Philosophie Fiches de Revision Tronc Commun-1

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PHILOSOPHIE

ANALYSE ÉLÉMENTAIRE DU PROGRAMME DE TERMINALE


Tronc commun

AVERTISSEMENT : les fiches que vous allez trouver ici ne sont pas des résumés
de cours. Elles prétendent seulement vous apporter les éléments problématiques
des notions du programme. Leur finalité est de vous donner les « détonateurs » de
la réflexion, afin que vous trouviez plus facilement les problèmes correspondants à
un sujet de dissertation ou à un texte à expliquer.

Une notion est problématique à trois points de vue : ou bien par l’ambivalence
de son sens, ou bien par une contradiction interne, ou bien par sa prétention à
devenir un principe, toujours critiquable. En effet, une notion peut :

1. Prendre des sens différents. Nous n’indiquons ici que les ambivalences
problématiques de la notion. Ces indications ne sauraient remplacer la construction
des concepts, ni l’analyse des sujets spécifiques donnés à l’examen.

2. Renfermer une contradiction qui est le germe des problèmes plus spécifiques qu’on
peut poser ensuite. Les deux éléments qui établissent une tension à l’intérieur de la
notion seront mis en évidence (termes en italiques gras). Ces contradictions doivent
lancer la réflexion, elles ne sont pas des conclusions.

3. Prétendre devenir un principe fondamental de l’explication du réel ou de l’homme.


La notion est alors beaucoup plus qu’un concept, elle devient le premier principe
d’une philosophie. Souvent, cette « prétention » de la notion est rendue manifeste
par la possibilité d’entrer dans une proposition universelle du type : « tout est… »,
ou « tout peut être expliqué par… » ou « tout peut être réduit à… », etc. Dans une
dissertation, ces propositions doivent être envisagées comme des hypothèses
discutables, et non pas comme des conclusions définitives. C’est pourquoi toute
« prétention » sera accompagnée de sa « critique », celle-ci ne signifiant pas pour
autant que celle-là est infondée. Ne prenez aucune des affirmations ci-dessous pour
des vérités indiscutables. Ce sont au contraire des éléments de discussion.

Chaque fiche est donc divisée en trois parties correspondant à ses trois
caractéristiques.

1
LA CONSCIENCE
A. SIGNIFICATIONS :
1. Sens moral ou sens psychologique : capacité de discerner le bien et le mal (on parle
alors de « conscience morale »), ou capacité de percevoir quelque chose en sachant
qu’on le perçoit (« conscience psychologique »). On peut contester cette distinction, en
montrant que dès que le sujet prend conscience de lui-même au sens psychologique (il
devient objet pour lui-même), il devient du même coup un sujet moral, puisque, en se
dédoublant, il devient capable de se juger.
2. Conscience d’objet et conscience de soi : en fait, deux aspects inséparables de la
conscience au sens psychologique. Quand quelque chose m’apparaît comme un ob-jet
(= op-posé à moi), cela implique que j’ai également conscience de moi. Même quand
je ne pense pas explicitement à moi, cette conscience de soi est présente implicitement
dans la conscience tournée vers le monde.
3. Conscience de soi : cette expression est ambiguë, puisqu’elle peut désigner ou bien la
conscience qui prend pour objet le moi empirique individuel (mes sensations, mes
désirs, mes pensées, mes qualités, mes défauts, mes actes, etc.), ou bien la conscience
consciente d’être une conscience, un sujet pensant (cf. Descartes : « je suis une chose
qui pense »).

B. CONTRADICTIONS : la conscience révèle et cache en même temps le réel.


1. Le monde n’est jamais perçu que partiellement : j’ai conscience d’une totalité appelée
« monde », mais je n’en perçois jamais qu’une partie (ma perspective)..
2. Même problème pour le sujet : je sais que je suis un tout mais je ne perçois pas tout ce
qui se passe en moi, cf. ignorance de mes déterminismes (Spinoza), inconscient
(Leibniz, Freud)
3. Le moi s’apparaît à lui-même tout en perdant son unité : il se brise en moi-objet et moi-
sujet, sans pouvoir cependant renoncer à son unité (quand je pense à moi, je me
dédouble sans me dédoubler, le moi-objet ne devient pas réellement un objet
totalement opposé à moi).
4. L’habitude de percevoir le réel comme objet en face de moi me fait oublier que je suis
sujet (la conscience s’oublie dans son objet, un peu comme l’œil qui ne se voit pas).
On finit par croire qu’il n’y a dans le réel que des choses, et tenir pour rien la
conscience.

C. PRETENTIONS :
1. La conscience fait de l’homme un être supérieur à tous les autres, puisqu’il a
l’avantage de savoir ce qu’il est et ce qu’il fait. CRITIQUE : la conscience fait de
l’homme un être malheureux (conscience morale) et inadapté (la réflexion se substitue
à l’instinct). Le sort d’un animal peut sembler plus enviable ! Nous avons perdu
l’innocence originelle et l’harmonie avec la nature.
2. La conscience fonde la transcendance absolue de l’homme, puisqu’elle le place
toujours au-dessus de ce dont il est conscient. Il est sujet, ne peut donc être confondu
avec un objet, ce qui fonde sa liberté essentielle et sa dignité (Kant, Sartre).
CRITIQUE : vanité, orgueil de l’homme qui, parce qu’il est conscient du monde,
s’imagine qu’il est au-dessus, ou hors du monde, « un empire dans un empire »
(Spinoza), alors qu’en fait il est soumis aux lois de l’univers, comme le reste.
3. La conscience rend possible une parfaite connaissance de soi-même : je sais ce que je
suis, je sais ce que je pense, je sais ce que je veux, je sais ce que je fais. CRITIQUE : la
conscience est source d’illusions. Illusion de la liberté (Spinoza). Illusion de
l’existence d’un moi permanent (Kant). Illusion de la division de la réalité en sujet et
objet, qui brise l’unité de l’Être (Spinoza, Hegel, Heidegger).
4. La conscience constitue l’individu en sujet autonome, capable de penser et de choisir
par lui-même. CRITIQUE : il y a de nombreuses causes extérieures à la conscience qui
me font penser et choisir malgré moi (l’inconscient, le corps, la société ; voir fiche sur
la liberté).

2
L’INCONSCIENT
A. SIGNIFICATIONS :
1. Ne pas confondre l’inconscienT (ensemble de phénomènes mentaux dont je n’ai pas,
ou plus, ou pas encore conscience) et l’inconscienCE (état d’un homme ayant perdu
conscience, comme dans le sommeil, ou bien irresponsabilité, fait de ne pas penser aux
conséquences de ses actes, insouciance).
2. Ne pas confondre a/ l’inconscient, qui désigne l’ensemble des phénomènes
psychiques, appartenant à mon esprit, dont je n’ai pas conscience, et b/ la totalité des
phénomènes extérieurs à mon esprit dont je ne suis pas conscient (par exemple le
mécanisme de la digestion pendant que je digère ; ou bien le nombre de personnes qui
meurent chaque jour ; ou les pensées secrètes d’un ami : rien de tout cela ne fait partie
de « l’inconscient » , bien qu’on puisse dire que « je n’en suis pas conscient », dans le
sens où je l’ignore ; il faut alors parler de l’inconnu).
3. Ne pas confondre : a/ l’inconscient de constitution : ensemble de mécanismes
inconscients qui contribuent positivement au développement de la vie psychique
(habitudes, mémoire, automatismes relevant des apprentissages, enchaînement rapide
des pensées etc.) et b/ l’inconscient de dissolution : mécanismes inconscients qui
contribuent à la dégradation de la vie psychique en divisant la personne : névroses,
dédoublement de la personnalité, schizophrénie, hystérie etc. Dans ce cas, une partie
de moi m’échappe à moi-même.
4. Ne pas confondre : a/ l’inconscient statique, que Freud préfère appeler préconscient,
parce qu’il renferme des représentations qui peuvent devenir conscientes sans grande
difficulté, ou bien parce qu’elles ne sont pas encore conscientes (cf. le son d’une
cloche, exemple de Leibniz), ou bien parce qu’elles ne sont plus conscientes (cf. le
bruit d’une chute d’eau, autre exemple de Leibniz) ; et b/ l’inconscient dynamique, ou
inconscient psychanalytique proprement dit : ensemble des pulsions, d’origine
sexuelle, qui cherchent constamment à se satisfaire mais qui sont constamment
refoulées, peut-être depuis toujours. C’est pourquoi cet inconscient est aussi appelé
« le refoulé ». Il engendre des conflits dans le sujet, pris entre la logique du principe de
plaisir, qui commande l’inconscient, et le principe de réalité, auquel obéit la
conscience, qui doit s’adapter au monde extérieur (normes sociales). Comme la
censure des pulsions est elle-même un phénomène inconscient, Freud finit par diviser
l’inconscient en Ça (pulsions) et Surmoi (censure). Le moi, pour s’adapter aux normes
sociales, doit constamment trouver des compromis entre le Ça et le Surmoi.

B. CONTRADICTION :
L’inconscient est très intelligent… Songer aux mots d’esprit, aux intuitions, au génie
créateur. On a justement reproché à Freud de prêter à l’inconscient (au sens
psychanalytique), théoriquement constitué de pulsions primitives, infantiles, d’être en
même temps capable de ruser très finement avec la censure de la conscience,
d’inventer des métaphores, des métonymies, de construire tout un langage symbolique
pour pouvoir satisfaire les pulsions de manière indirecte, dans le rêve ou le lapsus par
exemple. Intelligence inconsciente, que Nietzsche appelle « la grande Raison », qui
nous gouverne réellement, par opposition à la « petite raison » (l’intelligence
consciente, dont le pouvoir est illusoire).

C. PRETENTION :
Toute l’activité humaine s’explique par des déterminismes inconscients : causes de nos
actes (Spinoza, Leibniz), intérêts de classe (Marx), volonté de puissance (Nietzsche),
pulsions refoulées (Freud).
CRITIQUE : tous ces penseurs montrent qu’on peut parvenir à devenir conscient de ses
déterminismes. Au moins conscient du fait qu’ils existent. Même si la conscience n’est
pas, comme elle le croit, la cause libre de notre activité, une chose est de subir des
déterminismes sans le savoir, autre chose est de les subir en le sachant. Savoir ce qui se
passe permet a/ d’éviter l’illusion ; b/ de prévoir ; c/ de modifier les effets en agissant
sur les causes (voir fiche sur la liberté)

3
LE TEMPS
A. SIGNIFICATIONS :

1. Le temps des horloges, homogène, quantitatif, mesurable, identique pour tous les
sujets, représenté sous forme spatiale (ligne, cercle, avec leurs divisions).
2. Le temps vécu, hétérogène (passé, présent, futur), qualitatif (la 60ème minute d’une
activité qui dure une heure n’a pas la même « qualité » que la 1ère, ma 50ème année ne
ressemble pas à ma 10ème année, car elle contient le souvenir de toutes les autres), et
enfin différent selon les sujets et les circonstances (« cette minute m’a paru une
éternité ! »). Ce temps vécu et créateur, qui correspond à l’accroissement incessant de
mon être, Bergson l’appelle « durée », et le compare à une boule de neige qui
augmente sans cesse de volume. Tout le passé s’y conserve, aucun présent n’y est
semblable au présent précédent.
3. Le temps comme « sens interne » : condition de la perception de la succession
ininterrompue des représentations (perceptions, souvenirs, pensées) dans une
conscience. S’oppose alors à l’espace, conçu comme « sens externe », condition de la
perception des objets extérieurs. Dans ce cas, temps = intériorité, espace = extériorité
(Kant).

B. CONTRADICTION : le temps fait et défait les choses ; il est créateur et destructeur. On


peut ne voir le temps que sous l’un de ces deux aspects, ou bien établir une « dialectique »
entre les deux, comme Hegel : toute destruction est en même temps une création
(ex. : l’apparition de la fleur implique la disparition du bourgeon, l’apparition du fruit
implique la destruction de la fleur, l’apparition d’une nouvelle civilisation implique la
destruction de la précédente). Mais le passé n’est pas anéanti : il est conservé dans l’étape
suivante, qu’il a rendue possible (Hegel appelle ce processus Aufhebung, mot allemand qui
signifie à la fois dépassement et conservation. Hegel en fait la loi fondamentale de
l’histoire).

C. PRETENTION :
Tout est dans le temps, toutes les choses et toutes les pensées. C’est le principe du
devenir universel. Tout y est soumis. Le Soleil, et même l’univers matériel dans sa
totalité peuvent disparaître un jour. Rien n’est éternel. Tout apparaît puis disparaît.
CRITIQUE : Il y a des vérités éternelles (au sens strict, éternel ne veut pas dire « qui
dure indéfiniment », mais « hors du temps », « non soumis au temps ») : les relations
logiques, les vérités mathématiques, mêmes si elles ont été découvertes à des dates
précises, ne sont pas soumises au devenir. Les lois de la matière non plus (que la
matière existe ou non). Les lois fondamentales de la morale peuvent également être
jugées « éternelles » (que les hommes existent ou non). Il y a aussi des vérités « semi-
éternelles » : il sera éternellement vrai que vous avez été élèves au lycée Alain…
même si un jour personne n’est là pour s’en souvenir.

4
LA RAISON
A. SIGNIFICATIONS :

1. Une raison : terme très général qui peut désigner ou bien un principe dont découle une
conséquence, ou bien une cause produisant un effet, ou bien un but expliquant un acte
ou l’existence de quelque chose (cause finale). Dans tous les cas il s’agit de répondre à
la question « pourquoi ? », question primordiale de la raison (voir déf. suivante).
2. La raison : faculté de l’esprit, qui cherche à expliquer les choses par des raisons (au
sens 1). Son principe fondamental est : « rien n’arrive sans raison ». L’adjectif
correspondant est rationnel (« une explication rationnelle »). La raison se caractérise
d’abord par le refus d’admettre une affirmation arbitraire ou un fait sans cause
(question « pourquoi ? »), puis par trois exigences fondamentales devant s’appliquer à
toutes ses explications : la nécessité (de la pensée ou du réel), l’universalité (la raison
construit des concepts totalisants et élabore des lois, déteste l’exception), l’objectivité
(la raison oppose réalité à imagination, délire, folie etc.)
3. Sens moral : faculté de commander à soi-même, s’oppose aux passions, à la sensibilité.
4. La Raison : principe qui gouverne l’univers, ou plus particulièrement l’histoire de
l’humanité (ainsi, pour Hegel, l’histoire a un sens, elle est le développement progressif
de la liberté). Dans les deux cas, cette rationalité du réel permet de le comprendre.

B. CONTRADICTION : la raison déraisonne quand elle veut tout soumettre à la raison. Cela
apparaît bien du point de vue logique (en voulant tout démontrer on ne démontre rien), du
point de vue du réel (en voulant tout expliquer on n’explique rien). La raison doit s’avoir
s’arrêter (premier principe, première cause). Le problème étant que la question
« pourquoi ? » resurgit toujours, et à bon droit. La même contradiction apparaît du point de
vue politique : exiger que tous les citoyens aient un comportement rationnel est insensé,
l’être humain ne peut être réduit à la raison, car la sensibilité, le désir, l’égoïsme et donc la
désobéissance à la loi sont inévitables.

C. PRETENTION :
Tout est rationnel. Présupposé fondamental du rationalisme : le réel peut être compris
rationnellement. Hegel affirme que « tout ce qui est réel est rationnel, tout ce qui est
rationnel est réel », ce qui lui permet de prétendre que non seulement la nature, mais
l’histoire sont rationnelle, ont un sens intelligible.
CRITIQUE 1 : Tout est irrationnel = rien n’a de sens, ni le monde, ni l’existence :
philosophie de l’absurde.
CRITIQUE 2 : Tout est irrationnel = il n’y a dans le monde que de la singularité, pas
d’universalité, donc pas de loi, pas de mesure (l’universel est une invention de l’homme).
L’existence consiste à développer une singularité en allant jusqu’au bout de ce qu’elle
peut : volonté de puissance. Il faut vivre en artiste (Nietzsche).
CRITIQUE 3 : il faudra toujours laisser une place à l’exception, à l’imprévisible, à la
minorité, particulièrement en politique et en morale. Danger des morales et des politiques
absolument rationnelles, qui veulent uniformiser les individus (totalitarisme).

5
LE LANGAGE
A. SIGNIFICATIONS :

1. Un langage : un code particulier de transmission, conservation et élaboration de


l’information. En ce sens tout mode d’expression peut être appelé langage, même la
peinture ou la musique.
2. Le langage : l’ensemble de tous les codes de ce genre.
3. Le langage au sens de : la faculté du langage, la faculté d’élaborer ces codes. En ce
sens, s’oppose à « langue », qui désigne un code particulier, système de signes
constitué par cette faculté (= sens 1).
4. Langue à son tour s’oppose à parole : la parole est la mise en pratique d’une langue.
La langue n’est que le système de signes qui rend possible la parole (phonétique,
grammaire, dictionnaire)
5. La parole a aussi un sens plus restreint, quand on l’oppose à l’écriture. L’écriture fait
disparaître certaines composantes de la parole, comme la situation (qui souvent permet
de comprendre ce que l’autre veut dire), les signes non linguistiques accompagnant le
discours (qui aident aussi à comprendre), la possibilité de demander des explications.
C’est pourquoi la compréhension d’un texte écrit est une interprétation, voire une re-
création (un texte a une vie indépendante de son auteur). C’est une des raisons pour
lesquelles Socrate n’a jamais rien écrit et a toujours préféré le dialogue pour penser.

B. CONTRADICTION :

Le langage forme et déforme la pensée. Il la rend possible et la trahit. En effet, on ne


peut pas penser sans les mots. Mais les mots sont souvent trop généraux, incapables
d’exprimer l’individuel, ou polysémiques, donc source de malentendus.

C. PRETENTIONS :

1. Tout peut se dire. CRITIQUE : tout ne peut pas se dire, le singulier, l’individuel
échappent au langage (thème de l’indicible, de l’ineffable, cf. Bergson).

2. Le langage précède la pensée, c’est lui qui fait penser.

a/ D’une part je ne pense réellement quelque chose qu’à partir du moment où je


peux le dire (cf. Hegel : « On croit ordinairement, il est vrai, que ce qu’il y a de
plus haut c’est l’ineffable… Mais c’est là une opinion superficielle et sans
fondement ; car en réalité l’ineffable c’est la pensée obscure, la pensée à l’état de
fermentation, et qui ne devient claire que lorsqu’elle trouve le mot. »).

b/ D’autre part, l’exercice de la pensée implique un usage inconscient d’une


foule de mots, que je ne pense pas explicitement au moment où je les utilise,
mais qui sont nécessaires pour penser autre chose (Cf. Leibniz : « celui qui ne
voudrait dire ni penser aucun mot, sans s'être fait une image concrète de sa
signification, parlerait très lentement ou, mieux encore, ne pourrait que se
taire. »).

CRITIQUE : la pensée précède le langage. Preuves : nous cherchons nos mots, nous
pouvons exprimer la même pensée sous des formes différentes ou dans des langues
différentes. On forge de nouveaux mots pour exprimer une pensée nouvelle, ou du
moins donner un sens nouveau à un mot en usage (les philosophes sont souvent
confrontés à cette nécessité).

Pour être exact, il faudrait dire que si nous ne pouvons penser sans les mots, néanmoins
ce ne sont pas les mots qui pensent.

6
L’ART
A. SIGNIFICATIONS :
1. On oppose : a/ la nature, principe de tout ce qui se produit par soi-même (plante, organisme)
et b/ l’art, principe de toute la production humaine (technique et esthétique). De là
l’opposition entre le naturel et l’artificiel (en grec phusis et téchnè). Les deux domaines réunis
constituent tout le réel.
2. Ne pas confondre, donc : a/ le sens général du mot « art », équivalent à « technique »
« habileté à faire quelque chose », cf. les expressions actuelles « arts et métiers », « arts
martiaux » ; penser au mot artisan (Attention ! le mot « art » est encore utilisé dans le sens de
« technique » après l’apparition de l’industrie) et b/ son sens spécifique, purement esthétique :
production d’œuvres n’ayant aucune autre finalité que leur contemplation. On parle alors des
« Beaux-arts ».
3. On a longtemps distingué : a/ les arts majeurs (architecture, sculpture, peinture, musique,
poésie, danse). b/ les arts mineurs (orfèvrerie, marqueterie, gravure, art du vitrail, tous les arts
« décoratifs »). Cette distinction recouperait l’opposition entre artiste et artisan (travail plus
répétitif, plus manuel, reproduction en série etc.). Très discutée : si le plaisir esthétique vient
des belles formes, les arts mineurs l’offriraient sous une forme plus authentique (Kant). Et où
classer le cinéma ? septième art majeur, ou art mineur, commercial etc. ?

B. CONTRADICTIONS :
1. L’art présente du sens sans présenter de signification. En effet, toute œuvre d’art semble dire
quelque chose, mais on ne peut jamais dire quoi, exactement et objectivement. Cf. Kant :
l’œuvre d’art « donne à penser », dans une œuvre d’art, il semble que tout ait un but, qui nous
fait réfléchir, sans qu’on puisse le définir objectivement et universellement (« finalité sans
fin »). Il n’y a pas de concept (= définition) du beau, même si je pense que tout le monde
devrait l’apprécier comme moi : « le beau plaît universellement sans concept ».
2. Le contenu de l’œuvre d’art, c’est sa forme. Ou encore : le sens spirituel d’une œuvre d’art
réside dans son organisation matérielle (style, manière de l’artiste). Quand Van Gogh peint une
église, le contenu essentiel du tableau n’est pas l’église, mais la manière dont Van Gogh peint
l’église (style de la touche, couleurs, déformation de l’objet). C’est pourquoi Hegel dit que le
but essentiel de l’art n’est pas d’imiter la nature, mais d’exprimer l’esprit de l’artiste.
L’évolution des formes artistiques tout au long de l’histoire correspond, selon Hegel, à l’esprit
de chaque époque.

C. PRETENTIONS :
1. La plus haute forme de plaisir est celui de la contemplation esthétique, car c’est le seul plaisir
absolument désintéressé (Kant : plaisir sensible qui ne s’accompagne, ni du désir de posséder
l’objet pour des raisons biologiques, ni d’une volonté de le réaliser pour des raisons morales).
CRITIQUE : a/ nous avons besoin de la contemplation esthétique, car c’est le seul moment où
nous nous reposons de la vie, qui est une lutte perpétuelle (Schopenhauer) ; b/ le plaisir de la
contemplation esthétique est une forme de sublimation du désir sexuel (Freud).
2. La plus haute forme de vérité est contenue dans l’œuvre d’art, l’art nous unit à l’absolu, car la
contemplation esthétique est une fusion entre le sujet et l’objet (Schelling). CRITIQUE : c’est la
philosophie qui est la plus haute forme de vérité, car elle exprime par le concept ce que l’art ne
fait que représenter (Hegel).
3. La plus haute forme d’activité est la création esthétique, il faudrait faire de la vie elle-même
une création artistique, vivre « en artiste », car l’artiste est le seul à affirmer son individualité,
contrairement au savant, qui s’efface devant l’universalité des lois « objectives » de la science
(Cf. Nietzsche : « nous avons l’art pour ne pas mourir de la vérité »). CRITIQUE : l’art bien
souvent n’est qu’un refuge, il nous détourne de la réalité : lutte des classes, nécessité de
construire un bonheur réel ; le culte de l’art est le propre de l’idéologie bourgeoise (Marx).

7
LA TECHNIQUE
A. SIGNIFICATIONS :

1. Procédés artificiels, obéissant à des règles transmissibles, pour produire un résultat


posé préalablement comme but. Synonyme : « art », au sens ancien (cf. artisan),
technè en grec. Distinguer :
2. Technique du corps : la main, le pied.
3. Technique de l’outil : le corps est la source d’énergie, l’outil prolonge la main.
4. Technique de la machine : source d’énergie indépendante de l’homme. Mais il faut
distinguer source d’énergie naturelle (la machine doit être placée sur la source
d’énergie : moulin) et source d’énergie industrielle (vapeur, électricité, atome) qui est
transportable et peut être placée sur la machine.

B. CONTRADICTIONS :

1. « On ne commande à la nature qu’en lui obéissant » (Bacon). En effet, la technique ne


permet de dépasser les limites imposées par la nature que par l’utilisation des lois de la
nature (ex. : l’avion).
2. L’homme est transformé par son propre pouvoir de transformation de la nature :
déformation physique, mécanisation du corps et de l’esprit, création de nouveaux
besoins, nouvelles façons de sentir et de penser, nouvelle organisation sociale
engendrant l’exploitation de l’homme par l’homme (Marx).

C. PRETENTIONS :

1. La technique prouve la supériorité de l’homme sur la nature.

CRITIQUE COMMUNE : d’une part, en voulant dominer et transformer la nature,


l’homme la détruit et donc finit par se détruire lui-même ; d’autre part, la technique
crée de nouveaux besoins dont l’homme devient esclave.

CRITIQUE DE HEIDEGGER : l’homme actuel a perdu son rapport authentique à la


nature, car il perçoit maintenant la nature comme un ensemble de stocks d’énergie mis
à son service, et non comme une force productrice à laquelle il doit reconnaissance.

2. La technique est le but essentiel de la connaissance : la science permet de


comprendre les lois de la nature, pour ensuite pouvoir dominer et transformer la nature
grâce à ces lois. Mathématiques, physique, chimie ont pour finalité la transformation
de la nature.
CRITIQUE 1 : en fait, la technique précède la connaissance (l’homme a inventé l’arc, la
pompe, la voile, bien avant de connaître les lois de physique qui rendent ces objets
possibles). C’est au contraire parce qu’il est « « technicien » que l’homme développe
son intelligence. Il est homo faber (homme artisan), avant d’être homo sapiens
(Bergson).
CRITIQUE 2 : la connaissance a sa finalité en elle-même, les recherches d’un
mathématicien ou d’un physicien n’ont pas pour but premier d’être utiles au progrès
technique. Ils cherchent avant tout le savoir, et non le pouvoir.

8
LE TRAVAIL
A. SIGNIFICATIONS :

1. Ne pas confondre :
a/ la définition absolument générale du travail comme « effort », qui s’oppose à toute
forme d’inactivité, donc à l’inertie, à la paresse (on trouve même ce sens en physique) et :
b/ la définition spécifique du travail comme effort contraint, qui s’oppose à toute activité
libre (loisir, sport, jeu, méditation, activité politique, recherches intellectuelles, qui
peuvent, certes, renfermer beaucoup d’efforts et de règles, mais qui sont librement choisis,
parce qu’ils ne répondent pas à l’urgence d’un besoin vital).
2. Ne pas confondre toute activité productrice avec le travail : l’activité productrice des animaux
ne peut être appelée « travail » parce qu’elle n’implique pas l’idée préalable, la réflexion sur le
but et les moyens.
3. Inversement le travail n’est pas nécessairement une activité productrice (ex. : balayer, repasser,
moissonner) et pas non plus nécessairement productrice d’un objet d’usage : le travail du
boulanger consiste à produire un objet, le pain, mais c’est un objet de consommation qui
disparaît vite, de là l’éternel recommencement de cette tâche ; cf. la distinction d’Hannah
Arendt entre le travail proprement dit, dont le but est de satisfaire sans fin un besoin vital par
des objets de consommation, et « l’œuvre », fabrication d’objets d’usage qui durent et peuvent
être considérés comme achevés, comme une chaise, une maison etc. De là le mépris des
civilisations anciennes pour le travail, activité non productrice d’objets permanents, et
simplement destinée à assurer la satisfaction des besoins vitaux, donc réservée aux esclaves. Ce
n’est qu’à l’époque moderne que le travail est considéré comme force productive, donc comme
une valeur.
4. C’est pourquoi il faut éviter aussi de confondre le sens actif du mot travail (le travail comme
action, processus, seul sens vraiment pertinent) et le sens passif (le résultat du travail, l’ouvrage
réalisé, qui ne vaut que pour le travail productif).

B. CONTRADICTIONS :

1. le travail est à la fois source de peine (effort, sentiment de travailler pour les autres) et de joie
(sentiment du travail accompli, de participer au bien être de la société).
2. le travail est une privation de liberté (on renonce à la satisfaction immédiate du besoin, on doit
se plier aux lois de la nature, on doit se soumettre à un maître, on doit se transformer soi-même
en un mécanisme) qui donne la liberté (on satisfait mieux le besoin, on devient plus fort, plus
habile, on apprend à être maître de soi-même, on maîtrise la matière). Cf. Hegel, la dialectique
du maître et de l’esclave (le maître, jouissant des produits du travail de l’esclave, devient un
imbécile, et finalement esclave de son esclave, alors que l’esclave, qui apprend à connaître et à
respecter les lois de la nature pour transformer celle-ci, qui apprend aussi à être patient, à
maîtriser ses désirs, va découvrir en fait la vraie liberté (commander à la nature en lui
obéissant, commander à soi-même). Il deviendra maître du maître.

C. PRETENTION :

Le travail est la réalisation de l’essence de l’homme, condition de son développement et donc


de son bonheur (progrès de la connaissance, progrès de la maîtrise de soi : le travail humanise
l’homme).

CRITIQUE 1 : Nietzsche prétend que l’homme travaille… par ennui !

CRITIQUE 2 : tous les malheurs de l’humanité viennent du travail, dégradation de l’homme


(fatigue physique, oubli de soi), exploitation de l’homme par l’homme (le travail déshumanise
l’homme et les relations entre les hommes, voir critique du capitalisme par Marx).

9
LA RELIGION
A. SIGNIFICATIONS :

1. Ensemble des actes rituels exprimant la relation entre l’homme et un ou des êtres supérieurs. La
réalisation de ces rites implique des institutions (le sorcier, le prêtre, l’Église etc.)
2. Ensemble des croyances qui expriment cette relation. Distinguer ici :
a. Sentiment mystique, sentiment de dépendre de quelque chose de plus grand que moi, qui peut
exister sans pratique religieuse ni croyances particulières.
b. Théologie, « discours sur Dieu », ensemble de dogmes et de propositions qui impliquent des
croyances particulières, et différencient les religions.
c. Théologie rationnelle, démonstration par la raison de l’existence de Dieu et de ses propriétés.

B. CONTRADICTIONS :

1. La religion est à la fois sentiment intérieur (foi) et organisation politique purement extérieure
(Église).
2. La religion est à la fois ouverture (à l’invisible, au spirituel) et enfermement (dans les rites, les
textes, les commandements).
3. La religion est aussi bien source d’amour (de Dieu, du prochain) que de haine (fanatisme).

C. PRETENTION : toute la vérité est dans la religion.

1. CRITIQUE RELATIVE :
a/ Kant : ce n’est pas une vérité universelle et objective comme une vérité scientifique. En utilisant
la seule logique, la raison pure peut démontrer aussi bien l’existence que la non-existence de Dieu.
Mais il n’y aura jamais de preuve expérimentale de l’existence de Dieu, puisque, par définition,
Dieu, être éternel et infini, ne peut se présenter à nous comme un phénomène naturel, dans
l’espace et dans le temps. On ne peut donc que croire en Dieu, et non savoir qu’il existe (ce qui
établit la tolérance sur cette question). Toutefois, Kant pense qu’il peut y avoir une démonstration
morale de l’existence de Dieu : la morale, en effet, semble exiger l’existence de Dieu, car il est
difficile de penser qu’il n’y a, après la mort, aucune justice qui établisse une différence entre ceux
qui obéissent au devoir, et ceux qui n’y obéissent pas. Mais ce n’est en aucun cas une
démonstration scientifique. L’existence de Dieu n’est qu’un « postulat » de la « raison pratique »
(de la morale), qui reste absolument invérifiable.
b/ Hegel : certes, la religion contient la vérité (Dieu, l’absolu), mais sous forme de sentiment
intérieur (la foi) ; elle doit donc être dépassée par la philosophie, qui explique rationnellement ce
que la religion ne fait que percevoir intuitivement.
c/ Les principes moraux de la religion chrétienne (respect infini de la personne) sont appelés à
devenir réalité juridique et politique dans l’État moderne. La religion doit donc être dépassée par
la politique (Hegel, Feuerbach).

2. CRITIQUE RADICALE : la religion est une illusion.


a/ Dieu n’est qu’une invention de l’esprit humain, pour expliquer ce qu’il ne peut comprendre ; il
s’imagine alors un être qui dirige la nature comme un roi tout-puissant (anthropomorphisme) et
qui a fait la nature pour l’homme (anthropocentrisme) et l’homme pour lui rendre un culte
(superstitions).
b/ La religion est en fait un instrument politique : on fait craindre Dieu et ses commandements
pour maintenir l’ordre social (cf. les tables de la Loi de Moïse). Mais alors deux attitudes sont
encore possibles : ou bien il faut la conserver parce qu’elle a tout de même l’avantage de moraliser
les individus qui ne peuvent pas accéder à la sagesse par la philosophie (Spinoza) ; ou bien il faut
s’en débarrasser car elle berce le peuple d’illusions sur le bonheur de la vie future et, ce faisant, le
détourne de la lutte des classes (cf. Marx : « la religion est l’opium du peuple »).

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LA VÉRITÉ
A. SIGNIFICATIONS :
1. « Une vérité » : proposition énonçant ou bien une nécessité logique (« vérité de raison », dit
Leibniz ; ex. « si A>B et B>C, alors A>C ») ou bien un fait réel (« vérité de fait », dit également
Leibniz, ex. « Louis XIV est mort en 1715 »). S’oppose au faux (contradiction logique, ou
contradiction avec les faits objectifs). Il y a donc deux critères de vérité : ou bien la cohérence, ou
bien la correspondance avec la réalité.
2. « La vérité » : deux sens découlent du précédent. La vérité peut signifier ou bien la qualité propre
aux propositions vraies (cohérence interne ou correspondance avec un fait), ou bien la somme de
toutes les propositions vraies possibles (omniscience divine).
3. L’être par opposition au paraître. Déjà dans la langue courante on dit un « vrai » Picasso, par
opposition à un faux, un vrai musicien, un ami véritable, la vraie personnalité de quelqu’un etc. La
vérité désigne alors l’être par opposition au paraître. La Vérité peut ainsi devenir l’essence du réel, le
réel le plus authentique, qu’on essaie d’atteindre au-delà des apparences.
4. Ne pas confondre « vérité » et « réalité » : la vérité est la qualité d’une proposition, ou jugement,
alors que la réalité c’est le fait désigné par la proposition. Ex. : si le ciel est gris (réalité), alors la
proposition « le ciel est gris » est vraie (vérité).
5. Ne pas confondre « vérité » et « certitude ». Dans le langage courant, vérité et certitude ont souvent
le même sens (les expressions « c’est vrai », « c’est certain », ou bien « une vérité », « une
certitude », sont souvent équivalentes). Cependant on dit « je suis certain », et non pas « je suis
vrai ». Ce qui nous conduit à la distinction que l’on fait en philosophie, ou on préfère réserver le
terme de certitude à la désignation d’un état subjectif de conviction absolue accompagnant une
pensée, alors que le terme de vérité désigne un énoncé universel et objectif. La certitude est donc le
contraire du doute (état subjectif), alors que la vérité est le contraire de la fausseté (qualité objective
d’un énoncé).Lorsque je dis, par exemple : « je suis certain que la Terre tourne autour du Soleil », la
certitude est indiquée par la proposition principale, « je suis certain », qui désigne l’état du sujet
pensant, alors que la proposition subordonnée, « que la Terre tourne autour du Soleil », correspond à
la vérité que je suis en train d’énoncer. C’est pourquoi il n’y a pas équivalence, en fait, entre
certitude et vérité : on peut être subjectivement certain de quelque chose qui est objectivement faux
(c’est le cas de toutes les croyances erronées), et on peut énoncer quelque chose qui est
objectivement vrai sans en être subjectivement certain (si on n’a pas encore toutes les preuves, par
exemple). C’est pourquoi aussi la certitude ne peut pas être considérée comme un critère de vérité :
ce n’est pas parce que j’en suis certain que quelque chose est vrai. C’est seulement si je sais qu’une
chose est vraie que ma certitude est légitime. Question : comment savoir que quelque chose est vrai
sans s’appuyer sur la certitude ?
6. Ne pas confondre vérité et véracité (ou sincérité). Véracité, ou sincérité, impliquent la volonté de
dire le vrai ; le contraire, c’est le mensonge. Le mensonge ne consiste pas à « dire des choses
fausses », car si l’on dit des choses fausses involontairement, par ignorance, il s’agit d’une erreur, et
non d’un mensonge. Il peut même arriver qu’un menteur, par erreur, dise quelque chose de vrai ! ce
qui montre bien que l’essence du mensonge réside dans l’intention de tromper autrui, et non pas dans
la vérité ou la fausseté objective de propos. Inversement, l’essence de la sincérité réside dans
l’intention de dire la vérité à autrui, indépendamment de la vérité ou de la fausseté objective de ces
propos. La sincérité est le contraire du mensonge, et non pas de la fausseté ou de l’erreur.

B. CONTRADICTIONS :
1. Comment se fait-il que la vérité, théoriquement éternelle, n’apparaisse qu’à des dates précises ?
2. Comment se fait-il que la vérité, théoriquement universelle, n’apparaisse parfois qu’à un seul esprit ?

C. PRETENTION :
Il n’y a qu’une vérité. CRITIQUE : les sceptiques cherchent à montrer qu’on n’a jamais pu établir
aucune vérité. En effet, ou bien il existe une opinion contraire tout aussi bien démontrée, ou bien la
démonstration se fonde sur une proposition non démontrée (ex. les mathématiques). On peut alors
adopter une attitude relativiste (tout est relatif, les vérités dépendent de la civilisation, de l’époque,
des individus : « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà » (Pascal). Mais alors peut-on encore
parler de vérité ?

11
L’ÉTAT
A. SIGNIFICATIONS :

1. Société organisée politiquement, donc soumise à un pouvoir, qui s’administre


par l’intermédiaire d’institutions, justement appelées administrations : justice,
police, éducation etc. L’État est ici l’ensemble des citoyens en tant qu’ils
obéissent à la loi. S’oppose alors au « souverain », ou pouvoir de faire la loi.
2. Sens restreint : ensemble de ces institutions, depuis le chef de l’État jusqu’aux
administrations locales qui le représentent. Ce sens réduit l’État aux appareils du
pouvoir exécutif, ou administration. En ce sens, depuis l’antiquité romaine
jusqu’à Kant inclus, « État » a longtemps été synonyme de « république », ce
mot signifiant « la chose publique » (même si le gouvernement est
monarchique), par opposition aux affaires privées. A partir de Hegel, s’oppose à
« société civile », c’est-à-dire l’ensemble des individus considérés comme
consommateurs ou producteurs de biens, possédant ses propres institutions
économiques et commerciales.
3. Sens diplomatique : puissance, par opposition aux autres États. En ce sens, peut
être considéré comme synonyme de nation : l’Espagne, la France etc. Les sens 2
et 3 peuvent fusionner : l’État est alors la totalité des administrations
représentant le pouvoir à l’intérieur (justice, police etc.) et à l’extérieur (armée,
corps diplomatique).

B. CONTRADICTION :

L’État est au service de l’individu (il garantit ses droits) et l’individu au service de
l’État (il doit lui sacrifier une partie de sa liberté, de ses revenus, et même sa vie en
cas de guerre).

C. PRETENTION :
L’État est la synthèse parfaite de l’ordre et de la liberté (Rousseau, Kant). Il permet
le plein épanouissement de chaque individu en lui offrant sécurité et services. Il est
donc la réalisation de l’idéal, le « divin sur la terre » (Hegel).
CRITIQUE 1 : « l’État est le plus froid de tous les monstres froids » (Nietzsche) il
abuse de l’individu (impôts, guerre, morale publique) en lui faisant croire qu’il agit
pour son bien. Il écrase toute singularité en imposant l’universel (la loi, l’intérêt
général, voir fiche sur la raison).
CRITIQUE 2 : L’État est au service des intérêts de la classe dominante (Marx). Les
droits garantis par l’Etat, loin d’être universels, ne servent qu’à ceux qui peuvent en
jouir (ex. : le droit de propriété n’est utile qu’aux propriétaires, les protégeant des
pauvres qui pourraient vouloir s’en emparer). L’Etat n’existe que pour assurer la
sécurité de la classe possédante.

12
LE BONHEUR
A. SIGNIFICATIONS :

1. Définition positive : état de satisfaction absolue, impliquant une satisfaction de tous


les désirs, au plus haut degré, et pendant une durée indéfinie.
2. Définition négative : absence de souffrance. En grec, ataraxie, absence de trouble, ou
« tranquillité de l’âme » (Épicure, les stoïciens, les sceptiques).

B. CONTRADICTIONS :

1/ On est heureux quand on ne cherche pas à l’être. Et l’on n’est pas heureux quand on
cherche à l’être.

2/ L’homme, être raisonnable, doit pouvoir construire son bonheur (projet des sagesses
antiques), et pourtant le bonheur dépend du hasard (circonstances).

C. PRETENTION :

Tout homme désire le bonheur, « jusqu’à ceux qui vont se pendre » (Pascal).

CRITIQUE 1 (au nom de la morale) : le but de l’homme n’est pas d’être heureux à
n’importe quel prix, mais de se rendre digne d’être heureux : l’obéissance à la loi
morale est supérieure à la recherche du bonheur, et souvent incompatible avec elle,
mais il est vrai que la justice voudrait que moralité et bonheur soient réconciliés. Ce
n’est envisageable, à titre de postulat indémontrable, que dans une vie après la mort
(Kant).

CRITIQUE 2 (au nom de la connaissance) : le désir de bonheur ne peut l’emporter sur


le désir de vérité, mieux vaut être lucide et triste qu’heureux au prix de l’illusion et
de l’ignorance : « il vaut mieux être moins gai et avoir plus de connaissance »
(Descartes).

CRITIQUE 3 (au nom de la volonté de puissance) : un être vivant ne désire pas le


bonheur, mais la puissance, accroissement pas assimilation (cf. les plantes, les
arbres, les cellules). Le désir de bonheur est un désir de faible, trahissant une
lassitude et une incapacité à supporter la vie, qui est lutte, dépassement de soi, donc
souffrance. Il cache un désir de repos, de « profond sommeil », finalement de
mort… (Nietzsche).

13
LA JUSTICE
A. SIGNIFICATIONS :

1. Ne pas confondre :
a/ la justice comme principe ou valeur (la qualité d’un homme juste, d’une action juste
ou d’une société juste)
b/ la justice comme institution judiciaire. Certes, le principe qui régit l’activité des
tribunaux est censé être la justice comme valeur.

2. La justice comme principe se distingue elle-même en :

a/ Justice commutative : règle les échanges. Un échange est juste lorsque les deux
termes échangés ont la même valeur : M = N parce que M = V et que N = V. Mais la
loi du profit complique tout : on peut alors chercher à définir quel est « le juste profit ».
Question : n’y a-t-il pas contradiction entre justice et principes économiques ?

b/ Justice distributive : traiter tout le monde de la même façon. Mais ici le principe est-
il l’égalité absolue ? donner la même chose à chacun (égalité arithmétique) ? certes il
est injuste de faire des parts inégales dans un gâteau. Mais il est injuste de donner la
même note à tout le monde à un examen. Apparaît donc un principe plus complexe :
« à chacun son dû », ou « à chacun selon son mérite » (égalité proportionnelle) : on
donne à A ce qu’il mérite (s), et à B ce qu’il mérite (p), selon une proportion : s/A =
p/B. Il ne paraît pas juste de donner la même chose à tout le monde, mais il faut que la
proportionnalité soit respectée. Question : qui juge de l’exactitude et vérifie le respect
du rapport ?

c/ Justice répressive : recherche d’une proportion entre crime et peine. D’abord loi du
talion : « œil pour œil, dent pour dent », ensuite rapport plus complexe entre le mal
subi et le châtiment. Il n’y a pas de justice tant qu’il n’y a pas une règle supérieure aux
deux individus en conflit, règle incarnée par le juge. Si le rapport entre les deux
adversaires et immédiats, on parle de vengeance, pas de justice. Problème :
l’application de la loi universelle au cas particulier implique des nuances (ex.
circonstances atténuantes) exigeant du juge une qualité spéciale : l’équité (voir
contradiction ci-dessous).

B. CONTRADICTION :
La justice implique de traiter également et différemment chaque individu.

C. PRETENTION :
La justice est le principe suprême de l’organisation de la société, au-dessus même du
principe de liberté, puisque la liberté comme principe absolu (libéralisme) conduit au
désordre politique et à l’injustice sociale.

CRITIQUE : le libéralisme se défend en affirmant que, si la liberté est soumise à un principe


supérieur (égalité, solidarité ou autre), les droits de l’individu sont en péril (règlements,
surveillance, répression).

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LE DEVOIR
A. SIGNIFICATIONS :

1. Ne pas confondre devoir (obligation morale, qui doit être comprise par la conscience et
qui n’entraîne pas nécessairement obéissance) et contrainte (implique un rapport de
force qui n’a pas à être accepté par la conscience et qui ne me laisse pas le choix).
2. Ne pas confondre : a/ le sens politique (règle juridique impérative, loi, ex. aller à l’école
jusqu’à seize ans) et b/ le sens moral (obligation morale universelle).
3. Ne pas confondre : a/ un devoir particulier (ex. : dire la vérité) et le devoir, c’est-à-dire
l’essence de toute obligation morale, formulée par Kant comme impératif catégorique :
« Agis de sorte que la maxime de ta volonté puisse être érigée comme principe d’une
législation universelle ». Kant l’oppose à l’impératif hypothétique, subordonné à un
but : « si tu veux réussir, être heureux, fais ceci ou cela ».
4. Ne pas confondre (selon Kant) : a/ agir par devoir (le pur respect de la loi morale est la
seule cause de l’action) et b/ agir conformément au devoir (par habitude, par plaisir, par
peur d’être puni, pour être bien vu, pour être récompensé après la mort etc.). En fait,
Kant pense qu’il est peut-être impossible d’agir par « pur » devoir, il se peut qu’il entre
toujours un peu d’intérêt, ou un peu de peur, ou un peu d’habitude, même dans un acte
moral.

B. CONTRADICTION :
Le devoir doit être à la fois possible (« tu dois donc tu peux » dit Kant, sinon, le devoir
ne peut être ressenti comme une obligation, car : « à l’impossible nul n’est tenu ») et
impossible (il est en contradiction avec la nature humaine, avec la sensibilité : il est
bien difficile de ne jamais mentir, de toujours tenir une promesse, de ne jamais utiliser
autrui comme moyen, de ne jamais voler etc. Il est également pratiquement impossible
d’accomplir son devoir par pur devoir : cf. ci-dessus A. 4). L’idéal moral n’est pas une
utopie irréalisable, mais est très difficile à réaliser. C’est pourquoi le progrès moral de
l’humanité est un progrès indéfini, selon l’expression de Kant.

C. PRETENTIONS :

1. Toute conscience sait parfaitement quels sont ses devoirs (Rousseau, Kant).

CRITIQUE 1 : prendre la juste décision implique beaucoup de réflexion et de sagesse, une


compétence qui ne peut pas se trouver chez tout le monde (Platon, Aristote).

CRITIQUE 2 : le devoir ne découle pas du tout d’une raison prétendument universelle, il a


toujours une origine historique, liée à des intérêts, des exigences politiques, la nécessité
de maintenir l’ordre, etc. La « généalogie de la morale » consiste à retrouver cette
origine peu morale de la morale (Nietzsche, cf. Fiche sur la morale).

2. Tout être cherche à être ce qu’il doit être. En ce sens métaphysique, on oppose d’abord
le « devoir-être » (ce qui doit être) à ce qui est, l’idéal au réel. Mais ensuite,
logiquement, le devoir-être doit finir par être. Être, c’est devenir ce qu’on doit être, qu’il
s’agisse d’un individu ou de l’humanité. Cf. le sens de l’histoire chez Hegel : c’est
quand ce que doit être l’homme s’est enfin complètement et concrètement réalisé que le
but de l’histoire est atteint.

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LA LIBERTÉ
A. SIGNIFICATIONS :

1. Liberté de faire :
a. « Je peux » = capacité physique ou matérielle.
b. « Je peux » = j’ai le droit (liberté juridique).
2. Liberté de vouloir :
a. Liberté de la volonté par rapport aux passions (l’esprit n’est pas esclave des
désirs), ou par rapport aux « déterminismes » (faculté de faire un choix qui ne soit
pas déterminé par des causes, donc d’être soi-même l’origine absolue de son
choix = libre arbitre).
b. Liberté de la volonté par rapport à l’entendement (comprendre la nécessité de
faire quelque chose, dans ce cas, ne détermine pas la volonté mécaniquement, une
nécessité comprise et admise par la raison n’est pas la même chose qu’une
nécessité subie aveuglément ; une table subit la loi de la pesanteur, un esprit
comprend que 2+2 = 4).
3. Adéquation parfaite entre ce que je fais et ce que je suis, ou entre ce que je suis et ce
que je dois être. Être libre, c’est être moi (Bergson).
4. Cette même définition peut être appliquée à l’humanité entière : réalisation concrète
de la liberté dans le droit et dans les mœurs, but ou fin de l’histoire (Kant, Hegel).

B. CONTRADICTION :

Pas de liberté sans soumission aux lois (de la nature, de la morale, de l’État). Voir
fiches sur la technique, le travail, le droit.

C. PRETENTION :

La liberté est l’essence de l’homme.

CRITIQUE : l’homme obéit aux lois de l’univers comme le reste : déterminisme


(Spinoza). Mais il peut comprendre ses déterminismes. Ce qui lui donne une autre
forme de liberté : savoir ce qu’il fait et pourquoi. D’autre part en connaissant ses
déterminismes ont peut en modifier les conséquences : ne pas confondre, en effet,
déterminisme et fatalisme. Déterminisme : rien n’arrive sans cause, y compris les
actes humains, et les mêmes causes produisent les mêmes effets ; mais justement la
connaissance de ces causes et des leurs effets permet de modifier le cours des choses
en utilisant les déterminismes les uns contre les autres : l’action est donc possible.
Fatalisme : toute notre existence, dans ses moindres détails, est soumise à un destin
qui est « écrit » à l’avance. Il n’y a rien à faire, impuissance totale.

16
LA SCIENCE
A. SIGNIFICATIONS :

1. Ne pas confondre les sciences formelles et les sciences du réel. Les sciences
formelles n’ont pas de contenu : logique (science du raisonnement logique sans
aucun contenu (voir fiche sur la vérité), mathématiques (science des relations
entre les quantités pures ne désignant aucun objet particulier). Les sciences du
réel se définissent chacune par un objet particulier (la matière, le vivant,
l’homme par ex.)
2. Ne pas confondre, parmi les sciences du réel : les sciences de la nature
(physique, chimie, biologie) et les sciences de l’homme, ou « sciences
humaines » (anthropologie, ethnologie, histoire, sociologie, psychologie). Les
premières ont la réputation d’être exactes (fondées sur les mathématiques et
l’expérience), les secondes plus approximatives (fondées sur des statistiques,
des récits, des observations partielles ; le plus gros problème étant que leur
objet est un sujet conscient, qui interagit avec l’observateur, à la différence de
la matière).

B. CONTRADICTION : la science donne une connaissance objective (exactitude des


calculs mathématiques et vérification par l’expérience) des phénomènes sans
pouvoir prétendre qu’elle est la vérité absolue (elle explique le comment, et non
pas le pourquoi, et elle n’est fondée que sur des hypothèses dont on ne peut être
certain qu’elles sont les lois réelles de la nature).

C. PRETENTIONS : La science peut tout expliquer.

CRITIQUE 1 : il y a des objets inaccessibles à la science car ne pouvant


apparaître comme des phénomènes mesurables et vérifiables (Dieu, le Moi, le
Monde, cf. Kant, les Idées de la « métaphysique », domaine situé au-delà des
limites de toute science possible).

CRITIQUE 2 : l’homme en tant que sujet, conscience, ne peut pas être objet de
science. Argument épistémologique (de méthode) : il interagit avec
l’observateur donc aucune vérification objective n’est possible (contestation de
la validité des sciences de l’homme, péjorativement appelées « sciences
molles »).
Argument métaphysique : l’homme est sujet, liberté, il n’est donc pas soumis au
déterminisme, principe fondamental de la science (cf. Sartre).

CRITIQUE 3 : le domaine qualitatif échappe par définition à la science, qui réduit


tout en qualité. Par exemple les sentiments, l’amour, la beauté, la bonté restent
inexplicables par la science.

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LA NATURE
A. SIGNIFICATIONS :

1. Ne pas confondre a/ la nature, totalité des phénomènes existants non créées


par l’homme, observables par la science qui les réduit à des quantités
mesurables et b/ la Nature, force créatrice origine de la totalité de ces mêmes
phénomènes, sorte de divinité à laquelle on prête parfois une intelligence, des
buts etc.
2. Ne pas confondre : a/ la nature aux sens précédents et b/ la nature d’une chose
(son essence). Ce deuxième sens est tout de même lié au précédent : les
essences sont des « natures » car elles ne sont pas créées par l’homme, elles lui
préexistent, comme « la » nature.

B. CONTRADICTION :
La nature produit ce qui la détruit ou la nie : l’homme et la « culture » (= tout
ce que l’homme ajoute à la nature).

C. PRETENTIONS :

1. Tout est naturel, y compris les productions de l’homme : tout, dans l’homme,
s’explique par la nature, car il a une nature (la « nature humaine ») et il n’est
qu’une partie de la nature. Il n’est pas un « empire dans un empire » (Spinoza),
il est soumis au déterminisme comme le reste. Ne pas confondre un degré élevé
de complexité (art, science, technique, sentiments raffinés etc.) et une différence
radicale (voir fiche sur la conscience). Il n’y a donc pas de négation de la nature
par l’homme, seulement un accomplissement.

CRITIQUE : certes, la nature a rendu possible la culture, puisque après tout


l’homme est un produit de la nature. Mais la culture (technique, art, science,
droit, morale etc.) finit par nier la nature, en instaurant des valeurs qui ne se
trouvent pas dans la nature (égalité, droits et devoirs, respect absolu de l’autre,
action totalement désintéressée et inutile comme l’art, patrie, liberté). Cette
rupture absolue avec la nature est mise en évidence par la capacité proprement
humaine à vouloir sa propre mort au nom de ces valeurs abstraites (héroïsme,
sacrifice de soi, grève de la faim, suicide), ce qui démontre que l’homme
s’affirme et affirme l’existence de l’univers des valeurs en niant la vie, donc la
nature.

2. Toutes les valeurs sont dans la nature. La nature doit servir de référence dans
la constitution d’une morale ou d’une politique. Il faut « se conformer à la
nature » (morale stoïcienne). Il faut suivre les lois de la nature.

CRITIQUE : on a tiré de la « nature » les morales les plus contradictoires, car on


fait dire ce qu’on veut à la nature ! On le voit bien à la fin de Gorgias de
Platon : pour Calliclès, la loi de la nature, c’est la loi du plus fort, la suprématie
de l’individu d’exception, alors que pour Socrate (= Platon), la loi de la nature,
c’est la relation harmonieuse entre tous les éléments, unis en un système
solidaire, comme le prouve le système des planètes. La « nature » n’est souvent
que le prétexte d’une idéologie.

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