le chercher pour l’emmener, nous
l’apprîmes plus tard, à la caserne du génie d’Hussein Dey57.

Il semble, dans un premier temps, traité avec un respect relatif.


« On ne le gifla pas une seule fois en notre présence », écrit
Amrani 58. Il est conduit le jour même à la caserne du génie
d’Hussein Dey où la nouvelle de l’arrestation d’une personnalité
bien connue circule très vite parmi les détenus.
Très rapidement, on annonce dans la presse que Boumendjel a
commis une tentative de suicide, en se taillant les poignets et le
cou avec le verre de ses lunettes. Ahmed Boumendjel et Francis
Jeanson situent cette tentative dans la nuit du 11 au 12 février
1957, reprenant les informations données Fossey-François.

Il est, au bout de 48  heures (nuit du 11 au 12), laissé pour


mort dans sa cellule, la gorge tailladée. Découvert au moment
de la relève, par des gardiens qu’on avait négligé de rendre
complices, il est aussitôt transféré à l’hôpital Maillot (hôpital
militaire, sous la surveillance des « paras »), où l’on constate
que la carotide est à peine atteinte59.

À ce propos, le général Aussaresses eut dans ses mémoires une


formule exceptionnelle : selon lui, Boumendjel aurait « feint de
L’affaire Boumendjel 223

se suicider, ce qui lui valut un séjour à l’hôpital60 ». La version


de la tentative de suicide, à l’aide des verres de lunettes, n’est
pas remise en question par le bâtonnier Perrin après sa rencontre
avec le détenu dans la semaine du 18 au 23 mars 1957. Quant
au dossier de Fossey-François, il comporte les photographies des
verres de lunettes incriminés, comme pour attester de la réalité
de la tentative de suicide.
Un document troublant évoque cette « tentative de suicide »
d’Ali Boumendjel. Il s’agit d’un texte anonyme et non daté, rédigé
dans le camp d’internement de Paul-Cazelles et intitulé « Récit
d’un Algérien qui y a fait un séjour de plusieurs semaines61 ». Il
évoque les conditions de détention au camp dans lequel ont été
assignés à résidence les prisonniers, parmi lesquels les avocats
arrêtés après Boumendjel, la dureté des conditions matérielles et
les coups dont sont victimes des détenus. Il détaille également
les tortures subies par la plupart des détenus à Alger avant même
leur arrivée au camp, l’auteur ajoute :

Et encore une torture qui est souvent pratiquée par les


parachutistes, qui consiste à tendre un poignard devant
la gorge de celui qu’on interroge et à lui frapper la tête
par-derrière de façon que la gorge vienne heurter le poignard
et soit tailladée. C’est ainsi qu’a eu lieu le premier « suicide »
de maître Ali Boumendjel.

L’un des détenus –  l’auteur lui-même peut-être  –, avait-il


été le témoin visuel de la « tentative de suicide » ? S’agit-il
d’une rumeur fondée sur les sévices subis par d’autres que
Boumendjel ? Selon le document, beaucoup des détenus sont
passés par le Clos Salembier et ses quatre centres de torture avant
d’arriver à Paul-Cazelles, et le transfert des prisonniers vers le
camp provoque un flux d’information, de récits et de rumeurs
concernant les divers lieux de détention, les noms des détenus,
la nature des sévices subis et même l’identité des tortionnaires62.

Dans les sous-sols de l’hôpital Maillot. –  À la suite de cette


« tentative de suicide », Ali Boumendjel est conduit à l’hôpital
224 Ali Boumendjel

Maillot, où il demeure, selon maître Garçon, du 12  février au


4 mars, soit vingt jours. Durant cette période, il est totalement
isolé, et sans nouvelle de sa famille  : seules deux personnes
parviennent à le voir.
Le bâtonnier de l’ordre des avocats, Pierre Perrin, écrivit à
Ahmed Boumendjel après la mort d’Ali. Il racontait dans sa lettre
la visite de Malika Boumendjel, le 12  février, pour demander
son aide. Il affirmait n’avoir pu obtenir à cette date aucune
information auprès du ministre résidant mais avoir été avisé, le
lendemain, par le préfet d’Alger de l’assignation à résidence de
Boumendjel au camp d’internement de Berrouaghia. Il assista
le jour même à la perquisition menée au cabinet de l’avocat de la
rue Vialar. À la suite de l’annonce par la presse de la « tentative
de suicide » du 12  mars, il obtint l’autorisation de lui rendre
visite à l’hôpital Maillot :

Et c’est ainsi qu’au cours de la semaine du 18 au 23 février,


je me suis rendu par deux fois à l’hôpital Maillot où j’ai pu
voir librement et seul à seul votre frère […].
Au cours de ma première visite, j’ai trouvé votre frère, dont
le cou et les poignets étaient pansés –  car il avait tenté de
s’ouvrir les veines avec ses verres de lunettes –, assez déprimé
au premier abord.
Il croyait, en effet, et c’est ce qui l’avait déterminé à se donner
la mort, avoir « vu » sa femme violentée en sa présence et
sans qu’il fût possible de lui prêter secours63.

Le bâtonnier le rassure et le convainc donc qu’il s’agit d’une


hallucination liée à 48 heures d’isolement dans l’obscurité. Mais
cette information crée un écho troublant avec le témoignage
de la seconde personne qui a rencontré Boumendjel à l’hôpital
Maillot.
Yvette Farnoux est l’épouse d’un industriel originaire de
métropole et chargé de l’usine de la SFRA64. À ce titre, Abel
Farnoux est l’employeur d’Abdelmalik Amrani, le beau-frère de
Boumendjel, et les deux hommes sont très liés. Yvette Farnoux,
qui est assistante sociale, a choisi d’être visiteuse des prisons.
L’affaire Boumendjel 225

Elle rendait déjà visite aux détenus durant la Seconde Guerre


mondiale avant d’être elle-même déportée pour son engagement
dans la Résistance. L’idée de la contacter provenait de Germaine
Tillion, que j’interviewais au sujet de son rôle dans la publica-
tion de l’ouvrage de Djamal Amrani, Le Témoin. Interrompant
la discussion, Germaine Tillion sort l’un de ses petits carnets
pour y chercher le numéro de téléphone des Farnoux qui sont
de vieux camarades de Résistance  : très marquée par les deux
guerres qu’elle a vécues –  la Seconde Guerre mondiale et la
guerre d’indépendance algérienne –, Yvette Farnoux refuse de me
recevoir. Elle ne peut toutefois refuser à son amie de répondre à
quelques questions, et Germaine Tillion me tend le téléphone,
avec un regard tout à la fois satisfait et malicieux. Notre brève
discussion semble lui être très pénible, et son malaise m’interdit
d’insister sur certains points. Elle prend néanmoins le temps
de me parler.
Après avoir été contactée par Malika Boumendjel, raconte-
t-elle, il a fallu deux ou trois jours de démarches pour parvenir
à rendre visite à Ali Boumendjel. Elle a trouvé un contact en la
personne d’un ancien camarade d’étude qui travaille à l’hôpital65.
Elle se souvient d’avoir dû descendre en sous-sol, en compagnie
de son collègue ; dans le couloir, elle entend nettement des hurle-
ments de femmes, provenant d’une cellule – c’est le mot qu’elle
prononce au téléphone, bien qu’il s’agisse d’un hôpital. Interrogé
à ce sujet, son collègue lui explique qu’il s’agit d’un enregistre-
ment. Lorsqu’elle pénètre dans la cellule d’Ali Boumendjel, elle
le trouve assis et terrifié : il est convaincu que les cris sont ceux
de sa femme en train d’être torturée. Elle met beaucoup de
temps à l’apaiser ; l’absence de ses lunettes semble ajouter à sa
confusion, et, ne la connaissant pas, il est convaincu qu’elle est
venue lui soutirer des informations. Elle lui donne des nouvelles
de sa famille afin de le persuader que c’est en amie qu’elle est
venue et tente de le rassurer sur les hurlements qu’il entend.
Elle pense avoir pu, avant de partir, gagner sa confiance car il
lui demande de transmettre des nouvelles à sa femme. Lorsque
je lui pose des questions sur l’état de Boumendjel au moment de
leur rencontre, c’est avec toute son expérience – professionnelle
226 Ali Boumendjel

et personnelle  – de la détention et de la torture qu’elle réagit,


après avoir réfléchi quelques instants. Ali Boumendjel, dit-elle,
« tient le coup ». L’obscurité ne lui permet pas de voir de traces
de coups ou de sévices, et il ne les lui montre pas volontaire-
ment. Par ailleurs, Boumendjel, s’il est confus et affaibli, n’est pas
encore réduit « à l’état de loque ». Son témoignage n’atteste donc
pas de façon définitive de l’utilisation – ou non – de la torture
physique sur la personne de Boumendjel. Il montre toutefois
qu’il se déroule des choses étranges à l’hôpital Maillot  : si les
cris pourraient s’expliquer dans l’hypothèse où Boumendjel est
détenu dans un service psychiatrique, la réponse du collègue
d’Yvette Farnoux est déconcertante, soit qu’un enregistrement
ait effectivement été utilisé comme forme de torture morale,
soit qu’il ait fallu lui cacher qu’une femme était torturée dans
une pièce voisine. Là encore, on pense à l’expérience d’Henri
Alleg : au cours de ses « interrogatoires », ses tourmenteurs ont
usé de menaces à l’égard de sa famille, en particulier la menace
de faire du mal à sa femme. Il est donc probable que Boumendjel
n’ait pas imaginé tout seul, dans la folie que lui prêtent les
militaires, que sa femme était torturée dans la pièce voisine,
mais que l’idée lui en ait été suggérée de façon plus ou moins
explicite par ses tortionnaires. Cela constituerait un cas classique
de torture immatérielle, comme l’on en retrouve dans maints
contextes de torture. En prenant l’épouse, ou parfois les enfants,
c’est la filiation qui est directement visée, autrement dit l’un des
éléments fondamentaux de l’existence de l’individu.
Dès lors, la thèse de la tentative de suicide est crédible : soumis
a une forme de torture mentale, torture qui s’est poursuivie après
son évacuation vers l’hôpital Maillot, l’homme a pu tenter de
se suicider pour y échapper. Les travaux les plus récents sur la
torture, relancés par l’affaire d’Abou Ghraib, montrent que les
conséquences des diverses formes de torture morale (dont la
vision/audition de la torture des proches ou les menaces à leur
encontre sont des cas classiques), sont tout aussi délétères que
les tortures physiques66 et peuvent mener à des réactions aussi
désespérées. L’on comprend que les proches aient pu rejeter
cette version des faits  : l’idée du suicide est difficile à accepter
L’affaire Boumendjel 227

pour des raisons morales et religieuses mais, surtout, le contexte


répressif où le suicide est régulièrement invoqué pour camoufler
des assassinats commis par les parachutistes.
Lors de son retour à l’hôpital Maillot, le bâtonnier Perrin
trouve Boumendjel en meilleur état que lors de leur première
rencontre :

Lors de ma seconde visite, votre frère, pratiquement guéri de


ses blessures, était très détendu, nous avons parlé de choses
et d’autres, il a recueilli avec plaisir les nouvelles que je lui
donnai de sa femme et de ses enfants, et il a paru résigné avec
beaucoup de philosophie à l’exécution de son assignation
à résidence à Berrouaghia, dont il s’est seulement étonné
qu’elle ne lui ait pas encore été notifiée67.

L’étonnement est vraisemblablement une litote : l’assignation


à résidence dans un camp, lorsqu’elle est effectivement appli-
quée, est une chance de survie pour un détenu, puisqu’elle le
fait rentrer dans la légalité et le fait connaître à la justice.

La ferme Perrin. –  Mais lorsqu’il quitte l’hôpital, ce n’est pas


pour être conduit dans le camp de Berrouaghia. La chrono-
logie du dossier du lieutenant-colonel Fossey-François indique
seulement :

4 mars 1957 :
Le détenu civil Boumendjel Ali sort de l’hôpital Maillot, il
est repris en compte par le 2e  Régiment de parachutistes
coloniaux.
Incarcération dans les locaux disciplinaires du 19e génie68.

Le même document précise qu’il y reste jusqu’à sa mort


pour des interrogatoires. Or, plusieurs témoignages confir-
ment au contraire le passage de Boumendjel à la ferme Perrin,
dans la banlieue de Birmandreis. Le rapport Garçon confirme
simplement que Boumendjel y a séjourné ; par ailleurs, Benali
Boukort donne à ce propos un témoignage d’importance dans
son ouvrage autobiographique. Cet ancien militant de l’UDMA
228 Ali Boumendjel

puis du PPA a été arrêté le samedi 2  mars. Il est conduit à


Birkhadem, à la ferme Perrin ou « Haouch Perrin69 », dont il
donne une description précise. Il s’agit d’une grande ferme de
colon destinée à la production de vin, sise au milieu des vignes
et dont les installations sont détournées de leur usage habituel :

Dès leur arrivée, les suspects transportés de jour dans une


remorque recouverte d’une bâche étaient parqués dans
un espace entouré de barbelés et gardés par plusieurs
parachutistes. Deux ou trois jours plus tard ils étaient
transférés dans les cuves à vin, pour être soumis aux
interrogatoires.
Les cuves se présentaient comme de petites bâtisses en
briques, ayant à peine 2 à 3  mètres carrés à la base. On y
accédait par un trou de 60 à 70 centimètres. Certains détenus
corpulents ne pouvaient y passer. Les paras soulevaient alors
la dalle formant couvercle et les descendaient au bout d’une
corde passée sous leurs aisselles. Chaque cuve contenait 6
ou 7  personnes. L’exiguïté extrême ne permettait pas aux
détenus de s’allonger ; ils devaient rester constamment
accroupis, souvent 15 jours durant. Ils ne quittaient cette
position inconfortable et douloureuse que pour se rendre
aux interrogatoires.
Parfois, selon l’humeur d’un gardien, ou lorsque les paras
étaient mécontents d’un détenu, l’ouverture était obstruée
par un sac. Plusieurs morts furent ainsi provoquées par
asphyxie70.

Par ailleurs, ajoute Benali Boukort, les détenus subissent


régulièrement des séances de torture à l’électricité, à l’eau, mais
aussi une spécialité de la ferme Perrin qui consiste à infliger
des blessures à l’aide d’un rabot avant de les couvrir de sel. Ces
séances de torture, baptisées comme ailleurs « interrogatoires »,
sont parfois menées « en présence de gendarmes, d’agents de
la DST ou du 2e  bureau ». Ici, à la différence des lieux urbains
de torture, ajoute Raphaëlle Branche, la torture peut avoir lieu
en plein air : l’isolement procuré par les vignes alentour assure
la discrétion 71. Certains prisonniers bénéficient d’un régime
L’affaire Boumendjel 229

différent. Selon Benali Boukort, Boumendjel, son beau-frère


l’ingénieur Abdelmalik Amrani, qui entre-temps a également
été arrêté, et l’ancien député UDMA Ben Keddache sont enfermés
individuellement dans des cuves72. À ce moment, Boumendjel et
son beau-frère sont placés dans des cuves voisines et peuvent,
par intermittence, communiquer. Après sa libération, Abdelmalik
raconte cet épisode à sa sœur Malika et à son fils Aïssa73. Les deux
hommes auraient évoqué ensemble la visite d’Yvette Farnoux
à l’hôpital Maillot, Abdelmalik lui confirmant qu’elle est bien
venue en amie.
Traitement de faveur ? Étrange déférence due à leur statut
social ou crainte du scandale et des relations de ces person-
nalités ? Les militaires savent à qui ils ont affaire lorsqu’ils
détiennent un député comme Ben Keddache. Ils savent aussi
les relations d’Ahmed Boumendjel ; Ali Boumendjel est intou-
chable en raison de son carnet d’adresses, affirmera Aussaresses.
La haine que les militaires éprouvent pour eux est liée à l’inquié-
tude que leur ont inspirée, un temps, ces intellectuels  : ils les
ont désormais dans leur toute-puissance, mais doivent toutefois
empêcher qu’ils puissent ressortir (et parler) et que l’on parle
d’eux à l’extérieur. L’isolement est alors vraisemblablement un
moyen de freiner la circulation des informations concernant
ces détenus très spéciaux. Nombre d’entre eux, à l’instar de
Boumendjel, n’échappent d’ailleurs pas à la torture.
Pourquoi Abdelmalik Amrani fait-il partie des personnalités
isolées ? Probablement en raison de ses relations avec Abel
Farnoux dont il est un des plus proches collaborateurs, qui fait
alors tout son possible, dans le bureau même du lieutenant-
colonel Fossey-François, pour le faire libérer74. Fossey-François
prétend en effet que du matériel de la SFRA est livré aux membres
du FLN, notamment Abdelmalik Amrani, par nul autre que
Farnoux lui-même. Contemplant le matériel saisi, et après que
le ton a monté dangereusement, Farnoux propose un marché
au lieutenant-colonel  : que l’on fasse venir un huissier –  pour
noter le matériel disponible  – et les officiers de transmission ;
s’ils sont en mesure de fabriquer avec cela le moindre émetteur
ou récepteur, il accepte d’être fusillé. Il est laissé libre… mais
230 Ali Boumendjel

ne parvient pas à faire relâcher son collaborateur. Et la pression


sur lui ne cesse pas : son appartement est perquisitionné, il est
arrêté avant de parvenir à convaincre Massu en personne qu’il
ne soutient pas le FLN75.
À la Ferme Perrin, outre l’isolement, un traitement particulier
était réservé aux « prisonniers de marque », dit Benali Boukort :

De plus, m’a-t-on rapporté qu’on leur avait inoculé un


produit spécial, un « sérum de vérité » selon un gardien. La
victime devenait alors quasiment folle ; elle parlait seule des
heures entières et répondait à toutes les questions qui lui
étaient posées. Et elle était censée dire la vérité !
À ce régime, le détenu s’effondrait rapidement ; il devenait une
loque humaine qui ne pouvait plus rien révéler de cohérent.
De plus, l’éventualité de sa libération se trouvait exclue  :
pour éviter les témoignages accablants, les parachutistes le
tuaient76.

Ici, à l’intérieur même du témoignage de première main


de Benali Boukort, se glisse le on-dit. Pour autant, l’usage du
penthotal par les militaires est attesté notamment par Henri Alleg
qui raconte aussi l’état de confusion mentale dans lequel le produit
laisse la victime. Une fois l’injection effectuée, il est soumis à
l’interrogatoire faussement amical d’un soldat. Celui-ci incarne un
certain « Marcel », un militant qui a besoin de renseignements.
L’interrogatoire laisse Henri Alleg particulièrement désorienté :

J’avais rendez-vous avec « Marcel ». Cette création du


penthotal prenait une consistance de chair. J’avais réussi à
ne pas répondre à ses questions, comment me défaire de lui
la prochaine fois ? Je sentais que je délirais. Je me giflais, je
me pinçais pour être certain que tout cela n’était pas un rêve.
Mais je ne reprenais pied dans la réalité que pour revenir
aussitôt aux craintes que la drogue suscitait en moi […].
Je me demandais si je n’étais pas en train de devenir fou.
S’ils continuaient à me droguer, serais-je encore capable de
résister comme la première fois, cela n’aurait servi à rien de
résister aux tortures77 ?
L’affaire Boumendjel 231

C’est à ce moment précis qu’Henri Alleg envisage le suicide :


par crainte de parler, et parce que l’idée lui a été suggérée par un
aide de camp de Massu, il soupèse cette possibilité longuement.
Il demeure cependant assez lucide pour réaliser qu’il est encore
affecté par le penthotal et qu’il faut dormir avant de décider  :
au réveil, ses idées sont plus claires.
La communication entre Ali et Abdelmalik semble bien avoir
été marquée par certains moments d’incohérence, selon le récit
rapporté par le fils d’Abdelmalik78. Étaient-ils liés à ce « sérum de
vérité » (oui, c’est ça qu’ils ont fait à Ali, s’était exclamée Malika.
Le penthotal79) ou tout simplement subissaient-ils les effets des
mauvais traitements et des séances de tortures ? Si la première
« tentative de suicide » n’est pas une tentative d’assassinat
camouflée, on comprend mieux à la lecture d’Henri Alleg le
rôle qu’a pu jouer cette confusion. La confusion n’est pas un
produit dérivé de la détention  : c’est, selon Raphaëlle Branche
et Françoise Sironi, l’un des mécanismes de la torture.

L’alternance de phases sous la torture est systématique : mise


en cellule et séances de torture, isolement et interrogatoires,
alternance entre deux attitudes radicalement opposées des
tortionnaires (le « bon » et le « méchant »). C’est l’instauration
d’un code obsessionnel total qui est ainsi mis en acte sous la
torture. La contiguïté de cette alternance et une fréquence
élevée de variabilité des phases cassent la discrimination
des espaces logiques et produisent de la confusion, de la
perplexité, parfois de la sidération80.

L’état mental de Boumendjel, dont il sera beaucoup question


à l’extérieur parce que –  une fois de plus  – l’homme n’est pas
un anonyme, est donc le fruit des dispositifs mis en œuvre
par l’armée française. Francis Jeanson et Ahmed Boumendjel
reprennent l’information, de notoriété publique disent-ils, selon
laquelle l’avocat sort de l’hôpital Maillot « malgré un déséquilibre
mental évident81 ». Robert Lacoste en profite pour ironiser à ce
sujet devant l’Assemblée nationale, confortant les militaires qui
n’hésitent pas à sous-entendre que Boumendjel est mégalomane.
232 Ali Boumendjel

Aux dires de Benali Boukort, Mohand Selhi, le collègue de


Boumendjel, également arrêté, occupe une cuve en compagnie
de cinq autres personnes. « 18 jours durant, Selli [sic] subissait
jusqu’à trois séances de tortures par jour. Un soir, il fut exécuté
comme les autres. Âgé de 35 ans, il était ingénieur de la société
Shell82. »

***

Il faut revenir sur la présence en un même lieu de trois


hommes  : Selhi, Abdelmalik Amrani et Ali Boumendjel. Le
dossier de Fossey-François indique une des pistes que suivent
les militaires durant leurs interrogatoires :

L’enquête détermina rapidement que la SFRA abritait le


personnel technique constituant l’ossature du réseau de
transmission rebelle à Alger.
Une cellule de dépannage (3 arrestations).
Une cellule de montage (5 arrestations).
Une cellule câblage (4 arrestations).
Amrani Abdelmalik était entré au service du FLN sur
l’insistance et sur l’ordre de Boumendjel Ali, son beau-frère
(voir annexe sur les conséquences de cet ordre).
Amrani Abdelmalik avait un chef direct, un nommé Debache
Ali, agent du GCR qui servait également de manipulateur
pour les émissions radio et d’agent de liaison avec le chef
de la commission « transmissions » du FLN.
Celui-ci fut rapidement démasqué, il s’agissait d’un nommé
Selhi Mohand, ingénieur des mines, et suivant également
un stage de formation à la société Shell83.

S’ensuit un récit détaillé de la façon dont Ali Boumendjel et


le député Ben Keddache avaient dû menacer Selhi de mort pour
l’obliger à s’engager aux côtés du FLN.
L’existence d’un tel réseau de transmission est-elle vérifiable ?
Les seuls échos qu’elle trouve sont manifestement contaminés
par la publication dans les journaux des déclarations fracassantes
de Fossey-François à son sujet. Amar Bentoumi, par exemple,
L’affaire Boumendjel 233

attribue à Ahmed Boumendjel l’initiative de la mise sur pied


de ce réseau, dont il aurait confié la responsabilité à son jeune
frère. Mais au cours de l’entretien, il s’avère que l’information ne
provient pas de l’intérieur du FLN, mais plus vraisemblablement
– directement ou indirectement – de la presse et des discussions
qui ont pu suivre, entre membres du FLN. En d’autres termes,
dans la culture du secret propre à la clandestinité, les respon-
sables eux-mêmes ont pu être intoxiqués par la publication de
prétendus comptes rendus d’interrogatoires. Car par ailleurs,
Abdelmalik n’a jamais fait état de ce réseau  : ayant beaucoup
parlé à son fils durant sa maladie, il lui aurait dit avoir vaine-
ment attendu d’être contacté par le Front de libération avant son
arrestation84. Il aurait même, dit Malika Boumendjel, cherché à
se mettre au service du FLN par l’intermédiaire de son beau-frère
Ali 85. Celui-ci aurait refusé. Le compte rendu d’interrogatoire
indique :

Il fallut que [Selhi] soit menacé d’une manière précise


(menaces de mort) par Boumendjel Ali et le nommé
Benkedache pour qu’il consente à mettre ses connaissances
au service du FLN86.

Plutôt que de souligner à quel point la scène est improbable,


mieux vaut s’interroger sur l’objectif d’une telle construction : il
s’agit clairement de mettre en cause deux personnalités politiques
– Ali Boumendjel, avocat et membre de l’UDMA, ancien candidat
à diverses élections locales, et l’ancien député de l’UDMA Ben
Keddache – en les impliquant dans des actions de petits truands,
plutôt que de grande politique. Cette stratégie  de criminalisa-
tion des mouvements insurrectionnels et de leurs élites est un
classique des guerres ; la négation de leur dimension idéologique
et politique au profit d’une étiquette criminelle est une des
techniques employées par les démocraties contre les « ennemis
intérieurs ».
C’est une attaque en règle contre les leaders politiques du
mouvement nationaliste entendu au sens large, et contre un
groupe social spécifique. Comme Cherif Ben Keddache, Ali
234 Ali Boumendjel

Boumendjel, Mohand Selhi et Abdelmalik Amrani ont en


commun d’être éduqués, et d’avoir atteint des professions
qui, une génération plus tôt, étaient interdites à la population
colonisée ; leur français est irréprochable. Abel Farnoux insiste
dans le cas d’Amrani sur la difficulté de ce parcours  : le direc-
teur de l’usine de la SFRA avait encouragé son employé et ami
à devenir ingérieur-maison et lui avait donné des responsabilités
malgré une virulente opposition au sein de l’entreprise87.
En cela, le sort de Boumendjel diffère de celui de Larbi Ben
M’hidi, capturé peu de temps après lui : officiellement, le respon-
sable du FLN s’est pendu dans sa cellule dans la nuit du 3 au
4 mars 1957. Dans ses mémoires, Paul Aussaresses affirme avoir
lui-même organisé la pendaison sur les ordres du général Massu88.
Or Ben M’hidi est aisément localisable au sommet de l’organi-
gramme du FLN : il est membre du CCE du FLN. Dans le cas de
Boumendjel, les liens sont moins nets avec le Front, ils doivent
être construits, précisés par les tortionnaires. Et surtout, les
militaires doivent parvenir à gauchir l’image d’homme politique
qui lui colle à la peau. On verra que la tâche s’avère complexe.
L’affaire Boumendjel participe d’une double dynamique.
D’une part l’élargissement de l’offensive contre de nouveaux
segments de la population jusque-là épargnés, avec une agres-
sivité et un mépris particulier à l’égard du monde du contact
et des intellectuels. D’autre part, la nécessité de justifier cette
offensive en associant les personnalités mises en cause à des actes
de brigandage et de terrorisme. C’est sans doute la dimension la
moins connue de la « bataille d’Alger » que cette charge, menée
sous couvert de renseignement et de lutte antiterroriste, contre
les intellectuels et les politiques du mouvement national. Quelles
en sont les motivations ? Dans la logique d’une guerre qui a la
population civile comme enjeu, il s’agit vraisemblablement de
gagner les élites urbaines –  et pour cela de s’en prendre direc-
tement à l’un d’entre eux pour les terroriser.
Par ailleurs, s’attaquer aux intellectuels, c’est faire disparaître
de la scène ceux qui peuvent conférer au FLN l’image d’un
mouvement politique, et nourrir ainsi la contestation en métro-
pole des méthodes de l’armée. L’attaque lancée en février 1957
L’affaire Boumendjel 235

sanctionne en quelque sorte la conjonction entre le FLN et les


leaders des partis politiques, progressivement effectuée sous
l’autorité d’Abbane Ramdane, et dont Ali Boumendjel avait été
l’un des acteurs.

Quand la justice est impuissante. – L’affaire Boumendjel met en


relief les rapports difficiles entre l’armée et les autorités civiles en
ce début d’année  1957. Certains fonctionnaires ne se sont pas
résignés à céder leur autorité aux parachutistes et ont cherché
à concilier le pouvoir militaire et le respect des principes de la
justice. Le secrétaire général chargé de la police à la préfecture
d’Alger, Paul Teitgen, dispose d’un seul outil  : l’assignation à
résidence, dont Pierre Vidal-Naquet décrivait le fonctionnement
dès 1959 :

En assignant systématiquement tous les prisonniers des


militaires, on pouvait espérer savoir au moins qui était
détenu : en assignant à résidence les personnes arrêtées, dans
les locaux mêmes occupés par les militaires, on ne pouvait
empêcher la torture et l’assassinat qui étaient un état de fait,
on pouvait au moins connaître les responsables89.

Aussaresses témoigne que cette procédure a été mise en


place lors d’une concertation entre Teitgen et Massu. Selon le
bâtonnier Perrin, l’avocat est assigné à résidence au camp de
Berrouaghia, dès le 13  mars, avec quatre autres avocats 90, et
l’on voit bien, dans le passage cité plus haut, que Boumendjel
lui-même en est informé lors de la visite du bâtonnier. Dans ces
conditions, Fossey-François ne peut faire autrement que d’inclure
l’assignation à résidence dans le dossier qu’il constitue après la
mort de Boumendjel :

Préfecture d’Alger, police générale, 2e bureau, n° 4326 UR/PG2


Vu le décret n° 56-274 du 17 mars 1956 :
Vu l’arrêté de M.  le ministre Résidant en Algérie du
décembre  1956, portant délégation aux Préfets des
départements d’Algérie et IGAME de certains pouvoirs prévus
par le décret du 17 mars :
236 Ali Boumendjel

Considérant que l’activité de Boumendjel Ali, demeurant


2 rue Vialar à Alger,
S’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre public :
Sur proposition de M. Le secrétaire général de la police
Arrête :
Art. premier  : Est prononcée l’assignation à résidence
surveillée à Berrouaghia de Boumendjel Ali.
Art. 2 : MM. le Secrétaire général pour la police, les Préfets et
Tizi-Ouzou, Médéa et Orléansville, le Général commandant
la zone opérationnelle de Kabylie, les Sous-Préfets, les Maires
et Administrateurs, le Colonel commandant la Xe Légion de
Gendarmerie, les Commissaires centraux et les Commissaires
de police sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de
l’exécution du présent arrêté.
Alger, le 13 février 1957,
Pour le préfet. Signé Teitgen91.

Comme à son habitude, Paul Teitgen a antidaté le document


dans une vaine tentative de protéger le détenu et d’obliger les
militaires à rendre compte de toute la durée de sa détention.
Le cas de Boumendjel souligne bien l’inefficacité du système à
sauver les personnes séquestrées par les parachutistes.
Déjà dans une lettre datée du 1er  mars 1957, le procureur
général Jean Reliquet avait écrit à l’IGAME (inspecteur général
de l’administration en mission extraordinaire, le « super-
préfet » d’Alger). Il citait un article de L’Écho d’Alger intitulé
« Le capitaine Leborgne contre Maître Boumendjel » et faisant
état d’une « bande commandée par Me Boumendjel », qui
aurait commandité des assassinats et des attentats 92. Reliquet,
nommé par François Mitterrand, n’était guère en bons termes
avec le gouverneur général de l’Algérie, Robert Lacoste. Il ne
s’entendait guère avec le général Massu non plus, lui ayant
refusé, en janvier  1957, le concours de la police judiciaire 93,
dans l’idée de maintenir, autant que possible l’indépendance
de la justice.

Or, écrivait-il dans sa lettre si l’information ci-dessus, publiée


semble-t-il sur les indications du Colonel Fossey-François,
L’affaire Boumendjel 237

Commandant le 2e RPC, est exacte, Maître Boumendjel, chef


d’un groupe d’assassins et d’incendiaires, doit être déféré sans
retard au parquet, afin qu’il rende compte de ses crimes94.

En conséquence, il exige d’être renseigné sur les faits repro-


chés à Boumendjel. Pourtant, malgré leurs efforts, les autorités
civiles sont dans l’incapacité de s’assurer de la personne
de Boumendjel à sa sortie de l’hôpital. Les informations
commencent pourtant, avec un décalage de quelques jours
et de nombreuses approximations, à filtrer dans la presse. Le
14 mars 1957, dans un article du Monde concernant la mort de
Ben M’hidi, le 5  mars, et intitulé « Suicide à Alger », Philippe
Émeric fait le parallèle entre le prétendu suicide de Ben M’hidi
et la « tentative de suicide » de Boumendjel. Il remarque que
tous deux auraient en commun d’avoir d’abord livré de specta-
culaires aveux  :

Ali Boumendjel aurait admis être le chef FLN dans la région


sud d’Alger et en même temps responsable du « collectif »
d’avocats chargés de la défense des inculpés nationalistes. […]
Ainsi apparaît-il d’une manière évidente qu’on a voulu
obtenir par la force de Maître Ali Boumendjel des déclarations
susceptibles de justifier a posteriori l’arrestation des avocats
musulmans, israélites et européens qui s’étaient effectivement
constitués en équipe pour assurer quasi bénévolement la
défense de tous les inculpés politiques.

Les modalités de circulation de l’information durant cette


affaire sont révélatrices. On a vu le procureur général Reliquet
citer L’Écho d’Alger. Les militaires semblent en effet considérer
la presse comme un interlocuteur privilégié qu’il faut régulière-
ment informer, tandis que la justice est laissée dans l’ignorance.
Ainsi, dans Le Figaro, les informations publiées quotidiennement
à propos des arrestations et des aveux des uns et des autres
proviennent de toute évidence de conférences de presse données
par Fossey-François en personne. Ainsi le 15  février 1957, un
article, qui est intitulé « Le chef des terroristes d’Alger arrêté »,
raconte l’arrestation de Boumendjel :
238 Ali Boumendjel

Alger 14 fév. – Plusieurs arrestations importantes ont eu lieu,


hier, à Alger. La 1re concerne Me Mahieddine Djender, avocat
algérois, beau-frère du policier Ousmer Mohand.
Une perquisition, effectuée chez l’avocat, a apporté de
précieux enseignements et a permis d’établir qui est le chef
de l’organisation terroriste d’Alger et de sa banlieue.
Les documents saisis conduisirent à une 2e  arrestation
retentissante, celle de Me Ali Boumendjel, frère de
M.  Ahmed Boumendjel, conseiller de l’Union Française.
C’est par l’intermédiaire de son beau-frère, nommé
André-Maurice Amrani, cafetier maure à Birmandreis et
responsable personnellement d’au moins cinq attentats, que
M. Boumendjel faisait parvenir des armes aux terroristes.
Trois autres avocats, MM.  Bentoumi, Smadja et Guedj,
ces deux derniers Français ont fait l’objet d’une mesure
d’internement administratif95.

Le 1er  mars, Fossey-François confirme en conférence de presse


l’arrestation du leader syndicaliste Aissat Idir et de Larbi Ben M’hidi
et informe la presse des opérations en cours, fournissant aux journa-
listes une version dont il n’est guère certain qu’il y croit lui-même.

[Fossey-François] a révélé surtout que ses paras avaient


découvert le réseau de télécommunications du FLN et le
trafic invraisemblable qui s’effectuait dans une usine de radio
travaillant pour la défense nationale96.

La lecture de la presse indique très clairement que tous les


journalistes ont accès à la même source d’information, les termes
utilisés par Fossey-François se retrouvant cités, avec plus ou
moins de distance, dans les différents titres. Au fil des jours,
le cas Boumendjel s’alourdit avec des « aveux » de plus en plus
spectaculaires. Le 1er  mars 1957, Le Monde indique, suite à la
conférence de presse, que

[t]outes les cellules sont maintenant démantelées, a conclu le


colonel : 20 % de leurs membres sont européens. 200 hommes
sont arrêtés. Parmi eux se trouvent les éléments composant
L’affaire Boumendjel 239

le groupe que dirigeait Me Ali Boumendjel, lequel aurait un


rôle particulièrement important97.

Le 11  mars, Le Figaro titre encore  : « Me Boumendjel avoue


avoir été le chef politique du FLN pour Alger-sud ».

Alger 10  mars –  il y a quelques jours ; plusieurs avocats


du barreau d’Alger étaient appréhendés et assignés à
résidence. Parmi eux, Me Boumendjel, qui a subi samedi un
interrogatoire au cours duquel il a reconnu avoir été un chef
du FLN dans la région d’Alger-sud. Dépendant directement
de Benkhedda, d’un des cinq membres du comité central
exécutif, il récupérait les fonds, rédigeait les synthèses des
rapports politiques établis par deux autres avocats, MM. Sator
Kaddour et Hadj Hammou, et contrôlait l’activité des trois
confrères Bonmelah [sic], Bentoumi et Rebani, chargés de
la défense des membres du FLN dans le secteur politique98.

La communauté de sources apparaît également lors de l’annonce


du « suicide » de Larbi Ben M’hidi, lorsque les différents journaux
évoquent de concert la « dépression » profonde du leader du FLN
suite à l’échec de la grève, pour expliquer sa pendaison en cellule99.
Les journalistes disposent d’un autre interlocuteur en la
personne de Michel Gorlin, le porte-parole du ministre résidant
Robert Lacoste. Il y a là quelque chose de paradoxal, dans la
mesure où le ministre représente l’autorité civile et fait preuve,
nous le reverrons, d’un manque total d’information concernant
Ali Boumendjel, comme dans d’autres cas. C’est Michel Gorlin
lui-même qui annonce aux journaux le « suicide » de Larbi Ben
M’hidi dans la nuit du 3 au 4  mars 1957100. Dans l’ensemble,
les informations de France Observateur selon lesquelles la justice
n’avait pu se faire livrer le prisonnier, ni même obtenir des
renseignements concernant son incarcération, sont confirmées
par le rapport de la Commission de sauvegarde :

Cependant, le procureur n’était encore averti que par les


journaux. Dès le 1er  mars, le procureur général écrivit au
préfet pour lui demander des éclaircissements (annexe n° 4).
240 Ali Boumendjel

À la sortie de l’hôpital, le 4 mars, Boumendjel était « repris


en compte » par le 2e bataillon de parachutistes coloniaux et
incarcéré dans les locaux du 19e génie. Le procureur général
écrivit de nouveau pour le réclamer, le 14  mars (annexe
n°  5) ; ce fut en vain. Le même jour on faisait seulement
savoir au secrétaire général à la police qu’il avait été remis
à la DST101.

Il semble donc que Boumendjel fasse de nouveau un séjour


chez les parachutistes dans les locaux du génie à Hussein Dey
avant d’être conduit au siège de la DST, situé à Bouzarea102.
Ce séjour dans les locaux de la DST n’est confirmé par aucune
autre source.
Devant le silence obstiné des militaires et l’ampleur grandis-
sante des révélations, le procureur général Reliquet se voit dans
l’obligation d’écrire une seconde lettre à l’IGAME le 14 mars. Il
y reprend les informations de L’Écho d’Alger daté du 10-11 mars
1957 pour en souligner les incohérences et les erreurs. Il insiste
sur la date supposée des aveux, le 8 mars.

Cependant, ajoute-t-il, à la date de ce jour, 14  mars,


M.  Boumendjel, bien qu’ayant reconnu une série de
crimes graves, n’a pas encore été présenté aux services
de Police, seuls qualifiés pour établir une procédure
d’enquête officieuse, et, ni le Parquet d’Alger, ni mon
Parquet Général n’ont été informés autrement que par la
voie de la presse des responsabilités extrêmement graves
encourues par  lui 103.

Il exige encore une fois d’être informé sur le sort de l’avocat


et demande que celui-ci soit remis aux services de police.

Les aveux. – Parmi les proches de Boumendjel, nombreux sont


ceux qui soulignent sa résistance face à la torture, insistant sur
le fait qu’il n’a pas dit un seul mot. Serge Michel raconte ainsi
comment son personnage, Serge Troisième-Collège, apprend la
mort de son ami, en Suisse, de la bouche d’un certain Saïd, dans
l’entourage de Ferhat Abbas :
L’affaire Boumendjel 241

— Ali l’avocat, dit-il pour parler d’autre chose, c’était


ton ami ?
— Il l’est toujours.
— Il est mort. Tu savais qu’il avait été arrêté. Ils l’ont
assassiné. Ils l’ont torturé pendant des semaines. Il n’a rien
dit. Ils lui ont tailladé la gorge. Ils lui ont enfoncé ses lunettes
dans les yeux. Ils l’ont rendu aveugle. Ils l’ont attaché avec
une chaîne à la table des officiers qui lui jetaient des os.
Pour finir, ils l’ont poussé du haut d’une terrasse. C’était le
meilleur de nous tous104.

On voit comment le récit de Saïd compose avec divers


éléments : on y retrouve les lunettes, dont la presse a expliqué
que les verres ont servi à sa « première tentative de suicide ».
« Ils » l’ont rendu aveugle. C’était le meilleur de nous tous. Nous
sommes bien ici dans la narration d’un martyre, et dans ce
martyre, le silence gardé par le prisonnier joue un rôle central.
Ils l’ont torturé pendant des semaines. Il n’a rien dit. Cette préci-
sion m’a également été donnée par les membres de la famille
Boumendjel au cours de notre première rencontre comme une
sorte de préalable à toute discussion. L’argumentaire de légiti-
mation de la torture, l’affirmation selon laquelle elle est destinée
à faire parler, sont donc intériorisés par ceux-là même qui en
sont les victimes105. Le silence est alors la résistance du héros
soumis à la torture.
Or, à la lecture de la presse et du compte rendu des inter-
rogatoires rédigé par les militaires, il semble, au contraire, que
Boumendjel a « avoué » toutes sortes de choses : chef de la cellule
FLN de Birmandreis, il aurait monté la cellule FLN au sein de
la SFRA (la Société française de radio-électricité) tout en étant
responsable du Collectif des avocats du FLN. Le compte rendu
des interrogatoires laisse entendre l’existence d’informations
extérieures sans jamais en préciser la nature  : « Les éléments
prouvant que l’ancien avocat avait, dans le mouvement du
FLN, un rôle plus important qu’il ne l’admettait ne purent avoir
leur complète et rapide exploitation » par suite de la première
tentative de suicide, indique-t-on par exemple106. Tout apparaît
242 Ali Boumendjel

donc fondé sur les « aveux », qui s’amplifient au fil du texte  :


Boumendjel aurait avoué être le chef de la région Alger-sud,
dépendre directement de Benkhedda qui aurait fait de lui son
chef d’état-major.
Ce sont ces informations extorquées au cours des interroga-
toires qui sont fournies aux journalistes par les militaires afin de
justifier de l’avancement de leurs opérations et de la poursuite
de leur détention, avant de provoquer des années plus tard leurs
sarcasmes  : Aussaresses, on l’a dit, accusait même Boumendjel
de mégalomanie dans ses mémoires107.
Les archives militaires consultables ne comportent qu’une
photographie de deux feuillets manuscrits et signés par
Boumendjel :

J’étais le chef de la région Alger-sud pour les questions


financières et politiques. Je dépendais directement de
Benkhedda. J’avais trois fonctions, depuis novembre 1956 :
La première consistait à recevoir les fonds mensuellement et
à les verser immédiatement à Benkhedda. J’étais pour cela
en relation avec Oussedik Tahar et Oussedik Said qui avaient
été avisés par une filière que j’ignore, Benkhedda s’en était
chargé.
La deuxième consistait à faire la synthèse des rapports
politiques qui m’étaient en même temps donnés. Mais c’était
surtout Sator Kaddour et Hadj Hamou qui étaient chargés
du travail politique à me remettre.
Enfin, j’avais la charge de superviser ce qui a été appelé
le collectif d’avocats. J’étais en contact avec Benmelha,
Bentoumi, Rebbani et Hadj Hamou. Ils devaient organiser
entre eux la défense des détenus dits politiques, prendre les
noms de ceux qui étaient présentés au Parquet. La liste des
inculpés présentés et ceux défendus m’était remise soit par
Bentoumi soit par Hadj Hamou. Je le remettais moi-même
à Benkhedda. Il était entendu qu’une somme de 25 000 F
était versée à chacun pour les défrayer de leurs dépenses,
mensuellement et forfaitairement.
[Signature de Boumendjel]
DÉCLARATION FAITE ET SIGNÉE PAR MAITRE BOU
MENDJEL [sic] LE 8 MARS 1957.
L’affaire Boumendjel 243

Un sort particulier doit être fait à ces « aveux » concernant le


Collectif des avocats. Lors de mon séjour à Alger, la rencontre de
maître Mohammed Hadj Hamou puis de maître Amar Bentoumi,
tous les deux membres du Collectif, infirme l’hypothèse selon
laquelle Ali Boumendjel aurait été en charge du Collectif. L’un
et l’autre m’expliquent le fonctionnement de l’organisation et
son système de financement, mais précisent qu’Ali Boumendjel
défendait les militants de façon plus indépendante, occupé qu’il
était à d’autres tâches. Comment alors expliquer la nature extrê-
mement précise des aveux dont font état les militaires ? C’est
Amar Bentoumi qui me fournit l’explication, tout en répétant :
« Il m’a sauvé la vie. »
Bentoumi me raconte en effet lors de notre entretien qu’il
a été arrêté, comme les autres avocats du Collectif, dans les
jours qui suivent l’arrestation de Boumendjel. Lorsqu’il est enfin
conduit devant le juge d’instruction, longtemps après la mort de
son ami, il bénéficie d’une chance extraordinaire : le juge est une
connaissance, qui choisit de quitter la pièce, laissant quelques
instants à Bentoumi pour compulser l’épais dossier placé sur son
bureau, et qui contient notamment l’ensemble des déclarations
de Boumendjel. Bentoumi n’a pas le temps de tout regarder,
mais dans la précipitation, il lit une partie de ce qui concerne
le Collectif. Il en lit suffisamment en tout cas pour comprendre.
Et il est de nouveau submergé par l’émotion en le racontant  :
Boumendjel a en effet endossé dans ses aveux toutes les respon-
sabilités qui étaient celles de son ami Bentoumi, et dont il était
tenu au courant au cours de leurs rencontres régulières108. La
connaissance de ces aveux et la sollicitude du juge permettent
à Bentoumi de nier toute responsabilité et d’éviter une lourde
condamnation. Il ajoute que l’affaire Boumendjel a également
protégé ses confrères  : les articles de presse montrent l’inquié-
tude suscitée par l’arrestation des autres avocats après la mort
de Boumendjel, et les manifestations de soutien de la part des
collègues métropolitains se multiplient109. Selon Bentoumi, c’est
ce qui leur a sauvé la vie, obligeant les militaires à les conduire
devant un juge d’instruction avant de les assigner à résidence
dans un camp.
244 Ali Boumendjel

Raphaëlle Branche et Françoise Sironi analysent les mécanismes


de la torture pour affirmer qu’elle n’est pas en fait destinée à
faire parler, mais bien davantage à faire taire les victimes 110.
Elles montrent comment la confusion créée dans la situation
de détention et de torture conduit à la sidération ou, au mieux,
à une parole dénuée de toute validité. On sait par exemple
les instructions données par le FLN pour résister à la torture
par le silence  : ne pas parler pendant 24  heures afin de laisser
aux réseaux le temps de se réorganiser. Ici c’est autre chose  :
victime de diverses formes de tortures (a minima l’isolement
et les menaces sur son épouse), Boumendjel ne se tait pas  :
il y a même du vrai dans ce qu’il décrit, puisqu’il donne une
description exacte du fonctionnement du Collectif des avocats…
à ceci près qu’il s’attribue des responsabilités qui ne sont pas
les siennes. Loin d’être réduit à l’état de victime, il conserve un
degré de contrôle sur sa parole et demeure agissant : sa stratégie
apparaît désespérée et sacrificielle, qui mise sur ses chances de
mourir pour tenter de sauver l’un des siens.
Que sait-on sur les autres « aveux » de Boumendjel ? Peu de
choses en vérité. Y a-t-il du vrai dans les accusations que portent
contre lui les militaires ? Il est difficile de le dire. Certaines
accusations ont été élaborées avant même que Boumendjel
ait été interrogé. L’hypothèse d’une cellule terroriste apparaît
ainsi très fragile. Mais encore une fois, seul le témoignage des
personnes concernées, notamment André Amrani, permettrait
de s’en assurer. Or, le frère de Malika a « disparu » durant sa
séquestration par les parachutistes. En dehors des « aveux »
concernant le Collectif, dont on sait que Boumendjel les a signés
et dont on comprend la logique, les militaires ont donc fait état
d’aveux spectaculaires qui faisaient de lui le chef FLN dans la
région sud d’Alger et le conseiller de Benkhedda produisant des
synthèses politiques. Boumendjel a-t-il « avoué » tout cela sous
l’effet de la torture ? Les parachutistes l’ont-ils progressivement
élaboré, pour se justifier face à la presse ou pour se leurrer eux-
mêmes ? L’on est tenté de tout balayer d’un revers de main. Mais
on ne peut oublier de Boumendjel était effectivement en contact
avec Abbane Ramdane, puis avec Benkhedda. Lui seul aurait pu
L’affaire Boumendjel 245

confirmer la nature de leur collaboration. Ali kan ma’a-na. Ali


était avec nous, s’est-il contenté de dire à Amar Bentoumi avant
de mourir111. Sans autre précision.

L’assassinat
Dans son numéro du 24-25 mars 1957, l’Écho d’Alger
titre à la une  : « Me Boumendjel s’est suicidé en se jetant de
la terrasse d’un immeuble ». À partir du 26, l’information est
reprise dans la presse métropolitaine. Ainsi dans Franc-Tireur :

On sait que Me Ali Boumendjel, avocat à la cour d’appel


d’Alger, accusé d’être l’un des chefs rebelles de la région,
arrêté le 9  février dernier par les parachutistes, a trouvé la
mort samedi en se jetant du sixième étage d’un immeuble
où il était détenu. Telle est la version officielle qui précise
aujourd’hui que Me Boumendjel, traversant une terrasse,
tenta de sa précipiter dans le vide ; son pied s’étant coincé,
il resta couché au bord du terre-plein ; le lieutenant qui
l’escortait voulut le relever, mais, déclare le correspondant
de l’AFP, le prisonnier essaya d’entraîner l’officier avec lui.
Ce dernier réussit à se dégager et Boumendjel s’écrasa alors
sur le sol112.

La même version se retrouve à l’identique dans plusieurs


journaux, suggérant une source militaire unique. Henri Alleg
raconte comment, dans son entourage, on ne s’est fait aucune
illusion sur le fait que Boumendjel avait été « suicidé113 ». Une
note de renseignement datée du 25 mars est d’ailleurs adressée à
l’IGAME pour l’informer des « réactions de la population musul-
mane » à la nouvelle du suicide d’Ali Boumendjel114 :

Milieux modérés et intellectuels.


Ces milieux affirment qu’il ne s’agit, en la circonstance, non
pas d’un suicide, mais uniquement d’une « exécution ». Il
est impensable, ajoute-t-on, que Ali Boumendjel se soit
volontairement donné la mort. « A-t-on souvent vu faire
passer un inculpé de terrasse à terrasse pour éviter de le montrer
246 Ali Boumendjel

à la population. » « Comment se fait-il que Boumendjel,


arrêté depuis plus d’un mois, qui avait avoué toutes sortes
de participations à la rébellion, se soit trouvé encore entre
les mains des parachutistes ? » « Que fallait-il encore qu’il
avoue ? »

C’est donc Aussaresses qui confirmait, en 2001, les soupçons


existant depuis la mort d’Ali Boumendjel 115. Selon sa version
des faits, la question de savoir que faire de l’avocat est évoquée
au cours d’une réunion à laquelle assistent le général Massu,
le colonel Fossey-François, le lieutenant-colonel Trinquier et
le commandant Aussaresses. Pourquoi se débarrasser de lui ?
Pour Aussaresses, certainement pas pour camoufler les traces
de tortures, puisqu’aussi bien, Boumendjel avait fait ses aveux
« sans difficulté – et sans qu’il soit nécessaire de le soumettre au
moindre sévice116 ». Après avoir affirmé que Boumendjel a avoué
à la fois l’organisation d’un attentat et « un rôle effectif et impor-
tant au FLN », Aussaresses présente le raisonnement suivant :

Compte tenu de sa notoriété, la solution la moins risquée


était évidemment de transférer l’avocat à la Justice, ce qui
lui garantissait l’impunité. Nous ne pouvions guère retenir
contre lui que le minimum : le fait d’avoir fourni une arme.
Il y avait bien une complicité avouée d’assassinat, mais
il ne faisait guère de doute que, sitôt présenté à un juge
d’instruction, il se rétracterait et serait remis en liberté après
que son frère aurait passé quelques appels téléphoniques117.

La mémoire collective des militants et des prisonniers explique


l’assassinat de Boumendjel par les militaires comme une néces-
sité, liée à son état physique extrêmement délabré à la suite
des tortures subies118. Selon eux, la justice se faisant de plus en
plus pressante, l’armée ne pouvait ni continuer à dissimuler
le prisonnier, ni présenter un homme portant les marques de
torture. L’éliminer était alors la seule solution.
Pourtant, l’itinéraire de Boumendjel a croisé une fois de
plus celui de son beau-frère Djamal Amrani, dans les jours qui
précèdent sa mort, dans le bâtiment d’El Biar. Le souvenir de
L’affaire Boumendjel 247

Djamal Amrani est confus quant aux dates, mais il raconte


comment on lui a laissé voir à travers une lucarne alors qu’il
est lui-même déplacé d’un lieu à l’autre. Sa nervosité au moment
de l’entretien m’empêche de lui demander des détails, mais il est
catégorique : à ce moment-là, Boumendjel avait été torturé et il
était suffisamment mal pour ne pas le voir et le reconnaître119.
Aussaresses attribuait dans ses mémoires à son supérieur Massu
l’ordre implicite de se débarrasser de l’encombrant détenu. Le
commandant transmet alors à un subalterne l’ordre, également
sous-entendu, de le pousser dans le vide lors de son transfert
d’une partie du bâtiment à l’autre par une terrasse située au
6e étage. Il n’évoque pas la question de la rédaction du rapport
concernant la mort de Boumendjel, ni celle de savoir qui a
inventé la version romancée et pleine de rebondissements reprise
dans la presse au lendemain de la mort. Il est particulièrement
brumeux en ce qui concerne l’ordre de tuer. La responsabilité du
général Massu n’y apparaît pas clairement  : un ordre implicite
est donné par Massu et transmis, toujours implicitement, par
Aussaresses au « lieutenant D. », diluant la prise de décision entre
les deux officiers. Son récit de la mort de Boumendjel différait
nettement de la version militaire. Il s’est adressé au lieutenant D.
qui ne saisit pas immédiatement la teneur de l’ordre qu’il reçoit :

— Vous allez chercher votre prisonnier et, pour le transférer


dans le bâtiment voisin, vous empruntez la passerelle du
6e étage. J’attends en bas que vous ayez fini. Vous me suivez
mieux maintenant ?
D.  hocha la tête pour me montrer qu’il avait compris. Puis
il disparut.
J’ai attendu quelques minutes.
D.  est revenu, essoufflé pour m’annoncer que Boumendjel
était tombé. Avant de le précipiter du haut de la passerelle,
il l’avait assommé d’un coup de manche de pioche derrière
la nuque120.

Comme la justice, c’est à travers la presse que les familles


Boumendjel et Amrani apprennent la mort d’Ali. Djamal
248 Ali Boumendjel

Amrani, attendant le trolleybus, lit le titre de La Dernière Heure


le dimanche matin  : « Me Boumendjel se serait suicidé ». Il se
précipite chez son frère Abdelmalik au Ruisseau où il trouve
sa sœur Malika et l’épouse d’Abdelmalik, réunies dans l’afflic-
tion de n’avoir, ni l’une ni l’autre, de nouvelles de leurs époux
arrêtés121. La famille est dévastée par la nouvelle. Le père d’Ali,
Mohand, brisé, s’efforce d’empêcher l’aîné, Ahmed, anéanti par
la culpabilité, de se précipiter à Alger. Malika raconte la suite :

Deux médecins, les docteurs Belkacem Aït Ouyahia et


Mahmoud Issad, alliés de la famille ont été sollicités pour
la reconnaissance du corps.
Il fallait attendre la remise du corps, cinq longs jours depuis
la funeste nouvelle. Aux gens qui nous téléphonaient pour
s’enquérir des modalités de l’enterrement, nous répondions
qu’il ne fallait pas bouger à aucun prix, la situation étant si
explosive, que nous redoutions une émeute122.

Les deux médecins affirment que si elle voit le corps de


son mari, elle perdra la raison. En 2003 à Alger, Belkacem Aït
Ouyahia me raconte cette reconnaissance avec émotion. Il s’est
rendu à l’hôpital Maillot, dans une atmosphère très tendue  :
le corps est allongé et couvert d’un drap. Il constate que le
visage de son oncle est devenu noir. À la recherche de détails
indiquant quelles tortures Boumendjel aurait subies, et pour
vérifier certaines affirmations de la famille, je lui demande s’il a
été autorisé à voir le reste du corps. Il rit d’un rire sans joie, et
passe instantanément au tutoiement, comme pour sanctionner
affectueusement mon incommensurable naïveté  : non, évidem-
ment. Tu es bien jeune123…
Afin de trouver de possibles contradictions, et parce que mon
témoin est un médecin qui a pratiqué à Alger, je lui fais lire
le rapport de l’autopsie ordonnée par le préfet. L’examen est
mené le 25 mars 1957 par trois médecins, en présence du juge
d’instruction, du médecin chef de l’hôpital militaire Maillot,
d’un médecin commandant et du médecin chef du centre de
neuropsychiatrie de la Xe RM 124. Clairement, il s’agit, par la
L’affaire Boumendjel 249

convocation d’un tel aréopage, de donner à l’affaire un caractère


incontestable, ce dont s’amuse Belkacem Aït Ouyahia. Le rapport
indique diverses marques aisément explicables  : une cicatrice
sur le ventre, « séquelle probable d’une brûlure de l’enfance »,
est en fait la grave brûlure occasionnée par la glace appliquée
durant la fièvre typhoïde contractée immédiatement après la
Seconde Guerre mondiale. Les médecins observent également
les plaies sur les poignets et le cou, liées à la première « tenta-
tive de suicide » de Boumendjel. Ils notent ensuite l’absence
de lésion cutanée révélatrice d’une lutte, notamment l’absence
de contusions de défense sur les mains. Ils relèvent par ailleurs
les fractures multiples (fractures des côtes, dislocation de la
boîte crânienne) et l’écrasement ou l’éclatement des organes,
« l’énorme délabrement profond est l’œuvre d’un traumatisme
extrêmement violent, hors de proportion avec les seules forces
humaines ». Car l’objectif est bien de démontrer que personne
n’a assassiné Ali Boumendjel. Les conclusions sont d’ailleurs
construites dans cette direction : d’une part, « le sujet était vivant
au moment de la chute » ; d’autre part « la mort est consécutive à
la chute d’un lieu élevé », un « mode de mort […] le plus souvent
le fait d’accident ou de suicide ». Par ailleurs, « l’absence de traces
de lutte et de lésions de défense élimine l’hypothèse d’une action
agressive quelconque ». Mais le rapport rappelle également la
première « tentative de suicide », avant d’en conclure définiti-
vement : « Tous les arguments actuellement en notre possession
convergent pour entraîner la conviction d’un suicide par chute
d’un lieu élevé. »
Tous ces médecins, dont quatre sur les six sont des médecins
militaires, concluent donc que Boumendjel s’est suicidé, et que
son corps ne présente aucune trace de torture : en effet, la préci-
sion des observations n’a pas pour seul but de déterminer la cause
de la mort, mais de dédouaner les parachutistes d’une éventuelle
accusation de torture. Pour autant, un point demeure troublant :
la description des blessures à la tête indique que Boumendjel a
frappé le sol de face, la tête en avant. Le rapport ne note cepen-
dant aucune des fractures de protection aux bras et avant-bras,
généralement causées par un réflexe de défense en cas de chute,
250 Ali Boumendjel

y compris dans les cas de suicide. En d’autres termes, Boumendjel


était probablement inconscient au moment de sa chute. A-t-il effecti-
vement été frappé derrière la nuque par le lieutenant D., comme
le prétendait Aussaresses ? Nulle trace du coup porté n’est relevée
par le rapport d’autopsie, dont les auteurs s’efforcent au contraire
de nier toute possibilité d’agression. Était-il, alors, inconscient
du fait de mauvais traitements avant d’être jeté du haut de
l’immeuble ? Quoi qu’il en soit, le rapport se veut uniquement
la preuve qu’aucune torture n’a été infligée et omet de démontrer
la conscience du sujet au moment de son « suicide », devenant
ainsi l’indice le plus probant de son assassinat.
La famille est autorisée à récupérer le corps d’Ali Boumendjel
à l’hôpital : il est déjà dans un cercueil fermé lorsque Malika le
voit. Il est transporté jusqu’au cimetière en ambulance, dit-elle ;
elle-même est déposée à la maison. L’enterrement au cimetière
Sidi Mohammed, expéditif, n’a laissé aucun souvenir, sinon
celui de la présence lourde des militaires, destinée à empêcher
l’émeute. Malika écrit simplement dans ses souvenirs : « Maître
Ali Boumendjel a rejoint sa dernière demeure en un quart
d’heure sans linceul ni prières125. »
La phrase est saisissante. Bien que le corps soit restitué à
la famille, bien que les obsèques –  certes rapides  – aient lieu,
bien qu’il y ait une tombe sur laquelle se recueillir et prier, elle
exprime le manque  : l’absence du linceul et des prières, c’est
l’absence du religieux au sens anthropologique du terme, c’est
l’absence du lien. Il faut se reporter à l’origine de cet énoncé
pour en restituer le sens. Sans faire techniquement partie des
disparus de la bataille d’Alger, Ali Boumendjel a symboliquement
disparu : sa séquestration de 43 jours et son isolement ont fait de
lui un homme ni vivant ni mort. Il fut al-gha’ib, l’absent. Alors
que la famille reste quasiment sans nouvelles, lui-même parie
sur sa propre mort, dans une stratégie sacrificielle qui consiste
à endosser les actions de l’un de ses proches afin de le sauver.
La répression sous forme de séquestration et de torture produit
donc cette déréliction en arrachant la matière même dont est
fait le tissu social. Boumendjel est mort sans lien, ni pour lui,
ni pour les siens, ni pour la société.
L’affaire Boumendjel 251

L’énoncé de Malika exprime la béance  : l’incomplétude de


la cérémonie bâclée ne lui permet pas de reconstruire le lien
–  si ancien, si fondamental  – que le sacré construit entre les
vivants et les morts126, lien arraché, donc, par la disparition. Ces
funérailles, tous en soulignent l’inadéquation parce qu’elles sont
impuissantes à remédier à cet arrachement, à cette déchirure.
Même les erreurs sont significatives : certains amis militants de
Boumendjel croient pouvoir affirmer que le corps n’a jamais
été restitué à la famille ; d’autres évoquent un cercueil plombé.
Ils ne font là qu’exprimer cette béance, l’impossibilité de la
combler, et la souffrance qui en résulte. Source extraordinaire
que celle-ci, qui donne à voir tout à la fois l’impact des pratiques
répressives sur le corps social algérien, à l’interface même entre
symbolique des pratiques de violence infligées et sidération de
ceux qui les subissent.

L’onde de choc…
Le décalage fut donc frappant entre l’abondance
d’informations présentées dans la presse au sujet d’Ali Boumendjel
et le manque d’information dont disposait en revanche la justice.
Que la presse algérienne et métropolitaine relate sa détention,
puis sa mort, ne suffit pas à lancer le scandale. C’est en fait
plusieurs jours après son supposé suicide que « l’affaire » se
déploie selon une fine mécanique.

La presse durant l’emprisonnement


Durant la détention d’Ali Boumendjel, les informa-
tions qui filtrent dans la presse d’Algérie proviennent de l’armée
relatant la version officielle des aveux et des deux « tentatives de
suicide ». Elles donnent une image confuse de l’avocat incarcéré :
fondateur du Collectif des avocats, en contact avec Benkhedda
qui l’a nommé responsable de la zone sud d’Alger127, il est à la
tête d’un réseau de terroristes chargés d’accomplir tous les mois
des attentats contre des Européens128 ; il est également en relation
avec son beau-frère, ingénieur de la SFRA pour détourner du
252 Ali Boumendjel

matériel au profit du FLN. Les titres accrocheurs se multiplient.


Dans L’Écho d’Alger du mardi 12 mars, on peut lire à la une :

Chef politique du FLN pour la zone Alger-sud


Me Boumendjel indiquait chaque mois aux « tueurs » le
nombre d’attentats à commettre.
Appréhendé et assigné à résidence il y a quelque temps,
Me Boumendjel a avoué samedi, au cours d’un interrogatoire,
ses activités au sein du FLN. […]
Le FLN, en novembre 56, l’avait chargé des questions
financières et politiques pour la zone d’Alger-sud. Il y assurait
quatre fonctions sous le contrôle direct de Benkhedda129 :
1re Récupérer les fonds collectés et les remettre à Benkhedda,
l’un des cinq membres du CCE ;
2e  Faire la synthèse de rapports politiques qui lui étaient
remis par deux avocats du barreau d’Alger : Me Sator Kaddour
(ancien délégué à l’Assemblée algérienne, actuellement
assigné à résidence à Berrouaghia) et Me Hadj Hamou
(actuellement en fuite).
3e  Superviser le « collectif des avocats », constitué par
Mes Sator, Bouzida, Benmelha, Bentoumi, Hadj Hamou, Iertal,
Rebbani… […] Ils adressaient une liste que Me Boumendjel
remettait régulièrement à Benkhedda.
La quatrième fonction relève du terrorisme urbain  :
Boumendjel désignait périodiquement le nombre de
personnes à abattre en un temps donné, […] le choix des
victimes étant laissé à l’appréciation des chefs de groupes.
Ces aveux faits samedi ont été signés par l’ancien avocat
algérois.

Si Boumendjel est présenté par la presse comme une grosse


prise dont l’arrestation, après celle de Ben M’hidi, valide la
stratégie de « pacification » utilisée par les parachutistes, il
apparaît également comme un terroriste, un assassin compromis
en outre dans des actes de basse délinquance, les deux éléments
participant de la même rhétorique. L’ostracisme dont la famille
Boumendjel est immédiatement victime de la part de ses voisins
européens dans les jours qui suivent son arrestation confirme
l’effet de tels articles sur une partie au moins des lecteurs.
L’affaire Boumendjel 253

En métropole, les journaux utilisent les mêmes sources que


leurs homologues d’Algérie. Peu de quotidiens remettent d’ail-
leurs en question les informations fournies par les militaires, la
plupart se contentant de relater sèchement les événements. C’est
parmi les hebdomadaires que le ton tranche. Pourtant, dans
un premier temps, L’Express reste étonnamment silencieux. Les
choses sont différentes à France Observateur : la revue est habituée
à critiquer la politique coloniale. Déjà en 1955, un article de
Claude Bourdet dénonçant l’utilisation de la torture en Algérie
avait fait scandale, sous le titre « Votre Gestapo d’Algérie 130 ».
Dans les premiers jours de la séquestration, le journal utilise le
conditionnel pour mettre l’information à distance et tente de
replacer les événements dans leur contexte. Dans le numéro du
21  mars, un article intitulé « Chasse aux avocats » tente égale-
ment de donner un récit plus construit de l’offensive contre les
défenseurs des militants arrêtés.
En fait, jusqu’après la mort de Boumendjel le 23  mars, les
choses ne s’emballent guère  : les journaux critiques s’inter-
rogent ; les autres relatent brièvement. Mais il n’y a pas encore
à proprement parler d’événement.

L’affaire Capitant-Boumendjel
Capitant fait appel à la presse. –  Le déclencheur sera
la spectaculaire décision de René Capitant, l’ancien ministre
de l’Éducation nationale du général De Gaulle de suspendre
ses cours à la faculté de droit de Paris en guise de protestation
contre la mort de Boumendjel. Il envoie copie de sa lettre à
plusieurs journaux qui subitement voient l’ampleur de l’événe-
ment. Le 29 mars, L’Express publie à la une la photographie de
René Capitant. Un long article en page  3 commence de façon
dramatique :

Ce corps disloqué, samedi dernier, au pied d’un immeuble


d’El Biar à Alger  : l’avocat Ali Boumendjel, détenu depuis
plus de 2 mois par les parachutistes du général Massu, vient
de tomber du 6e étage au moment où deux de ses gardiens le
254 Ali Boumendjel

conduisaient à un nouvel interrogatoire. Version officielle :


suicide.

Il cite ensuite des extraits de la lettre de Capitant à son ministre131 :

Tant que de telles pratiques –  auxquelles, même en


pleine guerre, nous n’avons jamais soumis les prisonniers
allemands  – sont prescrites ou tolérées contre les Algériens
par le gouvernement de mon pays, je ne me sentirai pas
capable d’enseigner dans une faculté de droit française.
J’interromprai donc mon cours.
Révoquez-moi, si vous le voulez, si vous le pouvez.
J’accueillerai avec satisfaction tout ce qui contribuera à
rendre publique ma protestation contre des faits susceptibles
de déshonorer la France si elle restait passive devant eux.

Pour l’hebdomadaire, la réaction de Capitant se confond avec


l’annonce de la mort de l’avocat et lui donne un relief spectacu-
laire. Capitant pose le problème sur le terrain de l’honneur de
la France, qu’il ne peut accepter de voir flétrir. Enfin, il rappelle
les valeurs de la Résistance, bafouées par les conditions de la
détention et de la mort de l’avocat.
La construction de l’article de L’Express, signé par Pierre
Vianson-Ponté, est révélatrice. L’auteur se demande quel lien
peut bien unir les deux hommes :

Surprenante solidarité  : que pouvait-il y avoir de commun


entre le grand juriste parisien, patriote, intransigeant,
gaulliste fidèle et le mort d’El Biar, ce petit avocat musulman
suspecté d’appartenir au FLN ?
Leurs routes pourtant s’étaient croisées, il y a 15 ans  : à la
faculté de droit d’Alger, en 1942. Au cours de droit public
que donnait René Capitant, déjà juriste de renom, il n’y avait
pas assez d’auditeurs musulmans pour qu’un élève studieux
et brillant comme Ali Boumendjel risque de passer inaperçu.

La stratégie rhétorique est fine, qui feint le paternalisme


colonial avant de faire de Boumendjel un homme brillant.
L’affaire Boumendjel 255

Jusque-là, Boumendjel était inconnu de l’opinion, comme Ben


M’hidi quelques jours auparavant. Mais sa relation avec le résis-
tant, le gaulliste et l’éminent juriste qu’est Capitant le sort de
l’anonymat. Et l’auteur de donner une version à la fois person-
nelle et intime de l’annonce du « suicide » d’Ali Boumendjel :

Samedi soir, René Capitant écoutait le bulletin d’information


à la radio quand la voix sèche, impersonnelle du speaker
annonça le suicide d’Ali Boumendjel.
Ali Boumendjel ! Cet étudiant appliqué qu’il avait longtemps
perdu de vue, après Alger, pour le retrouver quelques heures,
mûri et inquiet à la fois, en 1955, à la faveur d’une conférence
internationale.

Bien des années plus tard, lors de la publication des mémoires


du général Aussaresses en 2001, Jean Daniel rédigea à propos
du général tortionnaire un éditorial au Nouvel Observateur. Il y
évoquait son camarade de classe :

Je me trouve à Alger au printemps 1957. Il y a eu nombre


d’attentats et le général Massu, qui a obtenu de Guy Mollet
tous les pouvoirs, y fait régner un véritable état de siège. Mon
ami Albert-Paul Lentin, l’un des rares journalistes pieds-noirs
qui, avec moi, font une navette constante entre Tunis et
Alger, m’apprend qu’un professeur de droit, René Capitant,
qui va devenir plus tard ministre des gaullistes de gauche et
qui est en poste à l’université d’Alger, vient de l’alerter. Le
professeur Capitant se propose d’abandonner sa chaire pour
protester contre le traitement infligé à l’un de ses étudiants,
un nommé Ali Boumendjel. Je lui fais répéter le nom. Car
un Ali Boumendjel a été mon condisciple au Collège de
Blida, dans les classes animées par un grand professeur,
Marcel Domerc. Il s’agit bien de lui. Or Ali, je ne connais
que lui. Je sais qu’il y a partout des victimes du terrorisme.
Partout des arrestations, des disparitions, des tortures, des
exécutions. C’est la guerre. J’ai pris parti pour l’indépendance
de l’Algérie. Comme Albert-Paul Lentin. Mais ses parents
et les miens peuvent être victimes d’attentats. Nous nous
sentons doublement concernés. Sauf que cette fois, pour
256 Ali Boumendjel

la première fois, la victime a un visage, un homme avec


lequel j’ai partagé des souvenirs, que j’ai revu et dont je suis
persuadé qu’il n’a pu faire qu’une résistance propre. En tout
cas, c’est l’un des miens. C’est lui que l’on a torturé pendant
au moins deux semaines et dont on annonce le suicide. Je
ne supporte pas. J’alerte d’abord mon journal et Jean-Jacques
Servan-Schreiber132.

La mention de divers noms est révélatrice : Jean Daniel a été


le camarade de classe de Boumendjel, ils sont restés en contact
depuis ; son collègue, ami et camarade Lentin a été l’ami de
Boumendjel et son camarade au sein du Mouvement mondial
de la paix. Il est question de Marcel Domerc que les différents
protagonistes ont en commun de connaître et d’admirer. C’est
donc un entrelacs de relations amicales, intellectuelles ou profes-
sionnelles qui réapparaît ici autour de la mort de Boumendjel,
parce que, dit Jean Daniel, la victime a un visage ; c’est l’un des
miens. Quand la torture vise à déchirer le lien social, la défense
instinctive fait appel aux relations sociales.
Boumendjel n’est plus un inconnu. Il est le proche d’un
patriote intransigeant, d’un juriste parisien que le lecteur peut
identifier. L’article de L’Express en 1957 conclut : « Entre le petit
avocat musulman mort, là-bas, sur un trottoir d’El Biar et cette
chaire vide à la faculté de droit, le cercle est ainsi fermé. » Le
mécanisme qui se met en route avec l’intervention de René
Capitant apparaît clairement  : donnant publicité à l’affaire,
elle lui confère une puissance de mobilisation considérable.
Les valeurs attribuées à Capitant lui ont été transmises ; il n’est
plus un terroriste, il n’a pu faire qu’une résistance propre, dit Jean
Daniel. L’affaire Boumendjel est en marche.

Où l’on accuse le gouvernement. – Une partie de la presse métro-


politaine profite du scandale causé par la suspension des cours
de Capitant pour revenir sur les épisodes antérieurs. Le quotidien
Le Monde, comme L’Express et France Observateur notamment, cite
les télégrammes envoyés par Ahmed Boumendjel les 12 février
et 10 mars, au président de la République, ainsi qu’au président
L’affaire Boumendjel 257

du Conseil Guy Mollet, au ministre de l’Intérieur Champeix, au


ministre de la Défense nationale Bourgès-Maunoury, au ministre
résidant en Algérie Lacoste et au garde des Sceaux Mitterrand.

Attire votre attention sur situation tragique mon frère


Boumendjel Ali, avocat cour Alger, livré aux parachutistes
depuis le 9 fév. – Stop – Famille dans l’impossibilité connaître
lieu de séquestration et dans l’impossibilité constituer défense
malgré intervention bâtonnier –  Stop  – Ai sollicité en vain
par télégramme 12 fév. saisie juge d’instruction – Stop – Vous
signale, perpétrée dans les locaux disciplinaires parachutistes,
tentative d’assassinat camouflée en tentative suicide
nécessitant pendant 20 jours transfert hôpital psychologique
–  Stop  – Presse et radio ce jour annoncent enfin aveux
spontanés, après un mois violences épouvantables –  Stop  –
Aveux étant arrachés, rôle parachutistes apparaît terminé
–  Stop  – Me permets de renouveler requête 12  février en
vue saisie juge d’instruction et application loi –  Stop  – Ai
l’honneur, par principe et pour prendre date, déposer plainte
contre X, pour séquestration, tentative de meurtre et sévices
ayant entraîné la folie – Stop – Vous prie, en attendant fixer
responsabilités, faire cesser procédés inhumains renouvelés
conquête militaire 1830 – Stop133

Avec comme sous-titre « Le ministre ironise », L’Express


explique que la seule réponse donnée à ces messages fut l’inter-
vention du ministre Robert Lacoste devant l’Assemblée natio-
nale. Le jeudi 21 mars, il a en effet déclaré :

Certains ont parlé de brutalités et de sévices commis au


cours de cette action nécessaire et salutaire. Le malheur est
que leur témoignage comme leur censure sont trop souvent
imprégnés de partis pris. Je n’en dis pas plus.
Que doit-on penser, mesdames, messieurs, de cet avocat
musulman, d’ailleurs fort éminent, accusant les forces de
l’ordre d’avoir fait subir à un de ses confrères d’Alger un
traitement le conduisant à la folie ? Or la prétendue victime
de cette abomination, après une tentative de suicide qui
avait été constatée, a tout simplement été assigné [sic] à
258 Ali Boumendjel

résidence, alors qu’elle avait avoué avoir dirigé un système


de liaison entre le FLN et les rebelles prévenus et internés et
avait même exercé le commandement politique et militaire
dans un important secteur de la ville d’Alger134.

Le ministre laisserait presque penser qu’un assigné à


résidence est simplement chez lui. Il oublie de préciser que
l’on assigne des personnes à résidence dans des camps, et que,
d’autre part, cette assignation n’a jamais pu être imposée à
Boumendjel, l’autorité civile ayant échoué à le tirer des mains
des parachutistes.
Le 27  mars, le président de la Commission de la justice et
de législation de l’Assemblée nationale, Guy Cupfer, écrit à
Robert Lacoste afin d’exiger du ministre qu’il expose, devant
la Commission, les circonstances de la mort de Boumendjel. Il
souhaite que le garde des Sceaux, François Mitterrand, vienne
également s’expliquer 135. Les journalistes en profitent pour
attaquer violemment la politique gouvernementale et dénoncer
l’impuissance de la justice :

Mais le sort de Me Ali Boumendjel n’est pas unique. Des cas


nous sont signalés fréquemment de personnes, Européens
et musulmans, arrêtées par les parachutistes et détenues
plusieurs jours voire plusieurs semaines sans être présentées
au juge d’instruction, sans que leurs familles, d’autre part,
soient averties du lieu de leur détention ou même des charges
qui pèsent sur elles136.

La tension provient de ce que la justice, rendue impuissante,


n’est plus un outil fonctionnel ou symbolique de protection du
lien social. Tout à coup, ce n’est plus la personnalité de l’accusé
qui est en question, et sa compromission avec une organisa-
tion réputée terroriste, mais bien la politique de « pacification »
menée en Algérie et la responsabilité du gouvernement ; c’est de
l’impuissance de la justice et du comportement des parachutistes
dont il s’agit, deux éléments qui font système. Le premier met
à nu le lien social permettant à l’action répressive de l’armée
L’affaire Boumendjel 259

d’avoir un effet profondément destructeur pour le collectif qui


en est la victime. Car c’est le tissu social, les relations familiales,
les amitiés et liens militants qui sont détruits par la détention,
la torture, la disparition et/ou la mort.

La campagne d’Ahmed et la mobilisation des réseaux


Or ce surgissement, dans la presse nationale, d’un
scandale autour de la mort de Boumendjel a été préparé par
un travail de fond accompli par Ahmed Boumendjel dès l’arres-
tation de son jeune frère. C’est la lutte du lien familial contre
la désagrégation que la répression provoque au sein du corps
social.

La mobilisation des réseaux. –  La correspondance d’Ahmed


Boumendjel révèle en effet qu’il mène, dès l’emprisonnement
de son frère, une étonnante campagne137. Il essaie de trouver des
relais dans la presse, en adressant des copies de ses télégrammes
aux grands journaux, notamment François Mauriac pour
L’Express et Hubert Beuve-Méry pour Le Monde.

Mon cher Monsieur Beuve-Méry,


Je viens de recevoir une nouvelle bien pénible  : mon frère,
avocat à la Cour à Alger, a été arrêté samedi matin, sans
aucune raison sérieuse, et pratiquement séquestré, mettant
la famille dans l’impossibilité de connaître jusqu’au lieu de
la séquestration.
Comme tout est possible, y compris la mort, je me permets
de faire appel à votre obligeance pour signaler le fait, en
assez bonne place pour tenter d’éviter le pire138.

Comme il s’agit d’une question de vie ou de mort, il ne


néglige pas d’écrire également à un certain M.  « Gautier » de
ses connaissances au Monde, en fait Robert Gauthier, rédacteur
en chef au quotidien, dans l’espoir qu’il intervienne également
auprès de Beuve-Méry139. Face à la transgression des règles de
la justice française, à la transgression de la démocratie, Ahmed
260 Ali Boumendjel

Boumendjel joue donc la carte de la médiatisation. En d’autres


termes, il joue le jeu de la démocratie, pour combattre la trans-
gression dont l’État lui-même se rend coupable.
Or, ces tentatives étaient restées sans grands résultats, comme
le montre la première « tentative de suicide ». C’est seulement
après la mort de Boumendjel, avec l’intervention de René
Capitant, que toutes ces initiatives deviennent apparentes  :
Le Monde, France Observateur, L’Express disposent déjà de toutes
les informations et des télégrammes leur permettant de publier
immédiatement des dossiers.
Ahmed Boumendjel a utilisé toutes ses relations et sa notoriété
pour tenter de localiser Ali et s’assurer de sa sécurité. Il écrit à
des hommes politiques  : outre ses télégrammes aux ministres
et au président de la République, il envoie un courrier à Pierre
Mendès-France et un autre au préfet Zerbini :

Tu constateras que les charges retenues contre mon frère


–  à en croire la presse et la radio, et Dieu sait si elles en
rajoutent – consistent en la remise d’un revolver à un de ses
beaux-frères, en la constitution d’un syndicat nationaliste,
et en « contacts » avec un certain Bekkedda [sic], membre
dirigeant de la révolution.
Et voilà pourquoi il a failli être assassiné140.

Dans la correspondance d’Ahmed Boumendjel apparaissent


des courriers étonnants, destinés à des ecclésiastiques  : il écrit
au cardinal Gerlier, à Lyon, le 10  mars, pour l’informer de la
situation : ici il n’est guère question d’obtenir une intervention
mais d’informer les courants critiques  : « Le cas de mon frère
est cependant loin d’être isolé, tant l’armée de reconquête a
semé la ruine et la désolation141. » À Mauriac, il ajoute  : « Ces
[télégrammes], dont les précisions sont d’une authenticité
certaine, vous donneront une idée de la “pacification” telle
qu’elle est pratiquée par le Gouvernement actuel, le cas de mon
frère étant loin d’être isolé142. » On voit donc le conseiller de
l’Union française faire jouer tous les réseaux de relations avec
la double aspiration de sauver son frère et d’alerter l’opinion.
L’affaire Boumendjel 261

Les résultats sont décevants  : « Je partage votre angoisse.


Si je peux quoi que soit pour vous, avertissez-moi. Mais mon
influence est nulle pour le moment », lui répond Mauriac 143.
Pierre Mendès-France dit s’être enquis auprès de ministres du
gouvernement mais n’avoir reçu que des réponses vagues144.
Après l’annonce de sa mort, Ahmed envoie encore une dernière
salve de lettres comportant une copie de sa missive au président
de la République. « Ceci pour votre documentation, puisqu’aussi
bien, il est trop tard pour éviter l’irrémédiable », écrit-il le
25 mars au cardinal Feltin, à Paris.
Ainsi donc, parmi les hommes politiques et la presse, l’infor-
mation existe et peut être utilisée dès l’annonce du coup d’éclat
de Capitant, avec une mobilisation très rapide des réseaux dans
le monde de la presse notamment.
Le monde des avocats et des juristes se mobilise également.
Outre René Capitant, les toutes premières réactions sont celles
du bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris, René-William Thorp
et de maître Maurice Garçon. Le premier déclare :

Je pense que la France, qui est la terre de la justice, ne


saurait sans se renier elle-même ne pas réagir en quelque
circonstance qu’il se produise contre le dessaisissement de la
justice régulière et contre le recours à des pratiques qui sont
la négation des règles posées par nos codes pour prémunir
les dépositions et les interrogatoires contre l’arbitraire et
tout caractère occulte […]. C’est parce que le suicide de
Me Boumendjel s’est produit dans des circonstances où
l’internement de cet avocat et ses interrogatoires étaient
dépourvus de toutes garanties judiciaires que sa mort peut
donner lieu à toutes les suspicions et devenir un nouveau
ferment de discorde145.

Quant à Maurice Garçon, il écrit dans Le Monde daté


du 26  mars  : « Il n’est pas tolérable que les séquestrations
arbitraires se perpétuent et que la magistrature continue à
être dessaisie. » Dans les jours qui suivent, d’autres collègues
et camarades de militantisme écrivent. L’avocat et membre
du Mouvement mondial de la paix Michel Bruguier rédige
262 Ali Boumendjel

un article consacré à Boumendjel dans L’Humanité dimanche.


Il s’indigne  :

Vainement le Conseil national du Mouvement français de


la paix a insisté, le 10  mars, pour une enquête immédiate.
PENDANT PLUS DE QUARANTE JOURS il est resté en un lieu
ignoré de tous, aux mains de ces militaires de choc qui se
font appeler eux-mêmes les « hommes peints » à cause de la
tenue de campagne bariolée, couleur de terre et de verdure
dont ils sont en permanence affublés146.

Tous dénoncent l’état d’impuissance où est réduite la justice


au mépris des principes fondamentaux de la République.
Le 28 mars, c’est France Observateur qui publie à la une le titre
le plus provocateur : « Qui a tué Me Ali Boumendjel ? ». L’article
reprend les informations fournies par Ahmed Boumendjel ;
le lien est fait avec le « suicide » de Larbi Ben M’hidi, et les
publications de l’ouvrage de Pierre-Henri Simon, Contre la
torture, des articles de Jean-Jacques Servan-Schreiber et de la
brochure « Des rappelés témoignent », pour mettre en relief la
gravité des affaires et la montée de la contestation. Le numéro
comporte également une nouvelle lettre d’Ahmed Boumendjel
au président de la République René Coty  : le ton est amer et
volontiers provocateur. Il ne s’agit plus de tenter de sauver Ali
mais de dénoncer.

La transformation de l’image d’Ali Boumendjel. –  Au fur et à


mesure des articles, c’est l’image même du personnage qui se
transforme. Dans la presse, il apparaît associé à des personna-
lités reconnues, insoupçonnables de terrorisme ou de trahison,
en général des personnalités françaises. Le titre de l’article
de Michel Bruguier est révélateur  : « Un homme que j’esti-
mais. Ali Boumendjel » ; sa rhétorique efficace 147. « Intolérant,
commence Bruguier comme pour confirmer la culpabilité de
Boumendjel, mais en ce sens qu’il ne tolérait pas l’injustice
ni cette forme odieuse d’injustice fondée sur la discrimination
raciale. »
L’affaire Boumendjel 263

Et sans doute en haut lieu est-on prêt à soutenir qu’il était


un ennemi de la France et que la France était donc fondée
à le traiter en ennemi. Mais je sais pour ma part à quel
point il aimait notre peuple […] il parlait notre langue, il
était pénétré de notre culture et admirait nos luttes passées
pour l’émancipation des hommes, leur dignité, leur liberté148.

Loin d’apparaître comme un poseur de bombes ou un vulgaire


fellagha – ce terme péjoratif utilisé pour qualifier de brigands les
combattants du FLN dans une stratégie classique de criminali-
sation –, Boumendjel partage les valeurs auxquelles les lecteurs
peuvent s’identifier. Il est « de ces visages familiers que l’on
retrouvait avec joie à chacune des sessions » du Conseil mondial
de la paix. Boumendjel n’est plus un étranger mais un militant
qui applique à son pays des principes communs. Il se situe néces-
sairement du côté du droit, s’opposant en cela au gouvernement
de la France, et sa cause est juste. Il est un familier, un proche.
C’est l’un de nous, en somme, un familier. Ce changement de
perspective est fondamental pour comprendre le retentissement
dans l’opinion de la mort de l’avocat.
Bientôt, non sans polémique, son nom est associé à un autre,
celui de Pierre Brossolette. Le même numéro de L’Humanité
dimanche publie un dessin rappelant la mort du lieutenant français
« entre deux interrogatoires », le 22  mars 1944. Subitement, la
mort de Boumendjel, le 23 mars 1957, résonne comme un triste
anniversaire. France Observateur écrit :

À vrai dire, qu’Ali Boumendjel soit mort sous les tortures lors
de son interrogatoire ou qu’il ait été poussé à se donner la
mort pour ne plus subir une fois de plus la torture lors de
l’interrogatoire auquel il allait être à nouveau soumis par
les mêmes parachutistes, le problème moral, juridique et
politique demeure le même. Nous imputons à la Gestapo la
mort de Brossolette et celle de Médéric au même titre que
celle de d’Estienne d’Orves149.

À l’Assemblée nationale, des députés font également le paral-


lèle. La maladresse du ministre résidant en Algérie Lacoste est de
264 Ali Boumendjel

répondre en faisant le procès de Boumendjel, selon l’expression


de France Observateur150. Paris-Presse L’Intransigeant rapporte la
teneur des débats aux cours desquels plusieurs partis montent
au créneau. Les députés MRP se sont réunis avant la séance pour
organiser l’offensive au sujet de la mort de Boumendjel. C’est
le député Reille-Soult qui attaque le premier :

Est-il exact que Me Boumendjel ait été gardé par les


parachutistes dans une prison clandestine depuis le 2 février ?
Il semble que de telles prisons existent en Algérie et que
les personnes arrêtées y subissent sinon des tortures, du
moins des interrogatoires épuisants. Cela nous rappelle des
souvenirs douloureux.

Le ministre énumère en effet les prétendues activités de


Boumendjel et poursuit  : « Que lui reprochait-on ? Il était, de
son propre aveu, un chef important du FLN dans la région
d’Alger […]. De plus, il semble que Me Boumendjel ait eu des
relations avec les organisations de terroristes, c’est-à-dire de
tueurs151. » Terroriste. Mais le mot magique ne fonctionne plus.
Le ministre est encore interrogé par des députés communistes
sur la mort de deux médecins dans des conditions similaires ; un
autre communiste relit la lettre de Capitant ; le gouvernement
est accusé d’approuver la torture. Le député MRP François de
Menthon intervient :

[C]omment se fait-il que depuis des semaines cet homme


ait été détenu dans des locaux militaires ? Il semble bien,
en effet, qu’il se soit suicidé en sautant de locaux militaires.
Il n’était pas à la disposition de la police ; il n’était pas
à la disposition de la justice. Il était, depuis sa sortie de
l’hôpital, entre les mains de l’armée. C’est ce qui nous a
paru particulièrement choquant et c’est sur ce point qu’il
conviendrait que les réponses puissent être apportées au
cours du débat152.

Lacoste insiste : il avait déjà tenté de se suicider, cette fois il


a réussi et l’affaire est claire. « Comme Brossolette », s’exclame
L’affaire Boumendjel 265

le député communiste Marrane, provoquant un tollé à droite


de l’hémicycle153.

La constitution d’une opinion publique. –  À la fin de mars, les


réactions s’enchaînent et s’étendent. Franc-Tireur annonce ainsi,
par exemple, le 30 mars 1957 que la Fédération de l’Éducation
nationale a adressé, « après la mort tragique de Me Boumendjel »,
au président du Conseil Guy Mollet une lettre ouverte. Les ensei-
gnants s’y déclarent insatisfaits par les explications du gouver-
nement et rappellent que la présence française en Algérie et
les droits de l’homme doivent être inséparables 154. L’écrivain
Vercors renvoie sa Légion d’honneur pour protester contre les
événements d’Algérie. Il explique que ce suicide, « si c’en est
un », le remplit de honte et d’indignation :

Il ne m’est pas possible, ajoute-t-il, quand mon pays se


couvre non plus d’honneur mais d’opprobre, de demeurer
dans cette Légion d’honneur où l’on m’avait prié d’entrer
après la Libération, en un temps où c’était, en effet, un
honneur qui ne se refusait pas155.

La mort de Boumendjel fait revenir sur le devant de la scène


un ouvrage publié dans les semaines qui avaient précédé : Contre
la torture, de Pierre-Henri Simon, avait fait scandale et bien des
journalistes rapprochent les deux événements, comme si le
second validait le premier156. Un article de Morvan Lebesque
dans Le Canard enchaîné montre le glissement qui se produit
dans l’opinion publique :

Le Journal Officiel (comportant les débats à l’Assemblée


nationale) n’était pas seul, sur ma table, avec le livre de
Simon. Il y avait aussi une feuille du matin, qui nous
apprenait qu’à Alger, un avocat du FLN, Me Ali Boumendjel
s’était précipité du haut d’une terrasse et tué dans sa chute
alors qu’on le conduisait à un interrogatoire. Le moins qu’on
puisse dire, c’est qu’un tel fait divers n’est pas inédit et qu’il
s’appelle suicide de terroriste ou acte d’héroïsme selon qu’on
se trouve d’un côté ou de l’autre […].
266 Ali Boumendjel

Les gens qui se jettent dans le vide pour échapper à un


interrogatoire sont redoutables. Très redoutables. Ce sont
toujours des gens à qui, tôt ou tard, leur pays élève des
statues157.

L’affaire Boumendjel donne de l’ampleur aux actions de protes-


tations, et les associations, les organisations professionnelles, les
journaux et les clubs servent de caisse de résonnance : Léo Poldès
invite ainsi Ahmed Boumendjel à participer à un débat portant
sur l’ouvrage de P.-H.  Simon et sur « l’enquête de la commis-
sion parlementaire sur le “suicide” de Me Ali Boumendjel158 ».
Le 27  mars, le quotidien Le Monde annonce que la Fédération
des libéraux d’Alger « tient à manifester sa stupeur à l’annonce
du suicide de Me Ali Boumendjel » et exige la lumière sur les
circonstances qui l’ont poussé à se donner la mort. Diverses
personnalités expriment leur émotion, en particulier Mme Yves
Farge, du Mouvement de la paix, et le docteur Weill-Hallé, de
l’Académie nationale de médecine. Le journal précise toutefois
que le rapport d’autopsie a conclu à la mort par « écrasement au
sol » alors que « le rapport de la police judiciaire avait auparavant
relevé les preuves de la détermination au suicide de Boumendjel ».
Le 28 mars, Franc-Tireur annonce la création d’un Comité de résis-
tance spirituelle afin de publier l’ouvrage Des rappelés témoignent.
Henri Marrou, J.-M.  Domenach, André Philip, Paul Ricœur ou
Lanza del Vasto se retrouvent pour dénoncer la politique de
« pacification »159. Outre les journalistes, polémistes et autres intel-
lectuels, les enseignants se mobilisent. Madeleine Rebérioux, alors
professeur de lycée à Paris, raconte que les réactions de Capitant
et du bâtonnier Thorp ont cristallisé une opposition jusque-là
diffuse à la politique menée en Algérie. Du jour au lendemain,
elle organise donc, avec quelques camarades, un Collectif des
enseignants du secondaire dont le succès immédiat l’étonne160.
Les lettres de condoléances reçues par Ahmed Boumendjel
après la mort de son frère constituent des documents excep-
tionnels. Outre les indices qu’elles donnent sur les relations
sociales des deux frères, elles mettent en lumière cette partie
de la population concernée par la mort tragique de l’avocat et
L’affaire Boumendjel 267

souhaitant exprimer indignation et sympathie. L’on n’est pas


surpris d’y trouver par exemple des condoléances adressées par
l’Union générale des étudiants musulmans algériens de Paris161
ou par d’autres associations d’ouvriers ou d’étudiants algériens
en métropole. L’on sait en effet qu’Ahmed Boumendjel était
en contact avec eux dans le cadre de son activité militante en
métropole. Parmi les messages de sympathie, ceux de Pierre
Mendès-France162, de Jean Daniel ou de François Mauriac sont
à la fois personnels et politiques. « Tu seras peut-être sensible
au fait de savoir qu’il y a de très nombreux Français et juifs
engagés désormais dans le combat qui fut celui d’Ali », écrit
par exemple Jean Daniel163. « Je tiens à vous dire la part que
je prends à votre peine et combien je suis bouleversé par les
horreurs qu’entraîne cette affaire dramatique », dit la lettre
dactylographiée de Mendès-France  : au stylo, l’ancien Premier
ministre a corrigé un mot, pour faire de « l’affaire » une « guerre »
dramatique164. François Mauriac écrit quant à lui de Gironde :

Cher Monsieur
Votre lettre me rejoint ici  : j’ai demandé à L’Express quatre
semaines de silence… Lâcheté ? Non. Faiblesse ? Peut-être.
Et si je n’étais pas chrétien, je dirais désespoir.
Mais je suis chrétien. Et croyez-en le vieil homme que je suis,
et dites-le de ma part à vos enfant et à vos neveux quand ils
auront l’âge d’entendre ce message : dans ce monde ignoble,
ce qui compte, c’est ce qui subsiste d’humain au cœur d’un
petit nombre d’hommes.
Si j’étais à votre place peut-être ne serais-je habité que par
ce désir de vengeance qui vous possède, j’imagine, et par
la haine… Et pourtant ! L’Algérie et la France, si elles se
rejoignent jamais, ce sera la volonté de quelques Algériens
et de quelques Français qui auront trouvé la force de joindre
leurs mains au-dessus des fosses communes.
Comme Français, je me sens responsable de ce qu’a subi
votre frère. Et je vous demande pardon165.

L’avocat André Blumel, ancien ministre du Front populaire,


écrit ainsi, le 27  mars  : « Le sort de votre frère me rappelle
268 Ali Boumendjel

trop celui de mon ami Pierre Brossolette pour que je ne vous


exprime pas à la fois l’horreur que je ressens et l’assurance de
ma profonde sympathie. »
Mais la plupart des courriers proviennent de collègues, d’amis, ou
de simples anonymes et leur teneur est révélatrice de l’émergence
de cette opinion minoritaire mais déterminée contre la répression
menée en Algérie. Beaucoup disent leur sympathie et leur honte
face aux agissements de « ceux qui tuent l’âme de la France166 ».

Maître,
Veuillez trouver ici l’expression de mes condoléances et de
ma révolte contre les odieux procédés qui ont amené la
mort de votre frère.
Croyez que le mot bref n’exprime que bien faiblement ce que
je ressens et puisse cette humble voix vous dire qu’il existe
des gens que les atrocités commises au nom de la France
soulèvent de honte et de dégoût167.

La femme qui écrit en ces termes se présente comme « insti-


tutrice publique », car, comme nombre des correspondants, elle
cherche à dire à quel titre elle a pris la plume. Une autre femme
écrit, le 31 mars, « [m]on nom de vous dira rien », avant de se
présenter toutefois :

Permettez-moi de vous assurer, en tant que française et en


tant que juive aussi –  et donc habituée à la souffrance  –,
que nous les jeunes n’acceptons pas ce visage déformé et
grimaçant de la France. Nous croyons encore à la justice et
à la dignité humaine – malgré toutes les souffrances et toutes
les humiliations que nous partageons avec vous et qui nous
lient à votre malheureuse famille.
Vous n’êtes pas seul, Monsieur, sachez-le168.

C’est bien cette identification, ce partage d’une expérience


commune, qui pousse les personnes à s’exprimer. Celle-ci parle
en tant que française, juive, et jeune, dit-elle. Le comité du
Mouvement de la paix d’Antibes adresse à Ahmed une lettre
protestant contre ce suicide
L’affaire Boumendjel 269

qui nous rappelle singulièrement celui de Pierre Brossolette


sous l’occupation nazie, vous fait part de l’émotion de
Français qui se refusent à penser qu’on sert la France en
employant les méthodes qui leur semblaient avoir déshonoré
à jamais le nazisme. […]
Après toutes les grandes voix françaises qui se sont
fait entendre, le Comité de la Paix d’Antibes salue très
respectueusement en la personne de Maître Ali Boumendjel,
un de ceux qui par amour de la Paix auraient pu aider à
trouver des solutions valables pour le tragique et difficile
problème France-Algérie.

Eux signent en indiquant leur nom et leur qualité169  : tel se


présente comme « secrétaire de la section communiste », tel
autre comme instituteur retraité, conseiller municipal, croix
de guerre ou professeur de collège. D’autres indiquent un
engagement politique ou un diplôme. D’autres enfin, et c’est
le plus troublant, ajoutent : « ancien interné politique, croix de
guerre pour Résistance », « déporté de Buchenwald 35 mois »,
« déporté, commandant FFI (croix de guerre –  médaille de la
Résistance) ». Ou de façon plus laconique et plus saisissante
encore : « Sachsenhausen 84541 ».
En s’identifiant ainsi, simplement par son seul numéro de
déportation, le signataire indique le lien qu’il tisse entre lui et
l’avocat algérien dont les tourments, 12 ans à peine après la fin de
la Seconde Guerre mondiale, réactivent les douloureux souvenirs.
De fellagha qu’il était, dans le discours des militaires, Boumendjel
devient aux yeux des auteurs de ces lettres le Brossolette algérien,
basculant ainsi du côté des résistants. Et l’armée française du
côté de la Gestapo.

***

Le cas d’Ali Boumendjel est un exemple type des relations entre


l’armée et la justice. Il met en lumière les limites du système des
assignations à résidence. Malgré les efforts de certains fonction-
naires comme le secrétaire général de la préfecture d’Alger Paul
270 Ali Boumendjel

Teitgen, l’assignation à résidence de Boumendjel au camp de


Berrouaghia ne permet pas d’éviter sa mise au secret pendant de
longues périodes ni son décès. Selon l’analyse de Pierre Vidal-
Naquet citée plus haut, elle semble empêcher sa « disparition ».
Combinée au rôle des médias, il est probable qu’elle a joué un
rôle, empêchant les militaires de se débarrasser de Boumendjel,
comme ils l’ont fait avec d’autres.
La justice était complètement écartée du cours des opéra-
tions depuis la prise en main du maintien de l’ordre par les
parachutistes, le 7  janvier 1957. Sa principale source d’infor-
mations, comme c’est le cas ici, est la presse ! Le rapport de la
Commission de sauvegarde des droits et des libertés individuels,
créée en mai 1957, explique le fonctionnement de la justice de
façon lumineuse :

Fait à peu près unique dans les annales judiciaires, le Parquet


était averti [des opérations] par des informations de presse
et il en fut réduit à ouvrir des dossiers dont la seule pièce
se réduisait à une coupure de journal. C’est ainsi que le
Procureur général apprit, après quelque temps, par les
quotidiens, qu’il avait été arrêté, sans qu’il en fût avisé, neuf
cents individus et que par la suite il sut que le chiffre vrai
atteignait trois mille170.

C’est bien ce qui surprend dans l’affaire Boumendjel, ce


contraste entre une presse relativement bien informée et une
justice piochant ses informations dans la presse et ne parvenant
ni à constituer un dossier, ni à sortir le prisonnier des mains
des militaires.
Au delà de la biographie

L es traces laissées par l’affaire, les condoléances, les


témoignages de ceux qui ont connu Boumendjel,
de ceux qui ont été marqués par son surgissement dans l’espace
public, prolongent son parcours au delà de sa vie même, et le
travail de recherche au delà de la biographie. Elles permettent
de décrire l’onde de choc qui se propage à partir de Boumendjel,
de sa disparition puis de sa mort, cette vague douloureuse qui
atteint ceux qui se sentent un lien avec lui et ressentent cruel-
lement le deuil et la perte. L’onde dessine ainsi les cercles du
deuil, selon la belle expression de Jay Winter1.
Quel est-il, le premier cercle, celui des plus proches ? L’on y
trouve Malika, bien sûr, et ses enfants ; Ahmed, aussi, le frère
aîné, qui, dès avant la mort, durant toute la séquestration d’Ali,
avait remué ciel et terre pour arracher son cadet à ce qu’il pressen-
tait être un anéantissement. Et puis les parents d’Ali, Mohand et
Kelthoum ainsi que ses frères et sœurs. Pour autant, à l’intérieur
de ce groupe, l’expérience du deuil n’est pas sans conflit, notam-
ment entre les parents d’Ali et ses frères et sœurs, et Malika.
Après les obsèques, Malika est restée quelques jours chez ses
beaux-parents. Elle y a reçu un appel de Jean Daniel, qui souhai-
tait lui rendre une visite de condoléances. Elle est aujourd’hui
encore embarrassée du refus catégorique que lui a opposé son
beau-père. Les différences de mode de vie entre la génération de
Mohand et celle d’Ali se font jour dans l’expérience même du
deuil de Malika : elle est seule, désormais, pour faire face à une
belle-famille qui n’approuve guère son comportement. La fin de
la guerre sera d’ailleurs, pour elle et ses enfants, une période de
déplacement d’un lieu à l’autre, avec le refus, toujours, de s’ins-
272 Ali Boumendjel

taller durablement chez les Boumendjel, au risque de tensions


croissantes. Le deuil provoque ainsi la réactualisation du conflit
entre les membres de l’entre-soi biologique – qui ont perdu un
fils ou un frère  –, et la belle-fille –  dont le lien avec le défunt
est une parenté élective amoureuse  –, alors qu’au cours de la
vie d’Ali Boumendjel, cette configuration avait connu une décli-
naison spécifique marquée au sceau d’une marginalité assumée
par lui vis-à-vis de sa famille.
Les cercles plus larges se mobilisent également, lorsqu’il est
possible de le faire. Les réseaux des militants de la paix, réseaux
amicaux ou professionnels, cercles nationalistes, réagissent à la
torture et l’assassinat. Toutes les manifestations ont en commun
de revendiquer Boumendjel comme l’un des leurs. Autour de la
blessure que constitue sa mort, la chair sociale de sa vie réagit
en une inflammation douloureuse qui participe d’une possible
cicatrisation.
Le cercle le plus vaste est aussi le plus spectaculaire, qui s’étend
bien au delà des connaissances de Boumendjel  : des individus
qui –  ne le connaissant pas personnellement  – se sentent avec
lui une identité de destin. Pour caractériser cette identité, ils se
définissent : résistants, victimes de la barbarie nazie, intellectuels
défenseurs des droits de l’homme et de la République, hommes
de gauche. Dans ce milieu spécifique, à la fois social, politique,
intellectuel et moral, la mort de Boumendjel est pour chacun une
blessure quasi narcissique, un traumatisme par identification.
René Capitant exprime, dans une lettre à peine lisible à
Ahmed Boumendjel, sa douleur presque physique, la déchirure
qu’a provoquée en lui l’événement :

[A]u sursaut de révolte que j’ai éprouvé se mêlait la douleur


d’imaginer les souffrances endurées par mon ancien étudiant.

L’ancien ministre du général De Gaulle ajoute un souhait en


forme d’interrogation :

Se pourrait-il que son martyre pût un jour devenir le symbole


à la fois de votre résistance et de notre réconciliation ?
Au delà de la biographie 273

Car au delà de l’identification à Ali Boumendjel, les corres-


pondants construisent une interprétation du sens de sa vie, de
sa mort et de « son combat ». Le président de l’Union générale
des étudiants musulmans algériens (UGEMA) écrit à Ahmed :

Votre douleur, cher frère, est aussi notre douleur.


[…] Ali, par son abnégation, son dévouement à la cause
nationale, aura donné un exemple de plus de la détermination
de tous les Algériens à tout sacrifier au service de l’Algérie2.

Le président de la section UGEMA de Toulouse envoie un


télégramme :

Sacrifice pas vain Ali restera exemple vivant pour générations


futures.

Des Français également font de Boumendjel le martyr d’une


cause  : « Les Français qui détestent le colonialisme n’oublie-
ront pas Maître Ali Boumendjel – Martyr de l’Algérie libre3. » Il
importe à chacun que, selon la formule consacrée, le sacrifice
ne reste pas vain et que, comme dans la lettre de Capitant, le
symbole prenne sens et que le combat se prolonge : « Il y a de
très nombreux Français et juifs engagés désormais dans le combat
qui fut celui d’Ali4. »
Mais parmi les plus proches, tous n’ont pas – et c’est là l’une
des dimensions du traumatisme  – la possibilité matérielle ou
émotionnelle de réagir à la mort de l’un des leurs en opérant
des gestes et des pratiques réaffirmant les liens par-delà la mort.
Pour ceux qui sont engagés dans la lutte, l’intensité de l’action
ne permet pas d’intégrer et d’assimiler. Dans le contexte de
la grande répression d’Alger, ces deuils restés béants sont bien
souvent des deuils redoublés. Henri Alleg raconte :

Quand on a su que Boumendjel était mort, j’étais dans la


clandestinité, et on était dans ce combat un peu comme des
soldats au feu où on voit tomber un des siens. On se dit que
demain ce sera moi ou un autre, on avançait en pensant que
274 Ali Boumendjel

c’était terrible mais sans avoir le temps ou la faculté de faire son


deuil, comme on dit aujourd’hui, ou de réfléchir à la perte terrible
que ça représentait. C’est la même chose quand des gens très
proches de moi comme Fernand Yveton, qui était un voisin,
un camarade, ou que Henri Maillot qui travaillait avec moi
au journal ou d’autres sont morts5.

L’on apprenait la nouvelle sans avoir le temps de réfléchir,


dit Henri Alleg ; sans avoir la possibilité de se réunir, de prier
ensemble avait dit en substance Malika Boumendjel. L’on
apprend alors les morts au détour d’une conversation de hasard
comme Serge Michel, qui se rend à Genève pour rencontrer
Ferhat Abbas, qu’il avait trouvé plongé dans une partie d’échec.
À son départ, il échange quelques mots avec le garde du corps :

— Ali l’avocat, dit-il pour parler d’autre chose, c’était


ton ami ?
— Il l’est toujours.
— Il est mort. Tu savais qu’il avait été arrêté. Ils l’ont
assassiné. Ils l’ont torturé pendant des semaines. Il n’a rien
dit. Ils lui ont tailladé la gorge. Ils lui ont enfoncé ses lunettes
dans les yeux. Ils l’ont rendu aveugle. Ils l’ont attaché avec
une chaîne à la table des officiers qui lui jetaient des os.
Pour finir, ils l’ont poussé du haut d’une terrasse. C’était le
meilleur de nous tous.
Serge voudrait frapper Saïd, le faire taire, bousculer ces
vieillards inutiles qui continuent à vivre. Il a honte de vivre
lui aussi, honte de son impuissance, de cette pagaille. La rage
l’emporte dans les rues vides de cette ville de bourgeois à
l’éternelle bonne conscience. Il appelle, doucement d’abord,
son ami massacré. Puis il crie :
— Ali6 !

La dimension démonstratrice de la violence apparaît ici de


façon claire  : Saïd donne de la torture et de la mort un récit
qui recombine les unités de sens authentiques. Les verres de
lunettes, la gorge tailladée. Il crée un récit où les différents
éléments prennent ainsi un sens redoublé : les verres de lunettes
Au delà de la biographie 275

ne taillent plus les veines dans une tentative de suicide, mais


crèvent les yeux de celui qui est à la fois un shahid, un martyr
et un témoin donc, et un intellectuel ; celui aussi qui n’a rien
dit. Le récit est inexact, il est symboliquement lourd et, surtout,
il frappe Serge Michel à son tour avec une rare violence. On
voit Serge s’en prendre immédiatement et physiquement –  en
pensée – à un « vieillard », qui plus est à Ferhat Abbas, un ami
politique. La transgression est stupéfiante, comme l’est la honte
de vivre. Saïd est le porteur d’une nouvelle et d’une souffrance,
qu’il transmet toutes deux avec un luxe de détails proche de
la perversion, sans doute parce qu’elles lui sont insupportables.
Dans ce lieu, cet espace absurde à ses yeux – les rues de Genève –,
Serge subit ainsi la violence paroxystique initiée par l’armée et
dont Saïd est l’involontaire ( ?) vecteur.
L’intensité du traumatisme a pour symptôme l’impossibilité
–  analysable en termes de sidération  – de recréer du lien, du
rituel et du collectif autour de Boumendjel et de son cadavre
mutilé. Les deuils redoublés frappent la famille Amrani – comme
tant d’autres. Au risque de l’inexactitude, son cas est mis en
exergue dans La Guerre d’Algérie, l’ouvrage dirigé par Henri Alleg
et dont tous les auteurs ont en commun d’avoir été des acteurs
de la guerre :

Sur les hauteurs d’Alger, vers Birmandreis, dans une villa de


belle apparence, tous les enfants vivants d’une famille aisée
ont changé de prénom. Dans la famille Amrani, imprégnée
de culture française, on s’appelait Lucie, Georgette, André ou
Henri. Deux des garçons ont été arrêtés et torturés par les
parachutistes. L’un en est mort. Le mari d’une des sœurs, père
de quatre enfants, a été « suicidé ». Le père, septuagénaire,
arrêté au mois de mars  1957, a disparu à jamais. Pendant
des mois, sa femme, devenue folle, est restée à la fenêtre
pour guetter le retour du mari, des fils et du gendre, Ali
Boumendjel. Les autres enfants ont repris leurs prénoms
algériens : Malika, Leila et Djamal7.

Le changement de prénoms, dit Malika aujourd’hui, est


apocryphe, comme l’est la « folie » de sa mère. Mais l’histoire
276 Ali Boumendjel

met en scène une famille subissant un traumatisme répété et


démultiplié qui l’atteint dans ce qu’elle est, dans son identité,
comme en témoigne la modification des prénoms de ses enfants
et une femme qui réagit en basculant dans ce qui est identifié
ici comme une « folie », et que l’on pourrait, en des termes
freudiens, analyser comme un comportement de déni, de refus
psychotique de la mort d’Ali et de tous les autres, morts rejetées
dans l’ordre du fantasme, sans existence consciente. Le récit
énumère la déchirure de toutes les relations familiales  : entre
frères, frères et sœurs, mari et femme, parents et enfants. La
famille Amrani-Boumendjel prend valeur d’exemple –  d’icône
peut-être, de martyr, plus sûrement, au sens premier et plein
du terme – de la souffrance endurée par la population algéroise
pendant la grande répression d’Alger. Le récit rappelle la dureté
du cas individuel : Malika Boumendjel devait faire face à l’assas-
sinat de son mari, alors que son frère André avait « disparu », que
ses frères Abderrahmane et Abdelmalik étaient encore séquestrés,
que ses frères Ali et Djamal venaient d’être libérés –  le second
affreusement torturé – et que son père était arrêté pour « dispa-
raître » à son tour.
Chez Ahmed, également, la mort de son frère met tout en
jeu, jusqu’aux plus intimes de ses choix de vie. La lettre qu’il
envoie au président de la République, et qui est publiée dans
plusieurs journaux, est d’une rare violence :

Le téléphone vient de m’annoncer le second « suicide » de


mon frère Boumendjel Ali, avocat à la Cour d’Alger. Cette
fois, l’armée française ne l’a pas raté, après quarante-trois
jours de tortures, et une première tentative de « suicide »,
elle l’a eu. Après quarante-trois jours, elle a fini par là où
elle aurait dû tout compte fait commencer. Il y a là un
machiavélisme et un raffinement rares, que je livre à votre
souveraine méditation […].
[C]et assassinat monstreux a été perpétré alors qu’il était
séquestré sous la responsabilité des pouvoirs publics qui
lui devaient protection, puis cyniquement réalisé après
quarante-trois jours de réflexion, de chantages, de menaces,
de mensonges et de savants calculs.
Au delà de la biographie 277

Par qui ? Nul ne le saura jamais, pas même une éventuelle


commission d’enquête, que je ne vous demande d’ailleurs pas.
J’avais pourtant pris la précaution, Monsieur le Président de
la République de vous télégraphier le 12 février 1957 – trois
jours après la séquestration de mon malheureux frère – que
je craignais l’assassinat et la disparition du corps. Je poussais
même la naïveté jusqu’à vous demander la saisine du juge
d’instruction. Il était alors encore temps, puisque le premier
« suicide » datant de la veille, avait raté.
Ce télégramme […] est évidemment resté sans réponse et
sans effet. […] Le 10  mars, je vous télégraphiais pour la
seconde fois. […] Ce télégramme n’a même pas provoqué
un simple accusé de réception, ni de votre part ni de
celle de vos ministres. Après tout, il ne s’agissait que d’un
« bougnoule ». […]
Je note simplement que si le gouvernement avait le respect de
la dignité humaine, non seulement dans les mots, mais dans
les faits, il aurait donné satisfaction à une requête légitime
que j’avais présentée dès le 12 février 1957. Il aurait arraché
mon frère aux « paras » pour le diriger effectivement sur un
camp d’internement, ou, au moins, pour le confier à un
Juge d’instruction. Mon frère, qui n’avait que trente-huit ans,
serait encore vivant et il n’y aurait pas sur la terre d’Algérie
quatre orphelins de plus, dont l’aîné n’a que sept ans.
J’appartiens à une race qui sait se souvenir, et ces quatre
petits enfants sauront vous transmettre le message que je
vous laisse le soin de deviner.
Quant aux miens, issus d’une union avec une Française
–  cruelle ironie  –, ils porteront aussi témoignage devant
leur génération d’un crime odieux, longuement prémédité
et froidement exécuté au nom de la France, avec le mépris
le plus complet de la personne humaine8.

Alors que son propre mariage semble lui être devenu presque
douloureux, l’homme mobilise ce que les anthropologues
ont identifié de plus fondamental, de plus universel dans les
processus d’identification des individus  : la « race », la généra-
tion, la filiation et, par là, la transmission de la mémoire, ce
lien entre les vivants et les morts, pour en faire une promesse
278 Ali Boumendjel

de vengeance ; mobilisation inhabituelle et transgressive chez cet


avocat parisien, mobilisation qui, au-delà de la vengeance, signe
la revitalisation de la famille, processus de survie qui permet de
faire face à la déréliction et de symboliser –  avec le verbe du
polémiste et sur le terrain politique  – la tragédie qui vient de
se produire.
Après avoir joué le jeu politique durant des années, l’ancien
sénateur de l’UDMA rompt politiquement avec la France en
même temps qu’il se coupe d’elle intimement.
Ahmed était déjà au service du FLN depuis des mois ; mais
cette déclaration et son départ pour Tunis, dans les semaines
qui suivent, pour participer au GPRA scellent le ralliement total,
physique – si l’on ne craignait l’emphase, on dirait existentiel –
d’un homme qui brûle ses vaisseaux derrière lui.
Certains des interlocuteurs d’Ahmed prennent la mesure de
la rupture, et tentent, maladroitement, de la réparer, à l’instar
de Jean Daniel :

Je reviens d’Alger où j’ai tenté de témoigner à la femme


d’Ali de ma compassion. Ali était pour moi un ami solide.
Je tiens à t’exprimer ma plus fraternelle solidarité. Peut-être
seras-tu sensible au fait de savoir qu’il y a de très nombreux
Français et juifs engagés désormais dans le combat qui fut
celui d’Ali au point que tes enfants n’auront pas à rougir de
la nationalité de leur mère – comme tu le craignais dans la
lettre bouleversante que tu as adressée à Coty9.

La tentative de Jean Daniel est à la fois lucide et impuissante


à réparer la béance exprimée par Ahmed avec une rare violence.
C’est sur cette béance qu’il nous faudra conclure  : celle de la
disparition, qui subvertit la barrière entre le vif et le mort ; celle
du meurtre et des deuils redoublés, qui portent atteinte au cours
ordinaire des choses et bouleversent les existences. Au delà du
cas d’Ali, celle des viols qui visent et atteignent la parenté et la
filiation. Les nobles sentiments transmis par Jean Daniel – parmi
d’autres – sont dérisoires désormais face à l’ampleur de l’atteinte
à ce qu’il y a de plus profond dans les groupes humains.
Au delà de la biographie 279

La lettre d’Ahmed et son parcours après la disparition de


son frère posent la question de l’héritage d’Ali Boumendjel  :
ni l’héroïsation des défunts, ni le récit nationaliste tronqué
laissant de côté une immense partie de ceux qui, comme Ali,
avaient tenté un autre chemin – et qui, désormais, manquent :
les Abbane Ramdane, Larbi Ben M’hidi, Maurice Audin… –, ne
peuvent apaiser les déchirements successifs sur lesquels l’entre-soi
de la nation algérienne se construit : le projet politique du FLN,
auquel les protagonistes algériens survivants vont souscrire, est
traversé de ces blessures hideuses, et quand bien même il valorise
la souffrance héroïque, il ne permet de faire le deuil de l’arra-
chement.
Au-delà du cas d’Ali, le destin d’Ahmed pose, sans téléologie
aucune, la question du devenir d’une nation dont Ahmed,
en des lignes significatives, vient de montrer que le passé, le
présent, l’héritage et l’avenir de la nation étaient la déchirure
et la béance.
Notes

Notes de la préface Notes de l’introduction


(pages 9 à 13) (pages 15 à 21)
1 Florence Beaugé, Algérie, une 1 FLN : Front de libération natio-
guerre sans gloire. Histoire d’une nale.
enquête, Paris, Calmann-Lévy, 2 Servan-Schreiber, Jean-Jacques,
2005. « Lieutenant en guerre d’Algérie »,
2 Propos tenus lors d’une émis- L’Express, 8 mars 1959.
sion de la chaîne Djazaïria 3 Pierre Vidal-Naquet, Face à la
One, YouTube, 18 octobre 2018, raison d’État. Un historien dans
<https://www.youtube.com/ la guerre d’Algérie, Paris, La
watch?v=VmJFTpFFjqk>. Découverte, 1989, 31.
3 Voir le site du projet Mille autres 4 Henri Alleg, La Question, Paris,
<1000autres.org> ; et Malika Minuit, 1958.
Rahal et Fabrice Riceputi, « La 5 Jacques Vergès et Georges
disparition forcée durant la Arnaud, Pour Djamila Bouhired,
guerre d’indépendance algé- Paris, Minuit, 1957.
rienne. Autour du projet Milles 6 Paul Aussaresses, Services spéciaux
autres sur les disparus de la Algérie 1955-1957  : Mon témoi-
“bataille d’Alger” (1957) », gnage sur la torture, Paris, Perrin,
Annales. Histoire, Sciences sociales 2001.
(à paraître). 7 Ibid., 169.
4 Pierre Vidal-Naquet, L’Affaire 8 Ibid., 176.
Audin, Paris, Minuit, 1989 9 Voir notamment Einaudi,
[1959]. Jean-Luc, « Les mensonges de
5 Sylvie Thénault, « La recherche Maurice Papon », Le Monde,
de la vérité. Des décennies 25 octobre 1997.
d’enquête empêchée », in Sylvie 10 Le Monde, le 23 juin 2000.
Thénault et Magali Besse (dir.), 11 Florence Beaugé, Algérie, une
Réparer l’injustice. L’affaire guerre sans gloire, op. cit.
Maurice Audin, Bayonne, Institut 12 International Justice Tribune,
francophone pour la justice et la http://www.justicetribune.
démocratie, 2019, p. 39-54. com/index.php?page=v2_
6 Benjamin Stora, France-Algérie, article&id=443, consulté le
les passions douloureuses, Paris, 3  août 2009. Notons que le
Albin Michel, 2021. 15  janvier 2009, la Cour euro-
282 Notes des pages 17 à 32

péenne de justice rend un arrêt Daoud, Ferhat Abbas. Une utopie


aux termes duquel la France a algérienne, Paris, Denoël, 1995.
violé le droit à la liberté d’expres- 2 Entretien avec Brahim Chergui
sion en condamnant les éditeurs. et Mohammed Hadj Hamou,
Le Monde, 17 janvier 2009. anciens militants du MTLD,
13 Raphaëlle Branche, La Torture Alger, avril 2003.
et l’Armée pendant la guerre 3 Je reprends ici certaines idées
d’Algérie  : 1954-1962, Paris, ébauchées dans un article anté-
Gallimard, 2001. rieur. Voir Malika Rahal, « La
14 Sylvie Thénault, Une drôle place des réformistes dans le
de justice. Les magistrats dans mouvement national algérien »,
la guerre d’Algérie, Paris, La Vingtième Siècle. Revue d’his-
Découverte, 2001. toire, n° 83 (Septembre  2004)  :
15 Paul Aussaresses, op. cit.,177. 161-171.
16 Entretien avec Henri Alleg, 4 Hassan Remaoun, « L’inter-
Palaiseau, le 20 janvier 2003. vention institutionnelle et son
17 Voir notamment le texte mis impact sur la pratique historio-
en ligne par Guy Pervillé, en graphique en Algérie  : la poli-
réponse au chiffre d’environ
tique “d’écriture et de réécriture
4 000 disparus avancé par
de l’histoire”, tendances et
Pierre Vidal-Naquet. http://
contre-tendances », Insanyat,
guy.perville.free.fr/spip/article.
janvier-juin 2003.
php3?id_article=174. Consulté
5 J’emprunte cette expression à
le 3 août 2009.
Madjid Merdaci.
18 Raphaëlle Branche, La Torture et
6 Entretien avec Pierre Chaulet,
l’Armée, op. cit. ; Sylvie Thénault,
ancien militant du MTLD, Alger,
Une drôle de justice, op. cit.
mai 2005.
19 François Dosse, Le Pari biogra-
7 Entretien avec Henri Alleg,
phique. Écrire une vie, Paris, La
Palaiseau, le 20 janvier 2003.
Découverte, 2004.
20 Giovanni Levi, « Les usages de la 8 Esh-shahid Ali Boumendjel
biographie », Annales. Économies, mahamy eth-thaoura [le martyr
Sociétés, Civilisations 44, n° 6 Ali Boumendjel, avocat de la
(1989) : 1325-1336. révolution]. Brochure du minis-
21 Ibid. tère des Anciens Moudjahidine,
22 Michel Foucault, « La vie mars 2001.
des hommes infâmes », in 9 Éditions Dar el Ma’rifa, Alger.
Dits et écrits II, 1976-1988, D’autres collections existent,
Paris, Gallimard, 2001, p.  237 mais sont moins bien distri-
à  253. [Première édition dans buées. On trouve en général
Les Cahiers du chemin, n° 29, ces brochures au rayon des livres
15 janvier 1977, pp. 12-29]. pour enfants.
10 Aït-Saadi, Lydia, « La guerre de
libération nationale », El Watan,
Notes du chapitre 1
7  novembre 2004, disponible
(pages 23 à 50)
en ligne  : http://www.elwatan.
1 Sur le parcours de Ferhat Abbas, com/lydia-ait-saadi-historienne.
voir Benjamin Stora et Zakya Consulté le 16 mars 2009.
Notes des pages 32 à 51 283

11 « La journée nationale du 22 Entretien avec Anissa Bouhadef,


chahid. Le chef de l’État hier Alger, avril 2003.
à Blida », discours du président 23 Récit d’Amar Toubal, texte
Bouteflika à l’occasion de la dactylographié. Archives fami-
journée du shahid, El Moudjahid, liales. La ponctuation est est
18  février 2009. Consulté sur respectée dans la citation.
http://www.elmoudjahid.com/ 24 En 1954, le MTLD s’était divisé
accueil/evenement/26989.html entre les Centralistes, partisans
le 22 mars 2009. de la direction du parti, et les
12 Voir notamment un article rela- Messalistes qui soutiennent
tant les commémorations de la Messali Hadj.
journée nationale du Chahid 25 Esh-shahid Ali Boumendjel
en 2009, « Journée nationale mahamy eth-thaoura [le martyr
du shahid  : à travers le pays », Ali Boumendjel, avocat de la
El Moudjahid, 18  février 2009. révolution]. Brochure du minis-
Consulté sur http://www. tère des Anciens Moudjahidine,
elmoudjahid.com/accueil/ mars 2001.
Nation/26972.html le 22  mars 26 Malika Rahal, « La place des
2009. réformistes dans le mouvement
13 Ouettar, Tahar, Les martyrs national algérien » ; Malika
reviennent cette semaine, Alger, Rahal, « L’Union démocra-
ENAG, 2002. tique du Manifeste algérien
14 Certeau, Michel de, « Hagio- (1946-1956). Histoire d’un parti
graphie », Encyclopédie Univer- politique. L’autre nationalisme
salis. algérien », Paris, INALCO, 2007.
15 Benjamin Stora, Messali Hadj  : 27 Larzillière, Pénélope, « Martyre
Pionnier du nationalisme algérien, et islamo-nationalisme  : le cas
1898-1974, Paris, L’Harmattan, de la Palestine », intervention
1986. lors du colloque international
16 Entretien avec Henri Alleg, de la FMSH Martyr(e) et suicide
Palaiseau, 20 janvier 2003. dans l’islam contemporain,
17 Entretiens avec Malika et Sami Paris, 6-7  mars 2006, http://
Boumendjel, Puteaux, 2003. www.archivesaudiovisuelles.
18 Entretiens avec Malika fr/FR/_video.asp?id=672&ress=
Boumendjel, Puteaux, 2003. Elle 2163&video=6715&format=68
n’est plus en mesure de dater (consulté le 2 mars 2009).
l’événement.
19 Un rêve algérien, film de Jean-
Notes du chapitre 2
Pierre Lledo, 2003.
(pages 51 à 101)
20 Il s’agissait d’une mise en scène
de François Chattot, interprétée 1 Fanny Colonna, Instituteurs
par Jean-Pierre Bodin et donnée algériens  : 1883-1939, Paris, Les
au théâtre de Chaillot, à Paris, Presses de Sciences Po, 1975,
en mars 2007. 26 ; Charles-Robert Ageron,
21 Louis Massignon, La Passion Histoire de l’Algérie contemporaine,
de Husayn Ibn Mansûr Hallâj  : tome 2 : De l’insurrection de 1871
martyr mystique de l’Islam, vol. 1, à la guerre de libération de 1954,
Paris, Gallimard, 1990, 30. Paris, PUF, 1979, 533.
284 Notes des pages 51 à 72

2 Les termes « musulman » et 11 Mouloud Feraoun, Le Fils du


« Européen » étaient donc pauvre, Paris, Seuil, 1997.
souvent employés à l’époque 12 Guy Pervillé, Les Étudiants algé-
comme des catégories juridiques riens, op. cit., 25.
fondamentalement raciales. 13 Mouloud Feraoun, op. cit.
Lorqu’ils seront employés en 14 Fadhma Aït Mansour Amrouche,
ce sens dans le texte, ils seront op. cit.
toujours mis entre guillemets. 15 Fanny Colonna, op. cit., 23.
3 Henry Laurens, L’Orient arabe. 16 Fadhma Aït Mansour Amrouche,
Arabisme et islamisme de 1798 op. cit.
à 1945, Paris, Armand Colin, 17 Mouloud Feraoun, op. cit., 112.
2002, 113. 18 Entretien avec Louisa Amrane,
4 Guy Pervillé, Les Étudiants algé- Vanves, 29 septembre 2002.
riens de l’Université française, 19 Entretien avec Ghenima Aït
1880-1962, Paris, CNRS Éditions, Khaled, Paris, 24  septembre
1999. 2002.
5 Entretien avec Aziza Aït Si Selmi, 20 Entretien avec Aziza Aït Si Selmi,
Paris, 3 février 2003. Paris, 3 février 2003.
21 Cette grande maison telle que
6 Guy Pervillé, Les Étudiants algé-
la décrit Mohammed Dib par
riens de l’Université française,
exemple dans la première partie
1880-1962, 23.
de son triptyque. Mohammed
7 Amar Naroun, Ferhat Abbas ou
Dib, La Grande Maison, Paris,
les chemins de la souveraineté,
Seuil, 1996.
Paris, Denoël, 1961, 132.
22 Entretien avec Ghenima Aït
8 James McDougall, History and
Khaled, Paris, le 24  septembre
the Culture of Nationalism in
2002.
Algeria. Colonialism, Historical
23 Entretien avec Louisa Amrane,
Writing And Islamic Modernism,
Vanves, 29 septembre 2002.
1899-2001, Cambridge, 24 Entretien avec Pierre Vidal-
Cambridge University Press, Naquet, Paris, octobre 2002.
2006, 32-33. 25 Entretien avec Louisa Amrane,
9 Guy Pervillé, « Les étudiants Vanves, 29 septembre 2002.
algériens de l’Université fran- 26 Entretien avec Ghenima Aït
çaise, le Maghreb et le monde Khaled, Paris, le 24  septembre
arabe de 1908 à 1962 », interven- 2002.
tion à la table ronde Les relations 27 Entretien avec Ghenima Aït
entre le Maghreb et le Machrek, des Khaled, Paris, le 24  septembre
solidarités anciennes aux réalités 2002.
nouvelles, novembre  1981, 28 Entretien d’Areski Metref avec
Aix-en-Provence. Texte dispo- Sadek Hadjerès, Le Soir d’Algérie,
nible sur le site de Guy Pervillé, 2  juin 2007. Consultable en
http://guy.perville.free.fr/spip/ ligne http://www.lesoirdalgerie.
article.php3?id_article=131, com/articles/2007/06/02/article.
consulté le 14 août 2008. php?sid=54349&cid=2 (consulté
10 Fadhma Aït Mansour Amrouche, le 16 février 2009).
Histoire de ma vie, Paris, La 29 Entretien avec Sadek Hadjerès,
Découverte, 2000. Malakoff, 3 février 2003.
Notes des pages 73 à 93 285

30 Entretien avec Sadek Hadjerès, 45 Charles-Robert Ageron, Histoire


Malakoff, 3 février 2003. de l’Algérie contemporaine, op. cit.,
31 Bâtiment collectif qui peut être 536.
un simple local. 46 Ibid., 538.
32 Texte inédit de Sadek Hadjerès, 47 Entretien avec Sadek Hadjerès,
p. 1 et 2. Malakoff, 3 février 2003.
33 Texte inédit de Sadek Hadjerès, 48 Benyoucef Benkhedda, « Saad
p. 3. Dahlab, le militant diplo-
34 Malika Rahal, « L’Union démo- mate », texte non daté, site
cratique du Manifeste algérien », de la Fondation Benyoucef
186. Benkhedda, http://www.
35 Texte inédit de Sadek Hadjerès, benkhedda.org/modules.
p. 2. php?name=News&file=
36 Ce pouvait être les élections article&sid=36, consulté le
municipales ou les législatives 17 janvier 2009.
de 1946. 49 Le PPA de Messali est interdit
37 CAOM, 4I 122*, Dossier en 1939. Il devient clandestin
personnel de Mohammed et est remplacé par un parti
légal, le MTLD, le Mouvement
Boumendjel. Renseignement
pour le triomphe des libertés
confidentiel, Larba, 30  avril
démocratiques. Les deux termes
1938. Le prénom Mohand est
désignent donc la même
la version kabyle de Mohammed
tendance politique.
et il semble que les documents
50 Entretien avec Maître Amar
officiels aient été au nom
Bentoumi, Alger, 17  avril 2003.
de Mohammed. (Les cartons
Voir aussi Stora, Messali Hadj,
marqués d’un * étaient soumis
185-186.
à dérogation au moment de leur
51 Entretien avec Malika
consultation.)
Boumendjel, Puteaux,
38 Gilbert Meynier, Histoire inté- décembre 2002.
rieure du FLN 1954-1962, Paris, 52 Entretien avec Jean Daniel, Paris,
Fayard, 2002, 55. juin 2003.
39 Ibid. 53 L’Express, 15  février 1957,
40 Entretien avec Ghenima Aït « L’homme de la semaine,
Khaled, Paris, 24  septembre M’hamed Yazid, représentant
2002. du FLN à l’ONU ».
41 Charles Robert Ageron, Les 54 Sadek Hadjerès, « Quatre géné-
Algériens musulmans et la France : rations… ».
1871-1919, Paris, Presses univer- 55 Égalité, 10 novembre 1944.
sitaires de France, 1968, 534-535. 56 Sadek Hadjerès, « Quatre géné-
42 Yacine Kateb, Le Polygone étoilé, rations… ».
Paris, Seuil, 1966, 180-182. 57 Guy Pervillé, Les Étudiants algé-
43 Sadek Hadjerès, « Quatre riens, 242-243.
générations, deux cultures », 58 Sadek Hadjerès, « Quatre géné-
La Nouvelle Critique, n° 112, rations… ».
janvier 1960, 29. 59 Égalité, 23  août 1946. On verra
44 Sadek Hadjerès, « Quatre géné- plus tard que la position de
rations, deux cultures », op. cit. Boumendjel et de l’UDMA sur
286 Notes des pages 93 à 114

la langue dialectale est en fait Notes du chapitre 3


plus nuancée qu’il n’apparaît ici. (pages 103 à 203)
60 Voir à propos de l’impact des
mouvements intellectuels du 1 Annie Rey-Goldzeiguer, Aux
Moyen-Orient sur les natio- origines de la guerre d’Algérie
nalismes notamment Albert 1940-1945 : De Mers el-Kébir aux
Hourani, Arabic Thought in massacres du Nord-Constantinois,
the Liberal Age, 1798-1939, Paris, La Découverte, 2006.
Cambridge, Cambridge 2 L’expression est de Daniel
University Press, 1983. Rivet, Le Maghreb à l’épreuve de
61 Entretien avec Sadek Hadjerès, la colonisation, Paris, Hachette
Malakoff, 3 février 2002. Littératures, 2009, 27.
62 Entretien avec Aziza Aït Si Selmi, 3 Entretiens avec Fadila Chitour
Paris, 3 février 2002. Boumendjel, Alger, avril 2003.
63 Entretien avec Sadek Hadjerès, 4 Jean-Claude Vatin, L’Algérie poli-
Malakoff, 3 février 2002. tique  : histoire et société, Paris,
64 Entretiens avec Malika Presses de Sciences Po, 1983,
Boumendjel, Puteaux, 2003 à 165.
2009. 5 Entretien avec maître Ghaouti
65 Entretien avec Malika Benmelha le 23  mars 2004 à
Boumendjel, Puteaux, Alger, à l’occasion de la première
décembre 2003. Journée nationale de l’avocat,
66 Entretien avec M’hamed Yazid, commémorant la date de la mort
Alger, avril 2003. d’Ali Boumendjel. Entretiens
67 Guy Pervillé, Les Étudiants algé- avec maître Mohammed Hadj
riens, op. cit., 40. Hamou, Alger, 8  avril 2003 et
68 Ibid., 36. Paris, 2004.
69 Ibid., 29-30. 6 Entretien avec maître
70 André Caudron, « René Mohammed Hadj Hamou, Alger,
Capitant », Parcours, n° 18, 8 avril 2003.
pp. 40-44. 7 Serge Michel, Nour le voilé. De la
71 Entretien avec Malika Casbah au Congo, du Congo au
Boumendjel, Puteaux, désert, la révolution, Paris, Seuil,
décembre 2002. 1982, 189.
72 Charles-Robert Ageron, Histoire 8 Entretien avec Malika
de l’Algérie contemporaine, op. cit., Boumendjel, Puteaux,
538. janvier 2009.
73 Guy Pervillé, Les Étudiants algé- 9 Sege Michel, op. cit., 67.
riens de l’Université française, 10 Alger, mai 2005
1880-1962, op. cit., 36 ; Ageron, 11 Entretien avec Malika
Histoire de l’Algérie contempo- Boumendjel, Puteaux, 10 janvier
raine, op. cit., 537. Selon une 2009.
enquête administrative citée par 12 Entretien avec Malika
Ch.-R. Ageron et portant sur les Boumendjel, Puteaux, 27 janvier
étudiants de l’université d’Alger 2003.
en 1950-1951, 27,5 % d’entre 13 Entretien avec Amar Bentoumi,
eux sont d’origine berbère. Alger, 17 avril 2003.
Notes des pages 114 à 129 287

14 Lettre de 10 pages signée d’Ali php3?id_article=645, consultée


Boumendjel, postée le 22  avril le 26 décembre 2008.
1949. Archives familiales. 30 Notice sur le site du ministère de
15 Sur le caractère implicite des la Justice, http://www.archives-
relations amoureuses, voir judiciaires.justice.gouv.fr/
notamment une nouvelle de index.php?rubrique=10774&ss-
Fellag. Fellag, Comment réussir rubrique=10820&article=14347,
un bon petit couscous suivi de consultée le 26 décembre 2008.
Manuel bref et circoncis des rela- 31 Jean-Claude Vatin, op. cit., 242.
tions franco-algériennes, Paris, 32 Taleb-Bendiab, Abderrahim,
Jean-Claude Lattès, 2003. Le Congrès musulman algérien,
16 Entretien avec maître Amar mémoire de DES, s.d., Alger.
Bentoumi, Alger, 17 avril 2003. 33 Benjamin Stora et Zakya Daoud,
17 Carte postale non datée. op. cit., 53.
Archives familiales. 34 CAOM, 8CAB 159*, notice indi-
18 Entretien avec Malika viduelle de Kaddour Sator. En
Boumendjel, Puteaux, le réalité, l’épouse de Sator n’est
10 janvier 2009. pas une fille Bennouniche, mais
19 Entretien avec maître Amar
les deux familles sont effective-
Bentoumi, Alger, 17 avril 2003.
ment alliées et liées par plusieurs
20 Annie Rey-Goldzeiguer, op. cit.,
mariages.
92-93.
35 CAOM, 1K590, renseigne-
21 Concernant les transformations
ment de la préfecture d’Alger,
de la famille, voir Ibid.
3 octobre 1946.
22 Entretien téléphonique
36 CAOM, 8 CAB 159*, fiche de
avec Hamid Aït Khaled,
synthèse du Service des liaisons
décembre 2004.
nord-africaines (SLNA) concer-
23 Entretiens avec Malika
nant Ahmed Boumendjel,
Boumendjel, Puteaux, 2003.
28 avril 1945.
24 Entretien avec Malika
Boumendjel, Puteaux, le 37 CAOM, 8 CAB 159*, fiche de
22 décembre 2008. synthèse concernant Ahmed
25 Entretiens avec Malika Boumendjel, 28 avril 1945.
Boumendjel, Puteaux, 2003 à 38 Annie Rey-Goldzeiguer, op. cit.,
2009. 183.
26 Annie Rey-Goldzeiguer, op. cit., 39 Benyoucef Benkhedda, Les
94. Origines du 1er  novembre 1954,
27 Témoignage anonyme recueilli Alger, Dahlab, 1989.
à l’occasion de la première 40 Annie Rey-Goldzeiguer, op. cit.,
Journée de l’avocat, Alger, 183.
23  mars 2004, auprès d’un 41 Ferhat Abbas, Du Manifeste à la
avocat de quelques années plus République algérienne, op. cit., 38
jeune qu’Ali Boumendjel. 42 Ibid., 33.
28 Annie Rey-Goldzeiguer, op. cit., 43 Ibid., 28.
125. 44 Benjamin Stora et Zakya Daoud,
29 Notice du site de la Fondation op. cit., 119-121.
Charles de Gaulle, http://www. 45 Ferhat Abbas, Du Manifeste à la
charles-de-gaulle.org/article. République algérienne, op. cit., 39.
288 Notes des pages 129 à 139

46 Annie Rey-Goldzeiguer, op. cit., entretiens avec Belaïd Abdesselam,


181. Alger, ENAG, 1990, 21.
47 Ferhat Abbas, Du Manifeste à 62 Cette thématique sera présente
la République algérienne, op. cit., dans toute la littérature
p. 47. de l’UDMA. Malika Rahal,
48 CAOM, 8CAB 159*, fiche indi- « L’Union démocratique du
viduelle concernant Ahmed Manifeste algérien », op. cit.,
Boumendjel. 82. Entretiens avec Mahmoud
49 CAOM, 8 CAB 159*, notice Hakimi, Alger, avril  2003 et
individuelle concernant Ahmed mai 2005.
Boumendjel datée du 28  avril 63 Benjamin Stora et Zakya Daoud,
1945. op. cit., 157-160.
50 CAOM 8CAB 159*, fiche indi- 64 Charles-Robert Ageron, Histoire
viduelle concernant Ahmed de l’Algérie contemporaine, op. cit.,
Boumendjel. 603.
51 CAOM 8CAB 108, note concer- 65 Pour les membres du comité
nant Messali Hadj datée du central AML voir Achour
28 mai 1945. Cheurfi, La Classe politique
algérienne, de 1900 à nos jours  :
52 Benjamin Stora et Zakya Daoud,
dictionnaire biographique, Alger,
op. cit., 132.
Casbah éditions, 2001, 119.
53 Ferhat Abbas, Guerre et révolu-
66 CAOM, 13H  12. Commissariat
tion d’Algérie 1. La nuit coloniale
central d’Oran, rapport, 29 mars
(Paris : Julliard, 1962), 150.
1946.
54 Annie Rey-Goldzeiguer, op. cit.,
67 Benjamin Stora et Zakya Daoud,
189.
op. cit., 53.
55 CAOM, 8CAB 159*, Document
68 Il fait partie des signataires qui
du 17 avril 1945.
se rétractent rapidement. Voir à
56 Entretien avec Sadek Hadjerès,
ce sujet Charles-Robert Ageron,
Malakoff, 3 février 2003. Histoire de l’Algérie contemporaine,
57 Il fait référence à l’ouvrage de op. cit., 560.
Julien Benda sur les intellectuels, 69 CAOM, 13H  12, renseignement
La Trahison des clercs, Paris, de la Direction de la sécurité
1927. générale, Alger, 3 mai 1946.
58 Sur cet article, voir chap. 1. 70 CAOM, 13H 12, renseignement,
59 Voir à ce propos pour Guelma le Alger, 2 mai 1946.
travail de Jean-Pierre Peyroulou, 71 CAOM, 13H 12, renseignement,
Guelma, 1945  : Une subversion Alger, 2 mai 1946.
française dans l’Algérie coloniale 72 Entretien avec Sadek Hadjerès,
(La Découverte, 2009), notam- Malakoff, 8 mars 2009.
ment les chap. 6 et 7, pp. 127 à 73 Emmanuel Sivan, Communisme
171 et Annie Rey-Goldzeiguer, et nationalisme en Algérie,
op. cit., 269 et ss. 1920-1962, Travaux et
60 Entretien avec Malika recherches de science poli-
Boumendjel, Puteaux, tique ; n°  41, Paris  : Presses
janvier 2009. de la Fondation nationale des
61 Mahfoud Bennoune et Ali sciences politiques, 149.
El-Kenz, Le Hasard et l’Histoire  : 74 Ibid.
Notes des pages 139 à 154 289

75 CAOM, 13H  12, gouverneur 91 Charles-Robert Ageron, Histoire


général d’Algérie (GGA), Note de l’Algérie contemporaine, op. cit.,
pour le secrétaire général du 137-146.
gouvernement, 1er juillet 1946. 92 La République algérienne, 25 janvier
76 Le 1er et le 14 mai 1946. 1952, propose ainsi un discours
77 Les communes mixtes de Azzam Pacha.
s’opposent aux communes 93 Henry Laurens, op. cit., 90.
de plein exercice, similaires 94 Égalité, 15 novembre 1946.
aux communes métropoli- 95 Voir à ce sujet Malika Rahal,
taines. Chacune comprend de « L’Union démocratique du
vastes étendues, de nombreux Manifeste algérien », op. cit.,
hameaux (les douars) ; elle est notamment p.  192 et  303
dirigée par un administrateur et sur le cas de la section de
et une commission municipale Constantine, p. 396 et suivantes.
dont les membres sont nommés. 96 La République algérienne,
78 CAOM, 1K 826, renseignement 21 juillet 1952.
du 28 mai 1946, PRG de Blida. 97 La République algérienne, 1er août
79 CAOM, 4 I 11*, renseignement 1952.
de la RPG de Tizi-Ouzou. 98 Ibid.
80 CAOM, 81 F 669, renseignement 99 La République algérienne, 7  mars
du 30 juin 1946, PRG d’Alger. 1952.
81 La République algérienne, 100 CAOM, 4I 11*, renseignement,
1er  octobre 1948, compte-rendu 28 juin 1949, PRG d’Alger.
du congrès de Sétif, discours de 101 La République algérienne,
Ferhat Abbas. 12 décembre 1952.
82 Gilbert Meynier et Mohammed 102 CAOM, 81F678, document daté
Harbi, Le FLN  : Documents du 25  janvier 1954 faisant état
et histoire, 1954-1962, Paris, d’un tract UDMA « contre la
Fayard, 2004, 14. fraude électorale ».
83 La République algérienne, 103 CAOM, 41 11*, rapport, 3 mars
1er  octobre 1948, compte-rendu 1947, PRG de Blida.
du congrès de Sétif, discours de 104 CAOM, 41 11*, rapport de la
Ferhat Abbas. PRG de Blida, 24  juin 1947.
84 C’est par ce terme qu’on Classiquement, les chiffres de la
nommait ainsi à l’époque les police et ceux des organisateurs
membres de l’UDMA. Il sera diffèrent.
désormais utilisé sans guillemet. 105 CAOM, 4I 11*, rapport de la PRG
85 Égalité, 15 novembre 1946. de Blida, 24 décembre 1947.
86 James McDougall, op. cit., 11. 106 CAOM, 81F 771, document de
87 Benjamin Stora et Zakya Daoud, synthèse, 9 septembre 1948.
op. cit., 73. 107 Charles-André Julien, L’Afrique
88 Égalité, 15 novembre 1946. du Nord en marche, Nouv. éd.,
89 La République algérienne, 21 mars Paris, Omnibus, 2002.
1952. 108 CAOM, 81F771, rapport mensuel,
90 La République algérienne, janvier 1951.
25 janvier 1952 ; (sic) dans l’ori- 109 CAOM, 81F678, rapport du
ginal. gouvernement général de
290 Notes des pages 155 à 170

l’Algérie sur les élections à 127 Entretien avec Henri Alleg,


l’Assemblée algérienne. Palaiseau, 20 janvier 2003.
110 Entretien avec Amar Bentoumi, 128 Sans doute Abdelkader
Alger, 17 avril 2003. Ouagouag.
111 Malika Rahal, « L’Union démo- 129 Henri Alleg, Boualem Khalfa, et
cratique du Manifeste algérien », Abdelhamid Benzine, La Grande
op. cit. 367. Aventure d’Alger républicain, op.
112 Ibid., 366-374. cit., 130.
113 Intervention d’Abderrahmane 130 Entretien téléphonique avec
Bouchama et d’Eugénie André Mandouze, 2003.
Cotton lors de l’assemblée du 131 Entretien avec M’hamed Yazid,
Mouvement mondial de la Alger, avril 2003.
paix et de la commémoration 132 Serge Michel, op. cit., 49-50.
de la mort d’Ali Boumendjel, 133 Ibid., 50.
juillet 1964. Archives familiales. 134 Ibid., 49-50.
114 Entretien avec Henri Alleg, 135 Gilbert Meynier, Histoire inté-
Palaiseau, 20 janvier 2003. rieure, op. cit., 105.
115 Texte des allocutions d’Eugénie 136 Michel Offerlé, « Mobilisation
Cotton et d’Abderrahmane électorale et invention du
Bouchama, juillet 1964, op. cit. citoyen. L’exemple du milieu
116 Classeur contenant une dizaine urbain français à la fin du
de lettres. Archives familiales. XIX   siècle », in Explication du
e

117 Lettre de 10 pages signée d’Ali vote, Daniel Gaxie (dir.), Paris,
Boumendjel, postée le 22  avril Presses de Sciences Po, 1989,
1949, Archives familiales. 70. Pour l’UDMA, voir Rahal,
118 Ibid. « L’Union démocratique du
119 André Mandouze, Mémoires Manifeste algérien », op. cit.,
d’outre-siècle, tome  1  : D’une 256.
résistance à l’autre, Paris, Viviane 137 CAOM, 81F771, synthèse
Hamy, 1998, 200. mensuelle, janvier  1951 et
120 Lettre d’Ali Boumendjel à sa rapport de la DRG du 14  avril
femme, 21  avril 1949. Archives 1951.
familiales. 138 CAOM, 81F771, bulletin poli-
121 Entretien avec André Mandouze, tique du 1 au 15 mai 1951.
2003. 139 CAOM, 81F771, document du
122 Lettre d’Ali Boumendjel à sa 15 septembre 1951.
femme, 21  avril 1949. Archives 140 CAOM, 81F771, document du
familiales. 19 septembre 1951.
123 Ibid. 141 Pour tous ces événements, voir
124 Ibid., 200 et ss. Rahal, « L’Union démocratique
125 Allocution d’Abderrahmane du Manifeste algérien », op. cit.,
Bouchama, juillet 1964, op. cit. 315 et ss.
126 Henri Alleg, Boualem Khalfa, et 142 CAOM, 81F771, synthèse
Abdelhamid Benzine, La Grande mensuelle, septembre 1952.
Aventure d’Alger républicain, 143 CAOM 81F771, synthèse
Paris-Alger, Messidor, 1987, 142. mensuelle, septembre 1952.
et entretien avec Henri Alleg, 144 CAOM, 81F711, synthèse du
Palaiseau, 20 janvier 2003. 23 septembre 1952.
Notes des pages 170 à 183 291

145 CAOM, 81F771, document du 164 Yves Courrière, Le Temps des


20 octobre 1952. léopards, Paris, Fayard, 1969,
146 CAOM, 81F771, document du 363-445.
24 novembre 1952. 165 Entretien avec maître Hadj
147 Charles-André Julien, L’Afrique Hamou et Brahim Chergui,
du Nord en marche, op. cit., 193 Alger, 8 avril 2003.
et 336. 166 Entretien avec Amar Bentoumi,
148 CAOM, 81F711, rapport du Alger, le 17 avril 2003.
préfet de Constantine, janvier- 167 Mohammed Harbi, 1954, la
février 1953. guerre commence en Algérie,
149 CAOM, 81F771, document du Bruxelles, Complexe, 1999, 34.
26 janvier 1953. 168 Ibid.
150 CAOM, 81F771, document du 169 Benjamin Stora rapporte que
9 mars 1954. nombre de militants ont voulu
151 CAOM, 81F771, document du « préciser » ou « corriger » son
23 mars 1954. dictionnaire biographique après
152 Malika Rahal, « L’Union démo- sa publication, en lui indiquant
cratique du Manifeste algérien », qu’ils étaient déjà militants
op. cit., 238-242. du PPA avant le 1er  novembre
153 CAOM, 81F771, note de rensei- 1954.
gnement non datée. 170 Benjamin Stora et Zakya Daoud,
154 CAOM, 4I 11*, renseignement op. cit., 230.
de la PRG d’Alger, 17 avril 1954. 171 Entretien avec Mohammed Hadj
155 CAOM, 81F771, document du Hamou et Brahim Chergui,
14 mai 1954. Alger, 8 avril 2003.
156 CAOM, 81F771, document du 172 Michel Michel, op. cit., 67.
24 juin 1954. 173 Ibid., 50.
157 Entretiens avec Mahmoud 174 Voir notamment sa première
Hakimi, Alger, avril 2003. entrevue avec Abbane Ramdane.
158 Entretien avec Henri Alleg, Stora et Daoud, Ferhat Abbas.
Palaiseau, 20 janvier 2003. Une utopie algérienne, 220-222.
159 Jean-Claude Vatin, L’Algérie poli- 175 La Défense des détenus politiques
tique, op. cit., 267. avant et pendant la guerre de
160 Sylvie Thénault, Histoire de la libération, brochure publiée par
guerre d’indépendance algérienne, maître Amar Bentoumi repre-
Paris, Flammarion, 2005, 84-89. nant la conférence faite par lui
Voir aussi Gilbert Meynier, au Palais de la Culture à Alger le
Histoire intérieure, op. cit., 28  avril 1986, et La Défense des
445 et ss. détenus politiques avant et pendant
161 Entretiens avec Mahmoud la guerre de libération, brochure
Hakimi, Alger, avril 2003. publiée par le ministère des
162 Gilbert Meynier, Histoire inté- Moudjahidine, l’Organisation
rieure, op. cit., 114. des moudjahidine de la wilaya
163 Benjamin Stora, Histoire de d’Alger et la Bibliothèque natio-
la guerre d’Algérie, 1954-1962, nale d’Algérie, décembre 2002.
4e  ed., Paris, La Découverte, 176 La Défense des détenus poli-
2004, 10. tiques…, op. cit.
292 Notes des pages 183 à 199

177 La Défense des détenus poli- 194 Entretien avec Henri Alleg,
tiques…, op. cit, intervention de Palaiseau, 20 janvier 2003.
maître Hadj Hamou. 195 Intervention d’Abderrahmane
178 Serge Michel, op. cit., 79. Bouchama, avril 1964, op. cit.
179 Jacques Vergès, De la stratégie 196 Albert-Paul Lentin, Le Dernier
judiciaire, Paris, Minuit, 1981, Quart d’heure. L’Algérie entre deux
31-114. mondes, Paris : Julliard, 1963, 83.
180 Ibid., 104. 197 Benjamin Stora, Dictionnaire
181 Ibid. biographique des militants
182 Ce texte n’est pas documenté. nationalistes algériens, Paris,
183 Jacques Vergès, op. cit., 189. L’Harmattan, 2000, 163.
184 Entretien avec Jean-Jacques de 198 Sylvie Thénault, Histoire de la
Felice, Paris, mai 2003. guerre d’indépendance algérienne,
185 La Défense des détenus poli- op. cit., 50..
tiques…, op. cit., intervention 199 Gilbert Meynier, Histoire inté-
de maître Hadj Hamou, p. 123. rieure, op. cit., 349.
186 Michel Bruguier est un collègue 200 Hassan Remaoun et Gilles
de Boumendjel. Ils se sont aussi Manceron, D’une rive à l’autre.
fréquentés dans le cadre du La guerre d’Algérie. De la mémoire
Mouvement mondial de la paix. à l’histoire, Paris, Syros, 1993, 59.
La lettre est datée du 27  mars 201 Benjamin Stora et Zakya Daoud,
1958, c’est-à-dire après la mort op. cit., 220-230.
d’Ali Boumendjel que l’auteur 202 Denis Peschanski, « Effets
mentionne d’ailleurs. Lettre pervers », La Bouche de la vérité ?
citée dans Giovanni Pirelli et La recherche historique et les
Patrick Kessel, Le Peuple algérien sources orales, Cahier de l’IHTP,
et la guerre. Lettres et témoignages n° 21.
d’Algériens. 1954-1962, Paris, 203 Henry Rousso, « La résistance
Maspero, 1962. entre la légende et l’oubli »,
187 Entretien avec Jean-Jacques de L’Histoire, n° 41, janvier 1982.
Felice, Paris, 10 janvier 2003. 204 Entretien avec Brahim Chergui,
188 Entretien avec Malika Boumendjel, Alger, 8 avril 2003.
Puteaux, janvier 2009. 205 Entretien avec Sadek Hadjerès,
189 La Défense des détenus poli- Malakoff, avril 2003.
tiques…, op. cit., intervention 206 Benjamin Stora, Dictionnaire
de maître Hadj Hamou, p. 125. biographique des militants, op. cit.,
190 Il se demande s’il faut y voir 274.
un intérêt stratégique d’Abbane 207 L’Organisation spéciale. Il s’agit
pour le pétrole. Entretien avec d’un organisme militaire secret
Mohammed Hadj Hamou, Alger, lié au MTLD. Voir Ageron,
8 avril 2003. Histoire de l’Algérie contemporaine,
191 Entretien avec Amar Bentoumi, op. cit., 588. C’est à l’occasion de
Alger, 17 avril 2003. notre entretien, en avril  2003,
192 Benjamin Stora, Histoire de la qu’Amar Bentoumi relate pour
guerre d’Algérie, op. cit., 17. la première fois cette informa-
193 Entretien avec maître Amar tion. Par la suite, il en témoigne
Bentoumi, Alger, le 17  avril publiquement lors de la première
2003. Journée de l’avocat organisée à
Notes des pages 199 à 212 293

Alger le 23 mars 2004, puis dans 8 Entretien avec Brahim Chergui,


la presse lors du 50e anniversaire Alger, 8 avril 2003.
de la mort de Boumendjel. 9 Entretien avec Malika
208 Henri Alleg et Henri Douzon, La Boumendjel, Puteaux, 2003.
Guerre d’Algérie –  Les Occasions 10 Sylvie Thénault, Histoire de la
perdues, Paris, Temps actuels, guerre d’indépendance algérienne,
1981, 546. op. cit., 122.
209 Ibid., 568-569. 11 Entretien avec Malika
210 Ibid., 569. Le texte est signé par Boumendjel, Puteaux, 2003,
5 sénateurs sur 7, 10 députés confirmé par le dossier d’Ali
sur 15, 4 conseillers à l’Union Boumendjel à la Shell. Archives
française et 42 délégués à familiales.
l’Assemblée algérienne, tous élus 12 Raphaëlle Branche, La Torture et
du deuxième collège. l’Armée, op. cit., 118.
211 Entretien avec Amar Bentoumi, 13 Gilbert Meynier, Histoire inté-
Alger, 17 avril 2003. rieure, op. cit., 322.
212 Entretien téléphonique 14 Raphaëlle Branche, La Torture et
l’Armée, op. cit., 116.
avec Hamid Aït Khaled,
15 Paul Aussaresses, op. cit., 90-91.
décembre 2004.
16 Ibid., 92.
213 Guy Pervillé, « L’insertion inter-
17 Ibid., 109.
nationale du FLN, 1954-1962 »,
18 Entretien avec Anissa Bouhadef,
in Relations internationales, 1982,
Alger, avril 2003.
n°  31, pp.  373-386. Disponible
19 Boumendjel, Malika, De son
sur le site de Guy Pervillé : http://
arrestation à son assassinat,
guy.perville.free.fr/spip/article.
témoignage inédit. Archives
php3?id_article=132#nh39
familiales des Boumendjel.
consulté le 4 février 2009. 20 Entretiens avec Fadila Chitour
214 Gilbert Meynier, Histoire inté- Boumendjel, Alger, avril 2003.
rieure, op. cit., 430. 21 Entretien avec maître Albert
Smadja, Paris, 2003.
Notes du chapitre 4 22 Entretien avec maître Amar
(pages 205 à 270) Bentoumi, Alger, 17 avril 2003.
23 Entretiens avec Fadila Chitour
1 Yves Courrière, op. cit., 506. Boumendjel, Alger, avril 2003.
2 Gilbert Meynier, Histoire inté- 24 Entretien avec Anissa Bouhadef,
rieure, op. cit., 196. Alger, avril 2003.
3 Sylvie Thénault, Histoire de la 25 Entretien avec Djamal Amrani,
guerre d’indépendance algérienne, Alger, 24 avril 2003.
op. cit., 74-75. 26 Entretiens avec Fadila Chitour
4 Gilbert Meynier, Histoire inté- Boumendjel, Alger, avril 2003.
rieure, op. cit., 323. 27 Malika Boumendjel, De son
5 Ibid., 324. arrestation à son assassinat, texte
6 Djilali Sari, Huit jours de la bataille inédit non daté. Archives fami-
d’Alger, 28 janvier-4 février 1957, liales.
Alger, Entreprise nationale du 28 Djamal Amrani, Le Témoin, Paris,
livre, 1987, 39. Minuit, 1960, 16 et ss.
7 Ibid., 33-34. 29 Ibid., 33.
294 Notes des pages 212 à 222

30 Henri Borgeaud était sénateur 45 Entretien avec maître Amar


d’Alger. Son domaine viticole Bentoumi, Alger, 17 avril 2003.
de la Trappe avait fait de lui le 46 Entretien avec Farid Boumendjel,
symbole de la grande coloni- 13 janvier 2003, Puteaux.
sation. 47 Henri Alleg, La Question, op. cit.,
31 Djamal Amrani, op. cit., 39. 52-53.
32 Ibid., 59. 48 Denis Crouzet, Les Guerriers
33 Ibid., 43, et entretien avec Fadila de Dieu, Paris, Champ Vallon,
Amrani, Paris, 2003. 1990, 49.
34 Ibid., 48. 49 Florence Beaugé, Algérie, une
35 Jacques Massu, La Vraie Bataille guerre sans gloire, op. cit.
d’Alger, Paris, Plon, 1971, 252. 50 SHAT, 1H2584, dossier 5*, cahier
36 Paul Aussaresses, op. cit., 90-91. intitulé « Affaire Boumendjel
37 Entretien Henri Alleg, Palaiseau, Ali » composé de feuillets
20 janvier 2003. agrafés.
38 Le rapport est rédigé en juin 1957 51 Le Cas Boumendjel Ali, chro-
pour la Commission de sauve- nologie établie par Ahmed
garde envoyée à Alger. Archives Boumendjel. Archives familiales.
de maître Maurice Garçon, CAC, 52 Francis Jeanson, « Para-
19860122/335 à 337. Le texte en pacification », op. cit.
est repris quasiment à l’iden- 53 Colette et Francis Jeanson,
tique dans un ouvrage de 1971. L’Algérie hors la loi, Paris, Le
Jacques Massu, op. cit., 252. Seuil, 1955. Entretien télépho-
39 Courrier du lieutenant-colonel nique avec Francis Jeanson,
A.  Fossey-François au général 2003.
commandant la 10e  DP et la 54 Francis Jeanson, « Para-
ZNA, El Biar, le 1er  avril 1957, pacification », op. cit.
SHAT, 1H 2584*. 55 Raphaëlle Branche, « La
40 Document intitulé « compte Commission de sauve-
rendu des interrogatoires de garde pendant la guerre
Boumendjel Ali », dans le cahier d’Algérie  : Chronique d’un
« Affaire Boumendjel Ali », échec annoncé », Vingtième
SHAT, 1H 2584*. Siècle. Revue d’histoire, n°  61
41 Voir notamment, sur le contexte (Mars  1999)  : 14-29. Le rapport
soviétique des années  1930, est disponible dans les archives
Nicolas Werth, L’Ivrogne et la de maître Maurice Garçon,
Marchande de fleurs  : Autopsie avocat à la cour d’appel de Paris
d’un meurtre de masse, 1937-1938, et membre de la Commission.
Paris, Tallandier, 2009, 11-15. 56 Archives de maître Maurice
42 Giovanni Pirelli et Patrick Kessel, Garçon, CAC, 19860122/335 à
op. cit., 112. Italiques dans l’ori- 337.
ginal. 57 Djamal Amrani, op. cit., 51.
43 Francis Jeanson, « Para- Il pourrait s’agir de Guy Le
pacification », Esprit, n° 5, Borgne. Toutefois, l’homme, qui
mai 1957, pp. 814-817. comme Aussaresses, a fait partie
44 Raphaëlle Branche, La Torture des Jedburgh durant la Seconde
et l’Armée pendant la guerre Guerre mondiale, pourrait n’être
d’Algérie, op. cit., 124. en fait arrivé en Algérie qu’en
Notes des pages 222 à 233 295

1958 (Who’s Who in France, 27  avril 1957. Archives de


2005-2006). maître Garçon.
58 Ibid. 68 Courrier du lieutenant-colonel
59 Francis Jeanson, op. cit. A.  Fossey-François au général
60 Paul Aussaresses, op. cit., 174. commandant la 10e  DP et la
61 CAOM, 1K812. Le document ZNA, El Biar, le 1er  avril 1957,
se trouve dans un carton des SHAT, 1H 2584*.
archives de la préfecture d’Alger. 69 Benali Boukort, Le Souffle
Il est accompagné d’une lettre du Dahra, Alger, Entreprise
du préfet de Médéa à celui nationale du livre, 1986, 137.
d’Alger, lettre datée du 21  août L’orthographe de Perrin varie
1957 et qui fait référence à un d’un texte à l’autre, et n’a rien
tract du FLN. Le texte ne se à voir avec le bâtonnier du
présente toutefois pas comme même nom.
un tract. 70 Ibid., 138.
62 Précisons d’emblée ici que le 71 Raphaëlle Branche, La Torture
rapport d’autopsie, sur lequel et l’Armée pendant la guerre
nous reviendrons, ne permet d’Algérie, op. cit., 128.
pas de préciser si la blessure 72 Benali Boukort, op. cit., 140.
au cou a été causée par une 73 Entretiens avec Malika
lame enfoncée, correspondant à Boumendjel et avec Aïssa Amrani.
la scène ici décrite, ou par un 74 Jean-Michel Riou, op. cit., 263 et
geste de coupe avec le verre des entretien avec Abel Farnoux.
lunettes. SHAT, 1H 2584*. 75 Ibid. et entretien avec Abel
63 Une copie de la lettre, qui ne Farnoux.
mentionne pas l’expéditeur et 76 Benali Boukort, op. cit., 140.
n’est pas signée, se trouve dans 77 Henri Alleg, La Question, op. cit.,
les archives de maître Garçon. 85-87.
Ce sont les allusions aux discus- 78 Entretien avec Aïssa Amrani,
sions avec Malika Boumendjel Paris, 2003.
qui ont permis, par recoupe- 79 Voir chap. 1.
ment avec les entretiens, de 80 Françoise Sironi et Raphaëlle
déduire de qui elle émanait. Branche, « La torture aux fron-
64 Société française radioélectrique tières de l’humain », Revue inter-
Afrique. Jean-Michel Riou, Un nationale des sciences sociales 174,
homme de liberté  : Itinéraire de n° 4 (2002) : 591.
la vie d’Abel Farnoux, Paris, 81 Francis Jeanson, op. cit.
Flammarion, 2002, 225. 82 Benali Boukort, op. cit., 141.
65 Entretien téléphonique avec 83 Document intitulé « Compte
Yvette Farnoux, 2003. rendu des interrogatoires de
66 Metin Basoglu, « Torture vs Boumendjel Ali », dans le cahier
Other Cruel, Inhuman, and « Affaire Boumendjel Ali »,
Degrading Treatment. Is the SHAT, 1H 2584*.
Distinction Real or Apparent ? », 84 Entretien avec Aïssa Amrani,
Archives of General Psychiatry, Paris, 2003.
mars 2007. 85 Entretien avec Malika
67 Lettre du bâtonnier Perrin à Boumendjel, Puteaux, 10  avril
Ahmed Boumendjel datée du 2010.
296 Notes des pages 233 à 250

86 Document intitulé « Compte à faire taire. Françoise Sironi,


rendu des interrogatoires de Bourreaux et victimes : Psychologie
Boumendjel Ali », dans le cahier de la torture, Paris, Odile Jacob,
« Affaire Boumendjel Ali », 1999, 11.
SHAT, 1H 2584*. 106 Document intitulé « Compte
87 Entretien avec Abel Farnoux, rendu des interrogatoires de
Paris, 2003. Boumendjel Ali », dans le cahier
88 Paul Aussaresses, op. cit., 169. « Affaire Boumendjel Ali »,
89 Pierre Vidal-Naquet, « Le cahier SHAT, 1H 2584*.
vert expliqué », préface à Michel 107 Paul Aussaresses, op. cit., 174.
Zavrian, Jacques Vergès, et 108 Entretien avec Amar Bentoumi,
Maurice Courrégé, Les Disparus, Alger, 17 avril 2003.
le cahier vert, Lausanne, La Cité, 109 Par exemple France Observateur,
1959. le 14 mars 1957.
90 Lettre du bâtonnier Perrin à 110 Françoise Sironi et Raphaëlle
Ahmed Boumendjel datée du Branche, « La torture aux fron-
13  avril 1957. Archives de tières de l’humain ».
maître Garçon. 111 Entretien avec Amar Bentoumi,
91 SHAT, 1H2584*, dossier 5.
Alger, 17 avril 2003.
Passages soulignés dans l’ori-
112 Franc-Tireur, 26 mars 1957.
ginal.
113 Entretien avec Henri Alleg,
92 L’article est paru dans L’Écho
Palaiseau, 20 janvier 2003.
d’Alger, 28 février 1957.
114 Giovanni Pirelli et Patrick Kessel,
93 Sylvie Thénault, Une drôle de
op. cit., 115.
justice, op. cit., 140-141.
115 Paul Aussaresses, op. cit.,
94 Lettre du 1er mars 1957. Dans les
174-175.
archives de maître Garçon.
116 Ibid., 174.
95 Le Figaro, 15 février 1957.
117 Ibid., 174-175.
96 Le Figaro, 1er mars 1957.
118 Entretiens avec Henri Alleg,
97 Le Monde, 1er mars 1957.
98 Le Figaro, 11 mars 1957. Palaiseau, 20 janvier 2003, Amar
99 Voir notamment Le Figaro du Bentoumi, Alger, 17  avril 2003,
6  mars et Le Monde du 7  mars Brahim Chergui et Mohammed
1957. Hadj Hamou, Alger, 8  avril
100 France Observateur du 14  mars 2003, et d’autres.
1957, article « Suicide à Alger ». 119 Entretien avec Djamal Amrani,
101 Rapport de maître Garçon. à Alger, 24 avril 2003.
la Commission de sauvegarde. 120 Paul Aussaresses, op. cit., 176.
Archives de maître Garçon. 121 Amrani, op. cit., 70.
102 Raphaëlle Branche, La Torture et 122 De l’arrestation à l’enterrement,
l’Armée, op. cit., 124. témoignage non publié écrit par
103 Lettre du 14 mars 1957, archives Malika Boumendjel. Archives
de maître Garçon. familiales.
104 Serge Michel, op. cit., 118. 123 Entretien avec Belkacem Aït
105 Nous reviendrons plus loin sur le Ouyahia, Alger, juillet 2004.
fait que, selon Françoise Sironi, 124 SHAT, 1H 2584*.
la torture n’est pas destinée à 125 De l’arrestation à l’enterrement,
faire parler, mais bien davantage témoignage non publié écrit par
Notes des pages 251 à 265 297

Malika Boumendjel. Archives 137 Dossier comportant les copies


familiales. des lettres d’Ahmed Boumendjel.
126 Sur la question de la fonction Archives familiales.
symbolique du sacré et du reli- 138 Lettre d’Ahmed Boumendjel à
gieux (religio, as, are  : relier) Hubert Beuve-Méry, datée du
comme entreprise de création 12  février 1957. Archives fami-
de liens par-delà la mort, on liales.
pourra se reporter à Mircea 139 Lettre d’Ahmed Boumendjel à
Eliade, Histoire des croyances et « Monsieur Gautier », datée du
des idées religieuses, t.  1, de l’âge 12  février 1957. Archives fami-
de pierre aux mystères d’Éleusis, liales.
Paris, Payot, 1976, p.  7 sq., cité 140 Lettre d’Ahmed Boumendjel au
par Pierre Chaunu, Église, culture préfet Zerbini, datée du 10 mars
et société. Essais sur Réforme et 1957. Archives familiales. Il
Contre-Réforme, 1517-1620, Paris s’agit de Benyoucef Benkhedda,
SEDES, 1981, 544 p., p. 26. qu’Ahmed Boumendjel connaît
127 Voir par exemple France en réalité parfaitement.
Observateur du 14 mars 1957. 141 Lettre d’Ahmed Boumendjel
128 Le Figaro du 15  février 1957 au cardinal Gerlier, datée du
rapporte que c’est par l’inter- 10  mars 1957. Archives fami-
médiaire de son beau-frère, liales.
André-Maurice Amrani, que 142 Lettre d’Ahmed Boumendjel
l’avocat fait parvenir des armes à François Mauriac, datée du
aux terroristes et est responsable 10  mars 1957. Archives fami-
d’au moins cinq attentats. liales.
129 Il s’agit de Benyoucef Benkhedda. 143 Lettre de François Mauriac à
130 France Observateur, 15  janvier Ahmed Boumendjel, le 15 mars
1955. 1057. Archives familiales.
131 L’Express du 29  mars 1957. La 144 Lettre de Pierre Mendès-France à
lettre de René Capitant est aussi Ahmed Boumendjel, le 20 mars
citée notamment dans France 1957.
Observateur, le Monde et Franc- 145 Le Monde, le 26 mars 1957.
Tireur. 146 L’Humanité dimanche, le 31 mars
132 Jean Daniel, « L’honneur d’un 1957.
soldat », Nouvel-Observateur, 147 Ibid.
17 mai 2001. Consultable en ligne 148 Ibid.
http://hebdo.nouvelobs.com/ 149 France Observateur, le 28  mars
hebdo/parution/p20010517/ 1957.
articles/a43636-.html, consulté 150 Ibid.
le 18 décembre 2008. 151 JORF, série débat de l’Assemblée
133 Cité notamment dans L’Express, nationale, débats du 26  mars
29 mars 1957. 1957. Franc-Tireur notamment
134 JORF, série débat de l’Assemblée en fait un compte rendu dans
nationale, 22 mars 1957. le numéro du 27 mars 1957.
135 Philippe Bourdrel, Le Livre noir 152 Ibid.
de la guerre d’Algérie, Paris, Plon, 153 Paris-Presse L’Intransigeant, le
2003, 138-139. 27 mars 1957 et Franc-Tireur du
136 Le Monde, le 26 mars 1957. 27 mars 1957.
298 Notes des pages 265 à 278

154 Franc-Tireur, le 30 et le 31 mars 170 Rapport de maître Garçon à


1957. la Commission de sauvegarde,
155 Paris-Presse L’intransigeant, le p.  28. Archives de maître
29  mars 1957 et Le Canard Garçon.
enchaîné du 27 mars 1957.
156 Pierre-Henri Simon, Contre la
torture, Paris, Seuil, 1957.
Notes de l’Au delà de la
157 Le Canard enchaîné, le 27  mars biographie
1957. (pages 271 à 279)
158 Lettre de Léo Poldès à Ahmed 1 Jay Winter, Sites of Memory,
Boumendjel, 27  mars 1957. Sites of Mourning  : The Great
Archives familiales. War in European Cultural
159 Voir aussi Le Monde du 27 mars History, Cambridge, Cambridge
1957. University Press, 1998, 29-53 ;
160 Entretien téléphonique avec Stéphane Audoin-Rouzeau,
Madeleine Rebérioux, 2003. Ce Cinq deuils de guerre : 1914-1918,
Collectif se fond par la suite
Paris, Agnès Viénot, 2001.
dans le Comité Audin.
2 Lettre de Mouloud Belaouane,
161 Lettre du 25  mars 1957, signée
président de l’UGEMA, à Ahmed
par le président de l’UGEMA,
Boumendjel, 25  mars 1957.
Mouloud Belaouane. Archives
Archives familiales.
familiales.
3 Lettre de Lucien Gilles à Ahmed
162 Lettre du 29 mars 1957. Archives
Boumendjel, 4  avril 1957.
familiales.
Archives familiales.
163 Lettre du 5 avril 1957. Archives
4 Lettre de Jean Daniel à Ahmed
familiales.
Boumendjel, 5  avril 1957.
164 Lettre de Pierre Mendès-France
à Ahmed Boumendjel, 26  mars Archives familiales.
1957. Archives familiales. 5 Entretien avec Henri Alleg,
165 Lettre de François Mauriac à Palaiseau, 2003. Souligné
Ahmed Boumendjel, 28  mars par moi.
1957. Archives familiales. 6 Serge Michel (1922-1997), Nour
166 Lettre de Francis Humbert, le voilé. De la Casbah au Congo,
avocat à la cour et présent de du Congo au désert, la révolution
l’Association des juristes libéraux, (Paris : Seuil, 1982), 67.
à Ahmed Boumendjel, le 29 mars 7 Henri Alleg et Henri Douzon, La
1957. Archives familiales. Guerre d’Algérie –  Les Occasions
167 Lettre non datée de C.  Le perdues, Paris, Temps actuels,
Dilosquer à Ahmed Boumendjel. 1981, 514-515.
Archives familiales. 8 Giovanni Giovanni Pirelli and
168 Lettre de Micheline Weill à Patrick Kessel, Le Peuple algérien
Ahmed Boumendjel, 31  mars et la guerre. Lettres et témoignages
1957. Archives familiales. d’Algériens. 1954-1962. (Paris  :
Souligné par moi. Maspero, 1962), 116.
169 Lettre du Comité de paix 9 Lettre de Jean Daniel à Ahmed
d’Antibes, datée du 5 juin 1957. Boumendjel, 5  avril 1957.
Archives familiales. Archives familiales.
Sigles employés

CAC Centre des archives contemporaines (Fontainebleau)


CAOM Centre des archives d’outre-mer (Aix-en-Provence)
ENA Étoile nord-africaine
FADRL Front algérien pour la défense et le respect des libertés
démocratiques
FFS Front des forces socialistes
FLN Front de libération nationale
GPRA Gouvernement provisoire de la République algérienne
JUDMA Jeunesse de l’UDMA
MNA Mouvement national algérien
MRP Mouvement républicain populaire
MTLD Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques
OS Organisation spéciale
PAGS Parti de l’avant-garde socialiste
PCA Parti communiste algérien
PPA Parti du peuple algérien
UDMA Union démocratique du Manifeste algérien
UGEMA Union générale des étudiants musulmans algériens
SHAT Service historique de l’armée de terre (Vincennes)
SMA Scouts musulmans algériens.
Lexique

Isnad  : Littéralement, le « soutien » d’un hadith (un récit


rapportant les propos ou les actes du prophète), autrement dit
la chaîne des garants qui ont transmis le hadith depuis sa source,
généralement sous la forme « X rapporte que Y rapporte que… ».
Sa brièveté et la qualité des garants sont considérées comme
révélatrices de la validité du hadith.

Sunna  : Tradition musulmane. Elle est composée de hadith,


de récits rapportant les propos ou les actes du prophète.

Médersa  : École religieuse. Elles peuvent être privées et/ou


dépendre d’une mosquée. À partir des années 1930, l’Association
des ‘Ulamâ réformistes d’Algérie multiplie sur le territoire
algérien les médersas qui proposent un enseignement religieux
et en langue arabe selon des méthodes pédagogiques nouvelles
et plus attractives.

‘Ulamâ (sing. ‘âlim)  : Littéralement, savants (en matière de


religion). À partir des années 1930, le mot désigne les membres
de l’Association des ‘Ulamâ réformistes, fondée par Abdelhamid
Benbadis.

Shahid (plur. Shuhada) : martyr.


C e livre doit tout à la volonté et à l’aide de
la famille Boumendjel, et en particulier aux
enfants d’Ali, Nadir, Sami, Farid Boumendjel et Dalila Smati.
L’histoire racontée dans ces pages est traversée par l’extra-
ordinaire personnalité de Malika Boumendjel  : je voudrais lui
exprimer ici mes remerciements et mon affection. Merci égale-
ment à Benjamin Stora, qui a dirigé la recherche dont ce livre
est tiré, et à Sylvie Gillet, qui l’a accueilli dans la collection
« L’Histoire de profil », pour la finesse de sa lecture : elle a fait
de l’édition de ce manuscrit un réel plaisir.
Divers témoins ont bien voulu me parler de leurs souvenirs.
Certains sont décédés depuis ; à défaut de pouvoir leur adresser
les remerciements que je leur dois, je voudrais ici leur rendre
hommage, d’autant que beaucoup de ces rencontres ont constitué
de vraies émotions de recherche. Je me suis appuyée sur les récits
de Ghenima Aït Khaled, Aziza Aït Si Selmi et Louisa Amrane, les
sœurs d’Ali, son beau-frère Djamal Amrani, ainsi que sur ceux
de Fadila Chitour, Anissa Bouhadef, Najia Boumendjel et Fadila
Amrani, ses nièces, Hamid Aït Khaled, Aïssa Amrani et Belkacem
Aït Ouyahia, ses neveux. Des amis d’Ali Boumendjel, anciens
militants, avocats et opposants à la guerre m’ont également
apporté leur concours  : Henri Alleg, Amar Bentoumi, Brahim
Chergui, Jean Daniel, Abel et Yvette Farnoux, Jean-Jacques de
Felice, Mohammed Hadj Hamou, Sadek Hadjerès, Mahmoud
Hakimi, André Mandouze, Madeleine Rebérioux, Albert Smadja,
Germaine Tillion, Pierre Vidal-Naquet et M’hamed Yazid.
Ce travail a bénéficié de l’aide des archivistes du Centre
des archives d’outre-mer, André Brochier et Daniel Hick, de
304 Ali Boumendjel

celle de Jean Astruc et Anne-Marie Pathé à la bibliothèque de


l’IHTP, et des remarques de Raphaëlle Branche. En Algérie,
mes recherches ont été facilitées par Ghania et Tahar Nezzal,
Salima et Noureddine Benazzouz, Daho Djerbal, ainsi que par
les collègues du Centre de recherche en anthropologie sociale
et culturelle à Oran. Merci à Garmia Naït Abdallah et à Kahina ;
en souvenir d’elle, aussi.
Une recherche qui se prolonge durant huit ans est une histoire
de vie où les relations intellectuelles sont bien souvent des
relations d’amitié et d’affection. L’Institut d’histoire du temps
présent est un précieux lieu de discussions –  parfois animées,
souvent amusées  –, de gastronomie et d’écriture, où ce projet
a été débattu et soutenu de diverses façons. Je dois beaucoup
à Anne Kerlan et Henry Rousso pour toutes les discussions qui
nourrissent mon travail ; Christian Ingrao y insuffle jour après
jour le nécessaire shin. À différentes étapes, ce texte a été relu
par mes proches, Jean Faget, James McDougall, Alia Rahal, Sheryl
Rahal, Coline Pellegrini, Claire Marynower et Éric Soriano.
Grégory Hosteins l’a soutenu de très près, ou de plus loin. Ce
livre doit à l’amitié de Caroline Izambert et Benjamin White,
et à leurs redoutables relectures, plus que je ne saurais dire. Les
miens, Caroline et Ben, les amis du Pacte de la Renaissance, Alia
et ma mère ont pris des quarts dans le gros temps. Ce livre et
moi-même existons grâce à eux.
Enfin, aucun groupe d’étudiants ne m’a jamais posé autant
de questions embarrassantes, compliquées et éminemment
politiques qu’Anis, Bryan, Cynthia, Hassan, Myriam et leurs
camarades de 3e5 du collège Théodore Monod du Chesnay-Gagny,
en Seine-Saint-Denis, en 2007-2008. Peut-être reconnaîtront-ils
dans ces pages quelques réponses à leurs (im)pertinentes inter-
rogations.
Bibliographie

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310 Ali Boumendjel

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le cahier vert, Lausanne, La Cité, 1959, 119 p.
Sources orales et archives

Entretiens
Ce travail s’appuie sur plusieurs entretiens réalisés sur une période de
8 ans avec :
Ghenima Aït Khaled (Paris, 2003)
Hamid Aïd Khaled (Entretien téléphonique, 2004)
Henri Alleg (Palaiseau, 2003)
Louisa Amrani (Paris, 2003)
Aïssa Amrani (Paris, 2003)
Djamal Amrani (Alger, 2003)
Fadila Amrani (Paris, 2003)
Amar Bentoumi (Alger, 2003)
Anissa Bouhadef (Alger, 2003)
Malika Boumendjel (Puteaux, Paris et Alger, de 2002 à 2010)
Najia Boumendjel (Alger, 2003)
Brahim Chergui (Alger, 2003)
Fadila Chitour Boumendjel (Alger, 2003 et 2004)
Jean-Jacques de Felice (Paris, 2003)
Mahmoud Hakimi (Alger, 2003 et 2005)
Mohammed Hadj Hamou (Alger, 2003 et Paris, 2004)
Sadek Hadjerès (Malakoff, 2003)
André Mandouze (Entretien téléphonique, 2003)
Madeleine Rebérioux (Entretien téléphonique, 2003)
Albert Smadja (Paris, 2003)
Germaine Tillion (Paris, 2003)
Pierre Vidal-Naquet (Paris, 2003)
M’hamed Yazid (Alger, 2003)
312 Ali Boumendjel

Archives
Archives privées de la famille Boumendjel
— Classeur blanc des lettres d’Ali Boumendjel à sa femme durant ses
séjours à l’étranger.
— Dossier de la Shell concernant Ali Boumendjel, comportant notam-
ment la synthèse des tests psychologiques effectués lors de son recru-
tement.
— Textes des discours d’hommage prononcés par Eugénie Cotton et
Abderrahmane Bouchama en 1964, lors de la cérémonie organisée
par le Mouvement mondial de la paix, à Alger, et de la remise de la
médaille Joliot-Curie à Ali Boumendjel à titre posthume.
— Dossier d’Ahmed Boumendjel concernant son frère. Il comporte
notamment la correspondance d’Ahmed, les lettres du bâtonnier
Perrin et les lettres de condoléances reçues à la mort d’Ali. On y
trouve également de nombreux articles de presse, malheureusement,
certains ne sont pas datés et n’ont donc pu être référencés de façon
rigoureuse.
— Textes écrits par Malika Boumendjel, sous la forme de témoignage
(« De l’arrestation à l’assassinat », texte fourni par la famille sur
disquette, 15 p.) ou de mémoires (deux cahiers manuscrits).

Autres archives privées


— Les archives de maître Maurice Garçon, déposées au CAC, Centre
d’archives contemporaines de Fontainebleau.
— Les archives du Mouvement mondial de la paix, déposées aux archives
départementales de la Seine-Saint-Denis, à Bobigny.

Les archives institutionnelles


Les cartons marqués d’un * étaient soumis à dérogation au moment de
leur consultation.
— Le SHAT, le Service historique des armées de terre (Vincennes)
1H 2584* (Cahier « Affaire Boumendjel Ali »)
— Le CAOM, Centre des archives d’outre-mer (Aix-en-Provence)
Fonds de la préfecture d’Alger (1K) 72 ; 90 ; 590 ; 812 ; 826 ; 847 ; 848 ;
855 ; 858 ; 944
Fonds du ministre résidant de l’Algérie (8CAB) 108 ; 159 ; 160.
Fonds du ministère des affaires algériennes (81F) 273 ; 678 ; 684 ; 771 ;
885 ; 903 ; 1365
Sources orales et archives 313

La presse
Les collections d’Égalité et de La République algérienne, disponibles à la
bibliothèque du Centre diocésain des Glycines (Alger), ont été dépouil-
lées. Les journaux suivants ont été systématiquement dépouillés pour
la période de février à mai 1957 :
— Le Canard enchaîné
— L’Écho d’Alger
— L’Express
— Le Figaro
— Franc-Tireur
— France Observateur
— L’Humanité
— Libération
— Le Monde
Par ailleurs, d’autres titres de presse ainsi que des revues ont été ponc-
tuellement consultés :
— Alger républicain
— Esprit
— L’Humanité dimanche
— Paris-Presse L’Intransigeant
— Témoignage chrétien
Index

Malika et Ahmed Boumendjel étant cités trop fréquemment au fil


du texte, ils n’apparaissent pas dans l’index. Lorsqu’elles l’utilisent,
les femmes sont classées à leur nom de femme mariée suivi de leur
nom de jeune fille.

8 mai 1945, 132, 135, 153 Aït Ouyahia, Belkacem, 248, 249,
296, 303
Aït Si Selmi Boumendjel, Aziza, 52-
A 59, 61, 63-69, 81, 83, 94, 284,
286, 303
Abbane, Ramdane, 36, 44, 46-50, 85, Aït-Ahmed, Hocine, 39, 42
177, 178, 186, 189, 190, 193-195, Alger républicain, 156, 161, 162, 191,
197-200, 203, 206, 210, 235, 244, 205, 290, 305, 313
279, 291, 292 Alleg, Henri, 16, 18, 30, 36, 37, 40,
Abbas, Ferhat, 23-25, 43, 49, 76, 77, 156, 161, 162, 174, 191, 215, 219,
110, 112, 114, 121, 123-125, 127- 226, 230, 231, 245, 273-275, 281-
131, 133, 135-141, 143, 145, 146, 283, 290-296, 298, 303, 305, 311
148, 153, 154, 162-164, 169-171, Amis du Manifeste et de la liberté
173, 175, 178, 181, 184, 196, 199, (AML), 29, 77, 131, 137, 140
200, 205, 210, 240, 274, 275, 282, Amrane Boumendjel, Louisa, 52, 53,
284, 287-289, 291, 305, 308, 309 57, 58, 61, 64, 67-69, 81, 284, 303
Abd el-Kader, 92, 153 Amrani, Abdelmalik, 113, 189, 224,
Abduh, Muhammad, 78, 92 229, 231-234, 248, 276
Achour, Mohand, 141 Amrani, André, 11, 12, 95, 201, 210,
Afghani (al-), Jamal al-Din, 78, 92 212-214, 216, 238, 244, 275, 276,
Aissat, Idir, 238 297
Aït Kaci, Anissa, 94, 202 Amrani, Belkacem, 11, 12, 94, 96,
Aït Khaled Boumendjel, Ghenima, 116
52, 53, 61-71, 113, 118, 284, 285, Amrani, Djamal, 211-216, 221, 225,
303, 311 246, 247, 293, 294, 296, 303, 305,
Aït Khaled, Hamid, 118, 201, 210, 311
287, 293, 303 Amrouche, Fadhma, 59-61
316 Ali Boumendjel

Amrouche, Jean, 59, 61, 145 182-185, 189, 190, 196, 197, 199,
Amrouche, Taos, 56 201, 203, 209, 218, 219, 232, 238,
Angeli, Lucien, 139 239, 242, 243, 245, 252, 285-287,
Anniversaire du Manifeste (10 février), 290-294, 296, 303, 311
153 Benzadi, Ahmed, 143, 163, 166
Aragon, Louis, 89, 157, 158 Berrouaghia (camp d’internement),
Armée de libération nationale (ALN), 224, 227, 235, 236, 252, 270
35, 42, 194 Beuve-Méry, Hubert, 259, 297
Arslan, Chakib, 78 Bitat, Rabah, 183
Asselah, Hocine, 127 Blida (Collège colonial Duveyrier de
Asselah, Slimane, 11 Blida, dit Lycée de), 36, 72, 74,
Astier de Lavigerie (d’), Emmanuel, 84-88, 93, 98, 100, 105, 107, 117,
192 120, 132, 151-154, 161, 163, 193,
Atlan, Herta, 118 197-199, 203, 255, 283, 289
Audin, Maurice, 10-12, 16, 279, 281, Blumel, André, 267
298, 309 Bollardière (Pâris de), Jacques, 16
Aussaresses, Paul, 9, 16, 17, 208, 214- Bouchama, Abderrahmane, 156, 160,
216, 222, 229, 234, 235, 242, 246, 193, 290, 292, 312
247, 250, 255, 281, 282, 293-296, Bouhadef, Anissa, 41, 210, 283, 293,
305 303, 311
Azzam Pacha, 148, 289 Boukort, Benali, 141, 227, 228, 230,
232, 295, 306
Boumendjel, Mohand, 54-56, 58-60,
B 62-64, 66, 68-71, 74, 75, 77, 79,
80, 83, 94, 97, 101, 116, 117, 137,
Bachtarzi, Mahieddine, 162 248, 271, 285
Bechir, Mostafa, 148 Boumendjel Yacine, Kelthoum, 54,
Ben Keddache, Cherif, 141, 229, 232, 55, 61, 62, 66, 271
233 Boumendjel Charbonnier, Gilberte,
Ben M’hidi, Larbi, 10, 16, 19, 193, 206, 98, 105, 106, 113, 131, 133
234, 237-239, 252, 255, 262, 279 Bourdet, Claude, 253
Benbadis, Abdelhamid, 123, 153, 301 Bourgès-Maunoury, Maurice, 257
Bendjelloul, Mohammed-Salah, 24, Bouteflika, Abdelaziz, 26, 283
78, 123, 126, 127, 138, 200 Bouzarea (école normale), 23, 58,
Beni Menguellet, 23, 54 59, 65, 97
Beni Messous (centre de transit), 219 Bouzarea (siège de la DST), 240
Beni Yenni, 54 Bouzida, Arezki, 45, 162, 183, 188,
Benkhedda, Benyoucef, 85, 86, 127, 252
183, 189, 197-199, 203, 206, 210, Brahimi, Bachir, 124, 135, 137
239, 242, 244, 251, 252, 285, 287, Braun, Pierre, 183
297, 305 Brossolette, Pierre, 13, 263, 264, 268,
Benmelha, Ghaouti, 107, 162, 242, 269
252, 286 Bruguier, Michel, 187, 188, 261, 262,
Bentoumi, Amar, 38, 86, 103, 110, 292
114, 115, 119, 154, 155, 162, 176, Brune, Jean, 146, 147
Index 317

C E

Cadi, Abdelkader, 127 Écho d’Alger, 15, 236, 237, 240, 245,
Canard enchaîné (Le), 265, 298, 313 252, 296, 313
Capitant, René, 13, 45, 46, 99, 122, Ehrenbourg, Ilya, 158, 192
123, 126, 192, 253-256, 260, 261, El Biar (bâtiment des parachutistes,
264, 266, 272, 273, 286, 297 avenue Clemenceau), 15, 16, 31,
Césaire, Aimé, 158 37, 217, 218, 246, 253, 254, 256,
Champeix, Marcel, 257 294, 295
Chaulet, Pierre, 27, 282 Émeric, Philipe, 237
Chergui, Brahim, 197, 282, 291-293, Estienne d’Orves (d’), Honoré, 263
296, 303, 311 Étoile nord-africaine, 27, 43, 47, 86,
Chitour Boumendjel, Fadila, 71, 98, 123, 299
106, 117, 201-203, 210, 286, 293, Express (L’), 15, 87, 253, 254, 256,
303, 311 257, 259, 260, 267, 313
Collectif des avocats, 103, 183, 185,
214, 217, 241, 243, 244, 251
F
Combat (réseau de résistance), 99
Commission de sauvegarde des droits
Farge, Yves, 157, 158, 266
et des libertés individuels, 221,
Farnoux, Abel, 224, 225, 229, 234,
239, 270, 294, 296, 298, 306
295, 296, 303, 308
Congrès musulman, 78, 88, 123, 287
Farnoux, Yvette, 224-226, 229, 295,
Constantini, Guy, 87, 120
303
Cotton, Eugénie, 156, 290, 312
Farouk (roi d’Égypte), 149
Courrier algérien (Le), 139
Fédération des élus, 78, 123, 138
Fédération des libéraux, 266
Fédine, Constantin, 192
D
Felice (de), Jean-Jacques, 38, 187,
292, 303, 311
Dahlab, Saad, 85, 161, 199, 203, 285, Feltin, Maurice, 261
287, 305 Feraoun, Mouloud, 57, 59, 60, 284,
Daniel, Jean, 84, 87, 255, 256, 267, 306
271, 278, 285, 297, 298, 303 Ferme Perrin (Berrouaghia), 230
Darlan, Joseph, 121, 126 Figaro (Le), 237, 239, 296, 297, 313
Dechezelles, Yves, 183 Fong, Robert, 139
Didouche, Mourad, 44, 49 Fossey-François, Albert, 216, 220-
Djemame, Mohammed el-Hadi, 126 223, 227, 229, 232, 235-238, 246,
Djender, Mahieddine, 217, 238 294, 295
Domenach, Jean-Marie, 266 France Observateur, 18, 239, 253, 256,
Domerc, Marcel, 87-90, 132, 255, 260, 262-264, 296, 297, 313
256 Francis, Ahmed, 43, 135, 137, 138,
Douzon, Henri, 183, 199, 200, 293, 143, 178, 199, 200, 210
298, 305 Franc-Tireur, 245, 265, 266, 296-298,
Dreyfus, Nicole, 38 313
318 Ali Boumendjel

Froger, Amédée, 207 Hussein Dey (locaux du Génie), 212,


Front de libération nationale (FLN), 217, 219, 222, 240
10, 15, 17, 19, 21, 26, 27, 30, 36,
38, 42, 44, 46-50, 85-87, 108, 174-
177, 180, 181, 184-191, 193-203, I
205-208, 210, 213-217, 229, 232-
234, 237-239, 241, 244, 246, 252, Ighilahriz, Louisette, 9, 17
254, 258, 263-265, 278, 279, 281, Istiqlal (parti nationaliste marocain),
285, 289, 293, 295, 299, 306, 307 150, 171
Front des forces socialistes (FFS), 42,
47-49, 299
J

G Jeanson, Colette, 221


Jeanson, Francis, 221, 222, 231, 294,
Garçon, Maurice, 44, 221, 224, 227, 295
261, 294-296, 298, 312 Jeunesse de l’UDMA (JUDMA), 27,
Gauthier, Robert, 259 149, 299
Gerlier, Pierre, 260, 297 Joliot-Curie, Frédéric, 44, 157, 158, 312
Gonon, Yves, 118, 162 Julien, Charles-André, 137, 289, 291
Gorlin, Michel, 239
Gouvernement provisoire de la
République française (GPRF), 46, K
122, 125
Grange, Louis, 162, 183 Kaidi, Ahmed, 172
Grit, Pierre, 87, 120 Kateb, Yacine, 82, 162
Guedj, Élie, 162, 183, 238 Kessous, Abdelaziz (dit Aziz), 126,
131, 137, 138, 143, 152, 169
Kiouane, Abderrahmane, 45, 183
H Krim, Belkacem, 178, 194

Hached, Ferhat, 150


Hadj Hamou, Mohammed, 38, 107, L
108, 119, 176, 177, 179, 183, 185,
188, 189, 196, 197, 242, 243, 252, Lacoste, Robert, 205, 231, 236, 239,
282, 286, 291, 292, 296, 303, 311 257, 258, 263, 264
Hadj Sadoq, Mohammed, 90-93, 107 Lagaillarde, Pierre, 105
Hadjerès, Sadek, 71-78, 82, 84, 86, Lamine Debaghine, Ahmed, 86, 87,
88-93, 114, 156, 162, 177, 178, 127
197, 198, 200, 203, 284-286, 288, Lamoudi, Lamine, 137
292, 303, 311 Leborgne, Guy, 221, 236
Hakimi, Mahmoud, 173, 175, 288, Lechani, Mohand, 71
291, 303, 311 Lentin, Albert-Paul, 13, 99, 122, 192,
Humanité dimanche (L’), 262, 263, 255, 256, 292, 307
297, 313 Ligue arabe, 148
Index 319

Louanchi, Salah, 183 Moufdi, Zakaria, 112, 125, 126


Loufrani, Georges, 125, 126, 130 Mouvement de la paix, 156, 158,
266, 268
Mouvement pour le triomphe des
M libertés démocratiques (MTLD),
24, 27, 28, 43, 76, 77, 111, 143,
Madani (al-), Tewfiq, 127 151, 154, 159, 162, 166, 168, 170,
Maillot, Henri, 18, 274 176, 178, 182, 183, 205, 282, 283,
Maillot (hôpital), 222-224, 226, 227, 285, 292, 299
229, 231, 248 Mouvement républicain populaire
Malraux, André, 89, 90, 132 (MRP), 264, 299
Mandouze, André, 159, 160, 162,
290, 303, 307, 311
Maqam ash-Shahid (monument des N
Martyrs, Alger), 32, 35
Marrou, Henri, 266 Naegelen, Marcel-Edmond, 155
Martin-Chauffier, Louis, 158 Naroun, Amar, 55, 284, 308
Massu, Jacques, 9, 10, 16, 205, 208, Neguib, Muhammad, 149
214-216, 220, 230, 231, 234-236, Nenni, Pietro, 157
246, 247, 253, 255, 294, 307
Mauriac, François, 13, 259-261, 267,
297, 298 O
Mendès-France, Pierre, 13, 260, 261,
267, 297, 298 Oqbi (al-), Tayyeb, 75, 124, 126
Menthon (de), François, 264 Organisation spéciale (OS), 292, 299
Merbah, Moulay, 183 Orléansville (tremblement de terre d’),
Messali Hadj, Ahmed, 23, 24, 33, 43, 163, 164, 236
48, 50, 76, 86, 87, 112, 123-125, Ouagouag, Abdelkader, 290
127, 130, 135, 140, 151, 176, 182, Ouamara, Mohammed, 131
194, 207, 283, 285, 288, 309 Ouzegane, Amar, 138
Michel, Serge, 108, 119, 162, 163, 165,
166, 179-181, 184, 186, 240, 274,
275, 286, 290, 292, 296, 298, 307 P
Mimouni, Abdelkader, 137
Ministère des Anciens Moudjahidine, Palais de justice d’Alger, 36-38, 107,
31, 48, 50, 282, 283 111, 209
Mitterrand, François, 164, 191, 236, Papon, Maurice, 17, 281
257, 258 Parti communiste algérien (PCA), 27,
Moch, Jules, 126, 130 30, 71, 123, 137-139, 143, 154,
Mollet, Guy, 221, 255, 257, 265 155, 159, 161, 162, 168, 170, 194-
Moncef Bey, 153, 154 196, 200, 205, 207, 299
Monde (Le), 9, 17, 237, 238, 256, 259- Parti communiste français (PCF), 16
261, 266, 281, 282, 296-298, 313 Parti du peuple algérien (PPA), 23, 24,
Morvan Lebesque, 265 27-29, 43, 47, 48, 71, 86, 87, 112,
Mossadegh, Mohammad, 149 123-127, 131, 133, 135-138, 140,
320 Ali Boumendjel

142, 145, 151, 162, 163, 169, 176- 162, 173, 174, 199, 200, 239, 242,
179, 182, 199, 228, 285, 291, 299 252, 287
Paul-Cazelles (camp d’internement), Sayyid (al-), Lutfi, 52
223 Section française de l’Internationale
Pères Blancs, 58-60, 64, 101 ouvrière (SFIO), 88, 126, 137, 138,
Perrin, Pierre, 189, 223, 224, 227, 143
235, 295, 296, 312 Seghers, Anna, 192
Pétain, Philippe, 126 Selhi, Mohand, 12, 110, 189, 209,
Philip, André, 266 211, 213, 214, 232-234
Picasso, Pablo, 157, 158 Servan-Schreiber, Jean-Jacques, 15,
Place des Martyrs (Alger), 32 256, 262, 281
Poldès, Léo, 266, 298 Simon, Pierre-Henri, 262, 265, 298
Smadja, Albert, 162, 209, 238, 293,
303, 311
R Soummam (congrès de la), 44, 46,
193-195, 206
Racim, Omar et Mohammed, 162 Stibbe, Pierre, 44, 183
Rebbani, Nefa, 183, 242, 252
Rebérioux, Madeleine, 13, 266, 298,
303, 311 T
Reille-Soult-Dalmatie, François, 264
Reliquet, Jean, 236, 237, 240 Tamedrari, Mohammed, 170
République algérienne (La), 26, 29, 92, Tamzali, Abdennour, 126, 127
108, 110, 142, 143, 146-148, 150, Tebessi, Larbi, 10, 127, 137
163-165, 169, 171, 178, 191, 205, Teitgen, Paul, 235, 236, 270
287-289, 299, 305, 313 Thorp, René-William, 261, 266
Ricco, Marie-José, 87 Tiar, Mohammed, 125
Ricœur, Paul, 266 Tillion, Germaine, 225, 303, 311
Riond, Georges, 146 Toubal, Hadj Amar, 41, 42, 45-50, 283
Robeson, Paul, 158 Touri, Mohammed, 162
Rosenberg, Ethel et Julius, 161 Trinquier, Roger, 208, 246
Rue Ali Boumendjel (Alger), 36, 112 Turqui, Abbas, 131

S U

Saadane, Ahmed-Cherif, 127, 133, ‘Ulamâ (association des), 10, 28, 30,
137, 138, 141, 154 75, 78, 123, 124, 126, 127, 131,
Saadi, Yacef, 206, 215, 282 136, 137, 149, 153, 170, 301
Sahraoui, Mustapha Belarbi, 74, 75
Salle Pleyel (Congrès mondial des
partisans de la paix, 1949), 157 V
Sartre, Jean-Paul, 192
Sator, Kaddour, 110, 114, 119, 124, Vallon, Louis, 192
125, 131, 135, 137, 138, 143, 152, Vasto (del), Lanza, 266
Index 321

Vercors, 45, 265 Y


Vergès, Jacques, 16, 38, 185, 186,
281, 292, 296, 309, 310 Yazid, M’hamed, 85, 87, 88, 98, 163,
Vidal-Naquet, Pierre, 11, 12, 16, 68,
285, 286, 290, 303, 311
235, 270, 281, 282, 284, 296, 303,
Yveton, Fernand, 18, 274
309, 311
Voix des humbles (La), 71
Z
W
Zenati, Rabah, 71
Wahiba, Madame, 162 Zerbini, Georges, 260, 297
Wall, Maurice, 146 Zighout, Youcef, 190
Weill-Hallé, Benjamin, 266 Zilliacus, Konni, 157, 158
Table

Préface à l’édition de 2022 9


Introduction 15

1. Héroïsme et martyre en Algérie : les espaces


de contrainte de la biographie 23
Ali Boumendjel et le roman national : biographie
et nationalisme 24
« Pour la liquidation de la colonisation » 24
L’impossible pluralisme 26
Ali Boumendjel ou l’autre nationalisme 28
Ali Boumendjel est-il un héros ? Biographie, hagiographie
et martyre en Algérie 30
Biographie et martyre en Algérie 30
L’omniprésence des martyrs : les martyrs reviennent
cette semaine 31
L’élaboration d’un martyrologe 34
Désir de justice, désir d’histoire 34
La commémoration officielle 36
La construction du roman familial 39

2. Du fils de l’instituteur kabyle à l’avocat algérien


(1919-1943) 51
Le parcours d’une famille de Kabylie 53
Du paysan de Kabylie à l’instituteur de l’école française 53
Une famille en mouvement 61
Et la politique ? 69
La politique des années 1930 et 1940 74
Ali à l’école républicaine 79
Le collège de Blida : la pépinière nationaliste 84
La rencontre avec les Amrani 94
324 Ali Boumendjel

3. L’avocat de la République algérienne


(1943-1957) 103
Un homme-frontière 104
L’installation comme avocat 104
Un couple contre la famille 111
Le choix d’un mode de vie 116
L’homme du Manifeste 121
Durant la guerre : dans le sillage de Ferhat Abbas 121
L’homme de l’UDMA (1946-1956) 135
Une position originale au sein de l’UDMA 156
L’avocat dans la révolution (1954-1957) 174
Le 1er novembre 1954, une conscience inquiète 175
L’avocat des nationalistes 182
Le soutien au FLN 190

4. L’affaire Boumendjel 205


Les paras contre la grève 206
De l’arrestation à l’assassinat 211
« 43 jours de pacifiante agonie » 217
L’assassinat 245
L’onde de choc… 251
La presse durant l’emprisonnement 251
L’affaire Capitant-Boumendjel 253
La campagne d’Ahmed et la mobilisation des réseaux 259

Au delà de la biographie 271


Notes 281
Sigles employés 299
Lexique 301
Bibliographie 305
Sources orales et archives 311
Entretiens 311
Archives 312

Index 315
L’éditeur de cet ouvrage s’engage dans
une démarche de certification FSC®
qui contribue à la préservation des
forêts pour les générations futures.

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